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Full text of "Paris et la Ligue sous le Règne de Henri III : étude d'histoire municipale et politique"

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PARIS  ET  LA  LIGUE 


DU   MÊME  AUTEUR 


Droit  oonstituttoimél  comparé.  —  La  GonsUtatlon  française  de  1876. 
étudiée  dans  ses  rapports  avec  les  constitutions  étrangères  (en  collabo- 
ration avec  M.  Alphonse  Baid).  —  1  vol.  in-8»,  1876.  —  Paris,  Erkest 
Thoun,  éditeur;  400  pages. 

Deuxième  édition.  —  Paris,  1878.  —  1  vol.  in-i2  de  500  pages. 

La  loi  da  19  mai  1874.  —  Étude  sur  la  législation  protectrice  de  l'enfance 
ouvrière  en  France  et  à  l'étranger.  —  Paris,  Ernest  Thohih,  1877.  — 
Brochure  in-8*  de  32  pages. 

Deux  queetione  de  droit  sur  la  déportation.  —  Broch.  in-8*.  Paris,  Ernest 
Thorin,  1878. 

Les  deux  couronnes  de  Henri  m.  —  (Revue  de  France,  du  15  mars  1880.) 

De  l'organisation  municipale  de  Paris  sous  l'ancien  régime.  —  Paris. 
Berobr-Levrault,  1881.  —  Broch.  in-8«  de  33  pages. 

Histoire  municipale  de  Paris.  —  Depuis  les  origines  jusqu'à  l'avènement 
de  Henri  III.  ^  Paris,  RsntWALD,  1880.  ^  1  vol.  in-8«  de  676  pages. 

Théyeneau  de  Korande.  —  Étude  sur  le  xvmc  siècle.  —  Paris,  Quantia, 
1882.  —  1  vol.  in-12  de  320  pages.  —  1  portrait  et  5  planches  hors  texte. 

(Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  50  exemplaires  numérotés  sur  papier 
de  Chine.) 

Étude  SOT  la  revision  constitutionnelle  (loi  du  14  août  1884]  et  sur  la  Loi 
électorale  du  Sénat  (loi  du  9  décembre  1884).  —  Paris,  Emest  Thorin, 
1885.  Brochure  in-8*  de  36  pages. 


Coalomniien.  —  Imp.  r.  Uiodiku  et  Gallois 


PARIS  ET  LA  LIGUÉ 


sous  LE  RÉGNE  DE  HENRI  III 


ÉTUDE  D'HISTOIRE  MUNiaPALE  ET  POLITIQUE 


PAR 


PAUL  ROBIQUET 


AVOCAT  AU  CONSEIL  o'ÉTAT   ET  A  LA  COUR   DE  CASSATIO.f 

DOCTEUR  È8   LETTRES 


PARIS 

LIBRAIRIE  HACHETTE  ET   G» 

79,    BOULEVARD    SAINT-GEBllAIN,    79 

1886 


INTRODUCTION 


Les  origines  de  la  municipalité  parisienne  ont  fait  Tobjet 
de  longues  controverses.  Des  annalistes  des  xv^,  xvi°  et 
%\if  siècles,  Nicole  Gilles  dans  ses  Annales  de  France^ 
Robert  Gaguin,  Gilles  Corrozet,  Jean  du  Tillet,  René  Cho- 
pin ont  soutenu  que  la  transformation  de  la  ha?ise  pari- 
sienne en  corps  municipal  était  due  à  Philippe-Auguste. 
Delamare,  dans  son  Traité  de  la  police  *,  poussant  cette 
opinion  à  Textrême,  va  même  jusqu'à  écrire  qu'avant  le 
règne  de  Louis  YII  le  Jeune  «  les  Parisiens  renfermés  chez 
eux,  pour  ainsi  dire,  et  pourvus  de  la  plus  grande  partie 
des  choses  nécessaires  à  la  vie,  se  passoient  de  navigation 
et  de  commerce  de  long  cours  ».  Ce  serait  seulement  en 
1170,  d'après  cet  érudit,  qu'une  association  de  citoyens 
riches  se  forma  pour  l'exploitation  du  commerce  par  eau, 
et  que  le  roi  sanctionna  par  lettres  patentes  la  création  de 
cette  compagnie  et  l'établissement  d'un  port  à  Paris.  Phi- 
lippe-Auguste, en  1 181 ,  deuxième  année  de  son  règne,  aurait 
accordé  à  la  Hanse  parisienne  ses  premiers  privilèges,  en 
obligeant  les  étrangers  qui  remontaient  la  rivière  à  se  faire 
accompagner  d'un  Français  pendant  la  durée  de  leur  séjour 
à  Paris,  et  à  payer  certains  droits  dont  la  moitié  appartenait 
à  la  confrérie  des  marchands  de  l'eau  et  l'autre  au  souve- 
rain. Le  Roy,  contrôleur  des  rentes  de  l'Hôtel  de  Ville, 


1.  T.  II,  in-K  1723;  liv.  V,  t.  I,  chap.  ii,  p.  631. 


VI  liNTRODUCTlON 

dans  sa  grande  dissertation  sur  YOrigine  de  l'Hostel  de 
Ville  de  Paris  S  a  réfuté  ce  système  et  tenté  de  rattacher  la 
confrérie  des  marchands  de  Teau  au  corps  des  naùtœ  pari- 
siaci^  dont  une  inscription,  découverte  en  1710  sous  le 
chœur  de  Notre-Dame  de  Paris,  démontre  invinciblement 
l'existence  dès  le  règne  de  Tibère  *.  Mais  de  ce  que  les 
Romains  accordaient  à  la  confrérie  des  bateliers  parisiens 
des  privilèges  analogues  à  ceux  qu'obtenaient  aussi  les 
bateliers  du  Rhône  et  de  la  Saône,  de  la  Durance  et  de  la 
Loire  ^  de  ce  qu'ils  avaient  des  chefs  ou  curateurs^  il  ne 
s'ensuit  pas  nécessairement  que  ces  chefs  aient  été,  dès 
l'époque  de  la  domination  romaine,  de  véritables  magis- 
trats municipaux.  Le  Roy  use  aussi,  pour  un  érudit  très 
estimable,  d'une  méthode  fort  hypothétique  quand  il  se 
fonde  sur  l'analogie  des  fonctions  du  défenseur  de  cité, 
telles  qu'elles  sont  déterminées  par  la  loi  romaine,  avec  celles 
des  magistrats  municipaux  et  des  édiles,  pour  en  conclure 
que  l'institution  des  défenseurs  a  existé  à  Paris  ;  et  c'est  avec 
la  même  insuffisance  de  preuves  que  cet  écrivain  affirme 
que  les  nautes  parisiens  ont  dû  être  désignés  exclusive- 

1.  En  tête  de  VHistoire  de  la  ville  de  Paris  de  Félibik!«  et  Lobineau  (Parie, 
i725).  Il  existe  un  tirage  à  part  de  cette  dissertation  (Paris,  Desprez,  172-3, 
in-f«). 

2.  Voici  le  texte  de  cette  inscription  : 

TiB.   CiESARB 

Auo.  Jovi.  Optumo 

MAX803iO...   M. 

Naut^  Parisiaq 
pubuck  posubbunt. 

Leroux  de  Lincy,  p.  104,  donne  la  liste  de  tous  le&  mémoires  auxquels 
cette  curieuse  inscription  a  donné  Heu. 

3.  Constantin  et  Julien  accordèrent  la  dignité  de  chevalier  à  tous  ceux 
qui  exerçaient  le  commerce  par  eau  ;  Gratien,  Valentinien  et  Théodose 
leur  confirmèrent  ce  privilège.  Delatam  vobis  a  Divo  Constantino  et  Juliano^ 
principibus  xterniSy  equestris  w^inis  dignitatem  nos  firmamus.  (Code  Théod., 
liv.  XVI.)  Une  inscription  accorde  au  corps  des  Nantes  du  Rhône  et  de  la 
Saône  Tépithète  de  splendidissimum.  Sur  les  privilèges  de  ces  corporations, 
voy.  la  diss.  de  Lb  Roy,  p.  xxxj.  —  Elles  avaient  un  fonds  commun  inalié- 
nable, destiné  à  soutenir  l'éclat  de  l'association.  (C.  Tii6od.,  liv.  XUI,  t.  V.) 


INTRODUCTION  VII 

ment  pour  remplir  les  fonctions  de  défenseurs  parce  que 
le  Code  Théodosien  prescrivait  de  choisir  les  défenseurs 
entre  leiâ  habitants  notables  de  la  cité  *.  On  s'épuiserait 
vainement  à  élucider  encore  la  question  de  savoir  si  la 
confrérie  des  nautes  parisiens  a  disparu  ou  non  lors  de  la 
conquête  de  la  Gaule  par  les  Francs,  bien  que  de  nom- 
breux documents  attestent  la  permanence  de  la  navigation 
marchande  sur  la  Seine  \ 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  n'est  pas  avant  le  xn®  siècle  qu'on 
voit  apparaître  ou  plutôt  reparaître,  avec  une  constitution 
certaine,  une  association  de  navigateurs  parisiens  ayant 
pour  objet  l'exploitation  du  commerce  par  la  Seine.  Le  pre- 
mier document  authentique  qui  mette  en  lumière  la  résur- 
rection de  la  confrérie  parisienne  est  daté  de  H21.  C'est 
une  charte  par  laquelle  Louis  VI,  dit  le  Gros,  cède  aux  mar- 
chands {mercatoribus)  de  Paris  un  droit  de  soixante  sous 
d'or,  levé  par  le  roi,  au  moment  des  vendanges,  sur  chaque 
bateau  chargé  de  vin  qui  arrivait  dans  la  capitale  ^.  On 
pourrait  citer  un  grand  nombre  d'autres  chartes,  émanant 
des  successeurs  de  Louis  VI  et  qui  ont  toutes  pour  objet 
d'augmenter  les  privilèges  de  la  confrérie  des  marchands 
de  l'eau  de  Paris.  Louis  VII,  en  1141,  leur  donne  la  place 
du  Vieux-Marché  qu'on  appelait  la  Grève,  pour  y  établir 
un  port  ^;  puis,  en  1170,  le  même  prince  confirme  les  pri- 
vilèges des  marchands  de  l'eau  dans  une  charte  précieuse 
pour  l'histoire,  car  elle  donne  force  de  loi  à  des  usages  très 
peu  favorables  à  la  liberté  du  commerce  et  que  ce  docu- 

1.  Inler  municipes  et  hoTioratos  sibi  eligant  defensorem,  (Gode  Théod.,  liv.  I, 
t.  V,  nov,  maj.) 

2.  Voy.  sur  ce  point  :  Les  origines  de  la  munic^lité  parisienne,  par  Fré- 
Dftmc  Lbcaiok,  ArcbiY.  paléogr.,  t.  VU  des  Mém.  de  la  Soc.  de  l'Histoire  de 
Paris  et  de  rile-de-France  (p.  79  à  174). 

3.  On  en  trouTe  le  texte  à  la  suite  delà  dissert,  de  Lb  Roy,  Pièces  justif., 
et  Arch,  nat.,  carton  K.  Soixante  sous  d'or  équivalent  à  75  francs  de  notre 
monnaie.  —  Voy.  Gdéraro,  Prolégomènes  du  cartulaire  de  Saint-Père  de 
Chartres. 

4.  Lb  Roy,  DisseH.,  Preuves,  p.  xcv. 


VIII  INTRODUCTION 

ment  consacre  en  les  qualifiant  d'anciens...  Consueiudines 
eorum  taies  sunt  ab  antiquo  \  Ces  privilèges  n'allaient 
à  rien  moins  qu'à  concéder  le  monopole  du  commerce 
entre  le  pont  de  Mantes  et  ceux  de  Paris  à  la  confrérie 
parisienne.  Il  était  interdit  d'amener  ou  de  remmener  par 
eau  aucunes  marchandises,  sans  être  soi-même  Parisiensis 
eiquœ  mercator  ou  associé  à  un  marchand  de  l'eau  pari- 
sien. Quiconque  enfreignait  ces  prohibitions  était  puni 
par  la  confiscation  de  ses  marchandises,  dont  la  valeur 
était  partagée  entre  le  roi  et  la  compagnie  privilégiée. 
Seuls,  les  marchands  de  Rouen  conservaient  le  droit 
d'amener  des  bateaux  vides  jusqu'au  Pecq  et  de  les  rem- 
mener avec  un  chargement  '.  De  plus,  la  confrérie  pari- 
sienne recevait  du  prince  une  juridiction  spéciale  sur 
les  agents  qu'elle  employait,  et  pouvait  ainsi  se  soustraire 
aux  abus  de  pouvoir  des  seigneurs  laïques  ou  ecclé- 
siastiques dont  les  domaines  étaient  traversés  ou  côtoyés 
par  la  Seine. 

Philippe- Auguste  ne  fit  que  développer  les  privilèges  et 
rimportance  de  la  confrérie  des  marchands  de  l'eau  pari- 
siens. Tantôt  il  force  le  comte  d'Auxerre  à  leur  faire  des 
excuses  et  à  reconnaître  dans  un  acte  solennel  qu'il  a  outre- 
passé son  droit  en  défendant  aux  bourgeois  de  Paris  de 
décharger  leur  sel  sur  le  port  d'Auxerre  ^  ;  tantôt  il  réserve 
aux  seuls  bourgeois  de  Paris  le  droit  de  décharger  à  terre 

1.  Lb  Roy,  DisserL,  Preuves,  p.  xcvj,  et  Ord,  des  rois  de  France^  U  11, 
p.  432.  Il  faut  toutefois  remarquer  que  le  début  de  la  charte  de  1170  parait 
fixer  au  temps  de  Louis  VI  le  point  de  départ  des  privilèges  consacrés 
par  Louis  VU...  «  Cives  nostri  parisienses  qui  mercatores  sunt  per  aquam 
DOS  adierunt,  rogantes  ut  consueiudines  suas,  quas  tempore  patris  nostri 
Ludovici  régis  babuerant,  eis  concederemus  et  confirmaremus.  » 

2.  En  1258,  les  Rouennais  essayèrent  de  se  débarrasser  de  la  nécessité 
de  prendre  compagnie  française  pour  amener  à  Paris  certaines  marchan- 
dises comme  le  sel  et  la  saumure.  Mais  le  Parlement  repoussa  leur 
prétention...  Pt^obatum  est  quod  non^  dit  le  texte  de  Tarrét.  {Olim,  t.  I, 
p.  50.) 

3.  Le  Roy;  Diss.^  pièces,  p.  xcvij,  Arch,  nat,,  carton  R.  Les  lettres  du 
comte  d'Auxerre  sont  datées  de  Tannée  1200. 


INTRODUCTION  IX 

les  vins  amenés  par  eau  dans  la  capitale  S  ce  qui  rendait 
impossible  aux  étrangers  de  livrer  du  vin  à  la  consomma- 
tion  parisienne.  Une  autre  fois,  en  1213,  il  «autorise  les  mar- 
chands de  Teau  à  prélever  sur  chaque  bateau  venant  à 
Paris  un  droit  destiné  à  la  construction  d'un  port  '.  En 
1220,  il  leur  permet  de  nommer  et  de  révoquer  les  crieurs- 
jurés  qui  annonçaient  dans  les  rues  le  cours  des  marchan- 
dises; leur  concède  les  poids  et  mesures  pour  320  livres 
par  an,  en  attachant  à  cette  concession  le  droit  de  basse 
justice,  la  haute  justice  restant  réservée  au  roi  %  en  ce  qui 
concerne  les  vols,  blessures  et  meurtres.  Certains  auteurs 
ont  même  invoqué  les  dispositions  du  testament  rédigé 
par  le  même  prince  en  Tannée  1190,  lorsqu'il  partit  pour 
la  Terre-Sainte  avec  Richard  Cœur  de  Lion,  et  soutenu  que 
les  sex  homines  probos  et  légitimas,  chargés  à  Paris  par 
le  roi  de  servir  d'assesseurs  et  de  conseillers  aux  magis* 
trats  royaux  pour  l'administration  des  revenus  de  la  cou^ 
ronne,  furent  les  premiers  officiers  municipaux  de  la  capi- 
tale *.  Mais  ce  n'est  là  encore  qu'une  conjecture  dépourvue 
de  preuves. 

En  réalité,  il  faut  aller  jusqu'en  1258  pour  trouver  la 
trace  authentique  de  la  création  d'une  hiérarchie  munici- 
pale à  Paris,  et  constater  la  première  apparition  du  titre  de 
prévôt  des  marchands.  Elle  se  rencontre  dans  les  ordon- 
nances d'Etienne  Boileau,  plus  connues  sous  le  nom  de 
Livre  des  métiers  :  «  Nus  ne  puet  estre  mesureres  de  blé  ne 
de  nul  autre  manire  de  graim,  de  quelque  manière  que  ce 


1.  Ibid.,  et  Ord,,  t.  XI,  p.  269.  Les  êtrangera  ne  pouvaient  que  transporter 
le  vin  acheté  par. eux  du  bateau  dans  un  baquet,  et  ils  étaient  obligés  de 
le  conduire  hors  de  la  banlieue  de  Paris  sans  le  décharger  à  terre.  (Charte 
de  1192.) 

2.  Ibid,,  p.  SLVui. 

3.  Ibid,,  p.  xax.  Il  est  à  remarquer  que  cet  acte  de  1220  s'adresse  mer- 
catoribus  hansatis  aqus  parisius.  C'est  une  dénomination  nouvelle. 

4.  Yoy.  sur  ce  testament  ;  Rioord,  de  Gestis  PhiU-Aug,,  édit.  de  1596,. 
p.  187;  Dissert,  de  Lb  Roy,  p.  xmii.  —  Voy.  aussi  FiUB.,  t.  I,  p.  213. 


X  INTRODUCTION 

soit,  à  Paris,  se  il  n'a  le  congiet  du  prévost  des  marcheam 
et  des  jurés  de  la  confraene  *.  »  Cette  confrérie,  c'est  la 
confrérie  de  la  marchandise  de  Teau  ;  les  jurés  de  la  con- 
frérie, ce  sont  les  échevins,  car  les  ordonnances  d'Etienne 
Boileau  leur  donnent  indifféremment  ce  titre  avec  celui  de 
jurés  *;  enfin  le  prévôt  des  marchands,  c'est  le  premier  des 
bourgeois  hanses^  le  chef  de  la  hanse.  Le  plus  ancien  des 
Olim  aussi  bien  que  le  Livre  des  métiers^  qui  Tun  et  l'autre 
ont  été  rédigés  de  1258  à  1300,  substituent  souvent  à  la 
qualification  de  prévôt  des  marchands  celles  de  prévôt  de 
la  confrérie  aux  marchands,  prévôt  des  marchands  de 
reau,  et  une  fois  celle  de  maître  des  échevins  de  Paris  '. 
Ainsi,  par  le  cours  naturel  des  choses,  s'accomplit  la  fusion 
entre  le  gouvernement  de  la  Ville  de  Paris  et  le  gouverne- 
ment de  la  marchandise  de  l'eau,  entre  les  fonctions  de 
chef  de  la  confrérie  et  celles  de  chef  de  l'administration 
municipale,  de  telle  sorte  que  Le  Roy  *  a  pu  constater  avec 
raison  que  «  sous  cette  formule  simple  et  abrégée,  la  mar- 
chandise ou  la  marchandise  de  FeaUy  car  l'une  n'est  qu'une 
abréviation  de  l'autre,  on  entendait  précisément  alors  ce 
qu'on  a  toujours  entendu  par  celle-ci  :  la  prévosté  des 
marchands  et  l'eschevinage,  c'est-à-dire  le  gouvernement 
politique  ou  l'administration  populaire  de  la  ville,  et  tout 
ce  qu'enferme  aujourd'hui  l'expression  figurée  de  l'Hôtel 
de  Ville  ». 
C'est  en  1263  qu'un  document  présente  pour  la  première 


1.  Edit.  René  de  Lespinasse  et  François  Bonnardot,  dans  la  collection 
de  VHistoire  générale  de  Paris,  i879,  in-f«,  p.  18  :  Mesureurs  de  blé,  t.  IV. 
Au  t.  VI,  Ibid,^  p.  24,  le  texte  porte  :  t  Nul  ne  puet  estre  jaugeur  à  Paris 
se  il  ne  Ta  empêtré  du  prévost  et  des  jurés  de  la  conflartHe  des  marcheans 
de  Paris.  » 

2.  Nul  ne  puet  estre  crieur  à  Paris  se  il  n*en  a  empêtré  le  congé  au  pré- 
vost des  marcheans  et  as  eschevins  de  la  marchandise  (Liv.  des  met.,  t.  V). 
Crieurs  de  Paris  (Ibid.,  p.  21). 

3.  Reg.  des  0/iwi,  etc.,  1. 1,  p.  291,  Prepositi  mercatorum  aque,  etc.,  1. 1, 
p.  926;  —  magistrum  scabinorum  parlsiensium,  t.  II,  p.  93,  216,  607,  589. 

4.  Dissert,,  p.  xxix. 


INTRODUCTION  XI 

fois  les  cadres  fixes  et  définitifs  de  radminîstration  de  la 
confrérie  des  marchands  de  Teau  ou,  si  Ton  veut,  les  cadres 
de  la  municipalité  parisienne  :  un  prévôt  des  marchands 
et  quatre  assesseurs  nommés  échevins  K  Vers  la  même 
époque,  cette  administration  municipale  s'établit  dans  le 
quartier  Saint-Jacques,  à  la  hauteur  de  la  petite  rue  des 
Grès  et  non  loin  de  l'ancien  couvent  des  Jacobins.  Un 
registre  de  la  Chambre  des  comptes  qui  remonte  à  1266 
appelle  le  siège  de  la  municipalité  le  parloir  aux  bourgeois 
ou  confrérie  aux  bourgeois  *.  Au  commencement  du 
XII'  siècle,  la  marchandise  se  transporta  sur  l'autre  rive 
de  la  Seine,  à  l'abri  des  fortifications  du  Grand-Chàtelet, 
et  s'installa  entre  la  Grève  et  le  Petit-Pont.  Louis  VII 
ayant  concédé  aux  marchands  de  l'eau  la  place  de  Grève 
en  1141,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  ils  s'habi- 
tuèrent à  considérer  cet  emplacement  comme  leur  propriété 
et,  sous  la  prévôté  d'Etienne  Marcel,  en  1357,  firent  l'ac- 
quisition de  la  maison  aux  piliers^  qui,  après  avoir  fait 
partie  du  domaine  royal  depuis  1212,  puis  de  l'apanage 
des  dauphins,  avait  été  donnée  par  Charles  de  France, 
régent  du  royaume,  à  Jean  d'Auxerre,  receveur  des  gabel- 
les de  la  prévôté  de  Paris.  La  maison  aux  piliers  ^^  agran- 

1.  L'acte  dont  il  s'agit  est  une  transaction  entre  la  confrérie  de  Notre- 
Dame  d'une  part,  et,  d*autre  part,  la  confrérie  des  marchands  de  l'eau, 
représentée  par  Erreux  de  Valenciennes ,  prév6t  des  marchands,  Jean 
Barbette,  Henry  de  Navibus,  Nichoias  Flaraengus,  Adam  Bourdon,  éche- 
YÎns.  Celte  pièce  précieuse  a  été  extraite  par  Leroux  de  Lincy  d*un  car- 
tnlaire  contenant  les  donations  faites  à  la  confrérie  Notre-Dame.  (Voy.  Hùl. 
de  PHôtel  de  Ville,  p.  121,  et  vol.  XVII  des  Mém.  de  la  Soc.  des  antiquaires 
de  France.) 

2.  Sauval,  Ant.  de  la  V.  de  Paris,  t.  II,  p.  481,  donne  une  description  de 
ce  curieux  monument.  U  appartint  À  la  ville  et  fut  entretenu  à  ses  frais 
jusqu'au  milieu  du  xvu^  siècle.  Il  donna  lieu  à  des  contestations  fort  vives 
entre  la  Ville  et  les  Jacobins  en  l'année  1504.  (Voy.  Leroux  db  Lincy,  Hist. 
de  VHôtel  de  Ville,  liv.  I,  chap.  I,  et  la  livraison  d'Edouard  Fournier  dans 
Paris  à  travers  les  âges.) 

3.  Sadval,  Ibid.,  p.  482,  dit  qu'on  l'appelait  ainsi  a  parce  qu'elle  était 
portée  sur  une  suite  de  gros  piliers  tels  que  ceux  qui  se  voyent  encore  à 
la  Grève,  le  long  de  Thôpital  du  Saint-Esprit  et  du  bureau  des  Pauvres.  »  Il 
en  donne  une  description  détaillée. 


XII  INTRODUCTION 

die  dès  1359  par  Tacquisition  de  la  maison  de  Dimanche 
de  Châtilion,  qui  formait  Tangle  de  la  Grève,  du  côté  de 
l'église  Saint-Jean,  fut  la  véritable  maison  de  Ville  et 
abrita  les  magistrats  municipaux  jusqu'à  la  construction 
de  THôtel  de  Ville,  commencée  par  François  I"  en  juil- 
let 4533  et  terminée  seulement  en  1628  *. 

La  municipalité  parisienne  comprenait  certainement 
depuis  1263  *  un  prévôt  des  marchands  et  quatre  échevins, 
et  il  résulte  d'une  sentence  de  juillet  1296  qu'à  cette 
époque  on  créa  24  conseillers  de  ville  pour  assister  le 
prévôt  des  marchands  et  les  échevins  '.  Ils  recevaient  dix 
livres  par  an  (sentence  du  12  octobre  1295)  et  prêtaient 
serment  à  la  marchandise  de  venir  au  parloir  à  toute 
réquisition.  Dans  le  principe,  ils  étaient  choisis  par  le 
prévôt  et  les  échevins;  mais,  à  partir  de  la  première 
moitié  du  xvi*  siècle,  la  faculté  de  résigner  leurs  charges 
en  faveur  de  tiers  même  non  parents  fut  accordée  aux  con- 
seillers de  Ville  *. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  prévôt  des  marchands,  les  quatre 
échevins  et  les  24  conseillers  composaient  le  corps  do 
Ville  et  formaient  le  grand  bureau.  Ils  étaient  secondés 
dans  leurs  occupations  complexes  par  de  nombreux  agents 
dont  deux  avaient  un  rôle  important.  C'était  d'abord  le 
Clerc  du  parloir  aux  bourgeois,  qui  prit,  au  début  du 


i.  Voy.  Leroux  de  Lincy,  p.  31,  et  rinscription  qui  reporte  à  Marin  de  la 
Vallée,  architectus  parisiensis,  Thonneur  d^avolr  terminé  le  monument. 

2.  V.  plus  haut  p.  X  et  xi,  note  1. 

3.  LiviB  DES  SENTENCES  DU  PARLOIR  AUX  BOURGEOIS,  Arck.  nat.,  sect,  htst.,  veg. 
KK,  iO,  Ce  livre  a  été  publié  pour  la  première  fois  par  Leroux  de  Limct 
en  1846  [Hist  de  VHôM  de  Ville,  appendice  H),  d'après  un  manuscrit  qui  a 
été  conservé  pendant  plusieurs  siècles  dans  le  cabinet  particulier  du  gref- 
ner  de  THÔtel  de  Ville. 

4.  Reo.  h,  1T79,  f^  215.  En  1536,  Augustin  de  Thou  résigne  son  office  de 
conseiller  de  Ville,  et  le  Bureau  demande  simplement  que  la  résignation 
ait  lieu  à  personne  capable. 

Un  fait  assez  curieux  à  relever,  c'est  que  plusieurs  fois  les  prévôts  des 
marchands  cumulèrent  leur  titre  avec  celui  de  conseiller  de  Ville.  Pierre 
Violle  exerça  ce  cumul  en  1532.  (Reg.  H,  1779,  fo  215.) 


INTRODUCTION  XIII 

x\f  siècle,  le  litre  de  Greffier  de  motel  de  Ville.  A  cet 
auxiliaire  de  la  marchandise  appartenait  le  soin  d'enre- 
gistrer les  sentences  du  parloir  et  de  tenir  les  comptes  de 
la  Ville.  On  ne  sépara  de  l'office  de  Clerc  du  parloir  la 
charge  de  Receveur  de  la  Ville  qu'en  1499,  après  la  catas- 
trophe du  pont  Notre-Dame,  et  cette  charge  de  receveur 
prit  au  xvi'  siècle  une  énorme  importance,  avec  la  dynastie 
des  de  Vigny  et  à  la  suite  de  la  création  des  rentes  sur 
l'Hôtel  de  Ville  (27  sept.  1522). 

Après  les  clercs  greffiers  et  receveurs,  le  principal  agent 
du  prévôt  des  marchands  était  le  Procureur  du  roi  et  de  la 
Ville,  appelé  d'abord  Clerc  le  roi  ou  Procureur  le  roi  dans 
les  sentences  du  xiii'  siècle  ^  Il  avait  pour  mission  essen- 
tielle de  représenter  le  roi  au  Parloir,  et  de  fixer  la  part  qui 
lui  revenait  dans  les  confiscations  prononcées  contre  ceux 
qui  contrevenaient  aux  privilèges  de  la  marchandise. 
Lorsque  le  procureur  du  roi  eut  ajouté  à  son  titre  primitif 
celui  de  procureur  de  la  Ville^  ses  attributions,  qui  s'ac- 
croissaient ainsi  par  l'effet  de  la  suppression  du  ou  des  pro- 
cureurs de  la  Ville  qui,  au  xv*'  siècle,  paraissaient  avoir 
coexisté  avec  le  procureur  du  roi  ',  en  firent  le  défenseur 
autorisé  des  traditions  et  des  privilèges  de  la  municipalité 
parisienne  ',  et,  en  quelque  sorte,  l'avoué  de  la  Ville 
devant  les  différentes  juridictions. 

1.  Mestre  Gaillaume  de  Montmor,  clerc  le  roi  (sentence  du  16  avril  1296). 
—  Mestre  Morîze  Alain,  procureur  le  roi  (sentence  du  24  janvier  1298). 
Voy.  aussi  les  sentences  du  12  mai  1301  et  de  novembre  1303.  C'est  seulement 
à  dater  du  xvi«  siècle  que  le  procureur  le  roi  parait  recevoir  le  titre  défi- 
nitif de  procureur  du  roi  et  de  la  Ville.  Le  2  septembre  1527,  Jehan  Beu- 
rise,cons.  référ.  en  la  chancellerie  de  Paris,  est  nommé  procureur  du  roi  et 
de  la  Ville,  en  remplacement  de  Jehan  Raduise,  décédé.  Registre  des  élec- 
tions, Arch,  du  roy,,  K,  996.) 

2.  Leroux  db  Linct,  p.  186,  a  cité  un  compte  de  recettes  et  dépenses 
de  1424  d'où  il  résulte  qu'à  cette  époque  il  y  avait  un  procureur  général 
et  conseiller  du  roy  et  de  la  ville  qui  touchait  une  pension  annuelle  de 
VU!  1.  parisis,  en  même  temps  que  deux  procureurs  de  la  ville,  M.  Jean 
Bailly  et  M.  Etienne,  qui  ne  touchaient  que  cent  sous  parisis. 

3.  Ils  donnaient  notamment  leurs  conclusions  sur  les  résignations  d'of- 
fices municipaux.  Cest  ainsi  qu'en  1536  Philippe  Macé,  receveur  de  la  Ville 


XIV  INTRODUCTION 

Ainsi  constitué,  le  corps  de  Yille  avait  au-dessous  do 
lui  toute  une  hiérarchie  d'agents;  mais,  pour  en  com- 
prendre le  savant  mécanisme,  il  est  nécessaire  de  distin- 
guer le  double  rôle  de  la  prévôté  des  marchands  et  do 
Téchevinage.  Sous  le  nom  de  parloir  aux  bourgeois, 
c'est  un  tribunal  de  commerce  qui  statue  sur  toutes  les 
contestations  intéressant  la  navigation  de  la  Yille.  Quand 
la  sentence  n'a  pas  le  simple  caractère  d'une  consultation, 
elle  est  susceptible  d'appel  devant  le  parlement  de  Paris 
et,  en  dernier  ressort,  devant  le  roi  *.  Le  parloir  fait  office» 
de  notaire  et  reçoit  les  actes  *;  il  prononce  commo 
«  amiable  compositeur  esleu  des  parties  '  »  et  présente 
enfin  tous  les  caractères  d'une  société  de  secours  mutuels 
qui  prodigue  les  secours  aux  veuves  et  aux  orphelins  des 
membres  de  la  confrérie  V  Considéré  comme  siège  do 
justice,  le  corps  de  Ville  avait  pour  auxiliaires  les  ser- 
gents du  parloir,  dont  le  rôle  consistait  à  «  prendro 
garde  de  la  marchandise  de  l'iaue  »,  c'est-à-dire  à  réprimer 
toute  infraction  aux  privilèges  de  la  hanse,  à  confisquer 
les  marchandises  des  contrevenants  et  à  les  citer  devant  le 
parloir.  En  1291,  il  y  a  six  sergents  *  qui  se  partagent  les 

depuis  cinquante  ans,  ne  put  faire  admettre  François  de  Vigny  comme 
son  successeur  que  sur  les  conclusions  favorables  du  procureur  du  roi  et 
de  la  Ville.  (Rbg.  H,  1783,  f<»  118  à  180.)  Nous  indiquons  par  cette  citation  la 
collection  des  cent  cinq  registres  conservés  à  la  section  administrative 
des  Archives  nationales.  Cette  importante  collection,  base  de  notre  travail, 
commence  le  25  octobre  1499  et  fînit  en  mars  1784.  Elle  est  numérotée  H. 
1778  à  1880.  Voici  sous  quel  titre  elle  figure  dans  Tinventaire  des  fonds 
des  archives  :  «  Délibérations  du  Bureau  de  la  Ville.  Transcription  sur 
registres  des  ordres  du  roi,  des  délibérations  du  corps  de  Ville  en  matière 
administrative,  des  mandements  des  prévôts  des  marchands  et  des  éche- 
vins,  etc.,  de  1499  à  1784.  »  Ces  documents  étaient  presque  tous  inédits 
lorsque  l'auteur  du  présent  livre  a  publié  eu  1880  la  première  partie  de 
ses  études  sur  VHistoire  municipale  de  Paris,  Depuis  lors,  la  Yille  a  ordonné 
rimpression  des  Registres;  mais  il  n'a  paru  encore  qu'un  volume  ea  1883, 
et  ce  volume  ne  comprend  que  la  réimpression  du  premier  registre,  H,  1778. 

1.  Voy.  l'affaire  de  Jehan  Marcel,  1268-1269  {Olim,  t.  !•%  p.  291). 

2.  Rec,  des  sentences,  11  janvier  1300,  f«  lv,  r®. 

3.  !bid„  22  août  1291,  fol.  xu,  v«,  et  1293,  fol.  xlv,  r». 

4.  Voy.  les  sentences  de  1299,  fol.  l,  v»;  du  28  mars  1298,  f»  uv,  v». 

5.  Ibid.,  fol.  XXXIX,  r«,  10  février.  La  sentence  donne  les  noms   des 


INTRODUCTION  XV 

difTérents  services,  police  de  la  Grève,  police  de  la  Seine, 
police  de  l'audience,  étalonnage  des  mesures,  visite  des 
cabarets.  Leur  nombre   fut    successivement  élevé,  et  le 
trente-cinquième  chapitre  de  la  grande  ordonnance  de  1415 
mentionne  quatre  sergents  de  la  marchandise  et  six  du 
parloir,  ce  qui  exprime  clairement  la  division  que  nous 
essayons  de  préciser  entre  la  juridiction  commerciale  et 
l'administration  municipale  de  la  prévôté  des  marchands. 
Il  faut  encore  ranger  parmi  les  agents  de  la  marchandise 
tous  les  fonctionnaires  subalternes  qu'énumère  la  grande 
ordonnance  de  1415  ^  :  les  cinquante-quatre  jurés-mesu- 
reurs de  grains,  les  jurés-vendeurs  de  vins,  les  courtiers, 
au  nombre  de  soixante,  les  jaugeurs  de  vins,  au  nombre  de 
douze,  les  deux  courtiers  de  chevaux,  investis  du  mono- 
pole de  faire  remonter  les  bateaux  sur  la  Seine  avec  leurs 
chevaux  de  halage,  les  quarante  jurés-compteurs,  mesu- 
reurs  ou  mouleurs  de  bûches;  les  neuf  mesureurs  de 
charbon,  les  vingt-quatre  mesureurs  de  sel,  et  enfin  jus- 
qu'aux revisiteurs  d'aulx  et  d'oignons  et  aux  deux  cour- 
tiers de  graisse!...  Deux  catégories  d'agents  méritent  une 
mention  spéciale  :  celle  des  jurés-crieurs^  intermédiaires 
entre  les  marchands  en  gros  et  le  commerce  de  détail  '  ;  et 
celle   des  porteurs   de  sely   qui,    sous  la   dénomination 


six  sergents  et  non  des  cinq,  comme  Ta  écrit  par  erreur  Leroux  de 
Lincy,  p.  208. 

i.  Ordonn,  royaux,  édit.  de  1528,  iu-4o  goth.,  fol.  5  au  fol.  55,  v».  —  Conf.  le 
Livre  des  métiers  d'Etienne  Boileau  sur  les  mesureurs,  les  taverniers,  etc.  — 
Cens,  aussi,  sur  les  agents  de  la  marchandise^  les  Orig,  de  la  munie,  paris.,, 
par  Fato.  Lbcaboic,  arch.  paléographe,  Paris,  1882,  Soc.  de  Vhist.  de  Paris. 
Ce  travail  s'arrête  à  1415  et  ne  B*occupe  de  la  prévôté  des  marchands 
qu'au  point  de  vue  de  sa  juridiction  commerciale. 

2.  Les  crieurs  étaient  an  nombre  de  24  et  s'occupaient  surtout  du  com- 
merce du  vin  au  détail.  Ils  criaient  les  choses  étranges  qui  se  trouvaient 
égarées  {enfants,  mules,  chevaux  et  autres,  V.  Tord,  de  1415.)  Mais  leur 
grande  source  de  profits,  à  partir  du  xm*  siècle,  consistait  dans  le  règle- 
ment des  funérailles  et  le  cri  public  des  décès.  L'ord.  de  1415,  chap.  XIX, 
fixe  le  taux  des  fournitures  de  deuil  :  deux  sous  parisis  par  jour  pour  la 
locaUon  des  robes,  manteaux  et  chaperons,  seize  deniers  pour  les  tein- 
tores,  deux  sous  par  torche  payables  au  porteur. 

ROBIQUET.  b 


XVI  INTRODUCTION 

à'hénouarts,  formaient  une  corporation  de  vingt-quatre 
personnes  jouissant  du  singulier  privilège  de  porter  les 
rois  de  France  à  leur  dernière  demeure  *. 

Envisagés  comme  magistrats  municipaux,  conmie  édiles 
et  non  plus  comme  juges  consulaires,  le  prévôt  des  mar- 
chands et  les  échevins  se  relient  à  leurs  administrés  par 
une  série  d'agents  dont  le  rôle  et  les  attributions  sont,  au 
plus  haut  degré,  dignes  d'attention.  Leroux  de  Lincy  * 
novis  parait  émettre  une  hypothèse  un  peu  hasardée  en 
faisant  remonter  au  xii**  siècle  la  création  des  4juartiniers 
ou  chefs  des  quartiers,  qui,  d'abord  au  nombre  de  quatre 
avant  Philippe-Auguste,  furent  portés  à  huit  par  ce  prince, 
en  12H,  lorsqu'il  bâtit  sa  nouvelle  enceinte,  et  à  seize  par 
Charles  VI,  en  1383.  Mais  ce  qui  est  incontestable,  c'est 
qu'au  temps  de  la  prévôté  d'Etienne  Marcel  (1357-1358)  il 
y  avait  déjà  des  quartiniers  et  des  cinquanteniers  '. 
L'ordonnance  du  27  janvier  1383,  qui  fut  promulguée  par 
Charles  VI,  après  l'insurrection  des  Maillotins,  pour  abolir 
la  prévôté  des  marchands  et  confondre  sa  juridiction  avec 
celle  du  prévôt  de  Paris,  constate  d'une  façon  bien  authen- 
tique l'existence  des  quartiniers,  cinquanteniers  et  dizai- 
niers,  par  cela  même  qu'elle  prononce  la  suppression  de 
ces  officiers  mumcipaux  *.  L'ordonnance  de  Charles  VIII 


1.  Voy.  Chron.  d'Enguerrand  de  Monstrelet,  liv.  II,  édit.  du  Panthéon  litl., 
p.  534,  sur  le  cérémonial  des  obsèques  de  Charles  VI  en  1422,  et  Hist.  de 
Charles  VII  par  Mathieu  de  Couctjy  p.  737  du  recueil  de  Godefroy. 

2.  Chap.  V,  p.  193. 

3.  Cela  résulte  d'un  passage  des  Grandes  chroniques  qui,  jusqu'à  pré- 
sent, avait  échappé  à  l'attention  des  historiens  de  Paris  :  «  Es  quelles 
lices  estoient  venus  moult  de  gens  par  le  mandement  que  ledit  roy  de 
Navarre  et  ledit  prévost  des  marchands  avoient  fait  à  plusieurs  quarteniers 
et  cinquanteniers  de  ladite  ville.  »  (Gr.  chron, ,  t,  VI,  chap.  xl.)  —  Une  chro- 
nique inédite  en  prose  de  Jean  de  Nouelles,  qui  écrivait  à  la  fin  du 
XIV*  siècle,  et  qu'a  citée  Leroux  de  Lincy  (p.  194),  semble  indiquer  que 
Jehan  Maillart  était  un  quartinier.  On  le  qualifie,  dans  ce  document,  de 
tt  garde  par  le  gré  du  commun,  d'un  des  quartiers  de  la  ville  ». 

4.  (i  Nous  dépendons  que  d'orennavant  il  n*ait  en  notredicte  ville  aucuns 
quarteniers,  cinquanteniers  ou  dixeniers,  establis  pour  la  defTense  de  la- 
dicte  ville  ou  autrement...  »  [Ord,  des  rois  de  France,  t.  VI,  p.  687.)  —  Leroux 


INTRODUCTION  XVII 

de  janvier  1485  définit  nettement  les  attributions  des  seize 
quartiniers  :  «  Icelle  ville  a  esté  par  cy-devant  divisée  et 
partie  en  seize  quartiers,  en  chascun  desquelz  quartiers 
lesdits  suppliants  [le  prévôt  des  marchands  et  les  éche- 
rins)  ont  acoustumé  commectre  ung  notable  bourgeois  et 
habitant  de  ladite  ville,  lesquels  sont  en  nombre  seize  et 
nommez  quarteniers^  ayans  charge  expresse,  chacun  en  son 
quartier,  soubz  lesditz  prévost  et  eschevins,  de  regarder 
au  faict  de  ladite  ville,  oyr  toutes  nouvelles,  faire  assem- 
bler les  nobles,  bourgeois,  manans  et  habitans  d'icelle 
Ville,  chacun  en  son  quartier,  toutes  et  quantes  fois  que 
besoing  en  est,  et  en  quelque  temps  que  ce  soit,  de  jour  et 
de  nuyt,  pour  donner  ordre  et  provision  aux  affaires 
dessusdites  et  savoir  quel  nombre  de  gens  y  a  en  chacun 
desditz  quartiers,  tant  habitans  et  résidens  ordinairement 
illec  que  autres  extrangiers.  »  Il  parait  bien  résulter  de  ce 
texte  que  les  quartiniers  jusqu'à  la  fin  du  xv*  siècle 
étaient  directement  choisis  entre  les  notables  par  le 
prévôt  des  marchands  et  les  échevins.  Plus  tard,  le  mode 
d'élection  devint  plus  compliqué,  et,  sous  François  I",  le 
quartinier  était  nommé  par  le  Bureau  de  la  Ville  sur  une 
liste  de  trois  notables  désignés  par  les  dizainiers  du  quar- 
tier, auxquels  ils  adjoignaient  deux  notables  de  chaque 
dizaine  \  Un  curieux  mémoire,  adressé  en  1562  par  la 

de  Lincy  dit  inexactement  qae  cette  ordonnance  se  trouve  au  t.  V,  p.  688. 
On  remarquera  que  l'ordonnance  de  4383  orthogrnphie  quarteniers.  L'or- 
thographe de  quartiniers  est  aussi  souYenl  employée.  Voy.  l'ordonnance  de 
janvier  1484  (Ord.,  t.  XIX,  p.  474).  Le  titre  porte  quartiniers  et  le  texte  quar- 
teniers. Nous  avons  adopté  dans  le  corps  de  l'ouvrage  la  première  de  ces 
formes;  mais  il  esl  trop  absolu  d'affirmer,  comme  l'a  fait  M.  Picot,  Recher- 
ches sur  les  quartinierSf  cinquanteniers  et  diiainiers  de  la  ville  de  Paris 
(broch.  in-S^',  1815),  que  ce  serait  seulement  dans  la  seconde  moitié  du 
XVI*  siècle  qu'on  aurait  parfois  adopté  Torthographe  de  quartenier.  Nous 
venons  de  voir  le  mot  ainsi  écrit  dans  des  ord.  du  xiv«  et  du  xv»  siècle. 
Le  règlement  municipal  du  i"  avril  1500  (Rbo.  H,  1778,  fo  50),  le  mande- 
ment du  5  décembre  1530  (Rbo.  H,  1779,  f»  51),  donnent  la  même  ortho- 
graphe, et  ce  sont  des  exemples  pris  au  hasard. 

1.  Rbo.  h,  1779,  fo  51.  Election  du  5  décembre  1530,  en  remplacement  de 
Thomas  du  Ru  décédé.  —  Leroux  de  Lincy  se  trompe  donc  en  écrivant 


XVIII  INTRODUCTION 

municipalité  parisienne  à  celle  de  Tours,  prouve  qu'à  cette 
époque  les  cinquanteniers,  de  concert  avec  leurs  dizai- 
niers,  élisaient  quatre  bourgeois  notables  par  dizaine  et 
portaient  leurs  noms  à  FHôtel-de- Ville,  écrits  sur  quatre 
billets.  On  tirait  au  sort  deux  de  ces  noms  dans  un  cha- 
peau, et  Ton  inscrivait  ces  deux  noms  avec  celui  du 
dizainier.  L'opération  faite  de  cette  manière  pour  chaque 
dizaine,  les  électeurs  ainsi  désignés  étaient  appelés  sépa- 
rément «  pour  faire  le  serment  de  eslire  en  leurs  con- 
sciences ung  quartinier,  le  plus  seuffisant  qu'ils  scauront 
audict  quartier  ».  Celui  qui  obtenait  le  plus  de  voix  était 
nommé  quartinier  et  le  mémoire  ne  mentionne  plus  l'inter- 
vention du  Bureau  de  la  Ville  '.  En  1528,  date  de  la  publi- 
cation des  Ordonnances  royaulx  de  la  jurisdicion  de  la 
prévosté  des  marchans  et  eschevinage  de  la  Ville  de 
Pa?'îS  *,  les  cinquanteniers  et  dizainiers  étaient  élus  à  peu 
près  dans  les  mêmes  formes  que  les  quartiniers,  «  nonob- 
stant, dit  le  règlement,  que  communément  nos  seigneurs 
les  prévost  et  eschevins  ne  font  pas  appeler  si  gros  nombre 
de  gens  avec  les  dixainiers  ^».  Chaque  quartinier,  dans  la 


p.  200  que,  «  jusqu'au  mois  d'octobre  1633,  les  quartiniers  furent  élus  par 
les  cinquanteniers  et  dixainiers  ou  bien  se  succédèrent  de  père  en  fils, 
après  avoir  été  agréés  par  les  membres  du  Conseil  de  Ville  n.  Il  arrivait 
très  fréquemment  que  le  Bureau  de  la  Ville  n'admettait  pas  les  résignations 
d'office  de  quartinier.  C'est  ce  qu'il  fit  par  exemple  le  4  février  1549. 
(Rbo.  h,  1781,  fo  135.)  D'autres  fois,  le  Parlement  déclarait  la  résignation 
illégale.  En  1556,  Jehan  Lescaloppier,  avait  résigné  son  office  de  quartinier 
en  faveur  de  son  fils  Nicolas.  Le  Parlement  ordonna  que  Jehan  resterait 
quartinier,  et  la  ville  dut  régulariser  les  formalités  omises.  (Reg.  H,  1783, 
fol.  208.) 

1.  MéaiomE  baillé  par  la  ville  a  ceux  de  Tours  pour  les  règles.  (Reg.  H^ 
1784,  f»  132.) 

2.  Exemplaire  gothique.  L'ordonnance  de  1450  forme  le  58*  chapitre  du 
recueil  avec  l'intitulé  ci-dessous  :  «  Le  cinquente-huytiesme  chappitre  con- 
tient les  ordoilances  sur  la  forme  et  Télection  du  prévost  des  marchans  et 
eschevins  de  la  ville  de  Paris  et  des  conseillers  d'icelle.  Et  à  la  fin  est 
narré  la  forme  de  l'élection  d'un  quartinier,  cinquantenier  et  dixinier. 
Avec  le  serment  des  archiers,  arbalétriers  et  acquebutiers  de  la  Ville.  »  Il 
y  a  un  autre  recueil  des  ordonnances  royaux  sur  la  prévosté  des  mar- 
chands, daté  de  1644. 

3.  Ex,  gothique,  art.  XVI.  En  1563,  les  cinquanteniers  étaient  élus  par 


INTRODUCTION  XIX 

seconde  moitié  du  xyi""  siècle  tout  au  moins,  commandait 
à  deux  ou  trois  cinquanteniers,  selon  la  grandeur  du 
quartier;  et  chaque  cinquantenier  avait  pour  auxiliaires 
quatre  dizainiers  ^  Ils  prêtaient  tous  serment  entre  les 
mains  du  prévôt  des  marchands. 

Les  quartiniers,  cinquanteniers  et  dizainiers  ne  remplis- 
saient pas  des  fonctions  purement  civiles.  Au  quartinier 
appartenait  le  soin  de  garder  les  clefs  des  portes  de  la 
Ville,  ainsi  que  les  vingt-quatre  seaux  de  ville  et  les  crocs 
n  fer  pour  servir  en  cas  d'incendie  *.  Ils  faisaient,  sur  la 
réquisition  du  prévôt  des  marchands,  des  perquisitions  et 
des  visites  domiciliaires,  soit  pour  rechercher  les  gens 
suspects,  soit  pour  se  rendre  compte  des  provisions  qui 
pouvaient  être  réquisitionnées,  en  cas  de  besoin.  Enfin,  ils 
furent  longtemps  les  chefs  uniques  de  la  milice  munici- 
pale; mais,  à  partir  de  1562,  une  hiérarchie  nouvelle  fut 
organisée  pour  mettre  sous  la  main  du  roi  la  direction  de 
la  milice  bourgeoise.  C'est,  en  effet,  à  cette  époque  que 
remonte  la  création  des  capitaines  ^.  En  avril  1563,  les 
seize  quartiers  sont  encore  commandés  par  seize  capi- 
taines *;  mais,  dès  le  début  de  Tannée  1568,  les  chefs  mili- 


les  dizainiers  et  deux  bourgeois  de  chaque  dizaine  mandés  par  le  quar- 
tinier, et  les  dizainiers  étaient  choisis  par  le  Bureau  de  la  Ville  sur  la  pro- 
position du  quartinier.  (Rbo.  H,  1785,  fo  92-94). 

1.  Mémoire,  etc.  (Reg.  H,  1784,  fol.  132.)  Nous  ne  savons  sur  quel  fonde- 
ment Leroux  de  Lincy  allègue  (p.  195)  quMl  «  y  eut  pendant  longtemps, 
sons  chacun  des  quartîniers,  deux  cinquanleniers  et  dix  dixainiers  ». 

2.  Traité  de  la  police,  t.  IV,  p.  155. 

3.  Le  Becueil  des  ordonnances  roy aulx,  sur  le  faict  et  jurisdiction  de  la  pré- 
vosté  des  marchands  et  esckevinage  de  la  Ville  de  Paris  fixe  ce  point  d'une 
manière  authentique  à  propos  de  la  formule  de  serment  des  capitaines  : 
«  Le  serment  que  le  roy  entend  estre  faict  par  les  cappitaines  et  lieutenans 
astablis  en  ceste  Ville  de  Paris,  7nil  cinq  cens  soixante  deux,  à  cause  des 
(roubles  qui  estoient  lors  ».  Leroux  de  Lincy,  p.  199,  étudie  l'organisation 
des  cadres  de  la  milice  bourgeoise  en  1587.  On  n'a  pas  encore  essayé  de 
montrer  qu'elle  est  bien  antérieure. 

4.  Le  7  avril  1563,  le  prévôt  des  marchands  assemble  au  petit  bureau  les 
16  capitaines  de  quartiers  pour  leur  faire  certaines  recommandations,  et 
le  Registre  donne  leurs  noms.  (Rbo.  H,  1784,  fol.  144.  —  Fius.,  t.  III  des 
Preuves,  p.  403.) 


XX  INTKODUCTION 

taires  des  seize  quartiers  portent  le  titre  de  colonels^  et  un 
règlement  du  24  janvier  nous  apprend  qu'ils  se  réunis- 
saient deux  fois  par  semaine  à  THôtel  de  Ville  ;  un  mande- 
ment du  8  février  de  la  même  année  assigne  à,  ces  colonels 
les  emplacements  qu'ils  doivent  occuper,  en  cas  de  besoin  * . 
Il  ne  faudrait  pas  croire,  du  reste,  que  la  création  des 
colonels  et  des  capitaines  ait  complètement  supprimé 
l'action  dos  quartiniers  sur  la  milice.  C'était  à  ces  der- 
niers que  revenait  le  soin  de  réunir  les  habitants  des 
dizaines  pour  élire  les  capitaines  ',  et  celui  de  transmettre 
aux  mêmes  capitaines,  par  l'intermédiaire  des  dizainiers, 
l'ordre  d'aller  prendre  la  garde  de  telle  ou  telle  porte. 
Enfin,  les  capitaines  ne  faisaient  les  perquisitions  dans 
les  hôtelleries  et  dans  les  maisons  particulières  que  sous 
la  surveillance  et  la  direction  des  quartiniers.  Néanmoins, 
il  serait  puéril  de  méconnaître  que  la  création  des  colonels 
et  des  capitaines  diminua  l'importance  des  quartiniers, 
cinquanteniers  et  dizainiers,  au  point  de  vue  de  leurs 
anciennes  attributions  militaires. 

Pour  terminer  Ténumération  des  auxiliaires  de  la  muni- 
cipalité parisienne,  il  reste  à  citer  les  trois  compagnies  des 
gardes  de  ville,  les  archers^  les  arbalétriers  et  les  hacque- 
butiers...  L'existence  de  la  compagnie  des  arbalétriers  est 
certaine  à  partir  de  1359,  et  elle  aurait  eu  pour  raison  d'être 
la  nécessité  de  maintenir  l'ordre  dans  Paris  après  la  défaite 


1.  Féufi.,  t.  ni  des  Pr,,  p.  403. 

2.  Mandement  de  1563.  (Reg.  H,  1785,  fol.  39.)  Ni  Leroux  de  Lincy,  ni  les 
autres  historiens  de  Paris  ne  mentionnent,  à  notre  connaissance  du  moins, 
l'existence  des  colonels  et  des  capitaines  delà  milice  avant  1587.  Ajoutons 
que  des  lettres  patentes  de  Charles  IX,  datées  de  1568  et  imprimées  par 
Robert  Estienne,  prouvent  que  le  roi  de  la  Saint- Barthélémy  nomma  lui- 
même  16  chefs  de  quartiers  dont  chacun  commanda  cent  bourgeois  u  chefs 
de  maison  si  faire  se  peult  »  pour  «  fortifier  la  justice  royale  ».  Le  prév6t  des 
marchands  avait  présenté  au  roi  48  candidats,  parmi  lesquels  il  choisit  les 
16  chefs  de  cette  milice  de  choix  destinés  à  figurer  au  premier  rang  de 
Tarmée  des  massacreurs.  Nous  croyons  avoir  signalé  le  premier  ce  curieux 
document.  {Hist.  munie,  de  Paris,  p.  538).  Il  est  extrait  d'un  recueil  de 
pièces  conservé  à  la  Bibl.  de  la  Ville. 


INTRODUCTION  XXI 

I 


de  Marcel  et  de  ses  adhérents  *.  Cette  compagnie  était  mise 
expressément  aux  ordres  du  prévôt  des  marchands,  et  ceux 
qui  en  faisaient  partie  touchaient  une  paye  de  deux  gros 
par  jour  et  de  quatre* en  temps  de  guerre.  Ils  étaient,  en 
outre,  exempts  de  toute  contribution  personnelle.  En  août 
1410,  Charles  VI  réduisit  à  soixante  le  nombre  des  arbalé- 
triers et  créa  une  compagnie  de  cent  archers  qui  reçurent 
les  mêmes  privilèges  que  les  arbalétriers  *.  Enfin  Fran- 
çois P',  par  lettres  patentes  datées  de  mars  1423,  organisa 
une  troisième  compagnie,  celle  des  hacquebutiers.  qui 
portaient  une  sorte  d'arquebuse,  nommée  hacquebute.  Il 
faut  relever  dans  les  lettres  de  François  V^  que  le  nouveau 
corps  ne  devait  pas  être  envoyé  hors  de  Paris  sans  Tauto- 
risation  formelle  du  prévôt  des  marchands  ^  Les  trois 
compagnies,  réorganisées  par  Charles  IX  en  février  1566 
et  portées  respectivement  à  cent  hommes,  perdirent  à  cette 
époque  le  droit  d'élire  leurs  capitaines,  dont  le  souverain 
s'attribua  la  désignation,  et  reçurent  Tarquebuse  pour  arme 
commune.  Cette  première  atteinte  aux  antiques  privilèges 
des  gardes  de  la  Ville  fut  suivie  do  plusieurs  autres.  Nous 
ne  rappellerons  que  la  nomination  par  le  roi  Henri  II,  en 
septembre  1550,  d'un  capitaine  général  des  archers,  arba- 
létriers et  hacquebutiers  de  la  Ville,  nomination  qui  sou- 
leva les  vives  réclamations  du  corps  de  Ville.  Nous  ver- 
rons qu'au  début  de  l'insurrection  ligueuse  les  trois 
compagnies  se  signalèrent  par  leur  indiscipline  et  aban- 
donnèrent la  cause  du  roi  *.  Avoir  indiqué  les  éléments 

1.  Les  lettres  patentes,  délivrées  par  le  dauphin  Charles  le  9  août  1359, 
organisent  la  confrérie  des  arbalétriers,  en  fixent  l'efTectif  h  200.  Voy.  Recueil 
des  Chartes,  etc.,  des  arbalestriers,  archers,  arquebusiers,  etc.,  de  la  Ville  de 
Paris,  par  M.  Hay,  1770,  in-fol.,  p.  26. 

2.  Ibid.,  p.  29. 

3.  Ibid.,  p.  81. 

4.  Dans  la  séance  du  Bureau  de  la  Ville  en  date  du  13  décembre  1550, 
Jehan  Beltot,  capitaine  des  archers,  et  Pierre  Bénard,  capitaine  des  arbalé- 
triers, vinrent  rappeler  les  privilèges  accordés  à  leurs  compagnies  par  les 
prédécessenrs  de  Henri  II.  Ils  protestèrent. contre  la  création  d*un  capitaine 


I 


XXII  INTRODUCTION 

essentiels  de  rorganisme  municipal  de  Paris  ne  suffirait 
pas,  si  Ton  ne  donnait  pas  une  idée  sommaire,  mais  précise 
des  opérations  électorales  qui  faisaient  du  prévôt  des  mar- 
chands et  des  échevins  les  mandataires  de  Télite  des  Pari- 
siens. 

Aux  termes  des  ordonnances  municipales  de  1450  S  le 
prévôt  des  marchands  était  nommé  pour  deux  ans,  et  chaque 
année,  «  le  lendemain  de  la  Nostre-Dame  de  la  my-aoust  », 

général  en  la  personne  d'Antoine  du  Belloy,  désigné  par  le  roi,  et  conclu- 
rent quMs  «  ne  dévoient  avoir  autre  cappitaine  général  que  M.  le  prévost 
des  marchans  et  les  eschevins  de  la  Ville,  en  son  absence  ».  (Rbg.  H,  1781, 
fol.  207.) 

1.  Chap.  Lviii,  Édition  gothique  de  1528,  feuillets  93  et  suivants. 

Leroux  de  Lincy,  analysant  les  formes  des  élections  municipales  au 
chap.  m  de  la  première  partie  de  son  Histoire  de  l'Hôtel  de  Ville,  dit  «  que 
Ton  trouve  le  détail  des  formalités  que  Ton  observait  dans  ces  élections  » 
au  recueil  des  ordonnances  de  la  juridiction  municipale  rédigé  en  1415. 
Cela  parait  être  une  erreur,  car  la  grande  ordonnance  de  1415  (vieux  style) 
sur  la  juridiction  des  prévôt  des  marchands  et  échevins  de  la  Ville  de 
Paris  (Ord,,  t.  X,  p.  257)  ne  parle  nullement  des  élections  municipales, 
mais  uniquement  de  la  marchandise  de  l'eau  et  de  ses  privilèges.  Leroux 
de  Lincy  a  évidemment  cru  que  le  manuscrit  qu'il  a  consulté  aux  Archives 
et  qui  fait  partie  du  registre  connu  sous  le  nom  de  Mémorial,  donnait  la 
forme  des  élections  municipales  en  vigueur  dès  1415,  parce  que  le  manu- 
scrit dont  il  s'agit  est  précédé  de  la  copie  officielle  de  Tordonnance  de 
février  1415.  Mais  le  texte  (qui  a  été  récemment  réimprimé  par  M.  Lecaron 
dans  son  étude  sur  les  Origines  de  l'Hôtel  de  Ville,  p.  47)  prouve  bien  que 
les  ordonnances  municipales  citées  par  Leroux  de  Lincy  et  M.  Lecaron, 
à  sa  suite,  comme  ayant  été  rédigées  en  1415,  sont,  en  réalité,  celles  de 
1450,  qu'on  trouve  dans  les  éditions  gothiques  de  1500  et  1528.  II  suffit, 
pour  s'en  convaincre,  de  remarquer  qu^elles  ont  été  coUigées  par  Jehan 
Baillet,  prévôt  des  marchands,  Guillaume  Nicolas,  Engucrrand  de  Thumery, 
Nicolas  de  Louviers  et  Jehan  de  Marie,  qui^  exerçaient  leurs  charges  en  1449, 
d'après  la  chronologie  de  Leroux  de  Lincy  lui-même,  p.  205.  C'est  bien 
en  juillet  1450  que  la  commission  où  figurent  cçs  personnages  avec  un 
assez  grand  nombre  de  parlementaires  se  réunit  pour  visiter  et  examiner 
les  vieux  documents  sur  la  forme  des  élections;  et  le  prétendu  manuscrit 
de  1415  est  identique  à  celui  de  Tordonnance  de  1450  que  reproduit  le 
58<*  chapitre  de  Texemplaire  de  1528.  On  a  simplement  oublié  un  chiffre  C, 
dans  la  version  reproduite  par  M.  Lecaron  :  «  Icelles  ordonnances  faictes 
en  THostel  de  ladicte  Ville,  le  samedy  XXV«  jour  de  juillet^  Van  mil  CCC 
cinquante  ».  U  est  d'ailleurs  probable  que  les  membres  de  la  commis- 
sion de  1450  avaient  sous  les  yeux  des  documents  bien  antérieurs  sur 
la  forme  des  élections,  et  ils  ont  peut-être  copié  l'un  de  ces  vieux  textes, 
quoiqu'ils  aient  émis  la  prétention  d'avoir  fait  et  composé  une  rédaction 
nouvelle;  mais,  en  résumé,  le  manuscrit  que  Leroux  de  Lincy  et  ses  suc- 
cesseurs datent  de  1415,  n'est  autre  que  l'ordonnance  de  1450,  et  c'est  pour 
cela  que  nous  nous  plaçons  à  cette  époque,  moins  lointaine,  pour  étudier 
le  mécanisme  des  élections  municipales. 


INTRODUCTION  XXIU 

deux  des  échevins  étaient  remplacés  par  voie  d'élection.  Le 
corps  électoral  se  composait  du  prévôt  des  marchands,  des 
quatre  échevins,  des  vingt-quatre  conseillers  de  la  Ville, 
des  seize  quartiniers  et  de  bourgeois  élus,  dans  la  propor- 
tion de  deux  par  quartier  *.  Au  total,  le  corps  électoral  ne 
se  composait  que  de  soixante -dix -sept  personnes.  Le 
16  août,  les  opérations  électorales  s'ouvraient  à  THôtel  de 
Ville.  Chacun  des  électeurs  prêtait  d'abord  serment  de 
«  bien  et  justement  faire  ladicte  élection,  au  bien  du  roy 
et  de  la  chose  publique  ».  Puis  on  nommait  quatre  scru- 
tateurs qui  prêtaient  serment  «  de  tenir  secrettes  les  voix 
et  nominations  ».  Chaque  électeur  ayant  déposé  son  bulletin 
dans  le  chapeau  traditionnel  mi-parti  rouge  et  tanné,  le 
scrutin  était  clos  et  on  le  remettait  aux  scrutateurs  après 
avoir  présenté  le  procès-verbal  à  la  signature  du  prévôt  et 
des  échevins.  Ce  procès-verbal  était  enfin  porté  au  roi, 
qui  l'ouvrait  et  en  proclamait  le  résultat  *. 


1.  La  désignation  de  ces  deux  bourgeois  par  quartier  était  précédée  de 
formalités  assez  compliquées.  Quelques  jours  avant  l'élection,  le  prévôt 
des  marchands  mandait  à  chaque  quartinier  de  réunir  les  cinquanteniers, 
les  dizainiers  de  son  quartier,  et,  en  outre,  d'appeler  «  six  hommes  nota- 
bles ».  Cette  réunion  élisait  ensuite  «  quatre  personnes  notables  les  plus 
convenables  qu'ils  sçauront  pour  estre  À  la  dicte  eslection  ».  Le  quartinier 
consignait  dans  un  rapport  clos  et  scellé  les  noms  de  ces  quatre  notables  et 
les  remettait  au  prévôt  des  marchands.  Ce  dernier,  assisté  des  échevins  et 
des  vingt-quatre  conseillers  de  la  Ville,  choisissait  en  dernier  ressort  deux 
notables  sur  la  liste  de  quatre  noms  qui  lui  était  remise  par  chaque  quarti- 
nier. Les  cinquanteniers  et  dizainiers,  ayant  la  majorité  dans  les  assemblées 
de  quartier,  déléguaient  presque  toujours  quatre  d'entre  eux  à  l'Hôtel  de  Ville. 
On  essaya,  à  plusieurs  reprises,  de  remédier  à  cet  abus.  Par  arrêt  du  8  août 
1500,  le  Parlement  conféra  au  prévôt  des  marchands,  aux  échevins  et  aux 
conseillers  de  ville  le  privilège  de  choisir  dans  chaque  quartier  douze  nota- 
bles qui  devaient  composer,  avec  le  quartinier,  les  cinquantiniers  et  les 
dizainiers,  ressemblée  primaire  chargée  de  désigner  parmi  les  douze 
agréables  à  l'Hôtel  de  Ville  les  six  candidats  entre  lesquels  la  ville  eu 
retenait  deux  pour  participer  aux  élections  municipales.  Ainsi  le  nombre 
et  le  mode  de  désignation  des  électeurs  primaires  étaient  modiGés.  (Rbo.  H, 
1778,  f»  50.)  En  mai  1554,  Henri  II  alla  plus  loin  et  défendit  formellement 
aux  cinquanteniers  et  aux  dizainiers  de  se  donner  leurs  voix  les  uns  aux 
autres,  en  obligeant  le  quartinier  à  choisir  les  notables  parmi  les  non 
mécaniques.  (Ord,  royaux,  etc.,  édit.  de  1644,  p.  318.) 

2.  Il  arrive  souvent  que  le  roi  ne  ratifie  pas  les  résultats  du  scrutin.  C'est 
ainsi  qu'en  1557  Henri  II  raya,  de  la  liste  des  échevins  élus,  le  sieur  Pierre 

ROBIQUET.  h* 


XXIV  INTRODUCTION 

En  dehors  des  assemblées  électorales  du  16  août,  la  vie 
municipale  se  manifestait  à  Paris  dans  les  réunions  pério- 
diques ou  exceptionnelles  qui  avaient  lieu  à  THôtel  de 
Ville.  Les  historiens  de  Paris  n'en  ont  pas  jusqu'ici  déter- 
miné le  caractère  avec  une  clarté  suffisante.  Il  y  avait 
d'abord  les  séances  du  Bureau  auxquelles  n'étaient  convo- 
qués que  le  prévôt  des  marchands,  les  échevins  et  les  vingt- 
quatre  conseillers  de  la  Ville.  Quand  les  vingt-quatre  con- 
seillers ne  recevaient  pas  de  convocation  et  que  le  prévôt 
des  marchands  appelait  seulement  les  quatre  échevins,  l'as- 
semblée prenait  souvent  le  nom  de  petit  bureau.  C'est 
ainsi  que  la  plupart  des  mandements  municipaux  étaient 
élaborés  sans  l'intervention  des  vingt-quatre  conseillers  *. 
Enfin,  lorsque  la  question  à  débattre  présentait  une  impor- 
tance particulière,  le  prévôt  des  marchands  convoquait  ce 
qu'on  appelait  une  assemblée  générale.  Pour  prendre  un 
exemple  choisi  entre  mille,  le  12  août  1557,  deux  jours 
après  la  bataille  de  Saint-Quentin,  qui  laissait  ouvert  le 
chemin  de  la  capitale,  la  municipalité  convoqua  une  assem- 
blée générale  *  dans  laquelle  figuraient,  à  côté  des  magis- 
trats municipaux,  les  délégués  du  Parlement,  de  la  Chambre 
des  comptes  et  de  la  Chambre  des  aides,  du  clergé,  des 

Croquet,  et  choisit  Claude  Marcel  pour  le  remplacer,  Marcel  ayant  d'ailleurs 
obtenu  le  plus  de  voix  après  Croquet.  (Rbg.  H,  1783,  1*  253.)  En  l'absence 
du  roi,  le  scrutin  était  porté  au  chancelier  ou  au  premier  président  du 
Parlement,  qui  recevait  pour  cela  des  épices  de  la  ville.  (Rec.  H,  1782,  P  3.) 

1.  Ces  mandements  étaient  précédés  de  la  formule  suivante  :  «  De  par 
les  prévost  des  marchans  et  eschevins  de  la  ville  de  Paris...  »,  et  suivis 
de  la  mention  ci-dessous  :  <«  Si  n'y  faictes  faulte.  Faict  au  Bureau  de  la 
Ville  le...  »  (Rec.  H,  1779,  fo  51  et  passim.) 

2.  Au  procès-verbal  de  l'assemblée  générale  du  28  février  1528,  convo- 
quée par  François  !«'  pour  demander  aux  Parisiens  de  racheter  les  enfants 
de  France  «  estans  de  présent  ès-pays  d'Espagne  ès-mains  de  Tesleu  em- 
pereur »,  figure  l'indication  des  corps  qui  envoyaient  des  délégués  à 
l'Hôtel  de  Ville,  savoir  :  «  Messeigneurs  de  la  Cour  de  parlement. et  de  la 
Chambre  des  comptes,  les  généraux  de  la  justice,  des  aides,  des  monnaies, 
l'évoque  de  Paris,  les  recteurs  de  l'Universilé,  les  membres  du  chapitre 
de  Paris,  les  abbés  de  Sainte-Geneviève,  Saint- Victor,  Sainte-Catherine 
du  Val  des  Ecoliers,  les  prieurs  de  Saint-Eloi,  de  Saint-Martin  des  Champs, 
des  Chartreux  et  des  Célestins.  »  (Reo.  H,  1779,  fo  7.) 


INTRODUCTION  XXV 

abbayes  et  prieurés  et  huit  notables  de  chaque  quartier  *. 
Les  assemblées  générales  avaient  pour  principale  raison 
d'être  la  fréquence  des  demandes  d'argent  adressées  par  le 
roi  aux  bourgeois  de  sa  bonne  ville  de  Paris;  à  l'ordi- 
naire, on  cherchait  à  marchander,  à  gagner  du  temps,  en 
invoquant  ce  prétexte  que  telle  ou  telle  assemblée  n'était 
pas  en  nombre,  et  le  prévôt  des  marchands  en  convoquait 
une  seconde  ou  une  troisième,  pour  se  ménager  le  temps 
de  demander  au  roi  une  réduction  du  subside  ^ 

Il  serait  superflu  d'insister  sur  l'importance  considérable, 
au  point  de  vue  politique  comme  au  point  de  vue  adminis- 
tratif, du  prévôt  des  marchands  et  de  ses  auxiliaires,  les 
échevins.  Leur  origine  élective,  le  rang  qu'ils  occupaient 
dans  les  cérémonies  publiques,  la  magnificence  de  leurs 
costumes,  l'immense  hiérarchie  de  leurs  subordonnés,  tout 
contribuait  à  rehausser  leur  prestige  et  à  faire  d'eux  pour 
la  monarchie  soit  de  précieux  serviteurs,  soit  les  plus 
redoutables  des  adversaires.  Mandataires  de  la  cité,  ils 
avaient  qualité  pour  parler  au  nom  de  tout  Paris  et  pour 
dire  la  vérité  aux  rois.  Ils  ne  faillirent  pas  à  ce  devoir,  et 
les  remontrances  de  la  Ville,  moins  connues  que  celles  du 
Parlement,  attestent  peut-être  un  esprit  plus  large,  une 
plus  grande  pitié  pour  les  misères  du  peuple.  Administra- 


i.  Géiaiiy  dit  le  Reo.  H,  1783,  f»  255,  u  rassemblée  la  plus  complète  et 
au  plus  grand  nombre  de  gens  notables  qui  y  fut  vue,  passé  à  quarante 
ans  B. 

Nous  ne  citons  ici  que  les  trois  principaux  types  d'assemblées  munici- 
pales^ mais  il  y  avait  bien  des  circonstances  où  la  composition  variait. 
Ainsi,  le  31  décembre  1533,  Léonard  Gouard  est  admis' en  qualité  de  suc- 
cesseur du  procureur  du  roi  et  de  la  Ville,  Jehan  Benoist,  par  une  assem- 
blée composée  non  seulement  du  Bureau  de  la  Ville,  mais  encore  des 
quartiniers,  et  Léonard  Gouard  soutint  qu'on  aurait  dû  convoquer,  en 
outre,  deux  bourgeois  notables  par  quartier,  ce  qu'on  trouva  contraire 
aux  précédents.  (Rbg.  H,  1719,  f^  158.)  En  général,  le  Bureau  de  la  Ville 
statuait  seul  sur  les  résignations  d'offices  municipaux.  (Rbg.  U,  1779,  f»  lU, 
138,  215,  etc.) 

2.  On  peut  prendre  comme  exemple  ce  qui  se  passa  le  20  mars  1558, 
sous  le  règne  de  Henri  IL  (Red.  H,  1783,  P  26.)  Mais  ces  pratiques  dataient 
de  Louis  XII  (Rbg.  H,  1778,  fo  107)  et  se  reproduisirent  sans  interruption. 


XXVI  INTRODUCTION 

leurs,  ils  avaient  daas  leurs  attributions  le  commerce  flu- 
vial, les  fortifications,  les  ponts  et  quais,  le  pavage,  sauf 
la  avisée  de  Paris  *,  la  distribution  des  eaux,  Tcntretien 
des  fontaines,  la  surveillance  des  poids  et  mesures,  la  répar- 
tition de  la  taille,  Tadministration  générale  des  pauvres, 
et,  sous  le  nom  de  rentes  sur  THôtel  de  Ville,  le  service  de 
la  dette  publique,  à  dater  de  1522  '. 

Une  analyse  patiente  des  Registres  de  la  Ville^  véritables 
procès-verbaux  des  assemblées  municipales  de  Paris,  permet 
de  mettre  en  relief  le  rôle  considérable  qu'ont  joué  dans  les 
annales  de  la  France  les  prévôts  des  marchands  parisiens, 
leurs  auxiliaires  et  leurs  administrés.  Faire  entrer  ces 
renseignements  précieux  et,  en  majeure  partie,  inédits, 
dans  le  cadre  général  de  l'histoire  du  pays,  te]  a  été  notre 
but.  C'est  la  seconde  partie  de  cette  étude  que  nous  don- 
nons aujourd'hui  '.  Elle  porte  exclusivement  sur  le  règne 
de  Henri  III  et  trace  un  tableau  de  la  vie  de  Paris  pendant 
l'une  des  périodes  les  plus  agitées  de  l'histoire  nationale. 


1.  La  croisée  de  Paris  était  à  la  charge  du  roi.  On  appelait  ainsi  les 
deux  grandes  voies  qui  joignaient,  d'une  part,  la  porte  Saint-Denis  à  la 
porte  Saint-Jacques,  et,  d'autre  part,  la  porte  Baudet  (aujourd'hui  place 
Baudoyer)  au  château  du  Louvre.  La  croisée  finit  par  s'étendre  à  l'est 
jusqu'à  la  Bastille  Saint-Antoine,  en  suivant  le  grand  chemin  royal  qui 
porte  de  nos  jours  le  nom  de  rue  Saint-Antoine. 

2.  C'est  le  chancelier  Duprat  qui  inspira  l'édit  du  10  octobre  1522,  lequel 
vend  «  certaines  fermes  et  aydes  à  la  communauté  et  corps  universel  de 
la  ville  de  Paris  »,  représenté  par  le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins, 
en  autorisant  le  corps  de  Ville  à  offrir  ces  garanties  au  public,  qui  accep- 
terait, en  échange  du  capital  versé,  des  rentes  sur  l'Hôtel  de  Ville.  Le 
receveur  municipal  fut,  à  partir  de  ce  moment,  chargé  de  payer  les  ren- 
tiers. (FéUB.,  Pr,^  t.  I,  p.  578.) 

3.  La  première  a  paru  en  1880  sous  ce  titre  :  Histoire  municipale  de  Paris, 
depuis  les  origines  jusqu'à  f avènement  de  Henri  III.  Paris,  Reinwald,  édi- 
teur, 1  vol.  in-8o  de  676  p. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 


10  Ouvrages  impiimés. 

ÀMPuncATiON,  etc.  —  Amplification  des  particularités  qui  se  passèrent 

à  PariSy  lorsque  M,  de  Guise  s'en  empara  et  que  le  roi  en  sortit. 

(Arcb.  cur.,  !<*«  série,  t.  XI,  p.  351.  Mém,  de  laLigue^   t.  II,  p.  315. 

Preuves  de  la  Sat.  Ménippée^  t.  H I,  p.  64.) 
Anquetil.  —  Vesprit  de  la  Ligue.  3  vol.  in-12.  Paris,  1767. 
Arrests  de  la  cour.  —  Arrests  de  la  cour  souveraine  des  pairs  de 

France  donnez  contre  les  meurtriers  et  assassinateurs  de  messieurs  les 

cardinal  et  duc  de  Guise.  Paris,  Nyvelle,  1589,  in-8°.  (Arch.  cur., 

!'•  série,  t.  XII.  p.  222.) 
Aubioné  (d').  —  Histoire  universelle.  Ëdit.  in-f^  de  1626. 
Aucoc.  —  Le  Conseil  d^Ètat  avant  et  depuis  4789.  1  vol.  in-8<*.  Impr. 

WAT.,  1876. 
Barricades.  —  Histoire  de  la  journée  des  bari*icades  de  Paris.  Mai  1588. 

(BiBL.  NAT.  Fonds  DE  Tqoist,  Rec.  hist.,  t.  III,  in-r®.  Rev.  rétrosp,^ 

t.  IV,  !'•  série,  p.  391.  Arch.  cur.,  1'«  série,  t.  XI,  p.  365.) 
Bayle.  —  Dict.  historique  et  critique.  A^  édit.  Amsterdam,  1730,  4  vol. 

in-f«. 
Bernard  (Etienne).  —  Journal  des  États  de  Blois  tenus  en  4588  et  4589 

par  M«  Etienne  Bernard,  avocat  au  parlement  de  D^jon,  député  du 

tiers  état  de  ladite  ville  pour  y  assister.  {Rec.  des  Etats  généraux^ 

t.  XIV,  p.  440.) 
Bibliothèque.  École  des  Chartes.  —  Bibliothèque  de  VÈcole  des  Chartes. 

Paris,  1839-188... 
Bodin  (Jean).  —  Journal  du  tiers  état.  (États  généraux  de  1576.) 
Boulay  (du).  —  Hist.  univ.  Parisiensis.  Paris,' 1665-1673,  6  vol.  in-f». 
Boileau  (Eslienne).  —  Livre  des  métiers,  Ëdit.  René  de  Lespinassb  et 

François  Bonnardot.  Paris,  1879,  in-f<>,  dans  la  collection  de  VHistoire 

générale  de  Paris. 
Bos  (Emile).  —  Les  avocats  aux  Conseils  du  rot  1  vol.in-8<',  1881.  Paris. 


XXVIII  INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 

Breul  (du).  —  Le  théâtre  des  antiquités  de  Paris  y  par  Jacques  du  Breul, 

Parisien.  Paris,  1  vol.  in-4<»,  4639. 
Brillon  (Jacques).  —  Dictionnaire  des  arrêts  ou  jurisprudence  univer- 
selle des  parlements  de  France.  Édit.  de  1727,  6  vol.  in-f°. 
Brûlé.  —  Chronologie  des  curés  de  Saint-Benoit.  (1752,  in-8».) 
Campardon.  —  Les  spectacles  de  la  foire,  2  vol.   in-8«,  1877.  Paris, 

Berger-Levraut  t. 
Capefigue.  —  La  Ligue  et  Henri  IV.  ïn-12.  3«  édition.  Paris,  1843. 
Chartier  (J.)-  Chronique  de  Ctuirles  VII,  publiée  par  Vallet  de  Viriville. 

Paris,  1858,  3  voL  in-8». 
Cheverny.   —  Mémoires  de  Chevemy.  (Coll.  Michaud   et  Poujoulat, 

1"  série,  t.  X,  p.  458.) 
Les  grandes  chroniques  de  France  selon  qu'elles  sont  conservées  en 

réglise  de  .Saint-Denis  en  France,  publiées  par  M.  Paulin  Paris.  Paris, 

1836-1838,  6  vol.  in.8o. 
Cimrer  et  Danjov.  —  Archives  curieuses  de  Vhistoire  de  France  depuis 

Louis  XI  jusqu'à  Uuis  XVIIL  Paris,  1834-1840,  27  vol.  in-8«. 
Glamageran.  —  Hist.  de  Vimpôt  en  France.  Paris,  1868,  2  vol.  in-8o. 
Comptes.  —  Comptes  de  dépense  de  Henri  //J,  de  4580  à  Î588.  (Arch. 

cuR.,  t.  X,  p.  424.) 
C0.NSEI1.S  DU  ROI.  —  Les  règlements  faits  par  le  roy,  le  premier  jour  de 

janvier  mil  cinq  cens  quatre-vingt-cinq.  (Ancii.  cur.,  t.  X,  p.  299.) 
Conseil  salutaire,   etc.  —  Conseil  salutaire  d'un    bon   Fratiçois  aux 

Parisiens,  Paris,  1589.  (Arch.  cur.,  1^»  série,  t.  XII,  p.  331.) 
Cousin  (Jules).  La  Cité  (dans  la  coll.  de  Paris  a  travers  les  âges).  Paris, 

1875. 
Crevier.  —  Histoire  de  V Université  de  Paris  depuis  son  origine  jusqu'en 

l'année  1600.  Paris,  1761,7  vol.  ln-12. 
Déclaration  du  roi.  —  Déclaration  du  roi  sur  Vattentat,  félonnie  et 

rébellion  du  duc  de  Mayenne^  duc  et  chevalier  d^Aumale  et  ceux  qui 

les  assisteront.  (Mém.  de  la  Ligue,  t.  III,  p.  203.) 
Déclaration  des  conslls,  etc.  —  Déclaration  des  consuls,  échevins^  ma^ 

nans  et  habitants  de  la  ville  de  Lyon  sur  Voccasion  de  la  prise  d'armes 

par  eux  faite  le  24  février  4589.  (Mém.  de  la  Ligue,  t.  III,  p.  271.) 
Delamare.  —  Traité  de  la  police.  Paris,  4  vol.  in-f»,  1705-1738. 
Desmaze   —  Le  Chdtelet  de  Paris,  son  organisation^  ses  privilèges.  Paris, 

1863,  in.8^ 
Dialogue.  —  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant  (à  la  suite  de  la 

Satyre  Ménippée,  édit.  de  Ratisbonne  1752,  t.  III,  p.  367). 
Discours  véritable,  etc.  —  Discours  véritable  de  Vestrange  et  subite 

mort  de  Henry  de  Vabis  advenue  par  permission  divine,  lui  estant  à 

Sainct-Cloud,  ayant  assiégé  la  ville  de  Paris,  le  mardy  premier  jour 

d'août  1589,  par  un  religieux  de  l'ordre  des  Jacobins.  (Mém.  de  u 

Ligue,  t.  IV,  p.  6,  et  Ancii.  cur.,  l^e  série,  t.  XII,  p.  383.) 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE  XXIX 

Discoi'RS  AUX  Français,  etc.  —  Discours  aux  Français  avec  Vhistoire  véri- 
table sur  r admirable  accident  de  la  mort  de  Henry  de  Valois,  naguéres 
roy  de  France,  advenue  au  bourg  de  Sainct-Cloud-lés-Paris,  le 
1«  août  1589.  (Arch.  cur.,  t.  XII,  p.  Slii.) 

Épernon  (duc  d').  —  Remontrance  au  roi  par  un  vrai  catholique  romain, 
son  serviteur  fidèle,  répondant  à  la  requête  présentée  par  la  Ligue 
contre  les  sieurs  d'Epernon  et  La  Valette  (t.  Il  des  Mem.  de  la  Ligue, 
p.  354). 

EsToiLE  (r).  —  Mémoires,  journaux  des  régnes  de  Henri  Hî  et  de 
Henri  IV,  Édition  complète,  publiée  par  MM.  Halphen,  Paul  Lacroix, 
Gh.  Reao,  etc.  Paris,  1875,  9  vol.  in-S»,  1875-1881. 

États  généraux.  —  Recueil  des  pièces  originales  et  authentiques  conte- 
nant la  tenue  des  États  généraux,  16  vol.  in-8°.  Paris,  Barrois  l*aÎné. 

États  généraux.  —  Des  États  généraux  et  autres  assemblées  nationales, 
Paris  et  La  Haye,  1780. 

Félibien  et  LoBiNEAU.  —  Histoire  da  la  Ville  de  Paris,  avec  les  Preuves. 
5  vol.  ifl-fo.  Paris,  1725. 

Finances.  —  Traité  des  finances  de  France,  de  Finstitution  dicélles,  de 
leurs  sortes  et  espèces,  de  ce  à  quoy  elles  sont  destinées,  des  moiens 
d^en  faire  fonds,  de  les  bien  emploier  et  d'en  faire  réserve  au  besoing, 
1580.  (ARcn.  CUR.,  t.  IX,  p.  34i.) 

Fleury.  —  Histoire  ecclésiastique  avec  la  Table.  Paris,  1722-1738,  37  vol. 
in-4<». 

Fontanon.  —  Les  édits  et  ordonnances  des  rois  de  France  tiepuis  Louis  VI 
jusqu'à  présent.  Èd\i.  revue  par  G.  Michel.  Paris.  1611, 4  tomes  en  3  vol. 
In-f°. 

FouRNiER  (Edouard).  —  Le  Palais  de  Justice  et  le  Pont-Neuf.  (Dans  la 
coll.  de  Paris  a  travers  les  âges.)  Paris,  1875. 

GooEFROY.  —  Le  cérémonial  françois,  recuellly  par  Théodore  Godefrov, 
conseiller  du  roy  en  ses  Conseils,  et  mis  en  la  lumière  par  Denys 
Godefroy,  advocat  au  Parlement  et  historiographe  du  roy.  Paris,  1649, 
2  vol.  in-r». 

GuBSLE  (de  la).  —  Lettre  d'un  des  premiers  officiers  de  la  cour  de  Par- 
lement eserite  à  un  de  ses  amis  sur  le  subject  de  la  mort  du  roi.  (Arch. 
CUR.,  1"  série,  t.  XII,  p.  376.) 

Guillaume  de  Nangis.  —  Edit.  Géraud.  Paris,  1843,  2  vol.  gr.  in-8". 

