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Full text of "Paraphrase des litanies de la sainte Vierge : formant trois mois de Marie suivie de six exercices du chemin de la croix"

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JOHN  M.  KELLY  LIBRARY 


Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


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HOLY  REDEEMER  LIBRARY,  WINDSOR 


PARAPHRASE 

DES   LITANIES 


DE    LA 


SAINTE  VIERGE 


PARAPHRASE 

DES  LITANIES 


DE    LA 


SAINTE   VIERGE 

FORMANT 

TKOIS  MOIS  DE  MARIE 


DE   SIX    EXERCICES    DU   CHEMIN    DE    LA  CROIX 

Par  M.  L'Abbé  LEMARCHAL 

Ancien   professeur    de    Rhétorique   du    diocèse    de    Verdun. 

QUATRE 

Qiiïwïïcïdanffîie , {*$ihyé  œ tei na m 
ibebuntl^f 

^ront  connaître, 
nelle. 

(Eccli.  xxiv,  31.) 


TOME     SECOND 


A    THONNE-LE-THIL, 

PRÈS    MONTMÉDY    (MEUSE), 

CHEZ    M.    L'ABBÉ    LEMARCHAL 

1888  <£> 

HOLY  REDEEMER  LIBRARgf  INDSOR 


H 


PARAPHRASE 

DES  LITANIES 

DE   LA  SAINTE    VIERGE. 


CHAPITRE  XXVII 


VASE  HONORABLE 

C'est  à  beaucoup  de  titres  que  Marie  mérite  et  qu'on 
lui  donne  cette  qualification .  Ne  fut-elle  pas  le  Vase 
d'honneur,  qui,  rempli  d'abord  de  toutes  les  richesses 
de  la  grâce,  renferma  ensuite  le  Saint  des  saints,  et 
avec  lui  le  baume  divin  qu'il  apportait  aux  plaies  de 
l'humanité  dégradée  ?  Mais  envisageons  aujourd'hui 
plus  spécialement  le  reflet  de  gloire  qui  de  Marie,  ce 
Vase  si  honorable,  a  rejailli  sur  le  monde  entier  et 
principalement  sur  son  sexe.  Cette  réhabilitation  de  la 
femme  par  le  Christianisme  ou  par  Marie  est  un  de 
leurs  beaux  triomphes  trop  peu  apprécié,  parce  qu'il 
n'est  pas  assez  connu.  Il  importe  donc  de  le  mettre 
au  grand  jour,  par  le  rapprochement  de  deux  contras- 
tes : 

I .  L'état  de  dégradation  et  d'abaissement  dans  le- 
quel gémissait  la  femme,  avant  la  venue  de  la  sainte 
Vierge. 

IL  Le  merveilleux  changement  opéré  par  sa  venue 
et  son  culte,  dans  la  position  de  la  femme. 


VAS    HuNiïllAIHI.1-: 


ARTJCLE  PREMIER 


Etat  d'abaissement  et  de  dégradation  morale 

où   gémissait  la  femme,  avant  la  venue 

de  la  sainte  Vierge 

Quand  on  jette  un  regard  observateur  sur  le  monde 
avant  Jésus-Christ  pour  en  étudier  la  constitution  et 

g  joutâmes,  le  cœur  saigne  de  l'oppression  qu'on 
voit  peser  sur  la  femme,  rabaissée  jusqu'au  niveau  de 
l'esclave  chez  la  plupart  des  nations  même  les  plus 
civilisées.  Le  mariage  ne  la  faisait  pas  la  compagne 
honorée  de  l'homme,  mais  sa  propriété  et  le  jouet  de 
tous  ses  caprices,  voire  même  les  plus  odieux  et  les 
plus  vils  :  il  accumulait  sur  elle  tout  ce  qu'il  pouvait 
imaginer  de  duretés  et  d'humiliations.  Loin  de  la  re- 
garder comme  son  aide  et  son  égale,  il  ne  voyait  en 
elle  que  la  chair  et  le  sang,  l'assimilait  à  ses  richesses 
matérielles  et  ne  la  mettait  guère  au-dessus  de  ces 
êtres  dénués  de  raison  qu'il  employait  à  son  service, 
elle  restait  complètement  étrangère  à  ces  réunions 
domestiques  dont  elle  aurait  dû  faire  les  charmes  et 
les  frais  ;  et.  au  lieu  d'intervenir  dans  le  gouverne- 
ment delà  famille,  elle  passait  sa  vie  sous  une  tutelle 
permanente,  sans  pouvoir  jamais  devenir  elle-même 
la  tutrice  de  ses  enfants,  ni  disposer  à  son  gré  de  sa 
personne  et  de  ses  biens.  Elle  était  déclarée  inha- 
bile à  hériter,  à  témoigner  en  justice.  Dans  quelque  po- 
sition qu'elle  se  trouvât,  les  charges  lui  incombaient  et 
jamais  les  honneurs.  Comme  elle  eût  été  repoussée,  si 
elle  avait  songé  à  briser  cette  enveloppe  de  mépris, 
sous  laquelle  sommeillaient  des  facultés  puissantes, 
des  qualités  augustes,  un  cœur  riche  de  sentiments, 
donl  elle  n'avait  pas  même  le  soupçon  ! 

Pour  mieux  l'enchaîner  dans  son  abaissement,  on  la 


VAS   HONORABILE  7 

laissait  croupir  dans  la  plus  grossière  ignorance;  et  si 
les  hommes  progressèrent  dans  l'ordre  intellectuel,  la 
femme  resta  toujours  stationnaire;  et  même,  à  mesure 
que  l'homme  gagnait  en  lumières,  elle  semblait  des- 
cendre encore  plus  dans  l'avilissement.  Sauf  quelques 
rares  exceptions,  elle  ne  vit  pas  sa  position  sociale 
améliorée  par  la  civilisation  Grecque  ou  Romaine,  qui 
passa  à  côté  d'elle  comme  une  amère  dérision .  La  di- 
versité des  lois  et  des  coutumes  à  son  égard,  chez  les 
différents  peuples,  n'était  qu'une  diversité  de  dégrada- 
tion sous  toutes  les  formes.  Ainsi  partout,  se  trouvaient 
bouleversés  les  rapports  établis  par  Dieu  entre  l'un  et 
l'autre  sexe. 

Deux  usages  surtout,  à  peu  près  généraux,  nous  ré- 
vèlent l'état  de  misère  morale  où  la  femme  était 
plongée  :  la  polygamie,  qui  autorisait  à  avoir  autant 
d'épouses,  disons  plutôt  autant  de  martyres  que  l'on 
voulait,  et  le  divorce,  qui  laissait  à  l'homme,  sans  ré- 
ciprocité pour  la  femme,  la  liberté  de  répudier  sur  de 
simples  soupçons,  le  plus  souvent  pour  satisfaire  les 
exigences  d'une  passion  qu'il  ne  savait  pas  maîtriser. 
Ainsi  se  trouvait-elle  abaissée  à  la  condition  d'esclave 
pendant  quelques  années,  après  lesquelles  le  caprice 
d'un  mari  spéculateur  ou  débauché  la  dépouillait  de 
son  titre  de  mère  en  lui  ôtant  celui  d'épouse. 
Trafic  honteux  pour  la  femme,  venue  jeune,  dévouée, 
et  bientôt  renvoyée  flétrie  par  l'âge  ou  les  infirmités, 
comme  l'on  se  défait  d'un  meuble  hors  de  service 
qu'on  s'ennuie  de  voir  chez  soi.  Polygamie  et  divorce 
qui  aboutissaient  l'un  et  l'autre  à  faire  disparaître  la 
pudeur  du  cœur  de  la  femme,  à  lui  ravir  toute  sa  di- 
gnité, à  la  rendre  le  jouet  des  plus  vils  instincts.  Ce 
sont  là  seulement  quelques  traits  du  triste  et  lamen- 
table état  d'asservissement,  qui  dégradait  la  moitié  du 


8  VAS   H0N0RAB1LE 

génie  humain  avant  la  bienfaisante  apparition  du 
Christianisme   Note  lre). 

Chez  le  peuple  juif,  il  est  vrai,  la  femme  n'est  point 
descendue  aussi  bas  dans  l'ignominie  et  la  servitude. 
Comme  épouse  et  comme  mère  elle  jouissait  d'une  as- 
sez grande  considération .  Le  mariage,  qui  lui  conci- 
liait tendresse  et  vénération,  ne  se  formait  point  sans 
son  agrément  :  elle  n'était  pas  vendue  ni  enlevée,  mais 
demandée  et  consultée:  une  large  part  lui  était  con- 
cédée dans  l'administration  des  biens  et  même  dans 
les  intérêts  généraux  de  la  nation.  Mais,  hàtons-nous 
de  le  dire,  si  elle  jouissait  ainsi  de  quelque  honneur, 
c'est  en  vue  de  la  Femme  bénie  que  cette  nation  de- 
vait produire  un  jour.  Elle  subissait  néanmoins  les 
deux  grandes  humiliations  de  la  poly  garnie  et  du  di- 
vorce, qui  avaient  leur  raison  d'être  dans  le  désir  de 
donner  naissance  au  Messie  attendu.  Aussi,  malheur  à 
la  stérile;  et  la  virginité  était  chose  inconnue.  C'est  ain- 
si que  généralement  avant  Jésus-Christ  la  femme  était 
dépossédée  de  sa  dignité,  de  sa  pudeur  et  des  égards 
dus  à  sa  faiblesse  et  à  son  caractère. 

Tel  est  encore,  à  peu  près,  l'état  des  choses  partout 
où  n"a  pas  brillé  le  flambeau  de  la  foi,  chez  les  peu- 
ples même  les  plus  civilisés.  On  y  trouve  la  femme 
mise  au  rebut  comme  un  objet  de  honte,  chargée  d'i- 
gnominie, accablée- de  rigueurs,  subissant  le  despo- 
tisme le  plus  ignoble,  comme  écrasée  sous  le  poids 
d'un  anathème  primitif  et  d'un  mépris  traditionnel. 

Ce  triste  spectacle  nous  est  offert  surtout  par  les 
usages  du  Mahométisme.  Rejetant  la  divinité  de  Jé- 
sus-Christ et  par  là  même  la  divine  Maternité  de 
Marie,  croyances  qui  peuvent  seules  donner  à  L'homme 
des  mœurs  pures  et  le  rendre  victorieux  de  ses  ins- 
tincts   mauvais,    Mahomet     n'offril    à    ses    adeptes, 


VAS   HONORA  BILE  y 

comme  appas  et  pour  bonheur,  que  la  fange  de  jouis- 
sances charnelles  :  et  la  femme  devenue  le  honteux 
instrument  de  ce  sensualisme  effréné  fut  ainsi  refoulée 
dans  une  dégradation  peu  différente  de  la  dégradation 
païenne.  L'àme  se  soulève  d'indignation  à  la  vue  de 
cette  corruption  des  mœurs  orientales,  de  cette  lèpre 
dégoûtante  de  la  volupté  qui  ravale  au  niveau  de  la 
brute  des  créatures  faites  à  l'image  de  Dieu .  Et,  d'un 
autre  côté,  c'est  très  remarquable,  ces  mêmes  hommes 
qui  affichent  un  si  profond  mépris  à  l'égard  de  la 
femme,  sont  saisis  d'un  respect  involontaire  pour  la 
Sœur  de  charité,  en  présence  de  son  dévouement  et 
de  ses  vertus  sublimes  :  hommage  frappant  rendu  à 
l'influence  de  Marie  ;  car  c'est  elle  que  le  Turc  et  l'A- 
rabe honorent  en  honorant  la  fille  de  saint  Vincent  de 
Paul,  qui  n'est  grande  et  ne  conquiert  ainsi  l'estime 
que  par  les  vertus  de  la  Vierge  dont  elle  est  la  fidèle 
imitatrice . 

Et  dans  le  Protestantisme,  qui  a  ignominieusement 
chassé  Marie  de  ses  temples,  qu'est-ii  résulté  de  ce 
sacrilège  bannissement?  Demandez-le  à  l'Angleterre 
et  à  l'Allemagne  :  la  femme  jouissant  auparavant  de 
tous  les  privilèges  de  la  réhabilitation  est  rentrée  avec 
la  Réforme  sous  l'asservissement  de  l'homme,  elle  a 
vu  s'affaiblir  considérablement  son  influence  au  sein 
de  la  famille  :  elle  est  sans  garantie  contre  le  divorce, 
aussi  contraire  à  son  bonheur  qu'à  sa  qualité  d'épouse 
et  de  mère.  Mais  tirons  le  voile  sur  tous  ces  faits  si 
déshonorants  pour  lhumanité. 

Telle  était  donc  avant  Jésus-Christ,  et  telle  est  en- 
core maintenant  chez  les  nations  non  catholiques  la 
position  de  la  femme.  Convenons  quelle  l'avait  un 
peu  méritée.  C'est  elle  qui,  à  la  naissance  de  l'univers, 
sous  les  frais  ombrages  de  l'Eden,  au  pied  de  l'arbre 


10  VAS    HONORA  BILE 

fatal,  s'était  laissée  séduire  la  première  par  l'astucieux 
serpent  :  c'était  par  elle,  que  la  mort  avait  pénétré 
dans  le  monde  avec  le  lugubre  cortège  de  douleurs 
qui  depuis  soixante  siècles  pèsent  si  lourdement  sur 
la  pauvre  humanité.  Elle  subissait  une  déchéance  per- 
sonnelle, ayant  été  l'agent  primitif  et  principal  de  la 
déchéance  commune.  Pour  avoir  eu  l'ambition  de  s'é- 
lever plus  haut  qu'il  n'était  permis,  elle  fut  surtout 
humiliée  et  soumise  à  la  malédiction.  Sans  le  péché, 
la  femme  eût  été  l'heureuse  compagne  de  l'homme, 
qui  ne  lui  aurait  fait  sentir  sa  supériorité  que  par 
plus  de  raison,  de  sagesse  et  d'amitié.  Mais,  parce 
qu'elle  avait  entraîné  l'homme  dans  sa  prévarication, 
celui-ci  ne  fut  plus  pour  elle  qu'un  maître  sévère, 
qu'un  tyran  sans  pitié,  se  vengeant  ainsi  des  calamités 
sans  nombre  qu'elle  lui  avait  attirées,  et  exécutant 
l'arrêt  porté  contre  elle  dès  le  commencement  ;  parce 
que  tu  as  fait  cela,  avait  dit  le  Créateur,  tu  seras 
sous  la  puissance  de  V homme,  et  il  te  dominera.  0 
mon  Dieu  î  convenait -il  cà  votre  bonté  de  laisser  cette 
infortunée  créature  éternellement  courbée  sous  l'anti- 
que anathème  ?  Rassurons-nous  !  le  ciel  a  compté  les 
heures,  et  celle  de  la  réhabilitation  a  sonné  :  nous  le 
verrons  avec  bonheur  dans  le  second  Article. 

Morale  :  Cet  état  de  dégradation  aussi  immorale 
qu'humiliante,  où  gémissait  la  femme  avant  la  venue 
de  Jésus-Christ ,  n'est  qu'un  des  traits  du  tableau 
hideux  que  présente  le  monde  païen.  N'étant  point 
éclairé  par  l'étoile  de  la  foi,  il  cheminait  au  milieu 
des  ténèbres  et  au  hasard  dans  le  sentier  de  la  vie.  ne 
sachant  ni  d'où  il  venait,  ni  où  il  devait  tendre.  Sans 
principes  et  sans  frein  qui  continssent  leurs  instincts 
mauvais,  les  nommes  suivant  la  pente  de  leur  nature 
se  roulaient  dans  le  labyrinthe  des  erreurs  les  plus 


VAS   HONORABILE  11 

grossières,  dans  la  fange  de  tous  les  vices.  C'est  pitié 
de  voir  la  pauvre  espèce  humaine  descendue  à  ce 
point  au-dessous  de  sa  dignité.  Mais,  grâce  soient 
mille  fois  rendues  à  l'Auteur  de  tout  don,  qui,  touché 
de  la  profonde  misère  des  mortels,  est  venu  les  retirer 
de  ces  abîmes  de  Terreur  et  du  vice.  A  la  lueur  de  ce 
divin  Soleil  de  justice  qui  éclaira  le  monde,  nous 
connaissons  notre  origine,  notre  fin,  et  les  moyens  de 
l'atteindre.  Nous  pouvons  marcher  en  sûreté,  ayant 
devant  nous  le  flambeau  de  la  foi  qui  dirige  nos  pas. 
Oh!  que  nous  serions  coupables  de  dévier  du  droit 
chemin,  de  vivre  comme  les  nations  qui  ne  connaissent 
pas  Dieu,  de  reproduire  dans  le  Christianisme  les 
mœurs  des  païens  !  Nous  mériterions  le  sort  de  ces 
villes  maudites,  auxquelles  Jésus-Christ  reproche  de 
valoir  moins  que  ces  autres  qui  n'ont  pas  eu  l'avan- 
tage de  sa  présence,  de  ses  miracles  et  de  ses  bien- 
faits. Permis  à  nous  d'être  fiers  de  l'élévation  où  la 
grâce  de  Jésus-Christ  nous  a  placés,  non  pour  nous 
enfler  d'un  sot  orgueil,  mais  pour  ne  point  descendre 
de  ce  haut  rang  par  la  bassesse  de  nos  sentiments  et 
de  notre  conduite.  Soyons  chrétiens  par  nos  mœurs, 
beaucoup  plus  encore  que  par  le  nom  :  sachons  par 
des  vertus  sublimes,  qui  soient  au  niveau  de  notre 
dignité,  nous  honorer  et  en  même  temps  la  religion 
qui  nous  a  faits  ce  que  nous  sommes.  Prenons  garde 
de  fournir  à  ses  ennemis  un  prétexte  de  la  décrier,  en 
nous  reprochant  avec  raison  de  ne  pas  avoir  plus  de 
vertus  que  ceux  qui  n'y  croient  pas.  Ils  seraient  en 
droit  de  nous  dire  comme  Alexandre  à  un  de  ses  sol- 
dats qui,  portant  son  nom,  le  déshonorait  par  des 
mœurs  infâmes  :  «  Change  de  nom  ou  de  conduite .  » 

Mais  notre  auguste  dignité  de  chrétien  nous  impose 
encore  un  autre  devoir  que  celui  de  la  soutenir  par 


12  VAS    HONORABILE 

une  rie  irréprochable,  c'est  la  reconnaissance  pour 
cet  immense  bienfait.  Si  plus  privilégiés  que  ces 
malheureux  infidèles,  idolâtres  et  sauvages,  toujours 
assis  à  l'ombre  de  la  mort,  nous  avons  été  éclairés  des 
lumières  de  la  foi,  placés  par  là  même  sur  la  voie  du 
ciel,  et  munis  de  tous  les  moyens  pour  y  arriver,  c'est 
à  la  bonté  toute  gratuite  de  Dieu  que  nous  sommes 
redevables  d'une  grâce  aussi  précieuse,  qui  fut  comme 
le  premier  anneau  de  cette  longue  chaine  d'autres 
grâces  dont  il  nous  a  ensuite  favorisés.  Quoi  donc  de 
plus  juste  que  souvent,  mais  au  moins  au  jour  anni- 
versaire de  notre  baptême,  nous  en  témoignions  au 
Père  de  miséricorde  notre  vive  reconnaissance?  Rien 
ne  lui  serait  aussi  sensible  que  l'ingratitude,  ce  vice 
déshonorant,  dont  un  cœur  élevé  n'a  garde  de  se 
rendre  coupable,  et  que  le  monde  même  ne  pardonne 
pas.  Dix  lépreux  avaient  obtenu  de  Jésus- Christ  la 
guérison  de  leur  maladie  honteuse  :  un  seul  était  venu 
le  remercier  :  et  le  Sauveur,  de  s'écrier  avec  l'accent 
de  la  douleur  et  du  blâme  :  Où  sont  donc  les  neuf 
autres?  Gardons-nous  d'encourir  un  reproche  aussi 
dur! 

Sainte  Mère  de  Dieu,  sans  être  à  votre  hauteur, 
nous  sommes,  après  vous,  les  êtres  les  plus  nobles  de 
la  création  ;  mais,  pour  ne  point  descendre  de  ce  rang 
si  élevé,  nous  avons  besoin  de  votre  toute-puissante 
assistance  :  daignez,  ô  Vierge  bénie,  nous  la  continuer. 

Pratique  :  Demandez  souvent  à  Marie  qu'elle  vous 
éclaire  et  vous  dirige  dans  les  voies  du  salut. 

EXEMPLES. 

SENTIMENTS    DE    LA    DIGNITE    DE    CHRETIEN. 

Un  jour  que  l'on  bâtissait,  ;'i  L'aide  de  pienses  lar- 
3,   nue  magnifique  église,  nne  femme  vertueuse, 


VAS    FONOItARILE  U 

toute  pauvre  des  biens  de  la  terre,  mais  riche  des 
biens  de  la  grâce,  animée  de  l'esprit  de  Jésus-Christ 
et  d'un  tendre  amour  pour  la  sainte  Vierge,  s'empressa 
d'apporter  un  écii,  fruit  de  ses  épargnes,  ne  voulant 
pas  rester  étrangère  à  la  bonne  œuvre.  Mais  le  prêtre 
à  qui  elle  présentait  son  offrande  la  refusa,  en  lui 
disant  qu'il  pensait  lui  donner  des  secours  plutôt  que 
d'en  recevoir,  parce  qu'à  sa  mise,  elle  lui  paraissait 
bien  pauvre.  —  Moi  pauvre  !  mon  père,  reprit-elle 
d'un  ton  élevé  :  Eh  !  ne  suis-je  pas  chrétienne,  fille 
par  là  même  d'un  grand  roi,  et  héritière  d'un  riche 
royaume  ?  —  Cette  femme  comprenait  la  dignité  de 
chrétien  et  savait  la  soutenir. 

—  Un  sauvage,  suffisamment  instruit  de  notre 
sainte  religion,  avait  reçu  avec  les  plus  vifs  sentiments 
d'amour.et dte  reconnaissance  le  Baptême  et  la  sainte 
Eucharistie."  Le  missionnaire,  étant  parti  de  là  pour 
aller  faire  d'autres  conquêtes  à  Jésus-Christ,  revint 
un  an  après  dans  l'endroit  où  se  trouvait  ce  nouveau 
chrétien.  A  peine  eut-il  appris  l'arrivée  du  Mission- 
naire, qu'il  alla  le  trouver  pour  lui  demander  la  sainte 
communion.  —  Très  volontiers,  mon  fils,  lui  dit  le 
bon  Père  :  mais  il  faut  auparavant  vous  confesser  des 
fautes  graves  que  vous  avez  pu  commettre  ;  ne  crai- 
gnez pas,  je  vous  aiderai.  —  Quoi,  mon  Père,  reprit 
le  sauvage  avec  étonnement,  est-ce  qu'il  y  aurait  des 
chrétiens  qui,  après  avoir  été  baptisés  et  avoir  reçu 
Jésus-Christ,  seraient  assez  ingrats  pour  l'outrager 
par  quelque  péché  mortel  ?  Grâces  à  Dieu,  je  ne  pense 
pas  avoir  commis  aucun  de  ces  péchés.  Et  il  fondait 
en  larmes  en  accusant  quelques  fautes  toutes  légères. 
—  Il  y  a  là  de  quoi  couvrir  de  honte  tant  de  eh  retiens 
qui  perdent  si  facilement  et  si  tôt  la  grâce  de  leur 
baptême. 


1-4  VAS    HONORA  BILE 

—  Tout  le  monde  sait  la  haute  idée  que  saint  Louis 
attachait  à  sa  dignité  de  chrétien  :  il  signait  le  plus 
souvent  Louis  de  Poissy,  parce  que  ayant  eu  le  bon- 
heur de  recevoir  en  cet  endroit  le  sacrement  dé 
Baptême,  il  estimait  le  titre  d'enfant  de  Dieu  et  de 
l'Eglise  bien  au-dessus  du  titre  de  roi. 

ARTICLE  SECOND. 

Heureux  changement   opéré    dans  la  position   de  la 

femme,  par  le  Christianisme 

et  le  culte  de  Marie  qui  en  est  inséparable. 

Fatigués  et  comme  honteux  d'avoir  assisté  à  ce 
triste  spectacle  qui  nous  a  montré  une  partie  du  genre 
humain  si  humiliée,  si  dégradée  par  l'autre,  laquelle 
par  cette  injustice  criante  ne  se  couvrait  pas  d'un 
moindre  déshonneur,  nous  allons  reposer  nos  regards 
sur  un  théâtre  bien  différent,  le  monde  catholique, 
qui  nous  révélera  la  réhabilitation  de  la  femme.  Oui, 
sa  grandeur,  son  émancipation,  sa  haute  position  dans 
la  société  et  la  famille  sont  des  fleurs  qui  ne  pouvaient 
éclore  qu'en  Terre  sainte,  au  soleil  de  la  foi  et  sous  la 
bénigne  influence  de  la  Vierge.  En  effet,  ce  fut  l'In- 
carnation du  Verbe  et  son  apparition  au  monde  par 
Marie  qui  mit  un  terme  à  la  dégradation  de  la  femme. 
Alors,  commença  pour  elle  une  ère  d'émancipation  et 
et  d'égalité  qui  la  réintégra  dans  ses  droits  si  long- 
temps méconnus.  Le  Fils  de  l'Eternel  vouloir  naitre 
d'une  femme  et  d'après  son  consentement,  d'une 
femme  à  laquelle  il  reste  soumis  pendant  trente  ans, 
qu'il  associe  à  toutes  ses  opérations  pour  notre  salut, 
qu'il  lègue  pour  Mère  à  tout  le  genre  humain,  qu'il 
couronnera  dans  le  ciel  d'une  gloire  incomparable  et 
d'une  puissance  sans  limite  :  n'était-ce  pas  déjà  rele- 
ver magnifiquement  la  femme  de  l'état  d'abaissement 


VAS    HOXOHABILE  15 

et  de  servitude  où  elle  était  tombée  ?  Tant  d'honneurs 
accumulés  sur  Marie  sa  Mère  ne  rejaillissaient-ils  pas 
surtout  son  sexe  ?  (2) 

Mais  cette  réhabilitation  ne  fit  que  s'accroître  et  se 
consolider  par  le  culte  de  la  sainte  Vierge.  En  effet, 
quand  le  symbole  proclamait,  et  que  les  Conciles 
consacraient  sa  divine  Maternité,  base  de  toutes  les 
autres  vérités  catholiques,  n'était-ce  pas  abolir  la 
malédiction  portée  contre  la  première  femme  ?  Quand 
les  peuples  voyaient  les  autels  se  dresser  pour  Marie 
à  côté  de  ceux  de  son  Fils,  sa  bannière  flotter  en 
regard  de  la  Croix,  un  culte  tout  spécial  être  rendu  à 
cette  humble  fille  de  Juda  devenue  Mère  d'un  Dieu, 
pouvaient-ils  supporter  après  cela  que  la  femme 
restât  dans  son  état  de  dégradation  et  d'esclavage,  et 
ne  pas  reporter  sur  tout  le  sexe  une  partie  de  tant  de 
vénération  décernée  à  Marie  ?  D'ailleurs,  il  paraissait 
de  toute  justice  qu'une  femme  ayant  réparé  la  faute, 
la  gloire  de  cette  réparation  rejaillit  sur  toutes  les 
autres.  Pouvait-on  ne  pas  leur  tenir  compte  de  ce 
qu'une  d'entre  elles  ait  été  Médiatrice  avec  le  Média- 
teur, Rédemptrice  avec  le  Rédempteur  ?  Ainsi  la 
femme  s'éleva  graduellement  dans  l'estime  des 
hommes  à  proportion  des  progrès  que  fit,  avec  les 
croyances  chrétiennes,  le  culte  de  Marie.  Autant  elle 
avait  été  asservie  et  dégradée  dans  l'antiquité  païenne, 
autant  son  élévation  devint  un  principe  et  un  fait  dans 
le  Christianisme . 

Qu'elle  est  belle,  en  effet,  la  position  qu'il  fit  à  la 
femme  !  Il  la  trouva  sur  le  chemin  du  monde,  expiant 
dans  l'ignominie  l'orgueil  de  la  première  Eve,  et  la 
prenant  par  la  main,  il  la  fit  remonter  sur  le  trône  où 
dès  l'origine  l'avait  placée  le  Créateur.  Il  lui  rendit 
tout  à  la  fois  sa  dignité  morale,  religieuse  et  civile,  en 


Ili  V  VS    HUNOHABILK 

ôtant  à  l'époux  le  droit  tyrannique  de  vie  et  de  mort 
que  lui  conféraiejil  les  lois  anciennes  ;  eD  frappant  de 
réprobation  la  pensée  même  d'adultère,  l'usage  de  la 
polygamie,  la  désastreuse  liberté  du  divorce:  en  lui 
faisant  partager  avec  l'homme  1rs  bienfaits  de  l'ins- 
truction religieuse  e1  tous  les  droits  civils.  Devenant 
par  le  sacrement  de  mariage  l'égale,  la  compagne  de 
son  époux,  elle  aura  son  amitié  morale,  confiante  et 
durable,  au  lieu  de  cet  amour  sensuel,  capricieux  et 
inconstant  que  l'idolâtre  jetait  en  passant  à  sa  jeu- 
;  elle  pourra  à  son  tour,  par  l'empire  de  la  vertu 
et  les  charmes  de  la  parole,  se  rendre  maîtresse  de  son 
cœur  et  obtenir  les  plu-  beaux  triomphes. 

Reine  dans  le  sanctuaire  de  la  famille,  au  lieu  d'y 
être  en  tutelle  comme  auparavant,  elle  y  commandera, 
elle  dirigera  et  déploiera  -on  beau  privilège  de  faire 

_  î-  la  concorde,  fleurir  la  pieté  et  les  bonnes  mœurs, 
exerçant  ainsi  la  plus  noble  des  magistratures,  avec 
le  sceptre  d'honneur  reçu  des  mains  de  Marie. 

Ange  de  douceur  et  de  paix  au  foyer  domestique, 
elle  sera  aussi  un  ange  de  compassion  dans  la  grande 
famille  humaine.  Et  c'est  là  encore  un  des  beaux 
du  rôle  sublime  dévolu  aux  femmes  par  le  christia- 
nisme. Oui,  elles  sont  devenue-  les  premières  Coad- 
jutrices  de  la  Providence  pour  le  soulagement  de  tout 
ce  qui  souffre  :  monopole  honorable  dont  elles  n'ont 
garde  de  se  dessaisir.  Aussi,  les  divers  établissements, 
où  la  charité  déploie  toutes  ses  Industries,  sont  un 
théâtre  trop  restreint  pour  leur  zèle  ;  le  monde  entier 
-  »ii  immensité  de  misères  à  soulager,  de  plaies  à 
guérir,  d'angoisses  à  consoler,  de  calamités  particu- 
iilà  leur  domaine.  La.  elles  sauront 
dépenser  toute  leur  vie  avec  un  dévouement  plus  que 
maternel.   Et  Dieu  seul  peut  compter  tous  les  actes 


VAS    HONOMABU-E  17 

héroïques  reproduits  à  chaque  heure  et  dans  tons  les 
climats,  par  cette  milice  innombrable  de  vierges  et  de 
dames  qui  joignent  l'intelligence  du  zèle  aux  tendres- 
ses de  la  charité  la  plus  désintéressée,  la  plus  infati- 
gable. 

Or,  à  quelle  école  nos  femmes  chrétiennes  se  sont- 
elles  inspirées  de  cette  grandeur  d'âme  et  d'un  hé- 
roïsme aussi  sublime  ?  C'est  Marie  qui  leur  en  a  ouvert 
la  voie  ;  c'est  sous  son  influence  qu'un  sentiment  si 
noble  a  germé  et  s'est  épanoui  en  prodiges  de  dévoue- 
ment .  Le  premier  cœur  de  femme  qui  ait  brûlé  du  beau 
feu  de  la  charité,  et  qui  l'ayant  reçu  de  Jésus,  l'a  com- 
muniqué à  son  sexe,  c'est  le  grand  cœur  de  Marie. 
C'est  elle  qui  au  Calvaire,  sous  l'inspiration  du  dernier 
souffle  du  Rédempteur,  forma  la  première  association 
de  charité.  Tandis  que  les  apôtres  et  les  disciples  se 
dispersaient  comme  un  troupeau  sans  pasteur,  Marie, 
la  pieuse  Mère  de  Dieu,  s'est  tenue  près  de  l'infâme 
gibet,  en  compagnie  de  ces  autres  femmes  qui  avaient 
pleuré  sur  le  sort  de  l'Homme-Dieu,  qui  s'étaient  pré- 
cipitées à  sa  rencontre  pour  essuyer  sa  face,  et  l'avaient 
suivi  du  Prétoire  à  la  montagne  sanglante,  aussi  dé- 
sireuses de  compatir  à  ses  souffrances  (pie  de  recueillir 
ses  dernières  paroles.  C'est  ainsi  que  la  sainte  Vierge 
et  ses  compagnes,  mettant  leurs  larmes  en  commun 
au  pied  de  la  Croix,  s'étaient  consacrées  au  soulage- 
ment de  la  plus  grande  des  douleurs,  dans  la  personne 
de  Jésus  mourant.  Et  dès  lors,  animée  par  un  si  noble 
exemple,  la  femme  chrétienne,  digne  émule  de  ses 
ainées,  n'a  reculé  devant  aucun  sacrifice,  regardant 
tous  les  malheureux  comme  sa  famille  :  honorable  res- 
semblance avec  Marie,  qu'elle  est  toujours  jalouse  de 
conserver. 

C'esl  encore  par  un  autregenre  de  gloire,  celle  du 


18  VAS    HONOHABILE 

martyre,  que  la  femme  catholique  signala  sa  réhabili- 
tation .  Le  beau  spectacle  que  présentent  les  premiers 
siècles  surtout,  où  se  déclarer  chrétien  était  un  crime 
capital,  digne  de  tous  les  tourments  et  de  la  mort! 
Alors  on  a  vu  par  milliers,  des  vierges  délicates,  des 
épouses,  des  mères,  des  esclaves  même,  brisant  toutes 
les  affections  les  plus  tendres  et  les  plus  légitimes,  in- 
sensibles à  toutes  les  promesses,  bravant  toutes  les 
menaces,  affronter  les  tortures  les  plus  cruelles,  aigui- 
ser dans  l'amphithéâtre  la  fureur  trop  lente  des  botes, 
monter  intrépides  à  l'échafaud,  courir  à  la  mort  comme 
à  un  banquet,  plutôt  que  de  permettre  la  plus  légère 
atteinte  à  leur  pudeur  ou  à  leur  foi.  Et  d'où  est  venu 
à  ce  sexe  naturellement  si  faible  et  si  impropre  à  la 
peine,  cette  force  plus  que  virile  qui  le  rendit  supé- 
rieur à  toute  la  rage  des  tyrans  et  des  bourreaux  ! 
C'est  sans  doute  du  Dieu  du  Calvaire,  dont  le  supplice 
a  charmé  et  charmera  toujours  tous  les  supplices  en- 
durés pour  son  amour  ;  mais  c'est  aussi  de  la  Reine  des 
martyrs,  la  divine  Mère,  qui  debout  aux  pieds  du  Cru- 
cifié partageait  toutes  ses  agonies  et  s'immolait  avec 
lui. 

Près  de  Marie  encore,  qui  la  première  avait  levé  l'é- 
tendard de  la  virginité,  la  femme  chrétienne  vint  s'ins- 
pirer d'amour  pour  cette  vertu,  qui  n'avait  point  germé 
sur  le  sol  païen,  mais  qui  plantée  par  la  Reine  des 
vierges  dans  le  champ  de  l'Eglise  se  multiplia  avec  une 
étonnante  fécondité,  et  compléta  la  réhabilitation  de 
la  femme . 

C'est  donc  ainsi  que  sur  les  pas  de  Marie  elle  con- 
quit, par  le  triple  héroïsme  de  la  charité,  du  martyre 
et  de  la  virginité,  une  gloire  que  le  vieux  monde  ne 
connaissait  ni  ne  donnait.  Honneur  donc  au  Christia- 
nisme, honneur  à  Marie,  sous  l'influence  desquels  la 


VAS   HONORABILE  19 

femme  s'est  relevée  si  noblement  de  l'état  d'abjection, 
d'asservissement  et  de  nullité  où  elle  gisait  dédaignée  ! 

Morale  :  Mais  aussi,  ennoblie  à  ce  degré,  qu'elle 
doit  paraître  respectable  !  C'est  avec  cet  œil  de  la  foi 
qu'il  faut,  enfants,  voir  votre  mère,  époux  votre  épouse, 
frère  une  sœur,  et  nous  tous,  devenir  plus  justes  en- 
vers ce  sexe  dont  les  services  et  le  mérite  sont  trop  sou- 
vent méconnus  par  ces  hommes  égoïstes  et  orgueilleux 
qui,  bouffis  de  leur  prétendue  supériorité,  humilient 
par  leurs  dédains,  si  ce  n'est  par  l'insulte  d'une  raille- 
rie, celle  que  Dieu  a  rehaussée  dans  l'ordre  social . 

Pour  vous,  femmes  chrétiennes,  n'oubliez  pas  que  le 
Sauveur  vous  ayant  délivrées  d'une  abjection  autrefois 
si  humiliante,  a  droit  à  d'autant  plus  d'amour  et  de  dé- 
vouement. Etant  près  d'exhaler  son  dernier  soupir,  il 
promène  un  regan I  sur  la  foule  qui  l'entourait,  cher- 
chant quelques  âmes  généreuses  dont  la  vue  le  conso- 
lât un  peu  de  l'ingratitude  d'un  peuple  si  aimé;  et  ses 
yeux  comptèrent  un  homme  et  trois  femmes.  En  ce  jour 
solennel,  vous  fûtes  honorablement  représentées  :  vous 
saurez  donc  garder  précieusement  le  patrimoine  de 
cette  antique  gloire.  Aujourd'hui,  comme  alors,  Jésus 
est  insulté,  méconnu,  délaissé.  Ce  n'est  presque  plus 
que  dans  vos  rangs  qu'il  rencontre  des  disciples  fidèles; 
Voudriez-votis  donc  anssi  vous  en  aller?  Non  !  vous 
n'en  serez,  au  contraire,  que  plus  empressées  à  le  dé- 
dommager par  un  redoublement  d'amour  et  de  cons- 
tance, de  tant  d'injures  et  de  froideur. 

Quant  à  Marie,  outre  les  motifs  de  l'aimer  qui  vous 
sont  communs  avec  tous  les  chrétiens,  le  bienfait  ines- 
timable de  votre  émancipation,  à  laquelle  elle  a  eu  tant 
de  part,  vous  en  fait  un  devoir  qui  pèse  sur  vous  pres- 
que du  poids  d'un  commandement.  On  se  plait  à  dire 
que  la  pieté  et  la  dévotion  à  Marie  ne  sont  bonnes  que 


"20  v\s    HONORA  BILE 

pour  les  femmes.  En  effet  :  et  je  ne  comprendrais  même 
pas  comment  une  femme  put  être  assez  ingrate  pour 
n'avoir  que  de  l'indifférence  envers  la  sainte  Vierge,  sa 
sœur,  et  de  plus  le  principe  de  sa  réhabilitation  per- 
sonnelle.  On  vous  veut  dévotes  à  Marie;  acceptez  ce 
titre  qui,  loin  de  vous  flétrir,  vous  ennoblit  et  vous 
honore.  La  nature  vous  a  douées  d'un  cœur  sensible  et 
reconnaissant  :  tournez  vers  la  Vierge  une  disposition 
capable  des  plus  généreux  sentiments:  et  que  cette 
tendresse  qui  vous  distingue,  s'échauffe  auprès  d'une 
Mère  si  aimable.  (3) 

Ce  n'est  pas  tout  encore  :  appliquez-vous  avec  cette 
même  énergie  à  reproduire  en  vous  les  vertus  dont  elle 
vous  offre  un  si  touchant  modèle.  Vous  la  retrouvez  dans 
toutes  les  phases  de  votre  vie  :  vierge  timide,  modeste, 
pure  comme  Tange ?  épouse  fidèle,  soumise,  complai- 
sante :  mère  pleine  de  tendresse  et  de  dévouement  ; 
veuve  solitaire  et  pourtant  charitable.  Les  vertus  de 
Marie,  dont  vous  vous  embellirez,  sont  l'armure  im- 
pénétrable qui  vous  protégera  contre  la  malignité  et 
les  assants  d'un  monde  aussi  corrupteur  que  corrompu. 
Les  vortus  de  Marie,  voilà  votre  plus  précieux  trésor, 
le  plus  magnifique  de  vos  joyaux,  le  fleuron  le  plus 
riche  de  votre  couronne,  l'auréole  la  plus  glorieuse  qui 
puisse  ceindre  votre  front . 

0  Marie,  devez-vous  dire,  à  qui  nous  sommes  rede- 
vables de  notre  heureuse  réhabilitation,  achevez  en 
nous  votre  ouvrage,  en  nous  aidant  à  soutenir  ce  haut 
rang  par  l'imitation  de  vos  sublimes  vertus. 

Pratique  :  Scion  le  sage  conseil  de  Tobie  à  son  fils, 
témoignera  sa  mère  le  plus  grand  respect  en  toute 
manière. 


VAS    HOXOKABILE  21 

HISTOIRES. 

HONNEUR  RENDU  AUX  FEMMES. 

On  raconte  du  bienheureux  Henri  Suzo,  que  rencon- 
trant une  femme  dans  une  rue  très  sale,  il  se  détourna 
aussitôt  pour  lui  laisser  la  place  la  moins  boueuse. 
Confuse  de  cet  acte  d'humilité.  «  Mon  Père,  lui  dit- 
elle,  vous  êtes  prêtre  et  religieux,  pourquoi  céder  le 
chemin  à  moi  qui  ne  suis  qu'une  pauvre  femme  ?  »  — 
Frère  Henri  répondit  :  «  Ma  sœur,  j'ai  l'habitude  d'ho- 
norer toutes  les  femmes  parce  qu'elles  rappellent  à  mon 
cœur  la  puissante  Reine  du  ciel,  la  Mère  de  mon  Dieu 
à  qui  je  dois  tout .  »  —  De  si  beaux  sentiments  sont  pré- 
cieux à  recueillir  pour  règle  de  conduite. 

—  En  France  surtout,  à  l'époque  du  moyen  âge,  où 
le  sol  de  notre  patrie  se  couvrait  de  basiliques  élevées 
par  l'enthousiasme  de  nos  pères,  en  l'honneur  de  Celle 
qu'ils  appelaient  Notre-Dame,  la  vénération  pour  la 
femme  allait  jusqu'à  l'exagération.  Ainsi,  l'on  vit  un 
roi  de  France,  Louis  VII,  dater  ses  actes  du  couron- 
nement de  sa  chère  Adèle.  Et  qui  ne  sait  que  saint 
Louis  avait  fait  graver  sur  son  anneau  nuptial,  avec 
l'image  sacrée  du  Crucifié  entourée  de  lis,  des  fleurs 
appelées  Marguerites,  pour  faire  allusion  au  nom  de 
la  reine?  Puis  au  dessous,  on  lisait  ces  trois  mots  qui 
résument  tous  les  amours  de  sa  vie  :  Dieu,  la  France, 
et  Marguerite . 

—  C'était  aux  jours  des  grands  malheurs  de  la 
France.  Edouard,  roi  d'Angleterre,  ayant  réduit  Calais, 
voulut  bien  lui  faire  grâce,  à  cette  condition  que  les 
six  principaux  habitants  viendraient  dans  son  camp,  la 
corde  au  cou,  s'offrir  en  holocauste  à  sa  grande  colère. 
Ces  généreuses  victimes  étaient  sur  le  point  d'être  im- 
molées à  son  courroux  inexorable,  lorsque  l'épouse  du 


22  VAS    HOXORABILE 

roi  tint  ce  langage  :  «  Si  vous  me  croyez  digne  de 
vaincre  avec  vous  ;  si  vous  jugez  que  j'ai  servi  la  cause 
commune  avec  quelque  bonheur  ;  si  enfin  j'ai  des  droits, 
je  les  réclame  tous,  moins  pour  sauver  ces  hommes 
vertueux  que  pour  sauver  votre  honneur.  Si  mes  prières 
n'ont  plus  de  force,  je  ne  supplie  pas,  j'exige  ;  je  de- 
mande leur  grâce  pour  prix  de  mes  services  et  je  dois 
l'obtenir.  »  —  «  Madame,  lui  répondit  Edouard,  je 
n'ai  rien  à  vous  refuser  ;  mais  vous  me  gênez  fort  en 
ce  moment,  et  je  voudrais  vous  savoir  loin  d'ici.  »  — 
Voilà  une  grande  colère  qui  tombe  respectueusement 
devant  une  femme  ! 

ARTICLE  SUPPLÉMENTAIRE 
Influence  de  la  femme  et  surtout  d'une  mère 
Etre  plus  dévouées  à  Marie,  vous  embellir  de  ses 
vertus,  serait-ce  assez,  femmes  chrétiennes,  pour  ré- 
pondre à  [la  glorieuse  réhabilitation  dont  vous  lui  êtes 
redevables  ?  Non,  certes  ;  mais  il  faut,  et  ceci  surtout 
devient  votre  spéciale  et  immense  obligation,  il  faut 
utiliser  pour  la  gloire  de  Dieu,  pour  le  salut  des  âmes, 
pour  le  culte  de  Marie  et  le  bien  moral  de  la  société, 
l'ascendant  attaché  à  votre  sexe,  les  charmes  si  per- 
suasifs de  vos  discours,  l'autorité  imposante  de  vos 
exemples,  en  un  mot  cette  force  de  conviction  et  d'en- 
trainement  dont  vous  jouissez,  et  qui  est  souvent  plus 
efficace  que  la  plus  éloquente  prédication.  La  femme 
peut  beaucoup  de  bien,  comme  elle  peut  beaucoup  de 
mal .  Jamais  ses  vices  non  plus  que  ses  vertus,  ne  se 
bornent  à  elle  seule  :  elle  ne  se  perfectionne,  ni  ne 
se  dégrade,  sans  perfectionner  et  dégrader  tout  ce  qui 
l'entoure  :  c'est  elle  qui  rend  meilleures  ou  plus  mau- 
vaises, les  familles,  les  sociétés,  les  mœurs  publi- 
ques :  elle  porte  dans  ses  mains  les  destinées  du  monde 
entier. 


VAS   HONORABILE  23 

Gardez- vous  donc,  femmes  chrétiennes,  de  devenir 
un  foyer  de  démoralisation,  au  lieu  d'être  des  auxiliai- 
res de  la  vérité  et  de  la  vertu.  Soyez  non  plus  des  Eve 
qui  perdent,  mais  des  Marie  qui  sauvent.  Une  de  vous 
a  bouleversé  dès  son  origine  le  genre  humain  ;  votre 
mission  est  de  le  reconstituer.  Sainte  Hélène  a  con- 
verti l'Empire  romain  par  Constantin  son  flls.  Sainte 
Clotilde  a  amené  le  fier  Clovis  à  courber  la  tète  devant 
le  Dieu  des  chrétiens.  La  reine  Blanche  a  fait  de 
Louis  IX  un  saint  et  un  modèle  de  rois.  C'est  une 
femme  qui  fonda  dans  ce  siècle  l'Œuvre  éminemment 
catholique  de  la  Propagation  de  la  foi,  par  laquelle 
s'étendent  sur  les  plages  infidèles  et  barbares  les  bien- 
faits de  la  civilisation  avec  la  connaissance  du  vrai 
Dieu.  C'est  par  les  femmes  que  les  François  de  Sales, 
les  Charles  Borromée,  les  Vincent  de  Paul  ont  établi 
ces  précieux  asiles  ouverts  à  la  piété  qui  veut  une  plus 
grande  perfection,  et  à  toutes  les  misères  humaines, 
qui  y  rencontrent  les  secours  de  la  plus  héroïque  cha- 
rité. 

J'ai  nommé  la  charité  :  c'est  déjà  et  surtout  par  les 
industries  qu'elle  inspire  qu'il  faudra  vous  ouvrir  les 
cœurs,  pour  ensuite  les  tourner  au  bien.  Quittez  donc 
souvent  les  douceurs  de  la  retraite,  pour  aller  en  goû- 
ter de  beaucoup  plus  délectables  dans  ces  réduits  où 
languissent  un  vieillard  invalide,  une  veuve  désolée, 
un  orphelin  sans  appui,  un  ouvrier  sans  travail,  un 
malade  abandonné,  un  moribond  aux  prises  avec  la 
mort,  et  tant  d'autres,  plus  dénués  encore  des  biens 
de  la  grâce  que  des  richesses  de  la  terre.  Si  ce  hideux 
spectacle  répugne  à  votre  délicatesse,  ranimez  votre 
ardeur  au  foyer  de  la  foi.  A  la  clarté  de  la  lumière, 
l'asile  du  malheureux  vous  paraîtra  une  riche  mine  de 
mérites  à  exploiter  ;  ses  larmes  à  essuyer,  ses  plaies  à 


24  VAS    RONORABILR 

panser,  comme  autant  de  rubis  qui  rehausseront  l'éclat 
de  votre  couronne  :  sous  les  haillons  de  l'indigence, 
vous  découvrirez  les  membres  du  Dieu  de  la  crèche  et 
de  la  Croix  :  et  à  travers  les  difformités  de  la  uature, 
une  âme  toujours  l'image  de  la  Divinité  et  destinée  à 
la  félicité  des  élus . 

Electrisées  par  ces  vues  sublimes,  femmes  chrétien-- 
ros  mains  s'ouvriront  pour  soulager,  vos  lèvres 
pour  verser  un  baume  consolant  dans  ces  cœurs  endo- 
loris :  mieux  que  tout  autre,  vous  en  connaissez  l'art 
et  le  secret.  Et  quand  vos  largesses  assaisonnées  de 
l'onction  de  vos  paroles  vous  auront  donné  l'entrée  du 
cœur,  vous  parlerez  à  ces  malheureux  du  Dieu  qu'ils 
ont  peut-être  oublié.  Vous  ferez  luire  aux  yeux  de 
leur  intelligence,  ordinairement  obscurcie,  quelques 
rayons  des  vérités  saintes,  qui  favorablement  accueil- 
lies relèveront  leur  abattement,  et  leur  rendront  les 
peines  tout  à  la  fois  plus  tolérables  et  plus  méritoires. 
Ainsi,  anges  visibles  de  la  Providence,  vous  aurez 
subvenu  aux  nécessités  de  l'ànie,  tout  en  soulageant 
celles  du  corps.  Ainsi,  vous  aurez  remis  sur  la  route 
de  la  vertu  et  de  la  céleste  patrie,  des  êtres  vos  sem- 
blables qui  ne  la  connaissaient  plus.  Et  voilà  une  fonc- 
tion qui  n'est  ni  la  moins  utile,  ni  la  moins  noble  de 
ce  vaste  et  sublime  apostolat  que  vous  êtes  appelées  à 
exercer  dans  le  monde. 

Mais,  sans  sortir  de  vos  maisons,  quelle  belle  ma- 
ture vous  y  est  dévolue  !  quelle  est  grande 
tnce  sur   le  cœur  d'un    mari   d'abord,  par  une 
complaisance  qui  aille  au-devant  de  ses  i,  sans 

jamais  se  rebuter,  par  votre  patience  inaltérable  à 
supporter  ses  défauts,  par  une  prudence  qui  sache 
prévenir  ses  colères  et  un  sourire  qui  les  calme,  par 
une  amabilité  toujours  sereine,  par    un    dévouement 


VAS    HONORABILE  25 

qui  commande  son  admiration  et  son  amour  !  Ce  sont 
là  de  pacifiques  assauts,  auxquels  le  cœur  le  plus  dur 
ne  sait  résister.  Saint  Jérôme,  le  plus  austère  des 
Docteurs  de  l'Eglise,  écrivant  à  une  noble  Dame  ro- 
maine, dont  le  père  était  encore  plongé  dans  les  ténè- 
bres du  Paganisme,  lui  enseigne  un  stratagème  qu'il 
croit  infaillible,  pour  obtenir  la  conversion  d'une  àme 
si  précieuse  :  «  Que  votre  petite  fille,  dit-il,  saute  au 
cou  de  son  grand  papa,  qu'elle  le  caresse  et  l'embrasse 
en  lui  parlant  de  Jésus.  »  Ingénieuse  image  des  atten- 
tions délicates  dont  la  femme  doit,  dans  une  juste  me- 
sure, entourer  le  mari.  Combien  furent  ramenés  de 
l'erreur  et  du  vice  dans  la  voie  de  la  vérité  et  de  la 
vertu,  par  une  épouse  solidement  chrétienne  et  chré- 
tiennement aimable  !  (4) 

Mais  non  moins  grande  est  l'influence  d'une  sainte 
mère  sur  la  famille.  Si  l'homme  en  est  la  tête,  la 
femme  en  est  le  cœur  :  au  premier  la  raison  qui  mon- 
tre la  sagesse,  à  elle  l'adresse  qui  l'inspire.  Les  leçons 
que  le  père  présente  à  l'intelligence,  la  mère  par  le 
charme  de  sa  parole  les  fait  pénétrer  dans  les  replis 
de  l'àme  :  elle  possède  l'art  de  transformer  les  pré- 
ceptes en  habitudes  vertueuses,  les  lumières  en  senti  - 
ments,  la  vérité  en  amour.  Le  cœur  est  tout  l'homme  ; 
et  un  bon  cœur  est  l'œuvre  d'une  bonne  mère. 

Ajoutons  que  la  médiation  de  la  mère  chrétienne  au- 
près de  Dieu  n'est  pas  moins  puissante  que  ses  dis- 
cours, pour  le  bien  moral  et  religieux  de  la  famille. 
Portées  sur  les  ailes  de  la  foi  et  de  l'amour,  sentiments 
qui  prédominent  en  elle,  ses  prières  arrivent  plus  vite 
au  cœur  de  Dieu  et  en  triomphent,  surtout  si  elles  sont 
présentées  par  Marie  qui  les  appuiera  de  toute  la  puis- 
sance de  son  crédit.  Devenez  d'autres  Moniques,  mères 
chrétiennes,  et  vous  aurez  des  Augustins.  Ce  que  la 

PARAPHRASE.    —   T.  II.  2 


26  VAS    IloNOUABILE 

force  de  vos  exemples  et  le  prestige  attaché  à  vos  pa- 
roles n'auront  point  obtenu,  emportez- le  par  la  sainte 
violence  de  vos  prières. 

Mais,  c'est  dès  le  berceau  que  doit  commencer  l'ac- 
tion maternelle  sur  l'enfant.  «  La  première  éducation, 
a  dit  quelqu'un,  se  donne  sur  le  giron  de  la  mère.  » 
Belle  parole,  qui  renferme  deux  grandes  vérités  :  la  pre- 
mière, que  c'est  à  la  mère  surtout  qu'est  dévolue  l'im- 
portante et  difficile  mission  de  former  l'enfant  ;  la 
seconde,  que  c'est  dès  le  bas  âge  qu'elle  doit  s'en  oc- 
cuper. 

1°  Oui,  c'est  à  la  mère  plutôt  qu'au  père  qu'appar- 
tient le  glorieux  sacerdoce  de  l'éducation.  Oh,  le  père  ! 
d'autres  soins,  d'autres  occupations  demandent  son 
temps  et  ses  forces.  Chaque  matin,  avant  de  sortir 
pour  reprendre  son  labeur,  il  s'arrêtera  peut-être  un 
instant  auprès  de  ce  berceau  où  l'enfant  dort  encore  ; 
il  soulèvera  de  ses  mains  durcies  le  léger  tissu  qui 
abrite  ce  sommeil  angélique  ;  mais,  après  un  baiser  et 
un  sourire,  il  s'en  va,  préoccupé  de  cette  pensée  qu'il 
doit  gagner  une  autre  vie  que  la  sienne,  et  que  ce 
nouvel  hôte  de  la  maison  lui  impose  un  surcroît  de 
travail.  Le  soir,  rentré  à  sa  demeure,  il  prendra  encore 
dans  ses  bras  cet  objet  de  sa  tendresse  en  le  laissant 
caresser  son  âpre  visage,  mais  ce  sera  pour  se  dire  au 
fond  de  son  cœur  ému  :  je  ferai  si  bien,  que,  s'il  pleure, 
ce  ne  sera  point  de  misère.  Au  père  donc  la  pénible 
charge  de  pourvoir  aux  besoins  de  la  famille. 

Mais  à  la  mère,  que  son  genre  d'occupations  retient 
au  logis,  la  douce  et  auguste  fonction  de  l'éducation 
morale  et  religieuse  de  l'enfant.  A  elle,  de  lui  appren- 
dre les  noms  bénis  de  Jésus  et  de  Marie,  de  lui  incul- 
quer les  premières  notions  de  Dieu  et  de  ses  droits  :  à 
elle,  de  lui  inspirer  l'horreur  de  tout  péché,  lui  répé- 


VAS   HONORABILE  27 

tant  souvent,  comme  la  digne  mère  de  saint  Louis, 
que  sa  mort  l'affligerait  moins  que  la  souillure  d'une 
seule  faute  mortelle  :  à  elle,  de  l'assouplir  de  bonne 
heure  aux  vertus  dont  son  âge  est  capable,  d'om- 
brager cette  jeune  plante  du  regard  vigilant  de  sa  ten- 
dresse, et  de  la  garantir  contre  tous  les  souffles  qui 
pourraient  la  flétrir  :  à  elle,  de  prémunir  longtemps 
d'avance  son  cœur  innocent  contre  tous  les  assauts 
qui  lui  seront  livrés  du  dehors  et  au  dedans.  Oh  ! 
comme  il  reste  profondément  gravé  le  souvenir  des 
paroles  d'une  mère,  parce  qu'il  se  mêle  au  souvenir 
de  l'amour  le  plus  tendre  et  le  plus  désintéressé  !  — 
Que  volontiers  nous  vous  détaillerions,  mères  chré- 
tiennes, tous  les  ingénieux  secrets  à  employer  pour 
une  bonne  éducation  ;  mais  ce  serait  allonger  un  sujet 
qui  peut-être  l'est  déjà  trop  ;  ce  qui  ne  trouve  son  ex- 
cuse que  dans  son  importance  ;  nous  terminerons  en 
vous  disant  : 

2°  Que  c'est  sur  votre  giron  que  doit  s'élaborer  cette 
seconde  naissance  morale  et  chrétienne  de  l'enfant.  Ils 
sont  si  beaux  ces  petits  anges,  si  bons  ces  enfants, 
quand  ils  sont  assis  sur  vos  genoux  !  Chère  et  aimable 
créature,  elle  ravit  par  ce  coloris  si  pur,  ce  regard  si 
vifetsidoux,  et  ce  front  que  ne  voile  encore  aucun 
nuage.  Ame  blanchie  naguère  aux  eaux  du  baptême, 
elle  n'a  pas  encore  senti  les  ouragans  des  passions 
effleurer  son  innocence.  C'est  un  agneau  qui  dort 
calme  dans  une  forêt  qu'il  ne  sait  point  remplie  de 
bêtes  fauves.  C'est  une  fleur  à  peine  éclose,  encore 
humectée  de  la  rosée  du  matin,  que  n'a  point  flétrie  le 
soleil  de  midi.  Ah  !  qu'à  tous  ces  titres  de  pureté  na- 
tive, ils  doivent  vous  être  chers  ces  petits  enfants  ! 
C'est  donc  à  vous  de  féconder  par  la  chaleur  vivifiante 
du  souffle  maternel  les  germes  de  vertu  cachés  au  fond 


28  VAS    HONOHABILE 

de  leur  âme.  L'onction  de  suavité,  le  parfum  de  grâ- 
ces qui  coulent  de  vos  lèvres  auront  une  merveilleuse 
puissance  pour  façonner  leur  jeune  cœur.  Un  invin- 
cible attrait  attache  l'enfant  aux  idées  et  aux  senti- 
ments que  lui  transmet  sa  mère.  Naturellement  enclin 
à  une  imitation  aveugle  de  celle  dont  le  sein  est  son 
lit  de  repos,  il  la  prendra  pour  modèle  avant  de  com- 
prendre la  valeur  de  ses  actes.  Comme  une  cire  molle, 
il  recevra  donc  la  marque  impérissable  que  vous  lui 
aurez  imprimée.  Arbre  tendre  et  flexible,  c'est  alors 
qu'il  faut  le  dresser.  Vase  tout  neuf,  toujours  il  con- 
servera le  goût  de  la  première  liqueur  que  vous  y  ver- 
serez. C'est  une  terre  vierge  qui  ne  demande  qu'à 
produire  :  mais  les  fruits  en  seront  bons  ou  mauvais, 
selon  la  semence  que  vous  y  aurez  répandue.  «  Un 
enfant,  a  dit  un  grand  orateur,  est  un  petit  être  placé 
entre  le  bien  et  le  mal,  qui  peut  devenir  un  scélérat 
ou  un  saint.  »  Or,  c'est  l'éducation  que  vous  lui  don- 
nerez qui  le  fera  l'un  ou  l'autre.  Ayez  donc  pour  règle 
de  conduite,  cette  maxime  : 

Formez  l'homme  au  berceau,  certain  âge  accompli. 
Le  vase  est  imbibe,  l'étoffe  a  pris  son  pli. 

Oui,  ô  Marie,  comprenant  ce  que  la  religion,  la  so- 
ciété et  la  famille  attendent  de  nous,  nous  ne  voulons 
pas  faire  défaut  à  la  sainte  et  noble  mission  que  vous 
nous  avez  léguée.  Mais  aidez-nous,  par  votre  puis- 
sante médiation,  à  la  remplir  dignement,  en  précédant 
-mêmes  nos  frères  et  nos  enfants  dans  le  sentier 
de  l'honneur  et  de  la  vertu. 

Pratique  :  Enseigner  aux  enfants  dès  l'âge  le  plus 
tendre  à  Louer  e1  à  invoquer  Marie  :  saint  François  de 
Borgia  eut  ce  bonheur  qui  lui  aida  beaucoup  à  acqué- 
rir sa  sainteté. 


VAS   HONORABILE  29 

EXEMPLES 

EFFET  DE    LA    PRIERE  D'UNE   MERE  POUR  LA  PURETÉ 
DE   SON  ENFANT. 

Marie  Leczinska,  digne  épouse  de  Louis  XV,  donna 
sur  ce  point  un  exemple  admirable.  Des  seigneurs 
ayant  perdu  tout  sentiment  de  pudeur,  tendaient  des 
pièges  à  l'innocence  de  son  fils  aîné.  Elle  en  fut  infor- 
mée ;  il  y  avait  urgence  d'y  porter  remède.  Mais  la 
reine  ne  pouvait  se  rendre  auprès  du  jeune  prince. 
Que  fait-elle  ?  Elle  se  jette  au  pied  de  son  crucifix, 
ensuite  devant  une  image  de  la  sainte  Vierge  et  de- 
mande que  son  fils  meure  plutôt  que  de  perdre  la 
vertu.  Puis,  elle  se  lève  pleine  de  confiance  que  sa 
prière  est  exaucée.  Peu  de  temps  après,  elle  apprend 
du  jeune  prince,  qu'en  effet,  malgré  d'instantes  solli- 
citations, il  avait  énergiquement  résisté.  A  quelque 
distance  de  là,  il  tombe  malade  et  meurt  dans  les  sen- 
timents les  plus  chrétiens.  Aussitôt  qu'elle  l'eût  appris, 
elle  réunit  ses  enfants,  et  les  yeux  baignés  de  larmes  : 
«  Chers  enfants,  leur  dit-elle,  votre  frère  aîné  vient  de 
mourir  ;  c'est  moi  qui  ai  demandé  sa  mort.  Il  était 
exposé  à  perdre  son  innocence  ;  j'ai  prié  Dieu  el  la 
sainte  Vierge  qu'il  perdit  plutôt  la  vie.  Le  ciel  m'a 
exaucée  ;  je  l'en  bénis  ;  je  pleure  néanmoins;  car  je 
l'aimais  autant  qu'une  mère  peut  aimer  son  enfant,  » 
—  Sentiments  admirables  qui  devraient  être  ceux  de 
toutes  les  mères  ! 

AIMER  LE    DOUX  PLAISIR  DE   FAIRE  DES    HEUREUX. 

C'était  la  èeiieieuse  jouissance  de  sainte  ^Elisabeth 
de  Hongrie,  plus  élevée  encore  par  ses  vertus  que  par 
les  richesses  et  par  le  rang.  Elle  aimait  [à  descendre 
souvent  la  colline  que  couronnait  son  château,  pour 


:{<)  VAS   HONORA  BILE 

s'en  aller  distribuer  aux  pauvres  du  voisinage  les  pro- 
visions abondantes  dont  elle  remplissait  son  manteau 
de  duchesse.  Son  mari  l'avait  priée  plusieurs  fois, 
mais  en  vain,  de  respecter  un  peu  plus  sa  dignité.  Un 
jour  qu'elle  avait  profité  de  son  absence  pour  se  pro- 
curer la  joie  de  ces  excursions  charitables,  elle  le 
rencontra  revenant  de  la  chasse  plus  tôt  que  de  cou- 
tume. Que  faire?  Prise  en  flagrant  délit,  notre  Sainte 
se  recommande  à  Dieu.  Le  duc  s'approche  tout  près, 
ouvre  de  la  main  le  manteau  avec  an  sourire  qui 
semble  dire  :  «  Je  t'y  trouve  encore.  »  Et  au  grand 
étonnement  de  tous  les  deux,  il  n'y  avait  plus  que  des 
roses  !  —  Consolant  et  gracieux  symbole  de  la  couronne 
immortelle  qui  l'attendait  au  ciel,  tressée  d'aumônes 
transformées  en  fleurs. 

—  Le  même  prodige  se  renouvela  en  faveur  de  la 
bienheureuse  Germaine.  Cette  pieuse  fille,  possédant 
toutes  les  vertus  qui  font  les  saints,  se  distinguait 
surtout  pour  sa  tendre  compassion  envers  les  malheu- 
reux. Un  jour  d'hiver,  apprenant  qu'un  pauvre  n'avait 
pas  mangé  depuis  longtemps,  elle  lui  porta  un  mor- 
ceau de  pain.  Sa  belle  mère,  qui  ne  l'aimait  pas, 
l'ayant  surprise  en  son  chemin,  tablier  relevé,  soup- 
çonna la  ruse  pieuse,  et  s'apprêtait  à  lui  faire  sentir  le 
poids  de  sa  colère.  Germaine  voulut  bien  lui  montrer 
ce  qu'elle  portait.  Mais  au  lieu  de  pain,  c'étaient  des 
roses  nouvellement  épanouies,  qui  exhalaient  les 
plus  doux  parfums.  Ce  prodige  fit  une  impression  sa- 
lutaire sur  le  cœur  de  la  marâtre  qui  déposa  ses  pré- 
ventions et  ses  duretés 


VAS    INSIGNE    DEY0T10NIS  31 


CHAPITRE  XXVIII. 


VASE    INSIGNE    DE    DEVOTION. 

Tous,  nous  sommes  en  naissant,  dit  saint  Paul,  des 
vases  de  colère,  destinés  à  être  brisés.  Si  à  la  souillure 
de  notre  origine  nous  ajoutons  des  iniquités  nou- 
velles, nous  devenons  des  vases  d'ignominie,  dont  le 
ciel  détourne  ses  regards.  Le  repentir  vient-il  effacer 
nos  taches,  nous  sommes  changés  en  vases  de  misé- 
ricorde, mais  nous  restons  toujours  de  fragiles  vases 
de  terre. 

Rien  de  tout  cela  n'est  applicable  à  Marie.  Elle  fut 
non-seulement  un  Vase  tout  spirituel,  embelli  princi- 
palement d'humilité,  non-seulement  un  Vase  hono- 
rable dont  la  splendeur  rejaillit  plus  spécialement  sur 
son  sexe,  mais  un  Vase  rempli  de  tous  les  parfums  de 
la  dévotion.  Et  c'est  ce  Vase  insigne  de  dévotion  que 
nous  venons  ouvrir  aujourd'hui  devant  vous,  pour 
vous  faire  aspirer  la  bonne  odeur  d'édification  qu'il 
renferme  et  qui  s'en  exhale.  Ce  sont  là  les  deux 
riches  significations  de  ce  vocable  figuratif,  Vase  in- 
signe de  dévotion.  Oui, 

I .  Marie  fut  un  vase  rempli  de  dévotion  ; 

II.  Marie  est  un  Vase  répandant  au  dehors  la  dé- 
votion. 

ARTICLE  PREMIER. 
Marie,  Vase  rempli  de  dévotion. 

«  La  dévotion,  dit  saint  François  de  Sales,  est  un 
amour  de  Dieu  plus  vif,  qui  nous  rend  prompts  , 
actifs  et  diligents  non-seulement  dans  l'observation 
de  tous  ses  commandements,  mais  encore  dans  les 
bonnes  œuvres,  lesquelles  n'étant  point  ordonnées  ne 
sont  que  de  conseil  ou  d'inspiration  toute  particu- 


32  VAS   INSIGNE    DEVOTIONS 

lière .  »  La  dévotion ,  en  d'autres  mots ,  est  cette 
promptitude  de  volonté  avec  laquelle  on  se  porte  à  la 
pratique  des  actes  intérieurs  et  extérieurs  qui  regar- 
dent le  service  de  Dieu.  C'est  une  religion  qui  ne  se 
borne  pas  à  croire,  mais  qui  aime  Dieu  jusqu'au  dé- 
vouement (dévotion  vient  de  dévouement).  «  C'est, 
dit  encore  l'aimable  évèque  de  Genève,  la  perfection 
de  la  charité  :  la  charité  est  une  plante,  et  la  dévotion 
en  est  la  fleur  :  la  charité  est  un  rubis,  et  la  dévotion 
en  est  l'éclat.  »  Quelqu'un  l'a  aussi  très  ingénieuse- 
ment définie,  «  l'amour  de  Dieu  aux  petits  soins.  » 
Or,  tel  fut  la  disposition  habituelle  de  Marie. 

D'abord,  que  ne  pouvons-nous  dire  la  ferveur  de  sa 
prière,  les  ardeurs  de  ses  aspirations  vers  le  ciel ,  la 
continuité  de  son  union  à  Dieu,  dont  tout  lui  rappelait 
le  délicieux  souvenir  !  En  elle,  pas  une  pensée,  pas  un 
désir,  pas  une  parole,  pas  un  élan  du  cœur  qui  ne  s'y 
rapportât.  C'était  bien  ce  Vase  des  parfums  placé 
dans  le  temple  en  forme  d'autel,  où  brûlaient  sans 
cesse  et  s'exhalaient  en  l'honneur  du  vrai  Dieu  l'en- 
cens et  toute  espèce  d'aromates  :  emblème  naturel  de 
la  prière,  qui  doit  s'élever  à  Dieu  comme  un  encens 
d'agréable  odeur,  et  pour  cela  partir  d'un  cœur  em- 
brasé de  son  amour. 

Morale  :  Aimons  aussi  à  prier  comme  Marie. 
Quand  la  prière  ne  serait  pas,  ainsi  que  l'aspiration 
de  l'air  pour  le  corps,  l'aliment  nécessaire  de  la  vie 
surnaturelle  de  l'âme  qui,  sans  le  secours  divin  que 
la  prière  attire,  languirait  impuissante  contre  sa  fai- 
blesse ;  car,  qu'est-ce  qu'une  âme  qui  ne  prie  point  ? 
c'est  un  soldat  sans  armes  au  milieu  d'une  foule 
d'ennemis  acharnés  à  sa  perte  ;  c'est  un  pilote  embar- 
qué sur  une  mer  orageuse  avec  un  vaisseau  sans 
rames,  sans  voiles  et  sans  gouvernail  :  c'est  une  ville 


VAS  INSTGNE   DEV0T10NIS  33 

assiégée  de  toutes  parts  et  dont  les  murailles  sont 
sans  défense  :  quand  la  prière  ne  serait  pas  un  devoir 
pour  l'homme  qui,  Prêtre  de  l'univers,  doit  porter  de- 
vant le  trône  de  l'Eternel  le  tribut  animé  de  la  louange 
et  de  l'adoration,  et  par  là  s'élève  et  s'ennoblit  en  se 
mettant  en  rapport  avec  le  Créateur  des  mondes  ;  tou- 
jours elle  serait  pour  l'âme  ce  qu'il  y  a  de  plus  déli- 
cieux et  de  plus  consolant.  C'est  le  chant  de  l'espé- 
rance que  l'exilé  adresse  du  bord  des  fleuves  de  Baby- 
lone  aux  rives  du  Jourdain,  à  la  douce  patrie  du  ciel  ; 
c'est  la  suavité  du  miel  tempérant  l'absinthe  de  la 
douleur  ;  c'est  une  joie  de  plus  dans  les  enivrements 
de  la  joie.  Qui,  après  avoir  été  prié,  n'a  pas  senti  son 
cœur  plus  léger,  son  âme  plus  contente  ?  Memor  fui 
Dei,  et  delectatus  su?n . 

C'est  dans  le  temple  surtout  que  Marie  mettait  ses  dé- 
lices à  épancher  son  âme  dans  le  sein  de  Dieu.  Dès  ses 
plus  tendres  ans,  elle  était  venue  se  cacher  à  l'ombre 
silencieuse  des  tabernacles,  afin  de  vaquer  plus  libre- 
ment, loin  du  tumulte  du  monde,  à  la  prière  et  à  de 
pieuses  contemplations .  Et  quand  il  lui  fallut  immoler 
les  plus  chères  affections  pour  accomplir  dans  une  vie 
moins  solitaire  ses  hautes  destinées,  le  saint  temple  ne 
resta  pas  moins  son  lieu  de  prédilection  favorite.  La  loi 
ordonnait  aux  hommes  seulement  de  s'y  présenter  trois 
fois  l'année,  aux  grandes  solennités  de  Pâques,  de  Pen- 
tecôte et  des  Tabernacles,  prescription  qui  n'obligeait 
aucunement  la  Vierge,  empochée  d'ailleurs  par  la  dis- 
tance. Cependant,  le  désir  d'adorer  Dieu  dans  le  Lieu 
de  sacrifices  et  de  prière  qu'il  s'était  choisi,  l'y  amenait 
souvent  avec  Joseph  et  l'Enfant- Jésus. 

Morale  :  Admirable  exemple  pour  les  chrétiens,  de 
l'empressement  qu'ils  doivent  mettre  à  venir  dans  la 
maison  de  Dieu .  L'église  est  le  Paradis  de  la  terre  : 


VAS    INSIGNE    DBVOTIONIS 

c'est  là  qu'on  se  repose  des  agitations  du  monde,  de  la 
fatigue  des  affaires,  de  toutes  les  préoccupations  de  la 
vie.  Elle  est  un  lieu  tout  spécial  de  prière,  où  réunis 
tous  ensemble  autour  de  Jésus-Christ  ,  on  est  sur 
d'être  exaucé.  Elle  est  le  vestibule  du  ciel,  porta  cœli: 
c'est  là  que  l'esprit  chancelant  dans  sa  croyance  voit 
toutes  ses  incertitudes  se  dissiper  au  flambeau  de  la 
vérité  ;  là  que  le  cœur  sans  énergie  pour  la  vertu  se 
ranime  à  la  vue  de  la  douce  paix  qu'on  lui  montre 
réservée  à  la  victoire  sur  soi-même  ;  laque  le  pécheur, 
brisant  son  orgueil  sur  les  dalles  du  sanctuaire, 
trouve  dans  l'aveu  de  ses  fautes  et  les  larmes  du  re- 
pentir le  calme  du  pardon  ;  là  aussi  que  le  plus  juste 
s'excite  à  croître  toujours  dans  la  perfection,  par  la 
méditation  de  nos  sublimes  espérances.  C'est  pour 
tous  que  l'église  est  l'école  des  plus  utiles  leçons.  Ve- 
nez-y, riches,  pour  voir  la  vanité  de  ces  biens  qui 
fascinent  vos  yeux,  et  apprendre  le  secret  d'en  faire 
des  trésors  inaccessibles  aux  vers,  aux  voleurs  et  à  la 
rouille.  Venez-y,  pauvres,  et  vous  que  le  malheur  ou 
la  souffrance  accable .  vous  y  puiserez  cette  patience 
qui,  avec  la  résigation.  vous  procurera  le  mérite  de 
vos  peines.  Venez,  jeunes  gens,  autour  de  cette  chaire 
où  se  donnent  les  leçons  de  la  plus  haute  sagesse  ; 
vous  y  apprendrez  à  échapper  aux  écueils  de  votre 
âge.  Et  vous  qui  touchez  au  terme  de  votre  carrière, 
venez -y  vous  préparer  à  une  sainte  mort,  Venez-y 
tous,  pour  resserrer  les  liens  de  cette  fraternité  uni- 
verselle, qui  est  le  cachet  des  disciples  du  Christ,  et 
l'avant-goùt  de  cette  charité  parfaite  qui  seule  règne 
dans  la  commune  patrie.  Venez-y  dans  toutes  les  cir- 
constances, toujours  vous  en  sortirez  heureux  et 
meilleurs. 

Une  autre  dévotion  de  Marie  était  de  recueillir,  de 


VAS    INSIGNE    DEVOTIONIS  35 

méditer  ensuite  et  de  conserver  dans  son  cœur  les  vé- 
rités précieuses  qui  sortaient  de  la  bouche  de  son  ado- 
rable Fils. 

Morale  :  Ainsi  doit-on  agir  à  l'égard  de  la  parole 
sainte,  aliment,  comme  la  prière,  aussi  nécessaire  à  la 
vie  de  l'âme,  qu'est  le  pain  à  la  vie  du  corps.  Car  ce 
n'est  pas  seulement  de  pain,  dit  Jésus-Christ,  que  vit 
l'homme,  mais  de  toute  parole  qui  sort  de  la,  bouche 
de  Bien.  Cependant,  apporter  à  cette  nourriture  spiri- 
tuelle un  cœur  ouvert  par  un  vif  désir,  et  affamé  de  de- 
venir par  là  plus  juste,  ne  suffit  point  ;  il  faut  encore 
la  savourer,  la  digérer,  pour  qu'elle  devienne  profita- 
ble. Si  cette  bonne  semence  reste  à  la  surface  du  cœur 
même  bien  préparé  pour  la  recevoir,  elle  aura  le  sort 
de  la  semence  de  la  parabole,  d'être  emportée  par  le 
vent  des  passions,  par  les  sollicitudes  du  siècle,  de  ne 
point  germer  et  de  rester  infructueuse.  La  terre,  dit 
le  Prophète,  est  remplie  de  désolation,  parce  qu'il 
ri  y  a  personne  qui  réfléchisse  dans  son  cœur. 

Marie  aurait  pu  se  dispenser  d'aller  au  Calvaire  ; 
c'eût  été  déjà  pour  son  cœur  de  mère  une  pensée  assez 
amère,  un  glaive  assez  tranchant,  de  sentir  son  Jésus 
entre  les  mains  de  cruels  bourreaux,  attaché  à  une  po- 
tence aux  portes  de  Jérusalem.  Quelle  raison  ensuite 
de  retourner  si  fréquemment  sur  les  lieux  marqués  par 
les  humiliations  et  le  sang  de  ce  cher  Fils  ?  Mais,  ou- 
tre que  ces  souvenirs  lui  étaient  un  adoucissement  de 
son  exil  prolongé  sur  la  terre,  elle  voulait  nous  servir 
de  modèle  pour  toutes  les  pratiques  de  dévotion . 

Morale  :  Une  des  plus  agréables  à  elle-même  et  à 
Jésus,  c'est  de  se  rappeler  Celni  qui  a  souffert  une 
telle  contradiction  pour  les  pécheurs,  de  se  reporter 
sur  le  théâtre  de  ses  douleurs  et  de  sa  mort,  pour  y 
lire  la  grandeur,  la  sainteté,  la  justice  de  Dieu,  l'amour 


36  VAS   INSIGNE   DEV6TI0NIS 

infini  de  Jésus-Christ  pour  les  hommes,  l'énormité  du 
péché,  le  prix  de  notre  àme  qui  lui  a  coûté  tout  son 
sang.  Aussi  saint  Paul  disait-il  que  toute  sa  science  et 
ses  prédications  se  résumaient  dans  la  coyxnaissan- 
ce  de  Jésus  crucifié.  Et  le  grand  Docteur  Augustin 
assurait  en  avoir  plus  appris  au  pied  de  son  crucifix 
que  dans  les  livres.  «Apportez-moi  mon  livre,  disait  un 
Saint  qui  touchait  à  l'agonie,  en  parlant  de  son  cruci- 
fix :  c'est  un  beau  livre  que  celui-là  :  quand  on  Ta  lu 
et  baisé,  on  n'a  plus  qu'à  verser  des  larmes  d'amour, 
et  ces  larmes  font  toujours  du  bien.  »  —  «  Qu'il  fait 
bon  avec  Jésus  crucifié,  s'écriait  saint  Bonaventure!  Je 
veux  y  faire  trois  tentes  :  l'une  en  ses  mains,  l'autre 
en  ses  pieds,  et  la  troisième  dans  la  plaie  de  son  côté  : 
là,  je  veux  me  reposer,  je  veux  veiller,  je  veux  lire  je 
veux  parler.  »  Or,  les  touchantes  Stations  du  chemin  de  la 
Croix,  que  Marie  a  parcourues  la  première,  sont  préci- 
sément ce  livre  abrégé  ouvert  à  tous  les  yeux,  à  toutes 
les  intelligences,  ce  livre  où  s'apprendra  cette  science 
qu'il  importe  le  plus  à  l'homme  d'acquérir  et  de  per- 
fectionner, la  science  de  la  Croix,  qui  fait  les  saints. 

Parmi  les  actes  de  dévotion  de  la  sainte  Vierge,  il  en 
est  encore  deux  trop  instructifs  pour  que  nous  en  pri- 
vions votre  piété.  Quoique  sa  vie  eût  toujours  été  tout 
intérieure  et  entièrement  cachée  en  Dieu,  elle  voulut, 
en  la  compagnie  des  apôtres,  se  préparer  par  la  retraite 
et  la  prière  à  recevoir  dans  toutes  la  plénitude  les  divi- 
nes effusions  de  l' Esprit-Sain  t.  Un  surcroit  de  grâces 
lui  était  trop  précieux  pour  qu'elle  ne  saisit  pas  cette 
occasion  si  favorable  de  s'en  enrichir . 

Morale  :  Telle  est  l'estime  que  fera  des  moindres 
choses,  aidant  au  salut,  le  vrai  chrétien,  désireux  de 
se  l'assurer  par  tout  moyen .  Rien  de  ce  qui  peut  y  con- 
tribuer ne  doit  lui  paraitrc  indifférent.  Et  un  des  earac- 


VAS    INSIGNE    DEVOTIONS 


tères  de  ïa  véritable  dévotion,  c'est  de  se  porter  avec 
empressement  et  joie  à  tout  ce  qui  peut  être  agréable  à 
Dieu,  et  est  un  pas  de  plus  dans  la  voie  de  la  perfection . 
Heureux  le  serviteur  fidèle  clans  les  petites  choses, 
il  sera  établi  sur  de  pins  grandes  ! 

De  plus,  la  très  sainte  Vierge,  au  rapport  de  la  tra- 
dition, communiait  tous  les  jours.  Est-il  besoin  de  dire 
avec  quelle  foie  vive,  quel  profond  respect,  quels  désirs 
enflammés  ?  Ainsi  se  dédommageait-elle  de  l'absence  de 
son  bien-aimé  Jésus!  Ainsi  se  renouvelaient  les  joies  de 
l'avoir  porté  dans  son  sein,  nourri  et  élevé  avec  la  plus 
affectueuse  tendresse  ! 

Morale  :  La  fréquente  communion  doit  être  un  des 
bonheurs  de  l'âme  sincèrement  dévote.  C'est  répondre 
aux  intentions  les  plus  formelles  de  Jésus-Christ,  qui, 
dès  l'institution,  manifestait  son  brûlant  désir  de 
faire  ainsi  la  Paque  avec  ses  disciples,  qui  nous  as- 
sure que  ses  plus  chères  délices  sont  d'être  avec  les 
enfants  des  hommes,  et  menace  de  la  mort  éternelle 
ceux  qui  dédaigneront  de  manger  de  sa  chair.  La  com  - 
munion  est  aussi  un  acte  des  plus  agréables  à  Marie. 
Uue  mère  n'est-elle  pas  toujours  et  délicieusement  flat- 
tée de  l'estime  que  l'on  témoigne  à  son  enfant,  des  ca- 
resses qu'on  lui  prodigue  ?  C'est  encore  pour  l'àme  qui 
se  nourrit  de  cet  aliment  céleste  un  gage  précieux  d'im- 
mortalité: et  ego  ressuscitabo  eum...  plus  on  se  le  sera 
incorporé,  plus  on  y  aura  acquis  de  droits.  Mais  ce  qui 
doit  autant  nous  en  rendre  avides,  c'est  le  besoin  pres- 
sant d'être  souvent  nourris  de  ce  pain  des  forts,  «  Point 
d'arme,  dit  saint  Grégoire  le  Grand,  n'est  plus  puis- 
sante contre  les  ennemis  du  salut  que  la  fréquente 
communion  :  point  de  nwen  plus  sur  et  plus  prompt 
pour  réprimer  les  passions,  pour  déraciner  entièrement 
les  mauvaises  habitudes,  pour  fortifier  l'âme  contre  les 


PARAPHRASE.    —   T.  II, 


38  VAS    INSIGNE    DEVOTIONIS 

tentations,  pour  l'encourager  et  la  porter  aux  entre- 
prises les  plus  difficiles,  pour  la  rendre  inébranlable 
dans  la  pratique  du  bien  et  l'enflammer  de  l'amour  de 
Dieu.  »  Sur  cette  vérité,  trop  peu  sentie,  nous  pour- 
rions apporter  beaucoup  d'autres  témoignages,  tant 
des  saints  Pères  et  Docteurs  de  l'Eglise  que  des  plus 
habiles  maîtres  de  la  vie  spirituelle,  qui  s'accordent  à 
appeler  la  sainte  communion,  l'antidote  le  plus  efficace 
contre  le  péché. 

Que  je  serais  heureux,  ô  Marie,  si  mon  cœur  était 
comme  le  vôtre  un  vase  de  dévotion  :  au  lieu  de  pren- 
dre en  dégoût  les  pratiques  relgieuses,  j'en  ferais  mes 
délices  !  Epanchez  donc  dans  mon  âme  de  votre  pléni- 
tude de  piété,  et  faites-y  revivre  le  feu  d'une  sainte 
ferveur  pour  le  service  de  Dieu  et  le  vôtre. 

Pratique  :  Eviter  la  singularité  dans  la  dévotion  ; 
mais  qu'elle  soit  sincère,  sans  ostentation  et  aussi  sans 
crainte. 

EXEMPLES. 

LE  SOLDAT  CONVERTI. 

Un  soldat  virant  dans  le  désordre,  n'avait  conservé 
de  pratique  chrétienne  qu'une  courte  prière  que  sa 
mère  lui  avait  apprise  dès  son  enfance,  et  qu'il  adres- 
sait à  la  sainte  Vierge  tous  les  jours  en  se  couchant  : 
un  jour  pressé  par  une  faim  qui  pouvait  le  faire  mou- 
rir, il  adresse  à  Marie  sa  prière  accoutumée.  Alors,  la 
Vierge  lui  apparut  tenant  en  ses  mains  un  mets  exquis, 
dans  un  vase  si  sale,  qu'il  ne  put  se  décider  à  y 
toucher.  —  Eh!  comment  dune  voulez  vous,  lui  dit- 
elle,  que  j'agrée  vos  prières  de  dévotion,  venant  d'une 
âme  si  gâtée  par  les  vices  et  le  péché.  »  Le  soldat,  com- 
prenant cette  forte  leçon,  sortit  du  bourbier  de  l'ini- 
quité, vécut  trente  ans  dans  la  plus  austère  pénitence  ; 


VAS    INSIGNE    DEV0T10NIS  39 

et  la  sainte  Vierge,  lui  apparaissant  de  nouveau  au  mo- 
ment de  la  mort,  le  conduisit  au  ciel . 

LEÇON  DU  CRUCIFIX . 

On  raconte  d'une  jeune  personne  que,  désirant  entrer 
dans  une  maison  religieuse,  elle  eut  à  ce  sujet  un  long 
entretien  avec  i'abbesse.  Et  celle-ci  lui  faisant  le  détail 
de  toutes  les  obligations  qui  lui  seraient  imposées,  des 
sacrifices  quotidiens  qui  briseraient  sa  volonté,  du  pau- 
vre ameublement  de  sa  cellule,  une  chaise,  une  table 
de  bois,  un  bénitier...  la  postulante  l'arrêta  tout  court, 
et  lui  demanda  :  Y  aura-t-il  un  crucifix?  —  Eh  oui  ! 
ma  fille,  j'allais  vous  le  dire  ;  ce  sera  même  le  premier 
meuble.  —  Ma  mère,  cela  me  suffit.  —  Que  ce  mot  est 
riche  !  c'est  qu'en  effet  ce  livre  est  suffisant  à  qui  veut 
le  comprendre. 

FORCE  QUE  L'ON  TROUVE  DANS  LA  COMMUNION. 

Citons  à  l'appui  de  cette  vérité  seulement  le  témoi- 
gnage de  quelques  saints.  David,  en  parlant  de  cette 
nourriture  céleste,  disait  déjà  par  avance  :  Vous  nous 
avez  préparé  cette  table,  Seigneur,  contre  tous  ceux 
qui  nous  tourmentent .  —  Saint  Paul  ne  craint  pas 
d'affirmer  qu'ilpeut  tout  en  Celui  qui  te  fortifie. —  Saint 
Ignace,  invitant  les  fidèles  à  la  fréquente  communion, 
leur  disait  :  «  Plus  vous  y  participerez,  plus  vous  affai- 
blirez les  forces  du  démon  votre  ennemi  :  les  traits 
qu'il  vous  lancera  rebrousseront  contre  lui.  »  —  Et 
saint  Jean  Chrysostôme  va  jusqu'à  dire  «  qu'on  doit  se 
retirer  de  cette  table  sacrée  comme  des  lions  jetant  le 
feu  par  les  yeux,  et  devenus  terribles  au  démon.»  Aussi 
voyons-nous  que  dans  la  primitive  Eglise,  alors  que  cet 
adorable  sacrement  était  pour  les  fidèles  le  pain  de 
chaque  jour,  ils  y  puisaient  la  force  non-seulement  de 
garder  inviolablement  la  loi  de  Dieu,  mais  aussi  de  ré- 


40  VAS    INSIGNE    DBVOTIONtS 

sister  à  la  rage  des  tyrans,  à  la  cruauté  des  bourreaux, 
et  de  donner  courageusement  leur  vie  pour  la  cause 
de  Jésus-Christ.  Des  vierges  faibles  et  délicates ,  de 
saints  pontifes  courbés  sous  le  poids  des  travaux  et  des 
années,  après  avoir  participé  à  ce  pain  de  bénédiction, 
se  laissaient  enfermer  dans  de  noirs  cachots,  y  trou- 
vaient leurs  chaînes  légères,  et  de  là  volaient  à  la  mort 
comme  à  un  festin.  C'est  pourquoi  saint  Cyprien  écri- 
vait à  son  peuple  :  c<  Mes  frères,  la  persécution  est  al- 
lumée . . . ,  il  vous  faudra  du  courage  et  de  la  force  pour 
vous  soutenir.  Mais  où  en  trouverez-vous  ,  si  vous 
n'êtes  pas  unis  à  Jésus-Christ  par  la  communion...?  Le 
cœur  manque,  si  son  sang  ne  le  soutient.  » 

ARTICLE  SECOND 
Marie,  Vase  répandant  au  dehors  la  dévotion 

Marie  ne  fut  pas  seulement  un  Vase  insigne  de  la 
plus  parfaite  dévotion,  nous  en  avons  admiré  les  actes 
principaux  ;  mais  elle  est  toujours  un  Vase  rempli  des 
plus  doux  parfums  de  la  dévotion,  et  versant  de  sa 
plénitude  à  tous  ceux  qui  viennent  y  puiser.  En  d'au- 
tres mots,  le  culte  de  Marie  ne  peut  qu'aider  puissam- 
ment à  la  véritable  dévotion .  Telle  est  la  thèse  magni- 
fique que  nous  avons  à  développer . 

Pour  plus  de  clarté  et  d'exactitude,  il  est  essentiel 
d'observer  qu'ici  nous  ne  restreignons  pas  le  mot  dé- 
votion à  certaines  pratiques  extérieures  de  la  piété 
chrétienne,  mais  nous  entendons  aussi  par  là,  dans  un 
sens  plus  large,  La  religion  bien  comprise  et  fidèlement 
pratiquée.  Et  nous  osons  bien  affirmer  que  pour  y  arri- 
ver le  culte  de  la  sainte  Vierge  est  d'un  merveilleux 
secours,  à  toutes  les  époques,  dans  toutes  les  condi- 
tions, dans  toutes  les  phases  de  la  vie.  Semblable  à 
L'astre  du  jour,  il  féconde  tout  de  sa  vivifiante  chaleur; 


VAS   INSIGNE    DEV0T10N1S  41 

il  étend  ses  salutaires  influences  sur  l'humanité  tout 
entière,  qu'il  saisit  à  tous  les  degrés  et  dans  toutes  les 
situations . 

I.  C'est  déjà  sur  l'enfant,  chez  lequel  commencent  à 
poindre  les  premières  lueurs  de  la  raison,  que  se  pro- 
duisent les  heureux  effets  d'une  éducation  où  inter- 
vient la  sainte  Vierge.  S'il  est  vrai  que  la  mère  est  la 
personne  la  plus  apte  à  faire  la  première  éducation  et 
à  former  le  tempérament  moral  de  l'enfant ,  il  est 
aussi  vrai  que  c'est  en  lui  parlant  de  Marie  qu'elle 
réussira  le  mieux  dans  l'accomplissement  de  ce  grand 
devoir.  La  faible  intelligence  de  l'enfant  ne  peut  encore 
atteindre  à  la  notion  abstraite  de  Dieu  ;  il  le  compren- 
dra déjà  mieux  sans  doute  et  commencera  à  l'aimer, 
par  l'image  offerte  à  ses  yeux,  du  Dieu  mort  sur  la 
Croix  pour  nos  péchés .  Mais  cette  idée  d'un  Homme- 
Dieu  crucifié  est  encore  pour  lui  bien  élevée.  Il  faut 
lui  dire  que  ce  Fils  éternel  de  Dieu  s'est  fait  petit  en- 
enfant,  conséquemment  qu'il  avait  une  mère  qui  est 
Marie,  qu'il  lui  était  soumis,  qu'il  grandissait  sous 
ses  yeux  en  science  et  en  sagesse,  à  mesure  qu'il 
grandissait  en  âge;  qu'après  l'avoir  élevé,  sachant 
bien  que  c'était  pour  être  condamné  à  mort  afin  de 
nous  rendre  à  la  vie,  elle-même  l'accompagna  au  lieu 
de  son  supplice,  comme  pour  y  donner  son  consente- 
ment, et  compléter  par  ses  propres  douleurs  l'œuvre 
de  notre  rédemption  ;  qu'elle  est  maintenant  au  ciel, 
aussi  puissante  auprès  de  son  Fils  qui  ne  sait  rien  lui 
refuser,  que  bonne  pour  les  hommes,  ses  enfants  adop- 
tifs.  Ainsi  l'enfant,  par  ces  considérations  bien  sim- 
ples et  à  sa  portée,  apprendra  à  connaître  Jésus  par 
Marie,  et  sera  amené  à  aimer,  à  prier  un  si  bon  Sau- 
veur, et  Celle  qui  nous  l'a  donné  avec  un  si  généreux 
dévouement.  Or,  qui  ne  comprend  quelles  impressions 


42  VAS   INSIGNE   DKVOTIONIS 

vives,  salutaires  et  durables  ee  commencement  de  dé- 
votion pour  Jésus  et  pour  Marie  laissera  dans  l'âme 
tendre  et  innocente  de  l'enfant  ?  «  Je  me  vois  encore, 
écrivait  le  Comte  de  Maître,  sur  les  genoux  de  ma  mère 
m'apprenant  à  croire  en  Jésus-Christ,  et  à  balbutier 
le  nom  de  cette  Vierge-Mère,  qui  porte  l'Enfant-Jésus 
dans  ses  bras.  »  A  ces  paroles,  que  tant  d'autres  di- 
raient avec  autant  de  sincérité,  ajoutons  celles-ci  aussi 
vraies,  sorties  de  la  bouche  de  cet  homme  illustre,  et 
que  chaque  mère  devrait  avoir  constamment  présentes 
à  la  mémoire  :  «  Si  la  mère  surtout,  dit-il,  s'est  fait 
un  devoir  d'imprimer  profondément  sur  le  front  de  son 
enfant  le  sceau  divin,  on  peut  être  à  peu  près  sûr  que 
la  main  du  vice  ne  l'effacera  jamais.  »  Que  pensez-vous 
d'un  enfant  ainsi  élevé  dans  cette  atmosphère  tout  im- 
prégnée de  foi  et  du  souvenir  de  Marie?  Il  grandira 
croyant,  pieux,  soumis,  toujours  parfumé  de  son  inno- 
cence baptismale.  Ce  serait  une  histoire  bien  touchante 
et  interminable  que  celle  de  toutes  les  personnes,  dans 
tous  les  rangs,  à  qui  la  dévotion  pour  Marie  sucée  avec 
le  lait  a  procuré  une  vie  solidement  chrétienne,  ou  le 
retour  à  la  vertu,  ou  la  grâce  finale  d'une  sainte  mort, 
après  de  longs  égarements.  Comprenez  donc,  mères 
chrétiennes,  toute  Pinfluence  que  par  Marie  vous  pou- 
vez exercer  sur  votre  jeune  enfant,  et  sachez  profiter 
de  son  jeune  âge  innocent  et  flexible,  pour  lui  inoculer 
le  germe  de  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge,  qui  lui  sera 
un  gage  assuré  de  salut. 

II.  Mais  c'est  dans  l'adolescence  plus  encore  qu'elle 
est  nécessaire  et  qu'elle  produit  les  plus  heureux  fruits, 
en  excitant  aux  vertus  propres  à  cet  âge.  c<  La  vraie 
dévotion  à  Marie,  nous  dit  un  de  ses  plus  doctes  ser- 
viteurs, le  l\  Ventura,  est  une  rosée  précieuse  qui  fait 
germer  toutes  les  vertus,  l'ombre  céleste  qui  les  abrite, 


VAS    1XSIGNE    DEV0TI0N1S  43 

rornement  qui  les  embellit ,  le  charme  qui  les  rend 
aimables.  »  La  beauté  de  la  vertu  proposée  en  elle- 
même  est  une  chose  presque  insaisissable,  qui  n'a  point 
de  prise  sur  une  jeune  nature,  ne  jugeant  encore  que 
par  ce  qui  frappe  les  sens.  Mais  la  vertu,  apparaissant 
dans  une  créature  du  même  limon  que  nous,  est  rame- 
née et  se  trouve  à  la  portée  d'une  faiblesse  humaine. 
Or,  parmi  les  vertus  propres  au  jeune  âge,  il  en  est  une 
que  l'opinion  publique  regarde  comme  son  caractère 
distinctif,  et  que  les  Evangélistes  ont  eu  soin  de  signa- 
ler en  Jésus  :  c'est  l'obéissance. 

Si  à  cette  époque  de  la  vie,  elle  est  essentielle  au 
bonheur  de  la  famille,  que  ne  coùte-t-elle  pas  à 
l'orgueil  du  jeune  homme  et  de  la  jeune  fille,  qui  en 
grandissant  ont  trop  la  conscience  de  ce  qu'ils  valent, 
ou  plutôt  de  ce-  qu'ils  croient  valoir  !  Mais  qu'y  a-t-il 
de  plus  capable  de  faire  plier  ces  natures  rebelles, 
que  ,  d'abord  la  vue  d'un  Enfant-Dieu  soumis  à  sa 
mère,  simple  créature,  passant  en  sa  compagnie  et 
sous  sa  dépendance  trente  années  de  sa  courte  vie,  et 
devenu  ensuite  obéissant  jusqu'à  la  mort  de  la  Croix? 
Or ,  un  souvenir  aussi  salutaire  est  nécessairement 
réveillé  par  celui  de  Marie  sa  mère.  Mais  ne  montrâ- 
t-elle pas  elle-même  la  plus  ponctuelle  soumission  à 
la  volonté  divine,  sous  quelque  forme  qu'elle  se  ma- 
nifestât, et  en  toute  circonstance?  Ainsi,  malgré  son 
vœu  de  virginité  perpétuelle,  qu'elle  avait  sans  doute 
l'intention  d'allier  avec  les  devoirs  du  mariage,  elle 
obéit  à  ses  tuteurs  et  aux  Pontifes  qui  veulent  lui 
donner  un  époux  ;  elle  obéit  à  l'Ange,  en  acceptant  la 
maternité  divine  :  nouvelle  Eve,  elle  réparait  par  cette 
soumission  les  maux  qu'avait  causés  la  désobéissance 
de  la  première,  changeant  ainsi  le  nom  d'Eve,  matans 
Evœ  nomen  ;  elle  obéit  à  redit  d'Auguste  en  se  ren- 


i'i  vas  INSIGNE   DEV0T10MS 

dant  à  Bethléem,  malgré  les  rigueurs  de  la  saison  et 
les  embarras  de  sa  position,  qui  lui  défendaient  pres- 
que un  aussi  long  voyage  ;  elle  obéit  à  Joseph,  en 
entreprenant  de  nuit,  et  toujours  en  hiver,  le  pénible 
trajet  au  pays  d'Egypte  :  sur  quoi  Ton  remarque  que 
l'ordre  en  fut  communiqué  à  Joseph  et  non  à  la  Vierge, 
afin  qu'elle  eût  le  mérite  d'obéir  à  cet  époux  plutôt 
qu'à  l'Ange  lui-même .  La  synagogue  avait  ses  assem- 
blées, ses  cérémonies,  ses  usages  ;  Marie  s'en  montra 
toujours  la  fidèle  observatrice.  Ainsi,  elle  va  au  temple 
se  purifier  avec  les  femmes  souillées,  et  y  fait  l'of- 
frande légale,  qui  ne  l'obligeait  pas  plus  que  la  dé- 
marche. A  l'exemple  de  son  divin  Fils,  elle  est  obéis- 
sante jusqu'à  consentir  à  sa  mort,  et  la  mort  sur  une 
Croix,  souffrant  mille  fois  plus  que  si  elle  avait  eu  à 
subir  pour  elle-même  cet  horrible  trépas.  C'est  ainsi 
que  déjà  l'obéissance,  qui  fait  partie  de  la  dévotion 
propre  à  la  jeunesse,  lui  deviendra  facile  par  l'exemple 
de  Marie. 

Il  est  une  autre  vertu  qui  est  le  plus  bel  ornement 
de  cet  âge  et  aussi  la  plus  exposée,  l'aimable  pureté. 
A  cette  époque  de  la  vie,  non  moins  fougueuse  que 
fragile,  commence  à  s'éveiller  l'inclination  vers  les 
plaisirs  mondains,  vers  les  jouissances  sensuelles  qu'on 
croit  avoir  le  droit  de  goûter.  Or,  quel  frein  plus  puis- 
sant peut  être  imposé  à  cet  essor  des  passions,  pour  en 
contenir  ou  en  régler  l'ardeur,  que  l'exemple  de  la 
Vierge  des  vierges,  qu'on  saura  avoir  tant  chéri  l'an- 
gélique  vertu  de  chasteté,  et  n'accorder  ses  bonnes 
grâces  et  ses  faveurs  privilégiées  qu'à  ceux  qui  l'imi- 
tent en  ce  point  :'  Et  quel  secours  encore  n'obtiendra- 
t-on  pas  par  elle,  pieusement  invoquée,  pour  la  conser- 
vation de  ce  riche  trésor  qui  est  un  don  spécial  de 
Dieu  :  Nemo  potest  esse  cantinens^  nisi  Deusdet! 


VAS   INSIGNE    DEVOTIONIS  45 

Aussi  combien  de  naufrages  évités  et  d'innocences 
sauvées,  sous  la  direction  de  cette  Etoile  qui  découvre 
les  écueils  et  en  détourne  !  Combien  de  mères  ne  sont 
parvenues  à  préserver  leurs  filles  de  tous  les  pièges 
tendus  à  l'inexpérience  de  la  jeunessse,  qu'en  leur  ins- 
pirant une  tendre  piété  envers  la  Reine  des  vierges  ! 
Un  père  ne  manquait  pas  de  parler  de  Marie  dans 
toutes  les  lettres  qu'il  écrivait  à  son  fils,  et  le  jeune 
homme  continua  d'être  au  collège  ce  qu'il  avait  été 
sous  le  toit  domestique,  un  modèle  d'innocence  et  de 
piété. 

Ce  n'est  pas  tout  encore  ;  pour  un  cœur  ainsi  devenu 
chaste  par  la  dévotion  à  Marie,  vide  de  toute  affection 
charnelle,  et  libre  de  ces  cruelles  anxiétés  qu'apporte 
le  vice,  combien  il  est  plus  facile  de  tourner  vers  Dieu, 
qui  suffit,  le  besoin  d'aimer  si  impérieux  à  cet  âge,  et 
de  mettre  son  plaisir  à  lui  en  donner  des  preuves  !  Et 
puis,  l'amour  pour  Marie  qui  s'est  emparé  de  ce  cœur, 
loin  de  nuire,  ne  pourra  que  l'aider  puissamment  à 
cette  noble  fin.  Nul,  sans  doute,  a  dit  l'éternelle  Vé- 
rité, ne  peut  servir  deux  maîtres  :  l'attachement 
pour  les  créatures  affaiblit  d'autant  celui  qui  est  dû  au 
Créateur  ;  ce  sont  comme  les  deux  plateaux  d'une  ba- 
lance, dont  l'un  baisse  à  proportion  que  l'autre  s'élève. 
Mais  l'amour  de  la  sainte  Vierge,  loin  de  contrarier 
celui  de  Jésus,  tout  au  contraire  y  conduit  et  l'en- 
flamme. L'amour  pour  une  mère  se  transporte  à  son 
enfant  :  c'est  par  la  pensée  d'être  agréable  à  la  mère 
que  l'on  prodigue  des  caresses  à  son  fils  :  on  sait  qu'elle 
le  tient  comme  fait  à  elle-même.  Ainsi,  le  dévouement 
pour  Marie  rendra  zélé,  attentif  à  plaire  à  Jésus. 
«  Elle  est  le  moule  de  Dieu,  dit  si  ingénieusement  saint 
Augustin  :  celui  qui  est  jeté  dans  ce  moule  divin  de- 
vient bientôt  un    autre  Jésus-Christ.  »    Immense  et 


46  VAS    INSIGNE    DRVOT10NIS 

sublime  pensée  que  saint  Bonaventure  reproduit  en  ces 
termes  :  a  On  distingue  deux  fils  de  Marie,  l'Homme- 
Dieu  et  l'homme  qui  n'est  qu'homme.  Marie  a  formé 
l'un  eorporellement  et  forme  l'autre  spirituellement.  » 
Or,  devenir  par  Marie  un  autre  Jésus-Christ  ;  aimer 
Jésus-Christ  davantage  parce  qu'on  aime  Marie,  n'est- 
ce  pas  là  la  dévotion  prise  dans  son  sens  le  plus  élevé, 
et  se  trouvant  réalisée  pour  l'adolescence  par  le  culte 
de  la  Vierge  ? 

Mais  ce  culte  consiste  encore  en  des  pratiques  émi- 
nemment propres  à  activer  la  dévotion  dans  la  jeu- 
nesse. D'abord,  quels  heureux  effets  devront  résulter 
de  ces  cantiques  aussi  harmonieux  que  riches  de  senti- 
ments et  de  vérités,  qui,  après  avoir  satisfait  un  besoin 
de  cœur  et  célébré  Marie  au  saint  temple,  charment 
encore  et  sans  danger  les  loisirs  de  la  jeune  fille,  lui 
rappellent  quelque  maxime  en  tout  temps  utile,  et 
tiennent  lieu  de  ces  chansons  profanes  si  nuisibles 
à  la  chasteté  !  —  Et  les  insignes  de  Marie  portés  avec 
foi,  ne  sont-ils  pas  aussi  une  défense  des  plus  sûres 
contre  les  ennemis  du  dedans  et  du  dehors  ?  Quel  puis- 
sant bouclier  qu'un  scapulaire,  une  médaille,  un  sim- 
ple ruban,  ne  serait-ce  que  par  le  souvenir  de  la 
Vierge  qui  s'y  rattache  !  Quel  frein  sur  la  pente  du 
mal  !  On  raconte  qu'une  jeune  personne  près  de  partir 
pour  un  amusement  dangereux  à  l'innocence,  fut 
arrêtée  par  le  tableau  de  Marie  Immaculée,  qu'un  prê- 
tre ami  de  la  maison  lui  fit  remarquer  sur  la  muraille. 
Combien,  que  la  seule  vue  de  la  Médaille  appendue 
à  leur  cou  rendit  victorieuses  de  tous  les  assauts  livrés 
ta  leur  chasteté]  Ces!  ainsi  que  de  toute  manière,  la 
dévotion  ;i  Marie  produit,  dans  L'adolescence,  les  effets 
Les  plu-  heureux  qui  constituent  la  véritable  dévotion. 

Morale  ;  Nous  sommes  donc  eu  droit  de  dire  à  la 


VAS  INSIGNE    DEVOTIONIS  47 

jeunesse  :  Voulez- vous  passer  saintement,  sans  re- 
mords et  dans  la  paix,  cette  époque  la  plus  belle  et 
aussi  la  plus  critique  de  votre  vie,  qui  influe  si  acti- 
vement sur  le  reste  de  vos  jours  ?  Soyez  dévouée  à 
Marie.  Si  elle  préside  aux  premières  émotions  du 
cœur,  si  elle  vous  dirige  dans  vos  premiers  pas  au 
milieu  du  monde,  ce  sera  toujours  là  le  plus  sûr  pré- 
sage du  bonheur  pour  votre  avenir  ;  ce  sera  comme 
une  haie  de  préservation  contre  toutes  les  occasions 
dangereuses,  et  une  garantie  presque  certaine  de  per- 
sévérance dans  la  vertu. 

Mais,  ce  qui  importe  autant,  c'est  que  nous  disions 
aux  pères  et  mères  :  d'abord,  félicitez-vous,  et  ban- 
nissez toute  inquiétude,  si  votre  enfant  donne  des 
signes  de  tendre  dévotion  pour  la  sainte  Vierge,  si 
vous  la  voyez  revêtue  de  ses  livrées,  enrôlée  dans 
quelqu'une  de  ses  Confréries,  communiant  au  moins  à 
ses  fêtes,  préférant  ses  autels  aux  amusements  mon- 
dains, se  récréant  du  chant  de  ses  louanges,  sachant 
se  ménager  un  moment  chaque  jour  pour  lui  ren- 
dre ses  hommages.  Mais  aussi,  favorisez  de  la  voix  et 
de  l'exemple  une  si  fructueuse  dévotion.  Ecoutez, 
comme  si  c'était  à  vous  qu'elles  aient  été  adressées, 
ces  paroles  touchantes  de  Bourdaloue.  Il  prêchait  à 
la  grande  solennité  de  l'Assomption,  et  après  avoir 
rappelé  le  vœu  de  Louis  XIII,  dont  on  faisait  en  ce 
jour  la  commémoration  ,  il  ajoutait  :  «  Voulez-vous, 
mes  chers  auditeurs,  que  je  vous  donne  une  pratique 
digne  de  votre  piété  ?  Elle  est  aisée,  il  n'y  a  point  de 
précepte  qui  vous  en  puisse  dispenser  ;  faites,  chacun 
dans  votre  condition,  ce  que  fit  ce  prince  très  chré- 
tien et  très  religieux,  dont  nous  accomplissons  le 
vœu,  il  consacra  son  royaume  à  la  Reine  des  Vierges  ; 
consacrez-lui  vos  familles  et  vos  maisons;  il  lui  dé- 


18  VAS    INSIGNK    DEVOTIONIS 

voua  sa  personne  et  celle  de  ses  peuples:  dévouez-lui 
la  vôtre  et  celle  de  vos  enfants.  Ce  n'est  pas  assez  : 
mais,  comme  ce  grand  Monarque,  par  une  conduite 
solidement  pieuse  qui  ne  lui  acquit  pas  moins  devant 
Dieu  que  devant  les  hommes  la  qualité  déiste,  voulut 
q^e  son  dévouement  fût  public,  ne  rougissons  point 
de  faire  connaître  le  nôtre;  confessons  librement  ce 
que  nous  sommes,  puisque  c'est  la  profession  de  ce 
que  nous  sommes  qui  doit  nous  sauver.  Xe  souf- 
frons pas  que  les  libertins  du  siècle  soient  plus  hardis 
à  railler  le  culte  que  nous  rendons  à  la  Mère  de  Dieu, 
que  nous  à  le  défendre...  surtout,  chrétiens,  souve- 
nez-vous de  cette  parole  de  saint  Anselme,  «  que, 
comme  toute  famille  solidement  et  saintement  dévouée 
à  la  glorieuse  Vierge  ne  périt  pas,  aussi  ne  devons- 
nous  pas  compter  que  la  bénédiction  de  Dieu  se  trouve 
dans  une  famille  où  la  glorieuse  Vierge  n'est  pas  hono- 
rée. » 

Vierge  bénie,  ô  tendre  Mère  !  communiquez  à  tous 
les  parents  ces  admirables  dispositions:  régnez  aussi 
sur  les  cœurs  de  tous  les  jeunes  chrétiens;  car  s'ils 
vous  aiment,  vous  invoquent  et  vous  imitent,  tout  le 
reste  leur  viendra  comme  par  surcroit. 

Maxime  :  Heureuse  la  famille  où  la  mère  attentive, 

Façonne  de  l'enfant  Pâme  pure  et  craintive, 
Et  lui  fait  bégayer,  assis  sur  ses  genoux, 
De  Marie  et  Jésus,  les  noms  toujours  si  doux. 

EXEMPLES 

ENFANTS    DÉVOTS    ENVERS    LA    SAINTE    VIERGE. 

Une  pauvre  Mère  avait  eu  Je  bonheur  de  gagnera 
la  loterie  une  petite  statue  de  la  sainte  Vierge;  c'était 
ce  qu'elle  avait  ambitionné  le  plus  parmi  tous  les  lots, 
la  plupart  beaucoup  plus  riches.  La  statue,   réputée 


VAS    INSIGNK    DEVOTIONIS  49 

le  plus  beau  meuble  de  la  chaumière,  fut  placée  dans 
l'endroit  le  plus  apparent;  et,  tous  les  jours  au  soir, 
la  pieuse  mère  faisait  devant  elle  et  faisait  faire  une 
prière  par  ses  deux  enfants  plus  âgés.  Le  troisième, 
atteignant  à  peine  quatre  ans,  tomba  malade.  Le  mé- 
decin des  pauvres  étant  venu  le  visiter,  déclara  que  la 
maladie  était  mortelle,  et  qu'il  n'avait  plus  que  quel- 
ques heures  à  vivre.  Ce  fut  un  coup  de  foudre  pour  la 
pauvre  mère  qui  va  sanglotant  se  jeter  aux  pieds  de 
la  statuette.  Les  deux  enfants  suivent  son  exemple,  et 
leur  petite  prière  étant  terminée  :  «  Maman,  dit  le 
second  âgé  de  sept  ans,  maman,  ne  pleure  plus,  j'ai 
prié  la  bonne  Vierge  pour  petit  frère  ;  elle  m'a  dit  que 
petit  frère  ne  mourrait  pas.  »  La  mère,  reprenant 
confiance,  se  tourne  vers  le  berceau  de  son  enfant; 
il  était  déjà  mieux  ;  et  bientôt  la  guérison  se  com- 
pléta . 

—  Des  missionnaires  évangélisaient  en  1848  dans  le 
sud  de  l'Egypte.  Ayant  acheté  sur  le  marché  aux  es- 
claves quelques  Maures  assez  doués  d'intelligence,  ils 
purent,  secondés  par  leur  bonne  volonté,  les  mettre 
en  état  d'être  régénérés  à  la  Toussaint  de  la  môme 
année,  par  le  Sacrement  de  Baptême.  La  nuit,  veille 
de  ce  grand  jour,  un  des  Pères  étant  ailé  visiter  le 
dortoir  des  néophytes,  pour  s'assurer  si  tout  s'y  pas- 
sait avec  ordre,  en  trouva  plusieurs,  qui,  au  lieu  d'être 
couchés,  priaient  à  genoux  avec  une  ferveur  extraor- 
dinaire. —  Que  dites-vous  là,  leur  demanda-t-il  ?  — 
Nous  prions  la  bonne  Vierge,  pour  que  nous  ne  mour- 
rions pas  cette  nuit,  niais  que  nous  vivions  encore 
demain,  où  nous  devons  entrer  dans  le  soin  de  l'E- 
glise.—  Que  devront  être  ces  enfants,  qui,  n'étant  pas 
encore  chrétiens,  avaient  déjà  pour  Marie  une  si  ten- 
dre dévotion  ! 


50  VAS   INSIGNE    DEVOTIÔNIS 

—  Ce  serait  ici  le  lieu  de  citer  les  Louis  de  Gonza- 
gue,  les  Stanislas  de  Kostka,  les  Sousi,  les  Décalogne, 
les  Berchmans  et  tant  d'autres,  qui,  par  leur  précoce 
et  ardente  piété  pour  Marie ,  sont  parvenus  rapide- 
ment à  une  haute  sainteté  et  que  Dieu  recueillit  de 
bonne  heure  étant  mûrs  pour  le  ciel,  où  ils  s'applau- 
diront éternellement  d'avoir  aimé  Celle  dont  la  vue 
ajoute  à  leur  bonheur,  après  les  avoir  aidés  à  le  con- 
quérir. 

TESTAMENT   D'UN    SERVITEUR   DE   MARIE. 

Un  bon  père  chrétien  et  surtout  fort  dévoué  à  Marie, 
sentant  sa  fin  approcher,  réunit  autour  de  son  lit  de 
mort  tous  ses  enfants  et  leur  dit  du  ton  le  plus  péné- 
tré :  Mes  chers  enfants,  je  vais  mourir  :  j'ai  vécu  cin- 
quante ans;  je  n'ai  pas  été,  dans  le  cours  de  mon 
pèlerinage,  sans  goûter  quelques  joies  ;  mais  les  plus 
pures  et  les  plus  célestes,  je  les  ai  trouvées  dans  mes 
pratiques  envers  Marie .  Son  souvenir  purifiait  toutes 
mes  autres  joies ,  les  élevait,  les  ennoblissait.  Je  le 
déclare  devant  Dieu . 

J'ai  vécu  cinquante  ans  ;  ma  vie  ne  fut  point 
exempte  de  tribulations;  mais  dans  toutes  mes  épreu- 
ves, ce  fut  le  service  de  Marie  qui  me  procura  le  plus 
de  consolation.  Je  le  déclare  devant  Dieu. 

Faites  comme  j'ai  fait;  je  mourrai  plus  tranquille,  si 
je  puis  emporter  avec  moi  ce  consolant  espoir. 

De  grosses  larmes  coulèrent  de  leurs  yeux  ;  ils  pu- 
rent néanmoins  répondre  :  Oui,  ô  père,  nous  aimerons 
Marie.  Ils  tinrent  parole,  et  Marie  les  bénit. 

ARTICLE  TROISIEME. 
Marie,  vase  répandant  au  dehors  la  dévotion. 

Continuons  à  constater  les  heureux  effets  de  la  dé- 
votion à  la   sainte  Vierge,  dans  toutes  les  positions  de 


VAS    INSIGNE    DEVOTIONIS  51 

la  vie.  Deux  conditions,  d'abord,  partagent  le  monde, 
l'état  religieux,  et  l'état  du  mariage.  Or,  dans  l'un 
comme  dans  l'autre,  Marie  est  un  besoin  et  plus  que 
cela  encore  un  très  puissant  secours  pour  en  remplir 
les  devoirs . 

Ce  serait  une  belle  tâche  que  de  venger  les  ordres 
religieux  de  toutes  les  préventions  et  attaques  susci- 
tées contre  eux  par  la  malice  et  l'ignorance .  Après 
avoir  étalé  tous  les  services  qu'ils  ont  rendus  à  la  reli- 
gion, à  la  société,  à  la  civilisation  et  même  aux  scien- 
ces et  aux  arts,  thèse  immense,  nous  ajouterions  qu'il 
importait  au  Christianisme  qu'il  y  eût  en  dehors  du 
monde  comme  des  foyers  d'édification  et  de  sainteté, 
où  s'entretint  et  se  ravivât  le  feu  sacré  de  la  dévotion. 
Or,  tels  furent  dans  tous  les  temps,  à  quelques  excep- 
tions près,  ces  Institutions  admirables,  connues  sous 
le  nom  d'Ordres  religieux.  Mais,  chose  non  moins  ad- 
mirable et  digne  de  profondes  réflexions ,  c'est  que 
Marie  en  fut  la  base  première,  et  c'est  son  culte  qui 
en  devint  ensuite  l'âme  et  le  soutien. 

Trois  vœux  constituent  la  vie  religieuse  ;  et  le  mo- 
dèle en  avait  été  trouvé  en  Marie  :  la  chasteté,  qu'elle 
estima  jusqu'à  la  préférer  à  la  sublime  dignité  de  Mère 
de  Dieu  ;  X obéissance,  qu'elle  professa  très  formelle- 
ment par  cette  humble  réponse  :  Voici  la  servante  du 
Seigneur  ;  la  pauvreté  et  le  sacrifice,  qu'elle  pratiqua 
si  admirablement  à  Bethléem,  à  Nazareth  et  au  Cal- 
vaire. L'observation  de  ces  trois  vœux,  en  quoi  con- 
siste la  dévotion  propre  au  religieux,  se  trouvait  donc 
intimement  liée  dans  tous  les  Ordres  à  la  dévotion 
envers  Marie.  Aussi,  n'en  vit-on  aucun  qui  n'eût  été 
jaloux  d'honorer  plus  spécialement  la  sainte  Vierge, 
qui  n'eût  fleuri  par  cette  dévotion,  qui  n'eût  dégénéré 
quand  il  l'a  laissée  se  ralentir  et  qui  ne  s'y  fût  re- 


:;-> 


v\>    INS1GNB    DEVOTIONIS 


trempé  quand  il  a  voulu  se  réformer.  Tous  ont  offert 
le  spectacle  d'une  famille  d'enfants  qui  se  disputent 
les  tendresses  d'une  mère  et  l'honneur  de  la  servir  ;  et 
son  culte  fut  toujours  l'aliment  et  le  soutien  de  leur 
première  ferveur.  (5) 

Même  prédilection  pour  Marie,  et  par  elle  mêmes 
résultats  de  tendre  piété  dans  toutes  ces  Communautés 
de  femmes,  principalement  de  celles  qui  de  tout  temps 
se  sont  dévouées  et  aujourd'hui  encore  se  dévouent 
avec  autant  de  désintéressement  que  de  courage  au 
soulagement  de  toutes  les  misères  de  l'humanité.  Où 
s'inspirèrent-elles  de  cette  sublime  vocation?  Dans 
l'affectueuse  dévotion  envers  la  sainte  Vierge,  dont  fut 
nourrie  leur  jeunesse  et  qui  en  fit  les  délices.  Qu'est- 
ce  qui  les  soutient  dans  cette  vie  de  continuelle  abné- 
gation ?  Ce  sont  principalement  leurs  diverses  prati- 
ques envers  la  Céleste  Mère.  Elle  remplace  dans  leurs 
pensées  et  leurs  affections  la  mère  qu'elles  ont  quit- 
tée. Son  chiffre,  une  médaille,  le  rosaire  sont  leurs 
plus  beaux  ornements.  Partout,  son  image  se  rencon- 
tre, ordinairement  entourée  d'ingénieuses  devises  que 
le  cœur  a  trouvées.  Ici  vous  lisez  :  a  C'est  elle  qui  nous 
protège  ;  »  là  :  c<  Montrez -vous  notre  Mère  ;  »  ailleurs  : 
«  Cachez-nous  sous  vus  ailes:  »  etc Tout  en  rap- 
pelle le  souvenir  :  c'est  sous  son  influence  que  l'on  vit, 
sous  son  œil  que  l'on  agit  :  c'est  à  elle  que  Ton  recourt 
en  toute  circonstance. 

Doit-on  s'étonner  qu'avec  Marie  ainsi  présente,  ainsi 
aimée,  ainsi  invoquée,  la  ferveur  se  maintienne,  et 
qu'il  y  ait  tant  de  vertu  dans  ces  anges  de  la  terre, 
servantes  tour  à  tour  delà  sainte  Vierge,  des  pauvres, 
-  orphelins  ?  Heureuse,  mille  fois 
L'âme  que  Dieu  appelle  à  un  genre  de  vie, 
où,  par  le  culte  de  Marie  plus  en  honneur  et   le  oon- 


VAS   INSIGNE   DEVOTIONIS  53 

cours  de  tant  d'autres  moyens,  le  salut  est  plus  fa- 
cile, plus  assuré,  j'allais  dire  immanquable  ! 

Mais,  d'après  les  dispositions  de  la  Providence  pour 
les  choses  d'ici-bas,  le  plus  grand  nombre  est  destiné 
à  passer  sa  vie  au  milieu  des  embarras  et  des  dangers 
du  monde,  et  le  plus  communément  dans  Pétat  du 
mariage.  Or,  quelque  position  que  l'on  occupe,  com- 
bien est  nécessaire  la  dévotion  à  là  sainte  Vierge,  et 
que  d'avantages  elle  procure  ! 

D'abord  dans  le  mariage.  Si  cet  état  est  un  remède 
aux  ardeurs  de  la  concupiscence,  il  n'y  est  pas  tou- 
jours un  frein  suffisant.  Selon  le  sage  moraliste,  saint 
François  de  Sales  déjà  cité,  «  la  licence  que  le  mariage 
accorde  et  les  secours  de  la  grâce  reçus  par  le  Sacre- 
ment peuvent,  sans  doute,  servir  beaucoup  à  éteindre 
la  passion  naturelle  ;  mais  l'infirmité  de  plusieurs  per- 
sonnes qui  s'en  servent,  les  fait  passer  aisément  de  la 
permission  à  l'usurpation,  de  l'usage  à  l'abus.  »  Or, 
pour  se  contenir  dans  les  règles  de  cette  chasteté  es- 
sentielle aux  époux  chrétiens,  et  la  conserver  même 
dans  les  jouissances  permises,  un  des  moyens  les  plus 
efficaces,  c'est  l'exemple  et  la  protection  de  cette  ad- 
mirable Vierge  qui  porta  si  loin  l'estime  et  la  pratique 
de  la  pureté.  Et  ces  époux  devenus  chastes  comme 
Marie  et  Joseph,  combien  ne  sont-ils  pas  aidés,  par 
cette  sainte  modération  dans  leur  amitié,  à  ce  pur 
amour  de  Dieu  qui  veut  avoir,  comme  il  en  a  le  droit, 
la  première  place  dans  tout  cœur,  qui  n'entend  pas 
que  même  un  père,  une  mère  y  aient  sur  lui  la  préfé- 
rence i  Et  ce  tendre  amour  pour  Dieu,  nous  l'avons  dit 
avec  tous  les  maîtres  de  la  vie  spirituelle,  qu'est-ce 
autre  chose  que  la  dévotion  ? 

Mais,  l'état  du  mariage  impose  encore  aux  époux 
d'autres  devoirs,  pour  l'accomplissement  desquels  le 


5'i  VAS    INSIGNE    DEVOTIONIS 

culte  de  lu  sainte  Vierge  est  d'un  merveilleux  secours. 
D'abord,  une  des  causes  d'union  sincère  et  de  bonheur 
permanent  dans  la  famille,  c'est  la  religieuse  estime 
et  le  respectueux  attachement  de  l'époux  pour  l'épouse. 
S'il  la  regarde  comme  une  esclave,  et  non  comme  une 
compagne,  comme  une  amie  que  le  ciel  lui  a  donnée 
pour  adoucir,  en  les  partageant,  ses  peines  et  ses  la- 
beurs ;  s'il  ne  la  chérit  comme  un  autre  lui-même,  dès 
lors  l'égoïsme  remplace  le  dévouement  ;  il  la  traite  en 
maître  dur  et  despote  ;  la  brutalité  le  domine  au  lieu  de 
la  tendresse.  Mais,  que  Marie  soit  connue  et  honorée 
au  foyer  domestique,  le  mari,  sachant  qu'en  elle,  éle- 
vée à  la  suréminente  dignité  de  Mère  de  Dieu,  toutes 
les  filles  d'Eve  ont  été  relevées  de  l'abjection  où  elles 
gémissaient  malheureuses,  et  sont  ainsi  devenues 
grandes,  nobles  et  reines  dans  la  famille,  nécessaire- 
ment ce  souvenir  rehaussant  ainsi  son  épouse  à  ses 
yeux,  une  profonde  impression  de  respect  saisira  son 
cœur  ;  elle  sera  sa  compagne  religieusement  estimée 
et  chérie,  l'objet  d'attentions  les  plus  délicates,  les 
plus  empressées.  La  femme  à  son  tour,  dévouée  à 
Marie,  ne  pourra  oublier  que  c'est  par  cette  Eve  régé- 
nératrice qu'elle  est  sortie  de  son  état  de  dégradation 
et  de  servitude,  pour  reconquérir  le  haut  rang  et  les 
privilèges  de  sa  primitive  grandeur  ;  elle  se  croira  dès 
lors  obligée  et  n'en  sera  que  plus  empressée  à  imiter 
la  Vierge  sa  Libératrice  et  son  modèle.  Contemplant 
dans  ce  miroir  toutes  les  vertus  de  la  vie  conjugale, 
elle  s'appliquera  à  devenir  chaste,  fidèle,  douce,  sou- 
mise, dévouée  comme  Marie .  Cette  précieuse  épouse 
sera,  pour  le  compagnon  de  ses  destinées,  un  ange  de 
paix  et  de  consolation,  le  remède  à  la  souffrance,  le 
repos  après  le  travail,  le  calme  succédant  à  l'agitation. 
Elle  tempérera  ses  chagrins,  dissipera  ses  ennuis,  ré- 


VAS   INSIGNE    DEVOTIONIS  55 

jouira  toute  son  existence,  ^doublera  son  bonheur  : 
une  sainte  et  inaltérable  affection  unira  ces  deux 
cœurs  qui  n'en  feront  plus  qu'un.  Que  toutes  les  femmes 
deviennent  des  Marie,  et  la  terre  sera  bientôt  un  pa- 
radis anticipé. 

Après  une  succession  plutôt  de  peines  que  de  bon- 
heur, on  arriveà  la  vieillesse.  Ah  !  la  vieillesse,  cette 
seconde  enfance,  réclame  aussi,  comme  la  première, 
une  mère.  Mais,  la  mère  a  disparu  !  Solitaire,  délaissé, 
quelquefois  même  par  ses  enfants,  le  vieillard  cherche 
en  vain  autour  de  lui  un  appui  nécessaire.  Nul  autre 
ne  s'offre  que  Marie  ;  mais  aussi,  au  pied  de  ses  autels, 
ou  devant  une  statuette,  précieux  héritage  de  famille, 
ou  ne  pouvant  plus  que  dire  son  chapelet,  quel  déli- 
cieux rafraîchissement  n'éprouve-t-il  pas  !  Quelle 
agréable  diversion  à  l'ennuyeuse  monotonie  de  son 
désœuvrement  !  Et  puis,  quel  admirable  modèle  de 
patience  ne  trouve-t-il  pas  dans  une  vierge  qui,  du- 
rant ses  vieux  jours,  ne  se  plaignait  que  de  ne  pas 
être  réuni  plus  tôt  au  Bien-Aimé  de  son  cœur?  Et 
encore,  si  la  vue  du  formidable  jugement  qui  appro- 
che, si  le  souvenir  des  fautes  accumulées  pendant  une 
longue  vie  lui  inspirent  de  justes  alarmes,  avec 
quelle  douce  confiance  il  se  jette  dans  les  bras  de  la 
miséricordieuse  Mère  ;  il  espère  tout  de  Celle  qu'il  a 
tant  de  fois  invoquée  pour  le  dernier  moment  ;  et  bien- 
tôt, comme  le  juste  Siméon,  il  pourra  dire  son  Nunc 

dimittis et  s'endormir  en  paix,  en  exhalant  vers  la 

céleste  Vierge  son  dernier  soupir  dans  un  dernier 
Ave  !  (6). 

C'est  aussi  pour  tous  les  rangs  comme  pour  les  con- 
ditions diverses,  que  Marie  est  tout  à  la  fois  un  besoin, 
un  attrait,  un  très  puissant  moyen  de  dévotion.  L'in- 
digent voit  en  elle  une  créature  la  plus  rapprochée  de 


56  VAS    INSIGNE    DEV'OTIONIS 

son  obscurité,  l'épouse  d'un  charpentier,  enfantant 
dans  une  étable  le  Dieu  devenu  esclave,  allant  le  ra- 
cheter par  l'offrande  des  pauvres,  vivant  oubliée  avec 
lui  dans  la  chétive  maison  de  Nazareth,  partageant  ses 
ignominies  au  Calvaire,  et  terminant  sa  carrière  en 
compagnie  de  Jean  le  batelier.  Tout  ainsi,  dans  Marie, 
inspire  aux  simples  et  aux  pauvres  la  vertu  qui  leur 
est  la  plus  essentielle,  la  résignation.  Aussi  son  culte 
est-il  universellement  populaire.  Ce  sont  surtout  les 
humbles  et  les  petits  qui  affluent  dans  ces  sanctuaires 
où  la  misère  humaine  vient  l'invoquer  sous  les  diffé- 
rents noms  qui  répondent  à  ses  besoins  :  et  sa  douce 
image  est,  après  l'image  du  Crucifié,  l'ornement  le 
plus  cher  de  la  chaumière,  dont  elle  console  la  tris- 
tesse et  les  rigueurs.  De  plus,  tant  d'amour  pour  la 
Mère  conduit  tout  naturellement  à  l'amour  de  son 
Fils,  à  l'accomplissement  plus  parfait  de  ses  pré- 
ceptes et  même  de  ses  conseils,  disons  le  mot,  à  la 
dévotion . 

Mais  les  rois  aussi  et  les  grands  de  la  terre,  n'ou- 
bliant pas  que  les  rois  Mages  déposèrent  devant  la 
Vierge  les  présents  apportés  à  1  Enfant-Dieu,  tiennent 
à  honneur  d'honorer  Celle  qui  est  la  Reine  de  tout 
l'univers,  et  font  de  sa  dévotion  le  Palladium  de  leur 
personne  et  de  leurs  Etats.  On  est  heureux  de  trouver 
ce  fait  buriné  dans  l'histoire,  presque  à  chacune  de 
ses  pages,  et  de  voir  aussi  le  chiffre  de  Marie  briller 
dans  les  décorations  princières  comme  sur  les  haillons 
de  l'indigence,  le  sceptre  et  la  béquille  se  croisant  au 
pied  de  ses  statues,  l'or  offert  par  les  rois  et  les  puis- 
sants confondu  avec  les  humbles  présents  du  pauvre. 
Mais  là  ne  se  borne  pas  leur  dévotion  :  à  l'exemple  de 
cette  Fille  royale  à  qui  sa  noblesse  d'origine  n'enfle 
point  le  cœur,  ils  ne  voient  dans  leur  élévation  qu'un 


VAS   INSIGNE    DEVOTIONS  0/ 

moyen  d'opérer  plus  de  bien,  et  de  briller  par  des 
exemples  plus  éclatants,  qui  descendus  de  plus  haut 
ne  seront  que  mieux  compris . 

Au  temps  du  prophète  Elisée,  une  pauvre  mère  se 
trouvant  poursuivie  par  des  créanciers  qui  voulaient 
lui  enlever  jusqu'à  ses  deux  fils,  eut  recours  à  l'homme 
de  Dieu,  déjà  si  célèbre  par  ses  miracles.  Cette  femme 
ne  possédait  plus  qu'un  peu  d'huile  que  le  Prophète 
multiplia,  de  manière  qu'elle  put  remplir  tous  les  vases 
qui  se  trouvaient  dans  la  maison  et  d'autres  encore 
qu'elle  se  procura.  C'est  ce  prodige,  ô  charitable  Vier- 
ge, que  nous  vous  prions  de  renouveler,  en  nous  com- 
muniquant de  cette  huile  de  dévotion  dont  vous  fûtes 
si  abondamment  pourvue. 

Pratique  :  En  se  livrant  aux  exercices  de  religion, 
se  rappeler  que  Dieu  veut  principalement  être  adoré 
en  esprit  et  en  vérité. 

EXEMPLES 

DÉVOTION   DES    SAVOYARDS   A   LA   SAINTE    VIERGE. 

La  Savoie  surtout  nous  fournit  un  exemple  touchant 
de  dévotion  à  Marie  parmi  les  simples  et  les  pauvres. 
Vous  avez  vu,  sans  doute,  de  ces  petits  enfants  tout 
noirs  de  la  suie  des  cheminées  qu'ils  nettoient  avec 
tant  d'adresse,  et  qu'on  appelle  ramoneurs.  Le  pays 
qu'ils  habitent  est  tout  pauvre  :  et  leurs  parents  se 
voient  obligés  de  les  envoyer  au  dehors  pour  gagner 
leur  vie.  Mais  la  misère  de  ces  bonnes  gens  est  bien 
adoucie  par  leur  grande  dévotion  envers  la  sainte  Vier- 
ge. Partout  l'on  rencontre  sa  douce  image,  au  bord  des 
torrents,  dans  l'épaisseur  des  bois,  au  milieu  des 
champs,  sur  tous  les  chemins,  à  l'entrée  du  plus  petit 
hameau  ;  et  à  cette  vue  leur  courage  renaît,  les  cha- 
grins se  dissipent.  Mais  il  est  une  scène  des  plus  tou- 


58  VAS  INSIGNE   DBV0T10NIS 

chantes  qui  chaque  année  se  renouvelle,  ce  sont  les 
adieux  devant  la  grande  croix  et  l'image  de  Marie,  à 
l'entrée  du  village,  quand  les  enfants  vont  partir  pour 
la  France  !  Là,  s'est  rendue  la  paroisse  tout  entière, 
parents,  amis,  enfants  et  leurs  maîtres.  Alors,  le  plus 
âgé  des  vieillards  prieJésue  et  Marie  de  conserver  bien 
innocents  les  petits  voyageurs,  de  les  ramener  à  leurs 
mères  désolées,  et  il  les  bénit.  Ils  se  relèvent,  les  lar- 
mes aux  yeux,  le  cœur  bien  gros,  mais  pleins  de  con- 
fiance en  Celle  à  la  garde  de  laquelle  on  vient  de  les 
remettre.  Embrassés  et  bénis  de  nouveau,  ils  prennent 
leur  route,  regardant  souvent  derrière  eux.  Ils  s'ani- 
ment par  quelques  cantiques  à  Marie  ;  et  ceux  qui  ne 
pleurent  pas  trop  répètent  le  refrain .  Les  parents  et 
amis  sont  restés  là,  regardant  le  plus  loin  qu'ils  peu- 
vent, et  quand  ils  n'aperçoivent  plus  rien,  ils  récitent 
le  Chapelet  pour  recommander  encore  à  la  Vierge  ces 
pauvres  petits  enfants.  Touchantes  prières  qui  arrivent 
droit  au  cœur  de  la  bonne  Mère  ,  aussi,  les  prend-elle 
sous  sa  protection  ;  à  leur  arrivée,  elle  leur  procure  des 
établissements  où  leur  innocence  est  en  sûreté,  et  les 
protège  pendant  qu'ils  vont  péniblement  gagner  quel- 
ques petits  sous  pour  leur  pauvre  mère. 

EFFET   DU    SOUVENIR    DE   MARIE 

Dans  une  famille,  où  l'on  ne  connaissait  guère  de 
Jésus  et  de  Marie  que  le  nom,  naquit  un  enfant.  La 
marraine  plus  religieuse  obtint  qu'on  l'appelât  Marie, 
et  eut  la  pieuse  pensée  de  donner  à  la  mère,  pour  ca- 
deau, une  image  représentant  la  Vierge  bercée  par  les 
anges  sous  les  yeux  de  sainte  Anne.  Le  tableau,  sans 
être  du  goût  de  la  famille,  fût  accepté  et  conservé  par 
égard  pour  la  marraine,  qui  étant  riche  pouvait  faire 
beaucoup  de  bien  à  sa  filleule.  Cette  pieuse  image, 


ROSA    MYSTICA  59 

placée  au-dessus  du  berceau,  ne  tarda  pas  à  faire  en- 
tendre son  langage.  Les  regards  de  la  petite  Marie 
s'arrêtaient  naturellement  sur  la  sainte  enfant  de  Na- 
zareth ,  dont  les  charmes  innocents  ravissaient  son 
jeune  cœur.  Elle  se  trouvait  chérissant  Marie  à  son 
insu,  et  bientôt  elle  voulut  la  connaître.  La  jeune  mère, 
uniquement  jalouse  de  satisfaire  ce  qu'elle  appelait  un 
caprice  d'enfant,  mais  ne  sachant  plus  assez  les  ensei- 
gnements de  sa  propre  jeunesse,  fut  obligée  de  recourir 
à  des  livres  depuis  longtemps  négligés.  La  grâce  l'at- 
tendait là  :  en  lisant,  pour  le  redire  à  son  enfant,  la 
vie  de  la  Vierge  immaculée,  elle  sentit  le  besoin  pour 
elle-même  de  l'imiter  ;  le  profit  fut  pour  toutes  les  deux, 
ou  plutôt  pour  la  maison  tout  entière.  La  jeune  fille 
ainsi  élevée  dans  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge,  par- 
vint avec  les  années  à  une  solide  piété  ;  et  la  mère  elle- 
même  par  l'imitation  des  vertus  de  Marie  fut  pour  la 
famille  une  cause  de  paix  et  de  bonheur. 

■       — 

CHAPITRE  XXIX. 


ROSE  MYSTIQUE 

Parmi  les  emblèmes  que  l'Eglise  va  emprunter  à  la 
nature  pour  rendre  sensibles  les  augustes  qualités  de 
Marie,  la  rose  s'offrait  naturellement  un  des  premiers. 
Nul  ne  la  peint  avec  autant  de  vérité,  avec  un  charme 
plus  ravissant  et  plus  propre  à  nous  la  faire  aimer. 
Qui,  et  surtout  le  jeune  âge,  n'a  pas  une  prédilection 
particulière  pour  la  rose  ?  La  suavité  de  son  parfum, 
l'éclat  et  la  variété  de  ses  couleurs,  qui  lui  donnent 
une  beauté  douce  et  mystérieuse,  vous  charment  et 
vous  réjouissent  encore  plus.  Les  épines  mêmes  qui 
l'entourent,  sans  nuire  à  son  odeur  et  à  sa  beauté, 


80  ROSA   MYSTICA 

semblent  au  contraire  ajouter  à  son  mérite,  en  proté- 
geant sa  fragilité.  Aussi,  n'est-il  point  de  parterre  où 
elle  ne  figure  avec  orgueil  ;  elle  en  est  la  perle,  le  plus 
bel  ornement  ;  elle  y  occupe  le  premier  rang  parmi  ses 
sœurs . 

Dans  cette  gracieuse  peinture  de  la  reine  des  fleurs, 
on  a  pu  facilement  reconnaître  Marie,  Rose  mystique 
toujours  agréablement  épanouie  pour  charmer  et  ré- 
jouir nos  yeux  par  la  splendeur  et  la  riche  variété  de 
ses  vertus.  Entre  toutes,  dit  saint  Bernard  qui  se  la 
figure  comme  un  parterre  enchanteur,  on  en  remarque 
trois  plus  excellentes  :  l'humilité,  figurée  par  la  vio- 
lette, viola  humilité dis  ;  la  chasteté,  par  le  lis,  Ulium 
castitatis  ;  la  charité,  par  la  rose,  rosa  caritatis. 
Nous  nous  restreindrons  à  cette  dernière,  comme  étant 
l'objet  direct  de  l'Invocation  actuelle.  Car,  de  même 
que  la  rose  est  à  tous  les  titres  la  reine  des  fleurs,  ainsi 
la  charité  tient  le  premier  rang  parmi  les  vertus  :  ma- 
jor autem  caritas  :  la  rose  aussi,  par  la  couleur  pur- 
purine qui  la  distingue  ordinairement,  est  encore  l'em- 
blème du  feu  de  la  charité.  Et  telle  fut  Marie  :  son 
cœur  était  un  foyer  de  l'amour  le  plus  ardent  et  pour 
Dieu  et  pour  le  prochain. 

