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PARIS ET LA LIGUE
DU MÊME AUTEUR
Droit oonstituttoimél comparé. — La GonsUtatlon française de 1876.
étudiée dans ses rapports avec les constitutions étrangères (en collabo-
ration avec M. Alphonse Baid). — 1 vol. in-8», 1876. — Paris, Erkest
Thoun, éditeur; 400 pages.
Deuxième édition. — Paris, 1878. — 1 vol. in-i2 de 500 pages.
La loi da 19 mai 1874. — Étude sur la législation protectrice de l'enfance
ouvrière en France et à l'étranger. — Paris, Ernest Thohih, 1877. —
Brochure in-8* de 32 pages.
Deux queetione de droit sur la déportation. — Broch. in-8*. Paris, Ernest
Thorin, 1878.
Les deux couronnes de Henri m. — (Revue de France, du 15 mars 1880.)
De l'organisation municipale de Paris sous l'ancien régime. — Paris.
Berobr-Levrault, 1881. — Broch. in-8« de 33 pages.
Histoire municipale de Paris. — Depuis les origines jusqu'à l'avènement
de Henri III. ^ Paris, RsntWALD, 1880. ^ 1 vol. in-8« de 676 pages.
Théyeneau de Korande. — Étude sur le xvmc siècle. — Paris, Quantia,
1882. — 1 vol. in-12 de 320 pages. — 1 portrait et 5 planches hors texte.
(Il a été tiré de cet ouvrage 50 exemplaires numérotés sur papier
de Chine.)
Étude SOT la revision constitutionnelle (loi du 14 août 1884] et sur la Loi
électorale du Sénat (loi du 9 décembre 1884). — Paris, Emest Thorin,
1885. Brochure in-8* de 36 pages.
Coalomniien. — Imp. r. Uiodiku et Gallois
PARIS ET LA LIGUÉ
sous LE RÉGNE DE HENRI III
ÉTUDE D'HISTOIRE MUNiaPALE ET POLITIQUE
PAR
PAUL ROBIQUET
AVOCAT AU CONSEIL o'ÉTAT ET A LA COUR DE CASSATIO.f
DOCTEUR È8 LETTRES
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET G»
79, BOULEVARD SAINT-GEBllAIN, 79
1886
INTRODUCTION
Les origines de la municipalité parisienne ont fait Tobjet
de longues controverses. Des annalistes des xv^, xvi° et
%\if siècles, Nicole Gilles dans ses Annales de France^
Robert Gaguin, Gilles Corrozet, Jean du Tillet, René Cho-
pin ont soutenu que la transformation de la ha?ise pari-
sienne en corps municipal était due à Philippe-Auguste.
Delamare, dans son Traité de la police *, poussant cette
opinion à Textrême, va même jusqu'à écrire qu'avant le
règne de Louis YII le Jeune « les Parisiens renfermés chez
eux, pour ainsi dire, et pourvus de la plus grande partie
des choses nécessaires à la vie, se passoient de navigation
et de commerce de long cours ». Ce serait seulement en
1170, d'après cet érudit, qu'une association de citoyens
riches se forma pour l'exploitation du commerce par eau,
et que le roi sanctionna par lettres patentes la création de
cette compagnie et l'établissement d'un port à Paris. Phi-
lippe-Auguste, en 1 181 , deuxième année de son règne, aurait
accordé à la Hanse parisienne ses premiers privilèges, en
obligeant les étrangers qui remontaient la rivière à se faire
accompagner d'un Français pendant la durée de leur séjour
à Paris, et à payer certains droits dont la moitié appartenait
à la confrérie des marchands de l'eau et l'autre au souve-
rain. Le Roy, contrôleur des rentes de l'Hôtel de Ville,
1. T. II, in-K 1723; liv. V, t. I, chap. ii, p. 631.
VI liNTRODUCTlON
dans sa grande dissertation sur YOrigine de l'Hostel de
Ville de Paris S a réfuté ce système et tenté de rattacher la
confrérie des marchands de Teau au corps des naùtœ pari-
siaci^ dont une inscription, découverte en 1710 sous le
chœur de Notre-Dame de Paris, démontre invinciblement
l'existence dès le règne de Tibère *. Mais de ce que les
Romains accordaient à la confrérie des bateliers parisiens
des privilèges analogues à ceux qu'obtenaient aussi les
bateliers du Rhône et de la Saône, de la Durance et de la
Loire ^ de ce qu'ils avaient des chefs ou curateurs^ il ne
s'ensuit pas nécessairement que ces chefs aient été, dès
l'époque de la domination romaine, de véritables magis-
trats municipaux. Le Roy use aussi, pour un érudit très
estimable, d'une méthode fort hypothétique quand il se
fonde sur l'analogie des fonctions du défenseur de cité,
telles qu'elles sont déterminées par la loi romaine, avec celles
des magistrats municipaux et des édiles, pour en conclure
que l'institution des défenseurs a existé à Paris ; et c'est avec
la même insuffisance de preuves que cet écrivain affirme
que les nautes parisiens ont dû être désignés exclusive-
1. En tête de VHistoire de la ville de Paris de Félibik!« et Lobineau (Parie,
i725). Il existe un tirage à part de cette dissertation (Paris, Desprez, 172-3,
in-f«).
2. Voici le texte de cette inscription :
TiB. CiESARB
Auo. Jovi. Optumo
MAX803iO... M.
Naut^ Parisiaq
pubuck posubbunt.
Leroux de Lincy, p. 104, donne la liste de tous le& mémoires auxquels
cette curieuse inscription a donné Heu.
3. Constantin et Julien accordèrent la dignité de chevalier à tous ceux
qui exerçaient le commerce par eau ; Gratien, Valentinien et Théodose
leur confirmèrent ce privilège. Delatam vobis a Divo Constantino et Juliano^
principibus xterniSy equestris w^inis dignitatem nos firmamus. (Code Théod.,
liv. XVI.) Une inscription accorde au corps des Nantes du Rhône et de la
Saône Tépithète de splendidissimum. Sur les privilèges de ces corporations,
voy. la diss. de Lb Roy, p. xxxj. — Elles avaient un fonds commun inalié-
nable, destiné à soutenir l'éclat de l'association. (C. Tii6od., liv. XUI, t. V.)
INTRODUCTION VII
ment pour remplir les fonctions de défenseurs parce que
le Code Théodosien prescrivait de choisir les défenseurs
entre leiâ habitants notables de la cité *. On s'épuiserait
vainement à élucider encore la question de savoir si la
confrérie des nautes parisiens a disparu ou non lors de la
conquête de la Gaule par les Francs, bien que de nom-
breux documents attestent la permanence de la navigation
marchande sur la Seine \
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas avant le xn® siècle qu'on
voit apparaître ou plutôt reparaître, avec une constitution
certaine, une association de navigateurs parisiens ayant
pour objet l'exploitation du commerce par la Seine. Le pre-
mier document authentique qui mette en lumière la résur-
rection de la confrérie parisienne est daté de H21. C'est
une charte par laquelle Louis VI, dit le Gros, cède aux mar-
chands {mercatoribus) de Paris un droit de soixante sous
d'or, levé par le roi, au moment des vendanges, sur chaque
bateau chargé de vin qui arrivait dans la capitale ^. On
pourrait citer un grand nombre d'autres chartes, émanant
des successeurs de Louis VI et qui ont toutes pour objet
d'augmenter les privilèges de la confrérie des marchands
de l'eau de Paris. Louis VII, en 1141, leur donne la place
du Vieux-Marché qu'on appelait la Grève, pour y établir
un port ^; puis, en 1170, le même prince confirme les pri-
vilèges des marchands de l'eau dans une charte précieuse
pour l'histoire, car elle donne force de loi à des usages très
peu favorables à la liberté du commerce et que ce docu-
1. Inler municipes et hoTioratos sibi eligant defensorem, (Gode Théod., liv. I,
t. V, nov, maj.)
2. Voy. sur ce point : Les origines de la munic^lité parisienne, par Fré-
Dftmc Lbcaiok, ArcbiY. paléogr., t. VU des Mém. de la Soc. de l'Histoire de
Paris et de rile-de-France (p. 79 à 174).
3. On en trouTe le texte à la suite delà dissert, de Lb Roy, Pièces justif.,
et Arch, nat., carton K. Soixante sous d'or équivalent à 75 francs de notre
monnaie. — Voy. Gdéraro, Prolégomènes du cartulaire de Saint-Père de
Chartres.
4. Lb Roy, DisseH., Preuves, p. xcv.
VIII INTRODUCTION
ment consacre en les qualifiant d'anciens... Consueiudines
eorum taies sunt ab antiquo \ Ces privilèges n'allaient
à rien moins qu'à concéder le monopole du commerce
entre le pont de Mantes et ceux de Paris à la confrérie
parisienne. Il était interdit d'amener ou de remmener par
eau aucunes marchandises, sans être soi-même Parisiensis
eiquœ mercator ou associé à un marchand de l'eau pari-
sien. Quiconque enfreignait ces prohibitions était puni
par la confiscation de ses marchandises, dont la valeur
était partagée entre le roi et la compagnie privilégiée.
Seuls, les marchands de Rouen conservaient le droit
d'amener des bateaux vides jusqu'au Pecq et de les rem-
mener avec un chargement '. De plus, la confrérie pari-
sienne recevait du prince une juridiction spéciale sur
les agents qu'elle employait, et pouvait ainsi se soustraire
aux abus de pouvoir des seigneurs laïques ou ecclé-
siastiques dont les domaines étaient traversés ou côtoyés
par la Seine.
Philippe- Auguste ne fit que développer les privilèges et
rimportance de la confrérie des marchands de l'eau pari-
siens. Tantôt il force le comte d'Auxerre à leur faire des
excuses et à reconnaître dans un acte solennel qu'il a outre-
passé son droit en défendant aux bourgeois de Paris de
décharger leur sel sur le port d'Auxerre ^ ; tantôt il réserve
aux seuls bourgeois de Paris le droit de décharger à terre
1. Lb Roy, DisserL, Preuves, p. xcvj, et Ord, des rois de France^ U 11,
p. 432. Il faut toutefois remarquer que le début de la charte de 1170 parait
fixer au temps de Louis VI le point de départ des privilèges consacrés
par Louis VU... « Cives nostri parisienses qui mercatores sunt per aquam
DOS adierunt, rogantes ut consueiudines suas, quas tempore patris nostri
Ludovici régis babuerant, eis concederemus et confirmaremus. »
2. En 1258, les Rouennais essayèrent de se débarrasser de la nécessité
de prendre compagnie française pour amener à Paris certaines marchan-
dises comme le sel et la saumure. Mais le Parlement repoussa leur
prétention... Pt^obatum est quod non^ dit le texte de Tarrét. {Olim, t. I,
p. 50.)
3. Le Roy; Diss.^ pièces, p. xcvij, Arch, nat,, carton R. Les lettres du
comte d'Auxerre sont datées de Tannée 1200.
INTRODUCTION IX
les vins amenés par eau dans la capitale S ce qui rendait
impossible aux étrangers de livrer du vin à la consomma-
tion parisienne. Une autre fois, en 1213, il «autorise les mar-
chands de Teau à prélever sur chaque bateau venant à
Paris un droit destiné à la construction d'un port '. En
1220, il leur permet de nommer et de révoquer les crieurs-
jurés qui annonçaient dans les rues le cours des marchan-
dises; leur concède les poids et mesures pour 320 livres
par an, en attachant à cette concession le droit de basse
justice, la haute justice restant réservée au roi % en ce qui
concerne les vols, blessures et meurtres. Certains auteurs
ont même invoqué les dispositions du testament rédigé
par le même prince en Tannée 1190, lorsqu'il partit pour
la Terre-Sainte avec Richard Cœur de Lion, et soutenu que
les sex homines probos et légitimas, chargés à Paris par
le roi de servir d'assesseurs et de conseillers aux magis*
trats royaux pour l'administration des revenus de la cou^
ronne, furent les premiers officiers municipaux de la capi-
tale *. Mais ce n'est là encore qu'une conjecture dépourvue
de preuves.
En réalité, il faut aller jusqu'en 1258 pour trouver la
trace authentique de la création d'une hiérarchie munici-
pale à Paris, et constater la première apparition du titre de
prévôt des marchands. Elle se rencontre dans les ordon-
nances d'Etienne Boileau, plus connues sous le nom de
Livre des métiers : « Nus ne puet estre mesureres de blé ne
de nul autre manire de graim, de quelque manière que ce
1. Ibid., et Ord,, t. XI, p. 269. Les êtrangera ne pouvaient que transporter
le vin acheté par. eux du bateau dans un baquet, et ils étaient obligés de
le conduire hors de la banlieue de Paris sans le décharger à terre. (Charte
de 1192.)
2. Ibid,, p. SLVui.
3. Ibid,, p. xax. Il est à remarquer que cet acte de 1220 s'adresse mer-
catoribus hansatis aqus parisius. C'est une dénomination nouvelle.
4. Yoy. sur ce testament ; Rioord, de Gestis PhiU-Aug,, édit. de 1596,.
p. 187; Dissert, de Lb Roy, p. xmii. — Voy. aussi FiUB., t. I, p. 213.
X INTRODUCTION
soit, à Paris, se il n'a le congiet du prévost des marcheam
et des jurés de la confraene *. » Cette confrérie, c'est la
confrérie de la marchandise de Teau ; les jurés de la con-
frérie, ce sont les échevins, car les ordonnances d'Etienne
Boileau leur donnent indifféremment ce titre avec celui de
jurés *; enfin le prévôt des marchands, c'est le premier des
bourgeois hanses^ le chef de la hanse. Le plus ancien des
Olim aussi bien que le Livre des métiers^ qui Tun et l'autre
ont été rédigés de 1258 à 1300, substituent souvent à la
qualification de prévôt des marchands celles de prévôt de
la confrérie aux marchands, prévôt des marchands de
reau, et une fois celle de maître des échevins de Paris '.
Ainsi, par le cours naturel des choses, s'accomplit la fusion
entre le gouvernement de la Ville de Paris et le gouverne-
ment de la marchandise de l'eau, entre les fonctions de
chef de la confrérie et celles de chef de l'administration
municipale, de telle sorte que Le Roy * a pu constater avec
raison que « sous cette formule simple et abrégée, la mar-
chandise ou la marchandise de FeaUy car l'une n'est qu'une
abréviation de l'autre, on entendait précisément alors ce
qu'on a toujours entendu par celle-ci : la prévosté des
marchands et l'eschevinage, c'est-à-dire le gouvernement
politique ou l'administration populaire de la ville, et tout
ce qu'enferme aujourd'hui l'expression figurée de l'Hôtel
de Ville ».
C'est en 1263 qu'un document présente pour la première
1. Edit. René de Lespinasse et François Bonnardot, dans la collection
de VHistoire générale de Paris, i879, in-f«, p. 18 : Mesureurs de blé, t. IV.
Au t. VI, Ibid,^ p. 24, le texte porte : t Nul ne puet estre jaugeur à Paris
se il ne Ta empêtré du prévost et des jurés de la conflartHe des marcheans
de Paris. »
2. Nul ne puet estre crieur à Paris se il n*en a empêtré le congé au pré-
vost des marcheans et as eschevins de la marchandise (Liv. des met., t. V).
Crieurs de Paris (Ibid., p. 21).
3. Reg. des 0/iwi, etc., 1. 1, p. 291, Prepositi mercatorum aque, etc., 1. 1,
p. 926; — magistrum scabinorum parlsiensium, t. II, p. 93, 216, 607, 589.
4. Dissert,, p. xxix.
INTRODUCTION XI
fois les cadres fixes et définitifs de radminîstration de la
confrérie des marchands de Teau ou, si Ton veut, les cadres
de la municipalité parisienne : un prévôt des marchands
et quatre assesseurs nommés échevins K Vers la même
époque, cette administration municipale s'établit dans le
quartier Saint-Jacques, à la hauteur de la petite rue des
Grès et non loin de l'ancien couvent des Jacobins. Un
registre de la Chambre des comptes qui remonte à 1266
appelle le siège de la municipalité le parloir aux bourgeois
ou confrérie aux bourgeois *. Au commencement du
XII' siècle, la marchandise se transporta sur l'autre rive
de la Seine, à l'abri des fortifications du Grand-Chàtelet,
et s'installa entre la Grève et le Petit-Pont. Louis VII
ayant concédé aux marchands de l'eau la place de Grève
en 1141, ainsi que nous l'avons dit plus haut, ils s'habi-
tuèrent à considérer cet emplacement comme leur propriété
et, sous la prévôté d'Etienne Marcel, en 1357, firent l'ac-
quisition de la maison aux piliers^ qui, après avoir fait
partie du domaine royal depuis 1212, puis de l'apanage
des dauphins, avait été donnée par Charles de France,
régent du royaume, à Jean d'Auxerre, receveur des gabel-
les de la prévôté de Paris. La maison aux piliers ^^ agran-
1. L'acte dont il s'agit est une transaction entre la confrérie de Notre-
Dame d'une part, et, d*autre part, la confrérie des marchands de l'eau,
représentée par Erreux de Valenciennes , prév6t des marchands, Jean
Barbette, Henry de Navibus, Nichoias Flaraengus, Adam Bourdon, éche-
YÎns. Celte pièce précieuse a été extraite par Leroux de Lincy d*un car-
tnlaire contenant les donations faites à la confrérie Notre-Dame. (Voy. Hùl.
de PHôtel de Ville, p. 121, et vol. XVII des Mém. de la Soc. des antiquaires
de France.)
2. Sauval, Ant. de la V. de Paris, t. II, p. 481, donne une description de
ce curieux monument. U appartint À la ville et fut entretenu à ses frais
jusqu'au milieu du xvu^ siècle. Il donna lieu à des contestations fort vives
entre la Ville et les Jacobins en l'année 1504. (Voy. Leroux db Lincy, Hist.
de VHôtel de Ville, liv. I, chap. I, et la livraison d'Edouard Fournier dans
Paris à travers les âges.)
3. Sadval, Ibid., p. 482, dit qu'on l'appelait ainsi a parce qu'elle était
portée sur une suite de gros piliers tels que ceux qui se voyent encore à
la Grève, le long de Thôpital du Saint-Esprit et du bureau des Pauvres. » Il
en donne une description détaillée.
XII INTRODUCTION
die dès 1359 par Tacquisition de la maison de Dimanche
de Châtilion, qui formait Tangle de la Grève, du côté de
l'église Saint-Jean, fut la véritable maison de Ville et
abrita les magistrats municipaux jusqu'à la construction
de THôtel de Ville, commencée par François I" en juil-
let 4533 et terminée seulement en 1628 *.
La municipalité parisienne comprenait certainement
depuis 1263 * un prévôt des marchands et quatre échevins,
et il résulte d'une sentence de juillet 1296 qu'à cette
époque on créa 24 conseillers de ville pour assister le
prévôt des marchands et les échevins '. Ils recevaient dix
livres par an (sentence du 12 octobre 1295) et prêtaient
serment à la marchandise de venir au parloir à toute
réquisition. Dans le principe, ils étaient choisis par le
prévôt et les échevins; mais, à partir de la première
moitié du xvi* siècle, la faculté de résigner leurs charges
en faveur de tiers même non parents fut accordée aux con-
seillers de Ville *.
Quoi qu'il en soit, le prévôt des marchands, les quatre
échevins et les 24 conseillers composaient le corps do
Ville et formaient le grand bureau. Ils étaient secondés
dans leurs occupations complexes par de nombreux agents
dont deux avaient un rôle important. C'était d'abord le
Clerc du parloir aux bourgeois, qui prit, au début du
i. Voy. Leroux de Lincy, p. 31, et rinscription qui reporte à Marin de la
Vallée, architectus parisiensis, Thonneur d^avolr terminé le monument.
2. V. plus haut p. X et xi, note 1.
3. LiviB DES SENTENCES DU PARLOIR AUX BOURGEOIS, Arck. nat., sect, htst., veg.
KK, iO, Ce livre a été publié pour la première fois par Leroux de Limct
en 1846 [Hist de VHôM de Ville, appendice H), d'après un manuscrit qui a
été conservé pendant plusieurs siècles dans le cabinet particulier du gref-
ner de THÔtel de Ville.
4. Reo. h, 1T79, f^ 215. En 1536, Augustin de Thou résigne son office de
conseiller de Ville, et le Bureau demande simplement que la résignation
ait lieu à personne capable.
Un fait assez curieux à relever, c'est que plusieurs fois les prévôts des
marchands cumulèrent leur titre avec celui de conseiller de Ville. Pierre
Violle exerça ce cumul en 1532. (Reg. H, 1779, fo 215.)
INTRODUCTION XIII
x\f siècle, le litre de Greffier de motel de Ville. A cet
auxiliaire de la marchandise appartenait le soin d'enre-
gistrer les sentences du parloir et de tenir les comptes de
la Ville. On ne sépara de l'office de Clerc du parloir la
charge de Receveur de la Ville qu'en 1499, après la catas-
trophe du pont Notre-Dame, et cette charge de receveur
prit au xvi' siècle une énorme importance, avec la dynastie
des de Vigny et à la suite de la création des rentes sur
l'Hôtel de Ville (27 sept. 1522).
Après les clercs greffiers et receveurs, le principal agent
du prévôt des marchands était le Procureur du roi et de la
Ville, appelé d'abord Clerc le roi ou Procureur le roi dans
les sentences du xiii' siècle ^ Il avait pour mission essen-
tielle de représenter le roi au Parloir, et de fixer la part qui
lui revenait dans les confiscations prononcées contre ceux
qui contrevenaient aux privilèges de la marchandise.
Lorsque le procureur du roi eut ajouté à son titre primitif
celui de procureur de la Ville^ ses attributions, qui s'ac-
croissaient ainsi par l'effet de la suppression du ou des pro-
cureurs de la Ville qui, au xv*' siècle, paraissaient avoir
coexisté avec le procureur du roi ', en firent le défenseur
autorisé des traditions et des privilèges de la municipalité
parisienne ', et, en quelque sorte, l'avoué de la Ville
devant les différentes juridictions.
1. Mestre Gaillaume de Montmor, clerc le roi (sentence du 16 avril 1296).
— Mestre Morîze Alain, procureur le roi (sentence du 24 janvier 1298).
Voy. aussi les sentences du 12 mai 1301 et de novembre 1303. C'est seulement
à dater du xvi« siècle que le procureur le roi parait recevoir le titre défi-
nitif de procureur du roi et de la Ville. Le 2 septembre 1527, Jehan Beu-
rise,cons. référ. en la chancellerie de Paris, est nommé procureur du roi et
de la Ville, en remplacement de Jehan Raduise, décédé. Registre des élec-
tions, Arch, du roy,, K, 996.)
2. Leroux db Linct, p. 186, a cité un compte de recettes et dépenses
de 1424 d'où il résulte qu'à cette époque il y avait un procureur général
et conseiller du roy et de la ville qui touchait une pension annuelle de
VU! 1. parisis, en même temps que deux procureurs de la ville, M. Jean
Bailly et M. Etienne, qui ne touchaient que cent sous parisis.
3. Ils donnaient notamment leurs conclusions sur les résignations d'of-
fices municipaux. Cest ainsi qu'en 1536 Philippe Macé, receveur de la Ville
XIV INTRODUCTION
Ainsi constitué, le corps de Yille avait au-dessous do
lui toute une hiérarchie d'agents; mais, pour en com-
prendre le savant mécanisme, il est nécessaire de distin-
guer le double rôle de la prévôté des marchands et do
Téchevinage. Sous le nom de parloir aux bourgeois,
c'est un tribunal de commerce qui statue sur toutes les
contestations intéressant la navigation de la Yille. Quand
la sentence n'a pas le simple caractère d'une consultation,
elle est susceptible d'appel devant le parlement de Paris
et, en dernier ressort, devant le roi *. Le parloir fait office»
de notaire et reçoit les actes *; il prononce commo
« amiable compositeur esleu des parties ' » et présente
enfin tous les caractères d'une société de secours mutuels
qui prodigue les secours aux veuves et aux orphelins des
membres de la confrérie V Considéré comme siège do
justice, le corps de Ville avait pour auxiliaires les ser-
gents du parloir, dont le rôle consistait à « prendro
garde de la marchandise de l'iaue », c'est-à-dire à réprimer
toute infraction aux privilèges de la hanse, à confisquer
les marchandises des contrevenants et à les citer devant le
parloir. En 1291, il y a six sergents * qui se partagent les
depuis cinquante ans, ne put faire admettre François de Vigny comme
son successeur que sur les conclusions favorables du procureur du roi et
de la Ville. (Rbg. H, 1783, f<» 118 à 180.) Nous indiquons par cette citation la
collection des cent cinq registres conservés à la section administrative
des Archives nationales. Cette importante collection, base de notre travail,
commence le 25 octobre 1499 et fînit en mars 1784. Elle est numérotée H.
1778 à 1880. Voici sous quel titre elle figure dans Tinventaire des fonds
des archives : « Délibérations du Bureau de la Ville. Transcription sur
registres des ordres du roi, des délibérations du corps de Ville en matière
administrative, des mandements des prévôts des marchands et des éche-
vins, etc., de 1499 à 1784. » Ces documents étaient presque tous inédits
lorsque l'auteur du présent livre a publié eu 1880 la première partie de
ses études sur VHistoire municipale de Paris, Depuis lors, la Yille a ordonné
rimpression des Registres; mais il n'a paru encore qu'un volume ea 1883,
et ce volume ne comprend que la réimpression du premier registre, H, 1778.
1. Voy. l'affaire de Jehan Marcel, 1268-1269 {Olim, t. !•% p. 291).
2. Rec, des sentences, 11 janvier 1300, f« lv, r®.
3. !bid„ 22 août 1291, fol. xu, v«, et 1293, fol. xlv, r».
4. Voy. les sentences de 1299, fol. l, v»; du 28 mars 1298, f» uv, v».
5. Ibid., fol. XXXIX, r«, 10 février. La sentence donne les noms des
INTRODUCTION XV
difTérents services, police de la Grève, police de la Seine,
police de l'audience, étalonnage des mesures, visite des
cabarets. Leur nombre fut successivement élevé, et le
trente-cinquième chapitre de la grande ordonnance de 1415
mentionne quatre sergents de la marchandise et six du
parloir, ce qui exprime clairement la division que nous
essayons de préciser entre la juridiction commerciale et
l'administration municipale de la prévôté des marchands.
Il faut encore ranger parmi les agents de la marchandise
tous les fonctionnaires subalternes qu'énumère la grande
ordonnance de 1415 ^ : les cinquante-quatre jurés-mesu-
reurs de grains, les jurés-vendeurs de vins, les courtiers,
au nombre de soixante, les jaugeurs de vins, au nombre de
douze, les deux courtiers de chevaux, investis du mono-
pole de faire remonter les bateaux sur la Seine avec leurs
chevaux de halage, les quarante jurés-compteurs, mesu-
reurs ou mouleurs de bûches; les neuf mesureurs de
charbon, les vingt-quatre mesureurs de sel, et enfin jus-
qu'aux revisiteurs d'aulx et d'oignons et aux deux cour-
tiers de graisse!... Deux catégories d'agents méritent une
mention spéciale : celle des jurés-crieurs^ intermédiaires
entre les marchands en gros et le commerce de détail ' ; et
celle des porteurs de sely qui, sous la dénomination
six sergents et non des cinq, comme Ta écrit par erreur Leroux de
Lincy, p. 208.
i. Ordonn, royaux, édit. de 1528, iu-4o goth., fol. 5 au fol. 55, v». — Conf. le
Livre des métiers d'Etienne Boileau sur les mesureurs, les taverniers, etc. —
Cens, aussi, sur les agents de la marchandise^ les Orig, de la munie, paris.,,
par Fato. Lbcaboic, arch. paléographe, Paris, 1882, Soc. de Vhist. de Paris.
Ce travail s'arrête à 1415 et ne B*occupe de la prévôté des marchands
qu'au point de vue de sa juridiction commerciale.
2. Les crieurs étaient an nombre de 24 et s'occupaient surtout du com-
merce du vin au détail. Ils criaient les choses étranges qui se trouvaient
égarées {enfants, mules, chevaux et autres, V. Tord, de 1415.) Mais leur
grande source de profits, à partir du xm* siècle, consistait dans le règle-
ment des funérailles et le cri public des décès. L'ord. de 1415, chap. XIX,
fixe le taux des fournitures de deuil : deux sous parisis par jour pour la
locaUon des robes, manteaux et chaperons, seize deniers pour les tein-
tores, deux sous par torche payables au porteur.
ROBIQUET. b
XVI INTRODUCTION
à'hénouarts, formaient une corporation de vingt-quatre
personnes jouissant du singulier privilège de porter les
rois de France à leur dernière demeure *.
Envisagés comme magistrats municipaux, conmie édiles
et non plus comme juges consulaires, le prévôt des mar-
chands et les échevins se relient à leurs administrés par
une série d'agents dont le rôle et les attributions sont, au
plus haut degré, dignes d'attention. Leroux de Lincy *
novis parait émettre une hypothèse un peu hasardée en
faisant remonter au xii** siècle la création des 4juartiniers
ou chefs des quartiers, qui, d'abord au nombre de quatre
avant Philippe-Auguste, furent portés à huit par ce prince,
en 12H, lorsqu'il bâtit sa nouvelle enceinte, et à seize par
Charles VI, en 1383. Mais ce qui est incontestable, c'est
qu'au temps de la prévôté d'Etienne Marcel (1357-1358) il
y avait déjà des quartiniers et des cinquanteniers '.
L'ordonnance du 27 janvier 1383, qui fut promulguée par
Charles VI, après l'insurrection des Maillotins, pour abolir
la prévôté des marchands et confondre sa juridiction avec
celle du prévôt de Paris, constate d'une façon bien authen-
tique l'existence des quartiniers, cinquanteniers et dizai-
niers, par cela même qu'elle prononce la suppression de
ces officiers mumcipaux *. L'ordonnance de Charles VIII
1. Voy. Chron. d'Enguerrand de Monstrelet, liv. II, édit. du Panthéon litl.,
p. 534, sur le cérémonial des obsèques de Charles VI en 1422, et Hist. de
Charles VII par Mathieu de Couctjy p. 737 du recueil de Godefroy.
2. Chap. V, p. 193.
3. Cela résulte d'un passage des Grandes chroniques qui, jusqu'à pré-
sent, avait échappé à l'attention des historiens de Paris : « Es quelles
lices estoient venus moult de gens par le mandement que ledit roy de
Navarre et ledit prévost des marchands avoient fait à plusieurs quarteniers
et cinquanteniers de ladite ville. » (Gr. chron, , t, VI, chap. xl.) — Une chro-
nique inédite en prose de Jean de Nouelles, qui écrivait à la fin du
XIV* siècle, et qu'a citée Leroux de Lincy (p. 194), semble indiquer que
Jehan Maillart était un quartinier. On le qualifie, dans ce document, de
tt garde par le gré du commun, d'un des quartiers de la ville ».
4. (i Nous dépendons que d'orennavant il n*ait en notredicte ville aucuns
quarteniers, cinquanteniers ou dixeniers, establis pour la defTense de la-
dicte ville ou autrement... » [Ord, des rois de France, t. VI, p. 687.) — Leroux
INTRODUCTION XVII
de janvier 1485 définit nettement les attributions des seize
quartiniers : « Icelle ville a esté par cy-devant divisée et
partie en seize quartiers, en chascun desquelz quartiers
lesdits suppliants [le prévôt des marchands et les éche-
rins) ont acoustumé commectre ung notable bourgeois et
habitant de ladite ville, lesquels sont en nombre seize et
nommez quarteniers^ ayans charge expresse, chacun en son
quartier, soubz lesditz prévost et eschevins, de regarder
au faict de ladite ville, oyr toutes nouvelles, faire assem-
bler les nobles, bourgeois, manans et habitans d'icelle
Ville, chacun en son quartier, toutes et quantes fois que
besoing en est, et en quelque temps que ce soit, de jour et
de nuyt, pour donner ordre et provision aux affaires
dessusdites et savoir quel nombre de gens y a en chacun
desditz quartiers, tant habitans et résidens ordinairement
illec que autres extrangiers. » Il parait bien résulter de ce
texte que les quartiniers jusqu'à la fin du xv* siècle
étaient directement choisis entre les notables par le
prévôt des marchands et les échevins. Plus tard, le mode
d'élection devint plus compliqué, et, sous François I", le
quartinier était nommé par le Bureau de la Ville sur une
liste de trois notables désignés par les dizainiers du quar-
tier, auxquels ils adjoignaient deux notables de chaque
dizaine \ Un curieux mémoire, adressé en 1562 par la
de Lincy dit inexactement qae cette ordonnance se trouve au t. V, p. 688.
On remarquera que l'ordonnance de 4383 orthogrnphie quarteniers. L'or-
thographe de quartiniers est aussi souYenl employée. Voy. l'ordonnance de
janvier 1484 (Ord., t. XIX, p. 474). Le titre porte quartiniers et le texte quar-
teniers. Nous avons adopté dans le corps de l'ouvrage la première de ces
formes; mais il esl trop absolu d'affirmer, comme l'a fait M. Picot, Recher-
ches sur les quartinierSf cinquanteniers et diiainiers de la ville de Paris
(broch. in-S^', 1815), que ce serait seulement dans la seconde moitié du
XVI* siècle qu'on aurait parfois adopté Torthographe de quartenier. Nous
venons de voir le mot ainsi écrit dans des ord. du xiv« et du xv» siècle.
Le règlement municipal du i" avril 1500 (Rbo. H, 1778, fo 50), le mande-
ment du 5 décembre 1530 (Rbo. H, 1779, f» 51), donnent la même ortho-
graphe, et ce sont des exemples pris au hasard.
1. Rbo. h, 1779, fo 51. Election du 5 décembre 1530, en remplacement de
Thomas du Ru décédé. — Leroux de Lincy se trompe donc en écrivant
XVIII INTRODUCTION
municipalité parisienne à celle de Tours, prouve qu'à cette
époque les cinquanteniers, de concert avec leurs dizai-
niers, élisaient quatre bourgeois notables par dizaine et
portaient leurs noms à FHôtel-de- Ville, écrits sur quatre
billets. On tirait au sort deux de ces noms dans un cha-
peau, et Ton inscrivait ces deux noms avec celui du
dizainier. L'opération faite de cette manière pour chaque
dizaine, les électeurs ainsi désignés étaient appelés sépa-
rément « pour faire le serment de eslire en leurs con-
sciences ung quartinier, le plus seuffisant qu'ils scauront
audict quartier ». Celui qui obtenait le plus de voix était
nommé quartinier et le mémoire ne mentionne plus l'inter-
vention du Bureau de la Ville '. En 1528, date de la publi-
cation des Ordonnances royaulx de la jurisdicion de la
prévosté des marchans et eschevinage de la Ville de
Pa?'îS *, les cinquanteniers et dizainiers étaient élus à peu
près dans les mêmes formes que les quartiniers, « nonob-
stant, dit le règlement, que communément nos seigneurs
les prévost et eschevins ne font pas appeler si gros nombre
de gens avec les dixainiers ^». Chaque quartinier, dans la
p. 200 que, « jusqu'au mois d'octobre 1633, les quartiniers furent élus par
les cinquanteniers et dixainiers ou bien se succédèrent de père en fils,
après avoir été agréés par les membres du Conseil de Ville n. Il arrivait
très fréquemment que le Bureau de la Ville n'admettait pas les résignations
d'office de quartinier. C'est ce qu'il fit par exemple le 4 février 1549.
(Rbo. h, 1781, fo 135.) D'autres fois, le Parlement déclarait la résignation
illégale. En 1556, Jehan Lescaloppier, avait résigné son office de quartinier
en faveur de son fils Nicolas. Le Parlement ordonna que Jehan resterait
quartinier, et la ville dut régulariser les formalités omises. (Reg. H, 1783,
fol. 208.)
1. MéaiomE baillé par la ville a ceux de Tours pour les règles. (Reg. H^
1784, f» 132.)
2. Exemplaire gothique. L'ordonnance de 1450 forme le 58* chapitre du
recueil avec l'intitulé ci-dessous : « Le cinquente-huytiesme chappitre con-
tient les ordoilances sur la forme et Télection du prévost des marchans et
eschevins de la ville de Paris et des conseillers d'icelle. Et à la fin est
narré la forme de l'élection d'un quartinier, cinquantenier et dixinier.
Avec le serment des archiers, arbalétriers et acquebutiers de la Ville. » Il
y a un autre recueil des ordonnances royaux sur la prévosté des mar-
chands, daté de 1644.
3. Ex, gothique, art. XVI. En 1563, les cinquanteniers étaient élus par
INTRODUCTION XIX
seconde moitié du xyi"" siècle tout au moins, commandait
à deux ou trois cinquanteniers, selon la grandeur du
quartier; et chaque cinquantenier avait pour auxiliaires
quatre dizainiers ^ Ils prêtaient tous serment entre les
mains du prévôt des marchands.
Les quartiniers, cinquanteniers et dizainiers ne remplis-
saient pas des fonctions purement civiles. Au quartinier
appartenait le soin de garder les clefs des portes de la
Ville, ainsi que les vingt-quatre seaux de ville et les crocs
n fer pour servir en cas d'incendie *. Ils faisaient, sur la
réquisition du prévôt des marchands, des perquisitions et
des visites domiciliaires, soit pour rechercher les gens
suspects, soit pour se rendre compte des provisions qui
pouvaient être réquisitionnées, en cas de besoin. Enfin, ils
furent longtemps les chefs uniques de la milice munici-
pale; mais, à partir de 1562, une hiérarchie nouvelle fut
organisée pour mettre sous la main du roi la direction de
la milice bourgeoise. C'est, en effet, à cette époque que
remonte la création des capitaines ^. En avril 1563, les
seize quartiers sont encore commandés par seize capi-
taines *; mais, dès le début de Tannée 1568, les chefs mili-
les dizainiers et deux bourgeois de chaque dizaine mandés par le quar-
tinier, et les dizainiers étaient choisis par le Bureau de la Ville sur la pro-
position du quartinier. (Rbo. H, 1785, fo 92-94).
1. Mémoire, etc. (Reg. H, 1784, fol. 132.) Nous ne savons sur quel fonde-
ment Leroux de Lincy allègue (p. 195) quMl « y eut pendant longtemps,
sons chacun des quartîniers, deux cinquanleniers et dix dixainiers ».
2. Traité de la police, t. IV, p. 155.
3. Le Becueil des ordonnances roy aulx, sur le faict et jurisdiction de la pré-
vosté des marchands et esckevinage de la Ville de Paris fixe ce point d'une
manière authentique à propos de la formule de serment des capitaines :
« Le serment que le roy entend estre faict par les cappitaines et lieutenans
astablis en ceste Ville de Paris, 7nil cinq cens soixante deux, à cause des
(roubles qui estoient lors ». Leroux de Lincy, p. 199, étudie l'organisation
des cadres de la milice bourgeoise en 1587. On n'a pas encore essayé de
montrer qu'elle est bien antérieure.
4. Le 7 avril 1563, le prévôt des marchands assemble au petit bureau les
16 capitaines de quartiers pour leur faire certaines recommandations, et
le Registre donne leurs noms. (Rbo. H, 1784, fol. 144. — Fius., t. III des
Preuves, p. 403.)
XX INTKODUCTION
taires des seize quartiers portent le titre de colonels^ et un
règlement du 24 janvier nous apprend qu'ils se réunis-
saient deux fois par semaine à THôtel de Ville ; un mande-
ment du 8 février de la même année assigne à, ces colonels
les emplacements qu'ils doivent occuper, en cas de besoin * .
Il ne faudrait pas croire, du reste, que la création des
colonels et des capitaines ait complètement supprimé
l'action dos quartiniers sur la milice. C'était à ces der-
niers que revenait le soin de réunir les habitants des
dizaines pour élire les capitaines ', et celui de transmettre
aux mêmes capitaines, par l'intermédiaire des dizainiers,
l'ordre d'aller prendre la garde de telle ou telle porte.
Enfin, les capitaines ne faisaient les perquisitions dans
les hôtelleries et dans les maisons particulières que sous
la surveillance et la direction des quartiniers. Néanmoins,
il serait puéril de méconnaître que la création des colonels
et des capitaines diminua l'importance des quartiniers,
cinquanteniers et dizainiers, au point de vue de leurs
anciennes attributions militaires.
Pour terminer Ténumération des auxiliaires de la muni-
cipalité parisienne, il reste à citer les trois compagnies des
gardes de ville, les archers^ les arbalétriers et les hacque-
butiers... L'existence de la compagnie des arbalétriers est
certaine à partir de 1359, et elle aurait eu pour raison d'être
la nécessité de maintenir l'ordre dans Paris après la défaite
1. Féufi., t. ni des Pr,, p. 403.
2. Mandement de 1563. (Reg. H, 1785, fol. 39.) Ni Leroux de Lincy, ni les
autres historiens de Paris ne mentionnent, à notre connaissance du moins,
l'existence des colonels et des capitaines delà milice avant 1587. Ajoutons
que des lettres patentes de Charles IX, datées de 1568 et imprimées par
Robert Estienne, prouvent que le roi de la Saint- Barthélémy nomma lui-
même 16 chefs de quartiers dont chacun commanda cent bourgeois u chefs
de maison si faire se peult » pour « fortifier la justice royale ». Le prév6t des
marchands avait présenté au roi 48 candidats, parmi lesquels il choisit les
16 chefs de cette milice de choix destinés à figurer au premier rang de
Tarmée des massacreurs. Nous croyons avoir signalé le premier ce curieux
document. {Hist. munie, de Paris, p. 538). Il est extrait d'un recueil de
pièces conservé à la Bibl. de la Ville.
INTRODUCTION XXI
I
de Marcel et de ses adhérents *. Cette compagnie était mise
expressément aux ordres du prévôt des marchands, et ceux
qui en faisaient partie touchaient une paye de deux gros
par jour et de quatre* en temps de guerre. Ils étaient, en
outre, exempts de toute contribution personnelle. En août
1410, Charles VI réduisit à soixante le nombre des arbalé-
triers et créa une compagnie de cent archers qui reçurent
les mêmes privilèges que les arbalétriers *. Enfin Fran-
çois P', par lettres patentes datées de mars 1423, organisa
une troisième compagnie, celle des hacquebutiers. qui
portaient une sorte d'arquebuse, nommée hacquebute. Il
faut relever dans les lettres de François V^ que le nouveau
corps ne devait pas être envoyé hors de Paris sans Tauto-
risation formelle du prévôt des marchands ^ Les trois
compagnies, réorganisées par Charles IX en février 1566
et portées respectivement à cent hommes, perdirent à cette
époque le droit d'élire leurs capitaines, dont le souverain
s'attribua la désignation, et reçurent Tarquebuse pour arme
commune. Cette première atteinte aux antiques privilèges
des gardes de la Ville fut suivie do plusieurs autres. Nous
ne rappellerons que la nomination par le roi Henri II, en
septembre 1550, d'un capitaine général des archers, arba-
létriers et hacquebutiers de la Ville, nomination qui sou-
leva les vives réclamations du corps de Ville. Nous ver-
rons qu'au début de l'insurrection ligueuse les trois
compagnies se signalèrent par leur indiscipline et aban-
donnèrent la cause du roi *. Avoir indiqué les éléments
1. Les lettres patentes, délivrées par le dauphin Charles le 9 août 1359,
organisent la confrérie des arbalétriers, en fixent l'efTectif h 200. Voy. Recueil
des Chartes, etc., des arbalestriers, archers, arquebusiers, etc., de la Ville de
Paris, par M. Hay, 1770, in-fol., p. 26.
2. Ibid., p. 29.
3. Ibid., p. 81.
4. Dans la séance du Bureau de la Ville en date du 13 décembre 1550,
Jehan Beltot, capitaine des archers, et Pierre Bénard, capitaine des arbalé-
triers, vinrent rappeler les privilèges accordés à leurs compagnies par les
prédécessenrs de Henri II. Ils protestèrent. contre la création d*un capitaine
I
XXII INTRODUCTION
essentiels de rorganisme municipal de Paris ne suffirait
pas, si Ton ne donnait pas une idée sommaire, mais précise
des opérations électorales qui faisaient du prévôt des mar-
chands et des échevins les mandataires de Télite des Pari-
siens.
Aux termes des ordonnances municipales de 1450 S le
prévôt des marchands était nommé pour deux ans, et chaque
année, « le lendemain de la Nostre-Dame de la my-aoust »,
général en la personne d'Antoine du Belloy, désigné par le roi, et conclu-
rent quMs « ne dévoient avoir autre cappitaine général que M. le prévost
des marchans et les eschevins de la Ville, en son absence ». (Rbg. H, 1781,
fol. 207.)
1. Chap. Lviii, Édition gothique de 1528, feuillets 93 et suivants.
Leroux de Lincy, analysant les formes des élections municipales au
chap. m de la première partie de son Histoire de l'Hôtel de Ville, dit « que
Ton trouve le détail des formalités que Ton observait dans ces élections »
au recueil des ordonnances de la juridiction municipale rédigé en 1415.
Cela parait être une erreur, car la grande ordonnance de 1415 (vieux style)
sur la juridiction des prévôt des marchands et échevins de la Ville de
Paris (Ord,, t. X, p. 257) ne parle nullement des élections municipales,
mais uniquement de la marchandise de l'eau et de ses privilèges. Leroux
de Lincy a évidemment cru que le manuscrit qu'il a consulté aux Archives
et qui fait partie du registre connu sous le nom de Mémorial, donnait la
forme des élections municipales en vigueur dès 1415, parce que le manu-
scrit dont il s'agit est précédé de la copie officielle de Tordonnance de
février 1415. Mais le texte (qui a été récemment réimprimé par M. Lecaron
dans son étude sur les Origines de l'Hôtel de Ville, p. 47) prouve bien que
les ordonnances municipales citées par Leroux de Lincy et M. Lecaron,
à sa suite, comme ayant été rédigées en 1415, sont, en réalité, celles de
1450, qu'on trouve dans les éditions gothiques de 1500 et 1528. II suffit,
pour s'en convaincre, de remarquer qu^elles ont été coUigées par Jehan
Baillet, prévôt des marchands, Guillaume Nicolas, Engucrrand de Thumery,
Nicolas de Louviers et Jehan de Marie, qui^ exerçaient leurs charges en 1449,
d'après la chronologie de Leroux de Lincy lui-même, p. 205. C'est bien
en juillet 1450 que la commission où figurent cçs personnages avec un
assez grand nombre de parlementaires se réunit pour visiter et examiner
les vieux documents sur la forme des élections; et le prétendu manuscrit
de 1415 est identique à celui de Tordonnance de 1450 que reproduit le
58<* chapitre de Texemplaire de 1528. On a simplement oublié un chiffre C,
dans la version reproduite par M. Lecaron : « Icelles ordonnances faictes
en THostel de ladicte Ville, le samedy XXV« jour de juillet^ Van mil CCC
cinquante ». U est d'ailleurs probable que les membres de la commis-
sion de 1450 avaient sous les yeux des documents bien antérieurs sur
la forme des élections, et ils ont peut-être copié l'un de ces vieux textes,
quoiqu'ils aient émis la prétention d'avoir fait et composé une rédaction
nouvelle; mais, en résumé, le manuscrit que Leroux de Lincy et ses suc-
cesseurs datent de 1415, n'est autre que l'ordonnance de 1450, et c'est pour
cela que nous nous plaçons à cette époque, moins lointaine, pour étudier
le mécanisme des élections municipales.
INTRODUCTION XXIU
deux des échevins étaient remplacés par voie d'élection. Le
corps électoral se composait du prévôt des marchands, des
quatre échevins, des vingt-quatre conseillers de la Ville,
des seize quartiniers et de bourgeois élus, dans la propor-
tion de deux par quartier *. Au total, le corps électoral ne
se composait que de soixante -dix -sept personnes. Le
16 août, les opérations électorales s'ouvraient à THôtel de
Ville. Chacun des électeurs prêtait d'abord serment de
« bien et justement faire ladicte élection, au bien du roy
et de la chose publique ». Puis on nommait quatre scru-
tateurs qui prêtaient serment « de tenir secrettes les voix
et nominations ». Chaque électeur ayant déposé son bulletin
dans le chapeau traditionnel mi-parti rouge et tanné, le
scrutin était clos et on le remettait aux scrutateurs après
avoir présenté le procès-verbal à la signature du prévôt et
des échevins. Ce procès-verbal était enfin porté au roi,
qui l'ouvrait et en proclamait le résultat *.
1. La désignation de ces deux bourgeois par quartier était précédée de
formalités assez compliquées. Quelques jours avant l'élection, le prévôt
des marchands mandait à chaque quartinier de réunir les cinquanteniers,
les dizainiers de son quartier, et, en outre, d'appeler « six hommes nota-
bles ». Cette réunion élisait ensuite « quatre personnes notables les plus
convenables qu'ils sçauront pour estre À la dicte eslection ». Le quartinier
consignait dans un rapport clos et scellé les noms de ces quatre notables et
les remettait au prévôt des marchands. Ce dernier, assisté des échevins et
des vingt-quatre conseillers de la Ville, choisissait en dernier ressort deux
notables sur la liste de quatre noms qui lui était remise par chaque quarti-
nier. Les cinquanteniers et dizainiers, ayant la majorité dans les assemblées
de quartier, déléguaient presque toujours quatre d'entre eux à l'Hôtel de Ville.
On essaya, à plusieurs reprises, de remédier à cet abus. Par arrêt du 8 août
1500, le Parlement conféra au prévôt des marchands, aux échevins et aux
conseillers de ville le privilège de choisir dans chaque quartier douze nota-
bles qui devaient composer, avec le quartinier, les cinquantiniers et les
dizainiers, ressemblée primaire chargée de désigner parmi les douze
agréables à l'Hôtel de Ville les six candidats entre lesquels la ville eu
retenait deux pour participer aux élections municipales. Ainsi le nombre
et le mode de désignation des électeurs primaires étaient modiGés. (Rbo. H,
1778, f» 50.) En mai 1554, Henri II alla plus loin et défendit formellement
aux cinquanteniers et aux dizainiers de se donner leurs voix les uns aux
autres, en obligeant le quartinier à choisir les notables parmi les non
mécaniques. (Ord, royaux, etc., édit. de 1644, p. 318.)
2. Il arrive souvent que le roi ne ratifie pas les résultats du scrutin. C'est
ainsi qu'en 1557 Henri II raya, de la liste des échevins élus, le sieur Pierre
ROBIQUET. h*
XXIV INTRODUCTION
En dehors des assemblées électorales du 16 août, la vie
municipale se manifestait à Paris dans les réunions pério-
diques ou exceptionnelles qui avaient lieu à THôtel de
Ville. Les historiens de Paris n'en ont pas jusqu'ici déter-
miné le caractère avec une clarté suffisante. Il y avait
d'abord les séances du Bureau auxquelles n'étaient convo-
qués que le prévôt des marchands, les échevins et les vingt-
quatre conseillers de la Ville. Quand les vingt-quatre con-
seillers ne recevaient pas de convocation et que le prévôt
des marchands appelait seulement les quatre échevins, l'as-
semblée prenait souvent le nom de petit bureau. C'est
ainsi que la plupart des mandements municipaux étaient
élaborés sans l'intervention des vingt-quatre conseillers *.
Enfin, lorsque la question à débattre présentait une impor-
tance particulière, le prévôt des marchands convoquait ce
qu'on appelait une assemblée générale. Pour prendre un
exemple choisi entre mille, le 12 août 1557, deux jours
après la bataille de Saint-Quentin, qui laissait ouvert le
chemin de la capitale, la municipalité convoqua une assem-
blée générale * dans laquelle figuraient, à côté des magis-
trats municipaux, les délégués du Parlement, de la Chambre
des comptes et de la Chambre des aides, du clergé, des
Croquet, et choisit Claude Marcel pour le remplacer, Marcel ayant d'ailleurs
obtenu le plus de voix après Croquet. (Rbg. H, 1783, 1* 253.) En l'absence
du roi, le scrutin était porté au chancelier ou au premier président du
Parlement, qui recevait pour cela des épices de la ville. (Rec. H, 1782, P 3.)
1. Ces mandements étaient précédés de la formule suivante : « De par
les prévost des marchans et eschevins de la ville de Paris... », et suivis
de la mention ci-dessous : <« Si n'y faictes faulte. Faict au Bureau de la
Ville le... » (Rec. H, 1779, fo 51 et passim.)
2. Au procès-verbal de l'assemblée générale du 28 février 1528, convo-
quée par François !«' pour demander aux Parisiens de racheter les enfants
de France « estans de présent ès-pays d'Espagne ès-mains de Tesleu em-
pereur », figure l'indication des corps qui envoyaient des délégués à
l'Hôtel de Ville, savoir : « Messeigneurs de la Cour de parlement. et de la
Chambre des comptes, les généraux de la justice, des aides, des monnaies,
l'évoque de Paris, les recteurs de l'Universilé, les membres du chapitre
de Paris, les abbés de Sainte-Geneviève, Saint- Victor, Sainte-Catherine
du Val des Ecoliers, les prieurs de Saint-Eloi, de Saint-Martin des Champs,
des Chartreux et des Célestins. » (Reo. H, 1779, fo 7.)
INTRODUCTION XXV
abbayes et prieurés et huit notables de chaque quartier *.
Les assemblées générales avaient pour principale raison
d'être la fréquence des demandes d'argent adressées par le
roi aux bourgeois de sa bonne ville de Paris; à l'ordi-
naire, on cherchait à marchander, à gagner du temps, en
invoquant ce prétexte que telle ou telle assemblée n'était
pas en nombre, et le prévôt des marchands en convoquait
une seconde ou une troisième, pour se ménager le temps
de demander au roi une réduction du subside ^
Il serait superflu d'insister sur l'importance considérable,
au point de vue politique comme au point de vue adminis-
tratif, du prévôt des marchands et de ses auxiliaires, les
échevins. Leur origine élective, le rang qu'ils occupaient
dans les cérémonies publiques, la magnificence de leurs
costumes, l'immense hiérarchie de leurs subordonnés, tout
contribuait à rehausser leur prestige et à faire d'eux pour
la monarchie soit de précieux serviteurs, soit les plus
redoutables des adversaires. Mandataires de la cité, ils
avaient qualité pour parler au nom de tout Paris et pour
dire la vérité aux rois. Ils ne faillirent pas à ce devoir, et
les remontrances de la Ville, moins connues que celles du
Parlement, attestent peut-être un esprit plus large, une
plus grande pitié pour les misères du peuple. Administra-
i. Géiaiiy dit le Reo. H, 1783, f» 255, u rassemblée la plus complète et
au plus grand nombre de gens notables qui y fut vue, passé à quarante
ans B.
Nous ne citons ici que les trois principaux types d'assemblées munici-
pales^ mais il y avait bien des circonstances où la composition variait.
Ainsi, le 31 décembre 1533, Léonard Gouard est admis' en qualité de suc-
cesseur du procureur du roi et de la Ville, Jehan Benoist, par une assem-
blée composée non seulement du Bureau de la Ville, mais encore des
quartiniers, et Léonard Gouard soutint qu'on aurait dû convoquer, en
outre, deux bourgeois notables par quartier, ce qu'on trouva contraire
aux précédents. (Rbg. H, 1719, f^ 158.) En général, le Bureau de la Ville
statuait seul sur les résignations d'offices municipaux. (Rbg. U, 1779, f» lU,
138, 215, etc.)
2. On peut prendre comme exemple ce qui se passa le 20 mars 1558,
sous le règne de Henri IL (Red. H, 1783, P 26.) Mais ces pratiques dataient
de Louis XII (Rbg. H, 1778, fo 107) et se reproduisirent sans interruption.
XXVI INTRODUCTION
leurs, ils avaient daas leurs attributions le commerce flu-
vial, les fortifications, les ponts et quais, le pavage, sauf
la avisée de Paris *, la distribution des eaux, Tcntretien
des fontaines, la surveillance des poids et mesures, la répar-
tition de la taille, Tadministration générale des pauvres,
et, sous le nom de rentes sur THôtel de Ville, le service de
la dette publique, à dater de 1522 '.
Une analyse patiente des Registres de la Ville^ véritables
procès-verbaux des assemblées municipales de Paris, permet
de mettre en relief le rôle considérable qu'ont joué dans les
annales de la France les prévôts des marchands parisiens,
leurs auxiliaires et leurs administrés. Faire entrer ces
renseignements précieux et, en majeure partie, inédits,
dans le cadre général de l'histoire du pays, te] a été notre
but. C'est la seconde partie de cette étude que nous don-
nons aujourd'hui '. Elle porte exclusivement sur le règne
de Henri III et trace un tableau de la vie de Paris pendant
l'une des périodes les plus agitées de l'histoire nationale.
1. La croisée de Paris était à la charge du roi. On appelait ainsi les
deux grandes voies qui joignaient, d'une part, la porte Saint-Denis à la
porte Saint-Jacques, et, d'autre part, la porte Baudet (aujourd'hui place
Baudoyer) au château du Louvre. La croisée finit par s'étendre à l'est
jusqu'à la Bastille Saint-Antoine, en suivant le grand chemin royal qui
porte de nos jours le nom de rue Saint-Antoine.
2. C'est le chancelier Duprat qui inspira l'édit du 10 octobre 1522, lequel
vend « certaines fermes et aydes à la communauté et corps universel de
la ville de Paris », représenté par le prévôt des marchands et les échevins,
en autorisant le corps de Ville à offrir ces garanties au public, qui accep-
terait, en échange du capital versé, des rentes sur l'Hôtel de Ville. Le
receveur municipal fut, à partir de ce moment, chargé de payer les ren-
tiers. (FéUB., Pr,^ t. I, p. 578.)
3. La première a paru en 1880 sous ce titre : Histoire municipale de Paris,
depuis les origines jusqu'à f avènement de Henri III. Paris, Reinwald, édi-
teur, 1 vol. in-8o de 676 p.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
10 Ouvrages impiimés.
ÀMPuncATiON, etc. — Amplification des particularités qui se passèrent
à PariSy lorsque M, de Guise s'en empara et que le roi en sortit.
(Arcb. cur., !<*« série, t. XI, p. 351. Mém, de laLigue^ t. II, p. 315.
Preuves de la Sat. Ménippée^ t. H I, p. 64.)
Anquetil. — Vesprit de la Ligue. 3 vol. in-12. Paris, 1767.
Arrests de la cour. — Arrests de la cour souveraine des pairs de
France donnez contre les meurtriers et assassinateurs de messieurs les
cardinal et duc de Guise. Paris, Nyvelle, 1589, in-8°. (Arch. cur.,
!'• série, t. XII. p. 222.)
Aubioné (d'). — Histoire universelle. Ëdit. in-f^ de 1626.
Aucoc. — Le Conseil d^Ètat avant et depuis 4789. 1 vol. in-8<*. Impr.
WAT., 1876.
Barricades. — Histoire de la journée des bari*icades de Paris. Mai 1588.
(BiBL. NAT. Fonds DE Tqoist, Rec. hist., t. III, in-r®. Rev. rétrosp,^
t. IV, !'• série, p. 391. Arch. cur., 1'« série, t. XI, p. 365.)
Bayle. — Dict. historique et critique. A^ édit. Amsterdam, 1730, 4 vol.
in-f«.
Bernard (Etienne). — Journal des États de Blois tenus en 4588 et 4589
par M« Etienne Bernard, avocat au parlement de D^jon, député du
tiers état de ladite ville pour y assister. {Rec. des Etats généraux^
t. XIV, p. 440.)
Bibliothèque. École des Chartes. — Bibliothèque de VÈcole des Chartes.
Paris, 1839-188...
Bodin (Jean). — Journal du tiers état. (États généraux de 1576.)
Boulay (du). — Hist. univ. Parisiensis. Paris,' 1665-1673, 6 vol. in-f».
Boileau (Eslienne). — Livre des métiers, Ëdit. René de Lespinassb et
François Bonnardot. Paris, 1879, in-f<>, dans la collection de VHistoire
générale de Paris.
Bos (Emile). — Les avocats aux Conseils du rot 1 vol.in-8<', 1881. Paris.
XXVIII INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
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Parisien. Paris, 1 vol. in-4<», 4639.
Brillon (Jacques). — Dictionnaire des arrêts ou jurisprudence univer-
selle des parlements de France. Édit. de 1727, 6 vol. in-f°.
Brûlé. — Chronologie des curés de Saint-Benoit. (1752, in-8».)
Campardon. — Les spectacles de la foire, 2 vol. in-8«, 1877. Paris,
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Capefigue. — La Ligue et Henri IV. ïn-12. 3« édition. Paris, 1843.
Chartier (J.)- Chronique de Ctuirles VII, publiée par Vallet de Viriville.
Paris, 1858, 3 voL in-8».
Cheverny. — Mémoires de Chevemy. (Coll. Michaud et Poujoulat,
1" série, t. X, p. 458.)
Les grandes chroniques de France selon qu'elles sont conservées en
réglise de .Saint-Denis en France, publiées par M. Paulin Paris. Paris,
1836-1838, 6 vol. in.8o.
Cimrer et Danjov. — Archives curieuses de Vhistoire de France depuis
Louis XI jusqu'à Uuis XVIIL Paris, 1834-1840, 27 vol. in-8«.
Glamageran. — Hist. de Vimpôt en France. Paris, 1868, 2 vol. in-8o.
Comptes. — Comptes de dépense de Henri //J, de 4580 à Î588. (Arch.
cuR., t. X, p. 424.)
C0.NSEI1.S DU ROI. — Les règlements faits par le roy, le premier jour de
janvier mil cinq cens quatre-vingt-cinq. (Ancii. cur., t. X, p. 299.)
Conseil salutaire, etc. — Conseil salutaire d'un bon Fratiçois aux
Parisiens, Paris, 1589. (Arch. cur., 1^» série, t. XII, p. 331.)
Cousin (Jules). La Cité (dans la coll. de Paris a travers les âges). Paris,
1875.
Crevier. — Histoire de V Université de Paris depuis son origine jusqu'en
l'année 1600. Paris, 1761,7 vol. ln-12.
Déclaration du roi. — Déclaration du roi sur Vattentat, félonnie et
rébellion du duc de Mayenne^ duc et chevalier d^Aumale et ceux qui
les assisteront. (Mém. de la Ligue, t. III, p. 203.)
Déclaration des conslls, etc. — Déclaration des consuls, échevins^ ma^
nans et habitants de la ville de Lyon sur Voccasion de la prise d'armes
par eux faite le 24 février 4589. (Mém. de la Ligue, t. III, p. 271.)
Delamare. — Traité de la police. Paris, 4 vol. in-f», 1705-1738.
Desmaze — Le Chdtelet de Paris, son organisation^ ses privilèges. Paris,
1863, in.8^
Dialogue. — Dialogue du Maheustre et du Manant (à la suite de la
Satyre Ménippée, édit. de Ratisbonne 1752, t. III, p. 367).
Discours véritable, etc. — Discours véritable de Vestrange et subite
mort de Henry de Vabis advenue par permission divine, lui estant à
Sainct-Cloud, ayant assiégé la ville de Paris, le mardy premier jour
d'août 1589, par un religieux de l'ordre des Jacobins. (Mém. de u
Ligue, t. IV, p. 6, et Ancii. cur., l^e série, t. XII, p. 383.)
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE XXIX
Discoi'RS AUX Français, etc. — Discours aux Français avec Vhistoire véri-
table sur r admirable accident de la mort de Henry de Valois, naguéres
roy de France, advenue au bourg de Sainct-Cloud-lés-Paris, le
1« août 1589. (Arch. cur., t. XII, p. Slii.)
Épernon (duc d'). — Remontrance au roi par un vrai catholique romain,
son serviteur fidèle, répondant à la requête présentée par la Ligue
contre les sieurs d'Epernon et La Valette (t. Il des Mem. de la Ligue,
p. 354).
EsToiLE (r). — Mémoires, journaux des régnes de Henri Hî et de
Henri IV, Édition complète, publiée par MM. Halphen, Paul Lacroix,
Gh. Reao, etc. Paris, 1875, 9 vol. in-S», 1875-1881.
États généraux. — Recueil des pièces originales et authentiques conte-
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États généraux. — Des États généraux et autres assemblées nationales,
Paris et La Haye, 1780.
Félibien et LoBiNEAU. — Histoire da la Ville de Paris, avec les Preuves.
5 vol. ifl-fo. Paris, 1725.
Finances. — Traité des finances de France, de Finstitution dicélles, de
leurs sortes et espèces, de ce à quoy elles sont destinées, des moiens
d^en faire fonds, de les bien emploier et d'en faire réserve au besoing,
1580. (ARcn. CUR., t. IX, p. 34i.)
Fleury. — Histoire ecclésiastique avec la Table. Paris, 1722-1738, 37 vol.
in-4<».
Fontanon. — Les édits et ordonnances des rois de France tiepuis Louis VI
jusqu'à présent. Èd\i. revue par G. Michel. Paris. 1611, 4 tomes en 3 vol.
In-f°.
FouRNiER (Edouard). — Le Palais de Justice et le Pont-Neuf. (Dans la
coll. de Paris a travers les âges.) Paris, 1875.
GooEFROY. — Le cérémonial françois, recuellly par Théodore Godefrov,
conseiller du roy en ses Conseils, et mis en la lumière par Denys
Godefroy, advocat au Parlement et historiographe du roy. Paris, 1649,
2 vol. in-r».
GuBSLE (de la). — Lettre d'un des premiers officiers de la cour de Par-
lement eserite à un de ses amis sur le subject de la mort du roi. (Arch.
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Guillaume de Nangis. — Edit. Géraud. Paris, 1843, 2 vol. gr. in-8".
Haton (C). — Mémoires de Claude Haton, contenant le récit des événe-
ments accomplis de îoo3 à 1382. Publiés par M. Félix Bourquelot.
Paris, Impr. nat., 1857, 2 vol. in-4».
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HoTMAN (Franc.) — Franco-Gallia, sive tractatus isagogicus de regimine
regum Galliœ et de jure successionis (Genevœ), 1573, in-8.
HoTMAN (François). — Brutum fulmen papœ Sixti V ndversus Henricum,
XXX INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
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en français en 1585 et 1587, in-8o.
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BERT. Paris, 1823-1833, 29 vol. in-8<».
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Paris, 1841, 1 vol. in^o.
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•La Popelinièrb. — Vhistoire de France, enrichie des plus notables occur-
rences survenues ez-provinces de F Europe et pays voisins , soit en
paix^ soit en guerre, depuis l*an 4550jusques à ce jour. Paris, 1581,
2 vol. in-f«.
Lastre (de). — Discours du siège tenu devant La Charité. 4577, in-S».
Pièce. BiBLiOTH. nat., Lb'*.
Leber. — Collection des meilleurs dissertations, notices et traités parti-
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Ieboeuf. — Lettres de Vabbé Lebœuf sur Vorigine des feux de la Saint-
Jean. (Coll. Leber, t. VIII, p. 472.)
Leboeuf (rabbé). — Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris.
Paris, 1754-1758, 15 vol. in-12.
Lecaron (Frédéric). — Les origines de la municipalité parisienne. T. VII
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Ieroux de Lincy. — Histoire de VHôtel de Ville. 1 vol. in-8«. Paris,
1846. — Livre des sentences du parloir aux Bourgeois. Ibid. Appen-
dice Il et Arch. nat., sect. hist., reg. KK. 10.
Le martyre, etc. — Le martyre de frère J. Clément, de Vordre Sainct-
Dominique, contenant au vray toutes les particularités plus remar-
quables de la saincte résolution et très heurei^e entreprise à rencontre
de Henry de Valois. (Arcil cur., 1'« série, t. XII, p. 397.)
Les Olim. — (De saint Louis à Philippe le Long). Édit. Beugnot, 4 vol.
in-40. Paris, 1839-1848.
Le Roy. — Dissertation sur Vorigine de l'Hôtel de Ville, en tête de VHis-
toire de la Ville de Paris de Félibien et Lobineau, et tirage à part.
Paris, Oesprez, 1725.
Ligue. — Mémoires de la Ligue. 6 vol. in-4*>, Amsterdam, chez Arkstéb
et Merkus, 1758.
Maimbouro. — Histoire de la Ligue. Paris, 1683, 1 vol. in-4«.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE \\\l
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Ligue. (Mem. de la Ligue, t. P^ p. 73.)
— Lettres escrittes de Marseille^ contenant au vray les choses qui s*y
sont passées les 8, 9, 40 du moys d*avril dernier^ 4685. (Arch. cur.^
t. XI, p. 27.)
Martin (H.). — Histoire de France. 4« édit. 17 vol. in-S*», Fume, 1861.
Marttrp, etc. — Le martyre des deux frères, contenant au vray toutes les
particularités plus notables des massacres et assassinats commis es
personnes de messieurs le cardinal et le duc de Guise par Henry de-
Valois — décembre 1588. (Arch. cur., 1'« série, t. XII, p. 83.)
MÉMOIRES SECRETS. — Coppic dcs mémoircs secrets en forme de missive
envoyez de Bhis par un politique de ceste ville de Paris, etc. (Arch.
CUR., !'• série, t. XII, p. 233.)
MÊZBRAY. — Histoire de France, depuis Fharamond jusqu'en 4643,
nouv. édit. Paris, 1730, 18 vol. in-8o.
MicHAUD et PoujouLAT. — NouvclU collection des mémoires pour servir à
rhistoire de France^ depuis le XHI^ siècle jusqu'à la fin du XVHI^^
Paris, 1836-1839, 32 vol. in-8o.
MiCHELET. — Histoire de France. Édit. Lacroix, 17 vol. in-8o. Paris,
1871-74.
MicBON et Courtin. — Information faicte par P. Michon et J. Courtin
sur les massacres commis à Blois ès-personnes des duc et cardinal de
Guise. {Hist. des cardinaux, par Aubëry, t. V; et Arch. cur., l''» série,
t. XII, p. 189.)
MiRON. — Relation de la mort de messieurs les duc et cardinal de Guise^
par le sieur Mir(fn, médecin du roy Henri Ul^ 1588. (Arch. cur.,.
lr« série, t. XII, p. 109.)
Monnaies. — Recueil des ordonnances, édits, déclarations, etc., des
monnoyes d'or et d''argent et autres espèces, tant de France qu'es-
trangéres. Paris, 1 vol. in-S», 1633.
Montmorency. — Discours sur la maladie et derniers propos de M. le
maréchal de Montmorency. Paris, 1579. (Arch. cur., t. IX, p. 311.)
MoRÉRi. — Le Grand Dict. historique. Nouv. édit., revue par Drouet.
Paris, 1759, 10 vol. in-fo.
Nevers. — Mémoires de M. le duc de Nevers. 2 vol. in-4<*, édit. de 1665.
Nevers (duc de). — Traité des causes et des raisons de la prise d'armes-
faite en janvier 1589, par le duc de Nevers. (Mém. de Nevers, t. II,
édit. de 1665, et Arch. cur., t. XIII, p. 173.)
Ordonnances des rois de France de la troisième race. — Publiées par
Laurière, Secousse, etc. 22 vol. in-^, 2 vol. de tables. Paris, 1723-1847.
— Ordonnances royaulx de la juridiction de la prévosté des marchans
et eschevinaige de la ville de Paris, constituez et ordonnez tant par
les feuz rois que par le roy nostre sire, François I«' de ce nom^
1 vol. in-i»,. ex-gothique. Paris, 1528 (Carnavalet, réserve, n« 11929).
XXXII INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
— Ordonnances royaux sur le faict et jurisdiction de la prévosté des
marchands et eschevinage de la ville de Paris. A Paris, chei P. Ro-
COLET (Carnavalet, n*> 3909).
Orléans (Louis d*). — Avertissement des catholiques anglais atix Fran-
çais catholiques du danger où ils sont de perdre leur religion et d'ex-
périmenter, comme en Angleterre^ la cruauté des ministres, s'ils
reçoivent à la couronne un roy qui soit hérétique. 1586. (Arch. ccr.,
LXKp. 111.)
OuDiETTE (Ch.)* — Dict, topographique des environs de Paris. Paris,
1812, inSo.
Palma-Cayet. — Introd. de la chronologie novenaire. (Coll. Micraud et
PoujouLAT, l'» série, t. XII, p. 34.)
Panygrolles. — Coppie d'une lettre escriie par Edmond de Panygrolks,
escuyer^ à un seigneur du pays de Bourgogne^ en laquelle est contenu
le discours des estais provinciaux de Normandie îêhhs à Rouen en
4578. (Arch. cur., i^ série, t. IX, p. 263.)
Paris a travers les âges. — Collection Firuin-Didot. 1875-1883.'
Pasquier (Estienne). — Œuvres. 2 vol. in-f». Amsterdam, 1723.
Petitot et MoNMERQUÊ. — Collection complète des mémoires relatif^ à
Chistoire de France, depuis le régne de Philippe-Auguste jusqu'à la
paix de Paris conclue en 4673. Paris, 1819-1829, 131 vol. ln-8°.
Plessis-Mornay (du). — Lettre d'un gentilhomme catholique français.
(Arch. cur., t. XI, p. 203.;
Picot (G.).— Histoire des États généraux^ de 4355 à 4604. Paris, 1872,
4 vol. in-8o.
Pillehotte (Jean). — Actes de la seconde séance dhs États généraux de
France. Lyon, 1588. Avec privilège du roy.
PoGiANUs. — Oraison funèbre de François de Lorraine. Reims, 1563, in-8®.
Poulain (Nicolas). — Le procès-verbal d'un nommé Nicolas Poulain,
lieutenant de la prévosté de VIsle-de-France, qui contient rhistoire de
la Ligue ^ depuis le 2 janvier 4585, jusqu'au jour des Barricades^ le
42 mai 4588 (à la suite de Tédit. de TEstoile de 1744, t. II, et Arch.
CUR., t. XI, p. 290).
Rentes. — Mémoires coTu^emant le contrôle des rentes, Paris, chez
P.-A. Lehercier, 1717, 1 vol. in-12.
Réponse, etc. — Réponse aux mémoires d'un politique. (Arch. cur.,
1" série, t. XII, p. 251.)
Responsum. — Responsum facultatis theologicœ parisiensis. (Arch. cur.,
1" série, t. XII, p. 349.)
Revue rétrospective. Publiée par M. J. Taschereau. Paris, 1833-1838,
20 vol. in-8o.
RiGORD. — De Gestis Phil. Augusti. Édition de 1596, in-fo.
Rodiquet (Paul). — Histoire municipale de Paris depuis les origines jus-
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INDEX BIBLIOGRAPHIQUE XXXIII
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Sautal. — Histoire et recherche des antiquités de la ville do Paris.
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Sajnt-Foix. — Essais historiques sur Paris. Londres et Paris, 17ÎÎ9,
3 vol. in-12.
Sainct-Yon. — Histoire très véritable de ce qui est advenu en ces te
ville de Paris depuis le VH may 1588 jusques au dernier jour de
juin en suyvant audit an. Arch. cur , l''^ série, t. XI, p. 329, et t. III,
Satyre Ménippée. Preuves. Edit. de 1752, p. 40.
ScRiPTA. — Scripta utriusque partis. Francfort, in-8o, 1586.
Sel. — La descouverture des deniers salez^ dédiée au roy et à messieurs
des États à Blois, advis très utile et nécessaire pour le recouvrement
de notables sommes de finances sur les partizans du sel. Au grand
soulagement du peuple à Paris. De Timprimerie de Denys Duval, au
Ciieval Volant, rue Saint-Jean-de-Beauvals (1588). (Arcu. cur.,
1'» série, t. XII, p. 49.)
Senecey (baron de). — Remerciement faict au njom de la noblesse de
France. A Lyon, par BenoIt Rigaud, 1588.
Société de l'bist. de France. Paris, 1835-188...
Sorcelleries, etc. — Les sorcelleries de Henry de Valois et les oblations
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Vitet. — Histoire des Barricades, 4* édit. 1830.
Zur-Lauben (baron de). Histoire militaire des Suisses au service de la
France. Paris, 5 vol. in-8o, 1751.
Z^ Manuscrits inédits.
Délibérations du bureau de la ville. Transcription sur les registres
des ordres du roi, des délibérations du corps de Ville en matière admi-
nistrative^ des mandements des prévôts des marchands et des éche-
XXXIV INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
vins, etc., de 4499 à 4784. — Arch. nat., sect, administrative. Cent cinq
registres, sous la cote H, 4778 à 1880, et commençant le 25 octobre
1499 pour finir en mars 1784.
LMmpression de ces registres a été commencée par la Ville de Paris ;
mais on n*a encore publié qu'un volume en 1883, dans la collection de
THisTOiRE GÉNÉRALE DE PARIS. Il ne conticDt quc la reproduction du pre-
mier registre (H, 1778)^ qui débute à la date du 26 octobre 1499 (chute
du pont Notre-Dame] et s'arrête au 17 mal 1517 (description de l'entrée
de la reine Claude). Le texte a été édité et annoté par M. François Bon*
NARDOT, ancien élève de l'École des Chartes. Paris, Imprimerie nationale^
1883.
PARIS ET LA LIGUE
CHAPITRE PREMIER
PARIS ET liE NOUVEAU ROI
Depais ravènemenl de Henri III jasqa*à la paix de Bergerac
(30 mai 1574 — 17 septembre 1577).
A la mort de Charles IX (30 mai 1374), Paris et la
France se trouvaient dans une situation étrange, entre un
roi qui n'est plus et un roi absent. Il faut brièvement
rappeler les principaux incidents de cet interrègne de fait,
qui ne prend réellement fin qu'au bout de neuf mois par
l'arrivée du roi au Louvre.
La scène politique paraît vide : le roi de Navarre et le
duc d'Alençon sont gardés à vue, sous«la main de Cathe-
rine, les maréchaux de Montmorency et de Cossé, prison-
niers à la Bastille. Au loin, l'orage gronde : le prince de
Condé cherche en Allemagne des alliés et des ressources.
En Languedoc, le maréchal de Damville, le frère de Mont-
morency, convoque h Montpellier les états de sa province
et forme avec les protestants du Midi une ligue redoutable.
La Noue et les Rochellois, tout en acceptant l'argent de la
reine mère et en concluant des trêves avec Montpensier,
Biron et Strozzi, gardent la main sur l'épée. Il y a un long
moment d'attente, et Paris se demande si, après, le roi
ROfilQUET. 1
2 PARIS ET LA LIGUE
sanglant, un roi pacificateur et vraiment national va venir.
Il ne vint qu'un prince de féerie, et encore vint-il bien
lentement prendre possession de cette capitale qu'il n'avait
quittée qu'à regret.
Nous ne décrirons pas l'odyssée du roi de France et de
Pologne à travers l'Autriche et l'Italie * : les fêtes éblouis-
santes de Venise, la fatale hospitalité du duc de Savoie
qui coûta Pignerol k la France; puis, l'entrevue de Bour-
goin, la prise de possession du nouveau roi par Catherine,
la disgrâce des favoris de Pologne, Bellegarde et Pibrac,
et la rupture définitive avec Damville. Dès le début, la
déception de la cour et du pays est immense. Qui pouvait
s'attendre à ces mœurs de satrape efféminé? Qui pouvait,
parmi les durs compagnons de Charles IX, supporter un
prince qui ne monte plus à cheval, ne mange plus qu'en-
touré d'une balustrade d'or, et ne sort plus de son boudoir
odorant que pour s'étendre au fond d'un bateau peint qui
le promène lentement sur la Saône? Les plus braves
gentilshommes : Gaspard de Nançay, les deux frères d'An-
gennes, quittent la cour, indignés, laissant la place aux
nouveaux favoris, jeunes inconnus avec lesquels le roi
s'enferme *. Lyon ayant cessé de plaire à Tindolent Henri,
il gagne Avignon, à travers le Midi en feu, sans se soucier
des injures de Montbrun qui lui enlève ses bagages au
passage. Alors commencent ces momeries de corporations
de flagellants, ces indécentes exhibitions de pénitents
1. Nous avons fait ailleurs ce récit, qui n'appartient pas à notre sujet.
Voy. dans la Revue de France (t. XL, p. 325, n« du 15 mars 1880) Tarticle
intitulé : Les deux couronnes de Henri III.
2. Le principal favori du roi, M. Du Guast, qui devait, Tannée suivante,
mourir d'une façon tragique, avait reçu pour récompense de ses services
les évêchés de Grenoble et d'Amiens, vacants depuis la mort du cardinal
de Gréqui. Du Guast « vendit à une garse de la cour l'évesché d'Amiens, qui
dès longtemps avoitle bonnet sur l'aureille, la somme de trente mil francs;
aiant vendu auparavant l'évesché de Grenoble quarante mil francs au flls
du feu seigneur d'Avanson. » L'Estoilr, t. I, p. 39, édit. Halphen. Paris.
1875.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 3
blancs, bleus et noirs, ce pieux carnaval qui coûta la vie
au cardinal de Lorraine *. Il semblait vraiment que toutes
les tètes royales fussent secouées par une folie contagieuse.
Catherine est hantée par le spectre du « Titan cardinalin
d'enfer », comme disaient les huguenots dans une épitaphe
satirique conservée par TEstoile. De son côté, le roi avait
ses hallucinations lugubres, accrues par Ténervement
d'une mollesse libertine. Il rêvait à la belle princesse de
Condé qui venait de mourir, à la même idole qu'il avait
adorée du fond de la Pologne, lui adressant des lettres
passionnées avec le sang tiré de son doigt. Maintenant, il
lui rendait un culte funèbre, en couvrant ses habits de
petites têtes de mort brodées. Pour soustraire le prince à
cette douleur, Catherine a voulu le marier. Déjà le secré-
taire d'État, Pinart, est parti en Sufede, pour demander,
au nom de son maître, la main de la princesse Elisabeth,
sœur du roi Scandinave; et le peintre Nicolas Belon a
suivi l'envoyé français pour faire le portrait de la prin-
cesse. Puis, Henri III oublie la négociation commencée
et tombe amoureux de la princesse Louise de Lorraine,
fille du comte de Vaudémont. Les conseillers protestent,
trouvant cette union inégale; n'importe, le roi la veut et
quitte brusquement Avignon pour aller se faire sacrer
et marier à Reims, abandonnant Pinart et son peintre à
la colère du roi de Suède. Dernière honte. Henri, dans sa
marche vers le Nord, s'arrête un moment au camp du
maréchal de Bellegarde qui assiégeait la petite place
1. De Thou résume les bruits qui couraient sur les causes de la mort
du cardinal. D'après les uns, il aurait été empoisonné par Fodeur d'ua
flambeau; d'après les autres, par une bourse que lui aurait présentée Ma-
ihurin Garnier de Saint-Barthélémy, fameux empoisonneur. L'Estoile écrit
avec plus de vraisemblance que le cardinal mourut « d'une fièvre symp-
tomée d'un extrême mal de télé, provenu du serein d'Avignon, qui est
fort dangereux, qui lui avoit offensé le cerveau à la procession des Battus
où il s'estoit trouvé en grande dévotion avec le crucifix à la main, les
pieds à moitié nuds et la teste peu couverte.... » T. I, p. 40.
4 PARIS ET LA LIGUE
huguenote de Livron; mais, accablée dlnjures méprisantes
par les femmes de cette bicoque, Tannée des mignons
lève le siège en désordre. Les fêtes du sacre et du mariage
(13-16 février 1575) sont attristées par une série de mau-
vaises nouvelles. Damville a repris Aigues-Mortes aux
catholiques et constitué h Nîmes une ligue formidable
entre les protestants et le parti des politiques. Tandis que
des sommes immenses sont gaspillées en spectacles super-
flus, les troupes ne reçoivent plus leur solde et la cour
apprend avec une admirable indifférence que la garnison
de Metz menace de se payer elle-même aux dépens des
bourgeois. Christophe de Thou, premier président du
parlement de Paris, qui est venu à Reims pour le sacre,
s'indigne de ces scandales et fait entendre une voix ferme
au milieu de la cour abaissée. On le traite d*homme ridi-
cule et sentant le vieux temps. Mais il personnifiait la
France et la capitale *, qui ne s'habituent pas encore à ce
brusque passage de la tragédie au carnaval.
Telle était la préface du règne; lorsque Henri III, le
dimanche 27 février 1575, « alla descendre de son coche
au Louvre où aiant salué la roine Blanche, vinst loger au
logis neuf de du Mortier, près les Filles-Repenties, avec la
roine sa mère et la roine sa femme *. »
Que pensait Paris du nouveau monarque? Qu'allaient
1. C'est le 30 novembre 1574 que le roi avait écrit h. la Ville de Paris
pour lui faire savoir qu'en janvier 1375 il s'acheminerait vers Reims pour
se faire sacrer u et bientôt après à Paris ». Il priait la Ville de lui écrire
« toutes les semaines une fois, de Testât de Paris ». Kbg. H, 1784, f« 355.
Pendant son voyage dans le Midi, Henri HI avait d^ailleurs informé le
prévôt des marchands de ses divers déplacements. C'est ainsi que, le
10 novembre 1574, il écrit au chef de l'administration municipale qu'il a
pris la résolution « d'aller en Dauphiné et à Avignon ». Il prie le prévôt
« d'avoir l'œil ouvert pour conserver toutes choses en bon état » pendant
l'absence royale. Ibid. Le 18 novembre, autre lettre du roi pour informer
la Ville de Paris de l'accident arrivé sous le pont Saint-Esprit à Alphonse
Gondi, maître d'hôtel de la reine de Navarre. Il y avait eu vingt-cinq vic-
times. VoY. l'Estoilb, t. I, p. 33.
2. L'Estoilb, t. I, p. 52.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 5
devenir aux mains de ce prodigue les libertés municipales
et les finances de la ville? Il fallait, pour ainsi dire,
mettre ce roi et cette cour dans leur cadre et dans leur
milieu, avant de revenir k notre sujet spécial : Thistoire
des magistrats municipaux et du peuple parisien.
La Ville n'avait pas ménagé les honneurs au nouveau
monarque. Pour fêter son arrivée en France, elle avait,
dès ]e i4 septembre 1574, alors que Henri III n'était
encore qu'à Lyon, figuré dans le programme des réjouis-
sances officielles *. « Le mardi 14® septembre, la Cour
de parlement de Paris, la Chambre des comptes, la
Cour des généraux, le corps de ville de Paris et toutes
les autres compagnies vindrent h Nostre-Dame faire
chanter une messe solennelle et le Te Deurrij en signe
d'allégresse et resjouissance, et pour rendre grâces à Dieu
du retour du roy sain et sauf en son royaume : Et après le
disner, fust fait le feu de joie devant l'Hostel de Ville,
avec grand nombre de canonades, son de trompettes,
clairons, liaultsbois, inscriptions magnifiques et autres
tels signes d'allégresse en semblables choses accoustumés.
Sonna tout le jour la cloche de l'orloge du Palais en
carillon, et le soir en furent faits feux de joie par toute la
ville '. »
Comme don de joyeux avènement, les membres du corps
de ville s'octroyèrent eux-mêmes quelques menus avan-
tages. Ils convertirent en argent les droits en nature qu'ils
touchaient depuis le règne de François I*** '. Les fourni-
tures de l'épicier-apothicaii'e du Bureau paraissaient dé-
i. Voir : Registres de la ville, U, 1787, f« 161.
2. L'EsTOiLB, t. I, p. 23.
3. Noos avons déj& indiqué dans un précédent ouvrage (p. 396 el sq.,
HUt, municipale de Paris jusqu'à Henri III) les dates et le texte des dif-
férentes délibérations du Bureau, relatives aux jetons, bougies, épices, etc.,
que s'allouaient les magistrats municipaux. Voy. aussi Leroux de Li:<(Cy,
Hist. de rmtel de Ville, p. 166.
6 PARIS ET LA LIGL'E
modécs, et, vu la rigueur des temps, les magistrats muni-
cipaux préféraient de bonnes espèces sonnantes « aux
droitz do cires, de dragées cl d'hypocras » qu'ils recevaient
suivant les vieux usages '. Ils opérèrent cette conversion
par délibération du 15 novembre 1374. Au moment où les
administrateurs de la capitale songeaient ainsi à leurs
intérêts particuliers, la situation financière de la ville était
déplorable, à tel point que François de Vigny jeune, qui
avait été associé à son père le 28 juillet 1564, dans
l'office de recevew de la Ville ', voulut donner sa démis-
1. "Ce jourd'huy quinziesme jour de novembre 157*. ayant par noua Pré-
vost dea marchans ei ogcheving de ladicte ViUe de Paria, après plu»[eura
«randea afTa.rçs de ladicte ville, mis en délibémion au conaeil ordinaire
(I iceiLB et en la préaence des procureur, receveur et RrefOer, 1b difllculté
qui Beat cy-devant préaenlée au fourniaaemenl des droiu de cires, de
dragéea et ypoeraa que sire Jehan de la Bruière, cspicier et apothicaire
^L .", , "'J'"' V'^"»""""^ <■«> '«T fournir par chacun an. à «uaa dea
dictz estatz de prévoat des marchana, eschevins, procureur.
dieu arokt, a eM orfonni queï. d.cu'dnÙZmliTmmnar, a riduiH
I .„ll., ■ ,'°"'"°" "" "■"«'" "'"" MtUwin., procureur, recer.up
d. ûû.. rt», lin.i "?"'"';■• '-:l-"i': prooureup .1 g„ra., 1. .Z,m
jour de Noa, 1. .omui. dï deu, een. Il™, tornS, ,i !" ' i"."'- '"
leidieli .leur, eiehe.ln., pnienreur r.cmur et Zm '°"™''' " '"'°''
pro=h.ln ven.ol, 1. ,om„, de ,u.r.„l. !,,„, io,M, „,;■'!''" '""'
.u.d,cl. .leur, „eh.,îo., p,oeoP.ur et grenie,. El ,u„l\; A" „■?.',"
,.l,eod,y,„ill. ,„„„. de e,„l ,u.™.l, li,„. lou'„", ,i" ,1'"'™;'
de laquelle ces présentes luy serviront d'acquit et desclisr^». .^î
mV;- m" '""""" "'■'"" ■"■"" '"• "•'»•••'*."'." "".o' h|
2. Voy. Histoire municipale, p. S3*. La réaignalion de [■ofH,.- _
le, n'avait été admEae par l'assemblée générale de la Viuâ m.'A^^***
lion que, sa vie durant. François de Vigny père resterail 83,„ ''« *f ""''
nia. Leroux de Lincy (ITûf . de l'Hôtel de Ville, p. 184] indimn. k- *°"
mission de François de Vigny jeune à la survivant ri„ i. ;"_"'*'*. !'"''■
père [t56ï); mais il néglige d'ajo
François de Vigny obtint de la vi
ne pouvait plus lufllre i sa ticbi
dea rentrées aur l'Hôtel de Ville
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 7
sion, comme François de Vigny père Tavait lui-même
définitivement donnée, au mois d'août 1574. Le receveur
municipal, pour justifier sa détermination, fit valoir, dans
la séance du Bureau en date du 20 novembre, des raisons
fort plausibles *. Chargé, par contrat du 18 novembre 1S73,
de recevoir les sommes que devaient payer les diocèses
pour faire les fonds des rentes de la Ville, il n'avait pu
trouver (( aucuns deniers », et ce malgré les procurations
données par « les révérendissimes cardinaux et aultres
prélatz » assemblés au Louvre. D'autre part, les simples
particuliers, à cause « de la misère et des calamitez des
guerres et troubles advenuz en ce royaume », n'avaient
pas réussi non plus à payer leurs taxes et cotisations. Le
déficit était de 1,500,057 livres tournois. Il fallait aviser à
tout prix, car, si les rentes sur l'Hôtel de Ville demeuraient
impayées, le crédit du roi serait ruiné et l'on aurait à
craindre « confusion, discorde et tumulte ». La respon-
sabilité du receveur municipal était aussi gravement en-
gagée, et, sur les réquisitions du procureur du roi et de la
Ville, le Bureau avait enjoint à de Vigny de faire son
devoir et de s'arranger pour que les rentes fussent payées
à l'échéance, faute de quoi « seroit proceddé à l'encontre
dudict receveur et de ses cautions ». De son côté, le pro-
cureur du roi et de la Ville s'était transporté par devers les
syndics du clergé pour les avertir que, s'ils n'acquittaient
pas leur arriéré, « il seroit proceddé aussy contre lesdictz
syndics et tous lesdits sieurs du clergé par saisie, vente
et exploitation de tous leurs biens ».
Qui autorisait la Ville à employer une procédure aussi
comminatoire ? Pour le faire comprendre, il est nécessaire
charge. En admeUant la démission de François de Vigny père, l'assemblée
municipale mit cette condition qu'il assisterait de ses conseils son fils et
successeur. Rbo. H. 1187, f« 157.
1. Reg. h, 1787, t9 170.
8 PARIS ET LA LIGUE
d'expliquer, le plus brièvement possible, comment le
clergé de France se trouvait engagé à payer une partie
des rentes sur THôtcl de Ville. Jusqu'à la mort de Henri II,
on ne connaissait que les rentes dites des aides et gabelles^
parce qu'elles étaient assignées principalement sur les
aides et gabelles, les domaines et les recettes générales
ou particulières. A Paris, les premières aliénations de
rentes, faites par François P', en septembre 1522, étaient
garanties par le produit des fermes du bétail à pied
fourché et Timpôt du vin vendu au quartier de la Grève.
A la fin du règne de Henri II, THôtel de Ville avait
déjà 630,000 livres de rentes à servir, déduction faite
des rachats opérés en vertu des contrats. Lors de l'avè-
nement de François II, Catherine de Médicis, conseillée
par le chancelier de L'Hôpital, entreprit de combler le
déficit du Trésor, qui était considérable, mais les trois
ordres paraissaient peu disposés aux sacrifices. Aux États
généraux d'Orléans, ouverts le 13 décembre 1560 par le
jeune roi Charles IX, l'orateur de la noblesse, Jacques de
Silli-Rochefort, et celui du tiers état, Jean l'Ange, sou-
tinrent cette thèse que le clergé ne devait posséder aucuns
biens temporels et qu'il convenait de lès vendre pour
aquittèr les dettes de TËtat, sauf à donner des pensions
suffisantes aux ecclésiastiques. Le clergé craignit une
spoliation violente, et l'assemblée des prélats, réunie à
Poissy, offrit au roi, en vertu de la délibération du
10 septembre 1561, quatre décimes pendant six ans, soit
1,493,885 livres par an. Puis elle donna procuration
à deux cardinaux et quatre évêques pour arrêter une
convention définitive avec le roi. Ce contrat, qui s'ap-
pelle le contrat de Poissy, bien qu'il ait été signé le
21 octobre à Saint-Germain en Laye, obligeait le clergé
à payer, pendant six années, 1,600,000 livres par an, pour
le rachat des domaines, aides et gabelles du roi, aliénés
J
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 9
dans les provinces, et ce à dater du ^" janvier 1561 jus-
qu'au 31 décembre 1567.
A l'expiration des six années, le clergé devait remettre
Sa Majesté en possession des domaines, aides et gabelles
aliénés à l'Hôtel de Ville de Paris, en garantie des deniers
s'élevant à plus de 7,500,000 livres. Jusque-là, le clergé
payerait chaque année 630,000 livres pour servir au
payement des quatre quartiers de rentes. Telle était l'ori-
gine de la subvention du clergé *.
De Vigny, pour en revenir à lui, avait un moyen de se
soustraire aux conséquences d'une situation qu'il n'avait pas
faite : une clause de son contrat avec le clergé lui permet-
tait de se descharger en le déclarant six mois par devant.
Il donna donc sa démission de receveur général du clergé
pour le mois de mars suivant « sans plus se vouUoir
immiscer au faict de ladîcte charge, sinon jusqu'au der-
nier jour de mars prochain qu'il fera tout debvoir s'aquiter
d'icellc, et pareillement de païer les arrérages des rentes
jusques andict jour des deniers pour ce destinez, lequel
terme de mars passé, n'entend plus ledict de Vigny
s'immiscer au faict de ladict receptc du clergé, de laquelle,
suivant lesdictz contratz, il se démect et descharge selon
que luy est permis de faire. » Le Bureau ne put refuser à
de Vigny de lui donner acte de sa déclaration, mais il lui
imposa cette condition qu'il payerait les rentes dues par le
clergé pour les quartiers.de janvier, février, mars, avril,
mai et juin de l'année 1575. En attendant, le revenu tem-
porel fut saisi pour garantir le payement des rentes assi-
gnées sur le clergé ".
1. On peut consalter à cet égard, en Ire autres documents curieux : Les
Mémoires concernant te contrôlé des rentes.., & Paris, chez P. A. Lemercier,
imprimeur ordinaire de la Ville, 1717, 1 vol. in-12.
2. De Vigny, après aroir donné sa démission de receveur général du
clergé, n'en resta pas moins receveur de la Ville. On le verra, en 1376»
essayer de vendre sa charge.
» ^- ^ -^j ,•*"
^ «
10 PARIS ET LA LIGUE
La pénurie était générale, et Paris aurait pu faire, comme
le courtisan dont parle TEstoile, Tépitaphe « de ce grand
Diable d'argent » que la guerre avait tué. Pour se pro-
curer des ressources, le roi ou ses agents avaient recours
à des expédients variés. En 1S74, le sieur Le Charron,
(( soy disant commis du trésorier des parties, casuelles »,
voulut faire commandement k Lefranc, mesureur de char-
bon, de payer 30 livres pour la confirmation de son office,
sous peine d'être saisi et de voir son office mis en vente.
C'était sans doute une façon de tâter le terrain, avant
d'appliquer la taxe à tous les offices municipaux. Aussitôt
le bureau de la Ville prend feu et proteste énergiquement
contre une prétention du fisc qui est « chose directement
contraire aux ordonnances et franchises de la Ville * ».
Par délibération expresse, il ordonne que défense soit faite
à Le Charron et autres d'attenter à la personne et aux
biens de Lefranc et des autres officiers de la Ville : car
les offices municipaux sont à la pleine disposition du prévôt
des marchands et non du roi, « et partant nonsubjetz de
prendre confirmation pour raison desdictz offices des roys
h leur nouvel advènement ».
Mais si le fisc cherchait à exploiter les Parisiens en l'ab-
sence du monarque, ce fut bien autre chose lorsque le roi
lui-même arriva dans sa capitale. L'Estoile nous apprend
à quels exercices il consacra le carême de l'an 1575. « Le
roy séjournant à Paris le long du quaresme de cest an 1575,
va tous les jours par les paroices et autres églises de
Paris, l'une après l'autre, ouïr le sermon et la messe, et
faire ses dévotions. Et cependant exquiert tous moyens de
faire argent en toutes sortes que ses ingénieux peuvent
pourpenser. De fait, il leva sur toutes les bonnes villes de
son roiaume trois millions de livres (outre le million qu'il
1. Rkg. h, 1187, {• 173.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI H
lève sur le clergé de France), dont la ville de Paris fut
chargée d'un million pour sa part, par capitation sur les
plus aisés. » Henri faisait venir un par un les principaux
magistrats et les plus riches habitants, et prenait à ceux-
là 600 livres, à ceux-ci 1,200 « selon leurs facultés ».
On créa quatre places nouvelles de conseillers aux enquêtes
du Palais, à io,000 livres chacune; les parties casuelles
furent baillées à ferme pour 80,000 livres par mois ; des
coupes furent ordonnées dans les forêts royales *. « Bref,
le bruit de la cour de ce temps n'estoit autre, sinon que
le roy n'avoit de quoy avoir à disner et que le moien
qu'il avoit de vivre n'est que par empruntes. » La cour était
plongée dans cette détresse quand on apprit que, dans la
nuit du 10 mai, le reliquaire de la vraie croix, que Ton con-
servait à la Sainte-Chapelle, avait été volé. Ce fut un grave
événement dont le corps de Ville s'émut, ainsi que l'attes-
tent les registres.
En portant la nouvelle à la connaissance de la popula-
tion, le prévôt des marchands fit connaître que SOO écus
seraient remis à celui qui révélerait le nom du voleur de
la précieuse relique. « La commune opinion, dit l'Estoile,
estoit qu'on Favoit envolée en Italie pour gage d'une
grande somme de. deniers, du consentement tacite du roi
et de la roine sa mère •. » Quoi qu'il en soit, la Ville envoya
aussitôt mandement aux capitaines pour faire surveiller
les personnes qui sortaient de la capitale • et prit les me-
sures qui dépendaient d'elle pour retrouver « la vraie
croix ». Les capitaines de la rivière et les passeurs reçu-
1. L'Estoile prétend que les sommes ainsi obtenues par le roi furent
employées « à faire un présent au capitaine Gas de la valeur de cinquante
mil livres et plus, n T. I, p. 54.
2. Le chroniqueur ajoute en parlant de Catherine : « Le peuple Tavoit
tellement en hofreur et mauvaise opinion que tout ce qui advenoit de
malencontre lui estoit imputé ; et disoit-on qu'elle ne faisoit jamais bien
que quand elle pensoit faire mal. »
3. Rb6. h, 4789, ^ 188.
42 PARIS ET LA LIGUE
renl Tordre d'interrompre pour un jour la circulation des
bateaux et d'enchaîner ceux « qu'ilz trouveroient estrc
menés par la rivière, sur peine de la vie ». Le 15 mai, il
y eut une procession générale de Notre-Dame à la Sainte-
Chapelle. « Et en laquelle procession auroit assisté, dit le
Registre, le roy, accompagné de la royne et la royne
sa mère, monseigneur le duc d*Alençon son frère, le roy
de Navarre et plusieurs autres princes, princesses et
grands seigneurs et dames. » Tout le corps de Ville ne
manqua de suivre la procession; mais ce concours de
prières n'eut aucun succès, et Tauteur du larcin se déroba à
loutcs les recherches.
D'autres causes ne tardèrent pas à émouvoir la popula-
tion parisienne. Les escoliers s'attroupaient, et çà et là des
rixes éclataient entre eux et tous ces aventuriers italiens
qui étaient venus chercher fortune en France, confiants
dans la protection de Catherine. Un capitaine, nommé la
Vergerie, avait commis l'imprudence de s'écrier en public
« qu'il faloit se ranger du côté des escoliers et saccager et
•couper la gorge à tous ces bougres d'Italiens et à tous
ceux qui les portoient et soustenoient, comme estant
•cause de la ruine de France * ». Ces propos coûtèrent cher
1. L'EsTOiLE, t. I, p. 69. Le chroniqueur a conservé plusieurs libelles
qui attestent Timpopularité dont jouissaient les Italiens et Catherine leur
protectrice :
Bénéfices et dons, estais et pensions,
Sont pour eax sealemenl qui par inventions
De tailles et impôts espoisent notre France.
Surtout ritalien est expert en cet art;
Des imposts qu'il y a, il en a bonne part :
Nous Toyons bien à l'œil qu'ils ruinent la France.
La plupart des poètes anonymes exhortent le peuple à chasser ces hôtes
incommodes :
Chassés-les, saccagés, envoies an supplice.
Puisque vous retenés ces inventeurs d'impôts,
Poltrons Italiens, le malheur de la France,
Pour immortaliser vostre grande vaillance,
Que ne les grillés- vous de gros bois et fagots?
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 13
au pauvre capitaine. Arrêté, il fut traduit devant une com-
mission, composée de quelques maîtres des requêtes à la
dévotion de Catherine et du chancelier de Birague. Ce tri-
bunal, qui siégea à THôtol de Ville, condamna la Vergerie
k être pendu et mis en quatre quartiers. La sentence im-
pitoyable fut exécutée le 6 juillet, en présence du roi, bien
« qu au dire d'un chacun il n'aprouvast pas cest inique
jugement, lequel fust trouvé estrange de beaucoup d'hon-
nestes hommes et scandalisa fort le peuple » '. Quelques
jours auparavant, le 3 juillet, le roi et sa mère avaient eu
vent d'un complot, resté assez mystérieux et qui avait
pour prétexte la question d'un conflit entre les écoliers et
les Italiens. Cinq ou six capitaines furent arrêtés pendant
la nuit et mis en prison. « Toute la nuit, dit l'Estoile, les
dixaines de Paris furent en armes sur le pavé, par le com-
mandement du prévost des marchans et eschevins de
ladite ville, faisanst la ronde par tous les quartiers, et y
eust grand tumulte. On fist bruit qu'en la maison d'un
tapissier de la rue Sainct-Antoine avoient esté trouvées
armes pour armer cinq cens hommes. »
Dans ces circonstances, qui accusaient déjà une sourde-
irritation des esprits, la municipalité parisienne semble
avoir prêté un fidèle concours au roi. La Ville n'avait
pas sérieusement à se plaindre du nouveau roi, et les
franchises de la cité n'avaient pas encore souffert d'at-
teinte essentielle. Les élections du 16 août 1574 s'étaient
librement accomplies, d'après le cérémonial accoutumé.
Quant à la reine mère, les chansons populaires ne Tépargnaient pn»
davantage :
CatiD, dont la puanteur
Rend toute la Franco rance*
Ou fais nostre estât meilleur,
Ou t'en retourne à Florence.
i. lùid.
14 PARIS ET LA LIGUE
Jean Le Charron, président de la Cour des aides, avait
été- continué dans ses fonctions de prévôt des marchands *,
et Ton avait nommé échevins les sieurs d'Aubray et
Guillaume Parfaict, sans que la cour eût soulevé la
moindre objection. Il est vrai que le roi n'avait pas
encore franchi la frontière française. Mais, au 16 août 1375,
il y avait lieu de nonuner deux échevins nouveaux. On
présenta le scrutin au roi lui-même, qui reçut la délégation
municipale au Louvre. Henri ne modifia nullement les
résultats du scrutin et déclara au contraire qu'il entendait
respecter les privilèges de la Ville *.
En ce mois d'août 1S73, il y eut une nomination de
quartinier qui s'accomplit également dans les formes tradi-
tionnelles et sans intervention rovale, mais avec certaines
modifications qu'il est intéressant de signaler*. En résumé,
on admettait, d'une part, les nominations exceptionnelles
par voie de résignation du titulaire en faveur d un tiers,
ordinairement parent ou allié du cédant ; et, d'autre part,
le choix des quartiniers restait en principe confié à l'élec-
tion, le corps électoral étant composé des dizainiers et
de quelques notables du quartier. Le 23 août 1565, sir
Nicolas Hac, ancien échevin, se présente au bureau do
1. Le Charron était prévôt depuis 1572; on sait que, d'après les tradi-
tions, le prévôt des marchands, les échevins et les conseillers de ville,
ainsi, du reste, que les officiers municipaux subalternes, étaient nommés
pour deux ans, mais pouvaient être réélus trois fois de suite. Voy. Le-
BOLX DE LiNCY, p. i54, ouvrage cité.
2. « Le roy, après avoir veu le présent scrutin, a déclaré voulloir conserver
les previlleges de ladicte ville, et que, suyrant iceuis, ledict de Brevant,
Tun des quatre notaires de la Court de parlement, et Legresie, bourgeois
de Paris, qui ont eu la pluralité des voix, demeurent esleus eschevins;
et d'iceulx a pris le serment tout à l'instant. » Reg. H, 1787, f» 210. Sur
le mécanisme des élections municipales, yoy. notre Hi^t. municipale^ p. 248
et suiv., et- p. 455 et suiv. Pour ne pas tomber dans des répétitions fasti-
dieuses, nous ne mentionnerons désormais que les particularités des élec-
tions municipales, en supposant connus les détails déjà fournis relative-
ment aux formes de ces élections et & la composition des assemblées
électorales.
3. Sur le mode de nomination des quartiniers, voy. notamment Hist, mu-
nie, p. 249, 393 et suiv., 467 et suiv.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 15
la Ville et exhibe une procuration passée la veille par-
devant notaire par sire Macé-Bourbon, quartinier de la
Ville *, pour résigner son office en faveur de sire Ilac. Ce
dernier déclarait en même temps que Bourbon venait de
mourir le jour même en son hôtel de la rue Saint-Denis :
or on sait que si Tofficier municipal démissionnaire venait
à mourir avant la remise de sa procuration au Bureau, la
résignation était nulle '. Hac demanda néanmoins à être
reçu au serment en invoquant la procuration dont il était
porteur. Aucune objection ne fut élevée au sujet de la
mort de sire Macé-Bourbon avant la remise de sa procu-
ration; mais, en fait, on considéra la procuration comme
nulle, par cela seul que la Ville ordonna que le succes-
seur du défunt serait choisi par les électeurs. En consé-
quence, les cinquanteniers et dizainiers du quartier de feu
Bourbon furent mandés le 31 août. Il leur fut donné lec-
ture des anciennes ordonnances et des extraits des registres
de la ville « sur le faict de l'élection d'un quartenier » ;
après quoi, on recommanda aux électeurs « de nommer
sans aulcune faveur personnaige digne et suffisant pour
l'exercer, ayant égard h la calamité du temps et nécessité
des affaires ». Les cinquanteniers reçurent ordre, le même
jour, d'enjoindre à chaque dizainier « de prendre en sa
dixaine quatre notables personnes bien faniez et renommez,
qui ne soient mécaniques ne de bas estatz, pour estre les
noms des dictes quatre personnes rapportez cloz et scellez
au bureau de ladicte Ville, ce jourd'huy quatre heures de
relevée, affin d'en eslire par nous deux, suivant l'ordon-
nance et en la manière accoustumée ' ». La liste de quatre
1. Gonf. Ibid.j p. 249, la note sur le mot quartinier, Noas avons adopté
aniformément cette orthographe, qui est celle de Tordonnance de 1450, bien
que les registres de la Ville se rapportant à la seconde moitié du xvi* siècle
portent presque toujours quartenier,
2. Voy. Ibid., p. 469, ce qui se passa au décès du quartinier Leprévost le
4 février 1549, et la note de la page 470.
3. En se reporlant aux extraits des registres que nous avons publiés &
16 PARIS ET LA LIGUE
notables par dizaine ayant été présentée au Bureau, celui-
ci choisit définitivement deux notables par dizaine, élimi-
nant les deux autres, et les électeurs maintenus furent
convoqués pour le lendemain 1*' septembre avec les cin-
quanteniers et dizainiers du quartier. A dix heures du
matin, l'assemblée électorale se réunit dans la grande salle
de THôtel de Ville. Après la formalité du serment, que prê-
tèrent les électeurs suivant les ordonnances de la Ville,
sire Nicolas Hac comparut et posa nettement sa candida-
ture « en considération des services qu'il a faictz dès long-
temps à cette Ville ». Avant de recueillir les suffrages,
les membres du Bureau posèrent au candidat plusieurs
questions. « Luy avons demandé, disent les registres,
après serment par luy faict, si la poursuitte qu'il en faict
est pour luy et en son nom, et sy ce qu'il en faict est poinct
pour faire tomber le dict estât ès-mains d'autres per-
sonnes. A dict que non. Interrogué quelle aage il a, il a
dict estrc aagé de soixante ans ou envyron . — Interrogué
s'il pense poinct en sa conscience que son aage le puisse
erapeschcr de faire son debvoir au dict estât, s'il estoil
esleu, a dict que. non, et espère si bien le faire que nous
et le public en auront contentement. » C'est à la suite de
ce dialogue que l'on ouvrit le scrutin. Hac fut nommé et
prêta serment, sur la réquisition du procureur du roi et de
la Ville.
En insistant quelque peu sur cette élection de quartinier,
nous avons voulu montrer d'abord en quoi les usages
avaient changé depuis François P', relativement au mode
propos de rélection du Buccesseur du quartinier Thomas du Ru, élection
qui eut lieu le 5 décembre 1530 (Uist. mxinic,^ 1. 1, p. 395), on ne manquera
pas de remarquer que, lors de l'élection dont il s'agit, le bureau ne fil
mander par les dizainiers que deux notables de chaque dizaine du quar-
tier intéressé, qui directement désignèrent trois candidats entre lesquels
le Bureau fît choix d'un quartinier. Ainsi le mécanisme était plus compli-
qué en 1575 qu'en 1530.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 17
de nomination d*offîcicrs municipaux investis d*attributions
très importantes. De plus, il semble résulter de Tattention
particulière donnée par le corps de Ville à l'élection d'un
simple quartinier, que la vie municipale avait repris une
certaine activité au début du règne de Henri III. Le nou-
veau prince, en effet, paraissait flatter le vieil attache-
ment de la Ville de Paris pour ses franchises séculaires,
car il avait beaucoup de choses à demander aux ma-
gistrats municipaux, et, en premier lieu, de l'argent et des
soldats.
Pour tenir tète aux factions hostiles, la royauté affec-
tait de compter tout d'abord sur le concours de la milice
municipale. L'organisation nouvelle de cette milice, carac-
térisée par le transport aux capitaines des pouvoirs mili-
taires qui appartenaient autrefois aux quartiniers, était
complète dès 1562 ^ bien avant la naissance de la Ligue, et,
en 1568, on a déjà créé seize colonels qui deviennent les
chefs militaires des quartiers. En quittant Lyon pour aller,
h travers le Midi en feu, conduire dans les rues d'Avignon
les processions des flagellants, Henri III avait transmis à
l'Hôtel de Ville de Paris l'ordre de réviser les cadres de
la milice municipale. A la date du 17 novembre 1574, le
Bureau mande aux seize colonels d'appeler les capitaines
de leurs quartiers, « et de faire ung rooUe de tous les sol-
dats et autres de bonne vueille pour, advenant l'occasion et
nécessité, les jetter et mectre aux champs pour le service
du Roy et de la dicte Ville '. » L'année suivante, lorsque le
duc d'AIençon (maltraité par son frère, qui avait un moment
songé à le faire tuer par Henri de Navarre) quitta Paris, le
15 septembre, sur les six heures du soir, et s'en alla en
coche à Meudon où l'attendait Guitry avec une petite
1. Voy. HiêU munie, p. 537 à 540, et la note i de la p. 538, qui rectifie
Perreur commise sar ce point par Leroux de Lincy.
2. Reg. h., 1787, f» 170.
ROBIQUET. 2
18 PARIS ET LA LIGUE
troupe de partisans, « le roy, toute la cour, la Ville de
Paris, dit FEstoile, furent merveilleusement troublés * ».
L'impopularité du roi rendait effectivement la situation
assez difficile. Autour de François d'Alençon, réfugié à
Dreux qui faisait partie de son apanage, puis dans le Poitou,
s'étaient groupés un assez grand nombre de mécontents et
de gentilshommes bien accompagnés, tels que le comte de
Yentadour, qui commandait à 300 cavaliers et 1 ,200 hommes
de pied, et Henri de la Tour, vicomte de Turenne, neveu
de Damville. Les réformés de la Rochelle et de Montauban
entretenaient avec d'Alençon des relations étroites, et le
prince de Condé venait de traiter avec Jean Casimir, fils
de rélecteur palatin, pour faire entrer en France 8,000 reî-
tres allemands et 6,000 Suisses, sans préjudice des troupes
que les protestants du Languedoc pouvaient mettre sur
pied afin de seconder Teffort des envahisseurs. Par une
étrange contradiction, le pape, sondé par Nicolas Henné-
quin du Fay, secrétaire du duc d'Alençon, approuvait et
bénissait de loin la révolte du prince. Malgré les fanfaron-
nades de Henri IH, qui affectait de prédire que son frère
allait devenir le valet des protestants, le faible monarque
craignait vivement pour sa couronne * et pour sa sûreté.
Tandis que le duc de Nevers et M. de Matignon rassem-
blaient des soldats pour se mettre à la poursuite du prince
1. Claude Haton écrit de son côté : • Par la retraite dudict seigneur duc
de la court du roy, les cartes furent meslées d'une estrange façon. Ung
chascun de la France ne sçavoit plus à qui il estoit, ne de qui il se des-
voit advouer, ou du roy ou de mons. le duc son frère, tant les gens de
guerre que Taultrc peuple... Plusieurs compagnies de piod et de cheval
laissèrent le roy pour aller au service de son frère; d'autres se niipartirent
et se séparoient les ungs des aultres amyablement, chacun donnant leur
service à celuy qu'ils aymoient le mieux. » Mémoires, p. 780.
2. Il venait déjà de perdre celle de Pologne. Le 15 juillet 1575, la diète
polonaise avait passé un décret de déchéance qui déclarait le royaume
vacant comme si le roi était mort. On sait que le Transylvain Etienne
Bathory, après de longs démêlés que termina la mort de l'empereur
Maximilien, son concurrent (oct. 1576), Unit par se mettre en possession
du trône de Pologne, non sans avoir épousé la princesse Anne, dernière
descendante des Jagellons.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 19
fugitif, on prit à Paris quelques mesures défensives. Plu-
sieurs points de la banlieue furent fortifiés à la hâte, notam-
ment Saint-Denis, où s'installa Armand Gontaut de Biron.
On distribua aussi entre les seigneurs de la cour la défense
des villes et places les plus voisines de la capitale ' . Seul
le roi de Navarre ne reçut aucune mission militaire, ce qui
le mortifia profondément. Quant aux Parisiens, le roi
n'eut garde de se priver de leur concours. Après la mise
en état des tranchées de la ville et la revue que passè-
rent les colonels pour vérifier le nombre des bourgeois de
chaque dizaine en état de porter les armes, le bureau de la
Ville reçut, le 20 septembre, une communication royale
qui portait que l'assemblée municipale aurait à délibérer
sur les moyens de lever 2,400 hommes de pied, « lesquelz
seroient soldés aux despens des bourgeois d'icelle ville ' ».
Chaque quartier, aux termes des instructions du roi,
devait fournir un nombre d'hommes déterminé, et chaque
bourgeois, « selon son pouvoir », était chargé de payer la
solde de plusieurs soldats, ou d'un seul, ou même de la
moitié ou du quart d'un soldat.
Le 23 septembre, une grande assemblée générale fut con-
voquée à l'Hôtel de Ville. Elle comprenait, suivant l'usage,
à côté des membres du corps de Ville, prévôt des mar-
chands, échevins et conseillers, les quartiniers et douze
notables de chaque quartier, les délégués des chapitres et
1. De Thou, t. VII, p. 288.
2. Reo. h, 1781, f* 223. L'Estoile, t. I, p. 89, ii*est pas parfaitement exact
quaud il écrit : « Le mardi 20% on leva à Paris en diligence, deux mil har-
quebusiers, paies par les bourgeois, qui, À cest effaict, furent quotizés et
chargés, chacun pour leur part, de la solde des soldats levés, qu'on envola
au pays chartrain où les seigneurs de Nevers et de Matignon esloient
allés assembler des forces pour essayer à retenir et arresler ledit sei-
gneur Duc en ladite ville de Dreux.... • En premier lieu, ce fut 2,400 hommes
qu*on demanda à la Ville de Paris et non 2,000; ensuite, on ne les leva pas
en un jour; enfin, les troupes levées à Paris ne devaient pas quitter la
capitale et étaient destinées à défendre les tranchées. Tout cela résulte de
l'analyse des textes du Registre.
20 PARIS ET LA LIGUE
communautés. Henri III se rendit en personne à PHôtel
de Ville, avec une brillante escorte où figuraient le roi
de Navarre, le cardinal de Guise, l'archevêque de Reims,
révêque de Paris, MM. de Cheverny et de Bellièvrc. Le
roi était orateur : il parla. « La compaignye assemblée, Sa
Majesté a dict que aiant pieu à Dieu le appeler à la cou-
ronne et ramener par deçà en sa bonne ville de Paris, il
a esté en sa court de Parlement pour sçavoir comme la
justice y estoit administrée, pour la descharge de sa con-
science, et à présent avoit bien vouUu venir en ceste assem-
blée pour exciter ses bons subjectz les bourgeois et habi-
tans de ceste ville k la garde et conservation d'icelle,
encores qu'il s'asseurc qu'ils y soient assez affectionnez,
espérant que le repos qui y a esté interrompu y sera de
brief restably. Dieu aidant, estant fort comptant de Tafifec-
tion et prompte obéissance qu'il a trouvée en ladicte ville,
et mesmc du secours et accord qui luy a esté faict de deux
mil hommes de pied et de deux cens hommes de cheval
qu'il veult estre levez en ladicte ville pour la seurretté et
garde d'icelle et aultrement comme il adviseroit et ordon-
neroit. Priant qu'ilz soient promptement levez et souldoyez,
et, en ce faisant, combien qtCilz aient eu de bons rùys
cy-devant qu'ilz ont bien aimez, il les aymera aultant et
plus qu^eulx *. »
Comment répondre froidement aux meilleures paroles
du monarque? Le prévôt des marchands remercia Henri III
de l'honneur qu'il faisait à la ville « de la venir visiter en
ceste compaignie » ; il s'excusa de n'avoir pu réaliser plus
tôt les sommes que le roi demandait. La faute en était au
malheur des temps et « au peu de moyen que ont les bour-
geois de ladicte ville » *. Ils ne touchaient plus ni loyers
ni fermages, ni rentes, « ayant les aucuns leurs biens aux
1. Rbg. h, 1787, fo 231.
2. Reo. h, 1787, ibid.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 21
champs dont ilz ne peuvent rien recevoir, pour eslre leurs
fermiers ruinez par les guerres, et les aullres ayant rentes
sur ladicte ville dont ilz ne peuvent être paiez ^ » Pour
terminer sa harangue, le prévôt des marchands exprima une
requête assez hardie, puisqu'elle tendait à conférer aux
décisions des assemblées générales de la Yille le caractère
exécutoire des arrêts de justice. Le chef de la municipa-
lité parisienne pria le roi de vouloir bien ordonner « que
les délibérations et conclusions des assemblées générales
qui seront faictes en Thostel de ladicte ville seront exécu-
tées tout ainsy que sy elles avoient esté faictes ès-cours
souveraines. » Le roi se contenta de renvover la Ville « à se
pourveoir en son Conseil privé » et se retira avec sa suite.
, C'était une étrange guerre que la guerre du duc d'Alen-
çon contre son frère. Machiavel, s'il eut vécu un demi-
siècle plus tard, se serait sans doute complu à démêler les
fils des ténébreuses intrigues qui troublaient le règne du
dernier Valois. Le duc d'Alençon n'avait quitté la cour que
pour se soustraire à une mort probable •. Ses amis, les maré-
i. Ibid, Claude HatoD, dans uo langage peu évangélique mais pitto-
resque, insiste beaucoup sur les maux de tout genre que les démêlés de
Henri III et du duc d'ÂIençon firent subir au peuple des villes et des
campagnes. Sous prétexte de rejoindre le camp du duc de Guise, des ré-
giments entiers traversaient la France, comme celui de Guillaume de
Hautemer, comte de Fervaques, qui mourut marécbal de France, et pil-
laient tout sur leur passage, depuis la Normandie jusqu'à Troycs. Ces
routiers allaient « bien en ordre, mais bien mescbans gens les plus lar-
rons et voleurs qui eussent oncques esté par les villages il y avoit dix
ans. Tous les cbevaux des pauvres laboureurs qu'ilz trouvoicnt en leur
chemin estoient par eux prins et desrobez, comme aussi estoient ceux
des hosles où* ilz logeoient, qu'on leur prestoit pour les guider et porter
leur bagage, sans que ledit capitaine ni aultre en feit justice ni raison. »
Les paysans qui réclamaient étaient « payés en coups de bâton ». £t le
prêtre de Provins conclut mélancoliquement : « Le nombre des bons est
beaucoup moindre pour le présent que celuy des meschans gens tue-
hommes qui, en tout temps et saisons de leur vie, fout la guerre aux
pauvres gens des villages, soit à leur faire faire courvée, à décevoir lés
femmes, violer ou stuprer les filles, battre les hommes et leur ravir leurs
biens, jusques À prendre par force le pain en leur mect ou huche pour se
nourrir et leurs demoiselles. » (Afém., p. 787.)
2. Tous les historiens rapportent, d'après les Mém. du duc de Nevers et
VHistoire de France de Mathieu, que le roi Henri III avait prié instamment
22 PARIS ET LA LIGUE
chaux Montmorency et Cossé, détenus à la Bastille, avaient
également couru danger de mort, lorsqu'au mois de juin
la nouvelle de la mort de Damville, « le roi du Languedoc »,
avait circulé à Paris. Ce puissant frère de Montmorency
n'étant plus, Catherine pensa qu'il serait d'une bonne poli-
tique de se débarrasser du frère. Le chancelier de Birague
avait déjà fait retirer au maréchal ses officiers et serviteurs,
et Miron, le premier médecin du roi, avait répandu le
bruit que le prisonnier était sujet à des coups de sang ^
Par bonheur pour lui, l'affirmation de la mort de Damville
était fausse, et la reine mère, mieux renseignée, dit au
chancelier de Birague « qu'elle ne se hasteroit pas tant une
autre fois et ne le croiroit plus », La fuite du duc d'Alen-
çon changeait bien la situation de Montmorency. D'otage,
le roi de Navarre de tuer le duc d^Alençon. Le roi de Navarre refusa. De
son côté, Henri 111 s*était cru empoisonné par Alençon.
On trouve dans la Revue rétrospective^ 2^ série, t. V, no* 14 et 15, 1836,
une série de pièces curieuses, relatives au rôle du duc d'Alençon sous
les règnes des rois Charles IX et Henri III, et h. Thistoire du tiers parti.
Il est intéressant de lire la lettre adressée au roi par le duc, après sa
sortie de Paris. Alen<;on accuse nettement son frère d'avoir voulu le faire
mettre à la Bastille et d'avoir songé à l'empoisonner : « Je n*ai pu moins
faire que capter l'occasion de me mettre en liberté et tirer hors de telle
servitude par mon évasion et absence, pour éviter le péril de ma vie,
étant très bien averti que quatre jours après on m'avait préparé une
retraite en la Bastille, attendant quelque résolution et conclusion prise
sur les conseils de César Borgia. » {Bibiiolh, Nat.^ sect. des manusc. Fonds,
du Puy, V, 87, f» 5i.) « A la suite se trouve une « lettre circulaire du roi à
la noblesse de son royaume sur la sortie de la cour du duc d'Alençon d.
(Ibid.y r* 58.) Le roi y proteste de son amitié pour son frère, mais engage
tous « ses bons et afTectionners serviteurs et sujets à rechercher et arrê-
ter le fugitif ». « ...Mon frère le duc d' Alençon s'est départi d'avec moi et
de cette ville depuis hier, à six heures du soir. Ne sachant qu*il est devenu
et encore moins qui Ta mu de me délaisser de cette façon; car Dieu
m'est témoin de laffectiou fraternelle que je lui ai toujours portée, dont
mes actions ont rendu assez de preuves, ne lui ayant jamais donné occa-
sion de prendre tel parti. »
1. Voy. là-dessus de Thou, t. VII, p. 292, et l'Estoile, 1. 1, p. 63. Le chro-
niqueur rapporte que Montmorency, se jugeant perdu, chargea un de ses
gens de la commission suivante : « Dittes à la roine que je suis bien
advcrti de ce qu'elle veut faire de moi. Il n'y faut point tant de façons :
qu'elle m'envoie seulement l'apothicaire de M. le Chancelier, je prendrai
ce qu'il me baillera. » Cette anecdote, très authentique, montre une fois de
plus ce qu'il faut penser de la conscience des médecins de Catherine, et
ce que valent les procès-verbaux de Tautopsie de Charles IX.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 23
il devenait arbitre. Alençon paraissant redoutable, l'idée
vint à la cour d'utiliser les deux maréchaux qui, sans les
retards volontaires du grand maître de la garde-robe,
Souvré, auraient sans doute grossi la liste des victimes de
('atberine. La reine mère s'était mise en route, malgré le
mauvais état de sa santé, pour aller trouver le fils rebelle
oi faire sur lui Tessai de ses remontrances et de ses ca-
resses. L'entrevue eut lieu à Chambord, le 28 septembre ;
mais le prince « lui dit qu'il n'entreroit plus avant en
propos avec elle, sur le fait de la capitulation et accord
<lont elle lui parloit, que les mareschaux de Monmorency
et Cossé ne fussent remis en liberté * ». On écrivit donc
incontinent à Henri III, que le Parlement avait engagé à
rester à Paris, pour le prier d'ouvrir à Montmorency et
Cossé les portes de la Bastille, ce qui fut fait le 2 octobre.
En même temps, la reine mère forçait le roi son fils h
traiter un frère ennemi avec des égards extraordinaires '.
Non seulement les gentilshommes et les serviteurs du duc
d' Alençon recevaient la permission d'aller le rejoindre ;
mais on fit pTus, car « après que le roy eut licencié tous les
seigneurs, officiers et serviteurs dudit seigneur d'aller
après luy, si bon leur sembloit, luy envoya sa vaisselle,
1. UEsTOiLE, t. I, p. 90. — De Thou n'est pas aussi précis sur ce point, et
1*00 pourrait induire de son récit que les maréchaux furent mis en liberté
avant Tentrevue de Chambord. « La reine mère partit, dit cet historien,
accompagnée des maréchaux de Montmorency et de Cossé pour aller trou-
ver le duc d' Alençon en Touraine. • (T. VII, p. 292.) De Thou doit se tromper,
car c'est seulement par une lettre du 2 octobre que Catherine informa
Damville de la mise en liberté des maréchaux. La lettre est datée de Blois,
et la reine dit qu'elle vient d'apprendre la nouvelle. (Bibl. Nat., F. Bé-
thune, n» 8693, f 64.)
2. Catherine, dans une lettre extrêmement curieuse (Biùl. Sot., sect. des
tnan., Fontanien, 338, et Revue rétrosp., t. V, 2^ série, p. 258), insiste énergi»
quement auprès du roi pour le décider à se réconcilier avec son frère et
à ne pas écouter les conseils intéressés de ceux qui poussent & la guerre.
H Sans la paix, je vous tiens perdu et le royaume, car vous aimerez
mieux être mort que vous voir enchâssé ou vaincu.... mais ce n*est pas
être vaincu quand on peut se sauver d'un grand péril et demeurer le
maître.... « Cette lettre est datée de Châteaudun, 28 septembre 1575.
24 PARIS ET LA LIGUE
son escurie et grans chevaux et n'empeschca aulcune chose
(les meubles appartenans au service dudit seigneur '. »
Henri III était évidemment influencé en sens contraire
d^abord par sa mère, pleine du désir de pacifier la famille
royale et inclinant peut-être à prendre le parti de son plus
jeune fils, et, d'un autre côté, par certains courtisans fort
énergiques, tels que Du Guast, qui poussaient le mo-
narque aux résolutions viriles. Catherine absente n'était
pas bien sûre de disposer toujours de la volonté du roi,
bien que Henri lui eût envoyé Cheverny « pour Téclaircir
et lui faire entendre le contraire de force mauvaises opi-
nions esloignées de la vérité que Ton luy avoit voulu im-
primer, et la rendre asseurée de Tobéissance, respect et
parfaicte amitié que le roy son fils luy portoit *. » Cheverny
était-il suspect comme Du Guast à la petite cour du révolté?
On pourrait le croire, car le discret conseiller d^État, sor-
tant de sa réserve ordinaire, affirme qu'il faillit être assas-
siné par les gens du duc d'Alençon ^. D'autres furent moins
heureux que Cheverny et n'échappèrent pas aux spadassins.
Tandis que des négociations, plus ou moins loyales, se
poursuivaient entre Catherine et d'Alençon, le roi trouvait
à Paris des ressources imprévues. Sans parler des troupes
levées aux frais des Parisiens et qui ont fait Tobjet des
demandes financières que nous avons exposées plus haut,
les gens des métiers avoient été passés en revue par le roi
en personne, et, si Ton en croit Claude Haton, cinquante
mille hommes avaient défilé devant le souverain. Les re-
1. Claude IIatott, t. II, p. 784. Le prêtre de Provins écrit ceci : « La royne-
inère fut tacitement coulpée de la fuitte de son filz, et dist-on par coin-
mung bruict qu'elle luy avoit aydé & faire ses apprestes. »
2. Uém, de Cheverny, Coll. Micbaud, t. X, p. 417.
3. a Et comme je retoumois de ce voyage, mondit sieur frère du Roy
fut aussi persuadé par les mesmes conseillers de m'envoyer prendre et
arrester ou tuer par les chemins; et pour ce il dépescha un de ses plus
confidens capitaines avec cent arquebusiers à cheval qui, grâces à Dieu^
vindrent trop tard et ne me peurent joindre. » [Ibid.)
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 28-
gislres de la Ville indiquent quelques-uns des mouvements
de troupes qui furent ordonnés pour faire face aux reîtres
allemands dont Montmorency de Thoré conduisait la mar-
che à travers la Lorraine et la Champagne. Dès la nou-
velle de rentrée des Allemands en France, Henri de Guise
était parti pour son gouvernement de Champagne, à la tète
do mille gendarmes. Il fut rejoint par Philippe Strozzi, co-
lonel général de l'infanterie française, qui amenait dix mille
hommes de pied, et par les troupes amenées par les ducs
d* Usez et de Montpensier qui arrivaient Tun du Languedoc,
Tautre du Poitou. Par ordre du roi, la Ville de Paris avait
également envoyé trois des compagnies levées aux frais
des Parisiens * ; les quatre autres compagnies eurent pour
mission de garder les principaux passages de la Seine. Le
choc eut lieu près de Château-Thierry. Après une courte
résistance, la petite armée protestante fut mise en déroute,
et les reitres, qui formaient un corps de cinq cents hommes,
se rendirent sans combat. Thoré put s'échapper et se retira
avec quelques-uns des siens auprès du duc d'AIençon. En
elle-même, cette victoire n'avait pas une grande impor-
tance, mais elle eut une réelle influence sur la popularité
du jeune duc de Guise, car le vainqueur, ayant reçu dans
la mâchoire gauche un coup d'arquebuse, il gagna le sur-
nom de Balafré et la réputation d'un héros.
C'est le 1 1 octobre qu'on apprit dans la capitale la non*
velle de la victoire des troupes royales. Le roi ordonna des
Te Deiim qui furent chantés d'abord à l'église Saint-Jehan
en Grève, et ensuite, le lendemain, à Notre-Dame, en pré-
sence de toute la cour et des compagnies souveraines. Le
corps de Ville assista à cette double cérémonie '. Mais les
cantiques d'actions de grâces n'empêchaient pas la caisse
municipale d'être vide, et le clergé ne payait pas les arré-
1. Rbo. h, 1787, f»«234 et 237.
2. /6id., (*• 237-239.
â6 PARIS ET LÀ LIGUE
rages des rentes assignées sur lui. Dans rassemblée muni-
cipale du 19 octobre 1S75, le prévôt des marchands cons-
tate « que le clergé doibt grandes sommes de deniers des
arréraiges des renies constituées sur icelluy clergé, que
ledict clergé ne tient compte de paier, quelques remons-
trances qui leur aient esté faictes et saisies de leur revenu
temporel, dont se font chascun jour infinies plainctes et
clameurs par les bourgeois de ladicte ville auxquels sont
deues lesdictes rentes *. » Le clergé finit cependant par
s'engager à payer, dans le délai d'un mois, de notables
sommes; et la Ville ordonna que le receveur municipal
emploierait les premiers fonds versés à payer « les arré-
raiges des rentes deues par ladicte Ville, des quartiers de
janvier, février, mars, avril, mars et juing, et après ceulx
depuis escheuz. » Du reste, il n'était pas aisé de faire
voyager l'or sur les grandes roules. La sécurité des trans-
ports laissait tellement h désirer que la Ville ne pouvait
faire venir « les deniers de Bretaigne estans à Angers » et
qui étaient relenuz audictlieu,/?Oi/;' ledanger deschamps^. »
A la cour, en ce même mois d'octobre 1575, on n'était
pas plus en sûreté que sur la route de Bretagne. Du Guast,
le plus énergique des mignons du roi, fut assassiné, le
31 octobre, dans une petite maison qu'il louait rue Saint-
Honoré, pour y cacher ses amours avec une dame de la cour.
Quels étaient les hommes masqués qui avaient commis le
meurtre? Probablement le baron de Viteaux, « qui estoit à
Monsieur »; il avait, deux ans auparavant, déjà tué l'un
des favoris du roi, Antoine d'Alègre, sieur de Millaud.
Chose étrange ! le roi se contenta de faire à Du Guast de
magnifiques obsèques. De Thou dit qu'il ne fut pas très
1. La Ville dut recourir à des mesures plus rigoureuses. Elle fit écrouer
à la Conciergerie Philibert de Castille, receveur du clergé. W est vrai quMl
n'y resta pas longtemps et fut mis en liberté le 18 novembre. [Ibid., f> 241.)
2. Rbc. h, 1787, f* 239.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 27
affecté de cette mort tragique d'un conseiller viril qui cher-
chait à faire de lui un vrai roi *. Cependant on informa pour
sauver les apparences. Le prévôt des marchands, « suivant
la volonté du roy », prescrivit aux colonels, le 1*"" novem-
bre, de faire faire des perquisitions dans les dizaines « pour
congnoistre ceulx qui sont coulpables ou soubsonnez c\o
homicide commis le jour d'hier de nuict {sic) en la per-
sonne de feu sieur Du Guast, maistre de camp ' ». La sup-
pression de Du Guast rendait grand service à Catherine et
faisait disparaître le principal obstacle à la conclusion d'une
trêve entre le roi et son frère. Tandis que la reine mère
négocie, Henri III se distrait. « Au commencement de no-
vembre, dit TEstoile, le roy fait remettre sus par les églises
de Paris, les oratoires, autrement dits les paradis, et y
va tous les jours faire ses ausmonnes et priètes, eii grande
dévotion, laisse ses chemises à grands goldrons, dont il
ostoit auparavant si curieux, et en prend à colet renversé, à
ritalienne. Va en coche, avec la Reine, son épouse, par les
rues et maisons de Paris, prendre les petits chiens dame-
rets, qui à lui et à elle viennent à plaisir; va semblable-
ment par tous les monastères de femmes estans aux envi-
rons de Paris, faire pareille queste de petits chiens, au grand
regret et desplaisir des dames ausquelles les chiens appar-
tenaient. Se fait lire la grammaire et apprend à décliner '. »
i. Voy. le récit des circonstances de cet assassinat mystérieux dans de
Thou, t. Vll^ p. 300. Le grave historien attribue ce crime à Marguerite,
la reine de Navarre, dont le malheureux Du Guast avait publiquement
flétri les mœurs. — Uëstou^b, 1. 1, p. 92, prétend que le duc d'Alençon avait
armé la main du baron de Viteaux, Tassassin présumé, parce que Du
Guast était passé un jour devant lui « sans le saluer, ni faire semblant de
le congnoistre, et avoit dit par trois fois qu'il ne recongnoissoit que le roy,
€t que quand il lui auroit commandé de tuer son propre frère, qu'il le
feroit ».
2. Rb«. h, 1787, f> 240.
3. UEsTOiLE, t. J, p. 93. C'est ce qui faisait dire à Pasquier :
Bis rez qui fuerat fil modo gprammaticos.
Pasquier a revendiqué la paternité de celte épigramme. (Livre XIX de
ses Lettres, t. II, p. 483.)
38 PARIS ET LA LIGUE
Profitant de cette inertie du roi, Catherine signa le 21 no-
vembre avec Alençon une trêve de sept mois, à des condi-
tions honteuses *. Non seulement la cour s'engageait à payer
aux reltres de Jean-Casimir une somme de 500,000 louis
pour les empêcher de passer le Rhin, mais on accordait au
duc d* Alençon cinq places de sûreté : Angoulême, Niort,
Saumur, Bourges et La Charité; et au prince de Condé,
Mézières. Il est vrai que le roi n'avait pas Tintention de
tenir ses engagements. Il ne donne pas Mézières au prince
de Condé, il s'arrangea pour ne donner ni Bourges ni
Angoulême au duc d' Alençon; enfin il ne paya pas Jean-
Casimir. Par contre, il enrôla six mille Suisses, et chargea
le comte de Mansfeldt, Gaspard de Schomberg et Chris-
tophe de Bassompierre, qui vinrent à Paris, d'amener en
France huit mille reitres allemands, moyennant 1 00,000 écus
d'or comptant et 450,000 autres, lorsque ces troupes fran-
1. Le recueil de pièces publié par la Bev. rétrosp, conlient (l. V, p. 271)
une très longue lettre par laquelle Catherine apprend à Henri UI qu'elle
a signé la trêve avec le duc d*Alençou. Au dernier moment, les huguenots,
ne trouvant pas encore suffisantes les concessions de la cour, prétendirent
que Catherine n'avait pas apporté de pouvoirs réguliers pour signer la
trêve au nom du roi. La reine mère répondit avec noblesse « qu^elle n'ea
avait pas demandé, pensant que ayant rhormetir d'être la mère du roi et
plusieurs lettres écrites de sa main, qu'il nen était pas besoin. » Cette
lettre importante, qui est datée du 12 novembre 1575 (Biblioth. Nat, sect.
des man.j Fonds Colbert, V, 7, p. 663; Fonlanieu, 339-340), contient un post-
scriptum écrit de la main même de Catherine : « Je vous supplie, monsieur
mon fils, pensez que ce n'est pas colère qui me fait parler autre que de
voir qu'il y en a qui ne serait jamais content qui ne nous ait vu couper
la gorge, à vous et à votre frère, et ce royaume parti à qui en pourra le
plus prendre; je vous supplie, ne leur donnez ce contentement, et je prie
Dieu qu'il leur fasse voir tout le contraire, pour les faire crever de cha-
grin. » Mais Catherine n'avait pas l'intention de tenir les promesses faites
au duc d'Alençon. Par une lettre, en date du 7 décembre 1575 (coUect.
LucAS-Mom-iG.NY), elle donne ses instructions à M. de Rambouillet. « Vous
ne délivrerez point encore La Charité, dit la reine, à celui que mon fils y
envoie, jusqu'à ce que vous ayez plus amplement de mes nouvelles; et
quant à Bourges, je vous prie de vous assurer que vous la puissiez avoir
et délivrer es mains de mon fils quand nous voudrons; mais ne la
délivrez pas aussi que je ne le vous mande. » Chose curieuse! Henri UI
écrivait le lendemain, 8 décembre, à M. Rambouillet de faire consigner
immédiatement la place de La Charité entre les mains du sieur Davantigny,
mandataire et délégué du duc d'Alençon.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 29
duraient la frontière *. L'occasion était belle pour pré-
senter aux Parisiens une demande de subsides. Henri III
ne s'en fit pas faute.
Dans une lettre en date du 10 décembre 1575, qui nous
a été conservée par les registres de la Ville *, le roi expose
les mesures qu'il a prises ou compte prendre pour faire
face à tous ses ennemis. Aux reîtres de Jean-Casimir qui
se massent sur la frontière de Lorraine, il opposera une
armée en Champagne « et, pour cet effect, a mandé con-
vocquer toute sa noblesse pour se trouver en deux armées
qu'elle {Sa Majesté) entend avoir tant près de sa personne
que en son païs de Champagne où aussy s'assembleront la
pluspart de toutes ses gens d'ordonnance et enseignes de
son infanterie. » On lèvera vingt-huit cornettes de reîtres,
soldées sur la subvention accordée par le pape, cl douze
mille hommes d*infanterie française.
La Ville de Paris recevait la part du lion dans cette
répartition des charges militaires. « Et pour le regard de
sa bonne ville et généralité de Paris, que Sa Majesté aura
toujours en plus spécialle affection, d'aultant que Icsdictes
forces sont principalement destinées pour conserver la-
dicte ville et païs circon voisins, elle désire que ses bons et
fidelles subjectz, les habitans de sadicte bonne ville et
pareillement ceuls de la dicte généralité le secourent prom-
ptement du paiement de 3,000 Suisses pour quatre mois,
se prenant ailleurs le paiement d'autres trois mil le
tout sans tirer à conséquence pour l'avenir. » Pour le pré-
sent, la solde des trois mille Suisses devait s'élever à
200, 000 livres. Le roi engage la Ville à se procurer la
somme dont il s'agit au moyen d'une taxe assise sur tous
les habitans des ville et généralité de Paris, privilégiés ou
non, sauf les ecclésiastiques « pour leurs biens et revenus
i. Voy. DE Thou, t. VIF, p. 296.
2. Rbg. h, 1781, ^ 243 à 245.
30 PARIS ET LA LIGUE
de leurs béneffices ; mais ne seront exemptz pour ce qu'ilz
possèdent de patrîmoyne ». Cojnme d'habîtude, le prévôt
des marchands et les échevins feraient la répartition des
taxes avec le concours des bourgeois notables. Enfin le
souverain prie le prévôt des marchands de « faire en sorte
que les deniers que fournira nostre dicte ville se lèvent et
ceuillent, attendu Turgence et importance grande de ceste
affaire, le plustôt qu'il sera possible ».
Dans l'assemblée générale qui eut lieu à THôtel de Ville
les 12 et 13 décembre, les représentants de la population
parisienne décidèrent qu'on adresserait au roi « de très
humbles remonstrances de Testât et nécessité des affaires
de ladicte ville , bourgeois et habitans d'icelle , abbus et
corruptions de mœurs estans es estatz tant de l'église et
justice que gendarmerie ». Une commission de vingt-deux
membres fut chargée de rédiger ces remontrances. Elle
comprenait deux conseillers de Ville, deux quartiniers,
quatre bourgeois et trois ecclésiastiques; les autres mem-
bres de la commission appartenaient aux compagnies sou-
veraines : Parlement, Chambre des comptes, Cour des aides.
Le texte arrêté par les vingt-deux n'indique donc pas seu-
lement l'opinion d'un petit groupe de bourgeois : il reflète
le^ sentiments de ce que Paris comptait de plus remar-
quable par l'intelligence et de plus élevé par la situation
sociale. C'est le 19 décembre * que le prévôt des marchands,
accompagné des membres de la commission des vingt-
deux, se présenta au Louvre devant le roi et son conseil.
Henri III était entouré du duc et du cardinal de Guise,
du chancelier, du maréchal de Retz, et des autres mem-
bres du conseil. Le prévôt présenta le texte écrit des
remontrances « et requit lecture en estre à l'instant faicte,
ce qui a esté faict audict conseil. Sa Majesté et tous les-
1. Keg. h, 1787, f» 254.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 31
dictz sieurs y aasislans et ayant par M. Pinart, secrétaire
d'Estat ». Jamais plus ferme langage n'avait été tenu
devant un roi de France ; et le document dont les registres
de la Ville nous ont conservé la teneur mérite de fixer
Tattention de Thistoire, car on peut sans exagération le
considérer comme la préface de la Ligue *.
Les représentants de Paris débutent par assurer le roi
« que les dites remontrances ne procèdent d'aucun instinct
et mouvement de désobéissance ou refroidissement de
bonne volunté, ains seuUement de grand zelle et désir très
affectionné qu'ilz ont à la conservation et manutention de
Fhonneur de Dieu et de vostre Estât ». Mais ce n'est là
qu'une précaution oratoire qui n'empêche nullement la
Ville de dire au roi les vérités les plus dures. « Vostre
pauvre peuple a esté tellement pillé, vexé et saccagé sans
aucune relasche ny moien de respirer, depuis l'année 1S60
jusques à présent, qu'il ne luy reste que la voix cassée
et débille pour vous déclairer et exprimer le mieulx qu*il
luy sera possible ses oppressions et grandes calami-
tez.... » Depuis quinze ans, les citoyens de Paris ont.
donné à la monarchie 36 millions de livres et le clergé
60 millions , « somme suffisante non seulement pour
conserver l'Estat de Vostre Majesté, mais aussy avec ter-
reur de l'ancien nom français vous rendre redoubté et
formidable à tous autres princes, potentatz et nations ».
Mais la monarchie n'a pas su tirer parti de l'argent de la
France. « Au contraire, de grant et puissant que vostre
rovaume estoit en ladicte année MVLX, il a esté constrainct
1. Voir CuuDB Hatto^, t. II, p. 828; la Popelinièbe» t. II, f' 293; de
Tuou, t. VII, p. 296-298, sur le travail de la commission municipale. En
voici le litre : « Remontrances très humbles de la Ville de Paris et des
bourgeois et citoyens d'icelle au roy, leur souverain seigneur. » Il existe
un tirage à part des remontrances. Rouen, 1576, 16 p., petit in-8*. La
bibliothèque Carnavalet possède aussi une belle copie manuscrite de la
môme harangue dont l'écriture est bien du temps. Voy. aussi Catalogue de
la BibL NaL, Lb »♦, n- 128 et 129, t. I, p. 297.
32 PARIS ET LÀ LIGUE
passer par les mains des forces étrangères qui en ont tiré,
succé et emporté le plus beau et le plus précieux avec une
«strème despence, oultre la substance de vostre pauvre
peuple, laquelle y a esté entièrement consommée, et la
perte indicible des plus grands et espérimentez cappitaines,
tellement que Ton peult véritablement dire que vostre dict
royaume est à présent destitué d'hommes et espuisé de
deniers, qui sont les vrais nerfz d'un estât monarchie. »
Cette situation de la France est d'autant plus lamentable
<ju'elle contraste avec celle des pays voisins qui jouissent
de la paix et de l'abondance. A coup sûr, les Parisiens
n'ont pas ménagé les sacrifices ; mais ni l'or, ni l'argent
n'ont pu rendre au royaume son ancienne prospérité. D'où
vient donc cette série de calamités qui éprouve les citoyens
de Paris, alors « qu'ilz n'ont jamais failli ny manqué d'un
«eulpoinlt de leur debvoir »? Ah ! c'est que le ciel veut leur
témoigner sa colère. L'idée théologique apparaît ; la France
corrompue par ses maîtres. Qui doit expier? On n'a pas
encore nommé le coupable ; on n'insiste pas encore sur la
•cause de la colère de Dieu. Mais chacun la devine. Mettre
«n relief les effets, et puis faire toucher du doigt la décom-
position de toutes les institutions officielles, voilà ce que
les futurs ligueurs se proposent. « La guerre que nous
souffrons vient du ciel et n'est autre chose que Tire de Dieu
qui se manifeste. La cause de laquelle n'est sy occulte
ne tant secrette qu'elle ne soit apparemment remarquée
-en la corruption universelle de tous les estatz et ordres de
vostre dict royaume. »
Chose étrange ! dans cette diatribe contre l'oligarchie des
gouvernants, l'Église a sa grosse part d'invectives; mais
ce qu'on attaque, c'est l'Église de cour et l'état-major des
prélats. On sent que pour le peuple parisien le haut clergé
a perdu son prestige ; le règne des moines va s'ouvrir.
Quant à l'Église, la simonie y règne publiquement. « Les
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 33
bénéfices ecclésiastiques sont tenuz et possédez par femmes
et gentilzhommes mariez, lesquelz emploient le revenu
à leur proffict particulier... » Les évêques, les curés ne
résident pas sur leurs bénéfices et évéchés. « Contre l'insti-
tution et bonnes coutumes des anciens bénéfices, » ils
n'exercent aucune charité envers les pauvres ; « et sont les
ecclésiastiques si desbordez en luxe, avarice et autres vices
que le scandai en est publicq ». La robe du magistrat n'est
pas plus respectée que la robe du prêtre. D'après les délé-
gués de Paris, la magistrature française mérite tous les
mépris, à cause du principe de la vénalité des offices.
« Pour ceste cause, noz voisins, qui ne savent que
c'est de manier tel trafficq, s'en moquent et nous ont en
grande abhomination. » De la vénalité « est proceddé
la multiplicité et nombre effréné desdictz officiers, de
laquelle vostre royaume peut dire, comme Adrien l'empe-
reur en mourant , que la multitude des médecins l'avoit
tué ». Tous ces magistrats sont incapables ou malhon-
nêtes. Les uns « prennent leur façon et instruction aux
despens de vostre pauvre peuple et de la réputation de
vostre estât ; les autres sont pauvres et par là induictz et
comme conlrainctz à choses mauvaises et malhonnestes... »
Aux yeux des Parisiens, l'armée n'est qu'une tourbe de
pillards et de brigands. La gendarmerie * est remplie « de
personnes de vil estât » qui se livrent à mille exactions et
« forcements de filles et femmes, cruaultez plus que bru-
talles et barbaresques ». Les gens de guerre se permettent
de lever des tailles sans l'autorisation du roi, « lesquelles
pilleries et rançonnemens sont pratiquées non seulement
par vostre dicte gendarmerie , mais aussy par aucuns de
l. Au xvi*' siècle, on entendait par ce mot de gendarmerie les troupes
de nationalité française, par opposition aux contingents étrangers. Souvent
on appliquait le mot de gendarmerie aux compagnies d'ordonnance du
roi, de la reine et des princes.
RODIQUET. 3
34 PARIS ET LA LIGUE
vostre corps par lesquelz les femmes de voz subjectz et
maisons de pauvres laboureurs sont ordinairement deîî-
truictes et pillées ». L'administration financière est « de
même façon conduicte. Les dons immenses, mal et inégal-
ement distribuez et en temps si calamiteux, jusques à
revenir, en Tannée 1572, à 2 millions 700 000 livres,
moitié de laquelle somme est composée d'offices nouvel-
lement errigez à la charge et fouUe du peuple qui en a paie
et porté les gaiges en Tannée 1573. Reviennent lesdictz
dons à 2 millions 44 000 livres; Tannée 1574 à la somme
de 547 800 livres, et en Tannée présente, depuis six mois,
955 000 livres, la pluspart desquelz dons ont esté reffusez
par vostre Chambre des comptes et commandez par Yostre
Majesté infinies fois et depuis passez par jussions et très
exprès commandemens ; sans comprendre les pensions
données, revenantes à la sonmie de 200 000 livres, qui sont
aultant de rentes sur voz finances, à la grande diminution
d'icelles et augmentation de la nécessité et conséquemment
à la charge et fouUe de vostre pauvre peuple, qui est réduit
à toute pauvreté et impuissance. » D'après les délégués
de la capitale, il y a dans Paris pénurie de toutes choses
et arrêt absolu des transactions. Les fermes d'impôts sont
données à des étrangers et les rentes de la Ville assignées
sur ces fermes ne peuvent plus être payées, au grand
mépris de la foi publique. Quant aux biens ruraux des Pari-
siens, ils sont pillés et détruits par la licence effrénée de la
gendarmerie du roi. L'usure, « cause très fréquente et ordi-
naire des troubles et séditions », fait des progrès effrayants.
Comme leçon et comme satire de sa conduite méprisable,
la commission municipale croit devoir rappeler au souverain
les belles paroles que « ce bon roy sainct Loys *, » étendu
1. Db Thou (t. VII, p. 298) rapporte que « les avis de saint Louis & son
fils avaient été tirés des archives de la couronne, où étaient en dépôt ces
monuments respectables de Tantiquité ». Le registre de la Ville nous
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 35
sur le lit de mort, avait adressées à son fils. « Aye le
cueur piteux et charitable aux pauvres gens et les conforte
et aide de tes biens. Faictz garder les bonnes loix et cous-
tumes de ton royaume ; ne prends point tailles ny aides de
les subjectz, si urgente nécessité et évidente utilité ne te
le faict faire, et pour juste cause, non pas volontairement,
car si tu faictz aultremenl, tu ne seras pas réputé pour roy,
mais tu seras réputé pour tiran. Garde, sur toutes choses,
que aie sages conseillers et d'aage meur... S'il y en a
aucun risteux, garde que incontinent tu les envoyé hors
de ta maison... » Les remontrances poursuivaient en mon-
trant à Henri III, dans la sombre perspective de l'éternité
vengeresse, la justice du roi des rois qui tôt ou tard châtie
les mauvais princes. « Comme vous avez la domination
sur vostre peuple, aussy est Dieu vostre supérieur et domi-
nateur auquel devez rendre compte de vostre charge. »
Et Torateur de la Ville terminait son réquisitoire par ces
paroles audacieuses qui durent retentir comme une menace
et une déclaration de guerre aux oreilles du dernier des
Valois : « Scavez trop mieulx, sire, que le prince qui lève
et exige de son peuple plus qu'il ne doilt, alliene et perd
la voluncté de ses subjectz de laquelle deppend Tobbéis-
sance qu'on luy donne. »
Jamais François I" ou Charles IX, avec leur tempéra-
ment fougueux et violent, n'auraient supporté un pareil
langage. Les mignons ' de Tentourage étaient indignés,
donne les paroles mêmes du saint roi, ce qui vaut mieux qu'une analyse,
fiU-elle rédigée par un historien aussi précis que de Thou.
1. C'est avec raison que Michblbt (Histoire de France, t. X, p. 52) fait
remarquer que la plupart des mignons étaient tout autre chose que des
efféminés. Epernon, Joyeuse, du Guast, etc., ont maintes fois donné des
preuves d'une bravoure peu commune. D'Aubigné, si sévère pour Henri UI
et pour 868 favoris, dit bien :
Le péché de Sodome et le sanglant inceste
Sont reproches joyeux de nos impures cours.
U i^oute encore que « les mignons muguets se parent et font braves de
clincant et d'or traict »; mais nulle part il ne met en doute leur courage et
leur énergie.
36 PARIS ET L\ LIGUE
et René de Villequier, interrompant l'orateur, lui demanda
comment il osait être assez hardi pour perdre le respect
du à S. M. *. C'est alors que le porte-parole des Parisiens
s'arrêta et remit le texte écrit des remontrances. Henri III,
sans perdre son sang-froid, fit signe à Villequier de se
taire et prit lui-même la peine de répliquer au réquisi-
toire municipal. Avec cette grâce insinuante qui, dans
une situation secondaire, eût fait de lui un diplomate con-
sommé ou un avocat de mérite, le roi dit « qu'il avoit les
dictes remontrances pour bien agréables, et que, quant Dieu
luy donnera le moien de pourveoir à tout ce qui est con-
tenu en icelles, il montrera qu'il a la volunté de le faire et
de se montrer bon, tousjours bon roy * ». En définitive, il
maintint sans réduction sa demande de subsides « pour la
nécessité de ses affaires », c'est-à-dire pour se procurer les
moyens de chasser les reîtres allemands. La Ville finit d'ail-
leurs par se soumettre aux injonctions royales, et, dans
l'assemblée générale du 20 décembre 1575, se résigna à
payer la solde de 2000 Suisses pendant quatre mois '.
1. D'après le récit de Thistorien de Thou, il y a lieu de croire que l'ora-
teur municipal avait commencé à réciter par cœur le texte des remon-
trances, et qu'il n'en présenta au roi le texte manuscrit qu'après avoir été
interrompu par Villequier; \es registres de la Ville disent catégorique-
ment, comme on l'a vu plus haut, que Pioart, secrétaire d'État, donna
lecture des remontrances au Conseil du roi.
2. Registre H, 1787, f« 254. Il est intéressant de mettre en regard de la
version des registres la version donnée par de Thou. Suivant le conscien-
cieux historien, le roi dit « qu'il ne s'agissait pas de chercher des délais
et de faire parade hors de saison de son attachement pour sa liberté et
ses privilèges; que le péril présent regardoit également TÉtat et les parti-
culiers, et qu'on ne pou voit trop tôt le prévenir; que cependant il ne
négligeroit pas pour cela le danger dont toujours la France étoit menacée :
et qu'il y avoit encore des sujets affectionnés à leur prince et à la patrie
qui l'aideroient à soutenir le poids de la guerre ». Le duc de Nevers et
Charles d'Hallewin de Pienne prêtèrent en effet à Henri 111 des sommes
considérables pour faire face aux besoins du trésor.
3. Reg. h, 1787, f* 256. D'après l'Estoilb (t. I, p. 96), l'assemblée
générale de l'Hôtel de Ville vota u qu'on ottroieroit au roy sa demande et
que la Ville de Paris fourniroit les deux tiers de la somme par lui requise
pour lesdits quatre mois, rcvenans lesdits deux tiers à trente et trois
mille quatre cens livres par mois, et que le surplus seroit départi sur les
villes circonvoisines enclavées en la généralité dudit lieu ». Michelet s^est
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 37
L'assistance de la Ville de Paris était bien nécessaire
au roi pour conjurer les périls de la guerre civile et de
l'invasion étrangère. Tandis qu'à l'Ouest le duc d'Alençon
négociait avec les protestants de La Rochelle par l'inter-
médiaire d'Antoine de Silly, sieur de Rochepot, et en tirait
quelque argent et de bonnes assurances, le prince de Condé
et Jean-Casimir se disposaient h conduire à travers la
France leurs bandes d'aventuriers allemands et suisses. Ils
avaient réuni 18 000 hommes et une vingtaine de canons,
et, comme disent les registres, se tenaient près de Verdun
« en délibération de passer la rivière de la Moselle ». A
Paris, on prit des mesures de défense, car tout le monde
comprenait, malgré les efforts de Catherine pour rétablir
la paix entre ses deux fils, que la trêve n'était pas une
garantie bien sérieuse contre la reprise des hostilités, et
que « les gouverneurs des villes et places tant roiaux que
autres, ne demandoient que plaie et bosse, comme les bar-
biers ». L'Estoile et les registres de la Ville peuvent donner
une idée complète des préparatifs militaires qui furent
ordonnés par le roi. Le prévôt des marchands enjoignit
^ux habitants, « chacun selon son pouvoir, de faire provi-
sion de picqz, pelles, hoyaulx et louchetz qu'ilz tiendront
tout pretz en leurs maisons pour servir ceste ville, quand
l'occasion s'en pourra présenter * ». M. de Biron, grand
maître de l'artillerie, vint à l'Hôtel de Ville et prit de concert
avec le Bureau les dispositions nécessaires*. On mit des gar-
nisons au ch&teau de Vincennes, aux ponts de Saint-Cloud,
à Saint-Denis ' et à Montmartre. Du côté de l'Université, on
irompé en disant trop brièvement : « Paris rcrusa nettement de payer un
«ou. » T. X, p. 56. — Paris fit des remontrances, mais il paya.
1. Reo. h, 1787, f*> 260.
2. Ibid. On trouve au registre un « mémoire de ce qui a esté arresté en
l'hostel de la Ville de Paris le 23 décembre 1575, en la présence de
M. de Biron, grand mestre de rartillerie, y estant venu pour pourvoir à
la conservation de ladicte ville ».
3. « Les restes de la Noël, dit TËstoile, on commença à fortifier la ville
38 PARIS ET LA LIGUE
fit activement besongner aux tranchées, et la Ville mit en
réquisition « les mandians vallides et autres gens vacca-
bondz et sans advea ». Les manœuvres forains reçurent
chacun six solz tournois par jour. Enfin les « marchands
forains, laboureurs et autres demeurans en Tellection de
Paris » furent autorisés à rentrer leurs grains dans la
ville. Le prévôt des marchands mit des magasins à leur
disposition « sans aulcune chose paier ». Une ordonnance
royale du 29 décembre sanctionna ces mesures.
Une commission fut instituée et installée à l'Hôtel de
Ville pour veiller à la sûreté de la capitale et prendre les
mesures nécessaires *. Cette commission devait se tenir
en relations constantes avec le roi, afin de le renseigner sur
de SaiatrDenis en France et relever les tranchées et boulevars où travail-
lent 3000 prisonniers, paies des deniers des fortifications qu'on contraint
les bourgeois de Paris bailler par avance, et fut fait commandement aux
villages circonvoisins dudit Saint-Denis d'y porter cent oauis de bled de
munition, chacun suivant sa quotle. » T. I, p. 99.
1. Voici d'ailleurs, d*après les registres de la Ville, le texte de l'ordon-
nance royale qui instituait à l'Hôtel de Ville la commission dont il s'agit*
On remarquera qu'elle ne comptait parmi ses membres aucun militaire, ce
qui indique que son caractère était purement administratif. Ajoutons qu a
la date du 4 février 1576 le roi adjoignit aux personnes désignées plus
bas les présidents Bailly, de Saint-Mesmyn et Luillier. « Le roy considérant
que pour le bien, repos et seureté de ceste ville de Paris, il est besoing
adviser et pourveoir journellement aux affaires qui s'y présentent tant
pour le dedans que pour le dehors ès-envyrons de ladicte ville; a advisé
et résolu en son conseil que en une des chambres de Thostel de ladicte
ville de Paris s'assembleront journellement avec messieurs les prévost des
marchands et eschevins : messieurs de Thou, premier président en la court
de Parlement, Demorsans et Hennequln, aussy prêsidens en icelle court,
Nicolas de Neully, premier président en la Chambre des comptes et géné-
raulx des aydes, Bailly, Luillier et Guiot le père, aussy présidons en icelle
Chambre des comptes, Marcel, intendant des finances de Sa Majesté,
Paluau, l'un de ses notaires et secrétaires, et Jehan Anbry, conseillers de
ville; pour tenir conseil en ladicte Chambre, où sera aussy le procureur
du roy de ladicte Ville Perrot; adviser et donner ordre journellement aux
affaires qui se présenteront pour le bien, repos et seurettè de ladicte ville
et des envyrons, aultant que leur sera possible; s'ilz congnoissent qu'il
y ait chose qui mérite estre entendue de Sadicte Majesté, ledict prévost
des marchans et l'un des eschevins l'en advertiront incontinent, pour ce
faict leur faire entendre son intention et y pourveoir elle-mesmes ou
leur commander ce qa'ilz debvroient faire pour y pourveoir, selon qu'elle
verra nécessité le requérir. Faict à Paris le XIX* jour de décembre
MVLXXV. Signé : Henry,' et au-dessoulz Pinabt. » Rbg. H, 1787, f» 260.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 39
louies les circonstances et tous les incidents de nature à
rintéresser. La présence, au sein de la commission, du
prévôt des marchands, des échevins et de plusieurs con-
seillers de ville, s'explique difficilement, il faut le recon-
naître, après la philippique dont nous avons reproduit les
passages essentiels. On se demande comment le roi pou-
vait accorder sa confiance à ce prévôt des marchands qui,
diaprés le témoignage officiel des registres, marchait,
le 19 décembre, en tête de la députation qui avait porté au
prince les remontrances des Parisiens. Quel était donc
alors le chef de la municipalité? C'était toujours ce Jean
le Charron, président de la Cour des aides, dont nous avons
dit le rôle assez lâche et assez équivoque au moment de
la Saint-Barthélémy * et qui avait été continué, le 16 août
1S74, dans les fonctions de prévôt des marchands. Le per-
sonnage ne possédait nullement Tétoffe d'un fauteur de
révolutions. On a vu que, la veille de la Saint-Barthélémy,
quelques paroles de M. de Tavannes l'avaient fait rentrer
sous terre et transformé de partisan de la tolérance en
furieux fanatique. Peut-être, après la scène des remontran-
ces, Jean le Charron fit-il quelques réflexions sur le danger
de dire la vérité aux rois, surtout à un monarque qui savait
comme Henri III recevoir une injure avec le sourire sur
les lèvres. Et puis Villequier, ainsi que naguère Tavannes,
semblait animé d'un médiocre amour pour les récrimina-
tions municipales. Ces mignons, si gracieux, manquaient
de patience et mettaient flamberge au vent pour quelques
paroles. Enfin, chose étonnante, le peuple ne savait aucun
gré à ses magistrats du courage qu'ils avaient montré.
Jamais personne ne fut plus impopulaire que ne l'était
Jean le Charron. Il faut lire dans l'Estoilc les pièces sati-
riques que son nom suscitait et les jolis vers sur le perro-
1. Sur le Charron, voy. Hist munie, p. 631-632, et plus haut, p. 14. -
40 Paris et la ligue
quet d'Attichi, secrétaire du roi, ce perroquet savant, ce
perroquet mal élevé qui à Charron donnait pour rime
larron *. C'est aussi contre Jean le Charron, « mal famé et
renommé en son estât et fort hay du peuple », qu'on fit
dans le même temps ce sonnet peu flatteur :
0 sages citoiens, un asnîcr vous commande !
Un vendeur de saffran, un coqu effronté
Qui trahist votre autel et vostre^utorité,
Larron digne, cent fois et cent fois qu'on le pende!
0 riches citoiens, un coquin vous gourmande,
Qui, pour se relever de honte et pauvreté,
Vend à deniers comptans les loix, la liberté,
Et rien qu'emprunts, qu'impôts, que tailles ne demande!
Que vous sert il, messieurs, de vous armer dehors,
Si toujours ce venin se couve en votre corps.
Qui vous suce le sang, qui vous ronge et vous mine!
Que ne l'en voiez- vous, à l'aide d'un cordeau,
Vers l'avare nocher de l'infernal basteau !
Duquel il a le nom, le front et la rapine?
Il y a donc de sérieuses raisons de croire que ce prévôt
des marchands « qui rien qu'emprunts, qu'impôts, que
tailles ne demande » ne devait pas être un défenseur bien
énergique des deniers de ses administrés. L'opposition
venait surtout des bourgeois eux-mêmes et des officiers
municipaux subalternes. Les quartiniers apportaient une
lenteur' calculée dans le recouvrement des cotisations de-
mandées aux Parisiens. Par lettre du 22 février 1576, con-
servée aux registres, le roi constate avec amertume que la
perception « se tire en grande longueur ». Un peu plus
1. Voici les vers sur le perroquet d'Âttichi :
Quand le Charron fist capture
De rAtttchi dernièrement,
Ck)mm'il est de fa nature
Présumpluenx, sans jugement,
Crioil en la cour hautement :
C'est moi qui suis monsieur Charron.
Le perroquet soudainement
Commence à l'appeler larron^
Et tous ses archers de ville
Disoient que c'estoit évangile.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 41
lard, le 8 avril, Henri III revient à la charge et presse de-
rechef le Bureau « de faire toute diligence de lever les
deniers accordés par la Ville pour la solde des Suisses * ».
Ces nouvelles instances n'ayant pas réussi à secouer Tiner-
tie de la population, le roi se fâche, et le 15 paraît un édit
portant que ceux qui ne payeront pas leur taxe dans le
délai de deux jours seront imposés au double. Menaces
inutiles! Alors Henri III prend un grand parti. Pour se pro-
curer les fonds nécessaires au payement des troupes, il va
faire une émission de rentes. Le prévôt des marchands reçoit
avis de porter à la connaissance des conseillers de Ville que
le roi a Tintention « de constituer jusques à 50 000 livres
de rente sur tous deniers ordinaires et extraordinaires des
recettes généralles des finances à Paris et Rouen, et offrir
que, en payant moictié contant et Taulre moictié en
debtes bien vérifiées ou gages, deutz à noz officiers, il sera
constitué rente pour le tout, à raison du denier douze • ».
Le bureau de la Ville se soumet et consent à émettre
50000 livres de rentes, assignées sur les recettes de Paris
et de Rouen, mais en prenant soin de stipuler que la nou-
velle émission sera primée, au point de vue des assigna-
tions, par les rentes antérieurement constituées '.
Tandis que la municipalité parisienne disputait ainsi au
roi l'épargne de la bourgeoisie, la situation du monarque
devenait de plus en plus critique. Le prince de Condé et
Jean-Casimir étaient entrés en Bourgogne, et les reîtres
i. Rb6. h, 1787, f 299.
2. Ibid., f» 300.
3. La délibération est du 16 avril. En voici les termes : « A esté concllu
et délibéré, attendu la nécessité des affaires du roy, que ouverture sera
faicte du bureau de ladicte Ville pour le fournissement de ladicte somme
de h^ livres de rente sur les receptes de Paris et Rouen, à la charge
toutesrois que ce soit de gré & gré, sans aulcune contraincte, et que
les rentes qui seront sur ce constituées ne pourront estre payées sur
les autres assignations de ladicte ville, et oultre que les premières rentes
qui ont jà esté constituées sur lesdictes receptes généralles seront préal-
lablement payées et acquitées. > Ibid.^ f« 301.
42 PARIS ET LA LIGUE
commettaient, chemin faisant, mille atrocités. Ils avaient
mis à feu et à sang la ville de Nuits qui leur fermait ses
portes, et les troupes françaises de Gondé se trouvaient
impuissantes à maîtriser leurs alliés, tous ces bandits venus
d'Allemagne pour mettre la France au pillage. Dans le
Midi, une effroyable anarchie régnait. Henri de Montmo*
rency-Damville et le duc d'Usez se prétendaient tous deux
gouverneurs du Languedoc, au nom du roi. Rançonnées
par les deux partis, les populations renonçaient à cultiver
leurs champs et à faire le commerce. Il y eut, dans le Viva-
rais notamment, des ligues populaires contre la noblesse
militaire qui, sous le drapeau catholique aussi bien que
sous le drapeau protestant, rendait la vie intolérable au
paysan. Les statuts de la ligue du Yivarais portaient, entre
autres clauses, « qu'on travaillerait de concert à faire sor-
tir du pays les garnisons et à raser les places fortes... qu'on
aurait soin de notifier cet accord aux villes et à la noblesse,
et que les lignés seraient autorisés à poursuivre ceux qui
refuseraient d'y entrer, comme des ennemis de la pa-
trie *... » Damville ne fut pas moins scandalisé que le duc
d'Usez de ces velléités d'indépendance dont s'avisaient les
lamentables victimes des jeux de princes. La profonde
indignation des masses explique peut-être l'impuissance
de l'armée royaliste, conduite par le duc de Mayenne, qui
avait reçu la mission d'arrêter les Allemands en marche
pour faire leur jonction avec les troupes de Monsieur dans
le Bourbonnais. Un grave incident acheva de désespérer
la cour. Le roi de Navarre, qui affectait à dessein de blâ-
mer la conduite du duc d'Alençon, pour donner le change
à Henri III, s'enfuit brusquement le 3 février, et, après avoir
chevauché toute la nuit à travers les bois, il passa la Seine
au point du jour, à une lieue de Poissy. Le lendemain, il
4. De Thou, t. VII, p. 410.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 43
était à Alençon, où deux cent cinquante gentilshommes
venaient le rejoindre *, entre autres Guillaume de Haulte-
mer, sieur de Fervaques, qui Tavait trahi en révélant à
Henri III les projets de fuite; mais, dans sa colère, le roi
avait voulu pendre le dénonciateur. Ce dernier, par une
nouvelle volte-face, assurément dans le goût du temps,
passa au service du Béarnais. Ainsi la cour se trouvait prise
entre Monsieur, le roi de Navarre et Condé, soutenu par les
reîtres et les lansquenets de Jean-Casimir. L'armée confé-
dérée s'élevait, d'après de Thou, au chiffre de trente mille
hommes, lorsqu'on la passa en revue le 11 mars, dans la
plaine de Soze. Monsieur et le prince de Condé laissèrent leurs
troupes sous le commandement du Palatin et se rendirent à
Moulins, que le duc de Mayenne venait d'abandonner avec
l'armée royaliste. C'est à Moulins que furent ébauchées, en
présence des délégués du roi de Navarre et de Montmorency-
Damville, les conditions du cinquième « Édit de pacifica-
tion ». On les condensa dans une requête que Jean de la
Fin, sieur de Beauvais *, et Guillaume Dauvet, sieur
1. On peut consulter sur la fuite du roi de Navarre le récit den'AuBiGKéf
Hist. univ., livre H, chap. xx, édit. de 1626, in-fol. — Ce chapitre, qui est un
chef-d'œuvre de narration pittoresque, n'a que le défaut d'être trop
connu. Voy. aussi l'ëstoilr, t. I, p. 113. Le chroniqueur rapporte ce qu'il
appelle un trait de Béarnais, Deux jours avant son évasion, le roi de
Navarre, qui n'avait pas couché à Paris et que la cour faisait déjà recher-
cher, s'était présenté à Leurs Majestés à la Sainte-Chapelle et leur avait
dit en riant « qu'il avoit remmené celui qu'ils cherchoient et pour lequel
ils estoient tant en peine ». Il assurait Leurs Majestés qu'il « mourroit auprès
d^eux et à leurs pieds ».
2. D'après L'EsTon.B, t. I, p. 123, le sieur de Beauvais arriva à Paris le
13 mars. Le chroniqueur rapporte que les conférences tenues au Conseil
du roi entre les délégués protestants et les conseillers de Henri III furent
traversées d'incidents orageux. Dans la séance du 9 avril, le duc de
Nemours dit au sieur de Beauvais : a Je ne sçai quels subjects sont les
Huguenos; mais si j'en avois et qu'ils me parlassent de la façon que vous
faites au roy, il n'y auroit garantie ni adveu qui tinst que je ne les
envoiasse, tout bottés, sur un eschaffaut. » Henri III imposa silence au
duc et entendit sans s'émouvoir les sommations des rebelles.
Les registres de la Ville ajoutent des renseignements précieux à ceux
que nous tenons de l'Estoile sur la mission des agents de Monsieur. Il
résulte des procès-verbaux de l'Hôtel de Ville que « les sieurs de Beau-
vais la Nocque (l'Estoile orthographie la Nocle), le sieur de la Fin, son
44 PARIS ET LA LIGUE
d'Arennes, portèrent au roi. Henri III demanda du temps
pour répondre et congédia les députés avec mille caresses,
en leur annonçant que sous peu la reine-mère, munie de
pleins pouvoirs, irait informer le duc d'Alençon des inten-
tions royales. Mais les protestants ne paraissaient pas dis-
posés à se contenter de vaines paroles. Ayant failli, le
30 mars, tomber avec les reines entre les mains des reîtres,
qui poussaient leur cavalerie jusqu'aux environs de Paris,
le roi n'osait plus sortir de la capitale. Les 16 et 17 avril,
sur le bruit que les coureurs de Condé et de Jean-Casimir
avaient paru à Milly en Gâtinais, les paysans de la banlieue,
pris d'une panique subite, vinrent en grand tumulte s'en-
fermer dans Paris avec tout leur bétail et tous leurs biens.
Tous ces pauvres gens se plaignaient hautement des exac-
tions commises par les troupes royalistes qu'on ne payait
plus et qui se payaient elles-mêmes aux dépens du peuple.
Vers le commencement de mars, l'armée du duc de Mayenne
avait entièrement fait défection et avait rejoint, partie le
camp de Monsieur, partie le camp du roi de Navarre.
Henri III, découragé, voulait conclure la paix à tout prix et
faisait dire une messe du Saint-Esprit tous les jours, dans
l'espoir d'assurer le succès des négociations.
Paris, en attendant, frémissait d'indignation et de terreur.
L'arrivée tumultueuse des cultivateurs de la banlieue sem-
frère, el aultres députez de monseîgaeur le duc d'Alleneon, frère du
joy... » vinrent au Bureau le 22 mars, avec l'agrément du roi, pour sol-
liciter rintervention des magistrats municipaux en vue de rétablir la paix
du royaume et les prier « de vouloir, comme magistratz représentans le
corps de la dicte ville, capitalle de ce royaume, embrasser cette affaire ».
Le prévôt des marchands répondit qu'il ne demandait pas mieux que de
s'entremettre pour la paix, « laquelle le sieur prévost des marchans et
eschevins désirent comme très nécessaire, pourveu que ce feust une
bonne paix, et pour durer... espérans aussy que ceulx de la nouvelle reli-
gion ne demanderont condictions sy déraisonnables qu'elles puissent
empescher une bonne paix et pour durer n. Craignant d'ailleurs de paraître
entrer en relations trop intimes avec Monsieur, le prévôt des marchands
et ses collègues refusèrent d'ouvrir les lettres du duc d'Alençon et invi-
tèrent les envoyés du prince à les remettre au roi. Reg. H, 1787, f» 294.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 48
blait le prélude de Tarrivée des Allemands. La municipalité
se multiplia. C'étaient, tous les jours, de nouvelles revues
dans les dizaines. Les mandements du Bureau pleuvaient
sur les quartiniers et les capitaines. Le 17 avril, il leur fut
enjoint « de faire promptement et présentement clorre de
murailles de deux pieds d'époisse toutes les rues, ruelles
et chemins yssans des chaulcées et grandes rues des dictz
faubourgs, lesquels aboutissent aux champs et aux tran-
chées au bout d'icelles* ». Tous les bateaux se trouvant sur
la Seine entre Paris et le port de Choisy furent amenés au
centre de la capitale et gardés jusqu'à nouvel ordre '. Des
patrouilles sillonnèrent les rues jour et nuit; des recon-
naissances explorèrent les environs; enfin les Suisses,
mandés par le roi, furent installés chez les bourgeois, par
une mesure de précaution qui sans doute ne visait pas plus
les ennemis du dehors que ceux de dedans '. Il fallut en
outre que la Ville se mît en devoir « de faire des présents
d'ypocras, dragées et aultres choses, selon qu'il est accous-
tumé ^ », au colonel et aux officiers des contingents suisses.
1. Rio. h, 1787, f** 302. Il n'y eut pas jusqu'aux bons moines des abbayes
de Saint- Victor et de Saint-Germain des Prés qui n'aient été obligés de
fournir des pionniers pour mettre en état les tranchées situées du côté de
leurs monastères « à peine de saisie de leur temporel ». La Ville décida,
dans rassemblée du Bureau du 18 avril, de lever par anticipation les
deniers des fortifications de l'année 1577 et d'en demander l'avance aux
bourgeois. Ibid., ^ 307.
2. Ibid,, fo 303.
3. Voici le texte du mandement adressé à ce propos aux quartiniers :
Ci De par les prévost des marchands et eschevins de la Ville de Paris, sire
Jacques Kerver, nous vous mandons que, suivant la volonté du roy, vous
ayez à advertir et prier tous les bourgeois des faulbourgs de vostre quar-
tier de laisser leurs meubles et biens en leurs maisons et à y recevoir les
Suisses que Sa Majesté faict venir pour la seuretté des tranchées de la
nouvelle fortiffî cation. Faict au Bureau le XVII* jour d'avril 1576. » làid.
Des lettres patentes du 12 janvier 1576 avaient accordé aux colonels, capi-
taines, lieutenants et enseignes de la Ville de Paris la dispense de loger
« aucuns princes, prélatz, gentilhommes, officiers, ambassadeurs et autres
personnes estans de présent et qui seront cy-après à la suite de nos Ire
cour, de quelque qualité et condition qu'ilz soient ». Le bénéflce de ces
lettres patentes fut plus tard étendu au prévôt des marchands et aux
ëchevins de Paris.
4. Nous avons déjà indiquée plusieurs reprises (notamment Hist, mun., 397)
46 PARIS ET LA LIGUE
On eût dit que la cour faisait un dernier effort pour tenir
tète aux « huguenots et catholiques associés », comme on
disait alors. Le 21 avril, le duc de Guise et le duc de
Mayenne, son frère, s'étaient établis l'un à Melun, l'autre à
Ëtampes pour barrer la route au prince de Coudé, qui fai-
sait mine de marcher sur Paris. Mais, quatre jours plus
tard, la reine mère quittait à son tour la capitale, emportant
le traité de pacification signé d'elle et du roi. Ce fut à
Beaulieu, près de Loches, en Touraine, que Catherine finit
par tomber d'accord avec Monsieur et arrêta les soixante-
trois articles de la rédaction définitive. Le roi accordait
aux réformes le libre exercice de leur religion dans toute
l'étendue du royaume. Il s'engageait à convoquer et convo-
quait dès à présent à Blois les États généraux du royaume,
désavouait la Saint-Barthélémy, réhabilitait la mémoire de
La Mole et Coconas, de Coligny, du comte de Montgom-
mery, de Briquemaut et de Montbrun ; accordait aux réfor-
més des chambres mi-parties dans les huit parlements du
royaume ; promettait à Jean-Casimir 700,000 écus d'or et
la solde de quatre mille reîtres, à titre de pension annuelle.
Au prince de Coudé, Catherine avait offert la perspective
du gouvernement de Picardie; au duc d'Alençon, on
livrait, pour grossir son apanage, trois magnifiques pro-
vinces, l'Anjou, la Touraine, le Berry, avec une pension
de 400,000 écus d'or. C'était démembrer la France et se
débarrasser de l'étranger à la façon de Charles le Gros.
Telle était la paix de Monsieur !
Pour solder tant de honte, il fallait beaucoup d'argent.
Henri III se fit mendiant. « Messieurs de la cour de Par-
lement » furent mandés successivement au Louvre, où le
roi mettait en demeure « chacun d'eux, selon leurs moiens
et facultés, de lui faire prest de quelques sommes de deniers
cet usage où était la Ville d*o(Trir de Thypocras et des épices aux person-
nages que le roi ou la municipalité voulaient honorer particulièrement.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 47
promptemcnt ». Les pauvres robins marchandaient, « s'ef-
forçant chacun par ses remonstrances à paier le moins que
possible lui estoit * ». Mais Temprunteur n'était pas pour
se contenter de ces défaites et il savait regarder au fond des
bourses. Les présidents ne s'en tiraient pas à moins de
deux ou trois mille livres ; le premier président dut en bailler
cinq mille; les simples conseillers de deux cents à mille
livres. A vrai dire, le malheureux roi rencontrait parfois
chez ces gens de robe des résistances égales à son avidité,
et il se mit dans de telles colères « qu'on le retira de là )>,
dit le chroniqueur. Une commission fut instituée pour faire
les taxes. Elle comptait parmi ses membres MM. Chris-
tophe de Thou et Séguier, présidents au Parlement, Nicolaï
et Bailly, présidents des comptes, de NuUy, premier pré-
sident des généraux des finances. Les commissaires se
trouvaient investis d'une tâche ingrate et dangereuse. Paris
se couvrit de placards dirigés contre eux « portans menaces
de les massacrer et saccager ». Sur l'une de ces affiches,
apposée au coin de l'hôtel du président Séguier, on lisait :
« Suffise vous, président de Thou et Séguier, antiques
pestes de la justice, d'avoir introduit par vérification, pacte
à pris fait avec les ennemys de Dieu et du roy, la prétendue
religion en roiaume de France et mis l'Église de Dieu en
confusion. Cessés de ruiner le pauvre peuple par vos beaux
emprunts et par le mauvais conseil que vous donnés de
la rupture de l'Hostel de Ville et abolition des rentes et
biens des veufvcs et pupilles... ou vous mourrés. »
En s'adressant aux membres des cours souveraines,
Henri III se gardait bien d'oublier les bourgeois de Paris.
Le prévôt des marchands et les échevins étaient allés au
lit de justice qui se tint le 28 avril au Palais, dans la salle
Saint-Louis. Le roi y avait pris lui-même la parole «.
1. LTSTOILK^ t. I, p. 127.
2. Re6. h, 1787, fo 310. « Et par sa dicte Majesté auroit esté diet et
*
I
K
48 PARIS ET LA LIGUE
Quand il eut « longuement faict entendre les occasions
de la dicte levée et emprunct », le prévôt des marchands
se leva et « remonstra à sa dicte Majesté que luy et les
eschevins de la dicte ville, y présens, ne peuvent accorder,
ne consentir aulcune chose, suppliant très humblement Sa
Majesté luy permettre de faire, en la manière accoustumée,
assemblée en THostel de la dicte Ville des bourgeois et
habitans, pour leur faire entendre ce qu'il avait pieu à Sa
Majesté proposer et dire, pour après en faire entendre au
dict sieur roy la responce et résolution. » Mais Henri III,
déjà fatigué de son propre discours, n'était pas d'humeur
à soumettre ses demandes de subsides à l'épreuve des
discussions, toujours un peu vives, d'une assemblée géné-
rale '. Ce ne fut même pas, comme d'habitude, la munici-
palité parisienne que l'on chargea de répartir l'emprunt du
roi. La mission dont il s'agit fut confiée à la commission
royale qui siégeait au Louvre '.
Les tètes commençaient à s'échauffer. On trouvait qu'après
toutes ses fautes Henri III aurait dû prendre un ton moins
hautain dans ses relations avec son peuple, et spéciale-
ment avec la municipalité parisienne. Le monarque aggra-
vait encore le caractère tyrannique de ses procédés par
des créations d'offices inutiles. C'est ainsi qu'à la fin d'avril
il institua deux contrôleurs des rentes de la Ville. Le
prononcé à la dicte assistance que, pour l'urgente nécessité de ses affaires
et pour la conservation de son Estât et de ses subjectz et mesmes pour
chasser les estrangers hors de ce royaulme, il estoit contrainct lever, par
forme d'empruntz, une bonne et grande somme de deniers sur tous ses
dictz subjectz, et mesme sur les manans et habitants de la dite ville. »
1. D'après les registres de la Ville, « il auroit sur ce dict et respondu au
dict sieur prévost qu'il n'entendoit et ne vouloit que auculne assemblée
feust pour ce faicte par les dicts sieurs prévost et eschevins; mais que,
pour aultant qu'il falloit que le secours feust prompt, il vouloit son com-
mandement estre promptement exécuté et sans retardation ». Après cette
dure réplique, le roi se leva et sortit de la salle Saint-Louis.