Haton  (C).  —  Mémoires  de  Claude  Haton,  contenant  le  récit  des  événe- 
ments accomplis  de  îoo3  à  1382.  Publiés  par  M.  Félix  Bourquelot. 
Paris,  Impr.  nat.,  1857,  2  vol.  in-4». 

11 AY..  —  Recueil  des  Chartes,  etc.,  des  arbalestriers,  archers,  arquebu- 
siers, etc.,  de  la  ville  de  Paris.  1770,  in-f«. 

HoTMAN  (Franc.)  —  Franco-Gallia,  sive  tractatus  isagogicus  de  regimine 
regum  Galliœ  et  de  jure  successionis  (Genevœ),  1573,  in-8. 

HoTMAN  (François).  —  Brutum  fulmen  papœ  Sixti  V  ndversus  Henricum, 


XXX  INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 

regem  Navarrœ,  1588,  ln-8<».  Leyde,  158B,  4602  cl  1603,  în-8«;  trad. 
en  français  en  1585  et  1587,  in-8o. 

HuRAULT  DU  Fay.  —  Excellmt  et  libre  discours  sur  Vétat  présent  de  la 

France.  (Mêm.  de  la  Ligue,  t.  III,  p.  â,  et  Sat.  Mên.,  t.  III,  p.  84.) 
IsAHBERT.  •—  Recueil  général  des  anciennes  lois  françaises,  depuis  Fan 
4SM  jusqu'à  la  révolution  de  4789,  par  MM.  Jourdan,  Decrusy,  Isam- 
BERT.  Paris,  1823-1833,  29  vol.  in-8<». 

Laditte  (Cil.)-  —  -De  la  démocratie  chez  les  prédicateurs  de  la  Ligue. 
Paris,  1841,  1  vol.  in^o. 

La  Croix  du  Maine  et  du  Verdier.  —  La  bibliothèque  française  de  La 
Croix  du  Maine  et  du  Verdier.  Nouvelle  édit.,  revue  par  Rigolet  de 
JuviGNY.  Paris,  1772-1773,  6  vol.  ln-4». 

La  Curne  de  Sainte -Palaye.  —  Dictionnaire  historique  de  Vaneien  lan- 
gage français.  Niort  et  Paris,  1875-1882,  10  vol.  in-4»,  éd.  Favre. 

La  France-Turquie.  Paris,  1575.  Orléans,  1576,  in-8o. 

•La  Popelinièrb.  —  Vhistoire  de  France,  enrichie  des  plus  notables  occur- 
rences survenues  ez-provinces  de  F  Europe  et  pays  voisins ,  soit  en 
paix^  soit  en  guerre,  depuis  l*an  4550jusques  à  ce  jour.  Paris,  1581, 
2  vol.  in-f«. 

Lastre  (de).  —  Discours  du  siège  tenu  devant  La  Charité.  4577,  in-S». 
Pièce.  BiBLiOTH.  nat.,  Lb'*. 

Leber.  —  Collection  des  meilleurs  dissertations,  notices  et  traités  parti- 
culiers relatifs  à  l'histoire  de  France.  Paris,  1838,  20  vol.  ln-8«. 

Ieboeuf.  —  Lettres  de  Vabbé  Lebœuf  sur  Vorigine  des  feux  de  la  Saint- 
Jean.  (Coll.  Leber,  t.  VIII,  p.  472.) 

Leboeuf  (rabbé).  —  Histoire  de  la  ville  et  de  tout  le  diocèse  de  Paris. 
Paris,  1754-1758,  15  vol.  in-12. 

Lecaron  (Frédéric).  —  Les  origines  de  la  municipalité  parisienne.  T.  VII 
des  MÉM.  DE  LA  Soc.  DE  l'bistoire  de  France,  p.  79. 

Ieroux  de  Lincy.  —  Histoire  de  VHôtel  de  Ville.  1  vol.  in-8«.  Paris, 
1846.  —  Livre  des  sentences  du  parloir  aux  Bourgeois.  Ibid.  Appen- 
dice Il  et  Arch.  nat.,  sect.  hist.,  reg.  KK.  10. 

Le  martyre,  etc.  —  Le  martyre  de  frère  J.  Clément,  de  Vordre  Sainct- 
Dominique,  contenant  au  vray  toutes  les  particularités  plus  remar- 
quables de  la  saincte  résolution  et  très  heurei^e  entreprise  à  rencontre 
de  Henry  de  Valois.  (Arcil  cur.,  1'«  série,  t.  XII,  p.  397.) 

Les  Olim.  —  (De  saint  Louis  à  Philippe  le  Long).  Édit.  Beugnot,  4  vol. 
in-40.  Paris,  1839-1848. 

Le  Roy.  —  Dissertation  sur  Vorigine  de  l'Hôtel  de  Ville,  en  tête  de  VHis- 
toire  de  la  Ville  de  Paris  de  Félibien  et  Lobineau,  et  tirage  à  part. 
Paris,  Oesprez,  1725. 

Ligue.  —  Mémoires  de  la  Ligue.  6  vol.  in-4*>,  Amsterdam,  chez  Arkstéb 
et  Merkus,  1758. 

Maimbouro.  —  Histoire  de  la  Ligue.  Paris,  1683,  1  vol.  in-4«. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE  \\\l 

Marseille.  —  Histoire  véritable  de  la  prise  de  Marseille  par  ceux  de  la 
Ligue.  (Mem.  de  la  Ligue,  t.  P^  p.  73.) 

—  Lettres  escrittes  de  Marseille^  contenant  au  vray  les  choses  qui  s*y 
sont  passées  les  8,  9,  40  du  moys  d*avril  dernier^  4685.  (Arch.  cur.^ 
t.  XI,  p.  27.) 

Martin  (H.).  —  Histoire  de  France.  4«  édit.  17  vol.  in-S*»,  Fume,  1861. 
Marttrp,  etc.  —  Le  martyre  des  deux  frères,  contenant  au  vray  toutes  les 

particularités  plus  notables  des  massacres  et  assassinats  commis  es 

personnes  de  messieurs  le  cardinal  et  le  duc  de  Guise  par  Henry  de- 
Valois  —  décembre  1588.  (Arch.  cur.,  1'«  série,  t.  XII,  p.  83.) 
MÉMOIRES  SECRETS.  —  Coppic  dcs  mémoircs  secrets  en  forme  de  missive 

envoyez  de  Bhis  par  un  politique  de  ceste  ville  de  Paris,  etc.  (Arch. 

CUR.,  !'•  série,  t.  XII,  p.  233.) 
MÊZBRAY.  —  Histoire  de  France,  depuis  Fharamond  jusqu'en  4643, 

nouv.  édit.  Paris,  1730,  18  vol.  in-8o. 
MicHAUD  et  PoujouLAT.  —  NouvclU  collection  des  mémoires  pour  servir  à 

rhistoire  de  France^  depuis  le  XHI^  siècle  jusqu'à  la  fin  du  XVHI^^ 

Paris,  1836-1839,  32  vol.  in-8o. 
MiCHELET.  —  Histoire  de  France.  Édit.  Lacroix,  17  vol.  in-8o.  Paris, 

1871-74. 
MicBON  et  Courtin.  —  Information  faicte  par  P.  Michon  et  J.  Courtin 

sur  les  massacres  commis  à  Blois  ès-personnes  des  duc  et  cardinal  de 

Guise.  {Hist.  des  cardinaux,  par  Aubëry,  t.  V;  et  Arch.  cur.,  l''»  série, 

t.  XII,  p.  189.) 
MiRON.  —  Relation  de  la  mort  de  messieurs  les  duc  et  cardinal  de  Guise^ 

par  le  sieur  Mir(fn,  médecin  du  roy  Henri  Ul^  1588.  (Arch.  cur.,. 

lr«  série,  t.  XII,  p.  109.) 
Monnaies.   —  Recueil  des  ordonnances,  édits,  déclarations,   etc.,   des 

monnoyes  d'or  et  d''argent  et  autres  espèces,  tant  de  France  qu'es- 

trangéres.  Paris,  1  vol.  in-S»,  1633. 
Montmorency.  —  Discours  sur  la  maladie  et  derniers  propos  de  M.  le 

maréchal  de  Montmorency.  Paris,  1579.  (Arch.  cur.,  t.  IX,  p.  311.) 
MoRÉRi.  —  Le  Grand  Dict.  historique.  Nouv.  édit.,  revue  par  Drouet. 

Paris,  1759,  10  vol.  in-fo. 
Nevers.  —  Mémoires  de  M.  le  duc  de  Nevers.  2  vol.  in-4<*,  édit.  de  1665. 
Nevers  (duc  de).  —  Traité  des  causes  et  des  raisons  de  la  prise  d'armes- 

faite  en  janvier  1589,  par  le  duc  de  Nevers.  (Mém.  de  Nevers,  t.  II, 

édit.  de  1665,  et  Arch.  cur.,  t.  XIII,  p.  173.) 
Ordonnances  des  rois  de  France  de  la  troisième  race.  —  Publiées  par 

Laurière,  Secousse,  etc.  22  vol.  in-^,  2  vol.  de  tables.  Paris,  1723-1847. 

—  Ordonnances  royaulx  de  la  juridiction  de  la  prévosté  des  marchans 
et  eschevinaige  de  la  ville  de  Paris,  constituez  et  ordonnez  tant  par 
les  feuz  rois  que  par  le  roy  nostre  sire,  François  I«'  de  ce  nom^ 
1  vol.  in-i»,.  ex-gothique.  Paris,  1528  (Carnavalet,  réserve,  n«  11929). 


XXXII  INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 

—  Ordonnances  royaux  sur  le  faict  et  jurisdiction  de  la  prévosté  des 
marchands  et  eschevinage  de  la  ville  de  Paris.  A  Paris,  chei  P.  Ro- 
COLET  (Carnavalet,  n*>  3909). 

Orléans  (Louis  d*).  —  Avertissement  des  catholiques  anglais  atix  Fran- 
çais catholiques  du  danger  où  ils  sont  de  perdre  leur  religion  et  d'ex- 
périmenter, comme  en  Angleterre^  la  cruauté  des  ministres,  s'ils 
reçoivent  à  la  couronne  un  roy  qui  soit  hérétique.  1586.  (Arch.  ccr., 
LXKp.  111.) 

OuDiETTE  (Ch.)*  —  Dict,  topographique  des  environs  de  Paris.  Paris, 
1812,  inSo. 

Palma-Cayet.  —  Introd.  de  la  chronologie  novenaire.  (Coll.  Micraud  et 
PoujouLAT,  l'»  série,  t.  XII,  p.  34.) 

Panygrolles.  —  Coppie  d'une  lettre  escriie  par  Edmond  de  Panygrolks, 
escuyer^  à  un  seigneur  du  pays  de  Bourgogne^  en  laquelle  est  contenu 
le  discours  des  estais  provinciaux  de  Normandie  îêhhs  à  Rouen  en 
4578.  (Arch.  cur.,  i^  série,  t.  IX,  p.  263.) 

Paris  a  travers  les  âges.  —  Collection  Firuin-Didot.  1875-1883.' 

Pasquier  (Estienne).  —  Œuvres.  2  vol.  in-f».  Amsterdam,  1723. 

Petitot  et  MoNMERQUÊ.  —  Collection  complète  des  mémoires  relatif^  à 
Chistoire  de  France,  depuis  le  régne  de  Philippe-Auguste  jusqu'à  la 
paix  de  Paris  conclue  en  4673.  Paris,  1819-1829,  131  vol.  ln-8°. 

Plessis-Mornay  (du).  —  Lettre  d'un  gentilhomme  catholique  français. 
(Arch.  cur.,  t.  XI,  p.  203.; 

Picot  (G.).— Histoire  des  États  généraux^  de  4355  à  4604.  Paris,  1872, 
4  vol.  in-8o. 

Pillehotte  (Jean).  —  Actes  de  la  seconde  séance  dhs  États  généraux  de 
France.  Lyon,  1588.  Avec  privilège  du  roy. 

PoGiANUs.  —  Oraison  funèbre  de  François  de  Lorraine.  Reims,  1563,  in-8®. 

Poulain  (Nicolas).  —  Le  procès-verbal  d'un  nommé  Nicolas  Poulain, 
lieutenant  de  la  prévosté  de  VIsle-de-France,  qui  contient  rhistoire  de 
la  Ligue ^  depuis  le  2  janvier  4585,  jusqu'au  jour  des  Barricades^  le 
42  mai  4588  (à  la  suite  de  Tédit.  de  TEstoile  de  1744,  t.  II,  et  Arch. 
CUR.,  t.  XI,  p.  290). 

Rentes.  —  Mémoires  coTu^emant  le  contrôle  des  rentes,  Paris,  chez 
P.-A.  Lehercier,  1717,  1  vol.  in-12. 

Réponse,  etc.  —  Réponse  aux  mémoires  d'un  politique.  (Arch.  cur., 
1"  série,  t.  XII,  p.  251.) 

Responsum.  —  Responsum  facultatis  theologicœ  parisiensis.  (Arch.  cur., 
1"  série,  t.  XII,  p.  349.) 

Revue  rétrospective.  Publiée  par  M.  J.  Taschereau.  Paris,  1833-1838, 
20  vol.  in-8o. 

RiGORD.  —  De  Gestis  Phil.  Augusti.  Édition  de  1596,  in-fo. 

Rodiquet  (Paul).  —  Histoire  municipale  de  Paris  depuis  les  origines  jus- 
qu'à Vavénement  de  Henri  UL  Paris,  Reinwald,  1880,  i  vol.  ln-8o. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE  XXXIII 

RouiLLARD  (Sébastien).  —  Histoire  de  Melun,  16S8,  in-i». 

RouLLAuo  (Léon).  •—  La  foire  Saint-Germain  sons  les  régnes  de  Char- 

les  IX,  de  Henri  Ul  et  de  Henri  IV.  Paris,  4877,  31  p.  in-8«. 
Satyre  Mênippêb.  —  Edil.  de  Ralisbonne  de  i752.  Matbias  Kerner. 

3  vol.  in-12. 
Sautal.  —  Histoire  et  recherche  des  antiquités  de  la  ville  do  Paris. 

Paris,  3  vol.  in-f°,  1724. 
Saimct-Gelais  (Jehan  de).  —  Histoire  de  Louis  2lIL  Paris,  1622,  in-4<». 
Sajnt-Foix.  —  Essais  historiques  sur  Paris.  Londres  et  Paris,  17ÎÎ9, 

3  vol.  in-12. 
Sainct-Yon.   —  Histoire  très  véritable  de  ce  qui  est  advenu  en  ces  te 

ville  de  Paris  depuis  le  VH  may  1588  jusques  au  dernier  jour  de 

juin  en  suyvant  audit  an.  Arch.  cur  ,  l''^  série,  t.  XI,  p.  329,  et  t.  III, 

Satyre  Ménippée.  Preuves.  Edit.  de  1752,  p.  40. 
ScRiPTA.  —  Scripta  utriusque  partis.  Francfort,  in-8o,  1586. 
Sel.  —  La  descouverture  des  deniers  salez^  dédiée  au  roy  et  à  messieurs 

des  États  à  Blois,  advis  très  utile  et  nécessaire  pour  le  recouvrement 

de  notables  sommes  de  finances  sur  les  partizans  du  sel.  Au  grand 

soulagement  du  peuple  à  Paris.  De  Timprimerie  de  Denys  Duval,  au 

Ciieval   Volant,   rue   Saint-Jean-de-Beauvals  (1588).   (Arcu.   cur., 

1'»  série,  t.  XII,  p.  49.) 
Senecey  (baron  de).  —  Remerciement  faict  au  njom  de  la  noblesse  de 

France.  A  Lyon,  par  BenoIt  Rigaud,  1588. 
Société  de  l'bist.  de  France.  Paris,  1835-188... 
Sorcelleries,  etc.  —  Les  sorcelleries  de  Henry  de  Valois  et  les  oblations 

qu'il  faisoit  au  diable  dans  le  bois  de  Vincennes.  Paris,  1589.  (Arch. 

cur.,  l*"®  série,  t.  XII,  p.  485.) 
Taix  (Guillaume  de).  —  Journal  de  États  génératix  de  4576. 
Tailunoier.  —  Mbl.  de  ï École  des  Chartes.  2«  série,  t.  Il,  p.  422. 
Teissier.  —  Eloges  des  hommes  savants  tirés  de  V histoire  de  M.  de  Thou, 

avec  des  additions.  Édit.  de  Leyde,  1715,  4  vol.  in-12. 
Thou  (Jacques-Auguste  de).  Histoire  universelle,  depuis  4 5k3  jusqu'en 

4607.  Traduite  sur  l'édition  latine  de  Londres.  Londres,  16  vol.  in-4o, 

1734. 
Waddinc.  —Script,  ordinis  minorum.  1650,  in-f<». 
Vitet.  —  Histoire  des  Barricades,  4*  édit.  1830. 
Zur-Lauben  (baron  de).  Histoire  militaire  des  Suisses  au  service  de  la 

France.  Paris,  5  vol.  in-8o,  1751. 

Z^  Manuscrits  inédits. 

Délibérations  du  bureau  de  la  ville.  Transcription  sur  les  registres 
des  ordres  du  roi,  des  délibérations  du  corps  de  Ville  en  matière  admi- 
nistrative^ des  mandements  des  prévôts  des  marchands  et  des  éche- 


XXXIV  INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 

vins,  etc.,  de  4499 à  4784.  —  Arch.  nat.,  sect,  administrative.  Cent  cinq 
registres,  sous  la  cote  H,  4778  à  1880,  et  commençant  le  25  octobre 
1499  pour  finir  en  mars  1784. 

LMmpression  de  ces  registres  a  été  commencée  par  la  Ville  de  Paris  ; 
mais  on  n*a  encore  publié  qu'un  volume  en  1883,  dans  la  collection  de 
THisTOiRE  GÉNÉRALE  DE  PARIS.  Il  ne  conticDt  quc  la  reproduction  du  pre- 
mier registre  (H,  1778)^  qui  débute  à  la  date  du  26  octobre  1499  (chute 
du  pont  Notre-Dame]  et  s'arrête  au  17  mal  1517  (description  de  l'entrée 
de  la  reine  Claude).  Le  texte  a  été  édité  et  annoté  par  M.  François  Bon* 
NARDOT,  ancien  élève  de  l'École  des  Chartes.  Paris,  Imprimerie  nationale^ 
1883. 


PARIS  ET  LA  LIGUE 


CHAPITRE  PREMIER 


PARIS   ET   liE   NOUVEAU   ROI 

Depais  ravènemenl  de  Henri  III  jasqa*à  la  paix  de  Bergerac 
(30  mai  1574  —  17  septembre  1577). 


A  la  mort  de  Charles  IX  (30  mai  1374),  Paris  et  la 
France  se  trouvaient  dans  une  situation  étrange,  entre  un 
roi  qui  n'est  plus  et  un  roi  absent.  Il  faut  brièvement 
rappeler  les  principaux  incidents  de  cet  interrègne  de  fait, 
qui  ne  prend  réellement  fin  qu'au  bout  de  neuf  mois  par 
l'arrivée  du  roi  au  Louvre. 

La  scène  politique  paraît  vide  :  le  roi  de  Navarre  et  le 
duc  d'Alençon  sont  gardés  à  vue,  sous«la  main  de  Cathe- 
rine, les  maréchaux  de  Montmorency  et  de  Cossé,  prison- 
niers à  la  Bastille.  Au  loin,  l'orage  gronde  :  le  prince  de 
Condé  cherche  en  Allemagne  des  alliés  et  des  ressources. 
En  Languedoc,  le  maréchal  de  Damville,  le  frère  de  Mont- 
morency, convoque  h  Montpellier  les  états  de  sa  province 
et  forme  avec  les  protestants  du  Midi  une  ligue  redoutable. 
La  Noue  et  les  Rochellois,  tout  en  acceptant  l'argent  de  la 
reine  mère  et  en  concluant  des  trêves  avec  Montpensier, 
Biron  et  Strozzi,  gardent  la  main  sur  l'épée.  Il  y  a  un  long 
moment  d'attente,  et  Paris  se  demande  si,  après,  le  roi 

ROfilQUET.  1 


2  PARIS  ET  LA  LIGUE 

sanglant,  un  roi  pacificateur  et  vraiment  national  va  venir. 
Il  ne  vint  qu'un  prince  de  féerie,  et  encore  vint-il  bien 
lentement  prendre  possession  de  cette  capitale  qu'il  n'avait 
quittée  qu'à  regret. 

Nous  ne  décrirons  pas  l'odyssée  du  roi  de  France  et  de 
Pologne  à  travers  l'Autriche  et  l'Italie  *  :  les  fêtes  éblouis- 
santes de  Venise,  la  fatale  hospitalité  du  duc  de  Savoie 
qui  coûta  Pignerol  k  la  France;  puis,  l'entrevue  de  Bour- 
goin,  la  prise  de  possession  du  nouveau  roi  par  Catherine, 
la  disgrâce  des  favoris  de  Pologne,  Bellegarde  et  Pibrac, 
et  la  rupture  définitive  avec  Damville.  Dès  le  début,  la 
déception  de  la  cour  et  du  pays  est  immense.  Qui  pouvait 
s'attendre  à  ces  mœurs  de  satrape  efféminé?  Qui  pouvait, 
parmi  les  durs  compagnons  de  Charles  IX,  supporter  un 
prince  qui  ne  monte  plus  à  cheval,  ne  mange  plus  qu'en- 
touré d'une  balustrade  d'or,  et  ne  sort  plus  de  son  boudoir 
odorant  que  pour  s'étendre  au  fond  d'un  bateau  peint  qui 
le  promène  lentement  sur  la  Saône?  Les  plus  braves 
gentilshommes  :  Gaspard  de  Nançay,  les  deux  frères  d'An- 
gennes,  quittent  la  cour,  indignés,  laissant  la  place  aux 
nouveaux  favoris,  jeunes  inconnus  avec  lesquels  le  roi 
s'enferme  *.  Lyon  ayant  cessé  de  plaire  à  Tindolent  Henri, 
il  gagne  Avignon,  à  travers  le  Midi  en  feu,  sans  se  soucier 
des  injures  de  Montbrun  qui  lui  enlève  ses  bagages  au 
passage.  Alors  commencent  ces  momeries  de  corporations 
de   flagellants,  ces   indécentes   exhibitions   de    pénitents 

1.  Nous  avons  fait  ailleurs  ce  récit,  qui  n'appartient  pas  à  notre  sujet. 
Voy.  dans  la  Revue  de  France  (t.  XL,  p.  325,  n«  du  15  mars  1880)  Tarticle 
intitulé  :  Les  deux  couronnes  de  Henri  III. 

2.  Le  principal  favori  du  roi,  M.  Du  Guast,  qui  devait,  Tannée  suivante, 
mourir  d'une  façon  tragique,  avait  reçu  pour  récompense  de  ses  services 
les  évêchés  de  Grenoble  et  d'Amiens,  vacants  depuis  la  mort  du  cardinal 
de  Gréqui.  Du  Guast  «  vendit  à  une  garse  de  la  cour  l'évesché  d'Amiens,  qui 
dès  longtemps  avoitle  bonnet  sur  l'aureille,  la  somme  de  trente  mil  francs; 
aiant  vendu  auparavant  l'évesché  de  Grenoble  quarante  mil  francs  au  flls 
du  feu  seigneur  d'Avanson.  »  L'Estoilr,  t.  I,  p.  39,  édit.  Halphen.  Paris. 
1875. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  3 

blancs,  bleus  et  noirs,  ce  pieux  carnaval  qui  coûta  la  vie 
au  cardinal  de  Lorraine  *.  Il  semblait  vraiment  que  toutes 
les  tètes  royales  fussent  secouées  par  une  folie  contagieuse. 
Catherine  est  hantée  par  le  spectre  du  «  Titan  cardinalin 
d'enfer  »,  comme  disaient  les  huguenots  dans  une  épitaphe 
satirique  conservée  par  TEstoile.  De  son  côté,  le  roi  avait 
ses  hallucinations  lugubres,  accrues  par  Ténervement 
d'une  mollesse  libertine.  Il  rêvait  à  la  belle  princesse  de 
Condé  qui  venait  de  mourir,  à  la  même  idole  qu'il  avait 
adorée  du  fond  de  la  Pologne,  lui  adressant  des  lettres 
passionnées  avec  le  sang  tiré  de  son  doigt.  Maintenant,  il 
lui  rendait  un  culte  funèbre,  en  couvrant  ses  habits  de 
petites  têtes  de  mort  brodées.  Pour  soustraire  le  prince  à 
cette  douleur,  Catherine  a  voulu  le  marier.  Déjà  le  secré- 
taire d'État,  Pinart,  est  parti  en  Sufede,  pour  demander, 
au  nom  de  son  maître,  la  main  de  la  princesse  Elisabeth, 
sœur  du  roi  Scandinave;  et  le  peintre  Nicolas  Belon  a 
suivi  l'envoyé  français  pour  faire  le  portrait  de  la  prin- 
cesse. Puis,  Henri  III  oublie  la  négociation  commencée 
et  tombe  amoureux  de  la  princesse  Louise  de  Lorraine, 
fille  du  comte  de  Vaudémont.  Les  conseillers  protestent, 
trouvant  cette  union  inégale;  n'importe,  le  roi  la  veut  et 
quitte  brusquement  Avignon  pour  aller  se  faire  sacrer 
et  marier  à  Reims,  abandonnant  Pinart  et  son  peintre  à 
la  colère  du  roi  de  Suède.  Dernière  honte.  Henri,  dans  sa 
marche  vers  le  Nord,  s'arrête  un  moment  au  camp  du 
maréchal  de  Bellegarde   qui   assiégeait   la   petite   place 


1.  De  Thou  résume  les  bruits  qui  couraient  sur  les  causes  de  la  mort 
du  cardinal.  D'après  les  uns,  il  aurait  été  empoisonné  par  Fodeur  d'ua 
flambeau;  d'après  les  autres,  par  une  bourse  que  lui  aurait  présentée  Ma- 
ihurin  Garnier  de  Saint-Barthélémy,  fameux  empoisonneur.  L'Estoile  écrit 
avec  plus  de  vraisemblance  que  le  cardinal  mourut  «  d'une  fièvre  symp- 
tomée  d'un  extrême  mal  de  télé,  provenu  du  serein  d'Avignon,  qui  est 
fort  dangereux,  qui  lui  avoit  offensé  le  cerveau  à  la  procession  des  Battus 
où  il  s'estoit  trouvé  en  grande  dévotion  avec  le  crucifix  à  la  main,  les 
pieds  à  moitié  nuds  et  la  teste  peu  couverte....  »  T.  I,  p.  40. 


4  PARIS  ET  LA  LIGUE 

huguenote  de  Livron;  mais,  accablée  dlnjures  méprisantes 
par  les  femmes  de  cette  bicoque,  Tannée  des  mignons 
lève  le  siège  en  désordre.  Les  fêtes  du  sacre  et  du  mariage 
(13-16  février  1575)  sont  attristées  par  une  série  de  mau- 
vaises nouvelles.  Damville  a  repris  Aigues-Mortes  aux 
catholiques  et  constitué  h  Nîmes  une  ligue  formidable 
entre  les  protestants  et  le  parti  des  politiques.  Tandis  que 
des  sommes  immenses  sont  gaspillées  en  spectacles  super- 
flus, les  troupes  ne  reçoivent  plus  leur  solde  et  la  cour 
apprend  avec  une  admirable  indifférence  que  la  garnison 
de  Metz  menace  de  se  payer  elle-même  aux  dépens  des 
bourgeois.  Christophe  de  Thou,  premier  président  du 
parlement  de  Paris,  qui  est  venu  à  Reims  pour  le  sacre, 
s'indigne  de  ces  scandales  et  fait  entendre  une  voix  ferme 
au  milieu  de  la  cour  abaissée.  On  le  traite  d*homme  ridi- 
cule et  sentant  le  vieux  temps.  Mais  il  personnifiait  la 
France  et  la  capitale  *,  qui  ne  s'habituent  pas  encore  à  ce 
brusque  passage  de  la  tragédie  au  carnaval. 

Telle  était  la  préface  du  règne;  lorsque  Henri  III,  le 
dimanche  27  février  1575,  «  alla  descendre  de  son  coche 
au  Louvre  où  aiant  salué  la  roine  Blanche,  vinst  loger  au 
logis  neuf  de  du  Mortier,  près  les  Filles-Repenties,  avec  la 
roine  sa  mère  et  la  roine  sa  femme  *.  » 

Que  pensait  Paris  du  nouveau  monarque?  Qu'allaient 


1.  C'est  le  30  novembre  1574  que  le  roi  avait  écrit  h.  la  Ville  de  Paris 
pour  lui  faire  savoir  qu'en  janvier  1375  il  s'acheminerait  vers  Reims  pour 
se  faire  sacrer  u  et  bientôt  après  à  Paris  ».  Il  priait  la  Ville  de  lui  écrire 
«  toutes  les  semaines  une  fois,  de  Testât  de  Paris  ».  Kbg.  H,  1784,  f«  355. 
Pendant  son  voyage  dans  le  Midi,  Henri  HI  avait  d^ailleurs  informé  le 
prévôt  des  marchands  de  ses  divers  déplacements.  C'est  ainsi  que,  le 
10  novembre  1574,  il  écrit  au  chef  de  l'administration  municipale  qu'il  a 
pris  la  résolution  «  d'aller  en  Dauphiné  et  à  Avignon  ».  Il  prie  le  prévôt 
«  d'avoir  l'œil  ouvert  pour  conserver  toutes  choses  en  bon  état  »  pendant 
l'absence  royale.  Ibid.  Le  18  novembre,  autre  lettre  du  roi  pour  informer 
la  Ville  de  Paris  de  l'accident  arrivé  sous  le  pont  Saint-Esprit  à  Alphonse 
Gondi,  maître  d'hôtel  de  la  reine  de  Navarre.  Il  y  avait  eu  vingt-cinq  vic- 
times. VoY.  l'Estoilb,  t.  I,  p.  33. 

2.  L'Estoilb,  t.  I,  p.  52. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  5 

devenir  aux  mains  de  ce  prodigue  les  libertés  municipales 
et  les  finances  de  la  ville?  Il  fallait,  pour  ainsi  dire, 
mettre  ce  roi  et  cette  cour  dans  leur  cadre  et  dans  leur 
milieu,  avant  de  revenir  k  notre  sujet  spécial  :  Thistoire 
des  magistrats  municipaux  et  du  peuple  parisien. 

La  Ville  n'avait  pas  ménagé  les  honneurs  au  nouveau 
monarque.  Pour  fêter  son  arrivée  en  France,  elle  avait, 
dès  ]e  i4  septembre  1574,  alors  que  Henri  III  n'était 
encore  qu'à  Lyon,  figuré  dans  le  programme  des  réjouis- 
sances officielles  *.  «  Le  mardi  14®  septembre,  la  Cour 
de  parlement  de  Paris,  la  Chambre  des  comptes,  la 
Cour  des  généraux,  le  corps  de  ville  de  Paris  et  toutes 
les  autres  compagnies  vindrent  h  Nostre-Dame  faire 
chanter  une  messe  solennelle  et  le  Te  Deurrij  en  signe 
d'allégresse  et  resjouissance,  et  pour  rendre  grâces  à  Dieu 
du  retour  du  roy  sain  et  sauf  en  son  royaume  :  Et  après  le 
disner,  fust  fait  le  feu  de  joie  devant  l'Hostel  de  Ville, 
avec  grand  nombre  de  canonades,  son  de  trompettes, 
clairons,  liaultsbois,  inscriptions  magnifiques  et  autres 
tels  signes  d'allégresse  en  semblables  choses  accoustumés. 
Sonna  tout  le  jour  la  cloche  de  l'orloge  du  Palais  en 
carillon,  et  le  soir  en  furent  faits  feux  de  joie  par  toute  la 
ville  '.  » 

Comme  don  de  joyeux  avènement,  les  membres  du  corps 
de  ville  s'octroyèrent  eux-mêmes  quelques  menus  avan- 
tages. Ils  convertirent  en  argent  les  droits  en  nature  qu'ils 
touchaient  depuis  le  règne  de  François  I***  '.  Les  fourni- 
tures de  l'épicier-apothicaii'e  du  Bureau  paraissaient  dé- 


i.  Voir  :  Registres  de  la  ville,  U,  1787,  f«  161. 

2.  L'EsTOiLB,  t.  I,  p.  23. 

3.  Noos  avons  déj&  indiqué  dans  un  précédent  ouvrage  (p.  396  el  sq., 
HUt,  municipale  de  Paris  jusqu'à  Henri  III)  les  dates  et  le  texte  des  dif- 
férentes délibérations  du  Bureau,  relatives  aux  jetons,  bougies,  épices,  etc., 
que  s'allouaient  les  magistrats  municipaux.  Voy.  aussi  Leroux  de  Li:<(Cy, 
Hist.  de  rmtel  de  Ville,  p.  166. 


6  PARIS  ET  LA  LIGL'E 

modécs,  et,  vu  la  rigueur  des  temps,  les  magistrats  muni- 
cipaux préféraient  de  bonnes  espèces  sonnantes  «  aux 
droitz  do  cires,  de  dragées  cl  d'hypocras  »  qu'ils  recevaient 
suivant  les  vieux  usages  '.  Ils  opérèrent  cette  conversion 
par  délibération  du  15  novembre  1374.  Au  moment  où  les 
administrateurs  de  la  capitale  songeaient  ainsi  à  leurs 
intérêts  particuliers,  la  situation  financière  de  la  ville  était 
déplorable,  à  tel  point  que  François  de  Vigny  jeune,  qui 
avait  été  associé  à  son  père  le  28  juillet  1564,  dans 
l'office  de  recevew  de  la  Ville  ',  voulut  donner  sa  démis- 

1.  "Ce  jourd'huy  quinziesme  jour  de  novembre  157*.  ayant  par  noua  Pré- 
vost dea  marchans  ei  ogcheving  de  ladicte  ViUe  de  Paria,  après  plu»[eura 
«randea  afTa.rçs  de  ladicte  ville,  mis  en  délibémion  au  conaeil  ordinaire 
(I  iceiLB  et  en  la  préaence  des  procureur,  receveur  et  RrefOer,  1b  difllculté 
qui  Beat  cy-devant  préaenlée  au  fourniaaemenl  des  droiu  de  cires,  de 
dragéea  et  ypoeraa  que  sire  Jehan  de  la  Bruière,  cspicier  et  apothicaire 
^L  .",  ,  "'J'"'  V'^"»""""^  <■«>  '«T  fournir  par  chacun  an.  à  «uaa  dea 
dictz  estatz  de  prévoat  des  marchana,  eschevins,  procureur. 


dieu  arokt,  a  eM  orfonni  queï.  d.cu'dnÙZmliTmmnar,  a  riduiH 
I  .„ll.,  ■  ,'°"'"°"  ""  "■"«'"  "'""  MtUwin.,  procureur,  recer.up 
d.  ûû..  rt»,  lin.i  "?"'"';■•  '-:l-"i':  prooureup  .1  g„ra.,  1.  .Z,m 
jour  de  Noa,  1.  .omui.  dï  deu,  een.  Il™,  tornS,  ,i  !"  '  i"."'-  '" 
leidieli  .leur,  eiehe.ln.,  pnienreur    r.cmur  et  Zm  '°"™'''  "  '"'°'' 

pro=h.ln  ven.ol,  1.  ,om„,  de  ,u.r.„l.  !,,„,  io,M,  „,;■'!''"  '""' 
.u.d,cl.  .leur,  „eh.,îo.,  p,oeoP.ur  et  grenie,.  El  ,u„l\;   A"  „■?.'," 

,.l,eod,y,„ill.  ,„„„.  de  e,„l  ,u.™.l,  li,„.  lou'„",  ,i"  ,1'"'™;' 
de  laquelle  ces  présentes  luy  serviront  d'acquit  et  desclisr^».  .^î 

mV;- m"  '"""""  "'■'""  ■"■""  '"•  "•'»•••'*."'."  "".o' h| 

2.  Voy.  Histoire  municipale,  p.  S3*.  La  réaignalion  de  [■ofH,.-   _ 
le,  n'avait  été  admEae  par  l'assemblée  générale  de  la  Viuâ  m.'A^^*** 
lion  que,  sa  vie  durant.  François  de  Vigny  père  resterail  83,„ ''«  *f  ""'' 
nia.  Leroux  de  Lincy  (ITûf .  de  l'Hôtel  de  Ville,  p.  184]  indimn.  k-         *°" 
mission  de  François  de  Vigny  jeune  à  la  survivant  ri„  i.  ;"_"'*'*.  !'"''■ 
père  [t56ï);  mais  il  néglige  d'ajo 
François  de  Vigny  obtint  de  la  vi 
ne  pouvait  plus  lufllre  i  sa  ticbi 
dea  rentrées  aur  l'Hôtel  de  Ville 


PARIS   ET  LE  NOUVEAU   ROI  7 

sion,  comme  François  de  Vigny  père  Tavait  lui-même 
définitivement  donnée,  au  mois  d'août  1574.  Le  receveur 
municipal,  pour  justifier  sa  détermination,  fit  valoir,  dans 
la  séance  du  Bureau  en  date  du  20  novembre,  des  raisons 
fort  plausibles  *.  Chargé,  par  contrat  du  18  novembre  1S73, 
de  recevoir  les  sommes  que  devaient  payer  les  diocèses 
pour  faire  les  fonds  des  rentes  de  la  Ville,  il  n'avait  pu 
trouver  ((  aucuns  deniers  »,  et  ce  malgré  les  procurations 
données  par  «  les  révérendissimes  cardinaux  et  aultres 
prélatz  »  assemblés  au  Louvre.  D'autre  part,  les  simples 
particuliers,  à  cause  «  de  la  misère  et  des  calamitez  des 
guerres  et  troubles  advenuz  en  ce  royaume  »,  n'avaient 
pas  réussi  non  plus  à  payer  leurs  taxes  et  cotisations.  Le 
déficit  était  de  1,500,057  livres  tournois.  Il  fallait  aviser  à 
tout  prix,  car,  si  les  rentes  sur  l'Hôtel  de  Ville  demeuraient 
impayées,  le  crédit  du  roi  serait  ruiné  et  l'on  aurait  à 
craindre  «  confusion,  discorde  et  tumulte  ».  La  respon- 
sabilité du  receveur  municipal  était  aussi  gravement  en- 
gagée, et,  sur  les  réquisitions  du  procureur  du  roi  et  de  la 
Ville,  le  Bureau  avait  enjoint  à  de  Vigny  de  faire  son 
devoir  et  de  s'arranger  pour  que  les  rentes  fussent  payées 
à  l'échéance,  faute  de  quoi  «  seroit  proceddé  à  l'encontre 
dudict  receveur  et  de  ses  cautions  ».  De  son  côté,  le  pro- 
cureur du  roi  et  de  la  Ville  s'était  transporté  par  devers  les 
syndics  du  clergé  pour  les  avertir  que,  s'ils  n'acquittaient 
pas  leur  arriéré,  «  il  seroit  proceddé  aussy  contre  lesdictz 
syndics  et  tous  lesdits  sieurs  du  clergé  par  saisie,  vente 
et  exploitation  de  tous  leurs  biens  ». 

Qui  autorisait  la  Ville  à  employer  une  procédure  aussi 
comminatoire  ?  Pour  le  faire  comprendre,  il  est  nécessaire 


charge.  En  admeUant  la  démission  de  François  de  Vigny  père,  l'assemblée 
municipale  mit  cette  condition  qu'il  assisterait  de  ses  conseils  son  fils  et 
successeur.  Rbo.  H.  1187,  f«  157. 
1.  Reg.  h,  1787,  t9  170. 


8  PARIS  ET  LA  LIGUE 

d'expliquer,  le  plus  brièvement  possible,  comment  le 
clergé  de  France  se  trouvait  engagé  à  payer  une  partie 
des  rentes  sur  THôtcl  de  Ville.  Jusqu'à  la  mort  de  Henri  II, 
on  ne  connaissait  que  les  rentes  dites  des  aides  et  gabelles^ 
parce  qu'elles  étaient  assignées  principalement  sur  les 
aides  et  gabelles,  les  domaines  et  les  recettes  générales 
ou  particulières.  A  Paris,  les  premières  aliénations  de 
rentes,  faites  par  François  P',  en  septembre  1522,  étaient 
garanties  par  le  produit  des  fermes  du  bétail  à  pied 
fourché  et  Timpôt  du  vin  vendu  au  quartier  de  la  Grève. 
A  la  fin  du  règne  de  Henri  II,  THôtel  de  Ville  avait 
déjà  630,000  livres  de  rentes  à  servir,  déduction  faite 
des  rachats  opérés  en  vertu  des  contrats.  Lors  de  l'avè- 
nement de  François  II,  Catherine  de  Médicis,  conseillée 
par  le  chancelier  de  L'Hôpital,  entreprit  de  combler  le 
déficit  du  Trésor,  qui  était  considérable,  mais  les  trois 
ordres  paraissaient  peu  disposés  aux  sacrifices.  Aux  États 
généraux  d'Orléans,  ouverts  le  13  décembre  1560  par  le 
jeune  roi  Charles  IX,  l'orateur  de  la  noblesse,  Jacques  de 
Silli-Rochefort,  et  celui  du  tiers  état,  Jean  l'Ange,  sou- 
tinrent cette  thèse  que  le  clergé  ne  devait  posséder  aucuns 
biens  temporels  et  qu'il  convenait  de  lès  vendre  pour 
aquittèr  les  dettes  de  TËtat,  sauf  à  donner  des  pensions 
suffisantes  aux  ecclésiastiques.  Le  clergé  craignit  une 
spoliation  violente,  et  l'assemblée  des  prélats,  réunie  à 
Poissy,  offrit  au  roi,  en  vertu  de  la  délibération  du 
10  septembre  1561,  quatre  décimes  pendant  six  ans,  soit 
1,493,885  livres  par  an.  Puis  elle  donna  procuration 
à  deux  cardinaux  et  quatre  évêques  pour  arrêter  une 
convention  définitive  avec  le  roi.  Ce  contrat,  qui  s'ap- 
pelle le  contrat  de  Poissy,  bien  qu'il  ait  été  signé  le 
21  octobre  à  Saint-Germain  en  Laye,  obligeait  le  clergé 
à  payer,  pendant  six  années,  1,600,000  livres  par  an,  pour 
le  rachat  des  domaines,  aides  et  gabelles  du  roi,  aliénés 


J 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  9 

dans  les  provinces,  et  ce  à  dater  du  ^"  janvier  1561  jus- 
qu'au 31  décembre  1567. 

A  l'expiration  des  six  années,  le  clergé  devait  remettre 
Sa  Majesté  en  possession  des  domaines,  aides  et  gabelles 
aliénés  à  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris,  en  garantie  des  deniers 
s'élevant  à  plus  de  7,500,000  livres.  Jusque-là,  le  clergé 
payerait  chaque  année  630,000  livres  pour  servir  au 
payement  des  quatre  quartiers  de  rentes.  Telle  était  l'ori- 
gine de  la  subvention  du  clergé  *. 

De  Vigny,  pour  en  revenir  à  lui,  avait  un  moyen  de  se 
soustraire  aux  conséquences  d'une  situation  qu'il  n'avait  pas 
faite  :  une  clause  de  son  contrat  avec  le  clergé  lui  permet- 
tait de  se  descharger  en  le  déclarant  six  mois  par  devant. 
Il  donna  donc  sa  démission  de  receveur  général  du  clergé 
pour  le  mois  de  mars  suivant  «  sans  plus  se  vouUoir 
immiscer  au  faict  de  ladîcte  charge,  sinon  jusqu'au  der- 
nier jour  de  mars  prochain  qu'il  fera  tout  debvoir  s'aquiter 
d'icellc,  et  pareillement  de  païer  les  arrérages  des  rentes 
jusques  andict  jour  des  deniers  pour  ce  destinez,  lequel 
terme  de  mars  passé,  n'entend  plus  ledict  de  Vigny 
s'immiscer  au  faict  de  ladict  receptc  du  clergé,  de  laquelle, 
suivant  lesdictz  contratz,  il  se  démect  et  descharge  selon 
que  luy  est  permis  de  faire.  »  Le  Bureau  ne  put  refuser  à 
de  Vigny  de  lui  donner  acte  de  sa  déclaration,  mais  il  lui 
imposa  cette  condition  qu'il  payerait  les  rentes  dues  par  le 
clergé  pour  les  quartiers.de  janvier,  février,  mars,  avril, 
mai  et  juin  de  l'année  1575.  En  attendant,  le  revenu  tem- 
porel fut  saisi  pour  garantir  le  payement  des  rentes  assi- 
gnées sur  le  clergé  ". 


1.  On  peut  consalter  à  cet  égard,  en  Ire  autres  documents  curieux  :  Les 
Mémoires  concernant  te  contrôlé  des  rentes..,  &  Paris,  chez  P.  A.  Lemercier, 
imprimeur  ordinaire  de  la  Ville,  1717,  1  vol.  in-12. 

2.  De  Vigny,  après  aroir  donné  sa  démission  de  receveur  général  du 
clergé,  n'en  resta  pas  moins  receveur  de  la  Ville.  On  le  verra,  en  1376» 
essayer  de  vendre  sa  charge. 


»   ^-  ^  -^j  ,•*" 


^  « 


10  PARIS  ET  LA   LIGUE 

La  pénurie  était  générale,  et  Paris  aurait  pu  faire,  comme 
le  courtisan  dont  parle  TEstoile,  Tépitaphe  «  de  ce  grand 
Diable  d'argent  »  que  la  guerre  avait  tué.  Pour  se  pro- 
curer des  ressources,  le  roi  ou  ses  agents  avaient  recours 
à  des  expédients  variés.  En  1S74,  le  sieur  Le  Charron, 
((  soy  disant  commis  du  trésorier  des  parties,  casuelles  », 
voulut  faire  commandement  k  Lefranc,  mesureur  de  char- 
bon, de  payer  30  livres  pour  la  confirmation  de  son  office, 
sous  peine  d'être  saisi  et  de  voir  son  office  mis  en  vente. 
C'était  sans  doute  une  façon  de  tâter  le  terrain,  avant 
d'appliquer  la  taxe  à  tous  les  offices  municipaux.  Aussitôt 
le  bureau  de  la  Ville  prend  feu  et  proteste  énergiquement 
contre  une  prétention  du  fisc  qui  est  «  chose  directement 
contraire  aux  ordonnances  et  franchises  de  la  Ville  *  ». 
Par  délibération  expresse,  il  ordonne  que  défense  soit  faite 
à  Le  Charron  et  autres  d'attenter  à  la  personne  et  aux 
biens  de  Lefranc  et  des  autres  officiers  de  la  Ville  :  car 
les  offices  municipaux  sont  à  la  pleine  disposition  du  prévôt 
des  marchands  et  non  du  roi,  «  et  partant  nonsubjetz  de 
prendre  confirmation  pour  raison  desdictz  offices  des  roys 
h  leur  nouvel  advènement  ». 

Mais  si  le  fisc  cherchait  à  exploiter  les  Parisiens  en  l'ab- 
sence du  monarque,  ce  fut  bien  autre  chose  lorsque  le  roi 
lui-même  arriva  dans  sa  capitale.  L'Estoile  nous  apprend 
à  quels  exercices  il  consacra  le  carême  de  l'an  1575.  «  Le 
roy  séjournant  à  Paris  le  long  du  quaresme  de  cest  an  1575, 
va  tous  les  jours  par  les  paroices  et  autres  églises  de 
Paris,  l'une  après  l'autre,  ouïr  le  sermon  et  la  messe,  et 
faire  ses  dévotions.  Et  cependant  exquiert  tous  moyens  de 
faire  argent  en  toutes  sortes  que  ses  ingénieux  peuvent 
pourpenser.  De  fait,  il  leva  sur  toutes  les  bonnes  villes  de 
son  roiaume  trois  millions  de  livres  (outre  le  million  qu'il 

1.  Rkg.  h,  1187,  {•  173. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  H 

lève  sur  le  clergé  de  France),  dont  la  ville  de  Paris  fut 
chargée  d'un  million  pour  sa  part,  par  capitation  sur  les 
plus  aisés.  »  Henri  faisait  venir  un  par  un  les  principaux 
magistrats  et  les  plus  riches  habitants,  et  prenait  à  ceux- 
là  600  livres,  à  ceux-ci  1,200  «  selon  leurs  facultés  ». 
On  créa  quatre  places  nouvelles  de  conseillers  aux  enquêtes 
du  Palais,  à  io,000  livres  chacune;  les  parties  casuelles 
furent  baillées  à  ferme  pour  80,000  livres  par  mois  ;  des 
coupes  furent  ordonnées  dans  les  forêts  royales  *.  «  Bref, 
le  bruit  de  la  cour  de  ce  temps  n'estoit  autre,  sinon  que 
le  roy  n'avoit  de  quoy  avoir  à  disner  et  que  le  moien 
qu'il  avoit  de  vivre  n'est  que  par  empruntes.  »  La  cour  était 
plongée  dans  cette  détresse  quand  on  apprit  que,  dans  la 
nuit  du  10  mai,  le  reliquaire  de  la  vraie  croix,  que  Ton  con- 
servait à  la  Sainte-Chapelle,  avait  été  volé.  Ce  fut  un  grave 
événement  dont  le  corps  de  Ville  s'émut,  ainsi  que  l'attes- 
tent les  registres. 

En  portant  la  nouvelle  à  la  connaissance  de  la  popula- 
tion, le  prévôt  des  marchands  fit  connaître  que  SOO  écus 
seraient  remis  à  celui  qui  révélerait  le  nom  du  voleur  de 
la  précieuse  relique.  «  La  commune  opinion,  dit  l'Estoile, 
estoit  qu'on  Favoit  envolée  en  Italie  pour  gage  d'une 
grande  somme  de.  deniers,  du  consentement  tacite  du  roi 
et  de  la  roine  sa  mère  •.  »  Quoi  qu'il  en  soit,  la  Ville  envoya 
aussitôt  mandement  aux  capitaines  pour  faire  surveiller 
les  personnes  qui  sortaient  de  la  capitale  •  et  prit  les  me- 
sures qui   dépendaient  d'elle   pour  retrouver  «  la  vraie 

croix  ».  Les  capitaines  de  la  rivière  et  les  passeurs  reçu- 

1.  L'Estoile  prétend  que  les  sommes  ainsi  obtenues  par  le  roi  furent 
employées  «  à  faire  un  présent  au  capitaine  Gas  de  la  valeur  de  cinquante 
mil  livres  et  plus,  n  T.  I,  p.  54. 

2.  Le  chroniqueur  ajoute  en  parlant  de  Catherine  :  «  Le  peuple  Tavoit 
tellement  en  hofreur  et  mauvaise  opinion  que  tout  ce  qui  advenoit  de 
malencontre  lui  estoit  imputé  ;  et  disoit-on  qu'elle  ne  faisoit  jamais  bien 
que  quand  elle  pensoit  faire  mal.  » 

3.  Rb6.  h,  4789,  ^  188. 


42  PARIS  ET  LA  LIGUE 

renl  Tordre  d'interrompre  pour  un  jour  la  circulation  des 
bateaux  et  d'enchaîner  ceux  «  qu'ilz  trouveroient  estrc 
menés  par  la  rivière,  sur  peine  de  la  vie  ».  Le  15  mai,  il 
y  eut  une  procession  générale  de  Notre-Dame  à  la  Sainte- 
Chapelle.  «  Et  en  laquelle  procession  auroit  assisté,  dit  le 
Registre,  le  roy,  accompagné  de  la  royne  et  la  royne 
sa  mère,  monseigneur  le  duc  d*Alençon  son  frère,  le  roy 
de  Navarre  et  plusieurs  autres  princes,  princesses  et 
grands  seigneurs  et  dames.  »  Tout  le  corps  de  Ville  ne 
manqua  de  suivre  la  procession;  mais  ce  concours  de 
prières  n'eut  aucun  succès,  et  Tauteur  du  larcin  se  déroba  à 
loutcs  les  recherches. 

D'autres  causes  ne  tardèrent  pas  à  émouvoir  la  popula- 
tion parisienne.  Les  escoliers  s'attroupaient,  et  çà  et  là  des 
rixes  éclataient  entre  eux  et  tous  ces  aventuriers  italiens 
qui  étaient  venus  chercher  fortune  en  France,  confiants 
dans  la  protection  de  Catherine.  Un  capitaine,  nommé  la 
Vergerie,  avait  commis  l'imprudence  de  s'écrier  en  public 
«  qu'il  faloit  se  ranger  du  côté  des  escoliers  et  saccager  et 
•couper  la  gorge  à  tous  ces  bougres  d'Italiens  et  à  tous 
ceux  qui  les  portoient  et  soustenoient,  comme  estant 
•cause  de  la  ruine  de  France  *  ».  Ces  propos  coûtèrent  cher 


1.  L'EsTOiLE,  t.  I,  p.  69.  Le  chroniqueur  a  conservé  plusieurs  libelles 
qui  attestent  Timpopularité  dont  jouissaient  les  Italiens  et  Catherine  leur 
protectrice  : 

Bénéfices  et  dons,  estais  et  pensions, 

Sont  pour  eax  sealemenl  qui  par  inventions 

De  tailles  et  impôts  espoisent  notre  France. 

Surtout  ritalien  est  expert  en  cet  art; 

Des  imposts  qu'il  y  a,  il  en  a  bonne  part  : 

Nous  Toyons  bien  à  l'œil  qu'ils  ruinent  la  France. 

La  plupart  des  poètes  anonymes  exhortent  le  peuple  à  chasser  ces  hôtes 
incommodes  : 

Chassés-les,  saccagés,  envoies  an  supplice. 


Puisque  vous  retenés  ces  inventeurs  d'impôts, 
Poltrons  Italiens,  le  malheur  de  la  France, 
Pour  immortaliser  vostre  grande  vaillance, 
Que  ne  les  grillés- vous  de  gros  bois  et  fagots? 


PARIS  ET   LE  NOUVEAU   ROI  13 

au  pauvre  capitaine.  Arrêté,  il  fut  traduit  devant  une  com- 
mission, composée  de  quelques  maîtres  des  requêtes  à  la 
dévotion  de  Catherine  et  du  chancelier  de  Birague.  Ce  tri- 
bunal, qui  siégea  à  THôtol  de  Ville,  condamna  la  Vergerie 
k  être  pendu  et  mis  en  quatre  quartiers.  La  sentence  im- 
pitoyable fut  exécutée  le  6  juillet,  en  présence  du  roi,  bien 
«  qu  au  dire  d'un  chacun  il  n'aprouvast  pas  cest  inique 
jugement,  lequel  fust  trouvé  estrange  de  beaucoup  d'hon- 
nestes  hommes  et  scandalisa  fort  le  peuple  »  '.  Quelques 
jours  auparavant,  le  3  juillet,  le  roi  et  sa  mère  avaient  eu 
vent  d'un  complot,  resté  assez  mystérieux  et  qui  avait 
pour  prétexte  la  question  d'un  conflit  entre  les  écoliers  et 
les  Italiens.  Cinq  ou  six  capitaines  furent  arrêtés  pendant 
la  nuit  et  mis  en  prison.  «  Toute  la  nuit,  dit  l'Estoile,  les 
dixaines  de  Paris  furent  en  armes  sur  le  pavé,  par  le  com- 
mandement du  prévost  des  marchans  et  eschevins  de 
ladite  ville,  faisanst  la  ronde  par  tous  les  quartiers,  et  y 
eust  grand  tumulte.  On  fist  bruit  qu'en  la  maison  d'un 
tapissier  de  la  rue  Sainct-Antoine  avoient  esté  trouvées 
armes  pour  armer  cinq  cens  hommes.  » 

Dans  ces  circonstances,  qui  accusaient  déjà  une  sourde- 
irritation  des  esprits,  la  municipalité  parisienne  semble 
avoir  prêté  un  fidèle  concours  au  roi.  La  Ville  n'avait 
pas  sérieusement  à  se  plaindre  du  nouveau  roi,  et  les 
franchises  de  la  cité  n'avaient  pas  encore  souffert  d'at- 
teinte essentielle.  Les  élections  du  16  août  1574  s'étaient 
librement  accomplies,  d'après  le  cérémonial  accoutumé. 


Quant  à  la  reine  mère,  les   chansons   populaires   ne  Tépargnaient  pn» 
davantage  : 

CatiD,  dont  la  puanteur 
Rend  toute  la  Franco  rance* 
Ou  fais  nostre  estât  meilleur, 
Ou  t'en  retourne  à  Florence. 

i.  lùid. 


14  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Jean  Le  Charron,  président  de  la  Cour  des  aides,  avait 
été- continué  dans  ses  fonctions  de  prévôt  des  marchands  *, 
et  Ton  avait  nommé  échevins  les  sieurs  d'Aubray  et 
Guillaume  Parfaict,  sans  que  la  cour  eût  soulevé  la 
moindre  objection.  Il  est  vrai  que  le  roi  n'avait  pas 
encore  franchi  la  frontière  française.  Mais,  au  16  août  1375, 
il  y  avait  lieu  de  nonuner  deux  échevins  nouveaux.  On 
présenta  le  scrutin  au  roi  lui-même,  qui  reçut  la  délégation 
municipale  au  Louvre.  Henri  ne  modifia  nullement  les 
résultats  du  scrutin  et  déclara  au  contraire  qu'il  entendait 
respecter  les  privilèges  de  la  Ville  *. 

En  ce  mois  d'août  1S73,  il  y  eut  une  nomination  de 
quartinier  qui  s'accomplit  également  dans  les  formes  tradi- 
tionnelles et  sans  intervention  rovale,  mais  avec  certaines 
modifications  qu'il  est  intéressant  de  signaler*.  En  résumé, 
on  admettait,  d'une  part,  les  nominations  exceptionnelles 
par  voie  de  résignation  du  titulaire  en  faveur  d  un  tiers, 
ordinairement  parent  ou  allié  du  cédant  ;  et,  d'autre  part, 
le  choix  des  quartiniers  restait  en  principe  confié  à  l'élec- 
tion, le  corps  électoral  étant  composé  des  dizainiers  et 
de  quelques  notables  du  quartier.  Le  23  août  1565,  sir 
Nicolas  Hac,  ancien  échevin,  se  présente  au  bureau  do 

1.  Le  Charron  était  prévôt  depuis  1572;  on  sait  que,  d'après  les  tradi- 
tions, le  prévôt  des  marchands,  les  échevins  et  les  conseillers  de  ville, 
ainsi,  du  reste,  que  les  officiers  municipaux  subalternes,  étaient  nommés 
pour  deux  ans,  mais  pouvaient  être  réélus  trois  fois  de  suite.  Voy.  Le- 
BOLX  DE  LiNCY,  p.  i54,  ouvrage  cité. 

2.  «  Le  roy,  après  avoir  veu  le  présent  scrutin,  a  déclaré  voulloir  conserver 
les  previlleges  de  ladicte  ville,  et  que,  suyrant  iceuis,  ledict  de  Brevant, 
Tun  des  quatre  notaires  de  la  Court  de  parlement,  et  Legresie,  bourgeois 
de  Paris,  qui  ont  eu  la  pluralité  des  voix,  demeurent  esleus  eschevins; 
et  d'iceulx  a  pris  le  serment  tout  à  l'instant.  »  Reg.  H,  1787,  f»  210.  Sur 
le  mécanisme  des  élections  municipales,  yoy.  notre  Hi^t.  municipale^  p.  248 
et  suiv.,  et-  p.  455  et  suiv.  Pour  ne  pas  tomber  dans  des  répétitions  fasti- 
dieuses, nous  ne  mentionnerons  désormais  que  les  particularités  des  élec- 
tions municipales,  en  supposant  connus  les  détails  déjà  fournis  relative- 
ment aux  formes  de  ces  élections  et  &  la  composition  des  assemblées 
électorales. 

3.  Sur  le  mode  de  nomination  des  quartiniers,  voy.  notamment  Hist,  mu- 
nie,  p.  249,  393  et  suiv.,  467  et  suiv. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  15 

la  Ville  et  exhibe  une  procuration  passée  la  veille  par- 
devant  notaire  par  sire  Macé-Bourbon,  quartinier  de  la 
Ville  *,  pour  résigner  son  office  en  faveur  de  sire  Ilac.  Ce 
dernier  déclarait  en  même  temps  que  Bourbon  venait  de 
mourir  le  jour  même  en  son  hôtel  de  la  rue  Saint-Denis  : 
or  on  sait  que  si  Tofficier  municipal  démissionnaire  venait 
à  mourir  avant  la  remise  de  sa  procuration  au  Bureau,  la 
résignation  était  nulle  '.  Hac  demanda  néanmoins  à  être 
reçu  au  serment  en  invoquant  la  procuration  dont  il  était 
porteur.  Aucune  objection  ne  fut  élevée  au  sujet  de  la 
mort  de  sire  Macé-Bourbon  avant  la  remise  de  sa  procu- 
ration; mais,  en  fait,  on  considéra  la  procuration  comme 
nulle,  par  cela  seul  que  la  Ville  ordonna  que  le  succes- 
seur du  défunt  serait  choisi  par  les  électeurs.  En  consé- 
quence, les  cinquanteniers  et  dizainiers  du  quartier  de  feu 
Bourbon  furent  mandés  le  31  août.  Il  leur  fut  donné  lec- 
ture des  anciennes  ordonnances  et  des  extraits  des  registres 
de  la  ville  «  sur  le  faict  de  l'élection  d'un  quartenier  »  ; 
après  quoi,  on  recommanda  aux  électeurs  «  de  nommer 
sans  aulcune  faveur  personnaige  digne  et  suffisant  pour 
l'exercer,  ayant  égard  h  la  calamité  du  temps  et  nécessité 
des  affaires  ».  Les  cinquanteniers  reçurent  ordre,  le  même 
jour,  d'enjoindre  à  chaque  dizainier  «  de  prendre  en  sa 
dixaine  quatre  notables  personnes  bien  faniez  et  renommez, 
qui  ne  soient  mécaniques  ne  de  bas  estatz,  pour  estre  les 
noms  des  dictes  quatre  personnes  rapportez  cloz  et  scellez 
au  bureau  de  ladicte  Ville,  ce  jourd'huy  quatre  heures  de 
relevée,  affin  d'en  eslire  par  nous  deux,  suivant  l'ordon- 
nance et  en  la  manière  accoustumée  '  ».  La  liste  de  quatre 

1.  Gonf.  Ibid.j  p.  249,  la  note  sur  le  mot  quartinier,  Noas  avons  adopté 
aniformément  cette  orthographe,  qui  est  celle  de  Tordonnance  de  1450,  bien 
que  les  registres  de  la  Ville  se  rapportant  à  la  seconde  moitié  du  xvi*  siècle 
portent  presque  toujours  quartenier, 

2.  Voy.  Ibid.,  p.  469,  ce  qui  se  passa  au  décès  du  quartinier  Leprévost  le 
4  février  1549,  et  la  note  de  la  page  470. 

3.  En  se  reporlant  aux  extraits  des  registres  que  nous  avons  publiés  & 


16  PARIS  ET  LA   LIGUE 

notables  par  dizaine  ayant  été  présentée  au  Bureau,  celui- 
ci  choisit  définitivement  deux  notables  par  dizaine,  élimi- 
nant les  deux  autres,  et  les  électeurs  maintenus  furent 
convoqués  pour  le  lendemain  1*'  septembre  avec  les  cin- 
quanteniers  et  dizainiers  du  quartier.  A  dix  heures  du 
matin,  l'assemblée  électorale  se  réunit  dans  la  grande  salle 
de  THôtel  de  Ville.  Après  la  formalité  du  serment,  que  prê- 
tèrent les  électeurs  suivant  les  ordonnances  de  la  Ville, 
sire  Nicolas  Hac  comparut  et  posa  nettement  sa  candida- 
ture «  en  considération  des  services  qu'il  a  faictz  dès  long- 
temps à  cette  Ville  ».  Avant  de  recueillir  les  suffrages, 
les  membres  du  Bureau  posèrent  au  candidat  plusieurs 
questions.  «  Luy  avons  demandé,  disent  les  registres, 
après  serment  par  luy  faict,  si  la  poursuitte  qu'il  en  faict 
est  pour  luy  et  en  son  nom,  et  sy  ce  qu'il  en  faict  est  poinct 
pour  faire  tomber  le  dict  estât  ès-mains  d'autres  per- 
sonnes. A  dict  que  non.  Interrogué  quelle  aage  il  a,  il  a 
dict  estrc  aagé  de  soixante  ans  ou  envyron .  —  Interrogué 
s'il  pense  poinct  en  sa  conscience  que  son  aage  le  puisse 
erapeschcr  de  faire  son  debvoir  au  dict  estât,  s'il  estoil 
esleu,  a  dict  que.  non,  et  espère  si  bien  le  faire  que  nous 
et  le  public  en  auront  contentement.  »  C'est  à  la  suite  de 
ce  dialogue  que  l'on  ouvrit  le  scrutin.  Hac  fut  nommé  et 
prêta  serment,  sur  la  réquisition  du  procureur  du  roi  et  de 
la  Ville. 

En  insistant  quelque  peu  sur  cette  élection  de  quartinier, 
nous  avons  voulu  montrer  d'abord  en  quoi  les  usages 
avaient  changé  depuis  François  P',  relativement  au  mode 


propos  de  rélection  du  Buccesseur  du  quartinier  Thomas  du  Ru,  élection 
qui  eut  lieu  le  5  décembre  1530  (Uist.  mxinic,^  1. 1,  p.  395),  on  ne  manquera 
pas  de  remarquer  que,  lors  de  l'élection  dont  il  s'agit,  le  bureau  ne  fil 
mander  par  les  dizainiers  que  deux  notables  de  chaque  dizaine  du  quar- 
tier intéressé,  qui  directement  désignèrent  trois  candidats  entre  lesquels 
le  Bureau  fît  choix  d'un  quartinier.  Ainsi  le  mécanisme  était  plus  compli- 
qué en  1575  qu'en  1530. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU  ROI  17 

de  nomination  d*offîcicrs  municipaux  investis  d*attributions 
très  importantes.  De  plus,  il  semble  résulter  de  Tattention 
particulière  donnée  par  le  corps  de  Ville  à  l'élection  d'un 
simple  quartinier,  que  la  vie  municipale  avait  repris  une 
certaine  activité  au  début  du  règne  de  Henri  III.  Le  nou- 
veau prince,  en  effet,  paraissait  flatter  le  vieil  attache- 
ment de  la  Ville  de  Paris  pour  ses  franchises  séculaires, 
car  il  avait  beaucoup  de  choses  à  demander  aux  ma- 
gistrats municipaux,  et,  en  premier  lieu,  de  l'argent  et  des 
soldats. 

Pour  tenir  tète  aux  factions  hostiles,  la  royauté  affec- 
tait de  compter  tout  d'abord  sur  le  concours  de  la  milice 
municipale.  L'organisation  nouvelle  de  cette  milice,  carac- 
térisée par  le  transport  aux  capitaines  des  pouvoirs  mili- 
taires qui  appartenaient  autrefois  aux  quartiniers,  était 
complète  dès  1562  ^  bien  avant  la  naissance  de  la  Ligue,  et, 
en  1568,  on  a  déjà  créé  seize  colonels  qui  deviennent  les 
chefs  militaires  des  quartiers.  En  quittant  Lyon  pour  aller, 
h  travers  le  Midi  en  feu,  conduire  dans  les  rues  d'Avignon 
les  processions  des  flagellants,  Henri  III  avait  transmis  à 
l'Hôtel  de  Ville  de  Paris  l'ordre  de  réviser  les  cadres  de 
la  milice  municipale.  A  la  date  du  17  novembre  1574,  le 
Bureau  mande  aux  seize  colonels  d'appeler  les  capitaines 
de  leurs  quartiers,  «  et  de  faire  ung  rooUe  de  tous  les  sol- 
dats et  autres  de  bonne  vueille  pour,  advenant  l'occasion  et 
nécessité,  les  jetter  et  mectre  aux  champs  pour  le  service 
du  Roy  et  de  la  dicte  Ville  '.  »  L'année  suivante,  lorsque  le 
duc  d'AIençon  (maltraité  par  son  frère,  qui  avait  un  moment 
songé  à  le  faire  tuer  par  Henri  de  Navarre)  quitta  Paris,  le 
15  septembre,  sur  les  six  heures  du  soir,  et  s'en  alla  en 
coche  à  Meudon  où  l'attendait  Guitry  avec  une  petite 

1.  Voy.  HiêU  munie,  p.  537  à  540,  et  la  note  i  de  la  p.  538,  qui  rectifie 
Perreur  commise  sar  ce  point  par  Leroux  de  Lincy. 

2.  Reg.  h.,  1787,  f»  170. 

ROBIQUET.  2 


18  PARIS  ET  LA  LIGUE 

troupe  de  partisans,  «  le  roy,  toute  la  cour,  la  Ville  de 
Paris,  dit  FEstoile,  furent  merveilleusement  troublés  *  ». 
L'impopularité  du  roi  rendait  effectivement  la  situation 
assez  difficile.  Autour  de  François  d'Alençon,  réfugié  à 
Dreux  qui  faisait  partie  de  son  apanage,  puis  dans  le  Poitou, 
s'étaient  groupés  un  assez  grand  nombre  de  mécontents  et 
de  gentilshommes  bien  accompagnés,  tels  que  le  comte  de 
Yentadour,  qui  commandait  à  300  cavaliers  et  1 ,200  hommes 
de  pied,  et  Henri  de  la  Tour,  vicomte  de  Turenne,  neveu 
de  Damville.  Les  réformés  de  la  Rochelle  et  de  Montauban 
entretenaient  avec  d'Alençon  des  relations  étroites,  et  le 
prince  de  Condé  venait  de  traiter  avec  Jean  Casimir,  fils 
de  rélecteur  palatin,  pour  faire  entrer  en  France  8,000  reî- 
tres  allemands  et  6,000  Suisses,  sans  préjudice  des  troupes 
que  les  protestants  du  Languedoc  pouvaient  mettre   sur 
pied  afin  de  seconder  Teffort  des  envahisseurs.  Par  une 
étrange  contradiction,  le  pape,  sondé  par  Nicolas  Henné- 
quin  du  Fay,  secrétaire  du  duc  d'Alençon,  approuvait  et 
bénissait  de  loin  la  révolte  du  prince.  Malgré  les  fanfaron- 
nades de  Henri  IH,  qui  affectait  de  prédire  que  son  frère 
allait  devenir  le  valet  des  protestants,  le  faible  monarque 
craignait  vivement  pour  sa  couronne  *  et  pour  sa  sûreté. 
Tandis  que  le  duc  de  Nevers  et  M.  de  Matignon  rassem- 
blaient des  soldats  pour  se  mettre  à  la  poursuite  du  prince 

1.  Claude  Haton  écrit  de  son  côté  :  •  Par  la  retraite  dudict  seigneur  duc 
de  la  court  du  roy,  les  cartes  furent  meslées  d'une  estrange  façon.  Ung 
chascun  de  la  France  ne  sçavoit  plus  à  qui  il  estoit,  ne  de  qui  il  se  des- 
voit advouer,  ou  du  roy  ou  de  mons.  le  duc  son  frère,  tant  les  gens  de 
guerre  que  Taultrc  peuple...  Plusieurs  compagnies  de  piod  et  de  cheval 
laissèrent  le  roy  pour  aller  au  service  de  son  frère;  d'autres  se  niipartirent 
et  se  séparoient  les  ungs  des  aultres  amyablement,  chacun  donnant  leur 
service  à  celuy  qu'ils  aymoient  le  mieux.  »  Mémoires,  p.  780. 

2.  Il  venait  déjà  de  perdre  celle  de  Pologne.  Le  15  juillet  1575,  la  diète 
polonaise  avait  passé  un  décret  de  déchéance  qui  déclarait  le  royaume 
vacant  comme  si  le  roi  était  mort.  On  sait  que  le  Transylvain  Etienne 
Bathory,  après  de  longs  démêlés  que  termina  la  mort  de  l'empereur 
Maximilien,  son  concurrent  (oct.  1576),  Unit  par  se  mettre  en  possession 
du  trône  de  Pologne,  non  sans  avoir  épousé  la  princesse  Anne,  dernière 
descendante  des  Jagellons. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  19 

fugitif,  on  prit  à  Paris  quelques  mesures  défensives.  Plu- 
sieurs points  de  la  banlieue  furent  fortifiés  à  la  hâte,  notam- 
ment Saint-Denis,  où  s'installa  Armand  Gontaut  de  Biron. 
On  distribua  aussi  entre  les  seigneurs  de  la  cour  la  défense 
des  villes  et  places  les  plus  voisines  de  la  capitale  ' .  Seul 
le  roi  de  Navarre  ne  reçut  aucune  mission  militaire,  ce  qui 
le  mortifia  profondément.  Quant  aux  Parisiens,  le  roi 
n'eut  garde  de  se  priver  de  leur  concours.  Après  la  mise 
en  état  des  tranchées  de  la  ville  et  la  revue  que  passè- 
rent les  colonels  pour  vérifier  le  nombre  des  bourgeois  de 
chaque  dizaine  en  état  de  porter  les  armes,  le  bureau  de  la 
Ville  reçut,  le  20  septembre,  une  communication  royale 
qui  portait  que  l'assemblée  municipale  aurait  à  délibérer 
sur  les  moyens  de  lever  2,400  hommes  de  pied,  «  lesquelz 
seroient  soldés  aux  despens  des  bourgeois  d'icelle  ville  '  ». 
Chaque  quartier,  aux  termes  des  instructions  du  roi, 
devait  fournir  un  nombre  d'hommes  déterminé,  et  chaque 
bourgeois,  «  selon  son  pouvoir  »,  était  chargé  de  payer  la 
solde  de  plusieurs  soldats,  ou  d'un  seul,  ou  même  de  la 
moitié  ou  du  quart  d'un  soldat. 

Le  23  septembre,  une  grande  assemblée  générale  fut  con- 
voquée à  l'Hôtel  de  Ville.  Elle  comprenait,  suivant  l'usage, 
à  côté  des  membres  du  corps  de  Ville,  prévôt  des  mar- 
chands, échevins  et  conseillers,  les  quartiniers  et  douze 
notables  de  chaque  quartier,  les  délégués  des  chapitres  et 


1.  De  Thou,  t.  VII,  p.  288. 

2.  Reo.  h,  1781,  f*  223.  L'Estoile,  t.  I,  p.  89,  ii*est  pas  parfaitement  exact 
quaud  il  écrit  :  «  Le  mardi  20%  on  leva  à  Paris  en  diligence,  deux  mil  har- 
quebusiers,  paies  par  les  bourgeois,  qui,  À  cest  effaict,  furent  quotizés  et 
chargés,  chacun  pour  leur  part,  de  la  solde  des  soldats  levés,  qu'on  envola 
au  pays  chartrain  où  les  seigneurs  de  Nevers  et  de  Matignon  esloient 
allés  assembler  des  forces  pour  essayer  à  retenir  et  arresler  ledit  sei- 
gneur Duc  en  ladite  ville  de  Dreux....  •  En  premier  lieu,  ce  fut  2,400  hommes 
qu*on  demanda  à  la  Ville  de  Paris  et  non  2,000;  ensuite,  on  ne  les  leva  pas 
en  un  jour;  enfin,  les  troupes  levées  à  Paris  ne  devaient  pas  quitter  la 
capitale  et  étaient  destinées  à  défendre  les  tranchées.  Tout  cela  résulte  de 
l'analyse  des  textes  du  Registre. 


20  PARIS  ET  LA  LIGUE 

communautés.  Henri  III  se  rendit  en  personne  à  PHôtel 
de  Ville,  avec  une  brillante  escorte  où  figuraient  le  roi 
de  Navarre,  le  cardinal  de  Guise,  l'archevêque  de  Reims, 
révêque  de  Paris,  MM.  de  Cheverny  et  de  Bellièvrc.  Le 
roi  était  orateur  :  il  parla.  «  La  compaignye  assemblée,  Sa 
Majesté  a  dict  que  aiant  pieu  à  Dieu  le  appeler  à  la  cou- 
ronne et  ramener  par  deçà  en  sa  bonne  ville  de  Paris,  il 
a  esté  en  sa  court  de  Parlement  pour  sçavoir  comme  la 
justice  y  estoit  administrée,  pour  la  descharge  de  sa  con- 
science, et  à  présent  avoit  bien  vouUu  venir  en  ceste  assem- 
blée pour  exciter  ses  bons  subjectz  les  bourgeois  et  habi- 
tans  de  ceste  ville  k  la  garde  et  conservation  d'icelle, 
encores  qu'il  s'asseurc  qu'ils  y  soient  assez  affectionnez, 
espérant  que  le  repos  qui  y  a  esté  interrompu  y  sera  de 
brief  restably.  Dieu  aidant,  estant  fort  comptant  de  Tafifec- 
tion  et  prompte  obéissance  qu'il  a  trouvée  en  ladicte  ville, 
et  mesmc  du  secours  et  accord  qui  luy  a  esté  faict  de  deux 
mil  hommes  de  pied  et  de  deux  cens  hommes  de  cheval 
qu'il  veult  estre  levez  en  ladicte  ville  pour  la  seurretté  et 
garde  d'icelle  et  aultrement  comme  il  adviseroit  et  ordon- 
neroit.  Priant  qu'ilz  soient  promptement  levez  et  souldoyez, 
et,  en  ce  faisant,  combien  qtCilz  aient  eu  de  bons  rùys 
cy-devant  qu'ilz  ont  bien  aimez,  il  les  aymera  aultant  et 
plus  qu^eulx  *.  » 

Comment  répondre  froidement  aux  meilleures  paroles 
du  monarque?  Le  prévôt  des  marchands  remercia  Henri  III 
de  l'honneur  qu'il  faisait  à  la  ville  «  de  la  venir  visiter  en 
ceste  compaignie  »  ;  il  s'excusa  de  n'avoir  pu  réaliser  plus 
tôt  les  sommes  que  le  roi  demandait.  La  faute  en  était  au 
malheur  des  temps  et  «  au  peu  de  moyen  que  ont  les  bour- 
geois de  ladicte  ville  »  *.  Ils  ne  touchaient  plus  ni  loyers 
ni  fermages,  ni  rentes,  «  ayant  les  aucuns  leurs  biens  aux 

1.  Rbg.  h,  1787,  fo  231. 

2.  Reo.  h,  1787,  ibid. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  21 

champs  dont  ilz  ne  peuvent  rien  recevoir,  pour  eslre  leurs 
fermiers  ruinez  par  les  guerres,  et  les  aullres  ayant  rentes 
sur  ladicte  ville  dont  ilz  ne  peuvent  être  paiez  ^  »  Pour 
terminer  sa  harangue,  le  prévôt  des  marchands  exprima  une 
requête  assez  hardie,  puisqu'elle  tendait  à  conférer  aux 
décisions  des  assemblées  générales  de  la  Yille  le  caractère 
exécutoire  des  arrêts  de  justice.  Le  chef  de  la  municipa- 
lité parisienne  pria  le  roi  de  vouloir  bien  ordonner  «  que 
les  délibérations  et  conclusions  des  assemblées  générales 
qui  seront  faictes  en  Thostel  de  ladicte  ville  seront  exécu- 
tées tout  ainsy  que  sy  elles  avoient  esté  faictes  ès-cours 
souveraines.  »  Le  roi  se  contenta  de  renvover  la  Ville  «  à  se 
pourveoir  en  son  Conseil  privé  »  et  se  retira  avec  sa  suite. 
,  C'était  une  étrange  guerre  que  la  guerre  du  duc  d'Alen- 
çon  contre  son  frère.  Machiavel,  s'il  eut  vécu  un  demi- 
siècle  plus  tard,  se  serait  sans  doute  complu  à  démêler  les 
fils  des  ténébreuses  intrigues  qui  troublaient  le  règne  du 
dernier  Valois.  Le  duc  d'Alençon  n'avait  quitté  la  cour  que 
pour  se  soustraire  à  une  mort  probable  •.  Ses  amis,  les  maré- 

i.  Ibid,  Claude  HatoD,  dans  uo  langage  peu  évangélique  mais  pitto- 
resque, insiste  beaucoup  sur  les  maux  de  tout  genre  que  les  démêlés  de 
Henri  III  et  du  duc  d'ÂIençon  firent  subir  au  peuple  des  villes  et  des 
campagnes.  Sous  prétexte  de  rejoindre  le  camp  du  duc  de  Guise,  des  ré- 
giments entiers  traversaient  la  France,  comme  celui  de  Guillaume  de 
Hautemer,  comte  de  Fervaques,  qui  mourut  marécbal  de  France,  et  pil- 
laient tout  sur  leur  passage,  depuis  la  Normandie  jusqu'à  Troycs.  Ces 
routiers  allaient  «  bien  en  ordre,  mais  bien  mescbans  gens  les  plus  lar- 
rons et  voleurs  qui  eussent  oncques  esté  par  les  villages  il  y  avoit  dix 
ans.  Tous  les  cbevaux  des  pauvres  laboureurs  qu'ilz  trouvoicnt  en  leur 
chemin  estoient  par  eux  prins  et  desrobez,  comme  aussi  estoient  ceux 
des  hosles  où*  ilz  logeoient,  qu'on  leur  prestoit  pour  les  guider  et  porter 
leur  bagage,  sans  que  ledit  capitaine  ni  aultre  en  feit  justice  ni  raison.  » 
Les  paysans  qui  réclamaient  étaient  «  payés  en  coups  de  bâton  ».  £t  le 
prêtre  de  Provins  conclut  mélancoliquement  :  «  Le  nombre  des  bons  est 
beaucoup  moindre  pour  le  présent  que  celuy  des  meschans  gens  tue- 
hommes  qui,  en  tout  temps  et  saisons  de  leur  vie,  fout  la  guerre  aux 
pauvres  gens  des  villages,  soit  à  leur  faire  faire  courvée,  à  décevoir  lés 
femmes,  violer  ou  stuprer  les  filles,  battre  les  hommes  et  leur  ravir  leurs 
biens,  jusques  À  prendre  par  force  le  pain  en  leur  mect  ou  huche  pour  se 
nourrir  et  leurs  demoiselles.  »  (Afém.,  p.  787.) 

2.  Tous  les  historiens  rapportent,  d'après  les  Mém.  du  duc  de  Nevers  et 
VHistoire  de  France  de  Mathieu,  que  le  roi  Henri  III  avait  prié  instamment 


22  PARIS  ET  LA  LIGUE 

chaux  Montmorency  et  Cossé,  détenus  à  la  Bastille,  avaient 
également  couru  danger  de  mort,  lorsqu'au  mois  de  juin 
la  nouvelle  de  la  mort  de  Damville,  «  le  roi  du  Languedoc  », 
avait  circulé  à  Paris.  Ce  puissant  frère  de  Montmorency 
n'étant  plus,  Catherine  pensa  qu'il  serait  d'une  bonne  poli- 
tique de  se  débarrasser  du  frère.  Le  chancelier  de  Birague 
avait  déjà  fait  retirer  au  maréchal  ses  officiers  et  serviteurs, 
et  Miron,  le  premier  médecin  du  roi,  avait  répandu  le 
bruit  que  le  prisonnier  était  sujet  à  des  coups  de  sang  ^ 
Par  bonheur  pour  lui,  l'affirmation  de  la  mort  de  Damville 
était  fausse,  et  la  reine  mère,  mieux  renseignée,  dit  au 
chancelier  de  Birague  «  qu'elle  ne  se  hasteroit  pas  tant  une 
autre  fois  et  ne  le  croiroit  plus  »,  La  fuite  du  duc  d'Alen- 
çon  changeait  bien  la  situation  de  Montmorency.  D'otage, 

le  roi  de  Navarre  de  tuer  le  duc  d^Alençon.  Le  roi  de  Navarre  refusa.  De 
son  côté,  Henri  111  s*était  cru  empoisonné  par  Alençon. 

On  trouve  dans  la  Revue  rétrospective^  2^  série,  t.  V,  no*  14  et  15,  1836, 
une  série  de  pièces  curieuses,  relatives  au  rôle  du  duc  d'Alençon  sous 
les  règnes  des  rois  Charles  IX  et  Henri  III,  et  h.  Thistoire  du  tiers  parti. 
Il  est  intéressant  de  lire  la  lettre  adressée  au  roi  par  le  duc,  après  sa 
sortie  de  Paris.  Alen<;on  accuse  nettement  son  frère  d'avoir  voulu  le  faire 
mettre  à  la  Bastille  et  d'avoir  songé  à  l'empoisonner  :  «  Je  n*ai  pu  moins 
faire  que  capter  l'occasion  de  me  mettre  en  liberté  et  tirer  hors  de  telle 
servitude  par  mon  évasion  et  absence,  pour  éviter  le  péril  de  ma  vie, 
étant  très  bien  averti  que  quatre  jours  après  on  m'avait  préparé  une 
retraite  en  la  Bastille,  attendant  quelque  résolution  et  conclusion  prise 
sur  les  conseils  de  César  Borgia.  »  {Bibiiolh,  Nat.^  sect.  des  manusc.  Fonds, 
du  Puy,  V,  87,  f»  5i.)  «  A  la  suite  se  trouve  une  «  lettre  circulaire  du  roi  à 
la  noblesse  de  son  royaume  sur  la  sortie  de  la  cour  du  duc  d'Alençon  d. 
(Ibid.y  r*  58.)  Le  roi  y  proteste  de  son  amitié  pour  son  frère,  mais  engage 
tous  «  ses  bons  et  afTectionners  serviteurs  et  sujets  à  rechercher  et  arrê- 
ter le  fugitif  ».  «  ...Mon  frère  le  duc  d' Alençon  s'est  départi  d'avec  moi  et 
de  cette  ville  depuis  hier,  à  six  heures  du  soir.  Ne  sachant  qu*il  est  devenu 
et  encore  moins  qui  Ta  mu  de  me  délaisser  de  cette  façon;  car  Dieu 
m'est  témoin  de  laffectiou  fraternelle  que  je  lui  ai  toujours  portée,  dont 
mes  actions  ont  rendu  assez  de  preuves,  ne  lui  ayant  jamais  donné  occa- 
sion de  prendre  tel  parti.  » 

1.  Voy.  là-dessus  de  Thou,  t.  VII,  p.  292,  et  l'Estoile,  1. 1,  p.  63.  Le  chro- 
niqueur rapporte  que  Montmorency,  se  jugeant  perdu,  chargea  un  de  ses 
gens  de  la  commission  suivante  :  «  Dittes  à  la  roine  que  je  suis  bien 
advcrti  de  ce  qu'elle  veut  faire  de  moi.  Il  n'y  faut  point  tant  de  façons  : 
qu'elle  m'envoie  seulement  l'apothicaire  de  M.  le  Chancelier,  je  prendrai 
ce  qu'il  me  baillera.  »  Cette  anecdote,  très  authentique,  montre  une  fois  de 
plus  ce  qu'il  faut  penser  de  la  conscience  des  médecins  de  Catherine,  et 
ce  que  valent  les  procès-verbaux  de  Tautopsie  de  Charles  IX. 


PARIS  ET   LE  NOUVEAU   ROI  23 

il  devenait  arbitre.  Alençon  paraissant  redoutable,  l'idée 
vint  à  la  cour  d'utiliser  les  deux  maréchaux  qui,  sans  les 
retards  volontaires  du  grand  maître  de  la  garde-robe, 
Souvré,  auraient  sans  doute  grossi  la  liste  des  victimes  de 
('atberine.  La  reine  mère  s'était  mise  en  route,  malgré  le 
mauvais  état  de  sa  santé,  pour  aller  trouver  le  fils  rebelle 
oi  faire  sur  lui  Tessai  de  ses  remontrances  et  de  ses  ca- 
resses. L'entrevue  eut  lieu  à  Chambord,  le  28  septembre  ; 
mais  le  prince  «  lui  dit  qu'il  n'entreroit  plus  avant  en 
propos  avec  elle,  sur  le  fait  de  la  capitulation  et  accord 
<lont  elle  lui  parloit,  que  les  mareschaux  de  Monmorency 
et  Cossé  ne  fussent  remis  en  liberté  *  ».  On  écrivit  donc 
incontinent  à  Henri  III,  que  le  Parlement  avait  engagé  à 
rester  à  Paris,  pour  le  prier  d'ouvrir  à  Montmorency  et 
Cossé  les  portes  de  la  Bastille,  ce  qui  fut  fait  le  2  octobre. 
En  même  temps,  la  reine  mère  forçait  le  roi  son  fils  h 
traiter  un  frère  ennemi  avec  des  égards  extraordinaires  '. 
Non  seulement  les  gentilshommes  et  les  serviteurs  du  duc 
d' Alençon  recevaient  la  permission  d'aller  le  rejoindre  ; 
mais  on  fit  pTus,  car  «  après  que  le  roy  eut  licencié  tous  les 
seigneurs,  officiers  et  serviteurs  dudit  seigneur  d'aller 
après  luy,  si  bon  leur  sembloit,  luy  envoya  sa  vaisselle, 


1.  UEsTOiLE,  t.  I,  p.  90.  —  De  Thou  n'est  pas  aussi  précis  sur  ce  point,  et 
1*00  pourrait  induire  de  son  récit  que  les  maréchaux  furent  mis  en  liberté 
avant  Tentrevue  de  Chambord.  «  La  reine  mère  partit,  dit  cet  historien, 
accompagnée  des  maréchaux  de  Montmorency  et  de  Cossé  pour  aller  trou- 
ver le  duc  d' Alençon  en  Touraine.  •  (T.  VII,  p.  292.)  De  Thou  doit  se  tromper, 
car  c'est  seulement  par  une  lettre  du  2  octobre  que  Catherine  informa 
Damville  de  la  mise  en  liberté  des  maréchaux.  La  lettre  est  datée  de  Blois, 
et  la  reine  dit  qu'elle  vient  d'apprendre  la  nouvelle.  (Bibl.  Nat.,  F.  Bé- 
thune,  n»  8693,  f  64.) 