ARTICLE  PREMIER 
Amour  de  Marie  pour  Dieu 

Quand  j'entends  saint  Anselme  nous  dire  «  qu'au- 
cune intelligence  humaine  ne  pourrait  mesurer  ,  ni 
même  la  voix  toute  pure  des  anges,  exprimer  l'immen- 
sité de  l'amour  de  Marie  pour  Dieu;  »  sacba.nl  d'ail- 
leurs que  Dieu  seul  qui  le  lui  inspira,  et  qui  en  fut 
l'objet,  peut  le  comprendre:  n'est-ce  pas  de  ma  part 
une  impardonnable  témérité  d'oser  l'entreprendre? 
Mais  rassuré  par  le  même  saint  Docteur,  qui  ajoute 


ROSA    MYSTICA  61 

(<  que  c'est  toujours  un  grand  bonheur  de  pouvoir  seu- 
lement y  penser,  »  je  crains  moins  de  l'essayer,  dussé- 
je  ne  produire  que  cet  effet  dans  l'esprit  du  pieux  lec- 
teur . 

Disons  d'abord,  avec  l'illustre  Suarez,  que  l'amour 
de  Dieu  pour  Marie  surpassant  l'amour  qu'il  porte  à 
tous  les  autres  saints  ensemble,  il  s'ensuit,  par  une 
conséquence  légitime,  que  Marie  aima  son  Dieu  elle 
seule  plus  que  tous  les  saints  réunis  ;  car,  étant  impos- 
sible à  Dieu  d'aimer  un  objet  plus  qu'il  ne  le  mérite, 
Marie  a  dû  l'aimer  la  première  dans  la  proportion  qu'il 
l'aima  ensuite  :  Quantitas  animœ  estimatur  de  men- 
surâ  caritalis  (S.  Bern.). 

De  plus,  dit  encore  saint  Anselme,  si  l'amour  de  Dieu 
se  mesure  sur  la  pureté  du  cœur  :  ubi  major  puri- 
tas^ibi  major  caritas  ;  comme  elle  dut  aimer  Dieu 
cette  Vierge  aussi  pure  que  la  rosée  de  l'aurore,  cette 
Reine  de  toutes  les  vierges  !  Elle  l'aima  avec  ce  cœur 
pur  et  ardent  que  n'a  point  flétri  le  péché  d'origine,  ce 
cœur  entièrement  dégagé  de  toute  affection  terrestre, 
et  par  là  disposé  à  ne  brûler  que  du  divin  amour.  Saint 
Bernard,  sentant  aussi  son  insuffisance  à  l'exprimer, 
ne  dit  que  ces  mots  bien  courts,  mais  pleins  de  sens  : 
«  Elle  l'aima  plus  que  les  séraphins,  »  dont  le  carac- 
tère spécial  est  d'être  tout  enflammés  d'amour.  Ils  au- 
raient pu  descendre  de  leurs  trônes,  pour  apprendre 
d'elle  comment  ils  doivent  aimer.  Il  ajoute  c<  que  Ma- 
rie, bien  différente  des  autres  saints  qui  renouvellent 
à  chaque  instant  des  actes  détachés  d'amour  de  Dieu, 
eut  le  privilège  de  l'aimer  constamment  par  un  seul  et 
continuel  acte  d'amour.  »  Ses  actions  journalières  et 
habituelles  étaient  faites  par  des  motifs  si  relevées, 
que  chacune  formait  une  suite  non  interrompue  d'ac- 
tes de  parfait  amour  :  elles  ne  l'empêchaient  point  d'ai 

PARAPHRASE.    —  T.    II.  4 


bZ  RUSA   MYSTICA 

mer,  pas  plus  que  l'amour  ne  l'empêchait  d'y  vaquer. 
Ayant  les  yeux  incessamment  fixés  vers  Dieu,  le  bien- 
aimé  de  son  cœur,  par  ce  souvenir  toujours  présent  et 
la  contemplation  de  ce  divin  objet,  elle  activait  sans 
relâche  la  flamme  de  la  charité  la  plus  ardente.  Voyez 
ce  fer  jeté  dans  la  fournaise  ;  il  est  tellement  pénétré 
de  feu,  que  cela  ne  fait  plus  qu'une  seule  et  même 
chose  :  image  du  cœur  de  Marie  qui,  au  dire  de  saint 
Bernard,  «  était  non  seulement  percé,  mais  transpercé 
de  l'amour  de  son  Dieu,  de  sorte  que  pas  une  seule 
parcelle  n'en  fut  vide,  et  qu'elle  l'aima  exactement  de 
tout  son  cœur,  de  toute  son  âme,  de  toutes  ses  forces.  » 
Aussi  la  lyre  inspirée  des  prophètes  l'avait-elle  chan- 
tée la  mère  du  bel  amour,  la  mère  de  la  chaste  di- 
lection. 

Morale  :  Si  Marie  eut  pour  Dieu  un  si  tendre  amour, 
nul  doute  que  son  plus  grand  désir  ne  soit  de  le  voir 
régner  dans  l'âme  de  ses  serviteurs.  L'affection  que 
l'on  ressent  pour  quelqu'un  n'a  point  de  plus  douce 
réjouissance  que  de  rencontrer  dans  les  autres  les 
mêmes  sympathies.  Nous  serons  donc  d'autant  plus 
aimés  de  Marie,  que  notre  amour  pour  Dieu  sera  plus 
vif  et  plus  tendre.  Et  n'y  a-t-il  pas  tous  les  droits? 
Ne  trouvons-nous  pas  en  lui  tout  ce  qui  est  capable  de 
toucher,  d'attirer,  de  gagner  les  cœurs  ?  Il  est  la  su- 
prême bonté,  la  beauté  souveraine,  la  miséricorde 
sans  bornes,  une  source  inépuisable  de  tous  les  biens, 
un  océan  infini  de  toutes  les  perfections.  Elles  ne  peu- 
vent, il  est  vrai,  être  conçues  par  notre  esprit,  encore 
moins  aperçues  par  la  faiblesse  de  notre  vue,  mais 
n'en  a-t-il  pas  laissé  tomber  sur  la  terre  comme  quel- 
ques gouttes,  ou  des  échantillons  qui  peuvent  nous 
faire  deviner  ce  que  doit  être  la  source  même  ?  Et  si 
ces  objets  terrestres,  ravissants  par  leurs  charmes  ou 


ROSA  MYSTICA  63 

leur  bonté,  attirent  si  activement  les  affections  de  notre 
cœur,  ne  les  devons-nous  pas  mille  fois  plus  à  Celui 
en  qui  tout  cela  est  réuni  comme  dans  son  principe  et 
à  un  degré  infini  ? 

Mais  à  titre  de  bienfaiteur,  Dieu  n'a-t-il  pas  des 
droits  nouveaux  et  imprescriptibles  à  être  aimé  ?  En 
présence  des  dons  de  toute  espèce  et  dans  l'ordre  spi- 
rituel et  dans  l'ordre  temporel  qu'il  ne  cesse  de  nous 
prodiguer,  soit  directement,  soit  par  les  créatures  qui 
sont  toutes  pour  nous,  ne  peut-on  pas  dire  que  l'homme 
est  Y  enfant  gâté  de  la  Providence  ?  Et  après  tous  ces 
biens  de  la  vie  présente,  que  pourrait-on  imaginer  et 
que  pourrait-il  donner  de  meilleur  que  ce  bonheur, 
infini  de  sa  nature,  puisque  c'est  Dieu  même  qui  sera 
notre  récompense,  infini  dans  sa  durée,  puisqu'elle  sera 
éternelle,  et  cela  pour  le  peu  que  nous  aurons  fait 
pendant  notre  court  passage  sur  la  terre  ?  «  0  mon 
Dieu,  s'écrie  à  cette  vue  saint  Augustin,  fallait-il  donc 
nous  faire  un  précepte  de  vous  aimer  ?  N'était-ce  pas 
assez  de  nous  le  permettre  ?  Est-il  besoin  d'un  com- 
mandement, pour  qu'un  ami  aime  son  ami,  une  épouse 
son  époux,  un  enfant  les  auteurs  de  ses  jours  ?  »  Et 
vous  aimer,  ô  mon  Dieu,  n'est-ce  pas  le  bonheur  su- 
prême ?  comme  ne  point  vous  aimer  est  le  comble  du 
malheur.  «  Vous  nous  avez  créés  pour  vous,  Seigneur, 
et  notre  cœur  est  inquiet  tant  qu'il  ne  se  repose  pas  en 
vous,  »  dit  encore  le  pieux  Docteur,  qui  l'avait  éprouvé. 
Aussi,  tout  après  sa  conversion,  sitôt  qu'il  eut  connu 
les  amabilités  de  Dieu  et  ses  bontés  pour  les  hommes, 
son  cœur  devint  tout  brûlant  d'amour  pour  lui.  «  O 
beauté  toujours  ancienne  et  toujours  nouvelle,  s'é- 
criait-il, trop  tard  je  vous  ai  connue,  trop  tard  je  vous 
ai  aimée  !  » 

Tendre  et  vif  amour  de  Dieu,  ce  fut  le  sentiment  do- 


tii  ROSA    MYSTICA 

minant  dans  le  cœur  de  tous  les  saints.  Peut-on,  d'ail- 
leurs, être  admis  à  l'aimer  éternellement  au  ciel,  si  déjà 
sur  la  terre  on  n'en  a  fait  un  long  apprentissage?  La 
vie  présente  doit  être  comme  le  noviciat  de  la  vie  fu- 
ture. —  Si  je  savais,  dit  saint  François  de  Sales,  qu'il 
y  eût  dans  mon  àme  un  seul  filet  d'affection  qui  ne  lut 
pas  de  Dieu,  ou  pour  Dieu,  je  le  couperais  à  l'instant 
même.  J'aimerais  mieux  ne  pas  exister  que  d'exister 
n'étant  pas  à  Dieu  sans  réserve.  »  Encore  enfant,  il 
disait  souvent  avec  une  grande  naïveté  :  «  J'aime  bien 
Dieu  et  ma  mère.  »  Elles  étaient  fréquentes  dans  la 
bouche  de  saint  Philippe  de  Néri,  ces  paroles  où  se 
peignait  son  amour  :  «Comment  est-il  possible  que  celui 
qui  croit  en  Dieu  puisse  aimer  quelqu'autre  chose  que 
Dieu,  à  moius  que  ce  ne  soit  pour  l'amour  de  lui?  »  Et 
souvent  il  se  soulageait  en  lui  adressant  cette  plainte 
amoureuse  :  «  0  mon  Dieu,  vous  êtes  si  aimable  !  et 
vous  me  commandez  de  vous  aimer  !  pourquoi  donc  ne 
m'avez-vous  donné  qu'un  cœur,  et  encore  un  cœur  si 
petit  ? —  On  dit  de  saint  François  d'Assises,  qu'aussitôt 
qu'il  entendait  parler  des  bontés  de  Dieu,  son  cœur 
s'enflammait,  et  ses  yeux  versaient  des  larmes  abon- 
dantes.—  Saint  Louis  de  Gonzague,  dans  ses  transports 
d'amour  pour  Dieu,  tombait  aussi  dans  un  ravissement 
ineffable,  toutes  les  fois  qu'il  entendait  prononcer  son 
nom.—  Une  pieuse  paysanne,  quand  on  lui  demandait 
quelle  heure  il  était,  avait  coutume  de  répondre  :  c'est 
précisément  l'heure  d'aimer  Dieu. —  On  raconte  qu'un 
jeune  homme,  qui  assistait  à  Paris  aux  leçons  de  théo- 
ayant entendu  développer  quelques-unsdes  motifs 
d'aimer  Dieu,  se  leva  subitement,  disposé  à  s'en  aller. 
Saisi  d'étonnement,  le  maître  lui  en  ayant  demandé  la 
cause,  reçut  cette  remarquable  réponse  :  «  Avant  de 
continuer  à  écouter,  je  veux  mettre  en  pratique  ce  que 


ROSA    MYSTICA  65 

je  viens  d'entendre.  »  Et  dès  ce  moment  il  renonça  au 
monde,  entra  dans  un  ordre  sévère,  «pour  aimer  Dieu, 
disait-il,  tout  à  son  aise.  »  —  Une  jeune  personne  disait 
à  un  Missionnaire  avec  une  admirable  candeur  :  Mon 
Père,  parmi  les  commandements  de  Dieu,  il  en  est  un 
que  je  n'ai  jamais  pu  comprendre.  —  Lequel,  mon 
enfant  ?  —  Mon  Père,  c'est  le  premier  :  Un  seul  Dieu 
tu  aimeras  parfaitement .  Est-ce  que  ma  mère  m'a 
jamais  commandé  de  l'aimer  !  Est-ce  que  cela  ne  s'ap- 
prend pas  tout  seul  ?  Pour  moi  si  le  bon  Dieu  me  le  dé- 
fendait je  serais  bien  ennuyée,  je  l'aimerais  en  cachette. 
Ah  !  que  nous  sommes  loin  de  partager  toutes  ces  heu- 
reuses dispositions . 

Amour  de  Dieu,  vertu  pourtant  pleine  de  charmes  et 
procurant  les  plus  pures  délices  ;  ne  point  aimer  au 
contraire  est  un  enfer  anticipé  ;  c'est  en  cela  que  sainte 
Thérèse  faisait  consister  le  tourment  des  démons  :  c<  Les 
malheureux,  ils  n'aiment  pas  !  »  Amour  de  Dieu,  vertu 
sublime,  qui  nous  élève  au-dessus  de  tout  ce  qui  est 
créé  et  nous  associe  aux  Intelligences  célestes  ;  vertu 
divine,  qui  nous  transporte  dans  le  sein  de  Dieu  même, 
pour  y  vivre  de  sa  vie,  y  être  heureux  déjà  de  son  bon- 
heur !  Mais,  disons-le  en  gémissant,  amour  de  Dieu, 
vertu  bien  rare,  même  parmi  les  chrétiens  !  Combien 
peu  l'aiment,  comme  il  le  demande  et  qu'il  y  a  droit,  de 
toute  retendue  de  leur  esprit,  de  toute  l'ardeur  de  leur 
âme,  de  toute  la  puissance  de  leur  volonté,  de  toute 
l'énergie, de  leurs  efforts,  à  la  sueur  de  leur  front, 
comme  l'a  si  bien  dit  un  grand  saint  !  Cependant,  selon 
la  belle  parole  de  saint  Augustin,  totum  te  eœigit, 
qui  totum  le  fecit.  A  la  fin  de  notre  vie,  on  ne  nous 
demandera  compte  que  de  notre  amour.  «  Le  salut,  dit 
saint  François  de  Sales,  est  montré  à  la  foi,  il  est  pré- 
paré à  l'espérance,  mais  il  n'est  donné  qu'à  la  charité .  » 


GG  hosa  mtstica 

Commençons  donc,  bien  que  trop  tard,  à  l'aimer  et 
à  lui  en  donner  des  preuves,  en  pensant  souvent  à 
lui,  en  aimant  à  lui  parler  par  la  prière  et  de  fréquen- 
tes aspirations,  mais  surtout  par  la  fidélité  à  observer 
ses  commandements  ;  ce  qui  est  la  pierre  de  touche  du 
véritable  amour.  Il  doit  non  pas  se  borner  à  des  pa- 
roles stériles  et  trop  souvent  mensongères,  mais  se 
manifester  par  des  œuvres  et  des  sacrifices  :  non  di- 
ligorniis  verbo,  neque  linguâ,  sed  opère  et  veritate. 
«  Il  ne  consiste  pas,  disait  sainte  Thérèse,  dans  ces 
sentiments  de  dévotion  que  nous  désirons  quelquefois 
éprouver,  mais  dans  une  forte  détermination  d'éviter 
les  moindres  péchés,  et  de  prendre  les  moyens  pour 
cela,  dans  un  ardent  désir  de  plaire  à  Dieu  en  toutes 
choses,  et  de  procurer  sa  gloire.  » —  Si  quelqu'un 
ranime,  nous  assure  Jésus-Christ,  il  gardera  ma 
•parole. 

Que  je  serais  donc  heureux,  ô  douce  Marie,  si  une 
seule  étincelle  de  ces  flammes  ardentes  qui  embras- 
saient votre  cœur  venait  se  reposer  sur  le  mien  et  fon- 
dre la  glace  qui  le  resserre  !  C'est  la  grâce  que  je  viens 
solliciter,  6  Mère  du  bel  amour  ;  pourriez-vous  me  la 
refuser?  Si  je  vous  demandais  autre  chose,  par  exem- 
ple, les  honneurs,  les  richesses,  les  délices  de  la  terre, 
vous  auriez  sujet  de  ne  point  m'exaucer  ;  ce  sont  de 
bien  minces  avantages,  et  que  je  pourrais  tourner  con- 
tre le  Donateur  et  la  Donatrice  ;  mais  d'aimer  Dieu, 
n'est-ce  pas  là  le  bien  suprême  ?  X 'est-pas  aussi  le 
désir  de  votre  divin  Fils,  qui  proteste  que  son  but  en 
venant  sur  la  terre  était  d'allumer  cette  céleste  flamme 
dans  le  cœur  de  tous  les  hommes  ?  Dieu  veut  donc  que 
le  mien  en  soit  embrasé  ;  je  \o  veux  ardemment  ;  reste 
que  vous  aussi  le  vouliez,  ô  bonne  Mère,  et  mes  vœux 
seront  accomplis  ;  car  pour  vous,    vouloir  c'est  faire: 


ROSA    MYSTICÀ  07 

faites  donc  que  mon  cœur  soit  embrasé  d'amour  pour 
Jésus-Christ,  mon  Dieu  :  Fac  ut  ardeat  cor  meum  in 
amenda  Christum  Dewn. 

Pratique  :  Saint  Stanislas  de  Kostka  offrait  tous 
les  jours  à  Marie  une  couronne  de  fleurs  spirituelles, 
c'est-à-dire  composée  de  différents  actes  de  vertus  et 
de  mortifications,  sachant  bien  qu'on  ne  peut  lui  faire 
un  présent  plus  agréable  que  de  se  vaincre  pour  son 
amour  et  d'imiter  ses  vertus. 

HISTOIRES 

LES    DEUX     ROSES 

Une  jeune  personne  voulant  devenir  servante  des 
pauvres  entra  chez  les  sœurs  hospitalières  de  Compiè- 
gne,  et  choisit  Rose  pour  son  nom  de  religion.  «  Je 
veux,  disait-elle,  ressembler  à  la  sainte  Mère  de  Jésus, 
que  j'ai  toujours  honorée  et  tendrement  aimée.  Je  sais 
que  l'Eglise  l'appelle  une  Rose  mystique,  parce  que 
son  cœur,  comme  une  rose  odoriférante,  exhala  les 
plus  suaves  parfums  de  toutes  les  vertus,  et  qu'il  brûla 
de  la  plus  ardente  charité  représentée  par  la  couleur 
vermeille  de  la  rose.  Ce  nom  me  rappellera  sans  cesse 
que  sur  ces  deux  points  je  dois  imiter  ma  Patronne  et 
ma  Mère.  »  Elle  mourut  à  cinquante-trois  ans,  riche 
de  mérite  et  de  sainteté,  conservant  même  après  sa 
mort,  comme  une  rose  épanouie  le  matin,  sa  fraîcheur 
et  sa  beauté  virginale,  qui  ravissaient  tous  ceux  qui 
vinrent  prier  auprès  de  son  corps. 

—  Une  autre  sainte  fille  avait  nom  Rose  de  sainte 
Marie  ;  et  voici  à  quelle  occasion.  La  mère  de  cette 
enfant,  enthousiasmée  de  sa  beauté,  voulut  qu'au  bap- 
tême on  lui  donnât  le  nom  de  Rose.  Parvenue  à  l'âge 
de  raison,  la  jeune  personne  craignant  que  ce  nom  ne 
lui  eût  été  donné  pour  flatter  sa  vanité,  en  conçut  de 


68  ROSA    MYSTICA 

vives  inquiétudes,  et  se  plaignit  naïvement  à  la  sainte 
Vierge.  Cette  bonne  Mère,  pour  la  consoler,  lui  appa- 
rut, et  l'assura  que  ce  nom  de  Rose  était  très  agréable 
à  son  Fils,  rappelant  à  celles  qui  le  portaient,  la  cha- 
rité dont  elles  devaient  brûler  pour  lui  et  la  bonne 
odeur  que  leurs  vertus  devaient  exhaler.  Elle  ajouta 
qu'elle  l'honorait  encore  de  son  nom,  et  qu'ainsi  elle 
s'appellerait  Rose  de  sainte  Marie.  Dès  ce  moment, 
son  humeur  devenue  plus  douce,  plus  affable,  son  air 
pieux  et  candide  la  rendirent  si  aimable,  qu'on  disait 
«  qu'elle  ne  méritait  que  la  moitié  de  son  nom  puis- 
qu'elle n'en  avait  avait  pas  les  épines.  » 

ENCORE  QUELQUES  BEAUX   TRAITS   D'AMOUR   DE   DIEU 

Cette  disposition  est  tellement  essentielle,  que  le 
Sauveur  voulût  s'assurer  si  elle  dominait  dans  le  cœur 
de  saint  Pierre,  avant  de  l'élever  à  la  dignité  suprême 
de  Chef  de  l'Eglise.  C'est  jusqu'à  trois  fois  qu'il  lui  de- 
mande s'il  l'aime,  afin  qu'il  répare  par  cette  triple  pro- 
testation les  trois  reniements  dont  il  s'était  rendu  cou- 
pable. Et  ce  n'est  qu'après  l'assurance  formelle  qu'il 
en  donne,  que  la  mission  de  paître  les  brebis  et  les 
agneaux  lui  est  confiée . 

—  Il  est  rapporté,  dans  Rodriguez,  que  saint  Bona- 
venture  avait  parmi  ses  religieux  un  brave  homme, 
peu  intelligent,  mais  d'une  simplicité  extrêmement 
naïve.  Un  jour  il  disait  à  notre  Saint  :  mon  Père,  vous 
êtes  bienheureux,  vous  autres  savants,  de  pouvoir  ai- 
mer Dieu  beaucoup  mieux  que  nous,  et  opérer  plus 
facilement  votre  salut.  —  Sur  quoi  le  saint  Abbé  lui 
dit:  Vous  êtes  dans  l'erreur,  bon  frère;  car,  avec  le 
secours  de  la  grâce,  tout  le  monde  peut  aimer  Dieu 
autant  qu'il  le  voudra.  —  Quoi!  reprit  le  religieux, 
les  ignorants,  les  idiots  qui  ne  savent  ni  lire,  ni  écrire, 


ROSA  MYSTICA  69 

peuvent  aimer  Dieu  tout  aussi  parfaitement  que  ceux 
qui  ont  fait  des  études  ?  —  Mais  certainement;  et 
même  une  simple  paysanne  peut  quelquefois  aimer 
Dieu  plus  qu'un  savant  théologien.  —  A  ces  mots,  le 
bon  frère  tout  transporté  de  joie  court  au  fond  du  jar- 
din, ouvre  la  porte  qui  donnait  sur  la  rue,  et  se  met  à 
crier  de  toutes  ses  forces  :  hé  !  pauvres  gens,  bonnes 
femmes,  enfants,  venez  apprendre  une  grande  mer- 
veille ;  vous  pouvez  aimer  le  bon  Dieu  autant  qu'un 
théologien,  autant  même  que  notre  P.  Bonaventure. 
Cette  bonhomie  prête  un  peu  à  rire  ;  et  pourtant  rien 
n'est  plus  vrai  :  pour  cela  il  ne  faut  que  vouloir,  vous 
dirait  saint  Augustin. 

—  On  dit  de  la  Duchesse  de  Montmorency  qu'à  la 
nouvelle  de  la  mort  de  son  mari  qui  avait  péri  sur  un 
échafaud,  elle  prononça  ces  admirables  paroles  : 
«  Vous  le  savez,  Seigneur,  je  n'aimais  que  lui  ;  vous 
me  l'avez  enlevé,  afin  que  je  n'aime  plus  que  vous.  » 
—  C'est  une  grande  sagesse  de  savoir  ainsi  entrer  dans 
les  desseins  de  Dieu  et  s'y  conformer. 

ARTICLE  SECOND. 
Amour  de  Marie  pour  le  prochain. 

Quand  même,  selon  l'Apôtre  saint  Jean,  le  comman- 
dement d'aimer  Dieu  ne  renfermerait  pas  celui  d'aimer 
aussi  ses  frères  :  hoc  mondatum  habemus  à  Deo,  ut 
qui  diligit  Deitm,  dilignt  et  fratrem  suum  ;  le  pre- 
mier de  ces  sentiments  doit  nécessairement  produire 
le  second.  Plus  l'amour  de  Dieu  est  vif  dans  une  àme, 
plus  aussi  elle  en  éprouve  pour  ses  semblables .  Un 
beau  palmier  étend  au  loin  ses  rameaux  bienfaisants, 
à  proportion  que  la  cime  s'élève  plus  haut  dans  les 
nues  :  plus  est  abondant  le  jet  d'eau,  plus  grande  est 
la  quantité,  qui  retombant  rafraîchit  et  fertilise  ;  de 


7'»  ROSA    MYSTICA 

même  dans  une  âme  qui  aime  Dieu,  ses  affections  ar- 
rivant près  de  son  trône,  éprouvent  une  espèce  de  ré- 
flexion qui  les  renvoie  sur  le  prochain.  L'amour  de 
l'un  conduit  donc  à  l'amour  de  l'autre.  C'est  "ce  qui  a 
été  remarqué  dans  les  saints.  Ainsi  Ton  a  vu  un  saint 
Paul,  dont  le  cœur  était  une  fournaise  d'amour  pour 
Dieu,  disposé  à  ne  point  entrer  de  suite  dans  la  gloire 
céleste,  s'il  eût  fallu  être  encore  utile  à  ses  frères  ;  un 
saint  Martin,  malgré  son  ardent  désir  du  ciel,  'prêt  à 
continuer  les  fatigues  de  l'apostolat,  si  elles  pouvaient 
encore  être  de  quelque  avantage  à  son  peuple  ;  un 
saint  François  Xavier,  qui  aimait  Dieu  si  tendrement, 
se  transporter  à  travers  mille  périls  et  avec  des  fati- 
gues incroyables  jusqu'aux  extrémités  des  Indes  et  du 
Japon,  ivre  du  bonheur  de  conquérir  à  ce  prix  des 
âmes  à  Jésus- Christ  ;  un  saint  Vincent  de  Paul,  dont 
le  cœur  était  un  foyer  débordant  d'amour  divin,  se  faire 
l'esclave  de  son  maitre  devenu  mahométan,  pour  le 
ramener  à  la  foi  catholique.  «  Celui  qui  aime  Dieu, 
nous  dit  le  docteur  angélique,  aime  tout  ce  qui  est 
aimé  de  Dieu.  »  Un  jour  que  sainte  Catherine  de  Gê- 
nes exhalait  ainsi  les  élans  de  son  amour  :  «  Seigneur, 
vous  voulez  que  j'aime  le  prochain,  cela  m'est  impos- 
sible, car  je  ne  puis  aimer  autre  chose  que  vous  ;  » 
Dieu  lui  répondit  :  «  Ma  fille,  celui  qui  m'aime  sincè- 
rement aime  tout  ce  qui  m'est  cher.  » 

De  là  il  suit  que  Marie  ayant  surpassé  tout  autre 
créature  par  l'ardeur  de  son  amour  pour  Dieu,  jamais 
non  plus  il  ne  s'en  trouva  de  plus  dévouée  au  prochain. 
Combien,  en  effet,  le  Dieu  de  charité  n'a-t-il  pas  dû 
imprégner  de  cette  vertu  les  entrailles  de  sa  Mère  du- 
rant les  neuf  mois  qu'il  y  reposa,  et  toujours  après, 
lorsqu'elle  le  portait  dans  ses  bras  et  qu'elle  le  pres- 
sait amoureusement  sur  son  cœur  !  «  Est-ce  que,  dit 


ROSA    MYSTICA  7i 

si  gracieusement  saint  Bernard,  la  main  qui  a  tenu 
pendant  quelques  heures  un  fruit  parfumé,  n'en  con- 
serve pas  l'odeur  le  reste  du  jour  ?  »  Aussi,  quel  ne 
fut  point  l'amour  de  Marie  pour  tous  !  Elle  en  donna 
déjà  une  preuve  bien  frappante  dans  sa  visite  à 
Elisabeth.  Arrêtons-nous  y  un  moment.  c<  Avant 
l'Incarnation  du  Verbe,  dit  saint  Ambroise,  elle  aimait 
constamment  la  retraite.  Dès  sa  plus  tendre  enfance, . 
elle  s'était  arrachée  aux  bras  de  ses  parents  pour  se 
réfugier  à  l'ombre  sainte  et  tranquille  des  tabernacles  ; 
revenue  à  Nazareth,  elle  s'y  tenait  cachée  à  tous  les 
regards,  et  ce  fut  dans  le  secret  de  sa  maison  que  la 
trouva  Gabriel,  quand  il  vint  la  saluer  au  jour  de 
l'Annonciation.  »  Et  pourquoi  donc,  aussitôt  que 
l'Ange  se  fut  retiré  vers  les  cieux,  la  voyons-nous  quit- 
ter sa  chère  solitude,  sortir  du  repos  de  sa  contempla- 
tion habituelle,  entreprendre,  toute  faible  et  délicate 
qu'elle  était,  un  long  voyage,  traverser  en  toute  hâte 
les.  déserts  et  les  montagnes,  prendre  le  chemin  le  plus 
court,  pour  arriver  plus  tôt  ?  Ah  !  c'est  que  la  charité 
la  presse  :  elle  a  appris  de  l'Envoyé  céleste  que  sa  pa- 
rente a  conçu  quoique  âgée  et  jusque-là  stérile  ;  elle 
n'attend  pas  qu'on  l'ait  prévenue  ni  invitée.  Elle  vole 
porter  à  l'enfant  du  miracle  les  prémices  de  la  ré- 
demption dont  elle  a  le  germe  ;  et  servante  du  Sei- 
gneur, elle  se  rend  la  servante  d'une  femme  qu'elle 
surpasse  infiniment  en  grandeur.  Elle  restera  trois 
mois  durant  auprès  de  sa  cousine,  pour  lui  prodiguer 
tous  les  soins  et  les  secours  que  réclament  sa  vieillesse 
et  les  besoins  de  sa  position  ,  pour  l'édifier  aussi 
par  de  pieux  entretiens  et  les  cantiques  ravissants  de 
sa  reconnaissance.  — Plus  tard,  il  nous  faut  ici  le 
redire  encore,  la  détresse  des  époux  de  Cana  atten- 
drit son  bon   cœur;  elle  leur  épargne  L'humiliation 


7:2  ROSA  MYsriCA 

d'une  demande  qu'elle  fait  elle-même  à  sou  cher 
Fils. 

Du  reste,  on  sait  par  la  tradition  que  dans  tout  le 
cours  de  sa  vie,  malgré  son  extrême  pauvreté,  une  de 
<es  plus  douces  jouissances  était  de  remplir  envers  ses 
semblables  tous  les  offices  de  la  charité.  Voici  l'admi- 
rable tableau  que  nous  en  a  laissé  saint  Ignace  d'An- 
tioche  :  «  Les  misères  communes,  dit-il,  étaient  les 
siennes,  et  personne  ne  put  croire  qu'il  lui  fût  étran- 
ger. Elle  ressentait  les  douleurs  de  tous  les  infirmes, 
les  souffrances  de  tous  les  malades,  les  privations  de 
tous  les  pauvres,  la  désolation  de  toutes  les  veuves  et 
de  tous  les  orphelins .  Si  chère  que  lui  fut  la  retraite, 
où  les  entretiens  avec  Dieu  étaient  ses  délices,  lors- 
qu'une nécessité  du  prochain  l'appelait  au  dehors, 
aussitôt  elle  courait  à  l'assistance  des  malheureux,  à 
la  consolation  des  affligés.  Chacune  de  leurs  plaintes 
éveille  sa  compassion  ;  et  l'on  s'étonne  de  trouver  tant 
de  larmes  dans  son  œil  :  c'est  l'œil  d'une  mère  qui 
pleure  sur  tous  les  maux  de  son  innombrable  famille.  » 
A  cette  ravissante  peinture,  nous  ajoutons  que  les 
ennemis  mêmes  de  son  Fils,  qui  étaient  aussi  les 
siens,  ne  furent  point  exclus  de  sa  charité.  Témoin  au 
Calvaire  et  sur  la  voie  de  leurs  blasphèmes,  de  leurs 
calomnies,  de  leurs  cruautés  envers  Jésus,  ni  haine, 
ni  indignation  n'eurent  jamais  d'accès  dans  son 
cœur  :  pas  un  mot  de  reproche  ne  s'échappa  de  ses 
lèvres . 

Placée  maintenant  au  faite  de  la  gloire,  son  cœur 
n'en  est  que  plus  dilaté  par  la  charité.  Tout  au  ciel 
s'épure  ;  tout  se  divinise.  Continuellement  absorbée 
dans  l'adorable  Trinité  qui  es1  toute  charité  pour  Les 
hommes,  elle  en  reçoit  les  ineffables  émanations.  A  la 
vue  du  Père  qui,  par  un  accès  d'amour  pour  nous,  n'a 


ROSA    MYST1CA  7.'-} 

pas  épargné  son  propre  Fils  ;  à  la  vue  de  ce  Fils  qui, 
par  le  même  motif,  versa  tout  le  sang  qu'il  avait  pris 
dans  ses  veines  ;  à  la  vue  de  l'Esprit  d'amour,  tou- 
jours attentif  et  pourvoyant  avec  une  si  tendre  solli- 
citude aux  besoins  de  l'Eglise,  le  cœur  de  Marie  ne 
peut  que  se  portera  aimer  du  même  amour  des  objets 
si  chéris  de  Dieu.  Aussi,  du  haut  de  son  trône,  ses 
yeux  sont  toujours  ouverts  sur  nous,  qui  gémissons 
sur  le  sol  des  épreuves.  Attentive  à  tous  nos  besoins, 
présente  à  tous  nos  dangers  et  à  nos  peines,  son  bon- 
heur est  de  pouvoir  nous  être  Mère.  Si  on  lui  deman- 
dait comment  elle  nous  aime,  on  recevrait  cette  tendre 
réponse  :  Vous  êtes  mes  enfants . 

Morale  :  Voulons-nous  mériter  ce  beau  titre  et  par 
là  son  amour,  animons-nous  de  ce  môme  sentiment 
envers  notre  prochain.  C'est  là,  selon  saint  Ambroise, 
la  recommandation  qu'elle  nous  fait.  «  On  saura,  dit- 
elle,  que  vous  êtes  mes  enfants,  à  votre  charité  pour 
vos  frères.  Qu'elle  fasse  découler  de  votre  langue  des 
ruisseaux  de  lait  et  de  miel,  pour  adoucir  les  cha- 
grins des  affligés  ;  qu'elle  remplisse  vos  mains  de 
bienfaits  pour  tous  ceux  qui  sont  dans  le  besoin  ; 
qu'elle  attache  des  ailes  à  vos  pieds  et  les  rende  agiles 
comme  ceux  du  cerf  pour  courir  au  soulagement  des 
misérables  ;  qu'elle  vous  fasse  supporter  les  imperfec- 
tions des  autres,  les  contrariétés  de  leur  caractère  et 
de  leurs  discours  :  le  gain  en  sera  d'autant  plus  grand, 
que  vous  serez  plus  approchant  de  la  sainte  charité  qui 
a  couronné  toute  ma  vie.  »  On  ne  pouvait  mieux  des- 
siner l'amour  qui  doit  se  déployer  en  toutes  manières 
pour  le  prochain. 

Charité,  vertu  tellement  indispensable  à  un  chré- 
tien, que,  s'il  est  une  seule  personne  que  l'on  aime 
pas,  c'en  est  assez  pour  être  rejeté  de  Dieu.  Aussi, 

l'ARAI'HR'.SE.   —    T.     II.  5 


74  HOSA    MYSTICA 

est-ce  là  le  grand  commandement  du  Sauveur,  qui  le 
donne  comme  la  marque  à  laquelle  on  sera  reconnu 
pour  Sun  disciple  :  Et  si  vous  l'accomplissez,  dit  saint 
Jean,  tout  esl  accompli .  C'était  la  vertu  favorite  de 
cet  Apôtre  bien-aimé,  qui  sans  doute  l'avait  puisée 
dans  le  sein  de  Jésus .  On  sait  que  sur  le  déclin  de  sa 
vie,  cassé  de  vieillesse,  il  se  faisait  porter  par  ses  disci- 
ples dans  l'assemblée  des  fidèles,  et  que  là,  ne  pouvant 
plus  leur  faire  de  longs  discours,  il  leur  répétait  sans 
cesse  :  Mes  petits  enfants,  aimez-vous  les  tins  les 
autres.  Et  comme  on  lui  témoignait  sa  surprise,  qu'a- 
près avoir  écrit  de  si  belles  pages,  il  n'avait  pas  d'au- 
tres paroles  à  dire,  il  répondait  :  C'est  que  ce  comman- 
dement suffit,  s'il  est  bien  observé . 

Charité,  vertu  aussi  nécessaire  que  l'amour  de  Dieu, 
lequel  ne  peut  exister  sans  celui  du  prochain.  Celui 
qui  hait  son  frère,  et  qui  prétend  aimer  Dieu,  est 
un  menteur,  dit  encore  le  même  Apôtre  ;  car  s  il 
n'aime  pas  son  prochain  qu'il  voit,  comment  aime- 
ra-t-il  Dieu  qu'il  ne  voit  pas?  —  Vertu,  d'ailleurs  des 
plus  aimables,  qui  de  tous  les  cœurs  n'en  fait  qu'un, 
qui  répand  le  plus  de  délices  et  de  douceurs  sur  les  amer- 
tumes de  la  vie,  et  ferait  de  la  terre  un  paradis  anti- 
cipé ;  car,  dans  ce  fortuné  séjour  de  paix,  il  ne  reste  de 
toutes  les  vertus  que  la  charité  qui  complète  le  bon- 
heur des  saints . 

Vertu  enfin  la  plus  rationnelle.  Ne  sommes-nous 
pas  tous  frères,  et  à  plusieurs  titres,  descendant  d'un 
même  père  commun,  Adam,  qui  est  le  chef  de  la 
grande  famille  humaine,  dont  Dieu  a  voulu  qu'il  fût 
la  tige  unique,  afin  que  nous  ne  puissions  contester 
notre  parenté,  bien  qu'éloignée  ?  N'avons-nous  pas 
tous  une  autre  origine  commune,  beaucoup  plus  noble, 
qui  esl   Dieu,  el   une  même  fin  qui  est  le  Ciel?  Coin- 


ROSA    MYSTICA  75 

ment  aussi  ne  pas  aimer  des  hommes  que  Jésus- 
Christ  aima  plus  que  sa  propre  vie,  puisqu'il  mourut 
pour  les  racheter  ?  Et  n'est-ce  pas  sur  lui-même  que 
rejailllissent  nos  sentiments  pour  nos  frères  ?  Si  nous 
les  aimons  ou  si  nous  les  haïssons,  c'est  Jésus-Christ 
même  que  nous  aimons  ou  que  nous  haïssons  :  mihi 
fecistis.  En  faut-il  davantage  pour  ses  véritables  dis- 
ciples ? 

Et  que  les  défauts,  les  vices  même  de  tel  ou  de  tel 
ne  deviennent  jamais  un  prétexte  de  ne  point  l'aimer. 
Que  vous  n'aimiez  pas  ses  défauts,  soit  ;  mais  vous 
devez  aimer  sa  personne;  et  même  plus  elle  est  vicieuse, 
plus^elle  est  à  plaindre,  plus  elle  est  digne  de  votre 
affection  et  de  vos  bons  offices.  Si  un  défaut  était  une 
raison  de  ne  point  aimer,  on  devrait  haïr  tous  les 
hommes  ;  car  aucun  n'en  est  exempt.  Et  Dieu,  le  Père 
de  tous,  ne  fait-il  pas  luire  son  soleil  sur  les  méchants 
comme  sur  les  bons  ?  Et  s'il  agissait  envers  vous  selon 
cette  rigoureuse  mesure  dont  vous  usez  envers  vos 
frères,  où  en  seriez-vous  avec  tous  ces  vices  qui  vous 
rendent  si  méprisable  à  ses  yeux  ?  Et  vous-même,  qui 
trouvez  tant  à  reprendre  dans  les  autres  et  à  vous  en 
plaindre,  seriez-vous  donc  assez  aveugle  pour  croire 
qu'il  n'y  a  rien  en  vous  qui  puisse  aussi  les  indisposer  ? 
Insensés,  dit  Jésus-Christ,  qui  remarquez  un  fétu 
de  paille  dans  l'œil  de  votre  frète  et  ne  voyez  pas 
la  poutre  qui  crève  le  vôtre  !  N'est-ce  pas  à  tous  qu'il 
pourrait  dire  comme  aux  accusateurs  de  la  femme 
adultère  :  Que  celui  qui  est  sans  péché  lui  jette  la 
première  pierre  !  Qui  de  vous  dont  le  bras  ne  serait 
pas  arrêté  par  le  reproche  de  sa  conscience?  Ayant 
donc  besoin  d'indulgence  et  de  pardon  de  la  part  de 
Dieu  et  de  vos  frères,  soyez  assez  sage  pour  vous  y 
donner  des  droits  par  une  semblable  indulgence  envers 


76  MUSA    MYSTICA 

tous.  Les  paroles  du  Sauveur  sont  formelles:  Par- 
donnez,  si  vous  voulez  être  pardonnes. —  Vous  serez 
■r.<  dans  la  mesure  dont  vous  vous  serez  servi 
pour  lr<  autres. 

Vierge  sainte,  dont  le  cœur  fut  embelli  de  l'or  de  la 
charité  la  phis  pure,  la  plus  indulgente  et  la  plus  effi- 
formez  vous-même  dans  le  mien  ce  généreux  sen- 
timent qui  me  donne  droit  à  vous  aimer  éternellement 
dans  le  royaume  «le  paix. 

Pratique  :  Aimez  le  doux  plaisir  do  faire  rie*  heureux  : 
El  soulagez  surtout  le  pauvre  vertueux. 

HISTOIRES. 

BEAUX  TRAITS  DE  CHARITÉ  ENVERS  LE  PROCHAIN 

Un  religieux,  qui  avait  mené  une  vie  en  apparence 
fort  imparfaite,  se  trouvait  néanmoins  très  calme  au 
moment  de  la  mort.  Son  supérieur  craignant  que  ce  ne 
fût  un  piège  du  démon  s'en  alarma  et  lui  en  demanda 
la  cause:  «  Mon  Père,  répondit  le  religieux,  j'ai  tâché 
toute  ma  vie  de  pratiquer  le  grand  commandement 
du  Seigneur,  d'aimer  tous  mes  frères,  de  les  supporter, 
de  leur  rendre  service,  de  ne  faire  de  mal  à  aucun, 
de  ne  blâmer  qui  que  ce  soit,  et  surtout  de  penser 
bien  de  tous.  Voilà  ce  qui  fait  ma  consolation,  et  me 
donne,  malgré  mes  nombreuses  imperfections,  tant 
de  confiance  pour  aller  paraître  devant  Dieu.  »  — 
a  Ah  !  mon  frère,  lui  dit  le  Supérieur,  mourez  en 
paix,  heureux  d'avoir  vécu  dans  «I'aussi  saintes  dispo- 
sition- 

—  Nous  avons  dans  le  bon  saint  François  de  Sales 
un  modèle  ach  •  •  des  sentiments  les  pins  sublimes 
qu'inspire  la  charité.  «  Je  ne  sais  .  disait-il  av< 

ordinaire,  je  ne  sais  comment  Dieu  m'a  fait  le 
-.  mais,  s'il  me  commandait  de  haïr  un  ennemi, 


ROSA    MYSTICA  77 

je  crois  que  je  n'en  viendrais  jamais  à  bout.  » — 
«  Quand  une  personne,  disait-il  encore,  m'aurait  arra- 
ché un  œil,  je  la  regarderais  toujours  de  l'autre  avec 
bonté.  » 

—  La  vrai  charité  s'exerce  de  toute  manière ,  aussi 
bien  par  les  pensées  d'esprit  que  par  les  sentiments 
du  cœur  et  par  les  actions.  On  raconte  d'une  excel- 
lente chrétienne  qu'elle  avait  pour  habitude  de  donner 
à  tout  une  interprétation  toujours  charitable  :  si  elle 
voyait  une  personne  élégamment  parée  ;  sans  doute, 
se  disait-elle,  elle  a  autant  de  soin  de  son  àme.  Si,  au 
contraire,  une  autre  apparaissait  dans  une  mise  né- 
gligée, elle  disait  :  C'est  parce  que  l'embellissement  de 
son  àme  l'occupe  tout  entière,  qu'elle  oublie  ainsi  le 
soin  de  son  corps. 

—  Sainte  Jeanne  Françoise  de  Chantai,  si  dévouée 
à  Marie,  mettait  au  premier  rang  dans  ses  hommages 
journaliers  l'imitation  de  ses  vertus  et  principalement 
de  sa  charité.  En  voici  quelques  traits.  Veuve  à  vingt 
ans,  elle  pardonna  de  tout  son  cœur  à  l'assassin  de 
son  mari.  Obligée  de  vivre  avec  un  beau-père  d'une 
humeur  très  difficile,  elle  ne  lui  montrait  que  douceur 
et  prévenance.  Soumise  à  une  gouvernante  qui  était 
plus  que  maîtresse,  elle  supportait  sans  se  plaindre 
tous  ses  mauvais  traitements,  elle  n'y  répondait  que 
par  toute  sorte  de  bons  offices.  Pleine  de  compassion 
pour  les  malheureux,  elle  avait  fait  vœu  de  ne  jamais 
leur  refuser  l'aumône  :  et  un  jour  que  trois  pauvres  la 
surprirent  sans  argent,  elle  aima  mieux  leur  donner 
son  anneau  de  mariage,  auquel  elle  tenait  beaucoup, 
que  de  les  contrister  par  un  refus.  Enfin,  en  établis- 
sant, de  concert  avec  saint  François  de  Sales,  l'Ordre 
de  la  Visitation,  son  but  était  que  ses  filles  s'appli- 
quassent surtout  à  la  pratique  de  la  charité. 


78  TU  RNIS  DAVIDICA 


CHAPITRE  XXX 


TOUR    DE    DAVID. 

Jadis  sur  la  montagne  de  Sion, David  avait  construit, 
pour  protéger  Jérusalem,  une  forteresse  inexpugna- 
ble, renforcée  par  une  tour  dont  la  hauteur,  la  force 
et  la  beauté  faisaient  la  gloire,  la  sécurité  du  peuple 
Juif,  et  en  même  temps  la  terreur  de  ses  ennemis.  De 
nombreux  et  vaillants  guerriers  la  défendaient,  lan- 
çant par  les  créneaux  des  flèches  et  des  dards  qui  por- 
taient la  mort  à  quiconque  osait  en  approcher.  Elle 
était  tout  à  la  fois  un  refuge  pour  certains  crimes, 
une  retraite  en  cas  d'attaque,  et  un  lieu  de  défense 
assurée  par  elle-même  et  par  les  armes  de  toute  espèce 
dont  on  l'avait  pourvue.  David  n'en  sortait  jamais  que 
pour  aller  signaler  sa  valeur  et  couronner  son  front 
d'immortels  lauriers. 

En  entendant  ces  détails,  qui  n'a  deviné  pourquoi 
Marie  est  appelée  Tour  de  David?  Qui  n'a  déjà  saisi 
les  divers  traits  de  ressemblance  :  la  beauté  :  Marie 
n'est-elle  pas  le  plus  bel  ornement  de  la  terre  et  des 
deux  après  la  Divinité,  le  plus  digne  objet  de  notre 
admiration,  par  l'excellence  de  ses  privilèges,  la  subli- 
mité de  son  rang,  la  riche  variété  de  ses  vertus  ?  mais 
surtout  la  force  ;  elle  est  une  Tour  mystérieuse,  élevée 
sur  la  sainte  montagne  de  l'Eglise,  et  dans  laquelle 
nous  pouvons  toujours  nous  retirer  ;  une  Tour  envi- 
ronnée de  boulevards  et  imprenable,  où  viennent 
échouer  toutes  les  tentatives,  soit  de  la  ruse,  soit  de 
la  rage  de  nos  ennemis  ,  une  Tour  abondamment 
pourvue  de  glaives,  de  boucliers,  de  toutes  les  armures 
spirituelles  quidonnenl  La  victoire.  Et  c'est  sous  ces 
consolants  aspects  que  nous  .-liions  l'envisager. 


TURHIS  DAVIDICA  79 

Oui,  retranchés  en  Marie  comme  dans  une  forte- 
resse inexpugnable ,  castellum  undique  vallatam 
(saint  Ans.),  nous  sommes  certains  d'y  trouver  les  armes 
pour  combattre  les  ennemis  de  nos  âmes,  et  la  force 
nécessaire  pour  les  vaincre.  La  vie  de  l'homme  sur  la 
terre,  qui  ne  le  sait  par  une  triste  expérience,  est  une 
carrière  semée  d'épines  et  de  dangers,  une  vie  de  com- 
bats contre  notre  mauvaise  nature,  contre  le  monde 
et  le  démon.  Le  monde  que  Jésus-Christ  a  condamné, 
et  avec  lequel  nous  sommes  pourtant  toujours  en  con- 
tact, obligés  de  respirer  son  air  corrompu,  le  monde, 
par  la  séduction  de  ses  discours  impies  et  immoraux, 
de  ses  railleries  et  de  ses  maximes,  par  le  courant  de 
ses  exemples  pervers  et  le  prestige  de  ses  usages,  de 
ses  plaisirs  si  contraires  à  l'esprit  de  l'Evangile,  cher- 
che à  nous  entraîner  avec  la  multitude  loin  des  sen- 
tiers de  la  justice.  De  son  côté,  le  démon,  que  l'excès 
de  son  envie  contre  nous  et  de  sa  haine  contre  Dieu 
rend  acharné  à  notre  perte,  rôde  sans  cesse,  cherchant 
une  proie  à  dévorer.  Devenu  plus  furieux  encore  de- 
puis que  la  Vierge  lui  a  fait  sentir  la  force  de  sa  puis- 
sance, et  ne  pouvant  souffrir  que  nous  so}Tons  heureux 
du  bonheur  qu'il  a  perdu,  il  ne  songe  qu'à  nous  faire 
partager  son  malheur,  il  multiplie  ses  artifices,  nous 
tend  des  pièges  partout,  il  fait  jouer  tous  les  ressorts 
de  sa  rage  pour  la  défaite  de  nos  âmes .  Ses  échecs 
n'amortissent  pas  sa  fureur  ;  il  se  relève  chaque  fois 
avec  une  énergie  redoublée  et  une  perfidie  de  plus  en 
plus  insidieuse.  Cet  implacable  tentateur,  qui  ne 
s'endort  jamais,  est  d'autant  plus  à  redouter  qu'il 
trouve  dans  notre  cœur  et  dans  nos  sens  un  puissant 
auxiliaire,  des  intelligences  secrètes  qui  s'entendent 
avec  lui  pour  nous  trahir  et  nous  faire  tomber  dans 
ses  embûches.  Le  pauvre  cœur  !  le  vice  se  développe 


80  rUBRIS  DAV1DICA 

si  spontanément,  et  la  vertu  s'y  élabore  avec  tant  de 
peine  ? 

Ayant  donc  à  lutter  contre  tant  d'ennemis,  dont  les 
attaques  ne  finiront  qu'avec  notre  vie,  pour  n'être  point 
vaincus  dans  une  guerre  aussi  périlleuse,  ne  nous  fal- 
lait-il pas  un  secours  continuel  et  tout-puissant  ?  Le 
ciel  nous  l'a  donné  en  Marie.  «  Elle  est,  dit  sainjt  Jean 
Damascène,  la  ville  de  refuge  pour  quiconque  est 
poursuivi  par  le  dragon  infernal.  «  Elle  est  cette  Tour 
défensive,  où  nous  trouvons  des  armes  de  toute  espèce 
pour  repousser  tous  ses  assauts  et  devenir  vainqueurs. 
Quelles  que  soient  ses  ruses  et  sa  fureur,  fùt-il  escorté 
de  toutes  les  noires  phalanges  de  l'enfer,  rien  n'est  à 
craindre,  si  Marie  nous  protège.  De  même  qu'un  ro- 
cher battu  par  les  flots  de  la  mer  en  furie  les  repousse 
et  reste  inébranlable  ;  ainsi  retranchés  derrière  les 
remparts  de  sa  protection,  nous  demeurerons  inacces- 
sibles à  tous  les  traits  de  ce  formidable  Goliath.  Il  y 
asix  mille  ans  que  Dieu  disait  d'elle  par  avance,  en 
parlant  au  démon  qui  venait  de  vaincre  nos  premiers 
parents  :  Un  jour  une  femme  t'écrasera  la  tête,  et 
depuis  que  Marie  a  paru  sur  la  terre,  mille  fois  par 
jour  elle  réalise  cette  puissante  prédiction,  en  obte- 
nant la  victoire  à  ceux  qui  réclament  son  secours  dans 
l'imminence  du  péril. 

Il  est  rapporté  dans  la  sainte  Ecriture  que  Barac, 
se  trouvant  en  face  des  Cananéens,  refusa  malgré  son 
désir  et  sa  valeur,  d'engager  le  combat  :  et  que,  ne 
comptant  pas  assez  sur  ses  forces,  il  dit  à  la  vaillante 
Débora  :  Si  vous  voulez  venir  avec  moi,  j'irai  sans 
crainte  :  mais,  sivous  ne  m'ftccomivtgnezje  ne  puis 
me  décider  à  combattre.  Et  nous  aussi,  soldats  de  la 
milice  chrétienne,  qui  par  une  longue  expérience  de- 
vons avoir  le  sentiment  de  noire  faiblesse,   si  nous 


TURIUS  DAV1DICA  81 

commettions  l'imprudence  d'entrer  en  lice  avec  le  dé- 
mon notre  ennemi  sans  l'assistance  de  Marie,  bientôt 
de  tristes  défaites  nous  puniraient  de  notre  témérité. 
Mais,  si,  répondant  à  notre  appel,  la  Vierge  nous  ac- 
compagne dans  la  lutte,  la  pensée  de  sa  présence  déjà 
nous  donnera  de  la  confiance  et  plus  de  courage  ;  et 
combattant  du  haut  de  cet  imprenable  donjon,  armés 
de  l'invincible  bouclier  de  la  foi,  du  casque  brillant 
faY  espérance,  de  l'impénétrable  cuirasse  delà  charité, 
nous  remporterons  autant  de  victoires  que  nous  au- 
rons eu  de  luttes  à  soutenir.  Satan,  cet  audacieux  en- 
nemi, sera  forcé,  malgré  son  orgueil,  de  lever  le  siège 
et  de  se  retirer,  en  nous  voyant  retranchés  dans  cette 
Tour.  De  môme  que  les  murs  de  Jéricho  s'écroulèrent 
devant  l'Arche  sainte  ;  ainsi  toutes  les  tentatives  de  sa 
fureur  se  seront'  abîmées  devant  cette  Arche  vivante 
de  la  nouvelle  alliance.  Il  sera  pour  nous  comme  ce 
chien  à  l'attache,  qui  a  beau  aboyer,  grincer  des  dents, 
bondir  et  s'élancer  l'œil  étincelant  de  rage,  mais  qui 
est  retenu  par  une  chaîne  qu'il  ne  peut  briser. 

Morale  :  Lors  donc  que  cet  astucieux  serpent  vient 
nous  attaquer  par  des  tentations  secrètes  et  directes, 
ou  par  l'intermédiaire  des  méchants  ses  suppôts,  réfu- 
gions-nous auprès  de  Marie  comme  dans  une  tour  de 
protection  assurée.  Là,  nous  sommes  à  l'abri  de  ses 
coups,  ou  bien  nous  y  trouverons  des  armes  fortement 
trempées  pour  nous  défendre  et  les  repousser.  Voyez- 
vous  ce  petit  enfant,  un  objet  hideux,  quelque  animal 
en  fureur  l'a  effrayé  :  il  se  sauve  éperdu  près  de  sa 
mère,  et  ne  se  croit  en  sûreté  que  dans  ses  bras.  Et  ces 
petits  poussins  que  la  vue  de  1  epervier  ou  tout  autre 
danger  épouvante,  comme  ils  accourent  en  toute  hâte 
sous  les  ailes  de  la  poule-mère,  ne  revenant  de  leur 
frayeur  que  quand  ils  se  sentent  sous  cet  abri  protec- 


82  TURRIS  DAVIDICA 

teur  î  Et  ces  faibles  agneaux,  pourquoi  se  précipitent- 
ils  tout  tremblants  vers  la  bergerie  ?  Un  loup  sorti  de 
la  foret,  la  gueule  béante,  allait  les  dévorer  ;  mais  dans 
cet  asile  qui  les  défend,  ils  n'ont  plus  à  redouter  sa 
dent  meurtrière.  Ainsi,  à  la  vue  du  démon  s'élauçant 
sur  nous  pour  en  faire  sa  proie,  accourons  près  de  Ma- 
rie, nous  abriter  sous  le  manteau  de  sa  royale  protec- 
tion. Disons-lui  :0  Marie  !  Sauvez-nous,  nous  péris- 
sons :  Tour  de  David,  protégez-nous  !  Que  fait  une  ar- 
mée sortie  des  murs  pour  en  venir  aux  mains  avec  les 
assiégeants  ?  Si  ses  forces  comparées  lui  apparaissent 
inférieures,  et  lui  donnent  peu  d'espérance  de  la  vic- 
toire, elle  se  hâte  de  rentrer  dans  la  citadelle  :  ainsi 
dans  ces  luttes  où  nos  forces  seraient  inégales  à  celles 
de  notre  ennemi,'  cherchons  un  asile  près  de  Marie, 
forteresse  inexpugnable  qui  nous  garantira . 

< ".  ardons-nous  donc  bien  de  céder  aux  séductions  fal- 
lacieuses de  ce  rusé  Géant  du  mal.  qui  voudrait  nous 
séparer  de  Marie  :  si  cette  Tour  de  défense  et  de  salut 
venait  à  nous  manquer,  si  nous  laissions  tomber  par 
notre  négligence  ce  rempart  avancé  qui  nous  protège, 
et  que  nous  nous  dessaisissions  de  ce  bouclier  conser- 
vateur, exposés  cà  découvert  aux  traits  de  nos  ennemis, 
notre  défaite  serait  inévitable  et  leur  victoire  assurée. 

N'allons  pas  cependant  placer  une  confiance  aveugle 
et  présomptueuse  en  cette  Tour  défensive.  Marie  veut 
bien  protéger  notre  faiblesse,  mais  non  favoriser  notre 
indolence,  moins  encore  notre  témérité.  Tour  éminem- 
ment protectrice,  elle  met  à  couvert  le  chrétien  qui  ren- 
contre le  péril  et  non  pas  celui  qui  s'y  expose  ;  elle  le 
défend  des  traits  meurtriers  qui  le  poursuivent,  et  non 
de  ceux  qu'il  va  imprudemment  affronter.  Nous  au- 
rions  donc  été  le  jouet  d'une  bien  déplorable  erreur, 
si  nous  nous  étions  flattés  que   sa  main  puissante  va 


TURRIS   DAVIDICA  83 

nous  préserver  des  chutes  que  nous  aurions  cherchées. 
Ayant  peut-être  appris  par  notre  expérience  combien 
était  trompeuse  cette  confiance  téméraire,  sachons  du 
moins  profiter  des  leçons  qui  nous  ont  coûté  si  cher,  et 
prenons  pour  règle  de  conduite  celle  de  Marie  qui  fut 
si  différente  de  la  nôtre.  Prévenue  à  sa  Conception 
des  grâces  les  plus  signalées,  exempte  de  tout  pen- 
chant qui  favorise  tant  soit  peu  les  efforts  du  démon, 
toujours  elle  se  défie  d'elle-même  ;  elle  s'alarme  de 
l'ombre  même  du  danger,  et  s'environne  de  toutes  les 
précautions  de  la  prudence  ;  elle  craint  tout,  elle  qui 
n'a  rien  à  craindre.  Jamais  personne  ne  porta  une 
lampe  allumée  à  travers  le  vent  avec  plus  de  circons- 
pection ;  jamais  épouse  n'eut  plus  d'attention  à  con- 
server la  belle  robe  de  ses  noces,  que  la  sainte  Vierge 
n'employa  de' soin  pour  se  garantir  de  tout  ce  qui  au- 
rait pu  altérer  quelque  peu  la  pureté  de  son  âme .  Sa 
vie  est  une  vie  toute  dé  retraite,  de  prière  et  de  silence. 
Et  nous,  conçus  dans  l'iniquité,  sans  cesse  ouverts  par 
le  seul  vice  de  notre  origine  à  mille  tentations,  entourés 
d'occasions  multipliées  et  si  entraînantes,  nous,  tou- 
jours courbés  vers  le  mal,  si  nous  nous  exposions  en- 
core au  danger  d'une  faiblesse,  si,  presses  par  tant 
d'ennemis  conjurés  pour  la  ruine  de  nos  âmes,  nous 
marchions  étourdiment,  sans  vigilance  et  sans  crainte, 
nous  heurtant  à  tous  les  écueils,  ne  comptons  pas  alors 
sur  la  protection  de  Marie  ;  notre  espérance  serait 
vaine  :  elle  nous  dit  à  tous  :  Aide-toi,  et  je  t'aiderai. 

0  Marie,  ô  Tour  mystérieuse,  formidable  à  nos  en- 
nemis, forte  pour  repousser  leurs  attaques  et  pour  les 
vaincre,  recevez-moi  sous  votre  protection,  défendez- 
moi  .  Gardez  aussi  les  faibles,  afin  qu'ils  ne  tombent 
pas  :  gardez  les  justes,  afin  qu'ils  persévèrent  :  sou- 
tenez-nous tous  dans  nos  combats  :  donnez-nous  la 


M  TURRIS  DAVIDICA 

victoire,  qui  nous  rende  dignes  de  la  palme  du  triomphe 
et  de  la  couronne  de  l'immortalité. 

Pratique  :  Ayons  toujours  quelque  objet  qui  nous 
rappelle  la  sainte  Vierge,  une  médaille,  un  scapulaire, 
un  chapelet  :  on  n'a  rien  à  craindre  muni  de  ce--  ar- 
mures portés  avec  confiance  ;  mais  un  soldat  désarmé 
est  à  moitié  vaincu. 

EXEMPLES 

PROTECTIONS  MIRACULEUSES  DUES  AU  SCAPULAIRE. 

Après  une  Tour,  rien  ne  figure  mieux  la  protection 
dont  Marie  environne  ses  serviteurs  que  le  Scapulaire, 
espèce  de  cuirasse,  propre  à  nous  défendre  contre  les 
ennemis  du  salut.  En  voici  quelques  preuves  entre 
mille  : 

Dans  une  grande  ville  de  France,  se  trouvait  un 
homme  vivant  depuis  plus  de  quarante  ans  dans  une 
haine  mortelle  contre  Dieu  et  la  religion.  Etant  tombé 
malade  et  se  doutant  bien  qu'on  lui  parlerait  du  salut 
de  son  âme,  il  mit  sur  le  chevet  de  son  lit  un  poignard, 
bien  décidé  à  frapper  le  premier  qui  oserait  lui  en  dire 
un  mot.  Personne  ne  se  sentait  le  courage  d'aborder 
la  question.  Néanmoins,  comme  le  mal  empirait  et 
qu'on  craignait  une  mort  prochaine,  une  de  ses  pa- 
rentes, pleine  de  confiance  en  Marie  Refuge  des  pé~ 
cheurs,  se  détermina  à  lui  passer  un  scapulaire  au  cou 
pendant  qu'il  dormait,  et  conjura  la  Mère  de  miséri- 
corde d'avoir  pitié  de  ce  chrétien,  revêtu  de  son  habit. 
Le  lendemain  matin,  le  malade  se  réveille  comme  d'un 
profond  sommeil  :  mais  ce  nVs!  plus  le  même  homme; 

lois,  implore  hautement  la 
miséricorde  de  Dieu,  jette  au  loin  son  poignard,  de- 
mande instammenl  un  prêtre,  se  confesse  avec  une 
grande  abondance  de  larmes,  et  meurten  proclamant 
qu'il  doit  à  Marie  le  bonheur  d'être  réconcilié  avec  Dieu. 


TURR1S  EliURNEA 


85 


—  Un  prêtre  était  occupé  dans  une  église  à  entendre 
les  confessions,  lorsqu'il  aperçoit  un  jeune  homme  dont 
la  figure  décelait  dans  son  àme  un  violent  combat.  Le 
prêtre  se  décide  à  sortir  du  tribunal,  l'aborde  et  lui 
demande  s'il  était  venu  pour  se  confesser.  Après  un 
moment  d'hésitation,  il  répond  que  Oui,  mais  qu'il 
désirait  le  faire  dans  un  lieu  retiré.  Quand  ils  furent 
seuls  :  Mon  Père,  lui  dit-il,  entré  ici  par  hazard, 
j'éprouvai  à  l'instant  de  vifs  remords  de  conscience, 
quelques  velléités  de  me  confesser,  mais  retenu  par 
la  honte  et  la  défiance  de  la  bonté  de  Dieu,  j'étais  sur 
le  point  de  sorlir,  lorsque  vous  vous  êtes  avancé  vers 
moi  ;  la  grâce  a  triomphé  et  me  voici  à  vos  pieds .  Le 
confesseur,  surpris  d'un  changement  aussi  extraordi- 
naire, lui  demanda  ce  qu'il  aurait  pu  faire  pour  méri- 
ter cette  grâce  singulière .  Hélas  !  répondit-il,  en  por- 
tant la  main  sur  sa  poitrine,  et  montrant  son  scapu- 
laire  :  voilà  tout  ce  que  j'ai  conservé  de  religion.  Ni 
l'un  ni  l'autre  ne  douta  que  ce  fût  à  cette  dévotion 
qu'il  dût  cette  insigne  faveur.  Bientôt  rentré  en  grâce 
avec  Dieu,  il  permit  au  missionnaire  de  publier  partout 
la  grande  bonté  de  Marie  à  son  égard.  (7) 

CHAPITRE  XXXI 


TOUR  D'IVOIRE. 

L'ivoire,  que  la  main  de  l'artiste  façonne  en  mille 
objets  divers,  se  distingue  par  trois  qualités,  la  dou- 
ceur de  son  poli,  l'éclat  de  sa  blancheur  et  la  force 
résultant  de  sa  dureté.  Cette  ingénieuse  image  de  Tour 
tCivoire,  sous  laquelle  Marie  nous  est  ici  présentée,  ne 
sernble-t-elle  pas  rappeler  à  notre  souvenir  trois  de 
ses  propriétés,  sa  douceur,  sa  pureté,  sa  puissance? 


86  TU  II  m  S  EH  LU  NI.  A 

Ce  serait  donc  ici  le  lieu,  si  déjà  nous  ne  l'avions  fait 
ailleurs,  de  préconiser  sa  mansuétude,  son  aménité, 
sa  charité  qui  la  rendent  si  aimable  et  si  bonne  à  tous. 
Souvent  aussi  nous  proposâmes  à  votre  imitation  son 
inviolable  pureté,  dont  le  symbole  naturel  est  la  cou- 
leur blanche. 

Mais  la  propriété  distinctive  de  l'ivoire,  matière 
compacte  et  solide,  c'est  la  force  quïl  tient  de  l'animal 
gigantesque  et  puissant  qui  en  est  le  type  le  plus  vrai  : 
on  dit  :  Fort  comme  un  éléphant.  L'ivoire  était  donc, 
ainsi  qu'une  tour,  l'emblème  de  la  force,  c'est  pour 
cela  que  l'Eglise,  voulant  exprimer  la  puissance  dont 
Marie  est  revêtue,  lui  a  appliqué  cette  heureuse  déno- 
mination de  Tour  d'ivoire.  Et  ce  sera  dans  ce  sens 
que  nous  l'envisagerons  pour  le  développement  de  cette 
Invocation.  Mais,  au  lieu  de  reproduire  les  considéra- 
tions déjà  présentées  sur  la  puissance  de  Marie  et  sur 
la  force  que  l'on  trouve  dans  cette  Tour  mystérieuse 
contre  les  ennemis  du  salut  en  général,  nous  préférons 
signaler  à  votre  attention  ce  qui  est  moins  connu, 
quoique  non  moins  certain,  ses  victoires  sur  l'hydre 
des  hérésies,  qui  de  tout  temps  a  ravagé  l'Eglise  de 
Jésus-Christ,  et  qui  toujours  fut  terrassée  par  le  bras 
puissant  delà  céleste  Vierge.  C'est  là  un  de  ses  beaux 
triomphes,  bien  capable  d'accroitre  notre  confiance  en 
sa  protection  et  que  nous  nous  reprocherions  de  ne  pas 
mettre  au  grand  jour.  Il  est  doux  de  constater  que  l'on 
trouve  en  Marie  non-seulement  la  pureté  qui  attire  et 
la  bonté  qui  accueille,  mais  aussi  la  puissance  qui  en 
tout  temps  servit  à  l'Eglise  de  bouclier  contre  les  en- 
nemis de  sa  foi . 

Marie  fut,  en  effet,  la  terreur  et  la  ruine  des  hérésies 

Cette  assertion,  au  premier  énoncé,  paraîtra  sans 


TURRIS  ERÙRNÉA  87 

doute  hardie  ;  mais  écoutez  un  moment  les  raisons  et 
les  faits  qui  l'appuient,  d'où  nous  serons  en  droit  de 
conclure  que  l'Eglise  doit  à  la  Vierge  tous  ses  triom- 
phes sur  l'hérésie. 

D'abord ,  n'est-ce  pas  d'Elle  que  le  monde  a  reçu 
Jésus- Christ,  brillant  Soleil  de  justice  qui  dissipa  les 
ténèbres  de  l'erreur  ?  Or,  de  même  que  l'aurore  parti- 
cipe à  l'honneur  qu'a  le  soleil  de  chasser  les  ombres 
de  la  nuit,  ainsi  Marie  partage  avec  son  divin  Fils  la 
gloire  d'avoir  fait  disparaître  les  ténèbres  qui  nous 
dérobaient  la  lumière  de  la  vérité.  Avant  rendu  visible 
Celui  qui  est  la  voie  et  la  vérité,  elle  est  comme  un 
Phare  qui  empoche  de  s'égarer  dans  les  écarts  de  l'hé- 
résie et  prévient  ainsi  tout  naufrage  dans  la  foi. 

D'ailleurs,  tout  ce  que  pendant  les  premiers  siècles 
on  opposa  à  la  croyance  de  l'Eglise  aboutissait  à  nier 
Jésus-Christ  en  lui  contestant  tantôt  son  humanité, 
tantôt  sa  divinité.  Or,  l'une  et  l'autre  de  ces  erreurs 
avait  sa  réfutation  dans  le  virginal  enfantement  de 
Marie.  Car ,  par  la  naissance  temporelle  donnée  au 
Verbe  divin,  elle  prouvait  admirablement  qu'il  était 
Homme;  et  restant  vierge,  tout  en  devenant  véritable- 
ment mère ,  c'était  montrer  évidemment  qu'il  était 
Dieu.  C'est  ainsi  que  toutes  les  hérésies  relatives  au 
dogme  de  l'Incarnation  se  trouvaient  condamnées  par 
la  Maternité  virginale  de  Marie.  Elle  était  comme  la 
navette,  si  l'on  peut  parler  ainsi,  qui  servait  à  tisser 
la  trame  de  la  foi,  à  entrelacer  et  à  nouer  en  Jésus- 
Christ  sa  divinité  et  son  humanité.  Ainsi,  après  avoir 
donné,  nouvelle  Eve,  le  fruit  de  sa  vie,  elle  n'a  cessé 
de  le  garantir  contre  toutes  les  erreurs  qui  le  dispu- 
taient à  notre  foi  ;  elle  en  est  devenue  comme  le  sou- 
verain Palladium.  Aussi,  dès  que  la  liberté  de  l'Eglise 
put  le  permettre,  la  profession  doctrinale  de  la  Mater- 


88  TUiltlS  BBURNEA 

nité  divine  éclata  par  des  louantes  et  des  invocations 
sublimes  qui  retombaient  en  anathèmes  sur  les  héré- 
sies. 

Mais  [a  plus  belle  «les  victoires  de  Marie  en  ce  genre 
fut  le  coup  fatal  qu'elle  porta  à  l'hérésie  de  Nestorius. 
Quoique  sa  Maternité  elle-même  fut  évidemment  im- 
pliquée dans  toutes  les  attaques  dirigées  contre  son 
Fils,  elle  ne  les  avait  ressenties  que  par  contre-coup, 
et  même  elle  avait  grandi  en  les  brisant.  Et  ce  fut 
cette  victorieuse  puissance  qui  la  désigna  à  la  fureur 
du  démon  de  l'hérésie  ;  il  se  retourna  contre  le  talon 
qui  l'écrasait.  Il  voulut,  pour  déclarer  la  guerre  à 
l'Enfant,  s'en  prendre  cette  fois  directement  à  la  Mère. 
Voici  le  fait  :  toutes  les  attaques  dirigées  contre  le 
Christ  dans  les  siècles  précédents  n'avaient  servi  qu'à 
faire  ressortir  plus  lumineux  ce  point  de  notre  foi, 
qu'il  y  a  en  Jésus-Christ  deux  natures,  et  une  seule 
Personne.  Mais  au  5e  siècle,  parut  un  certain  Nesto- 
rius, indigne  évèque  de  Constantinople,  qui,  tout  en 
admettant  dans  le  Christ  un  Dieu  et  un  homme,  pré- 
tendait que  le  Dieu  et  l'homme  formaient  deux  person- 
nes distinctes,  consequemment  qu'il  n'y  avait  pas  unité 
de  personne  :  d'où  il  arrivait  à  dire,  et  c'était  là  son 
but.  que  la  sainte  Vierge  n'était  point  Mère  de  Dieu, 
mais  seulement  Mère  du  Christ,  distinguant  ainsi  la 
une  du  Christ  de  celle  du  Verbe.  C'était  enlever 
à  Marie  sa  plus  brillante  auréole,  sa  divine  Maternité  ; 
croyance  universellement  vivante  au  cœur  des  fidèles 
et  professée  invariablemenl  dans  toute  l'Eglise.  Bien- 
tôt un  Concile oecuménique  es1  convoqué  dans  la  ville 
d'Ephese,  qui  longtemps  habitée  par  la  Vierge  allait 
témoin  de  son  triomphe;  et  sa  divine  Maternité 
solennellement  reconnue  y  reçoil  une  suprême  c 
cration.  C'est  encore  ainsi  que  ce  glorieux  privilège. 


TU  BRIS  EBURNEA  89 

sortant  victorieux  de  cette  attaque,  vint  étouffer  l'hydre 
de  l'hérésie  qui,  avec  ses  multiples  variations,  s'était 
ameutée  contre  la  divinité  de  Jésus-Christ,  fondement 
de  toutes  nos  croyances.  Ainsi  Marie  justifla-t-elle  cette 
louange  composée  alors  par  les  Pères  du  Concile,  et 
que  l'Eglise  continue  de  lui  adresser  :  Gaude,  Maria 
Virgo,  canotas  hœreses  soin  interemisti  in  universo 
mundo.  Ainsi  s'accomplit  visiblement  la  victoire  pro- 
mise à  la  femme  sur  le  démon,  ce  perpétuel  fauteur  de 
toutes  les  hérésies. 

Nous  traversons  sept  à  huit  siècles,  non  que  l'ac- 
tion de  Marie  ne  parut  point  pour  la  défense  de  la  foi, 
mais  nous  n'avons  voulu  signaler  que  les  faits  les 
plus  saillants.  Sur  la  fin  du  12e  siècle,  une  autre  secte 
d'hérétiques ,  appelés  Albigeois  (d'Alby) ,  désolait  le 
midi  de  la  France,  et  non  moins  ennemie  de  la  vertu 
que  de  la  vérité,  portait  en  tout  lieu  le  cynisme  de  la 
débauche  en  même  temps  que  le  ravage  par  le  fer  et 
par  le  feu.  Il  fallait  opposer  à  un  tel  débordement  une 
barrière  capable  de  l'arrêter.  Deux  hommes  se  ren- 
contrèrent, Simon  de  Montfort  et  saint  Dominique, 
fondateur  d'un  ordre  justement  célèbre.  Montfort 
porte  l'épée;  à  saint  Dominique  est  réservée  l'arme  de 
la  prédication  et  de  la  prière.  La  lutte  durait  depuis 
des  années,  et  l'hérésie  n'était  point  abattue.  Enfin, 
le  Saint  inspiré  d'en  haut  crée  une  espèce  de  Chevale- 
rie pieuse,  qui  devait  par  une  prière  continue  faire 
violence  au  ciel  et  obtenir  le  retour  des  sectaires.  La 
répétition  de  Y  Ave  Maria  sous  le  nom  de  Rosaire  fut 
l'arme  pacifique  et  puissante  qu'il  mit  en  main  aux 
catholiques  restes  fidèles  ;  et  cette  croisade  d'un  genre 
tout  nouveau  remporta  la  victoire.  Au  bout  de  quel- 
que  temps,  la  foi  de  l'Eglise  était  sauvée,  et  les  héréti- 
ques vaincus  par  l'action  protectrice  de  Marie,  à  qui 


fH»  TURRIS  BBURNBA 

l'on  dut  incontestablement  l'extinction  de  ces  mons- 
trueuses erreurs. 

Le  démon  de  l'hérésie  a  beau  être  abattu,  il  ne  se 
tient  jamais  pour  complètement  défait . 

Une  autre  erreur,  qui  n'a  pas  moins  désolé  l'Eglise 
quelques  siècles  après,  c'est  le  Protestantisme.  Il  a 
pour  base,  sous  les  apparences  de  Christianisme,  l'in- 
terprétation de  l'Evangile  par  le  sens  individuel  de 
chacun,  de  manière  à  produire  autant  de  sentiments 
qu'il  y  a  d'intérêts  divers,  mais  qui  s'accordent  en  ce 
point,  la  protestation  contre  les  enseignements  et  les 
actes  de  l'Eglise.  Avec  tous  les  éléments  de  succès  que 
le  Protestantisme  trouva  dans  l'état  du  monde  à  cette 
époque,  et  favorisant  lui-même  l'orgueil  et  toutes  les 
passions  mauvaises,  il  fit  malheureusement  d'immenses 
et  d'épouvantables  ravages,  principalement  dans  le 
centre  et  le  nord  de  l'Europe.  Mais  aussi,  il  rencontra 
des  barrières  qu'il  lui  fut  impossible  de  franchir.  Ainsi, 
chose  singulièrement  remarquable,  il  ne  put  jamais 
s'implanter  ni  dans  la  magnanime  et  généreuse  Polo- 
gne qui  a  la  Vierge  pour  Patronne,  ni  dans  la  catho- 
lique Espagne  où  son  culte  n'est  pas  moins  en  honneur, 
ni  dans  l'Italie  si  dévote  à  ses  Madones,  ni  enfin  dans 
notre  France  si  justement  nommée  le  Royaume  de 
Mr/rie.  La  Vierge  ne  pouvait  qu'avoir  la  plus  vive 
horreur  pour  cette  prétendue  Réforme  qui,  en  la  ban- 
nissant de  son  culte,  la  privait  des  hommages  de  tant 
de  milliers  de  ses  enfants.  (8) 

Voilà  comment  toujours  et  partout,  sa  main  a  fait 
sentir  aux  ennemis  de  la  vérité,  le  marteau  de  Dieu  qui 
les  écrase.  Cependant,  en  attribuant  à  Marie  sente, 
quœ  sola,  l'honneur  de  tant  et  de  si  glorieux  triomphes, 
la  pensée  de  l'Eglise  n'est  assurément  pas  de  ravir  à 
Dieu  la  première  pari  de  gloire  qui  lui  en  revient  de 


TURRIS   BBURNEA  91 

droit.  Elle  proclame  seulement  qu'il  se  sert  du  bras  de 
cette  humble  Vierge  pour  dissiper  les  ténèbres  de  l'er- 
reur, comme  on  l'a  vu  user  de  l'épée  d'une  simple  ber- 
gère pour  délivrer  les  Français  de  farouches  ennemis, 
comme  on  voit  la  lune  partager  avec  le  soleil  l'honneur 
de  chasser  les  ombres  de  la  nuit.  Si  donc  la  haine  et  la 
ruse  des  sectaires  sont  restées  impuissantes  à  altérer 
un  seul  article  de  notre  Symbole,  nul  doute  que  nous 
n'en  soyons  redevables  à  la  sainte  Vierge  qui  fut  de 
tout  temps  et  sera  toujours  notre  Tour  de  défense  et  le 
Piller  de  notre  foi. 

Morale  :  Cette  protection  visible  de  Marie  jointe  à 
l'assistance  dont  Jésus-Christ  lui-même  environne  son 
Eglise,  doit  singulièrement  nous  rassurer  sur  ses  des- 
tinées. Malgré  les  brèches  que  l'erreur  lui  a  faites,  elle 
n'a  jamais  perdu  les  caractères  d'autorité  que  les  héré- 
sies ne  peuvent  s'approprier.  Ainsi  elle  fut  toujours 
catholique  ou  universelle  :  chaque  fois  que  l'erreur  ou 
le  schisme  lui  enleva  un  de  ses  membres,  elle  répara 
ses  pertes  par  de  nouvelles  conquêtes,  semblable  à  un 
grand  arbre  auquel  on  arrache  quelques  branches 
malades,  mais  dont  la  sève  se  reproduit  en  d'autres 
branches  qui  ne  donnent  que  de  meilleurs  fruits.  Elle 
est  apostolique,  remontant  par  une  succession  non 
interrompue  de  pasteurs  jusqu'aux  apôtres  établis 
par  Jésus-Christ  ;  au  lieu  que  les  sectes  séparées  et  dé- 
signées par  le  nom  de  leurs  auteurs,  portent  sur  leur 
front  un  cachet  de  nouveauté  et  de  rébellion  qu'elles 
ne  peuvent  effacer,  et  qui  dépose  contre  elles,  mon- 
trant à  l'univers  qu'elles  sont  l'œuvre  des  hommes. 
Aussi  ces  branches  retranchées  du  corps  de  l'arbre  ont 
toujours  manqué  de  fécondité,  et  ne  prenant  point  d'ac- 
croissement, elles  vont  se  dessécher  et  mourir  dans 
quelque  coin  isolé. 


92  TURRIS  EBURNEA 

C'est  ainsi  que  les  ouvrages  des  méchants  périssent, 
malgré  l'enfer  qui  les  soutient.  Mais  l'œuvre  de  Dieu 
peste  ferme  et  immuable.  C'est  ce  que  reconnaissait  très 
sensément  un  des  hommes  du  Sanhédrin,  Gamaliel, 
appelé  à  donner  son  avis  sur  la  conduite  à  tenir  envers 
les  apôtres:  Si  leur  entreprise,  disait-il,  vient  des 
hommes,  elle  se  dissipera  d'elle-même  ;  mais  si  elle 
vient  de  Dieu,  vous  ne  pourrez  l'empêcher  de 
réussir.  L'Eglise  a  triomphé  des  hérésies,  comme  elle 
avait  triomphé  de  l'idolâtrie  et  des  persécutions.  Ainsi 
en  sera-t-il  de  toutes  les  erreurs  par  lesquelles  le  gé- 
nie du  mal,  toujours  vivrait,  essaiera  encore  de  la 
troubler,  elles  tomberont  toutes  à  ses  pieds  :  ses  vic- 
toires passées  nous  sont  un  sur  garant  de  celles  qu'elle 
remportera  a  l'avenir.  Les  promesses  qui  lai  ont  été 
laites  }>ar  son  divin  Fondateur  ne  peuvent  être  vaines: 
bâtie  sur  le  roc,  elle  se  rit  de  la  fureur  des  flots,  de  la 
violence  des  tempêtes  :  dix-huit  siècles  d'attaques  et 
de  triomphes  se  dressent  pour  le  garantir.  —  Qu'il  est 
consolant  pour  nous  d'être  dans  le  sein  de  cette  Eglise, 
centre  de  la  vérité,  port  assuré  où  nous  pouvons  trou- 
ver le  salut  !  Ne  craignons  donc  les  ennemis  de  la  foi 
que  comme  il  faut  les  craindre,  pour  les  fuir  ;  plai- 
gnons-les plutôt,  et  prions  pour  eux.  —  On  rapporte 
que  saint  Jean,  se  disposant  à  prendre  un  bain,  s'en- 
fuit aussitôl  qu'il  appril  que  L'hérétique  Cérinthe  se 
baignait  dans  la  même  maison  ;  il  craignait,  disait-il, 
qu'elle  ne  s'écroulât  à  cause  de  la  présence  de  ce  mé- 
chant homme. 

0  Marie  !  soyez  toujours  la  Tour  protectrice  de  nos 
croyances  ;  conservez-les  nous  comme  règle  de  nos 
mœurs  et  gage  delà  bienheureuse  immortalité  ! 

Pratique:  Remercions  souvent  le  Seigneur  de  nous 
avoir  l'ail  naître  au  sein  de  L'Eglise  catholique. 


TUHHIS  EBURNEA  9M 

HISTOIRES 

PUNITIONS    TERRIBLES  DE  CERTAINS  HERESIARQUES 

Il  ne  sera  pas  sans  intérêt  de  voir  quelques  traits  de 
la  vengeance  divine  contre  les  audacieux  sectaires,  qui 
s'attaquant  à  la  Mère  s'attaquaient  à  son  Fils  et  récipro- 
quement, car  leur  cause  est  commune. 

Ainsi  Nestorius  paya  par  le  plus  épouvantable  des 
châtiments  l'outrage  sanglant  qu'il  fit  au  plus  beau 
privilège  de  la  Vierge.  Un  cancer  incurable  se  manifeste 
à  sa  bouche,  et  les  vers,  fidèles  exécuteurs  de  la  ven- 
geance céleste,  dévorent  lentement  avant  sa  mort  la 
langue  de  l'audacieux  blasphémateur. 

—  Quelque  temps  après,  l'empereur  Constantin 
Copronyme  s'arme  aussi,  contre  la  gloire  de  Marie,  de- 
toute  l'autorité  de  sa  couronne  et  de  la  ruse  la  plus 
subtile  d'un  sectaire.  Reconnaissant  qu'elle  mérita  les 
plus  grands  honneurs  pendant  qu'elle  portait  le  Fils 
de  Dieu  dans  son  sein,  il  prétendait  qu'après  son  en- 
fantement elle  était  redevenue  une  femme  ordinaire. 
Insensé,  il  a  voulu  enlever  à  ce  Sanctuaire  auguste 
son  plus  bel  ornement  !  Eh  bien  !  son  diadème  et  ses 
richesses  ne  pourront  le  sauver  de  la  mort  la  plus 
affreuse  :  un  feu  intérieur  et  horrible  le  dévore,  sans 
qu'aucun  remède  puisse  lui  apporter  le  moindre  sou- 
lagement :  il  expire  dans  les  convulsions  d'une  rage 
tout  infernale. 

—  Déjà  longtemps  auparavant,  d'autres  ennemis  de 
Jésus-Christ  et  de  sa  divine  Mère  avaient  payé  chère- 
ment leur  audace  à  les  attaquer.  Manès  a  nié  la  réa- 
lité de  la  chair  du  Dieu  fait  homme,  prétendant  que 
ce  n'était  qu'un  fantôme.  Lui-même  sera  dépouillé  de 
de  cette  chair  que  dans  sa  haine  sacrilège  il  a  refusée 
à  sun  Sauveur.  La  loi  du  talion  lui  est  appliquée  ;  un 


94  DOMUS  AIKEA 

roi  idolâtre  le  fait  éeorcher  tout  vivant,  pour  le  livrer 
ensuite  à  la  voracité  des  chiens.  —  Arias  niant  au 
Verbe  sa  génération  éternelle  qui  le  rend  égal  à  son 
Père,  expire  dans  les  douleurs  affreuses  du  trépas  le 
plus  ignominieux,  au  milieu  d'un  égoùt.  —  Bien  des 
siècles  après,  parmi  les  hérétiques  Albigeois,  une  mul- 
titude innombrable  fut  taillée  en  pièces  par  le  vaillant 
Simon  de  Montfort  ;  d'autres  en  très  grand  nombre, 
atteints  d'une  maladie  sans  nom  qui  déconcertait  la 
science  des  gens  de  l'art,  périrent  misérablement,  lais- 
sant aux  siècles  futurs  une  page  de  plus  dans  les  tri- 
omphes de  Celle  contre  laquelle  personne  ne  peut 
impunément  lever  la  main.  —  Ainsi  moururent  tragi- 
quement beaucoup  d'autres  ennemis  de  la  sainte 
Vierge  et  de  Jésus.  Tel  est  assez  souvent,  même  dès 
cette  vie,  le  sort  des  gens  hostiles  à  Dieu  et  à  sa  reli- 
gion. 


CHAPITRE  XXXII 


MAISON  D'OR 

C'est  du  temple  de  Jérusalem  tout  éblouissant  d'or, 
dans  toutes  ses  parties,  que  l'Eglise  a  emprunté 
ce  titre  si  pompeux  de  Maison  d'or  qui  n'est  ce- 
pendant qu'une  bien  imparfaite  image  de  la  beauté 
intérieure  de  la  Vierge  très  sainte.  Dès  sa  conception, 
elle  était  déjà  un  Sanctuaire  enrichi  de  l'or  spirituel 
d'une  pureté  parfaite;  mais  cette  magnificence  s'accrut 
encore,  lorsque  le  Verbe  divin  en  lit  son  temple  vivant. 
Pénétrons  aujourd'hui  dans  l'intérieur  de  cette  mys- 
térieuse Maison  d'or.  Cet  intérieur  sacré,  c'est  le 
Cœur  admirable  de  Marie.  Voyons  à  quels  titres  il 
mérite  confiance,  vénération,  amour.  Ces  titres  sont  : 


DOMUS  AUREA  95 

I.  Les  perfections  dont  il  est  orné, 

II.  Ses  relations  intimes  avec  l'adorable  Trinité, 

III.  L'amour  dont  il  brûle  pour  nous. 

I.  Perfections  du  cœur  de  Marie.  — Ce  n'est  point 
arbitrairement  que  dans  cette  qualification  de  Maison 
d'or,  nous  voyons  désigné  le  Cœur  de  la  Reine  des 
vertus.  Comme  l'or  en  lui-même  et  par  son  usage  tient 
le  premier  rang  parmi  les  métaux,  ainsi  le  cœur  est  dans 
l'homme  la  partie  la  plus  noble.  C'est  le  cœur  qui 
joue  le  plus  grand  rôle  dans  le  mérite  de  nos  œuvres. 
C'est  par  le  cœur  que  chacun  est  bon  ou  mauvais  : 
bien  que  ce  soit  la  main  qui  donne,  c'est  le  cœur  qui 
met  le  bienfait  dans  la  main  ;  et  le  coup  qu'elle  porte 
est  également  dirigé  par  le  cœur  mécontent,  indigné, 
irrité.  C'est  dans  le  cœur  que  se  forment  les  bons  dé- 
sirs, les  saintes  affections,  les  généreux  sentiments, 
aussi  bien  que  les  noirs  projets,  la  haine,  la  maligne 
envie.  Dieu  lui-même,  en  maints  endroits  des  saints 
Livres,  montre  sensiblement  l'importance  qu'il  attache 
aux  sentiments  du  cœur  :  C'est  de  tout  notre  cœur 
qu'il  veut  être  aimé  ;  —  c'est  notre  cœur  qu'il  nous 
demande  ;  c'est  le  cœur  contrit  et  humilié,  qu'il 
nous  assure  ne  point  repousser  ;  —  c'est  sur  le 
cœur  qu'il  dit  avoir  les  yeux  ouverts.  Et  l'Esprit- 
Saint  parlant  du  mérite  de  Marie,  nous  dit  qu'il  vient 
tout  entier  de  son  intérieur  :  Omnis  gloria  ejus  ab 
intus . 

Quel  cœur,  en  effet,  que  le  Cœur  de  Marie  !  Si  tous 
les  autres  sont  infectés  de  la  souillure  originelle,  non- 
seulement  celui  de  Marie  en  fut  préservé  ;  mais  de 
même  que  la  rouille  ne  s'attache  pas  à  l'or,  ainsi  la 
plus  légère  faute  n'altéra  jamais  la  beauté  de  ce  Vase 
honorable .  Oh  !  avec  quel  amour  Dieu  dut-il  le  con- 
templer ce  Cœur,  que  l'ombre  même  d'une  tache  ne 


%  DOMUS  AUREA 

défigurait  pas,  que  ne  flétrissait  le  souffle  d'aucune 
passion,  dont  les  mouvements  étaient  toujours  saints, 
ri  Les  affections  toutes  célestes  !  C'était  bien  là  la  créa- 
ture faite  à  son  image  et  dans  laquelle  il  trouvait  re- 
produits, comme  dans  un  miroir  fidèle,  tous  ses  traits 
divins,  si  altérés  chez  le  reste  des  hommes.  Aussi  voyez 
en  quels  termes  il  exprime  sa  tendresse  et  son  admi- 
ration pour  ce  chef-d'œuvre.  A  la  vue  des  créatures 
sorties  de  ses  mains  à  l'origine  du  monde,  il  se  con- 
tenta de  dire  qu'elles  étaient  bonnes;  mais  la  Vierge 
immaculée,  il  l'appelle  sa  Bien-aimée,  sa  toute  belle. 
Ses  yeux,  qui  ont  découvert  des  taches  et  des  imper- 
fections jusque  dans  les  plus  pures  Intelligences  envi- 
ronnant son  trône,  n  aperçoivent  en  elle  aucun  dé- 
faut: elle  est  la  clmste  colombe,  sans  égale,  seule 
parfaite,  unique  dans  Vunivers.  Et  les  heureux  ha- 
bitants de  Sion,  en  la  voyant,  sont  transportés  d'un 
indicible  ravissement  :  ils  comparent  l'éclat  dont  elle 
brille  à  la  douce  et  bénigne  lumière  de  t astre  des 
nuits,  à  la  clarté  de  la  plus  brillante  aurore,  à  la 
splendeur  éblouissante  du  soleil.  Et  d'où  s'exhale 
encore  cette  odeur  embaumée  qui  les  attire  à  elle  ? 
N'est-ce  pas  de  son  Cœur,  comme  d'un  vase  précieux, 
plein  d'essences  exquises  dont  le  mélange  forme 
te  pins  délicieux  par fum  ?  Ex  aromatibus  myrrhœ 
et  thuris,  et  universi  pulveris  pigmentarii.  Et  ne 
soyons  nullement  surpris  que  tant  de  richesses  et  de 
beauté  aient  embelli  ce  saint  Cœur  :  c'était  comme  une 
conséquence  nécessaire  des 

II.  Relations  de  Marie  avec  l'adorable  Trinité j 
premièrement  avec  Dire,  le  Père.  —  Il  était  arrêté 
dans  1'--  d  ernels  que  le  monde  sérail  sauvé  par 

L'Incarnation  du  Verbe  ;  et  cet  ineffable  mystère  devait 
s'accomplir  dans  le  sein  d'une  Vierge  par  l'opération 


DOMUS  AUREA  97 

du  Saint-Esprit.  Dès  lors,  Dieu  prit  soin  que  rien  ne 
manquât  à  la  perfection  de  l'Eve  réparatrice,  destinée 
par  ce  titre  au  sublime  honneur  d'être  sa  Fille,  la 
Mère  de  son  Fils,  et  l'Epouse  du  divin  Esprit.  Ainsi 
il  se  plut  à  l'enrichir  d'une  plénitude  de  dons  sans 
exemple  et  sans  mesure.  Dès  l'aurore  de  ses  voies,  on 
aurait  pu  déjà,  en  empruntant  par  avance  les  paroles 
de  l'Archange,  la  nommer  en  toute  vérité  pleine  de 
grâce,  lui  dire  que  le  Seigneur  était  avec  elle,  ornant 
son  âme  des  dons  les  plus  rares,  et  la  préconiser 
zomm<d\memerv  eille  parmi  toutes  les  autres  feni7nes . 
A  peine  est-elle  éclairée  des  première  lueurs  de  la  rai- 
son, que  Dieu  se  montre  jaloux  de  la  posséder  tout 
entière.  Oublie,  ma  fille,  lui  dit-il,  ton  peuple  et  la 
maison  maternelle  ;  car  le  Seigneur  ton  Dieu,  épris 
de  ta  beauté,  demande  ton  cœur  et  veut  y  régner 
seul.  Docile  à  cette  voix  secrète,  la  jeune  Marie  s'arra- 
che aux  affections  de  famille ,  s'élève  au-dessus  des 
sentiments  delà  nature,  et  va  s'enfermer  dans  le  tem- 
ple, où,  captive  volontaire,  enchaînée  par  l'amour  au 
pied  des  autels,  elle  n'a  plus  de  commerce  qu'avec  le 
ciel,  et  se  lie  irrévocablement  au  Dieu  de  son  cœur  par 
le  vœu  de  perpétuelle  virginité.  Oh  !  comme  l'Eternel 
dut  se  complaire  dans  la  vue  de  ce  Tabernacle  inacces- 
sible à  tout  ce  qui  tient  de  l'homme,  et  qui  devait  être 
la  digne  demeure  de  son  Fils  ! 

C'est  dans  ce  Cœur  virginal,  en  effet,  que  se  célé- 
breront bientôt  les  noces  toutes  célestes  avecl1 'Esprit- 
Saint.  Descendez,  ô  divin  Esprit,  votre  Epouse  est 
prête  ;  elle  est  parée  de  chasteté,  d'humilité,  d'amour, 
de  tout  un  cortège  de  vertus  aussi  variées  que  magni- 
fiques, qui  lui  forment  une  robe  nuptiale  bien  digne 
de  vous  !  Et  le  divin  Esprit,  qui  toujours  l'avait  en- 
richie de  ses  dons,  les  lui  communique  cette  fois  dans 

PAPAPHRASE.   —    T.    II.  6 


98  DOMUS  Al'ltEA 

toute  leur  plénitude.  Ah  !  si  pour  être  descendu  sur 
les  apôtres  en  forme  de  langues  de  feu,  il  en  fit  des 
hommes  tout  nouveaux,  que  iva-t-il  pas  dû  opérer  en 
Marie,  survenant  en  elle  lui-même,  et  la  couvrant 
de  sa  vertu  l  Si  telles  furent  les  faveurs  accordées  aux 
simples  serviteurs,  quels  durent  être  les  présents  faits 
à  l'épouse  qu'il  daigne  s'attacher  par  les  liens  les  plus 
étroits  et  les  plus  indissolubles  !  Je  m'arrête,  car  ici 
l'expression  manque  à  ma  pensée,  et  ma  pensée  elle- 
même  est  trop  au-dessous  de  la  merveille . 

Mais  Marie  n'est  pas  seulement  Fille  et  Epouse, 
elle  est  encore  Mère  de  Dieu.  —  Celui  qui  donne  tout 
à  ses  créatures,  et  qui  ne  reçoit  rien  d'aucune  d'elles, 
a  voulu  recevoir  la  vie  de  Marie.  Dans  son  humanité 
sainte,  il  s'est  fortifié  de  sa  substance,  Lui  qui  a  tout 
fait  d'une  parole  et  qui  fournit  la  nourriture  à  tout  ce 
qui  respire.  Or,  quelle  abondance  de  grâces  n'a  pas  dû 
recueillir  le  Cœur  de  Marie  de  cette  présence  de  la 
Divinité  qui  l'inondait  en  quelque  sorte  et  le  parfu- 
mait !  Comme  ses  pensées  et  ses  sentiments  durent  se 
diviniser,  pendant  que  le  Verbe  incarné  séjourna  dans 
son  sein  !  Quelle  feu  dut  allumer  en  elle  ce  Soleil  qui  ne 
laissait  encore  échapper  au  dehors  aucun  de  ses 
rayons  !  De  quelle  sainteté  son  Cœur  ne  se  remplit-il 
pas,  et  lorsqu'elle  tenait  dans  ses  bras  cet  Enfant- 
Dieu,  et  durant  les  trente  années  de  ces  ineffables  et 
mutuels  épanchements  entre  le  Fils  et  la  Mère  !  Mais 
ce  qui  doit  encore  nous  rendre  vénérable  et  cher  le 
divin  Cœur  de  Marie,  c'est, 

III.  V amour  ardent  dont  il  brûle  poumons ;  — 
Amour  qui  surpasse  autant  tout  amour,  que  sa  dignité 
de  Mère  de  Dieu  l'emporte  sur  tout  ce  qu'il  y  a  de 
grandeur  sur  la  terre  ;  amour  non-seulement  tendre  et 
généreux,  mais  porté  au  plus  haut  degré  de  l'héroïsme, 


DÛMUS  AU  RE  A  39 

jusqu'à  l'immolation  de  son  propre  Fils  pour  le  salut 
du  monde.  C'est  toujours  attendrissant  de  contempler 
cette  scène  de  sublime  dévouement.  Jésus  condamné 
à  mort  est  conduit  au  supplice.  Ne  craignons  pas  que 
Marie  endure  seule  en  sa  demeure  les  cruelles  angoisses 
qui  déchirent  son  Cœur.  Elle  accourt  à  côté  du  divin 
Isaac,  et  gravit  avec  lui  la  montagne  du  sacrifice.  Elle 
voit  les  bourreaux  arracher  à  son  Fils  ses  habits  tout 
sanglants,  l'étendre  sans  pitié  sur  le  bois  ignominieux, 
enfoncer  les  clous  dans  ses  pieds  et  ses  mains  ;  elle  voit 
cette  innocente  Victime  suspendue,  son  sang  ruisseler, 
son  corps  pâlir  et  s'affaisser  ;  elle  entend  les  insultantes 
railleries  se  mêler  aux  cris  de  rage  de  ces  barbares  en- 
nemis ;  elle  est  au  milieu  des  bourreaux  et  des  soldats, 
entourée  de  tout  le  lugubre  appareil  du  supplice,  au 
pied  môme  du  gibet,  si  près  de  son  Fils  mourant,  que 
son  sang  jaillit  sur  elle  et  qu'aucun  de  ses  soupirs, 
comme  pas  une  de  ses  souffrances,  ne  lui  échappe.  Elle 
est  là  debout,  plus  forte  encore  que  sa  douleur,  debout 
devant  l'autel  où  se  consomme  le  grand  holocauste, 
offrant  elle-même  son  Jésus,  consentant  à  ses  ignomi- 
nies et  à  sa  mort  qui  doivent  nous  sauver,  conjurant 
un  Dieu  offensé  de  donner  cours  à  sa  vengeance  sur  cet 
innocent  Agneau,  afin  de  nous  épargner.  Voilà  jus- 
qu'où le  Cœur  de  Marie  nous  a  aimés,  c'est-à-dire  plus 
que  la  vie  de  son  propre,  de  son  unique  Fils  !  Sic 
Deus...  Sic  Maria  dilexit  mundum ,  ut  Filium 
suum  unigenitum  daret  (S.  Bonav). 

Morale  :  Quels  sentiments  la  vue  d'un  tel  cœur  ne 
doit-elle  pas  exciter  dans  le  nôtre  !  Il  en  est  deux  sur- 
tout que  nous  ne  pouvons  lui  refuser,  la  vénération  et 
la  confiance.  La  vénération  :  Si  le  nom  seul  de  Marie 
la  mérite,  à  cause  de  la  Vierge  bénie  qui  le  porte, 
combien  plus  son  propre  cœur,  la  plus  noble  partie  de 


100  DOMUS  AU  RE  A 

son  auguste  personne,  le  trône  de  son  brûlant  amour 
pour  Dieu  e1  pour  les  hommes,  le  sanctuaire  de  toutes 
les  vertus,  vaste  abîme  de  grâces  et  de  perfections  en 
est-il  digne! 

Rien  au  monde  n'est  plus  sacré  que  le  cœur  d'une 
mère.  On  a  vu  beaucoup  d  enfants,  inspirés  par  la  ten- 
.  s'empresser  de  le  soustraire  à  la  corruption  du 
tombeau.  Après  l'avoir  embeaumé  respectueusement, 
ils  aiment  à  le  conserver  sous  leurs  yeux,  pour  se  rap- 
peler et  goûter  toujours,  par  le  souvenir,  les  douceurs 
de  son  affection.  Et  nous,  nous  n'aurions  qu'une  gla- 
ciale indifférence  pour  le  Cœur  de  Marie,  notre  tendre 
Mère  ?  Si  Jésus,  enlevant  à  la  terre  sa  dépouille  mor- 
telle, y  avait  laissé  son  Cœur,  avec  quel  respectueux 
empressement  nous  irions  visiter  cette  relique  sacrée, 
lui  portant  le  tribut  de  notre  vénération  et  de  notre 
amour!  Mais  est-il  moins  digne  de  respect,  parce  qu'il 
est  au  ciel,  toujours  vivant  et  glorieux,  palpitant  sans 
cesse  pour  nous  d'un  amour  sans  borne,  brûlant  du 
désir  de  nous  faire  partager  son  bonheur  ?  Refuserons- 
nous  donc  à  ce  Cœur  immortel  les  honneurs  que  nous 
aurions  rendus  à  ses  restes  inanimés  ? 

Mais  ne  devons-nous  que  le  vénérer'.  Ne  mérite-t-il 
pas  autant  notre  confiance  la  plus  filiale?  Fut-il  ja- 
mais Cœur  plus  pur  et  plus  agréable  à  Dieu,  plus  digne 
conséquemment  d'obtenir  ce  qu'il  demande  ;  Cœur  plus 
rempli  d'amour  pour  les  hommes,  dont  il  sollicite  et 
eux  ?  Grand  Apôtre,  héros  sublime  de  dé- 
vouement,  vous  écrivez  à  vos  chers  fidèles  de  Corinthe, 
que  votre  cœur  était  ouvert  et  vos  entrailles  dilatées 
pour  les  recevoir,  et  vous  vouliez  que  ces  chers  en- 
fants  dilatassent  >  nés  leur  confiance  sans  li- 

mite dans  les  vastt  isions  de  votre  amour;  ce 

qui  l'ait  dire  à  saint  Jean  Chrysostôme  «  que  votre  cœur 


DOMUS   AUREA  101 

était  le  Cœur  de  Jésus-Christ.  »  Et  qu'aurait-il  dit  du 
Cœur  de  la  divine  Mère,  qui  fut  le  Tabernacle  du  Dieu 
de  charité  infinie  ?  Ah  !  notre  confiance  pourrait-elle 
encore  être  froide  et  rester  muette  devant  ce  foyer  d'ar- 
dent amour  ?  Recourons-y  donc  avec  empressement  et 
sans  nulle  défiance,  pour  nos  propres  besoins  et  pour 
ceux  de  nos  frères.  Recommandons-lui  surtout  les  pau- 
vres pêcheurs,  qui  dans  ces  temps  malheureux  semblent 
être  l'objet  des  prédilections  de  sa  maternelle  charité. 
N'en  n'avons-nous  pas  une  preuve  aussi  consolante 
qu'irrécusable  dans  ces  milliers  de  faveurs  signalées 
qui,  chaque  jour,  découlent  sur  le  monde  plus  abondan- 
tes, et  sous  toutes  les  formes,  du  sanctuaire  de  Notre- 
Dame  des  Victoires,  où  l'immaculé  Cœur  de  Marie  est 
tout  spécialement  invoqué  en  faveur  des  âmes  cou- 
pables et  égarées  ?  Pourrions-nous,  si,  à  l'exemple  de 
Jésus-Christ,  nous  aimons  encore  les  pécheurs,  ne  pas 
employer  pour  leur  conversion  un  moyen  reconnu  si 
efficace  et  pourtant  si  facile,  le  recours  au  Cœur  de  la 
meilleure  des  mères?  N'est-ce  pas  l'œuvre  la  plus  ex- 
cellente de  la  charité  chrétienne,  et  la  plus  sûre  garan- 
tie de  partager  un  jour  la  gloire  du  ciel  avec  ceux  que 
nous  y  aurons  introduits. 

Oui,  ô  bonne  Mère,  nous  irons  frapper  à  votre 
Cœur,  pleins  de  confiance  que  vous  l'ouvrirez  à  nos 
demandes  pour  les  présenter  à  votre  Fils  et  en  assurer 
l'accomplissement. 

Pratique  :  Demander  souvent  la  conversion  des 
pécheurs  :  tous  le  peuvent,  ne  serait-ce  que  dans  la 
prière  quotidienne  :  Sainte  Marie. . .  priez  pour  nous, 
pauvres  pécheurs . . . 


102  DOMUS  AUKEA 

EXEMPLES 

CONVERSIONS  OBTENUES  PAR  LE  SAINT  CŒUR  DE  MARIE. 

Ici  l'embarras  n'est  que  dans  le  choix  parmi  ces 
milliers  de  traits  où  se  révèlent  les  richesses  et  la 
bonté  de  ce  Cœur  si  aimant;  c'est  en  tous  la  même  his- 
toire d'ineffable  miséricorde.  Nous  prenons  presque  au 
hazard. 

Un  riche  négociant  de  Lyon,  livré  exclusivement  à 
son  commerce,  avait  depuis  fort  longtemps  négligé 
toutes  les  pratiques  religieuses.  Venu  à  Paris  pour  af- 
faires et  retardé  d'un  jour  pour  son  départ,  il  le  dissi- 
pait à  visiter  quelques  monuments  de  la  capitale. 
Au  milieu  de  ses  courses  la  Providence  le  dirige  vers 
Notre-Dame  des  Victoires;  il  y  entre  uniquement  par 
curiosité.  Arrivé  en  face  du  premier  des  tribunaux,  il 
y  aperçoit  un  homme  agenouillé  faisant  sa  confession, 
et  près  de  là  cinq  ou  six  autres  qui,  à  leur  maintien 
recueilli,  lui  parurent  s'y  préparer.  Tiens,  se  dit-il 
tout  bas,  des  hommes  qui  se  confessent!  Oh  !  que  c'est 
bète  !  Il  s'avance  néanmoins  lentement,  attentif  à  con- 
sidérer les  plaques  de  marbre,  les  cœurs  en  or  et  en 
argent  qui  tapissent  les  murs.  Ces  pieux  et  innom- 
brables témoignages  de  la  reconnaissance  l'intriguent; 
il  lit  les  inscriptions  qui  les  expliquent.  Arrive  près 
de  l'autel,  s'offre  à  ses  yeux  une  magnifique  couronne 
d'or,  et  au-dessous  le  nom  d'un  notable  habitant  de 
Lyon,  tristement  connu  par  son  impiété  et  le  scandale 
de  ses  mœurs .  Lui  aussi,  converti  par  le  saint  Cœur 
de  Marie,  avait  voulu  donner  ce  tribut  de  sa  gratitude. 
Des  hommes  qui  se  confessent,  tant  de  faveurs  signa- 
lées en  tout  genre,  dont  il  a  sous  les  yeux  les  preuves 
irrécusables,  tout  ce  spectacle  pour  lui  si  extraordi- 
naire excite  dans   -un  esprit   une  certaine  agitation. 


DOMUS    AUnBA  103 

mais  qui  est  bientôt  calmée  par  cette  pensée  sata- 
nique  :  Se  confesser,  oh  !  que  c'est  bête  !  Et  il  se  dis- 
posait à  sortir  de  l'église.  0  Marie,  qui  avez  sauvé  ici 
tant  de  pécheurs  obstinés,  laisserez-vous  celui-ci  vous 
échapper  ?  Il  a  vu  les  mille  prodiges  de  conversion 
obtenus  par  votre  divin  Cœur  ;  serait-ce  pour  lui  seul 
que  vous  arrêteriez  le  cours  de  vos  bontés  ?  Non,  non  ! 
la  Mère  de  miséricorde,  qui  a  conduit  ce  pécheur  dans 
son  sanctuaire,  achèvera  son  œuvre .  En  effet,  près  de 
franchir  le  seuil,  une  force  invincible  l'arrête  et  le  fait 
reculer.  Il  va  se  placer  devant  un  des  autels  latéraux  ; 
et  là,  après  quelques  moments  de  réflexion,  il  se  dit  : 
Je  me  confessais  autrefois,  et  j'étais  plus  heureux.. . 
j'avais  la  paix  de  l'àme,  la  plus  belle  de  toutes  les 
fortunes. . .  si  je  me  confessais. . .  personne  ici  ne  peut 
me  connaître...  qu'ai-je  à  risquer  ?. . .  Et  le  voilà  aux 
pieds  d'un  prêtre.  Dieu  seul  sait  ce  qui  se  passa  ;  mais 
ce  que  l'on  a  su  depuis,  c'est  que,  de  retour  dans  son 
pays,  il  répara  par  la  conduite  la  plus  édifiante  les 
scandales  qu'il  avait  donnés. 

—  Un  jeune  homme  devenu  promptement  libertin, 
partant  pour  Paris,  alla  par  politesse  demander,  à  une 
dame  amie  de  la  famille,  ses  commissions.  —  J'en 
aurais  bien  une,  lui  dit-elle  :  ce  serait  d'aller  dire  pour 
moi  un  Are  Maria  à  Notre-Dame  des  Victoires.  — 
Quoique  peu  de  son  goût,  notre  voyageur  l'accepte. 
Après  un  mois  de  séjour  et  sur  le  point  de  repartir,  il 
se  rappelle  Y  Ace  Maria  promis.  —  Tant  pis,  se  dit-il, 
je  n'irai  pas...  pourtant,  si,  j'y  vais...  j'ai  promis... 
Arrivé  à  l'église,  il  cherche  dans  sa  mémoire  la  prière 
à  Marie  presque  oubliée  et  la  récite. . .  Soudain  cette 
douce  invocation  pénètre  jusqu'à  son  cœur  ;  il  verse 
des  larmes  qu'il  ne  se  connaissait  plus.  Le  vénérable 
pasteur,     accoutumé    à    ces    signes    de    conversion, 


104  FOEDERIS  AïtCA 

l'aborde  avec  sa  bonté  exquise,  et  bientôt  Marie  a  une 
nouvelle  conquête.  Rentré  dans  son  pays,  sa  première 
visite  fut  pour  la  dame  à  Y  Ave  Maria,  que  ce  chan- 
gement n'étonna  pas  trop,  car  elle  s'y  attendait 
presque. 


CHAPITRE  XXXIII. 


ARCHE  D'ALLIANCE. 

Le  temple  de  Salomon,  si  célèbre  par  sa  magnifi- 
cence, nous  a  fourni,  dans  l'Invocation  précédente, 
un  très  gracieux  emblème  de  Marie.  Mais  si  nous 
pénétrons  dans  le  sanctuaire,  nous  y  trouvons  une 
autre  figure  non  moins  expressive  de  l'auguste  Vierge  : 
c'est  l'arche  sainte,  objet  le  pins  vénérable  du  culte 
mosaïque,  gloire  et  espérance  d'Israël.  Pour  rendre 
plus  sensibles  les  admirables  rapports  entre  ces  deux 
Arches,  il  nous  faut  exposer  préalablement,  en  peu 
de  mots,  ce  que  c'était  que  l'Arche  de  l'ancien  Testa- 
ment . 

L'arche  d'alliance  que  Moïse  avait  fait  construire 
d'après  les  ordres  et  le  plan  que  Dieu  lui-même  en 
avait  donnés,  était  une  espèce  de  coffre  ou  de  Taber- 
nacle, fait  d'un  bois  incorruptible  très  précieux, 
revêtu  de  lames  d'or  en  dedans  et  en  dehors,  surmonté 
d'un  couvercle  ou  Propitiatoire,  et  ombragé  par  deux 
Chérubins  d'or  aux  ailes  déployées.  Le  Propitiatoire, 
autrement  appelé  Oracle,  était  orné  dans  tout  son 
contour  d'une  riche  couronne  aussi  d'or.  C'était 
comme  le  trône  de  la  majesté  de  Dieu,  qui  de  là  faisait 
entendre  ses  réponses  et  donnait  ses  décisions.  Cette 
Arche  était  une  merveille,  non-seulement  par  la 
richesse  de  la  matière  et  le  fini  du  travail,  mais  beau- 


FOEDERIS  ARGA  105 

coup  plus  encore  par  les  objets  si  vénérables  qu'elle 
contenait  :  la  verge  miraculeuse  d'Aaron,  une  mesure 
de  manne  recueillie  au  désert,  et  les  deux  tables  de  la 
Loi.  Elle  était  comme  un  monument  qui  rappelait  aux 
Israélites  l'alliance  contractée  par  le  Seigneur  avec 
leurs  pères,  et  les  bienfaits  dont  il  les  avait  si  souvent 
comblés.  C'était  aussi  pour  eux  un  gage  de  protection 
divine,  un  instrument  dont  Dieu  se  servait  pour  opé- 
rer en  leur  faveur  les  miracles  les  plus  éclatants. 
D'après  cet  exposé,  qui  n'entrevoit  déjà  les  ressem- 
blances frappantes  entre  cette  Arche  de  l'alliance 
ancienne  et  Marie,  Mère  de  Dieu  ?  Mais  voyons-les  de 
plus  près  : 

I .  Analogies  de  Marie  avec  l'Arche  considérée  en 
elle-même. 

II.  Analogies  de  Marie  avec  l'Arche  considérée  dans 
les  bénédictions  qu'elle  attirait. 

I.  Analogies  de  Marie  avec  V Arche  considérée  en 
elle-même.  —  1°  L'Arche  d'alliance  s'appelait  ainsi, 
parce  qu'elle  renfermait  principalement  la  Loi,  ou 
l'alliance  que  Dieu  avait  faite  avec  son  peuple,  en  lui 
assurant  la  possession  de  la  terre  promise  pour  prix 
de  sa  fidélité.  Aussi,  dans  le  langage  des  saints  livres, 
les  mots  testament,  pacte,  alliance  signifient  indis- 
tinctement l'obligation  contractée  avec  Dieu  d'être 
fidèle  à  sa  loi  et  de  n'adorer  que  lui.  De  même  par 
l'union  du  Verbe  avec  la  nature  humaine  en  Marie, 
l'alliance  primitive  fut  rétablie  entre  le  ciel  et  la  terre, 
entre  l'homme  et  Dieu  ;  réconciliation  qui  ne  se  borna 
pas,  comme  autrefois  à  un  petit  peuple,  mais  qui 
s'étendit  à  tous  les  habitants  de  l'Univers  ;  car  le 
Verbe  incarné  mourut  pour  tous. 

2°  L'Arche  contenait  les  tables  de  la  loi.  Et  vous,  ô 
Marie,  vous  avez  porté  dans  vos  chastes  entrailles  le 


100  FOEDKIUS  kl\C\ 

divin  Législateur,  lui-même,  qui  vint  remplacer  la  loi 
de  crainte  par  une  loi  toute  de  grâce  et  d'amour. 
Aussi,  quand  vous  le  mites  au  monde,  on  n'entendit 
plus,  comme  sur  le  Sinaï,  le  fracas  du  tonnerre  et  des 
éclairs,  mais  le  ciel  apaisé  publia  son  arrivée  par  les 
harmonieux  concerts  des  anges  annonçant  la  paix  et 
l&joie.  Et  cette  loi  de  paix,  vous  vous  fi  tes  un  bon- 
heur et  un  devoir  de  la  conserver  précieusement  dans 
votre  esprit  et  votre  cœur,  et  de  la  traduire  dans 
toutes  vos  œuvres . 

3°  L'Arche  était  faite  d'un  bois  incorruptible.  Admi- 
rable ressemblance  encore  avec  Marie  !  Elle  aussi, 
quoique  sortie  d'une  tige  coupable,  fut  dans  sa  Con- 
ception immaculée,  préservée  de  la  souillure  origi- 
nelle, du  vieux  levain  de  la  concupiscence,  de  la  plus 
légère  tache  pendant  la  vie,  et  de  la  corruption  du  tom- 
beau après  la  mort . 

4°  Des  lames  de  l'or  le  plus  fin  recouvraient  l'Arche 
en  dehors  et  en  dedans.  L'or,  le  plus  précieux  de  tous 
les  métaux,  ressemblant  au  feu  par  sa  couleur  comme 
par  son  éclat,  est  l'emblème  de  la  divine  charité  :  et 
n'étant  sujet  ni  à  la  rouille,  ni  à  l'altération  de  sa  teinte, 
il  est  encore  le  symbole  parfait  de  l'inviolable  pureté. 
Y.  >ilà  précisément  ce  quidistingua  la  Vierge  très  sainte. 
Brûlant  du  plus  ardent  amour,  belle  de  la  splendeur 
des  plus  éminentcs  vertus,  ravissante  surtout  par  les 
charmes  d'une  virginité  qui  ne  fut  jamais  flétrie,  elle 
présenta  au  divin  Ouvrier  une  matière  digne  de  devenir 
l'Arche  de  la  nouvelle  alliance. 

5°  Dans  l'Arche  était  renfermé  un  vase  de  manne. 
souvenir  du  miracle  par  lequel  Dieu,  pendant  quarante 
ans.  avait  nourri  son  peuple  dans  le  désert.  Blanche 
comme  la  neige,  très  agréable  au  goût,  la  manne  qui 
tombait  du  ciel  tous  k-s  matins  n'était  que  la  figure  de 


FOEDEIUS  ARC\  107 

Jésus-Christ  ;  mais  Marie  fut  l'Arche  vivante  qui  ren- 
ferma en  réalité  Jésus-Christ,  la  pureté  môme,  manne 
céleste  infiniment  plus  précieuse  que  celle  du  désert, 
aliment  délicieux  qui  fortifie  l'âme,  et  la  console  dans 
son  voyage  vers  la  véritable  terre  promise.  Quelle  tou- 
chante similitude  ! 

6°  Dans  PArche  ancienne  se  trouvait  encore  la  verge 
cCAaron,  qui  souvent  avait  été  un  instrument  de  pro- 
diges, entre  autres,  quand  Dieu  voulait  confirmer  la 
légitimité  du  sacerdoce  d'Aaron  :  il  permit  que  la  verge 
du  grand  Prêtre  placée  devant  l'Arche  poussât  sans 
sève  et  sans  racines  des  feuilles  et  des  fleurs,  et  pro- 
duisit des  amandes  toutes  formées  ;  et  ce  fut  en  souve- 
nir de  cette  merveille  qu'elle  fut  déposée  dans  PArche. 
Les  saints  Pères  l'ont  toujours  regardée  comme  une 
figure  très  convenable  de  la  miraculeuse  fécondité  de 
Marie,  qui,  restée  Vierge  en  devenant  Mère,  donna  au 
monde  le  fruit  de  toute  bénédiction . 

Morale  :  Si  l'Arche  en  elle-même,  et  surtout  par 
les  objets  qu'elle  contenait,  était  si  vénérable,  com- 
bien plus  est  digne  de  respect  le  chrétien  devenu 
par  la  communion  l'arche  vivante  du  Saint  des  saints  ! 
Quel  motif  puissant  de  garantir  du  péché  tous  les 
membres  de  son  corps,  comme  toutes  les  facultés  de 
son  âme  !  Oh  !  comme  doivent  être  conservés  purs  ces 
yeux,  qui  ont  vu  de  si  près  le  Dieu  de  toute  sainteté  ! 
Devra- t-on  les  souiller  encore  par  aucun  regard  sur 
les  objets  tant  soit  peu  dangereux  ?  Serait-il  permis  de 
leur  accorder  toute  liberté  dans  la  prière,  ou  au  saint 
Lieu,  en  ouvrant  ainsi  la  porte  aux  pensées  étrangères, 
qui  viendront  prendre  la  place  de  l'attention  que  l'on 
doit  alors  uniquement  à  Dieu  et  à  ce  qu'on  lui  dit? 
Dans  quelle  pureté  ne  doivent-elles  pas  être  gardées 
ces  mains,  qui  se  sont  comme  avancées  pour  recevoir 


108  FOEDERIS  AKCA 

Jésus-Christ,  et  lui  ont  dressé  la  table  du  banquet  ! 
Pourront-elles  après  cela  devenir  encore  l'instrument 
du  péché?  Osera-t-on  la  souiller  de  nouveau  cette 
langue,  sur  laquelle  a  reposé  la  chair  immaculée  de 
l'Agneau?  Quelle  indigne  profanation  de  la  faire  servir 
au  blasphème,  aux  injures,  au  mensonge,  à  la  détrac- 
tion, à  des  paroles  impies  ou  obscènes  !  Mais  c'est  le 
cœur  surtout,  devenu  le  trône  de  Jésus-Christ,  qui  bien 
plus  que  toutes  les  autres  parties  du  corps  doit  être 
conservé  sans  tache.  Quelle  abomination  d'y  laisser 
revenir  le  péché,  ou  d'y  entretenir  quelque  disposition 
secrète,  soit  d'orgueil,  soit  d'envie,  soit  de  haine,  soit 
d'affection  désordonnée  à  une  créature  ou  aux  richesses 
de  la  terre.  De  quelle  vigilance  donc  le  communiant  ne 
doit-il  pas  entourer  tous  ses  sens  et  toutes  les  avenues 
de  son  cœur,  afin  que  rien  n'y  entre  ou  n'y  subsiste, 
qui  afflige  l'hôte  divin  qui  Ta  honoré  de  sa  présence  ! 
Comme  il  doit  craindre  de  retomber  dans  le  péché  ! 
C'est  ce  que  sentait  ce  jeune  enfant  qui  fit  à  son  père 
une  bien  courageuse  réponse.  Il  venait  de  faire  sa  pre- 
mière communion.  Le  dimanche  qui  suivit,  il  s'était 
vêtu  proprement  et  se  disposait  à  sortir.  Eh  !  où  vas-tu 
donc,  lui  dit  son  père  irréligieux  ?. —  Je  vais  à  la  messe, 
répondit  l'enfant,  sur  le  ton  le  plus  réservé  ;  le  com- 
mandement est  positif  :  Les  film  miches  messe  enten- 
dras... et,  après  la  double  grâce  que  le  bon  Dieu  m'a 
faite  de  me  pardonner  et  de  se  donner  à  moi,  je  n'ai 
garde  de  lui  désobéir. —  Bah  !  reprit  le  père  ;  la  messe, 
c'est  bon  pour  les  prêtres  qui  sont  payés  pour  cela  ;  mais 
toi,  ne  sois  pas  si  niais  que  de  te  croire  obligé  par  cette 
loi. —  Si  c'est  ainsi,  répartit  l'enfant,  je  n'ai  plus  à 
m'inquiéter  de  cet  autre  commandement  :  Tes  père  et 
mère  honoreras...  Vous  ne  vous  offenserez  donc  point, 
si  je  ne  fous  obéis  pas.  Le  père,  frappé  d'une  réponse 


FOEDEMS  ARCA  10!) 

si  juste,  à  laquelle  il  était  loin  de  s'attendre,  et  ne 
trouvant  rien  à  y  répliquer,  se  retira  plein  d'admira- 
tion pour  cette  force  d'âme  dans  un  enfant  qui  n'avait 
encore  communié  qu'une  fois.  Que  devra-t-il  être  plus 
tard,  avec  ce  vif  sentiment  de  la  sainteté  qui  doit  être 
le  fruit  de  la  communion  ! 

II.  Analogies  entre  Marie  et  V Arche  d'alliance, 
considérée  dans  les  bénédictions  qu'elle  attirait. — 
C'était  dans  le  Saint  des  saints  et  devant  l'Arche  que 
le  grand  Sacrificateur,  au  nom  de  tout  Israël,  devait  se 
prosterner  les  mains  teintes  du  sang  des  victimes,  pour 
désarmer  la  colère  du  ciel,  solliciter  du  secours  con- 
tre l'ennemi,  et  réclamer  le  Seigneur  dans  toute  sorte 
de  périls  et  de  besoins.  De  même  aujourd'hui,  chez  le 
peuple  chrétien,  c'est  auprès  de  Marie,  Arche  de  sa- 
lut, c'est  au  pied  de  son  trône,  saint  Propitiatoire  de 
la  nouvelle  alliance,  que  nous  devons  demander  à 
Dieu,  sûrs  d'être  exaucés,  sa  miséricorde  et  sa  pro- 
tection . 

De  plus,  l'Arche  sainte  fut  souvent  le  Palladium  du 
peuple  juif  contre  les  dangers  qui  le  menaçaient,  sa 
sauvegarde  dans  les  combats,  lui  obtenant  la  victoire 
sur  ses  ennemis.  Devant  elle,  les  eaux  du  Jourdain  se 
séparèrent  et  fournirent  aux  Hébreux  un  libre  pas- 
sage. Devant  elle,  les  murs  de  Jéricho  s'écroulèrent,  et 
la  ville  leur  fut  livrée.  Aussi,  était-ce  chez  le  peuple 
de  Dieu  une  pratique  invariable  de  recourir  à  cette 
Arche  de  salut;  dans  toutes  les  extrémités  où  il  se 
trouvait.  On  la  portait  ordinairement  sur  les  champs 
de  bataille  ;  et  toujours,  quand  aucun  démérite  ne  s'y 
opposait,  quelque  prodige  signalait  la  puissance  du 
Dieu  qu'elle  représentait.  A  son  aspect,  les  ennemis 
étaient  saisis  d'une  telle  frayeur,  qu'ils  se  regardaient 
d'avance  comme  vaincus  ;  ils  prenaient  la  fuite,  ou  se 

PAPAPHRASE.   —   T.    II.  7 


11U  FOEDERIS  ARCA 

voyaient  promptement  mis  en  déroute.  Sa  présence 
dans  fin  lien  quelconque  y  attirait  les  plus  abondantes 
bénédictions:  on  le  vit  sensiblement  dans  la  maison 
d'Obedèdom,  ou  elle  séjourna  pendant  trois  mois,  et 
que  pour  cela  le  Seigneur  bénit  avec  sa  famille  et  tout 
ce  qu'il  possédait. 

Morale  :  Et  votre  culte,  ô  Marie,  quand  il  est  en 
honneur  dans  une  maison,  quand  votre  image  en  fait 
le  plus  bel  ornement,  quand  votre  nom  y  est  pieuse- 
ment invoqué,  n'y  attire-t-il  pas  les  bénédictions  du 
ciel  ?  Sous  votre  puissante  égide,  que  de  périls  évités 
et  pour  le  corps  et  pour  l'ànie  !  Que  de  victoires  rem- 
portées sur  le  Philistin  des  enfers  !  Devant  vous,  s'en- 
fuient les  nombreuses  et  redoutables  cohortes  de  nos 
ennemis  :  vous  faites  rétrograder  les  flots  des  tenta- 
tions et  les  grandes  eaux  des  tribulations  humaines, 
qui  auraient  submergé  notre  pauvre  cœur.  La  force 
de  votre  bras  renverse  les  obstacles  qui  semblent  fer- 
mer l'entrée  de  la  véritable  terre  promise .  Vous  êtes 
le  gage  de  salut  pour  le  chrétien  fidèle,  et  même  pour 
les  pécheurs  les  plus  désespérés.  A  combien  de  cou- 
pables le  Juge  suprême,  cédant  à  votre  prière,  n'a-t-il 
pas  dit  comme  autrefois  Salomon  au  prêtre  Abiathar  : 
Tu  as  mérité  la  mort  ;  mais,  parce  que  tu  as  porté 
V Arche  du  Seigneur,  c'est-à-dire,  parce  que  tu  as 
gardé  dans  ton  àme  la  confiance  en  Celle  qui  fut  l'Ar- 
che de  son  humanité,  je  ne  te  perdrai  pas.  Justes  ou 
pécheurs,  n'est-ce  pas  la  un  motif  toujours  de  plus  en 
plus  pressant  de  nous  donner,  par  une  dévotion  sin- 
la  Mère  de  Dieu,  un  droit  assuré  à  sa  toute- 
puissante  assistance  dans  toutes  nos  alarmes,  dans 
t.»ut,-  qos  peines,  dans  toutes  nos  nécessités  ?  A 
•ij.lt'  si  rempli  de  confiance  en  la 
protection  de  l'Arche,  qui  n'était  qu'une  figure  de  Ma- 


FOEDERIS  ARCA  111 

rie,  nous  qui  plus  heureux  possédons  la  réalité,  allons 
souvent,  et  avec  d'autant  plus  d'espérance,  nous  réfu- 
gier près  de  cette  Arche  vivante  et  véritable,  qui  sera 
aussi  pour  nous  une  source  toujours  abondante  de 
grâces  et  de  bénédictions , 

Telle  est,  ô  Vierge  sainte,  la  volonté  de  notre  cœur  : 
affermissez-là,  afin  que  fidèles  à  la  suivre  nous  re- 
cueillons les  faveurs  dont  votre  Fils  vous  a  rendue  la 
riche  dépositaire . 

Pratique  :  Dans  toute  circonstance  critique,  adresser 
à  la  sainte  Vierge  le  cri  confiant  des  apôtres  à  Jésus- 
Christ:  Sauvez-nous,  nous  périssons  ;  infailliblement 
elle  arrivera  à  notre  secours. 

EXEMPLES 

PROTECTION  OBTENUE    PAR    QUELQUE   PIEUX    INSIGNE 
DE  LA  SAINTE  VIERGE 

Tous  les  insignes,  scapulaire,  médaille,  chapelet,  un 
simple  ruban  bénit  à  son  autel,  peuvent  être  comme 
une  Arche  de  salut  pour  ceux  qui  les  portent  avec  une 
véritable  religion.  Citons-en  deux  exemples  parmi  tant 
d'autres. 

La  guerre  de  Crimée,  où  se  déploya  en  traits  si  hé- 
roïques la  bravoure  française,  révéla  aussi  ce  qu'il  y  a 
de  confiance  en  Marie  dans  le  cœur  du  soldat,  et  la 
protection  dont  elle  se  plaît  souvent  à  la  récompenser. 
Combien  qui,  ne  rougissant  pas  de  porter  quelqu'une 
de  ses  livrées,  y  ont  trouvé  un  gage  assuré  de  conserva- 
tion !  Parmi  les  faits  nombreux  qui  le  prouvent,  en 
voici  un  qui  se  passa  à  la  terrible  attaque  du  Mamelon- 
Vert,  le  7  juin  1855. 

Le  signal  était  donné  pour  monter  à  l'assaut  :  à  cet 
instant  où  la  mort  apparaît  presque  certaine,  les  com- 
battants se  regardent  comme  pour  se  dire  un  dernier 


H  2  FOEDERIS  A  RCA 

adieu  :  de  noirs  pressentiments  obsèdent  le  cœur. 
Mais  un  des  guerriers  se  distingue  par  la  sérénité  de 
son  visage  ;  il  espère  contre  toute  espérance.  C'est  le 
jeune  J**  ;  il  s'est  rappelé  les  exhortations  de  sa  Ter- 
tueuse  mère,  qui  avant  son  départ  lui  recommandait 
de  ne  point  oublier  la  sainte  Vierge,  et  lui  avait  donné, 
comme  souvenir  et  comme  gage  de  protection,  un 
chapelet  et  une  médaille.  Le  jeune  guerrier  les  avait 
placés  sur  sa  poitrine,  et  muni  de  cette  sainte  cui- 
rasse,  il  marche  au  combat.  Une  grêle  de  balles, 
d'obus,  de  boulets,  a  bientôt  semé  la  mort  dans  tous 
les  rangs  :  le  sol  est  jonché  de  cadavres,  la  terre  arro- 
sée de  sang .  Le  feu  des  batteries  se  ralentit  ;  et  notre 
vaillant  guerrier  peut  s'assurer,  hélas  !  qu'il  n'est  plus 
personne  des  siens  :  officiers  et  soldats,  tous  ont  suc- 
combé :  il  ne  reste  que  le  protégé  de  Marie  qui  n'a  pas 
même  reçu  la  plus  légère  blessure. 

—  Ce  n'est  pas  seulement  pour  le  corps,  c'est  aussi 
pour  l'âme  qu'un  insigne  de  la  sainte  Vierge  peut 
devenir  une  Arche  de  salut. 

Il  y  a  peu  d'années,  se  trouvait  à  l'hôtel  des  Inva- 
lides un  militaire  dangereusement  malade  qui  refusait 
obstinément  de  se  confesser,  prétextant,  comme  beau- 
coup d'autres,  qu'il  était  un  honnête  homme,  que 
n'ayant  ni  tué,  ni  volé,  il  n'avait  besoin  nullement  de 
confession.  L'aumônier  avait,  sans  aucun  succès,  em- 
ployé toutes  les  industries  de  son  zèle  :  d'autres  per- 
sonnes firent  plusieurs  tentatives  également  infruc- 
tueuses :  le  dernier  essai  ne  servit  même  qu'à 
provoquer  d'horribles  blasphèmes.  Cependant  la  mort 
devenait  imminente.  Dans  cette  extrémité,  la  bonne 
sœur  qui  servait  le  malade  se  sentit  inspirée  de  mettre 
sous  son  chevet,  sans  qu'il  le  soupçonnât,  la  médaille 
miraculeuse  de  la  Vierge  immaculée  :  elle  en  avait 


JANUA  CQEU  ,  M  3 

éprouvé  si  souvent  les  salutaires  effets  !  Mais  au  mo- 
ment qu'elle  accomplissait  son  pieux  dessein,  elle 
trouva  le  malade  en  proie  à  une  sorte  d'agitation  fré- 
nétique, comme  s'il  eût  été  pressé  par  une  tentation 
de  suicide .  Il  y  avait  urgence  :  elle  fit  mettre  toute  la 
communauté  en  prières  pour  obtenir  la  conversion  du 
malheureux  endurci .  Marie  ne  fut  point  sourde  à  des 
vœux  qui  allaient  si  bien  à  son  cœur.  Le  lendemain, 
l'agitation  était  calmée  ;  et  la  première  parole  que  le 
malade  adressa  à  la  sœur  fut  pour  demander  l'aumô- 
nier. Quelle  douce  surprise  !  en  attendant  l'arrivée  du 
prêtre,  le  converti  cédait  au  besoin  de  dire  ses  péchés 
à  haute  voix,  sans  qu'il  fût  possible  de  lui  imposer 
silence.  Sa  confession  terminée,  on  lui  montra  la  mé- 
daille qu'il  avait  près  de  lui  ;  il  la  baisa  alors  avec 
effusion,  en  s'écriant  :  C'est  elle,  je  n'en  doute  pas, 
qui  m'a  donné  la  force  de  me  reconcilier  avec  Dieu  ! 
Je  veux  qu'on  l'attache  à  ma  boutonnière,  à  côté  de 
ma  croix  d'honneur  ;  non,  je  ne  rougirai  pas  de  la 
porter.  Mais  ce  désir  aussi  noble  que  religieux  ne  put 
se  réaliser.  Quelques  jours  après,  sentant  sa  fin  ap- 
procher, le  pauvre  infirme  demanda  les  derniers  sa- 
crements, qu'il  reçut  avec  les  plus  vifs  sentiments  de 
foi  et  de  piété.  On  put  voir  alors  peints  sur  son  visage 
le  calme  et  la  joie  qui  inondaient  son  âme  purifiée. 
Ce  fut  dans  ces  heureuses  dispositions  qu'il  exhala  son 
dernier  soupir.  Que  Marie  est  puissante  ! 


CHAPITRE  XXXIV. 


PORTE  DU  CIEL. 


Dans  les  temps  anciens,  pour  tracer  l'enceinte  d'une 
ville,  on  creusait  un  sillon  qui  désignait  l'emplacement 


il  i  IANUA  COKLI 

des  murs,  et  pour  marquer  l'endroit  des  portes  on 
soulevait  la  charrue  que  Ton  rabaissait  ensuite,  selon 
la  dimension  que  devaient  avoir  les  entrées  de  la  ville. 
Telle  est  l'origine  du  mot  Porte,  appellation  si  juste- 
ment appliquée  à  Marie. 

Le  péché  d'Adam,  en  le  faisant  rompre  avec  le  ciel, 
avait  élevé  un  mur  de  séparation  entre  Dieu  et  l'hu- 
manité. Or,  la  Vierge  bénie,  portant  dans  son  sein  le 
Rédempteur  du  monde,  est  venue  faire  une  interrup- 
tion dans  ce  mur  fatal,  nous  y  ouvrir  une  porte  qui 
nous  introduit  dans  la  céleste  cité.  Il  est  bien  vrai  que 
la  seule  entrée,  c'est  Jésus-Christ  qui  nous  dit  lui- 
même  :  Je  suis  laporte,  et  nul,  pour  arriverai!  salut, 
ne  peut  entrer  que  par  moi.  Seul,  en  effet,  il  a  mérité 
notre  pardon  ;  et  la  grâce  qui  vient  de  lui  peut  seul 
nous  sauver.  Mais,  dans  un  sens  qui  n'est  pas  moins 
vrai,  la  Vierge  Réparatrice  peut  être  appelée  Porte  du 
ciel,  et  cela  pour  deux  raisons  principales  : 

I .  Parce  qu'elle  nous  a  ouvert  le  ciel,  en  nous  don- 
nant le  Sauveur, 

II.  Parce  que  sans  son  intercession  il  est  impossible 
d'aller  au  ciel  ;  et  que  par  elle  le  ciel  nous  est  assuré. 

ARTICLE  PREMIER 

Marie  nous  a  rouvert  le  ciel,  en  nous  donnant  le 
Sauveur. 