2. «... L'exécution duquel emprunct a esté faicte par aucuns présidens
des cours souverainnes au chasteau du Louvre, par commission parlicul-
lière du roy, et non & la dicte maison de ville, ny par les dictz sieurs
prévost et eschevins. » ïbid.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 49
Bureau protesta vigoureusement ; mais il eut beau déclarer
que « c'estoit contre la teneur des contratz de la dicte Ville,
et quecbascun désespéroit des rentes de la dicte Ville, des-
quelles et sur lesquelles il ne sera plus possible de recou-
vrer ung sol », le roi répondit « qu'il entendoit, quant
aux dictz controlleurs, qu'il feust passé oultre et feussent
receuz * ». Et les contrôleurs furent reçus.
Les nouvelles taxes imposées aux Parisiens semblaient
d'autant plus lourdes que les sommes accordées par la
Ville dans rassemblée générale du 20 décembre 1575
n'étaient pas encore payées. Henri III, irrité de la mauvaise
volonté du Bureau, ordonna au prévôt des marchands, le
29 avril 1376, de lui apporter les rôles des seize quartiers,
afin de relever lui-même les noms des bourgeois qui
n'avaient pas versé leurs cotisations pour la solde des
Suisses '. Le prévôt des marchands et les échevins se ren-
dirent au Louvre et déclarèrent au roi « que la Ville n'avoit
accoutumé soy dessaisir des rooUes des cottisations faictes
en icelle ville, ains qu'ilz avoient accoustumé de demeurer
au bureau d'icelle ville ». Le roi ne fléchit pas et rcnou-
1. Rkg. h, 1787, f* 311. Toutefois, il faut ajouter que le prévôt des
marchands et les échevins ayant adressé au roi, le 5 mai, une demande de
sursis pour produire les motifs de leur opposition à la création des deux
offices de contrôleurs des rentes, le roi, bien qu'il eât défendu aux magis-
trats municipaux « de faire assemblée de yille pour communiquer et déli-
bérer des causes d'opposition », les autorisa & lui présenter par écrit, le
lendemain à dix heures du matin, leurs causes d'opposition. Ibid,^ f<> 312.
2. Ibid, Le roi, déployant son génie fiscal, s'adressait en même temps à
toutes les corporations constituées, pour en tirer de l'argent. Nous avons
dit de quelle manière les membres des cours souveraines avaient été mis
à contribution. Les avocats et procureurs eurent leur tour. Le premier
président les assembla au palais, dans la salle SaintrLouis, le lundi 7 mai,
et leur communiqua individuellement le chiffre de la taxe imposée à chacun
d'eux. Les malheureux avocats durent se rendre au Louvre et verser leurs
cotisations peu spontanées dans les coffres du roi. U est vrai qu'on leur
délivra quittance. Voy. l'Estoile, t. I, p. 130. Le même procédé fut
appliqué aux « autres officiers, pratticiens et notables bourgeois de Paris »;
et le chroniqueur s'égaye un peu aux dépens des partisans de la vénalité
des offices. H trouve naturel que la royauté, toujours sollicitée d'augmenter
le nombre des charges vénales, ait songé à battre monnaie avec la vanité
des bourgeois ambitieux.
ROBIQUET. 4
SO PARIS ET LA LIGUE
vela . ses ordres, si bien que les magistrats municipaux
« baillèrent les dictz rooUes et les mirent entre les mains
de sa dicte Majesté, n'ayant vouUu les mettre, ny bailler
en aultres mains, quelques demandes qui leur en ayent
esté faîctes ».
On devîne avec quel enthousiasme les Parisiens accueil-
lirent ^la publication d'une paix qui coûtait si cher. Cette
publication eut lieu le 8 mai, suivant le cérémonial accou-
tumé *. Le 14, le roi vint au Palais, accompagné des princes
du sang et des officiers de la couronne : il fit homologuer
redit de pacification par le Parlement, assemblé en robes
rouges, et tous les assistants jurèrent, à l'exemple du sou-
verain, IVw/r^/^n^m^Me l'édit. Mais, lorsqu'après la publi-
cation Henri III vint à Notre-Dame pour faire chanter le
Te Deum « et puis faire feux d'allégresse par la Ville, le
clergé et le peuple ne voulust entendre ni à l'un, ni à
l'autre, faschés et desplaisans de plusieurs articles accordés
aux Huguenos par cest édit de paix. Toutefois, le lende-
main, fust ledit Te Deum solennel chanté par les chantres
du roy, en ladite église de Paris, sur les cinq heures du
soir, et ce en l'absence des chanoines, chapelains et chan-
tres de Paris, lesquels ne s'y voulurent trouver : dont le
roy fut fort marri et indigné • ». Le Te Deum fut donc une
cérémonie officielle, rien de plus. Les cours souveraines et
le corps de Ville y assistèrent comme contraints et forcés;
mais les feux de joie allumés devant l'Hôtel de Ville, sui-
vant la coutume ', et les sonneries des trompettes et hérauts
du roi sur la Table de marbre furent accueillis par la popu-
lation avec une froideur glaciale. Catherine, la négocia-
1. Voy. Eist, munie, y p. 485 et 555.
2. L'ËSTOiLR, 1. 1, p. 131. En comparant les registres de la Ville au registre-
journal de TEstoile, il est impossible de ne pas être frappé de la par-
faîte exactitude des renseignements fournis par le chroniqueur; il est
presque sans exemple quMl se trouve en contradiction avec les docu-
ments officiels qui constituent le fond de notre travail.
3. Voy. notamment Rist, munie,, p. 542.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 81
trico, n'était pas à Paris au moment de la publication de
la paix. Elle ne rentra dans la capitale que le 20 mai, et il
fallut encore que la ville par ordre allumât im feu de joie
sur la place de Grève et fit tirer quelques coups de canon
par Tartillerie municipale *. « Ce jourd'liuy, dimanche
vingtième may 1576, disent les registres de la Ville ', mes-
sieurs les prévost des marchans et eschevins de la Ville de
Paris furent, par le commandement du roi, au-devant do
la royne sa mère jusques au pont de Charenton, où le roy
alla luy-mesme; laquelle arrivée le dict jour, fut faict, en
son honneur et congrattulation de la paix, et, par le com-
mandement du roy y nng feu de joye devant THostel de la
Ville où fut tirée l'artillerie d'icelle ville. »
Bien édifié sur la mauvaise volonté des Parisiens, qui
se montraient de moins en moins pressés d'acquitter leurs
taxes, Henri III avait déjà recours aux mesures de rigueur.
Le 22 mai, il assembla son Conseil privé et fit expédier
aux sergens et capitaines des archers et arbalétriers de la
Ville l'ordre de recouvrer d'urgence les deniers des coti-
sations <c dedans huit jours, faute de quoi les dicts seront
contrainctz à payer en leurs propres et privés noms ce qui
*
se trouvera rester du payement des dictes taxes et cottiza-
lions ' ». Comme ces menaces produisaient peu d'effet, le
roi, furieux, déclara qu'il allait mettre la main sur les
rentes de la Ville, et, joignant l'effet aux paroles, il saisit les
deniers destinés au payement des quartiers de Pâques et
de la Saint-Jean. « De quoi le peuple de Paris, troublé,
murmura fort, dit l'Estoile, mesmes de ce que le roy, pre-
nant emprunts sur emprunts et daces sur daces, lui empes-
1. Voy. sur rartillerie municipale et sur remplacement des granges d'ar-
tillerie de la Ville VHistoire de rmtel de Ville de Leroux de Lincy, p. 72.
Le 28 janvier 1563, les granges , situées sur les terrains de Tancien hôtel
Saint-Pol, avaient été détruites par l'explosion du moulin à poudre. Yoy.
sur cet événement Hist. munie., p. 593.
2. Rio. H, 1187, f» 314.
3. làid., ^ 315.
82 PARIS ET LA LIGUE
choit encore et relenoit les rentes de la Ville, qui estoit le
seul moien qui lui restoit pour vivre. » Le 26 mai, le prévôt
des marchands convoqua une grande assemblée générale
à l'Hôtel de Ville. Les membres des cours souveraines,
atteints comme les autres par les mesures violentes du sou-
verain, étaient venus en assez grand nombre. Le prévôt
(c'était toujours Jean le Charron) prit le premier la parole.
Il « remontra que le roy luy avoit dict et déclairé qu'il se
vouUoit ayder des arréraiges des rentes constituées sur
THostel de la dicte Ville, et lesquelles avoient esté jà arres-
lées en aulcunes provinces pour payer et chasser les estran-
gers qui sont en son royaulme en grand nombre * ». Sans
doute, on ne trouva pas le langage du chef de la municipa-
lité suffisamment énergique, car des voix indignées s'éle-
vèrent, notamment celle du conseiller Abot, qui, au dire de
l'Estoile, « librement et franchement déclama contre le
mauvais conseil par lequel estoit conduit le roy ». L'as-
semblée générale décida qu'on adresserait au roi des
remontrances par l'organe du prévôt des marchands '.
Conformément à cette délibération, tout le corps de Ville se
transporta au Louvre, le 1" juin. Le prévôt des marchands
et ses collègues étaient suivis « de bon fort grand nombre
de MM. de la Cour de Parlement, Chambre des comptes,
Cour des aydes, notaires et secrétaires du roy en Chastelet,
et plusieurs autres notables bourgeois de la Ville ' ».
Henri IH reçut la députation en son cabinet, dit le registre,
et entendit les remontrances « patiemment et entièrement...
1. Reo. h, 1787, ^318.
2. « A esté conclud et délibéré par toute la compagnie que Sa Majesté
sera suppliée très humblement de ne toucher au s dictes rentes, mais
garder la foy publicque et les contractz faictz par ses prédécesseurs et luy
& icelle ville, pour les grands inconvénients, importance et conséquence de
telle ouverture, attendu mesmes que infinies paouvres personnes, veufvcs,
orphelins et autres y ont mis tout leur bien, lesquelz seront réduictz en
mendicité, si on leur oste les dictes rentes. » Ibid., fo 318.
3. Re6. h, 1787, fo 319.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 53
présens les sieurs de Villcquîer, de Cheverny et autres de
son Conseil ». Il dit qu il trouvait les vœux des Parisiens
« fort considérables et raisonnables..., qu'il en parlerait k
son Conseil et répondrait par après ». Le lendemain, le
roi fit savoir qu'il ne toucherait pas aux rentes sur THôtel
de Ville ; mais il ajoutait que, « pour Turgente nécessité
de ses affaires, il vouloit estre secouru par la dite ville de
cent mille livres très promtement * ». Assurés de préser-
ver momentanément les fonds destinés au payement des
rentes, les magistrats municipaux négocièrent et finale-
ment obtinrent de ne verser dans les caisses royales que
80,000 livres.
Pourquoi ces concessions du souverain, après tant de
menaces? C'est que la royauté avait déjà reçu avis des
sourdes menées des Guises, et que Jean-Casimir n'avait
pas encore congédié ses reitres. Il fallait à tout prix calmer
les Parisiens. Henri croyait atteindre son but par une
affectation de piété croissante. Accompagné, dit l'Estoile,
de deux ou trois de ses familiers, « il alloit à pied par les
églises de Paris, tenant en sa main de grosses patenostres
qu'il alloit disant et marmonnant par les rues. On disoit
que ce faisoit-il par le conseil de sa mère, afin de faire
croire au peuple de Paris qu'il estoit fort dévotions, catho-
lique, apostolique et rommain, et lui donner courage de
fouiller plus librement à la bourse. » Mais les Parisiens
ne se laissaient plus prendre aux momeries du roi. On
affichait partout des pasquils comme celui-ci :
1. lôid.f fo 32i. L'EsTOiLB, 1. 1, p. 132, confirme, comme presque toujours,
la Tereion des registres et atteste aussi la modération du roi : « Auxquelles
remonstrances, le roy, tout duit et instruit à cela dès longtemps, flst
responce qu'il les avoit bien entendues et bien prises^ qu'il en communi-
queroit aux princes de son sang et autres seigneurs de son Conseil, et
au surplus feroit en sorte que chacun resteroit content, » U est vrai que
le chroniqueur ajoute avec scepticisme, « qui estoit à dire : pendez-les au
croq et qu'on n'en parle plus ! » L'ironie tombe ici un peu à faux, puisque
la résistance de l'assemblée générale empêcha le roi de saisir les rentes
et le contraignit à se contenter d'un don ou prêt de 80,000 livres.
84 PARIS ET LA LIGUE
Le roy pour avoir de l'argent
A fait le pauvre et l'indigent
Et rhipocrite.
Le grand pardon il a gaingné ;
Au pain, à Teau il a jusné
Gomme un hermitte.
Mais Paris, qui le congnoist bien,
Ne lui vouldra plus prester rien
A sa requeste :
Car il en a jà tant preste
Qu'il a de lui dire arresté :
(( Allez en queste. »
Le 6 août, le prévôt et les échevins furent mandés au
Conseil privé du roi, où on leur fit savoir que le maître
était mal content parce qu'il « ne se recepvoit quasi rien de
la solde des Suisses * ». Mais le prévôt ne se déconcerta
pas. Il répondit avec assurance que les contraintes avaient
été délivrées aux archers, et que ce n'était pas la faute de
la Ville si les seigneurs et les officiers avaient obtenu de
Sa Majesté des exemptions complètes, de telle sorte que
tout le fardeau des taxes retombait sur les « pauvres gens
qui n'ont moyen de payer aulcune chose ». D'accusé, le
chef de la municipalité se faisait accusateur, et il arracha
au Conseil l'autorisation de modérer les taxes, tout en res-
pectant le privilège qui exemptait les gens d'Église, les
officiers du roi, les princes et princesses. La fermentation
populaire se révélait par des symptômes si éclatants que
le roi ne pouvait plus s'abuser sur la gravité du péril qui
le menaçait. Des placards d'une violence extrême circu-
laient de main en main. L'un d'eux, après avoir réclamé
une réorganisation complète de l'administration judiciaire,
terminait par ces menaces : « A quoi, sire, si vous ne pour-
voiez, puisque pour y pourvoir le glaive et la force sont en
vos mains. Dieu qui donne les roiaumes, qui establit les
1. Rbo. h, 1787, ^ 326.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 85
rois, qui les détruit quand il veult, vous perdra en brief,
cslévera vos peuples contre vous, vous remplira Tair et la
terre de malédictions et ruinera entièrement voslre Estât. »
D'autres pamphlets, d'un tour moins grave, se bornaient
à déverser Toutrage sur le monarque, et « soubs le nom de
peuple, qui est, comme dit TEstoile, un sot animal, ingrat et
testu , et plus volage et inconstant que les girouettes de
leur clocher » , décernaient à Henri III une foule de sobri-
quets méprisants ^
Tous les faits que nous avons rapportés, et notamment
les remontrances du corps de Ville du 19 décembre 1575
et du l^^'guin 1576, attestent et démontrent que l'agitation
d'où sortit la Ligue ne s'était pas seulement développée
en province, pour avoir ensuite son contre-coup à Paris;
mais qu'au sein même de la capitale les esprits étaient
plus échauffés que partout ailleurs. Quant au plan pri-
mitif d'une grande ligue catholique, il avait pour auteur
un homme d'Ëglise. Dès 1562, le cardinal de Lorraine,
étant au concile de Trente, avait arrêté les bases d'une puis-
sante association de tous les catholiques, qui devait avoir
un double but : affermir en France la domination de
l'Église romaine et, le cas échéant, substituer la maison
de Guise à la race des Valois ^. Le coup de pistolet de
Poltrot de Méré, en supprimant le chef militaire de la
famille des Guises, retarda l'exécution des profonds des-
seins du cardinal; la mort de ce dernier (36 décembre 1574)
marqua un nouveau temps d'arrêt dans cette incubation,
1. « Henri, par la grAce de sa mère, incert roy de France et de Po-
longne imaginaire, concierge du Louvre, marguillier de Saint-Germain-
TAuxerrois et de toutes les églises de Paris, gendre de Colas, gauderon-
neur des colets de sa femme et frizenr de ses cheveux, mercier du Palais,
visiteur des estnves, gardien des Qualre-Mendians, père conscript des
Blancs-battus et protecteur des Caputtiers. »
2. M. VrrsT, dans l'introduction de son ouvrage célèbre les Barricades,
scènes historiques, 4' édit., 1830, p. 1, a bien indiqué les étapes successives
de la conjuration des Guises.
56 PARIS ET LA LIGUE
moitié cléricale et moitié politique, de la grande conju-
ration. Mais Henri de Lorraine, fils aîné de François, sem-
blait réunir en sa personne les talents diplomatiques de
son oncle et les talents militaires de son illustre père *. A
dix-huit ans, il rédigeait déjà une formule de serment qu'il
faisait signer à toute la noblesse de son gouvernement de
Champagne et au clergé de Troyes. Localisée en Cham-
pagne jusqu'à la paix de Monsieur, la Sainte ligue, la
ligue chrétienne et royale (comme disaient les formules),
prit tout à coup un essor considérable, par suite de l'indi-
gnation des catholiques, qui considéraient l'édit de paix
comme un monument de honte et le symbole du triomphe
des hérétiques, en même temps que de l'abaissement du
pays. Les Guises, qui, par eux-mêmes ou leurs affidés, dis-
posaient de cinq gouvernements et de quinze évêchés,
n'eurent pas de peine à tourner la colère publique au
profit de leurs desseins personnels. L'incendie se propagea
rapidement, mais les historiens les plus dignes de foi
constatent qu'il a d'abord éclaté à Paris •. Le parfumeur
Pierre de la Bruyère et Mathieu de la Bruyère, son fils,
conseiller au Châtelet, « y furent, dit de Thou, les premiers
et les plus zélés prédicateurs de l'Union, et, à leur sollici-
tation, tout ce qu'il y avait de débauchés dans cette grande
ville, tous gens qui ne trouvaient que dans la guerre civile
1. Voy. dans VHisioire de la Ligue de Maimbouro, 1 vol in-4«, 1683, p. 18,
l'énumération pompeuse de toutes les séductions physiques et de toutes
les qualités morales du jeune duc. Les prédicateurs catholiques avaient
adopté le ton dithyrambique quand ils parlaient de la maison de Guise.
Pierre Doré appelait le duc François un chevalei^ux César, Julius Pogianus,
ayant à faire devant Pie IV Toraison funèbre du chef du parti catholique,
le comparait aux Machabées. (Orais. faite à Rome aux obsèques de Fran-
çois de Lorraine, par comm. de Pie IV. Reims, 1563, in-S*.) Et Jacques le
Hongre, l'éloquent frère prêcheur, dans l'oraison funèbre de la victime
de Poltrot qu'il prononça à Notre-Dame, dit qu'il lui décernerait le titre
de saint, s'il ne préférait laisser à la cour de Rome le temps de le cano-
niser. Voy. Le Dcchat, Notes sur la Ménippée, t. II, p. 222.
2. c( Paris, comme la capitale, voulut donner l'exemple & tout le reste
du royaume. » De Thou, t. VII, p. 422. Ëdit. de Londres de 1T34.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 57
OU une ressource à leur libertinage ou un moyen sûr
de satisfaire leur avarice et leur ambition, s'enrôlèrent à
l'envi dans cette nouvelle milice )>. Quelques riches bour-
geois se laissèrent aussi séduire, mais beaucoup s'éton-
naient de ne pas voir au bas des formules de TUnion les
signatures des principaux magistrats. L'un de ces Pari-
siens hésitants alla trouver le président de Thou et lui
demanda s'il avait connaissance de toutes ces menées et
s'il les approuvait. L'austère président répondit, en don-
nant les marques d'un profond étonnement, qu'il ne pen-
sait pas que le roi pût approuver de pareilles intrigues, et
que les associations qui se formaient lui semblaient dange-
reuses pour l'Ëtat et la tranquillité publique. Cette atti-
tude du chef du Parlement arrêta les progrès des ligueurs
dans la capitale * et les décida à faire publier l'Union en
province, pour y faire de nouvelles recrues parmi la
noblesse et la haute bourgeoise.
La Picardie fut le premier théâtre d'opérations de»
ligueurs, et le seigneur d'Humières, gouverneur de
Péronne, en outre créature des Guises, réussit à gagner
au parti de la Ligue presque toutes les villes et toute la
noblesse de Picardie. Condé, auquel les articles secrets du
traité de paix promettaient le gouvernement de Péronne,
ne put mettre le pied dans cette ville ' et demanda Cognac
et Saint-Jean-d'Angély en échange. Si nous parlons de cet
1. C*est du moins ce que prétend l'historien J.-A. de Thou, fils du pre-
mier président : Ibid.j p. 425. Maimbourg, p. 23, va plus loin et dit que,
m par les soins du premier président, on découvrit et ensuite on rompit et
Ton dissipa sans peine les assemblées secrètes qu'on tenoit déjà en plu-
sieurs quartiers de la Ville pour faire entrer dans celte ligue naissante
tous ceux que leur malice ou leur faux zèle ou leur simplicité y pouvoient
engager ».
2. L'Estoile écrit, dès le mois de juin 1576 : « En ce temps, plusieurs
gentilshommes se jettent dans la ville de Péronne, en délibération de le
garder et de n'y laisser entrer le prince de Condé; et court un bruit
qu'il y a secrette Intelligence et ligue sourde entre le roy d'Espagne, le
pape et quelques seingneurs françois contre les huguenos et les catho-
liques unis avec eux. » T. I, p. 134*
S8 PARIS ET LA LIGUE
incident, c'est que la Ligue fut réellement constituée en
vertu du pacte en dix-huit articles dont la rédaction avait
été arrêtée par le seigneur d'Humiëres ^
L'intitulé est ainsi conçu : « Association faicte entre les
princes, seigneurs, gentilhommes et autres, tant de TEstat
ecclésiastique que de la noblesse et tiers état, subjets et
habitans du païs de Picardie. » Il y a ceci de remarquable
dans le traité de Péronne que son rédacteur a multiplié
les protestations de dévouement à Tendroit de la personne
du roi. « Et jurons et promectons aussi toute obéissance,
honneur et très humble service au roy Henry, à présent
régnant, que Dieu nous a donné pour nostre souverain roy
et seigneur, légitimement appelle par la loy du royaulme à
la succession de ses prédécesseurs. » Mais ces formules
respectueuses, d'un caractère évidemment platonique, re-
çoivent des correctifs assez graves i car les gentilshommes
qui viennent de jurer obéissance et très humble service à
Henri HI se hâtent d'ajouter : « et après luy à toute la pos-
térité de la maison de Valois et autres qui^ après ceulx
de la dite maison de Valois^ seront appeliez par la loy du
royaulme à la couronne ». Cette évocation de la postérité
d'un roi qui était condamné à n'en pas avoir, et de ses
successeurs pris dans une autre maison, trahissait déjà les
desseins de la Ligue, malgré toutes les habiletés de rédac-
tion. Enfin, les signataires s'interdisaient de prendre du
service « si ce n'est avec permission et congé du roy ou de
1. On en trouve le texte, avec les noms des signataires, dans Maihbourg,
p. 527. Cet historien déclare « qu'on ne trouve point ce fameux traité de
Péronne dans nos auteurs, et qu'il en a l'original signé de près de deux
cens gentilshommes, et ensuite des magistrats et des officiers de Pé-
ronne ». Maimbourg avoue ingénument qu'il n'aurait jamais pu démêler
les caractères du manuscrit sans Vindtutrie de dom Héricart, ancien reli-
gieux de l'abbaye de Saint-NicoIas-aux-Bois, de Picardie, qui travaillait à
classer les titres du Trésor des Chartes et de la bibliothèque de l'abbaye de
Saint-Victor de Paris. Mais, malgré le concours de D. Héricart, Maimbourg
i^oute qu'il a laissé en blanc deux des noms des signataires de l'acte, parce
qu'il a été impossible de les déchiffrer.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 59
son lieutenant, ou bien du chef esleu à la dite association,
qui est monsieur de Humières, auquel promectons rendre
tout honneur et obéissance ». Le but avoué de l'association,
en vue duquel les gentilshommes picards devaient « se
tenir prests, bien armez, montez et accompagnez selon leurs
qualitez », était la conservation de la province, et, d'une
manière générale, la conservation de la religion; on ajou-
tait, pour la forme, et service de sa dite Majesté.
Mais le pacte ou traité de Péronne, rédigé par un gou-
verneur royal qui était forcé de conserver certains ména-
gements, ne donne pas encore toute la pensée de la Ligue.
Elle éclate, au contraire, avec une force rare, dans le mani-
feste ou formulaire en douze articles dont Palma-Cayet a
donné le texte dans l'introduction de sa Chronologie nove-
naire *. Ce manifeste, dont le seigneur d'Humières s'était
inspiré, non sans en atténuer les hardiesses, avait été
« imprimé et envoyé par toute la chrestienté » ; il tendait à
ramener les institutions de la France à ce qu'elles étaient
« du temps du roy Clovis, premier roy chrestien », à
diviser le royaume en deux camps : les membres de la
Ligue et ses ennemis « de quelle part qu'ils puissent être »,
et à élever en face du roi un autre roi, qu'on désigne sous
le nom vague du « chef qui sera député ' ». De terribles
menaces sont proférées contre les associés qui, « après avoir
fait serment en ladite association, se voudroient retirer ou
départir d'icelle, sous quelque prétexte que ce soit ». Ils
pourront être « offensés en leurs corps et biens » par les
1. Colleci. de mém, Michadd et Poujoulat, i^ série, t. XU, p. 13, et
A. d'Aubiohé, Hist. univ,, édit. ia-fol. de 1626, fol. 830.
2. Voici le texte de Part. VII de l'acte d'Union : - Jureront les dicti asso-
cie* toute prompte obéissance et service au chef qui sera député, suivre et
donner conseil, confort et ayde, tant à Tentretènement et conservation de
ladite association que ruyne aux contredisans A icelle, sans acception ny
exception de personnes; et seront les défaillans et délayans punis par
Tauthorité du chef et selon son ordonnance, à laquelle lesdits associez se
soubsmettront. •
60 PARIS ET LA LIGUE
membres de la Ligue, sans qu'on ait le droit d'inquiéter
ou de rechercher les meurtriers. A ce roi Ton oppose
Tépouvantail des Ëtats généraux, dont il a juré, lors de
son sacre, de respecter les ordres, et la formidable puis-
sance de « la saincte Église catholique, apostolique et
romaine », interprète de la loi de Dieu. D'ailleurs, aucune
place n'est faite à la bourgeoisie et au peuple dans la
direction de l'association nouvelle. Elle s'intitule « l'asso-
ciation des princes, seigneurs et gentilshommes catholi-
ques » ; et si les catholiques des corps des villes et
villages doivent, aux termes de l'article VIII, « être
advertiz et nommez secrettement par les gouverneurs par-
ticuliers d'entrer en ladite association », c'est uniquement
pour faire nombre et à charge de « fournir deuement
d'armes et d'hommes pour l'exécution d'icelle association,
selon la puissance et faculté de chacun ».
Si Henri III avait conservé quelques illusions sur l'es-
prit de rébellion qui avait inspiré les intrigues des Guises
lorsqu'ils jetaient les bases de la Ligue, il dut assurément
les perdre en prenant connaissance des mémoires trouvés
dans les papiers de l'avocat Jean David, que les chefs de
la Ligue avaient envoyé à Rome pour solliciter l'approba-
tion du pape Grégoire XIII. Cet émissaire était parti le
22 juin 1576 avec Pierre de Gondi, évêque de Paris,
qui avait mission d'obtenir une bulle d'aliénation de
20p,000 livres de rente accordées au roi par le clergé. Mais
David mourut à Lyon, à son retour de Rome, et l'on trouva
dans un coffre le fameux mémoire qui proposait la dé-
chéance « de la race de Capet » au profit des vrais rejetons
de Charlemagne, c'est-à-dire des princes lorrains *. Le
1. Voy. le texte du mémoire dans le premier vol. des Mémoires de la Ligue,
p. I. On y peut lire une comparaison curieuse de la dynastie des Capétiens
et des rejetons de Cbarlemagne : « 11 se voit à Tœil que la race des Gapets
est du tout abandonnée A sens réprouvé : les uns étant frappés d'un esprit
d'ctourdissement, gens stnpides et de néant : les autres, réprouvés de
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 61
roi d'abord ne croyait pas à Tauthenticité du factum ; mais
son ambassadeur en Espagne, Jean de Vivonne, sieur de
Saint-Goard, lui en ayant expédié une copie d'après Tori-
ginal que Philippe II avait reçu de Rome, il fallut bien
ouvrir les yeux. Toutefois Henri III n'osa pas heurter de
front les Guises. Catherine et le garde des sceaux Jean de
Morvilliers lui suggérèrent la pensée habile de se déclarer
lui-même le chef de l'Union, et d'entrer avec tous ses
courtisans dans l'association catholique.
Il était nécessaire de rappeler les circonstances qui en-
tourèrent la naissance de la Ligue pour ne pas laisser sans
explications et sans lumière les événements d'un caractère
plus spécialement parisien. On n'a pas lieu d'être surpris
de l'intime relation qui se manifeste entre les mouvements
des conspirateurs catholiques, puisqu'ils agissaient sur tous
les points de la France, par suite d'un plan concerté avec
une remarquable discipline. Les situations respectives du
roi et des Guises étant bien définies, revenons à la munici-
palité parisienne.
Les élections municipales du 16 août 1576 ne donnè-
rent lieu à aucun incident ; mais elles ne furent pas, pour
cela, dépourvues d'intérêt. En lisant dans les registres de
la Ville le procès-verbal du scrutin, on reconnaît effective-
ment que le parti de la Ligue et celui des politiques
étaient déjà en présence à l'Hôtel de Ville. Parmi les scru-
tateurs figuraient, d'une part, Pierre Hennequin, président
au Parlement, personnage que tous les historiens signa-
lent comme le principal agent dos Guises à Paris, et,
d'autre part, Christophe de Thou, le premier président.
Dieu et des hommes, pour leur hérésie, proscrits et rejetés de la saiate
communion ecclésiastique. Au contraire, les rejetons de Charlemagne sont
verdoyants, aimans la vertu, pleins de vigueur en esprit et en corps, pour
exécuter choses hautes et louables. » Yoy. aussi Catal. BiàL NaL, Lb 3^,
n«« 144 à 148, 1. 1, p. 299.
62 PARIS ET LA LIGUE
dont la clairvoyance et la loyauté avaient si fort contrarié
les intri^es des ligueurs. Aucun incident ne troubla, d'ail-
leurs, les opérations électorales, et le prévôt des marchands,
suivi des échevins, des scrutateurs et « de plusieurs des
dictz sieurs conseillers, quarteniers et bourgeois », alla
le même jour au Louvre présenter le scrutin au roi.
Henri III « estant mal disposé » fit approcher de son lit
« le président Luillier, sire Guillaume Guerrier et M. An-
thoine Mesmin, desnommez au dict scrutin, auxquelz Sa
Majesté auroit faict faire le serment accoustumé, assça-
voir les sieurs président Luillier pour prévost des mar-
chans et sire Guillaume Guerrier et M. Anthoine Mesmin
pour eschevins de la dicte Ville * ».
L'impérieux besoin de se procurer de l'argent avait
poussé le roi à convoquer les États généraux ou plutôt à
signer l'article de la paix de Monsieur qui l'obligeait à les
convoquer dans le délai de six mois. D'après de Thou *,
les lettres de convocation furent délivrées par Henri III,
le jour même des élections municipales de Paris, le
16 août. Les registres de la Ville attestent cependant que la
date et le lieu de la réunion des États ne furent portés à la
connaissance du corps municipal qu'un peu plus tard, lo
27 •. Aux termes des lettres royales, la réunion des États
1. Rbg. h, 1788, f* 5. Christophe de Thou soufTrit-il de voir que Tia-
fluence des ligueurs se développait au sein de la municipalité? Toi^ours
est-il qu'à la date du 23 août 1576, dans une assemblée du Bureau, il rési-
gna sa charge de conseiller de Ville en faveur de son fils, Jehan de Thou,
conseiller et maître des requêtes de FHÔtel du Roi. Le Bureau, après eu
avoir délibéré, admit la résignation. I6id., ^ 7.
2. T. VU, p. 447.
3. • Ce jourdhuy, vingt-septiesme jour d'aoust 1576, est venu au bureau
de la Ville de Paris M. Charles de Villemoutet, conseiller et procureur du
roy au Châtelet de Paris, lequel a déclairé à M. le prévost des marchans
et eschevins de la dicte ville que les Estatz de la dicte prévosté et vicomte
de Paris se tiendront le dix-septiesme jour de septembre prochain en la
grande salle de révesché de Paris, suyvant la volonté du roy, ad ce que mes
dicts sieurs de la Ville ayent à eulx y trouver le dict jour, & sept atten-
dant huict heures du matin; et, à ceste fin, a présenté et baillé coppie
des lettres du roy envoyées au prévost de Paris, desquelles la teneur
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 63
généraux devait avoir lieu le 15 novembre dans la Ville de
Blois. La date eût même été avancée « sans l'altération et
désordre survenus tant en Fétat ecclésiastique que séculier,
par Vaigreur et continuation des guerres civiles ». Suivant
la coutume et conformément à ce qui s'était fait en 1560,
le roi mandait aux baillis et aux prévôts d'assembler dans
la principale ville de leur ressort « tous ceulx des trois
Estats d'iceluy... pour conférer et communicquer ensem-
blement tant des remontrances, plainctes et doUéances que
moyens et advis qu'ilz auront à proposer en l'assemblée
généralle de nostre dict Estât; et, ce faict, eslire, choisir et
nommer ung d'entre eulx de chascun ordre, qu'ils envoye-
ront et feront trouver au dict jour, quinziesme du mois de
novembre, en nostre dicte ville de Blois, avecques amples
instructions et pouvoirs sufBsans pour, selon les bonnes,
anciennes et louables coustumes du royaume, nous faire
entendre, de la part des dictz estatz, tant leurs plaintes et
doUéances que ce qu'il leur semblera tourner au bien
publicq, souUagement et repos d'ung chascun V.. » LiO
corps de Ville parisien n'aurait eu qu'à exécuter les instruc-
tions du prince, si elles n'avaient pas désigné la grand'salle
de l'évêché de Paris comme devant être le lieu de réunion
des membres du tiers état parisien ', aussi bieii que du
clergé et de la noblesse. Or la municipalité avait toujours
maintenu son droit de convoquer séparément le tiers état
parisien et procéder, sans le contrôle d'aucune autre auto-
rité, à la nomination des députés et à l'élaboration des
ensuict.... d Reg. H., 1788, f* 7. Nous ne reproduisons pas le texte com-
plet des lettres royales, car il a déjà été en partie inséré dans VHistoire
des Étais généraux de M. Georges Picot, t. II, p. 305.
1. Rbo. Ihid,
2. Le même conflit entre le prévôt des marchands et le prévôt de Paris
s*élait produit en 1560, fors de la convocation des Etats généraux par
François II. Nous avons dit comment il s'était dénoué au proflt du prévôt
des marchands. Voy. Hist, munie, p. 500 & 506. La composition du corps
électoral parisien, en vue de la nomination des députés, a été aussi indi-
quée avec précision. Ibid,
64 PARIS ET LA LIGUE
cahiers. Quand le procureur du roi au Châlelet eut achevé
la lecture des lettres de convocation, on se borna à lui en
donner acte, en ajoutant « que les anciens registres de la
Ville seroient veuz et que les dictz sieurs prévost et esche-
vins feroient ce qu'il appartiendroit à la conservation des
droictz, previllèges et prérogatives do la dicte ville * ». Le
résultat de Texamen des registres ayant été « que, de tout
temps et ancienneté, la convocation du tiers estât de la
dicte ville et faulxbourgs de Paris a toujours esté faicte en
THostel de la Ville par MM. les prévost des marchans
et eschevins d'icelle, et non par le prévost de Paris »,
des remontrances furent immédiatement adressées au
roi.
Henri III n'avait aucun intérêt à mécontenter les élec-
teurs parisiens pour une question de forme. Il répondit tost
après au prévôt des marchands : « Désirant en toutes
choses conserver les privillèges dont vous et les manans et
habitants de noslre dicte ville ont toujours accoustumé
de jouir..., j'incline à la dicte remontrance. » En consé-
quence, le roi ordonne au prévôt des marchands de faire la
convocation suivant les formes traditionnelles pour une
assemblée générale, afin de délibérer sur les vœux à trans-
mettre aux États généraux •.
1. Ibid,, f* 9.
2. « Et pour cest elTect choisir et nommer en ladicte assemblée généralle
^ai sera par vous faicte en Thostel commung de vostre ville, comme dict
est, personnaiges pour dresser les cahiers de leurs remontrances et des
moiens qu'ilz auront advisé le plus propres pour remettre ce royaume en
sa première dignité et splendeur..., sans que vous ou vos députtez, ny les
autres manans et habitans, ex et au dedans de nostre ville et faulxbourgs^
soient tenus aucunement comparoir en la convocation et assemblée indicte
par nostredict prévost de Paris, au 17* jour du présent mois en la grand'
salle de Tévesché de Paris es estatz de la dicte prévosté, et sans que nostre
dict prévost de Paris, et auquel à ceste fin nous en escrivons, se puisse
aucunement entremectre pour le faict desdits estatz, en ce qui concerne
nostredicte ville et faulx}K)urgs, laquelle, pour les considérations cy-dcs-
sus, nous avons, de nostre grâce spécialle, exemptée de la jurisdiction et
cognoissance de nostre dict sieur prévost de Paris, pour le regard de la-
dicte convocation d*estatz seuUement, voullans, pour la dignité et excel-
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 65
Ayant ainsi obtenu une fois de plus satisfaction et fait
repousser les prétentions du prévôt de Paris, le prévôt des
marchands convoqua les électeurs à l'Hôtel de Ville en
assemblée générale. Elle eut lieu le 6 septembre 1576.
On avait appelé, sans parler du corps de Ville et des quar-
tiniers, six notables bourgeois de chaque quartier. La
séance s'ouvrit par la lecture des lettres du roi, puis on
nomma une commission, composée du prévôt des mar-
chands, des échevins, « de MM. Prévost et Hennequin
présidents au Parlement ou l'ung deuls, l'un en l'absence
de l'autre » ; du président Nicolay pour la Chambre des
comptes, du président de NeuUy pour la cour des aides,
de M. Aubry, conseiller de ville, et juge des marchands,
de M. Versoris, avocat au Parlement, délégué des bour-
geois, et enfin de sire Nicolas Parant, délégué des mar-
chands. Cette commission reçut le mandat de « recevoir
toutes et chacunes les plainctes et doUéances et remon-
strances que les citoyens de la dicte Ville et faulxbourgs
d'icelle vouldront faire et présenter, ensemble tous les
cahiers des corps, collèges et communaultez des mar-
chans, bourgeois et citoiens, de quelque ordre, qualité et
condition qu'ilz soient * ». On décida que, quand la com-
mission aurait reçu toutes les doléances, elle les rédigerait
en un cahier, « lequel, dit la délibération, sera raporté par
lesdits eschevins en l'assemblée générale, en laquelle ledict
cahier desdictes plaintes et doUéances sera leu et arresté ».
Une ordonnance du 12 septembre invita, en conséquence,
« tous les bourgeois, gardes des corps et communaultés
lence d'icelle, que, de son chef, elle face esditcz Estatz généraalz ung corps
à part, d'avec le reste de ladicte prévosté, ainsy qu'il fut faict es dictz
derniers Estatz généraulx tenus en nostre ville d'Orléans. Car tel est nostre
plaisir. Donné à Paris le 2 septembre 1576. Signé : Hkhrt. Et au-dessoubz :
Fizet, Et sur le doz desdictes lettres, est escript : A nos très chers et bien
ornez les prévosi des marchans et eschevins de nostre bonne ville et cité de
Paris. » Reo. h, 1788, f» 9.
1.RB6.H, 1788, ^> 13.
ROBIQUET. 5
66 PARIS ET LA LIGUE
des marchands et, on général, toutes personnes » à porter
aux commissaires désignés plus haut les plaintes, do-
léances et remontrances qu'ils désiraient proposer au roi et
envoyer aux États généraux. Le 17 septembre, M. Marcel,
conseiller du roi, intendant de ses finances, vint au Bureau
de la Ville et invita la municipalité à envoyer un échevin
ou un conseiller de Ville avec deux bourgeois pour prendre
part à la réunion des deux autres ordres qui se tenait à
Tévêché de Paris. La ville députa M* Claude Perrot, pro-
cureur du roi et de la Ville, avec Jehan Merault et Louis do
Creîl, marchand et bourgeois de Paris.bitroduits dans la
salle de Tévêché, les délégués municipaux firent immédia-
tement leurs réserves. Claude Perrot, au nom* du tiers état
parisien, demanda acte de sa protestation, « qui estoit que
ladicte comparution qu'il faisoit n'estoit en vertu du man-
dement du prévost de Paris, ains du commandement pré-
sentement faict par le roy et sans aucunement desroger no
préjudicier aux droictz, auctoritez et prééminences de mes-
dictz sieurs les prévost des marchans et eschevins qui
ne recognoissent aucunement ledict prévost de Paris en
assemblée d'estatz ». Fièrement, le procureur de la Ville
réclama la place « que les estatz de la prévosté et vicomte
de Paris ont accoustumé de bailler en tous lieux aux
députez de ladicte Ville de Paris ». Ce ferme langage en
imposa-t-il aux officiers royaux qui présidaient l'assemblée
des électeurs de la noblesse du clergé; le roi avait-il
envoyé des ordres prescrivant de ne pas blesser les sus-
ceptibilités du tiers? Toujours est-il que, d'après la rela-
tion des registres, le lieutenant civil et le procureur du
roi au Châtelet se levèrent pour faire une place aux trois
députés de la Ville et leur firent donner des sièges « à
part, devant et vis-à-vis le sieur prévost de Paris ». Les
délégués assistèrent à une partie de la séance et enten-
dirent l'appel des « gentilshommes tenant les fiefs do
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 67
ladicte prévoslé de Paris * ». Après quoi ils se retirè-
rent.
La commission, nommée le 6 septembre pour recevoir les
plaintes et doléances des bourgeois, avait déjà tenu séance
« par plusieurs et divers jours » à THôtel de Ville, et le
sieur de Versoris avait été chargé de la rédaction du cahier
général. Mais ce travail n'avançait que lentement. Le
28 septembre, le roi, « pour accélérer les articles et cahiers
des plainctes de ceste ville de Paris », fit ordonner par
arrêt de son Conseil au prévôt des marchands de placer à
VHôtel de ViUe « en lieu publicq et auquel chascun puisse
venir librement... ung coffre ayant ouverture en forme
d'un tronc, et auquel sera permis à chacune des commu-
naultez de faire mettre indifféremment tels cahiers et
doUéances ou remonstrances que bon luy semblera; et
lequel coffre fermera à deulx clefz, dont Tune demeurera
ès-mains du prévost des marchans et Taultre ès-mains de
toi des députez qui sera par eulx advisé, pour après estre
faict ouverture dudict coffre par les dictz prévost et députez,
et par eulx dressé ung cahier desdictes dolléances et remon-
strances, aînsy qu'il a esté cy-devant advisé en l'assemblée
généralle de ladicte ville *. » Pour déférer aux ordres du
roi, la Ville adressa, le 29 octobre, un mandement aux
maîtres et gardes de la draperie, mercerie, orfèvrerie, pel-
leterie et bonneterie de la Ville de Paris pour leur en-
joindre de déposer leurs cahiers de doléances dans le
coffre imaginé par Henri III, et ce dès le lendemain.
Avec le contenu du coffre et les propres observations des
membres du corps de Ville et de ses collègues de la com-
mission, le sieur de Versoris dressa le cahier général des
doléances du tiers état parisien. A la date du 29 octobre,
le Bureau de la Ville put lancer les mandements de convo-
1. Reo. h, 1788, fo u.
2. Ibid., f» 16.
68 PARIS ET LA LIGUE
cation pour rassemblée générale qui, dans la grand'salle
de l'Hôtel de Ville, allait avoir à entendre la lecture du
cahier général et à élire « ceux qui iraient aux Étais
généraux porter les remontrances * ». Ces mandements
prescrivaient à chaque quartinier de convoquer : dix nota-
bles de chaque quartier, savoir cinq officiers du roi, pris
dans les compagnies souveraines, et cinq notables bour-
geois, marchands, non officiers; deux gardes des corpo-
rations des drapiers, épiciers, merciers, pelletiers, orfè-
vres, bonnetiers; puis les représentants du clergé, Tévêque
de Paris et son chapitre, « les religieux, abbés et couvent »
de Sainte-Geneviève, de Saint-Victor, de Saint-Germain
des Prés, des Chartreux, de Saint-Magloire, de Saint-
Ladre, de Saint-Martin des Champs, des Célestins, de
Sainte-Croix.
L'assemblée générale se tint le 2 novembre 1576. On y
donna lecture « des chapitres des remontrances, plainctes
et doléances de l'Église, de la justice et de la noblesse ».
Dans la séance du lendemain fut achevée la lecture de ce
cahier; puis on passa aux chapitres « des finances, tailles
et impositions, de la marchandise et police ». Chaque
chapitre était mis successivement au$ voix \ Quand Tas-
sc|nblée eut pris connaissance de tous les cahiers, elle
arrêta que le cahier général serait revu par une commis-
sion, composée du prévôt des marchands et des éche-
vins, de deux conseillets de Ville, deux membres du Par-
lement, deux de la Cour des aides, deux de la Cour des
comptes, deux ecclésiastiques, deux secrétaires du roi,
deux ofiiciers du Chàtelet, deux délégués de l'Administra-
tion des monnaies, et deux de chacun des cinq corps de
1. Rko. h, 1788, fo 7.
2. « A esté ordonné qu'il sera oppiné sur chacun chapitre d'iceluy
cahier, et non par articles, pour obvier aux longueurs qui s'en pourroient
ensuivre. » Jàid., fo 20.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI Gî)
métiers. Le 4 et le 5 novembre, la conftnission de revision
s'assembla et admit à ses délibérations un grand nombre
de bourgeois. Elle ajouta au cahier général un grand
nombre de plaintes et remontrances, et fit indiquer pour
le 8 une assemblée générale afin « d'oyr la lecture dudict
cayer, iccUuy arrcster et eslire ceulx qui en seront por-
teurs ». Les électeurs s^assemblèrent, le jour dit, à THôtel
de Ville. Il y eut peu d'abstentions, surtout de la part des
bourgeois mandés. Après avoir entendu la lecture du
cahier général*, et en avoir approuvé la rédaction, l'assem-
blée générale nomma les députés du tiers aux États géné-
raux. « A esté proceddé à l'ellection des personnes cy-après
nommées pour les y porter et présenter; et, en ce faisant,
ont esté choissy, nommez et esleuz, assçavoir jE?ar toute
ladicte assemblée : ledict sieur de Saint-Mesmyn *, prévost
des marchans, et par la plus grande et seyne partie d'icelle
lesdictz sieurs Versoris, bourgeois, et Le Prévost, sieur de
Brévaut, eschevin de ladicte Ville. » Ainsi le tiers état
parisien envoyait aux Ëtats généraux trois députés seule-
ment, le prévôt des marchands, un échevin et un bour-
geois, ce Versoris qui avait été chargé de la rédaction du
cahier général des doléances. C'était deux députés de
moins qu'en 1560 '.
Quel était l'esprit des députés parisiens? Il était entière-
ment favorable à la Ligue. Luillier, prévôt des marchands S
1. L'assemblée avoue le cahier géaéral des doléances et déclare qu'elle
entend qa'il soit présenté à Sa Majesté, è la tenue des Eslatz de ce royaume.
Ibid, f» 23.
2. n s'agit de Nicolas Luillier, président à la Chambre des comptes, qui
avait été nommé prévôt des marchands le 16 août précédent. Il ne faut
pas le confondre avec Antoine Mesmin, avocat, nommé échevin aux mêmes
élections. Le Prévost avait été nommé échevin aux élections de 1575. Il
était secrétaire du roi. Le Roux de Lincy, dans sa nomenclature des offi-
ciers municipaux, l'appelle « Augustin Le Prévost, seigneur de Orevans ».
3. Voy. Hiit, munie, p. 507.
4. Il devait mourir en 1582. On ne doit pas le confondre avec son cousin
Jean Luillier, qui fut aussi prévôt des marchands et ouvrit à Henri IV les
portes de Paris, en 159(.
70 PARIS ET LA LIGUE
était un homme faible et mou, dominé par son collègue
Pierre le Tourneur, dit Versoris, le rédacteur du cahier
général de Paris, l'avocat au Parlement le plus connu el
le plus éloquent. L'Estoile le considérait avec l'opinion
publique « comme pensionnaire, principal conseil et fac-
tionnaire de la maison de Guise ». En cette qualité, « il cor-
nait la guerre contre les huguenots plus hault et plus ouver-
tement et scandaleusement qu^aucun député des autres
estats ». Quant à Le Prévost, le troisième député, c'était
un des quatre notaires de la Cour, « honneste homme et
docte ». Les élus du tiers état parisien se distinguaient
par leur forte corpulence, « dont, par quolibet, ils furent
surnommés les trois Bedons ' ». Sans prétendre refaire
l'histoire des États généraux de 1576, nous nous borne-
rons à déterminer le rôle des députés de Paris et leur
influence sur les délibérations des trois ordres, en préci-
sant, ce qui ne semble pas avoir été fait jusqu'ici, les rap-
ports du roi avec sa capitale pendant la durée des États
généraux.
Henri III ne s'était installé au château de Blois que le
18 novembre. En quittant Paris, il n'était pas sans inquié-
tudes sur le maintien de Tordre dans la grande Ville. Los
ligueurs avaient pris les devants et manifestaient la préten-
tion de se charger eux-mêmes de la police. Ils avaient
chargé le prévôt des marchands, qui partait pour Blois,
de remettre au roi « un mémoire rédigé par certains bour-
geois, louchant l'ordre et la police qu'ilz voudroient voir
garder en ladicte Ville (de Paris) pendant Tabsence et
i. L'EsTOiLE, t. I, p. 181. Le chroniqueur a conservé plusieurs des pièces
satiriques que les protestants publièrent sur la députation parisienne.
Versoris, l'adversaire principal du parti de la conciliation, y est toujours
appelé « le porc Versoris ». On tourne aussi le président Luillier en
ridicule :
Je le eonneu* au ruban du bonnet,
A sa ealothe et à su barbe r€uset
Au gros anneau qui lui sert de sonnet ^
A son baudier qui le tient en ecstase.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 71
t'sloigncmenl de S. M. * ». Luillier s'acquitta exactement
(le sa mission, à la date du 26 novembre. Des le lende-
main, le roi retournait à la municipalité parisienne le
mémoire dont il s'ag-it avec ses observations '. A côté des
précautions ordinaires, telles que les perquisitions domici-
liaires, confiées aux quartiniers, cinquanteniers et dizai-
nîers qui, trois fois la semaine, viennent rendre compte au
Bureau de la Ville, les commissaires du Châtelet devront
aussi faire une inspection hebdomadaire des maisons
garnies et des hôtels. Les hôteliers ont ordre « d'apporter
par chascun jour bultin ou rooUe, contenant les noms,
surnoms et qualitez de ceulx qui arrivent à loger es dites
maisons bourgeoises , chambres garnies , hostelleries ,
cabaretz et tavernes ». Il (?st prescrit aux « maistres des
pontz, portz et passaiges, aux maires des villes voisines de
la prévosté de Paris ou particulièrement à quelques gens
de bien desdictz lieux, d'escrire souvent auxdictz sieurs
prévost et eschevins de ce qui se passera par leurs des-
Iroictz et quartiers ». Le roi veut aussi « que pour cog-
noistre les maisons où Ton loge gens en chambre garnie,
ceulx qui font estât d'en louer soient tenuz de mettre hors
la porte un escriptc^u contenant ces motz chambres garnies
à louer ^ sur peyne de vingt livres parisis d'amende pour
la première fois et de pugnition corporelle, s'il y eschet ».
Mais ce que le souverain ne verrait pas d'un bon œil, c'est
que la milice bourgeoise, sous couleur de garder la Ville,
prît son rôle militaire trop au sérieux et garnît les portes
dliommes armés. Il désire « qu'il n'y ait pas plus de six
bourgeois notables à chaque porte, sans aucunes af7?îes,
pour regarder et observer qui va et vient ». Entre Blois et
Paris, il y a un échange incessant de communications.
1. Le Reg. h, 1788, fo 40, reproduit les différents articles du Mémoire et
les déclarations du roi relatives à chaque article.
2. lôid., (• 41.
72 PARIS ET LA LIGUE
Tantôt c'est le prévôt des marchands qui fait transmettre
aux « maislres de coches de la capitale » la défense de-
prendre des voyageurs sans passeports de la Ville « sur-
peine de confiscation d'icelles coches et pugnition ' » ; ou
bien qui prescrit à certains quartiniers « de se saisir par
chascun joxir » des clefs de telle ou telle porte et de ne le&
commettre qu'aux cinquanteniers et dizainiers de service.
Tantôt c'est le roi lui-même qui correspond avec le corps
de Ville parisien. Le 8 décembre, Henri accuse réception
d'une lettre qui lui avait été écrite le 2 par les magistrats
municipaux et que les députés de Paris aux Etats lui
avaient directement remise. Il s'agissait d'une requête
présentée par certains bourgeois relativement aux rentes
constituées de l'Hôtel de Ville. Le roi répond qu'il a écrit
au premier président du 'Parlement pour faire rejeter la
requête; puis le souverain annonce à sa bonne Ville, dan5
les termes suivants, l'ouverture des États généraux :
« Nous dirons aussy pour la fin de ceste cy (lettre) que hier
nous ouvrismes et commençasmes la tenue des Étatz
généraulx de nostre royaume où estoit la plus notable et
célèbre compaignie des trois ordres et estatz d'icelle qui se
voit il y a fort longtemps et peult estre jamais. Je feiz la.
proposition ' et monsieur le chancelier déclaira après plus
1. Lettre du 28 novembre, Ibid,, f<) 42.
2. C'était e(Tectivement le roi en personne qui avait ouvert les États. Tou»
les historiens constatent que la harangue de Henri III produisit un grand
elTet. On peut en trouver le texte complet au t. XIII des Étals généraux. Le
Journal du tiers état de Jean Bodin, député de Vermandois, auteur du
célèbre ouvrage intitulé les Six livres de la République, se trouve réim»
primé au t. XIII des États généraux, p. 212-315, Paris, Barrois, 1789, i^
vol. in-8o, datai. Sénat, n» 485. De Thou (t. VII, p. 448) attribue à Jean
de Morvilliers, l'ancien garde des sceaux, la rédaction du discours royal..
Ce qui est certain, c'est que Henri III obtint un grand succès d'orateur.
«... Sa Majesté, dit l'Estoile, harangua disertement et bien à propos. Au
contraire, le chancelier de Birague, après lui, harangua longuement^
lourdement et mal à propos, dont fust fait et semé le suivant quatrain l
Tels sont les faits des hommes qae les dits :
Le roy dit bien, car il est débonnaire ;
Son chancelier fait bien tout au contraire,
Car il dit mal et fait encore pis.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 7Î
particulliërcmont les choses qui sont à traicter. Sur quoy
j'ay trouvé chascun tant bien disposé et affectionné pour
s'évertuer à bien faire que j'espère, avec la grâce de Dieu,
que rissue en sera grandement fructueuse et sallutaire
pour mon royaume et à la continuation du repos d'icelluy^
ainsy que pourrez faire entendre aux conseillers de nostre
dict Hostel de Ville ou à ceulx d'entre eulx qui seront à la
réception de ceste présente, par laquelle nous prions Dieu
vous avoir en sa saincte et digne garde. Escrit à Blois le
VII" jour de décembre 1576. Signé He>'ry et plus bas
Pin ART * ».
Il y avait eu à cette séance d'ouverture des États un
mouvement d'émotion sincère, quand on entendit le prince
lui-même faire d'un ton grave le bilan de tous les maux qui
affligeaient la France, et promettre de travailler nuit et jour,
sans épargner son sang et sa vie, pour le rétablissement
de la prospérité de tous. Henri III put croire un moment
qu'il trouverait des instruments dociles dans les députés
des trois ordres et qu'il n^aurait pas de peine à substituer
son influence à celle des Guises *. Il se trompait '; les pre-
mières résolutions des trois ordres, jointes à la publication
par les protestants du mémoire adressé au pape par les>
Il existe plusieurs tirages à part du discours de Henri III. Voy. Catalogue
de VHist. de France de la BibLNat.j Le ", 55. — Voy. aussi d'Aubig^b, HisL
univ.j col. 848. Après avoir reproduit le discours royal, l'historien ajoute :
« J'eusse soulagé mon lecteur par les retranchements que j'apporte aux
longues harangues; mais je n'ai osé toucher à celle d'un roi bien-disaul. »
1. Reg. h, 1788. Ibid,
2. Charles de Lorraine, duc de Mayenne, assistait, aux côtés du roi, à
la séance d'ouverture; mais le duc de Guise, son frëre^ était absent. Il
n'avait pas voulu céder le pas aux princes du sang, notamment au duc
de Montpensier : car le roi, pour éviter les conflits qui s'étaient produits
entre Guise et Montpensier, lors du sacre à Reims, avait publié une décla-
ration donnant formellement le pas aux princes du sang sur tous les
autres pairs, quelle que fût la date d'érection de leur pairie.
3. « Telle fut, écrit de Tuou, l'ouverture de ces États, où le roi s'était
flatté d'abord qu'il serait le maître. Mais il ne fut pas longtemps à s'aper-
cevoir qu'il s'étoit trompé et il commença bientôt à connoUre quel éloit
l'esprit de celte nouvelle Ligue qui venoit de se former. » (T. VII, p. 451.
74 PARIS ET LA LIGUE
chefs de la Ligue et remis au cardinal de Pellevé par
l'avocat David, ne tardèrent pas à faire comprendre au
prince l'étendue du péril qui menaçait la couronne. Toute-
fois, il vint à Henri III un défenseur inattendu dans la
personne de Jean Bodin, l'éloquent député du Vermandois.
Dans sa harangue, le roi avait prêché l'apaisement, la
conciliation des partis, la pacilication de la France *. Les
députés de Paris au contraire, et surtout Versoris, insis-
taient p^ur requérir le roi « d'unir tous ses sujets en une
religion catholique romaine », ce qui eût abouti à une
reprise de la guerre civile. Le tiers état parut se prononcer
vn faveur des moyens violents, lorsqu'il désigna Versoris,
le 7 décembre, pour prendre la parole au nom du tiers.
D'autre part, lorsque le tiers vota, le 26 décembre, sur le
cahier général, cinq gouvernements, savoir la Bourgogne,
la Bretagne, la Guyenne, le Lyonnais et le Dauphiné, ap-
puyèrent de leurs suffrages la politique conciliatrice dont
Bodin s'était fait le défenseur. Mais les sept autres gouver-
nements, qui formaient la majorité, se déclarèrent parti-
sans d'un nouvel appel à la force pour écraser les protes-
tants. La noblesse et le clergé avaient opiné dans le même
sens dès le 22 décembre. Les envoyés du roi de Navarre,
du prince de Condé et du maréchal Dam ville, qui étaient
venus pour suivre de près les délibérations des États, se
considérèrent comme suffisamment édifiés et quittèrent
Blois dès qu'on connut le vote unanime des trois ordres
sur l'unité de religion. Une reprise des hostilités dans les
provinces devenait donc imminente. Déjà les huguenots
s'étaient emparés de Bazas et de la Réole, et la Guyenne et
le Poitou étaient en feu, quand le roi, d'accord avec les États,
1. « Où il a été besoin de pacincr les troubles par réconciliatioQ, nul
plus que moi ne Ta désiré, ni plus volontiers que moi n'a preste l'oreille à
toutes les honnestes et raisonnables conditions de paix que Ton a voulu
mettre en avant. » (Disc, royal»)
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 75
envoya une ambassade ^ aux princes protestants, afin d'es-
sayer d'obtenir d'eux une sorte de trêve, à défaut d'une
soumission absolue aux déclarations des États. Cependant
on était déjà arrivé à la fin de décembre et le roi n'avait
obtenu des trois ordres que des professions de foi catholi-
4jues, et pas le moindre subside. En vain, le premier pré-
sident de la Chambre des comptes, Antoine Nicolaï, était
venu, le 31 décembre, peindre devant les États la détresse
profonde du Trésor royal ; il n'avait obtenu que la nomina-
tion d'une commission d'examen qui, dans son rapport du
9 janvier, déclara que la principale cause du mauvais état
des finances résidait dans la mauvaise assiette des rentes
constituées, et surtout dans Ténormité des dépenses du
souverain. Henri III en était réduit à se faire mendiant, à
dire qu'il n'avait plus un écu pour payer les Suisses ; « que
sa nécessité était telle qu'il n'avoit pas le plus souvent
sa cuisine prête, ni son bois, ni sa chandelle, ni ses autres
mesmes nécessités » •. Le clergé et la noblesse voulaient
bien voter des impôts et augmenter la taille en la consa-
crant entièrement aux dépenses de l'armée, mais à condi-
tion que le peuple supporterait tout le fardeau. Le tiers, de
son côté, voulait faire supporter par les trois ordres les
4lépenses de guerre et se prononçait énergiquement contre
la désaffectation de la taille et la suspension du payement
des rentes. Malgré les menaces de M. de Viilequier, au
nom du roi, et les objurgations de la noblesse, le tiers
resta inébranlable. Il refusa même de discuter plusieurs
systèmes proposés directement par le roi. Ainsi, par suite
1. Cette ambassade se composait de Pierre de Villars, archevêque de
Vienne, André de Bourbon de Rubempré, et Ménager, trésorier de France,
chargés de se rendre auprès du roi de Navarre; de l'évêque d'Aulun, de
M. de Montmorin et de l^ierre Rat, lieutenant de Poitiers, qui devaient se
mettre en rapports avec le prince de Gondé; et enfin de Nectaire, évoque du
Puy, de René de Rochefort et du sieur de Tolé, envoyés vers le duc de Dam-
ville. Le roi envoyait, en outre^ au roi de Navarre, le maréchal de Biron.
2. GtiLLACME DB TxiXy JownaL Voir à la date du 9 janvier 1577.
76 PARIS ET LA LIGUE
de ces divergences profondes sur la question financière, la
situation devenait très différente de ce qu'elle était au début.
Il est curieux, et c'est là ce qui nous intéresse particu-
lièrement, d'étudier Tattitude des députés parisiens. En
vue de la séance solennelle qui allait avoir lieu prochai-
nement, le tiers avait chargé Versoris d'insister sur quatre
points dans la harangue qu'il aurait à prononcer (15 jan-
vier 1577). D'Aubigné * nous fait connaître avec précision
quels étaient ces quatre points : « Le premier, que la réunion
de tous les subjects du roi à une religion s'entendoit par
deux moyens et sans guerre, supplians le roi de maintenir
son peuple en paix, voir ses princes unis avec les autres ;
lui représenter les misères des guerres civiles; lui fut répété
qu' « il n'oubliast ces mots sans guerre et de tendre à la
paix en toute sorte. Le deuxième, qu'en parlant des élec-
tions des bénéfices, il en parlast précisément sans rien re-
mettre à la volonté du roi. Le troisième, qu'il touchast au
vif l'administration mauvaise faicte des finances du roi, et
qu'il s'en fist recherche; et, s'il faisoit quelques offres au
nom du tiers estât, qu'elles fussent générales et non parti-
culières. Le dernier, qu'il n'oubliast le faict des étrangers. »
Ainsi le tiers état, qui, une vingtaine de jours auparavant^
s'était prononcé par un vote formel dans le sens d'une re-
prise de la guerre religieuse et avait repoussé les propo-
sitions pacifiques de Jean Bodin, ce même tiers état donnait
maintenant à son orateur le mandat impératif de supplier
le roi de rétablir la paix entre les deux partis. Comment
s'expliquer ce revirement subit? Uniquement parce que^
depuis la déclaration de M. de Nicolaï, les députés du tiers
voyaient clairement que la cour n'avait qu'un dessein :
tirer d'eux le plus d'argent possible ; ils avaient aussi con-
staté que les deux autres ordres n'acceptaient l'éventualité
1. Ilist, Univ., édit. in-4* de 1626, col. 854.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 77
de la guerre qu'avec Tarrière-pensée de n'en pas supporter
les frais. Le 16, à la veille de la séance générale, le comte
de Suze vint, au nom du roi, faire une dernière tentative et
mit le tiers en demeure d'apporter au château, dès le len-
demain, « ses résolutions et avis sur les moyens d'acquitter
les dettes royales et de faire nouveau fonds ». Mais le pré-
sident Hémar répondit avec assurance à l'envoyé qu'il
n'était pas besoin d'argent pour rétablir l'unité religieuse,
attendu qu'on pouvait atteindre ce but sans guerre « par
conciles et par réformations des abus ». Le 17, eut lieu ce
que l'Estoile appelle la seconde séance des Ëtats, en d'au-
tres termes, la seconde séance solennelle des trois ordres.
Cette fois, le duc de Guise était présent. Le héraut royal
commanda d'abord à l'orateur du clergé de prendre la
parole. C'était l'archevêque de Lyon, d'Espinac. « Il parla
plus d'une heure, dit d'Aubigné, avec beaucoup d'élégance
et de doctrine... Sur la fin, il exhorta le roi et un chacun à
se lier avec les bons chrestiens par une saincte union et
association, et tout cela en termes généraux. » Après lui,
le baron de Senesai *, Claude de Beaufremont, orateur de
la noblesse, fit son discours. Dans cette harangue, qui fut
accueillie par l'assemblée avec une faveur marquée, le
baron s'étendit sur la déplorable situation du royaume, rap-
pela au roi le serment qu'il avait prêté, lors de son sacre,
de rétablir la religion catholique, apostolique et romaine,
en s'opposant à l'exercice d'une nouvelle « piété, créance
et religion ». Il s'engagea à ne confier les grandes charges
du royaume qu'aux « hommes choisis à la seule marque de
vertu et de suffisance », et à ne pas imiter les Arabes « qui
cherchent la myrrhe chez leurs voisins, encore que nature
ait prodigieusement rempli leurs contrées de toutes sortes
d'odeurs ». L'orateur de la noblesse tonna contre les étran-
1. Ce«t rorthographe adoptée par d'Aubîgné. L'Estoile écrit « le baron
de Senescé ».
78 PARIS ET LA LIGUE
gers qui apportent souvent « confusion de mœurs, avec
mutation de l'ancienne discipline et bien souvent de TEstat » ;
il conseilla au roi de rétablir les anciennes coutumes et les
vieilles lois. En terminant, il offrit au souverain « contre
toutes personnes », la vie, les biens et jusqu'à la dernière
goutte du sang de sa fidèle noblesse. Versoris, au nom du
tiers état, prit ensuite la parole. Tandis que les orateurs du
clergé et de la noblesse n'avaient parlé à genoux qu'un
moment, et que le roi s'était empressé de leur donner Tordre
de se relever pour continuer leur discours, Versoris resta
à genoux une heure et demie, aussi longtemps que dura sa
harangue. Le langage du député de Paris causa une grande
déception et ne répondit nullement à Tattente du tiers état.
Stylé par le duc de Guise, dont il était le docile instrumenta
l'orateur trahit avec désinvolture le mandat qu'il avait reçu,
« se troublant à tous coups, dit d'Aubigné, pour ce qu'au
lieu de répondre aux poincts desquels il estoit chargé, il
rendit le tiers estât (contre sa volonté) instigateur et sollici-
teur de la guerre » *. Il ne parla pas non plus des élections
ecclésiastiques et judiciaires, au mépris de ses instructions.
Bref, ce fut une véritable trahison. Elle ne profitait guère
au roi que les trois ordres payaient simultanément de rhé-
torique, sans prendre aucun engagement pécuniaire. La fin
de janvier se passa au milieu des négociations. Henri III,
déconcerté, furieux, recevait de toutes mains des plans
1. L*EsTOiLE écrit, de son côté, après avoir constaté le succès des orateurs
de la noblesse et du clergé et l'insuccès de Versoris : « Les deux premiers
dirent bien et au contentement de chacun. Versoris fut long et ennuieus,
et, pour dire en un mot, ne dit rien qui vaille et mescontenta grands et petits,
combien qu'il fust exercé à bien dire, estans un des premiers et mieux
nommés avocas plaidans ordinairement au barreau du Parlement de Paris. »
T. I, p. 166.
Les protestants chansonnèrent :
Il a orél — El qui? — Ce mignon Venons,
Procureur général des badaux de Paris.
Comment a-t-il oré ? D'une si bonne grâce
Qu'il a outrepassé la montagne d'Horace^
En accouchant d'un vcr ayec une souris.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 79
linaiiciers qu'il faisait présenter aux États par son frère et
par les grands dignitaires de la couronne. Le 30, on finit
par tirer du clergé la promesse d'entretenir cinq mille hom-
mes, et de la noblesse rengagement de servir gratuitement
pendant six mois. Quant au tiers, il se vengea de l'humi-
liation infligée h son représentant lors de la séance solen-
nelle, en refusant tout subside. Dans la séance particuliëro
qu*il tint le 28 janvier, le tiers resta sourd aux objur-
gations du président Luillier, qui « exhorta la compagnie à
faire son devoir de subvenir à Sa Majesté. A l'unanimité,
le nouveau système d'impôts présenté par le roi fut rejeté,
ainsi qu'une demande de deux millions pour les frais de
la guerre. Sur l'ordre du roi, transmis par le duc d'Alençon,
le tiers remit en délibération, le 31 janvier, les vœux du
souverain et donna mission au président Luillier d'aller au
château le lendemain 1«' février pour notifier au roi le refus
formel du troisième ordre. Le prévôt des marchands ainsi
que Versons se trouvaient acculés dans une impasse. Ils
avaient poussé leurs collègues à recommander à la cour
une politique belliqueuse, et cependant ils défendaient avec
acharnement — comme c'était d'ailleurs leur devoir — le
trésor des rentes de l'Hôtel de Ville, sérieusement menacé
par les convoitises royales *. Luillier et ses collègues pari-
siens comprenaient fort bien que si le tiers refusait tout
subside, le roi, dans un mouvement de colère ou sous l'im-
pulsion de la nécessité, pourrait bien plonger la main dans
la caisse municipale. Cependant le prévôt des marchands
fut obligé d'exécuter les volontés du tiers et de les exposer
lui-même à Henri HL Comédien habile, le roi écouta sans
1. « Pour ce que ceux de la maison de Ville de Paris (quelquefois les
plus eschaulTcz à la guerre) estoyent les plus froids & l'octroi, on mit un
billet avant jour à la salle du tiers estât, portant ces mots : Messieurs de
Paris qui escbauffez tout le monde à la guerre et les retardez pour les
finances, sachez qu'on arrestera les rentes de votre Maison de Ville, qui sont
3 132000 livres par chacun an. » D'Avbigné, Hist, univ., col. 860.
r
»
80 PARIS ET LA LIGUE
perdre son sang-froid la notification du refus du tiers état,
et, affectant la surprise, se contenta de répéter que le tiers
se réunirait encore une fois pour octroyer les deux millions.
Il y eut donc une nouvelle séance le 2 février. Les députés
de Paris insistèrent avec vivacité auprès de leurs collègues
pour les déterminer à ne pas maintenir leur refus de sub-
sides S mais Bodin opposa les intérêts du royaume aux
intérêts particuliers de la Ville de Paris, et décida l'assem-
blée à sacrifier la capitale. Versoris et ses collègues pari-
siens étaient définitivement vaincus. Le dépit qu'ils ressen-
tirent en comprenant que l'influence de Bodin triomphait,
leur fit prendre la résolution de quitter Blois et de cesser
de paraître aux États '. Nous suivrons à Paris le prévôt
des marchands, car l'histoire des États généraux intéresse
plutôt la France que Paris, et si nous avons insisté autant
sur les États de 1576-1577, c'est à cause du rôle considé-
rable, quoique peu glorieux, qu'y jouèrent les députés
parisiens •.
Les États de Blois avaient eu un dénouement tout con-
1. l\ est à croire qu'en dehors des intérêts généraux de Paris et de la
caisse municipale, le prévôt des marchands et ses collègues de la députation
parisienne avaient en vue leur intérêt personnel, lorsqu'ils plaidaient ainsi
pour le roi. Henri HI avait certainement essayé de les corrompre, soit à
prix d'or, soit en faisant appel & leur vanité. L*ordonnance de janvier 1577
conféra la noblesse héréditaire à tous ceux qui avaient exercé les fonc-
tions de prévôt des marchands ou d'échevin depuis Tavënement de Henri H.
On trouve le texte complet de l'ordonnance dont il s'agit, sur laquelle nous
reviendrons, dans le recueil des Ordonnances royaux sur le faict et jtiris-
diction de la prévosté des marchands et eschevinage de la Ville de Paris.
Édit. de 1644, p. 240.
2. C'est ce que constate le journal de Bodin, sous la date du 2 février.
3. Le roi licencia les députés de la noblesse et du tiers état le i^* mars 1577,
et le 2 ceux du clergé. Les cahiers avaient été présentés le 9 février. Ils
demandaient, comme ceux de 1560-1561, la périodicité des États généraux
et provinciaux, et la restauration des libertés municipales. Aucune conces-
sion n'avait été faite au roi en matière de finances. Lorsque le tiers fit
annoncer au roi le vote qui refusait de consentir un subside de 2 millions
et l'aliénation d'une partie du domaine royal, Henri HI « en fut si marry que
Ton vit quasi les larmes lui couler des yeux, quand on lui fit entendre
cette opiniâtreté. -> Ils ne me veulent secourir du leur, disait-il, ni me per-
mettre que je m'aide du mien, voilà une trop énorme cruauté. » Guillaumr
DE Taix, 22 février 1577, pièce n* 42, p. 376.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 81
traire à celui qu'en alicndaieni les organisateurs de la
Ligue. Après l'attitude belliqueuse des premiers jours, les
États avaient singulièrement atténué leur zèle catholique,
et dès qu'il s'était agi de traduire les paroles en actes, ils
étaient devenus résolument pacifiques, déjouant ainsi la
manœuvre du roi, qui n'affectait d'être favorable à une
reprise de la guerre civile que pour obtenir de l'argent.
Une fois cette conviction acquise que les États généraux
refusaient tout subside, Henri III avait prêté l'oreille aux
ouvertures conciliantes du roi de Navarre et du maréchal
de Damville. D'autre part, les révélations de l'ambassadeur
de France à Madrid sur les véritables visées de la Ligue
inspiraient au souverain de salutaires réflexions. Mais il
n'osait rompre encore avec la terrible association. En
quittant Blois, Nicolas Luillier, prévôt des marchands de
Paris, avait emporté un ordre royal de faire signer l'acte
d'union par les habitants de la capitale K Mathieu de la
Bruyère, lieutenant particulier, fut chargé de l'exécution
de cet ordre, dont les ligueurs comptaient se servir au
profit de leur cause. Quant à Henri III, il ne cherchait
évidemment qu'à tirer de la Ville de Paris ce que la
France, par la voix des États généraux, lui avait refusé.
Sa correspondance avec la Ville ne laisse place à aucun
doute. Dans une lettre datée du 4 mars 1577, il rappelle
d'abord qu'il avait assemblé les États généraux du royaume
pour (( parvenir au repos, union et concorde de tous ses
sujets... mais que les députés, suivant la charge h eux
donnée parleurs provinces... l'ont requis de ne permettre
aultre exercice que la religion catholique, apostolique et
romaine ». Les protestants se sont révoltés de nouveau;
ils ont pris plusieurs villes, tué et pillé les sujets catho-
liques et bravé l'autorité royale. Aussi convient-il de
1. Voy. dbThou, U vu, p. 490.
RODIQUBT. 6
82 PARIS ET LA LIGUE
s'opposer par la force à leurs entreprises. Mais, pour faire
la guerre, il faut des troupes, et, pour avoir des troupes, il
faut de l'argent . Le roi en demande à Paris, sa bonne
ville *. Il se contentera, pour cette fois, d'une somme de
300,000 livres, et, aOn de la réaliser, Henri recommande
aux magistrats municipaux de « prendre pied sur la taxe
des deniers qui se lèvent pour la fortification sur les
maisons de ladite Ville et faulxbourgs, laquelle taxe
sera multipliée jusques à huict fois pour revenir auxdietz
300,000 livres )>. Le prévôt des marchands et ses collègues
commençaient à recueillir le fruit de leur conduite aux
États généraux. Ils avaient poussé le roi aux résolutions
belliqueuses ", et voici que la cour demandait déjà une
provision. Une assemblée eut lieu le 8 mars 1577 au bu-
reau de la Ville pour délibérer sur la demande du roi. Mais
« attendu l'importance de l'affaire », le bureau décida
qu'une assemblée générale serait convoquée pour le 11
1. « Considérant la bonne volonté et asseuré. debvoir que ceulx de nostre
bonne ville de Parie, capitalle de ce royaume, ilz ont toujours rendu à la
conservation de ceste couronne, nous avons admise vous requérir de nous
aider et servir, en ccsle tant bonne et saincte occasion, de la somme de
trois cens mil livres tournois, pour partie des deux millions de livres que
sommes contrainctz lever sur tous les manans et habitans de noz villes et
plats pais. » Reg. H, 1788, fol. 58 r«.
2. A côté des fanatiques, d*ailleurs très nombreux, il y avait à Paris beau-
coup de partisans de la paix religieuse. Au début de 1577, les huguenots,
dans une foule de petites pièces volantes dont TËstoile nous a donné des
échantillons curieux, <« descbirèrent tous ceux qu'ils tenoient pour aulheurs
et conseillers de la guerre, et par conséquent de leur malheur. » Voy. l'Est.,
1. 1, p. 167. — D'autre pari, le parti des Politiques ou modérés faisait afflcher,
le 12 janvier, des placards anonymes qui engageaient le peuple et la cour à
faire la paix avec les huguenots. Dans un de ces écrits qui fut collé sur les
portes de l'Hôtel de Ville, on lit : « Placcaro de Paris. Messieurs, c'est
chose certaine que le pauvre peuple aime mieux un jour de paix que dix
ans de guerre... La paix affermit un Estât, la guerre estrangère Tesbranle,
la civile la ruine du tout. C'est trop fait des fous... Nous avons le navire
pour devise; si la guerre se renouvelle, nous sommes plus près du nau-
frage qu'il ne semble... » Suit un tableau de la misère des Parisiens aux-
quels le roi ose encore demander de l'argent. Puis le placard conclut ainsi :
« Unissons-nous seulement comme bons bourgeois et concitoiens catholi-
ques, assemblons-nous et nous mettons en devoir d'estaindre et estouffer
toute semence de division et de sédition. » Ibid.f p. 177.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 83
dans la gran(Vsaile de THôtel de Ville. Los délégués des
compagnies souveraines cl les bourgeois s'y trouvèrent en
grand nombre. On y arrêta que des remontrances seraient
faites au roi « attendu la pauvreté du peuple et que les
bourgeois ayant rentes et revenus en ladicte ville et aux
champs ne peulvent aucune chose rccepvoir, h Toccasion
des guerres et troubles... » (^eux que rassemblée chargea
de rédiger les remontrances étaient : MM. Le Gresle, éche-
vin, de Bonneuil, Larcher, J. VioUe, Gâtîneau, de Ma-
chault, Aubry, de Saint- Yon, Leconte ot Lepeullre *. Ré-
pondre par une menace de remontrances n'était pas pour
satisfaire la cour, qui ne pouvait se consoler de la détresse
du Trésor ' et faisait argent de tout. Aussi le roi écrit-il de
nouveau, le 19 mars, à la Ville. Il constate avec aigreur
que « cest affaire est pour tirer en longueur »; ajoute que le
duc d'Anjou a un urgent besoin d'argent pour faire le siège
de La Charité, et conclut en insinuant à la Ville qu'au lieu de
faire des remontrances « qui ne sont pas encore dressées »
elle ferait beaucoup mieux de se conformer aux intentions
royales *. Le 22 mars, le roi adresse encore une lettre à la
Ville pour lui annoncer qu'il expédie à Paris le contrôleur
des finances Marcel, avec le conseiller de Saint-Bonnet
pour « dire de nostre part aulcunes particularités ». Il
assure que ses intentions sont « bonnes et sainctes * ».
i. Ainsi les registres placent au 11 mars 1577 celle importanle assemblée
générale. L^Estoile donne la dale du 12. C'est une légère erreur de la part
du chroniqueur. Voy. t. I, p. 185.
2. Ce n'était pas seulement la capitale qui était mise à contribution. Par
lettres patentes du mois d*avril, Henri Itl « avait fait injonction et com-
mandement aux villes de son roiaume de lui fournir la somme de douze
cens mil livres pour faire les frais de la guerre & laquelle avoit esté con-
clud par les Estais. » L*£stoilb, iàid. De nombreux offices furent vendus.
Il faut citer notamment la création de quatorze offices de conseillers du
roi, contrôleurs généraux des greniers à sel. Ëdit de mai 1577 (Font., t. Il»
1038). Des lettres, datées de Blois, 12 février 1577, et confirmant les privi-
lèges du clergé (Isambert, t. XIV, p. 319), récompensèrent l'ordre ecclé-
siastique des subsides accordés au roi.
3. Reo. h, 1788, fol. 67.
4. Ibid,, fol. 70.
84 PARIS ET LA LIGUE
Ces belles paroles ne donnaient pas le change aux admî-
nislrateurs de Paris, qui n'étaient nullement disposés à
ouvrir leur bourse, ou plutôt celle des Parisiens, à un
monarque qui n'assurait xnème pas la sécurité matérielle
aux portes de la capitale. A cette époque, en effet, des
bandes de soldats et d'aventuriers de toute provenance
infestaient les environs de Paris, à la barbe des archers
du prévôt de Paris, insultant les femmes et pillant les
habitations. A cette occasion même, le duc François de
Montmorency, gouverneur de Paris, écrivit, le 23 mars,
au prévôt des marchands et aux échevins une lettre datée
de Chantilly, dans laquelle il autorisait les magistrats
municipaux à faire marcher contre les bandes les archers,
arquebusiers et arbalétriers de la Ville, de concert avec les
archers du prévôt de Paris ; et, en prévision du cas où les
archers seraient impuissants et trop peu nombreux pour
venir à bout des pillards, le gouverneur permettait au
prévôt des marchands de faire sonner le tocsin « et d'as-
sembler telles compaignies qu'il verrait bon estre pour
cest effect ». Des faveurs de cette nature n'avaient rien de
particulièrement séduisant, puisqu'elles aboutissaient à
charger la municipalité du soin de maintenir l'ordre non
seulement à Paris, mais dans la banlieue. Cet incident eut
néanmoins pour résultat de provoquer l'insertion, dans le
texte des remontrances qui était à l'étude, d'énergiques
plaintes contre les pillages des gens de guerre.
La commission chargée de l'élaboration du texte dont il
s'agit avait activement poussé son travail. Il était achevé
dès le 24 mars et l'échevin Le Gresle, sieur de Beaupré^
recevait mission d'aller le porter au roi. Rien n'est plus
vif ni plus amer que le ton de ces remontrances, qui ont
été conservées par les registres de la Ville *. Si l'on fait
i. Reo. h, 1788, fol. 74 à 78.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 85
abstraction du style amphigourique et ampoulé qui se
retrouve dans un grand nombre de documents de cette
époque, on peut, de tous les traits empruntés aux remon-
trances, reconstituer un tableau navrant de Tétat de la
France, en général, et de Paris^ en particulier, au début
de l'année 1577 *.
Ce que les remontrances municipales mettent surtout en
relief, c'est la mauvaise administration des finances, au
i. Les remontrances débutent par remercier le roi d*avoir « ol-bénigne-
naent les cahiers particuliers des manans et habitans de Paris, et depuis
tous les estatz du royaume » en ce qui touche « la réduction de tous les
sujets du roi en une mesme religion catholique, apostolique et romaine ».
Seulement le roi a-t-il pris les bons moyens pour atteindre ce grand but :
Funité religieuse? La Ville ne le pense pas, et elle indique de quelle manière
il faut s'y prendre pour lutter avec succès contre les ennemis de la reli-
gion. « Vous nous pardonnerez, s'il vousplaist, si nous prenons la hardiesse
de vous dire et remonstrer en toute humilité que les moiens que l'on a
tenuz depuis seize ans pour parvenir à ce but par la seuUe force et voye des
armes n'ont esté et ne seront à Fadvenir sufflsans, s'ilz ne sont accompai-
gnez des autres remeddes utiles, voire nécessaires, pour guarir ceste mala-
die, desquelz le premier et principal est de mettre de bons et dignes prélatz
et pasteurs en l'église de Dieu, lesquelz, tant par leur bonne doctrine que
exemplarité de vye, assistez de bons curez qiCiis commettront sous eulx,
puissent ramener en la bergerie les ouailles qui se sont distraictcs et dé-
voyées, è la faulce et persuasion des ministres et faulx prophètes qui,
voyant la bergerie destituée de pasteurs, se sont facillement couliez, et
sans grande résistance, en une maison vuide et vaccue. « Pourquoi donc
et comment une telle corruption s'est-elle propagée dans les rangs du
clergé ? C*est que le roi a pris l'habitude de confier les plus hautes dignités
ecclésiastiques à des hommes mariés et même & des femmes. « S'il vous
plaist, Sire, porter encore les yeux de votre entendement plus loing, vous
trouverez que ceulx qui ont, longtemps jà, escrit les annales de cestny
vostre royaume, ont dilligemment observé et remarqué que les mutations
et translation du sceptre et couronne de France, de lignée en lignée, depuis
que le roy Qovis y a receu le sainct baptesme, sont advenuz lorsque les
roys ont permis que les femmes et gens mariez possédassent les dignitez
et prélaturcs ecclésiastiques, Dieu seul toutes fois en sachant les causes et
occasions. • A cette démoralisation du clergé, provenant du mauvais choix
4]es prélats, il faut joindre l'impiété des gens de guerre, m gens sans Dieu et
sans loy, vivans sans aucune discipline militaire, si insolemment et débor-
dement, tant aux camps et armées que par les chemins, qu'il ne leur reste
<]ue le seul nom de chrétiens ». La Ville reproche à œs soudards de com-
mettre des forfaits tels que n'en commettraient pas « les Sarrazins, Maho-
métans, Scythes et autres, les plus infidelles et barbares nations qui ayent
oncqucs esté t). Et Ton rappelle an souverain « les plainctes fréquentes qui
lui en ont esté faictes journellement, joinct qu'elles lui ont puis naguères
«sté bien amplement discourues et représentées à l'œil parles gens du tiers
«stat du royaulme ».
86 PARIS ET LA LIGUE
point de vue surtout des intérêts parisiens. A cet égard,
le mémoire adressé au roi contient un exposé fort clair ot
qui ravirait un économiste. La fortune des Parisiens, dit-il
en substance, se compose de quatre éléments, diversement
répartis : « le revenu des héritages » ou les revenus fon-
ciers et immobiliers, les rentes constituées sur l'Hôtel de
Ville qui représentent la fortune mobilière, les gages
d'offices et les marchandises ou produits du conmierce.
Or les fermiers, pillés par les gens de guerre, sont hors
d'état d'acquitter le loyer de la terre; « les rentes assi-
gnées sur l'Hôtel de Ville ne se reçoivent, et en est deub
aujourd'huy trois termes d'arréraîges, la faulte principalle
provenant de deffault de paiement du clergé qui, ne trou-
vant aucun compte de s'aquiter, et se jactent et vantent
d'avoir obtenu de vous (le roi) deffences de les contraindre
et main-levée de toutes saisies faictes ou à faire, avec évo-
cation de toutes leurs causes en un aultre parlement ».
Les gages des officiers du roi ne sont plus payés et le
commerce est complètement paralysé par suite de la
guerre civile et du manque absolu de sécurité. Et voilà
dans quelles circonstances le prince demande à la capitale
de nouveaux sacrifices, après tant d'autres * ! La Ville ter-
mine l'énergique exposé de ses griefs et la fidèle peinture
des maux du temps en demandant au roi de ne pas main-
i. Les remontrances récapitulent les emprunts demandés à la Ville de
Paris depuis 1575 : « D'advantage nous vous supplions très humblement
vous représenter les grands empruntz et subsides dont Vostre Majesté a
esté secourue depuis div-huict mois par vosdictz manans et habitans,
tant pour la levée de deux mil liommes de pied, qui furent levés et sol-
doyezà Timproviste en Tannée ioTô, que par la solde de deux mille Suisses
qui fut levée l'année dernière, et encore depuis le gros emprunt pour le
licenciement des retires, qui monte à plus de quatre cens mil livres, le
remboursement duquel nous estant assigné par voz lettres patantes, véri-
fiées en voz courtz, sur voz recettes généralles sur le quartier d'avril et
juillet de ceste présente année; et néantmoins, depuis peu de jours, tous
les deniers de vozdictes receptes généralles ont été saisiz et arrestez et
destinez à un aultre usaige, de sorte qu'il n'y a aucune espérance de pou-
voir estre payé ceste année. »
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 87
tenir la demande de subsides qu'il avait adressée aux
Parisiens : « Par les raisons et considérations susdictes,
nous supplions très humblement Vostre Majesté ne vouUoir
recevoir en mauvaise part si, Testât de noz affaires estant
tel qu'il est, vostre peuple pauvre et nécessiteux pillé et
mangé jusques aux os en leurs héritages des champs,- vos
officiers sans aucuns gaiges, chargés pour la plupart de
grosses rentes qui coururent sur eulx pour Tachapt de
leurs offices, les rentes non payées, les emprunctz de Tannée
passée non paiez ny assignez, nous sommes contrainctz, à
notre très grand regret, vous supplier très humblement,
comme nous faisons, que vostre bon plaisir soit de nous
tenir pour excuser de la levée de trois cens mil livres dont
il vous a pieu nous faire demande par vosdictes lettres,
tant closes que patentes, vous asseurant que nous ne man-
querons jamais de bonne volonté, obéissance et fidélité à
nostre service, en tant que nostre pouvoir et nos facultoz
le pourront porter. »
Ce fut à Téchevin Le Gresle, sieur de Beaupré, qui avait
lu à Henri III le texte des remontrances municipales, que
le roi confia la mission de porter sa réponse à la Ville de
Paris *. Le prince débute par remercier MM. de la Ville
« de la bonne volonté qu'ilz ont » pour le service du roi ;
mais il ajoute immédiatement qu41 lui faut de Targent
pour ses « grandz et importans affaires ». Assurément, il
est regrettable que les rentes sur THôtel de Ville soient
payées d'une manière intermittente, mais il n'y a lieu d'en
accuser que la malice du temps^ qui ne permet pas de faire
parvenir en temps voulu à la caisse municipale les de-
niers des provinces occupées par les rebelles. Le roi es-
père que le clergé sera bientôt en mesure de payer les
arrérages de rentes pour lesquels assignation est donnée
1. La répoDse du roi porte la date du 27 mars 1577. Elle se trouve an
fol. 78 du registre H, i788.
88 PARIS ET LA LIGUE
sur lui ; si main-levée a été donnée des saisies pratiquées
sur les biens de MM. du clergé *, cela tient à ce que Sa-
dicte Majesté a eu égard aux secours qu'elle reçoit si fré-
quentz desdits du clergé. Si les assignations données
sur les recettes générales ont été révoquées et si, par suite
de cette mesure, les titulaires d'offices ne peuvent obtenir
le payement de leurs gages, c'est une conséquence de la
nécessité du temps. Le roi payera ses officiers « le plus
tost que faire se pourra ». Avec la même désinvolture, le
roi avoue que « la guerre ôte beaucoup de liberté et de
seuretté au commerce ». Des sauf-conduits seront donnés
aux négociants qui font le commerce par mer ; les routes
terrestres sont, il est vrai, peu sûres et sillonnées de
soldats maraudeurs. Ordre a été envoyé aux baillis, séné-
chaux et gouverneurs de réprimer ces actes de brigandage
et de maintenir la discipline; mais, pour avoir des soldats
disciplinés, il est indispensable de les solder, et pour les
solder il faut de l'argent. C'est précisément afin de s'en
procurer que le roi demande des subsides à ses bonnes
villes; en versant les 300,000 livres que le roi leur
demande pour une si sainte occasion, les Parisiens don-
neront le bon exemple aux autres sujets.
Telle était, au résumé, la réponse royale, pleine d'une
modération hautaine et d'une ironie froide. Une lettre,
portée aussi par l'échevin Le Gresle, annonçait en même
temps au bureau de la Ville que les forces royales s'assem-
blaient pour attaquer La Charité-sur-Loire. A ces sonuna-
tions du roi, les magistrats municipaux opposent d'abord
un silence significatif; mais Henri III insiste et écrit de
nouveau, le 26 mars 1577 ". Il faut bien obéir; mais on
1. Un peu plus lard, le 14 avril, le roi écrivit à la Ville de Paris pour la
prier d'accorder au clergé du Languedoc et de la Guyenne un délai de
deux ans, applicable aux arrérages de rentes dus par le clergé des deux
provinces. Ibid.y fol. 95.
2. Ibid., fol. 86.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 89
procède avec une lenteur calculée. Les 1", 2, 12, 15, 17 et
18 avril, des convocations sont lancées pour réunir une
assemblée générale, mais, chaque fois, il faut renvoyer à
un autre jour la délibération, parce que « bonne partie des
bourgeois mandés n'y ont toujours assisté ». Nouvelles
instances du roi (22 avril) *; deux jours après, le duc
d'Anjou écrit à son tour, de Pouilly, et prie la Ville bien
affectueusement de s'exécuter. Après deux nouvelles
assemblées tenues, sans résultat, les 26 et 27 avril, on
finit par aboutir dans l'assemblée générale du 2 mai. Sur
les prières du cardinal de Bourbon, il fut résolu, à la plu-
ralité des voix, qu'on accorderait au roi une somme de
100,000 livres tournois, pour une fois; et les quartiniers
furent chargés de dresser le rôle des taxes « le plus juste-
ment et esgallement que faire se pourra ». Pour arracher
aux représentants des contribuables parisiens cette somme
de 100,000 livres, il avait fallu bien des efforts. Le prévôt
des marchands, « que Ton disoit avoir part à la questo »,
suivant les notes de l'Estoile, ne s'était pas plus ménagé
qu'aux États généraux pour plaider la cause du fisc. Mais
de dures vérités avaient été dites par « plusieurs braves
conseillers de la Cour et autres bons bourgeois assistans
qui ne furent d'avis d'accorder aucune somme de deniers
au roy, attendu la calamité du temps et le peu de moien
que le peuple de Paris, apauvri par les guerres et par
les emprunts et imposts précédents, avait d'y pouvoir
fournir » '.
\, La lettre est datée de la Bourdaizière. Ihid.y fol. 98. L*Estoile nous
apprend comment la cour s'arrangea pour ne pas trop soufTrir des retards
volontaires de l'Hôtel de Ville : « Le lundi premier d'avril, le mareschal de
Cossey arriva à Paris, et, le 3<>, y arriva la roine-mère, pour tirer quelque
argent des Parisiens; et, le samedi 7«, en partist, emportant avec elle cent
mil livres, qu'elle prinst à intërest de Baptiste Gondi et autres partizans
italiens. » T. I, p. 185. On remarquera que c'est précisément une même
somme de cent mille livres que le roi réclamera & la Viile de Paris dans sa
lettre du 7 mai.
2. L'Estoile, t. 1, p. 185.
90 PARIS ET LA*LIGL'E
Lo roi répondit qu'il se contenterait des 100,000 li-
vres, mais qu'il les voulait dans un délai de huit jours *.
Il ne pouvait donc ratifier le mode de perception indiqué
par la délibération de l'assemblée générale : la confection
des rôles par les quartiniers lui paraissait de nature à en-
traîner de trop longs délais. Il préfère qu'on prenne pour
base de la répartition le rôle de la taxe pour la fortification.
Ceux qui, de ce chef, n'ont à payer qu'une taxe de qua-
rante sols, seront dispensés de toute cotisation pour les
100,000 livres; ceux qui sont taxés à 6, 8, 10 et 12 livres
pour la fortification, payeront six fois autant pour leur part
dans le nouvel impôt; et ceux qui étaient taxés de six
livres à quarante sols tournois, payeront le quadruple. On
n'exemptera personne « de quelque qualité qu'il soit, fors
les bénéficiers, pour les maisons qu'ilz habitent ». C'est
ce qu'on appelait alors lever un impôt à la rate. Une
assemblée tenue à l'Hôtel de Ville le 18 mai approuva le
procédé recommandé par le roi, et défense fut faite au rece-
veur de la Ville de payer les arrérages des rentes sur
l'Hôtel de Ville h ceux qui n'auraient pas justifié de l'ac-
quittement de leur part dans l'impôt des 100,000 livres.
Mais comme, en tout état de cause, les renies n'étaient pas
payées, cette menace fit peu d'effet. Dans une lettre du
30 mai 1577 ', le roi se plaint avec amertume de la lenteur
apportée dans la perception des taxes : «... Vostrc travail
et noz fréquentes despeches n'ont encore de rien ou que
bien peu servi, car, après nous avoir tenu en espérance
que serions promptement secouru desdictz cent mil livres,
par forme et d'advance, en attendant qu'ilz se leveroient
sur la forme de la fortiffication, il n'a esté fourny que la
somme de cinq mille deux cens écus, encore a ce esté la
plus grande part par noz serviteurs et premiers officiers et
1. Reg. h, 1788, fol. 110. La lettre est datée de Chenonceaux, 7 mai.
2. //>«/.. fol. 120.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 91
VOUS six, n'y ayant qu'un seul des bourgeois do la Ville
qui a seuUement advancé cent escuz. Par cela, congnois-
sons nous bien peu d'affection en beaucoup, qui ne font
pas, il s'en fault, tout si bien qu'ilz dient. » Pour se
venger de ce peuple si récalcitrant, le roi déclare qu'il met
la main sur la portion des recettes générales affectée au
payement des arrérages des rentes de la Ville et aux gages
du Parlement. La Ville se remboursera sur les 100,000 li-
vres qu'elle a votées et qu'elle se hâte si peu de lever.
C'est au bureau de la Ville à modérer ou à augmenter,
dans la proportion qu'il jugera équitable, le taux des coti-
sations réclamées à chaque contribuable.
On imposait ainsi aux officiers municipaux une tâche
bien ingrate. L'inégalité criante avec laquelle se faisait la
répartition des taxes soulevait de vives récriminations que
le bureau de la Ville ne dissimula pas à la Cour. Dans des
remontrances non datées par les registres, mais qui se ra[)-
portent vraisemblablement au début de juillet 1577, le
prévôt des marchands fait connaître au roi « que les quar-
tiniers , dixainiers et cinquanteniers, accompaignez de
plusieurs bourgeois, sont venuz au bureau de la Ville
déclairer publiquement qu'ilz ne pouvoient sans esmotion *
porter lesdicts billetz expédiez en ladicte forme, pour les
grandes innégalitez et disproportions qui estoient au
sextuple faict sur les rooUes de ladicte fortiffication, y
ayant des plus grands officiers du roy ausdictz quartiers
qui n'estoient taxés qu'à seize, vingt ou vingt-quatre livres,
et des rôtisseurs, bouUangers et hostelliers à soixante-
douze ». La grande latitude que le roi avait paru laisser
aux autorités municipales pour fixer le taux des cotisa-
1. Cest-à-dire sans provoquer une émeute. Les billets dont il s'agit sonl
les billets de taxes, dressés à la rate, comme nous Tavons expliqué plus
haut, en portant jusqu'au sextuple, dans certains cas. le taux adopté pour
rimpôt relatif aux for tifl cations.
92 PARIS ET LA LIGUE
lions individuelles comportait sans doute beaucoup d'ex-
<îeptionSi car la Ville, au cours de ses doléances, revendi-
<}ue la liberté « de trouver et eslire la meilleure et la plus
aisée forme à exécuter qu'on pourra ». En terminant sa re-
quête, le prévôt des marchands n'oublie pas ses intérêts
pécuniaires et « supplie Sa Majesté de pourveoir à la seu-
retté du remboursement des députtez de la Ville de Paris
qui ont assisté aux Estats généraulx de Blois, d'aultant
que le roy a cy devant ordonné que lesdictz frais seront
pris sur les despences des fortifications, et qu'à la redition
des comptes l'on en pourroit faire difficulté ».
Les rapports de la Ville avec le clergé, débiteur d'une
partie des rentes de l'Hôtel de Ville, n'étaient pas
moins tendus que les rapports avec le roi. Dès la fin de-
1576, « messieurs du clergé de France, les receveurs
généraux et particuliers du royaume ' » étaient redevables
à la caisse municipale de 1,400,000 livres tournois, et le
receveur municipal déclarait qu'il lui était impossible de
recouvrer cette somme, quelque diligence qu'il ait pu faire.
Il n'avait pu payer que 200,000 livres sur les quartiers de
janvier, février, mars 1576. Le malheureux receveur avoue
qu'il demeure « en grandz restes envers le peuple » et,
pour couvrir sa responsabilité^ réclame une assemblée
générale qui « feroit entendre au peuple ad ce que dores-
navant il eust patience et ne le poursuive ». Dans cette
•circonstance, la Ville avait même demandé au roi l'autori-
sation de payer les quartiers de rentes échus sur des fonds
ayant une autre affectation '. Harcelé par la Ville, le clergé
avait à plusieurs reprises demandé des délais pour verser
4es arrérages de rentes dont il était redevable '; mais,
i. Rbg. h, n88, fol. 38.
2. Les règlements sur le contrôle de la recette municipale portaient que
•chaque quartier devait être acquitté exclusivement sur les fonds affectés à
■ce quartier.
3. Nous avons rappelé plus haut (voy. p. 7 à 9) quelle était l'origine
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 9Jt
dans l'assemblée générale tenue le 5 juillet 1S77, il fut
« conclu, advisé et délibéré que Ton ne peult donner aucun
jour ny terme audict clergé pour le paiement des arré-
rages qu'ilz doibvent à ladicte Ville, à cause desdictes
rentes, ains qu'ilz seront contrainctz aux paiemens d'iceulx
par toutes voyes et manières deues et raisonnables ». Et,
le 9 août, une ordonnance du bureau de la Ville fit défense
à Philippe de Castille, receveur général du clergé de
France, « de paier, ne acquitter aulcunes dettes deues par
ledict clergé, jusques à ce que M. François de Vigny, recep-
veur d'icelle Ville, ayt esté entièrement satisfaict et payé de
ce que le clergé doibt à ladicte Ville, à cause des rentes y
constituées, sur peine de les répéter sur ledict Castille... » *..
de la conlribution du clergé au payement des rentes sur ]*Hôtel de
Ville. Aux termes du contrat dit de Poissy, signé le 21 octobre 1561
entre le roi et les procureurs de Tordre ecclésiastique, le clergé avait pris,
outre les engagements que nous avons indiqués, celui de racheter le prin-
cipal des rentes avant le dernier jour de décembre de Tannée 1577. En
attendant ce remboursement problématique, le roi avait spéculé sur les
1,600,000 livres de la subvention annuelle du clergé. Par édit du
mois d'octobre 1562, il vendit à Guillaume de Marie, prévôt des marchands,
avec faculté de rachat perpétuel, 100,000 livres de rente au denier douze,
à prendre sur la subvention ecclésiastique, qui était elle-même garantie
par les revenus temporels du clergé de France. Au mois de février 1563,
nouvelle Assignation de 200,000 livres de rente sur la même subvention.
Elle fut suivie de plusieurs autres, de telle sorte qu'en 1567 les rentes
assignées sur la subvention du clergé s'élevaient déjà à 494,000 livres. La
première partie du contrat de Poissy n'obligeait le clergé à payer les
1,600,000 livres de don annuel que jusqu'au 31 décembre de cette
même année 1567. Aux termes d'un nouveau contrat, sanctionné par lettre»
patentes du 15 octobre 1567, le roi déchargea le clergé de la subvention
des 1,600,000 livres et des rentes assignées sur cette subvention, à con-
dition que le clergé payerait, en l'acquit du roi, les 630,000 livres de
renies dues par le trésor royal et assignées sur les domaines, aides et
gabelles. Mais, pour amortir le capital de 7 millions et demi qu'il devait
racheter en dix ans, le clergé levait chaque année sur ses biens temporels
1,300,000 livres qui passaient en principe dans les caisses du receveur
municipal. Ce dernier touchait 1 p. 100 sur les sommes versées, à titre d&
commission. Vers la fin de 1577, et à la suite d'émissions nouvelles faites
par le roi, le clergé se trouvait chargé de plus de 1,200,000 livres
de rente, y compris les anciennes qu*il payait toii^ours, malgré le contrat
d'octobre 1567. Nous verrons plus tard qu*en 1579 l'assemblée du clergé
voulut désavouer ses syndics, en ce qui touche les aliénations postérieures
à ce contrat de 1567. Il y aura de nouveaux contrats passés entre le roi et
le clergé en 1580, 1586, 1596 et 1606.
1. Rio. h, 1788, ^ 145 vo.
94 PARIS ET LA LIGUE
Nous avons déjà parlé plus haut * de la dynastie des de
Vigny et du remplacement de François de Vigny père par
François de Vigny fils, le 16 août 1574; nous avons dit
<{ue le receveur municipal avait refusé de cumuler plus
longtemps ses fonctions avec celles de receveur général
du clergé, qu'il avait cependant exercées jusqu'en juin 1575.
Mais ce dédoublement n'avait pas eu pour résultat de
rendre plus facile et plus régulière la rentrée des fonds du
clergé. En butte aux récriminations des rentiers, aux exac-
tions du roi, aux reproches du bureau de la Ville, le rece-
veur cherchait en vain à se soustraire à une responsabilité
écrasante. Le 19 septembre 1576, il se présenta au bureau
de la Ville et déclara aux prévôt et échevins que son père
avait exercé l'office de receveur municipal « environ cin-
quante ans » , sous l'administration de Philippe Macé, et
plus de dix-huit ans en qualité de receveur titulaire. De
Vigny fils rappelait qu'associé à son père en juillet 1564,
puis titulaire lui-même depuis deux ans, il avait rencontré
dès le début d'immenses difficultés dans l'exercice de ses
fonctions ', à tel point qu'il était tombé gravement malade,
et, sur l'avis des médecins, ainsi que sur les instances de
sa famille, il avait pris la résolution « de résigner et
mettre sondict estât de receveur de la Ville de Paris ès-
mains de mosdicts sieurs, des vingt-quatre conseillers,
quartiniers et bourgeois mandez par lesdicts quartiniers,
en faveur de M. Adrien de Petremol, natif de Paris et à
présent conseiller du roy et trésorier de France en la pro-
vince de Champagne, homme qu'il asseuroit très capable
et suffisant pour continuer et fidèlement exercer ledict
1. Voy. p. 6.
2. « Icelluy de Vigny, à présent receveur, estant entré en charge,
aiiroit trouvé sondict offre si plein d'afTaires et de difflcultez, à cause
des guerres, retardement et defTaut des assignations et des rentes de la-
dicte Ville, que, pensant par travail et bonne dilligence advancer les
deniers de sadicte charge, il estott naguère tombé en une extrême et
longue maladie, n Reo. H, 1788, f» 27.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 95
office... » L'offre de la démission de François de Vigny fils
provoqua des incidents orageux à l'Hôtel de Ville. Dans
une assemblée du Grand bureau * tenue le 20 septembre, le
prévôt des marchands dit qu'on avait relevé sur les re-
gistres les formes suivies antérieurement pour les résigna-
tions de l'office de receveur de la Ville et promit qu'elles
seraient religieusement observées. Le chef de la munici-
palité « entendoit faire et continuer de bons registres et
recueillir les vœux d'un chascun pour lever les sinistres
oppinions qui ont quelquefois couru que ès-assemblées de
la Ville on ne faisoit jamais de résolutions, et que chascun
se levoit après le rapport de son oppinion sans rien
arrester ». On donna lecture du passage des registres
concernant la résignation du receveur Macé, et la délibé-
ration fut ouverte. Le procureur du roi et de la Ville fit
l'historique des résignations d'offices municipaux et parti-
culièrement de l'office du receveur. Sa conclusion fut que
« de tout temps et ancienneté messieurs les conseillers de
ladicte Ville résignoient leurs offices en faveur et au pro-
fict des personnes capables qu'ilz vouUoient présenter ».
D'après l'orateur, c'est en 1558 qu'il avait été décidé
<( qu'on ne feroit plus à l'advenir de difficultés de recevoir
les procurations en faveur de père à filz, d'oncle à neveu
et de frère à frère » *. De 1555 jusqu'au moment où il
1. Ce qui parait caractériser les séances du grand bureau de la Ville,
c'est la présence des conseillers de ville. Ces derniers, au contraire, n'assis-
taient pas aux réunions du petit bureau,
2. Nous avons cité des exemples de résignations de parents à parents,
bien antérieures à 1558, par exemple une résignation de Louis de Harlay,
conseiller de ville, en faveur de son fils. Elle remonte au 16 août 1532, mais
l'usage était beaucoup plus ancien, car les premiers registres nous ont
révélé des résignations de frère à frère, par exemple celle qui fut faite le
6 novembre 1501, par Nicolas Potier, greffler de la Ville, en faveur de
Denis Potier. (Voy. notre Hist, 7nunic., p. 296 et 391.) Quant à l'usage des
résignations en faveur de tiers non parents des titulaires, il était déjà en
vigueur en 1536, ainsi que nous l'avons prouvé par de nombreux exemples.
(Bist. munie, p. 392 et suiv.) Seulement le bureau de la Ville maintenait
toujours son droit de contrôle. Ibid,^ p. 465.
96 PARIS ET LÀ LIGUE
parlait, Toffice de greffier de la Ville était resté dans la
famille des Bachelier, de père en fils ^ Les résignations
in favorem s'appliquaient aussi à Toffice de procureur du
roi et de la Ville *, moyennant certaines conditions qui
n'avaient pour objet que le respect apparent du droit de
contrôle appartenant en principe au bureau de la Ville.
En ce qui concernait spécialement l'office de receveur de
la Ville, personne n'ignorait que Philippe Macé, en 1556,
avait été autorisé par une assemblée générale à se dé-
mettre de sa charge, qu'il exerçait depuis cinquante ans,
en faveur de François de Vigny, son auxiliaire et son bras
droit depuis vingt-huit ans '. Le procureur du roi et de
la Ville proposait donc d'admettre Petremol conmie succes-
seur de Vigny fils. Mais, en présence d'une opposition assez
vive, aucune résolution ne fut prise immédiatement et
une assemblée générale fut indiquée « pour Taprës
disnée ». A côté des membres du corps de Ville et des
délégués des cours souveraines, trente notables se rendi-
rent à la convocation. L'assemblée s'ouvrit par une
harangue du prévôt, qui posa la question de savoir si la
réunion était compétente pour recevoir la résignation.
Cette question préalable étant résolue affirmativement *,
1. Nous avons noté cette particularité que Regnault Bachelier, sous
Henri II, avait fait admettre la transmission de son office de greffier à son
fils dans une assemblée générale du 16 août, après l'élection du prévôt des
marchands et de deux échevins. Ibid., p. 466.
2. Ibid., p. 465 et 535 à la note.
3. Ibid., p. 466, et Rkg. H, 1183, fo 178 & 180. En 1499, nous trouvons
Jean Hesselin, exerçant en commun avec son père Denis Uesselin, et avec
survivance, la charge de receveur de la ville. Voy. Leroux de Limgy,
Histoire de VHôtel de Ville de Paris, i^ partie, p. 183.
4. Les motifs donnés à Pappui de cette décision portaient « que Ton ne
de voit appeler MM. des Courts souveraines ny aultres corps, collèges,
chapitres, ne communaultez de ladicte ville, d'aultant que, es assemblées
qui ont esté faictes de tout temps et ancienneté pour pareilles causes et pour
les ellections ou résignations des offices de ladicte Ville, les corps n'y ont
esté appelez; et partant que Ton doibt passer oultre. » Rkg. H, 1788, P> 33.
Les assemblées qui recevaient les résignations d'offices municipaux
n'étaient pas, en effet, des assemblées générales proprement dites, aux-
quelles étaient convoqués les délégués des cours souveraines, des cha-
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 97
on manda de Vigny « pour estrc oy et l'exorler par tous
moyens à demeurer en sondîct office de receveur, et Juy
donner toutes les seurettez, tant de sa personne que de ses
biens, que besoing sera, d'aultant que la principalle cause
de la résignation dudit de Vigny semble procedder des
insolences, menaces, scandalles et outrages qu'on luy faict
ordinairement en sa maison ». Mais de Vigny resta sourd
à ces exhortations et insensible à ces promesses. Invo-
quant son état de santé, il pria l'assemblée avec insistance
d'accepter sa résignation en faveur de Petremol. Ce der-
nier finit par être agréé, sans enthousiasme et à condition
qu'il n'entrerait en fonction qu'au i" janvier 1577. De
Vigny protesta encore contre cette dernière condition et
réussit à faire mettre Petremol « en possession et saisine
de l'office de receveur » à dater du 1*' juillet écoulé. Les
quartiers de rente échus le 1" juillet devaient seulement
èlre payés par le receveur démissionnaire. Mais un sem-
blable arrangement souleva de violentes récriminations.
Les registres constatent qu' « aulcuns citoiens, marchands
bourgeois de cesto ville » ont protesté contre la nomination
de Petremol et fait des molestes et inthimidations au
prévôt des marchands, à tel point que le malheureux ma-
gistrat donna sa démission, rendit les sceaux et somma
messieurs de la Ville de procéder à une nouvelle élection.
Le 9 octobre, M. Mesmin, secrétaire du roi et l'un des éche-
vins, alla communiquer ces incidents au souverain, sur
Tordre verbal du Bureau de la Ville. Henri III n'est pas
4'îmu et se borne à répondre « que sa volonté est que,
nonobstant ladicte ellection , encores pour ung temps le
dict de Vigny continue sa charge, jusques autrement et
pitres et des corporations. Cétait, en général, le bureau de la Ville (prévôt,
échevins et conseillers de Ville] qui recevait les résignations. Pour les
cessions de la charge de procureur du roi et de la Ville, on appelait aussi
les bourgeois notables, deux par quartier (voy. Hist, mun.^ p. 465), et quel-
quefois les quartiniers. {Ibid.^ p. 393.)
ROBIQCET. 7
98 PARIS ET LA LIGUE
plus avant il en ay ordonné ». Il prescrit en même temps
au prévôt des marchands de conserver sa charge et de
« faire le deu de son magistrat * ». Ainsi se termina cette
affaire de la démission de M. de Vigny, qui était beaucoup
plus grave qu'on ne pourrait le croire à première vue,
parce qu'elle avait révélé au public la déplorable situation
des finances municipales et fait craindre aux bons citoyens
rinvasion des spéculateurs et des intrigants dans le manie-
ment des deniers de la Ville ou plutôt de l'argent des
rentes -.
Ce n'était pas seulement le receveur de la Ville qui était
effrayé des conséquences de sa responsabilité pécuniaire.
Le prévôt des marchands et les échevins avaient aussi à
se défendre non seulement contre la dureté des ordres du
roi, contre les récriminations des rentiers, mais aussi
contre l'inquisition méticuleuse de la Chambre des comptes.
Le 26 février 1577, le Bureau de la Ville s'assembla
« pour adviser sur la poursuitte qui se faict en la Chambre
des comptes allencontre de M. de Louans, conseiller du
roy en son privé conseil et maistre des requestes ordi-
naire de son hostel, cy-devant et naguères prévost des
marchands, de Bragelongne, Danfes, Le Jay et de la
Barre ^, aussy ci-devant et naguères eschevins d'icelle
ville, pour raison de la représentation des premiers rooUes
faictz pour la levée de cinquante mil livres tournois
1. Reo. h, 1788, f« 36. Les lettres royales ordonDanl & de Vigny de
rester en charge sont datées du 24 octobre 1576.
2. Petremol avait une assez mauvaise réputation. Il avait acheté TofOce
de receveur municipal au prix de 30,000 livres, somme considérable pour
l'époque, et « chacun pensa incontinent qu'il ne lavoit si chèrement
achetée que pour en tirer quelque grand prou fit, au dommage et préjudice
du pauvre .peuple ». (L'EsTOiLE, t. I, p. 159.) Le chroniqueur ajoute qu'à
propos de la vente faite par de Vigny de son office de receveur, « le prési-
dent Nicolaï et le président Saint-Mesmin, lors prévost des marchans (tous
deux présidens des comptes et de bien près alliés), entrèrent, en pleine
assemblée de Ville, en grande contention et hautes paroles d'argus, sous-
tenant l'un deux le parti de Tun, et l'autre le parti de l'autre. »
3. Jacques Perdrier, sieur de la Barre, secrétaire du roi.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 99
accordez au roy pour les fraiz de son voyage en Pologne * ».
Voici, en termes plus clairs, ce qui donnait lieu au procès.
Pour recouvrer la somme votée par rassemblée générale
du 6 août 1573, des rôles avaient été dressés par les soins
de la municipalité avec indication de la cotisation due
par chaque contribuable; mais, par suite des réclama-
tions des princes, princesses et de tous les officiers du
roi ou des reines qui se prétendaient dispensés de Timpôt,
on s'aperçut que les retranchements opérés sur les rôles
correspondraient à un bon tiers de la somme à lever. Une
nouvelle assemblée du Bureau avait donc eu lieu le
26 novembre 1573, et, aux termes de la délibération qui
fut prise, on refit les rôles, en portant le taux des cotisa-
tions de 20 à 30 livres. Quant aux rôles primitifs, les
magistrats municipaux ne se préoccupèrent pas d'en
assurer la conservation; mais, lorsque la Chambre des
comptes examina les relevés de la perception des cotisa-
tions de 1573, elle enjoignit aux magistrats que nous avons
nommés et qui étaient sortis de charge, de représenter les
rôles primitifs, sous peine de 500 livres d'amende. Cette
première condamnation fut exécutée et le produit, versé
entre les mains du trésorier du roi, servit « au payement
de Pierre Simon, mercier ». Ce n'était pas fini : la Chambre
des comptes revint à la charge et adressa à Tex-prévôt, Le
Charron, et aux anciens échevins ses collègues, une seconde
sommation d'avoir à représenter les rôles dans un délai de
quinze jours, sous peine de subir une nouvelle amende
de 2000 livres parisis qui recevrait la même affectation que
la première amende de 500 livres. Ainsi persécutés,
1. Rbg. h, 1788, f« 55. Nous avons parlé ailleurs de rassemblée générale
du 6 août 1573, dans laquelle les représentants des contribuables parisiens
avaient voté 150,000 livres destinées aux frais de voyage du roi de Pologne,
et nous avons signalé la décision municipale du 4 septembre de la même
année, fixant le mode de répartition de la taxe mise sur les bourgeois,
manans et babitans de la ville. Voy. Hist. mun., p. 647 et la note 2.
100 PARIS ET LA LIGUE
Le Charron et les quatre autres inculpés se bornèrent à
répondre qu'ils ne savaient pas ce qu'étaient devenus les
rôles, « qu'ils pourr oient bien avoir esté brûlez et rompus,
comme ilz le debvoient estre selon la coustume et statuz
de ladicte ville ». Au surplus, les inculpés déclinaient for-
mellement la compétence de la Chambre des comptes et
« soutenoient qu'ilz n'avoient à rendre compte de leurs
actions ès-dictes charges et ce qui en deppend que au roy
ou par devant MM. de la Grande chambre de la Court de
Parlement ». L'assemblée du Bureau décida que Le Charron
et les anciens échevins feraient appel devant le Parlement
de l'arrêt de la Chambre des comptes, et que « ladicte ville
seroit joincte avec lesdictz sieurs anciens prévost des mar-
chans et eschevins appelans, pour avec eulx soustenir
ledict appel ».
Les sommes assez considérables que le roi avait obtenues
des corps municipaux ou tirées de la vente des offices
avaient été, en partie, consacrées à la reprise de la guerre
civile. Des deux corps organisés par la cour, l'un avait
été placé sous les ordres du duc de Mayenne, ayant son
quartier général à Saintes ; l'autre sous les ordres du duc
d'Anjou, qui, dirigé par les ducs de Guise, d'Aumale et
de Ncvers, alla mettre le siège devant La Charité, qu'occu-
paient les huguenots. La place capitula le 2 mai \ et, malgré
les articles de la capitulation, « fut la ville pour la plupart
pillée, dit l'Estoile, et plusieurs des habitans tués, ne
pouvant Monsieur ni les autres seigneurs estans avec lui,
retenir les soldats animés au sang et au butin ». Trouvant
qu'il avait acquis assez de gloire. Monsieur laissa le com-
mandement de l'armée au duc de Nevcrs et alla recevoir
1' Voy. le Discours du siège tenu devant La Charité^ ensefnble de la prise
par Monsieur, frère du roy. Avec le nombre des morts tant d'une part que
d'autre. Paris, J. de Lastre, 1577, in-8o. Pièce. Bibl. Nat., Lb 3*.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 101
les compliments du roi et de la cour, qui se trouvaient
alors à Blois. Il y eut un banquet magnifique, donné par
Henri III, le 15 mai, au Plessis-les-Tours : les costumes
des dames étaient des habits d'homme en soie verte, et,
si Ton en croit la chronique, les tailleurs parisiens y gagnè-
rent plus de soixante mille livres. Puis Catherine donna
un autre banquet à Chenonceau, et cette seconde fête
revint, « à ce qu'on disoit, à plus de cent mil francs, qu'on
leva comme par forme d'emprunt sur les plus aisés servi-
teurs du roy, et mesmes de quelques Italiens qui s'en
sçeurent bien rembourser au double. En ce beau banquet,
les dames les plus belles et honnestes de la cour, estant à
moictié nues et aiant leurs cheveux espars comme
espousées, furent employées à faire le service. » Ainsi
s'égayaient Catherine et ses fils. Pour payer l'armée de
Monsieur qui était descendue en Auvergne, on lui donna
Issoire à piller, bien que les assiégés, qui avaient fait une
héroïque résistance, s'en fussent remis à la miséricorde du
duc d'Anjou K Tandis que Monsieur faisait succéder les
spectacles sanglants aux spectacles voluptueux, le duc de
Mayenne menait la campagne contre le prince de Condé et
les Rochelois et prenait Brouage le 16 août. Enfin, conune
pour achever la déroute de ses alliés, le maréchal de
Damville, le chef des politiques, avait cédé aux séductions
de sa femme qui revenait de Blois avec les plus brillantes
promesses de la cour. Il s'était placé à la tète d'une armée
royale, de concert avec le maréchal de Bellegarde, son
ami et son surveillant secret, et avait mis le siège devant
Montpellier.
C'est dans ces circonstances et au moment où les
i. De Tiiou, vu, p. 502. L'Ëstoile, après avoir cherché à excuser la
cruauté des soldats catholiques en rappelant tous ceux des leurs qu'ils
avaient perdus pendant le siège d'Issoire, ajoute : « Et fut monsieur et les
seingneurs de sa compagnie assés empeschés à sauver l'honneur des
femmes et des flUea. » (T. I, p. 190.)
102 PARIS ET LA LIGUE
affaires du parti catholique semblaient justifier le mot des
protestants, qui appelaient Tannée 1577 ^ « Tannée des
mauvaises nouvelles » ; — c'est dans ces circonstances que
la paix fut signé à Bergerac le 17 septembre. Les protes-
tants gardaient pour huit ans leurs places de sûreté, le roi
payant une partie de la solde de leurs garnisons ; les pro-
testants recevaient un certain nombre de sièges dans les
chambres des parlements ; enfin la plupart des conditions
de la paix de Monsieur étaient confirmées, avec une addi-
tion habile. Henri III, par une clause spéciale, cassait et
annulait toutes les ligues, associations ou confréries, faites
ou à faire, sous quelque prétexte que ce fût. Le coup attei-
gnait non seulement les ligues protestantes avec les catho-
liques, mais encore et surtout la grande Ligue catholique
et les Guises^ ses chefs. Des documents contemporains
on peut conclure que le roi de Navarre, Condé et les
Rochelois accueillirent la paix avec une satisfaction sin-
cère '; tandis le peuple et spécialement le peuple parisien,
travaillé par les agents ligueurs, ne fit preuve d'aucun
enthousiasme. Le 8 octobre 1577, le cardinal de Bourbon,
gouverneur de Paris, en présence de MM. d'Escars et de
La Mothe-Fénelon, députés par Henri III pour faire
vérifier Tédit de pacification par le Parlement, annonce au
prévôt des marchands et aux échevins que le désir du roi
est qu'on fasse « toutes les allégresses publicques, comme
feuz et autres démonstrations et actes extérieurs de joye,
et que, pour cest effect, lesdicts députez yront vers lès
quatre heures du soir au Bureau de ladicte Ville ' ». Les
magistrats municipaux protestèrent de leur obéissance aux
ordres du roi et commandèrent un Te Deum au curé de
1. L'EsTOiLB, t. 1, p. 191. Henri III, par contre, avait baptisé Cheoon-
ceau le château des BonnesSouvelles ,
2. De Thou, t. Vil, p. 530.
3. Rbo. h, 1788, f» 158.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 103
Saint-Jehan en Grève. Il fut aussi « ordonné au capitaine et
maistrc de l'artillerie de la Ville de tenir Tartilleric preste,
lorsque Ton mettroit le feu à celluy que le concierge de la
Ville fut chargé de dresser devant la grande porte de
l'hostel de ladicte ville * ». Après le Te Deum, la munici-
palité offrit une collation à MM. d'Escars et de la Mothe-
Fénelon. L'Est oile parle « du feu d'allégresse, avec force
canonnades », mais il ajoute que « le peuple en fist fort
peu de compte et moins signe de joie. Le frère Maurice
Poucet, prêchant à Saint-Sulpice, disait hautement : « Tédit
et ceux qui l'ont fait et les conseillers d'icclui, tout
n'en vault rien * ».
L'édit de Bergerac, que le roi appelait « mon édit », par
opposition à la paix de Monsieur, clôt la première étape du
nouveau règne et impose une courte trêve à la mêlée des
factions. Les masques vont bientôt tomber, et la scission
c?ntrc les Guises et Henri III deviendra de plus en plus
profonde. Il faudra que le corps de Ville parisien prenne
parti. Aux États généraux de Blois, il a déjà manifesté ses
prédilections ligueuses, sans se départir toutefois d'une
soumission respectueuse aux ordres du monarque. L'Hôtel
de Ville est déjà suspect : l'intervention du monarque et
i. Rbo. h, 1788, Î9 158. Voir Hist, munie, p. 535, sur le cérémonial
observé pour la publication de la paix signée le 11 avril 1564 entre Char-
les IX et la reine Elisabeth d'Angleterre. Le feu allumé sur la place de
Grève était une des parties du programme des réjouissances. Tl ne faut
pas confondre cet usage avec celui d'allumer un feu au même endroit la
veille du jour de la Saint-Jean ; mais on avait l'habitude de tirer les canons
de la Ville et de faire des feux de joie en Grève, et même dans les diffé-
rents quartiers de Paris, chaque fois qu'il survenait un événement heu-
reux pour la famille royale ou pour la France. Voy. p. 432 et la note. Ibid.
2. « Voilà, de mot pour mot, dit l'Estoile, 1. 1, p. 219, le plaisant dialogue
qu'en flst nostre M. Poncet en sa chaire et le peu de contentement que
messieurs de l'Eglise, aussi mal conseillés que le peuple estoit sot, avoient
de ceste paix... » On peut consulter sur le frère Poncet le livre de Ch. La-
BfrTB : De la démocratie chez les prédicatew^s de la Ligue. Paris, 1841, 1 vol.
in-8o, p. 23. C'était un bénédictin de Melun qui devint curé de Saint-Pierre
des Arcis, homme vertueux au rapport de Félibien {Hist. de Paris , t. 11,
p. 1148), bon théologien d'après de Thou, et « vieil fol » d'après Henri III.
11 a joué un certain rôle dans l'histoire de la Ligue, et nous en reparlerons.
404 PARIS ET LA LIGUE
de Catherine dans les élections municipales d*aoùt 1377 le
prouve suffisamment. Le 16 août, l'assemblée générale des
électeurs parisiens s'était réunie à l'Hôtel de Ville pour
nommer deux échevins, en remplacement de ceux qui
avaient fait leur temps. Mais le roi avait ordonné Tenvoi
du scrutin au cardinal de Bourbon, son lieutenant général
à Paris. Conformément à cette injonction, les scrutateurs
portèrent le scrutin, clos et fermé, au cardinal « estant en
son abbaye de Saint-Germain des Prés m, et requirent la
confirmation de l'élection suivant les ordonnances et privi-
lèges de la Ville. « Lequel sieur cardinal, disent les regis-
tres, auroit prins et receu ledict scrutin, et déclairé à icelle
compaignie qu'il avoit commandement exprès du roy de
luy envoyer icelluy, ce qu'il feroit dès aujourd'huy ».
Cependant ce ne fut pas un simple agent du cardinal, mais
le sieur le Conte, quartinier de la ville et l'un des scru-
tateurs, qui porta le scrutin à Poitiers, où se trouvait
Henri lU. Le Conte, après avoir rempli sa mission, rap-
porta une lettre du roi, datée du 20 août, dans laquelle le
souverain nommait lui-mêtne les deux échevins nouveaux.
<c Nous vous dirons que nous avons esté bien aise que vous
ayez faict ladicte ellection et que, suivant nostre inten-
tion, vous en ayez mis le scrutin ès-mains de nostre très
cher et très aimé le cardinal de Bourbon, qui le nous a
envoyé; et, après l'avoir veu, ?îous avons choisi maistre
Jehan Boue et Loys Abelly pour estre et demeurer esche-
vins, au lieu des deux qui sortent de service *. » Une lettn»
de Catherine, datée de la veille 19 août, s'exprimait à peu
près dans les mêmes termes. Méditant sans doute de pro-
chaines revanches, la Ville se soumit en silence aux injonc-
tions royales. Elle manda Jehan Boue et Loys Abelly et
leur fit prêter le serment accoutumé.
1. Rbo. h, 1788, ^ i50.
PARIS ET LE NOUVEAU ROI 105
En résumé, au moment de la signature de la paix de
Bergerac, la Ligue subit un temps d'arrêt dans son déve-
loppement occulte; les Etats de Blois ont été une déception
pour elle et pour le roi, qui lutte misérablement afin de so^
procurer quelques ressources. La Ville de Paris, ligueuse
au fond, entre déjà en guerre contre un monarque dissipa-
teur et fantasque, et Tassiège de remontrances qui ressem-
blent presque à des menaces. Â ce roi qui saisit les rentes
do la Ville et plonge la main chaque jour dans la caisse
municipale pour alimenter le luxe de favoris indignes, peu
s*en faut que les magistrats municipaux ne répondent^
comme Tauteur de la France-Turquie * : « Nous refusons^
de fournir aucuns deniers de tailles et subsides, pour estre
portez au lieu où ils puissent servir de cousteau aux
ministres de S. M pour nous coupper la gorge. »
1. Libelle huguenot qui parut en 1575 à Paris et fut réimprimé & Orléans
en 1516, in-8«. On y demandait Temprisonnement de Catherine de Médlcis
dans un couvent, par ce motif qu'elle voulait soumettre la France au
régime politique de la Turquie, où la faveur du prince dispose de la vie,
de la situation et des biens de tous les sujets, de telle sorte que personne
n*est grand ou noble par soi-même.
CHAPITRE II
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE
(Depuis la paix de Bergerac jusqu'à la CoaTeotion de Nemours,
17 septembre 1577 — 7 juillet 1585).
La paix signée, Henri III quitta Poitiers et reprit lente-
ment le chemin de la capitale, s'attardant parmi les fleurs
de Touraine, sur les bords de la Loire au sable d*or, « aveq
la trouppe de ses jeunes mignons, fraisés et frizés avec les
orestes levées, les ratapenades *■ en leurs testes, un main-
tient fardé, avec l'ostentation de mesmes, pignés, diaprés
et pulvérizés de pouldres violettes et senteurs odorifé-
rantes... » La cour s'installe tout entière à Paris le dernier
jour d'octobre 1577 et donne aussitôt le spectacle de tous
les scandales. C'est un bizarre mélange, une succession
brusque de galanteries, de meurtres et de débauches.
Quand le roi va au bal avec les princes et princesses chez
quelque bourgeois qui n'a pas demandé cet honneur, ils
s'y conduisent comme des truands dans un mauvais lieu *.
1. Ce mot dans la langue de l'Ebtoilb doit être équivalent k perruques^
en forme de chauve-souris, car ratepenade veut dire chauve-souris en
provençal. Voy. Ducahgb, v* Ratapennador, et Rabblaxs (HI, 155). Le mot
ratepennage, dans le sens de pemique, est plus usité. Voy. La Cdbab de
Sainte-Palayb. Édit. L. Favre. V*» Ratepennage.
2. Voy. le compte rendu donné par l'Estoo^b de la soirée de noces de
la fllle de Claude Marcel, ancien orfèvre du Pont-au-Change^ avec le sei-
gneur de Vicourt. Le roi y vint avec les trois reines et trente dames de
la cour, masquées, vêtues de drap et toile d*argent, couvertes de pierre-
ries, u Les plus sages dames et demoiselles durent sortir et firent sage-
ment Si les tapisseries et les murailles eussent pu parler, elles eussent
dit beaucoup de belles choses. « I, 224.
LA RÉSURRECTION DE LÀ LIGUE 107
Les mascarades de la cour ne sont pas moins indécentes,
■et Tallégorie des foulons peut être citée à titre d'exemple '.
A travers tout cela, des manifestations extérieures de
dévotion théâtrale, des fondations de couvents, notam-
ment ceux de Picpus et des Hiérosolymites ; des proces-
sions de pénitents. Le roi, suivant d'Aubigné, « entroit
lui-même dans le sac deux ou trois fois la sepmaine, puis
avec les courtisans et les principaux des grosses villes
qu'il rangeoit à sa dévotion partisanne, emplissoyent lés
rues de Paris *. » Toutes ces momeries pouvaient donner le
<!hange à quelques moines crédules ou gagnés. Dom Ber-
nard, de Tordre des Feuillants, en était touché jusqu'à Tâme
et trouvait que le Christ revivait dans la personne du roi,
tellement Henri était « attaché au crucifix ». Quant au
jésuite Auger, confesseur du roi depuis 1575 et qui avait
eu pour précepteur Loyola lui-même, il écrivait, en parlant
du monarque, « qu'il avoit bien tasté le pouls de ce prince,
profondé, jaugé et manié sa conscience : et pçirtant, asseu-
roit publiquement et en particulier que la France n' avoit
-eu de longtemps prince tant religieux ». Mais le robuste
bon sens du peuple refusait de se laisser prendre aux
hypocrisies royales, et les partisans des Guises dévoilaient
publiquement les galanteries scandaleuses que le mo-
narque dissimulait sous son froc '. Destiné à subir l'ascen-
dant de son entourage, Henri, par une sorte d'ombrageuse
défiance, avait éloigné de lui les Guises et les grands sei-
gneurs du royaume pour s'entourer de favoris obscurs
qui lui devaient tout. Les Villequier, les d'O * étaient les
1. L'EsTOiLK, 1. 1, 223.
2. HUt, univ,, édit. de 1626, coL 968.
3. Voy. notamment dans d*Aubigné de quelle manière Henri III quittait
les processions pour courir aux rendez-vous galants qu'il donnait aux
femmes des pénitents. Col. 970.
4. Voy. sur la moralité de M. d'O et celle du roi Taventure rapportée
dans la Confession de Sancy, chap. vu. — Journal des choses mémorables
advenues durant le règne de Henri III^ t. Il, p. 167. Personne n'a plus
108 PARIS ET Lk LIGUE
plus impopulaires, à cause de leur insolence et de leurs
exactions. Ce Villequier avait tué sa femme au château de
Poitiers, où habitait le roi en septembre 1577, et, à ce que
rapporte le journal de TEstoile, « Tyssue et la facilité de la
grâce qu'en obtinst Villequier, sans aucune difficulté,
firent croire qu'il y avoît en ce fait un secret commande-
ment ou tacit consentement du roy, qui hayoit ceste
dame.... » parce qu'elle avait exprimé tout haut son mé-
pris pour le monarque. Villequier était Tinitiateur des
mignons, le gardien en chef de la troupe fardée des jeunes
honuues. Henri III n'eut pas de conseiller plus cynique, la
Ville de Paris d'adversaire plus violent. En face du roi et
de ses favoris se dressaient d'autres coteries aristocra-
tiques : Monsieur et ^s spadassins, les Guises et leurs
fidèles. Et, dans l'atmosphère capiteuse de la cour du
dernier Valois, les épées brillent et se croisent, le sang
coule, le poison se distille, sans que l'orgie s'arrête un
jour. L'énerycment laisse comme un trouble dans toutes
les intelligences. Chacun se croit menacé, non sans cause;
le monarque, pas plus que ses sujets, n est à l'abri de ces
craintes : à la fin de novembre 1577, on renforce la garde
ordinaire de Suisses qui se tenait à la porte du Louvre,
et l'on mande en hâte une compagnie du régiment fran-
çais de Beauvais-Nangis, parce que le prévôt de Paris,.
Antoine du Prat, avait dénoncé au roi une prétendue cons-
piration du baron de Viteaux et de quelques familiers du
duc d'Anjou. Le fameux Bussy d'Amboise et Fervacques.
énergiquement que d'Aubigné raconté et flétri les mœurs honteuses de
Henri IIÏ et de ses favoris; on peut même croire qu'il en a un peu exagéré^
rinfamie. Cependant, le grave historien de Thou s'exprime sur le compte
de René de Villequier et de François d'O, gendre de ce dernier et surin-
tendant des finances, dans les ternies les plus indignés : « Ennemi dé-
claré des honnêtes gens, débauché à l'excès, fier jusqu'à être devenu ina-
bordable et médisant de profession, il n'avait de talent que pour mener
des intrigues de coiir, inventer des calomnies atroces contre les plui^
gens de bien ou pour imaginer de nouveaux impôts, après avoir épuisé
les anciens en les augmentant sans mesure. • De Thou, t. VII, p. 728.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 109
durent quitter pour quelque temps Paris et la cour, afin
de se soustraire aux explosions possibles de la colère
royale. Nulle sécurité pour personne, pas même pour les
étrangers. Le 30 novembre 1577, à neuf heures du soir,
Troïlus Ursin, grand seigneur romain, est tué par une
main mystérieuse. Il n'y eut aucune poursuite, car une
vengeance privée se cachait sous ce meurtre, et la victime
fut enterrée à Notre-Dame, dans la chapelle des Ursins.
C'est le temps des assauts sanglants entre les mignons du
roi et ceux du duc d'Anjou ou du duc de Guise. Il suffit de
citer la bataille avortée de Bussy et de M. de Grammont
(10 janvier 1578) *; et le fameux duel de Caylus, Maugiron
et Livarot, mignons du roi, contre d'Entragues, surnommé
Antraguet, Riberac et Schomberg, favoris du duc de Guise
(27 avril 1578). Caylus, Maugiron, Riberac et Schomberg
en moururent, le premier après avoir langui trente-trois
jours. Le roi passa des journées entières à son chevet et,
quand il fut mort, garda ses blonds cheveux. De superbes
mausolées furent élevés à Caylus et Maugiron dans l'église
Saint-Paul, « sérail des mignons », et Amadis Jamin con-
sacra par ordre vingt-quatre sonnets à la mémoire des
favoris du roi; le troisième était Saint -Mesgrin, tué, le
21 juillet 1578, au coin de la rue Saint-Honoré par les
gens du duc de Guise, dont il avait séduit la femme. On
rapporte que le duc de Mayenne conduisait lui-même la
troupe des assassins.
1. Voy. L^ÈâTOiLR, t. I, p.. 230. II y avait trois cents gentilshommes de
chaque côté. l\ falhit deux maréchaux de France, Montmorency et Ck)S8é,
et le régiment des gardes pour arrêter les hostilités; les deux rivaux
furent emprisonnés au Louvre, et on les força de se réconcilier. Le 1*' fé-
vrier 1518, Caylus, Saint-Luc, d'O, Darquea et Saint-Mesgrin assaillirent
Bussy près de la porte Saint-Honoré. Le 2 avril, Souvray pour les Guises
et la Valette pour le roi faillirent recommencer une bataille rangée. Le 14,
nouvel attentat contre Salcède. Il échappe, mais ses deux compagnons,
MM. de Vey et de Pauville, sont tués tous deux, ainsi que deux des agres-
seurs, gentilshommes bretons au service du duc de Mercœur. « Tout
estoil permis en ce temps, conclut TEsloile, fors bien dire et bien faire. »
no PARIS ET LA LIGUE
Ainsi se traduisaient les haines des grands; les escar-
mouches d'avant-garde préparaient les grands chocs. Paris
devenait le rendez-vous de tous les aventuriers du monde, et
chaque prince s'entourait d'une véritable armée d'hommes
de main, prêts à l'offensive ou à la défensive *. En
février 4578, le duc d'Anjou, que les attentats dirigés
contre Bussy exaspéraient, avait pris la résolution de
quitter Paris, mais le roi, informé de ses desseins, le
retint prisonnier au Louvre, tandis que ses principaux
officiers étaient consignés à la Bastille. Il y eut toutefois
une réconciliation factice entre les deux frères, et Com-
baud, maître d'hôtel du roi, donna un festin magnifique
aux favoris de Henri III et de Monsieur, le 13 février. Mais,
le lendemain, le duc d'Anjou franchit les murailles de
l'abbaye de Sainte-Geneviève, où il était allé faire collation,
et s'enfuit à Angers, emmenant tout son état-major de
gentilshommes : Bussy, La Chastre, Chamvallon, La Roche-
pot et une foule d'autres. Il fallut que la pauvre Catherine
se dévouât encore pour aller amadouer le fugitif et pré-
venir le scandale d'une nouvelle guerre fratricide. Mais le
chroniqueur rapporte que le peuple de Paris et la cour
furent « merveilleusement esbahis et scandalisez de ceste
larronnesse départie ». Les favoris du duc d'Anjou partis,
les favoris des Guises prirent la place laissée libre, et les
duels avaient recommencé de plus belle avec les courti-
sans du roi. C'est le 27 avril qu'avait eu lieu le grand
combat des mignons, resté légendaire. Pour se soustraire
à la colère et aux outrages du roi, tous les Guises, les
ducs de Lorraine, de Guise, de Mayenne, d'Aumale,
1. « Plusieurs des plus expers au hasard des armes furent envoyés à
Paris pour se loger ës-tavernes et au plus près du logis dudit seigneur
(le duc d^Ânjou), ainsi qu'on les peut accommoder, pour, si d*aventure il
esloit besoin de faire service audit seigneur pour ayder & le saulver ou à
le tirer de la ville de Paris, qu'ils s'y emploiassent contre la personne du
roy mesme, s'il y eschéoit. » Mém. de Claude Hator, édit. Bourquelot,
t. II, p. 917.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE Hi
marquis d'Elbœuf et le nouveau cardinal de Guise quit«
tèrcnt Paris le 10 mai. Une effroyable anarchie règne dans
les provinces, et les troupes que lève le duc d'Anjou pour
sa guerre des Pays-Bas * se conduisent comme autrefois
les grandes compagnies. « Soulz le nom et prétexte d'aller
en Flandre, tous bannis, vacabons, volleurs, meurtriers,
renieurs de Dieu et de vieilles debtes, remenans de guerre,
reste de gibet, massacreurs, véroUez, gens mourans de
faim se meirent aux champs, pour aller piller, battre et
ruyner les hommes des villes et villages qui tombaient
en leurs mains es lieux où ils logeoient et par les chemins,
sans crainte aulcune '. » Ces bandes vinrent jusqu'aux
portes de Paris, et le roi dut envoyer contre elles plusieurs
compagnies de ses gardes et autorisa les habitants à leur
courir sus.
La capitale elle-même resta à moitié préservée de tous
ces bandits, dont Claude Haton évalue le nombre à cin-
quante mille; mais douze mille seulement d'entre eux
franchirent la frontière, les États généraux des Pays-Bas
n'ayant réclamé, par le traité d'Anvers (13 août), qu'un
secours de dix mille hommes de pied et deux mille che-
vaux. Paris dut sa sécurité relative à la présence du roi
et aux garnisons qu'on avait placées dans la banlieue. On
prit néanmoins, dans l'intérieur de la Ville, quelques me-
sures de police. Un mandement municipal du 15 avril 1578'
prescrivait aux quartiniers de faire recherche des vaga-
i. Depuis la paix de Bergerac, le duc d'Anjou avait constamment cherché
& se constituer un royaume aux Pays-Bas, tout en aspirant & la main de
la reine Elisabeth d'Angleterre. Une fois libre et installé à Angers, il
avait levé des troupes et traité avec les États généraux des provinces ca-
tholiques des Pays-Bas. Il passa la frontière vers le tO juillet, et, le 15 août
1578, les Etats généraux le déclarèrent défenseur de la liberté des Pays-
Bas.
2. Claude Haton, t. II, p. 937. a Les chemins de Lyon à Paris, de Paris
à Rouen, à Orléans et d'aultre costé, en Picardie estoient remplis de
telles gens et souvent faisoient de grands volz aux portes de Paris. »
3. Rbg. h, 1788, f^ 178.
112* PARIS ET LA LIGUE
bonds. Un autre, du 3 mai \ enjoignit aux liôtçliers et aux
logeurs d'envoyer chaque jour k THôtel de Ville la décla-
ration des noms et qualités de leurs locataires. Un troisième,
<lu 10 octobre *, recommande aux quartiniers de faire
fermer soigneusement les portes de la Ville par les cin-
quanteniers et dizainiers, et de garder les clefs.
Ce qui prouve que Paris jouissait d'un calme relatif,
c'est que la municipalité s'occupait régulièrement des
travaux publics et traçait au roi une sorte de programnif»
des plus urgents. Dans des remontrances en date du
13 décembre .1577, le Bureau de la Ville rappelait à
Henri III qu'il y a de fortes réparations à faire « tant aux
portes, fontaines, pavez, quaiz de la Ville de Paris que aux
pontz, moulins, pcrthuis, avallaiges ' de basteaulxet chaus-
sées de Chasteau-Thierry, Corbeil, Pont Saincte-Maixance,
Creil, Précy..,. » Le Bureau ajoute qu'il a fait expertiser
la dépense et qu'elle s'élève à la somme de 70,000 livres.
On prie le roi « de donner moyen d'entretenir et réparer
lesdictz lieux * ». En même temps, la Ville appelle'l'atten-
1. Rbo. ti, 1788, f« 182.
2. /6id., f»205. ' ' * .•
3. Avalaige signifie penle douce, chemin pour descendre. Il s^agit ici
des chemins ménagés sur le bord de la ^eine pour ch&rger et décharger
les bateaux. La conduite des bateaux, depuis Mantes jusqu'À Auxerre, était
le privilège exclusif de la Marchandise de-Veau'h. laquelle la municipalité
avait succédé. Les agents de ce monopole s'appelaient les avaleurs de nés,
c*est-è-dire mariniers chargés de faire descendre. les bateaux. Il est déjà
question des avaleurs de nés dans le Recueil des sentences du parloir aux
bourgeois, Voy. Sentences du 6 janvier 1303 et du 5 décembre 1313, rela-
tives aux maîtres avaleurs de Tarche de Paris. De la grande ordonnance de
1415 il résulte qu'il y avait à Paris, au début du xv* siècle, deux avaleun
de nés qui avaient pris le nom de « maistres des pons de la Ville ». Dés
1415, on trouve des maîtres des ponts à Poissy, Mantes, Vernon, Pont-de-
TArche, Pontoise, TIle-Adam, Beaumont-sur-Oise, Creil, Sainte-Maxence,
Corbeil et Compiègne. Sur plusieurs points, à Melun, À Montereau-sur-
Yonne, etc., il y avait aussi des chableurs, préposés au chablage, c'est-à-
dire à la manœuvre des coches d*eau, à leur passage sous les ponts.
Chahle équivaut à cdble, en vieux français. Quelquefois, on donne le nom
de chables à certains ports ou havres. (Voir Ord.^ t. III, p. 573.) On disait :
le chable de Harfleu (port de Harfleur).
4. Rec. h, 1788, f* 159.
1
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 113
tion du pruicc sur l'état du pont Notre-Dame *. « Les
arches du pont Notre-Dame, les cintres et voultes d'icelluy
se trouvent endommagées, pliées et destournées, du faix
et pesanteur de vostre artillerye et passaige trop fréquent
des charrois; et, par la grandeur et aomement de la
Ville, capitalle de vostre royaume et commodité de voz
subjectz, il est nécessaire de Tenrichir d'un ou deux ponts,
et cependant y faire dresser plusieurs bacqz sur la rivière,
aux lieux qui seront trouvez commodes poiu: la naviga-
tion ». En réponse à cette requête, le roi écrivit au Bureau
de la Ville, le 27 décembre, d'établir quatre grands bacs,
deux en amont et deux en aval, pour faire passer les char-
rettes qui fatiguaient le pont Notre-Dame. Les instructions
royales prescrivaient, en outre, de « faire les chaussées de
chascun costé et accommoder les chemins, principalement
depuis la carrière Notre-Dame des Champs jusques aux lieux
où seront les dictz bacqz, et le semblable pour la carrière
de Vaugirard, affin que les chartiers soient accommodez
et n'ayent aucune occasion de prendre leur chemin par le
dict pont Notre-Dame ». Quant à la dépense, le roi auto-
risait la Ville « à s'aider de tous deniers d'octroy, y usant
du meilleur mesnage dont vous pourrez adviser ■ ».
Le Bureau de la 'Ville n'avait pas d'ailleurs attendu ces
ordres du roi pour prèpdro des dispositions en vue du paye-
ment des ouvriers dont le concours allait être nécessaire
pour exécuter les travaux de voirie. Sur la requête du pro-
cureur du roi et de la Ville, il avait été, le 13 décembre 1577,
« ordonné et enjoinct aux maistres des œuvres de la Ville,
M. Guillaume Guillain présent, de arrester et faire apporter
par chacun mois au Bureau d'icelle toutes et chacune les
parties des ouvriers et gens de mestier qui travailleront
1. Sur le pont Notre-Dame, voy. la Cité par M. Jules Cousin, dans la Col-
lection publiée par la maison Didot sous le titre de Paris à travers tes â(;es.
Voy. aussi Hist. munie, p. 2S7 et la note.
2. Reo. h., 1788, f« 163.
KOBIQUET. 8
114 PARIS ET LA LIGUE
pour la Ville, affin de les vuîder el faire promptement
payer * ». Pour suffire à ces dépenses, il fallait de l'argent;
mais aucun des débiteurs de la Ville ne s'exécutait. La mu-
nicipalité s'adresse à toutes les autorités compétentes et
réclame leur intervention bienveillante. Au roi elle demande
d'ordonner à MM. du Conseil, aux intendants des finances,
aux syndics et députés généraux du clergé <( que, toutes
affaires cessans, ilz vacquent respectivement aux rempla-
cement et non valleurs des rentes de la Ville, et cependant
que les deffences que S. M. a faictes ausdictz supplians
de ne saisir le temporel du clergé ou poursuivre le receveur
général d'icelluy soient révocquées et levées * ». A la
Chambre des comptes, le prévôt des marchands, Nicolas
Luillier, remonstre qu'une partie des rentes de la Ville est
constituée sur les deniers tant ordinaires qu'extraordinaires
des recettes générales, et qu'au su de tout le monde les
quartiers dont il s'agit ne sont pas acquittés par les recettes
générales. En conséquence, sachant que la Chambre des
comptes se préparait à clore plusieurs comptes des recettes
qui constataient le payement par anticipation de créances
autres que les rentes de la ville, la municipalité prie la
Chambre des comptes de n'apurer aucuns des états déposés
sur son bureau et de n'allouer aucun don sur les deniers
des recettes générales, avant qu'il ait été justifié du verse-
ment des sommes dues à la Ville '.
1. Rbo. h, 1788, ^ 161.
2. !bid., f^ 159. Par la même occasion, la Ville prie le roi de rembourser
aux capitaines des trois compagnies d'archers « les fraiz faictz et desbour-
ser en achaptz de boys, chandelles et autres nécessitez • en gardant nuit
et Jour le chÂteau du Louvre et TArsenal. Rappelons à ce propos que c^est
Charles IX qui, en février 1566, avait reconstitué les trois compagnies
d^archers de la Ville, autrefois divisées en archers, arbalétriers et hacque-
batiers (porteurs de mousquets). Charles IX changea le mode de nomi-
nation des capitaines, lieutenants et enseignes, supprima les arcs et ar-
balètes et donna des arquebuses aux trois compagnies. Voy. RecueU des
fartes f etc., arbaUttriers, archers, arquebusiers, etc, de la ville de Paris.,.
r M. Hay, 1770, in-fol.
3. Ibid., fo 161*
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 115
A côté des travaux de voirie et des affaires de finances,
la Ville et le roi s'occupaient encore d'autres soins. Le règle-
ment du 28 janvier 1578 fournit quelques détails précieux
sur les mesures d'ordre public auxquelles donnaient lieu
les fêtes foraines de Paris. Les deux principales étaient la
foire Saint-Germain et la foire Saint-Laurent. Leur origine
semble fort ancienne, puisque la première est mentionnée
par un document de 1176 et la seconde par un document
de 1344. Quant à la foire Saint-Germain des Prés, que con-
cerne exclusivement le règlement de 1578, elle avait subi
une éclipse dans la première moitié du xv^ siècle; mais
Louis XI, en 1482, l'avait ressuscitée, en permettant aux
religieux de Saint-Germain de tenir une nouvelle foire sur
l'emplacement des jardins du roi de Navarre, donnés en
1399 à l'abbaye par Jean, duc de Berry. L'usage devait se
maintenir jusqu'en 1789 S Henri III, à la date du 28 janvier
1578, envoya à la Ville un règlement que les registres repro-
duisent sous ce titre : Mémoire de ce que le roy veult estre
faict et observé durant la foire de St-Germain des Prez.
Il est prescrit à la municipalité d'établir quatre personnes
aux faubourgs de la Ville, principalement dans ceux qui
sont voisins de la foire. A ces quatre personnes, les cinquan-
teniers et dizainiers feront rapport « par cliascun jour » des
personnes de quelque qualité qui sont arrivées auxdits
faubourgs pour y loger, « afin que les dictz quatre députtez
en advertissent par chascun jour lesdicts presvost des mar-
chans et eschevins ». Les Iiôteliers seront assujettis à une
surveillance spéciale. Sans préjudice du clievalier du guet
« qui fait marcher ses gens » depuis onze heures du matin
1. II y a lieu de présumer que la foire Saint-Germain se tenait sur rempla-
cement actuel du marché Saint-Germain. On peut consulter sur la foire
Saint-Germain, l'ouvrage de M. Campardon : Les spectacles de to /bire, B^s,
Berger-Levrault, 1877, 2 vol. in-S»; V Essai sur la foire Saint-GermaHÎ^i^T
Léon Roullaud, 1862. La foire commençait, en général, le 3 février.
116 PARIS ET LA LIGUE
jusqu'au soir *, et des cent suisses de la garde du roi qui
« seront députez aux quatre portes de la dicte Halle où se
tient la foire », sans parler des commissaires • et des ser-
gents du prévôt de Paris, deux intendants de police de
chaque quartier auront à faire rapport chaque jour des
personnes logées dans les hôtelleries, en s'aidant du con-
cours des commissaires, cinquanteniers et dizainiers. Le
règlement leur recommande de tenir la main « à ce qu'il
ne loge aucune personne en ladictc ville et faulbourgs que
Sa Majesté n'en soit advertye ». Enfin les quartiniers
furent informés le 1" février des volontés du roi et mis en
demeure d'exercer une surveillance sur les locations des
chambres garnies et hôtelleries pour en faire rapport au
souverain.
Cette année 1578 est assez vide, au point de vue de l'his-
toire parisienne. On suit de loin les péripéties de la guerre
1. L'institution du chevalier du guet remonte à saint Louis. Il dépendait
du Châtelet de Paris et avait sous ses ordres des archers à pied et à
cheval. Ce n'était pas un emploi méprisé. En 1464, Jehan de Harlay, che-
valier du guet, fut nommé échevin. Tons les chevaliers du guet portaient
de droit Tordre de FEstoile, institué par le roi Jehan en 1351.
2. Les commissaires du Châtelet étaient chargés de l'exécution du règle-
ments de police pour la sûreté de la Ville. Un arrêt du Parlement, du
12 décembre 1551, fixait les circonscriptions pour la résidence des com-
missaires. Il existe plusieurs règlements sur les commissaires au Châ-
telet. On peut citer ceux du 12 décembre 1551 (Coll. Lamoionon, t. VII,
p. 365) et du 21 novembre 1577 (tit. A, XX, 4, 7; Coll. La]ioig!<ion, t. IX,
p. 79). On peut lire aussi le « règlement sur le fait de la police, contenant
le devoir des commissaires du Chastelet de Paris, des sergens à verge,
des quarteniers, dizainiers et cinquanteniers », en date du 22 décembre
1541. Voy. FoîiTANON, t. I, liv. v, p. 887; Dksmazb : Le Châtelet de Paris,
p. 157. Il y avait alors deux commissaires dans chacun des seize quar-
tiers de Paris. Le règlement les désigne déjà sous le nom de commissaires
de police. (Voy. l'art. 4.)
Quant aux sergents du Châtelet, leurs fonctions sont réglementées par
l'ordonnance de 1499, art. 54 à 57. (Voy. FoirrANON, t. I, fol. 224.) Mais il
y eut ensuite bien d'autres règlements. Le dernier, par rapport à la pé-
riode que nous étudions, parait être celui du 20 juillet 1546. (Ck>!l. Lamoi-
GNOff, t. VI, p. 490.) Les sergents du Châtelet se divisaient en deux caté-
gories : les sergents à cheval et les sergents à pied. Leur nombre varia
beaucoup suivant les époques. L'ordonnance d*août 1287 {Olim^ t. II,
p. 202) fixait à Torigine â 70 le nombre des sergents à pied, et à 35 celui
des sergents â cheval.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 117
des Pays-Bas, drame à cent actes divers où les ambitions
rivales du duc d'Anjou, de don Juan d'Autriche, de la reine
d'Angleterre, du prince d'Orange, de Jean-Casimir s'entre-
choquent et se combattent. On rit de la chevauchée de la
reine de Navarre, que Catherine et le cardinal de Bourbon
reconduisent vers son mari à travers la Gascogne (août).
On pleure sur le sort des deux pauvres gôns de Chelles,
exécutés le 20 août au parvis Notre-Dame, c'est-à-dire pen-
dus, puis brûlés « pour plusieurs énormes et exécrables
blasphèmes par eux dits et prononcés contre l'honneur de
Dieu et de la benoiste Vierge sa mère » ; et sur une autre
exécution encore, celle d'un jeune laquais de treize ans qui
avait donné quelques coups de dague à son maître, ce der-
nier ayant eu l'esprit d'en guérir (3 sept.).
Quelques jours plus tard, le 18, on procède sans incident
à l'élection du prévôt des marchands et de deux échevins.
L'ouverture du scrutin se fit devant le roi lui-même. Ceux
qui obtinrent le plus grand nombre de suffrages furent
M. Claude Daubray, notaire et secrétaire du roi, pour la
charge de prévôt des marchands, et MM. Le Comte et René
Baudart pour les charges d'échevins. Ayant pris connais-
sance des résultats du scrutin, le roi fit appeler les trois
élus et reçut leur serment *.
Les rapports du roi avec le Parlement étaient, à cette
époque, plus tendus que ses relations avec la Ville de Paris,
parce que Henri III, fatigué sans doute des remontrances
municipales, s'était adressé, pour avoir de l'argent, d'abord
au clergé, qui avait refusé, puis au Parlement, sous forme
d'édits bursaux à vérifier. « Le jeudi 4* de septembre, dit
l'Estoile, le roy partit de Paris pour aller à Fontainebleau
ac rafraischir et, s^en allant, laissa à sa cour de parlement
vingt-deux édits nouveaux et boursaux pour les voir et
i. Rbo. h, 1788, fo 200.
H8 PARIS ET LA LIGUE
homologuer. » Le Parlement envoya lavocal du roi, Bris-
son, porter à Henri III un arrêt de refus, et, sur Tinsistance
du monarque, la cour souveraine répondit « qu'elle ne
pouvait ni ne devait », mais, excité par ses favoris, le roi
s'écria : « Je voy bien que madame ma cour me veult
donner la peine d'y aller moi-même. Je iray, mais je leur
diray ce qu'ils ne seront, possible, giières contents d'enten-
dre. » Il ffidlut bien vérifier c< quelques-uns des moins
meschans » entre les vingt-deux édits. Quant au clergé, il se
croyait k l'abri des exactions royales, parce que, le 15 sep-
tembre, Prévost, curé de Saint-Séverin, avait rapporté de
Fontainebleau la décharge « de la décime et demie extra-
ordinaire que Sa Majesté avoit demandée »; mais, au com-
mencement d'octobre, Henri, toujours ingénieux, envoya
aux abbés, prieurs et bénéficiers aisés des lettres person-
nelles par lesquelles il priait chacun d'eux de lui prêter
certaine somme : le chapitre de Paris était taxé à douze
cents écus. Les ecclésiastiques « faisoient la sourde aureille,
refusans tout à plat Sa Majesté, laquelle ils disoient assez
haut monstrer bien par ses déportemens qu'il n'aimoit
guères l'Église * ».
Il semblait que le roi se fît un jeu de blesser successive-
ment ou à la fois tous ses sujets. « Un gouvernement si
tyranniquc, dit gravement de Thou, avait détruit insensi-
blement cet ancien attachement que la nation avait toujours
eu pour ses princes. » De fait, la fermentation était grande
dans toutes les provinces. Le tiers état et les nobles
se liguaient en Bretagne, en Normandie, en Bourgogne,
en Auvergne pour résister aux perpétuelles exactions du
roi et protester contre ses prodigalités folles. Les États qui
se tinrent à Dijon en novembre 1378 dressèrent une longue
requête pour demander la diminution des impôts, sans
1. L'EsTOiLB, t. I, p. 272.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 119
préjudice de beaucoup d'autres réformes *. Les délégués
des États bourguignons vinrent trouver le monarque et
lui tinrent quelques propos attestant leur érudition;* ils
citèrent, par exemple, ce mot de Tibère « qu'un bon pas-
teur doit tondre ses brebis et non pas les écorcher ». En
Bretagne, on réclamait le rétablissement des impôts au
chiffre du temps de Louis XII et de la reine Anne. Les États
provinciaux de Normandie, qui s'assemblèrent le 17 novem-
bre, n'eurent pas une attitude moins énergique que les
États de Bourgogne. Nicolas Clerel, chanoine de Rouen et
député ecclésiastique pour le bailliage de cette ville, qu'on
avait chargé de rédiger la réponse des États aux demandes
du roi, ne prit aucune précaution diplomatique *. Il pro-
nonça contre l'administration royale une véritable philip-
pique qui commençait par une citation de Jérémie et se
continuait par une série de jusques à quand * . . . Ces plaintes
avaient pour conclusion le refus formel d'exécuter les édits
bursaux.
Comme la Bretagne et la Normandie comptaient parmi
les provinces les plus catholiques du royaume, Henri III
n'eut pas de peine à deviner que les Guises encourageaient
et excitaient sous main les faiseurs de remontrances et
i. Voy. dbTbou, t. VII, p. 730, qui analyse les difTérents articles de celte
requête.
2. Coppie (F une lettre escrite par Edmond de PanygroHes, escuyer, à un
seigneur du pays de Bourgogne : en laquelle est contenu le discours de ce qui
^est passé aux Estais provinciaux de Normandie, tenus à Rouen au mois de
novembre mil cinq cens soixante et dix-huit. A Paris, par Barthélémy des
Planches, 1578. Arcu. cubibubks de Cimber et Danjon, 1^* série, t. IX,
p. 263. Suivant la Croix du Maine, les noms de Panygrollesj auteur, et
B. des Planches, imprimeur, sont des noms supposés, sans qu^on connaisse
d'ailleurB le véritable auteur de la lettre.
3. « Représentez-vous, s'il vous plaist, les porves villageois de Norman-
die, ayans la teste nue, prosternez aux pieds de vostre grandeur (M, de Ca-
ronges, l'un des gouverneurs de la Normandie), maigres, deschirez, lan-
goureux, sans chemise en dos ny souliers en pieds, ressemblans mieux
hommes tirez de la fosse que vivans, lesquels, levans les mains & vous
comme à Tymage de Dieu, vous usent de ces paroles : Jusques à quand
sera-ce, monseigneur, que les playes dont nous sommes affligez auront
cours? etc. »
120 PARIS ET LA LIGUE
les ennemis des édits bursaux. Ainsi s'expliquent les
avances faites par Henri III au roi de Navarre et les efforts
de tatherine pour réconcilier les deux princes. Une pre-
mière entrevue avait eu lieu à La Réole (fin août 1578)
entre la reine mère et le roi de Navarre, que l'arrivée de
Catherine et de sa fille ne remplit pas d'allégresse. Mais, à
travers les incidents peu intéressants de la campagne
diplomatique de la vieille reine pour soumettre les protes-
tants du Midi et diviser leurs chefs, le raffinement des
séductions essayées contre le roi de Navarre par sa belle-
mère est tout à fait édifiant. La reine, dit d'Aubigné ',
« avoit exprès pour son gendre la dame de Sauves et
Dayelle Cypriotte, celles-là mesmes qui l'avoient retenu
autres fois aux prisons de la Cour ». Tant d'habileté
vint échouer contre la haine de la reine de Navarre pour
son frère, Henri III, qui avait dénoncé au Béarnais des
infortunes conjugales qu'il ne connaissait que trop bien
et dont il ne faisait que rire. Mais la reine Marguerite ne
riait pas des lâchetés du roi de France contre elle et le
vicomte de Turenne « embarqué en son amour ». Elle
reprit les armes de Catherine et styla de telle sorte les
maîtresses de son mari que ce dernier finit par se résoudre
à une nouvelle rupture avec Henri III. Tel fut le point de
départ de la Guerre des Amoureux (avril 1580). Ainsi le
roi de France, par la bassesse de ses perfidies, se retrouvait
seul en face de la Ligue, d'une part, en face des protestants,
de l'autre.
Il était bon d'établir sommairement la situation de la
monarchie au regard des protestants et des provinces catho-
liques, pendant les années 1578-1579. Les mouvements
des partis dans le Midi et les manifestations populaires en
Bourgogne, en Bretagne et en Normandie n'ont pas été
1. Hist, univ,, col. 976.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 131
sans influence sur Tattitude de la population parisienne, car
le mépris témoigné à Henri III par les États provinciaux et
la cour du roi de Navarre avait son contre-coup dans la capi-
tale et favorisait le développement de la faction catholique.
D'autres causes, plus directes, faillirent amener de graves
désordres à Paris par suite du refus du clergé de payer
ies rentes de THôtel de Ville. Il faut reconnaître que le
roi avait singulièrement abusé de la bonne volonté du
clergé, qui, ainsi qu'on Ta dit plus haut, avait pris depuis
1561 des engagements très lourds pour permettre d'arriver
au rachat du domaine ; mais le roi ne rachetait rien avec
les fonds ecclésiastiques, ou plutôt il aliénait immédiate-
ment les portions rachetées. En 1580, si Ton en croit le
Traité des finances de France^ le domaine royal, évalué à
environ cinquante millions, était aliéné pour un capital de
seize millions au plus : et l'auteur affirme que si le domaine
avait été racheté et aifermé « il s'en trouveroit plus de
quatre millions par chacun an, qui seroit pour entretenir
magnifiquement la maison du roy et payer la pluspart des
gages des officiers, sans toucher aux autres charges ordi-
naires et extraordinaires ' ». Tandis que le résultat des
sacrifices consentis par le clergé demeurait ainsi négatif,
le montant des décimes accordés au roi par les sjmdics
s'était élevé dans la proportion du double depuis 1567; et
les rentes de l'Hôtel de Ville placées sous la garantie du
clergé, du chiffre de 630,000 livres, avaient fini par atteindre
celui de 1,202,000. Le mécontentement croissant des ecclé-
siastiques avait forcé le roi à autoriser la réunion d'un
synode à Melun (juin 1579) *. Il y avait une telle unani-
1. Traité des finances de France, de V institution d*iceUes, de leurs sortes
et espèces, de ce à quoy elles sont destinées, des moiens d'en faire fondSy de
les bien emploier et d*en faire réserve au àesoing. MDLXXX, p. 353. Voy.
Arcb. cuinuBis, t. IX. Le fond de ce traité est tiré de la B^ublique de
Jean Bodin.
2. D'après l'Estoiu, t. 1« p. 318, ce serait Henri IH qui aurait été le
I
j
123 PARIS ET LA LIGUE
mité dans Tordre ecclésiastique que les délibérations
furent courtes. Arnaud de Pontac, évêque de Béziers, fut
chargé d'adresser au roi de vives remontrances. Il s'ac-
quitta de sa mission le 3 juillet ^ Dans un discours très
énergique, il constata que vingt-huit évèchés étaient vacants
et que des laïques en touchaient les revenus ; qu'il en était
de même de la plupart des abbayes; qu'en plein Conseil
du roi l'on avait adjugé un évèché à une femme, et que
bientôt on verrait des laïques et des gens d'épée, parés
du titre de commandeur, s'emparer des biens de l'Église.
Encouragés par la faiblesse de Henri III, qui avait essayé
d'éluder ces plaintes par des assurances vagues, les députés
du clergé haussèrent le ton, et, dans une entrevue du
3 octobre, Nicolas l'Angelier, évêque de Saint-Brieuc ,
réclama la publication du concile de Trente (nécessaire,
disait-il, pour l'extirpation de Fhérésie et le rétablissement
de la discipline dans le royaume), l'abolition du Concordat
passé entre François P* et Léon X, et la restitution aux
chapitres du droit d'élire leurs abbés et leurs évêques. Cette
fois, le roi perdit patience et répondit violemment aux
évêques qu'ils n'étaient rien que par sa libéralité ; que les
rois avaient toujours joui de la haute prérogative de
nommer les prélats, et que si l'élection était remise aux
chapitres, ils ne porteraient pas leurs suffrages sur les
évêques actuels. Ainsi tancée dans la personne de ses
délégués, l'assemblée du clergé ne s'occupa plus du roi et,
dans la séance du iS octobre, vota une résolution portant
promoteur du synode en demandant aux députés du clergé a quinze
cens mil Trancs pour le payement des arrérages des rentes de la Ville, dont
il estait deu une année^ et aliénation de cinquante mil escus de rente de
leur temporel. »
1. DeThou, t. VIII, p. 93. On peut encore consulter sur le synode de
Melun : les mémoires de Claudb Haton, t. II. p. 980; collect. Dupuy à la
Bibl. nat.,voI. 87, fol. 103; coll. Baluze (ibid.), vol. 5675 E. Édit sur les
plaintes et remontrances de rassemblée de Melun (février 1580) dans
Isambert, Recueil des anc. lois françaises, t. XIV, p. 564.
LA RÉSURRECTION D£ LA LIGUE 133
que le clergé avait suffisamment rempli les obligations
que le contrat de Poissy lui avait imposées en 1561 et 1567,
et qu'en conséquence Tordre ecclésiastique se considérait
comme délié de tout engagement envers les bourgeois de
la capitale. Le 11 décembre, la résolution dont il s'agit fut
signifiée par huissier au prévôt des marchands et aux
échevîns.
L'effet de cette signification fut immense à Paris. Chacun
plaignait les veuves, les orphelins, les malheureux ren-
tiers que la suppression des rentes sur l'Hôtel de Ville
allait réduire à la misère. On faisait remarquer que les
guerres de religion, qui étaient la vraie cause de la cons-
titution des rentes, n'avaient été entreprises qu'à la sollici-
tation du clergé. Et cependant il était le premier à rompre
des engagements sacrés qu'il avait garantis 1 L'agitation
croissait d'heure en heure ; le peuple courait dans les rues
comme si l'ennemi eût été aux portes; les boutiques se
fermaient en hâte, et quelques exaltés criaient : aux armes!
Était-on à la veille d'une révolution? Le légitime souci des
intérêts matériels allait-il soulever des colères plus terribles
encore que les explosions du fanatisme? Dans des circon-
stances aussi critiques, la municipalité parisienne prit une
initiative très heureuse. Claude Daubray, prévôt des mar-
chands, accompagné des échevins \ se rendit au Parle-
ment. Le jour était déjà très avancé : néanmoins toutes les
chambres s'assemblèrent, et, sur les réquisitions d'Augustin
de Thou « remplaçant le procureur général, la cour rendit
1. Les deux écheviDs nommés le 17 août 1579 étaient Jean Gedoyn
(46 voix) et Pierre Laisné, conseiller au Ghàtelet (36 voix). Celui qui venait
après les élus n'avait obtenu que 24 voix. Reg. H, 1788, f« 232.
2. 11 s'agit ici non pas de Tauteur de VHistoire universelle (Jacques-Au-
guste, 1353-1617), qui avait été reçu conseiller clerc au Parlement en 1578,
mais de son oncle Augustin, qui était avocat général depuis 1567, fut
nommé président de chambre en 1585 et mourut en 1595. A l'époque où
nous sommes, le Parlement était présidé par Christophe de Thou (1508-1582),
père de l'historien et frère d'Augustin. l\ avait succédé, le 5 décembre
1562, à Gilles Le Maistre dans la charge de premier président et avait été
124 PARIS ET LA LIGUE
un arrêt ordonnant l'arrestation des évêques qui se trou-
vaient hors du ressort du Parlement, et prescrivant à tous
les prélats présents à Paris de comparaître en personne pour
répondre devant la cour aux réquisitions du procureur
général. Cet arrêt sévère, presque violent, eut pour con-
séquences d'obliger les députés du clergé k continuer pen-
dant dix ans encore le payement des décimes destinés aux
rentes de l'Hôtel de Ville, et de prévenir une sédition qui
pouvait être dangereuse.
Il y a lieu de croire cependant qu'une certaine agitation
continua de régner dans Paris après l'arrêt du Parlement,
car, à la fin de janvier 1580, le Bureau de la Ville prit de
nombreuses mesures de police en vue d'assurer l'ordre.
Les quartiniers, cinquanteniers et dizainiers firent de nom-
breuses visites dans « toutes les maisons et collèges et en
apportèrent à l'Hôtel de Ville la description au vrai * » .
On tint registre avec soin de tous les changements de
domicile, de toutes les entrées et les sorties. Deux bour-
geois notables furent placés à chaque porte pour observer
les passants. Un autre mandement, en date du 30 janvier,
« fit defiencc à tous les portiers de ladicte ville de s'enlre-
mectre aulcunement de l'ouverture et fermeture desdictes
portes, sinon en la présence des cinquanteniers et dixai-
niers de leurs quartiers, qui leur en bailleront les clefs
pour ce faire le mattin et le soir. Et, après les dictes ouver-
tures et fermetures faictes par lesdictz portiers de leurs
portes, remettre incontinant les clefz desdictes portes es
mains desdictz cinquanteniers et dixainiers, pour les rap-
porter et remettre aussy tost en celles des quarteniers de
prévôt des marchands de 1552 & 1553. Nous verrons plus tard qu'Augustin
<ile Thou, Tavocat général, remplira aussi les fonctions de prévôt des mar-
chands en 1580-1581. Il était utile de ne pas confondre les différents
membres de la grande famille parlementaire et parisienne des de Thou,
trois d'entre eux siégeant en même temps au Parlement.
1. Rbo. h, 1788, f 245.
LA RESURRECTION DE LA LIGUE 125
leurs quartiers qui en ont la charge ^ ». Enfin il fut interdit
aux quartiniers d'ouvrir ou faire ouvrir les portes la nuit^
sans le conuuandement et en dehors de la présence de Tun
des membres du Bureau delà Ville. On ne s^étonne pas de
ces précautions quand on lit les procès-verbaux des assem-
blées municipales de janvier 1580 qui démontrent qu'à cette-
époque le clergé n'avait pas payé le quartier des rentes.
Une assemblée fut encore tenue le 19 février d'une part
pour statuer sur un projet de revision de la coutume de la
prévôté et vicomte de Paris, et, d'autre part, « pour adviser
et conclure ensemble sur les grandz deniers deubz par le
clergé de France à la Ville * ». Le clergé finit cependant par
céder aux instances de Henri III et aux plaintes menaçantes
des Parisiens. Il s'engagea à verser 1,300,000 livres par
an, tout en exprimant un vœu platonique en faveur du
rétablissement des élections ecclésiastiques et de la sup-
pression des bénéficiers laïques.
A peine délivré des inquiétudes soulevées par la ques-
tion des rentes de la Ville et des subventions du clergé,.
Henri III reprit son existence fastueuse et frivole. Le
1^^ janvier 1580, il tint une séance solennelle des com-
mandeurs et chevaliers du Saint-Esprit en l'église des
Augustins '. Le 26, le cardinal de Birague donna une
1. Rb6. h, 1788, P> 245.
2. Reo. h, 1788, f^ 247. C'est dans une assemblée du Bureau de la Ville
en date du 30 janvier 1580, que celte revision avait été proposée. On
confia le cahier des coutumes à MM. Laisné, échevin, Lelièvre de Palluau,
de Jumeauville, Sanguyn, d'Hierre, de Brévant, conseillers de la Ville, et
M. Pierre Prévost, ancien échevin, avec mission de préparer un rapport
sur le projet de révision et de veiller au maintien « des previllèges,
franchises et libertez des bourgeois, manans et habitans. Le mardi
22 février, dans la grande salle de Tévéché de Paris, Christophe de Thon,
premier président, et MM. Viole, Anjorrant, Longueil et Chartier, conseil-
lers au Parlement, commencèrent & procéder a à la réformation et réduc-
tion de la coustume de Paris ». Les délégués de la Ville de Paris avaient
demandé séance « sur un banc à part «. Voy. aussi l'Estoilb, t. I, p. 354.
3. L'ordre du Saint-Esprit datait juste d'un an. 11 avait été institué le
l*r janvier 1579, « à cause de l'eiTréné nombre des chevaliers de Tordre
de Samt-.Michel, qui estoit tellement avili qu'on n'en faisoit non plus de
126 PARIS ET LA LIGUE
magnifique collation au roi et à la toute la cour. Douze
cents pièces de faïence italienne couvraient les deux im-
menses tables du festin : les pages et les laquais de la
cour en brisèrent le plus grand nombre, « comme ils sont
d'insolente nature », dit la chronique. Puis ce fut une
série de diners consécutifs : chez le cardinal de Bourbon,
à Tabbaye Saint-Germain des Prés, le 3 février, le lendemain
à l'hôtel de Saint-Denis, chez le cardinal de Guise; les
jours suivants, à Thôtel de Nesles, chez le duc de Nevers,
à rhôtel de Ghàlons, chez le seigneur de Lenoncour et
chez d'autres gentilshonmies, tant que la foire Saint-Ger-
main dura. A l'Hôtel de Ville, il y eut aussi une cérémonie
imposante à l'occasion de la réception de M. de Villequier
en qualité de gouverneur de Paris. Cette nomination
avait été accueillie par les Parisiens avec d*autant plus
d'indignation qu'il succédait au maréchal François de
Montmorency, enlevé à cinquante ans, le 6 mai 1579, par
une attaque d'apoplexie, et qui, dit de Thou, emportait
avec lui « le titre glorieux de dernier des Français * ».
Le 4 janvier 1580, Villequier avait été reçu au Parlement;
le 19 suivant, eut lieu sa réception solennelle à l'Hôtel de
Ville, et les Registres nous en ont conservé le cérémo-
nial '. Une assemblée générale avait été convoquée pour
compte que de simples aubereaus ou gentillastres, et les appeloit-on des
piéça le graud collier de cet ordre a le collier a toutes bestes ». Jbid,,
p. 296. Il n'y eut d'abord que vingt-six chevaliers du Saint-Esprit. Le duc
de Guise, les cardinaux de Bourbon, de Guise et*de Birague ne furent
nommés qu'en janvier i580.
1. François de Montmorency^ maréchal et duc, était le fils aîné du con-
nétable Anne de Montmorency. C'est lui qui avait publiquement bravé le
cardinal de Lorraine, rue Saint-Denis, et avait désarmé ses gardes; lui que
son esprit de tolérance et de conciliation envers les protestants avait
rendu suspect & la cour; lui qui avait été mis à la Bastille avec le maré-
chal de Gossé, après les interrogatoires de la Môle et Goconas (mai i574),
et qui en était sorti le 2 octobre 1575. Il était rentré dans ses biens et
honneurs. Paris lui fit des funérailles magnifiques. On peut consulter le
Discours sur la maladie et derniers propos de M, le mareschal de Montmo-
rency, Paris, MDLXXIX. Abch. curibuses, t. IX, p. 310.
2. Rbg. h, 1788, fo 255. Il y a sur ce point entre les Registres et l'Es-
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 127
la circonstance. Quatre notables par quartier s^étaient
joints au corps municipal; devant la porte de la maison
commune étaient rangés les arquebusiers de la Ville. Le
prévôt des marchands et les échevins, « vêtus de leurs
robbes de livrée », précédés des sergents de la Ville, vin-
rent au-devant du nouveau gouverneur jusqu'à Tcntrée
de la première porte extérieure et le conduisirent avec sa
suite « en la grand'salle où estoit ladicte assemblée gêné-
ralle, passant par les galleries dudict Hostel de Ville et
par dessus Tescallier de boys, y estant revestu des deux
costez de lierre faict tout exprès ». Arrivé dans la grand'-
salle, Villequier prit place sur « une chaise couverte de
velours cramoisy » placée sous un haut dais et présenta
ses lettres de procuration vérifiées en Parlement; puis,
quand le greffier en eut donné lecture, « le gouverneur a
prins la collation audict Hostel de Ville et, ce faict, chas-
cun s*est retiré ».
A cette époque élégante et sensuelle, où tout ce qui par-
lait aux yeux avait une grande importance, l'étiquette et
le cérémonial jouent mi rôle considérable dans la vie
politique et aussi dans la vie municipale. Rien ne donne
une idée plus claire de l'importance des fonctions que les
formalités ou les honneurs qui en accompagnent la collation
ou la fin. A qui voudrait, par exemple, se rendre compte
de la place éminente qu'occupait un échevin de Paris dans
la société de son temps, on pourrait recommander d'étu-
dier les honneurs funèbres qu^on décernait aux auxiliaires
du prévôt des marchands. Il y avait tout un cérémonial,
réglé minutieusement, pour les obsèques des échevins. En
décrivant Tordre et la marche du convoi de Jean Bouer,
toile, qui ordinairement concordent à merveille, une légère différence.
L'Estoile fixe au Jeudi 7 janvier 1580 la réception de Villequier à TUÔtel
de Ville et ajoute qu'il partit le lendemain « pour se faire recevoir pareil-
lement aux autres villes estant du destroit et gouvernement de Tlsle-de-
France n.
128 PARIS ET LA LIGUJE
qui mourut à la fin du mois de juin 1379, les registres
prennent soin de rappeler qu'on a observé ce qui s'était
fait « es convoiz et enterrement de deffunct Maître Ma-
thurin le Camus, qui fut le 26* jour de janvier 1562, et
à celluy de deffunct Maître Jean Liescaloppier, qui fut
le seiziesme jour de novembre 1563, comme estans tous
lesdictz^ sieurs le Camus et Lescaloppier en leur vivans
eschevins de ladicte Ville de Paris » *. On faisait d'abord
« la semonce » au Bureau de la Ville; c'est-à-dire que les
« jurés crieurs de corps et de vins de la Ville * » venaient
prier le prévôt des marchands, les échevins et les autres
officiers municipaux d'assister au convoi. Le prévôt des
marchands mandait aussitôt : 1® l'apothicaire de la Ville,
pour lui commander seize torches, de deux livres pièce,
aux armes et écussons de la Ville de Paris; 2® seize han-
nouars % porteurs de sel, pour leur prescrire de se tenir
prêts à porter les seize torches commandées par la Ville;
3* les conseillers de Ville et les quartiniers pour les prier
de se rendre au Bureau à une heure déterminée et accom-
pagner le chef de la municipalité. L'heure venue. Messieurs
de la Ville « veslus de leurs robbes my-parties » quittaient la
maison commune et se mettaient en marche, dans l'ordre
suivant : « Premièrement, marchoient les hannouars por-
teurs de sel, vestuz de noir, portans les torches, puis les
1. C'est le Reg. H, 1784, f^ 222, qui décrit les obsèques de Jean Lescalop-
pier. Ce passage du Reg. a été reproduit dans la ColL des arch. cur,^
!»• série, t. V, p. 432.
2. Sur les crieurs et leurs attributions, voy. Hist, munie, p. 39, et Lbrous
DE Lufcr, p. 222.
3. Sur les hannouars, voy. Hist. munie, p. 41, et Lekodx de Linct, p. 225.
Cet auteur dit bien que les hannouars (dont le nom s'orthographiait' dans
le principe henouarts) avaient le singulier privilège de porter le corps des
rois de France défunts, lors des cérémonies funèbres; mais il n'ajoute
pas que les hannouars remplissaient le même ofûce pour les officiers mu-
nicipaux. J. Chartier, Histoire de Charles Vif, p. 317, explique de la façon
suivante la signification du privilège des hannouars : « Ce sont ofûciers
au fait de la saunerie à Paris, au nombre de 24, qui sont en possession
d'ainsi porter les corps des défunts roys, afin de faire voir que leur
mémoire, ainsi que le sel, se conserve toujours. -
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 139
sergens de Ville, aussi vestuz de leurs robbes my-parties, à
pied ; et après eulx le greffier, vestu aussi de sa robbe my-
partie, à cheval; puis, mçsdictz sieurs à cheval, et le procu-
reur du roy et de la Ville, aussi à cheval et vestu aussy
de sa robbe rouge; et le receveur, en son habit ordinaire,
et quartiniers d'icelle ville; et en cest ordre allèrent au
logis dudict defunct. » Du logis à l'église, le convoi était
composé ainsi qu'il suit : 1* gens d'église; 2° corps du dé-
funt, entouré des hannouars, les torches en main; 3* le
greffier, le procureur, le receveur et tout le corps de Ville;
4"* la famille et les amis K
Ainsi les vieux usages se perpétuaient à l'Hôtel de Ville,
conservés et fixés par les archives municipales. Les infrac-
tions commises n'étaient jamais imputables au corps de
Ville. Presque toujours elles étaient le fait du roi. C'est
ainsi qu'après les élections du 17 août 1580 pour le choix
d'un prévôt des marchands, Henri HI consentit bien k
sanctionner la nomination d'Augustin de Thou comme
prévôt des marchands ', mais élimina de l'échevinage
celui qui avait eu le plus de voix, le conseiller de Ville
Jacques Paillard (cinquante suffrages). On lui substitua
Pierre Mesmin, qui n'avait réuni que vingt-quatre voix '.