2.  Catherine,  dans  une  lettre  extrêmement  curieuse  (Biùl.  Sot.,  sect.  des 
tnan.,  Fontanien,  338,  et  Revue  rétrosp.,  t.  V,  2^  série,  p.  258),  insiste  énergi» 
quement  auprès  du  roi  pour  le  décider  à  se  réconcilier  avec  son  frère  et 
à  ne  pas  écouter  les  conseils  intéressés  de  ceux  qui  poussent  &  la  guerre. 
H  Sans  la  paix,  je  vous  tiens  perdu  et  le  royaume,  car  vous  aimerez 
mieux  être  mort  que  vous  voir  enchâssé  ou  vaincu....  mais  ce  n*est  pas 
être  vaincu  quand  on  peut  se  sauver  d'un  grand  péril  et  demeurer  le 
maître....  «  Cette  lettre  est  datée  de  Châteaudun,  28  septembre  1575. 


24  PARIS  ET  LA  LIGUE 

son  escurie  et  grans  chevaux  et  n'empeschca  aulcune  chose 
(les  meubles  appartenans  au  service  dudit  seigneur  '.  » 

Henri  III  était  évidemment  influencé  en  sens  contraire 
d^abord  par  sa  mère,  pleine  du  désir  de  pacifier  la  famille 
royale  et  inclinant  peut-être  à  prendre  le  parti  de  son  plus 
jeune  fils,  et,  d'un  autre  côté,  par  certains  courtisans  fort 
énergiques,  tels  que  Du  Guast,  qui  poussaient  le  mo- 
narque aux  résolutions  viriles.  Catherine  absente  n'était 
pas  bien  sûre  de  disposer  toujours  de  la  volonté  du  roi, 
bien  que  Henri  lui  eût  envoyé  Cheverny  «  pour  Téclaircir 
et  lui  faire  entendre  le  contraire  de  force  mauvaises  opi- 
nions esloignées  de  la  vérité  que  Ton  luy  avoit  voulu  im- 
primer, et  la  rendre  asseurée  de  Tobéissance,  respect  et 
parfaicte  amitié  que  le  roy  son  fils  luy  portoit  *.  »  Cheverny 
était-il  suspect  comme  Du  Guast  à  la  petite  cour  du  révolté? 
On  pourrait  le  croire,  car  le  discret  conseiller  d^État,  sor- 
tant de  sa  réserve  ordinaire,  affirme  qu'il  faillit  être  assas- 
siné par  les  gens  du  duc  d'Alençon  ^.  D'autres  furent  moins 
heureux  que  Cheverny  et  n'échappèrent  pas  aux  spadassins. 

Tandis  que  des  négociations,  plus  ou  moins  loyales,  se 
poursuivaient  entre  Catherine  et  d'Alençon,  le  roi  trouvait 
à  Paris  des  ressources  imprévues.  Sans  parler  des  troupes 
levées  aux  frais  des  Parisiens  et  qui  ont  fait  Tobjet  des 
demandes  financières  que  nous  avons  exposées  plus  haut, 
les  gens  des  métiers  avoient  été  passés  en  revue  par  le  roi 
en  personne,  et,  si  Ton  en  croit  Claude  Haton,  cinquante 
mille  hommes  avaient  défilé  devant  le  souverain.  Les  re- 


1.  Claude  IIatott,  t.  II,  p.  784.  Le  prêtre  de  Provins  écrit  ceci  :  «  La  royne- 
inère  fut  tacitement  coulpée  de  la  fuitte  de  son  filz,  et  dist-on  par  coin- 
mung  bruict  qu'elle  luy  avoit  aydé  &  faire  ses  apprestes.  » 

2.  Uém,  de  Cheverny,  Coll.  Micbaud,  t.  X,  p.  417. 

3.  a  Et  comme  je  retoumois  de  ce  voyage,  mondit  sieur  frère  du  Roy 
fut  aussi  persuadé  par  les  mesmes  conseillers  de  m'envoyer  prendre  et 
arrester  ou  tuer  par  les  chemins;  et  pour  ce  il  dépescha  un  de  ses  plus 
confidens  capitaines  avec  cent  arquebusiers  à  cheval  qui,  grâces  à  Dieu^ 
vindrent  trop  tard  et  ne  me  peurent  joindre.  »  [Ibid.) 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  28- 

gislres  de  la  Ville  indiquent  quelques-uns  des  mouvements 
de  troupes  qui  furent  ordonnés  pour  faire  face  aux  reîtres 
allemands  dont  Montmorency  de  Thoré  conduisait  la  mar- 
che à  travers  la  Lorraine  et  la  Champagne.  Dès  la  nou- 
velle de  rentrée  des  Allemands  en  France,  Henri  de  Guise 
était  parti  pour  son  gouvernement  de  Champagne,  à  la  tète 
do  mille  gendarmes.  Il  fut  rejoint  par  Philippe  Strozzi,  co- 
lonel général  de  l'infanterie  française,  qui  amenait  dix  mille 
hommes  de  pied,  et  par  les  troupes  amenées  par  les  ducs 
d*  Usez  et  de  Montpensier  qui  arrivaient  Tun  du  Languedoc, 
Tautre  du  Poitou.  Par  ordre  du  roi,  la  Ville  de  Paris  avait 
également  envoyé  trois  des  compagnies  levées  aux  frais 
des  Parisiens  *  ;  les  quatre  autres  compagnies  eurent  pour 
mission  de  garder  les  principaux  passages  de  la  Seine.  Le 
choc  eut  lieu  près  de  Château-Thierry.  Après  une  courte 
résistance,  la  petite  armée  protestante  fut  mise  en  déroute, 
et  les  reitres,  qui  formaient  un  corps  de  cinq  cents  hommes, 
se  rendirent  sans  combat.  Thoré  put  s'échapper  et  se  retira 
avec  quelques-uns  des  siens  auprès  du  duc  d'AIençon.  En 
elle-même,  cette  victoire  n'avait  pas  une  grande  impor- 
tance, mais  elle  eut  une  réelle  influence  sur  la  popularité 
du  jeune  duc  de  Guise,  car  le  vainqueur,  ayant  reçu  dans 
la  mâchoire  gauche  un  coup  d'arquebuse,  il  gagna  le  sur- 
nom de  Balafré  et  la  réputation  d'un  héros. 

C'est  le  1 1  octobre  qu'on  apprit  dans  la  capitale  la  non* 
velle  de  la  victoire  des  troupes  royales.  Le  roi  ordonna  des 
Te  Deiim  qui  furent  chantés  d'abord  à  l'église  Saint-Jehan 
en  Grève,  et  ensuite,  le  lendemain,  à  Notre-Dame,  en  pré- 
sence de  toute  la  cour  et  des  compagnies  souveraines.  Le 
corps  de  Ville  assista  à  cette  double  cérémonie  '.  Mais  les 
cantiques  d'actions  de  grâces  n'empêchaient  pas  la  caisse 
municipale  d'être  vide,  et  le  clergé  ne  payait  pas  les  arré- 

1.  Rbo.  h,  1787,  f»«234  et  237. 

2.  /6id.,  (*•  237-239. 


â6  PARIS  ET   LÀ  LIGUE 

rages  des  rentes  assignées  sur  lui.  Dans  rassemblée  muni- 
cipale du  19  octobre  1S75,  le  prévôt  des  marchands  cons- 
tate «  que  le  clergé  doibt  grandes  sommes  de  deniers  des 
arréraiges  des  renies  constituées  sur  icelluy  clergé,  que 
ledict  clergé  ne  tient  compte  de  paier,  quelques  remons- 
trances  qui  leur  aient  esté  faictes  et  saisies  de  leur  revenu 
temporel,  dont  se  font  chascun  jour  infinies  plainctes  et 
clameurs  par  les  bourgeois  de  ladicte  ville  auxquels  sont 
deues  lesdictes  rentes  *.  »  Le  clergé  finit  cependant  par 
s'engager  à  payer,  dans  le  délai  d'un  mois,  de  notables 
sommes;  et  la  Ville  ordonna  que  le  receveur  municipal 
emploierait  les  premiers  fonds  versés  à  payer  «  les  arré- 
raiges des  rentes  deues  par  ladicte  Ville,  des  quartiers  de 
janvier,  février,  mars,  avril,  mars  et  juing,  et  après  ceulx 
depuis  escheuz.    »  Du  reste,  il  n'était  pas  aisé  de  faire 
voyager  l'or  sur  les  grandes  roules.  La  sécurité  des  trans- 
ports laissait  tellement  h  désirer  que  la  Ville  ne  pouvait 
faire  venir  «  les  deniers  de  Bretaigne  estans  à  Angers  »  et 
qui  étaient relenuz  audictlieu,/?Oi/;'  ledanger  deschamps^.  » 
A  la  cour,  en  ce  même  mois  d'octobre  1575,  on  n'était 
pas  plus  en  sûreté  que  sur  la  route  de  Bretagne.  Du  Guast, 
le  plus  énergique  des  mignons  du  roi,  fut  assassiné,  le 
31  octobre,  dans  une  petite  maison  qu'il  louait  rue  Saint- 
Honoré,  pour  y  cacher  ses  amours  avec  une  dame  de  la  cour. 
Quels  étaient  les  hommes  masqués  qui  avaient  commis  le 
meurtre?  Probablement  le  baron  de  Viteaux,  «  qui  estoit  à 
Monsieur  »;  il  avait,  deux  ans  auparavant,  déjà  tué  l'un 
des  favoris  du  roi,  Antoine  d'Alègre,  sieur  de  Millaud. 
Chose  étrange  !  le  roi  se  contenta  de  faire  à  Du  Guast  de 
magnifiques  obsèques.  De  Thou  dit  qu'il  ne  fut  pas  très 


1.  La  Ville  dut  recourir  à  des  mesures  plus  rigoureuses.  Elle  fit  écrouer 
à  la  Conciergerie  Philibert  de  Castille,  receveur  du  clergé.  W  est  vrai  quMl 
n'y  resta  pas  longtemps  et  fut  mis  en  liberté  le  18  novembre.  [Ibid.,  f>  241.) 

2.  Rbc.  h,  1787,  f*  239. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  27 

affecté  de  cette  mort  tragique  d'un  conseiller  viril  qui  cher- 
chait à  faire  de  lui  un  vrai  roi  *.  Cependant  on  informa  pour 
sauver  les  apparences.  Le  prévôt  des  marchands,  «  suivant 
la  volonté  du  roy  »,  prescrivit  aux  colonels,  le  1*""  novem- 
bre, de  faire  faire  des  perquisitions  dans  les  dizaines  «  pour 
congnoistre  ceulx  qui  sont  coulpables  ou  soubsonnez  c\o 
homicide  commis  le  jour  d'hier  de  nuict  {sic)  en  la  per- 
sonne de  feu  sieur  Du  Guast,  maistre  de  camp  '  ».  La  sup- 
pression de  Du  Guast  rendait  grand  service  à  Catherine  et 
faisait  disparaître  le  principal  obstacle  à  la  conclusion  d'une 
trêve  entre  le  roi  et  son  frère.  Tandis  que  la  reine  mère 
négocie,  Henri  III  se  distrait.  «  Au  commencement  de  no- 
vembre, dit  TEstoile,  le  roy  fait  remettre  sus  par  les  églises 
de  Paris,  les  oratoires,  autrement  dits  les  paradis,  et  y 
va  tous  les  jours  faire  ses  ausmonnes  et  priètes,  eii  grande 
dévotion,  laisse  ses  chemises  à  grands  goldrons,  dont  il 
ostoit  auparavant  si  curieux,  et  en  prend  à  colet  renversé,  à 
ritalienne.  Va  en  coche,  avec  la  Reine,  son  épouse,  par  les 
rues  et  maisons  de  Paris,  prendre  les  petits  chiens  dame- 
rets,  qui  à  lui  et  à  elle  viennent  à  plaisir;  va  semblable- 
ment  par  tous  les  monastères  de  femmes  estans  aux  envi- 
rons de  Paris,  faire  pareille  queste  de  petits  chiens,  au  grand 
regret  et  desplaisir  des  dames  ausquelles  les  chiens  appar- 
tenaient. Se  fait  lire  la  grammaire  et  apprend  à  décliner  '.  » 

i.  Voy.  le  récit  des  circonstances  de  cet  assassinat  mystérieux  dans  de 
Thou,  t.  Vll^  p.  300.  Le  grave  historien  attribue  ce  crime  à  Marguerite, 
la  reine  de  Navarre,  dont  le  malheureux  Du  Guast  avait  publiquement 
flétri  les  mœurs.  —  Uëstou^b,  1. 1,  p.  92,  prétend  que  le  duc  d'Alençon  avait 
armé  la  main  du  baron  de  Viteaux,  Tassassin  présumé,  parce  que  Du 
Guast  était  passé  un  jour  devant  lui  «  sans  le  saluer,  ni  faire  semblant  de 
le  congnoistre,  et  avoit  dit  par  trois  fois  qu'il  ne  recongnoissoit  que  le  roy, 
€t  que  quand  il  lui  auroit  commandé  de  tuer  son  propre  frère,  qu'il  le 
feroit  ». 

2.  Rb«.  h,  1787,  f>  240. 

3.  UEsTOiLE,  t.  J,  p.  93.  C'est  ce  qui  faisait  dire  à  Pasquier  : 

Bis  rez  qui  fuerat  fil  modo  gprammaticos. 

Pasquier  a  revendiqué  la  paternité  de  celte  épigramme.  (Livre  XIX  de 
ses  Lettres,  t.  II,  p.  483.) 


38  PARIS   ET  LA  LIGUE 

Profitant  de  cette  inertie  du  roi,  Catherine  signa  le  21  no- 
vembre avec  Alençon  une  trêve  de  sept  mois,  à  des  condi- 
tions honteuses  *.  Non  seulement  la  cour  s'engageait  à  payer 
aux  reltres  de  Jean-Casimir  une  somme  de  500,000  louis 
pour  les  empêcher  de  passer  le  Rhin,  mais  on  accordait  au 
duc  d* Alençon  cinq  places  de  sûreté  :  Angoulême,  Niort, 
Saumur,  Bourges  et  La  Charité;  et  au  prince  de  Condé, 
Mézières.  Il  est  vrai  que  le  roi  n'avait  pas  Tintention  de 
tenir  ses  engagements.  Il  ne  donne  pas  Mézières  au  prince 
de  Condé,  il  s'arrangea  pour  ne  donner  ni  Bourges  ni 
Angoulême  au  duc  d' Alençon;  enfin  il  ne  paya  pas  Jean- 
Casimir.  Par  contre,  il  enrôla  six  mille  Suisses,  et  chargea 
le  comte  de  Mansfeldt,  Gaspard  de  Schomberg  et  Chris- 
tophe de  Bassompierre,  qui  vinrent  à  Paris,  d'amener  en 
France  huit  mille  reitres  allemands,  moyennant  1 00,000  écus 
d'or  comptant  et  450,000  autres,  lorsque  ces  troupes  fran- 


1.  Le  recueil  de  pièces  publié  par  la  Bev.  rétrosp,  conlient  (l.  V,  p.  271) 
une  très  longue  lettre  par  laquelle  Catherine  apprend  à  Henri  UI  qu'elle 
a  signé  la  trêve  avec  le  duc  d*Alençou.  Au  dernier  moment,  les  huguenots, 
ne  trouvant  pas  encore  suffisantes  les  concessions  de  la  cour,  prétendirent 
que  Catherine  n'avait  pas  apporté  de  pouvoirs  réguliers  pour  signer  la 
trêve  au  nom  du  roi.  La  reine  mère  répondit  avec  noblesse  «  qu^elle  n'ea 
avait  pas  demandé,  pensant  que  ayant  rhormetir  d'être  la  mère  du  roi  et 
plusieurs  lettres  écrites  de  sa  main,  qu'il  nen  était  pas  besoin.  »  Cette 
lettre  importante,  qui  est  datée  du  12  novembre  1575  (Biblioth.  Nat,  sect. 
des  man.j  Fonds  Colbert,  V,  7,  p.  663;  Fonlanieu,  339-340),  contient  un  post- 
scriptum  écrit  de  la  main  même  de  Catherine  :  «  Je  vous  supplie,  monsieur 
mon  fils,  pensez  que  ce  n'est  pas  colère  qui  me  fait  parler  autre  que  de 
voir  qu'il  y  en  a  qui  ne  serait  jamais  content  qui  ne  nous  ait  vu  couper 
la  gorge,  à  vous  et  à  votre  frère,  et  ce  royaume  parti  à  qui  en  pourra  le 
plus  prendre;  je  vous  supplie,  ne  leur  donnez  ce  contentement,  et  je  prie 
Dieu  qu'il  leur  fasse  voir  tout  le  contraire,  pour  les  faire  crever  de  cha- 
grin. »  Mais  Catherine  n'avait  pas  l'intention  de  tenir  les  promesses  faites 
au  duc  d'Alençon.  Par  une  lettre,  en  date  du  7  décembre  1575  (coUect. 
LucAS-Mom-iG.NY),  elle  donne  ses  instructions  à  M.  de  Rambouillet.  «  Vous 
ne  délivrerez  point  encore  La  Charité,  dit  la  reine,  à  celui  que  mon  fils  y 
envoie,  jusqu'à  ce  que  vous  ayez  plus  amplement  de  mes  nouvelles;  et 
quant  à  Bourges,  je  vous  prie  de  vous  assurer  que  vous  la  puissiez  avoir 
et  délivrer  es  mains  de  mon  fils  quand  nous  voudrons;  mais  ne  la 
délivrez  pas  aussi  que  je  ne  le  vous  mande.  »  Chose  curieuse!  Henri  UI 
écrivait  le  lendemain,  8  décembre,  à  M.  Rambouillet  de  faire  consigner 
immédiatement  la  place  de  La  Charité  entre  les  mains  du  sieur  Davantigny, 
mandataire  et  délégué  du  duc  d'Alençon. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  29 

duraient  la  frontière  *.  L'occasion  était  belle  pour  pré- 
senter aux  Parisiens  une  demande  de  subsides.  Henri  III 
ne  s'en  fit  pas  faute. 

Dans  une  lettre  en  date  du  10  décembre  1575,  qui  nous 
a  été  conservée  par  les  registres  de  la  Ville  *,  le  roi  expose 
les  mesures  qu'il  a  prises  ou  compte  prendre  pour  faire 
face  à  tous  ses  ennemis.  Aux  reîtres  de  Jean-Casimir  qui 
se  massent  sur  la  frontière  de  Lorraine,  il  opposera  une 
armée  en  Champagne  «  et,  pour  cet  effect,  a  mandé  con- 
vocquer  toute  sa  noblesse  pour  se  trouver  en  deux  armées 
qu'elle  {Sa  Majesté)  entend  avoir  tant  près  de  sa  personne 
que  en  son  païs  de  Champagne  où  aussy  s'assembleront  la 
pluspart  de  toutes  ses  gens  d'ordonnance  et  enseignes  de 
son  infanterie.  »  On  lèvera  vingt-huit  cornettes  de  reîtres, 
soldées  sur  la  subvention  accordée  par  le  pape,  cl  douze 
mille  hommes  d*infanterie  française. 

La  Ville  de  Paris  recevait  la  part  du  lion  dans  cette 
répartition  des  charges  militaires.  «  Et  pour  le  regard  de 
sa  bonne  ville  et  généralité  de  Paris,  que  Sa  Majesté  aura 
toujours  en  plus  spécialle  affection,  d'aultant  que  Icsdictes 
forces  sont  principalement  destinées  pour  conserver  la- 
dicte  ville  et  païs  circon voisins,  elle  désire  que  ses  bons  et 
fidelles  subjectz,  les  habitans  de  sadicte  bonne  ville  et 
pareillement  ceuls  de  la  dicte  généralité  le  secourent  prom- 
ptement  du  paiement  de  3,000  Suisses  pour  quatre  mois, 

se  prenant  ailleurs  le  paiement  d'autres  trois  mil le 

tout  sans  tirer  à  conséquence  pour  l'avenir.  »  Pour  le  pré- 
sent, la  solde  des  trois  mille  Suisses  devait  s'élever  à 
200,  000  livres.  Le  roi  engage  la  Ville  à  se  procurer  la 
somme  dont  il  s'agit  au  moyen  d'une  taxe  assise  sur  tous 
les  habitans  des  ville  et  généralité  de  Paris,  privilégiés  ou 
non,  sauf  les  ecclésiastiques  «  pour  leurs  biens  et  revenus 

i.  Voy.  DE  Thou,  t.  VIF,  p.  296. 
2.  Rbg.  h,  1781,  ^  243  à  245. 


30  PARIS  ET  LA  LIGUE 

de  leurs  béneffices  ;  mais  ne  seront  exemptz  pour  ce  qu'ilz 
possèdent  de  patrîmoyne  ».  Cojnme  d'habîtude,  le  prévôt 
des  marchands  et  les  échevins  feraient  la  répartition  des 
taxes  avec  le  concours  des  bourgeois  notables.  Enfin  le 
souverain  prie  le  prévôt  des  marchands  de  «  faire  en  sorte 
que  les  deniers  que  fournira  nostre  dicte  ville  se  lèvent  et 
ceuillent,  attendu  Turgence  et  importance  grande  de  ceste 
affaire,  le  plustôt  qu'il  sera  possible  ». 

Dans  l'assemblée  générale  qui  eut  lieu  à  THôtel  de  Ville 
les  12  et  13  décembre,  les  représentants  de  la  population 
parisienne  décidèrent  qu'on  adresserait  au  roi  «  de  très 
humbles  remonstrances  de  Testât  et  nécessité  des  affaires 
de  ladicte  ville ,  bourgeois  et  habitans  d'icelle ,  abbus  et 
corruptions  de  mœurs  estans  es  estatz  tant  de  l'église  et 
justice  que  gendarmerie  ».  Une  commission  de  vingt-deux 
membres  fut  chargée  de  rédiger  ces  remontrances.  Elle 
comprenait  deux  conseillers  de  Ville,  deux  quartiniers, 
quatre  bourgeois  et  trois  ecclésiastiques;  les  autres  mem- 
bres de  la  commission  appartenaient  aux  compagnies  sou- 
veraines :  Parlement,  Chambre  des  comptes,  Cour  des  aides. 
Le  texte  arrêté  par  les  vingt-deux  n'indique  donc  pas  seu- 
lement l'opinion  d'un  petit  groupe  de  bourgeois  :  il  reflète 
le^  sentiments  de  ce  que  Paris  comptait  de  plus  remar- 
quable par  l'intelligence  et  de  plus  élevé  par  la  situation 
sociale.  C'est  le  19  décembre  *  que  le  prévôt  des  marchands, 
accompagné  des  membres  de  la  commission  des  vingt- 
deux,  se  présenta  au  Louvre  devant  le  roi  et  son  conseil. 
Henri  III  était  entouré  du  duc  et  du  cardinal  de  Guise, 
du  chancelier,  du  maréchal  de  Retz,  et  des  autres  mem- 
bres du  conseil.  Le  prévôt  présenta  le  texte  écrit  des 
remontrances  «  et  requit  lecture  en  estre  à  l'instant  faicte, 
ce  qui  a  esté  faict  audict  conseil.  Sa  Majesté  et  tous  les- 

1.  Keg.  h,  1787,  f»  254. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  31 

dictz  sieurs  y  aasislans  et  ayant  par  M.  Pinart,  secrétaire 
d'Estat  ».  Jamais  plus  ferme  langage  n'avait  été  tenu 
devant  un  roi  de  France  ;  et  le  document  dont  les  registres 
de  la  Ville  nous  ont  conservé  la  teneur  mérite  de  fixer 
Tattention  de  Thistoire,  car  on  peut  sans  exagération  le 
considérer  comme  la  préface  de  la  Ligue  *. 

Les  représentants  de  Paris  débutent  par  assurer  le  roi 
«  que  les  dites  remontrances  ne  procèdent  d'aucun  instinct 
et  mouvement  de  désobéissance  ou  refroidissement  de 
bonne  volunté,  ains  seuUement  de  grand  zelle  et  désir  très 
affectionné  qu'ilz  ont  à  la  conservation  et  manutention  de 
Fhonneur  de  Dieu  et  de  vostre  Estât  ».  Mais  ce  n'est  là 
qu'une  précaution  oratoire  qui  n'empêche  nullement  la 
Ville  de  dire  au  roi  les  vérités  les  plus  dures.  «  Vostre 
pauvre  peuple  a  esté  tellement  pillé,  vexé  et  saccagé  sans 
aucune  relasche  ny  moien  de  respirer,  depuis  l'année  1S60 
jusques  à  présent,  qu'il  ne  luy  reste  que  la  voix  cassée 
et  débille  pour  vous  déclairer  et  exprimer  le  mieulx  qu*il 
luy  sera  possible  ses  oppressions  et  grandes  calami- 
tez....  »  Depuis  quinze  ans,  les  citoyens  de  Paris  ont. 
donné  à  la  monarchie  36  millions  de  livres  et  le  clergé 
60  millions ,  «  somme  suffisante  non  seulement  pour 
conserver  l'Estat  de  Vostre  Majesté,  mais  aussy  avec  ter- 
reur de  l'ancien  nom  français  vous  rendre  redoubté  et 
formidable  à  tous  autres  princes,  potentatz  et  nations  ». 
Mais  la  monarchie  n'a  pas  su  tirer  parti  de  l'argent  de  la 
France.  «  Au  contraire,  de  grant  et  puissant  que  vostre 
rovaume  estoit  en  ladicte  année  MVLX,  il  a  esté  constrainct 

1.  Voir  CuuDB  Hatto^,  t.  II,  p.  828;  la  Popelinièbe»  t.  II,  f'  293;  de 
Tuou,  t.  VII,  p.  296-298,  sur  le  travail  de  la  commission  municipale.  En 
voici  le  litre  :  «  Remontrances  très  humbles  de  la  Ville  de  Paris  et  des 
bourgeois  et  citoyens  d'icelle  au  roy,  leur  souverain  seigneur.  »  Il  existe 
un  tirage  à  part  des  remontrances.  Rouen,  1576,  16  p.,  petit  in-8*.  La 
bibliothèque  Carnavalet  possède  aussi  une  belle  copie  manuscrite  de  la 
môme  harangue  dont  l'écriture  est  bien  du  temps.  Voy.  aussi  Catalogue  de 
la  BibL  NaL,  Lb  »♦,  n-  128  et  129,  t.  I,  p.  297. 


32  PARIS  ET  LÀ  LIGUE 

passer  par  les  mains  des  forces  étrangères  qui  en  ont  tiré, 
succé  et  emporté  le  plus  beau  et  le  plus  précieux  avec  une 
«strème  despence,  oultre  la  substance  de  vostre  pauvre 
peuple,  laquelle  y  a  esté  entièrement  consommée,  et  la 
perte  indicible  des  plus  grands  et  espérimentez  cappitaines, 
tellement  que  Ton  peult  véritablement  dire  que  vostre  dict 
royaume  est  à  présent  destitué  d'hommes  et  espuisé  de 
deniers,  qui  sont  les  vrais  nerfz  d'un  estât  monarchie.  » 
Cette  situation  de  la  France  est  d'autant  plus  lamentable 
<ju'elle  contraste  avec  celle  des  pays  voisins  qui  jouissent 
de  la  paix  et  de  l'abondance.  A  coup  sûr,  les  Parisiens 
n'ont  pas  ménagé  les  sacrifices  ;  mais  ni  l'or,  ni  l'argent 
n'ont  pu  rendre  au  royaume  son  ancienne  prospérité.  D'où 
vient  donc  cette  série  de  calamités  qui  éprouve  les  citoyens 
de  Paris,  alors  «  qu'ilz  n'ont  jamais  failli  ny  manqué  d'un 
«eulpoinlt  de  leur  debvoir  »?  Ah  !  c'est  que  le  ciel  veut  leur 
témoigner  sa  colère.  L'idée  théologique  apparaît  ;  la  France 
corrompue  par  ses  maîtres.  Qui  doit  expier?  On  n'a  pas 
encore  nommé  le  coupable  ;  on  n'insiste  pas  encore  sur  la 
•cause  de  la  colère  de  Dieu.  Mais  chacun  la  devine.  Mettre 
«n  relief  les  effets,  et  puis  faire  toucher  du  doigt  la  décom- 
position de  toutes  les  institutions  officielles,  voilà  ce  que 
les  futurs  ligueurs  se  proposent.  «  La  guerre  que  nous 
souffrons  vient  du  ciel  et  n'est  autre  chose  que  Tire  de  Dieu 
qui  se  manifeste.  La  cause  de  laquelle  n'est  sy  occulte 
ne  tant  secrette  qu'elle  ne  soit  apparemment  remarquée 
-en  la  corruption  universelle  de  tous  les  estatz  et  ordres  de 
vostre  dict  royaume.  » 

Chose  étrange  !  dans  cette  diatribe  contre  l'oligarchie  des 
gouvernants,  l'Église  a  sa  grosse  part  d'invectives;  mais 
ce  qu'on  attaque,  c'est  l'Église  de  cour  et  l'état-major  des 
prélats.  On  sent  que  pour  le  peuple  parisien  le  haut  clergé 
a  perdu  son  prestige  ;  le  règne  des  moines  va  s'ouvrir. 
Quant  à  l'Église,  la  simonie  y  règne  publiquement.  «  Les 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  33 

bénéfices  ecclésiastiques  sont  tenuz  et  possédez  par  femmes 
et  gentilzhommes  mariez,  lesquelz  emploient  le  revenu 
à  leur  proffict  particulier...  »  Les  évêques,  les  curés  ne 
résident  pas  sur  leurs  bénéfices  et  évéchés.  «  Contre  l'insti- 
tution et  bonnes  coutumes  des  anciens  bénéfices,  »  ils 
n'exercent  aucune  charité  envers  les  pauvres  ;  «  et  sont  les 
ecclésiastiques  si  desbordez  en  luxe,  avarice  et  autres  vices 
que  le  scandai  en  est  publicq  ».  La  robe  du  magistrat  n'est 
pas  plus  respectée  que  la  robe  du  prêtre.  D'après  les  délé- 
gués de  Paris,  la  magistrature  française  mérite  tous  les 
mépris,  à  cause  du  principe  de  la  vénalité  des  offices. 
«  Pour  ceste  cause,  noz  voisins,  qui  ne  savent  que 
c'est  de  manier  tel  trafficq,  s'en  moquent  et  nous  ont  en 
grande  abhomination.  »  De  la  vénalité  «  est  proceddé 
la  multiplicité  et  nombre  effréné  desdictz  officiers,  de 
laquelle  vostre  royaume  peut  dire,  comme  Adrien  l'empe- 
reur en  mourant ,  que  la  multitude  des  médecins  l'avoit 
tué  ».  Tous  ces  magistrats  sont  incapables  ou  malhon- 
nêtes. Les  uns  «  prennent  leur  façon  et  instruction  aux 
despens  de  vostre  pauvre  peuple  et  de  la  réputation  de 
vostre  estât  ;  les  autres  sont  pauvres  et  par  là  induictz  et 
comme  conlrainctz  à  choses  mauvaises  et  malhonnestes...  » 
Aux  yeux  des  Parisiens,  l'armée  n'est  qu'une  tourbe  de 
pillards  et  de  brigands.  La  gendarmerie  *  est  remplie  «  de 
personnes  de  vil  estât  »  qui  se  livrent  à  mille  exactions  et 
«  forcements  de  filles  et  femmes,  cruaultez  plus  que  bru- 
talles  et  barbaresques  ».  Les  gens  de  guerre  se  permettent 
de  lever  des  tailles  sans  l'autorisation  du  roi,  «  lesquelles 
pilleries  et  rançonnemens  sont  pratiquées  non  seulement 
par  vostre  dicte  gendarmerie ,  mais  aussy  par  aucuns  de 


l.  Au  xvi*'  siècle,  on  entendait  par  ce  mot  de  gendarmerie  les  troupes 
de  nationalité  française,  par  opposition  aux  contingents  étrangers.  Souvent 
on  appliquait  le  mot  de  gendarmerie  aux  compagnies  d'ordonnance  du 
roi,  de  la  reine  et  des  princes. 

RODIQUET.  3 


34  PARIS  ET  LA  LIGUE 

vostre  corps  par  lesquelz  les  femmes  de  voz  subjectz  et 
maisons  de  pauvres  laboureurs  sont  ordinairement  deîî- 
truictes  et  pillées  ».  L'administration  financière  est  «  de 
même  façon  conduicte.  Les  dons  immenses,  mal  et  inégal- 
ement distribuez  et  en  temps  si  calamiteux,  jusques  à 
revenir,  en  Tannée  1572,  à  2  millions  700  000  livres, 
moitié  de  laquelle  somme  est  composée  d'offices  nouvel- 
lement errigez  à  la  charge  et  fouUe  du  peuple  qui  en  a  paie 
et  porté  les  gaiges  en  Tannée  1573.  Reviennent  lesdictz 
dons  à  2  millions  44  000  livres;  Tannée  1574  à  la  somme 
de  547  800  livres,  et  en  Tannée  présente,  depuis  six  mois, 
955  000  livres,  la  pluspart  desquelz  dons  ont  esté  reffusez 
par  vostre  Chambre  des  comptes  et  commandez  par  Yostre 
Majesté  infinies  fois  et  depuis  passez  par  jussions  et  très 
exprès  commandemens  ;  sans  comprendre  les  pensions 
données,  revenantes  à  la  sonmie  de  200  000  livres,  qui  sont 
aultant  de  rentes  sur  voz  finances,  à  la  grande  diminution 
d'icelles  et  augmentation  de  la  nécessité  et  conséquemment 
à  la  charge  et  fouUe  de  vostre  pauvre  peuple,  qui  est  réduit 
à  toute  pauvreté  et  impuissance.  »  D'après  les  délégués 
de  la  capitale,  il  y  a  dans  Paris  pénurie  de  toutes  choses 
et  arrêt  absolu  des  transactions.  Les  fermes  d'impôts  sont 
données  à  des  étrangers  et  les  rentes  de  la  Ville  assignées 
sur  ces  fermes  ne  peuvent  plus  être  payées,  au  grand 
mépris  de  la  foi  publique.  Quant  aux  biens  ruraux  des  Pari- 
siens, ils  sont  pillés  et  détruits  par  la  licence  effrénée  de  la 
gendarmerie  du  roi.  L'usure,  «  cause  très  fréquente  et  ordi- 
naire des  troubles  et  séditions  »,  fait  des  progrès  effrayants. 
Comme  leçon  et  comme  satire  de  sa  conduite  méprisable, 
la  commission  municipale  croit  devoir  rappeler  au  souverain 
les  belles  paroles  que  «  ce  bon  roy  sainct  Loys  *,  »  étendu 

1.  Db  Thou  (t.  VII,  p.  298)  rapporte  que  «  les  avis  de  saint  Louis  &  son 
fils  avaient  été  tirés  des  archives  de  la  couronne,  où  étaient  en  dépôt  ces 
monuments  respectables  de  Tantiquité  ».  Le  registre  de  la  Ville  nous 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  35 

sur  le  lit  de  mort,  avait  adressées  à  son  fils.  «  Aye  le 
cueur  piteux  et  charitable  aux  pauvres  gens  et  les  conforte 
et  aide  de  tes  biens.  Faictz  garder  les  bonnes  loix  et  cous- 
tumes  de  ton  royaume  ;  ne  prends  point  tailles  ny  aides  de 
les  subjectz,  si  urgente  nécessité  et  évidente  utilité  ne  te 
le  faict  faire,  et  pour  juste  cause,  non  pas  volontairement, 
car  si  tu  faictz  aultremenl,  tu  ne  seras  pas  réputé  pour  roy, 
mais  tu  seras  réputé  pour  tiran.  Garde,  sur  toutes  choses, 
que  aie  sages  conseillers  et  d'aage  meur...  S'il  y  en  a 
aucun  risteux,  garde  que  incontinent  tu  les  envoyé  hors 
de  ta  maison...  »  Les  remontrances  poursuivaient  en  mon- 
trant à  Henri  III,  dans  la  sombre  perspective  de  l'éternité 
vengeresse,  la  justice  du  roi  des  rois  qui  tôt  ou  tard  châtie 
les  mauvais  princes.  «  Comme  vous  avez  la  domination 
sur  vostre  peuple,  aussy  est  Dieu  vostre  supérieur  et  domi- 
nateur auquel  devez  rendre  compte  de  vostre  charge.  » 

Et  Torateur  de  la  Ville  terminait  son  réquisitoire  par  ces 
paroles  audacieuses  qui  durent  retentir  comme  une  menace 
et  une  déclaration  de  guerre  aux  oreilles  du  dernier  des 
Valois  :  «  Scavez  trop  mieulx,  sire,  que  le  prince  qui  lève 
et  exige  de  son  peuple  plus  qu'il  ne  doilt,  alliene  et  perd 
la  voluncté  de  ses  subjectz  de  laquelle  deppend  Tobbéis- 
sance  qu'on  luy  donne.  » 

Jamais  François  I"  ou  Charles  IX,  avec  leur  tempéra- 
ment fougueux  et  violent,  n'auraient  supporté  un  pareil 
langage.  Les  mignons  '  de  Tentourage  étaient  indignés, 

donne  les  paroles  mêmes  du  saint  roi,  ce  qui  vaut  mieux  qu'une  analyse, 
fiU-elle  rédigée  par  un  historien  aussi  précis  que  de  Thou. 

1.  C'est  avec  raison  que  Michblbt  (Histoire  de  France,  t.  X,  p.  52)  fait 
remarquer  que  la  plupart  des  mignons  étaient  tout  autre  chose  que  des 
efféminés.  Epernon,  Joyeuse,  du  Guast,  etc.,  ont  maintes  fois  donné  des 
preuves  d'une  bravoure  peu  commune.  D'Aubigné,  si  sévère  pour  Henri  UI 
et  pour  868  favoris,  dit  bien  : 

Le  péché  de  Sodome  et  le  sanglant  inceste 

Sont  reproches  joyeux  de  nos  impures  cours. 

U  i^oute  encore  que  «  les  mignons  muguets  se  parent  et  font  braves  de 
clincant  et  d'or  traict  »;  mais  nulle  part  il  ne  met  en  doute  leur  courage  et 
leur  énergie. 


36  PARIS  ET   L\  LIGUE 

et  René  de  Villequier,  interrompant  l'orateur,  lui  demanda 
comment  il  osait  être  assez  hardi  pour  perdre  le  respect 
du  à  S.  M.  *.  C'est  alors  que  le  porte-parole  des  Parisiens 
s'arrêta  et  remit  le  texte  écrit  des  remontrances.  Henri  III, 
sans  perdre  son  sang-froid,  fit  signe  à  Villequier  de  se 
taire  et  prit  lui-même  la  peine  de  répliquer  au  réquisi- 
toire municipal.  Avec  cette  grâce  insinuante  qui,  dans 
une  situation  secondaire,  eût  fait  de  lui  un  diplomate  con- 
sommé ou  un  avocat  de  mérite,  le  roi  dit  «  qu'il  avoit  les 
dictes  remontrances  pour  bien  agréables,  et  que,  quant  Dieu 
luy  donnera  le  moien  de  pourveoir  à  tout  ce  qui  est  con- 
tenu en  icelles,  il  montrera  qu'il  a  la  volunté  de  le  faire  et 
de  se  montrer  bon,  tousjours  bon  roy  *  ».  En  définitive,  il 
maintint  sans  réduction  sa  demande  de  subsides  «  pour  la 
nécessité  de  ses  affaires  »,  c'est-à-dire  pour  se  procurer  les 
moyens  de  chasser  les  reîtres  allemands.  La  Ville  finit  d'ail- 
leurs par  se  soumettre  aux  injonctions  royales,  et,  dans 
l'assemblée  générale  du  20  décembre  1575,  se  résigna  à 
payer  la  solde  de  2000  Suisses  pendant  quatre  mois  '. 

1.  D'après  le  récit  de  Thistorien  de  Thou,  il  y  a  lieu  de  croire  que  l'ora- 
teur municipal  avait  commencé  à  réciter  par  cœur  le  texte  des  remon- 
trances, et  qu'il  n'en  présenta  au  roi  le  texte  manuscrit  qu'après  avoir  été 
interrompu  par  Villequier;  \es  registres  de  la  Ville  disent  catégorique- 
ment, comme  on  l'a  vu  plus  haut,  que  Pioart,  secrétaire  d'État,  donna 
lecture  des  remontrances  au  Conseil  du  roi. 

2.  Registre  H,  1787,  f«  254.  Il  est  intéressant  de  mettre  en  regard  de  la 
version  des  registres  la  version  donnée  par  de  Thou.  Suivant  le  conscien- 
cieux historien,  le  roi  dit  «  qu'il  ne  s'agissait  pas  de  chercher  des  délais 
et  de  faire  parade  hors  de  saison  de  son  attachement  pour  sa  liberté  et 
ses  privilèges;  que  le  péril  présent  regardoit  également  TÉtat  et  les  parti- 
culiers, et  qu'on  ne  pou  voit  trop  tôt  le  prévenir;  que  cependant  il  ne 
négligeroit  pas  pour  cela  le  danger  dont  toujours  la  France  étoit  menacée  : 
et  qu'il  y  avoit  encore  des  sujets  affectionnés  à  leur  prince  et  à  la  patrie 
qui  l'aideroient  à  soutenir  le  poids  de  la  guerre  ».  Le  duc  de  Nevers  et 
Charles  d'Hallewin  de  Pienne  prêtèrent  en  effet  à  Henri  111  des  sommes 
considérables  pour  faire  face  aux  besoins  du  trésor. 

3.  Reg.  h,  1787,  f*  256.  D'après  l'Estoilb  (t.  I,  p.  96),  l'assemblée 
générale  de  l'Hôtel  de  Ville  vota  u  qu'on  ottroieroit  au  roy  sa  demande  et 
que  la  Ville  de  Paris  fourniroit  les  deux  tiers  de  la  somme  par  lui  requise 
pour  lesdits  quatre  mois,  rcvenans  lesdits  deux  tiers  à  trente  et  trois 
mille  quatre  cens  livres  par  mois,  et  que  le  surplus  seroit  départi  sur  les 
villes  circonvoisines  enclavées  en  la  généralité  dudit  lieu  ».  Michelet  s^est 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  37 

L'assistance  de  la  Ville  de  Paris  était  bien  nécessaire 
au  roi  pour  conjurer  les  périls  de  la  guerre  civile  et  de 
l'invasion  étrangère.  Tandis  qu'à  l'Ouest  le  duc  d'Alençon 
négociait  avec  les  protestants  de  La  Rochelle  par  l'inter- 
médiaire d'Antoine  de  Silly,  sieur  de  Rochepot,  et  en  tirait 
quelque  argent  et  de  bonnes  assurances,  le  prince  de  Condé 
et  Jean-Casimir  se  disposaient  h  conduire  à  travers  la 
France  leurs  bandes  d'aventuriers  allemands  et  suisses.  Ils 
avaient  réuni  18  000  hommes  et  une  vingtaine  de  canons, 
et,  comme  disent  les  registres,  se  tenaient  près  de  Verdun 
«  en  délibération  de  passer  la  rivière  de  la  Moselle  ».  A 
Paris,  on  prit  des  mesures  de  défense,  car  tout  le  monde 
comprenait,  malgré  les  efforts  de  Catherine  pour  rétablir 
la  paix  entre  ses  deux  fils,  que  la  trêve  n'était  pas  une 
garantie  bien  sérieuse  contre  la  reprise  des  hostilités,  et 
que  «  les  gouverneurs  des  villes  et  places  tant  roiaux  que 
autres,  ne  demandoient  que  plaie  et  bosse,  comme  les  bar- 
biers ».  L'Estoile  et  les  registres  de  la  Ville  peuvent  donner 
une  idée  complète  des  préparatifs  militaires  qui  furent 
ordonnés  par  le  roi.  Le  prévôt  des  marchands  enjoignit 
^ux  habitants,  «  chacun  selon  son  pouvoir,  de  faire  provi- 
sion de  picqz,  pelles,  hoyaulx  et  louchetz  qu'ilz  tiendront 
tout  pretz  en  leurs  maisons  pour  servir  ceste  ville,  quand 
l'occasion  s'en  pourra  présenter  *  ».  M.  de  Biron,  grand 
maître  de  l'artillerie,  vint  à  l'Hôtel  de  Ville  et  prit  de  concert 
avec  le  Bureau  les  dispositions  nécessaires*.  On  mit  des  gar- 
nisons au  ch&teau  de  Vincennes,  aux  ponts  de  Saint-Cloud, 
à  Saint-Denis  '  et  à  Montmartre.  Du  côté  de  l'Université,  on 


irompé  en  disant  trop  brièvement  :  «  Paris  rcrusa  nettement  de  payer  un 
«ou.  »  T.  X,  p.  56.  —  Paris  fit  des  remontrances,  mais  il  paya. 

1.  Reo.  h,  1787,  f*>  260. 

2.  Ibid.  On  trouve  au  registre  un  «  mémoire  de  ce  qui  a  esté  arresté  en 
l'hostel  de  la  Ville  de  Paris  le  23  décembre  1575,  en  la  présence  de 
M.  de  Biron,  grand  mestre  de  rartillerie,  y  estant  venu  pour  pourvoir  à 
la  conservation  de  ladicte  ville  ». 

3.  «  Les  restes  de  la  Noël,  dit  TËstoile,  on  commença  à  fortifier  la  ville 


38  PARIS  ET  LA  LIGUE 

fit  activement  besongner  aux  tranchées,  et  la  Ville  mit  en 
réquisition  «  les  mandians  vallides  et  autres  gens  vacca- 
bondz  et  sans  advea  ».  Les  manœuvres  forains  reçurent 
chacun  six  solz  tournois  par  jour.  Enfin  les  «  marchands 
forains,  laboureurs  et  autres  demeurans  en  Tellection  de 
Paris  »  furent  autorisés  à  rentrer  leurs  grains  dans  la 
ville.  Le  prévôt  des  marchands  mit  des  magasins  à  leur 
disposition  «  sans  aulcune  chose  paier  ».  Une  ordonnance 
royale  du  29  décembre  sanctionna  ces  mesures. 

Une  commission  fut  instituée  et  installée  à  l'Hôtel  de 
Ville  pour  veiller  à  la  sûreté  de  la  capitale  et  prendre  les 
mesures  nécessaires  *.  Cette  commission  devait  se  tenir 
en  relations  constantes  avec  le  roi,  afin  de  le  renseigner  sur 


de  SaiatrDenis  en  France  et  relever  les  tranchées  et  boulevars  où  travail- 
lent 3000  prisonniers,  paies  des  deniers  des  fortifications  qu'on  contraint 
les  bourgeois  de  Paris  bailler  par  avance,  et  fut  fait  commandement  aux 
villages  circonvoisins  dudit  Saint-Denis  d'y  porter  cent  oauis  de  bled  de 
munition,  chacun  suivant  sa  quotle.  »  T.  I,  p.  99. 

1.  Voici  d'ailleurs,  d*après  les  registres  de  la  Ville,  le  texte  de  l'ordon- 
nance royale  qui  instituait  à  l'Hôtel  de  Ville  la  commission  dont  il  s'agit* 
On  remarquera  qu'elle  ne  comptait  parmi  ses  membres  aucun  militaire,  ce 
qui  indique  que  son  caractère  était  purement  administratif.  Ajoutons  qu  a 
la  date  du  4  février  1576  le  roi  adjoignit  aux  personnes  désignées  plus 
bas  les  présidents  Bailly,  de  Saint-Mesmyn  et  Luillier.  «  Le  roy  considérant 
que  pour  le  bien,  repos  et  seureté  de  ceste  ville  de  Paris,  il  est  besoing 
adviser  et  pourveoir  journellement  aux  affaires  qui  s'y  présentent  tant 
pour  le  dedans  que  pour  le  dehors  ès-envyrons  de  ladicte  ville;  a  advisé 
et  résolu  en  son  conseil  que  en  une  des  chambres  de  Thostel  de  ladicte 
ville  de  Paris  s'assembleront  journellement  avec  messieurs  les  prévost  des 
marchands  et  eschevins  :  messieurs  de  Thou,  premier  président  en  la  court 
de  Parlement,  Demorsans  et  Hennequln,  aussy  prêsidens  en  icelle  court, 
Nicolas  de  Neully,  premier  président  en  la  Chambre  des  comptes  et  géné- 
raulx  des  aydes,  Bailly,  Luillier  et  Guiot  le  père,  aussy  présidons  en  icelle 
Chambre  des  comptes,  Marcel,  intendant  des  finances  de  Sa  Majesté, 
Paluau,  l'un  de  ses  notaires  et  secrétaires,  et  Jehan  Anbry,  conseillers  de 
ville;  pour  tenir  conseil  en  ladicte  Chambre,  où  sera  aussy  le  procureur 
du  roy  de  ladicte  Ville  Perrot;  adviser  et  donner  ordre  journellement  aux 
affaires  qui  se  présenteront  pour  le  bien,  repos  et  seurettè  de  ladicte  ville 
et  des  envyrons,  aultant  que  leur  sera  possible;  s'ilz  congnoissent  qu'il 
y  ait  chose  qui  mérite  estre  entendue  de  Sadicte  Majesté,  ledict  prévost 
des  marchans  et  l'un  des  eschevins  l'en  advertiront  incontinent,  pour  ce 
faict  leur  faire  entendre  son  intention  et  y  pourveoir  elle-mesmes  ou 
leur  commander  ce  qa'ilz  debvroient  faire  pour  y  pourveoir,  selon  qu'elle 
verra  nécessité  le  requérir.  Faict  à  Paris  le  XIX*  jour  de  décembre 
MVLXXV.  Signé  :  Henry,' et  au-dessoulz  Pinabt.  »  Rbg.  H,  1787,  f»  260. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU  ROI  39 

louies  les  circonstances  et  tous  les  incidents  de  nature  à 
rintéresser.  La  présence,  au  sein  de  la  commission,  du 
prévôt  des  marchands,  des  échevins  et  de  plusieurs  con- 
seillers de  ville,  s'explique  difficilement,  il  faut  le  recon- 
naître, après  la  philippique  dont  nous  avons  reproduit  les 
passages  essentiels.  On  se  demande  comment  le  roi  pou- 
vait  accorder  sa  confiance  à  ce  prévôt  des  marchands  qui, 
diaprés  le   témoignage   officiel   des   registres,  marchait, 
le  19  décembre,  en  tête  de  la  députation  qui  avait  porté  au 
prince  les  remontrances  des  Parisiens.  Quel  était  donc 
alors  le  chef  de  la  municipalité?  C'était  toujours  ce  Jean 
le  Charron,  président  de  la  Cour  des  aides,  dont  nous  avons 
dit  le  rôle  assez  lâche  et  assez  équivoque  au  moment  de 
la  Saint-Barthélémy  *  et  qui  avait  été  continué,  le  16  août 
1S74,  dans  les  fonctions  de  prévôt  des  marchands.  Le  per- 
sonnage ne  possédait  nullement  Tétoffe  d'un  fauteur  de 
révolutions.  On  a  vu  que,  la  veille  de  la  Saint-Barthélémy, 
quelques  paroles  de  M.  de  Tavannes  l'avaient  fait  rentrer 
sous  terre  et  transformé  de  partisan  de  la  tolérance  en 
furieux  fanatique.  Peut-être,  après  la  scène  des  remontran- 
ces, Jean  le  Charron  fit-il  quelques  réflexions  sur  le  danger 
de  dire  la  vérité  aux  rois,  surtout  à  un  monarque  qui  savait 
comme  Henri  III  recevoir  une  injure  avec  le  sourire  sur 
les  lèvres.  Et  puis  Villequier,  ainsi  que  naguère  Tavannes, 
semblait  animé  d'un  médiocre  amour  pour  les  récrimina- 
tions municipales.  Ces  mignons,  si  gracieux,  manquaient 
de  patience  et  mettaient  flamberge  au  vent  pour  quelques 
paroles.  Enfin,  chose  étonnante,  le  peuple  ne  savait  aucun 
gré  à  ses  magistrats  du  courage  qu'ils  avaient  montré. 
Jamais  personne  ne  fut  plus  impopulaire  que  ne  l'était 
Jean  le  Charron.  Il  faut  lire  dans  l'Estoilc  les  pièces  sati- 
riques que  son  nom  suscitait  et  les  jolis  vers  sur  le  perro- 

1.  Sur  le  Charron,  voy.  Hist  munie,  p.  631-632,  et  plus  haut,  p.  14.  - 


40  Paris  et  la  ligue 

quet  d'Attichi,  secrétaire  du  roi,  ce  perroquet  savant,  ce 
perroquet  mal  élevé  qui  à  Charron  donnait  pour  rime 
larron  *.  C'est  aussi  contre  Jean  le  Charron,  «  mal  famé  et 
renommé  en  son  estât  et  fort  hay  du  peuple  »,  qu'on  fit 
dans  le  même  temps  ce  sonnet  peu  flatteur  : 

0  sages  citoiens,  un  asnîcr  vous  commande  ! 
Un  vendeur  de  saffran,  un  coqu  effronté 
Qui  trahist  votre  autel  et  vostre^utorité, 
Larron  digne,  cent  fois  et  cent  fois  qu'on  le  pende! 

0  riches  citoiens,  un  coquin  vous  gourmande, 

Qui,  pour  se  relever  de  honte  et  pauvreté, 

Vend  à  deniers  comptans  les  loix,  la  liberté, 

Et  rien  qu'emprunts,  qu'impôts,  que  tailles  ne  demande! 

Que  vous  sert  il,  messieurs,  de  vous  armer  dehors, 
Si  toujours  ce  venin  se  couve  en  votre  corps. 
Qui  vous  suce  le  sang,  qui  vous  ronge  et  vous  mine! 
Que  ne  l'en voiez- vous,  à  l'aide  d'un  cordeau, 
Vers  l'avare  nocher  de  l'infernal  basteau  ! 
Duquel  il  a  le  nom,  le  front  et  la  rapine? 

Il  y  a  donc  de  sérieuses  raisons  de  croire  que  ce  prévôt 
des  marchands  «  qui  rien  qu'emprunts,  qu'impôts,  que 
tailles  ne  demande  »  ne  devait  pas  être  un  défenseur  bien 
énergique  des  deniers  de  ses  administrés.  L'opposition 
venait  surtout  des  bourgeois  eux-mêmes  et  des  officiers 
municipaux  subalternes.  Les  quartiniers  apportaient  une 
lenteur'  calculée  dans  le  recouvrement  des  cotisations  de- 
mandées aux  Parisiens.  Par  lettre  du  22  février  1576,  con- 
servée aux  registres,  le  roi  constate  avec  amertume  que  la 
perception  «  se  tire  en  grande  longueur  ».  Un  peu  plus 

1.  Voici  les  vers  sur  le  perroquet  d'Âttichi  : 

Quand  le  Charron  fist  capture 
De  rAtttchi  dernièrement, 
Ck)mm'il  est  de  fa  nature 
Présumpluenx,  sans  jugement, 
Crioil  en  la  cour  hautement  : 
C'est  moi  qui  suis  monsieur  Charron. 
Le  perroquet  soudainement 
Commence  à  l'appeler  larron^ 

Et  tous  ses  archers  de  ville 

Disoient  que  c'estoit  évangile. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  41 

lard,  le  8  avril,  Henri  III  revient  à  la  charge  et  presse  de- 
rechef le  Bureau  «  de  faire  toute  diligence  de  lever  les 
deniers  accordés  par  la  Ville  pour  la  solde  des  Suisses  *  ». 
Ces  nouvelles  instances  n'ayant  pas  réussi  à  secouer  Tiner- 
tie  de  la  population,  le  roi  se  fâche,  et  le  15  paraît  un  édit 
portant  que  ceux  qui  ne  payeront  pas  leur  taxe  dans  le 
délai  de  deux  jours  seront  imposés  au  double.  Menaces 
inutiles!  Alors  Henri  III  prend  un  grand  parti.  Pour  se  pro- 
curer les  fonds  nécessaires  au  payement  des  troupes,  il  va 
faire  une  émission  de  rentes.  Le  prévôt  des  marchands  reçoit 
avis  de  porter  à  la  connaissance  des  conseillers  de  Ville  que 
le  roi  a  Tintention  «  de  constituer  jusques  à  50  000  livres 
de  rente  sur  tous  deniers  ordinaires  et  extraordinaires  des 
recettes  généralles  des  finances  à  Paris  et  Rouen,  et  offrir 
que,  en  payant  moictié  contant  et  Taulre  moictié  en 
debtes  bien  vérifiées  ou  gages,  deutz  à  noz  officiers,  il  sera 
constitué  rente  pour  le  tout,  à  raison  du  denier  douze  •  ». 
Le  bureau  de  la  Ville  se  soumet  et  consent  à  émettre 
50000  livres  de  rentes,  assignées  sur  les  recettes  de  Paris 
et  de  Rouen,  mais  en  prenant  soin  de  stipuler  que  la  nou- 
velle émission  sera  primée,  au  point  de  vue  des  assigna- 
tions, par  les  rentes  antérieurement  constituées  '. 

Tandis  que  la  municipalité  parisienne  disputait  ainsi  au 
roi  l'épargne  de  la  bourgeoisie,  la  situation  du  monarque 
devenait  de  plus  en  plus  critique.  Le  prince  de  Condé  et 
Jean-Casimir  étaient  entrés  en  Bourgogne,  et  les  reîtres 


i.  Rb6.  h,  1787,  f  299. 

2.  Ibid.,  f»  300. 

3.  La  délibération  est  du  16  avril.  En  voici  les  termes  :  «  A  esté  concllu 
et  délibéré,  attendu  la  nécessité  des  affaires  du  roy,  que  ouverture  sera 
faicte  du  bureau  de  ladicte  Ville  pour  le  fournissement  de  ladicte  somme 
de  h^  livres  de  rente  sur  les  receptes  de  Paris  et  Rouen,  à  la  charge 
toutesrois  que  ce  soit  de  gré  &  gré,  sans  aulcune  contraincte,  et  que 
les  rentes  qui  seront  sur  ce  constituées  ne  pourront  estre  payées  sur 
les  autres  assignations  de  ladicte  ville,  et  oultre  que  les  premières  rentes 
qui  ont  jà  esté  constituées  sur  lesdictes  receptes  généralles  seront  préal- 
lablement  payées  et  acquitées.  >  Ibid.^  f«  301. 


42  PARIS  ET  LA   LIGUE 

commettaient,  chemin  faisant,  mille  atrocités.  Ils  avaient 
mis  à  feu  et  à  sang  la  ville  de  Nuits  qui  leur  fermait  ses 
portes,  et  les  troupes  françaises  de  Gondé  se  trouvaient 
impuissantes  à  maîtriser  leurs  alliés,  tous  ces  bandits  venus 
d'Allemagne  pour  mettre  la  France  au  pillage.  Dans  le 
Midi,  une  effroyable  anarchie  régnait.  Henri  de  Montmo* 
rency-Damville  et  le  duc  d'Usez  se  prétendaient  tous  deux 
gouverneurs  du  Languedoc,  au  nom  du  roi.  Rançonnées 
par  les  deux  partis,  les  populations  renonçaient  à  cultiver 
leurs  champs  et  à  faire  le  commerce.  Il  y  eut,  dans  le  Viva- 
rais  notamment,  des  ligues  populaires  contre  la  noblesse 
militaire  qui,  sous  le  drapeau  catholique  aussi  bien  que 
sous  le  drapeau  protestant,  rendait  la  vie  intolérable  au 
paysan.  Les  statuts  de  la  ligue  du  Yivarais  portaient,  entre 
autres  clauses,  «  qu'on  travaillerait  de  concert  à  faire  sor- 
tir du  pays  les  garnisons  et  à  raser  les  places  fortes...  qu'on 
aurait  soin  de  notifier  cet  accord  aux  villes  et  à  la  noblesse, 
et  que  les  lignés  seraient  autorisés  à  poursuivre  ceux  qui 
refuseraient   d'y  entrer,  comme  des  ennemis  de  la  pa- 
trie *...  »  Damville  ne  fut  pas  moins  scandalisé  que  le  duc 
d'Usez  de  ces  velléités  d'indépendance  dont  s'avisaient  les 
lamentables  victimes  des  jeux  de   princes.  La  profonde 
indignation  des  masses  explique  peut-être  l'impuissance 
de  l'armée  royaliste,  conduite  par  le  duc  de  Mayenne,  qui 
avait  reçu  la  mission  d'arrêter  les  Allemands  en  marche 
pour  faire  leur  jonction  avec  les  troupes  de  Monsieur  dans 
le  Bourbonnais.  Un  grave  incident  acheva  de  désespérer 
la  cour.  Le  roi  de  Navarre,  qui  affectait  à  dessein  de  blâ- 
mer la  conduite  du  duc  d'Alençon,  pour  donner  le  change 
à  Henri  III,  s'enfuit  brusquement  le  3  février,  et,  après  avoir 
chevauché  toute  la  nuit  à  travers  les  bois,  il  passa  la  Seine 
au  point  du  jour,  à  une  lieue  de  Poissy.  Le  lendemain,  il 

4.  De  Thou,  t.  VII,  p.  410. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  43 

était  à  Alençon,  où  deux  cent  cinquante  gentilshommes 
venaient  le  rejoindre  *,  entre  autres  Guillaume  de  Haulte- 
mer,  sieur  de  Fervaques,  qui  Tavait  trahi  en  révélant  à 
Henri  III  les  projets  de  fuite;  mais,  dans  sa  colère,  le  roi 
avait  voulu  pendre  le  dénonciateur.  Ce  dernier,  par  une 
nouvelle  volte-face,  assurément  dans  le  goût  du  temps, 
passa  au  service  du  Béarnais.  Ainsi  la  cour  se  trouvait  prise 
entre  Monsieur,  le  roi  de  Navarre  et  Condé,  soutenu  par  les 
reîtres  et  les  lansquenets  de  Jean-Casimir.  L'armée  confé- 
dérée s'élevait,  d'après  de  Thou,  au  chiffre  de  trente  mille 
hommes,  lorsqu'on  la  passa  en  revue  le  11  mars,  dans  la 
plaine  de  Soze.  Monsieur  et  le  prince  de  Condé  laissèrent  leurs 
troupes  sous  le  commandement  du  Palatin  et  se  rendirent  à 
Moulins,  que  le  duc  de  Mayenne  venait  d'abandonner  avec 
l'armée  royaliste.  C'est  à  Moulins  que  furent  ébauchées,  en 
présence  des  délégués  du  roi  de  Navarre  et  de  Montmorency- 
Damville,  les  conditions  du  cinquième  «  Édit  de  pacifica- 
tion ».  On  les  condensa  dans  une  requête  que  Jean  de  la 
Fin,   sieur  de  Beauvais  *,  et  Guillaume   Dauvet,    sieur 

1.  On  peut  consulter  sur  la  fuite  du  roi  de  Navarre  le  récit  den'AuBiGKéf 
Hist.  univ.,  livre  H,  chap.  xx,  édit.  de  1626,  in-fol.  —  Ce  chapitre,  qui  est  un 
chef-d'œuvre  de  narration  pittoresque,  n'a  que  le  défaut  d'être  trop 
connu.  Voy.  aussi  l'ëstoilr,  t.  I,  p.  113.  Le  chroniqueur  rapporte  ce  qu'il 
appelle  un  trait  de  Béarnais,  Deux  jours  avant  son  évasion,  le  roi  de 
Navarre,  qui  n'avait  pas  couché  à  Paris  et  que  la  cour  faisait  déjà  recher- 
cher, s'était  présenté  à  Leurs  Majestés  à  la  Sainte-Chapelle  et  leur  avait 
dit  en  riant  «  qu'il  avoit  remmené  celui  qu'ils  cherchoient  et  pour  lequel 
ils  estoient  tant  en  peine  ».  Il  assurait  Leurs  Majestés  qu'il  «  mourroit  auprès 
d^eux  et  à  leurs  pieds  ». 

2.  D'après  L'EsTon.B,  t.  I,  p.  123,  le  sieur  de  Beauvais  arriva  à  Paris  le 
13  mars.  Le  chroniqueur  rapporte  que  les  conférences  tenues  au  Conseil 
du  roi  entre  les  délégués  protestants  et  les  conseillers  de  Henri  III  furent 
traversées  d'incidents  orageux.  Dans  la  séance  du  9  avril,  le  duc  de 
Nemours  dit  au  sieur  de  Beauvais  :  a  Je  ne  sçai  quels  subjects  sont  les 
Huguenos;  mais  si  j'en  avois  et  qu'ils  me  parlassent  de  la  façon  que  vous 
faites  au  roy,  il  n'y  auroit  garantie  ni  adveu  qui  tinst  que  je  ne  les 
envoiasse,  tout  bottés,  sur  un  eschaffaut.  »  Henri  III  imposa  silence  au 
duc  et  entendit  sans  s'émouvoir  les  sommations  des  rebelles. 

Les  registres  de  la  Ville  ajoutent  des  renseignements  précieux  à  ceux 
que  nous  tenons  de  l'Estoile  sur  la  mission  des  agents  de  Monsieur.  Il 
résulte  des  procès-verbaux  de  l'Hôtel  de  Ville  que  «  les  sieurs  de  Beau- 
vais la  Nocque  (l'Estoile  orthographie  la  Nocle),  le  sieur  de  la  Fin,  son 


44  PARIS  ET  LA  LIGUE 

d'Arennes,  portèrent  au  roi.  Henri  III  demanda  du  temps 
pour  répondre  et  congédia  les  députés  avec  mille  caresses, 
en  leur  annonçant  que  sous  peu  la  reine-mère,  munie  de 
pleins  pouvoirs,  irait  informer  le  duc  d'Alençon  des  inten- 
tions royales.  Mais  les  protestants  ne  paraissaient  pas  dis- 
posés à  se  contenter  de  vaines  paroles.  Ayant  failli,  le 
30  mars,  tomber  avec  les  reines  entre  les  mains  des  reîtres, 
qui  poussaient  leur  cavalerie  jusqu'aux  environs  de  Paris, 
le  roi  n'osait  plus  sortir  de  la  capitale.  Les  16  et  17  avril, 
sur  le  bruit  que  les  coureurs  de  Condé  et  de  Jean-Casimir 
avaient  paru  à  Milly  en  Gâtinais,  les  paysans  de  la  banlieue, 
pris  d'une  panique  subite,  vinrent  en  grand  tumulte  s'en- 
fermer dans  Paris  avec  tout  leur  bétail  et  tous  leurs  biens. 
Tous  ces  pauvres  gens  se  plaignaient  hautement  des  exac- 
tions commises  par  les  troupes  royalistes  qu'on  ne  payait 
plus  et  qui  se  payaient  elles-mêmes  aux  dépens  du  peuple. 
Vers  le  commencement  de  mars,  l'armée  du  duc  de  Mayenne 
avait  entièrement  fait  défection  et  avait  rejoint,  partie  le 
camp  de  Monsieur,  partie  le  camp  du  roi  de  Navarre. 
Henri  III,  découragé,  voulait  conclure  la  paix  à  tout  prix  et 
faisait  dire  une  messe  du  Saint-Esprit  tous  les  jours,  dans 
l'espoir  d'assurer  le  succès  des  négociations. 

Paris,  en  attendant,  frémissait  d'indignation  et  de  terreur. 
L'arrivée  tumultueuse  des  cultivateurs  de  la  banlieue  sem- 


frère,  el  aultres  députez  de  monseîgaeur  le  duc  d'Alleneon,  frère  du 
joy...  »  vinrent  au  Bureau  le  22  mars,  avec  l'agrément  du  roi,  pour  sol- 
liciter rintervention  des  magistrats  municipaux  en  vue  de  rétablir  la  paix 
du  royaume  et  les  prier  «  de  vouloir,  comme  magistratz  représentans  le 
corps  de  la  dicte  ville,  capitalle  de  ce  royaume,  embrasser  cette  affaire  ». 
Le  prévôt  des  marchands  répondit  qu'il  ne  demandait  pas  mieux  que  de 
s'entremettre  pour  la  paix,  «  laquelle  le  sieur  prévost  des  marchans  et 
eschevins  désirent  comme  très  nécessaire,  pourveu  que  ce  feust  une 
bonne  paix,  et  pour  durer...  espérans  aussy  que  ceulx  de  la  nouvelle  reli- 
gion ne  demanderont  condictions  sy  déraisonnables  qu'elles  puissent 
empescher  une  bonne  paix  et  pour  durer  n.  Craignant  d'ailleurs  de  paraître 
entrer  en  relations  trop  intimes  avec  Monsieur,  le  prévôt  des  marchands 
et  ses  collègues  refusèrent  d'ouvrir  les  lettres  du  duc  d'Alençon  et  invi- 
tèrent les  envoyés  du  prince  à  les  remettre  au  roi.  Reg.  H,  1787,  f»  294. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  48 

blait  le  prélude  de  Tarrivée  des  Allemands.  La  municipalité 
se  multiplia.  C'étaient,  tous  les  jours,  de  nouvelles  revues 
dans  les  dizaines.  Les  mandements  du  Bureau  pleuvaient 
sur  les  quartiniers  et  les  capitaines.  Le  17  avril,  il  leur  fut 
enjoint  «  de  faire  promptement  et  présentement  clorre  de 
murailles  de  deux  pieds  d'époisse  toutes  les  rues,  ruelles 
et  chemins  yssans  des  chaulcées  et  grandes  rues  des  dictz 
faubourgs,  lesquels  aboutissent  aux  champs  et  aux  tran- 
chées au  bout  d'icelles*  ».  Tous  les  bateaux  se  trouvant  sur 
la  Seine  entre  Paris  et  le  port  de  Choisy  furent  amenés  au 
centre  de  la  capitale  et  gardés  jusqu'à  nouvel  ordre  '.  Des 
patrouilles  sillonnèrent  les  rues  jour  et  nuit;  des  recon- 
naissances explorèrent  les  environs;  enfin  les  Suisses, 
mandés  par  le  roi,  furent  installés  chez  les  bourgeois,  par 
une  mesure  de  précaution  qui  sans  doute  ne  visait  pas  plus 
les  ennemis  du  dehors  que  ceux  de  dedans  '.  Il  fallut  en 
outre  que  la  Ville  se  mît  en  devoir  «  de  faire  des  présents 
d'ypocras,  dragées  et  aultres  choses,  selon  qu'il  est  accous- 
tumé  ^  »,  au  colonel  et  aux  officiers  des  contingents  suisses. 

1.  Rio.  h,  1787,  f**  302.  Il  n'y  eut  pas  jusqu'aux  bons  moines  des  abbayes 
de  Saint- Victor  et  de  Saint-Germain  des  Prés  qui  n'aient  été  obligés  de 
fournir  des  pionniers  pour  mettre  en  état  les  tranchées  situées  du  côté  de 
leurs  monastères  «  à  peine  de  saisie  de  leur  temporel  ».  La  Ville  décida, 
dans  rassemblée  du  Bureau  du  18  avril,  de  lever  par  anticipation  les 
deniers  des  fortifications  de  l'année  1577  et  d'en  demander  l'avance  aux 
bourgeois.  Ibid.,  ^  307. 

2.  Ibid,,  fo  303. 

3.  Voici  le  texte  du  mandement  adressé  à  ce  propos  aux  quartiniers  : 
Ci  De  par  les  prévost  des  marchands  et  eschevins  de  la  Ville  de  Paris,  sire 
Jacques  Kerver,  nous  vous  mandons  que,  suivant  la  volonté  du  roy,  vous 
ayez  à  advertir  et  prier  tous  les  bourgeois  des  faulbourgs  de  vostre  quar- 
tier de  laisser  leurs  meubles  et  biens  en  leurs  maisons  et  à  y  recevoir  les 
Suisses  que  Sa  Majesté  faict  venir  pour  la  seuretté  des  tranchées  de  la 
nouvelle  fortiffî cation.  Faict  au  Bureau  le  XVII*  jour  d'avril  1576.  »  làid. 
Des  lettres  patentes  du  12  janvier  1576  avaient  accordé  aux  colonels,  capi- 
taines, lieutenants  et  enseignes  de  la  Ville  de  Paris  la  dispense  de  loger 
«  aucuns  princes,  prélatz,  gentilhommes,  officiers,  ambassadeurs  et  autres 
personnes  estans  de  présent  et  qui  seront  cy-après  à  la  suite  de  nos  Ire 
cour,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ilz  soient  ».  Le  bénéflce  de  ces 
lettres  patentes  fut  plus  tard  étendu  au  prévôt  des  marchands  et  aux 
ëchevins  de  Paris. 

4.  Nous  avons  déjà  indiquée  plusieurs  reprises  (notamment  Hist,  mun.,  397) 


46  PARIS  ET  LA  LIGUE 

On  eût  dit  que  la  cour  faisait  un  dernier  effort  pour  tenir 
tète  aux  «  huguenots  et  catholiques  associés  »,  comme  on 
disait  alors.  Le  21  avril,  le  duc  de  Guise  et  le  duc  de 
Mayenne,  son  frère,  s'étaient  établis  l'un  à  Melun,  l'autre  à 
Ëtampes  pour  barrer  la  route  au  prince  de  Coudé,  qui  fai- 
sait mine  de  marcher  sur  Paris.  Mais,  quatre  jours  plus 
tard,  la  reine  mère  quittait  à  son  tour  la  capitale,  emportant 
le  traité  de  pacification  signé  d'elle  et  du  roi.  Ce  fut  à 
Beaulieu,  près  de  Loches,  en  Touraine,  que  Catherine  finit 
par  tomber  d'accord  avec  Monsieur  et  arrêta  les  soixante- 
trois  articles  de  la  rédaction  définitive.  Le  roi  accordait 
aux  réformes  le  libre  exercice  de  leur  religion  dans  toute 
l'étendue  du  royaume.  Il  s'engageait  à  convoquer  et  convo- 
quait dès  à  présent  à  Blois  les  États  généraux  du  royaume, 
désavouait  la  Saint-Barthélémy,  réhabilitait  la  mémoire  de 
La  Mole  et  Coconas,  de  Coligny,  du  comte  de  Montgom- 
mery,  de  Briquemaut  et  de  Montbrun  ;  accordait  aux  réfor- 
més des  chambres  mi-parties  dans  les  huit  parlements  du 
royaume  ;  promettait  à  Jean-Casimir  700,000  écus  d'or  et 
la  solde  de  quatre  mille  reîtres,  à  titre  de  pension  annuelle. 
Au  prince  de  Coudé,  Catherine  avait  offert  la  perspective 
du  gouvernement  de  Picardie;  au  duc  d'Alençon,  on 
livrait,  pour  grossir  son  apanage,  trois  magnifiques  pro- 
vinces, l'Anjou,  la  Touraine,  le  Berry,  avec  une  pension 
de  400,000  écus  d'or.  C'était  démembrer  la  France  et  se 
débarrasser  de  l'étranger  à  la  façon  de  Charles  le  Gros. 
Telle  était  la  paix  de  Monsieur  ! 

Pour  solder  tant  de  honte,  il  fallait  beaucoup  d'argent. 
Henri  III  se  fit  mendiant.  «  Messieurs  de  la  cour  de  Par- 
lement »  furent  mandés  successivement  au  Louvre,  où  le 
roi  mettait  en  demeure  «  chacun  d'eux,  selon  leurs  moiens 
et  facultés,  de  lui  faire  prest  de  quelques  sommes  de  deniers 

cet  usage  où  était  la  Ville  d*o(Trir  de  Thypocras  et  des  épices  aux  person- 
nages que  le  roi  ou  la  municipalité  voulaient  honorer  particulièrement. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  47 

promptemcnt  ».  Les  pauvres  robins  marchandaient,  «  s'ef- 
forçant  chacun  par  ses  remonstrances  à  paier  le  moins  que 
possible  lui  estoit  *  ».  Mais  Temprunteur  n'était  pas  pour 
se  contenter  de  ces  défaites  et  il  savait  regarder  au  fond  des 
bourses.  Les  présidents  ne  s'en  tiraient  pas  à  moins  de 
deux  ou  trois  mille  livres  ;  le  premier  président  dut  en  bailler 
cinq  mille;  les  simples  conseillers  de  deux  cents  à  mille 
livres.  A  vrai  dire,  le  malheureux  roi  rencontrait  parfois 
chez  ces  gens  de  robe  des  résistances  égales  à  son  avidité, 
et  il  se  mit  dans  de  telles  colères  «  qu'on  le  retira  de  là  )>, 
dit  le  chroniqueur.  Une  commission  fut  instituée  pour  faire 
les  taxes.  Elle  comptait  parmi  ses  membres  MM.  Chris- 
tophe de  Thou  et  Séguier,  présidents  au  Parlement,  Nicolaï 
et  Bailly,  présidents  des  comptes,  de  NuUy,  premier  pré- 
sident des  généraux  des  finances.  Les  commissaires  se 
trouvaient  investis  d'une  tâche  ingrate  et  dangereuse.  Paris 
se  couvrit  de  placards  dirigés  contre  eux  «  portans  menaces 
de  les  massacrer  et  saccager  ».  Sur  l'une  de  ces  affiches, 
apposée  au  coin  de  l'hôtel  du  président  Séguier,  on  lisait  : 
«  Suffise  vous,  président  de  Thou  et  Séguier,  antiques 
pestes  de  la  justice,  d'avoir  introduit  par  vérification,  pacte 
à  pris  fait  avec  les  ennemys  de  Dieu  et  du  roy,  la  prétendue 
religion  en  roiaume  de  France  et  mis  l'Église  de  Dieu  en 
confusion.  Cessés  de  ruiner  le  pauvre  peuple  par  vos  beaux 
emprunts  et  par  le  mauvais  conseil  que  vous  donnés  de 
la  rupture  de  l'Hostel  de  Ville  et  abolition  des  rentes  et 
biens  des  veufvcs  et  pupilles...  ou  vous  mourrés.  » 

En  s'adressant  aux  membres  des  cours  souveraines, 
Henri  III  se  gardait  bien  d'oublier  les  bourgeois  de  Paris. 
Le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins  étaient  allés  au 
lit  de  justice  qui  se  tint  le  28  avril  au  Palais,  dans  la  salle 
Saint-Louis.  Le  roi  y  avait  pris  lui-même  la  parole  «. 

1.  LTSTOILK^  t.  I,  p.  127. 

2.  Re6.  h,  1787,  fo  310.  «  Et  par  sa  dicte  Majesté  auroit  esté  diet  et 


* 
I 


K 


48  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Quand  il  eut  «  longuement  faict  entendre  les  occasions 
de  la  dicte  levée  et  emprunct  »,  le  prévôt  des  marchands 
se  leva  et  «  remonstra  à  sa  dicte  Majesté  que  luy  et  les 
eschevins  de  la  dicte  ville,  y  présens,  ne  peuvent  accorder, 
ne  consentir  aulcune  chose,  suppliant  très  humblement  Sa 
Majesté  luy  permettre  de  faire,  en  la  manière  accoustumée, 
assemblée  en  THostel  de  la  dicte  Ville  des  bourgeois  et 
habitans,  pour  leur  faire  entendre  ce  qu'il  avait  pieu  à  Sa 
Majesté  proposer  et  dire,  pour  après  en  faire  entendre  au 
dict  sieur  roy  la  responce  et  résolution.  »  Mais  Henri  III, 
déjà  fatigué  de  son  propre  discours,  n'était  pas  d'humeur 
à  soumettre  ses  demandes  de  subsides  à  l'épreuve  des 
discussions,  toujours  un  peu  vives,  d'une  assemblée  géné- 
rale '.  Ce  ne  fut  même  pas,  comme  d'habitude,  la  munici- 
palité parisienne  que  l'on  chargea  de  répartir  l'emprunt  du 
roi.  La  mission  dont  il  s'agit  fut  confiée  à  la  commission 
royale  qui  siégeait  au  Louvre  '. 

Les  tètes  commençaient  à  s'échauffer.  On  trouvait  qu'après 
toutes  ses  fautes  Henri  III  aurait  dû  prendre  un  ton  moins 
hautain  dans  ses  relations  avec  son  peuple,  et  spéciale- 
ment avec  la  municipalité  parisienne.  Le  monarque  aggra- 
vait encore  le  caractère  tyrannique  de  ses  procédés  par 
des  créations  d'offices  inutiles.  C'est  ainsi  qu'à  la  fin  d'avril 
il    institua  deux  contrôleurs  des  rentes  de  la  Ville.   Le 

prononcé  à  la  dicte  assistance  que,  pour  l'urgente  nécessité  de  ses  affaires 
et  pour  la  conservation  de  son  Estât  et  de  ses  subjectz  et  mesmes  pour 
chasser  les  estrangers  hors  de  ce  royaulme,  il  estoit  contrainct  lever,  par 
forme  d'empruntz,  une  bonne  et  grande  somme  de  deniers  sur  tous  ses 
dictz  subjectz,  et  mesme  sur  les  manans  et  habitants  de  la  dite  ville.  » 

1.  D'après  les  registres  de  la  Ville,  «  il  auroit  sur  ce  dict  et  respondu  au 
dict  sieur  prévost  qu'il  n'entendoit  et  ne  vouloit  que  auculne  assemblée 
feust  pour  ce  faicte  par  les  dicts  sieurs  prévost  et  eschevins;  mais  que, 
pour  aultant  qu'il  falloit  que  le  secours  feust  prompt,  il  vouloit  son  com- 
mandement estre  promptement  exécuté  et  sans  retardation  ».  Après  cette 
dure  réplique,  le  roi  se  leva  et  sortit  de  la  salle  Saint-Louis. 

2.  «...  L'exécution  duquel  emprunct  a  esté  faicte  par  aucuns  présidens 
des  cours  souverainnes  au  chasteau  du  Louvre,  par  commission  parlicul- 
lière  du  roy,  et  non  &  la  dicte  maison  de  ville,  ny  par  les  dictz  sieurs 
prévost  et  eschevins.  »  ïbid. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  49 

Bureau  protesta  vigoureusement  ;  mais  il  eut  beau  déclarer 
que  «  c'estoit  contre  la  teneur  des  contratz  de  la  dicte  Ville, 
et  quecbascun  désespéroit  des  rentes  de  la  dicte  Ville,  des- 
quelles et  sur  lesquelles  il  ne  sera  plus  possible  de  recou- 
vrer ung  sol  »,  le  roi  répondit  «  qu'il  entendoit,  quant 
aux  dictz  controlleurs,  qu'il  feust  passé  oultre  et  feussent 
receuz  *  ».  Et  les  contrôleurs  furent  reçus. 

Les  nouvelles  taxes  imposées  aux  Parisiens  semblaient 
d'autant  plus  lourdes  que  les  sommes  accordées  par  la 
Ville  dans  rassemblée  générale  du  20  décembre  1575 
n'étaient  pas  encore  payées.  Henri  III,  irrité  de  la  mauvaise 
volonté  du  Bureau,  ordonna  au  prévôt  des  marchands,  le 
29  avril  1376,  de  lui  apporter  les  rôles  des  seize  quartiers, 
afin  de  relever  lui-même  les  noms  des  bourgeois  qui 
n'avaient  pas  versé  leurs  cotisations  pour  la  solde  des 
Suisses  '.  Le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins  se  ren- 
dirent au  Louvre  et  déclarèrent  au  roi  «  que  la  Ville  n'avoit 
accoutumé  soy  dessaisir  des  rooUes  des  cottisations  faictes 
en  icelle  ville,  ains  qu'ilz  avoient  accoustumé  de  demeurer 
au  bureau  d'icelle  ville  ».  Le  roi  ne  fléchit  pas  et  rcnou- 

1.  Rkg.  h,  1787,  f*  311.  Toutefois,  il  faut  ajouter  que  le  prévôt  des 
marchands  et  les  échevins  ayant  adressé  au  roi,  le  5  mai,  une  demande  de 
sursis  pour  produire  les  motifs  de  leur  opposition  à  la  création  des  deux 
offices  de  contrôleurs  des  rentes,  le  roi,  bien  qu'il  eât  défendu  aux  magis- 
trats municipaux  «  de  faire  assemblée  de  yille  pour  communiquer  et  déli- 
bérer des  causes  d'opposition  »,  les  autorisa  &  lui  présenter  par  écrit,  le 
lendemain  à  dix  heures  du  matin,  leurs  causes  d'opposition.  Ibid,^  f<>  312. 

2.  Ibid,  Le  roi,  déployant  son  génie  fiscal,  s'adressait  en  même  temps  à 
toutes  les  corporations  constituées,  pour  en  tirer  de  l'argent.  Nous  avons 
dit  de  quelle  manière  les  membres  des  cours  souveraines  avaient  été  mis 
à  contribution.  Les  avocats  et  procureurs  eurent  leur  tour.  Le  premier 
président  les  assembla  au  palais,  dans  la  salle  SaintrLouis,  le  lundi  7  mai, 
et  leur  communiqua  individuellement  le  chiffre  de  la  taxe  imposée  à  chacun 
d'eux.  Les  malheureux  avocats  durent  se  rendre  au  Louvre  et  verser  leurs 
cotisations  peu  spontanées  dans  les  coffres  du  roi.  U  est  vrai  qu'on  leur 
délivra  quittance.  Voy.  l'Estoile,  t.  I,  p.  130.  Le  même  procédé  fut 
appliqué  aux  «  autres  officiers,  pratticiens  et  notables  bourgeois  de  Paris  »; 
et  le  chroniqueur  s'égaye  un  peu  aux  dépens  des  partisans  de  la  vénalité 
des  offices.  H  trouve  naturel  que  la  royauté,  toujours  sollicitée  d'augmenter 
le  nombre  des  charges  vénales,  ait  songé  à  battre  monnaie  avec  la  vanité 
des  bourgeois  ambitieux. 

ROBIQUET.  4 


SO  PARIS  ET  LA  LIGUE 

vela .  ses  ordres,  si  bien  que  les  magistrats  municipaux 
«  baillèrent  les  dictz  rooUes  et  les  mirent  entre  les  mains 
de  sa  dicte  Majesté,  n'ayant  vouUu  les  mettre,  ny  bailler 
en  aultres  mains,  quelques  demandes  qui  leur  en  ayent 
esté  faîctes  ». 