Outre  le  péché  du  premier  homme  transmis  à  sa  mal- 
heureuse postérité,  nos  propres  péchés  nous  fermaient 
encore  à  tout  jamais  l'entrée  du  séjour  de  la  gloire. 
Prenant  pitié  de  nos  malheurs,  le  Fils  de  l'Eternel,  le 
Verbe  divin,  consubstantiel  à  son  Père,  s'esl  livré  vo- 
lontairement pour  accomplir  le  grand  acte  de  notre 
réconciliation  avec  la  justice  divine.  Mais,  peu  content 
de  nous  rendre  qos  droits  au  ciel,  il  nous  a  montré  dans 


JANUACOELI  115 

sa  doctrine  et  ses  exemples  le  chemin  qu'il  faut  suivre 
pour  y  arriver  ;  il  nous  aide  par  ses  grâces  à  surmon- 
ter les  obstacles  qui  l'encombrent  ;  et,  pour  nous  sou- 
tenir dans  cette  lutte  pénible  par  l'encourageante  pers- 
pective de  la  récompense,  il  est  remonté  à  la  céleste 
patrie  pour  nous  y  préparer  une  place.  Ainsi  rachetés, 
éclairés,  aidés  par  Jésus-Christ,  nous  pouvons,  si  nous 
voulons,  entrer  sûrement  en  jouissance  de  ce  royaume 
heureux,  et  devenir  ses  cohéritiers.  Or,  ce  Dieu  sau- 
veur, selon  la  pensée  de  saint  Augustin,  ayant  passé 
par  Marie  pour  descendre  visiblement  sur  la  terre,  afin 
que  par  elle  les  hommes  méritassent  de  remonter  au 
ciel,  nous  pouvons  déjà  dans  ce  sens  l'appeler  la  Porte 
du  ciel.  Mais  contemplons  de  plus  près  la  sublime  sa- 
gesse de  Dieu  dans  l'économie  de  la  restauration  hu- 
maine, où  Marie  intervient  d'une  manière  si  merveil- 
leuse. Il  a  voulu,  afin  de  confondre  l'audace  du  démon, 
faire  tourner  au  salut  de  l'homme  tout  ce  que  l'auteur 
du  mal  avait  employé  à  sa  perte.  Venez  donc  admirer 
les  étonnants  rapports  de  contraste  et  de  similitude, 
trop  méconnus,  entre  Eve  et  Marie,  entre  la  chute  et 
la  restauration.  L'esprit  de  ténèbres  était  venu  inspirer 
le  mal  à  Eve,  et  l'enivrer  de  l'espoir  d'une  fausse  élé- 
vation ;  il  lui  avait  dit  :  Vous  serez  comme  des  dieu.  \  •  ; 
un  Ange  de  lumière  transmet  à  Marie  les  volontés  du 
ciel,  et  l'établit  dans  une  véritable  grandeur  :  Vous 
enfanterez ,  lui  assure-t-il,  un  Fils  que  vous  nom- 
merez Jésus-,  ce  Fils  sera  grand  et  sera  même  ap- 
pelé le  Fils  du  Très-Haut.  —  Satan  avait  porté  Eve 
à  uu  acte  de  rébellion  qui  devait  nous  perdre  :  Pour- 
quoi, disait-il,  Dieu  vous  a-t-il  défendu  de  manger 
de  ce  fruit*  Eve  croit  au  démon  :  l'Archange  persuade 
à  Marie  l'obéissance  qui  nous  sauvera.  Ne  craignez 
point,  lui  dit-il,  rien  n'est  impossible  à  Dieu  ;  et 


UG  ANUA  COEM 

Marie,  sur  la  parole  de  Gabriel,  admet  le  mystère  le 
plus  incompréhensible  :  une  foi  humble  efface  ainsi 
la  faute  d'une  orgueilleuse  crédulité.  —  Eve  touche 
au  fruit  qui  causa  la  mort  ;  Marie  nous  apporte  le 
Fruit  qui  donne  la  vie.  —  Eve  encourt  cette  malédic- 
tion :  Tu  enfanteras  dans  la  douleur  ;  Marie  re- 
çoit ce  Salut  d'ineffable  consolation  :  Vous  êtes  bénie 
entre  toutes  les  femmes.  —  Par  une  femme  encore 
vierge,  la  déchéance  ;  par  une  Femme  toujours  vierge, 
la  réparation.  —  La  mort  fut  la  punition  du  péché  ; 
la  mort  sert  de  remède  au  péché.  —  L'arbre  de  la 
science  du  bien  et  du  mal  nous  avait  tués  ;  l'arbre  de 
la  Croix  nous  guérit .  —  Eve  nous  avait  exilés  non- 
seulement  de  l'Eden,  mais  aussi  du  paradis  de  délices 
éternelles  ;  Marie,  en  nous  donnant  un  Sauveur  qui 
le  rouvre,  nous  en  rend  l'entrée  à  la  fois  possible  et 
facile.  C'est  donc  elle  qui  a  relevé  nos  parents  déchus, 
et  assuré  le  salut  à  leur  malheureuse  postérité .  C'est 
elle  qui  nous  a  retirés  du  milieu  des  ruines,  qui  a 
brisé  nos  fers,  essuyé  nos  larmes,  calmé  nos  gémisse- 
ments, enrichi  notre  pauvreté.  C'est  elle  dont  l'enfan- 
tement divin  a  levé  l'anathème  qui  pesait  sur  la  race 
humaine,  rendu  l'espérance  et  la  vie  au  monde  désolé, 
sanctifié  la  terre  et  repeuplé  le  ciel  :  elle  en  est  donc  bien 
justement  appelée  l'heureuse  Porte  :  Félix  cœli Porta. 
Sur  cette  sublime  mission  de  Marie,  il  faut  entendre 
le  beau  langage  des  Pères  et  Docteurs  de  l'Eglise.  C'est 
un  concert  dont  l'harmonie  est  toujours  délicieuse  pour 
les  cœurs,  surtout  quand  cet  hymne  est  à  la  gloire  de 
Celle  que  l'on  aime.  —  a  Comme  rien  n'a  été  fait  sans 
Dieu,  nous  déclare  saint  Pierre  Damien  :  rien  non  plus 
n'a  été  refait  sans  Marie.  »  —  «  En  concevant  le  Créa- 
teur, elle  a  conçu  la  rédemption  du  monde  (Sophrone).  » 
—  ((  Si  le  Fils  de  Dieu  a  paru  pour  chercher  ceux  qui 


ÏANUA  COEM  1  17 

étaient  égarés,  pour  éclairer  les  aveugles,  rappeler  les 
morts  à  la  vie,  rendre  la  liberté  aux  esclaves,  il  n'y  a 
pas  un  seul  de  ces  bienfaits  que  n'ait  apportés  Marie, 
en  engendrant  l'Auteur    de   tout    don  excellent    (S. 
Grégoire).  »  —  «  Marie  est  le  remède  des  âmes,  la 
paix,  la  joie  et  le  salut  du  monde  (S.  Ephrem).  »  — 
«  Elle  est  le  jardin  fermé  d'où  a  jailli  la  source  de  vie 
pour  arroser  la  terre  desséchée  ;  le  lieu  secret  où  Jésus, 
le  Prêtre  éternel,  s'est  revêtu  de  notre  humanité,  pour 
aller  ensuite  offrir  à  son  Père  le  sacrifice  expiatoire 
(S.  Germain).  »  —  «  Au  jour  de  l'Incarnation,  elle  a 
préparé  un  port  assuré  à  tous  ceux  qui  voguaient  sur 
la  mer  orageuse  du  siècle  ;  en  ce  jour,  toutes  les  espé- 
rances, auparavant  voilées,  ont  commencé  à  briller 
avec  toutes  les  merveilles  du  salut  (S.  Grég.  de  Néo- 
césarée).  »  —  Et  l'infortuné  Adam,  dit  admirablement 
Pierre  de  Blois,  s'est  écrié  :  «  Depuis  tant  de  siècles 
que  je  suis  repoussé  de  ma  patrie  et  relégué  dans  le 
lieu  d'expiation,  j'ai  souvent  cherché  une  issue  à  ma 
peine,  mais  toujours  en  vain.  Que  pouvaient  les  hom- 
mes enveloppés  eux-mêmes  dans  l'arrêt  de  ma  pros- 
cription? Les  anges  aussi  n'ont  pu  opérer  ma  déli- 
vrance, incapables  qu'ils  étaient  de  payer  la  rançon 
nécessaire.  Enfin,  j'ai  vu  la  Mère  de  mon  Dieu,  j'ai  vu 
Celle  qui  est  la  Porte  par  où  le  Libérateur  est  venu 
du  sein  de  son  Père  pour  me  tirer  de  l'abîme.  0  mes 
enfants  !   Eve   votre   première  mère,    faisant  entrer 
avec  moi  le  péché  en  ce  monde,  avait  ouvert  pour  vous 
la  porte  des  pleurs  et  Marie  votre  seconde  Mère,  en- 
gendrant le  Dieu  de  toute  sainteté,  devient  le  principe 
de  votre  allégresse .  Séchez  vos  larmes  :  une  femme 
vous  sauve.  »  Marie  est  donc  réellement  Réparatrice , 
puisqu'elle  nous  a  donné  le  Réparateur,  et  que  par 
lui  elle  nous  a  rouvert  le  ciel. 


llS  JANT'A   C0EL1 

Morale  :  De  quelle  vive  reconnaissance  alors  ne 
devons-nous  pas  être  animés  envers  cette  généreuse 
Libératrice  !  Supposez  un  criminel  condamné  par  une 
juste  sentence  à  passer  le  reste  de  ses  jours  dans  un 
cachot  fétide  et  profondément  obscur,  écrasé  sous  le 
poids  de  lourdes  chaînes,  et  privé  de  toutes  relations 
semblables.;  tout  à  coup  une  main  puissante 
et  charitable  vient  briser  ses  fers  :  sans  aucun  mérite 
de  sa  part,  elle  le  tire  de  son  affreux  état  :  et  le  voilà 
jouissant  de  la  liberté  et  de  la  lumière,  pouvant  aller 
contempler  les  beautés  de  la  nature,  goûter  les  délices 
de  la  patrie,  les  joies  de  la  famille.  Sa  vie  tout  entière 
serait-elle  assez  longue  pour  reconnaître  un  service 
de  si  grand  prix  ?  Pourrait-il  jamais  devenir  ingrat  au 
point  d'oublier  un  bienfaiteur  aussi  généreux  ?  Si  le 
sacrifice  de  toute  sa  fortune,  de  sa  vie  même,  pouvait 
lui  être  agréable  ou  nécessaire,  balancerait-il  pour  lui 
donner  cette  preuve  de  dévouement?  Mais  ne  devons- 
nous  pas  infiniment  plus  à  Marie,  qui  par  Jésus-Christ 
nous  a  arrachés  à  la  mort  éternelle,  et  réintégrés  dans 
tous  nos  droits  au  céleste  héritage  :' 

Toutefois  ne  nous  reposons  pas  avec  une  confiance 
ssive  sur  ces  droits  qui  nous  ont  été  rendus.  Le 
ciel  nous  est  redevenu  accessible:  niais  il  ne  nous  est 
point  garanti,  «  Dieu  qui  nous  a  créés  san>  nous, 
affirme  saint  Augustin,  ne  nous  sauvera  pas  sans  nous: 
il  faut  le  vouloir,  disait-il  à  sa  sœur:  »  tout  est  dans 
ce  mot  bien  compris.  Oui,  le  ciel  ne  s'obtient  que  par 
des  efforts  généreux  et  constants.  C'est  une  récom- 
pense :  elle  suppose  nécessairement  la  peine  et  le  tra- 
vail: c'est  une  citadelle  :  il  faut  la  prendre  d'assaut: 
une  couronne;  elle  ne  peut  être  décernée  qu'à 
ceux  qui  auront  vaillamment  combattu.  C'est  par  la 
voie  étroite,  raboteuse,  semée  de  ronce-,  el  bordée 


JANUA  COEM  119 

d'épines,  qu'il  faut  marcher  pour  atteindre  le  bât.  Le 
royaume  des  deux  souffre  violence,  nous  assure 
Jésus-Christ,  la  Vérité  incarnée  :  ce  n'est  donc  que 
par  l'immolation  de  tout  nous-mêmes,  par  des  renon- 
cements coûteux  à  la  nature,  que  nous  pourrons  en 
faire  la  conquête.  Et  quoi  de  plus  juste,  que  la  peine 
soit  en  raison  du  salaire,  et  qu'un  bonheur  sans  fin 
demande  de  nous  un  tout  autre  travail  que  les  baga- 
telles de  ce  monde  qui  passe,  pour  lesquelles,  néan- 
moins, on  sait  trouver  du  temps  et  du  courage  ?  Soyons 
donc  assez  amis  de  nos  véritables  intérêts,  pour  met- 
tre au  premier  rang,  dans  nos  pensées,  dans  notre 
estime,  dans  nos  projets  et  dans*  nos  poursuites,  la 
grande  affaire  du  salut,  la  seule  nécessaire .  Regar- 
dons tout  le  reste  comme  inutile,  sijnous  l'avions  man- 
quée.  Eussions-nous  conquis  le  monde  entier,  dit 
encore  le  divin  Maître,  de  quoi  nous  servir  a-t-il,  si 
nous  avons  perdu  notre  âme  :  et  quel  autre  gain 
pourra  jamais  compenser  une  telle  perte  ?  Est-ce 
aujourd'hui  pour  ies  malheureux  réprouvés  un  adoucis- 
sement à  leur  supplice,  d'avoir  joui  sur  la  terre  de  tous 
les  biens,  réussi  dans  toutes  leurs  entreprises,  et  mené 
une  vie  exempte  de  toute  contrainte,  dans  cette  voie 
large  et  commode  qui  aboutit  à  la  perdition  ?  Ah  ! 
craignons  vivement  un  tel  malheur.  N'imitons  pas  la 
folie  -de  cet  homme  qui,  se  rendant  au  château  qu'il 
venait  d'acheter  pour  y  passer  le  reste  de  ses  jours, 
employa  tout  son  avoir  à  se  faire  un  logement  com- 
mode dans  l'hôtellerie  où  il  n'avait  que  la  nuit  à  sé- 
journer :  privé  de  toute  ressource,  force  lui  fut  de 
traîner  une  longue  vie  de  souffrance  entre  les  murs 
nus  et  froids  de  son  palais  désert.  Plus  sages  que  cet 
insensé,  ayons  moins  d'estime  et  d'empressement  pour 
ce  qui  n'est  que  passager,  et  donnons  la  préférence  à 


120  JANUA  COEI-I 

ce  qui  doit  durer  éternellement.  Souvenons-nous  que 
les  joies  de  ce  monde  sont  éphémères,  et  que  les  sup- 
plices de  l'autre  vie  sont  éternels  :  momentanexim 
qnod  delectat,  œternum  qnod  cruciat.  Travaillons  à 
faire  le  bien  tandis  qu'il  fait  jour  :  n'attendons  pas  pour 
sauver  notreàmeà  cette  nuit  où  l'on  ne  peut  plus  rien. 
Epargnons-nous  les  regrets  tardifs  de  cet  officier  qui, 
près  de  paraître  devant  Dieu,  s'écriait  en  soupirant  : 
«  Ah  !  quelle  fut  ma  folie  !  j'ai  écrit  plus  de  vingt  ra- 
mes de  papier  pour  le  service  de  mon  prince,  et  pas 
une  seule  ligne  pour  le  salut  de  mon  âme  !  »  —  C'est 
ce  que  reconnaissait,  et  aussi  trop  tard,  cet  autre  mo- 
ribond, qui  réclamait,  sans  que  personne  pût  le  satis- 
faire, une  seule  heure  de  ce  temps  dont  il  avait  tou- 
jours abusé.  —  Un  grand  roi  sur  son  lit  de  mort 
exhalait  la  même  plainte,  mais  aussi  inutilement  : 
«  Tout  est  passé  pour  moi,  disait-il  ;  ah  !  qu'il  me  se- 
rait bien  plus  avantageux  d'avoir  été  un  pauvre  villa- 
geois craignant  Dieu,  que  d'avoir  été  un  puissant 
monarque  !  »  Puissent  tous  ces  aveux  nous  être  une 
salutaire  leçon  !  (9) 

0  bonne  Marie,  pénétrez- moi  de  ce  vif  désir  de  mon 
salut,  qui  me  porte  à  la  sainte  violence  nécessaire  pour 
l'assurer,  afin  qu'un  jour  j'aie  le  bonheur  de  vous 
contempler  aux  brillantes  demeures  éternelles  dont 
vous  nous  avez  ouvert  l'entrée,  en  nous  donnant  le 
Sauveur  ! 

Pratique  :  Se  dire  souvent  comme  un  grand  pape  : 
c<  Si  j'avais  deux  âmes,  je  pourrais  en  risquer  une; 
mais,  comme  je  n'en  ai  qu'une,  rien  au  monde  ne  peut 
m'enga^er  à  la  perdre.  » 


JANUA   COELI  121 

EXEMPLES. 

ZÈLE  ADMIRABLE  POUR  SON  SALUT. 

Saint  Bernard,  parvenu  à  la  vigueur  de  la  jeunesse 
et  comprenant  de  mieux  en  mieux  l'extrême  difficulté 
de  se  sauver  dans  le  monde,  résolut  de  le  quitter. 
Quatre  de  ses  frères,  comme  lui  touchés  de  la  grâce, 
avait  pris  la  même  détermination.  En  traversant  la 
cour  du  château  qu'ils  abandonnaient,  ils  aperçurent 
le  petit  Nivard,  leur  plus  jeune  frère,  qui  jouait  avec 
des  enfants  de  son  âge.  «  Adieu,  petit  frère,  lui  dit 
l'aîné,  voilà  que  nous  partons  ;  tu  seras  seul  héritier 
de  notre  maison  et  de  tous  nos  biens.  »  —  «  Oui,  ré- 
pondit avec  vivacité  le  sage  enfant,  vous  prenez  le 
ciel,  et  vous  me  laissez  la  terre  ;  le  partage  n'est  pas 
égal,  et  je  ne. puis  m'en  contenter.  »  Quelque  temps 
après,  il  assurait  aussi  son  salut,  en  courant  se  réfu- 
gier dans  la  solitude,  laissant  à  son  tour  la  terre  pour 
le  ciel . 

—  Un  célèbre  astronome,  M .  Leverrier,  venait  de 
découvrir  une  planète  nouvelle  ;  et  dans  une  réunion  de 
savants,  c'était  à  qui  lui  adresserait  ses  félicitations. 
Mgr  Robiou,  évêque  de  Coutances,  qui  faisait  partie 
de  l'assemblée,  enrichit  encore  sur  tous  les  autres  par 
ce  compliment  aussi  spirituel  que  flatteur  :  «  Monsieur, 
on  ne  peut  pas  dire  de  vous,  comme  de  beaucoup  d'au- 
tres, que  vous  vous  êtes  élevé  jusqu'aux  nues,  mais 
on  doit  dire  jusqu'aux  astres.  » —  «  Monseigneur,  re- 
prit l'astronome,  je  médite  une  entreprise  beaucoup 
plus  importante  ;  je  veux  encore  monter  plus  haut.  » 
Que  ce  soit  là  aussi  notre  ambition  :  elle  est  bien  per- 
mise ! 

—  Thomas  Morus,  illustre  chancelier  d'Angleterre? 
avait  eu  le  rare  courage  de  ne  point  approuver  les  déré- 


122  JANUA  C0BL1 

glements  et  les  erreurs  du  roi  Henri  VIII.  Par  son  or- 
dre, il  est  arrêté,  mis  en  prison  et  bientôt  frappé  d'une 
sentence  de  mort.  Quelques  perfides  amis,  se  joignant 
à  la  famille  du  noble  prisonnier,  mirent  tout  en  œuvre 
pour  l'amener  aux  sentiments  du  monarque  ;  mais  ils 
iront  rencontré  qu'une  chrétienne  et  invincible  résis- 
tance. Sa  femme  elle-même,  étant  venue  le  visiter  dans 
son  cachot,  le  conjure  avec  larmes  de  céder  au  désir 
du  prince,  lui  représente  qu'un  seul  mot  de  sa  bouche 
peut  l'arracher  à  la  mort,  le  rétablir  dans  les  bonnes 
grâces  du  souverain,  lui  rendre  ses  anciens  honneurs, 
et  le  conserver  encore  pendant  de  longues  années  pour 
elle  et  pour  leurs  enfants.  —  «  Et  combien  de  temps, 
lui  demande  Morus.  pensez-vous  que  je  pourrai  jouir 
de  tous  ces  avantages  ?  »  —  «  Au  moins  vingt  ans,  et 
peut-être  plus  :  vous  êtes  encore  jeune.  »  —  «  Vingt  ans  ! 
Madame,  répéta  énergiquement  le  généreux  chrétien  : 
et  vous  voulez  que  pour  vingt  ans  d'une  vieillesse  même 
la  plus  honorable,  j'abandonne  une  éternité  de  bonheur? 
je  ne  gagnerais  pas  au  change  !  »  Peu  de  jours  après, 
le  vertueux  chancelier,  demeuré  inflexible,  payait  de 
sa  tête  son  attachement  à  son  devoir  et  à  sa  foi . 

ARTICLE  SECOND. 

Marie  Porte  du  ciel,  parce  que  sans  son  intercession 

il  est  impossible  d'y  arriver,  au  lieu  qu'avec  sa 

puissante  médiation  le  ciel  nous  est  assuré. 

Si  cette  dernière  assertion  doit  verser  dans  l'âme 
sincèrement  dévouée  à  Marie  un  baume  délicieux  d'es- 
pérance et  de  joie,  elle  n'est  pas  moins  glorieuse  pour 
la  très  sainte  Vierge.  Quoi  de  plus  honorable,  en  effet, 
qu'après  nous  avoir  donné  le  Sauveur  qui  nous  rouvrit 
Le  ciel,  elle  soil  encore  pratiquement  la  Porte  par  où  il 
nous  faut  passer  pour  y  être  introduits  :  quœpervia 
cœli  Porta  mânes.  C'esl  elle  qui  en  tient  les  clefs  :  en 


JANUA   COELI  123 

d'antres  mots,  sans  la  méditation  de  Marie  point  de 
salut  possible  ;  mais  aussi  par  elle,  il  est  immanquable. 

Sur  cette  double  vérité  nous  ne  voulons  point  être 
cru  d'après  nos  propres  paroles.  Ici  surtout,  les  saints 
Pères  et  Docteurs  de  l'Eglise  seront  nos  guides  ;  en  les 
suivant  nous  ne  pouvons  faillir  ;  devant  l'écho  de  ces 
grandes  voix  autorisées,  nous  restons  orthodoxe.  Venez 
donc  entendre  comme  sur  ces  deux  points  leurs  témoi- 
gnages sont  expressifs  et  unanimes. 

I.  Impossibilité  de  se  sauver  sans  l'intercession 
de  Marie.  — «  Il  ne  se  peut  pas,  dit  saint  Ignace  mar- 
tyr, qu'un  pécheur  parvienne  au  salut  sans  le  secours 
de  la  Vierge  ;  au  lieu  que  son  intercession  délivrera 
ceux  que  ;la  justice  divine  aurait  condamnés.  »  —  «  0 
très  sainte  Mère  de  Dieu,  s'écriait  un  célèbre  patriar- 
che de  Constantinople,  saint  Germain,  que  deviendrions- 
nous,  si  vous  nous  abandonniez,  vous  qui  êtes  l'esprit 
et  la  vie  des  chrétiens  ?  Nul  ne  peut  espérer  le  salut 
sans  votre  médiation,  nul  obtenir  miséricorde  et  arri- 
ver à  la  grâce  sans  votre  intercession.  »  Le  salut  est 
la  première  de  toutes  les  grâces,  pour  laquelle  existent 
toutes  les  autres  grâces.  «  Eh  bien  !  affirme  saint  Ber- 
nard, aucune  grâce  ne  descend  du  ciel  sur  la  terre, 
sans  passer  par  les  mains  de  Marie.  »  Et  selon  la  pen- 
sée de  saint  Antonin,  celui  qui  prétendrait  atteindre  le 
bonheur  éternel,  sans  le  demander  par  iMarie,  ressem- 
blerait à  l'oiseau  qui  voudrait  voler  sans  ailes.  «  Non, 
s'écrie  Bonaventure,  personne  ne  peut  entrer  au  ciel, 
s'il  n'est  aidé  par  Celle  qui  en  est  la  Porte.  Et,  comme 
il  n'est  pas  possible  qu'un  nouveau-né  vienne  bien  sans 
le  secours  d'une  nourrice,  de  même  le  chrétien  ne  peut 
arriver  au  salut,  sans  la  protection  de  Marie.  »  Il  est 
rapporté  que  saint  François  de  Borgia  s'attristait  jus- 
qu'aux larmes,  quand  il  voyait  quelqu'un  de  ses  reli- 


12i  JANI'A   C0BL1 

gieux  non  pas  manquer  entièrement  de  dévotion  envers 
la  sainte  Vierge,  mais  n'en  avoir  qu'une  faible  et  tout 
ordinaire  :  il  n'hésitait  pas  de  lui  dire  que  sûrement  il 
n'était  point  sur  le  chemin  du  ciel.  Nous  voyons  dans 
la  sainte  Ecriture  qu'Holoferne,  voulant  réduire  les 
habitants  de  Béthulie ,  fit  couper  les  aqueducs  qui 
amenaient  l'eau  à  la  ville.  Et  voilà  ce  que  fait  le  dé- 
mon :  sachant  que  l'on  ne  peut  rien  pour  le  salut  sans 
la  grâce,  que  Marie  en  est  la  Trésor  1ère  et  le  Canal 
nécessaire  ,  il  s'efforce  d'éteindre  en  ceux  qu'il  veut 
perdre  toute  dévotion  pour  elle  ;  et  les  conduits  de  la 
grâce  étant  ainsi  interceptés,  ils  sont  à  la  merci  de  ses 
ruses  et  de  ses  attaques,  ce  qui  lui  rend  la  victoire 
facile  et  par  le  fait  trop  souvent  certaine. 

Néanmoins,  serait-il  juste  de  dire  que  l'absence  de 
dévotion  pour  la  sainte  Vierge  est  une  marque  assurée 
de  réprobation?  Aucune  plume  catholique  ne  l'a  jamais 
écrit  :  et  nous  n'avons  garde  d'émettre  une  proposition 
aussi  désespérante.  Mais  ce  que  l'on  peut  dire  sans  té- 
mérité, c'est  que  n'avoir  pour  la  Mère  de  la  divine 
grâce  qu'une  glaciale  indifférence,  ne  se  mettre  en  peine 
ni  de  l'invoquer,  ni  de  l'imiter,  c'est  refroidir  le  cœur 
de  Dieu,  c'est,  en  renonçant  à  la  protection  de  sa  sainte 
Mère,  se  priver  d'un  des  plus  puissants  moyens  de  sa- 
lut, et  courir  les  plus  grands  risques  d'une  malheureuse 
éternité.  Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  ce  point  ; 
il  nous  sera  beaucoup  plus  agréable  de  voir  que, 

II.  Avec  In  dévotion  à  Marie,  le  salut  est  imman- 
quable. —  Il  est  clair  que  par  la  dévotion,  sur  garant 
de  salut,  nous  entendu]]-  doii  poinl  celle  qui  à  quelques 
exercices  plus  ou  moins  sérieux  de  piété  associerait 
des  désordres,  des  vices,  mais  bien  une  dévotion  qui, 
selon  l'esprit  du  Christianisme,  soit  sincère,  sage  et 
pratique.  En  ce  sens,  il  est  hors  de  doute  que  le  culte 


JANUA  COELI  125 

de  la  très  sainte  Vierge  est  un  des  signes  les  plus  as- 
surés d'élection  éternelle.  Et  voici  sur  quoi  nous  fon- 
dons cette  consolante  vérité. 

Les  livres  saints  comparent  Marie  au  platane.  Pour- 
quoi? se  demande  un  Père  des  premiers  siècles  :  «  parce 
que,  de  même  que  le  platane  est  l'arbre  qui  étend  ses 
rameaux  le  plus  au  loin  ;  ainsi  Marie  couvre  de  son  om- 
brage protecteur  tous  ceux  qui  viennent  s'y  réfugier  ; 
et  sous  cette  ombre  hospitalière,  ils  n'ont  plus  à  crain- 
dre ni  le  feu  des  passions,  ni  aucun  accident  fâcheux.  » 
—  Vous  avez  été  remplie  de  grâce,  s'écrie  saint  Atha- 
nase,  afin  de  devenir  la  voie  par  laquelle  on  arrive  à 
l'heureuse  patrie.  »  —  «  Le  vrai  serviteur  de  Marie, 
attestent  saint  Hilaire  et  saint  Anselme,  ne  peut  se 
damner  ,  eût-il  par  le  passé  gravement  offensé  son 
Dieu  ;  »  —  «  parce  que,  dit  un  autre  saint,  invoquer 
Marie  c'est  être  sur  de  sa  protection,  et  sa  protection 
est  une  garantie  certaine  contre  les  trois  ennemis  les 
plus  dangereux,  le  monde,  la  chair  et  le  démon.  » 
Saint  Bonaventure  se  livre  à  la  plus  vive  allégresse, 
en  considérant  le  riche  moyen  de  salut  que  nous  trou- 
vons en  la  Vierge  puissante  :  «  Grande  Reine,  lui  dit- 
il,  celui  qui  vous  honore  et  qui  se  recommande  à  votre 
bonté  est  bien  loin  de  la  perdition  ;  son  àme  n'ira  ja- 
mais dans  les  flammes  éternelles.  Il  y  a,  ajoute-t-il, 
une  neuvième  béatitude  à  joindre  aux  huit  proclamées 
par  Jésus-Christ  ;  c'est  celle-ci  :  Heureux  ceux  qui  se 
seront  confiés  en  Marie  ;  leur  nom  est  inscrit  au  livre 
de  vie.  »  —  «  La  dévotion  envers  la  Mère  de  Dieu  est 
comme  une  lettre  d'affranchissement  de  l'esclavage 
éternel,  »  déclare  saint  Ephrem,  qui  ose  bien  l'appeler 
«  la  clef  du  paradis  ;  » — «  où  elle  commande  en  Reine, 
selon  Richard  de  saint  Laurent,  y  faisant  entrer  qui 
elle  veut.  —  «  C'est  un  gage  certain  de  prédestina- 


126  JAXLA   COELI 

tion,  nous  assure  saint  Bernard,  parce  qu'elle  ne  man- 
que ni  du  pouvoir  ni  de  la  volonté  de  nous  sauver. 
Soutenus  par  elle ,  continue-t-il ,  vous  ne  tomberez 
pas  :  si  elle  vous  porte,  vous  n'avez  rien  à  craindre  ; 
sous  sa  conduite,  vous  ne  vous  égarerez  pas  dans  la 
route  :  avec  sa  protection,  vous  parviendrez  sûrement 
au  terme.  »  C'est  aussi  la  ferme  conviction  de  saint 
Antonin  :  «  Comme  il  ne  peut  se  faire,  dit-il,  que  ceux 
dont  Marie  détourne  les  yeux  soient  sauvés  ;  de  même, 
il  est  de  toute  nécessité  que  ceux  qu'elle  regarde  avec 
bonté  arrivent  à  partager  sa  gloire.  »  — «  0  Vierge  im- 
maculée, s'écrie  saint  Jean  Damasc?ne,  dans  le  même 
sens,  si  j'ai  placé  en  vous  mon  espérance,  et  que  vous 
me  défendiez,  je  dois  bannir  toute  crainte  ;  armé  de 
votre  protection ,  comme  d'un  bouclier  impénétrable, 
je  poursuivrai  mes  ennemis  et  j'en  serai  vainqueur  !  » 
Nous  pourrions  certainement  nous  en  tenir  à  ces  té- 
moignages ;  mais  continuons  à  citer  :  c'est  éprouver 
comme  un  avant-goùt  des  voluptés  célestes,  que  d'en- 
tendre les  graves  autorités  qui  nous  les  garantissent 
par  la  douce  Vierge.  ■ 

Quand  nous  considérons  d'une  part  tous  les  périls 
semés  sur  cette  terre  d'épreuves,  et  de  l'autre  notre 
extrême  fragilité,  nous  nous  écrions  comme  les  apô- 
tres :  Et  qui  donc  sera  sauvé?  «  Voulez-vous  le  savoir, 
répond  Denis  le  Chartreux?  Ce  sera  celui  pour  qui 
Marie  aura  prié  ;  »  —  «  et  même  une  seule  fois,  ajoute 
saint  Anselme  ;  elle  le  conduira  à  Jésus,  qui  déposera 
sur  son  front  une  couronne  de  gloire,  laquelle  brillera 
embellie  du  sourire  de  cette  bonne  Mère.»  —  «  Quand 
je  serais  à  demi  dans  l'enfer,  affirmait  une  sainte  célè- 
bre, j'espérerais  en  la  Reine  du  ciel,  personne  ne  peut 
périr  entre  les  mains  de  Marie.  »  —  «  Si  Jésus,  en  éta- 
blissant saint  Pierre  chef  de  son  Eglise,  dit  encore  un 


JANUA  COELl  127 

pieux  auteur,  lui  a  confié  pour  lui  et  pour  tous  ses  suc- 
cesseurs les  clefs  du  royaume  des  cieux,  n'est-il  pas  per- 
mis et  surtout  bien  consolant  de  croire  que  Marie  a 
reçu  le  même  pouvoir  avec  une  extension  encore  beau- 
coup plus  grande  ?  »  Concluons  donc,  avecun  saint  reli- 
gieux, que  «  servir  Marie  c'est  être  aussi  sur  du  ciel 
que  si  déjà  l'on  y  était  arrivé.  » 

Tous  ces  témoignages  sont  assurément  des  plus  im- 
posants par  leur  étonnant  accord,  et  par  le  ton  de  cer- 
titude dont  ils  sont  empreints.  N'allons  pas  penser, 
néanmoins,  que  ce  ne  soit  là  qu'une  pieuse  exagération 
d'esprits  exaltés  qui  aiment  à  se  grossir  le  mérite  de  leur 
dévotion  envers  l'auguste  Vierge  :  ce  serait  une 
funeste  erreur.  Toutes  ces  affirmations  si  positives 
reposent  sur  un  des  grands  dogmes  fondamentaux  de 
la  doctrine  catholique,  la  Maternité  divine  de  Marie  : 
c'est  là  qu'elles  puisent  leur  force  démonstrative.  En 
effet,  il  est  certain  que  c'est  en  vue  de  notre  salut  que 
Marie  a  été  appelée  à  la  sublime  dignité  de  Mère  de 
Dieu.  En  cette  qualité,  elle  a  eu  une  part  très  active 
dans  cette  rédemption  du  genre  humain,  en  fournis- 
sant la  Victime  qui  l'a  opérée,  en  sanctionnant  son 
immolation  sur  le  Calvaire,  en  unissant  ses  propres 
souffrances  à  celles  de  son  adorable  Fils,  et  ses  larmes 
à  son  sang.  Evidemment,  elle  .voulut  notre  salut  au- 
tant qu'elle  pouvait  le  vouloir;  évidemment,  nous  sau- 
ver était  son  désir  et  sa  mission;  et  parce  qu'elle  doit 
achever  son  œuvre,  nous  sauver  c'est  toujours  son 
rôle  et  son  office.  Dès  là  donc  que  nous  l'invoquons 
dans  ce  même  but,  dès  que  nous  venons  nous  placer 
sous  son  égide  et  lui  confier  nos  éternelles  destinées,  il 
ne  se  peut  qu'elle  nous  rejette. 

Il  y  a  plus  :  au  pied  de  cette  même  Croix,  c'est  tou- 
jours avantageux  de  se  le  rappeler  pour  y  puiser  de 


[28  JANTA  Q0BL1 

nouveaux  enseignements,  nous  devînmes  ses  enfants. 
Mère  pleine  de  tendresse,  quel  n'est  pas  son  désir  de 
nous  associer  à  son  bonheur  !  Dès  le  moment  donc  que 
nous  recourons  à  elle  avec  cette  confiance  qui  frappe 
à  son  cœur,  elle  ne  peut  ni  ne  doit  oublier  qu'elle 
est  notre  Mère  :  il  faut  qu'elle  exécute  le  testament 
de  son  Fils  qui  nous  a  faits  sa  famille  d'adoption. 

L'histoire  vient  aussi  consacrer  de  son  autorité  irré- 
fragable cette  délicieuse  vérité,  en  nous  révélant  par 
des  milliers  de  faits  que  Marie  a  remué  ciel  et  terre, 
dérogé  à  toutes  les  lois,  multiplié  le  miracle  en  vue 
des  âmes  qu'elle  voulait  sauver.  C'est  dans  ce  but, 
manifeste  à  tout  observateur  croyant  et  sincère,  qu'elle 
conduit  les  événements,  qu'elle  ménage  les  occasions, 
qu'elle  envoie  la  maladie  ou  ramène  la  santé,  qu'elle 
éclaire,  qu'elle  touche,  qu'elle  convertit  et  fait  persé- 
vérer. Ses  innombrables  faveurs,  diverses  pour  la 
forme,  convergent  toutes  vers  la  même  fin,  de  nous 
aider  à  conquérir  le  ciel. 

Des  annales  du  Christianisme  ressortent  encore 
deux  faits  généraux,  singulièrement  remarquables  et 
des  plus  consolants,  savoir,  que  tous  les  saints  ont  été 
vivement  affectionnés  à  Marie,  et  que  tous  les  chré- 
tiens qui  lui  furent  généreusement  dévoués  sont  par- 
venus à  la  sainteté.  Oui,  et  n'en  doutons  pas,  c'est 
par  son  secours  que  tant  de  justes  ont  avancé  rapide- 
ment dans  la  voie  de  la  perfection,  que  tant  d  âmes 
tièdes  ont  trouvé  le  courage  nécessaire  pour  secouer 
leur  léthargie  ;  c'est  à  elle  que  tant  de  coupables  doi- 

1  une  conversion  subite  et  souvent  inespérée.  Ma- 
rie, c'est  la  planche  du  salut  pour  les  naufragés  ;  c'est 
l'armure  la  mieux  trempée  contre  toute  sorte  d'enne- 
mis: c'est,  redisons-le  avec  le  dévot  Bernard,  un  gage 

tain  de  prédestination  :  certissimum  >  mlur 


ÏANTJA   nOEL!  129 

Us  conseqiienclœ'.  Marie,  c'est  le  ciel,  puisque,  nous  l'a- 
vons prouvé,  elle  en  est  la  Porte,  aussi  sûre  que  néces- 
saire :  Félix  cœli  Porta.  Elle  y  sera,  après  Dieu,  les 
délices  de  l'âme,  la  joie  et  l'ivresse  du  cœur,  sa  félicité 
sans  fin. 

Morale  :  Ici,  la  conséquence  pratique  se  tire  d'elle- 
même  ;  tant  elle  est  conforme  aux  instincts  de  notre 
cœur.  Marie  Porte  du  ciel!  Oh  !  comme  ce  titre,  l'un 
de  ses  plus  beaux,  doit  rafraîchir  notre  âme  desséchée 
et  relever  notre  espérance,  si  elle  venait  à  faiblir! 
Créés  pour  ce  délicieux  séjour,  qui  doit  être  le  plus 
cher  objet  de  nos  désirs  et  de  nos  efforts,  faisons-nous 
donc  du  culte  de  Marie,  comme  un  appui  pour  y  mon- 
ter. Aidons-nous  de  ce  char,  ainsi  que  l'appelle  un  de 
ses  pieux  panégyristes,  sur  lequel  ses  serviteurs  arri- 
vent sans  accident  au  terme  de  leur  carrière.  —  «  Sur 
cette  barque,  dit  encore  un  Père,  nous  traverserons 
heureusement  les  flots  soulevés,  nous  éviterons  les 
écueils  de  la  mer  orageuse  du  monde  et  nous  arrive- 
rons heureusement  au  port.  »  Si  donc,  par  une  dévo- 
tion sincère  et  ardente,  nous  avons  su  mériter  ses 
bonnes  grâces,  levons  des  yeux  pleins  de  confiance  vers 
les  régions  célestes.  Là,  nous  verrons,  non  point  comme 
autrefois  sur  le  seuil  du  jardin  de  délices,  un  Chérubin 
armé  d'un  glaive  de  feu  pour  nous  en  défendre  l'entrée, 
mais  une  aimable  Vierge,  une  douce  et  bénigne  Mère, 
nous  tendant  les  bras,  pour  nous  introduire  au  sein  de 
son  immortelle  béatitude . 

Pratique  :  Tous  les  jours,  au  moins  cinq  fois,  en 
l'honneur  des  cinq  plaies  adorables  du  Sauveur,  répé- 
ter cette  suave  invocation  :  Doux  cœur  de  Marie,  soyez 
mon  salut  ! 


130  IANOA  CCEL1 

EXEMPLES 

IGNi:  ASSURÉ    I 

Voici,  à  l'appui  de  cette  vérité,  un  fait  arrivé  tout 
récemment  dans  les  missions  d'Amérique.  —  Une 
pauvre  femme,  qui  avait  conservé  précieusement  la 
grâce  de  son  baptême,  était  connue  dans  toute  la  con- 
trée  par  la  vivacité  de  sa  foi,  l'ardeur  de  sa  piété  et 
surtout  sa  tendre  dévotion  envers  la  sainte  Vierge. 
Elle  tomba  dangereusement  malade  et  fit  appeler  le 
missionnaire,  a  Mon  Père,  lui  dit-elle,  je  sens  que  je 
n'ai  plus  longtemps  à  vivre  ;  ce  n'est  point  pourtant 
que  cela  m'afflige,  tout  au  contraire,  je  me  réjouis  de 
mourir  dans  l'espérance  de  voir  Dieu  au  ciel,  où  je 
compte  être  introduite  par  la  sainte  Vierge.  Seulement, 
je  vous  prie  d'offrir  après  ma  mort  une  fois  le  saint 
Sacrifice  pour  le  repos  de  mon  âme,  et  je  vous  pro- 
mets de  ne  point  vous  oublier  quand  je  serai  dans  la 
gloire.  » 

Elle  reçut  les  derniers  sacrements  avec  une  ferveur 
admirable,  et  peu  de  temps  après,  elle  tomba  en 
léthargie  :  on  la  crut  morte.  Le  lendemain,  comme  on 
se  disposait  a  l'ensevelir,  elle  revint  à  elle  et  demanda 
sa  petite  image  de  la  sainte  Vierge  :  on  la  lui  présente; 
elle  la  couvre  de  baisers  et  de  douces  larmes  ;  on  ne 
pouvait  l'en  séparer. 

Le  Père  est  appelé  ;  elle  lui  dit  :  «  Mon  Père,  un 
ange  m'a  c  induite  a  l'entrée  de  l'enfer,  j'en  suis  encore 
toute  épouvantée.  Une  chose  pourtant  adoucit  ma 
frayeur,  c'est  qu'il  m'a  asssuré  que,  parmi  les  millions 
de  damnés,  aucun  sur  la  terre  n'avait  eu  de  dévotion 
envers  Marie.  Aussi,  dès  maintenant,  je  veux  redou- 
bler pour  elle  d'amour,  de  confiance  et  de  zèle  à  l'imi- 
ter.  •■  —  (yMie  cet  exemple  est  propre  à  raviver  i'espé- 


STELLA   MATUTINA  131 

rance  au  cœur  des  eufauts  de  Marie,  et  à  les  animer 
dans  son  service  ! 

r» —  Saint  Charles  Borromée  avait  la  plus  ardente 
dévotion  pour  la  sainte  Vierge  ;  il  jeûnait  au  pain  et  à 
lfeau  la  veille  de  ses  fêtes,  récitait  chaque  jour  son 
Office  et  le  chapelet,  malgré  ses  nombreuses  occupa- 
tions, et  n'était  pas  moins  soigneux  à  la  saluer,  quand 
le  son  de  la  cloche  donnait  le  signal  de  X Angélus.  Il 
établit  dans  sa  cathédrale  une  chapelle  et  la  confrérie 
du  Rosaire  avec  une  procession  solennelle  le  premier 
dimanche  de  chaque  mois.  Et,  par  un  autre  acte  de 
respect  autant  que  de  confiance  envers  la  sainte  Mère 
de  Dieu,  il  ordonna  que  sa  statue  serait  placée  au 
portail  de  toutes  les  églises  de  son  Diocèse,  voulant 
ainsi  faire  entendre  qu'on  ne  peut  entrer  au  temple  de 
la  gloire  céleste  que  par  Marie,  si  justement  nommée 
la  Porte  du  ciel. 

0  Marie  ! 

Contre  moi  seul,  que  tout  l'enfer  conspire, 

Je  ne  crains  rien  de  sa  vaine  fureur  ; 

Un  cœur  soumis  a  votre  aimable  empire 

Est  assuré  du  souverain  bonheur. 


CHAPITRE  XXXV. 


ETOILE  DU  MATIN 

On  appelle  étoile  du  matin  celle  qui  brille  encore 
après  la  disparition  des  autres,  et  annonce  le  prochain 
lever  du  soleil,  dont  elle  est  comme  l'avant-garde.  C'est 
une  étoile  toute  d'espérance  et  de  joie.  Devant  sa  douce 
clarté,  commencent  à  se  dissiper  les  ténèbres  de  la  nuit, 
la  nature  se  revêt  d'une  nouvelle  beauté,  l'allégresse 
renaît  en  tout  lieu .  A  son  aspect,  les  oiseaux  gazouil- 
lent plus  mélodieusement  sous  le  feuillage  ;  leur  chant 


132  STELLA    MATOTINA 

matinal  est  comme  un  salut  à  la  lumière  qu'ils  retrou- 
vent ;  la  confiance  revient  au  cœur  du  nautonnier  et 
du  voyageur,  que  l'obscurité  continue  de  la  nuit  aurait 
pu  égarer  dans  leur  course  ;  les  animaux  malfaisants, 
qui  redoutent  l'éclat  du  jour ,  s'empressent  avec 
effroi  de  regagner  l'épaisseur  des  bois  et  leurs  sombres 
tannières  ;  l'homme  devançant  l'aurore  prend  le  bâton 
du  pèlerin  ou  se  rend  tout  joyeux  au  travail  des  champs . 

Par  cet  exposé,  on  a  déjà  pu  entrevoir  les  rapports 
entre  cette  étoile  matinière  et  Marie,  l'astre  précur- 
seur du  Soleil  de  justice.  Toutefois,  cette  admirable 
ressemblance  va  mieux  ressortir  encore  par  des  détails 
du  plus  vif  intérêt. 

Oui,  c'est  bien  ajuste  titre  que  Marie  est  appelée 
Etoile  du  matin.  —  Chers  lecteurs,  vous  avez  sans 
doute  joui  quelquefois  du  radieux  spectacle  d'une  belle 
aurore  ;  et  les  merveilleux  effets  du  point  du  jour  vous 
ont  jetés  dans  l'extase  de  l'admiration.  11  serait  bien 
à  plaindre  celui  qui,  insensible  à  un  si  imposant  coup- 
d'œil,  ne  se  sentirait  pas  disposé  à  glorifier  Dieu  dans 
la  magnificence  de  ses  œuvres.  Mais  qu'il  y  a  loin  de 
tous  les  charmes  de  l'aube  matinale,  la  plus  brillante 
et  la  plus  pure,  à  Marie,  la  véritable  Etoile  du  matin, 
annonçant  à  l'univers  attristé  que  la  longue  nuit  de 
malédiction  touche  à  sa  fin,  et  que  le  jour  béni  de  la 
grâce  commence  à  poindre  dans  l'arrivée  toute  pro- 
chaine de  Jésus-Christ,  Lumière  de  lumière!  Oui, 
c'est  là  l'heureux  présage  qui  fut  donné,  au  moment  où 
naquit  la  très  sainte  Vierge,  moment  sans  contredit  le 
plus  beau  après  celui  où  elle  enfanta  le  Messie-Rédemp- 
teur. Jusque-là,  le  berceau  de  tous  les  enfants  d'Adam 
avait  été  environné  de  craintes  et  de  larmes,  qui  suc- 
cédaient bientôt  aux  joies  passagères  de  la  maternité  : 
et  Les  plaintes,  que  Job  exhala  sur  le  jour  de  sa  nais- 


STELLA    MAIL- TINA  133 

sauce,  trouvaient  un  lamentable  écho  sur  la  couche  de 
toutes  les  mères.  Mais  la  naissance  de  Marie  fut  un 
principe  de  joie  universelle  :  de  joie  pour  Dieu,  de  joie 
pour  les  anges,  de  joie  pour  les  hommes. 

Qui  pourrait,  en  effet,  se  faire  une  idée  de  l'ineffable 
joie  des  trois  Personnes  divines,  au  moment  où  appa- 
rut à  la  terre  cette  Vierge  immaculée  ;  de  la  joie  de 
Dieu  le  Père,  quand  des  hauteurs  de  la  gloire,  il 
abaissa  son  regard  sur  ce  berceau,  où  reposaient  les 
destinées  surnaturelles  de  l'univers  dans  la  personne 
de  cette  Fille  d'Eve,  qui  allait  bientôt  partager  sa  mys- 
térieuse fécondité  ;  de  la.  joie  de  Dieu  le  Fils,  le  Yerbe 
éternel,  lorsqu'il  vit  éclore  cette  Fleur ^ virginale  qui 
devait  le  donner  à  la  terre,  comme  le  Fruit  de  vie  ;  de 
la.  joie  du  Saint-Esprit,  contemplant  ce  sein  très  pur, 
où  sa  puissance  vivifiante  devait  unir  par  le  lien  le  plus 
étroit  la  nature  divine  et  la  nature  humaine,  afin  que 
cet  Homme-Dieu  fût  une  victime  pleinement  expiatoire 
pour  les  péchés  du  monde  ? 

Les  anges  aussi,  qui  vinrent  plus  tard  chanter  leur 
amour  sur  la  pauvre  étable  de  Bethléem,  quels  trans- 
ports de  bonheur  ne  durent-ils  pas  ressentir,  lorsque, 
doucement  inclinés  vers  le  berceau  de  la  Mère  du  Christ, 
ils  admiraient  leur  Reine  future,  qui  devait  les  faire 
messagers  de  ses  grâces  et  missionnaires  de  sa  clémence? 
Dès  ce  moment,  n'ont-ils  pas  dû  s'écrier  :  Quelle  est 
donc  Celle  qui  se  lève  ainsi  avec  la  brillante  ma- 
jesté de  V aurore  ?  Quœ  est  ista . . . 

Et  tous  ces  pauvres  captifs,  retenus  dans  les  limbes, 
où  ils  vivaient  d'espérance,  de  quelle  allégresse  ils 
tressaillirent,  en  voyant  resplendir  dans  leurs  som- 
bres demeures  les  rayons  de  cette  Etoile  bienfaisante, 
qui  leur  annonçait  le  jour  naissant  de  leur  délivrance, 
et  la  fin  prochaine  de  leur  dure  captivité  ! 


PARAPHRASE.  —   T.    H. 


134  STELLA    MATUT1NA 

L'enfer  seul  ne  partagea  point  la  joie  universelle  ; 
le  démon  y  était  obsédé  de  la  cruelle  et  juste  crainte 
que  cette  femme  merveilleuse,  qui  faisait  son  entrée 
dans  le  monde,  ne  fût  la  Femme  destinée  à  lui  écra- 
ser la  tète,  à  ruiner  son  empire  sur  les  âmes,  qu'il 
tenait  enchainées  sous  son  joug  dès  le  commencement. 

Mais  la  terre  surtout  dut  se  réjouir  de  l'apparition 
de  Marie,  gage  le  plus  rassurant  des  miséricordes  di- 
vines envers  le  genre  humain .  Quand  un  peuple,  ne 
voyant  point  d'héritier  de  la  couronne  sur  les  marches 
du  trône,  s'alarme  à  juste  titre  des  perturbations  et  de 
l'anarchie  qui  peuvent  à  la  mort  du  souverain  ré- 
gnant compromettre  la  paix  et  la  prospérité  publiques, 
avec  quels  transports  et  par  quelles  fêtes  pompeuses 
ne  fait-il  pas  éclater  sa  joie,  si  tout  à  coup  la  nais- 
sance d'un  prince  inespéré  vient  relever  sa  confiance 
dans  un  avenir  de  concorde  et  de  bonheur  ?  Dut-elle 
causer  moins  de  joie  la  naissance  de  -Marie,  cet  astre 
précurseur  d'un  règne  de  gloire  et  de  paix ,  cette 
avant-courrier  du  Géant  des  cieux  qui  doit  bientôt  ve- 
nir renouveler  la  face  de  la  terre  ? 

Que  la  nuit  parait  longue  à  un  malade,  et  de  quels 
désirs  ardents  il  appelle  l'aurore,  qui  le  réjouira  déjà 
de  sa  clarté  et  ensuite  de  l'espérance  que  le  médecin 
va  apporter  quelque  soulagement  à  sa  douleur  !  Ainsi, 
gémissant  dans  les  ténèbres  de  l'erreur  et  sous  le  poids 
de  ses  misères,  l'humanité  s'est-elle  sentie  allégée,  en 
voyant  apparaître  Marie,  douce  aurore  du  jour  de  la 
grâce,  nous  annonçant  l'arrivée  prochaine  du  céleste 
médecin  de  nos  âmes  ! 

Il  y  a  une  fleur  que  sa  précocité  a  fait  nommer  Perce- 
neige.  La  terre  est  encore  enveloppée  de  ses  vêtements 
d'hiver  ;  les  oiseaux  sont  toujours  muets  ;  et  l'eau  cap- 
tive sous  sa  voûte  de  cristal  n'a  pas  repris  son  doux 


STELLA    MATUTINA  135 

murmure.  Mais  les  premiers  jours  de  mars  ont  à  peine 
commencé  à  luire,  que  le  Perce-neige  se  dégage  de 
son  froid  manteau,  se  préparant  à  nous  montrer  ses 
cloches  d'un  blanc  d'ivoire  :  c'est  l'ar-en-ciel  terres- 
tre, qui  présage  au  monde  ennuyé  le  retour  prochain 
du  gracieux  printemps  et  semble  nous  dire  :  Je  viens 
vous  consoler  de  la  longue  absence  du  soleil,  et  vous 
apporter  l'espérance  des  beaux  jours.  Ainsi  Marie  ap- 
paraissant à  la  terre  lui  annonce  que  bientôt  va  ger- 
mer son  Sauveur,  et  que  les  unes  feront  pleuvoir 
le  Juste. 

Lorsqu'après  une  longue  et  terrible  tempête,  qui 
bouleversant  les  ondes  a  jeté  le  vaisseau  bien  loin  sur 
une  mer  inconnue,  réapparaît  l'étoile  polaire,  le  cœur 
s'ouvre  à  l'espérance,  les  forces  se  raniment  ;  la  main 
au  gouvernail  et  l'œil  au  ciel,  on  salue  déjà  le  rivage 
qu'on  désespérait  de  revoir.  Ainsi  encore  Marie,  véri- 
table Etoile  de  la  mer,  se  levant  sur  l'horizon  du  mon- 
de moral  et  annonçant  la  fin  de  la  tempête,  nous  mon- 
tre dans  Jésus-Christ  qui  va  venir,  le  port  du  salut 
prêt  à  nous  recevoir.  C'est  la  Messagère  aimable  de  la 
splendeur  céleste  qui  doit  éclairer  ceux  qui  sont  assis 
dans  les  ténèbres  et  dans  l'ombre  de  la  mort,  pour 
diriger  leurs  pieds  dans  les  voies  du  salut. 

Morale  :  Mais  Marie  ne  fut  pas  seulement  le  gage 
de  la  lumière  qui  va  luire  sur  le  monde  :  de  son  pro- 
pre berceau  jaillirent  déjà  des  traits  qui  commencèrent 
à  dissiper  nos  erreurs,  en  nous  montrant  la  véritable 
valeur  des  choses.  Entre  autres  enseignements,  là 
nous  apprenons  le  mérite  et  le  bonheur  de  l'obscurité. 
Marie  est  issue  d'une  race  royale  ;  elle  a  derrière  elle 
toute  une  longue  histoire  d'oracles  et  de  figures  qui 
l'annoncent  à  la  terre  ;  elle  est,  ainsi  que  le  Messie,  la 
Désirée  des  nations,  appelée  à  régénérer,  à  sauver  le 


136  STELLA    MATUTINA 

monde  par  le  Fils  qu'elle  enfantera  à  Bethléem  et  sa- 
crifiera sur  le  Calvaire  :  elle  doit  nous  consoler  par  sa 
toute-puissante  et  miséricordieuse  protection.  Jamais, 
depuis  L'origine  des  siècles,  naissance  ne  pesa  d'un 
poids  égal  sur  les  destinées  du  genre  humain.  Et  ce- 
pendant. Marie  reçoit  le  jour  ensevelie  dans  l'obscu- 
rité la  pins  profonde  :  inutilement  chercherait-on  le 
palais  de  son  auguste  Princesse  :  sa  naissance  n'est 
marqué  d'aucun  trait  qui  la  signale  à  l'attention  des 
hommes  :  nulle  démonstration  publique  ne  salue  son 
entrée  dans  la  vie  :  ses  parents  eux-mêmes  n'ont  pas 
le  moindre  soupçon  de  son  glorieux  avenir.  Qui  donc 
pourrait  encore  se  laisser  séduire  par  la  distinction  de 
sa  naissance,  ou  se  faire  une  honte  de  la  bassesse  de 
sa  condition,  quand  la  plus  illustre  des  créatures  ne 
tire  aucun  honneur  de  la  royauté  de  ses  aïeux,  et  ne 
ressent  aucune  humiliation  de  l'abaissement  de  sa  fa- 
mille? Devant  Dieu,  sachons-le  bien,  on  n'a  de  valeur 
que  par  la  vertu  :  tel  est  né  dans  la  pourpre,  qui  peut 
être  bien  vil  aux  yeux  du  Seigneur  :  tel  autre  reçoit 
la  vie  dans  une  chaumière,  qui  est  grand  aux  regards 
du  ciel,  où  il  est  appelé  à  régner  dans  la  splendeur  des 
saints. 

La  véritable  grandeur  est  toute  intérieure  :  telle  est 
celle  d'une  aine,  prête  à  tout  ce  qui  est  bon,  et  capable 
de  tout  ce  qui  est  sage  ;  pénétrant  chacune  de  ses 
actions  et  tous  ses  sentiments  d'un  inflexible  amour 
de  la  vertu  et  de  la  vérité  ;  ramenant  tout  à  Dieu,  sa 
fin  dernière  ,  nu  trouvant  qu'en  lui  la  raison  et  la  va- 
leur des  choses  ;  tenant  pour  grand  ce  qu'il  estime, 
pour  petit  ce  qu'il  condamne  ;  faisant  tout  ce  qu'il 
veut,  et  de  la  manière  qu'il  veut  ;  ne  comprenant 
pas  d'autre  gloire  ici-bas  que  de  traduire  sa  pensée 
en  œuvres  généreuses  et  de  lui  ressembler  en  toute 


STELLA    MATUTINA  Vtf 

chose.  Avec  ces  admirables  dispositions,  tous  vos  actes 
revêtent  un  caractère  de  grandeur,  qui  les  ennoblit  et 
les  élève  jusqu'à  une  hauteur  divine. 

Devant  les  hommes  aussi,  le  rang  ne  fait  pas  tou- 
jours le  vrai  mérite.  La  réputation  peut  bien  n'en  être 
pas  un  infaillible  garant.  Combien  de  braves,  combien 
de  héros,  qui  vus  de  près  ne  sont  que  des  hommes 
vulgaires  !  On  est  grand,  non  point  parce  que  l'on  a 
des  titres,  mais  parce  que  l'on  a  des  vertus .  Les  titres 
placent  au-dessus  des  autres  ;  les  vertus  seules  en 
distinguent.  Celui  dont  la  tête  porterait  trois  cou- 
ronnes est  encore  pauvre,  si  la  vertu  n'y  mêle  son 
éclat. 

Un  philosophe  de  l'antiquité  a  dit  fort  spirituelle- 
ment que,  si  les  femmes  savaient  comme  la  vertu  re- 
hausse même  la  beauté,  elles  voudraient  toutes  se 
rendre  vertueuses  pour  être  belles.  —  Un  célèbre 
Romain  eut  l'ingénieuse  idée  d'élever  deux  temples 
contigus,  l'un  à  la  Vertu  et  l'autre  à  la  Gloire,  vou- 
lant par  là  faire  entendre  qu'on  ne  pouvait  entrer  dans 
le  second  sans  passer  par  le  premier. 

Grande  devant  Dieu,  grande  devant  les  hommes,  la 
vertu  est  donc  la  source  de  la  gloire  solide  ;  elle  est 
aussi  la  route  la  plus  sûre  pour  trouver  le  bonheur. 

Et  c'est  de  préférence  dans  l'ombre  d'une  vie  obscure 
que  croit  la  vertu  et  qu'elle  trouve  un  abri  plus  assuré . 
Loin  donc  de  nous  plaindre  de  la  bassesse  de  notre  con- 
dition, chérissons-làet  surtout  mettons-lààprofit(lO). 

C'est  la  grâce  que  je  vous  demande  instamment,  ô 
divine  Mère  !  obtenez-moi  d'affectionner  mon  état, 
d'en  sanctifier  tous  les  devoirs,  toutes  les  œuvres,  tou- 
tes les  joies,  toutes  les  peines  ;  et  d'être  ainsi  vertueux 
en  vue  de  la  récompense  promise  au  serviteur  fidèle  : 
Beatus  Me  servies... 


138  STELLA  MATDTINA 

Pratique  :  A  l'exemple  de  saint  Stanislas  de  Kostka, 
offrir  à  Marie  dès  son  réveil  une  couronne  de  fleurs 
spirituelles ,  c'est-à-dire  une  couronne  composée  des 
différents  actes  de  vertu  et  de  mortification  que  l'on 
pratiquera  dans  la  journée. 

EXEMPLE  ET  ALLÉGORIE 

VISITE   A   MARIE   DÈS   LE    POLNT   DU   JOUR 

Saint  Bernardin  de  Sienne  avait  pris  l'habitude  de 
sortir  avant  le  lever  du  soleil ,  et  revenait  quelque 
temps  après,  le  visage  empreint  d'une  sérénité  d'ànie 
extraordinaire.  Des  conjectures  étaient  hasardées  sur 
cette  démarche  ;  il  était  jeune  encore,  on  finit  par  pen- 
ser mal.  Un  jour,  quelques  étourdis,  voulant  lui  arra- 
cher le  secret  de  ces  sorties  si  matinales  et  si  empressées, 
lui  posèrent  nettement  la  question.  Bernardin,  sans 
s'émouvoir ,  répondit  avec  une  douceur  angélique  : 
a  Pas  loin  d'ici  se  trouve  une  personne  que  je  chéris  ; 
c'est  à  elle  que  tous  les  matins  je  fais  une  visite.  »  Ces 
paroles,  on  le  devine,  ne  firent  qu'aiguillonner  la  curio- 
sité de  ces  jeunes  gens,  qui  aussitôt  se  donnent  le  mot 
pour  se  mettre  en  vedette  dès  le  lendemain  sur  son 
passage.  En  effet,  ils  l'aperçoivent  se  dirigeant  d'un 
pas  ferme  et  pressé  vers  une  chapelle  de  la  Vierge, 
dont  le  petit  clocher  s'élevait  gracieusement  au  milieu 
d'un  bosquet  d'arbres  verts.  Us  l'avaient  suivi  de  loin  ; 
et  quand  il  fut  entré  dans  le  silencieux  sanctuaire,  ils 
vinrent  ouvrir  doucement  la  porte,  et  là,  ils  virent 
Bernardin  à  genoux  devant  la  statue  de  la  Vierge, 
tout  absorbé  dans  l'extase  de  la  prière  ;  de  douces 
larmes  coulaient  de  ses  yeux  en  flammés  d'amour  ;  on 
eût  dit  un  ange  descendu  sur  la  terre,  répandant  ses 
soupirs  devant  sa  Reine.  Les  jeunes  curieux  se  reti- 


SALUS    INFIKMOtfUM  139 

rèrerit,  aussi  édifiés  de  sa  conduite,  que  confus  d'avoir 
suspecté  les  démarches  d'un  saint. 

JUGEMENT   EN   FAVEUR    DE   LA    VERTU    CHEZ   LES     PAÏENS 

Un  certain  jour ,  les  divinités  qui  président  à  la 
Richesse,  à  la  Volupté,  à  la  Santé  et  à  la  Vertu  appa- 
rurent tout  à  coup  devant  l'Aréopage,  demandant  que 
dans  leur  sagesse  les  juges  assignassent  à  chacune 
d'elles  le  rang  qu'elle  devait  occuper,  d'après  son  degré 
d'influence  sur  le  bonheur  des  hommes.  La  Richesse  fit 
valoir  sa  magnificence,  les  satisfactions  de  tout  genre 
qu'elle  procure  ;  et  déjà  les  juges  éblouis  par  ce  pom- 
peux étalage  allaient  lui  assigner  le  premier  rang, 
lorsque  la  Volupté  rabaissa  le  mérite  de  sa  rivale,  en 
démontrant  que  l'unique  but  des  richesses  était  de 
conduire  au  plaisir  :  et  toute  l'Assemblée  de  donner 
gain  de  cause 'à  la  Volupté.  Mais  tout  aussitôt,  la  Santé 
s'étant  levée,  n'eut  pas  de  peine  à  prouver  que  sans 
elle  L'abondance  des  richesses  servirait  peu,  et  que  les 
plus  douces  voluptés  deviendraient  des  amertumes. 
L'Aréopage  séduit  paraissait  incliner  en  sa  faveur.  Plus 
vite  encore,  la  Vertu  se  dressant,  fit  observer  que  la 
richesse,  le  plaisir  et  la  santé  ne  sont  que  des  biens 
fragiles,  et  qu'en  son  absence  ils  deviennent  même  des 
maux  pour  qui  ne  sait  pas  en  user  avec  sagesse.  A  cet 
exposé  simple  et  vrai,  toute  l'Assemblée  battit  des 
mains  et  adjugea  le  premier  rang  à  la  Vertu. 


CHAPITRE  XXXVI 


SALUT  DES  INFIRMES 

Les  titres  que  jusqu'ici  nous  avons  contemplés  en 
Marie,  nous  ont  révélé  principalement  ses  privilèges 
et  ses  vertus.  En  voici  d'autres  bien  touchants,  non 


140  SALUS   IXFJUMOIU'M 

plus  voilés,  mais  qui  expriment  nettement  sa  puissante 
et  bénigne  intervention  dans  les  souffrances,  dans  les 
différentes  épreuves,  dans  les  dangers  même  pour  le 
corps,  inévitables  en  cette  désolante  vallée  de  larmes. 
Le  premier  de  ces  titres  est  Salut  des  infirmes. 

La  maladie ,  les  infirmités  de  toute  espèce  sont  le 
triste  apanage  de  la  pauvre  humanité.  L'enfant  souffre 
dès  son  entrée  dans  le  monde  ;  c'est  par  les  larmes 
qu'il  annonce  ses  premiers  malaises  :  les  douleurs  le 
suivront,  comme  son  ombre,  dans  tout  le  cours  de  son 
pèlerinage  sur  cette  terre  d'exil  ;  et  les  douleurs  encore 
précéderont  son  dernier  soupir.  C'est  là  une  terrible, 
mais  juste  punition  du  péché.  Toutefois,  en  donnant 
ainsi  un  libre  cours  à  sa  justice,  Dieu  n'a  pas  oublié 
sa  miséricorde.  Au  pauvre  infirme  abattu  sur  sa  cou- 
che, à  tout  malheureux  accablé  sous  le  poids  de  quel- 
que souffrance,  sourit  un  nom  plein  de  puissance  et  de 
charmes  !  ce  nom  est  celui  de  Marie,  véritable  Salut 
des  infirmes  ; 

I.  Par  les  secours  et  consolations  qu'ils  reçoivent  de 
ses  fidèles  servantes  ;  par  les  soulagements  et  guéri- 
sons  qu'elle-même  leur  proeure  ; 

II.  Par  la  grâce  d'une  bonne  mort  qu'elle  sait  leur 
obtenir. 

III.  Par  le  jugement  favorable  qu'elle  leur  assure. 

ARTICLE   PREMIER. 
Marie,  Salut  des  infirmes,  par  les  secours  et  con- 
solations qu'ils  reçoivent  de  ses  fidèles  servantes  ; 
par  les  soulagements    et  guérisons   qu'elle-même 
leur  procure. 

I.  Secours  et  Consolations  que  les  infirmes  reçoi- 
vent de  Marie  pa \r  ses  fidèles  servantes. —  Vous  avez 
sans  doute,  de  ces  asiles  qui  sont  comme  le  rendez- 
vous  de  toutes  les  douleurs,  où  l'enfant  abandonné 


SALUS   INF1RM0RUM  141 

reçoit  le  lait  que  lui  refuse  le  sein  maternel,  et  retrouve 
en  môme  temps  une  nouvelle  famille  ;  où  la  vieillesse 
indigente  jouit  enfin  du  repos  et  termine  en  paix  des 
jours  consumés  par  la  peine  ;  où  la  démence  que  la  so- 
ciété repousse  est  entourée  de  secours  qu'elle  ne  peut 
ni  comprendre  ni  reconnaître  ;  où  les  infirmités  de  tout 
genre  reçoivent  chacune  le  soulagement  qu'elle  réclame. 
Et  là,  près  de  toutes  les  misères  humaines,  qui  s'est 
offert  à  vos  regards  ?  De  modestes  filles,  qui  dès  le 
printemps  de  leur  vie  s'arrachent  aux  enchantements 
de  leur  jeunesse,  à  l'amour  d'une  mère,  aux  jouissances 
de  la  famille,  renoncent  aux  plaisirs  du  monde,  quel- 
ques-unes même  à  de  brillantes  destinées,  pour  se  dé- 
vouer tout  entières  au  soulagement  des  plus  obscures 
infortunes.  Et  dans  ces  anges  de  la  terre,  quelle  dou- 
ceur, quelles  précautions  délicates  à  l'égard  du  malade  ! 
Présentés  par  leurs  mains,  les  remèdes  lui  sont  moins 
amers.  Faut-il  panser  ses  plaies,  prêter  un  appui  à 
son  corps  défaillant,  le  déplacer  sur  sa  couche  devenue 
dure,  quelle  attention,  quels  ménagements  pour  ne 
point  ajouter  à  ses  douleurs  !  Au  plus  fort  de  ses  souf- 
frances, en  dépit  même  de  ses  rebuts,  quelle  tendre  com- 
passion, quelle  charité  patiente  que  rien  ne  déconcerte, 
et  qui  fait  autant  de  bien  que  le  soulagement  même  ! 
A  l'approche  seule  de  la  bonne  religieuse,  les  dou- 
leurs sont  déjà  moins  vives,  les  inquiétudes,  les 
alarmes  s'apaisent,  le  courage  renaît  ;  et  sous  l'in- 
fluence de  ses  pieuses  paroles,  la  résignation  pénètre 
dans  le  cœur,  les  angoisses  de  l'agonie  se  changent  en 
espérance,  l'inévitable  mort  inspire  moins  de  crainte 
et  d'horreur. 

Voilà  le  spectacle  admirable  que  donnent  au  monde 
ces  milliers  de  femmes,  restées  vierges  par  sacrifice  et 
devenues  mères  par  l'adoption,  qui  se  consacrent  avec 


U2  SALUS    [NFIRMORDM 

un  dévouement  si  héroïque  à  soulager  les  innombra- 
bles infirmités  humaines  même  les  plus  rebutantes. 
Or,  qui  les  enflamme  de  cette  piété  compatissante? 
Qui  les  soutient  dans  cette  courageuse  immolation 
d'elles-mêmes?  C'est  Marie,  qui.  après  leur  avoir  ins- 
piré cette  sublime  vocation,  pour  prix  d'une  dévotion 
précoce  envers  elle,  leur  révèle  le  secret  d'être  au  che- 
vet de  la  douleur,  le  soutien,  la  force,  la  consolation 
des  pauvres  malades  qui  n'ont  plus  de  mère.  Eprises  à 
son  école  de  l'excellence  de  la  virginité,  elles  ont  voulu 
n'avoir  d'autre  Epoux  que  Jésus-Christ,  à  qui  elles 
voueraient  dans  ses  membres  souffrants  toutes  les 
affections  de  leur  cœur  ;  point  d'autre  famille  que 
les  pauvres,  les  infirmes,  les  orphelins,  tout  ce  qui 
souffre . 

Et  ne  pensez  pas  qu'aucun  motif,  soit  de  vaine  gloire, 
soit  de  cupidité,  soit  de  jouissance  humaine  quelcon- 
que, puisse  être  le  mobile  d'un  dévouement  si  magna- 
nime. En  dehors  du  Christianisme,  rien  ne  se  trouve 
de  semblable.  La  foi  seule  peut  rendre  ainsi  supérieures 
à  elles-mêmes  ces  vierges  naturellement  faibles  et  ti- 
mides. Elles  sont  jalouses  de  ceindre  la  double  cou- 
ronne delà  virginité  et  du  martyre  continuel.  Elles 
ont  compris  et  veulent  mériter  ces  consolantes  paroles 
du  Sauveur:  Venez,  les  béais  de  mon  Père,  posséder 
le  royaume  qui  vous  esl  préparé  ;  fax  eu  faim  et 
vous  m'avez  donne  à  manger  ;  j'ai  eu  soif,  et  vous 
m'avez  donne  à  boire  ;  fêtais  nu,  et  vous  m'avez 
revêtu:  j'étais  dans  les  prisons,  et  vous  m'avez 
visité.  C'est  ainsi  que  Marie,  remplacée  près  des  ma- 
lades par  ces  saintes  filles  qui  leur  prodiguait  secours 
et  consolations,  devient  véritablement  Salut  des  infir- 
mes... C'est  encore  ; 

II.   Par  les  soulagements  et  guerisons  réelles 


SA  LUS  INFIRMORDM  143 

qu'elle-même  levr  procure.  —  Secourir  et  soulager 
semblent  être  un  besoin  pour  son  cœur  maternel.  N'a- 
t-elle  pas  appris  à  compatir  aux  souffrances  de  la  pau- 
vre humanité,  en  voyant  les  affreuses  tortures  de  son 
cher  Fils  au  chemin  du  Calvaire,  et  sur  l'infâme  gibet 
qu'il  arrosa  de  son  sang  ?  Et  puis,  n'est-elle  pas  devenue 
alors  notre  Mère?  Et,  si  rien  ne  console  les  peines 
d'un  enfant  comme  les  caresses  d'une  mère,  qui  aussi 
sait  mieux  qu'elle  prendre  part  à  ses  douleurs?  La 
voyez-vous  cette  mère  dont  le  fils  est  malade?  Clouée 
à  son  chevet  et  la  nuit  et  le  jour,  elle  ne  peut  souffrir 
auprès  de  lui  d'autre  main  que  la  sienne  ;  les  remèdes 
qu'elle  lui  donne  sont  assaisonnés  des  plus  tendres 
paroles  ;  aucun  dégoût  ne  la  rebute  ;  rien  ne  lui  est 
une  fatigue.  Image  bien  imparfaite  de  ce  que  fait  Marie 
envers  tous  ceux  que  la  douleur  oppresse,  qu'une  in- 
firmité accable. 

Qui  pourra  jamais  dire,  en  effet,  avec  quel  amour 
elle  a  toujours  soulagé  et  souvent  même  guéri  les 
maux  les  plus  invétérés,  des  maladies  réputées  incu- 
rables ?  Est-il  un  seul  point  du  globe,  où  ne  s'élèvent 
de  magnifiques  sanctuaires  construits  en  mémoire  de 
quelque  faveur  obtenue,  et  devenus  célèbres  ensuite 
par  des  milliers  d'autres  guérisons  dues  à  la  confiance 
que  l'on  venait  déposer  à  ses  pieds  ?  Partout,  ses  au- 
tels, ses  statues,  le's  murs  sont  chargés  d'eoc  voto, 
attestant  l'action  de  sa  puissance.  Qui  n'a  vu,  ici  des 
lampes,  des  couronnes,  des  cœurs  en  or  ou  en  argent, 
et  d'autres  dons,  offrandes  d'une  vive  reconnaissance  ; 
là  des  marbres  précieux,  portant  les  noms  de  ceux 
qui  ont  été  miraleusement  guéris,  et  de  gracieuses 
inscriptions  que  leur  cœur  a  trouvées  sans  effort  ;  très 
souvent  encore,  des  trophées  de  béquilles  ou  autres 
instruments,  qui  avaient  aidé  le  malade  à  se  traîner 


li'l  SALUS   INF1HM0HUM 

aux  pieds  de  la  Madone,  et  qu'après  le  miracle  de  sa 
guérison,  il  a  suspendus  à  l'autel  de  la  Bienfaitrice? 
Tous  ces  monuments  sont  là,  pour  apprendre  à  la  pos- 
térité qu'on  ne  l'invoque  jamais  sans  la  trouver  Salut 
des  infirmes.  (11) 

Et  combien  de  fois,  dans  ces  épidémies  qui  répan- 
daient la  terreur  et  la  mort,  menaçant  de  dépeupler 
les  villes  et  les  campagnes,  n'a-t-on  pas  vu  le  fléau 
meurtrier  arrêter  tout  à  coup  ou  modérer  sa  fureur, 
vaincu  par  les  neuvaines,  les  processions,  les  suppli- 
cations publiques  !  Et  actuellement  encore,  dans  ces 
sanctuaires  récents,  que  la  confiance  plus  vive  que  ja- 
mais élève  de  toute  part  à  la  Vierge  immaculée  (entre 
autre  à  Séez),  ne  semble-t-elle  pas  prendre  plaisir  à 
multiplier  les  miracles  de  sa  puissance  pour  le  soula- 
gement de  toute  espèce  d'infirmités?  Chaque  jour, 
quelque  trait  nouveau  vient  nous  en  apporter  l'irré- 
fragable témoignage.  Et  combien  d'autres  guérisons 
qu'un  motif  d'humilité,  aussi  louable  que  le  sentiment 
de  la  reconnaissance,  laisse  dans  le  secret  !  A  la  vue 
de  tant  de  prodiges  si  souvent  renouvelés  et  sous  tou- 
tes les  formes,  qui  sont  un  mémorial  vivant  de  sa  ma- 
ternelle bonté,  ne  dirait-on  pas  qu'elle  a  quitté  le  ciel 
pour  venir  habiter  la  terre,  et  y  devenir  comme  un 
asile  ouvert  à  tous  les  infirmes,  qui  sont  sûrs  d'y  être 
accueillis  et  secourus?  ?se  semble-t-il  pas  que  Jésus, 
en  l'instituant  notre  Mère,  lui  ait  légué  le  pouvoir 
dont  il  a  si  souvent  usé  en  faveur  des  pauvres  mor- 
tels ?  Oui,  du  cœur  de  la  Mère,  comme  autrefois  de  la 
personne  du  Fils,  sort  une  vertu  secrète  qui  guérit 
tous  les  maux.  Par  le  recours  à  Marie,  les  aveugles 
voient,  les  boiteux  marchent,  les  sourds  entendent, 
les  muets  recouvrent  la  parole,  les  paralytiques  l'u- 
sage de  leurs  membres,  les  agonisants  renaissent  à  la 


SALUS   ÏNF1RM0RUM  •  > 

vie,  Elle  esl  certes  en  droit  de  nous  adresser  ces  -pa- 
roles que  saint  Jean  Damascène  lui  met  dans  la 
bouche  et  qui  résument  tout  ce  que  nous  venons 
d'exposer  :  «Je  suis  Celle  qui  soulage  et  guérit  les 
malades.  » 

Morale  :  Quel  puissant  motif,  ajouté  à  tant  d'autres, 
de  redoubler  de  confiance  en  cette  tendre  Mère,  aussi 
compatissante  pour  les  maladies  du  corps  que  pour  les 
misères  de  l'àme  !  Lorsque  Dieu,  toujours  bon  môme 
quand  il  châtie,  nous  visite  par  l'infirmité,  autant  pour 
mettre  notre  foi  à  l'épreuve  que  pour  nous  épurer  par 
la  souffrance  ;  mieux  serait,  sans  doute,  de  nous  réjouir 
dans  nos  infirmités,  avec  saint  Paul,  et  de  soupirer 
après  l'heureux  moment  qui  doit  nous  unir  à  Jésus- 
Christ  ;•  de  penser  et  de  dire,  comme  saint  Louis  de 
Gonzague,  au  moment  de  la  mort  :  «  Ne  faites  rien  pour 
m'empècher  de  mourir,  car  je  ne  sais  ce  qui  peut  m'ar- 
river,  si  je  vis  plus  longtemps  :  »  de  faire  généreuse- 
ment, à  l'exemple  des  martyrs,  le  sacrifice  de  notre 
vie,  par  le  désir  de  jouir  plus  tôt  de  la  céleste  béati- 
tude. Cependant,  puisque  Dieu  le  permet,  nous  pou- 
vons lui  dire,  comme  les  sœurs  de  Lazare  :  Cetai  que 
vous  aimez  est  malade  ,  ou  avec  le  paralytique  :  Sei- 
gneur, si  vous  le  voulez,  vous  pouvez  me  guérir;  ou 
comme  Jésus  lui-même  à  son  Père  :  Que  ce  calice 
passe  loin  de  moi  ! 

Et,  puisqu'il  le  veut  encore,  intéressons  au.  succès 
de  nos  vœux  Celle  qu'il  a  établie  Trèsorière  de  tous 
ses  dons,  etconséquemment  Salut  des  infirmes.  Mais, 
pour  être  plus  sûrement  exaucés,  n'ayons  en  cette  de- 
mande que  des  intentions  pures.  Si  nous  souhaitons  le 
rétablissement  de  la  santé,  que  ce  soit  pour  avoir  le 
loisir  d'amasser  une  plus  ample  moisson  de  mérites, 
et  d'avancer  de  plus  en  plus  dans  la  vertu  et  la  per- 

i'ARAPHRASE.    —  T.     II.  Q 


146  SALUS   INFIRMORUM 

fection .  C'est  principalement  dans  ces  vues  qu'il  est 
permis  de  désirer  et  de  chercher  la  prolongation  de  son 
existence.  Car,  la  longueur  de  la  vie  doit  se  mesurer 
non  sur  le  nombre  des  jours,  mais  sur  la  quantité  de 
bonnes  œuvres  qui  les  auront  remplis.  Au  jugement, 
il  sera  demandé  non  pas  combien  d'années  on  aura 
vécu,  mais  comment  elles  auront  été  employées  :  non 
qicàm  dlù,  sed  quàm  ijenè.  Et  s'il  plaît  au  Seigneur  de 
nous  retirer  des  portes  de  la  mort,  en  nous  rendant  la 
santé,  ne  manquons  pas  d'en  être  plus  dévoués  à  Marie 
qui  nous  l'aura  obtenue,  et  plus  empressés  à  rendre 
fructueux  le  temps  qui  nous  est  prolongé . 

0  Marie,  merveilleux  Salut  des  infirmes,  obtenez- 
moi,  vous  dirai-je  avec  l'Eglise,  Concède...  perpétua 
mentis  et  corporis  sanitate  gaudere..,  la  santé  du 
corps  en  même  temps  que  celle  de  l'âme,  afin  que  j'aug- 
mente la  somme  de  mes  expiations  et  de  mes  mérites  ! 

Pratique  :  Exercer  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge 
les  œuvres  de  miséricorde,  comme  d'assister  les  mala- 
des, consoler  les  affligés,  prier  pour  les  pécheurs,  et 
autres  actes  de  charité  qui  réjouissent  singulièrement 
le  cœur  de  notre  mère. 

EXEMPLES. 

GUERISOXS    OBTENUES    PAR   MARIE. 

Une  pieuse  mère,  à  son  lit  de  mort,  avait  prié  la 
sainte  Vierge  de  prendre  sous  sa  protection  sa  toute 
jeune  fille  jusqu'à  l'âge  de  sept  ans.  Une  de  ses  tantes, 
touchée  de  compassion  pour  cette  nièce  délaissée,  se 
dévoue  à  remplir  les  intentions  de  la  défunte.  Lorsque 
l'enfant  fut  arrivée  à  la  septième  année,  sa  tutrice  lui 
dit  qu'elle  n'avait  plus  de  mère,  puisque  le  temps  du 
vœuétail  expiré.  A  L'instant  même,  la  pauvre  orphe- 
line, comme  autrefois  la  pieuse  Thérèse,  court  à  l'é- 


SA  LUS   INFIRMORUM  147 

glise,  fondant  en  larmes  ;  et  là  prosternée  devant  l'au- 
tel de  Marie,  elle  la  conjure  de  lui  continuer  sa  bien- 
veillante protection,  dont  elle  a  plus  besoin  que  jamais. 
Un  prêtre  qui  l'observait,  lui  ayant  demandé  pourquoi 
elle  était  là  ;  elle  lui  fit  la  confidence  avec  une  grande 
simplicité.  Vivement  touché  de  ces  heureuses  dispo- 
sitions, il  la  félicite  d'un  si  beau  choix,  et  l'encourage 
à  persévérer  au  service  de  la  sainte  Vierge,  l'assurant 
que  cela  lui  portera  bonheur.  En  effet,  bientôt  atteinte 
d'une  maladie  dangereuse  contre  laquelle  tout  l'art  des 
médecins  restait  impuissant,  elle  se  fit  porter  presque 
morte  à  l'autel  de  Marie,  d'où,  sans  le  secours  de  per- 
sonne, et  par  un  miracle  frappant,  elle  put  revenir  chez 
elle,  pleine  de  force  et  de  santé. 

—  Peu  de  temps  après  sa  naissance,  saint  Jean  Né- 
pomucène  tomba  dangereusement  malade.  Ses  parents 
ay ant  eu  recours  à  la  sainte  Vierge  obtinrent  sa  gué- 
rison  ;  ce  qui  fut  pour  notre  Saint  un  motif  très  pres- 
sant d'honorer  d'un  culte  tout  spécial  sa  bienfaisante 
Libératrice . 

— Saint  Jean  Damascène,  à  qui  les  hérétiques  avaient 
coupé  la  main,  fut  guéri  par  une  prière  fervente  adres- 
sée à  Marie  ;  seulement  il  lui  resta,  sans  doute  pour  lui 
faire  souvenir  qu'il  ne  devait  jamais  l'oublier,  une  ci- 
catrice qui  avait  la  forme  d'un  anneau  couleur  de  sang. 

ARTICLE  SECOND. 

Marie,  Salut  des  infirmes,  par  la  grâce  d'une  sainte 

mort  qu'elle  leur  procure. 

Salât  des  infirmes,  par  les  secours  corporels  qu'ils 
reçoivent  de  ses  fidèles  servantes,  et  par  les  guérisons 
que  souvent  sa  médiation  puissante  leur  obtient,  Marie 
est  encore  plus  le  Salut  de  l'âme  en  cette  pénible  et 
dangereuse  situation.  Nous  pourrions  dire,  d'abord 
par  la  patience  quelle  suggère  au  malade,  en  réveillant 


I  18  SALOS  INFIRMORUM 

les  pensées  de  la  foi  au  fond  de  son  âme  abattue,  en 
lui  montrant  Dieu  qui  voit  toutes  ses  douleurs,  qui 
compte  tous  ses  soupirs  pour  les  recompenser,  et  lui 
inspirant  ainsi  une  résignation  soumise,  qui  le  porte  à 
tout  accepter  de  la  main  de  ce  bon  Père  :  les  plaintes 
alors  se  changent  en  louanges,  et  les  douloureux  ac- 
cents font  place  à  de  joyeuses  actions  de  grâces. 

Mais,  c'est  principalement  par  la  grâce  d'une 
sa  bile  mort  que  Marie  devient  le  Salut  des  infirmes. 
—  C'est  un  moment  terrible  que  celui  des  approches 
de  la  mort.  L'art  de  guérir  se  trouve  impuissant  : 
les  s  )ins  les  plus  empressés  sont  superflus  :  les  larmes 
inutiles  ;  l'heure  du  trépas  a  sonné  :  il  faut  mourir  !. . . 

II  faut  se  séparer  de  sa  maison,  de  ses  biens,  de  ses 
parents,  de  son  corps  :  il  faut  dire  adieu  à  tout  ce  que 
l'on  aime.  Pour  tous,  quelle  anxiété!  un  passé  éva- 
noui, un  présent  qui  échappe,  un  avenir  inconnu  dans 
lequel  on  va  entrer  seul.  Mais,  au  point  de  vue  chré- 
tien, qu'il  est  effrayant  ce  passage  du  temps  à  l'éter- 
nité î  Alors,  l'âme  la  plus  juste  est  parfois  assiégée 
d'étranges  frayeurs  :  la  crainte  d'échouer  au  port,  la 
cruelle  incertitude  si  L'on  est  digne  d'amour  ou  de 
haine,  les  redoutables  jugements  de  Dieu  qui  appro- 
chent, la  durée  infinie  de  cette  éternité  qui  s'ouvre 
avec  ses  joies  pures  ou  ses  flammes  dévorantes,  quel 
poids  écrasant  pour  l'âme  dont  la  foi  n'est  pas  éteinte  ! 
Ajoutez  à  tout  cela  les  attaques  du  démon,  qui  re- 
double de  fureur  et  de  ruses  pour  saisir  au  dernier 

■«  ge  cette  proie  qui  va  lui  échapper  sans  retour; 
et  il  ne  veut  pas  être  seul  ;  il  a  appelé  à  son  secours 
toutes  1rs  furies  de  Cenfer.  qui,  «lit  Isaïe,  assiègent 
la  maison  du  mourant^  se  concertent  et  réunissent 
leurs  efforts  pour  le  perdre. 

Mais  rassurez-vous,  pieux  serviteurs  de  Marie,  qui 


SALUS  INFIRMORUM  149 

vous  êtes  fait  un  bonheur  et  un  devoir  de  conquérir 
ses  bonnes  grâces  par  un  culte  constant  et  sincère. 
Alors,  vous  n'aurez  rien  à  redouter  ;  sa  protection 
aussi  douce  que  puissante  vous  viendra  en  aide.  L'ami 
fidèle  aime  toujours,  mais  principalement  au  temps 
de  V affliction .  Or,  à  qui  mieux  qu'à  la  divine  Mère  de 
bonté  conviennent  ces  belles  paroles  de  nos  saints 
Livres  ?  Si,  dans  la  crise  de  la  mort  surtout,  un  ami 
ne  délaisse  point  son  ami,  une  mère  son  enfant,  un 
enfant  ses  parents  bien -aimés,  Marie,  la  plus  douce 
des  amies,  la  plus  tendre  des  mères,  pourra-t-elle  ne 
l'être  plus,  alors  que  vous  aurez  plus  besoin  de  son 
secours  ?  Tant  de  fois,  vous  l'avez  suppliée,  emprun- 
tant à  l'Eglise  cette  invocation  si  touchante  de  saint 
Augustin,  de  venir  au  secours  des  malheureux,  suc- 
curre  miser  is-\  d'aider  les  faibles,  juva  pusillanimes  ; 
de  consoler  ceux  qui  pleurent,  refove  flebiles.  Eh  ! 
Qui  est  plus  misérable,  plus  faible  que  l'agonisant  ! 
qui,  plus  que  lui,  a  les  yeux  pleins  de  larmes  ?  Qui, 
plus  de  combats  à  soutenir,  contre  le  démon,  contre 
les  douleurs  du  corps,  contre  les  angoisses  de  l'âme  ? 
Chaque  jour,  vous  l'avez  invoquée  pour  le  jour  qui 
devra  être  le  dernier  :  Priez  pour  moi...  à  l'heure  de 
ma  mort.  Vous  l'avez  conjurée  de  vous  assister  au 
moment  de  l'agonie  :  devez-vous  craindre  qu'elle 
oublie  vos  droits  et  son  devoir?  Croyez  bien,  au  con- 
traire, qu'alors  elle  se  trouvera  pour  consoler  votre 
dernière  désolation,  pour  encourager  vos  derniers 
combats,  bénir  vos  derniers  moments,  vous  adoucir 
les  horreurs  du  trépas  et  recevoir  votre  dernier  soupir. 
Partout  où  l'Evangile  parle  d'elle,  il  nous  la  montre 
accomplissant  un  acte  de  charité.  N'est-ce  pas  ce 
qu'elle  fit  chez  Elizabeth,  aux  noces  de  Cana,  et  sur 
le  Calvaire?  J'ai  nommé  le  Calvaire  !. . .  Ah  !  c'est  bien 


150  SALUS  IXFIRMORUM 

là,  qu'en  assistant  à  la  mort  de  son  cher  Fils,  elle  a 
appris  et  commencé  le  ministère  de  présence  protec- 
trice au  chevet  des  mourants.  Et  quand,  ainsi  qu'au 
Calvaire,  elle  voit  le  moribond,  l'œil  éteint,  les  mem- 
bres froids,  la  sueur  de  la  mort  sur  le  front,  subissant 
une  agonie  semblable  à  celle  de  son  Jésus,  un  aussi 
douloureux  spectacle  pourrait-il  ne  pas  attendrir  son 
bon  Cœur  ?  Comme  au  pied  de  la  Croix,  n'en  doutez 
pas,  elle  sera  debout  près  de  sa  couche  funèbre,  de- 
bout pour  être  plus  prompte  à  le  secourir.  «  Pendant 
la  vie,  disait-elle  à  sainte  Gertrude,  je  m'engage  à 
donner  à  mes  serviteurs  les  grâces  nécessaires  ;  mais 
à  la  mort,  je  viens  près  d'eux  en  personne,  et  mon 
regard  fait  faire  les  puissances  infernales.  »  Ainsi 
réalise- 1 -elle  cette  consolante  parole  qu'elle  fit  entendre 
à  saint  Jean  Damascène  :  «  Jamais  je  n'abandonne  à 
cette  heure  suprême  ceux  qui  m'ont  honorée.  »  Enten- 
dons maintenant  le  dévot  saint  Bernard  :  c<  On  a  jamais 
vu,  dit-il,  et  jamais  on  ne  verra  qu'un  vrai  serviteur 
de  Marie  fasse  une  mauvaise  fin.  »  Et  le  Séraphique 
saint  Bonaventure  :  «  Ceux  qui  l'invoquent,  nous 
assure-t-il,  n'ont  rien  à  craindre  des  ennemis  de  leur 
âme  ;  et  pour  cela  il  ne  faut  pas  de  longues  prières  ; 
son  nom  seul  suffit,  nom  d'espérance  et  de  vie,  qui 
soutiendra  les  mourants  dans  leurs  angoisses,  et  les 
fera  triompher  de  toutes  les  attaques  des  esprits  de 
ténèbres.  » 

Ces  faveurs  sont,  sans  doute,  de  préférence  pour  les 
justes  ;  mais  délaissera-t-elle  pour  cela  le  pécheur  ? 
Tant  de  fois,  elle  l'a  recherché  dans  ses  égarements  ; 
tant  de  fois,  elle  a  arrêté  le  bras  de  son  Fils  prêt  à  le 
frapper  !  Et  le  voilà  immobile  sur  son  lit  de  mort  ;  le 
gouffre  est  béant,  devant  lui  va  s'ouvrir  l'éternité; 
tuut  l'abandonne  :    ni  les  ressources  de  l'art,  ni  ses 


SALUS  INFIHMORUM  151 

richesses,  ni  son  crédit,  ni  les  dignités,  ni  le  dévoue- 
ment de  ses  amis,  ni  les  vœux  de  sa  famille,  ne  peu- 
vent prolonger  sa  vie  d'un  instant,  bien  moins  encore 
lui  remettre  ses  péchés,  lui  fermer  l'enfer,  lui  ouvrir 
le  ciel,  lui  rendre  favorable  le  souverain  Juge.  Dans 
cett  suprême  détresse,  au  milieu  de  cet  abandon  uni- 
versel, le  délaisserez-vous  aussi,  bonne  Marie?  Oh! 
non  :  la  divine  Mère  plaidera  sa  cause  devant  Celui  qui 
est  venu  non  pour  les  justes,  mais  pour  les  pécheurs  ; 
elle  en  obtiendra  pour  cet  infortuné  des  sentiments  de 
confiance  et  de  repentir,  elle  le  plongera  dans  la  piscine, 
et  le  présentera  purifié  au  tribunal  de  Dieu  qui  lui  sera 
indulgent. 

Que  de  pécheurs,  en  effet,  ont  dû  leur  salut  à  la  mi- 
séricordieuse Mère  qui  veillait  sur  leur  agonie.  Le 
prêtre  avait  été  repoussé,  le  crucifix  méprisé,  la  sœur 
de  charité  méconnue  ;  épouse,  enfants,  amis,  n'avaient 
rien  pu  obtenir  de  ce  cœur  de  bronze  ;  un  cri  sata- 
nique  était  sorti  de  sa  poitrine  ;  il  voulait  mourir 
comme  il  avait  vécu.  Mais  tout  à  coup,  quel  change- 
ment miraculeux  !  Le  voilà  ému,  ébranlé,  attendri, 
repentant  ;  son  regard  s'adoucit,  ses  yeux  se  mouillent 
de  larmes,  il  demande  le  prêtre,  se  recommande  aux 
prières  des  assistants,  reçoit  les  Sacrements  de 
l'Eglise,  et  meurt  avec  le  calme  du  juste.  Comment 
donc  s'est  opéré  ce  prodige  de  la  grâce  ?  On  a  eu 
recours  à  Marie,  à  Marie,  la  Mère  de  miséricorde,  le 
Refuge  des  pêcheurs,  «  l'aide  des  délaissés,  l'espérance 
de  ceux  qui  n'en  ont  plus  ;  »  et  Marie  fut  le  Salut  de 
cet  infirme. 

Morale  :  Qu'il  est  donc  consolant  de  pouvoir  espé- 
rer une  mort  précieuse  devant  Dieu,  pour  prix  d'une 
tendre  confiance  en  cette  bonne  Mère  pendant  la  vie  ! 
Qu'il  sera  doux  à  la  dernière   heure,   d'avoir  aimé, 


152  SALIS  INFIRMORUM 

honoré,  servi  et  surtout  imité  Marie,  si  libérale  dans 
ses  faveurs,  si  magnifique  dans  ses  récompenses  ! 
Qu'ils  paraîtront  légers,  alors,  les  liens  qui  nous 
auront  attachés  à  son  service  !  Comme  nous  nous  ap- 
plaudirons des  sacrifices,  des  violences,  de  toutes  les 
ingénieuses  pratiques  que  nous  nous  serons  imposées 
pour  lui  être  agréables,  nous  assurer  son  amour  et 
mériter  sa  protection  puissante,  à  ce  moment  qui  va 
nous  ouvrir  les  portes  de  l'éternité  !  Quel  pressant 
motif  de  nous  ranimer  dans  cette  dévotion,  qui  est  le 
gage  assuré  d'une  sainte  mort  et  du  bonheur  suprême 
qui  la  suivra  !  C'est  maintenant  qu'il  faut  nous  ména- 
ger cette  précieuse  ressource  pour  nos  derniers  jours . 
Méritons  qu'en  passant  près  de  notre  tombe  on  puisse 
dire  :  C'était  un  véritable  serviteur,  une  pieuse  ser- 
vante de  Marie,  ce  qui  signifiera  :  Marie  lui  a  procuré 
une  sainte  mort  :  il  est  maintenant  au  ciel.  —  Dans 
un  cimetière  de  Paris,  on  voit  un  monument  surmonté 
d'une  statue  de  la  sainte  Vierge  tenant  l'Enfant- Jésus 
dans  ses  bras  :  au-dessous,  se  lisent  ces  admirables  et 
consolantes  paroles  :  «  Sous  la  protection  de  Jésus  et 
de  Marie,  on  repose  en  paix.  »  C'est  bien  dire  qu'avec 
ces  protecteurs,  la  mort  a  été  sainte.  Heureux  sort  ! 
qui  ne  l'envierait  ?  Qui  ne  s'efforcerait  de  le  mériter  ? 
—  Une  pieuse  carmélite,  pénétrée  d'amour  pour  Marie, 
s'étonnait  que  le  médecin,  qui  venait  de  lui  annoncer 
sa  fin  prochaine,  ne  demandât  pas  une  forte  récom- 
pense pour  lui  avoir  apporté,  disait-elle,  «une si  bonne 
nouvelle.  »  Tant  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge  inspire 
alors  de  confiance  ! 

0  Salut  puissant  des  infirmes,  obtenez-moi  de  vh  re 
dans  votre  service,  pour  mourir  saintement  dans  vos 
bras  maternels  ! 

Pratique  :   Ne  point  dire   par   routine.    niai<  avec 


SA  LUS  INF1KM0RUM  153 

intention,  ces  paroles  quotidiennes  :  Priez  pour  moi., 
et  à  r heure  de  ma  mort. 

EXEMPLES 

SAINTE    MORT   DUE    A    MARIE 

Un  pieux  serviteur  de  Marie,  calme  et  presque 
impassible  à  cette  heure  effrayante  qui  fait  trembler 
les  plus  justes,  semblait  même  ne  plus  prier,  lui  dont 
toute  la  vie  avait  été  une  prière  continuelle.  Ses  amis, 
étonnés  de  cette  tranquillité  étrange,  lui  en  deman- 
dèrent la  raison.  «  J'espère,  répondit-il,  en  ma  Mère 
céleste  ;  si  souvent,  je  lui  ai  recommandé  l'heure  de 
mon  trépas,  que  ce  n'est  plus  à  moi,  mais  à  elle  de 
prier  maintenant  pour  moi  ;  je  me  repose  sur  elle,  et 
cette  confiance  fait  toute  ma  sécurité.  »  —  Ainsi, 
puissions-nous'  un  jour  nous  endormir  en  paix  sur  le 
sein  de  Marie. 

—  Un  homme,  qui  toute  sa  vie  avait  tendrement 
aimé  la  sainte  Vierge,  étant  tombé  malade,  se  prépara 
avec  ferveur  à  rendre  son  âme  à  Dieu .  C'était  un  ven- 
dredi :  se  sentant  plus  faible,  il  prit  entre  les  mains 
son  crucifix,  et  les  yeux  fixés  au  ciel,  il  attendait  avec 
confiance  son  dernier  moment,  car  il  avait  demandé 
souvent  de  mourir  ce  jour-là.  Il  comptait  les  heures 
qui  ne  s'écoulaient  pas  assez  vite  au  gré  de  ses  désirs . 
Vers  les  dix  heures  du  soir,  il  dit  en  soupirant  :  «  Ah  ! 
ce  ne  sera  donc  pas  encore  pour  aujourd'hui.  »  — 
«  Non,  lui  répondit  son  confesseur,  mais  ce  sera  pour 
demain  ;  car  un  visiteur  de  Marie  doit  mourir  un 
samedi.  »  A  minuit,  il  prend  de  nouveau  son  crucifix, 
le  presse  contre  son  cœur,  puis  sur  ses  lèvres,  atten- 
dant le  moment  de  sa  mort.  Une  heure  après  :  «  Nous 
nous  en  allons,  dit-il,  avec  un  sourire  de  bonheur 
inexprimable,  nous  nous  en  allons. . .  en  paradis.  »  Le 


loi  SA  LUS  INF1RM0IU  M 

prêtre  le  voyant  près  d'expirer,  ajouta  :  «  Fils  de 
Marie,  montez  au  ciel  !  »  Et  le  serviteur  de  la  Vierge 
exhala  son  dernier  soupir  dans  le  cœur  immaculé  de 
sa  divine  Mère.  —  Ainsi  meurent  les  vrais  enfants  de 
Marie  ! 

ARTICLE  TROISIÈME. 
Marie,  avocate  des  âmes  au  jugement. 

Mourir  est  une  chose  triste  :  ce  n'est  cependant  pas 
ce  qu'il  y  a  de  plus  lamentable  dans  notre  fin  ;  l'agonie, 
si  cruelle  qu'elle  soit,  est  toujours  courte  ;  la  mort  plus 
encore  est  l'œuvre  d'un  moment.  Mais  ce  qui  doit  ef- 
frayer le  plus,  c'est  le  jugement  sévère  qui  va  fixer  ir- 
révocablement le  sort  pour  l'une  ou  l'autre  des  deux 
éternités.  Qiiil  est  redoutable,  en  effet,  de  tomber 
entre  les  mains  du  Dieu  rivant,  de  comparaître  seul 
avec  ses  œuvres  bonnes  ou  mauvaises,  en  présence 
de  Celui  qui  sonde  les  cœurs  et  les  reins,  qui  juge  les 
justices  mêmes  !  Armé  de  sa  science  infaillible  et  de  la 
plus  équitable  justice,  il  fera  voir  alors,  sans  que  l'on 
puisse  y  opposer  de  réclamation,  tous  les  péchés  de  la 
vie  :  péchés  de  l'esprit  et  du  cœur  ;  péchés  intérieurs  et 
des  sens  ;  péchés  de  paroles,  d'actions  et  d'omissions  ; 
péchés  secrets  et  publics  ;  péchés  personnels,  péchés 
d'autrui.  Il  en  montrera  le  commencement,  les  progrès 
et  la  fin  ,  il  en  comptera  le  nombre,  en  démêlera  les 
circonstances  et  les  espèces,  en  recherchera  les  motifs, 
en  mesurera  la  durée,  en  calculera  toutes  les  suites. 
Quel  effroi  et  quelle  honte,  quand  se  déroulera  cette  lon- 
gue chaîne  de  fautes  sur  lesquelles  on  cherchait  à  s'é- 
tourdir, voulant  à  peine  les  reconnaître?  Le  bien  même 
et  Les  vertus  n'échapperont  pas  à  la  discussion  sévère 
du  souverain  Juge,  qui  doit  peser  au  poids  du  sanctuaire 
tions  les  plus  saintes.  Ah!  quelle  surprise  atté- 
rante,  quand  on  verra  peut-être  le  peu  de  valeur  de  ces 


SALUS  INFIRMORUM  155 

œuvres  et  de  ces  vertus  sur  lesquelles  on  fondait  quel- 
que espoir.  Mais  devant  un  Juge  aussi  rigoureux  ne  se 
présentera-t-il  donc  pas  de  défenseur  ?  Ici  encore,  ban- 
nissez toute  alaime,  dévots  serviteurs  de  Marie  !  Tant 
de  fois  vous  Pavez  priée  sous  le  titre  d'avocate,  advo- 
cata  nostra  ;  elle  se  trouvera  à  cette  heure  suprême 
pour  plaider  éloquemment  votre  cause,  et  vous  conti- 
nuer son  ministère  de  miséricordieuse  protection.  Cette 
inépuisable  bonté  de  la  sainte  Vierge  s'accorde  trop 
bien  avec  les  instincts  de  son  cœur,  pour  que  nous  de- 
vions avoir  à  cet  égard  la  moindre  défiance.  Néanmoins, 
il  nous  sera  agréable  de  voir  cette  consolante  vérité 
appuyée  sur  les  raisons  les  plus  solides  et  sur  les  té- 
moignages les  plus  imposants  des  Pères  et  des  Doc- 
teurs de  l'Eglise. 

I.  Nous  venons  de  quitter  le  monde  ;  une  famille 
éplorée  entourait  notre  lit  de  mort  ;  les  fidèles  amis 
étaient  à  nos  côtés  ;  le  ministre  de  Jésus-Christ  nous 
prodiguait  les  consolations  de  la  foi  ;  le  viatique  des 
mourants  avait  réconforté  notre  âme  ;  et  des  prières 
ferventes  sollicitaient  pour  nous  la  grâce  d'une  heu- 
reuse fin.  A  cette  pieuse  assistance  s'était  adjointe 
Notre-Dame  de  la  bonne  mort  ;  car  à  l'heure  décisive, 
une  mère  n'abandonne  pas  son  enfant  ;  sa  sollicitude 
habituelle,  au  contraire,  s'accroît  de  l'urgence  du  péril 
et  des  besoins.  Et  maintenant  que  sans  amis,  sans  pa- 
rents, sans  le  prêtre,  nous  allons  comparaître  au  tribu- 
nal de  son  Fils  et  entrer  dans  les  régions  de  l'éternité, 
Marie,  la  plus  dévouée  des  mères,  nous  laisserait  seuls, 
dénués  de  tout  appui,  de  toute  défense,  au  moment  où 
nous  en  avons  le  plus  besoin  !  Ah  !  gardons-nous  de 
l'outrager  par  une  telle  défiance  de  sa  tendresse  !  Ce 
serait  nous  rendre  indignes  de  la  ressentir  alors.  En- 
fants de  Marie,  apprenons  à  mieux  connaître  notre  Mère. 


150  SA  LUS  INTIHMORUM 

Et  ne  fut-elle  pas  assidue  près  de  son  Fils  à  toutes 
les  heures  pénibles  ?  Hérode  en  veut  à  ses  jours  :  elle 
s'enfuit  en  Egypte,  le  portant  dans  ses  bras  :  à  la  -  ar- 
tie  du  temple,  son  absence  momentanée  lui  cause  les 
plus  cruelles  inquiétudes  :   il  commence  ses    courses 
èvangéliques  :  elle  est  à  la  suite  avec  les  saintes  femmes  : 
l'heure  est  venue  de  boire  le  calice  de  sa  passion  ;  son 
dévouement  de  Mère  se  montre  encore  plus  empressé  ; 
elle  l'accompagne  gravissant  la  montagne  du  sacrifice, 
elle  assiste  à  son  agonie,  reçoit  son  dernier  soupir  et 
enfin  son  corps  inanimé,  qu'elle  embaume  et  dépose 
dans   le  sépulcre  où  se  prépare  la  résurrection.  Son 
amour   maternel  ne  s'arrête  que  quand  tout  est  con- 
sommé. C'est  de  la  même  assistance  qu'elle  vous  en- 
toura dans  toutes  les  circonstances  de  votre  vie  :  elle 
s'est  trouvée  présente  à  votre  entrée  clans  le  monde,  et 
vous  adopta  pour  enfant  au  sortir  de  la  piscine  sacrée  ; 
elle  vous  ouvrit  de  son  égide  tutélaire,  et  vous  con- 
duisit comme  par  la  main  dans  toutes  les  péripéties  de 
votre  pèlerinage  :  elle  se  trouva  au  chevet  de  votre 
couche  pour  vous  obtenir  une  sainte  mort.  Ah  !  ne  crai- 
gnez point  que  là  se  termine  son  ministère  de  protec- 
tion :  elle  ne  peut  le  laisser  incomplet  :  mais,  vous  pre- 
nant dans  ses  bras,  elle  vous  portera  sur  les  marches 
du  trône  de  son  Fils,  pour  consommer,  par  un  jugement 
qu'elle  vous  rendra  favorable,  l'œuvre  de  votre  salut. 
II.  Sur  ce  point  consolant,  les  Pères  et  les  Docteurs 
de  l'Eglise  n'ont  qu'une  voix.  «  Cette  Mère  compatis- 
sante, écrivait  saint  Jérôme  à  la  Vierge  Pulchérie,  non 
contente  de  vous  avoir  assistée  à   la  dernière  heure, 
viendra  a  la  rencontre  de  votre  —  «  elle  L'em- 

portera dans  le-  plis  de  sa  robe,  dit  mgénieusemenl 
saim  Liguori,  el  la  présentera  elle-même  au  redoutable 
tribunal   de  sou  Fils,  afin  qu'il    lui  ><»it  propio 


SA  LUS   INFIRMOMJM  157 

((  Pourra-t-il  nous  être  sévère,  dit  Richard  de  saint 
Laurent,  lorsque  cette  Mère,  qui  est  aussi  la  nôtre, 
tiendra  en  main  les  pièces  du  procès  et  plaidera  élo- 
quemment  notre  cause  ?  C'est  une  avocate  si  prudente, 
si  habile  et  si  puissante,  que  son  Fils  ne  saurait  con- 
damner les  coupables  dont  elle  entreprend  la  défense.» 
—  «  Mère  du  criminel  et  Mère  du  Juge  tout  à  la  fois, 
dit  aussi  saint  Bernard,  elle  ne  souffrira  pas  qu'il  y  ait 
de  la  discorde  entre  ces  deux  frères  et  mettra  tout  en 
œuvre  pour  les  concilier.  »  Devant  les  tribunaux  de  la 
terre,  l'accusé  est  plein  de  confiance,  lorsqu'il  a  pour 
défenseur  un  homme  que  son  caractère  et  ses  talents 
rendent  recommandable,  il  compte  sur  la  puissance  de 
sa  parole,  sur  l'autorité  de  son  nom ,  sur  le  prestige  de 
ses  vertus,  il  espère.  Mais,  si  c'était  la  mère  de  son 
juge  qui  voulût  bien  prendre  sa  défense,  aurait-il  la 
moindre  inquiétude  sur  le  gain  de  sa  cause  ?  Qu'avons- 
nous  donc  à  craindre  du  jugement  que  portera  le  plus 
miséricordieux  des  fils  en  présence  de  la  plus  aimée  des 
mères  ?  C'est  pourquoi  saint  Jean  Chrysostôme  ne  craint 
pas  d'avancer,  «  que  Marie  sauve  par  sa  miséricorde, 
ceux  à  qui  son  Fils  en  rigueur  de  justice  ne  peut  pas 
faire  grâce .  »  Ne  vous  semble-t-il  pas  voir  une  espèce 
de  combat  entre  le  Dieu  qui  veut  frapper  et  Marie  qui 
arrête  les  coups,  entre  le  Fils  qui  voudrait  perdre  et  la 
Mère  qui  veut  sauver  ?  et  c'est  la  Mère  qui  triomphe. 
«  Je  me  la  figure,  dit  aussi  le  pieux  Thomas  à  Kempis, 
s' adressant  ainsi  à  Jésus  :  0  mon  Fils,  je  vous  en  con- 
jure par  votre  amour  pour  moi,  ayez  pitié  de  l'àme  de 
votre  serviteur  !  Vous  le  savez,  vous  l'avez  vu,  il  m'a 
consacré  son  cœur  et  ses  louanges.  Combien  souvent, 
les  anges  ne  sont-ils  pas  venus  m  apporter  la  dévote  et 
joyeuse  Salutation  recueillie  sur  ses  lèvres  !  Que  de  fois 
il  a  médité  sur  nos  douleurs ei  nef  ro  amour  !  Souvenez- 


158  SALUS    INFIRMOHUM 

vous  donc  aujourd'hui  de  son  dévouement,  et  souffrez 
qu'il  trouve  miséricorde  devant  votre  face  î  »  et  une 
telle  prière  pourrait  essuyer  un  refus  !  Non  !  ce  sont  des 
prières  de  mère,  c'est-à-dire  les  plus  puissantes,  les 
plus  irrésistibles.  —  a  Qui  me  dira  que  je  ne  trouverai 
pas  mon  Juge  favorable,  s'écriait  à  son  tour  saint  Bo- 
naventure,  si  j'ai  pour  moi  la  Mère  de  miséricorde  ? 
J'ai  espéré  en  vous,  ô  Marie,  et  je  ne  serai  point  con- 
fondu.)) Et,  dans  l'excès  de  sa  joie,  il  ajoute  :  «  O  bonté 
admirable  de  notre  Dieu,  qui  n'a  pas  voulu  que  la  sen- 
tence que  nous  avons  encourue  nous  effrayât,  et  qui 
nous  a  donné  pour  avocate  sa  Mère  elle-même  î  » 

David  allait  passer  au  fil  de  l'épée  Nabal  et  tous 
ceux  de  sa  maison,  si  Abigaïl  ne  se  fût  interposée  en 
faveur  des  coupables.  —  Que  disait  Esther  au  roi 
Assuérus  ?  Si  j'ai  trouvé  grâce  à  vos  yeux,  ô  prince, 
accordez-moi  le  salut  de  mon  peuple.  Et  ces  deux 
avocates  furent  puissantes  ;  car  elles  sauvèrent  la  vie 
de  ceux  qu'elles  défendaient.  «  Mais  Marie,  dit  encore 
saint  Bernard,  est  plus  qu' Abigaïl,  plus  quEsther  ; 
elle  est  mère,  elle  demande  à  son  Fils  la  vie  d'une 
àme  qui  lui  est  si  chère,  et  cette  âme  lui  est  don- 
née.» Voici,  à  l'appui  de  cette  vérité.,  un  trait  charmant, 
que  rapportent  saint  Antonin  et  saintLiguori.  Un  grand 
pécheur  se  crut  comparaissant  au  tribunal  de  Dieu. 
Le  démon  présentait  contre  lui  l'inventaire  détaillé  de 
tous  ses  péchés,  qui  dans  la  balance  se  trouvèrent 
peser  beaucoup  plus  que  ses  bonnes  œuvres.  Marie, 
qu'il  n'avait  point  oubliée  dans  ses  désordres,  était  là  ; 
et  avançant  sa  douce  main,  elle  la  plaça  sur  l'autre 
bassin  de  la  balance  qu'elle  lit  ainsi  pencher  en  faveur 
de  son  client.  Peut-on  mieux  exprimer  sa  puissante 
influence  sur  le  jugement  que  va  prononcer  son  Fils  ? 
—  Sainte  Brigitte  fut  aussi  favorisée  de  cette  conso- 


SALUS    INFIRMORUM  150 

lante  révélation.  Un  de  ses  fils,  bien  dévoué  à  la  sainte 
Vierge,  venait  de  périr  dans  un  combat,  ce  qui  met- 
tait sa  mère  dans  la  plus  vive  anxiété  sur  son  sort 
éternel.  Marie,  prenant  pitié  de  cette  mère  si  sainte- 
ment désolée,  lui  fit  connaître  qu'elle  avait  assisté  son 
fils  mourant,  qu'elle  l'avait  protégé  devant  son  Juge, 
qu'il  était  au  nombre  des  bienheureux.  —  0  bonne 
Mère  !  c'est  bien  avec  raison  qu'un  de  vos  serviteurs  a 
dit  :  «  Si  Marie  est  pour  nous,  qui  sera  contre  nous  ?  » 
Morale  :  Elle  doit  donc  nous  établir  dans  une  grande 
sécurité  contre  les  rigueurs  du  jugement,  cette  puis- 
sante intervention  de  la  sainte  Vierge,  qui  alors 
prendra  vivement  notre  défense.  Néanmoins,  en  nous 
reposant  sur  elle,  faisons  dès  maintenant  de  notre 
côté  tout  ce  qui  peut  nous  rendre  ce  jugement  moins 
formidable  et  moins  sévère.  Un  moyen  des  plus  effi- 
caces, c'est,  selon  le  conseil  du  Sage,  de  préparer  nos 
comptes  avant  de  les  présenter  à  notre  Juge  ;  c'est 
comme  le  dit  saint  Paul,  de  prévenir  le  jugement  de 
Dieu  en  nous  jugeant  nous-mêmes,  pour  y  paraître, 
ainsi  que  le  recommande  saint  Bernard,  tout  jugés  et 
non  pas  comme  un  homme  à  juger  :  Volo  judicatus 
prcesentari,  non  judicandus.  Au  lieu  donc  d'être  si 
habiles  à  excuser  nos  défauts,  à  nous  pardonner  nos 
fautes,  à  trouver  des  prétextes  pour  justifier  nos  omis- 
sions, notre  vie  peu  chrétienne,  devenons  plus  soi- 
gneux et  plus  sévères  à  peser  toutes  nos  pensées,  nos 
paroles  et  nos  œuvres  dans  la  balance  de  Dieu  :  con- 
frontons-les avec  son  infinie  sainteté  ;  voyons  de  tout 
près  s'il  peut  avoir  pour  agréables  l'intention  qui  nous 
dirige,  le  motif  qui  nous  anime,  les  efforts  de  notre 
volonté,  le  degré  de  perfection  que  nous  avons  atteint  ; 
assurons-nous  bien  que  son  œil  perçant  n'y  découvre 
rien  qui  puisse  lui  déplaire.  C'est  par  cette  pratique 


160  SALIS   INFIRMORUM 

éminemment  utile,  que  les  saints  se  préparaient  à  pa- 
raître avec  moins  d'alarmes  an  tribunal  de  Dieu. 

Un  autre  moyen  également  salutaire,  c'est  avant 
chacune  de  nos  actions,  de  nous  rappeler  qu'elle  sera 
présentée  an  jugement,  pour  y  devenir  un  titre  à  la 
récompense  ou  au  châtiment,  selon  son  degré  de  malice 
ou  débouté.  Qui  oserait  jamais  se  portera  un  acte 
mauvais  sous  les  yeux  d'un  juge  de  la  terre,  qui  a  en 
main  le  pouvoir  de  l'en  punir?  Mais  la  pensée  du 
Juge  suprême  et  infaillible  devant  qui  nous  compa- 
raîtrons un  jour,  rendu  sensible  à  notre  esprit  par  la 
foi,  ne  sera-t-elle  pas  un  frein  beaucoup  plus  fort  sur 
la  pente  du  mal,  dans  la  violence  de  la  tentation,  dans 
l'entraînement  de  l'occasion?  Et  pourra-t-on  ne  pas 
mettre  toute  la  perfection  possible  à  des  œuvres  qui 
doivent  être  pesées  au  poids  du  sanctuaire  ?  Car,  au 
souvenir  du  jugement  de  Dieu  se  rattache  nécessaire- 
ment la  pensée  de  sa  science  éclairée  qui  connaît  tout, 
de  sa  justice  souverainement  équitable  à  laquelle  rien 
ne  peut  être  opposé,  de  la  sévérité  de  la  sentence  que 
nulle  puissance  ne  peut  adoucir,  et  qui  va  fixer  irré- 
vocablement le  sort  pour  des  siècles  sans  fin.  Or.  est- 
il  rien  au  monde  qui  puisse  dès  maintenant  impres- 
sionner l'âme,  la  détourner  du  mal  et  la  porter  à  toute 
espèce  de  bien,  comme  cet  ensemble  de  circonstances 
dont  se  composera  la  scène  qui  termine  le  temps  et 
commence  l'éternité?  Il  est  donc  éminemment  sage  ce 
conseil  de  l'Esprit-Saint  :  Souvenez-vous  de  vos  fuis 
dernières,  pour  ne  point  pécher  ;  conseil  si  bien  re- 
produit par  les  vers  suivants  : 

Mortel,  quoiqu'il  i  bas  tu  veuilles  entreprendre, 

ge  a  ce  compte  exa<t  qu'un  jour  il  on  faut  rendit'. 
Et  mets  devant  tes  yeux  celte  dernière  tin. 
Qui  fera  ton  mauvais  mu  ton  heureux  destin. 

le  avec  quel  front  tu  pourras  comparaître, 
Devanl  le  tribunal  de  ton  souverain  Maître, 


SALDS    INFIHMORUM  161 

Devant  ce  juste  Juge  à  qui  rien  n'est  caché, 
Qui  jusque  dans  ton  cœur  sait  lire  ton  péché, 
Qu'aucun  don  n'éblouit,  qu'aucune  erreur  n'abuse, 
Que  ne  surprend  jamais  l'adresse  d'une  excuse, 
Qui  rend  justice  à  tous,  et  pèse  au   même  poids, 
Ce  que  font  les  bergers  et  ce  que  font  les  rois. 

(Pierre  Corneille). 

0  Marie!  quand  viendra  le  terrible  jour  du  juge- 
ment, où  notre  vie  sera  sévèrement  examinée,  inter- 
cédez auprès  de  votre  Fils  afin  que  notre  partage  soit 
d'être  avec  les  saints.  (In  tremendo  Dei  judicio.)... 

Pratique  :  Se  demander,  avant  de  s'endormir,  si 
Ton  est  en  état  de  paraître  au  jugement. 

EXEMPLES 

VIVES    CRAINTES    DU    JUGEMENT 

Job  lui-même,  cet  homme  juste,  tremblait  au  seul 
souvenir  du  jugement .  Que  deviendrais-je,  s'écriait-il, 
quand  Dieu  se  lèvera  pour  me  juger*.  Que  lai  répon- 
dfai-je  quand  il  m'aura  examiné  et  convaincu?  Et 
cette  pensée  le  pénétrait  de  la  plies  vive  crainte  pour 
toutes  ses  actions.  Hélas!  se  disait-il  encore,  en  me 
croyant  innocent,  je  serai  trouvé  criminel. 

—  On  sait  ce  qu'avait  fait  saint  Paul  pour  gagner 
des  âmes  à  Jésus-Christ.  Les  peines  et  les  persécu- 
tions en  tout  genre  ne  lui  manquèrent  pas  :  ses  veilles 
et  ses  travaux  avaient  été  continuels,  ses  succès  im- 
menses. Cependant,  ce  vase  d'élection,  cet  homme 
tout  divin  frémit  en  pensant  au  jugement  de  Dieu.  Il 
craint,  qu'après  a  voir  prêché  aux  autres,  Une  soit  mis 
au  nombre  des  réprouvés  ;  parce  que,  dit-il,  Celui 
qui  do//  me  juger  est  un  Dieu  dont  les  regards  per- 
çants voient  tout,  et  pourrait  découvrir  les  iniquités 
là  où  les  yeux  des  hommes  n'aperçoivent  que  des 
vertus. 

—  Jérôme,  après  une  vie  entièrement  consumée  à 


162  REFUGIUM    PECCATORUM 

la  défense  de  l'Eglise  et  à  la  conduite  des  âmes,  mal- 
gré les  plus,  sanglantes  austérités  dans  la  solitude, 
peut  à  peine  se  rassurer  contre  les  terreurs  que  lui 
inspire  ce  véritable  jugement.  Il  en  a  continuellement 
l'image  devant  les  yeux,  et  croit  entendre  à  chaque 
instant  le  son  effrayant  delà  trompette  qui  l'y  appelle. 

— Saint  Hilarion,  retiré  au  désert  dès  l'âge  de  quinze 
ans,  en  avait  passé  soixante  dans  la  plus  rigoureuse 
pénitence .  Toute  sa  nourriture  consistait  dans  un  peu 
de  pain  d'orge  et  quelques  herbes.  Son  lit  ne  se  com- 
posait que  de  roseaux  étendus  par  terre.  Néanmoins, 
aux  approches  de  la  mort,  il  est  saisi  de  frayeur,  à  la 
pensée  du  jugement  qu'il  va  subir.  Sa  vive  crainte 
n'était  un  peu  tempérée  que  par  la  confiance  en  Jésus- 
Christ  et  en  sa  sainte  Mère. 

— Cette  même  appréhension  pénétrait  tellement  le 
grand  Augustin,  qu'il  ne  cessait  de  demander  à  son 
peuple  le  suffrage  de  ses  prières.  Et  dans  les  derniers 
jours  de  sa  vie,  il  voulut  qu'on  plaçât  autour  de  son 
lit  les  plus  touchants  versets  des  psaumes  de  la  Péni- 
tence, afin  de  s'exciter  davantage  à  la  componction  du 
cœur,  avant  de  paraître  devant  son  juge.  «  Malheur 
à  la  vie,  même  la  plus  pure,  s'écriait-il,  si  vous  l'exa- 
minez sans  miséricorde,  ô  mon  Dieu.  » 


CHAPITRE  XXXVII 


REFUGE  DES  PÉCHEURS 

Nos  maladies  les  plus  dangereuses  ne  sont  pas  celles 
qui  crucifient  nos  membres,  et  ne  peuvent  après  tout 
nous  ravir  qu'une  passagère  et  misérable  vie,  mais 
celles  qui  atteignent  nos  âmes  immortelles,  et  nous 
mènent  par  la  honte  el  le  remords  à  l'éternité  malheu- 


REFUGIUM   PECCATOHUM  163 

reuse.  Ces  maladies,  ce  sont  nos  passions  ;  les  plaies, 
ce  sont  nos  péchés  ;  maladies  terribles,  plaies  profondes 
et  très  difficiles  à  guérir.  Dieu,  néanmoins,  dans  sa  mi- 
séricordieuse bonté,  y  a  préparé  un  remède  ;  c'est  la 
toute-puissante  entremise  de  Marie.  Si  le  ciel  s'ouvrait, 
que  nous  serions  ravis  de  reconnaître,  sous  leurs  vête- 
ments de  gloire,  des  phalanges  de  saints  dont  la  vie 
n'avait  été  d'abord  qu'une  longue  succession  de  crimes 
et  de  désordres,  mais  à  qui  la  divine  Mère  a  obtenu  la 
grâce  du  repentir  et  du  pardon,  vérifiant  ainsi  le  titre 
si  doux  de  Refuge  des  pécheurs  !  Oui,  sa  miséricorde 
autant  que  sa  puissance  à  les  tirer  de  leur  malheureux 
état,  sont  un  fait  authentique,  et  qui  intéresse  au  plus 
haut  degré  toutes  les  classes  de  chrétiens.  Le  juste  lui- 
même  ne  péche-t-il  pas  sept  fois  par  jour?  Et  qui  sait 
jamais  s'il  est  digne  d'amour  ou  de  haine  ?  Il  sera  donc 
bien  consolant  de  voir  les  raisons  qui  justifient  ce  titre 
de  Marie.  Ce  sont: 

I .  La  ressemblance  admirable  entre  son  cœur  et  le 
cœur  de  Jésus  ; 

II.  La  mission  de  miséricorde  qu'il  lui  donna  du  haut 
de  la  Croix  ; 

III.  Sa  qualité  de  Mère  reçue  alors,  et  l'état  mal- 
heureux du  pécheur  ; 

IV.  Le  témoignage  unanime  des  saints  Pères  et 
Docteurs  de  l'Eglise,  qui  sera  complété  par  quelques 
allégories. 

ARTICLE  PREMIER 

I.  Marie  doit  aimer  les  pêcheurs ,  à  cause  de  la 
parfaite  conformité  de  ses  affections  avec  celles  de 
Jésus.  —  Marie,  n'en  doutons  point,  partage  les  dis- 
positions de  son  cher  Fils  ;  jamais  deux  cœurs  ne  furent 
plus  ressemblants.  Or,  le  caractère  distinctif  de  Jésus- 
Christ  fut  la  bonté  et  la  miséricorde  envers  les  pécheurs, 


164  REFUGIfM    PECCATORUM 

objet  spécial  de  sa  venue  sur  la  terre.  Avant  de  leur  en 
donner  la  preuve  la  plus  significative  par  le  sacrifice  de 
sa  vie  sur  le  gibet  de  la  Croix,  avec  quelle  bonté,  en 
mille  circonstances,  ne  les  a-t-il  pas  accueillis  !  Ainsi, 
le  publicain  lui  crie  avec  confiance  :  Ayez  pitié 
de  moi  qui  suis  un  pécheur;  et  Jésus  le  justifie  à 
l'instant  même.  —  Madeleine,  cette  grande  coupable, 
verse  à  ses  pieds  une  larme  de  repentir  ;  et  tout  de 
suite,  elle  entend  de  la  bouche  même  du  Sauveur,  que 
ses  péchés  sont  remis,  parce  quelle  a  beaucoup 
aimé. —  On  lui  amène  une  femme  surprise  en  adultère, 
et  il  trouve  le  secret  de  ne  point  la  condamner,  sans 
encourir  le  reproche  d'une  clémence  trop  indulgente. — 
Le  bon  larron  lui  demande  sa  gloire  ;  et  il  lui  en  donne 
l'assurance  par  ces  précieuses  paroles  :  Vous  serez 
aujourd'hui  avec  moi  enparadis.  Et.  pour  nous  ren- 
dre plus  sensible  encore  son  immense  charité  envers 
les  pécheurs,  il  se  peint  sous  différentes  images  ;  tan- 
tôt, d'un  père  inconsolable  de  l'absence  de  son  enfant, 
et  faisant  éclater  de  toutes  manières  la  joie  que  lui 
cause  son  retour  ;  tantôt,  d'un  pasteur  qui  laisse  là  les 
quatre-vingt-dix-neuf  brebis  restées  fidèles,  pour  cou- 
rir après  celle  qui  s'est  égarée,  et  qui,  loin  de  la  mal- 
traiter, la  rapporte  sur  ses  épaules  pour  lui  épargner 
la  fatigue  du  voyage  ;  tantôt,  de  cette  femme  qui  ayant 
perdu  une  drachme,  bouleverse  toute  la  maison,  ne  se 
donne  de  repos  que  quand  elle  l'a  retrouvée,  et  convo- 
que toutes  ses  voisines  pour  prendre  part  à  son  bon- 
heur .  Images  assurément  très  imparfaites  de  l'affliction 
•  le  Jésus  sur  Féloignement  du  pécheur,  de  son  empres- 
sement à  le  rechercher,  de  sa  joie  à  le  recevoir,  de  sa 
charité  à  dissimuler  et  à  ouvrir  ses  uffenses. 

Eh  bien  !  tel  fut  le  Fils,  telle  fut  la  Mère,  cor  Filii, 
cor  Mariœ.  Eli..-  aussi  aime  les  pécheurs,  qod  sans 


RKFUGIUU    PECC\TOKtJM  165    , 

doute  d'un  amour  de  prédilection,  que,  comme  son 
Fils,  elle  réserve  pour  les  justes;  mais  de  cet  amour 
de  compassion,  qui  la  porte  à  s'attendrir  sur  leurs  mi- 
sères et  leurs  besoins,  plus  qu'elle  n'est  sensible  à  leurs 
outrages.  Ainsi  que  Jésus  qui  ne  demandait  qu'à 
déployer  sa  puissance  et  sa  bonté,  témoin  Lazare  qu'il 
rend  aux  lamentations  de  ses  sœurs  ;  le  fils  de  Natin 
et  la  fille  de  Jair  pour  lesquels  il  se  laisse  toucher  par 
les  prières  et  les  larmes  de  leurs  mères,  Marie  aussi, 
pénétrée  de  la  plus  tendre  commisération  pour  ses  en- 
fants, met  son  bonheur  à  leur  en  donner  des  preuves. 
—  Il  est  rapporté  par  saint  Liguori  qu'un  pécheur 
pleurant  aux  pieds  d'une  statue  de  la  Vierge,  vit  cette 
tendre  Mère  offrir  ses  larmes  à  Jésus,  en  lui  disant  : 
«  Mon  Fils,  ces  larmes  seront-elles  perdues  ?  «  Et  Jésus 
répondit  qu'il  pardonnait. 

IL  Marie  doit  aimer 'les  pécheurs,  en  vertu  de 
la  mission  de  miséricorde  qu'elle  a  reçue  du  haut 
de  la  Croix.—  Quelques  instants  encore,  et  Jésus  aura 
consommé  l'œuvre  de  la  rédemption.  Mais,  qui  va-t-il 
charger,  à  ce  moment  suprême,  de  veiller  à  ce  qu'au- 
cun fruit  ne  soit  perdu  de  ce  sacrifice  si  douloureuse- 
ment consommé  ?  Les  apôtres  se  sont  enfuis,  un  seul 
excepté  :  son  dévouement  autant  que  son  amour  de  la 
virginité  lui  mériteraient,  sans  doute,  l'honneur  d'ou- 
vrir la  voie  du  pardon  au  repentir  ;  mais  le  Sauveur  a 
d'autres  pensées.  Pour  compatir  aux  plus  profondes 
des  misères,  celles  où  conduit  le  péché,  il  faut  un 
cœur  tout  pétri,  tout  composé  de  mansuétude  et  de 
charité  ;  il  faut  un  cœur  de  mère.  Jésus  va  donc  en 
créer  une,  véritablement  digne  de  ce  nom  :  ce  sera  îa 
sienne,  ce  sera  Marie  !  Femme,  lui  dit-il,  en  nous  dé- 
signant dans  la  personne  de  saint  Jean,  voici  vos  en- 
fants désormais  ;  dilatez  vos  entrailles,  bonne  Mère, 


166  REFUGÏUM    PECCATORUM 

pour  y  recevoir  cette  nouvelle  et  nombreuse  famille  : 
Eh  !  Seigneur,  aurait-elle  pu  dire,  à  quels  enfants  me 
forcez-vous  d'ouvrir  mon  sein  !  Celui-ci  est  un  impie  ; 
celui-là  un  libertin  ;  cet  autre  un  blasphémateur  ;  voilà 
encore  tant  d'endurcis  !  Mais  non  ;  ni  plaintes  ne  s'é- 
lèvent dans  son  cœur,  ni  réclamations  ne  s'échappent 
de  ses  lèvres.  C'est  ainsi  que,  en  vertu  d'une  sorte  de 
contrat  formulé  par  la  bouche  de  l'Homnie-Dieu  mou- 
rant, et  accepté  par  le  cœur  de  Marie  présente,  elle 
devint  la  Mère,  et  par  là  même  le  Refuge  obligé  de 
tous  les  pécheurs,  qui  composent  la  majeure  partie  de 
la  famille.  L'avez-vous  entendu,  frères  infortunés  ?  De 
par  la  volonté  formelle  d'un  Dieu,  vous  avez  place  au 
cœur  de  la  plus  aimante  des  mères.  Ce  qui  vous  Pas- 
sure  encore,  c'est  que, 

III.  Vous  êtes,  pêcheurs,  malheureux,  et  qa'Elle 
est  votre  Mère .  —  Est-il  donc  bien  vrai  que  les  en- 
nemis de  Dieu,  les  plus  vils  des  êtres,  inspirent  un  si 
tendre  intérêt  à  la  sainte  Vierge;  que  Celle  qui  fut 
toujours  sans  tache,  daigne  abaisser  ses  regards  si 
purs  sur  des  monceaux  d'iniquités  ?  Comment  Marie, 
cette  beauté  céleste,  toute  rayonnante  de  sainteté, 
peut-elle  éprouver  quelque  attrait  pour  un  malheu- 
reux, tout  dégoûtant  de  plaies  honteuses  et  gangre- 
nées ?  Voici  le  mot  de  ce  mystère.  Rien  n'égale  son 
horreur  pour  le  péché  ;  il  fait  un  si  prodigieux  con- 
traste avec  son  innocence  !  Et  c'est  précisément  pour 
cela  qu'elle  voudrait  voir  disparues  ces  abominables 
souillures.  Pouvons-nous  donc  douter  qu'elle  en  ins- 
pire le  repentir,  quelle  l'accueille  et  le  présente  à  son 
Fils  avec  l'autorité  de  sa  prière,  qui  obtiendra  sûre- 
ment la  grâce  du  pardon?  Pourrait-elle, d'ailleurs, ne 
pas  observer  elle-même  dans  toute  sa  perfection  ce 
J*écepte   de  sublime  charité,  qu'elle  a  mille  fois  en 


REFUGIUM  PECCATORUM  167 

tendu  :  Aimez  vos  ennemis,  faites  du  bien  à  ceux 
qui  vous  haïssent  ;  priez  pour  ceux  qui  vous  per- 
sécutent. Or,  les  pécheurs  sont  ses  ennemis,  comme 
ils  sont  les  ennemis  de  son  Fils  ;  elle  doit  donc  les  ai- 
mer. 

Et  aussi  parce  qu'ils  sont  malheureux.  La  raison 
nous  dit  que  tout  être  hors  de  la  loi  souffre  et  gémit. 
Or,  un  cœur  coupable  s'est  soustrait  à  la  loi  essen- 
tielle, qui  est  Dieu  ;  et  il  n'est  point  heureux.  La  foi 
dit,  à  son  tour,  qu'il  n'y  a  point  de  paix  pour  Vimpie. 
L'expérience  que  dit-elle  ?  Les  coupables  avouent  eux- 
mêmes  que  le  chemin  de  l'iniquité,  qui  paraissait  semé 
de  roses,  s'est  trouvé  hérissé  d'épines  :  les  pécheurs 
sont  donc  des  êtres  malheureux.  Eh  bien  !  qui  leur 
portera  plus  d'intérêt  ?  Qui  aura  pour  eux  plus  de 
remèdes  pour  leurs  maux,  que  la  Femme  de  douleurs, 
dont  l'existence  ne  fut  qu'une  succession  de  peines  et 
d'angoisses  ?  Elle  peut  bien  dire,  comme  cette  infortu- 
née reine  de  l'antiquité  :  «  Mes  propres  souffrances 
m'ont  rendue  sensible  à  celles  d'autrui.  »  Son  sein 
maternel,  si  cruellement  déchiré,  sera  donc  un  asile 
ouvert  à  toutes  les  infirmités  spirituelles  :  et  qui  a 
plus  de  droit  d'y  être  admis,  que  les  plus  malades,  les 
pécheurs  conséquemment  ? 

Elle  est  Mère,  ne  l'oublions  pas  !  Or,  pour  lequel  de 
ses  enfants  une  mère  a-t-elle  plus  de  tendresse,  plus 
de  soins  compatissants  et  empressés  ?  N'est-ce-pas 
pour  celui  qui  de  sa  faute  ou  non  est  souffrant,  malade 
ou  disgracié  de  la  nature?  Fut-il  vicieux,  elle  oublie 
qu'il  est  méchant,  pour  ne  voir  en  lui  qu'un  être  mal- 
heureux et  d'autant  plus  digne  de  pitié.  Quelle  est  la 
mère  qui,  voyant  son  fils  atteint  d'une  blessure  mor- 
telle et  accourant  pour  trouver  auprès  d'elle  un  prompt 
secours,  irait  s'irriter  contre  lui,  et  ne  s'empresserait 


1()S  REFUGIUM    PECfiATORl  M 

pas  plutôl  de  lui  prodiguer  ses  -oins,  avec  d'autant 
plus  de  dévouement  et  d'adresse  que  ses  plaies  sonl 
plus  profondes?  Ainsi,  pécheurs,  l'excès  de  vos  maux, 
loin  de  rebuter  Marie,  ne  lui  apparaîtra  en  vous  qu'un 
div.it  de  pi  us  à  sa  miséricorde.  Qu'elle  voie  une  larme 
couler  de  vos  yeux,  la  confiance  et  le  repentir  agiter 
votre  cœur,  plus  vite  encore  elle  s'occupera  d'obtenir 
votre  pardon,  et  si  le  retour  d'un  seul  pécheur  cause 
tant  de  joie  parmi  les  anges,  quelle  doit  être  celle  de 
la  Reine  du  ciel,  et  que  ne  fera-t-elle  pas  pour  jouir 
le  plus  souvent  possible  de  ce  bonheur  ! 

Elle  est  Mère  !  Or,  quelle  est  la  fonction  principale 
de  la  maternité  ?  C'est  de  donner  l'existence.  Mais 
quelle  vie  peut  donner  la  Vierge  ?  Ce  ne  peut  être  que 
la  vie  spirituelle.  Et  à  qui  ?  N'est-ce  pas  à  ceux  chez 
lesquels  le  péché  l'a  éteinte  ?  Venez  donc,  pécheurs, 
en  toute  assurance,  venez  renaître  dans  les  entrailles 
vivifiantes  de  votre  Mère. 

Mais  en  devenant  leur  Mère,  elle  n'a  pas  cessé  d'être 
la  Mère  de  Jésus-Christ.  Elle  est  donc  à  la  fois  Mère 
d'enfants  pécheurs,  et  d'un  Fils  qui  n'a  jamais  péché  ; 
mère  de  ces  frères  fratricides  qui  n'osent  plus  lever  les 
yeux  vers  Celui  qu'ils  ont  outragé  et  mis  à  mort.  Or, 
qui  apaisera  les  inimitiés  divisant  des  frères  ?  Qui  re- 
nouera les  liens  brisés  entre  les  membres  d'une  même 
famille  ?  N'est-ce  pas  la  mère  ?  Marie,  en  vertu  de  ce 
titre  qu'elle  a  accepté  pour  en  remplir  toute  l'étendue, 
est  doue  la  plénipotentiaire,  la  fondée  de  pouvoirs  pour 
opérer  cette  réconciliation.  Oui,  des  hauteurs  de  sa 
gloire,  elle  descendra  dans  l'abîme  où  gémit  le  pé- 
cheur, lui  inspirera  le  regret  et  l'aveu  de  son  crime, 
et  retournera  près  de  Jésus  pour  conclure  avec  lui  le 
traite  de  paix. 

Morale  :  Quel  pressant   motif  de  confiance,  pour 


REFOGIUil    PECCATORPM  169 

vous,  infortunés  pécheurs  !  Si  enfonces  que  vous  soyez 
dans  les  profondeurs  du  crime,  dans  la  fange  des  vices  ; 
enssiez-vous  amassé  sur  vos  têtes  des  montagnes  d'ini- 
quités ;  fussent-elles  rouges  comme  1  ecarlate,  multi- 
pliées comme  les  grains  de  sable  qui  couvrent  le  bord 
de  la  mer  ;  gardez-vous  de  pousser  le  cri  satanique  de 
Caïn  :  Mon  pèche  est  trop  grand  pour  que  fen  ob- 
tienne le  pardon.  Non,  non!  tout  n'est  pas  désespéré. 
N'avez-vous  pas  en  la  très  sainte  Vierge  une  Mère, 
dont  la  miséricorde  surpasse  vos  iniquités  de  beaucoup 
plus  encore  que  le  ciel  n'est  au-dessus  de  la  terre  ?  Par 
les  larmes  d'une  sincère  pénitence,  qu'elle  présentera 
à  son  Fils,  et  par  l'application  de  ses  mérites,  votre 
àme  peut  redevenir  blanche  comme  la  neige  :  ouvrez 
donc  votre  cœur  à  l'espérance.  Quand  on  s'est  oublié 
jusqu'à  injurier,  offenser  une  personne,  on  ne  peut  se 
défendre  d'une  vive  crainte  de  paraître  devant  elle, 
fût-ce  même  pour  lui  en  témoigner  son  repentir,  à 
plus  forte  raison  pour  lui  demander  grâce  ;  et  comme 
alors  on  serait  allégé,  si  un  ami  commun  venait  offrir 
sa  médiation  entre  l'offenseur  et  l'offense  !  Mais,  si  la 
mère  elle-même  daigne  interposer  en  faveur  du  cou- 
pable la  puissance  de  son  crédit  auprès  d'un  fils  plein 
de  tendresse  pour  elle,  quel  doux  espoir  et  quelle  joie 
renaissent  au  fond  de  l'àme  ?  Pauvres  pécheurs  !  voilà 
pourtant  ce  qu'est  pour  vous  la  Vierge  débonnaire 
auprès  d'un  Fils  dont  vous  avez  méconnu  l'amour  et 
méprisé  la  souveraine  majesté.  Ah  !  fussiez -vous  mille 
fois  plus  coupables,  prenez  courage.  Si  jusque-là,  lors 
même  que  vous  ne  pensiez  plus  à  l'invoquer,  elle 
a  été,  croyez-le  bien,  un  paratonnerre  invisible 
contre  la  divine  justice,  doutez-vous  qu'elle  de- 
vienne aujourd'hui  votre  grand  Propitiatoire  et  vo- 
tre inviolable  refuge?  N'oubliez  pas  que,  si  Jésus  est 

PARAPHRASE.    —  T.  H.  10 


170  REFUGIUM   PECCATORUM 

le  bon  Pasteur,  Marie  est  la  divine  Bergère,  et  que  ni 
l'un  ni  l'autre  n'a  jamais  refusé  de  rapporter  sur  ses 
épaules  la  brebis  égarée. 

Allez  donc,  enfant  prodigue,  couvert  des  haillons 
du  péché,  pâle  et  défait  par  le  vice  et  la  misère,  allez 
vous  jeter  à  ses  pieds,  elle  vous  ménagera  la  rentrée 
dans  la  maison  paternelle,  vous  rétablira  dans  tous 
vos  droits  et  dans  l'amitié  de  votre  Père  céleste. 

Voilà,  ô  sainte  Vierge  Marie,  ce  que  nous  osons  bien 
promettre  aux  pécheurs  de  votre  part,  assurés  que 
nous  sommes  de  votre  fidélité  à  l'accomplir.  Puissions- 
nous  l'éprouver  tous,  à  quelque  degré  que  nous  soyons 
coupables.  Ange  de  notre  pardon,  vous  serez  l'objet 
ici-bas  de  notre  reconnaissance  la  plus  vive,  et  au  ciel 
de  nos  éternelles  louanges . 