En « cest an 1580 », comme disent les chroniques, la
municipalité parisienne s'occupa beaucoup moins de la
guerre civile, qui désolait le nord et le midi de la France *,
1. Pour les obsèques de réchevin Jean Bouer, cons. Reg. H, 1188, f» 226.
Le 8 décembre 1579 eut lieu avec le même cérémonial Penterrement d'un
autre échevin, nommé René Baudart, élu Tannée précédente. i6i<f.,f^244.
2. Voy. sur Augustin de Thou la note 2 de la page 123.
3. L'autre échevin fut Nicolas Bourgeois (40 sufTrages). Rto. H, 1788,
fo 256. Aux élections du 17 août 1581, pour la nomination de deux éche-
vins nouveaux, le roi confirma sans difficulté les résultats du scrutin et
reçut le serment des deux candidats qui avaient réuni le plus de voix :
Jehan Poussepin, conseiller au Châtelet, et Denis Mamyneau, auditeur des
comptes.
4. Au nord, le prince de Condé s'était emparé de la place de La Fëre
(29 novembre 1579), qui ne fut rendue aux troupes royales que le 12 sep-
tembre 1580. Dans le midi, le roi de Navarre poursuivait avec héroïsme
ROBIQUET. 9
130 PARIS ET LA LIGUE
que de la peste et de la coqueluche , dont les ravages déci-
maient les habitants de la capitale. La peste fit son appa-
rition au mois de mars. <( En ce^temps, dit TËstoile, y a
commencement de peste h Paris. De fait, sont, par arrest de
la cour de Paris, faites défenses à toutes personnes de
vendre meubles aux places publiques, ni aux maisons pri-
vées. Courent force rougeoles et petites véroles, mesme
aux grandes personnes, jusques aux vieillards qui s'en
trouvent atteints. Ad viennent aussi plusieurs morts subi-
tes. » Comme il arrive d'ordinaire dans les temps de
malaise social, on n'entend parler que de crimes étranges.
Le 6 avril, en vertu d'un jugement du grand prévôt de
France, on exécuta devant l'hôtel de Bourbon un sieur la
Valette, parent du premier président de la cour de Tou-
louse et qui faisait métier d'empoisonneur. Malgré les
démarches tentées en sa faveur par plusieurs membres du
Conseil privé, la peine ne fut pas commuée et il fut « pendu
aveq sa robbe longue, pour faire paroistre qu'il estoit
homme de droit ». Le 6 mai, autre exécution au même
lieu. Gourreau, prévôt des maréchaux d'Angers, convaincu
de plusieurs « assassinats, voleries et concussions en
l'exercice de son estât », sur la poursuite de Pierre Erraud,
lieutenant criminel à Angers, qu'il avait voulu faire tuer à
Paris, fut étranglé et pendu. La nature elle-même semblait
en proie aux convulsions. Il y eut, le 6 avril, un tremble-
ment de terre, qui fut très violent à Calais, à Boulogne, à
Château-Thierry et dont Paris ressentit aussi les atteintes *.
A la cour, les querelles, les divisions régnent plus que
jamais. Le duc de Nevers et le duc de Montpensier pen-
une guerre sans objet et enlevait Gahors le 29 mai 1580 au lieutenant du
roi de France, le brave Vezins. 11 y eut là un homérique combat de rues
qui dura quatre jours et quatre nuits. Voy. d'Aubion6, Hist. univ.y col. 996.
1. Voy. sur ce tremblement de terre Claude Haton, t. 2, p. 1012; l'Es-
TOiLB, t. I, p. 357. Le 8 avril 1579, il y avait eu à Paris un autre désastre. La
Bièvre avait débordé pendant la nuit et inondé le faubourg Saint-Marcel.
Il y eut vingt-cinq morts. Voy. ârchiv. cur., t. IX, p. 303.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 131
sent en venir aux mains ^ Tandis que messire Baptiste
do Gondi, parent du maréchal de Retz et de Tévêque de
Paris, meurt à quatre-vingts ans, laissant une fortune de
400,000 écus, lui qui était venu sans un sol d Italie en
Franco *, Henri III, afin de se procurer de Targent, en était
réduit à demander 500 écus à chacun des vingt-six pro-
cureurs de la Chambre des comptes de Paris pour les
ériger en officiers du roi. Cela devait donner 13,000 écus
que le prince avait promis k son mignon la Valette ; mais
les procureurs répondirent qu'ils résigneraient leurs char-
ges plutôt que de subir cette exaction; et, de fait, ils cessè-
rent leurs fonctions, si bien que, la Chambre des comptes
ayant chômé quelque temps, le roi dut rappeler les pro-
cureurs et renoncer au 13,000 écus. Il s'en consola eu
ordonnant par lettres patentes (du mois de juin) que les
biens de tous les huguenots absents et portant les armes
contre Sa Majesté seraient saisis. C'était un surcroit de
besogne pour les quartiniers, chargés des recherches, et
pour tous les officiers municipaux, qu'absorbaient déjà
les soins à prendre contre la double contagion dont souf-
frait la capitale. Du 2 au 8 juin, la coqueluche ' avait
atteint dix mille personnes, entre autres le roi, le duc de
Mercœur, le duc de Guise et M. d'O. Etrange maladie,
1. VojT. dsDS DB Thou, t. VIII, p. 402, les motifs de cette querelle.
2. Gondi 8*4tail enrichi en prêtant « ses deniers à la Florentine •, et en
prenant des impôts en ferme. On lui érigea dans Téglise des Augustins
(chapelle des Florentios) un superbe mausolée.
3. Voy. Claudb Hatoh» t. II, p. 1013; l^Estoilb, 1. 1, p. 361 et 364, et Copie
(Vune missive envoyée de Paris à Lyon par un quidam à son bon amy, eic,
Lyon, 1580; Akch. cur., t. IX, p. 320. De Thou, t. VIII, p. 400, fait une des-
cription précise de la maladie : « Elle attaquoit d'abord le bas de Tépine
du dos, par un frisson suivi d'une pesanteur de tête et d'une faiblesse de
tous les membres, jointe à un grand mal de poitrine, et si, le quatriesme
jour ou cinquième jour, les malades n'étoient pas guéris, la maladie
dégénéroit en fièvre, qui les emportoit presque toujours. > L'historien
ajoute cette réflexion, peu flatteuse pour les médecins du temps, que ceux
qui négligèrent le mal s'en trouvèrent fort bien, au lieu que ceux qui
furent purgés ou saignés périrent presque tous. Voy. aussi Félibibn. t. II,
p. 1142.
132 PARIS ET LA LIGUE
qui commençait par un mal de tète et d'estomac, puis
s'étendait à tout le corps et n'était, à vrai dire, qu'une
sorte de choléra : Claude Haton nous apprend que parmi
les personnes atteintes du fléau « la plus grande partie
morut par ung cours de ventre ». La contagion, qui
dura jusqu'à la fin de Tannée \ enleva, d'après l'Estoile
environ trente mille personnes, d'après de Thou qua-
rante mille, d'après Claude Haton plus de soixante mille,
enfin d'après la lettre du « Quidam à son bon amy » de
cent vingt mille à cent quarante mille.
A la coqueluche succéda la peste, qui n'exerça pas moins
de ravages. Tous les riches fuyaient Paris. « Bien peu
de gens ayant moyens de se traicter y sont demourez )>,
écrit le quidam. Les malheureux allaient se réfugier à
l'Hôtel-Dieu, mais la place manqua bien vite : alors on
dressa des tentes dans les faubourgs de Montmartre,
Saint-Marceau, Montfaucon, Yaugirard et dans la plaine
de Grenelle, où Ton b&tit également un nouvel hôpital. Les
étrangers, « les forains », abandonnèrent Paris six mois
1. Il résulte des registres que la sanlé publique resta mauvaise jusque
vers la fin de 1583. Henri III pensait que le meilleur procédé curatif était
qne belle procession. À la date du 5 octobre 1583, il adressa au prévôt
des marchands et à ses collègues la lettre ci-dessous :
« Db pae lb roy. Très chers et bien amez, voians que la contagion
continue en quelques endroictz de ceste ville, et aussi l'indisposition du
temps pour les pluyes qui ont journellement cours, qui ne nous peult
faire espérer que une charte de tous vivres, Nous avons advisé qu'il ne se
peult rien faire de mieux que d*avoir recours à la bonté de Dieu, et de
regarder de l'implorer par prières et oraisons publiques, ad ce qu'il luy
plaise, en appaisant son ire, impartir ce qui est nécessaire tant pour la
santé des corps que pour l'accroissement et conservation des fruicU de la
terre; qui fait que nous voulions et vous mandons que vous aîez avec les
procureur, recepveur, greffier, conseillers, quarteniers, notables bourgeois
de chacun quartier de nostre bonne ville de Paris et autres officiers
d'icelle que adviserex, à faire une procession de la paroisse de l'hostel de
ladicte ville, qui est l'église Saint- Jehan en Grève, en Téglise Madame
Saincte-Geneviefve, avec la dignité et révérence requise, ainsi que vous
avez accoustumé de faire par cy-devant, lorsque semblables dévotions se
font en l'honneur de Dieu et invocation de son sainct nom. A quoy vous
ne ferez faulte. Donné À Sainct-Germain-en-Laie, le cinquiesme octobre
1583. Ainsi signé Henry, et plus bas Pinait. » Rso. H, 1788, f» 349.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 133
durant, « de façon, dît TEstoile, que pauvres artizans et
manœuvres crioient à la faim; et jouoit-on aux quilles sur
le pont Notre-Dame et en plusieurs autres rues de Paris,
mesmes dans la grande salle du Palais ». De grandes
troupes d'écoliers, de clercs de justice, de commis de mar-
chands couraient les chemins pour retourner dans leur
pays d*origine, semant la peste à vingt lieues à la ronde.
« Et qui estoit une chose fort à déplorer, s'écrie Claude
Haton, estoit que plusieurs mouroient sur les chemins,
sans aulcunement estre secouruz en leurs nécessitez; et
k grand peine trouvoit-on qui les volust enterrer, encores
qu'ils fussent bien hahillez et fournis d'argent sur eux. »
Dans ces tristes circonstances, les hautes classes ne don-
nèrent pas, l'exemple du courage. Au dire de tous les histo-
riens contemporains, les magistrats quittèrent leurs sièges;
les procureurs, les avocats désertèrent le Palais et les
marchands leurs boutiques pour gagner leurs maisons des
champs. Profitant de cette désertion, les voleurs couraient
toutes les nuits par la ville et pillaient les plus riches
demeures. On pouvait craindre les plus graves désordres.
Le roi tout d'abord avait fait mine de braver le péril. De
son château de Saint-Maur-les-Fossés il venait souvent à
Paris. Il lança un édit pour forcer les Parisiens à rentrer
dans la Yille, sous menace de mettre des gamisaires dans
leurs maisons. Lui-même, il vint tenir séance dans la
chambre dorée, au Palais, pour homologuer quelques
édits : sa ferme attitude tenait un peu à ce que les méde-
cins lui avaient dit qu'il ne pouvait être atteint du fléau,
par suite d'autres maladies dont il était affligé ; mais, voyant
la contagion faire chaque jour des progrès, le roi gagna
Blois précipitanunent et avec peu de suite. Ce fut encore
la municipalité parisienne qui fit la meilleure contenance
au milieu du désarroi général. Augustin de Thou, le nou-
veau prévôt des marchands, et son frère Christophe de
134 PARIS ET LA LIGUE
Thou, premier président du Parlement, prirent, de concert
avec le prévôt de Paris, toutes les mesures nécessaires et
organisèrent à la Chancellerie une sorte de commission
d'hygiène publique *. Ils créèrent un officier qu'on appela
prévôt de la santé et qui reçut la mission de rechercher
les pestiférés dans tous les quartiers et de les faire porter
à THôtel-Dieu, s'ils n'avaient pas le moyen de se soigner à
domicile. Mais ce qui produisit plus d'effet encore que
toutes les mesures administratives, ce fut la ferme attitude
du premier président, qui se promenait tous les jours en
carrosse dans les rues pour rassurer le peuple et résista
aux instances des siens, notamment de son frère l'évêque
de Chartres, dont les lettres le pressaient d'abandonner la
capitale. Beaucoup de médecins se dévouèrent aussi, entre
autres Malvédi, professeur royal; mais, pour retenir les
compagnons barbiers et chirurgiens, il fallut leur promettre
de les recevoir maîtres,, s'ils échappaient à la contagion.
Enfin, le 19 novembre, comme si tous les fléaux se fussent
conjurés pour fondre à la fois sur Paris, le feu consuma
la magnifique église des Cordeliers, et l'on eut grand'peine
à préserver le couvent. Il y eut des fanatiques pour accuser
les protestants d'avoir allumé l'incendie; mais la cause
première du désastre n'était qu'un moine novice qui, ayant
trop bu, s'était endormi sous le jubé et avait laissé un
cierge allumé tout près de la boiserie *.
Ce pauvre Paris devenait triste, et le roi s'ennuyait. Il
1. A la date du vendredi 6 mai 1583, la Grand'chambre du Parlement et
la Tournelle assemblées, après avoir ouT le procureur général du roi et le
lieutenant civil de la prévôté de Paris, ordonne que « un jour de la semaine
de relevée, par tour et par ordre, un de messieurs les présidents et trois
conseillers, dont Tun sera d'église, feront assembler en la salle Saint-Louys
le procureur général du roy ou Tun des advocats dudict seigneur, le lieu-
tenant civil de la prévosté de Paris, le prévost des marchands ou Fun des
eschevins de la Ville, aucuns des dignitez (sic) des chapitres et commu-
nautez, aucuns des gouverneurs de THostel-Dieu et des bourgeois de cette
ville, pour adviser ce qu'ils verront estre nécessaire pour éviter à la con-
tagion... » Extrait des reg, du Parlement, Féub., Preuves, t. HI, p. 16.
2. L'EsTOiLB, l. I, p. 373; de Tbou, t. VH!, p. 401.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 185
voyait son frère le duc d* Anjou sur le point d'acquérir deux
couronnes; celle des Pays-Bas, que les ambassadeurs des
Provinces-Unies vinrent lui offrir le 19 septembre 1580 au
château de Plessis-lez-Tours, et celle d'Angleterre par le
mariage projeté avec Elisabeth. Henri III n'était plus rien:
il n'avait pas même conclu lui-même la paix de Fleix avec
le roi de Navarre (26 nov. 1580); il la devait à son frère
et à Catherine. Au début de l'année 1581, que faisait ce
pauvre roi? L'Estoile le dit : « Au commencement de janvier
1581, le roy, de Blois revint à Paris et laissa les roines à
Chenonceau, et le Conseil privé et d'Estat à Blois, et, après
s'être donné du bon temps en nopces et festins, le 18*^ du
mois, s'en alla au chasteau de Sainct-Germain-en-Laie,
commencer une diette, qu'il tint et continua jusqu'au com-
mencement du mois de mars ensuivant. » Mais le 5 mars
la diète est finie et les fêtes recommencent. Henri lîl,
habillé en masque et suivi de ses mignons , la Valette,
d'O et les autres, fête joyeusement la mi-carême, « rôdant
par toute la Ville de Paris et par les maisons où il sçavoit
y avoir bonne compagnie ». On pouvait rire : Marc Miron,
le premier médecin du roi, et son hôte ce soir-là, l'avait
reconnu « sain et allègre ». La bonne compagnie suivait
l'exemple du prince. Le 8 mars on pendit pour crime de
faux un notaire du Chfttelet, le sieur Herbin; le 9 mars
on amenait à la Conciergerie le seigneur de Saint-Léger,
inculpé d'avoir fait arracher du lit où il reposait près de
sa femme le sieur Coingnet de Pontchartrain , puis de
l'avoir attaché à un poteau et fustigé, en pleine halle de
Montfort-l'Amaury. Crime de Pontchartrain : il avait refusé
d'épouser la fille de Saint-Léger. Mais ce dernier était
gentilhomme de Monsieur. Le Parlement l'acquitta. Tout,
jusqu'au duel, devient déloyal. M. de Liverdot allant se
battre avec le marquis de Migneley, fils de M. de Piennes,
fait cacher dans le sable une épée sur le lieu du combat.
PARIS ET LA LIGUE
^ I,iverdot qui est tué par le marquis, mais le valet du
^^ • f répée cachée et assassine par derrière le vain-
^^^ \f du Voâi conseiller au Parlement de Paris, pour
queu . i ' t^ ^ xnaîtresse repentante, la dame Boulanger,
^^ ^ j\.n nrocureur au Châtelet, la fait saisir par quel-
femme a un p" , . , .„ J 4 1 . A A
ffians qui lui tailladent les joues en présence du
^ ' Pur le crédit de l'auteur de cette lâcheté barbare,.
SLtLSC fut évoquée au Parlement de Rouen, qui renvoya
., yg^ absous, moyennant 2000 écus de dommages-
. .^^^ig et 2000 écus donnés aux juges. La mère de
u du Voix crut devoir aller remercier Henri III, qui dit :
( ffe me remerciez pas, mais la mauvaise justice qui est
en mon royaume *. »
Comment, au surplus, eùl-il été sévère pour les crimes
d'autrui, ce roi qui semblait prendre à tâche de braver
Topinion et gaspillait les ressources de la France avec
une véritable folie? Pour suffire aux fêtes extravagantes
de la cour et aux prodigaUtés maladives du monarque,,
il fallait sans cesse augmenter les charges qui pesaient
sur le peuple. C'était tous les jours un nouvel édit fiscal dft
à la fertile imagination des financiers italiens. En un seul
jour, le 4 juillet 1581, le roi fait enregistrer neuf édits
bursaux, ordonnant la création de nouveaux offices *. D'une
1. Un autre conseiller au Parlement, Jean Poisie, fut arrêté au mois
d'août 1581, pour concussion et falsification d*arr6ts. On traîna l'affaire. En
1582, le comte de Châteauvilain, Ludovic A4jaceto, Italien de Florence que
Catherine avait fait nommer fermier général de la douane de France, pour
se venger d'un sieur Bertrand Pulveret, qui, dans une première rencontre,
lui avait cependant laissé la vie, l'attaqua un jour avec une douzaine d'Ita-
liens et le laissa pour mort sur le pavé. Il en fut quitte pour deux mille
écus de dommages-intéréte, Pulveret s'étant rétabli. Toutes ces faiblesse»
déconsidéraient la justice et donnèrent lieu au sizain qui suit :
Chasteauvilain, Poisie et le VoU
Seront jugés tous d'une voix
Par un arrêt aussi léger
Que fat celui de Saiot-Lég«r :
Car le malheur est tel en France
Que tout se juge par finance.
2. C'est ce que dit l'Estoile, t. II, p. il. De Thou, de son côté, t. VIII,.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 137
commune voix, le président déclara qu'il s'opposait à
Tenregistremcnt, et le premier président dit tout haut que
« selon la loy du roy, qui est son absolue puissance , les
édits pouYoient passer; mais que, selon la loy du royaume,
qui es toit la raison et Téquité, ils ne pouvoient ni ne deb-
voient estre publiés ». Néanmoins, le roi ordonna qu'il
serait passé outre et fit publier les édits par le chancelier
de Birague. Il avait besoin d'argent pour marier ses mi-
gnons.
Dans cette marée montante de mesures fiscales, il est
bon d'en signaler quelques-uns qui ont spécialement trait
au régime municipal. Tels sont l'édit du 20 mai (enre-
gistré le 4 juillet), instituant un bureau de douanes dans
chaque ville du royaume; Tédit de création d'un bureau
du contrôle des actes extra-judiciaires en chaque siège
royal (mai 1581, enreg. du 4 juillet) i; l'édit du 18 juillet,
établissant pour six ans un impôt de vingt sous sur chaque
muid de vin à son entrée dans les villes ', et la déclaration
du 20 juillet, portant que les prévôt des marchands et
échevins de la Ville de Paris prendront le droit ancien de
cinq sous par muid de vin entrant h Paris, sur les vingt
sous fixés par l'édit précédent '.
p. 550, rapporte que « le roi vint au Parlement le 13 juillet et qu'il y fit enre-
gistrer en un seul jour vingt-sept édits bursaux, par Tun desquels il créoit
vingt nouvelles charges de conseillers ». Voir aussi Isahbbrt, t. XIV, p. 493,
et FoMTAicoN, 1,12. Ces nouveaux sièges de conseillers étaient institués sous
prétexte que le roi allait envoyer en Guyenne et en Auvergne plusieurs
présidents et conseillers du parlement de Paris, pour y calmer les troubles,
ce qui rendait plus lourde la tAche des magistrats demeurés dans la capitale..
1. Cet édit est le premier essai d'organisation de l'administration de
Tenregistrement.
2. Fo.iTARON. Les Édicta et ordonnancée des rois de France, Édit de 1611,
t. H, p. 1124. L'édit du 18 juillet, en ce qui touche la Ville de Paris, défend
d'introduire le vin par d'autres portes que celles de Saint- Jacques, Saint-
Germai n-des-Prés, Saint-Honoré, Saint-Denis et Saint-Antoine.
3. La déclaration dit formellement que le prélèvement des cinq>ols tour-
nois au profit de la Ville a pour but « de continuer les rentes constituées
sur ledit ayde et subside ». Cet impôt avait été créé pour six ans par
déclaration du 22 septembre 1561 ; il avait été prorogé par déclarations
d'avril 1568 et 8 juillet 1515.
138 PARIS ET LA LIGUE
On peut croire que Tingénieuse méthode inventée par
les Italiens pour faire rendre aux offices tout ce qu'ils pou-
vaient donner fut appliquée aux offices municipaux. Certes,
il eût été téméraire, même pour le roi, de toucher aux
cadres essentiels de la municipalité : le nombre des éche-
vins, des conseillers de Ville était incommutable ; mais on
pouvait peut-être impunément créer, moyennant finances,
de nouvelles charges d'officiers subalternes. C'est ce que
Henri III essaya. Un édit de novembre 1581 institua 30
visiteurs, « vendeurs de bois, charbon et foing ». Aussitôt,
dans une assemblée du grand Bureau, tenue le 5 décembre,
la Ville décida de s'opposer devant le Parlement à la véri-
fication de l'édit. Le texte de l'opposition, qui nous a été
conservé par les Registres de la Ville, est assez instructif.
Il débute pompeusement en rappelant les attributions
distinctes des différents magistrats qui se partagent l'admi-
nistration de Paris : le Parlement, le prévôt de Paris, le
prévôt des marchands *. Puis la Ville passe à l'examen de
l'édit lui-même, qu'elle ne craint pas de comparer à un
faux écu •; et, après avoir rappelé les principaux traits de
l'organisation existante, ce qui est précieux pour l'histoire
municipale ', le document dont il s'agit arrive à la conclu-
1. tt En ceste Ville de Paris, capitalte de ce royaulme, sont eslablix trois
sortes de magistrats et juges politiques : les premiers et souverains, vous,
messeigneurs, desquelz deux aultres prennent leur aucthorité, splendeur
et lumière, les prévost de Paris et offlciers du siège; les prévost des mar-
chans et eschevins de ceste ville, lesquels avecq le plus grand soing et
dilligence et bonne vollunté font vivre et exécuter les ccditz et ordon-
nances de voz arrestz. » Rbg. H, 1788, fol. 280.
2. a Cet ecdict, messieurs, n'a fauite de beau prétexte et belle coalleur
ressemblant aulcunement à ung faulx escu, lequel a apparence aucunement
^ d'estre bon à Toeil ; mais quant il est question de sonder avec le burin et à
la touche, sHl est bon, Ton trouve la falcité; aussy quand Ton vient con-
sidérer de près et esplucher par vives raisons cest ecdict, l'apparence qu'il
y avoit de quelque bien s'esvanouyt. » {Ibid,)
3. Nous avons déjà fait ailleurs allusion (voy. Hisi, munie,, p. 39) aux
officiers subalternes qui prêtaient leur concours à la municipalité pari-
sienne : juréfr-mesureurs de bûches, sel, charbon, de grains ou autres den-
rées, jaugeurs de vin et courtiers de vin^ de sel, de chevaux. Dès la seconde
moitié du xm« siècle, le nombre de ces officiers était déterminé. La grande
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 139
■
sion suivante : « La Cour [c'est-à-dire le Parlement)
comme clairvoyant, peult juger que cest ecdict n'est nul-
ment nécessaire.... le meilleur doncques seroit laisser les
choses comme elles sont. » En effet, les marchands payent
actuellement des droits exorbitants sur les denrées « pro-
f)rdonnance de février 1415, « portant règlement sur la juridiction du prévôt
des marchands et establisseraent de plusieurs ofDces pour la police des
ports et marchés de la même Ville » (Ohd. des rois de France, t. X, p. 257),
précise les attributions de tous les auxiliaires de la Ville, notamment celles
des « compteurs et moleurs de bâches, mesareurs et porteurs de char-
bon, etc. » Aux termes de Tord, de 1415 (art. 228), il y avait déjà quarante
jures-compteurs et mouleurs de bûches et douze mesureurs de charbon.
Ce sont précisément les chiffres que donne la protestation de la Ville
en 1581 ; on comprend dès lors le mécontentement provoqué par Timpru-
dence de Henri III qui touchait si légèrement à des institutions plus que
séculaires. Ajoutons qu'il y avait là pour la Ville un grand intérêt finan-
cier, car, aux termes des vieilles ordonnances, elle touchait la moitié des
amendes, tandis que le nouvel édit attribuait cette moitié • au vendeur
dénonciateur des abbuz ». Voici le texte de la protestation municipale, en
ce qui touche Thistorique des emplois relatifs à la vente du bois, du
charbon et du foin :
« Premièrement, de nécessité n'y a aucune de créer ces trente visiteurs,
vendeurs de boys, charbon et foing, d'aultant que pour Tordre qui est
estably en la vente de ces denrées, il y a nombre d^officiers, et plus que
suffisant, qui ont ceste charge, assçavoir quarante visiteurs, jurez-mous-
leurs, compteurs de bois, qui visittent, mouUent et comptent, font les rap-
ports, par devant lesdicts prévost des marchans et eschevins, des arrivages,
aussi tostquelesbasteaux sont à port; et s*en faict un registre au bureau
de FHostel de la Ville, de la main de l'un des eschevins, apportant un eschan-
tillon de la marchandise arrivée, et, selon qu'elle est bonne et loyalle et
suivant ^ordonnance et au pris porté par icelle, est permis de vendre ou
bien diminuer du pris, et avant que l'exposer en vente, si c'est du boys
subject à estre mouUé, il est aussi tost faict; sy c'est du boys de traverse,
comme ccluy qui arrive à TEscolle, il suffit le compter. Pour la Visitation
du charbon, sont establiz douze mesureurs qui font pareil rapport, qui est
registre, et selon qu'ilz tiennent leur marchandise loyalle, la déclarent
pour y estre pourveu sur le champ sans aucune remise et connivence.
Pour la pollice du foing, sont ordonnez douze jurez visiteurs et compteurs
de foing qui visittent s'il est de tarre et du prix qu'il est porté par les
ordonnances, en font leur rapport par devant le prévost de Paris, et sont
contrôliez par les commissaires au Chastelet de Paris, outre les deux con*
trolleurs établiz naguères par le roy, à la fouile et charge du peuple, sans
qu'il luy en soit de mieux. Lesdictz jurez, mousieurs de boys, mesureurs
de charbon, sont contrôliez par les eschevins qui vont ordinairement sur
les portz, ung controlleur, sergens et commissaires des quaiz, tellement
que, s'il y a contravention par le marchant vendeur, à plus qu'il ne se,
peult l'ordonnance ou qu'il y ait connivence des jurez mousieurs ou intelli-
gence avecq le marchant, ou bien exaction de gaigne deniers et chartiers,
il y est sans délais, à la première dénonciation, pourveu... » Rbg. H, 1788|
fol. 280.
140 PARIS ET LA LIGUE
près à Tusage de rhomme ' ; il ne reste rien plus qui ne
soit chargé au double du passé ».
Et, en face de ce déplorable système d'impôts qui arrête
et paralyse toutes les transastions, la Ville de Paris esquisse
tout un programme qui repose sur les doctrines écono-
miques dont il est d'usage de faire honneur au xvin® siècle :
« Le meilleur ordre que Ton peult garder en ceste Ville ,
c'est donner une telle liberté au marchant que franche-
ment il amène en ceste ville, affin que, soubz ceste liberté
et franchise, Ton ait abondance, et de ceste abondance
vienne la vente depris ' comme de la nécessité et pénurie
procedde toute cherté. »
Le produit de toutes ces mesures fiscales reçut un emploi
digne de Henri, qu'on a qualifié justement de « type accom-
pli du roi dissipateur ' ». Ce qui eût suffi à la solde de
plusieurs armées servit à donner un éclat royal aux noces
de Joyeuse et de la Valette, les deux mignons préférés.
Joyeuse, créé duc et pair le 7 septembre, épousa, le 24 sui-
vant, Marguerite de Lorraine, sœur de la reine. La céré-
monie eut lieu à Saint-Germain l'Auxerrois avec un faste
inouï, qui constrastait, de Thou le remarque, avec la misère
du peuple. Après la cérémonie du mariage, il y eut une
interminable succession de festins, carrousels, tournois,
mascarades, joutes, concerts, bals. L'Estoilc évalue la dé-
pense que fit le roi à 1,200,000 écus d'or, près de 11 mil-
lions de notre monnaie. Il donna à chacun des époux
300,000 écus d'or. La Valette fut l'objet de prodigalités
i. Henri III n'ayait pas contribué dans une faible mesure à Ténorme
extension des impôts indirects. G*est ainsi qu'en février 1577 il avait établi
les droits spécifiques à Texportation connus sous le nom de traite doma-
niale (FoNTANON, t. II, p. 527). Ils grevaient surtout les céréales, les légumes,
les vins, etc. En mai 1581, on doubla presque tous les tarifs des traites
foraines (droits perçus à la frontière). Voy. Clasaobran, Hist, de l'impôt, t. II,
p. 233.
2. Depris, synonyme de maigre, bas. Voy. Lacurxb de Sauvt-Palatb, t. V,
p. 75.
3. Clahagbran, Hist. de l'impôt en France, t. II, p. 186 (Paris, 1868).
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 141
semblables : on le fiança à une autre sœur de la reine, la
princesse Christine, qui n'était pas nubile. Aussi le mariage
fut-il ajourné, mais non le payement de la dot. En outre,
le roi acheta au roi de Navarre le domaine d'Ëpemon,
près de Chartres, et Térigea en duché-pairie pour la Va-
lette (édit du 27 nov.). Le seigneur d*0 fut un peu jaloux :
on l'envoya faire un petit voyage en Normandie. Pour
suivre l'exemple du roi, tous les grands personnages don-
nèrent des fêtes splendides à Paris, en l'honneur de Joyeuse.
Entre tous, le cardinal de Bourbon se signala par ses pro-
fusions. Il donna, le 10 octobre, un festin colossal à l'abbaye
de Saint-Germain des Prés et promena les invités dans
un jardin artificiel, garni de fleurs et de fruits comme au
cœur de l'été. Sur la Seine, le cardinal avait organisé une
fête nautique, avec monstres marins, feu d'artifice et navire
de triomphe pour le roi. Cinquante mille Parisiens entassés
sur la rivière contemplaient ce spectacle extraordinaire,
qui, du reste, ne donna pas ce qu'il promettait, car les
monstres marins, « tritons, balènes, serenes, saumons,
dauphins, tortues et jusques au nombre de vingt-quatre,
en aucuns desquels estoient portés, à couvert au ventre
desdits monstres, les trompettes, clairons, hautbois, vio-
lons, cornets et autres musiciens d'excellence, mesmes
quelques tireurs de feux articiels », furent dans l'impossi-
bilité de se mouvoir; mais le ballet de Circé, donné au
Louvre par la reine (15 oct.), et les carrousels des jours
suivants, réussirent beaucoup mieux. La féerie ne s'arrêta
que quand le roi se déclara exténué, et l'Estoile conclut
philosophiquement que s'il eût été las un peu plus tôt « il
eust beaucoup espargné, et des deniers que pour y fournir
il avoit levés sur le pauvre peuple, et de sa réputation
envers les siens et les estrangers. Mais c'est l'ordinaire
des princes de s'adviser sur le lard de leurs fautes *. »
1. L'EsTOiLB, 1. 11, p. 34.
142 PARIS ET LA LIGUE
Si les fêtes s'arrêtèrent par ce motif, comme dit Fénelou
dans certaine fable, que la satiété entraîne le dégoût, il
n'en fut pas de même pour les demandes d'argent
adressées par le roi à son bon peuple et spécialement
à la Ville de Paris. Par lettres du 20 janvier 4582,
Henri III déclara au prévôt des marchands qu'il avait
besoin d'une somme de 100,000 écus * pour payer les
pensions dues aux cantons suisses et pour ainsi conserver
leur alliance, que l'Espagne s'efforçait d'enlever à la
France. On était en retard de 500,000 à 600,000 écus,
et les cantons suisses réclamaient impérieusement l'ar-
riéré. Vainement le roi prétendait qu'il n'avait pas
d'argent; les ambassadeurs n'en faisaient que rire, en rap-
pelant les l,200y000 écus dépensés aux noces de Joyeuse,
et ajoutaient que si le monarque avait trouvé de l'argent
pour suffire à de pareilles prodigalités, il en trouverait
bien encore pour les affaires sérieuses. Il fallait donc
s'exécuter ou tout au moins en avoir l'air. Ainsi Henri III
s'adressa-t-il à sa bonne ville, et, avec son ironie habi-
tuelle, il déclara que depuis quelques années il avait fait
des levées extraordinaires sur ses sujets de toutes les
villes et élections, « sans que sa Ville de Paris ayt été
1. D'après l'ordonnance royale enregistrée au Parlement le 18 novem-
bre 1577, et & la cour des Monnaies le 20 novembre suivant, Técu sol valait
tt soixante solz tournois », l'écu couronne valait cinquante-neuf sols tour-
nois; <i l'écu viel » valait un écu et douze sols tournois; le double Henri
valait treize escus sol. Quant aux monxiaies d'or espagnoles, le vieux ducat
double d'Espagne valait deux escus sol et un quinzième ; l'écu simple d'Es-
pagne, dit pistolet, volait cinquante-huit sols tournois. Citons également
la valeur de quelques monnaies d'argent : le franc d'argent valait un tiers
d*écu ou vingt sols tournois. Il fallait donc trois francs d'argent pour avoir
l'équivalent d'un escu sol. I<e tes ton aux armes de France valait quatorze
sols six deniers tournois. Les pièces de quatre réalles d'Espagne valaient
un Uers d'écu ou vingt sols tournois; le double réalle d'Espagne valait dix
sols tournois ; le simple réalle d'Espagne valait cinq sols tournois. On peut
consulter, sur la valeur des monnaies françaises et étrangères au xvi« siècle,
le Recueil des ordonnances, édicts, déclaraiions, etc., des monnayes d^or et
d'argent et autres espèces tant de France qu*estrangêres, Paris, 1 vol. in-5«,
chez Pierre Charpentier, contre l'horloge du Palais, 1633,
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 143
aulcunement comprise es dictes levées, pour l'avoir tou-
jours eu en si singulière recommandation et voulu icelle
réserver pour nous servir et en tirer secours en l'extrême
et très urgente nécessité ' ». Une assemblée du Bureau eut
lieu le 23 février, et la municipalité prit la délibération
suivante : « Ouverture du Bureau de la Ville sera fàicte
pour le recouvrement de la somme de 50,000 écuz pour le
paiement desdictz Suisses, pourveu que ce soit de gré à
gFé et sans aulcune contraincte pour ceulx ausquelz sera
constitué rente se paier des arréraiges d'icelle des deniers
de l'assignation particulliëre qui sera baillée par le roy et
sans icelle confondre * ». Au moyen de cette émission de
rentes, le roi put combler de présents les ambassadeurs
suisses et les renvoyer dans leur pays pleins de zèle pour
la France. Ils revinrent au mois de novembre avec
mandat de renouveler l'alliance. C'était un succès pour la
politique française, car le roi d'Espagne n'avait pu ébranler
la fidélité des cantons suisses par les offres les plus bril-
lantes. Aussi donna-t-on le plus grand éclat à la réception
des ambassadeurs suisses. Par lettres du 26 novem-
bre 1S82, le roi prescrivit au prévôt des marchands et à
ses collègues d'aller au-devant des ambassadeurs suisses
et de leur faire des présents. Le 28, tout le corps de Ville,
prévôt, échevins, receveur, greffiers, conseillers, quartî-
niers, sergents, archers, arbalétriers et arquebusiers, en
grand costume d'apparat, reçurent les ambassadeurs à la
porte Saint- Antoine. « Au nom des trois estats de la
capitalle du royaume », le prévôt des marchands adressa
aux étrangers une harangue que les registres ont con-
servée. Puis le cortège se reforma et conduisit les Suisses
jusqu'au logis qui leur était destiné « rue Saint-Denis et
ès-en virons ». Une visite officielle fut faite le lendemain
1. Rbo. h, 1788, foL 288.
2. Ibid.y fol. 289.
144 PARIS ET LA LIGUE
aux ambassadeurs par les officiers municipaux, qui leur
offrirent, au nom de la Ville, « grande quantité d'hypocras
blanc et clairet avec plusieurs flambeaux de cire ». Et tant
que les Suisses demeurèrent à Paris « leur fut encores
présenté chacun matin grand nombre de bouteilles de vin
viel et nouveau ypocras, dragées et pastez de Jambons de
Mayence * ». La ville n'en fut pas quitte pour cela avec la
députation helvétique. Le 2 décembre, il fallut assister,
dans l'église Notre-Dame, au service solennel dans lequel
les ambassadeurs « fcirent le serment en tel cas accoustumé
ès-mains de monseigneur le cardinal de Birague, d'entre-
tenir ladicte aliance et confédération ». Le même jour, à
trois heures, il y eut Te Deum, procession et salut « pour
prier Dieu de donner lignée au roy ' ». Devant l'Hôtel de
1. Rb6. h, 1788 bit, fol. 310. Ce registre H, 1788 bU, ne forme qu'un seul
tome avec H, 1788. Il porte la mention suivante : Continuation du pré-
sent registre, commençant au jour de my-aoust, l'an mil P quatre vingt z
deux pour les quatre années du magistrat de messire Estienne de Nully, che-
valier seigneur dudict lieu, conseiller du roy en son conseil d'Estat, premier
président en sa court des Aides à PatHs, Prévost des marchansde ladicte Ville.
2. Ibid., fol. 312. Henri III s'était déjà bien souvent adressé au ciel pour
obtenir une progéniture qui devenait plus que problématique. En juin 1582,
il avait fait, avec la reine, un voyage & Notre-Dame de Chartres, et avait
laissé pour souvenir de sa visite une lampe d'argent du poids de quarante
marcs, avec cinq cents livres de rente « pour la faire ardoir nuit et jour ».
Pendant tout le cours de Tannée 1582, le roi fit dire des prières dans toutes
les églises de Paris « à ce qu'il pleust à Dieu donner à sa femme lignée qui
peust succéder à la couronne de France, dont il avoit singulier désir ».
L'EsToiLE, t. Il, p. 95. — Les registres de la Ville mentionnent sous la date
du 9 décembre 1582 une autre grande procession « pour la lignée du roi ».
Tout le corps municipal y assista en costume d'apparat. Le roi et la reine
accompagnèrent jusqu'à Notre-Dame la chftsse de sainte Geneviève et les
reliques de la Sainte- Chapelle. Après une messe solennelle, dite dans la
cathédrale, MM. de la Ville conduisirent « la châsse de Madame Sainte-
Geneviève jusques au- devant de l'église Sainte-Geneviève des Ardans • ;
puis les magistrats municipaux rentrèrent à l'Hôtel de Ville. Rbg. H, 1788 6t>,
fol. 313. Le roi avait lui-même donné ses ordres au prévôt des marchands,
en ce qui concerne cette procession. Le registre que nous venons de citer
le constate en ces termes : « Cejourd'huy 26 novembre 1582, M. le pre-
mier président de NuUy (de la Cour des aides), prévôt des marchands, a
déclairé au bureau de la Ville que, estant, le jour d'hier, à l'issue du disner
du roy au Louvre, Sa Majesté luy auroit dict que, ayant toute ceste année
qui expirera d'huy en huict jours, faict et faict faire par son peuple prières
publiques à Dieu pour avoir lignée et les désirant continuer, lui avoit
ordonné de faire entendre à Messieurs l'évesque de Paris, chappittre dudict
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 145
Tillcy un féu de joie fut allumé, une pièce de vin défoncée
pour le peuple, et l'artillerie municipale tira plusieurs
salves, en Thonneur de .la Suisse. Enfin, le lendemain, les
échevins Jean Poussepin et Denis Mamyneau allèrent
« quérir en coches » les ambassadeurs pour les conduire
au grand festin donné en leur honneur à l'Hdtel de Ville.
Pour la circonstance, on avait décoré de lierre le grand
escalier de la maison commune. Dans la grand'salle,
(c tapissée de deux haulteurs de fine tapisserie », eut lieu
un festin digne du formidable appétit des descendants do
Guillaume Tell; cependant, si l'on en croit la relation
municipale, « toutes choses se passèrent en grande révé-
rence et modestie ».
Quand il s'agissait d'un grand intérêt politique, tel que
l'alliance avec les cantons catholiques de la Suisse, la
municipalité parisienne donnait volontiers l'argent de la
Ville ; mais, quand elle ne se trouvait plus en présence que
du bon plaisir du prince, qui considérait le receveur muni-
cipal comme un caissier offert par le droit divin pour donner
carrière à des caprices insensés et aux prodigalités les plus
folles, alors les élus de Paris s'indignaient hautement et
commençaient à tenir tête au roi. Nous avons dit plus haut
à quelle orgie de dépenses avaient donné lieu le mariage
du duc de Joyeuse et les fiançailles du duc d'Epemon. Il
avait fallu ensuite garnir la bourse de ces brillants sei-
gneurs, qui désiraient faire un voyage en Lorraine. A cet
effet, le roi avait, en mars 1582, « prins des coffres de
lieu, abbé de Saincte-Geneviëve, Court de parlement et & MM. de ladicte
Ville que Sa Majesté avoit adyisé faire procession généralle dimanche pro-
chain, en laquelle il feroit porter les sainctes reliques, châsse de Madame
Salncte-GeneTiève et aultres reliques des églises, et que ledict sieur roy y
assistera en personne; et, pour ce, que chascun eust à soy y disposer et
préparer. Depuis laquelle ordonnance, Sa Mi^esté auroit remis ladicte pro-
cession au dimanche neufviesme Jonr de décembre ensuivant. • Il y a sur
ce point une légère erreur dans TËstoile, qui est ordinairement en concor-
dance parfaite avec les Registres de la Ville. Il indique la procession géné-
rale sous la date du !•' décembre, t. II, page 95.
ROBIQUET. 10
146. PARIS ET LA LIGUE
M* François de Vignî, receveur de l'Hostel de la Ville de
Paris, cent mille escus pour les bailler aux ducs de Joieuse
et d*Espernon, à chacun 40 mil escus ^ pour les frais de
leur voiage en Lorraine où ils alloient voir les parens de
leurs femmes. De quoi le peuple de Paris se scandaliza et
murmura fort, voiant les paiemens des arrérages de leurs
rentes retardés d'autant, et mesmes que le roy les avoit
comme extorqués par force du receveur de Vigni, qui
tascha, le plus qu'il peust, de ne les point bailler, s^excu-
sant sur Timportunité et menasse du peuple, le pressant
de leur paier les quartiers de leursdites rentes despeiça
escheus. » Mais Henri III, loin de sentir l'opprobre de
cette exaction violente, qui ressemblait à un vol, n'attendit
pas longtemps pour tirer d'autres inventions fiscales de sa
féconde imagination. En décembre 1582, il fit ordonner
par son Conseil secret une taxe sur « tous les marchands
de Paris, achetans et vendans du vin en gros », avec
commandement pour chacun d'eux de payer sa cote dans
les vingt-quatre heures, à peine de prison. Des taxes
analogues, variant d'après les ressources présumées de
chaque contribuable, avaient été imposées peu de temps
auparavant sur les officiers des greniers à sel et sur tous
ceux qui se mêlaient du commerce du sel. Au mois de
janvier 1583, le roi, ayant payé aux Suisses une partie des
arrérages échus de leurs pensions, voulut remplir ses
cofifres, qui ressemblaient, à s'y méprendre, au tonneau des
Danaïdes. Il réclama aux villes du royaume un don gratuit
de 1,500,000 écus. Paris, pour sa part, était taxé à
200,000 livres que le roi demandait « pour ses urgens
affaires ». Une assemblée générale eut lieu le 12 février
à l'Hôtel de Ville, en présence de Villequier, gouverneur
de Paris, et du cardinal de Bourbon, délégués du roi.
1. L'EsTOiLB semble ici laisser entendre que le roi arait gardé pour ea
commission une somme de vingt mille écus, t. II, p. 61.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 147
On décide « que remonstrances très humbles seront
faictes à sa Majesté » ^
A la date du 16 février, les remontrances municipales
étaient terminées « et baillées par escript, présens les-
dictz sieurs eschevins, plusieurs conseillers de ladicte
ville, bourgeois et aultres ». Le ton général de ces remon-
trances, très développées et dont les Registres donnent le
texte complet, est surtout remarquable en ce que les
membres de la municipalité parisienne ne parlent pas seu-
lemcnt en leur nom personnel, mais au nom de toute la
population et des grands corps de TËtat.
Une première raison, donnée par la Ville à l'appui de la
demande d'exemption, c'est que Paris est une ville privi-
légiée entre toutes, à laquelle les rois ont de tout temps
accordé de larges immunités. Il en a été de. même pour
les capitales, aux différentes périodes de l'histoire des
peuples '. A ce premier argument, qui ne dérive pas, il
faut l'avouer, d'un sentiment bien élevé, et trahit un peu
l'égoïsme des privilégiés, la municipalité parisienne en
ajoute d'autres, plus sérieux; elle soutient que pas une
des catégories de la population parisienne n'est en état de
supporter de nouveaux sacrifices. Quelles sont ces caté-
gories? Il y en a quatre : l'Église; les officiers du roi; les
marchands; les artisans. Le clergé a déclaré dans l'assem-
blée générale de THôtel de Ville qu'il avait déjà payé deux
décimes extraordinaires et qu'il avait promesse du roi de
ne pas être compris dans la nouvelle taxation; les officiers^
1. Rbo. h, 1788 àU, fol. 322.
2. « Cela a esté efTectué par tous ceulx qai ont touIu establir graDdz
royaumes et monarchies : le Soldan en Egypte avolt la ville d'Alexandrie;
le Grand Seigneur a Constantin ople; le Vénitien à Venise; le sage et poli-
Uque romain & sa ville de Romme, toutes lesquelles villes furent toujours
exemptes de levées de deniers... » Spécialement, les rois de France, depuis
Clovis, ont favorisé leur capitale et développé ses immunités. Il y a donc
lieu de se plaindre, si le roi régnant n'imite pas ses prédécesseurs, et de
constater avec regret que Paris soit maintenant « taxé et cottisé au rang
de tontes les aultres villes ».
148 PARIS ET LA LIGUE
c'est-à-dire les fonctionnaires, affirment « qu*il leur est
deu une bonne partie de leurs gages et depuis quelque
temps l'exercice de la justice royale cesse ». Mais c*est
surtout la classe des marchands et des bourgeois qui fait
entendre les plainctes les plus amères *. La municipalité
conclut en se plaignant hautement de la suspension dH
payement des rentes sur l'Hôtel de Ville, suspension exclu-
sivement imputable au roi, qui au début de Tannée 4582
a pris 100,000 écus dans la caisse municipale, et au clergé,
qui ne paye plus les sommes assignées sur lui '.
Le prévôt des marchands, M. le président de Nully,
remit les remontrances au roi, qui se contenta de répondre
qu'il les verrait et les communiquerait à son Conseil; il
enveloppa cette réponse de mille promesses de respecter
les privilèges et franchises « de ses bons bourgeois de
Paris »; mais, dans une communication écrite qui suivît
de près la communication verbale, Henri HI fit savoir
à la Ville qu'il voulait avoir les 200,000 livres, sans
aucune réduction, et qu'on ne lui en parl&t plus. On pou-
vait faire d'ailleurs autant d'assemblées et de remon-
•
1. u La marchandise, Sire, est diminuée depuis quelques années des deux
tiers, tant pour le peu de sûreté qui s'est trouvé, et en la mer et en la terre
en Tostre royaume que es circom voisins, et pilleries et voUeries qui y sont
faictes, au molen des guerres qui y sont survenues, que aussi les imposi-
tions que Ton y a mises de nouveau sur toutes sortes de marchandises,
mesmes la douane en vostredicte Ville de Paris, qui sont cause de Tex-
tréme cherté de toutes marchandises, à la grande fouUe de vostre peuple,
et d'avoir réduict plusieurs bons marchans & faire faillite et banqueroute. »
On ne peut espérer tirer des artisans que « peu d'argent ou point du tout,
et ce peu accompaigné de beaucoup de crieries et de murmures, et de peu
ou poinct de respect ». Quant aux bourgeois, ceux qui ont « biens aux
champs », ne touchent pas leurs fermages, parce que les fermiers sont fort
accablés par les creues des tailles et pillés par les gens de guerre « au poiacl
que les propriétaires sont obligés de remonter leurs pauvres fermiers de
chevaulx, bestiaulx et toutes autres choses nécessaires pour leur labour ».
On remarquera dans ce passage des remontrances Tallusion faite à Tédit
du 20 mai 1581 instituant un bureau de douanes dans chaque ville du
royaume.
2. Il y a certes quelque monotonie dans le renouvellement fréquent des
remontrances municipales, mais on ne peut les passer sons silence, sans
omettre l'une des causes principales de l'insurrection ligueuse, et cette
cause est peu connue.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 149
trances qu'on voudrait : c'est de quoi le prince ne s'inquié-
tait pas. Dans une assemblée générale du i"" mars 1583,
le prévôt des marchands transmit à ses mandants les
lettres royales. Sur quoi, l'assemblée décide « que Sa
Majesté sera derechef suppliée très humblement de vouloir
bien descharger ladicte Ville de ladicte somme de
200,000 livres, pour les causes à plain déclarées es dictes
remonstrances ». Ce nouveau refus exaspéra le roi, qui
alla derechef trouver de Vigny, le receveur municipal, et
se fit remettre par force les 200,000 livres dont il avait
besoin ^ La conséquence de cet acte de violence fut que
ks quartiers de rente dont le receveur allait effectuer le
payement restèrent encore en souffrance. On devine la
colère et l'indignation des rentiers. Sous la pression de
leurs plaintes, la municipalité parisienne tint de nom-
breuses assemblées pour aviser au moyen de remplacer les
fonds détournés par le roi. Il fallut aussi résister à d'autres
tentatives de Henri III, qui voulait forcer la Ville à
recevoir « plusieurs de ses domaines et aydes » en
échange de la ferme des impôts de Bretagne que des con-
trats authentiques avaient conférée à la Ville de Paris le
3 novembre 1582 '. Sur ce point, deux assemblées du
Bureau (tenues le 5 juillet et le 6 sept. 1583) opposèrent
un refus formel aux instances du roi et de la reine
mère.
On eût dit que cette race des Valois prenait à tâche de
soulever contre elle la conscience publique et s'abandon-
nait à « l'esprit d'étourdissement » dont parlait l'avocat
David dans son mémoire '. Placé par le hasard des cir-
1. Rao. h, 1788 Ins, fol. 330, et l'Estoile, t. II, p. 99.
2. RsG. H, 1788 bis, f- 330 et 348.
3. « Il se voit à rœil que la race des Gapets est du tout abandonnée à
sens réprouvé : ]es uns étant frappés d'un esprit d'étourdissement, gens
stupides et de néant; les autres réprouvés de Dieu et des hommes, pour
leur hérésie, proscrits et rejetés de la saincte communion ecclésiastique... >*
MtM. DB LA ûouB. Édit. d'Amslcrdam, 1758, t. I, p. 3.
ISO PARIS ET LA LIGUE
constances dans une des plus belles situations politiques
qu'un prince pût rêver, le duc d'Anjou l'avait compromise
par sa félonie criminelle. A un peuple qui l'accepte pour
chef et lui prodigue les honneurs ^ il répond en essayant
de l'asservir et occupe par surprise Dunkerque, Dixmude,
Dendermonde et plusieurs autres places; mais Anvers
rejette les soldats du traître, les habitants des Pays-Bas se
lèvent en masse et réduisent le nouveau duc de Brabant à
une fuite honteuse. Tandis que son frère rentre en France
(juin 1583) et va ensevelir sa honte dans ses domaines do
l'Oise et de la Marne, laissant le champ libre aux Espa-
gnols du prince de Parme, Henri III descend aussi la pente
de l'odieux et du ridicule. Il avait passé un joyeux carême,
courant les rues, la nuit, en masque, avec ses mignons,
faisant « mille insolences », dit l'Estoile, « allant rôder de
maison en maison, voir les compagnies jusques à six
heures du matin. » Tout cela entremêlé d'élans mystiques
et de fondations pieuses. La création de la confrérie des
pénitents de t Annonciation de Notre-Dame est du mois
de mars 1583*; elle donna lieu à une procession solennelle
(25 mars) dans laquelle le roi figura ainsi que les plus grands
personnages du royaume, et reçut la pluie avec une rési-
gnation angélique. On chanta :
Après avoir pillé la France,
Et tout son peuple despouillé,
Est-ce pas belle pénitence
De se couvrir d'un sac mouillé?
1. Le duc d^Ânjou avait été proclamé duc de Brabant à Anvers le
19 février 1582, & son arrivée d'Angleterre, où Elisabeth l'avait publique-
ment traité comme son fiancé. Le prince d'Orange l'avait mené faire son
entrée, comme comte de Flandre, à Bruges et à Gand.
2. Voy. les statuts de la congrégation : Abch. cur., t. X, l'» série, p. 434.
Le costume des confrères se composait d'un long sac en toile de Hollande,
avec un capuchon pointu qui couvrait la face, sans autre ouverture que
deux trous pour les yeux. Les art. 7 à 17 établissent un tarif de péni-
tences pour les péchés de toute nature.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 151
L'édification du peuple était plus que douteuse : le clergé
lui-même raillait cruellement les pénitents de cour et leur
chef. A part le jésuite Auger, confesseur du roi, qui avait
poussé son maître à introduire à Paris les momeries d'Avi-
gnon, les moines, les prédicateurs en vogue tonnaient du
haut de la chaire contre la nouvelle confrérie. Maurice
Poucet \ moine bénédictin de Melun, puis curé de Saint-
Pierre des Arcis, prêchait le carême à Notre-Dame en
mars 1583. C'était un homme instruit, mais d'une élo-
quence mordante et souvent ^grossière, qui plaisait infini-
ment au peuple, il cribla de sarcasmes les pénitents de
l'Annonciation, qu'il appelait « la Confrérie des hypocrites et
atheïstes ». Puis, il révélait, dans les termes suivants que
rapporte l'Es toile, la suite des rites de la sainte associa-
tion : « J'ay esté adverti de bon lieu, qu'hier au soir (qui
estoit le vendredi de leur procession), la broche tournoit
pour le soupper de ces bons pénitents, et qu'après avoir
mangé le gras chappon, ils eurent pour leur collation de
nuit le petit tendron qu'on leur tenoit.tout prest. Ah!
malheureux, vous vous mocquez donc de Dieu sous le
masque... » Le roi fit conduire Poucet à Melun dans l'ab-
baye de Saint -Père par le chevalier du guet. Avant le départ
du moine, le duc d'Èpernon le vint voir et lui dit : « Mon-
sieur nostre maistre, on m'a dit que vous faites rire les
gens h vostre sermon; cela n'est guère beau. » A quoi
Poucet répondit sans se troubler : « Je n'en ai jamais tant
fait rire en ma vie comme vous en avez fait pleurer. » Les
moines se sentaient populaires dans leur campagne sati-
rique. Rose, l'un des prédicateurs ordinaires du roi, n'avait-
il pas osé, en ce même mois de mars, blâmer en chaire les
4. Voy. sur Poncet Bibl. de la Croix du Mai5b et du Vehdibr, v» Maurice. —
SfBASTiBN RouiLLARD, Bist. de Meluu, 1628, in-4«, p. 627. ~ De Thou, t. IX,
p. 69. — Confession de Sancy^ chap. vm. — L'Estoile, t. II, p. 111. — Ch.
Labrtk, les Predic. de la Ligue, p. 23.
152 PARIS ET LA LIGUE
licencieuses et nocturnes promenades de Henri m suivi de
ses mignons? Le roi le fit venir et le tança vertement, puis
lui donna une assignation de quatre cents écus « pour
acheter du sucre et du miel ». Clémence aussi spirituelle
qu'inutile : Rose sera bientôt Tun des plus fanatiques
meneurs de la Ligue. Jusque dans les cuisines du Louvre,
on riait des pénitents et Ton parodiait leurs processions.
Henri se fâcha et fit fouetter quatre-vingts laquais ou pages.
Pour avoir le dernier mot, il organisa le 7 avril une nou-
velle procession de pénitents^ à neuf heures du soir. Plu- .
sieurs des associés exhibèrent à cette occasion leurs dos
rouges des coups qu'ils se donnaient.
Paris, qui s'amuse de tout, finit d'ailleurs par prendre
goût aux processions. Tous les historiens l'affirment ^ On
se moquait du roi et des mignons dans le sac de toile, mais
on croyait à l'efficacité des processions pour arrêter la peste.
C'est ainsi que le 8 octobre 1583 le Bureau de la Ville
invite le prieur des Blancs-Manteaux à se trouver, le
mardi suivant, avec vingt-quatre religieux de son couvent
et un reliquaire, dans l'église de Saint-Jehan en Grève, afin
d'accompagner le corps municipal à une procession pré-
servatrice. Les Registres constatent * que des mandements
furent adressés aux vingt-six conseillers de la Ville et
qu'ordre fut donné aux quartiniers d'appeler deux nota-^
blés de chaque quartier pour figurer dans le cortège que
suivaient également les archers, arbalétriers et arquebu-
siers de la Ville ^. A côté des courtisans, dont la foi était
1. Voy. notamment Féubikv, t. II, p. 1148.
2. Rb6. h, 1788 bis, ^ 349.
3. Le 29 mai 1584, le roi écrit encore & la Ville pour Tinviter à se rendre
à la procession qui se fera le dimanche suivant. 11 ajoute qu'on descendra
la chAsse de sainte Geneviève pour « implorer Dieu par prières et orai-
sons publicques, à ce qu*il luy plaise, en apaisant son ire, impartir ce
qui est nécessaire, tant pour Taccroissement et conservation des fimictz
de la terre que pour la salubrité du corps >•• A cette procession, des
hommes « pieds et testes nues et en chemises » portèrent les saints reli-
quaires et la châsse de sainte Geneviève. L'évéque de Paris, Tabbé de
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE ÏSS
sujette à contestation et que Poncet traitait à'athéistes au
milieu même de leurs promenades édifiantes, il y avait
aussi Télément humble et sincère : les femmes, les paysans
qui accouraient dans la capitale pour travailler à leur
salut. Le 10 septembre 1583, on vit arriver à Paris huit
à neuf cents pèlerins vêtus de toile blanche, des cierges
ou des croix à la main, marchant deux à deux et chan-
tant des cantiques. C'étaient les habitants de deux vil-
lages de la Brie que conduisaient deux gentilshommes
à cheval et « leurs damoiselles aussi vQstues de mesmes
dedans ung coche ». Ils allaient par les rues, les pieds nus,
déchirés par les cailloux des chemins, et quand ils entrè-
rent à Notre-Dame pour faire leurs prières et leurs offran-
des, le peuple de Paris, qui c< accouroit à grand foule pour
les voir », versa des larmes de pitié. D'autres bandes arri-
vèrent les 19 et 20 septembre, les 18, 22 octobre et 9 no-
vembre ; le but des pèlerinages était en la Sainte-Chapelle
ou Sainte-Geneviève. Pourquoi ces singuliers déplacements
de villages entiers? On ne sait. Quelques-uns disaient, à ce
que rapporte TEstoile, « qu'ils avoient esté meus à faire ces
pénitences et pèlerinages pour quelques feux apparans en
Tair et autres signes, comme prodiges veus au ciel et en la
terre ». Chose claire! un courant religieux entraînait les
masses, menaçant d'emporter le trône de France et de
placer le sceptre dans la main des moines. Sans parler de
son goût pour les cérémonies bizarres, Henri III se croyait
Sainte-GenevièTe, les compagnies souveraines et le corps de Ville marchaient
ensuite. (làid,, ^ 397.) Dans une autre lettre, écrite de Blois au prévôt des
marchands, le 16 octobre 1584, le roi exprime nettement la pensée que la
contagion est un elTet de la colère de Dieu : « Très chers et bien âmes,
nous avons desjà, par plusieurs années consécutives, esté visites en cestuy
royaume, mesmes en nostre bonne ville de Paris, de la contagion et de
plusieurs austres maladyes, qui nous doibvent assez faire congnoistre que
Dieu est grandement courroucé et qu'il nous afflige & bon droict pour nos
iniquitez. » Cela n*empèche pas le roi de songer aux remèdes terrestres,
et il nomme par la même lettre une commission, où figurent trois délégués
de la Ville, « pour ensembtement y adviaer et remédier du mieux que
foire se pourra. » (Rbo. H, 1788 bis, ^ 427.)
154 PARIS ET LA LIGUE
sans doute habile en flattant Tesprit du temps, qui faisait
du prêtre le vrai souverain.
Pour la population parisienne, tout était prétexte à spec-
tacles. L'enterrement d'un grand personnage prenait les
proportions d'un événement. Quand Christophe de Thou,
premier président au Parlement, mourut (le 1" novembre
4582), ce fut un défilé si beau que le roi et les reines vin-
rent le voir passer sur le quai des Augustins ^ L'année
suivante (24 novembre 1583), la mort du cardinal de
Birague donna lieu aussi à des cérémonies pompeuses, et
la municipalité parisienne n'en perdît rien *. On trouve
dans les Registres la relation détaillée des cérémonies funè-
bres ^. Le samedi 3 décembre vinrent au Bureau de la Ville,
où se trouvaient le prévôt des marchands et les échevins,
« plusieurs officiers et serviteurs domestiques de feu mes-
sire René de Birague, cardinal, chancelier de France, tous
habillez en deuil, lesquelz auroient prié mesdits sieurs du
convoy et enterrement dudict feu sieur cardinal , qui se
feroit le mardy ensuyvant, sixiesme desdictz mois et an,
ce qu'ilz auroient promis faire... Et le lundy, cinquiesme
jour dlcelluy mois , seroient aussi venuz audict bureau
vingt-trois crieurs de corps et de vins de ladite ville *,
1. Il est assez singulier que le prévôt des marchands et les échevins
n*aîent pas figuré dans le cortège. L'Estoilb le dit formellement (t. II, p. 89).
2. Le cardinal René de Birague, chancelier de France, avait soixante-
seize ans au moment de sa mort. Voici le portrait qu'en trace l'Estoilb :
tt Ce chancelier estoit Italien de nation et de religion, bien entendu aux
afîaires d'Kstat, fort peu en la justice; de sçavoir n'en avoit point à
revendre, mais seulement pour sa provision, encore bien petitement. Au
reste libéral, voluptueux, homme du temps, serviteur absolu des volontés
du roy, aiant dit souvent qu*ï\ n'estoit pas chancelier de France, mats
chancelier du roy de France. » C'était d'ailleurs un prélat désintéressé :
il mourut pauvre.
3. Re6. h, 1788 bis, ^ 363.
4. Sur les crieurs^ voy. Hist. munie, p. 38. Depuis la grande ordon-
nance de 1415, les jurés-crieurs n'avaient plus le cri des ordonnances
politiques ou de police, ni celui des ventes et locations de maisons. Ils
criaient les choses estranges, les enfants perdus au-dessous de huit ans,
les mules, chevaux, etc. Mais leur principal office était d'annoncer la
mort de chaque citoyen et de régler les détails des funérailles. L'art. 183
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 155
vestuz de ducil, qui auroient réitéré ladicte prière à mes
dictz sieurs, ausdictz jour et an de mardy. » Après avoir
reçu rinvitation, le Bureau convoque les conseillers de la
Ville , les quartiniers et charge ces derniers d'appeler
deux notables de chaque quartier. Il mande en même temps
aux capitaines des archers, arbalétriers et arquebusiers de
la Ville de se trouver à une heure dite devant la maison
commune avec leurs compagnies, pour faire « porter par
douze personnes de chacun des trois nombres » les trente-
six torches marquées aux armes de la Ville \ Une oraison
fimèbre de Bernard de Beaune, archevêque de Bourges,
de Tord, de 1415 fixe le tarif des fouraiture, et ce tarif ne sera modifié
qu'au xvn* siècle. Les crieurs s'occupaient aussi du commerce des vins
et boissons au détaiL Ils avaient un costume étrange : une dalmatique
blanche parsemée de larmes noires et de têtes de mort. Us agitaient la nuit
une clochette dont le tintement accompagnait ce refrain lugubre : « Ré-
veillez-vous^ gens qui dormez; priez Dieu pour les trépassés, » Les crieurs
étaient au nombre de vingt-quatre; ils étaient nommés par le prévôt des
marchands, et le choix ne pouvait porter que sur « homme qui par infor-
mation deuement faicte sera trouvé estre de bonne vie, renommée et
honneste conversacion n ; organisés en confrérie, ils avaient des devoirs et
des charges, payaient certains droits et entretenaient une caisse de re-
traites pour les confrères malades ou devenus vieux. Ils ne pouvaient
crier chacun plus d'un corps par jour, « afin que chascun d'eulx eust
des besongnes par esgal poreion ». On peut tirer de Tart. 181 de Tord,
de 1415 cette conclusion que, dès le xv« siècle, on vendait des vins
« composez ou mistionnez, comme cleré ou autres semblables », ce qui
prouve que l'utilité d'un laboratoire municipal a d& se faire sentir à Paris
même sous l'âge d'or.
1. Les obsèques eurent lieu le 6 décembre avec une pompe inusitée. En
tète du deuil marchaient les princes des maisons de Bourbon et de Guise
derrière eux venaient le Parlement, la Cour des aides, la Chambre des
comptes, des moines de toute couleur, capucins, minimes, religieux des
Billetles, blancs- manteaux, mathurins et cent autres; cent pauvres vêtus de
deuil, chacun portant une torche à la main; des enfants « de la charité
chrétienne *, de la Trinité, du Saint-Esprit, les enftints rouges; et puis
tt le corps, porté par douze de MM. les pénitents, vestuz de leurs aubes,
assistez d'autres douze portans flambeaux, à chascun desquelz estoit
peinte l'Annunciation Nostre-Dame, etau-dessoubz les armoiries de France
et de Pologne, soustenues par des pénitens à genoulx ». Tout le corps de
Ville à cheval vint se grouper à Thôtel d'Evreux, « assiz rue Saint-An-
tboine » tout près du couvent de Sainte-Catherine du Val des Escoliers,
où le cardinal défunt était resté huit jours exposé sur un lit de parade,
grande attraction pour le peuple. De là on s^achemina « par dedans la clos*
ture Saincte-Catherine et par les rues de Paradis, puis au cimetière Sainct
Jehan et la rue Sainct Anthoine jusqu'en l'église Saincte-Catherine », lieu
de la sépulture. Rbo. H, 1788 bis, f* 363.
i56 PARIS ET LA LIGUE
termina cette imposante cérémonie, dans laquelle les chefs
de la Ligue avaient passé en revue Tarmée des moines.
Un mort d'un rang plus élevé encore que le cardinal
chancelier de Birague allait occuper P^ris. Le 11 février
1584, le duc d'Anjou était arrivé dans la capitale, venant
de Château-Thierry, 'et la reine l'avait logé aux Filles-
Repenties K Ce n'était pas néanmoins pour faire pénitence,
mais pour passer le carême avec le roi son frère, que le
duc d'Anjou avait quitté ses domaines. Après une entrevue
touchante où les dignes fils de Catherine s'embrassèrent à
trois reprises avec des larmes de joie, les divertissements
commencèrent. Suivis de leurs mignons, les deux princes
passèrent le jour et la nuit de carême prenant « par les rues
de Paris, dit l'Ëstoile, à cheval et en masque, desguizés
en marchans, prestres, avocas, et en toute autre sorte
d'estas, courans à bride avallée, renversans les uns, bas-
tans les autres à coups de bastons et de perches, singuliè-
rement ceux qu'ils rencontroient masqués comme eux,
pour ce que le Roy seul vouloit avoir, ce jour, privilège
d'aller par les rues en masque. Puis passèrent à la foire
Saint-Germain, prorogée jusqu'à ce jour, où ils firent infi-
nies insolences, et toute la nuit, jusqu'au lendemain dix
heures, coururent par toutes les bonnes compagnies et
assemblées qu'ils sceurent estre à Paris. » A force de
courir ainsi, le duc d'Anjou rendait l'âme, et quand son
1. Le 13 février, le roi avait donné Tordre aux membres du corps de
Ville « d*aller trouver le duc et luy faire la révérence et présens telz que.
è, Son Excellence appartenoit ». Déférant à cet ordre, M. de NuUy et ses
•collègues, en « habits noirs ordinaires », se rendirent à Fhostel de M« Ghas-
teau, mattre des Comptes, où demeurait le duc, faisant porter par les
sergents « confictures seiches, dragées, ypocras blanc et clairet n. Les
officiers municipaux attendirent « quelque temps dedans l'antichambre
d'icelluy seigneur », puis entrèrent dans la chambre du duc et lui présen-
tèrent leurs dragées et leurs confitures. Le duc les « remercia bénigne-
ment ». (Rig. H, 1788 bis, ^ 376.) En février 1585, la Ville eut encore à offrir
les confitures traditionnelles, les dragées et Thypocras aux ambassadeurs
•d'Elisabeth d'Angleterre qui venaient essayer de conclure une alliance
contre TEspagne. (Ibid.y n> 437.)
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 1S7
bon frère le renvoya le 21 février à Château-Thierry, enrichi
de cent mille écus, mais « trop échauffé par les collations
de Paris et Madame de Sauve », les médecins annonçaient
sa mort prochaine. A la fin de mai, Catherine alla voir le
moribond à Château-Thierry et le trouva si mal qu'elle se
« fit apporter par eau les plus précieux meubles de sondit
fils, abandonné des médecins et de tout humain secours^ ».
Le frère du roi s'éteignit « submergé dans la boue * » le
10 juin 1584, disant pour dernières paroles que les plai-
sirs de Paris lui coûtaient cher. Il laissait au roi Cambrai,,
la seule ville qu'il eût gardée de ses éphémères conquêtes^
et ses domaines immenses, qui produisaient 400,000 écus
de rente '.
Henri III restait le dernier représentant de la race des^
Valois, et son héritier, selon le droit monarchique, était le
roi de Navarre, un hérétique. La mort du duc d'Anjou
donnait donc une force immense au parti des Guises et
présentait tous les caractères d'un événement capital. Aussi
peut-on trouver quelque intérêt à la description des
obsèques que lui firent le roi et la Ville de Paris. C'est le
21 juin que le corps fut amené à Paris et déposé à Saint-
Magloire, au faubourg Saint-Jacques. La veille, Henri III
avait annoncé officiellement à. la municipalité la mort de
son frère et indiqué le rôle que joueraient les membres du
corps de Ville dans la cérémonie funèbre ^. Conformément
1. L'EsTOiLB, t. H, p. 154.
2. MiCBBLBT, t. X, p. 103. Édit. Lacroix.
3. Db Thou iosinue que le duc d*Anjou a été peut-être empoisonné :
« Sa mort ne fût pas exempte de soupçon de poison ; et les chirurgiens
qui rouvrirent déclarèrent quMls avoient trouvé des parties rongées et queL
ques autres marques de cette nature », t. IX, p. 184. — Le duc de Nevers
assure de son côté dans ses mémoires que le duc d'Anjou « fut empoi-
sonné par une dame de ses bonnes amies », et il rapproche sa destinée de
celle d'Hercule, dont il portait le nom et auquel le présent d*une femme
coûta la vie. {Mém, de M, le duc de Nevers, 2 vol. in-4o, édit. de 1665,.
t. L p. 91.)
4. « Db pab lb mot : Très chers et bien amez. Aiant pieu à Dieu d'appeler à
soy nosire très cher et très aimé flrère le duc d'Anjou et désTrant singu-
158 PARIS ET LA LIGUE
à CCS prescriptions, un mandement adressé aux quartiniers
les pria d'engager les habitants « par devant les maisons
desquelz sera porté le corps de monseigneur le duc d'Anjou,
frère du roy, à tenir devant leurs dictes maisons une torche
ardente, lorsque le convoy passera, sans y faire faulte ».
On tendit les chaînes pour empêcher « les coches et har-
nois » de passer par les rues conduisant de Saint-Jacques
du Haut-Pas à Notre-Dame de Paris. Deux cents torches
de cire furent commandées par la Ville à Jehan de la
Bruyère, épicier, pour les faire porter par les archers,
arquebusiers et arbalétriers de la Ville. Enfin le peintre
Jean Dangiers fut chargé de peindre douze cents armoi-
ries pour orner les portes Saint-Jacques et Saint-Denis et
les torches des archers. Le 23, plusieurs officiers du roi et
du feu duc viennent convier la Ville aux obsèques. « Tost
après seroient aussi venuz audict bureau vingt-trois crieurs
de corps et de vins de ladicte Ville, vestuz en robbes de
dueil, qui en auroient faict le cry et prière accoustumée au
grand Bureau d'icelle Ville... * » Le 24, jour de la Saint-
lièrement honorer sa mémoire pour le rang qu'il tenoit, estant la seconde
personne de ce royaulme, nous voulons et vous mandons que vous aiez,
avec les procureur, receveur, greffier, conseillers, quartiniers, quatre
notables bourgeois de chacun quartier de nostre bonne ville de Paris et
aultres officiers d'icelle ville que adviserez, à assister : assçavoir vous, pré-
vost des marchans et eschevins, procureur, receveur, greffier et trois con-
seillers de nostredite ville en ducil, pour aider à porter le ciel dessus
Teffigie à la pompe funèbre de nostredict feu flrère, tant en caste Ville de
Paris que en nostre ville de Sainct-Denis où il doit estre inhumé, pour y
marcher par vous, ainsi que dict est, en corps et rendre par vostre pré-
sence rassemblée qui se y fera, plus solennelle et auctentique. Car tel est
nostre plaisir. Donné à Paris le 20* jour de juing 1584. Ainsi signé : Hbnbi. »
(Rso. H, 1788 bis, f« 403.)
1. Nous croyons devoir reproduire exactement le cri du duc d'Anjou,
parce qu*on n'en trouve que le début dans Féubiek, qui a transcrit plu-
sieurs passages des Registres de la Ville, relativement aui obsèques du
prince. — Voy. Histoire de la Ville de Paris. Preuves, t. Hl, p. 440 :
« Priez Dieu pour l'âme de très hault et très puissant, très illustre et
magnanisme François, fils de France et frère unique du roy, en son vivant
duc d'Anjou, d'Alençon, de Berry, de Touraine, d'Evreux et Chasteau-
Thierry, comte du Maine, de Dreulx, de Mantes, de Meulan et de Beau-
mont, lequel est trépassé le dimanche, dixiesme de ce présent mois, en
son palais de Chasleau-Thierry ; priez Dieu qu'il en ayt l'âme. — Lundy
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 189
Jean, le roi, vêtu d'un grand manteau de 18 aunes de
serge de Florence violette, dont la queue était portée par
huit gentilshommes, se rendit à Saint-Magloire pour jeter
Teau bénite sur le corps de son frère; toute la cour suivait :
seigneurs montés sur des chevaux blancs, le chaperon sur
Tépaule; évèques, avec le scapulaire et le manteau de serge
noire, cardinaux « de violet, à leur mode ». Autour du roi,
les archers de la garde écossaise et les autres archers de la
garde, aux hallebardes crêpées de noir, aux pourpoints,
chausses et bonnets de deuil. En avant du cortège défi-
laient les Suisses, « le tabourin, couvert de crespe, sonnant * ».
En arrière, on admirait la Reine « séant seule dans un
carroche couvert de tanné, et elle aussi vestue de tanné;
après laquelle suivoient huict coches plains de dames ».
Cet enterrement dut profiter aux marchands de drap et aux
tailleurs. Le roi se chargea de fournir la serge nécessaire
aux prévôt des marchands, échevins, procureur, greffier et
aux trois conseillers de la Ville qui étaient commandés
pour porter, avec trois échevins, « le poisle sur Teffigie ». La
pompe funèbre eut lieu le 25 juin avec une magnificence
extraordinaire, offrant à l'admiration du peuple, que conte-
naient avec peine les bâtons noirs des archers, les splendides'
costumes des chevaliers de Tordre, le collier par-dessus
leurs robes, les pages montés sur des chevaux housses de
velours noir que coupait une grande croix de satin blanc,
les évèques et les ambassadeurs à cheval, MM. du Parle-
ment en robes noires et chaperons à bourrelet, les hérauts
Anjou et Alençon avec leurs cottes d'armes, les gardes du
prochain, sera levé le corps dudict sieur de l'église SaintrJacques du Uault-
Pas, pour estre porté en l'église de Paris ; à ce mesme jour seront dictes
vespres et vigilles de mortz, suivant la bonne et louable coustume, et le
lendemain, faict son service solennel, et à la fin d'icelluy, porté en l'église
Saint-Denis en France; et mercredy prochain sera faict son service solennel
et inhumé. Priez Dieu qu'il en ayt l'dme. » Rbg. H, 1788 bis, t9 405.
1. L'EsTOiLB, t. 11, p. 756.
160 PARIS ET LA LIGUE
corps en longues robes, Farquebuse baissée et enveloppée
de crêpe, les 200 pauvres vêtus de deuil, une torche à la
main, les vingt-trois crieurs de la Ville faisant sonner
leurs clochettes, et enfin Teffigie « faicte d'après le vif et
naturel, portée par les hanouars porteurs de sel, vestus de
deuil, et les quatre coings du poisle par les sieurs de la
Ghastre, la Vergne, Saint-Ligier et Fergy, devant laquelle
marchoit le sieur d'Aurilly. Le ciel porté par les chambel-
lans et escuyers dudict seigneur (le duc dC Anjou) depuis
Féglise Saint-Jacques du Hault-Pas jusques à la porte Saint-
Jacques où il fut par eux mis es mains de MM. Huot, Gédoin,
et de la Fa, eschevins, de Jumeauville, de Bragelongne et
Aubry, conseillers de Ville, qui le portèrent jusques à la-
dicte église Nostre-Dame *. »
Le roi, vêtu de violet, resta cinq heures à une fenêtre
de la maison faisant le coin du parvis Notre-Dame pour
voir passer Tinterminable cortège ; derrière lui, le duc de
Guise, fort triste ou affectant de l'être. Il y eut un seul in-
cident : les généraux des monnaies voulurent précéder
MM. de la Ville, mais le Parlement leur fit injonction par
huissiers d'avoir à se retirer. Le 27, la municipalité pari-
sienne se rendit à Saint-Denis avec les grands corps de
l'État et dans le même ordre que pour la translation du
défunt à Notre-Dame. « Et, après le service et enterrement
faicts, furent appeliez les dicts sieurs officiers d'iceluy feu
sieur duc pour apporter chacun au droict soy leurs dites
enseignes, guidons, armes, espérons, gantelets, bastons
et autres choses cy-devant nonmiées, ce qu'ils firent et les
mirent sur la fosse d'iceluy feu sieur '. » Puis toute l'assis-
tance se rendit à la maison abbatiale de Saint-Denis, où le
roi avait fait préparer un vaste banquet.
1. Rbo. h, 1788 bis. fo 405.
2. Ibid.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 161
Malgré Tintime et nécessaire association du corps de
Ville parisien à toutes les cérémonies publiques intéres-
sant la dynastie royale ou les hauts dignitaires de TÉtat,
il ne faudrait pas croire que, dans les années qui précédè-
rent et préparèrent Tépanouissement de la Ligue, la vie
municipale fût restreinte à de vaines parades comme il
arriva plus tard sous la dynastie des Bourbons. De nom*
breux textes, et spécialement les Registres de la Ville per-
mettent d'affirmer que, durant la période que nous étu-
dions, l'administration parisienne a déployé une grande
activité et maintenu fermement ses privilèges tradi-
tionnels.
En ce qui concerne d'abord l'élection des magistrats mu-
nicipaux, la royauté, de 1582 à 1586, ne parait pas avoir
exercé une pression illégale sur les suffrages des électeurs ^
Le 16 août 1584, le scrutin des élections municipales fut
apporté à la reine mère « estant en son palais des Thuille-
ries ». Elle le fit ouvrir en présence du chancelier; et le
président de NuUy, élu prévôt des marchands, les sieurs
Pierre le Goix et Rémond Bourgeois, élus eschevins par la
quasi-unanimité des voix, virent leur nomination approuvée
par la reine mère sans la moindre difficulté '. Le 16 août
1585, on nomma deux échevinsdans les formes ordinaires,
1. Il faut Bignaler cependant des lettres royales, données à Blois en
janvier 1377, par lesquelles le roi « accordait aux prévôt des marchands et
eschevins qui ont esté depuis Tadvènement à la couronne du roi Henri
deuxiesme », entre autres privilèges, celui d'assister à toutes les assem-
blées générales, « mesmes es élections des prévost des marchans et esche-
TinSf tout ainsi et en la forme et manière que ont esté et sont à présent
les vingt-six conseillers de la Ville, pour y avoir et tenir rang en séance
après lesdictz conseillers ou sur ung ou plusieurs bancs à part, et sur
peine de nullité desdictes assemblées ». Ce privilège accordé aux anciens
prévôts et échevins augmentait, contrairement aux traditions, le nombre
invariable des électeurs. Aussi, dans rassemblée du 26 avril 1585, tenue par
le prévôt des marchands et les conseillers de Ville dans la Grand 'chambre
du conseil, fut-il décidé que, « au nom des conseillers de la Ville, sera
donnée requeste et présentée à la Court {c'est-à-dire au Parlement) pour
s'opposer & la veriffication et publication des lettres de 1577 ». Reo. H,
1788 bis, fo 455.
2. Rbg. h, 1788 bis, fo 41 i.
ROBIQUET. 1 1
162 PARIS ET LA LIGUE
et le scrutin ayant été présenté au roi en son ch&teau du
Louvre, l'ouverture en fut faite par le secrétaire d'État
Pinart, et le monarque reçut le serment de ceux qui
avaient obtenu le plus de voix : MM. Jean de la Barre,
avocat au Parlement, et Philippe Hotman ^ Mais si la can-
didature officielle n'a pas vicié, au moins ostensiblement,
les élections de 1584 et 1585, celle de 1582, ayant pour
objet la désignation d'un prévôt des marchands et de deux
échevins, fut signalée par un curieux incident. Le nombre
des votants n'ayant été que de 76, on trouva dans le cha-
peau mi-partie rouge et tanné quatre-vingt-deux bulletins.
Le Bureau de la Ville, en présence de ce résultat, décida
qu'il y avait lieu de procéder à une nouvelle élection, que
tous les billets seraient brûlés, et qu'on en référerait à la
reine mère. Conformément à la résolution du Bureau, on
brûla les bulletins, et l'échevin Poussepin, conseiller au
Châtelet, accompagné du procureur du roi et de la Ville,
alla trouver la reine mère, qui se trouvait alors à Saint-
Maur-des-Fossés. Catherine manda pour le lendemain
matin le prévôt des marchands et les échevins, « ainsi que
les sieurs qui avoient la pluralitté des voix de prévost des
marchans et eschevins nouveaux en ladicte assemblée ».
Les personnages ainsi désignés se rendirent aux ordres de
la reine, avec les scrutateurs. Après avoir entendu faire
par le président Luillier, l'un des scrutateurs, le récit de
ce qui s'était passé, Catherine déclara que messire Etienne
de NuUy, premier président de la Cour des aides, ayant
été désigné pour l'emploi de prévôt des marchands par la
grande majorité des votants, et Antonin Huot, bourgeois
de Paris, et Jean de Loynes, avocat au Parlement, ayant, de
leur côté, obtenu le plus grand nombre de suffrages pour
1. Rbo. h, 1788 6t5, fo 485. Jean de la Barre élant mort cette année même,
1585, une élection partielle eut lieu (pour le remplacer jusqu'à Texpiration
de son mandat) le 23 septembre 1585, et Télu fut Jean le Breton, avocat.
LA RÉSURRECTION DE LK LIGUE 163
les places d'échevin, il n* y avait pas lieu de tenir compte des
billets trouvés en trop dans le chapeau, parce qu'ils u ne
faisoient aucune concurrence ou préjudice aux voix et
eslections desdictz sieurs président de NuUy, Huot et de
Loynes, parce que les autres personnes qui avoient voix
en ladictc élection n^aprochoient à beaucoup près en
nombre de voix que y avoient iceulx * ». On ne recom-
mença donc pas l'élection, et les trois candidats désignés
par la majorité prêtèrent serment, en présence de la reine
et entre les mains de M. de Ghevemy, garde des sceaux.
Sur des points secondaires, les privilèges des officiers
municipaux et de leurs auxiliaires étaient maintenus et
même développés. C'est ainsi qu'à la date du 9 janvier
4584 les conseillers de Ville font décider « qu'ils demou-
reront, tant pour le passé que pour Tadvenir, francz,
quictes et deschargez des cottisations qui se lèvent pour la
fortification de ladicte ville, desquelles partant le receveur
(lesdictes fortiffications sera et demourera deschargé en
ses comptes ' ». Les archers, arbalétriers et arquebusiers
de la Ville, que les capitaines des dizaines voulaient assu-
jettir « à aller et envoler aux gardes des portes, guetz et
sentinelles, malgré l'exemption dont ils jouissoient de tout
temps et ancienneté », obtinrent, en mai 1585, la confirma-
tion de cette dispense, en invoquant « les services qu'ils
font, de préférence à la garde des pouldres du Temple et
ailleurs ^ » . Une application intéressante du droit de rési-
gnation fut faite le 16 décembre 1583 à propos de l'impor-
tant office de greffier de la Ville. W Claude Bachelier,
titulaire de l'emploi, présenta au Bureau comme successeur
1. Rbo. h, 1188 bis, f> 299.
2. Ilrid., f« 380.
3. Ibid.y r» 461. Uae décision du Bureau, en date du 25 mai 1585 (i^id.
fo 464), étendit le bénéfice de la même exemption aux officiers et archers
de cheval et de pied du guet ordinaire de la Ville de Paris. U résulte de
cette décision qu'en 1585 le guet comprenait 150 officiers, notamment un
capitaine, quatre lieutenants, un greffier et un guidon.
164 PARIS ET LA LIGUE
son beau-frère, Bonaveniure Heverard, « juré-commis du
greffe de la Ville depuis trente-deux ans en ça ou en-
viron », qui avait toujours assisté aux assemblées géné-
rales et particulières de FHôtel de Ville « et de ce faict
bons et fidelles registres ^ ». S'il y eut quelques change-
ments concernant les officiers subalternes de la Ville, tout
au moins dans la première période du règne de Henri III,
ils paraissent s'être réduits à des élévations de salaires,
correspondant à l'augmentation progressive du prix des
choses. En mars 1578, les mesureurs de sel avaient demandé
qu'on portât de un à deux deniers le droit qu'ils tou-
chaient depuis Charles V pour le mesurage de chaque
minot de sel ' « vendu el débité et passant par leur
Ville • ». Le Bureau émit l'avis que le roi ne pouvait sanc-
tionner cette augmentation « sans que le peuple fust
foulé ». En 1582, ce fut le tour des maitres de ponts, qui
réclamèrent, eux aussi, une élévation de leur tarif. En
réponse à cette pétition, le Bureau décide que « lesdicts
malstres de ponts auront doresnavant pour leur sallaire de
l'avallage d'ung basteau chargé de quarante tonneaux et
au-dessus, jusques à soixante tonneaux, soixante-six solz
tournoiz, au lieu de soixante-cinq solz qu'ilz souloient
prendre... » Et la Ville opère une revision du tarif qui était
1. Rbo. h, 1788 bis, fo 369. Il est bon de noter que Claude Bachelier et
Bonaventure Heverard, d'après ce passage des Registres, sont indiqués
comme étaut les rédacteurs des procès- verbaux qui forment la base de
notre travail, dans la période qui s'étend de 1551 à 1583. Nous verrons plus
tard que Bonaventure Heverard resta greffler jusqu'au 10 novembre 1590,
et qu'il résigna lui-même sa charge en faveur de Guillaume Paulmier, son
beau-frère.
2. Ord. de 1415, art. 319 : « Auront de tout le sel qui sera vendu et
distribué à détail es greniers de ladicte Ville de Paris en gabelle, lequel
ilz seront tenuz de mesurer, de chascun minot, un denier... » La même
ordonnance fixait à 24 le nombre des mesureurs de sel. Ils étaient nommés
par le prévôt des marchands et les eschevins, et installés par un sergent
de la Ville. Ils étaient chargés de mesurer, étalonner et signer les mesures
des greniers à sel et les mesures h grain de la Ville. Un boursier, nommé
par eux, veillait au maintien de leurs droits et payait chaque mesureur au
bout de la semaine.
3. Rbo. H, 1788, ^ 176.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 168
proportionnel au tonnage et à la nature des marchandises.
On ajoute seulement que les maîtres de ponts continue-
ront à payer sur leurs salaires « les compaignons de
rivière et halleurs de cordes, comme ils avoient cy-devant
accoustumé * ».
Bien que nous n'ayons pas ici à entreprendre l'histoire
détaillée des monuments de la capitale et que le sujet prin-
cipal de notre travail soit, à vrai dire, Thisloire des rela-
tions de la royauté avec la population parisienne et ses ré-
présentants, il est nécessaire de dire un mot des grands
travaux d'édilité qui signalèrent la première partie du
règne de Henri III. La principale entreprise fut le commen-
cement des travaux du Pont-Neuf. En 1556, les habitants
du quartier de l'Université et du faubourg Saint-Germain
avaient adressé une pétition au roi pour obtenir la con-
struction d'un pont destiné à les mettre en communication
avec la Cité, le Louvre et ses environs; le refus de la Ville
de subvenir à la dépense empêcha Henri II de donner
satisfaction aux justes réclamations des habitants de la
rive gauche. Néanmoins le projet fut bientôt repris. Raoul
Spifame proposa au même Henri II de jeter un pont
entre le Louvre et l'hôtel de Nesle, sur l'emplacement
actuel du pont des Arts; mais le duc de Ne vers, craignant
que l'hôtel de Nesle, dont il était propriétaire, ne fût
éventré pour le percement d'une rue nouvelle qu'il était
question d'ouvrir sur la rive gauche, au débouché du
nouveau pont, fit décider que ce pont serait reporté plus
haut, à la hauteur du couvent des Augustins. Le 31 mai
1578, Henri III, qui venait de voir passer la pompe funèbre
1. RsG. H, 1788, fo 280. a En la ville de Paris aura deux maistres de pont
de ladicte Ville pour monter et avaler les nefz, bateaux et vaisseaux, tant
montans que devalens par dessoubs lesdispons de Paris... » (Ord, de 1415,
art. 531.) Ils étaient nommés par le prévôt des marchands « après infor-
macioD deuement faicte » et parmi les bateliers les plus experts de la Seine,
de ITonne, de la Marne et de TOise. On prenait Tun des maîtres dans le
pays d*amoot et l'autre dans le pays d'aval. Voy. la note 3 de la page 112.
166 PARIS ET LA LiaUE
(le ses mignons Quélus et Maugiron, posa la première
pierre du Pont-Neuf, en présence des deux reines et de
toute de la Cour. « Et sous ladite pierre furent mises des
pièces d'argent et de cuivre doré, pesant environ trois ou
quatre testons, sur lesquelles estoient gravés les portraicts
du roy et desdites roynes. Ladite pierre estant assise, on
présenta au roy une truelle d'argent avec laquelle il print
du mortier en un plat aussi d'argent et le jetta sous ladite
pierre '. » Par lettres patentes du mois de mars 1578, le
roi avait commis Tinspection des travaux, dont le plan
avait été tracé par Jacques Audouet Du Cerceau, architecte
du roi, à Christophe de Thou, premier président, Pierre
Séguier, lieutenant civil, Jean de la Guesle, procureur
général, et M. Claude Marcel, surintendant des finances '.
En cette même année 1578, on travailla avec une certaine
activité aux piles du côté du petit bras, si bien qu'elles
s'élevaient déjà à fleur d'eau quand le manque de fonds
arrêta les travaux. L'interruption devait durer vingt ans.
Toutefois l'abandon ne fut pas complet, car un passage des
Registres de la Ville, daté du 30 août 1585 et qui ne semble
encore avoir été signalé par aucun historien de Paris,
prouve qu'à cette époque « on besongnait la masse ou cullée
du Pont-Neuf du costé du quay de ladite EscoUe ' ». Au sur-
i. Le théâtre des antiquitez de PariSj par le R. P. F. Jacques du Bbbul,
parisien, religieux de Saint-Germain des Prez. Paris, édit. de 1639,
p. 185. Voy. aussi, dans la collection de Paris à travers les âges^ la livraison
intitulée : le Palais de justice et le Pont-Neuf, par M. Edouard Fournier,
p. 37. Le Pont-Neuf ne fut achevé que sous Henri IV, en 1604.
2. Ce sont les noms indiqués par l'Estoilb, t. I, p. 256; mais les registres
du Parlement (Félibibn, Preuves, partie III, p. 7) y ajoutent ceux du pré-
sident Pomponne de Belliëvre, d'Antoine Nicolal, premier président de la
Cour des comptes, Augustin de Thou, Barnabe, avocats généraux au Par-
lement, Jean Camus, intendant des finances, et des procureurs du roi au
ChAlelet et A THôtel de Ville.
3. Rbo. h, 1788 bis, P* 499. La construction du pont avait nécessité l'en-
lèvement de beaucoup de pierres « liays, fer et aultres matériaux qui
soutiennent ledict quay de TEscoUe » ; le Bureau de la Ville ordonne, à
cette date do 30 août 1585, de mettre de côté les matériaux dont il s'agit,
parce qu'ils appartenaient à la Ville. En effet, les quais, de même que les
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 167
plus, rentretien des ponts laissait bien à désirer sous
Henri III. La Ville n'en était jamais chargée qu'à titre de
concessionnaire, mais en principe la dépense incombait au
roi, et ses agents étaient responsables du bon état des
ponts. C'est ainsi que le 15 mars 1579 Qaude Moreau,
trésorier de France, vient « remonstrer à la Cour [c'est-à-
dire au Parlement) que le pont au Change est prest de
tomber, et d'autant qu'il n'y a pas un denier qui se puisse
employer, et est cette généralité chargée de vingt ponts
qui tombent »; Claude Moreau supplie la Cour « inter-
poser son office, à ce qu'il ne luy soit imputé, ni à Mes-
sieurs ses compaignons faute, et supplie la Cour luy en
donner acte pour luy servir de descharge ^ ». Le Parlement
fait droit à la requête et enjoint au procureur général
d'aller trouver le roi avec Claude Moreau pour supplier
le prince « d'y vouloir faire mettre ordre pour le bien
du public ». En mars 1583, c'est encore au roi qu'on
s'adresse en personne, quand une forte crue de la Seine
menace d'emporter le pont Saint-Michel, et l'on charge les
fortifications et les fontaines, ont été de tout temps confiés à la prévôté
des marchands, ainsi que le prouve une lettre de François I>' du 10 mars 1530.
Arch. nat,, K, 984, citée par Leroux de Lincy, p. 130. Des lettres patentes
dn même prince, en date du 3 juin 1535, autorisent par exception le prévôt
des marchands et les échevins de Paris à employer le produit des aides
et octrois de la Ville à la réparation des « ponts, qnays du Louvre et Grève,
et autres bàUmens nécessaires et d'importance ».. A cette époque, le roi
faisait porter dans ses coffres le produit des octrois des autres villes, à
cause de la détresse du Trésor public, et Paris fut Tobjet d'un traitement
privilégié. Toutefois, ce n'est que beaucoup plus tard que le produit des
octrois fut régulièrement affecté, avec l'autorisation royale, à l'entretien
des ouvrages publies et notamment des ports et des quais. Il est rcgret-
Uble que, sur ce point, Dblamarb (Tr. de la Poiice, liv. VI, t. X, sect. II),
qui cite les lettres patentes de 1535, n'ait pas recueilli et publié d'autres
documents pour les époques postérieures : car s'il est acquis que le prévôt
des marchands était souvent chargé de faire réparer les ponts et les quais,
les documents analysés au texte semblent démontrer qu'on s'adressait, en
de nombreuses circonstances, au roi lui-même pour régler les mesures &
prendre; et d'autre part, les attributions du prévôt de Paris et du prévôt
des marchands, en cette matière, ne semblent délimitées nulle part avec
une précision suffisante.
1. Extrait des registres du Parlement. F6ub., Pr., t. III, p. 10.
168 PARIS ET LA LIGUE
tréftoriorH généraux de France de vérifier le péril immi-
nent * .
En ce qui concerne le pavage de Paris, il y avait dans
les usages une grande diversité qui peut exposer à de
graves confusions. Le règlement général que fit le roi Jean
pour la police le 30 janvier 4350 pose le principe général :
« Que chacun en droit soi face refaire les chaucées quand
elles ne seront suffisantes, tantost et sans délay » ; le pré-
vôt de Paris était chargé de recevoir les maîtres paveurs,
de contraindre les propriétaires à paver devant leurs
maisons, d'ordonner les visites et le rétablissement du
pavé qui ne se trouvoit pas suivant les anciennes pentes et
alignements. Les commissaires du Châtelet prenaient con-
naissance par eux-mêmes de la nécessité des réparations,
recevaient les plaintes des bourgeois et ordonnaient la ces-
sation des ouvrages lorsqu'ils jugeaient que les ouvriers
voulaient enlever des pavés encore bons; mais le roi
entretenait à ses dépens la croisée de Paris ' (de la porte
Saint-Denis k la porte Saint-Jacques et de la porte Baudet
à la Bastille Saint-Antoine). De son côté, le Bureau de la
Ville fournissait le pavé de quelques rues, de certaines
places publiques et de plusieurs quais, tout le pavé des
autres voies restant à la charge des propriétaires, confor-
mément à la vieille loi romaine : Construat autem vias
publicas unusquisque secundam propriam domum. Ainsi,
1. FAuBiBN, Preuves, t. III, p. 16. Charles VI, par lettres patentes du !«' mars
1388 (reproduites dans Delamarb, t. IV, p. 170, édit. de 1738), confia au
prévôt de Paris la haute surveillance des ponts et chaussées de la prévôté
et vicomte de Paris; mais les lettres patentes n'organisent pas avec une
précision sufflsante les moyens d'exécution. Elles prévoient même que les
sujets seront « refusans ou delayans » et, dans cette hypothèse, prescrivent
au prévôt de faire faire les travaux « en leur deffaut et diligemment
et tellement que lesdits chemins, chauciées, pons et passages soient remis
en bon et soufûsant estât et que il n'en soit reprins de négligence. »
2. IHst* municip., p. 42. Dblamarb cite une ordonnance de Tannée 1400*
qui indique avec détails Tétat de la croisée de Paris à cette époque, t. IV,.
p. 173.
- LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 169
tantôt la Ville était chargée exclusivement, tantôt elle
était complètement exemptée des dépenses de pavage de
telle ou telle voie. Sous la date du 6 septembre 1581, les
Registres nous fournissent l'exemple d*un travail de pavage
fait aux dépens de la Ville, sans aucune contribution du
roi, ni des habitants. « Sur la requête verballement
faicte au bureau de la Ville de Paris par sire Symon
Feullet l'ainé et autres bourgeois et habitans de ladicte
ville, demourant rue du Mouton, place de Grève, et es en-
virons, ad ce qu'il leur plust faire réparer la dicte rue »,
des membres du Bureau décident que « ladicte rue du
Mouton sera promptement et à Tadvenir pavée, aus des-
pens de ladicte Ville pour la commoditté publique, sans
ce que lesdictz habitants d'icelle rue seront tenuz aucune
chose pour ce pavé, tant du pavé que de façon dlcelle,
actendu que icelle rue est nottoirement des deppendans de
ladicte place de Grève et la principale advenue et entrée
d*icelle ' ». Chargée de subvenir à une partie considérable
du pavé de Paris *, la Ville était obligée de passer des
marchés avec des entrepreneurs qui, à l'instar des entrepre-
neurs de nos jours, se plaignaient constamment d'avoir
accepté un prix insuffisant et réclamaient une augmentation.
Le Bureau faisait souvent droit à ces plaintes. C'est ainsi
qu*à la date du 25 octobre 1583 il accordait à Albin Gaul-
tier, « marchant fournissant le pavé de ladicte Ville », une
i. Rbo. h, 1788, f* 279.
2. Le roi ne se faisait pas faute de signaler à l'administration municipale
les voies où le pavage laissait à désirer. Cest ainsi que le 19 octobre 1584
il écrit de Blois au prévôt des marchands qu'il a été averti « que les pavez
du fauxibourg Saint-Honnoré sont en si mauvais estât et rompus que le
publicq s'en trouve grandement incommodé; et davantaige que cela est
cause que les eaues et boues y croupissent, lesquelles ne se pouvant aucu-
nement esoouller, engendrent un mauvais air et entretiennent la conta-
gion... « En conséquence, le roi ordonne à la Ville de refaire le pavé
« depuis la porte Saint- Honoré hors la porte de la nouvelle fortification
en allant au RouUe... » Il recommande de laisser une pente pour l'écoule-
ment des eaux et de pratiquer un ruisseau des deux côtés de la chaussée.
Rkg. h, 1788 bis, f> 427.
170 PARIS ET LA LIGUE
augmentation sur les prix de son marché, qui remontait au
4 juillet 1580, et aux termes duquel Gaultier devait rece-
voir quinze écus « pour chascun millier de gros pavé, de
sept à huit poulces en carré *... »
Les Registres fournissent aussi maint exemple de pa-
vages faits exclusivement aux dépens des habitants. Une
décision du Bureau, en date du 13 mai 1585, ordonne aux
« manans et habitants des faulxbourgs Saint-Honnoré de
faire paver promptement et en toute diligence devant
leurs maisons, chacun en droici sot/y depuis le commen-
cement de la chaussée qui a esté pavée et rechaussée de
neuf, es dictz faulxbourgs, jusques à la fin d'icelle »
La qualité et la forme du pavé n'étaient pas laissées à
l'arbitraire des entrepreneurs ou des habitants. L'ordon-
nance de 1415 disait déjà que « doresnavant les quarreaux
qui seront amenés pour vendre en ladite Ville, auront de
six à sept poulces de hault, de lé (largeur) et en tout sens ».
On se servait de pierres de grès, et Delamare nous dit *
que le meilleur venait de Vaucresson, d'Herbelay, Triel
et Louveciennes : on trouvait trop tendre le grès de Fon-
1. Reg. h, 1788 bis, f* 354. 11 parait que rentrepreneur y perdait. Ouï le
procureur du roi et de la Ville, le Bureau ordonne que « pourceque ledit
Gaultier a fourni dudict gros pavé sur les asteliers es rues de la Juifverye
et aultres de la croisée de ladicte ville et es portes dUcelle, depuis le mois
d'aoust dernier passé Tan 1583, et qu'il y fournira jusques au dernier
décembre de la présente année, il en sera payé à raison de vingt et un
escus pour chascun millier dudict gros pavé, qui est un escu d'augmen-
tation pour millier, plus que les vingt escus à quoi il a faict ledict marché;
et, pourcequ'il fournira, durant Tannée prochaine 1584, sur lesdicts asteliers
es rues de la croisée et portes de ladicte ville, luy en sera paie À raison de
vingtrdeux escus et demy pour chascun millier, qui est deux escus et
demy d'augmentation pour miUier. Faict au Bureau de ladicte Ville le
25* jour d'octobre 1583. » Le 8 décembre de la même année, le Bureau
de la Ville accorde à Albin Gaultier une nouvelle augmentation. Il s'agis-
sait de paver la rue Saint-Denis « depuis la haise {porte, fermeture) des
faulxbourgs jusques & la Croix qui panche ». Par suite de la hausse des
salaires des ouvriers, des charrois et arrivages, tant sur terre que par eau,
la Ville crut équitable de porter les prix à payer audit Gaultier à 25 escus
pour chacun millier de pavés livré sur les chaussées Saint-Jacques et
Saint-Denis. » Ibid,, fol. 365.
2. T. IV, p. ns.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 171
tainebleau. Les trésoriers de France ou leurs délégués
visitaient préalablement les carrières d'où l'on tirait le
pavé de Paris. Les matériaux une fois façonnés et travail-
lés suivant les dimensions prescrites par les règlements,
on les acheminait vers la capitale et on les déposait sur
les berges de la Seine, sur les porls. Là, ils étaient Tobjet
d'une seconde visite, à l'origine par les soins d'un fonc-
tionnaire appelé le visiteur du pavé S et plus tard, au
début du XVI* siècle, par ceux des quatre jurés et gardes
du métier de paveur. Pour favoriser et contrôler le recrute-
ment des ouvriers paveurs, le prévôt de Paris leur avait
donné des statuts en 1501, statuts qui étaient encore en
vigueur au xvin* siècle. Henri III les confirma en
avril 1579. C'est précisément aux termes de ces statuts
que l'on élisait quatre jurés et gardes, qui avaient « puis-
sance de visiter, en la ville et banlieue de Paris, tous
ouvrages et carreaux qui seront amenez pour vendre, et
faire corriger et réparer les faultes et abus qui y seront
commis ».
L'enlèvement des boues et immondices donnait lieu,
comme le pavage, à de nombreuses décisions du Bureau
de la Ville. Dans le principe, les bourgeois se chargeaient
eux-mêmes de nettoyer le pavé au-devant de leurs maisons :
les habitants d'une ou de plusieurs rues s'entendaient pour
louer un tombereau commun, affecté au service de leur
quartier; mais l'agrandissement progressif de Paris et la
négligence de plus en plus marquée des bourgeois obligè-
rent l'autorité publique à édicter des règlements pour con-
1. Le premier document qui constate la nomination d*un visiteur du
paYé de Paris semble être un vidimus de Charles VI, en date du 20 avril 1396,
approuvant la commission donnée par les « gens des comptes et trésoriers
du roy au prévôt de Paris pour élire un visiteur du pavé ». On choisissait
ce fonctionnaire parmi les paveurs les plus experts. Il était nommé par le
prévôt de Paris, en présence et sur Tavis des « maitres jurés et bacheliers
sur le faict de la maçonnerie », ainsi que de « la plus grand et saine partie des
paveurs de la Ville et banlieue de Paris ». Cet office a subsisté jusqu'en 4501.
172 PARIS ET LA LIGUE
traindre les bourgeois, sous peine d'amende, à nettoyer les
rues ^ devant leurs maisons et à faire porter les immon-
dices hors de la ville. Ces prescriptions étant restées à
peu près lettre morte, un arrêt du Parlement, en date du
2 mars 1476, chargea le prévôt de Paris de faire nettoyer
les rues aux frais des habitants. Toutefois des taxes ne
furent perçues régulièrement qu'en 1522 ; la répartition en
était faite par les notables de chaque quartier, assemblés
chez le commissaire, qui signait le rôle et délivrait aux
receveurs des commissions pour lever les deniers. En cas
de refus de payement, les sergents à verge, porteurs de
contraintes, procédaient à la vente des meubles du contri-
buable : le lieutenant civil statuait sur les contestations.
Il incombait aux bourgeois commis de toucher les taxes et
de les employer, de faire prix avec les charretiers pour
la fourniture des chevaux, des tombereaux et des hommes
nécessaires au service de nettoiement de la vie publique.
L'ordonnance de François I*', de novembre 1539, régle-
menta en détail tout ce qui concernait ce service et soumit
à une responsabilité pécuniaire les commissaires du Chà-
telet, ainsi que les quartiniers, dizainiers et cinquanteniers,
qui, de ce chef, étaient placés sous la juridiction du prévôt
de Paris •. En vertu de ce texte et d'une autre ordonnance
1. Le premier règlement est celui du 3 férrier 1348. Il conUent un article
assez curieux, gui prouve que Ton rencontrait, à celte époque, dans les
rues de Paris, tles animaux peu aimables : « Que nulz ne sera si hardys de
avoir, tenir, nourrir, ne soustenir dedans les murs de ladite Ville de Paris,
en repost ne en appert, aucuns pourceaux; et qui sera trouvez faisant le
contraire, il payera soixante soulz d'amende au roy nostre sire ; et seront
les pourceaux tués par les sergens ou autres qui les trouveront dèdens
ladite Ville, dont le tuant aura la teste, et sera le corps porté aux Hostels
Dieu de Paris, qui payeront les porteurs d'iceulx. » L'ordonnance de police
du 9 octobre 1395 ajoute la prison à Tamende pour intimider les bourgeois
récalcitrants. Une autre, de janvier 1404, interdit, sous menace de fortes
amendes, de jeter des immondices dans la Seine.
2. L'art. 13 de l'ordonnance indique bien que c'est U une exception aux
principes qui régissaient Torganisation municipale : « ,.,Ence cas seulement,
nous attribuons la connaissance à nostredit prévost de Paris ou son lieu-
tenant criminel, et sans préjudice des droits de jurisdiction de nos amex
LA RESURRECTION DE LA LIGUE 173
de janvier 1540, les bourgeois étaient chargés seulement
de balayer devant « leur huis » quand le tombereau y arri-
vait, et les conducteurs des tombereaux chargeaient les im-
mondices ^ Malgré les règlements et les ordonnances, les
rues de Paris n'étaient pas toujours d'une propreté irré-
prochable. En 1578, par exemple, la rue de Tournon était
tellement obstruée par les immondices et par la boue, qu'un
arrêt du Parlement, en date du 14 juin, ordonna que l'abbé
de Saint-Germain, le prévôt des marchands et les habitants
du faubourg Saint-Germain (récemment pavé par les soins
des cardinaux de Tournon et de Bourbon) contribueraient,
chacun pour un tiers ^ au travail d'épuration jugé néces-
saire. Il fallut creuser une tranchée depuis la Croix-Rouge
jusqu'à la Seine pour faciliter l'écoulement des eaux. Une
taxe spéciale fut établie sur les habitants intéressés, et le
prévôt de Paris fut chargé, avec le prévôt des marchands,
de surveiller les travaux '. A la date du 22 octobre 1583,
le Bureau de la Ville intervient à son tour et fait défense
« à Jehan Gahrel, commis du sieur X..., entrepreneur de
la vidange des boues de la Ville, de faire descharger
aucunes boues et immondices sur le pavé du port de
Grève, sous peine du fouet, attendu l'incommodité que
apportent audict port lesdictes boues et immondices ' ».
Le 7 décembre de la même année, un. autre ordre du
Bureau défend à tous tumbeliers de décharger les « gra-
vois, vuidanges et boues le long des chemins et advenues
de la ville », et ordonne « de les mener sur les boulevards,
remparts et plates-formes d'icelle ville afin de les dresser * » ,
et féaux, les préYOst et eschevins de nostre dite Ville de Paris, en autres
choses. » FoNTANON, t. I, liv. 5.
l.TJn règlement du 22 novembre 1563 fixe à deux par quartier le nombre
des tombereaux, et prescrit de les garnir d'une sonneltc pour avertir les
habitants.
2. Péub., Pp., part. lil, p. 1 à 40.
. 3. Rbo. h, 1188 àis, fol. 354.
l. Ibid., fol. 365.
174 PARIS ET LA LIGUE
le tout sous peine de confiscation des tombereaux et
d'amende arbitraire. Quand les entrepreneurs tardaient
à enlever les boues, la municipalité prenait parfois des
mesures expéditives : c'est ainsi que le H janvier 1585
elle enjoint « au premier sergent ou conmiissaire des quais
de la Ville de prendre et arrester le premier basteau vide
appartenant aux conducteurs de vuidanges d'icelle ville
qui se trouvera sur les quais du Louvre et de la Mégisserie
pour mener les boues et immondices qui sont à présent
sur les dictz quais, en paiant toutesfois Toccupation du-
dict batteau raisonnablement, le tout suivant Texprës
commandement du roi ^ ». Les bourgeois commis dans
chaque quartier pour lever et employer les taxes de
balayage étaient fréquemment obligés de contribuer de
leurs propres deniers si les taxes dont il s'agit étaient
insuffisantes pour subvenir à la défense. C'était une occa-
sion de grandes plaintes de la part des pauvres bourgeois.
En 1586, ils s'adressèrent à Henri III, qui, par déclaration
du 29 août, manda au prévôt de Paris d'égaler le montant
des taxes au montant de la dépense à faire. Le roi prend
soin en même temps de dire que les officiers de sa maison
ne seront point chargés de la levée de la recette des de-
niers de police.
Depuis l'époque où Philippe-Auguste avait prescrit aux
bourgeois parisiens d'élever une enceinte nouvelle autour
de la Ville, la municipalité avait toujours conservé dans
ses attributions la surveillance des remparts, des fossés
l.Reg.H, 1788 615, fol. 435.— Par décision du 23 janvier 1585, le Bureau de
la Ville prit des mesures définitives pour assurer le nettoiement des quais
de Paris depuis la Vallée de misère jusqu'à la porte Neuve. Il accorda l'en-
treprise du nettoiement pour neuf ans aux frères Foullon, dont le second
était « voicturier par eau et M* des basses œuvres des manans en ceste ville
de Paris ». La rémunération des entrepreneurs se composait de deux élé-
ments : !• des deniers payés par les riverains pour l'enlèvement des boues
et le nettoiement des quais; 2« d'une taxe de deux sols six deniers tour-
nois sur chaque bateau « chargé de marchandises qui arrivera et sera
garré et deschargé le long desdictz quais ». Ibid.. fol. 435.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 475
et des portes *. On ne sait pas exactement qui supporta
la dépense des fortifications faites sous Louis XI et sous
Louis XII • ; mais Sauvai affirme qu'à partir du règne de
François I" toutes les dépenses nécessaires à l'entretien ou
à la réfection des fortifications furent supportées par les
Parisiens. En 1536, les quartiniers fournirent seize mille
manœuvres pour creuser des fossés au delà des faubourgs ;
les habitants de ces faubourgs durent payer une année en-
tière des loyers de leurs maisons. En 1552, Henri II avait
1. GciLLAUMB DE Nanois, édît. Géraud, t. II, p. 279; Leroux dr LzNCT,p. 126.
— Sauval (Antiq. de la Ville de Paris, t. I, p. 86) dit à ce sujet : « Depuis
Phi lippe- Auguste, les murailles et les fortifications se sont toujours faites
aux dépens des Parisiens. Les successeurs de ce prince les ont données aux
prévôt des marchands et échevins; ils leur en ont confié la garde, la
visite, la conduite et le soin de les réparer, rétablir et changer. » Le prévôt
des marchands veillait avec soin à la conservation des fortifications : c'est
ainsi que, le 28 mars 1586, il défend « à toutes personnes de démolir une
tour estant des antiens mura estana au derrière et àl'endroict de la maison
de M. le comte du Bouchaige, assise près le Louvre ». Rbg. H, 1788 bis,
fol. 578. — D'autre part, il parait résulter de certains textes que le roi se
réservait un droit de contrôle supérieur en ce qui touche Tembellissement
des portes de la Ville, et fiiisait des commandes d*objet d'art dont la Ville
assurait seulement l'exécution et la mise en place. C'est ainsi qu'en 1585
le roi avait commandé à Germain Pilon un écusson destiné à orner une
nouvelle porte. Pour la forme, le dessin du travail fut soumis au Bureau de
la Ville, qui l'approuva dans les termes suivants : « Âpres avoir veu la
figure ou desseing des armes de France et de Polongne, accompagné des
deux ordres et devises du roy que Sa Majesté entend eslre mise et apposée
au portail naguères faict de neuf sur la chaussée de la porte Sainct-Ànthoine,
a été ad visé que icelles armes et accompaignemens, selon ledict desseing,
seront faictes en bronze et estofTées, comme il est porté par icelluy des-
seing. Partant, avons ordonné à Germain PilIon,controIleur des effigies de
la monnoye de France, d'icelles faire faire et exécuter; et, à ceste fin,
avons faict parapher icelluy desseing par le greffier de ceste Ville de Paris,
ne varietur. Et lequel a esté mis ès-mains de Pierre Guillain, maistre des
œuvres de ladicte Ville, pour en faire les diligences et exécution d'icelluy,
les faire asseoir et mectre en la place pour ce destinée. Faict au bureau, le
mardy vingtiesme jour d'aoust Tan 1585. » Rbo. H, 1788 bis, fol. 490.
2. II semble cependant résulter d'un passage des Registres que nous
avons cité {HisL munie,, p. 303) qu'en mars 1512, au moment où l'on re-
doutait une invasion anglaise, ce fut uniquement la caisse municipale qui
supporta les frais de la mise en état des fortifications, chaque commu-
nauté et confrérie de marchands ayant, de son côté, fourni un ou plusieurs
canons. Sous François !•', Paris était l'arsenal de la France, et le roi comme
ses généraux et même les autres villes s'adressaient au prévôt des mar-
chands pour avoir des armes et des munitions. {Hist, munic^ p. 375 et suiv.)
En noTcmbre 1555, Henri II taxa Paris à 12,000 livres pour fortifier les
places de la frontière.
176 PARIS ET LA LIGUE
ordonné à la Ville de lever 120,000 par an, tant sur les
propriétaires que sur les locataires, pour réparer les fori-
fications : chaque logis était taxé à quatre francs au mini-
mum et vingt-cinq francs .au maximum, suivant son impor-
tance. Le roi lui-même payait cette taxe pour le Louvre, le
Palais et l'hôtel des Tournelles. C'était à l'Hôtel de Ville
que se faisait le travail de répartition des taxes, parles soins
d'une commission composée d'un député du Parlement, de
la Chambre des comptes et de la Cour des aides, d'un con-
seiller de Ville, d'un secrétaire du roi, des quartiniers, cin-
quanteniers, dizainiers et deux bourgeois de chaque dizaine.
D'après un édit de Charles IX, les deniers levés chaque année
pour la fortification étaient mis en recouvrement au mois de
janvier. Sous Henri HI, les travaux des fortifications ne fu-
rent pas moins onéreux pour les Parisiens qu'ils ne l'avaient
été sous les règnes précédents. C'est ainsi qu'en mai 1585
le roi avait demandé à la Ville 60,000 écus pour la répara-
tion des remparts de Paris ; mais, grâce à des remontrances
plusieurs fois renouvelées, le prévôt des marchands obtint
du prince qu'il se contentât d'un capital de 8,000 écus, dont
les arrérages seraient destinés à « faire plusieurs fortiffica-
tions et réparations ès-portes, chaisnes, pontz-levis, bas-
cules, herses, barrières, corps de garde, rehaulcement de
courtines, tranchées, murailles, portes, achaptz de pièges,
pelles, boyaux, hottes et aultres ustensilles pour servir aux
vallides qui seront employez auxdictes fortiffications ' ».
Plusieurs communautés ' avaient fait abattre les portes
1. Rbo. h, 1788 bis, fol. 458.
2. Les communautés étant propriétaires de terrains considérables tout
autour de Paris, on comprend que les rois aient souvent eu besoin de
prendre une partie de ces clos pour y faire passer les murailles de la Ville.
C'est ainsi qu'en 1401, quand on refit une enceinte, on prit, sans même se
soucier de les acheter, une portion des clos que les religieux de Sainte-
Oeneviève, les Gordeliers et les Jacobins avaient derrière leurs couvents. 12
en fut de même pour certaines dépendances des abbayes de Saint-Germain
et de Saint- Victor. Mais il faut ajouter que les moines et les abbés n'y perdi-
rent rien. Charles V donna aux Jacobins l'hôtel de Bourg-Moyen; les Cor-
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 177
des fortifications qu'on élevait devant les faubourgs, sous
prétexte qu'elles avaient droit de haute justice sur les lieux
qu'elles occupaient et qu'on ne pouvait les clore « sans
leur exprès congé ». Les chanoines de Saint-Marcel avaient
« empesché les ouvriers et maçons employés pour la fer-
meture et bouchement des advenues dudict faulbourg
Saint-Marchel », et fait abattre la clôture d'une ruelle. Par
arrêté du 9 mai 1585, M. de Villequier, gouverneur de
Paris, enjoigm't aux doyen, chanoine et chapitre de
Saint-Marcel lès Paris « de faire rétablir promptement ce
qu'ilz ont desmoly ou faict abattre, sur cette peine qu'il
sera advisé bon estre ^ ». Un peu plus tard, le 22 mai de la
même année, la Ville, à son tour, fit commandement au
même chapitre de Saint-Marcel de faire rétablir dans le
délai de huit jours « ce qui est nécessaire à faire & la clos-
lure, fermeture de la faulce porte Sainct Marcel, ensemble
au mur du pourtour du portail, charpenterie et couverture
des galleryes d'icelle porte, ainsi qu'ilz étoient ancienne-
ment, pour la tuition et deffense de ladicte ville ». Un
autre ordre du Bureau enjoint au doyen de « faire relever
les murailles du cloz de l'Hostel-Dieu dudict Saint-Marcel,
bien et deuement faire clore et fermer les huys de derrière,
tant dudict cloz de l'Hostel-Dieu que de son jardin, et ce
dedans trois jours prochains; aultrement et à faulte de ce
faire, sera ce faict à ses dépens, et pour cest effect sera
saisy son temporel ». Le 14 juin, le roi adresse de nouvel-
les instructions à l'Hôtel de Ville; il lui demande d'envoyer
deliers reçurent des jardins et des écoles construites des deniers royaux ;
enfin les religieux de Saint- Victor et de Saint-Germain obtinrent, en mai 1368,
le redressement, aux frais de la Ville, de la rivière des Gobelins, avec un
droit de pèche dans les fossés jusqu*à la Seine. Moins heureux, les simples
laïques, habitants des faubourgs, étaient expropriés sans indemnité pour
la construction des murs et fossés. Voy. là-dessus Sauval, t. I, p. 87.
1. Rbo. h, 1788 bis, fol. 459. « Aultreinent, dit la décision municipale, et
à faulte de ce faire, sera ce faict aux despens de ladicte ville et la pro-
priété de ladicte porte prinse et appliquée au profict de-ceste d. Ville. »
ROBIQUST. 12
178 PARIS ET LA LIGUE
1,200 pionniers aux tranchées et l'autorise à répartir la
dépense entre les quartiers, en forçant les bourgeois à
payer leurs taxes '.
Les historiens de Paris ont parlé à maintes reprises
du pont Notre-Dame ", sur lequel la Ville avait obtenu la
permission de faire construire moulins et maisons dès le
début des travaux d'édification du pont, en 1412. Après la
catastrophe de 1499 et la reconstruction qui ne fut achevée
qu'en 1512, on avait édifié sur le nouveau pont, si l'on en
croit Gorrozet, « soixante-huit maisons, toutes d'une me-
sure et même artifice, de pierre de taille et brique,
chacune contenant cellier ou cave, ouvroir, galerie der-
rière, cuisine, deux chambres et grenier. Et estoit chas-
cune escrite selon le nombre de son rang en lettres d'or ».
Lors de l'entrée de Henri II (juin 1549) ', le nombre des
maisons du pont Notre-Dame n'avait pas varié. Les vieux
annalistes ne parlent de ce pont qu'avec enthousiasme.
Gorrozet dit : « C'est le seul chef-d'œuvre de toute l'Europe, »
et Philippe de VigneuUe, qui écrivait au début du xvi" siè-
cle, s'écrie de son côté : « Je crois qu'il n'y ait point de
1. Voici le texte même de la lettre du roi : « De par lb Ror. Très chers
bien amez, désirant pourveoir à la conservation de caste bonne ville de
Paris, et rendre en deffense les advenues d'icelle, nous avons advisé et
résolu de mectre jusques à ung bon nombre de pionniers pour les beson-
gnier aux tranchées et advenues du pourtour de ladite Ville; et d^aultant que
le nombre que nous y faisons travailler n'est suffisant, et estant nécessaire
que en toute diligence il y soit besongné pour la seurelé d'icelle ville,
nous vous mandons que vous ayez à faire savoir aux bourgeois de ceste
dicte ville qu'ilz ayent à doresnavant envoler par chascun jour jusques au
nombre de 1,200 pionniers, garniz d'outilz comme picqz, pelles, hottes et
hoiaulx, pour y travailler en toute diligence ès-lieux qui seront désignez,
faisant néanmoins par vous le département de ce que chacun quartier debvra
porter également, suivant ce qui a esté cy>devant faict en Tannée 1567 ; et,
à ce faire, contraindrez lesdictz bourgeois qui auront esté cottisez pour les-
ditcz manœuvres par toutes voyes deues et raisonnables, mesmes par exé-
cution et vente prompte de leurs biens, nonobstant oppositions ou appel-
lations quelconques; de ce faire vous donnons pouvoir. Faict à Paris le
quatorziesme de juing 1585. » Ainsi signé : Hknry, et plus bas : Pinart.
2. Hist, munie,, p. 287.
3. Ibid., p. 430. Voy. aussi, dans Paris à travers les âges, La Cité, par
M. Jules (}ousin.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 179
pareil pont au monde si beau et si riche : il y a sur ledit
soixante-huit maisons, et à chacune maison sa boutique,
lesquelles sont faictes si très fort semblables et pareilles
qu'il n'y a rien à dire. » Le même écrivain nous apprend
que les maisons du pont Notre-Dame étaient louées par
la Ville pour une durée de neuf ans et au prix de vingt
écus d'or par an ; mais les Registres de la Ville constatent
que vers la fin du xvi' siècle le prix de location avait bien
augmenté.
Le 10 décembre 1583, le prévôt des marchands fit com-
mandement aux locataires du pont de se présenter au Bu-
reau I%6 janvier suivant, afin d'y déclarer « s'ilz entendent
prendre ou non, chacun particulièrement de ladicte Ville,
les maisons où ilz sont, demourans sur ledict pont pour
neuf années, commençans du jour Sainct-Jehan-Baptiste
prochainement venant et finissans l'année que l'on comp-
tera 1593, au pris de 100 escus soleil par an et 300 escus
d'entrée pour une fois, pour chascune desdictes maisons ^ ».
Le 7 janvier 1584, le Bureau fit « assçavoir que les
soixante-huict maisons du pont Nostre-Dame, estans du
domaine de ladicte Ville, seront baillées particulièrement
à loyer au plus offrant et dernier enchérisseur au bureau
d'icelle Ville, samedi prochain, heure de deux heures de
relevée, pour le temps de neuf années et aux charges et
conditions qui seront lors déclairées... » En même temps,
la Ville, par suite d'un singulier usage, adressait copie
du cahier des charges de l'adjudication à MM. les curés
des différentes paroisses, sous la forme qui suit : « Plaise
à M. le curé de la paroisse de publier au prône de la
messe de paroisse le contenu cy-dessus ' ». Malgré ces
admonitions laïques et ecclésiastiques, les locataires du
pont Notre-Dame trouvaient trop grandes les exigences
1. Reo. h, 1788 bis, foL 369.
2. Ibid.j fol. 377.
480 PARIS ET LA LIGUE
de la Ville et ils demandèrent une diminution de prix. La
municipalité rejeta leurs offres comme insuffisantes; mais,
à la fin de mars, les habitants du pont Notre-Dame se
décidèrent à renouveler leurs baux aux conditions qui leur
étaient imposées : toutefois ils obtinrent que le droit
d'entrée pour chaque renouvellement serait réduit de
300 écus à 83 écus 20 sols tournois.
Le soulagement et la surveillance des pauvres, qui de
tout temps affluèrent à Paris, rentraient directement dans
les attributions du prévôt des marchands et des échevins.
C'était à eux que le roi remettait le soin de faire la distinc-
tion des mendiants valides et des mendiants invalidas. On
occupait les premiers aux travaux d'édilité; on ouvrait
même pour eux des ateliers publics, ainsi que nous avons
eu souvent l'occasion de le constater; quant aux invalides,
on leur distribuait des aumônes qui, de la part de la popu-
lation, étaient plus ou moins spontanées ^ Un mandement
du même temps, adressé aux quartiniers par le prévôt des
marchands, indique avec précision comment étaient recueil-
lies les aumônes destinées aux mendiants invalides et les
fonds qui servaient à couvrir la dépense des ateliers publics*.
1. A la date du 2 mai 1586, Henri lU écrit aux magistrats municipaux de
députer « deux de leur corps et compagnie » tous les samedis chez « le
sieur évesque de Paris », où se trouveront aussi deux membres du Par-
lement, deux membres de la cour des Aides, le procureur du Chàtelet et
le lieutenant civil et criminel, « pour, comme on l'a aullres fois faict, re-
garder et dresser un règlement pour pourveoir à donner l'aumosne en tel
lieu et ainsi qu'il sera advisé, aux pauvres mendians invalides; et pour
recongnoistre cculx qui en abusent afin de les rejeter, et, en ce faisant,
oster Taffluance et confusion desditcz pauvres. Et, pour ce qu'il s'en pourra
trouver beaucoup de vallides et propres à travailler qui ne veullent rien
faire et prennent excuse de demander sur ce quMlz disent ne sçavoir oir
s'occuper, il fauldra par mesme moyen regarder de faire ouvrir quelque
hastelier et réparation publique pour emploier et faire travailler lesditz
pauvres vallides, ainsy que vous avez veu qu'avons advisé. Donné à Pari»
le 2 mai 1586. • Signé : Hbrrt. Rbo. H, 1788 dis, fol. 590. |
2. < Sire Guillaume Parfaict, quarlinier de la Ville, enjoignez & vos dizi- ,
niers de advertir et admonester chacun en sa dizaine tous les marchans '
tenans boutique et autres marchans, de avoir et tenir boiste en laquelle ilz |
feront mectre par charité et aumosne le plus de deniers qu'ilz pourront, par
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 181
Il résulte d'une décision du Bureau en date du 22 dé-
cembre 1583 que « les (paw^r^^) valides de la Ville qui sont
employez aux œuvres publiques ^ », étaient payés chaque
semaine, à THôtel de Ville même et en présence de Tun
des échevins. D'après certains mandements du Bureau,
il semble que la municipalité parisienne ne se bornait pas
à conseiller aux habitants de faire la charité, mais qu'elle
procédait souvent par voie d'injonctions. C'est ainsi qu'à
la date du 2 juillet 1586 le prévôt des marchands adresse
à tous les quartiniers un mandement semblable à celui-ci :
« M** Robert Danès, quartinier de ladicte Ville, enjoignez
à tous les dixiniers de vostre quartier de faire savoir à
tous les bourgeois et habitans de leur dizaine qu'ilz aient
d porter ou envoyer par chascun jour, à l'heure de midy,
à la marmitte qui sera mise à la porte du bureau des
pauvres de la Grève, tout le reste des pottaiges et aultres
viandes qui leur resteront, pour estre portez et distribuez
aux pauvres vallides qui besongnent aux astelliers. Faict
au Bureau d'icelle ville le mercredy deuxiesme jour de
juiUet 1586 * ».
Nous avons cru nécessaire de nous étendre avec quelques
développements sur plusieurs des parties de l'administra-
tion parisienne qui étaient forcément l'occasion de fréquents
rapports entre le roi et la Ville ; mais ce qui établissait un
point de contact aussi permanent que douloureux pour les
Parisiens^ c'était le goût immodéré que leur bourse inspi-
rait au monarque. On n'a pas encore insisté avec assez
eulx et ceuix avec lesquels ils venderont et trafficqueront marchandises.
Lesquelz deniers, lesdicts marchans seront tenuz mectre par chacune sep-
maine ès-mains de leur curé pour l'entretiennement des pauvres qui sont à
présent en astelliers de ceste ville en grand nombre. Si n'y faictes faulte.
Faict au bureau de ladicte Ville le lundy neuflesme jour de juing 1586. •
Rbo. h, 1788 bis, fol. 593.
1. Ibid,, fol. 373.
2. Ibid., fol. 596.
182 PARIS ET LÀ LIGUE
de force, ni surtout avec une suffisante abondance de
documents précis sur cette grande cause du développement
de la Ligue : la profonde indignation du peuple contre les
exactions royales. Si ardent qu'ait pu être le fanatisme
clérical, si violente qu'on suppose la haine des catholiques
pour les protestants et leur chef, accepté par Henri III
comme héritier légitime du trône de France, tout cela ne
suffirait pas pour expliquer la formidable révolte dont nous
aurons à suivre les phases. Le dernier des Valois était
avant tout un prodigue, et, la théorie du droit divin ne
permettant pas de limiter son autorité, une révolution
était la seule sanction possible du mécontentement public,
la seule revanche pratique de la ruine du pays. Il faut
rappeler brièvement la série des sacrifices pécuniaires que
le roi demandait à la Ville. Nous avons raconté plus haut ^
les négociations si confuses et si laborieuses qui avaient
eu lieu, à la fin de 1579, entre la Ville, le clergé et le roi,
par suite du refus des députés ecclésiastiques d'exécuter
leurs engagements au sujet des rentes de l'Hôtel de Ville;
la saisie dans les coffres de M. de Vigny, en mars 1582, de
80,000 écus pour garnir les poches de Joyeuse et d'Ëper-
non; les taxes de décembre 1582, sur les marchands de
Paris ; le second vol de 200, 000 livres commis par le roi au
préjudice de la caisse municipale en mars 1583, et tant
d'autres mesures violentes. C'est un système qui persistera
jusqu'au bout. En mai 1584, des lettres royales demandent
à la Ville 60,000 écus « pour le paiement de la solde de
cinquante mille hommes de pied ' ». Dans l'assemblée
du 27, le Bureau décide de faire au roi « très humbles
remontrances » pour obtenir l'exemption de cette nouvelle
charge. Le 29 juillet de la même année, par lettre adressée de
Fontainebleau au prévôt des marchands, Henri III exprime
1. Voy. p. 121 et saivantes.
2. Rio. H, 1788 bis, fol. 892.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 183
rintention de vendre à THôtel de Ville « 30,000 escus
soleil de rente pour 360,000 escus soleil en principal * »
à prendre sur les deniers des aides et grosses fermes par
les main» des receveurs particuliers et généraux. Il pro-
pose d'ouvrir une souscription publique pour recevoir les
offres du bon peuple. La Ville fait d'abord la sourde oreille,
et, par une convention tacite, les conseillers s'arrangent
pour ne jamais se trouver en nombre aux assemblées;
mais la reine mère déjoue l'a manœuvre et reproche
aigrement au corps de Ville son manque de zèle. Il faut
s'exécuter : dans l'assemblée du 11 août, la Ville décide
« qu'ouverture sera faicte du Bureau de la Ville pour le re-
couvrement de ladicte somme de 30,000 écus de rente, à la
charge que ce soit de gré à gré et sans aulcune contraincte,
et que les assignations que icelle Ville a sur aulcunes des
fermes mentionnées es dictes lettres seront préalablement
paiées et acquittées, sans les confondre avec les rentes
qui seront constituées pour le recouvrement desdicts
30,000 escuz ou ce qui en sera reçeu ■ ». Le 7 mars 1585,
le roi revient à la charge et fait connaître à la Ville que
Paris est taxé à la somme de 60,000 écus pour sa part
dans la subvention demandée aux villes closes du royaume
et destinée au payement de la solde de cinquante mille
hommes. Dans l'assemblée du 26 avril, la municipalité
décide qu'on fera des remontrances au roi. Elles devaient
s'appuyer principalement sur cette circonstance qu'en vio-
lation des lettres patentes du 17 juillet 1570, qui exemp-
taient la Ville de Paris de l'obligation de contribuer à la
solde des troupes, les généraux des finances avaient, le
29 avril, en vertu d'ordres formels du roi datés du 24,
« fait arrêter la somme de 30,000 écus des arrérages des
rentes engagées à la Ville et dues par plusieurs receveurs
i. Rbo. h, 1788 àisj fol. 410.
2. Ibid,, toi, 411.
184 Paris et la ligue
particuliers et fermiers ^ ». Des lettres patentes d'avril 1585
avaient prescrit Taliénation à la Ville de Paris de 12,000 écus
de rente, assignés « sur les plus clairs deniers de ses ga-
belles du sel ». La Ville trouve que cette garantie est
beaucoup trop vague et prie le roi de déclarer « sur quels
greniers à sel ladicte rente de 12,000 escus sera assignée
particulièrement, et combien vault et monte ledict droit de
gabelle en chacun desdictz greniers à sel ' »; et, comme le
roi n'aimait pas beaucoup préciser, la municipalité de-
mande à la Cour des aides, par requête du 4 mai suivant,
de faciliter la tâche du monarque en garantissant le service
de la rente dont il s'agit par une assignation spéciale sur
les greniers à sel « des généralités d'oultre Seyne et Yonne,
Picardie et Champagne ». En outre, la Ville exprime le
désir que les deniers soient versés par les acheteurs de
rentes entre les mains du receveur municipal, François
de Vigny, qui pourrait être, en même temps, chargé du
payement des arrérages '. Pour simplifier les formes,
Henri III arrête momentanément les constitutions de rentes
et, le 11 août 1585, demande à la Ville 120,000 écus à
titre de don ^ Dans une assemblée du 23 août, les offi-
ciers municipaux décident que des remontrances seront
adressées au roi et nomment une commission de trois
membres pour les rédiger. Le 1" septembre, le prév&t des
marchands et les échevins se présentèrent au Louvre;
mais le roi ne les reçut pas, en alléguant que les conseil-
lers de Ville n'avaient pas accompagné les chefs de la
municipalité. On convoqua donc les conseillers de Ville et
l'on revint avec eux au Louvre. Cette fois, le roi fut bien
obligé d'entendre la lecture des remontrances dont le texte
lui fut « baillé par écrit ».
1. Reo. h, 1788 bis, fol. 437 et 458.
2. Ibid,, fol. 459.
3. Ibid., fol. 466.
4. md., fol. 483 et 499.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 185
Il faut s'arrêter un moment sur ces doléances de la
municipalité parisienne qui nous ont été conservées par
les Registres ^ Rien n'est plus propre à donner une idée
de la détresse du pays et du discrédit profond dans lequel
Henri III était tombé.
Sans revenir sur les points déjà touchés dans les remon-
trances de janvier 1583, que nous avons analysées plus
haut, nous nous bornerons à rappeler que la Ville débutait
encore par invoquer ses privilèges et par opposer les misères
du présent aux prospérités du passé, puis elle précisait ses
nouveaux griefs. Suivant la coutume traditionnelle des re-
montrances municipales, celles de septembre 1585 exami-
nent successivement les diverses sources de revenu des Pari-
siens : biens ruraux, bénéfices commerciaux, gages et traite-
ments de rËtat, enfin rentes sur THôtel de Ville. « Pour le
regard des rentes sur THostel de Ville, c'est la commune
richesse du peuple de Paris qui a suyvi la foy publicque
de ses roys avec tant de créance que plusieurs ont vendu
leurs terres et aultres possessions qui pouvaient accroistre
en valleur pour y mectre les deniers en rente qui ne peu-
vent jamais augmenter; et, au lieu que les antiens payens
faisoient déposer l'argent des pupilles aux temples de
leurs dieux, nos courtz souveraines ont contraint les tuteurs
et curateurs de le mettre en l'Hostel de Ville comme en
la garde publicque et sacrée du prince; et néanmoins, à
<liverses fois, on a destoumé les assignations, et mesmes,
depuis cinq ou six ans, qui est partye cause que, pour le
présent, il en est deu cinq quartiers. Cinq quartiers se
montent à plus de quatre millions de livres, et mesmes,
ceste année, il en a esté prins jusques à 60,000 escus, ce
qui inconmiode tant le peuple, qui en soulloit faire estât
certain, comme en son plus clair revenu. » Quant & l'in-
i. Rbg. h, il88 bù, foL 501.
186 PARIS BT LA LIGUE
dustrie et au commerce, la stagnation est complète depuis
six mois; les gages des officiers royaux sont arriérés; « aux
ungs est deu une année, aux aultres une demye ».
Comme conclusion de ce triste tableau des effets de la
politique royale, la Ville déclare qu'elle ne peut fournir
un écu au roi. De quelle façon se procurer de l'argjBnt?
L'impossibilité d'établir de nouvelles aides n'a pas besoin
d'être démontrée : « L'ayde est du tout impossible, parce
qu'on ne peult plus imaginer espèce quelconque de subside
sur quelque chose, quelle, que ce soit, qui ne soit ja
estably, accreu et augmenté si avant qu'on n'y peult
plus rien adjouster ». Quant à l'iïnpôt par capitation,
la répartition en est fort difficile. « Le riche ne veultj
le pauvre ne peult, » En outre, cet impôt sème la
discorde entre les citoyens et jette l'odieux sur les
fonctionnaires publics, s'ils emploient la contrainte et
mettent des gamisaires chez les contribuables récalci-
trants. Or , ajoutent les remontrances dans un lan-
gage presque menaçant, « nous sommes en temps, s'il
en fut jamais, que la Ville a besoin d'union entre ses
concitoiens, et Votre Majesté et le publicq des bonnes
prières du peuple ». A toutes les causes de misère, il faut
ajouter la contagion qui sévit dans la capitale et empêche
les agents du fisc de pénétrer dans les maisons infectées
pour exercer les contraintes, puis encore la stérilité d'une
année mauvaise. Pour faire appel au concours financier de
la Ville, le roi fera bien d'attendre « un extrême besoing... »
C'est un secours extraordinaire qui est réservé « à l'extré-
mité des extrémités ». La municipalité termine en priant
le roi de vouloir bien faire payer les arrérages échus de
rentes et « faire contraindre ceulx du clergé de paier ce
qu'ilz doibvent ».
Le roi témoigna le cas qu'il faisait des énergiques
remontrances de l'Hôtel de Ville, en lui adressant, dès
LA RÉSURRECTION DE LÀ LIGUE 187
le 13 septembre de la même année, de nouvelles lettres
patentes demandant 56,000 escuz à constitution de rente
sur les recettes générales de Rouen, Orléans et Tours.
Étourdie de cette brutale réplique à ses doléances, la
municipalité parisienne décide, le 16 septembre, que
« rcmonstrances très humbles seront faictes à S. M. de la
conséquence de l'affaire ». Par quels arguments la réso-
lution de la Ville fléchit-elle? C'est ce qu'il est difficile de
dire : toujours est-il que, le 20 septembre, la municipalité
consentit à l'ouverture des bureaux de l'Hôtel de Ville
pour le recouvrement des S6,000 écus, à condition que
les assignations des anciennes rentes aliénées par le roi
seraient payées avant celles de la présente émission. Ce
n'était pas fini. Trois jours après, le 23 septembre, le
prévôt des marchands annonce à ses collègues que le
Conseil d'Ëtat et le roi veulent mettre sur les Parisiens
une taxe de 120,000 écus, recouvrable conome les taxes
de la fortification ^ Une assemblée générale eut lieu
le 4 octobre pour délibérer sur la communication royale.
Le prévôt des marchands vint dire que Sa Majesté n'avait
pu se dispenser de faire appel à la Ville « à cause des
grandes affaires qu'il a à présent pour le paiement des
gens de guerre levez pour la conservation de son Estât » ;
mais le roi laissait les intéressés libres « d'adviser sur la
forme et levée de ladicte somme ». Ce n'était pas tant la
forme de la perception de l'impôt que l'impôt lui-même
et sa quotité qui troublaient les bourgeois. Ils offrirent
bravement 60,000 écus au lieu de' 120,000, en proposant
de répartir la somme entre les seize quartiers, comme
on l'avait fait en 1576, lorsqu'il s'agissait de payer la
solde de deux mille Suisses. Henri III fut bon prince et se
déclara satisfait des 60,000 livres, qui, d'ailleurs, ne furent
i. Rbo. h, 1798 bis, t^ 522 et 525.
188 PARIS ET LA LIGUE
pas aisées à lever sur le peuple, si Ton en juge par les
innombrables mandements aux quartiniers que conservent
les Registres.
Ainsi mise à contribution, la Ville essaya de se dédom-
mager d'un autre côté en réclamant au clergé Texécution
•de ses engagements. On a dit plus haut ^ à la suite de
quelles circonstances le clergé avait été amené à garantir
le payement des rentes de THôtel de Ville, et comment un
Arrêt du Parlement de décembre 1579 avait contraint
Tordre ecclésiastique à continuer pendant dix ans encore
le versement des décimes destinés aux rentes de la Ville.
Mais cet engagement n'avait pas été tenu, et, malgré les
actives démarches de la municipalité, les assemblées du
<^lergé ne cherchaient qu'à gagner du temps et donnaient
des réponses évasives *. Le Conseil du roi et le Parlement
faisaient la sourde oreille. Dans ces circonstances, la Ville
s'adressa encore une fois au clergé lui-même, en alléguant
« les grandes plainctes et clameurs que faisoit le pauvre
peuple du deffault de paiement d'une année et demy
«schue à la fin du mois de décembre dernier, qui estoit
•deue; et que lesdictz arréraiges se montoient bien à
présent jusques à la sonome de 700,000 escus, comme
apparoissoit par Testât signé du receveur de ladicte Ville
et dudict Cas tille, receveur d'icelluy clergé * ». L'ordre
ecclésiastique, assemblé à Saint-Germain des Prés pour
délibérer sur une bulle du pape ^ et présidé par le car-
1. Voy. p. 7 à 9, 121 et suivantes.
2. « Quelques diligences que la Ville ayt pu faire, mesmes contre ledict
clergé, il l'entretenoit tousjours d*espérances, comme dict est, de jour ea
jour. » Rbo. h, 1788 bis, f* 581. En mars 1586, le roi devait k la Ville en-
viron 500,000 écus de rente, garantis par les recettes générales, et le
'Clergé 700,000 écus environ d'arrérages échus.
3. Rbo. h, 1788 bis, fo 580.
4. U s'agit ici de la bulle par laquelle la pape avait autorisé le roi de
France à vendre le temporel de rËgli8eju8qu'& concurrence de 100,000 écus
de rente, « ce que, dit TEstoile, t. H, p. 327, ledict clergé trouvoit fort
•dur et estrange, et en murmuroit, disant : qu'on le vouloit rendre tribu-
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 189
dinal de Bourbon, répondit aux réclamations de la Ville,
« par la bouche de M. Tarchevêque de Vienne, que S. M.
requéroit la publication d'une bulle pour le recouvrement
de la somme de 100,000 écus de rente sur ledict clergé, et
que si ladicte bulle sortoit effect, ledict clergé n'auroit
aucun moien de payer lesdicts arreraiges et continuer
lesdictes rentes ; et faisoient estât de eulx retirer chacun
en leurs maisons en particulier ». Repoussés par les
évèques, qui avaient, il faut le reconnaître, d'aussi bonnes
raisons que la Ville de Paris pour se plaindre de l'avidité
de Henri III, les officiers municipaux eurent recours à
leur expédient suprême, qui avait un peu trop servi dans
ces derniers temps : ils firent des remontrances au roi *.
En guise de conclusion, la municipalité demande au
roi de lui donner lettres et commission pour saisir le
temporel du clergé, jusques à plein et entier payement de
la somme due. Henri III répondit qu'il soumettrait la
laire et taillable, ce qu'on n'avoit jamais veu v. C'était l'évoque de Paris
qui avait servi d'intermédiaire entre le pape et le roi; mais il avait
dépassé les instructions du clergé de France, qui ne Tautorisaient à con-
sentir que l'aliénation de 50,000 écus de rente. Aussi, à son retour de
Rome, le malheureux prélat fut-il traité de « valet du diable et de Judas »
par les représentants de son ordre. On lui chanta ceci, entre autres dou-
ceurs :
Où as- tu dy-je, apprins, je te prie, hipocrile,
Qu'un pasteur, ouingt de Dieu, denst, au denier comptant.
Vendre le bien du pauTre que Dieu estime tant,
Et le bien de ses preslres, sucoetseure du léTÎteT
i. Rro. h, 1788 6û, r> 581. u Sire, disait THÔtel de Ville dans ces nou-
velles doléances, les prévost des marchans et eschevins de la Ville de
Paris remontrent très humblement à Vostre Majesté que ès-années 1566,
1567, 1568, 1570, 1571, 1572, 1573, MM. du Clergé de cestuy royaume ont
sur tous et chascun de leurs biens et revenuz temporels, vendu et constitué
À Jadicte Ville plusieurs rentes, revenans à 400,706 escuz 54 sols par chacun
an, au paiement desquelles iizse sont obligez solidairement par contractz
bien et auclhentiquement faictz, passez et veriffiez partout où besoing a
esté; et que, ce néanmoins, depuis quelques années en ça, les arrerai-
ges d'icelles rentes n*ont pu estre si bien recouvrez, quelques diligences
qu'iceulx prevost des marchans et eschevins y ayent employées, que, par
chascun an, lesdictz du clergé n'en ayent faict reste de grande somme. »
La Ville ajoute que, pour les arrérages échus au 31 décembre 1585, il reste
dû à la Ville 69,693 écus 46 sols « sans en comprendre la demie année qui
escherra au jour Saint Jehan Baptiste prochain ».
i90 PARIS ET LÀ LIGUE
question k son Conseil dans un délai de deux ou trois
jours. Il y eut en effet (les 28 et 29 mars et le 1*' avril)
plusieurs réunions du Conseil d'État ', tenues en présence
de la teine mère et des délégués du clergé. Catherine
déclara « qu'elle en parleroit au roy et que ce seroient les
premières paroUes qu'elle tiendroît à S. M. ». Peu de temps
après, Henri promit « de donner ordre promptement au
faict des rentes ». Mais, à la fin d'avril 1586, et malgré
de nouveaux pourpaiiers entre le Conseil d'État et les
délégués du clergé, on n'était pas plus avancé qu'avant les
remontrances, et le clergé défendait sa bourse avec une
énergie qu'on n'eût pas tolérée de la part de simples
magistrats municipaux. Enfin, pour terminer la série des
malheurs financiers de la Ville, disons que le 28 juin 1586
le roi lui proposa de constituer « 12,000 escuz soleil de
rente, rcvenans à sept vingt-quatre mil escuz en prin-
cipal ' », avec assignation sur les recettes générales et
particulières. La Ville accepta cette proposition, qui équi-
valait à un ordre, et décida de « faire ouverture des
bureaux pour le recouvrement de ladicte sonmie, pourvu
que ce soit de gré à gré, entre les voluntaires et sans
1. Sur rorganisation des Conseils du Roi à cette époque, on peut con-
sulter un document très peu connu, bien qu'il soit reproduit au t. X des
Archives curieuses, p. 299; il est intitulé Les règlements faits par le roy, le
premier jour de janvier mil cinq cens quatre-vingt-cinq. Ces règlements
font connaître que, sous Henri III, il y avait auprès du roi trois Conseils,
savoir le Conseil d'État, le Conseil privé et le Conseil des finances. Outre
les princes du sang et les grands officiers de la couronne, le Conseil d'État
se composait de trente-trois membres, dont six d'Eglise, vingt et un d'épée
et six de robe longue, dgés d'au moins trente-cinq ans. Le règlement de
1585 contient Tindication détaillée des attributions du Conseil d'État. Elles
portaient notamment sur les remontrances et doléances des provinces, « la
police des provinces, communautez et villes », le rabais des tailles et sub-
ventions des villes et emprunts, etc. Le roi fixe, dans son règlement,
tous les détails du costume des conseillers d'État pour l'été et pour l'hiver.
Voy., sur l'origine des Conseils, le livre de M. Ehilb Bos : Les avocats aux
Conseils du roi, 1 vol. in-8% 1881, et le bel ouvrage de M. Aucoc, membre de
llnstitut : Le Conseil d'État avant et depuis /799, 1 vol. in-8*. Impr. natio-
nale, 1876.
2. Rbo. h, 1788 bis, f» 594.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 191
aulcune contraincte ». Mais, pour ne pas laisser croire au
roi qu'elle était heureuse de voir grossir indéfiniment le
chiffire de sa dette, la Ville ajouta à sa délibération ce
post-scriptum : » Et néantmoings seront faictes remon-
strances très humbles au roy par mondict sieur le prévost
des marchands, ad ce qu'il plaise à Sa Majesté faire pour-
veoir sur le payement des arréraiges des rentes. »
L'histoire des relations financières du roi et de la Ville
ne présenterait qu'une nomenclature un peu sèche, sorte
d'addition dont le total fuit toujours, si l'on n'avait pas
soin de la replacer dans le cadre des événements politi-
ques qui conunencent, en cette année 1S85, à se dérouler
avec une gravité terrible. Après avoir jeté un coup d'œil
sur les différentes parties de l'administration municipale,
au moment où elle n'a pas encore pris un caractère occulte
et révolutionnaire, il convient de reprendre le récit des faits
et des actes qui ont préparé la seconde phase de la Ligue.
En licenciant les États généraux de Blois (l"" et 2 mars
1577), Henri III avait formellement refusé de rétablir
l'unité de religion par la force ; cette tolérance ne dérivait
pas de considérations politiques , mais de la pénurie du
Trésor, qui ne lui permettait pas de réaliser ses premières
intentions *. II s'était contenté de laisser les ducs d'Anjou
1. Il est ioléressant de citer, d'après les Mémoires de Nevers, les paroles
que prononça Henri III dans la séance du Conseil privé tenue à Blois le
28 février 1577 : « Messieurs, chacun a veu de quelle afTection j'ay em-
brassé ce qui estoit pour Thonneur de Dieu, et combien j'ay désiré de
Toir qu'il n'y eust qu'une religion en mon royaume. Mesme j'ay brigué,
s'il faut ainsy dire, les gens des trois Estais, qui n'alloient que d'une
fesse, pour les pousser k demander une seule religion, dans la croyance
que j'avois qu'ils m'aideroient à exécuter une si sainte résolution. Mais,
voyant le peu de moyens qu'ils m'en ont donné, cela m'a fait connoistre
le peu d'espérance qu'il y a d'exécuter ma première intention, laquelle je
veux bien qu'on sache avoir esté telle. Toutesfois, comme dit M. de Nevers,
il est permis de chauffer s^n opinion quand l'occasion s'en présente. De
mon costé, je ne pense^oint faillir si je ne déclare pas maintenant que
je veuille entretenir une^seple religion dans mon royaume, puisque je
n'ay pas les moyens de le Taire... » Mém, de Nevers, 1. 1, p. 177,
192 PARIS ET LA LIGUE
et de Mayenne batailler quelque temps encore avec les hu-
guenots, afin d'affaiblir Tun par l'autre les deux partis^ puis
il avait signé la paix de Bergerac (17 sept. 1577). La
Ligue, déjà constituée par Tacte de Péronne (juin 1576),
paraissait frappée à mort par ce coup droit, et les plans des
Guises avortaient jusqu'à nouvel ordre. Ils sommeillèrent \
en effet, de la paix de Bergerac à la mort de duc d'Anjou
(10 juin 1584). Mais alors, grâce aux encouragements de
Philippe II et du pape, les ligueurs jettent le masque et
lancent contre Henri III l'immense armée des moines, des
curés et des Jésuites. Du séminaire catholique de Reims,
succursale du Gesù, la doctrine du tyrannicide s'élève et
se répand au dehors •. Le 10 juillet 1584, un jeune homme
de vingt-six ans, né à Villefaus, en Franche-Comté, tue
le prince d'Orange d'un coup de pistolet, à Delft. Il avoua
qu'il avait communiqué son projet homicide à trois jésuites
de Trêves, qui l'avaient approuvé '. En février 1584, on
avait découvert en Angleterre une conspiration contre la
vie de la reine Elisabeth. Guillaume Parry fut exécuté
(2 mars), après avoir avoué que le pape lui avait envoyé
sa bénédiction par le cardinal Ptolémée Gallo, et que la
1. Toutefois les Guises ne cessèrent pas, dans rintervalle, de se donner
comme les protecteurs de la religion catholique. En 1579, ils eurent assez
de crédit pour imposer aux Parisiens un pacte très curieux qui a été
conservé dans les Mém, de Nevers (t. I, p. 627) et par lequel les associés
s'engagent à se tenir armés « pour la conservation de là religion et le
service de Sa Majesté », à former, pour le gouvernement de Paris et de
rUe-de-Prance, un contingent de 500 cavaliers et de 2,500 fantassins, à
payer la somme nécessaire à l'entretien de ces forces, et prennent l'en-
gagement de tenir l'association secrète : Henri III, auquel les États de
Normandie et de Bourgogne, ainsi que le Parlement de Paris, reprochaient
violemment ses exactions financières et ses édits bursaux, n'osa pas, A ce
moment, rompre avec les Lorrains, et il approuva le nouvel acte d'asso-
ciation, dans les termes qui suivent : « Après avoir entendu le contenu
aux articles cy-dessus, avons permis aux sujets de nostre bonne ville de
Paris d'exécuter ce qui est porté par iceux et octroyé de lever sur eux
les deniers nécessaires. Fait k Paris le douziesme jour de janvier 1579. »
Ainsi signé Hurar. Et au-dessous, au bas, contresigné Pinart.
2. Voir à cet égard Michklbt, t. X, p. 83 et suiv.
3. Db Thou, t. IX, p. 186, et Bulletin de VAcad. royale de Belgique, t. XXHI.
no 10.
LA RÉSURREGTIOiN DE LA LIGUE 193
lecture du livre d'Alain, le chef du séminaire de Reims,
avait dissipé sds dernières hésitations Ml y eut aussi deux
projets d'assassinat contre le roi de Navarre '. Henri de
Guise ne cachait plus sa haine contre le prince huguenot.'
11 l'avait d'abord choyé, accablé d'avances, au lendemain
même de la mort de Charles IX, comme pour l'opposer à
Monsieur l'héritier présomptif. « Ils ne se séparaient pres-
que plus, dit de Thou en parlant des deux Henri, man-
geaient ordinairement ensemble et ne se servaient souvent
que d'un seul lit. » Le roi de Navarre semblait entrer
dans les vues du Lorrain, mais on jeta les masques après
la mort du duc d'Anjou, et Henri de Guise, furieux d'avoir
été dupé, jura à son ancien ami une haine éternelle. Quant
à Henri III, il flottait entre les deux rivaux, n'osant, d'une
part, affronter les Guises et leur allié Philippe II, mais sen-
tant, d'autre part, son autorité mise à néant par les ligueurs.
Au début de novembre 1584, le roi de France assembla
ses p us fidèles serviteurs à Saint-Germain et leur déclara
qu'il était décidé à mettre un terme aux intrigues « de
ses ennemis couverts ». Il publia, en effet, le 11 du même
mois, une « déclaration contre ceux qui font ligues, en-
roollemens et pratiques contre l'Estat de son royaume, avec
1. Mkh. de la Ligue, L I, p. 20. Db Tbou, Ibid,, p. 193. Le pape qui avait
approuvé les desseins criminels de Guillaume Parry était encore Gré-
goire XUI, qui occupa le trône pontifical du 14 mai 15T2 au 10 avril 1585.
Le successeur de Grégoire XUI, le bouillant Sixte V, qui fut pape jusqu'au
17 août 1590, excommuniera bien Henri de Bourbon, mais ne consentira
jamais à ériger en dogme Tassassinat des rois.
2. D'Auger de Gislen, seigneur de Busbec, ambassadeur de Rodolphe U
empereur d'Allemagne auprès de Henri III jusqu'en 1592, parle, dans une
de ses lettres, datée du 6 mars 1585, d'une de ces tentatives d'assassinat.
Le meurtrier avait voulu tuer Henri de Navarre d'un coup de pistolet,
après lui avoir administre un poison qui ne produisit pas d'elTet.. Busbec
ajoute que Henri IH envoya un conseiller d'État au roi de Navarre pour
suivre le procès de l'assassin. Archiv. cur., t. X, p. 126. L'ambassadeur
de l'empire fait sans doute allusion & la tentative d'un secrétaire nommé
Ferrand, que la reine de Navarre avait placé auprès de son mari avec
mission de Tempoisonner, parce que le Béarnais avait cessé tous rapports
conjugaux avec elle depuis le mois d'août 1583. L'Estoile, t. II, p. 181.
ROBIQUET. 13
194 PARIS ET LA LIGUE
abolition pour ceux qui s'en départiront ^ ». Le roi, dans
cette déclaration, qualifie de « criminels de lèse-majesté »
ceux qui sollicitent ses sujets « d'entrer en Ligue, associa-
lion et enrooUement » et enjoint aux officiers de justice de
procéder contre eux « en toute rigueur ». Ainsi menacé,
le duc de Guise ne garda plus aucun ménagement. Il
décida le vieux cardinal Charles de Bourbon à prendre le
rôle d'héritier présomptif de la couronne. En même temps,
pour agir par les yeux sur la masse du peuple, les parti-
sans des Guises firent composer des planches qui étaient
censées représenter les supplices que les catholiques subis-
saient en Angleterre ; et, tandis que le peuple parisien con-
sidérait ces gravures, des gens apostés en expliquaient le
sujet, une baguette à la main^ disant à l'oreiUe de chacun
que, si le roi de Navarre montait sur le trône, les catho-
liques de France seraient soumis au même traitement que
les catholiques d'Angleterre ". Henri III, informé de cette
dangereuse comédie, donna l'ordre au lieutenant civil
d'empêcher qu'elle continuât, et Claude Dorron, maitre
des requêtes, fut chargé de saisir les planches et de les
détruire. De fait, on savait où les trouver et on les trouva
à l'hôtel de Guise : elles furent portées au roi, mais son
autorité était déjà si compromise que les ligueurs firent
peindre sur bois le même sujet et exposèrent ce tableau
dans le cimetière de Saint-Séverîn. L'ambassadeur d'Angle-
terre se plaignit de nouveau à Henri III, qui eut beaucoup
de peine à obtenir des marguilliers de la paroisse l'enlève-
ment du tableau séditieux.
Il semble, du reste, que le roi de France ne pouvait
prendre son parti de rompre avec les Guises, soutenus par
1. On trouve cette pièce dans les Mém. de Nevers, t. I, p. 633. Le duc
de Nevers, interpellé personnellement par Henri III, ploya le genou devant
lui et Jura « qu'il serait toute la vie aussi fidèle à Sa Majesté qu'il espérait
de rôtre h Dieu ».
2. Di Tho0, U IX, p. 270.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 195
le pape et l'Espagne . L'éventualité d'une grande lutte
effrayait le faible monarque, .et, d'autre part, ses préven-
tions naturelles contre les protestants l'empêchaient de se
jeter dans leurs bras. Toutes ses faveurs étaient réservées
aux zélés catholiques ou aux protestants qui revenaient
au catholicisme, grâce aux insinuations habiles de Joyeuse
et d'Épemon, les principaux distributeurs des emplois et
et des pensions. Les ligueurs sentirent qu'il fallait brusquer
les choses, si l'on ne voulait voir le parti protestant se
fondre de lui-même, ce qui eût enlevé tout prétexte aux
entreprises des princes.
Le 16 janvier 1585, le duc de Guise renouvela au château
de Joinvîlle le traité qu'il avait déjà conclu av^ le roi
d'Espagne. Jean-Baptiste Taxis , commandeur de l'ordre
de Saint-Jacques, et le commandeur Jean Moreo représen-
taient Philippe II; François de RoncheroUes , sieur de
Maineville (que Henri III surnomma plus tard Mène-Ligue)^
était venu au nom du cardinal de Bourbon; le duc de
Guise et le duc de Mayenne son frère figuraient en per-
sonne : le cardinal de Guise, les ducs d'Aumale et d'Elbeuf
avaient envoyé leurs procurations. Après un préambule
portant que l'Union n'avait en vue que la conservation de
la religion catholique, mal protégée par le roi régnant et
directement mise en péril par son héritier légitime, le
traité comprenait un certain nombre d'articles dont nous
ne rappellerons ici que les principaux , en substance :
A la mort du roi Henri III, tous les princes de l'Union
regarderaient et soutiendraient le cardinal de Bourbon
comme le légitime héritier de la couronne ; en possession
du trône, le cardinal de Bourbon ratifierait le traité de
Cambrai passé entre la France et l'Espagne en 1559, procla-
merait Tunité de religion et ferait mettre à mort sans dis-
tinction tous ceux qui refuseraient d'embrasser le catholi-
cisme, ferait publier les décrets et ordonnances du Concile
496 PARIS ET LA LIGUE
de Trente et renoncerait à Talliance turque. Le roi d*Espa-
gne s'engageait, de son côté, à contribuer, jusqu'à concur-
rence de 50 000 écus par mois, aux frais de la guerre contre
les protestants, le cardinal de Bourbon promettant de
rembourser ces subsides lorsqu'il aurait conquis sa royauté.
On rendrait à S. M. catholique Cambrai et les autres places
dont les hérétiques et les rebelles s'étaient emparés pendant
les dernières guerres. Aux princes contractants pourraient
se joindre les gentilshommes, villes, chapitres, universités
et tous les catholiques, y compris les princes étrangers.
La place des signatures des ducs de Mercœur et de
Nevers S absents, devait être laissée en blanc au bas du
traité, qtii fut rédigé en double original, l'un pour le car-
dinal de Bourbon et les princes ligués, l'autre pour le roi
d'Espagne, qui aurait à ratifier les clauses du traité dans
le courant du mois de mars suivant. Il était entendu que
le plus grand secret serait gardé sur l'existence et la
1. Le duc de Nevers ayant joué an rôle très considérable dans les dif-
férentes phases de la guerre civile, nous ne croyons pas inutile de donner
sur lui quelques renseignements biographiques.
Ludovic de Gonzague, prince de Mantoue, puis duc de Nivernais, de
Réthelois et de Clëves, pair de France, était le troisième fils de Frédéric H,
duc de Mantoue. Né en 1539, il avait été amené en 1549 à la cour de
Henri II, qui lui accorda des lettres de naturalisation et le fit élever avec
ses enfants. Ludovic de Gonzague se conduisit en bon Français à la
journée de Saint-Quentin, et fut fait prisonnier par son oncle, Ferdinand
de Gonzague, général de Philippe II. Il paya une rançon de 60 000 écus
d'or. Il prit le titre de duc de Nevers et quitta celui de prince de Mantoue
en épousant Henriette de Glèves, sœur du dernier duc de Nevers (1567).
C'est ette qui fut maîtresse de Coconas. Ludovic de Gonzague était un
catholique ardent et contribua à faire décider la Saint- Barthélémy. Ami
de Henri III, quMl avait accompagné en Pologne, il eut pendant la Ligue
une attitude assez ambiguë, protestant toujours de son dévouement
envers le roi, et, d'autre part, échangeant avec les Guises les lettres les
plus affectueuses. On peut les lire dans le recueil de Gomberville connu
sous le nom de Mémoires de Nevers. Dans une pièce datée du 15 décembre
1584, Nevers exprime le souhait que « l'illustre maison de Valois puisse
être assise sur le thrône jusques à la consommation des siècles », mais
il ajoute quUl « ne reconnoistra jamais, dans quelque extrémité où il se
trouve réduit, pour son prince et son roy légitime, aucun prince héré-
tique... » Ces deux phrases caractérisent bien les deux mobiles de la con-
duite incertaine du duc, l'un des personnages les plus curieux de son
temps. Il ne devait mourir qu'en octobre 1595.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 197
nature de ce marché passé avec l'Espagne. En même temps,
le pape était mis en demeure de se prononcer par le jésuite
Claude Mathieu, « le courrier de la Ligue ». Cet actif agent
des Guises a expliqué lui-même dans une lettre en date
du il février 1383, adressée au duc de Nevers, comment il
remplit sa mission *. D'après Mathieu, le pape lui aurait
dit, dès le 18 novembre 1584, « qu'il avait peur que les
catholiques ne fussent trop tardifs à commencer ». Il pro-
mettait « quand on aurait commencé » de déclarer le roi
de Navarre et le prince de Condé incapables de succéder à
la couronne. « Le pape, dit le jésuite, ne trouve pas bon
qu'on attente sur la vie du roi : car cela ne peut se faire
en bonne conscience; mais si on pouvoit se saisir de sa
personne et oster d'auprès de luy ceux qui sont cause de
la ruine de ce royaume, et luy donner gens qui le tinssent
en bride et qui luy donnassent bon conseil, et le luy fissent
exécuter, on trouveroit cela bon : car, sous son authorité,
on se rendroit maistre de toutes les villes et provinces de
ce royaume. » Mathieu, en revenant en France, avait
trouvé le temps de pousser une pointe en Suisse et avait
obtenu du colonel Phifer la promesse d'amener aux Lor-
rains « six mille Suisses catholiques, des meilleurs hommes
qui soient par delà », pourvu qu'on lui fit tenir trente mille
livres à Luceme. Ainsi la Ligue était déjà prête à entrer
on campagne avec les armes temporelles et spirituelles.
De leur côté, les protestants comprenaient le prix du
temps et ne reculaient pas devant la lutte. « Au commen-
cement du mois de février (1385), écrit l'Estoile, aiTÎ-
vèrent en la ville de Sentis les députés des Estais de
Flandre, venans pour mettre les Pays-Bas en la protection
et sauvegarde du roy et lui demander secours contre
les oppressions et lirannies du roy d'Hespagno et du
1. Métn, de Nevers^ t. I, p. 6ii5.
198 PARIS ET LA LIGUE
duc de Parme, son lieutenant ès-dits pays. » Henri III
n'osa pas tout d'abord les recevoir à Paris; mais D. Ber-
nard de Mendoza, ambassadeur d'Espagne, insista avec
tant de hauteur pour que le roi chassât les Flamands, sans
même les avoir entendus, que le roi eut un éclair de fierté
et répondit à Mendoza que « la France avoit toujours été
Fasile des malheureux, et qu'il était bien aise de lui appren-
dre, à lui et à tout le monde, qu'un roi de France ne savait
ce que c'était que de trembler *... » Et Henri III donna
audience, le 12 février, aux ambassadeurs des Ëtats géné-
raux, leur parla avec bonté et les pria de lui laisser leurs
propositions par écrit afin d'en délibérer mûrement avec
son Conseil. Le prince de Parme croyait déjà la guerre
inévitable entre l'Espagne et la France, et il envoyait cour-
rier sur coiurier à Mendoza pour le presser d'agir sur
le duc de Guise et de le décider à mettre les ligueurs en
campagne.
Henri III, malgré son indécision et sa mollesse, sem-
blait avoir lui-même pris son parti. Il reçut avec le plus
grand éclat dans sa capitale (23 février 1S85) une ambas-
sade anglaise qui, sous couleur d'apporter au roi le collier
de l'ordre de la Jarretière, venait lui offrir, au nom de la
reine Elisabeth, de contribuer, dans la proportion des deux
tiers, aux frais de la guerre, s'il se déclarait en faveur des
Flamands. Le 28 février, « le roy en grande pompe et
magnificence, vestu d'un habit tel que portent les cheva-
liers de l'ordre anglois, rcceust, après vespres, dans l'église
des Augustins, à Paris, le collier de l'ordre de la main du
comte de Warviq, et fit entre ses mains le serment de l'ordre
de la Jartière, et, le soir mesmes, auxdits comte et ambas-
sadeurs fist un festin magnifique ' ». En même temps, le
1. L'analyse du discours de Mendoza et de la réiK>nse de Henri III a été
faite par de Thou, t. IX, p. 275, avec sa précision habituelle.
2. L'EsToiLK, t. II, p. 181.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 199
roi mandait au sieur de Fleury, son ambassadeur en
Suisse, de faire des levées dans les cantons, et il envoyait
Gaspard de Schomberg, comte de Nanteuîl, recruter des
reîtres en Allemagne ; mais ce dernier fut arrêté à Briey
par les officiers du duc de Lorraine. Le duc de Guise
déployait aussi une activité rare, aidé par tous ceux de
sa maison. Tandis que les Lorrains massaient leurs forces
vers Chàlons et cherchaient à mettre la main sur les trois
évêchés (et ils ne devaient pas tarder, en effet, à s'emparer
de Toul et Verdun) ; tandis que le duc de Nevers se rendait
en Provence pour essayer de fomenter à Marseille un
mouvement populaire, sauf à désavouer ses agents s'ils
échouaient *, le cardinal de Bourbon publiait à Péronne, le
dernier jour de mars, un manifeste exposant les causes
qui ont mû monseigneur le cardinal de Bourbon et les
pairs, princes, seigneurs, villes et communautés catho-
liques de ce royaume de France de s'opposer à ceux qui,
par tous moyens, s'efforcent de « subvertir la religion catho-
lique et l'État ' ». On ne rappellera ici que la conclusion
de cet important document : le cardinal déclarait que lui
et les princes, villes ou sujets « faisant la meilleure et la
plus saine partie du royaume » avaient tous « juré et sain-
tement promis de tenir la main forte et armée à ce que la
sainte Église soit réintégrée en sa dignité et en la vraie et
seule catholique religion; que la noblesse jouisse comme
elle doit de sa franchise toute entière et le peuple soit
soulagé de nouvelles impositions abolies et toutes crues
ôtées, depuis le règne du roi Charles neuvième que Dieu
absolve; que les Parlements soient remis en la plénitude
1. Voy. Hist. véritable de la prise de Marseille par ceux de la Ligue, etc.,
Mém. de. la Ligue^ t. I, p. 73. On peut aussi consulter la pièce intitulée :
Lettres escrittes de Marseille contenant au vray les choses qui s'y sont paS'
sées les *, 9 et 10 du moys d'avril dernier, 1585. Réimprimé dans les Arch,
curieuses, t. XI, p. 29.
2. Mém. de la Ligue, t. I, p. 56.
300 PARIS ET LA LIGUE
de leurs connoissanccs et en leur entière souveraineté de
leurs jugemens, chacun en son ressort; et tous sujets du
royaume maintenus en leurs gouvernemens, charges et
offices, sans qu'on leur puisse ôter, sinon en trois cas, des
anciens établissemens et jugemens des juges ordinaires,
ressortissant es Parlemens; que tous deniers qui se relè-
veront sur le peuple seront employés à la défense du
royaume et à Teffet auquel ils sont destinés ; et que désor-
mais les États généraux, libres et sans aucune pratique,
soient tenus, de trois ans en trois ans pour le plus tard,
avec entière liberté h un chacun d'y faire ses plaintes aux-
quelles n'aura esté deuement pourvu * ». En terminant, le
cardinal suppliait Catherine de ne pas l'abandonner et fai-
sait un énergique appel, non seulement aux princes, pairs
de France, « personnes ecclésiastiques », seigneurs et gen-
tilshommes, mais aux villes et communautés, qu'il exhor-
tait « à mettre la main à cette bonne entreprise, qui ne
sçauroit que prospérer avec la grâce de Dieu ».
A ce manifeste, très énergique et fort habile, qui
essayait de rallier sous l'étendard des ligueurs toutes \ef^
forces de la nation, Henri III répondit aussitôt avec une
modération et une douceur qui attestaient son impuis-
sance. Il plaide les circonstances atténuantes en faveur
de la royauté, proteste de son dévouement pour la reli-
gion catholique, s'étonne qu'on puisse douter de sa volonté
de restaurer la foi, regrette que les États de Blois ne lui
i. Le texte complet de la déclaration se trouve dans les Mém, de Nevetg^
1. 1, p. 641, et dans les Mém. de la Ligue, 1. 1, p. 56. Il ne porte que la signa-
ture du cardinal de Bourbon, mais les Mém, de Severs donnent la liste des
chefs de la Ligue qui fut distribuée avec le manifeste. Les voici : « Le
pape, les cardinaux de Bourbon, de Lorraine, de Guise, de Vaudemont, de
Vendôme, l'empereur et princes de la maison d'Autriche en Allemagne, le
roi d'Espagne et les siens, le prince d'Ecosse, le grand maître de Malte,
la seigneurie de Venise, la république de Gênes et de Lucques, -le grand-
duc de Florence, les ducs de Lorraine et de Guise, Ueutenans généraux de
ladite Ligue, les ducs de Mayenne, de Mercœur, d*Aumale, d'Elbœuf, de
Nevers, de Savoie, de Ferrare, de Nemours, de Cléves, de Porme et autres,
jusques aux évesques de Cologne et de Mayence. »
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 301
aient pas fourni les moyens de continuer la guerre contre
les hérétiques, célèbre les bienfaits de la paix, grâce à
laquelle « le pauvre laboureur, accablé de la pesanteur du
faix insupportable provenant de la licence effrénée du
soldat, a moyen de respirer et recourir à son labeur ordi-
naire, pour substanter sa pauvre vie ». Le roi, avec une
superbe assurance, fait sa propre apologie et affirme no-
tamment « qu'il a convié ses sujets par son exemple à
réformer les mœurs et recourir à la grâce et miséricorde
de Dieu par prières et austérité de vie ». Il raille agréable-
ment ceux qui s'inquiètent des sentiments de Théritier de
la couronne, attendu « qu'étant encore, grâce à Dieu, en
la fleur et force d'âge et en pleine santé, et pareillement la
reine sa femme, il espère que Dieu leur donnera lignée, au
contentement universel de ses bons et loyaux sujets. Et
lui semble que c'est vouloir forcer la nature et le tems, et
davantage se défier par trop de la grâce et bonté de Dieu,
de la santé et vie de sadite majesté et de la fécondité de
ladite dame reine sa femme, que de mouvoir à présent
telle question et même en poursuivre la décision par la
voie des armes. » Comme conclusion, Henri III engage les
ligueurs à poser les armes, à renvoyer les soldats étran-
gers et à s'en rapporter à lui du soin de « pourvoir au sou-
lagement de son peuple * ». Au cours de cette guerre de
plume, à laquelle Henri III s'entendait d'ailleurs assez bien,
il trouva un auxiliaire brillant dans la personne du roi de
Navarre, qui publia aussi, le 10 juin 1585, « une déclaration
1. Mém. de Nevers, 1. 1, p. 63. Certains historiens sont très sévères pour
^e manifeste de Henri II I, attribué par TEstoileà Villeroi, secrétaire d'Etat,
fl nous parait, au contraire, plein d'esprit et dHronie voilée. De Tiiod, t. IX.
p. 287, reconnaît bien « qu'il est composé avec beaucoup d*art et d'habi-
leté n, mais il le trouve indigne de la mc^esté royale. Cela est bientôt dit :
cependant on ne pouvait demander an roi plus de vigueur, quand la Cham-
pagne presque entière, et les trois quarts de la Normandie^ de la Picardie,
de la Bourgogne, du Berry, de TOrléanais, de la Bretagne se déclaraient
contre lui. Nous verrons, d'ailleurs, qu'il ne resta pas inactif.
202 PARIS ET LA LIGUE
contre les calomnies publiées contre lui et protestations
do ceux de la Ligue, qui se sont élevées en ce royaume » *.
Elle se terminait par l'invitation qu'adressait le roi de
Navarre au duc de Guise « de terminer la guerre de sa
personne à la sienne, un à un, deux à deux, dix à dix,
vingt à vingt, plus ou moins, ou tel nombre que ledit sieur
de Guise voudra , avec armes visitées entre chevaliers
d'honneur ».
Nous avons cru devoir résumer avec une certaine pré-
cision les différents manifestes et les négociations très
complexes qui ont servi de préambule à la rentrée en
scëne de la Ligue. Cette analyse était nécessaire pour Tintel-
ligence des développements qui vont suivre; mais nous
sortirions du cadre d'une histoire politique et municipale
de Paris en essayant de rechercher sur tous les points de
la France les traces et les manifestations du grand complot
catholique. Il faut limiter maintenant notre étude aux
événements qui ont un caractère plus spécialement pari-
sien.
On peut reconstituer l'histoire du début de la seconde
période de la Ligue à l'aide de deux documents d'une
valeur rare : le Journal de Nicolas Poulain *, et le Dialo-
1. Le rédacteur de cette pièce était Duplessis-Mornay. On la retrouve au
1. 1 de ses Mémoires, p. 466. Elle est reproduite au 1. 1 des Mém. de Nevers,
p. 120, et a été traduite en latin À Leyde en 1585. Cest le plus intéressant,
mais le plus connu des documents analysés au texte.
2. Le journal de Nicolas Poulain va du 2 janvier 1585 jusqu'au jour des
Barricades, le 12 mai 1588. Il a été inséré à la suite du journal de TEstoile
(édit. de 1744, t. II), et se trouve aussi reproduit au t. XI, p. 282 des Arch.
curieuset. Ce Poulain, lieutenant du prévôt de l'Ile-de-France, joua un
double rôle, plus ou moins honorable. U affecta d'abord un grand zèle pour
la Ligue, puis avertit le roi de tous les projets des conspirateurs. Dans les
Comptes de dépense de Henri III, 1580 à 1588, Arch, nat., lettre K, et Arch.
cur,j t. X, p. 424, on lit l'article ci-dessous : « A Nicolas Poulain, lieute-
nant du prévost de l'Isle- de-France, la somme de 200 escus soleil, à luy
ordonnée pour le service de Sa Majesté en certain lieu et endroit dont elle
ne veut estre cy faict mention ny déclaration, le dernier may 1588, et
250 escus le dernier jour de septembre 1588, pour mesme cause. »
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 203
gue du Maheustre et du Manants Les Registres de la Ville
nous permettront, en outre, d'étudier les mouvements
de la milice et la nature des relations du roi et du corps
municipal. Les observations prises sur le vif par TEstoile
et les nombreuses pièces originales que contiennent les
Mémoires de la Ligue et le» Mémoires de Nevers compléte-
ront cet ensemble d'informations, dont beaucoup sont
inédites.
C'est au commencement de janvier 1585 que la Ligue
parait avoir reconstitué ses cadres à Paris. Nicolas Poulain
raconte que le 2 janvier Jean Leclerc, procureur au Par-
lement, et Georges Michelet, sergent à verges au Châtelet
de Paris, qu'il connaissait tous deux depuis longtemps,
vinrent le mettre en demeure d'assister à une réunion
indiquée pour le lendemain chez Leclerc, en lui promet-
tant « la faveïir de plusieurs grands seigneurs et person-
nages de la Ville de Paris » et « une bonne sonrnie de
deniers pour se mettre à son aise », s'il consentait à prê-
ter son concours aux défenseurs de la foi catholique, apos-
tolique et romaine. Poulain se rendit à la réunion; le sei-
gneur de Mayneville, agent du duc de Guise, y était venu
aussi pour ^'entendre avec les conjurés « et leur com-
muniquer de leurs affaires et entreprises ». Leclerc, pour
échauffer le zèle des nouvelles recrues, affirma qu'il y avait
plus de 10,000 huguenots au faubourg Saint-Germain « qui
vouloient couper la gorge aux catholiques pour faire avoir
la couronne au roy de Navarre ». Il était donc nécessaire
que tous les bons catholiques prissent les armes, d'autant
que Henri III favorisait le roi de Navarre et venait de lui
1. Le^Viahgue du Makeustre et du Manant est généralemenl attribué à
Cromé, membre du conseil des Seize. Cependant une note manuscrite, mise
au bas d'un exemplaire de la première édition de 1594, dit que Fauteur est le
sieur Roland, conseiller aux Monnaies et aussi Tun des Seize. Le dialogue
est imprimé à la suite de plusieurs éditions de la Satyre Ménippée, notam-
ment de celle de Ratisbonne, 1752, t. III, p. 367.
204 PARIS ET LA LIGUE
envoyer deux cent mille écus par le duc d'Êpemon pour
entamer la guerre contre le catholicisme. Leclerc ajou-
tait « qu'il y avoit déjà bon nombre d'hommes secrettc-
ment pratiquez dans Paris, qui avoient tojus juré de mourir
plustôt que de Tendurer ». La résistance semblait facile,
car le roi ne disposait guère que de deux ou trois cents
gardes, logés au Louvre, des archers du prévôt de Thôtel
et du prévôt de Paris, tandis que les catholiques seraicuit
soutenus par les ducs de Guise, de Mayenne, d'Aumale et
toute la maison de Lorraine, sans compter le roi d'Espa-
gne, le prince de Parme et le duc de Savoie. Mayneville
<:onfirmait ces assurances et déclarait que le duc de Guise
avait déjà rassemblé des forces en Champagne et en
Picardie « jusques au nombre de quatre mil hommes soul-
doyés par beaucoup de gens de bien ». Le lendemain,
4 janvier, une autre réunion eut lieu chet la Chapelle-
Marteau, maître des comptes. Il y avait là Charles Hotman
de la Rocheblond, receveur de Tévêque de Paris, Rolland,
général des monnoyes, Tavocat Drouart, Crucé, procureur
au Chàtelet, et « plusieurs autres ». Aucune hésitation.
Chacun reçoit son rôle : Poulain achètera les armes; le
prévôt de TIle-de-France est vieux et s'en remet à son
lieutenant pour l'exécution des mandements. Les armuriers
de Paris, auxquels le roi a fait défense de vendre des armes
ou cuirasses « sans sçavoir à qui », ne feront pas difficulté
<l'en vendre au lieutenant du prévôt. L'argent ne manquait
pas : un seul seigneur avait donné dix mille livres, au dire
de la Chapelle, et, d'après Hotman, le duc de Guise aurait
tiré « de Messieurs de Paris trente mille escus par plusieurs
fois ». Il est entendu que la Chapelle-Marteau pratiquera
\e$ membres de la Chambre des comptes; le président Le-
maître ceux du Parlement, tandis que Leclerc et Michelet
s'occuperont des procureurs au Parlement. A la Cour des
aides, le président de Neuilly avait des intelligences; Roi-
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 205
land séduirait ses collègues les généraux des monnaies, el
le lieutenant particulier, la Bruyère, les conseillers au Ghà-
telet. Louchart, Senaut, Choulicr et d'autres enrôleraient
les huissiers, les greffiers, les clercs, tous les robins subal-
ternes. Crucé répondait des procureurs et d'une grande
partie de TUniversité. Déjà de Bart et Michelet avaient
gagné « tous les mariniers et garçons de rivière du costé
deçà, qui font nombre de plus de cinq cens, tous mauvais
garçons ». Quinze cents bouchers et charcutiers avaient
promis leur concours à Toussaint Poccart et à Gilbert, agents
des ligueurs ; six cents marchands de chevaux et courtiers
offraient leurs bras au commissaire Louchart. Voilà ce
qu'avait appris Poulain, dès le 4 janvier.
Donc, sans qu'aucune manifestation extérieure ait encore
eu lieu, la Ligue se trouve déjà prête et dispose de forces
imposantes. Comment a-t-elle pu s'organiser ainsi, dans
l'ombre, avec une rapidité si grande et un tel succès?
L'auteur du Dialogue du Maheustre et du Manant attribue
l'initiative du mouvement à une sorte d'intervention mys-
térieuse de la Providence qui aurait suscité un simple
bourgeois, Charles Hotman, sieur de la Rocheblond, pour
sauver la religion menacée ^ Ce parent du protestant
François Hotman, l'illustre auteur de la Franco-Gallia, se
sentant « meu de l'esprit de Dieu », alla trouver trois ecclé-
siastiques : Jean Prévost, curé de Saint-Séverin •, Boucher,
curé de Saint-Benoit ', de Launay, chanoine de Soissons,
1. Pierre Pilhou, dans la Satyre Mënippée (discours de M. d'Aubray), ex-
plique la résarrection de la Ligue par les pactes passés entre les Guises et
Philippe II, la naïveté des bonnes gens qui croyaient la religion menacée,
le mauvais gouvernement de Henri III, « les doublons d'Espagne » et « l^i
abjectes et honteuses soumissions pour rechercher et gaigner la simple
populace ». SaL Mén. Édit. de Ratisbonne, Mathias Kerner, 1752, t. I, p. 128.
2. J. Prévost était peut-être le plus modéré des organisateurs de la Ligue,
Il appellera un jour les Seize des larrons. De Thou dit qu*il était entré
dans la Ligue, imprudentia potiuê quant turbarum desiderio.