On  devîne  avec  quel  enthousiasme  les  Parisiens  accueil- 
lirent ^la  publication  d'une  paix  qui  coûtait  si  cher.  Cette 
publication  eut  lieu  le  8  mai,  suivant  le  cérémonial  accou- 
tumé *.  Le  14,  le  roi  vint  au  Palais,  accompagné  des  princes 
du  sang  et  des  officiers  de  la  couronne  :  il  fit  homologuer 
redit  de  pacification  par  le  Parlement,  assemblé  en  robes 
rouges,  et  tous  les  assistants  jurèrent,  à  l'exemple  du  sou- 
verain, IVw/r^/^n^m^Me  l'édit.  Mais,  lorsqu'après  la  publi- 
cation Henri  III  vint  à  Notre-Dame  pour  faire  chanter  le 
Te  Deum  «  et  puis  faire  feux  d'allégresse  par  la  Ville,  le 
clergé  et  le  peuple  ne  voulust  entendre  ni  à  l'un,  ni  à 
l'autre,  faschés  et  desplaisans  de  plusieurs  articles  accordés 
aux  Huguenos  par  cest  édit  de  paix.  Toutefois,  le  lende- 
main, fust  ledit  Te  Deum  solennel  chanté  par  les  chantres 
du  roy,  en  ladite  église  de  Paris,  sur  les  cinq  heures  du 
soir,  et  ce  en  l'absence  des  chanoines,  chapelains  et  chan- 
tres de  Paris,  lesquels  ne  s'y  voulurent  trouver  :  dont  le 
roy  fut  fort  marri  et  indigné  •  ».  Le  Te  Deum  fut  donc  une 
cérémonie  officielle,  rien  de  plus.  Les  cours  souveraines  et 
le  corps  de  Ville  y  assistèrent  comme  contraints  et  forcés; 
mais  les  feux  de  joie  allumés  devant  l'Hôtel  de  Ville,  sui- 
vant la  coutume  ',  et  les  sonneries  des  trompettes  et  hérauts 
du  roi  sur  la  Table  de  marbre  furent  accueillis  par  la  popu- 
lation avec  une  froideur  glaciale.  Catherine,  la  négocia- 

1.  Voy.  Eist,  munie, y  p.  485  et  555. 

2.  L'ËSTOiLR,  1. 1,  p.  131.  En  comparant  les  registres  de  la  Ville  au  registre- 
journal  de  TEstoile,  il  est  impossible  de  ne  pas  être  frappé  de  la  par- 
faîte  exactitude  des  renseignements  fournis  par  le  chroniqueur;  il  est 
presque  sans  exemple  quMl  se  trouve  en  contradiction  avec  les  docu- 
ments officiels  qui  constituent  le  fond  de  notre  travail. 

3.  Voy.  notamment  Rist,  munie,,  p.  542. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  81 

trico,  n'était  pas  à  Paris  au  moment  de  la  publication  de 
la  paix.  Elle  ne  rentra  dans  la  capitale  que  le  20  mai,  et  il 
fallut  encore  que  la  ville  par  ordre  allumât  im  feu  de  joie 
sur  la  place  de  Grève  et  fit  tirer  quelques  coups  de  canon 
par  Tartillerie  municipale  *.  «  Ce  jourd'liuy,  dimanche 
vingtième  may  1576,  disent  les  registres  de  la  Ville  ',  mes- 
sieurs les  prévost  des  marchans  et  eschevins  de  la  Ville  de 
Paris  furent,  par  le  commandement  du  roi,  au-devant  do 
la  royne  sa  mère  jusques  au  pont  de  Charenton,  où  le  roy 
alla  luy-mesme;  laquelle  arrivée  le  dict  jour,  fut  faict,  en 
son  honneur  et  congrattulation  de  la  paix,  et,  par  le  com- 
mandement du  roy  y  nng  feu  de  joye  devant  THostel  de  la 
Ville  où  fut  tirée  l'artillerie  d'icelle  ville.  » 

Bien  édifié  sur  la  mauvaise  volonté  des  Parisiens,  qui 
se  montraient  de  moins  en  moins  pressés  d'acquitter  leurs 
taxes,  Henri  III  avait  déjà  recours  aux  mesures  de  rigueur. 
Le  22  mai,  il  assembla  son  Conseil  privé  et  fit  expédier 
aux  sergens  et  capitaines  des  archers  et  arbalétriers  de  la 
Ville  l'ordre  de  recouvrer  d'urgence  les  deniers  des  coti- 
sations <c  dedans  huit  jours,  faute  de  quoi  les  dicts  seront 
contrainctz  à  payer  en  leurs  propres  et  privés  noms  ce  qui 

* 

se  trouvera  rester  du  payement  des  dictes  taxes  et  cottiza- 
lions  '  ».  Comme  ces  menaces  produisaient  peu  d'effet,  le 
roi,  furieux,  déclara  qu'il  allait  mettre  la  main  sur  les 
rentes  de  la  Ville,  et,  joignant  l'effet  aux  paroles,  il  saisit  les 
deniers  destinés  au  payement  des  quartiers  de  Pâques  et 
de  la  Saint-Jean.  «  De  quoi  le  peuple  de  Paris,  troublé, 
murmura  fort,  dit  l'Estoile,  mesmes  de  ce  que  le  roy,  pre- 
nant emprunts  sur  emprunts  et  daces  sur  daces,  lui  empes- 

1.  Voy.  sur  rartillerie  municipale  et  sur  remplacement  des  granges  d'ar- 
tillerie de  la  Ville  VHistoire  de  rmtel  de  Ville  de  Leroux  de  Lincy,  p.  72. 
Le  28  janvier  1563,  les  granges ,  situées  sur  les  terrains  de  Tancien  hôtel 
Saint-Pol,  avaient  été  détruites  par  l'explosion  du  moulin  à  poudre.  Yoy. 
sur  cet  événement  Hist.  munie.,  p.  593. 

2.  Rio.  H,  1187,  f»  314. 

3.  làid.,  ^  315. 


82  PARIS  ET  LA  LIGUE 

choit  encore  et  relenoit  les  rentes  de  la  Ville,  qui  estoit  le 
seul  moien  qui  lui  restoit  pour  vivre.  »  Le  26  mai,  le  prévôt 
des  marchands  convoqua  une  grande  assemblée  générale 
à  l'Hôtel  de  Ville.  Les  membres  des  cours  souveraines, 
atteints  comme  les  autres  par  les  mesures  violentes  du  sou- 
verain, étaient  venus  en  assez  grand  nombre.  Le  prévôt 
(c'était  toujours  Jean  le  Charron)  prit  le  premier  la  parole. 
Il  «  remontra  que  le  roy  luy  avoit  dict  et  déclairé  qu'il  se 
vouUoit  ayder  des  arréraiges  des  rentes  constituées  sur 
THostel  de  la  dicte  Ville,  et  lesquelles  avoient  esté  jà  arres- 
lées  en  aulcunes  provinces  pour  payer  et  chasser  les  estran- 
gers  qui  sont  en  son  royaulme  en  grand  nombre  *  ».  Sans 
doute,  on  ne  trouva  pas  le  langage  du  chef  de  la  municipa- 
lité suffisamment  énergique,  car  des  voix  indignées  s'éle- 
vèrent, notamment  celle  du  conseiller  Abot,  qui,  au  dire  de 
l'Estoile,  «  librement  et  franchement  déclama  contre  le 
mauvais  conseil  par  lequel  estoit  conduit  le  roy  ».  L'as- 
semblée générale  décida  qu'on  adresserait  au  roi  des 
remontrances  par  l'organe  du  prévôt  des  marchands  '. 
Conformément  à  cette  délibération,  tout  le  corps  de  Ville  se 
transporta  au  Louvre,  le  1"  juin.  Le  prévôt  des  marchands 
et  ses  collègues  étaient  suivis  «  de  bon  fort  grand  nombre 
de  MM.  de  la  Cour  de  Parlement,  Chambre  des  comptes, 
Cour  des  aydes,  notaires  et  secrétaires  du  roy  en  Chastelet, 
et  plusieurs  autres  notables  bourgeois  de  la  Ville  '  ». 
Henri  IH  reçut  la  députation  en  son  cabinet,  dit  le  registre, 
et  entendit  les  remontrances  «  patiemment  et  entièrement... 


1.  Reo.  h,  1787,  ^318. 

2.  «  A  esté  conclud  et  délibéré  par  toute  la  compagnie  que  Sa  Majesté 
sera  suppliée  très  humblement  de  ne  toucher  au  s  dictes  rentes,  mais 
garder  la  foy  publicque  et  les  contractz  faictz  par  ses  prédécesseurs  et  luy 
&  icelle  ville,  pour  les  grands  inconvénients,  importance  et  conséquence  de 
telle  ouverture,  attendu  mesmes  que  infinies  paouvres  personnes,  veufvcs, 
orphelins  et  autres  y  ont  mis  tout  leur  bien,  lesquelz  seront  réduictz  en 
mendicité,  si  on  leur  oste  les  dictes  rentes.  »  Ibid.,  fo  318. 

3.  Re6.  h,  1787,  fo  319. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  53 

présens  les  sieurs  de  Villcquîer,  de  Cheverny  et  autres  de 
son  Conseil  ».  Il  dit  qu  il  trouvait  les  vœux  des  Parisiens 
«  fort  considérables  et  raisonnables...,  qu'il  en  parlerait  k 
son  Conseil  et  répondrait  par  après  ».  Le  lendemain,  le 
roi  fit  savoir  qu'il  ne  toucherait  pas  aux  rentes  sur  THôtel 
de  Ville  ;  mais  il  ajoutait  que,  «  pour  Turgente  nécessité 
de  ses  affaires,  il  vouloit  estre  secouru  par  la  dite  ville  de 
cent  mille  livres  très  promtement  *  ».  Assurés  de  préser- 
ver momentanément  les  fonds  destinés  au  payement  des 
rentes,  les  magistrats  municipaux  négocièrent  et  finale- 
ment obtinrent  de  ne  verser  dans  les  caisses  royales  que 
80,000  livres. 

Pourquoi  ces  concessions  du  souverain,  après  tant  de 
menaces?  C'est  que  la  royauté  avait  déjà  reçu  avis  des 
sourdes  menées  des  Guises,  et  que  Jean-Casimir  n'avait 
pas  encore  congédié  ses  reitres.  Il  fallait  à  tout  prix  calmer 
les  Parisiens.  Henri  croyait  atteindre  son  but  par  une 
affectation  de  piété  croissante.  Accompagné,  dit  l'Estoile, 
de  deux  ou  trois  de  ses  familiers,  «  il  alloit  à  pied  par  les 
églises  de  Paris,  tenant  en  sa  main  de  grosses  patenostres 
qu'il  alloit  disant  et  marmonnant  par  les  rues.  On  disoit 
que  ce  faisoit-il  par  le  conseil  de  sa  mère,  afin  de  faire 
croire  au  peuple  de  Paris  qu'il  estoit  fort  dévotions,  catho- 
lique, apostolique  et  rommain,  et  lui  donner  courage  de 
fouiller  plus  librement  à  la  bourse.  »  Mais  les  Parisiens 
ne  se  laissaient  plus  prendre  aux  momeries  du  roi.  On 
affichait  partout  des  pasquils  comme  celui-ci  : 

1.  lôid.f  fo  32i.  L'EsTOiLB,  1. 1,  p.  132,  confirme,  comme  presque  toujours, 
la  Tereion  des  registres  et  atteste  aussi  la  modération  du  roi  :  «  Auxquelles 
remonstrances,  le  roy,  tout  duit  et  instruit  à  cela  dès  longtemps,  flst 
responce  qu'il  les  avoit  bien  entendues  et  bien  prises^  qu'il  en  communi- 
queroit  aux  princes  de  son  sang  et  autres  seigneurs  de  son  Conseil,  et 
au  surplus  feroit  en  sorte  que  chacun  resteroit  content,  »  U  est  vrai  que 
le  chroniqueur  ajoute  avec  scepticisme,  «  qui  estoit  à  dire  :  pendez-les  au 
croq  et  qu'on  n'en  parle  plus  !  »  L'ironie  tombe  ici  un  peu  à  faux,  puisque 
la  résistance  de  l'assemblée  générale  empêcha  le  roi  de  saisir  les  rentes 
et  le  contraignit  à  se  contenter  d'un  don  ou  prêt  de  80,000  livres. 


84  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Le  roy  pour  avoir  de  l'argent 
A  fait  le  pauvre  et  l'indigent 

Et  rhipocrite. 
Le  grand  pardon  il  a  gaingné  ; 
Au  pain,  à  Teau  il  a  jusné 

Gomme  un  hermitte. 

Mais  Paris,  qui  le  congnoist  bien, 
Ne  lui  vouldra  plus  prester  rien 

A  sa  requeste  : 
Car  il  en  a  jà  tant  preste 
Qu'il  a  de  lui  dire  arresté  : 
((  Allez  en  queste.  » 

Le  6  août,  le  prévôt  et  les  échevins  furent  mandés  au 
Conseil  privé  du  roi,  où  on  leur  fit  savoir  que  le  maître 
était  mal  content  parce  qu'il  «  ne  se  recepvoit  quasi  rien  de 
la  solde  des  Suisses  *  ».  Mais  le  prévôt  ne  se  déconcerta 
pas.  Il  répondit  avec  assurance  que  les  contraintes  avaient 
été  délivrées  aux  archers,  et  que  ce  n'était  pas  la  faute  de 
la  Ville  si  les  seigneurs  et  les  officiers  avaient  obtenu  de 
Sa  Majesté  des  exemptions  complètes,  de  telle  sorte  que 
tout  le  fardeau  des  taxes  retombait  sur  les  «  pauvres  gens 
qui  n'ont  moyen  de  payer  aulcune  chose  ».  D'accusé,  le 
chef  de  la  municipalité  se  faisait  accusateur,  et  il  arracha 
au  Conseil  l'autorisation  de  modérer  les  taxes,  tout  en  res- 
pectant le  privilège  qui  exemptait  les  gens  d'Église,  les 
officiers  du  roi,  les  princes  et  princesses.  La  fermentation 
populaire  se  révélait  par  des  symptômes  si  éclatants  que 
le  roi  ne  pouvait  plus  s'abuser  sur  la  gravité  du  péril  qui 
le  menaçait.  Des  placards  d'une  violence  extrême  circu- 
laient de  main  en  main.  L'un  d'eux,  après  avoir  réclamé 
une  réorganisation  complète  de  l'administration  judiciaire, 
terminait  par  ces  menaces  :  «  A  quoi,  sire,  si  vous  ne  pour- 
voiez,  puisque  pour  y  pourvoir  le  glaive  et  la  force  sont  en 
vos  mains.  Dieu  qui  donne  les  roiaumes,  qui  establit  les 

1.  Rbo.  h,  1787,  ^  326. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  85 

rois,  qui  les  détruit  quand  il  veult,  vous  perdra  en  brief, 
cslévera  vos  peuples  contre  vous,  vous  remplira  Tair  et  la 
terre  de  malédictions  et  ruinera  entièrement  voslre  Estât.  » 
D'autres  pamphlets,  d'un  tour  moins  grave,  se  bornaient 
à  déverser  Toutrage  sur  le  monarque,  et  «  soubs  le  nom  de 
peuple,  qui  est,  comme  dit  TEstoile,  un  sot  animal,  ingrat  et 
testu ,  et  plus  volage  et  inconstant  que  les  girouettes  de 
leur  clocher  » ,  décernaient  à  Henri  III  une  foule  de  sobri- 
quets  méprisants  ^ 

Tous  les  faits  que  nous  avons  rapportés,  et  notamment 
les  remontrances  du  corps  de  Ville  du  19  décembre  1575 
et  du  l^^'guin  1576,  attestent  et  démontrent  que  l'agitation 
d'où  sortit  la  Ligue  ne  s'était  pas  seulement  développée 
en  province,  pour  avoir  ensuite  son  contre-coup  à  Paris; 
mais  qu'au  sein  même  de  la  capitale  les  esprits  étaient 
plus  échauffés  que  partout  ailleurs.  Quant  au  plan  pri- 
mitif d'une  grande  ligue  catholique,  il  avait  pour  auteur 
un  homme  d'Ëglise.  Dès  1562,  le  cardinal  de  Lorraine, 
étant  au  concile  de  Trente,  avait  arrêté  les  bases  d'une  puis- 
sante association  de  tous  les  catholiques,  qui  devait  avoir 
un  double  but  :  affermir  en  France  la  domination  de 
l'Église  romaine  et,  le  cas  échéant,  substituer  la  maison 
de  Guise  à  la  race  des  Valois  ^.  Le  coup  de  pistolet  de 
Poltrot  de  Méré,  en  supprimant  le  chef  militaire  de  la 
famille  des  Guises,  retarda  l'exécution  des  profonds  des- 
seins du  cardinal;  la  mort  de  ce  dernier  (36  décembre  1574) 
marqua  un  nouveau  temps  d'arrêt  dans  cette  incubation, 


1.  «  Henri,  par  la  grAce  de  sa  mère,  incert  roy  de  France  et  de  Po- 
longne  imaginaire,  concierge  du  Louvre,  marguillier  de  Saint-Germain- 
TAuxerrois  et  de  toutes  les  églises  de  Paris,  gendre  de  Colas,  gauderon- 
neur  des  colets  de  sa  femme  et  frizenr  de  ses  cheveux,  mercier  du  Palais, 
visiteur  des  estnves,  gardien  des  Qualre-Mendians,  père  conscript  des 
Blancs-battus  et  protecteur  des  Caputtiers.  » 

2.  M.  VrrsT,  dans  l'introduction  de  son  ouvrage  célèbre  les  Barricades, 
scènes  historiques,  4'  édit.,  1830,  p.  1,  a  bien  indiqué  les  étapes  successives 
de  la  conjuration  des  Guises. 


56  PARIS  ET  LA  LIGUE 

moitié  cléricale  et  moitié  politique,  de  la  grande  conju- 
ration. Mais  Henri  de  Lorraine,  fils  aîné  de  François,  sem- 
blait réunir  en  sa  personne  les  talents  diplomatiques  de 
son  oncle  et  les  talents  militaires  de  son  illustre  père  *.  A 
dix-huit  ans,  il  rédigeait  déjà  une  formule  de  serment  qu'il 
faisait  signer  à  toute  la  noblesse  de  son  gouvernement  de 
Champagne  et  au  clergé  de  Troyes.  Localisée  en  Cham- 
pagne jusqu'à  la  paix  de  Monsieur,  la  Sainte  ligue,  la 
ligue  chrétienne  et  royale  (comme  disaient  les  formules), 
prit  tout  à  coup  un  essor  considérable,  par  suite  de  l'indi- 
gnation des  catholiques,  qui  considéraient  l'édit  de  paix 
comme  un  monument  de  honte  et  le  symbole  du  triomphe 
des  hérétiques,  en  même  temps  que  de  l'abaissement  du 
pays.  Les  Guises,  qui,  par  eux-mêmes  ou  leurs  affidés,  dis- 
posaient de  cinq  gouvernements  et  de  quinze  évêchés, 
n'eurent  pas  de  peine  à  tourner  la  colère  publique  au 
profit  de  leurs  desseins  personnels.  L'incendie  se  propagea 
rapidement,  mais  les  historiens  les  plus  dignes  de  foi 
constatent  qu'il  a  d'abord  éclaté  à  Paris  •.  Le  parfumeur 
Pierre  de  la  Bruyère  et  Mathieu  de  la  Bruyère,  son  fils, 
conseiller  au  Châtelet,  «  y  furent,  dit  de  Thou,  les  premiers 
et  les  plus  zélés  prédicateurs  de  l'Union,  et,  à  leur  sollici- 
tation, tout  ce  qu'il  y  avait  de  débauchés  dans  cette  grande 
ville,  tous  gens  qui  ne  trouvaient  que  dans  la  guerre  civile 


1.  Voy.  dans  VHisioire  de  la  Ligue  de  Maimbouro,  1  vol  in-4«,  1683,  p.  18, 
l'énumération  pompeuse  de  toutes  les  séductions  physiques  et  de  toutes 
les  qualités  morales  du  jeune  duc.  Les  prédicateurs  catholiques  avaient 
adopté  le  ton  dithyrambique  quand  ils  parlaient  de  la  maison  de  Guise. 
Pierre  Doré  appelait  le  duc  François  un  chevalei^ux  César,  Julius  Pogianus, 
ayant  à  faire  devant  Pie  IV  Toraison  funèbre  du  chef  du  parti  catholique, 
le  comparait  aux  Machabées.  (Orais.  faite  à  Rome  aux  obsèques  de  Fran- 
çois  de  Lorraine,  par  comm.  de  Pie  IV.  Reims,  1563,  in-S*.)  Et  Jacques  le 
Hongre,  l'éloquent  frère  prêcheur,  dans  l'oraison  funèbre  de  la  victime 
de  Poltrot  qu'il  prononça  à  Notre-Dame,  dit  qu'il  lui  décernerait  le  titre 
de  saint,  s'il  ne  préférait  laisser  à  la  cour  de  Rome  le  temps  de  le  cano- 
niser. Voy.  Le  Dcchat,  Notes  sur  la  Ménippée,  t.  II,  p.  222. 

2.  c(  Paris,  comme  la  capitale,  voulut  donner  l'exemple  &  tout  le  reste 
du  royaume.  »  De  Thou,  t.  VII,  p.  422.  Ëdit.  de  Londres  de  1T34. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  57 

OU  une  ressource  à  leur  libertinage  ou  un  moyen  sûr 
de  satisfaire  leur  avarice  et  leur  ambition,  s'enrôlèrent  à 
l'envi  dans  cette  nouvelle  milice  )>.  Quelques  riches  bour- 
geois se  laissèrent  aussi  séduire,  mais  beaucoup  s'éton- 
naient de  ne  pas  voir  au  bas  des  formules  de  TUnion  les 
signatures  des  principaux  magistrats.  L'un  de  ces  Pari- 
siens hésitants  alla  trouver  le  président  de  Thou  et  lui 
demanda  s'il  avait  connaissance  de  toutes  ces  menées  et 
s'il  les  approuvait.  L'austère  président  répondit,  en  don- 
nant les  marques  d'un  profond  étonnement,  qu'il  ne  pen- 
sait pas  que  le  roi  pût  approuver  de  pareilles  intrigues,  et 
que  les  associations  qui  se  formaient  lui  semblaient  dange- 
reuses pour  l'Ëtat  et  la  tranquillité  publique.  Cette  atti- 
tude du  chef  du  Parlement  arrêta  les  progrès  des  ligueurs 
dans  la  capitale  *  et  les  décida  à  faire  publier  l'Union  en 
province,  pour  y  faire  de  nouvelles  recrues  parmi  la 
noblesse  et  la  haute  bourgeoise. 

La  Picardie  fut  le  premier  théâtre  d'opérations  de» 
ligueurs,  et  le  seigneur  d'Humières,  gouverneur  de 
Péronne,  en  outre  créature  des  Guises,  réussit  à  gagner 
au  parti  de  la  Ligue  presque  toutes  les  villes  et  toute  la 
noblesse  de  Picardie.  Condé,  auquel  les  articles  secrets  du 
traité  de  paix  promettaient  le  gouvernement  de  Péronne, 
ne  put  mettre  le  pied  dans  cette  ville  '  et  demanda  Cognac 
et  Saint-Jean-d'Angély  en  échange.  Si  nous  parlons  de  cet 

1.  C*est  du  moins  ce  que  prétend  l'historien  J.-A.  de  Thou,  fils  du  pre- 
mier président  :  Ibid.j  p.  425.  Maimbourg,  p.  23,  va  plus  loin  et  dit  que, 
m  par  les  soins  du  premier  président,  on  découvrit  et  ensuite  on  rompit  et 
Ton  dissipa  sans  peine  les  assemblées  secrètes  qu'on  tenoit  déjà  en  plu- 
sieurs quartiers  de  la  Ville  pour  faire  entrer  dans  celte  ligue  naissante 
tous  ceux  que  leur  malice  ou  leur  faux  zèle  ou  leur  simplicité  y  pouvoient 
engager  ». 

2.  L'Estoile  écrit,  dès  le  mois  de  juin  1576  :  «  En  ce  temps,  plusieurs 
gentilshommes  se  jettent  dans  la  ville  de  Péronne,  en  délibération  de  le 
garder  et  de  n'y  laisser  entrer  le  prince  de  Condé;  et  court  un  bruit 
qu'il  y  a  secrette  Intelligence  et  ligue  sourde  entre  le  roy  d'Espagne,  le 
pape  et  quelques  seingneurs  françois  contre  les  huguenos  et  les  catho- 
liques unis  avec  eux.  »  T.  I,  p.  134* 


S8  PARIS  ET  LA  LIGUE 

incident,  c'est  que  la  Ligue  fut  réellement  constituée  en 
vertu  du  pacte  en  dix-huit  articles  dont  la  rédaction  avait 
été  arrêtée  par  le  seigneur  d'Humiëres  ^ 

L'intitulé  est  ainsi  conçu  :  «  Association  faicte  entre  les 
princes,  seigneurs,  gentilhommes  et  autres,  tant  de  TEstat 
ecclésiastique  que  de  la  noblesse  et  tiers  état,  subjets  et 
habitans  du  païs  de  Picardie.  »  Il  y  a  ceci  de  remarquable 
dans  le  traité  de  Péronne  que  son  rédacteur  a  multiplié 
les  protestations  de  dévouement  à  Tendroit  de  la  personne 
du  roi.  «  Et  jurons  et  promectons  aussi  toute  obéissance, 
honneur  et  très  humble  service  au  roy  Henry,  à  présent 
régnant,  que  Dieu  nous  a  donné  pour  nostre  souverain  roy 
et  seigneur,  légitimement  appelle  par  la  loy  du  royaulme  à 
la  succession  de  ses  prédécesseurs.  »  Mais  ces  formules 
respectueuses,  d'un  caractère  évidemment  platonique,  re- 
çoivent des  correctifs  assez  graves  i  car  les  gentilshommes 
qui  viennent  de  jurer  obéissance  et  très  humble  service  à 
Henri  HI  se  hâtent  d'ajouter  :  «  et  après  luy  à  toute  la  pos- 
térité de  la  maison  de  Valois  et  autres  qui^  après  ceulx 
de  la  dite  maison  de  Valois^  seront  appeliez  par  la  loy  du 
royaulme  à  la  couronne  ».  Cette  évocation  de  la  postérité 
d'un  roi  qui  était  condamné  à  n'en  pas  avoir,  et  de  ses 
successeurs  pris  dans  une  autre  maison,  trahissait  déjà  les 
desseins  de  la  Ligue,  malgré  toutes  les  habiletés  de  rédac- 
tion. Enfin,  les  signataires  s'interdisaient  de  prendre  du 
service  «  si  ce  n'est  avec  permission  et  congé  du  roy  ou  de 

1.  On  en  trouve  le  texte,  avec  les  noms  des  signataires,  dans  Maihbourg, 
p.  527.  Cet  historien  déclare  «  qu'on  ne  trouve  point  ce  fameux  traité  de 
Péronne  dans  nos  auteurs,  et  qu'il  en  a  l'original  signé  de  près  de  deux 
cens  gentilshommes,  et  ensuite  des  magistrats  et  des  officiers  de  Pé- 
ronne ».  Maimbourg  avoue  ingénument  qu'il  n'aurait  jamais  pu  démêler 
les  caractères  du  manuscrit  sans  Vindtutrie  de  dom  Héricart,  ancien  reli- 
gieux de  l'abbaye  de  Saint-NicoIas-aux-Bois,  de  Picardie,  qui  travaillait  à 
classer  les  titres  du  Trésor  des  Chartes  et  de  la  bibliothèque  de  l'abbaye  de 
Saint-Victor  de  Paris.  Mais,  malgré  le  concours  de  D.  Héricart,  Maimbourg 
i^oute  qu'il  a  laissé  en  blanc  deux  des  noms  des  signataires  de  l'acte,  parce 
qu'il  a  été  impossible  de  les  déchiffrer. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU  ROI  59 

son  lieutenant,  ou  bien  du  chef  esleu  à  la  dite  association, 
qui  est  monsieur  de  Humières,  auquel  promectons  rendre 
tout  honneur  et  obéissance  ».  Le  but  avoué  de  l'association, 
en  vue  duquel  les  gentilshommes  picards  devaient  «  se 
tenir  prests,  bien  armez,  montez  et  accompagnez  selon  leurs 
qualitez  »,  était  la  conservation  de  la  province,  et,  d'une 
manière  générale,  la  conservation  de  la  religion;  on  ajou- 
tait, pour  la  forme,  et  service  de  sa  dite  Majesté. 

Mais  le  pacte  ou  traité  de  Péronne,  rédigé  par  un  gou- 
verneur royal  qui  était  forcé  de  conserver  certains  ména- 
gements, ne  donne  pas  encore  toute  la  pensée  de  la  Ligue. 
Elle  éclate,  au  contraire,  avec  une  force  rare,  dans  le  mani- 
feste ou  formulaire  en  douze  articles  dont  Palma-Cayet  a 
donné  le  texte  dans  l'introduction  de  sa  Chronologie  nove- 
naire  *.  Ce  manifeste,  dont  le  seigneur  d'Humières  s'était 
inspiré,  non  sans  en  atténuer  les  hardiesses,  avait  été 
«  imprimé  et  envoyé  par  toute  la  chrestienté  »  ;  il  tendait  à 
ramener  les  institutions  de  la  France  à  ce  qu'elles  étaient 
«  du  temps  du  roy  Clovis,  premier  roy  chrestien  »,  à 
diviser  le  royaume  en  deux  camps  :  les  membres  de  la 
Ligue  et  ses  ennemis  «  de  quelle  part  qu'ils  puissent  être  », 
et  à  élever  en  face  du  roi  un  autre  roi,  qu'on  désigne  sous 
le  nom  vague  du  «  chef  qui  sera  député  '  ».  De  terribles 
menaces  sont  proférées  contre  les  associés  qui,  «  après  avoir 
fait  serment  en  ladite  association,  se  voudroient  retirer  ou 
départir  d'icelle,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit  ».  Ils 
pourront  être  «  offensés  en  leurs  corps  et  biens  »  par  les 


1.  Colleci.  de  mém,  Michadd  et  Poujoulat,  i^  série,  t.  XU,  p.  13,  et 
A.  d'Aubiohé,  Hist.  univ,,  édit.  ia-fol.  de  1626,  fol.  830. 

2.  Voici  le  texte  de  Part.  VII  de  l'acte  d'Union  :  -  Jureront  les  dicti  asso- 
cie* toute  prompte  obéissance  et  service  au  chef  qui  sera  député,  suivre  et 
donner  conseil,  confort  et  ayde,  tant  à  Tentretènement  et  conservation  de 
ladite  association  que  ruyne  aux  contredisans  A  icelle,  sans  acception  ny 
exception  de  personnes;  et  seront  les  défaillans  et  délayans  punis  par 
Tauthorité  du  chef  et  selon  son  ordonnance,  à  laquelle  lesdits  associez  se 
soubsmettront.  • 


60  PARIS  ET  LA  LIGUE 

membres  de  la  Ligue,  sans  qu'on  ait  le  droit  d'inquiéter 
ou  de  rechercher  les  meurtriers.  A  ce  roi  Ton  oppose 
Tépouvantail  des  Ëtats  généraux,  dont  il  a  juré,  lors  de 
son  sacre,  de  respecter  les  ordres,  et  la  formidable  puis- 
sance de  «  la  saincte  Église  catholique,  apostolique  et 
romaine  »,  interprète  de  la  loi  de  Dieu.  D'ailleurs,  aucune 
place  n'est  faite  à  la  bourgeoisie  et  au  peuple  dans  la 
direction  de  l'association  nouvelle.  Elle  s'intitule  «  l'asso- 
ciation des  princes,  seigneurs  et  gentilshommes  catholi- 
ques »  ;  et  si  les  catholiques  des  corps  des  villes  et 
villages  doivent,  aux  termes  de  l'article  VIII,  «  être 
advertiz  et  nommez  secrettement  par  les  gouverneurs  par- 
ticuliers d'entrer  en  ladite  association  »,  c'est  uniquement 
pour  faire  nombre  et  à  charge  de  «  fournir  deuement 
d'armes  et  d'hommes  pour  l'exécution  d'icelle  association, 
selon  la  puissance  et  faculté  de  chacun  ». 

Si  Henri  III  avait  conservé  quelques  illusions  sur  l'es- 
prit de  rébellion  qui  avait  inspiré  les  intrigues  des  Guises 
lorsqu'ils  jetaient  les  bases  de  la  Ligue,  il  dut  assurément 
les  perdre  en  prenant  connaissance  des  mémoires  trouvés 
dans  les  papiers  de  l'avocat  Jean  David,  que  les  chefs  de 
la  Ligue  avaient  envoyé  à  Rome  pour  solliciter  l'approba- 
tion du  pape  Grégoire  XIII.  Cet  émissaire  était  parti  le 
22  juin  1576  avec  Pierre  de  Gondi,  évêque  de  Paris, 
qui  avait  mission  d'obtenir  une  bulle  d'aliénation  de 
20p,000  livres  de  rente  accordées  au  roi  par  le  clergé.  Mais 
David  mourut  à  Lyon,  à  son  retour  de  Rome,  et  l'on  trouva 
dans  un  coffre  le  fameux  mémoire  qui  proposait  la  dé- 
chéance «  de  la  race  de  Capet  »  au  profit  des  vrais  rejetons 
de  Charlemagne,  c'est-à-dire  des  princes  lorrains  *.  Le 

1.  Voy.  le  texte  du  mémoire  dans  le  premier  vol.  des  Mémoires  de  la  Ligue, 
p.  I.  On  y  peut  lire  une  comparaison  curieuse  de  la  dynastie  des  Capétiens 
et  des  rejetons  de  Cbarlemagne  :  «  11  se  voit  à  Tœil  que  la  race  des  Gapets 
est  du  tout  abandonnée  A  sens  réprouvé  :  les  uns  étant  frappés  d'un  esprit 
d'ctourdissement,  gens  stnpides  et  de  néant  :  les  autres,  réprouvés  de 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU  ROI  61 

roi  d'abord  ne  croyait  pas  à  Tauthenticité  du  factum  ;  mais 
son  ambassadeur  en  Espagne,  Jean  de  Vivonne,  sieur  de 
Saint-Goard,  lui  en  ayant  expédié  une  copie  d'après  Tori- 
ginal  que  Philippe  II  avait  reçu  de  Rome,  il  fallut  bien 
ouvrir  les  yeux.  Toutefois  Henri  III  n'osa  pas  heurter  de 
front  les  Guises.  Catherine  et  le  garde  des  sceaux  Jean  de 
Morvilliers  lui  suggérèrent  la  pensée  habile  de  se  déclarer 
lui-même  le  chef  de  l'Union,  et  d'entrer  avec  tous  ses 
courtisans  dans  l'association  catholique. 

Il  était  nécessaire  de  rappeler  les  circonstances  qui  en- 
tourèrent la  naissance  de  la  Ligue  pour  ne  pas  laisser  sans 
explications  et  sans  lumière  les  événements  d'un  caractère 
plus  spécialement  parisien.  On  n'a  pas  lieu  d'être  surpris 
de  l'intime  relation  qui  se  manifeste  entre  les  mouvements 
des  conspirateurs  catholiques,  puisqu'ils  agissaient  sur  tous 
les  points  de  la  France,  par  suite  d'un  plan  concerté  avec 
une  remarquable  discipline.  Les  situations  respectives  du 
roi  et  des  Guises  étant  bien  définies,  revenons  à  la  munici- 
palité parisienne. 

Les  élections  municipales  du  16  août  1576  ne  donnè- 
rent lieu  à  aucun  incident  ;  mais  elles  ne  furent  pas,  pour 
cela,  dépourvues  d'intérêt.  En  lisant  dans  les  registres  de 
la  Ville  le  procès-verbal  du  scrutin,  on  reconnaît  effective- 
ment que  le  parti  de  la  Ligue  et  celui  des  politiques 
étaient  déjà  en  présence  à  l'Hôtel  de  Ville.  Parmi  les  scru- 
tateurs figuraient,  d'une  part,  Pierre  Hennequin,  président 
au  Parlement,  personnage  que  tous  les  historiens  signa- 
lent comme  le  principal  agent  dos  Guises  à  Paris,  et, 
d'autre  part,  Christophe  de  Thou,  le  premier  président. 

Dieu  et  des  hommes,  pour  leur  hérésie,  proscrits  et  rejetés  de  la  saiate 
communion  ecclésiastique.  Au  contraire,  les  rejetons  de  Charlemagne  sont 
verdoyants,  aimans  la  vertu,  pleins  de  vigueur  en  esprit  et  en  corps,  pour 
exécuter  choses  hautes  et  louables.  »  Yoy.  aussi  Catal.  BiàL  NaL,  Lb  3^, 
n««  144  à  148,  1. 1,  p.  299. 


62  PARIS  ET  LA  LIGUE 

dont  la  clairvoyance  et  la  loyauté  avaient  si  fort  contrarié 
les  intri^es  des  ligueurs.  Aucun  incident  ne  troubla,  d'ail- 
leurs, les  opérations  électorales,  et  le  prévôt  des  marchands, 
suivi  des  échevins,  des  scrutateurs  et  «  de  plusieurs  des 
dictz  sieurs  conseillers,  quarteniers  et  bourgeois  »,  alla 
le  même  jour  au  Louvre  présenter  le  scrutin  au  roi. 
Henri  III  «  estant  mal  disposé  »  fit  approcher  de  son  lit 
«  le  président  Luillier,  sire  Guillaume  Guerrier  et  M.  An- 
thoine  Mesmin,  desnommez  au  dict  scrutin,  auxquelz  Sa 
Majesté  auroit  faict  faire  le  serment  accoustumé,  assça- 
voir  les  sieurs  président  Luillier  pour  prévost  des  mar- 
chans  et  sire  Guillaume  Guerrier  et  M.  Anthoine  Mesmin 
pour  eschevins  de  la  dicte  Ville  *  ». 

L'impérieux  besoin  de  se  procurer  de  l'argent  avait 
poussé  le  roi  à  convoquer  les  États  généraux  ou  plutôt  à 
signer  l'article  de  la  paix  de  Monsieur  qui  l'obligeait  à  les 
convoquer  dans  le  délai  de  six  mois.  D'après  de  Thou  *, 
les  lettres  de  convocation  furent  délivrées  par  Henri  III, 
le  jour  même  des  élections  municipales  de  Paris,  le 
16  août.  Les  registres  de  la  Ville  attestent  cependant  que  la 
date  et  le  lieu  de  la  réunion  des  États  ne  furent  portés  à  la 
connaissance  du  corps  municipal  qu'un  peu  plus  tard,  lo 
27  •.  Aux  termes  des  lettres  royales,  la  réunion  des  États 


1.  Rbg.  h,  1788,  f*  5.  Christophe  de  Thou  soufTrit-il  de  voir  que  Tia- 
fluence  des  ligueurs  se  développait  au  sein  de  la  municipalité?  Toi^ours 
est-il  qu'à  la  date  du  23  août  1576,  dans  une  assemblée  du  Bureau,  il  rési- 
gna sa  charge  de  conseiller  de  Ville  en  faveur  de  son  fils,  Jehan  de  Thou, 
conseiller  et  maître  des  requêtes  de  FHÔtel  du  Roi.  Le  Bureau,  après  eu 
avoir  délibéré,  admit  la  résignation.  I6id.,  ^  7. 

2.  T.  VU,  p.  447. 

3.  •  Ce  jourdhuy,  vingt-septiesme  jour  d'aoust  1576,  est  venu  au  bureau 
de  la  Ville  de  Paris  M.  Charles  de  Villemoutet,  conseiller  et  procureur  du 
roy  au  Châtelet  de  Paris,  lequel  a  déclairé  à  M.  le  prévost  des  marchans 
et  eschevins  de  la  dicte  ville  que  les  Estatz  de  la  dicte  prévosté  et  vicomte 
de  Paris  se  tiendront  le  dix-septiesme  jour  de  septembre  prochain  en  la 
grande  salle  de  révesché  de  Paris,  suyvant  la  volonté  du  roy,  ad  ce  que  mes 
dicts  sieurs  de  la  Ville  ayent  à  eulx  y  trouver  le  dict  jour,  &  sept  atten- 
dant huict  heures  du  matin;  et,  à  ceste  fin,  a  présenté  et  baillé  coppie 
des  lettres  du  roy  envoyées  au  prévost  de  Paris,  desquelles  la  teneur 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  63 

généraux  devait  avoir  lieu  le  15  novembre  dans  la  Ville  de 
Blois.  La  date  eût  même  été  avancée  «  sans  l'altération  et 
désordre  survenus  tant  en  Fétat  ecclésiastique  que  séculier, 
par  Vaigreur  et  continuation  des  guerres  civiles  ».  Suivant 
la  coutume  et  conformément  à  ce  qui  s'était  fait  en  1560, 
le  roi  mandait  aux  baillis  et  aux  prévôts  d'assembler  dans 
la  principale  ville  de  leur  ressort  «  tous  ceulx  des  trois 
Estats  d'iceluy...  pour  conférer  et  communicquer  ensem- 
blement  tant  des  remontrances,  plainctes  et  doUéances  que 
moyens  et  advis  qu'ilz  auront  à  proposer  en  l'assemblée 
généralle  de  nostre  dict  Estât;  et,  ce  faict,  eslire,  choisir  et 
nommer  ung  d'entre  eulx  de  chascun  ordre,  qu'ils  envoye- 
ront  et  feront  trouver  au  dict  jour,  quinziesme  du  mois  de 
novembre,  en  nostre  dicte  ville  de  Blois,  avecques  amples 
instructions  et  pouvoirs  sufBsans  pour,  selon  les  bonnes, 
anciennes  et  louables  coustumes  du  royaume,  nous  faire 
entendre,  de  la  part  des  dictz  estatz,  tant  leurs  plaintes  et 
doUéances  que  ce  qu'il  leur  semblera  tourner  au  bien 
publicq,  souUagement  et  repos  d'ung  chascun  V..  »  LiO 
corps  de  Ville  parisien  n'aurait  eu  qu'à  exécuter  les  instruc- 
tions du  prince,  si  elles  n'avaient  pas  désigné  la  grand'salle 
de  l'évêché  de  Paris  comme  devant  être  le  lieu  de  réunion 
des  membres  du  tiers  état  parisien  ',  aussi  bieii  que  du 
clergé  et  de  la  noblesse.  Or  la  municipalité  avait  toujours 
maintenu  son  droit  de  convoquer  séparément  le  tiers  état 
parisien  et  procéder,  sans  le  contrôle  d'aucune  autre  auto- 
rité, à  la  nomination  des  députés  et  à  l'élaboration  des 

ensuict....  d  Reg.  H.,  1788,  f*  7.  Nous  ne  reproduisons  pas  le  texte  com- 
plet des  lettres  royales,  car  il  a  déjà  été  en  partie  inséré  dans  VHistoire 
des  Étais  généraux  de  M.  Georges  Picot,  t.  II,  p.  305. 

1.  Rbo.  Ihid, 

2.  Le  même  conflit  entre  le  prévôt  des  marchands  et  le  prévôt  de  Paris 
s*élait  produit  en  1560,  fors  de  la  convocation  des  Etats  généraux  par 
François  II.  Nous  avons  dit  comment  il  s'était  dénoué  au  proflt  du  prévôt 
des  marchands.  Voy.  Hist,  munie,  p.  500  &  506.  La  composition  du  corps 
électoral  parisien,  en  vue  de  la  nomination  des  députés,  a  été  aussi  indi- 
quée avec  précision.  Ibid, 


64  PARIS  ET  LA  LIGUE 

cahiers.  Quand  le  procureur  du  roi  au  Châlelet  eut  achevé 
la  lecture  des  lettres  de  convocation,  on  se  borna  à  lui  en 
donner  acte,  en  ajoutant  «  que  les  anciens  registres  de  la 
Ville  seroient  veuz  et  que  les  dictz  sieurs  prévost  et  esche- 
vins  feroient  ce  qu'il  appartiendroit  à  la  conservation  des 
droictz,  previllèges  et  prérogatives  do  la  dicte  ville  *  ».  Le 
résultat  de  Texamen  des  registres  ayant  été  «  que,  de  tout 
temps  et  ancienneté,  la  convocation  du  tiers  estât  de  la 
dicte  ville  et  faulxbourgs  de  Paris  a  toujours  esté  faicte  en 
THostel  de  la  Ville  par  MM.  les  prévost  des  marchans 
et  eschevins  d'icelle,  et  non  par  le  prévost  de  Paris  », 
des  remontrances    furent    immédiatement    adressées   au 

roi. 

Henri  III  n'avait  aucun  intérêt  à  mécontenter  les  élec- 
teurs parisiens  pour  une  question  de  forme.  Il  répondit  tost 
après  au  prévôt  des  marchands  :  «  Désirant  en  toutes 
choses  conserver  les  privillèges  dont  vous  et  les  manans  et 
habitants  de  noslre  dicte  ville  ont  toujours  accoustumé 
de  jouir...,  j'incline  à  la  dicte  remontrance.  »  En  consé- 
quence, le  roi  ordonne  au  prévôt  des  marchands  de  faire  la 
convocation  suivant  les  formes  traditionnelles  pour  une 
assemblée  générale,  afin  de  délibérer  sur  les  vœux  à  trans- 
mettre aux  États  généraux  •. 

1.  Ibid,,  f*  9. 

2.  «  Et  pour  cest  elTect  choisir  et  nommer  en  ladicte  assemblée  généralle 
^ai  sera  par  vous  faicte  en  Thostel  commung  de  vostre  ville,  comme  dict 
est,  personnaiges  pour  dresser  les  cahiers  de  leurs  remontrances  et  des 
moiens  qu'ilz  auront  advisé  le  plus  propres  pour  remettre  ce  royaume  en 
sa  première  dignité  et  splendeur...,  sans  que  vous  ou  vos  députtez,  ny  les 
autres  manans  et  habitans,  ex  et  au  dedans  de  nostre  ville  et  faulxbourgs^ 
soient  tenus  aucunement  comparoir  en  la  convocation  et  assemblée  indicte 
par  nostredict  prévost  de  Paris,  au  17*  jour  du  présent  mois  en  la  grand' 
salle  de  Tévesché  de  Paris  es  estatz  de  la  dicte  prévosté,  et  sans  que  nostre 
dict  prévost  de  Paris,  et  auquel  à  ceste  fin  nous  en  escrivons,  se  puisse 
aucunement  entremectre  pour  le  faict  desdits  estatz,  en  ce  qui  concerne 
nostredicte  ville  et  faulx}K)urgs,  laquelle,  pour  les  considérations  cy-dcs- 
sus,  nous  avons,  de  nostre  grâce  spécialle,  exemptée  de  la  jurisdiction  et 
cognoissance  de  nostre  dict  sieur  prévost  de  Paris,  pour  le  regard  de  la- 
dicte convocation  d*estatz  seuUement,  voullans,  pour  la  dignité  et  excel- 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  65 

Ayant  ainsi  obtenu  une  fois  de  plus  satisfaction  et  fait 
repousser  les  prétentions  du  prévôt  de  Paris,  le  prévôt  des 
marchands  convoqua  les  électeurs  à  l'Hôtel  de  Ville  en 
assemblée  générale.  Elle  eut  lieu  le  6  septembre  1576. 
On  avait  appelé,  sans  parler  du  corps  de  Ville  et  des  quar- 
tiniers,  six  notables  bourgeois  de  chaque  quartier.  La 
séance  s'ouvrit  par  la  lecture  des  lettres  du  roi,  puis  on 
nomma  une  commission,  composée  du  prévôt  des  mar- 
chands, des  échevins,  «  de  MM.  Prévost  et  Hennequin 
présidents  au  Parlement  ou  l'ung  deuls,  l'un  en  l'absence 
de  l'autre  »  ;  du  président  Nicolay  pour  la  Chambre  des 
comptes,  du  président  de  NeuUy  pour  la  cour  des  aides, 
de  M.  Aubry,  conseiller  de  ville,  et  juge  des  marchands, 
de  M.  Versoris,  avocat  au  Parlement,  délégué  des  bour- 
geois, et  enfin  de  sire  Nicolas  Parant,  délégué  des  mar- 
chands. Cette  commission  reçut  le  mandat  de  «  recevoir 
toutes  et  chacunes  les  plainctes  et  doUéances  et  remon- 
strances  que  les  citoyens  de  la  dicte  Ville  et  faulxbourgs 
d'icelle  vouldront  faire  et  présenter,  ensemble  tous  les 
cahiers  des  corps,  collèges  et  communaultez  des  mar- 
chans,  bourgeois  et  citoiens,  de  quelque  ordre,  qualité  et 
condition  qu'ilz  soient  *  ».  On  décida  que,  quand  la  com- 
mission aurait  reçu  toutes  les  doléances,  elle  les  rédigerait 
en  un  cahier,  «  lequel,  dit  la  délibération,  sera  raporté  par 
lesdits  eschevins  en  l'assemblée  générale,  en  laquelle  ledict 
cahier  desdictes  plaintes  et  doUéances  sera  leu  et  arresté  ». 
Une  ordonnance  du  12  septembre  invita,  en  conséquence, 
«  tous  les  bourgeois,  gardes  des  corps  et  communaultés 


lence  d'icelle,  que,  de  son  chef,  elle  face  esditcz  Estatz  généraalz  ung  corps 
à  part,  d'avec  le  reste  de  ladicte  prévosté,  ainsy  qu'il  fut  faict  es  dictz 
derniers  Estatz  généraulx  tenus  en  nostre  ville  d'Orléans.  Car  tel  est  nostre 
plaisir.  Donné  à  Paris  le  2  septembre  1576.  Signé  :  Hkhrt.  Et  au-dessoubz  : 
Fizet,  Et  sur  le  doz  desdictes  lettres,  est  escript  :  A  nos  très  chers  et  bien 
ornez  les  prévosi  des  marchans  et  eschevins  de  nostre  bonne  ville  et  cité  de 
Paris.  »  Reo.  h,  1788,  f»  9. 
1.RB6.H,  1788,  ^>  13. 

ROBIQUET.  5 


66  PARIS  ET  LA  LIGUE 

des  marchands  et,  on  général,  toutes  personnes  »  à  porter 
aux  commissaires  désignés  plus  haut  les  plaintes,  do- 
léances et  remontrances  qu'ils  désiraient  proposer  au  roi  et 
envoyer  aux  États  généraux.  Le  17  septembre,  M.  Marcel, 
conseiller  du  roi,  intendant  de  ses  finances,  vint  au  Bureau 
de  la  Ville  et  invita  la  municipalité  à  envoyer  un  échevin 
ou  un  conseiller  de  Ville  avec  deux  bourgeois  pour  prendre 
part  à  la  réunion  des  deux  autres  ordres  qui  se  tenait  à 
Tévêché  de  Paris.  La  ville  députa  M*  Claude  Perrot,  pro- 
cureur du  roi  et  de  la  Ville,  avec  Jehan  Merault  et  Louis  do 
Creîl,  marchand  et  bourgeois  de  Paris.bitroduits  dans  la 
salle  de  Tévêché,  les  délégués  municipaux  firent  immédia- 
tement leurs  réserves.  Claude  Perrot,  au  nom*  du  tiers  état 
parisien,  demanda  acte  de  sa  protestation,  «  qui  estoit  que 
ladicte  comparution  qu'il  faisoit  n'estoit  en  vertu  du  man- 
dement du  prévost  de  Paris,  ains  du  commandement  pré- 
sentement faict  par  le  roy  et  sans  aucunement  desroger  no 
préjudicier  aux  droictz,  auctoritez  et  prééminences  de  mes- 
dictz  sieurs  les  prévost  des  marchans  et  eschevins  qui 
ne  recognoissent  aucunement  ledict  prévost  de  Paris  en 
assemblée  d'estatz  ».  Fièrement,  le  procureur  de  la  Ville 
réclama  la  place  «  que  les  estatz  de  la  prévosté  et  vicomte 
de  Paris  ont  accoustumé  de  bailler  en  tous  lieux  aux 
députez  de  ladicte  Ville  de  Paris  ».  Ce  ferme  langage  en 
imposa-t-il  aux  officiers  royaux  qui  présidaient  l'assemblée 
des  électeurs  de  la  noblesse  du  clergé;  le  roi  avait-il 
envoyé  des  ordres  prescrivant  de  ne  pas  blesser  les  sus- 
ceptibilités du  tiers?  Toujours  est-il  que,  d'après  la  rela- 
tion des  registres,  le  lieutenant  civil  et  le  procureur  du 
roi  au  Châtelet  se  levèrent  pour  faire  une  place  aux  trois 
députés  de  la  Ville  et  leur  firent  donner  des  sièges  «  à 
part,  devant  et  vis-à-vis  le  sieur  prévost  de  Paris  ».  Les 
délégués  assistèrent  à  une  partie  de  la  séance  et  enten- 
dirent   l'appel   des   «  gentilshommes  tenant  les  fiefs  do 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  67 

ladicte  prévoslé  de  Paris  *  ».  Après  quoi  ils  se   retirè- 
rent. 

La  commission,  nommée  le  6  septembre  pour  recevoir  les 
plaintes  et  doléances  des  bourgeois,  avait  déjà  tenu  séance 
«  par  plusieurs  et  divers  jours  »  à  THôtel  de  Ville,  et  le 
sieur  de  Versoris  avait  été  chargé  de  la  rédaction  du  cahier 
général.  Mais  ce  travail  n'avançait  que  lentement.  Le 
28  septembre,  le  roi,  «  pour  accélérer  les  articles  et  cahiers 
des  plainctes  de  ceste  ville  de  Paris  »,  fit  ordonner  par 
arrêt  de  son  Conseil  au  prévôt  des  marchands  de  placer  à 
VHôtel  de  ViUe  «  en  lieu  publicq  et  auquel  chascun  puisse 
venir  librement...  ung  coffre  ayant  ouverture  en  forme 
d'un  tronc,  et  auquel  sera  permis  à  chacune  des  commu- 
naultez  de  faire  mettre  indifféremment  tels  cahiers  et 
doUéances  ou  remonstrances  que  bon  luy  semblera;  et 
lequel  coffre  fermera  à  deulx  clefz,  dont  Tune  demeurera 
ès-mains  du  prévost  des  marchans  et  Taultre  ès-mains  de 
toi  des  députez  qui  sera  par  eulx  advisé,  pour  après  estre 
faict  ouverture  dudict  coffre  par  les  dictz  prévost  et  députez, 
et  par  eulx  dressé  ung  cahier  desdictes  dolléances  et  remon- 
strances, aînsy  qu'il  a  esté  cy-devant  advisé  en  l'assemblée 
généralle  de  ladicte  ville  *.  »  Pour  déférer  aux  ordres  du 
roi,  la  Ville  adressa,  le  29  octobre,  un  mandement  aux 
maîtres  et  gardes  de  la  draperie,  mercerie,  orfèvrerie,  pel- 
leterie et  bonneterie  de  la  Ville  de  Paris  pour  leur  en- 
joindre de  déposer  leurs  cahiers  de  doléances  dans  le 
coffre  imaginé  par  Henri  III,  et  ce  dès  le  lendemain. 
Avec  le  contenu  du  coffre  et  les  propres  observations  des 
membres  du  corps  de  Ville  et  de  ses  collègues  de  la  com- 
mission, le  sieur  de  Versoris  dressa  le  cahier  général  des 
doléances  du  tiers  état  parisien.  A  la  date  du  29  octobre, 
le  Bureau  de  la  Ville  put  lancer  les  mandements  de  convo- 

1.  Reo.  h,  1788,  fo  u. 

2.  Ibid.,  f»  16. 


68  PARIS  ET  LA  LIGUE 

cation  pour  rassemblée  générale  qui,  dans  la  grand'salle 
de  l'Hôtel  de  Ville,  allait  avoir  à  entendre  la  lecture  du 
cahier  général  et  à  élire  «  ceux  qui  iraient  aux  Étais 
généraux  porter  les  remontrances  *  ».  Ces  mandements 
prescrivaient  à  chaque  quartinier  de  convoquer  :  dix  nota- 
bles de  chaque  quartier,  savoir  cinq  officiers  du  roi,  pris 
dans  les  compagnies  souveraines,  et  cinq  notables  bour- 
geois, marchands,  non  officiers;  deux  gardes  des  corpo- 
rations des  drapiers,  épiciers,  merciers,  pelletiers,  orfè- 
vres, bonnetiers;  puis  les  représentants  du  clergé,  Tévêque 
de  Paris  et  son  chapitre,  «  les  religieux,  abbés  et  couvent  » 
de  Sainte-Geneviève,  de  Saint-Victor,  de  Saint-Germain 
des  Prés,  des  Chartreux,  de  Saint-Magloire,  de  Saint- 
Ladre,  de  Saint-Martin  des  Champs,  des  Célestins,  de 
Sainte-Croix. 

L'assemblée  générale  se  tint  le  2  novembre  1576.  On  y 
donna  lecture  «  des  chapitres  des  remontrances,  plainctes 
et  doléances  de  l'Église,  de  la  justice  et  de  la  noblesse  ». 
Dans  la  séance  du  lendemain  fut  achevée  la  lecture  de  ce 
cahier;  puis  on  passa  aux  chapitres  «  des  finances,  tailles 
et  impositions,  de  la  marchandise  et  police  ».  Chaque 
chapitre  était  mis  successivement  au$  voix  \  Quand  Tas- 
sc|nblée  eut  pris  connaissance  de  tous  les  cahiers,  elle 
arrêta  que  le  cahier  général  serait  revu  par  une  commis- 
sion, composée  du  prévôt  des  marchands  et  des  éche- 
vins,  de  deux  conseillets  de  Ville,  deux  membres  du  Par- 
lement, deux  de  la  Cour  des  aides,  deux  de  la  Cour  des 
comptes,  deux  ecclésiastiques,  deux  secrétaires  du  roi, 
deux  ofiiciers  du  Chàtelet,  deux  délégués  de  l'Administra- 
tion des  monnaies,  et  deux  de  chacun  des  cinq  corps  de 


1.  Rko.  h,  1788,  fo  7. 

2.  «  A  esté  ordonné  qu'il  sera  oppiné  sur  chacun  chapitre  d'iceluy 
cahier,  et  non  par  articles,  pour  obvier  aux  longueurs  qui  s'en  pourroient 
ensuivre.  »  Jàid.,  fo  20. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  Gî) 

métiers.  Le  4  et  le  5  novembre,  la  conftnission  de  revision 
s'assembla  et  admit  à  ses  délibérations  un  grand  nombre 
de  bourgeois.  Elle  ajouta  au  cahier  général  un  grand 
nombre  de  plaintes  et  remontrances,  et  fit  indiquer  pour 
le  8  une  assemblée  générale  afin  «  d'oyr  la  lecture  dudict 
cayer,  iccUuy  arrcster  et  eslire  ceulx  qui  en  seront  por- 
teurs ».  Les  électeurs  s^assemblèrent,  le  jour  dit,  à  THôtel 
de  Ville.  Il  y  eut  peu  d'abstentions,  surtout  de  la  part  des 
bourgeois  mandés.  Après  avoir  entendu  la  lecture  du 
cahier  général*,  et  en  avoir  approuvé  la  rédaction, l'assem- 
blée générale  nomma  les  députés  du  tiers  aux  États  géné- 
raux. «  A  esté  proceddé  à  l'ellection  des  personnes  cy-après 
nommées  pour  les  y  porter  et  présenter;  et,  en  ce  faisant, 
ont  esté  choissy,  nommez  et  esleuz,  assçavoir  jE?ar  toute 
ladicte  assemblée  :  ledict  sieur  de  Saint-Mesmyn  *,  prévost 
des  marchans,  et  par  la  plus  grande  et  seyne  partie  d'icelle 
lesdictz  sieurs  Versoris,  bourgeois,  et  Le  Prévost,  sieur  de 
Brévaut,  eschevin  de  ladicte  Ville.  »  Ainsi  le  tiers  état 
parisien  envoyait  aux  Ëtats  généraux  trois  députés  seule- 
ment, le  prévôt  des  marchands,  un  échevin  et  un  bour- 
geois, ce  Versoris  qui  avait  été  chargé  de  la  rédaction  du 
cahier  général  des  doléances.  C'était  deux  députés  de 
moins  qu'en  1560  '. 

Quel  était  l'esprit  des  députés  parisiens?  Il  était  entière- 
ment favorable  à  la  Ligue.  Luillier,  prévôt  des  marchands  S 

1.  L'assemblée  avoue  le  cahier  géaéral  des  doléances  et  déclare  qu'elle 
entend  qa'il  soit  présenté  à  Sa  Majesté,  è  la  tenue  des  Eslatz  de  ce  royaume. 
Ibid,  f»  23. 

2.  n  s'agit  de  Nicolas  Luillier,  président  à  la  Chambre  des  comptes,  qui 
avait  été  nommé  prévôt  des  marchands  le  16  août  précédent.  Il  ne  faut 
pas  le  confondre  avec  Antoine  Mesmin,  avocat,  nommé  échevin  aux  mêmes 
élections.  Le  Prévost  avait  été  nommé  échevin  aux  élections  de  1575.  Il 
était  secrétaire  du  roi.  Le  Roux  de  Lincy,  dans  sa  nomenclature  des  offi- 
ciers municipaux,  l'appelle  «  Augustin  Le  Prévost,  seigneur  de  Orevans  ». 

3.  Voy.  Hiit,  munie,  p.  507. 

4.  Il  devait  mourir  en  1582.  On  ne  doit  pas  le  confondre  avec  son  cousin 
Jean  Luillier,  qui  fut  aussi  prévôt  des  marchands  et  ouvrit  à  Henri  IV  les 
portes  de  Paris,  en  159(. 


70  PARIS  ET  LA  LIGUE 

était  un  homme  faible  et  mou,  dominé  par  son  collègue 
Pierre  le  Tourneur,  dit  Versoris,  le  rédacteur  du  cahier 
général  de  Paris,  l'avocat  au  Parlement  le  plus  connu  el 
le  plus  éloquent.  L'Estoile  le  considérait  avec  l'opinion 
publique  «  comme  pensionnaire,  principal  conseil  et  fac- 
tionnaire de  la  maison  de  Guise  ».  En  cette  qualité,  «  il  cor- 
nait la  guerre  contre  les  huguenots  plus  hault  et  plus  ouver- 
tement et  scandaleusement  qu^aucun  député  des  autres 
estats  ».  Quant  à  Le  Prévost,  le  troisième  député,  c'était 
un  des  quatre  notaires  de  la  Cour,  «  honneste  homme  et 
docte  ».  Les  élus  du  tiers  état  parisien  se  distinguaient 
par  leur  forte  corpulence,  «  dont,  par  quolibet,  ils  furent 
surnommés  les  trois  Bedons  '  ».  Sans  prétendre  refaire 
l'histoire  des  États  généraux  de  1576,  nous  nous  borne- 
rons à  déterminer  le  rôle  des  députés  de  Paris  et  leur 
influence  sur  les  délibérations  des  trois  ordres,  en  préci- 
sant, ce  qui  ne  semble  pas  avoir  été  fait  jusqu'ici,  les  rap- 
ports du  roi  avec  sa  capitale  pendant  la  durée  des  États 
généraux. 

Henri  III  ne  s'était  installé  au  château  de  Blois  que  le 
18  novembre.  En  quittant  Paris,  il  n'était  pas  sans  inquié- 
tudes sur  le  maintien  de  Tordre  dans  la  grande  Ville.  Los 
ligueurs  avaient  pris  les  devants  et  manifestaient  la  préten- 
tion de  se  charger  eux-mêmes  de  la  police.  Ils  avaient 
chargé  le  prévôt  des  marchands,  qui  partait  pour  Blois, 
de  remettre  au  roi  «  un  mémoire  rédigé  par  certains  bour- 
geois, louchant  l'ordre  et  la  police  qu'ilz  voudroient  voir 
garder  en  ladicte  Ville  (de  Paris)  pendant  Tabsence  et 

i.  L'EsTOiLE,  t.  I,  p.  181.  Le  chroniqueur  a  conservé  plusieurs  des  pièces 
satiriques  que  les  protestants  publièrent  sur  la  députation  parisienne. 
Versoris,  l'adversaire  principal  du  parti  de  la  conciliation,  y  est  toujours 
appelé  «  le  porc  Versoris  ».  On  tourne  aussi  le  président  Luillier  en 
ridicule  : 

Je  le  eonneu*  au  ruban  du  bonnet, 

A  sa  ealothe  et  à  su  barbe  r€uset 

Au  gros  anneau  qui  lui  sert  de  sonnet ^ 

A  son  baudier  qui  le  tient  en  ecstase. 


PARIS  ET   LE  NOUVEAU   ROI  71 

t'sloigncmenl  de  S.  M.  *  ».  Luillier  s'acquitta  exactement 
(le  sa  mission,  à  la  date  du  26  novembre.  Des  le  lende- 
main, le   roi  retournait  à  la  municipalité  parisienne  le 
mémoire  dont  il  s'ag-it  avec  ses  observations  '.  A  côté  des 
précautions  ordinaires,  telles  que  les  perquisitions  domici- 
liaires, confiées  aux  quartiniers,  cinquanteniers  et  dizai- 
nîers  qui,  trois  fois  la  semaine,  viennent  rendre  compte  au 
Bureau  de  la  Ville,  les  commissaires  du  Châtelet  devront 
aussi    faire    une   inspection   hebdomadaire    des   maisons 
garnies  et  des  hôtels.  Les  hôteliers  ont  ordre  «  d'apporter 
par  chascun  jour  bultin  ou  rooUe,  contenant  les  noms, 
surnoms  et  qualitez  de  ceulx  qui  arrivent  à  loger  es  dites 
maisons   bourgeoises  ,    chambres   garnies  ,    hostelleries , 
cabaretz  et  tavernes  ».  Il  (?st  prescrit  aux  «  maistres  des 
pontz,  portz  et  passaiges,  aux  maires  des  villes  voisines  de 
la  prévosté  de  Paris  ou  particulièrement  à  quelques  gens 
de  bien  desdictz  lieux,   d'escrire  souvent  auxdictz  sieurs 
prévost  et  eschevins  de  ce  qui  se  passera  par  leurs  des- 
Iroictz  et  quartiers  ».  Le  roi  veut  aussi  «  que  pour  cog- 
noistre  les  maisons  où  Ton  loge  gens  en  chambre  garnie, 
ceulx  qui  font  estât  d'en  louer  soient  tenuz  de  mettre  hors 
la  porte  un  escriptc^u  contenant  ces  motz  chambres  garnies 
à  louer ^  sur  peyne  de  vingt  livres  parisis  d'amende  pour 
la  première  fois  et  de  pugnition  corporelle,  s'il  y  eschet  ». 
Mais  ce  que  le  souverain  ne  verrait  pas  d'un  bon  œil,  c'est 
que  la  milice  bourgeoise,  sous  couleur  de  garder  la  Ville, 
prît  son  rôle  militaire  trop  au  sérieux  et  garnît  les  portes 
dliommes  armés.  Il  désire  «  qu'il  n'y  ait  pas  plus  de  six 
bourgeois  notables  à  chaque  porte,  sans  aucunes  af7?îes, 
pour  regarder  et  observer  qui  va  et  vient  ».  Entre  Blois  et 
Paris,  il  y  a  un  échange  incessant  de  communications. 


1.  Le  Reg.  h,  1788,  fo  40,  reproduit  les  différents  articles  du  Mémoire  et 
les  déclarations  du  roi  relatives  à  chaque  article. 

2.  lôid.,  (•  41. 


72  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Tantôt  c'est  le  prévôt  des  marchands  qui  fait  transmettre 
aux  «  maislres  de  coches  de  la  capitale  »  la  défense  de- 
prendre  des  voyageurs  sans  passeports  de  la  Ville  «  sur- 
peine  de  confiscation  d'icelles  coches  et  pugnition  '  »  ;  ou 
bien  qui  prescrit  à  certains  quartiniers  «  de  se  saisir  par 
chascun  joxir  »  des  clefs  de  telle  ou  telle  porte  et  de  ne  le& 
commettre  qu'aux  cinquanteniers  et  dizainiers  de  service. 
Tantôt  c'est  le  roi  lui-même  qui  correspond  avec  le  corps 
de  Ville  parisien.  Le  8  décembre,  Henri  accuse  réception 
d'une  lettre  qui  lui  avait  été  écrite  le  2  par  les  magistrats 
municipaux  et  que  les  députés  de  Paris  aux  Etats  lui 
avaient  directement  remise.  Il  s'agissait  d'une  requête 
présentée  par  certains  bourgeois  relativement  aux  rentes 
constituées  de  l'Hôtel  de  Ville.  Le  roi  répond  qu'il  a  écrit 
au  premier  président  du 'Parlement  pour  faire  rejeter  la 
requête;  puis  le  souverain  annonce  à  sa  bonne  Ville,  dan5 
les  termes  suivants,  l'ouverture  des  États  généraux  : 
«  Nous  dirons  aussy  pour  la  fin  de  ceste  cy  (lettre)  que  hier 
nous  ouvrismes  et  commençasmes  la  tenue  des  Étatz 
généraulx  de  nostre  royaume  où  estoit  la  plus  notable  et 
célèbre  compaignie  des  trois  ordres  et  estatz  d'icelle  qui  se 
voit  il  y  a  fort  longtemps  et  peult  estre  jamais.  Je  feiz  la. 
proposition  '  et  monsieur  le  chancelier  déclaira  après  plus 

1.  Lettre  du  28  novembre,  Ibid,,  f<)  42. 

2.  C'était  e(Tectivement  le  roi  en  personne  qui  avait  ouvert  les  États.  Tou» 
les  historiens  constatent  que  la  harangue  de  Henri  III  produisit  un  grand 
elTet.  On  peut  en  trouver  le  texte  complet  au  t.  XIII  des  Étals  généraux.  Le 
Journal  du  tiers  état  de  Jean  Bodin,  député  de  Vermandois,  auteur  du 
célèbre  ouvrage  intitulé  les  Six  livres  de  la  République,  se  trouve  réim» 
primé  au  t.  XIII  des  États  généraux,  p.  212-315,  Paris,  Barrois,  1789,  i^ 
vol.  in-8o,  datai.  Sénat,  n»  485.  De  Thou  (t.  VII,  p.  448)  attribue  à  Jean 
de  Morvilliers,  l'ancien  garde  des  sceaux,  la  rédaction  du  discours  royal.. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  Henri  III  obtint  un  grand  succès  d'orateur. 
«...  Sa  Majesté,  dit  l'Estoile,  harangua  disertement  et  bien  à  propos.  Au 
contraire,  le  chancelier  de  Birague,  après  lui,  harangua  longuement^ 
lourdement  et  mal  à  propos,  dont  fust  fait  et  semé  le  suivant  quatrain  l 

Tels  sont  les  faits  des  hommes  qae  les  dits  : 
Le  roy  dit  bien,  car  il  est  débonnaire  ; 
Son  chancelier  fait  bien  tout  au  contraire, 
Car  il  dit  mal  et  fait  encore  pis. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  7Î 

particulliërcmont  les  choses  qui  sont  à  traicter.  Sur  quoy 
j'ay  trouvé  chascun  tant  bien  disposé  et  affectionné  pour 
s'évertuer  à  bien  faire  que  j'espère,  avec  la  grâce  de  Dieu, 
que  rissue  en  sera  grandement  fructueuse  et  sallutaire 
pour  mon  royaume  et  à  la  continuation  du  repos  d'icelluy^ 
ainsy  que  pourrez  faire  entendre  aux  conseillers  de  nostre 
dict  Hostel  de  Ville  ou  à  ceulx  d'entre  eulx  qui  seront  à  la 
réception  de  ceste  présente,  par  laquelle  nous  prions  Dieu 
vous  avoir  en  sa  saincte  et  digne  garde.  Escrit  à  Blois  le 
VII"  jour  de  décembre  1576.  Signé  He>'ry  et  plus  bas 
Pin ART  *  ». 

Il  y  avait  eu  à  cette  séance  d'ouverture  des  États  un 
mouvement  d'émotion  sincère,  quand  on  entendit  le  prince 
lui-même  faire  d'un  ton  grave  le  bilan  de  tous  les  maux  qui 
affligeaient  la  France,  et  promettre  de  travailler  nuit  et  jour, 
sans  épargner  son  sang  et  sa  vie,  pour  le  rétablissement 
de  la  prospérité  de  tous.  Henri  III  put  croire  un  moment 
qu'il  trouverait  des  instruments  dociles  dans  les  députés 
des  trois  ordres  et  qu'il  n^aurait  pas  de  peine  à  substituer 
son  influence  à  celle  des  Guises  *.  Il  se  trompait  ';  les  pre- 
mières résolutions  des  trois  ordres,  jointes  à  la  publication 
par  les  protestants  du  mémoire  adressé  au  pape  par  les> 


Il  existe  plusieurs  tirages  à  part  du  discours  de  Henri  III.  Voy.  Catalogue 
de  VHist.  de  France  de  la  BibLNat.j  Le  ",  55.  —  Voy.  aussi  d'Aubig^b,  HisL 
univ.j  col.  848.  Après  avoir  reproduit  le  discours  royal,  l'historien  ajoute  : 
«  J'eusse  soulagé  mon  lecteur  par  les  retranchements  que  j'apporte  aux 
longues  harangues;  mais  je  n'ai  osé  toucher  à  celle  d'un  roi  bien-disaul.  » 

1.  Reg.  h,  1788.  Ibid, 

2.  Charles  de  Lorraine,  duc  de  Mayenne,  assistait,  aux  côtés  du  roi,  à 
la  séance  d'ouverture;  mais  le  duc  de  Guise,  son  frëre^  était  absent.  Il 
n'avait  pas  voulu  céder  le  pas  aux  princes  du  sang,  notamment  au  duc 
de  Montpensier  :  car  le  roi,  pour  éviter  les  conflits  qui  s'étaient  produits 
entre  Guise  et  Montpensier,  lors  du  sacre  à  Reims,  avait  publié  une  décla- 
ration donnant  formellement  le  pas  aux  princes  du  sang  sur  tous  les 
autres  pairs,  quelle  que  fût  la  date  d'érection  de  leur  pairie. 

3.  «  Telle  fut,  écrit  de  Tuou,  l'ouverture  de  ces  États,  où  le  roi  s'était 
flatté  d'abord  qu'il  serait  le  maître.  Mais  il  ne  fut  pas  longtemps  à  s'aper- 
cevoir qu'il  s'étoit  trompé  et  il  commença  bientôt  à  connoUre  quel  éloit 
l'esprit  de  celte  nouvelle  Ligue  qui  venoit  de  se  former.  »  (T.  VII,  p.  451. 


74  PARIS  ET  LA   LIGUE 

chefs  de  la  Ligue  et  remis  au  cardinal  de  Pellevé  par 
l'avocat  David,  ne  tardèrent  pas  à  faire  comprendre  au 
prince  l'étendue  du  péril  qui  menaçait  la  couronne.  Toute- 
fois, il  vint  à  Henri  III  un  défenseur  inattendu  dans  la 
personne  de  Jean  Bodin,  l'éloquent  député  du  Vermandois. 
Dans  sa  harangue,  le  roi  avait  prêché  l'apaisement,  la 
conciliation  des  partis,  la  pacilication  de  la  France  *.  Les 
députés  de  Paris  au  contraire,  et  surtout  Versoris,  insis- 
taient p^ur  requérir  le  roi  «  d'unir  tous  ses  sujets  en  une 
religion  catholique  romaine  »,  ce  qui  eût  abouti  à  une 
reprise  de  la  guerre  civile.  Le  tiers  état  parut  se  prononcer 
vn  faveur  des  moyens  violents,  lorsqu'il  désigna  Versoris, 
le  7  décembre,  pour  prendre  la  parole  au  nom  du  tiers. 

D'autre  part,  lorsque  le  tiers  vota,  le  26  décembre,  sur  le 
cahier  général,  cinq  gouvernements,  savoir  la  Bourgogne, 
la  Bretagne,  la  Guyenne,  le  Lyonnais  et  le  Dauphiné,  ap- 
puyèrent de  leurs  suffrages  la  politique  conciliatrice  dont 
Bodin  s'était  fait  le  défenseur.  Mais  les  sept  autres  gouver- 
nements, qui  formaient  la  majorité,  se  déclarèrent  parti- 
sans d'un  nouvel  appel  à  la  force  pour  écraser  les  protes- 
tants. La  noblesse  et  le  clergé  avaient  opiné  dans  le  même 
sens  dès  le  22  décembre.  Les  envoyés  du  roi  de  Navarre, 
du  prince  de  Condé  et  du  maréchal  Dam  ville,  qui  étaient 
venus  pour  suivre  de  près  les  délibérations  des  États,  se 
considérèrent  comme  suffisamment  édifiés  et  quittèrent 
Blois  dès  qu'on  connut  le  vote  unanime  des  trois  ordres 
sur  l'unité  de  religion.  Une  reprise  des  hostilités  dans  les 
provinces  devenait  donc  imminente.  Déjà  les  huguenots 
s'étaient  emparés  de  Bazas  et  de  la  Réole,  et  la  Guyenne  et 
le  Poitou  étaient  en  feu,  quand  le  roi,  d'accord  avec  les  États, 


1.  «  Où  il  a  été  besoin  de  pacincr  les  troubles  par  réconciliatioQ,  nul 
plus  que  moi  ne  Ta  désiré,  ni  plus  volontiers  que  moi  n'a  preste  l'oreille  à 
toutes  les  honnestes  et  raisonnables  conditions  de  paix  que  Ton  a  voulu 
mettre  en  avant.  »  (Disc,  royal») 


PARIS   ET  LE  NOUVEAU   ROI  75 

envoya  une  ambassade  ^  aux  princes  protestants,  afin  d'es- 
sayer d'obtenir  d'eux  une  sorte  de  trêve,  à  défaut  d'une 
soumission  absolue  aux  déclarations  des  États.  Cependant 
on  était  déjà  arrivé  à  la  fin  de  décembre  et  le  roi  n'avait 
obtenu  des  trois  ordres  que  des  professions  de  foi  catholi- 
4jues,  et  pas  le  moindre  subside.  En  vain,  le  premier  pré- 
sident de  la  Chambre  des  comptes,  Antoine  Nicolaï,  était 
venu,  le  31  décembre,  peindre  devant  les  États  la  détresse 
profonde  du  Trésor  royal  ;  il  n'avait  obtenu  que  la  nomina- 
tion d'une  commission  d'examen  qui,  dans  son  rapport  du 
9  janvier,  déclara  que  la  principale  cause  du  mauvais  état 
des  finances  résidait  dans  la  mauvaise  assiette  des  rentes 
constituées,  et  surtout  dans  Ténormité  des  dépenses  du 
souverain.  Henri  III  en  était  réduit  à  se  faire  mendiant,  à 
dire  qu'il  n'avait  plus  un  écu  pour  payer  les  Suisses  ;  «  que 
sa  nécessité  était  telle  qu'il  n'avoit  pas  le  plus  souvent 
sa  cuisine  prête,  ni  son  bois,  ni  sa  chandelle,  ni  ses  autres 
mesmes  nécessités  »  •.  Le  clergé  et  la  noblesse  voulaient 
bien  voter  des  impôts  et  augmenter  la  taille  en  la  consa- 
crant entièrement  aux  dépenses  de  l'armée,  mais  à  condi- 
tion que  le  peuple  supporterait  tout  le  fardeau.  Le  tiers,  de 
son  côté,  voulait  faire  supporter  par  les  trois  ordres  les 
4lépenses  de  guerre  et  se  prononçait  énergiquement  contre 
la  désaffectation  de  la  taille  et  la  suspension  du  payement 
des  rentes.  Malgré  les  menaces  de  M.  de  Viilequier,  au 
nom  du  roi,  et  les  objurgations  de  la  noblesse,  le  tiers 
resta  inébranlable.  Il  refusa  même  de  discuter  plusieurs 
systèmes  proposés  directement  par  le  roi.  Ainsi,  par  suite 

1.  Cette  ambassade  se  composait  de  Pierre  de  Villars,  archevêque  de 
Vienne,  André  de  Bourbon  de  Rubempré,  et  Ménager,  trésorier  de  France, 
chargés  de  se  rendre  auprès  du  roi  de  Navarre;  de  l'évêque  d'Aulun,  de 
M.  de  Montmorin  et  de  l^ierre  Rat,  lieutenant  de  Poitiers,  qui  devaient  se 
mettre  en  rapports  avec  le  prince  de  Gondé;  et  enfin  de  Nectaire,  évoque  du 
Puy,  de  René  de  Rochefort  et  du  sieur  de  Tolé,  envoyés  vers  le  duc  de  Dam- 
ville.  Le  roi  envoyait,  en  outre^  au  roi  de  Navarre,  le  maréchal  de  Biron. 

2.  GtiLLACME  DB  TxiXy  JownaL  Voir  à  la  date  du  9  janvier  1577. 


76  PARIS  ET   LA  LIGUE 

de  ces  divergences  profondes  sur  la  question  financière,  la 
situation  devenait  très  différente  de  ce  qu'elle  était  au  début. 
Il  est  curieux,  et  c'est  là  ce  qui  nous  intéresse  particu- 
lièrement, d'étudier  Tattitude  des  députés  parisiens.  En 
vue  de  la  séance  solennelle  qui  allait  avoir  lieu  prochai- 
nement, le  tiers  avait  chargé  Versoris  d'insister  sur  quatre 
points  dans  la  harangue  qu'il  aurait  à  prononcer  (15  jan- 
vier 1577).  D'Aubigné  *  nous  fait  connaître  avec  précision 
quels  étaient  ces  quatre  points  :  «  Le  premier,  que  la  réunion 
de  tous  les  subjects  du  roi  à  une  religion  s'entendoit  par 
deux  moyens  et  sans  guerre,  supplians  le  roi  de  maintenir 
son  peuple  en  paix,  voir  ses  princes  unis  avec  les  autres  ; 
lui  représenter  les  misères  des  guerres  civiles;  lui  fut  répété 
qu'  «  il  n'oubliast  ces  mots  sans  guerre  et  de  tendre  à  la 
paix  en  toute  sorte.  Le  deuxième,  qu'en  parlant  des  élec- 
tions des  bénéfices,  il  en  parlast  précisément  sans  rien  re- 
mettre à  la  volonté  du  roi.  Le  troisième,  qu'il  touchast  au 
vif  l'administration  mauvaise  faicte  des  finances  du  roi,  et 
qu'il  s'en  fist  recherche;  et,  s'il  faisoit  quelques  offres  au 
nom  du  tiers  estât,  qu'elles  fussent  générales  et  non  parti- 
culières. Le  dernier,  qu'il  n'oubliast  le  faict  des  étrangers.  » 
Ainsi  le  tiers  état,  qui,  une  vingtaine  de  jours  auparavant^ 
s'était  prononcé  par  un  vote  formel  dans  le  sens  d'une  re- 
prise de  la  guerre  religieuse  et  avait  repoussé  les  propo- 
sitions pacifiques  de  Jean  Bodin,  ce  même  tiers  état  donnait 
maintenant  à  son  orateur  le  mandat  impératif  de  supplier 
le  roi  de  rétablir  la  paix  entre  les  deux  partis.  Comment 
s'expliquer  ce  revirement  subit?  Uniquement  parce  que^ 
depuis  la  déclaration  de  M.  de  Nicolaï,  les  députés  du  tiers 
voyaient  clairement  que  la  cour  n'avait  qu'un  dessein  : 
tirer  d'eux  le  plus  d'argent  possible  ;  ils  avaient  aussi  con- 
staté que  les  deux  autres  ordres  n'acceptaient  l'éventualité 

1.  Ilist,  Univ.,  édit.  in-4*  de  1626,  col.  854. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  77 

de  la  guerre  qu'avec  Tarrière-pensée  de  n'en  pas  supporter 
les  frais.  Le  16,  à  la  veille  de  la  séance  générale,  le  comte 
de  Suze  vint,  au  nom  du  roi,  faire  une  dernière  tentative  et 
mit  le  tiers  en  demeure  d'apporter  au  château,  dès  le  len- 
demain, «  ses  résolutions  et  avis  sur  les  moyens  d'acquitter 
les  dettes  royales  et  de  faire  nouveau  fonds  ».  Mais  le  pré- 
sident Hémar  répondit  avec  assurance  à  l'envoyé  qu'il 
n'était  pas  besoin  d'argent  pour  rétablir  l'unité  religieuse, 
attendu  qu'on  pouvait  atteindre  ce  but  sans  guerre  «  par 
conciles  et  par  réformations  des  abus  ».  Le  17,  eut  lieu  ce 
que  l'Estoile  appelle  la  seconde  séance  des  Ëtats,  en  d'au- 
tres termes,  la  seconde  séance  solennelle  des  trois  ordres. 
Cette  fois,  le  duc  de  Guise  était  présent.  Le  héraut  royal 
commanda  d'abord  à  l'orateur  du  clergé  de  prendre  la 
parole.  C'était  l'archevêque  de  Lyon,  d'Espinac.  «  Il  parla 
plus  d'une  heure,  dit  d'Aubigné,  avec  beaucoup  d'élégance 
et  de  doctrine...  Sur  la  fin,  il  exhorta  le  roi  et  un  chacun  à 
se  lier  avec  les  bons  chrestiens  par  une  saincte  union  et 
association,  et  tout  cela  en  termes  généraux.  »  Après  lui, 
le  baron  de  Senesai  *,  Claude  de  Beaufremont,  orateur  de 
la  noblesse,  fit  son  discours.  Dans  cette  harangue,  qui  fut 
accueillie  par  l'assemblée  avec  une  faveur  marquée,  le 
baron  s'étendit  sur  la  déplorable  situation  du  royaume,  rap- 
pela au  roi  le  serment  qu'il  avait  prêté,  lors  de  son  sacre, 
de  rétablir  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine, 
en  s'opposant  à  l'exercice  d'une  nouvelle  «  piété,  créance 
et  religion  ».  Il  s'engagea  à  ne  confier  les  grandes  charges 
du  royaume  qu'aux  «  hommes  choisis  à  la  seule  marque  de 
vertu  et  de  suffisance  »,  et  à  ne  pas  imiter  les  Arabes  «  qui 
cherchent  la  myrrhe  chez  leurs  voisins,  encore  que  nature 
ait  prodigieusement  rempli  leurs  contrées  de  toutes  sortes 
d'odeurs  ».  L'orateur  de  la  noblesse  tonna  contre  les  étran- 

1.  Ce«t  rorthographe  adoptée  par  d'Aubîgné.  L'Estoile  écrit  «  le  baron 
de  Senescé  ». 


78  PARIS  ET  LA  LIGUE 

gers  qui  apportent  souvent  «  confusion  de  mœurs,  avec 
mutation  de  l'ancienne  discipline  et  bien  souvent  de  TEstat  »  ; 
il  conseilla  au  roi  de  rétablir  les  anciennes  coutumes  et  les 
vieilles  lois.  En  terminant,  il  offrit  au  souverain  «  contre 
toutes  personnes  »,  la  vie,  les  biens  et  jusqu'à  la  dernière 
goutte  du  sang  de  sa  fidèle  noblesse.  Versoris,  au  nom  du 
tiers  état,  prit  ensuite  la  parole.  Tandis  que  les  orateurs  du 
clergé  et  de  la  noblesse  n'avaient  parlé  à  genoux  qu'un 
moment,  et  que  le  roi  s'était  empressé  de  leur  donner  Tordre 
de  se  relever  pour  continuer  leur  discours,  Versoris  resta 
à  genoux  une  heure  et  demie,  aussi  longtemps  que  dura  sa 
harangue.  Le  langage  du  député  de  Paris  causa  une  grande 
déception  et  ne  répondit  nullement  à  Tattente  du  tiers  état. 
Stylé  par  le  duc  de  Guise,  dont  il  était  le  docile  instrumenta 
l'orateur  trahit  avec  désinvolture  le  mandat  qu'il  avait  reçu, 
«  se  troublant  à  tous  coups,  dit  d'Aubigné,  pour  ce  qu'au 
lieu  de  répondre  aux  poincts  desquels  il  estoit  chargé,  il 
rendit  le  tiers  estât  (contre  sa  volonté)  instigateur  et  sollici- 
teur de  la  guerre  »  *.  Il  ne  parla  pas  non  plus  des  élections 
ecclésiastiques  et  judiciaires,  au  mépris  de  ses  instructions. 
Bref,  ce  fut  une  véritable  trahison.  Elle  ne  profitait  guère 
au  roi  que  les  trois  ordres  payaient  simultanément  de  rhé- 
torique, sans  prendre  aucun  engagement  pécuniaire.  La  fin 
de  janvier  se  passa  au  milieu  des  négociations.  Henri  III, 
déconcerté,  furieux,  recevait  de  toutes  mains  des  plans 


1.  L*EsTOiLE  écrit,  de  son  côté,  après  avoir  constaté  le  succès  des  orateurs 
de  la  noblesse  et  du  clergé  et  l'insuccès  de  Versoris  :  «  Les  deux  premiers 
dirent  bien  et  au  contentement  de  chacun.  Versoris  fut  long  et  ennuieus, 
et,  pour  dire  en  un  mot,  ne  dit  rien  qui  vaille  et  mescontenta  grands  et  petits, 
combien  qu'il  fust  exercé  à  bien  dire,  estans  un  des  premiers  et  mieux 
nommés  avocas  plaidans  ordinairement  au  barreau  du  Parlement  de  Paris.  » 
T.  I,  p.  166. 