Maxime  :  Ne  jamais  désespérer  à  la  vue  de  ses  pé- 
chés :  sainte  Catherine  de  Sienne  assure  que  Dieu  est 
plus  offensé  du  désespoir  du  pécheur  que  de  tous  ses 
autres  crimes.  C'est  à  la  confiance  que  Jésus-Christ 
accordait  ses  faveurs. 

EXEMPLES 

LE    BON     LARRON 

En  preuve  de  la  bonté  de  Marie  pour  "les  pauvres 
pécheurs ,  nous  pourrions  apporter ,  presque  sans 
choix,  tous  les  traits  qui  abondent  dans  les  écrits  com- 
posés en  son  honneur .  Car,  c'est  envers  les  pécheurs 
surtout  que  de  tout  temps  elle  s'est  plu  à  faire  éclater 
la  force  de  son  crédit  et  l'étendue  de  sa  clémence.  Nous 
allons  citer  le  premier  des  actes  où  elle  l'a  montré. 

Aux  côtés  de  Jésus  mourant,  deux  criminels  subis- 
saient la  juste  peine  de  leurs  forfaits  ;  peut-être  même 
avaient-ils  mêlés  leurs  blasphèmes  à  ceux  de  la  popu- 
lace déicide  !  Tout  à  coup,  l'un  d'eux,  touché,  atten- 


REFUGIUM    PECCATOKUM  171 

dri,  reconnaît  le  Crucifié  pour  le  fils  de  Dieu,  avoue 
humblement  ses  crimes  et  les  déplore  ;  il  se  livre  à  la 
confiance  et  demande  miséricorde.  Sa  douleur  est  ac- 
ceptée, et  il  reçoit  de  la  bouche  même  de  Jésus  l'assu- 
rance que  le  ciel  lui  est  ouvert.  D'où  vient  que  ce  n'est 
qu'à  ce  dernier  moment  que  le  larron  se  rend  justice 
et  ouvre  son  cœur  au  repentir?  Ah!  c'est  peut-être 
que  jusque-là  il  n'avait  rencontré  personne  qui  s'inté- 
ressât à  demander  et  obtenir  la  grâce  de  sa  conversion. 
Mais  au  pied  de  la  Croix,  se  trouvait  la  sainte  Vierge, 
qui  venait  d'être  proclamée  la  mère  des  humains .  Est- 
ce  trop  présumer  de  son  bon  cœur,  de  lui  attribuer  une 
large  part  dans  un  changement  aussi  subit?  Les  sou- 
pirs de  ce  coupable,  passant  par  elle,  arrivèrent  de  sa 
toute-puissante  médiation  jusqu'à  Jésus,  qui  voulut  de 
suite,  par  un  acte  solennel,  justifier  son  titre  de  Re- 
fuge des  pécheurs  :  d'un  brigand  elle  en  fait  un  con- 
fesseur et  un  martyr.  Saint  Pierre  Damien  et  saint 
Liguori  ne  craignent  pas  d'affirmer  que  c'est  à  ses 
prières  que  le  bon  larron  dut  sa  conversion  et  son  sa- 
lut :  Vlrgo  pro  latrone  preces  effudit,  primusque 
extitit  peccator  quisanctissimœ  Mariœ  rogala  resi- 
puit  (P .  Dam .  ) . 

—  Un  jour  Marie  apparut  à  sainte  Gertrude  avec 
son  manteau  entr'ouvert ,  sous  lequel  s'était  réfugiée 
une  troupe  de  bêtes  féroces,  lions,  tigres,  etc...  et  non- 
seulement  la  Vierge  ne  les  repoussait  pas,  mais  elle 
les  accueillait,  leur  souriait,  et  leur  prodiquait  les 
caresses  les  plus  tendres  avec  une  grande  commiséra- 
tion .  La  Sainte  reconnut  dans  cette  vision  une  image 
sensible  de  sa  bonté  pour  les  pécheurs  les  plus  coupa- 
bles, quand  ils  vont  avec  confiance  se  réfugier  dans  ses 
bras. 


172  HEFLGIUM    PECCATORUM 

ARTICLE  SECOND 
Témoignages  des  saints  Pères  ;  — Ingénieuses  allégo- 
ries en  faveur  de  cette  consolante  vérité 

Ce  fut  chez  les  anciens  une  généreuse  pensée  d'ou- 
vrir aux  criminels  un  asile  qui  s'appelait  lieu  de 
refuge,  où  la  vengeance  de  leurs  ennemis,  et  même  le 
glaive  de  la  justice  ne  pouvait  les  atteindre  :  ces  lieux 
protecteurs  défendaient  le  faible  contre  le  fort,  l'inno- 
cent contre  le  méchant,  l'opprimé  contre  son  oppres- 
seur ,  l'immense  population  des  esclaves  contre  les 
cruautés  des  maîtres  inhumains.  Là  encore,  l'accusé 
ne  pouvant  être  recherché  ni  puni,  jouissait  du  temps 
nécessaire  pour  justifier  son  innocence,  ou  intéresser 
les  juges  en  sa  faveur. 

Sous  la  loi  de  Moïse,  Israël  aussi  était  doté  de  ces 
asiles,  où  les  coupables  s'abritaient  contre  la  sévérité 
de  la  justice.  Tous  les  chemins  qui  y  conduisaient 
devaient  être  aplanis  et  désignés  par  des  poteaux,  afin 
que  l'accès  en  fût  plus  facile  et  plus  sûr. 

Ce  n'était  là  qu'une  bien  pale  image  de  ce  que  nous 
possédons  sous  la  loi  de  grâce.  La  miséricorde  divine 
a  ménagé,  chez  le  peuple  chrétien,  un  lieu  de  refuge, 
où  les  pécheurs  sont  assurés  de  trouver  le  plus  bien- 
veillant accueil  et  la  sécurité  :  c'est  le  cœur  de  Marie. 
Nous  avons  déjà  vu  à  combien  de  titres  ils  lui  sont 
chers.  Mais  c'est  là  une  vérité  qui  répand  dans  le 
cœur  coupable  un  si  doux  baume  d'espérance,  qu'elle 
ne  saurait  y  être  gravée  trop  profondément.  Voyons 
donc  d'abord  les  témoignages  si  imposants  des  saints 
Pères  et  des  Docteurs  qui  l'établissent  :  ensuite  quel- 
ques ingénieuses  ai.  la  mettront  dans  son  plein 
jour. 

I.  Merveille»  v  accord  dessalais  Pères  el  des  Doc- 
teurs  à  pro  lamer  la  clémence  de  Marie  envers  les 


REFUGIUM    PECCATORUM  173 

pécheurs.  —  Qu'il  nous  serait  agréable  de  dérouler 
devant  vous  dans  toute  leur  étendue,  ces  pages  tou- 
chantes écrites  par  tout  ce  que  l'Eglise  compte  d'il- 
lustrations parmi  les  Pères  et  les  Docteurs,  qui,  après 
la  sainte  Ecriture ,  sont  les  oracles  de  la  doctrine 
catholique  !  Vous  y  verriez  en  quels  termes  magni- 
fiques ils  exaltent  comme  à  l'envi  une  des  plus  déli- 
cieuses fonctions  de  la  Vierge,  celle  d'être  la  douce 
réconciliatrice  des  pécheurs.  Vous  entendriez  saint 
Léon  enseigner,  «  que  le  trône  de  Marie  s  élève  sur 
la  miséricorde,  où  plutôt  qu'elle  est  elle-même  toute 
miséricorde  et  toute  charité  ;  »  —  saint  Augustin  la 
proclamer  «  l'espérance  de  ceux  qui  n'en  ont  plus;  » — 
saint  Ephrem  l'appeler  «  la  puissante  ressource  de 
tous  les  pécheurs,  le  port  assuré  de  ceux  qui  ont  fait 
naufrage  ;  »  — •  le  vénérable  Pierre  de  Blois  vous  dire 
c<  qu'elle  est  la  joie  de  ceux  qui  ne  connaissent  point 
le  bonheur  ici-bas  ;  que  lorsqu'elle  n'est  plus  le  para- 
dis de  l'innocence,  elle  est  toujours  l'asile  du  repen- 
tir;»—  saint  Anselme  nous  assurer,  «  que  sa  très 
indulgente  miséricorde  n'a  jamais  méprisé  aucun 
suppliant,  quelque  grand  pécheur  qu'il  fût  ;  que,  s'il 
appartient  à  Jésus-Christ,  comme  Juge,  de  punir,  il 
appartient  à  Marie,  comme  avocate  et  comme  mère, 
d'avoir  toujours  compassion  du  pécheur.  «  Il  aimait  à 
répéter  souvent  que,  s'il  avait  déjà  un  pied  dans  l'en- 
fer, la  main  maternelle  de  Marie  viendrait  l'en  arra- 
cher au  premier  de  ses  cris  ;  à  plus  forte  raison 
empêchera-t-elle  d'y  tomber.  —  Saint  Bonaventure 
semble  enchérir  encore,  lorsqu'il  dit  non  plus  seule- 
ment qu'elle  est  le  refuge  des  pécheurs,  mais  qu'elle 
les  adopte,  et  demande  grâce  pour  eux.  «0  Marie, 
s'écrie-t-il  ensuite,  le  pécheur,  fût-il  devenu  le  rebut 
du  monde  entier,  ne  vous  fait  point  horreur  ;  mais  vous 


174  RBFUGIUM    PECCATORUM 

l'accueillez  avec  bonté,  et  ne  le  quittez  point  que  vous 
ne  l'ayez  réconcilié  avec  son  redoutable  Juge.  Elle 
était  grande,  dit-il  encore,  la  miséricorde  de  Marie 
pendant  son  exil  sur  la  terre  ;  mais  maintenant  qu'elle 
est  au  ciel,  sa  miséricorde  a  pris  les  proportions  de  sa 
gloire  ;  elle  est  d'autant  plus  étendue,  que  les  innom- 
brables maux  des  hommes  lui  sont  plus  à  découvert.» 
Et  il  exhorte  avec  zèle  les  pécheurs  à  pousser  vers 
elle  au  moins  un  soupir  du  fond  de  leur  misère.  —  Il 
est  dit  que  le  Seigneur  a  les  yeux  fio:és  sur  les  justes  , 
«  mais,  ajoute  un  autre  saint  Docteur,  ceux  de  la 
Vierge  sont  fixés  sur  les  pécheurs  comme  sur  les 
justes  ;  car  les  yeux  de  Marie  sont  des  yeux  de  mère  ; 
et  une  mère  veille  sur  son  enfant,  non-seulement  pour 
qu'il  ne  tombe  pas,  mais  pour  le  relever  dès  qu'il  est 
tombé.  » —  Ecoutons  encore  sur  cette  douce  vérité 
saint  Thomas,  nous  disant  de  concert  avec  le  pieux 
Gerson,  «  que  Dieu  semble  avoir  fait  deux  parts  de 
son  empire,  donnant  à  Marie  le  sceptre  de  la  miséri- 
corde, et  réservant  à  son  Fils  seul,  le  redoutable 
glaive  de  la  justice  et  de  la  vengeance.  »  Nous  nous 
arrêtons,  car  il  y  aurait  à  transcrire  sans  fin  de  sem- 
blables passages. 

Cependant  nous  ne  pouvons  priver  votre  piété  des 
suaves  paroles  du  dévot  saint  Bernard,  cet  admirable 
zélateur  des  gloires  et  des  miséricordes  de  la  divine 
Mère.  «  Pauvres  pécheurs  de  la  terre,  s'écrie-t-il, 
nous  avons  envoyé  devant  vous  une  avocate  au  ciel, 
une  mère  de  miséricorde,  la  Mère  de  notre  Juge,  qui 
traitera  merveilleusement  la  cause  de  notre  salut  !  Là, 
elle  n'est  occupée  que  de  nos  besoins  pour  les  soula- 
ger, de  nos  peines  pour  les  consoler,  de  nos  misères 
pour  y  remédier,  de  nos  péchés  pour  en  obtenir  le 
pardon.    Elle  est,  dit-il  ailleurs,  l'échelle  des  pécheurs 


HEFUGIUM    PKCCATOHUM  175 

et  l'unique  source  de  mon  espoir.  »  D'où  il  conclut  que 
«  nul,  si  criminel  qu'il  soit,  ne  peut  périr,  si  Marie  lui 
prête  l'appui  de  sa  protection.»  Après  cet  harmonieux 
concert  de  voix  si  éloquentes  à  exalter  la  clémence  de 
Marie,  pourrait-il  nous  en  rester  l'ombre  même  d'un 
doute  ?  Mais, 

II.  Quelques  allégories  du  plus  vif  intérêt  vont 
achever  de  nous  en  convaincre,  et  comme  nous  le 
faire  toucher  au  doigt.  —  Une  femme  de  Thécua  s'é- 
tant  présentée  à  David,  lui  demandait  instamment  sa 
protection,  après  lui  avoir  exposé  ainsi  le  sujet  de  sa 
douleur,  f  avais  deux  fils,  dit-elle  ;  en  se  querellant 
ensemble,  l'un  deux  frappa  et  tua  son  frère.  V indi- 
gnation publique  est  à  son  comble,  et  Von  me  dit  de 
toutes  parts  :  il  faut  que  tu  nous  livres  ton  fils  cou- 
pable, et  que  le  sang  qu'il  a  répandu  soit  vengé  par  sa 
mort.  Mais  pourrais-je  jamais,  moi  sa  mère,  me 
priver  de  mon  second  fils  ?  Ne  suîs-je  pas  assez  mal- 
heureuse d'avoir  perdu  le  premier?  0  roi,  ayez  pitié 
d'une  mère  désolée  et  ne  permettez  pas  qu'on  lui 
ravisse  l'unique  enfant  qui  lui  reste.  Attendri  par  une 
demande  aussi  raisonnable,  David  dit  à  cette  femme  de 
retourner  dans  sa  maison,  avec  l'assurance  qu'on 
ne  l'inquiétera  plus  et  que  pas  un  seul  cheveu  ne 
tombera  delà  tête  de  son  enfant.  —  Ici  il  n'y  a  que 
les  noms  à  changer,  et  nous  aurons  l'histoire  de  Marie. 
Oui,  voilà  ce  qu'elle  fait  pour  les  pécheurs.  Elle  va 
trouver  le  Seigneur  et  lui  dit  :  J'avais  deux  fils,  mon 
Jésus  et  l'homme  que  j'adoptai  sur  le  Calvaire.  Cet 
enfant  a  crucifié  de  nouveau  mon  Jésus  ;  son  crime 
mérite  la  mort  ;  mais  pourriez-vous,  Seigneur,  me 
priver  encore  de  mon  second  Fils,  après  que  j'ai  déjà 
perdu  le  premier  ?  Et  Dieu,  touché  de  sa  prière,  sauve 
le  pécheur. 


176  REFCG1UM    PECCATORUM 

Nous  voyons,  dans  une  hymne  liturgique,  Marie  dé- 
signée sous  le  nom  de  fenêtre  du  ciel  :  fenestra  cœli 
fixcta  est.  Laissez-moi  vous  expliquer,  par  une  com- 
paraison toute  simple,  le  sens  qui  me  parait  caché 
sous  cette  gracieuse  image.  Un  père  de  famille,  cruel- 
lement affligé  des  désordres  de  son  fils,  a  essayé  de 
tous  les  moyens  pour  les  arrêter.  Insensible  à  toutes 
les  défenses,  il  continue,  selon  son  habitude,  de  ne 
rentrer  que  fort  avant  dans  la  nuit.  Un  jour,  le  père, 
poussé  à  bout,  ferme  solidement  la  porte  et  se  retire. 
Mais  la  mère,  dont  le  cœur  se  refuse  à  tant  de  dureté, 
et  ne  voulant  pas,  néanmoins,  contrarier  directement 
les  volontés  du  père,  va  entr'ouvrir  une  fenêtre  que 
son  enfant  puisse  apercevoir  pour  rentrer  au  foyer.  Voilà 
les  mères  ;  voilà  Marie  merveilleusement  ingénieuse  à 
ménager  au  pécheur,  même  le  plus  indigne,  le  secret 
de  revenir  à  la  maison  paternelle. 

L'histoire  raconte  qu'un  prince,  justement  irrité  de 
la  révolte  d'un  de  ses  sujets,  avait  résolu  d'en  tirer 
une  vengeance  éclatante.  Le  crime  était  certain,  les 
preuves  inattaquables  et  rigoureusement  concluantes. 
Que  fera  ce  malheureux,  écrasé  sous  le  poids  de  sa 
culpabilité?  Inutilement  chercherait-il  à  se  justifier. 
Mais  il  lui  vient  en  pensée  d'aller  trouver  la  mère  du 
prince  ;  il  la  supplie  avec  larmes  d'interposer  la  puis- 
sance de  son  autorité  maternelle  auprès  de  son  fils. 
Croyez-vous  que  cette  mère  ait  pu  s'y  refuser,  et  le  fils 
résister  à  la  prière  de  sa  mère  ?  Cela  n'est  point  dans 
les  lois  de  la  nature.  Autant  par  condescendance  que 
par  respect,  le  prince  lui  accorde  l;i  grâce  de  son 
client.  Voilà,  pécheurs,  le  rùle  de  charité  que  Marie 
remplira  près  de  Jésus,  et  ce  qu'elle  obtiendra,  aus- 
sitôt que  vous  l'en  prierez . 

Alexandre-le-Grand    ayant    reçu    d'Anjtipater    une 


UEFUGIUM    PECGATORUM  477 

longue  lettre  qui  chargeait  gravement  Olympias,  sa 
mère,  ne  répondit  que  ces  mots  :  «  Antipater  ne  sait 
donc  pas  qu'une  seule  larme  de  ma  mère  effacerait 
toute  une  liste  d'accusations  ?  »  De  même,  une  larme, 
un  mot  de  Marie  à  Jésus  abolira  tous  les  crimes  qui 
formeraient  contre  le  pécheur  la  plus  atterrante  des 
accusations . 

Morale  :  Pécheurs  qui  m'entendez,  peut-être  avez- 
vous  fatigué  le  ciel  et  la  terre  par  le  nombre  et  Ténor- 
mité  de  vos  attentats  ;  peut-être  que  votre  vie,  tissue 
de  crimes  et  d'infidélités,  vous  jette,  sinon  dans  le 
désespoir,  du  moins  dans  une  grande  défiance  de  la 
divine  miséricorde  ?  Comment  échapper,  dites-vous,  à 
la  colère  d'un  Dieu  que  tant  de  fois  j'ai  irrité  ?  Me  re- 
cevra-t-il,  Celui  qui  souvent  m'a  appelé,  et  dont  je 
n'ai  pas  écouté. la  voix?  Après  avoir  lassé  sa  patience 
et  ses  poursuites,  puis-je  espérer  le  retrouver  encore  ? 
Si  je  regarde  le  ciel,  j'y  vois  non  plus  un  Père  tendre 
et  miséricordieux,  mais  un  Dieu  armé  de  sa  justice  et 
de  sa  colère.  Si  j'abaisse  mes  yeux  sur  la  Croix,  ce 
signe  consolateur  de  notre  rédemption,  j'entends  le  sang 
que  j'ai  profané  crier  vengeance  contre  moi .  La  terre 
avec  ses  bienfaits,  dont  Dieu  l'a  rendue  prodigue  pour 
l'homme,  m'accuse  d'ingratitude  envers  un  si  généreux 
bienfaiteur.  Nos  temples  avec  leurs  autels,  leurs  tri- 
bunaux de  paix,  source  abondante  de  consolations  pour 
le  juste,  ajoutent  à  mes  frayeurs. 

De  quel  côté  donc  apparaîtra  quelque  lueur  d'espé- 
rance !  Où  trouver  un  asile  contre  le  courroux  du  ciel  ? 
Rassurez-vous,  bien-aimé  frère.  Un  accès  facile  vous 
est  toujours  ouvert  près  de  Marie,  cette  bonne  et  ten- 
dre Mère  à  tous .  Ne  la  voyez- vous  pas  qui  vous  tend 
les  bras  et  vous  invite  à  vous  y  jeter  avec  confiance, 
afin  qu'elle  vous  présente  à  son  Fils  qui  ne  peut  la  re- 


178  REFUGIUM    PECCATORIM 

pousser?  Vos  égarements,  sans  doute,  ont  contristé 
son  cœur  ;  mais  enfin,  nous  vous  l'avons  dit,  vous  n'en 
êtes  que  plus  digne  de  sa  pitié.  Ah  !  pourriez- vous  res- 
ter insensible  à  tant  de  bonté  ;  toujours  enchaîné  dans 
les  liens  d'un  dur  esclavage,  tandis  que  de  sa  main 
puissante  elle  peut  les  briser  ;  toujours  sur  le  bord  de 
l'abîme,  ayant  près  de  vous  celle  qui  peut  vous  en  éloi- 
gner ?  Marie,  ainsi  que  Jésus,  peut  bien  se  comparer  à 
la  poule-mère,  qui  veut  rassembler  ses  petits  sous  ses 
ailes  ;  mais  si  un  jour  elle  était  forcée  de  vous  dire  le 
terrible  et  nolnisti,  tu  n'as  pas  voulu,  ce  serait  le 
sceau  d'une  réprobation  irréparable  ! ...  Ah  !  tandis  qu'il 
est  encore  temps,  à  l'aide  de  sa  divine  protection,  met- 
tez-vous en  sûreté  contre  un  si  grand  malheur. 

Oui,  le  voilà,  ô  tendre  Mère,  cet  infortuné  pécheur 
qui,  profondément  touché  de  votre  miséricorde,  dont  il 
ne  connaissait  guère  la  vaste  étendue,  vient  la  saisir 
comme  une  planche  de  salut,  pour  sortir  de  l'abime  de 
ses  iniquités,  et  retourner  au  Dieu  qui  l'appelle.  Vous 
lui  viendrez  en  aide,  et  son  pardon  est  assuré. 

Pratique  :  Malgré  tout  l'espoir  qu'on  peut  fonder 
sur  la  sainte  Vierge,  ne  point  différer  sa  conversion  :  si 
le  pardon  est  promis  au  repentir,  le  lendemain  n'est 
point  assuré  au  pécheur. 

EXEMPLES 

LE    PRÊTRE   BERNARD    ET    LES    CRIMINELS 

Au  commencement  du  17e  siècle,  vivait  à  Paris  un 
saint  prêtre,  nommé  le  prêtre  Bernard,  et  surnommé 
le  pauvre  prêtre  et  le  père  des  pauvres.  Son  emploi 
habituel  était  d'instruire  les  prisonniers,  de  travailler 
à  leur  conversion,  et  d'accompagner  les  criminels  au 
moment  de  la  mort.  Un  jour,  entre  autres,  il  en  con- 
duisait un  dont  l'obstination  avait  résisté  à  toutes  les 


HEFUGIUM    PECCATOI\UM  179 

industries  de  sa  charité,  et  qui  à  ses  crimes  ajoutait 
les  plus  horribles  blasphèmes.  Le  P.  Bernard,  qui 
jamais  ne  désespérait,  monte  avec  lui  sur  l'échafaud, 
lui  dit  de  ces  choses  capables  de  vaincre  les  plus  en- 
durcis à  ce  moment  suprême  de  paraître  devant  Dieu  ; 
il  veut  même  l'embrasser.  Mais  pour  toute  réponse,  il 
en  reçoit  un  coup  de  pied  qui  le  précipite  sur  le  pavé. 
Tous  les  spectateurs  jettent  un  cri  d'épouvante  et 
d'horreur  :  Bernard  seul  n'est  point  déconcerté. 
Quoique  blessé  grièvement,  il  se  relève,  se  met  à  ge- 
noux, et  réclame  l'assistance  de  Marie  par  sa  prière 
accoutumée,  le  Memorare.  La  prière  n'était  pas  ter- 
minée que  ce  criminel  fond  en  larmes,  demande  à  se 
confesser,  et  subit  sa  peine  dans  les  sentiments  les  plus 
chrétiens. 

Une  autre  fois,  Bernard  avait  affaire  à  un  scélérat 
condamné  à  être  rompu  vif,  et  bien  résolu  à  mourir 
dans  son  péché.  Le  saint  prêtre  avait  employé  tous  les 
moyens  pour  vaincre  un  tel  endurcissement,  sans  pou- 
voir rien  obtenir.  Dans  cette  extrémité,  il  recourt  à  la 
très  sainte  Vierge,  qu'il  n'invoquait  jamais  en  vain,  il 
la  prie  pour  ce  malheureux  et  veut  le  faire  prier  lui- 
même,  en  lui  présentant  sa  prière  chérie,  le  Souvenez- 
vous,  mais  plusieurs  tentatives  ne  rencontrent  que  la 
même  obstination.  Eh  bien  !  s'écrie  le  digne  prêtre,  dans 
le  zèle  qui  le  transporte,  puisque  tu  ne  veux  pas  la 
réciter,  tu  la  mangeras  ;  et  il  s'efforce  de  la  faire  entrer 
dans  sa  bouche.  Le  coupable,  pour  ne  plus  être  impor- 
tuné, et  ne  pouvant  guère  se  défendre  consent  enfin  à 
la  réciter  ;  il  se  met  à  genoux,  et  dit  avec  le  saint  prê- 
tre: Souvenez-vous...  0  prodige!  à  peine  a-t-il  pro- 
noncé les  premiers  mots,  qu'il  est  complètement  changé  ; 
les  larmes  coulent  de  ses  yeux,  il  éclate  en  gémisse- 
ments et  en  sanglots.  Tout  transporté  de  joie  le  P. 


180  CONSOLATRIX    AFFLICTORDM 

Bernard  l'embrasse  en  disant  :  Heureux  frère,  n'en 
doutez  pas.  c'est  à  la  Sainte  Vierge  que  vous  devez  cette 
conversion  !  Il  se  confesse  :  mais  la  vue  de  ses  crimes 
et  d'une  si  prodigieuse  miséricorde  le  saisit  tellement, 
qu'après  quelques  minutes  il  expire  au  pied  de  son  saint 
confesseur,  échappant  ainsi,  par  la  protection  de  Marie, 
au  supplice  éternel  qui  le  menaçait. 

CHAPITRE    XXXVIII. 


CONSOLATRICE  DES  AFFLIGES 

«  Le  déluge  des  eaux.  ditBossuet.  n'est  venu  qu'une 
fois,  celui  des  afflictions  est  perpétuel,  il  inonde  toute 
la  vie.  dès  le  berceau.  »  Les  peines,  les  douleurs  sont 
la  destinée  inévitable  et  le  cortège  habituel  de  l'homme 
ici-bas.  La  terre  fut  toujours  et  toujours  elle  sera  comme 
une  vaste  arène,  où  l'on  est  aux  prises  avec  la  souffrance  ; 
et  le  courage  faillirait  bien  vite,  si  l'on  y  était  seul. 
L'arbre  isolé  dans  les  plaines  du  désert  est  plus  en  pé- 
ril :  la  tempête  peut  le  déraciner,  le  soleil  dessécher  le  sol 
ou  brûler  son  feuillage.  Mais  dans  la  forêt,  les  arbres 
rapprochés  se  protègent  mutuellement.  Dès  l'origine  des 
choses,  le  Créateur,  ne  trouvant  pas  bon  que  V  homme 
fût  seul,  lui  donna  une  aide  semblable  à  lui.  Et 
nous  aussi,  sur  cette  même  terre,  si  justement  nommée 
vrillée  de  larmes,  nous  ne  sommes  pas  seuls.  Ou- 
tre le  Père  des  miséricordes,  qui  s'appelle  en  même 
temps  leDieu  de  toute  consolation,  nous  soutenant  par 
l'espoir  d'un  poids  immense  de  gloire,  en  échange  de 
peines  passagères,  nous  avons  encore  dans  Marie  une 
douce  Consolatrice,  non  moins  bonne  pour  compatira 
nos  maux,  qu'elle  est  puissante  pour  en  adoucir  l'amer- 
tume et  même  nous  en  délivrer.  La  main  qui  berça  le 


CONSOLAÎRIX   AFFLIGTOHUM  1*1 

sommeil  de  l'Enfant-Dieu  était  destinée  à  endormir 
toutes  les  douleurs,  à  soulager  toute  espèce  de  misères. 
On  ne  pourrait  dire  quelles  sont  les  plus  poignantes 
des  peines  morales  ou  des  peines  spirituelles  ;  mais 
pour  les  unes  comme  pour  les  autres  on  trouve  la  sou- 
veraine Consolatrice.  Surnom  aimable,  touchant  mi- 
nistère, que  nous  allons  méditer  avec  délices,  et  dont 
l'annonce  seule  a  déjà  réjoui  les  cœurs  désolés. 

ARTICLE  PREMIER. 
Comment  Marie  sait  consoler  dans  les  peines  morales. 

Ayant  subi  elle-même  tous  les  genres  d'épreuves  qui 
rendent  l'existence  ici-bas  si  amère,  elle  connaît  toutes 
les  angoisses  qui  peuvent  déchirer  le  cœur  ;  et  quel- 
que peine  que  nous  ayons  à  lui  confier,  elle  peut  nous 
dire  :  Console-toi,  mon  enfant,  j'ai  passé  par  cette  voie. 
Et  si,  selon  saint  Ambroise,  «  la  louer  est  doux  à  la 
bouche,,  si  l'aimer  est  suave  au  cœur,  si  se  la  rappe- 
ler est  délicieux  à  la  mémoire,  c'est  surtout  dans 
l'infortune  qu'il  fait  bon  goûter  cette  spirituelle  jouis- 
sance, qui  ne  manque  jamais  à  l'enfant  de  Marie. 

Une  première  peine,  bien  fréquente,  qui  fait  au  cœur 
une  plaie  profonde  et  longtemps  saignante,  c'est  la 
mort,  prématurée  surtout,  d'une  personne  chère,  d'un 
époux,  d'une  épouse  qui  rendaient  l'existence  si  heu- 
reuse, d'un  père,  d'une  mère  si  utiles,  d'un  frère,  d'une 
sœur,  dont  l'affection  mutuelle  doublait  les  joies  de 
famille,  d'un  enfant  qui  donnait  les  plus  riantes  espé- 
rances, et  sur  lequel  on  comptait  comme  soutien  de 
vieillesse.  Marie  aussi  fut  éprouvée  par  des  priva- 
tions de  ce  genre.  Au  printemps  de  ses  jours,  elle  se 
vit  orpheline  par  la  mort  de  saint  Joachim,  son  père, 
et  bientôt  après  d'Anne,  sa  mère,  enlevés  trop  tôt  à  sa 
légitime  tendresse.  La  jeune  enfant  eut  le  cœur  brisé 

PARAPHRASE.    —    T.     II.  H 


182  CONSOLATAIX  AFFLICTORUM 

de  cette  première  peine,  qui  était  le  prélude  de  tant 
d'autres,  et  comme  son  apprentissage  de  la  douleur  ; 
l'infortune  lui  arrivait  sur  le  seuil  de  l'adolescence  ; 
mais  elle  ne  recula  point  à  l'entrée  de  la  voie. 

Un  autre  deuil  lui  était  réservé,  non  moins  navrant 
pour  son  cœur,  ce  fut  la  mort  de  Joseph,  cet  époux  si 
chastement  aimé  ;  ce  qui  la  condamna  à  toutes  les  tris- 
tesses du  veuvage.  Mais,  résignée  aux  volontés  du  ciel, 
toujours  prête  à  tous  les  sacrifices,  Marie  se  courba 
dans  un  humble  silence  sous  la  main  qui  la  frappait,  en 
lui  retirant  un  protecteur  ,  un  ami  dévoué,  qui  avait 
partagé  ses  joies  et  ses  douleurs,  et  l'avait  constam- 
ment entourée  de  son  respect,  de  son  amour,  de  ses 
soins  empressés.  Jésus  lui  restait  ;  sa  main  adorée 
était  encore  là  pour  essuyer  ses  larmes.  Mais  bientôt, 
l'isolement  et  la  solitude  vont  se  faire  autour  d'elle  ;  en 
vain  elle  cherchera  son  époux  et  son  Fils,  leurs  places 
sont  vides  au  foyer  désert  :  cruelle  séparation,  dont 
l'angoisse  fut  complétée,  lorsqu'elle  reçut  au  pied  de 
la  Croix  le  dernier  soupir  de  son  Jésus,  et  ensuite  dans 
ses  bras  son  corps  froid  et  défiguré  !  Ce  fut  bien  alors 
que  le  glaive  de  la  douleur  transperça  son  àme  de 
Mère.  Néanmoins,  tant  d'épreuves  si  rudes  la  trou- 
vèrent toujours  calme,  toujours  aussi  résignée. 

Morale  :  Quel  est  celui  d'entre  nous,  pour  peu  qu'il 
ait  vécu,  dont  le  cœur  n'ait  été  brisé  par  la  perte  de 
quelque  personne  chère  ?  Est  -il  une  demeure,  où  l'im- 
pitoyable mort  n'ait  pas  fait  ses  victimes  précoces  ?  0 
vous  qu'elle  aurait  frappés  d'un  de  ces  coups  inatten- 
dus qui  sont  d'autant  plus  sensibles,  jetez  les  yeux  sur 
Marie  qui  a  passé  par  le  sentier  de  ces  mêmes  délais- 
sements :  n'est-ce  pas  déjà  une  délicieuse  consolation 
d'avoir  avec  elle  ce  trait  de  ressemblance  ?  Mais  d'ail- 
leurs, comme  son  divin  Fils  qui  le  promettait  à  ses 


CONSOLA TRIX    AFFLICTORUM  183 

apôtres,  avant  de  les  quitter,  elle  non  plus  ne  veut  point 
vous  laisser  orphelins.  Du  haut  du  ciel,  où  sa  gloire, 
loin  de  détruire  en  elle  la  nature,  l'ennoblit  et  la  per- 
fectionne, elle  vous  adresse  cette  maternelle  et  conso- 
lante invitation  :  Venez  à  moi,  vous  tous  qui  êtes  sous 
le  poids  des  afflictions  et  des  angoisses,  et  je  verserai 
dans  vos  cœurs  le  baume  de  mes  consolations.  «  Elle 
est,  dit  Chateaubriand,  la  Divinité  des  malheureux,  — 
la  mère  des  abandonnés,  dit  saint  Bonaventure,  —  leur 
appui,  ajoute  saint  Ephrem  ;  et  mille  fois  elle  s'est  plu 
à  vérifier  ses  beaux  titres,  —  Saint  Pierre  Damien,  en- 
core à  la  mamelle,  fut  délaissé  par  une  cruelle  marâtre. 
Mais,  en  récompense  de  sa  future  dévotion,  la  sollici- 
tude de  Marie  suscita  une  femme  étrangère  qui,  s'étant 
revêtue  de  la  tendresse  d'une  véritable  mère,  en  prit  le 
même  soin  que  de  son  propre  enfant.  —  Saint  Bernar- 
din de  Sienne,  ayant  perdu  sa  mère  dès  l'âge  de  trois 
ans  et  son  père  peu  de  temps  après,  une  de  ses  tantes, 
qui  aimait  bien  Marie,  le  recueillit  chez  elle,  et  l'éleva 
dans  l'amour  de  cette  bonne  Vierge,  à  laquelle  il  resta 
si  dévoué. — Qui  ne  sait  comme  elle  servit  aussi  de  Mère 
à  la  pieuse  Thérèse,  qui  orpheline  à  douze  ans  était 
venue  se  jeter  entre  ses  bras?  On  en  dit  autant  de  saint 
Louis  qui,  après  la  mort  de  la  vertueuse  Blanche,  pria 
Marie  de  la  remplacer  et  n'eut  qu'à  s'applaudir  de  ce 
choix.  La  sainte  Vierge  lui  vint  en  aide  dans  toutes  les 
conjectures  critiques  où  il  se  trouva. — Mères  chrétien- 
nes, s'il  arrivait  que  la  mort  menaçât  de  vous  ravir  à  des 
enfants  encore  jeunes,  vous  ne  pouvez,  à  l'exemple  de 
tant  d'autres,  les  remettre  en  de  meilleures  mains  que 
celles  de  Marie  ;  et  vous  mourrez  tranquilles,  pleines 
de  confiance  qu'ils  ne  seront  point  orphelins  ! 

Une  autre  affliction,  aussi  humiliante  que  pénible 
pour  la  nature,  c'est  de  se  trouver  aux  prises  avec  toutes 


184  CONSOLATRIX    AFFUCTORCM 

les  privations  et  les  angoisses  de  la  pauvreté  :  sans  res. 
source  et  sans  crédit  pour  fournir  aux  premières  né- 
cessités de  la  vie  :  n'ayant  quelquefois  pas  même  où 
s'abriter,  ni  de  quoi  satisfaire  la  faim  de  petits  enfants, 
moins  avantageusement  traités  que  le  passereau  à  qui 
la  Providence  prépare  sa  pâture.  Eh  bien!  alors  que 
l'existence  est   si  amère ,    quelles  consolations  forti- 
fiantes ne  puise-t-on  pas  dans  le  souvenir  de  Marie  à 
Nazareth,  ne  possédant  qu'une  chétive  maison,  et  obli- 
gée de  pourvoir  aux  besoins  de  la  famille  par  son  assi- 
duité à  façonner  la  laine  et  le  lin,  en  même  temps  que 
Joseph  et  le  divin  enfant  gagnaient  par  un  travail  quo- 
tidien le  pain  nécessaire  à  la  vie  !  Et  à  Bethléem  déjà, 
ne  rencontrant  point  d'asile  même  chez  ses  parents, 
méconnue  et  rebutée  partout,  n'avait-elle  pas  été  ré- 
duite à  se  réfugier  en  la  compagnie  des  animaux,  dans 
une  êtable  en  ruine,  et  dénuée  de  toute  ressource,  ne 
pouvant  donner  au  Dieu  naissant  d'autre  lit  que  la 
paille .   d'autre    berceau  qu'une   froide  et    misérable 
crèche?    Cependant,   combien  elle  fut   alors  encore, 
admirable  de  patience  et  de  résignation  ! 

Morale  :  Pourriez-vous  ne  pas  la  partager,  vous 
tous  que  la  pauvreté  accable  de  ses  rigueurs,  mais  qui 
êtes  heureux  de  ressembler  en  ce  point  à  Marie  et  à 
Jésus  lui-même,  qui  n'avait  pas  où  reposer  sa  tète,  qui 
vécut  souvent  du  pain  de  l'aumône,  et  dont  l'exemple 
a  rendu  l'indigence  si  honorable?  Qu'il  vous  siérait 
mal  de  vous  abandonner  au  murmure,  en  vous  voyant 
traités  comme  ces  deux  véritables  modèles  des  élus  : 
Beati  pauperes. . . 

Il  est  une  autre  peine  bien  navrante  aussi  pour  le 
cœur,  c'est  de  se  sentir  l'objet  d'odieux  soupçons,  de 
voir  ses  intentions  les  plus  pures  mal  interprétées,  sa 
réputation  malignement  déchirée  par  les  traits  de  la 


CONSOLATKIX  AFFLICTORUM  185 

médisance  et  de  la  calomnie.  Or,  sur  cette  voie  de  tri- 
bulations, on  trouve  encore  Marie  pour  Consolatrice. 
Joseph  s'étant  aperçu  de  son  état,  et  ne  pouvant  se 
l'expliquer  dans  une  si  vertueuse  épouse,  fut  très  pro- 
fondément affligé.  Mais,  ne  voulant  point  la  diffamer, 
il  pensait  à  la  quitter  secrètement;  et,  malgré  son  in- 
nocence, elle  se  voyait  sur  le  point  d'être  accusée  d'un 
crime  que  la  loi  punissait  de  mort.  Quelle  cruelle  si- 
tuation pour  la  Vierge  !  Cependant,  elle  garde  le  si- 
lence, elle  s'humilie,  elle  repose  en  Dieu  toute  sa  con- 
fiance, et  attend  que  lui-même  prenne  la  défense  de 
son  honneur. 

Morale  :  Ainsi  faut-il  nous  résigner,  à  son  exemple, 
quand  nous  sommes  attaqués  dans  ce  que  nous  avons 
de  plus  cher,  notre  réputation.  Armons-nous  de  pa- 
tience et  de  courage  ;  laissons  au  temps  notre  justifica- 
tion. Tôt  ou  tard,  la  Providence  saura  ménager  quel- 
que incident  qui  mettra  en  plein  jour  notre  innocence. 
En  attendant,  n'avons-nous  pas  deux  témoins  éclairés 
de  nos  actions,  Dieu  et  notre  conscience?  «  Pourquoi, 
dit  le  pieux  auteur  de  l'Imitation,  nous  inquiéter  du 
jugement  des  hommes  ;  que  nous  font  leurs  vaines 
pensées  ?  Ils  ne  voient  tout  au  plus  que  le  dehors,  leur 
œil  ne  pénètre  pas  au  fond  de  l'âme,  là  où  sont  cachés 
le  bien  et  le  mal.  Quand  on  a  fait  ce  qui  dépendait  de 
soi  pour  ne  point  scandaliser  ses  frères,  la  conscience 
doit  être  tranquille.  Qu'on  dise  de  vous  tout  ce  que 
peut  inventer  la  plus  noire  malice,  laissez- le  passer 
comme  la  paille  que  le  vent  emporte  ;  en  perdrez-vous 
un  seul  cheveu  !  Et  puis,  n'oubliez  pas  cette  maxime 
si  consolante  du  divin  Maître  :  Heureux  ceux  qui 
souffrent  persécution  pour  la  justice0.  »  —  D'ail- 
leurs, la  médisance  et  la  calomnie  sont  de  ces  maux 
qu'inutilement  on  voudrait  guérir,  il  faut  savoir  ne  pas 


186  CONSOLATRIX  AFFLICTORUM 

trop  s'en  affecter,  si  l'on  veut  conserver  la  tranquillité 
du  cœur.  Imitons  en  cela  ce  Sage  qui,  apprenant  qu'on 
parlait  mal  de  lui,  disait  :  c<  Si  ce  qu'on  dit  de  moi  est 
vrai,  pourquoi  m'en  fâcher?  cela  servira  à  me  corri- 
ger. Si,  non  ;  ce  que  l'on  dit  ne  me  regarde  point.  » 

Nous  n'avons  pu  signaler  que  les  peines  les  plus 
ordinaires  ;  il  en  est  encore  une,  cependant,  que  nous 
ne  pouvons  ometlre.  Quelquefois,  l'avenir  paraît  bien 
sombre  ;  on  se  croit  menacé  de  malheurs  dont  on  ne 
peut  préciser  aucun  ;  c'est  une  cruelle  anxiété  compo- 
sée de  toutes  les  appréhensions  réunies.  Alors  la  mé- 
lancolie, la  tristesse  viennent  saisir  le  cœur,  l'étreindre 
dans  leur  bras  de  fer  ;  et  la  crainte  de  ces  maux  éven- 
tuels ,  qu'on  est  ingénieux  à  se  grossir ,  rend  plus 
malheureux  qu'on  ne  le  sera  de  leur  réalité.  Dieu,  qui 
voulait  nous  donner  en  Marie  un  modèle  pour  toutes 
les  circonstances,  ne  lui  épargna  pas  ce  genre  d'épreu- 
ves. Lorsqu'elle  vint  au  temple  présenter  au  Très  Haut 
son  cher  Fils,  accomplissant  pour  elle-même  la  loi  de 
la  Purification,  quelle  parole  atterrante  pour  son  cœur 
que  cette  prédiction  du  saint  vieillard  Siméon  :  II  sera 
en  butte  à  toute  sorte  de  contradictions  ;  et  an 
glaive  de  douleur  percera  votre  âme.  Cependant, 
vous  retrouvez ,  ô  Vierge  sainte  ,  votre  résignation 
habituelle  ;  vous  acceptez  d'avance  tout  ce  qu'il  plaira 
au  Seigneur  de  vous  envoj-er. 

Morale  :  Ici  encore,  elle  est  votre  modèle  et  votre 
Consolatrice^  ô  vous  qui  prévoyez  dans  l'avenir  plu- 
tôt des  peines  que  des  jouissances  :  son  exemple  ne 
doit-il  pas  relever  votre  courage  ?  Mais  d'ailleurs,  à 
quoi  bon  vous  affliger  de  maux  qui  n'arri veront  peut- 
êl  iv  pas  7  «  Y  penser  pour  les  détourner,  c'est  sagesse  ; 
mais  pour  s'en  tourmenter,  c'est  folie.  »  Que  revient-il 
de  ces  soins  conçus  d'avance,  sinon  un  poids  de  tris- 


C0NS0LATR1X   AFFLICTORUM  187 

tesse  fort  inutile  ?  A  chaque  jour  suffit  sa  peine  : 
pourquoi  tant  s'inquiéter  du  lendemain  ? 

0  Marie,  puisque  votre  éminente  sainteté  ne  vous  a 
pas  mise  à  l'abri  de  la  mauvaise  fortune  et  des  cha- 
grins, ce  précieux  souvenir,  en  de  semblables  conjec- 
tures ,  versera  sur  mon  cœur  déchiré  le  baume  des 
plus  douces  consolations . 

Pratique  :  Un  prince  avait  fait  graver  pour  armoi- 
rie  sur  son  bouclier  une  autruche  avec  cette  inscrip- 
tion :  «  Elle  digère  les  choses  les  plus  dures.  »  Telle 
doit  être,  dans  l'affliction,  la  devise  d'un  enfant  de  Ma- 
rie, d'un  disciple  de  Jésus-Christ. 

EXEMPLES 

LA   PRINCESSE   MATHILDE 

C'est  dans  toute  espèce  de  dangers ,  comme  dans 
l'affliction ,  que  l'on  trouve  Marie  toujours  prête  à 
assister. 

Une  princesse  anglaise,  nommée  Mathilde,  fut  sur- 
prise en  mer  par  un  orage  effroyable.  Les  flots  se 
soulevaient  et  se  chargeaient  d'écume  ;  les  mâts  du 
vaisseau  s'inclinaient  sur  les  vagues  comme  les  joncs 
que  la  brise  ploie  en  passant  ;  une  nuit  profonde  déro- 
bait à  la  vue  les  eaux  et  le  ciel  ;  tout  annonçait  une 
furieuse  tempête.  Mathilde  était  sur  le  tillac,  le  visage 
pâle,  mais  ferme.  «  Ayez  bon  courage,  dit-elle  aux 
matelots  déconcertés,  Notre  Dame  est  aussi  bonne  que 
puissante,  elle  nous  sauvera  certainement  ;  que  l'un  de 
vous  se  mette  en  vigie  ;  et  sitôt  qu'il  apercevra  la  terre , 
je  chanterai  un  hymne  à  la  Vierge  de  Bon-secours,  et 
je  fais  vœu  de  bâtir  une  chapelle  sur  le  rivage  ou  nous 
aborderons.  »  La  princesse  avait  à  peine  prononcé  son 
vœu,  que  les  signes  de  la  tempête  disparurent,  les 
vagues  soulevées  s'aplanirent,  le  vent  changea  et  fit 


188  CONSOLA TRIX    AFFLICTORUM 

voler  le  vaisseau  vers  les  côtes  de  la  Normandie.  Tout 
à  coup  le  pilote  de  s'écrier:  Cante.  reyne!...  Vechi 
terre. . .  «  Chantez,  reine  !  voici  la  terre.  »  Et  la  reine 
entonna  d'une  voix  douce  et  pénétrée  un  cantique  de  la 
Vierge,  que  tous  les  matelots  répétèrent  joyeusement, 
les  mains  jointes  et  la  tète  nue.  Le  vaisseau,  en  effet, 
ne  tarda  pas  à  aborder  dans  la  petite  baie  de  Norman- 
die. Le  premier  soin  de  la  princesse  fut  de  désigner 
l'emplacement  de  la  chapelle  dont  elle  voulut,  avant 
de  s'éloigner,  poser  elle-même  la  première  pierre. 

ARTICLE  SECOND. 
Marie,  Consolatrice    dans  les   afflictions   spirituelles 

«  Notre  bonheur  ici-bas ,  dit  encore  Bossuet ,  se 
compose  de  tant  de  pièces,  qu'il  est  bien  rare  qu'au- 
cune d'elles  ne  fasse  défaut.  »  Ce  n'est  qu'au  ciel  qu'il 
se  trouve  complet  :  inutilement  le  chercherait-on  en 
ce  monde .  Trop  semblable  au  papillon  volage  que  l'en- 
fant poursuit  dans  la  prairie,  il  nous  échappe  au  mo- 
ment où  nous  croyons  le  saisir.  Les  causes  de  chagrin 
sont  si  nombreuses,  qu'il  y  a  plus  souvent  à  pleurer 
qu'à  se  réjouir. 

Nous  ne  sommes  pas,  néanmoins,  sans  quelques 
adoucissements  à  nos  peines  :  un  des  principaux  se 
trouve  dans  la  dévotion  à  Marie.  Elle  nous  a  apparu 
une  douce  Consolatrice  dans  les  afflictions  morales  ; 
voyons-la  maintenant  aussi  riche  en  consolations  dans 
les  afflictions  spirituelles.  Les  justes  eux-mêmes  y 
sont  sujets,  et  plus  encore  que  les  pécheurs  ;  mais, 
pour  les  uns  comme  pour  les  autres,  le  souvenir  de 
Marie  et  son  secours  viennent  répandre  sur  le  cœur 
ulcéré  le  baume  délicieux  de  l'espérance  et  des  plus 
suaves  consolations. 

I.  Marie  Consolatrice  des  justes.— Quoique  Notre- 


CONSOLATRIX    AFFLICTORUM  189 

Seigneur  nous  assure  que  son  joug  est  léger  et  que 
l'âme  y  trouve  son  repos,  il  est  peu  de  chrétiens  qui 
soient  entièrement  exempts  d'angoisses  et  d'inquiétu- 
des :  les  satisfactions  delà  vertu  ne  sont  pas  toujours 
sans  mélange  d'amertumes,  il  y  a  de  ces  moments,  où 
le  cœur  est  tellement  oppressé  de  tristesse,  que  l'on 
serait  tenté  de  s'écrier,  comme  un  grand  personnage  : 
«  Il  faut  vivre,  que  cela  est  pénible  !  »  Tel  est  parfois" 
l'excès  d'accablement  même  pour  le  plus  juste:  il  ne 
peut  se  défendre  des  plus  vives  alarmes  sur  l'état  de 
son  àme,  sur  la  grande  affaire  de  sa  sanctification. 
Tantôt,  ses  infidélités  si  souvent  renouvelées  le  font 
douter  du  pardon  et  désespérer  de  son  amendement  ; 
sa  confiance  l'abandonne.  Tantôt,  le  peu  de  profit  des 
grâces,  la  vue  de  ses  actions  si  imparfaites  le  mettent 
sous  le  pressoir  de  la  crainte  ;  il  s'effraie  en  pensant  à 
la  sévérité  du  jugement,  il  n'ose  lever  les  yeux  vers  le 
ciel  objet  de  nos  saintes  espérances.  D'autres  fois, 
interrogeant  son  cœur,  ai-je  pour  Dieu,  se  dit-il,  ce 
degré  d'amour  qui  réponde  à  ses  bienfaits,  la  mesure 
de  justice  qu'il  est  en  droit  d'exiger  de  moi  ?  Mérité-je 
son  amour  ou  sa  haine  !  Ma  conscience  ne  m'adresse 
aucun  reproche  grave  ;  mais  suis-je  pour  cela  justifié  ? 
Mille  sombres  nuages  viennent  ainsi  souvent  obscurcir 
la  sérénité  de  son  àme  et  y  verser  l'inquiétude,  au  lieu 
des  consolations  qu'il  se  promettait  au  service  du  bon 
Maître . 

Mais,  si  au  milieu  de  ses  doutes  et  de  ses  frayeurs 
il  peut  se  croire  clans  les  bonnes  grâces  de  la  sainte 
"Vierge,  parce  qu'il  lui  a  voué  sa  confiance  et  son 
amour,  cette  délicieuse  pensée  ramène  bientôt  la  paix 
et  la  joie.  Il  sait  que  le  vrai  serviteur  de  Marie  ne  peut 
périr  ;  que  le  salut  remis  entre  ses  mains  est  en  sûreté  ; 
qu  a   la   clarté  de  cette  Etoile  on  ne  peut  s'égarer, 


190  CONSOLATRIX   AFFUCTORDM 

et  qu'elle  conduit  sûrement  au  port.  Heureuse,  en  effet, 
lame  juste,  ô  Marie,  qui  se  repose  avec  un  entier 
abandon  sur  votre  sein  maternel  ! 

II.  La  sainte  Vierge  est  aussi  bien  la  Consolatrice 
du  pécheur.  —  Est-il  tombé  dans  une  faute  qui  l'a  mis 
en  disgrâce  avec  son  Dieu,  déshérité  du  ciel,  dévoué 
à  l'enfer,  il  ose  encore  ranimer  sa  confiance,  au  sou- 
venir de  Celle  qu'on  lui  a  tant  de  fois  proclamée  le 
Refuge  des  pécheurs,  «  le  port  de  ceux  qui  ont  fait 
naufrage,  —  la  voie  pour  retrouver  le  ciel,  —  l'échelle 
pour  y  monter.  »  Il  n'ignore  pas  qu'elle  aussi  ne  veut 
pns  la  mort  du  pécheur,  mais  qu'Use  convertisse  et 
qu'il  vive.  Inquiet  de  son  malheureux  état,  harcelé 
par  le  remords,  la  terreur  et  la  crainte,  veut-il  se- 
couer le  pesant  fardeau  de  ses  chaînes,  il  jette  un 
regard  plein  de  confiance  vers  Marie,  assuré  que  son 
bonheur  est  de  réconcilier  ses  enfants  avec  son  Jésus. 
Et  à  cette  pensée  qu'il  a  près  de  Dieu  irrité  une  avo- 
cate aussi  puissante  que  généreuse,  l'espérance  lui 
renaît  au  cœur  et  dissipe  toutes  ses  alarmes.  Il  n'a 
pas  oublié,  saint  Ambroise  l'avait  dit,  a  que,  si  les 
mères  voient  les  chutes  de  leurs  enfants  avec  plus  de 
piété  que  de  colère.  »  Marie  ne  leur  cède  pas  en  bonté  ; 
et  le  voilà  dans  ses  bras  ! 

C'est  ainsi  que.  juste  ou  pécheur,  et  généralement 
dans  toutes  les  angoisses  de  rame,  l'instinct  d'une 
confiance  toute  filiale  nous  porte  à  nous  réfugier  sous 
les  ailes  de  cette  souveraine  Consolatrice,  comme  l'en- 
fant blessé  aime  à  répandre  ses  larmes  dans  le  sein 
d'une  mère.  On  sait  que  la  bonté  compatissant 
son  apanage  distinctif  :  bonne  est  le  nom  qu'on  lui 
donne  communément  :  la  bonne  Vierge.  Et  s'il  fallait 
définir  Marie,  on  pourrait  emprunter  le  mot  de  Join- 
ville  à  saint   Louis  :   k  Dieu  est  chose   si  bonne,  que 


CONSOLATRIX   AFFLICTORUM  101 

meilleure  ne  peut  être  ;  »  et  dire  :  «  Marie  est  chose  si 
bonne,  que  meilleure  ne  peut  être.  »  On  n'oublie  point 
que  sur  la  terre  ses  délices  étaient  de  secourir  le  mal- 
heureux, de  consoler  dans  les  peines  :  sentiments  de 
commisération  que  sa  grandeur  au  ciel  n'a  fait  qu'aug- 
menter. Oui,  semblable  au  soleil,  qui  à  son  zénith 
répand  sa  lumière  et  plus  vive  et  plus  ardente  dans 
les  sinuosités  des  plus  profondes  vallées,  comme  sur 
la  cîme  des  montagnes,  Marie  placée  au  sommet  de  la 
gloire  n'en  est  que  plus  portée  à  épancher  ses  bien- 
faisantes largesses  dans  tous  les  rangs  des  affligés  :  sa 
majesté  de  Reine  ne  lui  ôte  rien  de  sa  tendresse  de 
Mère . 

Mère  !  ce  titre  seul  n'est-il  pas  pour  tous  une  ga- 
rantie plus  que  suffisante  de  la  part  qu'elle  prend  à 
nos  souffrances  et  de  son  empressement  à  les  soula- 
ger ?  Une  mère  opulente  peut-elle  voir  un  fils  abimé 
sous  les  rigueurs  de  l'indigence,  et  ne  pas  les  adou- 
cir ?  Une  mère  sensible  verra-t-elle  des  enfants  dans 
la  détresse,  sans  leur  prodiguer  les  soins  les  plus  em- 
pressés ?  Non  :  car  rien  n'est  plus  compatissant  que 
le  cœur  d'une  mère.  Qu'un  enfant  vienne  à  tomber, 
qui  le  consolera  mieux  que  sa  mère  ?  Et  pour  le  con- 
soler, que  faut-il  ?  peu  de  chose  :  un  regard,  un  sou- 
rire, une  larme  de  ses  yeux,  moins  que  cela,  un  souffle 
de  sa  bouche.  Oui,  le  souffle  de  la  maternité  emporte 
toutes  les  douleurs  de  l'enfant.  Et  la  sainte  Vierge  a 
aussi  son  souffle  maternel.  Trésor  inépuisable  de  con- 
solation, il  n'est  point  de  maux  qu'elle  ne  sache  soula- 
ger ou  guérir,  point  de  misère  qu'elle  ne  partage  et 
n'adoucisse,  point  d'àmes  affligées  au  fond  desquelles 
elle  ne  fasse  briller  un  rayon  d'espérance . 

C'est  donc  près    d'elle  concluerons-nous  avec  les 
saints  Docteurs,  que  l'on  trouvera  les  plus  douces  cou- 


192  C0NS0LATR1X   AFFL1CTORUM 

solations.  «  Elle  a  tant  de  soin  des  affligés,  dit  saint 
Bonaventnre,  que  l'on  pourrait  croire  qu'elle  n'a  d'au- 
tre désir  que  de  les  soulager.  »  —  «  En  elle,  assure 
saint  Germain,  l'esclave  trouve  sa  rançon,  l'infirme  la 
santé,  l'affligé  sa  consolation,  le  pécheur  son  par- 
don. »  —  ((  Elle  est,  répéterons-nous  ici  avec  un  pieux 
auteur,  comme  un  hospice  public,  ouvert  à  tous  les 
genres  de  misères  et  de  souffrances,  dans  lequel,  si 
l'on  n'est  pas  toujours  guéri,  on  trouve  au  moins  quel- 
que adoucissement  à  ses  maux.  »  —  «  L'univers  en- 
tier, dit  aussi  le  grand  Bossuet,  est  devenu  un  temple 
immense,  où  apparaissent  de  toutes  parts  les  augustes 
monuments  de  la  compassion,  de  la  miséricorde,  de  la 
charité  de  Celle  qui  est  si  bien  nommée  la  Consolatrice 
des  affligés.  »  Et  saint  Liguori,  si  zélé  à  décrire  les 
bontés  de  Marie  qu'il  avait  tant  de  fois  expérimentées, 
ne  se  lassait  pas  de  l'offrir  comme  la  plus  fidèle  con- 
solalrice  à  ceux  qui  étaient  oppressés  sous  le  poids 
de  quelque  peine.  «  Mes  enfants  bien-aimés,  disait-il 
souvent  à  ses  auditeurs,  quand  la  tribulation  et  les 
chagrins  s'empareront  de  votre  àme,  allez  aussitôt  à 
l'autel  de  Marie,  et  vous  serez  soulagés. 

Il  se  peut  néanmoins,  qu'elle  ne  délivre  pas  toujours 
ou  entièrement  des  peines  qu'on  vient  lui  confier.  Mais 
c'est  par  un  autre  genre  de  bonté:  elle  les  voit  utiles 
et  nécessaires  pour  nous  purifier  davantage,  pour  nous 
rendre  plus  conformes  à  elle  et  à  son  Fils,  pour  em- 
bellir notre  couronne  ;  pour  nous  détacher  dé  ce  monde, 
et  nous  faire  soupirer  avec  plus  d'ardeur  après  les 
biens  de  l'autre  vie.  Et  par  ces  considérations  qu'elle 
réveille  en  nous,  elle  rend  nos  peines  réellement  plus 
légères,  sans  qu'elles  perdent  rien  de  leur  mérite. 

Morale:  Le  moyen  le  plus  assuré  d'avoir  quelque 
droit  à  sa  compassion,  c'esl  de  compatir  souvent  nous- 


C0NS0LATR1X   AFFLICTORUM  193 

moines  à  sa  douleur  et  à  celle  de  son  bien-aimé  Fils . 
Elle  nous  y  invite  par  la  bouche  de  Jérénrie  :  0  vous 
qui  passez  par  le  chemin,  considérez  et  voyez  s'il  y 
eut  jamais  douleur  semblable  à  la  mienne  !  Nous 
lisons  dans  saint  Liguori,  qu'un  prêtre  fort  dévot  à 
xMarie  affligée,  vit,  sur  le  point  d'expirer,  une  belle 
dame  lui  essuyant  la  sueur  du  visage,  et  lui  disant  de 
douces  paroles  de  compassion  ;  après  quoi  il  se  trouva 
guéri.  Et  comme  il  lui  demandait  qui  elle  pouvait 
être,  la  dame  répondit  en  disparaissant  ;  je  suis  Marie, 
dont  tu  as  si  souvent  essuyé  les  larmes,  en  compatis- 
sant à  mes  douleurs. 

A  l'exemple  de  ce  saint  prêtre,  rendons -nous  fré- 
quent le  souvenir  de  ses  douleurs  :  non- seulement  nous 
lui  en  adoucirons  l'amertume,  mais  nous  y  puiserons 
une  plus  vive  horreur  pour  le  péché  qui  les  renouvel- 
lerait. C'est  le  sage  conseil  que  donnait  l'Evêque  de 
M  eaux,  dont  le  langage  a  toujours  tant  de  charmes  : 
«  Ah  î  chrétien,  s'écrie-t-il  avec  le  Sage:  N'oublie 
pas  les  gémissements  de  ta  mère.  Quand  le  monde 
t'attire  par  ses  voluptés,  pour  détourner  ton  imagina- 
tion de  ses  délices  pernicieuses,  souviens-toi  des  pleurs 
de  Marie,  cette  mère  si  charitable...  Dans  les  tenta- 
tions violentes,  lorsque  tes  forces  sont  presque  abat- 
tues, et  tes  pieds  chancelants  dans  la  voie  droite  ;  que 
l'occasion  ,   le  mauvais    exemple   ou   la   passion    te 

presse,  n'oublie  pas  les  gémissements  de  ta  mère 

Souviens-toi  des  incroyables  douleurs  qui  ont  dé- 
chiré son  àme  au  Calvaire.  Misérable,  que  veux- 
tu  faire  ?  Voudrais-tu  élever  encore  une  Croix  pour  y 
attacher  Jésus-Christ,  le  montrer  à  Marie  crucifié  de 
nouveau,  couronné  d'épines...  et  par  un  si  triste  spec- 
tacle, rouvrir  encore  toutes  les  blessures  de  son  cœur  ma- 
ternel?...)) Ah  !  gardons-nous  bien  d'une  telle  barbarie. 


194  CONSOLATRIX  AFFLICTOHUM 

Dans  ce  souvenir  des  gémissements  de  Marie,  nous 
trouvons  de  plus  une  force  intérieure  qui  nous  sou- 
tiendra calmes  et  résignés  au  milieu  des  plus  grandes 
défaillances  de  l'âme,  et  dans  toute  autre  conjoncture 
accablante.  Après  que  la  Mère  et  le  Fils,  en  passant 
par  le  chemin  du  Calvaire,  l'ont  applani,  devrons-nous 
encore  en  redouter  les  aspérités  ?  Pourquoi  nous  plain- 
dre de  la  faveur  si  honorable  de  marcher  à  leur  suite, 
étant  sûrs  d'arriver  au  même  terme,  et  de  les  retrou- 
ver dans  la  gloire,  après  avoir  bu  au  même  calice  ?  Si 
tamen  compatimur,  ut  conglorificemiir. 

0  puissante  Consolatrice  des  affligés,  c'est  avec 
une  confiance  sans  bornes  qu'au  milieu  de  nos  peines 
nous  irons  nous  jeter  dans  vos  bras  maternels,  mais 
avec  cette  disposition  de  rester  souffrants,  si  vous  le 
jugez  plus  utile  pour  notre  salut. 

Pratique  :  Compatir  souvent  aux  douleurs  de  la 
très  sainte  Vierge  ne  peut  que  lui  être  fort  agréable  : 
nous  aimons  ceux  qui  viennent  prendre  part  à  nos 
peines . 

EXEMPLES. 

CONSOLATION  OBTENUE  PAR  MARIE 

Saint  François  de  Sales,  jeune  encore,  avait  fait 
devant  l'autel  de  Marie  le  vœu  de  chasteté  perpétuelle. 
Pendant  plusieurs  années,  la  pensée  de  cette  ressem- 
blance avec  sa  bonne  Mère  inondait  son  âme  de  déli- 
ces. Mais  vers  l'âge  de  dix-huit  ans,  il  fut  affligé  d'une 
horrible  tentation  de  désespoir,  s'imaginant  que  tout 
ce  qu'il  faisait  pour  Dieu  était  inutile  et  sa  réprobation 
inévitable.  Cette  angoisse  le  tourmentait  à  un  tel  point, 
que  sa  santé  dépérissait  à  vue  d'ceil  ;  il  passait  la  nuit 
et  le  jour  à  gémir,  à  pleurer,  et  n'osait  confier  sa  peine 
à  personne.  Une  si  affreuse  situation  durait  depuis  un 


CONSOLATRIX    AFFLICTORUM  195 

mois  :  encore  quelques  jours  dans  ce  martyre,  il  était 
aux  portes  de  la  mort.  Mais  Dieu,  content  de  l'avoir 
éprouvé,  lui  inspira  la  pensée  de  retourner  devant  la 
statue  de  la  sainte  Vierge,  près  de  laquelle  il  avait 
fait  son  vœu  (elle  est  toujours  dans  l'église  de  Saint- 
Etienne-des-Grés  à  Paris)  ;  et  là,  prosterné  jusqu'à 
terre,  lui  renouvela  le  vœu  avec  plus  de  ferveur  en- 
core, lui  promit  en  outre  de  réciter  chaque  jour  un 
chapelet  de  six  dixaines  (appelé  le  chapelet  de  saint 
François  de  Sales),  la  conjura  de  le  délivrer  delà  peine 
qui  l'accablait,  et  de  lui  obtenir  de  Dieu  «  qu'il  pût 
l'aimer  de  tout  son  cœur  au  moins  pendant  la  vie,  s'il 
devait  être  condamné  à  le  haïr  durant  l'éternilé.  » 

Une  prière,  si  éloignée  des  sentiments  d'un  réprouvé, 
fut  exaucée  à  l'instant.  Ses  tribulations  se  dissipèrent  : 
la  santé  lui  revint  avec  le  calme  du  cœur.  Il  redoubla 
de  dévotion  envers  la  sainte  Vierge,  dont  il  ne  cessa 
ensuite  d'exalter  la  puissance  et  les  miséricordes  :  il 
avait  éprouvé  par  lui-même  qu'on  ne  la  nomme  pas 
en  vain  la  Consolatrice  des  affligés. 

—  La  vie  du  saint  Curé  d'Ars  ne  fut  point  à  l'abri 
des  peines  de  tout  genre  :  c'est  le  cachet  des  élus.  Où 
cherchait-il  des  forces  et  des  consolations  ?  Dans  les 
épanchements  de  l'amitié,  auprès  des  consolateurs 
impuissants  du  monde?  Non  ;  mais  devant  l'image  de 
Marie,  objet  de  sa  plus  tendre  affection.  Le  cœur  de 
cette  mère  aimante  était  son  refuge  dans  toutes  les 
peines,  et  l'arsenal  où  il  prenait  incessamment  des  ar- 
mes contre  une  excessive  désolation .  «  J'ai  si  souvent 
puisé  à  cette  source,  disait-il,  qu'il  n'y  resterait  plus 
rien,  si  elle  n'était  inépuisable.  » 


ÎUG  AIX1LIUM  CHKISTIÂKOttUU 


CHAPITRE  XXXIX 


SECOURS  DES  CHRETIENS 

On  peut  dire  que  jusqu'ici  nous  honorions  en  Marie 
Notre-Dame  Auœiliatrice,  puisque  toutes  les  Invo- 
cations précédentes  se  terminent  par  la  supplication 
commune  Priez  pour  nous,  ou  Soyez  notre  Auxilia- 
trice.  Cette  invocation  nouvelle  placée  après  les  diffé- 
rents appels  que  nous  venons  de  faire  à  sa  bonté  et  à 
sa  puissance  pour  toute  espèce  de  besoins  et  de  l'âme 
et  du  corps,  s'y  trouve  implicitement  contenue.  Et,  si 
nous  l'implorons  maintenant  sous  le  nom  spécial  de 
Secours  des  Chrétiens,  c'est  afin  de  lui  présenter 
comme  un  titre  plus  assurée  à  son  assistance, 

I.  Notre  qualité  de  Chrétien  : 

II.  La  protection  efficace  qu'elle  a  visiblement  accor- 
dée aux  chrétiens  dans  tous  les  temps. 

I.  Notre  qualité  de  chrétien  nous  donne  un  droit 
tout  spécial  à  son  secours.  —  Marie,  à  l'exemple  du 
Dieu  qui  fait  luire  son  soleil  sur  les  méchants  en  même 
temps  que  sur  les  bons,  se  plait,  sans  doute,  à  secourir 
tous  les  enfants  de  la  grande  famille  humaine.  Coadju- 
trice  de  la  rédemption  universelle,  elle  n'exclut,  de  sa 
vigilante  affection,  ni  les  fidèles  ignorant  le  vrai  Dieu, 
ni  les  hérétiques  que  l'erreur  tient  en  dehors  de  l'E- 
glise :  pour  tous  elle  a  des  grâces  dont  elle  peut  dispo- 
ser. Mais  ses  laveurs  privilégiées  sont  pour  les  elnv- 
tiensqui  portent  l'empreinte  du  baptême,  et  le  nom  de 
son  bien-aimé  Fils,  qui  le  reconnaissent  el  l'adorent, 


AUXILU'M  CIIR18TIAN0IUJM  197 

qu'il  s'est  acquis  au  prix  de  sou  sang,  et  avec  lesquels, 
il  veut  partager  son  héritage  d'ineffable  bonheur.  Cet 
amour  infini  de  Jésus,  Marie  le  ressent  dans  toute  son 
étendue. —  De  plus,  en  acceptant  le  titre  de  Mère  de 
Dieu  à  Bethléem  et  de  Mère  des  hommes  sur  le  Cal- 
vaire, elle  a  comme  signé  l'engagement  d'employer  sa 
puissance  auprès  de  Dieu  et  sa  bonté  pour  les  hommes, 
à  protéger  plus  spécialement  sa  famille  adoptive  et 
chérie,  les  chrétiens.  Devenus  ses  enfants  au  pied  de 
la  Croix  et  dans  les  plus  amères  douleurs,  il  nous  faut 
ici  le  redire,  elle  doit  nous  aimer  de  cet  amour  qu'une 
mère  éprouve  plus  vif  pour  l'enfant  qui  lui  a  coûté  le 
plus  d'angoisses  et  de  souffrances .  Elle  aimait  Jésus- 
Christ  bien  tendrement  comme  son  Dieu  et  comme  son 
Fils  ;  cependant,  combien  ne  nous  aima-t-elle  pas  nous- 
mêmes,  puisqu'elle  l'a  sacrifié  pour  nous  sauver  !  —  Et, 
après  avoir  ainsi  coopéré  avec  ce  cher  Fils  au  grand 
œuvre  de  notre  rédemption,  quel  ne  doit  pas  être  son 
zèle  à  nous  en  faire  recueillir  les  fruits,  et  à  lui  assu- 
rer des  âmes  qui  lui  ont  coûté  tout  son  sang  ?  Pourrait- 
elle  donc  ne  pas  accueillir  les  vœux  qui  ont  le  salut 
pour  objet,  et  ne  pas  les  appuyer  de  son  tout-puissant 
crédit  ?  Si,  trésorière  de  toutes  les  grâces,  la  moitié  de 
son  bonheur  est  de  les  distribuer,  avec  quelle  prédilec- 
tion ne  les  répandra-t-elle  pas  sur  le  chrétien  qu'elle 
voit  décoré  des  livrées  de  son  cher  Fils  ? 

Morale  :  Cependant,  gardons-nous  de  penser  que  la 
qualité  de  chrétien  soit  un  titre  absolument  certain  à 
ses  faveurs  privilégiées.  Pour  mériter  l'amour  de  Marie 
et  par  suite  sa  protection,  il  faut  l'aimer  soi-même. 
L'éternelle  Vérité  a  dit  :  J'aime  ceux  qui  m'aiment, 
ego  diligente*  ?ne  diligo.  Oui,  l'affection  pour  une 
personne  est  d'autant  pins  vive,  qu'elle  est  provoquée 
par  des  avances  plus  démonstratives.  Voyez  cet  enfant  : 


198  AUXILIL'M  CWISTIANORUM 

le  doux  sourire  de  sa  mère,  le  charme  de  sa  voix,  tou- 
tes les  gênes  qu'elle  s'impose,  les  soins  délicats  et  em- 
pressés dont  elle  l'entoure,  ont  captivé  ses  yeux,  ses 
oreilles  et  son  cœur .  Bientôt  ses  faibles  mains  la  cares- 
sent ;  et  la  mère  paie  cette  tendresse  par  un  retour  de 
tendresse  plus  vif  encore . 

Tel  est  le  secret  de  conquérir  les  bonnes  grâces  de 
la  sainte  Vierge,  d'attirer  un  regard  de  son  amour  et 
la  faveur  d'une  spéciale  protection.  Sans  doute,  elle 
est  indulgente  à  toute  créature  ;  mais  quand  on  l'aime, 
on  est  encore  plus  avant  dans  son  cœur.  Accomplissez 
pleinement  envers  elle  la  parole  que  Jésus  vous 
adressa  du  haut  de  sa  Croix,  Mon  Fils,  voilà  votre 
Mère  !  Elle  réalisera  à  votre  égard  celle  que  Jésus  lui 
dit  :  Femme,  voilà  votre  fils  !  —  Si  tu  veux  être  ma 
servante,  disait  un  jour  la  Reine  du  ciel  à  une  reine  de 
la  terre,  sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  je  serai  ta  Dame.  » 
A  ces  mots,  Elisabeth  joignant  les  mains,  les  étendit 
vers  la  Vierge  qui,  les  prenant  dans  les  siennes,  accepta 
l'engagement  et  ajouta  :  «  Tu  veux  être  ma  fille,  moi, 
je  serai  ta  mère.  »  Qui  n'envierait  le  bonheur  d'Elisa- 
beth ?  Qui  ne  voudrait  entendre  ces  délicieuses  paroles  ! 
A  cette  fin,  «  épuisons,  disait  saint  Liguori,  épuisons 
toutes  les  inventions  de  l'amour  pour  aimer  Marie.  » 
Mais,  outre  les  droits  que  par  là  nous  aurons  à  ses  fa- 
veurs, ce  qui  doit  augmenter  de  beaucoup  notre  con- 
fiance, c'est  que, 

IL  Elle  s'est  montrée  dans  tous  les  temps,  et  en 
toute  circonstance  la  puissante  AuxUiatrice  des 
chrétiens.  —  Ce  fut  dès  le  berceau  du  Christianisme 
que  commença  cette  protection  manifeste  et  spéciale . 
La  fureur  de  la  Synagogue  a  juré  d'étouffer  à  son  dé- 
but la  religion  du  Christ  ;  le  nom  seul  de  chrétien 
est  un  titre  à  la  persécution,  à  l'emprisonnement,  à  la 


AUXILIUM   CHRISTIANORUM  199 

mort.  Mais  Marie,  plus  dévouée  à  mesure  qu'elle  voit 
sa  famille  plus  en  danger,  multiplie  son  action,  pour 
ranimer  la  foi  de  ses  enfants,  les  réchauffer  de  son 
amour,  les  revêtir  d'une  force  qui  les  rend  vainqueurs 
de  tous  les  tourments. 

Si  déjà  sur  la  terre  elle  fut  ainsi  l'âme  et  le  soutien 
de  l'Eglise  naissante,  si  elle  entoura  les  premiers  chré- 
tiens de  sa  constante  sollicitude.,  pouvait-elle,  placée 
au  sein  de  la  gloire,  oublier  cette  grande  famille,  qui 
n'a  pas   moins  besoin  qu'alors  de  son  tout-puissant 
secours  ?  Non  ;  personne  au  ciel,  excepté  Jésus,   ne 
porte  autant  d'intérêt  à  la  foi   catholique,  ne  désire 
aussi  ardemment  la  prospérité  de  la  religion  de  son 
Fils.  Aussi  la  protection  dont  elle  l'environne  n'est  m 
moins  active-,  ni  moins  efficace  qu'au  commencement. 
Pour  la  mettre  en  relief,  il  faudrait  remonter  d'année 
en  année  jusqu'à  la  naissance  de  l'Eglise,  et  nous  ver- 
rions que  dans  toutes  les  circonstances   critiques^  le 
secours  de  Marie  ne  lui  a  jamais  fait  défaut,  pour  l'en 
tirer  avec  gloire.  Lorsque  tour  à  tour,  ou  simultané- 
ment, les  persécutions ,  l'hérésie,  le  schisme,  le  scan- 
dale de  ses  propres  enfants  mirent  sa  foi,  et  même  son 
existence  dans  le  plus  grand  danger,  sa  confiance  tour- 
née vers  Marie,  comme  vers  l'Arche  du  salut,  la  rendit 
victorieuse  de  tous  les  assauts.  Elle  reparaissait  même 
plus  belle   et  plus  vigoureuse,    après  les   terribles 
épreuves  qui  humainement  devaient  lui  donner  le  coup 
de  la  mort. 

C'est  à  regret  que  nous  ne  pouvons  relater  ici  avec 
leurs  intéressants  détails  toutes  les  circonstances  où 
Marie  s'est  ainsi  montrée  visiblement  Auxiliatrice  des 
chrétiens.  Les  fameuses  victoires,  que  par  son  secours 
ardemment  imploré  ils  ont  remportées  sur  les  ennemis 
de  leur  foi,  entre  autres  dans  le  golfe  de  Lépante,  a 


AUXILIOM    CHRISTIÀNORUM 

Vienne,  à  Belgrade,  à  Corfou,  à  Témeswar,  publieront 
à  jamais  la  force  de  son  bras.  Et  si  la  fureur  des  mé- 
chants contre  l'Eglise  ne  s'est  point  ralentie,  s'ils  con- 
tinuent à  lui  déclarer  une  guerre  à  mort,  Marie  est  tou- 
jours là  une  Tour  inexpugnable  qui  la  protège  et  la 
sauve  du  péril.  Pourrait-on  le  méconnaître,  surtout 
dans  cette  crise  religieuse  et  politique,  qui  sur  la  fin 
du  siècle  dernier  avait  mis  l'Eglise  de  France  à  deux 
doigts  de  sa  ruine.  Les  prêtres  en  exil  ou  au  cachot, 
les  maisons  religieuses  veuves  de  leurs  hôtes  pieux, 
Dieu  chassé  de  ses  temples,  tout  culte  proscrit,  les  fi- 
dèles obligés  de  renfermer  leur  foi  au  fond  de  leur  cœur, 
l'échafaud  toujours  dressé  pour  le  crime  d'être  chré- 
tien, qui  n'eût  cru,  à  cette  vue,  que  c"en  était  fait  de  la 
religion  dans  notre  catholique  royaume?  Mais  Marie 
y  comptait,  alors  même,  des  milliers  de  serviteurs  qui 
lui  payaient  en  secret  le  tribut  de  leurs  hommages  ;  et 
si  à  cet  orage  révolutionnaire  ont  succédé  des  jours 
plus  sereins  ;  si  la  religion  détrônée  pour  un  moment 
sortit  de  sa  captivité,  et  put  relever  sa  tête  humiliée; 
si.  par  un  exemple  unique  dans  l'histoire,  la  foi  pres- 
que généralement  abjurée  repris  son  empire,  n'en  dou- 
tons pas.  c'est  que  Marie,  toujours  pieusement  invo- 
quée dans  son  royaume  chéri,  a  détruit  toutes  les 
tentatives  des  ennemis  de  TEglise,  et  empêché  que  les 
portes  de  l'enfer  ne  prévalussent  contre  elle. 

Morale  :  Maintenant  encore,  si  les  croyances  chré- 
tiennes sont  toujours  vivantes  au  fond  des  cœurs  fran- 
co-, en  dépit  des  efforts  incessants,  de  l'impiété  et  de 
la  dépravation  des  mœurs,  ;'i  qui  attribuer  l'honneur 
de  cette  victoire?  sinon  à  Marie  Reinede  l'Eglise  cou- 
ronnée au  ciel,  Reine  de  L'Eglise  qui  souffre,  elle  est 
Reine  aussi  de  l'Eglise  qui  combat,  et  ses  triomphes 
passés  qous   sont  un  sur  garant  de  ses  triomphes  a 


AUXILIUM    CHRIST1AN0RUM 


201 


venir ,  toujours  elle  sera  le  Secourt  des  chré- 
tiens. 

G  France,  toi  si  grain  le  dans  tous  les  siècles  parmi 
les  autres  nations  de  l'Europe;  toi  qui  portes  encore 
sur  ton  front  le  sceau  glorieux  d'une  foi  que  toutes  les 
révolutions  n'ont  pu  déraciner,  plus  ton  dévouement  à 
la  Reine  du  ciel  croîtra,  et  plus  augmenteront  ton  bon- 
heur et  ta  gloire,  parce  que  tu  recueilleras  avec  plus 
d'abondance  les  bénédictions  célestes  ! 

Et  vous,  ô  divine  Marie,  veuillez  nous  continuer  votre 
bienveillante  prédilection,  en  retour  des  hommages  que 
nous  serons  toujours  plus  empressés  de  vous  rendre  ! 

Pratique  :  Dans  nos  dangers  personnels,  comme  dans 

les  dangers  communs,  recourrons  à  la  puissante  Auxi- 

liatrice  :  et  qui  invoqua  Marie,  ne  le  fit  jamais  en 

vain. 

HISTOIRE 

LES    PÈLERINS   DE   MARIE. 

La  scène  se  passe  aux  approches  d'un  sanctuaire  de 
la  sainte  Vierge . 

Pèlerin,  d'où  viens- tu?  n'est-ce  pas  toi  que  j'ai  vu 
assis  dans  le  chemin,  demandant  l'aumône,  et  qui  est 
connu  sous  le  nom  d' Aveugle  ?  Comment  tes  yeux  se 
sont-ils  ouverts  ?  —  Hier  quelqu'un  passa,  et,  comme 
je  tendais  la  main  dans  l'espérance  de  recevoir  quel- 
que chose,  il  s'arrêta  et  me  dit  :  Je  n'ai  ni  or  ni  argent, 
mais  viens  demain  à  la  sainte  chapelle,  et  ce  que  j'ai, 
je  te  le  donnerai.  Le  matin  on  m'y  conduisit  :\e  prêtre 
qui  m'avait  parlé,  a  prié  pour  moi  ;  j'ai  prié  avec  lui, 
et  j'ai'vu clair.—  Sois  béni,  pieux  pèlerin,  puisque  tu 
a  eu  foi  en  Marie . 

—  Soldat,  d'où  viens- tu?  —  J'étais  à  mon  poste,  at- 
tendant la  bataille.  Le  signal  est  donné  :  je  me  recom- 
mande à  Notre-Dame.  L'ennemi  fait  feu  ;  on  se  mêle  ; 


202  AUX1LIUM   CHRISTIANuHUM 

tous  tombent  autour  de  moi  ;  je  combats  sur  les  morts  • 
la  nuit  mit  fin  au  carnage;  je  n'avais  pas  même  reçu 
une  blessure.  Je  devais  des  actions  de  grâces  à  Celle 
qui  m'a  visiblement  protégé  :  c'est  pourquoi  je  suis 
venu  à  la  sainte  chapelle.  —  Sois  béni,  pieux  soldat, 
puisque... 

—  Matelot,  d'où  viens-tu  ? — Nous  voguions  à  pleines 
voiles,  et  le  ciel  était  calme.  Tout  à  coup,  un  vent  vio- 
lent secoue  le  vaisseau  sur  la  mer  houleuse  :  les  flots 
s'amoncelaient;  le  naufrage  était  imminent.  Vite  je 
m'élançai  sur  le  tillac  :  0  Patronne  des  mariniers, 
m'écriai-je,  sauvez-nous  î  Ce  cri  de  confiance  était  à 
peine  sorti  de  ma  poitrine,  que  le  vent  s'apaise,  et  toute 
crainte  s'évanouit.  Une  juste  reconnaissance  était  due 
à  Celle  qui  m'a  sauvé  du  péril  ;  je  viens  de  la  lui  té- 
moigner. —  Sois  béni,  pieux  matelot,  puisque. . . 

— Jeune  fille  au  front  pâle,  d'où  viens-tu  ? — Je  lan- 
guissais, et  ma  vie  allait  s'éteindre.  Un  jour,  le  méde- 
cin, près  de  mon  lit,  m'observait  d'  un  air  triste  ;  ma 
mère  épiait  son  regard  et  soupirait  ;  puis,  j'entendis 
qu'on  murmurait  tout  bas  :  A  la  chute  des  feuilles . . . 
Quoi  !  pensé-je  en  moi-même,  si  jeune  encore  et  déjà 
mourir  !...  Je  promis  alors  que,  si  je  voyais  la  feuille 
reverdir,  je  ferais  un  pèlerinage  à  l'autel  de  la  Vierge. 
Et  la  feuille  a  reverdi:  j'ai  pu  célébrer  sur  la  terre  le 
beau  mois  de  Marie.  Aujourd'hui  j'ai  voulu  acquitter 
mon  vœu.  je  suis  venue  à  la  sainte  chapelle.  —  Sois 
bénie,  pieuse  fille,  puisque... 

—  Mère  au  sourire  joyeux,  d'où  viens-tu?  —  Je  n'a- 
vais qu'un  fils  ;  on  l'appelle  pour  l'armée.  Depuis  son 
départ,  quelles  angoisses  !  que  de  craintes  obsédaient 
mon  pauvre  cœur  !  Bientôt  l'heure  des  combats  a  son- 
né :  quelles  alarmes,  dans  la  crainte  qu'il  n'ait  péri 
dans  la  mêlée  !   Un  souvenir  pourtant  me  consolait  ; 


REGINA  ANGELORUM  Z\)ô 

j'avais  recommandé  le  cher  enfant  à  Marie,  et  pendant 
neuf  jours  un  cierge  avait  brûlé  à  son  autel.  Il  m'est 
revenu  sain  et  sauf  !  Je  n'ai  point  oublié  ma  Bienfai- 
trice ;  je  reviens  de  la  sainte  chapelle.  —  Sois  bénie, 
mère  chrétienne,  puisque... 

—  Femme,  d'où  viens-tu  avec  cette  jeune  enfant?  — 
Un  époux  que  sa  conduite  édifiante  m'avait  fait  choisir, 
s'était  bientôt  perverti  dans  les  compagnies  mauvaises  ; 
l'absence  de  toute  pratique  religieuse  faisait  mon  tour- 
ment. Attentions  délicates,  gaieté  d'humeur,  douceur 
inaltérable,  parfois  quelques  remontrances  d'à-propos, 
j'avais  mis  tout  en  œuvre  pour  lui  rendre  la  religion 
aimable  et  le  ramener  à  la  foi  ;  mais  sans  aucun  succès. 
Je  fis  une  neuvaine  dont  il  ne  savait  pas  le  but,  et  Ma- 
rie exauça  ma  prière  :  le  dernier  jour  il  m'accompagna 
à  la  table  sainte  !  Que  pouvait-il  m'arriver  de  plus  heu- 
reux ?  Je  viens  de  la  sainte  chapelle  avec  mon  enfant, 
que  j'ai  voulu  associer  à  ma  reconnaissance .  —  Sois 
bénie,  heureuse  épouse,  puisque... 

Envérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis,  celui  qui  invoque 
Marie  la  trouvera  toujours  puissante  Auœiliatrice. 

CHAPITRE  XL. 


REINE  DES  ANGES. 

Nous  avons  parcouru  les  titres  qui  proclament  les 
privilèges  de  Marie,  ses  vertus,  son  pouvoir  et  ses 
bienfaits.  Maintenant,  nous  allons  exalter  à  la  fois  sa 
puissance  et  sa  gloire,  en  la  saluant  sous  le  titre  pom- 
peux de  Reine. 

Si  l'élection  populaire  suffit  souvent  pour  conférer  la 
royauté,  nulle  ne  fut  jamais  plus  légitime  que  celle  de 
Marie  ;  car  toutes  les  générations  depuis  dix- huit  siè- 


-20  i  KEGINA    ANGELORUM 

cles,  l'ont  acclamée  leur  Reine,  ont  ployé  le  genou  de- 
vant son  sceptre  béni.  Mais  c'est  au  ciel  plus  encore 
qu'elle  jouit  de  cette  gloire  incomparable.  Depuis 
qu'un  trône  lui  a  été  donné  à  la  droite  de  son  Fils  Roi, 
Astitit  Regina  à  dexlrù  tuis,  devenue  Souveraine  elle- 
même,  elle  est  Reine  de  toute  la  cour  céleste,  et  d'a- 
bord des  Chœurs  des  Anges,  qui  tiennent  le  premier 
rang  dans  la  hiérarchie  des  cieux.  Le  nom  d'Ange  ré- 
veille l'idée  de  beauté,  d'innocence,  de  douceur  ;  et  sous 
ce  rapport  déjà  Marie  mérite  bien  d'être  nommée  Reine 
des  Anges  /mais elle  l'est  encore, 

I.  Par  la  prééminence  de  sa  gloire  et  de  son  éléva- 
vation  : 

II .  Par  son  empire  sur  les  mauvais  Anges  comme 
sur  les  bons . 

ARTICLE   PREMIER. 

Prééminence  de  Marie  sur  les  Anges,  par  sa  gloire  et 
son  élévation. 

Qu'il  existe,  en  dehors  de  ce  monde  visible,  des  créa- 
tures invisibles  et  purement  spirituelles,  que  l'on  dé- 
signe sous  le  nom  d'Anges,  la  sagesse  de  Dieu  semblait 
le  demander,  pour  que  l'œuvre  de  la  création  fût  plus 
complète  par  des  êtres  à  tous  les  degrés  et  dans  toutes 
les  conditions,  dans  la  sphère  la  plus  élevée,  comme 
au  rang  le  plus  bas.  Il  y  a  des  êtres  entièrement  maté- 
riels ;  au-dessus  d'eux  et  à  une  grande  distance,  se 
trouve  l'homme  composé  d'un  corps  et  d'une  àme.  Mais 
cette  àme,  bien  que  simple  et  indivisible,  grande  et 
noble,  est,  par  suite  de  son  union  intime  avec  le  corps, 
bornée  dans  ses  facultés,  limitée  dans  l'exercice  de  sa 
puissance.  On  conçoit  aisément  la  possibilité  et  aussi 
la  convenance  d'autres  natures  plus  élevées  sans  être 
Dieu,  occupant  le  sommet  de  la  création,  et  qui,  pures 


REGINA    ANCKLOKUM  -ilC) 

de  tout  limon  terrestre,  affranchies  de  toutes  entraves, 
soient  douées  d'une  force  plus  grande  et  d'une  activité 
moins  circonscrite  :  ce  sont  les  Anges,  qui  comblent, 
d'ailleurs,  l'espace  trop  grand,  ce  semble,  entre  Dieu 
et  l'homme,  entre  le  ciel  et  la  terre. 

Mais,  ce  que  la  simple  raison  insinue  sur  l'existence 
d'êtres  purement  spirituels  qui  confinent  en  quelque 
sorte  à  la  Divinité,  la  voix  unanime  de  la  tradition, 
appuyée  sur  l'autorité  des  saints  Livres  le  consacre. 
Nous  voyons  les  Pères  et  les  Docteurs  de  l'Eglise, 
parler  dans  les  termes  les  plus  positifs  de  la  nature  et 
de  la  condition  des  Anges,  des  différents  degrés  qui 
en  composent  la  hiérarchie,  de  leur  nombre  prodi- 
gieux, et  des  fonctions  qu'ils  remplissent.  La  sainte 
Ecriture  en  fait  une  mention  plus  formelle  encore  ; 
leur  intervention  apparaît  manifestement  dans  la  vie 
des  patriarches  et  des  prophètes.  Dieu  s'en  sert,  tantôt 
pour  intimer  ses  volontés,  tantôt  pour  annoncer  les 
événements  futurs,  presque  toujours  comme  d'organes 
de  sa  justice  ou  de  sa  miséricorde  Leur  présence  se 
môle  aux  diverses  circonstances  de  la  naissance,  de  la 
vie  et  de  la  passion  du  Sauveur.  Leur  souvenir  est  lié 
à  celui  des  hommes  et  des  faits  les  plus  importants  de 
l'antiquité  religieuse  et  môme  païenne  ;  car  la  croyance 
aux  bons  et  aux  mauvais  génies  et  le  culte  qu'on  leur 
rendait,  n'était  qu'un  reste  défiguré  du  dogme  primitif 
sur  l'existence  des  Anges. 

Les  Anges  dans  le  ciel  sont,  sans  contredit,  les  créa- 
tures les  plus  belles,  les  plus  saintes,  les  plus  nobles, 
les  plus  approchant  de  la  majesté  divine,  aussi  bien 
par  leur  nature  que  par  leurs  fonctions  ;  ce  sont  les 
grands  dignitaires  du  Monarque  souverain,  les  pre- 
miers officiers  de  sa  cour,  les  ministres  de  ses  suprê- 
mes volontés,  les  bien-aimés  de  son  cœur,  ses  favoris 

PARAPHRASE.    —  T.  II.  12 


206  REGINA    ANGELOBUM 

enfin.  Cependant,  Marie  les  surpasse  de  beaucoup  en 
gloire  et  en  élévation . 

Si  je  me  transporte  par  le  regard  de  la  foi  dans  ce 
brillant  séjour  où  le  Seigneur  est  si  magnifique  dans 
ses  récompenses,  que  rencontrent  d'abord  mes  yeux 
éblouis  ?  Les  différents  trônes  des  patriarches  et  des 
prophètes,  des  apôtres,  des  martyrs,  des  vierges,  tous 
comblés  de  grandeur  et  de  puissance.  Mais  là,  je  cher- 
cherais en  vain  le  trône  de  Marie  ;  il  faut  monter  plus 
haut.  Voici  les  Chœurs  des  Anges,  des  archanges,  des 
chérubins,  des  séraphins,  de  tous  ces  milliers  de  purs 
esprits  qui,  nageant  dans  l'océan  de  la  divine  gloire, 
rayonnant  comme  autant  de  soleils  devant  le  Saint 
des  saints.  Est-ce  là  que  se  trouve  la  Vierge  par  ex- 
cellence ?  Non,  non  !  plus  haut  encore,  dans  les  ré- 
gions les  plus  élevées  du  céleste  royaume,  bien  au- 
dessus  des  séraphins,  tout  près  du  trône  de  l'Homme 
Dieu,  un  autre  trône  est  dressé,  éclipsant  tout  ce  qui 
l'environne  par  sa  magnificence  et  la  splendeur  de  sa 
beauté.  C'est  là  qu'est  assise  et  que  règne,  tout  éblouis- 
sante de  gloire  et  de  majesté,  la  Reine  des  Anges,  les 
dépassant  de  toute  la  distance  qui  sépare  la  Mère  d'un 
Dieu  de  ses  ministres  :  Exaltata  est  sancta  Dei  Geni- 
riœ  super  choros  Angelorum  da  cœlestia  régna.  Là, 
elle  est  au-dessus  des  Dominations,  par  l'étendue  de 
son  pouvoir  sur  tous  les  mondes  ;  au-dessus  des  Ver- 
tus, par  sa  force  dans  l'emploi  des  moyens  pour  arriver 
à  toute  fin  ;  au-dessus  des  Puissances,  par  son  éner- 
gie contre  les  ennemis  de  nos  âmes  ;  au-dessus  des 
Chérubins,  par  l'abondance  de  ses  lumières  ;  au- 
dessus  des  Séraphins,  par  l'ardeur  de  son  amour  ; 
au-dessus  des  Anges,  des  Archanges  et  des  Princi- 
pautés, par  le  succès  dans  toutes  ses  entreprises. 
Aus^i  toute  la  gloire  réunie  des  neuf  Chœurs  des  Anges 


HEGINA   ANGELORUM  "207 

sert  à  peine  de  soutien  à  la  première  marche  de  son 
trône.  Ainsi  que  le  soleil,  qui  au  milieu  de  sa  course 
efface  toutes  les  étoiles  du  firmament,  Marie  dans  le 
ciel  fait  disparaître  toutes  les  gloires  de  ses  habitants. 
Et  quoi  de  plus  juste  !  Autant  elle  fut  humble,  autant 
elle  est  élevée  sur  tous  les  Ordres  de  la  milice  angé- 
lique  :  Ancillœ  tribitit  qnœsibi  nomen,  cœlestidomi- 
nans  régnât  in  aida.  Et,  s'il  est  vrai,  selon  l'Apôtre, 
que  Dieu  proportionne  la  récompense  au  mérite  et 
rend  à  chacun  selon  ses  œuvres.  Marie  ne  doit-elle 
pas  l'emporter  en  gloire  sur  tous  les  Ordres  du  ciel, 
puisqu'elle  les  a  tous  surpassés  en  toute  manière  ?  Le 
savant  Gersôn  ne  craint  pas  d'avancer  qu'au-dessus 
des  trois  hiérarchies,  dans  lesquelles  on  range  de  dif- 
férentes classes  d'esprits  célestes,  Marie  forme  à  elle 
seule  une  hiérarchie  à  part,  la  plus  élevée  et  la  pre- 
mière après  Dieu.  Jusqu'à  sa  naissance,  ils  tenaient 
le  premier  rang  dans  la  création  ;  mais,  en  devenant 
Mère  de  Jésus  leur  Roi,  elle  fut  constituée  leur  Reine  ; 
et  à  ce  moment  ils  l'avaient  déjà  reconnue  comme 
telle,  en  s'associant  du  haut  des  cieux  à  l'Archange 
Gabriel,  un  de  leursainés,  qui  venaient  la  saluer  comme 
Mère  future  du  Très-Haut.  Toutefois,  c'est  au  jour  de 
son  Assomption  glorieuse  que  lui  firent  confirmés 
solennellement  le  titre  et  le  rang  de  Reine  des  cieux, 
de  Reine  des  Anges.  C'est  là  un  spectacle  assurément 
bien  digne  d'être  comtemplé  de  tous  près. 

Depuis  l'instant  où  le  Sauveur  avait  quitté  la  terre, 
l'existence  de  Marie  n'avait  été  qu'un  long  soupir  vers 
les  demeures  éternelles,  où  elle  devait  partager  la 
gloire  de  son  bien-aimé  Fils.  Quand  elle  l'eut  assez 
Longtemps  pleuré,  alors  il  voulut  l'appeler  à  lui.  Elle 
avait  reçu  son  dernier  soupir,  il  descendit  pour  recueil- 
lir celui  de  sa  Mère.  Marie,  fille    d'Adam,    paya  le 


808  BEGINA    AXGELORUM 

tribut  commun  à  tous  les  hommes,  mais  elle  ne  fit 
que  passer  à  travers  les  ombres  de  la  mort.  Il  ne  con- 
venait pas  et  Dieu  ne  voulut  point  que  ce  corps  virgi- 
nal, exempt  de  toute  souillure  et  sanctifié  par  la  pré- 
sence de  son  Verbe  incarné,  subit  la  corruption  du 
tombeau.  Une  voix  se  fait  entendre,  voix  puissante 
qui  avait  rendu  Lazare  à  la  vie,  mais  qui  prend  ici  les 
accents  de  la  plus  vive  tendresse  :  Levez-vous,  ô  ma 
bien  aimée,  venez  du  Liban,  venez  recevoir  votre 
couronne'.  A  ces  mots,  lame  de  Marie  tressaille  dejoie, 
ses  membres  glacés  se  raniment  ;  elle  sort  du  tombeau, 
et  s'élance  vers  les  deux  se  réunir  à  Jésus  ressuscité  : 
elle  avait  pris  part  à  son  sacrifice,  il  veut  qu'elle  par- 
ticipe à  son  triomphe.  «  Si  l'humble  Marie,  disait  à 
ce  sujet  l'Aigle  de  Meaux.  a  reçu  autrefois  le  Sauveur 
Jésus,  il  est  juste  que  le  Sauveur  reçoive  à  son  tour 
l'heureuse  Marie  ;  et  n'ayant  pas  dédaigné  de  descen- 
dre en  elle,  il  devait  ensuite  l'élever  à  lui  pour  la  faire 
entrer  dans  sa  gloire.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner 
qu'elle  ressuscite  avec  tant  d'éclat,  ni  qu'elle  triomphe 
avec  tant  de  pompe.  Jésus,  à  qui  cette  Vierge  a  donné 
la  vie,  la  lui  rend  aujourd'hui  par  reconnaissance  ;  et 
comme  il  appartient  à  Dieu  de  se  montrer  toujours  le 
plus  magnifique,  quoi  qu'il  n'ait  reçu  d'elle  qu'une 
vie  mortelle,  il  est  digne  de  sa  grandeur  de  lui  en  don- 
ner en  échange  une  glorieuse.  Ainsi  les  deux  mystères 
de  l'Incarnation  et  de  l'Assomption  sont  liés  ensemble: 
et  afin  que  le  rapport  soit  plus  complet,  les  Anges  in- 
terviennent dans  l'un  comme  dans  l'autre  et  se  ré- 
jouissent avec  Marie  de  voir  une  si  belle  suite  du  mys- 
tère qu'ils  ont  annoncé.  » 

La  voyez-vous,  en  effet,  s  élevant  dans  les  airs,  ac- 
compagnée de  ces  esprits  qui  ne  la  touchent 
même  point  par  respect,  mais  délicieusement  appuyée 


REGINA    ANGELORUM  209 

sur  son  Bien- Aimé,  venu  au-devant  d'elle  pour  l'intro- 
duire dans  son  palais?  Et  lorsque  les  Anges  qui 
l'entourent  répètent  à  leurs  compagnons  les  mêmes 
élans  qu'ils  ont  exprimés  à  Jésus  en  entrant  au  céleste 
séjour  :  Princes  du  ciel,  élevez  vos  portes  pour  rece- 
voir la  Reine  de  gloire  ;  quittez  vos  superbes  demeu- 
res, venez  honorer  son  entrée  ;  ces  heureux  habitants 
de  Sion  accourent  de  tous  les  points  du  ciel  pour  lui 
faire  le  plus  beau  des  triomphes.  Quelle  est  donc  celle 
qui  vient  du  désert,  s'écrient-ils,  dans  le  transport  de 
leur  admiration  !  Comme  elle  est  pure  et  riche  de  ver- 
tus !  C'est  la  Mère  de  notre  Roi  ;  c'est  notre  Reine  ! 
Soyez  la  bienvenue,  ô  Marie  !  Régnez  sur  nous  ;  nous 
sommes  vos  sujets;  notre  bonheur  sera  de  vous  obéir. 
Ainsi  environnée  d'une  brillante  escorte,  la  glorieuse 
Vierge  pénètre  dans  la  profondeur  des  deux  :  Montez 
plus  haut,  lui  dit  son  cher  Fils,  asseyez-vous  à  ma 
droite.  Et  il  l'établit  à  ses  côtés  sur  un  trône  le  plus 
éblouissant  du  Paradis,  lui  met  en  main  le  sceptre  du 
monde,  sur  le  front  le  diadème  de  la  royauté  univer- 
selle, l'exalte  au-dessus  de  tous  les  saints,  de  tous  les 
Chœurs  des  Anges  et  des  séraphins,  leur  commande 
de  la  reconnaître  pour  leur  souveraine,  de  la  servir, 
d'exécuter  ses  ordres. 

Morale  :  Souveraine  des  Anges,  quel  nouveau  droit 
n'a-t-elle  pas  à  notre  filiale  confiance,  et  aussi  à  notre 
vénération  la  plus  profonde  !  Mettons-nous  donc  à 
l'unisson  de  ces  esprits  bienheureux  pour  la  louer  et 
la  bénir.  Soyons  glorieux  d'être  aussi  les  sujets  d'une 
si  grande  Reine,  portons  avec  fierté  ses  livrées  qui  fi- 
xeront sur  nous  un  regard  bienveillant  et  protecteur. 
Ne  craignons  pas  que  des  sommets  d'une  si  haute  élé- 
vation, elle  oublie  notre  misère  ou  dédaigne  notre  bas- 
sesse. Mère  en  même  temps  que  Reine,  son  désir  et  son 


MO  HEGIXA    ANGELORUM 

tière  menaçait  de  n'être  bientôt  plus  qu'un  vaste  tom- 
beau :  toutes  les  précautions  humaines  étaient  restées 
impuissantes  devant  la  voracité  du  fléau.  Dans  cette 
extrémité,  le  saint  Pontife,  sensiblement  affecté  des 
maux  de  ses  enfants,  prêcha  la  pénitence  et  prescrivit 
des  prières  publiques  :  mais  l'indomptable  fléau  ne  sé- 
vissait pas  avec  moins  de  fureur.  Alors  le  saint  Pape, 
tournant  toutes  ses  espérances  du  côté  de  la  Mère  de 
Dieu,  ordonna  que  le  peuple  et  le  clergé  iraient  en  pro- 
cession à  l'église  de  Sainte  Marie-Majeure  au  chant  des 
Litanies  de  la  sainte  Vierge,  et  que  l'on  porterait  par 
toute  la  ville  son  image,  qu'une  pieuse  tradition  attri- 
bue au  pinceau  de  saint  Luc.  0  prodige  !  A  peine  la 
procession  fut-elle  en  marche,  que  la  Reine  du  ciel 
manifesta  sa  puissance.  Partout  où  passait  l'image 
vénérée,  la  contagion  cessait  sur  le  champ  :  et  avant 
la  fin  de  cette  touchante  cérémonie,  la  ville  eut  la  cer- 
titude que  Marie  avait  entièrement  désarmé  la  colère 
de  Dieu.  On  vit  apparaître  sur  le  môle  d'Adrien,  appelé 
depuis  Chàteau-Saint-Ange  en  mémoire  de  cet  événe- 
ment, un  Ange  de  forme  humaine,  qui  remettait  dans 
le  fourreau  une  épée  sanglante.  En  même  temps,  des 
voix  célestes  firent  entendre  dans  les  airs  ces  paroles 
de  joyeuse  reconnaissance  :  Regina  cœli  Lœlare. . .  Reine 
du  ciel,  réjouissez-vous...  et  les  suivantes,  auxquel- 
les Grégoire  ajouta  aussitôt  :  Ora  pro  nobis  Deum. 
L'Eglise  continua  depuis  à  employer  cette  antienne 
pour  saluer  Marie  au  temps  de  Pâques.  Le  saint  Pon- 
tife ordonna  que  chaque  année,  vers  le  même  temps, 
on  ferait  une  procession  générale  appelée  Litanie  ma- 
jeure, ou  procession  de  saint  Marc. 


ltKfilNA   PATMAUCHAIUÏM 


211 


CHAPITRE  XLI 


REINE  DES  PATRIARCHES 

Après  les  Anges,  qui  à  leur  création  brillèrent  d'un 
si  grand  éclat  dans  la  splendeur  des  cieux,  et  qui  aujour- 
d'hui encore  sont  comme  la  garde  d'honneur  de  la  Reine 
du  monde,  devaient  venir  dans  l'ordre  rationnel  des 
Litanies  les  Patriarches,  en  d'autres  mots,  les  Pères 
de  l'ancien  Testament.  On  appelait  de  ce  nom,  chez  le 
peuple  choisi ,  ces  vénérables  personnages  ,  tels  que 
Noé ,  Abraham ,  Isaac ,  Jacob  et  autres ,  par  qui  se 
transmettait  d'âge  en  âge  la  promesse  d'un  Sauveur 
faite  à  Adam.  Ils  étaient  regardés  comme  des  princes 
dans  leurs  maisons  par  leurs  serviteurs  tout  dévoués 
et  une  famille  nombreuse,  car  ils  vivaient  plusieurs 
centaines  d'années.  Semblables  à  des  phares  élevés, 
ils  faisaient  rayonner  autour  d'eux  la  lumière  de  toutes 
les  vertus.  Ce  qui  les  distinguait  surtout,  c'était  une 
fidélité  inébranlable  à  la  loi  du  Seigneur,  et  une  aver- 
sion bien  prononcée  pour  le  culte  des  idoles,  dont  il  se 
trouvait  si  outragé,  voulant  ainsi  qu'il  en  a  le  droit 
être  seul  adoré  :  c'était  encore  leur  foi  ardente,  qui 
brillait  dans  ces  temps  de  ténèbres  comme  une  étoile 
solitaire,  dont  l'éclat  est  d'autant  plus  vif  que  sont  plus 
épais  les  nuages  qui  l'entourent.  Aussi  Dieu  se  plai- 
sait-il à  les  combler  de  toute  sorte  de  bénédictions,  gage 
sensible  de  son  amour  pour  eux  et  des  récompenses  plus 
magnifiques  réservées  à  leurs  vertus. 

Or,  Marie  est  à  juste  titre  nommée  la  Reine  de  ces 
vénérables  justes  ;  car, 

I.  Elle  les  a  surpassés  tous  par  la  fermeté  de  sa  foi  ; 

II.  Elle  a  eu  le  bonheur  de  voir  réalisé  ce  qu'ils  n'a- 
vaient qu'espéré . 


i\ 2  REGITVA  PATRIARCHARUM 

I.  Elle  a  surpassé  les  Patriarches  par  l'ardeur 
et  la  fermeté  de  sa  foi.  —  La  foi  est  L'adhésion  de 
notre  esprit  à  des  choses  qui  existent  ou  que  nous 
attendons;  c'est  l'intime  conviction  de  leur  réalité, 
conviction  fondée  non  point  sur  leur  évidence,  mais 
sur  l'autorité  et  la  véracité  de  Dieu  qui  les  a  révélées. 
Telle  fut  la  Foi  qui  caractérisa  les  Patriarches.  Pères 
de  cette  heureuse  postérité  de  laquelle  devait  sortir  le 
Rédempteur  du  monde,  ils  reçurent  de  Dieu  sur  ce 
point  capital  une  foi  extraordinairement  vive  et  solide. 
Adam  et  Eve  avaient  cru  à  la  promesse  d'un  Répara- 
teur des  maux  résultant  de  leur  péché,  et  ils  la  com- 
muniquèrent à  leurs  enfants:.  Eve  en  particulier,  dans 
son  repentir,  aimait  sans  doute  à  leur  rappeler  que,  si 
elle  avait  été  la  première  cause  de  leur  malheur,  une 
fille  qui  descendrait  d'elle  serait  un  jour  aussi  la 
cause  d'une  réparation  surabondante.  Abraham  ne 
douta  point,  malgré  son  âge  avancé  et  la  stérilité  de 
Sara,  qu'il  put  avoir  un  fils,  et  que  des  descendants  de 
ce  fils  naîtrait  le  Désiré  des  nations.  Et  ce  bien-aimé 
Isaac ,  sur  qui  reposaient  les  promesses  divines .  il 
allait  l'immoler,  comptant  que  Dieu  saurait  trouver 
les  moyens  d'accomplir  ses  desseins  :  c'était  là  assuré- 
ment une  foi  bien  vive.  Jacob  et  ses  enfants  eurent  la 
même  croyance  à  un  Libérateur  futur,  et  la  transmi- 
rent à  leur  postérité.  Dans  les  temps  postérieurs,  Job 
aussi,  ce  juste  de  l'idumée.  entrevoyait  le  Rédemp- 
teur, s'at tendant  à  le  contempler  dans  sa  chair  au  jour 
de  sa  résurrection.  Souvent  les  conducteurs  du  peuple 
en  appelèrent  des  promesses  à  cette  foi  traditionnelle, 
pour  le  fortifier  dans  les  différentes  épreuves  et  le  main- 
tenir fidèle  à  son  Dieu. 

Niais,  si  ces  saints  Patriarches  sont  regardés  et  avec 
raison  comme  les  premiers  Pères  de  la  foi.  Marie  fut 


HEGIKA  PATHIARCHAUUM  z43 

véritablement  leur  Reine,  les  surpassant  tous  par  la 
solidité  de  cette  même  vertu.  En  effet;  sur  la  simple 
parole  de  l'Ange,  sa  raison  s'incline  humblement  devant 
le  plus  sublime  et  le  plus  incroyable  des  mystères, 
l'Incarnation  du  Verbe  dans  son  sein,  sans  préjudice 
pour  sa  virginité.  Elle  croit,  sans  balancer,  que  ce  pe- 
tit Enfant,  né  faible,  souffrant,  dans  la  pauvreté  d'une 
étable ,  et  qu'elle  voit  ensuite ,  pendant  trente  ans, 
obligé  de  gagner  péniblement  sa  vie,  vivant  dans  l'obs- 
curité la  plus  complète,  sans  rien  faire  d'éclatant,  n'en 
est  pas  moins,  le  Dieu  éternel,  le  Créateur  des  mondes, 
le  Roi  de  gloire,  le  souverain  Dominateur  de  toutes 
choses.  Et  au  début  de  sa  vie  publique,  ne  fut-elle  pas 
la  première  qui  ait  cru  fermement  à  sa  divinité,  avant 
qu'aucun  signe  ne  l'eût  manifestée?  Ce  fut  la  foi  vive 
en  sa  puissance,  .qui  la  porta  à  lui  demander  un  mi- 
racle en  faveur  des  époux  désolés  de  Cana.  Au  Calvaire 
encore,  l'abandon  presque  général,  pas  plus  que  ses 
humiliations  profondes  sur  l'ignominieux  gibet ,  ne 
peut  faire  chanceler  aucunement  la  fermeté  de  sa 
croyance.  Et  tandis  que  les  disciples,  les  apôtres  et 
surtout  l'incrédule  Thomas  hésitent  à  croire  à  la  réalité 
de  la  résurrection  «  Marie,  dit  saint  Bernard,  reste  iné- 
branlable dans  sa  foi.  »  Elle  est  donc  justement  ap- 
pelée Reine  des  Patriarches,  puisqu'elle  les  a  surpassés 
de  tant  de  manières  dans  cette  vertu  qui  fut  leur  pré- 
rogative, qui  leur  mérita  la  grâce  et  la  gloire  ;  réputa- 
tion est  ei  ad  justitiam;  comme  elle  valut  à  Marie 
l'honneur  d'attirer  dans  son  sein  le  Fils  de  Dieu  :  C'est 
votre  foi,  lui  dit  Elisabeth,  qui  a  fait  voire  bonheur  : 
ajoutons,  et  le  nôtre  ;  «  car,  dit  saint  lrénée,  ce  que 
l'excessive  crédulité  d'Eve  avait  perdu,  la  foi  de  Marie 
le  sauva.  »  Eve  avait  cru  au  serpent  ;  Marie  crut  à 
Gabriel . 


~2\ï  REGINA    PATRIARCHARUM 

Morale  :  Nous  aussi,  sous  le  rapport  de  la  foi,  nous 
avons  sur  ces  anciens  justes,  un   avantage  bien  pré- 
cieux, c'est,  depuis  que  le  divin  Soleil  de  justice  est 
venu  dissiper  nos  ténèbres,   de  voir  plus  clairement 
les  vérités  qu'ils  n'ont  pu  qu'entrevoir?  Il  en  est,  ce- 
pendant, dont  Dieu  s'est  réservé  la  connaissance  claire 
et  parfaite,  qui  ne  peuvent  être  atteintes  par  notre  fai- 
ble raison,  sans  néanmoins  lui  être  contraires,  et  qu'on 
appelle  mystères.  Mais  cette  obscurité  ne  doit  nullement 
être  un  motif  d'y  refuser  notre  assentiment.  Comme 
il  y  a  quantité  d'objets  que  les  yeux  de  notre  corps 
ne  peuvent  découvrir  au  delà  d'une  certaine  distance, 
et  qu'il  serait  souverainement  déraisonnable  de  révo- 
quer en  doute,  par  la  raison  qu'on   ne  les  voit  pas  ; 
de  même  dans  l'ordre  surnaturel,  prétendre  qu'il  n'y 
a  de  vérités  que  celles  qui   peuvent  être  saisies  par 
notre  intelligence  serait  une  extravagance  beaucoup  plus 
grande  encore. — Dans  le  monde  physique,  abandonné 
aux  disputes  des  hommes,  que  d'objets  nous  rencontrons, 
nous  voyons,  nous  touchons  sans  pouvoir  les  expliquer, 
dont  cependant  nous   ne  pouvons  nier  l'existence  :   et 
les  choses  les  plus  éloignées  de  nous,  les  plus  inacces- 
sibles à  notre  raison,  les  choses  de  Dieu,  nous  les  re- 
jetterions pour  le  seul  motif  que  nous  ne  voyons  pas 
comment  elles  peuvent  êtres  !  Tout  est  mystère  au  mi- 
lieu de  nous    :    tout  est  mystère  dans  la  nature;  et 
nous  voudrions  que  la  religion  seule  n'en  eut  point  ! 
Ils  prouvent  sa  divinité  bien  loin  qu'ils  doivent  rebu- 
ter l'exigence  de  notre  esprit.  Si  elle  eût  été  l'ouvrage 
des  hommes,  elle  porterait  le  sceau  de  leur  faiblesse;  Us 
l'auraient  mesurée  k  leurs  courtes  vues  et  accommodée 
à  la  politesse  des  nôtres,  [ls  n'eussent  pas  été  assez  ma- 
ladroits  pour  la  baser  sur  des  vérités  en  apparence 
contraires  à  la  raison,  qui  les  aurait  de  suite  repousséeSj 


UEG1NA   PATK1ARCHARUM  2K> 

comme  heurtant  par  trop  les  idées  généralement  reçues. 
—  Et  puis,  Dieu  ne  devait-il  pas  à  sa  grandeur  de  s'en- 
tourer de  nuages  impénétrables  à  notre  faible  intelli- 
gence, tant  qu'elle  sera  sous  les  enveloppes  de  la  chair? 
Il  ne  serait  pas  l'Etre  infini,  s'il  nous  était  donné  de  le 
connaître  pleinement.  «  Dieu  ne  serait  plus  Dieu,  disait 
un  sage  païen,  si  l'on  pouvait  le  comprendre,  »  — 
«  ni  fort  élevé  au-dessus  de  nous,  selon  la  remarque  si 
judicieuse  de  saint  Augustin,  s'il  ne  pouvait  faire  que  ce 
que  notre  raison  peut  concevoir.  »—  N'a-t-il  pas  droit, 
d'ailleurs,  à  l'hommage  de  tout  notre  être,  de  notre  in- 
telligence conséquemment,  par  l'adhésion  à  des  véri- 
tés qu'elle  ne  comprend  pas,  comme  de  notre  volonté 
par  la  soumission  à  des  préceptes  qui  la  contrarient  ? 
Sans  ce  double  sacrifice,  quel  mérite  aurions-nous  de 
croire  et  d'obéir  ?  C'est  précisément  à  cet  abaissement 
de  notre  esprit  devant  la  suprême  raison  de  Dieu,  et 
de  notre  volonté  devant  ses  commandements,  qu'est  at- 
taché le  bonheur  de  le  voir  au  ciel  à  découvert  dans 
toute  la  splendeur  de  sa  gloire  :  Beati  qui  non  vide- 
ntnt  et  firmiter  crediderunt . 

II.  Marie  eut  le  bonheur  de  voir  réalisé  ce  que  les 
Patriarches  n'avaient  qu'espéré— Dieu  leur  avait 
promis  qu'un  Sauveur  viendrait  un  jour;  mais  ils  ne 
pouvaient  que  l'entrevoir  à  travers  les  nuages  obscurs 
de  l'avenir.  Marie  reçut  de  l'Ange  non  pas  seulement  la 
promesse  mais  l'assurance  positive  de  cette  naissance 
prochaine.  Abraham  a  bien  vu  l'image  du  Messie  Ré- 
dempteur dans  la  personne  d'Isaac,  son  fils  unique; 
mais  ce  ne  fut  toujours  qu'une  figure  présentée  à  ce 
Père  des  croyants.  David  aussi  savait  que  de  sa  famille 
devait  naître  un  jour  le  Sauveur  ;  et  même,  dans  ses 
psaumes  il  a  écrit  par  avance  son  histoire,  les  princi- 
pales circonstances  de  sa  vie,  sa  passion,  sa  résurrec- 


216  JIEGINA    l'ATHIARCHARLM 

tion  ;  mais  il  n'a  pu  que  le  prédire  et  désirer  le  voir. 
Marie  plus  favorisée,  après  l'avoir  attiré  par  l'ardeur 
de  ses  vœux,  et  comme  par  l'aimant  de  sa  pureté  et 
de  son  humilité,  l'a  porté  dans  son  sein,  l'a  vu  de  ses 
propres  yeux,  beaucoup  plus  heureuse  de  sa  présence 
que  les  Patriarches  ne  l'avaient  été  de  l'espérance  et 
du  désir.  La  possession  et  la  jouissance  d'un  bienfait 
l'emportent  assurément  sur  la  promesse  et  l'attente. 
La  lettre  d'un  ami  qui  annonce  sa  venue  est  très 
agréable,  sans  doute,  mais  son  arrivée  et  sa  présence 
causent  une  joie  toute  autrement  délicieuse.  On  aime 
les  fleurs  pour  elles-mêmes  et  comme  heureux  présage 
du  fruit;  mais  la  vue  et  la  cueillette  du  fruit,  parvenu 
à  sa  maturité,  réjouit  beaucoup  plus  encore.  Ainsi  les 
Patriarches  reçurent  comme  les  lettres  de  Dieu  qui  an- 
nonçait l'arrivée  du  Sauveur,  mais  Marie  fut  témoin 
de  l'avènement  ;  ils  virent  les  fleurs,  Marie  reçut  et 
donna  le  fruit. 

Morale  :  Sous  ce  rapport  notre  position  a  quelque 
ressemblance  avec  celle  de  ces  anciens  justes.  Nous 
aussi,  nous  ne  pouvons  ici-bas  que  désirer  les  biens 
célestes  ;  c'est  dans  l'autre  vie  que  nous  aurons  la  réa- 
lité. Ce  désir  doit  animer  habituellement  le  vrai  chré- 
tien gémissant  sur  la  longueur  de  son  pèlerinage,  et 
Dieu  en  est  tellement  honoré,  qu'il  l'a  mis  au  nombre 
des  sentiments  qui  doivent  lui  être  exprimés  chaque 
jour  :  Que  votre  règne  arrive.  Mais  pour  que  ces  paro- 
les divines  ne  soient  pas  un  vain  son  dans  notre  bou- 
che, ne  cessons  d'augmenter  en  nous  ce  désir  :  la  con- 
sidération suivante,  peut,  parmi  beaucoup  d'autres, 
y  servir  puissamment.  On  éprouve  quelquefois  des 
jouissances  bien  vives  et  bien  pures,  pour  l'esprit,  pour 
le  cœur  et  pour  le  corps.  Si  Dieu  a  semé  ce  lieu  de 
notre  exil  do  ronces  et  d'épines  de  peur  que,  nous  devo- 


REGINA   PATRIAHCHARUM  217 

nant  trop  aimable,  il  nous  fasse  oublier  et  dédaigner 
la  patrie,  il  y  a  aussi  entremêlé  quelques  roses,  qui 
nous  donnent  comme  un  échantillon  de  ce  qu'est  le  ciel 
lui-même  :  il  a  laissé  tomber  quelques  gouttes  de  cet 
Océan  de  beautés  et  de  bonheur,  pour  nous  faire  tra- 
vailler avec  plus  d'ardeur  à  en  acquérir  la  plénitude. 
Lors  donc  que  la  Providence  nous  ménage  quelqu'une 
de  ces  jouissances  morales  ou  physiques  qui  nous  im- 
pressionnent agréablement,  sachons  entrer  dans  ses  des- 
seins. Ne  les  savourons  pas  pour  elles-mêmes,  portons 
nos  vues  plus  haut.  Qu'elles  nous  soient  comme  un 
avant-goût  des  célestes  délices  ;  et  que  cette  radieuse 
perspective  redouble  notre  activité  à  nous  rendre  dignes 
de  les  goûter  éternellement  à  la  source  même. 

0  glorieuse  Reine  de  ces  vrais  croyants  que  leur  foi 
a  rendus  si  magnanimes  d'espérance,  de  désirs  et  de 
force,  communiquez-moi  leurs  saints  empressements 
pour  cette  terre  des  vivants,  où  le  Soleil  de  splendeur 
infinie  éclairera  notre  âme  de  sa  lumière,  et  pénétrera 
nos  cœurs  de  ses  ardeurs  vivifiantes  ! 

Pratique  :  A  l'exemple  de  saint  Ignace,  trouvons 
viles  et  méprisables  les  choses  de  la  terre,  auprès  de 
la  couronne  immarcessible  qui  nous  attend  au  ciel. 

EXEMPLE 

CHATEAUBRIAND  ET  LES    MARINS   DEVOTS   A   MARIE. 

«  Un  soir,  dit  Chateaubriand,  nous  nous  trouvions 
dans  ces  belles  mers  qui  baignent  les  rivages  de  la 
Virginie  :  toutes  les  voiles  étaient  pliées  :  j'étais  oc- 
cupé sur  le  pont,  lorsque  j'entendis  la  cloche  qui  ap- 
pelait l'équipage  à  la  prière  ;  et  je  me  hâtai  d'aller 
mêler  mes  vœux  à  ceux  de  mes  compagnons  de  voyage. 
Les  officiers  étaient  sur  le  château  de  poupe  avec  les 
passagers:   l'aumônier,  un  livre  à  la  main,  se  tenait 


218  REC1NA    PROPHKTARUM 

un  peu  en  avant  d'eux  :  les  matelots  étaient  répandus 
pèle-mèle  sur  le  tillac  ;  nous  étions  debout,  le  visage 
tourné  vers  la  proue  du  vaisseau  qui  regardait  l'occi- 
dent. 

Le  globe  du  soleil,  près  de  se  plonger  dans  les 
eaux,  apparaissait  entre  les  cordages  du  navire,  au 
milieu  des  espaces  sans  bornes. . .  Il  est  bien  à  plaindre 
celui  qui  dans  ce  spectacle  n'eût  point  reconnu  la 
beauté  de  Dieu  !  Des  larmes  coulèrent  malgré  moi  de 
mes  paupières,  lorsque  mes  compagnons  ôtant  leurs 
chapeaux  goudronnés,  vinrent  à  entonner  d'une  voix 
rauque  leur  simple  cantique  à  Notre-Dame  de  Bon-Se- 
cours,  Patronne  des  mariniers.  Qu'elle  était  touchante 
la  prière  de  ces  hommes  qui,  sur  une  planche  fragile, 
au  milieu  de  l'Océan,  contemplaient  le  soleil  couchant 
sur  les  flots  !  Comme  elle  allait  à  lame  cette  invo- 
cation du  pauvre  matelot  à  la  Mère  de  douleur  !  »  — 
Dans  ce  récit,  avec  toutes  ses  circonstances  si  émou- 
vantes, respire  la  foi  vive  et  éclairée  d'un  homme  jus- 
tement célèbre  par  son  génie,  qui  est  sensible  aux 
beautés  de  la  nature,  et  qui  ne  crut  pas  indigne  de  soi 
de  vénérer  la  sainte  Mère  de  Dieu. 


CHAPITRE  XLII 


REINE  DES  PROPHÈTES. 

Cette  qualification,  non  moins  glorieuse  que  les 
précédentes,  Marie  la  mérite  à  plusieurs  titres. 

D'abord,  elle-même  fit  entendre  des  accents  inspirés, 
et  surpassa  les  prophètes  de  toute  la  dignité  d'une 
reine,  lorsque  dans  son  sublime  cantique,  mêlant  au 
souvenir  des  bienfaits  reçus  la  prédiction  de  sa  future 
grandeur,  elle  annonça  queloittes  lesnationsla  salue- 


REGINA    PROPHBTARUM  "21!> 

raient  du  nom  de  Bienheureuse.  Cette  étonnante  pro- 
phétie trouve,  en  effet,  son  accomplissement  dans  dix- 
huit  siècles  de  vénération,  d'amour  et  de  gloire,  qui 
placent  ainsi  la  vierge  au  premier  rang  dans  le  corps 
des  Prophètes. 

Elle  est  leur  Reine,  par  ce  qu'elle  vit  de  ses  yeux, 
couvrit  de  ses  baisers,  et  entoura  de  sa  sollicitude 
maternelle  Celui  qu'ils  n'ont  vu  que  dans  le  lointain 
de  l'avenir  et  sous  des  formes  confuses. 

Elle  est  leur  Reine,  parce  qu'avec  toute  la  hiérar- 
chie céleste,  ils  sont  admis  à  contempler  ses  traits 
augustes.  Moïse  reconnaît  en  elle  l'Arche  sainte  dont 
celle  du  Tabernacle  avait  été  la  figure  ;  David,  la  Reine 
assise,  revêtue  d'or,  auprès  du  grand  Roi  ;  Isaïe,  la 
Femme  qui  devait  enfanter,  sans  cesser  d'être  vierge  ; 
Ezéchiel,  la  Porte  fermée,  par  où  seul  passerait  le 
Seigneur  ;  tous,  Celle  qui  devait  s'élever  fraichccomme 
le  lys  parmi  les  épines,  — pare  comme  la  colombe, 
—  radieuse  comme  Vaurore,  belle  comme  la  lune, 
unique  comme  le  soleil,  —  et  portant  au  front  le 
diadème  de  douze  étoiles.  Tous  ces  gracieux  sym- 
boles, longtemps  allégoriques,  sont  maintenant  dévoilés 
aux  yeux  des  Prophètes,  qui  tous  en  chœur  accla- 
ment Celle  qu'ils  voient  sans  ombre  ni  figure  au  sommet 
de  la  gloire. 

Marie  est  encore  et  surtout  Reine  des  Prophètes, 
parce  que  Vierge  et  Mère,  elle  fut,  en  même  temps 
que  son  Fils,  l'objet  de  leurs  prédictions,  de  leur  éton- 
nement,  de  leur  admiration.  Peut-être  n'avez-vous 
jamais  prêté  l'oreille  aux  sons  mystérieux  de  cette 
harpe  touchée  tour  à  tour  par  ces  hérauts  inspirés, 
qui  annoncèrent  au  monde  sa  miséricordieuse  Libéra- 
trice, intimement  associée  dans  nos  saints  Livres  au 
divin  Libérateur  ?  Et  c'est  sous  ce  point  de  vue  que 


220  REGINA  PHOPHETARUM 

nous  allons  envisager  la  majestueuse  figure  de  Marie. 
Il  sera  beau,  et  non  moins  glorieux  pour  nous  que 
pour  elle,  de  voir  que  son  existence  ne  s'est  point  bor- 
née aux  jours  qu'elle  a  passés  sur  notre  terre,  et  que, 
si  elle  vit  dans  l'amour,  la  confiance  et  les  hommages 
de  tous  les  peuples,  elle  a  aussi  vécu  dans  l'ancien 
monde,  figurée  par  les  patriarches  et  autres  person- 
nages célèbres,  prédite  par  les  Prophètes,  objet  des 
soupirs  et  de  l'attente  universelle,  aussi  bien  que  le 
divin  Rédempteur  dont  elle  devait  être  la  Mère.  Tel 
est  l'intéressant  tableau,  voilé  alors  et  aujourd'hui 
mis  en  plein  jour,  qu'il  nous  faut  dérouler  sous  vos 
yeux.  Mais  comme  les  traits  divers  dont  il  se  com- 
pose perdraient  au  raccourci,  nous  le  partagerons 
en  deux  parties. 

I.  Nous  allons  grouper  les  principaux  fragments 
des  prophéties,  de  manière  à  former  un  ensemble  qui 
nous  montrera  Marie  révélée  dès  l'aurore  du  monde, 
et  l'objet  de  l'espérance  générale. 

II.  Nous  la  verrons  ensuite  dépeinte  sous  différen- 
tes figures,  dont  la  réunion  formait  d'avance  son  his- 
toire . 

ARTICLE     PREMIER 

Marie,  prédite  dès  le  berceau    du   monde  et  dans  la 

suite    des  temps 

C'est  une  loi  assez  générale  qu'un  effet  est  précédé 
par  quelque  signe.  Voyez  dans  la  nature  :  la  plante  est 
annoncée  par  le  germe  ;  la  fleur  par  la  plante  ;  le  fruit 
par  la  fleur  :  l'aurore  est  l'avant-courrière  du  jour  ; 
l'éclair  précède  l'éclat  de  la  foudre.  Marie,  ce  germe 
heureux  de  notre  salut.,  cette  fleur  charmante  d'odeur 
et  de  beauté,  cette  aurore  du  Soleil  de  justice,  devait 
longtemps  d'avance  comme  préluder  aux  grands  évé- 
nements qu'elle  était  destinée  à  produire.  Aussi  Dieu 


REC.INA    PROPHETAIU  M  221 

lui-même  la  fit  connaître  au  monde  en  même  temps 
que  son  Libérateur  futur. 

Nos  premiers  parents  venaient  de  tomber  :  la  honte 
et  le  remords  les  poursuivent  :  ils  ont  entendu  la  sen- 
tence foudroyante  qui  les  chasse  du  paradis  de  délices 
et  les  condamne  au  travail,  aux  souffrances,  à  la  mort: 
un  immense  désespoir  dût  saisir  leur  âme  si  prompte- 
ment  coupable.  Mais  bientôt,  la  divine  bonté  vient 
sécher  leurs  larmes,  calmer  leur  effroi  et  les  fortifier 
par  l'espérance.  Je  mettrai, dit  le  Seigneur  au  serpent, 
des  inimitiés  entre  toi  et  la  femme,  entre  ta  postéri- 
té et  la  sienne;  un  jour  elle  V écrasera  la  tête.  Par  cet 
oracle  sorti  de  la  bouche  de  Dieu  même,  et  fondement 
de  tous  les  autres,  qui  dans  la  suite  des  temps  n'en 
seront  que  le  développement,  la  Sagesse  éternelle  pro- 
phétisait à  nos  infortunés  parents  leur  rédemption  fu- 
ture, par  l'entremise  d'une  femme  privilégiée  qui,  en 
enfantant  le  Réparateur  de  la  gloire  de  Dieu  et  le  Sau- 
veur des  hommes,  doit  briser  la  tête  de  leur  ennemi 
commun.  Or,  quelle  est  cette  femme  merveilleuse?  Si 
l'univers  chrétien  a  constamment  reconnu  le  Christ 
dans  cette  race  de  la  femme  destinée  à  détruire  l'em- 
pire du  démon,  la  Femme  promise  ne  peut  être  que  la 
Mère  du  Christ .  Voilà  donc  Marie  en  tête  du  nouveau 
combat  où  l'enfer  sera  terrassé,  comme  Eve  a  été  la 
première  dans  l'attaque  où  l'homme  a  succombé. 
Ainsi  fut  dévoilé  à  Marie  la  gloire  d'avoir  été  annoncée 
dès  l'origine  du  monde,  comme  devant  accomplir  avec 
Jésus  le  grand  œuvre  régénérateur  de  l' humanité  dé- 
chue. Après  cette  solennelle  promesse,  elle  devint, 
avec  son  Fils,  l'objet  de  l'espérance  et  des  brûlants 
désirs  de  nos  premiers  parents  et  de  leur  postérité. 
L  es  patriarches  la  montraient  à  leurs  enfants  comme 
l'astre  messager  de  ces  jours  de  salut    réservés    au 


2-22  REGIXA   PnOPHETARUM 

monde.  Abraham  plus  privilégié  reçoit  de  la  bouche 
de  Dieu  même  l'assurance  positive  que  la  Mère  du 
Messie  sortira  de  sa  race,  et  que  dans  ce  Fils  qu'elle 
doit  enfanter  seront  bénies  toutes  les  nations  de  la 
terre. 

A  mesure  que  les  siècles  se  déroulent,  les  prophéties, 
qui  la  regardent,  deviennent  et  plus  nombreuses  et 
plus  claires.  La  délicieuse  attente  d'un  Libérateur 
et  d'une  Femme  Libératrice  traverse  les  âges,  s'aug- 
mentant  par  les  prédications  successives  des  prophètes, 
comme  échelonnés  de  loin  en  loin,  pour  raviver  dans 
le  cœur  des  peuples  ce  consolant  espoir. 

Ainsi  David,  l'illustre  ancêtre  de  Marie,  en  trace  le 
portrait  avec  la  complaisance  de  l'amour  paternel .  Il 
nous  la  montre  oubliant  dès  ses  jeunes  années  son 
peuple  et  la  maison  de  son  père,  se  consacrant  au  Roi 
des  rois,  et  pour  prix  de  ce  généreux  sacrifice  conce- 
vant un  Fils  qui  sera  Dieu.  Il  a  distingué  son  vête- 
ment d'or,  relevé  par  de  riches  et  multiples  variétés  :  il 
l'a  vue  assise  comme  une  Reine  à  la  droite  du  Roi,  en- 
tourée des  filles  de  Tyr  et  de  Sidon,  qui  lui  apportent 
leurs  présents,  et  des  riches  de  la  terre  qui  viennent 
implorer  son  respect . 

Jérémie,  plongeant  dans  l'avenir  s'attendrit  sur  les 
douleurs  de  la  fille  de  Sion  ;  il  la  voit  blessée  au  cœur 
dans  ce  qu'elle  a  de  plus  cher,  oppressée  d'amertume  et 
déchirée  jusqu'au  fond  des  entrailles  ;  on  dirait  qu'il  a 
assisté  aux  scènes  du  Calvaire. 

Ecoutons  Isaïe  qui,  impatient  de  voir  le  jour  tant 
désiré,  demande,  aux  mies  de  pleuvoir  le  Juste,  et  à 
la  terre  de  s'ouvrir  pour  faire  enfui  germer  le 
Sauveur.  Puis  persant  par  son  intuition  prophétique 
l'espace  de  six  siècles,  il  entend  d'aussi  loin  la  voix  de 
l'Archange  apportant  la  parole  de  la  délivrance,  et  salue 


REG1NA   PitOPHETARUM  ^223 

d'un  mémo  cri  et  avec  un  même  enthousiasme  le  prodige 
inouï  d'une  Vierge  Mère  et  d'un  Dieu  fait  homme  : 
Ecce  virgo  concipiet...  et  vocabitur  Emmanuel. 
Qui  ne  voit  dans  cet  oracle  la  Vierge  Marie  avec  son 
caractère  miraculeux  et  exclusif  de  virginité  féconde  et 
de  maternité  virginale? 

Daniel  va  jusqu'à  compter  le  nombre  de  semaines, 
d'années  qui  doivent  s'écouler  avant  l'accomplissement 
de  cette  grande  merveille  :  et  comme  ses  devanciers  il 
parait  avoir  été  admis  aux  conseils  de  l'Eternel,  et 
publier  les  Mémoires  de  Marie  plutôt  que  crayonner 
son  avenir. 

C'est  ainsi  que  dans  la  Bible  sacrée,  comme  dans 
un  registre  ouvert,  chaque  Prophète  venait  inscrire  un 
mot,  une  page  que  l'on  prendrait  pour  l'histoire  anti- 
cipée du  divin  Rédempteur  et  de  sa  divine  Mère  plutôt 
que  pour  la  prédiction  du  grand  événement  qu'ils  doi- 
vent réaliser.  Ainsi  Marie  était-elle  vivante  dans  la 
foi  et  les  espérances  du  peuple  des  promesses,  comme 
depuis  son  apparition  au  monde  elle  est  vivante  dans 
notre  culte.  Pendant  quatre  mille  ans,  son  attente  en 
même  temps  que  celle  du  Messie  entra  dans  les  insti- 
tutions, les  usages,  les  cérémonies  religieuses,  les  cou- 
tumes même  nationales  de  ce  peuple,  chez  lequel  tout 
était  figure,  et  que  saint  Augustin  appelle  «  un  seul 
grand  Prophète.  » 

Cette  promesse,  ces  espérances  et  ces  désirs  sont 
maintenant  réalisés.  La  Femme  merveilleuse  qui  a 
tenu  en  suspens  l'amour  de  tous  les  siècles,  et  occupé 
une  si  large  place  dans  le  cœur  des  Prophètes,  est  en- 
fin connue.  Le  vieux  Testament  n'est  plus  un  livre 
scellé  :  Marie  nous  en  a  apporté  la  clef  ;  elle  a  déchiré 
le  voile  qui  en  couvrait  les  obscurités  mystérieuses. 
En  étudiant  dans  les  moindres  détails  toutes  les  pha- 


"2iï  REGINA   PROPHETARIM 

ses  de  son  existence,  le  rôle  sublime  qu'elle  a  rempli, 
et  en  les  rapprochant  des  prédictions,  on  est  forcé  d'y 
reconnaître  la  concordance  la  plus  parfaite  et  de  s'é- 
crier avec  Pascal  :  «  En  vérité,  toute  cette  enchâssure 
est  divine  î  » 

Morale  :  Oui,  croyons  fermement  à  un  fait  si  conso- 
lant pour  nos  cœurs.  Félicitons-nous  d'avoir  dans  la 
plénitude  de  la  réalité  Celle  que  les  prophètes  n'ont 
pu  que  prévoir  et  désirer.  Ils  n'avaient  que  le  demi- 
jour  de  la  vérité  et  comme  le  crépuscule  de  l'espérance, 
et  cependant  ils  aimaient  à  rafraîchir  leur  àme  par 
l'attente  de  cette  Vierge  Réparatrice,  ils  adoucissaient 
la  rigueur  et  l'ennui  de  leur  exil,  en  reposant  leurs 
regards  sur  le  jour  de  la  rédemption  dont  elle  annon- 
çait la  prochaine  arrivée.  Nous,  plus  heureux,  nous 
jouissons  de  sa  venue  et  de  ses  bienfaits,  nous  contem- 
plons ses  charmes  ravissants.  Vénérons  donc  de  tout 
près  Celle  qu'ils  n'entrevoyaient  que  dans  le  lointain  ; 
vivons  d'amour  pour  Marie,  comme  ils  vivaient  d'es- 
pérance. —  Un  voyageur  visitant  la  magnifique  cathé- 
drale dont  Florence  s'enorgueillit  à  bon  droit,  aperçut 
un  tableau  de  Marie,  qui  attira  surtout  son  attention . 
Frappé  des  attraits  divins  de  la  Mère  de  Dieu,  il  répé- 
tait sans  cesse  qu'une  des  choses  qui  lui  inspiraient  le 
plus  d'horreur  pour  l'enfer,  c'est  qu'on  y  était  à  jamais 
séparé  de  la  présence  de  la  Vierge,  dont  une  ombre 
l'avait  transporté  hors  de  lui-même.  Qu'était,  cepen- 
dant, ce  portrait,  auprès  de  l'admirable  original  qui 
est  dans  les  deux  !  Et  si  les  Patriarches  et  les  Prophè- 
tes qui  ne  l'ont  vue  que  dans  les  obscurités  de  l'avenir, 
l'ont  néanmoins  tant  désirée,  combien  encore  une  fois 
devons-nous  l'aimer,  nous  qui  en  connaissons  les  ravis- 
santes beauté 

Non,  vous  n'êtes  plus  pour  nous  un  objel  d'attente, 


REGINA  PROl'HETAltUM  225 

auguste  Vierge,  vous  êtes  une  Mère  véritable,  une 
Reine  à  tous.  Du  haut  de  votre  trône,  vos  bras  nous 
sont  ouverts,  vos  yeux  veillent  sur  nous,  votre  cœur 
nous  est  un  asile.  Continuez-nous  une  protection  qui 
nous  réunisse  et  nous  fixe  avec  vous  dans  les  immua- 
bles réalités  du  bonheur  éternel. 

Pratique  :  Remercions  souvent  le  Seigneur  d'être 
nés  dans  le  sein  de  l'Eglise  catholique,  où,  entre  autres 
avantages,  nous  avons  celui  de  connaître  et  de  pouvoir 
prier  la  très  sainte  Vierge . 

EXEMPLES 

HEUREUX    EFFETS  DU    SOUVENIR    DE    MARIE       . 