3. Jean Boucher était né en 1551, d'une famille de robe. Il était parent
de Christophe de Thou et de Guillaume Budé. Élève du curé de Saint-
206 PARIS ET LA LIGUE
« premiers piliers de la Ligue à Paris K » C'est ce quatuor
qui fut le premier groupe organisé. « Ils advisèrent par
ensemble, raconte le Manant, d'appeler avec eux les plus
pieux, fermes et affectionnez catholiques pour acheminer
et conduire les affaires de la Ligue des catholiques, telle-
ment qu'eux quatre, après l'invocation du Saint-Esprit,
nommèrent plusieurs particuliers bourgeois qu'ils cognois-
soient, et lors se résolurent de n'en parler qu'à sept à huit,
lesquels ils arrestèrent et nommèrent entr'çux : à sçavoir,
ledit de la Rocheblond nomma l'advocat d'Orléans, et le
sieur Acarie, maistre des comptes; ledit sieur Prévost,
curé de Saint-Severin, nomma les sieurs de Caumont,
advocat, et de Compans, marchand; ledit sieur Boucher
nomma Mignager, advocat, et Crucé, procureur; ledit sieur
de Launoy nomma le sieur de Manœuvre, de la maison
des Hennequins *. » Sondés avec prudence, les candidats
Séverin, Jean Prévost, dont tous les historiens, Davila, Thynot, de Tbou,
«'accordent à louer l'éloquence et le savoir, fut lui-même professeur &
Reims, puis au collège de Bourgogne. Il devint ensuite prieur de Sor-
bonne. A trente ans, en décembre 1580, il était investi des fonctions de
recteur de FUniversité. Quand la cure de Saint-Benoit devint vacante, il
l'obtint.
1. Mathieu de Launay, ancien ministre protestant de Genève. Marié, il se
lassa de sa femme et revint au catholicisme. On le nomma chanoine de
Soissons. C'était un homme bon à tout faire, un grand remueur des opinions
de la populace, dit Pasquier; le Duchat l'appelle tout nettement un seélérat.
{Notes sur la Ménippée, t. U.)
2. Dialogue, t. 111, p. 434. Dans l'édition de la Satyre Ménippée donnée
à Genève en 1598, fut insérée, sous le titre A^Âbrégé des Estais^ une analyse
du passage du Dialogue où se trouve expliquée la résurrection de la Ligue
par la grftce de Dieu et des Guises. Ce pastiche se trouve dans l'édition de
Ratisbonne de la Ménippée (1152), aut. I, p. 353. U est également inséré
daus les Mém, de la Ligue, t. V, p. 639. Édit d'Amsterdam (1758). On donne
VAbrégé comme étant l'ouvrage de Mademoiselle de la Lalande, qui « ser-
voit à Madame de Nemours pour certaines intrigues ». M. Labitte nous
parait commettre une légère erreur à la note 1, p. 35 de ses Prédicateurs
de la Ligue, quand il dit que Jean de la Taille, dans les Singeries de la
Ligue, appelle aussi Prévost, Launay et Boucher « les premiers piliers de
l'Union ». C'est VAbrégé qui emploie ces expressions, et cela n'est pas
étonnant, car l'auteur ne fait guère que copier le Dialogue du Makeustre
et du Manant. U n'y a pas non plus, ce semble, à reprocher à M. Ranke
(Hist. de la pap,, t. UI, p. 190) d'avoir pris le comité Hotman pour le pre-
mier centre de l'Union, en alléguant que la Ligue existait dès 1576. « Et
nous sommes, dit M. Labitte, en 45871 « En premier lieu, les conciliabules
LÀ RÉSURRECTION DE LA LIGUE SOT
proposés par les quatre premiers conspirateurs donnèrent
sans difficulté leurs adhésions. Le curé Prévôt leur adjoi-
gnit le sieur d'Effiat, gentilhomme d'Auvergne. Puis, le
cercle s'étendit un peu. On enrôla maître Jean Pelletier,
curé de Saint-Jacques, maître Jean Gincestre, bachelier en
théologie, et quelques autres. Pour imprimer une direction
régulière au complot catholique, un Conseil de neuf à dix
personnes fut institué. En outre, les seize quartiers de Paris
furent réparti§ en cinq circonscriptions, ayant chacune un
chef. Tous les délégués venaient rapporter, au Conseil les
résultats de leur propagande et demander des instructions.
Seuls, les cinq délégués et le sieur de la Rocheblond
avaient qualité pour affilier à la Ligue de nouvelles recrues.
Encore ne le pouvaient-ils faire qu'après enquête et lorsque
le Conseil secret avait « examiné la vie, mœurs et bonne
renommée de ceux à qui Ton avoit parlé, comme n'estant
raisonnable de commettre la cognoissance de cette sainte
cause qu'entre les mains de gens de bien, sans reproche,
fidèles et bien affectionnez » .
Il y avait donc, à l'origine, un Conseil, de neuf à dix
membres, qui avait la haute direction de la Ligue à Paris,
puis un autre Comité d'action, composé de six membres,
à savoir la Rocheblond, Compans, Crucé, la Chapelle-Mar-
teau, Louchart et Bussy-Leclerc; mais il faut remarquer
que les six faisaient tous partie du comité des dix '. Cette
d'Hotman datent non pas de 1587, mais de janvier 1585, ainsi que le prouve
le Journal de Poulain; en second lieu, il ne faut pas exagérer Timportauce
pratique de l'acte de Péronne (signé en juin 1576). Qu*on le qualifie, si Ton
veut, d'acte constitutif de la Ligue, mais la Ligue n'a été vraiment cons-
tituée pour Vaction qu'au début de 1585. La querelle que M. Labitte, en
son excellent ouvrage, a cherchée & M. Ranke, n'est donc guère qu'une
querelle de mots. Nous dirons que la Ligue a été constituée en juin 1576,
et reconstituée en janvier 1585.
1. Le Dialogue le dit formellement : Après avoir indiqué les noms des
ligueurs nommés chefs des quartiers par le conseil des dix, le Manant
igoute : « Et rapportoient au conseil duquel ils faisaient partie, tout ce
qu'ils avoient entendu chacun en son destroit, etc.. », p. 436, t. HI, de
l'édit de 1752.
208 PARIS ET LA LIGUE
distinction du comité d'action que Cromé appelle les Six et
du Conseil proprement dit, avait pour but de ne pas révéler
aux adhérents nouveaux la nature ou même Texistence du
conseil de direction, afin de rendre toute trahison impos-
sible.
Les six ne manquaient pas, du reste, d*agents secon-
daires qui travaillaient « par leur instruction ». Au quar-
tier de la Cité, Compans avait « pris pour aides » le drapier
Hébert et le sieur de Laistre; Crucé avait choisi les sieurs
Pigneron, Senault, Noblet et Joisel; la Chapelle-Marteau
s'était adjoint le procureur Emonnot et le sieur Béguin; le
commissaire Louchart était secondé par Tronçon, colonel
de la milice, et de la Morliëre, notaire ; Bussy le Clerc avait
sous ses ordres Choulier, Courcelles et Tavocat Fontanon.
C'était une organisation déjà très puissante. Les ligueurs
entrèrent en communication^ directe avec les princes, qui
leur envoyèrent les sieurs de Mayne ville, Cornard et Beau-
regard. En même temps, on songeait à nouer des rela-
tions avec les principales villes de France. Hotman, le
trésorier de la Ligue, remit 3,000 écus * au sieur Ameline
pour aller faire sur place de la propagande catholique
dans la Beauce, l'Anjou, la Touraine et le Maine. L'envoyé
de la Ligue, « homme d'affaires et grand négociateur »,
visita successivement Chartres, Orléans, Blois et Tours :
il adressait ses rapports à c< Messieurs de la Ligue » pai*
l'intermédiaire de Nicolas Poulain, qui était averti du lieu
où se tenait le Conseil par « un nommé Mérigot, graveur
tenant sa boutique aux pieds des dégrez du palais ». Ainsi
se nouaient peu à peu tous les fils de la conspiration.
Le roi n'avait-il aucun soupçon du danger? Il était, au
contraire, admirablement informé des plans de la Ligue et
« de tous les remuements, comme dit l'Estoile, de divers
1. Journal de Poulain, p. 295, Arch. cur., t. XI.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 209
seingneurs et endroits de son roiaume ». D*autre part, le
duc de Bouillon lui avait annoncé rexistence des concen-
trations de troupes qu'opérait dans Test le duc de Guise;
mais Henri III répondit « qu'il ne le croioit ni ne craingnoit » .
Toutefois « après y avoir pensé » il parut disposé à s'ar-
racher aux fêtes et aux mascarades pour faire face à l'en-
nemi. Des avertissements lui venaient. Le 12 mars, on
arrêta à Lagny-sur-Marne « en un bateau venant de Paris
et montant vers Gbaalons en Champagne, je ne sçai quantcs
tonnes plaines d'armes, entre lesquelles furent trouvées
jusques à sept cens harquebuzes et deux cent cinquante
corselets, que conduisait un nommé la Rochette qu'on
disoit estre escuier du cardinal de Guise *... » Henri III
n'avait pas encore une attitude très nette : il n'osa retenir
en prison M. de la Rochette, tout en jurant au roi de Navarre
qu'il n'avait « aucune intelligence ou participation » avec
les Guises *.
1. L'EsToiLE, l. II, p. 185.
2. L'incident rapporté par TEstoile est heureusement complété par les
Rbsistrbs de la ViLLB,qui donnent sur l'arrestation de M. de la Rochette trois
pièces importantes et encore inédites. Quand le duc de Guise apprit la
saisie du navire et la capture de son agent, il s'adressa, non pas au roi,
mais à la Ville de Paris, à laquelle il écrivit la lettre ci-dessous : « Mes-
sieurs, je pensoy s que par le retour du sieur de Maintenon, à qui j'avois
rendu le tesmoignage de la charge expresse que j'avois donnée au sieur de
la Rochette pour Tachapt de quelques armes dont je me voyois en alTaire
pour ma seuretté, vous eussiez esté entièrement satisfaictz du doubte qui
vous a donné subject de les arrester, m'asseurant tant de vostre bonne
volonté que, pour si juste occasion, vous ne vonldriez les retenir davan-
iaige. Mais, afin de vous en esclairer encor, je vous ay bien voulu faire la
présente pour vous prier de les vouloir faire rendre au sieur de la Rochette,
et croire que vous m'obligerez infiniment en cela que je tiendray pour un
singulier plaisir, avec une entière affection de m'en revancher par tous les
moiens qui despendront de ma puissance. Priant Dieu^ messieurs, vous»
avoir en sa saincte et digne garde. De Chaalons, le cinquiesme jour
d'apvril 1585. £t est soubscript : Vostre entièrement meilleur amy à jamais.
Signé : Hbvry db Lorraikb. » Rbo. H, 1788 bis, fol. 443. A cette lettre était
joint le certificat suivant, délivré par le duc de Guise : - Le duc de Guise,
pair et grand maitre de France, Nous certiffions à tous qu'il appartiendra
avoir cy-devant donné charge au sieur de la Rochette d'achepter par nous
et en nostre nom en la Ville de Paris quelque quantité de harquebuzes,
corceletz et autres armes pour nous les faire conduire et admener en nostre
maison de Joinville, pour la seuretéde nostre personne. £n tcsmoing de quoy
ROBIQUET. 14
210 PARIS ET LA LIGUE
Tandis que des nuées de gentilshommes partaient en
mission, stylés par le roi; tandis que M. de Maintenon se
rendait près du duc de Guise, M. de Rocliefort près du due
de Mayenne , et Lamothe-Fénelon près du cardinal de
Bourbon « pour sonder et descouvrir ce qu'ils pourroienl
de leurs fins et intentions », de nombreuses mesures étaient
prises à Paris en vue du maintien de l'ordre. Les Registres
de la Ville nous en donnent le minutieux détail. Dès le
26 mars 1585, le roi « étant en son conseil » décida qu'on
enverrait au prévôt des marchands Tordre de présenter au
gouverneur de Paris « un rôle de tous les habitants des
dixaines, avec un extraict à part des personnes qui seroient
propres pour estre cappitaines et lieutenans, afin que le roy
les puisse destiner, et des aultres de chacune desdictes
dizaines ausquels Ton pourroit faire prendre les armes,
s'il en est besoin ». Les clefs seront remises aux quarti-
niers, qui iront eux-mêmes ouvrir et fermer les portes.de
la Ville. Deux bourgeois assisteront à l'ouverture et à la
fermeture de chacune d'elles. Désormais neuf seulement
resteront ouvertes, savoir : les portes Neuve, Saint-Honoré,
Saint-Denis, Saint-Martin, Saint- Antoine , Saint-Victor,
nous avons signé la présente à ChaaIIons, le cinquiesme jour d^apvril 1585.
Ainsi signé : Hbnri de Lorraine. Et plus bas : Perricard. »
La Ville de Paris répondit au duc de Guise, le 8 avril, qu'en saisissant le<«
armes achetées pour le compte de la Ligue, elle n'avait fait qu'exécuter les
ordres du roi : Voici la lettre du prévôt des marchands et des échevins :
« Monseigneur. Nous avons receu voz lettres escriptes & Chaalons le cin-
quiesme jour de ce mois; pour responce auxquelles nous vous supplions
croire que les armes dont vous nous escripvez ont esté par nous arrestées
de Texprès commandement de Sa Majesté, et à nous laissées en garde, des-
quelles ne pourrions faire aulcune délivrance sans ordonnance expresse de
Sa Majesté, à laquelle ayant faict entendre le contenu en vosdicles lettres,
comme nous debvons toute aultre chose concernant son service, comme
très humbles et très affectionnez subjetz que nous sommes, nous ne pou-
vons vous rendre satisfaîct du contenu en vosdites lettres, dont il vous
plaira, Monseigneur, nous excuser; et sur ceste assurance, nous supplie-
rons le Créateur quMl vous donne, Monseigneur, en heureuse santé, bonne et
longue vie. De THostel de la Ville de Paris, ce huictiesme jour d'apvril 4585.
Et est soubzcript : Vos très humbles et très obéissans serviteurs les prévost
des marchans et eschevins de ladite Ville. A monseigneur le duc de Guise,
pair et grand maitre de France. >> (/6W., fol. 445.)
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 211
Saint-Marcel, Saint-Jacques, Saint-Germain. Ce ne sont
plus uniquement les hôteliers qui doivent espionner leurs
hôtes pour le compte de la police : « le roy veult aussi
que les bourgeois de chacun quartier, de quelque qualité
qu^ilz soient, et sans nul excepter, soient tenuz, à Tinstànt
mesme qu'il viendra quelqu'un en leur maison ou chambre,
le déclairer et en apporter le nom et de ses serviteurs et
nombre de chevaux au dixinier ». Quotidiennement, chaque
dizainier apportera à l'Hôtel de Ville un rôle des entrées
et sorties, et l'Hôtel de Ville, quotidiennement aussi, fera
faire pour le gouverneur de Paris, qui en référera au roi,
un résumé de ces rôles. Défense est faite aux bateliers,
sous peine de punition corporelle^ « de passer et repasser
l'eau en ceste ville et à deux lieues à la ronde, depuis
huit heures du soir jusques à quatre heures du matin ; et
seront ostez tous les basteaux qui sont èsH3nviron de ceste
Ville * ». Quelques jours plus tard, le 29 mars, le prévôt
des marchands mande aux quartiniers : « Faictes avec
voz cinquanteniers et diziniers de chacune dizaine, assem-
blées des habitans de chacune d'icelles dizaines de vostre
quartier en vostre maison ou bien de Tun des plus appa-
rens dudict quartier pour, après le serment par eulx preste
ès-mains du plus notable et qui présidera en icelle assem-
blées, procedder à l'eslection desdicts capitaines, pour, la
dicle eslection faicte, nous rapporter les noms, surnoms
et qualitez de ceulx qui auront esté ainsi esleuz, et nV
faictes faulte \ » D'autres ordres enjoignent à des capitaines
nominativement désignés d'occuper telle ou telle porte avec
leurs dizaines '. De leur côté, les quartiniers sont invités
1. Rko. h, 1788 bis, fol. 414.
2. Ibid.y ^ 441.
3. Nous avons déjà dit que c^était par erreur que certains historiens de
Paris avaient cru devoir attribuer aux 'ligueurs de i588 la substitution
dans le commandement de la milice des colonels, capitaines, etc., aux
quartiniers et dizainiers. Dès 1562, chaque dizaine est placée sous le com-
âl2 PARIS ET LA LIGUE
le 1®' avril à « fedre perquisition des armes dont les bour-
geois sont fournys et que ceulx qui n'en auront suffisam-
ment ilz aient à leur enjoindre d'eulx en garnir dedans
vingt-quatre heures, sur peine de dix escus d'amende cha-
cun ». A la date du 2 avril, le Bureau de la Ville envoya
aux quartiniers « le règlement imprimé faict par le roy »
et signé, en effet, de lui, sous la date du 3 ^ Les quarti-
niers devaient transmettre le contenu de ces ordres aux
capitaines de leurs quartiers respectifs. Le règlement du
3 avril 1585 est fort intéressant à étudier, en ce qu'il
donne des renseignements très précis sur les cadres de la
milice municipale '.
mandement mililaire d'un capitaine, élu par les habitants du quartier, ri
dès 1568 il y seize colonels placés à la tête des seize quartiers. (Voy. notre
Histoire municip,, p. 536 et suivantes.) Le passage de Nicolas Poulain
rapporté par Leroux de Lincy {Histoire de P Hôtel de Ville de Paris ^ !'• partie,
p, 200) concerne un projet d'organisation révolutionnaire des quartiers
en 1588, qui, pour être calqué sur l'organisation officielle, n'en est pas
moins tout à fait distinct. Il en était si bien distinct qu'il comprend
cinq quartiers, au lieu de seize. Présenté au nom du duc de Guise par
le sieur de la Chapelle, il n'est pas difficile de voir que le sectionne-
ment de Paris en cinq circonscriptions correspond & la première répar-
tition des quartiers entre les cinq délégués du comité d'action de 1585,
dont parle le Dialogue du Maheustre et du Manant.
1. Voici le titre exact du règlement que nous ont conservé les Registres
de la Ville, H, 1788 bis, t* 447 : Ordre et reiglement que le Roy veult et
ordonne estre gardé et observé par les cappitaines^ bourgeois de sa bonne
ville et ailé de Paris, esleuz par Sa Majesté pour son service et conservation
de ladicte Ville et bourgeois dicelle soulz son obéissance.
2. « Après que les cappitaines et lieutenans auront esté esleuz », le
mandement du 29 mars a dit comment, chaque capitaine choisira nn
enseigne, puis avec les cinquanteniers et dizainiers « ira en personne par
toutes les maisons ou il fera description de tous les maistres et serviteurs
pou vans porter les armes n. Puis le capitaine comptera les hommes de sa
dizaine et se procurera les armes nécessaires. Il nommera des sergens de
bandes qui porteront la hallebarde, et « les caporaux qu'il trouvera les
plus capables, qui auront vingt hommes soulz leur escouade, et chacun
sergent aura deux escouades ». C'est aussi par les soins des capitaines
que sont posées les sentinelles de nuit et que sont désignés les bourgeois
à tour de rôle pour veiller k la garde des portes. Ceux qui ne répon-
draient pas à l'appel seront frappés d'une amende de deux écus, applicable
« pour le bois et chandelle qu'il conviendra avoir pour servir ès-corps
de garde ». Avant de fermer la porte confiée à sa surveillance, le capi-
taine détachera trois ou quatre hommes au dehors « pour veoir s'il n'y a
point quelques gens de mauvaise volonté » et l'on sonnera « le tabouriu
hors la porte pour advertir ceulx du dehors qui vouldroient entrer en
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 213
Telles étaient les mesures auxquelles Henri III s'était
arrêté pour se défendre contre les Guises; mais il n'avait
pas une confiance absolue dans le dévouement de la milice
municipale. « Comme| si, écrit TEstoile au début du mois
d'avril 1585, comme si le Roy se fust aucunement desfié
des bourgeois de Paris et de leur garde, envoie de jour à
autre les seigneurs de Chavigni, Le Curton, de Sennetaire
et des Arpentis, passer par lesdites portes et espier les
actions et contenance de ceux qui sont en garde. Et y va
lui-mesme quelquefois, bien accompagné *. » Après la prise
de Cbâlons par le duc de Guise, le roi prit même une réso-
lution plus énergique. « Bien adverti que la pluspart des
marchans et du menu peuple de sa ville de Paris tenoit
le parti de la Ligue et afféctionnoit les desseins des Guises »,
il destitua brusquement tous les capitaines et lieutenans
élus de la milice et les remplaça par « ses officiers de robbe
longue et de robbe courte, tant qu'il ne peust descouvrir,
espérant plus fidèle et asseuré service de ses officiers qui
ladicte Ville •. Si le service le requiert, « qui demeure la nuict à coucher
sur la porte » aura la faculté d'ouvrir le guichet dont il a la clef, mais
jamais la grande porte, dont la clef d'ailleurs n'est pas entre ses mains;
encore le guichet ne peut-il être ouvert qu'avec précaution et après
reconnaissance des individus qui désirent entrer. Dans ce cas, le pro-
chain corps de garde sera prévenu. Des sentinelles seront postées sur les
remparts, et relevées d'heure en heure et f^congneuz par les sergens. En
prévision d'une alarme, un certain nombre de points de concentration
sont désignés d'avance aux officiers de la milice et ils savent ainsi où ils
auront & se rendre. L'art. 7 du règlement établit un nouveau mode de
nomination des colonels, à raison d'un colonel par quartier : • Afin que
les commandemens du roy soient plus facilement exécutez, sera bon que
tous les cappitaines et lieutenans s'assemblent en leurs quartiers, afin
d'eslire ung colonnel, auquel les commandemens s'adresseront pour
advertir tous les aultres cappitaines du quartier, afin que, s'il survient
quelque chose de pressé, messieurs les prévost des marchans et les échevins,
au lieu qu*ilz auroient h faire plus de sept vingtz commandemens, ilz n'en
auront plus à faire que seize qui advertiront tout le reste. » Registre. Ibid,
Il est vrai qu'en vertu d'une déclaration du 5 août 1567 Charles IX avait
déjà confié à seize chefs militaires le commandement des quartiers de
Paris (voy. Hist. munie, p. 537, note I), mais Charles IX ne s'en était
pas remis aux capitaines et aux lieutenants du soin d'élire leurs colonels.
H les avait désignés lui-même, sur une liste de trois candidats par quar-
tier, dressée par le Bureau de la Ville.
l.T. Il, p. i87.
214 PARIS ET LA LIGUE
lui avoieni preste le serment de fidélité et estoient à ses
gages que d'autres simples bourgeois de Paris * »; mais,
en même temps, Henri III envoyait sa mère en Champagne,
avec rarchevêque de Lyon, pour négocier un accommo-
dément entre le duc de Guise et la royauté chancelante.
Tandis que le duc de Montpensier se rend dans le Poitou
pour faire tête aux levées du duc de Mercœur, gouverneur
de Bretagne ; tandis que Joyeuse va combattre le duc d'El-
bœuf sur la Loire et le poursuit jusqu'au Mans, les ambas-
sadeurs des Provinces-Unies sont poliment congédiés avec
une bonne recommandation pour la reine d'Angleterre. Le
roi de Navarre en était réduit à écrire à la reine mère pour
la prier au moins de rester neutre et de ne rien stipuler
au préjudice des huguenots dans les négociations com-
mentées avec les Guises. C'est une confusion inexprimable ;
les manifestes s'entrechoquent, les villes se déclarent qui
pour le roi, qui pour la Ligue. D'Entragues, gouverneur
d'Orléans, livre à l'Union cette ville et canonne le maréchal
d'Âumont et le duc de Montpensier, qui ramènent piteuse-
ment les troupes royales à Paris (7 avril). François Man-
delot, gouverneur de Lyon, provoque une émeute catho-
lique qui se rend maîtresse de la citadelle et la détruit de
fond en comble (S mai). Bordeaux reste fidèle, grâce à
l'énergie du maréchal de Matignon, qui prend possession
du château Trompette *. Marseille aussi a été replacée
sous l'autorité royale par quelques citoyens résolus et le
bâtard d'Angoulême, gouverneur de Provence (13 avril).
Henri III hésite, très troublé; que faire entre le roi de
Navarre, la vieille Catherine, les Guises, le nouveau pape.
Sixte V, ce dur cordelier qui vient de remplacer Gré-
i. L'EsTOiLE, t. II, p. 187.
2. Construit eo 1454 par Charles VU, en même temps que le fort du HA,
pour tenir en respect la population de Bordeaux. Le chAteau Trompette a
été démoli en 1816.
LA RÉSURREC1I0N DE LA LIGUE 215
goire XIII *? Aucun conseil viril : crEpemon est malade à
Sainl-Germain (7 mai) « d'un chancreux mal de gorge ».
(i'est donc Catherine qui va l'emporter. Appuyée par ses
créatures Villeroi, Bellièvre, Cheverni, elle détaille avec
exagération les forces de la Ligue et montre ce Paris ter-
rible qui, comme un volcan à la veille d'une inmiense érup-
tion, fait entendre dans ses profondeurs le grondement de
ses fleuves de feu et de ses torrents de lave. En même
temps (10 juin), le cardinal de Bourbon et les princes
catholiques adressent au roi une sorte d'ultimatum, le som-
mant d'accorder un édit * qui proclame l'unité de religion
et de « jurer et protester en son parlement de Paris, après
la lecture et publication de l'Edict, estant assisté des pairs
et officiers de la couronne, que c'est son intention de le
faire perpétuellement et inviolablement garder ». A cette
insolente mise en demeure, les princes ajoutaient un nouvel
outrage, en demandant au roi de confier aux forces de
rUnion le soin d'assurer l'exécution de l'édit, parce que
Texpérience avait prouvé qu'il était arrivé à Henri III de
révoquer jusqu'à cinq édits du même genre très peu de
temps après leur promulgation. Les princes terminaient on
offrant au roi de remettre entre ses mains toutes les charges
dont ïl& étaient titulaires « et se retirer, comme personnes
privées, en leurs maisons pour y finir leurs jours ». Ces
hypocrites déclarations pouvaient éblouir le vulgaire, mais
Henri III avait trop de finesse pour s'y laisser prendre^
1. « Ce Pape (Grégoire Xni) n*avoit jamais adhéré à la levée des armes
de la Ligue et, peu de jours avant sa mort, avoit dit au cardinal d'Esté
que la Ligue n'auroit ni bulle, ni bref, ni lettres de lui, jusques à ce qu'il
vit plus clair en leurs brouilleries. • L'Estoilb, t. H, p. 190.
2. Voici le titre de cet ultimatum qui est reproduit dans les Mémoires de
Seversy t. T, p. 681 : « Requeste au roy et dernière résolution des princes,
seigneurs, gentilshommes, villes et communautez catholiques, présentée &
la reine mère de Sa Majesté, le dimanche neuvième juin 1585. Pour mon-
trer clairement que leur intention n'est autre que la promotion et ad%'an-
«ement de la gloire, honneur de Dieu et extirpation des hérésies, sans
rien attenter à l'Estat, comme faussement imposent les hérétiques mal
iscntans de la foy, et leurs partisans. »
316 PARIS ET LA LIGUE
d'autant que le roi de Navarre lui envoyait de Nérac des
lettres infiniment instructives. Néanmoins, la peur l'em-
porta, et le 7 juillet 1585 Catherine signa à Nemours, au
nom de son fils, une convention qui était une véritable
capitulation de la royauté *. Le roi s'engageait à proscrire-
la religion nouvelle par un édit perpétuel et irrévocable, à
chasser de France, dans le délai d'un mois, tous les
ministres protestants, à priver tous les hérétiques des
emplois qu'ils occupaient, notamment dans les parlements,
h donner une garde d'honneur payée par le roi à chacun
des princes, en conservant leurs grades et fonctions à tous
les gouverneurs et capitaines qui avaient suivi le parti de
la Ligue. Des places de sûreté étaient accordées à tous les
chefs du parti : Guise recevait Verdun, Toul, Saint-Dizier,
Châlons; le cardinal de Bourbon, Soissons; le duc de Mer-
cœur, Dinanet le Conquest; le duc de Mayenne, le château
de Dijon et le ch&teau de Beaune; le duc d'Aumale, Rue;
le duc d'Elbœuf, le gouvernement du Bourbonnais. En
revanche. Sa Majesté ordonnait « que les villes qui avoient
esté baillées en garde à ceux de la nouvelle religion pour
leur sûreté seroient incontinent après la publication de
redit, mises en liberté et que les garnisons en vuideroient
incessamment ». En conformité des articles signés k
Nemours, le roi donna un édit, sous forme de lettres pa-
tentes, qu'il s*était obligé à faire enregistrer dans tous les
parlements du royaume. « Cet édit que la force arracha k
Henri, écrit de Thou •, fut reçu bien diversement. Les gens
sages qui aimoient la paix, le regardèrent comme le pré-
sage des malheurs qui alloient fondre sur le roi et sur le
royaume. Au contraire, il fut reçu du peuple avec un applau-
1. Ooen trouve le texte dans les Mémoires de Nevers^ t. I, p. 686. LMntî-
tulé de la convention de Nemours est ainsi conçu : Articles accordez à
Nemours, au nom du roy, par la reine sa mère, avec les pnnces et seigneurs
de la Ligue, en présence du duc de Lorraine. »
2. //f>/. vniv., l. IX, p. 329.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 217
dissement général. » Le 23 juin, veille de la Saint-Jean \
quand le roi, accompagné de cent gentilshommes, alla pré-
sider à l'embrasement de la pyramide traditionnelle de la
place de Grève, et faire collation à THôtel de Ville, il por-
tait, si Ton en croit TEstoile, « une allégresse au visage, de
Tavis (conmie on présuma) qu'il avoit eu de l'accord fait
par la roine avec ceux de la Ligue, laquelle il aimoit tou-
tefois aussi peu conune il faisoit la guerre ' ».
Le 18 juillet, Henri III se rendit au Parlement pour pré-
sider à l'enregistrement de l'édit. Tous |es présidents et
tous les conseillers y assistèrent par ordre en robes rouges;
la cérémonie s'accomplit au milieu d'un profond silence ;
mais, quand le roi sortit du palais, quelques cris de Vive le
rot! se firent entendre. Depuis longtemps pareille chose ne
s'était pas vue à Paris; mais » on découvrit, dit TEstoile,
que ceste acclamation avoit esté faite par personnes atti-
trées et apostées par les Ligneux, et qu'on avoit donné de
l'argent à quelques crocheteux et faquins pour ce faire et
de la dragée à force petits enfants. On nommoit le prési-
dent de NuUi, entre autres, qui s'estoit chargé de ceste
commission. »
Comment fut accueillie à Paris la conclusion du traité
de Nemours, qui était une véritable convention de guerre
entre le roi et la Ligue contre les protestants? La popula-
tion parisienne ne comprit pas tout d'abord la portée d'un
pareil acte. Elle allait au Te Deum de la Sainte-Chapelle
et à celui de Notre-Dame en disant : C'est le « Te Deum de
la paix ». On ne voyait que le résultat immédiat : Tallége-
1. Rappelons que chaque année, la veille du jour de la Saint-Jean, la
municipalité parisienne faisait allumer un feu de joie sur la place de
Grève. Cet usage parait remonter au xii« siècle. (Voir dans la collection
Leber, t. VHI, p. 472, deux lettres de Tabbé Lebœuf sur Vorigine des feux
de la Saint-Jean.) Au xvi* siècle, la cérémonie du feu de la Saint-Jean
avait pris une grande importance. C'était Toccasion d'un grand banquet
ou collation donné au roi et &sa cour par la Ville de Paris.
2. T. H, p. 199. L'EsTOiLi.
218 PARIS ET LA LIGUE
ment du service de garde aux portes et aux tranchées. Et ce
service était devenu bien lourd. Le 22 juin, quelques jours
avant la signature de la convention de Nemours, le roi avait
encore demandé à THôtel de Ville de lui fournir quatre mille
hommes pour la garde des tranchées. Dans une assemblée
des prévôt des marchands, échevins et des colonels de la
Ville, il avait été décidé que les colonels se concerteraient
avec les capitaines de leurs quartiers respectifs, les quar-
tiniers, cinquanteniers et dizainiers pour arrêter le nombre
d'hommes que chaque capitaine aurait à fournir ^ En
outre, le prévôt des marchands et les échevins étaient
astreints à çlc fréquentes visites aux portes, notamment à
la porte Saint- Antoine, où il y avait presque constanunent
un poste d'archers de la Ville, sous le commandement
direct de Tun des échevins. L'entente faite avec la Ligue
eut pour avantage de délivrer les Parisiens de ces lourdes
obligations. Un règlement royal, en date du 29 juillet,
« considérant que les trouppes qui s'estoient eslevées sont
maintenant retirées, et les troubles à l'occasion desquelz
elles estoient eslevées, pacifiés », dispensa en partie les
capitaines de la milice et les bourgeois de la garde des
portes, les quartiniers devant toutefois en conserver les
clefs chez eux; les habitants purent quitter Paris sans pas-
seports, à condition qu'ils ne formeraient pas un groupe
de plus de six personnes et ne porteraient pas d'armes.
Enfin, le prévôt des marchands fut déchargé de la garde
des poudres déposées au Temple. On retrouve quelque
chose des impressions d'une partie au moins de la popula-
tion parisienne dans la harangue que le prévôt des mar-
chands fit à la reine mère au retour de son voyage diplo-
matique couronné par les articles de Nemours '.
1-Rbo. h, 1788 6w, ^ 472.
2. « Messieurs les prévôt des marchans et eschevins de la Ville» disent
les Registres, aians esté ad?ertys que la royne-mère du roy estoit de
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 219
Les Parisiens s'étaient bien trompés en croyant que la
paix avec la Ligue allait rendre la tranquillité à la capitale
et permettre aux bourgeois de faire des économies par le
travail et le négoce. Ils oubliaient que la paix avec la
Ligue, c'était aussi la reprise de la guerre avec le terrible
roi de Navarre, qui, à la nouvelle de la révocation des
édits de tolérance, avait écrit à Henri III dans les termes
les plus énergiques pour lui reprocher son manque de foi *.
Le Béarnais ne s'était pas borné à faire entendre de
vaines protestations : il redoubla ses instances auprès du
duc Henri de Montmorency, gouverneur du Languedoc,
qui déjà avait refusé de pactiser avec la Ligue. Avec Tas-
retour de ses voyages d*Espernay et de Nemours, où elle esloit allée, dès
le commencemeut d'avril dernier, pour la paciffication des troubles où elle
avoit tant travaillé qu'elle les avoit enfin accordez et paciffiez, et estoit à
présent à son chasteau de Sainct-Maur et debvoit venir cejourdhuy, quin-
ziesme du présent mois de juillet en ceste ville... » décidèrent d'aller
a remercier et congratuler ladite dame » et de Tattendre à la porte Saint-
Antoine « avec le plus de bourgeois qu'il seroit possible ». Le corps de
Ville monta donc à cheval et rencontra la reine mère à la Croix-Sainte-
Catherine, vers neuf heures du matin. Voici dans quels termes le prévôt
des marchands félicita la négociatrice d'avoir livré à la Ligue le gouver-
nement du royaume : « Madame, les trois estaz de la Ville de Paris, cap-
pitalle de ce royaume, représentez par nous prévost des marchands et
eschevins, accompaignez de ce nombre de bourgeois, vous saluent en
toute humilité, louent Dieu et le remercient de vostre heureux retour,
recongnoissent combien ce royaume, mesme cette ville, vous doibt pour
puis vingt-cinq ans, autant qu'il vous a esté possible, l'avoir conservé et,
s'il fault dire, retiré d'une infli\ité de foulles et oppressions; et aujour-
d'huy, par vos prudentes remontrances et adviai sans y espargaer aucune
chose de ce qui concernoit vostre repos, l'avoir rachepté d'une ruine et
lotalle éversion par une saincte unyon de princes avec la majesté du roy,
nostre souverain et naturel seigneur, pour y faire régner comme aultrefois
la religion catholicque, apostolicque et romaine. Espérans, pour l'asseu-
rance et congnoissance que nous avons de Vostre Majesté, que ne vous
lasserez que n'aiez ramené en icelle noz aultres princes soubz la race
desquelz elle est augmentée et accrue à Thonneur de Dieu et de son
Église, pour, en son obéissance et du roy nostre souverain seigneur, finir
noz jours, de quoy nous luy faisons prières en toute humilité et si longue-
ment prolonger vostre vie que puissiez veoir lignée à nostre roy, aagée
pour commander après luy & nous tous ses subjebtz, très humbles et très
affectionnez serviteurs de Vostre Majesté, qui, derechef vous saluans,
disent que soiez la bienvenue, nous apportant la paix, à l'honneur de Dieu,
contentement de noz maistres, soulagement et ropos du peuple. » Reg.
H, 1188 bis, r>* 475 et 476.
i. DbThou, t. IX, p. 327.'
â!20 PARIS ET LA LIGUE
sistancc du prince de Condé, il décida le duc, que de Thou
appelle « le plus grand seigneur du royaume », à se pro-
noncer ouvertement contre les Guises. En conséquence, le
roi de Navarre, le prince de Condé et le duc de Montmo-
rency se réunirent, le 10 août 1585, à Saint-Paul de Cade-
jous, en Lauraguez, à deux lieues de Lavaur, et publièrent
un manifeste où les auteurs de la Ligue étaient qualifiés
« d'ennemis du roi, de la famille royale et de TEtat ».
Après quoi, le roi de Navarre et le prince de Condé se ren-
dirent en Guyenne, et Montmorency en Languedoc pour
s'occuper des préparatifs de la guerre.
Henri III comprenait tout l'odieux de sa déloyauté
envers le roi de NaVarre. Il ne s'était « rendu que par
force ennemi des Bourbons et des réformés, se couchant
de peur d'être abattu * » ; et il se promettait bien de faire
payer cher à ses bons sujets catholiques la nécessité de
s'humilier devant les Guises. Le il août, le roi mit la Ville
de Paris en demeure de lui fournir 120,000 écus en don '.
Le même jour, eut lieu au Louvre une de ces comédies
où Henri III excellait. Il déclara au premier président du
Parlement, M. de Harlay, au prévôt des marchands et au
doyen de la cathédrale, en présence du cardinal Louis de
Guise, qu'il était ravi d'avoir suivi les bons conseils de la
Ligue, mais que, pour triompher de l'hérésie, il avait besoin
de trois armées, l'une devant rester auprès de lui, la seconde
se rendre en Guyenne, et la troisième se porter aux fron-
tières de l'Est pour empêcher les corps allemands d'entrer
1. D'AuBiGNÉ, Hist. univ.j col. 1183, édit. in-f» de 1G26. Le roi de France
essaya de s'excuser auprès du roi de Navarre, autinel il eavoya, dès la
publication de Tédit, une ambassade composée du cardinal de Lenoncourt,
du sieur de Poigny et de Nicolas Brulart, président aux enquêtes. Les
en%'oyés du roi arrivèrent à Nérac le 25 août 1585. Au cardinal de Lenon-
court qui le pressait de se convertir au catholicisme et de rendre à
Sa Majesté les villes de sûreté, Henri de Navarre répondit par un double
refus.
2. Rfc. Il, ns8 hfs, f- 483.
LA RÉSURRECTION DELA LIGUE 331
en France. « C'est contre mon avis, conclut-il, que j'ai
entrepris cette guerre... et puisque vous n'avez pas voulu
me croire, lorsque je vous ai conseillé de ne point penser à
rompre la paix, il est juste du moins que vous m'aidiez à
faire la guerre. Car, puisque ce n'est que par vos conseils
que je l'ai entreprise, je ne prétends pas être le seul à en
porter tout le faix '. » En vain, M. de Harlay voulut prendre
la parole; le roi lui ferma la bouche, en le priant d'avertir
ses collègues du Parlement de ne pas « lui rompre la tête
de leurs remontrances au sujet de la suppression de leurs
gages ». Le prévôt des marchands eut aussi son compli-
ment. Henri voulut bien lui apprendre que non seulement
il ne payerait pas les rentes de l'Hôtel de Ville, mais qu'il
demanderait beaucoup d'argent aux bourgeois de la capi-
tale : « Assemblez ce matin les bourgeois de ma bonne
Ville de Paris, et leur déclarez que, puisque la révocation
de redit leur a fait tant de plaisir, j'espère qu'ils ne seront
pas fâchés de me fournir deux cent mille écus d'or dont
j'ai besoin pour cette guerre. Car, de compte fait, je trouve
que la dépense montera à quatre cent mille écus par
mois. » Puis, se tournant vers le cardinal de Guise avec
un visage plein de haine, il lui jeta ses paroles : « Vous
voyez, monsieur, que je m'arrange et que de mes revenus,
joints à ce que je tirerai des particuliers, je puis espérer
de fournir pendant le premier mois à l'entretien de cette
guerre. Car je ne prétends point être seul chargé de ce
fardeau ni me ruiner pour cela. Et ne vous imaginez pas
que j'attende le consentement du pape : car, comme il
s'agit d'une guerre de religion, je suis très persuadé que
je puis en conscience et que je dois même me servir des
revenus de l'Église, et je ne m'en ferai aucun scrupule.
C'est surtout à la sollicitation du clergé que je me suis
1. De Thoc, t. IX, p. 335.
222 PARIS ET L\ LIGUE
chargé de cette entreprise ; c'est une guerre sainte ; ainsi
c'est au clergé de la soutenir *. » Le premier président, le
prévôt des marchands et le cardinal de Guise essayèrent
de répliquer à ces violentes menaces ; mais le roi les arrêta
coirrt et les congédia sur ces mots : « Il valait mieux vous
contenter de la paix que je vous avais donnée. Aujourd'hui
que vous l'avez violée, j'appréhende bien que ceux que
nous cherchons à détruire ne se trouvent plus disposés à
nous donner la loi qu'à la recevoir de nous. »
Cette curieuse conférence indique bien l'état d'esprit du
roi, au moment de l'alliance forcée de la monarchie avec
la Ligue. Il a honte lui-même de son abdication entre les
mains des Guises. Une révolte de son honneur de roi lui
inspire quelques violentes paroles contre des alliés qu'il
déteste, mais dont il a peur. On dirait qu'il prend plaisir
à faire pleuvoir les menaces et les demandes d'argent sur
le clergé, sur le Parlement, sur l'Hôtel de Ville, et qu'il
1. Le 2 octobre 1585, le clergé de France s'assembla à Saint-Germain
des Prés pour délibérer sur la subvention requise par le roi afln de sou-
tenir la guerre contre les huguenots. Regnauld de Beaune, archevêque
de Bourges, membre du Conseil privé, harangua l'assemblée au nom du
roi. C'était « un homme bien disant », & ce qu'assure FEstoile. Aussi le
clergé, dans l'assemblée du 7 octobre, accorda au roi 120,000 écus d'avance
et une série de subsides mensuels jusqu'à concurrence de 600,000 écus.
(Voy. Félibien, Hist. de la ville de Paris, t. II, p. 1154.) Mais Henri ni ne
se tint pas pour satisfait. Il prorogea rassemblée jusqu'au 19 juin 1587 et,
dans l'intervalle, travailla si bien le clergé par l'entremise des évoques de
Noyon et de Saint-Brieuc qu'il obtint 1,200,000 écus, savoir un million
d'or, provenant de l'aliénation de 50,000 écus de rente, accordée par
le pape, et 200,000 écus pour les frais, outre la continuation du payement
des rentes de l'Hôtel de Ville pour dix ans. En retour de ces sacrifices, le
clergé reçut de belles promesses, au sujet de la publication du concile de
Trente, des élections ecclésiastiques, de la modération des appels comme
d'abus, etc. Il va sans dire que ces promesses restèrent sans effet. Des
remontrances présentées, le 19 novembre 1585, au nom du clergé, par
l'évéque de Saint-Brieuc, Nicolas Langelier (Mém, de la Ligue, t. I, p. 247),
il résulte que, depuis vingt-cinq ans, le clergé avait fourni à la monarchie
vingt-cinq ou trente millions, sous forme de décimes ou de subven-
tions, sans compter les aliénations du domaine de l'Église; il résulte aussi
des remontrances qu'aux termes du contrat de 1580 la somme annuelle
due par le clergé pour le payement des rentes de la Ville s'élevait à
1,300,000 Hvres.
LA RÉSURRECTION DE LA LIGUE 323
caresse le secret désir de ruiner les membres de la Sainte-
Union, en mettant à leur charge la solde d'une armée dont
il sera heureux d'apprendre la défaite. La crainte seule
l'avait empêché de rompre avec les Guises : ceux-ci le
comprenaient à merveille et n'y voyaient qu'un motif de
plus de précipiter leur entreprise. Quant au peuple de
Paris, il méprisait chaque jour davantage un prince qui
n'apportait aucun enthousiasme dans la guerre à l'hérésie,
et il tournait ses regards vers les chefs de la Ligue, avec
une ardeur fanatique qui conseillait de tout oser.
CHAPITRE III
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE
(Depoifl la Convention de Nemours jusqu'aux Articles de Nancy.
7 juillet 1585 — féyrier 1588.)
La lullc qui s'engage va être un drame à cent actes
divers qui rayonnera sur toute la France; mais c'est à
Paris qu'il faudra revenir pour en observer les péripéties
essentielles et le dénouement. Dès l'abord, on reste con-
fondu de rinégalité des forces en présence. Il y a d'un
côté Philippe II et ses richesses, ses renommés capitaines,
ses admirables soldats ^, les jésuites et leurs perfidies, les
Guises et leurs puissantes ressources, le clergé tout entier
et ces moines fanatiques qui ont pris d'assaut les chaiires
de Paris, couvrent la province de leurs émissaires et pèsent
de tout leur poids sur une populace ignorante. De l'autre,
un petit roitelet sans royaume, pressé comme par deux
enclumes entre le colosse de l'Espagne et le colosse de la
France ligueuse, en quête d'alliances, mais n'en ayant pas
encore, trahi par Henri III, frappé des foudres de l'Église.
Malgré son peu de sympathie pour l'orgueilleux roi d'Es-
pagne et pour les conspirateurs de la Ligue, le successeur
du faible Grégoire XIII, l'énergique cordelier Sixte-Quint
1. Le prince de Parme a pris Anvers le 17 août 1585, après un siège
mémorable, signalé par des prodiges d'énergie et des travaux d'art
gigantesques. Bruzellesi Malines, la Flandre, le Brabant sont aux Espa-
gnols.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 225
n'a pas cru pouvoir refuser à la Ligue et au père jésuite
Mathieu, son agent, l'excommunication du roi de Navarre
et du prince de Condé. Il a fait expédier la bulle le 9 sep-
tembre 1585, ^ et l'affiche, publiée à Rome le 21 septembre,
porte la signature de vingt-cinq cardinaux.
La nouvelle de l'exconmiunication du Béarnais éclata
comme un coup de foudre dans la capitale. C'était le mot
d'ordre qu'attendait depuis longtemps la faction cléricale
pour recommencer sa campagne non seulement contre
l'héritier du trône des Valois, mais contre ceux qu'elle
représentait au peuple comme les secrets complices des
huguenots, c'est-à-dire contre Henri III lui-même et le
duc d'Ëpernon qui avait toujours engagé son maître à
écraser la Ligue. Enhardis par l'impunité, les prédica-
teurs perdirent toute mesure *. On sait comment, loin de
se laisser abattre par les foudres pontificales, le Béarnais
rendit trait pour trait, et fit afficher sur le piédestal
des statues de Pasquin et de Marforio et dans les lieux
les plus fréquentés de la ville éternelle, une opposi-
tion à la bulle dont le ton n'avait rien de diplomatique,
puisque cette philippique endiablée traitait le pape d'Anté-
christ ' .
1. Telle est la date donnée par l'Estoilb, t. II, p. 210, et dans le texte de
la traduction de la bnlle latine que reproduisent les Mém, de la Ligue,
t. I, p. 214. D'après db Thou (t. IX, p. 369), la bulle aurait été expédiée
dès le 28 août. Le texte latin se trouve dans les Scripta utriusque partis,
Francfort, 1586, in-8«, et à la suite du Brutum fulmen, etc., de François
Hotman, réfutation amère de la bulle. Elle fut traduite en 1587. L'éditeur
des Mémoires de la Ligue dit naïvement, à propos du Brutum fulmen : « Il
y a beaucoup d'érudition et de lumière dans cet ouvrage, mais il est
trop satyrique. L'auteur aurait pu défendre avec plus de modération les
droits des souverains et épargner davantage les papes. «
2. Voy. DE Thou, t. IX, p. 372. « Cette démarche du pape, dit le grave
historien, fut comme l'huile qu'on verse sur le feu et qui ne sert qu'à
l'allumer. »
3. L'auteur de la pièce n'était autre que Pierre de l'Estoile, le rédacteur
du fameux registre journal. Il l'avoue lui-même (t. II, p. 212) en repro-
duisant le texte de l'opposition. Ce texte se trouve aussi au t. I, p. 243
des Mémoires de la Ligue et au t. XI, p. 59 des Arch. curieuses. Dans
l'édition de 1603 du Brutum fulmen, on peut lire une traduction latine de
ROBIQUET. * 15
226 PARIS ET LA LIGUE
Sixte-Quint, si maltraité dans le factum de l'excom-
munié, conçut, h partir de ce moment, la plus grande con-
sidération pour un prince à ce point audacieux *. Il n'en-
voya pas un écu à la Ligue et se contenta de remplacer son
nonce en France, Jacques Ragazzoni, évêque de Bergame *,
la réponse du roi de Navarre & Sixle V, qui a été également insérée dans
le recueil Scripta utriusque partis^ Francfort, 1586. D'après Varillas (Aver-
tissement sur Vhistoire de Henri //), ce serait un gentilhomme Orléanais,
Jacques Bongars, qui aurait affiché à Rome la traduction latine dont il
était l'auteur.
1. Db Thou dit tenir du marquis de Pisani, ambassadeur de France à
Rome, que, dans les fréquents entretiens qu'il avait avec Tambassadeur,
Sixte-Quint ne pouvait se lasser de porter aux nues la grandeur d'Ame et
la constance inallèrable qui n'abandonnaient jamais le roi de Nayarre. Le
pape ajoutait qu'il était regrettable que le roi de France n'eût pas les
mêmes qualités. Hist, univ.y t. X, p. 378.
2. L'attitude du Saint-Siège devant avoir forcément une grande influence
sur le développement ultérieur du parti ligueur dans la capitale, il est
nécessaire de donner ici quelques détails, puisés à des sources authen-
tiques, sur les rapports de Henri lU avec le nouveau pape Sixte V.
Le roi s'était d'abord montré très satisfait de Télection de Félix
Peretti, cardinal de Montalte, en remplacement de Grégoire XIII. Les
instructions données au cardinal d'Est (petit-fils de Louis XII par sa mère,
Renée de France, et qui résidait à Rome au milieu d'une cour de poètes
dont faisait partie le Tasse) prescrivaient seulement au cardinal et à l'am-
bassadeur Saint-Goard, marquis de Pisani, d'engager ceux des électeurs
du Sacré-Collège qui étaient à la dévotion de la France à porter leurs
suffrages sur un prélat « amateur du bien et repos de la chrétienté et
propre à celle fin pour tenir la balance égale entre les princes d'icelle »
(lettre du roi au cardinal d'Est, en date du 22 avril 1585, Coll. Lucas-
Montigny, et Rev.rétrosp.^ 2« série, t. VIII, p. 239). Le roi, toujours machia-
vélique, ajoutait que si les candidats français n'avaient pas de chances
sérieuses, il faudrait avoir l'air de favoriser le cardinal qui réunirait la
majorité, afin de se faire ensuite valoir auprès de lui. Uenri III recom-
mandait surtout de travailler à écarter le cardinal de Mondenis, sachant
« qu'il a l'dme très espagnole ». Après l'élection du cardinal de Montalte,
le roi se montra très satisfait et se cot\jouit avec le cardinal de Bergame,
nonce de Sa Sainteté en France. 11 chargea l'ambassadeur à Rgme « de
baiser les pieds de sa part à Sadile Sainteté », à laquelle il adressa une let-
tre autographe de félicitations. Sixle-Quint, de son côté, assura Henri III
« de sa paternelle bienveillance » et le félicita d'avoir rélabli en son
royaume l'unité de religion. Mais les cardinaux de Vendôme et de Sens et
le duc de Nevers ne tardèrent pas à prévenir le pape contre le roi. (Cathe-
rine Tavait appris et le constate avec amertume dans une lettre à l'am-
bassadeur, du 30 juin 1585.) Le rappelde l'évéque de Bergame et l'envoi
de l'archevêque de Nazareth en qualité de nonce mirent le comble à la
brouille. Henri lll, en apprenant le renvoi du marquis de Pisani, fut outré
de colère. Il écrit à son ambassadeur^ le 17 août : « Je n'eusse jamais
pensé que le Pape se fût tant oublié que de me faire recevoir l'injure qui
vous a été faite... » Pisani reçut ordre de revenir, mais lentement, pour
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 227
qui devait sa nomination à Grégoire XIII et passait pour
un prélat conciliant, par le Napolitain Fabiô Muerto Fran-
gipani, archevêque de Nazareth, dont les instructions
n'avaient pas un caractère aussi pacifique. Henri III,
sachant que le nouveau nonce était entièrement à la
dévotion des Guises, lui prescrivit de s'arrêter h Lyon et
d'attendre ses ordres; sur quoi, le fougueux Sixte-Quint
expulsa de Rome l'ambassadeur français Saint-Goard,
marquis de Pisani. Henri III el le pontife finirent par se
réconcilier : Pisani revint à Rome et le nonce Frangipani
fut agréé, mais l'incident laissa quelque aigreur et à la cour
pontificale et à la cour' de France.
Le Valois était d'ailleurs dans une situation tellement
fausse qu'il ne savait plus quelle contenance garder, non
seulement vis-à-vis du pape, mais vis-à-vis de ses propres
sujets. Il n'avait pas osé s'abstenir d'envoyer la bulle du
pape au Parlement de Paris et d'en requérir la vérification,
bien que la doctrine de la suprématie « du pouvoir spirituel
sur toutes les couronnes terrestres fût bien faite pour
blesser l'orgueil d'un prince absolu. Mais le Parlement
défendit mieux que lo souverain la dignité royale et l'indé-
pendance de la nation. Il adressa au roi des remontrances
dont le ton est très remarquable *, en ce que la cour sou-
veraine se prononce avec une énergie extrême contre la
donner au pape le lemps de » rhabiller les choses »; car, au fond, le roi,
ayant besoin de Tautorisation pontiflcale pour aliéner le temporel de TÉglise
de France, trouvait que la rupture avec le pontife « ne pouvait arriver en
saison plus malpropre pour ses affaires ». Cette querelle du roi de France
et du pape se termina par la soumission du roi; mais les dépêches des
années suivantes prouvent que Sixte-Quint accueillit avec beaucoup de
froideur les dépêches du roi « priant le Saint-Père d'admonester les
princes (les Guises) d'obéir et donner contentement » à leur souverain.
Henri ni flnit par se borner à demander au pape de rester neutre entre
lui et la Ligue.
1. Mém.de la Ligue, 1. 1, p. 222. Nous croyons devoir analyser au texte
les déclarations du Parlement et du roi de Navarre, car, mieux que tous
les développements, elles indiquent les sentiments et le programme des
adversaires d% la Ligue.
S28 PARIS ET LA LIGUE
Ligue, flétrît ceux qui « ont abusé de la piété et dévotion
du roi pour couvrir leur impiété et rébellion * »; s'élève
vigoureusement contre la proscription des huguenots et la
rupture des édits de pacification, rappelle au roi qu'il est
le pasteur de son peuple, et, lui montrant le grand nombre
des protestants, pose au faible Henri III cette question :
« Qui osera prononcer le mot pour exposer tant de mî>-
lions d'honmies, de femmes et enfants à la mort, voire
sans cause ni raison apparente, vu qu'on ne leur impute
aucun crime que d'hérésie, hérésie encore inconnue ou pour
le moins indécise, hérésie qu'ils ont soutenue en votre
présence contre les plus fameux théologiens de votre
royaume, en laquelle ils sont nés et nourris depuis trente
ans par permission de Votre Majesté et du feu roi votue
frère, d'heureuse mémoire, laquelle ils remettent au juge-
ment d'un concile universel, général ou national?.... Qui
est celui qui se puisse imaginer le massacre d'une telle
multitude sans horreur et qui y puisse consentir, sans
dépouiller tout sentiment d'humanité? » Et d'ailleurs, le
roi pense-t-il que les huguenots, ayant à lutter pour con-
server leurs vies et tout ce qu'ils ont de plus cher au
monde, ne se défendront pas avec l'énergie du désespoir'?
1. Henri III, au fond, n'élait pas plus aveugle que le Parlement sur les
véritables inlentions des Guises. Daos une lettre adressée le 6 mai 1585 &
M. de Saint-Goard, marquis de Pisani, ambassadeur de France à Rome, le
roi, tout en disant qu'il a consenti à révoquer les édits de pacification,
ajoute ce correctif qu'avant d'employer la force contre les huguenots il
convient, à son avis, de les admonester etsemonder de renoncer à leur reli-
gion. « Sur quoi, continue Henri III, mesdits oncle et cousin (le card. de
Bourbon et le duc de Guise) ne m'ont encore fait entendre leur délibéra-
tion; mais, s'ils refusent ce parti, ils feront assez connaître être poussés»
d'autre zèle et intention que du bien de la religion. » Coll. de M. Lucas
Montigny, Voy. Revue rétrosp.^ 2« série, t. VIII, p. 249. Dans sa lettre du
28 mai 1583, le roi accuse formellement les Guises de « n'en vouloir tant
aux huguenots et & l'hérésie qu'à son État »,
2. Henri III est encore du même avis : u ... Nous eussions mieux établi
et avancé le service de Dieu et de son Église durant la paix et par le
moyen d'icelle que nous ne ferons par ladite guerre, de laquelle la suite
sera plus longue et incertaine que plusieurs ne cuident ou veulent à pré-
sent estimer. » Ibid.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 329
Le résultat de cette guerre fratricide, ce sera la ruine du
royaume. Le Parlement ne peut admettre qu'on décore
« du nom paternel A'édit les articles d'une Ligue assem-
blée contre l'Ëtat, armée contre la personne du Roi et
qui s'élève contre Dieu même et qui dépite la nature,
commandant aux pères de n'être plus pères à leurs enfants,
et défendant aux mères de n'être plus mères à leurs filles,
invitant l'ami à trahir son ami et appelant l'assassin à la
succession de celui qu'il aura assassiné ». Il ne ménage
pas plus que la Ligue ce pape qui met le pied sur la tête
des rois et se mêle de distribuer des couronnes. « Quant à
la bulle sainte, la cour en trouve le style nouveau et si
éloigné de la modestie des avant-papes qu'elle ne reconnoit
aucunement la voix d'un successeur des apôtres; et d'au-
tant que nous ne trouvons point par nos registres, ni par
toute l'antiquité que les princes de France aient jamais été
sujets à la justice du pape S ni que les sujets aient pris
connaissance de la religion de leurs princes, la Cour ne
peut délibérer sur icelle que premièrement le pape ne
fasse apparoir du droit qu'il prétend en la translation des
royaumes établis et ordonnés de Dieu avant que le nom
de pape fût au monde, qu'il ne nous ait déclaré à quel titre
il s'entremêle de la succession d'un prince plein de jeu-
nesse et de vigueur, qui doit avoir ses héritiers en ses
reins Il faut qu'il nous enseigne avec quelle espèce de
piété et sainteté il donne ce qui n'est pas sien, il ôte à
autrui ce qui lui appartient légitimement, il mutine les
vassaux et les sujets contre leurs seigneurs et princes
•souverains et renverse les fondements de toute justice et
1. Dans sa dépêche à Tambassadeur de France à Rome en date du
-6 juillet 1585, Henri UI, tout en protestant de sa révérence pour le Saint-
Père, « de rautorité duquel les rois de France ont été protecteurs et défen-
seurs 1», prie très nettement Saint-Goard de dire au Pape « que les rois
de France ne reconnaissent autre puissance et supérieure que celle de
Dieu, de la seule main duquel ils sont créés et établis ».
230 PARIS ET LA LIGUE
ordre politique *. » Repoussant ainsi avec une ironie
indignée les prétentions de la cour de Rome, le Parlement
propose au roi « de jeter la bulle au feu en présence de
toute l'Église gallicane ». Sans doute, les membres de la
cour souveraine ne se font pas d'illusion ; ils ne se flattent
pas de voir leurs remontrances produire la moindre im-
pression sur le roi, « mais, lui disent-ils, si tant est que nos
péchés nous aient du tout fermé l'oreille de votre clémence
et justice, faites-nous cette grâce, sire, de reprendre en
main les états dont il a plu à Vostre Majesté et aux rois
vos prédécesseurs nous honorer, afin que vous soyez
délivré des importunes difficultés que nous sommes con-
traints de faire sur tels édits, et nos consciences déchargées
de la malédiction que- Dieu prépare aux mauvais magistrats
et conseillers... Il e6t plus expédient à Votre Majesté
d'être sans Cour de Parlement que de la voir inutile comme
nous sommes ; et nous est aussi trop plus honorable de nous
retirer privés en nos maisons et pleurer en notre sein les
calamités publiques avec le reste de nos concitoyens que
d'asservir la dignité de nos charges aux malheureuses
intentions des ennemis de votre couronne *. » Le Parlement
dut néanmoins se soumettre et enregistra le 46 octobre 1585
la déclaration du 7 octobre précédent par laquelle le roi,
1. Un coq-À-1'âDe du temps, que nous a conservé l'Estoilb (t. II, p. 302),
exprimait à peu près les mômes idées que le Parlement :
Que ce pape e»t h redouter
En sa moDachale natare !
Je mourrai, »'il faut qu'il advienne
Que les roiales majestés
Endurent les indignités
Des fulminalions d'un pape,
Et »\ ehascun mord à la grappe,
Comme je fay, l'on sçaura bien
Que je ne le dy pas pour rien.
N'est-ce rien quand on abandonne
Un ta^i, ou bien qu'on le donne
A qui premier l'occupera?
2. Mém, de la Ligue, 1. 1, p. 272.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 231
aggravant Fédit de juillet , réduisait à quinze jours le délai
accordé aux protestants pour se convertir au catholicisme
ou vendre leurs biens et sortir du royaume * ; mais que
n'aurait pu faire avec des magistrats ainsi hostiles aux
prétentions théocratiques un autre roi qva^ le roi-femme !
Par-dessus la tête de Henri III, le Parlement de Paris
tendait la main au roi de Navarre. Le Béarnais se garda
bien de ne pas répondre à Tappcl du plus grand corps de
TÉtat et riposta à Tédit d'octobre par « une déclaration du
30 novembre 158S, sur les moyens qu'on doit tenir pour la
saisie des biens des fauteurs de la Ligue et de leurs
adhérens ». Il adressa ensuite de Montauban une série
de lettres à « Messieurs des trois états de la France et à
messieurs de la Ville de Paris * ». Ces lettres sont fort
belles et, comme les remontrances du Parlement, méritent
d'être analysées avec soin.
Au Clergé, le roi huguenot déclare qu'il a fait tout au
monde pour éviter la guerre. Qui en est responsable? Ceux
qui ont mis le feu aux quatre coins du royaume, au seul
profit de leur ambition particulière et grâce à l'argent du
clergé ^.
i. Un mandement du Bureau de la Ville, transmis par ordre du roi le
15 novembre 1583, prescrite tous les colonels de la milice de laisser sortir
de Paris, à pied ou à cheval et sans passeport, tous ceux qui se présente-
ront aux portes. (Reg. H, 1788 àis, fo 545.) Peut-être voulait-on ainsi enga-
ger tous les protestants à laisser le champ libre & la faction des Guises.
2. Mém. de la Ligue, t. I, p. 300 à 310.
3. « Je ne crains (et Dieu le sait) le mal qui me peut venir, ni de vos
deniers, ni de leurs armes. L*un et Tautre ont été jà employés assez de
fois en vain. Je plains le pauvre peuple innocent, qui souffre presque seul
de ces folies. » Le roi de Navarre fait honte au clergé d'abandonner sa
mission de paix et de favoriser une guerre qui va répandre tant de sang.
Pourquoi Q*avoir pas accepté les offres de transaction; pourquoi ne pas
avoir accepté un concile pour trancher les questions religieuses? Pour-
quoi mêler TÉglise à des questions qui ne la regardent pas? Le pape, à
la sollicitation de certains ecclésiastiques, a déclaré le roi de Navarre
inhabile à succéder au trône. « Ne pensez, dit Texcommunié, que ces
foudres m'étonnent : c'est Dieu qui dispose des rois cl des roiaumes, et
vos prédécesseurs, qui étoient meilleurs chrétiens et meilleurs françois que
les fauteurs de cette bulle, nous ont assez enseigné que les papes n^ont
que voir sur cet État. » Il est inconvenant de « décider à Rome la suc-
332 PARIS ET Lk LIGUE
S'adressant ensuite à la Noblesse, le Béarnais démontre
que le roi a la main forcée par les ligueurs, déclarés per-
turbateurs du royaume par tant d'édits et d'arrêts. Que
reproche-t-on à ceux de la religion, sinon d'être trop bons
Français; les Guises sont, au contraire, les alliés et les servi-
teurs de l'étranger ; ils prennent leur mot d'ordre à Rome.
« Pour chasser la France hors de France, le procès ne se
pouvoit juger en France : elle étoit par trop suspecte en
cette cause; il falloit qu'il fût jugé en Italie. » Le Béarnais
pardonne aux gentilshommes qui croient obéir au roi
de France en servant les desseins des Guises. Il leur dit
avec une émotion chaleureuse : k Les princes français
sont les chefs de la noblesse. Je vous aime tous : je me
sens périr et afToiblir en votre sang! l'étranger ne peut
avoir un sentiment : l'étranger ne sent point d'intérêt en
cette perte. J'aurois bien à me plaindre d'aucuns, j'aime
mieux les plaindre : je suis prêt à les embrasser tous ».
Au Tiers état, Henri de Navarre proteste de son amour
de la paix : il ne fait que se défendre. Quant aux ligueurs,
ils promettent toujours de diminuer les tailles, de ramener
les impôts k ce qu'ils étaient au temps de Louis XII. Mais
ils ne pensent « qu'à leur particulier » et ils oublient inva-
riablement le peuple quand la guerre prend fin. Le clergé
n'a fait qu'avancer les arrhes du marché ; mais « ce sera au
cession d'un roi vivant et en fleur d'Âge.... Dieu confonde en sa juste
fureur ceux qui sont si providens que d'anticiper sa mort par leurs con-
seils. » Après avoir supposé que tout le clergé n'est pas solidaire de ces
actes coupables, mais « que c'est le complot de quelques-uns, poussés
d'ailleurs peut-être de l'inspiration de quelques jésuites, semence d'Es-
j>agne », le Béarnais termine par cette belle profession de foi : « Nous
croyons un Dieu, nous reconnaissons un Jésus-Christ, nous recevons un
même Évangile; si, sur les interprétations des mêmes textes, nous sommes
tombés en différend, je crois que les douces voies que j*avois proposées
nous pouvoient mettre d'accord. Je crois que la guerre que vous pour-
suivez si vivement est indigne de chrétiens, indigne entre chrétiens de
ceux principalement qui se prétendent docteurs de l'Évangile. Si la guerre
vous plaît tant, si une bataille vous plaît plus qu'une dispute, une conspi-
ration sanglante qu'un concile, j'en lave mes mains. Le sang qui s'y ré-
pandra soit sur vos testes. »
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 233
pauvre peuple à le tenir et à parfournir le reste, à quoi
^u'il monte ; à celui qui n'en peut, mais qui en porte le
^lommage et n'en attend point le fruit, à supporter tout le
faix, à endurer tout le mal qui en viendra ». Sachant bien
que ceux du tiers état « selon leur vocation sont sujets à
endurer le mal et non pas à le faire », Henri ne leur
demande que « leurs vœux, leurs souhaits et leurs
prières ».
Le roi de Navarre prend enfin à témoin « Messieurs de
la Ville de Paris », qu'il estime « le miroir et l'abrégé du
royaume ». Très habilement, il porte la question sur le
terrain financier, où il se sait en parfaite communauté
d'idées avec la majorité des officiers municipaux et des
bourgeois. De ce que la Ville a manifesté l'intention de
refuser au roi les subsides qu'il demandait pour la guerre,
le fin Béarnais tire cette conclusion que tous les Parisiens
trouvent cette guerre civile complètement injuste : car, en
d'autres circonstances, Paris n'a pas ménagé l'or pour
secourir ses rois, aux temps de François P' ou du roi
Jean notamment. A toutes ses concessions, à la demande
d'un concile, à l'offre d'un combat singulier, on a répondu
par la guerre, une guerre qui a pour but « d'éteindre le
sang et la postérité de France, de réduire le roi en servi-
Aude et en prison * ». On a appelé les étrangers en France
et préparé la ruine de l'État. Le roi de Navarre voudrait
donner sa vie pour le salut du pays. Il attend des Parisiens
« tout ce qui se peut et doit de vrais Français et de la règle
1. Une petite pièce conservée par TEstoile (t. II, p. 318) expose ainsi
« Le vray fond du dessein des Lorrains et de Madame la Ligue en deux
mots Nous prendrons les armes; nous dirons que c'est au huguenot
que nous en Toulons, mais ce sera au roy, en elTect, auquel nous brouil-
lerons si bien les cartes, maintenant qu'il n'a plus de successeur qui soit
de sa ligne, que, s'il ne s-'aide du roy de Navarre, il est perdu, et, s'il s'en
aide, encore plus. Nous le ferons excommuqier par le pape; et, en ce fai-
sant, le rendrons si odieux qu'il n'y en aura pas pour nos pages. Nous
nous en desferons aisément ou, pour le moins, nous en ferons un moine.... »
234 PARIS ET LA LIGUE
exemplaire des Français » et, de son côté, promet « tout ce
qui se peut et doit d'un prince français et d'un prince
chrétien pour Tunioii de TÉglise, le service du roi son
seigneur, le bien du royaume, le soulagement du peuple et
le contentement de tous les gens de bien ».
Aux lettres si nobles et si énergiques du roi de Navarre^
la Ligue opposa un pamphlet qui exprime bien les senti-
ments de la faction cléricale dont les Guises avaient pris
la direction, de concert avec Philippe II *. Un court passage
nous permettra de résumer ce factum : « Vous leur pouvez
dire [aux hérétiques) que vous aimez mieux estre Espagnols
que huguenots comme ils sont ; qu'il n'y a nom qui porte
avec soy et qui comprenne tant de crimes, tant de vices et
tant de sales ordures et inspuretcz que le nom d'un héré-
tique; que, devant que d'avoir un prince huguenot, vous
iriez chercher non seulement un espagnol au fond de
Grenade ou de Castille, mais un Tarlare, un Moscove ou
quelque Scyte qui seroit catholique... » Ainsi le roi de
Navarrais était Français avant tout, et la Ligue immolait
le patriotisme aux passions violentes des moines et aux
convoitises étrangères. Son idéal, c'est le système gouver-
nemental d'un Philippe II, qui « aima mieux violer les droits
de la nature et se priver d'enfant masle et de successeur à
son Estât que de rompre la foy qu'il avoit promise à Dieu
1. En voici le titre exact : « Advertisseinent des catholiques anglais aux
français catholiguesy du danget* ou ils sont de perdre leur religion et d'ejrpé'
rimenter, comme en Angleterre y la cruauté des ministres, s*ils reçoivent à la
couronne un roy gui soit hérétique. » 1586. Ce pamphlet avait pour auteur
l'avocat Louis d'Orléans, qui devint plus tard avocat général de la Ligue.
Voici ce qu'en dit Palma-Cayet, le précepteur de Henri IV, dans l'Intro-
duction de sa Chronologie novenaire : « Ce livre esloit d'un langage fort
naïf, plain de vives pointes; il contenoit des flateries et mocqueries du
roy, exaltoit surtout la valeur du duc de Guise, disoit mille impostures du
roy de Navarre et de la feue royne de Navarre, sa mère, et surtout se plai-
gnoit qu'on n'avoit pas bien solemnisé la Saint-Barlhélemy 1571, et qu'on
avoit tiré moins de deux poilettes de sang (dénottant par là que l'on y
devoil tuer le roy de Navarre et le prince de Gondé) ». VAdvertissement
a été réimprimé au t. XI, p. 3 des ârch. crn.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 235
et à l'Église * ». Elle se sent prise d'enthousiasme pour
celte Inquisition d'Espagne « qui contient les hommes aux
bornes de leur religion » et dont les huguenots font « un
monstre, une chiche-face, une chimère dont ils font peur
aux petits enfants ». C'est la « haie » qui empêche
«■ d'entrer en la vigne ». Un moment, le Parlement de
Paris a joué ce rôle de barrière contre l'invasion des
hérétiques, mais, depuis qu'il condamne le pape et ses
bulles, la Ligue regarde les magistrats d'un œil menaçant.
Même défiance des purs de la faction contre l'Hôtel de
Ville de Paris. On l'accuse de prêter de l'argent au roi de
Navarre et au prince de Condé, de tolérer le prêche et de
prêter les mains à une prochaine revanche de la Saint-
Barthélémy *. Cette sortie contre les magistrats munici-
paux de Paris est d'autant plus étrange que, de son côté,
Henri UI se défiait des Parisiens et de leurs administra-
teurs. Le 13 février 1586, il écrit au prévôt des marchands
pour ordonner des perquisitions domiciliaires dans tous
les quartiers de la Ville, mais il ajoute qu'elles se feront
sous la surveillance de chevaliers du Saint-Esprit, désignés
1. Advertissement, etc. L'auteur avoue ainsi, avec une naïveté féroce,
que Philippe II a fait mourir son flls don Carlos « prince certainement
bien nay, mais qui trop inconsidérément avala l'amorce et Tamecon de
l'hérésie ». C'est la version de Schiller qui, dans sa tragédie de Don Carlos,
représente le malheureux prince comme un partisan de l'insurrection des
Pays-Bas et un ennemi de l'Inquisition. Don Carlos étant mort le 24 juil-
let 1568, V Advertissement f publié en 1586, n'est pas un témoignage à dédai-
gner sur ce problème historique.
2. « Tant que la ville de Paris a résisté à l'hérésie, tant qu'elle a aimé
les princes catholiques, tant qu'elle a offert et la vie et la bourse de ses
habitans pour sauver et sonstenir la religion, c'est contre elle que les
huguenots ont dressé leurs plumes, leurs langues et leurs forces. Mais, à
présent qa*elle preste de l'argent au roy de Navarre, que sa bourse sub-
vient aux affaires du prince de Condé, qu'elle tolère le presche à ses
yeux, c'est lors qu'ils laissent Paris en paix et n'escrivent plus contre elle;
ains lui adressent leurs lettres, la recognoisscnt pour une très bonne
ville, et s'attendent bientost d'y loger, si on veut croire leurs fourriers,
afin d'y exécuter une contre-Sainct-Barthélemy ». lltid, Voy. à la suito de
y Advertissement des catholiques anglais, etc., la réponse de Duplcssis-
Mornay : Lettre d'un gentilhomme catholique françois. AncHiv. cun., t. XI,
p. 203.
336 PARIS ET LA LIGUE
è cet effet et adjoints aux officiers municipaux, quarti-
niers, cinquanteniers et dizainiers '. Le prévôt des mar-
chands dut subir ce contrôle et porter à la connaissance
de chacun des quartiniers le nom du chevalier du Saint-
Esprit qui ferait avec lui les perquisitions. Néanmoins, les
franchises municipales étaient respectées dans le même
temps et les élections des officiers de la milice s'accomplis-
-saient librement, même quand il s'agissait des importantes
fonctions de colonel. C'est ainsi que le 2 février 1386 les
<;apitaines et lieutenants d'un des quartiers de Paris
furent convoqués par le prévôt des marchands pour élire
leur colonel en remplacement du président de Morsaut
décédé *. Et, le même jour, le quartinier Leconte recevait
•ordre d'appeler « les bourgeois et habitans de la dizaine
de , dizinier du quartier, en la main de Tung des plus
apparens de ladicte dizaine, pour, après le serment par
<eulx preste es mains du plus notable et qui présidera en
ladicte assemblée, procedder à Teslection d'un cappitaine
d'icelle dizaine, au lieu de feu M. le président de Mor-
saut, pour, ladicte eslection faicte, nous rapporter le nom
et surnom de coUuy qui aura esté esleu au premier jour' >».
1. «Avons résolu... de faire faire une très diligente et très exacte perqui-
sition et recherche en chacun quartier de ceste dite ville de toutes les per-
sonnes non domiciliées en icelles par aulcuns sieurs chevalliers de nostre
ordre du Sainct-Esprit qu'avons nommez, choisiz et esleuz pour cest
effect A ceste cause, vous mandons et ordonnons advertir et mander
aux capitaines, quarteniers, cinquanteniers et diziniers de chacun des
quartiers de ceste ville d'assister et accompaigner lesdictz sieurs cheval-
liers du Saint-Esprit en ladite perquisition et recherche » Rbo. H,
1788 bis, f» 570.
2. « Sire Jehan Leconte, quartenier de ladicte Ville, priez Messieurs les
•cappitaines et lieutenans de vostre quartier de eulx assembler au premier
jour, en tel lieu qiie lesdictz sieurs adviseront, pour eslire ung colonel du-
dict quartier, au lieu de feu M. le président de Morsaut, pour, ladicte eslec-
tion faicte, nous rapporter le nom et surnom de celui qui aura esté esleu
au premier jour. Si n'y faictes faulte. Faict au Bureau d'icelle ville, le
samedy vingt-deuxiesme de fefvrier 1586. » Rbg. H, 1788 bis, fQ 573.
3. Ibid. On peut conclure de ces deux textes : 1» qu'en février 1586 les
colonels de la milice étaient élus par les capitaines et lieutenants du
quartier; 2o que le capitaine de chaque dizaine était élu par les bourgeois
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 237
Le roi n'avait, en effet, aucune raison sérieuse de
prendre des mesures de précaution contre la milice pari-
sienne, et tout Teffort des troupes de la Ligue s'égarait en
ce moment sur les bords de la Garonne et de la Dordogne,.
oii Mayenne guerroyait, sans grand succès, contre le roi
de Navarre, el surtout contre Thiver, qui était des plus
rigoureux. Les clients des moines en étaient réduits, faute
de pouvoir fêter d'autres victoires, à célébrer la prise par
Mayenne du château de Montignac-le-Comte en Périgord,
dont la petite garnison protestante de 80 soldats avait
capitulé d'une manière très honorable devant toute une
armée (4 fév. 1586) *. Ce qui était plus grave pour Henri III,.
c'est que le duc de Guise venait d'arriver à Paris (15 fév.)
avec une suite très nombreuse. Le roi l'avait bien mandé,
mais il ne l'attendait pas si accompagné. Il fallut renforcer
la garde du Louvre, et les chevaliers du Saint-Esprit,
suivis des capitaines et des commissaires des quartiers,
redoublèrent les perquisitions pour surveiller les étrangers
et les suspects. Mais c'était aux Parisiens eux-mêmes que
le duc de Guise réservait ses préférences, en travaillant
surtout à se concilier la sympathie des basses clisses '.
Pendant trois mois, jusqu'au 18 mai, le chef de la Ligue
continua son active propagande et n'épargna pas ses efforts
pour rendre le roi odieux au peuple. Henri III semblait
d'ailleurs s'étudier à faciliter les progrès de ses ennemis.
Le Clergé ne lui pardonnait pas ses extorsions et faisait
opposition devant le Parlementa la bulle du pape, obtenue
cette dizaine ; 3» que le môme personnage pouvait être à la fois colonef
son quartier et capitaine d*une des dizaines de ce quartier, dont il
de
de
avait la direction militaire.
1. « .... Le roy de Navarre n'avoit auparavant qu^un concierge dans ceste
place, sans vouloir souffrir qu'on fist la guerre.... Et toutefois la Ligue,
à Paris, en fist un trophée au duc de Maienne. » L'Estoile, t. II, p. 326.
2. « Le duc de Guise, estant à Paris, se rend si populaire, que les artizans
et crocheteux en reçoivent beaucoup d^honneur et peu de profit, car ils
sont caressés et salués de lui fort honorablement. » làid,t P* 327.
338 PilRIS ET LA LIGUE
par Tévêque de Paris et qui autorisait le roi à vendre le
temporel de TÉglise jusqu'à concurrence de cent mille écus
de rente. Le 7 mars 1386, Tévêque de Noyon développa
les moyens d'opposition avec une grande amertume, et il
fallut que le premier président intervînt pour blâmer la
violence de ses appréciations. Quelques jours après, Tévêque
de Paris arrivait dans la capitale ; il fut accueilli par une
tempête de malédictions, pour avoir demandé au pape et
obtenu de lui une aliénation de cent mille écus de rente sur
le temporel de l'Église, alors qu'il n'avait reçu du clergé
que l'autorisation de consentir cinquante mille écus de
rente. On le traita de Judas et de complice du roi. Henri III
crut se faire pardonner au moyen de quelques capucinades.
Le 26 mars il quitta Paris, suivi de deux cents pénitents, et
se rendit à pied à Notre-Dame de Chartres ; il revint de*
même et ne rentra dans Paris, le dernier jour de mars, que
pour s'enfermer au couvent des Capucins jusqu'au mardi
de Pâques. C'était un bon moyen pour ne pas voir la
misère publique. Le froment coûtait à Paris sept et huit
écus le seticr, aux Halles. Des nuées de mendiants se
répandaient dans les rues et assiégeaient les portes des
bourgeois. On fut obligé de recueillir des aumônes; deux
députés de chaque paroisse visitèrent chaque maison, et les
bons bourgeois donnèrent ce qu'ils purent.
La guerre continuait toujours dans le Midi, mais avec
lenteur. Mayenne était malade à Bordeaux, profitant de
cette maladie vraie ou feinte pour essayer de rattacher la
grande ville aux intérêts de la Ligue. A Paris, les ambas-
sadeurs des princes protestants d'Allemagne et le secrétaire
du roi de Navarre, La Marsilière, cherchaient à brouiller
le roi avec ses amis les ligueurs; mais le pauvre prince
manquait de cœur « conune si le duc de Guise l'eût déjà
tenu par le colet ». Il renvoya La Marsilière avec une
réponse évasive (avril). En outre, pour dissiper les bruits
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 239
qui l'accusaient de pactiser avec les hérétiques, Henri III
rendit, le 26 avril 1586, un édit sévère, réglementant la
vente des meubles des rebelles et des revenus de leurs
immeubles. Une ambassade du roi de Danemark qui
venait intercéder en faveur des huguenots fut très mal
accueillie. Cela n'empêcha pas le roi de négocier avec les
cantons suisses et de rester en relation avec le roi de Na-
varre. Afin d'empêcher la guerre d'aboutir à un résultai
décisif, le roi avait fractionné ses forces en trois armées.
L'une, qui devait opérer en Auvergne et en Languedoc,
primitivement destinée au brave maréchal d'Aumont, avait
été confiée à Joyeuse, le grand favori; la seconde, dirigée
sur la Saintonge, avait pour chef Biron, et la troisième fut
placée sous les ordres du duc d'Épernon, nommé gouver-
.neiir de Provence à la place du grand prieur Henri d'An-
goulême, qui venait de mourir assassiné ^
Pour entretenir ces trois armées, il fallait beaucoup
d'argent. Le roi rendit en un seul jour vingt-sept édits bur-
saux créant des offices de vendeurs de marée, de vendeurs
de bétail, de receveurs alternatifs d'épices, etc.; il força
à financer les lieutenants de robe longue de chaque élec-
tion. Tous ces édits, qu*on appela les édits guisards, furent
publiés le 16 juin, dans un lit de justice tenu au Parlement.
Les procureurs au Châtelet et au Parlement cessèrent leur
service plutôt que de payer des lettres de confirmation,
taxées à deux cents écus. Les membres de la Chambre
des comptes, auxquels le roi voulait vendre le droit de
survivance, moyennant versement de moitié du prix de
1. Le grand prieur, bâtard de Henri II, ayant appris quMl était desservi
auprès du roi par le Florentin Pliilippe Altoviti, mari de la Chàteauneuf,
^ancienne maîtresse de Henri III, passa son épce au travers du corps de
ritalien. Ce dernier, se sentant blessé à mort, tira son poiguard et en
donna un coup dans Taine au grand prieur. Tous deux moururent. Le roi
nomma grand prieur un autre bâtard, Charles, fils de Charles IX et de
Marie Toucbet, et investit d'Épernon du gouvernement de Provence. Dk
Thou, t. IX, p. 695; l'Estoilb, t. II, p. 337.
!
240 PARIS ET LA LIGUE
leurs offices, résistèrent également et sortirent de la
chambre de leurs délibérations. L'édit qui les concernait
fut enregistré, le 27 juin, en présence de trois personnes
seulement, le président Nicolaï, Tavocat du roi Pasquier
et le greffier Danès. Il y eut un soulèvement général de
l'opinion publique, entraînée par Ténergie de la magistra-
ture. A Troyes, les artisans se révoltèrent et coururent sus-
aux huissiers. A Paris même, on craignit de graves dé-
sordres. Le roi revint de Saint-Maur coucher au Louvre
pour faire tète au mouvement.
C'est dans ces circonstances que le seigneur d'O fut
nonnné gouverneur de Paris et lieutenant général « aux
pays et provinces de l'Isle-de-France, à la survivance du
sieur de Villequier, son beau-père ». Les lettres patentes
qui consacraient ce beau choix avaient été signées le
2 janvier et enregistrées au Parlement le 2 juin. C'est le
9 juillet, dans une assemblée du grand Bureau, que la
Ville procéda à la réception du seigneur d'O. Le prévôt
et les échevins vinrent au-devant de lui jusqu'à la grande
porte de l'Hôtel de Ville et le conduisirent au grand Bureau,
où les conseillers de la Ville attendaient. M. d'O, « assiz au
bout d'en hault, en une chaire de velours qui pour ce faire
luy avoit esté préparée », prononça un discours dans lequel
il se félicitait de sa nomination pour plusieurs motifs : le
jugement du prince, la grandeur de la Ville, la qualité de
ses habitants ^
1. tt Surtout luy a faict entrer en ceste charge l'amitié et bienveillance que
de tout temps mesdicts sieurs avoient porté & leurs gouverneurs et de
laquelle il espère mériter par bons bonnestes déportemens desquelz il ne
perdra jamais les occasions; s'ilz en vouloient des gages, qu'ilz prinssenl
pour asseurance qu'ayant des commodités ailleurs, il a choisy sa princi-
palle retraicte dedans leur prévosté et y a mis comme entre leurs mains
sa personne, sa famille, et ce que Dieu luy a donné de plus prétieux, qui
esloit s'embarquer à bon escient dedans leur navire, duquel il ne vouldroit
entreprendre la conduicte sans Tassurance quMl a d'estre tousjours assisté
de leurs bons et prudentz advis, avec lesquelz il promet que, nonobstant
les oraiges desquelz la misère du temps nous semble menasser, nous vien-
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 241
A cette harangue, le prévôt des marchands répondit en
invoquant la protection du seigneur d'O, notamment pour
défendre la caisse municipale et les intérêts des Parisiens,
si souvent menacés par les incursions des gens de guerre
jusqu'aux portes de la capitale. C'était répondre par une
ironie. assez fine aux belles paroles d'un courtisan depuis
longtemps connu des magistrats municipaux. Henri n'avait
pas besoin de cette nouvelle maladresse pour perdre les
sympathies de sa bonne Ville. Il se trouvait en présence
d'une grève de magistrats si unanime qu'il fallut céder,
révoquer le 14 juillet l'édit sur les procureurs et atténuer,
le 15, l'édit sur l'augmentation du grand Conseil. Les con-
seillers en charge mirent leurs cornettes sur la table devant
le roi.
Ainsi bravé, Henri IH, qui, en outre, ne voulait pas
recevoir les ambassadeurs protestants, quitta Paris le
23 juillet *. Catherine, de son côté, se rendit à Chenon-
ceaux, dans l'intention de renouer les pourparlers avec le
roi de Navarre. M. de Villequier fut chargé de maintenir
l'ordre à Paris, avec le concours du chancelier Cheverny
et du Conseil privé, tandis que le roi s'en allait dans
le Bourbonnais, puis à Lyon, pour voir successivement
Joyeuse et d'Épernon. Arrivé à Lyon, sans souci du
royaume en feu, Henri IH, las du bilboquet, dépensa
100,000 écus pour sa collection de petits chiens. Une mul-
titude d'hommes et de femmes leur prodiguait des soins
éclairés, ainsi qu'aux singes et aux perroquets de Sa Ma-
jesté *, Pour varier ses plaisirs, le roi découpait aussi les
drons enfin surgir au port du repos et tranquillité ». Reg. H, 1788 fus,
roi. 599.
!. C'est la date donnée par TEstoile et de Thou. H. Martin donne la date
•du 10 juillet.
2. De Thou, t. IX, p. 599. La grande faveur du bilboquet remontait à
septembre 4585. n En ce temps, dit TEstoile, le roy commencca de porter
un bilboquet À la main, mesmes allant par les rues, et s'en jouoit comme
font les petits enfants... »
ROBIQUET. 16
242 PARIS ET LA LIGUE
miniatures de ses missels et les collait aux murailles de
ses chapelles. A côté de ces puérilités coûteuses, des accès
impolitiques de dignité qui eussent peut-être convenu h
un grand roi victorieux, mais non à cette poupée sans
force. Les anibassadeurs des princes allemands insistaient
depuis longtemps pour remplir leur mission. Henri III
revint de Lyon et leur donna audience à Saint-Germain
en Laye le 42 octobre 1586; mais ce fut pour les congédier
avec des paroles offensantes. Les ambassadeurs repartirent
immédiatement pour T Allemagne, où leurs récits provo-
quèrent une indignation universelle contre le roi do
France.
Par des raisons différentes, les sujets du roi, et en parti-
culier les Parisiens, ne lui étaient pas moins hostiles. Tous
les jours, de nouveaux pasquils, de la dernière violence,
étaient placardés sur les murs du Louvre. L'un d'eux, qui
fut apporté «' par un quidam accoustré d'une robe longue
et d'une cornette, qu'on ne peust reconnoislre ne descou-
vrir », portait que si le roi ne mettait pas fin à son système
d'exactions, deux cents hommes avaient juré de le mettre
îi mort. Les agents de la Ligue redoublaient d'activité^
représentant le roi comme un Sardanapalc. Au collège
Forteret, dans les conciliabules des catholiques, on agite
sérieusement le projet de se saisir de la personne de
Henri III. « Et combien, dit l'Estoile, que ces conseils mal
rivés et ces périlleux desseins fussent plus difficiles à
exécuter qu'à résoudre, si voioit-on par là que les rats,
pour se garder du chat, cherchoient tous moiens pour lui
pendre une sonnette à l'aureille; mais que nul n'osoit
entreprendre do l'attacher. »
La manière dont le gouverneur de Paris, Villequier,
traita les franchises municipales, attestait déjà une hostilité
sourde entre la capitale et la monarchie. Le 16 août 1586,
on avait h nommer un prévôt des marchands et deux
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 243
échevins *. Après le vote, tout le corps de Ville, prévôt,
échevins, greffier, procureur, scrutateurs, conseillers, quar-
tiniers et bourgeois allèrent « marchant devant eulx les
sergens d'icelle ville, vestuz aussi de leurs robbes de livrée,
en THostel et par devers monseigneur de Villequier, gou-
verneur et lieutenant général pour le roy en cestc dite
Ville et Isle-de-France, auquel les sieurs scrutateurs
auraient présenté le scrutin de ladicte eslection cloz et
scellé, et d'iceluy requis la confirmation suivant Tordon-
nance. Et, après ouverture et lecture faicte dudict scrutin,
ledict sieur gouverneur auroit remonstré à la compagnie
que le roy, avant son partement, luy auroit déclairé et
audict sieur prévost des marchands, que son vouloir et
intention estoit que le sieur LugoUy, conseiller dudict
sieur et l'un des lieutenants de M. le grand prévost de
France, feust reçeu eschecin avecq celuy qui se trouveroit
avoir le plus de voix en ladicte eslection, commandant que
Ton feist venir MM. Hector, seigneur de Ferreuse, esleu
prévost, de Sainct-Yon, qui avoit le plus de voix, et Lugolly,
1. Voici, d'après le Reg. H, 1789, foL 1, la teneur des mandements de con-
vocation adressés à chacun des quartiniers pour la réunion des électeurs
municipaux : « De par les prévôt des marchans et esclievins de la Ville de
Paris. — Sire Guillaume Parfaict, quartenier de ladicte Ville, appeliez vos
ciuquanteniers et dixiniers avec buict personnes des plus apparens de
vosire quartier, tant officiers du roy* s'il s'en trouve audict quartier, que
des bourgeois et notables marchans non mécanivques, lesquels seront tenuz
de comparoir sous peine d'estre privés de leurs privilèges de bourgeoisie,
franchises et libériez, suivant Tédict du roy, et faire le serment es mains
du plus notable desdites huict personnes de eslire quatre notables per-
sonnes desdictes huict; ausquels eslenz dictes et enjoignez quMlz se trou-
vent en leurs maisons samedy prochain, jusques après neuf heures du
matin que manderons d'eulx d'iceulx venir en Thostel d'iccUe ville pour
proccdder à Feslection d*un prévost des marchans et de deux eschevins nou-
veaulx, au lieu de ceulx qui ont faict leur temps, et nous apporter ledict
jour, à sept heures du matin, le procès-verbal cloz et scellé, ce que faict en
aurez suivant l'ordonnance d'ancienne coustume. Si n'y faictcs faulte. Faict
au bureau d'icelle ville, le jeudi quatorzième jour d'aoust 1586. » Rappelons
que, d'après l'édit de mai 1554, les quatre notables par quartier élus au pre-
mier degré ne pouvaient pas être pris parmi les ciuquanteniers et dizai-
niers. Sur la composition du corps électoral, voir Hist, munie, p. 2i8 et 455.
Les formes de l'élection n'ont pas varié depuis Tordonnance de 1450, rédi-
gée sous les auspices de Charles VII, d'après les anciens Registres de la Ville.
244 PARIS ET LA LIGUE
mandez audict lieu, pour en prendre et recevoir le serment
on tel cas acoustumé, qui seroient à Tinstant comparus; et
par ledict sieur de Sainct-Yon a esté remonslré qu'il avoit
la pluralité des voix, et partant debvoit précedder ledict
sieur de LugoUy, lequel même le lui avoit cy-devant
accordé, au cas qu'il eust la pluralité des voix comme il
avoit, et de ce se rapportoit à son serment. Sur quoy,
ledict sieur gouverneur auroit ordonné qu'il recevroit ledict
serment ensemblement, sans préjudicier à ladicte préséance,
ce qu'il auroit faict; et, pour cest effect, auroit iceluy
gouverneur faict faire les serments acoustumés ausdictz
sieurs de Ferreuse pour prévost des marchands et de
Sainct-Yon et LugoUy pour eschevins *, sans préjudice de
ladicte préséance sur laquelle Sa Majesté déclairera sa vo-
lonté, ainsy qu'elle verra bon estre. Et estant de retour
en l'Hostel de ladicte Ville, lesdicts sieurs prévost des
marchands et eschevins auroient esté mis en possession
desdicts estatz par les anciens, en la manière accous-
tuméc '. » Ainsi le roi pratiquait ouvertement la candida-
ture officielle et imposait la nomination d'un échevin de
son choix. Il se défiait déjà de la bourgeoisie parisienne et
ne cherchait plus à lui plaire.
Le 29 août 1586, le grand Bureau fut convoqué « pour
adviscr sur l'édit du roy de la vente et constitution de 80,000
escus de rente que S. M. veult faire à ladicte Ville sur le
sel ». Le prétexte était la nécessité de payer des « colon-
nelz et reistres et aultres seigneurs d'Allemagne ». Mais
es Parisiens préféraient employer leurs économies à d é-
frayer la propagande de la Ligue. L'assemblée municipale
décide que « remonstrances très humbles seront faites au roy
i. Nicolas Hector, seigneur de Pereuse et de Beaubourg, était maître des
requêtes de TUÔtel du roi. Louis de SaintrYon était avocat; quant à Pierre
de LugoUy, sa qualité est indiquée par le procès-verbal que nous citons.
2. Rkg. h, 1789, fol. 2 à 5. Le registre U, 1789, commence le 14 août 1586
et finit le 30 mars 1590.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 248
OU aux sieurs de son Conseil de la conséquence dudict
édict, et à ce qu'il' plaise à S. M. excuser la dicte Ville de
l'ouverture du Bureau d'icelle pour le recouvrement des-
dictz 80,000 écus * ». Le Conseil d'Etat n ayant pas fait,
on le pense bien, un accueil favorable aux remontrances,
l'Hôtel de Ville essaya d'abord d'éviter de garantir les
arrérages des nouvelles rentes à créer par une hypothèque
sur le domaine municipal. On vota dans l'assemblée du
;} septembre que le roi serait prié de fournir d'autres
sûretés; mais le prince n'accepta pas cette substitution et,
le 13 novembre, fit transmettre à la Ville par M. de Bel-
lièvre, surintendant des finances, Tordre d'obliger le do-
maine municipal à la garantie du payement des rentes *.
Le moment était mal choisi pour grever de nouvelles
dettes la caisse municipale. Dans toute la France, la misère
publique s'accroissait de jour en jour. « En ce mois d'aoust,
dit l'Estoile ', quasi par toute la France, les pauvres gens
des champs, mourans de faim, alloient, par trouppos,
couper sur les terres les espis de bled à demi meurs et
les manger à l'instant, pour assouvir leur faim effrénée :
et ce en despit des laboureurs et autres auxquels les bleds
pouvoient appartenir, si d'aventure ils ne se trouvoient
les plus forts. Mesmes les menassoient ces pauvres gens
de les manger eux-mesmes, s'ils ne leur permectoient de
manger les espis de leur bled. » A Paris, la détresse n'était
pas moindre, et la rigueur de la saison la rendait encore
plus terrible. Dans une assemblée du 19 septembre, le
Bureau de la Ville prit la résolution de faire renvoyer dans
leur pays d'origine les pauvres valides non originaires de
la capitale *. Quant aux pauvres valides, nés à Paris, et
aux infirmes de toute provenance, on tâcha de se procurer
1. Keo. H, 1789^ foL 7.
2. Ihid., foK 8.
3. T. H, p. 353.
4. Reg. h, 1789, foL 19.
I 246 PARIS ET LA LIGUE
des ressources pour les nourrir en taxant les bourgeois
qui n'avaient pas supporté leur part daûs la dernière con-
tribution des pauvres, et au moyen de prélèvements sur
les revenus des hôpitaux et du grand Bureau des pauvres.
Mais tout cela restait encore au-dessous des besoins. François
de Vigny, receveur de la Ville, dut avancer 3,000 écus
de sa bourse « pour subvention urgente desdits pauvres
es mois de juing, juillet et aoust ». Le Bureau en demanda
le remboursement à « Messieurs de la police générale »
et refusa d'accorder les secours extraordinaires demandés
pour les pauvres par les lettres patentes du roi. Il donnait
pour excuse « que les affaires, grandes nécessitez et charges
dont la Ville est à présent tellement pressée qu'elle ne
peut fournir et satisfaire aux charges ordinaires ». Le Par-
lement, de son côté, avait ordonné l'ouverture « d'asteliers
pour employer les pauvres valides ». Non seulement la
Ville protesta et se déclara hors d'état d'entretenir de nou-
veaux ateliers sur les fonds de la caisse municipale, mais
elle ajouta qu'elle « n'entendoit continuer les austres
astelliers, sinon tant et si longuement que les aulmones
des bourgeois continueront * ». Un peu plus tard, au mois
de décembre, le froid redoubla d'intensité, et les glaces
menaçaient de rompre les ponts de Paris. L'administration
municipale prescrit le 7, « aux maistres des ponts, plan-
cheieurs, gardes de basteaux de la Ville, marchans, voîctu-
riers par eau et aultres qu'il appartiendra, de fermer, pré-
sentement et en la plus grande diligence que faire se
pourra , à doubles cordes tous Icsdictz basteaux , tant
chargez que vuides estans au-dessus desdictz pontz, tant
que lesdictes glaces dureront *... » Ceux qui n'auront pas
de corde en loueront. Le tout sous peine d'amende et de
punition corporelle, s'il y échct.
1. Reg. h, 1789, foL 22.
2. Ibid., toi 19.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 247
La misère enfante généralement les agitations sociales
et fournit un aliment aux entreprises des factieux ou des
fous. Comme il arrive toujours aux époques troublées, les
ennemis du pouvoir rencontraient dans tous les rangs de
la société des complices inconscients et qui n'en étaient pas
moins passionnés. C'est ainsi que dans les derniers mois
de Tannée 1586 un avocat au Parlement, nommé François
Le Breton, occupa tout le royaume par la violence de sa
parole et de ses écrits, puis par le caractère tragique de sa
fin. Le Breton, originaire d'une bonne famille de Poitiers,
s'était acquis quelque réputation au Palais par une qualité
ou un défaut qui, parait-il, était bien rare au xvi" siècle :
il se passionnait pour les causes qui lui étaient confiées, et
fcs considérait comme siennes. S'il perdait son procès, il
injuriait publiquement les juges. La Grande Chambre du
Parlement lui ayant, pour ce motif, infligé une réprimande,
il alla trouver le roi au Louvre, agitant au bout d'un bâton
un factum que les circonstances lui avaient inspiré. Malgré
les gardes, il put arriver jusqu'à Henri III qui, après
l'avoir écouté sans colère, le renvoya en lui ordonnant de
ne plus parler en public. Mais Le Breton était incorrigible;
il se mit à parcourir toute la France « comme une Bac-
chante », suivant une expression de Thistorien de Thou *,
et à se faire l'apôtre de la révolte. Où il n'allait pas, il
envoyait ses écrits incendiaires. Mayenne le reçut à Bor-
deaux et le ménagea. L'étrange voyageur revint à Paris,
se croyant déjà, l'homme de la Providence, le sauveur du
pays. Il débuta par de nouveaux libelles contre la magis-
trature et contre le roi, qu'il traitait de tyran débauché.
Au lieu d'enfermer cet homme comme aliéné, on l'enferma
h la Bastille comme criminel d'État, et il fut traduit devant
le Parlement. Sur le rapport de M. Chartier, doyen de la
i. T. IX, p. 612.
248 PARIS ET LA LIGUE
Grand'Cliambrc, qui pourtant, si Ton en croit TEstoile^
était « homme de bien, juge entier et non corrompu », on
condamna le malheureux à subir la peine de mort, comme
convaincu d'avoir excité le peuple à la révolte par des
paroles et des écrits séditieux. Son attitude devant la Cour
avait d'ailleurs été d'une telle incohérence que la folie de
l'accusé ne pouvait faire doute ; aussi le Parlement crut-il
concilier ses devoirs envers le roi avec ses devoirs envers
la justice, en suppliant le souverain, par un article séparé^
de gracier Le Breton, qui ne paraissait guère responsable .
de ses actes. Mais il fallait au prince une victime expia/-
toire, car il n'osait atteindre les Guises «et leurs agents^
les vrais instigateurs de la rébellion. Le 22 novembre,.
François Le Breton fut pendu dans la cour du Palais. Jean
du Garroi et Gille Martin, qui avaient imprimé ses libelles,,
furent fouettés, la corde au cou, et bannis du royaume.
Ces brutales exécutions n'eurent aucunement la vertu
d'intimider les véritables ennemis de l'autorité royale.
Dans une assemblée tenue à l'abbaye d'Orcamp, près de
Noyon , sur la fin de septembre , les chefs de la Ligue
résolurent de prendre les armes, sans autrement s'inquiéter
du roi, et d'occuper plusieurs places de la frontière, notam-
ment Sedan et Jametz, qui pouvaient servir de base d'opé-
rations aux protestants d'Allemagne. Par des moyens
assez déloyaux, le duc de Guise se saisit de Rocroi, qu'un
aventurier nommé Montmarin avait un moment occupé,
et de Raucour, ville du duché de Bouillon. Il établit une
sorte de blocus devant la place de Sedan. Ce n'était là,,
d'ailleurs, qu'un épisode du plan général de la Ligue recon-
stituée. Les conjurés déployaient une activité sans égale
et ne reculaient pas devant la mutilation du territoire
national au profit de l'étranger. Philippe II voulait avoir à-
sa disposition un port de la Picardie pour y concentrer et
y abriter la flotte formidable qu'il se préparait depuis quel-
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 249
ques années à lancer contre TAngleterre. Bernardin de
Mendoze, son ambassadeur en France, demanda au duc
de Guise de faire enlever Boulogne-sur-Mer par le duc
d'Aumale, qui guerroyait en Picardie pour le compte do
la Ligue, et promit en retour qu'une flotte espagnole vien-
drait débarquer au même endroit un corps de troupes qui
se joindrait aux forces de la faction catholique française.
Ces propositions furent acceptées et, dans un conseil tenu
au couvent des jésuites de la rue Saint-Antoine, on arrêta
les détails du coup de main. Le prévôt de la maréchaussée *
du pays de Boulogne, le sieur Vêtus, qui allait tous les trois
mois dans la ville « pour faire sa chevauchée » et dont per-
sonne ne se défiait, reçut la mission de se saisir d*une des
portes et de faire entrer ensuite le ducd'Aumale et un corps
de ligueurs qui attendrait dans le voisinage le résultat de la
tentative. Elle devait d'autant mieux réussir que le duc
d'Epernon, gouverneur de la province pour le roi, était
fort impopulaire. Mais Henri III fut avisé du complot par
Nicolas Poulain, le lieutenant de la prévôté de Paris, qui
avait assisté au conseil tenu chez les jésuites '. Il écrivit
au sieur de Bernay, gouverneur de la Ville, et quand Vêtus
se présenta, on le fit prisonnier entre deux portes avec
une bonne partie des siens. Le duc d'Aumale, salué à
coups de canon, dut se retirer en toute hâte et faillit tomber
dans une embuscade disposée par Bernay.
La Ligue essaya de se dédommager, à Paris, de Tin-
succès de l'entreprise sur Boulogne. Elle comptait déjà de
nombreux adhérents dans la capitale : des membres du
Parlement ou de la Chambre des comptes, comme les pré-
1. Sur Ie8 prévôts des maréchaux ou de la maréchaussée, voir le Dict,
des atréts de Jacques Brillon. Édit. in-fol. de 1727, l. IV, p. 21!, et l, V, p.;424.
2. Il le dit lui-même dans son Procès-verbal : « Ce qu'estant par moy en-
tendu, j'en advertis aussitost Sa Majesté, etc. ». De Tuou confirme cet aveu :
« Ce fut Nicolas Poulain, lieutenant de Nicolas Hardi, prévôt de Tlsle, qui
découvrit le complot sur Boulogne ». T. IX, p. 659.
250 PARIS ET LA LIGUE
sidents Pierre Hennequin et Etienne de Neuilly, des prê-
tres, comme Jean Boucher, curé de Saint-Benoît, Jean
Pelletier, curé de Saint-Jacques de la Boucherie, Jean
Guinccstrc, fameux prédicateur, Jean Prévôt, archi-
prêtre de Saint-Séverin, théologien de la Faculté de Paris,
des banqueroutiers comme du Rousseau; des basochiens
comme Louis d'Orléans, avocat au Parlement, Crucé, pro-
cureur au Châtelet, la Morlière et Hatte, greffiers, Bussy le
Clerc, procureur au Parlement et ancien maître d'armes ;
des nobles, comme Gilbert Coeffier, sieur d'Effiat, qui,
après avoir assisté aux premières séances du collège de
Sorbonne et du collège de Forteret, devait bientôt s'ef-
frayer lui-même de sa complicité dans la rébellion et se
séparer des ligueurs; ou encore comme François de Ron-
cherolles de Maineville, frère puîné de Hugueville, gou-
verneur d'Abbeville. Ce Maineville était l'émissaire le plus
actif du duc de Guise, et il faisait une propagande effrénée
dans la capitale K Ses auxiliaires de bas étage, comme
Toussaint Pocard, assassin de profession, et le parfumeur
Gilbert , répandaient des bruits absurdes , assurant , par
exemple, que les partisans du roi de Navarre devaient s'as-
sembler une nuit et massacrer tous les catholiques. Grâce
à ces mensonges grossiers, on ameutait facilement la popu-
lace et on l'enrôlait sous la bannière des capitaines de la
Ligue. De Thou dénonce une autre classe d'agents des
Guises. « Les confesseurs, dit-il, abusant de leur minis-
•
tère, n'épargnaient ni le roi, ni les ministres et les offi-
ciers qui lui étaient le plus attachés ; et au lieu de consoler
par des discours de piété les personnes qui s'adressaient
1. AifQUETiL, L'Esprit de la Ligue, trois vol. iii-12, Paris, 1767, t. H, p. 285,
constate que Maineville ou Menneville représentait seul le duc de Guise
parmi les membres du comité de la Ligue qui siégeait à Paris : u Guise
n'avoit entre eux qu'un homme dépositaire de son secret, savoir François
de RonclieroUes de Menneville, gentilhomme aimable, hardi, éloquent,
propre à inspirer Tenthousiasme, mais qui ne fut pas toujours le maître de
calmer la fougue qu'il avoit excitée. »
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 25i
à eux, ils leur remplissaient l'esprit de faux bruits et met-
taient leurs consciences à la torture par des questions em-
barrassées et par mille scrupules qu'ils leur jetaient dans
l'esprit. Par le même moyen, ils fouillaient dans les secrets
des familles, et, en alléguant quelques passages de l'Écri-
ture et quelques raisonnements de scolastique pour prouver
qu'en fait de religion les sujets peuvent faire des associa-
tions sans la permission du prince, ils les engageaient
enfin dans cette ligue funeste. S'ils trouvaient quelqu'un
qui ne voulut pas y entrer, ils leur refusaient l'absolution *. »
L'église avait installé ses officines en pleine rue, dressant
des reposoirs que les fidèles chargeaient de vases d'or et
d'argent pour attirer la foule. C'était autour de ces autels
que s'assemblait tous les jours la grande armée cléricale,
tandis que des frontières de Champagne, de Picardie et
de Lorraine, le duc de Guise acheminait vers Paris d'in-
terminables processions de dévots et de dévotes qui, en
longs habits blancs ornés de croix, traversaient la ville et
l'assourdissaient de chants bizarres qu'un grand historien
compare aux cris effrayants des oiseaux de mer, avant-cou-
reurs des tempêtes. Le roi, qui se souvenait d'avoir donné
lui-même le triste exemple de ces mascarades pieuses,
n'osait agir, et sa faiblesse encourageait l'audace des con-
jurés. Déjà, dans les assemblées secrètes du parti, on dis-
cutait les moyens de se défaire du Valois, lorsqu'il revien-
drait de Vincennes, où il allait souvent faire ses dévotions *.
Quelques-uns proposaient de tuer son cocher et les hommes
d'escorte, de tirer Henri III de son carrosse et de l'enfermer
dans une petite tour de l'église Saint- Antoine. D'autres opi-
naient pour l'assassinat pur et simple, d'autres enfin pour
un cloître. Mais les ligueurs manquaient d'une direction
suprême. Ils adressaient au duc de Guise appel sur appel,
1. De Thou, t. IX, p. 653.
2. Voy. Procès-verbal de Nicolas Poulain.
252 PARIS ET LA LIGUE
et le duc, tout entier à ses grands projets, rêvant la convo-
cation des États généraux, ne se souciait pas de rentrer à
Paris. Ce fut son frère, Mayenne, qui arriva, faisant sonner
bien haut ses exploits de Guyenne. Une députation dc»^
ligueurs Talla aussitôt trouver à Saint-Denis, oii il s'était
arrêté et, dans une assemblée nocturne, le serment de la
Ligue fut solennellement renouvelé. La présence de Mayenno
enhardit les factieux et leur fit prendre une attitude mena-
çante.
Nous avons dit plus haut que le sieur Hector de Pereuse,
maître des requêtes de THôtcl du roi, avait été nommé
prévôt des marchands le 16 août 1586. C'était un honmie
énergique et peu sympathique à la faction cléricale. Par
ordre du roi, il avait cru devoir faire enlever et emprisonner
à rilôtel de Ville un nommé la Morlière, qui était connu
pour tenir chez lui des assemblées secrètes. Cédant aux
objurgations des ligueurs, Mayenne ne craignit pas d'aller
trouver le prévôt des marchands et de le sommer de mettre
en liberté la Morlière. Pour donner du poids à sa brutale
injonction, le duc fit entourer la maison de Percuse par
la tourbe des bateliers et des gens du port, qui se sou-
ciaient peu de respecter le premier magistrat de la cité. Le
prévôt eut à peine le temps d'envoyer demander au roi
quels étaient ses ordres. Henri HI, sur le conseil de sa
mère et de Villequier, envoya dire à Pereuse de rendre la
liberté à son prisonnier, mais en ayant soin de déclarer
qu'il ne l'avait arrêté qu'en vertu de sa propre initiative et
non sur l'ordre du roi. Tout le monde sachant le contraire^
l'injure faite au souverain prenait une gravité nouvelle.
La faiblesse insigne de la cour porta au plus haut point
l'audace des ligueurs et leur inspira la résolution de s'em-
parer au plus tôt de la capitale, car ils ne pouvaient plus
espérer de pardon et se demandaient si la mollesse du roi
ne cachait pas un piège. Voici le plan qui fut adopté. Pour
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 283
s'emparer de la Bastille, qui était placée sous le comman-
dement de Laurent Testu, chevalier du guet, on devait
envoyer une troupe d'une centaine d'hommes afin de Tas-
sassiner dans son domicile privé, à la Culture Sainte-Cathe-
rine. Delà, on irait faire une visite du même genre au pre-
mier président de Harlay, à Jacques Faye, sieur d'Espesse,
avocat général, et chez plusieurs autres fonctionnaires
fidèles. L'arsenal serait livré par un fondeur ; le grand et
petit Chàtelet par quelques sergents et comanissaires dévoués
à la Ligue; l'Hôtel de Ville, le Temple seraient envahis au
moment de l'ouverture des portes, et quatre mille arquebu-
siers seraient chargés d'investir le Louvre, de tuer ou d'af-
famer les gardes du roi et de faire le prince lui-même pri-
sonnier. Pour contenir les pillards, des barricades seraient
établies dans les rues au moyen de chaînes et de tonneaux.
On ne pourrait les firanchir qu'en donnant un mot de passe.
Le Louvre pris, on se déferait des membres du Conseil et
Ton en nommerait un autre selon le cœur de la Ligue ; le
Parlement subirait le même sort que le Conseil du roi.
Mayenne attendrait l'issue de l'insurrection dans un hôtel,
afin de se mettre à la tète des conjurés s'ils réussissaient,
et, s'ils échouaient, il sortirait de la capitale par la porte
de Bussy, que gardait Bassompierre, dévoué aux Lorrains.
Poulain, qui avait déjà fait prévenir le roi par le Chan-
celier du projet sur Boulogne, raconte dans son procès-
verbal comment l'horreur que lui inspiraient les nouveaux
desseins de la Ligue, la crainte de mourir lui-même « et, au
partir de là, aller droit en enfer » et aussi peut-être des
motifs moins désintéressés, le déterminèrent à dévoiler
le complot. Il alla donc trouver le Chancelier, qui lui donna
rendez-vous pour le lendemain. Sur ces entrefaites, Pou-
lain fut arrêté et emprisonné au grand Chàtelet sur la pour-
suite de deux créanciers ; mais il trouva moyen de se faire
conduire chez le Chancelier et de lui exposer les plans des
284 PARIS ET LA LIGUE
ligueurs, sans se compromettre aux yeux de leurs agents,
la Chapelle et Busày le Clerc, qui étaient venus au Châtelet
le visiter et s'enquérir des causes de son arrestation.
Henri III, ému, à juste titre, de révélations aussi graves,
se fît amener Poulain pendant la nuit, et Tenvoya ensuite
à M. de Villeroy pour consigner entre les mains de ce der-
nier le procès-verbal de la dénonciation *• Des mesures
énergiques furent immédiatement prises pour mettre Paris
et le roi en sûreté, Henri III concentra toutes les troupes
disponibles, mit des corps de garde à toutes les portes, fit
garder les ponts de Saint-Cloud sur la Seine et de Cha-
renton sur la Marne. Des officiers dévoués se saisirent des
principales positions. M. de Longueil prit le commande-
ment du grand Châtelet, et Nicolas Rapin celui du petit Châ-
telet. Le coup était manqué. Mayenne, qui depuis plusieurs
jours faisait le malade, trouva périlleux de sortir de la
capitale par la porte Bussy. Il préféra solliciter, par Ten-
tremise de la reine, un sauf-conduit pour aller demander au
roi la permission de se retirer dans son gouvernement. « Eh
quoi! lui dit Henri III en lui donnant son congé, eh quoi!
mon cousin, vous abandonnez ainsi la Ligue etles ligueurs ! »
Mayenne joua la surprise et se hâta de quitter Paris, en
assurant les ligueurs qu'il allait prendre avec son frère des
mesures efficaces dans l'intérêt du parti; mais, une fois
sorti des faubourgs, le duc tourna la tête du côté de Paris
et maudit avec Bassompierre le peuple fanatique qui l'avait
exposé k un péril mortel dont il n'avait pu éviter les suites
i. MiciiBLBT fait à ce propos les réflexions suivantes : a Gomment servir
Henri UI? Il se trahissait lui-même. Son entourage lui fit croire que Pou-
lain était payé par les huguenots. Il renvoya faire ses révélations à un
Villeroy, ami de Guise, et qui le tenait au courant de tout. » Hist. de Fr,,
t. X, p. 136. Certains courtisans paraissaient, en elTet, trouver que Poulain
faisait trop bien son métier d'espion. L*étrange personnage rapporte un
peu plus loin dans son procès-verbal que M. de Viilequier, le gouverneur
de Paris, lui fit une scène violente et le menaça, s'il cherchait à revoir le
roi, de « lui apprendre à se mêler de ses affaires et non de celles de TEstat ».
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 255
que par une humiliation et par un mensonge. Il laissait
(F ailleurs dans la capitale, sur le conseil du cardinal de
Guise, son frère, soixante capitaines aguerris qui se logè-
rent au faubourg Saint-Germain et reçurent la mission de
diriger les coups de main des ligueurs.
(îes furieux ne se décourageaient pas facilement. Sur un
coniplot déjoué se greffait, de suite, un autre complot. Le
roi devait aller à la foire Saint-Germain, où Taftluence des
badauds était toujours considérable, et Ton savait qu'un
diner serait donné en son honneur à Tabbaye; mais
Henri III, averti encore par Poulain, se fit remplacer par
le duc d'Épernon, qui eut, du reste, beaucoup de peine à se
tirer « d'une querelle d'Allemand » suscitée par les éco-
liers. Cette fois, les ligueurs se le tinrent pour dit et ren-
voyèrent les capitaines de Mayenne, non sans les avoir
grassement payés, au moyen d'une taxe levée « sur les
plus affectionnez ». On avait. pris pour base de cette levée
la taxe dos boues ; tout ligueur qui était imposé à trente
sols pour cet objet versa trente écus et ceux qui étaient
taxés à six sols versèrent six écus pour la cause catholique.
Lorsque le duc de Guise apprit les imprudences des
Parisiens et leur piteux résultat, il témoigna un vif mécon-
tentement. M. de Maineville vint dire de sa part aux ligueurs
de la capitale que s'ils ne changeaient pas de conduite et
continuaient à enfreindre ses instructions, le duc ne s'occu-
perait plus de leurs affaires. Les Parisiens s'excusèrent
très humblement, alléguant l'arrestation de la Morlière,
qui leur avait fait craindre à tous un sort semblable, et pro-
mirent de se conformer dorénavant à tous les ordres du duc.
Maineville, gratifié d'une chaîne d'or de cent écus, promit
de travailler k la réconciliation de Guise et des Parisiens.
En effet, depuis que le duc reprend la direction du parti,
ToBuvre lento et dangereuse d'une diplomatie profonde
se substitue au hasard des coups de main. Tandis que le
2S6 PARIS ET LA LIGUE.
roi, mal conseillé ou impuissant, multiplie dans la capitale
les mesures de police, la Ligue fortifie ses intelligences
avec la province et travaille à jeter sur la France le vaste
filet de ses intrigues *. « Furent dès lors députez quelques
bons habitans de Paris, gens de cervelle, lesquels, avec
bonne instruction, allèrent en plusieurs provinces et villes
du royaume, pour rendre capables quelques-uns des plus
affectionnez catholiques , habitans desdites villes , de la
création et formation de la Ligue et de Toccasion d'icelle,
des projets et intelligence avec les princes, afin de ne faire
qu'un corps par une mesme intelligence en toute la France,
soubs la conduite des princes catholiques et conseil des
théologiens, pour combattre Thérésie et la tyrannie *. »
Ces agents de la Ligue, qui allaient catéchiser la province,
ne parlaient pas les mains vides. Ils emportaient des
instructions et des circulaires écrites dont Tétude présente
un vif intérêt '. Les pièces doi\t il s'agit comprenaient trois
mémoires : « Le premier contenant, disaient les ligueurs,
nos projects et intentions; le second la forme de s'y gou-
verner, et lé troisième la forme de nostre serment ». Quant
aux projets, voici en quoi ils consistaient. Dans le cas où
les Suisses et les reîtres hérétiques se mettraient en marche
i. Au débul de Tannée 1587, les Rci^istres delà Ville indiquenl uq redou-
blement d'acUvilé de la police municipale : « Le roy ordonne que le lieu-
tenant civil et les prévosl des marchans et eschevins feront ensemblement
les recherches eu ceste Ville de Paris, et que, à cestc fin, ilz entreront
dedans les maisons particulières pour y fouiller et regarder bien exacte-
ment tout ce qui se trouvera, lant des personnes, armes que aultres choses
qui y pourroient estre, pour après en donner advis bien particulier & Sa
Majesté, qui désire en eslre esclercie, pour aulcunes considérations concer-
nant grandement le bien de son service, voullant qu'elle soit faicle la plus
exacte et particulière qu'il sera possible. Faict à Paris, le onzième jour de
janvier 1587. Signé : Henry. v.Rbg. H, 1789, fol. 23.
2. Dialogue (Ventre le Mahçustre et ù Manant, t. IIÏ, p. 439, de la Satyre
Ménippée, Édit de Ratisbonne de 1752.
3. Les circulaires envoyées par le conseil de la Ligue nous ont été con-
servées par le précepteur de Henri IV, Palma-Cayet, chronologue de France.
Voy. Vlntrod. de la chronologie novenaire, Coll. Michaud, 1" série, t. XII,
p. 34 et suiv.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTtE 257
pour entrer en France, les « ecclésiastiques, gentilshommes
et communaulez catholiques des bonnes villes, spéciale-
ment de Paris, Rouen, Lyon, Orléans, Amiens, Beauvais,
Péronne »> offriraient au roi un corps de vingt mille hommes
de pied et de quatre mille chevaux payés pour un an, mais
sous cette condition que les villes associées nommeraient
leurs capitaines, et que ces capitaines seraient pris parmi les
créatures de la Ligue. On ne laisserait au roi que le choix
du général en chef. Paris, pour sa part, fournirait quatre
mille fantassins et mille chevaux ; le contingent des autres
villes était également fixé. Prévoyant le cas où le roi refu-
serait des soldats dont il serait moins le chef que le prison-
nier, la Ligue ajoutait qu'on n'en lèverait pas moins Farmée
catholique qui, au refus du roi, prendrait pour chef un
prince dévoué au parti. « Advenant le cas de la mort du
roy sans enfans, que Dieu ne veuille », on réunirait entre
Paris et Orléans toutes les forces qu'on aurait sous la main,
on convoquerait les États, et tout serait mis en oeuvre pour
les décider à nommer le cardinal de Bourbon, non sans
avoir réclamé la bénédiction du Saint-Père et le concours
du roi d'Espagne. Ainsi se trouverait écarté « Henry de
Bourbon, prince de Béarn, hérétique, relaps et excom-
munié )), et les catholiques ne lui accordent même pas son
titre de roi de Navarre.
Le second mémoire du comité parisien exposait les
projets de la Ligue, en d'autres termes la politique à suivre
et les procédés à employer pour « rétablir la monarchie et
tous les cstats d'icelle selon les anciennes fondamentales
loix, sans se despartir de la deue obcyssance que l'on doit
au roy, tant qu'il sera catholique ou qu'il ne se déclarera
fauteur d'hérétiques ». Les Seize recommandent d'abord
« de faire que le plus que l'on pourra de provinces et
bonnes villes s'unissent ensemble de force et conseil et
moyens ». Ils comptent , pour réaliser cette- espèce de
ROBIQUET. t"?
2S8 PARIS ET LA LIGIE
fédération municipale, sur « les prédicateurs ausquels k*
peuple a créance, gentilshommes vertueux et de bonne
vie, officiers du roV qui ne sont encore corrompus, bons cl
notables bourgeois et marchands, tous gens de bien et de
bonne conscience ». Pour diriger tous ces gens de bien,
le mémoire prescrit d'établir dans chaque ville un con-
seil de six personnes, se réunissant une fois ou deux par
semaine et servant de comité de propagande , en même
temps que de centre d'action en relations constantes avec
Paris. Le concours des princes catholiques sera accepté.
On leur laissera le commandement, la direction des opéra-
tions militaires, mais sous le contrôle des « Estats et Conseil
des catholiques, veu que les villes fourniront et souldoye-
ront les hommes, et feront eslection des chefs particuliers
h leur volonté, et que Ton establira cependant un (ionseil
de gens de bien et qualité des trois estats, par Tadvis des-
quels les affaires se manieront en la justice et finances
dont ils cognoistront souverainement * ».
La troisième instruction contenait la formule du serment
de la Ligue. Cette formule, trëft longue, peut se résumer en
•quelques propositions générales. Les affiliés doivent pro-
mettre de consacrer leurs vies et leurs biens à la défense
de la religion chrétienne, catholique, apostolique et ro-
maine » ; d'empêcher la couronne de « tomber en la domi-
1. 11 y a certes dans le second mémoire du comité parisien un programme
assez net de fédération entre les diverses municipalités ligueuses et une
prétention formelle de ne laisser aux princes catholiques que la direction
des opérations militaires, le contrôle financier et administratif étant réservé
aux « Estats et conseil des catholiques ». Mais ce n'est là qu'un programme.
En fait, à cette époque, les Guises étaient les seuls chefs de la Ligue, à tous
les points de vue; et quand les Parisiens voulaient agir en dehors d'eux,
ils étaient vertement tancés par les princes, qui leur envoyaient Maine-
ville ou un autre officier pour leur faire sentir que les tentatives d'éman-
cipation ne plaisaient pas en haut lieu. L'extension des franchises muni-
cipales ne passionnait personne à cette époque : la grande affaire pour les
Parisiens, au point de vue municipal, était de toucher leurs rentes sur
l'Hôtel de Ville : aussi peut-on conclure que la Ligue n'a nullement été
une révolution municipale, mais une révolution politique, accomplie par
les Guises et par le clergé.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 259
nation de Henry de Bourbon, prince de Béarn, héré-
tique, relaps et excommunié » ; ils jureront de ne pas poser
les armes jusqu'à ce qu'une assemblée générale des États
du royaume ait rendu à TËglise ses anciennes et sainctes
institutions, privilèges, honneurs, libertez et franchises »
selon les décrets du concile de Trente, dont il faudra pour-
suivre Y homologation cl la publication « pour estre unis et
incorporez inséparablement avec l'Église catholique, aposto-
lique et romaine, qui est la vraye et seule Église de Dieu ».
Après un pathétique appel à la noblesse catholique, que les
conjurés s'engageront à ne pas abandonner, les ligueurs
demandent dans leur formule à <( Messieurs les ecclésias-
tiques et nobles » de faire cause commune avec eux « jusques
h ce que l'on ait asseuré et restably les corps et commu-
nautez des bonnes villes en leurs anciens privilèges, libertez,
honneurs et franchises; semblablement que l'on ait pourveu
aux intolérables misères desquelles le pauvre et commun
peuple, nourricier de tous les autres estats, est aujour-
d'huy de mille façons barbarement opprimé ». Le serment
se termine par une invocation « au grand Dieu du ciel, qui
a seul puissance sur les empires du monde », et une hypo-
crite et méprisante protestation de Fidélité au roi : « le tout
sans nous départir de la deue obeyssance que nous devons
au roy, veu que, si nostre intention, par l'ayde d'en haut,
se peut accomplir, au lieu qu'il se peut dire à présent le
plus pauvre et mal obey roy de la terre, on le verroit estre
honnoré et mieux obey qu'autre qui vive ».
Ainsi ce roi, « le plus pauvre et mal obéi de la terre »,
était en présence d'une conspiration organisée, disposant
de forces énormes, appuyée d'une part sur l'Église et de
l'autre sur l'étranger, et dont le centre était Paris avec son
peuple terrible. Dans cet extrême péril, Henri lU se trou-
vait isolé, impuissant *, trahi même par ime partie de ses
1, Quelques mesures de police furent cependant prescrite» aux quartiniers
260 PARIS ET LA LIGUE
courtisans. A Touesl, après la rupture des conférences de
Saint-Bris, près de Cognac (14 déc. 1586) *, le roi de Na-
varre, le prince de Condé et le vicomte de Turenne avaient
vigoureusement recommencé la guerre dans le Poitou et
pris les places de Chisay, Sauzay, Saint-Maixent, Fonlenay
et Mauléon. Sur les frontières de Champagne, le duc de
Guise se comportait comme un souverain, sans se soucier
des ordres du roi, et guerroyait contre le duc de Bouillon,
en attendant le grand choc avec l'armée des protestants
d'Allemagne. Incertain encore sur la politique à suivre,
Henri III n'avait qu'une idée bien nette, la défiance envers
la Ligue comme envers les huguenots, et qu'un souci per-
manent, celui de remplir la cassette royale aux dépens des
sujets. Les talents des chefs ligueurs pour mettre à contri-
bution leurs affiliés avaient inspiré au monarque une ému-
le 23 février 1587. Le roi leur mande, à cette date, de « marquer sur le
papier » le nombre des gens armés qui passaient chaque jour par chaque
porte K non compris et sans faire mention de personnes aians chevaulx de
harnais ou portaux ». Le lendemain, le roi envoie À la Ville de Paris un
nouveau règlement de police dont voici l'intitulé : « L'ordre que le roy
entend estre observé pour sçavoir à la vérité, en temps soupçonneux, les gens
de guerre et aultres personnes qui entrent ordinairetnent dedans ceste ville
de Paris et de ceulx qui passent es environs. » Sa Majesté ordonne au prévôt
des marchands d'envoyer dans les environs de Paris, sur des points déter-
minés (Corbeil, Essonne, Montlhéry, Viilepreux, Poissy, Pontoise, Senlis,
Dammartin, Meaux, Brie-Comte-Robert, Melun), des émissaires ayant pour
mission d'observer les groupes de « plus de cinq ou six, ou seigneurs qui
ayt train extraordinaire, pour en advertir par lettre, de deux jours Fun,
ledictz prévost des marchans;ou bien, s'il aperçoit chose digne d*adverUs-
sèment, qu'il envoie plustost homme de pied ». Même surveillance aux
portes de Paris. On préviendra Sa Majesté dès que le prévôt des marchands
et les échevins apprendront par les bulletins des portiers et des commis de
la ferme placés aux portes « qu'il y aura un grand abord d'hommes en
ladite ville ». Chaque soir, les aubergistes devront apporter au quartinier
les noms de leurs locataires. Les commissaires et les gentilshommes du
roi assisteront aux perquisitions des officiers municipaux. Les mesures de
surveillance s'étendront aux faubourgs. (Req. H, 1189, fol. 28 et 29.)
1. Henri de Navarre avait bien compris que la reine mère ne visait qu*à
gagner du temps et à relarder, s'il se pouvait, rentrée en France de Tarmée
des protestants allemands. Aussi le roi de Navarre répondit-il avec amer-
tume aux ouvertures faites par Catherine et la railla-t-il d'être venue de si
loin pour « lui proposer une chose tant détestée » que le changement de
religion. Voy. d'Aubigné, Hist. univ., t. III, col. 40, et aussi Mathieu, t« L
p. 519. Palma-Gayet, Introd., p. 31.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 261
lalion ardente. Et puis, accusé de favoriser secrètement les
réformés, il trouvait là un prétexte pour demander de
l'argent aux Parisiens et aux bonnes villes, sous couleur
de se mettre en campagne contre les ennemis de la reli-
gion catholique.
Le 10 janvier 1587, le roi assembla au Louvre plusieurs
présidents et conseillers au Parlement, la plupart des mem-
bres de son Conseil, tant de robe longue que de robe courte,
enfin le prévôt des marchands, les échevîns et les plus
notables bourgeois de la ville. Il leur déclara qu'il était
résolu h faire une guerre acharnée aux relîgionnaires,
qu'il exposerait même ses jours, s'il le fallait, pour en
venir à bout, et qu'en attendant il avait enjoint à ses officiers
de saisir et de «lettre en vente les biens des protestants.
Cette petite harangue obtint un succès d'enthousiasme;
mais Henri III gardait ixn pas t-scriptum,.. Il fit une « petite
pause », comme dit l'Estoile *, puis, se tournant vers le
prévôt des marchands et les échevins, il leur demanda, ^
pour faciliter l'exécution de ses desseins, une subvention
de cent vingt mille écus. Les pauvres gens restèrent interdits
« ety s'en retournans tout faschés, dirent qu'ils voioient
bien qu'à la queue gisoit le venin ». Quelques jours après,
le 19 janvier, le roi écrivit au prévôt des marchands pour
préciser sa demande. Il dit, en substance, dans cette lettre,
qu'il a besoin d'argent pour se débarrasser « des estrangers
qui y ont servi l'année dernière » et subvenir aux dépenses
de l'armée. Plusieurs villes ont déjà fourni des sommes
importantes, mais Paris n'a encore payé aucuns subsides,
bien que la capitale ait été taxée à 120,000 écus. Par bien-
veillance pour les habitants de la ville où il réside, le roi
ne veut pas recevoir cette somme en pur don ; mais il fera
dresser par son conseil « les rooUes et département de
ladicte somme de six vingtz mil escus sur ceulx que nous
i. T. in, p. 2. Voy. aussi Féub., Hist. de la Ville, t. Il, p. 1157.
262 PARIS ET LA LIGUE
avons entendu avoir plus de moien en chascun quartier de
nostre dicte ville ». Les quartiniers enjoindront aux bour-
geois portés sur les rôles de mettre entre les mains de
M. François de Vigny, receveur de la ville, « la somme que
chacun d'eulx est desparty * ». Le receveur municipal
transmettra ensuite les deniers encaissés à M. Jacques
Leroy, trésorier de l'épargne. Dans l'assemblée du Bureau
en date du 28 janvier, la Ville décida de faire des remon-
trances au roi; mais les ligueurs ne manquèrent pas de
tirer parti du mécontentement du peuple pour Fexciter
contre le prince et ses principaux officiers. Le premier pifé-
sident du Parlement, Achille de Harley, et Hector de Pe-
reuse, prévôt des marchands, ne furent pas épargnés par
les rédacteurs de placards *. ♦
Paris ressemblait à une mine trop chargée. Une nouvelle
grave faillit provoquer l'explosion. Le 1" mars 1587, on
apprit dans la capitale Texécution de Marie Stuart, qui avait
eu lieu à Fotheringay le 18 février, sur Tordre d'Elisabeth.
Bien que le roi de France eût envoyé à la reine d'Angle-
terre Pomponne de Bellièvre , en qualité d'ambassadeur
extraordinaire, pour la prier de ne pas exécuter la sentence
de mort rendue dès le 26 octobre par la haute cour, la
Ligue insinuait que l'hypocrite monarque avait demandé
en secret la mort de sa belle-sœur. Il y eut à Paris un
concert d'imprécations en français et en latin contre « la
Jézabel », contre « la louve anglaise ».
Anglois, TOUS dites qu'entre vous
Aucun loup vivant ne se trouve?
Non, mais vous avez une louve,
Pire qu'un million de loups.
4. Reg. de la V. h, 1789, fol. 23.
2. L'£sToiLE nous a conservé un sonnet bizarre, où Achille de Harlay et
Hector de Pereuae sont comparés à Achille et à Hector d'Homère, avec
celte différence que le poète anonyme les suppose d'accord pour faire
entrer les Grecs (lisez les Huguenots) dans Paris et leur permettre de mas-
sacrer les Parisiens. T. III, p. 9.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 263
Les Guises, qui, par leurs intrigues, avaient certes con-
Iribué à exaspérer Elisabeth et, par suite, à précipiter le
dénouement, tirèrent parti de Témotion causée au peuple
par la nouvelle de Texécution de Fotheringay et firent
publier dans toutes les chaires que si le roi de Navarre
devenait maître de royaume, il agirait avec la même
cruauté qu'Elisabeth. Les prédicateurs ajoutaient que la
religion de Marie Stuart était la principale cause de sa
mort. C'était une façon ingénieuse de surexciter la haine
des catholiques français contre les huguenots et de rendre
impossible la paix que Henri III eiit voulu rétablir *. Afin
de donner un témoignage public de ses sentiments de dou-
leur, le roi prit le^ deuil, avec toute la cour. Il ordonna
qu'un service solennel aurait lieu le 13 mars à Notre-
Dame , en présence de tous les grands corps de l'État,
des princes et des grands du royaume. Les membres du
corps de Ville y assistèrent, comme ils avaient déjà assisté
la veille aux vigiles des morts qui avaient été dites égale-
ment dans la cathédrale. Le roi prit à charge les irais que
ces cérémonies entraînèrent pour la municipalité *. D'ail-
leurs ces démonstrations ne contre-balançaient pas l'effet
des menées de la Ligue. Grâce aux avis de Poulain, le
roi prenait bien quelques mesures de précaution. C'est
ainsi qu'un mandement du Bureau de la Ville, qui porte
1. Voy. DB Thou, t. IX, p. 618. L'Estoile, t. III, p. 13. Féubieic, recueillant
le mot d'ordre des écrivains cléricaux, écrit aussi : « La mémoire de celte
reine infortunée, dont le crime capital avoit esté l'attachement à la religion
^atholiquei réveilla tout de nouveau Tanimosité des ligueurs de France
4!ontre les huguenots. » Hist. de la Ville de Paris, t. II, p. 1158.
2. Voici, d'après les Registres, le préambule de la lettre écrite à la Ville
par le roi à l'occasion du service funèbre en Tbonneur de Marie Stuart :
*< Nos très chers et bien amez, comme il a pieu à Dieu appeller à soy
noslre très chère et très aimée la reyne d'Escosse, douairière de France,
nostre belle-sœur, et désirant singulièrement honorer sa mémoire, pour le
rang qu'elle tenoit par la pompe funèbre et service (jui se fera pour son
•dme en Tégllse Nostre-Dame de cesle ville de Paris, nous voulons et vous
mandons que vous, ains le procureur, receveur, greffier, conseillers,
quarteniers, quatre notables bourgeois de chacun quartier de noslre dite
Ville, etc. >» Voy. Rbo. H, 1789, fol. 31.
■^- * ^
264 PARIS ET LA LIGUE
la date du 13 mars, ordonne aux colonels des quai'liei"î> dt?
« faire faire la ronde de nuict par Tun des capitaines de
leur quartier accompaigné de trente hommes ou plu»
grand nombre, tant de pied que de cheval * ». Celte ronde
commençait à onze heures du soir et finissait au point du
jour. Elle se faisait « par toute la ville, es quartiers de deçà
les ponts seulement ». Mais c'étaient des alertes conti-
nuelles. Dans la nuit du 15 mars, on avait remarqué dos
groupes d'hommes armés singulièrement suspects, no-
tamment rue aux Ours et dans le faubourg Saint-Germain.
Il y eut une panique qui n'était pas sans fondement ; mais
le Parlement s'assembla des le lendemain et décida « qu*on
feroit la nuit par la ville bonnes gardes et sentinelles, et^
de jour, exacte garde aux portes : ce qui fut exécuté. —
L'EsïOiLE ». Se voyant devinés, les conspirateurs craigni-
rent d'être victimes de la colère du roi, d'autant plus que
leurs principaux chefs quittaient Paris et que le duc do
Guise, éloigné aussi de la capitale, désavouait les impru-
dences de ses partisans. Henri III eut donc un moment de
répit.
Il en profita pour essayer de regagner la faveur des ca-
tholiques par des démonstrations de piété qui, jusqu*à pré-
sent, n'avaient trompé personne. Le 5 avril, il fit assembler
aux Âugustins tous les capitaines des dizaines de Paris ',
assista avec eux à la messe, « durant laquelle il marmonna
toujours son grand chapelet de testes de morts que, depuis
quelque temps, il portoit à sa ceinture, ouist la prédica-
tion tout du long et fist en apparance tous actes d*un
grand et dévot catholique ». Mais, quand les dizainiers
eurent le dos tourné, le roi dit « en se moquant de toules
ces simagrées : Yoilà le fouet de mes ligneux, monstrank
1. Ri6. H, 1789, foL 36.
2. En vertu d'un vieil usage tombé en désuétude, les dizainiers s'assem-
blaient le premier dimanche de chaque mois. LTstoilb, t. UI, p. 39.
LES PRÉPARATIFS DE LA LITTE 263^
son grand chapelet ». Henri III allait-il prendre vis-à-vis
des rebelles une attitude plus énergique? Plusieurs cir-
constances tendaieàt à le faire croire. Le duc de Montpen-
sîer lui ayant envoyé un genlilhomme de sa maison pour
se plaindre du duc de Guise, qui menaçait la ville de
Sedan, le roi dépêcha M. de Bellièvre au duc de Guise-
pour lui donner Tordre formel de quitter les environs de
la place; Guise obéit, mais sans parvenir & dissimuler sa
colère. Le 14 avril, un nouveau règlement fut adressé par
le souverain à M. de Villequier, gouverneur de Paris. C'est
à la fois un règlement militaire, concernant Torganisalion
de la milice municipale, et un règlement de police, indi-
quant les mesures h prendre pour la surveillance des.
étrangers *.
Il résulte de l'intitulé même de cette pièce importante
qu'en 1587 c'était le roi qui désignait les capitaines et
lieutenants de la milice municipale ' et leur faisait prêter
serment de fidélité ^ Les capitaines désignaient ensuite
1. tt Ordre et règlement que le roy veult et ordonne & Monseigneur de
Villequier, gouverneur et son lieutenant général en sa bonne ville et cité-
de Paris et Isle-de-France, faire garder et observer par les prévosl des-
marchans et eschevins, colonnels et capitaines bourgeois de sa dicte bonne
ville de Paris esleuz par S. M. pour son service, conservation de ladicle
ville et bourgeois dMcelle soulz son obéissance ». (Rrg. H, 1789, fol. 39.)-
Ce règlement est daté du 14 avril 1587.
2. Nous avons déjà eu Toccasion d'esquisser Tbistoire de la milice pari-
sienne au xvi" siècle et de préciser les attributions respectives des quar-
tîniers et des capitaines. A l'origine, sous Charles IX, les capitaines étaient
élus par les habitants du quartier. Voy. Hist. munie, p. 536 et la note.
3. « Après que les capitaines et lieutenans auront esté esleux et faict le
serment, sera ordonné l'enseigne par le capitaine à tel que bon luy sem-
blera qu'il choisira, lequel porte-enseigne ainsy choisy sera tenu de l'ac-
repter, encore qu'il ayt cy-devant commandé un aultre degré, pour après
eulx tous, ensemblement les cinquantenlers et dixiniers appeliez, faire
description de tous les chefs d'hostel et locataires des maisons de leur
dizaine, puis après yront eulx-mesmes en personne par toutes les maisons
de leur dizaine où ilz feront description et rooUe contenans les noms, sur-
noms et quallités de tons les maistres et serviteurs pouvant porter arme,
desquels serviteurs les maistres demoureront responsables... Le capitaine
choisira les sergents de bande qui porteront la hallebarde pour conduire
la compagnie et nommera les caporaulx qu'il trouvera les plus cappables,
qui anront vingt hommes soulz leur escouade; et chacun sergent aura
266 PARIS ET LK LIGUE
renseigne, les sergents et les caporaux. Aux chefs incom-
bera le soin de compléter dans chaque dizaine reflfectif
réglementaire et de forcer ceux qui n^auraient pas d'armes
(corselets, arquebuses, morions) à se les procurer. Le lieu
de rassemblement de chaque compagnie n est autre que
devant la porte du capitaine. Quand la compagnie sera
dressée *, le capitaine la passera en revue. Lorsqu'une
place de colonel deviendra vacante, les capitaines et lieu-
tenants du quartier dont le défunt était le chef militaire
s'assembleront afin de lui choisir un successeur. Chaque
jour, le prévôt des marchands fera « seize bulletins cloz el
scellés du scel de la ville, dedans chacun desquelz sera
escript le mot du guet ». Chaque colonel, au reçu de son
bulletin, en adressera une copie, cachetée de son cachet de
colonel, à chacun des capitaines du quartier. Le prévôt
des marchands, les échevins ne sont pas autorisés à se
décharger sur les colonels de la surveillance de la ville.
« Chacun en leur tour » ils doivent aussi faire des rondes,
et les corps de garde et sentinelles ne doivent être levés
« qu'après qu'il fera grand jour w. Quant aux bourgeois,
leurs obligations, en ce qui concerne le service de garde,
sont sanctionnées par des amendes et de la prison. « Les
bourgeois chefz d'hostel, tenans et logez en chambres de
louaige, etaussy ceulx ayant pouvoir et puissance de porter
armes » doivent aller en personne « aux guel et garde
qui leur sont commandez et ordonnez par les capitaines,
lieutenans et enseignes », à peine d'un écu d'amende,
deux écus, en cas de récidive, et vingt-quatre heures de
deux escouades, tellement que quand le capitaine aura besoing d'assem-
bler ses gens, il n'aura à faire sinon d'advertir ses lieutenans et enseignes
pour commander aux sergens d'assembler les caporaulx À ce qu'ilz aient
à assembler leurs escouades pour eulx trouver devant le logis de leur capi-
taine. 0 (Reg. h, 1789, fol. 39.)
1. C'est-à-dire levée, « Dressoit deux compagnies afin qu'il se jettast dans
la Réolle ». Mém, de Montluc, t. II, p. 73. Voy. le DicL de Lacume de Sainte-
Palaye, Édit. Favre. V« Drbssbr, t. V, p. 259.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 267
prison pour la deuxième récidive. C'est le prévôt des
marchands qui décerne les contraintes pour le payement
«les amendes.
Le service des portes de la ville est réglé avec un soin
méticuleux. Chaque matin le quartinier dans le ressort
duquel se trouve une porte envoie un dizainier ou un
cinquantenier à cette porte avec la clef, et le capitaine de
la garde montante préside à Touverture. De même pour la
fermeture : le quartinier envoie de nouveau les clefs, qu'il
est tenu de garder chez lui, car les capitaines ne sont que
des agents d'exécution et non les véritables représentants
de l'autorité municipale. Pendant la nuit, deux portes seu-
lement resteront ouvertes ou du moins pourront être
ouvertes. Ce sont les portes Saint-Jacques et Saint-Denis;
un quartinier y passe la nuit et reste détenteur de la clef
du guichet. Une enquête sommaire sera faite chaque fois
qu'un forain se présentera pour entrer dans Paris : on lui
demandera où il va loger, ce qu'il vient faire dans la capi-
tale. S'il a des armes, elles seront portées à son hôtelier,
qui ne pourra les lui rendre qu'au départ, sous peine de
dix écus d'amende, sans préjudice de la confiscation des
armes.
Diverses prescriptions complètent ces mesures. « Afin
que les règlements susdicts réussissent à quelque bon
ofiTet, pour l'honneur de Dieu, manutention de la reli-
gion apostolique et romaine, obéissance du roy et conser-
vation de ladite ville, sera la messe des capitaines célé-
brée les premiers dimanches du mois, et fut commencée le
dimanche de Quasimodo au couvent des Augustins. » Un
peu plus tard, le 3 juillet 1587, la Ville assembla les
<:olonels, lieutenants et enseignes dans la maison commune,
et l'on décida, dans cette séance, que les colonels et capi-
taines se réuniraient tous les vendredis à l'Hôtel de Ville
« pour adviser sur les affaires et occurrances qui pourront
268 PARIS ET LA LIGUE
se présenter * ». Un ordre antérieur du Bureau, daté du
24 avril % avait enjoint aux cinquanteniers et dizainiers de-
demeurer dans la circonscription de leur dizaine, et ct-^
dans le délai de quinze jours, sous peine de privation do
leur état. Ainsi se trouvait constituée, sur le papier tout au
moins, une force redoutable dont le roi désignait les chefs ;
mais la suite prouvera que la milice municipale n'était pas-
disposée à suivre aveuglément ses officiers.
Il faut remarquer que la publication de l'important
règlement de police que nous venons d'analyser coïncidait
avec le retour du duc d'Epernon ^ à Paris (avril). C'était le
plus énergique des amis du roi et le plus hostile à la
Ligue. Tout récemment, il avait failli, à Lyon, être victime
d'un guet-apens tramé par Mayenne, et il s'en souvenaiL
Son entrée à Paris « en grande magnificence et compagnie
de plus de trois cens chevaux » consterna les ligueurs, « qui
disoient qu'il n'y avoil que lui qui mottoit le cœur au
ventre du roi * ». Presque en même temps que d'Epernou,
le duc de Joyeuse rentra, de son côté, dans la capitale ; il
arrivait de la Normandie ; mais le crédit du beau Joyeuse
était bien affaibli depuis que le roi avait eu connaissance
de ses relations beaucoup trop cordiales avec la faction
des Guises.
Henri III était toujours en butte aux insolentes déclama-
tions des prédicateurs, qui, nous dit l'Estoile dans son
pittoresque langage, « lui donnaient des coups de bec,
comme s'il eust favorisé sous main l'hérétique, et là-dessus
1. Rbg. h, 1789, f> 50.
2. Ibid., f» 43.
3. AnQDEnL donne en quelques lignes un aperçu exact des tendances-
opposées des principaux courtisans de Henri UI : « Dans sa cour et dans
son conseil, les attachements étoient divers comme les opinions. Joyeuse^
un des mignons, Villeroy, un des principaux ministres, la reine mère,
beaucoup de seigneurs penchoient pour la Ligue. Espernon, autre favori,
et tous ceux que les prétentions audacieuses du duc de Guise révoltaient,
favorisoienl les Bourbons ».
4. L'Estoile, t. IH, p. 42.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 269
le crocheteur de Paris le traînoit par la fange de ses
infâmes médisances et bouffonneries ». L'argument qu'on
•employait alors pour le rendre odieux au peuple, c'est
iju'il ne procédait pas à la vente des biens des huguenots,
ordonnée par lettres patentes du 2 mai 1586 *. Pour
priver les fanatiques de ce thème commode, le roi ordonna
au Parlement de publier Tédit de confiscation; mais, en
même temps, il enjoignit aux magistrats de punir sévère-
ment les auteurs des libelles séditieux contre la personne
royale, et menaça les membres du Parlement de s'en
prendre à chacun d'eux personnellement, si la répression se
faisait attendre. Il sortit de ces menaces une belle ordon-
nance qu'on appela l ordonnance de cire^ parce qu'elle « se
fondit aux tièdes faveurs des grands et n'eut vertu que du
papier ».
Le corps municipal rivalisait avec le Parlement de froi-
deur envers le pauvre monarque, et, d'ailleurs, la Ville
n'avait pas lieu de lui témoigner un grand amour, car il
venait de décider de saisir purement et simplement les
fonds destinés au payement des rentes de la Ville dont le
quartier venait à échéance le dernier jour de juin 1587. En
apprenant cette nouvelle atteinte aux privilèges de la cité,
le Bureau s'assembla, et, dans la séance du 28 avril, il fut
« conclud que MM. les prévost des marchans et eschevins
et conseillers de la Ville, MM. de l'Hostel-Dieu et commis-
saires des pauvres iroient, le lendemain, vers MM. de la
(iour de Parlement pour les supplier de faire, de leur part,
remontrances au jroy, ad ce qu'il plaise à Sa Majesté pour-
veoir au paiement des arrérages des rentes d'icelle ville * ».
La députation municipale se rendit, en effet, auprès du
roi, le 29 avril, et lui adressa les remontrances qu'elle
1. On peut lire le texte de ces lettres patentes dans le Recueil des Mémoires
de la Ligue, t. I, p. 310.
'2. Rbo. h, 1789, f» 43.
270 PARIS ET LA LIGUE
avait mission de présenter. Mais Henri III, loin d'eu
tenir compte, répliqua en faisant demander à THôtel de
Ville par M. de Villequier, gouverneur de Paris, « bonne
somme de deniers pour le paiement des reltres et des
Suisses ». Il s'agissait de 140,000 écus destinés à payer la
solde de 4,000 Suisses pondant quatre mois. L'assemblée
générale qui eut lieu le 43 mai \ k la maison commune,
entendit avec stupeur cette nouvelle injonction. On eut
recours au Parlement, qui ne refusa pas son intervention,
et, le 30 mai, à ce que nous apprend TEstoile *, « certain
nombre de présidens et conseillers de la Cour furent par
icelle derechef députés pour aller au Louvre faire au roy
remonstrances sur la saisie des deniers destinés au paie-
ment des rentes de la ville et Tarrest de leurs gages, et lui
dire que, s'il n'en bailloit main-levée, ils estoient résolus de
n'aller plus au palais et abandonner son service accous-
tumé ». A cette menace directe, qui attestait le mépris pro-
fond dans lequel les magistrats eux-mêmes tenaient le roi,
leur maitre, Henri III répondit avec rage qu'il ferait droit
à la requête du Parlement s'il « lui baillait main-levée de
la guerre », mais qu'il voyait bien ce que signifiait l'attitude
des gens de justice « et qu'ils marchandoient à se faire
jeter dans un saq à la rivière ». Le roi voulait dire sws
doute que les magistrats avaient peur des cris et des décla-
mations des prédicateurs qui, dans leurs sermons de la
Fête-Dieu, étaient allés jusqu'à dire qu'il fallait coudre
dans un sac et jeter à Teau a ceux de la justice », à cause
de leur complaisance pour les exactions du prince. Quant à
la Ville, elle supplia le roi, pour éviter la saisie des
rentes, de vouloir bien se contenter de 200,000 livres,
« laquelle somme seroit taxée et imposée sur tous et
chacun les manans et habitans de ladicte ville et faulx-
1. Rso. H, 1189, f» 43.
2. T. ni, p. 46.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 271
bourg, le fort portant le faible, privilégiés et non privi-
légiés », sans excepter même les gens d'Église et les
domestiques du roi *. C'était là le maximum des sacrifices
que pouvaient alors supporter les finances municipales, car
la misère sévissait durement à Paris : le blé se vendait
aux Halles trente francs le setier ' et jusqu'à trente cinq,
quarante et quarante-cinq livres dans les villes voisines.
Une multitude de pauvres errait dans les rues, à tel point
qu'on fut obligé d'en loger deux mille à l'hôpital de Gre-
nelle, où le roi leur faisait donner, chaque jour, cinq sous
par tête.
Les circonstances ne paraissaient pas favorables au
rétablissement de la prospérité publique. La Franco entière^
était en armes ; toutes les provinces se transformaient en
champ clos oii protestants et catholiques continuaient leur
duel acharné. Sur les frontières de Champagne, le duc de
Guise guerroyait contre le duc de Bouillon. Dans le
Poitou et le Périgord, le roi de Navarre, le prince de Gondé,
le vicomte de Turenne faisaient tête vigoureusement aux
troupes catholiques. Au commencement de juin, le duc de
Joyeuse quitta Paris pour aller se mesurer avec le terrible
Bourbon. Une grande partie de la noblesse le suivit : il
emmenait environ huit mille hommes. Les premières
escarmouches furent assez heureuses pour le favori, qui
obtint quelques succès dans le Poitou contre les protes-
tants, mais se déslionora en massacrant ses prisonniers,
notamment lors de la prise de Saint-Eloi et de Tonnay-
Charente. Le roi de Navarre ne pouvait laisser accabler en
détail ses petits postes avancés. Il sortit de la Rochelle et
1. Ces 200 000 livres étaieot un don gratuit. Ils furent. votés dans une
assemblée du samedi 11 juillet 1587.
2. Le setier avait une contenance d'environ 156 litres. « Le prix du blé a
toujours été assez uniforme et, année commune, un setier de blé a tou-
jours payé quatre paires de souliers depuis Charlemagne. » Dict. Philos.,
V» Blé.
272 PARIS ET LA LIGLE
marcha contre Joyeuse, dout le quartier général était à
Niort; mais le duc venait d'apprendre que son absence rui-
nait de plus en plus le crédit qui lui restait à la cour ;
ses troupes commençaient à se débander, la contagion les
décimait. Laissant le commandement à Jean de Beaumanoir
de Lavardin, Joyeuse abandonna ses soldats à la grâce do
Dieu et revint en poste à Paris (15 août). Navarre profita
de ce départ du général ligueur pour refouler les catholi-
ques du côté de la Touraine et s'avança jusqu'à Monso-
reau sur la Loire, au-dessus de Saumur. II v bâtit un fort
et fit construire un pont de bateaux pour permettre aux
renforts qu'il attendait de Normandie et d'Anjou de venir
le joindre.
Henri III se trouvait acculé à la nécessité de faire la
guerre, mais à qui? Tous ses actes sont complexes et con-
-tradictoires. Il convoque ses compagnies d'ordonnance et
forme trois corps d'armée pour combattre les huguenots,
comme s'il était décidé à faire un effort décisif; mais il
quitte Paris au même moment (19 juin) pour aller àMeaux,
<lans l'intention d'y mander le duc de Guise et de conférer
avec lui sur les moyens de rétablir la paix. D'tpernon,
Villeroy, les gens du Conseil et plusieurs membres du Par-
lement accompagnent le souverain pour l'aider de leurs
lumières. La municipalité parisienne est représentée h
Meaux par deux cchevins, Pierre Lugoly, lieutenant cri-
minel au Ghàtelet, et Louis de Saintyon, avocat '. Mais le
roi dut revenir à Paris, le 27 juin, sans avoir vu le duc
de Guise, qui, craignant quelque piège, n'avait pas répondu
à l'appel du monarque. Il fallut envoyer la reine mère
pour rassurer le duc, qui daigna enfin se rendre à Meaux.
1. Les éleclions municipales de 1587 pour le remplacement de deux
•écbevins sortants eurent lieu le 17 août, sans incident. C'est le roi
lui-même qui reçut le serment des deux écbevins nouveaux, Jean Le Comte
et François Bouvart, choisis parmi les quartiniers. Le scrutin fut ouvert
par M. de Villeroy, secrétaire d'État. Rbg. H, 1789, f* 62.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 273
Henri III y revint de son côté, le 3 juillet, toujours suivi
de d'Èpernon. Tout le résultat de Tentrevue se réduisit,
d'ailleurs, à quelques embrassades de commande, échangées
entre le duc de Guise et le duc d*Épemon. Le premier dit
résolument au roi, qui le pressait de se prêter à un accom-
modement avec les huguenots, « qu'il était du côté de la
guerre », et engagea le prince à se souvenir qu'il était roi
d'un peuple qui n'avait jamais craint autre chose que la
chute du ciel. A cela, le duc ajouta d'aigres récrimina-
tions sur le gaspillage des fonds destinés à la guerre et
sur la disgrâce de plusieurs gentilshommes dévoués à la
Ligue. Henri III n'était jamais à court de paroles et ré-
pondit en accusant Guise d'avoir voulu, par lui ou ses
lieutenants, se saisir de places fortes que les huguenots ne
menaçaient nullement, comme Boulogne-sur-Mer et Vitry-
le-François, et d'avoir détourné pour d'autres usages cent
mille écus, levés pour reconstruire la citadelle de Verdun.
En somme, le roi céda et promit de s'opposer lui-même
par les armes à l'invasion des protestants d'Allemagne, et
surtout à leur jonction avec le roi de Navarre. Le plan du
machiavélique Valois consistait à s'établir sur la Loire
avec une forte armée, tandis qu'à l'ouest Joyeuse contien-
drait les forces que le Béarnais recrutait en Gascogne, et
qu'en Lorraine le duc de Guise recevrait le choc des reîtres
allemands et serait peut-être battu, car il ne disposait que
d'un efTectif insuffisant. Joyeuse vainqueur, Guise affaibli ou
tué, le roi redevenait assez puissant pour braver la Ligue,
et quant aux reîtres et aux Suisses huguenots, avec de l'or
on s'en débarrasserait toujours. Le calcul pouvait certes
réussir, et un peu de prestige était bien nécessaire au roi.
A Paris, l'audace des ligueurs ne connaissait plus do
bornes. Le 3 juin, Roland, général des monnaies, que
l'Estoile appelle quelque part a l'un des arcsboutans et pil-
liers de la Sainte-Ligue », s'exprima avec une telle vio-
ROBIQUET. 18
S74 PARIS ET LA LIGUE
lence sur le compte du roi, en pleine assemblée de THôtel
de Ville, qu'il fallut Tarrêter et Técrouer h la Conciergerie;
mais, chose étrange, la Ligue eut le crédit de faire arrêter
et emprisonner, le même jour, le Toulousain du Belloy,
qui avait trop hautement pris le parti du roi de France et du
roi de Navarre contre les libelles diffamatoires des catho-
liques. Et Roland, le ligueur, fut relftché au bout de quel-
ques jours, tandis que du Belloy, le royaliste, resta en
prison. Le Parlement devenait de plus en plus hostile : il
avait refusé, le 27 juin, d'homologuer quatre édits de
finances, destinés à fournir au roi les fonds nécessaires à
la levée des troupes. Au-dessous de ces édits, dont l'un or-
donnait Taliénation du domaine jusqu'à concurrence de
300,000 écus, le Parlement écrivit un mot : Néant. Dans
la rue, la foule grossière et fanatisée venait au cimetière
Saint-Séverin contempler le tableau de Madame de Mont-
pensier *, ainsi nommé parce que la duchesse avait eu
l'idée de parler aux yeux du peuple au moyen de cette
fresque ridicule, qui était censée représenter « plusieurs
cruelles et estranges inhumanités exercées par la reine
d'Angleterre contre les bons et zélés catholiques, aposto-
liques romains ». Grâce aux commentaires enflammés des
prédicateurs, les badauds parisiens prenaient pour authen-
tiques toutes les horreurs imaginées par le peintre ligueur
et s'attroupaient en criant vengeance! Les choses allèrent
au point que le roi manda au Parlement de prendre des
mesures pour enlever le tableau; mais telle était déjà la
faiblesse des autorités que l'on n'osa pas exécuter en plein
jour les ordres du roi, et que l'enlèvement de la peinture
chère à Madame de Montpensîer eut lieu de nuit (9 juillet)
par les soins de Jérôme Auroux, conseiller au Parlement
et marguillier de Saint-Séverin. Le pauvre magistrat y
\ . L'EsTOiLB, t. III, p. 53.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 27o
perdit sa popularité, car on l'avait pris jusque-là pour un
zélé catholique. Comme le marguiliier était fils d'un maçon,
les ligueurs lui avaient décoché ces avertissements iro-
niques :
Et toi, Hierôme, et toi, à qai l'on a donné
Charge de faire oster ce tableau massonné,
Garde bien d*attenter à ceste œuvre tant chère !
Ton père, en son vivant, de son art fut masson ;
Si tu demassonnais, tu lairrois la raison,
Dédaingnant, fils ingrat, le mestier de ton père.
Pour ramener à lui la faveur des masses, le roi multi-
pliait les démonstrations pieuses. Tantôt il faisait promener
la châsse de sainte Geneviève, afin d'obtenir la cessation
de la pluie (9 juillet); mais cela n'aboutissait qu'à discré-
diter les puissances célestes, car, dès le 10, si Ton en croit
la chronique, la pluie « recommençait de plus belle ».
Tantôt il assistait, vêtu en pénitent blanc, aux processions
organisées à Saint-Germain des Prés par le cardinal de
Bourbon, processions superbes où l'on voyait marcher
tous les enfants, fils et filles du faubourg Saint-Germain,
vêtus de blanc, pieds nus, des fleurs sur la tête et un cierge
ardent à la main ^ Ce fut très édifiant; mais le peuple
parisien ne s*en trouvait pas plus heureux. Le 22 juillet,
il y eut une émeute aux Halles et Ton pilla les boulan-
geries, sous prétexte que le pain était trop cher. Deux
bourgeois qui prêchaient le respect de la propriété furent
tués, et les mutins firent un feu de joie avec les charrettes
et les hottes des malheureux boulangers.
Dans les chaires, les prédicateurs continuaient leurs
déclamations, appelant les bénédictions du ciel sur les
armes de Joyeuse et du duc de Guise. Cette tendresse de
i. Celte procession eut lieu le mardi 24 juillet (ov Brbdil donne à tort
la date du 25, car le 25 n'était pas un mardi cette année-là). |Félu., UisL
de la Ville de Paris, t. H, p. 1162.
276 PARIS ET LA LIGUE
la Ligue pour Joyeuse avait bien diminué la faveur de
Tancien mignon auprès du roi. Orgueilleux et brave, il ne
put s'habituer à la froideur du prince et demanda avec
instance la permission de livrer bataille au roi de Navarre»
Henri III y consentit et Joyeuse repartit dans FOuest,
emmenant avec lui toute la fleur de la noblesse de cour.
Mais le roi de Navarre anéantit à Coutras Tarmée catho-
lique qui avait osé lui livrer bataille, et le malheureux
Joyeuse périt dans la déroute des siens (20 octobre). On
renvoya son corps à Paris. Henri III le pleura peu; par
contre, les poètes de la cour, des Portes, Baïf, du Perron^
chantèrent le défunt sur tous les modes.
Battue à Coutras, la Ligue était-elle plus heureuse du
côté de la frontière de rEst?Dès le 20 août, les reîtres
allemands envoyés par Télecteur de Saxe, l'électeur de
Brandebourg et le prince palatin Jean-Casimir, se trou-
vaient concentrés à Strasbourg, sous les ordres du baron*
de Dohna. Ils étaient environ huit mille, auxquels il
faut ajouter seize mille Suisses des cantons protestants,,
quatre mille autres ayant pris la direction du Dauphiné..
Enfin, le duc de Bouillon avait rejoint l'armée protestante
avec deux mille hommes d'infanterie française et trois cents
chevaux. Malgré les ordres de l'empereur, cette grosse
armée entra en France par les défilés de Phalsbourg, que
les catholiques ne surent pas défendre, et s'achemina vers
la Loire, après avoir traversé la Champagne. Le duc de
Lorraine et le duc de Guise ne paraissaient pas en état
d'arrêter l'invasion, car ils ne disposaient que de forces
insuffisantes et sans cohésion. On avait dit, en outre, aux
Allemands et aux Suisses que le roi de France souhaitait
ardemment la défaite de la Ligue et ne chercherait nulle-
ment à entraver la marche de l'invasion. Mais, en arrivant
sur la Loire, ils trouvèrent tous les gués gardés par l'armée
royale.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 277
Henri III s'était décidé, en effet, à quitter Paris pour
aller chercher ailleurs une apparence de gloire. La Ligue
Tabreuvait d'humiliations, et l'on ne s'en tenait même plus
aux paroles. Nicolas Poulain * dévoile la tactique des pré-
dicateurs qui, par la violence croissante de leurs déclama-
tions, avaient entrepris « de provoquer le roy à faire
prendre quelqu'un d'eux, afin d'avoir subject de s'élever
contre luy ». L'un de ces enragés sermonnaires * osa, du
haut de la chaire de Saint-Séverin, faire tomber sur le roi
les plus grossières injures. Henri, malgré son habitude de
fermer les yeux, dut faire menacer l'insolent d'une punition
sévère. Aussitôt les ligueurs répandirent le bruit qu'on
voulait faire pendre ce prédicateur et se saisir des autres
porteurs de la bonne parole (2 septembre). Là-dessus, Bussy
le Clerc, avec sa compagnie en armes, vint s'embusquer au
logis d'un notaire nommé Hatte, enseigne de son quartier,
et qui demeurait proche de Saint-Séverin. En même temps,
de nombreux émissaires parcouraient la rue Saint-Jacques
et ses environs, criant : « Aux armes ! Qui est bon catho-
lique, il est l'heure qu'il le montre. Les huguenots veulent
tuer les prédicateurs et les bons catholiques ». Pour
accroître le désordre, les curés de Saint-Séverin et de
Saint-Benoît firent sonner le tocsin. Quand la nouvelle de
ces préparatifs séditieux arriva au roi, il avait auprès de lui
le chancelier Cheverny et M. de Villequier, gouverneur
de Paris. Le premier conseilla au prince de faire un
exemple et de se saisir des coupables, mais le gouverneur
traita de mensongers tous les rapports qu'on apportait au
Louvre, affirma que le peuple parisien aimait trop son roi
pour jamais attenter contre sa personne, et, comme le chan-
1. Arcb. cur., t. XI, p. 308.
2. D'après les Mémoires de Pape de Saint-Auban, dont les Mém. de la
tigue (t. n, p. 200) contiennent un fragment, Tauteur du sermon sédi-
tieux ne serait autre que le curé même de Saint-Séverin, le sieur Prévost.
278 PARIS ET LA LIGUE
eolier insistait, VîUequier ajouta sur le ton de la plaisan-
terie : « Sire, cela ne m'empêchera pas d'aller me verser
quatre rasades. » Puis il alla se mettre à table. Comme le
tumulte augmentait dans l'après-midi et devenait plus
menaçant d'heure en heure, le roi envoya d'abord un gen-
tilhomme de sa chambre au logis du notaire Hatte pour
savoir ce que signifiait l'attitude hostile de ses hôtes
armés, Bussy le Clerc, Crucé, Henault et les autres. Mais
Hatte, qui connaissait personnellement le gentilhomme du
roi, le retint prisonnier, sans même daigner lui répondre.
On envoya ensuite, vers neuf heures du soir, Pierre de
Lugoli, lieutenant du prévôt de l'Hôtel avec ses gens et un
détachement de gardes du corps, et Lugoli fut suivi de
Jean Séguier, lieutenant civil, qui manda force sergents
et commissaires; mais le notaire Hatte s'était esquivé, et
rémeute grossissant toujours, les gens du roi couraient
un véritable danger. Les courtisans décidèrent le faible
prince à rappeler ses gardes et la police, sans qu'on eut
cherché à forcer la maison du notaire, transformée en cita-
delle de la Ligue. C'était une victoire pour celte poignée de
rebelles qui avait bravé l'autorité royale. Dès le lende-
main, les manifestations hostiles recommencèrent avec
plus de rage que jamais. « On voyait courir les ligueurs
par pelotons dans les rues de la ville * et s'attrouper dan»
les carrefours où ils tenaient conseil entre eux et déchi-
raient la personne du roi et du duc d'Épernon, tandis
que les prédicateurs, et Bouclier surtout, le plus furieux de
tous, faisaient retentir les chaires chrétiennes des invectives
atroces qu'ils vomissaient contre ce prince et ses ministres. »
Henri III, sur le conseil de sa mère, afiecta de n'avoir
reçu aucune injure, et le 3 septembre il fit bonne mine, à
1. De Thou, t. X, p. 39. Voir aussi, sur la journée de Saint- Séverin :
Le procès-verbal de Nicolas Pou/atn, p. 308; l'Estoilb, t. III, p. 63; Félibikn,
Hist. de la Ville, t. II, p. 1162.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 279
son petit lever, aux notables du parti ligueur. Bussy
le Clerc et quelques-uns des plus compromis jugèrent
toutefois prudent de s'absenter jusqu'à nouvel ordre. Peut-
être firent-ils sagement, car le Valois se sentait atteint
dans son honneur. Villeroy lui persuada qu'il n'avait qu'un
moyen d'en imposer aux factieux : quitter la capitale et
se rendre h l'armée. Ses courtisans tâcheraient de lui
cueillir quelques lauriers pour faire pâlir ceux du roi de
Navarre et du duc de Guise.
Le 42 septembre 1587, Henri III se rendit au camp
d'Ëtampes. Il emmenait avec lui les ducs de Nevers et
d'Épernon *. Ce n'était pas sans regrets que le roi s'arra-
chait aux délices de la capitale ; ce n'était pas sans craintes
qu'il laissait derrière lui la grande citadelle de la Ligue.
Il confia la défense de sa cause au ciel et aux autorités
municipales.
Avant de partir « à Montereau dresser son camp et armée
pour empescher les mauvais desseings de plusieurs estran-
gers qui sont entrés dans ce royaume », le souverain fit
dire dans l'église de la Sainte-Chapelle « des prières pu-
bliques à Dieu, à ce qu'il luy plaise luy donner victoire à
rencontre de ses ennemis * ». Le corps de Ville y assista
en grande pompe. Le il septembre, Henri manda au
Louvre, en sa chambre, « les prévôt des marchands et éche-
vins, accompaignez des sieurs capitaines, lieutenans et
enseignes ou la pluspart d'iceulx », et leur enjoignit en
1. Le dimanche 23 août, le duc d'Épernon, que le roi appelait alors son
fils ainéf avait épousé Marguerite de Foix, comtesse de Caudale, dont la
sœur du roi, Diane d'Angouléme, avait dirigé Péducation. Les noces s'étaient
célébrées à Vincennes, avec une simplicité relative. D*Épernon était un
homme rangé : il préféra garder pour lui le don du roi : quatre cent mille
écutl A lui seul, le collier de perles que le roi donna à la mariée valait
cent mille écus. Le 30, il y avait eu, en Phonneur des nouveaux époux, un
bal magnifique à TbAtel de Montmorency. Le roi y avait « balle en grande
allégresse, portant néantmoins son chappelet de testes de mort, tant que
le bal dura, tousjours pendu h sa ceinture ». L'Estoilb.
2. Rao. H, i789, ^ 19.
280 PARIS ET LA LIGUE
son absence « obeyr à la royne sa mëre, à monseigneur
de Villequier, gouverneur et lieutenant général de Sa Ma-
jesté en ceste ville et Isle-de-France, et ausdictz sieurs
prévost des marchands et eschevins »'. Et le lendemain
12 septembre, jour même de son départ, le roi, étant en
son conseil, publia un règlement « pour la conservation
de sa ville et repos des bourgeois d'icelle * ». Ce règle-
ment, qui est extrêmement développé, ressemble par
beaucoup de points aux autres documents du même genre
qu'on a eu déjà Toccasion de citer. Néanmoins, il contient
quelques prescriptions intéressantes, relativement au mode
de nomination des officiers de la milice : « Les cappitaines
et lieutenans des dizaines ' de la ville et faulxboui^s
seront choisis et esleus conmie ilz ont esté cy-devant par
Sa Majesté ou par aultre représentant sa personne au
Gouvernement de la Ville ». Ainsi, le roi retenait à lui la
nomination des officiers des dizaines, ce qui suffit à expli-
quer le peu d'action qu'auront ces officiers sur leurs
hommes dans les désordres de la Ligue. Ils devaient prêter '
serment aux mains du roi ou du gouverneur de Paris et,
seulement à leur défaut, entre les mains du prévôt des
marchands. Mais si les capitaines et les lieutenants étaient
nommés par le roi, les colonels, en cas de décès ou de
changement de quartier des titulaires, restaient à la nomi-
nation des capitaines et lieutenants du quartier. « Lesdictz
i. Rio. h, i789, foL 49.
2. C'était une chose assez grave que de modifier le nombre et l*impor-
tance d'une dizaine. Les habitants de la rue des Lombards, qui autrefois
ne formaient qu'une dizaine, avaient été répartis en deux dizaines. Ils
adressèrent une requête à la Ville pour protester contre ce dédoublement
et réclamer la suppression de la nouvelle dizaine. La Ville soumit cette
requête & une instruction et prit Tavis du quartinier Jehan Durantel et du
diiainier Pierre Crochet. Ils répondirent que « soixante ans sont environ
que les deux dizaines sont instituées audit quartier, et que, par juge-
gement du 3 février de Tan 1582, lesdictz habitans avoient esté débouttez
de pareille requeste ». Aussi le Bureau de la Ville, par décision du
31 août 1587, crut-il devoir rejeter la requête. /6td., ^ 67.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 281
colonnelz, porte le règlement, esleuz comme dict est par
lesdictz cappitaines et lieutenans^ seront respectez comme
•çhefe des armes en leur quartier et auront Foeil et soing
sur les aultres capitaines et chefz de bande de leursdictz
-quartiers. » Le* corps de garde sont tout simplement instal-
lés c< dans la maison d'un des bourgeois d'icelle ville, par
l*advis du colonel du quartier et du capitaine de ladicte
dizaine; et sera tenu ledict bourgeois accomoder ledict
<5orps de gafde en sadicte maison, en le payant du loyer de
^on lieu et place, selon ce qui sera trouvé raisonnable, aux
despens d'ieelle dizaine ». Le seul bénéfice de cette hospi-
talité plus ou moins volontairement donnée à la garde
nationale du temps, c'était, pour le bourgeois envahi, le
privilège d'être « excusé de la garde tant de jour que de
nuict, en récompense de l'incommodité qu'il souffrira en
sa maison ». Les rondes, les patrouilles seront faites sui-
vant le mode ordinaire, mais le règlement du 12 septembre
nous apprend qu'il y avait sur les remparts des loges pour
les sentinelles chargées de « veoir soigneusement s'il y
aurait quelques gens aux champs». En cas « d'esmotions
populaires , sédition et meurtres » , les colonels et les
capitaines devront, sur l'ordre du prévôt des marchands,
« asseoir guet et garde de jour par la ville jusques au
nombre de vingt hommes par chascun jour en chascun des
seize quartiers, et ung caporal avec eulx, si les capitaine,
lieutenant ou enseigne n'y peulvent estre eulx-mesmes en
personne ». Ces détachements parcourront le quartier on
tous sens et se saisiront des séditieux, qu'ils conduiront
aux prisons de la ville. Des points de ralliement pour la
milice de chaque quartier* sont indiqués avec précision
par le règlement *.
Ces mesures furent complétées par les précautions d'usage
1 . Voy. le Registre^ t* 77.
382 PARIS ET LA LIGUE
dans les temps troublés. Une décision du Bureau, en date
du 26 septembre, prescrivit le licenciement « des vallides et
aultres besongnans aux asteliers de la ville ^ )>. C'était là
surtout une mesure d'économie, car le receveur de la Ville,
François de Vigny, se déclarait hors d'état de payer les
pauvres diables employés dans les ateliers municipaux. En
revanche, on avait levé douze cents pionniers pour tra-
vailler aux fortifications de Paris, et un ordre du Bureau
en date de 2 septembre avait enjoint aux habitants de la
Courtille de « les recepvoir et loger * ». Pour suffire à ces
dépenses, la Ville avait constitué mille écus de rente sur
les <( aydes, dons, octrois et subsides sur le domaine do
la Ville ». Les abords de la Seine furent dégagés par le.s
soins du maître des œuvres de maçonnerie de la ville, assisté
de deux commissaires des quais de la ville, « des scelles
à laver, lessives, planchers pour hayons » que plusieurs
personnes, sans aucune autorisation, avaient installés « le
le long des portz, quaiz et rivaiges de la rivière en ceste
dite ville * ». Un autre ordre du Bureau, en date du 28
octobre, enjoignit « au premier sergent de la ville d'aller
le long de la rivière de Seine-et-Oise et faire admener en
ceste ville, réaniment et de faict, tous les bacqz qui sont
depuis icelle jusqu'à Mantes et Ponthoise, pour obvier à
tous inconvénients qui pourroient advenir * ». D'autres
sergents furent chargés de remplir la même mission du
côté de Corbeil et Lagny. Enfin, le 7 novembre, le Bureau
prescrivit « à tous soldatz estans de présent en ceste ville
et faulxbourgs, de vuider de ladite ville et faulxboUrgs
dedans six heures après la publication de la présente, sup*
peine (Testre pendu z et estranglés sans forme ne figure de
1. Reg. h, 1789, fo 79.
2. ïbid., f^ 68.
3. Ibid,^ fo 82. La décision qui ordonne la saisie de tous ces objets
encombrants est du 3 octobre 1587.
4. Ibid,, f» 86.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 283
procès * •.. » Défense était faite, en même temps, à tous
bourgeois, collèges et communautés de les recevoir « sur
la mesme peine ». De quels soldats voulait parler cet ordre
draconien? Probablement des émissaires de la Ligue, qui
comptaient profiter du départ du roi pour organiser quelque
coup de main et trouvaient dans les communautés des asiles
assurés. Cette hypothèse n'a rien de chimérique, car un
passage du procès-verbal de Nicolas Poulain établit que
les fortes têtes de la Ligue avaient Tintention de se rendre
maîtres de la capitale, tandis que le duc de Guise tâcherait
de faire du roi son prisonnier au cours des opérations
contre les huguenots allemands. « En Tan 1587, dit Tes-
pion du roi, Sa Majesté partit de Paris pour aller au-devant
des reistres, et laissa à Paris la royne sa mère et la royne
sa femme pour gouverner en son absence ; et lors Messieurs
de la Ligue furent en délibération de se saisir de la Ville
de Paris, en Tabsence du roy, selon les mémoires que leur
eu avoit dressé le duc de Guise, qui pensoit se saisir de la per-
sonne du roy en la campagne \ »
Le commissaire Louchart alla trouver le duc de Guise
à son camp pour le consulter sur l'opportunité d'une ré-
volte à Paris même; mais le duc fut effrayé encore une
fois de l'audace des ligueurs parisiens et « ne trouva pas
ceste entreprise seure, voyant une si grosse et forte armée
près la ville, tellement qu'il la rompit ». Qui sait ce qui
serait arrivé si le duc de Guise avait pu se rendre lui-
même à Paris et prendre la direction du mouvement? Vil-
lequier, le gouverneur de Paris, qui avait déjà eu la plus
singulière attitude lors de la journée de Sain t-Sé vérin,
n'était pas homme à contrarier un nouvel assaut de la Ligue
contre le malheureux Valois. Se méfiant de Poulain, le
gouverneur fit venir le personnage et chercha longtemps
1. Reo. h, 1789, {• 87.
2. Procès-verbal de Poulain, p. 307. Arch. cuk., t. XF, !'• série.
284 PARIS ET LA LIGUE
à lui arracher l'aveu de ses relations avec le roi; mais,
comme Poulain persistait h jouer rétonnement, Villequîer
proféra les jurons les plus énergiques et menaça son inter-
locuteur d'un châtiment exemplaire, s'il continuait à se
mêler des affaires de l'État. Poulain ne s'émut pas et^
conformément à ce qu'il avait promis, ne se priva pas de
faire ses confidences au chancelier, tant que dura l'absence
du souverain. Ce Villequier apportait, d'ailleurs, dans ses
relations avec les Parisiens, une grâce toute particulière.
Comme on manquait de bras pour continuer les travaux
■des tranchées, il réquisitionna de force tous les maçons et
interdit aux bourgeois de les employer. Le Bureau de
la Ville porta ces ordres à la connaissance de la popu-
lation *.
Pendant qu'on prenait à Paris ces mesures de précau-
tion contre une attaque possible de l'armée allemande,
celle-ci s'efforçait de passer la Loire et s'étonnait de voir
Henri III en personne leur barrer le passage, alors que
l'intérêt évident de ce prince était de se servir des reîtres
protestants pour abattre la Ligue. Repoussés à La Charité,
les alliés tournaient sur place, en proie à une sorte de
panique étrange. Le duc de Guise, renforcé par les troupes
de Mayenne et des ducs d'Aumale et d'Elbeuf, et par celles
du comte de Brissac, harcelait la marche pénible et em-
1. « De par lb ROY. Af. le Gouverneur et lieutenant général de Sa Majesté en
4^ste Ville de Paris et Ile-de-France et les prévost des marchans et eschevins
de la Ville de Paris.,, 11 est interdit à tous massons, aides et aultres
manœuvres de quicter et laisser leur astellier, et & tous les dessusdictz et
aides valides d'aller promptement besongner et travailler aux tranchées
et advenues du pourtour d'icelle ville, demain matin, es lieux et endroictz
qui leur seront ordonnez par les maistres des œuvres et aultres personnes
qui ont charge de ce faire, leur déclairant qu'ilz seront très bien paies et
-satisfaictz, et seront faictes deffences à tous bourgeois et aultres d'emploier
lesdictE massons, aides, vallides en leurs astelliers et ouvraiges particuliers,
«ur peine de vingt escus d'amende pour le regard desdictz bourgeois, et
ausdictz massons, ouvriers vallides, de pugnilion corporelle, s'il y eschet,
le tout jusques à ce que aultrement en ayt esté ordonné. Faict au Bureau
de la Ville le mercredi 28 octobre, Tan 1587. » Rbg. H, 4789, ^ 85.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 285^
barrassée des envahisseurs , et finalement vint se placer
entre eux et la capitale, en prenant position à Courtenay,,
au delà du Loing : car il voulait éviter à ses amis les
Parisiens le voisinage des troupes confédérées, qui auraient
pu se laisser aller à la tentation de piller la banlieue. Que
serait alors devenue la popularité du duc? Dans la nuit
du 28 octobre, il y eut un choc entre les forces du duc do
Guise et celles du baron de Dhona, à Vimori, près de Mon-
targis. Mayenne commandait en personne la cavalerie ca-
tholique et se comporta fort bravement : il reçut du baron
de Dhona lui-même un coup de pistolet dans la menton-
nière de son casque et blessa son adversaire d'un coup
de sabre. L'engagement n'était, d'ailleurs, qu'une échauf-
fe urée sans importance *. Cela n'empêcha pas les ligueurs
de chanter victoire, et « la nouvelle estant arrivée à Paris^
fust aussitost mise par la presse, imprimée, criée et pu-
bliée, avec les adjonctions ordinaires et accoustumées,
faisans monter le cent à mil * ». L'armée protestante entra
en Beauce, sans nouvelle attaque de la part du duc de
Guise, qui passa de Montargis à Nemours et de Nemours
à Montereau, puis à Étampcs, où il arriva le 18 novembre.
Henri III se croyait trahi et envoya Joachim de Dinteville
demander au chef de la Ligue la raison de cette espèce
de retraite, car on pensait, dans l'entourage du roi, que
Guise pouvait bien songer à conduire ses troupes près de
Paris pour en rester maître après une victoire. Cette
crainte reposait d'ailleurs sur un fondement sérieux, car
c'est à Ëtampes que le duc donna audience au commis-
saire Louchart, qui l'engagea vivement à s'emparer de la
personne royale, tandis que les ligueurs parisiens met-
traient la main sur les membres du Conseil et du Parle-
i. Db Teou, l. X, p. 45. Rouvray, qui portait la cornelte de Mayenne, la
perdit pendant l'action.
2. L'ËSTOiLB, t. ni, p. 74.
286 PARIS ET LA LÎGUE
ment, dont le dévouement à la bonne cause inspirait des
doutes. Le chevalier d'Aumale s'était déjà rendu à Paris
pour se tenir prêt à tout événement. Mais Guise, sans
rejeter absolument ces propositions audacieuses, remit a
plus tard l'exécution d'une entreprise directe contre le roi
et se contenta de dire à Louchart qu'il fallait enrôler le
plus d*honames possible sous la bannière de la Ligue et...
attendre.
Henri III, en effet, pouvait encore défendre sa couronne.