Les  protestants  chansonnèrent  : 

Il  a  orél  —  El  qui?  —  Ce  mignon  Venons, 
Procureur  général  des  badaux  de  Paris. 
Comment  a-t-il  oré  ?  D'une  si  bonne  grâce 
Qu'il  a  outrepassé  la  montagne  d'Horace^ 
En  accouchant  d'un  vcr  ayec  une  souris. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  79 

linaiiciers  qu'il  faisait  présenter  aux  États  par  son  frère  et 
par  les  grands  dignitaires  de  la  couronne.  Le  30,  on  finit 
par  tirer  du  clergé  la  promesse  d'entretenir  cinq  mille  hom- 
mes, et  de  la  noblesse  rengagement  de  servir  gratuitement 
pendant  six  mois.  Quant  au  tiers,  il  se  vengea  de  l'humi- 
liation infligée  h  son  représentant  lors  de  la  séance  solen- 
nelle, en  refusant  tout  subside.  Dans  la  séance  particuliëro 
qu*il  tint  le  28  janvier,  le  tiers  resta  sourd  aux  objur- 
gations du  président  Luillier,  qui  «  exhorta  la  compagnie  à 
faire  son  devoir  de  subvenir  à  Sa  Majesté.  A  l'unanimité, 
le  nouveau  système  d'impôts  présenté  par  le  roi  fut  rejeté, 
ainsi  qu'une  demande  de  deux  millions  pour  les  frais  de 
la  guerre.  Sur  l'ordre  du  roi,  transmis  par  le  duc  d'Alençon, 
le  tiers  remit  en  délibération,  le  31  janvier,  les  vœux  du 
souverain  et  donna  mission  au  président  Luillier  d'aller  au 
château  le  lendemain  1«'  février  pour  notifier  au  roi  le  refus 
formel  du  troisième  ordre.  Le  prévôt  des  marchands  ainsi 
que  Versons  se  trouvaient  acculés  dans  une  impasse.  Ils 
avaient  poussé  leurs  collègues  à  recommander  à  la  cour 
une  politique  belliqueuse,  et  cependant  ils  défendaient  avec 
acharnement  —  comme  c'était  d'ailleurs  leur  devoir  —  le 
trésor  des  rentes  de  l'Hôtel  de  Ville,  sérieusement  menacé 
par  les  convoitises  royales  *.  Luillier  et  ses  collègues  pari- 
siens comprenaient  fort  bien  que  si  le  tiers  refusait  tout 
subside,  le  roi,  dans  un  mouvement  de  colère  ou  sous  l'im- 
pulsion de  la  nécessité,  pourrait  bien  plonger  la  main  dans 
la  caisse  municipale.  Cependant  le  prévôt  des  marchands 
fut  obligé  d'exécuter  les  volontés  du  tiers  et  de  les  exposer 
lui-même  à  Henri  HL  Comédien  habile,  le  roi  écouta  sans 


1.  «  Pour  ce  que  ceux  de  la  maison  de  Ville  de  Paris  (quelquefois  les 
plus  eschaulTcz  à  la  guerre)  estoyent  les  plus  froids  &  l'octroi,  on  mit  un 
billet  avant  jour  à  la  salle  du  tiers  estât,  portant  ces  mots  :  Messieurs  de 
Paris  qui  escbauffez  tout  le  monde  à  la  guerre  et  les  retardez  pour  les 
finances,  sachez  qu'on  arrestera  les  rentes  de  votre  Maison  de  Ville,  qui  sont 
3 132000  livres  par  chacun  an.  »  D'Avbigné,  Hist,  univ.,  col.  860. 


r 

» 


80  PARIS  ET  LA   LIGUE 

perdre  son  sang-froid  la  notification  du  refus  du  tiers  état, 
et,  affectant  la  surprise,  se  contenta  de  répéter  que  le  tiers 
se  réunirait  encore  une  fois  pour  octroyer  les  deux  millions. 

Il  y  eut  donc  une  nouvelle  séance  le  2  février.  Les  députés 
de  Paris  insistèrent  avec  vivacité  auprès  de  leurs  collègues 
pour  les  déterminer  à  ne  pas  maintenir  leur  refus  de  sub- 
sides S  mais  Bodin  opposa  les  intérêts  du  royaume  aux 
intérêts  particuliers  de  la  Ville  de  Paris,  et  décida  l'assem- 
blée à  sacrifier  la  capitale.  Versoris  et  ses  collègues  pari- 
siens étaient  définitivement  vaincus.  Le  dépit  qu'ils  ressen- 
tirent en  comprenant  que  l'influence  de  Bodin  triomphait, 
leur  fit  prendre  la  résolution  de  quitter  Blois  et  de  cesser 
de  paraître  aux  États  '.  Nous  suivrons  à  Paris  le  prévôt 
des  marchands,  car  l'histoire  des  États  généraux  intéresse 
plutôt  la  France  que  Paris,  et  si  nous  avons  insisté  autant 
sur  les  États  de  1576-1577,  c'est  à  cause  du  rôle  considé- 
rable, quoique  peu  glorieux,  qu'y  jouèrent  les  députés 
parisiens  •. 

Les  États  de  Blois  avaient  eu  un  dénouement  tout  con- 

1.  l\  est  à  croire  qu'en  dehors  des  intérêts  généraux  de  Paris  et  de  la 
caisse  municipale,  le  prévôt  des  marchands  et  ses  collègues  de  la  députation 
parisienne  avaient  en  vue  leur  intérêt  personnel,  lorsqu'ils  plaidaient  ainsi 
pour  le  roi.  Henri  HI  avait  certainement  essayé  de  les  corrompre,  soit  à 
prix  d'or,  soit  en  faisant  appel  &  leur  vanité.  L*ordonnance  de  janvier  1577 
conféra  la  noblesse  héréditaire  à  tous  ceux  qui  avaient  exercé  les  fonc- 
tions de  prévôt  des  marchands  ou  d'échevin  depuis  Tavënement  de  Henri  H. 
On  trouve  le  texte  complet  de  l'ordonnance  dont  il  s'agit,  sur  laquelle  nous 
reviendrons,  dans  le  recueil  des  Ordonnances  royaux  sur  le  faict  et  jtiris- 
diction  de  la  prévosté  des  marchands  et  eschevinage  de  la  Ville  de  Paris. 
Édit.  de  1644,  p.  240. 

2.  C'est  ce  que  constate  le  journal  de  Bodin,  sous  la  date  du  2  février. 

3.  Le  roi  licencia  les  députés  de  la  noblesse  et  du  tiers  état  le  i^*  mars  1577, 
et  le  2  ceux  du  clergé.  Les  cahiers  avaient  été  présentés  le  9  février.  Ils 
demandaient,  comme  ceux  de  1560-1561,  la  périodicité  des  États  généraux 
et  provinciaux,  et  la  restauration  des  libertés  municipales.  Aucune  conces- 
sion n'avait  été  faite  au  roi  en  matière  de  finances.  Lorsque  le  tiers  fit 
annoncer  au  roi  le  vote  qui  refusait  de  consentir  un  subside  de  2  millions 
et  l'aliénation  d'une  partie  du  domaine  royal,  Henri  HI  «  en  fut  si  marry  que 
Ton  vit  quasi  les  larmes  lui  couler  des  yeux,  quand  on  lui  fit  entendre 
cette  opiniâtreté.  ->  Ils  ne  me  veulent  secourir  du  leur,  disait-il,  ni  me  per- 
mettre que  je  m'aide  du  mien,  voilà  une  trop  énorme  cruauté.  »  Guillaumr 
DE  Taix,  22  février  1577,  pièce  n*  42,  p.  376. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  81 

traire  à  celui  qu'en  alicndaieni  les  organisateurs  de  la 
Ligue.  Après  l'attitude  belliqueuse  des  premiers  jours,  les 
États  avaient  singulièrement  atténué  leur  zèle  catholique, 
et  dès  qu'il  s'était  agi  de  traduire  les  paroles  en  actes,  ils 
étaient  devenus  résolument  pacifiques,  déjouant  ainsi  la 
manœuvre  du  roi,  qui  n'affectait  d'être  favorable  à  une 
reprise  de  la  guerre  civile  que  pour  obtenir  de  l'argent. 
Une  fois  cette  conviction  acquise  que  les  États  généraux 
refusaient  tout  subside,  Henri  III  avait  prêté  l'oreille  aux 
ouvertures  conciliantes  du  roi  de  Navarre  et  du  maréchal 
de  Damville.  D'autre  part,  les  révélations  de  l'ambassadeur 
de  France  à  Madrid  sur  les  véritables  visées  de  la  Ligue 
inspiraient  au  souverain  de  salutaires  réflexions.  Mais  il 
n'osait  rompre  encore  avec  la  terrible  association.  En 
quittant  Blois,  Nicolas  Luillier,  prévôt  des  marchands  de 
Paris,  avait  emporté  un  ordre  royal  de  faire  signer  l'acte 
d'union  par  les  habitants  de  la  capitale  K  Mathieu  de  la 
Bruyère,  lieutenant  particulier,  fut  chargé  de  l'exécution 
de  cet  ordre,  dont  les  ligueurs  comptaient  se  servir  au 
profit  de  leur  cause.  Quant  à  Henri  III,  il  ne  cherchait 
évidemment  qu'à  tirer  de  la  Ville  de  Paris  ce  que  la 
France,  par  la  voix  des  États  généraux,  lui  avait  refusé. 
Sa  correspondance  avec  la  Ville  ne  laisse  place  à  aucun 
doute.  Dans  une  lettre  datée  du  4  mars  1577,  il  rappelle 
d'abord  qu'il  avait  assemblé  les  États  généraux  du  royaume 
pour  ((  parvenir  au  repos,  union  et  concorde  de  tous  ses 
sujets...  mais  que  les  députés,  suivant  la  charge  h  eux 
donnée  parleurs  provinces...  l'ont  requis  de  ne  permettre 
aultre  exercice  que  la  religion  catholique,  apostolique  et 
romaine  ».  Les  protestants  se  sont  révoltés  de  nouveau; 
ils  ont  pris  plusieurs  villes,  tué  et  pillé  les  sujets  catho- 
liques  et   bravé  l'autorité   royale.  Aussi  convient-il   de 

1.  Voy.  dbThou,  U  vu,  p.  490. 

RODIQUBT.  6 


82  PARIS  ET  LA  LIGUE 

s'opposer  par  la  force  à  leurs  entreprises.  Mais,  pour  faire 
la  guerre,  il  faut  des  troupes,  et,  pour  avoir  des  troupes,  il 
faut  de  l'argent .  Le  roi  en  demande  à  Paris,  sa  bonne 
ville  *.  Il  se  contentera,  pour  cette  fois,  d'une  somme  de 
300,000  livres,  et,  aOn  de  la  réaliser,  Henri  recommande 
aux  magistrats  municipaux  de  «  prendre  pied  sur  la  taxe 
des  deniers  qui  se  lèvent  pour  la  fortification  sur  les 
maisons  de  ladite  Ville  et  faulxbourgs,  laquelle  taxe 
sera  multipliée  jusques  à  huict  fois  pour  revenir  auxdietz 
300,000  livres  )>.  Le  prévôt  des  marchands  et  ses  collègues 
commençaient  à  recueillir  le  fruit  de  leur  conduite  aux 
États  généraux.  Ils  avaient  poussé  le  roi  aux  résolutions 
belliqueuses  ",  et  voici  que  la  cour  demandait  déjà  une 
provision.  Une  assemblée  eut  lieu  le  8  mars  1577  au  bu- 
reau de  la  Ville  pour  délibérer  sur  la  demande  du  roi.  Mais 
«  attendu  l'importance  de  l'affaire  »,  le  bureau  décida 
qu'une  assemblée  générale  serait  convoquée  pour  le  11 


1.  «  Considérant  la  bonne  volonté  et  asseuré.  debvoir  que  ceulx  de  nostre 
bonne  ville  de  Parie,  capitalle  de  ce  royaume,  ilz  ont  toujours  rendu  à  la 
conservation  de  ceste  couronne,  nous  avons  admise  vous  requérir  de  nous 
aider  et  servir,  en  ccsle  tant  bonne  et  saincte  occasion,  de  la  somme  de 
trois  cens  mil  livres  tournois,  pour  partie  des  deux  millions  de  livres  que 
sommes  contrainctz  lever  sur  tous  les  manans  et  habitans  de  noz  villes  et 
plats  pais.  »  Reg.  H,  1788,  fol.  58  r«. 

2.  A  côté  des  fanatiques,  d*ailleurs  très  nombreux,  il  y  avait  à  Paris  beau- 
coup de  partisans  de  la  paix  religieuse.  Au  début  de  1577,  les  huguenots, 
dans  une  foule  de  petites  pièces  volantes  dont  TËstoile  nous  a  donné  des 
échantillons  curieux,  <«  descbirèrent  tous  ceux  qu'ils  tenoient  pour  aulheurs 
et  conseillers  de  la  guerre,  et  par  conséquent  de  leur  malheur.  »  Voy.  l'Est., 
1. 1,  p.  167.  —  D'autre  pari,  le  parti  des  Politiques  ou  modérés  faisait  afflcher, 
le  12  janvier,  des  placards  anonymes  qui  engageaient  le  peuple  et  la  cour  à 
faire  la  paix  avec  les  huguenots.  Dans  un  de  ces  écrits  qui  fut  collé  sur  les 
portes  de  l'Hôtel  de  Ville,  on  lit  :  «  Placcaro  de  Paris.  Messieurs,  c'est 
chose  certaine  que  le  pauvre  peuple  aime  mieux  un  jour  de  paix  que  dix 
ans  de  guerre...  La  paix  affermit  un  Estât,  la  guerre  estrangère  Tesbranle, 
la  civile  la  ruine  du  tout.  C'est  trop  fait  des  fous...  Nous  avons  le  navire 
pour  devise;  si  la  guerre  se  renouvelle,  nous  sommes  plus  près  du  nau- 
frage qu'il  ne  semble...  »  Suit  un  tableau  de  la  misère  des  Parisiens  aux- 
quels le  roi  ose  encore  demander  de  l'argent.  Puis  le  placard  conclut  ainsi  : 
«  Unissons-nous  seulement  comme  bons  bourgeois  et  concitoiens  catholi- 
ques, assemblons-nous  et  nous  mettons  en  devoir  d'estaindre  et  estouffer 
toute  semence  de  division  et  de  sédition.  »  Ibid.f  p.  177. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  83 

dans  la  gran(Vsaile  de  THôtel  de  Ville.  Los  délégués  des 
compagnies  souveraines  cl  les  bourgeois  s'y  trouvèrent  en 
grand  nombre.  On  y  arrêta  que  des  remontrances  seraient 
faites  au  roi  «  attendu  la  pauvreté  du  peuple  et  que  les 
bourgeois  ayant  rentes  et  revenus  en  ladicte  ville  et  aux 
champs  ne  peulvent  aucune  chose  rccepvoir,  h  Toccasion 
des  guerres  et  troubles...  »  (^eux  que  rassemblée  chargea 
de  rédiger  les  remontrances  étaient  :  MM.  Le  Gresle,  éche- 
vin,  de  Bonneuil,  Larcher,  J.  VioUe,  Gâtîneau,  de  Ma- 
chault,  Aubry,  de  Saint- Yon,  Leconte  ot  Lepeullre  *.  Ré- 
pondre par  une  menace  de  remontrances  n'était  pas  pour 
satisfaire  la  cour,  qui  ne  pouvait  se  consoler  de  la  détresse 
du  Trésor  '  et  faisait  argent  de  tout.  Aussi  le  roi  écrit-il  de 
nouveau,  le  19  mars,  à  la  Ville.  Il  constate  avec  aigreur 
que  «  cest  affaire  est  pour  tirer  en  longueur  »;  ajoute  que  le 
duc  d'Anjou  a  un  urgent  besoin  d'argent  pour  faire  le  siège 
de  La  Charité,  et  conclut  en  insinuant  à  la  Ville  qu'au  lieu  de 
faire  des  remontrances  «  qui  ne  sont  pas  encore  dressées  » 
elle  ferait  beaucoup  mieux  de  se  conformer  aux  intentions 
royales  *.  Le  22  mars,  le  roi  adresse  encore  une  lettre  à  la 
Ville  pour  lui  annoncer  qu'il  expédie  à  Paris  le  contrôleur 
des  finances  Marcel,  avec  le  conseiller  de  Saint-Bonnet 
pour  «  dire  de  nostre  part  aulcunes  particularités  ».  Il 
assure  que  ses  intentions  sont  «  bonnes  et  sainctes  *  ». 

i.  Ainsi  les  registres  placent  au  11  mars  1577  celle  importanle  assemblée 
générale.  L^Estoile  donne  la  dale  du  12.  C'est  une  légère  erreur  de  la  part 
du  chroniqueur.  Voy.  t.  I,  p.  185. 

2.  Ce  n'était  pas  seulement  la  capitale  qui  était  mise  à  contribution.  Par 
lettres  patentes  du  mois  d*avril,  Henri  Itl  «  avait  fait  injonction  et  com- 
mandement aux  villes  de  son  roiaume  de  lui  fournir  la  somme  de  douze 
cens  mil  livres  pour  faire  les  frais  de  la  guerre  &  laquelle  avoit  esté  con- 
clud  par  les  Estais.  »  L*£stoilb,  iàid.  De  nombreux  offices  furent  vendus. 
Il  faut  citer  notamment  la  création  de  quatorze  offices  de  conseillers  du 
roi,  contrôleurs  généraux  des  greniers  à  sel.  Ëdit  de  mai  1577  (Font.,  t.  Il» 
1038).  Des  lettres,  datées  de  Blois,  12  février  1577,  et  confirmant  les  privi- 
lèges du  clergé  (Isambert,  t.  XIV,  p.  319),  récompensèrent  l'ordre  ecclé- 
siastique des  subsides  accordés  au  roi. 

3.  Reo.  h,  1788,  fol.  67. 

4.  Ibid,,  fol.  70. 


84  PARIS  ET   LA  LIGUE 

Ces  belles  paroles  ne  donnaient  pas  le  change  aux  admî- 
nislrateurs  de  Paris,  qui  n'étaient  nullement  disposés  à 
ouvrir  leur  bourse,  ou  plutôt  celle  des  Parisiens,  à  un 
monarque  qui  n'assurait  xnème  pas  la  sécurité  matérielle 
aux  portes  de  la  capitale.  A  cette  époque,  en  effet,  des 
bandes  de  soldats  et  d'aventuriers  de  toute  provenance 
infestaient  les  environs  de  Paris,  à  la  barbe  des  archers 
du  prévôt  de  Paris,  insultant  les  femmes  et  pillant  les 
habitations.  A  cette  occasion  même,  le  duc  François  de 
Montmorency,  gouverneur  de  Paris,  écrivit,  le  23  mars, 
au  prévôt  des  marchands  et  aux  échevins  une  lettre  datée 
de  Chantilly,  dans  laquelle  il  autorisait  les  magistrats 
municipaux  à  faire  marcher  contre  les  bandes  les  archers, 
arquebusiers  et  arbalétriers  de  la  Ville,  de  concert  avec  les 
archers  du  prévôt  de  Paris  ;  et,  en  prévision  du  cas  où  les 
archers  seraient  impuissants  et  trop  peu  nombreux  pour 
venir  à  bout  des  pillards,  le  gouverneur  permettait  au 
prévôt  des  marchands  de  faire  sonner  le  tocsin  «  et  d'as- 
sembler telles  compaignies  qu'il  verrait  bon  estre  pour 
cest  effect  ».  Des  faveurs  de  cette  nature  n'avaient  rien  de 
particulièrement  séduisant,  puisqu'elles  aboutissaient  à 
charger  la  municipalité  du  soin  de  maintenir  l'ordre  non 
seulement  à  Paris,  mais  dans  la  banlieue.  Cet  incident  eut 
néanmoins  pour  résultat  de  provoquer  l'insertion,  dans  le 
texte  des  remontrances  qui  était  à  l'étude,  d'énergiques 
plaintes  contre  les  pillages  des  gens  de  guerre. 

La  commission  chargée  de  l'élaboration  du  texte  dont  il 
s'agit  avait  activement  poussé  son  travail.  Il  était  achevé 
dès  le  24  mars  et  l'échevin  Le  Gresle,  sieur  de  Beaupré^ 
recevait  mission  d'aller  le  porter  au  roi.  Rien  n'est  plus 
vif  ni  plus  amer  que  le  ton  de  ces  remontrances,  qui  ont 
été  conservées  par  les  registres  de  la  Ville  *.  Si  l'on  fait 

i.  Reo.  h,  1788,  fol.  74  à  78. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU  ROI  85 

abstraction  du  style  amphigourique  et  ampoulé  qui  se 
retrouve  dans  un  grand  nombre  de  documents  de  cette 
époque,  on  peut,  de  tous  les  traits  empruntés  aux  remon- 
trances, reconstituer  un  tableau  navrant  de  Tétat  de  la 
France,  en  général,  et  de  Paris^  en  particulier,  au  début 
de  l'année  1577  *. 

Ce  que  les  remontrances  municipales  mettent  surtout  en 
relief,  c'est  la  mauvaise  administration  des  finances,  au 


i.  Les  remontrances  débutent  par  remercier  le  roi  d*avoir  «  ol-bénigne- 
naent  les  cahiers  particuliers  des  manans  et  habitans  de  Paris,  et  depuis 
tous  les  estatz  du  royaume  »  en  ce  qui  touche  «  la  réduction  de  tous  les 
sujets  du  roi  en  une  mesme  religion  catholique,  apostolique  et  romaine  ». 
Seulement  le  roi  a-t-il  pris  les  bons  moyens  pour  atteindre  ce  grand  but  : 
Funité  religieuse?  La  Ville  ne  le  pense  pas,  et  elle  indique  de  quelle  manière 
il  faut  s'y  prendre  pour  lutter  avec  succès  contre  les  ennemis  de  la  reli- 
gion. «  Vous  nous  pardonnerez,  s'il  vousplaist,  si  nous  prenons  la  hardiesse 
de  vous  dire  et  remonstrer  en  toute  humilité  que  les  moiens  que  l'on  a 
tenuz  depuis  seize  ans  pour  parvenir  à  ce  but  par  la  seuUe  force  et  voye  des 
armes  n'ont  esté  et  ne  seront  à  Fadvenir  sufflsans,  s'ilz  ne  sont  accompai- 
gnez  des  autres  remeddes  utiles,  voire  nécessaires,  pour  guarir  ceste  mala- 
die, desquelz  le  premier  et  principal  est  de  mettre  de  bons  et  dignes  prélatz 
et  pasteurs  en  l'église  de  Dieu,  lesquelz,  tant  par  leur  bonne  doctrine  que 
exemplarité  de  vye,  assistez  de  bons  curez  qiCiis  commettront  sous  eulx, 
puissent  ramener  en  la  bergerie  les  ouailles  qui  se  sont  distraictcs  et  dé- 
voyées, è  la  faulce  et  persuasion  des  ministres  et  faulx  prophètes  qui, 
voyant  la  bergerie  destituée  de  pasteurs,  se  sont  facillement  couliez,  et 
sans  grande  résistance,  en  une  maison  vuide  et  vaccue.  «  Pourquoi  donc 
et  comment  une  telle  corruption  s'est-elle  propagée  dans  les  rangs  du 
clergé  ?  C*est  que  le  roi  a  pris  l'habitude  de  confier  les  plus  hautes  dignités 
ecclésiastiques  à  des  hommes  mariés  et  même  &  des  femmes.  «  S'il  vous 
plaist,  Sire,  porter  encore  les  yeux  de  votre  entendement  plus  loing,  vous 
trouverez  que  ceulx  qui  ont,  longtemps  jà,  escrit  les  annales  de  cestny 
vostre  royaume,  ont  dilligemment  observé  et  remarqué  que  les  mutations 
et  translation  du  sceptre  et  couronne  de  France,  de  lignée  en  lignée,  depuis 
que  le  roy  Qovis  y  a  receu  le  sainct  baptesme,  sont  advenuz  lorsque  les 
roys  ont  permis  que  les  femmes  et  gens  mariez  possédassent  les  dignitez 
et  prélaturcs  ecclésiastiques,  Dieu  seul  toutes  fois  en  sachant  les  causes  et 
occasions.  •  A  cette  démoralisation  du  clergé,  provenant  du  mauvais  choix 
4]es  prélats,  il  faut  joindre  l'impiété  des  gens  de  guerre,  m  gens  sans  Dieu  et 
sans  loy,  vivans  sans  aucune  discipline  militaire,  si  insolemment  et  débor- 
dement, tant  aux  camps  et  armées  que  par  les  chemins,  qu'il  ne  leur  reste 
<]ue  le  seul  nom  de  chrétiens  ».  La  Ville  reproche  à  œs  soudards  de  com- 
mettre des  forfaits  tels  que  n'en  commettraient  pas  «  les  Sarrazins,  Maho- 
métans,  Scythes  et  autres,  les  plus  infidelles  et  barbares  nations  qui  ayent 
oncqucs  esté  t).  Et  Ton  rappelle  an  souverain  «  les  plainctes  fréquentes  qui 
lui  en  ont  esté  faictes  journellement,  joinct  qu'elles  lui  ont  puis  naguères 
«sté  bien  amplement  discourues  et  représentées  à  l'œil  parles  gens  du  tiers 
«stat  du  royaulme  ». 


86  PARIS  ET  LA  LIGUE 

point  de  vue  surtout  des  intérêts  parisiens.  A  cet  égard, 
le  mémoire  adressé  au  roi  contient  un  exposé  fort  clair  ot 
qui  ravirait  un  économiste.  La  fortune  des  Parisiens,  dit-il 
en  substance,  se  compose  de  quatre  éléments,  diversement 
répartis  :  «  le  revenu  des  héritages  »  ou  les  revenus  fon- 
ciers et  immobiliers,  les  rentes  constituées  sur  l'Hôtel  de 
Ville  qui  représentent  la  fortune  mobilière,  les  gages 
d'offices  et  les  marchandises  ou  produits  du  conmierce. 
Or  les  fermiers,  pillés  par  les  gens  de  guerre,  sont  hors 
d'état  d'acquitter  le  loyer  de  la  terre;  «  les  rentes  assi- 
gnées sur  l'Hôtel  de  Ville  ne  se  reçoivent,  et  en  est  deub 
aujourd'huy  trois  termes  d'arréraîges,  la  faulte  principalle 
provenant  de  deffault  de  paiement  du  clergé  qui,  ne  trou- 
vant aucun  compte  de  s'aquiter,  et  se  jactent  et  vantent 
d'avoir  obtenu  de  vous  (le  roi)  deffences  de  les  contraindre 
et  main-levée  de  toutes  saisies  faictes  ou  à  faire,  avec  évo- 
cation de  toutes  leurs  causes  en  un  aultre  parlement  ». 
Les  gages  des  officiers  du  roi  ne  sont  plus  payés  et  le 
commerce  est  complètement  paralysé  par  suite  de  la 
guerre  civile  et  du  manque  absolu  de  sécurité.  Et  voilà 
dans  quelles  circonstances  le  prince  demande  à  la  capitale 
de  nouveaux  sacrifices,  après  tant  d'autres  *  !  La  Ville  ter- 
mine l'énergique  exposé  de  ses  griefs  et  la  fidèle  peinture 
des  maux  du  temps  en  demandant  au  roi  de  ne  pas  main- 


i.  Les  remontrances  récapitulent  les  emprunts  demandés  à  la  Ville  de 
Paris  depuis  1575  :  «  D'advantage  nous  vous  supplions  très  humblement 
vous  représenter  les  grands  empruntz  et  subsides  dont  Vostre  Majesté  a 
esté  secourue  depuis  div-huict  mois  par  vosdictz  manans  et  habitans, 
tant  pour  la  levée  de  deux  mil  liommes  de  pied,  qui  furent  levés  et  sol- 
doyezà  Timproviste  en  Tannée  ioTô,  que  par  la  solde  de  deux  mille  Suisses 
qui  fut  levée  l'année  dernière,  et  encore  depuis  le  gros  emprunt  pour  le 
licenciement  des  retires,  qui  monte  à  plus  de  quatre  cens  mil  livres,  le 
remboursement  duquel  nous  estant  assigné  par  voz  lettres  patantes,  véri- 
fiées en  voz  courtz,  sur  voz  recettes  généralles  sur  le  quartier  d'avril  et 
juillet  de  ceste  présente  année;  et  néantmoins,  depuis  peu  de  jours,  tous 
les  deniers  de  vozdictes  receptes  généralles  ont  été  saisiz  et  arrestez  et 
destinez  à  un  aultre  usaige,  de  sorte  qu'il  n'y  a  aucune  espérance  de  pou- 
voir estre  payé  ceste  année.  » 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  87 

tenir  la  demande  de  subsides  qu'il  avait  adressée  aux 
Parisiens  :  «  Par  les  raisons  et  considérations  susdictes, 
nous  supplions  très  humblement  Vostre  Majesté  ne  vouUoir 
recevoir  en  mauvaise  part  si,  Testât  de  noz  affaires  estant 
tel  qu'il  est,  vostre  peuple  pauvre  et  nécessiteux  pillé  et 
mangé  jusques  aux  os  en  leurs  héritages  des  champs,- vos 
officiers  sans  aucuns  gaiges,  chargés  pour  la  plupart  de 
grosses  rentes  qui  coururent  sur  eulx  pour  Tachapt  de 
leurs  offices,  les  rentes  non  payées,  les  emprunctz  de  Tannée 
passée  non  paiez  ny  assignez,  nous  sommes  contrainctz,  à 
notre  très  grand  regret,  vous  supplier  très  humblement, 
comme  nous  faisons,  que  vostre  bon  plaisir  soit  de  nous 
tenir  pour  excuser  de  la  levée  de  trois  cens  mil  livres  dont 
il  vous  a  pieu  nous  faire  demande  par  vosdictes  lettres, 
tant  closes  que  patentes,  vous  asseurant  que  nous  ne  man- 
querons jamais  de  bonne  volonté,  obéissance  et  fidélité  à 
nostre  service,  en  tant  que  nostre  pouvoir  et  nos  facultoz 
le  pourront  porter.  » 

Ce  fut  à  Téchevin  Le  Gresle,  sieur  de  Beaupré,  qui  avait 
lu  à  Henri  III  le  texte  des  remontrances  municipales,  que 
le  roi  confia  la  mission  de  porter  sa  réponse  à  la  Ville  de 
Paris  *.  Le  prince  débute  par  remercier  MM.  de  la  Ville 
«  de  la  bonne  volonté  qu'ilz  ont  »  pour  le  service  du  roi  ; 
mais  il  ajoute  immédiatement  qu41  lui  faut  de  Targent 
pour  ses  «  grandz  et  importans  affaires  ».  Assurément,  il 
est  regrettable  que  les  rentes  sur  THôtel  de  Ville  soient 
payées  d'une  manière  intermittente,  mais  il  n'y  a  lieu  d'en 
accuser  que  la  malice  du  temps^  qui  ne  permet  pas  de  faire 
parvenir  en  temps  voulu  à  la  caisse  municipale  les  de- 
niers des  provinces  occupées  par  les  rebelles.  Le  roi  es- 
père que  le  clergé  sera  bientôt  en  mesure  de  payer  les 
arrérages  de  rentes  pour  lesquels  assignation  est  donnée 

1.  La  répoDse  du  roi  porte  la  date  du  27  mars  1577.  Elle  se  trouve  an 
fol.  78  du  registre  H,  i788. 


88  PARIS  ET  LA  LIGUE 

sur  lui  ;  si  main-levée  a  été  donnée  des  saisies  pratiquées 
sur  les  biens  de  MM.  du  clergé  *,  cela  tient  à  ce  que  Sa- 
dicte  Majesté  a  eu  égard  aux  secours  qu'elle  reçoit  si  fré- 
quentz  desdits  du  clergé.  Si  les  assignations  données 
sur  les  recettes  générales  ont  été  révoquées  et  si,  par  suite 
de  cette  mesure,  les  titulaires  d'offices  ne  peuvent  obtenir 
le  payement  de  leurs  gages,  c'est  une  conséquence  de  la 
nécessité  du  temps.  Le  roi  payera  ses  officiers  «  le  plus 
tost  que  faire  se  pourra  ».  Avec  la  même  désinvolture,  le 
roi  avoue  que  «  la  guerre  ôte  beaucoup  de  liberté  et  de 
seuretté  au  commerce  ».  Des  sauf-conduits  seront  donnés 
aux  négociants  qui  font  le  commerce  par  mer  ;  les  routes 
terrestres  sont,  il  est  vrai,  peu  sûres  et  sillonnées  de 
soldats  maraudeurs.  Ordre  a  été  envoyé  aux  baillis,  séné- 
chaux et  gouverneurs  de  réprimer  ces  actes  de  brigandage 
et  de  maintenir  la  discipline;  mais,  pour  avoir  des  soldats 
disciplinés,  il  est  indispensable  de  les  solder,  et  pour  les 
solder  il  faut  de  l'argent.  C'est  précisément  afin  de  s'en 
procurer  que  le  roi  demande  des  subsides  à  ses  bonnes 
villes;  en  versant  les  300,000  livres  que  le  roi  leur 
demande  pour  une  si  sainte  occasion,  les  Parisiens  don- 
neront le  bon  exemple  aux  autres  sujets. 

Telle  était,  au  résumé,  la  réponse  royale,  pleine  d'une 
modération  hautaine  et  d'une  ironie  froide.  Une  lettre, 
portée  aussi  par  l'échevin  Le  Gresle,  annonçait  en  même 
temps  au  bureau  de  la  Ville  que  les  forces  royales  s'assem- 
blaient pour  attaquer  La  Charité-sur-Loire.  A  ces  sonuna- 
tions  du  roi,  les  magistrats  municipaux  opposent  d'abord 
un  silence  significatif;  mais  Henri  III  insiste  et  écrit  de 
nouveau,  le  26  mars  1577  ".  Il  faut  bien  obéir;  mais  on 

1.  Un  peu  plus  lard,  le  14  avril,  le  roi  écrivit  à  la  Ville  de  Paris  pour  la 
prier  d'accorder  au  clergé  du  Languedoc  et  de  la  Guyenne  un  délai  de 
deux  ans,  applicable  aux  arrérages  de  rentes  dus  par  le  clergé  des  deux 
provinces.  Ibid.y  fol.  95. 

2.  Ibid.,  fol.  86. 


PARIS   ET  LE  NOUVEAU   ROI  89 

procède  avec  une  lenteur  calculée.  Les  1",  2,  12,  15,  17  et 
18  avril,  des  convocations  sont  lancées  pour  réunir  une 
assemblée  générale,  mais,  chaque  fois,  il  faut  renvoyer  à 
un  autre  jour  la  délibération,  parce  que  «  bonne  partie  des 
bourgeois  mandés  n'y  ont  toujours  assisté  ».  Nouvelles 
instances  du  roi  (22  avril)  *;  deux  jours  après,  le  duc 
d'Anjou  écrit  à  son  tour,  de  Pouilly,  et  prie  la  Ville  bien 
affectueusement  de  s'exécuter.  Après  deux  nouvelles 
assemblées  tenues,  sans  résultat,  les  26  et  27  avril,  on 
finit  par  aboutir  dans  l'assemblée  générale  du  2  mai.  Sur 
les  prières  du  cardinal  de  Bourbon,  il  fut  résolu,  à  la  plu- 
ralité des  voix,  qu'on  accorderait  au  roi  une  somme  de 
100,000  livres  tournois,  pour  une  fois;  et  les  quartiniers 
furent  chargés  de  dresser  le  rôle  des  taxes  «  le  plus  juste- 
ment et  esgallement  que  faire  se  pourra  ».  Pour  arracher 
aux  représentants  des  contribuables  parisiens  cette  somme 
de  100,000  livres,  il  avait  fallu  bien  des  efforts.  Le  prévôt 
des  marchands,  «  que  Ton  disoit  avoir  part  à  la  questo  », 
suivant  les  notes  de  l'Estoile,  ne  s'était  pas  plus  ménagé 
qu'aux  États  généraux  pour  plaider  la  cause  du  fisc.  Mais 
de  dures  vérités  avaient  été  dites  par  «  plusieurs  braves 
conseillers  de  la  Cour  et  autres  bons  bourgeois  assistans 
qui  ne  furent  d'avis  d'accorder  aucune  somme  de  deniers 
au  roy,  attendu  la  calamité  du  temps  et  le  peu  de  moien 
que  le  peuple  de  Paris,  apauvri  par  les  guerres  et  par 
les  emprunts  et  imposts  précédents,  avait  d'y  pouvoir 
fournir  »  '. 

\,  La  lettre  est  datée  de  la  Bourdaizière.  Ihid.y  fol.  98.  L*Estoile  nous 
apprend  comment  la  cour  s'arrangea  pour  ne  pas  trop  soufTrir  des  retards 
volontaires  de  l'Hôtel  de  Ville  :  «  Le  lundi  premier  d'avril,  le  mareschal  de 
Cossey  arriva  à  Paris,  et,  le  3<>,  y  arriva  la  roine-mère,  pour  tirer  quelque 
argent  des  Parisiens;  et,  le  samedi  7«,  en  partist,  emportant  avec  elle  cent 
mil  livres,  qu'elle  prinst  à  intërest  de  Baptiste  Gondi  et  autres  partizans 
italiens.  »  T.  I,  p.  185.  On  remarquera  que  c'est  précisément  une  même 
somme  de  cent  mille  livres  que  le  roi  réclamera  &  la  Viile  de  Paris  dans  sa 
lettre  du  7  mai. 

2.  L'Estoile,  t.  1,  p.  185. 


90  PARIS  ET  LA*LIGL'E 

Lo  roi  répondit  qu'il  se  contenterait  des  100,000  li- 
vres, mais  qu'il  les  voulait  dans  un  délai  de  huit  jours  *. 
Il  ne  pouvait  donc  ratifier  le  mode  de  perception  indiqué 
par  la  délibération  de  l'assemblée  générale  :  la  confection 
des  rôles  par  les  quartiniers  lui  paraissait  de  nature  à  en- 
traîner de  trop  longs  délais.  Il  préfère  qu'on  prenne  pour 
base  de  la  répartition  le  rôle  de  la  taxe  pour  la  fortification. 
Ceux  qui,  de  ce  chef,  n'ont  à  payer  qu'une  taxe  de  qua- 
rante sols,  seront  dispensés  de  toute  cotisation  pour  les 
100,000  livres;  ceux  qui  sont  taxés  à  6,  8,  10  et  12  livres 
pour  la  fortification,  payeront  six  fois  autant  pour  leur  part 
dans  le  nouvel  impôt;  et  ceux  qui  étaient  taxés  de  six 
livres  à  quarante  sols  tournois,  payeront  le  quadruple.  On 
n'exemptera  personne  «  de  quelque  qualité  qu'il  soit,  fors 
les  bénéficiers,  pour  les  maisons  qu'ilz  habitent  ».  C'est 
ce  qu'on  appelait  alors  lever  un  impôt  à  la  rate.  Une 
assemblée  tenue  à  l'Hôtel  de  Ville  le  18  mai  approuva  le 
procédé  recommandé  par  le  roi,  et  défense  fut  faite  au  rece- 
veur de  la  Ville  de  payer  les  arrérages  des  rentes  sur 
l'Hôtel  de  Ville  h  ceux  qui  n'auraient  pas  justifié  de  l'ac- 
quittement de  leur  part  dans  l'impôt  des  100,000  livres. 
Mais  comme,  en  tout  état  de  cause,  les  renies  n'étaient  pas 
payées,  cette  menace  fit  peu  d'effet.  Dans  une  lettre  du 
30  mai  1577  ',  le  roi  se  plaint  avec  amertume  de  la  lenteur 
apportée  dans  la  perception  des  taxes  :  «...  Vostrc  travail 
et  noz  fréquentes  despeches  n'ont  encore  de  rien  ou  que 
bien  peu  servi,  car,  après  nous  avoir  tenu  en  espérance 
que  serions  promptement  secouru  desdictz  cent  mil  livres, 
par  forme  et  d'advance,  en  attendant  qu'ilz  se  leveroient 
sur  la  forme  de  la  fortiffication,  il  n'a  esté  fourny  que  la 
somme  de  cinq  mille  deux  cens  écus,  encore  a  ce  esté  la 
plus  grande  part  par  noz  serviteurs  et  premiers  officiers  et 

1.  Reg.  h,  1788,  fol.  110.  La  lettre  est  datée  de  Chenonceaux,  7  mai. 

2.  //>«/..  fol.  120. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  91 

VOUS  six,  n'y  ayant  qu'un  seul  des  bourgeois  do  la  Ville 
qui  a  seuUement  advancé  cent  escuz.  Par  cela,  congnois- 
sons  nous  bien  peu  d'affection  en  beaucoup,  qui  ne  font 
pas,  il  s'en  fault,  tout  si  bien  qu'ilz  dient.  »  Pour  se 
venger  de  ce  peuple  si  récalcitrant,  le  roi  déclare  qu'il  met 
la  main  sur  la  portion  des  recettes  générales  affectée  au 
payement  des  arrérages  des  rentes  de  la  Ville  et  aux  gages 
du  Parlement.  La  Ville  se  remboursera  sur  les  100,000  li- 
vres qu'elle  a  votées  et  qu'elle  se  hâte  si  peu  de  lever. 
C'est  au  bureau  de  la  Ville  à  modérer  ou  à  augmenter, 
dans  la  proportion  qu'il  jugera  équitable,  le  taux  des  coti- 
sations réclamées  à  chaque  contribuable. 

On  imposait  ainsi  aux  officiers  municipaux  une  tâche 
bien  ingrate.  L'inégalité  criante  avec  laquelle  se  faisait  la 
répartition  des  taxes  soulevait  de  vives  récriminations  que 
le  bureau  de  la  Ville  ne  dissimula  pas  à  la  Cour.  Dans  des 
remontrances  non  datées  par  les  registres,  mais  qui  se  ra[)- 
portent  vraisemblablement  au  début  de  juillet  1577,  le 
prévôt  des  marchands  fait  connaître  au  roi  «  que  les  quar- 
tiniers ,  dixainiers  et  cinquanteniers,  accompaignez  de 
plusieurs  bourgeois,  sont  venuz  au  bureau  de  la  Ville 
déclairer  publiquement  qu'ilz  ne  pouvoient  sans  esmotion  * 
porter  lesdicts  billetz  expédiez  en  ladicte  forme,  pour  les 
grandes  innégalitez  et  disproportions  qui  estoient  au 
sextuple  faict  sur  les  rooUes  de  ladicte  fortiffication,  y 
ayant  des  plus  grands  officiers  du  roy  ausdictz  quartiers 
qui  n'estoient  taxés  qu'à  seize,  vingt  ou  vingt-quatre  livres, 
et  des  rôtisseurs,  bouUangers  et  hostelliers  à  soixante- 
douze  ».  La  grande  latitude  que  le  roi  avait  paru  laisser 
aux  autorités  municipales  pour  fixer  le  taux  des  cotisa- 


1.  Cest-à-dire  sans  provoquer  une  émeute.  Les  billets  dont  il  s'agit  sonl 
les  billets  de  taxes,  dressés  à  la  rate,  comme  nous  Tavons  expliqué  plus 
haut,  en  portant  jusqu'au  sextuple,  dans  certains  cas.  le  taux  adopté  pour 
rimpôt  relatif  aux  for tifl cations. 


92  PARIS  ET  LA  LIGUE 

lions  individuelles  comportait  sans  doute  beaucoup  d'ex- 
<îeptionSi  car  la  Ville,  au  cours  de  ses  doléances,  revendi- 
<}ue  la  liberté  «  de  trouver  et  eslire  la  meilleure  et  la  plus 
aisée  forme  à  exécuter  qu'on  pourra  ».  En  terminant  sa  re- 
quête, le  prévôt  des  marchands  n'oublie  pas  ses  intérêts 
pécuniaires  et  «  supplie  Sa  Majesté  de  pourveoir  à  la  seu- 
retté  du  remboursement  des  députtez  de  la  Ville  de  Paris 
qui  ont  assisté  aux  Estats  généraulx  de  Blois,  d'aultant 
que  le  roy  a  cy  devant  ordonné  que  lesdictz  frais  seront 
pris  sur  les  despences  des  fortifications,  et  qu'à  la  redition 
des  comptes  l'on  en  pourroit  faire  difficulté  ». 

Les  rapports  de  la  Ville  avec  le  clergé,  débiteur  d'une 
partie  des  rentes  de  l'Hôtel  de  Ville,  n'étaient  pas 
moins  tendus  que  les  rapports  avec  le  roi.  Dès  la  fin  de- 
1576,  «  messieurs  du  clergé  de  France,  les  receveurs 
généraux  et  particuliers  du  royaume  '  »  étaient  redevables 
à  la  caisse  municipale  de  1,400,000  livres  tournois,  et  le 
receveur  municipal  déclarait  qu'il  lui  était  impossible  de 
recouvrer  cette  somme,  quelque  diligence  qu'il  ait  pu  faire. 
Il  n'avait  pu  payer  que  200,000  livres  sur  les  quartiers  de 
janvier,  février,  mars  1576.  Le  malheureux  receveur  avoue 
qu'il  demeure  «  en  grandz  restes  envers  le  peuple  »  et, 
pour  couvrir  sa  responsabilité^  réclame  une  assemblée 
générale  qui  «  feroit  entendre  au  peuple  ad  ce  que  dores- 
navant  il  eust  patience  et  ne  le  poursuive  ».  Dans  cette 
•circonstance,  la  Ville  avait  même  demandé  au  roi  l'autori- 
sation de  payer  les  quartiers  de  rentes  échus  sur  des  fonds 
ayant  une  autre  affectation  '.  Harcelé  par  la  Ville,  le  clergé 
avait  à  plusieurs  reprises  demandé  des  délais  pour  verser 
4es  arrérages  de  rentes   dont  il  était  redevable  ';  mais, 

i.  Rbg.  h,  n88,  fol.  38. 

2.  Les  règlements  sur  le  contrôle  de  la  recette  municipale  portaient  que 
•chaque  quartier  devait  être  acquitté  exclusivement  sur  les  fonds  affectés  à 
■ce  quartier. 

3.  Nous  avons  rappelé  plus  haut  (voy.  p.  7  à  9)  quelle  était  l'origine 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU  ROI  9Jt 

dans  l'assemblée  générale  tenue  le  5  juillet  1S77,  il  fut 
«  conclu,  advisé  et  délibéré  que  Ton  ne  peult  donner  aucun 
jour  ny  terme  audict  clergé  pour  le  paiement  des  arré- 
rages qu'ilz  doibvent  à  ladicte  Ville,  à  cause  desdictes 
rentes,  ains  qu'ilz  seront  contrainctz  aux  paiemens  d'iceulx 
par  toutes  voyes  et  manières  deues  et  raisonnables  ».  Et, 
le  9  août,  une  ordonnance  du  bureau  de  la  Ville  fit  défense 
à  Philippe  de  Castille,  receveur  général  du  clergé  de 
France,  «  de  paier,  ne  acquitter  aulcunes  dettes  deues  par 
ledict  clergé,  jusques  à  ce  que  M.  François  de  Vigny,  recep- 
veur  d'icelle  Ville,  ayt  esté  entièrement  satisfaict  et  payé  de 
ce  que  le  clergé  doibt  à  ladicte  Ville,  à  cause  des  rentes  y 
constituées,  sur  peine  de  les  répéter  sur  ledict  Castille...  »  *.. 

de  la  conlribution  du  clergé  au  payement  des  rentes  sur  ]*Hôtel  de 
Ville.  Aux  termes  du  contrat  dit  de  Poissy,  signé  le  21  octobre  1561 
entre  le  roi  et  les  procureurs  de  Tordre  ecclésiastique,  le  clergé  avait  pris, 
outre  les  engagements  que  nous  avons  indiqués,  celui  de  racheter  le  prin- 
cipal des  rentes  avant  le  dernier  jour  de  décembre  de  Tannée  1577.  En 
attendant  ce  remboursement  problématique,  le  roi  avait  spéculé  sur  les 
1,600,000  livres  de  la  subvention  annuelle  du  clergé.  Par  édit  du 
mois  d'octobre  1562,  il  vendit  à  Guillaume  de  Marie,  prévôt  des  marchands, 
avec  faculté  de  rachat  perpétuel,  100,000  livres  de  rente  au  denier  douze, 
à  prendre  sur  la  subvention  ecclésiastique,  qui  était  elle-même  garantie 
par  les  revenus  temporels  du  clergé  de  France.  Au  mois  de  février  1563, 
nouvelle  Assignation  de  200,000  livres  de  rente  sur  la  même  subvention. 
Elle  fut  suivie  de  plusieurs  autres,  de  telle  sorte  qu'en  1567  les  rentes 
assignées  sur  la  subvention  du  clergé  s'élevaient  déjà  à  494,000  livres.  La 
première  partie  du  contrat  de  Poissy  n'obligeait  le  clergé  à  payer  les 
1,600,000  livres  de  don  annuel  que  jusqu'au  31  décembre  de  cette 
même  année  1567.  Aux  termes  d'un  nouveau  contrat,  sanctionné  par  lettre» 
patentes  du  15  octobre  1567,  le  roi  déchargea  le  clergé  de  la  subvention 
des  1,600,000  livres  et  des  rentes  assignées  sur  cette  subvention,  à  con- 
dition que  le  clergé  payerait,  en  l'acquit  du  roi,  les  630,000  livres  de 
renies  dues  par  le  trésor  royal  et  assignées  sur  les  domaines,  aides  et 
gabelles.  Mais,  pour  amortir  le  capital  de  7  millions  et  demi  qu'il  devait 
racheter  en  dix  ans,  le  clergé  levait  chaque  année  sur  ses  biens  temporels 
1,300,000  livres  qui  passaient  en  principe  dans  les  caisses  du  receveur 
municipal.  Ce  dernier  touchait  1  p.  100  sur  les  sommes  versées,  à  titre  d& 
commission.  Vers  la  fin  de  1577,  et  à  la  suite  d'émissions  nouvelles  faites 
par  le  roi,  le  clergé  se  trouvait  chargé  de  plus  de  1,200,000  livres 
de  rente,  y  compris  les  anciennes  qu*il  payait  toii^ours,  malgré  le  contrat 
d'octobre  1567.  Nous  verrons  plus  tard  qu*en  1579  l'assemblée  du  clergé 
voulut  désavouer  ses  syndics,  en  ce  qui  touche  les  aliénations  postérieures 
à  ce  contrat  de  1567.  Il  y  aura  de  nouveaux  contrats  passés  entre  le  roi  et 
le  clergé  en  1580,  1586,  1596  et  1606. 
1.  Rio.  h,  1788,  ^  145  vo. 


94  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Nous  avons  déjà  parlé  plus  haut  *  de  la  dynastie  des  de 
Vigny  et  du  remplacement  de  François  de  Vigny  père  par 
François  de  Vigny  fils,  le  16  août  1574;  nous  avons  dit 
<{ue  le  receveur  municipal  avait  refusé  de  cumuler  plus 
longtemps  ses  fonctions  avec  celles  de  receveur  général 
du  clergé,  qu'il  avait  cependant  exercées  jusqu'en  juin  1575. 
Mais  ce  dédoublement  n'avait  pas  eu  pour  résultat  de 
rendre  plus  facile  et  plus  régulière  la  rentrée  des  fonds  du 
clergé.  En  butte  aux  récriminations  des  rentiers,  aux  exac- 
tions du  roi,  aux  reproches  du  bureau  de  la  Ville,  le  rece- 
veur cherchait  en  vain  à  se  soustraire  à  une  responsabilité 
écrasante.  Le  19  septembre  1576,  il  se  présenta  au  bureau 
de  la  Ville  et  déclara  aux  prévôt  et  échevins  que  son  père 
avait  exercé  l'office  de  receveur  municipal  «  environ  cin- 
quante ans  »  ,  sous  l'administration  de  Philippe  Macé,  et 
plus  de  dix-huit  ans  en  qualité  de  receveur  titulaire.  De 
Vigny  fils  rappelait  qu'associé  à  son  père  en  juillet  1564, 
puis  titulaire  lui-même  depuis  deux  ans,  il  avait  rencontré 
dès  le  début  d'immenses  difficultés  dans  l'exercice  de  ses 
fonctions  ',  à  tel  point  qu'il  était  tombé  gravement  malade, 
et,  sur  l'avis  des  médecins,  ainsi  que  sur  les  instances  de 
sa  famille,  il  avait  pris  la  résolution  «  de  résigner  et 
mettre  sondict  estât  de  receveur  de  la  Ville  de  Paris  ès- 
mains  de  mosdicts  sieurs,  des  vingt-quatre  conseillers, 
quartiniers  et  bourgeois  mandez  par  lesdicts  quartiniers, 
en  faveur  de  M.  Adrien  de  Petremol,  natif  de  Paris  et  à 
présent  conseiller  du  roy  et  trésorier  de  France  en  la  pro- 
vince de  Champagne,  homme  qu'il  asseuroit  très  capable 
et  suffisant  pour  continuer   et  fidèlement  exercer  ledict 

1.  Voy.  p.  6. 

2.  «  Icelluy  de  Vigny,  à  présent  receveur,  estant  entré  en  charge, 
aiiroit  trouvé  sondict  offre  si  plein  d'afTaires  et  de  difflcultez,  à  cause 
des  guerres,  retardement  et  defTaut  des  assignations  et  des  rentes  de  la- 
dicte  Ville,  que,  pensant  par  travail  et  bonne  dilligence  advancer  les 
deniers  de  sadicte  charge,  il  estott  naguère  tombé  en  une  extrême  et 
longue  maladie,  n  Reo.  H,  1788,  f»  27. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU  ROI  95 

office...  »  L'offre  de  la  démission  de  François  de  Vigny  fils 
provoqua  des  incidents  orageux  à  l'Hôtel  de  Ville.  Dans 
une  assemblée  du  Grand  bureau  *  tenue  le  20  septembre,  le 
prévôt  des  marchands  dit  qu'on  avait  relevé  sur  les  re- 
gistres les  formes  suivies  antérieurement  pour  les  résigna- 
tions de  l'office  de  receveur  de  la  Ville  et  promit  qu'elles 
seraient  religieusement  observées.  Le  chef  de  la  munici- 
palité «  entendoit  faire  et  continuer  de  bons  registres  et 
recueillir  les  vœux  d'un  chascun  pour  lever  les  sinistres 
oppinions  qui  ont  quelquefois  couru  que  ès-assemblées  de 
la  Ville  on  ne  faisoit  jamais  de  résolutions,  et  que  chascun 
se  levoit  après  le  rapport  de  son  oppinion  sans  rien 
arrester  ».  On  donna  lecture  du  passage  des  registres 
concernant  la  résignation  du  receveur  Macé,  et  la  délibé- 
ration fut  ouverte.  Le  procureur  du  roi  et  de  la  Ville  fit 
l'historique  des  résignations  d'offices  municipaux  et  parti- 
culièrement de  l'office  du  receveur.  Sa  conclusion  fut  que 
«  de  tout  temps  et  ancienneté  messieurs  les  conseillers  de 
ladicte  Ville  résignoient  leurs  offices  en  faveur  et  au  pro- 
fict  des  personnes  capables  qu'ilz  vouUoient  présenter  ». 
D'après  l'orateur,  c'est  en  1558  qu'il  avait  été  décidé 
<(  qu'on  ne  feroit  plus  à  l'advenir  de  difficultés  de  recevoir 
les  procurations  en  faveur  de  père  à  filz,  d'oncle  à  neveu 
et  de  frère  à  frère  »  *.  De  1555  jusqu'au  moment  où  il 


1.  Ce  qui  parait  caractériser  les  séances  du  grand  bureau  de  la  Ville, 
c'est  la  présence  des  conseillers  de  ville.  Ces  derniers,  au  contraire,  n'assis- 
taient pas  aux  réunions  du  petit  bureau, 

2.  Nous  avons  cité  des  exemples  de  résignations  de  parents  à  parents, 
bien  antérieures  à  1558,  par  exemple  une  résignation  de  Louis  de  Harlay, 
conseiller  de  ville,  en  faveur  de  son  fils.  Elle  remonte  au  16  août  1532,  mais 
l'usage  était  beaucoup  plus  ancien,  car  les  premiers  registres  nous  ont 
révélé  des  résignations  de  frère  à  frère,  par  exemple  celle  qui  fut  faite  le 
6  novembre  1501,  par  Nicolas  Potier,  greffler  de  la  Ville,  en  faveur  de 
Denis  Potier.  (Voy.  notre  Hist,  7nunic.,  p.  296  et  391.)  Quant  à  l'usage  des 
résignations  en  faveur  de  tiers  non  parents  des  titulaires,  il  était  déjà  en 
vigueur  en  1536,  ainsi  que  nous  l'avons  prouvé  par  de  nombreux  exemples. 
(Bist.  munie,  p.  392  et  suiv.)  Seulement  le  bureau  de  la  Ville  maintenait 
toujours  son  droit  de  contrôle.  Ibid,^  p.  465. 


96  PARIS  ET  LÀ  LIGUE 

parlait,  Toffice  de  greffier  de  la  Ville  était  resté  dans  la 
famille  des  Bachelier,  de  père  en  fils  ^  Les  résignations 
in  favorem  s'appliquaient  aussi  à  Toffice  de  procureur  du 
roi  et  de  la  Ville  *,  moyennant  certaines  conditions  qui 
n'avaient  pour  objet  que  le  respect  apparent  du  droit  de 
contrôle  appartenant  en  principe  au  bureau  de  la  Ville. 
En  ce  qui  concernait  spécialement  l'office  de  receveur  de 
la  Ville,  personne  n'ignorait  que  Philippe  Macé,  en  1556, 
avait  été  autorisé  par  une  assemblée  générale  à  se  dé- 
mettre de  sa  charge,  qu'il  exerçait  depuis  cinquante  ans, 
en  faveur  de  François  de  Vigny,  son  auxiliaire  et  son  bras 
droit  depuis  vingt-huit  ans  '.  Le  procureur  du  roi  et  de 
la  Ville  proposait  donc  d'admettre  Petremol  conmie  succes- 
seur de  Vigny  fils.  Mais,  en  présence  d'une  opposition  assez 
vive,  aucune  résolution  ne  fut  prise  immédiatement  et 
une  assemblée  générale  fut  indiquée  «  pour  Taprës 
disnée  ».  A  côté  des  membres  du  corps  de  Ville  et  des 
délégués  des  cours  souveraines,  trente  notables  se  rendi- 
rent à  la  convocation.  L'assemblée  s'ouvrit  par  une 
harangue  du  prévôt,  qui  posa  la  question  de  savoir  si  la 
réunion  était  compétente  pour  recevoir  la  résignation. 
Cette  question  préalable  étant  résolue  affirmativement  *, 

1.  Nous  avons  noté  cette  particularité  que  Regnault  Bachelier,  sous 
Henri  II,  avait  fait  admettre  la  transmission  de  son  office  de  greffier  à  son 
fils  dans  une  assemblée  générale  du  16  août,  après  l'élection  du  prévôt  des 
marchands  et  de  deux  échevins.  Ibid.,  p.  466. 

2.  Ibid.,  p.  465  et  535  à  la  note. 

3.  Ibid.,  p.  466,  et  Rkg.  H,  1183,  fo  178  &  180.  En  1499,  nous  trouvons 
Jean  Hesselin,  exerçant  en  commun  avec  son  père  Denis  Uesselin,  et  avec 
survivance,  la  charge  de  receveur  de  la  ville.  Voy.  Leroux  de  Limgy, 
Histoire  de  VHôtel  de  Ville  de  Paris,  i^  partie,  p.  183. 

4.  Les  motifs  donnés  à  Pappui  de  cette  décision  portaient  «  que  Ton  ne 
de  voit  appeler  MM.  des  Courts  souveraines  ny  aultres  corps,  collèges, 
chapitres,  ne  communaultez  de  ladicte  ville,  d'aultant  que,  es  assemblées 
qui  ont  esté  faictes  de  tout  temps  et  ancienneté  pour  pareilles  causes  et  pour 
les  ellections  ou  résignations  des  offices  de  ladicte  Ville,  les  corps  n'y  ont 
esté  appelez;  et  partant  que  Ton  doibt  passer  oultre.  »  Rkg.  H,  1788,  P>  33. 
Les  assemblées  qui  recevaient  les  résignations  d'offices  municipaux 
n'étaient  pas,  en  effet,  des  assemblées  générales  proprement  dites,  aux- 
quelles étaient  convoqués  les  délégués  des  cours  souveraines,  des  cha- 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  97 

on  manda  de  Vigny  «  pour  estrc  oy  et  l'exorler  par  tous 
moyens  à  demeurer  en  sondîct  office  de  receveur,  et  Juy 
donner  toutes  les  seurettez,  tant  de  sa  personne  que  de  ses 
biens,  que  besoing  sera,  d'aultant  que  la  principalle  cause 
de  la  résignation  dudit  de  Vigny  semble  procedder  des 
insolences,  menaces,  scandalles  et  outrages  qu'on  luy  faict 
ordinairement  en  sa  maison  ».  Mais  de  Vigny  resta  sourd 
à  ces  exhortations  et  insensible  à  ces  promesses.  Invo- 
quant son  état  de  santé,  il  pria  l'assemblée  avec  insistance 
d'accepter  sa  résignation  en  faveur  de  Petremol.  Ce  der- 
nier finit  par  être  agréé,  sans  enthousiasme  et  à  condition 
qu'il  n'entrerait  en  fonction  qu'au  i"  janvier  1577.  De 
Vigny  protesta  encore  contre  cette  dernière  condition  et 
réussit  à  faire  mettre  Petremol  «  en  possession  et  saisine 
de  l'office  de  receveur  »  à  dater  du  1*'  juillet  écoulé.  Les 
quartiers  de  rente  échus  le  1"  juillet  devaient  seulement 
èlre  payés  par  le  receveur  démissionnaire.  Mais  un  sem- 
blable arrangement  souleva  de  violentes  récriminations. 
Les  registres  constatent  qu'  «  aulcuns  citoiens,  marchands 
bourgeois  de  cesto  ville  »  ont  protesté  contre  la  nomination 
de  Petremol  et  fait  des  molestes  et  inthimidations  au 
prévôt  des  marchands,  à  tel  point  que  le  malheureux  ma- 
gistrat donna  sa  démission,  rendit  les  sceaux  et  somma 
messieurs  de  la  Ville  de  procéder  à  une  nouvelle  élection. 
Le  9  octobre,  M.  Mesmin,  secrétaire  du  roi  et  l'un  des  éche- 
vins,  alla  communiquer  ces  incidents  au  souverain,  sur 
Tordre  verbal  du  Bureau  de  la  Ville.  Henri  III  n'est  pas 
4'îmu  et  se  borne  à  répondre  «  que  sa  volonté  est  que, 
nonobstant  ladicte  ellection ,  encores  pour  ung  temps  le 
dict  de  Vigny  continue  sa  charge,  jusques  autrement  et 

pitres  et  des  corporations.  Cétait,  en  général,  le  bureau  de  la  Ville  (prévôt, 
échevins  et  conseillers  de  Ville]  qui  recevait  les  résignations.  Pour  les 
cessions  de  la  charge  de  procureur  du  roi  et  de  la  Ville,  on  appelait  aussi 
les  bourgeois  notables,  deux  par  quartier  (voy.  Hist,  mun.^  p.  465),  et  quel- 
quefois les  quartiniers.  {Ibid.^  p.  393.) 

ROBIQCET.  7 


98  PARIS  ET  LA  LIGUE 

plus  avant  il  en  ay  ordonné  ».  Il  prescrit  en  même  temps 
au  prévôt  des  marchands  de  conserver  sa  charge  et  de 
«  faire  le  deu  de  son  magistrat  *  ».  Ainsi  se  termina  cette 
affaire  de  la  démission  de  M.  de  Vigny,  qui  était  beaucoup 
plus  grave  qu'on  ne  pourrait  le  croire  à  première  vue, 
parce  qu'elle  avait  révélé  au  public  la  déplorable  situation 
des  finances  municipales  et  fait  craindre  aux  bons  citoyens 
rinvasion  des  spéculateurs  et  des  intrigants  dans  le  manie- 
ment des  deniers  de  la  Ville  ou  plutôt  de  l'argent  des 
rentes  -. 

Ce  n'était  pas  seulement  le  receveur  de  la  Ville  qui  était 
effrayé  des  conséquences  de  sa  responsabilité  pécuniaire. 
Le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins  avaient  aussi  à 
se  défendre  non  seulement  contre  la  dureté  des  ordres  du 
roi,  contre  les  récriminations  des  rentiers,  mais  aussi 
contre  l'inquisition  méticuleuse  de  la  Chambre  des  comptes. 
Le  26  février  1577,  le  Bureau  de  la  Ville  s'assembla 
«  pour  adviser  sur  la  poursuitte  qui  se  faict  en  la  Chambre 
des  comptes  allencontre  de  M.  de  Louans,  conseiller  du 
roy  en  son  privé  conseil  et  maistre  des  requestes  ordi- 
naire de  son  hostel,  cy-devant  et  naguères  prévost  des 
marchands,  de  Bragelongne,  Danfes,  Le  Jay  et  de  la 
Barre  ^,  aussy  ci-devant  et  naguères  eschevins  d'icelle 
ville,  pour  raison  de  la  représentation  des  premiers  rooUes 
faictz  pour   la   levée    de   cinquante   mil   livres   tournois 

1.  Reo.  h,  1788,  f«  36.  Les  lettres  royales  ordonDanl  &  de  Vigny  de 
rester  en  charge  sont  datées  du  24  octobre  1576. 

2.  Petremol  avait  une  assez  mauvaise  réputation.  Il  avait  acheté  TofOce 
de  receveur  municipal  au  prix  de  30,000  livres,  somme  considérable  pour 
l'époque,  et  «  chacun  pensa  incontinent  qu'il  ne  lavoit  si  chèrement 
achetée  que  pour  en  tirer  quelque  grand  prou  fit,  au  dommage  et  préjudice 
du  pauvre  .peuple  ».  (L'EsTOiLE,  t.  I,  p.  159.)  Le  chroniqueur  ajoute  qu'à 
propos  de  la  vente  faite  par  de  Vigny  de  son  office  de  receveur,  «  le  prési- 
dent Nicolaï  et  le  président  Saint-Mesmin,  lors  prévost  des  marchans  (tous 
deux  présidens  des  comptes  et  de  bien  près  alliés),  entrèrent,  en  pleine 
assemblée  de  Ville,  en  grande  contention  et  hautes  paroles  d'argus,  sous- 
tenant  l'un  deux  le  parti  de  Tun,  et  l'autre  le  parti  de  l'autre.  » 

3.  Jacques  Perdrier,  sieur  de  la  Barre,  secrétaire  du  roi. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  99 

accordez  au  roy  pour  les  fraiz  de  son  voyage  en  Pologne  *  ». 
Voici,  en  termes  plus  clairs,  ce  qui  donnait  lieu  au  procès. 
Pour  recouvrer  la  somme  votée  par  rassemblée  générale 
du  6  août  1573,  des  rôles  avaient  été  dressés  par  les  soins 
de  la  municipalité  avec  indication  de  la  cotisation  due 
par  chaque  contribuable;  mais,  par  suite  des  réclama- 
tions des  princes,  princesses  et  de  tous  les  officiers  du 
roi  ou  des  reines  qui  se  prétendaient  dispensés  de  Timpôt, 
on  s'aperçut  que  les  retranchements  opérés  sur  les  rôles 
correspondraient  à  un  bon  tiers  de  la  somme  à  lever.  Une 
nouvelle  assemblée  du  Bureau  avait  donc  eu  lieu  le 
26  novembre  1573,  et,  aux  termes  de  la  délibération  qui 
fut  prise,  on  refit  les  rôles,  en  portant  le  taux  des  cotisa- 
tions de  20  à  30  livres.  Quant  aux  rôles  primitifs,  les 
magistrats  municipaux  ne  se  préoccupèrent  pas  d'en 
assurer  la  conservation;  mais,  lorsque  la  Chambre  des 
comptes  examina  les  relevés  de  la  perception  des  cotisa- 
tions de  1573,  elle  enjoignit  aux  magistrats  que  nous  avons 
nommés  et  qui  étaient  sortis  de  charge,  de  représenter  les 
rôles  primitifs,  sous  peine  de  500  livres  d'amende.  Cette 
première  condamnation  fut  exécutée  et  le  produit,  versé 
entre  les  mains  du  trésorier  du  roi,  servit  «  au  payement 
de  Pierre  Simon,  mercier  ».  Ce  n'était  pas  fini  :  la  Chambre 
des  comptes  revint  à  la  charge  et  adressa  à  Tex-prévôt,  Le 
Charron,  et  aux  anciens  échevins  ses  collègues,  une  seconde 
sommation  d'avoir  à  représenter  les  rôles  dans  un  délai  de 
quinze  jours,  sous  peine  de  subir  une  nouvelle  amende 
de  2000  livres  parisis  qui  recevrait  la  même  affectation  que 
la    première   amende   de   500    livres.    Ainsi   persécutés, 


1.  Rbg.  h,  1788,  f«  55.  Nous  avons  parlé  ailleurs  de  rassemblée  générale 
du  6  août  1573,  dans  laquelle  les  représentants  des  contribuables  parisiens 
avaient  voté  150,000  livres  destinées  aux  frais  de  voyage  du  roi  de  Pologne, 
et  nous  avons  signalé  la  décision  municipale  du  4  septembre  de  la  même 
année,  fixant  le  mode  de  répartition  de  la  taxe  mise  sur  les  bourgeois, 
manans  et  babitans  de  la  ville.  Voy.  Hist.  mun.,  p.  647  et  la  note  2. 


100  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Le  Charron  et  les  quatre  autres  inculpés  se  bornèrent  à 
répondre  qu'ils  ne  savaient  pas  ce  qu'étaient  devenus  les 
rôles,  «  qu'ils  pourr oient  bien  avoir  esté  brûlez  et  rompus, 
comme  ilz  le  debvoient  estre  selon  la  coustume  et  statuz 
de  ladicte  ville  ».  Au  surplus,  les  inculpés  déclinaient  for- 
mellement la  compétence  de  la  Chambre  des  comptes  et 
«  soutenoient  qu'ilz  n'avoient  à  rendre  compte  de  leurs 
actions  ès-dictes  charges  et  ce  qui  en  deppend  que  au  roy 
ou  par  devant  MM.  de  la  Grande  chambre  de  la  Court  de 
Parlement  ».  L'assemblée  du  Bureau  décida  que  Le  Charron 
et  les  anciens  échevins  feraient  appel  devant  le  Parlement 
de  l'arrêt  de  la  Chambre  des  comptes,  et  que  «  ladicte  ville 
seroit  joincte  avec  lesdictz  sieurs  anciens  prévost  des  mar- 
chans  et  eschevins  appelans,  pour  avec  eulx  soustenir 
ledict  appel  ». 

Les  sommes  assez  considérables  que  le  roi  avait  obtenues 
des  corps  municipaux  ou  tirées  de  la  vente  des  offices 
avaient  été,  en  partie,  consacrées  à  la  reprise  de  la  guerre 
civile.  Des  deux  corps  organisés  par  la  cour,  l'un  avait 
été  placé  sous  les  ordres  du  duc  de  Mayenne,  ayant  son 
quartier  général  à  Saintes  ;  l'autre  sous  les  ordres  du  duc 
d'Anjou,  qui,  dirigé  par  les  ducs  de  Guise,  d'Aumale  et 
de  Ncvers,  alla  mettre  le  siège  devant  La  Charité,  qu'occu- 
paient les  huguenots.  La  place  capitula  le  2  mai  \  et,  malgré 
les  articles  de  la  capitulation,  «  fut  la  ville  pour  la  plupart 
pillée,  dit  l'Estoile,  et  plusieurs  des  habitans  tués,  ne 
pouvant  Monsieur  ni  les  autres  seigneurs  estans  avec  lui, 
retenir  les  soldats  animés  au  sang  et  au  butin  ».  Trouvant 
qu'il  avait  acquis  assez  de  gloire.  Monsieur  laissa  le  com- 
mandement de  l'armée  au  duc  de  Nevcrs  et  alla  recevoir 


1'  Voy.  le  Discours  du  siège  tenu  devant  La  Charité^  ensefnble  de  la  prise 
par  Monsieur,  frère  du  roy.  Avec  le  nombre  des  morts  tant  d'une  part  que 
d'autre.  Paris,  J.  de  Lastre,  1577,  in-8o.  Pièce.  Bibl.  Nat.,  Lb  3*. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  101 

les  compliments  du  roi  et  de  la  cour,  qui  se  trouvaient 
alors  à  Blois.  Il  y  eut  un  banquet  magnifique,  donné  par 
Henri  III,  le  15  mai,  au  Plessis-les-Tours  :  les  costumes 
des  dames  étaient  des  habits  d'homme  en  soie  verte,  et, 
si  Ton  en  croit  la  chronique,  les  tailleurs  parisiens  y  gagnè- 
rent plus  de  soixante  mille  livres.  Puis  Catherine  donna 
un  autre  banquet  à  Chenonceau,  et  cette  seconde  fête 
revint,  «  à  ce  qu'on  disoit,  à  plus  de  cent  mil  francs,  qu'on 
leva  comme  par  forme  d'emprunt  sur  les  plus  aisés  servi- 
teurs du  roy,  et  mesmes  de  quelques  Italiens  qui  s'en 
sçeurent  bien  rembourser  au  double.  En  ce  beau  banquet, 
les  dames  les  plus  belles  et  honnestes  de  la  cour,  estant  à 
moictié  nues  et  aiant  leurs  cheveux  espars  comme 
espousées,  furent  employées  à  faire  le  service.  »  Ainsi 
s'égayaient  Catherine  et  ses  fils.  Pour  payer  l'armée  de 
Monsieur  qui  était  descendue  en  Auvergne,  on  lui  donna 
Issoire  à  piller,  bien  que  les  assiégés,  qui  avaient  fait  une 
héroïque  résistance,  s'en  fussent  remis  à  la  miséricorde  du 
duc  d'Anjou  K  Tandis  que  Monsieur  faisait  succéder  les 
spectacles  sanglants  aux  spectacles  voluptueux,  le  duc  de 
Mayenne  menait  la  campagne  contre  le  prince  de  Condé  et 
les  Rochelois  et  prenait  Brouage  le  16  août.  Enfin,  conune 
pour  achever  la  déroute  de  ses  alliés,  le  maréchal  de 
Damville,  le  chef  des  politiques,  avait  cédé  aux  séductions 
de  sa  femme  qui  revenait  de  Blois  avec  les  plus  brillantes 
promesses  de  la  cour.  Il  s'était  placé  à  la  tète  d'une  armée 
royale,  de  concert  avec  le  maréchal  de  Bellegarde,  son 
ami  et  son  surveillant  secret,  et  avait  mis  le  siège  devant 
Montpellier. 
C'est  dans    ces   circonstances   et   au    moment  où   les 

i.  De  Tiiou,  vu,  p.  502.  L'Ëstoile,  après  avoir  cherché  à  excuser  la 
cruauté  des  soldats  catholiques  en  rappelant  tous  ceux  des  leurs  qu'ils 
avaient  perdus  pendant  le  siège  d'Issoire,  ajoute  :  «  Et  fut  monsieur  et  les 
seingneurs  de  sa  compagnie  assés  empeschés  à  sauver  l'honneur  des 
femmes  et  des  flUea.  »  (T.  I,  p.  190.) 


102  PARIS  ET  LA  LIGUE 

affaires  du  parti  catholique  semblaient  justifier  le  mot  des 
protestants,  qui  appelaient  Tannée  1577  ^  «  Tannée  des 
mauvaises  nouvelles  »  ;  —  c'est  dans  ces  circonstances  que 
la  paix  fut  signé  à  Bergerac  le  17  septembre.  Les  protes- 
tants gardaient  pour  huit  ans  leurs  places  de  sûreté,  le  roi 
payant  une  partie  de  la  solde  de  leurs  garnisons  ;  les  pro- 
testants recevaient  un  certain  nombre  de  sièges  dans  les 
chambres  des  parlements  ;  enfin  la  plupart  des  conditions 
de  la  paix  de  Monsieur  étaient  confirmées,  avec  une  addi- 
tion habile.  Henri  III,  par  une  clause  spéciale,  cassait  et 
annulait  toutes  les  ligues,  associations  ou  confréries,  faites 
ou  à  faire,  sous  quelque  prétexte  que  ce  fût.  Le  coup  attei- 
gnait non  seulement  les  ligues  protestantes  avec  les  catho- 
liques, mais  encore  et  surtout  la  grande  Ligue  catholique 
et  les  Guises^  ses  chefs.  Des  documents  contemporains 
on  peut  conclure  que  le  roi  de  Navarre,  Condé  et  les 
Rochelois  accueillirent  la  paix  avec  une  satisfaction  sin- 
cère ';  tandis  le  peuple  et  spécialement  le  peuple  parisien, 
travaillé  par  les  agents  ligueurs,  ne  fit  preuve  d'aucun 
enthousiasme.  Le  8  octobre  1577,  le  cardinal  de  Bourbon, 
gouverneur  de  Paris,  en  présence  de  MM.  d'Escars  et  de 
La  Mothe-Fénelon,  députés  par  Henri  III  pour  faire 
vérifier  Tédit  de  pacification  par  le  Parlement,  annonce  au 
prévôt  des  marchands  et  aux  échevins  que  le  désir  du  roi 
est  qu'on  fasse  «  toutes  les  allégresses  publicques,  comme 
feuz  et  autres  démonstrations  et  actes  extérieurs  de  joye, 
et  que,  pour  cest  effect,  lesdicts  députez  yront  vers  lès 
quatre  heures  du  soir  au  Bureau  de  ladicte  Ville  '  ».  Les 
magistrats  municipaux  protestèrent  de  leur  obéissance  aux 
ordres  du  roi  et  commandèrent  un  Te  Deum  au  curé  de 


1.  L'EsTOiLB,  t.  1,  p.  191.  Henri  III,  par  contre,  avait   baptisé  Cheoon- 
ceau  le  château  des  BonnesSouvelles , 

2.  De  Thou,  t.  Vil,  p.  530. 

3.  Rbo.  h,  1788,  f»  158. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  103 

Saint-Jehan  en  Grève.  Il  fut  aussi  «  ordonné  au  capitaine  et 
maistrc  de  l'artillerie  de  la  Ville  de  tenir  Tartilleric  preste, 
lorsque  Ton  mettroit  le  feu  à  celluy  que  le  concierge  de  la 
Ville  fut  chargé  de  dresser  devant  la  grande  porte  de 
l'hostel  de  ladicte  ville  *  ».  Après  le  Te  Deum,  la  munici- 
palité offrit  une  collation  à  MM.  d'Escars  et  de  la  Mothe- 
Fénelon.  L'Est oile  parle  «  du  feu  d'allégresse,  avec  force 
canonnades  »,  mais  il  ajoute  que  «  le  peuple  en  fist  fort 
peu  de  compte  et  moins  signe  de  joie.  Le  frère  Maurice 
Poucet,  prêchant  à  Saint-Sulpice,  disait  hautement  :  «  Tédit 
et  ceux  qui  l'ont  fait  et  les  conseillers  d'icclui,  tout 
n'en  vault  rien  *  ». 

L'édit  de  Bergerac,  que  le  roi  appelait  «  mon  édit  »,  par 
opposition  à  la  paix  de  Monsieur,  clôt  la  première  étape  du 
nouveau  règne  et  impose  une  courte  trêve  à  la  mêlée  des 
factions.  Les  masques  vont  bientôt  tomber,  et  la  scission 
c?ntrc  les  Guises  et  Henri  III  deviendra  de  plus  en  plus 
profonde.  Il  faudra  que  le  corps  de  Ville  parisien  prenne 
parti.  Aux  États  généraux  de  Blois,  il  a  déjà  manifesté  ses 
prédilections  ligueuses,  sans  se  départir  toutefois  d'une 
soumission  respectueuse  aux  ordres  du  monarque.  L'Hôtel 
de  Ville  est  déjà  suspect  :  l'intervention  du  monarque  et 

i.  Rbo.  h,  1788,  Î9  158.  Voir  Hist,  munie,  p.  535,  sur  le  cérémonial 
observé  pour  la  publication  de  la  paix  signée  le  11  avril  1564  entre  Char- 
les IX  et  la  reine  Elisabeth  d'Angleterre.  Le  feu  allumé  sur  la  place  de 
Grève  était  une  des  parties  du  programme  des  réjouissances.  Tl  ne  faut 
pas  confondre  cet  usage  avec  celui  d'allumer  un  feu  au  même  endroit  la 
veille  du  jour  de  la  Saint-Jean  ;  mais  on  avait  l'habitude  de  tirer  les  canons 
de  la  Ville  et  de  faire  des  feux  de  joie  en  Grève,  et  même  dans  les  diffé- 
rents quartiers  de  Paris,  chaque  fois  qu'il  survenait  un  événement  heu- 
reux pour  la  famille  royale  ou  pour  la  France.  Voy.  p.  432  et  la  note.  Ibid. 

2.  «  Voilà,  de  mot  pour  mot,  dit  l'Estoile,  1. 1,  p.  219,  le  plaisant  dialogue 
qu'en  flst  nostre  M.  Poncet  en  sa  chaire  et  le  peu  de  contentement  que 
messieurs  de  l'Eglise,  aussi  mal  conseillés  que  le  peuple  estoit  sot,  avoient 
de  ceste  paix...  »  On  peut  consulter  sur  le  frère  Poncet  le  livre  de  Ch.  La- 
BfrTB  :  De  la  démocratie  chez  les  prédicatew^s  de  la  Ligue.  Paris,  1841,  1  vol. 
in-8o,  p.  23.  C'était  un  bénédictin  de  Melun  qui  devint  curé  de  Saint-Pierre 
des  Arcis,  homme  vertueux  au  rapport  de  Félibien  {Hist.  de  Paris ,  t.  11, 
p.  1148),  bon  théologien  d'après  de  Thou,  et  «  vieil  fol  »  d'après  Henri  III. 
11  a  joué  un  certain  rôle  dans  l'histoire  de  la  Ligue,  et  nous  en  reparlerons. 


404  PARIS   ET  LA  LIGUE 

de  Catherine  dans  les  élections  municipales  d*aoùt  1377  le 
prouve  suffisamment.  Le  16  août,  l'assemblée  générale  des 
électeurs  parisiens  s'était  réunie  à  l'Hôtel  de  Ville  pour 
nommer  deux  échevins,  en  remplacement  de  ceux  qui 
avaient  fait  leur  temps.  Mais  le  roi  avait  ordonné  Tenvoi 
du  scrutin  au  cardinal  de  Bourbon,  son  lieutenant  général 
à  Paris.  Conformément  à  cette  injonction,  les  scrutateurs 
portèrent  le  scrutin,  clos  et  fermé,  au  cardinal  «  estant  en 
son  abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés  m,  et  requirent  la 
confirmation  de  l'élection  suivant  les  ordonnances  et  privi- 
lèges de  la  Ville.  «  Lequel  sieur  cardinal,  disent  les  regis- 
tres, auroit  prins  et  receu  ledict  scrutin,  et  déclairé  à  icelle 
compaignie  qu'il  avoit  commandement  exprès  du  roy  de 
luy  envoyer  icelluy,  ce  qu'il  feroit  dès  aujourd'huy  ». 
Cependant  ce  ne  fut  pas  un  simple  agent  du  cardinal,  mais 
le  sieur  le  Conte,  quartinier  de  la  ville  et  l'un  des  scru- 
tateurs, qui  porta  le  scrutin  à  Poitiers,  où  se  trouvait 
Henri  lU.  Le  Conte,  après  avoir  rempli  sa  mission,  rap- 
porta une  lettre  du  roi,  datée  du  20  août,  dans  laquelle  le 
souverain  nommait  lui-mêtne  les  deux  échevins  nouveaux. 
<c  Nous  vous  dirons  que  nous  avons  esté  bien  aise  que  vous 
ayez  faict  ladicte  ellection  et  que,  suivant  nostre  inten- 
tion, vous  en  ayez  mis  le  scrutin  ès-mains  de  nostre  très 
cher  et  très  aimé  le  cardinal  de  Bourbon,  qui  le  nous  a 
envoyé;  et,  après  l'avoir  veu,  ?îous  avons  choisi  maistre 
Jehan  Boue  et  Loys  Abelly  pour  estre  et  demeurer  esche- 
vins,  au  lieu  des  deux  qui  sortent  de  service  *.  »  Une  lettn» 
de  Catherine,  datée  de  la  veille  19  août,  s'exprimait  à  peu 
près  dans  les  mêmes  termes.  Méditant  sans  doute  de  pro- 
chaines revanches,  la  Ville  se  soumit  en  silence  aux  injonc- 
tions royales.  Elle  manda  Jehan  Boue  et  Loys  Abelly  et 
leur  fit  prêter  le  serment  accoutumé. 

1.  Rbo.  h,  1788,  ^  i50. 


PARIS  ET  LE  NOUVEAU   ROI  105 

En  résumé,  au  moment  de  la  signature  de  la  paix  de 
Bergerac,  la  Ligue  subit  un  temps  d'arrêt  dans  son  déve- 
loppement occulte;  les  Etats  de  Blois  ont  été  une  déception 
pour  elle  et  pour  le  roi,  qui  lutte  misérablement  afin  de  so^ 
procurer  quelques  ressources.  La  Ville  de  Paris,  ligueuse 
au  fond,  entre  déjà  en  guerre  contre  un  monarque  dissipa- 
teur et  fantasque,  et  Tassiège  de  remontrances  qui  ressem- 
blent presque  à  des  menaces.  Â  ce  roi  qui  saisit  les  rentes 
do  la  Ville  et  plonge  la  main  chaque  jour  dans  la  caisse 
municipale  pour  alimenter  le  luxe  de  favoris  indignes,  peu 
s*en  faut  que  les  magistrats  municipaux  ne  répondent^ 
comme  Tauteur  de  la  France-Turquie  *  :  «  Nous  refusons^ 
de  fournir  aucuns  deniers  de  tailles  et  subsides,  pour  estre 
portez  au  lieu  où  ils  puissent  servir  de  cousteau  aux 
ministres  de  S.  M  pour  nous  coupper  la  gorge.  » 


1.  Libelle  huguenot  qui  parut  en  1575  à  Paris  et  fut  réimprimé  &  Orléans 
en  1516,  in-8«.  On  y  demandait  Temprisonnement  de  Catherine  de  Médlcis 
dans  un  couvent,  par  ce  motif  qu'elle  voulait  soumettre  la  France  au 
régime  politique  de  la  Turquie,  où  la  faveur  du  prince  dispose  de  la  vie, 
de  la  situation  et  des  biens  de  tous  les  sujets,  de  telle  sorte  que  personne 
n*est  grand  ou  noble  par  soi-même. 


CHAPITRE  II 


LA   RÉSURRECTION    DE    LA    LIGUE 

(Depuis  la  paix  de  Bergerac  jusqu'à  la  CoaTeotion  de  Nemours, 
17  septembre  1577  —  7  juillet  1585). 


La  paix  signée,  Henri  III  quitta  Poitiers  et  reprit  lente- 
ment le  chemin  de  la  capitale,  s'attardant  parmi  les  fleurs 
de  Touraine,  sur  les  bords  de  la  Loire  au  sable  d*or,  «  aveq 
la  trouppe  de  ses  jeunes  mignons,  fraisés  et  frizés  avec  les 
orestes  levées,  les  ratapenades  *■  en  leurs  testes,  un  main- 
tient fardé,  avec  l'ostentation  de  mesmes,  pignés,  diaprés 
et  pulvérizés  de  pouldres  violettes  et  senteurs  odorifé- 
rantes... »  La  cour  s'installe  tout  entière  à  Paris  le  dernier 
jour  d'octobre  1577  et  donne  aussitôt  le  spectacle  de  tous 
les  scandales.  C'est  un  bizarre  mélange,  une  succession 
brusque  de  galanteries,  de  meurtres  et  de  débauches. 
Quand  le  roi  va  au  bal  avec  les  princes  et  princesses  chez 
quelque  bourgeois  qui  n'a  pas  demandé  cet  honneur,  ils 
s'y  conduisent  comme  des  truands  dans  un  mauvais  lieu  *. 

1.  Ce  mot  dans  la  langue  de  l'Ebtoilb  doit  être  équivalent  k  perruques^ 
en  forme  de  chauve-souris,  car  ratepenade  veut  dire  chauve-souris  en 
provençal.  Voy.  Ducahgb,  v*  Ratapennador,  et  Rabblaxs  (HI,  155).  Le  mot 
ratepennage,  dans  le  sens  de  pemique,  est  plus  usité.  Voy.  La  Cdbab  de 
Sainte-Palayb.  Édit.  L.  Favre.  V*»  Ratepennage. 