Je  fus  mandé,  racontait  un  missionnaire,  par  un 
homme  déjà  âgé,  dont  la  vie  n'avait  été  qu'un  long 
tissu  de  désordres  et  de  scandales.  A  peine  étais-je 
arrivé,  qu'il  se  jette  à  mes  pieds,  en  me  disant  :  Vous 
voyez,  Monsieur,  un  pécheur  abominable,  sauvez-le  ! 
—  Je  le  rassure  de  mon  mieux,  et  lui  demande  ce  qui 
a  pu  éveiller  en  lui  ces  sentiments  ?— Je  l'ignore  absolu- 
ment, me  répondit-il.  —  Avez-vous  pu  suivre  nos  ins- 
tructions ?  —  Pas  du  tout,  j'étais  retenu  au  lit  ;  et  quand 
même...—  Vous  alliez,  sans  doute,  quelquefois  aux  of- 
fices? —  Jamais.  —  Quelque  ami  mieux  pensant  vous 
aurait-il?...  —  Des  amis,  je  n'en  ai  point,  et  je  les 
eusse  choisis  selon  mes  principes.  —  Suspendant  mes 
questions,  je  réfléchissais,  lorsque  mes  yeux  aperçoivent 
un  tableau  de  la  sainte  Vierge.  —  Quoi  !  m'écriais-je, 
un  tel  tableau  chez  vous  ?  —  Eh  oui  !  Monsieur,  reprit 
le  vieillard  ;  et  même  je  n'ai  respecté  que  cela  ;  chaque 
jour,  pour  toute  prière,  je  saluais  cette  image  en  réci- 
tant un  Ave  Maria,  par  respect  pour  les  dernières 
volontés  de  ma  mère.  —  Ah  !  cher  ami,  lui  dis-je  tout 
ému,  réjouissez-vous:  c'est  à  Marie,  n'en  doutez  pas. 


226  REGI X A   PROPHETARIM 

c'est  à  ce  faible  tribut  de  respect  pour  elle  que  vous 
devez  votre  conversion . 

—  Un  prince  idolâtre  résistait  à  toutes  les  instances 
d'un  missionnaire  ;  rien  ne  pouvait  amollir  son  cœur, 
le  tourner  vers  Dieu  ;  et  l'apôtre  découragé  ne  savait 
plus  à  quel  moyen  recourir.  Il  lui  vint  en  pensée  de 
mettre  sous  les  yeux  du  roi  l'image  de  la  Vierge  qu'il 
portait  avec  lui.  A  cette  vue,  l'infidèle  s'attendrit  ;  il  ne 
connait  pas  encore  le  Dieu  du  ciel  ;  mais  en  voyant 
cette  divine  Mère  qui  sourit  à  son  enfant,  il  comprend 
que  la  religion  qu'on  lui  annonce  doit  être  une  loi 
d'amour  et  de  clémence  ;  il  tombe  à  genoux  devant 
cette  image,  et  se  relève  chrétien. 

ARTICLE  SECOND 
Marie  figurée  dans  l'ancien  Testament. 

Tout,  chez  la  nation  juive,  ses  institutions,  ses  sa- 
crifices, ses  cérémonies,  ses  grands  hommes,  ses  édi- 
fices même,  était  l'ombre  de  l'avenir,  la  figure  de  ce 
qui  devait  être  dans  le  Christianisme.  Ainsi,  la  loi  de 
Moïse  figurait  la  loi  du  Christ  ;  les  sacrifices  sanglants, 
celui  de  la  Croix  ;  l'Arche  sainte  et  le  Temple  étaient 
l'image  de  nos  temples  ;  Abel  représentait  l'innocence 
du  Dieu  Sauveur  ;  Melchisédech,  son  sacerdoce  ;  Jo- 
seph, sa  sagesse  :  Jouas,  sa  résurrection  :  ainsi  se 
dessinait  d'avance  la  figure  de  Jésus-Christ.  «  Mais, 
dit  saint  Bernard,  si  l'Ecriture  montre  partout  le  Fils, 
elle  n'a  pas  oublié  la  Mère,  par  laquelle  le  Verbe  s'est 
fait  chair,  et  qui  coopéra  si  activement  à  l'œuvre  de 
la  Rédemption.  »  Dès  l'origine  des  siècles,  la  terre 
entière  est  occupée  de  Marie  :  nous  l'avons  vue  pro- 
mise à  Adam  après  la  chute,  ardemment  désirée  par 
les  patriarches,  prédite  par  les  Prophètes  conjointe- 
ment  avec    son    Fils  :    maintenant    contemplons  les 


UEG1NA   l'ROPHETARUM  2*27 

nobles  Figures  de  son  sexe  qui  l'ont  représentée.  Elles 
forment  comme  une  longue  galerie  commençant  à  Eve 
et  venant  aboutir  à  Marie,  en  qui  se  résument  tous 
leurs  traits  divers.  Soulevons  un  moment  le  voile  qui 
les  couvre,  et  nous  verrons  que  toutes  ces  femmes 
fur l.s,  ces  mères  illustres,  ces  veuves  désolées,  ces 
reines  majestueuses,  que  nous  pourrions  appeler  les 
aïeules  de  la  Vierge,  n'étaient  que  comme  les  plans 
en  relief  de  ce  Temple  magnifique  que  devait  se  bâtir 
la  Sagesse  éternelle. 

Le  premier  personnage  qui  se  présente  à  nous,  c'est 
la  mère  des  humains,  figurant  Marie  par  ressem- 
blance et  par  opposition.  —  Eve,  dit  saint  Irénée, 
vierge  encore  lorsque  le  démon  lui  parle  ;  Marie, 
Vierge  à  l'arrivée  de  l'Ange,  et  toujours  Vierge  en 
concevant  le  Christ.  —  Eve,  écoutant  l'esprit  de 
ténèbres,  pour  se  laisser  séduire  ;  Marie,  croyant  à 
Gabriel,  pour  nous  sauver  avec  elle.  —  Eve  vaincue 
par  le  serpent  ;  Marie,  lui  écrasant  la  tète.  —  Eve, 
prodige  d'orgueil  et  de  révolte  ;  Marie,  miracle  d'hu- 
milité et  d'obéissance.  —Eve,  introduisant  la  mort 
dans  le  monde  ;  Marie,  y  ramenant  la  vie.  —  Eve, 
s'associant  Adam  pour  la  prévarication  ;  Marie,  asso- 
ciée à  Jésus  pour  l'expiation.  —  Qui  ne  voit  entre  ces 
deux  femmes  si  diversement  fameuses,  des  rapports 
que  le  ciel  seul  a  pu  dessiner  ? 

Après  Eve,  qui  parait  au  berceau  du  monde,  se 
montre  Sara,  à  la  naissance  du  peuple  des  promesses. 
Sara,  type  aussi  très  expressif  de  Marie,  par  son  nom 
d'abord,  qui  signifie  Souveraine  ;  puis  par  sa  fécondité 
miraculeuse.  Sara,  malgré  la  double  stérilité  de  la 
nature  et  de  l'âge,  met  au  monde  un  fils  unique,  et 
devient  la  mère  d'une  postérité  plus  nombreuse  que 
les  étoiles  du  ciel  :    Marie,   féconde    nonobstant  son 


228  REGIS  A   PROPHETARUM 

vœu  de  virginité  et  contrairement  à  toutes  lois  de  la 
nature,  devient,  par  Jésus,  Mère  et  Reine  de  toutes 
les  générations  à  venir.  L'une  et  l'autre  ont  cru  à 
l'Ange  qui  leur  annonçait  un  fils.  Isaac  Lui-même 
figure  la  grande  Victime  qui  gravira  la  même  mon- 
tagne, portant  aussi  le  bois  de  son  sacrifice,  mais  qui 
ne  demandera  pas  où  est  la  victime  de  l'holocauste. 

Une  autre  figure  de  l'ère  patriarchale,  c'est  Rébecca. 
Rébecca,  modèle  de  sagesse,  sapiens  ut  Rebecca  /Ma- 
rie, Trône  de  la  sagesse.  Rébecca,  brillante  de  tous  les 
charmes  de  la  nature  :  Marie,  belle  des  dons  bien  au- 
trement précieux  de  la  grâce .  Rébecca,  choisie  parle 
plus  fidèle  serviteur  d'Abraham  pour  être  l'épouse 
d'Isaac  :  Marie,  à  qui  Dieu  députe  le  premier  des 
archanges  pour  lui  annoncer  la  maternité  divine.  Ré- 
becca, mère  de  Jacob,  l'héritier  des  promesses  ;  Marie, 
enfantant  Jésus  l'accomplissement  de  ces  mêmes  pro- 
messes .  Ce  tableau  précurseur  de  la  Vierge-Mère  ne 
semble-t-il  pas  achevé  dans  toutes  ses  parties  ? 

Cependant  pour  le  rendre  plus  complet,  citons  en- 
core Rachel.  dont  le  nom.  AmaMlis,  exprime  la  dou- 
ceur et  les  charmes.  Rachel.  triste  et  solitaire  au 
foyer  de  Jacob  :  Rachel.  dont  Dieu  n'exauce  qu'après 
de  longues  années  la  prière  d'être  mère,  et  devenant 
ensuite  par  la  perte  de  son  enfant,  l'expression  de  la 
plus  inconsolable  des  douleurs .  A  tous  ces  traits,  qui 
n'a  reconnu  Marie  ignorée,  et  dont  les  jours  ont  été  si 
traversés  par  l'épreuve  et  la  souffrance?  Rachel 
encore,  mère  du  Sauveur  de  l'Egypte,  et  Marie,  Mère 
du  Sauveur  du  monde,  vrai  Joseph  qui,  vendu  par  ses 
frères,  leur  a  ensuite  pardonné,  les  a  nourris,  enrichis 
et  sauvés  de  la  captivité  et  de  la  mort. 

Dans  la  vaillante  Débora,  prophétesse  et  juge 
d'Israël,  qui.  voyani  la  détresse  de  son  peuple,  n'hésite 


REGINA   PROPHETARUM  229 

point  à  quitter  le  palmier  sous  lequel  elle  conciliait 
les  différents,  pour  accompagner  son  fils  au  combat, 
et  remporte  sur  l'ennemi  une  éclatante  victoire,  peut- 
on  ne  pas  reconnaître  Marie,  plus  que  Prophétesse, 
assise  dans  le  temple  séjour  de  paix  et  de  concorde, 
et  montant  sur  le  Calvaire  avec  Jésus,  ce  Géant  invin- 
cible, qui  ne  veut  pas  combattre  sans  l'avoir  à  ses 
côtés,  et  terrasse  le  redoutable  ennemi  du  genre 
humain . 

Et  Judith,  cette  noble  femme,  la  plus  irréprochable 
de  toutes  les  veuves,  victorieuse  d'Holoferne,  et  pro- 
clamée la  libératrice  d'Israël,  la  joie  et  l'honneur  de 
la  nation,  n'est-ce  pas  trait  pour  trait  Marie  sur  la 
terre  et  au  ciel  ? 

Dans  ce  tableau  de  femmes  illustres,  types  figura- 
tifs de  Marie,  pourrions-nous  oublier  le  nom  d'JEslher, 
qui  vient  dignement  les  couronner  ?  Esther,  idéal  de 
la  beauté,  vierge  jusque-là  ignorée,  attire  sur  elle  les 
regards  du  plus  puissant  des  rois  qui  l'a  fait  asseoir  à 
sa  droite  sur  le  trône  de  Vasthi  rejetée  pour  avoir 
désobéi  à  son  Seigneur  ;  Esther,  obtient  d'Assuérus  la 
révocation  de  redit  porté  contre  son  peuple,  fait  atta- 
cher à  la  potence  l'orgueilleux  Aman,  et  sauve  avec 
Mardochée  toute  la  nation  juive.  0  Marie,  Vierge  par 
excellence,  inconnue  de  tout  Israël,  c'est  ainsi  que, 
aj'ant  plu  au  Seigneur,  vous  en  reçûtes  le  titre  de 
Reine  de  l'univers  qu'Eve  avait  perdu  par  sa  prévari- 
cation ;  vous  déjouâtes  les  trames  de  l'enfer,  et  ob- 
tîntes Une  sentence  de  grâces  en  faveur  de  votre  peuple  ! 

Que  ces  harmonies  sont  ravissantes!  Quelle  remar- 
quable identité  entre  ces  héroïnes  judaïques  et  Marie, 
réunissant  tous  les  traits  divers  qui  les  ont  caracté- 
risées !  Oui,  dans  sa  personne  se  reflète,  comme  dans 
un   miroir,    tout  ce  que  ces  célèbres  existences  ont 


2'M)  REGINA   PROPHETA1UM 

offert  à  l'admiration  de  leurs  contemporains.  Et  cha- 
cune de  ces  allégories  animées  étail  comme  une  pa- 
role d'espérance,  que  le  ciel  laissait  tomber  dans  le 
cœur  des  peuples,  pour  y  entretenir  l'attente  de  la 
rédemption  future. 

.Même  au  sein  des  nations  idolâtres  et  sauvages,  on 
retrouve  vivante  la  tradition  d'une  Vierge  qui  devra 
donner  naissance  à  un  grand  Libérateur.  Au  milieu 
de  ce  cahos  d'erreurs  et  de  vices  qui  constituaient  le 
Paganisme ,  deux  grandes  croyances  surnageaient 
étroitement  liées,  la  croyance  à  un  Messie  futur  et  à 
une  Vierge  qui  devait  être  sa  mère:  croyances  bien 
vagues,  il  est  vrai,  revêtues  de  formes  différentes,  et 
mélangées  de  beaucoup  d'erreurs  et  de  superstitions, 
mais  dans  lesquelles  on  reconnaît  facilement  un  reste 
altéré  de  la  tradition  des  premiers  âges  :  les  hommes 
ayant  tous  une  même  origine  avaient  emporté  la 
même  foi  en  se  dispersant  sur  la  terre. 

Morale  :  Et  pourquoi  donc  Dieu  voulut-il  sauver 
du  grand  naufrage  des  vérités  primordiales  ce  point 
fondamental  de  la  religion  primitive  ?  Pourquoi  veil- 
lait-il avec  un  soin  si  délicat  à  sa  conservation  ? 
Cétait  pour  préparer  les  hommes  à  la  venue  de  son 
divin  Fils,  et  pour  donner  à  Marie,  sa  Mère,  une  gloire 
à  laquelle  rien  ne  manquât.  Quelle  grandeur,  en  effet, 
d'avoir,  avant  de  naître,  vécu  des  milliers  d'années 
dans  la  foi  et  le  désir  rie  l'univers  entier,  là  même  où 
s'était  perdue  la  connaissance  du  seul  vrai  Dieu,  là  où 
la  terre  se  souillait  des  crimes  les  plus  abominables  ! 
Quel  héros  s'honore  d'avoir  ainsi  préexisté  dès  l'ori- 
gine et  sur  tous  les  points  du  monde  ? 

Vous  seule,  ô  Marie,  avec  Jésus,  avez  ainsi  vécu  et 
par  le  plu-  brillant  côté  de  votre  mission  sublime, 
dans  la   pensée  des    âges?   Vous    deviez    en    eela   être 


TIEfiINA   PROPHETAKUM  231 

associée  à  votre  Fils,  comme  vous  participâtes  à  toutes 
les  phases  de  sa  vie  et  à  sa  mort  sur  le  Calvaire, 
comme  aujourd'hui  encore  vous  partagez  au  ciel  et 
sur  la  terre  sa  gloire  et  sa  puissance.  Ah  !  que  nous 
devons  être  fiers  d'avoir  une  telle  Reine  !  Si  dans  le 
monde  l'ancienneté  d'origine,  la  noblesse  de  famille, 
les  hauts  faits  et  les  vertus  éclatantes  des  ancêtres  sont 
aux  descendants  un  sujet  d'orgueil  et  de  gloire  ;  nous, 
chrétiens,  loin  de  rougir  d'appartenir  à  Marie,  ne  de- 
vons-nous pas  être  saintement  orgueilleux  de  former 
sa  famille,  de  compter  parmi  ses  enfants  ?  Marchons 
donc  sous  ses  étendards  avec  une  sainte  liberté  et  une 
religieuse  indépendance. 

0  très  sainte  Vierge,  non-seulement  je  m'en  ferai 
honneur,  mais  tout  mon  désir  serait  qu'il  n'y  eût  pas 
sur  la  terre  un  seul  esprit  qui  ne  se  courbât  devant 
vous,  pas  un  cœur  qui  vous  ne  aimât,  pas  une  bouche 
qui  ne  publiât  vos  grandeurs,  pas  un  genou  qui  ne 
fléchît  à  vos  pieds,  pas  une  douleur  ni  un  besoin  dont 
le  cri  ne  montât  jusqu'à  vous.  Puissé-je  du  moins, 
pour  ma  part,  vous  aimer  et  vous  honorer  autant  que 
vous  en  êtes  digne  ! 

Pratique  :  Visiter  les  églises  consacrées  à  la  sainte 
Vierge  :  saint  Henri,  empereur,  et  saint  Vincent  de 
Paul  avaient  pour  habitude,  en  entrant  dans  une  ville, 
d'aller  d'abord  offrir  leur  hommage  à  Marie,  au  pied 
de  ses  autels.  Il  faut ,  pour  l'honorer  ,  se  mettre  au- 
dessus  de  tout  respect  humain . 

EXEMPLES 

BEAUX   DÉVOUEMENTS   POUR   LA  SAINTE   VIERGE. 

Il  y  a  quelques  années,  un  élève  de  l'Ecole  poly- 
technique trouve  un  chapelet  dans  une  des  salles.  In- 
digné à  la  pensée  que  dans  l'illustre  Ecole  on  puisse 


2M"2  REGINA    PROPHETARUM 

réciter  cette  humble  prière,  il  réunit  ses  amis,  leur 
fait  part  de  la  découverte,  et  tous  jurent  de  faire  bonne 
justice  d'une  pareille  superstition.  En  effet,  le  mot 
d'ordre  est  donné  :  après  un  des  exercices,  on  se  ras- 
semble dans  la  cour  ;  le  chapelet  est  attaché  à  la  bran- 
che d'un  arbre,  et  l'élève  qui  l'a  trouvé  s  écrie  sur  le 
ton  de  la  plus  insolente  raillerie  :  «  Que  celui  de  nos 
chers  camarades  qui  a  perdu  son  chapelet,  vienne  le 
prendre.  »  Tous  gardent  un  profond  silence  ;  mais  on 
voit  s'avancer  noblement  un  jeune  étudiant,  proclamé 
naguère  le  premier  numéro  sortant  de  l'Ecole;  il  va 
prendre  tranquillement  le  chapelet,  et  s'adressant  à 
celui  qui  l'a  défié  :  «  Merci,  mon  cher  ami  !  en  restant 
chrétien,  je  ne  crois  pas  avoir  déshonoré  l'Ecole.  » 
Bravo  !  s'écrie-t-on  de  tous  les  rangs  ;  bravo  !  c'est 
avoir  du  courage  !....  Le  Directeur,  témoin  de  cette 
scène  va  prendre  la  main  à  ce  vaillant  soldat  de  Jésus- 
Christ,  et  lui  dit  avec  une  profonde  émotion  :  «  Bravo  ! 
mon  ami  ;  quand  on  sait  ainsi  défendre  ses  convictions 
et  sa  foi,  on  saura  servir  son  pays,  on  saura  mourir 
pour  sa  patrie  !  » 

—  Sous  le  règne  de  François  Ier,  quelques  luthé- 
riens iconoclastes  avaient  porté  leur  haine  contre  la 
sainte  Vierge  jusqu'à  briser  sa  tête  et  aussi  celle  de 
l'Eiifant-Jésus,  à  une  statue  placée  sur  la  façade  d'une 
maison.  L'indignation  fut  générale  ;  et  le  roi  lui-même 
ne  rougit  pas  de  tirer  une  vengeance  éclatante  de  cette 
sacrilège  profanation,  D'abord,  il  promit  une  somme 
de  mille  écus  à  celui  qui  en  découvrirait  les  auteurs  : 
de  plus,  il  rit  faire  en  argent  une  autre  statue  sembla- 
ble., Et  le  13  juin  1528,  entouré  des  princes  du  sang, 
de  tous  les  corps  du  royaume,  après  une  messe  solen- 
nelle, en  présence  du  chapitre  de  Paris  et  de  plusieurs 
évéques,  il  accompagna,  à  pied,  un  cierge  à  la  main. 


REGINA    APOSTOLORUM  V'M 

la  procession  expiatoire,  où  Ton  portait  la  sainte  image. 
Arrivé  sur  le  lieu  du  crime,  il  la  plaça  lui-même  dans 
sa  niche,  après  l'avoir  baisée  respectueusement,  et 
pria  pendant  quelque  temps  à  ses  pieds,  non  sans 
avoir  répandu,  pendant  toute  la  cérémonie,  de  douces 
larmes  qui  complétaient  les  autres  témoignages  de  sa 
foi  et  de  sa  tendre  dévotion.  —  Après  de  si  nobles 
exemples,  on  est  bien  encouragé  à  ne  pas  rougir  d'ho- 
norer la  sainte  Vierge. 


CHAPITRE  XLIII 


REINE  DES  APOTRES. 

La  cour  céleste  se  compose  de  trois  classes  bien  dis- 
tinctes, qui  ne  forment  qu'une  seule  famille ,  n'ont 
qu'un  même  sentiment,  l'amour  de  Dieu,  une  même 
occupation,  celle  de  le  louer  sans  cesse.  La  première 
classe  est  celle  des  anges,  purs  esprits  qui  n'habitèrent 
jamais  notre  monde.  La  seconde  est  celle  des  justes  de 
l'ancienne  Loi,  et  principalement  des  patriarches  et 
des  prophètes,  qui  par  la  vivacité  de  leur  foi,  l'ardeur 
de  leur  espérance  et  une  régularité  de  conduite  remar- 
quable, méritèrent  au  céleste  séjour  une  place  distin- 
guée. La  troisième  comprend  les  saints  de  la  loi  nou- 
velle, à  la  tête  desquels  sont  les  Apôtres,  qui  ont  vu  de 
leurs  yeux  le  Sauveur,  ont  recueilli  de  sa  propre  bouche 
les  oracles  de  son  infinie  sagesse,  les  ont  ensuite  portés 
dans  tout  l'univers  et  scellés  de  leur  sang.  Après  de  si 
généreux  travaux,  le  front  ceint  d'immortelles  couron- 
nes, ils  se  reposent  sur  douze  trônes  de  gloire  près  du 
Christ,  leur  divin  Maître.  Mais  Marie  siège  sur  un 
trône  beaucoup  plus  élevé  et  plus  radieux. 

PARAPHRASE.    —   T.  II.  14 


234  REGIXA  APOSTOLORUM 

I.  Parce  qu'elle  les  a  surpassés  sur  la  terre  en  fidé- 
lité, en  zèle,  en  science  ; 

II.  Parce  qu'elle  a  contribué  avec  eux  et  même  plus 
qu'eux  à  la  formation  de  l'Eglise. 

I.  Marie  surpassa  les  Apôtres,  d'abord  en  fidélité 
à  l'égard  de  son  divin  Fils.  —  Dans  le  cours  de 
sa  passion,  je  cherche  en  vain  les  Apôtres  ;  tous,  à  l'ex- 
ception d'un  seul,  l'ont  abandonné,  et  si  saint  Pierre 
reste  présent,  c'est  pour  le  renier.  Mais  Marie  alors 
se  trouve  là  :  aussitôt  qu'elle  sait  Jésus  entre  les  mains 
de  ses  bourreaux,  elle  accourt  à  sa  rencontre  et  ne  le 
quittera  plus  :  rien  ne  peut  l'arracher  à  ce  cruel  spec- 
tacle, et  s'il  l'eût  fallu,  elle  aurait  de  grand  cœur  joint 
le  sacrifice  de  sa  vie  au  sacrifice  offert  par  son  Fils  : 
c'est  bien  là  être  fidèle  jusqu'à  la  mort. 

Supérieure  aux  Apôtres  par  son  courage  et  sa  fidé- 
lité, Marie  le  fut  encore  par  son  zèle  à  faire  connaître 
Jésus- Christ ,  même  avant  sa  naissance.  Car ,  il  est 
bien  permis  de  croire  qu'un  des  buts  de  sa  visite  si 
empressée  à  sa  cousine  Elisabeth,  fut  de  procurer  à 
l'enfant,  que  celle-ci  portait,  la  connaissance  de  Celui 
dont  il  devait  être  le  Précurseur.  Et,  lorsque  plus  tard 
Jésus  aura  commencé  de  s'annoncer  pour  Je  Messie, 
si  Marie  sollicite  son  premier  miracle  aux  noces  de 
Cana,  ce  n'est  point  seulement  par  un  sentiment  de 
charité  envers  les  époux  qui  manquaient  de  vin,  c'est 
aussi  pour  que  ce  fait  miraculeux,  proclamant  tout 
haut  la  divinité  de  Jésus,  lui  attire  des  croyants  :  et 
alors  encore,  ne  fut-elle  pas  Apôtre  par  excellence,  en 
disant  aux  serviteurs  :  Faites  tout  ce  que  mon  Fils 
vous  dira  ?  Il  était  venu  sur  la  terre  non-seulement 
pour  nous  rouvrir  le  ciel,  mais  encore  pour  nous  mon- 
trer le  véritable  chemin  qui  y  conduit,  et  nous  poser 
:idilions  auxquelles  on  le  gagnera.  Or,  Marie,  par 


RBGINA  APOSTOLORUM  *1X> 

ces  paroles  prononcées  au  début  de  la  vie  publique  de 
Jésus-Christ,  nous  donne  à  tous  l'avertissement  salu- 
taire, que  dans  cette  soumission  parfaite  à  sa  volonté 
consiste  tout  l'esprit  du  Christianisme. 

C'est  aussi  par  la  science  des  choses  divines  que 
Marie  l'emporta  sur  les   Apôtres.  Jusqu'au  jour  de 
leur  vocation,  occupés  uniquement  des  besoins  de  la 
vie  matérielle  et  des  moyens  d'y  pourvoir,  ils  n'avaient 
eu  ni  le  temps,  ni  la  facilité  de  développer  leur  intel- 
ligence; et,  quoique  formés  ensuite  pendant  trois  ans 
à  l'école  du  divin  Maître,  ils  en  avaient  souvent  reçu 
le  reproche  de  pesanteur  d'esprit.  Marie,  au  contraire, 
dès  le  moment  de  sa  Conception,  fut  privilégiée,  selon 
de  graves  auteurs,  d'une  raison  très  avancée  et  d'une 
mesure  de  science  qui  alla  toujours  croissant,  surtout 
quand  elle  eut  renfermé  dans  son  sein  le  grand  Doc- 
teur de  toutes  choses.  «  Cette  fontaine  de  la  divine 
sagesse,  .dit  Denys-le- Chartreux,  venant  à  déborder, 
pour  ainsi  parler,  de  son  lit  éternel,  sur  qui  d'abord 
devait-elle  s'épancher,  si  ce  n'est  sur  sa  Mère?  Qui 
devait-elle  inonder  plus  abondamment  que  sa  Mère  ?  » 
Et  pendant  ces  longues  années  qu'elle  passa  avec  Celui 
qui  est  toute  science,  que  ne  dut-elle  pas  acquérir, 
attentive  qu'elle  était  à  recueillir  et  à  conserver  dans 
son  cœur  toutes  les  paroles  de  sa  bouche  !  Aussi  saint 
Léon  l'appelle  «  le  plus  élégant  volume  des  pages  du 
Verbe  divin.  »  Et  saint  Ambroise  ne  s'étonne  nulle- 
ment que  saint  Jean  se  soit  élevé,  comme  un  aigle,  si 
fort  au-dessus  des  autres  Evangélistes,  attendu  qu'il 
avait  étudié  si  longtemps  à  l'école  de  Marie.    Cette 
supériorité  de  science  et  de  lumières  était  déjà  un  titre 
à  devenir  la  présidente  et  comme  l'institutrice  du  Col- 
lège des  Apôtres,  et  la  Reine-Mère  de  toute  l'Eglise 
qu'ils  allaient  fonder.  En  effet, 


236  MEfilNA  APOSTOLORUM 

II.  Elle  contribua  avec  eux  et  même  plus  qu'eux 
à  l'établissement  de  la  religion,  à  la  formation  de 
l'Eglise  naissante.  —  A  peine  revêtus  de  la  force  d'en 
haut,  au  jour  de  la  Pentecôte,  les  Apôtres  s'élancent 
dans  l'arène  pour  combattre  les  erreurs  et  les  désor- 
dres du  vieux  inonde.  Bientôt,  au  son  de  leur  parole 
les  terres  auparavant  stériles,  arrosées  de  leurs  sueurs, 
et  plus  tard  engraissées  de  leur  sang,  produisent  une 
riche  moisson  de  chrétiens.  L'Eglise  de  Jésus-Christ, 
victorieuse  de  tous  les  obstacles,  s'élève  sur  les  ruines 
du  Judaïsme  et  du  Paganisme  :  et  c'est  là  le  plus 
beau  triomphe  qui  se  soit  jamais  vu,  mais  dans  lequel 
une  large  part  revient  à  la  Vierge  Marie . 

En  effet,  si  après  l'Ascension  les  bienséances  de  son 
sexe  et  sa  profonde  humilité  ne  lui  permettent  pas 
d'aller  par  le  monde  faire  connaître  Jésus-Christ,  elle 
n'y  aida  pas  moins  en  toute  manière  et  même  plus 
que  les  Apôtres.  D'abord  au  Cénacle,  à  la  tète  de  cette 
vénérable  Assemblée,  n'avait-elle  point,  par  l'ardeur 
et  la  continuité  de  ses  prières,  attiré  sur  eux  les  dons 
du  Saint-Esprit  ?  Lorsque  ensuite  ils  seront  sur  le 
champ  de  bataille,  Marie  dans  la  sollitude,  comme  un 
autre  Moïse,  élèvera  ses  mains  vers  l'auteur  de  tout 
don,  et  par  les  grâces  obtenues  elle  contribuera  à  la 
conversion  du  monde,  autant  que  les  Apôtres  par  la 
sainteté  de  leur  vie  et  la  force  de  leurs  paroles.  Ses 
sublimes  vertus  aussi,  quittaient  un  Evangile  vivant, 
et  la  copie  fidèle  de  son  divin  Fils,  montraient  en  ac- 
tion la  doctrine  que  prêchaient  les  Apôtres. 

A  cette  bonne  odeur  des  vertus  elle  joignait  la 
lumière  de  ses  instructions,  la  sagesse  de  ses  conseils. 
Elle  était  l'oracle  de  l'Eglise  naissante,  le  guide  et  le 
flambeau  des  Apôtres  et  des  fidèles.  C'était  près  d'elle 
qu'ils  se  faisaient  un  bonheur  et  un  devoir  de  venir 


REGINA    APOSTOLORUM  237 

s'éclairer  dans  leurs  doutes ,  se  décider  dans  leurs 
embarras,  se  ranimer  dans  leur  découragement,  se 
consoler  dans  leurs  peines,  réchauffer  leur  zèle  pour 
le  salut  des  âmes,  s'encourager  au  martyre.  Telle  fut 
l'occupation  de  la  sainte  Vierge  durant  le  reste  de  sa 
vie,  vingt-cinq  ans  environ  ;  vie  d'apostolat  continuel. 
C'était  la  Femme  forte,  qui  gouvernait  la  maison  en 
place  de  Y  Epoux .  Si  donc  elle  vécut  longtemps  après 
Jésus  remonté  au  ciel,  c'est  qu'il  voulait  donner  à  son 
Eglise  encore  au  berceau,  une  mère  pour  la  nourrir 
et  l'élever,  un  modèle  pour  la  former,  une  maîtresse 
pour  l'instruire  et  la  diriger  :  c'est  qu'il  fallait  l'ombre 
tutélaire  de  cette  auguste  Vierge  à  ce  petit  grain  de 
sénevé,  pour  germer,  prendre  racine,  grandir,  et  de- 
venir cet  arbre  aux  rameaux  étendus  qui  couvre  main- 
tenant tout  l'univers  de  son  ombre  bienfaisante. 

Morale  :  Mais  qu'il  ne  vous  suffise  pas  d'admirer 
ce  zèle  si  empressé  de  Marie  pour  la  religion  de  Jésus- 
Christ.  Puisez-y,  chrétiens,  une  sainte  émulation  à 
continuer  cette  grande  œuvre  de  la  sanctification  des 
hommes,  qui  demande  le  concours  de  tous.  Sachez 
bien  que  sans  être  par  état,  apôtres,  prédicateurs, 
pasteurs,  vous  avez  aussi  un  genre  d'apostolat  à  exer- 
cer. Ne  pensez  pas  que  le  devoir  de  travailler  au  salut 
des  âmes  n'incombent  qu'aux  seuls  pasteurs  :  chacun 
le  doit  dans  l'étendue  de  son  pouvoir  :  imicuique  enim 
mandavit  Deas  de  proximo  suo.  Vous  vous  croiriez 
coupables,  si  voyant  un  animal  près  de  périr  vous  ne 
lui  portiez  secours  ;  mais  une  âme  que  Jésus-Christ  a 
estimée  jusqu'à  répandre  pour  elle  son  sang,  et  qu'il 
destine  à  régner  éternellement  au  ciel,  serait-elle  donc 
sous  vos  yeux  d'un  moindre  prix  ?  Pour  peu  que  vous 
ayez  encore  d'amour  pour  Dieu  et  de  charité  pour  vos 
frères,    dispositions    indispensables   à    un   chrétien, 


238  REGI N A   APOSTOLOIU'M 

pourrez-vous  voir  d'un  œil  sec,  et  sans  y  porter  re- 
mède, Dieu  outragé  et  une  âme  qui  se  perd?  Qu'un 
membre  du  corps  ressente  quelque  douleur,  reçoive 
la  moindre  blessure,  tous  les  autres  viennent  à  son 
secours  ;  chacun  s'empresse  de  lui  prêter  son  ministère 
pour  le  soulager  ou  le  guérir.  Même  compassion,  même 
sollicitude,  même  activité  de  la  part  d'une  famille,  s'il 
arrive  que  l'un  d'eux  soit  frappé  d'un  malheur  quel- 
conque. N'est-ce  donc  que  pour  la  grave  question  de 
biens  ou  de  maux  éternels,  et  dans  la  grande  famille 
chrétienne,  qu'il  sera  permis  de  rester  indifférent  ? 
Sauver  une  àme,  la  préserver  du  péché  ou  l'en  retirer, 
n'est-ce  pas  l'acte  le  plus  parfait  de  dévouement  pour 
Dieu  et  pour  le  prochain  ?  «  C'est,  dit  saint  Denys,  de 
toutes  les  œuvres  la  plus  divine.  » 

Pour  atteindre  un  si  noble  but,  vous  avez  en  main 
plusieurs  moyens  aussi  faciles  qu'efficaces,  des  prières 
ferventes,  et  souvent  renouvelées,  l'assistance  à  la 
sainte  Messe,  l'action  d'une  douce  remontrance,  d'un 
avis  charitable,  d'un  sage  conseil  donné  à  propos,  et 
par-dessus  tout  la  force  du  bon  exemple,  qui  est  plus 
puissant  qu'une  bonne  parole  pour  toucher  les  cœurs. 
Il  est  impossible  de  ne  pas  respirer,  une  fois  ou  l'autre, 
le  parfum  qui  s'échappe  d'un  exemple  édifiant.  C'est 
une  leçon  muette,  mais  dont  le  sens  vivement  exprimé 
ne  se  perd  jamais,  et  qui  est  d'autant  plus  persuasive, 
qu'en  rappelant  à  un  devoir  elle  en  applanit  les  diffi- 
cultés sans  froisser  l' amour-propre .  «L'exemple  aide 
plus  à  la  conversion  que  les  miracles,  nous  assure 
saint  Jean  Chrysostôme.  »  —  «  C'est,  a  dit  un  sage 
moraliste.  l'Evangile  des  faibles  et  des  ignorants.  .0 
Voilà  un  genre  de  prédication  imposé  à  tous,  mais 
encore  plus  à  ceux  <jue  la  science,  la  fortune,  l'âge. 
nniturit*'-.  la  position  dans  le  monde  mettent  au-dessus 


RBGINA   APOSTOLOKUM  239 

du  vulgaire.  Plus  l'exemple  tombe  de  haut,  plus  l'effet 
en  est  prompt  et  étendu. 

Mais  à  qui  principalement  devez -vous  ce  zèle  de 
l'exemple  et  les  autres  moyens  de  sanctification  ?  Si- 
non à  ceux  que  Dieu  a  placés  sous  votre  dépendance, 
et  dont  la  responsabilité  pèse  sur  vous.  Votre  vie,  vos 
actions,  vos  discours,  n'en  doutez  pas,  seront  la  règle 
de  leur  vie,  de  leurs  actions,  de  leurs  discours.  Mal- 
heur donc  à  vous,  si,  au  lieu  d'édifier,  vous  prépariez, 
par  une  coupable  négligence  ou  la  perversité  de  vos 
exemples,  la  ruine  de  ceux  dont  le  salut  vous  est  confié  ! 
Mieux  vaudrait,  dit  Jésus-Christ,  ri  être  pas  né  ou 
trouver  la  mort  au  fond  de  la  mer,  que  de  scanda- 
liser un  seul  de  ses  petits. 

0  très  glorieuse  Reine  des  Apôtres,  qui  les  avez 
enflammés  de  ce  beau  zèle  dont  vous  brûliez  vous- 
même  pour  les  âmes,  mettez  aussi  dans  mon  cœur 
une  étincelle  de  ce  feu  que  votre  Fils  est  venu  apporter 
sur  la  terre,  et  dont  il  voudrait  nous  voir  tous  em- 
brasés ! 

Pratique  :  Priez  souvent  la  Reine  des  Apôtres  pour 
les  besoins  de  l'Eglise. 

EXEMPLE 

DÉVOTION  ENVERS  LA    SAINTE  VIERGE,  EN   ALGÉRIE 

Partout  où  les  armes  guerrières  ont  subjugué  les 
nations  barbares  et  infidèles,  les  Apôtres  de  Jésus- 
Christ  ont  succédé  aux  vainqueurs,  pour  y  apporter 
les  immenses  bienfaits  de  la  civilisation  par  le  Chris- 
tianisme. 

Il  n'y  a  pas  longtemps  que  l'Algérie  a  joui  de  cette 
insigne  faveur.  A  la  suite  de  nos  armées  victorieuses, 
la  religion  chrétienne  y  est  rentrée,  après  en  avoir  été 
bannie  depuis  tant  de  siècles  par  le  Mahométisme.  Et 


240  REGI  S  A   APOSTOLOItUM 

là,  comme  partout,  les  nouveaux  convertis  n'eurent 
pas  plutôt  entendu  parler  de  la  sainte  Vierge,  qu'ils 
s'empressèrent  de  l'entourer  de  leurs  hommages  et  de 
leur  confiance.  Voici  ce  qu'en  écrivait,  dès  le  com- 
mencement, un  curé  de  cette  colonie  :  «  Ces  peuples 
ont  une  tendance  toute  particulière  à  la  dévotion  en- 
vers la  sainte  Vierge.  Aussi  me  suis-je  empressé  de 
faire  construire  un  autel  à  cette  bonne  Mère.  Pour 
piquer  leur  curiosité  et  exciter  leur  dévotion,  nous 
avons  fait  tant  bien  que  mal  une  Vierge  en  cire  que 
nous  avons  habillée  magnifiquement.  Tous  ces  bons 
Arabes  se  portent  en  foule  à  la  chapelle  de  Celle 
qu'ils  appellent  Madame  Marie  ;  ils  la  regardent  tout 
étonnés,  et  la  prient  spontanément  à  leur  manière, 
par  un  mouvement  de  leurs  mains,  la  paume  tournée 
vers  le  ciel,  les  élevant  et  les  abaissant  tour  à  tour, 
en  prononçant  avec  vivacité  et  onction  des  paroles  de 
confiance  et  d'amour.  Puis,  se  tournant  avec  satis- 
faction vers  nous,  ils  nous  disent  dans  leur  langage: 
«  Madame  Marie  est  la  Mère  de  Dieu  :  c'est  aussi 
notre  Mère,  puisque  vous  nous  l'avez  dit.  Elle  est 
bien  bonne,  puisqu'elle  vous  a  inspiré  de  venir  nous 
faire  tant  de  bien.  »  Ils  finissent  toujours  leur  éloge 
à  Marie  par  ces  mots  :  «  Tous  ensemble,  vous  et  nous 
aimons  beaucoup  Madame  Marie.  »  Les  femmes  des 
principaux  habitants  ont  demandé  des  médailles  et 
des  statuettes  de  la  sainte  Vierge,  qu'elles  portent  à 
leur  cou,  comme  la  plus  belle  parure,  et  qu'elles 
baisent  avec  dévotion  trois  fois  par  jour,  en  priant 
cette  Mère  de  miséricorde  de  les  éclairer  et  de  les  pro- 
téger. » 


REGINA  MARTYRUM  241 


CHAPITRE   XLIV. 


REINE  DES  MARTYRS. 

Oh  !  qu'elle  est  belle  dans  la  cité  des  élus  cette  armée 
de  héros  chrétiens  qui,  plutôt  que  de  renoncer  à  leur 
foi,  de  manquer  à  un  devoir,  de  se  souiller  par  une  faute, 
ont  préféré  perdre  leurs  biens,  se  séparer  de  leur  fa- 
mille, subir  les  duretés  de  l'exil,  endurer  tous  les  tour- 
ments, la  mort  même  la  plus  cruelle  !  Hommes  de  tous 
les  âges,  jeunes  filles  timides,  faibles  enfants,  vieillards 
qu'on  eût  crus  débiles,  ils  ont  passé  par  les  chevalets, 
les  bûchers,  les  étangs  glacés,  les  bêtes  des  amphithéâ- 
tres ;  ils  ont  souri  aux  tortures,  et  rendus  grâce  aux 
meurtriers,  tant  ils  s'estimaient  d'être  appelés  à  donner 
leur  vie  pour  Jésus-Christ.  Qu'elles  sont  nobles  les 
palmes  qu'ils  portent  dans  leurs  mains  !  Qu'elles  sont- 
glorieuses  les  couronnes  qui  ceignent  leur  front  vain- 
queur !  Qu'elle  est  magnifique  la  gloire  dont  ils  brillent 
au  sein  du  bonheur  et  du  repos  ! 

C'est  à  la  tête  de  ces  illustres  triomphateurs  que 
nous  allons  vous  montrer  Marie,  véritable  Reine  des 
Martyrs.  Elle  ne  fut  point,  il  est  vrai,  exposée  à  toutes 
leurs  épreuves  ;  mais  le  titre  glorieux  de  martyr 
lui  convient  tout  aussi  bien  :  si  elle  ne  l'a  pas  acheté 
au  prix  de  son  sang,  c'est  au  prix  de  ses  larmes  ;  et 
les  larmes,  les  larmes  d'une  mère,  c'est  plus  que  du 
sang.  «  Marie  fut  martyre,  dit  saint  Bernard,  non 
par  le  fer  du  bourreau,  mais  par  l'immense  douleur 
qui  submergea  son  cœur.  »  Dès  l'Incarnation,  et  tou- 
jours après,  elle  justifia  ce  titre  ;  mais  ce  fut  au  Cal- 
vaire surtout  que  Jésus,  détachant  de  sa  tête  quelques 
épines  pour  en  faire  une  couronne  à  sa  Mère,  la  pro- 
clama Reine  des  Martyrs.  Elle  le  fut,  en  effet, 


-l'i'l  REG1NA   MAKTTUUH 

I.  Par  la  longue  durée  de  ses  souffrances  : 

II.  Par  leur  vive  intensité  : 

III.  Par  son  rare  courage  à  en  supporter  le  poids. 

ARTICLE  PREMIER 

Marie,  Reine  des  Martyrs,  par  la  longue  durée 

de  ses  douleurs. 

Les  Martyrs  ordinaires  n'eurent  à  souffrir  que 
quelques  moments  ou  quelques  jours,  rarement  plu- 
sieurs mois.  Ce  n'est  pas  que  nous  voulions,  par  cette 
remarque,  affaiblir  le  mérite  du  courage  qu'ils  ont 
déployé,  ni  abaisser  le  prix  de  leurs  souffrances.  Mais, 
qui  ne  sait  que,  dans  toute  espèce  de  tourments,  la 
longue  durée  est  beaucoup  plus  insupportable  que 
l'intensité  momentanée  de  la  douleur  !  On  supporte  une 
tribulation  passagère,  bien  que  cruelle  ;  mois  le 
courage  faiblit  facilement,  si  elle  se  prolonge,  ou  seu- 
lement parait  devoir  durer  longtemps  :  la  continuité 
de  la  souffrance  en  augmente  considérablement  le 
poids. 

Tel  fut  le  martyre  de  la  très  sainte  Vierge  :  il  com- 
mença avec  les  paroles  de  l'Ange,  et  ne  se  termina  pas 
même  au  Calvaire.  Versée  dans  la  connaissance  des 
saints  Livres,  Marie  savait  tout  ce  que  les  prophètes 
avaient  annoncé  des  douleurs,  des  humiliations,  de  la 
mort  ignominieuse  et  sanglante  que  devait  subir  le 
Sauveur  attendu  ;  tous  ses  tourments  étaient,  par  an- 
ticipation, présents  à  ses  yeux.  En  consentant  à  devenir 
sa  Mère,  elle  vit  donc,  comme  dans  un  miroir,  toute  la 
série  des  tribulations  qui  en  seront  pour  elle-même  la 
conséquence.  Elle  n'ignorait  pas  que  cet  Enfant  serait 
un  jour  l'Agneau  immolé  par  L'ingratitude  du  peuple 
juif;  et  c'est  avec  cette  pensée  continuellement  doulou- 
reuse, qu'elle  attendit  sa  naissance,  qu'elle  le  mit  au 


ItEGINA  MABTYRUM  243 

monde,  qu'elle  le  vit  croître  à  ses  côtés  pendant  trente 
ans.  Quelle  jouissance  pouvait  donc  goûter  cette  tendre 
Mère,  auprès  d'un  berceau  qui  était  pour  elle  un  Cal- 
vaire anticipé  ?  Imaginez,  si  vous  le  pouvez,  ce  qu'é- 
prouverait une  mère  élevant  un  fils  qu'elle  saurait 
destiné  à  l'échafaud  ?  La  vue  de  Jésus  croissant  en 
âge,  en  sagesse,  en  amabilité,  loin  donc  de  la  réjouir 
et  de  la  consoler,  comme  il  arrive  à  un  père,  à  une 
mère,  ne  pouvait,  au  contraire,  que  lui  causer  la  plus 
cruelle  de  toutes  les  peines,  à  la  pensée  que  cet  Enfant 
si  beau,  si  innocent,  grandissait  pour  les  tourments  et 
la  mort . 

Si,  après  l'avoir  présenté  au  temple,  elle  le  reconduit 
avec  elle  comme  les  autres  mères,  elle  sait  que  son 
immolation  n'est  que  différée,  et  que  bientôt  il  sera 
sacrifié.  La  lance  du  soldat  ne  perça  le  côté  de  Jésus 
que  quand  il  eut  rendu  le  dernier  soupir  ;  mais  pour 
Marie,  le  glaive  acéré  prédit  par  Siméon  est  incessam- 
ment pointé  sur  son  cœur  ;  les  paroles  du  Prophète  tin- 
tent sans  interruption  au  fond  de  son  âme,  comme  un 
glas  funèbre  ;  le  drame  sanglant  du  Calvaire  ne  peut 
s'éloigner  ni  de  son  esprit  ni  de  ses  yeux  :  tout  dans 
son  cher  enfant  lui  en  présente  l'image. 

En  l'allaitant,  elle  pense  au  fiel  et  au  vinaigre  dont 
il  sera  abreuvé  ;  les  langes  dont  elle  l'enveloppe  lui 
rappellent  les  cordes  meurtrières  qui  doivent  le  garot- 
ter  :  quand  il  étend  ses  bras,  ou  qu'elle  prend  ses  mains 
pour  les  réchauffer  dans  les  siennes,  pour  l'aider  à  for- 
mer ses  premiers  pas,  il  lui  semble  voir  ces  membres 
percés,  déchirés  par  des  clous,  fixés  sur  le  dur  bois  de 
la  Croix  ;  en  le  revêtant  de  ses  habits,  elle  sait  qu'un 
jour  ils  lui  seront  arrachés,  pour  le  laisser  paraître  dans 
une  humiliante  nudité  aux  regards  d'une  vile  populace  ; 
si  elle  dépose  sur  son  front  candide  les  premières  ca- 


244  REGIXA    MARTYRUM 

resses  du  matin  et  les  derniers  adieux  du  soir,  elle  en- 
trevoit la  couronne  d'épines  qui  doit  le  ceindre  et 
l'ensanglanter  :  et  le  baiser  du  traître  Judas  vient  aussi 
répandre  l'amertume  ■  sur  cette  innocente  jouissance  de 
mère  :  si  elle  contemple  avec  ravissement  la  beauté  de 
ce  visage  divin,  il  lui  apparaît  bientôt  meurtri  de  coups, 
couvert  de  crachats,  méconnaissable;  et  lorsque  de  ses 
mains  elle  prépare  la  couche  où  il  doit  prendre  son  re- 
pos, il  lui  semble  aussitôt  le  voir  étendu  sur  l'infâme 
gibet.  Le  nom  même  de  son  enfant,  mot  le  plus  déli- 
cieux à  la  bouche  d'une  mère,  le  nom  de  Jésus  réveille, 
chaque  fois  qu'elle  le  prononce,  la  pensée  des  tour- 
ments par  lesquels  il  doit  payer  son  titre  de  Sauveur. 
Dans  ce  vis-à-vis  intime  de  Jésus  avec  sa  Mère,  il  de- 
vait y  avoir  pour  elle  des  moments  de  joie  ineffable  ; 
elle  pouvait  s'assurer  dans  une  étreinte  amoureuse 
que  son  Fils  était  encore  là,  qu'il  vivait  toujours  ; 
mais  son  esprit  retombait  aussitôt  dans  les  plus  noirs 
pressentiments  ;  son  cœur  se  noyait  dans  un  océan  d'in- 
dicibles douleurs  ;  un  frisson  mortel  courait  dans  tou- 
tes ses  veines. 

C'est  ainsi  que  tout  ce  qui  fait  la  joie  des  mères,  était 
pour  Marie  empoisonné  par  la  vue  anticipée  des  humi- 
liations et  des  tortures  réservées  à  ce  cher  Fils.  Ainsi 
se  passaient  ses  jours  dans  de  continuelles  et  inénarra- 
bles agonies.  Mille  angoisses  s'enfuyant  tour  à  tour  se 
succédaient  sans  cesse...  C'était  dans  le  lointain,  il  est 
vrai,  que  tous  ces  tourments  apparaissaient  à  ses  yeux  ; 
mais  rien  de  plus  affreux  que  cette  torture  d'une  âme 
qui  est  obligée  d'appréhender  longtemps  d'avance  tou- 
tes les  douleurs.  Ne  vaudrait-il  pas  mieux  n'en  souffrir 
qu'une  seule  et  mourir  tout  de  suite,  que  de  les  redou- 
ter toutes  en  conservant  la  vie  ?  N'est-il  pas  vrai  que 
l'attente,  la  crainte  seule  d'un  mal,  d'une  affliction, 


HEGINA  MAHTYliUM  245 

fait  ordinairement  plus  souffrir  que  la  réalité  même  ? 
L'esprit  éprouve  à  chaque  instant  la  peine  de  ce  qui 
s'accomplira  en  un  moment.  Mais  pour  Marie,  on  ne 
saurait  dire  ce  qui  de  l'attente  ou  de  l'événement  lui 
causa  de  plus  cruelles  angoisses.  Elle  a  pu  littéralement 
s'approprier  le  langage  que  David  met  dans  la  bouche 
du  divin  Rédempteur  :  Ma  vie  s'est  écoulée  dans  les 
gémissements,  car  mes  souffrances  ont  été  cons- 
tamment devant  mes  yeux. 

Morale  :  Cependant,  fut-il  jamais  un  cœur  qui  mé- 
ritât, autant  que  celui  de  Marie,  d'être  exempt  de  toute 
affliction  ?  Ce  cœur  si  pur,  si  saint,  si  conforme  à  celui 
de  Jésus  :  et  jamais  il  n'y  eut  de  cœur  plus  affligé. 
Jésus  ne  mourut  qu'une  fois  sur  le  Golgotha  ;  mais 
Marie  endure  à  chaque  instant  les  douleurs  de  la  mort  ; 
sa  vie  n'est  qu'un  tissu  d'angoisses,  d'appréhensions, 
beaucoup  plus  cruelles  que  la  mort  même.  Pourquoi 
donc  Jésus  qui  l'aimait  si  tendrement,  voulut-il  qu'elle 
partageât  son  calice  d'amertume,  et  que  son  cœur  fût 
si  longtemps  d'avance  ainsi  cruellement  déchiré  ?  Ah  ! 
c'est  précisément  parce  quïl  l'aimait  :  il  voulut  lui  con- 
férer, par  cette  autre  conformité  avec  lui  et  par  l'hé- 
roïsme de  son  courage,  un  titre  de  plus  à  la  gloire  et  à 
une  gloire  plus  brillante.  Et  dans  ce  but,  pouvait-il  don- 
ner à  sa  Mère  quelque  chose  de  meilleur  que  la  souf- 
france? Car,  depuis  qu'il  consomma  sur  l'autel  de  la  Croix 
son  sacrifice  sanglant,  la  Croix  qui  nous  a  rouvert  Je  ciel 
est  devenue  l'échelle  nécessaire  pour  y  monter.  Lui- 
même  nous  le  déclare  dans  les  termes  les  plus  positifs  : 
Si  quelqu'un,  dit-il,  veut  être  mon  disciple,  qu'Use 
renonce,  qu'Use  charge  de  la  croix,  et  qu'Urne  suive: 
quiconque  ne  porte  pas  ma  croix,  n'est  pas  digne  de 
moi.—  Ne  serait-ce  pas  une  bien  affreuse  monstruosité, 
qu'un  membre  voluptueux   et  sensuel  sous  un  Chef 

PARAPHRASE.    —   T.  II.  Il, 


£46  RKGIX'A   MARTYRUM 

couronné  d'épines  ?  Ce  n'est  que  par  beaucoup  de 
tribulations,  assure  saint  Paul,  que  nous  conquerrons 
le  royaume  des  deux.  —N'a-t-il  pas  fallu  que  le 
Christ  souffrit  pour  entrer  dr/ns  sa  gloire?  Si  nous 
ne  souffrons  r/vec  lui,  nous  ne  régnerons  pas  avec 
lui.  i<  C'est  là,  dit  à  son  tour  l'Evêque  de  Meaux,  la 
grande  voie,  la  voie  royale,  par  laquelle  a  marché  Jé- 
sus-Christ; il  ne  veut  avoir  dans  sa  compagnie  que 
ceux  qui  portent  sa  marque,  »  c'est-à-dire  la  croix. 
Aussi,  les  souffrances  sont-elles  un  présent  qu'il  en- 
voie aux  préférés  de  son  amour  :  c'est  le  sceau  dont  il 
marque  ses  élus,  il  en  favorisa  les  apôtres  et  tous  les 
saints  ensuite  qu'il  voulut  glorifier  dans  le  ciel.  Et  si 
la  Vierge  si  pure  n'a  pu  y  entrer  elle-même  que  sous 
la  bannière  sanglante  du  Dieu  du  Calvaire  ;  si  la  robe 
blanche  de  son  innocence  a  dû  être  empourpré  par  le 
sang  du  martyre  ;  malheureux  pécheurs  que  nous 
sommes,  prétendrions-nous  y  arriver  par  un  autre 
chemin  ?  Pensons  nous  que  les  portes  éternelles  s'élè- 
veront devant  nos  plaisirs  et  nos  délices,  lorsque  la 
croix  est  la  seule  clef  qui  puisse  les  ouvrir  ?  Une  pierre 
tirée  de  la  carrière  doit  être  dégrossie  par  le  marteau 
et  polie  par  le  ciseau  de  l'ouvrier,  avant  de  trouver 
place  dans  la  construction  de  l'édifice  ;  et  nous,  qui 
sommes  destinés  à  devenir  des  pierres  vivantes  de  la 
Jérusalem  céleste,  ce  n'est  que  par  les  coups  redou- 
blés de  l'adversité  que  nous  serons  rendus  propres  à 
être  employés  dans  la  structure  de  ce  brillant  palais. 
Ne  nous  y  trompons  pas  :  c'est  par  les  souffrances  que 
le  ciel  s'achète.  Pouvons-nous  donc  les  trouver  trop 
fréquentes  et  trop  lourdes,  en  présence  de  cette  éter- 
nité de  bonheur  et  de  gloire  dont  nous  ne  sommes  sé- 
parés que  par  le  court  trajet  de  la  vie?  Quelle  ne  de- 
vrait pas  être,  au  contraire,   notre  joie,  en  voyant  33 


REGINA  MARTYRUM  247 

multiplier,  par  la  diversité  des  peines,  nos  droits  à  une 
si  magnifique  récompense  !  L'agriculteur,  au  moment 
des  semailles,  trouve-t-il  trop  long  le  temps  qu'elles 
durent,  et  ne  s'encourage-t-il  pas  aux  difficultés  du  la- 
bour, par  la  pensée  que  plus  il  aura  jeté  de  grain  en 
terre,  plus  ses  greniers  seront  remplis,  et  plus  grande 
sera  l'aisance  dans  la  maison?  L'ambitieux  guerrier,  qui 
découvre  à  travers  la  fumée  des  combats  les  murs  de 
la  capitale  où  il  doit  ceindre  demain  la  couronne  des 
vainqueurs,    murmure-t-il    de  ses   fatigues,    .sent-il 
même  couler  le  sang  de  ses  plaies  ?  Et  comment  le  sol- 
dat du  Christ  se  plaindrait-il  des  traverses  de  la  vie, 
lui  qui  est  toujours  à  la  veille  d'être  placé  sur  un  trône 
radieux  pendant  des  siècles  sans  fin  ?  N'est-ce  pas  dans 
cet  espoir  d'une  gloire  plus  brillante  à  proportion  de 
la  multitude  de  leurs  souffrances,  que  les  Martyrs  pui- 
saient cette  sérénité,  cette  force  surhumaine  qui  les 
faisaient  voler  aux  supplices  comme  à  un  festin,  et  qui 
portait  souvent  les  bourreaux  à  jeter  leur  hache  pour 
courir  au  baptême  ?  Ayant  devant  les  yeux  la  même 
perspective,  estimons-nous  donc  heureux  d'être  visi- 
tés par  un  Dieu  qui,  bon  Père,  n'aime  jamais  tant  que 
quand  il  prend  la  verge  en  main,  qui  ne  nous  soumet 
aux  courtes  épreuves  du  temps,  que  pour  nous  épargner 
les  châtiments  éternels  tant  de  fois  mérités. 

0  Marie,  Mère  de  douleurs,  puisqu'elles  ont  été  pour 
vous  le  plus  riche  présent  de  votre  Fils,  obtenez-moi 
de  recevoir  avec  une  soumission  parfaite  toutes  les 
croix  qu'il  m'enverra,  afin  que  je  mérite  de  ceindre  un 
jour  au  ciel  la  couronne  radieuse  des  Martyrs. 

Pratique  :  Accepter  avec  résignation,  si  ce  n'est 
avec  joie,  toutes  les  contradictions  qu'il  plaît  à  Dieu 
de  nous  envoyer. 


248  REGINA  MARTYRUM 

EXEMPLE. 

ADMIRABLE    MODELE   DE    RESIGNATION. 

Il  y  avait  au  14e  siècle  un  prédicateur  célèbre,  appelé 
Thaulère,  aussi  distingué  par  sa  science  théologique  que 
par  son  éminente  piété.  Brûlant  du  vif  désir  d'assurer 
son  salut,  il  demandait  depuis  longtemps  à  Dieu  de 
lui  ménager  la  rencontre  d'un  homme  qui  lui  ensei- 
gnât la  voie  la  plus  sûre  et  la  plus  courte.  Un  jour 
qu'il  était  plus  tourmenté  de  ce  désir,  il  lui  sembla 
entendre  une  voix  venant  du  ciel,  qui  lui  disait  :  Va 
à  la  porte  de  l'église,  et  là,  tu  trouveras  celui  que  tu 
cherches.  Il  s'y  rend  aussitôt,  et  voit  un  mendiant 
tout  couvert  d'ulcères  et  de  haillons.  —  Je  vous  sou- 
haite le  bonjour,  dit  Thaulère.  —  Je  ne  me  souviens 
pas,  répondit  le  mendiant,  d'avoir  jamais  eu  aucun 
jour  mauvais.  Thaulère  répéta  d'un  ton  plus  élevé  : 
Que  Dieu  vous  rende  plus  heureux  !  —  Moi,  reprit  le 
mendiant,  je  ne  suis  pas  malheureux  ;  tout  me  vient  à 
souhait,  quoique  je  m'inquiète  fort  peu  de  la  fortune. 

—  Le  Docteur,  de  plus  en  plus  émerveillé,  lui  de- 
manda comment  il  se  pouvait  qu'il  fût  le  seul  heu- 
reux parmi  tous  les  hommes  qui  ont  tant  à  se  plaindre? 

—  Je  n'ai  cependant  rien  avancé  que  de  vrai,  répartit 
le  mendiant,  par  la  raison  que  je  suis  toujours  con- 
tent du  sort  que  Dieu  m'assigne  ici-bas.  Que  je  souffre 
de  la  faim,  du  froid,  de  la  pluie,  ou  des  railleries  des 
hommes,  je  loue  Dieu  également ,  sachant  qu'il  est 
l'auteur  de  toutes  ces  choses,  et  qu'il  n'a  en  vue  que 
mon  bien.  Comme  je  ne  veux  que  ce  qu'il  veut,  tout 
réussit  à  mon  gré.  —  Le  Docteur,  ne  pouvant  revenir 
de  sa  surprise,  comprit  que  cette  résignation,  même 
dans  les  plus  grandes  adversités,  était  réellement  la 
voie  du  salut  la  plus  abrégée.    Mais  voulant   encore 


REGL\A  MARTYRUM  249 

recevoir  de  ce  pauvre  des  leçons  d'une  si  haute  sa- 
gesse ,  il  lui  posa,  entre  beaucoup  d'autres,  cette 
question  :  Quel  homme  êtes-vous  donc  ?  —  Qui  que 
je  sois,  je  suis  si  content  de  mon  sort,  que  je  ne  vou- 
drais pas  l'échanger  avec  les  richesses  et  les  gran- 
deurs de  tous  les  rois  de  l'univers.  Celui-là  est  roi  qui 
sait  se  commander  à  lui-même.  —  Où  est  donc  votre 
royaume,  insista  Thaulère?  —  Le  voilà  répondit  le 
mendiant,  en  lui  montrant  le  ciel  :  on  est  roi,  quand 
on  a  là-haut  un  trône  assuré.  —  On  cite  un  bon 
paysan,  pour  qui  non  plus  il  n'y  avait  jamais  de 
contre-temps. 

ARTICLE  SECOND. 

Marie,  Reine  des  Martyrs,  par  l'intensité  de 

ses  douleurs. 

Tel  est  le  touchant  spectacle  que  nous  présentent  la 
voie  et  le  sommet  du  Calvaire.  Mais  si  ces  lieux  furent 
témoins  des  plus  cruelles  angoisses  de  Marie,  ils 
furent  aussi  le  théâtre  de  son  amour  pour  les  hommes 
et  de  son  héroïque  résignation.  Quand  la  flamme  dé- 
vore l'encens,  l'air  s'embaume  de  la  suavité  de  ses 
émanations  ;  il  est  une  plante,  le  Géranium,  plus  on 
en  broie  les  feuilles,  plus  il  s'en  exhale  de  parfums  ; 
ainsi  du  milieu  de  cet  horrible  drame  d'opprobres  et 
de  sang,  Marie  ressort  admirable  d'amour,  sublime 
de  constance  et  de  fermeté.  Debout  au  pied  de  la 
Croix,  noble  attitude  d'une  prêtresse  qui  sacrifie  sans 
faiblir,  elle,  est  triste  mais  résignée,  parce  qu'elle  voit 
dans  Jésus  mourant  moins  son  Fils  que  notre  Ré- 
dempteur, moins  ses  souffrances  que  l'enfer  vaincu, 
le  monde  racheté  et  la  justice  de  Dieu  satisfaite.  Ainsi 
se  révéla  dans  la  très  sainte  Vierge  un  amour  pour 
les  hommes  égal  à  sa  force  d'àmc.  Voyons  d'abord 
l'immensité  de  cet  amour  dans  t  intensité  de  ses 


250  REGINA  MARTYRUM 

douleurs.  Un  autre  Article  nous  montra  sa  constance 
à  les  supporter . 

Lorsque  Jésus  remplissait  la  Judée  du  bruit  de  ses 
miracles  et  de  ses  bienfaits,  et  que  sur  son  passage 
l'enthousiasme  joint  à   la  reconnaissance  éclatait  en 

-  mots  élogieux  :  Heureuses  les  entrailles  qui  vous 
ont  porté  ;  lorsque,  à  son  entrée  triomphante  dans 
Jérusalem,  les  palmes  et  les  riches  décorations  s'har- 
moniaient   avec  les   cris   des   enfants  et  le   solennel 
Hozanna  pour  proclamer  Y  Envoyé  du  Seigneur,  il 
n'est  pas  dit  que  Marie  se  trouvait  là  :  elle  se  dérobait 
à  tous  les  regards,  de  peur  sans  doute  que  quelque 
rayon  de  la  gloire  du  Fils  ne  vînt  rejaillir  sur  la  Mère. 
Mais  sitôt  qu'elle  apprend  que  la  sentence  de   mort 
est  portée,  que  l'heure  des  ignominies  a  sonné,  et  que 
la  Victime  est  déjà  sur  le  chemin    de  l'immolation, 
Marie  comprend  que  sa  place  est  à  ses  côtés.    Elle  a 
quitté  sa  solitude  chérie  :  c'est  sur  la  voie  douloureuse 
que  la  Mère  et  le  Fils  se  rencontrent  ;  c'est  à  la  trace 
de  son  sang  qu'elle  a  reconnu  par  où  il  a  passé.  Elle 
le    trouve    entre    les    mains    d'infâmes    bourreaux, 
escorté  d'une  soldatesque  à  l'œil  féroce,  entouré  d'une 
vile  populace  qui  demande  sa  mort  à  grands  cris  :  elle 
le  voit  couronné  d'épines,  meurtri,  tout  couvert  de 
sang,  de  boue,  de  crachats,   ne  conservant  pas  même 
la  ligure  d'un  homme.  Ah  !   qui  pourrait  jamais  con- 
cevoir ce  que  la  tendresse  et  la  terreur  tout  à  la  fois 
ont  dû  opérer  alors  dans  l'àme  de  cette  mère  ?  Si,  d'un 
côté,  elle  désire  contempler  les  traits  de  son  Jésus,  de 
l'autre,  ose-t-elle  bien  fixer  ce  visage  qui  inspire  tant 
de  compassion  ?  L'un  et  l'autre,  cependant,  se  regar- 
dent ;  regards  réciproques  qui,  comme  deux  flèches, 
transpercent  ces  deux  âmes  les  plus  belles  et  les  plus 
aimantes  qui   soient  dans  l'univers.    Comment  corn- 


RÉGINA  MARTYRUM  231 

prendre  ce  flux  et  reflux  de  douleur  passant  du  cœur 
du  Fils  au  cœur  de  la  Mère  et  réciproquement  ?  —  On 
rapporte  que  Marguerite,  fille  de  Thomas  Morus, 
ayant  rencontré  son  père  qui  allait  au  supplice,  ne 
put  dire  que  ces  deux  mots  :  «  0  père,  ô  père  !  »  et 
elle  tomba  évanouie  à  ses  pieds.  Marie,  à  la  vue  de 
son  Fils  montant  au  Calvaire  ainsi  meurtri  et  garotté, 
ne  meurt  point,  parce  que  des  angoisses  beaucoup 
plus  poignantes  lui  sont  réservées  ;  mais  la  douleur 
de  cette  rencontre  était  capable  de  lui  faire  subir  mille 
morts. 

Cependant,  tandis  que  la  divine  Victime  a  déjà  suc- 
combé sous  la  lourde  Croix,  Marie  trouve  dans  son 
cœur  le  courage  de  l'accompagner  jusqu'au  lieu  du 
supplice,  et  là,  elle  assiste  au  drame  le  plus  déchirant 
qui  puisse  jamais  être  ;  elle  voit  mourir  d'une  mort 
aussi- ignominieuse  que  cruelle,  à  la  fleur  de  ses  ans, 
son  Fils  unique,  déclaré  innocent,  et  qui,  pour  ses 
vertus  et  ses  bienfaits,  méritait  un  triomphe  plutôt 
qu'un  gibet . 

Ah  !  quelle  langue  humaine  pourrait  jamais  dire  les 
tortures  intérieures  d'une  telle  Mère  en  présence  d'un 
tel  spectacle.  L'âme  de  Marie  est  si  étroitement  unie  à 
celle  de  Jésus,  que  toutes  les  plaies  et  les  douleurs  du 
Fils  deviennent,  par  une  libre  acceptation,  les  plaies  et 
les  douleurs  de  la  Mère  ;  avec  cette  différence  que  dis- 
persées sur  tout  le  corps  de  Jésus,  elles  viennent  se 
concentrer  dans  le  cœur  de  Marie.  Les  épines  enfon- 
cées dans  la  tête  du  Crucifié,  les  clous  qui  déchirent 
ses  pieds  et  ses  mains  prolongent  leurs  pointes  jus- 
qu'au plus  intime  de  l'àme  de  Marie.  Les  railleries  et 
les  outrages,  les  défis  insolents  et  les  affreux  blas- 
phèmes qui  pleuvent  sur  Jésus  viennent,  comme  un 
écho  douloureux,  retentir  dans  l'àme  de  Marie.  Si  on 


252  RBGINA   MARTYRUM 

l'abreuve  de  vinaigre  et  de  fiel ,  elle  en  sent  toute 
l'amertume.  Si  la  souffrance  broie  ses  membres  ensan- 
glantés, Marie  est  disloquée  dans  tout  son  être.  Et  de 
même  que  Jésus  ne  veut  point  descendre  de  la  Croix, 
lorsqu'une  amère  dérision  l'y  invite,  de  même  Marie 
ne  la  quitte  pas,  quoique  le  sentiment  maternel  semble 
lui  en  faire  une  impérieuse  nécessité .  Si  Jésus  veut  y 
rester  attaché  par  les  clous,  Marie  demeure  au  pied 
par  la  libre  volonté  de  son  amour,  et  ressent  dans  son 
cœur  tout  ce  que  son  Fils  endure  dans  son  corps. 

C'était  l'usage,  quand  on  immolait  l'agneau,  d'éloi- 
gner soigneusement  la  brebis-mère  :  ici  Marie  veut 
assister  et  de  tout  près  à  la  mort  de  cet  innocent  Agneau 
qui  doit  effacer  tous  les  péchés  du  monde.  Qu'une  mère 
se  tienne  au  chevet  de  son  fils  mourant  dans  les  condi- 
tions ordinaires,  on  le  conçoit  :  la  main  d'une  mère  a 
toujours  le  secret  de  quelque  soulagement  ;  et  c'est  une 
consolation  pour  la  mère  autant  que  pour  le  fils .  Elle 
peut,  avant  de  recueillir  son  dernier  souffle,  essuyer 
ses  larmes,  répandre  les  siennes  sur  son  front  brûlant, 
lui  dire  quelques  douces  paroles  de  tendresse,  de  sou- 
venirs ,  d'adieu  ;  et  le  moment  suprême  sera  moins 
douloureux.  Mais  pour  vous,  ô  Marie,  pas  même  cette 
consolation  !  Pauvre  Mère  !  votre  Jésus  ne  meurt  point 
dans  vos  bras  ;  il  ne  vous  sera  pas  donné  de  passer  la 
main  sur  ce  front  qu'inonde  la  sueur  de  la  mort,  de 
répondre  une  parole  d'amour  à  ses  regards  abattus, 
encore  moins  d'arrêter  le  sang  qui  coule  à  grands  flots. 
Et,  quand  agonisant  il  demandera  une  goutte  d'eau 
pour  étancher  sa  soif,  pourrez- vous  empêcher  qu'on 
ajoute  à  sa  douleur  par  un  breuvage  aussi  dérisoire 
qu'amer  ?  De  votre  part,  vous  n'aurez  que  des  larmes 
à  lui  donner  pour  adoucissement.  Pourquoi  donc,  ô 
Mère  trop  aimante,  vouloir  être  témoin  d'une  scène 


HEGINA    MARTYUUM  253 

aussi  déchirante  qu'est  la  mort  de  votre  unique  Enfant? 
Pourquoi  rester  attachée  à  la  Croix,  et  vous  obstiner  à 
le  voir  mourir?  Agar  dans  le  désert  n'eut  pas  ce  cou- 
rage. Ah  !  c'est  que  Marie  voulait  comme  cimenter  par 
le  sceau  de  sa  présence  et  de  son  consentement  le  con- 
trat de  notre  réconciliation  avec  le  ciel,  et  joindre  la 
coopération  de  ses  douleurs  et  de  son  ineffable  amour 
au  Sacrifice  qui  va  racheter  le  monde.  Il  devient  alors 
un  seul  et  même  Sacrifice,  offert  sur  deux  autels,  la 
Croix  et  le  Cœur  de  Marie,  présenté  à  Dieu  le  Père  par 
le  Fils  et  par  la  Mère,  versant  tous  deux  leur  sang,  le 
premier  le  sang  de  ses  veines,  la  seconde  le  sang  de  son 
cœur,  mourant  tous  deux,  l'un  par  une  mort  qui  met- 
tra fin  à  ses  souffrances,  l'autre  par  une  survie  qui  ne 
sera  plus  qu'une  mort  prolongée,  pire  que  toutes  les 
morts.  Pouvait-elle  témoigner  aux  hommes  un  plus 
grand  dévouement,  un  amour  plus  généreux?  Ce 
seraient  délices  toujours  nouvelles  que  de  le  contem- 
pler de  plus  près.  Mais  il  est  d'autres  enseignements 
qui  découlent  du  Calvaire  et  méritent  l'attention  la  plus 
sérieuse. 

Morale  :  Ouvrons  donc  nos  cœurs  aux  sublimes 
leçons  qui  nous  sont  tracées  sur  la  Croix  en  caractères 
de  sang.  Elle  nous  montre  la  suprême  majesté  de  Dieu 
dont  la  gloire  outragée  demandait  pour  digne  répara- 
tion les  humiliations  et  le  sang  d'un  autre  Dieu  fait 
homme.  Combien  après  cela  cette  majesté  ne  doit-elle 
pas  nous  inspirer  de  respect  !  —  Elle  nous  prêche  l'ef- 
frayante'énormité  du  péché,  qui  n'a  pu  être  expié  que 
par  la  mort  d'un  Dieu.  Et  si  l'apparence  seule  du  péché 
exigeait  une  satisfaction  si  terrible,  quelle  vengeance 
mérite  donc  la  réalité  !  La  croix  nous  fait  concevoir 
l'enfer  :  et  pourrions-nous  ne  pas  craindre  souveraine- 
ment ce  qui  a  élevé  l'une  et  creusé  l'autre  ?  —  Elle 


254  REGINA    MARTYRUM 

nous  apprend  le  prix  de  notre  âme.  qui  vaut  non  point 
des  monceaux  d'or  et  d'argent,  mais  le  sang  d'un  Dieu, 
c'est-à-dire  un  prix  infini.  Estimons-la  donc  à  sa  va- 
leur, et  mesurons  notre  zèle  à  la  sauver  sar  ce  qu'elle 
a  coûté  à  Jésus- Christ.  —  La  Croix  nous  révèle  l'im- 
mensité de  son  amour,  qui  l'a  fait  mourir  de  son  plein 
gré  à  notre  place.  Si  donner  sa  vie  pour  un  ami  est 
l'héroïsme  de  la  charité,  qu'est-ce  donc  pour  un  ennemi? 
Et  tant  d'amour  ne  pourra-t-il  enfin  fondre  la  glace  de 
nos  cœurs?  Sic  nos  amantem  quis  non  redamaretl 
—  C'est  sur  tous  les  points  que  la  Croix  nous  instruit, 
nous  exhorte ,  nous  encourage.  Le  souvenir  de  nos 
péchés  -remplit-il  notre  âme  de  trouble  et  de  frayeur? 
Jésus  nous  dit  du  haut  de  sa  Croix  :  Rassure-toi,  mon 
fils,  une  goutte  de  mon  sang  peut  effacer  tous  les  cri- 
mes. Sommes-nous,  au  contraire,  insensibles  sur  nos 
fautes  ?  Le  Crucifix  nous  dira  :  Eh  quoi  i  unjjieu  les  a 
pleurées  et  lavées  dans  son  sang  ;  et  toi,  tu  ne  peux 
leur  donner  une  seule  larme  !  — Au  moment  de  la  ten- 
tation ,  il  vous  criera  :  Voudrais-tu  renouveler  les 
souffrances  et  la  mort  de  ton  Dieu  ?  Au  pied  de  la  Croix 
encore,  notre  lâcheté  à  souffrir  nous  fera  honte  :  là 
aussi,  nous  puiserons  une  consolation  abondante  au 
milieu  de  toutes  nos  peines  :  car  si  le  Juste,  l'innocent 
a  été  ainsi  traité,  de  quoi  peut  se  plaindre  le  pécheur? 
Le  disciple  doit-il  être  au-dessus  du  maître? 

Et  voilà  comment  la  Croix  devient  une  chaire  élo- 
quente d'où  Jésus  11  "lis  prêche  tout  ce  qu'il  nous  im- 
porte le  plus  de  savoir.  Recueillir  et  méditer  souvent 

-  sublimes  enseignements,  que  ce  soit,  à  l'exemple 
du  grand  Apôtre,  la  plus  chère  de  nos  occupations  : 
Recogitate  ewn. . .  Mon  unique  science,  dit-il,  est 
de  connaître  Jésus-Christ,  et  Jésus-Christ  crucifié. 

<»  Mère  de  douleur,  qui  avez  si  généreusement  uni 


HEG1NA  MAHTYIUWI  255 

vos  soiifFrancos  à  celles  de  notre  bon  Sauveur,  de  quoi 
me  servirait  tant  d'amour,  si  je  venais  à  me  damner  ? 
Faites  que  je  me  préserve  de  ce  malheur  par  un  sincère 
repentir  de  mes  péchés,  et  un  véritable  changement 
de  vie. 

Pratique  :  Le  Crucifix  doit  être  le  plus  bel  ornement 
de  toute  maison  ;  mais  il  faut  lire  souvent  dans  ce  beau 
Livre. 

EXEMPLES 

EFFET   DU    SOUVENIR  DE   JESUS-CHRIST    EN    CROIX 

On  rapporte  d'un  prêtre  de  Florence  qu'il  eut  la 
dévotion  de  faire  peindre  la  tête  de  Jésus  couronné 
d'épines,  couverte  de  blessures  et  de  sang,  et  qu'il  la 
suspendit  au-dessus  de  son  prie-Dieu.  Plusieurs  fois  le 
jour,  il  venait  se  placer  devant  cette  image  pour  y  mé- 
diter les  hautes  leçons  qu'elle  lui  donnait.  Dans  la  mai- 
son voisine,  vivait  une  personne  mondaine  qui  l'ayant 
quelquefois  aperçu  dans  cette  position  s'était  imaginé 
qu'il  se  regardait  dans  la  glace.  Un  jour  elle  osa  le 
prier  de  lui  montrer  de  tout  près  ce  miroir.  Le  saint 
Prêtre  y  consentit.  Mais,  quel  ne  fut  pas  l'étonnement" 
de  cette  curieuse,  lorsque  s'offrit  à  ses  yeux  un  Ecce 
Homo.  Profitant  de  son  émotion,  le  prêtre  lui  adressa 
ces  paroles  :  «  Voilà  le  miroir  dans  lequel  vous  devriez 
vous  aussi  vous  contempler  souvent.  Voyez  l'état  af- 
freux de  cette  figure  ;  c'est  à  la  fois  l'image  de  votre 
àme  et  le  fruit  de  votre  péché  :  purifiez-la  cette  âme 
par  les  larmes  d'une  sincère  pénitence,  et  vous  verrez 
un  jour  cette  face  rayonnante  de  gloire  et  de  beauté 
dans  le  séjour  des  élus.  »  Ces  paroles  touchantes  pro- 
duisirent sur  le  cœur  de  la  pécheresse  un  prompt  et 
salutaire  effet. 

—  Sainte  Elisabeth  de  Hongrie  se  trouvant  un  jour 


256  HE  GIN  A  M  ART  Y  KLM 

à  l 'église,  ornée  de  sa  couronne  toute  éblouissante  de 
diamants,  et  vêtue  avec  la  magnificence  d'une  reine,  fut 
subitement  frappée  à  la  vue  du  Crucifix  :  saisie  alors 
d'un  profond  dégoût  pour  les  vanités  du  siècle,  elle 
ôte  sa  couronne,  en  disant  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que 
moi,  chétive  créature,  je  porte  une  splendide  couronne 
devant  mon  Sauveur  mourant,  couronné  d'épines  sur 
un  bois  infâme  !  »  Dès  lors  elle  se  consacra  plus  parti- 
culièrement à  Dieu,  et  parvint  bientôt  à  une  éminente 
sainteté. 

—  Sainte  Madeleine  de  Pazzi,  si  admirable  par  son 
avidité  pour  les  souffrances  et  par  sa  patience  à  les 
supporter,  répondit  un  jour  à  sa  sœur  qui  s'en  éton- 
nait :  «Voyez,  en  lui  montrant  le  Crucifix,  ce  que  l'amour 
suprême  d'un  Dieu  a  fait  pour  notre  salut  :  voilà  ce 
qui  me  console  et  me  soutient  ;  peut-on  encore  se  plain- 
dre quand  on  voit  un  Dieu  crucifié?  » 

—  Le  Sauveur  avait  apparu  à  sainte  Catherine  de 
Gènes,  portant  sa  Croix  et  tout  couvert  de  sang  :  «  0 
amour  !  s'écria-t-elle  ;  jamais  plus  dépêchés,  puisqu'ils 
vous  ont  coûté  si  cher  ! 

—  On  lit  dans  les  annales  de  la  Compagnie  de  Jésus 
qu'un  jeune  homme,  sortant  de  sa  chambre  avec  l'in- 
tention de  commettre  une  action  mauvaise,  entendit 
une  voix  qui  lui  criait  :  «Arrête,  malheureux  !  où  vas- 
tu  !  Il  se  retourne,  et  sur  un  tableau  représentant  No- 
tre-Dame des  Sept-Doiileurs,  il  la  voit  arrachant  un 
des  glaives  qui  la  transperçaient,  et  lui  disant  :  Prends 
cette  épée  et  frappe-moi  plutôt  que  de  blesser  mon 
Fils  par  ce  péché.  »  A  l'instant  la  lumière  se  fait  dans 
l'âme  du  jeune  homme,  il  tombe  à  terre,  pleure  amè- 
rement son  crime  déjà  commis  dans  son  cœur,  et  en 
demande  pardon  par  l'entremise  de  Marie. 


REGINA  MAIITYHUM  257 

ARTICLE  TROISIÈME. 

Marie,  véritable  Reine  des  Martyrs,  autant  par  la 
supériorité  de  son  courage  que  par  l'excès  et  la 
continuation  de  ses  douleurs. 

I.  Par  l'excès  et  la  continuation  de  ses  douleurs . 
—  Jésus  vient  d'expirer  sous  les  yeux  de  sa  Mère  :  si 
du  moins  le  même  coup  avait  tranché  la  vie  d'une  Mère 
aussi  profondément  désolée  ;  mais,  non  î  Moins  heu- 
reuse que  les  Martyrs  dont  la  mort  fut  à  la  fois  le 
terme  de  leurs  tourments  et  l'entrée  dans  l'heureuse 
éternité,  vous  vivez  encore,  ô  Marie,  après  le  supplice 
de  votre  Fils.  Vous  lui  survivez,  pour  être  transper- 
cée de  cette  lance  qui,  ne  trouvant  plus  de  vie  dans 
son  cœur,  vint  se  fixer  irrévocablement  dans  le  vôtre. 
Vous  lui  survivez,  pour  recevoir  dans  vos  bras  son 
corps  meurtri,  inanimé,  pour  voir  de  tout  près  ses 
yeux  éteints,  son  visage  livide,  son  côté  ouvert  par 
une  large  plaie,  et  ressentir  avec  une  intensité  nou- 
velle toutes  les  angoisses  du  crucifiement.  Vous  lui 
survivez  ;  et  votre  existence  privée  de  ce  cher  objet  de 
votre  dilection  ne  sera  plus  qu*un  enchaînement  de 
nouvelles  amertumes. 

Les  martyrs,  au  milieu  de  leurs  tourments,  trou- 
vaient une  source  abondante  de  force  et  de  consola- 
tions dans  leur  amour  pour  Jésus-Christ;  plus  ils 
l'aimaient,  moins  étaient  vives  leurs  douleurs.  Ainsi, 
par  exemple,  saint  Vincent  déchiré  sur  un  chevalet 
par  des  ongles  de  fer,  brûlé  par  des  lames  ardentes, 
puise  dans  l'amour  de  son  Dieu  un  courage  et  une 
joie  extraordinaires.  Saint  Boniface  voit  sa  chair  tom- 
ber en  lambeaux  ;  des  pointes  aiguës  sont  enfoncées 
sous  ses  ongles  ;  et  il  ne  cesse  de  répéter  :  «  Seigneur 
Jésus,  je  vous  rends  grâces.  »  Les  saints  Marc  et  Mar- 
cellin  sont  attachés  à   un   poteau;  on  a  transpercé 


258  REGINA   MARTYR  DM 

leurs  pieds  et  leurs  mains  avec  des  clous  :  et  quand  le 
tyran  leur  dit  :  «  Misérables  que  vous  êtes,  revenez  à 
d'autres  sentiments,  et  délivrez-vous  par  là  de  ces 
souffrances  :  »  ils  répondirent  :  »  Jamais  banquet  ne 
fut  plus  agréable  que  les  tourments  que  nous  endu- 
rons pour  Jésus-Christ.  »  Saint  Laurent  est  étendu 
sur  un  gril  enflammé  ;  ses  chairs  sont  toutes  rôties  ; 
mais  la  flamme  du  saint  amour  qui  embrasait  son 
cœur,  plus  ardente  que  le  feu  qui  brûlait  son  corps, 
en  tempérait  la  rigueur.  Et  ne  soyons  pas  surpris  de 
tant  de  joie  dans  ces  héros  chrétiens  au  milieu  des 
plus  cruels  tourments  :  ils  aimaient,  et  famour  met- 
tait des  roses  à  leurs  épines,  il  émoussait  l'aiguillon 
de  la  douleur. 

Pour  Marie,  au  contraire,  ce  fut  la  violence  de  son 
amour  pour  Jésus-Christ  qui  devint  par  là  même  son 
plus  cruel  bourreau  ;  il  centupla  ses  douleurs .  Plus 
on  aime,  et  plus  on  souffre  en  voyant  souffrir  l'objet 
de  son  amour.  Or,  vit-on  jamais  un  Fils  plus  digne  et 
une  Mère  plus  tendre?  Et  qui  aima  jamais  un  fils  au- 
tant que  Marie  aima  Jésus  ?  Elle  l'aimait  d'un  amour 
surnaturel  comme  son  Dieu,  et  par  un  sentiment  na- 
turel comme  son  Fils.  Fils  unique,  le  plus  beau,  le 
plus  accompli,  le  plus  aimable  des  fils  :  l'ayant  en- 
gendré seule,  elle  l'aimait  encore  de  ce  double  amour 
partagé  entre  le  père  et  la  mère  :  et  de  t  inours 

réunis  il  s'en  formait  un  seul,  qui  fut  le  fort,  le 
plus  délicat,  le  plus  merveilleux,  un  amour  incom- 
préhensible, insondable.  Et  telle  fut  sa  douleur  :  elle 
prit  les  proportions  de  son  amour  et  aussi  de  la  divi- 
nité de  Celui  qui  en  était  l'objet  :  Quanto  dilexit  tene- 
rius,  tanto  vulnerataest  profundius  (Just.).  «Là  où 
l'amour  ne  connait  pas  de  bornes,  dit  saint  Bernard, 
la  douleur  n'en  a  point.  »  Aussi  saint  Anselme  affirme- 


KEGINA   MARTYRUM  :>oO 

t-il  que  les  tourments  les  plus  cruels  employés  envers 
les  martyrs  furent  légers  en  comparaison  des  souffran- 
ces de  Marie.  Et  saint  Basile  atteste  qu'elles  surpas- 
sèrent celles  des  autres  Martyrs,  autant  que  le  soleil 
l'emporte  en  splendeur  sur  tous  les  astres  du  firma- 
ment :  cela  se  comprend  par  la  supériorité  de  son 
amour.  C'est  pour  cette  raison  que,  tandis  que  les 
autres  martyrs  sont  représentés,  d'ordinaire,  avec  les 
instruments  de  leur  supplice,  saint  Paul  avec  l'épée 
qui  lui  trancha  la  tête  ;  saint  André  avec  une  croix  ; 
sainte  Catherine  avec  une  roue,  etc..  Marie  est  re- 
présentée tenant  sur  ses  genoux  et  dans  ses  bras  le 
corps  inanimé  de  son  Fils,  parce  qu'en  effet  ce  fut 
Jésus  mourant  qui  la  martyrisa  ;  ce  fut  là  le  propre 
instrument  de  son  supplice. 

Les  martyrs,  en  souffrant  dans  leurs  corps  les  tour- 
ments du  fer  et  du  feu,  éprouvaient  en  même  temps 
de  grandes  consolations  en  leur  cœur.  Mais  vous,  ô 
Marie,  c'est  dans  le  plus  intime  de  votre  àme  que  vous 
avez  souffert  ;  tuam  ipsins  animam. ..  Or,  quiconque 
a  passé  par  le  creuset  des  tribulations,  ne  sait-il  pas 
que  les  peines  et  les  afflictions  du  cœur  sont  bien  au- 
trement cuisantes  que  les  souffrances  corporelles? 
«  .Marie,  assure  saint  Bernard,  a  seule  plus  souffert 
en  son  âme,  que  tous  les  martyrs  ensemble  n'ont  souf- 
fert dans  leur  corps.  »  Il  va  jusqu'à  dire  que  cette  dou- 
leur divisée  entre  toutes  les  créatures  sensibles  leur 
aurait  immédiatement  donné  la  mort.  —  Qui  pourra 
donc  jamais  en  mesurer  la  profondeur  ?  Jérémie  nous 
a  laissé  plusieurs  tableaux  achevés  des  souffrances 
humaines  ;  mais,  quand  il  veut  parier  de  celles  de  Ma- 
rie, il  fait  comme  cet  artiste  qui,  peignant  le  sacrifice 
d'une  jeune  fille  et  ayant  déjà  exprimé  la  tristesse  des 
spectateurs,  se  borne  à  jeter  un  voile  sur  le  visage  du 


260  REGINA  MAHTYRUM 

père,  montrant  par  là  qu'il  désespérait  pouvoir  rendre 
une  semblable  douleur.  Le  Prophète  des  lamentations 
laisse  aussi  tomber  son  pinceau  devant  l'affliction 
qui  broie  le  cœur  de  Marie  ;  il  ne  trouve  dans  toute 
la  nature  qu'une  image  qui  en  approche,  c'est  la 
mer  avec  ses  profondeurs,  son  étendue,  son  amer- 
tume . 

C'est  donc  à  bon  droit  que  la  Vierge  au  pied  de  la 
Croix  peut  dire  à  tous  les  passants  :  Arrêtez-vous  et 
voyez  s' il  est  une  douleur  semblable  à  la  mienne.  Une 
seule  chose  y  apportait  quelque  adoucissement,  c'était 
la  pensée  que  les  souffrances  et  la  mort  de  son  ado- 
rable Fils  rachetaient  le  monde,  et  réconciliaient  avec 
Dieu  les  hommes  ses  ennemis  :  sentiment  d'immense 
bonté  pour  nous,  qui  nous  impose  de  plus  en  plus 
envers  elle  le  double  devoir  de  la  reconnaissance  la 
plus  vive  et  de  l'amour  le  plus  tendre.  Quel  cœur  se- 
rait encore  assez  dur  pour  les  lui  refuser  ?  Mais, 

II.  Autant  ses  angoisses  furent  cruelles,  autant  et 
plus  encore  elle  fut  sublime  de  fermeté  et  de  rési- 
gnation. —  La  plus  délicate  de  toutes  les  vierges,  la 
plus  désolée  de  toutes  les  mères,  se  montre  aussi  la 
plus  héroïque  de  toutes  les  femmes,  et  sous  ce  rap- 
port encore  supérieure  à  tous  les  martyrs.  Quel  cou- 
rage, en  effet,  non-seulement  d'avoir  accompagné  son 
divin  Fils  dans  la  voie  douloureuse,  mais  d'assister, 
et  sans  faiblesse  aucune,  tout  près  de  l'autel,  à  l'im- 
molation de  la  Victime  ! 

Jacob  aperçoit  la  robe  de  Joseph  en  lambeaux,  teinte 
de  sang,  et  il  ne  peut  retenir  ses  larmes  :  c'était  bien 
permis  à  un  père  aussi  aimant  envers  un  enfant  aussi 
digne.  Mario  voit  non  pas  seulement  la  tunique,  mais 
tout  le  corps  ensanglanté  de  son  cher  Fils  :  à  cette  vue 
le  déchirement  de  son  cœur  s'achève  :  néanmoins,  bien 


1ŒGINA  MAUTYRUM  261 

différente  du  Patriarche  et  aussi  de  ces  autres  femmes 
qui  autour  de  la  Croix  remplissaient  l'air  de  leurs  cris 
lamentables,  Marie  commande  à  sa  douleur  ;  pas  une 
larme  ne  coule  de  ses  yeux,  pas  un  mouvement  d'in- 
dignation ne  s'élève  dans  son  cœur,  aucune  parole  de 
plainte  ne  s'échappe  de  ses  lèvres  ;  son  affliction  ne 
l'abat  point  ;  sa  sensibilité  ne  diminue  rien  de  sa  rési- 
gnation et  de  sa  fermeté  :  Stàbat  Mater. . . 

Lorsque  David  apprend  que  le  rebelle  Absalon  sus- 
pendu à  un  chêne  a  trouvé  un  juste  châtiment  de  son 
usurpation,  il  se  retire  dans  l'endroit  le  plus  solitaire 
de  son  palais  :  il  a  besoin  d'être  seul  pour  donner  un 
plus  libre  cours  à  ses  pleurs .  Marie  voit  suspendu  à 
l'arbre  de  la  Croix  son  Enfant  qui,  loin  d'avoir  été 
un  Absalon,  ne  sut  qu'aimer  et  obéir  ;  et  elle  sou- 
tient, sans  défaillir,  cet  horrible  spectacle  :  Stabat 
Mater... 

Jésus  près  d'expirer  se  sert  non  pas  du  nom  de 
Mère,  mais  de  celui  de  femme,  en  lui  annonçant  qu'il 
lui  donne  dans  la  personne  de  saint  Jean  un  autre 
fils.  C'était  bien  lui  apprendre  qu'elle  n'aura  plus  son 
Jésus  à  appeler  de  ce  doux  nom  ;  il  va  mourir  ! . . .  Et 
à  cette  nouvelle,  Marie,  brisée  jusque  dans  la  mœlle 
de  l'àme,  ne  succombe  pas  ;  elle  est  toujours  aussi 
sublime  de  fermeté:  firma  remansit  ut  petra  (S. 
Bern.)  :  Stabat  Mater . . . 

Voyez- vous  au  pied  de  la  Croix  ces  hommes  que 
Jésus  a  eus  trois  ans  dans  son  intimité,  avec  qui  la 
veille  il  a  célébré  le  repas  de  sa  famille,  qu'il  a  traités 
du  doux  nom  Garnis?  Ils  se  tiennent  loin  de  lui. 
Mais  sa  Mère  !  elle  a  surmonté  l'excès  de  toutes  ses 
douleurs  ;  elle  ne  peut  quitter  la  Croix  ;  elle  est  là, 
debout,  immobile,  calme,  résignée  :  Stabat  Mater... 

Toute  la  nature,  à  la  mort  de  son  Auteur,  est  cons- 


26w2  REGINA  MARTYRl'M 

ternée,  bouleversée  ;  la  terre  s'est  ébranlée  jusque 
dans  ses  fondements  :  le  soleil,  saisi  d'horreur,  a  dé- 
robé sa  lumière,  pour  ne  point  éclairer  le  plus  horri- 
ble des  forfaits.  Mais  regardez  à  travers  cette  lueur, 
voyez  cette  Femme,  seule  inébranlable,  qui  ose  bien 
contempler  son  Fils  crucifié  :  aucun  geste  de  déses- 
poir ne  décèle  aux  spectateurs  le  mystère  de  son  ago- 
nie :  rien  ne  peut  changer  la  situation  de  cette  âme 
magnanime  ;  d'elle  on  peut  dire  :  Elle  meurt,  mais  elle 
ne  se  rend  pas  :  Stabat  Mater... 

En  ce  moment  suprême,  sa  résignation  sublime 
ajoute  un  beau  céleste  au  deuil  de  la  nature  ;  et  son 
amour  pour  nous,  plus  fort  encore  que  sa  douleur, 
achève  de  tresser  sa  couronne  de  Reine  des  Mar- 
tyrs. 

Morale  :  Qu'il  ne  nous  suffise  pas  d'admirer  cette 
héroïque  fermeté  de  Marie  près  de  son  Fils  mourant  ; 
mais  efforçons-nous  de  l'imiter  dans  toutes  les  posi- 
tions différentes  de  la  vie,  qui,  sans  être  une  épreuve 
à  beaucoup  près  aussi  rude,  ne  laissent  pas  de  con- 
trarier notre  nature  ennemie  de  toutes  les  souffrances 
et  tribulations.  Cependant,  supportées  avec  patience, 
non-seulement  elles  donnent  un  droit  certain  à  une 
plus  brillante  gloire  au  ciel,  mais  elles  nous  sont  un 
moyen  d'y  arriver  plus  sûrement  et  plus  tôt  par  l'ex- 
piation de  nos  fautes,  exigée  avant  d'y  être  admis. 
La  souffrance,  à  ce  nouveau  point  de  vue,  est  donc  un 
bienfait  de  Dieu  singulièrement  précieux.  Il  agit  comme 
un  bon  Père,  qui  n'aime  jamais  autant  que  quand 
il  prend  la  verge  pour  corriger  :  sa  main  frappe,  mais 
c'est  le  cœur  qui  la  fait  mouvoir.  S'il  nous  châtie  en 
ce  lieu  d'expiation,  c'est  pour  nous  épargner  en  l'autre 
vie  les  peines  infiniment  plus  rigoureuses,  soit  du  pur- 
gatoire, soit  surtout  de  l'enfer .  A  ces  affreux  suppli- 


REG1NA  MARTYRUM  263 

ces,  il  substitue  les  épreuves  du  temps,  et  s'il  se  sou- 
vient ici-bas  de  ce  que  nous  devons  à  sa  justice,  c'est 
afin  de  l'oublier  à  jamais.  Les  souffrances,  à  cause  de 
cet  estimable  avantage,  ne  doivent-elles  pas  être  ac- 
ceptées avec  la  plus  vive  reconnaissance,  si  ce  n'est 
avec  joie? 

Quel  est  le  malade  qui  ne  se  résignerait  aussitôt  à 
prendre  un  remède  d'un  moment,  si  amer  qu'il  fût,  à 
supporter  une  opération  même  la  plus  douloureuse 
pendant  quelques  heures,  plutôt  que  de  rester  sous  le 
poids  de  son  infirmité  le  reste  de  ses  jours  ?  Si  vous 
deviez  cent  pièces  d'argent  et  que  votre  créancier,  dans 
un  moment  de  belle  humeur,  voulut  se  contenter  d'une 
seule  pour  toute  solde,  avec  quel  empressement  et  quel 
bonheur  ne  profiteriez-vous  pas  d'une  occasion  si  favo- 
rable pour  vous  libérer  entièrement  !  Telle  est  notre 
position  à  l'égard  de  Dieu  ;  tant  que  nous  sommes  sur 
la  voie  où  l'on  peut  mériter,  il  veut  bien  se  contenter 
de  peu  pour  remettre  beaucoup  ;  mais  après,  il  sera 
un  créancier  sans  pitié,  qui  exigera  jusqu'à  la  dernière 
obole,  si  l'on  est  dans  le  lieu  temporaire  d'expiation, 
et  qu'on  ne  pourra  jamais  satisfaire,  si  l'on  subit  les 
supplices  éternels. 

N'est-il  donc  pas  infiniment  avantageux  de  s'ac- 
quitter maintenant  par  la  souffrance,  de  toutes  dettes 
envers  sa  justice,  plutôt  que  d'en  réserver  pour  un 
temps  où  elles  seront  beaucoup  plus  sévèrement  exi- 
gées? Lorsque  Dieu  nous  châtie,  disons  comme  le  bon 
larron  sur  la  Croix  :  Nous  n'avons  que  ce  que  nous 
avons  mérité,  et  pas  même  ;  car  que  sont  toutes  les 
souffrances  de  la  terre  auprès  de  cette  éternité  de  sup- 
plices qui  nous  était  réservée  ? 

Je  veux  donc,  ô  Mère  de  douleurs,  demeurer  avec 
vous  au  pied  de  la  Croix,  vous  y  accompagner  toujours 


264  REGLNA  MARTI" RUM 

et  m'associer  à  vos  soupirs  :  Justà  Crucem  tecum 
stare. . . 

EXEMPLES. 

AMOUR  DES  SOUFFRANCES 

C'étaient,  à  ne  pas  en  douter,  les  avantages  précieux 
que  leur  foi  voyait  dans  les  souffrances,  qui  faisaient 
dire  à  saint  Augustin  :  «  Coupez,  brûlez  dans  ce  monde, 
ô  mon  Dieu,  pourvu  que  vous  m'épargniez  en  l'autre;  » 
à  sainte  Thérèse  :  «  Seigneur,  ou  souffrir,  ou  mourir  1 
car  la  vie  sans  souffrance  m'est  par  trop  pénible  ;  »  à 
sainte  Madeleine  de  Pazzi,  par  un  sentiment  plus  su- 
blime encore  :  «  Toujours  souffrir,  ô  mon  Dieu,  et  ne 
jamais  mourir  ;  »  à  saint  Jean  de  la  Croix  :  a  Tout  mon 
désir,  Seigneur,  est  de  souffrir  et  d'être  couvert  de  mé- 
pris pour  vous;  Ȉ  sainte  Rose  de  Lima,  au  moment 
de  la  mort  :  «  Je  pleure  de  ce  que  je  n'aurai  pas  à 
souffrir  plus  longtemps  ;  »  à  saint  François  de  Sales, 
lorsqu'on  le  plaignait:  «  Je  ne  suis  jamais  si  bien  que 
quand  je  ne  suis  pas  bien.  »  —  Ah  !  faut-il  s'étonner  de 
voir  un  saint  Paul  se  réjouir  dans  les  infirmités  et 
les  tribulations  éternelles  ;  un  Xavier  demander  à 
Dieu  a  de  ne  point  lui  enlever  sa  croix  actuelle,  si 
ce  n'est  pour  lui  en  envoyer  une  plus  grande,  »  et  tant 
d'autres  saints  ajouter  aux  croix  venues  du  ciel,  des 
pénitences  volontaires  et  les  plus  crucifiantes?  Tous 
comprenaient  ces  maximes  :  —  La  science  la  plus  né- 
cessaire à  Phomme  c'est  de  savoir  souffrir  (Imit.).  — 
Pour  ne  point  se  plaindre  de  ce  que  l'on  souffre,  il  suf- 
fit de  se  rappeler  de  ce  que  l'on  mérite  (S.  Cypr.).—  Si 
l'on  passe  sa  vie  sans  pleurer,  toute  l'éternité  sera  em- 
ployée à  pleurer  sans  relâche  (saint  Bern.).  —  Ce  'qui 
crucifie,  sanctifie. 


REGINA   CONFESSORUM  265 


CHAPITRE   XLV 


REINE  DES  CONFESSEURS 

On  entend  ici  par  Confesseurs  non  pas  les  prêtres  as- 
sis au  saint  tribunal  pour  recevoir  l'aveu  des  fautes  et 
en  accorder  le  pardon,  mais  chez  le  peuple  de  Dieu  ces 
âmes  fortement  trempées,  qui  dans  les  circonstances  les 
plus  critiques  déployèrent  une  énergie  surhumaine  par 
leur  fidélité  à  la  loi  divine  ;  et  aussi  ces  généreux  chré- 
tiens qui,  dans  les  premiers  siècles  surtout,  n'ont  pas 
craint  ni  rougi  de  professer  leur  foi  en  face  des  tyrans, 
et  se  sont  montrés  fermement  décidés  à  tout  souffrir,  à 
tout  perdre,  même  la  vie,  plutôt  que  de  renoncer  à  la 
religion,  ou  de  forfaire  à  quelqu'un  de  leurs  devoirs.  La 
seule  différence  entre  les  Confesseurs  et  les  martyrs, 
c'est  que  ceux-ci  ont  réellement  donné  leur  vie  pour  Jésus- 
Christ  ;  au  lieu  que  ceux-là  ont  échappé  à  la  mort  ;  ils 
descendirent  dans  l'arène,  ils  y  reçurent  d'honorables 
blessures,  ils  étaient  décidés  au  martyre,  ils  en  ont  tout 
le  mérite,  et  en  portent  maintenant  au  ciel  les  palmes 
et  la  couronne. 

Placée  sur  les  confins  des  deux  Testaments,  entre 
l'ancien  et  le  nouveau,  la  sainte  Vierge  en  terminant 
la  longue  chaîne  de  ces  justes  si  croyants  "et  si  fermes, 
que  nous  pourrions  appeler  chrétiens  de  la  veille, 
commence  la  série  glorieuse  de  ces  intrépides  héros, 
qui  depuis  l'ère  de  l'Incarnation  ont  confessé  Jésus- 
Christ  par  la  pratique  des  plus  sublimes  vertus,  et 
même  au  péril  de  leur  vie,  c'est  sous  ce  double  aspect 
que  nous  allons  l'envisager  : 

I.  Marie,  Reine  des  justes  de  l'ancienne  Loi. — 
Dés  avant  Jésus -Christ,  il  y  eut  chez  le  peuple  de  Dieu 
un  grand  nombre  d'àmes  courageuses  qui  bravèrent 


-26ti  REGI  N'A  CONFESSORUM 

les  persécutions  et  les  railleries,  et  sacrifièrent  ce  qu'elles 
avaient  de  plus  cher  au  monde,  plutôt  que  de  chanceler 
dans  la  foi  et  la  fidélité  aux  commandements.  Ainsi 
Abraham,  le  Père  des  croyants,  se  soumet,  sans  hési- 
tation et  sans  murmure,  à  la  volonté  divine  qui  lui 
demande  l'immolation  de  son  fils  unique  :  il  a  la  con- 
fiance que  Celui  qui  exige  ce  sacrifice  est  assez  puis- 
sant pour  réaliser,  malgré  cela,  les  promesses  que  le 
Messie  naîtrait  de  ses  descendants.  —  Ainsi  le  chaste 
Joseph,  chez  Pntiphar,  aime  mieux  perdre  la  confiance 
de  son  maître,  et  son  emploi,  tout  honorable  qu'il  est, 
que  de  céder  aux  sollicitations  de  la  femme  sans  pu- 
deur qui  en  veut  à  son  innocence.  —  Ainsi  Job 
privé  de  tous  ses  biens,  réduit  à  se  coucher  couvert 
de  plaies  sur  un  fumier,  raillé  par  ses  amis  et 
par  sa  propre  femme  à  cause  de  sa  confiance  en 
Dieu  qui  l'a  ainsi  maltraité,  Job  n'est  point  pour  cela 
détourné  de  la  fidélité  qu'il  lui  a  vouée.  —  Ainsi  Da- 
niel, plutôt  que  d'obéir  au  roi  en  mangeant  des  viandes 
défendues  et  en  adorant  la  statue  de  Bel,  se  laisse 
jeter  dans  la  fournaise  et  plus  tard  dans  la  fosse  aux 
lions.  —  Ce  fut  ce  même  courage  qui  soutint  le  véné- 
rable Eléazar,  et  la  digne  mère  des  Machabées  avec 
ses  sept  enfants,  qui  tous,  sollicités  de  manger  des 
viandes  offertes  aux  idoles,  préférèrent,  comme  ils  le 
disaient  hautement,  une  mort  glorieuse  à  une  vie  cri- 
minelle, et  se  rendirent  si  résolument  au  lieu  de  leur 
supplice.  Xous  sommes  forcé  de  nous  arrêter  dans  la 
citation  de  ces  personnages  antérieurs  à  Jésus-Christ, 
qui  ont  eu  une  foi  si  vive,  et  le  courage  d'affronter 
la  prison,  les  tourments,  la  mort  même,  plutôt  que 
d'être  infidèles  à  leur  Dieu,  à  leurs  devoirs. 

Or,  en  tous  ces  points,   Marie  né  les   a-t-elle  pas 
surpassés?  Elle  qui,  sur  la  parole  de  l'Ange,  crut  le 


REGINA  CONFESSORUM  267 

mystère  le  plus  étonnant,  assurée  que  rien  n'est  im- 
possible à  Dieu  ;  Elle  qui,  placée  dans  l'alternative 
de  renoncer  à  la  Maternité  divine  ou  à  sa  virginité,  se 
défia  d'une  gloire  qui  aurait  compromis  sa  pudeur  ; 
Elle  qui,  pour  gagner  le  monde  entier,  n'aurait  pas 
manqué  la  plus  petite  des  observances  légales  ;  Elle 
qui  brava,  sans  pâlir,  les  railleries  de  la  populace  et 
les  humiliations  du  Calvaire,  pour  se  montrer  jusqu'à 
la  mort,  fidèle  à  son  Jésus,  et  le  livra  par  le  plus  gé- 
néreux dévouement. 

Vénérables  justes  des  temps  anciens,  souffrez  que, 
en  préconisant  la  vivacité  de  votre  foi,  l'ardeur  de 
votre  espérance,  l'héroïsme  de  votre  courage,  nous 
vous  abaissions  jusqu'aux  pieds  de  Marie,  et  qu'avec 
vous  nous  la  proclamions  votre  Reine;  heureux,  si  un 
jour  par  l'imitation  de  vos  vertus,  nous  sommes  admis 
dans  vos  rangs  sous  son  aimable  empire  ! 

II.  Marie  est  Reine  surtout  de  ces  généreux 
chrétiens  qui,  dans  la  loi  nouvelle,  n'ont  pas  craint 
de  confesser  leur  foi  en  présence  des  tyrans,  des  sup- 
plices et  de  la  mort.  —  Elle  les  avait  précédés  et  elle 
les  surpassa  par  son  courage  à  se  montrer  la  Mère  de 
Jésus,  d'abord  pendant  les  trois  années  de  ses  prédi- 
cations. Le  Sauveur,  malgré  l'innocence  de  sa  vie  et 
les  bienfaits  en  tout  genre  qui  marquaient  chacun  de 
ses  pas,  s'était  attiré  l'envie  et  la  haine  des  Scribes  et 
des  Pharisiens  par  l'éclat  de  ses  miracles  et  surtout 
par  les  reproches  qu'il  leur  adressait.  Plus  d'une  fois, 
ils  eurent  la  pensée  de  le  faire  mourir,  sans  oser  ce- 
pendant l'entreprendre  sérieusement.  Mais  ils  s'en  dé- 
dommageaient par  leurs  mépris,  leurs  murmures,  et 
par  toute  sorte  d'insultes  et  de  calomnies  :  haine  et 
mauvais  traitements,  qui  de  la  personne  de  Jésus 
aillissaient  sur  Marie.  N'est-il  pas  le  fils  de  celle 


268  REGIXA  CONFESSORUM 

qu'on  appelle  Marie  ?  disaient-ils  avec  une  amère 
dérision.  Elle,  néanmoins,  ne  rougissait  pas  de  le  sui- 
vre dans  ses  courses,  avide  de  partager  les  outrages  et 
les  insultes  que  l'on  prodiguait  à  cet  aimable  Fils.  C'est 
surtout  à  l'heure  de  sa  passion  et  de  sa  mort,  pour- 
tant si  ignominieuses,  qu'elle  n'a  point  honte  de  pa- 
raître la  Mère  du  Crucifié.  Accourue  à  sa  rencontre 
sur  le  chemin  du  Calvaire,  combien  ne  dût-elle  pas 
entendre  d'injures  vomies  contre  ce  cher  Fils  et  contre 
elle-même  connue  pour  sa  Mère  !  Mais  rien  ne  l'inti- 
mide, pas  même  d'aller  au  pied  du  gibet  se  montrer 
ostensiblement  devant  cette  multitude  frénétique  pour 
la  Mère  de  l'adorable  patient,  et  là,  de  soutenir  les 
affronts,  les  railleries,  les  humiliations  en  tout  genre 
qui.  pleuvant  sur  le  Fils,  retombaient  sur  la  Mère. 

Jésus  a  rendu  le  dernier  soupir,  et  Marie,  inébran- 
lable dans  sa  fermeté  à  le  reconnaître  pour  son  Fils, 
se  présente  la  première  pour  le  recevoir  dans  ses  bras 
à  la  descente  de  la  Croix  ,  elle  le  presse  sur  son  cœur 
et  ne  cesse  de  lui  donner  des  marques  publiques  d'un 
inviolable  attachement  ;  elle  préside  à  sa  sépulture, 
revient  au  Calvaire  :  et  pendant  longtemps,  nous  as- 
sure saint  Liguori,  son  occupation  ordinaire  et  ché- 
rie est  de  visiter  les  endroits  témoins  des  principales 
souffrances  de  Jésus,  le  jardin  des  Oliviers,  le  Pré- 
toire, les  différentes  stations  de  la  voie  douloureuse, 
et  surtout  le  lieu  de  l'immolation  et  de  la  sépulture. 
Ainsi  montrait-elle  encore  qu'elle  appartenait  à  Jésus, 
et  qu'elle  lui  avait  voué  son  cœur  comme  à  son  Dieu 
et  à  son  Fils . 

Morale  :  Apprenons  de  là  à  montrer  aussi  notre 
foi  par  nos  œuvres,  à  ne  pas  être  esclaves  du  respect 
humain,  cette  lâche  faiblesse  qui  n'ose  pratiquer  le 
bien  et  qui  s'abandonne  au  mal  de  peur  de  déplaire 


HEG1NA  CONFESSORUM  269 

aux  hommes  ou  dans  la  vue  d'attirer  leur  estime. 
C'est  là,  cependant,  la  pierre  de  scandale  pour  un 
grand  nombre  de  chrétiens.  Si  je  change  de  conduite, 
dit-on,  si  je  ne  vois  plus  cette  personne,  si  je  renonce 
à  telle  compagnie,  si  je  ne  me  venge  pas  de  cette  in- 
jure, si  je  fais  des  avances  pour  la  réconciliation,  si 
je  m'approche  des  sacrements,  si  je  me  montre  fidèle 
à  ce  devoir,  si  je  me  tiens  à  l'écart  des  divertissements 
du  monde,  en  un  mot,  si  je  ne  fais  pas  comme  les  au- 
tres, que  pensera-t-on,  que  dira-t-on  de  moi  ? 

Que  dira-t-on  de  vous  ?  Eh  quoi  !  vous  craignez 
donc  plus  de  déplaire  au  monde  que  de  déplaire  à  Dieu  ! 
Quelle  folie  !  quelle  injustice  !  Car,  que  sont  ces  dis- 
cours des  hommes  qui  vous  intimident  à  ce  point  ?  Des 
paroles  qui  se  perdent  dans  les  airs,  et  qui  ne  peuvent 
pas  plus  vous  nuire  que  le  vent  qui  passe  par-dessus 
votre  tête.  Ignorez-vous  donc  que  les  applaudisse- 
ments du  monde  ne  vous  donnent  aucun  mérite  de 
plus,  comme  vous  ne  perdez  rien  à  sa  censure?  Quoi 
qu'il  dise,  vous  n'êtes  toujours  que  ce  que  vous  êtes, 
pauvre  ou  riche,  bon  ou  mauvais.  Mais  votre  état  vis- 
à-vis  de  Dieu,  voilà  ce  qui  fait  votre  valeur  réelle. 
C'est  donc  Dieu  seul  et  votre  conscience  qu'il  faut 
craindre,  et  non  point  le  jugement  des  hommes.  Est- 
ce  à  eux  que  vous  devez  compte  de  vos  actes  ?  Est-ce 
d'eux  que  vous  attendez  votre  récompense  ?  Viendront- 
ils  vous  délivrer  de  l'enfer,  si  pour  leur  plaire  par  une 
lâche  complaisance,  vous  vous  y  êtes  précipité  ?  Ne 
craignez  donc  point  de  leur  paraître  singulier  ;  mais 
d'être  blâmé  ou  approuvé  de  Dieu,  voilà  ce  qui  seul 
doit  vous  inquiéter. 

Que  dira-t-on  de  vous  ?  Les  bons,  soyez-en  sur,  vous 
tiendront  compte  de  votre  courage,  de  votre  fidélité, 
vous  en  estimeront  davantage.  Et  les  méchants  eux- 

PAPAPHRASB,  —  T.   II.  16 


270  REGINA   COXFESSORIM 

mêmes,  en  paraissant  vous  blâmer,  parce  que  votre 
conduite  les  condamne,  seront  forcés  intérieurement 
de  rendre  justice  à  votre  vertu.  Tout  le  monde  sait  ce 
qu'il  en  coûte  pour  être  vertueux,  surtout  en  dépit  des 
railleries  si  capables  d'en  détourner.  Mais,  quand 
même  ils  vous  blâmeraient  sérieusement,  cela  doit-il 
vous  ébranler?  «  Il  est  glorieux,  dit  un  saint  évèque, 
d'être  méprisé  par  les  méchants  :  »  c'est  le  sort  que 
Jésus-Christ  disait  être  réservé  à  ses  disciples  ;  c'est 
le  cachet  de  la  sainteté .  «  Et  ce  serait  au  contraire, 
dit  Bossuet,  avoir  l'âme  bien  basse,  de  n'oser  être 
sage,  parce  que  les  fous  s'en  moquent.  »  D'ailleurs, 
pourriez-vous  regarder  comme  un  déshonneur  de  ser- 
vir le  plus  grand  des  maîtres  ?  On  se  fait  gloire  d'être 
au  service  d'un  puissant  de  la  terre,  de  porter  ses 
livrées  :  il  n'y  a  pas  jusqu'au  plus  vil  artisan  qui  ne 
se  fasse  honneur  de  sa  profession,  si  basse  qu'elle 
soit  :  et  vous  chrétiens,  vous  rougiriez  de  vous  mon- 
trer disciples  de  Jésus-Christ,  le  Roi  de  tous  les  rois  ! 
Ce  serait  encourir  inévitablement  sa  réprobation  :  ses 
paroles,  à  cet  égard,  sont  des  plus  formelles  :  Si  quel- 
qu'un, dit-il,  a  rougi  de  moi  et  de  ma  doctrine  de- 
vant les  hommes  ;  je  rougirai  de  lui  devant  mon 
Père.  Quelle  folie,  de  perdre  ainsi  son  éternité  pour 
quelques  paroles  des  méchants  !  Quand  donc  on  se 
trouvedans  l'impossibilité  de  contenter  Dieu  et  le  monde, 
leurs  maximes  étant  par  trop  opposées,  y  a-t-il  à  ba- 
lancer ?  Ne  doit-on  pas,  avec  la  même  générosité  que 
les  apôtres,  obéir  à  Dieu  plutôt  qu'aux  hommes? 

Obtenez-moi,  ô  Marie,  le  courage  de  me  montrer  en 
paroles  et  en  œuvres,  le  fidèle  disciple  de  votre  Fils, 
pour  avoir  le  droit  d'en  être  reconnu  au  grand  jour 
des  récompenses. 

Pratique  :  Ne  pas  rougir  de  porter  les  livrées  de  la 


HËGINA    CONFESSORUM  271 

sainte  Vierge,  non  plus  que  de  pratiquer  les  actes  de 
chrétien . 

EXEMPLES 

LÂCHETÉ   DU  RESPECT  HUMAIN. 

Ce  serait  imiter  la  honteuse  apostasie  de  saint  Pierre 
qui,  après  avoir  juré  à  son  bon  Maître  qu'il  mourra 
plutôt  que  de  l'abandonner,  se  laisse  dominer  par  la 
crainte  de  paraître  lui  appartenir,  et  à  la  voix  d'une 
simple  servante,  le  renie  par  la  plus  vile  des  lâchetés. 
—  Ce  serait  imiter  Pilate  :  il  reconnaît  l'innocence  de 
l'Homme-Dieu,  il  déclare  qu'il  ne  trouve  point  en  lui 
de  cause  de  mort  ;  malgré  l'insistance  du  peuple,  il 
proteste  qu'il  ne  veut  point  tremper  ses  mains  dans  le 
sang  innocent  ;  mais  à  peine  lui  a-t-on  laissé  entre- 
voir qu'il  va  déplaire  à  César,  cette  crainte  l'emporte 
sur  toute  autre  considération  ;  elle  lui  dicte  la  sentence 
la  plus  inique,  dont  inutilement  il  prétend  se  laver.  — 
Ce  serait  imiter  ces  lâches  apostats  des  premiers  siè- 
cles, rares  il  est  vrai,  qui,  se  laissant  intimider  par  les 
menaces  ou  la  vue  des  supplices,  préfèrent  une  vie 
périssable  à  une  mort  glorieuse . 

QUELQUES  ACTES  DE  COURAGE  CHRETIEN. 

Une  jeune  personne,  élevée  dans  un  pensionnat  re- 
ligieux, étant  rentrée  dans  le  monde,  y  continua  la 
salutaire  pratique  de  la  communion  fréquente.  Un 
jour  qu'elle  avait  goûté  ce  bonheur,  des  raisons  de 
bienséance  l'obligèrent  de  se  trouver  à  un  repas  où 
les  convives  étaient  nombreux .  Fidèle  à  ses  habitudes, 
elle  ne  rougit  point  de  dire  son  Benecllcite.  Un  officier 
décoré  qui  l'aperçut  lui  dit  d'un  ton  moqueur  :  «  Ah  ! 
Mademoiselle,  que  faites-vous  là  ?  —  Capitaine,  répon- 
dit-elle, rougissez-vous  de  votre  croix  d'honneur  ? 

Oh  !  certes,  non,  Mademoiselle.    —   Eh    bien  I   vous 


272  REGINA   VIRGINUM 

saurez  que  le  signe  de  la  Croix  est  pour  moi  un  signe 
de  gloire  et  d'homieur.  —  Et  chacun  d'accueillir  cette 
répartie  avec  un  sourire  approbateur. 

—  Un  célèbre  médecin  fut  invité  à  dîner  chez  M.  de 
Buffou.  Des  hommes  célèbres  par  leur  incrédulité  se 
trouvaient  au  repas.  C'était  un  vendredi,  et  le  maître 
d'hôtel,  sans  doute  par  oubli,  n'avait  mis  sur  la  table 
au  premier  service  que  du  gras.  Le  docteur  chrétien 
ne  mangeait  pas,  bien  décidé  à  attendre  le  dessert. 
Parmi  les  convives  se  trouvait  Diderot  qui  soupçon- 
nant le  motif,  demanda  au  docteur  si  c'était  à  cause 
du  vendredi  qu'il  ne  mangeait  pas.  —  Oui,  répondit 
le  médecin  ;  et  je  suis  bien  convaincu  que  les  aliments 
gras  sont  très  nuisibles  les  jours  de  la  semaine  ou 
l'Eglise  les  défend.  —  M.  de  BufFon  dit  aussitôt  à  son 
maître  d'hôtel  de  desservir,  et  de  ne  pi  as  apporter  que 
du  maigre. 


CHAPITRE  XLVI. 


REINE  DES  VIERGES. 

Au  milieu  des  élus,  j'aperçois  un  essaim  d'âmes  qui 
rayonnent  d'une  incomparable  beauté  ;  elles  forment 
autour  de  l'Agneau  comme  un  cortège  d'honneur,  et 
le  suivent  partout  où  Uva,  chantant  devant  le  trône 
un  cantique  nouveau  que  nulle  autre  voix  ne  peut 
clin ,der.  Ce  sont  les  vierges  :  anges  en  des  corps  mor- 
tels, elles  ont  passé,  sans  ternir  la  blancheur  de  leurs 
vêtements,  par  les  chemins  fangeux  du  siècle,  n'éprou- 
vant que  mépris  et  dégoût  pour  ses  joies  et  ses  plai- 
sirs. Dédaignant  un  hyménée  charnel,  elles  ont  choisi 
au  ciel  l'objet  de  leur  unique  amour  ;   et  les  voilà 


KEGINA  VIRGINUM  273 

admises  aux  noces  éternelles  avec  le  di\  in  Eraux  de 
leur  àme. 

Mais  qui  donc  leur  fraya  cette  voie  ?  Qui  leur  fît 
connaître  le  prix  et  le  bonheur  de  la  virginité  ?  C'est 
Marie,  qui  la  première  en  avait  arboré  l'étendard  : 
véritable  Reine  des  vierges,  elle  leur  servit  de  guide, 
de  modèle  et  de  soutien  dans  cette  carrière  nouvelle. 
Depuis  le  jour,  hélas  !  à  jamais  lamentable,  où  le  ser- 
pent infernal  répandit  les  laves  de  son  venin  sur  la 
terre  de  l'innocence,  la  virginité  n'y  fleurissait  plus  ; 
elle  était  enfouie  sous  les  ruines  du  monde  coupable . 
Ce  fut  Marie  qui  raviva  sur  notre  terre  cette  vertu  du 
ciel,  et  sema  ce  lis  aux  parfums  délicieux  dans  le 
champ  de  l'Eglise  :  présent  le  plus  riche  et  le  plus 
beau  qu'elle  ait  fait  au  monde,  après  le  don  du  divin 
Rédempteur .  Pour  mieux  l'apprécier,  voyons  le  prix 
et  l'excellence  de  la  virginité, 

I .  En  elle-même,  et  d'après  l'estime  qu'en  ont  faite 
Jésus  et  Marie  ; 

II.  Par  ses  heureux  fruits  dans  le  Christianisme. 

ARTICLE  PREMIER 

Excellence   de  la  virginité  en  elle-même,  et   d'après 

l'estime  de  Jésus  et  de  Marie. 

Sancta  et  immaculata  virginitas,  quibus  te  lau- 
dibus  efferam,  nescio  (S.  Aug.)  ?  «  Par  quelles  louan- 
ges assez  dignes  pourrai-je  t 'exalter,  ô  sainte  virgi- 
nité ?  »  Non,  tous  les  trésors  de  la  terre  ne  peuvent 
lui  être  comparés,  nous  assure  l'Esprit-Saint .  «  Elle 
surpasse  la  blancheur  du  lis  fraîchement  éclos  ainsi 
que  la  douce  clarté  de  l'aurore  ;  elle  l'emporte  sur 
la  sérénité  d'un  ciel  pur  et  sans  nuages,  sur  l'éclat 
de  l'émeraude.  L'innocence  !  c'est  un  rayon  des 
beautés  de  Dieu,  qui  tombe  sur  lame,  l'illumine  et  la 
fait  l'égaie  des  anges.  —  «  0  merveilleux  privilège  de 


'2~î  REGIXA  V1RGINUM 

la  virginité  !  s'écrie  un  Père,  qui  élève  l'homme  jus- 
qu'à Dieu,  qui  attire  ses  regards  de  douce  complai- 
sance, et  obtient  les  bénédictions  les  plus  abondantes 
de  son  amour.  »  —  «  C'est,  a  dit  quelqu'un,  le  ma- 
riage d'une  âme  avec  Dieu.  »  —  «  0  sainte  virginité, 
que  vous  êtes  belle  !  s'écriait  encore  une  autre  voix  : 
le  Verbe  divin  vous  doit  sa  naissance  éternelle  dans 
la  splendeur  des  cieux,  sa  naissance  temporelle  dans 
le  cœur  immaculé  de  Marie,  sa  naissance  eucharis- 
tique entre  les  mains  virginales  de  ses  prêtres.  »  Le 
nom  seul  de  cette  évangélique  vertu  flatte  l'oreille  plus 
que  les  plus  harmonieux  concerts ,  il  délecte  l'esprit, 
enchante  le  cœur,  et  procure  plus  de  jouissances  que  les 
épanchements  de  l'amitié  la  plus  affectueuse.  Saint 
Cyprien  appelle  les  vierges  «  le  plus  bel  ouvrage  de  la 
grâce  divine,  l'image  où  la  sainteté  de  Dieu  se  réfléchit 
avec  plus  d'éclat,  les  fleurs  odoriférantes  de  l'Eglise, 
la  portion  la  plus  illustre  du  troupeau  de  Jésus-Christ.» 
Une  vierge,  ce  n'est  plus  l'enfant  dans  son  innocence  ; 
c'est  la  jeunesse  dans  toute  sa  force,  mais  restée  pure 
comme  l'enfance  par  l'énergie  de  sa  volonté  aidée  de 
la  grâce.  Un  enfant  innocent  est  quelque  chose  de 
bien  beau  :  on  l'aime  par  un  doux  et  irrésistible  attrait  ? 
c'est  le  bouton  de  rose  qui  s'épanouit  au  lever  du 
soleil;  mais  une  vierge,  c'est  le  lis  blanc  et  pur,  resté 
debout  après  l'orage  et  répandant  au  loin  son  odorant 
parfum;  on  fait  plus  que  l'aimer,  on  l'admire;  elle 
vous  pénètre  d'une  involontaire  et  religieuse  vénéra- 
tion. 0  aimable  virginité  !  quand  je  déploierais  toutes 
les  merveilles  imaginables  de  pensées  et  de  langage, 
vos  charmes  et  votre  prix  seroni  toujours  beaucoup 
au-dessus  des  images  les  plus  riches  et  des  plus  ma- 
gnifiques comparaisons.  Continuons,  néanmoins,  de 
la  peindre,  mais  actuellement  sans  figures. 


REG1NA   VIRG1XUM  275 

Disons  d'abord  qu'elle  est  la  vertu  desvierges.  On  dit 
souvent  Yangélique  vertu  ;  et  d'une  vierge.  C'est  un 
ange.  Encore  le  parallèle  est-il  loin  d'être  exact.  Les 
anges  sont  vierges,  mais  par  nature;  chez  l'homme, 
au  contraire,  c'est  le  prix  de  longs  et  pénibles  com- 
bats. Si  pour  les  anges  le  bonheur  est  plus  grand,  il  y 
a  dans  l'homme  plus  de  courage  et  partant  plus  de 
mérite.  Cherchez  une  fleur  en  plein  été  dans  un  par- 
terre, rien  de  plus  naturel  que  de  l'y  rencontrer  ;  mais 
une  fleur  délicate,  au  cœur  de  l'hiver,  sur  le  sommet 
des  Alpes,  serait  un  phénomène.  Ainsi,  que  la  pureté 
des  anges  s'épanouisse  au  ciel,  c'est  son  terroir  ;  mais 
que  de  faibles  créatures,  t issues  de  chair  et  de  sang, 
avec  tout  le  feu  de  leurs  convoitises,  au  milieu  des 
séductions  d'un  monde  corrompu,  conservent  la  fraî- 
cheur de  la  virginité,  ah  !  voilà  ce  qui  rehausse  le 
prix  et  le  mérite  de  cette  perle  ;  voilà  ce  qui,  à  cer- 
tains égards,  élève  au-dessus  de  Fange  celui  qui  en 
est  orné . 

Une  autre  gloire  de  la  virginité,  qui  doit  nous  la 
rendre  de  plus  en  plus  chère  et  estimable,  c'est  d'avoir 
été  la  vertu  privilégiée  de  Jésus-Christ,  et  de  sa  sainte 
Mère:  et  d'abord  de  Jésus- Christ.  Quand  un  grand 
seigneur  se  promène  en  son  jardin,  il  regarde  bien  en 
passant  toutes  les  fleurs,  il  admire  l'émail  des  unes,  il 
respire  l'odeur  des  autres,  il  considère  en  toutes  la 
riche  variété  des  couleurs  et  de  la  forme  ;  mais  celle 
qui  l'a  charmé  davantage,  il  la  cueille  pour  en  con- 
templer de  plus  près  la  beauté  et  en  savourer  le 
parfum  ;  il  la  porte  à  sa  main  par  plaisir  ou  comme 
ornement  :  de  même  Jésus-Christ,  quoique  aimant  les 
fleurs  de  toutes  les  vertus,  a  une  affection  toute  parti- 
culière pour  le  lis,  emblème  de  la  virginité  :  descendit 
ut  lilia  colligal...  pascitur  inler  lilia  (Gant.).  Ainsi, 


276  REG1NA   VIRftINUM 

il  a  voulu  naître  de  la  plus  pure  des  vierges  ;  avoir  pour 
gardien  et  tuteur  de  son  enfance  le  chaste  Joseph  ; 
pour  Précurseur  un  homme  vierge  :  le  plus  aimé  de 
ses  desciples  fut  saint  Jean  qui  était  vierge,  et  qui 
pour  cela  eut  l'honneur  insigne  de  reposer  sur  son 
cœur  à  la  Cène,  et  de  devenir  le  dépositaire  du  pré- 
cieux objet  qu'il  laissait  en  mourant,  la  Vierge  Marie  : 
«  Une  Mère  vierge,  dit  saint  Augustin,  ne  pouvait 
être  mieux  confiée  qu'à  un  disciple  vierge.  »  En  rece- 
vant Marie,  il  hérita  tout  l'amour  de  Jésus-Christ  ; 
mais  c'est  parce  qu'il  était  l'imitateur  fidèle  de  sa  pu- 
reté. Si  cette  vertu  mérita  à  Marie  d'avoir  un  Dieu 
pour  Fils,  elle  valut  à  saint  Jean  d'avoir  pour  mère  la 
propre  Mère  de  Dieu .  —  Son  sépulcre  même,  Jésus 
voulut  le  trouver  vierge.  —  Il  supporta  l'ambition  des 
enfants  de  Zébédée,  l'avarice  de  Judas,  le  triple  renie- 
ment de  saint  Pierre,  l'incrédulité  de  Thomas  ;  mais 
qu'un  seul  de  ses  apôtres  fut  seulement  soupçonné  à 
l'endroit  de  la  délicate  chasteté,  il  ne  le  permit  point. 
Pouvait-il  nous  montrer  par  des  marques  plus  expres- 
sives, la  haute  estime  qu'il  avait  pour  la  virginité? 

Elle  fut  aussi  la  vertu  favorite  de  Marie,  qui,  c'est 
une  douce  nécessité  de  le  redire,  va  dès  l'âge  le  plus 
tendre  en  faire  à  Dieu  le  vœu  perpétuel  :  qui  ne  con- 
sent à  prendre  Joseph  pour  époux  qu'à  la  condition  de 
rester  vierge ,  qui  au  moment  solennel  de  l'Incarna- 
tion ne  s'inquiète  que  de  sa  virginité  et  la  mettra  au- 
dessus  du  sublime  honneur  de  devenir  la  Mère  du 
Messie  Rédempteur.  Mais  !...  ne  voyez-vous  donc  pas, 
ô  Marie,  la  gloire  immense  qui  vous  attend,  si  vous 
acceptez,  les  milliers  de  temples  où  l'on  viendra  en 
foule  réclamer  votre  secours?  N'entendez-vous  pas 
toutes  les  générations  jusqu'à  la  fin  des  siècles  publier 
à  l'envie  vos  grandeurs?  Partager  avec  votre  Fils  l'em- 


REGINA  VIRGINUM  277 

pire  du  monde,  est-ce  donc  trop  peu  d'honneur  ?  Et  ce 
trône  radieux  qui  vous  est  réservé  à  côté  de  l'Eternel, 
et  ce  diadème  royal  qui  ceindra  votre  front,  n'ont -ils 
donc  pour  vous  aucun  attrait?  Ah  ?  si  vous  pouvez 
être  si  peu  sensible  à  votre  gloire,  ayez  du  moins  pitié 
des  pauvres  mortels  qui  soupirent  ardemment  après 
le  Libérateur  promis.  Verrez-vous  d'un  œil  indifférend 
nos  larmes  couler  sans  fin?  Laisserez- vous  notre  en- 
nemi s'applaudir  toujours  de  son  triomphe,  et  insulter 
à  notre  défaite  ?  Assez  longtemps  il  a  régné  ;  brisez 
son  sceptre  et  détruisez  son  empire.  Qu'elle  est  belle 
cette  gloire  ! . . .  Mais  toute  cette  riante  et  magnifique 
perspective  ne  peut  séduire  l'auguste  Vierge;  tout 
s'éclipse  à  ses  yeux  devant  l'excellence  de  la  virginité 
et  le  prix  qu'elle  y  attache.  «  Aussi,  dit  saint  Bernard, 
par  le  plus  incompréhensible  de  tous  les  mystères, 
c'est  sa  virginité  même  qui  conduit  Marie  à  la  Mater- 
nité, virginitate  plaçait  :  mais  en  devenant  mère,  elle 
ne  perd  rien  de  son  angélique  pureté. 

Virginité  donc,  vertu  des  anges,  vertu  tant  chérie 
de  Jésus,  vertu  favorite  de  Marie  !  «  Virginité,  ajoute- 
rons-nous encore  avec  saint  Cyprien,  état  sublime,  où 
le  corps  seul  est  sur  la  terre,  et  le  cœur  tout  entier 
dans  les  cieux  ;  glorieuse  anticipation  de  la  vie  céleste: 
c'est  la  victoire  sur  le  monde,  le  triomphe  sur  ses  vo- 
luptés, l'absence  de  l'amour  sensuel  pour  le  seul 
amour  de  Dieu  !  »  Oh  !  qui  ne  pourrait  ne  pas  estimer, 
ne  pas  chérir,  ne  pas  conserver  à  tout  prix  un  si  riche 
trésor  ?  Mais  ce  qui  en  fera  mieux  ressortir  l'excellence 
et  la  beauté, 

Morale  :  C'est  la  peinture,  ce  sont  les  suites  sou- 
verainement pernicieuses  du  vice  contraire.  Ici  encore, 
nous  sentons  que  nos  paroles  seront  bien  au-dessous 
de  la  réalité.  Oh  1  le  vice  impur  !  outre  qu'il  fait  des- 


278  REGIRA   VIRGIN  CM 

cendre  jusqu'aux  dernières  limites  de  la  dégradation 
celui  qui  en  est  l'esclave,  et  le  ravale  même  au-des- 
sous de  la  brute,  il  a  le  funeste  pouvoir  d'énerver  le 
corps,  d'altérer  la  santé,  d'obscurcir  l'intelligence, 
doter  la  liberté  d'esprit,  d'endurcir  le  cœur,  le  rendre 
charnel  et  incapable  de  rien  de  magnanime.  «  Ses 
fruits,  dit  saint  Ambroise,  sont  plus  amers  que  l'ab- 
sinthe, ses  effets  plus  poignants  que  la  pointe  d'une 
épée.  ))  Sur  quoi  saint  Bernard  enchérit  encore,  en 
appelant  cet  état  «  prison,  enfer.  »  Le  vice  impur  !  il 
amène  les  remords  déchirants,  mais  qui  ne  garantis- 
sent pas  toujours  de  nouveaux  désordres,  parce  que, 
une  fois  qu'on  est  engagé  dans  ce  maudit  péché,  il  est 
aussi  difficile  de  s'en  retirer,  dit  saint  Jean  Chrysos- 
tôme,  après  l'Esprit-Saint,  que  de  sortir  d'un  gouffre 
profond  et  sans  issues.  Aussi  trouve-t-on  peu  dïnpu- 
diques  qui  se  convertissent  véritablement.  On  peut  en 
assigner  deux  causes  principales  :  la  première,  c'est 
que  cette  passion  dégénère  bientôt  en  habitude, 
qui,  se  fortifiant  par  les  jouissances,  ne  tarde  pas 
à  devenir  comme  une  nécessité.  »  C'est  un  tyran  cruel, 
de  l'aveu  d'un  païen,  qui  charge  ses  esclaves  de  chaînes, 
et  s'assied  sur  leurs  tètes  pour  les  dominer  de  plus 
haut  :  ).)  —  «  qui  vous  lie  et  vous  garotte,  »  nous  as- 
sure saint  Augustin,  juge  compétent  en  cette  matière. 
Il  en  est  de  cette  passion  comme  la  soif  de  l'hydropique, 
laquelle  augmente  par  les  moyens  mêmes  que  l'on  em- 
ploie pour  la  calmer  :  ainsi  pour  le  voluptueux,  les  sa- 
tisfactions coupables  ne  font  qu'attiser  les  flammes 
criminelles  qui  le  dévorent  :  et  lors  même  que  les  for- 
ces lui  manquent,  le  désir  contrarié  n'en  devient  que 
plus  ardent . 

Une  2e  cause  qui  rend  si  difficile  l'extirpation  de  cet 
abominable  vice,  c'est  qu'il  étouffe  tout  ce  qui  pourrait 


RBGINA   VIRGINUM  279 

toucher  et  convertir.  L'homme  sensuel,  a  dit  saint 
Paul,  ne  comprend  rien  aux  choses  de  Dieu.  Il  n'est 
pas  plus  attendri  de  la  magnificence  de  ses  promesses 
qu'intimidé  par  la  rigueur  de  ses  menaces  ;  il  ne  voit, 
ni  la  laideur  ni  le  danger  de  sa  vie  criminelle,  trop 
semblable,  oserons-nous  dire  avec  l'énergie  de  saint 
Chrysostôme,  à  l'animal  -immonde  qui  se  vautre  dans 
la  fange,  sans  prendre  garde  qu'il  salit  son  corps .  S'il 
ne  peut  arriver  jusqu'à  nier  positivement  l'existence 
d'un  Dieu  vengeur  de  ses  désordres,  il  détourne  les  yeux 
pour  ne  point  voir  le  ciel,  afin  de  s'abandonner  avec 
moins  de  remords  à  toutes  les  exigences  de  son  insa- 
tiable passion.   Faut-il  s'étonner  après  cela  que  les 
saints  Pères  soient  umaniques  à  dire  qu'un  des  plus 
rares  miracles  de  la  toute-puissance  de  Dieu,  c'est  la 
conversion  et.  le  salut  d'un  impudique,  conséquemment 
que  ce  vice  mène  comme  infailliblement  à  la  perdition 
éternelle  :  saint  Rémi,  saint  Bernard,  saint  Liguori, 
osent  bien  affirmer,  que  parmi  les  damnés  le  plus 
grand  nombre  le  sont  pour  le  crime  d'impureté.  C'est 
que,  dit  encore  saint  Augustin,  entre  tous  les  vices, 
celui-ci  a  le  fatal  privilège  de  conduire  à  une  effrayante 
prévarication,  par  des  sentiers  qui  semblent  semés  de 
roses,  et  de  fermer  ensuite  les  issues  qui  pourraient  en 
faire  sortir  ;  c'est  que ,  ajoute-t-il ,  les  combats  que 
livre  cette  passion  sont  si  fréquents  et  si  rudes,  que 
bien  peu  remportent  sur  elle  une  victoire  certaine.  Que 
de  motifs  de  nous  tenir  en  garde  à  tout  jamais  contre 
un  vice  qui  a  des  suites  aussi  funestes  ! 

Ce  n'est  donc  point  sans  luttes  et  sans  da  généreux 
efforts,  ô  Marie,  que  nous  pourrons  conserver  intacte 
l'aimable  pureté  dans  nos  vases  fragiles  ;  mais  sa  beauté 
nous  charmera,  vos  exemples  et  vos  prières  nous  sou- 
tiendront :  Reine  des  Vierges,  priez  pour  nous. 


280  REGINA  VIRGINUM 

Pratique  :  Se  représenter  souvent  les  charmes  de  la 
chasteté  d'après  les  beautés  de  la  nature . 

EXEMPLES 

HORREUR   DE    DIEU   POUR    LE    VICE    IMPUR 

Il  est  bien  permis  d'en  juger  par  les  châtiments 
épouvantables  dont  il  l'a  puni.  Qui  n'a  entendu  parler 
de  cette  inondation  générale  qui  submergea  la  terre  et 
ses  habitants,  à  l'exception  d'une  seule  famille?  Or, 
qu'est-ce  qui  attira  ainsi,  non-seulement  sur  l'homme, 
mais  sur  toute  créature  la  colère  d'un  Dieu  d'ailleurs 
si  bon  ?  Une  seule  cause  :  toute  chair  avait  corrompu 
sa  voie  :  chacun  s'abandonnait  aux  dérèglements  de 
son  cœur  dépravé.  Dieu  en  est  tellement  affligé,  telle- 
ment indigné,  qu'il  va  jusqu'à  dire,  qu'il  ne  peut  plus 
supporter  l'homme,  et  qu'il  se  repent  de  l'avoir  créé. 