Établi sur la Loire avec une belle armée, ayant auprès de
lui son énergique favori, d'Épernon, il aurait peut-être
imposé au peuple sa volonté par une victoire retentissante.
Il préféra autoriser le duc de Nevers à offrir 400,000 ducats
aux Suisses de l'armée alliée pour acheter leur soumis-
sion. Le duc de Guise comprit mieux ce qu'attendaient
d'un général catholique l'orgueil national et le fanatisme
des masses. Tandis que le roi traitait, il tombait, le 24 no-
vembre, sur les Allemands du baron de Dhona, qui, ap-
préhendant d'être abandonnés par les Suisses, se dispo-
saient, avec le contingent français du brave chef huguenot
(^hàtillon, à se frayer de nouveau un cliemin vers la Loire ;
il les surprit dans le bourg d' Anneau, entre Chartres et
Dourdan, et leur tua environ deux mille hommes. Le
vainqueur s'empressa d'envoyer le sieur de la Châtre au
roi pour lui présenter neuf drapeaux enlevés à l'ennemi et
lui donner les détails de la bataille. Henri eut peine à dis-
simuler son dépit, car il comprenait toute l'étendue des
conséquences que pouvait avoir le succès de la Ligue. Pour
avoir l'air de prendre, lui aussi, Tattitude guerrière des
membres de l'union, il ordonna quelques escarmouches
contre les débris, encore très redoutables, qu'avait pu rallier
Dhona, fit un assez grand nombre de prisonniers et put
réussir à enlever plusieurs canons. Un résultat plus impor-
tant fut obtenu par d'Épernon : les Suisses abandonnèrent
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 287
définitivement Farinée allemande *. Ce qui en restait,
épuisé par les maladies, se dirigeait péniblement vers le
Maçonnais par les bois du Morvan. D'Épernon profita de
leur découragement pour décider les Allemands à faire
leur soumission. Us promirent de ne jamais servir eu
France sans la permission de Sa Majesté et s'engagèrent à
sortir du royaume enseignes ployées (8 décembre).
Aux yeux des Parisiens, qui était le vainqueur? Le grand
Guise, tout seul. Les efforts de Henri III ne servirent qu'à
augmenter la popularité du chef de la Ligue. Cependant
rien ne fut négligé pour provoquer dans la capitale un
enthousiasme de commande, à défaut de manifestations
spontanées. Le samedi 28 novembre, M. de Villequier,
ayant reçu du roi des lettres annonçant la soumission des
Suissesprotestants, donna Tordre au Parlement, àla Chambre
des comptes, au corps de Ville, aux généraux de justice,
d'assister à un grand Te Deum d^actions de grâces qui fut
dit à Notre-Dame, en présence des reines, de Mesdames
de Nemours et de Montpensier et d'un peuple immense ;
mais TEstoile nous dit que « dans Téglise résonnoient
plus les louanges du duc de Guise que celles de Dieu ».
Après la convention pour la retraite des Allemands, qui
fut connue à Paris le 14 décembre 1587 et apportée par le
fils de M. de Villeroy, nouveau déploiement de réjouissances
officielles. La Ville prescrivit de faire des feux de joie dans
les différents quartiers afin de célébrer ce qu'on présentait
comme une victoire du souverain. Les Registres contien-
nent rhistorique de la campagne et la version officielle
des triomphes de Sa Majesté. Ils rappellent que le roi quitta
sa capitale le 12 septembre pour aller fermer aux reîtres
1. D'après TEsloile, le roi donna deux écus à chaque soldai suisse, leur
fournit des vivres jusqu'à leur sortie du royaume et leur oclroya pour
cinquante mille écus de drap, tant de soie que de laine. Il restait sept ou
huit mille Suisses du contingent huguenot : cinq à six mille avaient péri
en France par le fer et la maladie, t. III, p. 76.
288 PARIS ET LA LIGUE
et aux Allemands « le passaige de la Loire qu*ilz ienaieui
pour ouvert, affin de s'aller joindre aveeq le roi de Navarre
de ses compaignies estans en Poictou et Limosin et bran-
quêter ' toute la France... » Mais sur leur route ils ont
« trouvé en teste sadicte Majesté, qui n'a pareil que soy-
mesme en force, prudence, bon confort et clémence, lequel,
d'un cœur généreux et d'une prudence admirable, san»
coup férir, du moins avec peu de perte des siens, a rompu
leurs desseins et iceulx tous vaincus et mis & vau de route
en fuite, de sorte que ce qui en reste , mesmes desdictz
estrangers, n'ont pu trouver plus sûr accès pour conserver
leur vye que de eulx aller gecter aux pieds de S. M.'.,. »
On devine que cet éloge de la clémence royale était peu
fait pour toucher les Parisiens, qui reprochaient précisément
à Henri III d'avoir conservé la vie aux reitres allemands
et assuré leur retraite.
La rentrée du roi dans sa capitale avait été fixée uu
24 décembre. Au jour dit, le corps de Ville fut prié au Te
Deum solennel qui devait être dit « pour louer et magnifier
Dieu de l'heureux succès et pacifique victoire qu'il luy a
pieu donner contre ses ennemis )). Le prévôt des marchands
et les échevins allèrent au-devant du roi jusqu'à Bourg-la-
Reine et le conduisirent ensuite à Notre-Dame pour entendre
le Te Deum ^ Le maître de l'artillerie reçut l'ordre « de
1. Bransqueter {Me'm. de Sully, t. VUI, p. 69), ou branqueter {Lettres de
Pasguier, t. III, p. 689), ou branstater (Lettres de Louis XII, t. IV, p. 135),
signifie piller, mettre à contribution, La Noue emploie aussi l'expression
de bransqueter dans le même sens (Disc, polit, et milit,, p. 749).
2. Rbg. h, 1789, fol. 93 et 94.
3. Nous n*insislons pas sur les détails de cette entrée, qui fut entourée
d'une grande pompe, parce que sur ce point le procès-verbal du Registre
est reproduit dans Félibien (t. V, Preuves, p. 443). Le roi était arrivé à
cheval avec d'Épernon et les cardinaux de Bourbon et de Vendôme. A
Bourg-la-Reine, il essuya la harangue, d*ailleurs très brève, de Villequier,
le gouverneur de Paris, mais dit en riant au prévôt des marchands de
réserver pour le lendemain matin à son lever le discours qu'il se préparait
à débiter, parce qu'on avait encore deux lieues à faire avant d'entrer à
Paris. Nous citerons seulement l'inscription mise sur la porte Saint-Jac-
ques et sur celle de l'Hôtel de Ville : « Au roy très chrétien et très victo-
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 289
préparer vingt-deux grosses pièces de rartiileric et grande
quantité de boestes ». Devant la maison commune, on
disposa « grand amas de bois pour ung feu publicq et gé-
néral ». Toutes les boutiques du pont Notre-Dame furent
illuminées, ainsi que les maisons « des rues Saint^Jacques
l't de la Boucherie, Saint-Denis jusques au tournant de la
rue de la Ferronnerye, et de là à la rue Saint-Honoré
jusque vers la croix du Tiroir vers le Louvre, où le roi allait
descendre; et, pour obviera Tobscurité de la nuict, estant
près de six heures lorsque le roi sortit de Notre-Dame,
MM. de la Ville avoient commandé faire mettre au parvis
Notre-Dame et devers THostel-Dieu plusieurs grands flam-
beaux et feux de poix ardente pour esclairer ledict pas-
saige * ». La relation officielle raconte que, sur le parcours
du cortège royal, le peuple, « esmeu de joye et resjouis-
sance », cria Vive le roi ! bycc transport, mais c'était, paraît-
il, un transport intéressé, car TEstoile rapporte que Ton
avait distribué de l'argent à « quelque nombre de popu-
lasse ramassée, et, entre icelle, une bonne partie de faquins ».
Voilà les gens qui criaient Vive le roi! « Et fust le tout,
ajoute le chroniqueur, fait de Texprès conunandement de
Sa Majesté, irritée et envieuse de l'honneur que donnoit ce
«ot peuple au duc de Guise, auquel il attribuoit la louange
<le tous les heureux succès de ceste victoire, sans faire
aucune mention du roy, non plus que s'il ne l'eust point
recongneu *. » Au premier abord, on serait tenté de croire
que la municipalité parisienne ne fit entendre à Henri III,
He retour en sa capitale, qu'une phraséologie creuse et ser-
vile ; toutefois, à bien lire la harangue que le prévôt dos
rieux, Henri troisiesme^ roy de France et de Polongne, père de son peuple,
pour rheureux succès de ses victoires contre les reistres, suisses, lansquenets
et autres, sa Ville de Paris, très fidelle et très obeyssante, luy voue et donne
perpétuelle félicité, »
1. Ibid,
2. L'EsTOiLB, t. ni, p. 79.
ROBIQUET. 19
290 Paris et la ligue
marchands ne put débiter en recevant le roi à Bourg~la~
Reine, mais qu'il récita le lendemain matin à huit heures,
en allant au lever du roi, on se demande si Texagératioii
des louanges n'avait pas un caractère ironique. « Sire, dit
le chef de la municipalité S vous veistes hier, à votre
arrivée on vostre ville capitalle, très grande multitude de
peuple, et dehors et dedans, plains de joye et liesse, qui
tesmoignoient par les acclamations et applaudissemens de
toute sorte de gens le grand contentement qu'ilz avoient,
aians cet honneur de contempler vostre royalle majesté,
après avoir entendu la bonne nouvelle de vos grandes,
glorieuses et admirables victoires, pour lesquelles nous
avons rendu grâces solennelles à Dieu pour la troisième
fois en l'église Notre-Dame. » N'était-ce pas se moquer
d'un prince qui, pendant sa campagne de la Loire, n'avait,
pour ainsi dire, pas tiré l'épée du fourreau, que de vanter
ses « grandes, glorieuses et admirables victoires » et de
l'assurer qu'il venait de rendre « à jamais son nom immortel
à la postérité ». Ce qui rend la supposition très plausible,
c'est qu'après avoir appelé à son aide tous les écrivains de
l'antiquité pour célébrer le nouveau héros, le prévôt des
marchands emprunte une dernière citation à Plutarque
pour soutenir cette thèse « qu'il y a plus d'avantaige, de
bien et de profiict pour le repos du pays à se deffaire ainsy
des ennemis, à quelque prix que ce feust, et en purger la
province par moienSy que d'en venir au combat, qui est
ordinairement hasardeux ' ». On ne pouvait reprocher
plus nettement au roi d'avoir reculé devant la fortune des
armes et d'avoir acheté une victoire diplomatique. Le prévôt,
faisant ensuite allusion au sauf-conduit donné aux reitres
pour évacuer le territoire français, ajoute « qu'on ne peut
imaginer chose plus grande, ny plus sagement, prudem-
\ . FiuBioi n'a pas reproduit ce passage des Registres.
2. Rio. h, 1789, ^ 97.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 291
ment ci plus à propos conduicte ^ ». Enfin, alors que tout
le inonde savait le roi impuissant ou la reine incapable de
lui donner des héritiers, il y avait peut-être une singulière
cruauté à souhaiter à Henri UI « lignée masculine pour
succéder à sa couronne, au bien, repos et conservation de
son Estât ».
De fait, ce roi vainqueur, ce héros en Thonneur duquel
on chantait des Te Deum, était bafoué et insulté par tout
le monde, et spécialement par les ligueurs, qui ne lui par-
donnaient pas d'avoir laissé perdre l'occasion d'exterminer
les reîtres allemands '. La Sorbonne se distinguait par
l'àpreté de son opposition. Trente ou quarante docteurs en
théologie avaient tenu, le 16 décembre, une assemblée
secrète où, sur un cas de conscience proposé à plaish*, il
avait été décidé « qu'on pouvoit oster le gouvernement
aux princes qu'on ne trouvoit pas tels qu'il falloit, comme
l'administration à un tuteur devenu suspect ». Boucher,
curé de Saint-Benoit, « prêchait publiquement en l'église
Sainl-Barthélemy que le roy vouloit empescher les prédica-
teurs de dire la vérité, et, à cet effet, qu'il avoit fait mourir
maistre Burlat, théologal d'Orléans, ce qu'il imprima si
fort en l'esprit de ses auditeurs qu'ils le croyèrent ferme-
ment et le rapportèrent par toute la ville pour chose très
véritable' ». Le 30 décembre 1S87, le roi manda au Louvre
1. Encore un amer sarcasme I Une foule de libelles, au moment même
où le prévôt des marchands prononçait ces paroles, insultaient le roi et le
duc d*Èperuon, qui avait négocié Tarrangement accordé aux reitres. Un
de ces libelles, que les colporteurs criaient dans tout Paris, avait pour
litre : « Grands faicts alarmes du duc d'Espemon contre V armée des héréti-
ques ». Et sur chaque page on lisait ce mot unique en gros caractères :
Rnsif. Yoy. de Thou, t. X, p. 63.
2. Le duc de Guise, par contre, ne respectait nullement la convention
faite avec Tarmée allemande, et, dès qu'elle eut franchi la frontière pour
entrer en Savoie, il ne se fit pas faute d'attaquer en détail les détache-
ments ennemis; le marquis du Pontet Mandelot agirent de même dans
la Bresse, ce qui fit dire à Chicot « qu'il n'y avait alouette de Beausse qui
ne coustast aux huguenots un reislre armé et à cheval » ; car les alliés
ne revirent pas tous leur pays.
3. Traité des causes et des raisons de la prise d* armes faite en janvier t589,—
292 PARIS ET LA LIGUE
le Parlement et la faculté de théologie , et , prenant la
parole, commença par reprocher amèrement aux docteurs
de la Sorbonne Topposilion violente qu'ils faisaient à sa
personne et à son autorité, ainsi que le caractère séditieux
de leurs prédications. Il leur dit qu'ils étaient malheureux
et damnés pour deux motifs, le premier pour avoir calomnié
leur prince dans la chaire chrétienne, le second pour
avoir dit la messe sans s'être confessés de ce crime. Tout
en dédaignant la résolution du 16, dont la Sorbonne n'avait
peut-être pas compris toute la gravité « parce que c'estoit
après déjeuner », le roi rappela aux prédicateurs qu'il
pourrait fort bien se débarrasser d'eux suivant le procédé
de Sixte V, qui avait envoyé aux galères quelques cordolicrs
au langage intempérant. Certes, les théologiens de Paris
avaient mérité un traitement plus rigoureux encore, mais
le roi voulait bien encore tout oublier et tout pardonner;
seulement il ordonnait au Parlement, présenta l'audience,
de faire justice exemplaire, si l'on commettait de nouveaux
attentats contre la personne royale. Quant à Boucher, curé
de Saint-Benoit, il fut pris personnellement à partie dans
cette même circonstance. Henri III lui dit que son oncle,
Jean Poisle, ancien conseiller à la cour, avait été un mé-
chant homme, mais que lui Boucher valait encore moins ;
qu'en effet il avait eu l'impudence d'assurer en pleine chaire
que le roi avait fait mettre dans un sac et jeter à l'eau Bur-
lat, le théologal d'Orléans, bien que ledit Burlat « fusl
tous les jours avec lui et ses compagnons, beuvant, man-
geant et ergottant comme de coustume * ». La seule puni-
Par le duc de Ncvers. Arcm. cur., t. XIU, p. 173. Celle pièce, imprimée
en 1590 à vingt-cinq ou trente eiemplaires, a été aussi reproduite au t. II
des Mém, de Nevers, édit de 1665, in-K
1. Telle est, du moins, la version de l'Estoile, t. III, p. 80; le duc de
Ne vers {dans Vouvrage cité) présente le dialogue du roi avec Boucher d'une
manière un peu différente.» Sa Migesté envoya quérir plusieurs docteurs
et prédicateurs de la Sorbonne, et entre autres ledit Boucher, auquel il
demanda pourquoy il avoit presché qu*il avoit fait mourir ledit théologal,
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 293
lion infligée à Boucher fut rinterdiction de paraître en
chaire jusqu'à nouvel ordre.
Cette excessive clémence d'un roi envers la Sorbonne
qui le menaçait d'une déposition prochaine et envers Bou-
cher, qui le traitait d'assassin, démontre la profonde im-
puissance de Henri III et met dans tout son jour la faute
considérable qu'il avait commise en fermant aux protes-
tants le passage de la Loire et en ruinant le parti du roi
de Navarre au profit du duc de Guise, dont la journée d'Au-
neau avait fait l'idole de Paris et le véritable maître du
pays. Le pape venait d'envoyer au duc une magnifique épée,
et le duc de Parme, au nom de son maître, lui adressait
ce compliment « qu'entre tous les princes de l'Europe, il
n'appartenoit qu'à Henri de Lorraine à porter les armes
et à estre chef de guerre * ». Henri III essaya en vain de
prendre une revanche jcontre la Ligue et son chef en acca-
blant d'honneurs le duc d'Épernon. Il était déjà colonel
général d'infanterie française et gouverneur de Provence,
de Boulogne et de Metz; on le nomma amiral de France,
et, le il janvier 1588, le premier président de Harlay l'ins-
talla au siège de la Table de marbre. Un peu plus tard, le
roi donna à son favori le gouvepnement de la Normandie,
lequel respondit qu'on le luy avoit ainsi asseuré. Le roy ]uy dlt:« L*avez-
vous veu morl? — Non, sire, respondit ledit Boucher, mais il m'a esté affirmé
pour chose très véritable. » — Lors le roy luy répliqua : a Pourquoy voulez-
voua croire plustost le mal que le bien, et prescher en la chaire de vérité
une menterie si évidente? » Et incontinent fit représenter ledit théologal
se portant fort bien, car il l'avoit retenu au chasteau d'Amboise quelque
temps en une chambre, mais fort bien traitté. Ce qui estonna bien fort
ledit Boucher et beaucoup d'autres... » Mais il est possible que le duc de
Nevers ait confondu la prétendue incarcération de Burlat en 1587 avec
celle qu'il eut à subir & Amboise, en 1589. On lit dans les Rechefvhes sur
Orléans, de Lottin (t. 0, p. 93), sous la date du 17 avril 4589 : n Hugues
Burlat, théologal pénitencier et curé de Sainte-Catherine, furieux ligueur,
avant publié des libelles injurieux contre le roi Henri III, est enlevé d'Or-
léans et conduit & Amboise. » Voir aussi, sur l'audience du 30 décembre,
Félibu», t. II, p. 1165. Cil. Labtttb, De la démocratie chez les prédic. de
la Ligue, p. 34.
1. L'EsTOiLB, t. ni, p. 83.
r -^
294 PARIS ET LA LIGUE
le premier du royaume. Les ligueurs ripostèrent par des
chansons, et Mme de Montpensier, protégée par la reine
mère, non seulement continua à tenir en haleine par ses
largesses les plus violents prédicateurs de Paris, les Bou-
cher, les Prévost, les Guincestre et tant d'autres, mais se
garda bien d'obéir à un ordre royal qui lui enjoignait de
sortir de la ville. Elle disait partout : Je porte à ma cein*
turc les ciseaux « qui donneront la troisième couronne à
frère Henri de Valois * ».
La Ligue ne gardait plus aucun ménagement et semblait
vouloir pousser le monarque à une résolution désespérée.
Non contents de continuer la guerre contre les princes
protestants et de chercher à mettre la main sur les places
de Sedan et Jametz, après la mort du duc de Bouillon, le
duc de Lorraine, le duc de Guise et les principaux chefs
de la Ligue avaient ouvert à Nancy, vers la fin de janvier
1588, des conférences qui se prolongèrent jusqu'au milieu
de février. Il en sortit une formule de sommation au roi,
divisée en articles^ et qui devait acculer Henri HI à une
véritable abdication entre les mains des Guises ou à une
résistance ouverte ».
1. C'est-À-dire la tonsure : les deux premières couronnes du roi étaienl
celles de France et de Pologne. La Ligue avait mis en vers latins la menace
de Mme de Montpensier :
Qui dédit ante duoi unam t^ttulit; altéra nutat;
Tertia tontorit est faeienda manu.
2. On trouve le texte et le commentaire des Articles de Sancy dans les
Mémoires de la Ligue^ t. II, p. 269. De Thod, t. X, p. 236, en a donné aussi
une analyse très exacte. Cf. aussi : Palma-Catet, Introduction de la ch^^
ttohgie novenaire^ Coll. Michaud et Poujoulal, p. 43. Voici la substance de
ces articles. Ils portaient « que le roi serait sommé de se joindre plus
ouvertement et à bon escient à la Ligue, et d*ôler d'entour de soi et des
places, états et ofQces importants ceux qui lui seroient nommés... De
faire publier le concile de Trente... D'établir la sainte Inquisition, au
moins es bonnes villes, qui est le plus propre moien pour se défaire des
hérétiques et suspects, pourvu que ces officiers de l'Inquisition soient
étrangers ou du moins ne soient natifs des lieux et n*y aient parents ni
alliés... D'accorder aux ecclésiastiques de pouvoir racheter à perpétuité
les biens ci-dessus aliénés de leurs églises... De fournir la solde des gens
de guerre qu'il est nécessaire d'entretenir en Lorraine et es environs pdur
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 295
Qui le croirait? en recevant cet ultimatum, Henri III ne
s*indigna pas. Quand on lui présenta les Articles de Nancy,
il ne parut pas fort éloigné d'y souscrire *. Pure tactique,
d'ailleurs, car le roi sentait bien l'amertume de l'insulte,
malgré l'indolence de sa nature voluptueuse. Le duc d'An-
maie, à la tête de douze cents arquebusiers et d'un état-
major de gentilshommes ligueurs, s étant emparé d'Abbo-
ville (mars), Henri lui envoya le sieur de Chemcraut
pour lui demander l'explication d'une pareille agression,
et, sur la réponse insolente du duc, le roi avait dit : « Je
vois bien que si je laisse faire ces gens-ci, je ne les aurai
pas pour compagnons, mais pour maîtres à la fin. Il est
bien temps d'y donner ordre * ». Mais devant Paris fré-
missant, déjà enrégimenté par les agents ligueurs, devant
la menace de Philippe II, qui, au moment de lancer contre
l'Angleterre sa grande armada^ veut brusquer en France
le déchaînement de la guerre civile, le dernier Valois
hésite, comme frappé de vertige. On dirait qu'il vise à
précipiter la catastrophe par mille provocations gratuites
adressées au peuple. Lorsque le Trésor est à sec et qu'il
devient nécessaire, pour se procurer quelques ressources,
de décréter une nouvelle crue de la gabelle ', le prodigue
monarque consacre des sommes immenses aux funérailles
obvier à une invasion des étrangers voisins. Et, à cette fln, pour continuer
toujours la guerre encommencée, faire vendre au plutôt et sans autres
!^oIemnités, tous les biens des hérétiques et de ceux qui leur seront
associés ». Les ligueurs demandaient encore que les hérétiques convertis
ou ceux qui seraient tenus pour tels, depuis l'an 1560, fassent frappés
d'une contribution du quart au moins de leur bien, pendant toute la
duré£ de la guerre; qu'en outre, les parents ou associés des hérétiques
fussent contraints d'acheter leurs biens; qu'enfin on ne fit grâce de la vie
& aucun prisonnier ennemi, sinon à ceux qui jureraient d^embrasser le
r^tholicisme et de payer comptant la valeur de leurs biens.
1. Db Thou Tafflrme, t. X, p. 237.
2. L'ËSTOiLE, t. ni, p. 131.
3. Le roi avait, en effet, créé une taxe supplémentaire de cent sols par
minot de sel; or le minot revenait déjà à treize livres. La perception du
nouvel impôt fut commencée avant même la promulgation de Tédit. 11 y
eut quelques velléités de résistance de la part du Parlement, mais le roi
lui imposa silence (mars).
S96 PARIS ET LA LIGUE
du duc de Joyeuse. Les Registres de la ville en décrivent
le faslueux cérémoniaK
Le 7 mars 1788, les sieurs de Versigny et Legoux, con-
seillers et maîtres d'hôtel ordinaires du roi, accompagnés»
d'un héraut d'armes de S. M. et de plusieurs officiers du
feu duc, viennent « présenter à MM. les prévost des mar^
chans et eschevins d'icelle ville lettres du roy pour le faict
des obsèques et funérailles de feu mondict seigneur due
de Joyeuse ». Ces lettres invitaient les représentants de la
cité à assister le lendemain à une heure au convoi du ducv
« dont Teffigie serait portée de Téglise Saint-Jacques de
Haut-Pas en l'église et couvent des Augustins * ». C'est à
Saint-Jacques du Haut-Pas que, le 8 mars, le corps d<f
Ville, avec son cortège d'archers, d'arbalétriers et d'arque-
busiers, alla chercher ce qui restait du brillant Joyeuse et
de son frère Saint-Sauveur. Un immense cortège, où figu-
raient des pénitents de toute couleur, des compagnies de
Suisses, des évoques, des délégations des compagnies
souveraines et douze cents pauvres portant des torches,,
traversa la grande ville, indignée de tant d*honneurs, et
accompagna le char funèbre jusqu'à l'église des Augustins^
où furent chantées les vêpres des morts. Le lendemain 9^
à la même église, eurent lieu « le service et sermon funèbre »
vu présence du roi, de toute la cour et des grands corps de
TËtat. Ce fut Tévêque deMeaux qui dit la messe et l'évèque
de Sentis qui prononça l'oraison funèbre. L'Estoile a
donné un post-scriptum à ce morceau d'éloquence sacrée
en expliquant à sa manière la raison de toute cette pompe.
« C'est la coustume ordinaire et la couverture de tout.
Quand un mari a perdu ce qu'il vouloit perdre, il faif
faire un beau service, qu'il avoit voué dès longtemps à
Dieu pour une si bonne fortune que celle-là • ».
1. Rec. h. 1789, ^ lOC.
2. T. ni, p. 129.
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 297
Joyeuse avait bien fait de mourir. Il était depuis long-
temps déjà remplacé dans la faveur du prince et dans la
haine du peuple par Nogaret d'Épernon, qui venait dt*
recevoir la plus riche dépouille du mort : le gouvernement
de la Normandie. D'Épernon devient le point de mire des
attaques et des imprécations de la Ligue. Accusé publi-
quement par le favori, en présence du roi, d'avoir entretenu
un commerce criminel avec sa propre sœur, Pierre d'Espi-
nac, archevêque de Lyon, avait pris violemment parti pour
la Ligue et préludé à la guerre effective par une guerre
de plume, en suscitant la publication de pamphlets incen-
diaires contre d'Êpernon *. De concert avec Boucher, le
fanatique curé de Saint-Benoît, d'Espinac traduisit V Histoire
tragique de Gavei^ston^ favori d'Edouard II d'Angleterre,
que les seigneurs firent exécuter on 1302. On mit en tête
de cette traduction do Thistorien anglais Walsingham une
lettre-préface qui en faisait l'application directe à d'Eper-
non et le menaçait de mort. Avec une ingéniosité de jésuite,
l'auteur trouvait dans Noguaret l'anagramme de Gaver-
.ston, et, comme il y avait une S de trop, il donnait h celte
lettre de supplément l'interprétation suivante : « Cette S
est proche du T; or le T est un simulacre de la potence;
rS qui y touche figure donc le cordeau que vous trahie;^
après vous. )) Le libelliste ligueur parlait aussi dans le
langage des dieux et donnait à Henri III le conseil de
mettre d'Épernon à sa place :
Tout ce que nous pouvons pour vostre Majesté
Est vous donner conseiJ, en bonne conscience,
\. Voy. sur ce point Ch. Labittb, Les Prédicateurs de la LiguCj p. 30.
M. Labitte dit que M. de Sismondi (Hist. des Français) a eu tort d'attribuer
VHistoire de Gaverston au seul d'Espinac. Mais pour attribuer le Gaverston
à Boucher, M. Labitte ne s'appuie que sur un passage de la Chronologie
novenaire, qui se borne à dire : « Le bruit estoit que c'estoit du curé de
Saint-Benoli ». De Tbou affirme d'une façon précise que c'est d'Esplnac
qui publia le Gaverston, à la suite de sa violente discussion avec d'Ëpemoa
en présence du roi, t. X, p. 239.
i^ *• »
298 PARIS ET LA LIGUE
Qae votre favory vous faciez roi de France,
Et soyez son ami; tel qu'il vous a esté...
D'Épernon répliqua par un Anti-Gaverston, dédié à
Henri de Vaudémont (le duc de Guise). D'Espinac y était
accusé d'inceste avec sa sœur, d'hérésie et de honteux
excès. Quant à Thistoire, plus ou moins authentique, du
favori d'Edouard II, on lui trouvait de frappantes analogies
avec celle du duc de Guise, en signalant cette aggravation
que la mort de Gaverston avait rendu le calme à l'Angle-
terre, tandis que quatre monarques français avaient déjà
subi le joug des princes lorrains.
Tout Paris se passionnait pour ces tournois littéraires,
et Henri III lui-même s'amusait à faire publier un pam-
phlet intitulé Bibliothèque de Mademoiselle de Monlpen-
sier. Cependant les circonstances devenaient de plus en
plus critiques. Ce n'était plus le temps des paroles. Le 9
mars, une nouvelle sinistre s'était répandue à Paris. On y
apprenait que « messire Henri de Bourbon, prince de
Condé, étoit décédé en la ville de Saint-Jean- d'Angeli, le
samedi 5*^ de ce mois et second jour de sa maladie, aiant
esté empoisonné, selon le bruit commun, par un page, à
la suscitation de la demoiselle de la Trémouille, sa femme ^ » .
Cette catastrophe imprévue, qui privait les huguenots d'un
de leurs chefs les plus énergiques, souleva dans les rangs
ligueurs des transports d'allégresse. Le peuple de Paris,
1. L'EsTOiLB, t. lU, p. 130. On peut consulter le rapport des médecins
de Catherine, Bonteuaps, Pallet, Poget, et des chirurgiens Pierre Mesnard
el Cholard, qui firent Tautopsie le 6 mars. Mém. de la Ligue, t. W, p. 304.
Ils concluent nettement à Tempoisonnement. On arrêta et on exécuta Jean-
Ancelin Brillaud, domestique du prince, et, sur Tordre du roi de Navarre,
une information fut commencée contre la princesse de Condé, Charlotte-
Catherine de la Trémouille, qui était alors enceinte. Elle accoucha, le
i«r septembre 15S8 et dans sa prison, d*un prince qui continua. la race des
Condé. Le roi de Navarre refusa de dessaisir ses commissaires du soin
de suivre la procédure, et le Parlement de Paris évoqua vainement l'affaire.
C'est par ce motif qu'en 1595 on cassa l'arrêt du Conseil du roi de Navarre
comme ayant été rendu par des juges incompétents.
J
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 299
<loai la préoccupation dominante était en ce moment de
gagner les indulgences accordées par le pape à l'occasion
-àa jubilé, vit dans l'empoisonnement d'un prince huguenot
-de trente-cinq ans, qui donnait à son parti et à la France
de magnifiques espérances, un arrêt de la Providence et fit
■des feux de joie. Seul, le duc de Guise, comme par un
pressentiment de sa destinée prochaine , accueillit avec
une mélancolie sincère la nouvelle de la mort du prince
«on ennemi *. Poussé par l'immense armée de la Ligue,
mis au pied du mur par Philippe II, qui, dans les premiers
jours d'avril, lui envoyait à Soissons l'Aragonais Moreo
pour lui promettre trois mille écus, six mille lansquenets
et douze cents lances, Guise ne pouvait plus se dispenser
d*agir. Il fallait obéir aux sommations des Parisiens et
venir se mettre à leur tête pour donner au Valois le suprême
assaut, ou bien perdre à jamais sa popularité ^ N'hésitant
plus, il arrêta ses dernières dispositions.
Depuis que Charles Hotmann, dit La Rocheblond, avait,
sur la fin de 1584, jeté les bases de l'organisation de la
i, Voy. DB Tbou, t. X, p. 247.
2. Anquetil, au t. H de V Esprit de la Ligue (iroïs vol. m-12, Paris, 1167),
indique exactement de quelle manière le duc de Guise a justifié par
avance la vérité d'un axiome dont notre époque a trouvé la formule défi-
nitive. — Je suis leur chef y donc je dois les suivre : « Il est certain que le
duc de Guise fut poussé plus vite qu'il ne le voulut d'abord.- Qu'on
examine attentivement la marche du complot, on verra que les résolutions
extrêmes partirent du Conseil de la Ligue. C'étoit une espèce de comité,
formé presque fortuitement de gens ramassés de tous états, plus pas-
sionnés qu*éclairés : avocats, huissiers, procureurs, greffiers, magistrats;
des curés trop zélés, un apostat du calvinisme, des banqueroutiers, des
prédicateurs séditieux, un Bussi-Leclerc, ancien maître en fait d'armes;
des marchands : Crucé, Louchard, La Chapelle-Marteau, et d'autres, de
diverses professions... Une femme furieuse sonfDoit aussi à ces forcenés
sa haine et ses désirs de vengeance. On ignore en quoi Henri III avoit
offensé Catherine-Marie de Lorraine, sœur du duc de Guise et veuve du
duc de Montpensier. Il est à présumer, par la vivacité que cette princesse
mit dans ses ressentiments, qu'elle avoit à venger ses appas méprisés,
peut-être des avantages négligés ou des intrigues galantes r&vélées, crimes
qu'une femme ne pardonne jamais. Quoi qu'il en soit du motif, la veuve
de Montpensier jura à Henri une haine irréconciliable et le poursuivit
jusqu'au tombeau. Elle se trouve dans toutes les conjurations formées
tant contre son Ëtat que contre sa personne. » T. II, p. 285.
300 PARIS ET LA LIGUE
Ligue, avec la collaboration de Prévost, curé de Saint-Sévo-
rin, de Boucher, curé de Saint-Benoît, et de Mathieu de
Launov, chanoine de Soissons *, les cadres de Tinsurrecliou
s'étaient singulièrement élargis et perfectionnés. Comme
ou Ta vu plus haut *, les quatre conjurés de la première
heure avaient fait de nombreuses recrues, parmi lesquelles
nous avons cité lavocat Louis d'Orléans, Jean Pelletier, curé
de Saint-Jacques, Compans, marchand, Jean Guincestre^
bachelier en téologie, Bussy le Clerc, procureur au Parle-
ment, le commissaire Louchart, le notaire la Morlière, le
procureur Crucé ' et beaucoup d'autres fanatiques. La
direction supérieure du parti avait été confiée à un conseil
de neuf ou dix personnes, tant ecclésiastiques que laïques;
mais Tautorité effective appartenait au Conseil des Six^ qui
n'était qu'une délégation de l'autre, puisque les Six en fai-
saient tous partie. Les Six étaient chargés des mesures d'exé-
cution dans les seize quartiers. Crucé devait s'occuper plus
particulièrement des quartiers de l'Université, Saint-Jac-
i. Ce sont ces quatre personnages qu'on appela les quatre premiers piliers
fie la Ligue, Voy. Remarques sur la Satyre Ménippée, Édit. de Ratisbonne,
1752, t. II, p. 148.
2. Voy. p. 205.
'i. Voy. Dialogue du Maheustre et du Manant, Ibid,, t. UI, p. 434. Nous
avons déjà donné (voy. p. 207), quelques renseignements sur les premier»
organisateurs de la Ligue et sur la constitution des comités ligueurs. H
n^est pas exact de dire, comme l'a fait H. Maitiit, 4» édit., t. X, p. 54,
note 3, que « les chefs des seize quartiers faisaient partie du conseil ou
comité directeur de Paris «. H est vrai que dans le Dialogue du Maheustre
et du Manant (p. 445 du t. UI de l'édit. de Ratisbonne) on désigne sou-
vent les chefs de la Ligue parisienne par cette qualification « les Seize n ;
mais nous pensons qu'il faut entendre par cette dénomination générale
la réunion du Conseil des Dix et du Conseil des Six, qui délibéraient en
commun. Quant aux seize quartiers de Paris, nous avons expliqué que le
duc de Guise les avait groupés en cinq grandes circonscriptions, confiées
à cinq membres du Conseil des Six; le sixième, qui était Charles Hotmann,
n'ayant pas de commandement défini, mais jouant néanmoins un rôle
très actif. Le premier Conseil comprenant dix personnes et le second six,
cela fait bien' seize; mais il va sans dire que les seize quartiniers, chefs
officiels des seize quartiers de Paris, n'avaient rien de commun avec les
seize chefs de la Ligue. Il est à remarquer que N. Poulain ne dit jamais
«i les Seize » dans son procès-verbal, mais emploie des termes vagues,
ordinairement « Messieurs de la Ligue ».
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 301
ques, Saint-Marcel et Saint-Germain; Compans était le chef
de la Cité : La Chapelle, Louchart et Bussy surveillaient les
autres quartiers. La Rocheblond complétait le comité des
Sia:. Se réunissant tantôt au collège de Sorbonne, dans
l'appartement de Boucher, puis au collège de Forterel, où
ce dernier alla demeurer et qui fut appelé le berceau de
la Ligue; tantôt chez La Rocheblond ou La Chapelle, les
premiers ligueurs avaient observé une grande prudence et,
tout en faisant une active propagande contre le roi, ne
dévoilaient qu'à un très petit nombre de personnes sûres
le mystère de leur organisation, « tellement qu'il n y avoit
que ces cinq personnes, avec le sieur de La Rocheblond,
au commencement qui travaillassent par toute la ville à '
instituer et établir la Ligue *. »
L'état-major de la Ligue étant ainsi constitué, il reste à
dire ou à rappeler sur quelles classes de la population pari-
sienne il pouvait compter pour recruter ses soldats. Il dis-
posait d'abord de l'immense armée des moines de toutes
couleurs,' dont les couvents ressemblaient aux citadelles de
l'insurrection et qui, par leurs déclamations dans les
églises ou dans la rue même, fournissaient aux Guises des
milliers d'agents aussi fanatiques qui désintéressés. Les
doubles d'Espagne venaient en aide à cette propagande
cléricale et suscitaient des dévouements mercenaires parmi
les gens du bas peuple et la tourbe qui encombrait les
poris de la Seine. La presque unanimité du clergé, direc-
tement visé par les exactions de Henri III et hostile à tout
prince hérétique, ne voyait pas de meilleur moyen pour
écarter du trône Henri de Navarre que la suppression ou
le renversement du dernier Valois. Quant à la noblesse, elle
était divisée ; mais les gentilshommes qui suivaient la for-
tune des Guises devenaient, de jour en jour, plus nom-
1. Dialogue du Maheustre et du Manant, t. HI, p. 437.
30:2 PARIS ET LA LIGUE
breux, car la faveur exclusive accordée par le roi à ses
mignons le privait de bien des épées. Parmi les favoris,
plusieurs pactisaient presque avec les chefs de la Ligue;
Villequier, Villeroy s'inspiraient de la politique à double
face de Catherine. Au contraire, les Guises pouvaient
compter sur le zèle constant de leurs officiers qu'ils payaient
bien et n'abandonnaient jamais. Dans la classe bourgeoise
et la magistrature, mêmes divisions. Certes, le Parlement
n'était pas clérical : il l'avait bien montré en protestant
contre la bulle de Sixte-Quint et la prétention du pape de
soumettre toutes les couronnes au pouvoir spirituel ; mais^
humiliés par Henri III, menacés dans leurs biens et leurs
dignités, beaucoup avaient fait défection, parmi les mem-
bres des compagnies souveraines, qui auraient pu être les
plus fermes défenseurs de la monarchie. C'est cependant
dans la catégorie des hommes de robe et des riches
bourgeois que le Valois et, plus tard, Henri de Navarre
conservaient encore des partisans précieux, mais dont le
concours était paralysé par un manque absolu de direction.
Enfin, la mauvaise administration du roi, les incessantes
créations d'impôts et la saisie des rentes avaient vivement
indisposé contre la cour les petits rentiers et le petit com-
merce, réduits aux abois. Le prestige des Guises, les pré-
jugés ou les croyances de beaucoup d'honnêtes gens gros-
sissaient encore le nombre des complices inconscients de
la Ligue. De là sa force immense à Paris ; ajoutons qu'elle
étendait son action à toutes les parties du territoire.
Des émissaires bien pourvus d'argent et munis d'ins-
tructions précises reliaient les deux conseils de Paris aux
centres catholiques des provinces, et quand l'envoyé d'une
ville ou province arrivait dans la capitale, il savait toujours
à quelle porte frapper, « car il y avoit des catholiques qui
estoient commis pour recevoir lesdits agents selon les pro-
vinces, les uns de Picardie, les autres de Normandie, les
LES PRÉPARATIFS DE LA LUTTE 303
autres de Bourgogne, ceux d'Orléans, de Lyon et autres
villes et provinces, avec lesquels esloit fort amplement
communiqué, et s'en retoumoient bien instruits et avec
bons mémoires et promesses de se secourir les uns les
autres pour le soustënement de la religion contre les
hérétiques et leurs fauteurs *. »
Le duc de Guise, au moment de rompre avec Henri III,
disposait donc d'une organisation puissante qui avait déjà
bravé la cour avec succès, notamment dans la journée de
Saînt-Séverin *; c'était lui * qui avait eu l'idée de grouper
les seize quartiers de Paris en cinq grandes circonscrip-
tions, afin de ne pas diviser ses forces et de ne pas mettre
trop de ligueurs dans la confidence de ses desseins. En
outre, comme il n'était pas absolument sûr des officiers de
la milice municipale, le duc fit entrer dans les compagnies
un certain nombre de gentilshommes dévoués à ses inté-
rêts, et entre autres Urbain de Laval-de-Bois-Dauphin,
Charles de Cossé, comte de Brissac, de Mayneville, de
Gomeron, de Richebourg, Guedon d'EsclavoUes de Cha-
mois, Antoine de Saint-Paul. Cinq cents cavaliers dont
le duc d'Aumale devait prendre le commandement furent
1. Dialogue du Maheustre et du Manant^ t. IH.
2. Voy. plus haut, p. 277.
3. Db Thou le dit formellement, t. X, p. 248. Le procès-yerbal de Nicolas
Poulain est, d'ailleurs, en parfaite concordance avec de Thou. L'espion du
roi explique que, pour obéir aux instructions du duc de Guise et avant
de commencer l'insurrection, les chefs de la Ligue se réunirent « au logis
de Santeuil, devant Saint-Gervais ». La Bruyère, La Chapelle, Rolland,
Leclerc, Crucé, Coftipans et Poulain lui-même assistaient à cette confé-
rence. La Chapelle donna d'abord lecture d'une lettre du duc de Guise
prescrivant aux ligueurs « d'establir secrettement leurs quartiers et voir
quel nombre ils pourroient faire ». La Chapelle ajouta qu'il fallait nommer
pour chaque quartier « un colonnel et, soubs chaque colonnel, quatre capi-
taines, afin qu'en l'exécution de leur entreprise, il n'y eust aucune con-
. fusion. Et à l'instant ledict La Chapelle auroit desployé une grande
charte de gros papier où estoit peinte la ville de Paris et ses fauxbourgs,
qui fut tout aussi tost, au Heu de seize quartiers quHl y avoit à Paris, partie
et séparée en cinq quartiers, et à chacun quartier estably un colonnel, et
depuis, soubs chacun desdicts colonnels, furent établis nombre de capi-
taines, & chacun d'eux baillé un mémoire de ce qu'ils avoient k faire et
le lieu où dévoient trouver des armes ceux qui n'en avoient point ».
304 PARIS ET' LA LIGUE
logés aux environs de Paris, à Aubervillicrs, à la Villelle,
à Saint-Ouen et Saint-Denis. Une revue secrète des forces
de la Ligue fut passée par Tordre du duc de Guise. Ce
recensement donna un total de trente mille hommes,
d'après Nicolas Poulain, de vingt mille, d'après de Thou '.
Et cette armée de fanatiques s'accroissait chaque jour,
grâce à Tinfiltration de tous les aventuriers de la clientèle
des Guises et des moines. Poussés vers la capitale par la
séduction des coups de main probables, ces irréguliers « de
toutes qualités, en armes et équipage, entraient par divers
endroits en cette grande ville et y fondaient comme dans
une mer spacieuse, sans y être de prime face aperçus ni
autrement reconnus que par leurs partisans * ».
Tout est donc préparé pour Témeule, ot la première
étincelle va provoquer l'explosion.
1. T. X, p. 249.
2. Mém. de la Ligue, t. 11, p. 309.
CHAPITRE IV
LES BARRICADES
Depuis les Articles de Nancy jusqu'à la fuite du Rot.
(Février 1588 — 13 mai 1588.).
Les ligueurs parisiens, fiers de la connivence assurée
des princes lorrains et confiants dans la. puissance de leur
organisation nouvelle , avaient résolu de commencer
Faction par un coup de maître qui n'allait à rien moins
qu*à s'emparer de la personne du roi. Le 15 avril 1588,
Nicolas Poulain, se trouvant chez Bussy le Clerc, reçut la
confidence de l'attentat projeté. Toutes les dispositions
étaient prises. Déjà de nombreux capitaines s'étaient intro-
duits dans Paris; la cavalerie du duc d'Aumale, logée à
Aubervilliers et aux environs, n'attendait qu'un signal.
Dans la nuit du dimanche de la Quasimodo (24 avril), la
porte Saint-Denis, dont les clefs étaient à la disposition des
conjurés, serait ouverte aux soldats des Guises ^ Aussitôt
entrés, les ligueurs devaient mettre la main sur le duc
d'Épernon, qui faisait une ronde chaque nuit, entre dix
lieures du soir et quatre heures du matin. Deux gardes du
duc, gagnés d'avance, se chargeraient d'égorger le plus
énergique des amis du roi. Ensuite, on pousserait droit au
1. Les ligueurs ayaient aussi essayé de se faire livrer les clefs de la porte
Saint-Denis, mais Téchevin Lecomte leur avait opposé un refus formel.
ProC'Verb, de N, Poulain^ p. 311.
ROBIQUET. 20
306 PARIS ET LA LIGUE
Louvre, on en massacrerait les défenseurs et Ton se saisi-
rait de la personne du roi, tandis que les capitaines de la
milice dévoués au parti réuniraient leurs hommes . dans
leurs quartiers et s'y barricaderaient. Bussy le Clerc s'était
réservé le commandement d'une troupe de trois mille
hommes qu'il se chargeait de conduire « aux bonnes et
fortes maisons ». C'était une nouvelle Saint-Barthélémy,
avec cette différence qu'elle eût été dirigée non seulement
contre les hérétiques, mais encore contre le roi et ses parti-
sans. Poulain, terrifié de ces révélations, demanda à un
huissier du conseil, nommé Pinguct, de lui procurer les
moyens de parler au roi secrètement. Pin guet s'adressa au
seigneur de Petremol, qui avait la confiance du prince, et
Petremol * fit part à Henri III du désir de Poulain. L'au-
dience fut accordée aussitôt pour le lendemain, qui était le
22 avril. Poulain, s'étant présenté au Louvre de grand
matin, fut introduit par Petremol dans le cabinet du roi
« par une petite montée où il ne fut vu de personne ».
Henri III, après avoir pris connaissance de tout ce que
Bussy le Clerc avait dit à Poulain, félicita vivement le révé-
lateur, lui promit une récompense de 20 000 écus et lui
ordonna de faire sur les plans de la Ligue et ce qu'il en
1. Quel était ce seigneur de Petremol? Le procès-verbal de Poulain dit
qu'il fut plus tard gouverneur d'Élampes; que la Ligue le fil prisonnier
dans cette ville, puis l'envoya dans les prisons de Paris, où elle le flt
mourir. Dans la traduction de la Grande Histoire de J.-A. de Thou, édit.
de Londres de 1734, t. X, p. 249, on l'appelle Pierre-Paul Tosinghi, ce qui,
d'après un annotateur, ne serait autre chose que la métamorphose en
italien corrompu de Petrepol^ nom qui se rapproche de celui du Petremol
dont il est question au procès-verbal de Poulain. Cest une hypothèse
grammaticale qui parait bien forcée. Pourquoi le Petremol signalé par
Poulain en 1588 ne serait-il pas le même Petremol qui, douze ans plus
tôt, avait acheté la charge de receveur de la ville À François de Vigny, le
jeune, moyennant une somme de 50,000 francs, et dont le contrat fut cassé
par le prévôt des marchands et l'assemblée de Ville? L'EsTon.B, qui a rap-
porté ce fait (t. I, p. 158), ajoutait que Petremol « estoit de la maison et
famille du bastard du feu roy Henri, lors grand prieur de France ». Gela
expliquerait fort bien son intimité avec Henri III. Il faut noter aussi que,
d'après le chroniqueur, Petremol était, en 1576, « eu mauvais nom et en
soubçon de beaucoup devoir ». Voir plus haut, p. 94 à 98.
LES BARRICADES 307
savait un mémoire qu'il remettrait à François d'O, présent
à l'entretien. Le 23 avril, le roi fit venir au Louvre un cer-
tain nombre de cuirasses, en plein jour; Bussy le Clerc et
La Chapelle, qui surveillaient le Louvre avec le plus grand
soin, en conclurent que Tentreprise était découverte, mais
ils ne soupçonnèrent nullement la trahison de Poulain, qui
trouvait toujours des raisons ingénieuses pour expliquer ses
visites au palais du roi. Les ligueurs consternés tinrent
conseil au logis de La Chapelle^Marteau, et il eût été facile
de les arrêter, puisque le roi savait par Poulain le lieu de
leur assemblée ; mais Villequier et la reine mère empêchè-
rent le faible monarque de profiter de l'occasion et de se
défaire de ses plus redoutables ennemis.
Cependant le duc de Guise s'était avancé jusqu'à Gonesse,
prêt à seconder les ligueurs de Paris si leur coup de main
réussissait; les soldats du duc étaient déjà répandus un
peu partout, à Saint-Denis, à la Villette et jusque dans les
faubourgs Saint-Laurent et Saint-Denis; mais, dès qu'il
apprit que le roi faisait venir quatre mille Suisses de
Lagny et qu'il les cantonnait dans les faubourgs Saint-
Denis et Saint-Marlin, Guise rappela ses troupes en toute
hâte et se retira lui-même à Dammartin. C'est là que La
Chapelle, au nom des ligueurs parisiens, vint le trouver
en poste pour le supplier de ne pas abandonner ses parti-
sans à la vengeance royale. Le duc répondit qu'il était
prêt à agir et qu'il reviendrait bientôt à Paris; qu'en atten-
dant il laissait deux de ses gentilshommes, Chamois et
Bois-Dauphin, pour le représenter auprès des ligueurs.
Puis il retourna à Soissons. Poulain donna exactement avis
au roi de toutes ces circonstances, et il y eut, le vingt-six
avril, une sorte de conseil secret dans le cabinet du prince
et en présence de d'Épernon, La Guiche et d'O. Henri III,
avec sa nature soupçonneuse, demanda à Poulain de lui
fournir des preuves matérielles de ses dires et ajouta cette
308 PARIS ET LA LIGUE
question étrange : « N'êtes-vous point de la religion *? »
Poulain, surpris, jura ses grands dieux qu'il n'avait dit que
la pure vérité; qu'il n'avait jamais été protestant, et priai
le roi de faire arrêter « quatre des principaux de la Ligue
qu'il lui nommerait »; on saurait bien alors si les révé-
lations étaient exactes. Henri III répondit par de bonnes
paroles, félicita Poulain de son zële et l'engagea à ne pas
laisser sa vigilance sVndormir. Il annonça, en congédiant
son espion, qu'il allait passer sept ou huit jours à Saint-
Germain, et qu'en son absence les renseignements devaient
être apportés à M. d'O. C'est le même jour, en effet (26 avril)^
que le roi sortit de Paris pour accompagner d'Épernon, qui
allait prendre possession de son gouvernement de Nor-
mandie *. Le favori emmenait avec lui des forces assez
considérables : quatre compagnies d'honunes d'armes et
vingt-deux enseignes de gens de pied. Il avait pour con-
seil l'avocat du roi Séguier. Ce départ du plus énergique
des courtisans n'était que l'exécution d'un plan arrêté df-
concert avec Henri III, qui, prévoyant de prochains conflits
avec la Ligue, voulait évidemment se ménager un point
d'appui en province, tout en concentrant des troupes
autour de Paris. Mais après s'être séparé de d'Épernon^
le roi eut comme un accès de découragement et s'enferma^
le 29 avril , dans un monastère de Vincennes , disant ,,
à ce que rapporte l'Estoile, « qu'il vouloit faire péni-
tence sept jours entiers et qu'on ne lui parlast d'aucune»
affaire ».
. Le moment était mal choisi pour mener la vie contem-
plative. Les ligueurs, se voyant trahis par un des leurs,,
égaraient leurs soupçons sur Compans, parce qu'il avait
été huguenot, sur Téchevin Lecomte, sur d'autres encore,,
et cherchaient h précipiter les événements pour que le roi
\ . C'esl-à-dire protestant.
2. L'EsToir.E, I. m, p. 13*.
LES BARRICADES 309
n'eût pas le temps de prendre des mesures décisives.
Catherine-Marie de Lorraine, duchesse de Montpensier,
essaya d'abord d^obtenir du roi que le duc Guise fût auto-
risé officiellement à venir à Paris, sous prétextre de lui
permettre de se justifier « des faux bruits et calomnies
qu'on luy avoit mis sus ». Mais Henri III fit voir claire-
ment par sa réponse à la duchesse qu'il savait à quoi s'en
tenir sur le dévouement de son frère à la personne royale.
Mme de Montpensier n'avait, d'ailleurs, en faisant cotte
démarche, d'autre but que celui d'endormir le roi. Elle
tramait, à ce moment même, un nouveau complot contre
lui. Sachant que, le 5 mai, Henri devait aller à Vincennes,
avec quatre ou cinq valets et un ou deux gentilshommes
pour toute escorte, elle avait caché quelques ligueurs
résolus et bien armés dans le jardin d'une maison de plai-
sance appelée Bel-Ebat et située hors de Paris, non loin de
la porte Saint-Antoine. Leur consigne était d'arrêter le
carrosse du roi à son retour de Vincennes, de massacrer
l'escorte et de diriger Henri III vers Soissons, au moyen
de relais préparés d'avance. En même temps, on aurait
répandu à Paris le bruit que le roi avait été enlevé par les
huguenots, afin d'avoir un prétexte pour se Jeter sur les
politiques et les sujets fidèles, non seulement dans la capi-
tale, mais dans toutes les villes dévouées à la Ligue. Ce plan
pouvait fort bien réussir, car il était d'une exécution facile ;
mais Bussy le Clerc en ayant fait confidence à Poulain, le
faux ligueur alla immédiatement trouver le roi à Vincennes
et le mit au courant de ce qui se tramait contre lui. Henri
envoya demander à Paris une forte escorte de cavalerie,
qui le reconduisit jusqu'au Louvre *. Dès que les conjurés
avaient vu passer les cavaliers allant chercher le roi à
1. De Thou, t X, p. 252. Proc.^verbal de Poulain, p. 319. On ne s'ex-
plique guère pourquoi Henri III, averti par Poulain du lieu où l'alten-
daient les agents de la Ligue, ne les fit pas cueillir au gîte.
310 PARIS ET LA LIGUE
Yincenncs, ils avaient quitté à la hâte la maison de Bel-
Ébat et s'étaient dispersés.
Certains d'être trahis et redoutant la vengeance du
prince, les meneurs du parti dépêchèrent à Soissons
Tavocat Brigard, surnommé le « courrier de TUnion », pour
mettre en demeure le duc de Guise de venir immédia-
tement se mettre à la tète des ligueurs de la capitale.
Brigard déclara au duc que, s'il temporisait davantage,
tous ses serviteurs Tabandonneraient et ne manqueraient
pas de révéler au roi les projets de la Ligue ^ Le duc de
Guise eut un moment de perplexité terrible. D'une part,
ses partisans le menaçaient de l'abandonner et même de le
trahir, s'il tardait à donner le signal de l'insurrection, et,
d'autre part, le roi lui avait fait transmettre à trois reprises
différentes la défense formelle de venir à Paris. Il faut pré-
ciser ce point important. En quittant Paris, le 26 avril %
pour faire la conduite jusqu'à Saint-Germain à son favori
d'Épernon qui allait prendre possession de son gouverne-
ment de Normandie, Henri III avait envoyé une première
fois Pompone de Bellièvre à, Soissons, où se trouvaient
réunis les princes ligués, pour engager le duc de Guise à
ne pas venir à Paris. Il est probable que cette première
injonction n'eut pas le caractère impératif que lui attribue
Miron, le médecin du roi '. Si l'on en croit de Thou^^l'en-
1. L^EsToiLB rapporte que Brigard u usa de ces mots : que les frères
estoient fort desbauchés, mais que sa présence rabhilleroit tdut, et qu'il
le pouvoit asseurer sur sa vie et sur son honneur que tout se porteroit
bien, s'il venoit ». De Tbou est entièrement d'accord, comme presque
toujours d'ailleurs, avec la version de l'Estoile.
2. C'est DB Tuou qui donne ce renseignement précieux, que nous com-
plétons par le passage de l'Estoile qui mentionne, sous la date du 26 avril,
le départ de d'Épernon et du roi.
3. Relation de la mort de Messieurs les duc et cardinal de Guise, par le
sieur AftVon, médecin du roy Henri III, 1588. Abch. cur., 1'^ série, t. XU,
p. 113. « ... Sa Majesté, par le conseil de la reine sa mère, depescha le
sieur de Bellièvre pour luy faire très e.rprés commandement de n'entrepren-
dre ce voyage, sur peine de désobéissance. » Mais il est possible que ce
passage se rapporte au second voyage de Bellièvre.
LES BARRICADES 311
voyé du souverain n'aurait essayé de fléchir la résolution
du duc que « par des bassesses et des prières indignes de
la majesté d'un roi ». Il aurait déclaré au chef de la Ligue
que jamais le roi n'avait ajouté foi aux rapports qui pré-
sentaient sa conduite sous un mauvais jour; que S. M. ne
doutait nullement de sa fidélité, mais qu'elle le priait seu-
lement de différer pendant quelque temps son voyage à
la cour, afin de ne pas paraître braver ouvertement ses
ordres. Le duc de Guise parut fort étonné de la demande
du roi : il fit valoir ses services, qu'on récompensait fort
mal, suivant lui, et ajouta que l'honneur lui commandait
de protéger les fidèles et bons catholiques qui s'exposaient
pour lui. Quand il aurait obtenu pour eux des garanties
suffisantes, S. M. recevrait de sa part toute satisfaction;
mais si les complices secrets des protestants continuaient
leurs intrigues, il prendrait le parti que lui inspirerait son
zèle pour la religion et pour la patrie *. C'est avec ces
paroles vagues que le duc congédia Bellièvre, qui était de
retour à Paris le jeudi S mai. Henri III, on peut le croire,
ne fut nullement rassuré par le compte rendu de la mis-
sion. Il voulait une réponse catégorique et renvoya Bel-
lièvre à Soissons, avec une recharge, comme dit l'Estoile,
par laquelle il commandait au duc « qu'il n'eust à venir à
Paris qu'il ne le mandast, et que, s'il y venoit, les affaires
estans en Testât qu'elles estoient, pourroient y causer une
esmotion de laquelle il l'en tiendroit à jamais aucteur et
coulpable de tout le mal qui en adviendroit ». Non content
d'avoir ainsi renouvelé ses ordres par Bellièvre, le roi
envoya encore M. de La Guiche au duc de Guise pour lui
notifier une fois de plus la défense de venir à Paris V Le
1. Db Thou, t. X, p. 251.
2. « Le samedy ensuivant (7 mai) je fus advertir Sa Majesté que Mon-
sieur de Guise venoit; laquelle me fit responce quMl y avoit envoyé le
sieur de La Guiche luy dire quMl ne vinst pas. • Proc-verbal de Poulain,
p. 320.
312 PARIS ET LA LIGUE
roi avait raison de se défier de Bellièvre. Ce dernier avail
vu la reine mère avant de partir *, et Catherine lui avait
donné des instructions toutes contraires à celles du roi.
Bellièvre s'acquitta de sa nouvelle mission avec une indé-
cision et une faiblesse extrêmes : le duc de Guise n'eut pas
de peine à le congédier « le laissant en suspens s'il iroit
ou s'il ne bougeroit * » ; mais, à peine Bellièvre parti, le duc
monta à cheval et se mit lui-même en route vers la capi-
tale avec une escorte de huit gentilshommes, sans compter
Brigard, l'émissaire des Parisiens. C'était le 8 mai, sur les
neuf heures du soir. La petite troupe entrait à Paris le
lendemain vers midi, suivant de près Bellièvre, qui^ de
retour à neuf heures, s'était immédiatement présenté au
Louvre et n'avait pas craint « d'assurer le roi que le duc
obéirait ^ ». Trahi par sa mère et par une partie de ses
gentilshommes, Henri n'était nullement préparé à fairo
front au danger qui le menaçait.
Après avoir fait une courte halte à Mortrives, qui était
« des appartenances de Saint-Denis », Guise remonta à
cheval, passa au travers des régiments suisses sans être
reconnu et franchit à midi la porte Saint-Martin « camU"
1. Voy. Mém, de Nevers, 1. 1, p. 164. « M. de Bellièvre, envoyé vers luy
[le iluc de Guise), pour luy faire entendre de se bien garder de venir & la
cour, parle à la reine-mère avant que partir; laquelle, sçachant la créance
que le roy lui a voit baillée, luy dit au contraire qu'il faut qu'il vienne;
autrement le roy est si en colère qu'un monde de gens d'importance sont
perdus. Qu'il le luy doit persuader ou au moins ne l'en dissuader pas,
afln que, venant, toutes choses se rhabillent et que le roy oublie le passé. »
2. Amplification des particularités qui se passèrent à Paris lorsque M. de
Guise s'en empara et que U roi en sortit» ArCh. eut., 1^ série, t. XI, p. 3£»2.
Cette pièce se trouve aussi dans le recueil des Mémoires de la Ligue, t. Il,
p. 315, et dans les Preuves de la Satyre Ménippée, t. III, p. 64.
3. Relation de Miron, Le médecin du roi ajoute que Bellièvre « sa voit
tout le contraire, ayant veu premièrement et dit la vérité & la reine-mèn*
du roy, laquelle, disait-on, jouoit le double sur le dessein de ce voyage,
d'autant qu'elle dés iroit ce duc auprès du roy pour s'en servir h reprendre
et à maintenir lautorité qu'elle avoit eue auparavant au maniement des
alTaires, et pour s'en forlifîer contre les insolences et les dédains insup-
portables du duc d'Épernon, qui l'avoit réduite à telle extrémité que,
«luoiqu'il en peust arriver, elle estoit résolue à sa ruine ».
LES BARRICADES 313
fato^ le visage caché de son manteau jusques à ce qu'il
arrivât dans la rue Saint-Denis. Et lors un jeune gentil-
homme de sa troupe, nommé Fourronne, nepveu de
M. Sainct-Anthoinc de Vienne, luy vint, comme par jeu,
lever le chappeau de sa teste et tirer le manteau d'alentour
du visage, disant qu'il estoit temps de se faire cognoistre
à riiostellerye * ». Ce jeu de scène, prémédité ou impro-
visé, rendit aussitôt publique l'arrivée du chef de la Ligue.
Il s'achemina, sans plus se préoccuper de son incognito^
jusqu'à l'hôtel de la reine mère « aux Filles-Repenties * ».
La naine de Catherine regardait, par hasard, à la fenêtre,
«t elle s'écria qu'elle voyait venir le duc de Guise. Croyant
ù une mauvaise plaisanterie, la vieille reine dit « qu'il
falloit bailler le fouet à ceste nayne qui mentoit; mais à
l'instant elle cogneust que la nayne disait vray, dont elle fut
tellement esmeue d'aise et de contentement que l'on la vit
trembler, frissonner et changer de couleur ' ». Après quel-
ques paroles diplomatiques qui avaient pour but de se
couvrir vis-à-vis du roi, dont elle connaissait les ordres,
puisqu'elle les avait contrariés, Catherine envoya M. de La
Guiche avertir officiellement le roi de l'arrivée du duc, qui
demandait la permission d'aller lui faire « la révérence et
i. Histoire de la journée des Barricades par un bourgeois de Paris, Celte
pièce, très curieuse et remplie de détails précis, émane d'un bourgeois de
Paris resté inconnu. Elle est tirée d'un recueil manuscrit de la Bibl. nat.,
départ, des imprimés, fonds de Thoisy, intitulé Recueil hisL, t. UI, iQ-f<>. On
la trouve reproduite dans la Revue rétrosp.^ t. IV, 1'* série, p. 39i (1834),
et dans Cihber et Danj., V* série, t. XI, p. 365 (1836).
2. Amplification, etc., loc. cit.y p. 3o2. C'est-à-dire l'hôtel bâti sur rancien
«mplacemeut des Filles-Repenties. Il a été remplacé par la Halle au blé.
3. Histoire de la journée des Barricades, etc., p. 368. Nous ne savons sur
quel fondement Michelet a écrit, en parlant de Catherine : a Elle qui négo-
ciait, qui croyait Tempécher de venir, elle le voit tout venu, pâlit, bé-
gaye.... » Ayant elle-même engagé le duc à venir de suite à Paris; la
reine mère ne pouvait que manifester de la satisfaction en le voyant pa-
raître. De Thou est, au surplus, d'accord avec le Bourgeois de Paris et dit
« qu'elle reçut parfaitement bien • le duc de Guise, t. X, p. 253. Tous ces
points sont fort importants et prouvent que le récit d'événements en
apparence très connus peut toujours être amené à une exactitude et à
une précision plus grandes.
314 PARIS ET LA LIGUE
submissions accoustumées ' ». Le roi fit répondre par
M. de Villequier qu'il recevrait Guise.
Qu'allait-il se passer? Outré de colère, Henri III dit à
Villeroy : « Il est venu! Par la mort-Dieu! il en mourra. Où
est logé le colonel Alphonse? — En la rue Sainct-Honoré,
dit le sieur de Villeroy. — Envoyez-le quérir et qu'on luy
die qu'il s'en vienne soudain parler à moi *. » Le colonel
corse Alphonse Omano arriva sans retard au Louvre, et h*
roi lui dit, après s'être enfermé avec lui dans son cabinet :
« Voilà donc M. de Guise qui vient d'arriver, et toutefois
je lui avois mandé qu'il ne vinst point. A vostre advis^
capitaine Alphonse, si vous estiez en ma place et que vous
lui en eussiez mandé autant, et qu'il n'en eust tenu autre
compte, que feriez-vous? — Sire, il n'y a, ce me semble,
qu'un mot en cela : tenez-vous M. de Guise pour vostre ami
ou pour vostre ennemi? » Le roi ayant fait un geste signi-
ficatif,. Ornano ajouta : « Ce qu^estant, s'il vous plaist
de m'honorer de cette charge, sans vous en donner autre-
ment peine, je vous apporterai aujourd'hui sa teste à vos
pieds ou bien vous le rendrai en lieu là où il vous plaira
d'en ordonner, sans qu'aucun homme du monde bouge ne
remue, si ce n'est à sa ruine '. >> Bien que cette offre
hardie ait été directement provoquée par Ilenri III, il n'osa
pas l'accepter et répondit en termes vagues « qu'il n'estoil
encores besoin de cela et qu'il espéroit de donner ordre à
tout en bref par un autre et plus court moien ». Le moyen
d'Ornano ne laissait pas cependant d'être expéditif.
Tandis qui» ces projets violents s*agitaient dans le
cabinet du roi, Catherine, sachant par M. de Villequier
que Henri III refusait de se rendre chez elle, comme elle
1. Histoire, etc., p. 368. Miron, de son côté, dit, dans sa narration, que ce
fut M. de Villeroy qui, arerti au milieu de son dtner par un de ses amis
de l'arrivée du duc, alla immédiatement prévenir le roi au Louvre.
2. Relation de Miron, p. 115.
3. L'EsTOiLE, t. ni, p. 136.
LES BARRICADES 315
l'en avait prié, car elle se trouvait fort souffrante *, prit la
résolution de conduire elle-même le duc de Guise au
Louvre. La vieille reine se fit mettre dans une « chaire à
bras » et s'achemina vers le palais de son fils. Le duc de
Guise la suivit à pied, à travers les rues remplies d'une
foule enthousiaste. On criait : Vîve Guise! Vive le pilier
de l'Église '! Des femmes s'attendrissaient, cherchant h
toucher le bord de son manteau. Une boutiquière, qui était
sur le pas de sa porte, s'écria tout haut : « Bon prince,
puisque tu es ici, nous sommes sauvés M » Lui restait
calme, dissimulant sous un air de hauteur affectée la joie
intérieure que lui causaient les manifestations de l'amour
populaire *. Il arriva ainsi au Louvre, comme porté par un
flot vivant. Ce qu'il vit là était fait pour diminuer un peu
son assurance. Sous le coup de sa colère, Henri III avait
pris quelques mesures menaçantes : les abords et les esca-
liers du palais étaient occupés militairement par les gardes
françaises et suisses ^ Guise dut traverser ces haies de
fer avant de parvenir jusqu'au roi ". Il saluait en souriant,
1. D'après une des quatre lettres sur les Barricades qui se trouvent dans
les manuscrits de Baluze, la reine mère, dès l'arrivée chez elle du duc de
Guise, aurait envoyé chercher M. de Villequier, dont elle connaissait l'in-
fluence sur le roi, et l'aurait chargé d'aller demander à Henri III de venir
chez elle. Le roi se serait emporté contre sa mère et Villequier, et aurait
formellement refusé de sortir du Louvre. D'après la relation du Bourgeois
de Paris qui se trouve dans le Recueil hist. de la Bibl, nat., c'est, comme
nous l'avons dit plus haut, M. de la Quiche qui aurait été le messager de
Catherine, et Villequier n'aurait fait que porter la réponse du roi à sa mère^
réponse qui autorisait seulement le duc de Guise et la reine mère à se
présenter au Louvre.
2. L'EsTOiLE, t. III, p. 437.
3. Ibid.j et Ampli f. des partie, etc., p. 3oi.
4. De Thou, t. X, p. 253.
5. La Relation du Bourgeois de Paris dit qu'après avoir expédié M. de
Villequier à la reine mère pour l'autoriser à venir au Louvre avec le duc
de Guise, le roi avait « fait en diligence assembler ses gardes, tant fran-
çaises que suisses, et les ranger en meilleur ordre et plus apparant que
de coustume ».
6. Nous suivons la version de l'historien de Thou, toujours si exact,
mais il faut noter que, suivant la Relation du Bourgeois, Catherine et le
duc entrèrent au Louvre » par la petite porte qui est près du jeu de paume»
afin de ne passer parmi les gardes ».
316 PARIS ET LA LIGUE
multipliant les efforts de sa grâce, comme pour abaisser
devant lui les épées. Peut-être, à ce moment, la présence
de Catherine fut-elle sa meilleure sauvegarde. Enfin le duc
•et la reine mère furent introduits auprès de Henri III. Le
«•oi attendait, avec cette dignité hautaine qu'il savait
prendre dans les circonstances graves. Il était dans « la
chambre de la reine * » assis près du lit * « et ne se remua
point pour Tentrée dudit sieur de Guise qui lui fit une
révérence, touchant quasi le genou en terre; mais le roi,
irrité de sa venue, ne lui fit autre accueil, sinon lui
demander : « Mon cousin, pourquoi esles-vous venu *? »
Le ton de ces paroles en rendait la concision plus mena-
çante. Henri III était blême, dit Miron, et mordait ses
lèvres. Le duc se crut perdu. Cependant, comme le roi ne
l'interrompait pas, il entama une longue justification de
sa conduite et de celle de la Ligue, disant qu'on l'avait
calomnié et priant S. M de soumettre tous ses actes à une
«enquête impartiale. Le roi, s'adressant alors à M. de
Bellièvre, lui dit : « Ne vous avais-je pas commandé de
lui faire entendre mon intention? » Bellièvre balbutia,
troublé de la colère de son maître, essayant de soutenir
qu'il avait fidèlement transmis ses ordres; mais Guise, qui
Jouait sa tête, interrompit le malheureux courtisan et lui
rappela de quelle manière équivoque et à double entente
il avait rempli la mission. Henri III pénétra-t-il l'énigme
-de cette trahison? Le visage de Catherine resta-t-il impas-
sible devant le regard de son fils? On ne sait : le roi
démêla toujours une partie de la vérité, car il foudroya
Bellièvre par ces mots significatifs : « Je vous en avais dit
1. Relation de Miron.
2. Amplification des particularités , etc.
3. Ibid.y p. 353. L'auteur de V Amplification ajoute que le duc de Guise, en
répondant à la question du roi, était u tout ému et fort pasle, comme sUl
«ust craint que le roi ne se voulust dèa lors ressentir du mépris qu'il avoil
fait de ses commandemens ».
LES BARRICADES 317
davantage. » Une réponse imprudente du pauvTe Bellièvre
pouvait à jamais perdre Catherine dans l'esprit du roi et
faire tomber la tète du duc de Guise. La vieille reine savait
par expérience à quelles extrémités s'emportait soudain le
sang des Valois, et la sauvage fureur de Charles IX au
moment de la Saint-Barthélémy risquait d'être égalée en
ce moment par la rage froide et concentrée de Henri IIL
Mais il y avait là trop de femmes, surtout les deux reines,
également intéressées à sauver Guise, Tune parce qu'elle
iHait sa complice, l'autre parce qu'elle était du même sang
({ue le chef de la Ligue ^ Aussi, coupant, en quelque
sorte, l'aigre dialogue du roi et de Bellièvre, Catherine
s'entremet * aussitôt, enveloppe son fils de ses paroles
mielleuses, et la reine Louise engage une conversation
avec le duc, comme pour le prendre sous sa protection
pendant <( le pourparler do la reine-mère avec le roi ' »•
Les courtisans à moitié traîtres comme Yillequier, un pied
dans les deux camps, mais haïs du peuple, appuyaient les
instances des reines et agitaient devant les yeux et l'àmo
vacillante du roi le spectre des représailles de Paris, si
ridole des foules succombait. Cette étrange conférence se
prolongea longtemps : pendant trois mortelles heures *.
Guise se répandait en protestations de fidélité, allant jusqu'à
dire « qu'il portait une épée bien tranchante pour tirer
raison de ses calomniateurs ^ ». A ces audacieuses
excuses, Henri UI répondait qu'il savait à quoi s'en tenir
sur les menées de la Ligue ; il accusa le duc « de mener
1. La reine Louise, rappelons-le, était fille de Nicolas de Lorraine, comte
de VaudémoDt, et cousine des Guises.
2. C'est l'expression dont se sert Miron.
3. Amplification des particularités ^ etc.
4. A lire les historiens de Paris, on pourrait croire que l'entrevue du
roi avec Guise dura à peine quelques minutes; mais la relation attribuée
à Sainct-Yon (Arch. cim., t. XI, !'« série, p. 329) nous dit que Guise entra
au Louvre à deux heures et n'en sortit qu'à cinq. C'est ce que confirme
aussi le Procès-verbal de Poulain.
5. Lettre tirée des Mss. de Baluze par Cimber et Danjou, t. XI, p. 35i.
LES BARRICADES 319
intentions du chef de la Ligue, et l'ayant tenu à sa
ion, il venait de le laisser partir; il se contenta donc
iger Poulain à se tenir sur ses gardes et à veiller à
reté personnelle. L'étrange personnage se le tint pour
t, après avoir donné à M. d'O tous les renseignements
il disposait, il quitta Paris deux jours après, « atten-
les nouvelles qui demeureroit le plus fort ».
.e roi de France allait-il reculer sans lutte devant le roi
Paris qui, s'étant trouvé à deux doigts de la mort, trans-
mait son hôtel en forteresse, ralliait ses gentilshommes
faisait entrer ses Albanais et ses capitaines dans la
pitale? Malgré son inertie naturelle, Henri III avait pris
«lelques mesures de défense. Il avait d'abord songé à faire
oignarder le duc par les Quarante-cinq, le lendemain
aatin 10 mai, quand il se présenterait au lever, et à faire
;Cter le corps par les fenêtres du Louvre, « l'exposant à la
veue d'un chacun pour servir d'exemple à tout le monde
et de terreur à tous les conjurés * ». Mais Villequier et La
Guiche dissuadèrent le prince d'employer ce moyen
violent et prévinrent le duc de Guise qu'il pouvait se
présenter impunément au Louvre le lendemain matin. Et
c'est ce que fit le chef de la Ligue, le mardi dix mai; il
avait, cette fois, une escorte de « trente et quarante che-
vaux ' » ; le lendemain, ce fut le roi qui alla trouver le duc
son mélier d'agent de police à la su île de la cour, jusqu'A la mort de
Henri III. Il se vante, en terminant son curieux Procès -verbal, d*aToir
rendu A son maître de « signalés services qu'on ne peut pas écrire au
vrai, sans en toucher quelques-uns qui n'en seroient pas conteos ».
1. Relation de Miron, p. 116.
2. Amplifie, des partie, etc. Dissimulant sa colère, le roi fit, dans cette
seconde entrevue, bon visage au duc et l'autorisa à faire venir à Paris
l'archevêque de Lyon, d'Espinac, l'un des ligueurs les plus énergiques
et les plus dangereux. Mais le 11 au matin, lorsque le roi, se trouvant
chez la reine mère, vit arriver le duc, « il tourna le visage d'austre costé,
qui fut cause que monsieur de Guise s'assit sur un coffre près monsieur
de Bellièvre et luy tint plusieurs propos, se plaignant des mauvais rap-
ports qu'on avoit faits de luy à Sa Majesté.... » Hist, de la journée des
Barric. Arch. cur., V série, t. XI, p. 371 . — Michelet a placé cet incident, que
raconte le Bourgeois de Paris, dans la première entrevue de Guise et du
320 PARIS ET LA LIGUE
à riiôtel de la reine mère. Dans ces deux entrevues,
Henri III et Guise échangèrent sans fin des récriminations
et des griefs réciproques. Cette situation tendue ne pou-
vait se dénouer que par un coup de force. Les deux adver-
saires le comprenaient bien et se préparaient à la lutte. On
connaît les forces de la Ligue; elles s'accroissaient tous
les jours par Taccession des aventuriers que Guise faisait
entrer dans Paris, par Tardente propagande des curés,
des moines et des agents patentés du parti. Qu'avait fait le
roi pour se défendre et sur qui pouvait-il compter?
Le jour même de l'arrivée du duc de Guise daus la
capitale, le roi avait fait faire par le Bureau de la Yille
« deffenses très expresses, sur peine de la vye, à tous
bourgeois, manans et habitans de la Yille et faulxbourgs
de Paris et autres personnes, de quelque qualité ou condi-
tion qu'ilz soient, de sortir hors leurs maisons avecq armes
aultres que Tespée et dague après 9 heures du soir son-
nées, sinon à ceulx ausquelz il a esté commandé de eulx
tenir prestz en armes pour le service de S. M. et repos de
ladite Ville * ». Un autre mandement, en date du même
jour, ordonne que « les gardes soient faites tant aux
portes de ceste ville que par la ville, suivant les règle-
ments qui ont esté donnés aux prévost des marchans et
eschevins, lesquelz commenceront dès ce soir à establir
roi au Louvre, celle du 9 mai. Hist, de Fr., t. X, p. 148. Il n'est pas indif-
férent de noter qu'il se place dans Tentrevue du 11 : car cela prouve que
le duc de Guise se crut menacé de mort deux jours après son arrivée à
Paris.
1. Rbg. de la V. h, 1789, f« 116. Voy. aussi lettres de Pasquibr, livre 11,
lettre 3. Anqubtil, parlant de la situation de Paris dans les premiers mois
de 1588, dit, de son c6té : « Henri III crut arrêter les complots des ligueurs
par un simple édit qui défendait les levées d'hommes et les attroupe-
ments, mais on n'en tint aucun compte. A Paris même, sous ses yeux, le
roi souffrait que le peuple se familiarisât avec les armes : tolérance tou-
jours dangereuse, surtout quand les esprits sont échauffés. Pasquier
écrivait à un de ses amis : « Nous sommes maintenant devenus tous
guerriers désespérés. Le jour nous gardons les portes, la nuit nous fai-
sons le guet, patrouilles et sentinelles. Bon Dieu! que c'est un métier
plaisant à ceux qui en sont apprentis! » VEsprii de la Ligue, t. II, p. 243.
LES BARRICADES 3!21
les corps de garde pour la nuit et, demain du matin, la
garde des portes • ». Afin de prêter main forte à la garde
du roi, qui n'était pas très nombreuse, le 9, le prévôt des
marchands avait adressé à plusieurs colonels de la milice
municipale un ordre ainsi conçu : « M..., colonel au quar-
tier de X..., quartenier, nous vous prions de faire armer
jusques au nombre de vingt hommes de chacune dixaine
de vostre colonnelle et eulx tenir pretz cejourdliyuy à
C heure de midij pour obéir ad ce qui leur sera enjoinct et
commandé pour le service du roy et de la Ville. Faict au
Bureau d'iccUe, le lundi 9 mai 1588 '. » Il ne faudrait pas
croire, au surplus, que la milice municipale fût entière-
ment dans la main du roi. Henri III pouvait compter sur
le dévouement du prévôt des marchands, Nicolas-Hector de
Pereuse, maître des requêtes de THôtel, et sur les échevins
Le Comte et Pierre Lugoly, mais dans le corps de Ville
même il y avait d*ardents ligueurs, Sainct-Yon, par
exemple, auquel on doit Tune des plus intéressantes rela-
tions de la journée des Barricades. De même, dans les
rangs de la milice municipale, se trouvaient un fort grand
nombre de ligueurs. Les officiers étaient fort divisés, bien
que le roi eût nommé un grand nombre de capitaines en
vertu de son bon plaisir et sans tenir compte des élections
traditionnelles. Dès le 7 mai, dans une grande assemblée
de ville « en laquelle tous les capitaines et lieutenans com-
mandans à Paris furent mandez », plusieurs d'entre eux
avaient été notés comme suspects, parce qu'ils avaient émis
l'avis d'appliquer un remède violent à la crise où l'on
1. BcG.} ibid»
2. Ihid, Ce mandement parait établir que THÔlel de Ville fut averti de
Karrivée du duc de Guise avant même qu'il eût franchi les portes de Paris»
car les documents que nous avons cités disent que Guise arriva sur le
midy (voy. notamment la relat. du Bourgeois de Paris, HisL de la journée
des Barricades et Amplifie, des partie,). Le mandement est évidemment
antérieur à l'heure de midi, puisque les capitaines doivent avoir réuni
tous leurs hommes à midi.
ROBIQUET. 21
322 PARIS ET LA LIGUE
s'agitait, remède qui eût consisté à faire une nouvelle Saint-
Barthélémy d'hérétiques. Les capitaines hostiles aux
ligueurs accusaient, d'autre part, ces derniers de n'être
que des rebelles et des perturbateurs de l'ordre public. Les
deux camps se réunissaient d'une manière distincte et se
mesuraient de l'œil. Sur le bruit qui se répandit, le 7 au
soir, que le duc de Guise était au Bourget avec une armée
de trente mille hommes, les échevins et les capitaines
royalistes mirent leurs hommes sur pied : les capitaines
ligueurs prirent alors les armes afin de se garder d'une
surprise K Le dimanche 8, Pereuse, prévôt des marchands,
accompagné de l'échevin Le Comte, voulut mener les
archers de la Ville au Temple pour prendre possession des
poudres qui s'y trouvaient; mais les archers, ou du moins
la plus grande partie d'entre eux, firent mine de quitter
leurs hoquetons, s'écriant bien haut qu'ils étaient catholi-
ques; et peu s'en fallut, Sainct-Yon l'affirme, qu'ils ne mis-
sent à mort le prévôt des marchands et l'échevin Le
Comte. La nuit du 8 au 9, les capitaines des deux factions
prirent la garde, se surveillant mutuellement, et, bien que
le prévôt des marchands n'eût adressé de mandements
pour la garde qu'aux officiers dévoués au roi, les archers
de la Ville refusèrent tout service *. C'était déjà une
situation révolutionnaire, puisque les ligueurs, non con-
voqués pour le service de garde, prenaient les armes
1. Hist. très veril., etc., relation attribuée à Sainct-Yon, t. UI des Preuves
de la Satyre Ménippée, £dit. de Ratiabonne de 1752, p. 40.
2. IlncL Anquetil (Esprit de la Ligue, t. II, p. 21) parait un peu s'aven-
turer, quand il déclare que jusqu'au jeudi matin le roi aurait pu faire
arrêter le duc de Guise,» parce qu'il avoil pour lors tous les capitaines de
quartier, toutes les cours souveraines, la bonne bourgeoisie et 4,000 Suisses,
outre sa garde ». Les documents que nous avons analysés au texte établis-
sent, d'une manière certaine, que, dès le 7 mai, une grande partie des capi-
taines de la milice refusaient tout service à la municipalité royaliste, et
que les archers de la Ville se mettaient en révolte ouverte dès le dimanche
8 mai. Le maréchal de Biron sera beaucoup plus dans la vérité, en disant
au roi, le 12, que les 30,000 hommes <]e milice forment le principal con-
tingent de rémeute.
LES BARRICADES 323
d'eux-mêmes. Cette attitude d'une bonne partie de la milice
dut rendre illusoires ou tout au moins paralyser les
mesures de police qu'ordonna le Bureau dans les journées
des 10 et H. Il avait été prescrit aux quarliniers d'appeler
les oinquanteniers et dizainiers, et de faire des perquisitions
dans toutes les hôtelleries, tous les garnis et autres lieux,
afin de rechercher les vagabonds et les étrangers, et
d'avertir le prévôt des marchands de tout ce qui se pas-
serait dans chaque quartier. Quant aux colonels, ils reçurent
Tordre « de faire faire corps de garde aux portes et par la
Ville, suivant les règlemens qui ont esté cy-devant faictz »,
et d'empescher « qu'il ne soit tiré aulcun coup d'harquebuzc
après neuf heures du matin sonnées jusques au matin que
la garde soit levée * ». Le lendemain, le Bureau transmet
aux quartiniers l'injonction « d'advertir par chacun matin
à l'ouverture des portes MM. les colonels et capitaines de
la Ville qui entreront en garde ès-portes d'icelle Ville, de
ne laisser rentrer ne sortir aulcunes personnes par lesdites
portes portans armes à feu », de fouiller ceux qui entrent et
de saisir les lettres et paquets qu'on pourrait trouver sur
eux, puis de porter le tout à l'Hôtel de Ville '. Le même
mandement invite les quartiniers à continuer les perqui-
sitions domiciliaires et à « entrer eulx-mesmes dedans
chacune des maisons ».
Le 11 mai, à cinq heures du soir, eut lieu, dans la
maison commune et sur Tordre du roi, une assemblée où
figurèrent le sieur d'O, le prévôt des marchands, les éche-
vins et « aucuns colonels ». Il y fut décidé qu'on ferait, la
nuit suivante, « bonne garde par quelques places », mais
que ce service de surveillance ne serait confié qu'à certains
colonels ou capitaines sur qui le roi pouvait compter.
L'échevin Sainct-Yon représenta vainement que chaque
1. Mandement du 10. (Reo. db la V. H. 1789, fol. 117.)
2. Ibid,, fol. 118. Mandement du 11 mai.
334 PARIS ET LA LIGUE
colonel devait régler dans son quartier le service de garde,
et qu'en dirigeant telle ou telle compagnie sur d'autres
circonscriptions militaires on s'exposait à mécontenter la
population et à provoquer une émeute. Un des présidents
du Parlement ayant appuyé ces observations, M. d'O y
coupa court par cette brutale apostrophe : « Par la mort
Dieu! messieurs, je n^ay que faire de vostre conseil en
cest endroit. J'ay la volonté du roy; il veut estre mainte-
nant obéy K » Cette violente attitude n'était pas faite pour
calmer les esprits : aussi, l'aspect de Paris devint-il de plus
en plus menaçant. Le roi en fut avisé et manda aussitôt
quelques magistrats notables dont il connaissait le dévoue-
ment et qu'il avait nommés capitaines dans la milice mu-
nicipale. Il leur prescrivit de rassembler leurs hommes et
d'occuper fortement le cimetière des Innocents dont deux
portes débouchaient rue Saint-Honoré et deux autres rue
du Fouare ^ C'est Augustin de Thou, président au Par-
lement, qui fut choisi par le prince pour commander
les onze compagnies fidèles ou présumées telles, qui de-
vaient prendre position au cimetière. De Thou reçut la
consigne de ne point quitter son poste jusqu'à l'arrivée de
Nicolas de Brichanteau, sieur de Beauvais-Nangis. Ces
ordres furent exécutés à neuf heures du soir; mais le
moral de la milice était si peu affermi que, malgré les
objurgations du vieux président de Thou, quatre compa-
1. Relation de Sainct-Yon.
2. Dr Thou, t. X, p. 255. D'après cet historien^ les ordres auraient été
donnés directement par le roi à Augustin de Thou et à réchevin Le Comte,
tandis que Sainct-Yon dit que les colonels avaient reçu leurs instructions
de M. d'O au conseil de Ville dont nous avons parlé. Les Registres de la
Ville attestent -que les ordres du roi furent, en tout cas, régulièrement
transmis au président de Thou. Voici le texte même du mandement : « De
par les prévost des marchans et eschevins, M. le président de Thou, colon-
nel, nous vous prions de mander vostre compaignie et celle de M. Tronson
cejourd'huy, heure de huict heures du soir, pour de lù les mettre en garde
au cimetière des Saincts-Innocens, et ne les lever jusques & demain cinq
heures, suivant l'exprès commandement du rov. Faict au bureau de la
Ville, le H mai 1588. » (Rbg. H, 1789, fol. 118.)
LES BARRICADES 325
gnies sur onze refusèrent de se laisser enfermer dans le
cimetière et allèrent se poster dans la rue Saint-Honoré et
dans la rue du Fouare. Vers trois heures du matin *, M. d'O,
suivi d'une petite escorte d'arquebusiers, vint visiter le
cimetière, et,.s'adressant aux officiers des quatre compa-
gnies dissidentes, leur demanda avec arrogance pourquoi ils
avaient quitté leur poste. Les officiers répondirent sur le
même ton qu'ils avaient voulu se mettre en mesure de
défendre leurs femmes et leurs enfants contre la solda-
tesque étrangère qui allait mettre Paris au pillage. D'O
n'osa pas insister, car il craignait de provoquer une muti-
nerie ouverte, et se contenta de dire aux quatre compagnies
qu'elles faisaient leur devoir. Il pénétra ensuite dans le
cimetière et félicita, au nom du roi, ceux qui n'avaient pas
quitté leur poste. Il s'approcha du président de Thou et lui
dit à l'oreille de faire encore patienter ses gens quelque
temps, en attendant les troupes que le roi avait mandées.
D'autres détachements de la milice, notamment les com-
pagnies de la rue Saint-Honoré, avaient occupé le petit
Chàtelet et le pont Saint-Michel. A la place de Grève,
M. de Marie, maître des requêtes, avait établi un poste
avec les compagnies de la rue Saint- Antoine; le chevalier
du guet, avec cinquante archers, s'y trouvait aussi. M. d'O,
en quittant le cimetière des Innocents, se rendit chez un
quartinier nommé Canaye, qui était tout dévoué au roi et
auquel on avait confié la garde des clefs de la porte Saint-
Honoré. Il se tint chez Canaye une sorte de conseil;
l'échevin Le Comte * y assista, ainsi que Téchevin Lugoly,
qui avait passé la première partie de la nuit à l'Hôtel do
1. C'est l'heure indiquée par de Thou, dont nous suivons la version.
D'après la relation de Sainct-Yon, M. d'O aurait fait sa ronde & une heure
du matin.
2. Le Comte avait servi de lieutenant au président de Thou dans le cime-
tière des Innocents; c'est lui qui avait harangué les capitaines pour les
engager à défendre la cause du roi. Il avait les clefs du cimetière et en
xivait fermé les portes, sauf un guichet. Voy. la Relation de Sainct-Yon.
326 PARIS ET LA LIGUE
Ville. Après une courte délibération, d'O, suivi de Le Comte
et Lugoly, alla ouvrir la porte Saint-Honoré, vers quatre
heures du matin, au régiment des gardes et aux onze en-
seignes de Suisses que le roi avait mandés. Ces troupes
défilèrent en silence jusqu'au cimetière des Innocents *,
puis se dispersèrent et s'avancèrent tambour battant vers
les postes qui leur étaient assignés. Le maréchal de Biron
conduisit trois enseignes de Suisses et deux françaises au
Marché-Neuf, et détacha une compagnie au Petit-Pont,
sous le commandement de Joachim de Dinteville. Une
compagnie de gardes-françaises, commandée par le capi-
taine Claude de Tlsle, sieur de Marivaux, s'empara du
pont Saint-Michel que la milice avait presque abandonné ',
et une autre, commandée par le Gascon du Gast, occupa
le petit Châtelet. Louis Berton de Grillon, maître de camp
du régiment des gardes et qui devait plus tard acquérir
une si brillante réputation militaire, avait ordre de se
saisir de la place Maubert, position stratégique de premier
ordre; mais il se trouva, au carrefour Saint-Séverin, en
présence d'une troupe de factieux et allait la charger quand
il reçut ordre de battre en retraite. Il ne s'y résigna
qu'avec colère, comprenant bien que cette reculade allait
singulièrement encourager les émeutiers d'un quartier
populaire entre tous et qu'il aurait fallu maîtriser sans
retard. C'est, en effet, de là que l'insurrection se répandit
sur la ville entière. Dès quatre heures du matin, le procu-
1. Quaire ou cinq compagnies de Suisses restèrent au cimetière, sous les
ordres du capitaine Bonouvrier de Saintonge.
2. L'échevin Sainct-Yon, qui avait affecté d'agir en sens contraire de ses
collègues Le Comte et Lugoly, nous apprend dans la relation qui lui est
attribuée qu'il aida fort à faire retirer un capitaine nommé Riolle, cordon-
nier du roi, qui voulait prendre position sur le pont Saint-Michel. Ce
Riolle avait été huguenot : aussi Sainct-Yon n*eut-il pas de peine & dé-
tourner ses hommes de lui obéir. Quant au quatrième échevin (que la
relation de Sainct-Yon appelle tantôt Bonnet, tantôt Bonnard, comme la
plupart des documents du temps}, il était au pont Saint-Michel avec Sainct-
You et ue joua qu'un rôle effacé.
LES BARRICADES 327
reur Crucé, apprenant Tentrée dos Suisses, avait ameuté
toute l'Université en faisant crier par ses émissaires :
Alarme! alaime! et en répandant le bruit que Châtillon
avec ses huguenots était dans le faubourg Saint-Germain*.
Les écoliers de TUniversité, voyant les troupes se retirer,
descendirent de la montagne Sainte-Geneviève, occupèrent
la place Maubert * et construisirent immédiatement quel-
ques barricades à dix pas des Suisses. Pendant ce temps,
d*0, à la tête de quatre compagnies suisses et de deux
compagnies de gardes-françaises, se rendit maître de la
Grève et de THôtel de Ville, où le prévôt des marchands,
Nicolas-Hector de Pereuse, avait passé la nuit, assisté de
rjiristophe de Marie Versigny et de Laurent Têtu, chevalier
du guet; on a dit plus haut que Téchevin Pierre Lugoly
était resté aussi en permanence à la maison commune,
qu'il n'avait quittée qu'à quatre heures du matin pour aller
ouvrir la porte Saint-Honoré aux Suisses et aux gardes
françaises. Ainsi mis à l'abri d'un coup de main des li-
gueurs, l'Hôtel de Ville devint, en quelque sorte, le quar-
tier général des royalistes. Le prévôt des marchands y
convoqua tous les colonels de la milice pour se concerter
avec eux '.
1. Voy. Palma-Gaybt, Introd. à la Chronologie novenaire,
2. Amplifie, des partie, et Relat. de Sainct-Yon, L'échevin ligueur dit
que Grillon, voulant se saisir de la place Maubert, avait trouvé « l'embou-
cheure de ladicte place Maubert fermée à Tendroict du carrefour Sainct-
Severin où estoit descendu un capitaine de l'Université n. Palma-Cayet
ajoute que « la Cité et toute TUniversilé fut toute barricadée sur les neuf
heures; la ville ne le fut que sur le midy ».
3. « De par lesprévost des inarchans et eschevins de la Ville de Paris, M. le
président de Thou, colonnel, nous vous prions de vous trouver présente-
ment en Thoslel de ceste ville pour adviser ad ce qui e:»t à faire pour la
seuretté de la ville, et oultre mander à tous les cappitaincs de vostre quar-
tier qu'ilz aient à tenir les bourgeois et leurs serviteurs de leurs dizaines
en armes en leurs maisons pour le service du roy et conservation de ladite
ville. Faict au Bureau, le 12 mai 1588, dix heures du matin. » (Reg. H.
1189, fol. 119.) Pareil mandement fut envoyé à MM. de Pereuse, Tambon-
neau, Bellanger, Néré Brisson, de Charmeau, Allegrain, Abelly, Bodat du
Blanc-Mesnil, du Four, de Brion, de Thou, Huberdeau, Perrot, Boursier,
Fournier, Gaillart.
338 PARIS ET LA LIGUE
Toutes ces allées et venues des troupes et de la milice
avaient profondément ému la population. L'aspect des
rues était lugubre : « chacun fermait sa boutique avec
un étrange courroux * ». Sur les huit heures, les présidents
Brisson et Séguier vinrent trouver le roi pour appeler son
attention sur cette attitude des bourgeois et le prièrent
d'envoyer le gouverneur de Paris afin de décider les bou-
tiquiers à ouvrir leurs volets •. Henri III prescrivit à
M. de Villequier de monter à cheval et d'aller donner ordre
aux habitants de tenir leurs maisons ouvertes : il se plai-
gnit aux membres du Parlement du peu de soin que les
bourgeois avaient apporté dans l'exécution de ses ordres
relatifs aux perquisitions domiciliaires. Villequier ne ren-
contra pas de résistance; mais à peine était-il passé que les
habitants refermaient leurs boutiques.
Au moment, du reste, où le roi recevait la députation
du Parlement, la situation n'était nullement désespérée.
Les rues n'étaient pas encore barricadées, sauf dans la
Cité ; le duc de Guise se tenait enfermé dans son hôtel, avec
peu de monde autour de lui. Il fut sur le point de se
rendre aux instances de Catherine et de Bellièvre, qui ren-
gageaient, au nom du roi, à quitter Paris, sous promesse
qu'aucun de ses partisans ne serait inquiété '. Son ami,
d'Espinac, l'archevêque de Lyon, étant venu au Louvre
pour supplier le roi de « faire retirer ses gardes et ses
Suisses, de crainte de quelque mauvais accident », trouva
Henri III plein d'assurance et de gaieté. Le roi exprima
même avec tant d'énergie la certitude de se faire obéir
1. HisL très véritable f etc. Relat. de Saincl-Yon.
2. Hist, de la Journée des Barricades par un Bourgeois de Paris, Le Par-
lement 8*élail réuni le matin, de très bonne heure. « Les présidens et
aucuns conseillers > avaient d'abord montré • un visage riant et fait bonne
contenance n; mais, quand ils surent que Témeute grandissait d'heure en
heure, ils « changèrent de couleur » et rentrèrent chez eux. Reiat, de
Sainct'Yon.
3. De Tiiou, t. X, p. 259.
LES Barricades 3â9
que l'archevêque, qui pourtant n'était pas facile à intimi-
der, se crut lui-même menacé, « tellement qu'estant venu
à pied, il emprunta un mulet d'un sien amy voizin du
Louvre, sur lequel il s'en retournast le plus tost qu'il peust
à riiostel de Guise, où, après avoir rendu compte de son
ambassade, il dit audit sieur de Guise qu'il s'estoit venu
rendre là pour vivre et mourir avec luy * ». D'autre part,
les officiers et les soldats du roi, loin de trembler devant le
peuple, ne lui ménageaient ni les quolibets, ni les me-
naces. « Les garnisons demandoient aux femmes contre
les logis desquelles ils estoient campez, si elles avoient de
gros demisaints d'argent, et touchoient sous leurs robbes,
cherchant leurs bourses avec folles paroles •. » Il arriva
même à Grillon de dire tout haut que « qui seroit si hardi
de sortir de sa maison avec l'espéc, il le feroit pendre au
bout d'une picque et qu'il mettroit le feu dedans la maison
pour la brusler, et les femmes et enfans ; mesmement usa
de ce mot de chevaucher les filles » ». Au cimetière des
Innocents, le capitaine Bonouvrier, qui commandait un
détachement de soldats des gardes et plusieurs enseignes
de Suisses, prenait en pitié les bourgeois de la milice en
train d'ébaucher des barricades; et, interpellant M. de Saint-
1. Hist. de la Journée des Barricades, elc.
2. Relation de Sainct-Yon, L'échevin ligueur dit ailleurs que « la Bastille
estoit remplie de soldats, tant de ceux des gardes du roy que Grillon avoit
baillés au chevallier du guet il y avoit jà dix jours que des mortes-paies
ordiifaires, et estoit toute couverte de fauconneaux qui flanquoient tout
au long de la rue Sainct-Anthoine ». Et le Bourgeois de Paris, dans son
Hist. de la Journée des Barricades, ajoute, de son côté : u L'on tenoit, le
matin, M. de Guise pour perdu. 11 y avoit en TÂrsenal vingt pièces d'ar-
tillerie chargées, en THostel de Ville deux cens petites pièces fauconneaux,
pièces à croc et autres; ceux du Parlement qui l'aiment le désiroient h
viugt lieues de Paris ». Guise n'avait même pas de cuirasse; un sieur de
Grande-Rue lui envoya la sienne. làid. Les forces dont le roi disposait
eussent été encore plus considérables si le régiment de Picardie, qu'il avait
mandé, avait pu entrer dans Paris; mais les gens de Pontoise lui refusé*
rent le passage du pont. Six compagnies de gendarmes furent aussi con-
tremandées, à ce que rapporte Sainct-Yon.
3. Ibid.
330 PARIS ET LA LIGUE
Paul, leur capitaine, lui conseillait ironiquement de s'en
aller à Châlons, où il serait plus en sûreté *. Saint-Paul
répondait sur le même ton, et les bourgeois de la rue
Saint-Denis laissaient les troupes royales à leur joie pour
aller communier, puis s'armer. A la place de Grève, M. d'O
répondait, avec sa forfanterie habituelle, à sept ou huit
officiers de la milice et conseillers de Ville qui lui deman-
daient s'il était nécessaire que les sujets fidèles prissent les
armes : « Il n'est besoing de s'armer, ains apprendre seu-
lement à obeyr; aujourd'huy le roy sera maistre * ». Quel-
ques marchands des environs de l'Hôtel de Ville vinrent
le prier d'engager le roi à retirer ses soldats, « parce qu'il»
craignoient quelque émotion du peuple; mais M. d'O, frap-
pant par trois fois sur l'espaule de l'un d'eux, leur fit
response que par la mort-Dieu, ils estoient trop forts... »
Et alors, sous le porche de l'Hôtel de Ville, on vit un valet
du bourreau !
Les bourgeois indignés allèrent s'armer, commencèrent
à élever des barricades dans toutes les avenues qui condui-
saient à la place de Grève, même du côté de la Seine, et
interceptèrent les munitions destinées aux soldats du roi,
immobiles devant l'Hôtel de Ville. Le capitaine Cossin,
que d'O avait laissé là, ne tarda pas à se rendre compte du
danger de la position et se plaignit du prévôt des mar-
chands qui avait promis au roi le concours de trente mille
hommes de la milice. Je vois bien, disait le pauvre capi-
taine, que les trente sont pour moi et les mille pour M. d<»
Guise ^ !
11 y avait deux tactiques possibles pour reprendre pos-
1. Hist. de la Journée des Barric, par un bourgeois de Paris.
2. làid.
3. Ce détail, donné par le Bourgeois de Paris, est confirmé par un pas-
sage de la relation de Sainct-Yon : • Le bruit commun estoit que les pré-
Tosts et eschevins s'estoient faits forts de trente mille hommes pour assister
les conjurés lorsque les garnisons se seroient saisies des places et adve-
nues de Paris, ce que toutefois ne peurent exécuter ».
LES BARRICADES 331
session de la capitale : ou bien concentrer les troupes
. régulières dans les environs du Louvre, en se ménageant
une ligne de retraite vers Textérieur, ou bien marcher
sans délai sur les premières barricades et balayer ceux qui
les construisaient. Mais le roi ne sut prendre à temps ni
Tune ni Tautre de ces résolutions, bien qu'iL eût sous la
main des hommes d'action comme Alphonse Ornano,
Grillon et le maréchal de Biron. C'était d'ailleurs Catherine
qui donnait les ordres. Se flattant de venir à bout du duc
de Guise par ses petites ruses ordinaires, elle lui dépêchait
Bellièvre à plusieurs reprises, tandis qu'elle répondait aux
pressants messages de M. d'O de se tenir sur la défensive
et de contenir les troupes *. Pendant que le roi reculait
ainsi devant la lutte « avec défense à tous les siens de tirer
leurs espées seulement à moictié, sur peine de la vie,
espérant que la temporization, douceur et belles paroles
accoiseroient la fureur des mutins et désarmeroient peu
à peu ce sot peuple », » l'attitude des ligueurs devenait de
plus en plus menaçante. Excités par les agents du duc de
Guise qui mettaient dans le désordre un ordre relatif, les
bourgeois multipliaient les barricades et, se sentant plus
forts, commençaient « à regarder de travers les Suisses et
soldats françois estant par les rues et à les braver de con-
1. De Tuou, t. X, p. 259.
2. L'ËsTOiLK, t. ni, p. 140, accoiseroient. Le mot accoiser veut dire calmer,
rendre coi.
3. Chevernt assure dans ses Mémoires que dès le jeudi matin le duc de
Guise lui envoya « son plus confident secrétaire » pour lui demander si
rentrée des troupes régulières avait pour but « d'entreprendre quelque
chose sur sa personne ». Ce confident, qui n'était autre que l'archevêque
(le Lyon, d'Espinac, comme on Va dit plus haut, fut amené par Chevern>
au roi lui-même; et c'est après Tenlrevue de l'archevêque et de Henri UI
que le duc de Guise « commença d'envoyer quelques gentilshommes des
siens aux quartiers... , et de fait, ajoute Cheverny, l'on vit incontinent par
la ville lesditz gentilshommes, assistez de quelque menu peuple des plus
inconsidérez, commencer à fermer et retrancher les rues de barricades,
puis peu à peu force habitaus à piocher leurs maisons et y faire grandes
provisions de pierres pour jetter par les fenêtres... » M(fm., coll. Michaud,
If* série, t. X, p. 486.
332 PARIS ET LA LIGUE
tenance et de parolles, les menassant si bientost ils ne se
reliroient de les mettre tous en pièces ». A la place Mau-
bert, rue Neuve-Notre-Dame, rue de la Calandre, les bour-
geois qui gardaient les barricades et les sentinelles des
royalistes étaient h quelques pas les uns des autres. Un
blocus de fait entourait tous les détachements de Tamiée
régulière ; les fenêtres étaient garnies d'arquebusiers et les
auvents abattus : un convoi de vivres destiné aux compa-
gnies de Suisses qui occupaient le cimetière des Innocents,
fut intercepté par les ligueurs, et la milice but à leur santé
en les narguant.
Qui tira le premier coup de feu? On ne sait; dans ces
terribles convulsions qui secouent à certaines heures la
population de Paris, une étincelle suffit pour tout embra-
ser. « Aucuns, dit un document du temps \ imputent le
commencement de Témotion de ceux de la ville à ce
qu'aucuns des soldats françois (soit que cela se fist à la
main et par personnes interposées ou autrement pour
avancer Témotion) qui étoient mis en garde crièrent à
aucuns des habitants qu'ils missent des linges blancs en
leurs lits et que, ce même jour, ils couch croient en leurs
maisons. » A neuf heures du matin, il y avait eu une
/ilarme du côté du pont Notre-Dame : tous les ligueurs
prirent leur poste de combat, chaque barricade étant
garnie de quarante arquebusiers au moins; les femmes
aussi étaient aux fenêtres « bien résolues de se défendre ».
11 y eut quelques coups d'arquebuses tirés un peu au
hasard; un tailleur d'habits fut atteint mortellement au
bout de la rue Neuve-Notre-Dame *. Les Suisses du Mar-
1. Amplifie, des partie, etc.
2. Nous suivons ici la relation de Saincl-Yon; dans celle du Bourgeois,
ce tailleur aurait été tué plus lard, dans Taprès-midi, au moment où les
Puisses, ayant quitté le Marché-Neuf, passaient sur le pont Notre-Dame, ce
4iui aurait été la cause du massacre d^un certain nombre de Suisses, parce
qu'on disait que le tailleur avait été tué par eux.
LES BARRICADES 33.^
ché-Neuf se croyaient déjà sur le point d'être assaillis de
toutes parts; mais leurs capitaines vinrent dire aux bour-
geois qui gardaient les barricades qu'ils étaient chrétiens-
et amis, que Biron les avait postés là malgré eux et « que
maudite, fut l'heure en laquelle ils y estoient venus ». On
leur promit de ne pas les attaquer, « à condition, dit Sainct^
Yon, qu'ils se retirassent au fond du Marché-Neuf, afin que^
leur présence ne faschast le peuple ». Le capitaine La Rue,
qui commandait une troupe de ligueurs sur le pont Saint-
Michel, ordonna au capitaine Malivaut, de la garde suisse,
d'avoir à évacuer de suite les abords du pont et à se retirer
dans le Marché-Neuf, où les autres compagnies suisses
étaient déjà immobilisées. « Malivaut, se voyant assiégé par
les deux bouts du pont, ne se fist prier deux fois'. «L'Uni-
versité, depuis la retraite de Grillon, avait mis également
le temps à profit. Trois bSrricades avaient été construites,
à la hauteur de l'église Saint-Yves, devant l'horloge Saint-
Benoît et devant les Jacobins ; puis, laissant dans ces cita-
delles improvisées des garnisons suffisantes, les capitaines-
ligueurs de la rue Saint-Jacques s'étaient mis en marche
vers le carrefour Saint-Sévcrin, qui commandait l'issue prin-
cipale de la place Maubert, et avaient placé une barricade à
six pas des Suisses. Dans toute l'étendue de la ville, on ne
pouvait plus circuler sans un mot de guet, un passeport ou
un billet particulier des capitaines et colonels dévoués à la
Ligue*. Le maréchal d'Aumont, qui avait en vain essayé de
se rendre maître du grand Châtelet et avait du se retirer avec
ses deux arquebusiers devant les barricades des bourgeois^
en se « mordant les doigts » ^, se rendit vers midi à la
barricade de la rue de la Calandre avec le maréchal de
Biron et M. d'O, pour parlementer avec les bourgeois. Mais
1. Relat. de Sainct-l'on.
2. Amplifie, des partie.^ etc.
3. Relat. de Sainct-Yon.
334 PARIS £T LA LIGUE
ceux-ci réclamèrent avant tout qu'on fit sortir de Paris
les troupes étrangères, et comme les fiers gentilshommes
répondirent qu'ils n avaient pas « charge d'entendre les
remontrances » des sujets du roi, on les coucha enjoué, en
les sonmiant à l'instant de se retirer, s'ils ne voulaient pas
assister au massacre des Suisses *. Personne ne prenait
au sérieux les ordres du roi transmis par la municipalité
officielle, qui enjoignaient aux bourgeois de rester chez
eux *, pas plus que les objurgations des gentilshommes
qui, depuis le matin, parcouraient les rues pour apaiser
la population ou faire arrêter les mutins ^ Ils couraient
plutôt risque d'être arrêtés eux-mêmes. Quant au prévôt
des marchands, il était également maudit par les courti-
sans et par les ligueurs. D'une part, le maréchal de Biron
disait au roi que les trente mille hommes de milice dont
le chef de la municipalité avait promis le concours actif au
monarque formaient le principal contingent de l'émeute, et,
d'autre part, les ligueurs accusaient de trahison * Pereuse
et deux des échevins. Le Comte et Lugoly, parce qu'ils
1. Relation de Sainct-Yon.
2. Voici le texte de ces mandements : « Colonne), nous vous prions de
mander à tous les capitaines de vostre quartier d'assister X... quartenier,
pour asseurer les bourgeois de son quartier de la bonne intention du roy
et les contenir armez, chacun d'eulx un leur maison, souiz la charge de
leur capitaine, pour le service du roy et conservation de la ville. Faict au
bureau d'icelle, le douzième jour de may, Tan 1588 ». (Reg. H, 1789, fol. 119.
3. Voici, d'après les Registres de la Ville, le texte même des instructions
données par le roi à ces officiers : « Le roy commande aux sieurs et gen-
tilshommes qui ont esté ce matin départiz par les quartiers de cette ville
sy en ayent incontinent, se y logent et demeurent pour commander à
tous les bourgeois desdictz quartiers de se contenir en repos et donner tel
ordre que ne puisse advenir aulcune esmotion, tant de jour que de nuict;
et sy aulcuns se vouUoient réunir et esmouvoir, les faire arrester et asseurer
ung chacun que l'intention de Sa Majesté n*est aultre que de conserver en
repos ses bons subjectz de sa ville de Paris et tous ceux qui y sont, com-
mandant sadite Majesté aux prévost des marchans et eschevins d'envoyer
les doubles de la présente commande aux quarteniers, afin qu'ilz se ran-
gent et aillent incontinent trouver lesdiclz sieurs et gentilzhommes et les
assister incessamment, ensemble les colonnelz et capitaines dcsditz quar-
tiers, pour suivre et observer la bonne et saincle intention de sadicte
Majesté. Faict à Paris, le 12 mai 1588. o Signé : Hknry; et plus bas : Pinart.
4. Relation de Sainct-Yon.
LES BARRICADES 335
avaient ouvert la porte Saint-Honoré aux Suisses et aux
gardes-françaises. Aussi, dès que Témeute devînt mena-
çante, les trois magistrats se cachèrent et ne parurent plus
de la journée *.
Cependant reffervescence croissait de minute en minute.
Une chaleur lourde régnait dans Paris, et les hommes de
la Ligue, à force de boire, s^exaltaient de plus en plus *.
Enfin, sur les deux heures, ceux qui gardaient les barri-
cades de la Cité, notamment celles de la rue de la Calandre,
firent circuler la consigne de charger les Suisses lorsque
retentirait « la batterie, tant du clocher de Saint-Germain-
le-Yieil que de toutes les maisons de la rue de la Calandre »
qui dominaient le Marché-Neuf ' ». En même temps, les
capitaines de T Université s'assemblaient chez un bourgeois,
nommé Pigneron, et décidaient d'envoyer une députation
à rilôtel de Ville pour annoncer leur intention de chasser
par la force les troupes étrangères, si le roi ne les rappe-
lait pas de bon gré. On confia cette mission au colonel du
quartier de l'Université : un de ses capitaines l'accompagna.
Les autres regagnèrent leurs postes respectifs. Crucé *, qui
commandait la barricade du carrefour Saint-Séverin, était
en train de réunir ses hommes, quand un coup d'arquebuse
fut tiré par les Suisses. Il croit que les soldats du roi veu-
lent en venir aux mains et ordonne de faire feu. Les
1. Relation de Sainct-Yon. U faut cependant uc pas oublier que Sainct-
Yon, en présentant bous un jour peu favorable la conduite du prévôt des
marchands de Pereuse et celle des deux échevins Lugoly et Le Comte,
plaide sa propre cause, puisqu'il était lui-même du parti de la Ligue.
2. Db Tiiou. t. X^ p. 259, Mém. de Cheverny, Coll. Michaud, i** série, t. X,
p. 486.
3. Relation de Sainct-Yon,
4. Nous pensons que le capitaine du carrefour Saint-Séverin était Crucé,
parce que la relation de Sainct-Yon dit un peu plus loin que c'est ledit
capitaine (celui de la barricade de Saint-Séverin) qui occupa le petit Châ-
telet en poursuivant les Suisses. Or Palma-Gayet (Introd, à la Chron. nove-
naire) écrit ce qui suit : « Crucé, qui conduisoit ceux de l'Université, estoit
des plus ardents; des paroles il vint aux elTects, les siens font retirer les
gardes du roi et se saisissent du petit Ghastelet. »
336 PARIS ET LA LIGUE
Suisses s'enfuient dans la direction du petit Chàtelet;
Crucé (ai les siens les poursuivent, tirant « à coup perdu * »,
et leur tuent cinq hommes. Ils occupent en passant le petit
Chàtelet et y laissent une petite garnison de vingt ligueurs
qui paradent aussitôt sur la plate-forme et continuent le
feu sur les malheureux gardes du roi. Ceux-ci sont refou-
lés vers le Marché-Neuf *, où se trouvaient déjà entassées
d'autres compagnies suisses, et se heurtent aux insurgés,
qui débouchaient du pont Saint-Michel, sous la conduite
du comte de Brissac, un des plus ardents officiers du duc
de Guise. Le comte avait mis la hallebarde à la main ';
il haranguait furieusement le peuple, et, prenant à partie le
roi, s*écriait : « Il a dit de moi que je n'étais bon ni sur
terre ni sur mer; il saura maintenant que j'ai trouvé mon
élément et que je suis bon sur un pavé^ ». Ces imprécations
contre la personne royale n'étaient pas isolées. Déjà beau-
coup songeaient à mettre la main sur Henri III. Un avo-
cat, nommé La Rivière, criait, avec des jurons à épouvanter
les Suisses : « Courage, çiessieurs! C'est trop patienter;
allons prendre et barricader ce bougre de roy [dans son
Louvre " ». Et, de fait, le roi paraissait perdu. Ses soldats
fuyaient de toutes parts, criblés de coups d'arquebuses,
assommés par les pavés que les femmes et les enfants
i. D'AuBioN^y HiâL uniu., p. 113, coL 1. « Lors chascun voulut monirer
qu'il sçavoit tirer et, bien que la pluspart le fissent à coup perdu, toute
la ville crut que les royaux estoient enfoncez... »
2. Palma-Gayet rapporte que les Suisses perdirent au Marché-Neuf une
vingtaine des leurs et eurent une trentaine de blessés.
3. Histoire de la Journée des Barricades par le Bourgeois de Paris. Le
comte Charles U de Cossé-Brissac était le second fils du maréchal de
Cossé-Brissac, (|ui avait été gouverneur de Paris en 1562. Charles de Brissac
avait d*abord servi dans la marine, et pris part, en 1382, à la malheureuse
expédition de Strozzi aux lies Âçores. Il y avait d'ailleurs déployé un grand
courage. C'est lui que Mayenne nommera plus tard gouverneur de Paris,
et qui ouvrira au roi Henri IV la porte de la capitale. L^Estoile assure que
ce fut Brissac qui fit faire les premières barricades rue Saint- Jacques et
place Maubert.
4. Voy. d'AuBiONÉ, col. 114.
5. L'£sTOiL£, t. III, p. 142.
LES BARRICADES 337
jetaient sur eux par les fenêtres de chaque maison. Les
Suisses se mirent à genoux, montrant leurs chapelets,
criant : Bonne France! Miséricorde! Bon catholique! On
en eut pitié; on les laissa partir. Quelques bourgeois en
Hrent entrer chez eux. C'est à ce moment même que d'O
et le maréchal d'Aumont se présentèrent de la part du roi,
avec l'ordre de faire retirer les troupes *. La députation
des capitaines de l'Université était arrivée à l'Hôtel de Ville
vers trois heures et avait déclaré aux personnages officiels
qui se trouvaient dans la maison que « le feu s'allumait
de telle façon qu'il était urgent d'y pourvoir ». Il fut décidé
que le sieur Bellanger, conseiller au Parlement, colonel au
quartier de l'Université, et Téchevin Sainct-Yon iraient im-
médiatement trouver le roi pour le mettre au courant de
ce qui se passait. Bellanger et Sainct-Yon remplirent sans
retard leur mission, et c'est sur leurs instances que Tordre
avait été donné par Henri HI au maréchal d'Aumont de
ramener les Suisses vers le Louvre. Quand d'Aumont, suivi
de M. d*0, arriva au Marché-Neuf, il était environ quatre
heures. Le maréchal obtint sans difficulté qu'on livrât pas-
sage aux soldats du roi. Il fut décidé que la compagnie de
gardes-françaises commandée par le capitaine Malivaut
marcherait en tète et celle du capitaine du Gast en queue :
au milieu se placèrent les compagnies suisses, mousque-
taires, arquebusiers et piquiers. Tout alla bien d'abord,
mais, au moment où les arquebusiers suisses défilaient sur
le pont Notre-Dame, plusieurs bourgeois leur crièrent
d'éteindre les mèches de leurs arquebuses. Ils eurent
l'imprudence de refuser et firent même une décharge qui
lua deux bourgeois de la milice et blessa un lieutenant à
la gorge. Cette agression d'hommes qu'on considérait dans
le peuple comme des prisonniers et des vaincus que le
1. Relation de Sainct-Yon.
UOBIQUFT. ^'2
338 PARIS ET LA LIGUE
vainqueur daigne épargner, ralluma la colère des gens de
la milice. Ils chargèrent les Suisses avec un redoublement
de furie et les refoulèrent vers le Marché-Neuf, d'où ils
venaient de sortir. En un moment, et depuis la rue Neuve-
Notre-Dame jusqu'à Saint-Denis de la Chartre, les roya-
listes perdirent cinquante ou soixante des leurs. Affolés, ils
jetaient leurs armes, tombaient les uns sur les autres
assommés par les pierres que leur lançaient les femmes
de toutes les fenêtres. Ils levaient les bras au ciel, criant :
« France, France, chrestiens nous! » Mais les ligueurs
n'écoutaient plus rien et le sinistre mot d'ordre : « Tue !
Tue! » couvrait les supplications des fuyards *. « Un grand
Suisse, armé tout à blanc *, qui avoit une grande barbe qui
1. Relation de S(nnct''Yofu
2. Hist, de la Journée des Barric, par un Bourgeois. Armé à blanc est syno-
nyme de armé à crudy c'est-à-dire sans cotte d'armes sur la cuirasse. H
serait intéressant d'étudier & ce propos les variations du costume des
Suisses de la garde royale. Une relation de l'entrée de Louis XII à Paris,
en 1498, dit en parlant des Suisses de la garde de ce prince, qu'ils étaient
habillés a tous d'une livrée, hocquetons rouges et jaunes et grands plu-
meaux sur leurs testes ». Hist, de Louis XII, par Jehan de Sainct-Gelais.
p. 126-127 (Paris, 1622, in-4»). Le Cérétnonial de Godefroy, t. I, p. 266, édit.
in-fol. de 1649, rendant compte de Tordre observé à l'entrée de François I*'
à Paris en 1514, au retour de son sacre, dit que les Suisses de la garde du
roi étaient u tous acoustrez de pourpoints de damas, d'un costé tout rouge,
et de l'autre demy blanc et demy jaune ; les chausses et leurs plumails sur
le bonnet de mesmes couleurs, chacun la hallebarde sur l'espaule, quatre
tambours et deux flfres au milieu d'eux, vestus de damas blanc ». A l'en-
trée de Henri II, le 26 juin 1549, les Suisses de la garde royale étaient
vêtus u de pourpoints et chausses écartelées, moitié de toile d'argent, et
moitié de velours noir, leurs bonnets couverts de grands pennaches à leur
mode, aux couleurs du roy ». L* Histoire militaire des Suisses au service de
la France, du baron de Zur-Lauben (Paris, 5 vol. in-8«, 1751), ne donne pas
de renseignements suffisants sur ce point; mais en revanche, cet ouvrage
contient un assez bon récit de la jouruée des Barricades, t. V, p. 248, et
reproduit la traduction eu français d'une lettre écrite en allemand que le
colonel Gallaty adressa de Chartres, le 20 mai 1588, aux cantons catholiques.
Le colonel suisse déclare que le roi avait donné aux ofGciers la consigne
de ne faire de mal à personne et de tâcher d'apaiser l'émeute, si elle se
produisait. II ajoute que les Suisses se croyaient « au milieu de leurs bons
amis », proteste contre « l'attaque infâme qui les a surpris », annonce que
son régiment a laissé quarante soldats sur la place, mais qu'aucun officier
n'a été tué. Gallaty termine en disant qu'après sa sortie de Paris, le roi a
donné une gratification aux Suisses blessés, et que Sa Majesté est très
aigrie contre les Parisiens.
LES BARRICADES 339
luy pendoit jusques à la ceinture, se mit à genoux, tendant
les mains au ciel, monstroit son chapelet; il fut pris par
un bourgeois et retiré en une maison pour le sauver. » Le
notaire Cotereau, qui cherchait à mettre fin au massacre,
reçut un coup de mousquet dans la jambe et en mourut
quelques jours après. Une partie des Suisses fut sauvée
par Brissac, et, après avoir jeté ses armes, rentra dans le
Marché-Neuf. Quant au capitaine du Gast, qui commandait
la compagnie de gardes-françaises, il prit peur en voyant
tomber quatre ou cinq des siens et, bien que placé à Far-
rière-garde de la colonne, il abandonna ses soldats pour
se réfugier dans la maison d*un marchand. Les débris dv
la colonne, qui n'étaient pas revenus au Marché-Neuf,
traversèrent à grand'peine le pont Notre-Dame « et furent
les seigneurs d*0 et Corse, qui les ramenoient, en grand
danger de leurs vies et personnes, confessans qu'ils
n*avoient jamais eu tant de peur qu'à ceste heure-là * ».
Les détachements laissés au cimetière des Innocents et à
la place de Grève ne se trouvaient pas dans une situation
sensiblement meilleure. Ils savaient que le combat s'était
engagé dans la Cité et étaient bloqués de tous côtés par les
bourgeois en armes, qui n'attendaient qu'un signal pour
commencer l'attaque.
Un seul honmae pouvait apaiser l'insurrection et sauver
les malheureux soldats du roi : c'était le duc de Guise.
Henri III, prévenu du péril que couraient ses Suisses et
ses gardes par le conseiller Bellanger et l'échevin Sainct-
Yon, avait envoyé le maréchal de Biron à l'hôtel de Guise,
en même temps qu'il donnait Tordre à d'O et au maréchal
d'Aumont d'aller donner à la garnison du Marché-Neuf
l'ordre de battre en retraite. On a vu comment cette retraite
avait dégénéré en massacre et en déroute. Biron réussit
i. L'EsTOiLE, t. ni, p. 441.
340 PARIS ET LA LIGUE
mieux dans sa mission. « Ëh bien! monsieur, qu'estH^e que
cela? dit-il au duc en Tabordant.. — Vous voyez, mon père,
répondit Guise, ce n'est pas moy ; je n*ay bougé de céans *,
encores que j'aye esté fort solicité de sortir; c'est le bon
conseil du roy, c'est ce coquin d'O qui Ta si bien conseillé.
Je suis asseuré que ce n'est pas vous. Je voudrois bien
sçavoir s'il auroit la hardiesse de venir céans pour m*as-
sailir. Il n'est pas de nostre mestier; vous le sçavez bien,
mon père. Il dit que je ne m'accompaigne que de crochet-
teurs; mais qu'il se tienne asseuré que, si je le tiens, je le
feray fouetter par des crochetteurs depuis la porte Sainct-
Antlioine jusques à la porte Sainct-Jacques * ». Biron finit
par décider Guise à se rendre aux ordres du roi et à sortir
pour aller dégager les Suisses et les gardes. Le chef de la
Ligue était en pourpoint de satin blanc, sans autre arme
qu'une épée au côté. Deux pages suivaient, l'un portant
sa rondache, l'autre un coutelas. Quelques gentilshonmies
entouraient leur maître, armés seulement de leurs épées,
qu'ils tenaient sur l'épaule. Quand le duc, qui allait à pied,
parvint à la place de Grève, après avoir traversé les barri-
cades au milieu de l'enthousiasme populaire, les troupes
1. Sur ce point, lous les historiens ne sont pas d'accord. Sainct-Yon dit,
comme le bourgeois de Paris, que le duc « ne s'estoit tout le joiy* bougé
de sa maison, pensant à part soy quelle seroit Tissue de cesle tragédie ».
11 ne serait sorti qu*& cinq heures du soir, diaprés la relation de Téchevin.
L'Estoile dit, de son côté : « 11 n'estoit sorti, tout ce jour, de son logis et
avoit tousjours esté aux fenestres de son hostel de Guise, avec un pour-
point blanc découppé et un grand chappeau, jusques & quatre heures du
soir de ce jour quUl en sortist pour faire ce bon service au roy. » Mais il
résulte des détails (fournis par l'illustre et sincère historien de Thou) que
Guise sortit au moins une fois vers midi et se promena assez longtemps
dans les environs de son hostel, en habit de campagne et d'un air intré-
pide. Il était accompagné de l'archevêque de Lyon et donnait ses ordres
aux exprès que lui envoyaient ses ofOciers des différents points de la
Ville. De Thon affirme même qu'étant sorti lui-même, un peu avant midi,
pour observer raltitude des deux partis, il passa par l'hôtel de Guise et
rencontra le duc qui se promenait, le visage rayonnant de gaieté et de con-
fiance. L'historien en fut frappé et dit à un ami qui l'accompagnait : « Ce
jour verra porter le dernier coup à l'autorité royale. » De Thou, Hist. univ.,
t. X, p. 260.
2. Hist. de la Journée des Barric.ypar un Bourgeois de Paris.
LES BARRICADES 341
royales négociaient avec les bourgeois pour obtenir pas-
sage et avaient déjà donné deux de leurs officiers en otage;
mais ils faisaient difficulté d'éteindre les mèches de leurs
arquebuses, comme le demandaient les ligueurs, et ces
derniers s'apprêtaient « à commencer le jeu ». L'interven-
tion de Guise pacifia tout. En le voyant arriver, les Suisses
se mirent à genoux, l'appelant leur sauveur et le suppliant
de les laisser partir. Saint-Paul, un des officiers de la
Ligue, fut chargé de les conduire à la porte Saint-Honoré.
M. de Plaisance, par l'ordre du duc, alla dégager les com-
pagnies royalistes qui étaient bloquées dans le cimetière
des Innocents. Sur bien des points, il y avait encore des
furieux qui voulaient massacrer les vaincus. Quand le duc
de Guise passa rue de la Juiverie, il fut acclamé par des
bourgeois qui lui dirent : « Nous avons défait nos ennemis;
il en reste encore un peu sous le petit Ghâtelet ; nous allons
les tailler en pièces, car ils nous ont trop bravés ce matin. »
Mais le triomphateur apaisa la colère de ses partisans et
obtint qu'ils ne feraient pas de mal au capitaine du Gast
et à ses soldats, qui s'étaient réfugiés dans les maisons
avoisinant le petit Ghâtelet. Le pauvre gascon du Gast
n'avait plus sa morgue du matin. « Il se leva du lieu où il
estoit, plus pasle que la mort, avec ses soldats si effrayez
qu'ils ne pouvoient quasi marcher, tant ils trembloient *. »
Saint-Paul, qui revenait après avoir conduit à la porte
Saint-Honoré les Suisses de la place de Grève, fut encore
chargé d'assurer la retraite de du Gast et de ses hommes.
Us marchaient « en confusion, de crainte du peuple, l'en-
seigne rouUée, le tambour sur le dos, et les mèches esteinte»,
en la façon des garnisons de la Grève ». Leur conducteur,
Saint-Paul, tenait une houssine à la main avec une grâce
parfaite. Il avait l'air de surveiller un convoi de bestiaux :
1. Relation de Sainct-Yon,
342 PARIS ET LA LIGUE
cela faisait rire le peuple. Ce Saint-Paul était ironique et,
comme un des gardes l'appelait « monseigneur », il répli-
qua : « Quand monsieur de Guise arriva au Louvre, ny
encores depuis, vous ne daigniez le regarder et saluer, et
maintenant à moy, qui ne suis que son petit sei^teur, vous
donnez le titre de monseigneur et me parlez avec si grand
respect et révérence *. » Ayant opéré ce second sauvetage,
Guîse se rendit au Marché-Neuf. Sur son passage on criait :
« Vive Guise ! » et lui, faisant TofFensé, disait tout haut :
« Mes amis, vous me ruinez; criez : Vive le roi! » En arri-
vant au Marché-Neuf, le duc trouva le maréchal de Biron
et Bellièvre au milieu des Suisses désarmés et à genoux,
qui, croyant loucher à leur dernière heure, se répandaient
en lamentations. Dès qu'ils aperçurent Guise, tous ces
malheureux crièrent : « Bon duc de Guise, bonne France,
chrétiens I » Le chef de la Ligue fut ému, et^ soupirant, dit
à Biron : « Ceux qui ont allumé le feu le devraient éteindre. »
Alors le maréchal répliqua : « Malheur sur celuy qui en a
donné le conseil; j'ay obéi au roy les conduisant en ce
lieu, mais je ne les retireray comme je les ay posez, car de
si grand nombre que j'ay amené, en voilà quatre cents de
reste, tous blessez et désarmez '. » Guise les fit à l'instant
conduire au Louvre et se retira au milieu des acclamations
populaires. Il répondit par des sourires et des flatteries.
Passant sur le pont Notre-Dame, la vue des barricades lui
arracha ce compliment, qui alla droit au cœur des bour-
geois : « Vous avez merveilleusement bien fait! » A quoi
l'un des barricadeurs répliqua : « Monseigneur, cy-devant
nous n'estions que mouches, mais vostre présence nous a
faict devenir lions '. » Ces lions réclamaient une dernière
proie : M. d'O, qui était resté prisonnier de l'émeute avec
1. Relat, du Bourgeois.
2. RelaL de Sainct-Yon,
3. Hist, de la Journée des Barricades.
LES BARRICADES 343
le corse Ornaiio. D'O était aussi impopulaire que son beau-
père Villequier. Le bruit public leur reprochait à tous
deux d'avoir conseillé au roi de « faire cestc belle disposi-
tion de trouppes armées par la ville, comme aussi ç'avoit
esté lui qui, le matin, les y est oit venu poser et disposer
avec Grillon, auquel on n'en vouloit pas moins pour avoir
esté si insolent et vilain en paroles que de menasser les
bourgeois de Paris, ceste nuit-là, du déshonneur de leurs
femmes, et ce en termes injurieux et impudiques tout oui-
trc *. » Mais, sur le soir, le chevalier d'Aumale vint, aii
nom de Guise, délivrer d'O et son compagnon le corse,
Alphonse Ornano. Le chef de la Ligue ne voulait plus de
sang : il jetait sa clémence à la face du roi, comme une
injure suprême.
Ce jeu ne réussit pas avec l'ambassadeur d'Angleterre,
le comte de Stafford, auquel Guise députa lô comte de
Brissac, avec mission d'offrir une sauvegarde à l'ambas-
sadeur, qui demeurait sur le quai des Bernardins, un peu
au-dessous de la place Maubert. Une pareille offre pouvait
n'être pas inutile, car l'ambassadeur d'Elisabeth subissait
le contre-coup de la haine que les prédicateurs de la Ligue
avaientvouée àlareine d'Angleterre. (Iles fanatiques faisaient
courir le bruit que Stafford avait converti son hôtel en
forteresse, afin d'avoir un prétexte de l'attaquer et de le
piller. Un bourgeois important du parti, le marchand de
drap Nicolas Pigneron, avait vivement pressé le duc de
Guise d'ordonner une perquisition. Brissac devait donc à
la fois examiner avec soin ce qui se passait à l'ambassade
et agir comme l'envoyé du véritable maître de la France,
ce qui était une manière de se faire valoir aux yeux de
rétranger et d'abaisser encore l'orgueil de Henri IIL Mais
1. UEsTOiLB, t. ni, p. H2. L'auteur de V Amplification sur les particularités ^
ctCji^oute «qu'en cette émeute aucuns voulurent tuer messieurs de Biron
et Bellièvre, ce que toutefois M. de Guise empescha ».
344 PARIS ET LA LIGUE
Stafford arrêta Brissac dès les premiers mots, dit que « ce
qui se passoit à Paris seroit trouvé très étrange et très
mauvais par tous les princes de la chrétienté qui y avoient
interost; que nul habit, diapré qu41 fust, ne le pourrait
faire trouver beau, étant le simple devoir du sujet de
demeurer en la juste obéissance de son souverain »; et,
comme Brissac insistait, essayant de lui iaire peur et
s'étendant sur les sentiments d'hostilité du peuple parisien
envers Elisabeth et son représentant ; comme il lui conseil-
lait de fermer les portes de son hôtel, Stafford répliqua :
« Je ne dois pas le faire, la maison d'un ambassadeur doit
eslre ouverte à tous allans et venans, joint que je ne suis
pas en France pour demeurer à Paris seulement, mais près
du roi, où qu'il soit * ».
La nuit tombait, mais les Parisiens ne dormirent pas. Ils
restaient sur le pied de guerre, refusant d'accepter le mot
d'ordre que le prévôt des marchands voulait leur donner
au nom du roi, comme à l'ordinaire *; en revanche, ils
allèrent recevoir le mot du duc de Guise. Il y avait « des
feux par toutes les rues et à chasque fenestre une chan-
delle allumée, tout le peuple estant en armes et faisant
bon guet^.. » Les capitaines de la milice et les officiers
du duc de Guise parcouraient les postes et passaient de
maison en maison pour tenir en haleine l'enthousiasme du
peuple et Texciter contre le roi. Brissac surtout déploya
une activité sans égale ; il disait partout qu'il avait assemblé
au carrefour Saint-Séverin une petite armée d'éjcoliers et
1. Amplifie, etc. De Thou, t. X, p. 266.
2. De Thou, Ibid., p. 262. L'historien, en relevant cet acte de rébellion,
le trouve beaucoup.plus grave que les barricades de la veille et leurs suites^
qui pouvaient trouver une excuse dans la provocation.
3. Relation de Sainct-Yon, Quant & Tëchevin lui-même, après le sauve-
tage des Suisses par Guise et Saint-Paul, il était allé prendre un repos
nécessaire a las et recreu, pour avoir seul travaillé depuis sept heures du
matin jusques à sept heures du soir, sans boire ny sans manger, avec
le grand péril de sa vie, pour la conservation de ses concitoyens ».
LES BARRICADES 34!^
qu'il la tenait toute prête « pour la faire marclier quaiui
besoin seroit * ». Au Louvre, on veillait aussi : car les^
barricades du quartier Saint-Honoré, celles de Saint-Ger-
main-l'Auxerrois et de la chapelle de Bourbon ressem-
blaient aux travaux d*approche d'un siège. « Dans la
chambre du roy, chacun tenoit Tespée au poing, toute nue;
et dura cest effroy plus d'une heure entière, soulz un faux
bruict qu'on les venoit assiéger '. » Henri III n'était pas,
d'ailleurs, sans défense. En dehors de ses gentilshommes,
il était entouré de la majeure partie des compagnies suisses
et françaises, qui, au lieu de sortir de la ville, comme elles-
s'y étaient engagées envers le duc de Guise et les bour-
geois, étaient venues prendre position dans les jardins et
la basse cour du Louvre ^ Le, roi dans la soirée, avait aussi
« envoyé quérir le régiment de Picardie * ». Vers les deux
heures du matin, le bruit se répandit que toutes ces troupes
allaient charger « à la dianne » et aussitôt les ligueurs
furent sur pied; mais le bruit fut reconnu faux, en ce qui
concerne du moins l'arrivée du régiment de Picardie et de
six compagnies d'honimes d'armes qu'on croyait à la porte
Saint-Honoré. Les Suisses et les gardes -françaises se
tenaient « tous en bataille près le Louvre * ».
Le jour qui se levait allait sans doute éclairer la défaite
finale du dernier Valois. Guise semblait avoir résolu de
frapper le coup suprême et d'abattre ce fantôme de roi. 11
écrivait, le 13 au matin, à M. d'Entragues, gouverneur
d'Orléans, pour lui donner l'ordre de jeter dans la' lutte
parisienne le poids des forces insurrectionnelles dont dis-
1. L'EsTOiLB» t. m, p. 143.
2. Helat, du Bourgeois.
3. C'est ce qu'affirme Sainct-Yon, en ce qui concerne notamment les
Suisses et gardes-françaises que Saint-Paul arait ramenés de la place de
Grève, et M. de Plaisance du cimetière des Innocents.
4. Relat, du Bourgeois de ParL*.
5. Relat. de Sainct-ïon.
346 PARIS ET LA LIGUE
posait la Ligue, à proximité de la capitale ^ Pendant la
lutte du 12, toutes les portes de Paris avaient été fermées,
sauf une, la porte Saint-Honoré. Le 13 au matin, le roi
voulut faire occuper par ses gardes les portes Saint-Jac-
ques, Saint-Marceau, Buci et Saint- Antoine ; mais les bour-
geois refusèrent de s'en dessaisir. Ils les laissèrent ouvertes
aux ligueurs du dehors, qui « entraient à la file dans la
ville * », et fermées aux officiers du roi qui accouraient
des environs pour lui prêter main forte. C'est ainsi qu'à
huit heures du matin, M. de Méru, qui s'était avancé avec
cent quarante chevaux jusqu'à la porte Saint-Honoré, dut
rebrousser chemin '. Le roi ne disposait plus que de la porte
Neuve, située sur le bord de la Seine, et qui faisait com-
muniquer le Louvre avec les Tuileries. Des profondeurs de
la ville de sourdes rumeurs montaient. Dans le quartier de
l'Université, Brissac avait passé la nuit à réunir dans le
cloître Saint-Séverin et « à faire armer sept ou huit cens
escoliers et trois ou quatre cens moines de tous les couvens,
prests à marcher sur le Louvre * ». Leurs capitaines étaient
trois docteurs en théologie, dont le Bourgeois de Paris
nous a conservé les noms : Péginard, Martin et de Guîsche.
1. tt Avertissez nos amis de nous venir trouver, en la plus grande dili-
gence qu'ils pourront, avec chevaux et armes et sans bagage; ce qu'ils
pourront faire aisément, car je crois que les chemins sont libres dUci &
vous. J'ai défait les Suisses, taillé en pièces une partie des gardes du roi
et tiens le Louvre investi de si près que je rendrai bon compte de ce qui est
dedans. Cette victoire est si grande qu*il en sera mémoire à jamais. »
Mém. de la Ligue, t. II, p. 313. Cette lettre fut interceptée et portée au roi
quelques jours après.
2. L'EsTOiLB, t. III, p. 143.
3. Relat. de Sainct-Yon, L'Estoile confirme le fait (t. III, p. 144) et dit que
Mérus ne se retira que sur un ordre du roi. « Aussi lui manda le roy qu'il
se retirast, craingnant qu*on ne couru st à lui et à ses gens comme on
estoit prest à ce faire. » Le Bourgeois de Paris dit, de son côté : «L'après-
disnée dudit jour, monsieur d*Ânville se présenta à la porte Sainct-Hon-
noré avec soixante chevanlx ou environ; on lui relTusa l'entrée, de qaoy
il advertit le roy et la royne mère aussy, qui luy mandèrent tous deux
qu'il s'en retournast, encore que le roy avoit trouvé mauvais le reiTus
qu'on luy avoit faict. Il fut environ une heure & compter les chevilles de
la porte. »
4. L*EsT0iLE, Ibid., p. 145.
LES BARRICADES 347*
Ces gens-là portaient la cuirasse et prêchaient leurs ouaUles,
les exhortant « à combattre pour la liberté de la Ville et
pour la religion * ». Du grenier des boucheries du Marché-
Neuf on avait porté des brassées de piques « prises par
(*omptes et à charge de les rendre » au collège des
jésuites, transformé en caserne pour la circonstance. Tous
ces écoliers, tous ces moines « avoient tous les bords de
leurs chapeaux retroussez, et sur le troussîs chacun une
croix blanche, armez d'espée et de poignard ' ». Dès six
heures du matin, le roi, effrayé de Taspect de la ville, fit
mander au Louvre les officiers municipaux. Sainct-Yon
vint le premier et essuya les premières récriminations du
malheureux prince, qui ne comprenait pas Tacharnement
de la population, ayant consenti lui-même à subir ses exi-
gences et à rappeler ses troupes. L'argument, certes, man-
quait de force, car si les troupes n'avaient pas été rappelées
ou plutôt si le duc de Guise n'était pas intervenu pour
faciliter leur retraite, elles n'eussent pas échappé à une
mort certaine. L'échevin ligueur se borna à faire observer
au roi que « le pauvre peuple n'avoit jamais pensé d'entre-
prendre aucune chose contre Sa Majesté et n'avoit passé
les bornes de la défensive », car il croyait « qu'on le vou-
loît tuer ». Au mot de défensive, Henri III s'écria : « Com-
ment! entrer en défensive contre leur roi! » Alors Sainct-
Yon se mit à pleurer et « remontra audit seigneur que
Dieu et nature avoient donné à un chacun, tant grand que
petit, un désir de conserver sa vie et celle des siens! ' ... »
1 . Helat, du Bourgeois,
2. Palma-Catbt, Introd, à la Chron. novenaire.
3. Reiat. de Sainct-Yon, « est possible que Téchevin exagère ici son
rôle personnel. Il dut venir trouver le roi avec le prévôt des marchands,
les autres échevins et plusieurs capitaines de la Ville, qui, à ce qu'assure
TEstoile, se rendirent au Louvre le matin du 13 u voyans que le peuple
armé et mutiné, qui toute la nuit estoit demeuré tumultuant, les armes
au poing et bravant sur le pavé, continuoit encore ce jour et menaçoit
de faire pis... »
•348 PARIS ET LA LIGUE
Il finit par conseiller au roi de faire appel au duc de Guise
pout lui demander de monter à cheval avec les sieurs de
Villequier et de Lansac, et de « faire ôter les barricades ».
Le roi suivrait à cheval et irait à la Sainte-Chapelle. Ayant
donné au prince ce conseil étrange, Sainct-Yon se retira
« plein de fièvre » et se mit au lit. La reine mère arriva
vers huit heures, ainsi que trois présidents du Parlement
et la plupart des officiers municipaux qui insistèrent vive-
ment pour que le roi donnât Tordre de faire sortir de Paris
toutes les troupes régulières. C'était, suivant eux, le seul
moyen de rétablir la tranquillité dans la ville. Henri III
voulait bien y consentir, mais il désirait d'abord « que le
peuple levast les barricades et posast les armes, les asseu-
rant en foy et parole de roy, qu'il feroit retirer ses forces
à sept lieues de Paris, voire à dix, si ce n*estoit assez, et
contremanderoit les autres qu'il avoit mandées venir à
lui * ». Le prévôt des marchands insista, disant que le
temps pressait et que si le roi ne prenait pas immédiate-
ment la résolution de renvoyer ses soldats, lui et ses collè-
gues « avoient peur qu'on y vinst trop tard ». Henri céda
enfin et promit de transmettre ses ordres sur-le-champ.
C'est ce qu'il fit. « Sur les dix heures du matin, le roy
manda par tous les quartiers au peuple qu'on eust à s'apaiser
et qu'il avoit contremandé le régiment de Picardie, et que,
pour le regard des compagnies estrangères et françaises,
elles sorliroient avant midy '. » La plupart des Suisses
sortirent, en effet, vers onze heures par la porte Saint-Ho-
noré ' ; et comme on continuait à faire courir le bruit que
le roi allait faire rentrer par la porte Neuve les Suisses et
le régiment de Picardie, Henri déclara aux délégués des
bourgeois, notamment au président Tambonneau, qu'il
1. L'EsTOiLV, p. 143.
2. Relat. de Sainct'Yon.
3. Ibid. *
LES BARRICADES 349
avait contremandé ce régiment et qu'il permettait à la milice
de ne pas poser les armes avant d'être certaine que les
troupes régulières s'étaient éloignées à une distance de sept
lieues de Paris *. Tous ces actes de faiblesse ne firent,
comme il arrive d'ordinaire, que porter à son paroxysme
l'audace des insurgés. Déjà, le roi était bloqué dans son
Louvre. Il voulut sortir pour aller à la Sainte-Chapelle;
on lui refusa le passage. Catherine fut plus heureuse.
Accompagnée de M. de Villequier et de plusieurs gen-
tilshommes, elle se dirigea « à beau pied » vers la Sainte-
Chapelle, « chacun luy faisant passage partout, avec beau-
coup de contentement, comme aussi à la royne régnante * ».
A chaque barricade, on ôtait une barrique « par où elle
passoit, et soudain on la remettoit en son lieu pour serrer
le passage ; elle monstroit un visage riant et asseuré, sans
s'estoriner de rien ' ». Mais c'était, de la part de la vieille
reine, une attitude de commande. Elle avait trop d'expé-
rience pour ne pas se rendre compte de la gravité du
péril.
Sainct-Yon dit que les deux reines « furent fort étonnées
de voir tant de forces ». L'Estoile ajoute que « tout le long
de son disner, elle ne fit que pleurer * ». Le roi, d'abord
impassible, dut cependant s'émouvoir des nouvelles qui
arrivaient au Louvre. « Un familier et domestique du duc
de Guise et un gentilhomme bien qualifié » vinrent lui
annoncer que « monsieur de Guise et ceux de Paris, ses
partisans, avoient résolu de faire sortir, la nuit suivante,
douze ou quinze mille hommes par la porte Neuve ou autres
|)ortes, pour aller investir le Louvre par dehors et en barrer
1. Relal, du Bourgeois.
2. Relat. de Sainct-Y'on.
3. Relat. du Bourgeois.
4. T. ni, p. 143. L'auteur de VAmplificaL des partie, qui se passèrent
à Paris est entièrement d'accord sur ce poiul avec TKstoile et s'exprime
dans les mêmes termes.
350 PARIS ET LA LIGUE
l'issue au roi pour le prendre là-dedans * ». Un émissaire
du roi, grâce à un déguisement et à la complicité d*un des
capitaines de la Ville, put se couler jusque dans le palais et
confirma les informations qui venaient deThâtel de Guise'.
L'Hôtel de Yille et l'arsenal étaient aux mains de l'émeute.
Dans le quartier de TUniversité, les écoliers et les moines,
tout enflammés par les prédications des docteurs en théo-
logie « qui marchoient en teste comme colonnels des
mutins et ne tenoient autre langage, sinon qu'il falloit
aller quérir frère Henri dans son Louvre ' », commençaient
à s'ébranler au bruit du tocsin * ... En présence de cette
marée montante de l'insurrection, qui menaçait de sub-
merger le trône et la personne royale, les membres du
Conseil, réunis autour du prince, l'engagèrent à quitter Paris,
eu lui c< remonstrant quelques exemples de la furie des
peuples, lesquelles il vaut mieux esviter qu'attendre ^ ».
Mais Catherine, toujours confiante dans sa diplomatie, prit
la parole pour combattre l'avis unanime du Conseil : «Hier,
dit-elle, je ne cognus point aux paroles de M. de Guise
qu'il eust d'autre envie que de se ranger à la raison ; j'y
retoumeray présentement le veoir et m'asseure que je luv
feray apaiser ce trouble® ». La vieille reine monta en effet
dans (( sa chaire » et se dirigea vers l'hôtel de Guise, à
travers les barricades que le peuple, comme le matin, ouvrait
1. Amplification des partie. De Tuoc dit que les ligueurs Toulatent faire
sortir huit mille hommes pour se saisir des dehors du Louvre.
2. Cette circonstance qu'un familier du duc de Guise annonça au roi
rintention où étaient les ligueurs d'aller se saisir de sa personne, rend
très vraisemblable une hypothèse de Michelet. l\ dit, en parlant du duc :
« Je ne crois pas qu'un homme si avisé, si informé, ait ignoré que le roi
avait toujours une porte libre pour s'en aller. Si Guise les faisait garder
toutes, moins une (celle des Tuileries), c'est que probablement, n'osant
défendre le roi et cependant craignant pour lui, il voulut que son man-
nequin royal gardât la clef des champs. » T. X, p. 154.
3. L'EsTOiLB, p. 145.
4. Mém, de Cheverny, Coll. Michaud, i^^ série, t. X, p. 487.
5. Palma-Gatbt. Introd. à la Chronologie novenaire,
6. Ibid,
LES BARRICADES 3S1
pour lui livrer passage et refermait derrière elle *. Arrivée
eu présence du chef de la Ligue, Catherine le supplia
d'apaiser l'émeute et de venir trouver le roi pour « lui
faire paroistre, en une si urgente occasion, qu'il avoit plus
de volonté à servir qu'à dissiper sa couronne ' ». Mais le duc,
glorieux de sa victoire, ne se donnait même plus la peine de
feindre. Il répondit « faisant le froid », qu'il n'en pouvait
mais, et qu'il était aussi malaisé de retenir le peuple que
d'arrêter « des taureaux échauffés ». Quant à se rendre
auprès du roi, c'est ce qu'il ne ferait jamais, le Louvre lui
étant « étrangement suspect » ; et puis il n'était pas assez
naïf, pour « se jetler foible et en pourpoint à la merci de
. ses ennemis ^ ». Catherine, voyant qu'elle n'arrivait pas à
ébranler le duc, dit tout bas au secrétaire d'État Pinart,
qui l'avait accompagnée à l'hôtel de Guise, d'aller informer
le roi de l'attitude peu rassurante du chef ffe la Ligue.
Lorsque Pinart arriva au Louvre, le roi n'y était plus;
craignant de voir son palais envahi par les ligueurs, qui
rapprochaient de plus en plus leurs barricades \ supplié
par ses émissaires de quitter Paris » plutôt tout seul »,
s'il ne voulait pas tomber aux mains de l'émeute, Henri III
sortit du Louvre à pied par la porte Neuve « sur les quatre
heures après midy ^ ». Il avait une baguette à la main et
1. L'EsToiLB et l'auteur de V Ampli fcation des partie, etc., s'expriment
encore ici dans les mêmes termes. Seulement il semblerait ressortir de
VAmplif, que Catherine alla deux fois trouver le duc de Guise dans
l'après-midi, ce qui est en contradiction avec les autres documents que
nous avons analysés. W résulte, en effet, du récit de Sainct-Yon que Cathe-
rine alla le 13 à la Sainte-Chapelle dans la matinée, et de la relation de
PEstoile qu'elle se rendit & Thôtel de Guise dans l'après-midi. Mais rien
n'indique qu'elle ait fait deux fois le voyage à travers les barricades dans
cette journée du 13. U faut conclure seulement des paroles que Palma-
Cayet met dans sa bouche, que Catherine avait déjà fait une visite au
duc la veille, c'est-à-dire le 12.
2. L'EsTOiLB, p. 144.
3. Ibid,, p. 145.
4. Un tavemier, nommé Perrichon, que TEstoile appelle un coquin el
qui depuis fut pendu à Paris même par ses compagnons, avait dressé une
barricade contre les portes mômes du Louvre.
5. Cette heure est indiquée dans la relation de Sainct-Yon.
382 PARIS ET LA LIG\3E
f on aurait pu croire qu'il allait faire sa promenade habi-
tuelle. Comme il franchissait la porte Neuve, un bourgeois
royaliste, qui, la veille, avait sauvé le maréchal de Biron,
s'approcha de lui et lui dit de se hâter, parce que le duc do
Guise s'apprêtait à marcher sur le Louvre avec une troupe
de douze cents honMues du parti ligueur. Le sieur Bour-
sier, capitaine de la rue Saint-Denis, avait annoncé tout
haut le but de l'expédition *. Le roi s'arrêta aux Tuileries
« quelque peu, appuyé sur une pierre, il pleura fort chau-
dement et dit : 0 ville ingrate, je t'ay plus aymée que ma
propre femme! * » A cinq heures du soir ', Pinart rejoi-
gnit son maître et lui apporta le message de Catherine. Il
n'y avait plus à hésiter. Henri se rendit aux écuries, qui se
trouvaient aux Tuileries, et monta à cheval avec toute sa
suite. Son écuyer du Halde, tout ému, le botta, et, dans sa
précipitation, lui mit un éperon à l'envers : « Je ne vais pas
voir ma maîtresse, dit le roi ; nous avons un plus long chemin
k faire ». Et il prit la route de Saint-Cloud, après s'être
retourné vers Paris pour maudire la ville et jurer qu'il n'y
rentrerait « que par la brèche * ». Les courtisans qui se
trouvaient là se procurèrent des chevaux comme ils purent
t$ et en trouvant à grand'peine; nous monstames tous la
pluspart sans bottes », dit Chevemy. Avec le chancelier, le
roi emmenait le duc de Montpensier ^^ M. de Longueville,
1. L'EsTOiLE, t. III, p. 145.
2. Relat, du Bourgeois,
3. C'est rheure indiquée par CheverDy dans ses Mémoires, Palma-Cayet dil
que le roi reçut l'avis de la reine-mère « entre cinq et six heures du soir ».
4. L'EsTOiLB, p. 146.
5. M. de Montpensier avait envoyé chercher ses chevaux, qui se trou*
vaient au faubourg Saint-Germain. 11 voulait leur faire traverser Feau dans
le bac où se trouvaient déjà quelques gardes du roi. Mais les bourgeois,
croyant que les troupes allaient attaquer le faubourg Saint-Germain, cou-
pèrent la corde du bac qui s'en alla jusqu'aux Bons-Hommes, où le rejoi-
gnirent les chevaux de M. de Montpensier. {Relat. du Bourgeois.) Le même
récit prétend que le roi partit en carrosse et non à cheval, et que ce car-
rosse ne le vint chercher qu'aux Bons-Hommes, où il se serait rendu à
pied. Mais Gheverny, témoin oculaire et qui était du voyage, dit formel-
lement que Henri III partit & cheval avec toute sa suite. L'Estoile et
LES BARRICADES 36S
M. d'O, le comte de Saint-Paul, le cardinal de Lenoncourt,
les maréchaux de Biron et d'Aumont, Jacques Faye, avocat
au Parlement, M. de Bellièvre et les secrétaires d*Ëtat
Villeroy et Brulart. Les magistrats étaient en robe longue.
L'avocat d'Espesses n'avait pas d'éperons ; Mme de Fréluc
iui en fit un en bois dans les Tuileries; mais le pauvre
4iomme, dans son empressement à suivre le roi, perdit sa
bourse, qui contenait trois cents écus. Le secrétaire Brulart
partit avec « deux testons en poche, pour n'avoir eu le
loisir d'aller jusques k sa maison en prendre davantage * ».
Ouant^ Pinart, le roi le renvoya à Thôtel de Guise « afin
de faire entendre à la reine sa mère les raisons de son
subit partement ' ». Le chef de la Ligue savait déjà que le
roi était parti. Dès que Henri III sortit du Louvre, le bruit
de sa fuite courut dans Paris et fut porté à l'hôtel de Guise
par plusieurs émissaires, notamment par Maineville, l'un
•fies plus intimes confidents du duc. (Catherine conférait
avec Guise, cherchant à gagner du temps ; mais le mot que
Davila prête au duc : « Me voilà mort, madame! tandis
que Votre Majesté m'amuse ici, le roi s'en va pour me
perdre! » paraît bien problématique. Le Bourgeois île Paris
rapporte, au contraire, et avec beaucoup plus de vraisem-
blance, qu'aux ligueurs qui lui demandaient s'il fallait
empêcher le roi de quitter Paris « il fit response, avec
grande véhémence, que non; que c'estoit son roy et qu'il
estoit en sa liberté d'aller ou de demeurer où bon luv
sembleroit ».
Cependant la retraite du roi de France rappela beaucoup
Irop par sa précipitation et ses côtés presque ridicules la
manière dont, quatorze ans auparavant, il avait quitté la
Sainct-Yon conflnuent les détails donnés sur ce point par Cheverny.
D'après SainetrYon, la petite troupe comprenait environ soixante chevaux.
1. Relat. du Bourgeois.
i. Mêtn, de Cheverny,
K CRIQUET. 23
354 PARIS ET LA LIGUE
Pologne et perdu sa première couronne. Alors qu'il avail
autour de lui quatre mille Suisses et soldats de sa garde
française et de nombreux officiers, fort braves, qui lui
auraient au moins assuré une retraite fière et digne, il fuit
éperdùment, sans donner d'ordres à sa garde, avec un<»
escorte de chevaux de louage et de courtisans, sans man-
teaux et sans bottes, poursuivi par les huées du peuple et
les arquebusades de la milice ^ !
En quittant Paris, Henri III avait l'intention de se rendn*
à Saint-Germain; mais il fit cette réflexion qu'il serait là
trop près de la terrible capitale, et, après avoir hésité un
moment entre Rouen et Beauvais, il finit par se décider
pour Chartres '. Cheverny, qui était gouverneur de cette
ville, partit en avant pour annoncer l'arrivée du roi, qui fit
collation à Trappes et coucha à Rambouillet « tout botté ^ ».
Le lendemain, 14 mai, Henri III entra, vers onze heures
du matin *, dans la ville de Chartres, dont Tévêque ,
Nicolas de Thou, était fervent royaliste. Ce prélat ne négligea
rien pour recevoir magnifiquement son souverain malheu-
reux, et Henri put même entendre les cris de : Vive le roi!
que les Parisiens ne lui prodiguaient pas ^. Ni les Suisses,
1. « Ainsy que le roy sortoit par la Porte-Neuve« quelque quarante har-
quebusiers que Ton avoit mis à la porte de Nesle tirèrent vivement sur
luy et ceux de sa suite; le menu peuple, qui ne va que comme on le
pousse, crioit au bord de l'eau mille injures contre le roy. » Palma-Cayet.
Introduction à la Chronologie novenaire.
2. Mém, de Cheverny,
3. L'EsToiLB. Db Tuou, t. X, p. 267, assure qu'à Trappes le roi fit placer
des gardes à toutes les avenues, car il craignait d'être poursuivi par les
troupes de la Ligue, envoyées de Paris.
4. Belat. du Bourgeois,
5. Cet enthousiasme était d'ailleurs superficiel. L'historien de Thou, qui
devait être bien renseigné par son oncle, dit que c*est uniquement à ce
dernier que le roi dut Taccueil chaleureux d'une partie de la population
de Chartres. Il ajoute que u le reste du clergé et du peuple s'était déjà
laissé aveugler ou corrompre par les émissaires de la Ligue. «> T. X, p. 267.
Il est possible aussi que les hôteliers de Chartres aient été sensibles aux
bénéfices que leur attirait l'arrivée du roi. « La cherté y est si grande,
écrit l'auteur de la Journée des Barricades, que les hosteliiers font payer
pour homme et pour cheval trois escus la journée, et que le chapon
couste cinquante solz et va jusque à un escu. »
LES BARRICADES 3SS
ni les autres Iroupes n'entrèrent dans la ville. Dégoûtés
de servir un pareil monarque, les Suisses furent même sur
le point de faire défection et de passer à la Ligue *. Toute-
fois, ils se décidèrent à ne pas déserter les drapeaux roya-
listes, d'abord parce qu'ils espéraient rentrer dans l'arriéré
de leur solde, et ensuite parce que le régiment de Picardie
ot les compagnies des gardes les menacèrent de les attaquer
s'ils refusaient de suivre '.
Guise est maître de Paris. Que va-t-il faire de sa victoire?
Henri III est chassé de sa capitale et humilié par la Ligue?
Comment va-t-il réparer sa défaite? La municipalité pari-
sienne est désorganisée : leséchevins Le Comte et Lugoly,
qui avaient joué un rôle actif dans la lutte de Tautorité
régulière contre l'organisation insurrectionnelle des li-
gueurs, se sont soustraits par la fuite aux conséquences de
de leur fidélité à la cause royale '. Les deux autres éche-
1. FÉLiBiBjf, Preuves j t. I, p. 776. Le colonel et les capilaines des Suisses
du roi écrivirent de Trappes au duc de Guise une lettre, datée du 14 naai,
et qui est fort curieuse. Les officiers suisses prétendent que, trois ans
auparavant, c'est le duc de Guise qui demanda un régiment de Suisses
tt pour le service de la couronne de France ». Après la défaite de l'armée
des protestants allemands qui avaient enyahi la France, le roi, u par la
trop grande facilité de leur colonel », les aurait retenus en leur promet-
tant de les envoyer contre le roi de Navarre. Mais on les aurait fait venir
& Paris « avec ruse et artifice », en leur faisant croire qu'il s'agissait de
faire une exacte recherche des hérétiques, avec l'aide des bourgeois et du
duc de Guise. On les a trompés et vendus à la boucherie. C'est Guise qui
les a sauvés. Le roi leur doit quatre soldes. Il est parti, en leur disant
seulement « qu'ils pouvaient se retirer ». Ils ont cherché en vain à rejoindre
le monarque à Saint Cloud, puis à Trappes, où ils sont arrivés après son
départ. Les Suisses demandent au duc de Guise « ce qu'ils ont & faire ».
Ils consentent à revenir à Paris et promettent de vivre et mourir au ser-
vice du duc. La lettre se termine par cette mention : « Ecrit en secret h
Trappes, le 14 mai 4588 ».
2. Gest ce qu'atteste formellement le Bourgeois de Paris, auteur de la
Journée des Barricades. *
Z. Relat. de Saint' Yon. Le royalisme du prévôt des marchands, Hector
de Pereuse, et des échevins Le Comte et Lugoly, n'est pas douteux.
Sainct-Yon affiche, dans la relation qui lui est attribuée, des sentiments très
favorables à la Ligue, bien que mélangés d'un certain respect pour le roi,
qu'il appelle à plusieurs reprises « son bon prince ». Quant au quatrième
échevin, sa personnalité et ses actes sont plus effacés. 11 y a môme quelque
incertitude sur l'ortliographe de son .nom. De Thou (t. X, p. 269) et l'Es-
356 PARIS ET LA LIGUE
vins, Bonnard et Sainct-Yon, avaient gardé pendant la
journée une attitude fort équivoque qui devint tout à fait
sympathique à la Ligue après la victoire. Suspects aux
meneurs de la faction cléricale, ils éprouvèrent le besoin
« d'attester le ciel et la terre qu'ils estoient innocens de ce
dont on les chargeoit; que leurs compagnons les avoient
Irahis, faisant leur conseil à part sans les y appeller ».
Quant au prévôt des marchands, Hector de Pereuse, qui
était courageusement resté à Paris après la fuite du roi, il
n'allait pas tarder à être arrêté.
Ainsi, la royauté,, chassée de la capitale, laisse encore
une fois le champ libre à une émeute triomphante. En
1588, Tennemi n'est plus un seul homme, s'appel&t-il
Etienne Marcel, qui ne réussit qu'un moment à entraîner
des masses ignorantes et versatiles : c'est la puissante
union d'une partie des chefs de la noblesse, du clergé tout
entier et de la fraction la plus énergique de la bourgeoisie :
c'est une organisation savante, dès longtemps mûrie et
perfectionnée, mise en œuvre par des mains habiles et
vigoureuses, puissamment secondée ou, si l'on veut, do-
minée par l'impérieuse complicité de Philippe II. La révo-
lution de mai i 588 a fait table rase non seulement du gou-
vernement royal, mais de la municipalité traditionnelle. Elle
ne vise pas à donner à la prévôté des marchands une exten-
sion presque souveraine ou, comme on dirait aujourd'hui,
une autonomie complète. En 1358, le vainqueur, dans la lutte
engagée contre le pouvoir central, c'est le prévôt des mar-
TOiLB (t. m, p. 151) rappellent Bonnard, Sainct-Ton, dans sa relation,
rappelle d'abord Bonnety puis Bonnard. Quant A Lreoux db Lihcy, dans
sa Chronologie des officiers municipaux (appendice IV de VHist, de VHùtel
de Ville de Paris), qui rectifie souvent le travail de J. CheviUardf il adopte
Porthographe de Bouvart, La chose, au fond, n'a pas une extrême impor-
tance; mais il est certain que Bouvart, Bonnard ou Bonnet conforma son
atUtude à celle de Saincl-Yon, c'est-à-dire fut sympathique à la Liguet
Palma-Gayet s'est trompé lorsqu'il a écrit que « trois des quatre échevins
trouvent moyen de suivre le roy; un seul d'entre eux ae trouva du costé
des factieux ». Le Comte et Lugoly suivirent seuls le nii.
LES BARRICADES 357
rliauds, Etienne Marcel, et la révolution prend, de la sorte,
un caractère presque exclusivement municipal; en 1588,
le prévdt des marchands compte parmi les vaincus, et si
le vieux cadre des institutions n'est pas modifié en appa-
rence, toute la réalité du pouvoir municipal passe aux
Conseils de la Ligne. Certes, on a dit que le duc de Guise
«3t les Seize avaient inscrit sur leur programme « le réta-
blissement de Tantique liberté des élections municipales * » ;
mais c'est là une vaine apparence. Au fond, la Ligue
substituera des élections tumultuaires aux élections régu-
lières ; il n'y aura pas plus de liberté dans les choix, parce
qu'ils seront dictés par les meneurs d'une faction, au lieu
d'être dictés par le roi. En dernière analyse, le véritable
but, comme le véritable résultat des Barricades, c'est l'attri-
bution du gouvernement au clergé et à ses hommes ; c'est
ce que la langue moderne appellerait le triomphe du cléri-
calisme. L'histoire ne peut douter des tendances auda-
cieuses de tous ces sermonnaires qui commandaient les
quatre cents moines et les huit cents écoliers dont nous
avons dit le rdle pendant la Journée des Barricades. Ils
invoquaient pour le peuple comme pour le pape le droit
de déposer le roi ! Qui leur soufflait cette doctrine? Le duc
de Guise. Et pourtant ce fut lui qui recula et laissa échapper
« la beste qu'il tenoit en ses filets ». Etienne Marcel avait
épargné le dauphin Charles, et il en mourut; Henri de
Guise épargne le roi Henri HI, et il en mourra. Un roi
qui se laisse insulter en face par un sujet , a peu de
chances de conserver sa couronne; un sujet « qui tire
l'épée contre son prince, en doit à l'instant jeter le four-
reau ». C'est ce que dit le duc de Parme en apprenant
l'issue des Barricades. Quant au pape , il blâma égale-
ment Henri de Guise de s'être mis, lors de son arrivée
I. H. Martut, t. X, p. Vt.
388 PARIS ET LA LIGIE
dans la capitale, à la discrétion d'un roi qu'il avait cruel-
lement outragé; et Henri III, de Tavoir laissé échapper :
« 0 le lâche prince ! ô le pauvre prince ! dit Sixte V, d'avoir
ainsi perdu l'occasion de se défaire d'un homme qui semble
être né pour le perdre * ». Le duc de Guise, de son côté,
après avoir commis l'énorme imprudence de se rendre
presque seul au Louvre, en commit une seconde, plus
grave encore, lorsqu'il permit au roi vaincu de quitter
Paris. Une demi-rébellion est un non-sens, et, « à la vérité,
qui a voulu boire une fois du vin des dieux, jamais ne se
doit recongnoistre homme..., car il faut être César ou rien
du tout '... »
1. De THor, t. X, p. 266.
2. L'EsTOiLE, t. ]II, p. 147. Voy. aussi Pasquier, lettres 12 et 21. Anqoetil,
CKsprit de la Ligue , t. Il, p. 21.
CHAPITRE V
OUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES
(Dopui» le 13 mai jusqu'au !•' Mptembre 1588.)
Le duc (le Guise ik» perdit pas de temps pour compléter
sa victoire. Dans la soirée même du 13, il retourna chez
la reine mère pour lui témoigner Tétonnement, plus ou
moins sincère, que lui causait le départ du roi, et il affecta
de dire que rien ne motivait la brusque détermination do
Henri III *. Après cette visite diplomatique; Guise par-
courut à pied la capitale et posa lui-même les corps de
garde, causant avec les principaux ligueurs et conservant
malgré tout Tair de dignité grave qui seyait si bien à sa
physionomie. Complètement édifié sur la chaleur de Ten-
thousi^sme populaire, le chef de la Ligue se rendit ensuite
chez les principaux membres du Parlement, car une séance
était indiquée pour le lendemain. Au cours de sa visite au
premier président Achille de Harlay ', il lui déclara que,
1. Db Thou, t. X, p. 268.
2. Achille de Harlay, né à Paris le 7 mars 1536, avait été nommé con-
seiller & vingt-deux ans, sous le bénéfice d'une dispense d'âge, et président
dès 1572, par suite de la retraite de son père. En 1568, il avait épousé
Catherine de Thou, flile du premier président. En 1582, il succéda à son
beau-père. Il avait su résister avec fermeté aux édils de proscription
de 1585 contre les huguenots et aux bulles du pape qui, après la mort du
duc d'Alençon, déclarèrent le Béarnais déchu de son droit au trône. Il res-
tera premier président jusqu'en 1616. C'est une des plus belles figures, la
plus belle peut-être, de la magistrature française, qui a compté tant do
nobles caractères.
360 PARIS ET LA LIGUE
par suitf! du départ du roi, il était coairaini do veiller Iv
sa s&reté ainsi qu'à celle de ses amis, et qu'il priait le-
président de ne pas assembler la compagnie le lendemain..
Mais de Harlay répondit que les convocations étaient faites,,
qu'il ne pouvait plus donner contre-ordre et que, d'ailleurs,,
il ne reconnaissait d'autre autorité que celle du roi \.
Guise, décontenancé par cette ferme attitude du premier-
président, le regarda « sans mot dire, environ l'espace
d'un quart d'heure * », et finit par le prier de ne pas revenir
sur les faits accomplis, ce que de Harlay accorda. En sor-
tant de chez le premier président, le duc de Guise dit à
haute voix : « Je me suis trouvé à des batailles, à des
assauts et & des rencontres les plus dangereuses du monde ;
mais jamais je n'ai été étonné comme à l'abord de ce person-
nage ' ». Cependant, à minuit. Guise avait retrouvé sou
sang-froid, et il envoya un message à de Harlay pour lui
enjoindre de contremander les membres du Parlement.
(( Deux heures après, la royne mère l'envoya prier à mesmo
fin *. » Déférant à celte double injonction, le premier pré-
sident fit contremander ses collègues, le samedi 14, de
grand matin ; mais plusieurs ne reçurent pas le billet et
vinrent au palais. Il y trouvèrent de Harlay et le prièrent
de présider l'assemblée. Un grand silence régna d'abord;
a on se regardait l'un l'autre, sans mot dire, sinon que dô
myne ou des épaules ». Enfin, quelques conseillers de»
enquêtes proposèrent d'envoyer une députation au roi, si
1. D*aprês cerlainfi historiens. le premier président aurait fait une phrase
à hermine : w Quand la Majesté du prince est violée, le magistrat n'a plus
d'autorité ». Voy. Anqubtil, V Esprit de la Ligue, t. III, p. 23; Mathiei,.
livre VIII, p. 548. Cette réponse a dû être fabriquée après coup, comme lut
plupart des mots historiques.
2. Hist. de la Journée des Barric. par un Bourgeois de Paris.
3. Mém. fort singuliers servant « VUist, de Fr. Ms. de Dupuy, col. 661..
Récit du président du Vair.
4. Relat. du Bourgeois. H. Martin se met en contradiction (t. X, p. Va}
avec le récit du Bourgeois, lorsqu'il écrit que « le lendemain, sur l'express*-
invitation de la reine mà'ey les magistrats se rendirent au palais »>.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 361
celte mesure était approuvée par la reine mère. Le prési-
dent de Thou alla demander aussitôt le consentement de
Catherine, qui le donna avec empressement et ajouta qu'ell(y
enverrait à Chartres le secrétaire d'État Pinart, avec charge
d'avertir le roi de la résolution de la cour. On nomma, pour
faire partie de la députation qui devait partir le lende>
main, les conseillers Courtin, Brissard, Bonnin, Gillot, le
président de la Guesle et son fils, le procureur général.
Ce dernier était fort compromis, car il « avoit esté des plus,
aspres à faire dresser la barricade de son quartier, où il
auroit tousjours esté armé d'une cuirasse ^ ». Il avait &
cœur de se justifier auprès du roi et prétendait n*avoir agi
que contraint et forcé, afin de diminuer Tantipathie que
le peuple avait vouée à sa maison.
A cela se borna la protestation du Parlement. Guise,,
sans s'arrêter aux récriminations de Catherine, appelait
des troupes de Picardie, faisait des levées dans Paris-
même et se saisissait des positions importantes de la
capitale. C'est ainsi que, dès le samedi 14 mai, le surlen-
demain des Barricades, et sur les deux heures, il fit
occuper la Bastille par Jean Le Clerc, procureur au Par-
lement et capitaine de la dizaine de la rue des Juifs '..
Laurent Têtu, chevalier du guet, qui commandait la for-
teresse au nom du roi, ne fit pas Tombre de résistance..
Alphonse Omano, qui avait sollicité le poste de gouver-
neur, se fût défendu tout autrement. Mais le chevalier du
guet tenait à son argenterie. Il quitta Paris dès le lende-
main par la porte Saint-Antoine avec quatre bons chevaux
et un passeport. Le peuple ne vit pas d'un bon œil le
départ d'un fonctionnaire détesté; sa propre femme lui
reprocha sa h\cheté en termes violents '. S'il s'était rendu
1. Relation du Bourgeois.
'2. L*EsTOiLE, t. III, p. 147. 11 s'agil de Bussy Le Clerc.
:t. Helat. du Bourgeois. De Thou, 1. X, p. 269.
362 PARIS ET LA UGCE
à Charlies, le roi Taurait fait pendre. On trouva dans
rintérieur de la Bastille de grandes quantités de farine,
de viande salée, de vin et, sur la plate-forme, quinze ou
seize canons braqués sur la ville et chargés. Le cabinet
du roi, qui avait été placé dans la citadelle, fut respecté,
comme la vaisselle plate du gouverneur. Quelques prison-
niers politiques furent mis en liberté, notamment Tavocat
Bamnus, syndic du pays d'Agénois, que le roi avait
envoyé à la Bastille quatre ans auparavant pour avoir eu
le verbe trop haut dans les assemblées de Guyenne, et le
marchand Feuillet, qui ne voulut plus se séparer de la clef
de son cachot et prétendait qu'on Tavait laissé trois jours
sans boire ni manger. Bussy Le Clerc porta les clefs de la
porte Saint-Antoine au duc de Guise, qui ne voulut pas les
recevoir, mais les laissa prendre à un de ses gentils-
hommes. Le château de Yincennes tomba également aux
mains des ligueurs, le 18 mai ^ On y mit une garnison
d'une soixantaine d'hommes, qui trouvèrent la place abon-
damment approvisionnée. Toutefois le pillage ne fut pas
autorisé; la vaisselle d'argent et une grosse somme en
espèces, qui se trouvaient à Yincennes, furent mises en lieu
sur. Guise fit sceller les coffres de l'Hôtel de Ville qui
contenaient les recettes municipales et promit qu'un quar-
tier ou deux seraient payés aux rentiers. Les prédicateurs
devenaient bénins et pacifiques. Ils cherchèrent k prévenir
toutes les violences envers les personnes. Deux soldats
ayant fait quelques prisonniers sans ordre, le duc de Guise
fit venir les deux coupables « et, à la chaude, bailla à
chacun d'eux un coup d'épée • ». Quant à Pereuse, le
1. H. Mabtin (t. X, p. 77) écrit : « Le 17, Vinceanes capitala ». Or on lil
dans la Relation du Bourgeois de Paris que « le lundy oh s'assura de l'Ar-
senal, et le mercredy ensuivant du chasteau de Vincennes, etc. ». Le mer-
credi était le 18 mai, comme il est facile de le constater en parcourant le
journal de TEstoile.
2. Relat, du Bourgeois.
GUISE ET PARIS APRfiS LES BARRICADES 863
prévôt des marchands, il courait un véritable danger, car
sa Kdélité au roi ne faisait aucun doute, et Ton savait qu'il
était de ceux qui avaient conseillé au roi de « chastier les
meschans ». Il était, en outre, en relations intimes avec
M. d'O et avec d'Épernon, qui, lors de son départ pour la
Normandie, avait chaudement recommandé Pereuse à
Henri III. Afin de soustraire le prévôt des marchands aux
représailles populaires, on Tarrèta et on le conduisit, le
dimanche 15 mai, à la Bastille, en compagnie de quelques
huguenots ou politiques. Le duc de Guise s'était montré
fort embarrassé quand les capitaines ligueurs et les bour-
geois « armés et mutinés » lui avaient amené le prévôt,
qu'ils venaient d'arrêter à son domicile, rue Vieille-du-
Temple. Le duc, après avoir un moment conféré avec lo
chef de la municipalité, l'avait même autorisé à rentrer
chez lui ; mais Bussy Le Clerc Talla saisir de nouveau et lo
conduisit à la Bastille. C*était là un acte grave, qui mettait
la Ligue en état de rébellion ouverte non pas seulement
rontre le roi, mais contre des institutions séculaires. Aussi
(iatherine, malgré sa modération affectée, crut-elle devoir
protester hautement contre la violence faite au premier des
magistrats municipaux. Guise répondit aux réclamations
de la reine mère : « S'il vous plaist, madame, qu'il sorte,
je vous l'iray quérir moi-mesmos et vous le ramènerai par
la main; mais il est mieux là qu'en sa maison et plus seu-
rement qu'en lieu où vous le scauriez mettre * ».
L'arrestation, préméditée ou non, du prévôt des mar-
chands, laissait le champ libre aux ligueurs pour installer
leurs créatures à l'Hôtel de Ville. Aucune résistance n'était
à craindre : les échevins Le Comte et Lugoly avaient suivi
le roi; Sainct-Yon ' était malade ou feignait de l'être;
1. L'EsTOiLB, t. ni, p. 150.
2. Db Thoc donne quelques déUils intéressanls sur Sainct-Yon, avocat
au ChAtelet. Il aurait été nommé échevin i>ar la protection dn roi, et, pan-
364 PARIS ET LA LIGUE
Boiluard n'avait aucune autorité. Le duc de Guise» au sur-
plus, ne perdit pas de temps et ne s'attarda pas à discuter
la légalité du renouvellement des officiers municipaux.
Le 18 mai 1588, une grande assemblée fut convoquée à
rilôtel de Ville. La composition en était parfaitement
irrégulière, car, au lieu de convoquer les soixante-dix-sept
électeurs de droit (savoir le prévôt et les éclievins, les
vingt-quatre conseillers de Ville, les seize quartiniers et les
trente-deux notables choisis par le grand Bureau '], les
chefs de la Ligue avaient réuni dans la grand' salle de la
maison commune ce que Palma-Cayet appelle « une
assemblée générale du peuple » et ce que les Registres de
la Ville ' nomment plus exactement une « compagnie de
bons bourgeois catholiques », ou, pour parler net, do
ligueurs dévoués. Il ne faut donc pas s'étonner si les élec-
tions du 18 mai ' présentent une physionomie toute par-
ticulière. Le duc de Guise, tenant la place du premier
prince du sang, le cardinal de Bourbon, qui était indis-
dant la Journée des Barricades, joua, comme on Ta vu plus haut, un rôle
assez équivoque. Il alla plusieurs fois au Louvre avec Jacques Bellanger^
conseiller au Parlement et commandant de la milice du quartier de la place
Maubert; mais, après la défaite des Suisses, Sainct-Yon conseilla au roL
de s'entendre avec le duc de Guise et de chevaucher avec lui dans Paris.
On trouva le conseil suspect (t. X, p. 269).
1. En ce qui touche la composition du corps électoral qui nommait le
prévôt des marchands et échevins, voy. Tordonnance de 1450 sur la juridic-
tion de la prévôté des marchands. Nous Tavons analysée dans notre Hist.
munie, de Paris, p. 247, spécialement sur le mode de désignation des bour-
geois notables. Voy. (ibid., p. 455), l'analyse de Tédit de mai 1554.
2. Rbo. h, 1789, fol. 127. Nous ferons remarquer que nous reprenons ici
la série des Registres, qui n'a pu être mise & profit pour tracer le tableau de
la Journée des Barricades, par ce motif qu'il y a dans les Registres une
lacune regrettable, depuis le 12 jusqu'au 18 mai 1588. Les feuillets 120 à
126 sont en blanc dans le registre original, ce qui suppose que ces feuillets
ont existé sous une autre forme. Est-il téméraire de supposer qu'une main
puissante a fait disparaître ces pages, peu flatteuses pour Tamour-propre
royal? Cixbbr et Dakjou, au t. XI de la 1'* série des Arch. cur., p. 411,
ont reproduit plusieurs extraits des Registres, depuis le 18 mai jusqu'au
28 juillet 1588.
3. UEsTOiLB, ordinairement si exact, dit par erreur que ces élections
eurent lieu le « mardi 17* ». La date des Registres fait foi; elle est, d'ailleurs^
confirmée par de Thou.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 365
posé, se présenta dans la grand'salle de THôtel de Ville
avec une brillante escorte et pria rassemblée d'élire de
nouveaux officiers municipaux « au lieu des anciens,
aulcuns desquels se sont absentés, les autres sans exercice,
pour estre mal vouUus et hays du peuple & Toccasion des
choses naguëres advenues en ladite Ville * ». Après avoir
joui des applaudissements de ses partisans, le duc se
retira. Aussitôt après son départ, l'assemblée décida à
Tunanimité qu'il y avait lieu de procéder aux opérations
électorales, et arrêta, en outre, que « les suffrages seroient
donnés par les assistans à haulte voix pour éviter à tous
abbus ». C'était un moyen assuré de prévenir toute sur-
prise, mais c'était aussi une violation des vieilles coutumes,
qui garantissaient le secret du vote. On remplaça les
quatre scrutateurs traditionnels par deux bourgeois « com-
mis et députés pour tesmoignage de fidélité au recueille-
ment des voix », et il ne parait pas avoir été question de
serment prêté sur le tableau juratoire *. Le sieur de
Marchaumont, ancien ambassadeur en Angleterre, an-
cien chambellan de feu Monsieur, fut élu prévôt des mar-
chands par la majorité des suffrages. Les électeurs nom-
mèrent échevins Nicolas Rolland, général des monnaies,
Jehan de Compans, François Costeblanche et Robert
Desprès, tous bourgeois de Paris •. François Brigard,
avocat au Parlement, fut désigné pour remplir les fonc-
tions de procureur du roi près l'Hôtel de Ville, en rem-
placement de Pierre Perrot. Mais Marchaumont ayant
i. RSG. n, 1789, ibid.
2. Voy. notre Hitt, munie, p. 458.
3. Db Thou (t. X, p. 269) commet une erreur en disant que SainctrYon
et Bonnard, ayant convaincu les ligueurs de leur fidélité, furent conservés
dans leurs charges d'échevins. Le texte des Registres dit le contraire, et
TEstoile explique, avec plus de précision encore, que Costeblanche, dra-
pier, demeurant rue de la Tonnellerie, fut nommé au lieu de l'avocat
Sainct-Yon « malade », et Robert Desprès, marchand teinturier de la pel-
leterie, au lieu de Bonnard.