2.  Voy.  le  compte  rendu  donné  par  l'Estoo^b  de  la  soirée  de  noces  de 
la  fllle  de  Claude  Marcel,  ancien  orfèvre  du  Pont-au-Change^  avec  le  sei- 
gneur de  Vicourt.  Le  roi  y  vint  avec  les  trois  reines  et  trente  dames  de 
la  cour,  masquées,  vêtues  de  drap  et  toile  d*argent,  couvertes  de  pierre- 
ries, u  Les  plus  sages  dames  et  demoiselles  durent  sortir  et  firent  sage- 
ment  Si  les  tapisseries  et  les  murailles  eussent  pu  parler,  elles  eussent 

dit  beaucoup  de  belles  choses.  «  I,  224. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LÀ  LIGUE  107 

Les  mascarades  de  la  cour  ne  sont  pas  moins  indécentes, 
■et  Tallégorie  des  foulons  peut  être  citée  à  titre  d'exemple  '. 
A  travers  tout  cela,  des  manifestations  extérieures  de 
dévotion  théâtrale,  des  fondations  de  couvents,  notam- 
ment ceux  de  Picpus  et  des  Hiérosolymites  ;  des  proces- 
sions de  pénitents.  Le  roi,  suivant  d'Aubigné,  «  entroit 
lui-même  dans  le  sac  deux  ou  trois  fois  la  sepmaine,  puis 
avec  les  courtisans  et  les  principaux  des  grosses  villes 
qu'il  rangeoit  à  sa  dévotion  partisanne,  emplissoyent  lés 
rues  de  Paris  *.  »  Toutes  ces  momeries  pouvaient  donner  le 
<!hange  à  quelques  moines  crédules  ou  gagnés.  Dom  Ber- 
nard, de  Tordre  des  Feuillants,  en  était  touché  jusqu'à  Tâme 
et  trouvait  que  le  Christ  revivait  dans  la  personne  du  roi, 
tellement  Henri  était  «  attaché  au  crucifix  ».  Quant  au 
jésuite  Auger,  confesseur  du  roi  depuis  1575  et  qui  avait 
eu  pour  précepteur  Loyola  lui-même,  il  écrivait,  en  parlant 
du  monarque,  «  qu'il  avoit  bien  tasté  le  pouls  de  ce  prince, 
profondé,  jaugé  et  manié  sa  conscience  :  et  pçirtant,  asseu- 
roit  publiquement  et  en  particulier  que  la  France  n' avoit 
-eu  de  longtemps  prince  tant  religieux  ».  Mais  le  robuste 
bon  sens  du  peuple  refusait  de  se  laisser  prendre  aux 
hypocrisies  royales,  et  les  partisans  des  Guises  dévoilaient 
publiquement  les  galanteries  scandaleuses  que  le  mo- 
narque dissimulait  sous  son  froc  '.  Destiné  à  subir  l'ascen- 
dant de  son  entourage,  Henri,  par  une  sorte  d'ombrageuse 
défiance,  avait  éloigné  de  lui  les  Guises  et  les  grands  sei- 
gneurs du  royaume  pour  s'entourer  de  favoris  obscurs 
qui  lui  devaient  tout.  Les  Villequier,  les  d'O  *  étaient  les 


1.  L'EsTOiLK,  1. 1,  223. 

2.  HUt,  univ,,  édit.  de  1626,  coL  968. 

3.  Voy.  notamment  dans  d*Aubigné  de  quelle  manière  Henri  III  quittait 
les  processions  pour  courir  aux  rendez-vous  galants  qu'il  donnait  aux 
femmes  des  pénitents.  Col.  970. 

4.  Voy.  sur  la  moralité  de  M.  d'O  et  celle  du  roi  Taventure  rapportée 
dans  la  Confession  de  Sancy,  chap.  vu.  —  Journal  des  choses  mémorables 
advenues  durant  le  règne  de  Henri  III^  t.  Il,  p.  167.  Personne  n'a  plus 


108  PARIS  ET   Lk  LIGUE 

plus  impopulaires,  à  cause  de  leur  insolence  et  de  leurs 
exactions.  Ce  Villequier  avait  tué  sa  femme  au  château  de 
Poitiers,  où  habitait  le  roi  en  septembre  1577,  et,  à  ce  que 
rapporte  le  journal  de  TEstoile,  «  Tyssue  et  la  facilité  de  la 
grâce  qu'en  obtinst  Villequier,  sans  aucune  difficulté, 
firent  croire  qu'il  y  avoît  en  ce  fait  un  secret  commande- 
ment ou  tacit  consentement  du  roy,  qui  hayoit  ceste 
dame....  »  parce  qu'elle  avait  exprimé  tout  haut  son  mé- 
pris pour  le  monarque.  Villequier  était  Tinitiateur  des 
mignons,  le  gardien  en  chef  de  la  troupe  fardée  des  jeunes 
honuues.  Henri  III  n'eut  pas  de  conseiller  plus  cynique,  la 
Ville  de  Paris  d'adversaire  plus  violent.  En  face  du  roi  et 
de  ses  favoris  se  dressaient  d'autres  coteries  aristocra- 
tiques :  Monsieur  et  ^s  spadassins,  les  Guises  et  leurs 
fidèles.  Et,  dans  l'atmosphère  capiteuse  de  la  cour  du 
dernier  Valois,  les  épées  brillent  et  se  croisent,  le  sang 
coule,  le  poison  se  distille,  sans  que  l'orgie  s'arrête  un 
jour.  L'énerycment  laisse  comme  un  trouble  dans  toutes 
les  intelligences.  Chacun  se  croit  menacé,  non  sans  cause; 
le  monarque,  pas  plus  que  ses  sujets,  n  est  à  l'abri  de  ces 
craintes  :  à  la  fin  de  novembre  1577,  on  renforce  la  garde 
ordinaire  de  Suisses  qui  se  tenait  à  la  porte  du  Louvre, 
et  l'on  mande  en  hâte  une  compagnie  du  régiment  fran- 
çais de  Beauvais-Nangis,  parce  que  le  prévôt  de  Paris,. 
Antoine  du  Prat,  avait  dénoncé  au  roi  une  prétendue  cons- 
piration du  baron  de  Viteaux  et  de  quelques  familiers  du 
duc  d'Anjou.  Le  fameux  Bussy  d'Amboise  et  Fervacques. 

énergiquement  que  d'Aubigné  raconté  et  flétri  les  mœurs  honteuses  de 
Henri  IIÏ  et  de  ses  favoris;  on  peut  même  croire  qu'il  en  a  un  peu  exagéré^ 
rinfamie.  Cependant,  le  grave  historien  de  Thou  s'exprime  sur  le  compte 
de  René  de  Villequier  et  de  François  d'O,  gendre  de  ce  dernier  et  surin- 
tendant des  finances,  dans  les  ternies  les  plus  indignés  :  « Ennemi  dé- 
claré des  honnêtes  gens,  débauché  à  l'excès,  fier  jusqu'à  être  devenu  ina- 
bordable et  médisant  de  profession,  il  n'avait  de  talent  que  pour  mener 
des  intrigues  de  coiir,  inventer  des  calomnies  atroces  contre  les  plui^ 
gens  de  bien  ou  pour  imaginer  de  nouveaux  impôts,  après  avoir  épuisé 
les  anciens  en  les  augmentant  sans  mesure.  •  De  Thou,  t.  VII,  p.  728. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  109 

durent  quitter  pour  quelque  temps  Paris  et  la  cour,  afin 
de  se  soustraire  aux  explosions  possibles  de  la  colère 
royale.  Nulle  sécurité  pour  personne,  pas  même  pour  les 
étrangers.  Le  30  novembre  1577,  à  neuf  heures  du  soir, 
Troïlus  Ursin,  grand  seigneur  romain,  est  tué  par  une 
main  mystérieuse.  Il  n'y  eut  aucune  poursuite,  car  une 
vengeance  privée  se  cachait  sous  ce  meurtre,  et  la  victime 
fut  enterrée  à  Notre-Dame,  dans  la  chapelle  des  Ursins. 
C'est  le  temps  des  assauts  sanglants  entre  les  mignons  du 
roi  et  ceux  du  duc  d'Anjou  ou  du  duc  de  Guise.  Il  suffit  de 
citer  la  bataille  avortée  de  Bussy  et  de  M.  de  Grammont 
(10  janvier  1578)  *;  et  le  fameux  duel  de  Caylus,  Maugiron 
et  Livarot,  mignons  du  roi,  contre  d'Entragues,  surnommé 
Antraguet,  Riberac  et  Schomberg,  favoris  du  duc  de  Guise 
(27  avril  1578).  Caylus,  Maugiron,  Riberac  et  Schomberg 
en  moururent,  le  premier  après  avoir  langui  trente-trois 
jours.  Le  roi  passa  des  journées  entières  à  son  chevet  et, 
quand  il  fut  mort,  garda  ses  blonds  cheveux.  De  superbes 
mausolées  furent  élevés  à  Caylus  et  Maugiron  dans  l'église 
Saint-Paul,  «  sérail  des  mignons  »,  et  Amadis  Jamin  con- 
sacra par  ordre  vingt-quatre  sonnets  à  la  mémoire  des 
favoris  du  roi;  le  troisième  était  Saint -Mesgrin,  tué,  le 
21  juillet  1578,  au  coin  de  la  rue  Saint-Honoré  par  les 
gens  du  duc  de  Guise,  dont  il  avait  séduit  la  femme.  On 
rapporte  que  le  duc  de  Mayenne  conduisait  lui-même  la 
troupe  des  assassins. 


1.  Voy.  L^ÈâTOiLR,  t.  I,  p..  230.  II  y  avait  trois  cents  gentilshommes  de 
chaque  côté.  l\  falhit  deux  maréchaux  de  France,  Montmorency  et  Ck)S8é, 
et  le  régiment  des  gardes  pour  arrêter  les  hostilités;  les  deux  rivaux 
furent  emprisonnés  au  Louvre,  et  on  les  força  de  se  réconcilier.  Le  1*'  fé- 
vrier 1518,  Caylus,  Saint-Luc,  d'O,  Darquea  et  Saint-Mesgrin  assaillirent 
Bussy  près  de  la  porte  Saint-Honoré.  Le  2  avril,  Souvray  pour  les  Guises 
et  la  Valette  pour  le  roi  faillirent  recommencer  une  bataille  rangée.  Le  14, 
nouvel  attentat  contre  Salcède.  Il  échappe,  mais  ses  deux  compagnons, 
MM.  de  Vey  et  de  Pauville,  sont  tués  tous  deux,  ainsi  que  deux  des  agres- 
seurs, gentilshommes  bretons  au  service  du  duc  de  Mercœur.  «  Tout 
estoil  permis  en  ce  temps,  conclut  TEsloile,  fors  bien  dire  et  bien  faire.  » 


no  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Ainsi  se  traduisaient  les  haines  des  grands;  les  escar- 
mouches d'avant-garde  préparaient  les  grands  chocs.  Paris 
devenait  le  rendez-vous  de  tous  les  aventuriers  du  monde,  et 
chaque  prince  s'entourait  d'une  véritable  armée  d'hommes 
de  main,  prêts  à  l'offensive  ou  à  la  défensive  *.  En 
février  4578,  le  duc  d'Anjou,  que  les  attentats  dirigés 
contre  Bussy  exaspéraient,  avait  pris  la  résolution  de 
quitter  Paris,  mais  le  roi,  informé  de  ses  desseins,  le 
retint  prisonnier  au  Louvre,  tandis  que  ses  principaux 
officiers  étaient  consignés  à  la  Bastille.  Il  y  eut  toutefois 
une  réconciliation  factice  entre  les  deux  frères,  et  Com- 
baud,  maître  d'hôtel  du  roi,  donna  un  festin  magnifique 
aux  favoris  de  Henri  III  et  de  Monsieur,  le  13  février.  Mais, 
le  lendemain,  le  duc  d'Anjou  franchit  les  murailles  de 
l'abbaye  de  Sainte-Geneviève,  où  il  était  allé  faire  collation, 
et  s'enfuit  à  Angers,  emmenant  tout  son  état-major  de 
gentilshommes  :  Bussy,  La  Chastre,  Chamvallon,  La  Roche- 
pot  et  une  foule  d'autres.  Il  fallut  que  la  pauvre  Catherine 
se  dévouât  encore  pour  aller  amadouer  le  fugitif  et  pré- 
venir le  scandale  d'une  nouvelle  guerre  fratricide.  Mais  le 
chroniqueur  rapporte  que  le  peuple  de  Paris  et  la  cour 
furent  «  merveilleusement  esbahis  et  scandalisez  de  ceste 
larronnesse  départie  ».  Les  favoris  du  duc  d'Anjou  partis, 
les  favoris  des  Guises  prirent  la  place  laissée  libre,  et  les 
duels  avaient  recommencé  de  plus  belle  avec  les  courti- 
sans du  roi.  C'est  le  27  avril  qu'avait  eu  lieu  le  grand 
combat  des  mignons,  resté  légendaire.  Pour  se  soustraire 
à  la  colère  et  aux  outrages  du  roi,  tous  les  Guises,  les 
ducs    de    Lorraine,  de  Guise,   de    Mayenne,  d'Aumale, 

1.  «  Plusieurs  des  plus  expers  au  hasard  des  armes  furent  envoyés  à 
Paris  pour  se  loger  ës-tavernes  et  au  plus  près  du  logis  dudit  seigneur 
(le  duc  d^Ânjou),  ainsi  qu'on  les  peut  accommoder,  pour,  si  d*aventure  il 
esloit  besoin  de  faire  service  audit  seigneur  pour  ayder  &  le  saulver  ou  à 
le  tirer  de  la  ville  de  Paris,  qu'ils  s'y  emploiassent  contre  la  personne  du 
roy  mesme,  s'il  y  eschéoit.  »  Mém.  de  Claude  Hator,  édit.  Bourquelot, 
t.  II,  p.  917. 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  Hi 

marquis  d'Elbœuf  et  le  nouveau  cardinal  de  Guise  quit« 
tèrcnt  Paris  le  10  mai.  Une  effroyable  anarchie  règne  dans 
les  provinces,  et  les  troupes  que  lève  le  duc  d'Anjou  pour 
sa  guerre  des  Pays-Bas  *  se  conduisent  comme  autrefois 
les  grandes  compagnies.  «  Soulz  le  nom  et  prétexte  d'aller 
en  Flandre,  tous  bannis,  vacabons,  volleurs,  meurtriers, 
renieurs  de  Dieu  et  de  vieilles  debtes,  remenans  de  guerre, 
reste  de  gibet,  massacreurs,  véroUez,  gens  mourans  de 
faim  se  meirent  aux  champs,  pour  aller  piller,  battre  et 
ruyner  les  hommes  des  villes  et  villages  qui  tombaient 
en  leurs  mains  es  lieux  où  ils  logeoient  et  par  les  chemins, 
sans  crainte  aulcune  '.  »  Ces  bandes  vinrent  jusqu'aux 
portes  de  Paris,  et  le  roi  dut  envoyer  contre  elles  plusieurs 
compagnies  de  ses  gardes  et  autorisa  les  habitants  à  leur 
courir  sus. 

La  capitale  elle-même  resta  à  moitié  préservée  de  tous 
ces  bandits,  dont  Claude  Haton  évalue  le  nombre  à  cin- 
quante mille;  mais  douze  mille  seulement  d'entre  eux 
franchirent  la  frontière,  les  États  généraux  des  Pays-Bas 
n'ayant  réclamé,  par  le  traité  d'Anvers  (13  août),  qu'un 
secours  de  dix  mille  hommes  de  pied  et  deux  mille  che- 
vaux. Paris  dut  sa  sécurité  relative  à  la  présence  du  roi 
et  aux  garnisons  qu'on  avait  placées  dans  la  banlieue.  On 
prit  néanmoins,  dans  l'intérieur  de  la  Ville,  quelques  me- 
sures de  police.  Un  mandement  municipal  du  15  avril  1578' 
prescrivait  aux  quartiniers  de  faire  recherche  des  vaga- 

i.  Depuis  la  paix  de  Bergerac,  le  duc  d'Anjou  avait  constamment  cherché 
&  se  constituer  un  royaume  aux  Pays-Bas,  tout  en  aspirant  &  la  main  de 
la  reine  Elisabeth  d'Angleterre.  Une  fois  libre  et  installé  à  Angers,  il 
avait  levé  des  troupes  et  traité  avec  les  États  généraux  des  provinces  ca- 
tholiques des  Pays-Bas.  Il  passa  la  frontière  vers  le  tO  juillet,  et,  le  15  août 
1578,  les  Etats  généraux  le  déclarèrent  défenseur  de  la  liberté  des  Pays- 
Bas. 

2.  Claude  Haton,  t.  II,  p.  937.  a  Les  chemins  de  Lyon  à  Paris,  de  Paris 
à  Rouen,  à  Orléans  et  d'aultre  costé,  en  Picardie  estoient  remplis  de 
telles  gens  et  souvent  faisoient  de  grands  volz  aux  portes  de  Paris.  » 

3.  Rbg.  h,  1788,  f^  178. 


112*  PARIS  ET   LA  LIGUE 

bonds.  Un  autre,  du  3  mai  \  enjoignit  aux  liôtçliers  et  aux 
logeurs  d'envoyer  chaque  jour  k  THôtel  de  Ville  la  décla- 
ration des  noms  et  qualités  de  leurs  locataires.  Un  troisième, 
<lu  10  octobre  *,  recommande  aux  quartiniers  de  faire 
fermer  soigneusement  les  portes  de  la  Ville  par  les  cin- 
quanteniers  et  dizainiers,  et  de  garder  les  clefs. 

Ce  qui  prouve  que  Paris  jouissait  d'un  calme  relatif, 
c'est  que  la  municipalité  s'occupait  régulièrement  des 
travaux  publics  et  traçait  au  roi  une  sorte  de  programnif» 
des  plus  urgents.  Dans  des  remontrances  en  date  du 
13  décembre  .1577,  le  Bureau  de  la  Ville  rappelait  à 
Henri  III  qu'il  y  a  de  fortes  réparations  à  faire  «  tant  aux 
portes,  fontaines,  pavez,  quaiz  de  la  Ville  de  Paris  que  aux 
pontz,  moulins,  pcrthuis,  avallaiges  '  de  basteaulxet  chaus- 
sées de  Chasteau-Thierry,  Corbeil,  Pont  Saincte-Maixance, 
Creil,  Précy..,.  »  Le  Bureau  ajoute  qu'il  a  fait  expertiser 
la  dépense  et  qu'elle  s'élève  à  la  somme  de  70,000  livres. 
On  prie  le  roi  «  de  donner  moyen  d'entretenir  et  réparer 
lesdictz  lieux  *  ».  En  même  temps,  la  Ville  appelle'l'atten- 


1.  Rbo.  ti,  1788,  f«  182. 

2.  /6id.,  f»205.  '    '    *    .• 

3.  Avalaige  signifie  penle  douce,  chemin  pour  descendre.  Il  s^agit  ici 
des  chemins  ménagés  sur  le  bord  de  la  ^eine  pour  ch&rger  et  décharger 
les  bateaux.  La  conduite  des  bateaux,  depuis  Mantes  jusqu'À  Auxerre,  était 
le  privilège  exclusif  de  la  Marchandise  de-Veau'h.  laquelle  la  municipalité 
avait  succédé.  Les  agents  de  ce  monopole  s'appelaient  les  avaleurs  de  nés, 
c*est-è-dire  mariniers  chargés  de  faire  descendre.  les  bateaux.  Il  est  déjà 
question  des  avaleurs  de  nés  dans  le  Recueil  des  sentences  du  parloir  aux 
bourgeois,  Voy.  Sentences  du  6  janvier  1303  et  du  5  décembre  1313,  rela- 
tives aux  maîtres  avaleurs  de  Tarche  de  Paris.  De  la  grande  ordonnance  de 
1415  il  résulte  qu'il  y  avait  à  Paris,  au  début  du  xv*  siècle,  deux  avaleun 
de  nés  qui  avaient  pris  le  nom  de  «  maistres  des  pons  de  la  Ville  ».  Dés 
1415,  on  trouve  des  maîtres  des  ponts  à  Poissy,  Mantes,  Vernon,  Pont-de- 
TArche,  Pontoise,  TIle-Adam,  Beaumont-sur-Oise,  Creil,  Sainte-Maxence, 
Corbeil  et  Compiègne.  Sur  plusieurs  points,  à  Melun,  À  Montereau-sur- 
Yonne,  etc.,  il  y  avait  aussi  des  chableurs,  préposés  au  chablage,  c'est-à- 
dire  à  la  manœuvre  des  coches  d*eau,  à  leur  passage  sous  les  ponts. 
Chahle  équivaut  à  cdble,  en  vieux  français.  Quelquefois,  on  donne  le  nom 
de  chables  à  certains  ports  ou  havres.  (Voir  Ord.^  t.  III,  p.  573.)  On  disait  : 
le  chable  de  Harfleu  (port  de  Harfleur). 

4.  Rec.  h,  1788,  f*  159. 


1 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  113 

tion  du  pruicc  sur  l'état  du  pont  Notre-Dame  *.  «  Les 
arches  du  pont  Notre-Dame,  les  cintres  et  voultes  d'icelluy 
se  trouvent  endommagées,  pliées  et  destournées,  du  faix 
et  pesanteur  de  vostre  artillerye  et  passaige  trop  fréquent 
des  charrois;  et,  par  la  grandeur  et  aomement  de  la 
Ville,  capitalle  de  vostre  royaume  et  commodité  de  voz 
subjectz,  il  est  nécessaire  de  Tenrichir  d'un  ou  deux  ponts, 
et  cependant  y  faire  dresser  plusieurs  bacqz  sur  la  rivière, 
aux  lieux  qui  seront  trouvez  commodes  poiu:  la  naviga- 
tion ».  En  réponse  à  cette  requête,  le  roi  écrivit  au  Bureau 
de  la  Ville,  le  27  décembre,  d'établir  quatre  grands  bacs, 
deux  en  amont  et  deux  en  aval,  pour  faire  passer  les  char- 
rettes qui  fatiguaient  le  pont  Notre-Dame.  Les  instructions 
royales  prescrivaient,  en  outre,  de  «  faire  les  chaussées  de 
chascun  costé  et  accommoder  les  chemins,  principalement 
depuis  la  carrière  Notre-Dame  des  Champs  jusques  aux  lieux 
où  seront  les  dictz  bacqz,  et  le  semblable  pour  la  carrière 
de  Vaugirard,  affin  que  les  chartiers  soient  accommodez 
et  n'ayent  aucune  occasion  de  prendre  leur  chemin  par  le 
dict  pont  Notre-Dame  ».  Quant  à  la  dépense,  le  roi  auto- 
risait la  Ville  «  à  s'aider  de  tous  deniers  d'octroy,  y  usant 
du  meilleur  mesnage  dont  vous  pourrez  adviser  ■  ». 

Le  Bureau  de  la 'Ville  n'avait  pas  d'ailleurs  attendu  ces 
ordres  du  roi  pour  prèpdro  des  dispositions  en  vue  du  paye- 
ment des  ouvriers  dont  le  concours  allait  être  nécessaire 
pour  exécuter  les  travaux  de  voirie.  Sur  la  requête  du  pro- 
cureur du  roi  et  de  la  Ville,  il  avait  été,  le  13  décembre  1577, 
«  ordonné  et  enjoinct  aux  maistres  des  œuvres  de  la  Ville, 
M.  Guillaume  Guillain  présent,  de  arrester  et  faire  apporter 
par  chacun  mois  au  Bureau  d'icelle  toutes  et  chacune  les 
parties  des  ouvriers  et  gens  de  mestier  qui  travailleront 

1.  Sur  le  pont  Notre-Dame,  voy.  la  Cité  par  M.  Jules  Cousin,  dans  la  Col- 
lection publiée  par  la  maison  Didot  sous  le  titre  de  Paris  à  travers  tes  â(;es. 
Voy.  aussi  Hist.  munie,  p.  2S7  et  la  note. 

2.  Reo.  h.,  1788,  f«  163. 

KOBIQUET.  8 


114  PARIS  ET  LA  LIGUE 

pour  la  Ville,  affin  de  les  vuîder  el  faire  promptement 
payer  *  ».  Pour  suffire  à  ces  dépenses,  il  fallait  de  l'argent; 
mais  aucun  des  débiteurs  de  la  Ville  ne  s'exécutait.  La  mu- 
nicipalité s'adresse  à  toutes  les  autorités  compétentes  et 
réclame  leur  intervention  bienveillante.  Au  roi  elle  demande 
d'ordonner  à  MM.  du  Conseil,  aux  intendants  des  finances, 
aux  syndics  et  députés  généraux  du  clergé  <(  que,  toutes 
affaires  cessans,  ilz  vacquent  respectivement  aux  rempla- 
cement et  non  valleurs  des  rentes  de  la  Ville,  et  cependant 
que  les  deffences  que  S.  M.  a  faictes  ausdictz  supplians 
de  ne  saisir  le  temporel  du  clergé  ou  poursuivre  le  receveur 
général  d'icelluy  soient  révocquées  et  levées  *  ».  A  la 
Chambre  des  comptes,  le  prévôt  des  marchands,  Nicolas 
Luillier,  remonstre  qu'une  partie  des  rentes  de  la  Ville  est 
constituée  sur  les  deniers  tant  ordinaires  qu'extraordinaires 
des  recettes  générales,  et  qu'au  su  de  tout  le  monde  les 
quartiers  dont  il  s'agit  ne  sont  pas  acquittés  par  les  recettes 
générales.  En  conséquence,  sachant  que  la  Chambre  des 
comptes  se  préparait  à  clore  plusieurs  comptes  des  recettes 
qui  constataient  le  payement  par  anticipation  de  créances 
autres  que  les  rentes  de  la  ville,  la  municipalité  prie  la 
Chambre  des  comptes  de  n'apurer  aucuns  des  états  déposés 
sur  son  bureau  et  de  n'allouer  aucun  don  sur  les  deniers 
des  recettes  générales,  avant  qu'il  ait  été  justifié  du  verse- 
ment des  sommes  dues  à  la  Ville  '. 

1.  Rbo.  h,  1788,  ^  161. 

2.  !bid.,  f^  159.  Par  la  même  occasion,  la  Ville  prie  le  roi  de  rembourser 
aux  capitaines  des  trois  compagnies  d'archers  «  les  fraiz  faictz  et  desbour- 
ser  en  achaptz  de  boys,  chandelles  et  autres  nécessitez  •  en  gardant  nuit 
et  Jour  le  chÂteau  du  Louvre  et  TArsenal.  Rappelons  à  ce  propos  que  c^est 
Charles  IX  qui,  en  février  1566,  avait  reconstitué  les  trois  compagnies 
d^archers  de  la  Ville,  autrefois  divisées  en  archers,  arbalétriers  et  hacque- 
batiers  (porteurs  de  mousquets).  Charles  IX  changea  le  mode  de  nomi- 
nation des  capitaines,  lieutenants  et  enseignes,  supprima  les  arcs  et  ar- 
balètes et  donna  des  arquebuses  aux  trois  compagnies.  Voy.  RecueU  des 

fartes  f  etc.,  arbaUttriers,  archers,  arquebusiers,  etc,  de  la  ville  de  Paris.,. 
r  M.  Hay,  1770,  in-fol. 

3.  Ibid.,  fo  161* 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  115 

A  côté  des  travaux  de  voirie  et  des  affaires  de  finances, 
la  Ville  et  le  roi  s'occupaient  encore  d'autres  soins.  Le  règle- 
ment du  28  janvier  1578  fournit  quelques  détails  précieux 
sur  les  mesures  d'ordre  public  auxquelles  donnaient  lieu 
les  fêtes  foraines  de  Paris.  Les  deux  principales  étaient  la 
foire  Saint-Germain  et  la  foire  Saint-Laurent.  Leur  origine 
semble  fort  ancienne,  puisque  la  première  est  mentionnée 
par  un  document  de  1176  et  la  seconde  par  un  document 
de  1344.  Quant  à  la  foire  Saint-Germain  des  Prés,  que  con- 
cerne exclusivement  le  règlement  de  1578,  elle  avait  subi 
une  éclipse  dans  la  première  moitié  du  xv^  siècle;  mais 
Louis  XI,  en  1482,  l'avait  ressuscitée,  en  permettant  aux 
religieux  de  Saint-Germain  de  tenir  une  nouvelle  foire  sur 
l'emplacement  des  jardins  du  roi  de  Navarre,  donnés  en 
1399  à  l'abbaye  par  Jean,  duc  de  Berry.  L'usage  devait  se 
maintenir  jusqu'en  1789  S  Henri  III,  à  la  date  du  28  janvier 
1578,  envoya  à  la  Ville  un  règlement  que  les  registres  repro- 
duisent sous  ce  titre  :  Mémoire  de  ce  que  le  roy  veult  estre 
faict  et  observé  durant  la  foire  de  St-Germain  des  Prez. 
Il  est  prescrit  à  la  municipalité  d'établir  quatre  personnes 
aux  faubourgs  de  la  Ville,  principalement  dans  ceux  qui 
sont  voisins  de  la  foire.  A  ces  quatre  personnes,  les  cinquan- 
teniers  et  dizainiers  feront  rapport  «  par  cliascun  jour  »  des 
personnes  de  quelque  qualité  qui  sont  arrivées  auxdits 
faubourgs  pour  y  loger,  «  afin  que  les  dictz  quatre  députtez 
en  advertissent  par  chascun  jour  lesdicts  presvost  des  mar- 
chans  et  eschevins  ».  Les  Iiôteliers  seront  assujettis  à  une 
surveillance  spéciale.  Sans  préjudice  du  clievalier  du  guet 
«  qui  fait  marcher  ses  gens  »  depuis  onze  heures  du  matin 


1.  II  y  a  lieu  de  présumer  que  la  foire  Saint-Germain  se  tenait  sur  rempla- 
cement actuel  du  marché  Saint-Germain.  On  peut  consulter  sur  la  foire 
Saint-Germain,  l'ouvrage  de  M.  Campardon  :  Les  spectacles  de  to /bire,  B^s, 
Berger-Levrault,  1877,  2  vol.  in-S»;  V Essai  sur  la  foire  Saint-GermaHÎ^i^T 
Léon  Roullaud,  1862.  La  foire  commençait,  en  général,  le  3  février. 


116  PARIS  ET  LA  LIGUE 

jusqu'au  soir  *,  et  des  cent  suisses  de  la  garde  du  roi  qui 
«  seront  députez  aux  quatre  portes  de  la  dicte  Halle  où  se 
tient  la  foire  »,  sans  parler  des  commissaires  •  et  des  ser- 
gents du  prévôt  de  Paris,  deux  intendants  de  police  de 
chaque  quartier  auront  à  faire  rapport  chaque  jour  des 
personnes  logées  dans  les  hôtelleries,  en  s'aidant  du  con- 
cours des  commissaires,  cinquanteniers  et  dizainiers.  Le 
règlement  leur  recommande  de  tenir  la  main  «  à  ce  qu'il 
ne  loge  aucune  personne  en  ladictc  ville  et  faulbourgs  que 
Sa  Majesté  n'en  soit  advertye  ».  Enfin  les  quartiniers 
furent  informés  le  1"  février  des  volontés  du  roi  et  mis  en 
demeure  d'exercer  une  surveillance  sur  les  locations  des 
chambres  garnies  et  hôtelleries  pour  en  faire  rapport  au 
souverain. 

Cette  année  1578  est  assez  vide,  au  point  de  vue  de  l'his- 
toire parisienne.  On  suit  de  loin  les  péripéties  de  la  guerre 


1.  L'institution  du  chevalier  du  guet  remonte  à  saint  Louis.  Il  dépendait 
du  Châtelet  de  Paris  et  avait  sous  ses  ordres  des  archers  à  pied  et  à 
cheval.  Ce  n'était  pas  un  emploi  méprisé.  En  1464,  Jehan  de  Harlay,  che- 
valier du  guet,  fut  nommé  échevin.  Tons  les  chevaliers  du  guet  portaient 
de  droit  Tordre  de  FEstoile,  institué  par  le  roi  Jehan  en  1351. 

2.  Les  commissaires  du  Châtelet  étaient  chargés  de  l'exécution  du  règle- 
ments de  police  pour  la  sûreté  de  la  Ville.  Un  arrêt  du  Parlement,  du 
12  décembre  1551,  fixait  les  circonscriptions  pour  la  résidence  des  com- 
missaires. Il  existe  plusieurs  règlements  sur  les  commissaires  au  Châ- 
telet. On  peut  citer  ceux  du  12  décembre  1551  (Coll.  Lamoionon,  t.  VII, 
p.  365)  et  du  21  novembre  1577  (tit.  A,  XX,  4,  7;  Coll.  La]ioig!<ion,  t.  IX, 
p.  79).  On  peut  lire  aussi  le  «  règlement  sur  le  fait  de  la  police,  contenant 
le  devoir  des  commissaires  du  Chastelet  de  Paris,  des  sergens  à  verge, 
des  quarteniers,  dizainiers  et  cinquanteniers  »,  en  date  du  22  décembre 
1541.  Voy.  FoîiTANON,  t.  I,  liv.  v,  p.  887;  Dksmazb  :  Le  Châtelet  de  Paris, 
p.  157.  Il  y  avait  alors  deux  commissaires  dans  chacun  des  seize  quar- 
tiers de  Paris.  Le  règlement  les  désigne  déjà  sous  le  nom  de  commissaires 
de  police.  (Voy.  l'art.  4.) 

Quant  aux  sergents  du  Châtelet,  leurs  fonctions  sont  réglementées  par 
l'ordonnance  de  1499,  art.  54  à  57.  (Voy.  FoirrANON,  t.  I,  fol.  224.)  Mais  il 
y  eut  ensuite  bien  d'autres  règlements.  Le  dernier,  par  rapport  à  la  pé- 
riode que  nous  étudions,  parait  être  celui  du  20  juillet  1546.  (Ck>!l.  Lamoi- 
GNOff,  t.  VI,  p.  490.)  Les  sergents  du  Châtelet  se  divisaient  en  deux  caté- 
gories :  les  sergents  à  cheval  et  les  sergents  à  pied.  Leur  nombre  varia 
beaucoup  suivant  les  époques.  L'ordonnance  d*août  1287  {Olim^  t.  II, 
p.  202)  fixait  à  Torigine  â  70  le  nombre  des  sergents  à  pied,  et  à  35  celui 
des  sergents  â  cheval. 


LA   RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  117 

des  Pays-Bas,  drame  à  cent  actes  divers  où  les  ambitions 
rivales  du  duc  d'Anjou,  de  don  Juan  d'Autriche,  de  la  reine 
d'Angleterre,  du  prince  d'Orange,  de  Jean-Casimir  s'entre- 
choquent et  se  combattent.  On  rit  de  la  chevauchée  de  la 
reine  de  Navarre,  que  Catherine  et  le  cardinal  de  Bourbon 
reconduisent  vers  son  mari  à  travers  la  Gascogne  (août). 
On  pleure  sur  le  sort  des  deux  pauvres  gôns  de  Chelles, 
exécutés  le  20  août  au  parvis  Notre-Dame,  c'est-à-dire  pen- 
dus, puis  brûlés  «  pour  plusieurs  énormes  et  exécrables 
blasphèmes  par  eux  dits  et  prononcés  contre  l'honneur  de 
Dieu  et  de  la  benoiste  Vierge  sa  mère  »  ;  et  sur  une  autre 
exécution  encore,  celle  d'un  jeune  laquais  de  treize  ans  qui 
avait  donné  quelques  coups  de  dague  à  son  maître,  ce  der- 
nier ayant  eu  l'esprit  d'en  guérir  (3  sept.). 

Quelques  jours  plus  tard,  le  18,  on  procède  sans  incident 
à  l'élection  du  prévôt  des  marchands  et  de  deux  échevins. 
L'ouverture  du  scrutin  se  fit  devant  le  roi  lui-même.  Ceux 
qui  obtinrent  le  plus  grand  nombre  de  suffrages  furent 
M.  Claude  Daubray,  notaire  et  secrétaire  du  roi,  pour  la 
charge  de  prévôt  des  marchands,  et  MM.  Le  Comte  et  René 
Baudart  pour  les  charges  d'échevins.  Ayant  pris  connais- 
sance des  résultats  du  scrutin,  le  roi  fit  appeler  les  trois 
élus  et  reçut  leur  serment  *. 

Les  rapports  du  roi  avec  le  Parlement  étaient,  à  cette 
époque,  plus  tendus  que  ses  relations  avec  la  Ville  de  Paris, 
parce  que  Henri  III,  fatigué  sans  doute  des  remontrances 
municipales,  s'était  adressé,  pour  avoir  de  l'argent,  d'abord 
au  clergé,  qui  avait  refusé,  puis  au  Parlement,  sous  forme 
d'édits  bursaux  à  vérifier.  «  Le  jeudi  4*  de  septembre,  dit 
l'Estoile,  le  roy  partit  de  Paris  pour  aller  à  Fontainebleau 
ac  rafraischir  et,  s^en  allant,  laissa  à  sa  cour  de  parlement 
vingt-deux  édits  nouveaux  et  boursaux  pour  les  voir  et 

i.  Rbo.  h,  1788,  fo  200. 


H8  PARIS  ET  LA  LIGUE 

homologuer.  »  Le  Parlement  envoya  lavocal  du  roi,  Bris- 
son,  porter  à  Henri  III  un  arrêt  de  refus,  et,  sur  Tinsistance 
du  monarque,  la  cour  souveraine  répondit  «  qu'elle  ne 
pouvait  ni  ne  devait  »,  mais,  excité  par  ses  favoris,  le  roi 
s'écria  :  «  Je  voy  bien  que  madame  ma  cour  me  veult 
donner  la  peine  d'y  aller  moi-même.  Je  iray,  mais  je  leur 
diray  ce  qu'ils  ne  seront,  possible,  giières  contents  d'enten- 
dre. »  Il  ffidlut  bien  vérifier  c<  quelques-uns  des  moins 
meschans  »  entre  les  vingt-deux  édits.  Quant  au  clergé,  il  se 
croyait  k  l'abri  des  exactions  royales,  parce  que,  le  15  sep- 
tembre, Prévost,  curé  de  Saint-Séverin,  avait  rapporté  de 
Fontainebleau  la  décharge  «  de  la  décime  et  demie  extra- 
ordinaire que  Sa  Majesté  avoit  demandée  »;  mais,  au  com- 
mencement d'octobre,  Henri,  toujours  ingénieux,  envoya 
aux  abbés,  prieurs  et  bénéficiers  aisés  des  lettres  person- 
nelles par  lesquelles  il  priait  chacun  d'eux  de  lui  prêter 
certaine  somme  :  le  chapitre  de  Paris  était  taxé  à  douze 
cents  écus.  Les  ecclésiastiques  «  faisoient  la  sourde  aureille, 
refusans  tout  à  plat  Sa  Majesté,  laquelle  ils  disoient  assez 
haut  monstrer  bien  par  ses  déportemens  qu'il  n'aimoit 
guères  l'Église  *  ». 

Il  semblait  que  le  roi  se  fît  un  jeu  de  blesser  successive- 
ment ou  à  la  fois  tous  ses  sujets.  «  Un  gouvernement  si 
tyranniquc,  dit  gravement  de  Thou,  avait  détruit  insensi- 
blement cet  ancien  attachement  que  la  nation  avait  toujours 
eu  pour  ses  princes.  »  De  fait,  la  fermentation  était  grande 
dans  toutes  les  provinces.  Le  tiers  état  et  les  nobles 
se  liguaient  en  Bretagne,  en  Normandie,  en  Bourgogne, 
en  Auvergne  pour  résister  aux  perpétuelles  exactions  du 
roi  et  protester  contre  ses  prodigalités  folles.  Les  États  qui 
se  tinrent  à  Dijon  en  novembre  1378  dressèrent  une  longue 
requête  pour  demander  la  diminution  des  impôts,   sans 

1.  L'EsTOiLB,  t.  I,  p.  272. 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA   LIGUE  119 

préjudice  de  beaucoup  d'autres  réformes  *.  Les  délégués 
des  États  bourguignons  vinrent  trouver  le  monarque  et 
lui  tinrent  quelques  propos  attestant  leur  érudition;* ils 
citèrent,  par  exemple,  ce  mot  de  Tibère  «  qu'un  bon  pas- 
teur doit  tondre  ses  brebis  et  non  pas  les  écorcher  ».  En 
Bretagne,  on  réclamait  le  rétablissement  des  impôts  au 
chiffre  du  temps  de  Louis  XII  et  de  la  reine  Anne.  Les  États 
provinciaux  de  Normandie,  qui  s'assemblèrent  le  17  novem- 
bre, n'eurent  pas  une  attitude  moins  énergique  que  les 
États  de  Bourgogne.  Nicolas  Clerel,  chanoine  de  Rouen  et 
député  ecclésiastique  pour  le  bailliage  de  cette  ville,  qu'on 
avait  chargé  de  rédiger  la  réponse  des  États  aux  demandes 
du  roi,  ne  prit  aucune  précaution  diplomatique  *.  Il  pro- 
nonça contre  l'administration  royale  une  véritable  philip- 
pique  qui  commençait  par  une  citation  de  Jérémie  et  se 
continuait  par  une  série  de  jusques  à  quand  * . . .  Ces  plaintes 
avaient  pour  conclusion  le  refus  formel  d'exécuter  les  édits 
bursaux. 

Comme  la  Bretagne  et  la  Normandie  comptaient  parmi 
les  provinces  les  plus  catholiques  du  royaume,  Henri  III 
n'eut  pas  de  peine  à  deviner  que  les  Guises  encourageaient 
et  excitaient  sous  main  les  faiseurs  de  remontrances  et 

i.  Voy.  dbTbou,  t.  VII,  p.  730,  qui  analyse  les  difTérents  articles  de  celte 
requête. 

2.  Coppie  (F une  lettre  escrite  par  Edmond  de  PanygroHes,  escuyer,  à  un 
seigneur  du  pays  de  Bourgogne  :  en  laquelle  est  contenu  le  discours  de  ce  qui 
^est  passé  aux  Estais  provinciaux  de  Normandie,  tenus  à  Rouen  au  mois  de 
novembre  mil  cinq  cens  soixante  et  dix-huit.  A  Paris,  par  Barthélémy  des 
Planches,  1578.  Arcu.  cubibubks  de  Cimber  et  Danjon,  1^*  série,  t.  IX, 
p.  263.  Suivant  la  Croix  du  Maine,  les  noms  de  Panygrollesj  auteur,  et 
B.  des  Planches,  imprimeur,  sont  des  noms  supposés,  sans  qu^on  connaisse 
d'ailleurB  le  véritable  auteur  de  la  lettre. 

3.  «  Représentez-vous,  s'il  vous  plaist,  les  porves  villageois  de  Norman- 
die, ayans  la  teste  nue,  prosternez  aux  pieds  de  vostre  grandeur  (M,  de  Ca- 
ronges,  l'un  des  gouverneurs  de  la  Normandie),  maigres,  deschirez,  lan- 
goureux, sans  chemise  en  dos  ny  souliers  en  pieds,  ressemblans  mieux 
hommes  tirez  de  la  fosse  que  vivans,  lesquels,  levans  les  mains  &  vous 
comme  à  Tymage  de  Dieu,  vous  usent  de  ces  paroles  :  Jusques  à  quand 
sera-ce,  monseigneur,  que  les  playes  dont  nous  sommes  affligez  auront 
cours?  etc.  » 


120  PARIS  ET  LA   LIGUE 

les  ennemis  des  édits  bursaux.  Ainsi  s'expliquent  les 
avances  faites  par  Henri  III  au  roi  de  Navarre  et  les  efforts 
de  tatherine  pour  réconcilier  les  deux  princes.  Une  pre- 
mière entrevue  avait  eu  lieu  à  La  Réole  (fin  août  1578) 
entre  la  reine  mère  et  le  roi  de  Navarre,  que  l'arrivée  de 
Catherine  et  de  sa  fille  ne  remplit  pas  d'allégresse.  Mais,  à 
travers  les  incidents  peu  intéressants  de  la  campagne 
diplomatique  de  la  vieille  reine  pour  soumettre  les  protes- 
tants du  Midi  et  diviser  leurs  chefs,  le  raffinement  des 
séductions  essayées  contre  le  roi  de  Navarre  par  sa  belle- 
mère  est  tout  à  fait  édifiant.  La  reine,  dit  d'Aubigné  ', 
«  avoit  exprès  pour  son  gendre  la  dame  de  Sauves  et 
Dayelle  Cypriotte,  celles-là  mesmes  qui  l'avoient  retenu 
autres  fois  aux  prisons  de  la  Cour  ».  Tant  d'habileté 
vint  échouer  contre  la  haine  de  la  reine  de  Navarre  pour 
son  frère,  Henri  III,  qui  avait  dénoncé  au  Béarnais  des 
infortunes  conjugales  qu'il  ne  connaissait  que  trop  bien 
et  dont  il  ne  faisait  que  rire.  Mais  la  reine  Marguerite  ne 
riait  pas  des  lâchetés  du  roi  de  France  contre  elle  et  le 
vicomte  de  Turenne  «  embarqué  en  son  amour  ».  Elle 
reprit  les  armes  de  Catherine  et  styla  de  telle  sorte  les 
maîtresses  de  son  mari  que  ce  dernier  finit  par  se  résoudre 
à  une  nouvelle  rupture  avec  Henri  III.  Tel  fut  le  point  de 
départ  de  la  Guerre  des  Amoureux  (avril  1580).  Ainsi  le 
roi  de  France,  par  la  bassesse  de  ses  perfidies,  se  retrouvait 
seul  en  face  de  la  Ligue,  d'une  part,  en  face  des  protestants, 
de  l'autre. 

Il  était  bon  d'établir  sommairement  la  situation  de  la 
monarchie  au  regard  des  protestants  et  des  provinces  catho- 
liques, pendant  les  années  1578-1579.  Les  mouvements 
des  partis  dans  le  Midi  et  les  manifestations  populaires  en 
Bourgogne,  en  Bretagne  et  en  Normandie  n'ont  pas  été 

1.  Hist,  univ,,  col.  976. 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  131 

sans  influence  sur  Tattitude  de  la  population  parisienne,  car 
le  mépris  témoigné  à  Henri  III  par  les  États  provinciaux  et 
la  cour  du  roi  de  Navarre  avait  son  contre-coup  dans  la  capi- 
tale et  favorisait  le  développement  de  la  faction  catholique. 
D'autres  causes,  plus  directes,  faillirent  amener  de  graves 
désordres  à  Paris  par  suite  du  refus  du  clergé  de  payer 
ies  rentes  de  THôtel  de  Ville.  Il  faut  reconnaître  que  le 
roi  avait  singulièrement  abusé  de  la  bonne  volonté  du 
clergé,  qui,  ainsi  qu'on  Ta  dit  plus  haut,  avait  pris  depuis 
1561  des  engagements  très  lourds  pour  permettre  d'arriver 
au  rachat  du  domaine  ;  mais  le  roi  ne  rachetait  rien  avec 
les  fonds  ecclésiastiques,  ou  plutôt  il  aliénait  immédiate- 
ment les  portions  rachetées.  En  1580,  si  Ton  en  croit  le 
Traité  des  finances  de  France^  le  domaine  royal,  évalué  à 
environ  cinquante  millions,  était  aliéné  pour  un  capital  de 
seize  millions  au  plus  :  et  l'auteur  affirme  que  si  le  domaine 
avait  été  racheté  et  aifermé  «  il  s'en  trouveroit  plus  de 
quatre  millions  par  chacun  an,  qui  seroit  pour  entretenir 
magnifiquement  la  maison  du  roy  et  payer  la  pluspart  des 
gages  des  officiers,  sans  toucher  aux  autres  charges  ordi- 
naires et  extraordinaires  '  ».  Tandis  que  le  résultat  des 
sacrifices  consentis  par  le  clergé  demeurait  ainsi  négatif, 
le  montant  des  décimes  accordés  au  roi  par  les  sjmdics 
s'était  élevé  dans  la  proportion  du  double  depuis  1567;  et 
les  rentes  de  l'Hôtel  de  Ville  placées  sous  la  garantie  du 
clergé,  du  chiffre  de  630,000  livres,  avaient  fini  par  atteindre 
celui  de  1,202,000.  Le  mécontentement  croissant  des  ecclé- 
siastiques avait  forcé  le  roi  à  autoriser  la  réunion  d'un 
synode  à  Melun  (juin  1579)  *.  Il  y  avait  une  telle  unani- 


1.  Traité  des  finances  de  France,  de  V institution  d*iceUes,  de  leurs  sortes 
et  espèces,  de  ce  à  quoy  elles  sont  destinées,  des  moiens  d'en  faire  fondSy  de 
les  bien  emploier  et  d*en  faire  réserve  au  àesoing.  MDLXXX,  p.  353.  Voy. 
Arcb.  cuinuBis,  t.  IX.  Le  fond  de  ce  traité  est  tiré  de  la  B^ublique  de 
Jean  Bodin. 

2.  D'après  l'Estoiu,  t.  1«  p.  318,  ce  serait  Henri  IH  qui  aurait  été  le 


I 

j 


123  PARIS  ET  LA  LIGUE 

mité  dans  Tordre  ecclésiastique  que  les  délibérations 
furent  courtes.  Arnaud  de  Pontac,  évêque  de  Béziers,  fut 
chargé  d'adresser  au  roi  de  vives  remontrances.  Il  s'ac- 
quitta de  sa  mission  le  3  juillet  ^  Dans  un  discours  très 
énergique,  il  constata  que  vingt-huit  évèchés  étaient  vacants 
et  que  des  laïques  en  touchaient  les  revenus  ;  qu'il  en  était 
de  même  de  la  plupart  des  abbayes;  qu'en  plein  Conseil 
du  roi  l'on  avait  adjugé  un  évèché  à  une  femme,  et  que 
bientôt  on  verrait  des  laïques  et  des  gens  d'épée,  parés 
du  titre  de  commandeur,  s'emparer  des  biens  de  l'Église. 
Encouragés  par  la  faiblesse  de  Henri  III,  qui  avait  essayé 
d'éluder  ces  plaintes  par  des  assurances  vagues,  les  députés 
du  clergé  haussèrent  le  ton,  et,  dans  une  entrevue  du 
3  octobre,  Nicolas  l'Angelier,  évêque  de  Saint-Brieuc , 
réclama  la  publication  du  concile  de  Trente  (nécessaire, 
disait-il,  pour  l'extirpation  de  Fhérésie  et  le  rétablissement 
de  la  discipline  dans  le  royaume),  l'abolition  du  Concordat 
passé  entre  François  P*  et  Léon  X,  et  la  restitution  aux 
chapitres  du  droit  d'élire  leurs  abbés  et  leurs  évêques.  Cette 
fois,  le  roi  perdit  patience  et  répondit  violemment  aux 
évêques  qu'ils  n'étaient  rien  que  par  sa  libéralité  ;  que  les 
rois  avaient  toujours  joui  de  la  haute  prérogative  de 
nommer  les  prélats,  et  que  si  l'élection  était  remise  aux 
chapitres,  ils  ne  porteraient  pas  leurs  suffrages  sur  les 
évêques  actuels.  Ainsi  tancée  dans  la  personne  de  ses 
délégués,  l'assemblée  du  clergé  ne  s'occupa  plus  du  roi  et, 
dans  la  séance  du  iS  octobre,  vota  une  résolution  portant 


promoteur  du  synode  en  demandant  aux  députés  du  clergé  a  quinze 
cens  mil  Trancs  pour  le  payement  des  arrérages  des  rentes  de  la  Ville,  dont 
il  estait  deu  une  année^  et  aliénation  de  cinquante  mil  escus  de  rente  de 
leur  temporel.  » 

1.  DeThou,  t.  VIII,  p.  93.  On  peut  encore  consulter  sur  le  synode  de 
Melun  :  les  mémoires  de  Claudb  Haton,  t.  II.  p.  980;  collect.  Dupuy  à  la 
Bibl.  nat.,voI.  87,  fol.  103;  coll.  Baluze  (ibid.),  vol.  5675  E.  Édit  sur  les 
plaintes  et  remontrances  de  rassemblée  de  Melun  (février  1580)  dans 
Isambert,  Recueil  des  anc.  lois  françaises,  t.  XIV,  p.  564. 


LA  RÉSURRECTION  D£  LA  LIGUE  133 

que  le  clergé  avait  suffisamment  rempli  les  obligations 
que  le  contrat  de  Poissy  lui  avait  imposées  en  1561  et  1567, 
et  qu'en  conséquence  Tordre  ecclésiastique  se  considérait 
comme  délié  de  tout  engagement  envers  les  bourgeois  de 
la  capitale.  Le  11  décembre,  la  résolution  dont  il  s'agit  fut 
signifiée  par  huissier  au  prévôt  des  marchands  et  aux 
échevîns. 

L'effet  de  cette  signification  fut  immense  à  Paris.  Chacun 
plaignait  les  veuves,  les  orphelins,  les  malheureux  ren- 
tiers que  la  suppression  des  rentes  sur  l'Hôtel  de  Ville 
allait  réduire  à  la  misère.  On  faisait  remarquer  que  les 
guerres  de  religion,  qui  étaient  la  vraie  cause  de  la  cons- 
titution des  rentes,  n'avaient  été  entreprises  qu'à  la  sollici- 
tation du  clergé.  Et  cependant  il  était  le  premier  à  rompre 
des  engagements  sacrés  qu'il  avait  garantis  1  L'agitation 
croissait  d'heure  en  heure  ;  le  peuple  courait  dans  les  rues 
comme  si  l'ennemi  eût  été  aux  portes;  les  boutiques  se 
fermaient  en  hâte,  et  quelques  exaltés  criaient  :  aux  armes! 
Était-on  à  la  veille  d'une  révolution?  Le  légitime  souci  des 
intérêts  matériels  allait-il  soulever  des  colères  plus  terribles 
encore  que  les  explosions  du  fanatisme?  Dans  des  circon- 
stances aussi  critiques,  la  municipalité  parisienne  prit  une 
initiative  très  heureuse.  Claude  Daubray,  prévôt  des  mar- 
chands, accompagné  des  échevins  \  se  rendit  au  Parle- 
ment. Le  jour  était  déjà  très  avancé  :  néanmoins  toutes  les 
chambres  s'assemblèrent,  et,  sur  les  réquisitions  d'Augustin 
de  Thou  «  remplaçant  le  procureur  général,  la  cour  rendit 

1.  Les  deux  écheviDs  nommés  le  17  août  1579  étaient  Jean  Gedoyn 
(46  voix)  et  Pierre  Laisné,  conseiller  au  Ghàtelet  (36  voix).  Celui  qui  venait 
après  les  élus  n'avait  obtenu  que  24  voix.  Reg.  H,  1788,  f«  232. 

2.  11  s'agit  ici  non  pas  de  Tauteur  de  VHistoire  universelle  (Jacques-Au- 
guste, 1353-1617),  qui  avait  été  reçu  conseiller  clerc  au  Parlement  en  1578, 
mais  de  son  oncle  Augustin,  qui  était  avocat  général  depuis  1567,  fut 
nommé  président  de  chambre  en  1585  et  mourut  en  1595.  A  l'époque  où 
nous  sommes,  le  Parlement  était  présidé  par  Christophe  de  Thou  (1508-1582), 
père  de  l'historien  et  frère  d'Augustin.  l\  avait  succédé,  le  5  décembre 
1562,  à  Gilles  Le  Maistre  dans  la  charge  de  premier  président  et  avait  été 


124  PARIS  ET  LA  LIGUE 

un  arrêt  ordonnant  l'arrestation  des  évêques  qui  se  trou- 
vaient hors  du  ressort  du  Parlement,  et  prescrivant  à  tous 
les  prélats  présents  à  Paris  de  comparaître  en  personne  pour 
répondre  devant  la  cour  aux  réquisitions  du  procureur 
général.  Cet  arrêt  sévère,  presque  violent,  eut  pour  con- 
séquences d'obliger  les  députés  du  clergé  k  continuer  pen- 
dant dix  ans  encore  le  payement  des  décimes  destinés  aux 
rentes  de  l'Hôtel  de  Ville,  et  de  prévenir  une  sédition  qui 
pouvait  être  dangereuse. 

Il  y  a  lieu  de  croire  cependant  qu'une  certaine  agitation 
continua  de  régner  dans  Paris  après  l'arrêt  du  Parlement, 
car,  à  la  fin  de  janvier  1580,  le  Bureau  de  la  Ville  prit  de 
nombreuses  mesures  de  police  en  vue  d'assurer  l'ordre. 
Les  quartiniers,  cinquanteniers  et  dizainiers  firent  de  nom- 
breuses visites  dans  «  toutes  les  maisons  et  collèges  et  en 
apportèrent  à  l'Hôtel  de  Ville  la  description  au  vrai  *  » . 
On  tint  registre  avec  soin  de  tous  les  changements  de 
domicile,  de  toutes  les  entrées  et  les  sorties.  Deux  bour- 
geois notables  furent  placés  à  chaque  porte  pour  observer 
les  passants.  Un  autre  mandement,  en  date  du  30  janvier, 
«  fit  defiencc  à  tous  les  portiers  de  ladicte  ville  de  s'enlre- 
mectre  aulcunement  de  l'ouverture  et  fermeture  desdictes 
portes,  sinon  en  la  présence  des  cinquanteniers  et  dixai- 
niers  de  leurs  quartiers,  qui  leur  en  bailleront  les  clefs 
pour  ce  faire  le  mattin  et  le  soir.  Et,  après  les  dictes  ouver- 
tures et  fermetures  faictes  par  lesdictz  portiers  de  leurs 
portes,  remettre  incontinant  les  clefz  desdictes  portes  es 
mains  desdictz  cinquanteniers  et  dixainiers,  pour  les  rap- 
porter et  remettre  aussy  tost  en  celles  des  quarteniers  de 


prévôt  des  marchands  de  1552  &  1553.  Nous  verrons  plus  tard  qu'Augustin 
<ile  Thou,  Tavocat  général,  remplira  aussi  les  fonctions  de  prévôt  des  mar- 
chands en  1580-1581.  Il  était  utile  de  ne  pas  confondre  les  différents 
membres  de  la  grande  famille  parlementaire  et  parisienne  des  de  Thou, 
trois  d'entre  eux  siégeant  en  même  temps  au  Parlement. 
1.  Rbo.  h,  1788,  f  245. 


LA   RESURRECTION  DE  LA  LIGUE  125 

leurs  quartiers  qui  en  ont  la  charge  ^  ».  Enfin  il  fut  interdit 
aux  quartiniers  d'ouvrir  ou  faire  ouvrir  les  portes  la  nuit^ 
sans  le  conuuandement  et  en  dehors  de  la  présence  de  Tun 
des  membres  du  Bureau  delà  Ville.  On  ne  s^étonne  pas  de 
ces  précautions  quand  on  lit  les  procès-verbaux  des  assem- 
blées municipales  de  janvier  1580  qui  démontrent  qu'à  cette- 
époque  le  clergé  n'avait  pas  payé  le  quartier  des  rentes. 
Une  assemblée  fut  encore  tenue  le  19  février  d'une  part 
pour  statuer  sur  un  projet  de  revision  de  la  coutume  de  la 
prévôté  et  vicomte  de  Paris,  et,  d'autre  part,  «  pour  adviser 
et  conclure  ensemble  sur  les  grandz  deniers  deubz  par  le 
clergé  de  France  à  la  Ville  *  ».  Le  clergé  finit  cependant  par 
céder  aux  instances  de  Henri  III  et  aux  plaintes  menaçantes 
des  Parisiens.  Il  s'engagea  à  verser  1,300,000  livres  par 
an,  tout  en  exprimant  un  vœu  platonique  en  faveur  du 
rétablissement  des  élections  ecclésiastiques  et  de  la  sup- 
pression des  bénéficiers  laïques. 

A  peine  délivré  des  inquiétudes  soulevées  par  la  ques- 
tion des  rentes  de  la  Ville  et  des  subventions  du  clergé,. 
Henri  III  reprit  son  existence  fastueuse  et  frivole.  Le 
1^^  janvier  1580,  il  tint  une  séance  solennelle  des  com- 
mandeurs et  chevaliers  du  Saint-Esprit  en  l'église  des 
Augustins  '.  Le  26,  le  cardinal  de    Birague  donna  une 


1.  Rb6.  h,  1788,  P>  245. 

2.  Reo.  h,  1788,  f^  247.  C'est  dans  une  assemblée  du  Bureau  de  la  Ville 
en  date  du  30  janvier  1580,  que  celte  revision  avait  été  proposée.  On 
confia  le  cahier  des  coutumes  à  MM.  Laisné,  échevin,  Lelièvre  de  Palluau, 
de  Jumeauville,  Sanguyn,  d'Hierre,  de  Brévant,  conseillers  de  la  Ville,  et 
M.  Pierre  Prévost,  ancien  échevin,  avec  mission  de  préparer  un  rapport 
sur  le  projet  de  révision  et  de  veiller  au  maintien  «  des  previllèges, 
franchises  et  libertez  des  bourgeois,  manans  et  habitans.  Le  mardi 
22  février,  dans  la  grande  salle  de  Tévéché  de  Paris,  Christophe  de  Thon, 
premier  président,  et  MM.  Viole,  Anjorrant,  Longueil  et  Chartier,  conseil- 
lers au  Parlement,  commencèrent  &  procéder  a  à  la  réformation  et  réduc- 
tion de  la  coustume  de  Paris  ».  Les  délégués  de  la  Ville  de  Paris  avaient 
demandé  séance  «  sur  un  banc  à  part  «.  Voy.  aussi  l'Estoilb,  t.  I,  p.  354. 

3.  L'ordre  du  Saint-Esprit  datait  juste  d'un  an.  11  avait  été  institué  le 
l*r  janvier  1579,  «  à  cause  de  l'eiTréné  nombre  des  chevaliers  de  Tordre 
de  Samt-.Michel,  qui  estoit  tellement  avili  qu'on  n'en  faisoit  non  plus  de 


126  PARIS  ET  LA  LIGUE 

magnifique  collation  au  roi  et  à  la  toute  la  cour.  Douze 
cents  pièces  de  faïence  italienne  couvraient  les  deux  im- 
menses tables  du  festin  :  les  pages  et  les  laquais  de  la 
cour  en  brisèrent  le  plus  grand  nombre,  «  comme  ils  sont 
d'insolente  nature  »,  dit  la  chronique.  Puis  ce  fut  une 
série  de  diners  consécutifs  :  chez  le  cardinal  de  Bourbon, 
à  Tabbaye  Saint-Germain  des  Prés,  le  3  février,  le  lendemain 
à  l'hôtel  de  Saint-Denis,  chez  le  cardinal  de  Guise;  les 
jours  suivants,  à  Thôtel  de  Nesles,  chez  le  duc  de  Nevers, 
à  rhôtel  de  Ghàlons,  chez  le  seigneur  de  Lenoncour  et 
chez  d'autres  gentilshonmies,  tant  que  la  foire  Saint-Ger- 
main dura.  A  l'Hôtel  de  Ville,  il  y  eut  aussi  une  cérémonie 
imposante  à  l'occasion  de  la  réception  de  M.  de  Villequier 
en  qualité  de  gouverneur  de  Paris.  Cette  nomination 
avait  été  accueillie  par  les  Parisiens  avec  d*autant  plus 
d'indignation  qu'il  succédait  au  maréchal  François  de 
Montmorency,  enlevé  à  cinquante  ans,  le  6  mai  1579,  par 
une  attaque  d'apoplexie,  et  qui,  dit  de  Thou,  emportait 
avec  lui  «  le  titre  glorieux  de  dernier  des  Français  *  ». 
Le  4  janvier  1580,  Villequier  avait  été  reçu  au  Parlement; 
le  19  suivant,  eut  lieu  sa  réception  solennelle  à  l'Hôtel  de 
Ville,  et  les  Registres  nous  en  ont  conservé  le  cérémo- 
nial '.  Une  assemblée  générale  avait  été  convoquée  pour 

compte  que  de  simples  aubereaus  ou  gentillastres,  et  les  appeloit-on  des 
piéça  le  graud  collier  de  cet  ordre  a  le  collier  a  toutes  bestes  ».  Jbid,, 
p.  296.  Il  n'y  eut  d'abord  que  vingt-six  chevaliers  du  Saint-Esprit.  Le  duc 
de  Guise,  les  cardinaux  de  Bourbon,  de  Guise  et*de  Birague  ne  furent 
nommés  qu'en  janvier  i580. 

1.  François  de  Montmorency^  maréchal  et  duc,  était  le  fils  aîné  du  con- 
nétable Anne  de  Montmorency.  C'est  lui  qui  avait  publiquement  bravé  le 
cardinal  de  Lorraine,  rue  Saint-Denis,  et  avait  désarmé  ses  gardes;  lui  que 
son  esprit  de  tolérance  et  de  conciliation  envers  les  protestants  avait 
rendu  suspect  &  la  cour;  lui  qui  avait  été  mis  à  la  Bastille  avec  le  maré- 
chal de  Gossé,  après  les  interrogatoires  de  la  Môle  et  Goconas  (mai  i574), 
et  qui  en  était  sorti  le  2  octobre  1575.  Il  était  rentré  dans  ses  biens  et 
honneurs.  Paris  lui  fit  des  funérailles  magnifiques.  On  peut  consulter  le 
Discours  sur  la  maladie  et  derniers  propos  de  M,  le  mareschal  de  Montmo- 
rency, Paris,  MDLXXIX.  Abch.  curibuses,  t.  IX,  p.  310. 

2.  Rbg.  h,  1788,  fo  255.  Il  y  a  sur  ce  point  entre  les  Registres  et  l'Es- 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  127 

la  circonstance.  Quatre  notables  par  quartier  s^étaient 
joints  au  corps  municipal;  devant  la  porte  de  la  maison 
commune  étaient  rangés  les  arquebusiers  de  la  Ville.  Le 
prévôt  des  marchands  et  les  échevins,  «  vêtus  de  leurs 
robbes  de  livrée  »,  précédés  des  sergents  de  la  Ville,  vin- 
rent au-devant  du  nouveau  gouverneur  jusqu'à  Tcntrée 
de  la  première  porte  extérieure  et  le  conduisirent  avec  sa 
suite  «  en  la  grand'salle  où  estoit  ladicte  assemblée  gêné- 
ralle,  passant  par  les  galleries  dudict  Hostel  de  Ville  et 
par  dessus  Tescallier  de  boys,  y  estant  revestu  des  deux 
costez  de  lierre  faict  tout  exprès  ».  Arrivé  dans  la  grand'- 
salle,  Villequier  prit  place  sur  «  une  chaise  couverte  de 
velours  cramoisy  »  placée  sous  un  haut  dais  et  présenta 
ses  lettres  de  procuration  vérifiées  en  Parlement;  puis, 
quand  le  greffier  en  eut  donné  lecture,  «  le  gouverneur  a 
prins  la  collation  audict  Hostel  de  Ville  et,  ce  faict,  chas- 
cun  s*est  retiré  ». 

A  cette  époque  élégante  et  sensuelle,  où  tout  ce  qui  par- 
lait aux  yeux  avait  une  grande  importance,  l'étiquette  et 
le  cérémonial  jouent  mi  rôle  considérable  dans  la  vie 
politique  et  aussi  dans  la  vie  municipale.  Rien  ne  donne 
une  idée  plus  claire  de  l'importance  des  fonctions  que  les 
formalités  ou  les  honneurs  qui  en  accompagnent  la  collation 
ou  la  fin.  A  qui  voudrait,  par  exemple,  se  rendre  compte 
de  la  place  éminente  qu'occupait  un  échevin  de  Paris  dans 
la  société  de  son  temps,  on  pourrait  recommander  d'étu- 
dier les  honneurs  funèbres  qu^on  décernait  aux  auxiliaires 
du  prévôt  des  marchands.  Il  y  avait  tout  un  cérémonial, 
réglé  minutieusement,  pour  les  obsèques  des  échevins.  En 
décrivant  Tordre  et  la  marche  du  convoi  de  Jean  Bouer, 

toile,  qui  ordinairement  concordent  à  merveille,  une  légère  différence. 
L'Estoile  fixe  au  Jeudi  7  janvier  1580  la  réception  de  Villequier  à  TUÔtel 
de  Ville  et  ajoute  qu'il  partit  le  lendemain  «  pour  se  faire  recevoir  pareil- 
lement aux  autres  villes  estant  du  destroit  et  gouvernement  de  Tlsle-de- 
France  n. 


128  PARIS  ET  LA  LIGUJE 

qui  mourut  à  la  fin  du  mois  de  juin  1379,  les  registres 
prennent  soin  de  rappeler  qu'on  a  observé  ce  qui  s'était 
fait  «  es  convoiz  et  enterrement  de  deffunct  Maître  Ma- 
thurin  le  Camus,  qui  fut  le  26*  jour  de  janvier  1562,  et 
à  celluy  de  deffunct  Maître  Jean  Liescaloppier,  qui  fut 
le  seiziesme  jour  de  novembre  1563,  comme  estans  tous 
lesdictz^  sieurs  le  Camus  et  Lescaloppier  en  leur  vivans 
eschevins  de  ladicte  Ville  de  Paris  »  *.  On  faisait  d'abord 
«  la  semonce  »  au  Bureau  de  la  Ville;  c'est-à-dire  que  les 
«  jurés  crieurs  de  corps  et  de  vins  de  la  Ville  *  »  venaient 
prier  le  prévôt  des  marchands,  les  échevins  et  les  autres 
officiers  municipaux  d'assister  au  convoi.  Le  prévôt  des 
marchands  mandait  aussitôt  :  1®  l'apothicaire  de  la  Ville, 
pour  lui  commander  seize  torches,  de  deux  livres  pièce, 
aux  armes  et  écussons  de  la  Ville  de  Paris;  2®  seize  han- 
nouars  %  porteurs  de  sel,  pour  leur  prescrire  de  se  tenir 
prêts  à  porter  les  seize  torches  commandées  par  la  Ville; 
3*  les  conseillers  de  Ville  et  les  quartiniers  pour  les  prier 
de  se  rendre  au  Bureau  à  une  heure  déterminée  et  accom- 
pagner le  chef  de  la  municipalité.  L'heure  venue.  Messieurs 
de  la  Ville  «  veslus  de  leurs  robbes  my-parties  »  quittaient  la 
maison  commune  et  se  mettaient  en  marche,  dans  l'ordre 
suivant  :  «  Premièrement,  marchoient  les  hannouars  por- 
teurs de  sel,  vestuz  de  noir,  portans  les  torches,  puis  les 

1.  C'est  le  Reg.  H,  1784,  f^  222,  qui  décrit  les  obsèques  de  Jean  Lescalop- 
pier. Ce  passage  du  Reg.  a  été  reproduit  dans  la  ColL  des  arch.  cur,^ 
!»•  série,  t.  V,  p.  432. 

2.  Sur  les  crieurs  et  leurs  attributions,  voy.  Hist,  munie,  p.  39,  et  Lbrous 
DE  Lufcr,  p.  222. 

3.  Sur  les  hannouars,  voy.  Hist.  munie,  p.  41,  et  Lekodx  de  Linct,  p.  225. 
Cet  auteur  dit  bien  que  les  hannouars  (dont  le  nom  s'orthographiait' dans 
le  principe  henouarts)  avaient  le  singulier  privilège  de  porter  le  corps  des 
rois  de  France  défunts,  lors  des  cérémonies  funèbres;  mais  il  n'ajoute 
pas  que  les  hannouars  remplissaient  le  même  ofûce  pour  les  officiers  mu- 
nicipaux. J.  Chartier,  Histoire  de  Charles  Vif,  p.  317,  explique  de  la  façon 
suivante  la  signification  du  privilège  des  hannouars  :  «  Ce  sont  ofûciers 
au  fait  de  la  saunerie  à  Paris,  au  nombre  de  24,  qui  sont  en  possession 
d'ainsi  porter  les  corps  des  défunts  roys,  afin  de  faire  voir  que  leur 
mémoire,  ainsi  que  le  sel,  se  conserve  toujours.  - 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  139 

sergens  de  Ville,  aussi  vestuz  de  leurs  robbes  my-parties,  à 
pied  ;  et  après  eulx  le  greffier,  vestu  aussi  de  sa  robbe  my- 
partie,  à  cheval;  puis,  mçsdictz  sieurs  à  cheval,  et  le  procu- 
reur du  roy  et  de  la  Ville,  aussi  à  cheval  et  vestu  aussy 
de  sa  robbe  rouge;  et  le  receveur,  en  son  habit  ordinaire, 
et  quartiniers  d'icelle  ville;  et  en  cest  ordre  allèrent  au 
logis  dudict  defunct.  »  Du  logis  à  l'église,  le  convoi  était 
composé  ainsi  qu'il  suit  :  1*  gens  d'église;  2°  corps  du  dé- 
funt, entouré  des  hannouars,  les  torches  en  main;  3*  le 
greffier,  le  procureur,  le  receveur  et  tout  le  corps  de  Ville; 
4"*  la  famille  et  les  amis  K 

Ainsi  les  vieux  usages  se  perpétuaient  à  l'Hôtel  de  Ville, 
conservés  et  fixés  par  les  archives  municipales.  Les  infrac- 
tions commises  n'étaient  jamais  imputables  au  corps  de 
Ville.  Presque  toujours  elles  étaient  le  fait  du  roi.  C'est 
ainsi  qu'après  les  élections  du  17  août  1580  pour  le  choix 
d'un  prévôt  des  marchands,  Henri  HI  consentit  bien  k 
sanctionner  la  nomination  d'Augustin  de  Thou  comme 
prévôt  des  marchands  ',  mais  élimina  de  l'échevinage 
celui  qui  avait  eu  le  plus  de  voix,  le  conseiller  de  Ville 
Jacques  Paillard  (cinquante  suffrages).  On  lui  substitua 
Pierre  Mesmin,  qui  n'avait  réuni  que  vingt-quatre  voix  '. 

En  «  cest  an  1580  »,  comme  disent  les  chroniques,  la 
municipalité  parisienne  s'occupa  beaucoup  moins  de  la 
guerre  civile,  qui  désolait  le  nord  et  le  midi  de  la  France  *, 

1.  Pour  les  obsèques  de  réchevin  Jean  Bouer,  cons.  Reg.  H,  1188,  f»  226. 
Le  8  décembre  1579  eut  lieu  avec  le  même  cérémonial  Penterrement  d'un 
autre  échevin,  nommé  René  Baudart,  élu  Tannée  précédente.  i6i<f.,f^244. 

2.  Voy.  sur  Augustin  de  Thou  la  note  2  de  la  page  123. 

3.  L'autre  échevin  fut  Nicolas  Bourgeois  (40  sufTrages).  Rto.  H,  1788, 
fo  256.  Aux  élections  du  17  août  1581,  pour  la  nomination  de  deux  éche- 
vins  nouveaux,  le  roi  confirma  sans  difficulté  les  résultats  du  scrutin  et 
reçut  le  serment  des  deux  candidats  qui  avaient  réuni  le  plus  de  voix  : 
Jehan  Poussepin,  conseiller  au  Châtelet,  et  Denis  Mamyneau,  auditeur  des 
comptes. 

4.  Au  nord,  le  prince  de  Condé  s'était  emparé  de  la  place  de  La  Fëre 
(29  novembre  1579),  qui  ne  fut  rendue  aux  troupes  royales  que  le  12  sep- 
tembre 1580.  Dans  le  midi,  le  roi  de  Navarre  poursuivait  avec  héroïsme 

ROBIQUET.  9 


130  PARIS  ET  LA  LIGUE 

que  de  la  peste  et  de  la  coqueluche ,  dont  les  ravages  déci- 
maient les  habitants  de  la  capitale.  La  peste  fit  son  appa- 
rition au  mois  de  mars.  <(  En  ce^temps,  dit  TËstoile,  y  a 
commencement  de  peste  h  Paris.  De  fait,  sont,  par  arrest  de 
la  cour  de  Paris,  faites  défenses  à  toutes  personnes  de 
vendre  meubles  aux  places  publiques,  ni  aux  maisons  pri- 
vées. Courent  force  rougeoles  et  petites  véroles,  mesme 
aux  grandes  personnes,  jusques  aux  vieillards  qui  s'en 
trouvent  atteints.  Ad  viennent  aussi  plusieurs  morts  subi- 
tes. »  Comme  il  arrive  d'ordinaire  dans  les  temps  de 
malaise  social,  on  n'entend  parler  que  de  crimes  étranges. 
Le  6  avril,  en  vertu  d'un  jugement  du  grand  prévôt  de 
France,  on  exécuta  devant  l'hôtel  de  Bourbon  un  sieur  la 
Valette,  parent  du  premier  président  de  la  cour  de  Tou- 
louse et  qui  faisait  métier  d'empoisonneur.  Malgré  les 
démarches  tentées  en  sa  faveur  par  plusieurs  membres  du 
Conseil  privé,  la  peine  ne  fut  pas  commuée  et  il  fut  «  pendu 
aveq  sa  robbe  longue,  pour  faire  paroistre  qu'il  estoit 
homme  de  droit  ».  Le  6  mai,  autre  exécution  au  même 
lieu.  Gourreau,  prévôt  des  maréchaux  d'Angers,  convaincu 
de  plusieurs  «  assassinats,  voleries  et  concussions  en 
l'exercice  de  son  estât  »,  sur  la  poursuite  de  Pierre  Erraud, 
lieutenant  criminel  à  Angers,  qu'il  avait  voulu  faire  tuer  à 
Paris,  fut  étranglé  et  pendu.  La  nature  elle-même  semblait 
en  proie  aux  convulsions.  Il  y  eut,  le  6  avril,  un  tremble- 
ment de  terre,  qui  fut  très  violent  à  Calais,  à  Boulogne,  à 
Château-Thierry  et  dont  Paris  ressentit  aussi  les  atteintes  *. 
A  la  cour,  les  querelles,  les  divisions  régnent  plus  que 
jamais.  Le  duc  de  Nevers  et  le  duc  de  Montpensier  pen- 

une  guerre  sans  objet  et  enlevait  Gahors  le  29  mai  1580  au  lieutenant  du 
roi  de  France,  le  brave  Vezins.  11  y  eut  là  un  homérique  combat  de  rues 
qui  dura  quatre  jours  et  quatre  nuits.  Voy.  d'Aubion6,  Hist.  univ.y  col.  996. 
1.  Voy.  sur  ce  tremblement  de  terre  Claude  Haton,  t.  2,  p.  1012;  l'Es- 
TOiLB,  t.  I,  p.  357.  Le  8  avril  1579,  il  y  avait  eu  à  Paris  un  autre  désastre.  La 
Bièvre  avait  débordé  pendant  la  nuit  et  inondé  le  faubourg  Saint-Marcel. 
Il  y  eut  vingt-cinq  morts.  Voy.  ârchiv.  cur.,  t.  IX,  p.  303. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  131 

sent  en  venir  aux  mains  ^  Tandis  que  messire  Baptiste 
do  Gondi,  parent  du  maréchal  de  Retz  et  de  Tévêque  de 
Paris,  meurt  à  quatre-vingts  ans,  laissant  une  fortune  de 
400,000  écus,  lui  qui  était  venu  sans  un  sol  d Italie  en 
Franco  *,  Henri  III,  afin  de  se  procurer  de  Targent,  en  était 
réduit  à  demander  500  écus  à  chacun  des  vingt-six  pro- 
cureurs de  la  Chambre  des  comptes  de   Paris  pour  les 
ériger  en  officiers  du  roi.  Cela  devait  donner  13,000  écus 
que  le  prince  avait  promis  k  son  mignon  la  Valette  ;  mais 
les  procureurs  répondirent  qu'ils  résigneraient  leurs  char- 
ges plutôt  que  de  subir  cette  exaction;  et,  de  fait,  ils  cessè- 
rent leurs  fonctions,  si  bien  que,  la  Chambre  des  comptes 
ayant  chômé  quelque  temps,  le  roi  dut  rappeler  les  pro- 
cureurs et  renoncer  au  13,000  écus.  Il  s'en  consola  eu 
ordonnant  par  lettres  patentes  (du  mois  de  juin)  que  les 
biens  de  tous  les  huguenots  absents  et  portant  les  armes 
contre  Sa  Majesté  seraient  saisis.  C'était  un  surcroit  de 
besogne  pour  les  quartiniers,  chargés  des  recherches,  et 
pour  tous  les  officiers  municipaux,  qu'absorbaient  déjà 
les  soins  à  prendre  contre  la  double  contagion  dont  souf- 
frait la  capitale.  Du  2  au  8  juin,  la  coqueluche  '  avait 
atteint  dix  mille  personnes,  entre  autres  le  roi,  le  duc  de 
Mercœur,  le  duc  de  Guise  et  M.  d'O.  Etrange  maladie, 


1.  VojT.  dsDS  DB  Thou,  t.  VIII,  p.  402,  les  motifs  de  cette  querelle. 

2.  Gondi  8*4tail  enrichi  en  prêtant  «  ses  deniers  à  la  Florentine  •,  et  en 
prenant  des  impôts  en  ferme.  On  lui  érigea  dans  Téglise  des  Augustins 
(chapelle  des  Florentios)  un  superbe  mausolée. 

3.  Voy.  Claudb  Hatoh»  t.  II,  p.  1013;  l^Estoilb,  1. 1,  p.  361  et  364,  et  Copie 
(Vune  missive  envoyée  de  Paris  à  Lyon  par  un  quidam  à  son  bon  amy,  eic, 
Lyon,  1580;  Akch.  cur.,  t.  IX,  p.  320.  De  Thou,  t.  VIII,  p.  400,  fait  une  des- 
cription précise  de  la  maladie  :  «  Elle  attaquoit  d'abord  le  bas  de  Tépine 
du  dos,  par  un  frisson  suivi  d'une  pesanteur  de  tête  et  d'une  faiblesse  de 
tous  les  membres,  jointe  à  un  grand  mal  de  poitrine,  et  si,  le  quatriesme 
jour  ou  cinquième  jour,  les  malades  n'étoient  pas  guéris,  la  maladie 
dégénéroit  en  fièvre,  qui  les  emportoit  presque  toujours.  >  L'historien 
ajoute  cette  réflexion,  peu  flatteuse  pour  les  médecins  du  temps,  que  ceux 
qui  négligèrent  le  mal  s'en  trouvèrent  fort  bien,  au  lieu  que  ceux  qui 
furent  purgés  ou  saignés  périrent  presque  tous.  Voy.  aussi  Félibibn.  t.  II, 
p.  1142. 


132  PARIS  ET  LA  LIGUE 

qui  commençait  par  un  mal  de  tète  et  d'estomac,  puis 
s'étendait  à  tout  le  corps  et  n'était,  à  vrai  dire,  qu'une 
sorte  de  choléra  :  Claude  Haton  nous  apprend  que  parmi 
les  personnes  atteintes  du  fléau  «  la  plus  grande  partie 
morut  par  ung  cours  de  ventre  ».  La  contagion,  qui 
dura  jusqu'à  la  fin  de  Tannée  \  enleva,  d'après  l'Estoile 
environ  trente  mille  personnes,  d'après  de  Thou  qua- 
rante mille,  d'après  Claude  Haton  plus  de  soixante  mille, 
enfin  d'après  la  lettre  du  «  Quidam  à  son  bon  amy  »  de 
cent  vingt  mille  à  cent  quarante  mille. 

A  la  coqueluche  succéda  la  peste,  qui  n'exerça  pas  moins 
de  ravages.  Tous  les  riches  fuyaient  Paris.  «  Bien  peu 
de  gens  ayant  moyens  de  se  traicter  y  sont  demourez  )>, 
écrit  le  quidam.  Les  malheureux  allaient  se  réfugier  à 
l'Hôtel-Dieu,  mais  la  place  manqua  bien  vite  :  alors  on 
dressa  des  tentes  dans  les  faubourgs  de  Montmartre, 
Saint-Marceau,  Montfaucon,  Yaugirard  et  dans  la  plaine 
de  Grenelle,  où  Ton  b&tit  également  un  nouvel  hôpital.  Les 
étrangers,  «  les  forains  »,  abandonnèrent  Paris  six  mois 


1.  Il  résulte  des  registres  que  la  sanlé  publique  resta  mauvaise  jusque 
vers  la  fin  de  1583.  Henri  III  pensait  que  le  meilleur  procédé  curatif  était 
qne  belle  procession.  À  la  date  du  5  octobre  1583,  il  adressa  au  prévôt 
des  marchands  et  à  ses  collègues  la  lettre  ci-dessous  : 

«  Db  pae  lb  roy.  Très  chers  et  bien  amez,  voians  que  la  contagion 
continue  en  quelques  endroictz  de  ceste  ville,  et  aussi  l'indisposition  du 
temps  pour  les  pluyes  qui  ont  journellement  cours,  qui  ne  nous  peult 
faire  espérer  que  une  charte  de  tous  vivres,  Nous  avons  advisé  qu'il  ne  se 
peult  rien  faire  de  mieux  que  d*avoir  recours  à  la  bonté  de  Dieu,  et  de 
regarder  de  l'implorer  par  prières  et  oraisons  publiques,  ad  ce  qu'il  luy 
plaise,  en  appaisant  son  ire,  impartir  ce  qui  est  nécessaire  tant  pour  la 
santé  des  corps  que  pour  l'accroissement  et  conservation  des  fruicU  de  la 
terre;  qui  fait  que  nous  voulions  et  vous  mandons  que  vous  aîez  avec  les 
procureur,  recepveur,  greffier,  conseillers,  quarteniers,  notables  bourgeois 
de  chacun  quartier  de  nostre  bonne  ville  de  Paris  et  autres  officiers 
d'icelle  que  adviserex,  à  faire  une  procession  de  la  paroisse  de  l'hostel  de 
ladicte  ville,  qui  est  l'église  Saint- Jehan  en  Grève,  en  Téglise  Madame 
Saincte-Geneviefve,  avec  la  dignité  et  révérence  requise,  ainsi  que  vous 
avez  accoustumé  de  faire  par  cy-devant,  lorsque  semblables  dévotions  se 
font  en  l'honneur  de  Dieu  et  invocation  de  son  sainct  nom.  A  quoy  vous 
ne  ferez  faulte.  Donné  À  Sainct-Germain-en-Laie,  le  cinquiesme  octobre 
1583.  Ainsi  signé  Henry,  et  plus  bas  Pinait.  »  Rso.  H,  1788,  f»  349. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  133 

durant,  «  de  façon,  dît  TEstoile,  que  pauvres  artizans  et 
manœuvres  crioient  à  la  faim;  et  jouoit-on  aux  quilles  sur 
le  pont  Notre-Dame  et  en  plusieurs  autres  rues  de  Paris, 
mesmes  dans  la  grande  salle  du  Palais  ».  De  grandes 
troupes  d'écoliers,  de  clercs  de  justice,  de  commis  de  mar- 
chands couraient  les  chemins  pour  retourner  dans  leur 
pays  d*origine,  semant  la  peste  à  vingt  lieues  à  la  ronde. 
«  Et  qui  estoit  une  chose  fort  à  déplorer,  s'écrie  Claude 
Haton,  estoit  que  plusieurs  mouroient  sur  les  chemins, 
sans  aulcunement  estre  secouruz  en  leurs  nécessitez;  et 
k  grand  peine  trouvoit-on  qui  les  volust  enterrer,  encores 
qu'ils  fussent  bien  hahillez  et  fournis  d'argent  sur  eux.  » 
Dans  ces  tristes  circonstances,  les  hautes  classes  ne  don- 
nèrent pas, l'exemple  du  courage.  Au  dire  de  tous  les  histo- 
riens contemporains,  les  magistrats  quittèrent  leurs  sièges; 
les  procureurs,  les  avocats  désertèrent  le  Palais  et  les 
marchands  leurs  boutiques  pour  gagner  leurs  maisons  des 
champs.  Profitant  de  cette  désertion,  les  voleurs  couraient 
toutes  les  nuits  par  la  ville  et  pillaient  les  plus  riches 
demeures.  On  pouvait  craindre  les  plus  graves  désordres. 
Le  roi  tout  d'abord  avait  fait  mine  de  braver  le  péril.  De 
son  château  de  Saint-Maur-les-Fossés  il  venait  souvent  à 
Paris.  Il  lança  un  édit  pour  forcer  les  Parisiens  à  rentrer 
dans  la  Yille,  sous  menace  de  mettre  des  gamisaires  dans 
leurs  maisons.  Lui-même,  il  vint  tenir   séance  dans  la 
chambre  dorée,  au  Palais,  pour  homologuer  quelques 
édits  :  sa  ferme  attitude  tenait  un  peu  à  ce  que  les  méde- 
cins lui  avaient  dit  qu'il  ne  pouvait  être  atteint  du  fléau, 
par  suite  d'autres  maladies  dont  il  était  affligé  ;  mais,  voyant 
la  contagion  faire  chaque  jour  des  progrès,  le  roi  gagna 
Blois  précipitanunent  et  avec  peu  de  suite.  Ce  fut  encore 
la  municipalité  parisienne  qui  fit  la  meilleure  contenance 
au  milieu  du  désarroi  général.  Augustin  de  Thou,  le  nou- 
veau prévôt  des  marchands,  et  son  frère  Christophe  de 


134  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Thou,  premier  président  du  Parlement,  prirent,  de  concert 
avec  le  prévôt  de  Paris,  toutes  les  mesures  nécessaires  et 
organisèrent  à  la  Chancellerie  une  sorte  de  commission 
d'hygiène  publique  *.  Ils  créèrent  un  officier  qu'on  appela 
prévôt  de  la  santé  et  qui  reçut  la  mission  de  rechercher 
les  pestiférés  dans  tous  les  quartiers  et  de  les  faire  porter 
à  THôtel-Dieu,  s'ils  n'avaient  pas  le  moyen  de  se  soigner  à 
domicile.  Mais  ce  qui  produisit  plus  d'effet  encore  que 
toutes  les  mesures  administratives,  ce  fut  la  ferme  attitude 
du  premier  président,  qui  se  promenait  tous  les  jours  en 
carrosse  dans  les  rues  pour  rassurer  le  peuple  et  résista 
aux  instances  des  siens,  notamment  de  son  frère  l'évêque 
de  Chartres,  dont  les  lettres  le  pressaient  d'abandonner  la 
capitale.  Beaucoup  de  médecins  se  dévouèrent  aussi,  entre 
autres  Malvédi,  professeur  royal;  mais,  pour  retenir  les 
compagnons  barbiers  et  chirurgiens,  il  fallut  leur  promettre 
de  les  recevoir  maîtres,,  s'ils  échappaient  à  la  contagion. 
Enfin,  le  19  novembre,  comme  si  tous  les  fléaux  se  fussent 
conjurés  pour  fondre  à  la  fois  sur  Paris,  le  feu  consuma 
la  magnifique  église  des  Cordeliers,  et  l'on  eut  grand'peine 
à  préserver  le  couvent.  Il  y  eut  des  fanatiques  pour  accuser 
les  protestants  d'avoir  allumé  l'incendie;  mais  la  cause 
première  du  désastre  n'était  qu'un  moine  novice  qui,  ayant 
trop  bu,  s'était  endormi  sous  le  jubé  et  avait  laissé  un 
cierge  allumé  tout  près  de  la  boiserie  *. 
Ce  pauvre  Paris  devenait  triste,  et  le  roi  s'ennuyait.  Il 

1.  A  la  date  du  vendredi  6  mai  1583,  la  Grand'chambre  du  Parlement  et 
la  Tournelle  assemblées,  après  avoir  ouT  le  procureur  général  du  roi  et  le 
lieutenant  civil  de  la  prévôté  de  Paris,  ordonne  que  «  un  jour  de  la  semaine 
de  relevée,  par  tour  et  par  ordre,  un  de  messieurs  les  présidents  et  trois 
conseillers,  dont  Tun  sera  d'église,  feront  assembler  en  la  salle  Saint-Louys 
le  procureur  général  du  roy  ou  Tun  des  advocats  dudict  seigneur,  le  lieu- 
tenant civil  de  la  prévosté  de  Paris,  le  prévost  des  marchands  ou  Fun  des 
eschevins  de  la  Ville,  aucuns  des  dignitez  (sic)  des  chapitres  et  commu- 
nautez,  aucuns  des  gouverneurs  de  THostel-Dieu  et  des  bourgeois  de  cette 
ville,  pour  adviser  ce  qu'ils  verront  estre  nécessaire  pour  éviter  à  la  con- 
tagion... »  Extrait  des  reg,  du  Parlement,  Féub.,  Preuves,  t.  HI,  p.  16. 