—  Peu  de  temps  après,  un  des  trois  enfants  de  Noé 
commet  une  faute,  non  point  des  plus  énormes  en  cette 
matière,  mais  contraire  à  la  décence  :  il  ose  fixer  les 
yeux  sur  la  nudité  de  son  père  endormi,  Qu'arrive-t-il  ? 
Noé  l'ayant  su  à  son  réveil,  le  maudit  ;  et  cette  malé- 
diction retomba  sur  toute  sa  race  :  plus  de  deux  mille 
ans  après,  du  temps  de  Jésus-Christ,  les  Cananéens, 
par  le  mépris  général  qui  les  frappait,  payaient  tou- 
jours, payaient  chèrement  la  faute  de  Cham. 

—  Quelle  preuve  non  moins  éclatante  de  l'horreur  de 
Dieu  pour  ce  péché  n'en  trouvons-nous  pas  dans 
l'épouvantable  châtiment  de  Sodome ,  Gomorrhe  et 
trois  autres  villes,  appelées  encore  aujourd'hui  infâ- 
mes, à  cause  des  excès  impurs  auxquels  on  se  livrait  ! 
Ils  étaient  si  monstrueux  ,  que  Dieu  ne  pouvant  y 
croire,  selon  l'expression  si  énergique  des  saints  Livres, 
descendit  comme  pour  s'en  assurer  par  lui-même;  et 
témoin  de  la  réalité,  il  fit  pleuvoir  le  soufre  et  le  feu 


HEGINA    VIRGINUM  381 

qui  détruisirent  jusque  dans  leurs  fondements  ces  villes 
criminelles.  Leur  sol  est  transformé  en  un  lac  de 
bitume,  qui  atteste  à  toutes  les  générations  la  terrible 
vengeance  que  Dieu  tira  de  leurs  impudicités. 

ARTICLE  SECOND 

Heureux  fruits  que   la  virginité  a   produite    dans  le 
Christianisme 

Au  Catholicisme  seul  il  était  réservé  de  produire  la 
virginité  et  tous  les  actes  magnanimes  qu'elle  enfante. 
Ce  n'est  que  sur  le  sol  arrosé  par  le  sang  de  Jésus- 
Christ  que  cette  fleur  du  ciel  peut  germer  et  donner 
du  fruit.  C'est  là  que,  sous  l'influence  de  la  Vierge 
sans  tache,  cette  vertu  féconde  a  non-seulement  peu- 
plé le  sanctuaire,  les  cloîtres,  les  déserts  et  même  le 
monde  d'une  race  nouvelle  d'àmes  virginales,  mais  en 
a  fait  des  héros  de  charité,  de  dévouement,  de  sacrifi- 
ces, de  toutes  les  actions  grandes  et  généreuses  que 
n'a  jamais  pu  produire  le  Paganisme.  Et  voilà  le  ravis- 
sant tableau  qu'il  nous  reste  à  étaler  sous  vos  yeux, 
pour  compléter  l'hymne  glorieux  déjà  commencé  en 
l'honneur  de  la  virginité.  Oui,  nous  osons  bien  le  pro- 
clamer à  la  face  du  monde  entier  : 

C'est  par  les  âmes  virginales  que  fut  produit 
tout  ce  qu'il  y  a  eu  de  saint,  de  grand,  de  généreux, 
d'héroïque  dans  le  Christianisme . 

Commençons  à  le  reconnaître  et  à  l'admirer  dans 
cette  moitié  du  genre  humain,  où  la  faiblesse  du  sexe 
semblerait  le  faire  moins  espérer.  Autrefois,  elle  eût 
été  incomprise,  celle  qui  aurait  renoncé  à  devenir  mère 
pour  n'avoir  d'autres  enfants  que  les  pauvres  ,  les 
malades,  les  orphelins  ;  ou  plutôt,  c'était  chose  entière- 
ment inconnue  dans  le  monde  païen.  Mais,  depuis  l'ap- 
parition de  la  sainLe  Vierge,  une  voix  intérieure  a 

PARAPHRASE.  —   T.    II.  17 


2*2  REGINA    VIROINUM 

parlé  à  des  millions  de  jeunes  personnes,  et  des  mil- 
lions déjeunes  personnes  y  ont  répondu  avec  un  élan 
*i  empressé,  que  la  société  chrétienne  abonde  en  âmes 
généreuses  qui  ont  voulu  échanger  les  jouissances  de 
la  terre  contre  une  vie  d'abnégation  complète.  Et  sou- 
vent ces  femmes  au  cœur  mâle  sont  de  jeunes  filles, 
riches  des  dons  de  la  nature  et  de  la  fortune,  douées 
des  plus  belles  qualités  qui  leur  promettaient  un  bril- 
lant avenir  :  quelques-unes  même  sont  nées  sur  les 
marches  d'un  trône,  sous  le  portique  d'un  palais,  dans 
les  salons  d'un  château  :  n'importe  ;  voyez-les  toutes 
renoncer  aux  douces  illusions  de  leur  âge,  aux  sédui- 
sants plaisirs  du  monde ,  à  leur  patrimoine ,  à  des 
parents  chéris,  aux  affections  de  l'amitié,  pour  aller 
consumer  leur  existence  auprès  des  malades,  panser 
des  plaies  rebutantes ,  essuyer  tous  les  dégoûts  des 
infirmités  humaines ,  quelquefois  les  rebuts  d'êtres 
grossiers  et  ingrats. 

Voulez- vous  contempler  de  tout  près  un  de  ces  spec- 
tacles entre  mille  autres  semblables,  osez  bien  péné- 
trer un  moment  dans  ce  réduit  hideux  :  là ,  voyez 
étendu  sur  la  paille  un  pauvre  couvert  d'ulcères,  rongé 
par  la  vermine,  en  proie  aux  plus  affreuses  douleurs  : 
si  ce  malheureux  n'a  plus  de  mère,  ilva mourir  privé 
des  consolations  de  la  foi.  ainsi  que  des  secours  de  la 
charité  :  car  toute  la  bienfaisance  philantropique  a 
reculé  à  ce  spectacle.  Mais  là  se  trouve  une  femme  qui 
en  lui  prodiguant  ses  soins  les  plus  généreux,  le  fortifie 
par  ses  pieuses  paroles  et  appelle  sur  lui  les  bénédic- 
tions du  ciel  par  la  ferveur  de  sa  prière.  Et  cette  femme, 
ce  n'est,  ni  sa  mère,  ni  son  épouse,  ni  sa  sœur  ;  c'est 
une  vierge,  pauvre,  mais  au  cœur  d'or  ;  c'est  une  fille 
de  Marie! 

Avec  autant  de  courage  et  d'amour,  elle  volera  par- 


HEGhNA   VIRG1NUM 


-283 


tout  où  elle  saura  un  chagrin  à  consoler,  une  douleur 
à  adoucir,  un  malheur  à  réparer,  l'indigence  à  nourrir, 
une  mère  à  remplacer,  une  odeur  de  mort  à  supporter  ; 
partout  où  il  faut  instruire  un  ignorant,  relever  une  fai- 
blesse, toucher  un  endurci,  disposer  un  mourant  au  tré- 
pas ;  car  les  besoins  de  Tàme  autant  que  ceux  du  corps, 
les  intérêts  de  la  vie  future  comme  ceux  de  la  vie  pré- 
sente, tout  est  du  domaine  de  sa  charité.  —  Voyez- vous 
cette  autre  quitter  résolument  la  patrie,  braver  les  pé- 
rils de  la  mer,  l'intempérie  des  saisons,  toutes  les  ri- 
gueurs du  climat,  pour  aller  sur  les  plages  inconnues 
de  la  Crimée,  de  la  Cochinchine,  se  jeter  au  milieu  des 
bataillons,  sous  le  feu  de  la  mitraille,  afin  de  prodiguer 
à  nos  guerriers,  avec  les  consolations  religieuses,  des 
remèdes  à  leurs  blessures,  et  de  les  disposer  à  une 
sainte  mort  ! 

En  voyant  ces  âmes  d'élite,  si  sublimes  d'amour  et 
de  dévouement,  si  belles  de  candeur,  si  radieuses  de 
joie  pure,  ne  dirait- on  pas  des  anges  descendus  du  ciel 
pour  soulager  et  consoler  tout  ce  qui  porte  la  livrée  du 
besoin  ou  du  malheur,  pour  montrer  au  crime,  au  dé- 
sespoir peut-être,  la  voie  du  repentir  et  du  pardon  ? 
En  se  sacrifiant  ainsi  pour  toutes  les  nécessités,  ces 
courageuses  filles  de  Marie  accomplissent  au  centuple 
les  devoirs  de  la  femme  destinée  à  être  mère  ;  car  la 
vierge,  qui  n'est  pas  mère  selon  la  chair,  le  devient 
par  la  charité  ;  tous  les  malheureux  sont  ses  en- 
fants ;  les  orphelins  retrouvent  en  elle  la  mère  qu'ils 
ont  perdue.  Et  quelle  est  la  force  motrice  d'actions  si 
héroïques?  C'est  la  virginité  :  leur  affection,  qui  n'est 
donnée  à  personne  spécialement,  s'étend  à  toute  la 
grande  famille  humaine  et  surtout  aux  plus  miséra- 
bles :  leur  cœur  libre  de  toute  entrave  des  créatures  se 
dilate  plus  facilement,  pour  enfanter  tous  les  senti- 


284  REGINA    VIRGÏNTM 

ments  nobles  et  généreux,  qui  se  produisent  ensuite  par 
des  actes. 

Mais,  pour  apprécier  de  mieux  en  mieux  ce  dont  est 
capable  un  cœur  vierge,  pénétrons  un  instant  dans  ces 
solitudes  profondes  presque  inconnues  aux  mortels,  le 
Carmel,  la  Trappe,  la  Chartreuse;  entrons  dans  leurs 
cellules  obscures,  et  là  nous  verrons  sous  la  cendre  et 
le  ciliée,  de  nouveaux  mardochées,  priant  pour  le  salut 
de  tout  Israël  ;  d'autres  Davids,  chantant  les  hymnes 
sacrées  de  la  pénitence;  de  nouveaux  Jérômes,  de  nou- 
veaux Antoines,  qui  par  le  jeune  et  la  prière  mettent 
en  fuite  le  démon,  accomplissent  sur  leur  chair  inno- 
cente ce  qui  manque  à  la  passion  de  Jésus-Christ,  et  ce 
que  ne  font  pas  les  ennemis  de  la  croix.  Et  cette  immola- 
tion continuelle  de  la  nature  n'est  point  le  fait  seulement 
d'hommes  au  tempérament  robuste;  mais  c'est  aussi  le 
sacrifice  habituel  auquel  se  condamne  le  sexe  le  plus  dé- 
licat. A  cette  vue,  qui  pourrait  douter  encore  qu'au  cé- 
libat seul  il  appartient  de  faire  des  héros  en  tout  genre  ? 

Rentrons  dans  les  villes  :  là,  mêmes  scènes  de  dévoue- 
ment sous  une  autre  forme.  Voyez- vous  ces  humbles 
Frères,  au  maintien  modeste,  sur  le  front  desquels  la 
gravité  est  tempérée  par  l'aménité  la  plus  douce? 
S'étant  échauffés  à  l'école  du  Sauveur  du  feu  de  sa  cha- 
rité, ils  ont  dit  aussi  :  Laissez  venir  à  moi  ces  petits 
enfants.  C'est  leur  famille  adoptive,  sur  laquelle  ils 
concentrent  toute  l'affection  de  leur  cœur,  que  nul 
autre  ne  partage.  Avec  quel  zèle  infatiguable  et  désin- 
téressé, ils  se  consacrent  à  cultiver  ces  jeunes  plantes, 
aussi  attentifs  à  semer  dans  leur  tendre  cœur  les  ger- 
mes de  toutes  les  vertus,  qu'a  orner  leur  esprit  de  tou- 
tes les  connaissances  nécessaires  à  la  vie  civile,  deve- 
nant ainsi  les  plus  grands  bienfaiteurs  de  la  société,  de 
l'Etat  et  des  familles  ! 


REGINA    VTRGINUM  285 

Un  dévouement  plus  magnanime  encore,  et  qui  s'é- 
chauffe aussi  un  foyer  du  célibat,  nous  est  manifesté 
dans  toutes  les  parties  du  monde,  sur  le  vaste  théâtre 
des  villes  comme  dans  l'obscurité  d'une  campagne,  c'est 
le  dévouement  du  prêtre  catholique.  A  peine  Fonction 
du  pontife  l'a-t-elle  pénétré,  que,  nouveau  Gédéon,  il 
s'élance  avec  ardeur  dans  la  carrière  des  combats.  Ses 
armes  sont  le  bouclier  de  la  foi,  le  casque  de  l'espé- 
rance, le  glaive  de  la  parole  divine  :  mais  ce  qui  lui 
assure  plus  encore  la  victoire,  c'est  l'éclat  de  l'auréole 
virginale  qui  brille  sur  son  front.  Dégagé  de  toute  af- 
fection humaine,  son  cœur  est  pour  tous  ;  on  le  sait  ; 
chacun  est  sûr  d'y  trouver  une  place,  et  vient  avec  un 
entier  abandon  y  déposer  le  fardeau  de  ses  peines  ou  de 
son  péché.  Et  si  son  zèle  le  transporte  sur  les  régions 
lointaines  des  infidèles,  tous  accourent  à  lui,  saisis 
d'admiration  à  la  vue  d'un  dévouement  si  généreux  et 
plus  encore  de  sa  virginité,  qui  comme  un  aimant  les 
attire  par  la  puissance  de  ses  charmes.  Ils  préfèrent 
suivre  celui  qui  vit  seul,  qui  n'a  pour  compagne  que  la 
Croix  à  une  main  et  le  bréviaire  à  l'autre,  plutôt  que 
les  ministres  des  doctrines  anticatholiques  qui  n'ont 
point  le  prestige  du  célibat. 

Dans  cet  intéressant  tableau,  nous  ne  pourrions 
omettre  sans  une  injustice  criante,  la  simple  fille,  qui 
vivant  dans  le  monde  se  conserve  lis  au  milieu  des 
épines.  La  douceur  de  ses  paroles,  l'aménité  de  son  sou- 
rire, la  douce  sérénité  empreinte  sur  son  front  candide, 
sa  beauté  même  qu'aucune  haleine  impure  n'a  jamais 
effleurée,  tout  cet  ensemble,  angélique  reflet  de  sa  vir- 
ginité, a  je  ne  sais  quels  charmes  qui  captivent  votre 
admiration.  C'est  une  fleur  épanouie  sous  la  douce  in- 
fluence de  la  Vierge,  toujours  fraîche,  toujours  belle  et 
dont  le  parfum  embaume  le  cœur,  autant  que  la  vue 


286  REGINA   VIRGINUM 

réjouit  les  yeux.  Heureuse  elle-même  de  l'estime  qui 
l'entoure  et  de  la  paix  céleste  qui  l'inonde,  elle  est  en- 
core un  trésor  de  bonheur  et  de  bénédictions  pour  sa 
famille  ;  elle  prépare  à  la  religion  et  à  la  société  la  plus 
solide  garantie  d'édification  et  de  paix.  Heureuse  la 
maison  où  habite  un  de  ces  anges  de  la  terre  !  Heureuse 
la  paroisse  qui  en  compte  un  grand  nombre  ! 

Morale  :  Honneur  donc  à  cette  glorieuse  fille  de 
Juda  qui,  élevant  la  première  l'étendard  de  la  virgi- 
nité chrétienne,  a  mérité  aux  hommes  tant  de  biens 
qui  sont  venus  avec  elle  î  Honneur  à  cette  Arche  sainte, 
où  s'est  repeuplé  le  monde  d'une  génération  nouvelle 
qui.  inspirée  du  souffle  vivifiant  d'une  chasteté  intègre, 
présente  le  magnifique  spectacle  de  tout  ce  qu'il  y  a  de 
beau,  de  saint,  de  grand,  de  généreux,  d'héroïque  !  Es- 
timons donc  cette  précieuse  vertu  au  prix  de  sa  valeur 
et  de  ses  fruits  :  et  pour  la  conserver  ayons  souvent 
présentes  à  l'esprit  les  maximes  suivantes,  qui  vien- 
nent renforcer  celles  qui  déjà  ont  été  présentées  sur  cet 
intéressant  sujet  : 

—  Une  étincelle  négligée  peut  causer  rapidement  un 
vaste  incendie  ;  de  même  le  manque  habituel  d'humi- 
lité, de  modestie  et  de  vigilance  peut  amener  facile- 
ment la  ruine  d'une  vertu  qui  semblait  solidement 
affermie.  —  On  secoue  bien  vite  un  charbon  qui  tombe- 
rait sur  son  habit  :  autant  faut-il  être  prompt  à  éloi- 
gner toute  pensée  mauvaise  :  pour  peu  qu'elle  occupe- 
rait l'esprit,  elle  y  laisserait  une  trace  hideuse. —  Rien 
n'est  à  mépriser  de  ce  qui  protège  la  chasteté  :  c'est 
par  les  petites  précautions  que  se  conservent  les 
grandes  vertus .  — Pour  vous  maintenir  chaste,  évi- 
tez les  liaisons  où  le  cœur  s'amollit,  où  la  passion 
finit  par  obscurcir  la  raison  et  soulever  d'effroyables 
tempêtes. 


REGINA    VIRGINUM  287 

—  Nulle  victoire,  dit  saint  Cyprien,  n'est  plus  glo- 
rieuse que  celle  que  l'on  remporte  sur  la  chair  et  la  vo- 
lupté. Ce  qui  sert  aux  jouissances  criminelles  du  corps, 
deviendra  le  supplice  de  l'âme.  L'abeille  enfonce  son 
aiguillon  et  s'envole  :  le  venin  reste  :  la  volupté  fuit  et 
laisse  après  elle  le  remords  et  la  honte .  —  Les  glaces 
de  la  vieillesse  n'éteignent  pas  toujours  le  feu  impur. 
Salomon,  les  vieillards  de  Babylone  et  tant  d'autres  en 
seront  à  jamais  la  triste  preuve  :  les  montagnes  cou- 
vertes de  neige  recèlent  quelquefois  des  volcans  dont 
l'explosion  est  terrible. 

Auguste  Reine  des  vierges,  obtenez-nous  de  marcher 
constamment  sous  l'étendard  que  vous  avez  si  noble- 
ment porté,  afin  qu'avec  toutes  les  vierges  nous  for- 
mions votre  honorable  suite  au  ciel.  (12) 

Maxime 
Le  feu  qui  semble  éteint,  dort  souvent  sous  la  cendre  : 
Qui  l'ose  réveiller,  peut  s'en  laisser  surprendre. 

EXEMPLES 
Estime  et  précautions  pour  la  chasteté 

Il  arrivait  souvent  à  l'empereur  Charlemagne,  de 
fermer  les  fenêtres  de  ses  appartements  et  de  tirer  les 
rideaux,  pour  n'être  point  exposé  à  la  tentation,  en 
voyant  dans  la  rue  des  personnes  du  sexe  élégamment 
parées . 

—  Saint  Thomas  d'Acquin,  que  son  amour  de  la  chas- 
teté joint  à  la  profondeur  de  sa  science  a  fait  surnom- 
mer Y  Ange  de  l'Ecole,  quoique  peu  tourmenté  par  les 
mouvements  de  la  concupiscence,  s'appliquait  à  répri- 
mer la  convoitise  des  yeux  ;  il  disait  souvent  :  Si  David 
avait  exercé  une  vigilance  exacte  sur  ses  regards,  il 
n'aurait  pas  eu  une  chute  si  profonde  à  déplorer. 

—  L'angélique  Louis  de  Gonzague  se  défiait  telle- 


288  BEGLNA    VIHG1NTM 

ment  de  ses  yeux,  qu'il  n'osait  pas  même  regarder  en 
face  les  personnes  du  sexe,  ses  parentes.  Il  aimait  à 
répéter  ces  paroles  de  saint  Augustin  :  «  Les  yeux  sont, 
à  la  vérité,  un  membre  du  corps  :  mais  ils  sont  aussi 
les  fenêtres  de  l'àme.  >:> 

—  Cynis  ayant  en  son  pouvoir  Panthéa,  femme  re- 
marquable par  sa  rare  beauté,  ne  voulut  point  qu'elle 
parut  en  sa  présence  :  «  Les  yeux,  disait-il,  sont  des 
traîtres  dangereux  :  de  vainqueur  et  indépendant  que 
je  suis  maintenant,  je  pourrais  par  eux  être  vaincu  et 
réduit  à  la  honteuse  condition  d'esclave.  » 

—  On  raconte  aussi  de  Scipion  l'Africain,  qu'il  ne 
se  permit  pas  même  de  regarder  une  jeune  captive 
dont  on  lui  avait  vanté  les  charmes,  pour  ne  point  se 
laisser  séduire,  lui  qui  avait  remporté  de  si  éclatantes 
victoires. 

—  Le  fils  d'un  roi  de  Hongrie  avait  la  dévotion  de  ré- 
citer chaque  jour  l'Office  de  la  sainte  Vierge.  Dans  une 
maladie  dangereuse,  il  fit  vœu  de  chasteté,  s'il  recou- 
vrait la  santé,  et  l'obtint  en  effet.  Mais  appelé  au  trône 
par  la  mort  de  son  frère,  il  se  décida,  pour  la  tran- 
quillité du  royaume,  à  se  faire  relever  de  son  vœu,  en 
vue  d'épouser  une  jeune  princesse.  La  veille  du  ma- 
riage, il  voulut,  comme  à  l'ordinaire,  réciter  son  Office. 
Arrivé  à  ces  paroles  :  Que  vous  êtes  belle  /...  il  vit  et 
entendit  Marie  qui  lui  dit  :  c<  Si  je  suis  belle,  pourquoi 
me  laisser  pour  une  autre  ;  sache  bien  que  si  tu  renon- 
ces à  ce  mariage,  tu  m'auras  pour  épouse,  et  tu  possé- 
deras le  royaume  du  ciel,  au  lieu  de  celui  de  Hongrie.» 
Le  prince  frappé  de  ces  paroles  s'enfuit  dans  un  désert. 


REGINA   SANCTORUM  OMNIUM  289 


CHAPITRE  XLVII. 


REINE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 

Après  avoir  nommé  séparément  les  différentes  hiérar- 
chies dont  se  compose  la  société  des  élus,  et  salué  Marie 
comme  la  Reine  de  chacune  d'elles,  nous  nous  élevons 
par  la  pensée  jusqu'au  plus  haut  des  cieux,  et  là  nous 
voyons  sur  des  trônes  radieux,  à  divers  degrés,  les  pha- 
langes glorieuses  et  immortelles  des  patriarches,  des 
prophètes,  des  apôtres,  des  martyrs,  des  vierges,  et  à 
une  distance  incommensurable  au-dessus  d'eux,  la  di- 
vine Marie  qui  reçoit  les  hommages  de  tous,  qui  forme 
à  elle  seule  un  Ordre  à  part,  domine  en  Souveraine 
toute  la  Cour  céleste  ;  et  dans  l'extase  de  notre  ravis- 
sement, nous  l'a  proclamons  Reine  de  tous  les  saints. 
Cette  invocation  générale  lui  forme  comme  une  cou- 
ronne à  laquelle  il  ne  manque  aucune  perle,  et  nous 
devient  un  stimulant  des  plus  actifs  à  mériter  d'être  un 
jour  réunis  à  cette  bienheureuse  et  honorable  société. 

Marie  est  justement  nommée  Reine  de  toits  les 
saints,  parce  qu'en  effet  elle  les  surpasse, 

I.  En  sainteté  et  en  puissance  ; 

II .  Par  l'éclat  de  sa  gloire. 

ARTICLE   PREMIER. 

Prééminence  de  Marie  sur  les  saints,  par  sa  sainteté 
et  sa  puissance. 

I .  Par  sa  sainteté.  —  Tous  les  élus  régnant  au  sein 
de  la  gloire,  sans  en  excepter  même  Elie,  Jérémie  et 
Jean- Baptiste,  sont  forcés  de  dire  avec  le  roi  David  : 
Ma  mère  m'a  conçu  dans  le  péché.  Et  dans  le  cours  du 
voyage,  n'ont-ils  pas  tous  à  la  faute  primitive  ajouté  des 
fautes  personnelles  ?  Car  l'étemelle  Vérité  nous  assure 


290  REGINA   SANCTORUM  OMNIUM 

que  le  juste  même  tombe  sept  fois  le  jour.  Seule,  Marie 
a  échappé  à  cette  loi  générale.  Sainte  et  immaculée 
dans  sa  Conception,  elle  fut  toujours  un  paradis  de 
pures  délices,  où  le  hideux  serpent  ne  pénétra  jamais  : 
toujours  elle  brilla  de  cette  justice  originelle  dont  au- 
cune vapeur  ne  vint  ternir  l'éclat  :  elle  ne  commit  pas 
môme  le  plus  petit  péché. 

A  combien  d'imperfections  encore  les  âmes  mêmes  les 
plus  privilégiées  ne  sont-elles  pas  sujettes  ?  Que  de  va- 
riations, que  d'inconstances  dans  leur  ferveur,  leur 
amour  pour  Dieu,  leur  fidélité  à  le  servir,  leur  zèle  à 
s'avancer  dans  la  voie  de  la  perfection  !  Que  d'instants 
de  somnolence  spirituelle,  pendant  lesquels  on  devient 
paresseux  pour  la  vertu,  inactif  pour  le  bien,  oisif  pour 
le  ciel  !  Que  de  moments  perdus  pour  l'éternité  !  Mais 
en  Marie  ne  se  trouva  rien  de  semblable.  Aucune  im- 
perfection ne  fit  ombre  sur  sa  sainteté  inaltérable.  Et 
cette  sainteté,  bien  que  parfaite  dès  le  commencement, 
ne  laissa  pas  de  croître  sans  aucune  intermittence, 
comme  la  lumière  du  soleil  qui,  brillante  dès  qu'elle 
parait  sur  l'horizon,  devient  [dus  vive  encore  et  plus 
éclatante  en  plein  midi .  D'ailleurs,  «il  y  avait  conve- 
nance, dit  saint  Anselme,  que  la  Vierge  fût  douée 
d'une  sainteté  telle  qu'après  Dieu  on  ne  put  rien  ima- 
giner de  pareil,  et  surtout  rien  de  supérieur.  » 

Ce  fut  aussi  une  sainteté  naïver 'selle.  Dans  les  saints 
on  voit  retracés  plus  ou  moins  sensiblement  quelques 
traits  du  divin  modèle.  Selon  la  condition  dans  laquelle 
ils  se  trouvaient,  chacun  brilla  par  une  vertu  parti- 
culière, plus  éminente  que  les  autres.  Ainsi  l'esprit  de 
pauvreté  distingua  saint  François  d'Assise  :  la  charité 
pour  le  prochain,  saint  Vincent  de  Paul  :  la  constance 
dans  les  tourments,  saint  Laurent  ;  la  chasteté,  sainte 
Agnès,  sainte  Lucie,  saint  Stanislas  de  Kostka  et  tant 


REOINA    SANCTORl>M   OMNIUM  291 

d'autres  :  dans  la  demeure  du  Père  céleste,  les  trônes 
et  les  couronnes  sont  à  divers  degrés  ;  chacun  brille 
d'une  splendeur  plus  ou  moins  éclatante  ;  chacun  y 
reçoit  la  part  de  gloire  spéciale  qu'il  a  conquise  pendant 
la  durée  de  l'épreuve.  Mais  dans  Marie,  placée  entre 
eux  et  Jésus-Christ,  se  trouve  la  plénitude  de  sainteté 
dont  ils  n'eurent  que  des  parcelles,  et  dont  l'étendue 
se  mesura  sur  son  incommensurable  dignité  de  Mère 
de  Dieu.  Aussi,  après  Dieu  que  l'on  désigne  sous  le 
nom  de  trois  fois  Saint,  on  donne  à  Marie  le  titre  de 
très  Sainte.  Et  tandis  que  les  amis  de  Dieu  sont  appelés 
simplement  du  nom  de  saints,  Marie  par  sa  sainteté 
originelle,  constante,  parfaite,  mérite  à  bon  droit  d'être 
appelée  Reine  de  tons  ;  car  elle  les  surpasse  non-seu- 
lement en  sainteté,  mais  aussi, 

IL  En  puissance.— lies  saints  jouissent,  sans  doute, 
auprès  de  Dieu  d'un  merveilleux  crédit  :  ils  sont  ses 
favoris,    ses    bien-aimés  ;    leurs   prières  ne  peuvent 
qu'être  favorablement  accueillies  et  promptement  exau- 
cées. «  Le  Seigneur,  dit  saint  Léon,  est  admirable  en 
nous  les  donnant  non-seulement  pour  modèles,  mais 
encore  pour  protecteurs  aussi  puissants  que  dévoués.» 
Et  des  milliers  de  faits  éclatants  publient  dans  tout 
l'univers  depuis  dix-huit    siècles,   qu'au  sein   de  la 
gloire  ils  s'intéressent  vivement  au  salut  de  leurs  frères 
encore  exilés  et  combattant  dans  l'arène  du  monde. 
Ils  intercèdent,  mais  à  la  manière  des  Grands  près 
des  rois,  en  amis  suppliants,   avec  réserve,  avec  me- 
sure. Pour  vous,  ô  Marie  !  vous  le  faites  en  Mère  du 
Souverain,  c'est  tout  dire  ;  vos  demandes  sont  presque 
des  ordres  :   vous  le  faites  pour  tous,  et  sans  aucune 
hésitation,  assurée  que  vous  êtes  d'obtenir  toujours. 
Benoit  XIV,  si  mesuré  dans  ses  expressions,  ne  craint 
pas  d'affirmer  «  que  l'intercession  de  Marie  auprès  de 


292  REGIXA   SÀHCTORUM   OMNIUM 

Dieu  a  une  force  beaucoup  plus  grande  que  les  sup- 
plications de  tous  les  saints.  »  Avant  lui,  l'illustre 
Suarez  avait  énoncé  la  même  vérité  plus  clairement 
encore  :  «  Je  crois,  dit-il,  que  la  sainte  Vierge  sur- 
passe en  puissance  et  en  efficacité  auprès  de  Dieu  non- 
seulement  chaque  saint  en  particulier,  mais  même  la 
Cour  céleste  tout  entière.  »  Et  c'est  là  une  conséquence 
de  l'amour  que  Dieu  a  pour  Marie,  qui  lui  étant  beau- 
coup plus  chère  que  tous  les  saints,  doit  l'emporter 
par  là  même  en  crédit. 

C'est  encore  par  Y  universalité  de  sa  puissance 
qu'elle  leur  est  de  beaucoup  supérieure.  Tous  les  élus 
sont  les  ministres  du  Très-Haut  pour  un  service  spé- 
cial, pour  tel  ou  tel  de  nos  besoins  soit  spirituels,  soit 
même  corporels.  Mais  à  Marie  on  demande  toute  es- 
pèce de  grâces,  parce  qu'on  la  connaît  en  possession 
de  tout  le  royaume  de  Jésus-Christ.  Dans  cet  empire, 
dont  elle  est  la  Reine  après  lui  qui  en  est  le  Roi,  tous 
les  biens  sont  indivis  entre  eux.  —  Le  culte  des  saints 
est  restreint  ordinairement  à  quelques  contrées,  à  cer- 
taines classes  de  la  société  :  Saint  Nicolas  est  le  pa- 
tron de  l'adolescence,  des  marins,  des  voyageurs  : 
Sainte  Catherine  est  invoquée  par  les  jeunes  filles  : 
les  laboureurs  et  ouvriers  en  fer  honorent  tout  parti- 
culièrement saint  Eloi  ;  les  jardiniers,  saint  Fiacre; 

1rs  musiciens,    sainte  Cécile,    etc Mais  la  sainte 

Vierge  est  la  Patronne  de  tous  les  âges,  de  toutes  les 
conditions  :  chaque  paroisse  a  son  patron  ;  Marie  a 
son  autel  dans  toutes  les  églises  :  son  culte  est  'lu 
monde  entier,  comme  de  tous  les  siècles  :  partout  elle 
est  l'encouragement  des  forts,  le  soutien  des  faibles, 
la  joie  des  justes,  le  refuge  des  pécheurs.  Telle  est  sa 
royale. puissance,  qui  n'a  d'autres  limites  que  sa  bonté 
et  rétendue   presque    infinie  de  nos  besoins.  Encore 


REGINA   SANCTORUM   OMNIUM  293 

qu'elle  soit  séparée  de  ce  monde  quant  à  la  présence 
corporelle,  elle  y  est  toujours  par  l'affection  :  glorieuse 
dans  le  ciel,  elle  n'oublie  pas  pour  cela  notre  terre  : 
devenue  impassible,  elle  ne  cesse  pas  d'être  compa- 
tissante: elle  s'est  dépouillée  de  nos  misères,  mais  non 
de  ses  miséricordes:  quoique  Reine  des  anges,  elle 
est  toujours  Mère  des  hommes  :  si  elle  fut  accueillie 
par  les  applaudissements  de  l'Eglise  triomphante,  elle 
ne  dédaigne  pas  les  salutations  et  les  cris  suppliants 
de  l'Eglise  militante  qui  se  jette  à  ses  pieds. 

Morale  :  Tant  de  puissance  doit,  sans  doute,  nous 
animer  d'une  tendre  confiance  et  d'un  vif  empresse- 
ment à  recourir  a  elle  ;  mais  d'autre  part,  que  sa  sain- 
teté si  parfaite  ne  nous  jette  pas  dans  le  décourage- 
ment. Ici,  l'exemple  des  saints  doit  bannir  de  nos 
cœurs  toute  défiance  excessive.  C'étaient  des  hommes 
pétris  du  même  limon  que  nous,  comme  nous  enfants 
d'Adam,  héritiers  de  sa  faute  et  de  ses  suites,  portant 
en  eux  un  foyer  d'inclinations  déréglées,  obligés  pour 
la  plupart  de  vivre  au  milieu  d'un  monde  pervers  et 
scandaleux,  subissant  les  fatigues  du  travail,  engagés 
dans  les  embarras  d'une  famille,  les  préoccupations 
du  négoce,  les  sollicitudes  d'un  emploi,  les  périls 
d'une  société  nécessaire.  Mais  ces  obstacles,  ils  ont  su 
les  surmonter  ;  ces  dangers,  ils  y  ont  échappé;  les 
écueils,  ils  les  ont  évités  ;  les  occasions  scabreuses,  ils 
s'en  sont  éloignés  :  le  torrent  de  la  coutume  et  du 
mauvais  exemple,  ils  y  ont  résisté.  Malgré  les  épines 
et  les  ronces  qui  embarrassaient  le  chemin,  ils  y  ont 
marché  courageusement  et  sont  arrivés  au  terme.  Les 
moyens,  qui  les  y  ont  aidés,  nous  sont  offerts  aussi 
abondants,  et  peuvent  être  aussi  efficaces.  La  protec- 
tion de  Marie  surtout  ne  nous  fera  pas  défaut,  si 
comme  eux  nous  sommes  fidèles  à  l'implorer.  Courage 


294  REGIN'A    SANCTORUM   OMNIUM 

donc,  ayant  devant  nous  cette  nuée  de  témoins,  ces 
jalons  visibles  qui  indiquent  la  route.  Comme  saint 
Ignace  et  tant  d'autres,  animons-nous  par  l'exemple 
des  saints. 

Un  jour  retenu  à  l'hôpital  de  Pampelune,  il  de- 
manda pour  charmer  ses  loisirs  quelque  livre  amu- 
sant. La  Providence,  qui  sans  doute  l'attendait  là, 
permit  qu'il  ne  s'en  trouvât  point  d'autre  que  la  vie 
des  Saints .  Après  quelques  lectures  il  se  dit  ce  que 
s'était  déjà  dit  saint  Augustin  :  «  Ce  qu'ont  pu  ces 
hommes,  pourquoi  ne  le  pourrais-je  pas  ?  »  Et  ce  fut 
là  le  coup  de  la  grâce  à  laquelle  il  ne  résista  point, 
cette  pensée  fut  pour  lui  comme  un  levier  puissant 
qui  l'éleva  à  cette  haute  sainteté  devenue  héréditaire 
dans  cette  illustre  Compagnie  qui  rendit  à  l'Eglise  et 
à  la  société  de  si  éminents  services.  —  Lorsque  saint 
François  de  Sales  eut  été  canonisé,  François  Xavier 
s'écria  :  «  Voilà  déjà  trois  saints  du  même  nom,  il  faut 
que  je  sois  le  quatrième,  dùt-il  m'en  coûter  la  vie.  » 
Pourquoi  ne  prendrions-nous  pas  une  résolution  aussi 
généreuse  ?  Pourquoi  ne  pas  nous  dire  :  Jésus  est  allé 
au  ciel  me  préparer  une  place  :  Marie  y  a  fait  monter 
une  foule  de  mes  frères  :  avec  son  aide  et  la  corres- 
pondance de  mes  efforts,  je  puis  avoir  le  mène  bon- 
heur :  je  dois  donc  y  tendre  et  y  travailler  sans  re- 
lâche. 

0  glorieuse  Reine  des  saints,  qui  les  avez  tant  aidés 
à  marcher  sur  vos  traces,  et  qui  jouissez  toujours  au 
ciel  d'une  égale  puissance,  obtenez- moi  la  même  fa- 
veur qui  me  rende  digne  d'être  un  jour  associé  à  leur 
gloire . 

Pratique  :  Offrir  chaque  jour  une  fleur  à  notre  Reine, 
en  récitant  une  dizaine  du  chapelet . 


REGINA   SANCTORUM  OMNIUM  295 

HISTOIRE 

ORIGINE    ET    BEAUTÉS   DU    CHAPELET 

Toute  reine  a  droit  à  une  couronne  :  Marie  est  Reine 
du  ciel  et  de  la  terre.  Au  ciel,  une  couronne  de  gloire 
ceint  son  front  royal  :  sur  la  terre,  ses  sujets  dévoués 
aiment  à  lui  en  tresser  une  de  prières  et  de  louanges, 
pour  laquelle  elle  a  une  prédilection  toute  spéciale, 
c'est  le  Chapelet,  dévotion  pleine  de  charmes  déjà 
par  le  poétique  usage  qui  y  a  donné  lieu.  C'était  une 
coutume  en  Orient  d'offrir  des  couronnes  de  roses  aux 
personnes  distinguées  par  leur  mérite  ou  leurs  digni- 
tés. Les  chrétiens  des  premiers  siècles  se  faisaient 
aussi  un  plaisir  d'offrir  à  leur  bonne  Mère  une  cou- 
ronne des  plus  belles  fleurs,  de  roses  ordinairement. 
Plus  tard,  un  saint  Pontife  eut  l'heureuse  idée  de 
substituer  à  la  couronne  matérielle  de  roses  une  cou- 
ronne spirituelle  qu'il  pensa  devoir  lui  être  plus  agréa- 
ble. Il  la  composa  des  prières  les  plus  familières  aux 
simples  fidèles  et  en  même  temps  les  plus  relevées  : 
la  profession  de  foi  du  chrétien,  la  Prière  émanée 
des  lèvres  de  l'Homme-Dieu,  la  Salutation  que  l'Ar- 
change apporta  à  la  Vierge,  et  l'hommage  à  l'auguste 
Trinité,  prières  qui  bientôt  disposées  sur  une  série 
de  grains  formèrent  le  Chapelet.  Et  l'homme  renvoyant 
au  ciel,  comme  un  écho,  ces  paroles  que  le  ciel  a  fait 
tomber  sur  la  terre,  pourrait-il  ne  pas  être  écouté  ? 

Effeuillons  donc  souvent,  effeuillons  dévotement 
cette  magnifique  couronne  de'  roses  en  l'honneur  de 
Marie.  Aimons  à  lui  répéter  cette  prière  qui  la  comble 
de  joie  ;  et  le  sourire  de  notre  Mère  répondra  toujours 
à  notre  voix.  Marie  comme  on  le  disait  naïvement  au 
moyen-âge,  cueillera  sur  nos  lèvres  une  rose  fraîche 
et  pure,  chaque  fois  qu'elles  s'ouvriront  pour  lui  dire 


296  REG1NA   SANCTORUM   OMNIUM 

Y  Ave  Maria.  Ne  craignons  pas  que  la  répétition  lui 
devienne  fastidieuse.  Une  princesse  s'ennuie -t-elle 
des  mille  vivat  qui  saluent  son  passage  ?  une  mère  de 
s'entendre  redire  par  son  enfant,  qu'elle  est  belle, 
qu'elle  est  bonne,  qu'il  l'aime?  Et  nous,  nous  pour- 
rions trouver  ennuyeuses  les  redites  à  Marie  ?  «  L'a- 
mour, dit  Lacordaire,  n'a  qu'un  mot,  et  en  le  disant 
toujours,  on  ne  le  répète  jamais.  » 

ARTICLE  SECOND. 

Marie,  Reine  des  saints,  par  la  prééminence 

de  sa  gloire. 

Quelle  est  grande  déjà  sur  la  terre  la  gloire  de 
Marie!  Partout  des  temples  magnifiques  sont  élevés 
en  son  honneur  :  partout,  des  cœurs  tout  dévoués  font 
monter  vers  son  trône  les  accents  de  la  louange  et  de 
la  prière  :  tous  les  besoins  l'invoquent,  tous  les  âges 
la  supplient,  toutes  les  dignités  l'honorent.  Jamais 
créature  reçut-elle  autant  d'hommages  ?  Jamais  nom 
excita-t-il  cette  confiance  invincible,  cet  empressement 
de  culte,  ces  transports  d'amour  ? 

Cette  gloire  de  la  terre,  néanmoins,  n'est  qu'un  pâle 
reflet  de  celle  qui,  ainsi  que  sa  puissance  et  sa  sainteté, 
la  rend  supérieure  aux  saintes  phalanges  des  cieux . 
Entreprendre  de  la  dépeindre,  n'est-ce  pas  témérité  ? 
Les  couleurs  les  plus  vives,  le  pinceau  le  plus  habile 
pourront-ils  jamais  retracer  ce  que  Dieu  réserve  à  ceux 
qui  l'aiment  ?  a  Si  rien  ne  me  plait  tant,  dirons-nous 
avec  saint  Bernard,  rien  non  plus  ne  m'effraie  autant 
que  de  parler  de  la  gloire  de  Marie.  »  Mais  l'impossi- 
bilité de  le  faire  dignement  doit-elle  nous  réduire  à  un 
silence  absolu  ?  Non  ;  ce  serait  soustraire  à  votre  noble 
ambition  du  ciel  un  motif  des  plus  propres  à  l'élec- 
triser.  Justifions  donc  de  notre  mieux  la  supériorité 
de  Marie  sur  tous  les  saints  par  Xèm  inence  de  sa  gloire. 


11EGINA    SANCTORUM   OMNIUM  297 

Outre  les  privilèges  extraordinaires  dont  Dieu  l'avait 
enrichie  dès  le  sein  maternel,  et  les  grâces  merveilleuses 
que  sa  bonté  libérale  lui  prodigua  toute  sa  vie,  aux- 
quelles elle  correspondit  avec  une  rare  fidélité,  que  de 
droits  ses  mérites  ne  lui  donnaient-ils  pas  à  la  gloire 
la  plus  brillante  !  Elle  les  avait  singulièrement  accrus 
pendant  plus  de  soixante  et  dix  ans,  par  la  pratique 
de  toutes  les  vertus  dans  une  perfection  sans  égale. 
C'étaient  ces  flocons  de  neige  qui  s'entassent  silencieu- 
sement sur  le  sommet  des  montagnes  :  la  couche  du 
lendemain  ne  le  cède  point  en  éclat  à  celle  de  la  veille  ; 
la  pureté  s'ajoute  à  la  pureté,  la  blancheur  à  la  blan- 
cheur, de  manière  à  former  bientôt  un  cône  éblouis- 
sant, oc  Si  ce  quelle  fit,  dit  saint  Ildefonse,  est  esti- 
mable, la  récompense  aux  yeux  de  Dieu,  juste  rému- 
nateur  des  mérites,  devait  être  incompréhensible  et  la 
gloire  incommensurable.  )> 

Mais  c'est  principalement  sur  les  deux  ailes  de  la  pu- 
reté et  de  1! 'humilité  que  Marie  s'est  élevée  à  cette  su- 
prématie de  gloire  et  d'honneur.  1°  Par  sa. pureté  :  c'est 
une  loi  de  la  nature  que  plus  un  corps  est  léger,  plus 
vite  il  s'élève  vers  les  régions  supérieures.  Ce  principe 
conserve  toute  sa  vérité  par  rapport  à  la  créature  douée 
de  raison  ;  plus  elle  est  pure  de  tout  péché,  plus  elle  est 
agile  et  légère  :  le  péché  seul  nous  rend  lourds  et  pe- 
sants. Or,  qui  fut  plus  pure  que  Marie?  A  quel  sublime 
degré  de  gloire  par  conséquent  doit  être  élevée  cette 
Vierge  immaculée  !  2°  Par  son  humilité  :  si,  d'après 
l'oracle  du  divin  Sauveur,  l'élévation  au  ciel  est  en 
raison  de  l'abaissement  sur  la  terre  ;  si,  Lui-même, 
pour  s'être  humilié  jusqu'à  la  mort  de  la  Croix,  est 
maintenant  surexalté  dans  la  gloire,  possédant  un  Nom 
au-dessus  de  tout  nom,  Marie  la  plus  humble  des 
créatures  ne  mérite-t-elle  pas  une  gloire  proportionnée 


298  REGIS  A    SANCTORUM   OMNIUM 

à  la  profondeur  de  ses  humiliations,  le  premier  rang 
par  conséquent  dans  la  hiérarchie  des  saints  ?  Parce 
qu'elle  s'abaissa  sans  mesure,  Dieu  l'éleva  au-dessus 
de  tous  les  ouvrages  de  ses  mains  :  l'ombre  de  l'humi- 
lité c'est  la  gloire  ;  elle  suit  ceux  qui  s'en  éloignent. 

D'un  autre  côté,  si  au  ciel,  et  pouvons-nous  en  dou- 
ter, la  gloire  se  mesure  sur  les  souffrances;  si,  comme 
le  chante  un  poëte  chrétien,  «  les  honorables  plaies  de 
l'athlète  du  Christ  laissent  échapper  autant  de  rayons 
lumineux,  »  quoi  plagis  laniatus,  tôt  radiis  nites, 
de  quelle  gloire  ne  doit  pas  briller  au-dessus  de  tous  les 
martyrs  l'héroïque  Vierge,  qui  les  surpassa  de  si  haut 
en  souffrances  et  en  courage?  Elle  est  sur  un  trône  à 
côté  de  son  Fils,  comme  elle  fut  au  pied  de  sa  Croix. 
Si,  d'après  l'assurance  que  nous  en  donne  Jésus- 
Christ,  grande  est  la  récompense  de  ceux  qui  à  cause 
de  lui  auront  été  persécutés  ;  quelle  n'est  pas  celle  de 
sa  sainte  Mère,  à  qui  son  violent  amour  pour  lui  fit 
ressentir  toutes  les  douleurs  de  sa  passion  et  de  sa 
mort  ?  «  Aussi,  dit  saint  Jérôme ,  orne-t-il  son  front 
triomphant  de  la  plus  belle  couronne  qui  soit  après 
la  sienne  !  » 

C'est  d'ailleurs,  un  principe  de  la  plus  saine  théolo- 
gie, que,  si  nous  avons  contribué  au  salut  d'une  seule 
àme,  nous  en  recevons  au  ciel  un  surcroit  de  bonheur 
et  de  gloire.  Saint  Paul  disait  aux  Philippiens  ?  Vous 
êtes  ma  joie,  ma  gloire  et  ma  couronne,  parce  qu'ils 
les  avait  instruits,  convertis,  sanctifiés  par  ses  prédica- 
tions. Tous  les  fondateurs  d'Ordres  religieux,  qui  ha- 
bitent les  parvis  du  ciel,  y  jouissent  d'une  récompense 
composée  des  fruits  de  sainteté  qu'ils  ont  fait  produire 
à  leurs  enfants  spirituels.  A  ce  titre  encore,  quelle  doit 
être  au-dessus  de  tous  les  saints  la  gloire  de  la  Vierge, 
qui  a  jeté  les  racines  des  vertus  chrétiennes  dans  des 


BEGINA    SANCTORUM    OMNIUM  290 

millions  d'àmes  choisies  et  les  a  arrosées  de  ses  influen- 
ces !  N'est-ce  pas  par  Elle,  véritable  Porte  du  ciel,  que 
sont  montées  au  trône  de  l'Eternel  les  prières  de  tous 
les  saints,  et  que  sont  descendues  les  grâces  qui  les 
ont  sanctifiés  ?  N'est-ce  pas  à  l'ombre  de  sa  protec- 
tion tutélaire  qu'ils  ont  évité  les  écueils,  échappé  aux 
dangers,  atteint  l'heureux  port  du  salut  ?  N'est-ce  pas  à 
la  clarté  de  ses  vertus  qu'ils  ont  marché,  sur  ce  modèle 
si  accompli  qu'ils  ont  formé  leurs  sentiments  et  leur 
conduite?  Comme  ils  lui  sont  redevables  de  la  gloire 
qui  les  environne  dans  la  royale  cité  de  Dieu,  toutes 
leurs  auréoles  réunies  s'ajoutant  à  sa  couronne  en  re- 
haussent la  splendeur.  A  eux  un  vêtement  de  pourpre, 
une  robe  de  lin  ;  à  Marie  un  manteau  de  lumière  :  à 
eux  des  sièges  d'honneur  ;  à  xMarie  un  trône  :  à  eux  des 
palmes  ;  à  Marie  un  sceptre  :  à  eux  des  dignités  ;  à 
Marie  la  royauté  et  un  palais  tout  divin . 

Qui  pourrait  donc  se  représenter  dans  tout  son  éclat 
la  gloire  dont  elle  brille  au  séjour  des  élus  ?  Il  faudrait 
l'avoir  vue  pour  s'en  faire  une  idée,  et  en  parler  digne- 
ment :  encore  y  aurait-il  à  craindre  que  l'admiration 
ne  fit  perdre  la  parole  à  qui  aurait  joui  de  cette  mer- 
veille et  voudrait  la  dépeindre.  Recourons,  néanmoins, 
à  quelques  images  qui  pourront  suppléer  à  notre  fai- 
blesse de  vue.  On  peut  dire  de  sa  gloire,  comme  de  sa 
puissance,  qu'elle  est  un  Océan,  et  celle  des  élus  comme 
un  humble  ruisseau.  Or,  de  même  que  la  mer  contient 
à  elle  seule  une  plus  grande  quantité  d'eau  que  tous 
les  réservoirs  souterrains,  toutes  les  fontaines,  toutes 
les  rivières  réunies,  ainsi  Marie  possède  à  elle  seule 
plus  de  gloire  que  tous  les  élus  ensemble.  C'est  au 
point,  dit  Bernardin  de  Buste,  que,  «  si  l'on  mettait 
dans  le  plateau  d'une  balance  le  poids  immense  de  sa 
gloire,  et  dans  l'autre  celle  de  tous  les  saints,  y  com- 


300  REG1XA    SANCTOKUM    OMNIUM 

pris  celle  des  anges,  Marie  l'emporterait  sur  toutes  les 
justices  de  la  terre  et  des  cieux.  »  N'est-ce  pas  Elle 
que  vit  saint  Jean  dans  cette  Femme  revêtue  d'une 
gloire  suréminente  ?  Le  soleil,  qui  V enveloppe,  repré- 
sente l'abîme  de  lumière  infinie  où  Marie  est  plongée  ; 
la  couronne  de  douze  étoiles,  son  diadème  royal  formé 
de  la  splendeur  divisée  entre  tous  les  Ordres  des  Anges 
et  des  saints  ;  la  Inné  sous  ses  pieds,  la  troupe  innom- 
brable des  élus  prosternés  devant  son  trône . 

Je  les  vois,  en  effet,  profondément  inclinés  en  pré- 
sence de  leur  Reine  et  lui  rendant  leurs  hommages  : 
Adam  et  Eve,  exprimant  leur  vive  reconnaissance  à 
cette  bien-aimée  Fille  qui  a  réparé  le  mal  qu'ils  avaient 
causé  à  la  race  humaine  ;  les  patriarches  et  les  pro- 
phètes, la  félicitant  d'avoir  enfanté  et  vu  Celui  qu'ils 
n'ont  que  prédit  et  désiré  ;  le  Sénat  des  apôtres  et  les 
docteurs,  lui  renvoyant  la  gloire  de  leurs  conquêtes 
dont  elle  a  été  l'âme  ;  les  saints  martyrs,  déposant  à 
ses  pieds  la  couronne  qu'ils  doivent  au  courage  qu'elle 
leur  a  communiqué  ;  les  pontifes  et  les  confesseurs, 
dont  elle  fut  la  lumière  et  la  force,  célébrant  à  l'envi 
sa  puissance  ;  les  solitaires  et  les  cénobites,  lui  rendant 
grâces  de  l'héritage  éternel  qu'ils  possèdent  en  échange 
de  ces  faux  biens  terrestres  qu'ils  ont  généreusement 
abandonnés  ;  le  Chœur  des  vierges,  la  bénissant  de  leur 
avoir  montré  le  chemin  de  la  virginité  parfaite,  et  de 
les  avoir  aidées  à  y  marcher  sur  ses  pas  ;  les  pécheurs 
convertis  par  son  puissant  secours,  tressaillant  d'allé- 
gresse ;  tous  les  saints,  la  remerciant  d'avoir  par  elle 
conquis  le  bonheur  qu'ils  boivent  à  longs  traits  ;  les 
anges  eux-mêmes,  lui  rendant  de  perpétuelles  actions 
de  grâces  de  ce  que  les  rangs  laissés  vides  par  l'expul- 
sion de  leurs  compagnons  rebelles,  sont  tous  les  jours 
remplis  par  d'autres  anges  de  la  terre  qu'elle  a  pré- 


REGINA    SANCTORUM    OMNIUM  301 

serves.  Ainsi,  après  l'Hosanna  d'adoration  à  l'auguste 
Trinité,  tous  les  anges  et  tous  les  saints  en  chœur, 
heureux  sous  l'empire  de  leur  Reine,  exaltent  ses  bien- 
faits, proclament  sa  gloire,  célèbrent  sa  puissance; 
tous  se  confondent  dans  le  même  concert  de  profonds 
et  éternels  hommages. 

Morale  :  Nous  aussi,  nous  avons  au  ciel  l'expecta- 
tive d'une  gloire  qui,  sans  être  aussi  éminente  que 
celle  de  la  Vierge,  est  bien  capable  d'enflammer  notre 
ambition  et  d'activer  nos  efforts  pour  la  conquérir  : 
comme  le  disait  saint  Augustin  :  «  Si  les  difficultés 
nous  effraient,  que  la  récompense  nous  anime.  »  C'était 
par  la  vue  de  ce  poids  immense  de  bonheur  et  de  gloire 
que  le  Sauveur  encourageait  ses  disciples,  et  le  grand 
Apôtre  les  premiers  fidèles,  à  souffrir  avec  joie  tous  les 
genres  de  peines  et  de  persécutions. 

Qu'elle  est  magnifique,  en  effet,  cette  gloire  !  Qu'il 
est  grand  ce  bonheur  !  Saint  Paul,  qui  avait  été  admis 
à  entrevoir  les  merveilles  de  ce  délicieux  séjour,  n'a 
point  de  termes,  ni  d'images  pour  nous  les  dépeindre, 
il  est  réduit  à  nous  dire,  sous  la  forme  négative,  que 
l'œil  de  Vhonme  n'a  point  vu,  ni  son  oreille  entendu, 
ni  son  cœur  jamais  senti  ce  que  Dieu  prépare  à  ceux 
qui  l'aiment.  Ciel!  qu'es-tu  donc?  Car,  qui  n'a  pas 
vu  l'œil  de  l'homme?  Il  a  vu  les  grandes  et  magnifi- 
ques scènes  de  la  nature,  la  mer  et  ses  majestueux 
soulèvements  ;  il  a  vu  par  une  belle  nuit  d'été  notre 
ciel  de  la  terre  paré  de  la  splendeur  de  ses  astres  ;  il  a 
vu  les  £ités  avec  leurs  superbes  palais  et  leurs  ravis- 
santes richesses  ;il  a  vu  mille  autres  merveilles  en  tout 
genre,  produites  par  la  nature  ou  par  le  génie  et  la 
main  des  hommes.  Et  cependant,  il  n'a  rien  vu  qui 
approche  du  ciel  :  toutes  ces  beautés  rassemblées  n'en 
sont  pas  l'ombre. 


302  REGINA   SANCTORUM    OMNIUM 

Que  n'a  pas  entendu  son  oreille  ?  Elle  a  entendu  les 
concerts  harmonieux  des  voix  humaines  et  des  instru- 
ments, les  chants  mélodieux  et  ravissants  des  oiseaux, 
les  paroles  si  suaves  de  l'amitié,  les  accents  enchan- 
teurs de  l'éloquence.  Oreille  de  l'homme,  tu  n'as  rien 
entendu  de  ce  qu'on  entend  au  ciel  ! 

Et  surtout,  que  n'a  pas  senti  le  cœur?  Il  a  éprouvé 
les  joies  de  la  science,  d'une  découverte  utile,  les  joies 
de  la  vertu,  les  joies  de  la  tendresse  maternelle,  d'une 
vive  et  sincère  affectiou,  les  joies  bien  autrement  déli- 
cieuses d'une  conscience  pure,  et  tant  d'autres  jouis- 
sances. Et  pourtant,  cœur  d'homme,  tu  n'as  rien  senti 
de  ce  qu'éprouve  au  ciel  l'âme  du  juste  !  Si  ces  quel- 
ques charmes  de  l'exil  sont  si  délicieux,  que  doivent 
donc  être  les  jouissances  de  la  patrie  ! 

Une  pauvre  mère  était  inconsolable  du  départ  de 
son  fils  pour  une  guerre  désastreuse  :  la  prière  seule 
faisait  quelques  moments  de  trêve  aux  frayeurs  qui 
l'obsédaient.  Bientôt,  une  fatale  lettre  vient  lui  appren- 
dre que  son  fils  n'est  plus....  Mais,  il  y  avait  erreur  de 
nom.  Deux  mois  après,  entre  tout  à  coup  vivant  et 
joyeux  ce  cher  enfant.  Elle  se  jette  dans  ses  bras  :  elle 
ne  pouvait  que  répéter  :  Mon  fils,  mon  fils  !  et  le  fils  : 
ma  mère,  ma  mère  !  le  bonheur  les  étouffait...  Etait-ce 
là  le  bonheur  du  ciel?  Non  !... 

L'histoire  raconte  que  pour  le  baptême  de  Clovis  on 
avait  déployé  la  pompe  la  plus  magnifique.  Des  ten- 
tures les  plus  riches  décoraient  l'intérieur  du  temple 
et  retombaient  eu  festons  élégants  :  l'or  et  l'argent  en 
rehaussaient  l'éclat  et  la  riche--  :  des  guirlandes  de 
fleurs  encadraient  toutes  ces  merveilles  :  l'air  était 
embaumé  des  parfums  les  plus  exquis.  Le  sanctuaire 
surtout  éblouissant  d'or,  étincelant  de  lumières,  sem- 
blait refléter  les  beautés  du  ciel.  Les  lévites  et  les  pré- 


HEGINA   SAXCTOHUM   OMNIUM  303 

très,  revêtus  de  leurs  ornements  sacrés,  environnaient 
l'autel,  et  faisaient  entendre  des  chants  divins.  On  dit 
que  le  roi,  ravi  de  ce  spectacle,  s'écria  dans  son  admi- 
ration :  «  C'est  là,  sans  doute,  ce  beau  ciel  dont  on  m'a 
tant  parlé  !»  Ah  !  ce  n'en  était  qu'une  bien  pâle  image. 
Si  tant  est  l'apparence,  que  sera  donc  la  réalité  ! 

Essayons  de  le  dire  :  Là,  plus  de  peines,  plus  de 
douleurs ,  plus  de  craintes ,  plus  de  désirs ,  plus  de 
combats,  plus  de  dangers,  plus  de  malheurs  ;  là,  pas 
une  larme  ne  coule,  pas  un  gémissement  n'échappe, 
pas  une  plaie  ne  saigne  ;  là,  aucun  revers  de  fortune, 
aucune  séparation  possible,  aucune  absence  doulou- 
reuse. Mais,  un  printemps  continuel,  une  atmosphère 
sans  cesse  enbaumée,  une  terre  sans  épines,  un  jour 
sans  nuit,  un  soleil  sans  déclin,  une  lumière  sans 
ombre,  une  mélodie  continuelle  et  toujours  nouvelle, 
une  paix  inaltérable,  une  joie  sans  dégoût  ni  regret, 
la  sainte  charité  avec  tous  ses  charmes,  un  éternel 
présent  de  bonheur  invariable  !  Ai-je  peint  le  ciel  ? 
Non  encore  ! 

Recourons  aux  saints  Livres,  peut-être  nous  révé- 
leront-ils quelque  chose  de  la  félicité  des  élus  !  Un 
fleuve  de  délices  et  de  paix  les  inonde  ;  un  torrent 
d'ineffables  voluptés  les  enivre  ;  ils  nagent  dans  un 
océan  de  gloire  et  de  bonheur...  Dieu  lui-même  veut 
être  leur  récompense.  Oui,  contempler  Dieu,  cet 
Océan  sans  rive  ni  fond,  de  grandeur,  de  bonté,  de 
beauté,  de  toutes  les  perfections  ;  l'aimer,  le  posséder, 
le  contempler  face  à  face  ;  l'aimer  passionnément  et  avec 
un  plaisir  toujours  nouveau  ;  le  posséder  sans  crainte 
de  le  perdre,  voilà  le  ciel,  autant  du  moins  qu'il  est 
donné  à  l'esprit  humain  de  le  concevoir,  au  langage  de 
l'exprimer.  L'Apôtre  de  la  charité  l'exprimait  par  cette 
parole  profonde  :  Notre  future  grandeur  est  encore  un 


304  RBGINA    SANCTORUM    OMNIUM 

mystère.  Toutefois,  nous  savons  que,  lorsque  Dieu 
se  montrera,  nous  serons  semblables  à  lui,  parce 
que  nous  le  verrons  tel  qu'il  est. 

0  céleste  Reine,  si  nous  ne  considérions  que  votre 
sublime  élévation  au-dessus  de  tous  les  saints,  nous 
n'oserions  lever  les  yeux  vers  vous  ;  mais  nous  savons 
autant  votre  charité,  votre  puissance  :  et  vous,  vous 
connaissez  nos  besoins,  nos  dangers,  notre  faiblesse  : 
daignez  nous  obtenir  cette  force  qui  donne  la  victoire, 
et  nous  mériter  une  place  dans  ce  royaume  où  votre 
présence  ajoute  au  bonheur  ! 

Pratique  :  «  Que  notre  désir  ici-bas  soit  devoir  Dieu  : 
notre  crainte,  de  le  perdre  ;  notre  douleur,  de  ne  pas 
le  posséder  encore  (S.  Thér.).  » 

EXEMPLES 

ARDENTS    DÉSIRS    DU    CIEL. 

Un  voyageur  ayant  traversé  une  vaste  solitude  était 
arrivé  près  d'un  bois  :  tout  à  coup,  il  entend  une  voix 
mélodieuse  :  il  s'arrête,  il  écoute.  Cette  voix  chantait 
des  cantiques  sacrés  avec  une  expression  tout  angéli- 
que.  Le  voyageur  charmé  approche  à  pas  lents,  il  voit 
à  travers  le  feuillage  une  hutte  et  à  côté  un  solitaire 
tout  décharné,  pauvrement  vêtu,  les  genoux  en  terre, 
les  mains  et  les  yeux  levés  vers  le  ciel.  Après  avoir 
savouré  quelque  temps  le  délicieux  plaisir  de  cette  di- 
vine mélodie,  il  s'approche  et  lui  exprime  toute  sa 
surprise  de  l'entendre  chanter  avec  autant  d'onction 
et  d'énergie,  lorsqu'il  paraissait  n'avoir  plus  long- 
temps à  vivre,  a  L'exilé,  répond  le  solitaire,  ne  fait 
jamais  mieux  éclater  sa  joie,  que  quand  il  est  sur  le 
point  de  revoir  sa  patrie.  Je  chante  parce  que  je  suis 
arrivé  au  terme  de  mon  pèlerinage  ;  je  vais  retourner 
au  ciel,  je  chante  mon  bonheur  !  » 


RECflNA  SINE  LABE  CONGEPTA  303 

—  Saint  Paul  ne  l'avait  vu  qu'en  extase,  et  il  disait 

en  soupirant:  Cupio  dissolvi Qui  me  donnera 

de  voir  s'écrouler  cette  'prison  de  chair,  qui  me 
retient  captif,  et  de  m' élancer  vers  mon  Sauveur  ? 
—  Saint  Pierre  avait  entrevu  un  rayon  de  sa  gloire 
au  sommet  du  Thabor,  et  oubliant  tout  le  reste,  il  s'é- 
criait dans  son  ravissement  :  Bonumest...  Il  nous  est 
doux  d'être  ici... 

—  Le  vertueux  Décalogne  avait  pour  ami  un  con- 
disciple également  pieux.  Ils  aimaient  à  s'entretenir 
souvent  du  ciel,  pour  s'encourager  à  vaincre  les  diffi- 
cultés delà  vertu.  Un  jour  qu'ils  avaient  longuement 
discouru  sur  le  bonheur  des  saints,  ils  se  promirent 
que  celui  qui  mourrait  le  premier  apparaîtrait  au  sur- 
vivant pour  lui  faire  part  de  sa  destinée.  Décalogne  à 
qui  Dieu  accorda  cette  faveur  tint  parole,  et  apparut 
dans  un  songé  à  son  ami  :  une  joie  et  une  sérénité 
ineffables  étaient  peintes  sur  sa  figure.  «  Mon  ami, 
dit-il,  je  suis  inondé  des  délices  des  anges  :  ah  !  si  tu 
pouvais  comprendre  ce  bonheur,  tu  ne  ferais  plus  un 
pas  que  pour  le  ciel .  » 


CHAPITRE  XLVIII. 


REINE    CONÇUE     SANS    PÉCHÉ. 

Reine  des  anges,  reine  des  patriarches...  Reine  de 
tous  les  saints,  voilà  les  sublimes  hauteurs  où  nous 
venons  de  contempler  l'auguste  Marie.  Nous  avons 
applaudi  à  toutes  ces  gloires  de  la  plus  sainte  des 
créatures,  de  la  meilleure  des  mères,  avec  d'autant 
plus  de  bonheur  qu'elles  sont  pour  nous  des  gages  de 
confiance  et  de  sécurité.  Car,  si  elle  est  Reine,  c'est 
non  point  exclusivement  pour  elle-même,  mais  pour 

PARAPHRX8B.    —  T.    II. 


30G  HEG1NA   SINE  LABE  COXCEPTA 

nous  protéger  de  plus  haut  :  c'est  en  notre  faveur 
qu'elle  porte  le  sceptre.  Aussi,  après  l'avoir  saluée  de 
ce  beau  titre  dans  une  de  nos  plus  touchantes  prières, 
le  Salve  Regina,  nous  nous  empressons  de  l'appeler 
Mère  de  Miséricorde,  notre  vie,  notre  joie,  notre 
douce  espérance. 

Cependant,  toutes  ces  grandeurs  de  Marie,  bien  que 
réjouissant  le  cœur,  y  laissent  un  certain  vide  :  nous 
ne  pouvons  les  admirer  que  dans  le  lointain.  Mais  il 
est  une  autre  couronne  qui  vient  d'être  déposée  sur  le 
front  de  notre  Mère  et  qui  est  singulièrement  propre  à 
nous  consoler  de  son  éloignement  et  de  son  absence. 
En  attendant  que  nous  la  voyions  à  la  clarté  des  cieux, 
nous  pouvons  avec  le  regard  de  la  foi  la  contempler 
dans  son  berceau,  resplendissante  d'une  sainteté  sans 
aucune  tache,  d'une  beauté  qui  ne  fut  jamais  ternie, 
miraculeusement  victorieuse  de  l'enfer  dès  l'aurore  de 
ses  voies.  Arrêtons-nous  un  moment  devant  cette 
merveille  :  contemplons  avec  délices  Marie  conçue 
sans  péché,  dernier  vocable  qui  vient  couronner  si 
honorablement  sa  dignité  de  Reine. 

I .  Définition  et  proclamation  du  dogme  de  Y  Imma- 
culée Conception  , 

II.  Preuves  tirées  de  la  sainte  Ecriture  et  de  la  tra- 
dition : 

III.  Raisons  de  convenance. 

ARTICLE  PREMIER 
Définition  et  proclamation  du  dogme. 

Tous,  nous  héritons  d'Adam  la  souillure  de  son  pé- 
ché ;  tous  coupables  dès  le  sein  maternel,  nous  nais- 
sons enfants  de  colère,  esclaves  du  démon,  déshérités 
du  ciel,  condamnés  à  l'enfer  :  la  race  humaine  mau- 
dite dans  sa  source  ne  peut  plus  apparaître  au  monde 


KEGINA  SINE  LABE  CONCEPT  A  307 

qu'avec  l'anathême  originel.  Mais,  spectacle  ravis- 
sant !  au  milieu  de  cette  ruine  universelle,  une  seule 
créature  reste  debout  :  un  seul  berceau,  renfermant 
une  enfant  d'une  beauté  incomparable,  a  flotté,  comme 
le  berceau  de  Moïse,  sur  les  eaux  fangeuses  du  tor- 
rent débordé  qui  engloutissait  toutes  les  générations . 
Et  cette  créature  si  privilégiée  c'est  la  virginale  mère 
de  Jésus  ;  ce  berceau  miraculeusement  sauvé,  c'est 
celui  de  Marie.  Oui,  6  Vierge  sainte,  nous  aimons  à  le 
proclamer,  dès  le  premier  instant  de  votre  Concep- 
tion, vous  avez  été  préservée  de  la  tache  commune 
à  tous  les  hommes. 

Ce  glorieux  privilège  fut  de  tout  temps  la  pieuse 
croyance  de  l'Eglise  ;  elle  était  vivante  au  fond  de  tous 
les  cœurs  :  seulement  elle  n'avait  encore  ni  l'honneur, 
ni  le  mérite  d'un  dogme  de  foi  proprement  dit.  Mais 
tout  le  peuple  chrétien  haletant  d'une  sainte  impatience 
demandait  cette  légitime  et  splendide  glorification  pour 
la  divine  Mère.  Ce  désir  de  l'Eglise  universelle  se  ma- 
nifesta par  une  immense  supplication  venue  de  tous 
les  points  du  globe  à  la  Chaire  de  Pierre.  Le  vénérable 
et  bien-aimé  Pontife  Pie  IX,  profondément  touché  de 
cet  empressement  unanime  et  spontané,  qui  répondait 
si  bien  à  sa  dévotion  personnelle  pour  la  Vierge  et  pour 
son  privilège  d1 Immaculée,  ne  se  détermina  néan- 
moins que  lentement  à  le  traduire  en  dogme  catholi- 
que. Il  institua  une  Congrégation,  «  formée  de  Cardi- 
naux illustres  par  leur  piété,  leur  sagesse  et  leur  science 
des  choses  divines  et  d'ecclésiastiques  tant  séculiers 
que  réguliers  versés  dans  les  études  théologiques,  pour 
examiner  ce  grave  sujet  de  l'Immaculée  Conception  ; 
en  même  temps,  il  s'adressa  à  tous  les  vénérables  Pré- 
lats du  monde  catholique,  pour  qu'ils  lui  fissent  con- 
naître de  quelle  dévotion  le  Clergé  et  le  peuple  ridèle 


308  REGINA  SINE  LABE  CONCEPTA 

de  leur  Province  étaient  animés  envers  la  Conception 
de  la  Vierge,  et  quels  étaient  leur  propre  sentiment  et 
leur  vœu  sur  la  définition  projetée  (Encyclique  du  2 
février  1849). 

Six  cents  évêques  sont  consultés:  chacun  d'eux, 
assisté  drs  lumières  de  son  Diocèse,  interroge  avec 
maturité  la  tradition  de  son  Eglise  sur  la  croyance  à 
l'Immaculée  Conception  :  la  même  inspiration  a  parlé 
à  toutes  les  intelligences  comme  à  tous  les  cœurs  ;  sans 
s'être  concertés,  ils  se  rencontrent  unanimes  sur  cette 
pieuse  croyance.  Et  après  quatre  ans  d'instance  pour 
la  définition  dogmatique  d'une  vérité  si  universelle- 
ment professée,  le  8  décembre  1854,  jour  à  jamais  mé- 
morable dans  les  fastes  de  la  chrétienté,  le  successeur 
de  saint  Pierre,  Vicaire  de  Jésus-Christ,  Chef  suprême 
de  toute  l'Eglise,  Pie  IX.  en  présence  du  sacré  Collège 
des  Cardinaux,  de  plus  de  deux  cents  Archevêques  et 
Evêques,  venus  de  toutes  parts  pour  recueillir  au  nom 
de  leur  troupeau,  la  joie  de  cette  grande  solennité,  se 
lève,  et  dans  la  plénitude  de  cette  autorité  infaillible 
dont  il  est  investi,  déclare,  prononce  et  définit,  «  Que 
la  Bienheureuse  Vierge  Marie,  par  une  grâce,  et  un 
privilège  spécial  de  Dieu,  en  vue  des  mérites  de  Jésus- 
Christ,  a  été,  îles  le  premier  instant  de  sa  Conception, 
préservée  et  exempte  de  toute  tache  du  péché  originel  : 
que  c'est  une  vérité  révélée  de  Dieu,  et  conséquemment 
I  l'ell    ioit  être  cru  anent  et  inviolablement  par 

Â-uss  ,  les  acclamati  ns  les  plus 
ireuses  retentissent,  ainsi  qu'autrefois  à  Ephèse, 
•  Unis  l'immense  basilique  et  de  là  s'étendirent  comme 
un  écho  prolongé  dans  toutes  les  régions  de  l'univers 
catholique  où  ce  Décret  fut  accueilli  avec  allégresse 
ilébré  par  des  fêtes  jusqu'alors  inouïes. 

Il  était  réservé  à  l'immortel  Pic  IX,  comme  consola- 


HE61NA  SINE  LABE  CONCEPTA  309 

tion  dans  les  cruelles  angoisses  qui  lui  déchiraient  le 
cœur,  et  les  nouvelles  épreuves  qui  l'attendaient,  de 
cueillir  cette  fleur  céleste  complètement  éclose  au  souf- 
fle du  temps  et  de  tous  les  désirs,  pour  l'attacher  solen- 
nellement au  diadème  de  Marie;  et  ce  fut  une  immense 
joie  pour  ses  enfants  de  voir  ce  diamant  ajouté  à  sa 
couronne,  ce  rayon  nouveau  resplendir  dans  l'auréole 
déjà  si  brillante  de  Marie. 

Les  vœux  de  l'univers  catholique  sont  donc  enfin 
accomplis  :  que  la  terre  tressaille  d'allégresse  avec  le 
ciel,  à  la  vue  de  cette  éblouissante  pureté  de  la  Vierge, 
où  l'œil  chrétien  ne  pourra  plus  soupçonner  l'ombre 
môme  d'une  tache  !  Marie  entièrement  sainte  et  inno- 
cente à  toutes  les  époques  de  son  existence,  ce  n'est  plus 
un  sentiment  pieux,  c'est  une  vérité  de  fol,  dans  la- 
quelle il  nous  est  permis  de  nous  reposer  avec  le  calme 
de  l'esprit  et  la  joie  de  l'àme:  c'est  maintenant  une  dette 
de  justice  que  nous  paierons  à  sa  gloire,  en  la  préconi- 
sant du  fond  de  notre  cœur  et  de  toute  la  force  de  notre 

VOix,  CONÇUE  SANS  PÉCHÉ. 

Morale  :  Mais  la  proclamation  de  cette  sublime  pré- 
rogative ne  doit-elle  qu'obtenir  l'acquiescement  de  notre 
raison  et  nous  combler  de  joie?  Elle  est  encore  émi- 
nemment propre  à  exciter  en  nous  un  redoublement  de 
confiance  et  d'amour  envers  la  Vierge  Immaculée. 
Recevant  de  nous  cette  louange  nouvelle  qui  glorifie 
ce  qu'elle  estime  le  plus,  l'intégrité  parfaite  de  l'âme, 
sa  reconnaissance,  soyons-en  sûrs,  ne  peut  que  répon- 
dre généreusement  à  cet  hommage  de  ses  enfants.  En 
retour,  elle  est  comme  obligée,  si  j'ose  le  dire,  de  se- 
courir la  terre  par  de  nouveaux  bienfaits,  d'y  répan- 
dre plus  largement  tous  les  dons,  de  la  protéger  con- 
tre ses  propres  fureurs  et  contre  le  courroux  céleste. 
Et  n'en  n'avons-nous  pas  déjà  des  preuves  sensibles 


310  HEGINA  SINE  LÀBE  CONCEPTA 

dans  cet  le  multitude  de  faveurs  en  tout  genre  qui  dé- 
coulent plus  abondantes  sur  le  monde,  depuis  que  la 
dévotion  à  Marie  Immaculée,  accueillie  partout  avec 
enthousiasme,  a  déjà  revêtue  tant  de  formes  et  animé 
tant  de  cœurs  ?  Qu'y  a-t-il  d'étonnant,  d'ailleurs  que  la 
Vierge  soit  exaucée,  se  présentant  à  son  Fils  avec  la 
gracieuse  parure  de  l'innocence,  tout  le  crédit  de  la 
sainteté  ?  Créature  la  plus  aimée  de  la  Divinité  par 
cette  ressemblance  si  parfaite,  se  pourrait-il  qu'elle 
éprouvât  l'humiliation  d'un  refus?  Privilégiée  jus- 
qu'aux dernières  limites  du  possible,  ne  doit-elle  pas 
être  une  Mandataire  d'une  puissance  également  illi- 
mitée? C'est  donc  avec  une  confiance  aussi  sans  ré- 
serve que  nous  devons  lui  dire  :  0  Marie,  conçue 
sans  péché,  priez  pour  nous  qui  avons  recours  à 
vous. 

C'est  encore  notre  amour  plus  tendre  que  doit  lui 
attirer  cette  glorieuse  prérogative  d'innocence  perpé- 
tuelle .  Rien  n'est  propre  à  nous  ravir  comme  la  pu- 
reté rehaussée  par  la  feeauté  :  elle  a  pour  nous  un 
attrait  irrésistible.  Un  ciel  serein,  sans  nuages  et  sans 
vapeurs,  charme  nos  yeux,  réjouit  le  cœur.  L'œil  se 
repose  satisfait  et  joyeux  sur  un  lis  dont  le  calice  fraî- 
chement éclos,  et  n'ayant  pas  encore  éprouvé  les  at- 
teintes meurtrières  du  soleil  en  son  midi,  se  montre 
dans  toute  la  pureté  de  son  éclatante  blancheur. 
Qu'est-ce  qui  donne  à  tous  cette  sympathie  naturelle 
pour  un  enfant  ?  C'est  sa  candeur,  son  innocence  na- 
tive qui  révèlent  un  cœur  libre  de  passions,  et  pas 
encore  flétri  par  le  souffle  empoisonné  du  monde.  Et 
comment  donc  ne  pas  aimer  Marie,  cette  créature  pri- 
vilégiée qui  nous  apparait  exempte  de  l'ombre  même 
d'une  tache,  plus  fraîche  d'innocence  que  la  rosée  du 
matin  ,  qu'une  fleur   nouvellement    épanouie  ,   plus 


HEGINA  SINE  LABE  CONCEPTA  311 

ravissante  que  les  cieux  avec   toute  leur   splcndide 
beauté  ? 

Mais  il  est  encore  un  autre  sentiment  que  doit  exci- 
ter en  nous  cette  conduite  de  Dieu,  c'est  à  son  exem- 
ple, la  plus  vive  horreur  pour  le  péché.  Que  Marie 
soit  pauvre,  sans  noblesse,  sans  éclat,  Dieu  ne  s'en 
offense  point.  Elle  sera  assujettie  aux  souffrances,  aux 
infirmités,  à  toutes  les  misères  de  notre  nature,  il  ne 
jugera  pas  à  propos  de  l'en  tirer  ;  rien  de  tout  cela  ne 
l'empêchera  de  reposer  sur  elle  ses  complaisances. 
Mais  qu'elle  soit  un  seul  instant  esclave  du  péché,  son 
infinie  sainteté  se  révolte  à  une  semblable  ignominie. 
Pour  la  lui  épargner,  il  dérogera  à  toutes  les  lois  que 
subit  l'humanité,  il  voudra  que  le  dragon  qui  séduit 
l'univers  recule  devant  elle,  et  ne  puisse  lui  injecter 
une  seule  goutte  de  son  venin .  Et  cependant,  ce  péché 
en  Marie  n'eût  point  été  un  de  ces  forfaits  qui  glacent 
d'épouvante  ni  un  de  ces  crimes  honteux  qui  souil- 
lent tout  l'être  de  l'homme  ;  mais  c'eût  été  une  faute 
d'origine  qui,  passant  de  la  mère  aux  enfants,  à  leur 
insu,  les  rend  plus  malheureux  que  criminels,  une 
faute  qui  aurait  pu  ne  la  flétrir  qu'un  moment,  et  qui 
rigoureusement  n'eût  pas  mis  obstacle  aux  riches  pré- 
rogatives et  même  à  la  sublime  destinée  qu'il  lui  ré- 
servait. Pouvait-il  mieux  nous  montrer  combien  le 
péché  lui  fait  horreur  ?  De  quel  œil  donc  doit-il  voir 
nos  fautes  personnelles,  librement  commises,  aimées 
et  renouvelées  sans  crainte,  sans  précautions,  ni  re- 
mords !  Commençons  donc  à  juger  du  péché  comme 
Dieu  en  jugea  à  l'égard  de  Marie.  Que  notre  appréhen- 
sion la  plus  vive  soit  de  le  commettre  !  Que  notre  devise, 
à  l'imitation  de  tant  de  saints,  soit  celle-ci  :  plutôt 
l'exil,  plutôt  la  confiscation  de  tous  mes  biens,  plutôt 
les  tourments,  plutôt  la  mort  que  de  pécher  ! 


312  REGINA  SINE  LÀBE  CONCEPT  A 

0  Marie,  dès  avant  de  naître,  que  vous  êtes  admi- 
rable !  obtenez-nous  les  sentiments  qu'alors  vous 
inspirez,  et  la  docilité  aux  utiles  leçons  que  vous  nous 
donnez  ! 

Pratique  :  Invoquez  souvent  Marie  sous  son  titre 
d'Immaculée,  surtout  dans  les  tentations  contre  la 
chasteté. 

EXEMPLES 

FAVEURS    OBTENUES    PAR   MARIE   IMMACULEE. 

Parmi  les  sanctuaires  qui  sous  ce  vocable  s'élevè- 
rent comme  par  enchantement,  sur  tous  les  points  du 
monde  chrétien,  aussitôt  après  la  promulgation  du 
Dogme,  on  distingue  celui  du  petit  Séminaire  de  Séez, 
construit  avec  une  magnificence  digne  de  son  objet, 
et  due  en  grande  partie  aux  pieuses  libéralités  des 
Français.  Aussi  cette  bonne  Mère  se  plait-eile  à  mon- 
trer qu'elle  n'est  point  insensible  au  dévouement  et  à 
la  confiance  qu'on  lui  témoigne.  Plusieurs  fois  l'année, 
des  Bulletins  viennent  nous  apprendre  quelques-unes 
des  faveurs  les  plus  signalées  et  pour  le  corps  et  pour 
l'âme,  que  la  Vierge  Immaculée  s'empresse  de  répan- 
dre sur  ceux  qui  la  font  prier,  ou  viennent  l'invoquer 
sous  son  titre  le  plus  cher . 

Le  bienheureux  Alphonse  Rodriguez  consacra  toute 
sa  vie  à  aimer,  à  honorer  Marie.  Dès  l'âge  le  plus 
tendre,  lorsqu'il  trouvait  quelqu'une  de  ses  images,  il 
la  saisissait  avec  bonheur ,  la  baisait  dévotement,  la 
pressait  contre  son  cœur  :  une  de  ses  plus  douces 
jouissances  était  de  s'entretenir  amoureusement  avec 
sa  bonne  mère.  A  mesure  qu'il  avançait  en  âge.  sa 
dévotion  prenait  aussi  de  nouveaux  accroissements  : 
il  était  attentif  à  lui  en  donner  des  preuves  par  tous 
les  moyens  possibles,  ne  négligeait  aucune  occasion 


REG1NA  SINE  LABE  CONCEPTA  313 

de  faire  son  éloge,  de  soutenir  ses  privilèges  et  sur- 
tout son  Immaculée  Conception,  pour  la  défense  de 
laquelle  son  visage  et  sa  voix  s'enflammaient  extraor- 
dinairement.  Il  aimait  à  répéter  qu'un  moyen  sûr  de 
plaire  à  Jésus-Christ ,  c'est  de  croire  que  sa  sainte 
Mère  a  été  conçue  sans  souillure  et  de  l'honorer  en 
cette  qualité . 

—  Le  célèbre  Alexandre  de  Halès,  qui  fut  une  des 
vives  lumières  de  l'Université  de  Paris,  éprouva  lui- 
même  combien  Marie  est  sensible  à  la  gloire  de  son 
Immaculée  Conception.  N'étant  pas  encore  pleinement 
convaincu  de  la  vérité  de  ce  mystère,  dans  un  temps 
où  il  n'était  point  dogme  de  foi,  il  se  mettait  peu  en 
peine  d'en  célébrer  la  fête.  Mais  Dieu  permit  que  le 
jour  même  de  cette  solennité,  8  décembre,  il  tombât 
malade  et  souffrit  d'affreuses  douleurs.  Cet  accident 
s'étant  renouvelé  pendant  trois  ans  consécutifs  ce 
jour-là  même,  ses  disciples  lui  firent  observer  la  sin- 
gularité de  ce  retour  périodique,  et  lui  conseillèrent 
d'embrasser  franchement  la  croyance  à  l'Immaculée 
Conception.  Ce  qu'il  fit  ;  et  il  promit  de  plus,  s'il  était 
délivré  de  cette  maladie  annuelle,  de  composer  un  li- 
vre pour  prouver  et  défendre  ce  privilège  de  Marie . 
Dès  ce  moment  ses  infirmités  ne  reparurent  plus. 
Toute  la  Faculté  qui  fut  témoin  de  ce  prodige,  redou- 
bla de  dévouement  pour  cette  croyance  ;  et  le  Docteur 
fidèle  à  son  vœu,  composa,  en  l'honneur  de  la  sainte 
Vierge,  un  ouvrage  spécialement  destiné  à  la  préco- 
niser conçue  sans  péché. 

ARTICLE  SECOND 
Autorité  de  la  sainte  Ecriture  en  faveur  de  l'Imma- 
culée Conception  de  Marie. 
Marie  est  Immaculée  dès  sa  Conception  :  ces  deux 
mots  si  parfaitement  assortis  ne  pourront  donc  plus 


314  REGINA  SINE  LABE  CONCEPTA 

à  l'avenir  être  séparés  ;  éternellement  ils  resteront 
unis  et  gravés  dans  nos  esprits  comme  dans  nos 
cœurs.  «  Rome  a  parlé  ;  la  cause  est  finie  (S.  Aug.).  » 
Quoique  nous  devions  nous  incliner  respectueusement 
devant  ce  Décret  émané  de  Dieu  même  par  l'organe 
de  son  représentant  sur  la  terre,  il  importe,  néan- 
moins ,  de  voir  les  raisons  si  solides  sur  lesquelles 
repose  cette  vérité.  Elle  est  appuyée  d'abord  sur 
l'autorité  la  plus  imposante  de  toutes,  la  sainte  Ecri- 
ture. 

En  effet,  nous  la  trouvons  en  germe  au  berceau 
même  du  monde,  intimement  liée  à  l'antique  promesse 
d'un  Libérateur,  par  laquelle  Dieu  daigna  relever 
l'espérance  du  premier  homme  brisé  par  sa  chute. 
S'adressant  au  serpent,  il  lui  dit  :  J'établirai  des  ini- 
mitiés entre  toi  et  la  femme  ;elle  te  broiera  la  tête, 
et  tu  essaieras  delà  mordre  au  talon.  Or,  Marie,  de 
l'aveu  de  tous,  est  cette  Femme  prédite  et  promise, 
qui  doit  par  sa  victoire  sur  Le  démon  réparer  les  maux 
qu'il  a  causés .  Et  Ton  voudrait  qu'avec  des  destinées 
aussi  glorieuses,  Elle-même  fût  tombée  sous  les  coups 
de  Satan,  et  que  devant  détruire  son  empire  elle  en 
eût  été  auparavant  l'esclave  !  Mais  une  pareille  suppo- 
sition est  formellement  repoussée  par  le  texte  môme  des 
saints  Livres.  D'abord,  dans  ces  inimitiés  qui  doivent 
diviser  le  serpent  et  la  femme,  Dieu  ne  fait  aucune 
distinction  de  temps  et  de  moments  ;  entre  Marie  et 
Satan  l'hostilité  doit  être  réciproque  et  irréconciliable  ; 
c'est  une  hostilité  de  race  et  perpétuelle.  C'est  donc 
aussi  bien  dès  sa  Conception  qu'à  toute  autre  époque 
de  sa  vie,  que  cette  mutuelle  antipathie  a  dû  exister. 
Est-il  possible  de  dire  avec  plus  d'énergie,  que  le  dé- 
mon n'a  jamais  pu  l'approcher  pour  lui  imprimer  le 
honteux  cachet  de  la  faute  originelle  ? 


REGINA   81KB   LAB      CONCEPTA  315 

Ce  n'est  pas  tout  :  cette  Femme  mystérieuse,  loin 
d'avoir  été  la  victime  du  serpent  séducteur,  doit  non 
pas  seulement  le  blesser  à  la  tète,  mais  la  lui  écraser, 
la  mettre  en  pièces,  conteret.  Le  dragon  se  débattra  ; 
il  essaiera  d'atteindre  ce  pied  victorieux,  insidiaberis 
calcaneo  ejas  ;  mais  ses  efforts  resteront  impuissants  ; 
il  ne  la  touchera  même  pas,  moins  encore  pourra-t-il 
la  mordre  au  talon,  c'est-à-dire  à  la  plus  petite  partie 
de  son  être.  Or,  si  Marie  en  sa  Conception  avait  été 
souillée  par  le  péché,  qui  est  la  victoire  de  l'empire  du 
démon  sur  notre  nature  ;  si  le  serpent  lavait  effleurée 
seulement  de  la  pointe  de  son  dard,  loin  de  l'avoir 
terrassé,  c'est  elle  qui  aurait  été  sa  victime  ;  loin  de 
lui  avoir  écrasé  la  tête,  c'est  elle  qui  aurait  été  blessée 
de  sa  morsure.  Le  triomphe  que  Dieu  prédit  à  Marie 
sur  le  serpent  doit  donc  avoir  eu  pour  complément 
nécessaire  la  préservation  de  la  faute  commune. 

Les  siècles  se  précipitent  ;  et  avec  le  temps  cette 
vérité  acquiert  une  nouvelle  clarté.  L'esprit-Saint, 
qui  devait  être  son  Epoux,  ne  craint  pas  de  lui  dire 
par  avance  :  Vous  êtes  toute  belle,  orna  bien-aimée,  et 
il  n'existe  en  vous  aucune  tache.  De  quelle  beauté 
veut-il  parler,  sinon  principalement  de  l'immortelle 
beauté  de  l'àme,  de  cette  beauté  pure  et  intérieure  qui 
doit  reluire  en  la  fille  du  Roi,  et  qui  seule  attire  les 
regards  de  Dieu  ?  Or,  pouvait-il  l'appeler  entièrement 
belle,  exempte  de  toute  tache,  si  à  quelque  moment  de 
son  existence,  elle  eut  été  déshonorée  par  les  hontes 
de  notre  déchéance  commune  ?  Cette  beauté  totale, 
qui  est  son  apanage  distinctif,  proscrit  donc  toute 
espèce  de  faute,  la  faute  héréditaire  conséquemment, 
comme  toutes  les  autres.  —  Cette  sainteté  originelle 
ne  ressort  pas  moins  ouvertement  de  toutes  ces  expres- 
sions figurées,  colombe,  jardin  délicieux,  jardin  fer- 


316  REGIXA  SIXE  l.ABE  COMCBPTÀ 

mé,  source  d'eau  pure,  lis  nu  milieu  des  épines, 
toison  humide,  etc. . . ,  par  lesquelles  le  divin  Esprit  s'est 
plu  à  se  représenter  dans  l'avenir  sa  chère  Epouse.  A 
chacune  de  ces  images  ne  reconnait-on  pas  une  créa- 
ture qui  fut  toujours  pure,  comme  la  fleur  fraîche- 
ment épanouie  au  lever  de  l'aurore,  et  qu'aucune  brise 
n'est  venue  flétrir  ? 

Enfin  après  de  longs  siècles  de  désirs  et  d'attente, 
arriva  l'accomplissement  de  toutes  ces  prophétiques  et 
mystérieuses  paroles.  Une  jeune  fille  de  Nazareth  est 
cette  Femme  annoncée  comme  un  prodige.  Le  Prince 
des  archanges  vient  de  la  part  de  Dieu  lui  apporter  le 
plus  glorieux  des  messages  :  et  que  lui  dit-il  *>Je  vous 
salue,  pleine  de  grâce  ;  le  Seigneur  est  avec  vous  ; 
vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes.  Elles  reten- 
tiront d'un  bout  de  l'univers  à  l'autre  et  jusqu'à  la  fin 
des  temps,  ces  paroles  divines,  pour  proclamer  que 
Marie  fut  toujours  sainte,  toujours  pure.  En  effet  :  pleine 
de  grâce  :  est-il  possible  d'exprimer  plus  nettement 
qu'elle  en  a  toujours  été  ornée  dans  l'àme  et  dans  le 
corps  ;  qu'elle  en  a  eu  la  plénitude,  et  non  pas  un 
simple  écoulement  :  que  les  flots  de  la  grâce  ont  atteint 
jusqu'au  premier  moment  de  sa  création  pour  le  sanc- 
tifier ?  Vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes  :  au- 
cune n'est  exceptée.  N'est-ce  pas  dire  que  l'ancienne  Eve 
elle-même  doit  s'incliner  devant  la  nouvelle,  que 
toutes  les  prérogatives  dont  celle-là  fut  ornée  ont  dû 
être  communiquées  à  Celle-ci,  et  avec  un  surcroit 
d'éclat  ?  Or,  la  première  apparut  au  monde,  toute 
rayonnante  de  la  sainteté  de  Dieu  qui  se  complait  en 
elle  :  et  Marie  n'aurait  été  sous  son  regard  divin  qu'un 
objet  impur  dont  il  aurait  dû  se  détourner  avec  hor- 
reur ?  Celle  qui  perdit  le  genre  humain  fut  créée  sans 
tache  ;  et  la  seconde  Eve  qui  devait  concourir  à  le  re- 


KEGINA  SINE  LABE  CONCEPTA  '.'Aï 

faire  plus  merveilleusement,  mirabilius  reformasli, 
aurait  été  conçue  dans  l'iniquité  ?  Ali  !  loin  de  nous 
une  idée  aussi  révoltante  !  Ajoutons  encore  que  Y  Eve, 
réparatrice  de  ce  qu'Eve  pécheresse  avait  détruit,  de- 
vait être  privilégiée  au-dessus  de  tous  ceux  qu'elle 
était  appelée  à  sauver,  et  conséquemment  ne  point 
partager  avec  eux  la  souillure  d'origine. 

De  plus,  elle  était  Vierge,  nomen  Virginis  Maria, 
Celle  que  Dieu  choisissait  ainsi  pour  être  la  Mère  du 
Rédempteur.  Or,  cette  virginale  Maternité  semble 
encore  exiger  une  Conception  exempte  de  toute  tache. 
Pourquoi,  en  effet,  Dieu  voulait-il  naître  dîme  Vierge, 
si  ce  n'est  parce  que  la  sainteté  qui  convenait  à  son 
humanité,  sanctus,  innocens,  devait  déjà  se  trouver 
dans  sa  Mère,  d'où  elle  s'épancherait  sur  cette  huma- 
nité morne  ?  Aussi,  la  virginité  de  Marie  était-elle 
retenue  en  quelque  sorte  à  l'avance  par  Dieu,  à  qui 
elle -l'avait  vouée.  Mais,  si  cette  pureté  virginale  était 
la  condition  préparatoire  et  nécessaire  de  la  Mère  du 
Sauveur,  ne  devait-elle  pas  remonter  jusqu'à  sa  Con- 
ception môme  ?  afin  que,  dit  excellemment  saint  Ber- 
nard, d'une  Vierge,  sans  péché  à  toute  époque,  naquît 
lui-même  entièrement  pur,  l'Agneau  qui  devait  effacer 
les  péchés  du  monde.  La  sainteté  qui  convenait  à 
Marie,  et  qu'elle  avait  quand  elle  a  conçu  Jésus- 
Christ,  devait  donc  avoir  orné  sa  propre  Conception . 

Si  de  Nazareth  nous  nous  transportons  au  Calvaire, 
là  encore  nous  entendrons  Jésus-Christ  lui-même 
nous  révéler  du  haut  de  sa  Croix  la  gloire  de  Marie 
Immaculée,  lorsqu'il  dit  à  son  disciple  chéri  r  Voilà 
votre  Mère.  Certes,  ce  testament  suprôme  ne  fut  point 
fait  pour  nous  déshériter  au  profit  d'un  seul  homme  : 
c'est  chacun  de  nous,  c'est  toute  l'Eglise  que  Jésus 
voulait  enrichir  dans  la  personne  de  saint  Jean.  Mais, 

paraphra.se.  —t.  ii.  19 


318  REGINA  SINE  LABE  CONCEPTA 

eût-il  convenu  à  sa  sagesse,  à  sa  gloire,  à  l'harmonie 
de  la  plus  grande  de  ses  œuvres,  que  la  Mère  de  son 
Eglise  qu'il  venait  former  sainte,  sans  tache  ni  ride, 
que  la  Mère  de  tous  ses  enfants  eût  commencé  par  la 
souillure  du  péché  de  si  sublimes  destinées?  Ne  de- 
vait-il pas  nous  donner  une  Mère,  en  tout  temps  et  de 
tous  points,  vénérable,  sainte,  et  dont  les  enfants 
n'eussent  jamais  à  rougir,  à  quelque  moment  de  son 
existence  qu'ils  la  considérassent. 

Vous  venez  d'entendre  le  langage  de  nos  saints 
Livres  :  Dieu  a  parlé,  lui-même,  et  par  les  prophètes 
et  par  les  Anges,  et  par  son  Fils,  pour  exprimer  des 
prédictions,  des  éloges  et  des  faits,  au  fond  desquels 
repose  le  dogme  de  l'Immaculée  Conception,  à  l'état 
obscur  et  latent,  mais  incontestable  et  réel  :  le  mot 
seul  n'y  est  pas. 

Nous  ne  pouvons  relater  ici  en  détail  tous  les  témoi- 
gnages de  la  Tradition,  aussi  ancienne  qu'unanime,  en 
faveur  de  cette  vérité.  Mais  nous  tenons  à  signaler, 
comme  leur  complément,  d'abord,  l'autorité  de  la  Sor- 
bonne,  qui,  dans  l'élan  de  son  dévouement  à  l'auguste 
Vierge,  s'engageait  à  défendre  sa  prérogative  d'Imma- 
culée, et  statuait  que  nul  docteur  ne  serait  accueilli 
dans  son  sein  s'il  ne  prenait  l'engagement  solennel  de 
soutenir  ce  glorieux  privilège  :  et  l'autorité  beaucoup 
plus  imposante  du  saint  concile  de  Trente  qui,  après 
son  décret  sur  le  péché  originel,  déclara  formellement 
«  que  son  intention  n'est  point  d'y  comprendre  la 
bienheureuse  et  Immaculée  Mère  de  Dieu.  »  A  moins  de 
définir,  l'Eglise  ainsi  représentée  pouvait-elle  mieux 
exprimer  sa  pensée  sur  ce  privilège  de  la  Vierge?  — 
Soyons  donc  fiers  et  heureux  de  notre  foi  à  Marie  Im- 
maculée. 

Morale  :  Si,  moins  avantagés  qu'elle,  nous  sommes 


REG1NA  SINE   LABE  CONCEPTA  319 

conçus  dans  l'iniquité,  sachons  du  moins  conserver, 
sans  la  ternir,  l'innocence  recouvrée  dans  le  bain  ré- 
générateur du  baptême.  Mais,  hélas  !  cette  pureté  des 
premières  années,  le  péché  ne  tarde  pas  à  nous  la  ravir. 
Trop  souvent,  la  raison  ne  se  développe  que  sur  les 
ruines  de  l'innocence  :  nos  premiers  pas  deviennent 
nos  premières  chutes  :  et  ces  échecs  prématurés  ne 
sont  ordinairement  que  le  prélude  d'une  vie  qui  se  pour- 
suivra et  s'achèvera  marquée  par  des  fautes  sans  cesse 
renouvelées . 

Pour  Marie,  préservée  du  péché  d'origine,  elle  n'a- 
vait point  par  là  même  ce  foyer  de  penchants  déréglés, 
source  empoisonnée  de  nos  prévarications .  Son  cœur 
n'était  point  agité  de  ces  mouvements  de  la  concupis- 
cence dont  gémissait  le  grand  Apôtre,  ni  sa  chair  vir- 
ginale exposée  aux  fatales  et  dangereuses  séductions 
des  sens.  Cependant,  affranchie  d'inclinations  mauvai- 
ses, et  forte  de  la  plénitude  des  grâces  qui  l'inondent, 
elle  n'en  est  ni  moins  prudente,  ni  moins  circonspecte. 
Cette  vie  de  précautions  en  toute  manière  ne  saurait 
être  trop  présente  à  nos  yeux,  afin  de  devenir  le  modèle 
de  la  nôtre  :  étudions  donc  l'intéressant  tableau  que 
nous  en  trace  saint  Ambroise.  «  Marie,  dit-il,  parlait 
peu  aux  créatures,  préférant  les  secrets  entretiens  avec 
son  créateur,  dont  le  langage  est  sans  amertume  ;  lo- 
quendi  parcior  :  elle  était  soigneusement  appliquée 
aux  occupations  journalières,  bien  différente  de  ces 
personnes  légères  qui  mettent  leur  dévotion  dans  cer- 
taines pratiques  de  piété  et  négligent  les  devoirs  de 
leur  état  ;  intenta  operi  :  elle  évitait  de  se  répandre 
au  dehors,  où  le  grand  air  fait  évaporer  le  parfum  le 
plus  odoriférant  et  surtout  celui  de  la  chasteté,  fleur 
tendre  qui  craint  les  ardeurs  du  soleil  ;  prodire  domo 
nescia  :  elle  n'allait  pas  même  au  temple  sans  être 


320  REGINA  SIXE  LABE  CONCEPT  A 

accompagnée,  tant  elle  avait  à  cœur  de  se  mettre  à 
l'abri  de  tout  danger  comme  de  tout  soupçon  :  ne  ad 
templum  quidi  m  sine  comité  :  non-seulement  elle 
redoutait  la  rencontre  d'un  sexe  différent,  mais  encore 
elle  évitait  la  compagnie  des  femmes  dont  la  conversa- 
tion aurait  pu  la  dissiper  et  lui  dessécher  le  cœur; 
neque  feminas comités  desiderabat  ■  enfin  sou  esprit 
sans  cesse  occupé  de  saintes  pensées  n'était  pas  sur  la 
terre,  mais  au  ciel:  quœ  oonas  cogitntiQYiPs  luibe- 
bat.  »  Quel  ravissant  spectacle!  Quelles  leçons  ins- 
tructives ! 

Nous,  au  contraire,  conçus  avec  le  péché  et  la  concu- 
piscence qui  en  est  la  suite,  agités  par  les  flots  des  pas- 
sions qui  nous  emportent,  placés  au  milieu  d'un  monde 
qui  ne  présente  que  pièges  et  embûches,  nous  n'en 
devenons  ni  plus  craintifs,  ni  plus  vigilants.  Tantôt, 
notre  imprudence  nous  porte  au  devant  du  danger, 
nous  précipite  dans  les  occasions  les  plus  critiques  ; 
tantôt,  surpris  à  l'improviste  par  la  tentation,  nous 
ne  savons  nous  protéger  avec  l'armure  de  la  foi  :  et  de 
tristes  chutes  viennent  attester  notre  faiblesse,  sans 
augmenter  la  défiance  et  les  humbles  sentiments  de 
nous-mêmes. 

0  Reine  conçue  sans  péché,  obtenez- moi  de  devenir 
par  vertu  ce  que  vous  fûtes  par  privilège,  pur  et  im- 
maculé ! 

Pratique  :  Recourir  souvent  au  très  saint  cœur  de 
Marie,  comme  sanctuaire  où  nous  attend  la  divine  mi- 
séricorde . 

HISTOIRES 

LA    MÉDAILLE   MIRACULEUSE 

Qui  n'a  entendu  parler  de  la  Médaille  si  bien  nom- 
mée miraculeuse?  Qui  n'a  appris  quelques-uns  des 
innombrables  prodiges  de  conversion  et  de  guérisons 


RE  GIN  A   SINE   LABE  CONCEPTA  321 

qu'elle  a  procurés  ?  Cette  Dévotion  nouvelle,  réservée 
à  notre  siècle  pour  honorer  Marie  Immaculée,  est  de- 
venue aujourd'hui  si  populaire,  qu'elle  nécessite  quel- 
ques mots  sur  son  origine. 

C'était  en  1830,  époque  de  triste  mémoire  :  l'émeute 
ensanglantait  les  rues  de  la  capitale  :  l'anarchie  bran- 
dissait ses  torches  :  l'impiété  menaçait  la  religion,  ses 
ministres,  son  culte,  la  liberté,  tous  les  intérêts.  Une 
pieuse  fiancée  de  Jésus,  vouée  au  service  des  pauvres, 
eut  une  vision  où  lui  apparut  un  tableau  représentant 
la  sainte  Vierge  dans  l'attitude  qu'on  appelle  Concep- 
ception.  De  ses  mains  étendus  vers  la  terre  s'échap- 
paient des  faisceaux  de  rayons  d'un  éclat  éblouissant  ; 
quelques-uns  plus  brillants  encore  tombaient  sur  un 
point  du  globe.  En  même  temps  une  douce  voix  fit 
entendre  ces  paroles  :  «  Ces  rayons  sont  le  symbole 
des  grâces  que  Marie  obtient  aux  personnes  qui  l'in- 
voquent ;  et  ce  point  du  globle  sur  lequel  ils  décou- 
lent plus  abondamment,  c'est  la  France.  »  Autour 
de  l'image  se  voyait  écrite  en  lettres  d'or  l'invocation  : 
«  0  Marie,  conçue  sans  péché,  priez  pour  nous  qui 
avons  recours  à  vous  !  »  Quelques  instants  après,  le 
tableau  s'étant  retourné,  la  religieuse  y  distingua  la 
lettre  M  surmontée  d'une  petite  Croix  et  au-dessous 
les  Cœurs  sacrés  de  Jésus  et  de  Marie.  Après  avoir 
tout  considéré  attentivement,  elle  entendit  la  même 
voix  qui  lui  disait  :  «  Il  faut  faire  frapper  une  médaille 
sur  ce  modèle,  et  les  personnes  qui  la  porteront  indul- 
genciée  ,et  qui  feront  avec  piété  cette  courte  prière 
seront  spécialement  protégées  par  la  Mère  de  Dieu .  » 
La  même  vision  s'étant  plusieurs  fois  renouvelée,  ainsi 
que  l'injonction  de  faire  frapper  la  médaille,  on  obéit 
enfin  ,  après  l'approbation  de  Mgr  l'Archevêque  de 
Paris,  M.  de  Quelen,  qui  s'était  entouré  de  tous  les 


3*2  REGIXA   SINE  LABE  COXCEPTA 

renseignements  nécessaires  en  pareil  cas,  pour  s'assu- 
rer de  la  realité  du  fait.  La  Médaille  a  été  frappée,  et 
depuis  elle  justifie  partout  son  titre  de  Miraculeuse. 

ARTICLE  TROISIEME 

Raisons  de  convenance  en  faveur  de  l'Immaculée 
Conception  de  Marie 

Il  y  a  dans  la  religion  des  vérités  qui,  en  éclairant 
notre  raison,  semblent  la  confondre  en  la  jetant  dans 
des  profondeurs  où  elle  a  peine  à  se  reconnaître  :  ce 
sont  nos  grands  mystères.  Le  dogme  de  l'Immaculée 
Conception  est  plus  doux  ;  c'est  une  vérité  qui  charme 
et  qui  repose  :  on  la  contemple  sans  fatigue  et  l'on  s'y 
trouve  consolé .  C'est  donc  avec  un  nouveau  plaisir 
que  nous  allons  la  considérer  encore,  pour  y  admirer 
l'heureux  accord  de  la  raison  et  de  la  foi,  et  sa  lumi- 
neuse harmonie  avec  les  autres  prérogatives  et  surtout 
la  sublime  destinée  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie. 
Oui,  tout  réclamait  pour  elle  la  merveille  d'une  Con- 
ception Immaculée.  c<  Ce  glorieux  privilège,  dit  saint 
Liguori,  Dieu  le  Père  ne  le  devait-il  pas  à  sa  Fille 
bien-aimée,  Jésus  à  sa  digne  Mère,  le  Saint-Esprit  à  sa 
chaste  Epouse  ?  alliances  toutes  divines  qui  repoussent 
bien  loin  l'idée  d'aucune  souillure .  »  Bossuet  faisant 
l'éloge  d'une  illustre  princesse  disait  :  «  Je  n'aperçois 
autour  d'elle  que  des  rois.  »  Autour  de  Marie,  nous  ne 
trouvons  que  des  Personnes  divines,  qui  l'environnent, 
la  pénètrent,  la  protègent  tellement,  qu'il  est  impossi- 
ble de  découvrir  comment,  par  quelle  voie  et  à  quelle 
heure  le  péché  aurait  pu  entrer  dans  cet  auguste  Sanc- 
tuaire . 

I.  Dieu  le  Père  devait  à  Marie,  sa  Fille  bien- 
aimée,  le  privilège  d'une  Conception  Immaculée.— 
Quand  Dieu  arrêta  dans  ses  conseils  éternels  que  le 


IIKGINA  SINE  LABE  CONCERTA  3U23 

monde  déchu  serait  réhabilité  par  l'Incarnation  de  son 
Verbe ,  il  voyait  d'un  même  coup  d'œil  et  ce  divin 
Rédempteur  et  celle  dont  le  sein  très  chaste  servirait 
à  l'accomplissement  de  ce  grand  mystère.  L'amour  du 
Père  pour  son  Fils,  ce  cher  objet  de  ses  complaisances, 
s'étendait  donc  dès  ce  moment  sur  Marie,  commence- 
ment de  la  sainte  humanité  de  Jésus-Christ.  Ne  devait- 
il  pas  la  faire  reluire  d'une  beauté  telle,  qu'il  pût  repo- 
ser aussi  sur  elle  ses  regards  de  complaisance,  et  y 
contempler,  comme  dans  un  miroir  pur  et  fidèle,  la  res- 
semblance de  ses  traits  si  profondément  altérés  par  le 
péché  dans  le  reste  des  hommes? 

Et  puis,  appeler  Marie  à  concevoir  le  Verbe  Sau- 
veur, c'était,  de  la  part  de  Dieu,  nous  l'avons  déjà  dit, 
l'associer  à  sa  glorieuse  paternité.  Conséquemment, 
n'a-t-il  pas  dû  veiller  à  ce  qu'elle  fût  d'une  perfection 
qui  répondit  à  cette  haute  destinée?  Pouvait-il  laisser 
la  tache  originelle  souiller  Celle  en  qui  s'incarnerait 
son  Verbe,  sa  vive  image,  la  splendeur  de  sa  gloire? 
Une   semblable  pensée  contriste  l'àme   et  l'oppresse 
d'un  poids  qu'elle  ne  peut  supporter.  C'est  du  propre 
sang  de  Marie  que  devait  être  formée  la  Victime  d'im- 
molation :  pouvait-il  être  empoisonné  dans  sa  source, 
ce  sang  qui  coula  pour  l'ablution  des  péchés  du  monde? 
Et  parce  qu'elle  devait  contribuer  à  la  destruction  du 
péché,  quoi  de  plus  convenable  qu'elle-même  en  ait 
toujours  été  préservée  ?  Le  péché,  ce  monstre  d'hor- 
reur, cet  objet  éternel  de  la  haine  de  Dieu,  ce  mur  de 
division  entre  le  ciel  et  la  terre,  ne  devait  jamais  sépa- 
rer Marie  du  Tout-Puissant.   Et  s'il  sauva  du  déluge 
Noé  et  sa  famille,  non-seulement  parce  qu'ils  furent 
trouvés  justes,  mais  aussi  parce  qu'il  les  destinait  à 
régénérer  le  monde,  ne  devait-il  pas  bien  plus  encore 
faire  surnager,  au-dessus  de  la  corruption   générale. 


3Î4  KÊGÎNA  SINE  LABE  CONCBPTA 

Marie  venant  donner  au  monde  moral  par  Jésus- 
Christ,  son  Fils,  une  régénération  spirituelle? 

II.  Je  su  s- Christ,  de  son  côté,  devait  à  son  hon- 
neur et  à  celui  de  sa  Mère  qu'elle  fût  conçue  sans 
péché.  —  C'est  un  avantage,  dit  la  sainte  Ecriture, 
de  naître  de  parents  nobles.  Le  monde  pardonne  plus 
volontiers  le  manque  de  fortune  que  le  manque  de  nais- 
sance ;  et  le  vice  d'une  origine  basse  et  obscure  se 
répare  moins  facilement  que  le  défaut  de  science  et  de 
richesse.  Or,  peut-on  supposer  que  Dieu,  qui  pouvait 
donner  à  la  Mère  de  son  fils  le  plus  éclatant  des  titres 
de  noblesse  par  une  Conception  immaculée,  l'aurait 
laissée,  ne  fût-ce  qu'un  instant,  dégradée  sous  le  poids 
de  l'anathème  général  ? 

Jésus-Christ  préserva  de  la  corruption  du  tombeau 
le  corps  de  Marie,  «  ne  lui  étant  pas  honorable,  dit 
saint  Augustin,  d'exposer  à  la  pourriture  cette  chair 
virginale  dont  la  sienne  était  formée.  »  Mais,  si  c'eût 
été  une  flétrissure  pour  le  Rédempteur  que  le  corps  de 
sa  Mère  devint  la  proie  des  vers,  l'opprobre  n'eût-il 
pas  été  beaucoup  plus  grand  de  naître  d'une  Mère  dont 
l'àme  aurait  été,  même  passagèrement,  gâtée,  par  la 
corruption  du  péché?  Tout  au  contraire,  le  Fils  de 
Dieu,  ayant  résolu  de  prendre  notre  nature,  c<  a  dû, 
dit  saint  Pierre  Daniien.  se  préparer  une  Mère  dont  la 
perfection  répondit  à  sa  grandeur,  à  sa  sainteté,  a  la 
gloire  de  sa  divinité.  »  Cette  habitation,  c'était  pour 
lui-même  qu'il  la  disposait  :  il  dut  la  faire  un  Palais 
digne  de  sa  majesté ,  conséquemment  la  sanctifier, 
comme  dit  le  Prophète- Roi,  et  y  pourvoir  dès  la  pre- 
e  aurore,  en  la  garantissant  de  toute  souillure. 
Assurément,  il  vous  répugnerait  d'approcher  les  lèvres 
d'une  coupe  dont  vous  auriez  vu  les  bords  couverts 
d'immondices,  quoique  disparues  complètement.  Com- 


KKfilNA   SINE  LABE  CONCEPTA  325 

prenez  donc  la  répugnance  du  Saint  des  saints  à  venir 
habiter  en  Celle  qu'il  aurait  vue  auparavant  salie  par 
la  tache  hideuse  du  péché. 

Assez  d'humiliations  ,  assez  d'abaissements  pour 
Jésus  de  quitter  les  brillantes  et  éternelles  splendeurs 
du  ciel  :  sa  gloire  demandait  que  le  sein  où  il  venait 
cacher  sa  grandeur  et  revêtir  la  forme  d'esclave, 
n'eût  jamais  été  infecté  du  poison  héréditaire,  et  que 
ce  nouveau  trône  où  il  allait  siéger,  pur  comme  les 
deux,  lui  en  fit  oublier  les  éclatantes  beautés.  D'ail- 
leurs est-il  supposable  qu'il  eût  permis  à  son  plus 
cruel  ennemi  d'y  habiter  le  premier,  et  de  le  souiller 
de  son  souffle  impur?  Non,  dit  Bossue t,  «  si  Satan 
eût  osé  seulement  s'en  approcher,  le  Fils  de  Dieu  au- 
rait fait  tomber  sur  sa  tète  toutes  les  foudres  de  sa 
colère.  » 

De  plus,  Jésus,  au  témoignage  de  saint  Paul,  devait 
être  un  Pontife  saint,  innocent,  pur  de  tonte  tache 
et  séparé  des  pécheurs.  «  Il  fallait,  en  effet,  dit  saint 
Thomas,  que  Celui  qui  venait  effacer  le  péché  n'eût 
rien  qui  le  rattachât  au  pécheur,  pas  même  à  Adam 
par  la  faute  originelle.  »  Or,  comment  Jésus  aurait-il 
pu  se  dire  pur  de  tout  contact  avec  les  pécheurs,  si 
Celle  qui  le  forma  de  son  sang,  en  qui  il  habita  pendant 
neuf  mois,  eût  été  elle-même  un  seul  instant  esclave 
du  péché  ? 

Ce  qu'il  devait  à  son  honneur,  it  ne  le  devait  pas 
moins  a  celui  de  sa  Mère.  —  Elevée  par  la  Maternité 
divine  au-dessus  de  tout,  il  convenait  qu'elle  fût  douée 
d'une  sainteté  non  commune,  mais  incomparable,  ex- 
ceptionnelle comme  la  dignité  elle-même,  d'une  sain- 
teté telle  qu'on  ne  put  en  supposer  une  plus  grande, 
telle  qu'elle  ne  fût  surpassée  que  par  la  sainteté  de 
Dieu  même.  Ce  Sanctuaire  futur  de  la  Divinité  devait 


326  REGIXA   SINE   LABE  CONGE l'TA 

donc  avoir  toujours  resplendi  d'une  pureté  sans  ombre 
et  sans  tache.  —  Jérémie  et  Jean-Baptiste  ont  été 
purifiés  avant  de  naître,  parce  qu'ils  devaient  être, 
l'un  Prophète,  l'autre  Précurseur  ;  mais  la  dignité 
de  Mère  ne  demandait-elle  pas  une  plus  riche  faveur, 
celle  d'avoir  toujours  été  rayonnante  de  toute  la  splen- 
deur de  la  grâce  ?  —  Les  Anges,  à  qui  n'était  point 
réservé  le  même  bonheur  qu'a  Marie,  avaient  été 
créés  entièrement  purs.  Et  Dieu  aurait  refusé  à  leur 
Reine  les  mêmes  égards  de  prévenance,  de  la  créer, 
avec  tous  les  charmes  d'une  innocence  parfaite  ?  — 
Celui  qui  avait  promulgué  le  précepte  si  rationnel 
d'honorer  un  père,  une  mère,  n'a-t-il  pas  dû  l'observer 
lui-même,  en  comblant  sa  Mère  de  tout  honneur  pos- 
sible? L'aurait-il  fait,  s'il  l'eût  laissée  un  seul  instant 
sous  l'esclavage  honteux  du  démon? 

Enfin,  son  incomparable  dignité  de  Mère  de  Dieu, 
et  tout  en  elle,  comme  conséquence,  sort  des  règles 
ordinaires.  Ainsi,  nous  y  voyons  une  virginité  féconde, 
un  enfantement  sans  douleurs,  une  chair  sans  fragi- 
lité, des  sens  sans  rébellion,  une  vie  sans  péché,  une 
mort  sans  agonie,  un  tombeau  sans  corruption  :  voilà 
une  existence  qui  n'est  que  comme  une  série  non  in- 
terrompue de  merveilles,  qui  toutes  font  de  Marie  une 
créature  a  part.  Xe  serait-ce  donc  que  par  le  seul 
endroit  d'une  Conception  maculée  qu'elle  nous  res- 
semblerait? De  même  que  tous  les  instants  de  sa  vie, 
sa  Conception  ne  devait-elle  pas  être  signalée  par  un 
miracle  ? 

L'exemption  de  la  tache  originelle,  bien  que  le  pri- 
vilège le  plus  étonnant,  bien  que  la  merveille  des  mer- 
veilles, n'est  donc  qu'une  conséquence  toute  naturelle, 
j'allais  dire  nécessaire  de  la  Maternité  de  Marie.  Et  si 
dans  cette  vue  le  Verbe  de  Dieu  l'a  comblée  de  tant 


REGINA  SINE  LABB  CONCEPTA  327 

d'autres  dons  qui  nous  sont  inconnus,  ne  dut-il  pas 
les  rehausser  par  le  joyau  d'une  Conception  sans  ta- 
che, riche  diamant  sur  une  couronne  d'or? 

III.  Cela  convenait  également  au  Saint-Esprit, 
qui  devait  l'avoir  pour  Epouse.  —  C'est  à  ce  divin 
Esprit,  qui  est  au  ciel  le  lien  éternel  de  charité  unis- 
sant le  Père  et  le  Fils,  qu'il  appartenait  de  former  le 
corps  très  pur  de  la  Vierge  qui  devait  être  uni  au 
Verbe.  Il  était  arrivé  ce  jour  solennel,  où  allait  s'ac- 
complir ce  grand  mystère  d'amour  de  l'adorable  Tri- 
nité. A  l'instant  même  où  Marie  donna  son  consente- 
ment par  son  simple  Fiat,  Qu'il  se  fasse  en  moi  ce 
que  vous  m'annoncez,  l' Esprit-Saint,  selon  les  ex- 
pressions si  chastes  de  l'Archange,  survint  en  elle,  et 
ombragée  de  la  Vertu  du  Très-Haut,  l'humble  Ma- 
rie devint  la  Mère  du  Verbe  fait  chair.  L'Esprit  de 
toute  sainteté  put  donc  lui  dire  avec  autant  de  vérité 
que  de  tendresse  :  Vous  êtes  mon  Epouse,  Soror  mea 
Sponsa.  Et  l'on  voudrait  que  dans  ce  cœur  auquel  il 
devait  s'unir  par  les  nœuds  d'une  si  chaste  alliance, 
dans  ce  cœur  où  devaient  se  célébrer  ces  noces  toutes 
spirituelles  et  ineffables,  l'Esprit  impur  eût  régné  le 
premier  en  vainqueur,  et  qu'il  eût  avant  tout  autre 
saisi  de  ses  mains  souillées,  et  infecté  par  son  venin  ce 
Vase  honorable  préparé  pour  de  si  nobles  destinées  ? 
Eh  bien,  non  !  de  semblables  paroles  auraient  tout  le 
fiel  d'un  blasphème. 

Peut-on,  d'ailleurs,  jamais  admettre  qu'en  Dieu  les 
pensées  soient  moins  élevées,  ou  le  tact  des  conve- 
nances moins  délicat  que  chez  les  rois  de  la  terre,  à 
qui  rien  ne  coûte  pour  anoblir  les  épouses  qu'ils  se 
choisissent,  et  qui  ne  se  dégradent  point  jusqu'à  asso- 
cier à  leur  majesté  une  femme  dont  la  naissance,  quoi- 
que illustre,  aurait  été  flétrie  par  quelque  crime  dés- 


328  KEGINÀ   SINE   LABE  CONCEPTA 

honorant?  Qui  pourra  jamais  croire  que  l'Esprit  de 
toute  pureté,  pensant  dès  l'éternité  faire  de  Marie  son 
Epouse,  ait  pu  la  laisser  exister  même  un  seul  instant 
dans  la  bassesse  de  notre  condition  commune,  sous 
l'esclavage  humiliant  du  péché  ?  «  Loin  d'avoir  la  har- 
diesse de  le  dire,  j'ai  horreur  de  le  penser,  »  Sentire 
non  valeo,  clicere  pertimesco  (S.  Aug.).  —  Ainsi, 
vous  le  voyez,  les  admirables  rapports  entre  Marie  et 
les  trois  Personnes  divines  repoussent  à  tout  jamais 
la  pensée  qu'elle  ait  pu  être  conçue  dans  le  péché. 

Morale  :  Nous  vous  saluons  donc  avec  toute  l'E- 
glise, ô  la  plus  belle,  ô  la  plus  pure  de  toutes  les  fem- 
mes, ô  Fille,  6  Mère,  ô  Epouse,  ô  Reine  Immaculée  ! 
nous  vous  rendons  l'hommage  de  vénération  que  ré- 
clame votre  sublime  sainteté.  Mais  aussi,  de  quelle 
confusion  elle  nous  pénètre  !  Quel  profond  enseigne- 
ment nous  y  trouvons  !  En  effet,  si  future  Epouse  du 
divin  Esprit,  et  Trône  où  siégerait  le  Saint  des  saints, 
l'auguste  Vierge,  en  vue  d'un  si  grand  honneur,  a  dû 
n'être  jamais  flétrie  par  la  moindre  tache  du  péché, 
quelle  ne  doit  pas  être  la  pureté,  l'innocence  du  chré- 
tien, en  qui  par  la  communion  se  renouvelle  le  grand 
mystère  de  l'Incarnation  î  Si  donc  nous  ne  sommes 
pas  assez  heureux  pour  apporter  à  cette  grande  action 
une  sainteté  originelle,  puissent  du  moins  les  larmes 
d'un  repentir  sincère  rendre  à  notre  âme  défigurée  par 
le  péché  son  premier  lustre  î  Je  suis  Vomi  de  la  pu- 
reté, nous  «lit  le  Sauveur  dans  l'Imitation,  je  cherche 
mr pur \  et j 'en  fais  le  lieu  de  mon  repos... 
mlezqueje  vienne  à  vous  et  que  fy  de- 
mi '■>■:■.  purifiez-vous  du  vieux  levain,  et  nettoyez 
lamaison  ir.  Bannissez-en  tout  le  siècle 

i  le  tumulte  s...  Car  toute  j-  rsonne, 

qui  atone,  prépare  te  lieu  lemeilleur  etleplusbeau 


REGINA   SINE  L  A  H  E  CONCEPTA  320 

à  l'ami  dont  elle  est  aimée,  parce  que  c'est  en  cela 
que  se  fait  connaître  V affection  avec  laquelle  on 
reçoit  celui  que  ton  aime. 

Or,  cette  pureté  que  demande  Jésus-Christ  ne  sau- 
rait être  trop  parfaite,  pour  approcher  le  plus  près 
possible  de  son  infinie  sainteté.  N'est-ce  pas  ce  qu'il 
a  voulu  nous  apprendre  en  lavant  les  pieds  à  ses  apô- 
tres, avant  de  se  donner  à  eux  la  première  fois,  mon- 
trant par  là,  dit  saint  Bernard,  que  pour  recevoir  ce 
divin  Sacrement,  «  il  faut  être  purifié  même  des 
fautes  vénielles,  signifiées  par  la  poussière  qui  s'at- 
tache aux  pieds  ?  »  C'est  aussi  pour  cela  que  le  prêtre 
à  l'autel  se  lave  non  pas  la  main  tout  entière,  mais 
seulement  le  bout  des  doigts,  averti  par  là  que  pour 
se  nourrir  du  pain  des  anges,  il  faut  être  dégagé  des 
moindres  fautes  et  imperfections.  Lors  donc  que  vous 
vous  disposez  à  approcher  de  ce  divin  banquet,  exa- 
minez-vous et  gémissez  avec  douleur  d'être  encore  si. .. 
(Voyez  cet  admirable  chap.  7,  livre  iv,  Imit.)  Le  cœur 
ainsi  préparé  par  de  sincères  et  humbles  gémisse- 
ments, approchez -vous  avec  une  confiance  mêlée 
d'amour,  espérant  que  Jésus-Christ  fera  ses  délices 
d'y  habiter,  et  vous  enrichira  de  ses  grâces  les  plus 
abondantes. 

0  Reine  Immaculée,  obtenez-moi  de  reluire  de  cette 
pureté  dont  vous  fûtes  toujours  embellie,  afin  que  je 
sois  moins  indigne  de  recevoir  le  Dieu  qui  n'a  pas  eu 
horreur  de  votre  sein  virginal. 

Pratique  :  Distinguer  les  fêtes  de  la  sainte  Vierge 
par  des  actes  spéciaux  de  dévotion,  principalement  par 
la  sainte  communion  :  Marie  est  toute  flattée  de 
cet  honneur  que  Ton  fait  à  son  Fils. 


330  REGINA   SINE   L  \  BE  CONCEPT  A 

HISTOIRES 

HEUREUX   FRUITS  DU  RECOURS  A  MARIE    IMMACULÉE 

Combien  de  fois  ces  seuls  mots,  Marie  conçue  sans 
péché,  prononcés  avec  une  vive  confiance,  ont  suffi 
pour  obtenir  de  sa  bonté  les  plus  éclatantes  faveurs  ! 

Parmi  les  milliers  d'exemples,  il  en  est  un  singu- 
lièrement remarquable,  rapporté  dans  la  vie  du 
B.  Pierre  Fourrier,  dit  le  P.  de  Mattaincourt.  Ce  saint 
homme,  à  son  passage  dans  une  ville  de  Lorraine,  où 
il  venait  d'établir  une  Communauté  religieuse  de  sa 
Congrégation,  y  trouva  tout  le  peuple  dans  la  plus 
grande  consternation  :  une  épidémie  sévissait  avec  une 
fureur  toujours  croissante.  Il  ne  chercha  pas  bien  loin 
le  remède  à  cette  désolante  calamité.  Il  conseille  de  s'a- 
dresser à  la  Consolatrice  des  affligés,  assurant  que 
ceux  qui  porteront  avec  confiance  un  billet  sur  lequel 
serait  inscrit,  3/" /ve  a  élé  conçue  sans  'péché,  en  ob- 
tiendront un  prompt  soulagement.  Cette  pratique  facile 
est  reçue  avec  enthousiasme  :  et  un  grand  nombre 
reconnaissent  lui  devoir  leur  guérison.  Bientôt  une 
protection  si  marquée  la  fit  adopter  dans  plusieurs 
autres  contrées  :  partout  elle  produisit  des  effets  mer- 
veilleux, et  principalement  à  Nemours  : 

La  ville  allait  être  livrée  au  pillage  :  l'effroi  glaçait 
tous  les  cœurs  :  de  toutes  parts  ce  n  étaient  que  déso- 
lation et  gémissements.  Au  milieu  de  cette  affliction 
générale,  les  Communautés  religieuses  et  une  multi- 
tude d'autres  personnes  dévouées  à  Marie  réclamèrent 
son  tout-puissant  crédit  par  cette  invocation  :  6  Marie! 
qui  avez  été  conçue  sans  péché..,  qu'elles  tracèrent 
même  sur  les  portes  de  leurs  maisons  :  ce  fut  comme  le 
sang  de  l'Agneau  pascal  qui,  apposé  sur  les  portes 
des  Hébreux,  avait  écarté  le  glaive  de  l'Ange  cxtermi- 


RECINA    SAGRATISSIMI    ROSAUII  331 

nateur.  L'ordre  de  piller  la  ville  fut  révoqué  ;  les  sol- 
dats qui  ne  respiraient  que  vengeance  devinrent  aussi 
doux  qu'ils  paraissaient  féroces.  Et  l'on  ne  douta  nul- 
lement qu'un  changement  aussi  inattendu  dût  être  at- 
tribué à  la  protection  de  la  Vierge  Immaculée.  —  Telle 
est  l'origine  du  pieux  usage  de  porter  une  médaille 
où  sont  inscrits  ces  mots  :  Marie  a  été  conçue  sans 
péché.  (13) 


CHAPITRE  XL1X 


REINE  DU  SAINT-ROSAIRE 

Les  Litanies  terminant  leur  longue  suite  de  Reine 
par  cette  nouvelle  invocation  si  bien  appropriée  aux 
besoins  de  l'Eglise,,  nous  croyons  en  dire  un  mot.  Pour 
cela  nous  parlerons  de  son  origine,  de  ce  en  quoi  il 
consiste,  et  de  ses  avantages . 

ARTICLE  PREMIER. 
Son  origine 

Le  chapelet,  qui  est  seulement  la  3e  partie  du  Ro- 
saire, remonte  dit  Chateaubriant,  au  4e  siècle  de  l'Eglise. 
Dans  ces  jours  de  ferveur,  les  pieux  fidèles,  voulant 
honorer  Marie,  allaient  déposer  sur  ses  autels  des  cou- 
ronnes de  fleurs.  Bientôt  après  saint  Grégoire  de 
Naziance  l'un  des  plus  grands  Pontifes  et  des  plus  illus- 
tres docteurs  de  l'Eglise,  dans  le  transport  de  son  amour 
pour  Marie,  fut  inspiré  de  substituer  à  ces  couronnes 
matérielles  de  roses  une  couronne  spirituelle,  tissue  des 
plus  belles  louanges,  des  plus  glorieux  titres  et  des 
plus  excellentes  prérogatives  de  Marie. 

Cette  invention  ingénieuse  qui  avait  son  prix  et  son 
mérite  pour  les  personnes  instruites,  était  loin  d'être 


332  PEGIXA    SACRATISSIM1  R0SABI1 

à  la  portée  de  tous  et  de  satisfaire  les  besoins  des  igno- 
rants. 

Aussi  une  pieuse  servante  de  Marie,  nommée  Brigitte, 
se  hata-t-elle  de  tresser  une  nouvelle  couronne  com- 
posée des  prières  les  plus  ordinaires  de  l'Eglise,  du  Je 
crois  en  Dieu,  de  l'Oraison  dominicale  et  du  Je  vous 
salue,  Marie .  Pour  en  faciliter  la  dévotion,  elle  eut 
recours  à  l'usage  des  Anachorètes  de  l'orient,  qui  se 
servaient  de  grains  de  pierres  ou  de  bois  pour  mieux 
compter  leurs  prières.  Pour  donc  arriver  à  son  but, 
elle  enfila  en  forme  de  couronne  des  grains  de  diverses 
grosseurs  et  en  forma  le  chapelet  tel  que  nous  l'avons 
aujourd'hui. 

Mais  cette  précieuse  dévotion,  comme  tout  ce  qui  a 
rapport  au  culte  de  l'auguste  Marie,  devait  avoir  ses 
progrès.  Il  était  réservé  àS.  Dominique  de  la  conduire 
à  sa  perfection  en  établissant  le  Rosaire,  qui  est  un 
chapelet  plus  étendu  où  un  chapelet  de  15  dixaines,  en 
mémoire  des  15  principaux  mystères  de  la  religion. 
Voici  en  quelles  circonstances. 

Au  commencement  du  13e  siècle,  l'ignorance,  l'im- 
piété et  par  suite  Je  libertinage  régnaient  partout.  Les 
infidèles  occupaient  l'Asie,  l'Afrique.  Les  Sarrasins 
s'étaient  emparé  de  la  plus  grande  partie  de  l'Espagne 
et  la  secte  impie  des  Albigeois  infectait  la  France  et 
l'Italie.  Ces  derniers  surtout,  non  contents  d'altérer  la 
beauté  de  la  morale,  d'attaquer  les  dogmes  de  la  reli- 
gion, de  tourner  en  ridicule  les  cérémonies  de  l'Eglise, 
allèrent  jusqu'à  nier  la  maternité  de  Marie,  la  divinité 
de  Jésus-Christ,  et  par  là  même  l'efficacité  de  la  sainte 
messe  el  des  sacrements. 

1  es   erreurs  se  répandaient  partout  comme  le  feu 

d'un  incendie.  La  vertu  était  outragée,  les  autels  ren- 

s,  les  temples  démolis,  les  sacrements  profanés, 


REGINA    SACKATISSIMI    R0SARI1  333 

le  sacerdoce  décrié,  en  un  mot  le  triomphe  de  l'enfer 
semblait  devoir  durer  toujours.  Et  la  pauvre  Eglise 
gémissait  nuit  et  jour,  et  conjurait  le  Seigneur  de  mon- 
trer à  l'univers  entier  que  son  bras  puissant  n'était 
pas  encore  raccourci.  En  vain  les  Pontifes  consternés 
employaient  toutes  sortes  de  moyens  pour  trouver  un 
remède  efficace  à  des  maux  si  déplorables,  en  vain  les 
Princes  de  la  terre  avaient  armé  leurs  plus  vaillants  capi- 
taines, tous  ces  efforts  réunis  étaient  restés  sans  succès. 
Dieu  réservait  cette  grande  œuvre  à  un  de  ces  hom- 
mes qu'il  suscite  de  temps  en  temps,  afin  de  manifester 
au  monde  les  trésors  de  sa  toute-puissance  et  de  son 
amour.  Cet  homme  fut  S.  Dominique.  L'histoire  nous 
raconte  les  efforts  de  son  zèle,  ses  rudes  travaux,  ses 
pénitences,  ses  miracles  pour  détruire  toutes  ces  erreurs. 
Et  cela  demeura  encore  sans  résultat  heureux.  Les 
Albigeois,  c'est-à-dire  les  hérétiques,  fermaient  les  yeux 
en  présence  des  prodiges  de  cet  apôtre,  et  restaient 
sourds  aux  paroles  de  vie  qu'il  adressait,  ou  plutôt, 
comme  dit  le  Psalmiste  :  ils  avaient  des  yeux  et  ne 
voyaient  pas,  des  oreilles  et  ils  n'entendaient  pas. 

C'est  alors  que  Dominique  se  jette  de  nouveau  aux 
pieds  du  Seigneur  et  le  conjure,  par  les  mérites  du 
sang  de  son  Fils  et  la  bienveillante  intercession  de 
Marie,  de  détruire  toutes  ces  erreurs.  Cette  fois  ses 
prières  furent  exaucées,  et  Marie  leur  fut  députée 
comme  l'ange  de  la  bonne  nouvelle.  Cette  Mère  de 
miséricorde  lui  apparut  donc  et  lui  dit  :  Que  comme 
la  salutation  angélique  avait  été  le  principe  de  la  con- 
version du  monde  à  la  religion  de  J.-C. ,  il  fallait  aussi, 
que  cette  salutation  fut  celui  de  la  conversion  des  hé- 
rétiques. Si  donc,  continua  Marie,  tu  veux  éclairer  les 
esprits  aveuglés  et  toucher  les  cœurs  endurcis,  prêche 
mon  Rosaire. 


334  RÉG1XA    SACRAflSSIHI    ROSARII 

Saint  Dominique  obéit  à  la  voix  de  Marie.  Il  prit 
pour  base  de  ses  instructions  le  Rosaire  composé  de 
trois  chapelets  ou  de  15  dixainesde  Je  vous  salue  Ma- 
rie. Aces  dixaines  il  appliqua  autant  de  mystères,  qu'il 
développa  aux  fidèles  avec  cette  éloquence  irrésistible 
qui  triomphe  de  tous  les  obstacles. 

Ce  fut  à  Toulouse,  en  l'année  1208,  qu'il  institua  le 
Rosaire  et  qu'il  commença  à  le  prêcher  au  peuple. 
Toulouse,  Montpellier,  Agen,  Carcassonne,  Béziers 
furent  donc  tour  à  tour  le  théâtre  de  ses  prédications 
et  de  ses  succès.  Et  ces  succès  furent  si  rapides  qu'ils 
surpassèrent  toutes  les  espérances,  et  étonnèrent 
Rome  elle-même.  En  peu  d'années  des  milliers  d'héré- 
tiques reconnurent  leurs  errreurs  et  rentrèrent  dans 
le  sein  de  l'Eglise  Catholique. 

Mais  ce  n'est  pas  assez  pour  Marie  d'avoir  fait 
rentrer  dans  le  sein  de  l'Eglise  cette  petite  partie  de 
son  troupeau.  Tous  les  hommes  ne  sont-ils  pas  ses 
enfants?  Du  haut  de  la  croix,  J.-C.  ne  nous  a-t-il  pas 
légués  à  son  amour,  et  elle,  ne  nous  a-t-elle  pas  adoptés  ? 
Hélas  !  Quoiqu'enfants  de  Marie  ne  sommes-nous  pas 
exposés  à  des  erreurs,  n'avons  nous  pas  besoin  qu'elle 
veille  sur  nous  et  qu'elle  nous  protège. 

Aussi  admirons  sa  bonté,  elle  ne  se  contenta  pas 
que  le  Rosaire  fut  seulement  établi  dans  ces  contrées 
envahies  par  l'hérésie,  elle  voulut  aussi  que  le  monde 
entier  eut  part  à  cette  faveur.  Elle  inspira  donc  encore 
au  cœur  de  Dominique  la  pensée  de  perpétuer  son  œu- 
vre, de  laisser  après  lui  d'autres  lui-même  qui  fissent 
connaître  jusque  dans  les  contrées  les  plus  lointaines 
la  clémence  et  la  bonté  de  Marie  pour  les  hommes. 

A  dater  de  ce  moment  le  Rosaire  se  répandit  par 
toute  la  terrre.  Il  devint  eu  quelque  sorte  le  pendant 
de  La  croix.  Dans  les  campagnes  comme  dans  les  villes 


REGINA    SACUATISSIMI    ROSARII  335 

on  forma  des  associations  sous  le  titre  du  Saint-Ro- 
saire, et  on  érigea  des  chapelles  et  des  autels  en  l'hon- 
neur de  N.-D.  du  Rosaire;  et  dans  la  suite  des  temps, 
les  Papes  ont  enrichi  ces  associations  de  nombreuses 
Indulgences  ? 

Telle  est  l'origine  du  chapelet  et  du  Rosaire.  Saint 
Grégoire  de  Naziance  en  a  donné  l'idée,  sainte  Brigitte 
en  a  inventé  la  forme  et  établi  la  dévotion  ;  saint  Do- 
minique perfectionna  l'un  et  l'autre  et  lui  donna  le 
nom  de  Rosaire. 

Aujourd'hui  ne  se  passe-t-il  pas  dans  le  monde  en- 
tier quelque  chose  de  semblable  à  ce  qui  se  passait  du 
temps  de  saint  Dominique  dans  le  midi  de  la  France. 
La  secte  maçonique  cherche  à  s'étendre  dans  toutes  les 
parties  du  monde  catholique.  Le  point  de  départ  est 
la  négation  de  l'existence  de  Dieu  et  de  ses  com- 
mandements, le  doute  sur  la  divinité  de  J.-C.  et  de  la 
religion  qu'il  nous  a  apportée  du  ciel,  comme  aussi 
de  l'existence  du  ciel,  récompense  du  bon,  et  de  l'enfer 
châtiment  du  méchant. 

Telle  est  l'hérésie  régnante  de  toutes  ces  personnes 
qui  désertent  nos  églises,  qui  profanent  les  saints  jours 
du  dimanche  par  le  travail  et  les  plaisirs  mauvais,  qui 
abandonnent  les  Sacrements,  et  qui  ne  veulent  recon- 
naître ni  l'autorité  de  l'Eglise  ni  celle  de  ses  minisires. 
Eh  bien  !  à  ce  torrent  d'erreurs  et  de  péchés,  oppo- 
sons, comme  Dominique,  la  pratique  ou  la  récitation  du 
Rosaire.  Adressons-nous  avec  une  confiance  illimitée 
à  la  très  sainte  Vierge,  et  prions-la  d'éclairer  tous  ces 
hommes  des  vérités  de  la  foi,  de  toucher  tous  ces  cœurs 
endurcis,  de  les  ramener  à  la  pratique  de  leurs  devoirs. 
C'est  ce  que  désire  Léon  XIII,  chef  de  toute  l'Eglise. 
Par  là  nous  travaillerons  à  la  gloire  de  Dieu,  au  salut 
des  âmes,  et  au  bonheur  de  la  France,  notre  Patrie. 


33H  REGINA   SACRÂTISS1MI   ROSARII 

ARTICLE  SECOND. 