366 Paris et la ligue
refusé les fonctions de prévôt des marchands, d'abord
parce qu'il n'était pas Parisien et ensuite à cause de sa
qualité de « serviteur et conunis domestique du seigneur
de Guise ' », il fallut réunir une seconde assemblée et
procéder à de nouvelles élections. Cette seconde assem-
blée eut lieu le vendredi 20 mai et fut beaucoup plus nom-
breuse que la précédente. Le duc de Guise s'y rendit,
accompagné du prince de Joinville, son fils et « autres
princes, seigneurs et gentilshommes ». Il fit lire par le
greffier des lettres du cardinal de Bourbon qui étaient ainsi
conçues : « Messieurs, ne pouvant aller en vostre Hostel
de Ville, à cause de mon indisposition, j'ay prié M. de
Guyse, mon nepveu, d'y voulloir aller et adviser à tout ce
qui sera besoing pour le repos de ladicte ville et des gens
de bien, soubz le bon plaisir et aucthorité du roy mon sei-
gneur ». Le duc de Guise prit ensuite la parole et déclara
lui-même que le sieur de Marchaumont, « pour n'estre
natif de ceste ville et pour estre son ami domestique », ne
pouvait accepter la charge de prévôt des marchands sans
contrevenir aux coutumes et privilèges de Paris. Il conclut
en priant l'assemblée d'élire un autre prévôt des mar-
chands. Plusieurs proposèrent alors de nommer La Cha-
pelle-Marteau, qui avait eu le plus de voix dans la dernière
élection après M. de Marchaumont. Guise ayant adhéré à
cette motion, La Chapelle-Marteau fut « nommé et confirmé
tout d'une voix et par acclamation publicque ». Les nou-
veaux officiers municipaux, et Brigard, le nouveau pro-
cureur de la Ville *, prêtèrent ensuite serment sur « le
1. Rbo. Ibid.
2. Etienne Pasquier fait deux remarques importantes au sujet de la cons-
titution de la nouvelle municipalité. II dit d'abord qu'on ne donna pas à
Brigard le titre traditionnel de Pt'octireur du roi et de la Villes mais simple-
ment celui de Procureur de la Ville, par cette raison « que tous les estais
de THostel de Ville estoient populaires et qu'il n'y falloit point de procu-
reur du roy ». Pasquier ajoute u qu'en toutes ces assemblées de Ville, nul
(le messieurs du Parlement, des comptes et généraux des aides n'a esté
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 367
livre des saincts Évangiles et figures de la mort et passion
de nostre Sauveur Jésus-Christ » que leur présenta le duc
de Guise. Il y eut un remarquable incident. Nicolas Rol-
land, Tun des échevins élus, déclara qu'il ne pouvait
accepter sa charge « sinon soubz le bon plaisir du roy et
jusques à ce que aultrement en ayt esté ordonné par Sa
Majesté » et requit acte de sa déclaration. La Chapelle,
Compans et Brigard imitèrent son exemple. Compans
manifesta à son tour son intention de ne pas prêter serment
si Rolland, qui cependant avait eu moins de voix que lui,
refusait d'accepter le titre de premier échevin. Rolland finit
par accepter cet honneur, non sans beaucoup de façons.
Guise, après avoir reçu tous les serments, délivra à La
Chapelle les sceaux de la Ville et enjoignit aux nouveaux
élus « de bien et deuement exercer leurs charges et y
servir fidèlement Sa Majesté et le publkq * ».
La municipalité ligueuse montra immédiatement de quelle
façon elle entendait respecter la volonté du roi en desti-
tuant « tous les présidents, conseillers et officiers du roy
qui avoient esté créés colonels et capitaines Tan 1585 ' ».
On les remplaça par des hommes de bas étage dévoués à
délégué pour s'y trouver ». Lettres, liv. XIl, I. 6, édil. d'Amsterdam, 1723,
2 vol. in-fol., t. II, p. 338.
1. Rbg. h, 1789. Ibid, 11 est à remarquer que le Parlement rerusa d'en-
voyer aucun délégué aux deux assemblées qui remplacèrent la municipa-
lité ré;;ulière. Si l'on en croit le récit du président du Vair (manuscrit de
Dupuy, n<> 661), Guise, étant allé au palais avec le cardinal de Bourbou,
pour arracher aux magistrats la consécration de la révolution municipale»
se troubla au point d'en perdre la parole et s'attira une foudroyante
réplique du premier président, qui lui dit : « Pour cette compagnie, elle est
assise sur les fleurs de lis, et, étant établie par le roi, elle ne peut respirer
que pour son service : nous perdrons trestous plutôt la vie que de fléchir à
rien de contraire ». Palma-Caykt, Introd. à la ChronoL nov.f dit que la
reine mère reçut le serment des nouveaux officiers municipaux « et les
eut pour agréables ». Ce fait important n'est pas consigné dans les Registrey
de la Ville,
2. Palma-Gatet, Itfid. Cet historien dit avec précision : « Du consente-
ment du duc de Guise, la première chose qu'ils firent {les ligueurs), ce fut
de changer les colonels, capitaines et quarteniers qui n'estoient de leur
faction «. Le Dialogue du Maheustre et du Manant constate que Catherine
s'opposa vainement & ces destitutions.
368 PARIS ET LA LIGUE
la faction des Seize. Il n*y eut aucune résistance, mais Ir
peuple, tout en obéissant aux nouveaux officiers de la
milice, ne tarda pas à les tourner en dérision et à les
appeler, suivant le métier qu'ils exerçaient : « capitaines
•de la morue, capitaines de Taloyau ». Les vainqueurs
-complétèrent Toccupation de Paris on mettant la main sur
la justice du Chàtelet, oii les causes se jugeaient en pre-
mière instance et qui connaissait des contraventions à la
police municipale. La charge de lieutenant particulier fui
donnée à La Bruyère, qui avait pris une si grande part à la
formation de la Ligue : quant à Autruy Séguier, lieutenant
général civil, chef de la justice du Châtelet, il resta sourd
à toutes les avances et, quand les ligueurs firent succéder
les menaces aux caresses, il quitta Paris pour aller
rejoindre le roi. La Sorbonne et l'Université furent aussi
Tobjet d'une épuration : Boucher et les jeunes docteurs
n'eurent pas de peine à y prendre une influence absolue *.
Maître incontesté de Paris, le duc de Guise pouvait
ou bien se mettre en lutte ouverte avec le roi ou bien
entamer avec lui des négociations. Il débuta par une
guerre de plume à laquelle s'associa la nouvelle munici-
palité de la capitale. Dès le 17 mai, le duc adressait au roi
à Chartres une lettre curieuse où il essayait de justifier sa
conduite. Rappelant les « faux bruits et calomnies dont
Ton usait pour entretenir toujours Sa Majesté en défiance
de lui », les mesures violentes prises par le roi, notamment
l'introduction de soldats étrangers dans Paris, il soutient
« qu'il n'a jamais tant craint que de déplaire au roi », et
qu'il Ta bien prouvé « en contenant le peuple », en l'empê-
chant « de venir aux effets », en sauvant les Suisses et les
officiers des gardes. Il affirme que le départ du roi lui a
causé « un des plus grands déplaisirs qui lui pouvoienl
1. Palma-Cayet, lOid.
GUISE ET PARIS APRES LES BARRICADES 369
advenir », car il a ainsi « perdu Toccasion d'accommoder
toutes choses à son contentement » ; en terminant il promet
« de se comporter en très fidèle sujet et serviteur utile * ».
Mais ce n'était là qu'un langage diplomatique. Dans les
lettres qu'il écrivait à ses amis, le duc de Guise ôtait son
masque et prenait le ton glorieux d'un vainqueur. Accusant
nettement Henri III d'avoir provoqué les catholiques, alors
que lui, Guise, était venu « baiser les mains de Sa Majesté,
ne portant autre sauf-conduit que ses services », le duc
avoue qu'il « a mis de Tordre » dans l'émeute, mais
qu'après la victoire il a sauvé neuf cents Suisses et par-
couru Paris jusqu'à deux heures du matin, « priant, sup-
pliant, menaçant le peuple, si bien que, par la grâce de
Dieu, il ne s'ensuivit aucun meurtre, massacre, pillerie,
ni perte d'un denier, ni d'une goutte de sang ». Il met tous
les torts à la charge du roi et de ses courtisans, car le
peuple que « Dieu avoit miraculeusement excité à courir
unanimement aux armes » n'avait pu contenir sa fureur,
« pour avoir vu vingt potences prêtes avec quelques écha-
fauds » et les exécuteurs de justice qui devaient frapper
cent à cent vingt personnes qu'on nommait et dont le duc
aime mieux « laisser deviner qu'écrire » les noms. Puis, la
joie du triomphe éclate : « Je ne vous puis celer combien,
de contentement m'apporta cette grâce immense de Dieu. »
Il se vante « d'avoir pu, mille fois, s'il l'eût voulu, arrêter
le roi » ; mais il ajoute : « A Dieu ne plaise que j'y aie jamais
songé » ! Certes il n'ignore pas que le roi « depuis son par-
1. Mém. de la Ligue, t. U, p. 331, et Preuves de la SaL Mén., t. III, p. 76.
Êdit. de Ratisbonne, 1752. La même lettre a été réimprimée au t. XI,
l'« série des Arch, cur. de Cimbbi et Danjou, p. 449. Palma-Gaybt, parlant
de la lettre du duc au roi et de celle que Guise adressa à ses amis, assure
« que ces lettres ne furent si tost publiées et imprimées que le duc de
Guise eust voulu les retenir en son cabinet : le commissaire Louchart fut
employé pour en soliciter la déffense; il meine les imprimeurs et ceux qui
les Tendoient prisonniers. Il fut toutefois comme contraint de les laisser
vendre, puisqu'aussi bien il ne retenoit pas les copies qu'il avoil luy-mesme,
•iree le conseil des Seize, envoyées hors et dedans le royaume »•
ROBIQUET. 24
370 PARIS ET LA LIGUE
tementy a quelque autre conseil et aigreur ». Mais le roi
s'adoucira : Guise a <c T Arsenal, la Bastille et les lieux forts
entre ses mains... et si le mal continue, il espère par les
mêmes moiens conserver ensemble et la religion et les
catholiques, et les dégager de la persécution que leur pré-
paroient les confédérés des hérétiques auprès du roi * ».
Suivant l'exemple du duc et certainement d'accord avec
lui, les nouveaux magistrats de THôtel de Ville adressèrent
au roi une lettre officielle, datée du 22 mai. Elle est fort
courte et assez insignifiante. On y découvre cependant une
intention ironique quand elle établit une corrélation entre
la prospérité des affaires et Tamour que les Parisiens por-
tent à leurs rois; puis, lorsqu'elle constate que le navire
symbolique de la Ville « a passé légèrement » sur les
écueîls qu'il a rencontrés « au milieu de sa navigation en la
personne de ceulx qui approchoient les princes ' ». Le len-
demain 23 mai, de concert avec le cardinal de Bourbon et
le duc de Guise qui mirent leurs signatures à côté des
leurs, la Chapelle-Marteau, Rolland, Compans et Coste-
blanche ' rédigèrent et transmirent une « requête au roi »,
qui est un document de plus longue haleine et constitue
comme un programme des revendications de la Ligue
après la victoire *.
1. Mém, de la Ligue, Ibid., p. 334. — Sat. Ménip., Preuves^ L HI, p. 19. Les
Mém, de la Ligue, p. 337, donnent aussi une lettre circulaire que le duc
de Guise écrivit le 17 mai « aux manans et habitans des villes du rolaume
de France qui sont de la religion romaine ». Tout en se montrant respec-
tueux pour le roi, Guise engage les catholiques des villes de province « de
ne laisser être faite aucune altération dans leur ville, et de ne pas prêter
leurs demeures pour servir d'arsenal aux passions inconsidérées de quel-
ques-uns qui seroient bien aises, sous prétexte du service du roi, de dresser
une armée dans leurs murailles et possessions... »
2. Rbg. db la V. h, 1789, fol. 139. — FéuBisir, t. V, p. 445. — Arch. cur,,
t. XI, p. 433.
3. Le quatrième échevin, Robert Després, n'a pas signé la requête au roi
dont il s'agit.
4. Rbg. db la V., fol. 133. — Arch, cur., t. XI, p. 422. — Mém, de la Ligue,
l. n, p. 34 — La requête fut présentée au roi, à Chartres, par une députation
que conduisait la reine mère elle-même, si Ton en croit Palma-Cayet. Cet
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 371
C'est, on le pense, sur le terrain « de Thonneur de Dieu
1*1 conservation de son Église » que se placent les ligueurs
parisiens. Ils font remarquer au roi avec une ironie cruelle
qu'après « les grandes victoires qu'il a pieu à Dieu lui
donner », il lui est très facile d'arracher « la mauvaise
plante d*hérésie qui a faict naistre en ce royaume tant de
doHMnageables rcjeltons ». Mais c'est M. de Guise qu'il
faut charger de l'opération. Sans doute, le roi a d'excel-
lentes intentions, mais les bons yeux des ligueurs recon-
naissent « quelques empeschemens qui peulvent non seu-
lement traverser son sainct désir, mais encore amener
ung jour la subversion de la religion catholique et de
TEstat de ce royaume ». Les principaux s'appellent le duc
d'Épernon et le sieur de La Vallette son frère, que la
France et la chrétienté reconnaissent comme « les princi-
paux fauteurs et suposts des hérétiques ». Et les chefs de
la Ligue parisienne font, à leur manière, la biographie de
cet horrible d'Épernon d'où vient tout le mal. Ils l'accusent,
ainsi que son frère, de haïr les catholiques, d'avoir favo-
risé la retraite des reîtres, et surtout « d'avoir ravy et mis
en leurs coffres toutes les finances de France ». Après
avoir engagé le roi à prendre conseil sur ce point « de la
royne sa mère qui, par la prudence de laquelle elle a usé
au gouvernement de cest État, par le rang qu'elle tient,
s'est acquise assez de puissance de parler franchement des
choses », les auteurs de la requête somment nettement
Henri III de bannir d'Épernon et son frère et de leur
enlever leurs charges et leurs gouvernements. Alors tout
ira beaucoup mieux : on pourra poursuivre la guerre en
Guyenne contre les hérétiques, tandis que la reine mère
« tiendra les choses très tranquilles » à Paris et que le duc
de Mayenne, de son côté, se portera au secours des catho-
écrivain donne (Introd. Chron, nov., p. 33) la harangue de la députation au
roi et analyse le conlenn de la requête.
372 PARIS ET LA LIGLE
liques dans le Dauphiné. Déban*assé des courtisans qui le
ruinent, le roi sera en mesure d*alléger le poids des impôts
et d'abolir les édits fiscaux de récente création ; bref, de
supprimer tous les abus. Puis vient le chapitre des ré-
formes qui intéressent spécialement la capitale : « Pour
ce qui concerne vostre bonne Ville de Paris, Sire, vos très
humbles, très obéissans et très fidèlles subjets les bour-
geois et habitans d'icelle, et nous avecq eulx, oultre ce que
dessus, vous supplions en toute humilité... qu'il vous
plaise croire qu'en tout ce qui s'est passé ces derniers
jours, ils n'ont jamais eu volonté ny intention de se départir
de la vraie obéissance que les subjetz doivent à leur roy. h
Ce qui n'empêche pas les fidèles sujets qui ont été très
calomniés auprès de Sa Majesté de lui demander « seureté
de pouvoir cy-après vivre en Iranquilité et repos », et,
pour commencement, ils réclament le congé de M. d'O et
expriment le désir formel « qu'il se desparte doresnavant
du maniement des affaires de la Ville et commandement
en icelle, pour quelques raisons qu'ilz ayment mieulx taire
que publier, si Sa Majesté ne le commande ». Les Pa-
risiens prient également le roi d'approuver le remplace-
cément des anciens prévôt des marchands et échevins par
les nouveaux magistrats que « le corps des habitans » u
mis pour deux ans en leur place. « Autrement, disent les
ligueurs, la Ville ne pouvoit estre disposée à la tranquilité
que Votre Majesté y désire. » Quant à l'avenir, on reven-
dique la restauration des libertés municipales, l'abolition
de la vénalité des offices qui depuis quelque temps s'était
intronisée à l'Hôtel de Ville.
Il faut que désormais « vaccation advenant par mort ou
forfaiture desditz officiers, tant des conseillers de Ville
que quarteniers et autres, il y soit pourveu par eslection,
pour en joyr par lesditz esleus durant deux ans, ou tel
aultro temps qu'il sera advisé pour le mieulx; et, ce temps
GLISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES l^Ti
4\\piré, sera proceddé à de nouvelles esleclions, selon qu'en
avez esté cy-devant requis par plusieurs fois ». Les ligueurs
parisiens, en terminant leur requête, supplient le roi
« quand il luy plairoit retourner en ceste ville » de n'ame-
ner avec lui que ses gardes ordinaires, et de tenir éloi-
gnées les autres troupes d'au moins douze lieues de la
<*apitaIo.
C'était sur ce ton menaçant et superbe que les Parisiens
<it leurs chefs parlaient au roi de France, humilié et presque
déchu. Ils adressèrent en même temps aux villes catho-
liques une série de lettres pour célébrer la victoire de la
Ligue et jeter les bases d'une sorte de fédération contre
les ennemis de la religion. Plusieurs de ces lettres sont
déjà connues et publiées *, mais d'autres, et non des moins
curieuses, sont encore inédites. Pour donner une idée du
ton et de l'esprit de ces correspondances municipales, nous
Tie reproduirons que la circulaire uniforme que l'Hôtel de
Ville de Paris adressa le 28 mai 1588 aux villes de Rouen,
Troyes et Sens *. Au point de vue commercial, la Ville de
1. CiMBBR et Danjou, Arch» cur., t. XI, !'• série, p. 436, ont reproduit,
d'après les registres de la Ville H, 1789, fol. 141, une lettre de la munici-
palité de Paris à celle de Lyon en date du 26 mai 1388. Elle se trouve aussi
imprimée dans les Preuves de Félibien, t. V, p. 443. — Félibien, ibid,, p. 446,
a donné aussi, d'après le registre H, 1789, fol. 130, une lettre de la munici-
palité de Paris à celle de Tours, en date du 8 juin. — Capbfioue, dans son
livre intitulé : la Ligue et Henri /F, a publié des lettres de THôtel de Ville de
Paris aux magistrats municipaux de Montereau, d'Orléans, et des réponses
des échevins d'Amiens et d'Abbeville qui font acte d'adhésion à la Ligue
des villes catholiques,
2. « A messieurs les maire et eschevins de la ville de Rouan. Pareilles à
messieurs les bourgeois, manans et habitans de la ville de Troyes, du
XXX may 1388; aultres pareilles lettres aux maire et eschevins de la ville
de Sens ». « Messieurs, sy les malheurs procçdans de la désunion des Fran-
çois n'estoient congneus à ung chacun, ne sçavoit que la racine en est
extraicte des hereticques et pullule maintenant par leurs confederez et
associez qui par ruses et artiffices veullent rendre le party des catholicques
si foible par leur discussion qu'avec le temps ilx puissent parvenir à nostre
entière ruyne, si les effectz de telz dcsscings ne nous en faisoient saiges ;
nous ne serions esbahis comme nous sommes d'ouyre dire que, tout à coup
et sans congnoissance de cause, on vous veull persuader de rompre avec
410U6 le commerce par lequel nous avons eu ensemble telle communaulté
que noz affaires <ont parmy plusieurs sy annexes et conjoinofeF que tnfailli-
374 Paris et la ligue
Paris invoque la nécessité de maintenii' des relalious
d'affaires ([ui ont existé de tout temps entre Paris et les
autres cités, relations dont la rupture causerait une ruine
générale; ou point de vue politique, la municipalité pari-
sienne prend violemment à partie le « pernicieux conseil
du roy » qui, après avoir déchaîné la guerre sur la capitale,
vise à troubler Tordre établi de toute antiquité dans le
royaume, met le feu aux quatre coins de la France, ôte
leurs dignités aux grands officiers de la couronne et est
blement la ruyne des ungs attire après elle la ruyae des aullres, et sans
lequel vous confesserez que sy aisément ne feussiez-nous en la commodité
qui tient voz ayses jusques icy, pour n'avoir Toraige encores esté jusquesà
vous, nous rooongnoissons vivement ung mesme Dieu, une mesme foy et ung
mesme roy, nous protestons d^y voulloir vivre et mourir, et ne prétendons
privileiges ou franchisic que celles que nous sommes légitimement acquises,
sy ce qui s'est passé depuis quinze ou seize jours en ça a esté, comme beau-
coup d'aultres choses, tant artificiellement desguysé, le mal qui en pro-
viendra ne se doibt prendre particulier à nostre ville. Le pernicieux con-
seil du roy, qui a recongneu sa faultc en nous prostituant à une sédition
et sac de nostre ville dont il a pieu à Dieu seul par sa bonté préserver ses
bons et fldelles serviteurs, ne veult cesser de dissiper Tantien ordre estably
en ce royaume; et comme désespéré de veoir seullcment esmouvoir les
plainctes du peuple françois contre soy, il vouldroit par quelque moien que
ce feust avoir mis le Teu aux quatre coings du royaume pour ne faire
qu'une ruyne des bons et des mauvais, tant ilz se sentent coulpables des
crimes qui leur sont imputez, pour lesquelz sy toute la France a paty, sy
les grands ont esté deschassez, sy les officiers de la couronne, de la jus-
tice et de la police ont esté changez et corrompus par argent, par mes-
routentement et aultres voyes, et sy tout le peuple a esté mangé jusques
aux os pour engraisser ung si petit nombre de gens qui ne se peulvent
encores rassasier et assouvir, est-il raisonnable que Paris seul porte le
faix du restablissement, et qu'ayant, comme la première et capitalle ville
du royaume, commencé à le demander par très humble requesle à leur
roy, elle soit en cause sy juste abandonnée de toutes les aultres qui n'y
ont nioings d*intérest ù ceste réformation? Non, elle ne le sera pas ainsy.
Mais d'ouyr maintenant dire que la ville de Sens, qui tient au cœur de ce
royaume ung rang notable des bonnes villes, se vouUust séparer ou se
mettre à Tabry et aux escouttes, pendant que les aultres travaillent à ung si
sainct euvre, ce seroit chose monstrueuse, et plus encores de la veoir pour
telle occasion rendre partie et unie à celle qui luy est la plus utille, voire
nécessaire de toutes les aultres, nous ne demandons rien pour nous en
particullier, nous demandons pour vous et pour toutes les aultres villes,
voire pour tout le royaume; du fruict que nous en espérons, nous n'en
prendrons plus de part que vous et y ont tous les gens de bien ung pareil
et commung interest. Que si par lesdictz artifices on vous desguysé nos
prétentions, patience du moings que vous soiez bien informez de la vérité
et sachiez quelle est nostre requeste, et en ce que vous trouverez à redire»
refusez vostre assistance, mais précipitamment ne vous rendez pas con-
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 378
cause que « tout le peuple a esté mangé jusque» aux os
pour engraisser ung petit nombre de gens qui ne se peul-
vent encore rassasier et assouvir ». Paris ne trouve pas
juste de supporter seul le poids de la résistance et demande
le concours des bonnes Villes catholiques, on faisant valoir
que la capitale est le centre de Tadministration du pays,
le siège de ce Parlement qui homologue tous les édits et
statuts, le grand marché de tous les commerçants de
France, le foyer intellectuel qui attire toute la jeunesse
du pays. En terminant, les magistrats parisiens prient
Iraire ou eiincmy de vos amys. Pensez à plus d'une fois desquelz membres
est composé le corps de Paris, que la court la plus souveraine des parle-
mens, la court des Pairs, unicque en France, est celle de nostre Ville ; qu'en
icelle doivent estre osmologuez les ecdictz et slatutz, plus important que
la négociation et commerce d'entre nous et vous. Pensez encores combien
il y a de communaultez entre les marchans de voslre ville et la nostre et
à ung plus chair dépost que nous avons de vous par les coUeiges de cesle
ville où vous ne vouldriez desnier à vos enlTantz ce que l'on vous veult et
' aux aultres villes persuader de nous desnier, par les vivres et aullres com-
moditez desquelles de tout temps nous nous sommes secourus réciproque-
ment; et pour ne vous laisser du tout en suspens de ce qui s^esi passé par
deçà et sur quoy ledict mauvais conseil fonde et exige soubz main des
causes artificielles pour faire faire en cachette ce qu'il n'ose ordonner pu-
blicquement, nous ne vous représenterons que Tunion admirable et comme
infuze spirituellement n par tous nos concitoyens pour, soubz la bonté de
Dieu, nous préserver de la tirannye en laquelle ce malheureux conseil vou-
loit prostituer les plus fidelles et respectueulx snbjectz du roy nostre sou-
verain Seigneur, pour le service duquel nous protestons derechef vouer
en perpétuelle dévotion de sacriffice noz vies, nus enfîans et noz biens,
en l'obéissance et fidellité que Dieu nous commande de luy porter. Et
cependant vous prions, s'il vous demoure quelque scrupule de noz actions,
que par la conférance qui nous est aysée, pour estre si voisins que nous
sommes, vous en soiez esclaircis, sans vous despartir d'ung seul poinct
de nostre antienne et invétérée amityée, association et commerce; nous
mandant sur ce de voz nouvelles par le porteur de la présente qui vous
pourroit rendre compte d'aultres particularitez que désirez sçavoir. Mes-
sieurs, nous estans en cest endroict très affectueusement recommandez à
vos bonnes grâces, nous prions Dieu vous donnez en très parfaicte santé
très longue et très heureuse vye. Du bureau de la Ville de Paris, le
XXVIU* may 1588 ». Vos très affectionnez frères et amys les prévost des
marchans et eschevins do la Ville de Paris ». Req. H, 1789, fol. 143. Une
autre lettre, datée du 30 mai 1588 et adressée par les prévost des mar-
chands et échevins de la ville de Paris à a Messieurs les maire et esche-
vins de la ville de Chaaions, aussy aux maire et eschevins de la ville de
Reims, et aussy aux maire et eschevins de la ville d'Amiens. Pareilles aussy
à messieurs les maire et eschevins de la ville de Montdidier », diffère peu
de la précédente. Nous nous bornons à en analyser au texte les passages
les plus intéressants.
376 PARIS ET LA LIGLE
leurs collègues de se mettre en relation avec eux et de
demander tous les éclaircissements nécessaires au porteur
de la circulaire.
Dans la lettre adressée aux municipalités de Chàlons, do
Reims, de Montdidier, d'Amiens, sous la date du 30 mai,
la Ville de Paris développe des considérations analogues.
Il faut toutefois citer un passage de cette seconde circu-
laire où les membres de la nouvelle municipalité ligueuse
exposent les raisons qui les ont portés à supprimer révolu-
lionnairement les magistrats en fonction, ainsi que beau-
coup de capitaines de quartier : « Que sy les mesmes
magistrats du corps de ceste Ville estoient encore à leur
authorité, nous sçavons qu'il seroit fort malaisé et peut-
être impossible de les faire condescendre à nostre rcqueste,
pour avoir esté les ungs d'eulx tellement entachez d'hé-
résie que leurs œuvres ont tousiours faict paroistre combien
ilz inclinent de ce costé-là; les aultres guaignez et corrom-
pus de la faveur d'ung siècle sy misérable, cela nous a
meu de procedder à nouvelle eslection d'ung prévost des
marchans et eschevins, et d'ung procureur de ville, et
mesmes des cappitaines de quartiers où nous avons pensé
la nécessité le requérir, espérant par ce moyen, désormais
diriger noz actions, de telle sorte que Dieu les bénice, le
roy en soit plus fidellement servy et le peuple mieulx
asseuré et aullrement souUaigé qu'il ne Pauroit esté par
telz magistratz *. » Il y a aussi quelque intérêt à relever
dans le document auquel nous faisons allusion, la préten-
tion des administrateurs parisiens de donner le mot d'ordre
à toute la France. « Comme de toute partye au moins où
Dieu a conservé les catholiques en leur estât, Ton nous a
plusieurs fois faict entendre que selon les déportementz
de Paris, toutes les aultres villes s'y conduiroient, qui nous
1. Kkg. h, 1189, iijid.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 377
a faict vous prier fort afTectueuscment vouloir adviser à
establir un bon ordre pour le gouvernement de vostre
ville... » La devise que la Ligue parisienne propose aux
cités de TUnion c'est « un même Dieu, une même foi, un
même roi et une même loi ». Les villes dissidentes seront
exclues de tout commeixe et négotition avec les villes con-
fédérées, et Ton déjouera tous les complots des traîtres et
des ambitieux qui s'efforcent de diviser les catholiques,
dans la conviction que « par Tunion et mutuelle intelli-
gence des gens de bien, leurs tyrannies, extorsions et
pilleries sont sy descouvertes qu'infailliblement ilz en-
courent la pugnition de leurs faultes ».
A cette campagne audacieusement entreprise par les
ligueurs, maîtres de Paris, contre la couronne et Tautorité
royales, Henri III allait-il opposer le langage qui convient
à un monarque absolu, et aurait-il le courage de conformer
ses actes à la fierté de ses paroles ? « Les lettres que. le
roi adressa à tous les gouverneurs des provinces étaient,
dit de Thou, un aveu tacite de la lâcheté de la cour *. »
Henri III débute par un récit des événements qui ont
amené les barricades. Il rappelle l'arrivée imprévue du duc
de Guise à Paris, les menées des factieux pour aigrir
l'esprit de la population; affirme qu'il n'a fait entrer les
Suisses et les gardes dans la capitale que pour assurer le
service des perquisitions; qu'il avait si peu l'intention de
prendre des mesures violentes contre les Parisiens et do
leur imposer des garnisons étrangères, que les chefs des
troupes royalistes avaient reçu Tordre « d'endurer et souf-
frir plustost toutes les extrémitez du monde » que « d'at-
1. Voy. le texte de la circulaire royale dans Palha-Catet, ïntrod, à la
Chron. noi;., et dans les Arch, cur., t. XI, p. 441. — De Thou, t. X, p. 271, en
donite une analyse très complète. D'après Palma-Cayet. la circulaire royale
portail la date du 17 mai. La même date est donnée dans les Mém, de la
Ligue, t. II, p. 328, qui reproduisent le texte de l'expédition de la circulaire
royale adressée à Monseigneur de Boisséguin, gouverneur de Poitiers.
378 PARIS ET LA LIGUE
tenter aucunes choses contre les habitans >». (l'est grâce à
cette consigne qu'on a pu « éviter un sac général de la
ville, avec une très grande effusion de sang ». S'il avait eu
le dessein de sévir, il l'aurait mis & exécution avant qui^
les habitants eussent commencé à tendre leurs chaînes et
à dresser leurs barricades. Mais on ne lui a su aucun grr
de sa modération. Les <( gentilshommes, capitaines, ou
autres estrangers envoyez par le duc de Guise ot qui sv
trouvèrent en bien peu de temps départis et rangiez par
chacune des dizaines » ont poussé le peuple à la révolte,
fait tirer sur les Suisses, pris l'Hôtel de Ville, saisi les
clefs de la porte Saint-Antoine et d'autres portes; onfiii,
poussé leurs corps de garde jusque devant le Louvre.
Malgré tout, le roi n'a pas voulu « employer ses forces
contre les habitans, pour lui avoir esté toujours la conser-
vation de la Ville et des bons bourgeois et habitans d'icellf
aussi chère et recommandée que celle de sa propre vie >*.
Il a mieux aimé « s'absenter et esloigner de la chose du
monde qu'il aime autant, comme il désire faire encore, que*
(le la voir courre de plus grand hazard et en recevoir aussi
plus de déplaisir ». Il est donc parti, laissant à la reini*
mère le soin « d'assoupir le tumulte » et il s'est rendu a
Chartres. Le roi termine en insistant sur les conséquences
déplorables de la division des catholiques qui, au lieu de
combattre ensemble comme autrefois, pour la propagation
de la religion, vont tourner leurs armes les uns contre les
autres. La conclusion est qu'il faut faire prier Dieu dans
les églises pour que cette scission prenne fin et que les
villes « ne se desvoyent pas du droit chemin », mais de-
meurent fidèles à leur roi. Henri III ne se borna pas h
transmettre sa circulaire aux gouverneurs des villes du
royaume; il adressa des lettres spéciales aux corps muni-
cipaux de chacune d'elles pour les prier de repousser les
M inventions et inductions » de la Ligue et manifester le
GL'ISE ET PARIS APRES LES BARRICADES 379
regret profond de voir « qu'aucuns ont eu pouvoir d'im-
primer au cœur des habitans de la ville de Paris qu*il
ait eu volonté de leur donner des garnisons étrangères
et qu'il soit en doute de la fidélité et dévotion des bons
bourgeois d'icelle * ».
Le 29 mai, le roi répondit à la requête que le duc de
Guise, le cardinal de Bourbon et les membres de la nou-
velle municipalité de Paris lui avaient adressée le 23 mai '.
Henri débute par prolester « du zèle très ardent et constant
qu'il porte à l'honneur de Dieu et du soin qu*il a toujours
eu de défendre son Église catholique, apostolique et ro-
maine ». Il a tout récomment encore, dans la guerre contre
les reîtres, exposé sa propre personne et arrêté l'invasion
des hérétiques sur les bords de la Loire. S'il n'a pas tiré
profit de ses succès, c'est à cause des défiances et des
jalousies que sa politique a rencontrées. Il n'a rien épar-
gné et n'épargnera rien pour les dissiper ; il oubliera « les
choses advenues ces jours passés en sa ville de Paris
dont il a senti en son âme tous les regrets et déplaisirs
qu'il est possible de supporter », aussitôt que les Parisiens
se comporteront en bons et loyaux sujets. S'ils se confient
en la bonté de leur prince, leurs libertés, droits et privilèges
ne recevront aucune atteinte. Henri III invite ensuite les
princes catholiques et ses autres sujets à s'unir à lui « de
cœur, d'affection et de leurs personnes pour tous ensemble
aller faire la guerre aux hérétiques, le plus diligemment
que faire se pourra ». Quant aux désordres et aux abus
dont se plaignent les ligueurs, le roi a jugé ne pouvoir
mieux faire que de confier le soin d'y remédier aux États
généraux du royaume et il a résolu de les convoquer à
Blois pour le 15 août suivant. En attendant la réunion des
1. Voy. dans les Mém, de la Ligue, t. Il, p. 329, la lettre donnée k
Chartres, le 17 mai 1588, aux maire, échevins, manans et habitans de la
ville de Poitiers.
2. Voy. plus haut, page 370.
:J80 PARIS ET LA LIGUE
États, on supprimera plusieurs édits, impositions et com-
missions qui surchargent et grèvent les sujets. Le prince
•termine par une déclaration assez embarrassée, en ce qui
-concerne d'Épernon et la Valletle : « Pour le regard de la
plainte particulière que font lesdits princes contre les
fiieurs duc d'Épornon et de la Valette, connue Sa Majesté
i\oii rendre justice et faire raison à tous ses sujets, de
quelque qualité qulls soient, elle fera toujours paraître, en
cette occasion, 'comme en toutes autres, qu'il est prince»
équitable et droiturier, qui a pour principal but de ne faire
tort ni injure à personne et avec cela préférer Futilité pu-
blique de ce royaume à toute autre chose \ »
Il faut le dire : ce qui éclate h chaque ligne de cette
pitoyable réponse à la hautaine sommation des princes,
«'est la peur. Les courtisans fidèles *, les huguenots eux-
mêmes en rougirent pour lui. D'Épernon, avant de quitter
•ia cour et de donner sa démission de gouverneur de Nor-
«mandie, réfuta énergiquement dans un factum les accusa-
tions des ligueurs. Aux Parisiens qui prétendent n'avoir
fait les barricades que pour forcer le roi à se débarrasser
Ac d'Épernon et de son frère, il répond, en s'adressani
au roi : « Le jeu est trop découvert et cette couleur ne
mérite point de réponse. Votre Majesté le sait et tout le
monde l'a vu. Quelle apparence, je vous supplie, de faire
1. ifnd., p. 350. D'Épernon était arrivé le 20 mai à Chartres {Hist. de lu
Journée des Banncades par le Bourgeois de Paris). D'après le Bourgeois,
MM. de Montpensier, de Longuevilie, d'Aumont et autres auraient dit au
roi que « s'il venoit, ils s'en iroient tous ». D'Épernon fit tète à l'orage et
publia une apologie en réponse à la requête des princes de la Ligue. Cette
réplique, qui porte le titre de Remontrance au roi par un vrai catholique
romain, son serviteur fidèle, répondant à la requête présentée par la Ligue
contre les sieurs d'Épernon et la Vallette. se trouve réimprimée au t. H.
p. 354, des Mém. de la Ligue, Voy. aussi Palua-Catet, loc. cit.
2. Voy. la Remontrance de d'Épernon, loc. cit., et V Excellent et libre dis-
cours sur l'État présent de la France^ attribué à Michel Hurault du Fay,
huguenot et chancelier du roi de Navarre, petit-fils du chancelier de l'Hos-
pital. Ce discours, très remarquable, se trouve au 1. 111, p. 2, des Mém, de la
Ligue, et au L III, p. 8i, de la Satyre Ménippée. Édit. de Ratisbonne (1752).
GUISE ET Paris après les barricades 381
entreprise à Paris pour prendre le duc d'Épemon qui éioit
à Rouen; et quel sujet de se barricader à la porte du Lou-
vre, armer et mutiner le peuple et s'emparer de tous les
chefs de la Ville, pour chasser le sieur de la Vallette de
Valence, en Dauphiné, où il étoit? » Aux cléricaux qui
soutiennent que d'Épernon est le complice et Tallié du roi
de Navarre, le duc riposte par une apostrophe ironique à
ces bons catholiques ^ à ces gens de bien « qui ont fait
soulever toute la France contre leur roi et prince naturel,,
rayant depuis peu de temps chassé de son siège et ville
capitale, de façon qu'à leur mode c'est être huguenot ou
hérétique de ne reconnoitre en France que le roi; et le-
premier point de la religion catholique qu'ils introduisent
et qu'ils veulent à tout hasard défendre, c'est être rebelle
4'omme ils sont mutins et séditieux ». Il sied bien de parler
de réformes aux ambitieux qui « seroient bien marris, les-
bons réformateurs, qu'il n'y eût rien à réformer, et faudroit
que les choses allassent bien, s'ils ne trouvoient à remuer
et à crier ». Il sied bien de parler du désordre des finances
à ces princes lorrains « de race étrangère et adoptée à la
ruine de la France » qui, sous Henri II et François II, ont
tenu dans leurs mains les finances du royaume, comme ei>
font foi les registres de la Chambre des comptes et qui
sont « parvenus d'un très petit commencement à une
extrême et formidable grandeur... maison agrandie qui
veut envelopper sa tête dans la hauteur des nues et remuer
du pied la couronne du roi ». Si d'Épernon et son firëre
ont reçu des bienfaits du roi, du moins ils n'ont jamais
rien sollicité « et louent Dieu au moins de ce qu'on ne Icsk
peut accuser d'être pensionnaires du roi d'Espagne, d'avoir
reçu argent de lui pour faire la guerre à leur roi et empê-
cher qu'il ne reprît la seigneurie des Pays-Bas, ni d'avoir
repris par force les deniers de ses recettes générales, volé
le coche de Bourges et contraint, en pleine paix, d'accom-
38î2 PARIS ET L\ LIGUE
pagnor de cent hommes d'armes l'argent de Normandie
jusqu'aux portes de Paris ». Néanmoins d'Épernon et son
frère, qui n'ont commis aucun crime et auxquels on n'a
pas même permis de se justifier, vont être obligés de quit-
ter la cour et de se dépouiller de leurs charges et gouver-
nements; ils se sacrifieront pour assurer le repos du roi;
mais ils voudraient voir leurs accusateurs faire de même.
En terminant, d'Épernon donne à son maître ce dernier
conseil d'apporter plus de soin et d'énergie que par le passé
à « se garantir des conspirations de ceux qui, la première
année de leur entreprise, se cantonèrent à une journée de
Paris, la seconde faillirent prendre Paris; la troisième l'ont
pris, n'aïant failli Vostre Majesté que d'un quart d'heure et
qui, à la première occasion (ce que Dieu ne veuille), la
dépouilleront d'honneur, d'état, de liberté et de vie bientôt
après * » .
Quant aux protestants, ils étaient tenus à moins de
ménagements envers le roi, et le chancelier du roi de Na-
varre, Michel Hurault du Fay, se chargea de traduire tout
leur mépris à l'égard d'un prince qui montrait si peu de
dignité. La circulaire de Henri III aux gouverneurs de
provinces « sur ce qui est avenu à Paris, le douzième de
mai, contre lui-même » parait au confident du Béarnais,
dont il reflète probablement la pensée, « si froide, si timide
que rien plus, comme d'un homme qui se plaint et n'ose
nommer celui qui Ta battu; comme d'un homme qui a
peur que son ennemi soit encore en colère et ne se veuille
contenter du mal qu'il lui a déjà fait. Il n'ose dire qu'il ait
été contraint de s'enfuir, ni qu'on l'ait chassé, n'ose appeller
cela injure; à peine déclareroit-il qu'il en fera punition; ne
commande plus à son peuple, mais le prie et au bout du
compte, ce qui est le plus ignominieux, mande que Ton
J. Remontrances au /'O?, loc, cit.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 383
fasse des supplications aux Églises afin que cette querelle
se puisse bientôt appaiser, comme s'il avoit peur que Mon-
sieur de Guise fût offensé de ce qu'il ne s'étoit laissé pren-
dre dans son Louvre, mais s'en étoit fui. » A cette plate
déclaration, Michel Ilurault oppose les lettres du duc de
Guise, dont nous avons plus haut donné l'analyse, « toutes
deux lettres de soldat, braves, audacieuses oii il se loue
galantement de ce qu'il a fait... » Le chancelier du roi de
Navarre divise la France en trois partis : celui de la Ligue,
qui est le plus grand; celui du roi, le plus légitime, mais
le plus faible ; enfin celui du roi de Navarre, qui est le plus
juste et le plus sûr. Il accuse nettement le duc de Guise de
viser « à se faire roi, s'il peut; sa procédure et ses moiens,
c'est la guerre civile et la division des Français catholiques
contre ceux de la religion... » L'auteur de V Excellent dis-
cours^ après avoir esquissé en traits incisifs les portraits
des chefs de partis qui se disputent la France et des princes
étrangers qui sont mêlés plus ou moins directement aux
luttes du royaume, terminait par une longue apostrophe
au duc de Guise, qui est pleine d'éloquence et de feu *.
1 . « Je veux flnir par toi, flambeau de la guerre, qui as tourné à la
mine de ton roi et de ta patrie les grandes grâces que Dieu t^avoit don-
nées pour pouYoir dignement servir et l'un et Tautre. Penses-tu point que
tu seras puni un jour du parricide que tu commets contre ta propre
mère?».' Non, non, il ne te faut point d'autre punition que tes propres
desseins; voilà ta gêne. Pauvre homme! tu as déjà presque quarante ans
sur la t6tè et tu n'oses encore prendre le nom du roi!.... Mais tu ne veux
pas régner! Ehl qui donc, misérable! si ce n'est cela, qui te mène? si ce
n'est une grande et puissante ambition qui t'anime, telle que l'avoient
.autrefois ou MariuS; ou Sylla ou César; on te détestera bien aux siècles
à venir d'avoir fait tant de mal au monde pour néant Ce n'est point
encore tout cela. Quoi donc? Le seul zèle de la religion catholique
t'échanffe le cœur? Je crois que tu le dis en public, non pas en ton cabi-
net... n y a encore tant de Turcs et de Sarrasins au monde qui te dé-
tiennent le roïaume de Jérusalem, héréditaire à ta maison : que ne
tournes-tu plutôt là tes desseins que sur celui de France? Mais c'est pour
le défendre : hé! qui l'attaque? qui ose rien demander aux catholiques...
Non, n'allègue point ces excuses; on s'en mocque : dis seulement que tu
veux régner, que ta veux être roi : voilà la plus vraie et la plus belle
couleur de ton enseigne Tu te plains encore que l'on avoit fait courir
de mauvais bruits contre toi et contre ton honneur... certes, tu t'en es
384 PARIS ET LA LIGUE
Ainsi, les protestants se chargeaient de confondre l'ambi-
tion dos Guises, au nom d'un roi dégénéré, qui oubliait la
dignité de son rang et mendiait la clémence du chef de la
Ligue.
Les Parisiens, pleins de confiance dans le duc de Guise,
suivaient aveuglément Timpulsion de leur idole. De là une
tactique à la fois prudente et active ; on prodigue au roi
les témoignages de soumission et, en même temps, Ton
resserre de toutes parts les mailles du filet où la dynastie
des Valois agonise. Le 17 mai, le frère Ange, ci-devanl
Henri de Joyeuse, comte du Bouchage- et frère du feu duc
de Joyeuse, quitta processionnellement Paris, une croix
sur le dos, et suivi de trente cinq pénitents de la confrérie
fondée par Henri HI cinq ans auparavant. Cette troupe
pieuse, qui se composait presque exclusivement de ligueurs,
se rendit « à beau pied et nuds pieds » * à Chartres pour
prier le roi d'accorder son pardon aux Parisiens. Les con-
frères ou les compères entrèrent à Chartres en chantant et
jouèrent leur mystère à Tantique. Frère Ange, figurant le
Christ, semblait succomber sous sa croix de carton, le front
couvert d'un sang bien imité; des bourreaux le frappaient
sans relâche, et deux jeunes capucins déguisés figuraient
la Vierge et la Madeleine. « Tout ce peuple de Chartres,
dit TEsloile, espandu par les rues pour les regarder, estoit
étonné ; les uns trouvans beaux ces nouveaux mistèrés, les
autres s'en rians et s'en moquans et beaucoup s'en offen-
sans, comme si on eust voulu se servir des cérimonies de
la religion catholique, apostolique et romaine pour mas-
bien purgé. On t'accusoit d'avoir mutiné le peuple de quelques villes de
ce rolaume contre les gouverneurs que le roi vouloit y établir; tu as effacé
ce bruit en mutinant celui de Paris contre le roi même Ainsi tu essuies
bravement un larcin par un sacrilège, un meurtre par un parricide, un
parricide par un crime. »
1. L'EsTon^R, 1. m, p. 152.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 385
que et risée. » Toutefois, celte mascarade n'était qu'un
prétexte : la Ligue faisait de la dévotion pratique, et de
Thou affirme que les pénitents ne se proposaient qu'un
but : reconnaître de près la situation de la Cour et pousser
la population de Chartres à la révolte * . Le président de
Neuilly, Tun des confrères, s'acquitta consciencieusement
de sa mission, sous les yeux du roi, et alla partout quêter
des adhésions à la Ligue. Un chanoine avait averti le
maréchal de Biron du lieu où se réunissaient le président
et ses affiliés de Chartres, et le maréchal engagea le roi à
faire arrêter les factieux; mais Henri III resta inerte,
comme naguère à Paris, lorsque Nicolas Poulain lui avait
dénoncé les conciliabules de la Ligue.
Guise et Catherine s'entendirent pour envoyer à Chartres
une députation d'un autre genre. La reine mère avait fait
dire sous main au premier président de Ilarlay et au pré-
sident de La Guesle qu'il lui semblait à propos que le Par-
lement députât quelques-uns de ses membres au roi pour
lui donner un témoignage public de fidélité qui, dans les
circonstances présentes, ne serait pas indifférent au malheu-
reux monarque. Conformément à cet avis officieux, le Par-
lement rendit un arrêt, sur les réquisitions conformes du
procureur général, et une députation fut chargée d'aller
faire hommage au roi. Elle se composait du président do
La Guesle, du procureur général, fils du précédent, des
conseillers Jacques Brisard, Jean Courtin, Prosper Bauin,
Jacques Gillol. Les magistrats arrivèrent à Chartres le 16
et furent reçus par Henri III, qui, en réponse à leur haran-
gue, fit une déclaration assez ferme, où il promettait de
pardonner aux Parisiens, pourvu qu'ils se soumissent et
fissent l'aveu de leur faute. Dans l'après-midi, le roi rap-
pela près de lui les parlementaires, donna de longues
1. De Thou, t. X, p. 293.
ROBIQUET. î'i
386 PARIS ET LA LIGUE
explications sur la bienveillance de ses intentions envers
les Parisiens, qui s'étaient crus à tort menacés dans leurs
biens et leurs vies par Tenlrée des troupes étrangères,
alors que ces troupes ne devaient rester que vingt-quatre
heures dans la capitale, pour faire une visite exacte des
maisons et cliasser de la ville les suspects, évalués à quinze
mille. Le roi fit suivre ces doléances d'assez vives menaces
et assura que si les Parisiens abusaient de sa patience*
(( elle se tourneroit en furie ». Il termina en autorisant le
Parlement à rester en fonctions et chargea les délégués do
rapporter aux habitants de la capitale tout ce qu'il avait
dit. Quelques jours après, le roi envoya au Parlement
Claude Dorron, maître des requêtes, pour annoncer que
les États généraux seraient réunis vers la fin de Tannée \
mais qu^il fallait auparavant que les rebelles missent bas
les armes, h peine d'être traités en criminels de lèse-
Majesté *. Henri III reçut à Chartres beaucoup d'autres
députations; tous les corps de TËtat firent cette prome-
nade. Le clergé régulier députa le cordelier Feuardant, et
le clergé séculier maître Faber, curé de Saint-Pol, et de
Ceuilli, curé de Saint-Germain TAuxerrois. Au président
de Neuilly, député par la Cour des aides et l'un des suî-
1. L'ordonnance de convocation des États généraux fut signée le 31 mai
1388 et publiée le 17 juin à son de trompe et cri public. Le texte de ce
document est assez curieux. Après des considérations vagues sur le
malheur des temps, le roi fixe la date du 15 août, comme devant être celle
de Touverture des États à Blois; puis, au moment de signer, le roi fait la
rectification ci-dessous : « Comme nous voulions signer la présente, nous
avons jugé que, pour donner plus de loisir de faire rassemblée pour venir
ausdictz estats, il estoit nécessaire de proroger le terme jusques au 15* jour
de septembre; ce que nous avons ainsi advisé, alln que Ton n'y faille
point, et que Ton s'y trouve précisément audit 15 septembre, en nostrc
ville de Bloys » Isambbrt, Rec. des anc, lois françaises y L XIV, p. 613.
2. Dr ThoV, t. X, p. 285 à 289. L'ëstoub, t. HI, p. 152. On peut consul-
ter dans VHist, de la journée des Barricades par un Bourgeois de Paris le
compte rendu fait le président de la Guesle et le procureur général, son
fils, du voyage de Chartres. Les Mém. de la Ligue, t. II, p. 362, donnent le
texte des deux discours du roi. Voy. aussi Palma-Catet. Édit. Michaud,
p. 56.
Gl'ISE ET PARIS APHÉS LES BARRICADES 387
vants de la procession de frère Ange, le roi fit une réplique
assez mordante. Comme le président « pleuroit comme un
veau et s'excusoit de ce qui estoit advenu, il [le roi) dit ces
mots : Hé! sot que vous estes, pensez-vous que si j'eusse
<»u quelque mauvaise volonté envers vous et les autres de
votre faction, que je ne Teusse bien peu exécuter? Qui
m'en eust gardé, si j'en eusse eu envie? Non, non, j'aime les
Parisiens en dépit d'eux, combien qu'ils m'en donnent fort
peu d'occasions * ... » C'était dissimuler son impuissance avec
une grâce légère qui n'était pas indigne du premier gentil-
homme de France. Le Bourgeois de Paris et l'Estoile s'accor-
dent à dire que le Valois affectait à Chartres une gaieté et
une bonne humeur inaltérables. Il écrivait, dit le Bourgeois,
des lettres « aussi enjouées qu'il fit jamais, par lesquelles il se
gaussoit de sa façon de desloger soudainement et de Cra-
covie et de Paris ». Il faut reconnaître que ce roi, on appa-
rence si résigné aux humiliations, déploya, en cette cir-
constance du moins, une certaine activité. Après le renvoi
de d'Épernon et le départ du favori disgracié pour la Sain-
tonge et l'Angoumois, Henri III envoya dans les provinces
douteuses plusieurs commissaires, qui étaient pour la plu-
part des maîtres des requêtes ou des membres soit du
Parlement, soit du Grand Conseil. Jacques-Auguste de
Thou, le célèbre historien ', alla en Normandie; Charles
Turquant, en Limousin, pour déjouer les manœuvres
d'Edmond de Hautefort; Pierre Lubert, en Champagne, où
le cardinal de Guise dirigeait les affaires de la Ligue ; Pré-
vôt de Saint-Cyr, en Touraine ; Adrien du Drac, en Picardie,
sans parler des autres '. Un coup de thé&tre qui ne man-
1. L'Estoile, ibid,, p. 153.
2. Il était alors président à mortier au Parlemeot, en survivance de son
oncle Augustin. Sa mission lui valut le titre de conseiller d'État, le
26 août 1588.
3. Db Thou, t. X, p. 305 à 310, raconte longuement les péripéties de 9a
mission en Normandie.
388 PARIS ET LA LIGUE
quait pas d'habileté fut la révocation en bloc, par leltres
patentes (27 mai), de trente-cinq à quarante édits bursaiix,
résultats des concussions financières des dernières années *.
On coupait court ainsi aux déclamations des ligueurs, qui
se plaignaient hautement du poids des impôts.
Tandis que le roi cherchait à constituer à Chartres un
centre de gouvernement et à ressaisir une ombre d'auto-
rité, la Ligue, installée à Paris comme dans une citadollo
imprenable , étendait ses intrigues à toutes les provinces
et recueillait les fruits de sa* victoire. Le duc de Guise en
personne, laissant à Paris le vieux cardinal de Bourbon et
le cardinal de Vendôme, neveu du précédent et fils du
prince de Condé, Guise, disons-nous, avait poussé une
pointe jusqu'à Meaux et à Château-Thierry. Un brave otli-
cier, Tristan de Rostcing, gouverneur du château de Melun,
empêcha Saint-Paul, lieutenant du duc de Guise, de prendre
cette dernière place. Jean d'Hemery, sieur de Villers, con-
serva aussi quelque temps la place de Corbeil que le roi
Favait chargé de défendre ; mais Henri III, ne voulant pas
laisser écraser son lieutenant par les Parisiens, lui donna
Tordre d'évacuer cette position. Troyes avait d'abord
résisté aux avances de la Ligue, et les échevins de cette
ville avaient même renvoyé au roi les lettres du duc de
Guise et des Parisiens; malheureusement, si les magis-
trats municipaux donnaient l'exemple de la fidélité à
l'ordre établi, il n'en était pas de même du bas peuple,
travaillé depuis longtemps par les émissaires cléri-
caux. Après avoir échoué dans une première tentative
pour entrer dans la ville, le cardinal de Guise, qui avail
quitté Paris déguisé sur la fin de mai et avait dû y re-
venir, jetant feu et flammes contre les Troyens, réussit, le
14 juin, à pénétrer dans leur cité, grâce à la complicité
1. L'EsTOiLE, t. III, p. 185.
GUISE ET Paris après les barricades 389
peu désintéressée du gardien de Tune des portes. Il fit
nommer maire le sieur Nicolas de Haulte, son ami; chassa
Pierre Lubert, membre du Grand Conseil, que le roi avait
envoyé à Troyes pour résister à la Ligue; confisqua les
fonds des receveurs, leva des impôts, nonuna une nouvelle
municipalité, donna des jeux et des festins et, pour com-
pléter le programme des divertissements, fit allumer des
feux où Ton brûlait les effigies de Thérésie et de Théo-
dore de Bèze *. Cette singulière administration du cardinal
se prolongea jusqu'à son départ pour les Etats de Blois,
au commencement de septembre '.
Ainsi rayonnait autour de la capitale Faction formida-
ble de la faction qui avait fait de la grande ville son quar-
tier général. L'influence des Guises et de leur clientèle
réussit bien vite à transformer en administration régulière
les éléments fort disparates que la fuite du roi avait laissés
maîtres de Paris. Pendant les mois de juin et de juillet, do
nombreuses mesures de police furent prises par la muni-
cipalité. Les quartiniers reçurent, le 31 mai. Tordre de
visiter en toute diligence les « chesnes, rouetz et poteaulx
de leurs quartiers ' ». Le l*"" juin, un mandement du Bu-
reau invite les quartiniers à convoquer les dizainiers de leur
quartier et à leur adjoindre « quatre notables bourgeois
de chacune desdictes dizaines, afiectionnez à Thonneur de
Dieu, service du roy et seureté de la Ville », sur lesquels
le Bureau en retenait deux « pour visiter les coffres, malles,
quesses, balles, tonneaux ou aultres choses que Ton vouldra
faire transporter hors ceste ville * ». Ces mesures furent
1. C'était, parait-il, une distraction à la mode, car l'Estoile (t. III,
p. 165) nous raconte qu'à Paris même, « le 23* juin, au feu de la Saint-
Jean, le prévost des marchans et les eschevins firent mettre sur Tarbre
la représentation d'une grande furie qu'ils nommèrent Hérésie f plaine de
feux artificiels, dont elle fut toute bruslée ».
2. Voy., sur la prise de possession de Troyes par le cardinal de Guise,
DE Tbou, t. X, p. 310.
3. Rbo. h, 1789, f- 147.
i. Ibid.
390 PARIS ET LA LIGUE
complétées par un mandement du 4 juin qui prescrivait
aux bourgeois chargés de cette besogne d'apposer « leur
cachet en cire au lieu de Touverture, afin que, après la-
dicte Visitation, il ne soit rien remis ny chargé èsdictz
coffres, tonnes et balles *. »
Il était urgent de rétablir dans la Ville une police régu-
lière, car les actes de pillage et de désordre n'y étaient pas
rares. Tantôt c'est un pauvre pédagogue, le nonmié Mer-
cier, qui est poignardé et jeté à Teau, sous prétexte d'hé-
résie, par deux coquins, le potier Poccart et le tailleur
Pierre la Rue (mai); tantôt c'est le prévôt des marchands,
Pereuse, qui, après avoir été mis en liberté par le duc do
Guise, est assiégé dans sa maison et ramené à la Bastille
(4 juin); tantôt ce sont des étrangers, comme l'Italien
Masseï, le Portugais Roderic, qui subissent les attaques à
main armée des « capitaines et gens de guerre affamés, se
renommans du duc de Guise », simples brigands au fond
qui visaient principalement à mettre la main sur les
bourses bien garnies. Guise s*indignait de ces désordres et
menaçait de les réprimer avec la plus grande énergie;
mais il fallait compter avec ceux qui s'abritaient sous son
grand nom, même pour le compromettre. Le 28 juin, en
vertu d'une sentence du prévôt de Paris, confirmée par le
ï^arlement, on brilla en place de Grève les deux filles de
Jacques Foucaud, procureur au Parlement '. Leur crime
1. Ibid., f° 149. Les relations du temps prouvent que cette inquisition
était poussée très loin. Le dernier jour de mai, les bourgeois qui gardaient
la porte Saint-Antoine avaient arrêté 13 mulets appartenant au duc
d'Épernon et dont chacun portait deux bahuts pleins de vaisselle d'ar-
gent. Bien que les gens du duc fussent munis d'un passeport signé de la
reine mère et que les mulets portassent des couvertures aux armes
royales, le convoi fut conduit à THÔtel de Ville, et l'Estoile conclut par
celte réflexion mélancolique :« Tant se monstroient hardis et insolents les
Parisiens, sous couleur de Pappui et support du duc de Guise. »
2. Le 16 juillet 1588, en vertu d'un arrêt du Parlement, on brûla encore
sur la place de Grève un sieur Guitel, accusé de calvinisme. En réalité,
c'était un athée qui n'était pas plus catholique que protestant. Voy. l'Es-
toile, t. 111, p. 171.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 391
était do refuser d'abjurer le protestantisme. On les mena
bâillonnées au supplice, et tel était racharnement du peuple
que l'une des deux sœurs fut brûlée toute vive, des
forcenés ayant coupé la .corde avant qu'elle fut étran-
glée * .
Le beau temps de la Saint-Barthélémy revenait : chacun
dénonçait ses ennemis et voulait en faire un suspect. La
soif du sang, la passion de Tor s'alliaient au fanatisme.
Autour de la capitale, dans la banlieue, des bandes de par-
tisans erraient, comme des bètes de proie le soir d'une
bataille. On s'en émut à l'Hôtel de Ville, et un mandement
du 2 juin, « pour ce que ès-environs de ceste ville de Paris
se retirent nombre de gens de guerre qui font grans
degatz, ruyne et oppression au peuple du plat pays, y
consommant tous vivres et commoditez; par là disette et
pénurie de vivres en ceste ville, s'il n'y estoit promptement
pourveu... », fit défense « aux capitaines et aux autres chefs
des gens de guerre d'approcher à six lieues à la ronde de
ceste dicte ville, ny aulcune chose y prendre, fourraiger et
enlever, sous peine de la vie et d'estre les contrevenans
taillez et mis en pièces ». Par le même mandement, il fut
enjoint à tous les gens sans aveu de quitter promptement
Paris « sur peine de la hart ' ». Un peu plus tard, le
20 juin, sur les remontrances du procureur du roi et de
la Ville, qui avait cru devoir s'élever contre les actes de pil-
lage commis dans Paris et dans la banlieue, le Bureau
décide que « les quarleniers de chacun quartier de ceste
dicte ville feront assembler, en chacune dixaine de leur
quartier, les capitaines, lieutenans et bourgeois d'icelles
dixaines, pour faire eslection et convenir ensemblement de
dix personnes, bourgeois et habitans de chacune desdictes
dixaines, tant mousquetaires, harquebuziers que picquiers
1. L'EsToiLB, l. III, p. 166.
2. Rbg. h, 1789, fo 147.
392 PARIS ET LA LIGUE
qui seront toujours prestz pour faire service quand besoing
sera * ».
C'était une nécessité de la situation faite aux Guises par
leur succès même d'enlever aux gens de robe que le roi
avait chargés de commander la. milice municipale, leurs
grades et, par suite, leur autorité. La nouvelle municipa-
lité fut chargée de cette besogne. Pendant les quatre pre-
miers jours de juillet, le prévôt des marchands et les éche-
1. Ibid., fo 164. Voy. sur rélection des capitaines les détails curieux que
donne Pasquieb, livre XH, lettre IX. Œuvres, t. 11, p. 341. 11 rappelle qu'en
1585 le roi avait mis à la tête de chaque dizaine des capitaines et des
lieutenants de son choix, presque tous gens de qualité. S'oici comment
les meneurs de la Ligue procédèrent pour désappointer ces orOciers nom-
més par le roi. Une commission, présidée par le prévôt des marchands et
composée de ligueurs fanatiques, notamment Bussy le Clerc, Crucé, Se-
nault, Louchard, Boucher, le curé de Saint-Benoit, fit venir chaque jour à
ruôtel de Ville les dizaines comprises dans un quartier, et, comme il y
avait seize quartiers, l'opération dura seize jours. Une liste d'officiers
préparée d'avance était recommandée aux électeurs, et ces candidatures
officielles devenaient définitives u par la voie du Saint-Esprit », c'est-à-
dire qu'il s'agissait d'une simple ratification. On faisait d'ailleurs voter
ensemble toutes les dizaines du quartier, au lieu de faire voler séparé-
ment les membres de chaque dizaine au logis de eon dizainier, confor-
mément aux vieux usages. En outre, les électeurs notables, et surtout les
membres des compagnies souveraines, s'abstinrent de se rendre aux con-
vocations. Pasquier fit exception et réclama avec énergie le maintien des
formes traditionnelles. Il obtint, malgré les menaces de Bussy et de ses
acolytes, que les dizaines qui n'avaient pas encore été convoquées, vote-
raient séparément, mais cela n'empêcha pas la Ligue de faire nommer des
taverniers « et autre telle engeance de gens ».
Le Parlement aurait peut-être été en mesure de se mettre à la tête
d'une' résistance efficace contre les mesures violentes de la Ligue. La des-
titution des officiers de la milice lui fournissait un excellent terrain de
lutte, d'autant plus qu'un grand nombre de capitaines étaient membres
des compagnies souveraines. Le 7 juillet, il y eut au Palais une grande
assemblée, à laquelle assistèrent le cardinal de Bourbon et le duc de Guise.
« En ceste assemblée, dit l'Estoile, le premier président parla longuement
et fortement pour la manutention de vieux capitaines et abolition des
nouveaux, et fut bien secondé de plusieurs de ceste compagnie. •• Mais
pour briser ces résistances, le duc de Guise n'eut qu'à prier les magistrats
« avec beaucoup de soubmission et révérence, qu'ils voulussent encore
donner cestui-l& au temps et au publiq... » On comprit à demi-mot :
c'était la menace de la justice populaire dont le duc agitait le spectre. Deux
jours -après, le peuple vint lui-même au Palais sommer le Parlement d'en-
voyer au bûcher un protestant, nommé du Beloy, qui se trouvait en prison
à la Conciergerie ; les ligueurs criaient qu'en cas de refus « il y avoîC
danger que le peuple ne fist justice ». Le Parlement manda le prévôt et
les échevins, qui désavouèrent les mutins; mais, comme le dit philosophi-
quement le chroniqueur, u ce n'estoient que mines et dissimulations ».
<'
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 393
vins firent assembler les dizaines pour procéder à la dépo-
sition des officiers suspects; « et déposèrent singulièrement,
pcrit TEstoile S les gens de robbe longue, nommément
ceux qui estoienl officiers du roy, pour ce qu*ils estoient
tous hérétiques, à leur dire, et le faisoient ainsi crier et
croire à cette sotte populasse parisienne, tellement qu'au
lieu d'hommes de qualité et d'honneur qui commandoienl
à la Yille, furent establis de petits mercadans et un tas de
faquins ligneux, tous bons catholiques, pour ce qu'ils
tenoient le parti du duc de Guise et non celui du roi ». Ce-
travail d'élimination fut assez laborieux, car une ordon-
nance du 28 juillet qui se trouve dans les Registres de la
Ville *, porte que les bourgeois de chaque quartier seront
assemblés alternativement à l'Hôtel de Ville pour « pro-
céder à la confirmation ou nouvelle élection des colonels,,
capitaines, lieutenans et enseignes, qui presteront serment
à la manière accoustumée, sans qu'il tourne à marque
ou blasme d'avoir esté changez et destituez ». Le change-
ment des quartiniers s'opéra plus facilement, à cause de
leur petit nombre ; la plupart d'entre eux avaient d'ailleurs
volontairement cessé de remplir leurs fonctions ^. On les
remplaça dans les formes accoustumées *.
\. T. III, p. 167. Le 25 juin, une assemblée de ville convoquée « de l'ex-
près commandement du duc de Guise » avait sanctionne les mesures
d*épuratioa.
2. Reg. h, 1789, t* 182. Voy. aussi Fêlibibn, Preuves, t. V, p. 447.
3. Dans plusieurs quartiers, les bourgeois de la milice refusèrent d'ac-
cepter les nouveaux capitaines. C'est ainsi que, le 5 juillet, on dut laisser
fermée la porte Saint-Germain, parce que M. Alexandre Legrand, conseiller
au Parlement et capitaine de son quartier, avait été destitué par la Ligue,
et (fue la dizaine refusait d'accepter son successeur. Ce fut une grosse
affaire. Le prévôt des marchands et les échevins furent mandés au Parle-
ment : on consulta la reine mère et le duc de Guise, qui fit venir Legrand,
lui demanda « de se déposer lui-même » et lui dit « qu'il estoit contraint
d'en endurer lui-mémc et que, la colère des Parisiens estant rassise, iK
donneroit ordre à tout ». L'EsTOiLg, t. III, p. 168.
4. Voici le texte du mandement qui ordonne d'élire un quartinier en
remplacement de Leconte : « Sur la remontrance du procureur du roy et
de la Ville, avons ordonné et ordonnons par la présente qu'il sera procédé
A eslection nouvelle d'ung quartenier de ladicte Ville, au lieu dudict Le-
394 PARIS ET LA LIGUE
Lorsque la Ligue eut ainsi rempli de ses créatures les
cadres de la milice et accaparé les fonctions mumcipales,
elle éprouva le besoin de jouer une comédie qui ne trompa
personne. Le 13 juillet 1388, Michel Marteau, sieur de La
Chapelle, conseUler du roi et maître ordinaire de ses
comptes; Nicolas Rolland, général des monnaies; Jehan dt-
Compans; François de Costeblanche, sieur de llslc;
Robert Desprez et François Brigard, avocat au Parlement ',
se présentèrent devant la reine mère, qui était encore
à Paris, et lui déclarèrent « qu'ayant esté esleuz depuis le
douziesme de mai dernier par l'assemblée générale de»
bourgeois de la Ville pour prévost des marchans, eschevins
ot procureur de ladicte ville de Paris, au lieu et place des
derniers précédens prévost, eschevins et procureur de
ladicte Ville, ils auroient accepté et exercé lesdictes
charges jusqu'à présent, plus pour le bien du service du
roy et seureté de ladicte Ville que pour aultre respect ny
considération, lesquelles charges, à présent que les affaires
sont plus tranquilles qu'elles n'cstoient lors, ils désire-
roient volontiers remettre et s'en décharger ès-mains de
Sa Majesté, pour y estre pourvcu suivant les privilèges de
ladicte Ville, sy elle avoit agréable de les y admettre et
recevoir, comme ils l'en ont suplié et suplient très hum-
blement * ». Prenant cette offre de démission pour ce
qu'elle valait, Catherine tira cependant parti de la démar-
che peu sincère des officiers municipaux de la Ligue pour
affirmer les droits du roi, et répondit qu'elle allait s'in-
conte absent, selon et suivant la forme prescrite sur les ordonnances de la
Ville; et à ces fins sera expédié mandement aux cinqtianteniers dudicl
<|uartier. Faict au Bureau d'icelle ville, le quatriesme jour dejuing, l'an
1S88. » Reo., iOid., f 148.
1. On avait fait sur la nouvelle municipalité ligueuse la plaisanterie sui-
vante, que l'Estoilb a conservée : « J'ai vu Rolland qu'on pend en cotte
blanche entre la Chapelle et des Prés, » c'est-à-dire au gibet de Mont-
faucon, qui est entre la Chapelle et les Prés Sainl-GervaLo.
2. Reo. h, 1789, ^ 118. Voy. aussi A«cb. cor., 1" série, t. XI, p. 439.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 395
former <lo sa volonté; en attendant, elle invitait le sieur de
La Chapelle et ses collègues à continuer l'exercice de leurs
charges et lui fit délivrer par Villequier, gouverneur de
Paris, le cachet de la Ville et « ensemble les clefs du Bureau
et armoiries ». Il y eut un procès-verbal de cette remise
qui fut contresigné* par le secrétaire d'État Brulard et
signé par Catherine. Quelques jours après, le 20 juillet,
Catherine manda au Louvre La Chapelle-Marteau avec les
quatre échevins et leur « fit entendre le roy avoir accepté
la démission cy-dessus déclairée, et néantmoings, pour le
bon rapport qui a esté faict à Sa Majesté de leurs personnes
et aultres considérations, veult qu'ils demeurent ès-
charges des prévost des marchands, eschevins et procu-
reur de ladicte Ville, pour en continuer l'exercice jusques
au jour de la fête de Notre-Dame de my-aoust que Ton
contera 1590, en la manière accoustumée ». Après quoi,
les cinq ligueurs desquels on avait fait au roi « un bon
rapport » prêtèrent le serment ordinaire entre les mains
de Catherine *. Le 28 juillet, les nouveaux élus envoyèrent
une délégation au roi pour le remercier de sa bienveil-
lance, « luy rendre compte de l'état de la Ville et supplier
de très fidèle affection S. M. de ne la priver plus Ion-
temps de sa présence * ». Mais personne à l'Hôtel de Ville
ne pouvait se faire d'illusion sur le résultat de cette dé-
marche.
On comprend que le malheureux roi ne fût nullement
disposé à se remettre à la discrétion des Parisiens. Il vou-
lait bien négocier, traiter avec eux, mais à distance. Encore
le redoutable réseau des intrigues cléricales menaçait-il
d'envelopper la monarchie en fuite et de l'étouffer à jamais.
Le travail diplomatique de la municipalité parisienne à cette
époque est vraiment extraordinaire, et il ne paraît avoir été
1. Rbo. h, 1789, fo 179, et Aich. cur., p. 440.
2. Ibid., fo 181, et Arch. cob. p. 441.
396 PARIS ET LA LIGUE
suffisamment étudié. L'Hôtel de Ville, depuis la retraite du
roi, entretient avec toutes les grandes villes une correspon-
dance infatigable dont nous avons donné plus haut quelques
échantillons *. Cette correspondance se poursuivit pendant
le mois de juin 1588 avec une rare activité. Elle était évi-
demment inspirée par ce que Pasquier appelle le conseil
d'État du duc de Guise *. Il se composait, entre autres, de
Bussy le Clerc, Senault, Aimonnot, Louchard, Heuron et
Crucé; le prévôt des marchands et les échevins y avaient
voix délibérative. Sous l'impulsion des chefs du parti, la
municipalité ligueuse se met en relation avec toutes les
grandes villes de France et varie son langage avec un tact
et une habileté qui révèlent et trahissent la collaboration
du duc de Guise. Tantôt les magistrats parisiens félicitent
une municipalité qui est avec eux en complète communauté
de vues et Texhortent à nouer des intelligences avec les
villes voisines. C'est ainsi que, le 9 juin, ils écrivent au
maire et aux échevins d'Orléans : « Sy vous recongnoissez
entre vous combien vostre dernier bon euvre apporte de
seureté à voslre ville, nous ne pouvons exprimer la con-
jouissance que nous en recepvons de tous costés »; et le
prévôt des marchands prie le maire d'Orléans de nouer
une correspondance suivie avec Tours, Chartres, Angou-
lème, villes avec lesquelles « il a le commerce le plus
fréquent ® ». Tantôt on engage les autres villes à envoyer
des députés au roi pour appuyer les revendications pari-
siennes *, et l'on affirme que le roi s'est résigné « à don-
i. Voy., page 373, les lellres adressées le 28 mai à la ville de Rouen
et, vers la même époque, aux villes de Lyon, Sens, Troyes, Reims, etc.
2. Pasquier, livre XU, lettre IX^ t. H, p. 346.
3. Reg. h, 1789, f« 152. De Tiiou (t. X, p. 317 et suiv.) raconte longue-
ment les négociations entreprises par le comte de Schomberg, au nom du
roi, pour décider d'Entragues, lieutenant du gouverneur d'Orléans, qui
était alors nominalement le chancelier CJIheverny, à remettre la ville à
Henri III. Ces négociations, qui occupèrent beaucoup la cour ambulante
du vaincu des Barricades, n'aboutirent à aucun résultat.
4. Lettre au maire de Dijon, Reo. H^ 1789, f« 157. Daus cette lettre, la
GUISB ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 397
ner audience aux députés de toutes parts » ; qu'il a même
envoyé plusieurs de ses officiers à la reine mère « pour
adviser à pacifier toutes choses avec messieurs les prin-
ces ». Les mêmes exhortations sont adressées à la ville de
Lyon et h son gouverneur Mandelot, dont l'attitude était
douteuse. Ici les Parisiens, craignant sans doute que leur
dépêche ne soit communiquée à la cour, protestent de leur
fidélité et de leur respect pour la personne royale, tout
en regrettant que Sa Majesté se trouve circonvenue par les
ennemis des bons catholiques. Aussi convient-il que Lyon
appuie les requêtes présentées au roi par la capitale, et
l'on prie le gouverneur Mandelot, « non sans se recom-
mander très humblement à ses bonnes grâces », de favo-
riser la négociation entamée avec la mairie de Lyon *. A
cette première lettre en est jointe une autre qui est adres-
sée à « messieurs les maire et eschevins de la ville de
Lion ». Le prévôt des marchands y développe toutes les
raisons qui doivent engager Lyon k s'unir à Paris. Les
principales sont tirées de la fréquence des relations com-
merciales, qui fait que « Tune des deux villes ne peult
estre destruicte sans trayner après soy la ruyne totalle de
l'autre »; et, en second lieu, les souvenirs de la Saint-
Barthélémy qui ont rendu les Lyonnais aussi odieux que
les Parisiens à ceux de la nouvelle religion. « Davantage,
nostre zelle commun à l'honneur de Dieu nous a rendus
esgallement hays des hérétiques et de ceulx qui portent
leur parti, pour ce que, au temps de la Saincte-Barthelmy,
Ville de Paris accuse u ceux qui abusent de Tautorité du roi, d'avoir
voulu se saisir de la yille capitale et de plusieurs aultres pour les rendre
pivotz de restablîssement d'un roy hérétique en France »; et elle déclare
que V Union * n'est qu'une ferme alliance que les princes et villes catho-
liques ont ou prennent ensemble pour l'extirpation des hérésies, pour la
tuition et delTense de la religion catholique contre les forces de ses enne-
mis, ruses et artifices de leurs fauteurs, pour le soulaigement du peuple
français, tant opprimé, et le bien et repos universel du seul royaume ».
1. Ric. H, 1789, fo 165. Lettre à Mandelot, en date du 23 juin.
398 PARIS ET LA LIGUE
journée de laquelle ilz portent une cruelle vengeance es-
critte en leur âme, nous avons faîct une toute pareille
démonstration à rencontre d'eulx *. »
Les ligueurs parisiens ne se contentent pas d*une pre-
mière adhésion ; ils tiennent à maintenir les relations éta-
blies et à leur donner une sanction effective. C'est ainsi
que, par lettre du 24 juin, ils remercient d'abord le maire
et les échevins de Bourges de leur avoir envoyé, le 18,
leur procuration; mais il faudra que les magistrats munici-
paux de Bourges s'occupent de dresser des cahiers de remon-
trances destinés à être présentés à S. M. par des délégués
spéciaux , car tel est le mot d'ordre donné aux autres
villes '.
La Ville de Paris a évidemment la prétention d'exercer
une véritable suprématie sur les autres cités. Elle distribue
les félicitations, les menaces, les conseils suivant Foccur-
rence. Nous avons vu plus haut ^ que Saint-Paul, l'un des
lieutenants du duc de Guise, n'avait pu réussir à s'emparer
de Melun. A la date du 10 juin, les magistats municipaux
de la capitale écrivent, en termes aigres-doux, au maire et
aux échevins de cette ville pour exprimer le regret d'ap-
prendre que la municipalité de Melun s'est laissé persuader
par les agents du roi « de se distraire de la communaulté
et antienne amitié que nous avons eue ensemble », disent
les bons ligueurs parisiens; ces derniers supplient leurs
collègues provinciaux de ne pas se laisser influencer « par
les passions de quelques particuliers » et do contracter
1. Reg. h, 1789, P 167.
2. Ilnd., fo 169. Dans une autre lettre datée du 10 juin {ibid., f» 152),
la Ville de Paris avait fait savoir au maire et aux échevins de Bourges que
les agents du roi vont venir saisir tous les deniers de la recette générale
qui se trouvent dans leur ville k affin d'oster le moien d'acquitter les
gaiges, les rentes ou aultres debtes au payement desquelles ilz sont affectez
et d'aultant augmenter le nombre des malcontents ». C'est un prétexte
pour accuser les courtisans « d'avoir machiné la ruyne généralle » de la
France et pour les traiter d'ennemis jurés du repos de la nation.
3. Voy. p. 388.
GUISE ET PARIS APR&S LES BARRICADES 399
union avec « nos seigneurs les princes, comme font toutes
ou la plupart des villes * ». Corbeil, ainsi que nous Tavons
dit également y avait été évacué par les troupes royales;
mais la Ligue n'y avait pas mis de garnison ;' le prévôt des
marchands écrit le 15 juin, au maire, « qu'on lui donne
souvent allarme et deffiance que Ton ne surprenne cette
ville, qui est une des advenues » de Paris *; en consé-
quence, les Parisiens, tout en consentant à ne pas loger
de troupes à Corbeil, y envoient un délégué, le sieur de
Courty, pour assister les bourgeois de Corbeil, ou, en
d'autres termes, pour les surveiller et leur inculquer les
bons principes.
La correspondance des ligueurs parisiens avec le maire
et les échevins d'Angoulème présente un vif intérêt, parce
que cette ville se trouvait dans le gouvernement du dur
d'Épernon, et que l'ex-favori s'était dirigé de ce côté après
sa disgrâce. Aidé par la reine-mère, Villeroi, qui négociait
alors avec le duc de Guise, désirait ardemment se venger
des affronts que d'Épernon lui avait prodigués en mainte
circonstance. Le roi avait lâchement abandonné le duc à
ses ennemis et à la Ligue, et avait même transmis h
Norman, consul d'Angoulême, et & Pierre des Bordes,
gouverneur de la citadelle de cette ville , l'ordre de nV
recevoir personne avec des troupes. C'était la fermer à
d'Épernon, qui se trouvait déjà à Loches, en Touraine.
Averti par ses amis de ce qui se tramait contre lui, le duc
devança de trois jours les ordres du roi et tomba comme
la foudre à Angoulème. Jean du Houssay, sieur de la Borde,
agent du roi de Navarre, vint l'y retrouver et s'entendre
avec lui sur les moyens de faire face à la Ligue. Toute la
noblesse de la province accourut pour rendre hommage k
Torgueilleux d'Épernon, qui donna des tournois comme
1. Reg. h, 1789, fM53.
2. Ibid., f» 163.
400 PARIS ET LA LIGUE
un vrai souverain. Mais, dans Tombre, le consul Norman
tramait la perle de Tancien mignon et obtenait de Henri III,
par l'intermédiaire de son beau-frère, un sieur Souchet,
qui alla en poste à la cour, Tordre formel de se saisir de
d'Épernon, afin qu'on pût Tobliger à remettre au roi les
villes de Boulogne et de Metz et à se contenter de son gou-
vernement de Provence. Le 10 août, Norman, avec quarante
hommes dont les armes étaient dissimulées, envahit le
château d'Angoulême et marcha droit à Tappartement de
d'Ëpernon; mais il rencontra dans l'antichambre cinq ou
six secrétaires et amis du duc qui firent une terrible résis-
tance. A lui seul, le Florentin Gieronymi blessa quatre des
assaillants. Quelques gentilshommes organisèrent la lutte
€t tuèrent le consul Norman. Mais la duchesse était prison-
nière de l'émeute, et les agents de Villeroy et de la Ligue
parisienne avaient soulevé le peuple, qui cernait le château.
Les conjurés attendaient un détachement de troupes royales
que le baron d'Aubeterre devait amener. Déjà l'on appro-
chait les pétards des portes du château, quand l'arrivée
du sieur de Tagent, lieutenant de d'Ëpernon, qui revenait
de Saintes avec un détachement de cavalerie, et surtout
l'apparition d'un corps protestant, expédié par le roi de
Navarre et commandé par le comte de Larochefoucauld,
sauvèrent le malheureux d'Ëpernon. Il était temps; le duc
avait passé, avec ses gens, trente heures sans boire ni man-
ger, et il manquait de poudre. L'abbé d'Elbène, familier du
duc, servit d'instrument de transaction : les barricades
élevées autour du château furent abattues; la duchesse
d'Ëpernon fut rendue à son mari, qui, de son côté, rendit
les cadavres de Norman et de son frère, ainsi que les prison-
niers qu'il avait faits, grâce à des prodiges de valeur qui
prouvent, une fois de plus, que les mignons de Henri III
étaient d'héroïques soldats. A peine libre, d'Ëpernon écrivit
au roi pour accuser Villeroy de cet abominable complot, et
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 401
la responsabilité de Henri III lui-même n'était pas niable,
car le consul Norman, mourant et mis à la question par
d'Épernon *, avait tout révélé. Le roi s'en tira par une
lâcbeté nouvelle, en répondant à d'Épernon qu'il n'avait
voulu le faire arrêter que pour le ramener auprès de lui et
le traiter comme son propre fils.
Il fallait résumer, ces étranges événements, qui pour-
raient fournir le sujet d'un roman d'aventures, avant de
citer la lettre de la Ville de Paris au maire ou consul
d'Angoulême, dont la destinée devait être si tragique.
Cette lettre est antérieure au guet-apens tenté contre le
château d'Angoulême, puisqu'elle porte la date du 18 juin.
Elle fut confiée à un émissaire que l'Hôtel de Ville de Paris
avait chargé de faire de vive voix aux ligueurs d'Angou-
lême le récit des événements survenus dans la capitale.
Envoyez-nous des députés, disaient les Parisiens, « avec-
que amples pouvoirs et mémoires tant sur vostre advis
des choses publicques que pour ce qu'en particuUier vous
pouvez désirer, à ce que unanimement et communément
nous dressions noz supplications et requestes à S. M. entre
celles qui desjà lui ont esté faictes par messeigneurs les
princes catholiques de notre Union * ». Et, dans un post-
scriptum, le prévôt des marchands ajoutait que la Ligue
avait saisi des lettres du duc d'Ëpernon qui ne laissaient
aucun doute sur les tentatives faites par lui pour détourner
Angoulême de l'Union catholique ; en conséquence, les ma-
gistrats parisiens annonçaient au maire qu'ils donnaient
mission à M. de Saint-Luc de maintenir les habitants
d'Angoulême dans des sentiments sympathiques à la Ligue.
La suite prouva que Saint-Luc remplit consciencieusement
sa mission, car la population d'Angoulême passa presque
1. Db Thou n'affirme pas le fait, mais le rapporte comme une probabi-
lité; et Ton sait que d'Épemon n'avait pas Tâme tendre, d'autant qu'il
courait lui-même danger de mort.
2. Rio. H, 1789, fo 169.
ROBIQUET. 26
403 PARIS ET LA LIGUE
tout entière au parti des conjurés, et elle eût fait un mau-
vais parti à d'Ëpernon si ce dernier n'avait pas été secouru
à temps.
La Ville de Paris ne se bornait pas à correspondre avec
les principales cités de France; elle se tenait également
en relations suivies avec les principaux seigneurs du
royaume. C'est ainsi, par exemple, qu'elle écrit le 7 juin
1588 au duc de Nevers pour le prier « de vouloir s'unir
avecq les princes catholiques en la poursuite de la requeste
par eulx pour cest effect présentée à S. M. * » ; le 14 juin, à
M. de Villars, gouverneur du Havre, pour le prier de donner
son adhésion « à la requeste présentée au roy par messei-
gneurs les princes catholiques » et la plupart des bonnes
villes. Les Parisiens essayent de démontrer au gouverneur
que ladite requête ne tend « que par suite de religion, à
rendre au roy, nostre souverain seigneur, toute obéissance
et iidellité, de le requérir du repos de son pauvre peuple * »>.
De Villars, ami du duc de Guise, n'avait pas besoin de
méditer ce langage hypocrite pour donner son concours à
la Ligue; mais la municipalité du Havre penchait plutôt
pour le parti du roi, et la Ville de Paris dut lui adresser,
le 24 juin, une lettre particulière pour la presser « de $o
résoudre à l'Union, soubz la bonne conduite de M. de
Villars, son gouverneur ' ». Lorsque la Ville n'écrit plus
à des princes encore hésitants, mais à des chefs de la Ligue
et surtout aux membres de la famille de Lorraine, c'est le
ton du dithyrambe qu'elle emploie. Dans sa lettre du 10
juin, elle félicite le duc de Mayenne d'être « l'ung des
princes de la France ausquelz Dieu a mis en main les
armes et la magnanimité en son couraige pour s'opposer
1. Rio. h, 1789, ^ 149.
2. Mitf., f« 156.
3. /6td., f 136. De Thou dit que de Villars finit par se déclarer ouverte-
ment pour le duc de Guise, malgré les pressantes sollicitations de Grillon *
^ue le roi envoya deux fois au Havre. T. X, p. 324.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 403
à rhérésie et à la tyrannie que Ton veoit pied à pied envahir
ce royaume, par le mauvais conseil de ceulx que, pour la
pugnition de noz faultes, Dieu a permis s*eslever aux plus
grandes dignitez et entreprendre une aucthorité par-dessuz
les naturelz conservateurs et de la religion et de TEstat * ».
Quand le cardinal de Guise se rendit maître de Troyes *
dans les circonstances que nous avons racontées, la muni-
cipalité parisienne écrivit « à Tilluslrissime et révérendis-
sime cardinal, duc et archevêque de Rheims et premier
pair de France » pour le féliciter de « Theureux succès de
ses affaires avecq MM. de la ville de Troyes »>. Le prévôt
des marchands et les échevins, qui se disent eux-mêmes
« tous gens de bien, catholiques et fidellcs subjectz du
roy », se déclarent, en outre, « obligés à sacriffier leurs vyes
et moyens, après la cause généralle, au service particulier
qu'ils doibvent au cardinal, et ils terminent par cet acte de
soumission respectueuse : Commandez doncques, s'il vous
pLaist, et aux effectz vous congnoistrez que vous n'avez et
n* aurez jamais de plus affectionnez serviteurs que nous ^ ».
En face de cette coalition des villes et de l'aristocratie
ligueuses, Henri III paraissait bien faible. Promenant sa
petite cour de Chartres à Vernon, puis de Vernon à Rouen,
où il était entré le 11 juin, il n'essayait même pas un
semblant de résistance et, tandis qu'il s'amusait à donner
des joutes, comme si le royaume eût joui de la tranquillitr
la plus profonde, ses émissaires avaient pour mission exclu-
sive de chercher à deviner les conditions auxquelles le duc
de Guise accepterait un accord. Gaspard de Schomberg,
Marc Miron, premier médecin du roi, Nicolas de Neuville,
sieur de Villeroy, servaient d'intermédiaires habituels entre
Henri III, d'une part, et Catherine et Guise, d'autre part.
1. Rbg. h, 1789, fo 133.
2. Voy. plus haut, p. 388.
3. Ibid,, P> 163.
404 PARIS ET LA LIGUE
Le roi avait autorisé Villeroy à offrir au vainqueur des
Barricades le titre de connétable. Catherine conseilla de
ne lui donner que celui de généralissime. Elle savait par
Schomberg qu'il s'en contenterait. Après bien des pour-
parlers, les chefs de la Ligue firent remettre au roi le der-
nier mot de leurs revendications. Elles différaient peu des
Articles de Nancy. Les princes demandaient, en résumé,
que le roi reconnût la Sainte-Union, lui laissât pendant
six années la jouissance des villes de sûreté, fît publier et
observer en France les décisions du concile du Trente,
ordonnât la vente des biens des protestants et mît sur
pied deux armées, dont Tune agirait en Poitou, sous les
ordres du duc de Guise, et Tautre en Dauphiné, sous les
ordres du duc de Mayenne.
Telle était, en substance, cette fameuse requête dea
princes catholiques dont il est si souvent question dans
les lettres de la municipalité parisienne et que Villeroy
porta au roi le i5 juin. Mais, en dehors de cette requête
des princes, à laquelle se joignit THôtel de Ville de Paris,
les meneurs parisiens adressèrent au roi, sous le titre de
remontrances, une série d'articles supplémentaires dont ils
demandaient la ratification '. Voici le résumé de ces arti-
cles : Le prévôt des marchands et les échevins seront
investis du soin d'assurer la police de la Ville, ce qui ne
constituera qu'un retour aux coutumes anciennes et mettra
Paris sur le même pied que beaucoup d'autres villes moins
importantes, comme Toulouse, Bordeaux, Amiens, Châlons;
M. d*0 ne sera jamais gouverneur de Paris ; la Bastille
sera remise à la garde du prévôt des marchands ou bien
elle sera rasée, si Sa Majesté le préfère; défense sera faite
aux gens de guerre de se loger à moins de douze lieues de
Paris, et, s'ils enfreignent cette prohibition, le prévôt des
i. Mém, de Severs, l. I, p. 133. Ces remontrances portent la date du
5 juillet, et chaque article est suivi de la réponse du roi.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 405
marchands et les échevins pourront << leur faire courre sus » ;
le prévôt Rapin sera destitué % et sa charge sera donnée à
un catholique non suspect; le roi nommera un chevalier
du guet sur une liste de trois candidats dressée par la
Ville; le roi ne détournera plus les deniers des recottes
générales, grenier à sel, ou du clergé, affectés au payement
des rentes sur l'Hôtel de Ville ; les lettres d'anoblissement
données par le roi en 1577 aux prévôts des marchands et
aux échevins seront vérifiées en Parlement « fors et excepté
pour le regard dos derniers prévost des marchands et quatre
échevins qui, par la voix commune, ont esté démis de
leurs charges ». S. M. révoquera les survivances consenties
sur la demande de certains conseillers de Ville ou quarti-
niers et, advenant leurs démissions ou leurs décès, il y
sera pourvu par voie d'élection. En outre, sans attendre la
démission ou la mort des quartiniers en charge et autres
officiers municipaux, on en élira d'autres selon les formes
accoutumées, et leur mandat ne sera valable que pour deux
ou trois ans; les élus ne seront rééligibles qu'après un
intervalle de quatre ou six ans, et ils devront être nos h
Paris.
« Afin que les quartiers de la ville puissent estre remar-
quez et signalez par autres marques que des noms des-
1. Il s'agit ici du poète co-auteur de la. Ménippée. Voici ce que dit
l'Estoile à ce sujet : « M. Aappin, prévôt de l'hostcl, fut chassé en ce
temps (11 juillet) de Paris, pour estre fidelle serviteur du roy, et despouillé
de son estât, duquel la Ligue investit un larron nommé La Morliére ».
On devine bien que le poète illustré par la puce de Mlle Dearoches se
vengea de la Ligue par des vers que TEstoile nous a conservés. Leur
•accent est celui de la douleur et de la misère. Le pauvre Rapin avait une
femme et neuf enfants.
Qao fugiam extorrii», sine munere privas el exapes,
Conjuge cam châra pignoribtiâque novem 7
Voici la réponse du roi aux Parisiens qui demandaient sa destitution
<t attendu que ses déportemens Tont rendu très odieux & tous les liabitans
<le la ville ». Henri III ne montra jamais moins de dignité : • Pour le
regard dudit Rapin, Sa Majesté, voulant s'en servir ailleurs, luy comman-
•dera de résigner ladite charge à personne capable et fidelle & son service ».
406 PARIS ET LA LIGUE
dits quarteniers, qu'il plaise à Sa Majesté trouver bon qut»
les quartiers soient nommez ou par les Églises principales
ou par les places communes qui sont en iceux, sans que
floresnavant ils puissent porter les noms desdits quarte-
niers *. » Les colonels, capitaines, lieutenants et enseignes
qui ne seraient pas élus selon les formes seront destitués
et remplacés par les suffrages des bourgeois de chaque
dizaine pour les capitaines et officiers subalternes, et par
les suffrages des capitaines et lieutenants pour les colonels.
Les interdictions de prêcher faites à certains prédicateurs
seront levées. Nul hérétique ne sera admis à remplir les
charges publiques de la Ville. « Justice sera promptement
faicte tant de ceux qui sont h présent es prisons que des
autres qui y seront amenez cy-après. »
Le roi accueillit toutes ces sommations, malgré l'inso-
lence de la forme où elles étaient présentées, avec une»
patience et une faiblesse étonnantes. Il céda sur presque
tous les points; promit de combler les fossés de la Bastille,
du côté de Paris; d'interdire aux protestants l'accès des
1. En marge de cet article, le roi écrivit acco9x((f, et il tint sa promesse,
car nous trouvons dans les Registres de la Ville, f> 185, U, 1789, le docu-
ment ci-dessous :
État des noms desguelz le roi veult que les seize quartiers de la ville de
Paris soient doresnavant nommez. Le quartier que Ton soaloit appeler de
Carrel se nommera doresnavant de Saincte-Genefiesve; celuy de Huot se
nommera 5ainc^5tft;rm; celuy de Guerrier, de Nostre-Dame: celuy de Danès,
du Saint-Esprit; céiuy de Goix, de Saint-Jehan ; celuy de ChoiWy, de Saint-
Gen^ais; celuy de Parfaict, de Saint- Anthoine ; celuy de Charpentier, du
Temple; celuy de Vassenr, de Saint-Marlin ; celuy de Beausse, le Sépul-
chre; celuy de Bourlon, Saint-Jacques de VHospital; celuy de Gambier, de
Saint-Eustache; celuy de Canaye, de Saint-Honoré ; celuy de Parlan, de Saint-
Germain de VAuxerrois; celuy de Duranlel, Saint-Jacques de la Boucherie:
celuy de Bourgeois, des Sainctz-Innocentz. Faict à Chartres le 1" jour
d*aou8t 1588. Signé Henry; et plus bas de Neufvillb.
Ce document est important, puisqu'il constitue l'abolition d'une coutume
introduite par les quartiniers. Seulement il a servi de texte à des appré-
ciations inexactes; c'est ainsi que Leroux de Lincv (Hist. de VHôtel de
Ville de Paris, p. 198) attribue à Henri III l'initiative de cette réforme, alor?
que le texte des remontrances des Parisiens que nous analysons prouve
que le roi ne fit qu'obéir aune sommation. C'est ici l'occasion de rappeler
que Paris comptait seize quartiers depuis 1383, sous Charles VI. Aupara-
vant, il n'en comprenait que huit, et quatre avant Philippe-Auguste.
GUISfi ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 407
charges publiques ; de nommer une commission pour statuer
sur la question de la police de la ville ; d'éloigner les gens
de guerre de la capitale, dans un rayon de douze lieues;
de ne plus saisir les deniers affectés au payement des
rentes ; de réduire le nombre des conseillers de Ville au
chiffre de 24 ; de révoquer les survivances, de rendre élec-
tives les charges de quartiniers, de colonels, capitaines
et lieutenants... Il exprima seulement le désir de laisser
les quartiniers en charge exercer leurs fonctions pendant
deux ou trois ans, dans le cas où une assemblée de Ville
déciderait de rendre les quartiniers temporels; et la volonté
de maintenir les colonels, capitaines et lieutenants en
charge *.
C'est à Rouen, le 5 juillet, que le roi avait donné ses
réponses aux requêtes des Parisiens *. C'est aussi à Rouen,
et quelques jours plus tard, qu'il signa TEdit sur l'union
de ses sujets catholiques ou, pour parler clairement, sa
capitulation devant la Ligue \ Dans un onctueux préam-
bule, Henri III dissitnule son profond dépit sous un flot
d'épanchements mystiques. A l'en croire, s'il traite avec
ceux qui l'ont humilié et chassé de sa capitale, c'est uni-
quement pour obéir à des scrupules de conscience. « Re-
mettant devant nos yeux ce à quoi le devoir d'un bon roi
très chrétien et premier fils de l'Église nous oblige, avons
1. Nous avons vu plus haut, p. 392, que la Ville n'avait tenu aucun
compte de la volonté du roi et avait coraplètenaent renouvelé les cadres
des colonels, capitaines et lieutenants, ainsi que ceux des quartiniers.
2. Les Mém. de Nevers, p. 741, donnent, à la suite des remontrances des
Parisiens, une décision du Conseil du roi, signée par Catherine le 14 juillet,
qui contient « ce qui a esté depuis advisé sur aucuns articles des susdites
remonstrances ». Geitherine nomme une commision, où figurent le prévôt
des marchands, Tun des échevins et quatre notables, pour o adviser... de
tout ce qui concernera le fait et Tordre de la police de la ville ».
3. Mim. de la Ligue, t. II, p. 368. Le Père Lelong, dans sa Bibl, de la
France, reproduit Tintitulé de l'édit dans les termes suivants : « Édit du
Roi sur Tunion de ses sujets catholiques, avec les articles accordés au nom
de Sa Majesté entre la Reine sa mère, d'une part; le cardinal de Bourbon,
le duc de Guise et autres qui ont suivi ledit parti, d'autre part. Du
21 juillet, in-S», Tours, 1588. »
408 PARIS ET LA LIGUE
résolu (loules autres considérations postposées) de pour-
voir, tant qu'il plaît à Dieu qu'il soit au pouvoir des hom-
mes, à ce que, de notre vivant, il soit établi au fait de notre
religion catholique, apostolique et romaine, un bon et
assuré repos; et lorsqu'il plaira à Dieu disposer de nos
jours pour nous appeler à sa foi, nous puissions nous repré-
senter devant sa sainte face, portant on notre conscience
que nous n'avons rien obmis de ce, où Tesprit humain
s'est pu étendre, pour obvier, qu'après notre décès il
n'advienne en celui notre roïaume changement ou altéra-
tion au fait de la religion. « Après cette explication édi-
fiante, le roi renouvelle solennellement le serment, prêté
par lui lors de son sacre, d'extirper du royaume « tous
schismes et hérésies, condamnés par les saints conciles, et
principalement par celui de Trente, sans faire jamais
aucune paix ou trêve avec les hérétiques, ni aucun édit
en leur faveur ». Il exhorte ses sujets à l'aider dans cette
œuvre pie et leur ordonne, pour le cas où il mourrait sans
enfants, « de ne recevoir à être roi, prêter obéissance à
prince quelconque qui soit hérétique ou fauteur d'hérésie ».
Il promet de ne pourvoir d'aucune charge ou office ceux
qui ne justifieraient pas de leur catholicisme par l'attes-
tation de l'évêque ou de ses vicaires « avec la déposition
de dix témoins, personnages .qualifiés et non suspects ».
Par une contradiction bizarre, qui caractérise admirable-
ment la fausse situation du monarque, il enjoint à tous les
sujets « qui se sont ci-devant déclarés associés ensemble
contre les hérétiques » de jurer w de se défendre et con-
server les uns les autres sous son autorité et commande-
ment », ce qui est bien permettre et légitimer la Ligue;
puis, dans un autre article, il veut que les mêmes sujets
« jurent de se départir de toutes unions, pratiques, intelli-
gences , ligues et associations contraires à la présente
union et à la personne et autorité royale ». Une amnistie
ir .
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 409
générale était enfin accordée par Tédît à tous les méfaits
passés des ligueurs, sans excepter « ce qui est advenu et
s'est passé les douze et treizième du mois de mai ».
Cet édit fut enregistré au parlement de Rouen le
19 juillet, et, deux jours après, au parlement do Paris. II
était complété par des articles secrets, beaucoup plus
importants que les dispositions de Tédit lui-même, qui ne
consistaient guère que dans des phrases creuses *. Cette
convention portait, en substance, que le roi confirmait le
traité passé à Nemours le 7 juillet 1388; qu'il lèverait deux
armées pour opérer contre les hérétiques, Tune en Poitou,
dont le roi désignerait le chef, l'autre en Dauphiné, sous le
commandement de Mayennes que le concile de Trente
serait publié au plus tôt, sous réserve des droits de la
couronne et des libertés de TEglise gallicane, lesquels
seraient définis par une assemblée spéciale ; que les places
de sûreté accordées aux princes par le traité de Nemours
ne seront pas rendues à S. M. avant l'expiration d'un
délai de six ans; que Valence serait remise au sieur de
Oessan, chassé de cette place par La Valette; que M. de
Belloy rentrerait en possession du Crotoy ; que le gouverne-
ment de Boulogne serait enlevé à M. do Bernay, ce lieute-
nant du duc d'Épernon qui s'était si bien défendu contre le
<luc d'Aumale. Les articles secrets disaient encore qu'il
serait procédé incessanmicntà la vente des biens apparte-
nant aux hérétiques; que le roi entretiendrait à ses frais
les régiments de Saint-Paul et de Sacremore, et les gar-
nisons de Toul, Verdun, Marsal et Metz; que les compa-
gnies de cavalerie légère levées par les princes seraient
1. Voy. dans les Mém, deNevers^ 1. 1, p. 723, le texte complet des articles
secrets. En Toici Tintitulé : u Articles accordez au nom du roy, entre la
•reine sa mère, d'une part, monseigneur le cardinal de Bourbon et mon-
sieur le duc de Guise, tant pour eux que pour les autres princes, prélats,
seigneurs gentilhommes, villes, communaustez et autres qui ont suivix
leur party, d'autre part; la reine présente. » De Thou en donne une fldèlc
analyse, t. X, p. 325.
410 PARIS ET LA LIGIE
traitées sur le même pied que les autres troupes du
roi.
Si toutes ces exigences devaient sembler intolérables à
Torgueil du roi, les conditions relatives à Paris avaient
quelque chose de plus amer encore et de plus humiliant
pour le souveraip. Henri III s'engageait à confirmer dans
leurs charges le prévôt des marchands, les échevins et
tous les officiers municipaux et les capitaines de la milice
qui tenaient leur nomination de la Ligue. Ils donneraient
seulement leurs démissions pour la forme et seraient réin-
stitués par S. M. Tous les prisonniers faits de part et
d*autre depuis le 12 mai seraient remis en liberté, et la
Bastille ferait retour au roi ^ Rien ne pouvait être plus
pénible au vaincu des Barricades que le maintien à THôtel
de Ville de ceux qui avaient remplacé, grâce à Témeute,
les magistrats légitimes. De Thou atteste qu'après la dou-
leur qu'il éprouva en quittant Paris comme un fugitif,
Henri n'en connut pas de plus vive que cette sorte de révo-
1. Voici le texte même des articles concernant Paris : « Ceux qui exer-
cent a présent les charges de prévost des marchands et escheTîus de la
Ville de Paris, remettront présentement lesdites charges es mains de
sadite Majesté, laquelle, ayant esgard à la remonstrance qui luy a esté
' faite du besoin qu*a ladite Ville qu'ils continuent à servir en icelle, ordon-
nera qu'ils y soient réintégrez et maintenus, tant jusques à la Nostre-Dame
d'aoust prochain venant que pour deux ans après. Quant à Brigard, qui
a esté esleu en Testât et office de procureur du roy et de la Ville, il le
remettra pareillement entre les mains de Sadite Majesté, laquelle ordon-
nera qu'il exercera jusqu'à la my-aoust 1590. Et cependant Perrot jouira
des gages ordinaires que la Ville a accoustumé payer et des pensions qu'il
a pieu au roy cy-devant accorder pour ledit office; et sera remboursé par
celuy qui sera esleu pour exercer ledit office après ledit jour de my-
aoust 1590, de la somme de 40,000 livres, au cas qu*il plaise à Sa Majesté
continuer audit nouveau esleu lesdites pensions. Et où Sa Majesté ne
voudroit continuer lesdites pensions, sera ledit Perrot seulement rem-
boursé de la somme de 3,000 livres. — Le chasleau de la Bastille sera
remis entre les mains de Sa Majesté pour en disposer ainsi qu'il luy plaira.
Sa Majesté fera eslection d'ung personnage & elle agréable et à ladite
Ville, pour estre pourveu de Testât de chevalier du guet. Les magistrats,
conseillers et autres officiers des corps des villes, ensemble les capitaines
qui ont esté changez ès-villes de ce royaume, qui ont suivy le party des-
dits seigneurs princes, se démettront pareillement entre les mains de
Sadite Majesté desdites charges; laquelle les y fera réintégrer prompte-
ment pour le bien et la tranquilité d'icelle. » Mém. de Nevei*s, t. I, p. 728.
GUISE ET PARIS APRES LES BARRICADES 411
lution municipale, parce qu'elle creusait un abîme entre les
Parisiens et la couronne *. L'Estoile, de son côté, affirme
— et on le croira sans peine — que « le roy tisfcc second
édit de juillet pour la Ligue, autant contre son cœur que le
premier, et le vid-on pleurer en le signant, regrettant, ce
bon prince, son malheur , qui le contraignoit , pour
asseurer sa personne, de bazarder son Estât ' ».
Il fallut encore que le pauvre roi ordonnât des réjouis-
sances et des fêtes pour célébrer sa propre bumiliation!
Après la publication de Tédit d'Union au parlement de
Paris (21 juillet), il y eut un Te Deum solennel auquel
assistèrent les grands corps de rÉtat et tout ce qui restait
de la cour dans la capitale, car les royalistes fidèles entou-
raient le monarque à Rouen, où fut d'ailleurs célébré un
autre Te Deum dans la cathédrale de cette ville. La muni-
cipalité parisienne ne manqua pas de donner le plus
d'éclat possible aux cérémonies de conmiande dont le
véritable but était la glorification d'une émeute victorieuse
que le vaincu lui-même devait consacrer '. Un mandement
du Bureau avait prescrit aux quartiniers de convoquer
deux notables bourgeois de chaque quartier pour qu'ils
se joignissent au corps de Ville et assistassent « bm Te Deum
qui sera donné en l'Église de Paris pour l'unyon faicte par
le roy avec ses subjectz catliolicques pour l'extirpation des
hérésies * ». Ils se rendirent à la convocation et assistèrent
en robes au Te Deum, Le lendemain, 22 juillet, « feste
de la Magdeleine, le feu d'alégressc en fust fait en Grève,
devant l'Hôtel de Ville ». Si Ton en croit certaines chroni-
ques, la population parisienne aurait accueilli avec froideur
1. T. x, p. 270.
2. T. m, p. 172.
3. 11 y eut, le 17 août, une assemblée générale à l'Hôtel de Ville <* pour
prêter le serment prescrit par Tédit d'Union -. La Ville adressa à ce sujet
un mandement aux quartiniers. Reg. H, 1789, fo 190.
4. Reg. H, 1789, f» 182.
412 PARIS ET LA LIGUE
la célébration officielle du triomphe de la Ligue. L'Estoile
dit que les feux de joie de la place de Grève ne provoquè-
rent que t< peu ou point de resjouissance du peuple, qui
murmuroit sourdement que les princes s'estoient bien
accordés avec le roy, mais qu'ils avoicnt laissé le peuple en
crouppe * ». Jacques de Thou affirme, au contraire, que les
Parisiens, depuis longtemps acquis à la cause de ce qu'ils
appelaient la Sainte-Union , apprirent la signature de
l'édit avec une joie indicible •*. Honorât du Laurent, avocat
général au parlement d'Aix, composa spécialement, à
-cette occasion, un ouvrage qu'il intitula rHenoticon, C'est
un panégyrique de l'unité de religion et de ses bienfaits.
Voyant que le roi cédait tout, la Ligue eut une dernière
audace : elle entreprit de ramener par la persuasion le mal-
heureux prince dans ce Louvre d'où l'émeute l'avait chassé
et qu'elle espérait bien transformer en prison. Catherine,
•toujours complaisante, fut envoyée en avant-garde à Mantes
le 23 juillet, mais elle fut « refusée et esconduite tout à
plat de S. M., -dont elle revinst à Paris mal contente le
mercredi 27* du présent mois de juillet ' ». Les ligueurs ne
-se tinrent pas pour battus. Dès le 29, et toujours d'accord
avec la reine mère, le prévôt des marchands, accompagné
"des échevins Compans et Costeblanche, du capitaine
Bussy le Clerc et de quelques autres notabilités du parti, se
mit en route pour aller trouver le roi à Chartres. Le
lendemain, le duc de Guise en personne, avec une suite
de quatre-vingts chevaux; le cardinal de Bourbon, « pré-
cédé de cinquante archers de sa garde, vestus de cazaques
•de velous cramoisi, bordées et enrichies de passemens
1. T. m, p. 112.
2. T. X, p. 326. Le témoignage de l'illustre historien est d'autant plus
digne de créance qu'il expose avec énergie toutes les raisons politiques
qui auraient dû porter les Français à s'affliger d'une paix qui semblait
consacrer la déconsidération et riiumiliation du souverain.
3. L'EsTOiLR, t. 111, p. 173.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 413-
d'or » ; d'Ëspinac, le dangereux archevêque de Lyon, et un
grand nombre de gentilshommes ligueurs quittèrent à
leur tour Paris et arrivèrent à Chartres le lundi premier
août. Le roi leur fît Taeeueil le plus bienveillant et pro-
digua ses sourires à ceux qui lui avaient prodigué Fin-
suite, mais il refusa même de discuter la possibilité d'un
retour à Paris. Vainement Catherine insista « aiant
recours aux larmes (qu'elle a toujours eu fort à comman-
dement) Comment, mon fils, que dira-t-on de moi? et
quel compte pensez-vous qu'on en fasse, quand on me verra
ainsi esconduite de vous, et que moi, que Dieu a fait
naistre votre mère, ait si peu de crédit en vostre endroit?
Seroit-il bien possible qu'eussiez changé tout-à-coup vostre
bon naturel, car je vous ai toujours congneu de bonne
nature, prompte et aisée à pardonner. » Henri ne se lais-
sait plus prendre aux larmes de sa bonne mère. Il répondit
en ricanant : « Il est vrai, ce que vous dites, madame;
mais que voulez-vous que j'y fasse? C'est ce méchant
Desparnon qui m'a gasté et m'a tout changé mon bon
naturel *. » Et, le lendemain, ayant à sa table le duc de
Guise, il lui propose gaiement de boire « à ses bons barri-
cadeux de Paris » qu'il n'a garde d'oublier. Guise rit du
bout des lèvres et se retire pensif. Eh quoi! tous les hon-
neurs dont le roi l'accable ne seraient-ils qu'un piège et
une ironie? Par lettres patentes du 4 août, datées de
Chartres, Henri confère « à son très cher et trèsamé cousin,
pair et grand maislre de France », une autorité supérieure
sur toutes les armées du royaume ". Guise se sent confus
d'une dignité si haute. II envoie au roi d'Espinac et la
Châtre, pour dire qu'il ne peut l'accepter et qu'il se contente
bien de sa charge de grand maître de la maison royale.
1. L'EsTOiLB, t. III, p. 174.
2. Od trouve te text» des lettres patentes dans les Mém, de Nevers, t. I,
p. 129. Elles forent publiées en Parlement le 26 août.
414 PARIS ET LA LIGUE
Aussitôt le chœur de la Ligue vante et publie partout ce
désintéressement admirable. Mais Henri III insiste et^ sur
le conseil de Villeroi, force le duc à recevoir le conunan-
dément suprême des armées, à devenir, en fait, une sorte
de connétable de France. Tous les autres princes eurent
leur part de la curée : au cardinal de Bourbon, le privilège
souverain de faire un maître de chaque métier dans chaque
ville du royaume; au cardinal de Guise, la promesse de
demander pour lui au pape la légation d'Avignon ; à l'ar-
chevêque de Lyon, la promesse des sceaux; au duc de
Mayenne, le commandement de Tarmée du Dauphiné; au
duc de Nevers, le gouvernement de Lyon. Le lâche abandon
du doc d'Épernon, dont nous avons dit le3 tragiques
aventures à Angoulème, couronnait cet ensemble de con-
cessions et lui donnait le caractère d'une abdication.
Tant de faiblesse serait incroyable si elle ne trouvait
une excuse dans la terreur qu'inspirait au roi Timmense
effort de TEspagnc pour abattre Txlngleterre protestante.
Après la victoire, qui empêcherait Philippe II d'abaisser
sa lourde main sur la chétive couronne des Valois et de la
briser en se jouant? Henri III se crut habile en traitant à
tout prix avec Guise, Tallié et l'agent du terrible Espa-
gnol. L'édit d'Union produisit cet effet imprévu qu'il
faillit brouiller le duc de Guise avec Philippe IL Quelques
articles des conventions secrètes enjoignaient aux princes
du parti ligueur « de se départir de toutes autres unions,
pratiques, intelligences, ligues et associations, tant dedans
que dehors le royaume ». Le roi d'Espagne affecta de
considérer ce passage comme une violation du pacte qu'il
avait conclu au mois d'avril avec le duc de Guise. Ce der-
nier écrivit à Philippe II pour le rassurer et lui expliquer
la véritable portée de l'édit d'Union (24 juillet). Mais ce
qui rapprocha, mieux que toutes les explications, le sombre
Espagnol et l'ambitieux chef de la Ligu^, ce fut l'immense
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 415
désastre de V Armada (aoùt-seplembre 1588), qui sauva
l'Angleterre du plus grand péril qu'elle ait jamais couru,
et permit aux alliés, non moins qu'aux ennemis de
Philippe II, de relever un peu la tête. Henri III osa refuser
à l'ambassadeur d'Espagne de lui livrer quelques centaines
de forçats barbaresques qui avaient pu s'échapper d'un
navire espagnol échoué près de Calais; et le duc de Guise
n'eut pas besoin de faire comprendre à Philippe qu'il
fallait encore compter avec les ligueurs français, devenus
les véritables maîtres du royaume. L'étrange humilité de
Henri III paraissait suspecte au roi d'Espagne et il fit dire
au duc de Guise de prendre garde *. Le chef de la Ligue
méprisait trop Henri III pour le croire encore redoutable.
Une lettre du pape Sixte V ' qui comparait Guise aux
Machabées, porta le comble à son orgueil : il fit traduire et
imprimer cette lettre et la répandit dans le peuple de
Paris.
Les catholiques parisiens n'avaient pas besoin de ces
excitations nouvelles pour perdre complètement le respect
de l'autorité royale. Henri HI avait délivré au comte de
Soissons, qui venait de se brouiller avec le roi de Navarre,
des lettres patentes l'absolvant d'avoir combattu dans les
rangs des hérétiques et déclarant qu*on lui reprochait à
tort d'avoir tué le duc de Joyeuse, son beau-frère, dans la
1. Capefioub, dans la Ligue et Henri /K, 3* édit., p. 36, donne la traduc-
tion de la lettre de Philippe II à son ambassadeur en France, pour blâmer
redit d*Union et mettre en garde le duc de Guise : « ... Don Bernardino
Mendoça, je tous engage À avertir le cardinal de Bourbon et le duc de
Guise de ne pas autant s'aventurer auprès du roi dont ils doivent avoir
tant de défiance. Insistez bien pour leur démontrer le danger qu'ils cou-
rent; il faut que, sans s'écarter des devoirs qu'ils doivent h, leur souve-
rain, ils prennent leurs précautions. Conseillez-les ainsi de nouveau, de
ma part; quelles que soient les tendresses (caricias) du roi, qu'ils ne se
fient point à ces trompeuses démonstrations; rien saurait-il inspirer de
la confiance dans celte volonté variable, dans cette pensée dangereuse? »
Palma-Catbt rapporte que « les princes et conseil de la ligue des Seize à
Paris n répondirent à Philippe II qu'ils restaient plus que jamais ses alliés
et que Fédit d'Union « n'avoit esté que pour mieux préparer les choses ».
2. De Thou, t. X, p. 344.
416 PARIS ET LA LIGUE
journée de Coutras. Mais les Seize et leurs amis ne Tenten-
daient pas ainsi. Le 30 août, un grand nombre de bourgeois
et de capitaines de la milice envahirent le Palais, à Theure
où le Parlement entrait en séance, et remirent à Nicolas
Perrot, conseiller de la Grande Chambre, qui était désigné
pour faire le rapport sur l'homologation des lettres-
patentes, une requête rédigée « au nom de tous les catho-
liques unis de la France » et par laquelle le peuple faisait
opposition à la vérification des lettres d'abolition. Cédant
à cette injonction brutale, le Parlement n'enregistra pas
les lettres et, sur le rapport de Perrot, on renvoya la
requête des catholiques au roi, en conseil privé, ou bien aux
États généraux, convoqués à Blois pour le mois suivant.
C'était là un triomphe pour Guise, qui haïssait les Condé,
et une nouvelle humiliation pour le roi, dont la volonté
devenait un objet de risée. La municipalité parisienne
porta encore plus loin la bravade en refusant d'exécuter la
clause des articles secrets qui stipulait que la Bastille
serait rendue au roi et que le chevalier du guet, son ancien
gouverneur, que les ligueufs avaient déposé, serait réin-
tégré dans ses fonctions. A l'instigation du duc de Guise^
Le Clerc, un des plus énergiques ligueurs, continua d'oc-
cuper la forteresse *.
La Ville n'avait pas lieu, d'ailleurs, de se féliciter des
1. L'EsTOiLB, t. ni, p. 185. Les Registres de la Ville donnent le texte de la
déclaration formelle par laquelle la Ville refusa de rendre à Testu, cheva-
lier du guet, la garde de la Bastille : « Certificat des prévost et eschevins
par lequel, sur la présentation faite par le chevalier du guet, le sieur
Testu, de Tordre du roy par lequel S. M. veut qu'il continue Texer-
cice de sa charge et que, pour la récompense de la capitainerie de la
Bastille dont il estoit pourveu et que le roy auroit remise à leur garde,
il luy fust par eux donné 4,000 livres, ils déclarent que, sur ce qu'ils
auroient escrit à S. M. du trouble qui pourroit arriver, s'il rentroit
dans l'exercice de saditc charge, 8. M. par lettre du 28 aoust trouve
bon qu'il ne l'exerce et que, pour la récompense de ladite capitainerie,
elle ne leur auroit esté laissée à condition d'icelle récompense par Tescrit
signé du roy au mois de juillet dernier. Du dernier aoust. » Rbo. H, 1189y
fo 191. — Voy. aussi Féub., Preuves, t. V, p. 448,
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 417
procédés du roi à son égard. Henri III, ne pouvant plus
puiser à son aise dans les caisses municipales, cherchait
visiblement à intercepter les sources des revenus de
THôtel de Ville. Dans une lettre, datée du 5 août 1588, il
avoue au prévôt des marchands qu'il à saisi et affecté aux
dépenses de la guerre « les deniers laissez en fonds pour
le payement durant la présente année des rentes consti-
tuées en la maison de Ville de Paris, tant sur les receptes
généralles que p'articullières de nos finances que de ceulx du
clergé sur M. Philippe de Castille, recepveur général d'icel-
luy, et aultres récepteurs particuUiers desditctz decyines
establys en Testandue des générallitez du royaume * ». La
lettre du S août a pour effet de restreindre au quartier de
juillet la main-levée donnée, le 23 juillet, par le roi à la
VDle de Paris pour les deniers des rentes, comme une sorte
de conséquence gracieuse de Tédit d'Union. Quant à ce qui
a été encaissé par le trésor royal sur les quartiers de
janvier et d'avril, le roi entend le garder dans ses coffres.
Défense expresse à la Ville de Paris de répéter ces
sommes sur les receveurs généraux ou particuliers des
finances ou sur le receveur du clergé. Le roi tempère, il
est vrai, l'odieux de cette injonction par quelques assu-
rances consolantes. Nous ferons remplacer, dit-il, « ainsy
que nous le désirons, au plus tost que faire se pourra,
lesdictes sommes dont nous nous sommes, ainsy que dict
est, aydés pour employer aux dépenses de guerre ' ».
Mais, comme pour mieux accentuer l'ironie de pareilles
promesses, Henri III, dès le lendemain, 6 août, écrit à la
Ville de Paris une nouvelle lettre pour lui rappeler que,
Tannée précédente, elle a voté 666,666 écus « pour ayder
à supporter partie des dépenses de l'armée ». Cette
somme n'ayant pas été versée assez vite, le roi a dû em-
1. Rbo. h, 1789, P> 186.
2. Ibid.
ROBIQUBT. 27
418 PARIS ET LA LIGUE
prunier à » plusieurs de ses bons subjets et serviteurs »
qui désirent rentrer dans leurs fonds. Il faut donc que la
Ville s'occupe de percevoir les taxes et cotisations afin de
parfaire la somme qu'elle a promise.
Rien n'indique que la municipalité ait fait la moindre
diligence pour adresser des subsides . au monarque qui
cherchait à faire le vide dans les caisses de THôtel de Ville.
En revanche, le prévôt des marchands et ses collègues
continuent, avec une singulière insistance, à demander le
retour du roi à Paris. Dans une première lettre, datée du
11 août, ils s'adressent à la reine mère et, après force
compliments pour les services qu'elle a déjà rendus au
royaume et à la Ville, lui demandent d'interposer ses bons
offices pour décider le roi à « honorer les Parisiens dun
voyage par deçà, pour tant et sy peu de temps qu'il luy
plaira avant l'assemblée générale de ses Estats ^ ». Et, le
lendemain, les officiers municipaux adressent une seconde
lettre au roi lui-même, pour l'engager à venir visiter ses
bons sujets. Veuillez, disent-ils, « oyr les députez de la
Ville qui, 'sur toutes aultres choses, ont charge de repré-
senter à V. M. combien nous jugeons non seullement
utile, mais très nécessaire, pour l'asseurance et bien de voz
affaires, qu'il luy plaise, pour tel temps qu'elle trouvera
bon, faire un voyage par deçà, maintenant que toutes
choses sont pacifiées et réduittes en tel estât que le pou-
viez désirer, en estant la conséquence très grande pour
plusieurs bonnes villes qui, pendant votre absence et jus-
1. Rio. h, 1789, f> 188. Nous ne donnons pas le texte entier de cette
lettre inédite, parce qu'elle fait un peu double emploi avec celle du 12
adressée au roi. Il faut cependant noter que les ligueurs parisiens dé-
clarent qu'entre toutes les obligations qu'ils ont à Catherine « la dernière
et la plus grande par laquelle, lui disent-ils, vous nous avez faict ressentir
les effectz de vosire prudence et bonté plus yifvement que nous ne faisons
oncques, c'est en l'ecdict de réunion que, de vostre grâce, il vous a pieu
impétrer du Roy ». Cette façon de faire comprendre qu'ils ne savent
aucun gré au roi lui-même de sa complète soumission, est assez remar-
:iuab]e.
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 419
ques à ce qu'il vous ayt pieu honorer de vostre présence
celle de Paris, ne se peuvent retenir de penser diverse-
ment de la cause de cestuy vostre retardement. Pardonnez-
nous, Sire, sy le zelle que nous avons à vostre service
nous faict représenter à Votre Majesté sy franchement la
vérité des choses qui importent au bien de voz affaires,
pour la prospérité desquelles nous continuerons noz très
dévotes prières envers Dieu. Qu'il luy plaise, Sire, assister
vos sainctes intentions, continuer à vostre royaume par
vostre lignée la bénédiction qu'il a reçu de ses bons roys,
et donner h Vostre Majesté, en parfaicte santé, très longue
et très heureuse vie ! De vostre ville de Paris le douzième
jour d'aoust 1388. Voz très humbles, très obéissans servi-
teurs, les prévost des marchans et eschcvins de la Ville de
Paris * ».
Prévoyant que le roi ne se montrerait pas touché de ces
pressantes objurgations, la Ville avait cru habile d'envoyer
h la cour un agent permanent, pour renseigner l'Hôtel de
Ville sur ce qui se passerait dans l'entourage du monar-
que. C'était le sieur Jean-Baptiste de Champion, conseiller,
notaire et secrétaire du roi '. Non contents d'avoir ainsi
placé un espion auprès du prince, les Parisiens cher-
i. Rbg. U, 1789, ^ 189.
2. Sa commission, datée du 11 août, sous le scel de la prévôté des mar-
chands, charge Champion « de poursuivre, pourchasser et requérir au
nom de la Ville, tant envers Sa Majesté, messeigneurs de son Conseil, nos
seigneurs les cbancellier et tous aultres, toutes et chacunes, les lectres,
brevetz, expédition, commission et aultres provisions nécessaires qui nous
ont jà esté et seront cy-aprës accordées pour bien et afTaires de ladicte
ville, et pour poursuivre et pourchasser toutes choses au bien d*ieeile; et
en tout vous y conduire, gouverner selon noz mémoires, instructions et
avis qui vous seront par nous donnés et envoyés, vous tenant à cest
effect à la suitte de la cour de sadite Majesté, y usant en tout des deb-
voirs, dilligence et fldelité que nous nous sommes promis de vous, comme
bon citoyen, bien zellé et affectionné aux bien et alTaires de ladicte ville,
à telz gages, taxations et droictz qui vous seront par nous ordonnez
cy-après, vous donnant de ce faire pouvoir. En tesmoing de quoy, nous
avons mis & ces présentes le scel de ladicte prévosté des marchans. »
Rio. h, 1789, ^ 189.
420 PARIS ET LA LIGUE
chaient à se rendre de plus en plus indépendants et à se
dégager complètement de Tautorilé royale. Le 17 août,
« sur ce que les prévost des marchans et esclie\ins sup-
plicient le roy d'éloigner les troupes de 12 lieues de Paris,
sauf ses gardes, et qu'en cas de contravention il leUr fust
permis de faire courre sus aux dictes troupes », Ilenri III
dut signer un brevet par lequel « il accorde .de soulager
les environs de Paris le plus -qu'il se pourra et donnera
ordre, en cas de licence des troupes, au gouverneur de
Paris, d'y pourvoir, et, en son absence, au prévost de
Paris ou son lieutenant, auxquels S. M. aura agréable que
les prévost des marchans et eschevins donnent assis>
tance * ». Le roi a bien essayé de conserver la direction
supérieure des affaires parisiennes en signant à Chartres,
le n août, des lettres par lesquelles il « a accordé, veult el
entend que le sieur de Villequier, gouverneur et lieutenant
général de Sa Majesté à Paris et Isle de France, s'entre-
mette seul en icelle charge de gouverneur et lieutenant
général en icelle ville * ». Mais la ville ne prit nul souci du
gouverneur royal et arrêta, de sa propre autorité, toutes
les mesures de police qui lui paraissaient nécessaires. Dès
le 5 août, l'accord entre les princes de la Ligue et le roi
étant bien consacré, la municipalité avait diminué de moi-
tié la garde des portes et supprimé les passeports, sauf
pour les armes et la poudre, ainsi que pour les groupes de
plus de six personnes. Les gens armés qui entreront dans
Paris devront les remettre aux capitaines et gardiens des
portes jusqu'à ce qu'un hôtelier vienne les reprendre en
certifiant la preudhomie du nouveau venu. La nuit, il n'y
aura plus que huit hommes de garde dans chaque quartier,
et trois rondes d'officiers, suivis de quinze hommes, chaque
nuit, dans les quartiers de la Grève, de l'Université et des
1. Reo. h, 1789. fo 190. Féub., Pr,, t. V, p. 448.
2. W/d., fM91.
GUISE ET PARIS APRÈS LES RARRICADES 4M
Halles *. Mais le 30 août, « pour ce que, chacun jour, il
arrive en ceste ville nombre effréné de soldats vagabonds
et aultres personnes sans adveu qui ne peuvent apporter
que rumeur en ceste dicte ville et y troubler le repos », le
prévôt des marchands prescrit aux colonels de faire, dans
la journée du 1®' septembre, « recherche des vagabonds
dans toutes les maisons, chambres garnies, hostelleryes
et aultres lieux * ». Ce service de recherches et de garde,
qui incombait à la milice, lui semblait probablement assez
lourd, car il résulte d'un mandement, en date du 9 septem-
bre, que « plusieurs chefs d'hostel » avaient délaissé leurs
maisons « pour ne pas monter leurs gardes ». Le mandement
invite les colonels à réunir les capitaines, lieutenants et
enseignes de leurs quartiers respectifs pour « leur faire
entendre la nécessité de continuer les gardes de jour et de
nuict, pour maintenir la ville en seureté et repos contre
les desseins des ennemis de Dieu et du roy ». Les bour-
geois, on serait presque tenté d'écrire les gardes natio-
naux, sont priés de se faire remplacer par quelqu'un, s'ils
sont empêchés, « sous peyne de 1/2 escu d'amende, apli-
cable en la manière accoustumée pour la première fois et,
pour la seconde fois, du double, aplicable moictié aux frais
du corps de garde, l'autre moictié aux pauvres de THostel-
Dieu de Paris ' ».
Enfin, comme pour montrer son dédain pour le Valois,
à ce moment même où la royauté, humiliée et bafouée par
la Ligue, peut se retourner contre Paris et menacer dans un
effort suprême la capitale de la rébellion, l'Hôtel de Ville
ne soupçonne pas qu'un danger sérieux puisse venir de ce
vaincu qui pardonne, et l'on s'occupe gravement dercce-
«
1. Rbo. h, 1189, t9 185.
2. Ibid., f- 191.
3. Ibid., f» 193. Il faut croire que la bonne volonté dea ligueurs laissait à
<]ésirer, car les admonestations municipales seront renouvelées le 10 octobre*
Rec. h, 1789, ^ 196.
422 PARIS ET LA LIGUE
voir la démission de Nicolas Quetin, « conseiller du roi au
Ghâtelet de Paris, concierge de Thostel commun de Thostel
de ladite ville et garde de Testappe d'icelle », au profit de
M. Charles Tamponnet, « bourgeois de Paris, juré, vendeur
et controUeur des vins en ladite ville * ».
Si Ton s en rapporte aux déclarations des contempo-
rains ', les Seize avaient ouvertement jeté le masque : ils
adressaient « à toutes les villes et communautez de la
ligue » un véritable programme de révolution cléricale,
faisaient imprimer « une remontrance sur les désordres et
misères du royaume, causes d'icelles et moyens d y pour-
voir », qui était l'œuvre des fortes têtes du parti, notam-
ment de l'avocat Roland, et dont le but était de rendre le
1. Reg. H, 1189, f" 191. La charge de concierge de THôtel de Ville, dont
Lbroux de Lincy ne parle pas dans son Histoire de VHôtel de Ville, ayait une
certaine importance que nous ne voyons expliquée nulle part. \\ était garde
de Vestappe, c'est-à-dire du marché aux vins de la place de Grève. Le mot
estappe vient soit du vieux mot latin staplus^Ueu à découvert, ou de l'allé-
mand Staple, marché ou foire publique. Dblamare^ dans son Traité de la
Police, t. III, p. 548, rapporte que le marché aux vins de Paris se trouvait
primitivement aux Halles, et qu'il fut transporté à la place de Grève par
lettres patentes de Charles VI, en date du mois d*octobre 1413. Mais ce
que Delamare ne dit pas et ce que nous apprennent les Registres de la
Ville, c'est que le concierge de THôtel de Ville avait « la garde des vins,
charriotz, charrettes et voictnres de la d. estappe, aux droictz, proffictz et
charges y déclarées ». Nous lisons dans une sentence du prévôt de Paris,
en date du 1" juin 1580 : a II fut ordonné que, pendant les mois d*octobre,
novembre, décembre et janvier, par chacune année, le garde de ladicte
estappe sera tenu nectoyer et faire vuider toutes et chacunes boues qui*
pourront survenir en ladite place de Grève, ensemble tous feurres
(pailles) et ordures, provenans des chariots et charrettes amenans vin en
ladite place; mesurer les boues et immondices et ordures qui prorien-
dront des maisons desdictz habitans, fors et excepté les fiens {fumiers)^
gravois et grosses vuidanges qui pourront y estre mises; et, le surplus de
Tannée, seront leadictz habitans tenuz faire nectoyer chacun au droict
soy et devant leurs maisons; comme aussi le garde de ladicte estappe ès-
endroictz de ladicte estappe, qui sera tenue et occupée par les mçLTchans et
forains, admenans vin en ladicte place. » A Tépoque où Tamponnet suc-
céda à Nicolas Quetin, le concierge de THôtel de Ville était tojours chargé
du nettoyage de la place de Grève et prélevait sur chaque charrette ame-
nant du vin sur la place un droit de deux deniers parisis par jour, et un
droit de 12 à 16 deniers parisis sur les charretttes qui passaient la nuit et
auxquelles le concierge fournissait des tréteaux,
2. Voy. notamment Palma-Cayet {Introd, à la chronol, novenaire, Coll.
Michaud, p. 62).
6UIS£ ET PARIS APR&S LES BARRICADES 423
roi odieux au peuple. A Villars, gouverneur du Havre; à
Corbon, gouverneur de Hani; aux gouverneurs de Ro-
croy et de Vitry , qui leur avaient envoyé des députés « pour
scavoir comment ils se dévoient gouverner, puisque par
Tédict d'union ils avoient juré de se départir de toute
ligue et que, suivant ledit édict, ils se dévoient ranger du
tout auprès du Roy », les membres du conseil de la
Ligue avaient répondu « qu*il ne falloit rien changer de
l'intelligence et association précédente qu'ils avoient entre
eux, mais qu'il falloit toujours continuer plus que ja-
mais, affin de parvenir à TefFect désiré ». Des émissaires
étaient envoyés au maréchal de Montmorency pour trai-
ter de nouveau avec lui, et, en Suisse, pour s'assurer le
concours du colonel Phiffer. Enfin la Ligue portait une
atteinte directe à l'autorité royale, à propos de la Pi-
cardie. Le gouvernement de cette province étant disputé au
duc de Nevers par le duc d'Aumale, le roi avait donné
l'ordre au duc de Nevers d'aller en prendre possession avec
deux maîtres des requêtes. Le duc se disposait à quitter
Paris pour exécuter cet ordre, quand le prévôt des mar-
chands et les échevins « le vinrent trouver en son logis et
luy dirent qu'il se donnast de garde de toucher au lieute-
nant-général d'Amiens et à d'autres leurs confederez, par
ce qu'ils ne vouloient ny ne pouvoient les abandonner * ».
Nevers dut subir cet affront et renoncer au voyage de
Picardie pour recevoir le commandement de l'armée du
Poitou qui n'existait pas. Le 6 août, il écrivit au roi une
lettre désolée, en suppliant Sa Majesté de la communiquer
au Conseil. Comment faire la guerre, disait le duc, en sub-
stance, quand le trésor est à sec? Nevers offrait au roi d'en-
tretenir à ses frais cent gentilshommes pendant trois ans, et
de servir sous les ordres d'un autre général. Verbalement,
1. Palma-Catbt.
424 PARIS ET LA LIGUE
il noircissait le duc de Guise dans l'esprit du roi, et insis-
tait sur le danger de confier au chef de la Ligue le com-
mandement suprême des armées. Il allait jusqu'à insinuer
que Guise ne reculerait pas devant les grands attentat»^. La
lettre audacieuse du duc de Nevers fut communiquée au
Conseil.
Henri III, ébranlé, sombre, partageait toutes les craintes
du duc et voulait révoquer les lettres patentes qui nom-
maient Guise généralissime. Mais Catherine, soutenue
par Villeroy, éteignit ce brusque éclair de rage sous le
flot mielleux de sa réthorique. La paix était faite, après
maintes difficultés vaincues. Pourquoi risquer encore le
sort de la couronne? pourquoi refuser à Guise un vain
titre, quand le roi avait la réalité du pouvoir? Ttfauvaises
raisons qui sonnaient faux. Depuis qu'elle avait voulu le
ramener à Paris, le livrer aux ligueurs, Henri se défiaifde
sa mère plus que de personne. Cependant, encore une fois, il
céda et expédia au chef de la Ligue le brevet qui faisait de
luile vrai maître de laFrance. Mais, alors même qu'il tendait
ainsi la joue aux soufflets, le roi sentait croître sa haine
contre Guise. Plus il se faisait souple devant les princes
catholiques, devant les Parisiens rebelles, plus il s'affer-
missait dans une idée fixe qui l'obsédait jour et nuit : se
défaire de ce grand rival, idole de tout un peuple, et jeter
sa tête comme un suprême défi à la ville ingrate qui avait
chassé son roi.
Mais on dirait qu'au moment d'agir il se trouve encore
trop près du monstre; toutefois, le théâtre sera grand et
aura pour spectateurs tous les représentants du pays. Le
lieu désigné, c'est Blois, où les lettres patentes signées le
le 15 juillet ont convoqué les États généraux pour le 18 sep-
tembre 1588. Henri HI, dit Palma-Cayet, « partit de Char-
1. De Thof, t. X, p. 346, 348.
GUiSE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES 425
très après la Nostre-Dame de septembre et alla coucher à
Chasteaudun, le lendemain à Marché-Noir; et, le troisième
jour dd son départ de Chartres, il arriva, sur les trois heu-
res après midy, dans son chasteau de Blois, accompagné
de M. le duc de Guise et d'une vingtaine de gentilshom-
mes ». C'était le premier septembre. La vie politique do
la France va se concentrer pendant quelque temps dans
ronceinte du château de Blois, et il faut y suivre les dépu-
tés de Paris, dont le rôle promet d'être considérable.
CHAPITRE VI
PARIS A BLOIS
LES ÉTATS GÉNÉRAUX
(Depuis le 1" sept. 1588 jusqu'au 15 janvier 1589.)
C'est le 13 août 1588 qu'eurent lieu les « assemblées
des trois Estais de la prévosté de Paris pour députer aux
Estats généraux de Blois ». Les formes suivies pour les
élections aux Étals généraux ayant varié suivant les ré-
gions, il importe de préciser comment on procédait au
xvie siècle. Tantôt directement, tantôt par l'intermédiaire
des gouverneurs de provinces, les lettres de convocation
étaient adressées par le roi aux baillis et sénéchaux de
premier ordre *. Ceux-ci en ordonnaient la lecture publique
à leur audience et l'enregistrement sur les registres de leur
juridiction, puis ils les faisaient publier à son de trompe et
afficher dans les endroits les plus fréquentés de la ville de
la résidence. La même publicité était faite ensuite dans
tous les sièges particuliers des juridictions inférieures;
puis les ecclésiastiques et les nobles du ressort recevaient
l'invitation de se rendre, à tel jour, à l'assemblée générale
1. Uy avait, en effet, des bailliages et sénéchaussées de premier ordre,
ressortissant aux cours souveraines, et des bailliages et sénéchaussées de
second ordre, ressortissant aux précédentes, sans compter les bailliages
des seigneuries particulières, qui relevaient immédiatement des juges
royaux de second ordre, et médiatement des baillis du premier ordre.
Voy. Bibliothèque de VEcole des Chartres, 2* série, t. II, p. 422. Étude de
M. A. Taillandier.
PARIS A BLOIS 437
(lu bailliage. Quant aux habitants des paroisses, c'était au
prône des messes paroissiales qu'on leur lisait les lettres
royales, avec injonction de députer deux d'entre eux,
munis de pouvoirs réguliers, à l'assemblée générale du
bailliage, où ils apporteraient les cahiers de leurs plaintes,
doléances et remontrances. Ces assemblées générales de
bailliage constituaient la réunion des électeurs primaires.
Elles avaient lieu le dimanche, au son de la cloche, à
rissue de la messe, et étaient présidées par le juge de la
localité, s'il en existait, et en présence des procureurs du
roi ou fiscaux. Dans les villages dépourvus de siège judi-
ciaire, le notaire présidait l'assemblée et en dressait le
procès-verbal. Un certain nombre d'habitants recevaient la
mission de dresser les cahiers de doléances, que signaient
les rédacteurs et le président; puis l'assemblée primaire
nommait les députés, ordinairement au nombre de deux,
qui devaient faire partie de l'assemblée du bailliage prin-
cipal et y porter les cahiers de leurs commettants, soit
figurer aux États généraux, s'ils relevaient directement
d'un bailliage de premier ordre. Dans les villes, sièges d'un
grand bailliage ou d'une sénéchaussée principale, on convo-
quait aussi une assemblée primaire qui se réunissait, sous
la présidence du maire ou du bailli, voire de son lieute-
nant, à la maison de* ville, dans une salle qu'on appelait
chambre de Véchevinage. Cette assemblée se composait des
officiers municipaux, des bourgeois, députés par chacune
des paroisses de la ville et nommés dans des réunions par-
ticulières; des députés des différents corps de la ville,
médecins, notaires, sergents et autres; enfin des délégués
des corporations et communautés d'arts et métiers, tous
munis des cahiers que leurs commettants spéciaux avaient
élaborés. L'assemblée primaire de la ville nommait d*abord
une commission pour coordonner les cahiers des différents
groupes que nous avons indiqués, et en former un cahier
as PARIS ET JLk LIGUE
unique, destiné à rassemblée générale du bailliage ; ensuite
on procédait à la nomination des délégués qui devaient se
rendre à l'assemblée générale dont il s'agit.. Elle se tenait
-au tribunal du bailliage, sous la présidence du bailli ou de
son lieutenant, et comprenait les délégués des trois ordres.
<3elui du tiers état était représenté, comme on Ta dit, par
les députés des villages ou plat pays, par ceux de la ville
-et des faubourgs ressortissant au bailliage. Celui du
•clergé se composait de Tévèque, des délégués des commu*
nautés, chapitres, abbayes et de tous les curés du ressort;
<lans celui de la noblesse figuraient tous les possesseurs de
fiefs ou biens nobles domiciliés dans l'étendue du bailliage.
Âpres la séance générale où le président donnait lecture
des lettres royales et de l'objet de la convocation, chaque
ordre tenait des réunions séparées, compilait ses cahiers et
procédait à la nomination des députés qui devaient figurer
'en son nom aux États généraux du royaume. En réalité,
les députés aux États généraux étaient issus d'un suffrage
à deux ou trois degrés pour les communes rurales et pour
les villes, avec cette particularité que, dans les villages, le
suffrage fonctionnait, au premier degré tout au moins,
tandis que, dans les villes, les assemblées primaires du
tiers état n'étaient formées que des représentants de corps
privilégiés , nommés eux-mêmes dans des réunions anté-
rieures, ce qui écartait absolument l'application du suffrage
universel pour la désignation des électeurs primaires.
Tel était le système électoral dans la plupart des pro-
vinces; mais il y avait des usages particuliers çà et là, no- "
iamment dans la Champagne, le Languedoc et les pays
<rÉtats. Il a semblé nécessaire de tracer ce tableau d'en-
semble avant d'aborder ce qui concerne spécialement les
«élections parisiennes \
1. Conf. les détails donnés au chap. 1, p. 62 à 69, sur les assemblées
préparatoires tenues à Paris en vue de la réunion des États généraux à
PARIS A BLOIS 429'
Au point de vue électoral, la situation do Paris était un
peu complexe et n'a pas toujours été bien comprise. Paris-
jouissait d'un double droit de représentation : la Ville et
les faubourgs avaient une voix aux États généraux; la
prévôté et vicomte une autre voix, lorsqu'on opinait par
bailliage. Aussi, tout le mécanisme des élections des dé-
putés aux États généraux resterait-il incompréhensible, si
Ton confondait, comme beaucoup d'écrivains le font jour-
nellement, le prévôt de Paris et le prévôt des marchands \
le premier, magistrat d'épée, représentant du roi, chef de
la juridiction du Châtelet; l'autre, magistrat purement mu-
nicipal. Quand il y avait lieu de procéder à des élections
pour les États généraux, le roi envoyait une lettre au
prévôt des marchands pour mettre le corps de Ville en
demeure d'exercer son droit de nomination; une autre
lettre royale était, en même temps, adressée au prévôt de
Paris, comme aux autres baillis du royaume, car le prévôt
de Paris faisait fonctions de bailli pour la capitale. Il faisait
lire les lettres du roi dans la Chambre du conseil du Ghà-
telet, les faisait enregistrer et fixait le jour de l'assemblée
de la prévôté. Les opérations de publicité et d'affichage
étaient analogues à celles que nous avons déjà indiquées.
Chaque communauté tenait ses réunions particulières, pré-
parait son cahier de doléances et nommait ses délégués à
l'assemblée générale de la prévôté. Au jour fixé, cette
assemblée générale se réunissait à Tévèché, à cause de la
grandeur des salles de cet édifice, sous la présidence du
prévôt de Paris, entouré de ses lieutenants civil, criminel
et particulier, ainsi que des procureurs et avocats du roi ';
Blois qui était indiquée pour le 15 novembre 1576. Us ne s*ouvrireut que
le 6 décembre.
1. Cette confusion s'est glissée dans quelques-uns des articles publiés à
Toccasion de notre Hist, municipale de Paris jusqu'à l'avènement de
Henri III.
2. Cette assemblée générale ayait pour but de faire entendre la lecture
des lettres royales par le greffier du prévôt et de recevoir le serment de»
430 PARIS ET LA LIGUE
puis les trois ordres se rendaient dans des salles distinctes
afin d'y procéder à l'élection des députés de la prévôté et
vicomte de Paris. Pour le tiers état, il ijiésulte du procès-
verbal de l'élection, qui nous a été conservé, qu'il ne fut
nommé qu'un seul député pour la prévôté de Paris : ce fut
le prévôt des marchands, La Chapelle-Marteau, nommé à la
majorité relative et au premier tour par 139 suffrages siu*
386 votants. Venaient après lui, dans l'ordre des voix,
le lieutenant particulier, Mathias de La Bruyère, avec
i05 suffrages, le sieur Marion avec 37, Louis d'Orléans
avec 32, etc. *.
Les élections pour la Ville de Paris proprement dites
eurent lieu le 3 septembre, et il est à remarquer que la
<i gens des trois estais ». Ils juraient « d'eslire, ciiacun en leurs corps,
ung personnage tel qu'ilz estimeroient estre capable pour comparoir
devant ladicte Majesté auxdictz estatz pour faire leurs plainctes ei do-
léances ». Il faut noter que, comme d'habitude, le corps de Ville de Paris
reproduisit dans rassemblée générale de la prévôté du 13 août 1588 la
protestation traditionnelle. L'échevin Gompans, assisté de deux bourgeois
notables, Oudineau et Louis Bourdin, « requit acte de sa comparution
pour la ville et dict que ce qu'ilz comparoissent n^estoit en vertu du man-
dement de monsieur le prévost de Paris, ains par le commandement du
roy porté par les lettres de Sa Majesté... » II déclare réserver les droits du
corps de ville et faire opposition & ce que les corps et communautés de la
ville et des faubourgs de Paris « fassent le serment, eslisent et baillent
leurs plaintes et dolléances à autre que audict prévost de marchands ».
Le prévôt des marchands, en effet, avait tocgours émis la prétention que
c'était à lui et non au prévôt de Paris qu'il appartenait de convoquer
le tiers état de Paris.
1. M. Taillandibr (/oc. cit.) a découvert et publié dans un vol. manus-
crit appartenant à la bibliothèque de la Chambre des députés, aux armes
de Colbert de Croissy, archevêque de Rouen, le procès-verbal de « l'as-
semblée des trois Estats de la prévosté de Paris pour députer aux Estats
généraux de Blois ». Ce document, très curieux et dont l'original n'existe
pas aux Archives, contient la nomenclature des paroisses qui jouissaient
du droit d'envoyer des délégués élus par le suffrage universel des habi-
tants, à l'assemblée générale de la prévôté. Il prouve que, dans cette
assemblée générale, les suffrages s'exprimaient à haute voix et publique-
ment et que l'élection avait lieu au premier tour; la majorité relative suf-
fisait. On remarque que les paroisses le plus rapprochées de Paris, telles
que le Pré SaintrGervais, Passy, Auteuil, Montmartre, Charenton, Sèvres,
Haint-Gloud, Boulogne, etc., votèrent pour le prévôt des marchands. Un
assez grand nombre de paroisses dont les noms figurent au procès-verbal
ont aujourd'hui disparu et ne se retrouvent ni dans le coutumier général,
ni dans l'abbé Lebœuf (Hist, du diocèse de PatHs), ni dans le Did, alph.
des environs de Paris, par Ch. Oudibtte.
PARIS A BLOIS 431
composition du corps électoral parisien reposait sur des
bases beaucoup moins larges que celle du corps électoral
des bailliages ruraux. Dans l'assemblée qui avait lieu à
l'Hôtel de Ville pour s'occuper des élections aux Etals
généraux, on ne trouvait guère que le prévôt des mar-
chands, les échevins, les conseillers de Ville, les délé-
gués des cours souveraines désignés par leurs compagnies
respectives, les quartiniers et six notables bourgeois de
chaque quartier. Ainsi ce corps électoral était même plus
restreint que les assemblées générales de la Ville. Lorsque
cette petite poignée d'électeurs avait nommé des commis-
saires pour recevoir les plaintes et doléances de la popu-
lation, tous les habitants de Paris pouvaient venir remettre
leurs vœux aux commissaires ou, s'ils préféraient garder
l'anonyme, déposer leurs mémoires dans un coffre en
forme de tronc, fermé de trois serrures et placé dans la
salle du Grand Bureau de la Ville. A l'expiration d'un
certain délai, les commissaires se réunissaient et rédi-
geaient le cahier des doléances de Paris. Puis on convo-
quait une nouvelle assemblée où figuraient, à côté des
membres de la première ', les gardes des marchands et
jurés des métiers. Le texte définitif du cahier général étant
arrêté, on procédait à l'élection des députés aux Ëtats
généraux. Il est assez étrange que les Registres de la Ville
ne fassent pas mention des opérations électorales du 3 sep-
tembre 1588, soit que le procès-verbal en ait été rédigé
à part, soit qu'une- raison d'Ëtat en ait motivé la suppres-
1. Les registres du Parlement indiquent que la Ville, pour les élections
du 3 septembre, demanda à la cour de désigner une délégation qui s'ad-
joindrait aux magistrats municipaux pour nommer les députés aux États :
<t Du troisième septembre. Ce jour deux des eschevins sont venus sup-
plier la cour députer aulcuns des présidons ou conseillers pour assister,
cejourd*hui de relevée, en THÔtel de Ville, à Teslection des personnes qui
seront retenues pour aller é&-6statz, ainsi qu^ en cas pareil elle a aceoustumé
faire. A quoy par M. le président Brisson a été dict que la cour fera en la
manière accoustumée. »
432 PARIS ET LA LIGUE
sion. On trouve seulement, sous la date du 28 septembre,
cette indication assez précieuse qu'on procéda, ce Jour-là^
en assemblée générale de l'Hôtel de Ville, « à la lecture des
coppies des plainctes et doléances de la Ville et faubourgs
de Paris faictz et dressez pour porter aux Estais généraux
assignez en la ville de Blois ' ». Or la lecture des cahiers
ayant lieu d'habitude avant . l'élection des députés aux
États, il est singulier qu'en 1588 l'Hôtel de Ville ait élu
les députés dès le 3 septembre, pour revenir le 24 à la
lecture des cahiers. Aussi croyons-nous que, dans cette
assemblée du 24, les électeurs parisiens ne firent que relire
et non lire pour la première fois des cahiers de doléances
rédigés antérieurement; cela est d'autant plus vraisem-
blable que l'on prit, dans la même séance, une résolution
portant qu'au cahier des plaintes de la Ville serait annexée
une requête du 30 août pour s'opposer, au nom de Paris,
à l'entérinement des lettres de réhabilitation obtenues
du roi par le comte de Soissons. On a lieu de croire que
ce vote des électeurs parisiens était dû à la pression des
Guises, qui avaient déjà empêché le Parlement d'enre-
gistrer les lettres d'abolition accordées au comte par le
pape, et qui, à Blois, reprirent avec plus ou moins do
succès la même attitude.
Quoi qu'il en soit, l'ensemble de la députation de la
Ville, prévôté et vicomte de Paris aux États généraux
de 1588 était foncièrement dévoué à la Ligue. Voici la
nomenclature complète de ces députés ' : pour la noblesse :
M. Robert de Pié-de-Fer, seigneur de Guyencourt; pour
1. Rbg. h, 1787, P 195.
2. n est bon de consigner ici, d'après un manuscrit provenant de la
bibliothèque de Saint-Gerraain-des-Prés et qui est reproduit dans le Recueil
des pièces originales et authentiques concernant la tenue des États généraux
(Paris, chez Barrois Talné, 1789), Fintitulé de cette précieuse liste : « Noms,
surnoms et qualités de ceux qui ont été élus par les duchés, comtés, bail-
liages, sénéchaussées, provinces et villes de ce royaume pour être envoyés
comme députés aux États généraux tenus à Blois l'an 1588. »
PARIS A BLOIS 433
le cierge : W Pierre Ruelle, président es enquêtes; Lazai*e
Cocquelay, conseiller au Parlement, chanoine de l'Ëglisc
de Paris; frère Michel, prieur des Chartreux de Paris;
Jean Hérault, prieur de Saint- Victor ; Jacques Cuelly, curé
de Saint-Germain TAuxerrois ; Julien Pelletier , curé de
Saint-Jacques de la Boucherie ; enfin, pour le tiers état :
Michel Marteau, prévôt des- marchands, nommé double-
ment par les électeurs de la prévôté et par ceux de la Ville
de Paris proprement dite; Etienne de Neuilly, premier
président de la Cour des aides; Jean de Compans, échevin;
Nicolas Auroux et Louis Bourdin, bourgeois de Paris;
Louis d'Orléans*, avocat au Parlement.
Le rôle de ces personnages dans le grand drame des
États de Blois a été assez considérable pour mériter d'être
étudié avec soin, d'autant plus qu'on ne parait pas avoir
signalé encore avec une suffisante précision les rapports
entretenus, pendant la durée des États, entre la députation
parisienne et l'Hôtel de Ville de Paris. C'est le 14 sep-
tembre que les députés de Paris arrivèrent k Blois '. Dès
le 16, le tiers état tient sa première réunion à deux heures,
dans une des salles de l'Hôtel de Ville de Blois, « suivant
la publication faite ledit jour matin, à son de trompe et
cri public par ordonnance du roi Henri UI ». La convo-
cation fut faite par le sieur Merle d'Oignon, maître des
cérémonies. Jehan Courtin, l'un des députés du bailliage
de Blois, fut chargé d'enregistrer les noms des membres
présents, sans être pour cela nommé greffier ou secrétaire
1. Louis d'Orléans est appelé Louis Dorlbt par le Procès-verbal de Penrol-
lement du tiers état. Recueil^ etc.
2. Des Étais généraux et autres assemblées nationales» Paris et La Hatb,
1189, t. XI V. Ce volume contient, à partir de la p. 440, le Journal des
États de Blois tenus en 4388 et 4589, par Af« Etienne Bernard, avocat au
parlement de Dijon, député du tiers état de ladite Ville pour y assister.
Par sa sincérité et sa piH&cision, ce journal est un document précieux pour
l'histoire; et il trouve un utile complément dans le procès-verbal du tiers
état qui se trouve au t. IV du Recueil des pièces originales cité plus haut*
KOBIQUET. 28
434 PARIS ET LA LIGUE
de rassemblée. Cette opération préliminaire, qui avait
une grande importance, à cause de l'habitude qu'ont les
honunes de ratifier le fait acquis, fut dirigée sans oppo-
sition par le prévôt des marchands La Chapelle-Marteau.
« Messieurs de Paris étant arrivés à ladite maison de Ville,
écrit Etienne Bernard dans son journal, fut proposé par Iv
prévôt des marchands qu'il seroit expédient de nommer
quelqu'un de la compagnie pour recevoir la comparution
des présens, avec protestation que ce qu'il avoit pris la pa-
role n'étoit pas pour revendiquer l'autorité de président,
laquelle il savoit bien dépendre de la nomination des
États, ains seulement pour acheminer les progrès desdits
États, suivant la volonté de Sa Majesté; ce qui fut trouvé
bon. »
Dans cette première séance, se produisit un curieux
incident. « Honorable homme Jean de Compans, bourgeois
de Paris, l'un des échevins de ladite Ville et Tun des dé-
putés d'icelle », vint déclarer à ses collègues « qu'il a ceddé
et cedde le lieu de sa nomination deuxième à M. le prési-
dent de NuUy \ tenant l'un des premiers lieux de ladite
ville de Paris et ayant séance au Conseil privé du roi, et
aussi qu'il a été, puis peu de temps, par quatre années
consécutives, prévôt des marchands, sans avoir occasion,
en protestant toutesfois que ladite cession ne puisse, en
quelque sorte et manière que ce soit, préjudicier par ci-
après, en la qualité ou autorité du lieu et rang que tient
1. On remarquera cette manière d'orthographier le nom du premier
président de la Cour des aides. C'est celle du Prixiés-verbal de PenroUement
et évocation des pays, gouvernemens, provinces, sénéchaussées et bailliages
du royaume de France et présentation des députés pour le tiers état du
royaume, etc^ qu'on trouve avec une pagination spéciale dans le t. IV du
Recueil des pièces originales. Il est asseï curieux que la liste des noms et
stimoms des élus qui se trouve en tète du même volume, donne l'ortho-
graphe suivante : Etienne de NeuiUy, qui est aussi adoptée par l*Estoilb,
t. ni, p. 153. Lbroux db LmcT, dans sa chronologie des députés de Paris,
écrit ce nom de la même manière; il est vrai que, dans sa chronologie des
officiers municipaux, le même auteur imprime Etienne de Neully, C'est une
troisième variante.
PARIS A BLOIS 435
et possède pour lejourd'huy ledit de Compans en ladite
Ville, et que ce qu'il en fait n'est pour diminuer ni amoin-
drir ledit lieu et place qu'il tient, ains seulement pour
ledit respect, en considération desdites qualités, lieux et
place tenus par ledit sieur président... »
Le tiers état aurait de suite constitué son bureau défi-
nitif si le roi ne l'avait prié, par l'intermédiaire de M. de
Rambouillet, de reculer l'élection du président, du greffier
et des autres officiers jusqu'à l'arrivée des députés retar-
dataires (séance du 19 septembre). Il fut décidé d'un com-
mun accord « que l'on iroit vers Sa Majesté pour la
supplier de limiter un temps dans lequel les absens seroient
attendus, vu que le jour de l'assignation des États étoit
passé et que les présens y étoient à grands frais pour leurs
provinces, pour leur particulier, avec beaucoup d'incom-
modité ^ ». Conformément à ce vote, l'assemblée nomma
une commission, dans laquelle figurait le président de
Neuilly. Cette commission alla trouver le roi (20 sept.),
qui fixa un délai de huit jours, avant l'expiration duquel
il était interdit de nommer un président. Henri III ferait
ensuite connaître sa volonté. Une réponse aussi hautaine
n'était pas propre à satisfaire les députés, et dès le 24 ils
délibéraient déjà sur la question de savoir s'il n'y avait pas
lieu d'envoyer au roi une députation nouvelle, quand le
sieur de Marie, maître des cérémonies, se présenta dans la
salle de l'Hôtel de Ville où se réunissaient les députés du
tiers, et leur déclara que Sa Majesté désirait que les dépu-
tés nouvellement arrivés et qu'il n'avait pas encore vus,
eussent à venir « le lendemain, jour de dimanche, à l'issue
de son diner, pour lui faire la révérence et lui baiser les
mains ». Puis de Marie, « ayant tiré son rôle de tous les
gouvememens et bailliages de ce royaume, auroit sur
1. Procès-verbal de PenroUemeni, etc.
436 PARIS ET LA LIGUE
icelui collé les présens qui restoient à faire la révérence à
Sadilc Majeslé * ». C'est le même jour qu'une sorte de
panique se répandit parmi les députés. On faisait courir le
bruit « que les hérétiques et leurs partisans montoient à
cheval et que le roi de Navarre approchoit de cette ville ;
que plusieurs gens de guerre y dévoient arriver pour
attenter quelque chose contre la liberté des États ». Très
peu rassurés, les députés du tiers nomment aussitôt une
conmiission de dix membres, parmi lesquels le président
de Neuilly représentait le gouvernement de Paris et Ile-de-
France, pour aller s'entendre avec les deux autres ordres,
et supplier Sa Majesté « de pourvoir à la sûreté requise et
nécessaire pour la conservation de tous en général, afin
que librement on pût vacquer à la tenue des États ». Deux
jours après, le 26 septembre, le président de Neuilly vient
rendre compte de la conférence qu'il a eue avec le roi, en
compagnie des délégués du clergé et de la noblesse.
L'archevêque de Bourges, qui se piquait de beau langage,
avait informé le roi « des levées et assemblées de gens qui
se faisoient par ceux de la nouvelle opinion et de la venue
de quelques princes * que l'on assuroit venir fort accom-
pagnés en cette ville, qui pourroient empêcher la sûreté
de leurs personnes et libertés ». Henri III ne s'était nulle-
ment ému de ces insinuations, assez semblables à des
menaces, puisque le comte de Soissons ne venait aux
États qu'après avoir obtenu rautorisation royale. Le mo-
1. ProcêS'Verbal de Pem^llement, etc. Palma-Catbt, Introd. à la ehronoL
novenaire, dil, de son côté : « A mesure que les députés arri voient, Sa
Majesté avoit donné ordre qulls fussent conduits par devers luy pour les
voir et recognoistre... »
2. C'est évidemment une allusion à la prochaine arrivée du comte de
Soissons (Charles de Bourbon, fils de Louis I«', prinee de Condé), qui, en
effet, fit son entrée à Blois quelques jours après, le vendredi 7 octobre,
- fort accompagné de noblesse ». Voy. l'Estoilb, t. III, p. 188. Réconcilié
avec Henri HI, le comte était également suspect à Henri de Navarre, qui
l'avait éloigné de lui, et aux ligueurs, qui le considéraient toujours comme
un hérétique.
PARIS A BLOIS 437
narque congédia donc la délégation des trois ordres en
rassurant « qu'il feroit en sorte que la force lui demeure-
roit comme elle lui apparten'oit, et régleroit tellement les
trains des princes que nul n'en pourroit prendre aucun
doute ». Ainsi l'astucieux Valois, fort capable de glisser
dans ses paroles des sous-entendus redoutables, laissait
comprendre qu'il n'était pas moins choqué que les députés
du train de certains princes, qui peut-être n'étaient pas les
princes protestants. Les ligueurs sentirent sans doute
rironie et méditèrent une revanche prochaine; mais il
fallait avant tout constituer les États par la nomination
des bureaux des trois ordres. Dès le 26 septembre, le tiers,
après avoir entendu le rapport verbal du président de
Neuilly, décide que la même députation retournera le
lendemain trouver le roi, avec mission de lui demander
la permission pour le tiers de procéder à l'élection de ses
officiers, car, sur douze gouvernements, dix étaient déjà
représentés.
Henri III se décida, dès le lendemain, à faire droit aux
réclamations des députés, et Nicolas d'Angennes, sieur de
Rambouillet, vint, en compagnie du sieur de Yersigny,
déclarer aux trois ordres que le roi leur permettait de
nommer leurs officiers le lundi suivant, et que, huit jours
après, il ouvrirait solennellement les États. Sa Majesté
terminait sa communication en invitant les députés à invo-
quer la grâce du Saint-Esprit, et <( à se préparer par jeunes
et abstinences pour dignement se présenter à la sainte
communion ». On peut croire qu'il était temps pour le roi
de mettre fin à sa résistance, car les députés commençaient
à perdre patience, et, dans la séance du 27 septembre, lo
tiers état, sans daigner répondre à la communication royale
qu'il jugeait sans doute trop tardive, vota une motion qui
avait tous les caractères d'un nouvel acte d'hostilité contre
la couronne. C'était une protestation contre « Tédît créant
438 PARIS ET LA LIGUE
de nouveaux bailliages de six lieues ». Le tiers demandait
au roi sa révocation, ainsi que celle de « tous autres édits
et commissions concernant la création de nouveau^ ofii-
cierSy nouvelles impositions d'aides, emprunts, subsides et
subventions, aliénations ou reventes du domaine » ; et, pré-
voyant le cas où les députés seraient éconduits, la délibé-
ration ajoutait que « Sa Majesté seroit suppliée licencier
et congédier les députés ». Il était difficile, on le recon-
naîtra, de prendre une attitude plus comminatoire ; et, en
cette circonstance, les deux autres ordres faisaient abso-
lument cause commune avec le tiers. Une députation col-
lective, composée de dix députés du tiers, dont le président
de Neuilly, dix du clergé et six de la noblesse, se présenta
au palais le vendredi 30 septembre. Henri III se formalisa
et refusa de recevoir une députation aussi nombreuse : il
demanda qu'elle fût réduite à neuf personnes, quatre pour
l'Église, deux pour la noblesse et trois pour le tiers. Il
fallut se soumettre k cette exigence du prince. L'audience
ouverte, Henri déclara qu'il ne pouvait reconnaître aux
États le droit de prendre aucune résolution et n'admettait
que des requêtes. En ce qui concernait spécialement l'éflil
relatif aux nouveaux bailliages, il fit entendre qu'on lui
cherchait à ce propos une méchante querelle, car l'édit
dont il s'agissait n'avait pas reçu d'application : « le camp
étant à Beaugency, il en avoit été parlé, pour la nécessité
qui étoit trouver argent, mais, depuis, le tout avoit été
délaissé ». En congédiant les députés, Henri ne parvint
pas à dissimuler sa colère et s'éleva vigoureusement contre
« les gens, si peu aCTectionnés au repos de son État, qui
ne cessoient d'y semer de faux bruits ' ».
A la suite de cette audience royale du 30, il y eut un
moment de répit : la noblesse cessa même de tenir séance ;
!. Procés^erbal de Venrollement, etc.
PARIS A BLOIS 439
on ne s'assembla que pour la forme. Quant au tiers état, il
consacra la séance du 1^' octobre à s'occuper de la question
de la vérification des pouvoirs et des contestations diverses
auxquelles cette vérification donnait lieu. Le tiers état
revendiquait le droit pour les États de statuer souveraine-
ment sur ces contestations. Consulté à son tour, le clergé,
par l'organe de l'archevêque de Bourges, déclara aui dé-
légués du tiers, MM. La Chapelle-Marteau et de la Fosse,
qu'au sein de l'ordre ecclésiastique deux opinions s'étaient
manifestées : les uns estimaient que « les États dévoient
prendre connaissance des différends et oppositions dont il
est question, sans s'arrêter aux arrêts et jugements qui
pourroient être donnés par le roi en son conseil, et passer
îceux par connivence, à l'exemple du bon pilote, lequel
étant en pleine mer ne laisse, pour les chants des syrcnnes,
eccueils et dangers qui se rencontrent, de continuer sa
course et navigation ». D'autres, au contraire, pensaient
a qu'il valloit mieux attendre jusques à lundi que l'on
procédera à l'élection d'un président et officiers, parce que,
iceux étant élus, les États avoient pouvoir d'en connoître,
et cesseroit l'objet que Sa Majesté a proposé qu'ils n'avoient
encore aucuns officiers ». Le tiers état finit par se ranger
îï cette dernière opinion.
C'est le 3 octobre que le tiers état constitua son bureau,
après avoir assisté à une messe du Saint-Esprit dans
Téglise des frères prêcheurs *. On procéda à l'élection du
i. Bernard donne sur le cérémonial de cette messe des détails assez
curieux : « Le lundi, troisième jour dudit mois, les députés du tiers état
se trouvèrent en l'église des Jacobins pour ouïr la messe. Au commence-
ment, fut chanté le Vent Creator; ladite messe fut célébrée du Saint-Esprit,
et après icelle fut chantée la prière Domine, non secundum. Le premier banc
fut pour ceux de la Ville de Paris seulement, le second pour les députés
de notre province de Bourgogne, et en ce même rang fûmes à VOffertoire.
La messe dite, chacun marcha en son rang, ceux de Paris les premiers,
nous après, ayant le concierge de la maison et ville de Blois, qui marchoit
le premier avec sa verge, portant une robe violette et une manche pen-
dante à la gauche, battue en or, en laquelle sont représentées les armes
de la ville. »
PARIS ET LA LIGUE
président « par bailliages et à haute voix^ à la pluralité
desquelles iuessire Michel Marteau, conseiller et maître de
la Chambre des comptes de Paris, prévôt des marchands do
ladite Ville, a été élu président de la compagnie, par pro-
testation que ladite élection ne puisse empêcher, en con-
vocation d'Ëtats qui se feront par cy-après, que les députés
du tiers état ne puissent élire pour président tel d'entre
eux qu'il leur plaira ». Ainsi rassemblée consignait son
désir d'observer la tradition qui attribuait au prévôt de^
marchands Thonneur de la présidence, et réservait le droili
des députés du tiers de porter leurs suffrages sur le repré-
sentant d'une autre circonscription. Après avoir prêté ser-
ment « sur rimage de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de bien
et duement et fidellement s'acquitter de sa charge de pré-
sident, de tenir secret tout ce qui seroit proposé, couclud
et arrêté sans révéler aucune chose », La Chapelle-Marteau
prit la parole et prononça le discours suivant :
« Messieurs, je reçois à très grand honneur la charge à
laquelle il vous plaît m'appeller et ressens de tout mou
pouvoir l'obligation que j'en ai à une si notable compagnie^
élue et choisie en tous les endroits de la France; mais je
crains, messieurs, que vous ne soyez bientôt déçus eii
l'opinion qu'avez conçue de moi, plus par aventure pour-
mon zèle auquel je ne céderai à l'homme vivant, et pour
le respect de cette grande Ville de laquelle je suis envoyé
que pour aucune capacité qui soit en moi. Il me restera»
de suppléer à mes défauts par une entière correspondance
que j'apporterai à vos bonnes et saintes intentions, sans-
aucun intérêt ni passion particulière, n'ayant tout autre
but que l'honneur de Dieu, la manutention de Sa Ma-
jesté, le service du roi, le bien de son état et le soula-
gement de son pauvre peuple, duquel nous sommes dé-
putés pour procureurs et conservateurs de ses droits et
libertés, procureurs de sa décharge et restaurateurs dt*^
PARIS A BLOIS 441
ses droits et fibertés, ou tant que nous y pouvons servir
par très humbles remontrances de son repos. En cela^
messieurs, j'avouerai n'être moins riche et abondant
on affection que manquer d'ailleurs en suffisance, vous
suppliant de recevoir Tune de bonne part et couvrir Tautre
de vos faveurs, avec protestations que je vous fais que je
n'oublierai en rien du respect que je vous dois à tous ; or,
messieurs, je ne vous dirai point à quelle fin nous sommes
colloques, et n'entre en discours du besoin que nous avions
de cette tenue d'états; je me déporterai pareillement do
vous représenter les nécessités de ceux qui nous ont
choisis, les remèdes et moyens qui se peuvent appliquer.
Vous n'en avez moins de connaissance que moi. Il n'y a
celui de vous lequel soit bien instruit et informé de tout
ce qui appartient à sa charge; seulement, j'ai à vous faire
une très instante prière au nom de Dieu, lequel, s'il lui
plaît, au milieu de nous, que tous soyons unis et concluant
en même volonté de bien faire, et qu'avant qu'entrer en
aucune délibération que tout ce qui se proposera et fera
soit tenu secret, et que tous fassions un religieux et étroit
serment do ne le révéler à aucune personne, de quelque
qualité et condition qu'elle soit; et, pour fin de mon propos,,
je prie Dieu de tout mon cœur qu'il nous veuille tous ins-
pirer et faire tant de grâces que nos conseils ne soient in-
fructueux, ainsi que nous en rapportions à nos provinces
l'utilité que chacun s'en promet, et que le besoin le re-
quiert *. »
Au moment où Ton allait voter pour compléter le bureau^
les sieurs de Cbantonnel, de Celles et le baron de Betho-
mas se présentèrent de la part de l'ordre de la noblesse et
demandèrent aux membres du tiers « de vouloir bien leur
dire la forme qu'ils tenaient pour élire leur président et
1. Procès 'Vet*bal de Venroitefnent, etc. Le Journal de Bernard,
443 PARIS ET LA LIGUE
autres officiers... » L'assemblée répondit à cette demande,
qui ressemblait fort à un hommage, en députant deux des
siens, Bernard, de Bourgogne, et Damonville, de Nor-
mandie, pour porter à la noblesse les renseignements dont
elle avait besoin. On procéda ensuite à la nomination,
toujours à haute voix et par bailliages, du secrétaire, du
greffier et des deux évangélistes du tiers. Jehan Courtin,
seigneur de Nanteuil, député de Blois, fut élu secrétaire;
Jehan Guillau, avocat au bailliage de Rennes, Le Duc et
Auroux furent désignés pour remplir les autres fonctions
d'officiers du tiers *. Tous les députés prêtèrent ensuite le
serment de ne révéler à personne le secret des délibéra-
tions, à genoux devant un crucifix de bois.
Dans la même séance du 3 octobre, se produisit une
querelle de préséance assez singulière entre le sieur de
Marchepareau, qui venait d'arriver la veille avec le titre
de délégué de la Ville de Paris *, et l'un des députés de
1. Apre» avoir également rapporté la nomination du sieur Nanteuil en
qualité de secrétaire du tiers état, le Journal de Bernard «goûte que Ton
nomma contrôleurs et évangélistes M. Faron, député de Paris, et Guilleaume^
avocat, député de Bourgogne. On voit qu'il y a ici un certain désaccord
entre le Procès-verbal et le Journal de Bernard, C'est dans ce dernier docu-
ment qu'on trouve l'indication du nombre de suffrages obtenu par chacun
des élus. La Chapelle-Marteau, pour la présidence, eut 65 voix; le prési-
dent de Neuilly, 16; le sieur Davinet, 2, et le sieur de Marchepareau, 1. Ber-
nard donne ce détail personnel que « comme Ton procédoit à la nomina-
tion des évangélistes, il eut quelques voix, ce qui lui donna occasion de se
lever pour rompre ce coup et s'excuser ».
2. Nous donnons ici l'orthographe du Journal de Bernard. Les Registres
de la Ville, en plusieurs endroits (voy. notamment H, 1789, fol. 194 et 214),
apppellent le même personnage « M. de Masparault «. Il parait avoir été
surtout chargé par la Ville de s'occuper des questions de finances inté-
ressant Paris. Le 18 septembre 1588, il avait été désigné avec les sieurs
Dampierre et deChampin,pour s'entendre avec trois commissaires, nommés
par le fermier général du sel, sur les moyens u de convertir les deniers
des gabelles en payement des rentes constituées par ladite Ville ». Ces
pourparlers traînèrent en longueur, à cause de la prétention de la Ville de
nommer elle-même le receveur de la gabelle, prétention que le roi n'admit
pas. G*est ce que fit savoir La Chapelle-Marteau dans une lettre du 10 octo-
bre 1588, adressée de Blois à la municipalité de Paris. Il y eut alors une
assemblée de Ville le 13 octobre, dont le résultat fût que le receveur et le
contrôleur de la gabelle seraient nommés d'un commun accord par les trois
délégués de la Ville de Paris dont nous avons donné les noms, et trois
PARIS A BLOIS 443
Paris, réchevin Jehan de Compans. On se rappelle qu'il
avait déjà spontanément cédé son rang de séance au prési-
dent de Neuilly. Marchepareau, qui se croyait sans doute
un aussi gros personnage que le président de Neuilly,
allégua, pour justifier sa prétention, « qu'il étoit conseiller
de la Ville, que ledit état étoit perpétuel, qu'il avoit été
conseiller au Parlement, depuis maître des requêtes et
conseiller d'État; que ledit échevin n'étoit en sa charge
qu'à tems; qu'il étoit simple marchand drapier et qu'il
avoit quitté sa place au sieur président de NuUy, l'un des
élus; par ainsi que, par même raison, il devoit siéger
devant ledit échevin ». Jean de Compans, quoique simple
marchand drapier, ne baissa pas pavillon devant l'orgueil-
leux conseiller d'État. Il insista sur son titre de député et
dit à Marchepareau « qu'il ne falloit pas mettre en avant
ses grades et honneurs passés, et que la gratification qu'il
avoit faite audit sieur de Neuilly n'étoit obligatoire pour
en. faire autant pour le sieur Marchepareau ». L'assem-
blée du tiers, fort embarrassée, ajourna la solution du
litige.
Le tiers employa les séances suivantes (4, 5, 6 octobre)
à des vérifications de pouvoirs très fastidieuses et à la dis-
cussion de contestations diverses entre les députés. Il faut
cependant en citer quelques-unes, parce qu'elles ont donné
lieu aux intéressés de rappeler les privilèges de la Ville de
Paris. Robert Hannivel, député de la ville de Rouen, con-
testait les pouvoirs du sieur Vauquelin, lieutenant au
bailliage de Caen, et refusait à la ville de Caen le droit
d'avoir deux voix aux États. Les députés de Caen reven-
diquaient au contraire le droit dont il s'agit « tout ainsi
délégués du fermier général. L*a8semblée recommanda la candidature de
Nicolas Parent au choix des six membres de la commission mixte. H, 1789,
fol. 197. Au mois de décembre 1588, on retrouve Masparault à Paris, et le
Bureau le convoque au Conseil de Ville. Ibid., fol. 214.
444 PARIS ET LA LIGUE
cl en la mémo forme que ceux de la ville de Rouen et bail-
liage ». L'assemblée du tiers, se plaçant apparemment au
point de vue de la stricte équité, ne vit pas bien, en effet,
pourquoi Rouen prétendait être traité plus favorablement
que la ville de Caen, et elle allait ouvrir la discussion sur
ce point; mais Robert Hannivel s'y opposa vigoureuse-
ment et justifia sa thèse en critiquant les privilèges de la
Ville de Paris. Il supplia la compagnie « de n'entrer en
jugement du privilège et possession en laquelle ladite
ville de Rouen est d'avoir, pour le corps de ladite ville,
une voix séparée et distincte d'avec le bailliage dudit
Rouen, ainsi que Messieurs de Paris d'avec la prévôté et
vicomte de Paris, parce que lesdits de Paris et Cham-
paigne l'ont voulu empêcher; aussi qu'il entend donner
empêchement que lesdits sieurs de Paris n'ayent en leur
compagnie plus grand nombre de députés que de cou-
tume ». Comme il arrive souvent dans les assemblées, ou
évita de donner au débat de trop grandes proportions, et
les choses restèrent en l'état.
Ce droit de vérifier les pouvoirs paraît avoir été exercé
simultanément par le tiers et par le roi. Ainsi, d'une part,
le roi se réserva l'examen des contestations fort vives qui
s'élevèrent entre les députés des treize bonnes villes d'Au-
vergne et ceux du plat pays de cette province. D'autre
part, l'assemblée exclut certains députés, par exemple
Lazarre Colesse, député du bailliage de la Ferté-Alais; et
si nous parlons de ce personnage, c'est que l'opposition à
son admission fut formée par Michel Marteau, le député de
Paris. Il fut décidé que Lazarre Colesse « n'auroit séance
en ladite compagnie, ains se retireroit à mettre ès-mains
dudit sieur Marteau, député de la prévôté et vicomte de
Paris, le cahier et mémoire de la Ferté-Aleps ». Le motif
donné à l'appui de cette décision était que le bailliage de
la Ferté-Alais avait fait retour à la prévôté et vicomte de
PARIS A BLOIS 44S
Paris, par suite de la réunion du duché d'Orléans à la
couronne.
Un peu plus tard, dans la séance du 19 décembre, « fut
remuée une contention entre les députés de Bourgogne
et ceux de TIle-de-France ». Les premiers soutenaient
« qu'ils avoicnt eu en tous les États le premier rang,
séance et avis après ceux de la Ville de Paris; que ce que
ceux de TIsle-de-France étoient sous le même gouvernement
n'étoit pas pour participer aux droits et privilèges de la
Ville de Paris, mais seulement avoient-ils été mis et
rangés sous ledit gouvernement pour éviter la multitude
des suffrages ; par ainsi ils étoient bien du même gouver-
nement ad hoc seulement; qu'insensiblement ils donne-
roient voix et avis, mais que ratione dignitatis ils
étoient tous distingués, et qu'ainsi ne fut ils étoient ap
pelles par les héraults, non seulement après la province de
Bourgogne, mais après plusieurs autres gouvememens,
marchoient des derniers, opinoient des derniers, sauf et
excepté quand il s'agissoit du cahier général où, pour la
facilité et breveté, l'on les faisoit opiner avec ceux de la
Ville de Paris, de laquelle Ville, en acte particulier, ils
prenoient toute leur clarté et lumière... » Ici encore, ce
n'est pas le tiers état, mais le roi en Conseil privé qui
jugea le différend; et il convient d'ajouter que la compé-
tence du Conseil privé fut invoquée non par la couronne,
mais par les députés de l'Ile-de-France, qui avaient for-
mellement refusé de prendre l'assemblée du tiers pour
arbitre. On peut supposer que la décision du Conseil ne
fut pas favorable aux députés de l'Ile-de-France, car, après
l'arrestation des députés de Paris, on verra Bernard,
député de Bourgogne, présider la séance du 31 décembre,
probablement par ce motif que la Bourgogne prenait rang
après la Ville de Paris.
Il faut passer rapidement sur ces questions de détail,
446 PARIS ET LA LIGUE
malgré toute Timportance qu'elles avaient pour Tépoque,
et aborder le récit de faits d'un caractère plus général.
C'est dans la séance du 7 octobre que M. de Marie vint
annoncer au tiers, de la part du roi, que l'ouverture solen-
nelle des États aurait lieu le dimanche 16 octobre. Il sem-
ble bien que l'approche d'un événement aussi considérable
et aussi désiré stimula encore l'audace des députés
ligueurs et les décida à mettre le comble à leurs exigences.
Nous avons déjà signalé leurs protestations violentes
contre les édits créant de nouveaux impôts et de nouvelles
charges vénales ^ Le projet de renouvellement du bail de
la gabelle, dont l'adjudication devait avoir lieu dans les
premiers jours d'octobre, avait déjà donné lieu entre la
représentation nationale, la Ville de Paris d'une part, et la
couronne d'autre part, à un conflit des plus graves. On
sait que l'impôt sur le sel formait une des branches les
plus importantes de l'administration financière de l'État :
le service chargé de son recouvrement s'appelait la gabelle
et avait à sa tête un fermier général auquel ressortissaient
plusieurs généralités. Le fermier général passait un mai-
ché avec les propriétaires des salines, afin de se procurer
les quantités de sel nécessaires à la consonmiation du
royaume; puis il prélevait sur la vente du sel un droit fixé
par le bail ou contrat. Or la perception de cet impôt avait
donné lieu à de scandaleux abus. Dans un curieux mé-
moire, le président Mallet et le sieur Bobier, secrétaire de
feu Monsieur, établirent que sur le bail de 1582-1S8S le
fermier, qui n'avait droit qu'à une recette de 800,000 écus,
destinés au trésor royal, avait, en réalité, perçu
1,315,333 écus. Or, les frais de perception n'étant que
15,333 écus par an, le roi perdait par an 500,000 écus.
Sur le contrat valable de 1585 à 1588 fin septembre, la
i. Voy. plus haut, p. 437.
PARIS A BLOIS 447
perte da Trésor et le bénéfice illégal du fermier s'élevaionl
k 2,S08,000 écus, soit 836,000 écus par an ^ Il paraissait
impossible que le roi, ainsi éclairé sur les concussions
des fermiers du sel, renouvelât leur bail dans les mêmes
conditions.
Chose curieuse et qui n'est indiquée, croyons-nous, par
aucun historien, la Ville de Paris s'était mise sur les
rangs pour prendre à son compte ce qu'on appelait « le
parti du sel ». La demande avait été présentée au roi par
La Chapelle-Marteau et Compans. Dans l'assemblée de
Ville du 13 octobre 1588, le sieur Roland, premier échevin,
qui était resté à Paris, donna lecture de lettres datées de
Blois, 8 octobre, par lesquelles le prévôt des marchands
et son collègue Compans faisaient savoir à la municipalité
parisienne qu'ils avaient prié Henri III « d'accorder h la
Ville de Paris le party entier dudict sel, tenu à présent
par M. Noël de Hire, pour être employé tant en l'acquit des
arrérages de toutes les rentes constituées sur l'Hostel de
ladite Ville que au rachapt d'icelles ». Dans ces lettres,
les députés de Paris ajoutaient qu'ils n'avaient pas voulu
« passer oultre à la poursuite dudict affaire sans en avoir
prins l'advis des au! très eschevins et conseil de ladicte
Ville ». C'est Nicolas Auroux, conseiller et aumônier de la
reine mère, aussi député de Paris aux États généraux,
que le prévôt des marchands chargea d'aller prendre l'avis
des officiers municipaux restés dans la capitale. Après
l'avoir entendu, l'assemblée de Ville décida que « ledict
faict seroit remis à la prudence et fidellité desdicts sieurs
députez pour en faire toutes les poursuites requises ' ».
i, La descouverture des deniers salez, dédiée au Roy et à messieurs des
États à Blois, advis très utile et nécessaire pour le recouvrement de notables
sommes de finances sur lespartizans du sel. Au grand soulagement du peuple
à Pwis. De Vimprimerie de Denys Duval, au Cheval- Volant, rue Saint-Jean
de Beauvais (1588), avec privilège. — Archiv. cun., i'* série, t. XII, p. 48.
2. Reo. db la ViLLB, H, 1789, fol. 198.
448 PARIS ET LA LIGUE
Mais la Ville dul ajourner la réalisation de ses désirs, car
les États firent opposition à Tadjudication de la gabelle^
afin d'ouvrir sur les concussions des partisans un débat
approfondi . Henri III se montra profondément irrité
de cette ingérence des députés dans Tadministration de
ses finances, et il avait peut-être des raisons de craindre
que la curiosité des réformateurs ne s'attaquât à de plus
hauts personnages que le fermier de la gabelle.
Sans se soucier de cette mauvaise humeur du prince,
les États l'excitèrent, une fois de plus, en proposant le
renouvellement de l'édit d'Union et le serment solennel
des députés. C'est le tiers qui prit l'initiative de cette
mise en demeure dans la séance du 14 octobre ^ On
décida de faire des démarches immédiates auprès des deux
autres ordres pour inviter le roi à jurer de nouveau
l'édit. Henri III, informé de cette décision du tiers état,
la prit en fort mauvaise part, estimant que « c'étoit révo-
(juer en doute la fermeté de son serment ». Il eût bien pré-
féré qu'on s'occupât « de faire fonds de quatre à cinq cent
mille écus pour l'entretènement des armées ». Dans cette
circonstance, le clergé et la noblesse firent cause commune
avec le tiers état, et c'est au nom des trois ordres que l'èvê-
que d'Embrun adressa un discours au roi pour le décider
à renouveler son serment à l'ouverture des États. Irrité
d'une pareille insistance, Henri opposa d'abord un refus
formel et fit observer que son premier serment était bon et
franc. Il répéta que le forcer à renouveler ce serment,
t)*était « douter de sa foi et intégrité ». Mais les États ne
cédèrent pas et allèrent même jusqu'à faire prévoir oûe
demande de licenciement pour le cas où l'on ne tiendrait
pas compte de leurs vœux. Dès le lendemain 15 octobre,
1. M. Picot, dans son Hist, des États généraux, t. UI, p. 95, altribue à
l'ordre du clergé l'idée première de faire jurer de nouveau Védit d'Union w.
roi. Mais le procès-Terbal de la 28* séance du tiers état parait bien formel.