2.  L'EsTOiLB,  l.  I,  p.  373;  de  Tbou,  t.  VH!,  p.  401. 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  185 

voyait  son  frère  le  duc  d* Anjou  sur  le  point  d'acquérir  deux 
couronnes;  celle  des  Pays-Bas,  que  les  ambassadeurs  des 
Provinces-Unies  vinrent  lui  offrir  le  19  septembre  1580  au 
château  de  Plessis-lez-Tours,  et  celle  d'Angleterre  par  le 
mariage  projeté  avec  Elisabeth.  Henri  III  n'était  plus  rien: 
il  n'avait  pas  même  conclu  lui-même  la  paix  de  Fleix  avec 
le  roi  de  Navarre  (26  nov.  1580);  il  la  devait  à  son  frère 
et  à  Catherine.  Au  début  de  l'année  1581,  que  faisait  ce 
pauvre  roi?  L'Estoile  le  dit  :  «  Au  commencement  de  janvier 
1581,  le  roy,  de  Blois  revint  à  Paris  et  laissa  les  roines  à 
Chenonceau,  et  le  Conseil  privé  et  d'Estat  à  Blois,  et,  après 
s'être  donné  du  bon  temps  en  nopces  et  festins,  le  18*^  du 
mois,  s'en  alla  au  chasteau  de  Sainct-Germain-en-Laie, 
commencer  une  diette,  qu'il  tint  et  continua  jusqu'au  com- 
mencement du  mois  de  mars  ensuivant.  »  Mais  le  5  mars 
la  diète  est  finie  et  les  fêtes  recommencent.  Henri  lîl, 
habillé  en  masque  et  suivi  de  ses  mignons ,  la  Valette, 
d'O  et  les  autres,  fête  joyeusement  la  mi-carême,  «  rôdant 
par  toute  la  Ville  de  Paris  et  par  les  maisons  où  il  sçavoit 
y  avoir  bonne  compagnie  ».  On  pouvait  rire  :  Marc  Miron, 
le  premier  médecin  du  roi,  et  son  hôte  ce  soir-là,  l'avait 
reconnu  «  sain  et  allègre  ».  La  bonne  compagnie  suivait 
l'exemple  du  prince.  Le  8  mars  on  pendit  pour  crime  de 
faux  un  notaire  du  Chfttelet,  le  sieur  Herbin;  le  9  mars 
on  amenait  à  la  Conciergerie  le  seigneur  de  Saint-Léger, 
inculpé  d'avoir  fait  arracher  du  lit  où  il  reposait  près  de 
sa  femme  le  sieur  Coingnet  de  Pontchartrain ,  puis  de 
l'avoir  attaché  à  un  poteau  et  fustigé,  en  pleine  halle  de 
Montfort-l'Amaury.  Crime  de  Pontchartrain  :  il  avait  refusé 
d'épouser  la  fille  de  Saint-Léger.  Mais  ce  dernier  était 
gentilhomme  de  Monsieur.  Le  Parlement  l'acquitta.  Tout, 
jusqu'au  duel,  devient  déloyal.  M.  de  Liverdot  allant  se 
battre  avec  le  marquis  de  Migneley,  fils  de  M.  de  Piennes, 
fait  cacher  dans  le  sable  une  épée  sur  le  lieu  du  combat. 


PARIS  ET  LA  LIGUE 

^  I,iverdot  qui  est  tué  par  le  marquis,  mais  le  valet  du 

^^      •  f  répée  cachée  et  assassine  par  derrière  le  vain- 

^^^     \f  du  Voâi  conseiller  au  Parlement  de  Paris,  pour 

queu  .  i  '  t^  ^  xnaîtresse  repentante,  la  dame  Boulanger, 

^^  ^     j\.n  nrocureur  au  Châtelet,  la  fait  saisir  par  quel- 
femme  a  un  p"      ,    .   ,    .„    J      4   1        .  A  A 

ffians  qui  lui  tailladent  les  joues  en  présence  du 

^    '   Pur  le  crédit  de  l'auteur  de  cette  lâcheté  barbare,. 

SLtLSC  fut  évoquée  au  Parlement  de  Rouen,  qui  renvoya 

.,     yg^  absous,   moyennant   2000   écus   de    dommages- 

.  .^^^ig  et  2000   écus   donnés    aux  juges.  La  mère  de 

u  du  Voix  crut  devoir  aller  remercier  Henri  III,  qui  dit  : 

(  ffe  me  remerciez  pas,  mais  la  mauvaise  justice  qui  est 

en  mon  royaume  *.  » 

Comment,  au  surplus,  eùl-il  été  sévère  pour  les  crimes 
d'autrui,  ce  roi  qui  semblait  prendre  à  tâche  de  braver 
Topinion  et  gaspillait  les  ressources  de  la  France  avec 
une  véritable  folie?  Pour  suffire  aux  fêtes  extravagantes 
de  la  cour  et  aux  prodigaUtés  maladives  du  monarque,, 
il  fallait  sans  cesse  augmenter  les  charges  qui  pesaient 
sur  le  peuple.  C'était  tous  les  jours  un  nouvel  édit  fiscal  dft 
à  la  fertile  imagination  des  financiers  italiens.  En  un  seul 
jour,  le  4  juillet  1581,  le  roi  fait  enregistrer  neuf  édits 
bursaux,  ordonnant  la  création  de  nouveaux  offices  *.  D'une 

1.  Un  autre  conseiller  au  Parlement,  Jean  Poisie,  fut  arrêté  au  mois 
d'août  1581,  pour  concussion  et  falsification  d*arr6ts.  On  traîna  l'affaire.  En 
1582,  le  comte  de  Châteauvilain,  Ludovic  A4jaceto,  Italien  de  Florence  que 
Catherine  avait  fait  nommer  fermier  général  de  la  douane  de  France,  pour 
se  venger  d'un  sieur  Bertrand  Pulveret,  qui,  dans  une  première  rencontre, 
lui  avait  cependant  laissé  la  vie,  l'attaqua  un  jour  avec  une  douzaine  d'Ita- 
liens et  le  laissa  pour  mort  sur  le  pavé.  Il  en  fut  quitte  pour  deux  mille 
écus  de  dommages-intéréte,  Pulveret  s'étant  rétabli.  Toutes  ces  faiblesse» 
déconsidéraient  la  justice  et  donnèrent  lieu  au  sizain  qui  suit  : 

Chasteauvilain,  Poisie  et  le  VoU 
Seront  jugés  tous  d'une  voix 
Par  un  arrêt  aussi  léger 
Que  fat  celui  de  Saiot-Lég«r  : 
Car  le  malheur  est  tel  en  France 
Que  tout  se  juge  par  finance. 

2.  C'est  ce  que  dit  l'Estoile,  t.  II,  p.  il.  De  Thou,  de  son  côté,  t.  VIII,. 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  137 

commune  voix,  le  président  déclara  qu'il  s'opposait  à 
Tenregistremcnt,  et  le  premier  président  dit  tout  haut  que 
«  selon  la  loy  du  roy,  qui  est  son  absolue  puissance ,  les 
édits  pouYoient  passer;  mais  que,  selon  la  loy  du  royaume, 
qui  es  toit  la  raison  et  Téquité,  ils  ne  pouvoient  ni  ne  deb- 
voient  estre  publiés  ».  Néanmoins,  le  roi  ordonna  qu'il 
serait  passé  outre  et  fit  publier  les  édits  par  le  chancelier 
de  Birague.  Il  avait  besoin  d'argent  pour  marier  ses  mi- 
gnons. 

Dans  cette  marée  montante  de  mesures  fiscales,  il  est 
bon  d'en  signaler  quelques-uns  qui  ont  spécialement  trait 
au  régime  municipal.  Tels  sont  l'édit  du  20  mai  (enre- 
gistré le  4  juillet),  instituant  un  bureau  de  douanes  dans 
chaque  ville  du  royaume;  Tédit  de  création  d'un  bureau 
du  contrôle  des  actes  extra-judiciaires  en  chaque  siège 
royal  (mai  1581,  enreg.  du  4  juillet)  i;  l'édit  du  18  juillet, 
établissant  pour  six  ans  un  impôt  de  vingt  sous  sur  chaque 
muid  de  vin  à  son  entrée  dans  les  villes  ',  et  la  déclaration 
du  20  juillet,  portant  que  les  prévôt  des  marchands  et 
échevins  de  la  Ville  de  Paris  prendront  le  droit  ancien  de 
cinq  sous  par  muid  de  vin  entrant  h  Paris,  sur  les  vingt 
sous  fixés  par  l'édit  précédent  '. 

p.  550,  rapporte  que  «  le  roi  vint  au  Parlement  le  13  juillet  et  qu'il  y  fit  enre- 
gistrer en  un  seul  jour  vingt-sept  édits  bursaux,  par  Tun  desquels  il  créoit 
vingt  nouvelles  charges  de  conseillers  ».  Voir  aussi  Isahbbrt,  t.  XIV,  p.  493, 
et  FoMTAicoN,  1,12.  Ces  nouveaux  sièges  de  conseillers  étaient  institués  sous 
prétexte  que  le  roi  allait  envoyer  en  Guyenne  et  en  Auvergne  plusieurs 
présidents  et  conseillers  du  parlement  de  Paris,  pour  y  calmer  les  troubles, 
ce  qui  rendait  plus  lourde  la  tAche  des  magistrats  demeurés  dans  la  capitale.. 

1.  Cet  édit  est  le  premier  essai  d'organisation  de  l'administration  de 
Tenregistrement. 

2.  Fo.iTARON.  Les  Édicta  et  ordonnancée  des  rois  de  France,  Édit  de  1611, 
t.  H,  p.  1124.  L'édit  du  18  juillet,  en  ce  qui  touche  la  Ville  de  Paris,  défend 
d'introduire  le  vin  par  d'autres  portes  que  celles  de  Saint- Jacques,  Saint- 
Germai n-des-Prés,  Saint-Honoré,  Saint-Denis  et  Saint-Antoine. 

3.  La  déclaration  dit  formellement  que  le  prélèvement  des  cinq>ols  tour- 
nois au  profit  de  la  Ville  a  pour  but  «  de  continuer  les  rentes  constituées 
sur  ledit  ayde  et  subside  ».  Cet  impôt  avait  été  créé  pour  six  ans  par 
déclaration  du  22  septembre  1561  ;  il  avait  été  prorogé  par  déclarations 
d'avril  1568  et  8  juillet  1515. 


138  PARIS  ET  LA  LIGUE 

On  peut  croire  que  Tingénieuse  méthode  inventée  par 
les  Italiens  pour  faire  rendre  aux  offices  tout  ce  qu'ils  pou- 
vaient donner  fut  appliquée  aux  offices  municipaux.  Certes, 
il  eût  été  téméraire,  même  pour  le  roi,  de  toucher  aux 
cadres  essentiels  de  la  municipalité  :  le  nombre  des  éche- 
vins,  des  conseillers  de  Ville  était  incommutable  ;  mais  on 
pouvait  peut-être  impunément  créer,  moyennant  finances, 
de  nouvelles  charges  d'officiers  subalternes.  C'est  ce  que 
Henri  III  essaya.  Un  édit  de  novembre  1581  institua  30 
visiteurs,  «  vendeurs  de  bois,  charbon  et  foing  ».  Aussitôt, 
dans  une  assemblée  du  grand  Bureau,  tenue  le  5  décembre, 
la  Ville  décida  de  s'opposer  devant  le  Parlement  à  la  véri- 
fication de  l'édit.  Le  texte  de  l'opposition,  qui  nous  a  été 
conservé  par  les  Registres  de  la  Ville,  est  assez  instructif. 
Il  débute  pompeusement  en  rappelant  les  attributions 
distinctes  des  différents  magistrats  qui  se  partagent  l'admi- 
nistration de  Paris  :  le  Parlement,  le  prévôt  de  Paris,  le 
prévôt  des  marchands  *.  Puis  la  Ville  passe  à  l'examen  de 
l'édit  lui-même,  qu'elle  ne  craint  pas  de  comparer  à  un 
faux  écu  •;  et,  après  avoir  rappelé  les  principaux  traits  de 
l'organisation  existante,  ce  qui  est  précieux  pour  l'histoire 
municipale  ',  le  document  dont  il  s'agit  arrive  à  la  conclu- 

1.  tt  En  ceste  Ville  de  Paris,  capitalte  de  ce  royaulme,  sont  eslablix  trois 
sortes  de  magistrats  et  juges  politiques  :  les  premiers  et  souverains,  vous, 
messeigneurs,  desquelz  deux  aultres  prennent  leur  aucthorité,  splendeur 
et  lumière,  les  prévost  de  Paris  et  offlciers  du  siège;  les  prévost  des  mar- 
chans  et  eschevins  de  ceste  ville,  lesquels  avecq  le  plus  grand  soing  et 
dilligence  et  bonne  vollunté  font  vivre  et  exécuter  les  ccditz  et  ordon- 
nances de  voz  arrestz.  »  Rbg.  H,  1788,  fol.  280. 

2.  a  Cet  ecdict,  messieurs,  n'a  fauite  de  beau  prétexte  et  belle  coalleur 
ressemblant  aulcunement  à  ung  faulx  escu,  lequel  a  apparence  aucunement 

^  d'estre  bon  à  Toeil  ;  mais  quant  il  est  question  de  sonder  avec  le  burin  et  à 
la  touche,  sHl  est  bon,  Ton  trouve  la  falcité;  aussy  quand  Ton  vient  con- 
sidérer de  près  et  esplucher  par  vives  raisons  cest  ecdict,  l'apparence  qu'il 
y  avoit  de  quelque  bien  s'esvanouyt.  »  {Ibid,) 

3.  Nous  avons  déjà  fait  ailleurs  allusion  (voy.  Hisi,  munie,,  p.  39)  aux 
officiers  subalternes  qui  prêtaient  leur  concours  à  la  municipalité  pari- 
sienne :  juréfr-mesureurs  de  bûches,  sel,  charbon,  de  grains  ou  autres  den- 
rées, jaugeurs  de  vin  et  courtiers  de  vin^  de  sel,  de  chevaux.  Dès  la  seconde 
moitié  du  xm«  siècle,  le  nombre  de  ces  officiers  était  déterminé.  La  grande 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  139 

■ 

sion  suivante  :  «  La  Cour  [c'est-à-dire  le  Parlement) 
comme  clairvoyant,  peult  juger  que  cest  ecdict  n'est  nul- 
ment  nécessaire....  le  meilleur  doncques  seroit  laisser  les 
choses  comme  elles  sont.  »  En  effet,  les  marchands  payent 
actuellement  des  droits  exorbitants  sur  les  denrées  «  pro- 


f)rdonnance  de  février  1415,  «  portant  règlement  sur  la  juridiction  du  prévôt 
des  marchands  et  establisseraent  de  plusieurs  ofDces  pour  la  police  des 
ports  et  marchés  de  la  même  Ville  »  (Ohd.  des  rois  de  France,  t.  X,  p.  257), 
précise  les  attributions  de  tous  les  auxiliaires  de  la  Ville,  notamment  celles 
des  «  compteurs  et  moleurs  de  bâches,  mesareurs  et  porteurs  de  char- 
bon, etc.  »  Aux  termes  de  Tord,  de  1415  (art.  228),  il  y  avait  déjà  quarante 
jures-compteurs  et  mouleurs  de  bûches  et  douze  mesureurs  de  charbon. 
Ce  sont  précisément  les  chiffres  que  donne  la  protestation  de  la  Ville 
en  1581  ;  on  comprend  dès  lors  le  mécontentement  provoqué  par  Timpru- 
dence  de  Henri  III  qui  touchait  si  légèrement  à  des  institutions  plus  que 
séculaires.  Ajoutons  qu'il  y  avait  là  pour  la  Ville  un  grand  intérêt  finan- 
cier, car,  aux  termes  des  vieilles  ordonnances,  elle  touchait  la  moitié  des 
amendes,  tandis  que  le  nouvel  édit  attribuait  cette  moitié  •  au  vendeur 
dénonciateur  des  abbuz  ».  Voici  le  texte  de  la  protestation  municipale,  en 
ce  qui  touche  Thistorique  des  emplois  relatifs  à  la  vente  du  bois,  du 
charbon  et  du  foin  : 

«  Premièrement,  de  nécessité  n'y  a  aucune  de  créer  ces  trente  visiteurs, 
vendeurs  de  boys,  charbon  et  foing,  d'aultant  que  pour  Tordre  qui  est 
estably  en  la  vente  de  ces  denrées,  il  y  a  nombre  d^officiers,  et  plus  que 
suffisant,  qui  ont  ceste  charge,  assçavoir  quarante  visiteurs,  jurez-mous- 
leurs,  compteurs  de  bois,  qui  visittent,  mouUent  et  comptent,  font  les  rap- 
ports, par  devant  lesdicts  prévost  des  marchans  et  eschevins,  des  arrivages, 
aussi  tostquelesbasteaux  sont  à  port;  et  s*en  faict  un  registre  au  bureau 
de  FHostel  de  la  Ville,  de  la  main  de  l'un  des  eschevins,  apportant  un  eschan- 
tillon  de  la  marchandise  arrivée,  et,  selon  qu'elle  est  bonne  et  loyalle  et 
suivant  ^ordonnance  et  au  pris  porté  par  icelle,  est  permis  de  vendre  ou 
bien  diminuer  du  pris,  et  avant  que  l'exposer  en  vente,  si  c'est  du  boys 
subject  à  estre  mouUé,  il  est  aussi  tost  faict;  sy  c'est  du  boys  de  traverse, 
comme  ccluy  qui  arrive  à  TEscolle,  il  suffit  le  compter.  Pour  la  Visitation 
du  charbon,  sont  establiz  douze  mesureurs  qui  font  pareil  rapport,  qui  est 
registre,  et  selon  qu'ilz  tiennent  leur  marchandise  loyalle,  la  déclarent 
pour  y  estre  pourveu  sur  le  champ  sans  aucune  remise  et  connivence. 
Pour  la  pollice  du  foing,  sont  ordonnez  douze  jurez  visiteurs  et  compteurs 
de  foing  qui  visittent  s'il  est  de  tarre  et  du  prix  qu'il  est  porté  par  les 
ordonnances,  en  font  leur  rapport  par  devant  le  prévost  de  Paris,  et  sont 
contrôliez  par  les  commissaires  au  Chastelet  de  Paris,  outre  les  deux  con* 
trolleurs  établiz  naguères  par  le  roy,  à  la  fouile  et  charge  du  peuple,  sans 
qu'il  luy  en  soit  de  mieux.  Lesdictz  jurez,  mousieurs  de  boys,  mesureurs 
de  charbon,  sont  contrôliez  par  les  eschevins  qui  vont  ordinairement  sur 
les  portz,  ung  controlleur,  sergens  et  commissaires  des  quaiz,  tellement 
que,  s'il  y  a  contravention  par  le  marchant  vendeur,  à  plus  qu'il  ne  se, 
peult  l'ordonnance  ou  qu'il  y  ait  connivence  des  jurez  mousieurs  ou  intelli- 
gence avecq  le  marchant,  ou  bien  exaction  de  gaigne  deniers  et  chartiers, 
il  y  est  sans  délais,  à  la  première  dénonciation,  pourveu...  »  Rbg.  H,  1788| 
fol.  280. 


140  PARIS  ET   LA  LIGUE 

près  à  Tusage  de  rhomme  '  ;  il  ne  reste  rien  plus  qui  ne 
soit  chargé  au  double  du  passé  ». 

Et,  en  face  de  ce  déplorable  système  d'impôts  qui  arrête 
et  paralyse  toutes  les  transastions,  la  Ville  de  Paris  esquisse 
tout  un  programme  qui  repose  sur  les  doctrines  écono- 
miques dont  il  est  d'usage  de  faire  honneur  au  xvin®  siècle  : 
«  Le  meilleur  ordre  que  Ton  peult  garder  en  ceste  Ville , 
c'est  donner  une  telle  liberté  au  marchant  que  franche- 
ment il  amène  en  ceste  ville,  affin  que,  soubz  ceste  liberté 
et  franchise,  Ton  ait  abondance,  et  de  ceste  abondance 
vienne  la  vente  depris  '  comme  de  la  nécessité  et  pénurie 
procedde  toute  cherté.  » 

Le  produit  de  toutes  ces  mesures  fiscales  reçut  un  emploi 
digne  de  Henri,  qu'on  a  qualifié  justement  de  «  type  accom- 
pli du  roi  dissipateur  '  ».  Ce  qui  eût  suffi  à  la  solde  de 
plusieurs  armées  servit  à  donner  un  éclat  royal  aux  noces 
de  Joyeuse  et  de  la  Valette,  les  deux  mignons  préférés. 
Joyeuse,  créé  duc  et  pair  le  7  septembre,  épousa,  le  24  sui- 
vant, Marguerite  de  Lorraine,  sœur  de  la  reine.  La  céré- 
monie eut  lieu  à  Saint-Germain  l'Auxerrois  avec  un  faste 
inouï,  qui  constrastait,  de  Thou  le  remarque,  avec  la  misère 
du  peuple.  Après  la  cérémonie  du  mariage,  il  y  eut  une 
interminable  succession  de  festins,  carrousels,  tournois, 
mascarades,  joutes,  concerts,  bals.  L'Estoilc  évalue  la  dé- 
pense que  fit  le  roi  à  1,200,000  écus  d'or,  près  de  11  mil- 
lions de  notre  monnaie.  Il  donna  à  chacun  des  époux 
300,000  écus  d'or.  La  Valette  fut  l'objet  de  prodigalités 

i.  Henri  III  n'ayait  pas  contribué  dans  une  faible  mesure  à  Ténorme 
extension  des  impôts  indirects.  G*est  ainsi  qu'en  février  1577  il  avait  établi 
les  droits  spécifiques  à  Texportation  connus  sous  le  nom  de  traite  doma- 
niale (FoNTANON,  t.  II,  p.  527).  Ils  grevaient  surtout  les  céréales,  les  légumes, 
les  vins,  etc.  En  mai  1581,  on  doubla  presque  tous  les  tarifs  des  traites 
foraines  (droits  perçus  à  la  frontière).  Voy.  Clasaobran,  Hist,  de  l'impôt,  t.  II, 
p.  233. 

2.  Depris,  synonyme  de  maigre,  bas.  Voy.  Lacurxb  de  Sauvt-Palatb,  t.  V, 
p.  75. 

3.  Clahagbran,  Hist.  de  l'impôt  en  France,  t.  II,  p.  186  (Paris,  1868). 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  141 

semblables  :  on  le  fiança  à  une  autre  sœur  de  la  reine,  la 
princesse  Christine,  qui  n'était  pas  nubile.  Aussi  le  mariage 
fut-il  ajourné,  mais  non  le  payement  de  la  dot.  En  outre, 
le  roi  acheta  au  roi  de  Navarre  le  domaine  d'Ëpemon, 
près  de  Chartres,  et  Térigea  en  duché-pairie  pour  la  Va- 
lette (édit  du  27  nov.).  Le  seigneur  d*0  fut  un  peu  jaloux  : 
on  l'envoya  faire  un  petit  voyage  en  Normandie.  Pour 
suivre  l'exemple  du  roi,  tous  les  grands  personnages  don- 
nèrent des  fêtes  splendides  à  Paris,  en  l'honneur  de  Joyeuse. 
Entre  tous,  le  cardinal  de  Bourbon  se  signala  par  ses  pro- 
fusions. Il  donna,  le  10  octobre,  un  festin  colossal  à  l'abbaye 
de  Saint-Germain  des  Prés  et  promena  les  invités  dans 
un  jardin  artificiel,  garni  de  fleurs  et  de  fruits  comme  au 
cœur  de  l'été.  Sur  la  Seine,  le  cardinal  avait  organisé  une 
fête  nautique,  avec  monstres  marins,  feu  d'artifice  et  navire 
de  triomphe  pour  le  roi.  Cinquante  mille  Parisiens  entassés 
sur  la  rivière  contemplaient  ce  spectacle  extraordinaire, 
qui,  du  reste,  ne  donna  pas  ce  qu'il  promettait,  car  les 
monstres  marins,  «  tritons,  balènes,  serenes,  saumons, 
dauphins,  tortues  et  jusques  au  nombre  de  vingt-quatre, 
en  aucuns  desquels  estoient  portés,  à  couvert  au  ventre 
desdits  monstres,  les  trompettes,  clairons,  hautbois,  vio- 
lons, cornets  et  autres  musiciens  d'excellence,  mesmes 
quelques  tireurs  de  feux  articiels  »,  furent  dans  l'impossi- 
bilité de  se  mouvoir;  mais  le  ballet  de  Circé,  donné  au 
Louvre  par  la  reine  (15  oct.),  et  les  carrousels  des  jours 
suivants,  réussirent  beaucoup  mieux.  La  féerie  ne  s'arrêta 
que  quand  le  roi  se  déclara  exténué,  et  l'Estoile  conclut 
philosophiquement  que  s'il  eût  été  las  un  peu  plus  tôt  «  il 
eust  beaucoup  espargné,  et  des  deniers  que  pour  y  fournir 
il  avoit  levés  sur  le  pauvre  peuple,  et  de  sa  réputation 
envers  les  siens  et  les  estrangers.  Mais  c'est  l'ordinaire 
des  princes  de  s'adviser  sur  le  lard  de  leurs  fautes  *.  » 

1.  L'EsTOiLB,  1. 11,  p.  34. 


142  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Si  les  fêtes  s'arrêtèrent  par  ce  motif,  comme  dit  Fénelou 
dans  certaine  fable,  que  la  satiété  entraîne  le  dégoût,  il 
n'en  fut  pas  de  même  pour  les  demandes  d'argent 
adressées  par  le  roi  à  son  bon  peuple  et  spécialement 
à  la  Ville  de  Paris.  Par  lettres  du  20  janvier  4582, 
Henri  III  déclara  au  prévôt  des  marchands  qu'il  avait 
besoin  d'une  somme  de  100,000  écus  *  pour  payer  les 
pensions  dues  aux  cantons  suisses  et  pour  ainsi  conserver 
leur  alliance,  que  l'Espagne  s'efforçait  d'enlever  à  la 
France.  On  était  en  retard  de  500,000  à  600,000  écus, 
et  les  cantons  suisses  réclamaient  impérieusement  l'ar- 
riéré. Vainement  le  roi  prétendait  qu'il  n'avait  pas 
d'argent;  les  ambassadeurs  n'en  faisaient  que  rire,  en  rap- 
pelant les  l,200y000  écus  dépensés  aux  noces  de  Joyeuse, 
et  ajoutaient  que  si  le  monarque  avait  trouvé  de  l'argent 
pour  suffire  à  de  pareilles  prodigalités,  il  en  trouverait 
bien  encore  pour  les  affaires  sérieuses.  Il  fallait  donc 
s'exécuter  ou  tout  au  moins  en  avoir  l'air.  Ainsi  Henri  III 
s'adressa-t-il  à  sa  bonne  ville,  et,  avec  son  ironie  habi- 
tuelle, il  déclara  que  depuis  quelques  années  il  avait  fait 
des  levées  extraordinaires  sur  ses  sujets  de  toutes  les 
villes  et  élections,  «   sans  que  sa  Ville  de  Paris  ayt  été 


1.  D'après  l'ordonnance  royale  enregistrée  au  Parlement  le  18  novem- 
bre 1577,  et  &  la  cour  des  Monnaies  le  20  novembre  suivant,  Técu  sol  valait 
tt  soixante  solz  tournois  »,  l'écu  couronne  valait  cinquante-neuf  sols  tour- 
nois; <i  l'écu  viel  »  valait  un  écu  et  douze  sols  tournois;  le  double  Henri 
valait  treize  escus  sol.  Quant  aux  monxiaies  d'or  espagnoles,  le  vieux  ducat 
double  d'Espagne  valait  deux  escus  sol  et  un  quinzième  ;  l'écu  simple  d'Es- 
pagne, dit  pistolet,  volait  cinquante-huit  sols  tournois.  Citons  également 
la  valeur  de  quelques  monnaies  d'argent  :  le  franc  d'argent  valait  un  tiers 
d*écu  ou  vingt  sols  tournois.  Il  fallait  donc  trois  francs  d'argent  pour  avoir 
l'équivalent  d'un  escu  sol.  I<e  tes  ton  aux  armes  de  France  valait  quatorze 
sols  six  deniers  tournois.  Les  pièces  de  quatre  réalles  d'Espagne  valaient 
un  Uers  d'écu  ou  vingt  sols  tournois;  le  double  réalle  d'Espagne  valait  dix 
sols  tournois  ;  le  simple  réalle  d'Espagne  valait  cinq  sols  tournois.  On  peut 
consulter,  sur  la  valeur  des  monnaies  françaises  et  étrangères  au  xvi«  siècle, 
le  Recueil  des  ordonnances,  édicts,  déclaraiions,  etc.,  des  monnayes  d^or  et 
d'argent  et  autres  espèces  tant  de  France  qu*estrangêres,  Paris,  1  vol.  in-5«, 
chez  Pierre  Charpentier,  contre  l'horloge  du  Palais,  1633, 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  143 

aulcunement  comprise  es  dictes  levées,  pour  l'avoir  tou- 
jours eu  en  si  singulière  recommandation  et  voulu  icelle 
réserver  pour  nous  servir  et  en  tirer  secours  en  l'extrême 
et  très  urgente  nécessité  '  ».  Une  assemblée  du  Bureau  eut 
lieu  le  23  février,  et  la  municipalité  prit  la  délibération 
suivante  :  «  Ouverture  du  Bureau  de  la  Ville  sera  fàicte 
pour  le  recouvrement  de  la  somme  de  50,000  écuz  pour  le 
paiement  desdictz  Suisses,  pourveu  que  ce  soit  de  gré  à 
gFé  et  sans  aulcune  contraincte  pour  ceulx  ausquelz  sera 
constitué  rente  se  paier  des  arréraiges  d'icelle  des  deniers 
de  l'assignation  particulliëre  qui  sera  baillée  par  le  roy  et 
sans  icelle  confondre  *  ».  Au  moyen  de  cette  émission  de 
rentes,  le  roi  put  combler  de  présents  les  ambassadeurs 
suisses  et  les  renvoyer  dans  leur  pays  pleins  de  zèle  pour 
la  France.  Ils  revinrent  au  mois  de  novembre  avec 
mandat  de  renouveler  l'alliance.  C'était  un  succès  pour  la 
politique  française,  car  le  roi  d'Espagne  n'avait  pu  ébranler 
la  fidélité  des  cantons  suisses  par  les  offres  les  plus  bril- 
lantes. Aussi  donna-t-on  le  plus  grand  éclat  à  la  réception 
des  ambassadeurs  suisses.  Par  lettres  du  26  novem- 
bre 1S82,  le  roi  prescrivit  au  prévôt  des  marchands  et  à 
ses  collègues  d'aller  au-devant  des  ambassadeurs  suisses 
et  de  leur  faire  des  présents.  Le  28,  tout  le  corps  de  Ville, 
prévôt,  échevins,  receveur,  greffiers,  conseillers,  quartî- 
niers,  sergents,  archers,  arbalétriers  et  arquebusiers,  en 
grand  costume  d'apparat,  reçurent  les  ambassadeurs  à  la 
porte  Saint- Antoine.  «  Au  nom  des  trois  estats  de  la 
capitalle  du  royaume  »,  le  prévôt  des  marchands  adressa 
aux  étrangers  une  harangue  que  les  registres  ont  con- 
servée. Puis  le  cortège  se  reforma  et  conduisit  les  Suisses 
jusqu'au  logis  qui  leur  était  destiné  «  rue  Saint-Denis  et 
ès-en virons  ».  Une  visite  officielle  fut  faite  le  lendemain 

1.  Rbo.  h,  1788,  foL  288. 

2.  Ibid.y  fol.  289. 


144  PARIS  ET  LA  LIGUE 

aux  ambassadeurs  par  les  officiers  municipaux,  qui  leur 
offrirent,  au  nom  de  la  Ville,  «  grande  quantité  d'hypocras 
blanc  et  clairet  avec  plusieurs  flambeaux  de  cire  ».  Et  tant 
que  les  Suisses  demeurèrent  à  Paris  «  leur  fut  encores 
présenté  chacun  matin  grand  nombre  de  bouteilles  de  vin 
viel  et  nouveau  ypocras,  dragées  et  pastez  de  Jambons  de 
Mayence  *  ».  La  ville  n'en  fut  pas  quitte  pour  cela  avec  la 
députation  helvétique.  Le  2  décembre,  il  fallut  assister, 
dans  l'église  Notre-Dame,  au  service  solennel  dans  lequel 
les  ambassadeurs  «  fcirent  le  serment  en  tel  cas  accoustumé 
ès-mains  de  monseigneur  le  cardinal  de  Birague,  d'entre- 
tenir ladicte  aliance  et  confédération  ».  Le  même  jour,  à 
trois  heures,  il  y  eut  Te  Deum,  procession  et  salut  «  pour 
prier  Dieu  de  donner  lignée  au  roy  '  ».  Devant  l'Hôtel  de 

1.  Rb6.  h,  1788  bit,  fol.  310.  Ce  registre  H,  1788  bU,  ne  forme  qu'un  seul 
tome  avec  H,  1788.  Il  porte  la  mention  suivante  :  Continuation  du  pré- 
sent registre,  commençant  au  jour  de  my-aoust,  l'an  mil  P  quatre  vingt z 
deux  pour  les  quatre  années  du  magistrat  de  messire  Estienne  de  Nully,  che- 
valier seigneur  dudict  lieu,  conseiller  du  roy  en  son  conseil  d'Estat,  premier 
président  en  sa  court  des  Aides  à  PatHs,  Prévost  des  marchansde  ladicte  Ville. 

2.  Ibid.,  fol.  312.  Henri  III  s'était  déjà  bien  souvent  adressé  au  ciel  pour 
obtenir  une  progéniture  qui  devenait  plus  que  problématique.  En  juin  1582, 
il  avait  fait,  avec  la  reine,  un  voyage  &  Notre-Dame  de  Chartres,  et  avait 
laissé  pour  souvenir  de  sa  visite  une  lampe  d'argent  du  poids  de  quarante 
marcs,  avec  cinq  cents  livres  de  rente  «  pour  la  faire  ardoir  nuit  et  jour  ». 
Pendant  tout  le  cours  de  Tannée  1582,  le  roi  fit  dire  des  prières  dans  toutes 
les  églises  de  Paris  «  à  ce  qu'il  pleust  à  Dieu  donner  à  sa  femme  lignée  qui 
peust  succéder  à  la  couronne  de  France,  dont  il  avoit  singulier  désir  ». 
L'EsToiLE,  t.  Il,  p.  95.  —  Les  registres  de  la  Ville  mentionnent  sous  la  date 
du  9  décembre  1582  une  autre  grande  procession  «  pour  la  lignée  du  roi  ». 
Tout  le  corps  municipal  y  assista  en  costume  d'apparat.  Le  roi  et  la  reine 
accompagnèrent  jusqu'à  Notre-Dame  la  chftsse  de  sainte  Geneviève  et  les 
reliques  de  la  Sainte- Chapelle.  Après  une  messe  solennelle,  dite  dans  la 
cathédrale,  MM.  de  la  Ville  conduisirent  «  la  châsse  de  Madame  Sainte- 
Geneviève  jusques  au- devant  de  l'église  Sainte-Geneviève  des  Ardans  •  ; 
puis  les  magistrats  municipaux  rentrèrent  à  l'Hôtel  de  Ville.  Rbg.  H,  1788  6t>, 
fol.  313.  Le  roi  avait  lui-même  donné  ses  ordres  au  prévôt  des  marchands, 
en  ce  qui  concerne  cette  procession.  Le  registre  que  nous  venons  de  citer 
le  constate  en  ces  termes  :  «  Cejourd'huy  26  novembre  1582,  M.  le  pre- 
mier président  de  NuUy  (de  la  Cour  des  aides),  prévôt  des  marchands,  a 
déclairé  au  bureau  de  la  Ville  que,  estant,  le  jour  d'hier,  à  l'issue  du  disner 
du  roy  au  Louvre,  Sa  Majesté  luy  auroit  dict  que,  ayant  toute  ceste  année 
qui  expirera  d'huy  en  huict  jours,  faict  et  faict  faire  par  son  peuple  prières 
publiques  à  Dieu  pour  avoir  lignée  et  les  désirant  continuer,  lui  avoit 
ordonné  de  faire  entendre  à  Messieurs  l'évesque  de  Paris,  chappittre  dudict 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  145 

Tillcy  un  féu  de  joie  fut  allumé,  une  pièce  de  vin  défoncée 
pour  le  peuple,  et  l'artillerie  municipale  tira  plusieurs 
salves,  en  Thonneur  de  .la  Suisse.  Enfin,  le  lendemain,  les 
échevins  Jean  Poussepin  et  Denis  Mamyneau  allèrent 
«  quérir  en  coches  »  les  ambassadeurs  pour  les  conduire 
au  grand  festin  donné  en  leur  honneur  à  l'Hdtel  de  Ville. 
Pour  la  circonstance,  on  avait  décoré  de  lierre  le  grand 
escalier  de  la  maison  commune.  Dans  la  grand'salle, 
(c  tapissée  de  deux  haulteurs  de  fine  tapisserie  »,  eut  lieu 
un  festin  digne  du  formidable  appétit  des  descendants  do 
Guillaume  Tell;  cependant,  si  l'on  en  croit  la  relation 
municipale,  «  toutes  choses  se  passèrent  en  grande  révé- 
rence et  modestie  ». 

Quand  il  s'agissait  d'un  grand  intérêt  politique,  tel  que 
l'alliance  avec  les  cantons  catholiques  de  la  Suisse,  la 
municipalité  parisienne  donnait  volontiers  l'argent  de  la 
Ville  ;  mais,  quand  elle  ne  se  trouvait  plus  en  présence  que 
du  bon  plaisir  du  prince,  qui  considérait  le  receveur  muni- 
cipal comme  un  caissier  offert  par  le  droit  divin  pour  donner 
carrière  à  des  caprices  insensés  et  aux  prodigalités  les  plus 
folles,  alors  les  élus  de  Paris  s'indignaient  hautement  et 
commençaient  à  tenir  tête  au  roi.  Nous  avons  dit  plus  haut 
à  quelle  orgie  de  dépenses  avaient  donné  lieu  le  mariage 
du  duc  de  Joyeuse  et  les  fiançailles  du  duc  d'Epemon.  Il 
avait  fallu  ensuite  garnir  la  bourse  de  ces  brillants  sei- 
gneurs, qui  désiraient  faire  un  voyage  en  Lorraine.  A  cet 
effet,  le  roi  avait,  en  mars  1582,  «  prins  des  coffres  de 

lieu,  abbé  de  Saincte-Geneviëve,  Court  de  parlement  et  &  MM.  de  ladicte 
Ville  que  Sa  Majesté  avoit  adyisé  faire  procession  généralle  dimanche  pro- 
chain, en  laquelle  il  feroit  porter  les  sainctes  reliques,  châsse  de  Madame 
Salncte-GeneTiève  et  aultres  reliques  des  églises,  et  que  ledict  sieur  roy  y 
assistera  en  personne;  et,  pour  ce,  que  chascun  eust  à  soy  y  disposer  et 
préparer.  Depuis  laquelle  ordonnance,  Sa  Mi^esté  auroit  remis  ladicte  pro- 
cession au  dimanche  neufviesme  Jonr  de  décembre  ensuivant.  •  Il  y  a  sur 
ce  point  une  légère  erreur  dans  TËstoile,  qui  est  ordinairement  en  concor- 
dance parfaite  avec  les  Registres  de  la  Ville.  Il  indique  la  procession  géné- 
rale sous  la  date  du  !•'  décembre,  t.  II,  page  95. 

ROBIQUET.  10 


146.  PARIS  ET  LA  LIGUE 

M*  François  de  Vignî,  receveur  de  l'Hostel  de  la  Ville  de 
Paris,  cent  mille  escus  pour  les  bailler  aux  ducs  de  Joieuse 
et  d*Espernon,  à  chacun  40  mil  escus  ^  pour  les  frais  de 
leur  voiage  en  Lorraine  où  ils  alloient  voir  les  parens  de 
leurs  femmes.  De  quoi  le  peuple  de  Paris  se  scandaliza  et 
murmura  fort,  voiant  les  paiemens  des  arrérages  de  leurs 
rentes  retardés  d'autant,  et  mesmes  que  le  roy  les  avoit 
comme  extorqués  par  force  du  receveur  de  Vigni,  qui 
tascha,  le  plus  qu'il  peust,  de  ne  les  point  bailler,  s^excu- 
sant  sur  Timportunité  et  menasse  du  peuple,  le  pressant 
de  leur  paier  les  quartiers  de  leursdites  rentes  despeiça 
escheus.  »  Mais  Henri  III,  loin  de  sentir  l'opprobre  de 
cette  exaction  violente,  qui  ressemblait  à  un  vol,  n'attendit 
pas  longtemps  pour  tirer  d'autres  inventions  fiscales  de  sa 
féconde  imagination.  En  décembre  1582,  il  fit  ordonner 
par  son  Conseil  secret  une  taxe  sur  «  tous  les  marchands 
de  Paris,  achetans  et  vendans  du  vin  en  gros  »,  avec 
commandement  pour  chacun  d'eux  de  payer  sa  cote  dans 
les  vingt-quatre  heures,  à  peine  de  prison.  Des  taxes 
analogues,  variant  d'après  les  ressources  présumées  de 
chaque  contribuable,  avaient  été  imposées  peu  de  temps 
auparavant  sur  les  officiers  des  greniers  à  sel  et  sur  tous 
ceux  qui  se  mêlaient  du  commerce  du  sel.  Au  mois  de 
janvier  1583,  le  roi,  ayant  payé  aux  Suisses  une  partie  des 
arrérages  échus  de  leurs  pensions,  voulut  remplir  ses 
cofifres,  qui  ressemblaient,  à  s'y  méprendre,  au  tonneau  des 
Danaïdes.  Il  réclama  aux  villes  du  royaume  un  don  gratuit 
de  1,500,000  écus.  Paris,  pour  sa  part,  était  taxé  à 
200,000  livres  que  le  roi  demandait  «  pour  ses  urgens 
affaires  ».  Une  assemblée  générale  eut  lieu  le  12  février 
à  l'Hôtel  de  Ville,  en  présence  de  Villequier,  gouverneur 
de  Paris,  et  du  cardinal  de  Bourbon,  délégués  du  roi. 

1.  L'EsTOiLB  semble  ici  laisser  entendre  que  le  roi  arait  gardé  pour  ea 
commission  une  somme  de  vingt  mille  écus,  t.  II,  p.  61. 


LA   RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  147 

On  décide  «  que  remonstrances  très  humbles  seront 
faictes  à  sa  Majesté  »  ^ 

A  la  date  du  16  février,  les  remontrances  municipales 
étaient  terminées  «  et  baillées  par  escript,  présens  les- 
dictz  sieurs  eschevins,  plusieurs  conseillers  de  ladicte 
ville,  bourgeois  et  aultres  ».  Le  ton  général  de  ces  remon- 
trances, très  développées  et  dont  les  Registres  donnent  le 
texte  complet,  est  surtout  remarquable  en  ce  que  les 
membres  de  la  municipalité  parisienne  ne  parlent  pas  seu- 
lemcnt  en  leur  nom  personnel,  mais  au  nom  de  toute  la 
population  et  des  grands  corps  de  TËtat. 

Une  première  raison,  donnée  par  la  Ville  à  l'appui  de  la 
demande  d'exemption,  c'est  que  Paris  est  une  ville  privi- 
légiée entre  toutes,  à  laquelle  les  rois  ont  de  tout  temps 
accordé  de  larges  immunités.  Il  en  a  été  de.  même  pour 
les  capitales,  aux  différentes  périodes  de  l'histoire  des 
peuples  '.  A  ce  premier  argument,  qui  ne  dérive  pas,  il 
faut  l'avouer,  d'un  sentiment  bien  élevé,  et  trahit  un  peu 
l'égoïsme  des  privilégiés,  la  municipalité  parisienne  en 
ajoute  d'autres,  plus  sérieux;  elle  soutient  que  pas  une 
des  catégories  de  la  population  parisienne  n'est  en  état  de 
supporter  de  nouveaux  sacrifices.  Quelles  sont  ces  caté- 
gories? Il  y  en  a  quatre  :  l'Église;  les  officiers  du  roi;  les 
marchands;  les  artisans.  Le  clergé  a  déclaré  dans  l'assem- 
blée générale  de  THôtel  de  Ville  qu'il  avait  déjà  payé  deux 
décimes  extraordinaires  et  qu'il  avait  promesse  du  roi  de 
ne  pas  être  compris  dans  la  nouvelle  taxation;  les  officiers^ 

1.  Rbo.  h,  1788  àU,  fol.  322. 

2.  «  Cela  a  esté  efTectué  par  tous  ceulx  qai  ont  touIu  establir  graDdz 
royaumes  et  monarchies  :  le  Soldan  en  Egypte  avolt  la  ville  d'Alexandrie; 
le  Grand  Seigneur  a  Constantin ople;  le  Vénitien  à  Venise;  le  sage  et  poli- 
Uque  romain  &  sa  ville  de  Romme,  toutes  lesquelles  villes  furent  toujours 
exemptes  de  levées  de  deniers...  »  Spécialement,  les  rois  de  France,  depuis 
Clovis,  ont  favorisé  leur  capitale  et  développé  ses  immunités.  Il  y  a  donc 
lieu  de  se  plaindre,  si  le  roi  régnant  n'imite  pas  ses  prédécesseurs,  et  de 
constater  avec  regret  que  Paris  soit  maintenant  «  taxé  et  cottisé  au  rang 
de  tontes  les  aultres  villes  ». 


148  PARIS  ET  LA  LIGUE 

c'est-à-dire  les  fonctionnaires,  affirment  «  qu*il  leur  est 
deu  une  bonne  partie  de  leurs  gages  et  depuis  quelque 
temps  l'exercice  de  la  justice  royale  cesse  ».  Mais  c*est 
surtout  la  classe  des  marchands  et  des  bourgeois  qui  fait 
entendre  les  plainctes  les  plus  amères  *.  La  municipalité 
conclut  en  se  plaignant  hautement  de  la  suspension  dH 
payement  des  rentes  sur  l'Hôtel  de  Ville,  suspension  exclu- 
sivement imputable  au  roi,  qui  au  début  de  Tannée  4582 
a  pris  100,000  écus  dans  la  caisse  municipale,  et  au  clergé, 
qui  ne  paye  plus  les  sommes  assignées  sur  lui  '. 

Le  prévôt  des  marchands,  M.  le  président  de  Nully, 
remit  les  remontrances  au  roi,  qui  se  contenta  de  répondre 
qu'il  les  verrait  et  les  communiquerait  à  son  Conseil;  il 
enveloppa  cette  réponse  de  mille  promesses  de  respecter 
les  privilèges  et  franchises  «  de  ses  bons  bourgeois  de 
Paris  »;  mais,  dans  une  communication  écrite  qui  suivît 
de  près  la  communication  verbale,  Henri  HI  fit  savoir 
à  la  Ville  qu'il  voulait  avoir  les  200,000  livres,  sans 
aucune  réduction,  et  qu'on  ne  lui  en  parl&t  plus.  On  pou- 
vait  faire  d'ailleurs   autant  d'assemblées  et  de   remon- 

• 

1.  u  La  marchandise,  Sire,  est  diminuée  depuis  quelques  années  des  deux 
tiers,  tant  pour  le  peu  de  sûreté  qui  s'est  trouvé,  et  en  la  mer  et  en  la  terre 
en  Tostre  royaume  que  es  circom voisins,  et  pilleries  et  voUeries  qui  y  sont 
faictes,  au  molen  des  guerres  qui  y  sont  survenues,  que  aussi  les  imposi- 
tions que  Ton  y  a  mises  de  nouveau  sur  toutes  sortes  de  marchandises, 
mesmes  la  douane  en  vostredicte  Ville  de  Paris,  qui  sont  cause  de  Tex- 
tréme  cherté  de  toutes  marchandises,  à  la  grande  fouUe  de  vostre  peuple, 
et  d'avoir  réduict  plusieurs  bons  marchans  &  faire  faillite  et  banqueroute.  » 
On  ne  peut  espérer  tirer  des  artisans  que  «  peu  d'argent  ou  point  du  tout, 
et  ce  peu  accompaigné  de  beaucoup  de  crieries  et  de  murmures,  et  de  peu 
ou  poinct  de  respect  ».  Quant  aux  bourgeois,  ceux  qui  ont  «  biens  aux 
champs  »,  ne  touchent  pas  leurs  fermages,  parce  que  les  fermiers  sont  fort 
accablés  par  les  creues  des  tailles  et  pillés  par  les  gens  de  guerre  «  au  poiacl 
que  les  propriétaires  sont  obligés  de  remonter  leurs  pauvres  fermiers  de 
chevaulx,  bestiaulx  et  toutes  autres  choses  nécessaires  pour  leur  labour  ». 
On  remarquera  dans  ce  passage  des  remontrances  Tallusion  faite  à  Tédit 
du  20  mai  1581  instituant  un  bureau  de  douanes  dans  chaque  ville  du 
royaume. 

2.  Il  y  a  certes  quelque  monotonie  dans  le  renouvellement  fréquent  des 
remontrances  municipales,  mais  on  ne  peut  les  passer  sons  silence,  sans 
omettre  l'une  des  causes  principales  de  l'insurrection  ligueuse,  et  cette 
cause  est  peu  connue. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  149 

trances  qu'on  voudrait  :  c'est  de  quoi  le  prince  ne  s'inquié- 
tait pas.  Dans  une  assemblée  générale  du  i""  mars  1583, 
le  prévôt  des  marchands  transmit  à  ses  mandants  les 
lettres  royales.  Sur  quoi,  l'assemblée  décide  «  que  Sa 
Majesté  sera  derechef  suppliée  très  humblement  de  vouloir 
bien  descharger  ladicte  Ville  de  ladicte  somme  de 
200,000  livres,  pour  les  causes  à  plain  déclarées  es  dictes 
remonstrances  ».  Ce  nouveau  refus  exaspéra  le  roi,  qui 
alla  derechef  trouver  de  Vigny,  le  receveur  municipal,  et 
se  fit  remettre  par  force  les  200,000  livres  dont  il  avait 
besoin  ^  La  conséquence  de  cet  acte  de  violence  fut  que 
ks  quartiers  de  rente  dont  le  receveur  allait  effectuer  le 
payement  restèrent  encore  en  souffrance.  On  devine  la 
colère  et  l'indignation  des  rentiers.  Sous  la  pression  de 
leurs  plaintes,  la  municipalité  parisienne  tint  de  nom- 
breuses assemblées  pour  aviser  au  moyen  de  remplacer  les 
fonds  détournés  par  le  roi.  Il  fallut  aussi  résister  à  d'autres 
tentatives  de  Henri  III,  qui  voulait  forcer  la  Ville  à 
recevoir  «  plusieurs  de  ses  domaines  et  aydes  »  en 
échange  de  la  ferme  des  impôts  de  Bretagne  que  des  con- 
trats authentiques  avaient  conférée  à  la  Ville  de  Paris  le 
3  novembre  1582  '.  Sur  ce  point,  deux  assemblées  du 
Bureau  (tenues  le  5  juillet  et  le  6  sept.  1583)  opposèrent 
un  refus  formel  aux  instances  du  roi  et  de  la  reine 
mère. 

On  eût  dit  que  cette  race  des  Valois  prenait  à  tâche  de 
soulever  contre  elle  la  conscience  publique  et  s'abandon- 
nait à  «  l'esprit  d'étourdissement  »  dont  parlait  l'avocat 
David  dans  son  mémoire  '.  Placé  par  le  hasard  des  cir- 

1.  Rao.  h,  1788  Ins,  fol.  330,  et  l'Estoile,  t.  II,  p.  99. 

2.  RsG.  H,  1788  bis,  f-  330  et  348. 

3.  «  Il  se  voit  à  rœil  que  la  race  des  Gapets  est  du  tout  abandonnée  à 
sens  réprouvé  :  ]es  uns  étant  frappés  d'un  esprit  d'étourdissement,  gens 
stupides  et  de  néant;  les  autres  réprouvés  de  Dieu  et  des  hommes,  pour 
leur  hérésie,  proscrits  et  rejetés  de  la  saincte  communion  ecclésiastique...  >* 
MtM.  DB  LA  ûouB.  Édit.  d'Amslcrdam,  1758,  t.  I,  p.  3. 


ISO  PARIS  ET   LA  LIGUE 

constances  dans  une  des  plus  belles  situations  politiques 
qu'un  prince  pût  rêver,  le  duc  d'Anjou  l'avait  compromise 
par  sa  félonie  criminelle.  A  un  peuple  qui  l'accepte  pour 
chef  et  lui  prodigue  les  honneurs  ^  il  répond  en  essayant 
de  l'asservir  et  occupe  par  surprise  Dunkerque,  Dixmude, 
Dendermonde  et  plusieurs  autres  places;  mais  Anvers 
rejette  les  soldats  du  traître,  les  habitants  des  Pays-Bas  se 
lèvent  en  masse  et  réduisent  le  nouveau  duc  de  Brabant  à 
une  fuite  honteuse.  Tandis  que  son  frère  rentre  en  France 
(juin  1583)  et  va  ensevelir  sa  honte  dans  ses  domaines  do 
l'Oise  et  de  la  Marne,  laissant  le  champ  libre  aux  Espa- 
gnols du  prince  de  Parme,  Henri  III  descend  aussi  la  pente 
de  l'odieux  et  du  ridicule.  Il  avait  passé  un  joyeux  carême, 
courant  les  rues,  la  nuit,  en  masque,  avec  ses  mignons, 
faisant  «  mille  insolences  »,  dit  l'Estoile,  «  allant  rôder  de 
maison  en  maison,  voir  les  compagnies  jusques  à  six 
heures  du  matin.  »  Tout  cela  entremêlé  d'élans  mystiques 
et  de  fondations  pieuses.  La  création  de  la  confrérie  des 
pénitents  de  t Annonciation  de  Notre-Dame  est  du  mois 
de  mars  1583*;  elle  donna  lieu  à  une  procession  solennelle 
(25  mars)  dans  laquelle  le  roi  figura  ainsi  que  les  plus  grands 
personnages  du  royaume,  et  reçut  la  pluie  avec  une  rési- 
gnation angélique.  On  chanta  : 


Après  avoir  pillé  la  France, 
Et  tout  son  peuple  despouillé, 
Est-ce  pas  belle  pénitence 
De  se  couvrir  d'un  sac  mouillé? 


1.  Le  duc  d^Ânjou  avait  été  proclamé  duc  de  Brabant  à  Anvers  le 
19  février  1582,  &  son  arrivée  d'Angleterre,  où  Elisabeth  l'avait  publique- 
ment traité  comme  son  fiancé.  Le  prince  d'Orange  l'avait  mené  faire  son 
entrée,  comme  comte  de  Flandre,  à  Bruges  et  à  Gand. 

2.  Voy.  les  statuts  de  la  congrégation  :  Abch.  cur.,  t.  X,  l'»  série,  p.  434. 
Le  costume  des  confrères  se  composait  d'un  long  sac  en  toile  de  Hollande, 
avec  un  capuchon  pointu  qui  couvrait  la  face,  sans  autre  ouverture  que 
deux  trous  pour  les  yeux.  Les  art.  7  à  17  établissent  un  tarif  de  péni- 
tences pour  les  péchés  de  toute  nature. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  151 

L'édification  du  peuple  était  plus  que  douteuse  :  le  clergé 
lui-même  raillait  cruellement  les  pénitents  de  cour  et  leur 
chef.  A  part  le  jésuite  Auger,  confesseur  du  roi,  qui  avait 
poussé  son  maître  à  introduire  à  Paris  les  momeries  d'Avi- 
gnon, les  moines,  les  prédicateurs  en  vogue  tonnaient  du 
haut  de  la  chaire  contre  la  nouvelle  confrérie.  Maurice 
Poucet  \  moine  bénédictin  de  Melun,  puis  curé  de  Saint- 
Pierre  des  Arcis,  prêchait  le  carême  à  Notre-Dame  en 
mars  1583.  C'était  un  homme  instruit,  mais  d'une  élo- 
quence mordante  et  souvent  ^grossière,  qui  plaisait  infini- 
ment au  peuple,  il  cribla  de  sarcasmes  les  pénitents  de 
l'Annonciation,  qu'il  appelait  «  la  Confrérie  des  hypocrites  et 
atheïstes  ».  Puis,  il  révélait,  dans  les  termes  suivants  que 
rapporte  l'Es  toile,  la  suite  des  rites  de  la  sainte  associa- 
tion :  «  J'ay  esté  adverti  de  bon  lieu,  qu'hier  au  soir  (qui 
estoit  le  vendredi  de  leur  procession),  la  broche  tournoit 
pour  le  soupper  de  ces  bons  pénitents,  et  qu'après  avoir 
mangé  le  gras  chappon,  ils  eurent  pour  leur  collation  de 
nuit  le  petit  tendron  qu'on  leur  tenoit.tout  prest.  Ah! 
malheureux,  vous  vous  mocquez  donc  de  Dieu  sous  le 
masque...  »  Le  roi  fit  conduire  Poucet  à  Melun  dans  l'ab- 
baye de  Saint -Père  par  le  chevalier  du  guet.  Avant  le  départ 
du  moine,  le  duc  d'Èpernon  le  vint  voir  et  lui  dit  :  «  Mon- 
sieur nostre  maistre,  on  m'a  dit  que  vous  faites  rire  les 
gens  h  vostre  sermon;  cela  n'est  guère  beau.  »  A  quoi 
Poucet  répondit  sans  se  troubler  :  «  Je  n'en  ai  jamais  tant 
fait  rire  en  ma  vie  comme  vous  en  avez  fait  pleurer.  »  Les 
moines  se  sentaient  populaires  dans  leur  campagne  sati- 
rique. Rose,  l'un  des  prédicateurs  ordinaires  du  roi,  n'avait- 
il  pas  osé,  en  ce  même  mois  de  mars,  blâmer  en  chaire  les 


4.  Voy.  sur  Poncet  Bibl.  de  la  Croix  du  Mai5b  et  du  Vehdibr,  v»  Maurice.  — 
SfBASTiBN  RouiLLARD,  Bist.  de  Meluu,  1628,  in-4«,  p.  627.  ~  De  Thou,  t.  IX, 
p.  69.  —  Confession  de  Sancy^  chap.  vm.  —  L'Estoile,  t.  II,  p.  111.  —  Ch. 
Labrtk,  les  Predic.  de  la  Ligue,  p.  23. 


152  PARIS  ET  LA  LIGUE 

licencieuses  et  nocturnes  promenades  de  Henri  m  suivi  de 
ses  mignons?  Le  roi  le  fit  venir  et  le  tança  vertement,  puis 
lui  donna  une  assignation  de  quatre  cents  écus  «  pour 
acheter  du  sucre  et  du  miel  ».  Clémence  aussi  spirituelle 
qu'inutile  :  Rose  sera  bientôt  Tun  des  plus  fanatiques 
meneurs  de  la  Ligue.  Jusque  dans  les  cuisines  du  Louvre, 
on  riait  des  pénitents  et  Ton  parodiait  leurs  processions. 
Henri  se  fâcha  et  fit  fouetter  quatre-vingts  laquais  ou  pages. 
Pour  avoir  le  dernier  mot,  il  organisa  le  7  avril  une  nou- 
velle procession  de  pénitents^ à  neuf  heures  du  soir.  Plu-  . 
sieurs  des  associés  exhibèrent  à  cette  occasion  leurs  dos 
rouges  des  coups  qu'ils  se  donnaient. 

Paris,  qui  s'amuse  de  tout,  finit  d'ailleurs  par  prendre 
goût  aux  processions.  Tous  les  historiens  l'affirment  ^  On 
se  moquait  du  roi  et  des  mignons  dans  le  sac  de  toile,  mais 
on  croyait  à  l'efficacité  des  processions  pour  arrêter  la  peste. 
C'est  ainsi  que  le  8  octobre  1583  le  Bureau  de  la  Ville 
invite  le  prieur  des  Blancs-Manteaux  à  se  trouver,  le 
mardi  suivant,  avec  vingt-quatre  religieux  de  son  couvent 
et  un  reliquaire,  dans  l'église  de  Saint-Jehan  en  Grève,  afin 
d'accompagner  le  corps  municipal  à  une  procession  pré- 
servatrice. Les  Registres  constatent  *  que  des  mandements 
furent  adressés  aux  vingt-six  conseillers  de  la  Ville  et 
qu'ordre  fut  donné  aux  quartiniers  d'appeler  deux  nota-^ 
blés  de  chaque  quartier  pour  figurer  dans  le  cortège  que 
suivaient  également  les  archers,  arbalétriers  et  arquebu- 
siers de  la  Ville  ^.  A  côté  des  courtisans,  dont  la  foi  était 

1.  Voy.  notamment  Féubikv,  t.  II,  p.  1148. 

2.  Rb6.  h,  1788  bis,  ^  349. 

3.  Le  29  mai  1584,  le  roi  écrit  encore  &  la  Ville  pour  Tinviter  à  se  rendre 
à  la  procession  qui  se  fera  le  dimanche  suivant.  11  ajoute  qu'on  descendra 
la  chAsse  de  sainte  Geneviève  pour  «  implorer  Dieu  par  prières  et  orai- 
sons publicques,  à  ce  qu*il  luy  plaise,  en  apaisant  son  ire,  impartir  ce 
qui  est  nécessaire,  tant  pour  Taccroissement  et  conservation  des  fimictz 
de  la  terre  que  pour  la  salubrité  du  corps  >••  A  cette  procession,  des 
hommes  «  pieds  et  testes  nues  et  en  chemises  »  portèrent  les  saints  reli- 
quaires et  la  châsse  de  sainte  Geneviève.  L'évéque  de  Paris,  Tabbé  de 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  ÏSS 

sujette  à  contestation  et  que  Poncet  traitait  à'athéistes  au 
milieu  même  de  leurs  promenades  édifiantes,  il  y  avait 
aussi  Télément  humble  et  sincère  :  les  femmes,  les  paysans 
qui  accouraient  dans  la  capitale  pour  travailler  à  leur 
salut.  Le  10  septembre  1583,  on  vit  arriver  à  Paris  huit 
à  neuf  cents  pèlerins  vêtus  de  toile  blanche,  des  cierges 
ou  des  croix  à  la  main,  marchant  deux  à  deux  et  chan- 
tant des  cantiques.  C'étaient  les  habitants  de  deux  vil- 
lages de  la  Brie  que  conduisaient  deux  gentilshommes 
à  cheval  et  «  leurs  damoiselles  aussi  vQstues  de  mesmes 
dedans  ung  coche  ».  Ils  allaient  par  les  rues,  les  pieds  nus, 
déchirés  par  les  cailloux  des  chemins,  et  quand  ils  entrè- 
rent à  Notre-Dame  pour  faire  leurs  prières  et  leurs  offran- 
des, le  peuple  de  Paris,  qui  c<  accouroit  à  grand  foule  pour 
les  voir  »,  versa  des  larmes  de  pitié.  D'autres  bandes  arri- 
vèrent les  19  et  20  septembre,  les  18,  22  octobre  et  9  no- 
vembre ;  le  but  des  pèlerinages  était  en  la  Sainte-Chapelle 
ou  Sainte-Geneviève.  Pourquoi  ces  singuliers  déplacements 
de  villages  entiers?  On  ne  sait.  Quelques-uns  disaient,  à  ce 
que  rapporte  TEstoile,  «  qu'ils  avoient  esté  meus  à  faire  ces 
pénitences  et  pèlerinages  pour  quelques  feux  apparans  en 
Tair  et  autres  signes,  comme  prodiges  veus  au  ciel  et  en  la 
terre  ».  Chose  claire!  un  courant  religieux  entraînait  les 
masses,  menaçant  d'emporter  le  trône  de  France  et  de 
placer  le  sceptre  dans  la  main  des  moines.  Sans  parler  de 
son  goût  pour  les  cérémonies  bizarres,  Henri  III  se  croyait 

Sainte-GenevièTe,  les  compagnies  souveraines  et  le  corps  de  Ville  marchaient 
ensuite.  (làid,,  ^  397.)  Dans  une  autre  lettre,  écrite  de  Blois  au  prévôt  des 
marchands,  le  16  octobre  1584,  le  roi  exprime  nettement  la  pensée  que  la 
contagion  est  un  elTet  de  la  colère  de  Dieu  :  «  Très  chers  et  bien  âmes, 
nous  avons  desjà,  par  plusieurs  années  consécutives,  esté  visites  en  cestuy 
royaume,  mesmes  en  nostre  bonne  ville  de  Paris,  de  la  contagion  et  de 
plusieurs  austres  maladyes,  qui  nous  doibvent  assez  faire  congnoistre  que 
Dieu  est  grandement  courroucé  et  qu'il  nous  afflige  &  bon  droict  pour  nos 
iniquitez.  »  Cela  n*empèche  pas  le  roi  de  songer  aux  remèdes  terrestres, 
et  il  nomme  par  la  même  lettre  une  commission,  où  figurent  trois  délégués 
de  la  Ville,  «  pour  ensembtement  y  adviaer  et  remédier  du  mieux  que 
foire  se  pourra.  »  (Rbo.  H,  1788  bis,  ^  427.) 


154  PARIS  ET  LA  LIGUE 

sans  doute  habile  en  flattant  Tesprit  du  temps,  qui  faisait 
du  prêtre  le  vrai  souverain. 

Pour  la  population  parisienne,  tout  était  prétexte  à  spec- 
tacles. L'enterrement  d'un  grand  personnage  prenait  les 
proportions  d'un  événement.  Quand  Christophe  de  Thou, 
premier  président  au  Parlement,  mourut  (le  1"  novembre 
4582),  ce  fut  un  défilé  si  beau  que  le  roi  et  les  reines  vin- 
rent le  voir  passer  sur  le  quai  des  Augustins  ^  L'année 
suivante  (24  novembre  1583),  la  mort  du  cardinal  de 
Birague  donna  lieu  aussi  à  des  cérémonies  pompeuses,  et 
la  municipalité  parisienne  n'en  perdît  rien  *.  On  trouve 
dans  les  Registres  la  relation  détaillée  des  cérémonies  funè- 
bres ^.  Le  samedi  3  décembre  vinrent  au  Bureau  de  la  Ville, 
où  se  trouvaient  le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins, 
«  plusieurs  officiers  et  serviteurs  domestiques  de  feu  mes- 
sire  René  de  Birague,  cardinal,  chancelier  de  France,  tous 
habillez  en  deuil,  lesquelz  auroient  prié  mesdits  sieurs  du 
convoy  et  enterrement  dudict  feu  sieur  cardinal ,  qui  se 
feroit  le  mardy  ensuyvant,  sixiesme  desdictz  mois  et  an, 
ce  qu'ilz  auroient  promis  faire...  Et  le  lundy,  cinquiesme 
jour  dlcelluy  mois  ,  seroient  aussi  venuz  audict  bureau 
vingt-trois  crieurs  de  corps  et  de  vins  de  ladite  ville  *, 

1.  Il  est  assez  singulier  que  le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins 
n*aîent  pas  figuré  dans  le  cortège.  L'Estoilb  le  dit  formellement  (t.  II,  p.  89). 

2.  Le  cardinal  René  de  Birague,  chancelier  de  France,  avait  soixante- 
seize  ans  au  moment  de  sa  mort.  Voici  le  portrait  qu'en  trace  l'Estoilb  : 
tt  Ce  chancelier  estoit  Italien  de  nation  et  de  religion,  bien  entendu  aux 
afîaires  d'Kstat,  fort  peu  en  la  justice;  de  sçavoir  n'en  avoit  point  à 
revendre,  mais  seulement  pour  sa  provision,  encore  bien  petitement.  Au 
reste  libéral,  voluptueux,  homme  du  temps,  serviteur  absolu  des  volontés 
du  roy,  aiant  dit  souvent  qu*ï\  n'estoit  pas  chancelier  de  France,  mats 
chancelier  du  roy  de  France.  »  C'était  d'ailleurs  un  prélat  désintéressé  : 
il  mourut  pauvre. 

3.  Re6.  h,  1788  bis,  ^  363. 

4.  Sur  les  crieurs^  voy.  Hist.  munie,  p.  38.  Depuis  la  grande  ordon- 
nance de  1415,  les  jurés-crieurs  n'avaient  plus  le  cri  des  ordonnances 
politiques  ou  de  police,  ni  celui  des  ventes  et  locations  de  maisons.  Ils 
criaient  les  choses  estranges,  les  enfants  perdus  au-dessous  de  huit  ans, 
les  mules,  chevaux,  etc.  Mais  leur  principal  office  était  d'annoncer  la 
mort  de  chaque  citoyen  et  de  régler  les  détails  des  funérailles.  L'art.  183 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  155 

vestuz  de  ducil,  qui  auroient  réitéré  ladicte  prière  à  mes 
dictz  sieurs,  ausdictz  jour  et  an  de  mardy.  »  Après  avoir 
reçu  rinvitation,  le  Bureau  convoque  les  conseillers  de  la 
Ville ,  les  quartiniers  et  charge  ces  derniers  d'appeler 
deux  notables  de  chaque  quartier.  Il  mande  en  même  temps 
aux  capitaines  des  archers,  arbalétriers  et  arquebusiers  de 
la  Ville  de  se  trouver  à  une  heure  dite  devant  la  maison 
commune  avec  leurs  compagnies,  pour  faire  «  porter  par 
douze  personnes  de  chacun  des  trois  nombres  »  les  trente- 
six  torches  marquées  aux  armes  de  la  Ville  \  Une  oraison 
fimèbre  de  Bernard  de  Beaune,  archevêque  de  Bourges, 

de  Tord,  de  1415  fixe  le  tarif  des  fouraiture,  et  ce  tarif  ne  sera  modifié 
qu'au  xvn*  siècle.  Les  crieurs  s'occupaient  aussi  du  commerce  des  vins 
et  boissons  au  détaiL  Ils  avaient  un  costume  étrange  :  une  dalmatique 
blanche  parsemée  de  larmes  noires  et  de  têtes  de  mort.  Us  agitaient  la  nuit 
une  clochette  dont  le  tintement  accompagnait  ce  refrain  lugubre  :  «  Ré- 
veillez-vous^  gens  qui  dormez;  priez  Dieu  pour  les  trépassés,  »  Les  crieurs 
étaient  au  nombre  de  vingt-quatre;  ils  étaient  nommés  par  le  prévôt  des 
marchands,  et  le  choix  ne  pouvait  porter  que  sur  «  homme  qui  par  infor- 
mation deuement  faicte  sera  trouvé  estre  de  bonne  vie,  renommée  et 
honneste  conversacion  n  ;  organisés  en  confrérie,  ils  avaient  des  devoirs  et 
des  charges,  payaient  certains  droits  et  entretenaient  une  caisse  de  re- 
traites pour  les  confrères  malades  ou  devenus  vieux.  Ils  ne  pouvaient 
crier  chacun  plus  d'un  corps  par  jour,  «  afin  que  chascun  d'eulx  eust 
des  besongnes  par  esgal  poreion  ».  On  peut  tirer  de  Tart.  181  de  Tord, 
de  1415  cette  conclusion  que,  dès  le  xv«  siècle,  on  vendait  des  vins 
«  composez  ou  mistionnez,  comme  cleré  ou  autres  semblables  »,  ce  qui 
prouve  que  l'utilité  d'un  laboratoire  municipal  a  d&  se  faire  sentir  à  Paris 
même  sous  l'âge  d'or. 

1.  Les  obsèques  eurent  lieu  le  6  décembre  avec  une  pompe  inusitée.  En 
tète  du  deuil  marchaient  les  princes  des  maisons  de  Bourbon  et  de  Guise 
derrière  eux  venaient  le  Parlement,  la  Cour  des  aides,  la  Chambre  des 
comptes,  des  moines  de  toute  couleur,  capucins,  minimes,  religieux  des 
Billetles,  blancs- manteaux,  mathurins  et  cent  autres;  cent  pauvres  vêtus  de 
deuil,  chacun  portant  une  torche  à  la  main;  des  enfants  «  de  la  charité 
chrétienne  *,  de  la  Trinité,  du  Saint-Esprit,  les  enftints  rouges;  et  puis 
tt  le  corps,  porté  par  douze  de  MM.  les  pénitents,  vestuz  de  leurs  aubes, 
assistez  d'autres  douze  portans  flambeaux,  à  chascun  desquelz  estoit 
peinte  l'Annunciation  Nostre-Dame,  etau-dessoubz  les  armoiries  de  France 
et  de  Pologne,  soustenues  par  des  pénitens  à  genoulx  ».  Tout  le  corps  de 
Ville  à  cheval  vint  se  grouper  à  Thôtel  d'Evreux,  «  assiz  rue  Saint-An- 
tboine  »  tout  près  du  couvent  de  Sainte-Catherine  du  Val  des  Escoliers, 
où  le  cardinal  défunt  était  resté  huit  jours  exposé  sur  un  lit  de  parade, 
grande  attraction  pour  le  peuple.  De  là  on  s^achemina  «  par  dedans  la  clos* 
ture  Saincte-Catherine  et  par  les  rues  de  Paradis,  puis  au  cimetière  Sainct 
Jehan  et  la  rue  Sainct  Anthoine  jusqu'en  l'église  Saincte-Catherine  »,  lieu 
de  la  sépulture.  Rbo.  H,  1788  bis,  f*  363. 


i56  PARIS  ET  LA  LIGUE 

termina  cette  imposante  cérémonie,  dans  laquelle  les  chefs 
de  la  Ligue  avaient  passé  en  revue  Tarmée  des  moines. 
Un  mort  d'un  rang  plus  élevé  encore  que  le  cardinal 
chancelier  de  Birague  allait  occuper  P^ris.  Le  11  février 
1584,  le  duc  d'Anjou  était  arrivé  dans  la  capitale,  venant 
de  Château-Thierry,  'et  la  reine  l'avait  logé  aux  Filles- 
Repenties  K  Ce  n'était  pas  néanmoins  pour  faire  pénitence, 
mais  pour  passer  le  carême  avec  le  roi  son  frère,  que  le 
duc  d'Anjou  avait  quitté  ses  domaines.  Après  une  entrevue 
touchante  où  les  dignes  fils  de  Catherine  s'embrassèrent  à 
trois  reprises  avec  des  larmes  de  joie,  les  divertissements 
commencèrent.  Suivis  de  leurs  mignons,  les  deux  princes 
passèrent  le  jour  et  la  nuit  de  carême  prenant  «  par  les  rues 
de  Paris,  dit  l'Ëstoile,  à  cheval  et  en  masque,  desguizés 
en  marchans,  prestres,  avocas,  et  en  toute  autre  sorte 
d'estas,  courans  à  bride  avallée,  renversans  les  uns,  bas- 
tans  les  autres  à  coups  de  bastons  et  de  perches,  singuliè- 
rement ceux  qu'ils  rencontroient  masqués  comme  eux, 
pour  ce  que  le  Roy  seul  vouloit  avoir,  ce  jour,  privilège 
d'aller  par  les  rues  en  masque.  Puis  passèrent  à  la  foire 
Saint-Germain,  prorogée  jusqu'à  ce  jour,  où  ils  firent  infi- 
nies insolences,  et  toute  la  nuit,  jusqu'au  lendemain  dix 
heures,  coururent  par  toutes  les  bonnes  compagnies  et 
assemblées  qu'ils  sceurent  estre  à  Paris.  »  A  force  de 
courir  ainsi,  le  duc  d'Anjou  rendait  l'âme,  et  quand  son 

1.  Le  13  février,  le  roi  avait  donné  Tordre  aux  membres  du  corps  de 
Ville  «  d*aller  trouver  le  duc  et  luy  faire  la  révérence  et  présens  telz  que. 
è,  Son  Excellence  appartenoit  ».  Déférant  à  cet  ordre,  M.  de  NuUy  et  ses 
•collègues,  en  «  habits  noirs  ordinaires  »,  se  rendirent  à  Fhostel  de  M«  Ghas- 
teau,  mattre  des  Comptes,  où  demeurait  le  duc,  faisant  porter  par  les 
sergents  «  confictures  seiches,  dragées,  ypocras  blanc  et  clairet  n.  Les 
officiers  municipaux  attendirent  «  quelque  temps  dedans  l'antichambre 
d'icelluy  seigneur  »,  puis  entrèrent  dans  la  chambre  du  duc  et  lui  présen- 
tèrent leurs  dragées  et  leurs  confitures.  Le  duc  les  «  remercia  bénigne- 
ment  ».  (Rig.  H,  1788  bis,  ^  376.)  En  février  1585,  la  Ville  eut  encore  à  offrir 
les  confitures  traditionnelles,  les  dragées  et  Thypocras  aux  ambassadeurs 
•d'Elisabeth  d'Angleterre  qui  venaient  essayer  de  conclure  une  alliance 
contre  TEspagne.  (Ibid.y  n>  437.) 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  1S7 

bon  frère  le  renvoya  le  21  février  à  Château-Thierry,  enrichi 
de  cent  mille  écus,  mais  «  trop  échauffé  par  les  collations 
de  Paris  et  Madame  de  Sauve  »,  les  médecins  annonçaient 
sa  mort  prochaine.  A  la  fin  de  mai,  Catherine  alla  voir  le 
moribond  à  Château-Thierry  et  le  trouva  si  mal  qu'elle  se 
«  fit  apporter  par  eau  les  plus  précieux  meubles  de  sondit 
fils,  abandonné  des  médecins  et  de  tout  humain  secours^  ». 
Le  frère  du  roi  s'éteignit  «  submergé  dans  la  boue  *  »  le 
10  juin  1584,  disant  pour  dernières  paroles  que  les  plai- 
sirs de  Paris  lui  coûtaient  cher.  Il  laissait  au  roi  Cambrai,, 
la  seule  ville  qu'il  eût  gardée  de  ses  éphémères  conquêtes^ 
et  ses  domaines  immenses,  qui  produisaient  400,000  écus 
de  rente  '. 

Henri  III  restait  le  dernier  représentant  de  la  race  des^ 
Valois,  et  son  héritier,  selon  le  droit  monarchique,  était  le 
roi  de  Navarre,  un  hérétique.  La  mort  du  duc  d'Anjou 
donnait  donc  une  force  immense  au  parti  des  Guises  et 
présentait  tous  les  caractères  d'un  événement  capital.  Aussi 
peut-on  trouver  quelque  intérêt  à  la  description  des 
obsèques  que  lui  firent  le  roi  et  la  Ville  de  Paris.  C'est  le 
21  juin  que  le  corps  fut  amené  à  Paris  et  déposé  à  Saint- 
Magloire,  au  faubourg  Saint-Jacques.  La  veille,  Henri  III 
avait  annoncé  officiellement  à.  la  municipalité  la  mort  de 
son  frère  et  indiqué  le  rôle  que  joueraient  les  membres  du 
corps  de  Ville  dans  la  cérémonie  funèbre  ^.  Conformément 

1.  L'EsTOiLB,  t.  H,  p.  154. 

2.  MiCBBLBT,  t.  X,  p.  103.  Édit.  Lacroix. 

3.  Db  Thou  iosinue  que  le  duc  d*Anjou  a  été  peut-être  empoisonné  : 
«  Sa  mort  ne  fût  pas  exempte  de  soupçon  de  poison  ;  et  les  chirurgiens 
qui  rouvrirent  déclarèrent  quMls  avoient  trouvé  des  parties  rongées  et  queL 
ques  autres  marques  de  cette  nature  »,  t.  IX,  p.  184.  —  Le  duc  de  Nevers 
assure  de  son  côté  dans  ses  mémoires  que  le  duc  d'Anjou  «  fut  empoi- 
sonné par  une  dame  de  ses  bonnes  amies  »,  et  il  rapproche  sa  destinée  de 
celle  d'Hercule,  dont  il  portait  le  nom  et  auquel  le  présent  d*une  femme 
coûta  la  vie.  {Mém,  de  M,  le  duc  de  Nevers,  2  vol.  in-4o,  édit.  de  1665,. 
t.  L  p.  91.) 

4.  «  Db  pab  lb  mot  :  Très  chers  et  bien  amez.  Aiant  pieu  à  Dieu  d'appeler  à 
soy  nosire  très  cher  et  très  aimé  flrère  le  duc  d'Anjou  et  désTrant  singu- 


158  PARIS  ET  LA  LIGUE 

à  CCS  prescriptions,  un  mandement  adressé  aux  quartiniers 
les  pria  d'engager  les  habitants  «  par  devant  les  maisons 
desquelz  sera  porté  le  corps  de  monseigneur  le  duc  d'Anjou, 
frère  du  roy,  à  tenir  devant  leurs  dictes  maisons  une  torche 
ardente,  lorsque  le  convoy  passera,  sans  y  faire  faulte  ». 
On  tendit  les  chaînes  pour  empêcher  «  les  coches  et  har- 
nois  »  de  passer  par  les  rues  conduisant  de  Saint-Jacques 
du  Haut-Pas  à  Notre-Dame  de  Paris.  Deux  cents  torches 
de  cire  furent  commandées  par  la  Ville  à  Jehan  de  la 
Bruyère,  épicier,  pour  les  faire  porter  par  les  archers, 
arquebusiers  et  arbalétriers  de  la  Ville.  Enfin  le  peintre 
Jean  Dangiers  fut  chargé  de  peindre  douze  cents  armoi- 
ries pour  orner  les  portes  Saint-Jacques  et  Saint-Denis  et 
les  torches  des  archers.  Le  23,  plusieurs  officiers  du  roi  et 
du  feu  duc  viennent  convier  la  Ville  aux  obsèques.  «  Tost 
après  seroient  aussi  venuz  audict  bureau  vingt-trois  crieurs 
de  corps  et  de  vins  de  ladicte  Ville,  vestuz  en  robbes  de 
dueil,  qui  en  auroient  faict  le  cry  et  prière  accoustumée  au 
grand  Bureau  d'icelle  Ville...  *  »  Le  24,  jour  de  la  Saint- 

lièrement  honorer  sa  mémoire  pour  le  rang  qu'il  tenoit,  estant  la  seconde 
personne  de  ce  royaulme,  nous  voulons  et  vous  mandons  que  vous  aiez, 
avec  les  procureur,  receveur,  greffier,  conseillers,  quartiniers,  quatre 
notables  bourgeois  de  chacun  quartier  de  nostre  bonne  ville  de  Paris  et 
aultres  officiers  d'icelle  ville  que  adviserez,  à  assister  :  assçavoir  vous,  pré- 
vost  des  marchans  et  eschevins,  procureur,  receveur,  greffier  et  trois  con- 
seillers de  nostredite  ville  en  ducil,  pour  aider  à  porter  le  ciel  dessus 
Teffigie  à  la  pompe  funèbre  de  nostredict  feu  flrère,  tant  en  caste  Ville  de 
Paris  que  en  nostre  ville  de  Sainct-Denis  où  il  doit  estre  inhumé,  pour  y 
marcher  par  vous,  ainsi  que  dict  est,  en  corps  et  rendre  par  vostre  pré- 
sence rassemblée  qui  se  y  fera,  plus  solennelle  et  auctentique.  Car  tel  est 
nostre  plaisir.  Donné  à  Paris  le  20*  jour  de  juing  1584.  Ainsi  signé  :  Hbnbi.  » 
(Rso.  H,  1788  bis,  f«  403.) 