Après  avoir  parlé  de  l'origine  et  des  progrès  du  Ro- 
saire, voyons  en  quoi  il  consiste  et  comment  on  doit  le 
reciter...  Le  Rosaire  ainsi  que  le  Chapelet  se  compose 
des  prières  les  plus  belles  qui  puissent  jamais  sortir  de 
la  bouche  d'un  chrétien.  Ces  prières  sont  :  1°  Le  sym- 
bole des  apôtres,  composé  par  eux  avant  leur  séparation 
et  à  l'aide  des  lumières  du  St-Esprit.  Ce  symbole,  vous 
le  savez,  est  l'abrégé  des  vérités  que  tout  chrétien  est 
obligé  de  croire  et  de  pratiquer.  Chaque  fois  donc  que 
nous  le  récitons,  il  nous  les  remet  devant  les  yeux. 
2°  De  l'oraison  Dominicale,  c'est-à-dire,  de  cette  prière 
qui  a  été  enseignée  par  Jésus-Christ  lui-même  à  ses 
disciples  et  qui  renferme  tout  ce  que  nous  pouvons 
désirer  et  demander  à  Dieu.  Cette  prière  a  une  vertu 
particulière  pour  toucher  son  cœur,  puisqu'elle  est  son 
ouvrage.  3°  De  la  Salutation  Angélique,  qui  commence 
par  le  salut  de  Fange  à  Marie  au  beau  jour  de  l'Annon- 
ciation, qui  nous  rappelle  les  paroles  de  félicitation  de 
sainte  Elisabeth  à  Marie,  lorsqu'elle  reçut  sa  visite,  et 
qui  se  termine  par  la  supplique  ou  l'invocation  que 
L Eglise  y  a  ajoutée.  4°  Et  enfin  de  cette  belle  strophe  : 
gloire  soit  au  Père,  au  Fils  et  au  St-Esprit,  comme  il 
a  été  au  commencement,  et  qu'il  sera  toujours.  Quoi 
de  plus  noble  que  cette  duxologie,  qui  termine  chaque 
dixaine.  elle  est  une  profes>i;jn  de  notre  fui  à  l'égard 
du  mystère  ineffable  d'un  seul  Dieu  en  trois  personnes, 
que  nous  ne  saurions  trop  louer  et  bénir;  elle  est  au>si 
un  hymne  de  reconnaissance  que  les  fidèles,  à  l'exemple 
des  chœurs  célestes,  repètent  souvent  avec  l'Eglise  dans 
l'office  divin  en  l'honneur  de  la  1res  Sainte  Trinité. 

si.  au  lieu  de  dire  le  Chapelet  on  récite  le  Rosaire, 
qui  se  compose  de  trois  chapelets  ou  de  15  dixaines, 
chacune  de  ces  dixaines  es1  précédée  d'une  courte  nié- 


RBGINA    SACRATISSÏM1   R0SARI1  337 

ditation  sur  un  des  mystères  de  la  vie  de  Jésus-Christ 
et  de  Marie,  sa  Mère.  Ces  mystères,  qui  sont  au  nombre 
de  15,  sont  divisés  en  trois  séries  :  mystères  joyeux, 
douloureux  et  glorieux.  Et  ainsi  on  suit  pas  à  pas  le 
Sauveur  Jésus,  depuis  le  jour  où  pour  racheter  les 
hommes,  il  quitta  le  séjour  de  sa  gloire  jusqu'au  mo- 
ment ou  après  trente-trois  ans  de  souffrances  et  d'a- 
mour, il  retourna  à  la  droite  de  son  Père.  On  accom- 
pagne aussi  Marie,  sa  glorieuse  Mère,  depuis  le  jour  où 
elle  conçut  l'Enfant-Jésus  jusqu'à  son  couronnement 
dans  le  ciel . 

Ce  sont  d'abord  les  mystères  joyeux,  qui  représentent 
le  Verbe  dans  son  Incarnation  et  son  état  d'enfance 
jusqu'au  jour  de  sa  passion.  Enumérons-les .  Jésus  pour 
nous  racheter  et  nous  ouvrir  le  ciel  s'abaisse  jusqu'à  re- 
vêtir notre  nature,  épouser  nos  misères,  se  faire  chair. 
Et  verbum  caro  faction  est.  Avant  de  sortir  du  sein 
de  sa  Mère  où  il  a  pris  un  corps  et  une  âme  semblables 
aux  nôtres,  il  commence  déjà  sa  mission  d'amour.  Il 
visite  son  précurseur  saint  Jean-Baptiste,  celui  qui  doit 
l'annoncer  au  monde.  Et  par  cette  visite  il  le  purifie  de 
la  souillure  originelle.  Puis  au  jour  de  sa  naissance,  il 
choisit  pour  palais  une  étable,  pour  couche  quelques 
brins  de  paille,  et  pour  premiers  adorateurs  quelques 
pauvres  bergers.  Obéissant  à  la  loi  de  Moïse  il  se  pré- 
sente au  temple  comme  le  dernier  des  hommes,  pour  se 
racheter  par  une  offrande.  Puis  enfin  à  l'âge  de  douze 
ans,  nous  le  retrouvons  dans  le  temple  au  milieu  des 
Docteurs  qui  l'écoutent,  tant  ils  étaient  émerveillés  de 
la  sagesse  de  ses  discours  et  de  la  précision  de-  ses  ré- 
ponses. 

Dans  la  2e  série  se  déroulent  les  mystères  doulou- 
reux. Ici,  c'est  un  Dieu  qui  pour  expier  nos  péchés 
souffre  des  douleurs  immenses  et  des  opprobres  infinis. 


338  RBGINA   SACRATISSIMl   ROSARII 

Au  jardin  des  olives  son  âme  est  triste  jusqu'à  la  mort. 
Une  sueur  de  sang  et  d'eau  ruiselle  sur  tous  ses  mem- 
bres :  le  calice  d'amertume  qu'il  doit  épuiser  se  pré- 
sente à  lui.  et  dans  la  plus  profonde  tristesse  il  s'écrie  : 
Mon  Père,  que  ce  calice  s'éloigne  de  moi,  mais  cepen- 
dant que  votre  volonté  soit  faite  et  non  la  mienne. 
Bientôt  arrive  le  traitre  Juda.  Par  lui  Jésus  est  vendu 
et  livré  aux  Juifs,  ils  s'emparent  de  sa  personne  sacrée, 
le  traînent  devant  les  tribunaux.  Là  contre  les  lois  de 
la  justice,  il  est  condamné  à  être  flagellé.  Aussitôt  on 
le  frappe  de  verges,  on  lui  enfonce  une  couronne  d'é- 
pines sur  la  tète,  on  jette  sur  ses  épaules  une  croix 
énorme.  Chargé  de  ce  fardeau  sous  lequel  il  fait  plusieurs 
chutes,  il  gravit  la  montagne  du  Calvaire  au  milieu 
des  huées,  des  vociférations  et  des  blasphèmes  de  la 
multitude.  Au  Calvaire,  lieu  de  son  dernier  supplice,  on 
l'étend  sur  la  croix  et  avec  d'énormes  clous  on  l'y  fixe 
par  les  mains  et  par  les  pieds.  Enfin  épuisé  de  sang 
et  de  fatigues,  il  remet  son  àme  à  Dieu  son  Père,  et  il 
expire  entre  deux  scélérate 

La  3e  série  a  pour  objet  les  mystères  glorieux,  sa 
Résurrection,  son  Ascension  au  ciel,  où  selon  sa  pro- 
messe il  va  retenir  une  place  aux  siens  ;  puis  la  des- 
cente du  St- Esprit  sur  les  apôtres  et  toutes  les  mer- 
veilles qui  l'accompagnent  et  qui  le  suivent. 

A  côté  des  mystères  de  Jésus-Christ  se  trouvent 
aussi  ceux  de  sa  sainte  Mère.  Mystères  de  joie,  de 
souffrance  et  de  gloire.  Mystère  de  joie.  C'est  l'An- 
nonciation, lorsque  l'Ange  Gabriel  vient  lui  dire  qu'elle 
sera  Mère  de  Dieu,  et  parconséquent  libératrice  des 
hommes,  c'est  la  visite  à  Ste  Elisabeth,  quand  elle  va 
faire  part  à  sa  cousine  de  son  bonheur  et  l'enrichir 
ainsi  que  son  enfant  des  dons  les  plus  précieux  de  la 
grâce.  C'esl  la  naissance  de  Jésus,  sa  présentation  au 


REGINA    SACRATISSIM1    R0SARI1  339 

temple,  et  enfin  sa  joie  lorsqu'elle  le  retrouve  au  milieu 
des  Docteurs  excitant  leur  admiration. 

Viennent  ensuite  les  douleurs,  qui  passèrent  et  repas- 
sèrent sur  son  cœur,  toutes  les  affreuses  tortures  qui 
agitèrent  son  âme  pendant  la  grande  infamie  du  Cal- 
vaire . 

Puis  enfin  sa  glorieuse  Assomption  dans  le  ciel  et  son 
couronnement  à  la  droite  de  son  divin  Fils. 

Par  le  peu  que  je  viens  de  dire,  vous  avez  déjà  dû 
comprendre  que  le  Rosaire  n'est  pas  une  prière  mono- 
tone. C'est  l'ensemble  de  la  religion,  c'est  le  tableau  le 
plus  saisissant  de  ce  que  Jésus-Christ  et  Marie  ont  fait 
pour  notre  àme,  afin  de  l'éloigner  de  l'enfer  et  de  lui 
ouvrir  la  porte  du  ciel.  Et  c'est  déjà  un  de  ses  avan- 
tages. Mais  il  n'est  pas  le  seul,  ils  sont  innombrables. 
En  voici  le  détail. 

ARTICLE  TROISIÈME 

Que  de  pécheurs  endurcis,  dont  le  salut  était  presque 
désespéré,  se  sont  convertis  à  la  suite  des  prières  et  des 
méditations  du  Rosaire.  Combien  d'hérétiques  opi- 
niâtres dans  rattachement  à  leur  secte  ont  été  éclairés, 
et  ont  abjuré  leurs  erreurs  du  vivant  même  de  S. 
Dominique.  L'exemple  suivant  en  est  une  preuve. 

Une  femme  remplie  de  piété  et  de  vertus  ayant  épousé 
un  homme  fort  riche,  mais  malheureusement  de  mau- 
vaises mœurs  alla  trouver  S.  Dominique  pour  le  con- 
sulter sur  le  moyen  de  pouvoir  le  ramener  à  l'accom- 
plissement de  ses  devoirs.  Saint  Dominique  lui  conseilla 
de  réciter  le  Rosaire  pendant  neuf  jours  consécutifs. 
Cette  femme  pieuse  le  fit  avec  une  ferveur  et  une  con- 
fiance si  grandes  qu'elle  fut  exaucée  dès  le  premier 
jour.  La  nuit  suivante  Dieu  mit  en  songe  sous  les  yeux 
de  son  mari,  d'une  manière  si  horrible,  les  supplices 


:Ul>  RKGINA    SACRATISSIM1    ROSARU 

qu'il  réserve  dans  l'enfer  aux  impudiques,  qu'il  s'éveilla 
en  sursaut  et  tout  saisi  de  crainte.  Et  après  avoir  versé 
un  torrent  de  larmes  sur  ses  égarements  et  sur  le  dan- 
ger auquel  il  s'était  exposé,  plein  de  confiance  en  Marie, 
il  alla  trouver  saint  Dominique,  le  pria  de  recevoir  sa 
confession  et  de  l'admettre  au  nombre  des  confrères  du 
saint  Rosaire,  avec  promesse  de  vivre  chrétiennement 
le  reste  de  ses  jour-. 

Que  de  morts  ont  recouvré  la  vie.  de  sourds  l'oui, 
de  muets  la  parole,  de  boiteux  et  de  paralytiques  l'usage 
de  leurs  membres,  et  des  malades  une  santé  qu'ils  ne 
pouvaient  attendre  des  remèdes  ordinaires  de  la  méde- 
cine. 

Que  de  tempêtes  apaisées,  d'incendie  éteints,  de 
révoltes  calmées,  de  batailles  gagnées  (Témoin  celle 
de  Lepante),  de  royaumes  en  paix. 

Par  le  moyen  du  Rosaire  n'a-t-on  pas  obtenu  tantôt 
la  pluie  pour  faire  fructifier  les  semences  de  la  terre, 
tantôt  la  cessation  de  ces  pluies  qui  menaçaient  les  cam- 
pagnes d'une  désolation  universelle. 

Elles  sont  nombreuses,  les  femmes  qui  ont  eu  recours 
à  cette  dévotion,  les  unes  pour  obtenir  du  Seigneur  de 
voir  leurs  vœux  se  réaliser  par  la  naissance  d'un  ou  de 
plusieurs  enfants,  les  autres  le*  bénédictions  du  ciel 
sur  leur  maison . 

Nous  lisons  dans  la  vie  de  saint  Dominique  que  dans 
un  voyage  qu'il  lit  à  Paris,  il  alla  visiter  la  Reine 
Blanche  de  Castille,  et  qu'il  lui  conseilla  de  réciter  sou- 
vent le  Rosaire  pour  obtenir  du  Seigneur  de  donner  à 
la  France  un  prince  selon  son  cœur  et  que  ses  prières 
furent  exaucées,  car  elle  eut  le  bonheur  de  donner  la 
vie  a  saint  Louis,  un  des  plus  grands  Monarque  de 
France . 

Impossible  en  un  mot  de  compter  les  fruits  de  sainteté 


REG1NA    SACRATISSIMI    KOSAItU  341 

que  cette  dévotion  a  produits,  non  seulement  en  Europe, 
mais  aussi  dans  les  Indes  et  l'Amérique.  On  peut  dire 
d'elle  ce  que  Salomon  disait  de  la  sagesse.  Venerunt 
mihi  omnia  bona  pariter  eum  illâ.  Toute  sorte  de 
biens  me  sont  venus  avec  elle. 

Je  dis  enfin  que  la  pratique  du  Rosaire,  vous  mettant 
sous  la  protection  de  Marie  vous  obtiendra  la  grâce 
d'une  bonne  et  sainte  mort.  Une  mère  veille  au  chevet 
de  son  enfant  mourant,  elle  tient  à  recueillir  son  dernier 
soupir.  Ainsi  Marie  veillera  sur  vous,  lorsque  vous 
serez  aux  prises  avec  la  mort,  elle  vous  donnera  le 
baiser  d'une  mère,  et  elle  accueillera  votre  àme  pour  la 
présenter  à  Jésus  son  divin  Fils  et  lui  demander  pour 
elle  une  place  dans  le  ciel.  L'exemple  suivant  en  est 
une  preuve . 

Un  des  plus  célèbres  prédicateurs  du  siècle  dernier 
fut  appelé  la  nuit  pour  confesser  un  homme  tombé  en 
apoplexie.  Il  y  court  et  le  trouve  sans  connaissance.  Au 
point  du  jour  on  le  prie  de  dire  à  son  intention  une 
messe  votive  de  la  sainte  Vierge.  Comme  il  la  finissait 
on  vint  l'avertir  que  la  connaissance  lui  était  revenue. 
Vite  il  se  rend  auprès  de  lui  et  le  trouve  pénétré  des 
plus  vifs  sentiments  de  pénitence  et  de  componction 
acceptant  généreusement  la  mort  pour  l'expiation  de 
ses  péchés.  Il  se  confesse  et  reçoit  les  derniers  sacre- 
ments avec  la  plus  grande  piété.  Le  confesseur  tout 
surpris  d'un  si  heureux  changement  et  ne  sachant  à 
quoi  l'attribuer,  l'interroge,  et  le  malade  lui  répond 
d'une  voix  entrecoupée  de  sanglots  :  Hélas  !  mon  père 
je  ne  puis  attribuer  cette  grâce  qu'à  la  miséricorde  de 
Dieu,  qu'à  la  protection  de  Marie  ainsi  qu'à  vos  prières 
et  à  celle  de  ma  pieuse  mère. 

Près  de  mourir  elle  mè  fit  approcher  de  son  lit,  et 
après  m'avoir  témoigné  ses  alarmes  sur  les  dangers  que 

PARAPHIUSE.   —    T.     II.  20 


342  ItEGINA    SACRATISS1MI  R0SARI1 

je  rencontrerais  dans  le  monde,  elle  m'adressa  ces 
paroles  :  Je  tous  laisse  sous  la  protection  de  la  sainte 
Vierge,  promettez-moi,  mon  cher  fils,  l'unique  chose 
que  je  vais  tous  demander,  elle  vous  coûtera  peu,  c'est 
de  réciter  tous  les  jours  le  chapelet.  Je  le  lui  promis, 
de  plus  j'ai  tenu  à  ma  parole,  et  c'est  le  seul  acte  de 
religion  que  j'ai  accompli  depuis  dix  ans.  Le  confesseur 
ne  douta  point  que  son  pénitent  ne  dut  qua  la  protec- 
tion de  Marie  les  vifs  sentiments  de  repentir  qu'il  ma- 
nifestait. 

Je  ne  le  quittai  qu'après  son  dernier  soupir,  et  j'eus 
la  consolation  de  le  voir  mourir  dans  les  plus  saintes 
dispositions. 

A  son  exemple  récitons  tous  les  jours,  sinon  le  Rosaire, 
au  moins  le  chapelet  ou  quelques  dizaines,  et  ainsi  nous 
nous  assurerons  la  protection  de  Marie  pour  tous  les 
jours  de  notre  vie  et  surtout  pour  l'heure  de  notre 
mort. 

De  plus  nous  enrichirons  notre  àme  des  nombreuses 
indulgences  qui  y  sont  attachées,  et  nous  soulagerons 
l'âme  de  nos  bien-aimés  parents  en  les  leur  appliquant. 

Morale  :  Après  avoir  médité  le  Rosaire,  aimons 
donc  à  le  réciter,  et  pour  nous  engagera  l'aimer,  péné- 
trons-nous bien  de  ce  qu'il  est.  Il  est  une  prière  des 
plus  puissantes .  C'est  toute  la  religion  de  l'enfant  : 
c'est  larme  du  combattant  :  c'est  le  livre  du  vieillard, 
c'est  le  compagnon  du  malade,  c'est  le  témoin  du  mo- 
ribond, c'est  le  salut  et  la  joie  des  habitants  de  la  céleste 
patrie. 

EXEMPLES. 

Je  voudrais  bien  croire,  disait  un  libre  penseur  de 
bonne  foi,  mais  je  ne  le  puis.  Eh  bien  !  récitez  le  cha- 
pelet,  lui  répondit  un   prêtre  qui  était  présent.  Trois 


AGNUS    DEI  343 

jours  après,  le  même  libre  penseur  dit  à  ce  prêtre  : 
vous  vous  souvenez  peut-être  de  votre  parole  :  dites  le 
chapelet  :  cela,  M.,  m'a  paru  très  bizarre  tout  d'abord, 
cependant  j'ai  finis  par  le  dire,  et  maintenant  je  crois. 


CHAPITRE  L 


AGNEAU  DE  DIEU 
Qui  effacez  les  péchés  du  monde,  ayez  pitié  de  nous. 

Nous  terminons  la  série  des  Invocations  à  Marie 
comme  nous  les  avons  commencées,  par  un  hommage 
à  Dieu  qui  dit  de  lui-même  :  Je  suis  le  commencement 
et  la  fin.  Etant  assurés  de  l'intercession  puissante  de 
la  bienheureuse  Vierge  que  nous  venons  d'implorer 
avec  foi  et  ardeur  par  tous  ses  glorieux  titres,  nous 
nous  adressons  spécialement  à  Jésus-Christ,  son  Fils, 
en  lui  rappelant  le  souvenir  de  son  sacrifice  offert  sur 
la  Croix  pour  nous  réconcilier  avec  son  Père.  Agneau 
de  Dieu,  qui  effacez  les  péchés  du  monde,  lui  disons- 
nous,  c'est-à-dire,  vous  qui,  par  votre  immolation 
généreuse,  nous  avez  rachetés  du  péché  et  de  l'enfer, 
au  nom  de  tant  d'amour  et  par  les  mérites  de  ce  sang 
divin  que  vous  tenez  de  Marie,  pardonnez-nous,  eœau- 
cez-nous,  ayez  pitié  de  nous. 

Nous  désignons  ici  Jésus-Christ  sous  le  nom  d'^4- 
gneau,  parce  que  ce  titre  lui  convient  parfaitement 
pour  les  raisons  suivantes  : 

I.  C'est  sous  ce  nom,  emblème  du  sacrifice,  qu'il 
fut  prédit  par  les  prophètes  :  et  Jean- Baptiste,  son 
Précurseur,  au  moment  même  où  il  allait  se  montrer 
au  monde,  ne  l'appelle  pas  autrement.  C'est  aussi 
sous  cet  emblème  qu'il  était  figuré  chez  les  Israélites 
par  l'Agneau  paschal   qu'ils  avaient   mangé  la  veille 


.'{»  A  GNU  S    DEI 

de  leur  sortie  d'Egypte,  et  dont  tous  les  ans  ils  renou- 
velaient la  mémoire  :  et  aussi  par  l'agneau  qui  chaque 
jour  était  immolé  dans  le  temple,  et  sur  la  tète  duquel 
les  hommes  destinés  à  ce  ministère  imposaient  les 
mains,  tant  pour  reconnaître  le  souverain  domaine  du 
Seigneur,  que  pour  transporter  sur  La  victime  les  pé- 
chés de  tout  le  peuple. 

II.  On  le  désigne  ei  3ore  sous  le  nom  à' Agneau 
parce  que,  en  effet,  il  en  eut  l'innocence,  la  douceur 
et  la  destination. 

1°  L'innocence.  —  Il  convenait ,  dit  saint  Paul,  que 
nous  eussions  un  Pontife  qui  fût  innocent,  sons 
tnche.  séparé  des  pêcheurs.  Et  ce  Pontife,  c'est  Jésus- 
Christ  qui,  exempt  de  tout  péché,  nous  réconcilia 
avec  son  Père,  comme  le  chante  l'Eglise  :  Christus 
innocens  Patri  réconcilia  c  it  peccatores.  Son  amour 
de  l'innocence,  il  le  manifesta  dans  toute  sa  conduite. 
C'est  par  leur  innocence  que  les  enfants  étaient  l'objet 
de  sa  prédilection  toute  particulière  :  et  il  nous  proteste 
que,  si  nous  ne  devenons  innocents  comme  eux,  nous 
n'aurons  point  part  à  son  royaume.  C'est  aussi  à 
cause  de  son  innocence  qu'il  chérissait  plus  spéciale- 
ment l'apôtre  saint  Jean,  qui  pour  cela  eut  l'insigne 
honneur  de  reposer  sur  son  sein  à  la  Cène,  et  de  le 
remplacer  en  qualité  de  fils  adoptif  auprès  de  sa  sainte 
Mère. 

2  Un  second  caractère  de  l'agneau,  est  la  douceur  : 
et  ce  fut  encore  là  une  des  vertus  de  Jésus-Christ. 
Non-seulement  au  moment  de  la  mort  à  laquelle  il  se 
laissa  conduire,  comme  un  agneau  qu'on  mène  à  la 
boucherie,  sans  se  plaindre,  sans  ouvrir  la  bouche, 
sans  appeler  aucune  malédiction  sur  ses  bourreaux, 
mais  dans  tout  le  cours  de  sa  vie,  il  fut  un  modèle 
achevé  de   patience  et  d'incomparable  douceur.   Son 


MISERERE   NCTBIS  345 

ministère  en  devint  une  continuelle  et  publique  mani- 
festation. Il  était  bien  Celui  qui  n'aurait  pas  éteint  la 
mèche  encore  fumante,  ni  brisé  le  roseau  courbé  par 
C orage.  Il  appelait  à  lui  tous  les  affligés,  tous  les  né- 
cessiteux, et  fidèle  à  sa  promesse,  il  les  soulageait.  Il 
couvre  de  sa  protection  la  femme  adultère  que  l'opi- 
nion publique  repoussait,  et  la  renvoie  sans  la  con- 
damner :  il  descend  dans  la  maison  du  publicain  et 
s'assied  à  sa  table  :  il  ne  refuse  pas  les  hommages  d'une 
grande  pécheresse  :  jamais  de  rebut  pour  qui  que  ce 
soit.  Et  cette  vie  toute  de  mansuétude,  il  la  termine 
par  l'acte  le  plus  généreux,  il  demande  grâce  pour  ses 
bourreaux,  et  assure  le  ciel  au  larron  pénitent.  Il  pou- 
vait bien  dire,  et  toutes  ses  actions  le  proclamaient 
assez  haut  :  Apprenez  de  moi  que  je  suis  douer  et  hum- 
ble de  cœur.  Aussi  dans  son  sermon  sur  la  montagne, 
promet-il  à  ceux  qui  sont  doux  et  miséricordieux  la 
possession  du  ciel. 

3°  Enfin,  la  destination  de  l'Agneau  pascal  chez  les 
hébreux  était  V immolation  ;  et  cet  Agneau,  aussi  bien 
que  celui  qu'on  sacrifiait  tous  les  jours  dans  Je  temple 
pour  les  péchés  du  peuple,  figurait  Jésus-Christ.  Ce 
fut,  en  effet,  non  point  à  des  prix  d'or  et  d'argent,  mais 
par  l'effusion  de  son  sang,  qu'il  nous  a  rachetés  de  la 
dure  servitude  dans  laquelle  le  démon  nous  tenait  en- 
chaînés. Et  bienheureux  ceux  qui,  après  avoir  lavé 
leurs  robes  dans  le  sang  de  ce  divin  Agneau,  sont  ap- 
pelés à  ses  noces  sur  la  terre,  en  se  nourrissant  de  sa 
chair  sacrée  :  gage  pour  eux  du  bonheur  d'être  admis 
un  jour  aux  noces  du  ciel  qui  se  prolongeront  pendant 
l'interminable  durée  des  siècles. 

III.  On  dit  Agneau  de  Dieu,  d'abord,  parce  qu'il  est 
Fils  de  Dieu  le  Père  qui  met  en  lui  toutes  ses  complai- 
sances, de  même  que  le  mot  agneau  est  un  terme  de 


346  AGNUS   DKI 

tendresse  que  l'on  donne  à  un  enfant  aimable  et  bien- 
aimé  :  ensuite,  parce  qu'il  est  la  seule  victime  digne 
de  Dieu,  la  seule  capable  d'apaiser  sa  colère,  de  satis- 
faire pleinement  à  sa  justice,  de  réparer  l'outrage  fait 
à  sa  majesté  par  le  péché  et  d'opérer  notre  réconcilia- 
tion avec  lui. 

Tous  ces  aperçus  renfermés  dans  le  titre  &  Agneau 
de  Dieu,  par  lequel  nous  désignons  Jésus-Christ,  ins- 
pirent les  sentiments  qui  doivent  nous  animer  en  lui 
disant  :  Pardonnez-nous,  exaucez-nous,  ayez  pitié 
de  nous.  Ce  dernier  cri  surtout,  que  nous  avons  élevé 
au  commencement  des  Litanies,  nous  le  faisons  encore 
entendre  à  la  fin.  Rien  n'est  plus  juste  ;  car  notre  mi- 
sère est  toujours  la  même,  nos  besoins  sans  cesse  re- 
naissants :  nos  ennemis  ne  se  lassent  jamais,  et  nos 
péchés  se  renouvellent  trop  fréquemment .  Cette  sup- 
plication est  le  cri  de  la  faiblesse  qui  se  connaît  et  se 
craint  elle-même  :  c'est  le  cri  de  l'espoir  qui  entrevoit 
son  salut  en  Jésus-Christ,  et  de  la  confiance  qui  en  a 
reçu  la  promesse  et  le  gage.  C'est  donc  avec  ce  dou- 
ble sentiment  d'humilité  profonde  et  de  vive  confiance 
qu'il  faut  lui  adresser  cette  supplication  :  Pardonnez- 
nous,  Seigneur,  exaucez-nous,  ayez  pitié  de  nous. 

1°  Profonde  humilité.  —  En  l'appelant  Seigneur, 
nous  reconnaissons  ou  du  moins  devons  reconnaître 
qu'en  vertu  de  son  souverain  domaine  sur  toutes  choses, 
il  avait  le  droit  de  nous  commander  et  que  nous  de- 
vions lui  être  soumis  :  et  en  le  priant  de  nous  pardon- 
ner, nous  avouons  que.  si  nous  avons  péché,  c'est  notre 
faute,  puisque  nous  avons  besoin  de  pardon.  Et  c'est 
la  surtout  ce  que  Dieu  demande,  l'aveu  de  nos  péchés, 
auquel  se  joint  la  détestation.  un  cœur  contrit  et  hu- 
milié. Avec  cette  disposition,  nous  pouvons  lui  dire  : 
Seigneur ,  pardonnez-nous j  i  s;  et  cet 


Ml  SE H EUE   NOBIS  347 

Agneau  débonnaire,  qui  aime  tant  l'humilité,  ne  man- 
quera pas  d'accueillir  notre  prière.  Mais  si,  en  priant, 
nous  ne  reconnaissons,  ni  ne  détestons  nos  péchés, 
comme  un  épais  nuage,  dit  le  Prophète,  ils  empêche- 
ront que  nos  paroles  parviennent  jusqu'à  Dieu,  et 
que  les  rayons  de  sa  miséricorde  arrivent  jusqu'à 
nous.  —  L'humilité,  au  contraire,  donne  à  notre 
prière  la  force  de  pénétrer  les  nues  et  de  parvenir 
au  trône  de  Dieu  :  Or atio  humiliant is  se... 

2°  Le  second  sentiment  qui  doit  nous  animer  en 
priant,  c'est  une  vive  confiance.  Une  prière  que  n'ac- 
compagne pas  cette  disposition  ne  peut  plaire  à  Dieu  : 
c'est  montrer  que  l'on  doute  autant  de  sa  puissance 
que  de  sa  miséricorde.  La  vue  de  nos  péchés  serait 
bien  capable,  il  est  vrai,  d'exciter  en  nous  quelque  dé- 
fiance; mais  ne  nous  adressons- nous  pas  à  ce  divin 
Agneau,  qui  est  descendu  sur  la  terre  précisément  pour 
nous  en  décharger,  en  les  prenant  à  son  compte .  Qui 
tollis  peccata  mundi  ;  qui  a  daigné  s  offrir  victime 
pour  le  saint  des  pécheurs  ;  qui  est  venu  apporter 
la  vie  à  ceux  qui  sont  morts  à  la  grâce  et  sauver  ce 
qui  était  péri  ;  qui  ne  veut  point  la  mort  du  pécheur, 
mais  sa  conversion  et  sa  vieï  S' étant  immolé  pour 
nous,  il  veut  notre  salut,  n'en  doutons  pas.  Nous  qui 
n'avons  pas  sa  bonté,  pourrions-nous  jamais  nous  ré- 
soudre à  jeter  au  fond  de  la  mer  un  objet  qui  nous  au- 
rait coûté  un  très  grand  prix?  Et  le  Fils  de  Dieu,  notre 
bon  Sauveur,  après  avoir  jugé  que  ce  n'était  pas  trop 
de  donner  sa  vie  pour  nous  rendre  participants  de  son 
royaume,  en  nous  refusant  le  pardon,  nous  précipite- 
rait dans  les  abîmes  pour  toute  une  éternité?  Ah  !  loin 
de  nous  une  telle  défiance  qui  !e  blesserait  au  cœur. 

Du  reste,  outre  les  exemples  nombreux  de  faveurs 
en  tout  genre  qu'il  nous  assure  avoir  été  accordées  à  la 


348  AGNUS    DEI 

foi  vive  qui  les  sollicitait,  nous  en  avons  une  preuve 
non  moins  frappante  dans  ce  qui  se  passa  sur  le  Cal- 
vaire, au  moment  même  où  il  mourut  pour  le  salut  de 
tous.  Là  se  trouvait  un  grand  criminel,  mais  qui  à 
l'aveu  de  sa  culpabilité,  en  reconnaissant  qu'il  n'a  que 
ce  qu'il  mérite,  ajoute  ce  cri  de  confiance  :  Seigneur^ 
souvenez-vous  de  moi  quand  vous  serez  dans  votre 
royaume.  Et  tout  aussitôt,  il  entend  de  la  bouche 
même  de  Jésus-Christ  ces  consolantes  paroles  :  Au- 
jourd'hui, vous  serez  avec  moi  enparadis.  Un  apôtre 
a  désespéré,  et  il  est  réprouvé  ;  un  brigand  prie  avec 
confiance,  et  il  devient  un  prédestiné  :  c'est  à  lui  que 
sont  appliqués  les  premiers  fruits  de  la  passion  et  de 
la  mort  du  Sauveur.  C'est  donc  avec  ce  vif  sentiment 
de  confiance  qu'il  faut  lui  demander  de  nous  pardon- 
ner, d'exaucer  nos  demandes,  et  en  général  par  ces 
derniers  mots,  ayez  pitié  de  nous,  de  nous  secourir 
dans  tous  nos  besoins  présents  et  futurs,  corporels  et 
spirituels,  qu'il  connaît  mieux  que  nous.  Et,  c'est  afin 
que  cette  confiance  soit  mieux  exprimée,  que  l'on  ré- 
pète cette  prière  jusqu'à  trois  fois,  à  l'exemple  de  tous 
ces  malades  de  l'Evangile,  qui  par  la  vivacité  de  leur 
confiance  méritèrent  d'entendre  ces  délicieuses  paroles  : 
Allez,  votre  foi  vous  a  sauvés. 

Pratique  :  Aimons  à  recourir  fréquemment  aux  in- 
vocations des  Litanies  du  saint  Nom  de  Jésus. 

EXEMPLES 

UN  PRINCE  MOURANT    EN  PLACE  D'UN   ESCLAVE 

Un  esclave,  qui  avait  osé  conspirer  contre  la  vie 
de  son  souverain,  était  condamné  à  mourir  par  le 
supplice  le  plus  infâme  et  le  plus  cruel  que  la  bar- 
barie puisse  inventer.  Le  prince  héritier  du  royaume, 
touché  de  compassion,  vient  se  jeter  aux  pieds  de  son 


MISERERE   NOMIS  349 

père  pour  solliciter  la  grâce  du  coupable,  et  voyant 
qu'il  ne  peut  l'obtenir,  il  s'offre  à  endurer  les  tourments 
auxquels  ce  malheureux  est  condamné,  il  va  même 
jusqu'à  demander  que  celai-ci  prenne  sa  place  dans 
le  royaume  :  tout  est  accepté.  Ce  prince  si  dévoué,  s'en 
va  donc  gaiement  au  supplice,  heureux  de  témoigner 
à  ce  criminel  combien  il  l'aime  en  mourant  pour  lui  ; 
et  pour  toute  reconnaissance  de  cet  immense  bienfait, 
il  ne  lui  demande  rien,  rien  absolument  que  d'en  être 
aimé.  Que diriez-vous,  si  ce  malheureux  esclave,  loin 
d'être  sensible  au  dévouement  d'un  prince  si  généreux, 
se  joignait  même  à  ses  bourreaux  pour  hâter  sa  mort 
et  augmenter  encore  ses  tourments?  Votre  indignation 
serait  à  son  comble  :  vous  le  regarderiez,  et  avec  rai- 
son, comme  le  plus  brutal  et  le  plus  barbare  de  tous 
les  hommes. 

•  Mais,  ce  jeune  prince  n'est-ce  pas  Jésus-Christ,  Fils 
du  Dieu  vivant  et  éternel,  qui  s'est  dévoué  à  une 
mort  aussi  cruelle  qu'ignomineuse,  pour  nous  délivrer 
de  la  mort  éternelle  que  nous  devions  subir?  Ce  mal- 
heureux esclave,  n'est-ce  pas  nous,  qui  si  souvent  nous 
sommes  rendus  criminels  de  lèse-majesté  divine,  et 
placés  sous  la  dure  tyrannie  du  démon  ?  Et  qu'a  souf- 
fert Jésus-Christ  ?  Les  outrages  les  plus  sanglants,  les 
tourments  les  plus  horribles,  avant  sa  mort  sur  la 
Croix,  et  cela  de  son  plein  gré,  à  notre  place,  pour 
nous  épargner  des  peines  infinies.  Et  pour  un  sem- 
blable dévouement,  que  nous  demande-t-il  ?  S'il  exi- 
geait le  sacrifice  de  tous  nos  biens,  de  nos  plaisirs,  de 
notre  gloire,  de  notre  santé,  de  notre  propre  vie,  se- 
rait-ce trop  ?  Mais  non  ;  il  ne  nous  demande  qu'une 
seule  chose,  c'est  que  nous  l'aimions  et  que  nous  lui 
en  donnions  la  preuve  par  l'observation  fidèle  de  ses 
commandements. 


350  CLOTURE   DU   MOIS   DE  MARIE 

Si  donc  au  lieu  de  l'aimer  et  de  lui  obéir,  nous  ail- 
lions non-seulement  l'offenser,  mais  encore  nous  join- 
dre à  ses  bourreaux  et  renouveler  les  douleurs  de  sa 
passion,  ne  serait-ce  pas  mériter  le  terrible  anathème 
de  saint  Paul  :  Si  quelqu'un  n'aime  pas  N.-S.  J.-C. 
qu'il  soit  anathème?  Ah  !  disons-lui  plutôt,  comme  un 
grand  saint,  à  la  vue  du  crucifix  :  Eh  quoi  !  Seigneur, 
pourrai-je  ne  pas  aimer  tant  d'amour? 

CHAPITRE  LI 


CLOTURE  DU  MOIS  DE  MARIE 

Les  ombres  de  la  nuit  commençaient  à  s'abaisser 
sur  la  plaine  :  toutes  les  cloches  en  volée  venaient 
d'annoncer  la  réunion  dernière  du  saint  mois.  Dociles 
à  cette  voix  amie,  le  robuste  agriculteur  avait  quitté 
son  sillon,  et  pressait  la  marche  de  ses  bœufs  fatigués  : 
la  jeune  fille  plus  alerte  était  déjà  descendue  de  la 
colline  :  le  vieillard  aux  pas  lents,  avait  devancé  le 
dernier  signal,  il  n'aurait  eu  garde  de  manquer  à  cette 
fête  de  famille,  que  peut-être  il  ne  retrouverait  plus  à 
l'autre  printemps  :  l'ouvrière  et  l'artisan  laissaient  là 
d'utiles  travaux  :  la  mère  aussi,  trop  souvent  retenue 
au  foyer  par  des  soins  domestiques,  avait  cette  fois 
confié  au  berceau  son  nouveau-né  :  les  plus  grands 
l'ont  précédée  avec  leurs  petits  compagnons.  De  toutes 
les  avenues  qui  aboutissent  à  l'église  affluaient  les  flots 
de  fidèles  :  en  un  instant,  l'assemblée  fut  au  complet, 
comme  aux  jours  de  grandes  solennités.  C'est  qu'elle 
touche  à  sa  fin,  la  longue,  mais  trop  courte  Fête  de 
Marie  :  personne  qui  ne  soit  avide  d'entendre  encore 
quelques  bonnes  paroles  sur  Celle  dont  la  louange, 
non  plus  que  les  boutés,  ue  s'épuise  pas,  de  recueillir 


CLOTURE   DU  MOIS  DE  MARIE  351 

ses  dernières  faveurs,  de  lui  faire  une  plus  solennelle 
protestation  d'amour  et  de  fidélité. 

Des  gerbes  de  lumière  font  resplendir  le  temple  et 
principalement  son  autel  d'une  clarté  éblouissante,  qui 
laisse  voir  en  même  temps  sur  la  figure  de  chacun  la 
joie  dont  le  cœur  est  inondé,  mais  joie  mêlée  d'une 
teinte  de  tristesse.  Et  pourquoi?  Ah  !  c'est  qu'ils  vont 
finir  ces  jours  qui  ont  causé  de  si  douces  émotions,  et 
procuré  tant  de  biens.  Chacun  se  dit  :  il  semble  que 
c'était  hier  que  nous  faisions  l'ouverture  de  ce  beau 
mois  ;  et  nous  voilà  réunis  pour  le  terminer  ;  faut-il 
qu'il  soit  si  tôt  passé  !  Le  Fils  qui,  les  yeux  gros  de 
larmes  et  le  cœur  en  proie  à  d'indicibles  angoisses, 
s'est  arraché  pour  un  pays  lointain  aux  embrasse- 
ments  de  sa  vieille  mère,  que  peut-être  il  ne  doit  ja- 
mais revoir,  peut  seul  comprendre  la  profonde  déso- 
lation qui  noie  l'àme  du  chrétien,  lorsqu'il  va  se  sépa- 
rer de  l'autel  de  Marie.  Aussi,  au  milieu  de  cette 
atmosphère  embaumée  des  parfums  de  l'encens  et  des 
fleurs  ;  j'entends  des  soupirs  de  toutes  parts,  je  vois 
couler  des  larmes  :  dans  ce  séjour  de  paix  et  de  bon- 
heur, il  y  a  du  deuil  ;  au  fond  de  tous  les  cœurs,  un 
malaise,  une  vague  inquiétude. 

Ici,  la  pieuse  mère  qui,  pendant  ce  mois  béni,  avait 
souvent  conjuré  la  douce  Vierge  de  prendre  ses  enfants 
sous  sa  protection ,  et  qui  pour  la  dernière  fois  est  ve- 
nue les  conduire  à  son  autel,  jette  sur  eux  un  regard 
où  se  peint  l'anxiété.  Qui,  maintenant,  se  dit-elle, 
protégera  leurs  jeunes  années,  et  sauvera  leur  inno- 
cence? Consolez- vous,  mère  chrétienne,  ce  que  Marie 
a  pris  sous  sa  garde  est  bien  gardé . 

Le  vieillard,  aux  cheveux  blancs,  qui  comptait  être 
près  de  sa  fin,  murmure  à  Marie,  de  ses  lèvres  trem- 
blantes,   ce   doux    reproche  :   J'aurais   voulu,   bonne 


3-r2  CLOITRE  DL'   MOIS   DE  MaHIE 

Mère,  mourir  en  ce  beau  mois,  et  aller  le  finir  au  ciel 
en  votre  compagnie  :  si  je  dois  végéter  encore  quelque 
temps  en  ce  lieu  d'exil,  du  moins  ne  m'abandonnez 
pas  :  puissé-je  me  bercer  dans  cette  confiance,  et  la 
caducité  de  l'âge  me  deviendra  plus  tolérable. 

Le  pauvre  est  là  aussi,  exhalant  ses  soupirs  et  ses 
craintes  :  0  douce  Consolatrice  des  «ffligàs  /  dit-il, 
pendant  ce  mois  vous  avez  suscité  des  âmes  compa- 
tissantes qui  se  sont  inspirées  de  votre  charité,  et  je 
n'ai  pas  eu  à  souffrir  les  rigueurs  de  la  faim.  Leur 
continuerez-vous  vutre  influence  ? 

Mais  quel  est  cet  homme  que  j'aperçois  à  la  porte 
du  temple,  et  cet  autre  encore  dans  un  coin  retire,  qui 
n'osent,  comme  le  publicain,  se  mêler  à  l'assemblée, 
ni  lever  les  yeux  au  ciel  ?  C'est  un  pécheur,  pour  qui 
ces  jours  ont  été  le  moment  heureux  de  retour  à  Dieu 
et  de  pardon  :  il  goûte  bien  la  douce  paix  d'une  àme 
purifiée,  que  depuis  longtemps  il  ne  connaissait  plus  ; 
mais  il  redoute  sa  faiblesse  si  souvent  ressentie,  et 
contre  laquelle  il  n'aura  plus  les  puissants  secours 
qu'il  trouvait  dans  ces  pieux  Exercices,  qui  lui  ont 
valu  son  changement. 

0  ma  bonne  Mère  !  répète  dans  la  foule  un  jeune 
homme  :  depuis  longtemps,  j'étais  le  triste  esclave 
d'une  passion  honteuse  ;  dès  le  premier  jour,  j'entends 
une  voix  qui  disait  que  pour  vous  plaire  et  pour  fruit 
de  ce  saint  mois,  il  fallait  extirper  de  son  cœur  quel- 
que vice  ;  cette  voix  me  pénétra  jusqu'au  fond  de  l'âme: 
nouvel  Augustin,  je  me  mis  résolument  à  l'œuvre, 
et  par  mes  efforts  constants,  aidés  de  votre  puissante 
assistance,  j'ai  triomphé  de  ce  penchant  que  vous  avez 
si  en  horreur.  Mais  loin  de  votre  autel,  ah  !  que  je 
crains!  je  vais  me  retrouver  en  face  de  mes  anciens 
danger<  :  j'aurai  de  nouveaux  combats  a  soutenir  : 


CLOTURE  DU   MOIS  DE  MARIE  353 

veuillez  m  être  toujours  un  rempart  assuré,  une  Tour 
de  défense,  une  armure  invincible. 

Vierge  fidèle  !  soupire  aussi  la  jeune  fille,  tout  près 
de  l'autel  :  la  ferveur  de  mes  premières  années  com- 
mençait à  se  refroidir  ;  quelques  négligences  dans  votre 
service  avaient  diminué  le  vif  intérêt  que  vous  me 
portiez  ;  je  courais  rapidement  à  ma  perte.  Mais,  à  la 
peinture  de  votre  tendre  et  généreux  amour  pour 
Dieu,  j'ai  senti  le  mien  chaque  jour  se  ranimer  : 
ah  ?  puisse-t-il  ne  plus  se  ralentir  hors  de  votre  sanc- 
tuaire ! 

C'est  ainsi  que  chacun,  dans  le  secret  de  son  âme, 
exprimait  à  la  bonne  Mère  ses  joies,  ses  regrets  et  ses 
craintes. 

Il  arrive  pourtant,  le  moment  si  redouté  de  falloir 
s'arracher  à  l'autel  chéri.  Toutes  les  voix  entonnent  le 
chant  du  départ  :  (14) 

La-  foule  s'est  écoulée  silencieuse,  aussi  lentement 
qu'elle  avait  été  prompte  à  s'assembler.  Les  cierges 
qui  brûlaient  nombreux  se  sont  éteints  un  à  un  :  la 
lampe  du  sanctuaire  seule,  de  son  pâle  reflet,  tempère 
les  ténèbres  du  saint  lieu.  Cependant,  près  de  l'autel 
de  la  Vierge,  j'aperçois  encore  une  ombre  noire  :  c'est 
un  homme  qui  ne  peut  s'en  séparer  sitôt  en  cette  grave 
circonstance  ;  c'est  le  pasteur  :  tant  de  choses  se  pres- 
sent dans  son  cœur  ;  il  a  besoin  de  les  épancher  dans 
celui  de  la  bonne  Mère.  L'action  de  grâces  et  la  prière 
encore  arrivent  d'elles-mêmes  sur  ses  lèvres.  0  puis- 
sant Secours  des  Chrétiens,  dit-il  à  Marie,  qwe  de  fa- 
veurs vous  avez  répandues  en  ce  mois  béni  sur  mon 
petit  troupeau  !  La  piété  s'est  accrue  dans  les  âmes 
d'élite  :  les  tièdes  ont  senti  une  sainte  ferveur  fondre 
la  glace  de  leur  cœur  :  chez  beaucoup  l'indifférence 
pour  leur  salut  s'est  changée  en  zèle  et  en  courage  : 

PAPAPHRASE.   —    *II    -X  21 


354  CLOTURE    DU  MOIS  DE  MARIE 

quelques  pécheurs,  touchés  du  malheur  et  du  danger 
de  leurs  désordres,  ont  eu  le  bonheur  d'en  sortir. 
Pourrai-je  jamais  reconnaître  dignement  de  tels  bien- 
faits ?  Toutes  mes  ouailles,  néanmoins,  n'ont  pas  re- 
cueilli les  faveurs  attachées  à  ces  saints  jours.  0  bonne 
Mère  !  tant  de  vœux  que  nous  avons  déposés  à  vos 
pieds  seraient-ils  entièrement  inutiles,  perdus  sans 
ressources  ?  Humblement  prosterné  devant  le  trône  de 
votre  miséricorde  inépuisable,  je  viens  vous  demander 
pour  dernière  grâce  que  vous  n'en  suspendiez  pas  les 
salutaires  effusions. 

Et  la  sainte  Vierge  de  répondre  :  Non,  non,  mes 
enfants,  je  n'oublierai  jamais  et  les  honneurs  que  vous 
m'avez  rendus  avec  tant  de  dévouement,  et  les  témoi- 
gnages d'amour  filial  que  vous  n'avez  cessé  de  me 
prodiguer  pendant  ce  mois.  Je  n'oublierai,  ni  cette 
pieuse  mère,  qui  m'a  confié  les  objets  de  sa  tendresse, 
ses  enfants  sont  devenus  les  miens  :  ni  ce  vieillard, 
chargé  de  bonnes  œuvres  et  de  mérites,  bientôt  je 
viendrai  recueillir  son  âme  pour  la  présenter  à  mon 
Fils  ;  ni  ce  pécheur,  qui  a  pleuré  ces  égarements,  je 
sécherai  ses  larmes  et  le  protégerai  contre  ses  enne- 
mis :  ni  ces  jeunes  gens,  qui  ont  fui  le  monde  pour 
chercher  un  abri  à  l'ombre  de  mes  autels,  je  les  ca- 
cherai sous  mes  ailes  ;  ni  ce  pauvre  qui  a  puisé  dans 
mes  exemples  la  patience  et  la  résignation,  je  conti- 
nuerai de  l'assister  ;  ni  ce  riche,  qui  pour  me  plaire, 
ouvre  si  largement  sa  main  et  son  cœur  à  ses  frères 
malheureux,  je  recueillerai  ses  œuvres.  Et  toi,  mon 
apôtre,  toi  si  zélé  pour  mon  culte,  compte  surtout  que 
mon  œil  vigilant  ne  perdra  jamais  de  vue  aucun  mem- 
bre de  mon  troupeau,  objet  de  ta  vive  sollicitude.  Et 
quand,  au  moment  où  tu  y  penseras  le  moins,  quelque 
pécheur  viendra  te  réjouir  en  se  jetant  à  tes  pieds  pour 


C LOTIT KE  DU    MOIS  DE  MAHÏB  .355 

implorer  sa  réconciliation,  tu  pourras  dire  :  C'est  Ma- 
rie qui  me  l'envoie  !  Non,  je  n'oublierai  jamais  aucun 
de  mes  enfants  :  est-ce  qu'une  mère  peut  oublier  le 
fruit  de  ses  entrailles  ?  Parmi  mes  serviteurs,  se  trou- 
vait un  jeune  homme,  parvenu  en  peu  d'années  aux 
plus  sublimes  vertus  ;  il  ne  pouvait  contenir  la  ten- 
dresse toute  filiale  que  son  cœur  éprouvait  pour  moi  ; 
et  quand  on  lui  demandait  pourquoi  il  m'aimait  tant, 
cet  ange  de  la  terre,  regardant  le  ciel  d'un  œil  où 
s'épanouissait  son  amour,  répétait  cette  parole  :  «  La 
Mère  de  Dieu  est  ma  mère  ,  comment  ne  l'aimerais-je 
pas  ?  » 

Oui,  je  suis  la  mère  de  tous  les  chrétiens  ;  et  ce  titre 
cher  à  mon  cœur  m'oblige  ;  je  ne  puis  faillir  un  seul 
instant  aux  devoirs  qu'il  m'impose.  Que  tous  mes  en- 
fants aussi,  comme  Stanislas,  se  souviennent  que  je 
suis  leur  Mère.  C'est  à  regret  que  je  les  verrai  moins 
assidus  près  de  mon  autel  ;  mais  je  les  suivrai  d'un 
regard  vigilant  à  travers  le  monde  :  ils  ne  livreront 
pas  un  combat  que  je  ne  me  pose  entre  eux  et  l' ennemi  : 
il  ne  se  présentera  pas  un  danger,  pas  un  piège,  pas 
un  écueil,  que  je  ne  les  avertisse  :  ils  ne  feront  pas  une 
seule  démarche,  que  je  ne  les  guide.  Qu'ils  m'appel- 
lent sans  cesse  à  leur  secours,  sans  craindre  de  fati- 
guer mon  inépuisable  affection  :  que  toute  l'année, 
que  toute  leur  vie  soit  un  long  mois  d'hommages  conti- 
nuels ;  car  ce  serait  bien  mal  comprendre  mon  cœur 
et  leurs  besoins,  que  de  s'être  bornés  à  me  rendre 
quelques  honneurs  passagers,  pour  m'oublier  ensuite. 
Mais  s'ils  pensent  toujours  à  moi,  toujours  aussi  j'au- 
rai soin  d'eux .  —  Telles  sont  les  magnifiques  promes- 
ses que  nous  fait  la  Vierge  à  la  fin  de  ce  mois  béni  : 
leur  accomplissement  est  infaillible,  si  de  notre  côté 
nous  demeurons  fidèles  à  l'honorer. 


356  CLOTURE  DU  MOIS  DE  MARIE 

Ainsi,  vous  le  voyez,  pieux  enfants  de  Marie,  la  per- 
sévérance dans  son  service  est  maintenant  le  grand  de- 
voir qui  pèse  sur  vous  de  presque  tout  le  poids  d'un 
commandement.  Oui,  vous  continuerez  à  l'aimer,  à 
l'honorer,  à  la  prier. 

1°  Ses  bienfaits  vous  y  obligent  :  la  reconnaissance 
est  le  sentiment  des  grandes  âmes  :  l'ingratitude,  au 
contraire,  est  un  vice  ignoble  que  le  monde  même  ne 
pardonne  pas.  lui  qui  est  si  indulgent  pourtant  d'au- 
tres défauts.  Non,  vous  ne  voudrez  pas  vous  en  rendre 
coupables  envers  la  plus  généreuse  des  bienfaitrices, 
qui  vient  d'ajouter  tant  de  faveurs  nouvelles  à  celles 
que  vous  aviez  déjà  reçues.  Mais  vous  l'aimerez  sans 
interruption  et  sans  partage,  demain  comme  aujour- 
d'hui, le  mois  prochain  comme  pendant  celui  où  vous 
venez  de  lui  donner  tant  de  preuves  d'un  sincère  dé- 
vouement . 

2J  Vous  persévérerez,  en  vue  de  rendre  votre  salut 
plus  certain  :  il  est  à  ce  prix,  croyez-le  bien  :  Celui- 
là  seul  sera  smaé,  nous  assure  Jésus-Christ,  qui  au- 
ra persévéré  jusqu'à  la  fia,  dans  la  dévotion  à  Marie 
conséquemment.  comme  dans  toute  autre  pratique 
chrétienne.  Regarder  en  arrière,  après  avoir  mis 
la  main  à  la  charue,  dit-il  encore, <?£  serait  mon- 
trer qu'on  est  paspropre  au  royaume  de  Dieu.  Mais 
au  contraire,  Vierge  sainte,  pouvuns-nous  dire  avec 
un  de  vos  plus  zélés  serviteurs,  saint  Alphonse  :  «  Si 
je  persévère  à  vous  aimer,  à  vous  servir,  je  suis  assu- 
ré de  mon  salut.  Ce  que  je  crains,  ma  sainte  Mère,  ce 
11'— 1  pas  que  vous  m'abandonniez  la  première,  mais 
que  moi,  malheureux  et  ingrat,  je  ne  vienne  peu  à  peu 
à  quitter  votre  servie:. 

3°  Vous  persévérerez  au  moins,  mieux  serait  encore 
de   croître   dans     l'aimable   dévotion   pour    la  >aini<' 


CLOTURE  DU  MOIS  OIÏ  MARIE  357 

Yierge,  parce  que  vous  devez,  par  des  efforts  géné- 
reux et  constants,  l'élever  promptement  à  son  plus 
haut  degré  pour  le  moment  de  la  mort  :  et  dans  l'in- 
certitude du  temps  qui  vous  en  sépare,  il  n'y  a  pas 
un  seul  instant  à  perdre.  Plus  vous  vous  serez  exercés 
à  l'aimer  sur  la  terre,  et  plus  vous  aurez  alors  de 
droits  à  l'aimer  éternellement  au  ciel.  Chrétiens  de 
tous  les  âges,  de  tout  sexe,  de  toute  condition,  venez 
donc,  venons  tous  ensemble  lui  en  faire  la  solennelle 
protestation . 

CONSÉCRATION   A  MARIE. 

Il  va  finir,  ô  tendre  Mère,  ce  mois  de  grâces  et  de 
bonheur  !  Comme  ils  se  sont  vite  écoulés,  ces  délicieux 
moments  que  je  venais  chaque  jour  passer  auprès  de 
votre  autel,  dans  de  si  doux  entretiens  avec  vous  ! 
mais  je  veux  en  garder  dans  mon  cœur  le  précieux 
souvenir,  et  en  conserver  soigneusement  les  heureux 
fruits.  Avant  de  m'éloigner  de  votre  trône,  permettez, 
ô  sainte  Vierge,  que  j'y  dépose  l'humble  hommage  de 
ma  reconnaissance  et  la  promesse  d'une  inviolable 
fidélité.  Oui,  que  ma  droite  se  dessèche,  que  j'expire 
ici  à  vos  pieds,  si  je  devais  jamais  abandonner  votre 
service  :  il  me  cause  trop  de  bonheur,  il  m'est  devenu 
trop  nécessaire,  pour  que  je  veuille  m'en  priver.  Nous 
ne  viendrons  plus  ensemble  vous  offrir  ici  nos  fleurs, 
nos  chants  et  nos  prières  ;  je  ne  pourrai  plus  y  appa- 
raître aussi  souvent,  mais  mon  cœur  n'y  sera  pas 
moins.  A  vous,  ô  tendre  Mère  !  à  vous  pour  toujours, 
ô  Marie  !  mes  pensées,  mes  sentiments  et  mes  plus 
tendres  affections  :  entre  nous,  c'est  à  la  vie  et  à  la 
mort.  Laissez-nous  donc  vous  dire  tous  en  chœur  :  Je 
Val  juré.. .  (14) 

Pratique  :  Un  jour  qu'on  demandait  au  jeune  Berk- 
mans  quelle  était  la  pratique  de  dévotion  la  plus  agréa- 


358  CLOTURE    DU  MOIS    DE  MARIE 

ble  à  la  sainte  Vierge  :  «  Quelle  qu'elle  soit,  répondit-il, 
fut-elle  même  peu  importante,  elle  obtiendra  ses  fa- 
veurs, si  l'on  y  est  constamment  Adèle.  » 

EXEMPLES 

HEUREUX    EFFETS    DE    LA    CONSECRATION    A    MARIE 

Yn  jeune  homme,  commis-voyageur,  ne  respirant 
que  les  plaisirs  du  monde,  vivait  étranger  à  toute  pra- 
tique religieuse.  La  curiosité  l'attire  un  jour  dans  un 
sanctuaire  de  Marie,  a  la  suite  de  pieux  jeunes  gens 
qui  venaient  renouveler  annuellement  leur  consécra- 
tion à  la  sainte  Vierge.  Tous,  à  la  Messe  solennelle, 
ont  le  bonheur  de  s'approcher  de  la  table  sainte,  et  le 
soir  ils  se  pressaient  autour  de  l'autel  de  Marie,  pour 
lui  renouveler  la  promesse  de  marcher  toujours  sous 
sa  bannière. 

Notre  jeune  commis  céda  encore  à  la  curiosité  de  se 
retrouver  à  cette  cérémonie  ;  mais  il  la  regardait  d'un 
œil  indifférent  et  presque  moqueur.  Quand  tous  eurent 
fait  leur  acte  de  consécration,  le  Prêtre,  pressé  par  un 
beau  mouvement  de  zèle,  vient  le  prendre  par  la  main, 
et  le  conduisant  à  l'autel  :  «  C'est  maintenant  à  votre 
tour,  mon  ami,  lui  dit-il  ;  on  ne  vient  pas  ici  sans  se 
consacrer  à  la  sainte  Vierge.  »  Le  jeune  homme  tout 
interdit,  se  trouble,  hésite...  Mais  le  vénérable  ecclé- 
siastique, l'ayant  fait  tomber  à  genoux  avec  lui  :  «  Bonne 
Mère  !  s'écrie-t-il.  voici  un  enfant  prodigue  que  je  vous 
amène,  faites-lui  sentir  la  puissance  de  votre  miséri- 
corde. »  0  prodige  de  la  confiance  !  le  pécheur  est  tou- 
ché, attendri,  il  sanglote  et  demande  à  se  confesser. . . 
Sa  conversion,  pour  avoir  été  prompte,  n'en  fut  pas 
moins  sincère  et  durable.  Il  sut  après  et  toujours  allier 
l'accomplis-  :iK-Mî  des  devoirs  chrétiens  avec  ses  courses 
g  affaires.  Sa  consécration  a  Marie  avait  été  le 


CHEMIN   DE  LA   GR01X  339 

principe  de  son  retour  à  Dieu  ;  sa  persévérance  dans  le 
bien  en  fut  le  fruit . 

Le  protégé  reconnaissant 
Un  jeune  apprenti  parisien,  fils  d'un  pauvre  ouvrier, 
voyant  sa  mère  triste  et  découragée  par  le  manque  total 
d'ouvrage,  lui  dit  un  soir  :  Ma  mère,  ayez  confiance, 
prions  ensemble  la  sainte  Vierge  de  nous  venir  en  aide. 
La  pauvre  femme,  qui  déjà  y  pensait,  suit  l'avis  de  son 
enfant  ;  et  quelques  jours  après,  l'ouvrage  arrive  en 
abondance.  Le  mois  de  Marie  touchait  à  sa  fin.  Ma 
mère,  dit  le  fils  pieux,  nous  n'avons  pas  encore  remer- 
cié la  bonne  Vierge  de  nous  avoir  secourus  ;  il  faudra 
nous  rendre  à  l'église,  mais  avant  que  son  Mois  ne  soit 
entièrement  écoulé  ;  nous  y  entendrons  la  Messe  ;  puis 
nous  lui  ferons  un  petit  présent.  Ils  vont  ensemble  sur 
le  marché  aux  fleurs,  y  achètent  deux  jolis  rosiers,  et 
viennent  les  déposer  sur  l'autel  de  la  Vierge.  Du  jour 
où  l'ouvrage  était  revenu,  le  jeune  homme  s'était  con- 
tentédepain  sec  à  déjeuner,  et,  par  cette  petite  économie, 
il  avait  amassée  de  quoi  acheter  deux  rosiers,  offrande 
de  sa  reconnaissance. 


CHAPITRE  LU 


EXERCICES  POUR  LE  CHEMIN  DE  LA  CROIX 

Son  origine  ;  —  ses  avantages  ;  —  conditions  pour 

les  obtenir 

On  pourrait  appeler  Chemin  de  la  Croix,  la  carrière 
de  la  vie  présente,  hérissée  de  ronces  et  d'épines  plutôt 
qu'émaillée  de  roses,  plus  remplie  de  peines,  d'afflic- 
tions, de  souffrances  que  de  satisfactions,  de  joies,  de 
bonheur,  ce  qui  a  mérité  à  notre  monde  le  nom  de  Val- 
lée de  larmes.  N'en  soyons  ni  surpris,  ni  désolés.  De- 


360  CHEMIN   DE   I.A   CROIX 

puis  que  par  le  péché  de  notre  premier  père,  la  terre  a 
été  maudite  et  le  ciel  fermé,  la  douleur  nous  est  échue 
en  place  de  l'innocence  perdue,  et  nous  devient  la  se- 
mence nécessaire  de  la  gloire  céleste . 

Mais  dans  le  sens  littéral  le  Chemin  de  la  Croix  est 
cette  route  pénible  que  le  Sauveur  du  monde  parcourut 
chargé  de  l'instrument  de  son  supplice,  depuis  le  Pré- 
toire de  Pilate,  où  il  fut  flagellé,  couronné  d'épines  et 
condamné  à  mort,  jusqu'au  sommet  du  Calvaire,  lieu 
de  son  crucifiement.  Ce  chemin  royal  a  été  marqué  par 
12  stations,  auxquelles  on  a  ajouté  la  Descente  de  la 
Croix  et  le  transport  au  Saint-Sépulcre. 

La  coutume  de  visiter  ces  stations  remonte  à  la  plus 
haute  antiquité.  La  très  sainte  Vierge,  les  Apôtres  et 
les  Disciples  de  J.-C.  firent  souvent  ce  saint  exercice 
afin  de  se  représenter  plus  vivement,  dans  les  endroits 
mêmes,  les  mystères  qui  s'y  étaient  accomplis.  Nul 
doute  que  ces  exemples  n'aient  amené  les  premiers 
fidèles  à  venir  aussi  méditer  et  s'attendrir  sur  les  traces 
encore  sanglantes  de  leur  Sauveur. 

A  mesure  que  le  bienfait  de  la  religion  du  Christ  se 
répandit  sur  le  monde,  de  nombreux  pèlerins  accou- 
raient des  pays  même  les  plus  éloignés  satisfaire  leur 
dévotion  sur  ces  lieux  chéris,  quoique  alors  la  foi  n'o- 
sât se  produire  qu'au  péril  de  la  vie .  Mais  quand  la 
liberté  eut  été  rendue  à  l'Eglise,  on  vit  affluer  sur  le 
théâtre  de  notre  rédemption  tout  ce  que  la  chrétienté 
renfermait  de  plus  illustre  en  puissance,  en  noblesse, 
en  génie:  les  Majestés  même  de  L'Empire  ne  rougirent 
pas  de  venir  s'humilier  et  gémir  devant  le  tombeau  du 
Crucifié.  Pour  encourager  cet  élan  de  foi  vive,  les  sou- 
verains Pontifes  enrichirent  ce  pieux  pèlerinage  de 
nombreuses  indulgences,  dont  une  au  moins  était  plé- 
nière. 


CHEMIN  DE  LA   CROIX  361 

Mais  arriva  une  époque,  où,  le  farouche  Musulman 
s  étant  emparé  des  Saints-Lieux,  l'accès  n'en  fut  plus 
aussi  facile.  Alors  on  vit  l'Occident  se  former  en  Croi- 
sades (croix  rouges)  qui,  au  cri  de  Dieu  le  veut,  vinrent 
délivrer  la  Terre-Sainte  de  son  odieuse  oppression,  et 
rendre  libre  le  tombeau  de  Celui  qui  avait  apporté  la 
liberté  au  monde.  A  cette  époque,  durant  près  d'un 
siècle,  toutes  les  routes  de  Jérusalem,  et  sur  terre  et 
sur  mer,  étaient  couvertes  de  pèlerins,  avides  de  payer 
au  Sauveur,  à  l'endroit  même  de  ses  souffrances  et  de 
sa  mort,  leur  tribut  d'amour  et  de  reconnaissance. 
Mais  bientôt  les  Saints-Lieux  étant  retombés  au  pou- 
voir des  Sarrazins,  la  visite  en  redevint  extrêmement 
difficile.  Pour  se  dédommager  de  cette  privation,  de 
pieux  fidèles  imaginèrent  de  reproduire  les  stations 
du  Calvaire  par  des  représentations  figuratives.  In- 
sensiblement, cette  Dévotion  se  propagea  et  s'établit 
dans  les  églises,  surtout  lorsque  les  Papes  Clément 
XII  et  Benoit  XIV  eurent  accordé  à  ceux  qui  parcou- 
raient ces  stations  toutes  les  indulgences  plénières  et 
partielles  dont  jouissaient  les  pèlerins  qui  visitaient 
les  Saints-Lieux  eux-mêmes. 

Telle  est  l'origine  du  Chemin  de  la  Croix,  ainsi 
qu'il  existe  et  qu'il  se  fait  maintenant  dans  presque 
toutes  les  églises  du  monde  catholique. 

Cette  Dévotion  semble  avoir  été  réservée  à  notre 
siècle  pour  ranimer  les  sentiments  de  foi,  de  piété 
qu'elle  est  si  propre  à  produire  dans  le  cœur,  par  la 
méditation  des  différentes  scènes  du  Calvaire.  Chaque 
fidèle  a  donc  actuellement  près  de  son  foyer,  et  comme 
sous  la  main,  les  avantages  précieux  qu'autrefois  il 
fallait  aller  chercher  avec  peine  dans  un  pays  éloigné. 
Sachons  mettre  à  profit  une  Dévotion  si  féconde  en 
résultats  éminemmenl  salutaires.  Venons  souvent  pui- 


M62  CHEMIN  DE   LA   CHOIX 

ser  dans  cet  immense  trésor,  pour  toutes  nos  dettes, 
pour  toutes  nos  nécessités,  pour  celles  de  nos  frères 
vivants  et  défunts .  Ne  mourons  pas  de  détresse  auprès 
des  sources  de  la  vie. 

C'est  pour  favoriser  la  piété  des  fidèles  dans  cet 
Exercice,  et  les  aider  à  en  recueillir  les  riches  faveurs, 
que  nous  leur  présentons  plusieurs  Formules  de  con- 
sidèrations  et  affections  découlant  comme  d'elles- 
mêmes  de  diverses  circonstances  de  la  Passion,  mais 
qui  ne  sont  pas  toujours  facilement  saisies  par  les  per- 
sonnes ordinaires.  Parmi  les  dispositions  et  les  sen- 
timents qui  doivent  être  habituels  dans  le  cœur  du 
vrai  chrétien,  nous  avons  choisi  ceux  que  les  diffé- 
rentes scènes  du  Calvaire  sont  plus  propres  à  exciter  ; 
et  nous  en  faisons  le  sujet  d'un  Exercice  spécial.  Les 
considérations  sur  la  passion  et  la  mort  de  notre  bon 
Sauveur,  étant  ainsi  concentrées  sur  un  seul  point, 
ne  peuvent  que  produire  un  effet  plus  assuré  :  vis 
unit"  forttor.  Ainsi  chaque  Exercice,  surtout  en 
présence  du  tableau  qui  parlera  aux  yeux,  deviendra 
en  même  temps  pour  le  plus  simple  fidèle  un  Livre  où 
il  pourra  lire  ce  qu'il  lui  importe  le  plus  de  savoir,  et 
acquérir  cette  science,  la  seule  que  saint  Paul  ambi- 
tionnât, comme  pouvant  remplacer  toutes  les  autres. 
C'est  au  pied  de  la  Croix,  que  tant  de  saints  et  de 
grands  génies  ont  puisé  la  science  du  salut.  On  cite 
entre  autres  saint  Bonaventure.  Du  temps  qu'il  ensei- 
gnait la  théologie  à  Paris  avec  un  grand  succès,  et 
qu'il  s'attirait  l'estime  et  l'admiration  universelles  par 
ses  savants  ouvrages,  saint  Thomas  d'Aquiu,  étant 
venu  le  voir,  lui  demanda  dans  quels  livres  il  puisait 
tant  de  science.  Alor<  saint  Bonaventure  le  conduisit 
dans  sa  chambre  d'études,  et  lui  montra  quelques 
livres  qui  étaient  sur  sa  table.  Mais,  connue  le  savant 


CHEMIN  DK  LA  CROIX  1303 

visiteur  ne  pouvait  croire  que  ces  livres  très  ordinaires 
lui  communiquassent  des  connaissances  aussi  merveil- 
leuses, le  Saint  le  fit  entrer  dans  un  petit  oratoire  où 
il  n'y  avait  qu'un  crucifix  :  «  Voilà,  mon  Père,  lui 
dit-il,  le  livre  principal  d'où  je  tire  tout  ce  que  j'écris, 
tout  ce  que  j'enseigne.  »  —  Combien  d'hommes  qui, 
après  avoir  longtemps  étudié,  savent  peu  de  chose  ; 
tandis  que  le  simple  fidèle,  attentif  à  recueillir  les 
sublimes  et  utiles  leçons  que  donne  la  Croix,  acquiert 
la  science,  sinon  la  plus  vaste,  du  moins  la  plus  utile, 
la  science  de  devenir  saint. 

Mais  le  Chemin  de  la  Croix  renferme  encore  un 
autre  avantage  singulièrement  précieux,  c'est  le  gain  des 
Indulgences  qui  y  sont  attachées  tant  pour  celui  qui 
le  fait  que  pour  les  défunts  à  qui  elles  sont  applica- 
bles. Par  cette  Dévotion  facile,  on  peut  donc  payer 
à  la  justice  divine  toutes  les  dettes  dont  on  lui  est 
redevable,  et  en  même  temps  par  le  soulagement  où 
l'entière  délivrance  que  l'on  procure  aux  défunts,  s'ac- 
quitter soi-même  de  ce  que  la  justice,  la  reconnais- 
sance, la  charité  imposent  envers  eux. 

Il  nous  faut  indiquer  maintenant  les  conditions  à 
remplir  pour  participer  au  bienfait  des  Indulgences 
dont  sont  enrichies  les  Stations  du  Chemin  de  la  Croix. 

1°  Il  n'est  pas  nécessaire,  comme  pour  les  autres 
indulgences,  qu'on  ait  communié  ce  jour-là  ;  mais  il 
faut  être  en  état  de  grâce.  Néanmoins,  quand  on  ne 
jouirait  pas  de  ce  bonheur,  le  Chemin  de  la  Croix  ne 
peut-  être  que  très  salutaire  par  la  méditation  des  souf- 
frances et  de  la  mort  de  notre  charitable  Sauveur. 

2°  11  faut  parcourir  les  14  Stations  tout  d'un  trait  : 
ne  serait  permise  qu'une  interruption  légère,  qui  ne 
détruirait  pas  l'unité  morale  de  Y  Exercice  (S.  Congr. 
14  décem.  1857). 


'A*'û  CHEMIN  DE  LA  CROIX 

3°  L'essentiel  est  de  méditer  quelques  moments, 
selon  sa  capacité,  sur  la  passion  de  Jésus-Christ,  et 
mieux  sur  la  scène  représentée  par  chaque  Station  : 
on  peut  s'aider  des  formules  qui  se  trouvent  dans  les 
livres . 

i  II  n'est  pas  rigoureusement  nécessaire  de  réciter 
à  chaque  Station  le  Pater,  YAve,  et  autres  petites 
prières  d'usage.  Adoremus  te...  Mais  cette  pratique 
est  très  convenable,  et  aide  singulièrement,  surtout 
les  gens  simples,  à  bien  faire  le  Chemin  de  la  Croix. 
Nous  en  disons  autant  des  G  Pater,  Ave  et  Gloria. . . 
à  la  mi. 

5°  Quelque  rapprochés  que  soient  les  tableaux,  on 
doit  changer  de  place,  pour  aller  d'une  Station  se 
mettre  à  genoux  à  la  suivante.  Ce  mouvement,  néan- 
moins, n'est  pas  de  rigueur  lorsqu'une  infirmité,  le 
grand  nombre  des  assistants  ou  quelque  autre  raison 
s'y  opposent.  Il  suffit  de  faire  un  léger  mouvement  à 
sa  place,  et  de  se  tourner  successivement  vers  chaque 
Station,  s' unissant  d'intention  à  celui  qui  préside. 

6  A  défaut  d'images,  ou  dans  l'impuissance  d'aller 
là  où  le  Chemin  de  la  Croix  est  canoniquement  érigé, 
on  peut  y  suppléer  avec  un  Crucifuc  bénit  à  cette  fin. 
et  portant  en  relief  l'image  du  Christ.  On  le  tient  dans 
ses  ma  3,  A  L'on  récite  quatorze  Pater  et  Ave\  en- 
suite cinq  autres  Pater  et  Ace.  avec  autant  de  Gloria 
Pnt ri:  enfin  un  Pater,  Ave  et  Gloria  Patri  pour  le 
Souverain  Pontife. 

Tj  Le  Chemin  de  la  Croix  étant  enrichi  de  nom- 
breuses Indulgences,  s'oit  plénières ,  soit  partielles 
chacun  peut,  en  remplissant  ce  pieux  exercice,  dans 
l'heureux  étal  de  grâce,  s'approprier  celles  qu'il  désire 
pour  Lui-même,  el  appliquer  les  autres  à  telle  ou  telle 
une  défunte. 


Cil  KM  IN    DE  LA   CHOIX  363 

PRATIQUES 

Commencer  (si  Ton  veut)  par  : 

0  Crux,  ave,  spes  unica, 
Ynindi  sains  et  gloria, 
Auge  piis  justitiam, 
Reisque  dona  veniam. 

et  une  des  Prières  avant  chaque  Exercice  ci-après.   Arrivé 
devant  le  tableau,  faire  une  inclination  profonde  et  dire  : 

v.  Nous  vous  adorons  et  nous  v.   Adoramus  te,   Chrisle,  et 

vous     bénissons ,    Seigneur     :  benedicinms  tibi  :  y.    Quia  per 

r\    Parce   que  vous  avez   ra-  sanctam    Crucem    tuam    rede- 

cheté  le  monde  par  votre  .sainte  misti  mundum. 
Croix. 

Après  V Exhortation  : 

Notre  Père. . .  Je  vous  salue. . .  Pater  noster. . .  Ave  Maria . . . 

Gloire  soit  au  Père...  Gloria  Patri... 

t.  Ayez  pitié     de    nous,  Sei-  v.  Miserere    nostri,  Domine; 

gneur;  r.  Ayez  pitié  de  nous.  r.  Miserere  nostri. 

t.    Que  par    ia    miséricorde  t.  Fidelium     animae  per  mi- 

de   Dieu,  les  âmes    des  fidèles  sericordiam  Dei   requiescant  in 

trépassés    reposent     en     paix.  pace.  r.  Amen. 

r.  Ainsi  soit-il.  t.  Sancta  Mater,  islud  agas, 

Faites,  ô  Mère   toute    sainte,  Crucifixi     flge    plagas,      Cordi 

que  les   plaies  de  Jésus  cruci-  meo  valide, 
lié    restent    profondément   gra- 
vées dans  mon  cœur. 

Et,  si  Von  veut,  un  des  couplets  suivant  sur  Vair  : 

VOUS  QUI  VOYEZ  COULER  MES  LARMES 

En  allant  à  la  lre.        Seigneur,  malgré  votre  innocence  : 

C'est  moi,  cruel,  qui  vous  livre  au  trépas. 

Se  peut-il  que  votre  vengeance 

De  ses  traits  {bis)  ne  m'accable  pas! 

A  la  2°.  Helas!  sous  cette  Croix  pesante, 

Divin  Agneau,  vous  portez  nos  péchés; 
C'est  sur  votre  chair  innocente 
Que  l'amour  (bis)  les  tient  attachés. 

A  la  31'.  O  ciel  !  le  Dieu  de  la  nature 

Tombe  affaibli  sous  son  cruel  fardeau; 

Et  sa  perfide  créature, 

Sans  pitié  [bis)  devient  son  bourreau. 


3(36  CHEMIN  DE  LA  CROIX 

À  la  4e.  Où  allez-vous,  divine  More  ? 

Où  allez-vous,  Marie  ?  Ah  !  je  frémis  : 
Bientôt  sur  ce  triste  Calvaire, 
Va  mourir  (bis)  votre  cher  Fils. 

A  la  5e.  Puisque  c'est  moi  qui  suis  coupable, 

Retirez-vous,  faible  Cyrénéen. 
Je  veux  seul,  ô  Croix  adorable  ! 
Vous  porter  (bis),  mais  en  vrai  Chrétien. 

A  la  6e.  Seigneur,  hélas!  qu'est  devenue 

Votre  beauté  qui  réjouit  les  Saints? 
Faibles  mortels,  à  cette  vue 
Serez-vous  (bis)  endurcis  et  vains  ? 

A  la  7e.  Sous  les  coups  des  bourreaux  perfides, 

Jésus-Christ  tombe  une  seconde  fois  : 
Et  ces  infâmes  déicides 
Le  voudraient  (bis)  déjà  sur  la  Croix. 

A  la  8\  Ne  pleurez  point  sur  mes  souffrances; 

Pleurez  sur  vous,  ô  filles  d'Israël  1 
Afin  que  le  Dieu  des  vengeances 
Ait  pour  vous  (bis)  un  cœur  paternel. 

A  la  9e.  Seigneur,  vous  tombez  de  faiblesse: 

N'êtes-vous  plus  le  Dieu  puissant  et  fort? 
C'est  le  péché  qui  vous  oppresse, 
Et  conduit  (bis\  vos  pas  a  la  mort. 

A  la  10e.  Venez  et  déployez  vos  ailes, 

Anges  du  ciel,  sur  votre  Créateur, 

Voyez  ses  blessures  cruelles 

Et  ce  corps  (bis)  percé  de  douleur. 

A  la  11e.         Que  faites-vous,  pleuple  barbare  ? 

Vous  allez  donc  consommer  vos  forfaits  î 

Ce  bois  est  le  lit  qu'on  prépare 

A  Jésus  (bis)  pour  tant  de  bienfaits. 

A  la  12e.  Le  soleil,  a  ce  crime  horrible, 

Voile  l'éclat  de  son  front  radieux, 
Et  la  créature  insensible 
Ne  peut  voir  (bis)  ce  spectacle  affreux. 

A  la  13'.         Le  voilà  donc,  Hère  affligée, 

Ce  tendre  Fils,  meurtri,  sacrifié  : 
Notre  Victime  est  immolée, 
Votre  Amour  (bis)  e&t  crucifié. 


CHEMIN   DE   LA  CHOIX  367 

A  la  l'r.         Près  de  cette  tombe  chérie, 

Je  veux  mourir  de  douleur  et  d'amour, 
Pour  y  puiser  une  autre  vie, 
Et  voler  [bis]  au  divin  séjour. 

En  retournant  à  V autel  : 
Seigneur,  dans  mon  âme  attendrie, 
Gravez  les  maux  qu'on  vous  a  fait  souffrir, 
Et  vous,  ô  divine  Marie! 
Hâtez-vous  (bis)  de  nous  secourir. 

Quand  on  fait  le  Chemin  de  la  Croix  en  particulier,  il  est 
mieux  de  suivre  cette  même  méthode,  excepté  0  Crux,  ave.., 
Sancta  Maria...  et  le  Cantique.  Mais  à  la  rigueur,  il  suffit, 
après  une  Prière  préparatoire  devant  l'autel,  de  s'exciter  à 
quelques  affections  pieuses  devant  chaque  tableau,  et  d'y  dire 
au  moins  un  Pater  et  un  Ave. 


PREMIER  CHEMIN  DE  LA   CROIX 


ORAISON  PRÉPARATOIRE 

Aimable  Sauveur,  infiniment  bon,  prosternés  à  vos 
pieds,  et  le  cœur  repentant,  nous  reconnaissons  devant 
votre  divine  Majesté  que  nous  sommes  pécheurs.  C'est 
pour  les  expier  que  nous  venons  nous  joindre  à  vous 
dans  ce  pénible  voyage  que  vous  avez  fait  du  Prétoire 
de  Pilate  au  Calvaire,  chargé  de  votre  croix. 

C'est  de  vous, 'Seigneur,  que  nous  attendons  le  mérite 

de  ce  saint  exercice  et  surtout  celui  des  indulgences 

qui  y  sont  attachées  tant  pour  nous  que  pour  les  âmes 

du  purgatoire. 

lre  STATION 

JÉSUS  EST  CONDAMNÉ  A  MORT 

Jésus  avait  été  trahi  par  son  perfide  apôtre,  le  traître 
Judas,  les  Juifs  s'étaient  emparé  de  sa  personne  ado- 
rable et  l'avaient  amené  devant  Pilate  comme  un  cri- 
minel. Malgré  la  déposition  des  faux  témoins  qu'ils 


36S  CHEMIN"  DE  LA  CROIX 

avaient  gagnés,  ce  juge  le  reconnut  innocent.  Mais  la 
crainte  des  Juifs  et  le  désir  de  conserver  l'amitié  de 
César  font  tomber  de  ses  lèvres  une  sentence  de  mort 
contre  cette  innocente  victime.  Grand  Dieu,  quelle  in- 
justice dans  cette  condamnation!  Quelle  lâcheté  dans 
ce  juge  !  A  cette  vue  qui  de  nous  ne  se  sent  saisi  d'in- 
dignation. Mais  prenons  garde,  pécheurs,  car  ce  sont 
nos  iniquités  qui  ont  provoqué  cette  injuste  sentence. 
0  bon  Jésus  !  pardonnez-les-nous,  oui  faites  grâce  aux 
repentirs. 

2e  STATION 

JÉSUS  EST  CHARGÉ  DE  SA  CROIX 

Que  les  méchants  sont  prompts  à  faire  le  mal  !  A 
peine  Pilate  a-t-il  prononcé  l'arrêt  de  mort  contre 
Jésus,  que  de  suite  les  bourreaux  s'emparent  de  sa 
personne  et  le  chargent  de  sa  croix,  instrument  de  son 
supplice.  Non  seulement  Jésus  l'accepte  cette  croix, 
mais  il  l'embrasse  avec  joie,  tant  il  a  hâte  d'expier  sur 
elle  les  péchés  du  monde . 

C'est  ainsi,  o  mon  divin  Sauveur,  que  vous  avez 
voulu  apprendre  aux  pécheurs  à  porter  aussi  la  leur. 
Et  quelle  est  donc  la  croix  d'un  pécheur  qui  veut  ex- 
pier ses  fautes?  C'est  la  peine  de  les  rechercher,  le  re- 
gret de  les  avoir  commises,  la  honte  de  les  accuser,  les 
efforts  pour  s'en  corriger.  Ah!  que  comme  vous,  ô  mon 
Jésus,  nous  acceptions  cette  croix,  et  elle  deviendra 
l'instrument  de  notre  pardon  et  de  notre  réconciliation 
avec  Dotre  Dieu. 

STATION 

JESUS    TOMBE   UNE  lre    FOI-    SOUS   SA    CROIX 

Jésus    chargé    du   lourd    fardeau  de  sa  crob 

sur  la  route  du  Calvaire.  Les  coups  de  fouets 
qui  oui  mis  en  lambeaux  sa  chair  sacrée,  les  épiuesqui 


CHEMIN  DE  LA  CROIX  369 

ont  percé  son  chef  adorable,  Font  tellement  affaibli  que 
bientôt  il  succombe  sous  le  poids  qui  l'accable.  Ici,  re- 
cueillons-nous un  instant.  Jésus  épuisé  tombe,  mais  il 
tombe  sous  le  fardeau  de  sa  croix.  Et  vous,  jeunes  gens, 
combien  de  fois  résistant  aux  grâces  de  Dieu,  aux 
bonnes  remontrances  d'un  père ,  aux  sages  con- 
seils d'un  confesseur,  n'êtes-vous  pas  tombés  aussi 
dans  la  voie  du  crime.  Eh  bien  !  cette  lre  chute  de  Jé- 
sus est  pour  expier  ces  fautes  de  votre  jeunesse .  Avec 
lui  pleurez-les  donc  et  priez-le  de  vous  fortifier  dans 
le  chemin  de  l'honneur,  de  la  vertu  et  du  ciel. 
4e  STATION 

JÉSUS    RENCONTRE    SA    MERE 

Dans  jle  chemin  du  Calvaire,  il  fallait  que  rien  ne 
manquât  aux  souffrances  de  l'Homme-Dieu.  Après 
s'être  relevé  au  milieu  d'une  foule  immense  qui  l'acca- 
blait d'injures  et  de  mauvais  traitements,  Jésus  s'a- 
vançait lentement  vers  le  Golgotha.  Tout  à  coup  il 
rencontre  sa  tendre  Mère,  ô  Dieu  !  Quelle  rencontre  ! 
C'est  à  peine,  dit  saint  Anselme,  s'il  eut  la  force  de  lui 
dire  :  Salve,  Mater  :  Adieu,  ma  Mère.  Quant  à  Marie, 
elle  ne  put  prononcer  une  seule  parole,  tant  son  cœur 
était  en  proie  à  toutes  les  angoisses. 

Ce  qui  se  passa  alors  dans  le  cœur  du  Fils  et  celui 
de  la  Mère  nulle  bouche  ne  saurait  l'exprimer.  Vous 
seules,  ô  mères  chrétiennes,  qui  avez  été  témoins  des 
souffrances  et  de  la  mort  de  votre  bien-aimé  fils,  de 
votre  fille  chérie,  pourriez  nous  dire  les  pénibles  émo- 
tions de  cette  scène  déchirante. 

O  Marie  !  c'est  ici  que  vous  commencez  à  mériter  le 
titre  de  Mère  de  douleur.  Désormais  vous  ne  quitterez 
plus  Jésus,  vous  parcourerez  avec  lui  la  voie  du  Cal- 
vaire, avec  lui  vous  expierez  nos  péchés.  Voilà  pour- 
quoi vous  serez  appelée  le  refuge  des  pécheurs. 


370  CHEMIN  DE  LA  CHOIX 

5e  STATION 

SIMON  LE  CYRÉNÉEN  AIDE  JÉSUS  A  PORTER  SA  CROIX 

Divin  Sauveur,  il  faut  donc  que  toutes  les  amertumes, 
vous  soient  réservées.  On  vous  éloigne  de  votre  mère, 
vos  disciples  vous  abandonnent,  aucun  d'eux  ne  se 
présente  pour  vous  soulager,  c'est  un  étranger  qui 
aura  l'insigne  honneur  de  porter  votre  croix  et  de 
monter  avec  vous  au  Calvaire.  Encore  faudra-t-il  l'y 
contraindre,  parce  qu'il  ne  comprend  pas  la  grâce  que 
vous  lui  faites.  Oh  !  nous  tous,  qui  comme  le  Cyrénéen 
refusons  de  porter  les  croix  que  Dieu  nous  envoie, 
écoutons  la  kçonque  Jésus  nous  fait.  Quiconque,  nous 
dit-il,  veut  venir  avec  moi  et  après  moi,  qu'il  prenne 
sa  croix  et  me  suive,  elle  est  le  chemin  du  ciel. 

6*  STATION 

UNE    FEMME    PIEUSE    ESSUIE    LA    FACE    DE    JESUS 

Aidé  du  Cyrénéen  Jésus  avait  repris  courage,  et 
continuait  sa  route.  Mais  dans  quel  état  se  trouvait  le 
le  plus  beau  des  enfants  des  hommes.  La  tradition  nous 
le  représente  les  vêtements  en  lambeaux,  le  corps 
meurtri,  le  visage  couvert  de  sueur,  d'ordures  et  de 
sang.  Touchée  de  ce  triste  état,  une  femme  courageuse 
nommée  Véronique  se  précipite  à  travers  la  foule  des 
soldats  et  des  bourreaux  et  essuie  la  face  adorable  de 
Jésus.  Et  pour  récompense  de  cette  action  héroïque, 
cette  face  reste  empreinte  sur  le  linge  dont  elle  s'était 
servi. 

Oh  !  comme  la  conduite  de  cette  femme  condamne  ces 
timides  personnes,  qui  n'osent  se  montrer  disciples  de 
l'Homme-Dieu.  Pour  nous,  imitons-la,  aimons  Jésus, 
servons-le  à  la  face  du  monde  entier  sans  rougir  de  lui, 
el  à  notre  dernière  heure,  il  nous  reconnaîtra  pour 


CHEMIN  DE  LA  CROIX  371 

ses  enfants,  et  il  nous  donnera  une  part  à  son  héritage 
céleste. 

7e  STATION 

JÉSUS  TOMBE  POUR  LA  2me   FOIS  SOUS  SA  CROIX 

Plus  l'aimable  Jésus  avance  vers  le  Calvaire,  plus 
ses  forces  l'abandonnent  à  cause  du  sang  qui  s'échap- 
pait de  ses  plaies.  Aussi  tombe-t-il  une  deuxième  fois  la 
face  contre  terre.  Dans  sa  première  chute  il  a  voulu  ex- 
pier les  fautes  de  notre  jeunesse,  dans  cette  seconde  il 
expie  celles  de  l'âge  mûr.  Hélas  !  tout  le  temps  que  nous 
serons  sur  la  terre,  nous  aurons  bien  des  chutes  à  dé- 
plorer. Une  triple  concupiscence  nous  assiège;  l'ange 
de  ténèbres  travaille  à  notre  perte  avec  mille  fois  plus 
d'ardeur  que  nous  ne  travaillons  à  notre  salut;  le 
monde,  avec  ses  scandales,  cherche  à  nous  entraîner 
dans  ses  plaisirs  ;  tout  en  nous  conspire  contre  notre 
innocence.  Si  donc  malgré  tous  nos  efforts  il  nous  ar- 
rive de  tomber,  gardons-nous  de  dire  comme  Caïn  : 
mon  iniquité  est  trop  grande  pour  que  je  puisse  en  ob- 
tenir le  pardon .  Mais  avec  le  prophète  David  souve- 
nons-nous que  le  Dieu  d'Israël  a  dans  ses  trésors  de 
grandes  miséricordes  pour  les  grands  pécheurs. 

8-  STATION 

JÉSUS    CONSOLE    LES    FILLES  DE  JÉRUSALEM 

En  gravissant  le  Calvaire,  Jésus  aperçoit  les  pieuses 
femmes  qui  avaient  eu  soin  de  lui  et  qui  se  lamentaient 
sur  l'état  déplorable  où  il  était  réduit.  Alors  oubliant 
ses  souffrances,  il  se  tourne  vers  elles  et  leur  dit  :  filles 
de  Jérusalem,  ne  pleurez  pas  sur  moi,  mais  pleurez 
plutôt  sur  vous  et  sur  vos  proches .  Femmes  chrétien- 
ne, Jésus  vous  dit  la  même  chose  :  ne  pleurez  pas  sur 
moi.  Et  pourquoi  ?  Ah  !  c'est  qu'il  existe  un  mal  plus 
grand.  Ce  mal  est  le  péché  si  commun  de  nos  jours. 


ôTi  CHEMIN  DE  LA  CHOIX 

La  prière  est  méconnue,  partout  le  dimanche  est  pro- 
fané, les  églises  sont  désertes,  les  sacrements  aban- 
donnés, les  crimes  les  plus  inouies  jusqu'à  présent 
couvrent  la  terre  et  crient  vengeance.  Pleurez-les 
donc  amèrement,  faites-les  cesser,  et  Dieu  fera  des- 
cendre du  ciel  la  miséricorde. 

9e  STATION 

JÉSUS  TOMBE  POUR  LA  3e  FOIS  SOUS  LA  CROIX 

Le  divin  Sauveur  allait  atteindre  le  sommet  du  Cal- 
vaire où  il  va  être  crucifié.  Tout  à  coup  se  présente 
à  son  esprit  attristé  l'endurcissement  de  ces  vieillards, 
qui  depuis  longues  années  et  avec  une  opiniâtreté  ef- 
frayante résistent  aux  douces  invitations  de  la  grâce 
et  qui  par  là  finiront  par  rendre  inutile  le  prix  de  ses 
souffrances  et  de  sa  mort. 

A  cette  vue,  son  esprit  se  trouble,  une  défaillance 
semblable  à  celle  du  jardin  des  Oliviers  s'empare  de  lui, 
et  il  tombe  une  3e  fois  baigné  dans  son  sang.  Mais  à 
peine  est-il  renversé,  que  ses  bourreaux  se  précipitent 
sur  lui  et  l'accablent  de  coups  jusqu'à  ce  qu'il  se 
relève  et  achève  sa  route. 

Vieillards,  s'il  vous  est  arrivé  de  tomber  aussi,  rele- 
vez-vous également  par  les  larmes  de  la  pénitence, 
fortifiez-vous  par  la  sainte  communioD  et  comme  Jésus 
vous  parviendrez  après  votre  mort  au  bonheur  éternel. 

10e  STATION 

JÉSUS  EST    DÉPOUILLÉ  DE    SES    VETEMENTS 

De  chutes  en  chutes,  Jésus  est  enfin  arrivé  au  lieu 
de  son  supplice  ;  aus-itôt  les  bourreaux  s'empressent  de 
tout  préparer  pour  l'attacher  à  la  croix.  Ils  brisent  ses 
chaîne-,  lui  arracherrl  -      liés  sur  ses  os, 

et  renouvellent  ainsi  les  plaies  delà  flagellation.  Et 


CHEMIN  DE  LA    CROIX  373 

pourquoi  donc  oter  à. Jésus  ses  habits  et  l'exposer  dans 
ce  honteux  état  aux  regards  de  la  multitude  ?  Ah  !  c'est 
que  Jésus  voulait  expier  ces  pensées,  ces  désirs  déré- 
glés que  notre  esprit  entretient  avec  plaisir,  ces  liber- 
tés criminelles  que  l'on  accorde  à  ses  yeux,  à  ses  mains, 
à  son  malheureux  corps  et  qui  sont  de  mode  aujour- 
d'hui. 

0  mon  divin  Sauveur  !  puisque  ces  impuretés  vous 
ont  causé  tant  de  douleurs  et  de  honte,  serons-nous 
encore  assez  peu  réservés  pour  en  commettre  de  nou- 
velles ?  Non,  à  vos  pieds  nous  en  prenons  la  résolution. 
Désormais  donc  nous  respecterons  notre  corps  et  celui 
de  nos  semblables . 

11e  STATION 

JÉSUS  EST  ATTACHÉ  A  LA  CROIX 

Voyez-vous  le  Fils  de  Dieu  étendu  sur  son  lit  de 
douleur,  la  croix  ?  Entendez-vous  les  coups  de  mar- 
teau qui  fixent  ses  mains  et  ses  pieds  à  l'infâme  gibet  ? 
Apercevez-vous  le  sang  innocent  qui  coule  de  toute 
part  ?  Voyez- vous  cette  croix  qui  se  dresse  entre  le 
ciel  et  la  terre  pour  les  réconcilier  ?  0  mon  Dieu,  les 
paroles  me  manquent  pour  exprimer  votre  douleur, 
aussi  je  me  tais,  je  me  prosterne  et  j'adore. 

12*  STATION 

JÉSUS    MEURT    SUR  LA  CROIX 

Que  vois-je?  un  Dieu  attaché  à  la  croix!  Qu'entends- 
je  ?  La  voix  du  divin  crucifié  remettant  son  âme  entre 
les  mains  de  son  Père,  demandant  pardon  pour  ses 
bourreaux,  et  rendant  le  dernier  soupir  !  Chrétiens, 
Jésus  est  mort.  Et  pourquoi  est-il  mort  ?  Pour  vous 
et  pour  moi .  Qui  l'a  fait  mourir  ?  Nos  péchés,  la  justice 
de  son  Père,  son  amour  pour  nous.  Ah  !  que  le  péché 


l\~\  CHEMIN  DE  LA  CROIS 

est  donc  quelque  chose  d'affreux  î  Que  la  justice  de  Dieu 
est  rigoureuse  !  Que  l'amour  de  Jésus  est  grand  et  géné- 
reux !  Aimons-le  donc  à  notre  tour  ce  bon  Jésus.  Te- 
nons-nous au  pied  de  sa  croix,  baisons  ses  plaies, 
recueillons  le  sang  qui  en  découle .  Puisse-t-il  purifier 
notre  àme  et  la  rendre  digne  du  ciel. 

13e  STATION 

JÉSUS    EST  DESCENDU  DE    LA  CROIX 

Qui  ne  serait  touché  de  compassion  à  la  vue  de 
Marie  recevant  dans  ses  bras  le  corps  inanimé  de  son 
divin  Fils  ?  Quelle  douleur  pour  une  mère  à  l'aspect  de 
de  ce  visage  pâle,  sanglant  et  défiguré,  de  ses  yeux 
éteints,  de  cette  bouche  fermée,  de  ce  côté  ouvert,  de 
ces  mains  et  de  ces  pieds  percées.  C'est  donc  bien 
maintenant  que  l'on  peut  dire  que  le  cœur  de  Marie  a 
été  percé  de  sept  glaives  de  douleur.  Cependant  Marie 
se  receuille  un  instant,  puis  elle  répète  avec  le  saint 
homme  Job  les  paroles  de  la  soumission  :  le  Seigneur 
me  l'avait  donné,  le  Seigneur  me  l'a  ôté,  que  son  saint 
nom  soit  béni. 

Admirable  exemple  de  patience  et  de  résignation  ! 
Imitez-le.  parents  chrétiens,  lorsque  la  mort  impi- 
toyable vient  ravir  à  votre  affection  un  de  vos  enfants 
chéris,  et  vous  aussi,  époux  et  épouses,  quand  cette 
même  mort  vient  vous  séparer  l'un  de  l'autre. 

14e  STATION 

JÉSUS   EST  DÉPOSÉ  DANS   LE  SÉPULCRE 

Que  L'on  est  bien  au  St  Sépulcre.  Dans  le  monde  tout 
esl  danger  :  son  commerce,  ses  maximes,  ses  exemples, 
l'air  qu'on  y  respire,  tout  est  contagieux  pour  l'âme. 
Difficilement  en  le  fréquentant  on  se  préserve  de  toute 
corruption. 


CHEMIN  DE  LA  CROIX  375 

Ici,  près  du  tombeau  du  Sauveur,  on  est  ce  que  saint 
Paul  veut  que  l'on  soit  On  est  chrétien,  mort  au 
monde,  uni  à  Jésus-Christ  et  à  Dieu,  son  Père.  Ici  on 
est  à  l'abri  de  tout  danger  pour  l'àme  :  le  vent  dessé- 
chant des  passions  ne  se  fait  pas  sentir. 

Ici  on  voit  la  futilité,  le  néant  des  plaisirs,  des  hon- 
neurs, des  richesses.  Venons  donc  souvent  méditer  ces 
vérités  auprès  du  tombeau  de  Jésus,  venons-y  enseve- 
lir nos  iniquités,  nos  convoitises,  afin  que  mourant  à 
toutes  ces  choses  d'ici-bas  nous  méritions  une  fin 
heureuse  et  que  nous  ayons  le  bonheur  de  contempler 
Jésus-Christ  dans  les  splendeurs  de  sa  gloire. 


SECOND    EXERCICE 


Pour  demander   la   conversion  des   péchemrs     et  les 
exciter  à  la  confiance. 

0  Verbe  divin  !  quel  ne  fut  pas  votre  amour,  d'avoir 
quitté  le  sein  de  la  gloire  et  revêtu  notre  nature  mor  - 
telle,  pour  venir  racheter  et  sauver  tous  les  hommes  ! 
C'est  dans  ce  dessein  que  vous  avez  subi  les  humilia- 
tions les  plus  accablantes,  les  plus  affreux  tourments, 
la  mort  enfin  sur  l'infâme  gibet  de  la  Croix.  Combien, 
néanmoins,  qui  ne  veulent  pas  de  ce  salut  que  vous 
êtes  venu  leur  apporter,  qui,  après  s'être  éloignés  de 
vous  par  le  péché,  y  croupissent  avec  la  plus  glaciale 
indifférence  !  Ah  !  daignez  éclairer  leur  esprit,  toucher 
leur  cœur,  les  amener  au  repentir,  afin  qu'ils  soient 
dignes  du  pardon  ?  C'est  la  grâce  que  je  viens  vous 
demander,  au  nom  du  sang  répandu  pour  le  salut  de 
tous. 


376  CHEMIN   DE   LA   CROIX 

1-  STATION 

COSDAM  N  ATION  . 

Vous  êtes  venu,  ô  Jésus  :  non  pour  la  condamnation 
d'enfants  coupables,  mais  pour  les  y  soustraire  en 
vous  laissant  condamner  à  leur  place.  Oh  !  qu'une  si 
grande  miséricorde  et  la  multitude  de  vos  souffrances 
ne  soient  point  perdues  pour  tant  de  pécheurs  assis 
dans  les  ombres  de  la  mort  ;  qu'ils  se  convertissent 
et  qu'ils  rivent  !  Eternellement  réprouvés,  ils  souffri- 
raient pour  satisfaire  à  votre  j  ustice,  mais  en  maudissant 
vos  rigueurs,  en  blasphémant  votre  saint  Nom.  N'ai- 
merez-vous  pas  mieux  qu'ils  chantent  déjà  sur  la  terre 
votre  infinie  miséricorde,  et  qu'ils  vous  louent  au  ciel 
dans  l'éternité  ? 

2e  STATION 

ACCEPTATION    DE    LA    CROIX. 

Cette  Croix  sur  laquelle  l'amour  va  vous  immoler,  ô 
Jésus  !  avec  quel  généreux  dévouement  vous  l'avez 
chargée  !  c'est  qu'elle  était  l'instrument  de  la  réconci- 
liation des  hommes  avec  votre  Père  céleste.  Puisse-t- 
elle  opérer  cet  effet  salutaire  sur  ces  cœurs  endurcis 
que  votre  grâce  n'a  pu  toucher  jusque-là  !  Ne  vous 
rebutez  pas  de  leur  résistance  et  de  leur  délai.  N'êtes- 
vous  pas  le  Dieu  aussi  patient  que  fort?  Mais  prends 
bien  garde,  pécheur,  d'en  abuser  !  prête  l'oreille  à 
cette  effrayante  menace  du  Seigneur  :  Je  t'ai  appelé 
et  tu  as  été  sourd  à  ma  voix;  je  t'ai  cherché  et  lu 
m'as  fui  :  un  jour  tu  m'appelleras,  et  je  ne  Vécou- 

pas,  tu  me  cher  i  tu  ne  n 

point;  je  me  rirai  de  toi.  et  tu  mourras  dans  ton 
péché.  Ah  !  pendant  qu'il  en  est  temps,  épargne-toi  un 
aussi  malheureux  sort. 


CHEMIN  DE  LA  CHOIX  377 

3e  STATION 

lre    CHUTE. 

Cest  pour  appeler  non  pas  les  justes,  mais  les  pé- 
cheurs à  la  pénitence  que  vous  êtes  verni,  ô  chari- 
table Sauveur  !  Tant  de  fois,  vous  vous  êtes  fatigué  à 
courir  par  les  monts  et  les  vallées  après  la  brebis  égarée, 
laissant  là  les  autres  restées  fidèles.  Vous  sembliez 
mettre  votre  gloire  à  rechercher  les  plus  grands  cou- 
pables. L'excès  de  leurs  désordres,  loin  de  vous  rebu- 
ter, ne  faisait  qu'enflammer  votre  zèle  et  accroître  vo- 
tre amour  pour  le  salut.  Lévi,  Madeleine,  la  femme 
adultère,  l'enfant  prodigue,  le  larron,  Saul  Font  heu- 
reusement éprouvé.  Ah!  daignez ,  Seigneur,  accorder  la 
même  faveur  à  tant  d'autres  tombés  aussi;  oui,  qu'à 
votre  exemple,  ils  se  relèvent  pour  marcher  d'un  pas 
ferme  dans  les  sentiers  de  la  justice  ! 

4e  STATION 

RECONTRE   DE   MARIE. 

Qui  pourra  jamais  comprendre,  ô  Marie  !  l'immen- 
sité de  vos  douleurs,  quand,  accourue  vers  votre  cher 
Fils,  vous  le  vîtes  garroté,  tout  meurtri,  entre  les 
mains  d'une  soldatesque  à  l'œil  féroce,  qui  le  traînait 
au  supplice  des  scélérats  ?  Mais  elle  doit  être  bien  au- 
trement vive,  votre  affliction,  à  la  vue  de  tant  de  pé- 
cheurs si  chèrement  rachetés,  et  qui  s'obstinent  à  se 
perdre  !  Ils  sont  vos  enfants,  et  d'autant  plus  dignes 
de  votre  tendresse,  que  leur  malheur  est  plus  grand 
et  leurs  iniquités  plus  abominables.  Vous  qui  êtes  si 
pure,  ne  voudrez-vous  pas  les  voir  disparues  au  plus 
tôt  ?  Bonne  Mère,  vous  aiderez  leur  désir  naissant , 
vous  les  toucherez  de  repentir  et  les  conduirez  à  votre 
Jésus,  pour  conclure  avec  lui  le  traité  de  leur  récon- 
ciliation. 

PARAPHRASE.    —  T.  H.  22 


378  CHEMIN   DE  LA  CHOIX 

5e  STATION 

LE    CYRÉNÉEN. 

Vous  fûtes  faible,  Seigneur,  sur  la  voie  du  Cal- 
vaire, et  vous  avez  éprouvé  l'appui  d'une  main  mor- 
telle. Maintenant  que  dans  la  gloire  vous  êtes  le 
puissant  Maître  des  cœurs  ,  comme  autrefois  vous 
terrassâtes  Paul  sur  le  chemin  de  Damas,  brisez  aussi 
la  dureté  de  ces  pécheurs  qui  ne  sentent  pas  même 
l'excès  de  leur  misère,  et  qui  n'ont  que  nous  pour  im- 
plorer du  secours.  Sur  la  terre  déjà,  vous  étiez  si 
prompt  à  exaucer  les  vœux  que  la  charité  et  la  foi 
portaient  à  vos  pieds  pour  toute  espèce  de  besoins  : 
n'auriez-vous  plus  au  ciel  cette  même  bonté  ? 

6*  STATION 

VÉRONIQUE. 

Les  pécheurs  pour  lesquels  je  vous  implore,  ô  Jésus  î 
ont  par  leur  crime  défiguré  en  eux  et  souillé  votre 
image  :  tel  est  un  des  effets  du  péché,  de  rendre  hi- 
deuse'et  dégoûtante  l'âme  qui  en  est  tachée  :  on  recu- 
lerait d'effroi,  si  elle  "apparaissait  dans  toute  sa  laideur. 
Les  larmes  du  repentir,  jointes  à  votre  sang,  peuvent 
seules  lui  rendre  son  lustre.  David  en  détrempait  son 
pain,  en  arrosait  sa  couche.  Saint  Pierre  en  répandit 
de  bien  amères  ;  elles  leur  obtinrent  le  pardon .  O  cha- 
ritable Sauveur  !  accordez  cette  même  grâce  à  nos 
frères  coupables ,  pressez-les  intérieurement,  comme 
Véronique,  de  purifier  en  eux  votre  image  :  ainsi  mé- 
riteront-ils de  vous  contempler  un  jour  dans  toute 
votre  radieuse  beauté. 

7e  STATION 

2e    CHUTE. 

Ne  semble-t-il  pas,  ô  Jésus  !   que  vous  multipliez 
\. -s  chutes,  pour  que  le  pécheur  soit  moins  déconcerté 


CHEMIN  DE  LA  CHOIX  J7'J 

de  ses  faiblesses  ?  Peut-être  auriez- vous  permis  dans 
ce  but  que  les  anges  aux  côtés  de  Dieu  tombassent 
de  leur  sublime  hauteur  ;  qu'au  paradis  terrestre  la 
nature  innocente  de  nos  premiers  parents  se  fût  laissée 
séduire  ;  et  qu'en  votre  compagnie  même  il  se  trouvât 
un  traître  et  un  renégat  ?  Si  ces  chutes  profondes  doi- 
vent nous  faire  tout  craindre  de  notre  fragilité,  n'ont- 
elles  pas  aussi  de  quoi  relever  la  confiance  en  Celui 
qui  la  connaît?  Gardez-vous  donc  bien,  infortunés  pé- 
cheurs, de  pousser  le  cri  satanique  de  Gain  :  Mon 
péché  est  trop  grand,  pour  que  f  en  obtienne  le  par- 
don :  ce  serait  vouloir  le  sort  du  malheureux  Judas  ! 

8e  STATION 

FILLES    DE   JÉRUSALEM. 

0  débonnaire  Jésus  !  sur  la  voie  douloureuse  vous 
oubliez  vos  propres  souffrances  pour  consoler  d'autres 
douleurs.  Soyez  donc  aussi  le  Père  des  miséricordes 
et  le  Dieu  de  toute  consolation  envers  les  pauvres  pé- 
cheurs. Et  qui  mieux  que  vous  peut  les  leur  donner? 
Dans  l'affliction  un  véritable  ami  essaie  de  consoler 
son  ami  ;  mais  c'est  une  consolation  qui  laisse  toujours 
un  grand  vide  dans  le  cœur,  surtout  si  le  péché  le  met 
dans  votre  haine  :  car  il  ri  y  a  point  de  paix  pour 
ï impie.  Vous  seul,  ô  Jésus  !  possédez  le  secret  de  cal- 
mer les  angoisses  d'un  cœur  coupable,  en  y  versant  le 
bienfait  du  pardon  :  purifié  par  votre  grâce,  il  goûtera 
les  consolations  de  votre  amitié  et  ensuite  les  douceurs 
de  votre  service, 

9e  STATION 

3e    CHUTE. 

Parce  que  les  hommes  ne  devaient  pas  cesser  de 
vous  offenser,  ô  Jésus  !  vous  ne  mettez  point  de  bor- 
nes à  vos  humiliations,  à  vos  souffrances  :  vous  voilà 


380  CHEMIN  DE  LA  CROIX 

défaillant ,  abattu ,  renversé  de  nouveau  sous  votre 
lourde  Croix  ;  et  vous  recueillez  vos  forces  pour  courrir 
à  la  mort  qui  doit  nous  racheter.  Nul  ne  vous  égale  en 
bonté?  Quel  pasteur  se  dévoue  ainsi  au  salut  de  ses 
brebis?  Cet  excès  d'amour  ne  commande-t-il  pas  de 
plus  en  plus  l'espérance,  même  dans  l'excès  des  éga- 
rements? Serait-on  excusable  de  ne  pas  en  sortir  au 
plus  tôt  pour  venir  se  jeter  entre  les  bras  de  votre  mi- 
séricorde ! 

ÎO-  STATION 

JÉSUS   DÉPOUILLÉ    DE    SES    HABITS. 

La  Croix  devait  être  pour  vous,  ô  Jésus  î  non-seu- 
lement un  lit  de  souffrances,  mais  encore  l'instrument 
de  tous  les  genres  d'opprobres  :  et  déjà  ici,  on  vous  y 
prépare  ;  car ,  outre  la  douleur  cuisante  que  vous 
éprouvâtes  quand  on  vous  arracha  vos  habits  collés 
sur  votre  chair  en  lambeaux,  quelle  dut  être  votre 
ignominie  de  paraître  en  cet  état  de  nudité  aux  regards 
de  cette  foule  immense  de  spectateurs  !  Après  cela, 
pourriez- vous,  pécheurs,  hésiter  encore  de  venir  faire 
à  un  homme  l'humiliant  aveu  de  vos  faiblesses,  sachant 
d'ailleurs  que  le  pardon  n'est  qu'à  ce  prix  ;  mais 
aussi  qu'il  est  assuré  au  cœur  qui  se  repent  et  s'hu- 
milie ?  O  mon  Dieu  !  donnez-leur  ce  courage  que  vous 
exigez. 

11e  STATION 

JÉSUS  ATTACHÉ  A  LA  CROIX. 

Après  vos  vêtements,  ô  Jésus  !  on  vous  demande  vos 
membres  ;  avec  des  clous  aigus,  on  vous  fixe  à  la  Croix 
par  les  pieds  et  par  les  mains,  et  de  ces  larges  bl 
res  le  sang  ruisselle  avec  abondance.  Dans  l'ancienne 
Loi,  le  sang  des  victimes,  qui  n'était  que  figuratif  du 
vôtre,  avait  la  vertu  de  purifier  des  impuretés  légales. 


CHEMIN  DE   LA  CROIX  381 

Quelle  doit  donc  être  l'efficacité  du  sang  divin  î  Non, 
nulle  iniquité  n'est  si  grande,  nuls  crimes  si  nombreux, 
qu'ils  ne  puissent  y  être  lavés.  Qu'il  retombe  donc  sur 
les  pauvres  pécheurs  ce  sang  non  pour  les  accuser, 
mais  pour  les  justifier. 

12e  STATION 

JÉSUS     MOURANT    SUR   LA   CROIX. 

Vous  avez  dit,  ô  Jésus  !  qu'à  peine  quelqu'un  trou- 
verait en  soi  le  dévouement  de  mourir  pour  un  ami  ; 
et  vous,  ô  Sauveur  généreux,  vous  expirez  sur  un  gi- 
bet pour  des  ennemis  :  votre  charité  va  même  jusqu'à 
demander  grâce  pour  ceux  qui  vous  y  attachent  :  au 
premier  cri  de  confiance  poussé  par  un  voleur,  vous 
lui  donnez  l'assurance  du  pardon  :  ainsi  l'aviez -vous 
déjà  fait  envers  de  grands  coupables.  Evidemment, 
votre  bonheur  est  de  pardonner.  Que  ne  doivent  donc 
pas  espérer  les  pécheurs  les  plus  criminels  !  Ce  n'est 
donc  plus  le  pardon  que  je  vous  demande  pour  eux, 
mais  la  salutaire  pensée  et  le  courage  de  venir  le 
chercher  :  et  votre  mort  leur  deviendra  le  principe  de 
la  vie . 

13e  STATION 

JÉSUS   DESCENDU   DE  LA   CROIX. 

Quel  martyr  ce  dut  être  pour  votre  cœur,  ô  Marie? 
de  recevoir  dans  vos  bras  le  corps  inanimé  de  votre 
cher  Fils,  de  voir  de  tout  près  ses  yeux  éteints,  son 
visage  livide,  ses  mains  et  ses  pieds  horriblement 
déchirés,  la  large  plaie  de  son  côté,  tout  son  corps  en 
lambeaux  !  Vous  trouviez,  néanmoins,  quelque  adou- 
cissement à  votre  douleur  dans  l'espérance  d'une 
résurrection  glorieuse  qui  vous  rendrait  vivant  ce  cher 
objet  de  votre  dilection.  Puis-je  nourrir  ce  même 
espoir  à   l'égard   des  pécheurs  ?   Oui ,   bonne   Mère, 


:î82  chemin  de  la  croix 

vous  en  convertirez  ;  et  aussi  généreuse  que  Jésus, 
vous  excuserez  leur  ignorance  et  vous  solliciterez  leur 
pardon . 

14e  STATION 

JÉSUS   MIS   AU   TOMBEAU. 

Quand  votre  ami  Lazare ,  ô  Jésus  !  s'endormit  du 
sommeil  de  la  mort,  vous  fîtes  un  long  voyage  pour  le 
rappeler  à  la  lumière  :  et  tandis  qu'au  sépulcre  votre 
corps  goûte  an  sommeil  semblable,  votre  sainte  àme 
va  annoncer  à  des  âmes  aimées  leur  délivrance  :  preuve 
nouvelle  de  votre  brûlant  désir  de  rendre  aux  captifs 
la  liberté,  aux  morts  le  bienfait  delà  vie.  Les  pécheurs, 
hélas  !  dorment  aussi  d'un  sommeil  de  mort,  ensevelis 
profondément  dans  le  tombeau  de  leurs  iniquités.  Vous 
ne  voudrez  pas  les  y  laisser  en  repos  ;  mais  de  cette 
voix  puissante  qui  réveilla  Lazare,  vous  secouerez  leur 
engourdissement  et  les  ferez  revivre.  —  Que  ce  soit  là 
pour  quelques-uns  le  résultat  heureux  des  vœux  que 
nous  venons  de  vous  adresser  ! 

TROISIEME  EXERCICE 


CONSIDERATIONS 

SUR   L  ENORMITÉ    DU    PÉCHÉ,    POUR    S'EXCITER   A   LE    DÉ- 
TESTER   ET   A   LE    CRAINDRE. 

Soyez  mille  fois  béni,  ô  mon  Dieu  !  vous  avez  rompu 
les  liens  qui  me  tenaient  captif  sous  le  dur  esclavage 
du  péché  ;  et  toute  mon  attention  maintenant  doit  être 
de  conserver  cette  heureuse  liberté  qui  méfait  votre 
ami  et  comble  mon  cœur  de  joie.  Mais,  pour  avoir  du 
péché  toute  l'horreur  qu'il  mérite,  je  ne  saurais  trop 
comprendre  quelle  en  est  la  malice  et  l'énormité.  Ah  ! 


CHEMIN   DE  LA  CHOIX  383 

si  je  le  voyais  tel  qu'il  est,  je  mourrais  de  confusion 
de  l'avoir  si  facilement  commis,  et  rien  ne  me  coûterait 
pour  m'en  préserver  à  jamais.  C'est  afin  de  me  péné- 
trer plus  profondément  encore  de  ces  sentiments,  que 
je  viens  méditer  vos  souffrances  et  votre  mort.  Aidez- 
moi  à  en  recueillir  ce  salutaire  effet. 

lre  STATION 

CONDAMNATION  . 

Adam  pèche,  et  le  fruit  de  son  péché,  ce  fut  la  mort 
pour  lui  et  tous  ses  descendants  ;  mort  de  l'àme,  mort 
du  corps,  qui  sans  cela  ne  l'aurait  point  subie.  Jésus 
n'avait  point  hérité,  comme  nous,  du  péché  d'origine  ; 
mais  s'étant  chargé  des  iniquités  des  hommes,  il  était 
le  grand  coupable,  et  comme  tel,  bien  qu'innocent,  il 
est  condamné  à  mort,  et  à  une  mort  aussi  cruelle  que 
déshonorante .  En  vain  tous  les  hommes  et  tous  les 
anges  se  seraient  dévoués  pour  expier  le  péché  ;  il 
fallait  à  la  justice  de  Dieu  une  expiation,  grande  comme 
la  dette  de  l'humanité,  un  sacrifice  d'un  prix  infini  : 
il  fallait  le  sang  d'un  Dieu.  0  péché,  quelle  est  donc 
ta  nralice  !  elle  est,  à  certains  égards,  infinie,  comme 
le  fut  la  réparation.  Et  je  ne  mourrais  pas  de  douleur 
d'en  avoir  tant  commis  ! 

2e  STATION 

ACCEPTATION   DE   LA    CROIX. 

Cette  Croix,  ô  Jésus  !  cet  instrument  ignominieux 
de  votre  mort,  non-seulement  vous  l'acceptez,  mais 
vous  l'embrassez  avec  joie,  tant  vous  brûlez  du  désir 
d'expier  sur  elle  par  l'effusion  de  votre  sang  toutes  les 
iniquités  de  la  terre.  Pour  en  appliquer  les  mérites  à 
mes  péchés,  j'ai  aussi  une  croix  à  porter  :  cette  croix 
c'est  la  peine  de  les  rechercher,  l'humiliation  de  les 
reconnaître,  la  honte  de  les  accuser  et  les  actes  indis- 


384  CHEMIX  DR  l.\   CHOIX 

pensables  pour  m'en  repentir  et  m'en  corriger.  Mais, 
encouragé  par  votre  exemple,  ô  Jésus  !  je  me  plierai 
généreusement  sous  cette  croix  qui  deviendra  ainsi 
l'instrument  de  mon  pardon . 

3e  STATION 

lre    CHUTE. 

A  peine  chargé  de  sa  Croix,  le  Sauveur  succombe 
sous  le  faix  :  rien  en  cela  d'étonnant,  épuisé  qu'il  était 
par  la  perte  de  son  sang  dans  la  cruelle  flagellation, 
et  par  le  poids  de  cette  Croix  qui  portait  les  péchés 
du  monde  entier.  Les  miens,  hélas  !  si  nombreux  et  si 
graves,  y  pesaient  pour  beaucoup.  Se  pourrait-il  que 
cette  pensée  ne  pénétrât  pas  mon  cœur  du  vif  repentir 
et  de  la  profonde  horreur  qu'ils  méritent  ?  Mettez  ou 
augmentez  en  moi.  Seigneur,  ces  heureuses  disposi- 
tions qui  vous  dédommagent  de  la  peine  que  je  vous 

ai  causé. 

4e  STATION 

DOULEUR   DE    MAREE. 

Vous  avez  voulu,  ô  Jésus  !  que  tous  les  genres  de 
douleur  se  donnassent  comme  le  rendez-vous  sur  le 
chemin  du  Calvaire.  Il  n'y  a  qu'un  instant,  c'était 
l'épuisement  de  vos  forces  corporelles  ;  maintenant  ce 
sont  les  plus  cruels  déchirements  dans  votre  àme. 
Que  ne  dut-elle  pas  ressentir,  en  effet,  quand  à  vos 
regards  se  présenta  votre  Mère  tout  éplorée  !  et  pour 
Elle  aussi  quel  triste  moment  !  Fut-il  une  douleur 
du  Fils  qui  ne  se  fit  sentir  dans  le  cœur  de  la  Mère  ? 
aucune  angoisse  de  la  Mère  qui  ne  redoublât  celle  du 
Fils?  C'est  pourtant  le  péché  qui  a  fait  à  ces  cœurs 
aimables  de  si  larges  blessures  !  C'est  donc  mon  cœur 
coupable,  qui  aurait  dû  être  déchiré,  ô  Jésus;  plutôt 
que  le  votre  et  celui  de   votre  Mère,  l'un  et   l'autre 


CHEMIN  DR  LA  CROIX  38o 

innocents.    Donnez-moi   du  moins   une  part   de  vos 
douleurs,  puisque  je  les  méritais  toutes. 

5e  STATION 

SECOURS   DU    CYRÉNÉEN. 

Vous  êtes  tellement  accablé,  ô  Jésus  !  sous  le  poids 
de  mes  crimes,  que  pour  ne  pas  expirer  sous  votre 
Croix,  il  faut  qu'un  passant  vous  aide  à  larorter  et 
vous  allège  le  fardeau  :  et  moi,  tout  au  contraire,  loin 
d'adoucir  vos  douleurs,  j'ai  pris  comme  à  tâche  de  les 
aggraver  en  ajoutant  péché  à  péché.  Un  étranger 
vous  soulage  sans  vous  connaître  :  et  moi,  votre  dis- 
ciple ,  je  vous  outrage ,  sachant  bien  qu'étant  mon 
Dieu,  mon  Rédempteur,  mon  souverain  Bienfaiteur , 
vous  avez  les  droits  les  mieux  fondés  à  être  obéi. 
Quelle  dureté  à  l'égard  d'un  Dieu  qui  m'a  tant  aimé  et 
que  je  dévrais  payer  d'un  juste  retour,  par  une  atten- 
tion constante  à  éviter  tout  ce  qui  lui  déplaît  et  à  faire 
tout  ce  qui  lui  est  agréable  !  Telle  est ,  du  moins 
actuellement,  ma  ferme  et  sincère  résolution. 

6e  STATION 

RÉCOMPENSE    DE    VÉRONIQUE. 

Cette  femme  courageuse  obtient  de  vous,  ô  Jésus  ! 
pour  récompense  de  son  dévouement,  l'insigne  hon- 
neur de  voir  votre  face  empreinte  sur  son  voile.  Oh  ! 
comme  vous  devez  être  satisfait  et  généreux  à  l'égard 
du  pécheur,  quand,  par  tous  les  sacrifices  les  plus 
pénibles  et  par  les  larmes  d'un  repentir  sincère  ,  il 
s'efforce  d'effacer  dans  son  âme  les  souillures  qui  y 
défiguraient  votre  image  !  Après  avoir  été  coupable, 
puissé-je  être  assez  courageux  et  pénitent  pour  ne  plus 
salir  mon  âme,  quand  elle  aura  été  purifiée  ! 


386  CHEMIN  DE  LA  CROIX 


STATION 


Oe 


CHUTE 


Malgré  le  secours  du  Cyrénéen.  vous  voilà,  ô  Jésus! 
affaissé  de  nouveau  sous  la  pesanteur  de  votre  Croix  : 
chacun  de  vos  pas  est  marqué  par  un  redoublement 
de  faiblesse  et  d'humiliation.  Hélas!  trop  souvent 
aussi,  quoique  éclairé  par  les  lumières  de  la  foi,  qui 
me  découvrent,  dans  le  péché,  tant  d'outrage  à  Dieu, 
tant  de  mal  à  moi-même,  je  succombe,  néanmoins, 
sous  la  violence  de  la  tentation,  sous  le  poids  de  ma 
mauvaise  nature.  Chaque  circonstance  du  jour,  chacun 
de  mes  pas  est  marqué  par  quelque  chute  :  je  ne  me 
relève  de  l'une  que  pour  tomber  par  une  autre.  En- 
core, si  ma  vigilance  et  ma  douleur  augmentaient  à 
proportion  de  mes  faiblesses  ;  car,  plus  il  y  a  à  pleu- 
rer, plus  les  larmes  devraient  être  abondantes  ;  plus 
on  s'est  trouvé  fragile,  plus  on  devrait  devenir  craintif 
et  précautionné.  Accordez-moi  cette  grâce. 

8*  STATION 

LES    FEMMES  DE   JERUSALEM. 

Ecoute,  ô  mon  âme,  la  sublime  leçon  que  te  donne 
Jésus  dans  la  personne  de  ees  femmes  qui  le  suivaient 
en  se  lamentant  :  Ce  n'est  point  sur  moi  qu'il  faut 
pleurer,  mais  sur  vous-même*.  Néanmoins,  le  Tout- 
Puissant  qui  succombe  ;  le  Juste,  l'innocent  chargé 
du  gibet  des  malfaiteurs  ;  l'immortel  qui  va  mourir  ; 
un  corps  tout  meurtri  et  ne  pouvant  plus  se  trainer  ; 
n'est-ce  pas  un  spectacle  capable  de  briser  le  cœur  le 
plus  dur  '!  Il  est  cependant  quelque  chose  dont  le 
divin  Sauveur  veut  que  l'on  soit  plus  touché,  plus 
attendri,  c'est  le  péché,  c'est  lu  mal  affreux  qu'on  s'est 
l'ait  a  soi-même  et  aux  autres  en  le  commettant.  Voilà 


CHEMIN  DE  LA  CHOIX  387 

le  seul  objet  digne  de  nos  larmes,  et  de  la  plus  vive 
de  nos  douleurs.  Est-ce  là  où  nous  en  sommes  ? 

9e  STATION 

3e   CHUTE. 

Jésus  était  arrivé  au  sommet  du  Calvaire,  il  voyait 
le  lieu  de  son  supplice  et  l'heure  de  sa  mort  toute 
proche.  Mais,  perçant  dans  l'avenir  par  sa  prescience 
divine,  il  voyait  aussi  l'inutilité  de  son  sang  pour  tant 
d'ingrats  qui  ne  se  damneront  pas  moins,  malgré  une 
si  abondante  rédemption  :  et  à  cette  cruelle  pensée, 
dont  son  cœur  est  affligé  plus  que  des  tourments  qu'il 
doit  encore  endurer,  il  éprouve  une  troisième  défail- 
lance qui  le  fait  tomber  la  face  contre  terre.  Hélas  ! 
n'étais-je  pas  alors  présent  à  ses  yeux  avec  mes 
chutes  et  mes  rechutes  interminables,  par  desquelles 
je  m'obstine  à  me  fermer  le  ciel  ?  Outrager  sans  cesse 
Celui  qui  a  pardonné,  revenir  à  l'aliment  qu'on  a 
vomi,  se  rouler  de  nouveau  dans  la  boue  après  s'en 
être  lavé,  ah  !  Seigneur,  c'est  par  trop  d'indignités  ! 
quand  donc  y  mettrai-je  un  terme  ? 

10e  STATION 

DÉPOUILLEMENT  DES   HABITS. 

Quelles  horribles  souffrances  vous  dûtes  éprouver, 
ô  Jésus  !  lorsqu'on  vous  arracha  vos  vêtements  que  le 
sang  avait  collés  sur  votre  chair  en  lambeaux  ;  alors 
se  renouvelèrent  avec  une  nouvelle  intensité  les  dou- 
leurs atroces  de  votre  flagellation.  Quelle  honte  aussi 
pour  vous,  ô  Dieu  de  toute  pureté  !  de  paraître  en  cet 
état  de  nudité  aux  regards  d'une  vile  populace  qui 
vous  insulte .  Ah  !  c'était,  sans  doute,  pour  expier  par 
cette  souffrance  spéciale  nos  péchés  du  corps,  les  va- 
nités, les  immodesties,  les  sensualités,  et  surtout  les 
différentes   espèces  d'impuretés.  O  mon  Dieu  !  après 


388  CHEMIN  DE  LA  CRUIX 

qu'elles  vous  ont  causé  cet  excès  de  douleur  et  de 
honte,  pourrais-je  ne  pas  en  avoir  autant  d'horreur 
que  de  repentir  ? 

11e  STATION 

CRUCIFIEMENT. 

0  mon  âme,  comprends,  si  tu  le  peux,  l'atrocité  des 
douleurs  qu'a  dû  ressentir  Jésus-Christ,  au  moment 
où  les  clous  perçant  ses  pieds  et  ses  mains,  les  fixent 
sur  le  bois  de  la  Croix  :  sa  chair  se  déchire,  les  os  se 
broient,  les  nerfs  se  rompent,  les  veines  se  brisent,  le 
sang  s'échappe  à  grands  flots.  Pourquoi  encore  tous 
ses  membres  violemment  tirés  et  n'offrant  plus  qu'une 
plaie  depuis  les  pieds  jusqu'à  la  tête  ?  Le  Prophète 
nous  l'apprend  :  //  fut  blessé,  il  fut  broyé  à  cause  de 
nos  crimes:  Vulneratus est...  N'y  ai-jepas  contribué 
pour  une  large  part,  en  faisant  servir  mes  mains  à  des 
actions  criminelles,  et  mes  pieds  à  courir  dans  les 
sentiers  de  l'iniquité  ?  A  cette  pensée,  mon  cœur  ne 
doit-il  pas  s'abimer  dans  la  douleur,  et  mes  yeux 
verser  des  torrents  de  larmes. 

12e  STATION 

JÉSUS    MORT    SUR   LA   CROIX. 

Jésus  expire  ! . . .  et  toute  la  nature  même  inanimée 
y  est  sensible  :  elle  se  bouleverse  et  prend  le  deuil  :  le 
soleil  obscurci  refuse  d'éclairer  ce  grand  forfait  des 
Juifs  :  les  morts  ressuscitent  :  la  terre  tremble  :  les 
rochers  se  fendent  :  les  spectateurs  se  retirent  en 
se  frappant  la  poitrine,  ut  en  confessant  que  Jésus  était 
vraiment  le  Fils  de  Dieu  :  un  des  larrons  reconnaît, 
déplore  ses  crimes  et  en  obtient  le  pardon.  Partout, 
dans  la  nature  comme  au  fond  des  cœurs,  règne  la  dé- 
solation, le  trouble,  la  terreur.  Seule,  ô  mon  àme, 
ras-tu  Insensible  à  cette  mort  e-t  aies  péchés  qui 


CHEMIN   DE  LA    CROIX  ilS!» 

en  soi  il  la  cause  ?  Ne  doit-elle  pas  t'en  inspirer  de  la 
douleur  et  de  la  honte  ? 

13e  STATION 

DESCENTE  DE  LÀ  CROIX . 

Tout  est  consommé,  avez-vous  dit,  ô  Jésus  !  en  ex- 
pirant sur  la  Croix  ;  c'était  bien  vrai  :  par  votre  mort, 
la  justice  de  votre  Père  est  satisfaite,  le  ciel  nous  est 
rouvert,  Tenter  fermé,  l'œuvre  de  notre  rédemption 
effectuée.  Tout  est  accompli  au  ciel  et  sur  la  terre. 
Hélas  !  Seigneur,  combien  de  fois  j'ai  donné  le  dé- 
menti à  ces  paroles  solennelles,  et  déchiré  votre  ou- 
vrage qui  vous  a  tant  coûté  !  C'est  toutes  les  fois  que 
j'ai  commis  un  péché  mortel,  me  plongeant  ainsi  dans 
l'abîme  de  tous  les  mauxdonl  votre  infinie  miséricorde 
n'avait  délivré.  Du  moins,  puisse  mon  repentir  égaler 
ma  malice  et  mon  ingratitude  ! 

14e  STATION 

MISE    AU  TOMBEAU. 

Quand,  pour  la  première  fois,  vous  êtes  descendu 
du  ciel  en  terre,  vous  voulûtes,  ô  Jésus  î  avoir  pour 
demeure  le  sein  d'une  Vierge  qu'aucun  péché  n'eût 
jamais  souillé  :  quand  de  la  Croix  vous  descendites 
dans  l'humiliation  du  tombeau,  vous  le  voulûtes  neuf, 
n'ayant  jamais  été  infecté  par  la  pourriture  d'aucun 
cadavre.  Ah  !  dans  ces  deux  singularités,  dont  l'une 
précéda  votre  naissance,  et  l'autre  suivit  votre  mort, 
quelle  leçon,  ajoutée  à  tant  d'autres,  de  votre  répu- 
gnance, de  votre  horreur  pour  la  plus  légère  souillure 
du  péché'!  Pénétrez,  ô  mon  Dieu,  ma  chair  et  mes  os 
de  cette  même  horreur  ;  que  je  le  craigne  et  l'évite 
comme  le  plus  grand  des  maux  :  c'est  la  grâce  finale 
que  je  vous  prie  très  instamment  de  m'accorder,  pour 
fruit  de  cet  Exercice. 

PABaPHR\SE.  —  r.    il.  23 


CHEMIN    DE    LA  CHOIX 


QUATRIEME  EXERCICE 


CONSIDERATION 

Pour  se  porter  avec  courage  à  ce  qu'il  y  a  de  pénible 
dans  la  loi  de  Dieu 

Rien  n'est  moins  contestable,  ô  mon  Dieu!  que  votre 
empire  sur  nous.  Créateur,  Conservateur,  Roi  univer- 
sel, à  vous  le  droit  de  nous  imposer  vos  volontés,  elles 
sont  toujours  raisonnables  et  justes  :  et  par  surcroît 
vous  nous  promettez,  si  nous  y  sommes  soumis,  la  plus 
magnifique  des  récompenses,  la  vue  et  la  possession  de 
vous-même  durant  des  siècles  sans  fin.  Mais  l'orgueil 
qui  nous  domine  a  tant  de  peine  à  s'abaisser  devant 
votre  autorité  :  notre  nature  amie  de  ses  aises  et  de  sa 
liberté  recule  devant  tout  ce  qui  la  gêne  et  la  contrarie. 
Nous  venons,  ô  mon  Dieu,  puiser  dans  la  méditation 
des  souffrances  et  de  la  mort  de  votre  cher  Fils,  le 
courage  nécessaire  pour  pratiquer  tout  ce  que  votre 
loi  présente  de  pénible . 

lre  STATION 

JÉSUS    EST    CONDAMNÉ    A   MORT. 

Pilate,  quoique  reconnaissant  l'innocence  de  l'accusé 
conduit  à  son  tribunal,  a  la  faiblesse  de  céder  aux  cla- 
meurs des  Juifs  qui  veulent  qu'on  le  crucifie.  Hélas  ! 
combien  de  fois  aussi  reconnaissant  l'autorité  de  Dieu 
sur  moi,  ses  titres  à  être  obéi  et  préféré,  la  justice  de 
ce  qu'il  me  commandait,  et  la  grandeur  du  mal  que 
j'allais  faire,  j'ai  cédé  au  cri  de  mes  passions  qui  de- 
mandaient que  je  leur  livrasse  Jésus-Christ  ;  je  l'ai  mis 
à  mort  dans  mon  cœur  ;  car,  selon  saint  Paul,  la  ma- 
lice  du  péché  va  jusque-là.    O  lâcheté  aussi  grande 


CHEMIN  DE  LA   CROIX  391 

que  celle  de  Piiate  !  Que  j'en  sois  du  moins  honteux  et 
repentant  ! 

2e  STATION 

JÉSUS   PREND   LA   CROIX. 

Aucun  malfaiteur  n'était  chargé  de  porter  l'instru- 
ment de  son  supplice  ;  mais  pour  Jésus,  il  n'est  point 
d'ignominie  qu'on  imagine.  Il  prend  donc  sa  Croix 
en  silence,  et  aborde  avec  amour  la  douloureuse  car- 
rière de  sa  passion .  Pourrai-je  après  cela  ne  pas  me 
courber  sous  le  joug  de  mes  devoirs  ?  Est-il  donc  aussi 
lourd  que  cette  Croix  ?  le  sentier  de  la  vie  chrétienne, 
aussi  rude  que  celui  du  Golgotha  ?  J'entends  le  divin 
Maître  me  dire,  au  contraire,  que  son  joug  est  doux  et 
son  fardeau,  léger  ;  mais  fut-il  cent  fois  plus  pesant, 
dois-je  pour  cela  le  refuser,  quand  je  vois  ce  généreux 
Sauveur  porter  avec  un  si  grand  courage  devant  moi 
l'instrument  de  sa  mort  et  de  ma  rédemption  ? 

3e  STATION 

JÉSUS    TOMBE    UNE    PREMIERE    FOIS. 

A  peine  entré  dans  la  voie  du  Calvaire,  l'adorable 
Victime,  épuisée  de  fatigue  et  affaiblie  par  la  perte  de 
son  sang,  tombe  sous  le  fardeau  de  la  Croix.  A  peine 
aussi  avais-je  commencé  une  vie  plus  chrétienne,  et 
accompli  quelques  bonnes  résolutions,  que  je  suis 
tombé  dès  les  premiers  pas.  Pressé  par  le  désir  de  nous 
racheter  ,  Jésus  se  relève  :  ô  mon  âme,  sois  aussi  cou- 
rageuse à  te  relever  et  à  reprendre  ton  chemin  !  Celui 
qui,  ayant  mis  la  main  à  la  charrue,  regarde  en  ar- 
rière, n'est  pas  propre  au  royaume  de  Dieu.  —  Un 
grand  Saint  a  dit  :  «  Tomber,  c'est  le  propre  de  l'homme  ; 
rester  dans  sa  chute,  c'est  le  propre  du  démon;  se  re- 
lever, c'est  le  propre  d'un  ange.  »  Voilà  ce  que  je  veux 
et  ce  que  je  ferai. 


392  CHEMIN    DE    LA  CROIX 

4e  STATION 

JÉSUS    RENCONTRE    SA   MÈRE. 

La  marche  de  Jésus  lui  occasionne  à  chaque  pas  de 
nouvelles  douleurs.  Après  sa  chute,  il  rencontre  sa  Mère 
tout  éplorée,  il  ne  peut  la  soulager  :  il  eût  voulu  vivre 
pour  elle  :  mais  son  amour  pour  nous  l'oblige  à  mou- 
rir... Quel  violent  combat  dans  son  cœur!  Rien  ce- 
pendant, rien  ne  le  décourage  ;  il  surmonte  les  angoisses 
de  Famé  comme  les  défaillances  du  corps,  et  à  travers 
tous  les  genres  de  tourments,  il  poursuit  sa  mission. 
Que  cet  exemple  est  humiliant  pour  moi,  qui  recule 
devant  la  plus  petite  difficulté,  et  suis  arrêté  par  la 
plus  légère  violence  qu'exige  un  devoir  !  0  mon  âme, 
rougis  ici  de  ton  excessive  délicatesse,  et  dans  cette 
conduite  de  ton  Dieu  puise  une  nouvelle  ardeur  ! 

5e  STATION 

JÉSUS    REÇOIT    L'AIDE    DU    CYRÉNÉEN . 

Si  le  Cyrénéen  vient  en  aide  à  Jésus,  Jésus  n'aban- 
donne pas  pour  cela  le  fardeau  de  sa  Croix,  et  en  allège 
aussi  le  poids  à  ce  généreux  étranger.  Tout  aussi  bien, 
lorqu'il  nous  impose  le  fardeau  d'une  CroLx  à  porter 
ou  le  joug  de  quelqu'un  de  ses  commandements,  il  nous 
aide  par  sa  grâce  avec  laquelle  nous  sommes  si  forts  ; 
il  nous  aide  par  le  consolant  témoignage  d'une  bonne 
conscience,  qui  sera  déjà  une  récompense  abondante  ; 
il  nous  aide  encore  par  la  certitude  du  bonheur  parfait 
réservé  au  serviteur  fidèle.  Me  serait-il  permis  après 
cela  de  languir  dans  son  service  ! 

6e   STATION 

JÉSUS    RÉCOMPENSE    SAINTE    VÉRONIQUE. 

Véronique  reçoit  empreinte  sur  son  linge  l'adorable 
le  Jésus.  C'était  un  don  d'une  bien  délicate  recon- 


CHEMIN  DE    LA    CHOIX  393 

naissance  :  rien  ne  pouvait  être  plus  flatteur  pour  cette 
pieuse  Juive,  que  le  souvenir  de  celui  qu'elle  aimait  : 
aussi  est-ce  le  seule  miracle  qu'il  fit  dans  le  cours  de 
sa  passion .  Par  là  Jésus  a  voulu  récompenser  d'une 
manière  magnifique  la  démarche  de  cette  femme  qui, 
supérieure  à  la  timidité  de  son  sexe,  passe  à  travers  tous 
les  obstacles  pour  venir  reconnaître  son  Sauveur,  en  es- 
suyant sa  face  que  les  bourreaux  s'étaient  fait  un  jeu 
de  salir  ou  d'outrager.  0  mon  âme,  sans  redouter  non 
plus  les  railleries  des  méchants,  ni  la  difficulté  d'un 
devoir,  sache  reconnaître  aussi  ton  Dieu  par  ta  sou- 
mission à  ses  lois  :  ainsi  tu  répareras  les  outrages  que 
tant  d'autres  lui  font  par  leurs  révoltes . 

7e  STATION 

JÉSUS    TOMBE    POUR   LA    DEUXIÈME    FOIS. 