PARIS A BLOIS 449
le roi déclara aux délégués des trois ordres que, tout en
trouvant la requête qu'on lui adressait un peu étrange, il
consentait à ce que Tédit « fût de nouveau juré en son
trône de justice, en pleine assemblée et avec les plus
grandes solennités que faire se pourrait ».
L'ouverture solennelle des États eut lieu le 16 octobre
1588 dans la grand' salle du château de Blois. Ce devait
être un magnifique spectacle que celui de cet immense
vaisseau, garni de riches tapisseries et de velours violet
semé de fleurs de lis d'or S avec le miroitement de tous
les costumes splendidcs des princes, des cardinaux, des
seigneurs, des conseillers d'État, et l'encadrement impo-
sant des dames de la cour qui garnissaient les galeries
fermées de jalousies, au-dessus des hautes tribunes où
s'étageait une foule éblouie. Entre le troisième. et le qua-
trième pilier, on avait dressé « un grand haut dais en
forme d'échafiaut » pour le roi, les deux reines et les
princes du sang, sorte de temple de la royauté française,
qui se donnait à elle-même, par le déploiement de cet
appareil orgueilleux, l'illusion d'un pouvoir presque divin,
alors que la terre ne la respectait déjà plus. Entouré des
capitaines des gardes et des deux cents gentilshonunes
avec leurs haches ou becs de corbin, le roi portait un
costume simple, « ses habits ordinaires », dit le journal
de Bernard, avec le grand ordre du Saint-Esprit au cou;
devant lui, deux massiers chacun une masse d'or à la
main. Les bancs des secrétaires du roy, du conseil d'État
de robe longue et de robe courte séparaient l'estrade
royale des bancs du clergé et de la noblesse; ceux du
clergé, au nombre de huit, se trouvaient à droite, ceux
de la noblesse, au nombre de neuf, à gauche '. Quant aux
•
1. Voy. le Cérémonial français de Théodore Goderiot. Paris, 2 vol. in-fol.,
1649, t. 11, p. 322.
2. Le clergé comptait 134 députés, dont I archevêques, 21 éTéque» et
ROBIQUBT* 29
PARIS ET LA LIGUE
députés du tiers, la place qui leur était assignée montrait
assez en quelle mince considération les tenait la Cour :
« Tout cela estoit environné et clos de grandes et fortes
barrières, hautes de trois pieds, ayant une seule ouverture
vis-à-vis du roy, entre • les susdits trois et quatrième
piliers, par laquelle entroient les députez. Et par dedans
l'enclos de ces barrières et tout à Ceiitour, estoient les
bancs des députez du peuple ^ » Un huissier les appela
suivant un ordre déterminé et en commençant par les
députés de la ville et prévôté de Paris ; puis les hérauts
de Normandie, d'Alençon et de Valois, revêtus de leurs
cottes d'armes de velours violet, allèrent les recevoir à
l'entrée extérieure des barrières et les conduisirent un à
un dans la salle où les hérauts de Bretagne les remet-
taient entre les mains des sieurs de Rhodes et de Marie,
maîtres des cérémonies, qui leur assignaient une place,
suivant la province dont ils étaient députés.
Quand tous eurent pris place, « le duc de Guise assis en
sa chaire *, habillé d'un habit de satin blanc, la cappe
retroussée à la bizarre, perçait de ses yeux toute l'épaisseur
de l'assemblée pour reconnoistre et distinguer ses servi-
teurs, et d'un seul eslancement de sa veûe les fortifier en
l'espérance de l'avancement de ses desseins, de sa fortune
et de sa grandeur, et leur dire sans parler : Je vous voy y>.
Il se leva, fit une grande révérence et, suivi des capitaines
des gardes et des deux cents gentilshommes, alla chercher
le roi. Henri fit son entrée, avec cette majesté qu'il savait
prendre dans les grandes occasions, et tandis qu'il descen-
2 chefs d*ordre; la noblesse, 180 gentilshommes; et le tiers état, 191 députés,
tous gens de justice ou de robe courte.
1. Cérémonial, d'après Matbibu, Hitt, de Henry le Grande livre VUI.
Voy. aussi d^Aubiohé, Hisi, univ,, livre II, chap. ▼, p. 173.
2. La chaire du duc de Guise était « une chaire A bras non endossée,
couverte de velours violet semé de fleurs de lys d'or ». Elle se trouvait
devant le grand marchepied sur le grand dais royal. C'était la place du
grand maître de France, Il tournait le dos au roi, u la face vers le peuple ».
PARIS A BLOIS 451
dait le grand escalier qui aboutissait à Testrade royale,
tous les députés se levèrent, tête nue, et les princes demeu-
rèrent debout jusqu*à ce qu'on leur commandât de s'asseoir. . .
Puis le roi prit la parole et prononça un discours fort long
et fort étudié dont Taudace étonne encore aujourd'hui *.
Il débute par accorder quelques mots d*éloge à la reine
« sa bonne mère... qui ne doit pas seulement avoir le nom
de mère du roi, mais aussi de mère de l'État et du royaume »,
puis il explique le but qu'il s'est proposé en convoquant
les Ëtats généraux ; c'est de « restaurer cette belle monar-
chie... de raffermir la légitime autorité du souverain, plutôt
que de l'ébranler ou de la diminuer, ainsi qu'aucuns mala-
visés ou pleins de mauvaise volonté, déguisant la vérité,
voudroient faire accroire... Je suis votre roi donné de Dieu
et je suis le seul qui le puisse véritablement et légitime-
ment dire; c'est pourquoi je ne veux être, en cette monar-
chie, que ce que j'y suis, n'y pouvant souhaiter aussi plus
d'honneur et d'autorité. » Après l'apothéose de la royauté
absolue vient le panégyrique personnel. Henri rappelle
« les batailles qu'il a gagnées, cette grande armée de reis-
très dont il a abattu la gloire », puis l'édit d'Union, son
dévouement à la cause de la religion catholique; il fulmine
contre l'hérésie, qui n'a pas de plus grand ennemi que lui :
t( La juste crainte que vous auriez de tomber après ma
mort sous la domination d'un roi hérétique, s'il advenoit
(jue Dieu nous défortunàt tant que de ne pas me donner
lignée, n'est pas plus en racine dans vos cœurs que dans
le mien. » Après cette profession de foi, destinée à flatter
la Ligue, il esquisse tout un programme de réformes et fait
1. D'AuBiONÉ. loc. cit., p. 175, qui donne une analyse intéressante des deux .
premières séances des Êlats, attribue le discours du roi & la plume de
du Perron, le futur cardinal : « Qui voudra voir tout le discours au long,
il le trouvera aux œuvres diverses du cardinal du Perron, qui n*a pas
voulu avoir fait ce présent & son maistre, sans se garder Tusufruict de la
réputation, n
452 PARIS ET LA LIGUE
briller aux yeux des députés « la répression des blasphèmes
et juremens qui sont si desplaisans à Dieu... la recherche
et la punition de la simonie, la suppression de la vénalité
et la diminution du nombre des offices. Il promet de no
plus donner de survivances, de rendre la justice moins
coûteuse, d'encourager les lettres, les arts, le commerce,
« de retrancher du luxe et des superfluités et taxation des
choses qui sont montées à un prix excessif ». Mais tout
cela n'est que pour la forme. Les deux idées capitales do
ce curieux discours se résument dans une demande d'ar-
gent et une menace contre la Ligue. « Il me fâche infini-
ment que je ne puisse maintenir ma dignité royale et les
charges nécessaires du royaume sans argent... C'est un mal
nécessaire; la guerre aussi ne se peut dignement faire sans
finances ; et puisque nous sommes en quelque beau chemin
pour extirper cette maudite hérésie , il sera besoin do
grandes sommes de deniers pour y parvenir. » Quant
aux menaces contre la Ligue, elles sont formulées avec
une énergie singulière : « Aucuns grands de mon royaume
ont fait telles ligues et associations, mais, témoignant ma
bonté accoutumée, je veux bien mettre pour ce regard
tout le passé sous le pied ; mais, comme je suis obligé et
vous tous de conserver la dignité royale je déclare dès &
présent pour l'avenir, après que la conclusion sera faite des
loix que j'aurai arrêtées en mes États, atteints et convaincus
de même crime de lèze-majesté, ceux de mes sujets qui
ne s'en départiront et y tremperont sans mon aveu. » Pas-
quier * ajoute même que le roi se plaignit d'avoir été
empêché d'exterminer complètement l'hérésie « par l'am-
bition démesurée de quelques-uns de ses sujets ». Enfin,
dans une péroraison éloquente , Henri III conjura ses
sujets « de s'unir et de se rallier autour de lui pour com-
1. Tome II, col. 360.
PARIS A BLOIS 453
battre le désordre ot la corruption de l'Ëtat... Si vous en
usez autrement, s'écria-t-il dans un beau mouvement ora-
toire, vous imprimerez une tacbe d'infamie perpétuelle à
votre mémoire ; vous ôterez à votre postérité ce beau litre
de fidélité héréditaire envers votre roi qui vous a été si
soigneusement acquis et laissé par vos devanciers. Et moi
je prendrai à témoin le ciel et la terre, j'attesterai la foi
de Dieu et des hommes qu'il n'aura point tenu à mon soin
ni à ma diligence que les désordres de ce royaume n'aient
été réformés; mais que vous avez abandonné votre prince
légitime en une si digne et si louable action. Et finalement
vous ajournerai à comparaître devant le juge des juges et
le roi des rois où les intentions et les passions se verront à
découvert, là où les masques des artifices et des dissimu-
lations seront levés pour recevoir la punition que vous
encourrez de votre désobéissance envers votre roi et de
votre peu de générosité et loyauté envers son État *... »
Si grande que fût l'audace du duc de Guise, qui était
placé immédiatement devant le roi, il ne put entendre ces
fiëres paroles sans « changer de couleur et perdre conte-
nance et le cardinal son frère encores plus * ». Cependant
la séance continua. Le nouveau garde de sceaux', François
i. Recueil des pièces originales et authentiques concernant les États gêné-
fxiujr. Édit. de 1786, t. VII. Y. aussi PALMA-CAYer, Inti^. à la chron. nov.^
d'Aubigiié et DE THOCt t. X, p. 373.
2. L'EsTOiLB, t. IH, p. 189.
3. Au commencement de septembre, le roi avait brusquement renvoyé
ses ministres : le chancelier de Cheverny, le surintendant des finances
Bellièvre, le puissant Viileroy et les secrétaires d'État Pinart et Brùlart.
Palma-Catbt {!ntrod. à la chr, nov.) et d'Aubigné (col. 166) attribuent celte
détermination du roi aux ordres de la Ligue. Cheverny, Tun des intéressés,
avoue dans ses Mémoires (Coll. Michaud, t. X, p. 489) qu'il a cherché en
vain les motifs de sa disgrâce; mais il rapporte les explications diverses
qui avaient cours et notamment celle-ci : que le roi n'avait plus aucune
confiance dans la reine mère, ni par suite dans les membres de son con-
seil « que ladite dame avoit tous advancez ». C'est aussi le motif que
donne db Thou (t. X, p. 369), et ce doit être le vrai. Montholon était le fils
d'un ancien garde des sceaux de François 1*'. D'une grande probité, il
n'avait aucune habitude de la politique : c'était un protégé du duc de
Nevers.
454 PARIS ET LA LIGUE
de Montkolon, avocat général au parlement de Paris, prit
ensuite la parole pour expliquer les intentions du roi et
tracer la peinture des maux du royaume qui se recomman-
daient à la sollicitude des Ëtats. Puis les orateurs des trois
ordres adressèrent au roi les compliments d'usage. Nous
ne dirons rien des discours de Renaud de Beaune, arche-
vêque de Bourges, orateur du clergé, sinon que c'est un
clief-d'œuvre de pédantismc et de pathos *. L'allocution du
baron de BaufTremont-Senecey, président de la noblesse,
fut au contraire simple et brève, mais absolument banale '.
La Chapelle-Marteau, prévôt des marchands de Paris, parla
lo dernier, au nom du tiers état, et s'exprima en ces ter-
mes • : « Sire, ayant plu à Votre Majesté ouvrir son cœur
et SOS saintes intentions à son peuple et l'assurer de sa
charité vraiment paternelle, vos très humbles, très obéis-
sans et très fidèles sujets du tiers état, louent première-
ment Dieu qui a jeté ses yeux de miséricorde sur nous, on
l'oxlrémilé de nos afflictions, et après rendent infinies grâces
à Votre Majesté, laquelle, reconnaissant sa puissance or-
donnée d'en haut, pour régir cette très chrétienne monar-
chie par toute douceur, a daigné s'incliner à nos très
humbles requêtes, ouïr nos griefs et doléances, et montrer
1. On y trouve tous les personnages de Thistoire sainte et de rtiisloire
ancienne : David, Daniel, Nabuchodonosor, Cynis, Darius, Artaxerxès,
Salomon, etc. En Toici seulement une phrase : « Vive Rex in sempitemum ;
vivez roy, vivez éternellement. Vivez ça bas les ans de Nestor, voire ceux
de Arganthonius, roy des Gades, qui vescut neuf vingts ans, vivez par
représentation et suitte de lignée longue, espèce selon les philosophe?
d'une immortalité... » On peut juger du reste par celle tirade pleine d'à
propos, adressée à un prince qui passait pour impuissant. — Voy. le dis-
cours complet dans le Recueil de pièces originales, etc. Il en existe un tirage
à part en 15 feuillets, date de 1588. Bibliothèque de la ville de Paris.
n« 18120.
2. On en trouve, dans le même recueil, un tirage à part en trois feuil-
lets, avec ce titre : Remerciement faict au nom. de la noblesse de France par
le baron de Senecey. \ Lyon, par Benoist Rigaud, 1588, avec permission.
3. Recueil de pièces originales^ etc., p. 88. (D'après le recueil de Qui net,
2e i>artle, p. 135.) La Cliapelle-Marleau prononça son discours à genoux.
(D'AuBiGifï^, liv. H, chap. V, col. 176.)
PARIS k BLOIS 485
un singulier désir de remettre sou peuple en vigueur,
auquel certes il ne reste que la parole, encore bien foible
et débile. Sire, la bonté et clémence qui est née avec cette
majesté que Dieu fait reluire en votre face, nous promet
ce que nous avons requis et souhaité avec tant de larmes
et de continuelles prières; que Votre Majesté, suivant les
vœux qu'il lui a plu d'en faire et l'exemple de ses ancêtres,
lesquels elle égale, voire surpasse en toute piété, rétablira
notre sainte religion en son entier, par Textirpation de
toutes erreurs et hérésies , réglera et remettra tous les
ordres, altérés par l'injure du temps, en leur première
forme, et donnera soulagement à son pauvre peuple, sans
lequel nous pouvons dire avec vérité que nous sommes
menacés d'une entière désolation et ruine de tout TÉtat. En
quoi, Sire, nous protestons de ne manquer nullement de
notre très humble, très iidèle et très dévotieux service et
de n'y épargner nos propres vies jusqu'au dernier soupir :
ne les pouvant mieux employer que pour Thonneur de
celui lequel a répandu son sang pour nous, et duquel
nous n'attendons moins qu'en la damnation éternelle (si
nous connivons en l'avancement de sa gloire par des con-
sidérations de quelque prudence humaine) ou l'immortelle
béatitude, si constamment nous persévérons à embrasser
sa cause en la foi et créance qu'il nous a laissée, sur laquelle.
Sire, est fondée la perdurable fermeté de votre très chré-
tienne couronne, et sans laquelle elle ne peut en façon quel-
conque subsister. »
Les chefs de la Ligue étaient sortis furieux de la séance
royale, et le cardinal de Guise reprocha durement à son
frère « de ne faire jamais les choses qu'à demi * ». Excité
par les propos violents du prélat, le duc envoya au roi, dès
le lendemain, l'audacieux archevêque de Lyon, après avoir
1. L'EsTOiLB, t. ni, p. 181.
456 PARIS ET LA LIGUE
en vain sollicité Tintervention de la reine mëre. D^Espinac
somma Henri III d*adoucir certaines expressions trop
vives de son discours d'ouverture des Etats, car les chefs
de la Ligue ne pouvaient tolérer qu'on le publiât tel qu'il
avait été prononcé. Le roi résista d'abord, alléguant qu'il
n'avait nommé personne, mais que, s'il ne prétendait pas
porter atteinte à la liberté des États, il ne souffrirait pas non
plus qu'on entreprit sur la sienne. L'archevêque de Lyon,
voyant qu'il ne gagnait rien, haussa immédiatement le ton
et en vint aux menaces ; il déclara que si le roi ne donnait
pas satisfaction aux Guises, la plupart des députés quitte-
raient Blois sur-le-champ et que la guerre civile recom-
mencerait ^ Henri III, comprimant sa colère et circonvenu
par la vieille Catherine , consentit à laisser détruire les
exemplaires déjà imprimés de sa harangue. D'ailleurs, les
ligueurs les avaient saisis avec une audace incroyable,
avant même d'avoir obtenu le consentement du roi. La
phrase « aucuns grands de mon royaume ont faict des
ligues, etc., » disparut de la version officielle. L'Estoile
raconte « que pendant cette rétractation, il survinst une si
grande obscurité par un orage et gresle qu'il falust allumer
la chandelle en plain jour, pour lire et escrire : ce qui fisl
dire à quelqu'un que c'estoit le testament du roy et de la
France qu'on escrivoit, et qu'on avoit allumé la chandelle
pour lui voir jetter le dernier souspir ».
Chaque jour apportait, en effet, au roi, une humiliation
nouvelle. Le mardi 18 octobre eut lieu la seconde séance
royale pour renouveler le serment à Tédit d'Union. Après
quelques mots prononcés par le roi, le secrétaire d'Ëtat
Ruzé de Beaulieu donna lecture d*une déclaration royale
coulirmant et déclarant loi fondamentale du royaume l'Édit
r Union. Puis la parole fut donnée à Tarchevèque de
I. De Tlioc» UX, p. 39i. Pâuu-CATCT.
PARIS A BLOIS « 457
Bourges, qui disserta pompeusement sur la gravité du
serment et les peines éternelles qui sont réservées aux
parjures. Cette harangue terminée, Henri jura foi de roi
<[u'il observerait Tédit u tant que Dieu lui donnerait vie
ici-bas » et reçut le serment des députés « mettant par les
ecclésiastiques les mains à la poitrine et tous les autres
levant les mains au ciel ». L'assistance couvrit le prince
d'applaudissements que de Thou qualifie d'ironiques, puis
on se rendit à l'église Saint-Sauveur pour entendre un Te
Deum '. Henri HI avait tellement perdu l'habitude d'en-
tendre crier Vive le roi! qu'il se laissa gagner lui-même
par la joie de la Ligue triomphante, sans songer qu'elle
triomphait contre lui. « En cette joye populaire, écrit Palma-
i^ayet, il saresjouit et dit à plusieurs, et mesmes au prévost
des marchands de Paris, qu'il sçavoit estre un des pre-
miers de la faction des Seize, qu'il oublioit la journée des
Barricades et tout le ressentiment quïl en pourroit avoir;
que jamais il ne s'en souviendroit ny de tout ce qui s'estoit
passé, pourveu qu'on n'y retournast plus V »
Pour célébrer tant de bonheur, un seul Te Deum ne suf-
fisait pas. Henri HI crut nécessaire d'envoyer un messager
à la Ville de Paris pour lui donner Tordre de faire chanter
un second Te Deum à Notre-Dame, d'allumer des feux de
joie et de tirer le canon en signe d'allégresse '. L'ambas- •
1. Voy. sur cette seconde séanee la brochure intitulée : « Actes de la
seconde séance des Estais généraux de France «. Lyon, par Jean Pillehotte,
1588. Avec privilègi! du roi. Conf. dbThou, t. \, p. 393; d'Aubioné, col. 177;
Palma-Cayet, introd.
2. Bernard rapporte le môme fait dans son journal :«.... Jamais le roi, la
cour et le peuple ne furent si joyeux. Le roi déclara au prévôt de Paris,
qui Pavait remercié avec moi, qu'il oublioit tout ce qui avoit été fait à
Paris, selon que jà il Tavoit promis et lui promettoit encore, parole et foi
de roi. » T. XV, p. 14 du Recueil des États généraux, Voy. aussi d'Aubigîié
(col. 118), qui ajoute ce détail qu'au moment où le roi invitales députés &
renouveler le serment d'observer l'édit d'Union « tous levèrent les mains
et la voix, avec une joye si grande et un si haut cri de Vivb le loi! qu'il
courut par toute la ville ».
3. Voici, d'après les Registres de la Ville, le texte même de la lettre du
roi : « De par us Roy. Chers et bien amez, nous envoyons en nostre bonne
488 • PARIS ET LA LIGUE
sadcur que choisît le roi dans celte circonstance , fut
maître Pierre Senault, clerc du greffe, « qu'il congnoissoit
pour un des plus mutins ligueurs de Paris et le plus fac-
tieux de tous les Seize, lequel il voulust honorer de ceste
commission exprès pour agréer à la Ligue, laquelle con-
noissait ledit Senault pour le plus mauvais serviteur qu'eust
le roy à Paris V». La Ville de Paris fut-elle sensible à cette
attention du roi? Toujours est-il quVUe fit chanter le Te
Deiim en grande pompe et adressa au monarque une belle
lettre, en date du 23 octobre, qui, à travers force marques
de respect, exprime quelques souhaits ironiques, tels que
« lignée capable de succéder à la couronne », et le plaisir
qu'auraient les Parisiens k revoir le roi dans la capitale *.
ville de Paris Senault pour vous faire entendre bien particullièrement ce
qui s*est passé à ceste ouverture de nos Estatz généraux; desqueiz nous
voyons le commencement estre tant favorisé de Dieu que nous n'en pou-
vons attendre que une semblable yssue, au contentement général de toute
la France; et, pour ceste occasion, vous ferez rendre louange et actions de
grâce à sa divine bonté par un Te Deum que vous ferez chanter en Téglise
Notre-Dame où ceulx de noz courtz souveraines assisteront, suivant ce
que nous leur en avons mandé, faisant aussy faire des feux de joye et
tirer rartillerie, en signe de resjouyssance, que nous espérons augmenter
dans peu de temps par la nouvelle d*une bonne résolution des Ëtatz...
Escript à Blois le XLV jour d*octobre 1588. Signé Henry. » Rio. H, 4789,
r>201.
1. L'ESTOILB, t. III, p. 190.
2. Voici la lettre de la Ville de Paris au Roi, d'après le Reo. U, 1189, f» 202 :
« Au ROY. Sire, Ayans receu cest honneur d'estre advertis par Vostre
Majesté de ce qui s^est passé à l'ouverture de vos Estatz généraulx et de
la déclaration que vous avez faicte en rassemblée desdictz Estatz touchant
vostre édict de l'Union, nous avons respandu ceste dicte nouvelle par
toute vostre ville, au grand plaisir et contentement de voz bons subjectz
qui, dès le mesme instant, en ont loué Dieu et vous en ont remercié avec
beaucoup d'allégresse, recevant ceste nouvelle, par excès du bien que
chacun se promet de ladi«te assemblée de vos Estatz, cspérans que soubz
vostre auclhorité Dieu sera pour l'advenir mieux servy et vostre peuple
plus soulagé qu'il n'a jamais esté, de quoy chacun a rendu ce jourd'huy
plus apparent et public tesmoignage au Te Deum qui a esté chanté fort
solennellement en la principalle Église de ladicte ville, auquel ont assisté
Messieurs de vostre Parlement, Chambre des Comptes et Court des Aydes,
le recteur de l'Université et nous avec eulx, le plus honnorablement qu'il
nous a esté possible ; ayant oultrecela Tartillerie esté tirée et feux de joye
faicts en la place de Grève et aultres endroictz de ladicte ville, avec pein-
tures et acclamations publicqnes à l'honneur de Vostre Majesté, selon que
vous 'avez désiré et ce nous l'avez commandé par voz lectres, ce qui sera
PARIS A BLOIS 489
Après ces moments d'effusion, plus ou moins sincère,
les trois ordres s'occupèrent de la rédaction de leurs
doléances. Le 3 novembre, on procéda à l'ouverture des
cahiers, en commençant par celui de Paris. Ce cahier de
Paris contenait, entre autres articles, « une requête pré-
sentée à la Cour du Parlement de Paris contre M. de Sois-
sons, pour le faire déclarer indigne de la couronne ' ». On
sait qu'on lui reprochait son alliance avec le roi de Navarre
et sa prétendue complicité dans l'assassinat du duc de
Joyeuse. Une discussion s'ouvrit sur la proposition du
cahier de Paris. « Quatre gouverneurs adhérèrent à ladite
requête, quatre autres opinèrent à ce que ledit article fût
communiqué aux Chambres; quatre à ce qu'il fût rayé,
avec bonnes raisons, car il avoit juré l'édit d'Union, il
avoit eu absolution de Sa Sainteté; il étoit en cour, faisant
le catholique, par ainsi il n'y avoit pas raison ; aussi qu'il
étoit incivil d'apporter aux Ëtats généraux une requête
d'une ville particulière pour être avouée par toute laFrance. »
Bernard ajoute que cette opinion était celle de sa province
et qu'il déclara lui-même au président de Neuilly que « cet
(irticle ne seroit jamais avoué par les autres ordres et que
poursuyvi, Dieu aydant, d'infinis jeûnes el prières, lesquelles se préparent
entre cy et ce jour de Toussainctz pour vostre prospérité et supplier
uoslre Dieu qu'il vous donne lignée capable de succéder à vostre cou-
ronne, à sa gloire et au salut commun de cest Estât et de toute la chres-
tienneté, en quoy nos prédicateurs font ung très grand et très fldelle
debvoir, et, de nostrc part, noua tâchons de tout nostre pouvoir de les
seconder et de vous rendre, le service que nous vous debvons pour main-
tenir vostre ville en l'obéissance et fldellité qu'elle vous doibl; en quoy
nous estimons jusques ici n'avoir perdu nostre peine, y estans toutes
choses calmes et paisibles soubz vostre auctborité et ung chacun dési-
reux de vous y veoir en prospérité et bonne santé, comme nous espérons
de brief et le nous avez promis. Cependant nous continuerons en ce
debvoir et attenderons ung commandement pour y obéir d'anssy bonne el
ndelle aiTection que nous supplions le Créateur, Sire, tous donner en toute
prospérité longue et heureuse vie. De vostre Ville de Paris, en l'hostel
public d'icelle, le vingt-troisième jour d'octobre 1588. Voz très humbles,
très obeyssans et très ridelles subjectz et serviteurs les ÉcbeTins de vostre
Ville de Paris. »
i. Journal de Bernard. Hrr. des Étals f/énérau.r, t. XIV, p. 21.
460 PARIS ET LA LIGUE
ce n'étoit qu'à exciter du bruit mal à propos * ». Quaud on
alla aux voix, il se trouva que la majorité fut d'avis de
rayer l'article du cahier de Paris qui visait le comte de
boissons.
Les députés de Paris se trouvèrent intimement mêlés
aux discussions et aux conférences qui eurent lieu dans le
•courant de novembre, à propos du chapitre des finances.
Bien que les gens du roi eussent reçu Tordre de soumettre
-aux États tous les comptes et tous les documents de nature
à faciliter leur enquête, il ne fut pas difficile de constater
•que le plus grand désordre régnait dans l'administration
•des finances. L'évêque du Maine et le président de Neuilly
signalèrent directement au roi ces graves lacunes de la
•comptabilité publique, et, dans la séance tenue par le tiers
état le 21 novembre, Neuilly déclara que le roi avait envoyé
■en poste à Paris pour « prendre mémoire en la Chambre
■des Comptes ». Sans se laisser détourner de leur but par
les préoccupations extérieures que venait de provoquer
l'audacieuse conquête du marquisat de Saluées par le duc
•de Savoie Charles-Emmanuel (fin oct., début de novembre),
4e tiers état soumettait aux deux autres ordres un projet de
réduction des tailles. Le 23 novembre, l'union de tous les
•députés était faite sur ce point et le texte même de la
requête se trouvait déjà rédigé quand arriva un gentilhomme
de la reine mère pour mander le prévôt des marchands et
le président de Neuilly. Voici comment le procès-verbal
<\u tiers rend compte de l'entrevue, à cette même date du
:23 novembre : « M. le président de NuUy a fait rapport
que M. le prévôt des marchands et lui avoient été mandés
par la reine, mère du roi, pour parler à S. M., laquelle lui
avoit dit que le roi étoit duement averti de la requête que
les députés avoient présentée à S. M. pour le rabais des
i. Journal de Bernard,
461
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462 PARIS ET Lk LIGUE
prit la parole à son tour el fit un tableau poignant de la
misère publique, laissant entendre même que cette misère
pouvait porter les sujets au désespoir et leur faire perdre
le respect de l'autorité royale.
On s'attendait à un accès de rage, à l'un de ces empor-
tements furieux qui sauvent ou perdent les princes poussés
ï\ bout. Henri III répondit avec plus d'onction que jamais.
A l'entendre, il n'avait convoqué les États que pour tra-
vailler au soulagement de son peuple et « il avoit Tàme
trop bonne pour devenir tyran * ». Il se bornait à demander
qu'on lui permit d'entretenir sa maison et de soutenir la
guerre. Au surplus, il ferait en sorte de contenter les dé-
putés avant leur départ.
Malgré son calme apparent, le roi ne prenait pas aisé-
ment son parti de l'attitude hautaine des Ëtats, et il des-
cendit aux démarches les plus humiliantes pour essayer
de fléchir les représentants de la nation. Le 26 novembre,
il manda La Chapelle-Marteau et le président de Neuilly,
puis leur déclara qu'il se contenterait de trois millions
d*or « pour l'entretènement de son État » et consentait à
laisser le reste « en telles mains que les provinces avise-
roient, sauf que les trésoriers en eussent le maniement ' ».
A ces confidences officieuses, Henri mêlait de vives récri-
minations contre les exigences des députés, d'amères pro-
testations contre le refus de voter les tailles. Le lendemain
27, à l'issue de la messe, car c'était un dimanche, le roi
fait dire à Bernard, l'orateur du tiers, et au sieur Coussin,
échevin et député de Dijon , de venir le trouver à une
heure « en la salle de la reine-mère ». Après avoir déjeuné
chez M. de Lux, ils se rendirent au château. M. de Marie les
introduisit auprès du roi, qui conférait déjà avec Tarche-
1. D*aprèB Bernard» le roi aurait dit « qu*il ne vouloit écorcher ses
sujets ». T. XV du Recueil des EU gén., p. 58.
2. Procès-verbal du tiers, p. 227.
PARIS A BLOIS 463
vêque de Lyon et le président de Neuilly. Henri III prit la
parole et dit « qu'il vouloit régler sa maison et la réduire
au petit pied ; que, s'il avoit trop de deux chapons, il n'en
vouloit qu'un ; qu'il avoit trop de regret d'avoir vécu de la
façon du passé, et qu'avant de partir il promettoit aux
députés grand contentement ». Mais ce 7nea culpa n'était
que pour la forme : au fond, le prince refusait de ramener
la taille au pied de l'année 1576, conmie le demandaient
les États ; il avait besoin de ressources pour continuer la
guerre contre les hérétiques, « et ce n'étoit pas lui donner
du courage que de lui retrancher ses moyens * ». Content
de sa rhétorique, il faisait monter les députés du tiers qui
attendaient dans la cour du château l'issue de la conférence,
et rééditait son discours. Puis Coussin et Bernard répon-
dirent longuement, ne tarissant pas sur la misère du peuple
et la mauvaise administration du Trésor. Écoutez ce que
vous dit Bernard, interrompait le roi en s'adressant à
MM. Marcel et Pétremol, intendants des finances, qui se
trouvaient présents. Enfin Henri reprit encore une fois la
parole, compensant le refus de diminuer les tailles par de
bonnes paroles : « Nous tendons au même but, mais nous
y venons par divers chemins ». Ni le but, ni les chemins ne
se ressemblaient, mais la douche émolliente de l'éloquence
royale détrempait un peu l'arrogance des députés du tiers.
Un auxiliaire inattendu s'entremit, et cet auxiliaire n'était
autre que le duc de Guise. Le chef de la Ligue commençait
à trouver que les députés allaient trop loin et poussaient
le roi aux extrêmes. En bonne conscience, il fallait voter
quelques sommes pour continuer la guerre civile, car si le
roi se décourageait et se jetait dans les bras des hugue-
nots, que deviendraient les Guises, sinon de purs rebelles?
Alors, coup sur coup, il assemble les députés notables,
1. Journal de Bernard, p. 61.
464 PARIS ET LA LIGUE
d*abord le 28 novembre, chez le prévôt des marchands de
la ville de Paris, La Chapelle-Marteau. Un souper sert de
prétexte : Coussin, Bernard, les présidents de Normandie^
de Guyenne, de Provence, de Lyon et Bassompierre. « La
table levée », Guise prend la parole, insiste sur la détresse
du roi et prie les députés de faire quelque chose « pour
son soulagement ' ». Mais, malgré la popularité de l'ora-
teur , les convives de La Chapelle-Marteau restèrent
froids, et le duc ne gagna rien sur eux '. Il revint à la
charge le lendemain et manda le président de Neuilly , Ber-
nard, Du Vert, représentant de Provence, Le Roy, représen-
tant de Picardie, et d'autres députés. « Après nous avoir fait
préparer des sièges en son cabinet, écrit Bernard, il nous
déclara le zèle qu'il avoit à la conservation de TËtat, que
s'il avoit hier soupe avec nous, ce n'étoit que par exprès
commandement du roi, afin d'empêcher la rupture des États,
les huguenots ne demandant autre chose... » Mais, comme
il arrive souvent aux chefs de partis, qui s'étonnent de ne
pouvoir arrêter les fanatiques par eux déchaînés, le duc
de Guise ne put décider ses amis des États à faire au roi
la moindre concession. « Nous lui fîmes entendre, écrit
Bernard, qu'il étoit impossible d'ébranler la compagnie. »
1. Journal de Bernard, p. 64.
2. Plusieurs historiens, notamment Palma-Cayet, affirment que toutes les
requêtes des États avaient été délibérées au Conseil du duc de Guise :
« ... Mesmes le Roy creut, comme plusieurs ont escrit, qu'il ne se faisoit
aucunes remonstrances ny requestes que premièrement elles n*eussent esté
résolues en un conseil qui se tenoit au cabinet dudit dite par les princi-
paux de la Ligue, qui avoient avec animosité brigué, chacun en la province
d'où ils estoient, pour estre députez aux Estais et qui, dans chaque
chambre, pou rsuy voient ce qu'ils avoient conclu au Conseil du duc de
Guise n.Introd. à la CkronoL novena ire. V. aussi Pasouieb, lettre XXL Mais,
comme Ta fait judicieusement remarquer M. Picot {Hist. des États généraux,
t. lU, p. 124), il n'est pas invraisemblable de supposer que le duc de Guise,
« charmé au début de voir les députés résister au roi, commençait lui-môme
h s'inquiéter de leurs projets ». Db Thou raconte que, dans ce banquet du
28 nov., le président de Neuilly et La Chapelle-Marteau prédirent au duc
que le roi attenterait & sa vie en le faisant tomber dans une embûche, et
lui conseillèrent de quitter la cour, t. X, p. 468.
PARIS A BLOIS 468
Étonné, le duc va immédiatement prévenir Henri III do
Tattitude intransigeante des députés. Le roi se résigne à
une dernière tentative. Le 30 novembre, il fait appeler au
château Bernard et Coussin. Ceux-ci trouvent le prince
seul avec Bellegarde, qui lui mettait son ordre et son cein-
turon. On ne peut qu'admirer la parfaite humilité du roi
qui, après avoir promis « de vivre de toute autre façon
qu'il n'avoit fait par le passé », se plaint de sa profonde
détresse, comme un fils de famille aux abois. A l'entendre,
« il n'avoit plus un sol; c'étoit une honte que, dans son
conseil, l'on tirât la langue d'un pied de voir ses néces-
saires; ses dépêches demeuroient, faute d'avoir cent écus
pour payer ses courriers... » Et comme à la misère du roi
les députés opposent la misère du peuple et déclament
contre « les belles gens » qui l'exploitent, c'est-à-dire contre
les courtisans et les partisans, Henri leur répond avec dou-
ceur : « Je vous aime d'ainsi parler ». Mais le roi ne
restait si ainaable que pour masquer sa défaite. Le tiers
état restait inébranlable et annonçait, le 30, son intention
d'aller le lendemain en corps « quérir la résolution du
roi » sur les requêtes des États. A grand'peine , on put
ajourner au 2 décembre l'effet de cette sommation; mais,
ce jour-là, le roi dut essuyer les plaintes et remontrances
de M. de Bourges, au nom des trois chambres des États.
Ne faire aucune concession eût été périlleux. Henri III
s'en tira par une gasconnade. Assis « dans une chaire,
accompagné de M. de Guise et de M. de Lyon, tenant le
flambeau, il dit : Je vous accorde vos requêtes. Un chacun
se mît à crier Vive le royl sans lui donner le temps de
parachever. Mais, le bruit fini, il nous dit que c'est à la
charge que vous me fassiez fonds et donniez moyens assurés
pour l'état de ma maison et fonds de la guerre, suivant
votre promesse * ». Les naïfs députés ne prennent pas garde
1. Journal de Bernard^ p. 69.
ROBIQUET. 30
466 PARIS ET LA LIGUE
au correctif et applaudissent à tout rompre. Bien mieux,
ils font chanter un Te Deum, le 4 décembre, à l'église
Saint-Sauveur pour remercier le prince. Le Valois allait-il
donc, une fois de plus, endormir la Ligue? Cela ne faisait
plus Taffaire des meneurs. Après ce Te Deum du 4, le théo-
logal de Senlis monte en chaire, et, devant la vieille Cathe-
rine, prononce un sermon d'une violence inouïe, plein do
personnalités amëres. Il reproche aux députés « de branler
à tous vents, d*èlre des Ëtats d'oiseaux », auxquels ou
envoie un mei'le pour chanter et un faucon pour donner
quelques coups de bec ^ Ces jeux de mots plus ou moins
spirituels ayant fait rire rassemblée, le président " de
Neuilly dit à ses collègues : « Cela n'est pas sujet à risée;
sont oiseaux qui ne nous sont pas propres; ils sont mau-
dits par l'Ëvangile ». Le théologal continue ; il traite M. d'O
de Satan ', tout crûment, et, s'attaquant au roi lui-même,
le compare à Roboam, lequel s'entourait d'un conseil de
jeunes gens « qu'il avoit nourris pages, qui le mirent en
pauvreté, car de tout son royaume il ne demeura roi que
d'une ville, appelée Juda, et d'une autre, mais tout le reste
se révolta ». Cette furieuse harangue se termine par un
véritable appel à l'insurrection. Le roi, suivant le prédi-
1. L'orateur sacré faisait ainsi allusion à MM. de Faucon et de Merle (ou
de Marie) que le roi envoyait fréquemment aux États pour leur faire
entendre ses volontés.
2. Nous supposons que Bernard parle ici du président de Neuilly, bien
qu'il atlribue le propos « au sieur président » sans citer de nom. Peut-
être s'affil-il du président du tiers état, La Chapelle-Marteau, prévôt des
des marchands de Paris?
3. Ces violentes attaqnes du prédicateur contre M. d*0 forcèrent le roi
de le congédier avec Miron, le premier médecin. L'Estoilk, qui place ce
fait assez curieux sous la date du 4 décembre, c'est-à-dire le jour même
où tûX prononcé le sermon du théologal, dit que le roi « se disait fbrt
importune de ce faire par les députés des Estatz, c'est-à-dire par le duc de
Guise, qui les connoissoit pour estre plus au roy qu'A lui ». T. IH^ p. 193.
Miron, dans sa relation de la mort des duc et cardinal de Guise (^eA.acr.,
t. XII, p. 121), prétend que le duc provoqua la disgrâce de Miron en
disant de lui trop de bien à Henri IH. Le soupçonneux monarque envoya
son médecin à Paris porter des parements d'autel au couvent des Capu-
cins. D'O rentra en grftce, après avoir fait ses soumissions aaducdeC^uise.
PARIS A BLOIS 467
calcur, a bien fait do diminuer les tailles, sans quoi « il
faut croire que le peuple, vexé de subsides extraordinaires,
eut secoué le joug de son obéissance ».
Au fond, ce prêtre fanatique exprimait les véritables
sentiments du tiers. Le conflit tournait à l'état aign. Dès le
î) décembre, le lendemain du Te Deum, Bernard et Coussin,
miDindés par le roi, refusent de se rendre au château, « parce
que rhonneur qu'on leur faisoit donnoit occasion à ceux
qui ne savoient Tintégrité des deux députés d'en entrer en
quelque doute * ». Dans sa séance du même jour, le tiers
état reçut les trésoriers de France ', qui, au nombre de
trente-cinq, venaient, en compagnie d'un notaire», « pour
faire quelques protestations » contre les accusations que
les députés avaient dirigées contre eux. M. de Neuilly « prit
le propos et leur fit entendre la faute qu'ils commettoient ;
qu'ilz s'oublioient par trop en leur devoir et ne savoient
pas rhonneur et le respect dû aux États ». Et les malheu-
reux trésoriers, «lyant essuyé cette rebuffade, se retirent avec
leurnotaire, non sans déposer sur le bureau du tiers un fac-
tum en trois feuilles, rempli de propos injurieux. Henri III,
réduit à une véritable détresse, se fait de plus en plus
humble ; il envoie dire au tiers par l'archevêque de Lyon,
MM. de Rambouillet et Marcel, qu'il a un pressant besoin
d'argent pour les armées du Poitou et du Dauphiné ; qu'en
1. D*après le Procès-verbal, le tiers état décide, le 5 décembre, de persister
dans ses requêtes et d'en aviser la noblesse et le clergé. De son côté, le
roi fait demander l'état des impôts dont la suppression est réclamée et
rindication des moyens qu'on propose pour faire face aux besoins de
rÉlat. Rec. de pièces orig., t. VU, p. 234.
2. Les États avaient décidé que les charges de trésorier général, gran-
«lement multipliées par les édits bursaux, seraient réduites au nombre
ancien, c'est-à-dire à deux par élection (il y en avait dix en moyenne).
Près de 300 trésoriers s'assemblèrent au couvent des Gordeliers et choisi-
rent Scévole de Sainte-Marthe, homme très estimé, pour plaider leur cause
devant les États. Sainte-Marthe se serait exprimé avec une grande viva-
cité, en accusant les députés de s'être fait élire par brigue et par cabale.
Le tiers envoya le président de Neuilly se plaindre au roi, et Henri Ul
adressa aux trésoriers une réprimande qui ressemblait à des félicitations.
Voy. DE Thou, t. X, p. 436.
^-
468 PARIS ET LA LIGUE
outre « son pourvoieur lui a déclaré qu'il quittoit Tenlretien
et fourniture de sa table, et que ses chamtres lui avoient
dit qu'ils quitteroient aussi le service et ne chanteroient
plus qu'ils n'eussent leurs gages ». Le siège des députés in-
fluents continue, et les députés de Paris, considérés comme
plus dangereux que les autres, sont l'objet d'obsessions
multiples. Bernard, après avoir dîné le 8 chez le garde des
sceaux, qui « sourit à lui fort chaudement », consent à s'en-
tremettre pour amener au roi le président de Neuilly. Tous
deux se rendent, le 9, au château, et trouvent le roi entouré
de ses secrétaires Beaulieu, Revol et Marcel. Henri tenait
à la main le petit discours prononcé par l'archevêque de
Bourges, le 2 décembre précédent, et qui arrivait de l'im-
pression. Le texte n'était pas conforme, parait-il, à la teneur
de l'allocution réellement prononcée, et le roi « s'émer-
veilla de ce que si impudemment l'on osoit écrire ce qui
étoit contenu au dit discours, le sieur de Bourges ne lui en
ayant dit un seul mot ». Puis le roi s'attendrit, dit « qu'il
a reçu le matin son Créateur et qu'il jure sur la damnation
de son âme que jamais roi n'eut si bonne volonté au sou-
lagement de son peuple ». Il va plus loin, promet de rendre
« son État à demi-démocratique » conune celui de Venise
et offre d'avoir un cof&e « duquel l'une des clefs lui demeu-
reroit et l'autre aux États, sans l'avis desquels il juroit
ne vouloir rien mettre sur son peuple * ». Cette fois, l'en-
chantement des députés fut complet et sans mélange. Le
président de Neuilly, en racontant à ses collègues l'entrevue
qu'il venait d'avoir avec le roi, versa de véritables larmes *.
La Chapelle-Marteau proposa d'offrir au roi « mis à la be-
sace » une aumône de 120,000 écus, mais en spécifiant que
ces sonunes étaient destinées à MM. de Nevers et du Maine
i. Journal de Bernard, p. 81.
2. « Ce rapport fat fait à ceux du tiers état avec un tel contentement
que plusieurs en pleurèrent, mêmement ledit sieur de Neuilly, tant estoit*
il satisfoit. • Ibid., p. 83.
PARIS A BLOIS 469
« pour être employées à rentretènement des armées * ».
Ces fonds seraient avancés par un certain nombre de
députés, qui se rembourseraient sur les premiers produits
des impôts de Tannée 1589. Le tiers vota cette proposition
et chargea son président de la notifier au roi. Mais, dès
le 14 décembre, le tiers paraissait déjà disposé à revenir
sur son vote, et Ton disait couramment qu'il ne s'agissait
que d'une simple promesse de s'obliger qui n'engageait à
rien. Et, de fait, personne ne s'occupa de réunir les 120,000
écus. Le roi, inquiet, envoya au tiers état, le 16 décembre,
M. de Rambouillet pour demander la réalisation de la pro-
messe de subside; mais l'envoyé royal faillit rester à la
porte de la salle des délibérations, parce qu'il figurait sur
la liste des suspects. On le reçut cependant, mais unique-
ment à cause de d'Espinac, l'archevêque de Lyon, qui
l'accompagnait. Le prélat, en bon guisard, écouta béate-
ment les doléances des députés et se chargea, sans se faire
prier, de rapporter au roi le sentiment des États à l'endroit
de « ceux qui possédoient S. M. au commencement do
Tannée et avoient tout perdu et dissipé ». Dans la même
séance, le président du tiers, La Chapelle-Marteau, prévôt
des marchands de Paris, fit le compte des sommes énormes
gaspillées par les courtisans et réclama énergiquement
l'épuration du Conseil du roi. Quant aux 120,000 écus, il
exprima cet avis qu'il convenait de prélever sur cette somme
100,000 écus pour les armées de MM. de Mayenne et de
Nevers. Cela revenait à dire que les États ne voulaient
presque rien donner au roi et se souciaient peu de la
pénurie de sa cassette. En outre, le tiers persistait à de-
mander la constitution d'une Chambre de justice pour
rechercher les financiers et partisans qu'on accusait d'avoir
mis à sac le trésor public.
4. Procès-verbal^ p. 23 i.
470 PARIS ET LA LIGUE
Ainsi le roi se trouvait placé entre un coup d*Ëtat et une
abdication ^ La duchesse de Montpensier montrait à toute
la cour ses ciseaux d'or, destinés k tondre le moine Henri.
ËUe quitta brusquement Blois, sous prétexte d'accompagner
Catherine de Glèves, duchesse de Guise, qui allait faire
ses couches à Paris, et le roi crut qu'elle retournait dans
la capitale afin de fomenter une nouvelle insurrection ^
Le propre frère de Guise, le duc de Mayenne, faisait dire*
au roi par le colonel Ornano de se défier du chef de la
Ligue. Dans une audience particulière, obtenue d'ailleurs
à grand'peine, la duchesse d'Aumale donna au Valois les
mêmes avis que Mayenne ^ Une intervention énergique
du maréchal d'Aumont, que Guise avait essayé en vain de
gagner k sa cause, et qui déclara que le duc voulait se
faire nommer connétable par les Etats; enfin l'audacieuse
demande du gouvernement d'Orléans par Guise, achevèrent
de porter au comble l'exaspération de Henri UI; mais ce
qui contribua peut-être plus que tout le reste à lui inspirer
un acte de désespoir, c'est la crainte d'être ramené de force
à Paris.. Le cardinal de Guise conseillait à son frère d'aller
occuper Orléans, tandis que lui-même enlèverait le roi et
i. L'assassinat du duc de Guise s'explique, à coup sâr, par les raisons
politiques qui sont indiquées au texte, oaais il peut avoir été décide sous
rinûuence d'un état pathologique de Henri III. C'est le chancelier Che-
verny qui a donné à l'historien de Thou de bien curieux détails sur la
santé du dernier Valois. 11 était, en hiver, sujet À des accès de bile, et alors
il devenait intraitable pour ses ministres et ses serviteurs, n Je me sou-
viens, écrit DE Thou, que, quelque temps avant la mort du duc de Guise,
comme je passais par son château d'Esclimont, au pays chartrain, pour me
rendre à la cour, ce magistrat (Cheverny)me parla de ces humeurs du roi
et me prédit que, si le duc continuait à pousser ce prince, il serait homme
à le faire quelque jour assassiner sans bniit dans sa chambre méme^ parce
qu*on était dans une saison oit il s'irritait aisément et où sa colère approchait
fort de la fureur, » T. X, p. 678.
2. Db Thou, t. X, p. 443.
3. I6id., p. 444. L*EsT0iL£ ajoute avec plus de prédsion que Mayenne
faisait allusion à un prochain attentat contre le roi (t. Ill, p. 196j. D'Épernon
écrivit aussi pour informer son maître d'une « conspiration contre sa per-
sonne ». Le bruit courait à la cour que « ce seroit le jour de Saint-Thomas ».
L'Estoile confirme également la dénonciation faite au roi par la duchesse
d'Âumale. T. III, p. 196.
PARIS K BLOIS 471
le conduirait dans la capitale. Un courtisan apprit Texis-
tcnce de ce projet de la bouche du sieur de Provenchères,
domestique du duc de Guise, et alla aussitôt en informer
le roi *, Mayenne, d'après certains historiens, aurait éga-
lement appris au roi le but final du plan des ligueurs.
Etienne Pasquier, qui constate ce fait grave, rapporte qu'il
courut à Blois « un bruit sourd que l'opinion de M. de
Guise estoit de ramener le roy à Paris, après la clos-
ture des Estais, et de disposer tellement les affaires qu'il
ne l'en eust osé éconduire »; Pasquier assure « que ce
fascheux bruit n'apporta de petits tintouins en la teste du
roy * ». Un violent entretien qu'eut le duc de Guise avec
Henri III le jeudi 22 décembre, k Tissue de la messe, entre-
tien qui dura jusqu'à midi, dissipa les dernières hésita-
tions du roi ^ Il prit, d'ailleurs, le temps de la réflexion,
car, dès le 18 décembre, il avait tenu un conseil avec quel-
ques courtisans dévoués : le maréchal d'Aumont, Nicolas
d'Angennes, seigneur de Rambouillet, et Antoine de Bri-
chanteau, sieur de Beauvais-Nangis *. Aucune résolution
ne fut arrêtée ce jour-là; mais, le lendemain, dans un
second conciliabule auquel prit pari Louis d'Angennes,
frère de Rambouillet, la mort du duc fut décidée. On
reconnut également la nécessité do mettrez la main sur le
cardinal de Guise, le prince de Joinville, les ducs de Ne-
1. Relat, de Miron,
2. Ultres de Pasquiei-, livre XI H, lettre VI, édition d'Amsterdam in-^ de
1723, t. Il, p. 371. Pasquier s^élève vivement contre le dessein des Guises
de ramener le roi à Paris, « dans une ville où il avoit reccu tel alTront; et,
à bien dire, ce D'estoit pas raccompagner, ains mener en triomphe dans
Paris ».
3. Voy. sur ce point la Relation de Miron, qui entendit le roi faire & la
duchesse. d^Angoulôme le récit de cette dernière entrevue, où s'échangè-
rent de vives récriminations.
4. D'après db Tiiou, qui n'avance rien à la légère^ le roi aurait adressé à
ses conseillers un long discours pour leur expliquer ses griefs contre le
duc de Guise. Il dit notamment que Guise voulait se faire connétable,
c'est-à-dire donner à la France un second roi; or il ne pouvait y avoir
qu'un roi, de même qu'il n'y a qu'un soleil pour éclairer le monde : deux
soleils brûleraient la France. T. X, p. 450.
472 PARIS ET LA LIGUE
mours et d'Elbeuf, et enfin sur le cardinal de Bourbon.
Le secret fut si bien gardé que, le 22 décembre, les États
députèrent auprès du roi pour lui demander la liste des
membres du Conseil, ce qui constituait une provocation
de plus, et Henri III leur fit répondre par M. de Marie
que, le lendemain 23, tout le monde connaîtrait la volonté
royale.
Aucun soupçon ne troublait la quiétude des Ëtats, et il
faut lire le Journal de Bernard pour se rendre bien compte
de la stupeur des députés du tiers, lorsque le grand prévôt
de riiôtel, François du Plessis de Richelieu *, après b»
meurtre du duc de Guise et TaiTCStation du cardinal son
frère et de Tarchevêque de Lyon, vint frapper à la porte
de l'Hôtel de Ville de Blois, où le tiers état tenait ses
séances •.
« Le vingt-troisième (décembre), la Chambre étant
assemblée tant pour la séance accoutumée que par exprès
commandement du roi de nous trouver tous ledit jour,
il vint un homme avertir notre président qu'il y avoit du
bruit et émotion au château, que les ponts étoient levés et
les soldats en garde. Cet avis fut confirmé par Crespy,
messager de Dijon, lequel m'ayant fait aussi savoir qu'il
y avoit du murmure et que les boutiques de la ville se
fermoient, cela donna occasion de commettre le sieur de
La Fosse, député de Caen, pour aller au château et nous
rapporter la vérité; pendant que le sieur Duret, député de
Moulins, fit son rapport de ce qu'il avoit été chargé de
dire au clergé, touchant l'aliénation des biens de l'Église,
i. C*est le père d'Armand de Richelieu, le futur ministre de Louis XIII^
qui était né en 1585.
2. Nous ne croyons pas utile de refaire ici le récit de l'assassinat du duc
de Guise, qui se trouve dans toutes les histoires. On peut consulter sur
ce drame extraordinaire les diverses relations insérées au t. XII des Arch,
cur,, notamment celle de Miron. Voir aussi l'Estou^e, t. III, p. 197 ; dK Thou,
t. X, p. 469; D'AuBiG?iÉ, 2« partie, col. 211; Pasquier, livre XIII, lettre V^
p. 366 du t. II de l'édit. d'Amsterdam ; Palma-Cayet, Introd. à la Chron. nov.j.
Coll. Michaud, i^ série, t. XII, p. 79.
PARIS A BLOIS 47a
M. Le Roy, d'Amiens, proposa qu'il falloii se retirer. M. de
Neuilly dit qu'il ne falloit faire compte du bruit ; que ce
pouvoit être quelque mutinerie de laquais. Les autres, par-
lant sérieusement, proposèrent que nous ne devions bouger
du lieu qui étoit Tasile d'assurance et une partie du corps
de la France. Il advint qu'au fil de nos propos plusieurs
soldats, armés de piques, hallebardes et arquebuses, se
présentèrent à la porte de la salle, car nous n'avions voulu
permettre que la première porte de la cour fût fermée ; ils
entrent avec furie" et avec grand étonnement. Le grand
prévôt entra des premiers, avec plusieurs, les épées nues,
criant : « Tue ! Tue ! Tire ! Tire ! L'on a voulu tuer le roi et
que les coupables, de la conspiration étoient de la compa-
gnie * ». Chacun fut ému et étonné, et furent plusieurs qui
se départirent, de peur extrême. Je m'avançai pour parler
et dire que le roi ne pouvoit permettre telle insolence si
grande au mépris des États ; mais les raisons peuvent peu
parmi les armes! Lors ledit prévôt, nonuné le sieur de
Richelieu, prit un billet où étoient compris ceux que l'on
disoit savoir l'entreprise mise en avant. Les sieurs de La
Chapelle, de Neuilly, Compans, Orléans, Le Roy, Aurou,
Du Vert et Du Vergier étoient au rôle, et, nonobstant toutes
prières et remonstrances, furent emmenés lesdits sieurs do
1. On peut comparer au récit de Bernard la déposition faite le 24 juin 158t>
par La Chapelle-Marteau devant MM. Michon et Courtin, chargés, à la
requête de la duchesse de Guise, d'informer sur « les massacres commis à
Blois ès-personnes des duc et cardinal de Guise ». On trouve l'information
dans VHistoire des cardinaux par Aubery, t. V, et le t. XII, i^ série, des
Arch, curieuses, p. 188. La déposition de La Chapelle-Marteau concorde par-
faitement avec le Journal de Bernard. Elle ajoute cependant quelques
détails précis : u ... Environ entre huict et neuf heures du matin, entra If*
sieur de Richelieu, grand prévost de Thostel, lequel demeurant à la porte
dict : « Messieurs, personne ne bouge; Ton a voulu tuer le roy, il y a
deux soldats qui sont pris. » Et lors la compagnie s'estonnant et quelques-
uns se voulant lever, ledit grand prévost mitTespée au poing, et, suivy de
trente ou quarante, tant de ses archers que des soldats des gardes-fran-
çoises à pied, ayant la mesche sur le serpentin et les piques dressées
contre la poitrine des députés, crians : « Tue, tue, mort-Dieu ! tue I que
personne ne bouge. »
.*
474 PARIS ET LA LIGUE
La Chapelle, de Neuilly, Compans cl Le Roy. Les sieurs
Aurou et Du Vergier n'y éloient pas. Le sieur Du Vert se
sauva ^ Ce fut un grand crëve-cœur à tous les députés de
voir à leurs yeux leurs présidens et confrères traités avec
tant d'indignité. Je pensois inviter la compagnie à les
suivre, mais la force se fit donner place et n'eut la raison
point de lieu. Nous fûmes réservés en notre chambre, et
tôt après vinrent des particuliers qui nous dirent que M. de
Guise, ayant été mandé au Conseil du roi et de là appelle au
cabinet de S. M., avoit été tué par les Quarante-cinq; l'on
nous rapporta pareillement que M. le cardinal de Guise, le
sieur de Lyon et autres avoient été tués. Jamais on ne vit
un si grand étonnement. Le lieutenant de Blois me dit à part
ces mots : Actum est de Gallia. »
Les archers du grand prévôt n'avaient pas même donné
le temps aux députés arrêtés de prendre leurs manteaux et
leurs chapeaux, et les avaient, sous la pluie qui tombait
avec violence, (c rudement et indignement » conduits jus-
qu'au château. Les portes en étaient fermées et des com-
pagnies de Suisses et de gardes-françaises, rangées en
bataille, gardaient les issues. On fit passer les prisonniers
par un guichet, et on leur fit monter le grand escalier, à
travers la foule des soldats et des courtisans. Terrorisés
par le tragique événement, ceux-ci n'osaient plus recon-
naître les députés de Paris. Dunes, qui avait avec La Cha-
pelle-Marteau des relations familières, se trouvait sur son
passage ; il ne l'honora pas d'un regard *. A l'entrée de la
i. D'après k déposition du prévùt des marchands, le grand prévôt
aurait ea avec lui le dialogue suivant : « Vous êtes le premier accusé
d'avoir voulu tuer le roy; je dis vous, monsieur le président de Neully,
monsieur Compans, monsieur d'Orléans, le président Du Verger, de Tours,
Le Roy, lieutenant d*Amiens, et Du Vair... A quoy respondit le déposant
qu'il louoil Dieu et qu'il espéroit que bientost son innocence seroit
connne. » Conf. l'Estoilb, t. UI, p. 200.
2. Information faicte par P, Michon et J. Courtin. Déposition de La Cha-
pelle-Marteau.
PARIS A BLOIS 475
salle du Conseil, les députés rencontrèrent les Quarante-
cinq qui affectaient un air triomphant; puis ils furent
introduits dans la salle même où se trouvaient « grand'-
partie de ceux qui avoient accoustumé d'assister au
Conseil, estans debout, fort pasles et étonnez ». Le grand
prévôt poussa la cruauté jusqu'à conduire ses captifs à la
porte du cabinet du roi et les laissa là \ dans la chambre
royale, à deux pas du cadavre, qui était dissimulé par un
tapis. Il y avait près de la porte a deux grands tas de sang
fumant, et lors le président de NeuUy dit aux députés :
Hé, mon Dieu! il y a quelque malheur icy ' ». Les Qua-
rante-cinq allaient et venaient, regardant les députés les
uns après les autres. Un valet vint, sur ces entrefaites, avec
un flacon d'argent rempli d'eau et un balai, pour effacer
les taches de sang.... Telle était l'horreur du crime que
les courtisans eux-mêmes ne pouvaient celer leur indigna-
tion. Devant Loignac, le chef des assassins, M. de Marie
s'approcha des prisonniers et dit à La Chapelle-Marteau :
« Je voudrais être à cent pieds sous terre ». Et, comme
le prévôt des marchands ne comprenait pas, M. de Mau-
vissière lui demanda s*il avait vu le corps de M. de Guise.
1. Le cabinet du roi communiquait par une porte située à gauche avec
la chambre royale. C'est en soulevant la tapisserie du cabinet que le duc
de Guise avait reçu le premier coup de poignard. Voy. db Thou, t. X,
p. 470; l'Estoile, t. III, p. 199; le Martyre des deux frères, Arch. cur.,
i. XII, !»• série, p. 83.
2. Information, etc.. Le Martyre des deux frères ajoute quelques détails
curieux sur l'attitude du prévôt des marchands et de ses compagnons :
« On les faict entrer en la chambre du massacre, où estans apperceurent
le sang do prince martyrisé, et, s'estant enquesté M. le prévost des mar-
i^hands de ce que pouvoit estre, Tun des enfants du père du mensonge,
ennemy de toute vérité, luy dit que c*estoit une bouteille de vin espendue...
Un autre, s'approchaqt du sieur prévost, voyant que de plus près il le
regardoit et jugeoit que pour le certain c^estoit du sang, luy dit : Ne
l'avcz-vous point vcu ? Ledit sieur prévost luy respond : Qui? — L'autre
réplique : Monsieur de Guise; il n'est pas à trois pas de vous, tout roide
mort en cesle ruelle (montrant le lit du traistre H«?nry); il est couvert d'un
vieux tapis. Lors, ledit sieur prévost s'approcha de M. le président de
Neuilly et luy dit : « Monsieur, nous sommes morts; ils ont assassiné ce
bon prince. »
476 PARIS ET Lk LIGUE
— Comment I est-il mort? — Oui, répliqua de Mauvis-
sière, le roi Ta fait mourir. » — Terrifié, La Chapelle-
Marteau murmura seulement : « Voilà un pernicieux
conseil ».
En réalité, les députés de Paris avaient lieu de conce-
voir de vives appréhensions pour leur sécurité personnelle.
On eut l'attention sauvage de donner devant eux Tordre à
rhuissier Nambu d'aller faire immédiatement dresser des
potences et des échafauds. Ce n^était là sans doute qu'une
mystification funèbre. Sur le coup de dix heures, Larchant,
capitaine des gardes, sortit du cabinet du roi, et, appelant
un officier de sa compagnie, le sieur Hamilton, lui confia
les prisonniers, avec défense de les laisser parler à per-
sonne. Sous Tescorle de douze gardes, ils furent d'abord
menés dans une chambre basse, puis dans une autre
pièce située au-dessus de l'escalier de la salle des États.
Quatre archers et un exempt des gardes, nommé Duglas,
restèrent pour les garder. A quatre heures, cet exempt
vint inviter les députés à faire leur examen de conscience,
car leur mort était décidée. C'est à ce moment que Cosle-
blanche, échevin de la Ville de Paris, fut amené dans la
prison, où se trouvaient déjà le prévôt des marchands et
ses collègues. Tous priaient, à genoux.... Ainsi se passa la
première journée : le lendemain à neuf heures, l'exempt
Duglas leur annonça la mort du cardinal de Guise. Dans
l'après-midi, l'un des capitaines des gardes et M.. de Ri-
chelieu, le grand prévôt de THôtel, les visitèrent et leur
firent savoir qu'ils seraient interrogés par le garde des
sceaux. Une grande chambre « en galletas qui estoit au-
dessus » devait être préparée à cet effet pour l'interrogatoire,
et ils remarquèrent qu'on y portait « grande quantité de
bois ». En attendant, l'enseigne Hamilton vint les chercher,
à six heures, en appelant d'abord le président de Neuilly.
et on les conduisit de nouveau dans une chambre basse.
• PARIS A BLOIS 477
Ils y devaient rester jusqu'au vendredi suivant, 30 décem-
bre. Alors on les mena « dans une chambre prochaine », et
le prévôt des marchands raconte qu'ils y passèrent un
mois. Le roi se donna le cruel plaisir de faire revenir La
Chapelle-Marteau, séparé de ses compagnons, dans la pre-
mière salle qu'ils avaient occupée « au-dessus de la viz de
la salle des Estatz... pour aller en laquelle on le fit monter
par une petite montée, le noyau de laquelle estoit tout
ensanglanté. Et dès l'entrée de la chambre jusques au feu,
la chambre estant petite, se voyoit la figure d'un corps, et
en plusieurs endroits d'icelle force taches de sang, et sen-
tent en icelle une fort grande puanteur conune de corps
bruslez; dont se plaignant aux gardes, luy dirent que
c'estoit où les corps des deffuncts sieur cardinal et duc de
Guise avoient esté bruslez *. »
Pendant que son président était captif, que faisait le
tiers état? Il avait d'abord manifesté l'intention de suivre
1. Information des massacres commis à Blois.,. L^Estoilb n'est pas ici
parfaitement d*accord avec La Chapelle-Marteau. Il écrit ce qui suit : « Le
soir de ce jour (24 décembre) les corps du duc de Guise et cardinal furent
mis en pièces par le commandement du roy, en une salle basse du chasteau^
puis brûlés et mis en cendres : lesquelles après furent jettées au vent,
afin qu'il n'en restât ne relique, ne mémoire. » D'après de Thod, « la nuit
de la veille de Noël, on descendit les deux cadavres avec une corde dans
la basse-cour du château où on les mit dans de la chaux qu'on avait pré-
parée pour cela par le conseil d'un des chirurgiens du roi, aGn qu'il n'en
restât aucune trace ». T. \, p. 479. Une petite pièce, reproduite par les
Akch. cur., t. XII, p. 144, et qui est intitulée Advis de ceux qui ont esté à
BloiSf etc. y 1588, in-8*, donne des détails très précis sur la crématiou des
deux frères : « Le sabmedi sur le soir {i4 déc.) estans les deux corps
estendus sur le pavé dans V oratoire, le Roy commanda que l'on posast
celui du cardinal sur une couchette, en une petite chambre prochaine où
il y avoit un matelas couvert de vert; et furent en telle sorte jusques
après la feste de la Nativité du Seigneur, demeurant le corps du duc de
Guise sur le pavé, estendu en mesme contenance qu'il estoit décédé, le
poing en la bouche et l'autre main en derrière sur son poignard. Le mer-
credi {i8 déc.) les deux corps furent portez en la grande salle et consumez
et réduits en cendres par feu avec chaux vifve et soulffre meslé, et les
cendres jectées par les fenêtres. » Il est donc probable que les deux cada-
vres furent plusieurs fois changés de place avant l'incinération finale. C'est
dans l'intervalle que la mère des Guises pria en vain le roi de lui rendre
les corps des victimes pour les faire inhumer. Voy. sur ce point db Thou,
Ibid., p. 479.
478 PARIS ET LA LIGUE*
en masse La Chapelle-Marteau et les autres prisonniers,
mais M. de Richelieu avait coupé court à ce beau mouve-
ment par une brutale injonction. Cependant personne
n'empêcha les députés de quitter la salle de leurs délibé-
rations et de se répandre dans la ville. Seulement, les
portes du château et Taccès du pont étaient gardés. Il fut
aisé aux membres du tiers de savoir la vérité sur la
fameuse conspiration qui avait servi de prétexte à l'arres-
tation du prévôt des marchands, ainsi que sur le sort du
duc de Guise et de son frère le cardinal. Les deux autres
ordres n'étaient ni moins émus, ni plus rassurés. Aussitôt
après le coup de force exécuté par le grand prévôt de
THôtel, M. de Bauffremont-Senecey , président de la
noblesse, manda Bernard et Coussin. Il leur fit part de sa
douleur, « car les plus sages et résolus ne savaient que
dire * ». Quant à Tavocat de Dijon, il éprouvait de telles
appréhensions qu'il soupa avec messieurs d'Autun et de
Charolais et coucha dans la même chambre qu'eux. Le
soir, on fit défense aux députés par cri public de sortir de
Biois. Il fallut tenir séance le 24 au matin, sur Tordre
formel du roi. M. de Rostaing et le président de Ris • vin-
rent, de sa part, rassurer les députés et, en même temps,
leur enjoindre d'effectuer le dépôt des cahiers avant le
8 janvier 1589. Les délégués du roi, faisant allusion aux
arrestations qui avaient si fort ému la compagnie, décla-
rèrent que si Sa Majesté « en avoit tiré quelques-uns, il ne
falloit point penser que ce fût pour diminuer la liberté que
l'on doit avoir, mais parce que iceux n'avoient apporté la
volonté qu'ils dévoient ». Après le départ des deux hommes
de cour, on prit la résolution de se concerter avec le clergé
et la noblesse pour clore les cahiers et aller demander la
liberté des députés captifs. Les trois ordres tombèrent
i. Journal de Bernard.
2. Faucon, sieur de Ris, président au Graud Conseil.
r
PARIS A BLOIS 479
d'accord à Tinstant, et chacun d'eux nomiîla une déléga-
tion de six membres pour aller trouver le roi *. Mais les
députés ne purent arriver jusqu'au prince. M. de Marie
leur barra le passage, en disant « que le roi ne les pouvoit
ouïr et que, si Ton vouloit parler aussi pour le cardinal de
Guise, il étoit mort ». La délégation insista en vain, et
M. de Marie lui enjoignit de se retirer.
On n'était plus au temps où les Ëtats se croyaient tout
permis et envoyaient au roi des sommations, plus ou
moins respectueuses; la crainte de provoquer la mort du
prévôt des marchands et de ses collègues étouffait main-
tenant toute velléité de résistance. Cependant le tiers n'alla
pas jusqu'à ratifier le coup d'État sanglant qui venait de se
produire. Le 28 décembre, le procureur général au Parle-
ment, Jacques de la Guesle, et le sieur d'Espesses, avocat
du roi, s'étaient présentés dans la salle des délibérations,
pour inviter le tiers à insérer au cahier général « quel-
ques articles concernant le crime de lèse-majesté, à ce
que, ceux-ci étant connus, l'on prît garde à ne pas se
méprendre et tomber en semblable faute ». Dans l'assem-
blée du lendemain matin, le tiers refusa net l'insertion de
ces articles, « d'aultant que ledit cahier ne comprenoit
que les plaintes et doléances du peuple ». Henri III eut
beau donner aux députés l'ordre formel d'insérer les
articles, en invoquant cet argument que la plupart d'entre
eux avaient déjà figuré au cahier général des derniers
Etats de Blois; il eut beau employer la séduction et la
menace, le tiers état, après avoir pris l'avis du clergé et
de la noblesse, décida, dans la séance du 3 janvier i589,
« que les articles du crime de lèse-majesté ne seroient
insérés au cahier général, mais que l'on se ti endroit aux
1. C^est rindication donnée par Bernard. Toutefois le procès-verbal du
tiers état porte que la délégation du tiers se composait seulement de
quatre personnes, à savoir MM. de La Fosse, Martin, Descaffort, Liberge.
480 PARIS ET LA LIGUE
ordonnances et cousiumes des provinces faites pour la
punition dudit crime ». Il refusa aussi d'entrer en confé-
rence avec MM. du Conseil du roi sur le fait des finances
et sur les cahiers, bien que le roi eût réclamé le 31 dé-
cembre l'envoi de quatre ou six députés, par l'intermé-
diaire d^une grande ambassade où figuraient le cardinal
de Vendôme, le cardinal de Gondy, le maréchal de Retz,
le garde des sceaux et MM. de Rambouillet, d'O, de Ris
et de Petremol. Bernard avait répondu à tous ces hauts
personnages en déclarant qu'il ne devait pas y avoir d'in-
termédiaires entre le roi et les Etats généraux; et quant
aux subsides que demandait la cour, il était difficile de
traiter la question en l'absence des hommes les plus com-
pétents. C'était une allusion audacieuse à La Chapelle-
Marteau et au président de Neuilly. D'ailleurs, l'orateur du
tiers demanda formellement à la délégation royale « d'in-
tercéder vers Sa Majesté pour ses confrères détenus et
arrêtés et faire en sorte qu'ils fussent conservés et remis
en liberté, tant en leurs personnes qu'en leur renommée ».
On ne fit que rire de l'éloquence emphatique du cardinal
de Vendôme, qui avait pris pour texte de sa harangue
Hannibal ad portas.
Tout se préparait pour le départ, et les députés, dès le
29 décembre, avaient alloué au concierge de la salle une
gratification de 44 écus et une autre de 20 écus pour le
salaire du greffier et de ses aides. Le 4 janvier, tout le
tiers état alla prendre le clergé à l'église des Jacobins, puis
présenter au roi le cahier général, dont la minute était
signée par les présidents des douze provinces. L'arche-
vêque de Bourges parla pour le clergé, M. de Brissac pour
la noblesse et Bernard pour le tiers état. A lire le discours
de Brissac, il serait difficile de reconnaître l'un des acteurs
les plus fougueux de la journée des Barricades, l'ami
intime du duc de Guise, celui que le roi avait fait arrêter
' PARIS A BLOIS 481
I
eu même temps que les députés parisiens et n'avait relâclié
qu'à grand'peine. Rien de plus incolore et de plus plat
que sa harangue. Celle de l'orateur du tiers état fut, au
contraire, pleine d'énergie et de force. Elle traçait un
sombre tableau du royaume de France et dénonçait for-
mellement les concussionnaires. <( Il est temps, dit-il au
roi, de con^primer l'éponge trop remplie. Le secours
sera prompt et facile, parce que les deniers ne sont hors
du royaume, ni en Allemagne ou à la banque de Venise :
ils sont aux cofires de quelques particuliers qui, abusant
de vos grâces et faveurs, se sont enrichis et élevés suc-
cessivement. » Il pria le roi, au nom du tiers état, de lui
permettre de se séparer et déclara en terminant « que ses
collègues lui avoient donné charge expresse de supplier
S. M. qu*en continuant sa clémence et bonté ordinaires, il
lui plaise mettre en liberté ses confrères détenus et
arrêtés, et les rendre à la compagnie du tiers état entiers
de leurs personnes et réputation ». Fort embarrassé, le
roi essaya une justification timide de l'assassinat du duc
de Guise, disant « que quelques choses étoient avenues ces
jours passés à son regret, mais que, contre son naturel,
il avoit esté forcé de ce faire et qu'il n'y avoit aucun de
ses sujets hors de passion qui, mettant la main à la con-
science, ne dit que ce qui a été .fait l'a été justement, et
qu'il ne pouvait faire autrement ». Il fallait bien répondre
enfin aux prières des députés tendant à l'élargissement de
La Chapelle-Marteau et de ses collègues. Henri III s'en tira
par cette déclaration vague : « Quant aux prisonniers, je
ne puis, pour le présent, accorder vos requêtes, mais je
ferai toujours paraître ma bonne clémence. » C'était, du
moins, la vie sauve pour les captifs.
La tragi-comédie des États de Blois était terminée.
Personne n'y avait rien gagné •: ni la Ligue, qui avait
perdu ses deux puissants chefs, ni le roi, que son attentat
ROBIQUBT. 31
48â PARIS ET LA LIGUE
avait rendu odieux à la grande majorité de la nation.
Le 14 janvier 1589, le lit de justice de clôture s'ouvrit à
midi dans la grande salle du château. On entendit encore
deux interminables harangues de l'archevêque de Bourges
et du comte de Brissac, si bien que, c< la nuit approchant »,
Bernard dut remettre au lendemain le discours qui résu-
mait « les plaintes et doléances du tiers état ». Il s'en
acquitta fort bien, si Ton en croit son témoignage. Après
quoi, le roi permit aux députés de prendre congé et fit lire
les réponses préparées d'avance à certains articles des
cahiers. Les députés du tiers se réunirent une dernière
fois, le 17 janvier, à huit heures du matin. Louis Bourdin,
député de Paris, remercia Bernard de ses courageux
efforts, au nom de la députation de Paris et de l'Ile-de-
France. Unis dans la même pensée douloureuse, les
députés nommèrent encore une députation pour réclamer
la mise en liberté du prévôt des marchands et des autres
prisonniers, pour présenter au roi les articles omis ou
altérés dans le cahier général et requérir la taxe des
députés. Mais le roi n'avait garde de rendre ses otages.
Bernard, qui avait accepté la mission « de porter le propos,
quoiqu'il f&t périlleux d'en parler davantage », ne craignit
pas cependant d'aborder Henri au sortir de la messe et de
lui soumettre sa requête. Le roi « fit réponse qu'il y avi-
seroit et que c'étoit une affaire d'État où il vouloit
penser de près ». Tristes et découragés, les députés ren-
trèrent dans la salle des délibérations et se firent leurs
adieux, « avec beaucoup de regret des choses passées et
appréhension des périls et troubles prochains; plusieurs
avoient la larme à l'œil et disoient que leur séparation
auguroit que la France s'en alloit séparée ».
En effet, il y avait de quoi pleurer sur la France. La
guerre civile, l'anarchie, le fanatisme, tous les fléaux,
tous les crimes semblaient se conjurer contre elle. Les
PARIS A BLOIS 483
astrologues prédisaient que le monde allait s'abimer * . En
frappant le duc de Guise, « le roi de Paris », Henri III
avait cru décapiter la rébellion, et voilà qu'à un chef de
grande race, non moins diplomate que général, la Ligue
allait substituer le furieux élan des foules et la féroce
énergie de moines sans scrupules. La vieille Catherine
elle-même n'était plus là pour amortir les haines. Déjà
malade, au moment des exécutions des 23 et 24 décembre,
l'émotion de l'assassinat des Guises l'avait achevée (5 jan-
vier 1589). Cette femme, qui avait gouverné la France
sous quatre rois et dont les yeux impassibles étaient restés
secs devant tant d'horreurs et tant de crimes, ne put sup-
porter la sénile colère et les apostrophes indignées du
cardinal de Bourbon, lui aussi prisonnier du roi. D^ailleurs
qu'eût-elle pu faire, si elle avait survécu? Malgré les vrai-
semblances, le peuple, surtout celui de Paris, Taccusait
« d'avoir donné consentement et occasion à la mort des
deux princes lorrains. Et disoient les Seize que si on ap-
portoit le corps à Paris, pour l'aller enterrer à Saint-Denis,
au sépulcre magnifique que, de son vivant, elle avoit basti
à elle et au feu roy Henri son mari, qu'ils le traîneroient
à la voirie ou le jetteroient dans la rivière ". » Vivante,
celle qu^hier encore on appelait la « Junon de la Cour »
n'eût pas reçu de la capitale un meilleur accueil, et elle se
serait vainement efforcée de réconcilier Paris et le roi...
Henri III avait dit : « Morte la bête, mort le venin »,
mais, conune dit Pasquier, la queue de labète était longue.
Laissé sans argent par les États, qui, deux jours avant de
se séparer, lui avaient intordit même d'aliéner les biens
1. Voy. Palma-Gatbt, Introil. à la chronoL novenaire, Pasquibr (livre XH],
lettre VI) cite les vers de Nostre-Dame (dans ses centuries de 1553) :
Paris conjure un grand meurtre commettr*' :
bloys lui fera sortir son plein effect.
2. L'EsTOiLB, t. m, p. 233.
484 PARIS ET LA LIGUE
du domaine, il était aussi presque saas soldats. A la suite
de Tassassinat des Guises, Tarmée du duc de Nevcrs
s'était débandée, ne voulant plus servir l'assassin, et le
général était revenu seul à la cour. Orléans avait forcé le
maréchal d'Aumont d'évacuer la place. Charles VII un
moment avait été le roi de Bourges; Henri III n'était plus
que le roi de Blois. Il allait se diminuer encore en se fai-
sant le geôlier du prévôt des marchands, de Tarchevêque
de Lyon, du prince de Joinville et du duc d'Elbœuf, dont
la captivité gênait Taudace de la rébellion ligueuse.
Si maintenant on jette un coup d'œil en arrière pour
résumer le rôle des députés parisiens aux Etats géné-
raux de Blois, on arrive à cette conclusion qu'ils ne brillè-
rent ni par leur éloquence, ni par leurs lumières, ni par
leur énergie. Président élu du tiers état, chargé de le
diriger par une tradition séculaire, le prévôt des mar-
chands, La Chapelle-Marteau, ne fut qu'un médiocre auxi-
liaire de l'ambition des Guises. On chercherait vainement
dans ce personnage effacé l'étoffe et les grandes vues d'un
successeur de Marcel. Le président de Neuilly, Jean de
Compans, Nicolas Auroux, Louis Bourdin, Louis d'Or-
léans, ses collègues de la députation parisienne, pour le
'tiers état, pâlissent comme lui à côté de la grande victime
du drame de Blois. Les députés de la noblesse et du
clergé, pour la Ville, prévôté et vicomte de Paris, font
encore plus mince figure dans la lutte contre Henri III;
on ne trouve aucune trace de leur action dans le procès-
verbal des États. Un seul honmie, en dehors des princes,
montre quelque initiative et dépasse de la tète tous les
agents de la ligue; c'est Etienne Bernard, député de
Dijon. Par son honnêteté, son courage, son éloquence, il
réussit un moment à intimider le roi, qui le ménage et
le respecte. C'est Bernard qui ose, après l'assassinat des
Guises, refuser, au nom du tiers, d'entrer en délibération
PARIS A BLOIS 485
avec le Conseil « sur le fait des finances », et réclame à
plusieurs reprises la mise en liberté des députés parisiens.
Il eût mérité de présider le tiers état et de tenir la placé
du prévôt des marchands. Quant à La Chapelle-Marteau,
il n'apporta, dans ces circonstances tragiques, qu'un petit
esprit et de petits moyens ; alors qu'il aurait pu parler au
nom d'un grand peuple et s'ériger en redresseur des abus
criants' de la monarchie des Valois, il ne fut que le plat
valet des Guises et l'une des causes de leur fin sanglante par
ses basses adulations, par ses conseils provocateurs. Il
n'eut ni la grandeur du vaincu, ni l'audace du roi meur-
trier. Ayant pu être un tribun ou un réformateur, il ne fut
qu'un comparse, un otage vulgaire auquel on laissa la vie,
par dédain.
Désormais l'intérêt n'est plus à Blois, mais à Paris, où
la Ligue va installer le quartier général de l'insurrection.
Certes, ce n'est pas uniquement la municipalité parisienne
qui se chargera à elle seule d'organiser la résistance; mais,
à côté des prédicateurs, à côté de l'ambassadeur d'Espagne
Mendoza, elle jouera néanmoins un rôle considérable dans
los préparatifs de la lutte. Tout en gardant prisonnier le
prévôt des marchands, Henri III commit une grande im-
prudence. Pour essayer de se concilier les Parisiens, il
leur renvoya, vers la fin de décembre, les échevins Com-
pans et Costeblancbe, qui avaient d'abord été arrêtés, et il se
contenta de leur faire jurer de servir ses desseins. C'était
Claude Marcel (l'ancien prévôt des marchands de 1570,
dont nous avons dit les états de service lors de la Saint-
Barthélémy), c'était Claude Marcel qui avait reçu du roi la
mission de reconduire les échevins mis en liberté et de
ménager une transaction avec l'Hôtel de Ville. Compans
et Costeblancbe oublièrent de suite leurs serments, et les
confesseurs de la Ligue ne manquèrent pas de les en dé-
lier. Quant à Marcel, il perdit toute son influence en deve-
486 PARIS ET LA LIGUE
nant rhomme du roi : mais ce qui prouve bien que le soulè-
vement de Paris ne fut pas immédiat, c'est que les meneurs
ne repoussèrent pas violemment les ouvertures du souve-
rain et députèrent à Blois Pierre le Maître, président aux
enquêtes, afin d'amuser le roi et de surveiller ses actes.
Il faut se transporter maintenant dans la capitale pour
voir à l'œuvre les meneurs de la Ligue, moines, princes,
bourgeois, agents de l'Espagne ou du pape, et suivre de
près l'organisation et les péripéties de la lutte suprême
contre le dernier des Valois.
CHAPITRE VII
PARIS RÉGICIDE
(Depuis raisastinat des Oolses jusqu'à TassaBsinat du Roi.
23 décembre 1588 — 2 août 1589.)
Le duc de Guise avait été assassiné dans la matinée du
23 décembre 1588. Dès le 24 au soir, la fatale nouvelle
était apportée à Paris, mais pas par les courriers de
Henri III, bien que le roi eût pris des mesures pour avertir
immédiatement les fonctionnaires dévoués qu'il comptait
dans les principales villes. En cette circonstance, la haine
fut plus diligente que le zèle officiel, et les chefs de la
Ligue apprirent le drame de Blois avant les autorités
régulières de la capitale ^ Ils profitèrent de cette avance
pour organiser sans délai Tinsurrection, mirent sur pied
les dizaines, déployèrent « leurs vieux drapeaux et commen-
cèrent à crier Au meurtre I au feu! au sang! et à la ven-
geance ' )). On se saisit de toutes les portes et des positions
stratégiques de la Ville; un émissaire fut dépêché immé-
diatement au duc d'Aumale, qui faisait ses dévotions au
couvent des Chartreux, pour le prier de rentrer dans Paris ;
enfin. Ton mit garnison chez les principaux membres du
parti royaliste '. Dans la nuit du 24 au 25, les ligueurs de
i. Palkà-Gatbt, Chron, nov., livre I«». De Thou, t. X, p. 481. Pasquier,
Lettres, livre XIII, lettre IX.
2. L'EsTOiLB, t. III, p. 202.
3. Palma-Gaybt dit que les partisans du roi étaient appelés •'politiques
488 PARIS ET LA LIGUE
marque tinrent conseil chez le duc d'Aumale et prirent la
résolution de s'emparer de la capitale, sauf à s'inspirer
ensuite des circonstances ^ Il ne parait pas que les roya-
listes aient essayé de résister sérieusement. Prévenus plus
lard que les ligueurs, ils perdirent encore du temps à se
consulter, tandis que leurs adversaires descendaient dans
la rue *. L'Estoile affirme, un peu légèrement peut-être,
que les royalistes, « mesme les premiers de la justice »,
eussent été les plus forts, s'ils s'étaient décidés à agir; mais
ils se laissèrent intimider et montrèrent leurs craintes, si
bien que les mutins, » voians qu ils avoient peur d'eux,
leur sautèrent au colet et, aians pris les armes pendant
qu'ils consultoient, ce qui dévoient avoir jà fait, frappè-
rent les premiers et par ce moien obtinrent l'avantage et
la victoire, laquelle, en toutes révoltes et séditions popu-
laires, demeure à ceux qui entreprennent les premiers ».
Ainsi maîtres de Paris sans combat, les membres du
conseil de la Ligue (qui avaient à leur dévotion Roland
et Desprez, les seuls magistrats municipaux restés en fonc-
tion à l'Hôtel de Ville depuis l'arrestation de La Chapelle-
Marteau, Gompans et Costeblanche) employèrent la nuit
du 24 décembre à rédiger, sous le nom de la Ville, des
lettres et circulaires à différentes cités et à plusieurs grands
personnages qu'il était important de se concilier.
Une formule collective parait d*abord avoir été arrêtée
pour informer les villes fidèles à l'Union de l'assassinat
du duc de Guise et les grouper autour de la capitale. G'est
la circulaire intitulée « A plusieurs villes ' » ; mais d'autres
et ont esté appelez depuis catholiques royaux, à différence des catholi-
ques liguez, qui se qualinèrent du tiltre de catholiques unis ou de rUnion ».
L'EsToiLB emploie également les expressions de royaux et de politiques.
1. Db Trou. Ibid,
2. « Soudain qu'ils eurent advis ^e la mort des deux frères, la révolte
fut générale... » Pasquikh.
3. Nouj croyons inutile d'en reproduire le texte, d'autant qu'il a été
imprimé dans les Preuves de Féubien, t. V, p. 449, et réimprimé par
PARIS RÉGICIDE 489
lettres furent adressées par des émissaires spéciaux à
quelques cités importantes ', ou à des princes du parti
catholique. Le duc de Lorraine, par exemple, fut honoré
d'une communication datée du 24 décembre à minuit ^
Dans cette nuit terrible du 24 au 25, la stupeur fut indici-
ble. De Thou affirme que personne ne dormit; les prédica-
teurs eux-mêmes étaient si étourdis du coup qui venait de
frapper la faction, qu'ils ne semblaient pas songer à la ven-
geance ; les politiques se demandaient avec angoisse com-
ment le roi allait faire face au prochain réveil de la colère
publique. Ce calme, précurseur des tempêtes, dura encore
pendant la matinée du 25, jour de Noël; toute la popula-
tion était rassemblée dans les églises. Mais, dans l'après-
midi, les prédicateurs commencèrent à déclamer contre
les assassins du chef de la Ligue ^, et les meneurs du
H. Mabtin, t. X, p. 118. Toute la circulaire se résume, d'ailleurs, dans les
phrases suivantes : « Nous travaillons icy'tant que nous pouvons; nou&
nous assurons que vous ne ferez pas moins de vostre côté. G*est à cette
fois ou jamais qu'il se faut aider... Autrement nos ennemis sont au-dessus
de leurs afTaires. n Rbo. H, 1789, fo 212.
1. C'est ainsi que les échevins de Paris écrivirent à « Messieurs Iqs colo-
nels de la ville de Rhodez » une lettre qui débute ainsi : « Vous avez
entendu la tragédie jouée à Blois, tant contre les députez de tout ce
royaume que particulièrement à rencontre de ceux qui se seroient opposez
vaillamment aux perturbateurs de cet Estât... » Reg. U, 1789, f° 214.
Félib., Preuves, t. V, p. 449.
. 2. Voici cette lettre, qui a son intérêt. (Cf. Félib., P/*., t. V, p. 449.)
H MoNSBiGXEun. Vous entendrez par la despéche de monseigneur d'Au-
male le mallieureux acte commis en la personne de monseigneur de Guise,
ainsi que nous l'avons entendu par deux courriers présentement arrivez.
Cette nouvelle nous a réduits en telle perplexité et affliction que nous ne
vous en pouvons rien représenter, mais que nous connoissons qu'il ira de
la perte ou conservation de nostre religion et de tout ce qui nous est de
plus cher en ce monde. Nous aurons recours à Dieu et à tout ce qu'il
nous a donné de meilleur, pour de tout nostre cœur embrasser sa querelle
et la nostre. En telle querelle, sa divine bonté nous a toujours assistez des
princes de vostre nom. Nous nous assurons, de vostre costc; de nous
aussi il vous plaira faire estât. De Paris, le 24 décembre, à minuit, 1588. w
Reg. /6irf., f» 1.
3. Ce fait est attesté nettement par Palua-Cayet : « Les prédicateurs de la
faction des Seize, en leurs prédications qu'ils firent le jour de Noél, incitèrent
tellement le peuple à la rébellion que, dez le lendemain, contre le gré de
messieurs de la Cour de Parlement, en une assemblée qu'ils firent en l'Hos-
tel de Ville, ils esleurent M. d'Aumalle pour gouverneur de Paris... » Chron,
490 PARIS ET LA LIGUE
parti, se voyant absolument maîtres de la situation, réso-
lurent de se mettre en état de rébellion ouverte. Le len-
demain après les vêpres, ils assemblèrent leurs partisans
à THôtel de Ville et forcèrent le premier président de
Harlay et le président Augustin de Thou ^ à se rendre à
la séance. Toute discussion sérieuse paraissait impossible,
tellement étaient bruyantes les vociférations des factieux ,
qui cherchaient évidemment à provoquer les magistrats
et à faire naître l'occasion de les mettre en pièces. Cepen-
dant l'échevin Jean Roland, dont la réputation de violence
était bien établie et qui^ peu de temps auparavant, avait
été arrêté avec Pierre Belloy par ordre de Henri III, Jean
Roland fit signe qu'il voulait parler et réussit à obtenir
le silence. Il en profita pour prononcer une harangue dont
le but était d'exhorter les assistants à s'unir pour la
défense de la religion et de la liberté, et à ne faire qu'un
seul corps sous la main d'un chef digne d'assumer une
tâche aussi importante. Il conclut en proposant de nom-
mer le duc d'Aumale gouverneur de Paris. Cette motion
fut accueillie avec un vif enthousiasme; le peuple, qui
avait forcé les portes de l'Hôtel de Ville, poussait d'étour-
dissantes clameurs, et, conmie il faut des jouets san-
glants à ces foules déchaînées, quelques fanatiques por-
taient déjà la main sur les deux magistrats quand l'inter-
vention du duc d'Aumale les sauva.
Les Seize, qui venaient de faire nonMner un gouverneur
de Paris, usurpant ainsi sur les prérogatives du roi,
nôv., chap. I**". Les prédicateurs n^attendirent donc pas le 29 décembre
pour rompre le silence, comme le dit M. Gh. Labittb, De la démocratie
chez les prédicateurs de la Ligue, p. 43.
1. Oncle de Thistorien Jacques-Auguste de Thou, qui a donné un drama-
tique récit des insistances faites auprès des deux magistrats parleurs amis
pour les décider à ne pas se rendre à THôtel-de-Ville, où l'on pensait qu'ils
trouveraient la mort. C'est le président de Thou qui conseilla au premier
président de répondre, «omme lui-même, à la convocation menaçante des
ligueurs, en disant qu'ils ne trouveraient jamais l'occasion de mourir
plus glorieusement. De Thoi*, t. X, p. 488.
PARIS RÉGICIDE 49i
commirent une seconde illégalité en reconstituant la mu-
nicipalité parisienne par des élections non moins irrégu-
liëres que les précédentes. Une autre assemblée générale *
nomma les sieurs Drouart, avocat, Crucé, le fameux pro-
cureur au Chàtelet, et de Bordeaux, marchand, pour
tenir la place du prévôt des marchands La Chapelle-Mar-
teau, et des eschevins Compans et Costeblanche, qui étaient
les prisonniers du roi *. L'Hôtel de Ville affirma immé-
diatement sa résurrection en adressant force mandements
aux officiers municipaux et en se plaçant humblement
sous l'autorité des Seize et du duc d'Aumale ', entre les
mains duquel les nouveaux élus prêtèrent serment. Dès
la date du 28 décembre, on trouve d'ailleurs dans les
Registres de la Ville des ordres qui portent cette formule :
« De par monseigneur le duc d^Aumalle^ gouverneur de
ceste ville de Paris^ et les Prévost des nxarchans et Esche-
vins de ladicte Ville. » Ainsi s'opère la fusion, jusque-là
inconnue, de l'exécutif et du délibérant. L'Hôtel de Ville
n'est plus qu'un organe du gouverneur de Paris, agent
lui-même des conseils occultes de la Ligue.
Certes, il est difficile de donner une idée nette et pré-
cise du nouveau pouvoir qui va dominer Paris, par cela
1. Cette assemblée générale se tint le 5 janvier 1589. Les Registres cons-
tatent que les nouveaux élus « vacqueront aux affaires de la Ville pendant
la détention du prévost des marchands et deux échevins », mais qu'ils
n'auront pas qualité d'échevins et ne porteront robbes de livrée. FtuB., Pr,,
t. V, p. 452. Les mandements de convocation, datés du 4 janvier, convo-
quent les quartiniers « pour eslire et commettre un prévôt des marchands
et deux eschevins pendant la rétention de ceulx qui sont absents jusques
h leur retour ». Rbo. H, 1789, f» 229.
2. Palma-Gatbt, Chron, nov,^ chap. I. Dialogue du Maheustre et du Manant.
Celte source présente une autorité spéciale pour la période qui nous
occupe, surtout si, comme on l'a souvent prétendu, le dialogue a pour
auteur Téchevin Roland. Cf. Preuves de la Satyre Ménippée, t. 111, p. 367,
édit. de Ratisbonne de 1752.
3. Dès le 26 décembre, un mandement du Bureau de la Ville, signé le
Prévost des marchands et Eschevins de la Ville de Paris ^ invite les conseillers
de la Ville à se rendre le lendemain & la maison commune pour désigner
une délégation chargée « d*assister au Conseil qui se tiendra près la per-
sonne de monseigneur le duc d^Âumale ». Rbo. H, 1789, f» 214.
49â PARIS ET LA LIGUE
même que le mécanisme en est modifié à toute heure par
les circonstances. « Tout le bâtiment des Seize, dit Tauteur
anonyme du Dialogue du Maheustre et du Manant j a res-
semblé à l'entreprise de la Tour de Babel. » Ce n'est guère
qu'en suivant l'ordre chronologique qu'on peut atteindre,
h cet égard, la vérité historique. Déjà, nous avons essayé
de retracer la genèse, pour ainsi dire, de ce fameux comité
des Seize *, qui au fond a toujours compris plusieurs comi-
tés. Les événements de Blois lui firent subir une transfor-
mation nouvelle. Aussitôt après la nomination du duc
d'Aumale en qualité de gouverneur de Paris et la recons-
titution de la municipalité parisienne, les meneurs du parti
« firent élire par le peuple ' un Conseil général de r Union
des catholiques, composé des trois Estats, gens de bien et
de créance ^ ». Ce Conseil général ne s'attribuait pas une
moins haute mission que celle « d'ordonner des affaires
do l'État et recevoir en conférence toutes les provinces et
villes catholiques, les députés desquelles avoient séance
et voix délibérative audit Conseil ». Un de ses premiers
soins fut de décerner au duc de Mayenne, alors en Bour-
gogne, le titre de lieutenant général de l'État et couronne
de France. Mais la composition du Conseil général de
rUnion ne semble pas avoir été définitivement fixée avant
l'arrivée de Mayenne à Paris; et cette arrivée n'eut lieu
que le 12 février 1589. Jusque-là, l'administration de Paris
parait avoir été confiée aux échevins, titulaires et provi-
soires, auxquels le duc d'Aumale adjoignait quatre ou six
conseillers de Ville, désignés chaque semaine *.
1. « On dit qae les Seze, des plus séditieux de Paris, geDs de basse con-
<UtioD, y ont empiété toute authorité et puissance, que Ton appelle le
Conseil de Seze. C'est une vraye anarchie... » Pasqviei, Lettres, livre XIII,
1. IX, p. 319.
2. 11 va sans dire que cette élection par le peuple fut absolument fic-
tive, et que les membres du Conseil général de l'Union n'étaient que les
•créatures des comités insurrectionnels.
:). Dialogue, etc., p. 453.
4. C'est ce qui résulte d'un procès- verbal tiré des Registres et qui porte
PARIS RÉGICIDE WA
La force principale • de rorganisaiion nouvelle résidai!
d'ailleurs dans les comités de quartiers. « Au mesme
temps, Ton establit des conseils particuliers en chacun des
seize quartiers, composés chacun de /2^<//* personnes nota-
bles, esleues par chacun quartier, en intention de veiller
chacun en son quartier sur tout ce qui s y faisoit, et en
advertir le prince et les magistratz pour y donner ordre
selon les occurrences. Quand le Conseil général fut establi,
les Seize, de jour à autre, rapportaient Testât de la ville et
des provinces de la Ligue, desquelles ils avoient advertis-
sèment par la praticque qu'ils avoient observée auparavant
les Barricades ^ » Ainsi : un gouverneur de Paris, le duc
d'Aumale, un Conseil général sur le papier, un Bureau de
la Ville, complété par une adjonction de quatre ou six
conseillers de Ville qu'un roulement renouvelait chaque
semaine, seize quartiniers et seize comités de neuf mem-
bres, telle était la composition du gouvernement insurrec-
la date du 27 décembre 1588 : u .... A été advisé el condud que l'on lais-
sera en la liberté de monseigneur le duc d'Aumalle, gouverneur de ladite
Tille, et desdictz sieurs eschevins, de appeller par chacune huitaine quatre
ou six desdictz sieurs conseillers, qui se rendront assiduz pour assister
au Conseil de ladite ville, selon qu*ilz adviseront. » Rbg. H, 1189, ^ 213.
Le Bureau de la Ville, ainsi complété, était un rouage nouveau que le
procès-verbal du 16 février 1589 qualifie de « Conseil particulier de la
Ville ».
1. Dialogue f etc. Db Thou écrit de son côté : « Après s'être donné un
gouverneur & leur dévotion, ils avoient mis à la tète des seize quartiers de
Paris seize personnes tirées de la lie du peuple, tous gens ruinés ou
qui avoient sujet d'appréhender la rigueur de la justice. C'étoient les Seize
qui étoient chargés de sonder les dispositions des bourgeois de cette ca-
pitale. » T. X, p. 511. Nous croyons que la version du dialogue et celle de
l'historien de Thou peuvent aisément se concilier. Chaque quartier avait
un comité, et le chef de ce comité était, à coup sûr, le quartinier établi par
la Ligue. La délibération du 18 février, sur laquelle nous reviendrons, fait
une allusion formelle « au conseil establi en chacun des seize quartiers »,.
et, d'autre part, elle se termine par un mandement « aux quarieniers de
se trouver au bailliage du palais avec les colonels, capitaines, lieutenans,
enseignes, cinquanteniers et dizeniers.... » Félibibn, Pr., t. V, p. 457. Le
dialogue lui-même rapporte d'ailleurs tous les noms des Seize : « Le pre-
mier desquels est de La Bruyère, en après Crucé, et puis suivent Bussy Le
Clerc, le commissaire Louchart, de la Morlière, Senaull, le commissaire
de Bart, Drouart, avocat, Alvequin, Emonnot, Jablier, Messier, Pasî^art,
colonel, Oudineau, Le Tellier et Morin, procureur au Chastelet. »
494 PARIS ET LA LIGUE
tionnel avant TaiTivée de Mayenne. Voyons maintenant
ses moyens et ses actes, dans cette sorte d'interrègne
démocratique qui laisse le champ libre aux couches infé-
rieures de la faction cléricale.
A en juger par les textes, la municipalité ligueuse, à la
tin de 1588 et au commencement de 1589, a déployé une
activité extraordinaire. Son premier soin fut d'emprisonner
les royalistes fidèles « sans aucune distinction de sexe ny
d'aage ^ ». Ce n'était pas un simple système de vexation;
c'était ai)ssi une façon ingénieuse de se procurer de
l'argent. L'Estoile dit que le duc d'Aumale « commença
la guerre par les bourses ' », celles des amis comme celles
des ennemis, car le chroniqueur ajoute qu'on adressa
« mandement aux curés des paroisses de la ville et des
fauxbourgs de lever de chacun de leurs paroissiens le
plus de deniers qu'ils pourroient pour les affaires de la
guerre et défense de la ville ». Dans une assemblée
générale tenue le 31 décembre en la grande salle de
l'Hôtel de Ville et présidée par l'échevin Roland ', il fut
reconnu « qu'il estoit requis et nécessaire faire quelque
1. Palma-Gatbt, Ibid.
2. « U commença la guerre par les bourses, envoiaat fouiller les maisons
des roiaux et politiques par les Seize (comme fust la mienne, la première
du quartier, fouillée par maistre Pierre Senault et La Rue, mercredi 28* de
ce mois, jour des Innocens) et tout plain d'autres, emprisonnés pour avoir
de l'argent. » T. in, p. 203. Pasquibe écrit à son fils : « On fait très bon
marché des bourses, spécialement de celle des absents; cela s'appelle
cinq ou six cens escus pour le moins, pour subvenir aux affaires de la
Saincte Union qu'il faut que nos femmes trouvent, sur peine d'espouser
une prison. » Livre XIII, lettre IX, p. 379.
3. Les convocations étaient adressées aux u députez des courts souve-
raines, corps, collèges, chappelles, communaultez ecclésiastiques, quarteniers
et huit notables bourgeois de chacun quartier d'icelle ville, encore esmeue
et troublée & l'occasion des meurtres et emprisonnement des princes,
seigneurs et bourgeois tant de ladite ville que aultres de ce royaume,
mesmes du pré vos t des marchans et deux eschevins de ladite Ville, dé-
putez en l'assemblée généraUe des Estatz de ce royaume convocqnez en la
ville de Blois... » Reo. H, 1789, fo 219. Il est assez curieux de remarquer
({ue les bourgeois notables ne répondirent pas avec empressement à la
convocation de la municipalité ligueuse. Sur les 128 mandés, il n'en vint
que 35!
PARIS RÉGICIDE 495
fondz notable de denyers d'entrée, et puis après contribuer
quelque médiocre somme par mois, tant que la nécessité
durera ». L'affectation à donner aux fonds ainsi demandés
aux Parisiens devait être double : ils serviraient à solder
les gens de guerre « levés pour la manutention de la reli-
gion catholique, apostolique et romaine » et, en outre, à
ouvrir des ateliers municipaux, destinés au « menu peuple,
lequel demeurant oyseux et en nécessité, pourroit s'esmou-
voir et se mutiner ». Roland, dans son discours, propose
d'employer tous ces pauvres gens à la réparation des
fortifications et autres travaux d'édilité *. Quant aux
moyens de se procurer des ressources, ils seront d'une
grande simplicité. On fera une « levée généralle sur tous
les bourgeois, manans et habitans de la ville », et ou les
invitera « à contribuer gratieusement et sans crainte pour
une sy juste et saincte cause ». Les quêtes seront faites par
les curés, accompagnés de quatre bourgeois, ou bien par
deux délégués des capitaines et bourgeois do chaque
dizaine. Il est aisé de deviner k quel point les bops Pari-
siens étaient libres de refuser leurs cotisations à des curés
si escortés. La Ligue complétait ces procédés de perception
gracieuse en recouvrant, dans toute l'étendue de l'élection
de Paris, les tailles et subsides arriérés, sur le taux de 1576
ou dans la proportion des deux tiers de l'impôt de Tannée
précédente. Toutes ces recettes devaient être centralisées à
Paris, entre les mains de l'échevin Roland *.
1. Sous la date du 5 janvier 1589, nous trouvons dans les Registres un
mandement ainsi conçu : t On faict assavoir à tous pauvres, manouvriers,
mercenaires et gens de peyne vallides qui vouldront estre employez aux
asteliiers de ladite ville et du boys de Vincennes, qu*ils ayent à se trouver
et présenter samedy, une heure de relevée, au parc des Toumelles, pour
Gstre receuz et enrôliez ausditz asteliiers, et estre eonduictz où il sera
ordonné, esquelz asteliiers ilz seront payez raisonnablement, en se gar-
njssant de outilz propres à remuer et porter la terre. » Rbg. H, 1188, fo 230.
2. « 5 janvier 1589. Il est ordonné que les deniers qui ont esté receuz
par les paroisses seront remis ès-mains de monsieur Telleu Rolland, com-
mis et députté à faire la recepte et despence de Tarmée qu'il convient
496 PARIS ET LÀ LIGUE
Avec de l'argent on fait la guerre, et le roi n'est pas si
riche que la Ligue, mais il a contre Paris des otages pré-
cieux, le prévôt des marchands et deux échevins. Pour les
lui arracher, THôtel de Ville n'a qu'une arme : la diplo-
matie! Dès le 28 décembre 1588, la Ville écrit au roi une
lettre très respectueuse pour demander la liberté de La
Chapelle-Marteau et de ses deux collègues, et elle confie au
président Le Maistre la mission de porter cette supplique à
Blois ^ Le pauvre homme avait peur et fit son testament
avant de partir; mais « le tyran », déjà rassasié de ven-
geance, ne songeait guère à prendre la vie de l'ambassa-
deur des Parisiens. Sollicité par les députés du tiers état,
dont nous avons dit plus haut les courageuses instances^
bercé aussi de l'illusion d'apaiser Paris à force de man-
suétude, Henri III va lui rendre la duchesse de Nemours,
mère de Guise l'assassiné, et les échevins Compans et Coste-
blanche ; quant à Le Maistre, il reviendra avec l'édit du 31 dé-
cembre par lequel Henri III s'amnistiait et amnistiait ses
ennemis.
En attendant, les ligueurs parisiens ne perdaient pas une
minute. A chacun sa tâche : le prêtre et le moine fulmi-
mettre sus pour la de(Tence de la religion catholique, apostolique et ro-
maine. » Rbo. h, 1789, f* 231. Un mandement du Bureau enjoignit aux
curés de remettre à Roland l'argent recueilli par eux. S'ils tardent, ils
sont menacés. C'est ainsi qu'un mandement du Bureau, en date du 19 janvier,
fait savoir au curé de Saint-Médéric que, s'il ne presse pas ses paroissiens
d'apporter leur obole & la Ligue, on s'en prendra à lui « par les voyes qui
seront ». Rbg. H, 1189, ^ 236. U ne faut pas s'étonner si, comme l'écrivait,
le 8 janvier 1589, le duc d'Aumale & un prêtre, « MM. du clergé ont très
sainctement consenty la vente d'une parUe de leur temporel, afQn d'en
employer les deniers aux fraiz de la guerre contre les héréticqnes. » Ibid,,
t* 235« M. Binet, receveur des décimes de la généralité de Paris, centralisait
ces pieuses officandes.
1. Rbg. h, 1789, (• 216. Nous ne reproduisons pas le texte de cette lettre,
que Félibien a déjà insérée au t. V, Preuves ^ de son Hist, de la V.de Paris ^
p. 450. Tout en réclamant la mise en liberté des députés de Paris aux
États généraux, TUÔtei de Ville avait pris une précaution dans l'assemblée
générale du 31 décembre 1588. Elle avait révoqué les pouvoirs des députés
dont il s'agit et fait homologuer cette révocation par les trois cours sou-
veraines. FiuB., Pr., t. Y, p. 451 •
PARIS RÉGICIDE 497
nent dans les chaires, les Conseils et l'Hôtel de Ville réqui-
sitionnent, encaissent, arment et font de la propagande.
Il faut suivre tous ces acteurs; et d'abord les curés, les
moines, les théologiens.
Depuis les Barricades et la fuite du roi, Paris est la proie
du clergé révolutionnaire. Il s'installe dans la capitale
comme en place conquise, occupe toutes les cures, s'ins-
talle de force dans toutes les chaires. François Pigenat,
un des plus fougueux élèves des Jésuites *, déposséda le
curé de Saint-Nicolas des Champs, Legeay, qui passait
pour royaliste. Guincestre, autre énergumène dont l'atti-
tude scandalisait les ligueurs un peu civilisés, surtout
lorsqu'il suivait les processions tout nud et vestu d'une
simple guilbe de toile blanche ', se fit installer avec le
même sans-gêne dans la cure de Saint-Gervais. Le curé
titulaire, Pierre Chauveau, fut évincé, grâce à des procédés
extrêmement ingénieux. A la date du 12 novembre 1588,
Chauveau est mandé au Bureau de la Ville, et il apprend
« qu'il se prépare quelque émotion au sujet de sa cure ».
Le pauvre homme répond en vain qu'on a profité d'une
absence qu'il avait dû faire, par suite de maladie, pour
« le calomnier d'être hérétique » ; il invoque sans plus de
succès les « attestations de ses paroissiens pour justifier sa
probité », les ligueurs du Bureau de la Ville ne veulent
rien entendre et l'invitent à « se retirer de Paris jusqu'à ce
que les choses soient plus calmes, luy faisant connoistre
qu'on avoit droict de le luy enjoindre ' ». Il fallut obéir à
1. Il ne faut pas le confondre avec son frère, Odon Pigenat, qui fut pro-
vincial des Jésuites après le décès du Père Mathieu et fit partie du con-
seil des Seize. Voy. Le Duchat, Remarques sur la Satyre Ménippéet t. II,
p. 82, et, sur l'installation de Pigenat dans la cure de Saint-Nicolas des
Champs, l'Estoilb, t. III, p. 187.
2. Journal des choses advenues à Pans. M. Labittb, dans les Prédicateurs
de la Ligue, p. 43, donne bien quelques renseignements biographiques sur
Guincestre, mais il ne raconte pas les mésaventures de Pierre Chauveau,
son prédécesseur & Saint-Gervais.
3. Rbo. U, 1189, fo 204, et Féub., t. V, Preuves, p. 448.
ROBIQDET. 32
498 PARIS ET LA LIGUE
celle injonclion. Mais ce n'étaîllà que le premier acle de la
comédie. Le 22 novembre, MM. Chauveau père el fils sout
de nouveau mandés à l'Hôlel de Ville. Le père, qui élait
procureur au Parlement, comparaît seul. Il dit que Pierre,
son fils, est empêché, cl demande ce qu'on lui veut. La
réponse fut « qu'on estoil averti que Chauveau fils, quoi-
qu'il eût résigné sa cure », avait Tintention de se présenter
dans sa paroisse aux fêtes de Noël et d'y faire l'office du
curé. Or, il n'en avait pas le droit « étant prévenu et pour-
suivi par-devant M. Tévèque de Paris pour avoir presché
plusieurs propositions erronées ». Au surplus, le dessein
du curé causerait forcément du désordre, car il était sou-
tenu par une partie de ses paroissiens, et la Ville préten-
dait s'opposer à ce conflit. Chauveau père répond à cela
que son fils a renoncé à se présenter dans son église avant
de s'être purgé devant l'évêque* des accusations dirigées
contre lui. Le même jour, à quatre heures, Pierre Chauveau
comparait à son tour au Bureau et fait des déclarations
identiques à celles de son père. Il prie la Ville de Tauto-
riser à rentrer dans sa cure quand il aura obtenu « sentence
h son proffict ». Il avoue « qu'il a eu mauvaise opinion des
princes catholiques et de ceux de leur party, mais que,
h présent, il avoyt changé d'advis et étoit d'opinion toute
contraire ». Cette rétractation ne réussit pas à fléchir le
Bureau. Il répliqua « qu'une sentence au proffict de Chau-
veau seroit suffisante pour l'entier recouvrement de son
honneur, sans qu'il luy soit besoin de rentrer en ladite
cure, parce qu'il n'en a poinct esté chassé, ains s'en est
desmis volontairement, et qu'il avoyt plus de commodité
d'en tirer une honneste récompense, sy faire se pouvoit,
que d'affecter trop opiniastrement de rentrer en ladite
cure * ».
i. Reo. H, 1789, t^ 210-211. L'extrait donné par Félibien est une analyse
très incomplète du procès-verbal des registres de la Ville. Cf. L*Enoiu,
PARIS RÉGICIDE 499
C'est ainsi que Guincestre devint curé de Saint-Gervais.
Il promena son éloquence dans toutes les paroisses de
Paris '. Le 29 décembre 1588, il prêchait à Saint-Barthé-
lémy; échauffé par les déclamations de ce fanatique, le
peuple, en sortant de Téglise, arracha les armoiries royales
qui en décoraient le portail, les jeta dans le ruisseau et les
foula aux pieds ', avec des jcris insultants pour ce vilain
Hérode; « ainsi avoierit les "prédicateurs, dit TEstoile, ana-
grammatizé le nom de Henri de Valois ». Le 1" jan-
vier 1589, autre fête. Guincestre prêchait encore à Saint-
Barthélémy, et il termina son sermon en faisant lever la
main à tous les assistants pour jurer « d'emploier jusques
au dernier écu de leur bourse et jusques à la dernière
goutte de leur sang » à venger les princes lorrains assas-
sinés. Et, comme en face de lui, au banc d'oeuvre, se trou-
vait le premier président de Harlay, il l'interpella à deux
reprises : « Levez la main, monsieur le président, levez-la
bien haut, encores plus haut, s'il vous plaist, afin que le
peuple le voie '. » De Harlay jura et, s'il eût refusé, le
peuple l'aurait sans doute assommé sur place.
Ce Guincestre ne respectait même pas la mort. Le
8 janvier, il commentait devant ses ouailles la mort de
Catherine de Médicis, dont la nouvelle avait été apportée à
Paris la veille : « Elle a fait, dit le curé de Saint-Gervais
t. III, p. 187. Le chroniqueur dit que la cure de Saint-Gervais avait « esté
résignée par le petit curé Chauveau vivant à maistre Michel Du Buisson,
qui, comme vicaire d'icelle, Tavoit desservie vingt ans durant, soubs def-
funct Antoine Du Vivier, curé, au contentement de tous les paroissiens ».
C'est ce Michel Du Buisson auquel les ligueurs auraient substitué Guin-
cestre. L'Estoile ajoute ce détail que « le roy, ayant entendu ces beaux
mesnages, dit tout haut qu'il voioit bien que les Parisiens estoient rois
et papes, et que qui les voudroit croire, qu'ils disposeroient à la lia de
tout le temporel et spirituel de son royaume «.
1. « Il est à remarquer, écrit Ch. Labilte, que pour mieux animer la
foule, sans doute, et varier les émotions, les curés prêchaient rarement
dans leurs paroisses. » Les prédicateurs de la Ligtte, p. 43.
2. L'EsTOiLE, t. m, p. 204.
3. Ibid., p. 230. Cf. Palma-Gaybt, Chronol, nov.j chap. I«'.
500 PARIS ET LA LIGUE
en parlant de la reine mëre, beaucoup de bien et beaucoup
de mal, et croi qu'elle en a encores plus fait du dernier
.que du premier. Je n'en doute point. Aujourd'hui, mes-
sieurs, se présente une difficulté, sçavoir : si l'Église
catholique doit prier Dieu pour elle, aiant vescu si mal
qu'elle a vescu, avancé et supporté souvent l'hérésie... Sur
quoi, je vous dirai, messieurs, que si vous lui voulez
donner à l'avanture, par charité, ung Pater et un Ave^
vous le pouvez faire : il lui servira de ce qu'il pourra, sinon
il n'y a pas grand intérest. Je le laisse à vostre liberté *. »
C'est encore Guincestre qui accusait Henri III d'avoir
commerce avec les démons de l'enfer, et, à l'appui de son
dire, exhibait en chaire les figurines d'argent doré trouvées
au château de Vincennes '. Des moyens aussi grossiers
suffisaient auprès du peuple parisien, qui a toujours aimé
faire ou briser des idoles. Après un sermon de Guincestre
(2 janvier) n'alla-t-il pas à l'église Saint-Paul démolir le
mausolée élevé par le roi à la. mémoire de Saint-Mesgrin,
de Quélus et de Maugiron? Ne s'amusa-t-il pas une autre
fois à lacérer le tableau du couvent des Augustins qui
i. L'EsTOiLB, t. III, p. 233.
2. La Satyre Ménippée fait allusion à ces stupides accusations : « Nos
prescheurs et docteurs ont-ils pas presché que le feu roy estoit sorcier et
adoroit le diable, au nom duquel il faisoit toutes ses dévotions, et mesoies
aucuns ont esté si impudens de montrer en chaire publiquement & leurs
auditeurs des effigies faites à pfaisir, qu'ils juroient estre l'idole du diable
que le tyran adoroit. » T. I, p. 156. Ces figurines n'étaient pas, d'ailleurs,
imaginées & plaisir. Elles venaient réellement de la résidence du roi au
bois de Vincennes et consistaient dans « deux satyres d'argent doré, de
la hauteur de quatre poulces, tenans chacun en la main gauche et s'ap-
puyant dessus, une forte massue, et de la droite soustenans un vase en
crystal pur et bien luisant; eslevez sur une base ronde, godcronnée et
soustenue par quatre pieds d'estal.... lis estoient au-devant d'une croix
d'or au milieu de laquelle y avoit enchâssé du bois de la vraie croix de
Notre Seigneur Jésus-Christ ». Voy. Les sorceiteries de Henry de Valois et
les ablations qu*il faisait au diable dans le bois de Vincennes. Paris, 1589.
Arch. cur., t. XII, p. 488, i'o série. En admettant, comme l'auteur du fac-
tum, qu*auprès d'un morceau de la vraie croix « deux anges ou simples
chandeliers eussent esté plus décens que ces satyres », il ne faut voir
dans cette trouvaille qu'une preuve du scepticisme de Henri III et non de
ses intelligences avec le diable de ce temps-là.
PARIS RÉGICIDE SOI
représentait Henri III instituant l'ordre du Saint-Esprit * ?
Mais la partie honnête de la population ne se laissait pas
encore séduire par la Ligue et se faisait scrupule d'entrer
en rébellion ouverte contre le roi légitime ". Pour rassurer
ces consciences délicates, les meneurs de la Ligue imagi-
nèrent un expédient décisif. Le 7 janvier, ils firent pré-
senter à la Faculté de théologie, sous le couvert du prévôt
des marchands et des échevins, un mémoire qui posait la
question suivante : Les Français pouvaient-ils se considérer
comme dégagés du serment de fidélité qu'ils avaient prêté
à Henri III? En second lieu, pouvaient-ils prendre les armes
contre un roi qui avait violé la foi publique aux États
généraux de Blois? Les docteurs de la Faculté, au nombre
de soixante, s'assemblèrent, et, après avoir assisté à une
messe du Saint-Esprit, ouvrirent la discussion. Jean le
Fèvre, doyen de la Sorbonne, Robert Vauvarin, Denis
Sorbin, docteurs estimés, soutinrent vainement que l'au-
torité du roi était inviolable. Leur avis ne put prévaloir
contre les déclamations de Guillaume Rose, de Jean
Hamilton, du feuillant Bernard, du cordelier Feu-Ardent
et du jésuite Gommolet. Tous les prêcheurs, les Boucher,
les Prévost, les Aubry, les Pigenat « qui avoient esté les
principaux inventeurs de la question, en baillèrent eux-
mesmes la conclusion le 7 janvier avec quelques jeunes
docteurs ^ ». La Sorbonne déclarait le peuple dégagé du
serment de fidélité envers Henri de Valois, rayait son nom
des prières de l'Église, et permettait à tous de prendre les
armes contre lui pour la défense de la religion. Ce décret *
1. Palma-Caybt, loc. cit.
2. Db Thou, t. X, p. 51 i. Palma-Caybt, Ibid,
3. Palma-Catbt, Ibid. Db Thou, t. X, p. 511. Introd. aux Économies royales,
2« série, t. I, p. 109. UEstoilb, t. Ill, p. 242. Voy. au t. UI de« Mém. de la
Ligue, p. 187, Pexamen de la résolution de la Faculté de théologie (par un
protestant).
4. On en trouve le texte au t. XII, !'• série, p. 349, des Abch. oui. Il
porte le titre de Responsum facultatis théologies parisiensis; il n'est, en
502 PARIS ET LA LIGUE
fut envoyé au pape, imprimé et rendu public. Dans les
dernières couches du peuple, l'impression fut assez vive,
mais la haute bourgeoisie et le Parlement, ou du moins
les plus marquants de ses membres \ restaient hostiles à la
eiïet, que la réponse à la requête présentée par les « bons bourgeois,
manans et habitanfl de la ville de Paris à monseigneur le duc d'Aumalle
et à messieurs les prévost des marchands eteschevins de la ville de Paris».
Une pièce curieuse, conservée par les Registres (H, 1789, f* 246), atteste
ce fait important que plusieurs villes de TUnion donnèrent pouvoir aux
envoyés parisiens, qu'on chargea de porter au pape le décret de la Sor-
bonne, de parler en même temps au nom de ces municipalités provin-
ciales. » A tous ceux qui ces présentes lectres verront, Mayeur et Esche-
vins de la ville d'Abbeville en Ponthieu, salut. Sçavoir faisons comme nous
avons sur les remuements faict union avec les villes cathol. de ce royaume
pour la conservation et manutention de nostre saincte Religion catho-
licque, apostolicque et romaine, repos et tranquilité publicque, après avoir
entendu le désastre très pernicieux survenu & Bloysle XXIII décembre 1588,
pour la mort arrivée de Messeigneurs les duc et cardinal de Guise, qui y
ont esté misérablement massacrez, recongnoissans combien il est de be-
soing et nécessaire que nostre Sainct Père en soit deuement adverty, en
luy donnant advis de l'union qu'avons d'abondant jurée et promis tenir»
sans nous en pouvoir départir, nous à ces fins et par ces présentes don-
nons pouvoir à.... députez de Messieurs de Paris pour le regard vers Sa
Saincteté de, pour et en nostre nom, faire telles remonstrances et doléances
qu'ilz adviseront bon estre vers nostre Sainct Père pour le bien et conser-
vation de nostre saincte Religion; et, à ce faire, leur donnons tout pouvoyr
et puissance, promectans avoir agréable tout ce qui sera par eulx faict et
apporté, sans aucunement y contrevenir, mais en tout et partout y satis-
faire et obéir, comme vraiz enfans de TÉglise catholique. En tesmoing
de quoy, nous avons fet expédier les présentes et y fet apposer le grand
scel de la Ville. Au grand eschevinagej le xni* jour de janvier 1589. »
Pour compléter ce qui concerne l'envoi au pape du décret de la Sor-
bonne et les démarches faites par la Ligue en vue d*aîgrir Sixte V contre
Henri 111, il faut ajouter que Mayenne, dès le 8 janvier, envoya, de Dijon,
le chevalier Jacques de Dion à Rome, avec mission de prier le pontife de
prendre sous sa protection les catholiques de France et de venger l'outrage
fait à l'Église dans la personne d'un cardinal. D'autre part, la Ligue pari-
sienne fil partir pour Rome Lazare Coqueley, conseiller au Parlement, et
lui donna pour second Nicolas de Pilles, abbé d'Orbays, qui, accusé de
faux près la cour pontificale, avait été redevable de son acquittement à
l'intervention du cardinal de Lorraine. Henri 111, de son côté, avait envoyé
& Rome, Claude d'Angennes, évêque du Mans, et avait écrit au marquis de
Pisani, son ambassadeur près le SaintrSiège. Voy. Db Thou, t. X, p. 535.
i.Le Dialogue du Maheustre et du Manant dit que le duc d'Aumale, les
Seize et Mayenne, qui avait donné des instructions aux chefs de la Ligue,
ne demandaient l'arrestation que de « dix ou douze des plus apparans de
la Cour de Parlement, vrais partisans du roy Henri ». Sat, Mémppée^ t. ni.
Preuves, p. 451. Le Parlement se composait, à cette époque, de 180 membres
environ, dont 126 avaient juré sur le crucifix de ne pas se séparer de la
Ligue. Cf. Mémoires secrets d'un politique» Arch. cur., i** série, t. XII,
p. 249, note 1, p. 271.
PARIS RÉGICIDE 803
Ligue. Aussi, les Conseils, de connivence avec le duc
d'Aumale, prirent-ils la résolution de se débarrasser d'une-
opposition gênante.
Le lundi 16 janvier, Jean Le Clerc, ce procureur devenu
capitaine de la Bastille par la grâce du duc de Guise,
investit le palais avec « vingt-cinq ou trente coquins, tous
comme lui armés de leurs cuirasses, aiant la pistole en la
main ^ ». Dès le matin, de très bonne heure, la compagnie
de Compans, qui s'assemblait d'ordinaire dans la cour du
palais, était là, cernant toutes les issues. Néanmoins, les
magistrats ne s'étaient pas inquiétés. A leur arrivée, on
avait expliqué par différents prétextes un déploiement de
forces inusité; mais, à huit heures, Bussy pénétra avec
sa bande dans la Grand'chambre dorée et se mit en devoir
de lire à haute voix la liste des magistrats qu'il avait
charge d'arrêter. Elle « s'ouvrait par les noms du premier
président, Achille de Harlay, et du président Augustin de
Thou..Ce dernier interrompit Le Clerc * et dit qu'il n'était
pas nécessaire de lire d'autres noms, car tous les magis-
trats étaient résolus à suivre leur chef. Les membres du
Parlement qui assistaient à l'audience se levèrent, en effet,
et se laissèrent enmiener par Le Clerc jusqu'à la Bastille
« tout au travers des rues, plaines de peuple, qui, espandu
par icelles, les armes au poing et les boutiques fermées
pour les voir passer, les lardèrent de mille brocards et
1. L'EsTOiLB, Ibid. Db Thou donne les noms de quelques-uns des ligueurs
qui accompagnaient Bussy Le Clerc. C'étaient Jean-Baptiste de Machault,
Michel de Marillac et Baston.
2. D'AuBiGNÉ, Hist. univ., t. H, col. 231, raconte très brièvement l'invasion
du palais par les Ligueurs et ajoute : « Pour eachantillon ou chef-d'œuyre
de quoi, un procureur nommé le Cler, qui ayant fait le coup que je tous
conterai, se fit appeller quelques mois après Bussy. L'auteur des Remarques
sur la Satyre Ménippée, t. Il, p. 103, ajoute que ce qui donna à Le Qerc
l'idée de se parer de ce nom de Bussy, ce fut le désir « de faire renaître
pour lui dans l'âme des Parisiens les mêmes égards de terreur et d'estime
qu'ils avoient eus autrefois pour le brave Bussy d'Amboise, dont le nom
valloit encore chez eux autant que celui de César ».
804 PARIS ET LA LIGUE
yilanies * ». Le bruit s'était répandu qu'on conduisait les
magistrats à l'Hôtel de Ville, et une multitude de portefaix
et de gens du port avaient pris possession de la place de
Grève dans l'intention de massacrer les robes rouges et de
provoquer un tumulte qui aurait permis de piller les de-
meures des riches bourgeois; mais on réussit à faire
prendre une autre route aux Parlementaires et à les sous-
traire aux mains furieuses de cette foule en délire*. Le
Clerc et ses complices, les Louchart, les Senault, les
La Morlière, les Olivier ne se contentèrent pas de ce vaste
coup de filet ; ils allèrent arrêter à domicile de nombreux
membres de la Cour des Aides, de la Chambre des Comptes
et des autres grandes compagnies. Beaucoup furent élar-
gis, il est vrai, dans les jours qui suivirent, nullement par
bonté d'âme, mais parce que Le Clerc trouvait dans ces
marques de clémence une magnifique source de revenus.
Ils ne sortaient de prison, dit l'Estoile, en parlant des
magistrats, « que quand il plaisoit à monseigneur de
Bussi; auquel (outre les trois, quatre et cinq escus que par
jour il exigeoit de chaque teste pour leur journalière des-
pense, encores qu'elle fust bien maigre), il fallait encorcs
faire quelque présent de perles ou de chaisncs d'or à ma-
dame, de vaisselle d'argent ou de deniers clairs et comp-
tans à monsieur, avant qu'en pouvoir sortir ».
• Le Parlement de Paris était brisé. Dès le lendemain,
17 janvier, « on plaida en la Grand'Chambre , à huis
ouverts »; la peur avsdt ramené au palais la plupart des
magistrats que l'émeute avait épargnés. L'audience était
présidée par le président Brisson, jurisconsulte érudit,
mais caractère flottant et indécis, qui essayait de conserver
à la fois les bonnes grâces de la Ligue et celles du roi.
Ce personnage singulier, qui devait payer cher la duplicité
1. L'Estoile, t. III, p. 255.
2. Db Thou, t. X, p. 515.
PARIS RÉGICIDE 805
de son attitude, exerça de fait les fonctions de premier
président *. Comme le procureur général, M. de La Guesle,
et deux avocats généraux avaient quitté Paris, le Parle-
ment nomma procureur général le conseiller Mole, sous la
pression du populaire, qui criait Molé! Molé! et chargea de
remplir les fonctions d'avocats généraux Jean le Maistre
et Louis d'Orléans, avocats. Ainsi reconstituée, la Cour
souveraine donna immédiatement la mesure de ses senti-
ments. Le 19 janvier, elle rendit un arrêt portant qu'elle
s'unissait avec le corps de Ville de Paris pour l'assister en
toutes choses et contribuer même aux frais de la guerre *.
Un autre arrêt (du 20 janvier) autorisa les échevins Com-
pans et Costeblanche, que le roi avait envoyés à Paris sur
parole, et sous serment de revenir à Blois dans un délai
de quinzaine, à ne poinct retourner d'où ils venaient;
l'évêque de Paris et ses vicaires reçurent, en outre, injonc-
tion de les délier de leur serment *.
Enfin, pour compléter l'asservissement du Parlement,
les ligueurs lui présentèrent le 30 janvier * une formule
de serment par laquelle tous les magistrats s'engageaient
devant Dieu à vivre et à mourir dans la religion catho-
lique, à « employer leurs vies et biens pour la conserva-
tion et accroissement d'icellesans yrienespargner, jusques
à la dernière goutte de leur sang..., à résister de toutes
1. Barnabe Brisson, pour prendre ses sûretés contre les représailles
éventuelles du roi, déposa, le 22 janvier, entre les mains d*un notaire, une
déclaration dont TEstoile donne le texte (t. ITI, p. 239} et dans laquelle
il a proteste devant Dieu que tout ce qu'il a fait et dit, proposé et délibéré
en la Cour de Parlement et ce qu'il fera, dira, délibérera, jugera ou signera
cy-après, a esté et sera contre son gré et volonté, et par la terreur des
armes et licence populeuse qui règne à présent en ceste ville.... ">
2. Voir dans le môme sens Réponse aux mémoires d'un politique. Ap.
Arch. cur., t. XII, Ic" série, p. 218 : « Or, depuis lesdits emprisonnemens
et eslargissement de quelques-uns, le Parlement n'a pas délaissé de con-
tinuer, et mesme, deux jours après, il authorisa tout ce que la Ville dési-
roit de iuy, etc.... »
3. L'EsTOiLK, t. III, p. 238.
4. C'est la date indiquée par de Thou. Palroa-Gayet donne celle du
26 janvier.
506 PARIS ET LA LIGUE
leurs puissances à reffort et intention de. ceux qui ont
violé la foy publique, rompu Tédit de la réunion, franchises
et libertez des Estats do ce royaume par le massacre et
emprisonnement commis en la ville de Blois les 23 et
24 décembre dernier, et en jpoursuivre la justice par toutes
voyes, tant contre les auteurs, coupables et adhérans que
contre ceux qui les assisteront et favoriseront cy-après ».
Enfin les magistrats promettaient de « ne jamais s'aban-
donner les uns les autres et n'entendre à aucun traicté,
sinon d'un commun consentement de tous lesdits princes,
prélats, villes et conmiunautez unies ^ ». Ce serment fut
prêté le 30, par tous les présidents et conseillers, et le
lendemain, par tous les avocats et procureurs. Un de ces
derniers, nommé Baston, qui avait naguère offert à
Henri III d'assassiner Guise, et, sur le refus du roi, s'était
jeté dans la Ligue, s'ouvrit la veine et signa l'acte avec
son sang.
Une autre scène à effet fut préparée par la Ligue. A cette
même date du 30 janvier, Catherine de Clèves, veuve du
duc de Guise, vint, en grand deuil et suivie d'un cortège
imposant, présenter requête au Parlement pour obtenir
qu'il fût informé contre les auteurs du crime de Blois. La
cour commit les conseillers Pierre Michon et Jean Courtin
pour procéder à cette information. Statuant ensuite sur
les conclusions d'une seconde requête tendant à faire
opposition à l'instruction commencée à Blois contre les
prétendus crimes du duc de Guise et du cardinal son
frère, la Cour « fit inhibitions et défenses particulières
aux commissaires et tous autres de passer outre, ny en-
treprendre aucune court, jurisdiction ou cognoissance du
faict contenu en ladite requeste, circonstances et dépen-
dances, sur peine de nullité de procédures ' ».
1. Palma-Catbt, livre I, et Mém. de la Ligue, t. III, p. 178.
2. Arresls de la Cour souveraine des pairs de France donnez contre les meur-
PARIS RÉGICIDE 507
Le roi ne pouvait manquer de se montrer sensible à la
défection des grands corps de TÉtat, ainsi qu'à la consti-
tution, h Paris, d'un véritable gouvernement insurrec-
tionnel. Il envoya le héraut Auvergne signifier au duc
d^Aumale « qui se disoit et se portoit gouverneur de
Paris » Tordre de quitter la capitale, et au Parlement, à
la Chambre des Comptes, à la Cour des Aides, au prévôt
des marchands et à tous les autres officiers royaux
ou municipaux, interdiction d'exercer aucune juridiction
(26 janvier). Mais on ne se donna même pas la peine
d'ouvrir le paquet de dépêches qu'apportait le pauvre Au-
vergne. Il fut renvoyé « sans réponse, avec injure et con-
tumélie, tant estoient les Parisiens insolens, envenimés et
animés contre leur roy * ».
Ainsi, toutes les bornes sont franchies : on ne garde
plus, vis-à-vis du roi, ces apparences de soumission et do
respect, si mensongères qu'elles pussent être, que le duc
de Guise et la municipalité ligueuse s'étaient fait une
règle de conserver dans leurs communications et leurs
correspondances avec la cour, après le succès des Barri-
cades. Henri III n'est plus le roi ; on l'appelle Henri do
Valois, comme la Faculté de théologie l'a officiellement
prescrit. On a effacé du canon de la messe Pro rege nostro
Henrico. Le Parlement cesse également de rendre la
triers et assassinateurs de messieurs les cardinal et duc de Guyse. Imprimé
& Paris, chez Nicolas Nyvelle, 1589, in-8<*. ârch. ccr., t. Xll, 1^" série, p. 222.
De Thou, t. X, p. 518. Palma-Catbt, /oc. cit,^ diL que « plusieurs ont tenu
que ceste resqueste, quoy qu'elle ait esté imprimée, n'avoit jamais esté
présentée, non plus que beaucoup d'autres choses qui ne furent pour lors
imprimées à Paris que pour entretenir le peuple an party de l'Union. »
Vinformation faicte par P. Michon et J. Courtin se trouve imprimée dans
V Histoire des cardinaux d'Aubery, t. V, et dans le t. XII des ârch. cub.,
p. 289.
1. L'EsTOiLB, t. 111, p. 241. L'auteur de la Réponse aux mémoires d'un
politique.... écrit, de son côté : « que si la populace eust esté creue, il
eust espousé la prison, car elle croioit en public qu'il ne falloit pas garder
la foy à celuy qui leur avoit plus que barbarement violée. » Abch. cur.,
t. XII, p. 280.
808 PARIS ET LA LIGUE
justice au nom du roi. Quant aux mandements de la Ville,
ils sont précédés de la formule : « De par les princes catho-
liques unis avec le clergé, la noblesse et le peuple pour
la religion et le bien de l'État * », ou de cette autre : « De
par monseigneur le duc d*Aumale, gouverneur de Paris
et les prévost des marchands et eschevins de la Ville. )>
Il y a quelque intérêt à étudier les procédés et les
allures de ce gouvernement mixte et un peu confus qui a
précédé Torganisation de la lieutenance générale du duc
de Mayenne. Le duc d'Aumale • a déjà la prétention de
dicter des lois à la France, témoin son édit du 19 jan-
vier 1S89 par lequel il prescrivit à tous les receveurs et
trésoriers de France de réduire d'un quart le principal
de la taille, libéralité d'ailleurs inutile, puisque, le 3 dé-
cembre précédent, le roi avait accordé aux États une
réduction identique; mais c'était encore une façon de
nier l'autorité royale '. Quelques jours après, le 4 février,
le gouverneur et la municipalité présentèrent au Parle-
1. Rbo. h, 1789, ^ 237, mandement aux pionniers et manouvriers, daté
du 11 janvier 1589.
2 De Taou (t. X, p. 513) dit que le duc d'Aumale était un homme sans
expérience. Quant au chevalier Claude de Lorraine, son frère, on peut con-
sulter, sur ses excès et ses débauches, le pamphlet intitulé : Conseil salu-
taire d'un bon Français aux Parisiens. Paris, 1589. Voy. aussi Arch. cur.,
l^* série, t. XII, p. 333. Mém. de la Ligue, t. III, p. 399, et Sat. Ménippée^
t. III, p. 268. M. Labilte, Prédic. de la Ligue^ p. 50, proteste contre les
assertions de Fontelte qui, dans ses additions & la Bibl. hist. duP.Lelong,
appelle ce pamphlet « un mélange confus de citations et d'injures ».|
3. Reg. h, 1789, f* 255. Cet édit porte l'intitulé suivant : « Les princes
catholiques, villes et communautez, unies avec les trois eslatz du royaume
pour la conservation de la religion catholique et libertez du peuple. »
Il expose que les tailles out été réduites par la Ligue au taux de 1576,
mais que le roi veut réclamer aux contribuables les mêmes impôts qu'en
1588. C'est pourquoi u par Tadvis et délibération du Conseil général de la
Ville, il est fait défense aux trésoriers généraux de France et autres offi-
ciers de lever plus des trois quarts de la taille », et les contribuables sont
invités & verser les fonds entre les mains « des receveurs de tailles et
taillon de leurs eslections, résidans aux villes de l'Union catholicque et, en
leur absence, ès-mains des commis qui seront à ce faict députez et non
aultres, sur peine de payer deux fois ». Ordre est enfin donné de saisir
les sergents qui viendraient lever d'autres taxes que celles qui sont auto-
risées par l'Union, et de les emprisonner « comme exacteurs et concus-
sionnaires publicqz ».
PARIS RÉGICIDE 509
ment une requête qui fut suivie d'un arrêt conforme; cet
arrêt défend « à tous les gentilshommes et autres per-
sonnes, quelles qu'elles soient, de mettre obstacle aux
progrès de la Sainte-Union, d'empêcher le transport des
vivres dans la capitale, de s'opposer à la liberté du com-
merce des villes de l'Union, ou de rien entreprendre à
leur préjudice ». Enfin, ledit arrêt ordonne « de faire de
nouveau jurer l'observation de l'édit d'Union dans toutes
les villes du royaume * ». Ainsi les autorités parisiennes
essayaient bien de se substituer au pouvoir royal et
d'exercer sur toute l'étendue du pays le pouvoir législatif.
La correspondance de la Ville de Paris avec les princi-
pales cités du royaume atteste, d'ailleurs, mieux que tous
les raisonnements et que tous les textes, la tendance de la
municipalité ligueuse à s'attribuer toutes les prérogatives
du pouvoir central. Nous avons déjà cité la circulaire
collective adressée par les échevins aux villes de France
dans la nuit du 24 décembre 1588, ainsi que la lettre au
duc de Lorraine pour lui annoncer les événements de
Blois, rédigée dès l'arrivée des deux courriers " qui appor-
tèrent à Paris les terribles nouvelles. Depuis ces premières
dépêches, Tardeur épistolaire de la Ville ne s'était pas
ralentie. Il serait oiseux de reproduire, d'après les Be^
1. DeThod, t. X, p. 520.
2. Voir plus haut, p. 408. Félibien, t. V, Preuves^ p. 454, reproduit le
texte d'une autre circulaire, adressée par la Ville de Paris aux villes de
rUnion, qui est extraite du Registre H, 1789, f> 242, et porte la date du
12 janvier 1589. Il est donc inutile de la reproduire de nouTeau. C'est tou-
jours le même commentaire indigné des événements de Blois. Nous n'en
citerons que la conclusion : u Unissons-nous donc plus estroitement que
nous ne le fusmes oneques, puisque le sacrement de baptesme nous y a
premièrement obligez, et le serment d'un si saint édit nous oste tout scru-
pule d'autre considération humaine. Secourons ceux que nous voulons se-
courir et qui nous veulent secourir. Continuons nostre commerce et nous
maintenons la foy mutuelle, nous donnant sur ce, s'il vous plaist, vostre res-
ponse et assurance, nous faisant sçavoir souvent de vos nouvelles et nous
aimant comme vos confrères et amis, qui veulent en si juste cause ne se
départir autrement d'avec vous, nous recommandons de très bon cœur à
voua, et prions le Créateur, messieurs, vous conserver en tout bien et
prospérité. Du Bureau de la Ville de Paris, ce 12 janvier 15S9. n
810 PARIS ET LA LIGUE
gistreSy le texte de toutes ces lettres, qui présentent un
fonds commun, puisqu'elles exploitent uniformément l'as-
sassinat du duc de Guise et du cardinal son frère, en vue
de provoquer une insurrection générale contre le roi. Habi-
tuellement, la municipalité parisienne, après les considé-
rations de style sur la cruauté du meurtrier, demande à
ses correspondants de province une assistance effective.
S'il s'agit d'une ville pourvue d'un château ou citadelle,
on lui demande de faire avec Paris « bonne union et
amitié * » et de s'opposer à l'entrée d'une garnison royale,
ou bien de mettre « nombre de genz assurez dans ce
chasteau pour le pouvojrr conserver contre tous * ». A la
ville de Dreux, et à ses magistrats, on écrit : « C'est à
vous à y songer et de croire que la ruyne de Paris est la
vostrc inévitable '. » A une autre cité, les officiers muni-
cipaux de la capitale assurent que, « si l'on ne s'oppose
verlueusement dès le commencement » à tous les attentats
de Henri IH, « cette tirannye prendra tel accroissement
qu'il n'y aura personne qui puisse vivre en la sainctc
religion ny en seureté de sa personne et biens... » Et les
échevins ajoutent : » Ces considérations, mûrement déba-
tues en plusieurs conseilles tenuz en ceste ville entre
plusieurs grans et graves personnages de toutes qualilez
et provinces qui y ont esté appelez et ouys, nous ont faict
résoudre de nous opposer par les armes à telle force et vio-
lence *. » C'est une véritable déclaration de guerre au roi
légitime, déclaration qui est renouvelée d'ailleurs dans
une autre lettre adressée à la ville d'Étampes, avec cette
particularité que les Parisiens annoncent leur intention de
se tenir « sur la deffensive jusque l'arrivée de monseigneur
1. Letire à une ville, du 28 décembre 1588, Rbo. H, 1189, f» 215. Autre
lettre, même date, ibid., ^ 217.
2. Lettre à une ville, du 9 janvier 1589, f* 228.
3. Rio. H, 1789, t» 218. Lettre du 29 décembre 1588.
4. Rbo., ibid,, f» 224. Lettre du 11 jauTier 1589.
PARIS RÉGICIDE 511
le duc de Mayenne » qu'ils « espèrent recevoir dans le XV® de
ce moys au plus tard, accompagné d'une belle et gaillarde
armée, résolu d'assister les catholicques de sa vye et
moyens * ». Voilà un argument décisif qui va entraîner
tous les hésitants ! Aussi la Ville de Paris le replace-t-elle
dans le sermon qu'elle adresse sous pli à un seigneur
qu'elle ne nomme pas sans doute pour éviter de le com-
promettre. « Le duc du Maine s'avance avec l'armée qu'il
a mise sus ■. »
La Ligue parisienne étend sans difficulté l'effet des
mesures militaires à toutes les parties du territoire, et
principalement à la région du centre, du nord et de
l'ouest. Après l'assassinat des Guises, Odéans s'était sou-
levé, à l'instigation de la congrégation du nom de Jésus et
de Roissieux, écuyer du feu duc et maire de la ville. Le
maréchal d'Aumont s'était enfermé dans la citadelle avec
un corps de gardes suisses et de gardes françaises, et
1. Reo. h, 1789, fo 231. Lettre du 6 janvier 1589.
2. Lettre du 8 janvier. Ibid., f» 232. Dans cette curieuse épltre, la Ville,
après avoir rappelé toutes les victoires du duc de Guise, flétrit Tassas-
sinat de son frère le cardinal... « 27 heures après sa détention, de sang-
froid et sans luy permettre seullement le sacrement de pénitence, sans
respect de Tordre de prêtrise et de la dignité d*archevesque, de premier
pair de France... ». Elle s*élève aussi contre « la détention du premier
prince de sang, monseigneur le cardinal de Bourbon, de messeigneurs les
ducs de Nemours et d'Ëlbœuf et du prince de Joinville, et aussy celle de
plusieurs seigneurs et autres notables personnages qui, en l'assemblée des
Ëstatz où ils ont esté convocquez a£>us la foy publicque, travaillans pour
le service de Dieu et du public, contre tout droict divin et humain et
contre la franchise naturelle de telles assemblées, ont esté pris par le
grand prévost, accompagné du bourreau.*. » La Ville proteste d'ailleurs
contre l'excuse alléguée en faveur du Roi, qu'il aurait été poussé à bout
par la sommation que lui avaient faite les Etats de jurer l'édit d'Union :
« Car ce feust estre forcé de bien faire, estant cest édict par les trois
ordres des Estatz recongneu d'une voix très utille, voire nécessaire et
l'exécution d'icelluy requise, icelluy en assemblée généralle juré solennel-
lement, mesme sur le sainct sacrement du précieux corps de Jésus-Christ,
et non seulement une fois, mais plusieurs. C'est chose horrible, seulle-
ment à penser, que des chrétiens veullent rendre une telle foy viollable et
blasphème exécrable, que la saincte communion doibve servir de masque
à l'entreprise de telles cruaultez, et que les corps ainsy inhumainement
meurtriz doibvent estre escartellez et bruslez pour les priver de leur sé-
pulture. »
Slâ PARIS ET LA LIGUE
la population surexcitée le bloquait étroitement, tandis
que Henri III, mal conseillé par le duc de Retz, hésitait à
envoyer au maréchal les renforts qu'il demandait avec
instance. C'est dans ces circonstances que la ville de Paris
résolut d'expédier des secours aux Orléanais. Le cheva-
lier d'Aumale, Claude de Lorraine, frère du gouverneur,
s'ofifrit pour commander cette expédition : c'était d'ailleurs
une excellente occasion de débarrasser la capitale de tous
les brigands qui infestaient les faubourgs et la banlieue.
Un ordre du gouverneur enjoignit « à tous maistres de
camp, capitaines et chefz, conducteurs de gens de guerre,,
tant de cheval que de pied, estant levez pour la déffence
de la saincte religion catholicque, de s'acheminer avec leurs
trouppes et compagnies, en la plus grande dilligence qui
leur sera possible, vers Orléans, pour rejoindre à l'armée
de monseigneur le duc de Mayenne, sans plus séjourner
ès-environs de ceste ville de Paris, ny en aultre lieu, sur
peine de la vye * ». Chef de ces bandits, le chevalier
d'Aumale commença la guerre sainte en pillant l'hôtel de
Gondy au faubourg Saint-Germain où il se procura écono-
miquement plusieurs chevaux de prix '. Néanmoins, le
petit corps parisien arriva sans obstacle jusqu'à Orléans et
redoubla l'ardeur des habitants qui continuaient d'assiéger
le château, sous la direction des sieurs de Trémont et
de Roissieux. Une seconde colonne, partie après le cheva-
lier d'Aumale, avec un convoi de poudre, fut moins heu-
reuse que la première; elle rencontra en route un déta-
chement royaliste, commandé par Philippe d'Angennes et
François de la Grange de Montigny, qui enlevèrent le
convoi et mirent en déroute les ligueurs de l'escorte. La
situation du maréchal d'Aumont n'en était pas moins des
plus critiques. Il n'avait avec lui que quatre cents hommes
1. Reo. h, 1789. fo 275.
2. DeTuou, t. X, p. 489.
PARIS RÉGICIDE S13
en face d'une véritable armée, et la citadelle, déjà mal
fortifiée, était à moitié ruinée par le canon des ligueurs. En
outre, Mayenne se dirigeait vers Orléans, à travers la
Champagne, et toute ligne de retraite serait bientôt coupée.
Dans cette extrémité, d'Aumont enleva ou détruisit ses
canons et, abandonnant la place, se retira en bon ordre
sur Beaugency avec ses quelques compagnies suisses et
françaises (31 janvier). La nouvelle de la prise d'Orléans
parvint à Paris dès le 1" février *, et le même jour, à
dix heures du soir, le duc de Nemours ', frère utérin du
feu duc de Guise, « par subtil moien, eschappé du chas-
teau de Blois où il estoit prisonnier, arriva à Paris, où il
fust par les Parisiens veu et receu en grande joie, comme
estimé, par eux, Tun des princes les plus affectionnés à
leur parti ». On cria : « Loué soit Dieu! Voilà encores
un de nos bons princes, et des meilleurs, eschappé des
griffes du tyran ! ' »
Cet accueil enthousiaste fait à des princes qui, comme
le duc de Nemours, n'avaient jamais donné de grandes
1. C'est ce qui résulte d'une lettre écrite par les échevins parisiens à
une ville non désignée et que les Registres nous ont conservée. Datée du
!*>* février 1589, eue porte que le siège d'Orléans a été levé, que la cita-
delle a été prise par le chevalier d'Aumale et que le duc de Mayenne est
entré à Orléans. Rbo. H, 1789, f» 273. De Tiiou dit, au contraire, que
Mayenne n'entra dans Orléans que quelques jours après le départ du ma-
réchal d*Aumont (t. X, p. 521). Eq revanche, le Registre, sous la même date
du 1*' février, porte la mention ci-dessous : « Depuis ceste lettre, nous
avons eu cest honneur de recevoir en ceste ville monseigneur le duc de
Nemours, en très bonne santé, grâces & Dieu eschappé de sa prison. » 11
est probable que ce post-scriptum fut ajouté dans la soirée du 1*' février,
puisque l'Estoilb dit formellement que le duc arriva dans Paris u le pre-
mier février, sur les dix heures du soir ».
2. Charles-Emmanuel de Savoie, duc de Nemours (1567-1595), était fils
de Jacques de Savoie, duc de Nemours, qui, en 1566, avait épousé Anne
tf'Este, veuve de François de Guise.
3. L'EsToiLR, t. ni, p. 245. 1)k Thou n'attribue pas la fuite du duc de
Nemours à une cause très précise, car il suppose, ce qui va de soi, qu'il
corrompit ses gardes ou qu'il trompa leur vigilance. Quant à Mme de
Guise, sa mère, elle avait été conduite à Amboise avec les autres prison-
niers. Mais le roi la laissa partir, soit par compassion, soit par politique,
avant Compans et Costeblanche. De Tbou, iàid., p. 485.
ROBIQUET. 33
514 PARIS ET LA LIGUE
preuves de capacité personnelle, attestait chez les Parisiens
le besoin instinctif d'un gouvernement quelconque et d'une
direction suivie, en même temps qu'une réaction naturelle
contre le désordre. Depuis la fuite du roi, Tétat matériel
et moral de la capitale avait laissé beaucoup à désirer.
La municipalité ligueuse n'était ni moins tracassière ni
moins inquisitoriale que la municipalité royaliste qu'elle
avait remplacée révolutionnairement le 20 mai 1588. Elle
soumit les hôteliers à une surveillance étroite et les obligea
à venir chaque jour remettre à l'Hôtel de Ville « ung
roole de tous ceulx qui arrivoient et logeoient en leurs
maisons », en indiquant le jour de leur départ '. Elle chargea
les colonels de se livrer à une véritable chasse des vaga-
bonds, de soldats isolés et « aultres personnes sans adveu ' ».
Le service des gardes de nuit fut énergiquement réorga-
nisé et des amendes, dont la moitié revenait aux pauvres
de l'Hôtel-Dieu, frappèrent les bourgeois qui ne répon-
daient pas à la convocation des colonels et ne se faisaient
pas remplacer '. Ces mesures n'ayant pas encore paru suf-
fisantes; le prévôt des marchands assembla, le 13 octobre
1588, les colonels et les capitaines de la milice municipale,
dont les cadres avaient été, comme nous l'avons expliqué,
renouvelés tumultuaircment dans les premiers jours de
juillet, et cette assemblée militaire élabora un nouveau
règlement « touchant le faict des gardes de la nuict, pour
le service duroyetseureté delà ville* ». On décida qu'outre
les gardes de nuit ordinaires, il y aurait désormais trois
rondes supplémentaires « es trois grands quartiers de la
1. Reg. h, 1789, fo 179. Mandement du Bureau en date du 16 juillet 1588.
2. xMandements du 30 août et du {•' septembre 1588. Reg. H, 1789,
fo 191.
3. Mandements du 9 septembre 1588, ibid,, f» 193, et du 10 octobre»
ibid., fM96.
4. Ibid,, fo 199.
PARIS RÉGICIDE 515
ville, assçavoir une au quartier des Halles, une aultre au
quartier de Grève, et une aultre au quartier des pontz,
citté et Université ». Le guet devrait donner le mot aux
rondes de bourgeois lorsqu'il les rencontrerait; un roule-
ment serait établi entre les colonels et les capitaines des
différents quartiers pour surveiller l'exécution de- ces
mesures. C'étaient surtout les écoliers qui, parait-il, se
plaisaient à maintenir la tradition du tapage nocturne. Le
29 octobre 1588, le procureur de la Ville vient déclarer au
bureau que « plusieurs escoUiers et aultres personnes vont
la nuict par troupes avecq armes et, le plus souvent,
sans avoir lumière ou mot de guet par les rues de la ville... »
Sur ces observations, le Bureau prend aussitôt une délibé-
ration contenant « défense d'aller à heure indue, avec
armes ou sans armes, en troupes de plus de trois ou quatre
ensemble, parles rues de ceste dicte ville, sur peine d'amende
arbitraire et pugnition corporelle, s'il y eschet * ». Il faut
peut-être attribuer au peu de confiance que les écoliers
inspiraient à la Ville l'ordre du 28 décembre de la même
année qui enjoignit « à tous les principaux des collèges
d'envoyer au bureau de l'hostel de la ville, dans trois
jours, les noms et surnoms des maîtres, pédagogues,,
régens, enfans et serviteurs es tans en leurs dictz collèges ,
soyt qu'il y ayt exercice ou non, et ce à peine de cinq cens
escus d'amende, qui se payera sans déport ' ». Cette suppo-
sition est d'autant plus vraisemblable qu'un ordre du prévôt
des marchands, en date du 28 janvier 1589, défend aux
principaux des collèges « de laisser sortir les écoliers hors
de leurs collèges ^ ».
Après l'assassinat des Guises, l'état de guerre s'ouvrait
de fait entre le roi et Paris. De là, pour la municipalité, une
1. Rbo. h, 1789, f» 204.
2. Ibid., P 217.
3. /6irf., fo 270.
816 PARIS ET LA LIGUB
double préoccupation : réunir des soldais pour soutenir la
cause de la Ligue et réprimer les désordres et les excès de
ces soldats improvisés. On ne donne pas d*armes à n'im-
porte qui, et les armuriers et quincailliers ne peuvent en
vendre « sans Texprès congé de monseigneur le duc d'Au-
male ou du corps de ville * ». De nombreuses perquisitions,
faites à la fin de décembre par les colonels et capitaines de
la milice, ainsi que par les quartiniers, cinquanteniers et
dizainiers, permirent de s'assurer si les suspects ou les
tiëdes cachaient des armes dans leurs maisons. D'autre
part, la Ligue tient à conserver sous sa main la fortune
mobilière des royalistes : c'est un gage dont elle ne veut
pas se dessaisir. Aussi un ordre du duc d'Aumale et de
« messieurs les prévost des marchans et eschevins » fut-il
publié pour défendre aux Parisiens « de faire transporter
aulcuns biens, meubles et argent ou aultres choses quel-
conques hors de la ville », sans l'autorisation du gouver-
neur ou des Échevins. Les habitants qui ont quitté Paris
sont sommés d'y rentrer « dedans huictaine pour tout délay . . .
aultrement sera mis garnison en leurs maisons et gens
commis pour eulx et à leurs despens aux guetz et gardes,
tant de jour que de nuict * ». Un ordre du Bureau prescrit
de rouvrir les maisons fermées et abandonnées par leurs
propriétaires et de faire inventaire des meubles qu*elles
contiennent. Toutefois, on ne va pas jusqu'à les réquisi-
tionner pour y installer de bons ligueurs. La Ville interdit
même aux colonels de « loger aulcune personne ès-maisons
et logis des quartiers, sous prétexte que les bourgeois, loca-
taires ou propriétaires, sont absents hors de la ville ' ». S'il
1. Mandement du 28 décembre 1588. Ibici., fo 217.
2. Reg. h, 1789, fo 253. Ordre du 18 janvier 1589.
3. Ibid., ^ 297. Aux termes d'un ordre du Bureau du 28 janvier, les
absents furent assimilés aux refusants, en ce qui touche « la cueillette des
deniers ordonnés pour la conservation de la Ville et destinés pour le
faict de la guerre ». Ibid., f° 271. Le recouvrement des rôles avait lieu par
les soins des curés et des capitaines de la milice. Quatre bourgeois, élus
PARIS RÉGICIDE S17
faut s'en rapporter aux documents officiels, THôtcI de Ville
et le duc d'Aumalo n'avaient pas moins à surveiller leurs
propres soldats que les agents royalistes. La discipline était
déplorable parmi les troupes de T Union. Dans un ordre
du jour daté du 20 janvier 1589, le duc d'Aïunale et les
échevins constatent eux-mêmes que les gens qu^ils avaient
envoyés au bois de Vincennes « se débandent et abandon-
nent souvent leurs corps de garde pour aller fourrager es-
dits villages circonvoisins * ». En conséquence, on autorise
les villageois à leur courir sus et à les amener prisonniers
à Paris. D'autres mandements, de la fin de janvier et des
premiers jours de février, permettent à certains faubourgs
et villages de la banlieue de construire des murs afin de
repousser plus facilement les incursions des pillards. Gha-
ronne, Vanves, Vaugirard, Clamart, Bagneux, Fontenay,
Arcueil, Gentilly, Monlrouge obtinrent des autorisations
de ce genre. Repoussés sur un point, les batteurs d'estrade
se portaient sur d'autres, envahissant et pillant les villages
non fortifiés. Issy, qui appartenait au cardinal de Bourbon,
ne fut pas des moins visités par ces hôtes incommodes et
obtint le 9 février la faveur de se clore *.
Malgré l'indiscipline de pareilles troupes, la Ligue pari-
sienne se préparait aussi activement que possible à sou-
tenir un siège. Le 11 janvier, elle faisait appel « à tous
pionniers et manouvriers qui volontairement vouldront
par ]e8 dizaines de chaque quartier, avaient charge de conserver les rôles
pour les représenter à THôtel de Ville ». Le {•' février, Jehan Lechassier
fut nommé « contrôleur des recettes et dépenses de tous les deniers levés
sur les bourgeois de Paris pour le faict de la guerre et conservation de la
Ville ». lôid., f 274.
i, Reo. h, 1789, f» 260. Voy. aussi Féub., Preuves, t. V, p. 456.
2. Le 3 février 1389, Gharonne présenta une requête au bureau de la
Ville afin de clore ses avenues. Cette requête fut accueillie favorablement,
ainsi qu'une autre analogue des bourgs Saint-Liénard et Saint- Jacques
près Corbeil. Félib., Ibid,, p. 457. Il faut remarquer que le terrain néces-
saire à la construction des murailles fut acquis par les villages intéressés
« en les payant au dire de gens » et aux frais de la collectivité.
M8 PARIS ET LA LIGUE
s'employer au faict des tranchées et forteresses * » ; ces
ouvriers devaient se réunir à l'Arsenal, près les Célestins,
et être payés directement par la Ville. D'autre part, Pierre
Guillain, maître des œuvres de maçonnerie de la Ville,
reçut l'ordre de prendre chez les taillandiers, merciers et
ferronniers, tous les outils nécessaires aux travaux des
tranchées et à les faire apporter à l'Hôtel de Ville. Les mar-
chands furent payés sur la caisse municipale, au vu des
bons que leur laissait Pierre Guillain. Le même mande-
ment ordonnait « à tous officiers, sergens et commissaires
des quais de la ville ou aultres qu'il appartiendra assister
ledit Guillain, faire lesdictes saisies et transports d'où-
tilz * ». On chargea les colonels et les officiers de la milice
de réquisitionner quatre cents chevaux « pour les affaires
de la Ville ' ». Des mesures spéciales furent prises pour
1. Re6. h, 1789, f» 237.
2. Voici le texte du mandement adressé à Pierre Guillain : « 11 est
enjoinct à Pierre Guillain, M^ des œuvres de la maçonnerie de la d. ville,
de soy transporter présentement, sur peyne de privation de sa charge,
ès-maisons des taillandiers, marchans merciers, ferronniers et aultres où
il pensera qu'il puisse y avoir des outils pour servira la suitte de l'armée,
pour prendre et soy saisir de telle quantité d'outils qui luy a esté com-
mandée, comme picqz, hoyaulx, pelles ferrées et non ferrées, congnées,
tarrières, bisagues, ciseaulx, pinses et aultres ustancilles que besoing est
pour l'efTet que dessus, et iceulx faire apporter en l'hostel de ladîcte ville,
délaissant toutesfois mémoires à ceux à qui appartiendront lesdictz ou-
tilz, signez de sa main, contenant le nombre et qualité d'iceulx, en vertu
tlcsquelz sera faict payement ausdictz marchans, ferronniers et aultres
des sommes qu'il appartiendra... » En outre, le mandement prescrit « à
tous offlciers, sergents et commissaires des quais de la ville ou aultres
qu'il appartiendra, assister le d. Guillain, faire lesdictes saisies et trans-
portz d'outilz. » Rso. H, 1789, fo 235.
3. Il semble, d'après la teneur du mandement, que la conscription des
chevaux existait à Paris vers la fin du xvi« siècle, et que chaque proprié-
taire de chevaux était tenu d'en faire déclaration. En cas de réquisition,
on ne remboursait la valeur des animaux réquisitionnés que s'ils venaient
à périr. Voici, d'ailleurs, le texte du mandement : « Il est enjoinct à tous
colonnelz, cappitaines, quarteniers et autres ayans charge en ladite ville,
de promptement faire bailler et délivrer au porteur du présent mande-
ment la quantité de 400 chevaux pour estre employez et envoyez pour les
aiTaircs de la Ville, et, pour cest elTect, contraindre tous et un g chacun les
particulliera ayans chevaux, suivant les rooles qui en ont esté cy-devant
faictz, leur déclarant qu'au cas où lesdictz chevaulx périssent, ilz seront
remboursés de la valleur d'iceulx, selon la taxe qui en sera faicte par les
PARIS RÉGICIDE 519
mettre les ponts en état de défense ou en construire de
nouveaux sur les rivières des environs de Paris et sur la
Seine. A la date du 18 janvier 1589, le duc d'Aumale et
trois échevins mandent au sieur de BouUe, « garde-marteau
de la forêt de Crécy », de marquer et faire abattre dans la
forêt de Crécy « cent pieds d*arbres chesnes, veuz bons, pro-
pres à bâtir et édiffier pontz-levis et pieux * ». Au pont de
Saint-Maur, fut placée une garde particulière, composée de
six bourgeois de Paris et de quatorze personnes de Nogent-
sur-Marne et Fontenay-sous-Bois ». De nombreuses dépê-
ches prient différentes villes de disposer des étapes pour
les forces catholiques qui vont à Paris ou qui en sortent,
ou bien de faciliter la tâche des émissaires chargés do ras-
sembler des munitions et des vivres pour les troupes de
l'Union \
Au milieu de tous ces préparatifs, un sentiment dominait
la population parisienne et les conseils de la Ligue. Ils
attendaient et appelaient le duc de Mayenne, qui parais-
sait beaucoup plus capable que le duc d'Aumale d'imprimer
aux forces catholiques une direction politique et militaire.
C'est seulement après la mort du duc de Guise que Mayenne
s'était déclaré ouvertement pour la Ligue. Une grande
aff^ection n'unissait pas les deux frères, et l'on rapporte
qu'à propos d'une femme, ils s'étaient même provoqués
quartiers, suivant les précédentes ordonnances de la ville. Fdict au bureau
d'icelle le xno jour de janvier Tan ^589. » Reo. H, 1789, f*> 242.
1. Reg. h, 1789, fo 250, et Félib., Preuves, t. V, p. 456. Le mandement
porte cet intitulé pompeux : « Les princes catholiques uniz avec les pré-
lats et aultres ecclésiastiques, seigneurs, gentilshommes, bonnes villes et
communautez de France pour la defTence et protection de la religion ca-
tholique, apostolique et romaine, et soulagement du peuple, hault et
puissant prince Charles de Lorraine, duc d*Aumalle, gouverneur de Paris,
et les prévost des marchans et échevins d*icelle, stipulans pour les dessus
dits. »
2. /6irf., fo 212.
3. /dirf., f» 240. Lettre du 12 janvier adressée par le duc d'Aumaie à
une ville; lettre du 16 et 17 janvier pour les étapes des troupes catholi-
ques, ^• 249 et 252.
520 PARIS ET LA LIGUE
en duel et ne s'étaient réconciliés que sur le terrain, par
une sorte de honte que motivait bien 1 enormité de cette
haine *. Il n'en était pas moins resté le chef de la faction
Caroliney composée des princes lorrains et ainsi nonmiée
parce que le duc de Nemours, frère de mère de Mayenne,
ainsi que les ducs d'Aumale et d'Ëlbœuf, ses cousins, por-
taient tous le nom de Charles. Mayenne, on s'en souvient,
avait fait prévenir le roi par le colonel Ornano des ambi-
tieuses visées de Guise * : le duc et la duchesse d'Aumale
ne s'étaient pas abstenus davantage de dénoncer à Henri III
le chef de la Ligue; mais le drame de Blois, en faisant
passer Mayenne du second plan au premier, changea brus-
quement ses dispositions intimes. Sans doute, les excita-
tions violentes de Mme de Montpensier, sa sœur, qui,
à la première nouvelle de l'assassinat des Guises, s'était
1. Db Taor, l. X, p. 443. Au surpIuB, presque tous les princes de la
maison de Lorraine jalousaient la puissance du duc de Guise, à commen-
cer par le duc de Mercœur, frère de la reine et gouverneur de la Bre-
tagne.
2. Dans une déclaration royale, datée de février 138^, Henri HI explique
lui-même comment il a été averti- par Mayenne de se garder du duc de
Guise : a Sans nous amuser aux particularités de la vie desdits feu duc de
Guise et de son f^ëre, dont la mémoire e^t encore trop fraîche en ce
roïaume, principalement entre ceux qui les connoissoient le mieux, pour
ne perdre temps à l'écrire, il nous suffira seulement de dire que, peu de
jours auparavant sa mort, icelui duc de Mayenne, entr'autres choses,
nous manda par un chevalier d'honneur, qu'il nous envoia exprès, que ce
n'était pas à son frère de porter des patenôtres au col, mais qu'il falloit
avoir une âme et une conscience; que nous prissions bien garde à nous;
qu'il falloit que lui-môme duc de Mayenne ou ledit chevalier vinssent
pour nous avertir, et que le terme étoit si brief, et que, s*il ne se hâtoit,
il étoit bien h craindre qu'il n'arriveroit pas assez à temps. » Déclaration
du roi sur Vattentaly félonnie et rébellion du duc de Mayenne, duc et che-
valier d'Aumale et ceux qui les assisteront. M^m. ob la Lioce, t. HF, p. 203.
On lit, d'autre part, dans la harangue de d'Aubray [Sat, Ménippée, t. I,
p. 138) : tt Aucuns ont voulu dire que vous, M. le lieutenant, estant jaloux
de la grandeur et haute fortune de Monsieur votre frère, advertistes le
defTunct roy de l'entreprise qu'on faisoit de remmener et l'admonestiez de
se hasler d'y prévenir. Si cela est vray, je m'en rapporte À vous ; mais
c'est chose tout vulgaire que Madame d'Aumale, vostre cousine, fut à
Blois exprez pour découvrir tout le mystère au roy : où elle ne perdit pas
ses peines, et dit-on que son mary et elle eussent dès lors fait banqueroute
à la Ligue, si on luy eust voulu donner le gouvernement de Picardie et
de Boulogne et payer ses dettes. »
PARIS RÉGICIDE 521
rendue en poste auprès de lui, purent contribuer à raffermir
dans ses projets de vengeance^ mais Tintérêt, à défaut
d'autre motif, l'eût décidé à se ranger au parti ligueur.
Aussi les Parisiens le trouvèrent-ils parfaitement préparé,
lorsqu'ils lui écrivirent, dès le premier janvier 1589, pour
le féliciter d'avoir échappé lui-même aux machinations et
le prier de venir à Paris prendre la direction de la guerre
sainte *.
Le duc rassemble immédiatement des troupes avec le
concours de ses officiers, notamment de Chrétien de Savigny
de Rosnc, de Roger de Grammont, de Mauléon et d'Escla-
voles de Chamois, puis il se mit en marche vers Orléans
(qu'il ne fit que traverser, puisqu'il trouva la citadelle éva-
cuée par d'Aumont), et entra à Chartres, le sept février.
Malgré l'opposition sourde de Tévêque Nicolas de Thou,
Mayenne fut accueilli dans la capitale de la Beaucc avec
un grand enthousiasme, et Nicolas de Thou fut contraint
par les chanoines et par le peuple de venir recevoir à la
cathédrale le chef de la Ligue. Cependant les Parisiens
avaient hâte de voir leur prince. Ils lui écrivaient lettres
sur lettres pour presser sa marche triomphale à travers la
France '.
1. Rbo. h, 1789, fo 223. Cette lettre, d'ailleurs fort curieuse, étant repro-
duite par Félxbien, Preuves, t. V, p. 451, nous n'en citerons qu'un passage :
tt Pour ce que le péril n'est qu'au trop de remise et de langueur, nous
vous supplions très humblement, monseigneur, faire estât de cette Ville
pour estre du tout & vostre dévotion, et, à ceste cause, y venir en per-
sonne, vous offrant nos vies et nos biens, d Puis vient une orgueilleuse
affirmation du rôle prépondérant de la capitale : « Considérez que toutes
les bonnes villes ayant Tœil sur celle-cy comme la capitale et de laquelle
la ruine attireroit après elle celle de tout le reste du royaume, il est
besoin surtout, premièrement pourvoir à nostre conservation, estant aisé
à juger qu'icy tombera le grand effort; remédiant auquel, aussi le reste
se conservera aisément. » La Ville termine par une sorte de menace et
par une allusion à l'opinion publique que le duc ne peut mépriser : « Les
affaires disposées comme elles sont, s'il se reconnoissoit quelque retarde-
ment, pour quelque occasion que ce soit, nous ne pourrions retenir les
jugements de tant de personnes qui n'ont mis de longue main par vostre
promesse leur espérance tant en personne qu'en vous. »
2. Voici une de ces lettres, datée du 18 janvier 1589 : « Monseigneur,
332 PARIS ET LA LIGUE
En attendant, la Sainte-Union entretenait le fanatisme
du peuple par maints spectacles émouvants. Tantôt, c'était
une exhibition de tableaux à sensation. La municipalité
plaçait sur l'arbre de la Saint-Jean « la représentation d'une
grande furie qu'ils nommèrent Hérésie, dont elle fut toute
bruslée* ». Tantôt c'étaient des processions extraordinaires.
« Sur la fin de janvier, dit l'Estoile, les petits enfans, fils
et filles de la ville de Paris, commencèrent à faire proces-
sions et prières publiques par la ville, allans d'église en
autre, en grandes trouppes, marchans deux à deux, por-
tans chandelles de cire ardantes en leurs mains, chantans
les letanies, les VII psaumes pénitentiaux et autres psalmes,
himnes, oraisons et prières, faites et dictées par les curés
de leurs paroisses •. » Tous les jours, ces processions se
renouvelaient, et l'on s'habituait à voir passer ces étranges
cortèges de femmes en chemise et portant des cierges
allumés qu'elles éteignaient sur un mot d'ordre, en s'écriant :
« Dieu, éteignez la race des Valois! » Le 14 février, jour
du mardi gras, « se firent à Paris de belles et dévotes pro-
cessions, au lieu des dissolutions et ordures de mascarades
et quaresmeprenans qu'on y souloit faire les années précé-
dentes » ». Une troupe de 600 écoliers, dont la plupart
l'ardente aîTection qu'avez toujours montrée avoir à la manutention de
nostre religion catholique, apostolique et romaine et nostre commune
conservation^ amitié et bonne intelligence, nous ont faict prendre occasion
de vous faire mot, oultre nos précédentes, par lequel nous vous prions
afTeclionnément de vous acheminer de nostre costc avec voz trouppes, le
plus tost quMI vous sera possible, où vous pouvez vous promettre que
vous serez très bien receu et respecté... » Rkg. H, 1789, fo 253.
1. L'Estoile, t. III, p. 163.
2. Ibid., p. 243.
3. Jbid., p. 247. Plusieurs de ces processions eurent un caractère absola-
ment officiel. C'est ainsi que le jendi 16 février 1589, second jour de ca-
rême, les capitaines de Paris firent une procession imposante. « Ils estoieni
huit vingt en nombre, dit l'Estoile, et autant de lieutenants, et encore au-
tant de porte-enseignes, pource qu'aux seize quartiers de Paris on compte
huit vingt dizaines. » T. III, p. 249. Précédés de congrégations nombreuses
qui marchaient pieds nus et chantaient des psaumes, ils allèrent de
Saint-Marlin-des-Champs à Sainte-Geneviève « deux à deux, tous en deuil,
portans torches, flambeaux et cierges blancs, armoiries des armoiries des
PARIS RÉGICIDE 523
avaient dix ou douze ans, promena dans Paris ses cierges
et ses litanies discordantes. Tout cela était si captivant
que la nuit ne mettait pas fin à ce mardi-gras sacré. Les
chroniqueurs les plus dignes de foi affirment même que
l'intérêt du spectacle augmentait encore avec les ténèbres.
L'Estoile rapporte que les ligueurs se levaient souvent
pour aller quérir le curé de leur paroisse et le forcer de
prendre la direction d'une procession nocturne. La chose
arriva au curé de Saint-Eustachc, qui trouva le zèle de ses
paroissiens bien intempérant; et puis cet ecclésiastique
« avec deux ou trois autres de Paris et non plus » consta-
tait que dans ces promenades politico-religieuses « tout
estoit de quaresmeprenant et que bonne maquerelle pour
beaucoup estoit umbre de dévotion. Car, en icelles, hommes
et femmes, filles et garsons, marchoient pesle mesle en-
semble, tout nuds, et engendroient des fruits autres que
ceux pour la fin desquels elles avoicnt esté instituées * ».
La fille d'une bonnetière du quartier de la Porte-Montmartre
en sut quelque chose au bout de neuf mois, et « un curé de
Paris qu'on avoit ouï prescher, peu auparavant, qu'en ces
processions les pieds blancs et douilletz des femmes estoient
fort agréables à Dieu, en planta un autre {un fruit) qui
vinst à maturité au bout du terme ' ». Le chevalier d'Au-
male, qui n'était pas ennemi des plaisirs profanes, s'amu-
sait à jeter aux dames, au moyen d'une sarbacane, des
dragées musquées, et réchauffait les pénitentes transies « par
les colations qu'il leur aprestoit, tantôt sur le pont au
Change, autrefois sur le pont Nostre-Dame, en la rue Saint-
Jacques-la-Verrerie et partout ailleurs ' ». Ces scandales
deffuncts duc et cardinal de Guise avecq chapiteaux noirs semés de
larmes. » Le duc et le chevalier d*Aumale se trouvaient en tête du cortège.
1. L'Estoile, t. IIl, p. 247.
2. Ibid., p. 248.
3. làid,, p. 248. Le grave historien de Thou confirme absolument le
dire de TEstoile, toujours si eïact et de si bonne foi : « Il s'en trouvoit
5â4 PARIS ET LA LIGUE
contristaient bien quelques bonnes âmes, mais on fermait
les yeux dans Tintérêt de la bonne cause.
D'ailleurs , des distractions d'un caractère différent
étaient, en même temps, offertes aux Parisiens.
Le lundi 30 janvier 1589 *, eut lieu à Notre-Dame un
service solennel pour le salut des âmes du duc et du car-
dinal de Guise. Tous les chroniqueurs du temps s'accor-
dent à reconnaître qu'on ne déploya jamais pareille pompe
pour les funérailles des rois. Aimar Hennequin, évêque de
Rennes, officia, et Pigenat, le fameux curé de Saint-Nicolas
des Champs, prononça l'oraison funèbre. La Ville de Paris,
en corps, toutes les cours souveraines et le duc d*Aumale
assistèrent à la cérémonie. C'est la municipalité qui sup-
porta les frais de la cire des cierges, et le chapitre métropo-
litain prit à sa charge le reste de la dépense.
Quelques jours plus tard, le 7 février, une autre
solennité passionna les Parisiens. Peu de temps avant
la mort de son mari, la duchesse de Guise * avait quitté
Blois pour venir faire ses couches à Paris. LVnfant vint
même, dit-il, quelques-unes des plus jolies filles qui, pour rendre leur dé-
votion plus agréable à ceux qui en étoient témoins, n'étoient couvertes
que d'une seule toile de lin très fine, qui n'opposoit aucun obstacle aux
regards curieux, ni souvent même aux caresses empressées des jeunes
gens qui les conduisoient galamment par-dessous les bras. » Hist. univ.,
t. X, p. 529. — Conf. Conseil salutaire d* un bon Français aux Parisiens, après
Sat. Ménippée, t. III, p. 268.
1. C'est la date donnée par l'Estoile. Pi^xibiks (l. Il, p. 1179) dit que le
30 était un jeudi, mais c'est évidemment une erreur.
2. Catherine deClèves, née en 1548 de François de Ctèves, duc de Nevers,
et de sa première femme, Marguerite de Bourbon-Vendôme. Veuve en 1566
d'Antoine de Croy, prince de Portien, qu'elle avait épousé en octobre 1560
et qui lui avait fait embrasser le calvinisme, elle abjura, sur les instances
de Catherine de Mâdicis, et se remaria en 1570 avec Henri de Guise. Ses
mœurs avaient été plus que légères. Comme sa sœur aînée, la duchesse de
Nevers, elle portait dans ses heures les portraits de ses amants peints en
crucifix. Le comte de Saint-Mégrin, que Mayenne fit tuer au sortir du
Louvre, figurait sur cette liste. Voy. dans Tallemant des Réaux l'histoire
du bouillon que le duc de Guise fit prendre à sa femme, (T. I, p. 80. Edition
Monmerqué et Paulin PÂris.) La duchesse ne devait mourir que le 11 mai
1633, en odeur de sainteté, à cause de ses largesses aux jésuites (amore
incensa societatis Jesu).
PARIS RÉGICIDE ^ 536
au monde après Tassassinat de son père et cette déli-
vrance de la duchesse souleva parmi la population pari-
sienne un enthousiasme universel. Conformément à la
demande qu'ils avaient faite, le prévôt des marchands -et
les échevins tinrent sur les fonts Tenfant du chef de la
Ligue, à Téglise Saint-Jean-en-Grève. La duchesse d'Au-
male fut la marraine et Ton donna au posthume les noms
de François- Alexandre, Paris de Lorraine *. Ce haptême
se fit remarquer par un faste inaccoutumé et « de la
magnifique cérimonie, comme dit TEstoile, car la plus
part des capitaines des dixaines de Paris marchoienl
deux & deux, portaus flambeaux de cire blanche et
ardante, et estoient suivis des archers, harquebouziers et
arbalestriers de la Ville, vestus de leurs hoquetons, mar-
chans en même ordre et pôrtans semblables torches ou
flambeaux ». Pour terminer la fête, une magnifique col-
lation fut oflerte dans la maison commune aux princes et
princesses de la Ligue et l'artillerie municipale retentit
en signe d'allégresse. « Le peuple de Paris en grande
affluence estoit espandu par les rues où passait la pompe,
bénissant Tenfant et regrettant le père avecq douleur
et gémissements très grands • ».
Malgré l'attrait de toutes ces cérémonies à effet, les
meneurs de la Ligue comprenaient fort bien qu'elles ne
suffisaient pas à occuper l'esprit du peuple et qu'un chef
était plus que jamais nécessaire pour imprimer une direc-
tion suivie aux forces de la faction. Enfin Mayenne fit son
entrée à Paris le 12 février 1589 % au milieu d'un enthou-
1. Il mourut en juin 1614, des suites d'un accident, et fat gouverneur de
Provence. La mort des barons de Luz, père et fils, sont les deux actions
qui ont illustré le filleul de Paris, et c'est une célébrité qui serait aujour-
d'hui de la compétence de la cour d'assises.
2. T. m, p. 246. Gonf. Palma-Cayet. CkronoL 7iov., livre 1.
3. Il avait été précédé de la duchesse de Montpcnsier arrivée le 9, de la
duchesse de Mayenne arrivée le 10, de la duchesse de Nemours arrivée
le 11. L'EsTOiLE, t. ni, p. 246.
836 PARIS ET LA LIGUE
siasme indescriptible. Il avait à ses côtés le duc do
Nemours et devant lui le duc et le chevalier d'Aumale.
Du premier coup d'oeil, le nouveau maître de Paris vit
qu'il fallait soustraire à la démagogie le gouvernement de
la capitale et il profita, non sans habileté, des bonnes
dispositions du peuple pour prendre des mesures déci-
sives. Une assemblée générale fut convoquée à THôtel de
Ville le 16 février. Elle comprenait les ducs de Mayenne,
de Nemours, d'Aumale, le comte de Chaligny, les éche-
vins, les conseillers de Ville, les députés des cours,
corps, collèges, chapitres et communautés ecclésiastiques,
les quartiniers et « quatre notables bourgeois des neuf élus
pour le conseil de chacun quartier * ». Mayenne, qui pré-
sidait, dit « qu'il estoit expédient d'establir un Conseil
général de tous les ordres es estats de la Ville pour pour-
voir à toutes les affaires concernantes ladite Ville et tout
TEstat, tant au fait de la guerre que finances et police du
royaume, attendant la tenue des Estats généraux ». Il ne
paraît pas y avoir eu de discussion sérieuse : la propo-
sition du duc fut renvoyée à ce « Conseil particulier de la
Ville » dont nous avons dit plus haut la composition * et
qui n'était qu'une sorte de réduction de ce qu'on appelait
autrefois le Grand Bureau de la Ville. C'est là qu'on
devait dresser « le rôle des personnes jugées capables »
d'entrer dans le conseil général de l'Union. Il fut décidé
que ce rôle serait ensuite soumis à tous les comités de
quartier et que « seroit rapporté le lendemain au conseil
qui seroit assemblé près lesdits seigneurs princes, pour
i. Reg. h, 1789, fo 284. Ce passage met en relief TexisteDce des seize co-
mités de quartiers, composés chacun de neuf membres. Les Registres con-
cordent parfaitement avec le passage du Dialvgue du Maheustre et du Ma.
nant qui parait appliquer cette dénomination énigmatique les Seize k
l'ensemble des seize comités. Nous avons déjà cité plus haut, p. 493, ce
texte qui se trouve au t. III de la Satyre Ménippée, édit. de Ratisbonne,
p. 454.