Que  de  tristes  et  fréquentes  expériences  j'ai  faites  de 
ma  faiblesse  !  Pour  éviter  ces  rechutes  et  devenir  plus 
ferme  dans  l'occasion,  il  faut,  selon  l'ordre  du  divin 
Maître,  faire  concourir  la  prière  et  la  vigilance  ;  car 
prier  sans  veiller,  ce  serait  tenter  Dieu  :  veiller  sans 
prier,  ce  serait,  en  comptant  trop  sur  soi-même  et  dé- 
daignant le  secours  de  Dieu,  l'outrager  par  une  or- 
gueilleuse présomption .  Je  prierai  donc,  étant  exposé 
à  une  chute,  pour  en  être  préservé,  et  après,  pour  me 
relever.  A  la  prière  je  joindrai  une  vigilance  conti- 
nuelle ;  elle  est  gênante,  qui  ne  le  sait?  mais  dès  là  qu'elle 
est  indispensable  pour  éviter  les  faux  pas,  je  m'y  ré- 
soudrai. 

8e  STATION 

LEÇON   DONNÉE    AUX   FILLES   DE   JÉRUSALEM. 

Pleurez  sur  vous  plutôt  que  sur  moi,  dit  Jésus- 
Christ  à  ce  groupe  de  femmes  qui  le  suivaient  en  se 
lamentant.    Cela  signifiait  qu'au-dessus  de  ses  humi- 


304  CHEMIN    DE  LA  CROIX 

• 

liations  et  de  ses  souffrances,  si  capables  pourtant 
d'attendrir  le  cœur  le  plus  dur,  il  est  un  mal  encore 
plus  digue  de  larmes.  Vous  l'avez  deviné  :  c'est  le  pé- 
ché. Oui,  le  péché  le  plus  léger,  le  péché  que  je  com- 
mets si  facilement,  que  je  confesse  avec  tant  de  froi- 
deur ,  que  je  suis  si  lâche  à  expier,  est  un  mal  plus 
grand  que  tous  les  maux  du  monde,  étant  le  principe 
de  tous  nos  malheurs  et  de  la  mort  d'un  Dieu.  Donc, 
pour  m'en  garantir,  rien  ne  me  paraîtra  désormais  trop 
pénible.  0  mon  Ame,  anime-toi  de  ce  grand  courage  ! 

9e  STATION 

JÉSUS    TOMBE    POUR   LÀ    TROISIEME    FOIS. 

Quand  même  nous  serions  tombés  non-seulement 
trois  lois,  mais  dix,  mais  vingt  fois,  gardons-nous 
d'un  trouble  excessif  et  du  découragement.  La  misé- 
ricorde du  Seigneur  est  toujours  plus  étendue  que  la 
multitude  de  nos  iniquités,  qui  dans  cet  abime  iné- 
puisable sont  moins  qu'un  fétu  de  paille  au  milieu 
d'une  vaste  fournaise  :  son  désir  de  pardonner  l'em- 
porte infiniment  sur  notre  malice  :  et  pour  l'avenir, 
sa  force  est  bien  supérieure  à  notre  faiblesse.  Cou- 
rage donc  et  espérance  !  c'est  pour  nous  l'inspirer  que 
Jésus  veut  tomber  jusqu'à  trois  fois;  mais  cette  fois 
encore,  il  se  relève  pour  arriver  au  lieu  de  son  sup- 
plice . 

10e  STATION 

JÉSUS  EST  DÉPOUILLÉ  DE  SES  HABITS 

Ses  vêtements  et  sa  sainte  Mère,  voilà  tout  ce  que 
possédait  Jésus,  lui  qui  n'avait  pas  où  reposer  sa  tête. 
Nos  vêtements  sont  ce  qui  nous  appartient  le  plus  en 
propre  :  on  dit  assez  souvent,  nos  champs,  notre  mai- 
son, et  jamais  nos  habits,  mais  mon  habit  :  c'est  une 
propriété  qui  <-^t   personnelle  et  chère  par  là  même. 


CHEMIN   DE   LA  Choix  .*W"> 

Cependant,  le  Sauveur  veut  en  être  dépouillé.  Il  avait 
émis  cette  maxime  :  Si  votre  œil  droit,  si  voire  main 
droite,  votre  pied  droit  vous  scandalise,  arrachez- 
les  ;  car  il  vaut  mieux  aller  au  ciel  n'ayant  qu'un 
œil,  quun  pied,  qu'une  main,  que  d'être  précipité 
dans  l'enfer  avec  ses  deux  yeux,  ses  deux  pieds, 
ses  deux  mains.  —  Mon  Dieu,  quelque  chère  que  me 
soit  cette  personne,  cette  maison,  tel  emploi,  tel  diver- 
tissement, si  cela  m'est  une  occasion  de  pécher,  j'aurai 
le  courage  d'en  faire  le  sacrifice. 

IIe  STATION 

JÉSUS  EST  ATTACHÉ  A  LA  CROIX. 

0  Jésus  !  on  vous  étend  sur  la  Croix,  on  vous  y  fixe 
fortement  par  des  clous.  Tout  chrétien,  qui  par  son 
nom  seul  est  votre  disciple,  et  qui,  vous  le  dites,  doit 
pour  être  tel  vous  suivre  en  portant  sa  croix,  ne  doit- 
il  pas  aussi  y  être  cloué  ?  Or,  la  Croix  pour  nous,  n'est 
pas  seulement  ce  qu'on  appelle  vulgairement  souffran- 
ces, c'est  aussi  la  peine  attachée  à  l'observation  de 
votre  loi,  qui  contrarie  notre  nature  ennemie  de  toute 
contrainte  :  il  faut  donc  que  je  m'y  fixe  par  les  pieds 
et  par  les  mains,  c'est-à-dire  par  toutes  mes  actions  et 
mes  démarches.  Telle  est  une  bonne  fois  ma  ferme  et 
généreuse  résolution . 

12e  STATION 

JÉSUS   MEURT    SUR   LA   CROIX. 

Au  pied  de  la  Croix  se  montrent  d'admirables  dé- 
vouements. J'y  vois  les  personnage  les  plus  attachés 
à  Jésus  :  Madeleine,  qui  par  son  ardent  amour  mérita 
le  pardon  de  nombreux  égarements  ;  saint  Jean  son 
bien-aimé  et  alors  si  aimant  disciple;  j'y  vois  aussi 
Marie,  sa  tendre  Mère,  qui  tous,  témoins  de  cette  mort 
aussi  cruelle   qu'ignominieuse,  durent    horriblement 


CHEMIN  DE  La   CHOIX 

souffrir,  souffrir  à  proportion  de  leur  amour.  Quel 
courage  d'avoir  assisté  à  un  spectacle  aussi  déchirant  ! 
c'est  bien  là  être  fidèle  jusqu'à  la  mort.  Et  moi.  dans 
tant  de  circonstances,  où  il  ne  s'agit  nullement  d'y 
mettre  la  vie.  mais  seulement  de  me  gêner  un  peu,  de 
me  contraindre,  j'ai  peur,  je  fais  le  lâche  !  Oh  !  comme 
je  trouve  encore  ici  ma  condamnation. 

13e  STATION 

JÉSUS  EST  REMIS  A  SA  MÈRE. 

0  Marie  !  peu  contente  d'avoir  vu  expirer  sur  un 
infâme  gibet  le  plus  cher  objet  de  votre  tendresse  , 
vous  portez  l'héroïsme  maternel  jusqu'à  son  plus  haut 
degré,  en  recevant  dans  vos  bras,  à  la  descente  de  la 
Croix,  ce  corps  inanimé  et  tout  meurtri  :  vous  ne  re- 
culez devant  aucune  peine,  si  poignante  qu'elle  doive 
être  pour  votre  cœur.  Et  nous  aussi,  ne  nous  lassons 
point  de  marcher  dans  la  voie  hérissée  de  ronces  et 
d'épines  qui  seule  mène  au  ciel  :  n'hésitons  pas  devant 
quoi  que  ce  soit  de  pénible,  dès  là  que  c'est  un  devoir, 
ou  un  moyen  qui  aide  à  le  mieux  remplir. 

Ue  STATION 

JÉSUS  EST  MIS  DANS  LE  TOMBEAU. 

Après  les  souffrances  et  les  humiliations  de  votre 
passion  et  de  votre  mort,  vous  voulez  encore,  ô  Jésus  ! 
subir  les  ignominies  du  tombeau.  Mais  elles  vont  être 
bientôt  compensées  par  une  résurrection  glorieuse  et 
immortelle.  Ainsi,  ô  mon  âme,  les  peines,  les  combats, 
les  violences,  la  gène  nécessaires  pour  l'accomplisse- 
ment d'un  devoir  ne  feront  que  passer,  et  en  échange 
t'est  promise  une  résurrection  glorieuse,  prélude  des 
joies  et  de  l'éternel  repos  dans  le  sein  de  Dieu.  Cou- 

.    donc  ;  et  finalement  que  ce  soit  là  le  résultai  des 


CHEMIN    DÉ    LA    GR01X  H!)7 

considérations  que  tu  viens  de  faire,  et  des  saintes 
affections  qu'elles  t'ont  inspirées. 

CINQUIÈME  EXERCICE 


Pour  demander  la  Persévérance  (') 

Divin  Jésus  !  après  avoir  goûté  le  bonheur  de  votre 
présence  dans  mon  àme,  je  n'ai  plus  qu'un  vœu  à  for- 
mer, c'est  de  ne  point  m'en  dessaisir.  Pour  y  être  aidé, 
je  vais  parcourir  la  voie  douloureuse  qui  vous  a  con- 
duit à  la  mort.  Puissé-je  trouver,  dans  la  méditation  de 
vos  souffrances  et  de  votre  amour,  un  nouveau  motif 
de  vous  rester  inviolablement  attaché  !  Puisse  en  même 
temps,  ce  saint  Exercice  devenir  salutaire  à  l'àme  de 
mes  frères  défunts,  par  les  indulgences  que  j'ai  l'inten- 
tion de  leur  appliquer  ! 

lre  STATION 

CONDAMNATION   A   MORT. 

Ce  même  peuple  qui  demande  à  grands  cris  la  mort 
de  Jésus,  l'avait  reçu  en  triomphe  quelques  jours  au- 
paravant à  son  entrée  dans  Jérusalem  ;  il  faisait  re- 
tentir les  airs  des  accents  de  la  plus  vive  allégresse  et 
de  louanges  à  l'égard  de  l'Envoyé  du  Seigneur.  Voilà 
l'inconstance  des  hommes!...  0  mon  àme,  pourrais-tu 
t'en  rendre  coupable?  Aujourd'hui  (ces  jours  derniers) 
Jésus  t'a  honorée  de  sa  présence  par  la  communion  ; 
tu  lui  fis  les  plus  belles  promesses  d'une  inviolable 
fidélité.  Oh  !  serait-il  possible  qu'on  te  vit  bientôt 
mentir  à  tes  serments,  demander  sa  mort  et  lui  pré- 
parer une  nouvelle  Croix  en  retombant  dans  le  péché? 


(•)  Les  considérations  dont  se  compose  cet  Exercice  conviennent 
principalement  après  une  communion. 


398  CHEMIN  DE    LA    CHOIX 

Non,  Seigneur,  trop  heureux  de  vous  sentir  vivant 
dans  mon  cœur,  je  ne  veux  plus  vous  y  crucifier. 

2e  STATION 

ACCEPTATION  DE  LA  CROIX 

Admirons  de  nouveau  celte  acceptation  résignée,  elle 
est  pour  nous  pleine  d'enseignements.  A  moi  aussi 
maintenant  un  genre  de  croix  est  imposé  :  cette  croix, 
plus  lourde  que  les  souffrances  corporelles,  c'est  la 
vigilance  continuelle  devenue  nécessaire  ;  ce  sont  les 
précautions  pénibles  qu'il  me  faudra  prendre,  les  com- 
bats généreux  que  j'aurai  à  soutenir  contre  ma  mau- 
vaise nature,  contre  mes  habitudes  et  mes  penchants 
vicieux,  pour  ne  plus  me  laisser  entraîner  au  mal.  Mais 
encore  par  votre  exemple,  ô  Jésus  !  et  sachant  que  ma 
persévérance  est  à  ce  prix,  je  suis  bien  décidé  à  me 
charger  aussi  de  cette  croix  spirituelle. 

3e  STATION 

lre  CHUTE 

Von-  êtes,  Seigneur,  le  principe  de  la  force,  et  vous 
n'avez  pas  même  conservé  la  débile  vigueur  d'un  mor- 
tel, vous  voilà  succombant  sous  votre  ("roix,  dès  votre 
entrée  dans  la  voie  douloureuse.  Ah!  que  n'ai-je  pas 
à  craindre  de  ma  fragilité  tant  de  fois  ressentie  !  Si  je 
dois  faire  quelque  chute,  du  moins  qu'elle  soit  non 
pas  mortelle,  mais  seulement  de  ces  faiblesses  légères 
dont  le  juste  même  ne  sait  pas  toujours  se  défendre  :  et 
qu'à  votre  exemple  je  me  relève  promptement  pour 
reprendre  mon  chemin  avec  courage.  Je  puis  tout  en 
Celui  qui  me  fortifie  :  je  dois  moins  craindre  :  Jésus 
est  avec  moi. 


CHBMIN   l>K    LA  CHOIX  :{!>9 

4e  STATION 

SECOURS  DE  MARIE 

Quittant  votre  retraite,  vous  allez,  ô  Mère  généreuse, 
prendre  place  à  côté  de  votre  fils,  montant  au  Calvaire  ; 
c'était  peut-être  pour  le  soutenir,  s'il  en  avait  eu  be- 
soin, dans  la  carrière  des  souffrances  où  il  est  engagé. 
Ah  !  si  mes  pieds,  encore  mal  affermis,  venaient  à  chan- 
celer dans  la  voie  nouvelle  où  je  viens  de  m'établir, 
vous  viendrez  aussi  à  mon  aide,  ô  bonne  Mère  !  et  à 
l'ombre  de  vos  ailes  je  ne  succomberai  pas  :  le  vrai  ser- 
viteur de  Marie  peut-il  périr  ?  Mais  cette  faveur  de  votre 
protection,  il  faut,  je  le  sais  que  je  la  mérite  :  je  me 
l'assurerai  donc  en  vous  honorant,  en  vous  priant  : 
moyen  de  persévérance  aussi  facile  qu'efficace . 

5e  STATION 

LE  CYRÉNÉEN 

Vous  avez  voulu  être  aidé  par  un  étranger,  Seigneur 
Jésus  !  sans  que  vous  en  ayiez  eu  besoin  :  étant  Dieu, 
vous  pouviez  surabondamment  suffire  à  votre  fardeau. 
C'était  pour  nous  apprendre  qu'il  nous  faut  d'autres 
forces  que  les  nôtres  dans  les  tentations  et  les  dan- 
gers ;  que  le  sentiment  qui  vous  honore  le  plus  c'est 
la  défiance  de  nous-mêmes,  le  recours  à  vous  avec  qui 
nous  pouvons  tout,  et  sans  qui  nous  ne  sommes  que 
de  fragiles  roseaux .  —  Il  le  sentait  vivement  ce  Saint 
qui  tous  les  matins  vous  disait  :  «  Gardez-moi  bien 
aujourd'hui,  Seigneur;  car,  si  vous  m'abandonniez,  je 
vous  trahirais.  —  Il  le  comprenait  aussi,  et  surtout  de 
la  communion,  l'illustre  Cyprien,  qui  disait  à  son  peu- 
ple :  «  Mes  frères,  la  persécution  est  allumée  ;  vous 
aurez  besoin  de  force  pour  rester  fidèles  à  Dieu  et  à 
votre  devoir  ;   mais  où  en   trouverez- vous,   si   vous 


160  i.lIK.MIN   DE    LA  CHOIX 

n'êtes  unis  à  Jésus-Christ  par  la  communion  ?  le  cœur 
manque,  si  cette  nourriture  divine  ne  le  soutient.  » 

6e  STATION 

RECOMPENSE  DE  VÉRONIQUE 

Quel  honneur  pour  cette  noble  femme  d'avoir  reçu 
en  récompense  de  son  dévouement  la  face  adorable  de 
Jésus  empreinte  sur  son  voile  !  Mais  aussi,  quel  crime 
c'eût  été  pour  elle  et  quelle  horrible  profanation,  si 
tenant  peu  de  cas  de  cette  sacrée  relique,  elle  l'eût 
laissée  traîner  dans  la  maison  et  surtout  jetée  dans  la 
boue  !  —  Et  moi,  ô  mon  Jésus  !  mille  fois  plus  honoré 
que  Véronique,  et  sans  l'avoir  mérité  par  un  acte  aussi 
courageux,  j'ai  dans  mon  cœur  non  point  seulement 
les  traits  de  votre  visage,  mais  vous-même  tout  en- 
tier, vous-même  en  personne.  Ah!  ce  riche  trésor,  je 
veux  à  tout  prix  le  conserver  intact,  et  fermer  pour 
cela  toutes  les  avenues  par  où  le  démon  pourrait  me 
le  ravir. 

7e   STATION 

2e  CHUTE 

Seigneur  je  me  suis  vu  déchoir  peu  à  peu,  pour  n'a- 
voir pas  fait  attention  aux  fautes  légères  qui  m'échap- 
paient, et  qui.  selon  l'avertissement  que  vous  en  don- 
nez, conduisent  insensiblement  à  de  plus  grandes; 
et  aussi  pour  avoir  négligé  les  petites  pratiques, 
soutiens  nécessaires  de  la  piété  :  alors  votre  esprit, 
centriste  par  mes  froideurs,  s'est  éloigné  de  moi.  Ah  ! 
ne  me  laissez  pas,  ô  Jésus  !  reprendre  cette  voie  qui 
pourrait  bien  me  conduire  à  une  mort  réelle.  Mais 
plutôt  réveillez  en  moi  cette  délicatesse  qui  s'afflige 
des  moindres  fautes,  et  cette  exactitude  scrupuleuse 
qui  ne  néglige  aucun   moyen  :  vous  êtes  dans  mon 


CHEMIN  DE    LA   CHOIX  -401 

cœur,  créez- y  un  esprit  nouveau  et  une  ferveur  nou- 
velle. 

8e  STATION 

FILLES   DE    JÉRUSALEM 

Le  bonheur  de  ces  pieuses  femmes  fut  d'entendre  le 
Dieu  de  toute  consolation.  Moi,  plus  heureux,  je  le 
possède  dans  mon  cœur.  Oh  !  qu'elles  sont  pures  les 
délices  qu'il  me  fait  goûter  !  Je  puis  bien  m'écrier 
comme  le  cantique  :  «  0  doux  moments,  bonheur  su- 
prême !  —  On  ne  peut  rien  vous  comparer  ;  —  Quand 
on  possède  un  Dieu  lui-même,  —  Que  reste-t-il  à  dé- 
sirer? »  —  Aussi  avec  quelle  ardeur  tant  de  saintes 
âmes  soupiraient-elles  après  la  communion  !  Telles 
étaient  une  sainte  Thérèse,  qui  aurait  bravé  les  foudres 
et  les  tempêtes  pour  aller  s'unir  à  son  Bien-Aimé  ;  une 
sainte  Catherine  de  Gênes,  qui  aux  approches  de  cet 
heureux  jour,  était  dans  des  impatiences  ravissantes  ; 
une  sainte  Madeleine  de  Pazzi,  qui  dès  son  enfance,  en 
attendant  qu'elle  jouît  de  la  réalité,  ne  pouvait  se  sé- 
parer de  sa  Mère,  les  jours  qu'elle  avait  eu  ce  bon- 
heur. Je  jouis  de  cette  consolation  ;  et  je  pourrais  m'en 
dessaisir  ! . . . 

9e  STATION 

3e  CHUTE 

Quand  nous  succomberions  une  3e  fois,  ne  nous 
troublons  que  de  la  peine  d'avoir  offensé  Dieu  :  pleu- 
rons, rien  de  plus  juste  ;  mais  ne  nous  laissons  point 
abattre,  l'espérance  est  un  bien  nécessaire  au  chrétien. 
Qui  espère  peu,  obtient  peu,  dit  un  Saint  ;  qui  espère 
tout,  obtient  tout.  Puis,  profitons  de  ces  chutes  pour 
nous  humilier  plus  profondément,  pour  sentir  de 
mieux  en  mieux  notre  excessive  faiblesse,  notre  pau- 
vreté, et  devenir  ensuite  plus  craintifs,  plus  circons- 


402  CHEMIN    DE    LA    CROIX 

pects.  C'est  beaucoup  gagner  que  de  faire  un  pas  de 
plus  dans  la  connaissance  de  nous-mêmes,  et  la  con- 
viction de  notre  impuissance  ;  ce  sera  tirer  du  mal  le 
plus  grand  bien  possible. 

10e  STATION 

DÉPOUILLEMENT. 

0  Jésus  !  elle  a  dû  être  pour  vous  bien  accablante  la 
confusion  de  paraître  nu  devant  cette  ignoble  multi- 
tude !  C'était  spécialement  pour  expier  ces  immodes- 
ties, ces  libertés  sensuelles  dont  je  n'ai  pas  rougi  de 
me  rendre  coupable .  Votre  miséricordieuse  bonté  me 
lésa  pardonnées,  du  moins  j'en  ai  la  confiance  ;  et  de 
plus,  votre  chair  et  votre  sang  si  purs,  en  se  mêlant  à 
ma  chair  et  à  mon  sang,  ont  fait  de  tous  mes  membres 
des  objets  les  plus  saints  et  les  plus  vénérables  ;  je  suis 
par  la  communion  un  autre  Jésus-Christ,  un  homme 
fait  Dieu.  Oserais-je  encore  me  salir  par  la  moindre 
tache,  oubliant  ces  terribles  paroles  :  Si  quelqu'un 
profane  le  temple  de  Dieu,  Dieu  le  perdra  ? 

11e  STATION 

CRUCIFIEMENT. 

Considère,  ô  mon  âme,  ces  membres  de  ton  Sauveur 
cruellement  tendus  pour  être  amenés  aux  endroits  pré- 
parés sur  la  Croix  ;  vois  ces  clous  déchirant  des  pieds 
et  des  mains,  qui  pendant  trois  ans  ne  s'agitèrent  que 
pour  répandre  sur  ce  peuple  ingrat  toute  sorte  de  bien- 
faits. Le  même  Jésus,  par  son  ministre,  a  levé  aussi 
la  main  pour  te  pardonner  et  te  bénir  ;  il  s'est  avancé 
pour  se  donner  lui-même  à  toi  en  nourriture.  Ah  !  pour- 
rais-tu porter  la  malice  et  l'ingratitude  jusqu'à  le  clouer 
de  nouveau  à  la  Croix,  en  retombant  dans  le  péché  ? 


CHEMIN    DE    LA    CROIX  403 

12e  STATION 

MORT  SUR   LA    CROIX. 

Vous  vivez  maintenant  dans  mon  cœur,  ô  Jésus  ! 
oserai-je  bien  vous  y  faire  mourir  comme  sur  une 
croix  ?  Et  quel  malheur  me  causerait  ce  nouveau 
déicide  !  Votre  dernier  soupir  sur  le  Calvaire  troubla 
toute  la  nature,  la  couvrit  de  deuil  et  de  tristesse  ;  et 
votre  mort  dans  mon  cœur  le  déchirerait  de  remords, 
y  répandrait  la  désolation  et  les  ténèbres.  Votre  mort 
sur  la  Croix,  fut  la  vie  du  monde  ;  mais  dans  mon  àme, 
ce  serait  pour  sa  ruine .  Ah  î  divin  Jésus,  plutôt  perdre 
mille  fois  moi-même  une  misérable  vie  corporelle,  que 
la  vie  spirituelle  que  je  possède. 

13e  STATION 

DESCENTE   DE  LA  CROIX  . 

O  Jésus  î  du  moins  on  détacha  votre  corps  de  la  Croix, 
et  déjà  auparavant  la  mort  avait  mis  fin  à  vos  tour- 
ments, à  vos  douleurs.  Mais,  si,  laissant  rentrer  le  pé- 
ché dans  mon  cœur,  je  vous  en  faisais  une  nouvelle 
Croix,  ce  péché  vous  y  tiendrait  toujours  cloué  ;  et  cette 
mort,  loin  d'être  le  terme  de  vos  souffrances,  en  com- 
mencerait, au  contraire,  de  nouvelles.  Quelle  horreur 
que  votre  crucifiement  dans  une  àme  !  Ah  !  Seigneur, 
faites-moi  la  grâce  de  ne  vous  causer  jamais  une  si 
cruelle  amertume,  mais  plutôt  de  vous  rester  inviola- 
blement  uni. 

14e  STATION 

MISE   AU    TOMBEAU. 

Devenu  votre  Croix  par  le  péché,  mon  cœur,  ô  Jésus  ! 
serait  encore  votre  tombeau  ;  mais  tombeau  où  vous 
vous  trouveriez  enseveli  dans  la  pourriture  et  la  cor- 
ruption,  au  lieu  du   parfum  de    l'innocence  et   des 


il)':  CHEMIN  DE    I  A    CROIX 

saintes  dispositions  qui  maintenant  l'embellissent  et 
vous  en  font  une  délicieuse  demeure.  Ah  î  cet  état  de 
mon  âme  vous  est  trop  agréable  et  à  moi  trop  avanta- 
geux pour  que  je  m'expose  à  le  perdre.  C'est  donc 
cette  précieuse  grâce  de  persévérance  que  je  vous  de- 
mande encore  une  fois  auprès  de  votre  sépulcre  :  grâce 
de  persévérance  qui  couronnera  toutes  les  autres  dont 
vous  m'avez  enrichi. 


SIXIEME  EXERCICE 


O  WSIDÉRATIONS 

Sur  les  tourments  du  purgatoire  :  —  Mode  d'appliquer 
les  indulgences  (*). 

Je  sais,  ô  mon  Dieu,  qu'en  vous  la  miséricorde  est 
égale  à  la  justice  :  si  l'outrage  sanglant  fait  à  votre 
gloire  par  le  péché  réclame  au  purgatoire  l'expiation 
restée  insuffisante  sur  la  terre,  votre  bonté  qui  s'en 
afflige,  ne  demande  qu'à  l'adoucir  et  même  à  y  mettre 
fin.  Pour  cela  vous  daignez  accepter  les  bonnes  œuvres 
des  fidèles  qui  peuvent  adoucir  et  abréger  les  souffrances 
de  ces  pauvres  âmes  qui  sont  dans  l'impossibilité  de  rien 
faire  pour  se  soulager.  C'est  donc  dans  ce  but  que  je 
f;iis  cet  Exercice  :  veuillez,  ô  Dieu  bon  !  appliquer  aux 
défunts  que  j'ai  en  vue,  les  Indulgences  dont  il  est  enri- 
chi, après  que  j'en  aurai  profité  pour  moi-même. 


(•)  On  peut  ici  former  son  intention  de  soulager  par  l'indulgence 

rame  de  tel  parent,    de  tel  ami,    de  la  personne  à  laquelle  ou  est 

plus  obligé,  de  la  plus  abandonnée,  de  la  demi  tc  décédée  dans  la 

paroisse, etc. . .  ou  se  la  désignera  chaque  station.  Cotte   manière 

-  leuicnt  praticable  à  tous  les  autres  Exercices. 


CHEMIN    DE  LA    CHOIX  405 

lie  STATION 

CONDAMNATION. 

Comme  elle  est  sévère,  ô  Jésus  !  la  justice  de  votre 
Père  !  Dès-là  que  vous  vous  êtes  rendu  caution  pour  les 
pécheurs,  elle  veut  que  vous  soyez  condamné  à  mourir 
de  la  mort  ignominieuse  des  plus  vils  scélérats.  Cette 
même  justice  d'un  Dieu  vengeur  s'exerce  aussi  envers 
les  pauvres  âmes  du  purgatoire,  mortes  néanmoins 
dans  sa  grâce,  mais  légèrement  entachées,  ou  encore 
redevables  pour  la  peine  due  à  leurs  péchés  :  des 
flammes  vengeresses  les  dévorent  pour  achever  de  les 
purifier.  O  Jésus  !  pour  que  je  sois  préservé  d'un  tel 
malheur,  veuillez  m'appliquer  à  moi-même  par  cette 
indulgence  les  mérites  de  vos  douleurs,  et  en  particu- 
lier de  votre  injuste  condamnation. 

2e  STATION 

ACCEPTATION  DE  LA  CROIX. 

Vous  chargez  votre  Croix,  ô  Jésus  !  et  ici  commence 
à  s'exécuter  l'injuste  sentence  qui  vient  de  vous  con- 
damner. Mais  ce  n'est  là  que  le  prélude  de  douleurs 
beaucoup  plus  affreuses  qui  vous  attendent  :  par  quelle 
série  de  tortures  et  d'humiliations  il  vous  faudra  passer 
avant  d'expirer  sur  cette  Croix  î  elles  surpassent  tout 
ce  que  l'imagination  peut  se  représenter.  Bien  cruelles 
sont  aussi  les  souffrances  du  cachot  expiatoire,  où  l'on 
est  séparé,  sans  savoir  pour  combien  de  temps,  du 
Dieu  que  l'on  aime  passionnément,  et  brûlé  dans  un 
feu  qui  ne  le  cède  pas  en  rigueur  à  celui  de  l'enfer. 
Pour  ne  pas  en  être  aujourd'hui  la  victime,  je  me  réserve 
encore  l'indulgence  de  cette  Station . 

3e  STATION 

lre   CHUTE. 

Quand  nous  tombons  dans  le  péché,   que  de  mal 


406  CHEMIN  DE  LA    CHOIX 

nous  faisons  à  Dieu  et  à  nous-mêmes  !  à  Dieu  que  nous 
outrageons  avec  audace,  lui  qui  mérite  si  peu  de 
l'être:  tant  est  grande  sa  bonté,  et  respectable  sa  ma- 
jesté !  à  nous-mêmes,  car,  après  tout  ce  qu'il  en  a  coûté 
pour  obtenir  le  pardon,  il  nous  reste  encore  à  subir 
des  peines  réclamées  par  la  divine  justice.  Et  si  nous 
sommes  assez  ennemis  de  nos  intérêts  pour  en  ren- 
voyer l'expiation  à  cette  autre  vie  où  Ton  ne  peut  plus 
mériter,  rien  absolument  ne  pourra  les  adoucir  que 
vos  mérites,  ô  Jésus  !  dont  l'application  ne  pourra 
nous  être  faite  que  par  nos  frères  qui  seront  encore 
sur  la  terre.  Nous  les  réclamons  donc  pour. . . 

4e   STATION 

COMPASSION   DE    MARIE. 

O  Mère  de  miséricorde  aussi  bien  que  de  douleur  ! 
Vous  qui  vîntes  prendre  part  aux  souffrances  et  aux 
humiliations  de  votre  Fils  ;  vous  qui  depuis  n'avez 
jamais  vu  de  douleur  sans  y  compatir,  et  que  pour 
cela  on  ap^cUeConsolatrice  des  affligés,  pourrez-vous 
voir,  sans  en  être  touchée,  les  tourments  affreux  de 
ces  âmes  retenues  dans  le  lieu  de  l'expiation  ?  Elles 
sont  les  amis  de  votre  Jésus  ;  elles  sont  aussi  vos  en- 
fants ;  elles  vous  ont  honorée  pendant  la  vie  ;  car  au- 
trement ne  souffriraient-elles  qu'en  purgatoire?  Le 
trésor  des  indulgences  est  aussi  alimenté  par  vos  mé- 
rites et  vos  satisfactions  surabondantes.  Veuillez  donc 
ô  bonne  Mère  !  en  obtenir  l'application  à. . . 

5e  STATION 

SECOURS    DU    CYRÉNÈEN. 

La  générosité  du  Cyrénéen  vous  a  fait  éprouver,  ô 
Jésus  !  combien  est  consolant  le  secours  dans  la  souf- 
france. Quel  bienfait  donc  et  quelle  joie  pour  les  âmes 
qui  expient  les  restes  de  leurs  fautes,  non  pas  seule- 


CHEMIN    DE  LA  CROIX  407 

ment  sous  le  fardeau  d'une  croix,  mais  dans  un  feu 
attisé  par  votre  justice,  si  aujourd'hui  vous  alliez  les 
soulager  en  y  répandant  une  goutte  de  vos  sueurs  et 
de  votre  sang  !  Mais  vous  voulez  que  ce  soit  nous  qui 
la  prenions  cette  goutte  salutaire,  pour  la  jeter  au  mi- 
lieu de  leurs  brasiers.  C'est  ce  que  je  me  propose,  en 
appliquant  cette  indulgence  à. .. 

6e  STATION 

JÉSUS   ESSUYÉ    PAR    VÉRONIQUE. 

Vous  avez  reconnu  votre  image,  ô  Jésus  !  dans  ces 
âmes  qui  sont  l'objet  de  ma  prière  ;  et  c'est  pour  cela 
qu'elles  ont  l'assurance  de  vous  voir  au  ciel  dans  toute 
la  splendeur  de  votre  beauté.  Mais  de  légères  offenses 
et  des  restes  de  fautes  insuffisamment  expiées  ternissent 
encore  l'éclat  de  leur  pureté.  Avant  de  les  admettre 
à  vous  contempler,  votre  infinie  sainteté  exige 
qu'elles  soient  purifiées  par  d'indicibles  tourments. 
O  bon  Jésus  !  veuillez  en  adoucir  la  rigueur,  ou  en 
abréger  la  durée,  afin  qu'au  plus  tôt  elles  puissent 
jouir  de  votre  présence  dans  le  lieu  de  rafraîchissement 
et  de  paix.  Accordez  cette  faveur  à. .. 

7e  STATION 

2e    CHUTE. 

L'homme  le  plus  juste,  dit  l'Ecriture,  pèche  jusqu'à 
sept  fois  par  jour,  ce  qui  veut  dire  souvent.  Ce  ne  sont 
pas,  sans  doute,  de  ces  fautes  qui  tuent  l'âme  et  la 
précipitent  en  enfer  ;  mais  ce  sont  des  faiblesses  comme 
inhérentes  à  notre  fragile  nature.  Hélas  !  combien  de 
fois  n'en  avons-nous  pas  fait  la  triste  expérience,  après 
les  protestations  d'amour  et  les  promesses  les  plus 
sincères  ou  que  nous  croyons  telles,  malgré  les  grâces 
si  puissantes  des  sacrements  et  des  autres  secours  !  A  la 
vue  de  notre  propre  inconstance,  n'oublions  pas  les 


408  CHEMIN    DE  LA  CHOIX 

fragilités  de  nos  frères  souffrants,  et  le  secours  que 

nous  pouvons  lui  procurer  par  l'indulgence.  Puisse 

celle-ci  profiter  à. . . 

8e  STATION 

CONSOLATION    DONNÉE    AUX    FILLES    DE    JERUSALEM. 

En  voyant  ces  femmes  qui  vous  expriment  par  leurs 
larmes  une  pieuse  compassion,  vous  vous  arrêtez,  ô 
Jésus  !  pour  leur  adresser  une  consolante  parole  : 
c<  Ne  pleurez  point  sur  moi,  on  sur  mes  souffrances, 
leur  dites-vous  :  il  y  a  plus  à  s'en  réjouir  qu'à  s'en 
attrister  :  c'est  pour  votre  rédemption  que  je  souffre 
et  que  je  vais  mourir.  Ah  !  Seigneur,  puisque,  au  plus 
fort  même  de  vos  angoisses,  votre  àme  fut  si  compa- 
tissante, le  serait-elle  moins  maintenant  au  séjour  de 
la  gloire?  Et  si  vos  consolations  sont  pour  les  grandes 
douleurs,  pourriez-vous  les  refuser  à  ces  pauvres  cap- 
tifs qui  crient  vers  vous  du  fond  de  l'abîme  ?  Soyez 

propice  à  lame  de... 

0e   STATION 

3e    CHUTE. 

Vous  êtes  admirable  de  bonté,  Seigneur,  dans  la 
sanctification  de  vos  élus.  Ceux  qui  sont  loin  de  vous, 
gémissant  encore  plus  de  cette  séparation  que  des 
maux  qu'ils  endurent,  n'ont-ils  pas  été  l'objet  de  vos 
inépuisables  miséricordes?  Tant  de  fois  vous  les  avez 
relevés  de  leur  chutes .  préservés  de  plus  profondes 
encore,  éclairés  quand  ils  s'aveuglaient,  ramenés 
quand  ils  s'égaraient,  guéris  quand  ils  s'étaient  bles- 
sés, ce  n'est  que  par  les  soins  assidus  de  votre  pater- 
nelle sollicitude  qu'ils  sont  arrivés  au  terme.  Achevez, 
is  !  ce  que  vous  avez  si  merveilleusement  com- 
mencé. Il  y  a  dans  vos  chutes  multipliées  et  dans 
votre  sang,  plus  de  grâces  qu'il  n'en  faut  pour  com- 
pléter  leur  justification.  Faites-en  part  à. . . 


CHEMIN  DE  LA  CHOIX  400 

10e  STATION 

DÉPOUILLEMENT   DES    HABITS. 

Cet  état  de  nudité  où  vous  voilà  réduit,  ô  divin 
Jésus  !  nous  apprend,  ainsi  que  votre  naissance  et  la 
suite  de  toute  votre  vie,  que  nous  devons  détacher 
nos  cœurs  de  tous  les  objets  terrestres,  dont  l'a- 
mour excessif  diminuerait  d'autant  celui  que  nous 
devons  à  Dieu.  C  est  pour  n'avoir  pas  assez  pra  - 
tiqué  cette  abnégation,  que  tant  d'âmes  subissent  dans 
les  tourments  une  épuration  devenue  nécessaire.  Ah  ! 
Seigneur ,  ne  regardez  pas  à  leurs  imperfections  ; 
mais,  par  les  mérites  de  votre  dépouillement,  qui  vous 
a  causé  tout  à  la  fois  tant  de  honte  et  de  douleur, 
faites  cesser  ou  du  moins  mitigez  la  rigueur  de  leur 
supplice .  Accordez  cette  grâce  à . . . 

11e  STATION. 

CRUCIFIEMENT 

Ici,  ô  mon  doux  Sauveur  !  commence  d'une  manière 
plus  significative  votre  immolation.  Jusque-là,  vous 
n'aviez  que  porté  votre  Croix,  ici  l'on  vous  y  attache  ; 
vos  pieds  et  vos  mains  sont  percés  et  déchirés  par  les 
clous ,  votre  sang  s'échappe  à  grands  flots,  et  vous 
l'offrez  à.  votre  Père  pour  les  vivants  et  pour  les  morts, 
pour  tous  les  membres  de  votre  Eglise.  Sur  la  terre, 
il  justifie  les  fidèles,  leur  étant  appliqué  par  les  sa- 
crements :  au  ciel,  il  intercède  encore  pour  nous  ;  vos 
glorieuses  cicatrices  sont  comme  autant  de  bouches 
qui  demandent  grâce  :  au  purgatoire,  il  peut  éteindre 
ou  modérer  l'activité  des  flammes .  Je  vous  le  demande 
pour . . . 

12e   STATION. 

MORT  SUR   LA   CROIX 

Votre  mort,  ô  Jésus  !   nous  a  rendu  nos  droits  à 


410  CHEMIN   DE  LA  CROIX 

l'héritage  céleste,  dont  le  péché  d'Adam  et  nos  propres 
fautes  nous  auraient  exclus  à  jamais.  Les  âmes  du  pur- 
gatoire soupirent  sans  cesse  après  le  Dieu  dont  elles 
ont  vu  au  jugement  la  ravissante  beauté  :  sans  cesse 
elles  s'élancent  vers  l'heureuse  patrie  ;  mais  une  main 
inexorable  les  repousse  continuellement,  et  les  tient 
enchaînées  dans  leur  prison  de  feu  :  rien  de  souillé  ne 
peut  être  admis  devant  le  Dieu  trois  fois  Saint.  0  doux 
Sauveur  des  hommes  !  ne  laissez  point  imparfaits  pour 
ces  âmes  les  effets  de  votre  mort  ;  réalisez  en  leur  fa- 
veur ce  mot  délicieux  adressé  au  bon  larron  :  Vous 
serez  aujourd'hui  arec  moi  en  paradis;  ou  cet  autre  : 
Tout  est  consom?née>  Oui,  qu'il  soit  ainsi  pour. . . 

13e   STATION. 

DESCENTE  DE  LA   CROIX. 

La  mort  a  mis  fin  à  vos  tourments,  ô  Jésus  !  et  vos 
fidèles  disciples  vous  préparent  le  repos  de  la  tombe. 
Pour  les  âmes  du  purgatoire,  au  contraire,  la  mort, 
loin  de  mettre  fin  à  leurs  tourments,  leur  en  fait  sup- 
porter de  bien  plus  cruels  que  ceux  qu'elles  avaient 
endurés  pendant  leur  vie.  Ah  !  puissent-elles  sortir 
bientôt  de  cette  espèce  de  tombeau  où  les  flammes  les 
consument,  pour  passer  de  ce  lieu  de  désolation  et 
d'horreur  à  la  brillante  clarté  du  ciel. 

14e  STATION. 

DESCENTE    DANS  LES   LIMBES. 

Pendant  que  votre  corps,  toujours  uni  à  la  divinité, 
repose  dans  le  silence  de  la  tombe,  vous  ne  restez  point 
inactif,  ô  Jésus  !  votre  sainte  âme  va  consoler  les  justes 
retenus  dans  les  limbes,  et  leur  apprendre  qu'étant  ra- 
chetés,  Le  jour  de  leur  délivrance  est  proche.  Ah  !  «lu 


CHEMIN  DE  LA  CROIX  411 

haut  du  ciel  où  vous  êtes  assis  dans  le  repos  de  votre 
gloire,  daignez  venir  visiter  et  consoler  au  purgatoire, 
autres  limbes,  des  âmes  justes  aussi,  mais  pas  suffisam- 
ment épurées.  Annoncez-leur  la  fin  de  leur  captivité, 
et  emmenez-les  triomphantes  pour  régner  avec  vous 
durant  les  perpétuelles  éternités.  Puissent  ces  saints 
Exercices  avoir  procuré  ce  bonheur  à  celles  que  nous 
avons  recommandées  ! 


NOTES  •  413 


NOTES 

Ces  Notes,  pour  la  plupart,  s'appelleraient  mieux 
Compléments  du  Chapitre;  mais  elles  l'auraient  par 
trop  allongé,  et  nous  n'avons  pas  voulu  en  priver  la 
pieuse  curiosité  des  lecteurs . 

NOTE  Ve,  page  8. 

Encore  quelques  détails  sur  l'asservissement  et  l'ab- 
jection de  la  femme  chez  beaucoup  de  nations.  «  Elle 
est,  dit  M.  le  Comte  de  Maistre,  sacrifiée  dans  l'Inde 
sur  le  tombeau  de  son  époux;  esclave  sous  le  Coran  ; 
bête  de  somme  chez  le  sauvage.  »  —  Dans  certains  pays 
de  l'Orient,  on  refuse  la  monnaie  d'Espagne,  parce 
qu'elle  porte  l'effigie  d'une  Reine.  —  En  Chine,  la  fa- 
mille prend  le  deuil,  quand  une  fille  vient  au  monde  ; 
le  père  l'expose  ;  devenue  grande  il  la  vend,  à  moins 
qu'il  ne  l'ait  tuée,  car  il  a  ce  droit  :  la  femme  est  con- 
damnée à  l'ilotisme  des  anciens  esclaves  :  la  polygamie 
avec  tous  ses  excès  immoraux  entre  dans  les  mœurs 
publiques.  —  Dans  l'Indoustan  en  particulier,  une  lé- 
gislation cruelle  oblige  la  femme  à  se  laisser  consumer 
toute  vive  sur  le  bûcher  avec  les  restes  du  mari  décédé. 
—  En  Afrique,  on  la  vend  à  vil  prix  :  et  quand  le  voya- 
geur lui  demande  le  chemin,  elle  n'a  que  cette  réponse 
qui  révèle  sa  servitude  en  révélant  son  ignorance  :  «  Je 
ne  puis  le  montrer,  car  je  ne  suis  qu'une  femme.  »  — 
Dans  la  Nigritie,  la  femme  traîne  la  charrue,  tandis 
que  le  mari  à  ses  côtés  fume  tranquillement  son  calu- 
met. —  Le  Siamois  ne  maltraite  pas  sa  femme,  mais  il 
lui  fait  sentir  avec  hauteur  sa  supériorité.  C'est  elle 
aussi  qui  laboure  le  champ,  qui  porte  les  gros  fardeaux. 

"ARA.PHRASB.     —  T.     II.  24 


414  NOTES 

qui  fait  le  rameur  dans  les  embarcations.  Elle  ne  mange 
que  quand  son  mari  a  mangé  et  après  l'avoir  servi  elle- 
même  à  table .  Jamais  elle  n'est  admise  à  ses  promena- 
des ou  à  ses  visites,  et  ne  partage  aucun  de  ses  hon- 
neurs, aucun  de  ses  plaisirs. 

NOTE  2e,  page  15. 

Pour  qui  Jésus-Christ  réserva-t-il  ses  faveurs  de 
pardon  et  de  louanges  ?  Chose  régulièrement  remarqua- 
ble, nous  voyons  dans  l'Evangile  que  ce  sont  des 
femmes  qui  en  deviennent  plus  souvent  l'objet.  Noos 
en  avons  pour  preuve  Madeleine,  cette  pécheresse  pu- 
blique, dont  il  préconise  la  générosité  que  tout  l'uni- 
vers redira  ;  la  femme  adultère,  qu'il  délivre  de  ses 
accusateurs  et  de  son  péché  ;  la  Samaritaine,  à  qui  il 
promet  l'eau  qui  rejaillit  jusqu'à  la  vie  éternelle,  en 
échange  de  celle  qu'il  lui  demande;  la  Cananéenne,  qui 
pour  sa  foi  vive  mérite  le  plus  bel  éloge  et  la  guérison 
de  sa  fille  ;  Marthe  et  la  veuve  désolée  deNaïm,  aux- 
quelles, par  son  ordre,  la  mort  rend  ses  victimes  ;  cette 
autre  veuve,  dont  le  denier  est  si  fort  exalté;  ces  saintes 
femmes,  dont  il  console  la  douleur  compatissante  ;  et 
ces  autres  encore  qui,  plus  privilégiées  que  les  apôtres, 
reçoivent  les  premières,  au  sépulcre,  de  la  bouche 
même  de  l'Ange,  X Alléluia  de  la  résurrection,  qu'elles 
sont  chargées  d'aller  ensuite  publier.  Ces  privilèges 
bien  marqués  du  divin  Maître  à  l'égard  de  ces  femmes, 
ne  sont-ils  pas  comme  un  acte  d'émancipation,  auquel 
il  ne  sera  plus  dérogé  ? 

NOTE  3',  page  20. 

C'est  une  opinion,  malheureusement  trop  accréditée, 
que  la  dévotion  pour  la  sainte  Vierge  doit  être  le  par- 
tage presque  exclusif  des  personnes  de  son  sexe.  Ne 
semble-t-il  pas  au  contraire,  que  Jésus-Christ  ait  voulu 
prévenir  cette  grave  erreur,  en  choisissant  des  hommes 


NOTES  H g 

plutôt  que  des  femmes,  pour  être  en  rapport  avec  sa 
sainte  Mère?  Ainsi,  quoique  Vierge,  il  la  confie  non  à 
une  femme,  mais  à  un  saint  Patriarche  qui  l'honore 
d'un  culte  de  protection,  de  respect  et  de  chaste  fidélité. 
—  Durant  sa  vie  apostolique,  c'est  avec  la  parenté 
'masculine y  les  frères  ou  cousins  de  Jésus,  que  Marie 
parait  se  trouver  le  plus  souvent.  —  Au  moment  de 
mourir,  est-ce  à  Marthe,  à  l'autre  Marie,  à  Madeleine, 
dont  lui-même  aimait  à  recevoir  les  hommages  et  les 
soins,  qu'il  la  remettra?  Non  ;  c'est  à  son  Disciple  bien- 
aimé,  avec  qui  elle  achèvera  ses  jours.  Et  par  cet  acte 
solennel  signé  de  son  sang,  c'est  des  hommes  repré- 
sentés par  saint  Jean,  plus  en  quelque  sorte  que  des 
femmes,  qu'elle  est  constituée  la  Mère. 

NOTE  4e,  page  25. 

C'est  surtout  dans  une  maladie,  qui  présente  des 
symptômes  alarmants,  que  grand  est  l'empire  d'une 
fille  angélique  ou  d'une  épouse  saintement  dévouée. 
Figurez-vous,  en  effet,  un  homme  impie  ou  indifférent, 
qui  même  en  présence  de  la  mort  parait  décidé  à  fran- 
chir le  pas  du  temps  à  l'éternité  sans  les  secours  de  la 
religion . 

Voyez  à  son  chevet  une  épouse  vraiment  chrétienne, 
qui,  en  prodiguant  au  corps  tous  les  soins  d'une  ingé- 
nieuse tendresse,  a  plus  de  souci  encore  de  l'ànie  de  ce 
cher  époux.  Supposez  qu'elle  lui  dise  sur  le  ton  le  plus 
affectueux,  en  lui  montrant  l'anneau  nuptial  :  «  Mon 
ami,  vois-tu  cet  anneau  que  le  prêtre  bénit  jadis  comme 
sanction  de  nos  engagements  au  pied  de  l'autel?  En  ce 
moment  nous  promimes  de  nous  aimer  toujours,  tou- 
jours. Cependant  une  pensée  me  navre  actuellement  le 
cœur  ;  j'espère  qu'il  n'en  sera  rien  cette  fois...  mais 
enfin,  un  jour  arrivera  que  je  pleurerai  sur  ta  tombe, 


•ilti  ROTES 

ou  que  tu  pleurerai  sur  la  mienne:  c'est  inévitable. 
Eh  bien  !  laisse-moi  te  le  dire  :  si  tu  as  raison  de  ne 
croire  à  rien  de  ce  que  la  foi  enseigne  sur  une  autre 
vie,  nous  n'avons  donc  rien  à  espérer  après  la  mort 
que  le  néant.  Le  néant  !  où  l'on  ne  peut  plus  s'aimer, 
puisqu'il  n'y  a  plus  de  vie  !  et  alors  que  deviendra  ce 
mot  toujours  ?  Mais,  si  j'ai  raison  de  ma  piété  que  tu 
traites  de  folie  ;  mais  s'il  y  a  un  ciel  pour  ceux  qui  au- 
ront craint  et  servi  Dieu,  et  un  enfer  pour  les  contemp- 
teurs de  sa  loi.  il  faudra  donc  nous  séparer,  nous  séparer 
pour  jamais,  puisque  la  voie  où  nous  marchons  n'est 
pas  la  même  :  et  alors  encore  que  deviendra  ce  mot 
toujours?  Est-ce  bien  la  peine  de  s'aimer  comme  nous 
nous  aimons,  pour  nous  aimer  si  peu  de  temps  ?  0 
mon  ami,  ne  veux-tu  donc  pas  dès  aujourd'hui  pren- 
dre le  même  sentier  que  moi  ?  Oui,  n'est-ce  pas  ?  tu 
accueilleras  le  prêtre  dont  la  douce  figure  ne  fait  ja- 
mais mourir  :  tu  lui  confieras  tous  les  secrets  de  ton 
cœur,  toutes  les  peines  de  ton  àme,  tandis  que  je  prierai 
pour  toi  le  Père  des  miséricordes,  qui  ne  veut  point  la 
mort  du  pécheur.  Et  alors,  cher  ami,  je  serai  heureuse: 
oh  î  oui,  bien  heureuse  ;  car  mon  cœur  soulagé  pourra 
t'aimer  tout  à  son  aise,  en  pensant  qu'il  pourra  t  aimer 
toujours.  » 

Un  pareil  langage  ne  peut  qu'être  tout-puissant. 
C'en  est  fait  :  cet  homme  a  senti  son  àme  s'attendrir 
aux  accents  de  cet  ange  que  le  ciel  lui  donna  pour 
compagne.  Terrassé,  comme  autrefois  Saul  sur  le 
chemin  de  Damas,  il  s'avoue  vaincu  et  il  demande  un 

confesseur. 

NOTE  5e,  page  52. 

Ce  n'est  pas  sans  intérêt  que  l'on  verra  avec  quel- 
ques détails  la  preuve  de  ce  que  nous  venons  d'avan- 
cer  en  général.   D'abord,  tous  les  ordres,  différents 


NOTES  417 

dans  leurs  formes  de  dévotion  envers  Marie,  s'accor- 
dèrent à  lui  attribuer  leur  naissance  et  leur  progrès . 
Dans  tous  aussi,  c'est  un  usage  invariable  de  l'hono- 
rer chaque  jour  au  soir  par  le  chant  collectif  du  Salve 
Reffina,  qui,  la  proclamant  Mère  en  même  temps  que 
Reine,  place  sous  sa  garde  le  repos  de  la  Communauté. 
Mais  chaque  Ordre  en  particulier  se  distingue  par 
quelque  dévotion  qui  lui  est  spéciale.  Ainsi,  l'Ordre 
patriarcal  de  saint  Benoît  eut  pour  règle  d'honorer  la 
Vierge  par  la  première  station  de  la  Procession  qui 
avait  lieu  chaque  dimanche.  —  L'ordre  des  Prémon- 
trés, par  la  blancheur  de  son  costume,  se  montrait 
visiblement  consacré  à  la  Vierge  très  pure.  —  Celui 
des  Servites,  issu  du  vœu  de  pénitence  et  de  pauvreté 
que  firent  à  la  Vierge  sept  riches  marchands  de  Flo- 
rence, avait  pour  écusson  sept  lis  reliés  par  un  M 
couronné,  symbole  très  expressif  de  la  Maternité  vir- 
ginale de  Marie,  dont  ils  s'honoraient  d'être  les  servi- 
teurs. —  L'Ordre  de  la.  Merci  ou  de  la  Rédemption  des 
captifs,  qui  mérita  si  bien  de  la  Religion  et  de  l'hu- 
manité, dut  son  institution  à  une  triple  apparition  de 
la  Vierge.  —  Qui  ne  sait  que  les  trois  grands  Ordres  du 
Carmel,  de  saint  Dominique  et  de  saint  François, 
furent  plus  spécialement  encore  les  Ordres  privilégiés 
de  Marie  !  Ils  en  portent  le  signe  et  le  gage  très  net- 
tement formulés,  l'un  dans  le  Scctpitlàire,  l'autre  dans 
le  Rosaire,  et  le  troisième  dans  le  privilège  de  la  Por- 
tioncule.  Et  qui  ne  sait  encore  que  par  eux  le  culte  de 
la  Vierge  sauva  le  monde  des  ténèbres  de  la  cor- 
ruption ! 

Quand  aux  Ordres  religieux  de  femmes,  beaucoup 
plus  nombreux  et  dont  la  nomenclature  serait  trop  lon- 
gue, il  n'en  est  aucun  qui  ne  mette  la  dévotion  à  Marie 
pour  base  de  ses  constitutions. 


'ils  NOTES 

Cette  dévotion  fut  également  l'ànie  de  ces  autres 
Sociétés  qui  vinrent  au  secours  de  l'Eglise  avec  un 
dévouement  des  plus  admirables .  Telles  sont  notam- 
ment la  Compagnie  de  Jésus,  les  Oratoriens,  les  La- 
zaristes, les  Sulpiciens,  auxquels  sont  venus  se  join- 
dre de  nos  jours  les  Maristes,  les  Oblats  de  Marie,  la 
Congrégation  du  saint  Cœur  de  Marie,  les  Prêtres  de 
l'Immaculée  Conception,  etc..  Citer  ces  noms,  c'est 
dire  assez  ce  qu'ils  sont  pour  la  sainte  Vierge.  11  se- 
rait édifiant  de  voir  dans  le  détail  de  leur  vie,  de 
leurs  exercices  religieux,  de  leurs  entreprises  si  in- 
dustrieuses pour  le  salut  des  âmes,  comment  elle 
intervient  pour  tout,  et  aussi  quels  beaux  succès  elle 
procure  ! 

NOTE  8«,  page  55. 

a  Mais,  dit  le  P.  Ventura,  si  le  culte  et  la  vénéra- 
tion des  saintes  images  de  Marie  ont  une  influence  si 
efficace  sur  la  vie  sociale,  ils  sont  par-dessus  tout  une 
source  de  consolation  à  l'article  de  la  mort.  En  assis- 
tant les  moribonds,  j'ai  toujours  observé  que  les  âmes 
pieuses,  qui  pratiquèrent  durant  la  vie  une  sincère  dé- 
votion à  la  Vierge,  ont  fini  avec  des  sentiments  de 
résignation,  de  confiance,  de  paix,  de  douce  tranquil- 
lité :  et  ceux  qui  eurent  le  malheur  de  commettre  des 
fautes  graves,  sont  facilement  amenés  au  repentir  et 
à  l'espérance  du  pardon.  Il  suffit  de  leur  rappeler  la 
charité  miséricordieuse  de  Marie  envers  les  pécheurs, 
de  leur  en  montrer  l'image  et  de  leur  faire  invoquer 
son  saint  nom.  Dernièrement  encore,  j'ai  vu  un  chré- 
tien prononcer  en  expirant  les  noms  de  Jésus  et  de 
Marie  avec  une  telle  douceur  et  une  telle  joie,  qu'il  est 
impossible  de  ne  pas  le  croire  déjà  en  possession  de 
la  gràcedu  pardon,  et  de  la  gloire  <■ 


NOTES  -il  9 

NOTE  7%  page  85. 

La  montagne  du  Carmel  était  très  célèbre  dans 
l'histoire  dn  peuple  de  Dieu  par  le  séjour  d'Elie,  par 
les  miracles  qu'il  y  fit,  et  les  apparitions  dont  Dieu  l'y 
favorisa.  Après  lui,  Elisée  et  d'autres  fils  de  prophètes 
continuèrent  d'y  demeurer.  C'est  une  opinion  assez 
fondée  que,  dès  le  temps  des  apôtres,  un  certain  nom- 
bre de  nouveaux  convertis,  attirés  par  ces  précieux 
souvenirs,  se  retirèrent  dans  cette  solitude  et  y  bâti- 
rent une  petite  chapelle  à  la  Mère  de  Dieu ,  qu'ils 
avaient  eu  le  bonheur  de  voir  en  personne.  Ce  qui  est 
certain,  c'est  que,  dans  le  12e  siècle,  des  ermites  y 
formaient  une  Communauté  qui  voulait  imiter  dans 
la  prière  et  la  pénitence  l'esprit  d'Elie  :  ils  étaient 
connus  sous  le  nom  de  Frères  de  la  bienheureuse  Ma- 
rie du  Mont-Carmel.  De  là  quelques-uns  vinrent  fon- 
der un  premier  monastère  près  de  Marseille  :  et  peu 
de  temps  après,  ils  en  établissaient  un  second  en  An- 
gleterre. 

Pendant  ce  temps-là,  la  sainte  Vierge  avait  préparé 
une  autre  solitaire,  appelé  Simon  Stock.  Dès  l'âge  de 
douze  ans,  il  fut  conduit  au  désert  par  l'esprit  de  Dieu 
et  fixa  sa  demeure  dans  le  creux  d'un  gros  chêne,  ce 
qui  lui  a  fait  donner  le  surnom  de  Stock,  qui  en  an- 
glais signifie  tronc  d'arbre.  Là,  sa  vie  n'était  qu'une 
succession  de  prières  et  de  pénitence  :  il  mortifiait  son 
corps  par  le  jeune  et  toute  sorte  d'austérités,  ne  buvant 
que  de  l'eau,  ne  mangeant  que  des  herbes,  des  racines 
ou  des  fruits  sauvages  :  en  même  temps,  la  tendre 
dévotion  envers  la  sainte  Vierge,  dont  il  avait  été 
prévenu  dès  le  berceau,  devenait  de  plus  en  plus  ar- 
dente, il  y  avait  25  ans  que  Simon  vivait  de  cette  vie 
angélique,  lorsqu'une  révélation  lui  apprit  que  quel- 
ques Pères  du  Carmel  venaient  de  s'établir  dans  ces 


120  NOTES 

contrées.  Il  alla  les  visiter  ;  et  la  vie  pénitente  qu'ils 
menaient,  autant  que  leur  tendre  dévotion  envers  la 
sainte  Vierge,  le  détermina  à  rester  parmi  eux.  Bien- 
tôt sa  ferveur  et  sa  régularité  le  tirent  choisir  pour 
supérieur  général .  Il  ressentit  alors  un  désir  de  plus 
en*  plus  ardent  de  demander  à  la  sainte  Vierge  pour 
son  ordre  une  faveur  toute  spéciale,  qui  le  distinguât 
et  lui  fût  un  gage  de  protection.  Après  plusieurs  an- 
nées de  prières  et  de  pénitence  redoublées,  la  sainte 
Vierge  lui  apparut  environnée  d'une  foule  d'anges,  et 
tenant  en  ses  mains  l'insigne  sacré  du  Scapulaire 
qu'elle  lui  donna  en  lui  adressant  ces  paroles  :  «  Prends, 
mon  cher  enfant,  ce  Scapulaire  que  j'accorde  à  l'Ordre 
des  Carmes  et  à  tous  les  Confrères,  comme  un  gage  de 
ma  bienveillance  toute  particulière  ainsi  que  de  ma 
constante  protection.  »  Dès  ce  moment,  les  faveurs 
signalées  dont  la  sainte  Vierge  se  plut  à  combler  ceux 
qui  portaient  cette  livrée,  augmentèrent  extraordinai- 
rement  la  Dévotion  du  Scapulaire,  que  les  Carmes 
se  réservèrent  de  donner  par  eux-mêmes  ou  par  des 
prêtres  qui  en  obtiendraient  le  pouvoir.  De  là  le  nom 
de  Notre-Dame  du  Mont-Carmel  donné  à  la  Fête  qui 
fut  fixée  au  16  juillet,  jour  de  l'apparition. 

Les  avantages  de  cette  Confrérie  sont  singulièrement 
précieux.  D'abord,  on  a  part  aux  mérites  et  à  toutes 
les  bonnes  œuvres  de  l'Ordre  si  pieux  des  Carmes  et 
Carmélites,  et  de  tous  les  membres  de  la  Confrérie  si 
nombreux  dans  l'univers.  —  Ensuite  la  dévotion  de 
porter  le  Scapulaire  donne  comme  un  droit  aux  fa- 
veurs privilégiées  de  la  sainte  Vierge,  qui  à  cette  mar- 
que nous  reconnaîtra  pour  ses  enfants  :  au  lieu  que 
sans  cela,  elle  pourrait  nous  dire,  comme  l'époux  aux 
vierges  folles  :  Je  ne  vous  connais  pas'}  nescio  vos. 
—  De  plus,  le  Scapulaire,  comme  l'indique  son  nom 


NOTES  421 

(scaptda,  épaule),  est  un  vêtement,  une  espèce  de  cui- 
rasse contre  les  ennemis  du  salut,  le  monde,  le  démon , 
nous-mêmes,  dont  nous  avons  le  plus  à  redouter  et  dont 
nous  nous  défions  le  moins.  Or,  étant  toujours  exposés 
aux  traits  de  ces  ennemis,  sans  savoir  ni  le  jour  ni 
l'heure  de  l'assaut,  qui  arrive  ordinairement  à  l'impro- 
viste,  n'est-ce  pas  prudence  de  nous  protéger  par  cette 
armure  souverainement  défensive?  Ce  n'est  pas  que 
sans  ce  signe  on  ne  puisse  obtenir  la  victoire  ;  mais 
elle  est  par  là  plus  assurée.  Ajoutons  que  la  vue  seule 
de  cette  image  fait  reculer  à  l'approche  du  crime,  porte 
au  respect  pour  soi-même,  et  peut  arrêter  une  main 
imprudente  qui  voudrait  une  satisfaction  défendue. 
Combien  aussi  de  pécheurs  ont  senti  leur  confiance 
renaître  à  la  seule  pensée  de  ce  saint  habit  placé  sur 
leur  poitrine  !  Que  de  fois  un  criminel  jusque-là  impé- 
nitent fondit  en  larmes  après  l'avoir  accepté,  reconnut 
ses  forfaits  et  en  obtint  le  pardon  !  Que  d'endurcis  à 
l'article  de  la  mort  il  a  attendris  et  sauvés  de  l'enfer  ! 
C'est  même  au-delà  du  tombeau  que  s'étendent  ses 
bienfaisants  effets  ;  la  sainte  Vierge  s'étant  engagée 
envers  ceux  qui  l'auraient  porté  avec  foi,  à  descendre 
au  purgatoire  le  samedi  après  leur  mort  pour  les  en 
délivrer. 

Quant  aux  effets  non  moins  prodigieux  dans  l'ordre 
temporel  produits  par  ce  saint  habit ,  ils  sont  trop 
nombreux  pour  que  nous  puissions  les  signaler  en 
détail.  Mais  l'histoire  redira  à  tous  les  siècles  bon 
nombre  d'incendies  éteints,  de  naufrages  évités,  de 
balles  aplaties,  d'épées  s'émoussant,  de  boiteux  re- 
dressés, d'aveugles  éclairés,  de  paralytiques  redeve- 
nus agiles,  de  morts  même  ressuscites  par  la  vertu  du 
Scapulaire. 

Après  de  telles  faveurs  en  tous  genres,  qui  de  nous 


122  ROTES 

ne  s'empresserait  de  se  couvrir  de  cette  puissante 
armure,  de  se  parer  d'une  si  honorable  livrée,  tant 
chérie  de  notre  Mère  !  Et  ne  pensons  pas  que  cette 
Dévotion  soit  bonne  seulement  pour  le  vulgaire.  Elle 
n'a  pas  été  dédaignée  par  des  milliers  de  hauts  per- 
sonnages dans  toutes  les  classes,  Papes,  Cardinaux, 
Evêques,  Empereurs.  Princes  et  Princesses.  On  dit 
entre  autres  de  Clément  VIII,  qu'après  son  exaltation 
au  souverain  Pontificat .  voyant  que  l'officier  qui  le 
dépouillait  de  ses  vêtements  de  Cardinal,  voulait  lui 
ôter  aussi  son  Scapulaire,  parce  que  l'habit  du  pape 
renferme  éminemment  la  vertu  de  tous  les  autres 
habits,  le  pieux  Pontife  s'y  opposa  en  lui  disant  : 
«  Laissez-moi  Marie,  de  peur  que  Marie  ne  me  laisse.  » 
Mais,  sans  interroger  les  siècles  passés,  dans  les  der- 
nières guerres  de  Crimée  et  d'Italie,  combien  de  nos 
soldats,  à  l'exemple  de  leurs  dignes  chefs,  n'ont  pas 
rougi  de  se  munir  de  ce  bouclier  qu'ils  avaient  reçu 
d'une  main  chérie,  et  qui  les  protégea  ! 

NOTE  8%  page  90. 

Si  le  Protestantisme  a  échoué  en  France,  ce  n'est 
point  comme  en  Espagne  et  en  Italie,  qu'il  n'ait  pu  y 
pénétrer  et  y  faire  toutes  ses  expériences  de  séduction 
et  de  révolte  :  non  ;  il  y  est  entré  par  toutes  les  portes, 
il  y  a  organisé  des  forces  rivales,  supérieures  quelque- 
fois à  celles  de  l'Etat  :  il  a  appelé  à  son  aide  l'étranger 
et  lui  a  livré  les  clefs  du  royaume  :  il  a  occupé  des 
postes  éminents  partout,  dans  la  magistrature,  dans 
l'armée,  dans  la  politique,  à  la  cour,  il  a  été  près  de 
s'asseoir  sur  le  trône  :  pendant  deux  siècles  enfin,  il  a 
joué  chez  nous  sa  grande  partie ,  celle  d'où  dépen- 
daient les  destins  religieux  du  monde,  et  il  a  été 
vaincu.  Vaincu,  non  par  un  système  politique  ou  re- 


NOTES  423 

ligieux  de  répression,  mais  par  la  seule  force  du  tem- 
pérament français  éminemment  catholique;  par  la 
Ligue,  c'est-à-dire  par  la  nation .  Et  c'est  le  culte  de 
la  Vierge  qui,  après  avoir  subi  toutes  les  épreuves  de 
la  lutte,  a  recueilli  les  honneurs  de  la  victoire.  C'est 
par  l'insulte  à  ce  culte  qu'a  débuté  et  s'est  signalée 
partout  la  Réforme  ;  c'est  par  son  zèle  à  le  défendre 
que  la  France  s'est  illustrée.  Ainsi,  Ja  Vierge  a  sauvé 
la  France,  et  par  la  France  l'Europe  et  le  monde  de 
l'hérésie,  qui  à  dater  de  cette  défaite  n'a  cessé  de 
décliner. 

NOTE  9e,  page  120. 

Un  désabusé.  —  Il  y  a  trois  siècles  environ,  un 
jeune  homme  étudiait  à  l'Université  de  Paris.  Son 
infatigable  ardeur  pour  le  travail,  jointe  à  des  facultés 
rares,  lui  avait  obtenu  de  prodigieux  succès.  Mais  sa 
science  et  ses  vues  étaient  tout  humaines  :  dédaigneux 
de  nos  immortelles  destinées,  il  ne  tendait  qu'à  la 
gloire  du  siècle  et  ne  rêvait  que  de  brillants  projets 
d'avenir.  Un  jour  dans  l'intimité  d'une  causerie  , 
un  de  ses  amis ,  plus  avancé  dans  la  science  des 
saints,  lui  demande  par  quel  motif  il  se  dévouait  ainsi 
à  tant  de  fatigues,  de  labeurs  et  de  veilles?  —  Mais, 
lui  répond  le  jeune  étudiant,  c'est  pour  devenir  un 
homme  instruit,  et  me  faire  un  nom  célèbre.  —  Et 
après  ?  répliqua  son  ami.  —  Après  !  je  viserai  à  une 
chaire  dans  la  première  université  du  monde  ;  et  quelle 
gloire  pour  moi  de  voir  se  presser  à  mes  côtés,  accou- 
rir à  ma  parole  tout  ce  qu'il  y  a  de  génies  les  plus 
distingués  !  —  Et  après  ?  demande  encore  l'interlocu- 
teur. —  Après  !  j  e  publierai  mes  leçons ,  qui  seront 
ainsi  un  monument  vivant  et  éternel  de  mon  nom  et 
de  mes  talents.  —  Et  après  ?  —  Après  1  je  dormirai  à 
l'ombre  de  mes  lauriers,  le  front  paré  d'une  couronne 


42  i  NOTES 

de  gloire.  —  Et  après?  —  continua  toujours  le  sage 
ami ...  et  sur  le  bord  de  la  tombe ,  au  seuil  de  l'éter- 
nité ?.. .  0  Xavier,  que  sert  à  l'homme  de  gagner  l'u- 
nir ers,  s'il  perd  son  âme  ?  —  Ces  paroles  furent  pour 
Xavier  comme  un  rayon  lumineux  qui  lui  révéla  un 
nouveau  monde  d'idées.  Celui  qui  les  faisait  entendre, 
le  célèbre  Ignace  de  Loyola,  avait  été,  lui  aussi,  ra- 
mené de  bien  loin  dans  le  chemin  de  la  vertu  et  de  la 
perfection  :  et  Dieu  s'en  servait  pour  convertir  son  ami 
François  Xavier.  Dès  ce  moment,  celui-ci  abandonna 
tous  ses  rêves  de  gloire  :  il  échangea  les  espérances 
de  la  terre,  contre  les  espérances  du  ciel  :  il  passa 
dans  les  Indes  pour  amener  à  la  foi  chrétienne  ces 
pays  infidèles,  et  le  jeune  mondin  devint  un  apôtre, 
un  héros,  un  grand  saint  ! 

NOTE  10  ,  page  137. 

Ln  peur  orgueilleuse.  —  Sur  les  bords  d'un  ruis- 
seau limpide,  croissait  une  fleur  charmante.  Ni  l'azur 
du  ciel,  ni  les  teintes  de  l'aurore,  ni  les  brillantes  cou- 
leurs de  l'arc-en-ciel,  rien  n'égalait  l'éclat  et  la  fraî- 
cheur de  ses  pétales  embaumées.  Elle  vivait  heureuse 
dan<  sa  solitude.  Les  longs  rameaux  du  saule  la  pro- 
tégeaient contre  les  rayons  brûlants  du  soleil ,  et 
l'onde  pure  du  ruisseau,  caressant  doucement  ses 
pieds,  entretenait  sa  frêle  tige  jeune  et  fraîche. 

Mais  u.i  jour  se  mirant  dans  le  cristal  transparent, 
elle  s'enorgueillit  de  sa  beauté  et  se  dit  :  Quoi  !  Dieu 
me  fit-il  si  belle,  pour  naître  et  mourir  dans  ce  lieu 
solitaire  !  Et  dans  son  injuste  courroux,  elle  maudit 
l'arbre  protecteur  dont  le  feuillage  touffu  dérobait  aux 
regards  les  charmes  de  sa  parure  printanière. 

Un  passant  entendit  sa  voix  plaintive;  et  l'ayant 
arrachée  d «  sol  natal,  il  b<  transplanta  sur  les  bords 


NOTES  425 

de  la  route,  où  désormais  sa  grâce  sans  égale  pourrait 
recueillir  le  tribut  d'admiration  qu'elle  ambitionnait. 

Le  lendemain,  aux  premières  lueurs  matinales,  elle 
ouvrit  ses  blanches  corroies.  Jamais  sa  beauté  n'avait 
été  si  radieuse,  jamais  ses  couleurs  si  vives,  jamais 
ses  parfums  si  doux.  Mais  le  soleil  montait  dans  un 
ciel  sans  nuage  ;  bientôt  il  atteignit  le  milieu  de  sa 
course  et  ses  rayons  de  feu  brûlaient  le  sol. 

Quelques  instants  encore,  la  fleur  orgueilleuse  sou- 
tint sa  tête  élevée  au  milieu  de  ses  compagnes  qui 
pâlissaient  devant  elle.  Mais,  hélas  !  le  saule  aux  longs 
rameaux  n'était  plus  là  pour  la  défendre  des  feux  du 
midi  ;  le  ruisseau  pour  entretenir  dans  sa  tige  la  jeu- 
nesse et  la  vigueur,  Avant  la  fin  du  jour,  elle  gisait 
flétrie  sur  le  sol  desséché  ;  et  l'aurore  du  lendemain 
ne  devait  pas  la  revoir  déployer  sa  robe  de  satin. 

Elle  avait  souhaité  l'admiration  et  les  hommages  ; 

elle  trouva  l'humiliation  et  la  mort   :    si  elle  se  rat 

contentée  de  la  place  obscure  où  le  ciel  l'avait  fait 

naître,  avec  la  vie   elle  eût  longtemps  conservé  sa 

grâce  et  sa  beauté. . .  Voulez- vous  plaire  à  Marie  et  à 

Jésus,  aimez  l'obscurité  :  Ama  nesciri  et  pro  nihlto 

reput  a  ri. 

NOTE  11e  page  144. 

La  Dévotion  des  pèlerinages  est  de  la  plus  haute 
antiquité  dans  le  Christianisme,  Nous  en  avons  des 
exemples  sans  nombre  dans  ces  voyages  pieux  aux 
Saints-Lieux  de  la  Palestine ,  aux  tombeaux  des 
apôtres  et  des  martyrs.  Entreprendre  une  longue  et 
pénible  course,  franchir  les  mers,  quelque  fois  m.'me 
au  péril  de  ses  jours,  pour  aller  baiser  la  poussière 
du  saint  Sépulcre,  ou  plus  tard  visiter  les  monuments 
de  la  Rome  chrétienne,  c'était  fréquemment  l'objet 
d'un  vœu  de  la  part  des  populations  alors  pleines  de 

PAPAPHRaSE.   —   T.    II.  2r> 


'r2<*>  N  IT1BS 

foi,  des  Seigneurs,  «les  Guerriers  et  même  des  Rois. 
Et  dans  son  origine  première.  le  grand  Jubilé  était 
cela  :  cette  solennelle  Indulgence  était  attachée  au 
voyage  de  Rome,  et  à  la  prière  sur  les  lieux  où  repo- 
saient les  restes  glorieux  des  apôtres  Pierre  et  Paul . 
Souvent  même  aux  pécheurs  les  plus  coupables  on 
n'imposait  d'autre  pénitence  qu'une  longue  course 
au-delà  des  mers,  ou  un  pèlerinage  à  quelque  en- 
droit privilégié. 

Mais  les  pins  communs  depuis  longtemps  sont  ceux 
qui  se  font  à  ces  antiques  sanctuaires  consacrés  à 
Marie,  qu'elle  semble  avoir  choisis  pour  y  manifester 
plus  sensiblement  sa  puissance  et  sa  tendresse.  Con- 
solatrice des  affligés,  Refuge  des  pécheurs,  Secours 
des  chrétiens^  c'est  partout,  sans  doute,  qu'elle  se  plaît 
à  vérifier  ces  titres.  Néanmoins,  il  est  des  lieux  qu'elle 
affectionne  plus  particulièrement  ,  où  son  oreille  est 
plus  ouverte  à  la  prière,  qui  sont  comme  les  y  renie, -s 
d'abondance  de  sa  miséricorde,  et  dont  elle  a  dit,  ainsi 
que  Dieu  le  disait  du  temple  de  Salomon  :  Mes  \ 

n  cœur  y  resteront  spécialement  attachéspen- 
dant  de  longs  siècles,  et  tous  ceux  qui  viendront  y 
juer  mon  nom  y  seront  exaucés. 
Assez  souvent,  un  sentier  étroit  y  conduit  :  mais 
l'herbe  n'y  peut  croître  sous  les  pas  continuels 
nombreux  pèlerins.  Ici  vous  apercevez  ces  sanctuaires? 
au  -ommet  d'une  montagne,  symbolisant  Marie, 
qui  sert  de  degré  à  la  terre  pour  la  rapprocher  des 
deux  :  là,  dans  l'enfoncement  silencieux  d'un 
vallon,  qui  favorise  la  ferveur  et  le  recueillement.  Et 
partout  le  cœur  ne  se  dilate-t-il  pas  de  confiance,  en 

'  suspendus  de  tout  pré- 

sents aussi  bien  que  les   riches  offr;;  la  recon- 

:  ici.  le  bâton   du  pauvre   malade,  devenu 


NOTES  427 

inutile  à  ses  membres  guéris;  là,  les  humides  vête- 
ments de  matelots  sauvés  du  naufrage  ;  ailleurs,  des 
lampes  d"or,  des  cœurs  en  argent  au-dessus  d'autel* 
somptueux,  qui  attestent  aussi  et  les  misères  et  la 
gratitude  des  Grands,  devenus  les  clients  de  la 
Vierge.  Ah  !  comme  ces  milles  emblèmes  redisent 
éloqueminent  dans  leur  muet  langage,  les  prodiges 
sans  nombre  obtenus  par  Celle  qui,  à  tant  de  titres, 
est  après  Dieu  leseul  espoir  île  la  terre  ! 

Mais  quel  ne  serait  pas  votre  attendrissement,  si 
tous  ceux  qui  sont  venus  s'agenouiller  sur  les  dalles 
de  ees  chapelles,  vous  faisaient  le  récit  des  merveil- 
leux effets  qu'ils  en  ont  remportés  !  L'un  vous  dirait 
avec  de  grosses  larmes  de  repentir  :  pendant  de  lon- 
gues années,  j'avais  oublié  la  pratique  de  la  religion  ; 
les  soins  de  la  vie  matérielle  absorbaient  toute  mon 
âme  :  voulant  à  tout  prix  sortir  de  cette  voie  dange- 
reuse, mais  pas  encore  assez  fort  contre  le  respect 
humain,  je  suis  venu  secrètement  chercher  ici  un 
prêtre  qui  ne  m'ait  jamais  vu,  et  qui  ne  connaisse  que 
la  miséricorde  :  je  l'ai  trouvé  ;  je  lui  ai  ouvert  mon 
cœur  :  je  suis  heureux  1 

Et  cet  infirme  que  les  médecins  ont  abandonné,  et 
que  vous  voyez  traîner  péniblement  aux  pieds  de  la 
Madone  ses  membres  endoloris,  si  vous  l'arrêtez  un 
moment  dans  sa  marche,  que  vous  dira-t-il  !  Les 
hommes  m'avaient  déclaré  :  il  faut  mourir  ;  et  moi,  je 
me  suis  dit  :  Non,  je  ne  mourrai  pas,  parce  que  Celle 
qui  a  guéri  tant  d'autres  infirmités  guérira  aussi  la 
mienne,  et  je  vais  la  prier. 

Et  ce  malheureux,  qui  était  écrasé  sous  le  poids 
d'une  de  ces  gran  les  douleurs  que  les  paroles  hu- 
maines ne  peuvent  rendre,  entendez-le  vous  dire  aussi, 
le  sourire  sur  les  lèvres  :  J'aime  Marie  ;  j'ai  rétrouvé 


188  Ni 'TES 

devant  son  image  la  paix  qu'on  vain  je  cherchais  par- 
tout ailleurs  depuis  si  longtemps. 

Qu'on  bénisse  Marie  !  répéterai!  sans  cesse  cette 
àme  pieuse  et  fidèle.  Je  sentais  en  moi  des  combats  : 

la  vertu  avait  perdu  ses  charmes  :  le  vice  m 'apparais- 
sait souriant  :  je  commençais  à  glisser  sur  sa  pente 
rapide  :  une  chute  terrible  et  inévitable  me  menaçait  ;  je 
me  réfugiai  dan  s  cet  asile  :  Marie  fut  ma  force. 

Et  ces  mères  qui  cheminent,  un  chapelet  à  la  main, 
rediront  à  qui  voudra  l'entendre  :  la  première  :  une 
langueur  toujours  croissante  minait  la  frêle  existence 
de  mon  nouveau-né  :  la  seconde  :  une  infirmité  de 
naissance  me  donnait  sur  le  mien  les  plus  vives  in- 
quiétudes :  une  troisième  :  je  perdais  tout  espoir  de- 
A'ant  l'inconduite  persévérante  de  mon  fils  :  nous  ve- 
nons de  remercier  la  bonne  Mère  qui  a  dissipé  toutes 
nos  alarmes. 

Ah  !  je  ne  m'étonne  plus  que  tant  de  prodiges,  tant 
de  secours  obtenus  pour  tous  les  besoins  et  divulgués 
par  la  reconnaissance,  amènent  à  ces  lieux  bénis  la 
foule  toujours  croissante  de  pieux  pèlerins  qui  vien- 
nent y  apporter  l'humble  demande  de  leur  espérance, 
et  le  fervent  hommage  de  leur  cœur. 

0  vous  donc  qui  êtes  sous  le  poids  de  quelque 
crainte,  ou  rongés  par  le  chagrin,  ou  victimes  de 
quelque  disgrâce,  courez  avec  empressement  et  con- 
fiance vers  quelqu'une  de  œsCités  de  refuge^  toujours 
ouvertes  aux  malheureux.  —  Pour  combattre  une 
infirmité  déclarée  incurable,  ou  accélérer  une  trop 
lente  convalescence,  ou  entreprend  de  longs  voyages 
à  ces  lieux  de  Bains  si  renommés,  qui  ne  guérissent 
pourtant  pas  toujours.  Et  vous,  malades  spirituels, 
vous  n'iriez  pas  à  ces  eav.r  thermales  de  la  grâce,  on 
\    h-  trouverez,  sinon  toujours  une  guérison  complète. 


NOTES  rl'2\) 

du  moins  la  paix  de  L'âme,  et  le  courage  de  La  résigna- 
tion ?  —  Le  commerçant  qui  veut  s'enrichir  brave 
tous  les  périls  des  mers  :  aucun  obstacle  n'est  insur- 
montable pour  sa  Cupidité.  Allez  donc  pieux  pèlerins, 
volez  avec  la  même  ardeur  à  ce  béni  sanctuaire  qui 
recèle  des  biens  autrement  précieux  que  les  inanités 
de  la  terre.  —  Quel  pays  si  lointain  dérobe  une  mère 
a  l'affection  de  son  fils,  que  pour  la  revoir  et  la  serrer 
sur  son  cœur  après  une  certaine  absence,  il  ne  laisse 
là  toute  autre  affaire,  et  ne  franchisse  résolument 
l'immense  espace  qui  le  sépare  de  l'objet  si  tendre- 
ment aimé  ?  Et  Marie  n'est-elle  pas  la  Mère  de  tous 
les  chrétiens  ?  Avec  quelle  confiance  empressée  ne 
devez-vous  donc  pas  aller  la  trou.er  dans  ces  lieux 
de  sa  prédilection  ? 

Toutes  les  incommodités  attachées  à  ces  voyages 
entrepris  avec  foi  donnent  d'ailleurs  déjà  un  droit  de 
plus  à  être  secouru  :  «  Lequel,  pensez-vous,  qui 
doive  être  exaucé,  de  ce  riche  sectaire,  qui  prie  du 
bout  des  lèvres  sur  un  carreau  de  velours  frangé  d'or, 
dans  un  oratoire  échauffé  à  la  plus  haute  température 
du  printemps,  ou  du  pauvre  villageois  catholique  qui 
laisse  sa  femme  et  ses  voisins  en  pleurs  au  chevet  de 
son  enfant  malade,  pour  aller,  pieds  nus,  par  le  vent 
et  par  la  pluie,  à  travers  les  bois,  par  de  rudes  sen- 
tiers, implorer  Dieu  et  Marie  dans  quelque  chapelle 
lointaine?  Il  est  parti,  le  cœur  brisé,  mais  plein  de 
confiance,  car  il  croit  en  Dieu,  et  il  espère  en  Marie, 
qui  intercède  auprès  de  Dieu  pour  les  mères  qui 
pleurent.  » 

Mais,  dira-t-on,  les  abus  y  sont  fréquents.  Je  ré- 
ponds :  Quelle  institution  faite  par  les  hommes  en  fut 
jamais  totalement  exempte  ?  L'abus,  hélas  !  naît,  pour 
ainsi  dire,  de  lui-même  dans  le  cœur  humain,  où  i* 


j:l'l  N6TES 

trouve  son  germe.  On  n'abuse  et  l'on  ne  peut  abuser 
que  du  bien.  Faudra-t-il  donc  pour  cela  que  le  bien  soit 
proscrit  ?  Devra-t-on  abolir  les  pèlerinages,  qui  sont 
incontestablement  plus  avantageux  que  nuisibles  ? 

NOTE  12»,  page  287. 

Qu'il  est  hideux  le  tableau  que  nous  offre  le  vieux 
monde,  où  la  virginité  était  inconnue  avant  que  Marie 
l'eût  révélée  à  la  terre  !  A  commencer  par  Rome 
païenne,  si  nous  pénétrons  dans  ses  brillants  palais, 
qu'y  voyons-nous  ?  La  lubricité  s'y  étalant  sous  les 
formes  les  plus  révoltantes  :  des  hommes  qui  ont 
oublié  la  noblesse  de  leur  nature,  mollement  étendus 
sur  la  couche  des  plus  sales  voluptés,  ne  rêvant  que 
jouissances  impures.  Pour  ces  êtres,  chez  qui  l'amour 
du  plaisir  le  dispute  à  la  soif  du  sang,  une  femme 
n'est  qu'une  misérable  créature  asservie  à  leurs  ca- 
prices, et  qui  sera  abandonnée,  quand  sature-  de 
jouissances  ils  se  prendront  pour  une  autre  d'une 
passion  aussi  inconstante,  promenant  ainsi  en  tout  lieu 
le  cynisme  de  la  corruption  la  plus  effrontée.  A  quoi 
attribuer  ces  honteux  désordres,  sinon  à  l'absence  de 
la  virginité,  qui  ne  peut  vivre  dans  une  atmosphère 
païenne? 

On  aperçoit  bien  quelques  Vestales,  mais  rares,  mal- 
gré les  privilèges  et  les  honneurs  attachés  à  cette  dignité  : 
vierges  à  gages,  n'estimant  que  l'or  pesé  pour  leur  sa- 
crifice :  vierges  pour  un  temps  et  se  dédommageant 
amplement  après  «  du  joug  de  l'autel.  <>  dit  saint  Am- 
broise.  Combien  même  ne  purent  fournir  leur  courte 
carrière,  et  laissèrent  tomber  leur  couronne  dans  la 
boue  !  Et  pourquoi  Rome  ancienne  n'a-t-elle  pu  pro- 
duire une  seule  Sœur  de  Saint  Vincent  de  Paul?  Ahj! 
[ue  ce  n'est  pas  avec  de  l'or  que  l'on  parvient  à 


NOMS  431 

être  chaste,  maisc'esi  avecledévouemenl  el  la  victoire 

sur  soi-même,  ce  que  ne  peuvent  produire  les  théories 
païennes . 

Du  haut  du  trône  les  contagieux  exemples  de  lubri- 
cité descendaient  rapidement  dans  tous  les  rangs  de 
la  classe  plébéienne,  où  l'on  ne  respirait  que  pour  la  li- 
cence la  plus  effrénée,  laquelle,  d'ailleurs,  entrait  essen- 
tiellement dans  le  culte  des  faux  dieux.  Il  y  avait  la 
Déesse  de  la  volupté,  comme  le  Dieu  du  vin  :  et  ils  ne 
manquaient  pas  d'adorateurs. 

Si  de  Rome  dégradée  nous  portons  nos  regards  sur 
les  autres  contrées  du  monde,  nous  trouvons  à  chaque 
époque  de  l'histoire  la  même  corruption  de  mœurs. 
C'est  que  les  nations  non  vivifiées  par  le  souffle  bien- 
faisant de  la  foi  et  de  la  virginité  ont  croupi  dans  un 
état  de  déchéance  morale,  qui,  comme  une  seconde 
chute  originelle,  se  transmettait  de  génération  en  géné- 
ration, laissant  sur  tous  les  fronts  les  stigmates  de  la 
plus  ignoble  dépravation. 

Il  y  avait  un  peuple  où  la  vertu  de  chasteté,  bannie 
du  reste  du  monde,  eût  dû  se  retrouver,  c'était  celui 
chez  lequel  Dieu  voulait  se  conserver  quelques  adora- 
teurs. Néanmoins,  la  nation  juive  le  céda  peu  en  li- 
cence aux  nations  idolâtres  :  souvent  toute  chaire  cor- 
rompt sa  voie.  Et  pour  un  chaste  Joseph,  que  de  Da- 
vid adultères;  à  côté  d'une  pudique  Suzanne,  combien 
de  Salomon  imprimant  à  leurs  cheveux  blancs  l'humi- 
liante flétrissure  d'une  passion  infâme  ! 

C'est  même  dans  les  temps  postérieurs  à  la  Croix, 
que  nous  voyons  une  dégradation  aussi  profonde,  ac- 
climatée là  où  n'a  pas  brillé  le  radieux  flambeau  de  la 
virginité.  Ainsi  au  7e  siècle,  Mahomet  prétend  renver- 
ser la  religion  du  Christ  et  fonde  une  doctrine  nouvelle  g 
Mais  il  en  écarte  la  chasteté,  pour  lui  donner  comm  e 


432  N  ITBS 

base  le  sensualisme  le  plus  effréné.  Et  qui  pourrait 
dire  jusqu'où  sont  descendus  les  sectateurs  de  cette 
nouvelle  doctrine?  Partout,  ils  présentent  le  triste  spec- 
tacle de  ce  qu'est  l'homme  dominé  par  les  exigences 
d'une  nature  voluptueuse  et  corrompue  qui  n'est  bridée 
par  aucun  frein. 

D'autres  Réformateurs  venus  après  Mahomet  n'ont 
pas  mieux  réussi  a  régénérer  le  monde  sans  la  sève 
féconde  de  la  virginité.  Le  16e  siècle  a  vu  surgir  un 
homme,  qui  par  l'ascendant  de  sa  parole  et  le  laxisme 
de  sa  doctrine  entraîna  des  millions  de  frères  dans  sa 
prétendue  Reforme.  Cet  homme  était  prêtre  et  reli- 
gieux tout  à  la  fois  :  mais  n'ayant  pas  assez  d'énergie 
pour  commander  à  l'aiguillon  de  la  chair,  il  souille  sa 
robe  virginale  du  crime  de  l'impudeur,  et  se  fait  une 
complice  de  son  désordre.  Depuis  400  ans.  le  Protestan- 
tisme veuf  de  la  chasteté  à  beau,  vrai  caméléon,  revêtir 
toutes  les  formes,  il  ne  peut  produire  un  seul  acte  de 
cette  vertu  héroïque.  La  schismatique  Angleterre  n'a 
pu  créer  un  prêtre  chaste,  «  ni  faire  avec  ses  millions, 
dit  un  grand  génie  (Lacordaire).  ce  que  l'Eglise  catho- 
lique fait  avec  un  peu  d'huile,  le  sacrement  de  l'ordre.  » 
Nulle  part,  rien  de  cette  vigueur,  de  cette  énergie  qui 
porte  aux  actes  généreux  :  point  d'abnégation  pour  le 
prochain  :  point  de  cette  charité  qui  vivifie  tout:  et  qui 
va  jusqu'à  donner  sa  vie  pour  son  semblable  :  on  es 
quelquefois,  mais  on  n'arrive  jamais  au  triomphe  de  la 

victoire. 

NOTE  13%  page  331. 

Nous  ne  pouvons  mieux  clore  ces  notes  que  par  la 
glorieuse  résurrection  de  Marie  ou  l'Assomption  de  sou 
corps  dans  le  ciel. 

Marie,  quoique  exempte  de  la  tache  originelle,  cause 
de  la  mort,  subit  néanmoins  cette  peine,  en  sa  qualité 


NOTES  433 

d'enfant  d'Adam  ;  elle  nedcvail  pas  d'ailleurs  être  d'une 
condition  meilleure  que  soii  Fils;  mais  comme  lui,  elle 
ne  dormit  que  trois  jours  dans  le  tombeau  :  son  sépul- 
cre aussi  fut  glorieux  par  sa  résurrection.  Ces  grands 
événements  arrivèrent  au  milieu  du  mois  d'août,  57 
ans  après  la  naissance  de  Jésus-Christ,  2:>  ans  après  sa 
mort:  Marie  était  âgée  de72ans,  selon  l'opinion  la  plus 
commune. 

Saint  Grégoire  de  Tours  rapporte  que  les  apôtres 
dispersés,  ayant  été  avertis  du  prochain  trépas  de  la 
Vierge  se  trouvèrent  miraculeusement  réunis  à  Jéru- 
salem pour  entendre  ses  dernières  paroles  et  recevoir 
de  leur  divine  Reine  une  dernière  bénédiction  ;  qu'a- 
près sa  mort  elle  fut  déposée  dans  un  sépulcre  au  pied 
de  la  montagne  des  Oliviers,  près  du  jardin  de  Gethsé- 
mani.  Il  eut  pour  gardes  non  point  une  troupe  de  sol- 
dats apposés  par  la  haine  des  Juifs,  mais  les  saints  apô- 
tres et  de  pieuses  femmes  que  l'amour  retenait  près  de 
leur  Mère  :  les  anges  aussi  faisaient  entendre  aux  envi- 
rons des  chants  mélodieux.  Certains  auteurs  fort  anciens 
prétendent  que  saint  Thomas,  qui  seul  des  apôtres  ne 
s'étaiït  pas  trouvé  à  la  mort,  étant  arrivé  trois  jours 
après,  conjura  avec  larmes  qu'on  lui  ouvrit  le   sé- 
pulcre, afin  qu'il  pût  contempler  une  dernière  fois  les 
traits  de  la  Mère  de  Dieu,  et  baiser  ses  restes  vénéra- 
bles. Mais  on  n'y  trouva  que  des  lis  d'une  blancheur 
éclatante,  épanouis  à  côté  des  linges  qui  avaient  servi 
de  linceul  ;  et  l'on  ne  douta  nullement  que  son  corps 
ressucité  fût  transporté  au  ciel  et  réuni  à  sa    belle 
âme  au  sein  de  la  gloire.  Ce  fut  dès  ce  moment  la 
croyance  de  l'Eglise,  sans  être  pourtant  un  article  de 
foi  proprement  dit.  Mais  il  n'est  pas  possible  d'avoir 
sur  ce  fait  le  moindre  doute,  en  présence  des  raisons 
qui  l'appuient.  Nous  pensons  que  la  piété  des  enfant 


434  NOTES 

de  Marie  nous  saura  gré  de  les  exposer:  tout  ce  qui 
peut  rélever  la  gloire  de  leur  céleste  Mère  les  touche 
sensiblement. 

On  a  vu  des  héros  fameux,  des  génies  célèbres,  des 
monarques  presque  maîtres  du  monde  entier,  habiter 
des  palais  d'or,    s'enivrer  d'honneurs,  se  repaître  de 
toutes  les  jouissances  voluptueuses  ;  mais  toute  leur 
gloire  est   venue  s'abîmer  contre   la  pierre    de   leur 
tombeau  :  et  leurs   mausolées  superbes  n'ont    pu,  du 
moins  après  un  certain  temps,  les  défendre  contre  la 
corruption  commune   :  il  était  juste  qu'ils  périssent 
complètement  ces  corps  dégrades  par  les  plus  dégoû- 
tantes passions.  Mais  Jésus  pouvait-il  laisser  les  vers 
dévorer  le  sein  virginal  où  il  avait  reposé,  ce  cœur  si 
saint  qui  n'avait  palpité  que  pour  lui,  tous  ces  mem- 
bres marqués  du  sceau  d'une  pureté   sans  égale?  — 
Est-il  croyable  que  l'infection  de  la  tombe,  engendrée 
par  le  péché,  ait  saisi  Celle  que  la  corruptiou  du  péché 
n'avait  jamais  souillée  1  Si  Dieu  laisse  nos  membres 
expier  dans  les  entrailles  de  la   terre  les  iniquités  de 
notr  -  vie.   telle  ne  devait  pas  être  cette  loi  pour  la 
Vie]  ge  restée  toute  sa  vie  immaculée.  — Une  chair 
divinisée,  ne  faisant  qu'une  même  chair  avec  celle  du 
Fils  de  Dieu,  caro  Christi,  enro  Mariœ,  pouvait-elle 
devenir  pourriture  ?  «  Est-il  supposable,  dirons-nous 
avec  saint  Augustin,  que  Jésus  ayant   voulu  sauver 
l'intégrité  de  sa  Mère,  lorsqu'elle  l'a  conçu,  n'en  ait 
eu  le  même  soin  après  son  trépas,  en  empêchant 
les  indécentes  rigueurs  que  la  mort  prétendait  exercer 
sur  son  corps  ?  et  qu'ayant   pu  conserver  1.-  sceau  de 
sa  virginité  en    naissant   d'elle,    il   aurait  manqué  de 
pouvoir  ou  de  volonté  pour  la  préserver  du  dernier 
opprobre  de  la  nature,  la  corruption  du  tombeau  ?  > 
Il  serait  au  ciel  depuis  près  de  deux  mille  ans  avec 


NOTES  138 

une  chair  formée  de  la  chair  même  de  Marie  ;  et  la 
propre  substance  de  sa  virginale  Mère  serait  confondue 
avec  la  plus  vile  poussière  I  Le  bonheur  de  ce  cher 
Fils,  môme  au  sein  de  la  gloire,  serait-il  aussi  complet 
qu'il  doit  être,  si  toute  la  personne  de  sa  Mère  chérie 
n'y  était  pas  pour  le  partager  ? 

D'ailleurs,  n'était-il  pas  de  l'honneur  du  Père  de 
glorifier  par  un  dernier  miracle,  à  sa  sortie  du  monde, 
Celle,  qu'à  son  premier  moment  il  avait  miraculeuse- 
ment préservée  de  la  souillure  originelle  ;  de  l'honneur 
du  Fils,  d'unir  à  son  triomphe  Celle  qui  s'était  si  gé- 
néreusement associée  à  son  sacrifice  ;  de  l'honneur  de 
l'Esprit-Saint,  de  ne  point  abandonner  à  la  pourriture 
et  aux  vers  Celle  qu'il  avait  dotée  de  tant  de  grâces 
comme  sa  future  Epouse,  et  couverte  ensuite  de  son 
ombre  ? 

D'un  autre  côté,  si  ses  précieux  restes  eussent  été 
laissés  sur  la  terre,  avec  quel  soin  jaloux  les  chrétiens 
ne  les  eussent-ils  pas  conservés,  eux  qui  ont  légué  avec 
tant  d'amour  à  la  postérité  une  de  ses  robes  et  son 
voile?  On  sait  avec  quel  zèle  audacieux  ils  recueillaient 
à  prix  d'argent,  et  disputaient  au  glaive  des  bourreaux 
les  restes  ensanglantés  des  martyrs,  par  quel  culte 
confiant  et  pompeux  ils  les  honoraient.  Or,  si  le  corps 
ou  les  ossements  de  Marie  avaient  existé  quelque  part, 
eussent-ils  été  moins  empressés  de  les  recueillir ,  et 
de  les  exposer  sur  les  autels  à  la  vénération  publique , 
comme  ces  précieuses  parcelles  que  l'on  possède  de  la 
vraie  Croix,  ainsi  que  les  véritables  ossements  des 
apôtres  et  des  premiers  martyrs  ?  Ah  !  si  le  ciel  a  privé 
la  terre  d'un  pareil  trésor,  c'est  qu'il  en  était  jaloux 
pour  lui-même. 

Concluons  donc  que  Marie  est  réellement  ressusci- 
tée,   comme  son   divin    Fils.   Pieuse  croyance,  bien 


436  NÔTKS 

chère  à  ses  enfants,  et  que  l'Eglise  met  presque  au 
niwau  d'un  article  de  foi,  en  proclamant  dans  sou 
Office,  a  que  la  mort  n'a  pu  retenir  dans  ses  lieus 
Celle  qui  avait  donné  au  monde  la  source  de  la  vie.  » 
NOTE  14  ,  pages  353  et  357. 

REFRAIN. 

En  vous  quittant.  Mère  chérie, 
Nous  implorons  votre  secours  : 
Sur  vus  enfants,  douce  Marie, 
Veillez  partout,  veillez  toujours. 

Vous  quittez  donc  mon  sanctuaire, 
0  mes  enfants,  mes  chers  enfants,  adieu  ! 
Partout  je  serai  votre  Mère  : 
Vous  trouverez  mes  autels  en  tous  lieux. 

Gardez  pour  moi  votre  innocence, 
0  mes  enfants,  mes  enfants  bien-aimés, 
D'un  cœur  impur  mon  cœur  s'offensi 

Je  veux  des  lis  par  la  grâce  embaumés. 

Mai>  si  jamais  un  souffle  immonde, 
G  me>  enfants,  souille  votre  vertu. 
Souvenez-vous  qu'il  est  une  onde, 
Ou  son  éclat  peut  vous  être  rendu. 

Aux  pièges  que  l'enfer  vous  dres 
n  mes  enfants,  vous  pouvez  être  pris  ; 
Mais  a  l'heure  de  la  détri  - 
Rappelez-vous  combien  je  vous  chéris. 

Si  vous  tombiez  en  quelque  abime, 
0  nies  enfants,  levez  vers  moi  les  bras  : 
Vous  m'oublieriez  au  sein  du  crime. 
Que  mon  amour  ne  vous  oublierait  pas. 


Je  l'ai  jure,  j'appartiens  à  Marie: 
Jésus,  elle  est  tout  mon  amour  ; 
A  l'honorer  je  consiere  ma  vie, 

Je  l'aimerai  jusqu'à  mon  dernier  jour.  {bis). 

\   .  -.  s  yez  témoins  de  ma  promesse, 
Cieux,  écoutez  ce  serment  solennel, 

n  est  fait,  mon  cœur  plein  de  temii 
Jure  a  Marie  un  amour  éternel,  {bis). 


NOTES  \M 

LITANIES. 

REFRAIN. 

Vierge  Marie,  — Nous  avons  tous  recoins  a  vous, 
Mère  chérie,  —  Priez,  priez  pour  nous.  (6/5). 

Elle  est  pure,  Marie,  —  comme  les  rayons  des  cieux  ; 
Relie  toujours,  jamais  flétrie, 
Du  Seigneur  elle  a  charmé  les  yeux. 

Vierge  pure  et  féconde,  dans  un  extase  d'amour. 
Elle  enfanta  le  Dieu  du  monde, 
L'Eternel,  pour  nous  enfant  d'un  jour. 

C'est  la  doue*  lumière,  —qui  seule  charme  les  cœurs  : 
Son  tendre  regard  nous  éclaire, 
tt  sa  main  vient  essuyer  nos  pleurs. 

C'est  la  Vierge  puissante,  —  la  Mère  du  bel  amour  : 
Elle  est  fidèle,  elle  est  aimante  ; 
Elle  est  Reine  au  céleste  séjour. 

C'est  la  rose  fleurie  ;  —  c'est  le  lis  pur,  virginal  ; 
C'est  le  parfum  de  la  prairie  ; 
C'est  le  feu  du  rayon  matinal. 

Trône  de  la  Sagesse  ;  —  Cause  de  notre  bonheur  ; 
Vase  de  la  sainte  allégresse  ; 
Vrai  trésor  des  grâces  du  Seigneur. 

Miroir  de  la  justice  ;  —  Tour  de  David  :  Maison  d'or  ; 
Des  pécheurs  refuge  propice. 
Loin  de  nous  elle  chasse  la  mort. 

C'est  l'arche  d'alliance  ;  —  c'est  l'Etoile  du  matin  ; 
C'est  le  baume  de  l'espérance, 
Dans  un  cœur  brisé  par  le  chagrin. 

C'est  la  Reine  des  anges;  —  c'est  la  Reine  des  élus  ; 
Au  ciel  tout  chante  ses  louanges, 
Ses  bienfaits,  sa  gloire  et  ses  vertus. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


maires. 

CHAPITRE  XXVII .  —   Vase  honorable 5 

Article  I.  —  Etat  d'abaissement  où  gémissait  la  femme 

avant  la  Ste  Vierge 6 

Article  II.  —  Heureux  changement  opéré  par  le  Chris- 
tianisme et  le  culte  de  Marie 14 

Article  supplémentaire.    —  Influence  de  la  femme    et 

surtout  d'une  mère 22 

CHAPITRE  XXVIII.   -  Vase  insigne  de  dévotion 31 

Article  I.  —  Marie,  Vase  remplie  de  dévotion 31 

Article  II.  —  Marie,     Vase  répandant    au    dehors    la 

dévotion 40 

Article  III. --Vase  répandant  au  dehors  la  dévotion  (suite)  50 

CHAPITRE  XXIX.    -  Rose  mystique 59 

Article  I.  — -  Amour  de  Marie  pour  Dieu 60 

Article  II.  —  Amour  de  Marie  pour  le  prochain 69 

CHAPITRE  XXX.  —  Tour  de  David 78 

CHAPITRE  XXXI.  —  Tour  d'ivoire 85 

CHAPITRE  XXXII.  —  Maison  d'or 94 

CHAPITRE  XXXIII.  —  Arche  d'alliance 104 

CHAPITRE  XXXIV.  —  Porte  du  ciel 113 

Article    I.    —    Marie    nous  a  rouvert  le  ciel  en   nous 

donnant  le  Sauveur 114 

Article  II.  —  Marie,  porte  du  ciel,  parce  que  avec  elle 

il  nous  est  assuré 122 

CHAPITRE  XXXV.  —  Etoile  du   matin 131 

CHAPITRE  XXXVI.  —  Salut  des  infirmes 139 

Article  I.    —  Marie,  Salut  des  infirmes,  par  les  consa- 

lations  et  guérisons  qu'elle  procure 140 

Article    II.    —    Salut  des  infirmes  par  la   grâce  d'une 

d'une  sainte  mort 147 

Article  III.  —  Marie,  Avocate  des  âmes  au  jugement...  154 

CHAPITRE  XXXVII.  —  Refuge  des  pécheurs 162 

Article  I.  —  Raisons  pour  Marie  d'aimer  les  pécheurs  163 

Article  II. — Témoignages  des  saints  Pères:  — Allégories  172 

CHAPITRE  XXXVIII.  —  Consolatrice  des  affligés 180 

Article  I.  —  Marie,  Consolatrice  dans  les  peines  morales  181 

Article  IL  —  Consolatrice  dans  les  afflictions  spirituelles  188 

CHAPITRE  XXXIX.  —  Secours  des  Chrétiens 196 

CHAPITRE  XL.  —  Reine  des  Anges 203 

Article  I.  — Prééminence  de  Marie  sur  les  Anges,  par 

sa  gloire  et   son  élévation 204 

Article  IL  —  Reine  des  Anges,  par  son  empire  sur  les 

mauvais  comme  sur  les  bons 211 


I  i'i  TABLE    DES  M  A  T 1 1 . 1 

Pages. 

CHAPITRE  XL1.  —  Reine  des  Patriarches 211 

CHAPITRE  XLII.  —  Reine  des  Prophètes 218 

Article  I.  —  Marie    prédite  dès  le    berceau  du  monde 

et    plus  tard 220 

Article  II    —  Marie  figurée  dans  l'ancien  testament...  226 

CHAPITRE  XLIII.  —  Reine  des  apôtres 223 

CHAPITRE  XLIV.  -  Reine  des  Martyrs 241 

Article  I.    —  Marie,  Reine  des  Martyrs,  par  la  longue 

durée  de  ses  souffrances 242 

Article  II.  —  Reine  des  Martvrs  par   l'intensité  de  ses 

douleurs " 249 

Article  III.  —Reine  des  Martyrs,  par  la  supériorité  de 

son  courage 257 

CHAPITRE  XLV.  —  Reine  des  Confesseurs 265 

CHAPITRE  XL VI.  -  Reine  des  Vierges 272 

Artcle  I.   —  Excellence  de  la  virginité 273 

Article  IL   —    Heureux  fruits   de  la  virginité   dans    le 

Christianisme 281 

CHAPITRE  XLVII.  —  Reine  de  tous  les  Saints 289 

Article  I.   —   Marie.  Reine  des  Saints,   par  sa  sainteté 

et  sa  puissance 289 

Article  IL  —  Reine  des  Saints,  par  la  prééminence  de 

sa  gloire 296 

CHAPITRE  XLVIII.  —  Reine  conçue  sans  péché 305 

Article  I.  —  Définition  et  proclamation  du  Dogme....  306 
Article  IL  —  Autorité  de  l'Ecriture  en  faveur  de  l'Im- 
maculée Conception 313 

Article  III.  —  Raison  de  convenance 322 

CHAPITRE  XLIX.  —  Reine  du  St-Ros  -ire 331 

Article  I.  —  Son  origine 331 

Article  II.  —  En  quoi  il  consiste 336 

Article  III.  —  Ses  avantages 339 

CHAPITRE  L  —  Agneau  de  Dieu 343 

CHAPITRE  LI.  -  Clôture  du  mois  de  Marie 350 

CHAPITRE  LU.  -Exercices  pour  le  chemiu  de  la  Croix  359 

EXERCICE  I.  —  Sur  la  résignation  et  les  souffrances..  367 

EXERCICE  IL  -  Sur  1  enormité  du  péché 375 

EXERCICE  III.  — Sur  la  cou  version  des  pécheurs 382 

EXERCICE  IV.  —  Sur  le  courage  nécessaire  pour  accom- 
plir la  loi 390 

EXERCICE  V.  —  Sur  la  persévérance 397 

EXERCICE  VI  —  Sur  les  tourments  du  purgatoire 404 

NOTES 413 

CANTIQUES 436 


TABLE  ANALYTIQUE 

•        

TOME  PREMIER 
Approbations,  v. 
Lettre  dédicatoire,  1 . 
Préface,  3. 

CHAPITRE  PREMIER.  —  Mois  de  Marie,  13. 
Article  premier.  Origine,  raisons  et  quelques   uns   des 

avantages  de  ce  mois,  13. 
Art.  II.  Autres  avantages  et  invitations  à  y  venir,  21. 
Art.  III.  Deux  nouveaux  motifs  de  ce  mois.  Comment  devons- 
nous  le  passer.  Exemple,  29. 
CH.  II.  —  Notions  générales  sur  les  Litanies.  Ex.,  37. 
CM.  III.  Ordre  admirable  des  invocations.  Allégories.  Hom 
mage  à  la  sainte  Trinité .  Allégories  et  ex.  frappants,  52. 
CH.  IV.  —  Sainte  Marie,  60. 
Art.  I.  Excellence  de  ce  nom  par  les  grandes  choses  qu'i 
signifie.  1°  Il  veut  dire  souveraine.  Elle  Test  dans  le  ciel* 
et  sur  la  terre.  A  Jésus  le  sceptre  de  la  justice,  à  Marie 
celui  de  la  douceur  et  de  la  miséricorde.  2°  Notre-Dame, 
ce  nom  inspire  la  confiance.   3°   Lumière.  Elle  nous  a 
donné  J.-C.  la  vraie  lumière.  Elle-même  dirige  nos  pa 
par  Téclat  de  ses  vertus,  61. 
Art.  II.  Nom  puissant  et  doux  à  prononcer.   M.  répétons- 
le  souvent,  70. 
CH.  V.  —  Ste  mère  de  Dieu,  77. 
Art.  I.  Ce  titre  est  propre  à  nous  inspirer  un  grand  res 

pect  et  une  grande  confiance  en  sa  puissance,  78. 
Art.  II.  Il  l'élève  au-dessus  de    tout.  Ex.  de  dévotion    à 
l'Ave  Maria,  85. 
CH.  VI.  —Ste  Vierge  des  Vierges.  Héroïque  dévouement  de 
Marie   dans  son   vœu    de    perpétuelle    virginité.    Ta 
bleau  de  ce  sacrifice.  M.  :  Comme  Marie,  chérissons  cette 


Abréviation  Chp.  veut  dire  chapitre;  Ait.  cnlic/e;  M.  morole 
Ex.  exemple. 


li2  TABLE  ANALYTIQUE, 

vertu.  Ex.  De  l'amour  de  cette  vertu  dans  les  1ers  siècles 
de  l'Eglise  et  encore  après,  93. 

CH.  VII.  —  Mère  du  christ.  Oui,  elle  est  mère  du  Christ  en 
tant  qu'homme,  et  sous  ce  rapport,  101 . 
Art.  I.  Considérons  J. -C.  comme  Roi  et  comme  prophète.  1° 
Comme  Roi  il  règne  1°  Sur  les  esprits,  motif  de  nous  at- 
tacher à  sa  doctrine;  2°  Sur  les  cœurs  témoins  le  dévoue- 
ment de  nos  missionnaires,  de  nos  sœurs  de  charité  et  de 
tous  ceux  qui  quittent  tout  pour  son  service.  Aimons-le 
aussi  2Û  Comme  Prophète.  Moïse  Ta  annoncé  comme  tel. 
Lui-même  a  prédil  sa  naissance,  sa  vie,  sa  passion  et  If- 
principaux  événements  devant  arriver,  102. 
Art.  II.  1°  Comme  Prêtre,  sur  la  croix  il  s*est  offert  lui-mê- 
me, sur  l'autel  il  continue  a  le  faire  par  ses  Prêtres.  2°  Marie 
de  son  côté  a  coopéré  a  ce  sacrifice  en  donnant  naissan- 
ce a  J.-C.  et  par  sa  présence  au  pied  de  la  croix.  M.  : 
Excellence  du  sacrifice  de  la  messe,  assistons-y  souvent, 
109. 

CH.  VIII  —  Mère  de  la  divine  grâce,  116. 
Art.  I.  Marie  nous  ayant  donné  J.-C  auteur  de  la  grâce, 
c'est  doncàelle  que  nous  en  sommes  redevables.  1°  Grâce 
sanctifiante,  son  excellence,  estime  que  nous  devons  en 
faire,  recours  à  la  confession.  2°  Grâce  actuelle  que  nous 
pouvons  obtenir  par  Marie,  ses  merveilleux  effets.  M.: 
obligation  d'y  correspondre.  II". 
Art.  II  Marie  est  au  ciel,  la  généreuse  distributrice  de:»  grâ- 
ces. lû  Nous  en  ayant  donné  l'auteur,  il  est  juste  qu'elle  en 
soit  la  distributrice.  2°  Trois  faits  principaux  le  prou- 
vent, les  docteurs  de  l'Eglise  n'ont  qu'une  voix  sur  cette 
vérité.  M.:  Adressons-nous  donc  à  elle  pour  les  obtenir. 
Ex.,  1-26. 

CH.  IX  —  Mère  très  pure.  1°  Dans  son  esprit  2°  Dans  sa  nié- 
moire,  3°  Dans  sa  volonté.  M.  :  sur  ces  trois  points,  imi- 
tons-la à  l'ex.  de  Ste  Thérèse  et  de  St  Jean  de  la  croix, 
134. 

CH.  X.  —Mère  très  chaste.  1°  Chaste  de  corps  par  une  vigi- 
lance continuelle  sui   Lous  ses  sens  extérieurs.  2    D'esprit 


tau: .;:  ANALYTIQUE  Vi3 

par  l'empire  qu'elle  sut  prendre  sur  son  imagination.  3° 
Dans  tous  les  mouvements  de  sa  volonté.  M.:  Réglons  nos 
sens,  notre  imagination,  nos  inclinations  sur  ce  beau  mo- 
dèle et  sur  l'exemple  des  Saints,  142. 

CH.  XI.  —  Mère  toujours  vierge,  151. 
Art.  \.  Vierge  dans  son  mariage  avec  Joseph.  Convenance  de 
cette  union.  M.  :  Belle  leçon  aux  jeunes  personnes  et  aux 
époux.  Idem.  Conséquences  de  la  morale.  Modestie  dans 
les  habits,  fuite  des  danses,  et  des  entretiens  familiers,  154. 
Art.  II.  Vierge  dans  la  conception  et  l'enfantement  de  Jé- 
sus. Admirable  intérieur.  M.  :  Se  faire  une  haute  idée  de 
l'état  de  mariage,  et  s'y  conduire  en  conséquence,  158. 
Art.  III.  Virginité  de  Marie  toujours  conservée.   Raison  de 
convenances.  M.  :  Le  célibat   préférable  au  mariage. 
Ex.  à  l'appui,  166. 

CH.  XII.  —  Mère  sans  tache,  1°  Dieu  exempte  Marie 
du  foyer  du  péché.  Fuite  du  péché  véniel,  ses  tristes  ef- 
fets sur  une  âme.  2°  Marie  s'applique  à.  faire  tout  dans 
la  perfection.  M.  :  Imitons-la.  Ex.  et  punitions  du  pé- 
ché véniel,  174. 

CH.  XIII.  —  Mère  aimable,  183. 
Art.  I.  Aimable.  1°  Par  sa  beauté  extérieure.    M.  :   Que 

penser  de  cette  beauté  et  du  luxe,  184. 
Art.  II.  Par  les  beautés  1°  de  son  âme,  2°  de  ses  vertus, 
3°  de  ses  bienfaits.  M.  :  Aimons-la  du  même  amour  que 
les  Saints.  Ex.,  190. 

CH.  XIV.  —  Mère  admirable.  Par  ses  qualités  elle  fut  plus 
admirable  que  tous  les  chefs-d'œuvre  sortis  des  mains 
du  Créateur.  Enumération  de  ses  qualités.  M.  :  La  pra- 
tique des  vertus  peut  seule  nous  rendre  admirables  de- 
vant Dieu  et  les  hommes.  Ex.,  198. 

CH.  XV.  —  Mère  du  Créateur.  Marie  ayant  donné  au  monde 
le  Verbe  conjointement  avec  le  Père  éternel,  elle  est  de- 
venue :  1°  son  épouse.  Bien  qu'elle  soit  l'épouse  du  père, 
on  peut  aussi  l'appeler  2°  l'épouse  du  St-Esprit.  A  ces 
deux  qualités,  on  doit  ajouter  3°  celle  de  Mère  de  son 
créateur.  M.  :  L'honneur  auquel  ces  titres  l'ont  élevée, 


144  TABLK  ANALYTIQUE 

,nous  l'atteignons  en  nous  unissant  à  lui  par  la  Commu- 
nion. M.  :  Motifs  pour  nous  d'en  approcher  souvent,  el 
cela  à  l'exemple  de  personnages  illustres,  206. 
CH.  XVI.  —  Mère  du  Sauveur,  214. 

Art.  I.  Kxcellence  de  la  Rédemption.  Rien  au  monde  n'eut 
pu  réparer  la  faute  d'Adam.  Il  fallait  un  Dieu  pour  apai- 
ser un  Dieu,  215. 

Art.  II.  Marie  y  a  pris  part,  ce  qui  justifie  son  titre  de  co- 
rédemptrice.  M.  :  Nous  pouvons  donc  dire  que  si  le  Père 
et  le  Fils  nous  ont  aimés,  Marie  aussi,  prenant  part  «à  ce 
qu'ils  ont  fait  pour  nous.  Ex.  :  Marie  Egyptienne,  217. 
CM.  XVII.  —  Vierge  très  prudente,  222. 

Art.  unique.  Marie  a  été  très  prudente  dans  toutes  les 
principales  circonstances  où  son  amour  pour  la  belle 
vertu  de  pureté  aurait  pu  être  exposée.  M.  :  Imitons-la, 
et  comme  elle,  nous  éviterons  tout  danger.  Ex. 
CH.  XVIII.  —  Vierge  vénérable.  Marie  est  vénérable,  non 
seulement  a  cause  de  son  rang  élevé,  de  son  pouvoir,  de 
ses  vertus,  mais  principalement  :  1°  A  cause  des  honneurs 
dont  Dieu  la  favorisa.  Enumération  :  2°  Parce  qu'a  fait 
Jésus-Christ  lui-même  à  la  louange  de  sa  Mère  sur  la 
terre  et  dans  le  ciel.  Enumération.  M.  :  A  l'exemple  de 
son  Fils,  vénérons-la  aussi,  et  respectons  tout  ce  qui  ap- 
partient à  son  culte.  Ex.,  230. 
CH.  XIX.  —  Vierge  digne  de  louanges.  Marie  honorée  et 
chérie,  237. 

Art.  I.  Dans  les  premiers  siècles,  au  moyen  âge  et  dans 
tout  l'univers.  Enumération.  Belle  morale.  Ex.  Noble 
dévouement,  238. 

Aht.  II. .Culte  de  Marie  reconnu  et  bien  pratiqué  en  France. 
Enumération.  Ex.,  246. 

Art.  supplémentaire.  Origine  du  mois  de  Marie  et  de  l'Ai- 
chiconfrérie,  254. 
CH.  XX.  —  Vierge  puissante.  A  raison  :  1°  de  ses  beaux 
titres  de  Fille  de  Dieu  le  Père,  d'Epouse  du  St-Fsprit,  de 
Mère  de  Jésus-Christ;  2°  De  ses  vertus,  ce  qui  est  cause 
qu'ils  ne  peinent  rien  lui  refuser.  M.  :  Aussi  n'importe 


TABLE  ANAI.YThU  i  i43 

quelques  soient  nos  besoins,  recourons  à  elle,  nous  serons 
exaucés.  Ex.  :  Témoins  la  mère  de  Coriolan,  St-Jean 
Népomueène,  263. 

CH.  XXI.  Vierge  Clémente,  273. 
Art.  I.  Marie  nous  étant  donné  comme  mère  au  pied  de  la 
Croix,  est  en  quelque  sorte  obligée  de  nous  aimer.  Aimons- 
la  donc  presque  du  même  amour  que  Jésus-Christ.  (Ce  1er 
article  peut  servir  pour  un  jour  de  lre  Communion),  274. 
Art.  II.  Bonté  de  Marie  pour  les  hommes  déduite  de  la 
bonté  d'une  mère  pour  ses  enfants.  Admirable  portrait  de 
l'amour  maternel.  Celui  de  Marie  est  encore  plus  grand. 
Ex.,  281. 

CH.  XXII.— Vierge  fidèle.  1°  Elle  le  fut  sur  la  terre  à  la  grâce, 
à  la  loi,  à  ses  engagements,  à  Jésus-Christ,  et  cela  jus- 
qu'à sa  mort,  M.  :  Soyons-le  aussi  aux  nôtres.  2°  Main- 
tenant qu'elle  est  au  ciel,  elle  Test  également  à  notre 
égard  pour  nous  protéger.  M.  :  De  là  cette  confiance  gé- 
nérale. Ex.  :  un  de  fidélité  et  un  de  témérité,  289. 

CH,  XXIII.  —  Miroir  de  justice.  Justice  veut  dire  ici  perfec- 
tion. 1°  Dans  Marie  se  trouve  le  plus  parfait  modèle  de  son 
divin  Fils.  2°  Elle  est  pour  nous  le  miroir  de  ce  que  nous 
devons  être,  penser,  dire,  faire,  éviter,  souffrir,  aimer, 
haïr.  Enumération.  Ex.,  "298. 

CH.  XXIV.  —  Siège  de  la  sagesse.  1°  Par  son  âme  ornée  des 
sept  dons  du  St-Esprit,  un  mot  sur  chacun  de  ces  dons 
M.  :  Ornons-en  aussi  la  nôtre  et  nous  deviendrons  sages. 
2°  Par  son  corps,  qui  devient  le  temple  de  la  sagesse. 
M.  :  C'est  donc  avec  raison  qu'elle  est  nommée  le  trône 
de  la  sagesse.  En  l'invoquant  sous  ce  titre,  conjurons- 
la  de  nous  obtenir  la  vraie  sagesse,  qui  nous  fasse  pré- 
férer Dieu  et  le  Salut  à  tout  le  reste,  306. 

CH.  XXV.  —  Cause  de  notre  joie,  315. 
Art.  I.  Par  sa  naissance,  parles  grâces  qu'elle  nous  obtient, 
par  les  consolations  dont  elle  nous  inonde  à  notre  mort. 
Ex.,  315. 
Art.  II.  Par  le  soulagement  qu'elle  procure  aux  âmes  du 
Purgatoire.  Enseignement  sur  ce  point,  et  Ex.,  322. 


i  M)  TABLE  ANALYTIQUE 

CH.  XXVI.  —  Vase  spirituel,  331. 

Art.  I.  Tableau  de  l'humilité  de  Marie,  vertu  rare,  et  ce- 
pendant nécessaire  pour  aller  au  ciel,  332. 

Art.  II.  Humilité  de  Marie,  1°  Cause  de  son  élévation  à  la 
maternité  divine.  2°  En  quoi  consiste-t-elle  ?  Estime  que 
nous  devons  en  faire,  340. 

Art.  III.  Cette  vertu  lui  mérita  sa  suprême  grandeur  dans 
le  ciel.  Enumération  des  circonstances  dans  lesquelles 
elle  parut.  M.  :  Pour  être  élevés,  humilions-nous.  Ex., 
349. 

TOME  SECOND 

CH.  XXVII.  Vase  honorable,  5. 

Art.  I.  Dégradation  et  abaissement  de  la  femme  avant  la  ve- 
nue de  la  Ste  Vierge.  M.  :  Rétablie  dans  ses  droits  par 
Jésus  et  Marie.  Actions  degràceset  fidélité  a  la  religion,  6. 

Art.  II.  Heureux  changements  opérés  dans  sa  position  par 
le  christianisme  et  aussi  par  le  culte  de  Marie.  M.  :  1° 
Respect  dû  a  la  femme  chrétienne;  2°  Obligation  pour  elle 
d'aimer  Jésus  et  Marie,  14. 

Art.  Supplémentaire  :  Influence  de  la  femme  et  de  la  mère 
sur  la  famille.  Tableau  et  Ex.,  22. 
CH.  XXVIII.  —  Vase  insigne  de  dévotion,  31. 

Art.  I.  Marie  vase  rempli  de  dévotion.  2°  La  dévotion  con- 
siste a  bien  faire  ce  qui  regarde  le  service  de  Dieu  ;  2°  A 
aimer  a  venir  ;i  l'Eglise  et  a  en  donner  l'exemple  ;  3°  A 
méditer  la  parole  deDieu;  4°  A  se  rappeler  les  souffrances 
de  Jésus  ;  5°  A  faire  ses  délices  de  la  retraite  et  la  sainte 
communion.  Ce  dernier  acte  devrait  être  un  des  bon- 
heurs d'une  femme  ••hrétienne.  Ex.  De  la  force  que  Ton 
trouve  dans  la  Communion,  31. 

A  ht.  II.  Vase  rependant  au  dehors  la  dévotion.  La  dévotion 
de  Marie  s'étend  sur  l'humanité  tout  entière,  sur  les  en- 
fants, les  adolescents,  sur  les  religieuses  et  aussi  sur  les 
personnes  mariées.  Ex.,  40. 
Cil.  XXIX.  —  Rose  mystique,  59. 

Art.  I.  Amour  de  Marie  pour  Dieu.  Elle  eut  le  privilège  de 


TABLE   ANALYTIQUE  U7 

l'aimer  constamment  par  un  seul  et  continue  acte  d'a- 
mour. Belle  morale  sur  l'amour  de  Dieu,  60. 
Art.  II.  Amour  de  Marie  pour  le  prochain.    Sa  conduite, 
détails.  M.  :  descendants  d'un   même  père,  aimons-nous 
aussi.  Ex.  à  imiter,  69. 

CH.  XXX.  —  Tour  de  David,  Marie  est  notre  soutien  dans  les 
combats  que  nous  livrent  le  démon,  le  monde  et  nos 
passions.  Morale.  Elle  peut  servir  pour  une  consécra- 
tion à  la  Ste  Vierge.  Ex.  Protections  dues  au  scapulaire, 
78. 

CH.  XXXI.  —  Tour  d'ivoire,  Marie  soutien  de  l'Eglise  dans 
ses  luttes  contre  les  hérésies.  Ex.,  85. 

CH,  XXXII.  —  Maison  d'or.  Titre  de  Marie  à  notre  amour.  1° 
Ses  perfections,  2°  ses  relations  intimes  avec  l'adorable 
Trinité;  3°  Son  amour  pour  nous.  Ex.  Conversion  obte- 
nues par  l'invocation  de  son  cœur,  94. 

CH.  XXXIII.  —  Arche  d'alliance.  Traits  de  ressemblance  en- 
tre les  objets  que  cette  arche  renfermait  et  Marie.  M.  :  1° 
ce  que  doit  être  le  chrétien  après  une  communion.  2° 
Cette  arche  était  une  source  de  bénédiction  pour  les  po- 
pulations qui  la  possédaient.  De  mémo  Marie  en  est  une 
pour  ceux  qui  l'invoquent  et  qui  possèdent  un  objet  béni 
en  son  honneur.  Vérité  prouvée  par  des  ex,  104. 

CH.  XXX IV.  —  Porte  du  ciel.  1°  Marie  nous  a  rouvert  cette 
porte  en  nous  donnant  le  Sauveur.  Ex.  :  Remercions-la  de 
ce  bienfait.  2°  Mais  comme  d'après  la  doctrine  des  Doc- 
teurs de  l'Eglise,  il  nous  est  impossible  d'y  aller  sous  sa 
méditation,  invoquons-la,  113. 

CH.  XXXV.  —  Etoile  du  matin.  De  même  que  l'étoile  du 
matin  annonce  le  lever  du  soleil  et  répand  partout  l'espé- 
rance'et  la  joie;  de  même  la  naissance  de  Marie  est  un 
principe  de  joie  pour  les  habitants  du  ciel  et  de  la  terre. 
M.  Marie  ne  fut  pas  seulement  l'avant  coureur  de  la  lu- 
mière évangélique  mais  de  son  berceau,  ellenous  apprend 
l'estime  que  nous  devons  faire  de  la  vie  obscure,  et  que 
ce  ne  son!  pas  toujours  les  grandeurs  qui  nous  rendent 


148  TABLE   ANALYTIQUE 

recommandâmes,  mais  bien  plutôt  la  vertu.  Ex.  et  allé- 
gories, 131. 

CH.  XXXVI.  —  Salut  des  Infirmes.  130. 
Art.  I.  Détails  des  secours  que  Ton  reçoit  :  1°  Des  sœur 

de  charité,  2°  De  Marie  elle-même,  140. 
Art.  II.   Marie  accorde  à  ceux  qui  l'invoquent  la   grâce 

d'une  bonne  mort,  147. 
Art.  III.  Elle  sera  notre  avocate  au  jugement.  M.  :  >"ous  y 

préparer  chaque  jour,  Ex.,  154. 

CH.  XXXVII.— Refuge  des  pécheurs.  Ce  qui  le  prouve  c'est  : 
1°  Sa  ressemblance  admirable  entre  son  cœur  et  celui  de 
de  son  Fils;  2°  La  mission  de  miséricorde  qu'il  lui  donne 
du  haut  de  la  croix;  3°  Sa  qualité  de  mère  reçue  alors 
et  l'état  malheureux  du  pécheur,  162. 
Art.  II.  Témoignages  des  Saints  Pères;  ingénieuses  allégo- 
rie- en  faveur  de  cette  consolante  vérité.  M.  et  Ex.,  172. 

CH.  XXXVIII.  —  Consolatrice  des  affligés,  180. 

Art  I.  Oui  Marie  sait  consoler  1°  dans  les  peines  telles 
que  la  mort  d'une  personne  chère,  2°  Dans  la  pauvreté. 
3°  Dans  les  mépris,  4°  Dans  la  prévision  des  peines  fu- 
tures, 181. 

Art.  II.  Elle  -ait  aussi  consoler  dans  les  afflictions  spirituelles, 
qui  ne  manquent  pas  d'arriver  même  aux  justes,  exem- 
ple St  François  de  Sales,  et  surtout  aux  pécheurs,  188. 

Cil.  XXXIX  —  Secours  des  Chrétiens.  1°  Etant  chrétiens, 
nous  avons  un  droit  particulier  à  son  secours,  si  toute- 
fois nous  l'aimons.  -2  Toujours  elle  a  accordé  cette 
protection  aux  chrétiens  comme  l'histoire  le  prouve.  M.: 
Dans  nos  dangers  personnels  et  communs  recouronsdonc 
à  elle.  Ex.  :  Résultat  heureux  des  pèlerinages,  196. 

CH.  XL.  —Reine  des  Anges.  Placée  dans  le  ciel  et  sur  un 
trône  de  gloire,  Marie  est  devenue  leur  Reine,  203. 
Ai.i    I.  Par  son  élévation  au-dessus  de  toutes  les  hiérar- 
chies m. 

\i',r.  II.  Par  son   empire  sur  les  mauvais  anges  pour  les 
empêcher  denous  auire,etsui  les  bons  pour  nous  les  rendre 


TABLE  ANALYTIQ1  :  »*» 

favorables.  M.  :  Pleine  et  entière  confiance  en  Elle.  Ex.  : 
Rome  délivrée  de  la  peste,  211 . 
CH.  XLl.  —  Reine  des  Patriarches.  Définition   do    ce   mot. 
C'est  à  juste  titre  que  Marie  est  nommée  leur  Reine,   1° 
Parce  que  sa  foi  au  Messie  a  surpassé  la  leur,  2°  Parce 
qu'elle  a  eu  le  bonheur  de  voir  se  réaliser  en  sa  personne 
ce  qu'ils  n'avaient  qu'espéré.  M.  :  Nous  aussi  sur  cette 
terre,  nous  ne  pouvons  qu'espérer  le  ciel.  Ex.,  211 . 
CH.  XLII.  —  Reine  des  prophètes,  218. 
Art.  I.  Marie  nous  a  été  révélée  dès  l'origine  du  inonde, 

aussi  était-elle  l'objet  de  l'espérance  générale.  220. 
A  ht.  II.  Elle  nous  a  été   figurée  dans  l'ancien  Testament 
par  ces  femmes  remarquables  telles  que  Eve,  Sara  et  au- 
tres. M.  :  Puisque  Marie  a  toujours  été  l'attente  des  na- 
tions, à  l'exemple  de  ceux  dont  il  est  parlé  dans  les  deux 
exemples  suivants,  ayons  le  courage  de  l'honorer,  226. 
CH.  XLIH.— Reine  des  Apôtres.  1°  Marie  dans  le  ciel  siège  sur 
un  trône  au-dessus  d'eux,  et  sur  la  terre  elle  les  a  sur- 
passés par  sa  fidélité,  son  zèle,  sa  science.  2°  Avec  eux 
etplusqu'eux,elleacontribué  à  l'établissement  del'Eglise. 
M.  Comme  eux  contribuons  à  faire  aimer  l'Eglise,  et  pri- 
ons pour  ses  besoins,  233. 
CH.  XLIV.  —  Reine  des  martyrs.  Ce  n'est  pas  par  l'effusion 
de  son  sang,  mais  ce  fut.  241. 
Art.  I.  Par  la  longue  durée  de  ses  souffrances,  242. 
Art.  II.  Par  l'excès  de  ses  douleurs.  M.  :  Leçons  que  nous 

donne  la  croix,  249. 
Akt.  III.  Parla  supériorité  de  son  courage  et  la  continua- 
tion de  ses  amertumes,  voyez-là  au  pied  de  la  croix.  M.: 
Efforçons-nous  de  l'imiter.  Ex.  :  Amour  des  souffrances. 
257, 
CH.  XLV.  —  Reine  des  Confesseurs.  Définition  de  ce  mot. 
1°  Elle  fut  la  Reine  des  Justes  de  l'ancienne  loi,  tels  que 
Abraham,  parce  qu'elle  les  surpassa  par  sa  foi  et  son  cou- 
rage. 2°  Elle  le  fut  aussi  de  ces  1ers  chrétiens,  qui  n'ont 
pas  craint  de  confesser  leur  foi  en  présence  des  tyrans, 


*."ll  TABLE   ANALYTIQUE 

des  supplices  et  de  la  mort.  M.  :  apprenons  par  la  à  ne 

pas  être  esclaves  du  respect  humain.  Ex.,  2H.'i. 
Cil.  XL  VI.  —  Reine  des  Vierges.  Marie  la  première  a  arboré 
l'étendard  de  la  Virginité,  272. 
Art.  I.  Pour  mieux  en  apprécier  l'excellence,  l'auteur  con- 
sidère l'estime  qu'en  ont  fait  Jésus   et  Marie.  M.  :  Ta- 
bleau de  vie   contraire.  Ex.  :  Des  punitions  de  ce-yiee. 
Déluge,  273. 
Art  II.  Heureux  fruits  de  la  pratique   de  la  Virginité.  Ex. 
à  imiter,  281. 
CM.  XLVII.  —  Reine  de  tous  les  Saints,  289. 
Art.  I.  Elle  surpasse  tous  les  Saints  :  1°  En  Sainteté, .mal- 
gré notre  mauvaise  nature,  imitons-la;  2°  En  puissance. 
Comme  elle  peut  beaucoup  auprès  de  Dieu,  adressons- 
nous  à  elle,  289. 
Art.  II.  Par  la  prééminence  de  sa  gloire  digne  récompense 
de  sa  pureté  et  de  son  humilité.  M.  :  Peinture  du  ciel. 
Ex.,  296. 
Cil.  XLVIII.    —    Marie  conçue  sans  péché,  305. 
Aht.  I.  Définition  et  proclamation  du  Dogme  de  l'Immaculée 
Conception.  M.  :  Le  Dogme  est  propre  à  redoubler  notre 
confiance  envers  cette  bonne  Mère,  306. 
Art.  II.  Autorité  de  la  Sainte  Ecriture  à  l'appui.   Détails. 
M.  :  De  notre  part  précautions  à  prendre  pour  la  conser- 
ver. Ex.  :  Médaille  miraculeuse,  313. 
Art.  III.  Raisons  de  convenance  en  faveur  de  Marie  par 
rapport  aux  trois  personnes  divines.  M.  :  Efforçons-nous 
d'être  purs  aussi  pour  nous  approcher  de  la  sainte  com- 
munion. Ex.  :  Invoquons-la  sous  ce  titre  au  moment  de 
la  tentation,  322. 
CH.  XLIX.  —Reine  du  St-Rosaire,  331. 
Art.  1.  Son  origine,  331. 
Art.  II.  En  quoi  il  consiste,  336. 
Art.  III.  Ses  avantages.  M.  Ex.,  339. 
CH.  L.  —  Agneau  de  Dieu.  Xous  terminons  ces  innombrables 
invocations  par  le  nom  d'Agneau  :   1°  Parce  qu'il  en 
avait  l'innocence,  la  duuceur  et  la  destination.   2°  Parce 


TABLE  ANALYTIQUE  UN 

qu'il  était  la  seule  victime  capable  d'apaiser  la  colère  de 
Dieu.  M.  .  Deux  sentiments  doivent  nous  animer  lorsque 

nous  adressons  à  cet  Agneau  ces  paroles  :  Pardonnez- 
nous;  Exaucez-nous  :  sentimeuts  d'humilité,  sentiments 
de  confiance,  343. 

CH.  LI.  —Clôture.  Nombreuse  et  édifiante  assistance  pour 
remercier  Marie  des  grâces  obtenues  par  son  intercession. 
Persévérance  dans  son  culte.  Consécration  à  cette  bonne 
Mère.  Pieux  sentiments  et  prières  ferventes  du  Pasteur 
pour  sa  paroisse,  350. 

CH.  LU.  —  Exercice  pour  le  chemin  de  la  Croix. Son  origi- 
ne, ses  avantages,  conditions  pour  les  obtenir  :  six  Ex- 
ercices, 359. 

TOME  PREMIER 

NOTES     1".  Sur  Notre-Dame  de  Lorrette,  359. 

2*.   Explication  de  l'Ave  !Maris  Stella,  70. 
3e.  Condamnation  de  Nestorius,  niant  à  Marie  son 
titre  de  Mère  de  Dieu,  81 . 

—  5e.  Exemple  de  dévotion  pour  l'Ave  Maria,  93. 
— "        6e.  Consécration  du  Samedi  à  la  Ste  Vierge,  115. 

7P .  L'Oraison  dom inicale  adressée  à  la  Ste  Vierge,  1 33 . 

—  8e.  Mariage  de  la  Ste  Vierge,  152. 

—  9e.  Perpétuelle  Virginité  de  Marie,  168. 

10e.  Quelques  conseils  aux  Vierges  chrétiennes.  169. 

—  11e.  Portrait  de  la  Ste  Vierge,  186. 

—  12e.  Cettenotea  quelques  rapports  à  la  précédente,  202 

—  14e.  Conduite  de  M.  Olier  envers  Marie.   Guérison 

obtenue  à  N.-D.  de  Lorette,  236. 

—  15e.  Raison  de  l'obscurité  du  culte  de  Marie  dans  les 

1ers  siècles,  239. 

—  16e.  La  Ste  Vierge  en  Italie  et  principalement  à  Rome, 

242. 

—  17e.  Dévotion  à  Marie  échauffant  tous  les  cœurs,  se 

manifestant  sous  toutes  les  formes,  246. 

—  18e.  Culte  de  Marie  en  France,  249. 

—  19,  20e.  Ces  deux  notes  confirment  les  iprécédentes, 

254,  255. 


152  TABLE    ANALYTIQUE 

NOTES  2R  Origine  de  l'Archiconfrérie,  260. 

—  22e.  Vierge  puissante.  Copie  de  deux  prières  adressées 

à  Marie,  "271. 

—  2:5e.  Salve  Régina,  280. 

—  24e.  Connaissance  de  soi-même,  moyen  de  l'acquérir, 

301. 

—  26e.  Jugement  de  St  Augustin  sur  L'humilité,  348. 

Vive  Jésus  !  Vive  Marie. 

TOME  DEUXIÈME 

NOTES     lrp.  Quelques  détails  sur  l'esclavage  de  la  femme,  8. 

2e.  C'est  surtout  à  la  femme  que  Jésus-Christ  ré- 
serve ses  faveurs,  15. 

3e.  Maigre  la  note  précédente,  Jésus-Christ  a  montre 
aux  hommes  qu'ils  doivent  aussi  aimer,  ho- 
norer et  prier  Marie,  20. 

4e.  Empire  d'une  épouse  Chrétienne  sur  le  cœur  de 
son  mari,  toujours  et  à  la  mort,  25. 

—  5e.    Tous  les  ordres  religieux,  hommes  et  femmes, 

attribuent  a  Marie  leur  naissance  à  leurs  pro- 
grès, 52 . 

—  0e   Heureux  résultats  de  porter  sur  soi  un  insigne 

béni  de  Marie,  55. 

—  7e.   Origine  du  scapulaire  et  ses  avantages,  85. 

—  8e.    Si  le  protestantisme  n'est  pas  encore  la  religion 

dominante  en  France,  c'est  à  Marie  que  nous 
le  devons,  90. 

—  9e.    Un  désabusé.  St  François  Xavier,  120. 

—  10e.    La  fleur  orgueilleuse.  Quiconque  s'élève  sera 

abaissé,  137. 
11e    Avantages  des  pèlerinages,  144. 

—  12e.    La  virginité  n'a  jamais  pu  prendre  racine  dans 

l'ancien  monde,  ni  chez  les  Juifs,  ni  chez  les 
prétendus  réformateurs,  287. 

—  13e.    Résurrection  et  Assomption  de  Marie,  331. 

—  14e.    Cantiques.  Deux,  353. 

VERDUN.    —    IMPRIMERIE      CHARLES     LAURENT. 


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