2. Voy. p. 492, note 4.
PARIS RÉGICIDE 837
sur iceux arrester le voile du Conseil général^ sans autre
plus grande assemblée ». Ainsi, en définitive, les princes
devaient avoir le dernier mot. Le lendemain 17, ils se
réunirent en conseil avec quelques membres des compa-
gnies souveraines, quelques gentilshommes, les échevins
et « aucuns bourgeois notables de la Ville » pour exa-
miner les rôles « baillez tant par la cour de Parlement,
chambre des comptes et généraux de la justice des aydes
que par les députez des quartiers, suivant la délibération
faicte lejourd'hier, en l'assemblée générale des habitans
d'icelle ville, contenant les noms de ceux qui sembloient
propres pour assister au conseil général que Pon a désiré
estre estably comme nécessaire pour pourvoir à Tentre-
tenement de TUnion et conservation de la religion catho-
lique, apostolique et romaine et de Testât ^ ». A la suite
de cette conférence, Mayenne arrêta la composition du
Conseil général de TUnion. C'est très improprement qu'on
Ta appelé le Conseil des quarante, car, ainsi que nous
Tavons dit plus haut ', il ne paraît pas avoir été constitué
avec des cadres bien arrêtés, lors de la nomination du
duc d'Aumale en quantité de gouverneur de Paris et de
la reconstitution de la municipalité parisienne. Quant à
Mayenne, il éleva le nombre des membres du conseil
général de FUnion, le 17 février 1589, à cinquante-quatre
membres, si Ton en croit le Dialogue du Maheustre et du
Manant ^; et les personnages sur lesquels il porta son
choix pour contrebalancer Tinfluence démagogique des
élus du peuple * appartenaient tous aux plus hautes classes
1. Extraits des ordonnances. Félib., Pr., t. III, p. 306.
2. Voy. p. 492.
3. T. III de la Sat. Ménippée, p. 472.
4. Les membres du conseil élus par le peuple ou, pour être plus exact,
par les comités de quartier, étaient, d'après le Dialogue du Maheustre et du
Manant f les sieurs deBrézé, évêque de Meaux; Roze, évêque de Senlis; de
Villars, évêque d*Agen ; Prévost, curé de Saint-Séverin ; Boucher, curé de
Saint-Benoist; Aubry, curé de Saint-André ; Pelletier, curé de Saint-Jacques ;
S28 PARIS ET LA LIGUE
de la société. C'étaient l'évêque de Rennes, Hennequin,
l'abbé de Lenoncourt, les présidents Jeannin, du parle-
ment de Dijon, et Vêtus, du parlement de Rennes; le pré-
sident le Maistre, du parlement de Paris; le conseiller
d'Amours, les Villeroy père et fils, qui décidément pre-
naient parti pour la Ligue ; le sieur de la Bourdaiziëre, le
sieur du Fay et les présidents d'Ormesson et Videville;
mais Mayenne ne se borna certainement pas à l'addition
de ces quatorze membres, car la liste définitive du conseil
que coUationna Pierre Senault, d'après l'original et qui est
citée par Félibien, indique des noms qui ne figurent ni
parmi les quarante membres de la fondation, ni parmi les
quatorze de la seconde fournée. Nous citerons notamment
L'Huillier, maître des comptes; de Sarmoisc, de Dam-
pierre, maîtres des requêtes; Lescaut, Gobelin, sieur de
Saint-Germain. D'ailleurs l'ordonnance du 7 février, qui
porte établissement définitif du Conseil *, comprend cette
disposition finale : « A esté arresté que messieurs les pré-
sidens, advocats et procureurs au parlement, estans à
présent en exercice, y pourront assister quand bon leur
semblera et y auront voix délibérative. Pareillement, les
autres évesques de l'Union y auront séance et voix par
l'advis du conseil. Les prévost des marchans et eschevins
et le procureur de la Ville qui sont de présent en charge,
Pigenat, curé de Saint-Nicolas, et de Launoy, chanoine de Soissons, pour
l'Eglise. — Les sieurs de Maineville. de Canillac, de Saint-Pol, de Rosnc,
de Montbereauld.de Hautefort et du Sauseay, pour la noblesse. — Les sieurs
de Masparault, de Neuilly [le prévôt des marchands absent), Coqueley,
Midorge, de Machault. Baston, Michel de Marillac (le futur garde des
sceaux sous Louis XUT, conseillers au Parlement; Acarie, maître des
comptes; de Bray, intendant des finances; le Beau Clerc, de la Bruyère,
lieutenant civil; Anroux, Foutanon, le jurisconsulte; Drouart, Crucé, de
Bordeaux, Halvequiu, Soly, Bellanger, Poncher, Charpentier et Pierre
Senault, commis au greiïe du Parlement et nommé secrétaire et greffier
du Conseil. On peut compléter ou rectifier cette liste d'après l'extrait des
ordonnances que cite Félibibn, Pr., t. HI, p- 306.
1. Celte ordonnance est signée de Charles de Lorraine, Charles-Emma-
nuel de Savoie, Henry de Lorraine, Roland, de Compaos, Costeblanche et
Desprez. Voy. Félibien, Pr., t. III, p. 307.
PARIS RÉGICIDE 529
y auront séance et voix délibérative à tousjours, sans le
tirer à conséquence pour Ifeurs successeurs et seoiront
immédiatement après les présidens des cours et compa-
gnies souveraines et maistres des requestes. Des députez
des trois ordres des villes et provinces unies y auront
aussi séance et voix. » Par conséquent, les cadres du
conseil général de TUnion restaient élastiques, se resser-
rant et s'élargissant suivant la volonté de son président.
Le Dialogue accuse, du reste, les princes d'avoir fait
entrer de nouveaux membres au conseil « sans les suf-
frages du peuple », dans le seul dessein « d'emporter les
voix des dénommez par le peuple ». Ceux que le Manant
appelle les supernuméraires ^ c'est-à-dire les magistrats et
les officiers municipaux qui avaient droit d'entrée au
conseil quand bon leur semblait, ou plutôt quand il sem-
blait bon aux princes, devaient servir à noyer les suffrages
des représentants des couches inférieures de la population *,
car ils étaient plus nombreux que les membres primitifs
du conseil.
Ayant ainsi assuré la prépondérance de son autorité
quasi souveraine, le duc de Mayenne décida que le conseil
général se réunirait « à la maison du bailliage du Palais »
i . Le Manant dit que Mayenne ajouta quatorze membres au conseil, dont
il cite les noms, « et depuis eux plusieurs autres de leur façon et pratique,
pour emporter les voix des dénommez par le peuple; de sorte que, le plus
souvent, ils estoient en contradiction, tellement que, quand les grands vou-
loient frapper quelque coup au désavantage du party des catholiques et
favoriser les ennemis, ils faisoient venir les présidens de la cour et gens
du roy avec leurs adhérans, comme le président le Sueur de Bragelogne,
trésorier, Rolland, Teschevin, et autres de semblable farine, qui avoient
séance et voix délibérative audit conseil, afîn d'emporter ce qu'ils vou-
loient par la pluralité des voix, d'autant que ces supernuméraires surpas-
soient le nombre de ceux nommez par le peuple ». P. 473, t. III, édit. de
Ratisbonne. — Il est assez difOcile de concilier ce passage avec les apprécia-
tions de L'EsToiLB(t. III, p. 250), qui attribue à Senault « une merveilleuse auc-
torité et plus d'audivit et de commandement lui seul que tous ceux du con-
seil ensemble ». D'après le chroniqueur, quand on faisait une proposition
désagréable à Senault, il se levait et disait : « Messieurs, je l'empesche et
m'y oppose pour 40,000 hommes », à laquelle voix ils baissoient tous la
teste comme cannes et ne disoient plus mot ».
ROBIQUET. 34
830 PARIS ET LA LIGUE
et que la liste de ses membres serait enregistrée au Parle-
ment. Celte formalité fut remplie le 20 février, à la requête
du procureur général K
Le nouveau chef de la Ligue craignait si peu que la
fraction démagogique du parti clérical pût être tentée de
«
protester *, qu'il partit à Rouen, le 21 février, avec le duc
de Nemours, le prédicateur Pigenat et un délégué spécial
de la Ville de Paris, le sieur de Saliot '. Il s'agissait de
briser la résistance du parlement de Rouen qui refusait de
prêter serment à TUnion. Ce résultat fut obtenu sans diffi-
culté. Tandis que Mayenne exécutait en Normandie cette
espèce de coup d'État parlementaire, le conseil général de
rUnion témoignait. sa servilité envers le duc en lui confé-
rant le titre de lieutenant général de CEstat royal et cou-
ronne de France (4 mars 1589) *. C'était là, il faut le
reconnaître, un titre singulier et fort ambigu, car il était
à la fois trop ambitieux et trop timide, puisqu'il impliquait
l'existence d'une autorité supérieure, qui, selon le droit
monarchique, ne pouvait être que celle du roi *. Le prési-
I.Félib., Vr.^ t. III, p. 307.
2. Le Dialogue du Maheustre et du Manant atteste cependant que rélément
populaire du conseil vit avec colère la fournée de hauts fonctionnaires intro-
duite par Mayenne assurer la prépondérance de l'élément aristocratique :
« Si le conseil général de TUnion s'est fourvoyé, dit le Manant, ra esté par
l'introduction des grands que l'on y a mis sans les suffrages du peuple. •
P. 472, Sat. Ménippée, t. III.
3. Le RÊo. H, 1789, f^ 228, contient le texte de la procuration donnée par
le prévôt des marchands et les échevins au sieur de Saliot « pour se trans-
porter avec monsieur le duc du Mayne & Rouen et partout ailleurs, et traiter
au nom de la Ville tout ce qui sera jugé utile pour ladite Union. Du
20 février i589 ». Voy. aussi Féub., Pr., t. III, p. 439.
4. C'est la date donnée par de Thou, t. X, p. 524.
tS. C'est ce qu'a parfaitement exprimé Pierre Pithou dans la harangue de
d'Aubray : « Lieutenant de TFltat et couronne est un titre inouy et
estrange qui a trop longue queue, comme une chimère contre nature qui
fait peur aux petits enfants. Quiconque est lieutenant est lieutenant d'un
autre, duquel il tient le lieu, qui peut faire sa fonction, à cause de son
absence ou autre empeschement ; et lieutenant est lieutenant d'un autre
homme, mais de dire qu'un homme soit lieutenant d'une chose inanimée,
comme TEstat ou la couronne d'un roy, c'est chose absurde et qui ne se
peut souffrir ». Sat, M., 1. 1, p. 150.
PARIS RÉGICIDE B31
•
dent Brîsson, auquel de Thou attribue la paternité de
cette qualification étrange, prétendait se faire un mérite
d'avoir sauvé ainsi le symbole et le principe de la royauté
française. Les lettres de lieutenance furent scellées d'un
nouveau sceau qui portait Tinscription suivante : Le Scel
du royaume de France *. Mayenne, de retour à Paris,
prêta serment devant « cette assemblée d'esclaves, cette
canaille prostituée qu'ils apeloient le Parlement* », le lundi
13 mars 1589. Par la formule que le président Brisson pro-
nonça et que Mayenne répétait, le lieutenant général
promit de combattre pour la religion catholique, de main-
tenir l'autorité des parlements, les privilèges du clergé et
de la noblesse et de diminuer les impôts '.
En attendant l'ère des dégrèvements, le conseil de
rUnion avait une façon primitive, mais assez pratique de
se procurer des ressources. Il confisquait les biens des
royalistes et, comme le dit énergiquement la Satire Mé-
nippée *, « curait rudement les bourses ». Ayant appris que
la maison de Pierre Molan, trésorier de l'épargne, recelait
des meubles précieux et des sommes d'argent considé-
rables, les ligueurs y envoyèrent Baptiste de Machault et
Bertrand Soly, conseillers au Parlement, pour mettre la
main sur ce trésor, dont l'existence avait été révélée par
les maçons qui avaient pratiqué les cachettes. L'Estoile, qui
1. Palma-Cayet, p. 103. L'Estoile, t. III, p. 258. Pour être tout à fait
exact, il convient de dire qu'il y eut deux sceaux, fabriques sur l'ordre des
ligueurs, un grand pour le Conseil et un plus petit pour les parlements
et les chancelleries. — Quant aux arrêts du Parlement, ils furent doréna-
vant précédés d'une mention ainsi conçue : « Les gens tenant le Parle-
ment », substituée à l'intitulé : Henry^ par la grâce de Dieu, roy de France
et de Pologne. Les lettres de grâce, rémission, abolition, délivrées par le
duc de Mayenne, portèrent ce titre : Charles^ duc de Mayenne, pair et lieu-
tenant général de Vestat et couronne de France. Voy. Palma-Cayet. Ihid,
2. L'Estoile. Ihid,
3. De Thou, t. X, p. 526. Les lettres furent lues, publiées et i^egistrces au
Parlement le 19 février. La Chambre des comptes et la Cour des aides ne
les reçurent qu'en avril et en mai.
4. Harangue de (TAubray.
832 PARIS ET LA LIGUE
reproduit le procès-verbal de la saisie, déplore le malheur
des temps et la chance des « larrons de TUnion », tout en
traitant aussi d'archi-larron le trésorier Molan, lequel
a avoit si excessivement volé et dérobbé le roy et le peuple
qu'il méritoit bien d'estre pendu... » Quoi qu'il en fût,
c'était pour l'Union une bonne aubaine dont le total s'éle-
vait à environ trois cent mille écus. « Affriandés aux inven-
taires des Politiques », comme dit le chroniqueur, les
ligueurs ne bornèrent pas là leurs exploits, et leurs limiers
multiplièrent les perquisitions. On inventoria les meubles
et les valeurs appartenant au sieur Amelot, prieur de Saint-
Martin des Champs, et au président Amelot son frère. Chez
le président de Verdun, on saisit une somme de 40,000 écus
qui passa dans la caisse du parti catholique ^ Il faut
d'ailleurs reconnaître que dans cette campagne financière
la Ligue parisienne déploya le génie le plus inventif. Un
grand nombre do magistrats royalistes avaient été mis à
la Bastille. Bussy Le Clerc se montra disposé à ouvrir la
porte de la prison dont il était gouverneur à quelques-uns
d'entre eux; c'est ainsi que furent mis en liberté les con-
seillers Perrot, du Puis, Jourdain, Tournœbus, les prési-
dents Forget et Amelot, le doyen Séguier, le secrétaire
Mortier et l'avocat Boney, « mais il y falust employer,
comme on dit, le vert et le sec et le sang de la bourse • ».
Quant aux autres, sans doute plus riches et dont le geôlier
espérait tirer de fortes sommes, ils durent rester en prison;
la duchesse de Guise, la Sainte-Veuve, comme on l'appe-
lait, s'amusait beaucoup « des damoiselles et fenmies de
bien qui alloient visiter leurs maris prisonniers, disant
qu'elle prenoit un singulier plaisir à voir ces damoiselles
crottées qui s'en alloient à la Bastille raccoustrer les hauts
de chausses à leurs maris ». Cet aventurier de Bussy Le
1. L'EsTOiLE, t. m, p. 257.
2. Ibid., p. 259.
PARIS RÉGICIDE S33
Clerc entendait, d'ailleurs, la tolérance à sa manière, et il
se montra plein d'égards pour un de ses prisonniers, le
ministre huguenot Damours, « disant le dit Bussi et jurant
Dieu en catholique zélé qu'il étoit plus homme de bien,
tout huguenot qu'il estoit, que tous ces beaux politiques de
présidens et conseillers qu'on lui avoit baillés en garde,
qui n'estoient que des hipocrites, et qu'il eust mieux aimé
lui faire plaisir qu'à eux, encores qu'il n'alloit point à la
messe * ».
Tandis que ses alliés se donnaient ces distractions lu-
cratives, Mayenne, avec une persévérance remarquable,
s'occupait de « nouer et estraindre par un ordre et règle-
ment toutes les villes qui s'estoient déjà mises du party de
l'Union et celles qui s'y mettroient encor à l'advenir « ».
C'est dans ce dessein qu*il publia, au commencement d'avril^
un règlement en vingt et un articles, pour régulariser
l'action combinée des forces de l'Union et arrêter les actes
de pillage. Plusieurs articles défendent : de saisir « les
biens meubles appartenans aux ennemis... n'est raisonnable
de souffrir que les biens des particuliers soient exposez au
pillage et appliquez au profit particulier d'aucuns, mais
qu'ils doivent estre employez au secours des affaires publi-
ques »; ainsi la Ligue ne rend pas l'argent, mais elle veut
régler l'emploi des biens confisqués. Défense aussi
d'arrêter les suspects sans ordonnance écrite des magis-
trats; d'occuper les maisons des absents et de s'en appro-
prier le contenu, comme le faisaient, paraît-il, certains
« gentilshommes du party de l'Union ». D'autres articles
convoquaient les États généraux à Paris pour le 13 juillet
suivant et rétablissaient le Grand Conseil, « à la charge
que les officiers d'iceluy feraient le serment de l'Union ' ».
1. L'ËSTOiLB, t. m, p. 260.
2. Palha-Catst, p. 103. Il donne le texte entier du règlement.
3. Dès le mois de mars, le président d'Orsay réunit chez lui le Grand
534 PARIS ET LA LIGUE
Le règlement indiquait aussi, avec minutie, de quelle
manière et devant quelles autorités chaque catégorie de
Français devait prêter ce fameux serment à défaut duquel
on n'était pas « tenu et réputé du corps de l'Union ».
Chaque cité catholique envoyait au Bureau de Ville de
Paris des délégués pour présenter son adhésion « à l'acte de
serment de l'Union * ». Des correspondances curieuses
s'échangeaient entre la Ville de Paris et certains grands
seigneurs, d'attitude hésitante. Le duc de Nevers était un
de ceux-là. Aux instances de la Ville de Paris, qui le
pressait d'entrer dans l'Union, il avait répondu de Tours,
lé 23 mars, qu'il désirait connaître plus clairement « les
intentions et desseings de Paris * ». Les ligueurs de
Conseil et lui fit jurer l'édit d'Union. II siégea depuis lors aux Blancs-Man-
teaux. Martin Langlois fut nommé procureur général et Ordineaa grand
prévôt. Voy. Félibien, t. II, p. Ii86.
1. Le Rboistrb H, 1789, fo 288, porte, sous la date du 20 février 1589, que
« les eschevins, gouverneur et syndic de la ville de Senlis viennent au
Bureau de la Ville de Paris « présenter l'acte de serment de l'Union faict
par lesdictz manans et habitans, dacté du 17* des présens mois et an ».
2. En même temps qu'il écrivait aux magistrats municipaux de Paris
cette lettre officielle du 23 mars, le duc de Nevers rédigeait, sous le nom
d'un bourgeois de Paris, un long advertissement que reproduisent les Mém.
de Nevers, t. I, p. 885. Dans ce document fort curieux, le duc s'efforce de
plaider les circonstances atténuantes en faveur du roi, meurtrier des
Guises. Il combat timidement l'avis de la Sorbonne qui a délié les sujets
du roi de leur serment de fidélité et il invoque ce singulier motif qu'on
n'aurait pas dû condamner le roi « sans informer et sans Touyr ». Le duc
reconnaît cependant que u les meurtres des Guises sont exécrables et inhu-
mains ». Néanmoins, il trouve « qu'il est contraint de dire que ce n'est
pas chose nouvelle que pour aOaires d'£tat l'on ait fait tuer des cardi-
naux ». Quant au duc de Guise, c'était un grand et valeureux prince, a mais»
pour dire vray, chacun jugeait bien clairement qu'il estoit impossible que
les riotes qui à toutes heures survenoient à Blois entre le roy et nosdits
princes n'amenassent quelque grand esclat » Et puis, est-ce que Phi-
lippe II n'a pas fait tuer son fils « pour la jalousie de sa vie et de son Estât »?
La reine d'Angleterre n'a-t-elle pas fait exécater par justice la reine d'Ecosse,
sa cousine, etc. ? L'histoire est pleine de pareils exemples. Le duc proteste
contre le projet de tuer le roi ou de le chasser de son royaume, et il objecte
surtout que le pape n'a pas excommunié Henri III et n'a pas autorisé la
prise d'armes contre lui. u II n'y a pas d'occasion apparente n'y pressée
qui doive induire & élire un autre roy. » On ne peut « longuement demeurer
en l'eslablissement qui a esté fait de la personne de monseigneur le duc
de Mayenne pour lieutenant général de l'Estat et de la couronne de France ».
Nevers ne prend pas au sérieux le projet de donner la couronne à Mayenne^
car ce n'est « qu'un puisné des puisnez de la maison de Lorraine ». Leduc
PARIS RÉGICIDE 535
l'Hôtel de Ville s'empressèrent de donner au duc tous les
éclaircissements qu'il réclamait. Ils déclarent, dans leur
réplique, qu'ils ne peuvent tolérer que le gouvernement
passe au roi de Navarre, qui est un hérétique. D'ailleurs
le serment d'Union dont la formule est adressée au duc
Téclairera sur les intentions des princes catholiques. Quant
à la croyance exprimée par Nevers que « le roy est fort
enclin à extirper les hérésies du royaume et a pour agréable
de se servir de ceulx qui le pourront assister en telle
occasion », la Ville ne peut la partager et elle fait cette
objection que le duc et le cardinal de Guise étaient de
bons catholiques « ne tendans toutes leurs actions et leurs
desseings qu'à la gloire de Dieu ». Et pourtant le roi les
trouve plus aisé de a réduire le royaume en république », mais il oe pense
pas qu'un pareil changement puisse avoir lieu h sans amener un très dan-
gereux et tyrannique événement >i. Ce serait une véritable anarchie. Ni les
officiers de la couronne, ni les princes, ni TEglise ne pourraient conserver
leurs privilèges et leur autorité. La soldatesque se croirait tout permis
et pillerait villages et monastères. On s'emparerait par la force de la maison
de son voisin, si on la trouvait à sa bienséance. Partout se produiraient des
massacres, comme ceux de Toulouse. Enfin une désolation universelle
Paris perdrait plus que toute autre ville à la continuation de la' guerre
civile, « car ayant toujours esté la capitalle de toutes les autres et ob les
rois, le Parlement, la Chambre des comptes, la Cour des aydes et le Grand
Conseil ont fait par si longtemps leur résidence, ce qui y a fait apporter
de si grandes commoditez et richesses que justement Ton peut dire qu'elle
estoit le gouffre des richesses de tout le royaume ». L'absence de la cour
et des grands corps de TEtat va la priver de toutes ces prospérités « et
Therbe croistra dans peu de temps sur nos Ponts au Change et de Nostre-
Dame ; et après que nous aurons consommé ce que nous avons pillé aux mai-
sons de nos bourgeois, pour n'estre de nostre Ligue, et que nous aurons
espuisé nos bourses pour nostre dépense ordinaire et pour les frais de la
guerre, nous maudirons nos folies et l'ambition d'autruy, qui nous aura
réduits à une telle extrémité et à une telle misère »! Les bons bourgeois,
« rudoyez par les safTranniers et en danger d'estre pillez et tuez », laisse-
ront la ville déserte; les artisans, ne gagnant plus leur vie, s'emporteront
à tous les désordres; déjà il n'y a plus d'autorité municipale, car le prévôt
des marchands et les échevins sont annihilés par le conseil des Quarante,
« ce qui les rend contemptibles par le peuple ». Ils craignent « de faire
chose contraire au vouloir des impudens et arrogans, de peur d'estre eux-
mêmes saccagez et tuez ». En terminant, le pseudo-bourgeois engage les
Parisiens à rendre l'unité et la paix à la France, et déclare que, s'il voit« les
cœurs endurcis à nil faire et hors d'espérance d'une bonne réconciliation,
il se résoudra d'essuyer sa plume, de reposer sa langue et d'abandonner
tout son pauvre petit mesnage pour se retirer avec Dieu hors de la
patrie »
536 PARIS ET LA LIGUE
a traités comme on sait. Le duc de Nevcrs devrait bien
savoir que le roi ne Taime pas; que ce prince a violé
les serments les plus sacrés. Comment s'endormir sur
ses bons visages? Le bruit court que le duc de Nevers
veut quitter la France; c'est donc qu'il n'a pas confiance
dans la sincérité du roi. La Ville de Paris termine enfin
cette épitre assez amère en mentionnant une calomnie
qui accusait le duc de Nevers de vouloir « s'enrichir des
dépouilles de feu M. le duc de Guise et supplanter M. son
fils, son neveu, auquel il debvoit servir de père, au gou-
vernement de Champagne ' ».
Pour que la Ville de Paris se permit un langage aussi
audacieux à l'encontre d'un des plus grands seigneurs du
royaume, comme le duc de Nevers, il fallait que la Ligue
eût une idée très haute de sa force. De fait, toutes les
villes, tous les fonctionnaires, même dévoués au roi,
tremblaient devant cette nouvelle puissance qui s'était
constituée dans la capitale. A Chartres, l'évèque, Nicolas
de Thou, François d'Escoubleau de Sourdis, gouverneur
de la place, et François d'Escoubleau, évèque de Maille-
zais, frère du gouverneur, avaient voulu résister au torrent
populaire déchaîné par les agents des échevins de Paris.
Les ligueurs coupèrent violement la parole à leur évèque,
arrêtèrent le procureur général de la Guesle qui voulait
aussi les haranguer au nom du roi et forcèrent toutes les
autorités de la ville, à commencer par l'évèque et le gou-
verneur, à jurer les articles de l'Union', dans une assem-
blée solennelle tenue le 13 février 1589.
Une seule humiliation gâtait le triomphe des Parisiens.
Le prévôt des marchands était toujours prisonnier à
1. Rbo. h, 1789, fo 291.
2. Ibid,, fo 281. \\ est vrai de dire que le duc de Mayenne avait passé à
Chartres le 7 février et y était resté deux jours, avant de faire son entrée
h. Paris, qui eut lieu le 12 février. (Voy. plus haut p. 521.)
Paris régicide 537
Amboise. Nous avons dit plus haut ^ que le roi avait
laissé partir la duchesse douairière de Nemours, ainsi
que les échevins Compans et Costeblanche, soit qu'il ait
voulu accorder quelque satisfaction aux réclamations des
Etats généraux, soit qu'il ait nourri Tillusion d'apaiser
la rage des ligueurs parisiens qui, par lettre du 28 décem-
bre 1588, avaient mis le roi en demeure de leur rendre
les trois magistrats municipaux incarcérés. D'autre part,
à la faveur de la panique qui avait suivi l'évacuation
d'Orléans par le maréchal d'Aumont (31 janvier 1589), le
duc de Nemours avait réussi à s'échapper de sa prison
et à gagner Paris. Mais Henri III gardait soigneusement
les autres otages, parmi lesquels se trouvait La Chapelle-
Marteau. Trouvant même que le château de Blois, « simple
maison de plaisance », comme dit Palma-Cayet, n'était
pas une prison assez sûre, le roi s'abaissa au métier de
geôlier et s'embarqua sur la Loire avec ses prisonniers,
qu'il écroua au château d'Amboise entre les mains du
capitaine Du Guast, l'un des principaux figurants du drame
de Blois. Telle était pourtant la triste destinée du roi que
ses plus fidèles serviteurs songeaient successivement à le
trahir. C'est ainsi que le fameux Loignac, l'un des maîtres
de la garde-robe, le gouverneur d'Anjou et Touraine,
qui avait plus que personne trempé les mains dans le
sang des Guises, n'avait pu résister au dépit que lui cau-
sait la perte de la faveur du prince et s'était, une belle
nuit, échappé de Blois, roulant dans son esprit des projets
de vengeance. Loignac alla trouver, sans désemparer,
' son ami Du Guast, gouverneur d'Amboise, et n'eut pas
de peine à lui faire comprendre que les prisonniers confiés
à sa garde valaient un trésor. Mais Du Guast, qui goûtait
le conseil, voulut en garder pour lui les avantages éven-
1. Voy. p. 513.
838 PARIS ET LA LIGUE
tuels, et un jour que Loignac revenait au ch&teau d'Am-
boise, après avoir, cherché sans succès des pillards imagi-
naires que ringénieux gouverneur lui avait signalés, il
trouva la porte close et dut reprendre le chemin de son
pays de Gascogne, où il était destiné à périr obscurément \
Quant à Du Guast, il ouvrait complaisamment Toreille aux
offres de La Chapelle-Marteau et traitait en roi le cardinal
de Bourbon. ïlenri III, informé de Tétrange attitude de Du
Guast, qui venait d'envoyer son propre frère aux ligueurs
parisiens pour leur servir d'otage ', mit tout en œuvre
pour détourner le gouverneur d'Amboise de livrer ses
prisonniers à la Ligue. Il y avait urgence, car déjà les
émissaires de l'Union « approchoient en troupe, avec force
de gens et d'argent, qui venoient, ainsi que l'on disoit,
pour arrhes et avance de ce qu'ils avoient promis ' ».
Enfin, par l'entremise d'un certain capitaine Gotz, Du Guasl
entra en composition et convint de rendre au roi, moyen-
nant trente mille écus, le cardinal de Bourbon, le prince
de Joinville et le duc d'Elbœuf. Quant à l'archevêque de
Lyon, au prévôt des marchands et aux autres prisonniers,
ils devaient rester entre les mains du gouverneur d'Am-
boise, qui toucherait leur rançon. Cette honteuse transac-
tions fut religieusement exécutée; le roi lui-même * vint
prendre livraison du cardinal de Bourbon, du prince de
Joinville et du duc d'Elbœuf et les ramena à Blois sous
i. Voy. Letlres de Pasquier, t. II, p. 383, et Palma-Caybt, p. 97.
2. Db Thou, t. X, p. 509.
3. Pasquier, Ibid,
4. Palma-Catet. Il faut signaler la curieuse hypothèse de l'Estoile, qui
prétend que Loignac trahissait non pas le roi, mais les Parisiens auxquels
il voulait extorquer 200,n00 écus, sous prétexte de leur rendre les prison-
niers d'Amboise. Le chroniqueur ajoute qne les ligueurs de Paris le pri-
rent bien pour un traître et emprisonnèrent son oncle le seigneur de Bour-
bonne et le frère du capitaine Du Guast qui étaient venus traiter cette
affaire. « Les Parisiens, aians descouvert la fraude, les serrèrent tous deux
prisonniers en la Bastille dont ils furent, quelque temps après, retirés et
rendus en eschange du seigneur de La Chapelle-Marteau, prévost des mar-
chans de Paris. » T. III, p. 253.
PARIS RÉGICIDE 839
bonne escorte. Libre de mettre à rançon La Chapelle-Mar-
teau, le président de Neuilly et Tarchevêque de Lyon, Du
Guast ne fit pas avec la Ville de Paris un moins bon mar-
ché qu'avec le roi. Dès le 25 février 1589, « le conseil général
des catholiques estably à Paris, attendant rassemblée des
Estats du royaume * », avait prescrit à la municipalité de
réunir une assemblée générale pour traiter la question de
la délivrance et de la rançon des prisonniers d'Amboise.
Cette assemblée eut lieu le 27 février. Il y « fut exposé
qu'on estoit convenu à 200,000 livres pour la délivrance
des princes, prévost des marchands, président de Neuilly
et autres prisonniers d'Amboise , ladite somme, payable
par termes, à quoi dix ou douze notables personnages
offrent de s'obliger, qu'il est raisonnable d'indemniser * ».
Cette proposition fut adoptée, et l'assemblée, après avoir
voté des remerciements aux notables qui garantissaient
la rançon des prisonniers, autorisa la levée « d'une capi-
tation sur tous les habitans sans exception » pour rem-
bourser aux capitalistes du parti le montant de leurs
avances. Dès que Du. Guast eut touché la rançon convenue,
il mit en liberté le prévôt La Chapelle-Marteau, le président
De Neuilly et l'archevêque de Lyon. On peut aisément se
faire une idée de l'atteinte profonde que tous ces marchan-
dages portèrent à l'autorité royale, déjà si affaiblie. Il
faut conclure sur ce point comme Palma-Cayet : « Les
choses laides sont tousjours laides, quelque couleur qu'on
leur donne ».
1. Extraits des registres, Félib., Pr., t. V, p. 459.
2. Ibid, Pasquier parail exagérer quand il écrit que la convention passée
entre Henri III et Du Guast stipulait que ce dernier « prendroit des
ligueurs les dix mil escus qu'ils luy apporloient ». On peut supposer peut-
être que, outre la part contributive de Paris, les princes, villes et com-
munautés de l'Union avaient aussi fourni leurs cotisations. En tout cas, il
semble incontestable que le roi donna 30,000 écus comptant. Sans parler
du témoignage de Pasquier, liv. XIII, lettre X, os Tiiou, X, p. 510, affîmie
que les 30,000 écus furent payés comptant par Pierre Molao, trésorier de
l'épargne.
840 PARIS ET Lk LIGUE
L'excès des humiliations eut cependant pour effet de
rendre un peu d'énergie au roi. Il exprima d'abord sa
colère dans une série de manifestes ou déclarations ^ La
première déclaration enlevait au duc de Mayenne, au duc
et au chevalier d'Aumale toutes leurs charges et dignités,
en les qualifiant « d^infidelles, rebelles, atteints et con-
vaincus des crimes de rébellion, félonnie et de lèze-majesté
au premier chef ». La seconde, datée comme la première
de février 1586 et signée à Blois, vise spécialement les
villes de l'Union. Elle porte que les « Villes de Paris,
Orléans, Amiens et Abbevilles et toutes les autres, si au-
cunes y en a qui les assistent, sont aussi déchues de tous
les états, offices, honneurs, pouvoirs, gouvernements,
charges, dignités, privilèges, prérogatives, dons, octrois
et concessions quelconques ». Le roi les déclare coupables
de félonie et de lèse-majesté dans les mêmes termes que les
princes de l'Union. Il accorde à Paris et aux autres cités
rebelles jusqu'au 15 mars 1589 pour « reconnaître leur
faute et se remettre en l'obéissance "... » En outre, et
doutant lui-même de l'effet de ces excommunications
laïques, Henri III expédia des lettres patentes pour con-
voquer la noblesse, le ban et l'arrière-ban et les com-
pagnies de gendarmerie. Un édit de février, enregistré
plus tard dans un lit de justice du 23 mars, transféra à
Tours le Parlement et la Chambre des comptes ^. Enfin,
Henri III expédia en Suisse Nicolas Harlay de Sancy, avec
des pouvoirs illimités pour faire des levées, mais sans lui
donner un écu. Sancy dut prendre un déguisement pour
1. Mém, de la Ligue, p. 203 et suivanlcs.
2. Jbid,, p. 213. Lettres patentes des 6 et il février 1539.
3. Ibid,f p. 224. L*édit ordonne à « tous les officiers de la cour de par-
lement de Paris, de quelque qualité qu'ils soient, de se rendre dans la ville
de Tours, dans le quinzième jour du mois d'avril prochain, hormis ceux
qui sont détenus en prison pour s'être montrés fidèles à leur roi légitime
et naturel ».
PARIS RÉGICIDE 841
traverser Lyon et arriva à Genève le 14 février. Sa mission
réussit au delà de toute espérance *.
Encore une fois, le roi luttait pour la couronne et pour
la vie. Soutenu par une partie de la noblesse et par quelques
villes fidèles, à cause de Ténergie des gouverneurs royalistes,
Henri III ne paraissait pas en mesure de résister aux forces
immenses et à Taudacieuse propagande de la Ligue. Il
avait vu successivement passer à ses ennemis Rouen
(9 février), le Mans (12), dont le gouverneur Philippe d'An-
gennes du Fargis avait été blessé et envoyé à la Bastille
de Paris; Melun, Senlis, Lyon (24 février), où Charles de
Neuville d'Alincour, gendre de Mandelot, s'était mis à la
tête de la révolte * ; Bourges, dont Claude de la Châtre,
gouverneur du Berry, provoqua et partagea la défection;
presque toutes les villes picardes et celles de Provence, y
compris Marseille, Arles, Toulon et Aix, avec presque tout
son Parlement! Si Omano contenait le Dauphiué, si le
maréchal d'Aumont, au début d'avril, réussit à mettre en
fuite le comte de Brissac, qui avait donné à la ville d'Angers
une seconde édition de Barricades; si le maréchal de Mati-
gnon fit rentrer Bordeaux dans le devoir avec quelques
volées de canon et grâce à l'expulsion des jésuites, convain-
cus d'avoir fomenté l'insurrection, sur d'autres points la
Ligue obtenait des avantages importants. Le duc de Mer-
cœur (frère de la reine et auquel le roi avait donné le gou-
vernement de la Bretagne après l'avoir enlevé au duc de
Montpensier et au prince de Dombes, son petit-fils) profitait
1. Db Tnou, t. X, p. SU. — Palma-Gayet dit que le roi avait d'abord chargé
le maréchal de Retz de faire des levées en Suisse, mais que le maréchal
fut fait prisonnier par le sieur de Neuvy Le fiarrois et amené à Orléans,
p. 97.
2. Voy. dans les Mëm, de la Ligue, t. HI, p. 271 la déclaration des consuls,
échevins, manans et habitans de la ville de Lyon sur V occasion de la prise
d'armes par eux faite le ^4 février 4589. Elle passe pour avoir été rédigée
par Claude de Riibys, qui fut avocat et procureur général à Lyon pendant
trente années. ^ Dr Thoi-, t. X, p. 555, dit qu'il était né pour son malheur
et pour celui de la ville de Lyon.
842 PARIS ET LA LIGUE
de Tanarchie où se débattait la France pour seconder les me-
nées de révêque de Rennes, Hennequin, membre du conseil
général de TUnion, que le parti avait envoyé en Bretagne.
Rennes chassa René de Montbarot, son gouverneur rova-
liste; Fougères, Dinan, Dol, suivirent la défection de Mer-
cœur. Sa fenune, l'ambitieuse Marie de Luxembourg,
héritière de la maison de Penthièvre, souleva Nantes *
(7 avril), tandis que Rennes rappelait le gouverneur royal
(8 avril). L'Auvergne aussi se divisait en deux : Riom tenait
pour la Ligue et Clermont pour le roi.
Mais nulle part les désordres ne furent aussi graves qu'à
Toulouse, et il est triste de constater que Paris approuva
les assassinats qui se commirent de ce côté. Au lendemain
de la mart des Guises, une fermentation menaçante s'était
produite à Toulouse. Bien qu'ennemi déclaré des protes-
tants, le premier président du Parlement, Jean Duranli,
avait essayé d'en imposer aux ligueurs et de faire respecter
l'autorité du roi. Mais l'arrivée de l'évêque de Comminges,
Urbain de Saint-Gelais, qui avait failli, à Blois, partager
le sort du cardinal de Guise, redoubla l'audace des agita-
teurs. Ils constituèrent une sorte de comité de Salut public
à l'Hôtel de Ville et firent nommer gouverneur l'évêque de
Comminges par le Parlement divisé et terrorisé. Bientôt,
le Parlement fut mis en demeure de déclarer que la vijle
n'obéirait plus au roi. Des barricades s'élevèrent de toutes
parts; le premier président se rendit au Palais, mais, au
retour, son carrosse fut criblé de coups d'épée et lui-même
fut obligé de se réfugier à l'Hôtel de Ville. En vain, le
Parlement, pour le sauver, l'autorisa à se retirer à deux
lieues de la ville, au château de Balma. La populace em-
pêcha l'exécution de l'arrêt et l'enferma au couvent des
dominicains. Daffis, l'avocat général au parlement de Tou-
1. De Tiiou, t. X, p. 558. — Palma-Gaybt, p. 108.
PARIS RÉGICIDE 843
louse, avait écrit à son frère Guillaume Daffis, premier
président au parlement de Bordeaux, et au maréchal de
Matignon pour les prier de faire secourir Duranti, mais
les ligueurs saisirent la lettre et arrêtèrent également
Daffis. Le bruit que le premier président voulait livrer la
ville au maréchal de Matignon acheva d'exaspérer les Tou-
lousains. Ils se portèrent le 10 février, à quatre heures du
soir, au couvent des dominicains, mirent le feu aux portes,
s'emparèrent de Duranti et le massacrèrent. Puis, après
avoir traîné son cadavre à travers les rues, on le cloua au
pilori, en face d'un portrait du roi, avec cette inscription :
« Tu as tant aimé le roi; jouis présentement de sa vue à
ton aise et meurs avec lui. » Ce fut ensuite le tour de
l'avocat général Daffis ; les ligueurs le tirèrent de la Con-
ciergerie et le tuèrent en sortant de la prison *.
C'est à la suite de ces exploits que la Ville de Paris crut
devoir adresser une lettre de félicitations aux capitouls de
Toulouse. La lettre porte la date du 27 février 1589 * :
« Messieurs, ce nous a esté un grand contentement et con-
solation d'avoir appris par vos propres lettres les moyens
desquels vous avez usé pour vostre conservation et de la
religion catholique; en quoy nous pensons avoir bonne
part, par l'alliance et union que nous avons avec vous en
cette si juste et sainte cause; c'est pour quoy nous nous
en réjouissons et en louons Dieu et vous en remercions
de tant de résolutions et devoirs que y avez faits en cette
nécessité... » Dans une seconde lettre, qui porte la même
date, la Ville de Paris expose au parlement de Toulouse
l'organisation générale du parti : « Il ne reste plus sinon
d'establir un bon ordre aux affaires, à quoy nous travail-
lons tant que nous pouvons par l'establissement du conseil
1. De Thou, t. X, p. 563.
2. Rko. h, 1789, fo297. — Féubibn, t V, p. 459, Pr., paraît avoir fondu en-
semble les deux lettres relatives aux événements de Toulouse.
844 PARIS ET LA LIGUE
général de TUnion, composé d'un grand nombre de grandes
et honnectes personnes des trois ordres, auquel conseil
s'expédient et ordonnent toutes les affaires de nostre Union
avec messieurs les princes catholiques , lesquels ont les
premiers juré d'obéir audit conseil * ». La Ville de Paris
annonce ensuite aux capitouls de Toulouse que toutes les
dépêches du conseil sont scellées « d'un sceau nouveau aux
armes de France, en la légende duquel sont escrits ces
mots : Sigillum regni Francias*; que le parlement de Paris
a autorisé le conseil et son sceau, qui figure également sur
toutes les expéditions d'actes judiciaires. Elle ajoute que
« toutes les capitales villes des provinces ralliées ne laissent
pas d'avoir un conseil provincial pour les affaires de la
province, qui reconnoist et se réfère au conseil général
de Paris et y a recours, quand on a besoin du sceau pour
les affaires susdites ». Ces villes envoient au conseil général
des délégués auxquels on accorde voix délibérative. Telle
est l'organisation qui fonctionne, en attendant la réunion
des Etats généraux qui a été ordonnée par le Conseil et le
Parlement. En terminant, la municipalité parisienne de-
mande au parlement de Toulouse d'imiter l'exemple du
parlement de Rouen et d'adhérer aux mesures prises par
rUnion.
Dans les premiers jours de mars, le roi s'était installé
à Tours après avoir signé l'édit qui transférait dans cette
ville le Parlement et la Chambre des comptes'. Mais cette
monarchie errante paraissait bien chétîve en face de la
Ligue et de la formidable Union des cités catholiques.
Autour de lui, tout était en feu. Il était pris entre les
forces ligueuses de la Beauce et l'insurrection bretoniue,
tandis que les huguenots devant lesquels l'armée du duc
1. Rbo. h, 1789, f« 297.
2. Voy. plus haut p. 531 et note 1.
3. Palma-Caybt, p. 107. — Db Thou, t. X, p. 582.
PARIS RâGIGIDE 545
de Nevers s'était, pour ainsi dire, fondue, occupaient en
maîtres le Poitou, une partie du Berry et venaient jusqu'en
Touraine montrer leurs enseignes aux derniers défenseurs
du roi de France comme une espérance ou comme une
menace. Le roi de Navarre, remis d'une maladie grave *,
voyait tomber toutes les places devant la seule terreur de
son nom ou le prestige de sa politique de clémence. Après
Niort, il avait pris Saint-Maixent, Maillezais, Mirebeau,
Vivonne, TIle-Bouchard, Argenton et Chatellerault '. C'est
de cette ville qu'à la date du 4 mars 1589 il adressa un
manifeste célèbre aux trois états du royaume. Le Béarnais,
tout en refusant d'abjurer sa religion « la dague sur la
gorge », affirme ses sentiments de tolérance à l'égard
des catholiques, d'amour et de pitié pour le peuple que
ruine une guerre fratricide, de fidélité au roi « son sei-
gneur »; il somme les ligueurs de mettre fin à leurs
entreprises et les menace, s'ils refusent, de rendre la
paix au royaume, soit tout seul ot « au hasard de dix
mille vies », soit avec le concours du roi, s'il l'appelle
auprès de lui '.
Ainsi Henri de Bourbon préparait sa réconciliation
avec Henri HI et mettait une délicatesse pleine de
dignité à faciliter une alliance qu'une partie de la cour
du Valois estimait nécessaire *. Mais, malgré toutes les
humiliations dont il était redevable à la Ligue, Henri UI
éprouvait une répugnance invincible à se jeter dans les
bras du roi huguenot. Fidèle à ses habitudes de duplicité,
1. Le roi de Navarre était tombé malade à Saint- Père, le 9 janvier, en
allant secourir la place de la Ganache, assiégée par le duc de Nevers. Le
bruit courut à Blois que Henri de Bourbon était mort, et la Ganache capi*
tula. Voy. Palma-Caybt, p. 99.
2. De Thou, t. X, p. 584, et d'Aubioné, HUt. univ., livre II, chap. xv.
3. Mém. de la Ligue, t. III, p. 230. — Palma-Caybt, p. 112.
4. Louis d'Angennes de Maintenon pressait plus que personne Henri III
de s'accorder avec le roi de Navarre et de rappeler les forces royalistes
qui se trouvaient en Poitou. Db Thou, t. X, p. 588.
ROBIQUET. 35
846 PARIS ET LA LIGUE
il essaya de négocier en même temps avec Mayenne par
rintemiédiaire du légat Morosoni, et avec le roi de
Navarre par l'entremise de la duchesse d'Angoulême.
C'est seulement après le refus hautain de Mayenne que
le roi se décida à traiter avec les huguenots, sous la
forme singulière d'une trêve d'un an * dont les conditions
avaient été arrêtées à Tours, dès le 3 avril, entre Henri III
et Philippe Duplessis-Mornay, mais dont la ratification
avait été ajournée sur la demande du roi, qui voulait se
ménager le temps de recevoir la réponse de la Ligue. Il
était convenu que le roi de Navarre entretiendrait à ses
frais un corps de douze cents chevaux et deux mille arque-
busiers, et qu'il recevrait une place sur la Loire pour le
passage de ses troupes. Le Béarnais, dès le i8 avril *,
publia un nouveau manifeste qui était une déclaration de
guerre à la Ligue et la constatation éclatante de son
alliance avec Henri III. Martin Ruzé de Beaulieu livra
Saumur aux huguenots le 21 du même mois, conformé-
ment aux ordres de la cour.
Que faisaient pendant ce temps les Parisiens et
Mayenne, leur grand homme de guerre? La nouvelle de
l'alliance conclue entre les deux rois produisit, à coup
sûr, un grand effet dans la capitale. On fit un nouvel
appel au fanatisme des prédicateurs pour relever le cou-
rage des ligueurs. Dans cette campagne de calomnies et
de diffamations, ceux qui se distinguèrent par-dessus les
autres s'appelaient Guillaume Rose, évèque de Senlis^
cet extravagant auquel la Ménippée a donné l'immortalité
du ridicule ', Guincestre, Jean Hamilton, le pèn» Bernard,
de l'ordre des Feuillants, Christophe Aubry, Pierre
Cluîstin, Guillaume Lucain, Mauclerc, le père Jacques
1. La déclaration de trêve fut enregistrée au parlement de Tours le
29 avril 1589. Ibid., p. 593.
2. De Tbou, p. 593. — Palma-Gatbt, p. 122.
3. Sat. Mén., t. I, p. 78 à 96. La harangue attribuée à Rose est de Rapin.
PARIS RÉGICIDE 547
Commolet , jésuite , Jean Guarinus , Jacques Cueilly y
Pigenat, Gilbert Genebrard, professeur royal de la langue
hébraïque, nommé archevêque d'Aix par Grégoire XIII, et
le cordelier François Feuardent *. Au-dessus de tous ces
énergumènes se plaçaient, par Tascendant nafturel de leur
rage implacable, Mathieu de Launay, le chanoine de
Soissons dont nous avons déjà parlé plus haut, Tancien
calviniste apostat, le grand remueur des opinions de la
populace^ selon l'expression de Pasquier, Fun des quatre
piliers de la Ligue, et pour tout dire un scélérat, comme*
l'appelle Le Duchat; et, en second lieu, le non moinn
\, Db Thou, t. X, p. 594. Guincestre et Feuardent étaient les principaux
iiisligateurs du décret de la Faculté de théologie qui déclara Henri 111
déchu du trône. Nous avons déj& parlé du premier, le fameux curé de
Saint-Gervais, qui avait forcé le président De liarlay à jurer fidélité & la
Ligue. — François Feuardent, né à Coutances en 1539, était un érudit fana-
tique, auteur de la Theomachia calvinistica ou Entremangerie des protes-
tants. Voy. sur lui Wadduvo, Script, ordinis minorum (1650, in-fol., p. 115).
— Bibl. de Duvbrdieh, v*» François. — Bail, Sapientia torts prxdicans,
part. III, p. 478. — Batlb et Moréri, Lettres de Pasquier, t. Il, p. 456. —
Ch. Labitte, De la démocratie de la Ligue, p. 71. — Génébrard, né à Riom
en 1537, était un bénédictin de mœurs austères, mais d'une excessive vio-
lence de plume. Éditeur d'Orlgène, traducteur de Josèphe, il n'a pas éorit
moins de trente et un ouvrages. François de Sales fut son élève au Collège
royal. Voy. Goujet, Hist. du Collège royal (1758, in-4o, part. I, p. 102). —
NicÉRON, t. XXII, p. 1 à 18. — Tbissibr, Eloge des savants (1715, in-12, p. 301
à 309). — Labitte, p. 69. — Le P. Bernard, fils de Bertrand Percin, seigneur
de Montgaillard. Né en 1563, d'après Bayle, et âgé par conséquent de vingt-
six ans en 1589, il entra à seize ans dans l'ordre des Feuillants, fut dis-
tingué par Henri III, prêcha au Louvre et acquit une grande réputation.
On l'avait surnommé le Petit Feuillant. L'Estoile affirme que les dames
l'aimaient fort et lui envoyaient souvent des confitures. Il contribua, dit^on,
à la conversion de Henri IV, et sut conserver son estime, bien que cer-
tains auteurs l'accusent d'avoir trempé dans les conspirations contre le roi
(voy. notamment sur le Petit Feuillant, qui ne mourut qu'en 1628, à son
abbaye d'Orval, après mille pérégrinations, les Remarques surlaSat, Ménip.,
t. II» p. 56 à 65). — Jean Hamilton, curé de Saint-Cosme, était Écossais; doc-
teur en 1586, il s^espagnolisa vite, comme dit Le Duchat (Hist. Gymn. Navan\
aP' Launoii oper., t. VII, p. 754; Ch. Labitte, p. 74). — Voy. sur Christophe
Aubry, curé de Saint- André des Arc9> les Mém. de la Ligue, t. V, p. 434.
— Jacques Cueilly, d'origine parisienne, tenait la cure de Saint-Germain-
l'Auxerrois, après avoir été recteur de l'Université en 1574 (du Boulay, Hist.
univ. Parisiens., t. VI, p. 806). — Pierre Christin, de Nice, Jean Guarinus
ou Garin, cordelier savoyard, le franciscain Panigarolla, représentaient le
contingent des moines étrangers. ~ Guillaume Lucain avait le titre de
docteur.
S48 ' PARIS ET LA LIGUE
célèbre Jean Boucher, qui, malgré ses alliances avec les
meilleures familles de la capitale, notamment avec celle
des de Thou, s'était furieusement jeté dans le parti de la
Ligue, croyant y trouver des satisfactions sans limites
pour sa dévorante ambition. Successivement professeur à
Reims, régent de philosophie au collège de Bourgogne,
prieur de Sorbonne, recteur de T Université en 1580, à
trente ans, il était en 1589 curé de Saint-Benoît et can-
didat malheureux à tous les évêchés vacants *. Pour
donner une issue au fiel qui l'étouffait, il composait alors
un libelle de la dernière violence contre le roi. Cela était
intitulé : De justa Henrici abdicatione '. « Jamais, dit
de Thou, dans ces temps de licence et de désordre, il
n'avait encore paru d'ouvrage aussi exécrable. » Tous ces
prêtres fanatiques et ambitieux entretenaient les Parisiens
dans un état permanent de fureur et d'exaltation et ne se
faisaient pas faute de répandre les fausses nouvelles du
haut de la chaire chrétienne. Elle ne retentissait plus que
des exploits militaires de la Ligue, et Mme de Montpensier
n'était pas satisfaite quand on se couchait sans apprendre
une prise de ville ou une bataille gagnée *.
Il faut néanmoins reconnaître que les ligueurs fai-
saient preuve d'une grande activité et n'étaient pas
assez remplis d'illusions pour espérer vaincre les roya-
listes avec des sermons et des libelles. Dès le 7 avril,
Mayenne avait écrit au pape Sixte V et lui avait dépêché
Pierre Frison, doyen de Reims, pour le supplier de ne
pas accorder à Henri III l'absolution qu'il réclamait avec
tant ^d'instances. Le lendemain, il sortait de Paris avec
1. Voy. sur Boucher : Mim, de la Ligue, t. IV, p. 22. — Le Duchat, Notes
sur la Ménippée. — Brûlé, ChronoL des curés de Saint-Benoit (1752, in-8«,
p. 32). — Ch. Labitte, p. 61. — De Tbou, t. X, p. 595.
2. Gel ouvrage parut avec le nom de l'auteur à Paris chez Nivelle et ne
fut (achevé qu'un peu après la mort de Henri IH. La seconde édition fut
donnée à Lyon en 1590, chez Pillehotte.
3. Voy. DB Thou, U X, p. 598.
PARIS RÉGICIDE 549
une armée assez belle dont les trésors saisis chez Pierre
Molan * avaient singulièrement facilité la levée et l'équi-
pement et s'était dirigé sur Châteaudun. Son avant-garde,
commandée par M. de Rosné, s'empara de Vendôme que
livra son gouverneur Jacques de Maillé, faillit faire pri-
sonnier le comte de Soissons et garda comme otages tous
les membres du Grand Conseil que le roi avait imprudem-
ment laissés dans la ville ; on arrêta même les gros plai-
deurs afin d'en tirer rançon. Mayenne ayant rejoint la tête
de ses colonnes poussa jusqu'à Châteaurenault, à sept
lieues de Tours ; puis, profitant d'un avis de l'archevêque
de Lyon, fondit à l'improvisle sur la cavalerie royaliste de
Charles de Luxembourg, comte de Brienne, beau-frère du
duc d'Épernon, qui s'était logé à Saint-Ouen, tout près
d'Amboise. Ce fut une déroute. Assiégé dans le ch&teau
de Saint-Ouen, Brienne n'attendit pas les secours que lui
amenait le roi de Navarre, à la prière de Henri III, et se
rendit avec les gentilshommes de sa suite. Cette défaite, de
mauvais augure pour la campagne décisive qui s'ouvrait,
força le Valois à unir complètement sa fortune à celle
du Béarnais. L'entrevue de Plessis-les-Tours " dissipa
toutes les préventions qui avaient existé jusque-là entre
les deux rois (30 avril).
« La confédération et association des deux rois », bien
que prévue depuis quelque temps, ne manqua pas de pro-
voquer à Paris une recrudescence de fureur. « Madame
1. Voy. plus haut, p. 531.
2. Voir pour les détails de cette entrevue Palma-Catbt, p. 127, et ni Thou,
t. X, p. 618 et suivantes. C'est Duplessis-Mornay et François de ChAtillon
qui contribuèrent surtout à décider Henri de Navarre & venir au rendez-
vous fixé par Henri III. Beaucoup de gentilshommes protestants prédisaient
à leur mattre qu'il se rendait à la boucherie. Du reste, les gens du Béar-
nais prirent quelques précautions contre une trahison possible, et se sai-
sirent d'une des portes du château du Plessis-les-Tours. L'entrevue fut
attendrissante. Les deux rois « a'estans joints, s'entrebrassèrent très amou-
reusement, mesmes avec larmes, principalement le roy de Navarre, des
yeux duquel on les voiot tomber grosses comme poix, de grande joie qu'il
avoit de voir le roy ». (L*Estoilb, t. III, p. 277.)
550 PARIS ET LA LIGUE
de Montpensier, par ses prédicateurs gagés et appointés k
cet effect, y fist prescher partout que le masque estoit des-
couvert, que le tiran avoit osté 1q voile de son hipocrisie,
«'estant tout à fait déclaré fauteur et partisan de Théréti-
que *. » Il y eut un nouveau déchaînement de sonnets
satiriques et de libelles diffamatoires. L'Estoile dit en avoir
ramassé plus de trois cents qu'il avait fait relier en quatre
gros tomes ; sans compter un gros in-folio « plein do
figures ' ». Cette littérature sainte était « farcie de toutes
les plus atroces injures qu'on se pouvoit aviser, jusques k
en rechercher des mémoires sur les vieux ruffiens, maque-
relles, garces et harangères du Petit-Pont ». Les ligueurs
mettaient k profit la rage anti-monarchique que les prédi-
cateurs développaient dans l'esprit du peuple pour conti-
nuer les levées d'hommes et fortifier la capitale, tandis que
Mayenne guerroyait en Touraine contre les deux rois '.
Pour leur donner du cœur, on montra aux Parisiens le
comte de Brienne, fait prisonnier par Mayenne, et l'on
attacha aux voûtes de Notre-Dame six enseignes à titre de
trophées royalistes. Il est vrai que les ligueurs n'en
avaient pris que trois au combat de Saint-Ouen, mais il
ne fallait pas lésiner sur ces glorieuses étoffes, « y en aiant
toujours de toutes prestes et cousues à cest effect par la
sage conduite et pourvoiance de Madame de Montpen-
sier * ».
1. L'EsTOiLB, t m, p. 278.
2. Ibid., p. 279. Voy. les échanlillons que donne le chroniqueur.
3. Voici un extrait des Registres qui prouve qu'on faisait surtout appel
aux enrôlements volontaires : « Les princes catholiques, unis avec les trois
estats de France pour la protection et defTense de la religion catholique,
apostolique et romaine, libertez de la noblesse et descharge du peuple,
et les prévost des marchands et eschevins, reprêsentans toutes les autres
villes et communautez de ladite Union, etc., commission au sieur de
Crécy pour armer gens de compagnie de pied et de cheval des bourgeois
qui le voudront volontairement suivre, pour charger les troupes des héréti-
ques et politiques qui ravageront le plat pays des environs de Paris. Du
24 avril. » (Rbo. H, 1789, fol. 289, et Félib., Preuves, t. V, p. 460.)
4. L'EsTOiLB, t III, p. 285.
PARIS RÉGICIDE S51
Malgré tout, le peuple souffrait cruellement de la guerre.
Il y avait longtemps que les rentes sur THôtel de Ville
n'étaient plus payées; les loyers ne rentraient pas davan-
tage et, par arrêt du 45 avril, le Parlement dut en
remettre aux locataires qui ne s'étaient pas acquittés *.
Ces soufifrances, que la continuation de la guerre devait
aggraver de plus en plus, se perdaient d'ailleurs dans
l'agitation belliqueuse de la capitale et dans le déchaîne-
ment des haines religieuses. On pouvait se croire revenu
au temps de la Saint-Barthélémy : d'odieux spectacles
étaient offerts au peuple. « Le samedi 6* may, écrit TEs-
toile, fuçt, par sentence du prévost de Paris, confirmée
par arrêt de la Cour, attachée à un posteau et bruslée vive
en Grève une pauvre femme huguenote qui ne se voulust
jamais desdire et mourut ferme et constante en sa reli-
gion. » Le brigandage politique était légalement autorisé
par la municipalité ligueuse : un ordre du prévôt des mar-
chands en date du 3 mai 1589 porte « qu'il est enjoint et
permis au capitaine de la Vigne de prendre et saisir aux
corps ceux qu'il reconnoistra hérétiques et fauteurs d'iceux,
tenans le parti de Henry de Valois, demeurans à Brie-
comte-Robert et environs seulement, ensemble se saisir
de leurs biens * », d'en prélever une partie pour lui-même
et de verser le reste « pour la cause de l'Union ' ».
Quant à la guerre proprement dite, elle se faisait avec
des raffinements de cruauté incroyables. Après la prise du
. 1. Db Trou, t. X, p. 598. Cette mesure n'était pas applicable aux immeu-
bles appartenant à la Ville et aux Hôpitaux.
2. Félib., Pr., t. V, p. 460. ^
3. Sans négliger ces recettes extraordinaires, la Ville pressait la rentrée
des taxes de guerre que centralisaient les curés. Un mandement municipal
du 29 avril 1589 les prie d'exhorter leurs paroissiens « à porter ou en-
voyer, en la plus grande diligence qu'il sera possible, es mains du recepveur
de leur quartier, tant les deniers j& levez par advance que aultres deniers
de leurs taxes pour employer au payement des ^ens de guerre levez pour
la deffense de nostre saincte religion et conservation de ladite Ville,
assaillie et environnée de toutes partz de nos communs ennemys ». (Rio. H,
1789, fol. 323.)
853 PARIS ET LA LIGUE
faubourg Saint-Symphorien à Tours par les troupes
ligueuses, et Téchec subi par Henri III en personne
(8 mai), le chevalier d'Âumale lâcha la bride à la solda-
tesque, vola les vases sacrés, força la porte des églises où
s'étaient réfugiées les femmes, avec leurs objets les plus
précieux, et en laissa violer trente ou quarante au pied des
autels. Pour sa part de butin, il eut « une fille de douze
ans, des meilleures maisons de Tours, laquelle il força
dans un grenier, lui tenant tousjours le poignard à la
gorge ' ». Tels étaient les exploits des contingents pari-
siens et leur manière de combattre pour la sainte cause.
Ils affirmaient que tout leur était permis et que le
pape absoudrait leurs péchés, tandis que les huguenots
n'avaient pas les mêmes protections auprès de Dieu *.
Mayenne, de son côté, s'acharnait sur les cadavres. Sainte-
Maline, l'un des meurtriers du duc de Guise, avait été
tué au combat du faubourg Saint-Symphorien. Le général
ligueur condamna le mort à être pendu par les pieds, après
qu'on lui aurait coupé la tête et le poing. Un écriteau
serait attaché au gibet, avec cette inscription : « Que pour
la punition exemplaire de sa damnable exécution, la teste
serait portée à Montfaucon, mise au lieu plus éminent,
attendant qu'elle soit accompagnée de celle de Henri de
Valois ' ».
Ainsi, du côté de l'ouest, les événements semblaient
prendre une tournure assez favorable à la Ligue, et les Pa-
1. L'EsTOiLB, t. in, p. 288.
2. Db Thou, t. X, p. 626.
3. L'ËsTDiLB a pris cela dans une relation imprimée à Paris par Nicolas
Nivelle et Rolin-Tliierry, imprimeurs de l'Union. Elle avait pour titre : « Dis-
cours ample et véritable de la des faite obtenue aux fauxbourgs de Tours sur
les trouppes de Henri de Valois, par Monseigneur le duc de Maienne, pair et
lieutenant général de VEstat roial et couronne de France «. — De Thou cite
également cette relation ligueuse, mais il ajoute qu'il a lui-même interrogé
les habitants du faubourg Saint-Symphorien pour savoir ce que les troupes
ligueuses avaient fait pendant la nuit du 8 au 9, et qu'il n'a pas entendu
parler du traitement barbare auquel aurait été soumis le cadavre de Sainte-
Malin e. T. X, p. 627.
PARIS RÉGICIDE 583
risiens purent chômer, le 42 mai, la fête des Barricades
avec un enthousiasme sans mélange. La chftsse de sainte
Geneviève fut promenée en grande pompe. Mais cette
allégresse n'allait pas tarder à être douloureusement trou-
blée, grâce à rimpéritie des lieutenants que Mayenne avait
laissés derrière lui pour diriger son expédition contre
Tours. C'était le duc d'Aumale qui commandait en chef
dans la Picardie et llle-de-France, et sa tâche paraissait
aisée, puisque Melun s'était rendu et que le parti royaliste
ne possédait plus dans les environs de Paris que le châ-
teau de Vincennes. Chaque jour, un des seize quartiers
envoyait mille ou douze cents hommes pour en continuer
le siège, et la famine semblait devoir accélérer la capitula-
tion de la forteresse *. Mais Téloignement du duc de
Mayenne et l'alliance des deux rois ranimèrent bien vite le
courage des royalistes. MM. de Givry, de la Grange-le-
Roy et plusieurs autres gentilhommes entrèrent en cam-
pagne du côté de la Brie. Senlis, à dix lieues de la capitale,
fut occupé vers la fin d'avril par Guillaume Montmorency
de Thoré ' . Tous les gentilshommes royalistes des
environs, MM. de Fontenay, de Moussy, le baron de
Bondy et une centaine d'autres, se jetèrent aussitôt dans la
place avec quatre cents hommes de pied. C'était une
menace directe pour les ligueurs parisiens, et ils organi-
sèrent immédiatement une grande expédition contre
Senlis. Maineville, gouverneur de Paris pour l'Union,
partit le premier, et le duc d'Aumale le rejoignit avec
quatre mille hommes, y compris les cavaliers. D'autres
contingents suivirent et la milice municipale fut mise à
contribution. Il est à croire qu'elle ne témoignait pas de
grandes dispositions pour s'éloigner de ses pacifiques
1. Palma-Catet, p. 140.
2. Sur l'affaire de Senlis, voy. le Discours qui se trouve au l. III des
Mém, de la Ligue, p. 550.
854 PARIS ET LA LIGUE
foyers, car les chefs ligueurs avaient recours à de singu-
liers stratagèmes. Le 5 mai, Brigard, procureur de la Ville,
se mit en route afin de conduire au camp du duc d*Au-
male deux canons, une coulevrine et un convoi de poudre;
mais, arrivé au Bourget, il s'arrêta, ne se trouvant pas
suffisamment escorté. Pour lui donner cette escorte, la
Ville envoya Tordre au colonel Aubry, dont c'était le tour
d'aller relever les troupes qui assiégeaient le château de
Vincennes, de sortir par la porte Saint-Martin au lieu de
la porte Saint-Antoine et de rallier Brigard au Bourget.
Aubry et les douze cents hommes de son quartier arrivè-
rent le lendemain soir devant Senlis et saluèrent la Ville
d'un coup de canon. Les assiégés parurent en bataille
sur les murs et aux sommations de se rendre répondirent
que, si les Parisiens s'engageaient à donner l'assaut, ils
abattraient eux-mêmes une partie de leurs murailles
pour les mieux recevoir. L'assaut n'eut pas lieu toutefois,
et, dès le 7 mai, Gilles des Ursins d'Armentières réussit à
forcer le blocus et à faire entrer dans la place, une
troupe de royalistes déterminés. Une sortie, vigoureuse-
ment exécutée par cent cavaliers, permit aux assiégés
d'expédier des messagers k Henri d'Orléans, duc de Lon-
gucville, qui était alors à Compiègne, afin de presser
. l'arrivée des secours, annoncée par d'Armentières.
D'autre part, le duc d'Aumale ne déployait pas moins
d'activité, et il avait fait venir Jean de Balagny, gouver-
neur de Cambrai, avec quatre mille hommes et sept
pièces de canon, tirées de Péronne et d'Amiens. Le
17 mai, au matin, l'artillerie ligueuse commença à battre
furieusement la place et pratiqua une brèche considérable.
Avec un peu d'ordre et de sang-froid, Senlis était em-
porté, avant l'arrivée des renforts que les royalistes atten-
daient; mais les troupes de l'Union montèrent à l'assaut
avec une telle confusion qu'elles furent repoussées et per-
PARIS RÉGICIDE 8K5
dirent beaucoup des leurs. Le manque de poudre et de
balles empêcha les royalistes de profiler de leur succès, et
ils acceptèrent même une capitulation, aux termes de
laquelle ils devaient rendre la place s'ils n'étaient pas
secourus le jour même. Mais à midi la petite armée com-
mandée par le brave La Noue et le duc de Longueville
parut en vue des murailles. Elle ne se composait que de
huit cents chevaux et de quinze cents arquebusiers; aussi,
en présence du nombre des ligueurs, La Noue hésita-t-il un
moment à engager le combat. Il céda cependant aux ins-
tances de SQS officiers, et les deux armées s'abordèrent.
D'Aumale, peu renseigné par ses espions, croyait que les
royalistes n'avaient pas de canon et se flattait de les
vaincre avec sa seule cavalerie. Ce fut précisément l'artil-
lerie, bien commandée par M. de Sermoise, qui décida du
sort de la journée. Lorsque le ligueur Balagny, avec la
cavalerie de Cambrai, fut arrivé à deux cents pas des
arquebusiers royaux, ceux-ci ouvrirent leurs rangs, et trois
décharges consécutives mirent la confusion dans les
bataillons catholiques. Une charge de la cavalerie royale
acheva leur déroute. D'Aumale et Balagny, blessés tous
deux, ne purent même établir un semblant d'ordre dans
la retraite précipitée de l'armée parisienne. Dix canons,
d'immenses approvisionnements et un camp rempli de
marchandises de toute espèce furent le prix de la victoire.
Plus de douze cents ligueurs * étaient restés sur le champ
de bataille, entre autres le gouverneur de Paris, Maine-
ville, qui s'était battu en désespéré.
Le duc d'Aumale ne s'arrêta qu'à Saint-Denis, qu'il
essaya de fortifier, et Balagny alla remplacer Maineville à
Paris dont il devînt gouverneur. Pour calmer la colère du
1. C'est le chiffre donné par de Thou, t. X, p. 640. — Palma-Catet parle de
deux mille morts du côté de la Ligue. Le président d'Assi, dans sa lettre
à Mayenne du 18 mai 1589, indique aussi le chifTre de deux mille morts.
SS6 PARIS ET LA LIGUE
peuple, il affirma qu'on n'avait perdu que cent hommes et
quelques canons, en ajoutant que dans trois jours une
nouvelle armée serait mise sur pied, et que les Parisiens
se trouveraient en état de prendre leur revanche*. En atten-
dant, les ligueurs éprouvèrent un nouvel échec à Bonneval,
localité du pays chartrain. Deux cents lanciers et cin-
quante arquebusiers, commandés par les sieurs de
Saveuse et de Forceville, venaient de Picardie rejoindre
Tarmée de Mayenne quand ils rencontrèrent un corps de
trois cents chevau-légers et de quatre cents arquebu-
siers à cheval que M. de Chfttillon conduisait du côté
de Chartres pour essayer de reprendre cette ville. Après
une charge héroïque qui enfonça les premiers rangs des
royalistes, les ligueurs succombèrent sous le nombre.
Saveuse et Forceville moururent de leurs blessures, et le
premier, transporté à Beaugency, refusa même de se
laisser panser et de prendre aucune nourriture. Chàtillon
envoya au roi la cornette du vaincu, qui portait la croix
de Lorraine avec cette devise espagnole \ inorir o mas
contento. Enfin, pour comble de mauvaise fortune, La
Noue et le duc de Longueville ravitaillèrent le ch&teau de
Vincennes dès le 19 mai *, et M. de Givry, poussant jus-
qu'à la Villette, salua Paris de plusieurs volées de canon.
Cette audacieuse démonstration provoqua dans la capitale
une émotion extraordinaire. Les boutiques se fermèrent et
les bourgeois en armes se répandirent dans les rues. Un
ordre de la Ville du 19 mai, u sur l'advis que les ennemis
menaçoient les fauxbourgs Saint-Honoré, Saint-Martin et
Saint-Denis », prescrivit aux colonels de « faire garde à
leur tour, par manière de provision, et d'assister les chefs
en personne, pourveu qu'ils soient valides et au-dessous
1. « Il faisoit lors dangereux h Paris de rire, pour quelque occasion que
ce fustf car ceux qui portoienl seulement le visage un peu guay esloient
tenus pour politiques et roiaux. » (L'Estoilb, t. lU, p. 290.)
2. Palka-Caybt, p. 143.
PARIS RÉGICIDE 887
de cinquante ans ^ ». Chaque dizaine envoya dix hommes
pour garder les portes et les avenues, afin de repousser
une attaque possible.
La Ligue n'avait encore affaire qu'aux coureurs de
l'armée royale. Néanmoins le peu de sang-froid de la
population effrayait les chefs du parti catholique. Ils
crurent nécessaire d'adresser un mémoire aux prédica-
teurs de Paris pour « avertir et exhorter le peuple conti-
nuellement en leurs prédications et à toutes occasions, afin
de le contenir en l'obéissance de leurs magistrats et supé-
rieurs en cette Ville do Paris ". L'Hôtel de Ville trouve
fort mauvais qu'à l'occasion de la défaite de Senlis « ce
peuple, estant surpris d'effroy et se sentant incommodé
de ces guerres et troubles, se soit licentieusement
avancé de discourir sur cet accident, et sans respect
aucun, sinon du mal qui le presse, et ne jugeant les
affaires que par les effets et succez, se soit émancipé de
blasmer et calomnier les chefs conducteurs de l'armée et
les autres magistrats de ladite Ville. » Voilà qui est pour
les meneurs de la Ligue l'abomination de la désolation, et
ils accusent les hérétiques de « susciter plusieurs espions
et mauvais garnemens, qui se coulent finement parmi les
troupes oiseuses du peuple assemblé devant THostel de
Ville et y sèment leurs calomnies, faux bruits et mauvaises
nouvelles pour diviser le peuple d'avec les princes et les
magistrats ». Seuls, les prédicateurs peuvent ramener au
bien les esprits égarés et leur inspirer le remords des
péchés qu'ils commettent. Aussi la Ville fait-elle un éner-
gique appel au dévouement du clergé *. Elle termine en
1. Ext. des reg. — Féub., Pr., t. V, p. 461.
2. Extr. de registres, — Félib., Pr.^ t. V, p. 461.
3. En même temps qu'elle réveillait le zèle des prédicateurs, la Ville de
Paris écrivait aux autres villes de l'Union une sorte de lettre circulaire qui
est conservée dans les Rbgistrbs H, 1789, fol. 22. Elle avait pour objet d'en-
gager les cités catholiques à se mettre sur leurs gardes pour échapper au
sort de Senlis. « Faisans votre profûct du dommage d'autrui, à l'exemple
S58 PARIS ET LA LIGUE
raillant le roi, qui avait prédit dès le mois de janvier que
les Parisiens n'attendraient pas deux mois a pour se
couper la gorge les uns aux autres ».
De son côté, Mme de Montpensier, pour atténuer
l'effet de la déroute de Senlis, avait recours à son procédé
ordinaire. Elle se servait des prédicateurs pour répondre
de fausses nouvelles, annonçait qu'Edmond de Hautefort
avait tué quatre mille hommes à des Essarts de Saultour,
qui, avec un parti royaliste, assiégeait le château de Méry.
près de Troyes; et que Guillaume de Hautemer de Ferva-
ques et Antoine du Prat, baron de Viteaux, avaient mis
en déroute un autre corps de royaux, du côté de Doule-
vant, en Bourgogne. Et comme les Parisiens se plai-
gnaient de ne pas voir les drapeaux conquis sur Tennemi,
Mme de Montpensier sortit de ses coffres quelques nou-
velles pièces de taffetas et en fit fabriquer des drapeaux.
Puis, après les avoir déchirés et traînés dans la boue,
on les suspendit aux voûtes de Notre-Dame comme autant
de glorieux trophées conquis sur les politiques. Au fond,
la duchesse se rendait parfaitement compte de la gravité
de la situation, et elle écrivit de suite à Mayenne pour
rengager à revenir à Paris. Le sieur Bernardin, valet do
chambre du feu duc de Guise, que la duchesse avait
chargé de porter le message, devait, en outre, dire à
Mayenne ce que sa sœur pensait de la capacité et de la
valeur du duc d'Aumale. Mais, arrivé à Chartres, Ber-
nardin, qui venait d'apprendre la défaite de Saveuse, se
découvrit aussitôt une maladie grave, et, après avoir couché
ses instructions par écrit, il les confia à un autre messager.
Ce courrier suppléant eut la maladresse de se laisser
d'icelluy, lequel voyant le feu en la maison de son prochain, se peine et
travaille par telle occasion à conserver la sienne. » La lettre dont il s'agit
fut envoyée notamment aux villes de Melun, Montfort, Dreux, Élampes,
Montlhéry, Chartres, Corbeil» Moret, Nemours, Saint-Denis, Beauvais, Pon-
toise, Creil, Chaumont-en-Vexin.
PARIS RÉGICIDE 859
prendre, et ses lettres furent portées au roi de Navarre.
Le Béarnais y trouva la confirmation de la prise de Senlis
et profita de la circonstance pour semer la discorde dans
la maison de Lorraine. Il envoya un trompette à Paris,
avec ordre de remettre au duc d*Aumale les petits papiers
de Bernardin et de Mme de Montpensier. Par manière
de consolation, Henri ajoutait que si d'Aumale voulait
tirer raison de Tinsulte qui lui était faite, il s'offrait en
bon cousin pour lui servir de second *.
Les Parisiens pouvaient craindre à bon droit que le ter-
rible roi de Navarre ne suivît de près son trompette.
Paris était décidément Tobjectif de Faction combinée des
deux Henri. Ils assemblaient une grosse armée sur la
Loire, tandis que Sancy, qui était arrivé à Genève vers la
fin de mars, réalisait ce tour de force d'obtenir des can-
tons cent mille écus d'or et un contingent de douze mille
Suisses, sous cette seule condition que la France entrerait
•
en campagne contre le duc de Savoie, l'ennemi commun.
Mais Thabile envoyé de. Henri III se servit de l'argent
des Bernois pour lever encore mille lansquenets, trois mille
hommes d'infanterie française et quelque cavalerie alle-
mande; puis, après plusieurs escarmouches avec les
troupes savoyardes, il persuada aux troupes suisses d'en-
trer en France, passa le Rhône le 20 mai, traversa la
Franche-Comté et fit sa jonction dans l'évêché de Langres
avec le comte de Tavannes, que le roi avait envoyé au
devant de lui *. Le duc de Longueville et La Noue rece-
vaient en même temps l'ordre de rassembler des troupes
en Champagne et de les réunir à celles de Sancy. Malgré
certaines défections, malgré l'hostilité du pape Sixte V,
qui venait, après de longues hésitations, de rompre défi-
nitivement avec le meurtrier des Guises, malgré les
1. Db Thou, t. X, p. 643.
2. Ibid., p. 646 à 658, et Palha-Cayist, p. 146 k 148.
B60 PARIS ET hk LIGUE
menaces de TËspagne, qui avait promis 600,000 écus et
tout son concours à la Li^e, la fortune semblait décidé-
ment sourire à la cause, naguère désespérée, des Valois ^
Mayenne, rappelé d'ailleurs par la duchesse de Montpen-
sier, jugea qu'il était temps de ramener son armée dans
rile-de-France. Il quitta donc Alençon, qu'il venait de
forcer à capituler (22 mai), et s'achemina rapidement du
côté de la capitale. Les ligueurs parisiens n'avaient pas
attendu le retour du lieutenant général de l'Union pour
organiser la défense. Depuis le commencement de mai, do
nombreuses mesures militaires avaient été prises. On
avait fortifié les faubourgs Saint-Honoré, Saint-Denis et
Saint-Martin, et chaque jour deux compagnies de bour-
geois allaient monter la garde aux tranchées V Tous les
bateaux qui se trouvaient sur la Seine jusqu'à Corbeil
avaient été amenés à Paris, et le prévôt de Corbeil, le sieur
Berger, s'était vu destituer comme suspect '. A Montereau,
le capitaine Clerc avait été envoyé avec une petite gar-
nison pour défendre ce point in^)ortant contre les roya-
listes (15 mai) ^. Une autre garnison occupait le pont de
Charantoneau, depuis le 4 mai; et un mandement, adressé
aux colonels de la milice, leur avait prescrit de « recouvrer
1. Dans un consistoire du 5 mai, le pape lut un monitoire qui sommait
Henri III de rendre, dans les dix jours, la liberté au cardinal de Bourbon
et & l'archevêque de Lyon, faute de quoi il était déclaré excommunié et
soumis à toutes les censures de TÉglise. Ce monitoire fut publié le 24 mai
et affiché aux portes des églises Saint-Pierre et Saint-Jean de Latran. 11
fut également publié dans plusieurs villes de l'Union, notamment àMeaux,
le 23 juin^ et à Chartres, malgré Toppositioa de Tévéque. {De Thou, t. X,
p. 608.)
2. Reg. h, 1789, fol. 333.
3. Ibid,, fol. 327.
4. Ibid., fol. 329, et Féub., Pr., t. V, p. 461. Quelques mandements pren-
nent un ton fanfaron qui atteste une certaine panique. C'est ainsi qu'à la
date du 24 mai « il est ordonné que les habitans des villages de Vanves,
Issy, Vaugirard, Montrouge, Gentilly, Ârcueil, Bagneux, Clamart, ChAtillon
et Meudon se mettront en eirmeSy pourmettre en pièces les compagnies des
ennemis qui se présenteront »; et le mandement ajoute naïvement : « aux
quels habitans nous donnons tout pouvoir de ce faire ». (Reg. H, 1789,
fol. 339.)
PARIS RÉGICIDE 561
le plus de gens possible pour aller en toute diligence
secourir le pont de Gournay * ».
Le 30 mai, Mayenne venait diner à Saint-Cloud et cou-
chait à Saint-Denis. Il n'entra dans Paris que le lende-
main, dans Taprës-midi, assista à une séance du conseil
général de TUnion et revint coucher à Pantin *. C'est de
là qu'il partit pour faire une pointe dans la Brie, où il
s'empara du château de la Grange-le-Roi et de quelques
autres points fortifiés. Il revint dans la capitale, après
avoir repris aux royalistes Montereau-faut- Yonne, où le
duc d'Épernon avait récemment jeté une petite garnison,
sous le commandement de Jussac d'Ambleville 3. Grâce à
l'activité de Mayenne, un ordre relatif put se maintenir
dans Paris, malgré l'émotion que soulevait une attaque
imminente. Des approvisionnements considérables furent
réunis *. Les boulangers reçurent l'ordre de cuire du pain ^
dans la proportion des besoins du peuple et de le mettre
en vente tous les jours. Enfin les pauvres, valides, furent
mis en réquisition pour travailler aux fortifications. Un
mandement municipal, en date du 5 juin, ordonna aux
quartiniers de réunir les habitants des dizaines afin de
leur annoncer « qu'il av.oit esté trouvé expédient et néces-
saire faire ouverture de quelques ateliers pour faire tra-
vailler ung bon et grand nombre de pauvres vallides qui
sont en ceste ville, affin que par ce moien trois choses,
grandement utilles, fussent faictes et accomplyes, dont la
1. Rbo. h, 1789, fol. 324.
2. L'EsTOiLB, t. III, p. 295.
3. De Thou, t. X, p. 665. — Palma-Caybt, p. 143.
4. Le 6 juin, la ville envoya un émissaire à Étampes « pour admener la
plus grande quantité de bledz et grains qu'il sera possible, et iceulx faire
venir en ladite ville de Paris ». (Reg. H, 1789, fol. 346.)
5. tt De par lesprévosi des marchons et eschevins de la ville de Paris, il est
enjoinct à tous les boullangers, pâtissiers et aultres de cuire présentement
du pain pour subvenir à la nécessité, lequel doresnavant, sans avoir esgard
au mercredy ou samedy, ils pourront vendre tous les jours indifféremment,
tant aux places que partout où ilz verront bon estre, tant que la nécessité
durera. Faict au bureau de la Ville, le 24« jour de may 1589. » {Ibid., fol. 339.)
ROBIQUET. 36
§62 PARIS ET LA LIGUE
première est la charité, par la nourriture des pauvres ; la
seconde, la forlifficalion et réparation de ceste ville et
lieulx et endroictz nécessaires ; et la troisième, Tempesche-
ment de Toysiveté, mère nourrice de tous maux entre les
gens inutiles et vagabonds *. » Les principaux ateliers de
travaux avaient été ouverts aux faubourgs Saint-Honoré,
Saint-Denis et Saint-Martin *. Du côté des faubourgs Saint-
Germain, Saint-Jacques, Saint-Marcel et Saint-Victor, les
tranchées se trouvaient déjà en bon état de défense et
étaient gardées chaque jour par seize compagnies qu'en-
voyaient les seize quartiers de la ville; le service com-
mençait à six heures du matin et finissait le lendemain à
une heure de l'après-midi '.
A mesure que l'armée des deux rois se rapprochait de
Paris, le conseil général de l'Union et l'Hôtel de Ville
multipliaient les mesures militaires. Chaque jour, arrivait
une mauvaise nouvelle : après Gergeau-sur-Loire, dont h»
gouverneur Jallange et la garnison furent impitoyablement
massacrés ; après Pithiviers, dont les principaux défenseurs
avaient été pendus, l'armée royaliste avait pris Étampes
(1" juillet) et poussé ses coureurs jusqu'à Clamart, Meudon,
Issy et Vaugirard. Les pauvres paysans de la banlieue
affluèrent à Paris « en grande désolation, chassant devant
eux bœufs, vaches, moutons, chevaux, asnes et tout ce
qu'ils pouvoient sauver de leurs meubles, comme faisoient
aussi les religieuses des monastères voisins * ». Pour
calmer la panique qui régnait déjà dans les faubourgs, on
envoya tous les jours quinze cents ou deux mille bour-
geois aux tranchées, et les quartiniers furent invités a
1. Reg. h, 1789, fol. 344. Les deniers destinés au paiement des pauTres
valides étaient recueillis dans chaque dizaine par un bourgeois que nom*
maient les cinquanteniers et dizainiers. Ibid., fol. 335.
2. Ibid., fol. 378.
3. Jbid., fol. 351.
, 4. L*EsT0iLB, t. m, p. 297.
PARIS RÉGICIDE 863
provoquer de nouvelles collectes dans les dizaines *.
M. Pierre Guillain, maître des œuvres de maçonnerie de
la ville, reçut le 6 juillet Tordre « de mettre et employer
gens ouvriers pour rompre Tune des travées du pont
dormand de la porte Saint-Michel, mettre le bois et pavé
en lieu de seureté et faire murer, de mur de maçonnerie, la
porte et entrée du boullevart de ladite porte Saint-Michel
du costé des champs *... » Le blocus était déjà presque
réalisé, car, le !«' juillet, le chevalier du guet, Congi, qui
avait voulu faire une reconnaissance avec un homme du
côté de Bourg-la-Reine, avait été chargé par les royalistes
et n'avait ramené dans Paris que cinq ou six soldats de sa
compagnie *.
On se vengeait de ces échecs répétés en persécutant les
suspects. Le 6 juilljet, en vertu d'une délibération de « mes-
sieurs du Conseil, le président de la Cour des comptes,
Amelot, fut conduit à la Bastille parle capitaine Perrichon,
et un autre capitaine reçut Tordre de se saisir « de la
personne de Tadvocat Canaye et icelluy constituer prison-
nier au chasteau de la Bastille, jusques à ce qu'il ayt
fourni la somme de douze cens escus qu'il a promise pour
employer aux frais de la guerre de la Saincte-Union * ».
Des archers furent mis chez certains bourgeois du quartier
Saint-Lambert qui étaient aussi en retard pour le payement
des taxes de guerre*. Quant aux moines, ils se consolaient
des défaites de la Ligue en mutilant les statues ou les por-
traits du roi qui se trouvaient dans leurs couvents. Les
cordeliers avaient au-dessus du maître autel un tableau où
Henri III « estoit peint à genoux, priant Dieu auprès de la
roine sa femme ». Us lui enlevèrent la tête. Autre portrait
1. Extraits des reg, — Félib., Pr,^ t. V, p. 462.
2. Reo. h, 1789, fol. 364.
3. L'EsTOiLE, Ibid,
4. Rbo. Ibid,, fol . 365.
5. Ibid,, fol. 366.
§64 PARIS ET LA LIGUE
aux Jacobins : ces bons moines a barbouillèrent et cha-
fourrèrent tout le visage » du prince *. Mais ces compen-
sations étaient minces pour la Ligue. Mayenne, qui aurait
peut-être réussi à retarder la marche de l'armée royaliste,
après son succès de Montereau, avait dû revenir en toute
h&te dans la capitale, rappelé encore par Mme de Mont-
pensier et TefiFervescence de la capitale. Le duc de Longue-
ville et La Noue en avaient profité pour faire leur jonction
avec Tarmée suisse de Sancy et pour passer la Seine à
Poissy. Henri III, qui assiégeait Pontoise depuis quelques
jours, passa en revue les contingents étrangers, qui s'éle-^
vaient à dix mille Suisses, deux mille lansquenets et quinze
cents reîtres.
Le lendemain de l'arrivée des Suisses (26 juillet) *,
Téglise de Pontoise, où les ligueurs avaient concentré la
défense, fut emportée d'assaut par les assiégeants; et le roi
ordonna à Pierre de Mornay de Buhy de raser cette cita-
delle improvisée. Mayenne avait cependant envoyé quinze
cents arquebusiers de renfort aux défenseurs de Pontoise
et les officiers ligueurs s'étaient bravement battus ; mais la
fortune du Béarnais entraînait tout. Plusieurs capitaines-
et soldats catholiques de la garnison vaincue se rendirent
à lui, pour éviter la vengeance de Henri III. Le roi
huguenot n'eut garde de laisser échapper l'occasion de se
rendre populaire parmi ses ennemis ; il reconduisit lui-même
jusqu'aux portes de Paris les prisonniers catholiques. Le
1. L'EsTOiLE, Ibid,, p. 298. Le mot chaffourer équivaut à salir, grilTonner.
On lit dans Rabelais, 1. 1, p. 64 : « Chaffburoit le parchemin sans m'amuser
h chaffourer le papier. *> On disait quelquefois chaforer ou ckafourer, — Voy-
La Curnb ob Saikte-Palayb, édit. Favre (1877).
2. C'est la date donnée par l'ëstoile, p. 301. I! résulte de la relation de
l'historien de Thou que Pontoise aurait capitulé douze jours après la mort
d'Kdme de Hautefort, second de Charles de Neuville d'Alincourt, gouver-
neur de la place pour la Ligue. Or Hautefort fut tué le 12 juillet, t. X,
p. 661. D'autre part, Tauteur de la relation sur V Assassinat de Henri IIL
insérée au t. IH, p. 539 des Mém. de la Ligue, dit que Pontoise capitula^
le 25 juillet.
PARIS RÉGICIDE 568
prédicateur Boucher dit publiquement qu'il aimerait mieux
traiter avec lui qu'avec « le tyran * ». De leur côté, les pau-
vres gens de la banlieue faisaient une comparaison tout à
l'avantage des royalistes et s'indignaient contre les pillards
-de la Ligue qui commettaient force atrocités. C'est ainsi
^ijue le 7 juillet une bande, sortie de Paris, avait envahi
Villeneuve-Saint-Georges, « où ils tuèrent, pillèrent, rava-
gèrent, violèrent femmes et filles, faisans tous actes d'hos-
tilité, pires qu'en pays d'ennemis et de conqueste*... » On
se plaignit à Mayenne, qui répondit aux malheureux <( de
patienter et qu'il avoit affaire de toutes ses pièces pour
ruiner le tiran ».
La situation des Parisiens devenait effectivement bien
critique. Tandis que l'armée des deux rois grossissait par
l'arrivée des contingents suisses, et que toutes les places
<lcs environs capitulaient ou étaient enlevées de vive force,
la Ligue ne recevait, en guise de renforts, que des bandes
de pillards dont le concours était plus dangereux qu'utile ',
Les troupes lorraines et les auxiliaires allemands que
Mayenne avait appelés n'avaient pas osé traverser les lignes
tle l'armée royale *, et le duc de Nevers, qui assemblait des
1. L'EsTOïLB, t. III, p. 302. — D'ÂUBiGNÉ, Hist. Univ., livre H, chap. xxi, dit
que les assiégés obtinrent une capitulation honorable, « particulièrement
en ce qu'on les fournit de charriotz cl de brancarts, à quoi il falut 1,800 che-
vaux, qui voulurent estre conduits par les troupes du roi de Navarre,
disans assez licentieusement qu'ils ne trouvoyent foi que de ce côté-là... »
2. Jbid.
3. L'EsTOiLB raconte, par exemple, que le 19 juillet <t le sieur de la
Chastre arriva à Paris^ menant quelques compagnies de gens de guerre,
de pied et de cheval, qui furent logées à Gentilli, Arcueil et autres villages
voisins où ils firent des maux et meschancetés innumérables ».(T. III, p. 300.)
4. A la date du 25 juin, Charles de Lorraine, duc d'Aumale, écrivait de
Meaux & la Ville de Paris : « Messieurs, je m'achemine, suyvant la résolu-
tion que nous avons prise icy, pour aller aux plus grandes journées qu'il
me sera possible, recevoir noz estrangers, qui .sont prelz d'entrer dans le
'^royaume pour, incontinent les avoir jointz, chercher tous les moiens qui
.me seront possibles de combattre ceux de noz ennemis, espérant, avec
Payde de. Dieu, que, quand nostre armée sera toute ensemble, elle sera
telle et sy forte que nous pourrons avoir la raison de nozdictz ennemvs. >»
{Rio. H, 1789, fol. 364.)
866 PARIS ET LA LIGUE
forces dans le Lyonnais, ne paraissait pas en vue de la ca-
pitale. Même avant la prise de Pontoise par les royalistes,
on était découragé dans les conseils de TUnion. Le
40 juillet, la Ville de Paris chargeait le sieur Boursier de
porter une lettre désolée à la ville d'Amiens : « Il y a de
quoy espérer, dit la municipalité ligueuse, que Dieu ne
nous abandonnera pas et qu'il fera bientôt paroislre
quelque rayon de sa grâce *. »
Paris n'avait plus qu'à compter sur lui-même, et délibé-
rément il ferme son enceinte ; un mandement ordonne aux
capitaines de visiter toutes les portes et poternes et de
faire boucher toutes les issues *. Dès le 18 juillet, la Ville
a prescrit à MM. de Compans, de Costeblanche, échevins,
Pigneron, colonel du quartier Sainte-Geneviève, B. Le Clerc,
capitaine de la Bastille, Delarue, dizainier au quartier
Saint-Martin des Champs, de rapporter au Bureau les clefs
des portes Saint-Jacques, Saint-Honoré, Montmartre, Saint-
Martin, Saint-Antoine, Saint-Victor, Saint-Marcel, Saint-
Michel, Saint-Germain, Bussy et de Neslo, « lesquelles clefe,
dit le mandement, leur ont esté baillées en garde, pour
estre les dites clefz baillées et distribuées à chacun de nous
et estre par nous gardées durant les troubles présens, sui-
vant les antiens règlements et ordonnances de la Ville ' ».
C'était Mayenne qui avait provoqué cette mesure. Il obli-
gea les colonels à venir chaque matin chercher les clefs à
THôtel de Ville et à les renvoyer chaque soir *. Maintenant
ce ne sont plus les dizaines qui ont à fournir des hommes
aux tranchées. Des sommations individuelles mettent les
bourgeois riches et surtout les suspects en demeure « d'en-
1. Reg. h, 1789, foL 365.
2. làid,, foL 374. Plus tard, od ordonna aux habitants de n'avoir qa'une
porte ouverte en leurs maisons et de maçonner les autres. (Féub.^ Pr., t. III,
p. 463.)
3. Reg. H, 1789, fol. 376.
4. Ibid., fol. 376-377.
PARIS RÉGICIDE 867
voyer aux tranchées et fortifications de la ville, vers. les
faubourgs Saint-Honoré et Saint-Denis, chacun ung homme
garny d*outilz propres pour y travailler durant ceste sep-
maine seuUement, affin que par cest ayde, provenant de leur
franche et bonne volonté, ladite Ville soyt secourue et pré-
servée du dommage que pouvaient faire les ennemys * ».
Les perquisitions, les visites domiciliaires se multipliaient.
Tantôt elles avaient pour but de chercher du blé *, tantôt
do découvrir des dépôts d'armes '. Malgré les violences des
prédicateurs et les bulletins mensongers des chefs de la
Ligue, le mécontentement grandissait. Pour prévenir un
mouvement possible des royalistes restés à Paris, le con-
seil général fit emprisonner, à la fin de juillet, trois cents
notables bourgeois, sous le simple soupçon « de favoriser
le parti du roi en leur cœur ». La capitale n'en était pas
moins frémissante, et les plus compromis, édifiés par les
exécutions de Gergeau et de Pithiviors, se demandaient
déjà si leurs têtes étaient bien fermes sur leurs épaules *.
Si Ton en croit une relation ligueuse attribuée à Charles
1. Reo. h, 1789, fol. 381. Mandement du 25 juillet.
2. Le 24 juillet, la Ville prescrit aux colonels de faire faire par les capi-
taines et lieutenants, assistés des dizainiers et de deux bourgeois par
chaque dizaine, des perquisitions dans toutes les maisons, « et faire com-
mandement aux habitans, chetz d'hoslel d'icelles maisons, sans aulcune
excepter, de leur dire et déclarer fidellement la quantité de grains, tant de
bled que avoyne, qu'ilz ont en leurs dictes maisons ou ailleurs, soyt pour
leur provision ou aultremeut, et combien chascun desdictz chefs d'hostel
a de bouches à nourrir ih (Reg. H, 1789.) Un procès-verbal devait être dressé
chaque jour et copie en devrait être portée à M. Brisson, président au
Parlement, et au sieur Rolland, premier échevin. Une autre perquisition
pour constater Tapprovisionnement de blé que possédait chaque particu-
lier, fut faite le 9 août. {Ibid., fol. 389.)
3. Perquisition du 26 juillet. Ibid., fol. 381. Les armes trouvées étaient
transportées à Fllùtel de Ville.
4. Us ne se trompaient pas, car Henri lil, au dire de tous les historiens,
était décidé à faire des exemples. Le 27 juillet, il avait envoyé un gentil-
homme & Mme de Montpensier pour lui dire « qu'il esloit bien advert
que c'estoit elle qui soutenoit et cntretenoit le peuple de Paris en sa ré-
bellion; mais que s'il y pouvoit jamais entrer, comme il Tespéroit de faire
et bientost, qu'il la feroit brusler toute vive. A quoi, sans autrement s'es-
tonner, fist response que le feu estoit pour les sodomites comme lui et
non pour elle ». (L'Estoilb, t. III, p. 302.)
568 PARIS ET LA LIGUE
Pinselet, chefcier de Saint-Germain-FAuxerrois *, « il n'y
avoit maison qui ne fus! jà donnée au pillage et en proye :
les rues et les quartiers estoient marquez, tous les hommes
au fil de Tespée ; les plus catholiques, les uns pendus, les
autres noyez, austres bruslez et austres escartelez, et
toutes telles autres cruautez estoient jà arrestées par le
tyran et par ses satellistes... » Les politiques osaient
« lever le nez, braver, se moquer et dire à haute voix
qu'avant trois jours passez, il y auroit tant de pendus qu'il
ne se trouveroit pas assez de bois dans Paris ». Telles
étaient les conséquences de l'approche des forces roya-
listes.
Après la prise de Pontoise, l'année des deux rois avait
reçu la soumission de l'Isle-Adam, Beaumont et Creil.
Allait-on entreprendre le siège de Paris avec une trentaine
de mille hommes ? C'était une bien périlleuse entreprise.
Seul, Givry la conseillait, en alléguant qu'après la victoire
de Senlis il avait bravé la capitale avec 400 hommes; les
vieux officiers résistaient, insistant sur toutes les difficultés
du siège. Mais le roi de Navarre « donna l'esperon à tout »,
suivant la pittoresque expression de d'Aubigné, et ajouta
c( qu'il y alloit du royaume à bon escient d'estre venu
baiser cette belle ville et ne lui mettre pas la main au
sein * ». Le 30 juillet, vers le soir, les royalistes, déjà maî-
tres des passages de TOise, s'emparèrent du pont de Saint-
Cloud ; quatre canons suffirent à forcer à la retraite les
soldats de la Ligue qui s'étaient retranchés sur quelques
arches du pont. Henri III prit ses quartiers à Saint-Cloud
dans la belle maison de Jérôme de Gondy', tandis que le
i. Voy. Arch. cur., 1'« série, t. XII, p. 398. Voici le Ulre du libelle : Le
martyre de frère Jacques Clément, de tordre de Sainct-Dominique, contenant
au vray toutes les particularitez plus remarquables de la saincte résolution
et très heureuse entreprise à Rencontre de Henry de Vallois (Paris, 4589,
in-8«), chez Fiselier.
2. Hist. univ„ livre II, chap. xxi.
3. GoDdy, l'évéque de Paris, était reslé fidèle au roî. HeDrl III se trouTait
PARIS RÉGICIDE 569
roi de Navarre, soutenu par un régiment de Suisses, occu-
pait la rive de la Seine jusqu'à Vaugirard. Le 1" août, au
inatin, le Béarnais, « n'ayant que 800 chevaux, se vint
mettre en bataille à la veue de la ville, aux carrières de
Vaugirard * ». Rien ne bougea dans la place. Quant aux
huguenots, ils « estoient ravis de joie d'ouyr siffler les
balles de Paris ». C'était à qui ferait le coup de pistolet
avec les ligueurs, et Tune des vedettes du roi de Navarre
'sauta même par-dessiis le fossé du Pré-aux-Clercs pour
aller combattre un cavalier parisien qui l'avait défiée, et
-elle l'amena prisonnier au prince de Conti. On s'amusait,
au camp huguenot, de ces beaux coups d'épée qui rappe-
laient Bayard et la chevalerie du vieux temps, lorsque
Roquelaure « éteignit les 'gayetés ^> en annonçant à ses
<5ompagnons qu'un moine venait de blesser le roi de
France...
L'attentat n'était qu'une conséquence de la situation
désespérée de la Ligue et la conclusion logique des doc-
trines des théologiens du parti. Il serait puéril de contester
que ces doctrines autorisassent le régicide. Sans parler du
décret de la Sorbonne, rendu en janvier 1589 *, qui per-
mettait au peuple de s'armer contre le roi, tous les prédi-
cateurs excitaient depuis plusieurs mois la fureur homicide
des fanatiques. Guincestre notamment n'éprouvait pas la
moindre hésitation. Au mois d'avril, le vendredi saint, il
avait dit à un des principaux personnages de l'Union « qui
bien là pour « voir tout à son aise sa ville de Paris quMl disoit estre le
•cœur de la Ligue et que, pour la faire mourir, il lui faloit donner le coup
droit au cœur ». (L'Estoilb, t. III, p. 302.)
1. D'aubigné, loco cit.
2. On en trouve le texte en latin dans Cimber et Danjou, 1'* série, t. XII,
-p. 349. « .... Populus hujus regiii solutus est et Hberatus a sacramento
fidelitatis et obedientise prœfato Ilenrico régi prsstito. Deinde idem populus
4icitè et tuta conscientia potest armari, uniri et pecunias colligere et con-
iribuere aO defensionem et conservationem religionis catholicœ, aposto-
licœ et romanœ adversus nefaria consilia et conatus prsedicti régis... »
870 PARIS ET LA LIGUE
faisoit scrupule de faire ses Pasques pour la vengeance
qu'il avoit empreinte dans le cœur contre Henry de Valois,
qu'il s'arrestoit en beau chemin et qu'il faisoit conscience
de rien, attendu qu'eux tous, et luy-mème le premier qui
consacroit chacun jour en la messe le corps de Nostre-
Seigneur, n'eust fait scrupule de le tuer, ores qu'il eust esté
à l'autel, tenant en main le précieux corps de Dieu ' ».
Était-ce une exaspération isolée, le mot d'un maniaque
sanguinaire ? Non, c'était la conviction sérieuse de tous les
moines, et la conduite du pape après le meurtre démontre
qu'aucune voix ne s'élevait dans l'Église pour interdire de
tuer un tyran. Avec une naïveté féroce, les pamphlets
ligueurs ont développé eux-mêmes la thèse. Puisque le roi
« est un homme distrait et séparé de l'Église, qui boufToit
de tyrannies exécrables et qui se déterminoit d'estre le
fléau perpétuel et sans retour de la France, celuy qui le
mettroit à mort, comme fit jadis Judith un Holoferne,
ferait chose saincte et très recommandable * ». Enfin les
ligueurs répandaient le bruit que, de concert avec le
Béarnais, Henri de Valois allait suivre l'exemple d'Elisa-
beth d'Angleterre et abolir dans ses États tous les ordres
religieux. Un moine devait nécessairement se charger di»
f^ire disparaître le prince qui nourrissait de tels desseins.
Ce moine s'appela Jacques Clément.
1. L'ËSTOiLE, t. III, p. 340. Vai\ de l'édit. 1621, iD-8% p. 253. Dans son
traité De justa abdicatione Henrici tertii, qui était déjà à moitié imprimé
lors de Tassassinat de Henri III, Boucher, le fameux curé de Saint-Benoit,
le théoricien et le théologien de la Ligue, développe cette doctrine, hardie
pour le temps, que c'est le peuple qui fait les rois; que le droit d'élection
étant supérieur au droit d'hérédité, la république, après avoir nommé un
roi, garde son pouvoir et a sur lui droit de vie et de mort. D'autre part.
Boucher reconnaît à l'Église le même droit de déposer les rois. — Voy.
Ch. Labittb (les Préd. de la Ligue, p. 92).
2. Discours véritable de Vesirange et subite mort de Henry de Valois, MéIm.
DE LA. Ligue, t. IV, p. 6, et Arch. cur., 1'* série, t. XII, p. 385. Il n'y a pas
& taxer de partialité db Thou et d'autres historiens qui ont cité la con-
sultation donnée à J. Clément par le père Bourgoing, prieur de l'ordre,
puisque de Tiiou, t. X, p. 668, n'a fait que reproduire les aveux des rela-
tions ligueuses et notamment celle du Discours véritable»
PARIS RÉGICIDE 571
Né au villagpe de Sorbonne, près de Sens, il avait été
élevé au couvent des dominicains de cette ville. D'esprit
grossier, de mœurs plus que douteuses, ayant peut-être
commis « quelques crimes énormes auxquels les cloîtres
sont sujets ^ », cet homme était admirablement préparé à
servir dlnstrument aux doctrines du Gesu sur le tyran-
nicide *. On exalta son cerveau comme on avait exalté celui
de Balthasar Gérard, et à vingt-deux ans ' il était mûr
pour l'assassinat. Telle était déjà la furie de son langage
et l'intempérance militaire de ses allures que ses cama-
rades de couvent lui avaient donné un surnom ; ils l'appe-
laient le capitaine Clément. Enfin, obsédé par les visions,
ce bourreau mystique ne peut plus attendre. Le père
Bourgoing, son prieur, lui promet que, s'il succombe
après avoir accompli l'œuvre sainte, il ira droit au ciel *.
Alors, toute hésitation disparait. Jacques, pendant plu-
sieurs jours, jeûne, fait abstinence, puis « se confesse, se
fait communier et recevoir le précieux corps de nostre
sauveur Jésus-Christ, se disposant comme un homme qui
va rendre son âme à Dieu * ». Mais comment parvenir jus-
qu'au roi? D'après les relations ligueuses °, Jacques Clément
se serait adressé « à un honneste personnage, bourgeois de
Paris », qui trouva moyen de lui donner accès auprès du
comte de Brienne, beau-frère du duc d'Epernon et qui était
1. D'AiBioxÉ, livre II, chap. xxni.
2. Voy. le beau chapitre de Michelet sur renseignement des séminaires
de Douai et de Reims d'où étaient sorties les conspirations d'Angleterre
en 1579, et l'assassinat du prince d'Orange en mars 1581.
3. Le procureur général, Jacques de La Guesle, dit que le moine paraissait
de vingt-sept h vingt-huit ans. Voy. sa lettre après l'Estoilb, t. UI, p. 376.
L'EsTOiLE lui donne de vingt-trois à vingt-quatre ans.
4. De Thou, t. X, p. 668, et Discours véritable , etc.
5. Ibid., Arch. cub., t. XU, p. 386.
6. Voy. notamment le Discours aux Français^ avec Vhistoire véritable sur
^admirable accident de la mort de Henry de Valois^ naguères roy de France^
advenue au bourg de Sainct-Cloud-lès-Paris^ le 1*' août 1589. Cette pièce,
imprimée à Paris en 1589 et qui est rare, a été reproduite par Cikber et
Danjou, t. XII, p. 362. — Voy. aussi le Martyre de J. Clément {Ibid., p. 397).
572 PARIS ET LA LIGUE
alors prisonnier au Louvre. Ce dernier, plein de confiance
<lans les déclarations royalistes du moine, lui donna un
passeport et des lettres pour le roi. De là, Clément se
rendit au faubourg Saint-Martin, où il eut une conférence
avec La Chapelle- Marteau, et à Saint-Lazare, où il s'entre-
tint avec Mayenne en personne *. Le duc promit à l'as-
sassin que la vie des nombreux politiques arrêtés dans les
jours précédents répondait de la sienne. Mme de Mont-
pensier employa peut-être des arguments plus décisifs
encore *. Quoi qu'il en soit, le moine se met en route
(31 juillet) et tombe, au sortir de Paris, entre les mains de
deux soldats du régiment de Comblanc qui se mettaient en
devoir de le conduire à leur quartier, quand le procureur
général de La Guesle et sa suite, qui se rendaient également
à Saint-Cloud, rencontrent ces trois voyageurs. La Guesle
s'informe, apprend que le moine porte au roi des lettres et
des nouvelles et, croyant être agréable au prince dont il
connaissait les prédilections pour le froc, prend Jacques
Clément sous sa protection, en fait son hôte et va prévenir
le roi, qui promet une audience pour le lendemain matin,
entre six et sept heures. L'assassin dîna joyeusement chez
le procureur général et « tailla ses morceaux du funeste
couteau ». Il dormit si paisiblement qu'il fallut le réveiller
pour le conduire au roi. Du Halde introduisit La Guesle et
le dominicain; Henri III venait de se lever (il était environ
huit heures), et il se trouvait « sur sa chaise, tout
débraillé ' ». Le procureur général avait pris les lettres du
1. Db Thou donne ces deux faits comme constants. D'Aabray, dans la Sat,
M^n.y p. 145, affirme également que Mayenne Tit et encourageai. Clément.
2. U est juste de reconnaître que de Trou est sur ce point moins afûr-
matif et ne fait que rapporter les allégations de « ceux doiit les recher-
ches ont été plus malignes ». Il ajoute même, avec sa bonne foi ordinaire,
qu'il ne peut croire à l'abnégation suprême de Mme de Montpensier. — Conf.
Bat. Mén., loc. citato.., D'Âubray fait allusion à l'influence des jésuites sur
l'assassin.
3. Nous suivons ici la relation de La Guesle, témoin oculaire du meurtre.
Elle a été reproduite dans l'Estoile, t. III, p. 376, et par Cihber et Danjou,
PARIS RÉGICIDE 873
comte de Brienne et une lettre fausse du premier président
dont le moine était porteur, et il les remit au roi. Henri
fit signe à Jacques Clément d'approcher afin d'exposer ce
qu'il avait à dire. Sur l'insistance du misérable, qui préten-
dait ne vouloir parler qu'au prince lui-même sans témoin^
La Guesle et le grand écuyer Bellegarde durent se reculer
et faire place à Jacques Clément. Tandis que le roi tendait
l'oreille et relisait le billet du comte de Brienne, le domi-
nicain tira un couteau, dissimulé dans sa manche, et
frappa vigoureusement Henri lU dans le ventre, au-dessous-
du nombril. « Ah! malheureux, que t'avais-je fait pour
m'assassiner ainsi? » s'écria le Valois, en arrachant le cou-
teau pour en frapper l'assassin au front. Eperdu, La Guesle-
tira son épée et, « lui baillant des gardes dans l'estomac »,.
poussa le moine dans la ruelle. Il fut aussitôt achevé par
les ordinaires^ « nonobstant que La Guesle leur criast par
plusieurs fois qu'ils n'eussent à le tuer ; mais leur juste
colère ne put permettre que son advertissement servît d'au-
cune chose * ». (1" août.)
Le premier moment de stupeur passé, on mit le roi sur
son lit, et les chirurgiens qui le pansèrent ne crurent pas la
blessure mortelle : des nouvelles rassurantes furent en-
voyées aux princes étrangers et aux gouverneurs des pro-
1^ série, t. XII, p. 376. En voici le titre exact : Lettre d'un des premiers
officiers de la cour de Parlement, escHte d un de ses amis, sur le subject de
la mort du roy.
1. Telle est du moins la version de La Guesle. — D^Aubighé, H»^ univ., liv.2,
chap. xjui, raconte, au contraire, qu'après avoir frappé le roi, J. Clément
u estendit ses deux bras contre une muraille contrefaisant le crucifix; que
là le procureur général, troublé de desplaisir pour se voir l'instrument
d*une chose tant à contre-cœur, donna de son espée à travers le corps du
jacobin et le tua de ce coup seul ». Db Thou dit que le moine fut tué par
Montpesat de Lognac et Jean de Levis, baron de Mirepoix, peu maîtres de
leur premier mouvement, et cela concorde bien avec le récit du procureur
général, de l'Estoilb et de Palma-Caybt. D'après l'auteur du Discours aux
Français, Abch. cur., t. XII, p. 366, c'est Henri III lui-même qui aurait
ordonné de tuer J. Clément, et l'ordre aurait été exécuté par Montferrier,
l'un des assassins du duc de Guise. Edme Bourgoing, dans son récit de
la mort de Henri de Valois, dit que Jacques Clément u fut, à l'instant, tué
de divers coups par les gardes. » (Ibid., p. 387.)
874 PARIS ET LA LIGUE
vinces *. Il ne parait pas que le roi de Navarre se soit
rendu immédiatement auprès de Henri III blessé. Peut-
être appréhendait-il les défaillances morales ordinaires aux
mourants et voulait-il Téviter d'entendre des déclarations
contraires à ses droits ou simplement ambiguës. Peut-
être aussi crut-il nécessaire, comme l'insinuent certains
historiens, de prendre des précautions militaires contre
une sortie probable des ligueurs parisiens *. Mais cette
sortie n'eut pas lieu : le conseil général de l'Union s'occupa
toute la matinée de remplir les prisons du grand et du
petit Châtelet et y fit écrouer tous ceux qui avaient des
parents dans l'armée royale. D'autres furent dirigés sur le
Louvre et la Bastille. Le roi passa la journée avec son cha^
pelain, Louis de Parade, et les courtisans préférés, d'Éper-
non, Bcllegarde, d'O, Châteauvieux, de Clermont, d'Antra-
gues, de Beaulieu-Ruzé et Charles d'Orléans, comte d'Au-
vergne, duc d'Angoulême, fils de Charles IX et de Marie
Touchet. C'est seulement vers le soir, alors que l'état du
blessé était déjà beaucoup plus grave, qu'il reçut le Béar-
nais et ordonna à tous ses officiers de le reconnaître pour
son successeur ^ Quant aux discours que Palma-Cayet et
de Thou prêtent au Valois moribond, ils sont trop arrangés
pour mériter qu'on s'y arrête *. Henri HI mourut dans cette
i. Voy. le texte de celte dépêche dans Palma-Cayet, p. 149, et au t. III,
p. 563 des Mém. de la Ligue. Lettre au comte de Montbéliard.
2. Palma-Cayrt, p. 140. « n fut advisé par le roy de Navarre et par les
princes et seigneurs qui avoient charge en l'armée que Pon devoit se tenir
en armes et prests, de peur d'une surprise du costé de Paris, ce qu'ils
firent tous. Leur raison estoit que l'assassinateur en estant sorty, il n'y
avoit point de doute que c'estoit un fait prémédité dans ceste Ville, et que
les chefs de guerre qui y estoient, estans advertis de la blessure du roy,
présumeroient qu'il adviendroit du trouble en l'armée, sous la faveur
duquel, en attaquant quelque quartier, ils pourroient faire quelque elTort
notable. »
3. Ibid,y p. 150. La version de Palma-Cayet s'accorde avec la relation
ligueuse, Discours aux Français, etc. II est à noter que de Thou ne fait
même pas mention de l'entrevue de Henri III mourant avec le roi de
Navarre. L'Estoilb imite ce silence, et il en est de même du certiGcat des
seigneurs qui assistèrent le roi.
4. L'auteur anonyme du Discoun aux Français prétend même que Henri III
PARIS RÉGICIDE 87S
nuit du 2 au 3 août, sur les trois heures. Il avait trente-
huit ans et dix mois, et avait régné quinze ans et deux
mois sur le royaume de France.
Ainsi, le Paris de Jacques Clément et de la Saint-Bartlié-
lemy avait couronné son œuvre de vengeance et de haine.
Quelle suite de péripéties terribles, depuis les Barricades
jusqu'au drame de Saint-Cloud, en passant par celui de
Blois et l'assassinat du grand Guise! Tout ce foyer de
crimes, il est à Paris et rayonne au loin. Sous la main
meurtrière de l'Église, qui bénit les régicides et brise les
couronnes, tous les fanatismes se fondent et se soulèvent
dans un bouillonnement colossal. A Tapothéose de l'assas-
sin par la capitale de la France, répondent la joie funèbre
de Philippe II et la tranquille apologie du crime par le
Saint-Siège. Entre l'explosion d'enthousiasme des ligueurs
parisiens et le discours pontifical de Sixte-Quint au con-
sistoire du 11 septembre, il n'existe qu'une différence de
milieu. Au fond, c'est l'Église qui tient le couteau sanglant
et elle commet cette horrible impiété de vouloir rendre
Dieu complice. Le pape, dans un discours étudié à loisir,
compare l'action du moine à l'incarnation du Verbe et au
mystère de la résurrection du Sauveur : il place le régicide
au-dessus de Judith et d'Eléazar, et conclut qu*un dessein
si glorieux n'a pu être exécuté sans la volonté et le secours
de la Providence *.
n'eut pas le temps « de se reconnaître et de penser à son salut, dont il
n'a point eu de soing, n'ayant receu ses sacrements ny parlé à aucun
prestre, à la manière de Henry huictiësme, premier tyran des catholiques
angloys ».
1. De Thou, t. X, p. 679, après avoir donné une exacte analyse de ce
discours du 11 septembre, ajoute quMl eût été de l'intérêt de Sixte V et du
Saint-Siège de supprimer un pareil écrit, au lieu de le publier. Conf. VEs-
prit de la Ligue par le chanoine Anqubtil, t. III, p. 94. — Le libelle intitalë
ie Martyre de frère Jacques Clément^ reproduit la thèse du pape : « Dieu
s'est voulu servir du plus simple et plus humble et infirme, suivant
l'apparence humaine, de tous les religieux, pour terrasser Torgueil et
576 PARIS ET LA LIGUE
Paris, depuis les princesses jusqu'aux portefaix, ne témoi-
gna ni moins de cynisme, ni moins d'hypocrisie mystique,
en apprenant la mort de Henri III. Le conseil de TUnion
adressa aux prédicateurs une circulaire officielle qui les
invitait à développer en chaire ces trois points : « 1° Jac-
ques Clément est un héros et un martyr; 2* Le Béarnais
ne peut succéder à Henri III; 3® Ceux qui soutiendront
son parti seront excommuniés * . Guincestre fit Tapothéose
de Jacques Clément et toutes les chaires retentirent des
mêmes hyperboles. De nombreux libelles chantèrent les
louanges « du saint martyr de J.-C, du bienheureux enfant
de Saint-Dominique ' ». On gravait des portraits du meur-
trier avec des vers en son honneur '. Des cierges furent
allumés dans les églises autour de sa statue, et Ton fit
venir sa mère, du village de Sorbonne, pour montrer au
peuple celle qui avait mis au monde le libérateur de Paris.
Mme de Montpensier * logea dans son hôtel de la rue
de Tournon la mère du martyr, et cette femme, comblée
l'audace de Henry de Valois, etc. » (Arch.cur., t. XII, p. 399.) — Quant &l'£s-
TOILE, il s'indigne de voir que a l'homme d'Église, qui doit servir au peuple
de patron et d'exemplaire d'obéissance envers les supérieurs, soit si sou-
dainement changé et métamorphosé en un meurtrier sanguinaire de son
prince, signes certains de l'absence de Tesprit de Dieu... » (T. III, p. 308.)
Ailleurs, il flétrit la « jurisprudence des moines et prescheurs de ce temps
auxquels les parricides et les assassinats plus exécrables estoient censés
des miracles et des œuvres de Dieu. » (T. V, p. 4.) — Voy. aussi dans la Sat.
Ménippéele discours de d'Âubray (p. 146), qui s'élève contre les éloges accor-
dés à J. Clément par les prédicateurs et la joie des Parisiens.
1. Grevier, Hist. de PUniv., t. VI, p. 414. — HisL eccUs. de Flbcry, t. XXXVI,
p. 273. — Ch. Labitte, De la démocratie chez les prédicateurs de la Ligucy
p. 79.
2. Mézebat, /it5^ deFr., 1685, in-f*, t. III, p. 659. — De Thou, t. X, p. 679.
Arch. cur., t. XII, p. 397. — Le Martyre de frère Jacques Clément. — Félib. , Hist.
de la V, de Paris, t. II, p. 1183. — Saint-Foix, Essais sur Paris, t. III, p. 63.
3. Voy. dans l'Estoile, édit. Halphen, t. IV, p. 103 et suivantes, les placards
mis au bas des portraits de Jacques Clément,
4. Mme de Montpensier, si Ton en croit l'Estoile, sauta au cou de
celui qui lui apporta la première nouvelle de la mort de Henri III : « Hal
mon ami, soie le bien venu! Mais est-il vrai au moins? Ce meschant, ce
perfide, ce tiran est-il mort? Dieu que vous me faites aise! Je ne suis
marrie que d'une chose : c'est qu'il n'a pas sceu, devant que de mourir,
que c'estoit moi qui Tavois fait faire. » (T. V, p. 1.)
PARIS RÉGICIDE 877
de présents, s'en retourna chez elle, accompagnée par
quarante moines jusqu'à une lieue de Paris. Quant à la
duchesse de Nemours, mère de Madame de Montpensier
et qui avoit, comme elle, distribué des écharpes vertes à
tout Paris, en criant la bonne nouvelle de la mort du
tyran, elle se rendit aux Cordeliers et monta sur les degrés
du grand autel pour lancer les dernières injures contre
<( le chien Henri de Valois ». Enfin, il se trouva des fana-
tiques qui allèrent, un peu plus tard, chercher à Saint-
Cloud la terre arrosée du sang de l'assassin * et la char-
gèrent sur un bateau pour conduire ces reliques à Paris.
Malheureusement le vent s'éleva et les reliques coulèrent
k fond avec ceux qui les rapportaient *.
Ainsi Paris délire; il porte le deuil vert, la livrée des
fous, dit l'Estoile, et il répète avec les duchesses : « Le
tyran est mort. Il n'y a plus de Valois en France ». Qui va
venir? Mayenne, Philippe II, le duc de Savoie, le cardinal
de Bourbon? On ne sait. Au fond, la capitale n'a de haine
que contre le roi de Navarre, le prince hérétique. Et quand
le parti est pris, lorsque Mayenne, reconnaissant la diffi-
culté de poser la couronne sur sa tête, a fait proclamer,
«ous le nom de Charles X, le vieux cardinal de Bourbon,
et s'est fait décerner à lui-même le titre de lieutenant
général au gouvernement de l'Estat et couronne de France ',
ia Ville de Paris écrit au pape, le 7 août, et elle expose en
quelques lignes toute sa politique : « De ville opulente de
1. Le corps de Jacques Clément avait été tiré à quatre chevaux, mis en
-quartiers, puis brûlé, le 2 août, sur la place de l'Eglise de Saint-Cloud. Voy.
L'EsToiLB, t. m, p. 30, et Discours aux Français, Arch. cur., t. XII) p. 369.
2. DbThou, p. 679. — L'Estoile, t. V,p. 6.
3. C'est le titre indiqué dans la lettre de la Ville au Pape. (Extv. des
Registres. Félib., Pr., t. V, p. 463.) — Dans son édii et déclaration du 9 août
{Mém. de la Ligue, t. IV, p. 29), Mayenne s'intitule a Charles de Lorraine,
duc de Mayenne, pair et lieutenant général de l'État royal et couronne de
France ».
RODIQUBT. 37
578 PARIS ET LA LIGUE
toutes sortes de richesses qu'estoit celle-cy, pour subvenir
à une guerre si juste et dont elle a jusqu'ici supporté tout
le faix, elle s'est rendue pauvre et son estât déplorable,
résolue néanmoins de souffrir encore le feu et la famine
plustost que la domination hérétique ». Paris subordonne
tout à la question religieuse; la Ligue identifie la cause
de la religion catholique et celle de l'État. Elle a fait tuer
Henri III, non pas parce qu'il avait dilapidé la fortune
publique et pressuré sa capitale , non pas parce qu'elle
voyait en lui un mauvais prince, mais uniquement « parce
qu'il a négligé la commination du Saint-Père * ». On ne
saurait dire plus clairement que Paris reconnaît la supré-
matie temporelle du pontife de Rome et, comme le reproche
d'Aubray à Mayenne dans la Ménippée, « qu'il a renoncé à
sa nation pour servir aux idoles de Lorraine et aux dé-
mons méridionaux ' ». C'est avec raison que certains his-
toriens 3 ont qualifié la Ligue de « république municipale,
tout entière dévouée au catholicisme »; mais il convient
d'ajouter que ce prétendu gouvernement des municipalités
était singulièrement oligarchique dans sa direction suprême,
puisque les princes lorrains annihilaient à Paris l'Hôtel de
Ville. Mayenne est, au fond, très hostile aux revendications
tumultueuses des masses populaires, et il n'a pas sur elles
l'action extraordinaire du grand Guise. Mais, d'autre part,
il subit, quoi qu'il en ait, l'irrésistible influence des con-
grégations, et celle de l'Espagne, qui apporte dans les.
conseils de la Ligue l'esprit sombre de l'Inquisition.
\, Lettre de la Ville au pape. — L'Èdit du 5 août « pour réunir tous vrais
chrétiens françols à la défense et conseryation de TÉglise catholique, apos-
tolique et romaine et manutention de l'État roîal », emploie des expressions
presque identiques : « ...A présent qu'il a plu à Dieu, par sa seule bonté,
singulière proTÎdence et justice, nous délivrer de celui qui, avec Tautho-
rité roîale, s'étoit armé, joint et uni avec les hérétiques contre les saintes
admonitions qui lui ont esté faites par notre Très Saint Père le Pape... »
2. Sat, Mén., t. I, p. 164.
3. Notamment Gapepigub, La Ligue et Henri IVy 3« édit., 1843. Paris,
Belin-Prieur, p. 15.
PARIS RÂGIGIDE 579
L'intervention de la municipalité parisienne dans les
événements dont nous venons de suivre la marche drama-
tique, doit être réduite à sa juste valeur. L'Hôtel de Ville
a servi d'instrument aux Guises pour faire les Barricades
et, plus tard, pour organiser la guerre civile et venger les
victimes de Blois; mais il n'a joué, au fond, qu'un rôle
subalterne. C'est à tort qu'on a comparé la révolution de
1588 tantôt à la révolution de 1789, tantôt au grand mou-
vement démocratique et municipal de 1338 *. La Chapelle-
Marteau n'a nullement l'étoffe et les hautes aspirations
d'Etienne Marcel : comme les autres députés de Paris, il
ne fut, aux Etats généraux de Blois, que l'humble et mé-
diocre agent du duc de Guise. Toute l'organisation du
mouvement remonte à l'alliance des ordres monastiques,
inspirés par Rome et l'Espagne, avec la faction aristocra-
tique qui rédigea les actes de Péronne en 1S76. Depuis que
le chancelier l'IIospital avait demandé au clergé un état
de ses biens, et que le tiers, aux États de Pontoise (1561),
avait réclamé la vente du temporel détenu par les gens
d'Église, tout le clergé se sentait frappé et il en appela dès
lors au Pape et à l'Espagne. Qe là l'orientation donnée à
l'histoire de notre pays et l'ouragan des guerres civiles
déchaîné sur la France! La paix de Monsieur (1576), l'appa-
rent triomphe des protestants après l'invasion allemande
de Jean Casimir, la vente partielle des biens du clergé en
1576, jointe à la saisie des rentes sur l'Hôtel de Ville de
Paris, jetèrent dans une commune révolte la démocratie
parisienne et l'armée cléricale. Mais il suffit de lire l'acte con-
stitutif de la Ligue, rédigé au nom de la Très Sainte Tri-
nité S pour reconnaître que le développement des institu-
1. Gapbfioub, /&/(/., p. 2 et 15.
2. a Cette ligue, dit Palva-Caybt, ea reproduisant le texte du document
fut faite à Péronoe l'an 1576, par aucuns princes, seigneurs et gentilshommes
catholiques, faschez de ce que le roy Henry III avait pacifié les troubles pour
la religion en son royaume, etc. » (Introd, à la Chronol, novenaire,p, 13.)
580 PARIS ET LA LIGUE
lions municipales, et spécialement celui des franchises
locales de Paris, n'entra pour rien dans les préoccupations
des promoteurs de la Ligue. La découverte du mémoire
de l'avocat David prouva même que les Guises poursui-
vaient surtout un but politique, visaient à la couronne de
France et à l'abolition des libertés de l'Église gallicane. Il
est difficile de discerner dans le pacte de Joinville, signé le
16 janvier 1585 entre les princes lorrains et l'Espagne, autre
chose qu'une déclaration de guerre aux idées de tolé-
rance, dont les comités parisiens furent assurément compli-
ces, mais qui ne profitait qu'au Saint-Siège et à l'Espagne.
Le second manifeste de Péronne (31 mars 1585) est animé
du même esprit; tout au plus y peut-on lire quelques vagues
protestations contre l'énormité des impôts qui accablent le
peuple, mais c'est toujours la noblesse qui plaide pour sa
propre cause, unie à celle du clergé, et réclame le maintien
des privilèges les plus aristocratiques. Bien plus, lors-
qu'après la mort de Marie Stuart (18 fév. 1587) la fermen-
tation des masses parisiennes menaça de transformer le
caractère de la Ligue, Mayenne quitta Paris et le duc de
Guise manifesta une vive irritation. C'est malgré lui que
les comités parisiens élaborèrent et expédièrent aux villes
de province les trois mémoires qui contiennent une sorte
de plan de fédération municipale, sous la direction des
princes catholiques et le patronage de l'Hôtel [de Ville de
Paris.
Dans la déclaration datée de Nancy (janvier 1588), les
princes répudient implicitement les tendances démocra-
tiques de leurs complices parisiens, car ils ne réclament
du roi que la publication du concile de Trente et l'établis-
sement en France de l'Inquisition. Par conséquent, la
direction supérieure du parti continue à prendre son mot
d'ordre à Rome et reste purement aristocratique et cléri-
cale. La journée des Barricades n'est que le triomphe de
PARIS RÉGICIDE 581
Guise; au point de vue municipal, elle a pour conséquences
Varrestation du prévôt des marchands, Hector de Pereuse,
et l'élection irréguliëre d'une municipalité imposée. La
Chapelle-Marteau n'est que l'humble serviteur des princes,
à Paris comme à Blois. Quand l'excès du désespoir a décidé
Henri HI à se débarrasser de son orgueilleux rival et à
mettre sous les verrous les députés parisiens, les mouve-
ments furieux qui se produisent dans la capitale revêtent, il
est vrai, un caractère tout populaire; mais qui les dirige et
les inspire? Toujours les moines et les curés ligueurs. Les
Louchart, les Bussy-Leclerc, les Senault ne sont que des
comparses qu'on utilise. Les véritables tètes du parti se
hâtent d'appeler Mayenne pour discipliner la foule on-
doyante et terrible, et, dès qu'il arrive, le Conseil général
de la Ligue, organe de la démocratie parisienne, est adroi-
tement rempli d'évêques et de parlementaires. Un des pre-
miers soins du nouveau chef de la Ligue, c'est d'assurer
le pape que le Conseil général de Paris n'agira que d'après
les ordres du Saint-Siège, et, au lendemain de l'assassinat
du roi, c'est l'Hôtel de Ville lui-même qui, dans sa lettre
du 7 août, se met aux pieds du pontife de Rome.
En résumé, si l'on voulait caractériser la lutte de Paris
contre le roi Henri IH et définir l'esprit de la Ligue, on
pourrait dire que c'est une insurrection, née en partie des
fautes politiques, en partie des exactions financières du
roi; un mouvement qui eut le Saint-Siège, l'Espagne et le
clergé pour inspirateurs, les Guises pour chefs, et la partie
la moins éclairée de la population parisienne pour instru-
ment. Cette formidable coalition se brisera contre le génie
militaire et la diplomatie infatigable du roi de Navarre,
Mais si l'unité nationale et la puissance française doivent
beaucoup au fondateur de la dynastie bourbonienne, il a
fait porter aux franchises municipales de Paris la peine
du fanatisme des Seize et installé à l'Hôtel de Ville la can-
582 PARIS ET LA LIGUE
didaturc officielle. Son règne, si brillant à certains égards,
écrasera sous le niveau de la centralisation monarchique et
du pouvoir absolu la liberté des communes : il marquera,
en même temps que l'expansion de la politique française
au dehors et le rétablissement de l'ordre matériel sur toute
la surface du pays, Fabolition des immunités populaires,
rabaissement des parlements et de la bourgeoisie au
profit des gentilshommes. A Paris, THôtel de Ville va ren-
trer dans le néant, et ses Registres^ naguère si vivants et si
dramatiques, ne présenteront plus à Thistoire que la mo-
notone relation des cérémonies officielles!
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER
PABIB ET LE NOUVEAU ROI
Depuis l'avènement de Henri III jusqu'à la paix de Beriçerac.
(30 mai 1574 — 17 septembre 1577.)
Situation générale de la France lors de Favènement de Henri III. — Péré-
grinations du roi. — Son mariage et son sacre. — Arrivée à Paris le
27 février 1575. — Réjouissances officielles. — Conversion en argent des
droits perçus en nature par les membres du corps de Ville. — SiniAnoif
FiNANCiÉiB DB LA- viLLK. — Le rcccvcur municîpal, François de Vigny
jeune, of^re sa démission. — Le clergé de France ne fait pas les fonds
destinés au payement des rentes de la Ville. — De Vigny se démet des
fonctions de receveur général du clergé. — Henri III demande À Paris
un million & lever par capitation sur les plus aisés. — Création d'offices.
— Vol de la vraie croix. — Mesures prises par la Ville à cette occasion.
— Élections municipales de 1574 et de 1575. — Résignation d'un office
de quartinier. — Formes de la résignation. — Organisation de la milice
municipale au début du règne. — Fuite du duc d'Alemçon. — Dangers
extérieurs. — Mesures de défense prises à Paris et dans la banlieue. —
Discours de Henri III À l'Hôtel de Ville, le 23 septembre 1575. — La
famille des Valois. — Les maréchaux de Cossé et de Montmorency à la
Bastille. — I^ur mise en liberté. ~ Rôle de Catherine. — Attitude de
la Ville de Paris. — Revue de cinquante mille hommes des métiers passée
par le roi. — Postes assignés à la milice parisienne. — Victoire du duc
Henri de Guise à Château-Thierry. — > Popularité du Balafré à Paris. —
Assassinat de du Guast. — Le prévôt des marchands ordonne des per-
quisitions. — Distractions pieuses de Henri HT. — Lettre du roi & la
Ville en date du 10 décembre 1575. — Plans de campagne. — Subven-
tion demandée à la Ville pour la solde de 3,000 Suisses pendant quatre
mois. — La Ville vote des remontrances. ~ Tableau de la France en
décembre 1575. — Misère du peuple. — L'Église. — La magistrature. —
Les finances. — Réponse de Henri III. — La Ville accorde le subside. —
Préparatifs militaires pour défendre Paris. — Commission permanente
de THôtel de Ville. — Le prévôt des marchands, Jean le Charron. — Dif-
ficultés dans le recouvrement des taxes. — Fuits du roi db Navarre. —
Mesures de défense prises à Paris. — Paix de Monsieur (avril 1576). ^
â84 TABLE DES MATIÈRES
Les membres des cours souveraines mis à contribution par le roi. —
Nouvelles demandes d'argent adressées à la Ville de Paris. — Lit de
justice du 28 avril. — Répartition des taxes par une commission royale.
— Création de deux offices de contrôleurs des rentes de la Ville. — Le
roi se fait remettre les rôles des seize quartiers. — Publication de la
paix à Paris (8 mai). Les chanoines refusent d'assister au Te Deum. —
Mécontentement du peuple. — Le roi saisit l'argent des renies. — Assem-
blée générale de TUôtel de Ville (26 mai). Remontrances du !«' juin. —
Moyennant 80,000 livres, le roi renonce h. la saisie des rentes. — Privi-
légiés dispensés de payer les taxes pour la solde des Suisses. — Fermen-
tation populaire à Paris. ~ Origines de la Ligue. — La famille des Guises.
— Les premiers instigateurs de l'Union à Paris. — Pierre et Mathieu de
la Bruyère. — Rôle du président de Thou. — Constitution de la Ligue
en Picardie. — Le pacte de Péronne. — Le manifeste des douze articles.
— Le mémoire de Jean David. — La Ligue à THôtel de Ville. — Elections
municipales du 16 août 1516. — Le président Luillier, préTÔt des mar-
chands. — Les Ëtats-Généraux dk Blois et les députés parisiens. — Con-
vocation du tiers état parisien. — Conflit entre le prévôt des marchands
et le prévôt de Paris. — Assemblée générale des électeurs parisiens h
l'Hôtel de Ville (6 septembre 1576). — Rédaction des cahiers du tiers état
parisien. — Assemblée générale du 2 novembre 1576. — Vote des cahiers.
— Nomination des députés du tiers état parisien aux États généraux. —
Nicolas Luillier. — Le Prévost et Versoris. — Henri îll à Blois (18 nov.).
— Les relations avec Paris. — Le mémoire sur la police de la Ville. —
Réponse du roi. — Sa correspondance : l'ouverture des États. — Atti-
tude des députés parisiens. — Séance solennelle du 15 janvier 1577. —
Les orateurs des trois ordres. — Fausse situation des députés de Paris.
— Bodin les force à quitter les États. — Le roi demande 300,000 livres
À la capitale. -^ Effets de la politique des députés parisiens. — Assem-
blée générale du 8 mars 1577. — Vote de remontrances. — Réponse du
roi. — La ville accorde 100,000 livres (2 mai 1577). L'impôt à la rate, —
Rapports de la vrlb avec LECtEROé, à propos des rentes sur l'Hôtel de
Ville. — François de Vigny fils, receveur municipal. — 11 offre sa démis-
sion. — Henri Hl le force à. la retirer. — Difficultés avec la Chambre des
comptes. — Un ancien prévôt des marchands poursuivi et condamné.
— Appel de la Ville devant le Parlement. — Reprise de la guerre civile.
— Les victoires de Monsieur. — Banquets de Plessis-les -Tours et de Che-
nonceaux. — Paix de Bergerac (17 sept. 1577). — Toutes les ligues dis-
soutes. — Réjouissances officielles à Paris. — Esprit du corps de Ville.
— Intervention du roi dans les élections municipales d'août 1577... i
CHAPITRE II
Uk BÉBUBXUSGTION DE LA LIGUE
Depuis la paix de Bergerac jusqu'à la Conyention de Nemours.
(17 septembre 1577 ~ juillet 1585.)
La cour s'installe à Paris (fin octobre 1577). — Mœurs du roi. — L'entou-
rage : Villequier, d'O. — Absence de sécurité à Paris. — Assassinat de-
Troîlus Ursin; Bussy d*Am boise. ^ Duel des mignons. — Mort de
Caylus ei Maugiron; assassinat de Saint-Mesgrin. — Fuite du duc-
d'Anjon (14 février 1578). — Les Guises quittent Paris (10 mai). —
Anarchie et pillages en province. — Paris préservé. — Mesures de pré-
TABLE DES MATIÈRES 585-
caution prises par la municipalité. — Administration municipale. —
Remontrances du 13 décembre 1577, relatives aux portes, fontaines, pavés^
quais et ponts de la Ville. — Ëtat du pont Notre-Dame. — Mode de
payement des ouvriers employés par la Ville. — Règlement du 28 jan-
vier 1578 sur les fêtes foraines de Paris .: foire Saint-Germain, foire
Saint-Laurent. — Organisation de la police. — Élections municipales
du 18 septembre 1578 : Qaude Daubray élu prévôt des marchands. —
Affaires de finances. — Exactions royales : résistance du Parlement et
du clergé. — Les prêts forcés. — Fermentation dans toutes les pro-
vinces. — Guerre des Amoureux (avril 1580). — Rapports du clergé avec
le roi et avec la Ville de Paris. — Synode de Melun (juin 1579). — RefUs
du clergé d'exécuter ses engagements envers la Ville de Paris (décembre).
— Agitation à Paris. — Attitude énergique et habile de Qaude Daubray,
prévôt des marchands. — Arrêt du Parlement ordonnant Tarrestation
des évéques. — Le clergé cède. — Mesures de police, — Gérémonul. —
Séance solennelle des chevaliers du Saint-Esprit (1^' janvier 1580). —
Fêtes données à Paris par le cardinal de Bourbon, le cardinal de Guise,
le duc de Nevers. — Réception à l'Hôtel de Ville de M. de Villequier, nommé
gouverneur de Paris. — Obsèques de Téchevin Jean Bouer. -— Elections
municipales du 17 août 1580. — Augustin de Thou nommé prévôt des
marchands. — Le roi écarte de Téchevinage Jacques Paillard. — Epi-
démie A Paris. — Peste de 1580. — Exécutions de la Valette, de Gourreau,.
prévôt des maréchaux d'Angers. — Tremblement de terre k Paris.
(6 avril). — La coqueluche à Paris. — Peste. — Paris déserté. — Ferme
contenance de THôtel de Ville. — Création d'un prévôt de la santé.- —
Incendie de Téglise des Cordeliers. — Paix de Fleix (25 nov. 1580). —
La mi-carêmé à Paris et la cour. — Causes célèbres du temps : le notaire
Herbin; le seigneur de Saint-Léger. — Duel de M. de Liverdot et du
marquis de Migneley. — M. du Voix et sa femme. — Affaire de Jean
Poisle, conseiller au Parlement. — Augmentation des impôts; édits
bursaux (juillet 1581). — Ëdit du 20 mai créant dans chaque ville un
bureau de douanes. — Édit de novembre 1581 instituant à Paris
30 charges de visiteurs, vendeurs de bois, charbon et foin. — La Ville
s'oppose à la vérification de Tédit. — Détails sur les officiers subalternes,
de la Ville. — Doctrines économiques de la municipalité. — A quoi
passe le produit des impôts nouveaux. — Noces de Joyeuse et de la
Valette. — Fêtes à Paris en Thonneur de Joyeuse. — Festin du cardinal
de Bourbon. — Ballet de Circé au Louvre. — Henri III demande
100,000 écus à la Ville pour payer les Suisses. ~ Valeur des monnaies,
— Émission de rentes sur la Ville pour une somme de 50,000 écus
(23 fév. 1582). — Réception des ambassadeurs suisses. — Harangue du
prévôt des marchands. — Cérémonie à Notre-Dame pour jurer ^alliance.
— Te Deum et procession pour prier Dieu de donner lignée au roi. —
Le roi donne à Joyeuse et & d'Epernon 80,000 écus saisis dans la caisse
de la Ville (mars 1582). — Taxe sur les marchands de vin parisiens, sur
les officiers des greniers à sel. — Paris taxé & 200,000 écus. Remon-
trances municipales (16 fév. 1583). — Les rentes ne peuvent être payées.
— Le duc d'Anjou rentre en France (juin 1583). — Mysticisme et
débauches du roi. — Création de la confrérie des pénitents (mars 1583).
— Henri III et les prédicateurs. — Auger. — • Maurice Poucet. — Rose.
— Processions des pénitents. — La Ville y figure. — Les pèlerins à
Paris (sept. & nov. 1583). — Développement des idées religieuses. — Les
enterrements. — Obsèques de Christophe de Thou, du cardinal de Bi-
rague, chancelier de France. — Les jurés crieurs. — Mort du duc
d'Anjou (11 fév. 1584). — Cérémonial de ses obsèques à Paris. — État
586 TABLE DES MATIÈRES
DES FRANCB1SE8 MUNiciPALBs. — ÉlecUoiis du 16 août 1584, du 16 août 1585.
— Incident des élections de 1582. — Maintien des privilèges des con-
seillers de la Ville, de s archers arbalétriers et arquebusiers de la Ville.
— Application du droit de résignation à Tofflce de greffier de la Ville.
Élévation des émoluments des mesureurs de sel, des maîtres de ponts.
— Travaux d'édilité. — Commencement des travaux du Pont-Neur. —
Le pavage. — Enlèvement des boues et immondices. — Les fortifications.
— Le pont Notre-Dame. — Les mendiants. — Suite des relations finan-
cières du roi et de la Ville. — Le vol érigé en système; saisies des
rentes sur l'Hôtel de Ville. — Prélimi:«aires de la seconde phase de la
Ligue. — Accalmie apparente depuis la paix de Bergerac (17 sept. 1577)
jusqu'à la mort du duc d'Anjou (1584). — Pacte de 1579. — Réveil de la
Ligue après la mort du frère du roi. — Doctrines homicides du sémi-
naire catholique de Reims. — Projets d'assassinat contre le roi de
Navarre. — Les trois Henri. — Hésitation de Henri III. — Déclaration
du 11 novembre 1584 contre les ligues. — Le duc de Guise se démasque.
— Manœuvres des ligueurs. — Les planches de l'hôtel de Guise et les
tableaux de Saint-Severin. —Traité de Joinville entre les Guises et TEs-
pagne (16 janvier 1585). — Les députés flamands à Paris. — Henri lU
reçoit une ambassade anglaise (23 février) et lève des soldats suisses.
Manifeste de Péronne (31 mars). — Réponse de Henri IH. — Manifeste
du roi de Navarre (10 juin 1585). — Reconstitution de la Ligue a Paris.
— Charles Hotman organise le premier comité avec Jean Prévost, Bou-
cher et de Launoy. — Les adjonctions d'affiliés. — Répartition des
quartiers en cinq circonscriptions. — Le conseil directeur du collège de
Sorbonne. — Le comité d'action des Six. — Les agents des princes. —
Relations créées avec les principales villes. — Hotman, trésorier de la
Ligue. — Voyage d'Âmeline. — Rôle de Nicolas Poulain. — Attitude de
Henri III. — Lettres du duc de Guise à la Ville pour faire rendre les armes.
— Réponse de la Ville. — Mesures prises par le roi à Paris. — Élections de
capitaines. — Rôle distinct des quartiniers. — Règlement royal du
3 avril 1585, sur la milice municipale. — Ambassadeurs des Provinces-
Unies congédiés. — Anarchie en province. — Orléans livré & la Ligue
(7 avril 1585). — Émeute catholique & Lyon (5 mai). — Ultimatum des
princes catholiques (10 juin). — Catherine signe la Convention de Nemours
(7 juillet 1585). — Triomphe de la Ligue. — Édit de révocation des
précédents édits de tolérance. — LeTe Deum de la paix. — Harangue du
prévôt des marchands à la reine mère. — Protestations du roi de Na-
varre. — Manifeste des princes protestants (10 août). — La Ville de Paris
mise à contribution pour la guerre. — Audience du 11 août, au Louvre.
— Violente attitude du roi envers le Parlement, le clergé et la Ville. —
Menace de saisir les rentes. — Demandes d'argent. — Sentiments dn
roi et de la population parisienne 106
CHAPITRE m
LES PRÉPARATIFa DE LA LUTTE
Depuis la Convention de Nemoors jusqu'aux Articles de Nancy.
C? juillet 1585 — février 1588.)
Situation des partis après la convention de Nemours. — Excommunica-
tion du roi de Navarre* (9 sept. 1585). — 8on effet à Paris. — Violences
des prédicateurs. ~ Attitude de Sixte-Quint à l'égard de Henri UI.
^ Énergique réponse du roi de Navarre à la Bulle. — Hostilité du par-
TABLE DES MATIÈRES 887
lement de Paris envers le pape et la Ligue. — Remontrances au roi. ~
Négation du pouvoir temporel du Saint-Siège. — Lettre du roi de
Navarre à « Messieurs des trois États de France et & Messieurs de
la Ville de Paris ». — UAdvertissement des catholiques anglois aux
français catholiques, par Tavocat Louis d'Orléans. — Manifeste des
ligueurs. — Leur défiance contre THÔtel de Ville de Paris. — Lettre
du roi an prévôt des marchands (13 fév. 1586}. — Arrivée du duc
de Guise à Paris (13 fév. 1586). — Sa popularité. — Propagande contre
Henri III; sentiments du clergé. — La Bulle du pape autorisant
Taliénation de cent mille écus de rente sur le temporel de TÉglise. —
Rôle de révoque de Paris. — Gapucinades du roi ; son voyage à pied
à Notre-Dame de Chartres (26 mars). — Misère à Paris. — Édit
du 26 avril 1586 sur la vente des biens des huguenots. — Les trois
armées catholiques. — ' Mesures fiscales ; vingt-sept édits bursaux en un
seul jour. — Grève des procureurs au Ghâtelet et au Parlement. —
Opposition de la Chambre des Comptes. — Soulèvement de Topinion
publique. — M. d*0 nommé gouverneur de Paris. — Révocatior^ de Tédit
sur les procureurs. — Henri III quitte Paris (23 juillet) ; la reine mère
se rend à Chenonceaux pour négocier avec le roi de Navarre. — Henri III
en province ; les petits chiens, les singes et les perroquets du roi. —
Audience royale donnée à Saint-Germain aux ambassadeurs des princes
allemands (12 octobre). — Violentes paroles du roi; départ des ambassa-
deurs. — Impopularité de Henri III à Paris. -— Pasquils menaçants. —
Conciliabules du collège Forteret. — Ëlbctions d'un prévôt des marchands
ET de deux ÉCHEViNS (16 août 1586). — Formes de la convocation des
électeurs. — Présentation du scrutin à M. de Villequier, gouverneur de
Paris. — Un échevin recommandé par le roi. — Constitution de
80,000 écus de rente sur THôtel de Ville. — Remontrances de TAssem-
blée municipale. — Le roi ordonne d*afTecter le domaine municipal à la
garantie de ces rentes (13 nov.). — Misère-publique; la faim en province
et à Paris. — Renvoi par la Ville des pauvres valides, non originaires de
la capitale (19 sept.). — Taxes sur les bourgeois pour secourir les pauvres
de Paris. — Froids extraordinaires (déc). — Fermentation des esprits.
— L avocat François le Breton ; ses prédications, ses voyages A travers
la France ; ses libelles. — Il est traduit devant le Parlement, condamné
à mort et pendu (22 nov.). — Les chefs de la Ligue se préparent à
l'action. — Assemblée de Pabbaye d'Orcamp (fin sept.). — Saisie des
places frontières par les ligueurs. — Entente avec Philippe II. — Ten-
tative sur Boulogne. — Nicolas Poulain prévient le roi. — RKCOfisTrruTiON
DE LA LiGDE A Paris. — Lcs orgauisateurs du mouvement catholique. —
Rôle prépondérant du clergé. — Inaction du roi. — Projets d'assassinat.
— Mayenne à Paris. — Impopularité d*Hector de Pereuse, prévôt des
marchands. — Mayenne et les ligueurs le forcent de rendre la liberté
au sieur de la Morlière, arrêté par ordre du roi. — Faiblesse de Henri III.
— Audace croissante des ligueurs. — Projets de barricades. — Poulain
dénonce au chancelier les plans des conjurés. — Mesures prises pour
protéger le roi. — Mayenne sollicite un sauf-conduit. — Henri III l'hu-
milie et le laisse partir. -^ Complot de la foire Saint-Germain. — Il
est déjoué par Poulain. — Le duc d^Épemon menacé. — Les capitaines
ligueurs payés et congédiés par leur parti. — Le duc de Guise fait répri-
mander les Parisiens par M. de Maineville. — Tactique plus prudente de
la Ligue. — Relations organisées avec la province. — Les trois mé-
moires du comité parisien; exposé de ses projets et de son programme.
— Formule du serment de la Ligue. — Impuissance du roi. — Il cherche
& se procurer de l'argent. — Assemblée du 10 janvier 1587, au Louvre.
888 TABLE DES MATIÈRES
— Le roi demande à la Ville un subside de 600,000 écus pour les frais de
la guerre. — Assemblée du Bureau (28 janvier). — Remontrances muni-
cipales. — Fermentation populaire. — Paris apprend la mort de Marie
Stuart. — Henri III accusé de l'avoir provoquée. — Le roi prend le
deuil. — Service solennel du 13 mars à Notre-Dame. — Panique du
15 mars. — Démonstrations religieuses du roi. — Messe des capitaines
(5 avril). — Le roi ordonne au duc de Guise de lever le blocus de Sedan.
— Règlement du 14 avril sur l'organisation de la milice municipale de
Paris. — Retour du duc d'Épernon à Paris. — Le duc de Joyeuse perd
son crédit. — Déclamations et propagande des prédicateurs contre
Henri III. — Vordonnance de cire contre les libelles. — Froideur du Par-
lement et du corps municipal. — Le roi saisit les rentes de la Ville. —
Remontrances municipales (29 avril). — Attitude dédaigneuse du roi. —
Assemblée générale du 13 mai. — Le Parlement menace de cesser ses
fonctions (30 mai). — La ville offre 200,000 livres pour éviter la saisie des
rentes. Opérations militaires en province. — Joyeuse abandonne ses
troupe^ et revient à Paris (15 août;. — Succès du roi de Navarre. —
Conférence de Meaux avec le duc de Guise (3 juillet). ^ Plan du roi. —
Arrestation de Roland, général des monnaies, pour outrage public au
roi à rassemblée de l'Hôtel de Ville (3 juin). — Il est relâché et la Ligue
fait arrêter le royaliste du Belloy. — Hostilité croissante du Parlement.
— Le tableau de madame Montpensier au cimetière Saint-Séverin. — Le
roi le fait enlever de nuit (9 juillet). ^ La procession des pénitents blancs
à Saint-Germain des Prés. — Émeute aux Halles par suite de la cherté du
pain (21 juillet). — Joyeuse retourne à l'armée. — Il est vaincu et tué à
Goutras (20 octobre 1587). — Son corps est envoyé à Paris : élégies des
poètes de cour. — Opérations des ligueurs sur la frontière de Test. —
L'invasion des protestants d'Allemagne. — Habile tactique du duc de
Guise. ~- Henri III insulté par les prédicateurs parisiens. — Affaire de
Saint-Séverin (2 sept.). — La maison du notaire Hatte. — Le roi capitule
devant ses défenseurs. — Il se décide à quitter Paris. — Prières publi-
ques à la Sainte-Chapeile. — Le roi prend congé au Louvre du prévôt
des marchands (11 sept.). — Règlement du 12 « pour la conservation de
la Ville et repos des bourgeois d'icelle ». — Complots des ligueurs pour
s'emparer de la Ville en l'absence du roi. — Poulain et Villequier. —
Bataille de Vimori (28 oct.). — Les conseil de Louchart au duc de Guise.
— Henri 111 achète la soumission des Suisses protestants. — Victoire du
- duc de Guise à Anneau (24 nov.). — D'Epernon détache les Suisses de
Tarmée allemande (8 nov.). — Sentiments des Parisiens sur l'issue de
la guerre. — Te Deum du 28 nov. à Notre-Dame. — Convention pour la
retraite des Allemands. — Version officielle des Registres de la Ville sur
les triomphes de S. M. — Rentrée du roi à Paris (24 déc). — Te Deum
du même jour. — Le corps de Ville va recevoir Henri 111 à Bourg-la-
Reine. — Discours du prévôt des marchands. — Louanges ironiques.
— La Sorbonne autorise le peuple à détrôner le roi (6 déc). » Le Par-
lement et la Faculté de théologie mandés au Louvre (30 déc. 1587). —
— Menaces du roi. — Boucher, curé de Saint-Benoit, pris A partie. —
On lui interdit la chaire. — Le duc de Guise félicité par le pape et le
duc de Parme. — Le duc d'Épernon comblé d'honneurs par le roi. —
Conférences de Nancy tenues par les chefs ligueurs (janv.-fév. 1588). ~
Les articles de Nancy adressés au roi. ~ Faiblesse de Henri III. — Fas-
tueuses funérailles du duc de Joyeuse. — Cérémonial (8 et 9 mars). —
Impopularité du duc d'Épernon. — Pierre d'Espinac, archevêque de
Lyon, insulté par lui, passe à la Ligue. — Guerre de plume. — Paris
apprend la mort du prince de Condé (9 mar.^]. « Allégresse des ligueurs.
TABLE DBS MATIÈRES 589
— Sommations adressées par Philippe II au duc de Guise. — Il se décide
à agir. — Organisation db la Ligue. — Les conjurés de la première
heure. — Direction du parti. — Le conseil des Dix et le conseil des
Six. — Propagande à Paris et en province. — Les seize quartiers par-
tagés en cinq circonscriptions militaires par le duc de Guise. — Revue
secrète des forces de la Ligue. — Derniers préparatifs ... 224
CHAPITRE IV
Depuis les Arlicles de Nancy jusqu'à la fuite du Roi.
(FéTrier 1&88 — 13 mai 1588.)
Projets d^attentats contre le roi. — Rôle de Nicolas Poulain. — Il déjoue le
complot d*avril 1588. — Le duc de Guise quitte les environs de Paris et
retourne à Soissons. Angoisses des ligueurs. — Irrésolution de Henri III.
— Complot de Madame de Montpensier pour enlever le roi. — Poulain
prévient ce nouvel attentat. — Députation des ligueurs parisiens auprès
du duc de Guise pour le prier d'agir. — L'avocat firigard. — Henri III
envoie Pompone de Belliëvre au duc pour lui défendre de venir à Paris.
— Réponse évasive du duc. — Seconde mission de Belliëvre. — Rôle
équivoque de la reine mère. — Le duc de Guise se met en route; son
arrivée à Paris (9 mai). ^ Il se rend à l'hôtel de Catherine. — Conseil
secret dans le cabinet du roi. — Catherine mène le duc chez le roi. —
Enthousiasme des Parisiens. — Aspect menaçant du Louvre. — L'en-
trevue; Guise échappe & la mort. — Dernier rapport de Nicolas Poulain
au roi. — Henri lU songe à faire poignarder le duc de Guise, le 10 mai.
— Deux entrevues du roi et du duc (10 et 11 mai). Les soldais ligueurs
entrent isolément dans Paris. — Rôle db la MumciPALrrÉ parisienne. —
Mandements du Bureau en date du 9 mai. — Dispositions des membres
du corps de Ville. — Le prévôt des marchands Ueclor de Pereuse; les
échevins Le Comte, Lugoly, Saint- Yon. — Esprit de la milice et de ses
officiers. — Indiscipline des archers de la Ville. — Le prévôt des mar-
chands et un échevin menacés de mort. — Ordres du Bureau pour les
perquisitions et la garde aux portes (10 et 11 mai). — Conférence A
i'Uôtel de Ville avec M. d'O; résistance de l'échevin Saint- Yon; vio-
lente attitude de M. d'O. — Aspect menaçant de Paris le 11 au soir. -*
Augustin de Thou chargé d'occuper le cimetière des Innocents. —
Conseil chez le quartinicr Canaye entre d'O et les échevins Le Comte et
Lugoly. — Ils vont ouvrir à quatre heures du matin la porte Saint-
Honoré aux Suisses et au régiment des Gardes. — Positions occupées
par les troupes royalistes. — Matinée du 12. — Le quartier de l'Univer-
sité ameuté à quatre heures du matin par Crucé. — Occupation de la
place Maubert par les écoliers. — Premières barricades, place Maubert.
— L'Hôtel de Ville, quartier général des royalistes. — Rôle du prévôt
des marchands, Hector de Pereuse. — Émotion du peuple; fermeture
des boutiques. — Consternation du Parlement. — Hésitations du duc
de Guise. — L'archevêque de Lyon d'Espinac intimidé par le roi. —
Préparatifs à la Bastille, à l'Arsenal, à l'Hôtel de Ville pour écraser le
peuple. — Provocations de Grillon aux bourgeois. — Injures adressées
aux femmes. — Altercation au cimetière des Innocents. — Forfanterie
de M. d*0. — Un valet du bourreau & THôtel de Ville. ~ La place de
Grève bloquée par les barricades. — Tentatives de la reine mère pour
890 TABLE DKS MATIÈRES
négocier avec Guise. — Les agents du doc de Guise dirigent la cons-
tructioD des barricades. -^ Situation périlloase des forces royalistes.
— Les premiers eoupa de feu. — Effroi des Suisses du Marché-Neuf; ils
évacuent le pont Saint*ACiehel. ~ Les trois barricades de TUniversité. —
Impuissance de la municîpaKté et des gentilshommes délégués par le
roi pour apaiser les quartiers. — Le prévôt des marchands aecusé par
les deux partis. — Il se cache, ainsi que les échevins Le Comte et Lugoly.
— Effervescence croissante du peuple. — Mot d'ordre menaçant aux
barricades de la Cité. — Les capitaines du quartier de fUaiversité
envoient une députation à T Hôtel de Ville pour exiger le rsppd des
troupes étrangères. — Coup de feu tiré par les Suisses contre la bar-
ricade du carrefour Saint-Sé vérin. — Décharge générale des ligueurs.
Fuite des Suisses vers le petit Châtelet. — Débandade et désespoir des
Suisses. — On leur fait grftce. — Échauffourée du pont Notre-Dame. —
Les Suisses, fusillés de nouveau et refoulés sur le Marché-Neuf. —
Brissac apaise les ligueurs. — Situation critique des détachements roya-
listes du cimetière des Innocents et de la place de Grève. — Le rot fait
prier le duc de Guise par Biron de les délivrer. ~ Promenade triom-
phale du duc de Guise dans Paris. — Il apaise le peuple. ~ Fière atti-
tude du comte de Stafford, ambassadeur d'Angleterre. — La nuit di
12 AU 13 MAI. — Paris reste sur le pied de guerre. — Péril du roi au
Louvre. — Jouejiéb du 12. — Guise appelle des forces du dehors. — Vaine
tentative du roi pour se saisir de plusieurs portes de Paris. — Brissac
au cloître Sain t- Sève ri n. ^ Six heures du matin : le roi mande au
Louvre les offlciers municipaux. — L'échevin Saint-Yon et ses conseils.
— Huit heures : arrivée de la reine mère au Louvre. — Le Parlement
demande le renvoi des troupes étrangères. — Instances du prévôt des
marchands. — Le roi fait partir les Suisses par la porte Saint-Honoré.
— Henri III bloqué dans le Louvre. — Les deux reines traversent les
barricades. — Guise laisse prévenir le roi des projets des ligueurs. —
Catherine de Médicis va trouver le duc de Guise, qui refuse d'intervenir.
— Elle envoie Pinart au Louvre. — Fuite de Henri III. — Son étrange
escorte. — Pinart envoyé par le roi à Thôtel de Guise. — Impressions
probables du duc de Guise. -^ Heitri III a Cbartrks (U mai). — Les
Suisses sur le point de déserter. — Guisb, MAtrns db Paris. — Désorgani-
sation du corps de Ville. — Caiactèrb db la RtvoLunoif parisibnite. —
Opinion du dlic de Parme et du pape Sixte V sur la conduite du duc de
Guise et sur celle de Henri III 305
CHAPITRE V
GUISE ET PARIS APRÈS LES BARRICADES
(Depuis le 13 mai jusqu'au 1" septembre 1588.)
Le duc de Guise après la victoire. — Son attitude à Tégard de la reine
mère et du Parlement; réponse du premier président Achille de Harlay.
— Le Parlement envoie une députation au roi. — Guise fait occuper la
Bastille. — Lâcheté du chevalier du guet, Laurent Têtu. — La Ligue se
saisit du château de Vincennes. — Guise fait sceller les coffres contenant
la caisse municipale et promet d'assurer le payement de deux quartiers
de rente. — Le prévôt des marchands, Hector de Pereuse, est conduit A
la Bastille (15 mai 1588). — Catherine proteste; réponse du duc de
Guise. — Convocation d'une grande âssbvbléb a l'Hôtbl de Villb, lb
18 MAI. — Sa composition irrégulière. — Rôle du duc de Guise. — Vote
TABLE DES MATIÈRES 591
à haute voix; violation des règles traditionnelles pour les élections
municipales. — M. de Marchaumont est nommé prévôt des marchands.
— Nicolas Rolland, Jehan de Compaos, François Costeblanche et Robert
Desprès sont élus échevins; François Brigard, procureur du roi près
THÔtel de Ville. — Marchaumont refuse d'accepter les fonctions de
prévôt des marchands. — Assbmblée nouvelle le 20 mai. — Le duc de
Guise y assiste. — Déclaration au nom du cardinal de Bourbon. — La
Chapelle- Marteau, kommé Prévôt des marchands par acclamation. — Scru-
pules des échevins. — Guise reçoit les serments des nouveaux élus et
remet les sceaux de la Ville à La Chapelle-Marteau. — Destitution des
colonels et capitaines de la milice nommés en 1585 par le roi. — La
Sorbonne et TUniveraité épurées par la Ligue. — Correspondance entre
le duc de Guise et le roi. — Lettres du duc à ses amis. — Lettre adressée
par la municipalité parisienne au roi le 22 mai. — Autre lettre du 23.
— Lettre de l'Hôtel de Ville de Paris aux villes catholiques. — Circu-
laire du 28 mai. — Lettre du 30 mai aux municipalités de Reims, Châ-
lons, Montdidier, Amiens. — Prétention de la Ville de Paris de diriger
toute la France. — Devise de la Ligue parisienne. — Attitude de
Henri HL — Sa circulaire du 17 mai aux gouverneurs des provinces. —
Le 29 mai, le roi répond à la requête des princes ligués et de la muni-
cipalité parisienne. — Annonce de la convocation des États généraux
pour le 15 août suivant. — Demi-engagement d'abandonner d'Épernon
et la Valette. — Fier langage de d*Épernon : sa Bemontrance au rai. —
VexceUent et libre discours sur Vétat présent de ta France, par Michel
Huranlt dn Fay. — Guerre de plume contre les princes lorrains. —
Toute-puissance du duc de Guise à Paris. — La procession de frère
Auge se rend de Paris à Chartres. — Rôle du président de Nenilly. —
Députation du Parlement envoyée à Chartres par Guise et Catherine
(16 mai). — Discours des délégués, réponse du roi. — Menaces aux Pari-
siens. — Ordonnance de convocation des États généraux à Blois pour
le 15 septembre (31 mai). — Autres députations reçues par Henri III ; sa
sortie contre le président de Neuilly. — Disgrâce de d*Êpernon; envoi
de commissaires royaux dans les provinces. -^ Révocation de trente-
sept édits bursaux (27 mai). — Activité de la Lioue. — Son rayonne-
ment dans les provinces. — Guise laisse à Paris le cardinal de Bourbon
et se rend à Meaux et à Chftteau-Thierry. — Melun résiste aux ligueurs.
— Évacuation de Gorbeil. — Le cardinal de Guise se rend maître de
Troyes (11 juin). — Organisation de la Ligue dans la capitale par les
princes et la municipalité parisienne. — Mandement du Bureau de la
Ville en date dn 1«' juin pour visiter tout ce qui sort de Paris. — Actes
de violence, désordres à Paris. — L'ancien prévôt des marchands, Hector
de Pereuse, mis en liberté par le duc de Guise, est ramené par le peuple
à la Bastille (4 juin). — Les étrangers menacés par la soldatesque de la
Ligue. — Les filles de Jacques Foucaud brûlées en place de Grève pour
hérésie (28 juin]. — Le sieur Guitel brûlé pour mêmes causes et dans les
mêmes formes (16 juillet). — Recrudescence des passions religieuses. —
Désordres dans la banlieue. — Mandement de THÔtel de Ville on date
du 27 juin. — Mandement du Bureau en date du 20 juin. — Réorgani-
sation DE LA MiucB PARISIENNE. — Remplacement des anciens officiers par
des ligueurs avérés. — Opérations électorales; candidatures officielles;
la commission d'épuration à THÔtel de Ville. — Assemblée de Ville du
25 juin. — Exclusion des gens de robe; leur remplacement par « les
petits mercadans ». — Résistance des bourgeois sur plusieurs points. —
L'incident de la porte Saint-Germain (5 juillet). -— Intervention du duc
de Guise. — Ordonnance municipale du 28 juillet sur les nouveaux
£92 TABLB DES MATIÈRES
officiers. — ËlecttoDs de nouveaux quarli niera. -^ Ck>niëdie jouée par
la nouvelle municipalité ligueuse le 15 juillet 1588. — Catherine con-
firme Tèlection et reçoit le serment des ligueurs de THôtel de Ville. —
Ils envoient une députation au roi (28 juillet). — Catherine insiste pour
que le roi revienne à Paris. — Kefus catégorique de Henri III. — Rila-
nOIlS DE LA MUNICIPALITé PARISIBNNB AVEC LBS VILLBS Ji% PROVIRGC — Lc COU-
seil d'État du duc de Guise. — Lettre du 9 juin au maire d'Orléans. —
Lettre au maire de Dijon. — Définition de TUnion. — Lettres à Man-
delot, gouverneur de Lyon, et au maire de cette Tille (23 juin). — Lettres
du 10 et du 24 juin au maire de Bourges. -* Lettre du 10 juin au maire
royaliste de Melun. — Lettre du 15 juin au maire de Corbeil. — Corres-
pondance entre la municipalité de Parie et celle d'Angoulème, à propos
du duc d'Épernon. — Lâcheté du roi. — Conspiration pour perdre le
•duc. — Énergie et activité de d'Épernon. — Il triomphe de Pémeute et
adresse une plainte au roi. — Réponse misérable de Henri III. — Lettre
du 18 juin. — Envoi de M. de Saint-Luc à Angouléme. '- Coerbspon-
DANCE DE l'Hôtel de Vh^lb de Paris avec les princes ligués. — Lettres
du 17 juin au duc de Nevers. des 14 et 24 juin & M. de Villars. gouver-
neur du Havre. — Lettre du 10 juin au duc de Mayenne. — Lettre au
«ardinal de Guise pour le féliciter d'avoir pris Troyes. — Faiblesse du
noi. — Ses agents négocient avec Guise. — La Requête des princes catho-
liques (15 juin). — L'Hôtel de Ville s'y associe. — Articles supplémen-
taires présentés par la Ville de Paris (5 juillet). — Réponse du lOi (5 juillet).
— Sa capitulation devant la Ligne. ~ L*Édit d'Union (29 juillet). —
Amnistie générale donnée aux ligueurs. — Les articles secrets. — Con-
ventions relatives à la Ville de Paris. — Confirmation des pouvoirs de
la municipalité ligueuse et des officiers. — La Bastille rendue au roi. —
Abattement de Henri III. — Les Te Deum du 21 juillet à Paris et à
Rouen. — Froideur du peuple parisien. — Témoignages contradictoires
des historiens. — La municipalité parisienne, puis les princes se ren-
dent à Chartres pour chercher Henri lU (30 juillet 1588). — Le roi
maintient son refus. — Lettres patentes du 4 août conférant au duc de
Guise le commandement général des armées. — Faveurs accordées aux
autres chefs de la Ligue. — Philippe II blâme l'Édit d'Union et avertit
<juise d'être sur ses gardes. — Le désastre de VArmada (août-
septembre 1588). Il rapproche l'Espagne et les Guises. — Audace crois-
sante des ligueurs parisiens. ~ Journée du 30 août. — Envahissement
du Parlement. — La requête des catholiques unis contre le comte de
Soissons. — Faiblesse du Parlement. — La municipalité parisienne
refuse de rendre la Bastille au roi. — Henri III saisit les deniers des-
tinés au payement des rentes sur la Ville. — Lettres du 5 août. — Lettre
•du 6 août pour hâter le recouvrement des taxes et cotisations levées
sur les Parisiens. — Insistance de l'Hôtel de Ville pour obtenir du roi
qu'il revienne à Paris. — Lettre à la reine mère. — Lettre au roi
(12 août). — Jean-Baptiste de Champion envoyé à la cour comme agent
secret de la Ville. — Brevet du 17 août pour débarrasser la banlieue de
Paris des gens de guerre. — Lettres royales du 17 août confirmant les
pouvoirs de M. de Villequier, gouverneur de Paris. — La Ville n'en tient
aucun compte. — Mesures de police prises par le Bureau de la Ville. —
Mandement du 9 septembre. — Amendes infligées aux miliciens en
faute. — Démission du concierge de la Ville Nicolas Quetin. — Propa-
gande des ligueurs parisiens. ^ Lettres adressées par eux â plusieurs
villes et gouverneurs. — Émissaires envoyés au maréchal de Montmo-
rency et en Suisse. — Lettre du duc de Nevers au roi contre le duc de
•Guise. — Hésitations de Henri III. — Intervention de Catherine. -~ Le
TABLE DES. MATIÈRES 593
roi quitte Chartres et arrive à Blois, où il a convoqué les États généraux
(iw septembre 1 588) S59
CHAPITRE VI
PARia A BLOIS
LES ÉTATS GÉNÂRAUX
(Depuis le 1" sep. 1588 jusqu'au 15 janvier 1589 )
Assemblées du 13 août 1588 pour nommer les députés de la prévôté de
Paris aux États généraux de Blois. — Formes des élbctiors. — Conflits
entre le prévôt de Paris et le prévôt des marchands. — Composition du
corps électoral parisien. — Mode de dépôt des doléances. — Rédaction
dû cahier général. — Opérations électorales du 3 septembre. — Assem-
blée générale du 28 septembre tenue à l'Hôtel de Ville pour la lecture
des cahiers de doléances. — Requête de la ville de Paris contre le comte
de Soissons. — Nomenclature des députés de la Ville, prévôté et vicomte
de Paris, pour les trois ordres. — ARRivéE des députés de Paris a Blois
(14 sept.). Première réunion du tiers état. — Le prévôt des marchands,
La Chapelle- Marteau, la préside. - Jean de Compans, échevin de Paris,
cède son rang de deuxième député de la Ville de Paris au président de
Neuilly, ancien prévôt des marchands. — Retards suscités par la cour
pour la nomination du bureau du tiers. — Protestation des députés
parisiens, à l'occasion de l'arrivée du comte de Soissons. — Réponse
ironique du roi. — Henri III se décide & autoriser la nomination du
Bureau. — Résolution du 27 septembre contre un édit royal créant de
nouveaux impôts et de nouveaux bailliages. — Députation du 30. — Sa
réduction forcée. — Colère du roi. — Constitution du bureau du tiers,
le 3 octobre. — La Cbapells-Martbau élu président. — Son discours. —
Querelle de préséance entre l'échevin Jean Compans, député de Paris,
et M. de Masparault, délégué spécial de la Ville. — Vérification des pou-
voirs. — Critique des privilèges de la Ville de Paris par Robert Han-
nivel, député de Rouen. — Contestation pour la préséance entre les
députés de Bourgogne et ceux de l'Ile-de-France. — La question de la
gabelle. — La Chapelle-Marteau et Compans demandent au roi d'auto-
riser la Ville de Paris à prendre A son compte la ferme du sel. —
Lettre des députés parisiens lue à THôtel de Ville de Paris le 13 octo-
bre 1588. — Nicolas Auroux, député de Paris, vient prendre Tavis de la
municipalité. — Opposition des États A Tadjudication de la gabelle. —
Irritation du roi. invité à jurer de nouveau l'Édit d'Union. — Ouverture
solbnnrllb des Etats généraux (16 octobre). — Henri III et le duc de
Gui?e. — Énergie du discours royal. — Discours prononcés an nom des
trois ordres. — Harangue de La Chapelle- Marteau, au nom du tiers
état. — Humiliation imposée au roi. — Il jure de nouveau TËdil
d'Union (18 octobre). — Sa lettre à la Ville de Paris pour ordonner un
Te Deum. — xMission de Pierre Senault. — Réponse de la Ville de Paris
au roi (23 octobre). — Rédaction des doléances des États généraux. —
Ouverture du cahier de Paris. — Le tiers raye l'article de ce cahier
contre le comte de Soissons. — Le président de Neuilly signale au roi
les lacunes de la comptabilité publique. — Requête du 23 novembre sur
la réduction des tailles. — La reine mère mande La Chapelle-Marteau et
le président de Neuilly. — Les trois ordres se rendent au château. —
Discours de Tarchevèque de Bourges. — Discours de La Chapelle-Mar-
teau. — Le roi négocie avec La Chapelle-Marteau et Neuilly (26 nov.). —
ROBIQUBT. d8
894 Table des matières
Concessions apparentes. — Refus de diminuer les tailles. — Interven-
tion du duc de Guise. — Souper du 28 novembre chez le prévdt des
marchands. — Résistance des députés. — Prédiction de La Chapelle*
Marteau. — Détresse du roi. — Remontrances du 2 décembre. — Cas-
connade de Henri III. — Sermon violent du théologal de Senlis : ses
conséquences. — Séance du 5 décembre : dures paroles de M. de Neuilly
aux trésoriers de France. — Audience royale du 9 ; le roi promet de
prendre pour modèle la constitution démocratique de Venise. — Atten-
drissement de Neuilly. — La Chapelle-Marteau propose d'offrir au roi
120,000 écusy avancés par les députés. — Le tiers vote cette proposition;
elle n'a pas de suite. — Le prévôt des marchands réclame Tépuration
du conseil du roi et la constitution d'une chambre de justice. — Henri III
acculé ; son état pathologique. — La duchesse de Montpensier et la
duchesse de Guise retournent à Paris. — Le duc de Mayenne prévient
le roi de se défier du duc de Guise. — Avis analogue de la duchesse
d'Aumale. — Intervention du maréchal d'Âumont. — Entrevue du
22 décembre entre le roi et le duc de Guise. — Conseils secrets du 18 et
du 19. — La mort du duc est décidée. — Quiétude des États. — La
journée du 23 décembre. — Assassinat dc duc de Guisb. — La séance du
tiers état. — Envahissement de la Chambre du tiers. — Arrestation par
le grand prévôt, Richelieu, des députés parisiens. — Consternation du
tiers. — Les députés parisiens conduits au château. — Les Quarante-
cinq et la cour. — Attitude de La Chapelle- Marteau. — Pérégrinations
des prisonniers. — Menaces de mort. — L'échevin Costeblanche vient
les rejoindre. — Us apprennent le meurtre du cardinal de Guise. — La
Chapelle-Marteau, séparé de ses collègues. ~ Émotions des députés du
tiers restés libres. — Défense leur est faite de quitter Blois. — Séance
du 24 décembre. — Le roi ordonue de déposer les cahiers avant le
8 janvier. — Vaines tentatives pour obtenir la délivrance des députés
parisiens. — Le tiers refuse d'insérer au cahier général des articles sur
le crime de lèse-majesté et de traiter avec le Conseil du roi « sur le fait
des finances ». — Il réclame de nouveau la mise en liberté des captifs. —
Présentation du cahier général (8 janvier 1589). — Discours des trois
ordres. — Pâle harangue de Brissac. — Énergique allocution de Bernard,
au nom du tiers. — Appel à la clémence du roi. — Réponse embarrassée
de Henri III. — Lit de justice du 15 janvier. — Clôture des États géné-
raux. — Dernière réunion du tiers (IT janvier). — Délégation nommée
pour demander la liberté des prisonniers et requérir la taxe des
députés. — Réponse évasive du roi. — Les adieux. — Mort de Catherine
(5 janvier). — Jugement d'ensemble. -^ L'armée du duc de Nevers se
dissouL — Le roi de Blois et ses otages. — Il renvoie â Paris les éche-
vins Compans et Costeblanche 426
CHAPITRE VII
PARIS RÉOICIDE
Depuis l'assassinat des Guises jusqu'à l'assassinat du roi.
(23 décembre 158S — 2 août 1589.)
Paris apprend l'assassinat du duc de Guise (24 déc. 1588). — Organisation
de la révolte. — Inertie des politiques. — La municipalité ligueuse
adresse une circulaire aux villes de TUnion. — Lettre au duc de Lorraine
(24 décembre, minuit). — Journée du 25 décembre. — Déclamations des
prédicateurs. — Séance à l'Hôtel de Ville. — Le premier président de
Harlay et le président Augnslin de Thou en péril de mort. — Discours dc
TAfiLË DES MATIÈRES 595
réchevin Jean Rolland. — Le duc d'Aumale est nommé gouverneur de
Paris. — Drouart, Crucé, de Bordeaux, désignes par une assemblée
générale, le 5 janvier 1589, pour tenir la place du prévôt des marchands
La Chapelle-Marteau et des échevins Compans et Costeblanche, prison-
niers du roi. — Fusion de l'Hôtel de Ville et des anro rites insurrection-
nelles. — La tour de Babel. — Conseil GinÉRAL de l'Union des catholi-
ques. — Il envoie au duc de Mayenne le titre de lieutenant général de
rÉtat et couronne de France. — Adjonction de quatre ou six conseillers
de Ville, chaque semaine, au bureau des échevins. — Constitution d'un
comité de neuf membres dans chacun des seize quartiers. — Résumé
de Torganisation de la Ligne à Paris. — La guerre aux bourses. — Négo-
ciations pour la délivrance du prévôt des marchands et des deux éche-
vins prisonniers. — Henri III élargit les échevins Compans et Coste-
blanche. — Édit d'amnistie rapporté par Le Maislre. — Activité de la
Ligue. — Le clergâ révolutionnaire; les prédicateurs Pigenat, Guin-
cestre ; affaire de la cure de Saint-Gervais. — Sermon du 29 décembre;
ses effets. — Sermon du i^^ janvier 1589. — Le serment du président de
Harlay. — Catherine de Médicis jugée par Guincestre. — Henri III
accusé de sorcellerie. — Décret de la Sorbonne du 7 janvier 1589. —
Paris envoie une députation au pape pour lui porter le décret de la
Sorbonne. — Envahissement du palais par Bussy Le Clerc (16 janvier). —
Le Parlement conduit à la Bastille. — Le président Brisson. — Recon-
stitution du Parlement par la Ligue. — Arrêt d'Union du 19 janvier. —
Les échevins Compans et Costeblanche autorisés par arrêt du 20 janvier
à ne point retourner à Blois. — Serment prêté, le 30 janvier, par les ma-
gistrats et les avocats. — Catherine de Clèves, duchesse de Guise, vient
demander au Parlement d'inTormer contre les assassins de Blois. —
Rupture ouverte avec le roi (26 janvier). — Édit du duc d'Aumale
(19 janvier) portant réduction d'un quart de la taille. — Arrêt du Parle-
ment en date du 4 février ordonnant à toutes les villes de jurer le ser-
ment d'Union. — Correspondance de la Ville de Paris avec les autres
municipalités. — Secours envoyés aux Orléanais. — Expédition du che-
valier d'Aumale. — Prise d'Orléans par les ligueurs. — Situation maté-
rielle et morale de Paris. — Lettre de la Ville de Paris au duc de
Mayenne pour l'appeler dans la capitale. — Les processions d'enfants.
— Procession des capitaines de la milice (16 fév. 1589). — Galanteries
mystiques. — Le chevalier d'Aumale. — Service solennel à Notre-
Dame pour les Guises (30 janvier). — Baptême du fils posthme du
duc de Guise. — Entrée de Mayenne a Paris, le 12 février 1589. —
Assemblée générale du 15. — Reconstitution du Conseil général de
l'Union par Mayenne. — Ordonnance du 17 février portant établisse-
ment définitif du Conseil. — Les supemumér aires. — Mayenne se rend
à Rouen avec un délégué de Paris (21 fév.). — Le Conseil général de
l'Union le nomme lieutenant général de l'État royal et couronne de
France (4 mars 1589). — Serment de Mayenne devant le Parlement. —
Distractions de la Sainte-Veuve, — Règlement pour diriger les villes de
ru b ion (avril). — Convocation des États généraux pour le 15 juillet. —
Rétablissement du Grand Conseil. — Correspondance entre la Ville de
Paris et les grands seigneurs catholiques. — Lettre au duc de Nevers.
— Advertissement rédigé par le duc. — La Chapelle-Marteau et les otages
du château d'Amboise. — Conduite singulière de Loignac et de Du
Gaast. — Henri III rachète à Du Guast et ramène à Blois le cardinal de
Bourbon, le prince de Joinville et le duc d'Elbœuf. — Le prévôt des
marchands et les autres prisonniers restent à Amboise. — Paris vote
20,0000 livres pour le rachat des prisonniers d'Amboise. — Leur mise
£96 TABLE DES MATIÈRES
en liberté. — Déclarations du roi contre Mayenne et les villes de TUnion.
— Translation à Tours du Parlement et de la Chambre des comptes. —
Résumé de la situation en province. — Félicitations adressées par U
Ville de Paris aux capitouls de Toulouse après lassassinat du prési-
dent Duranti (lettre du 27 février 1589). — Autre lettre où se trouve
exposée Forgantsation générale du parti. — Sigillum regni Francix. —
Manifeste du roi de Navarre (14 mar») aux trois États du royaume. —
Alliance de Henri III avec le Béarnais (3 avril). — Effet qu'elle produit à
Paris. — Appel au fanatisme des prédicateurs. — Détails sur les plus
marquants : Guillaume Rose, Guincestre, Mathieu de LAunay, Jean Boa-
cher, Feu-Ardent. — Mayenne sollicite Tappui du pape Sixte V (7 avril).
— Il marche sur Tours. — Entrevue de Plessis-Ies-Tours entre Henri III
et Henri de Navarre (30 avril). — Fureur des Parisiens. — Excès du
chevalier d*Aumale et exploits des contingents parisiens. — La fête des
Barricades (12 mai). — Le siège du château de Vtncennes. — Expédi-
tion des Parisiens contre Senlis. — Bataille du 17 mai. -> Défaite et
retraite précipitée des Parisiens. — M. de Givry canon ne la Villette. —
Panique dans Paris. — Manifeste de THÔtel de Ville. — Messager envoyé
à Mayenne. — Dépêches saisies par le roi de Navarre. - Gasconnade.
— Les deux rois sur la Loire ; les contingents suisses de Sancy. —
Paris se met en défense. — Mayenne arrive à Saint-Denis (30 mai).
Pointe dans la Brie; prise de Monlereau par Mayenne. — Approvision-
nements de la capitale. — Blocus de Paris. — Les suspects. — Les
moines iconoclastes. — Mayenne rentre à Paris. — Prise de Pontoise
par les deux rois (26 juillet). — Découragement de la Ville de Paris. —
Lettre à ceux d'Amiens (10 juillet). — Trois cents notables emprisonnés.
— Prise du pont de Saint-Cloud (30 juillet). — Confiance et prouesses
des huguenots. — Théories régicides des prédicateurs parisiens. — Jac-
ques Clément. — Conférences avec La Chapelle-Marteau et Mayenne. —
Arrestation du moine. — Le procureur général La Guesle lui donne
l'hospitalité et le conduit au roi. — Scène du meurtre (31 juillet 1589).
— Précautions du roi de Navarre. — Arrestations des politiques. —
Derniers moments du roi. — Le pape approuve le meurtre. — Circu-
laire du conseil de l'Union. — Apologie de Jacques Clément par Guin-
cestre. — Délire des Parisiens. — Lettre de la Ville au pape (7 août). —
Édit du 5 août. — Causes et nature de la révolution ligueuse. — Juob-
MBNT D'eNSEXBLB 481
FIN DE LA TABLE DES MATIEBES.
r
ERRATA
Page 20, ligae 25. Au lien de : meilleures, lire : mielleuses.
— 60, — 12. — nommez — sommez.
— 87,-13. — excuser — excusez,
— 210, note, ligne 16. Aa lieu de : Monseigneur, lire : Monseigneur.
— 213, ligne 17. Au lieu de : ne peust, lire : en peust,
— 296, — 3. — 4788 — 4588.
— 375, note, ligne 28. Au lieu de : Donnez, lire : Donnet\
— 422, — 1,-26. — : tojours, lire : toujours.
— 537, — 1. Au lieu de : page 513, lire : 485.
— 541, ligne 20. — : de Barricades, lire : des Barricades.
Coolommiers. — Imp. P. BRODARD et GALLOIS.
À
I
GOULOMMIERS. — TYP. P. BRODARD ET tiALLOIS.