1.  Nous  croyons  devoir  reproduire  exactement  le  cri  du  duc  d'Anjou, 
parce  qu*on  n'en  trouve  que  le  début  dans  Féubiek,  qui  a  transcrit  plu- 
sieurs passages  des  Registres  de  la  Ville,  relativement  aui  obsèques  du 
prince.  —  Voy.  Histoire  de  la  Ville  de  Paris.  Preuves,  t.  Hl,  p.  440  : 

«  Priez  Dieu  pour  l'âme  de  très  hault  et  très  puissant,  très  illustre  et 
magnanisme  François,  fils  de  France  et  frère  unique  du  roy,  en  son  vivant 
duc  d'Anjou,  d'Alençon,  de  Berry,  de  Touraine,  d'Evreux  et  Chasteau- 
Thierry,  comte  du  Maine,  de  Dreulx,  de  Mantes,  de  Meulan  et  de  Beau- 
mont,  lequel  est  trépassé  le  dimanche,  dixiesme  de  ce  présent  mois,  en 
son  palais  de  Chasleau-Thierry  ;  priez  Dieu  qu'il  en  ayt  l'âme.  —  Lundy 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  189 

Jean,  le  roi,  vêtu  d'un  grand  manteau  de  18  aunes  de 
serge  de  Florence  violette,  dont  la  queue  était  portée  par 
huit  gentilshommes,  se  rendit  à  Saint-Magloire  pour  jeter 
Teau  bénite  sur  le  corps  de  son  frère;  toute  la  cour  suivait  : 
seigneurs  montés  sur  des  chevaux  blancs,  le  chaperon  sur 
Tépaule;  évèques,  avec  le  scapulaire  et  le  manteau  de  serge 
noire,  cardinaux  «  de  violet,  à  leur  mode  ».  Autour  du  roi, 
les  archers  de  la  garde  écossaise  et  les  autres  archers  de  la 
garde,  aux  hallebardes  crêpées  de  noir,  aux  pourpoints, 
chausses  et  bonnets  de  deuil.  En  avant  du  cortège  défi- 
laient les  Suisses,  «  le  tabourin,  couvert  de  crespe,  sonnant  *  ». 
En  arrière,  on  admirait  la  Reine  «  séant  seule  dans  un 
carroche  couvert  de  tanné,  et  elle  aussi  vestue  de  tanné; 
après  laquelle  suivoient  huict  coches  plains  de  dames  ». 
Cet  enterrement  dut  profiter  aux  marchands  de  drap  et  aux 
tailleurs.  Le  roi  se  chargea  de  fournir  la  serge  nécessaire 
aux  prévôt  des  marchands,  échevins,  procureur,  greffier  et 
aux  trois  conseillers  de  la  Ville  qui  étaient  commandés 
pour  porter,  avec  trois  échevins,  «  le  poisle  sur  Teffigie  ».  La 
pompe  funèbre  eut  lieu  le  25  juin  avec  une  magnificence 
extraordinaire,  offrant  à  l'admiration  du  peuple,  que  conte- 
naient avec  peine  les  bâtons  noirs  des  archers,  les  splendides' 
costumes  des  chevaliers  de  Tordre,  le  collier  par-dessus 
leurs  robes,  les  pages  montés  sur  des  chevaux  housses  de 
velours  noir  que  coupait  une  grande  croix  de  satin  blanc, 
les  évèques  et  les  ambassadeurs  à  cheval,  MM.  du  Parle- 
ment en  robes  noires  et  chaperons  à  bourrelet,  les  hérauts 
Anjou  et  Alençon  avec  leurs  cottes  d'armes,  les  gardes  du 


prochain,  sera  levé  le  corps  dudict  sieur  de  l'église  SaintrJacques  du  Uault- 
Pas,  pour  estre  porté  en  l'église  de  Paris  ;  à  ce  mesme  jour  seront  dictes 
vespres  et  vigilles  de  mortz,  suivant  la  bonne  et  louable  coustume,  et  le 
lendemain,  faict  son  service  solennel,  et  à  la  fin  d'icelluy,  porté  en  l'église 
Saint-Denis  en  France;  et  mercredy  prochain  sera  faict  son  service  solennel 
et  inhumé.  Priez  Dieu  qu'il  en  ayt  l'dme.  »  Rbg.  H,  1788  bis,  t9  405. 
1.  L'EsTOiLB,  t.  11,  p.  756. 


160  PARIS  ET   LA  LIGUE 

corps  en  longues  robes,  Farquebuse  baissée  et  enveloppée 
de  crêpe,  les  200  pauvres  vêtus  de  deuil,  une  torche  à  la 
main,  les  vingt-trois  crieurs  de  la  Ville  faisant  sonner 
leurs  clochettes,  et  enfin  Teffigie  «  faicte  d'après  le  vif  et 
naturel,  portée  par  les  hanouars  porteurs  de  sel,  vestus  de 
deuil,  et  les  quatre  coings  du  poisle  par  les  sieurs  de  la 
Ghastre,  la  Vergne,  Saint-Ligier  et  Fergy,  devant  laquelle 
marchoit  le  sieur  d'Aurilly.  Le  ciel  porté  par  les  chambel- 
lans et  escuyers  dudict  seigneur  (le  duc  dC Anjou)  depuis 
Féglise  Saint-Jacques  du  Hault-Pas  jusques  à  la  porte  Saint- 
Jacques  où  il  fut  par  eux  mis  es  mains  de  MM.  Huot,  Gédoin, 
et  de  la  Fa,  eschevins,  de  Jumeauville,  de  Bragelongne  et 
Aubry,  conseillers  de  Ville,  qui  le  portèrent  jusques  à  la- 
dicte  église  Nostre-Dame  *.  » 

Le  roi,  vêtu  de  violet,  resta  cinq  heures  à  une  fenêtre 
de  la  maison  faisant  le  coin  du  parvis  Notre-Dame  pour 
voir  passer  Tinterminable  cortège  ;  derrière  lui,  le  duc  de 
Guise,  fort  triste  ou  affectant  de  l'être.  Il  y  eut  un  seul  in- 
cident :  les  généraux  des  monnaies  voulurent  précéder 
MM.  de  la  Ville,  mais  le  Parlement  leur  fit  injonction  par 
huissiers  d'avoir  à  se  retirer.  Le  27,  la  municipalité  pari- 
sienne se  rendit  à  Saint-Denis  avec  les  grands  corps  de 
l'État  et  dans  le  même  ordre  que  pour  la  translation  du 
défunt  à  Notre-Dame.  «  Et,  après  le  service  et  enterrement 
faicts,  furent  appeliez  les  dicts  sieurs  officiers  d'iceluy  feu 
sieur  duc  pour  apporter  chacun  au  droict  soy  leurs  dites 
enseignes,  guidons,  armes,  espérons,  gantelets,  bastons 
et  autres  choses  cy-devant  nonmiées,  ce  qu'ils  firent  et  les 
mirent  sur  la  fosse  d'iceluy  feu  sieur  '.  »  Puis  toute  l'assis- 
tance se  rendit  à  la  maison  abbatiale  de  Saint-Denis,  où  le 
roi  avait  fait  préparer  un  vaste  banquet. 

1.  Rbo.  h,  1788  bis.  fo  405. 

2.  Ibid. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  161 

Malgré  Tintime  et  nécessaire  association  du  corps  de 
Ville  parisien  à  toutes  les  cérémonies  publiques  intéres- 
sant la  dynastie  royale  ou  les  hauts  dignitaires  de  TÉtat, 
il  ne  faudrait  pas  croire  que,  dans  les  années  qui  précédè- 
rent et  préparèrent  Tépanouissement  de  la  Ligue,  la  vie 
municipale  fût  restreinte  à  de  vaines  parades  comme  il 
arriva  plus  tard  sous  la  dynastie  des  Bourbons.  De  nom* 
breux  textes,  et  spécialement  les  Registres  de  la  Ville  per- 
mettent d'affirmer  que,  durant  la  période  que  nous  étu- 
dions, l'administration  parisienne  a  déployé  une  grande 
activité  et  maintenu  fermement  ses  privilèges  tradi- 
tionnels. 

En  ce  qui  concerne  d'abord  l'élection  des  magistrats  mu- 
nicipaux, la  royauté,  de  1582  à  1586,  ne  parait  pas  avoir 
exercé  une  pression  illégale  sur  les  suffrages  des  électeurs  ^ 
Le  16  août  1584,  le  scrutin  des  élections  municipales  fut 
apporté  à  la  reine  mère  «  estant  en  son  palais  des  Thuille- 
ries  ».  Elle  le  fit  ouvrir  en  présence  du  chancelier;  et  le 
président  de  NuUy,  élu  prévôt  des  marchands,  les  sieurs 
Pierre  le  Goix  et  Rémond  Bourgeois,  élus  eschevins  par  la 
quasi-unanimité  des  voix,  virent  leur  nomination  approuvée 
par  la  reine  mère  sans  la  moindre  difficulté  '.  Le  16  août 
1585,  on  nomma  deux  échevinsdans  les  formes  ordinaires, 

1.  Il  faut  Bignaler  cependant  des  lettres  royales,  données  à  Blois  en 
janvier  1377,  par  lesquelles  le  roi  «  accordait  aux  prévôt  des  marchands  et 
eschevins  qui  ont  esté  depuis  Tadvènement  à  la  couronne  du  roi  Henri 
deuxiesme  »,  entre  autres  privilèges,  celui  d'assister  à  toutes  les  assem- 
blées générales,  «  mesmes  es  élections  des  prévost  des  marchans  et  esche- 
TinSf  tout  ainsi  et  en  la  forme  et  manière  que  ont  esté  et  sont  à  présent 
les  vingt-six  conseillers  de  la  Ville,  pour  y  avoir  et  tenir  rang  en  séance 
après  lesdictz  conseillers  ou  sur  ung  ou  plusieurs  bancs  à  part,  et  sur 
peine  de  nullité  desdictes  assemblées  ».  Ce  privilège  accordé  aux  anciens 
prévôts  et  échevins  augmentait,  contrairement  aux  traditions,  le  nombre 
invariable  des  électeurs.  Aussi,  dans  rassemblée  du  26  avril  1585,  tenue  par 
le  prévôt  des  marchands  et  les  conseillers  de  Ville  dans  la  Grand 'chambre 
du  conseil,  fut-il  décidé  que,  «  au  nom  des  conseillers  de  la  Ville,  sera 
donnée  requeste  et  présentée  à  la  Court  {c'est-à-dire  au  Parlement)  pour 
s'opposer  &  la  veriffication  et  publication  des  lettres  de  1577  ».  Reo.  H, 
1788  bis,  fo  455. 

2.  Rbg.  h,  1788  bis,  fo  41  i. 

ROBIQUET.  1 1 


162  PARIS  ET  LA  LIGUE 

et  le  scrutin  ayant  été  présenté  au  roi  en  son  ch&teau  du 
Louvre,  l'ouverture  en  fut  faite  par  le  secrétaire  d'État 
Pinart,  et  le  monarque  reçut  le  serment  de  ceux  qui 
avaient  obtenu  le  plus  de  voix  :  MM.  Jean  de  la  Barre, 
avocat  au  Parlement,  et  Philippe  Hotman  ^  Mais  si  la  can- 
didature officielle  n'a  pas  vicié,  au  moins  ostensiblement, 
les  élections  de  1584  et  1585,  celle  de  1582,  ayant  pour 
objet  la  désignation  d'un  prévôt  des  marchands  et  de  deux 
échevins,  fut  signalée  par  un  curieux  incident.  Le  nombre 
des  votants  n'ayant  été  que  de  76,  on  trouva  dans  le  cha- 
peau mi-partie  rouge  et  tanné  quatre-vingt-deux  bulletins. 
Le  Bureau  de  la  Ville,  en  présence  de  ce  résultat,  décida 
qu'il  y  avait  lieu  de  procéder  à  une  nouvelle  élection,  que 
tous  les  billets  seraient  brûlés,  et  qu'on  en  référerait  à  la 
reine  mère.  Conformément  à  la  résolution  du  Bureau,  on 
brûla  les  bulletins,  et  l'échevin  Poussepin,  conseiller  au 
Châtelet,  accompagné  du  procureur  du  roi  et  de  la  Ville, 
alla  trouver  la  reine  mère,  qui  se  trouvait  alors  à  Saint- 
Maur-des-Fossés.  Catherine  manda  pour  le  lendemain 
matin  le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins,  «  ainsi  que 
les  sieurs  qui  avoient  la  pluralitté  des  voix  de  prévost  des 
marchans  et  eschevins  nouveaux  en  ladicte  assemblée  ». 
Les  personnages  ainsi  désignés  se  rendirent  aux  ordres  de 
la  reine,  avec  les  scrutateurs.  Après  avoir  entendu  faire 
par  le  président  Luillier,  l'un  des  scrutateurs,  le  récit  de 
ce  qui  s'était  passé,  Catherine  déclara  que  messire  Etienne 
de  NuUy,  premier  président  de  la  Cour  des  aides,  ayant 
été  désigné  pour  l'emploi  de  prévôt  des  marchands  par  la 
grande  majorité  des  votants,  et  Antonin  Huot,  bourgeois 
de  Paris,  et  Jean  de  Loynes,  avocat  au  Parlement,  ayant,  de 
leur  côté,  obtenu  le  plus  grand  nombre  de  suffrages  pour 


1.  Rbo.  h,  1788  6t5,  fo  485.  Jean  de  la  Barre  élant  mort  cette  année  même, 
1585,  une  élection  partielle  eut  lieu  (pour  le  remplacer  jusqu'à  Texpiration 
de  son  mandat)  le  23  septembre  1585,  et  Télu  fut  Jean  le  Breton,  avocat. 


LA   RÉSURRECTION  DE  LK  LIGUE  163 

les  places  d'échevin,  il  n* y  avait  pas  lieu  de  tenir  compte  des 
billets  trouvés  en  trop  dans  le  chapeau,  parce  qu'ils  u  ne 
faisoient  aucune  concurrence  ou  préjudice  aux  voix  et 
eslections  desdictz  sieurs  président  de  NuUy,  Huot  et  de 
Loynes,  parce  que  les  autres  personnes  qui  avoient  voix 
en  ladictc  élection  n^aprochoient  à  beaucoup  près  en 
nombre  de  voix  que  y  avoient  iceulx  *  ».  On  ne  recom- 
mença donc  pas  l'élection,  et  les  trois  candidats  désignés 
par  la  majorité  prêtèrent  serment,  en  présence  de  la  reine 
et  entre  les  mains  de  M.  de  Ghevemy,  garde  des  sceaux. 

Sur  des  points  secondaires,  les  privilèges  des  officiers 
municipaux  et  de  leurs  auxiliaires  étaient  maintenus  et 
même  développés.  C'est  ainsi  qu'à  la  date  du  9  janvier 
4584  les  conseillers  de  Ville  font  décider  «  qu'ils  demou- 
reront,  tant  pour  le  passé  que  pour  Tadvenir,  francz, 
quictes  et  deschargez  des  cottisations  qui  se  lèvent  pour  la 
fortification  de  ladicte  ville,  desquelles  partant  le  receveur 
(lesdictes  fortiffications  sera  et  demourera  deschargé  en 
ses  comptes  '  ».  Les  archers,  arbalétriers  et  arquebusiers 
de  la  Ville,  que  les  capitaines  des  dizaines  voulaient  assu- 
jettir «  à  aller  et  envoler  aux  gardes  des  portes,  guetz  et 
sentinelles,  malgré  l'exemption  dont  ils  jouissoient  de  tout 
temps  et  ancienneté  »,  obtinrent,  en  mai  1585,  la  confirma- 
tion de  cette  dispense,  en  invoquant  «  les  services  qu'ils 
font,  de  préférence  à  la  garde  des  pouldres  du  Temple  et 
ailleurs  ^  » .  Une  application  intéressante  du  droit  de  rési- 
gnation fut  faite  le  16  décembre  1583  à  propos  de  l'impor- 
tant office  de  greffier  de  la  Ville.  W  Claude  Bachelier, 
titulaire  de  l'emploi,  présenta  au  Bureau  comme  successeur 

1.  Rbo.  h,  1188  bis,  f>  299. 

2.  Ilrid.,  f«  380. 

3.  Ibid.y  r»  461.  Uae  décision  du  Bureau,  en  date  du  25  mai  1585  (i^id. 
fo  464),  étendit  le  bénéfice  de  la  même  exemption  aux  officiers  et  archers 
de  cheval  et  de  pied  du  guet  ordinaire  de  la  Ville  de  Paris.  U  résulte  de 
cette  décision  qu'en  1585  le  guet  comprenait  150  officiers,  notamment  un 
capitaine,  quatre  lieutenants,  un  greffier  et  un  guidon. 


164  PARIS  ET  LA  LIGUE 

son  beau-frère,  Bonaveniure  Heverard,  «  juré-commis  du 
greffe  de  la  Ville  depuis  trente-deux  ans  en  ça  ou  en- 
viron »,  qui  avait  toujours  assisté  aux  assemblées  géné- 
rales et  particulières  de  FHôtel  de  Ville  «  et  de  ce  faict 
bons  et  fidelles  registres  ^  ».  S'il  y  eut  quelques  change- 
ments concernant  les  officiers  subalternes  de  la  Ville,  tout 
au  moins  dans  la  première  période  du  règne  de  Henri  III, 
ils  paraissent  s'être  réduits  à  des  élévations  de  salaires, 
correspondant  à  l'augmentation  progressive  du  prix  des 
choses.  En  mars  1578,  les  mesureurs  de  sel  avaient  demandé 
qu'on  portât  de  un  à  deux  deniers  le  droit  qu'ils  tou- 
chaient depuis  Charles  V  pour  le  mesurage  de  chaque 
minot  de  sel  '  «  vendu  el  débité  et  passant  par  leur 
Ville  •  ».  Le  Bureau  émit  l'avis  que  le  roi  ne  pouvait  sanc- 
tionner cette  augmentation  «  sans  que  le  peuple  fust 
foulé  ».  En  1582,  ce  fut  le  tour  des  maitres  de  ponts,  qui 
réclamèrent,  eux  aussi,  une  élévation  de  leur  tarif.  En 
réponse  à  cette  pétition,  le  Bureau  décide  que  «  lesdicts 
malstres  de  ponts  auront  doresnavant  pour  leur  sallaire  de 
l'avallage  d'ung  basteau  chargé  de  quarante  tonneaux  et 
au-dessus,  jusques  à  soixante  tonneaux,  soixante-six  solz 
tournoiz,  au  lieu  de  soixante-cinq  solz  qu'ilz  souloient 
prendre...  »  Et  la  Ville  opère  une  revision  du  tarif  qui  était 

1.  Rbo.  h,  1788  bis,  fo  369.  Il  est  bon  de  noter  que  Claude  Bachelier  et 
Bonaventure  Heverard,  d'après  ce  passage  des  Registres,  sont  indiqués 
comme  étaut  les  rédacteurs  des  procès- verbaux  qui  forment  la  base  de 
notre  travail,  dans  la  période  qui  s'étend  de  1551  à  1583.  Nous  verrons  plus 
tard  que  Bonaventure  Heverard  resta  greffler  jusqu'au  10  novembre  1590, 
et  qu'il  résigna  lui-même  sa  charge  en  faveur  de  Guillaume  Paulmier,  son 
beau-frère. 

2.  Ord.  de  1415,  art.  319  :  «  Auront  de  tout  le  sel  qui  sera  vendu  et 
distribué  à  détail  es  greniers  de  ladicte  Ville  de  Paris  en  gabelle,  lequel 
ilz  seront  tenuz  de  mesurer,  de  chascun  minot,  un  denier...  »  La  même 
ordonnance  fixait  à  24  le  nombre  des  mesureurs  de  sel.  Ils  étaient  nommés 
par  le  prévôt  des  marchands  et  les  eschevins,  et  installés  par  un  sergent 
de  la  Ville.  Ils  étaient  chargés  de  mesurer,  étalonner  et  signer  les  mesures 
des  greniers  à  sel  et  les  mesures  h  grain  de  la  Ville.  Un  boursier,  nommé 
par  eux,  veillait  au  maintien  de  leurs  droits  et  payait  chaque  mesureur  au 
bout  de  la  semaine. 

3.  Rbo.  H,  1788,  ^  176. 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA   LIGUE  168 

proportionnel  au  tonnage  et  à  la  nature  des  marchandises. 
On  ajoute  seulement  que  les  maîtres  de  ponts  continue- 
ront à  payer  sur  leurs  salaires  «  les  compaignons  de 
rivière  et  halleurs  de  cordes,  comme  ils  avoient  cy-devant 
accoustumé  *  ». 

Bien  que  nous  n'ayons  pas  ici  à  entreprendre  l'histoire 
détaillée  des  monuments  de  la  capitale  et  que  le  sujet  prin- 
cipal de  notre  travail  soit,  à  vrai  dire,  Thisloire  des  rela- 
tions de  la  royauté  avec  la  population  parisienne  et  ses  ré- 
présentants, il  est  nécessaire  de  dire  un  mot  des  grands 
travaux  d'édilité  qui  signalèrent  la  première  partie  du 
règne  de  Henri  III.  La  principale  entreprise  fut  le  commen- 
cement des  travaux  du  Pont-Neuf.  En  1556,  les  habitants 
du  quartier  de  l'Université  et  du  faubourg  Saint-Germain 
avaient  adressé  une  pétition  au  roi  pour  obtenir  la  con- 
struction d'un  pont  destiné  à  les  mettre  en  communication 
avec  la  Cité,  le  Louvre  et  ses  environs;  le  refus  de  la  Ville 
de  subvenir  à  la  dépense  empêcha  Henri  II  de  donner 
satisfaction  aux  justes  réclamations  des  habitants  de  la 
rive  gauche.  Néanmoins  le  projet  fut  bientôt  repris.  Raoul 
Spifame  proposa  au  même  Henri  II  de  jeter  un  pont 
entre  le  Louvre  et  l'hôtel  de  Nesle,  sur  l'emplacement 
actuel  du  pont  des  Arts;  mais  le  duc  de  Ne  vers,  craignant 
que  l'hôtel  de  Nesle,  dont  il  était  propriétaire,  ne  fût 
éventré  pour  le  percement  d'une  rue  nouvelle  qu'il  était 
question  d'ouvrir  sur  la  rive  gauche,  au  débouché  du 
nouveau  pont,  fit  décider  que  ce  pont  serait  reporté  plus 
haut,  à  la  hauteur  du  couvent  des  Augustins.  Le  31  mai 
1578,  Henri  III,  qui  venait  de  voir  passer  la  pompe  funèbre 

1.  RsG.  H,  1788,  fo  280.  a  En  la  ville  de  Paris  aura  deux  maistres  de  pont 
de  ladicte  Ville  pour  monter  et  avaler  les  nefz,  bateaux  et  vaisseaux,  tant 
montans  que  devalens  par  dessoubs  lesdispons  de  Paris...  »  (Ord,  de  1415, 
art.  531.)  Ils  étaient  nommés  par  le  prévôt  des  marchands  «  après  infor- 
macioD  deuement  faicte  »  et  parmi  les  bateliers  les  plus  experts  de  la  Seine, 
de  ITonne,  de  la  Marne  et  de  TOise.  On  prenait  Tun  des  maîtres  dans  le 
pays  d*amoot  et  l'autre  dans  le  pays  d'aval.  Voy.  la  note  3  de  la  page  112. 


166  PARIS  ET  LA  LiaUE 

(le  ses  mignons  Quélus  et  Maugiron,  posa  la  première 
pierre  du  Pont-Neuf,  en  présence  des  deux  reines  et  de 
toute  de  la  Cour.  «  Et  sous  ladite  pierre  furent  mises  des 
pièces  d'argent  et  de  cuivre  doré,  pesant  environ  trois  ou 
quatre  testons,  sur  lesquelles  estoient  gravés  les  portraicts 
du  roy  et  desdites  roynes.  Ladite  pierre  estant  assise,  on 
présenta  au  roy  une  truelle  d'argent  avec  laquelle  il  print 
du  mortier  en  un  plat  aussi  d'argent  et  le  jetta  sous  ladite 
pierre  '.  »  Par  lettres  patentes  du  mois  de  mars  1578,  le 
roi  avait  commis  Tinspection  des  travaux,  dont  le  plan 
avait  été  tracé  par  Jacques  Audouet  Du  Cerceau,  architecte 
du  roi,  à  Christophe  de  Thou,  premier  président,  Pierre 
Séguier,  lieutenant  civil,  Jean  de  la  Guesle,  procureur 
général,  et  M.  Claude  Marcel,  surintendant  des  finances  '. 
En  cette  même  année  1578,  on  travailla  avec  une  certaine 
activité  aux  piles  du  côté  du  petit  bras,  si  bien  qu'elles 
s'élevaient  déjà  à  fleur  d'eau  quand  le  manque  de  fonds 
arrêta  les  travaux.  L'interruption  devait  durer  vingt  ans. 
Toutefois  l'abandon  ne  fut  pas  complet,  car  un  passage  des 
Registres  de  la  Ville,  daté  du  30  août  1585  et  qui  ne  semble 
encore  avoir  été  signalé  par  aucun  historien  de  Paris, 
prouve  qu'à  cette  époque  «  on  besongnait  la  masse  ou  cullée 
du  Pont-Neuf  du  costé  du  quay  de  ladite  EscoUe  '  ».  Au  sur- 

i.  Le  théâtre  des  antiquitez  de  PariSj  par  le  R.  P.  F.  Jacques  du  Bbbul, 
parisien,  religieux  de  Saint-Germain  des  Prez.  Paris,  édit.  de  1639, 
p.  185.  Voy.  aussi,  dans  la  collection  de  Paris  à  travers  les  âges^  la  livraison 
intitulée  :  le  Palais  de  justice  et  le  Pont-Neuf,  par  M.  Edouard  Fournier, 
p.  37.  Le  Pont-Neuf  ne  fut  achevé  que  sous  Henri  IV,  en  1604. 

2.  Ce  sont  les  noms  indiqués  par  l'Estoilb,  t.  I,  p.  256;  mais  les  registres 
du  Parlement  (Félibibn,  Preuves,  partie  III,  p.  7)  y  ajoutent  ceux  du  pré- 
sident Pomponne  de  Belliëvre,  d'Antoine  Nicolal,  premier  président  de  la 
Cour  des  comptes,  Augustin  de  Thou,  Barnabe,  avocats  généraux  au  Par- 
lement, Jean  Camus,  intendant  des  finances,  et  des  procureurs  du  roi  au 
ChAlelet  et  A  THôtel  de  Ville. 

3.  Rbo.  h,  1788  bis,  P*  499.  La  construction  du  pont  avait  nécessité  l'en- 
lèvement de  beaucoup  de  pierres  «  liays,  fer  et  aultres  matériaux  qui 
soutiennent  ledict  quay  de  TEscoUe  »  ;  le  Bureau  de  la  Ville  ordonne,  à 
cette  date  do  30  août  1585,  de  mettre  de  côté  les  matériaux  dont  il  s'agit, 
parce  qu'ils  appartenaient  à  la  Ville.  En  effet,  les  quais,  de  même  que  les 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  167 

plus,  rentretien  des  ponts  laissait  bien  à  désirer  sous 
Henri  III.  La  Ville  n'en  était  jamais  chargée  qu'à  titre  de 
concessionnaire,  mais  en  principe  la  dépense  incombait  au 
roi,  et  ses  agents  étaient  responsables  du  bon  état  des 
ponts.  C'est  ainsi  que  le  15  mars  1579  Qaude  Moreau, 
trésorier  de  France,  vient  «  remonstrer  à  la  Cour  [c'est-à- 
dire  au  Parlement)  que  le  pont  au  Change  est  prest  de 
tomber,  et  d'autant  qu'il  n'y  a  pas  un  denier  qui  se  puisse 
employer,  et  est  cette  généralité  chargée  de  vingt  ponts 
qui  tombent  »;  Claude  Moreau  supplie  la  Cour  «  inter- 
poser son  office,  à  ce  qu'il  ne  luy  soit  imputé,  ni  à  Mes- 
sieurs ses  compaignons  faute,  et  supplie  la  Cour  luy  en 
donner  acte  pour  luy  servir  de  descharge  ^  ».  Le  Parlement 
fait  droit  à  la  requête  et  enjoint  au  procureur  général 
d'aller  trouver  le  roi  avec  Claude  Moreau  pour  supplier 
le  prince  «  d'y  vouloir  faire  mettre  ordre  pour  le  bien 
du  public  ».  En  mars  1583,  c'est  encore  au  roi  qu'on 
s'adresse  en  personne,  quand  une  forte  crue  de  la  Seine 
menace  d'emporter  le  pont  Saint-Michel,  et  l'on  charge  les 


fortifications  et  les  fontaines,  ont  été  de  tout  temps  confiés  à  la  prévôté 
des  marchands,  ainsi  que  le  prouve  une  lettre  de  François  I>'  du  10  mars  1530. 
Arch.  nat,,  K,  984,  citée  par  Leroux  de  Lincy,  p.  130.  Des  lettres  patentes 
dn  même  prince,  en  date  du  3  juin  1535,  autorisent  par  exception  le  prévôt 
des  marchands  et  les  échevins  de  Paris  à  employer  le  produit  des  aides 
et  octrois  de  la  Ville  à  la  réparation  des  «  ponts,  qnays  du  Louvre  et  Grève, 
et  autres  bàUmens  nécessaires  et  d'importance  »..  A  cette  époque,  le  roi 
faisait  porter  dans  ses  coffres  le  produit  des  octrois  des  autres  villes,  à 
cause  de  la  détresse  du  Trésor  public,  et  Paris  fut  Tobjet  d'un  traitement 
privilégié.  Toutefois,  ce  n'est  que  beaucoup  plus  tard  que  le  produit  des 
octrois  fut  régulièrement  affecté,  avec  l'autorisation  royale,  à  l'entretien 
des  ouvrages  publies  et  notamment  des  ports  et  des  quais.  Il  est  rcgret- 
Uble  que,  sur  ce  point,  Dblamarb  (Tr.  de  la  Poiice,  liv.  VI,  t.  X,  sect.  II), 
qui  cite  les  lettres  patentes  de  1535,  n'ait  pas  recueilli  et  publié  d'autres 
documents  pour  les  époques  postérieures  :  car  s'il  est  acquis  que  le  prévôt 
des  marchands  était  souvent  chargé  de  faire  réparer  les  ponts  et  les  quais, 
les  documents  analysés  au  texte  semblent  démontrer  qu'on  s'adressait,  en 
de  nombreuses  circonstances,  au  roi  lui-même  pour  régler  les  mesures  & 
prendre;  et  d'autre  part,  les  attributions  du  prévôt  de  Paris  et  du  prévôt 
des  marchands,  en  cette  matière,  ne  semblent  délimitées  nulle  part  avec 
une  précision  suffisante. 
1.  Extrait  des  registres  du  Parlement.  F6ub.,  Pr.,  t.  III,  p.  10. 


168  PARIS   ET  LA  LIGUE 

tréftoriorH  généraux  de  France  de  vérifier  le  péril  immi- 
nent * . 

En  ce  qui  concerne  le  pavage  de  Paris,  il  y  avait  dans 
les  usages  une  grande  diversité  qui  peut  exposer  à  de 
graves  confusions.  Le  règlement  général  que  fit  le  roi  Jean 
pour  la  police  le  30  janvier  4350  pose  le  principe  général  : 
«  Que  chacun  en  droit  soi  face  refaire  les  chaucées  quand 
elles  ne  seront  suffisantes,  tantost  et  sans  délay  »  ;  le  pré- 
vôt de  Paris  était  chargé  de  recevoir  les  maîtres  paveurs, 
de  contraindre  les  propriétaires  à  paver  devant  leurs 
maisons,  d'ordonner  les  visites  et  le  rétablissement  du 
pavé  qui  ne  se  trouvoit  pas  suivant  les  anciennes  pentes  et 
alignements.  Les  commissaires  du  Châtelet  prenaient  con- 
naissance par  eux-mêmes  de  la  nécessité  des  réparations, 
recevaient  les  plaintes  des  bourgeois  et  ordonnaient  la  ces- 
sation des  ouvrages  lorsqu'ils  jugeaient  que  les  ouvriers 
voulaient  enlever  des  pavés  encore  bons;  mais  le  roi 
entretenait  à  ses  dépens  la  croisée  de  Paris  '  (de  la  porte 
Saint-Denis  k  la  porte  Saint-Jacques  et  de  la  porte  Baudet 
à  la  Bastille  Saint-Antoine).  De  son  côté,  le  Bureau  de  la 
Ville  fournissait  le  pavé  de  quelques  rues,  de  certaines 
places  publiques  et  de  plusieurs  quais,  tout  le  pavé  des 
autres  voies  restant  à  la  charge  des  propriétaires,  confor- 
mément à  la  vieille  loi  romaine  :  Construat  autem  vias 
publicas  unusquisque  secundam  propriam  domum.  Ainsi, 


1.  FAuBiBN,  Preuves,  t.  III,  p.  16.  Charles  VI,  par  lettres  patentes  du  !«'  mars 
1388  (reproduites  dans  Delamarb,  t.  IV,  p.  170,  édit.  de  1738),  confia  au 
prévôt  de  Paris  la  haute  surveillance  des  ponts  et  chaussées  de  la  prévôté 
et  vicomte  de  Paris;  mais  les  lettres  patentes  n'organisent  pas  avec  une 
précision  sufflsante  les  moyens  d'exécution.  Elles  prévoient  même  que  les 
sujets  seront  «  refusans  ou  delayans  »  et,  dans  cette  hypothèse,  prescrivent 
au  prévôt  de  faire  faire  les  travaux  «  en  leur  deffaut  et  diligemment 
et  tellement  que  lesdits  chemins,  chauciées,  pons  et  passages  soient  remis 
en  bon  et  soufûsant  estât  et  que  il  n'en  soit  reprins  de  négligence.  » 

2.  IHst*  municip.,  p.  42.  Dblamarb  cite  une  ordonnance  de  Tannée  1400* 
qui  indique  avec  détails  Tétat  de  la  croisée  de  Paris  à  cette  époque,  t.  IV,. 
p.  173. 


-      LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  169 

tantôt  la  Ville  était  chargée  exclusivement,  tantôt  elle 
était  complètement  exemptée  des  dépenses  de  pavage  de 
telle  ou  telle  voie.  Sous  la  date  du  6  septembre  1581,  les 
Registres  nous  fournissent  l'exemple  d*un  travail  de  pavage 
fait  aux  dépens  de  la  Ville,  sans  aucune  contribution  du 
roi,  ni  des  habitants.  «  Sur  la  requête  verballement 
faicte  au  bureau  de  la  Ville  de  Paris  par  sire  Symon 
Feullet  l'ainé  et  autres  bourgeois  et  habitans  de  ladicte 
ville,  demourant  rue  du  Mouton,  place  de  Grève,  et  es  en- 
virons, ad  ce  qu'il  leur  plust  faire  réparer  la  dicte  rue  », 
des  membres  du  Bureau  décident  que  «  ladicte  rue  du 
Mouton  sera  promptement  et  à  Tadvenir  pavée,  aus  des- 
pens  de  ladicte  Ville  pour  la  commoditté  publique,  sans 
ce  que  lesdictz  habitants  d'icelle  rue  seront  tenuz  aucune 
chose  pour  ce  pavé,  tant  du  pavé  que  de  façon  dlcelle, 
actendu  que  icelle  rue  est  nottoirement  des  deppendans  de 
ladicte  place  de  Grève  et  la  principale  advenue  et  entrée 
d*icelle  '  ».  Chargée  de  subvenir  à  une  partie  considérable 
du  pavé  de  Paris  *,  la  Ville  était  obligée  de  passer  des 
marchés  avec  des  entrepreneurs  qui,  à  l'instar  des  entrepre- 
neurs de  nos  jours,  se  plaignaient  constamment  d'avoir 
accepté  un  prix  insuffisant  et  réclamaient  une  augmentation. 
Le  Bureau  faisait  souvent  droit  à  ces  plaintes.  C'est  ainsi 
qu*à  la  date  du  25  octobre  1583  il  accordait  à  Albin  Gaul- 
tier, «  marchant  fournissant  le  pavé  de  ladicte  Ville  »,  une 

i.  Rbo.  h,  1788,  f*  279. 

2.  Le  roi  ne  se  faisait  pas  faute  de  signaler  à  l'administration  municipale 
les  voies  où  le  pavage  laissait  à  désirer.  Cest  ainsi  que  le  19  octobre  1584 
il  écrit  de  Blois  au  prévôt  des  marchands  qu'il  a  été  averti  «  que  les  pavez 
du  fauxibourg  Saint-Honnoré  sont  en  si  mauvais  estât  et  rompus  que  le 
publicq  s'en  trouve  grandement  incommodé;  et  davantaige  que  cela  est 
cause  que  les  eaues  et  boues  y  croupissent,  lesquelles  ne  se  pouvant  aucu- 
nement esoouller,  engendrent  un  mauvais  air  et  entretiennent  la  conta- 
gion... «  En  conséquence,  le  roi  ordonne  à  la  Ville  de  refaire  le  pavé 
«  depuis  la  porte  Saint- Honoré  hors  la  porte  de  la  nouvelle  fortification 
en  allant  au  RouUe...  »  Il  recommande  de  laisser  une  pente  pour  l'écoule- 
ment des  eaux  et  de  pratiquer  un  ruisseau  des  deux  côtés  de  la  chaussée. 
Rkg.  h,  1788  bis,  f>  427. 


170  PARIS  ET  LA  LIGUE 

augmentation  sur  les  prix  de  son  marché,  qui  remontait  au 
4  juillet  1580,  et  aux  termes  duquel  Gaultier  devait  rece- 
voir quinze  écus  «  pour  chascun  millier  de  gros  pavé,  de 
sept  à  huit  poulces  en  carré  *...  » 

Les  Registres  fournissent  aussi  maint  exemple  de  pa- 
vages faits  exclusivement  aux  dépens  des  habitants.  Une 
décision  du  Bureau,  en  date  du  13  mai  1585,  ordonne  aux 
«  manans  et  habitants  des  faulxbourgs  Saint-Honnoré  de 
faire  paver  promptement  et  en  toute  diligence  devant 
leurs  maisons,  chacun  en  droici  sot/y  depuis  le  commen- 
cement de  la  chaussée  qui  a  esté  pavée  et  rechaussée  de 

neuf,  es  dictz  faulxbourgs,  jusques  à  la  fin  d'icelle » 

La  qualité  et  la  forme  du  pavé  n'étaient  pas  laissées  à 
l'arbitraire  des  entrepreneurs  ou  des  habitants.  L'ordon- 
nance de  1415  disait  déjà  que  «  doresnavant  les  quarreaux 
qui  seront  amenés  pour  vendre  en  ladite  Ville,  auront  de 
six  à  sept  poulces  de  hault,  de  lé  (largeur)  et  en  tout  sens  ». 
On  se  servait  de  pierres  de  grès,  et  Delamare  nous  dit  * 
que  le  meilleur  venait  de  Vaucresson,  d'Herbelay,  Triel 
et  Louveciennes  :  on  trouvait  trop  tendre  le  grès  de  Fon- 

1.  Reg.  h,  1788  bis,  f*  354. 11  parait  que  rentrepreneur  y  perdait.  Ouï  le 
procureur  du  roi  et  de  la  Ville,  le  Bureau  ordonne  que  «  pourceque  ledit 
Gaultier  a  fourni  dudict  gros  pavé  sur  les  asteliers  es  rues  de  la  Juifverye 
et  aultres  de  la  croisée  de  ladicte  ville  et  es  portes  dUcelle,  depuis  le  mois 
d'aoust  dernier  passé  Tan  1583,  et  qu'il  y  fournira  jusques  au  dernier 
décembre  de  la  présente  année,  il  en  sera  payé  à  raison  de  vingt  et  un 
escus  pour  chascun  millier  dudict  gros  pavé,  qui  est  un  escu  d'augmen- 
tation pour  millier,  plus  que  les  vingt  escus  à  quoi  il  a  faict  ledict  marché; 
et,  pourcequ'il  fournira,  durant  Tannée  prochaine  1584,  sur  lesdicts  asteliers 
es  rues  de  la  croisée  et  portes  de  ladicte  ville,  luy  en  sera  paie  À  raison  de 
vingtrdeux  escus  et  demy  pour  chascun  millier,  qui  est  deux  escus  et 
demy  d'augmentation  pour  miUier.  Faict  au  Bureau  de  ladicte  Ville  le 
25*  jour  d'octobre  1583.  »  Le  8  décembre  de  la  même  année,  le  Bureau 
de  la  Ville  accorde  à  Albin  Gaultier  une  nouvelle  augmentation.  Il  s'agis- 
sait de  paver  la  rue  Saint-Denis  «  depuis  la  haise  {porte,  fermeture)  des 
faulxbourgs  jusques  &  la  Croix  qui  panche  ».  Par  suite  de  la  hausse  des 
salaires  des  ouvriers,  des  charrois  et  arrivages,  tant  sur  terre  que  par  eau, 
la  Ville  crut  équitable  de  porter  les  prix  à  payer  audit  Gaultier  à  25  escus 
pour  chacun  millier  de  pavés  livré  sur  les  chaussées  Saint-Jacques  et 
Saint-Denis.  »  Ibid,,  fol.  365. 

2.  T.  IV,  p.  ns. 


LA   RÉSURRECTION  DE  LA   LIGUE  171 

tainebleau.  Les  trésoriers  de  France  ou  leurs  délégués 
visitaient  préalablement  les  carrières  d'où  l'on  tirait  le 
pavé  de  Paris.  Les  matériaux  une  fois  façonnés  et  travail- 
lés suivant  les  dimensions  prescrites  par  les  règlements, 
on  les  acheminait  vers  la  capitale  et  on  les  déposait  sur 
les  berges  de  la  Seine,  sur  les  porls.  Là,  ils  étaient  Tobjet 
d'une  seconde  visite,  à  l'origine  par  les  soins  d'un  fonc- 
tionnaire appelé  le  visiteur  du  pavé  S  et  plus  tard,  au 
début  du  XVI*  siècle,  par  ceux  des  quatre  jurés  et  gardes 
du  métier  de  paveur.  Pour  favoriser  et  contrôler  le  recrute- 
ment des  ouvriers  paveurs,  le  prévôt  de  Paris  leur  avait 
donné  des  statuts  en  1501,  statuts  qui  étaient  encore  en 
vigueur  au  xvin*  siècle.  Henri  III  les  confirma  en 
avril  1579.  C'est  précisément  aux  termes  de  ces  statuts 
que  l'on  élisait  quatre  jurés  et  gardes,  qui  avaient  «  puis- 
sance de  visiter,  en  la  ville  et  banlieue  de  Paris,  tous 
ouvrages  et  carreaux  qui  seront  amenez  pour  vendre,  et 
faire  corriger  et  réparer  les  faultes  et  abus  qui  y  seront 
commis  ». 

L'enlèvement  des  boues  et  immondices  donnait  lieu, 
comme  le  pavage,  à  de  nombreuses  décisions  du  Bureau 
de  la  Ville.  Dans  le  principe,  les  bourgeois  se  chargeaient 
eux-mêmes  de  nettoyer  le  pavé  au-devant  de  leurs  maisons  : 
les  habitants  d'une  ou  de  plusieurs  rues  s'entendaient  pour 
louer  un  tombereau  commun,  affecté  au  service  de  leur 
quartier;  mais  l'agrandissement  progressif  de  Paris  et  la 
négligence  de  plus  en  plus  marquée  des  bourgeois  obligè- 
rent l'autorité  publique  à  édicter  des  règlements  pour  con- 

1.  Le  premier  document  qui  constate  la  nomination  d*un  visiteur  du 
paYé  de  Paris  semble  être  un  vidimus  de  Charles  VI,  en  date  du  20  avril  1396, 
approuvant  la  commission  donnée  par  les  «  gens  des  comptes  et  trésoriers 
du  roy  au  prévôt  de  Paris  pour  élire  un  visiteur  du  pavé  ».  On  choisissait 
ce  fonctionnaire  parmi  les  paveurs  les  plus  experts.  Il  était  nommé  par  le 
prévôt  de  Paris,  en  présence  et  sur  Tavis  des  «  maitres  jurés  et  bacheliers 
sur  le  faict  de  la  maçonnerie  »,  ainsi  que  de  «  la  plus  grand  et  saine  partie  des 
paveurs  de  la  Ville  et  banlieue  de  Paris  ».  Cet  office  a  subsisté  jusqu'en  4501. 


172  PARIS  ET  LA  LIGUE 

traindre  les  bourgeois,  sous  peine  d'amende,  à  nettoyer  les 
rues  ^  devant  leurs  maisons  et  à  faire  porter  les  immon- 
dices hors  de  la  ville.  Ces  prescriptions  étant  restées  à 
peu  près  lettre  morte,  un  arrêt  du  Parlement,  en  date  du 
2  mars  1476,  chargea  le  prévôt  de  Paris  de  faire  nettoyer 
les  rues  aux  frais  des  habitants.  Toutefois  des  taxes  ne 
furent  perçues  régulièrement  qu'en  1522  ;  la  répartition  en 
était  faite  par  les  notables  de  chaque  quartier,  assemblés 
chez  le  commissaire,  qui  signait  le  rôle  et  délivrait  aux 
receveurs  des  commissions  pour  lever  les  deniers.  En  cas 
de  refus  de  payement,  les  sergents  à  verge,  porteurs  de 
contraintes,  procédaient  à  la  vente  des  meubles  du  contri- 
buable :  le  lieutenant  civil  statuait  sur  les  contestations. 
Il  incombait  aux  bourgeois  commis  de  toucher  les  taxes  et 
de  les  employer,  de  faire  prix  avec  les  charretiers  pour 
la  fourniture  des  chevaux,  des  tombereaux  et  des  hommes 
nécessaires  au  service  de  nettoiement  de  la  vie  publique. 
L'ordonnance  de  François  I*',  de  novembre  1539,  régle- 
menta en  détail  tout  ce  qui  concernait  ce  service  et  soumit 
à  une  responsabilité  pécuniaire  les  commissaires  du  Chà- 
telet,  ainsi  que  les  quartiniers,  dizainiers  et  cinquanteniers, 
qui,  de  ce  chef,  étaient  placés  sous  la  juridiction  du  prévôt 
de  Paris  •.  En  vertu  de  ce  texte  et  d'une  autre  ordonnance 


1.  Le  premier  règlement  est  celui  du  3  férrier  1348.  Il  conUent  un  article 
assez  curieux,  gui  prouve  que  Ton  rencontrait,  à  celte  époque,  dans  les 
rues  de  Paris,  tles  animaux  peu  aimables  :  «  Que  nulz  ne  sera  si  hardys  de 
avoir,  tenir,  nourrir,  ne  soustenir  dedans  les  murs  de  ladite  Ville  de  Paris, 
en  repost  ne  en  appert,  aucuns  pourceaux;  et  qui  sera  trouvez  faisant  le 
contraire,  il  payera  soixante  soulz  d'amende  au  roy  nostre  sire  ;  et  seront 
les  pourceaux  tués  par  les  sergens  ou  autres  qui  les  trouveront  dèdens 
ladite  Ville,  dont  le  tuant  aura  la  teste,  et  sera  le  corps  porté  aux  Hostels 
Dieu  de  Paris,  qui  payeront  les  porteurs  d'iceulx.  »  L'ordonnance  de  police 
du  9  octobre  1395  ajoute  la  prison  à  Tamende  pour  intimider  les  bourgeois 
récalcitrants.  Une  autre,  de  janvier  1404,  interdit,  sous  menace  de  fortes 
amendes,  de  jeter  des  immondices  dans  la  Seine. 

2.  L'art.  13  de  l'ordonnance  indique  bien  que  c'est  U  une  exception  aux 
principes  qui  régissaient  Torganisation  municipale  :  «  ,.,Ence  cas  seulement, 
nous  attribuons  la  connaissance  à  nostredit  prévost  de  Paris  ou  son  lieu- 
tenant criminel,  et  sans  préjudice  des  droits  de  jurisdiction  de  nos  amex 


LA  RESURRECTION  DE  LA  LIGUE  173 

de  janvier  1540,  les  bourgeois  étaient  chargés  seulement 
de  balayer  devant  «  leur  huis  »  quand  le  tombereau  y  arri- 
vait, et  les  conducteurs  des  tombereaux  chargeaient  les  im- 
mondices ^  Malgré  les  règlements  et  les  ordonnances,  les 
rues  de  Paris  n'étaient  pas  toujours  d'une  propreté  irré- 
prochable. En  1578,  par  exemple,  la  rue  de  Tournon  était 
tellement  obstruée  par  les  immondices  et  par  la  boue,  qu'un 
arrêt  du  Parlement,  en  date  du  14  juin,  ordonna  que  l'abbé 
de  Saint-Germain,  le  prévôt  des  marchands  et  les  habitants 
du  faubourg  Saint-Germain  (récemment  pavé  par  les  soins 
des  cardinaux  de  Tournon  et  de  Bourbon)  contribueraient, 
chacun  pour  un  tiers ^  au  travail  d'épuration  jugé  néces- 
saire. Il  fallut  creuser  une  tranchée  depuis  la  Croix-Rouge 
jusqu'à  la  Seine  pour  faciliter  l'écoulement  des  eaux.  Une 
taxe  spéciale  fut  établie  sur  les  habitants  intéressés,  et  le 
prévôt  de  Paris  fut  chargé,  avec  le  prévôt  des  marchands, 
de  surveiller  les  travaux  '.  A  la  date  du  22  octobre  1583, 
le  Bureau  de  la  Ville  intervient  à  son  tour  et  fait  défense 
«  à  Jehan  Gahrel,  commis  du  sieur  X...,  entrepreneur  de 
la  vidange  des  boues  de  la  Ville,  de  faire  descharger 
aucunes  boues  et  immondices  sur  le  pavé  du  port  de 
Grève,  sous  peine  du  fouet,  attendu  l'incommodité  que 
apportent  audict  port  lesdictes  boues  et  immondices  '  ». 
Le  7  décembre  de  la  même  année,  un. autre  ordre  du 
Bureau  défend  à  tous  tumbeliers  de  décharger  les  «  gra- 
vois,  vuidanges  et  boues  le  long  des  chemins  et  advenues 
de  la  ville  »,  et  ordonne  «  de  les  mener  sur  les  boulevards, 
remparts  et  plates-formes  d'icelle  ville  afin  de  les  dresser  *  » , 

et  féaux,  les  préYOst  et  eschevins  de  nostre  dite  Ville  de  Paris,  en  autres 
choses.  »  FoNTANON,  t.  I,  liv.  5. 

l.TJn  règlement  du  22  novembre  1563  fixe  à  deux  par  quartier  le  nombre 
des  tombereaux,  et  prescrit  de  les  garnir  d'une  sonneltc  pour  avertir  les 
habitants. 

2.  Péub.,  Pp.,  part.  lil,  p.  1  à  40. 
.   3.  Rbo.  h,  1188  àis,  fol.  354. 

l.  Ibid.,  fol.  365. 


174  PARIS  ET  LA  LIGUE 

le  tout  sous  peine  de  confiscation  des  tombereaux  et 
d'amende  arbitraire.  Quand  les  entrepreneurs  tardaient 
à  enlever  les  boues,  la  municipalité  prenait  parfois  des 
mesures  expéditives  :  c'est  ainsi  que  le  H  janvier  1585 
elle  enjoint  «  au  premier  sergent  ou  conmiissaire  des  quais 
de  la  Ville  de  prendre  et  arrester  le  premier  basteau  vide 
appartenant  aux  conducteurs  de  vuidanges  d'icelle  ville 
qui  se  trouvera  sur  les  quais  du  Louvre  et  de  la  Mégisserie 
pour  mener  les  boues  et  immondices  qui  sont  à  présent 
sur  les  dictz  quais,  en  paiant  toutesfois  Toccupation  du- 
dict  batteau  raisonnablement,  le  tout  suivant  Texprës 
commandement  du  roi  ^  ».  Les  bourgeois  commis  dans 
chaque  quartier  pour  lever  et  employer  les  taxes  de 
balayage  étaient  fréquemment  obligés  de  contribuer  de 
leurs  propres  deniers  si  les  taxes  dont  il  s'agit  étaient 
insuffisantes  pour  subvenir  à  la  défense.  C'était  une  occa- 
sion de  grandes  plaintes  de  la  part  des  pauvres  bourgeois. 
En  1586,  ils  s'adressèrent  à  Henri  III,  qui,  par  déclaration 
du  29  août,  manda  au  prévôt  de  Paris  d'égaler  le  montant 
des  taxes  au  montant  de  la  dépense  à  faire.  Le  roi  prend 
soin  en  même  temps  de  dire  que  les  officiers  de  sa  maison 
ne  seront  point  chargés  de  la  levée  de  la  recette  des  de- 
niers de  police. 

Depuis  l'époque  où  Philippe-Auguste  avait  prescrit  aux 
bourgeois  parisiens  d'élever  une  enceinte  nouvelle  autour 
de  la  Ville,  la  municipalité  avait  toujours  conservé  dans 
ses  attributions  la  surveillance  des  remparts,  des  fossés 

l.Reg.H,  1788  615,  fol.  435.— Par  décision  du  23  janvier  1585,  le  Bureau  de 
la  Ville  prit  des  mesures  définitives  pour  assurer  le  nettoiement  des  quais 
de  Paris  depuis  la  Vallée  de  misère  jusqu'à  la  porte  Neuve.  Il  accorda  l'en- 
treprise du  nettoiement  pour  neuf  ans  aux  frères  Foullon,  dont  le  second 
était  «  voicturier  par  eau  et  M*  des  basses  œuvres  des  manans  en  ceste  ville 
de  Paris  ».  La  rémunération  des  entrepreneurs  se  composait  de  deux  élé- 
ments :  !•  des  deniers  payés  par  les  riverains  pour  l'enlèvement  des  boues 
et  le  nettoiement  des  quais;  2«  d'une  taxe  de  deux  sols  six  deniers  tour- 
nois sur  chaque  bateau  «  chargé  de  marchandises  qui  arrivera  et  sera 
garré  et  deschargé  le  long  desdictz  quais  ».  Ibid..  fol.  435. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  475 

et  des  portes  *.  On  ne  sait  pas  exactement  qui  supporta 
la  dépense  des  fortifications  faites  sous  Louis  XI  et  sous 
Louis  XII  •  ;  mais  Sauvai  affirme  qu'à  partir  du  règne  de 
François  I"  toutes  les  dépenses  nécessaires  à  l'entretien  ou 
à  la  réfection  des  fortifications  furent  supportées  par  les 
Parisiens.  En  1536,  les  quartiniers  fournirent  seize  mille 
manœuvres  pour  creuser  des  fossés  au  delà  des  faubourgs  ; 
les  habitants  de  ces  faubourgs  durent  payer  une  année  en- 
tière des  loyers  de  leurs  maisons.  En  1552,  Henri  II  avait 

1.  GciLLAUMB  DE  Nanois,  édît.  Géraud,  t.  II,  p.  279;  Leroux  dr  LzNCT,p.  126. 
—  Sauval  (Antiq.  de  la  Ville  de  Paris,  t.  I,  p.  86)  dit  à  ce  sujet  :  «  Depuis 
Phi  lippe- Auguste,  les  murailles  et  les  fortifications  se  sont  toujours  faites 
aux  dépens  des  Parisiens.  Les  successeurs  de  ce  prince  les  ont  données  aux 
prévôt  des  marchands  et  échevins;  ils  leur  en  ont  confié  la  garde,  la 
visite,  la  conduite  et  le  soin  de  les  réparer,  rétablir  et  changer.  »  Le  prévôt 
des  marchands  veillait  avec  soin  à  la  conservation  des  fortifications  :  c'est 
ainsi  que,  le  28  mars  1586,  il  défend  «  à  toutes  personnes  de  démolir  une 
tour  estant  des  antiens  mura  estana  au  derrière  et  àl'endroict  de  la  maison 
de  M.  le  comte  du  Bouchaige,  assise  près  le  Louvre  ».  Rbg.  H,  1788  bis, 
fol.  578.  —  D'autre  part,  il  parait  résulter  de  certains  textes  que  le  roi  se 
réservait  un  droit  de  contrôle  supérieur  en  ce  qui  touche  Tembellissement 
des  portes  de  la  Ville,  et  fiiisait  des  commandes  d*objet  d'art  dont  la  Ville 
assurait  seulement  l'exécution  et  la  mise  en  place.  C'est  ainsi  qu'en  1585 
le  roi  avait  commandé  à  Germain  Pilon  un  écusson  destiné  à  orner  une 
nouvelle  porte.  Pour  la  forme,  le  dessin  du  travail  fut  soumis  au  Bureau  de 
la  Ville,  qui  l'approuva  dans  les  termes  suivants  :  «  Âpres  avoir  veu  la 
figure  ou  desseing  des  armes  de  France  et  de  Polongne,  accompagné  des 
deux  ordres  et  devises  du  roy  que  Sa  Majesté  entend  eslre  mise  et  apposée 
au  portail  naguères  faict  de  neuf  sur  la  chaussée  de  la  porte  Sainct-Ànthoine, 
a  été  ad  visé  que  icelles  armes  et  accompaignemens,  selon  ledict  desseing, 
seront  faictes  en  bronze  et  estofTées,  comme  il  est  porté  par  icelluy  des- 
seing. Partant,  avons  ordonné  à  Germain  PilIon,controIleur  des  effigies  de 
la  monnoye  de  France,  d'icelles  faire  faire  et  exécuter;  et,  à  ceste  fin, 
avons  faict  parapher  icelluy  desseing  par  le  greffier  de  ceste  Ville  de  Paris, 
ne  varietur.  Et  lequel  a  esté  mis  ès-mains  de  Pierre  Guillain,  maistre  des 
œuvres  de  ladicte  Ville,  pour  en  faire  les  diligences  et  exécution  d'icelluy, 
les  faire  asseoir  et  mectre  en  la  place  pour  ce  destinée.  Faict  au  bureau,  le 
mardy  vingtiesme  jour  d'aoust  Tan  1585.  »  Rbo.  H,  1788  bis,  fol.  490. 

2.  II  semble  cependant  résulter  d'un  passage  des  Registres  que  nous 
avons  cité  {HisL  munie,,  p.  303)  qu'en  mars  1512,  au  moment  où  l'on  re- 
doutait une  invasion  anglaise,  ce  fut  uniquement  la  caisse  municipale  qui 
supporta  les  frais  de  la  mise  en  état  des  fortifications,  chaque  commu- 
nauté et  confrérie  de  marchands  ayant,  de  son  côté,  fourni  un  ou  plusieurs 
canons.  Sous  François  !•',  Paris  était  l'arsenal  de  la  France,  et  le  roi  comme 
ses  généraux  et  même  les  autres  villes  s'adressaient  au  prévôt  des  mar- 
chands pour  avoir  des  armes  et  des  munitions.  {Hist,  munic^  p.  375  et  suiv.) 
En  noTcmbre  1555,  Henri  II  taxa  Paris  à  12,000  livres  pour  fortifier  les 
places  de  la  frontière. 


176  PARIS  ET  LA  LIGUE 

ordonné  à  la  Ville  de  lever  120,000  par  an,  tant  sur  les 
propriétaires  que  sur  les  locataires,  pour  réparer  les  fori- 
fications  :  chaque  logis  était  taxé  à  quatre  francs  au  mini- 
mum et  vingt-cinq  francs  .au  maximum,  suivant  son  impor- 
tance. Le  roi  lui-même  payait  cette  taxe  pour  le  Louvre,  le 
Palais  et  l'hôtel  des  Tournelles.  C'était  à  l'Hôtel  de  Ville 
que  se  faisait  le  travail  de  répartition  des  taxes,  parles  soins 
d'une  commission  composée  d'un  député  du  Parlement,  de 
la  Chambre  des  comptes  et  de  la  Cour  des  aides,  d'un  con- 
seiller de  Ville,  d'un  secrétaire  du  roi,  des  quartiniers,  cin- 
quanteniers,  dizainiers  et  deux  bourgeois  de  chaque  dizaine. 
D'après  un  édit  de  Charles  IX,  les  deniers  levés  chaque  année 
pour  la  fortification  étaient  mis  en  recouvrement  au  mois  de 
janvier.  Sous  Henri  HI,  les  travaux  des  fortifications  ne  fu- 
rent pas  moins  onéreux  pour  les  Parisiens  qu'ils  ne  l'avaient 
été  sous  les  règnes  précédents.  C'est  ainsi  qu'en  mai  1585 
le  roi  avait  demandé  à  la  Ville  60,000  écus  pour  la  répara- 
tion des  remparts  de  Paris  ;  mais,  grâce  à  des  remontrances 
plusieurs  fois  renouvelées,  le  prévôt  des  marchands  obtint 
du  prince  qu'il  se  contentât  d'un  capital  de  8,000  écus,  dont 
les  arrérages  seraient  destinés  à  «  faire  plusieurs  fortiffica- 
tions  et  réparations  ès-portes,  chaisnes,  pontz-levis,  bas- 
cules, herses,  barrières,  corps  de  garde,  rehaulcement  de 
courtines,  tranchées,  murailles,  portes,  achaptz  de  pièges, 
pelles,  boyaux,  hottes  et  aultres  ustensilles  pour  servir  aux 
vallides  qui  seront  employez  auxdictes  fortiffications  '  ». 
Plusieurs  communautés  '  avaient  fait  abattre  les  portes 

1.  Rbo.  h,  1788  bis,  fol.  458. 

2.  Les  communautés  étant  propriétaires  de  terrains  considérables  tout 
autour  de  Paris,  on  comprend  que  les  rois  aient  souvent  eu  besoin  de 
prendre  une  partie  de  ces  clos  pour  y  faire  passer  les  murailles  de  la  Ville. 
C'est  ainsi  qu'en  1401,  quand  on  refit  une  enceinte,  on  prit,  sans  même  se 
soucier  de  les  acheter,  une  portion  des  clos  que  les  religieux  de  Sainte- 
Oeneviève,  les  Gordeliers  et  les  Jacobins  avaient  derrière  leurs  couvents.  12 
en  fut  de  même  pour  certaines  dépendances  des  abbayes  de  Saint-Germain 
et  de  Saint- Victor.  Mais  il  faut  ajouter  que  les  moines  et  les  abbés  n'y  perdi- 
rent rien.  Charles  V  donna  aux  Jacobins  l'hôtel  de  Bourg-Moyen;  les  Cor- 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  177 

des  fortifications  qu'on  élevait  devant  les  faubourgs,  sous 
prétexte  qu'elles  avaient  droit  de  haute  justice  sur  les  lieux 
qu'elles  occupaient  et  qu'on  ne  pouvait  les  clore  «  sans 
leur  exprès  congé  ».  Les  chanoines  de  Saint-Marcel  avaient 
«  empesché  les  ouvriers  et  maçons  employés  pour  la  fer- 
meture et  bouchement  des  advenues  dudict  faulbourg 
Saint-Marchel  »,  et  fait  abattre  la  clôture  d'une  ruelle.  Par 
arrêté  du  9  mai  1585,  M.  de  Villequier,  gouverneur  de 
Paris,  enjoigm't  aux  doyen,  chanoine  et  chapitre  de 
Saint-Marcel  lès  Paris  «  de  faire  rétablir  promptement  ce 
qu'ilz  ont  desmoly  ou  faict  abattre,  sur  cette  peine  qu'il 
sera  advisé  bon  estre  ^  ».  Un  peu  plus  tard,  le  22  mai  de  la 
même  année,  la  Ville,  à  son  tour,  fit  commandement  au 
même  chapitre  de  Saint-Marcel  de  faire  rétablir  dans  le 
délai  de  huit  jours  «  ce  qui  est  nécessaire  à  faire  &  la  clos- 
lure,  fermeture  de  la  faulce  porte  Sainct  Marcel,  ensemble 
au  mur  du  pourtour  du  portail,  charpenterie  et  couverture 
des  galleryes  d'icelle  porte,  ainsi  qu'ilz  étoient  ancienne- 
ment, pour  la  tuition  et  deffense  de  ladicte  ville  ».  Un 
autre  ordre  du  Bureau  enjoint  au  doyen  de  «  faire  relever 
les  murailles  du  cloz  de  l'Hostel-Dieu  dudict  Saint-Marcel, 
bien  et  deuement  faire  clore  et  fermer  les  huys  de  derrière, 
tant  dudict  cloz  de  l'Hostel-Dieu  que  de  son  jardin,  et  ce 
dedans  trois  jours  prochains;  aultrement  et  à  faulte  de  ce 
faire,  sera  ce  faict  à  ses  dépens,  et  pour  cest  effect  sera 
saisy  son  temporel  ».  Le  14  juin,  le  roi  adresse  de  nouvel- 
les instructions  à  l'Hôtel  de  Ville;  il  lui  demande  d'envoyer 


deliers  reçurent  des  jardins  et  des  écoles  construites  des  deniers  royaux  ; 
enfin  les  religieux  de  Saint- Victor  et  de  Saint-Germain  obtinrent,  en  mai  1368, 
le  redressement,  aux  frais  de  la  Ville,  de  la  rivière  des  Gobelins,  avec  un 
droit  de  pèche  dans  les  fossés  jusqu*à  la  Seine.  Moins  heureux,  les  simples 
laïques,  habitants  des  faubourgs,  étaient  expropriés  sans  indemnité  pour 
la  construction  des  murs  et  fossés.  Voy.  là-dessus  Sauval,  t.  I,  p.  87. 

1.  Rbo.  h,  1788  bis,  fol.  459.  «  Aultreinent,  dit  la  décision  municipale,  et 
à  faulte  de  ce  faire,  sera  ce  faict  aux  despens  de  ladicte  ville  et  la  pro- 
priété de  ladicte  porte  prinse  et  appliquée  au  profict  de-ceste  d.  Ville.  » 

ROBIQUST.  12 


178  PARIS  ET  LA  LIGUE 

1,200  pionniers  aux  tranchées  et  l'autorise  à  répartir  la 
dépense  entre  les  quartiers,  en  forçant  les  bourgeois  à 
payer  leurs  taxes  '. 

Les  historiens  de  Paris  ont  parlé  à  maintes  reprises 
du  pont  Notre-Dame  ",  sur  lequel  la  Ville  avait  obtenu  la 
permission  de  faire  construire  moulins  et  maisons  dès  le 
début  des  travaux  d'édification  du  pont,  en  1412.  Après  la 
catastrophe  de  1499  et  la  reconstruction  qui  ne  fut  achevée 
qu'en  1512,  on  avait  édifié  sur  le  nouveau  pont,  si  l'on  en 
croit  Gorrozet,  «  soixante-huit  maisons,  toutes  d'une  me- 
sure et  même  artifice,  de  pierre  de  taille  et  brique, 
chacune  contenant  cellier  ou  cave,  ouvroir,  galerie  der- 
rière, cuisine,  deux  chambres  et  grenier.  Et  estoit  chas- 
cune  escrite  selon  le  nombre  de  son  rang  en  lettres  d'or  ». 
Lors  de  l'entrée  de  Henri  II  (juin  1549)  ',  le  nombre  des 
maisons  du  pont  Notre-Dame  n'avait  pas  varié.  Les  vieux 
annalistes  ne  parlent  de  ce  pont  qu'avec  enthousiasme. 
Gorrozet  dit  :  «  C'est  le  seul  chef-d'œuvre  de  toute  l'Europe,  » 
et  Philippe  de  VigneuUe,  qui  écrivait  au  début  du  xvi"  siè- 
cle, s'écrie  de  son  côté  :  «  Je  crois  qu'il  n'y  ait  point  de 

1.  Voici  le  texte  même  de  la  lettre  du  roi  :  «  De  par  lb  Ror.  Très  chers 
bien  amez,  désirant  pourveoir  à  la  conservation  de  caste  bonne  ville  de 
Paris,  et  rendre  en  deffense  les  advenues  d'icelle,  nous  avons  advisé  et 
résolu  de  mectre  jusques  à  ung  bon  nombre  de  pionniers  pour  les  beson- 
gnier  aux  tranchées  et  advenues  du  pourtour  de  ladite  Ville;  et  d^aultant  que 
le  nombre  que  nous  y  faisons  travailler  n'est  suffisant,  et  estant  nécessaire 
que  en  toute  diligence  il  y  soit  besongné  pour  la  seurelé  d'icelle  ville, 
nous  vous  mandons  que  vous  ayez  à  faire  savoir  aux  bourgeois  de  ceste 
dicte  ville  qu'ilz  ayent  à  doresnavant  envoler  par  chascun  jour  jusques  au 
nombre  de  1,200  pionniers,  garniz  d'outilz  comme  picqz,  pelles,  hottes  et 
hoiaulx,  pour  y  travailler  en  toute  diligence  ès-lieux  qui  seront  désignez, 
faisant  néanmoins  par  vous  le  département  de  ce  que  chacun  quartier  debvra 
porter  également,  suivant  ce  qui  a  esté  cy>devant  faict  en  Tannée  1567  ;  et, 
à  ce  faire,  contraindrez  lesdictz  bourgeois  qui  auront  esté  cottisez  pour  les- 
ditcz  manœuvres  par  toutes  voyes  deues  et  raisonnables,  mesmes  par  exé- 
cution et  vente  prompte  de  leurs  biens,  nonobstant  oppositions  ou  appel- 
lations quelconques;  de  ce  faire  vous  donnons  pouvoir.  Faict  à  Paris  le 
quatorziesme  de  juing  1585.  »  Ainsi  signé  :  Hknry,  et  plus  bas  :  Pinart. 

2.  Hist,  munie,,  p.  287. 

3.  Ibid.,  p.  430.  Voy.  aussi,  dans  Paris  à  travers  les  âges,  La  Cité,  par 
M.  Jules  (}ousin. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  179 

pareil  pont  au  monde  si  beau  et  si  riche  :  il  y  a  sur  ledit 
soixante-huit  maisons,  et  à  chacune  maison  sa  boutique, 
lesquelles  sont  faictes  si  très  fort  semblables  et  pareilles 
qu'il  n'y  a  rien  à  dire.  »  Le  même  écrivain  nous  apprend 
que  les  maisons  du  pont  Notre-Dame  étaient  louées  par 
la  Ville  pour  une  durée  de  neuf  ans  et  au  prix  de  vingt 
écus  d'or  par  an  ;  mais  les  Registres  de  la  Ville  constatent 
que  vers  la  fin  du  xvi'  siècle  le  prix  de  location  avait  bien 
augmenté. 

Le  10  décembre  1583,  le  prévôt  des  marchands  fit  com- 
mandement aux  locataires  du  pont  de  se  présenter  au  Bu- 
reau I%6  janvier  suivant,  afin  d'y  déclarer  «  s'ilz  entendent 
prendre  ou  non,  chacun  particulièrement  de  ladicte  Ville, 
les  maisons  où  ilz  sont,  demourans  sur  ledict  pont  pour 
neuf  années,  commençans  du  jour  Sainct-Jehan-Baptiste 
prochainement  venant  et  finissans  l'année  que  l'on  comp- 
tera 1593,  au  pris  de  100  escus  soleil  par  an  et  300  escus 
d'entrée  pour  une  fois,  pour  chascune  desdictes  maisons  ^  ». 
Le  7  janvier  1584,  le  Bureau  fit  «  assçavoir  que  les 
soixante-huict  maisons  du  pont  Nostre-Dame,  estans  du 
domaine  de  ladicte  Ville,  seront  baillées  particulièrement 
à  loyer  au  plus  offrant  et  dernier  enchérisseur  au  bureau 
d'icelle  Ville,  samedi  prochain,  heure  de  deux  heures  de 
relevée,  pour  le  temps  de  neuf  années  et  aux  charges  et 
conditions  qui  seront  lors  déclairées...  »  En  même  temps, 
la  Ville,  par  suite  d'un  singulier  usage,  adressait  copie 
du  cahier  des  charges  de  l'adjudication  à  MM.  les  curés 
des  différentes  paroisses,  sous  la  forme  qui  suit  :  «  Plaise 

à  M.  le  curé  de  la  paroisse  de publier  au  prône  de  la 

messe  de  paroisse  le  contenu  cy-dessus  '  ».  Malgré  ces 
admonitions  laïques  et  ecclésiastiques,  les  locataires  du 
pont  Notre-Dame  trouvaient  trop  grandes  les  exigences 

1.  Reo.  h,  1788  bis,  foL  369. 

2.  Ibid.j  fol.  377. 


480  PARIS  ET  LA  LIGUE 

de  la  Ville  et  ils  demandèrent  une  diminution  de  prix.  La 
municipalité  rejeta  leurs  offres  comme  insuffisantes;  mais, 
à  la  fin  de  mars,  les  habitants  du  pont  Notre-Dame  se 
décidèrent  à  renouveler  leurs  baux  aux  conditions  qui  leur 
étaient  imposées  :  toutefois  ils  obtinrent  que  le  droit 
d'entrée  pour  chaque  renouvellement  serait  réduit  de 
300  écus  à  83  écus  20  sols  tournois. 

Le  soulagement  et  la  surveillance  des  pauvres,  qui  de 
tout  temps  affluèrent  à  Paris,  rentraient  directement  dans 
les  attributions  du  prévôt  des  marchands  et  des  échevins. 
C'était  à  eux  que  le  roi  remettait  le  soin  de  faire  la  distinc- 
tion des  mendiants  valides  et  des  mendiants  invalidas.  On 
occupait  les  premiers  aux  travaux  d'édilité;  on  ouvrait 
même  pour  eux  des  ateliers  publics,  ainsi  que  nous  avons 
eu  souvent  l'occasion  de  le  constater;  quant  aux  invalides, 
on  leur  distribuait  des  aumônes  qui,  de  la  part  de  la  popu- 
lation, étaient  plus  ou  moins  spontanées  ^  Un  mandement 
du  même  temps,  adressé  aux  quartiniers  par  le  prévôt  des 
marchands,  indique  avec  précision  comment  étaient  recueil- 
lies les  aumônes  destinées  aux  mendiants  invalides  et  les 
fonds  qui  servaient  à  couvrir  la  dépense  des  ateliers  publics*. 

1.  A  la  date  du  2  mai  1586,  Henri  lU  écrit  aux  magistrats  municipaux  de 
députer  «  deux  de  leur  corps  et  compagnie  »  tous  les  samedis  chez  «  le 
sieur  évesque  de  Paris  »,  où  se  trouveront  aussi  deux  membres  du  Par- 
lement, deux  membres  de  la  cour  des  Aides,  le  procureur  du  Chàtelet  et 
le  lieutenant  civil  et  criminel,  «  pour,  comme  on  l'a  aullres  fois  faict,  re- 
garder et  dresser  un  règlement  pour  pourveoir  à  donner  l'aumosne  en  tel 
lieu  et  ainsi  qu'il  sera  advisé,  aux  pauvres  mendians  invalides;  et  pour 
recongnoistre  cculx  qui  en  abusent  afin  de  les  rejeter,  et,  en  ce  faisant, 
oster  Taffluance  et  confusion  desditcz  pauvres.  Et,  pour  ce  qu'il  s'en  pourra 
trouver  beaucoup  de  vallides  et  propres  à  travailler  qui  ne  veullent  rien 
faire  et  prennent  excuse  de  demander  sur  ce  quMlz  disent  ne  sçavoir  oir 
s'occuper,  il  fauldra  par  mesme  moyen  regarder  de  faire  ouvrir  quelque 
hastelier  et  réparation  publique  pour  emploier  et  faire  travailler  lesditz 
pauvres  vallides,  ainsy  que  vous  avez  veu  qu'avons  advisé.  Donné  à  Pari» 

le  2  mai  1586.  •  Signé  :  Hbrrt.  Rbo.  H,  1788  dis,  fol.  590.  | 

2.  <  Sire  Guillaume  Parfaict,  quarlinier  de  la  Ville,  enjoignez  &  vos  dizi-  , 
niers  de  advertir  et  admonester  chacun  en  sa  dizaine  tous  les  marchans  ' 
tenans  boutique  et  autres  marchans,  de  avoir  et  tenir  boiste  en  laquelle  ilz  | 
feront  mectre  par  charité  et  aumosne  le  plus  de  deniers  qu'ilz  pourront,  par 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  181 

Il  résulte  d'une  décision  du  Bureau  en  date  du  22  dé- 
cembre 1583  que  «  les  (paw^r^^)  valides  de  la  Ville  qui  sont 
employez  aux  œuvres  publiques  ^  »,  étaient  payés  chaque 
semaine,  à  THôtel  de  Ville  même  et  en  présence  de  Tun 
des  échevins.  D'après  certains  mandements  du  Bureau, 
il  semble  que  la  municipalité  parisienne  ne  se  bornait  pas 
à  conseiller  aux  habitants  de  faire  la  charité,  mais  qu'elle 
procédait  souvent  par  voie  d'injonctions.  C'est  ainsi  qu'à 
la  date  du  2  juillet  1586  le  prévôt  des  marchands  adresse 
à  tous  les  quartiniers  un  mandement  semblable  à  celui-ci  : 
«  M**  Robert  Danès,  quartinier  de  ladicte  Ville,  enjoignez 
à  tous  les  dixiniers  de  vostre  quartier  de  faire  savoir  à 
tous  les  bourgeois  et  habitans  de  leur  dizaine  qu'ilz  aient 
d  porter  ou  envoyer  par  chascun  jour,  à  l'heure  de  midy, 
à  la  marmitte  qui  sera  mise  à  la  porte  du  bureau  des 
pauvres  de  la  Grève,  tout  le  reste  des  pottaiges  et  aultres 
viandes  qui  leur  resteront,  pour  estre  portez  et  distribuez 
aux  pauvres  vallides  qui  besongnent  aux  astelliers.  Faict 
au  Bureau  d'icelle  ville  le  mercredy  deuxiesme  jour  de 
juiUet  1586  *  ». 

Nous  avons  cru  nécessaire  de  nous  étendre  avec  quelques 
développements  sur  plusieurs  des  parties  de  l'administra- 
tion parisienne  qui  étaient  forcément  l'occasion  de  fréquents 
rapports  entre  le  roi  et  la  Ville  ;  mais  ce  qui  établissait  un 
point  de  contact  aussi  permanent  que  douloureux  pour  les 
Parisiens^  c'était  le  goût  immodéré  que  leur  bourse  inspi- 
rait au  monarque.  On  n'a  pas  encore  insisté  avec  assez 

eulx  et  ceuix  avec  lesquels  ils  venderont  et  trafficqueront  marchandises. 
Lesquelz  deniers,  lesdicts  marchans  seront  tenuz  mectre  par  chacune  sep- 
maine  ès-mains  de  leur  curé  pour  l'entretiennement  des  pauvres  qui  sont  à 
présent  en  astelliers  de  ceste  ville  en  grand  nombre.  Si  n'y  faictes  faulte. 
Faict  au  bureau  de  ladicte  Ville  le  lundy  neuflesme  jour  de  juing  1586.  • 
Rbo.  h,  1788  bis,  fol.  593. 

1.  Ibid,,  fol.  373. 

2.  Ibid.,  fol.  596. 


182  PARIS  ET  LÀ  LIGUE 

de  force,  ni  surtout  avec  une  suffisante  abondance  de 
documents  précis  sur  cette  grande  cause  du  développement 
de  la  Ligue  :  la  profonde  indignation  du  peuple  contre  les 
exactions  royales.  Si  ardent  qu'ait  pu  être  le  fanatisme 
clérical,  si  violente  qu'on  suppose  la  haine  des  catholiques 
pour  les  protestants  et  leur  chef,  accepté  par  Henri  III 
comme  héritier  légitime  du  trône  de  France,  tout  cela  ne 
suffirait  pas  pour  expliquer  la  formidable  révolte  dont  nous 
aurons  à  suivre  les  phases.  Le  dernier  des  Valois  était 
avant  tout  un  prodigue,  et,  la  théorie  du  droit  divin  ne 
permettant  pas  de  limiter  son  autorité,  une  révolution 
était  la  seule  sanction  possible  du  mécontentement  public, 
la  seule  revanche  pratique  de  la  ruine  du  pays.  Il  faut 
rappeler  brièvement  la  série  des  sacrifices  pécuniaires  que 
le  roi  demandait  à  la  Ville.  Nous  avons  raconté  plus  haut  ^ 
les  négociations  si  confuses  et  si  laborieuses  qui  avaient 
eu  lieu,  à  la  fin  de  1579,  entre  la  Ville,  le  clergé  et  le  roi, 
par  suite  du  refus  des  députés  ecclésiastiques  d'exécuter 
leurs  engagements  au  sujet  des  rentes  de  l'Hôtel  de  Ville; 
la  saisie  dans  les  coffres  de  M.  de  Vigny,  en  mars  1582,  de 
80,000  écus  pour  garnir  les  poches  de  Joyeuse  et  d'Ëper- 
non;  les  taxes  de  décembre  1582,  sur  les  marchands  de 
Paris  ;  le  second  vol  de  200, 000  livres  commis  par  le  roi  au 
préjudice  de  la  caisse  municipale  en  mars  1583,  et  tant 
d'autres  mesures  violentes.  C'est  un  système  qui  persistera 
jusqu'au  bout.  En  mai  1584,  des  lettres  royales  demandent 
à  la  Ville  60,000  écus  «  pour  le  paiement  de  la  solde  de 
cinquante  mille  hommes  de  pied  '  ».  Dans  l'assemblée 
du  27,  le  Bureau  décide  de  faire  au  roi  «  très  humbles 
remontrances  »  pour  obtenir  l'exemption  de  cette  nouvelle 
charge.  Le  29  juillet  de  la  même  année,  par  lettre  adressée  de 
Fontainebleau  au  prévôt  des  marchands,  Henri  III  exprime 

1.  Voy.  p.  121  et  saivantes. 

2.  Rio.  H,  1788  bis,  fol.  892. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  183 

rintention  de  vendre  à  THôtel  de  Ville  «  30,000  escus 
soleil  de  rente  pour  360,000  escus  soleil  en  principal  *  » 
à  prendre  sur  les  deniers  des  aides  et  grosses  fermes  par 
les  main»  des  receveurs  particuliers  et  généraux.  Il  pro- 
pose d'ouvrir  une  souscription  publique  pour  recevoir  les 
offres  du  bon  peuple.  La  Ville  fait  d'abord  la  sourde  oreille, 
et,  par  une  convention  tacite,  les  conseillers  s'arrangent 
pour  ne  jamais  se  trouver  en  nombre  aux  assemblées; 
mais  la  reine  mère  déjoue  l'a  manœuvre  et  reproche 
aigrement  au  corps  de  Ville  son  manque  de  zèle.  Il  faut 
s'exécuter  :  dans  l'assemblée  du  11  août,  la  Ville  décide 
«  qu'ouverture  sera  faicte  du  Bureau  de  la  Ville  pour  le  re- 
couvrement de  ladicte  somme  de  30,000  écus  de  rente,  à  la 
charge  que  ce  soit  de  gré  à  gré  et  sans  aulcune  contraincte, 
et  que  les  assignations  que  icelle  Ville  a  sur  aulcunes  des 
fermes  mentionnées  es  dictes  lettres  seront  préalablement 
paiées  et  acquittées,  sans  les  confondre  avec  les  rentes 
qui  seront  constituées  pour  le  recouvrement  desdicts 
30,000  escuz  ou  ce  qui  en  sera  reçeu  ■  ».  Le  7  mars  1585, 
le  roi  revient  à  la  charge  et  fait  connaître  à  la  Ville  que 
Paris  est  taxé  à  la  somme  de  60,000  écus  pour  sa  part 
dans  la  subvention  demandée  aux  villes  closes  du  royaume 
et  destinée  au  payement  de  la  solde  de  cinquante  mille 
hommes.  Dans  l'assemblée  du  26  avril,  la  municipalité 
décide  qu'on  fera  des  remontrances  au  roi.  Elles  devaient 
s'appuyer  principalement  sur  cette  circonstance  qu'en  vio- 
lation des  lettres  patentes  du  17  juillet  1570,  qui  exemp- 
taient la  Ville  de  Paris  de  l'obligation  de  contribuer  à  la 
solde  des  troupes,  les  généraux  des  finances  avaient,  le 
29  avril,  en  vertu  d'ordres  formels  du  roi  datés  du  24, 
«  fait  arrêter  la  somme  de  30,000  écus  des  arrérages  des 
rentes  engagées  à  la  Ville  et  dues  par  plusieurs  receveurs 

i.  Rbo.  h,  1788  àisj  fol.  410. 
2.  Ibid,,  toi,  411. 


184  Paris  et  la  ligue 

particuliers  et  fermiers  ^  ».  Des  lettres  patentes  d'avril  1585 
avaient  prescrit  Taliénation  à  la  Ville  de  Paris  de  12,000  écus 
de  rente,  assignés  «  sur  les  plus  clairs  deniers  de  ses  ga- 
belles du  sel  ».  La  Ville  trouve  que  cette  garantie  est 
beaucoup  trop  vague  et  prie  le  roi  de  déclarer  «  sur  quels 
greniers  à  sel  ladicte  rente  de  12,000  escus  sera  assignée 
particulièrement,  et  combien  vault  et  monte  ledict  droit  de 
gabelle  en  chacun  desdictz  greniers  à  sel  '  »;  et,  comme  le 
roi  n'aimait  pas  beaucoup  préciser,  la  municipalité  de- 
mande à  la  Cour  des  aides,  par  requête  du  4  mai  suivant, 
de  faciliter  la  tâche  du  monarque  en  garantissant  le  service 
de  la  rente  dont  il  s'agit  par  une  assignation  spéciale  sur 
les  greniers  à  sel  «  des  généralités  d'oultre  Seyne  et  Yonne, 
Picardie  et  Champagne  ».  En  outre,  la  Ville  exprime  le 
désir  que  les  deniers  soient  versés  par  les  acheteurs  de 
rentes  entre  les  mains  du  receveur  municipal,  François 
de  Vigny,  qui  pourrait  être,  en  même  temps,  chargé  du 
payement  des  arrérages  '.  Pour  simplifier  les  formes, 
Henri  III  arrête  momentanément  les  constitutions  de  rentes 
et,  le  11  août  1585,  demande  à  la  Ville  120,000  écus  à 
titre  de  don  ^  Dans  une  assemblée  du  23  août,  les  offi- 
ciers municipaux  décident  que  des  remontrances  seront 
adressées  au  roi  et  nomment  une  commission  de  trois 
membres  pour  les  rédiger.  Le  1"  septembre,  le  prév&t  des 
marchands  et  les  échevins  se  présentèrent  au  Louvre; 
mais  le  roi  ne  les  reçut  pas,  en  alléguant  que  les  conseil- 
lers de  Ville  n'avaient  pas  accompagné  les  chefs  de  la 
municipalité.  On  convoqua  donc  les  conseillers  de  Ville  et 
l'on  revint  avec  eux  au  Louvre.  Cette  fois,  le  roi  fut  bien 
obligé  d'entendre  la  lecture  des  remontrances  dont  le  texte 
lui  fut  «  baillé  par  écrit  ». 

1.  Reo.  h,  1788  bis,  fol.  437  et  458. 

2.  Ibid,,  fol.  459. 

3.  Ibid.,  fol.  466. 

4.  md.,  fol.  483  et  499. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  185 

Il  faut  s'arrêter  un  moment  sur  ces  doléances  de  la 
municipalité  parisienne  qui  nous  ont  été  conservées  par 
les  Registres  ^  Rien  n'est  plus  propre  à  donner  une  idée 
de  la  détresse  du  pays  et  du  discrédit  profond  dans  lequel 
Henri  III  était  tombé. 

Sans  revenir  sur  les  points  déjà  touchés  dans  les  remon- 
trances de  janvier  1583,  que  nous  avons  analysées  plus 
haut,  nous  nous  bornerons  à  rappeler  que  la  Ville  débutait 
encore  par  invoquer  ses  privilèges  et  par  opposer  les  misères 
du  présent  aux  prospérités  du  passé,  puis  elle  précisait  ses 
nouveaux  griefs.  Suivant  la  coutume  traditionnelle  des  re- 
montrances municipales,  celles  de  septembre  1585  exami- 
nent successivement  les  diverses  sources  de  revenu  des  Pari- 
siens :  biens  ruraux,  bénéfices  commerciaux,  gages  et  traite- 
ments de  rËtat,  enfin  rentes  sur  THôtel  de  Ville.  «  Pour  le 
regard  des  rentes  sur  THostel  de  Ville,  c'est  la  commune 
richesse  du  peuple  de  Paris  qui  a  suyvi  la  foy  publicque 
de  ses  roys  avec  tant  de  créance  que  plusieurs  ont  vendu 
leurs  terres  et  aultres  possessions  qui  pouvaient  accroistre 
en  valleur  pour  y  mectre  les  deniers  en  rente  qui  ne  peu- 
vent jamais  augmenter;  et,  au  lieu  que  les  antiens  payens 
faisoient  déposer  l'argent  des  pupilles  aux  temples  de 
leurs  dieux,  nos  courtz  souveraines  ont  contraint  les  tuteurs 
et  curateurs  de  le  mettre  en  l'Hostel  de  Ville  comme  en 
la  garde  publicque  et  sacrée  du  prince;  et  néanmoins,  à 
<liverses  fois,  on  a  destoumé  les  assignations,  et  mesmes, 
depuis  cinq  ou  six  ans,  qui  est  partye  cause  que,  pour  le 
présent,  il  en  est  deu  cinq  quartiers.  Cinq  quartiers  se 
montent  à  plus  de  quatre  millions  de  livres,  et  mesmes, 
ceste  année,  il  en  a  esté  prins  jusques  à  60,000  escus,  ce 
qui  inconmiode  tant  le  peuple,  qui  en  soulloit  faire  estât 
certain,  comme  en  son  plus  clair  revenu.  »  Quant  &  l'in- 

i.  Rbg.  h,  il88  bù,  foL  501. 


186  PARIS  BT  LA  LIGUE 

dustrie  et  au  commerce,  la  stagnation  est  complète  depuis 
six  mois;  les  gages  des  officiers  royaux  sont  arriérés;  «  aux 
ungs  est  deu  une  année,  aux  aultres  une  demye  ». 

Comme  conclusion  de  ce  triste  tableau  des  effets  de  la 
politique  royale,  la  Ville  déclare  qu'elle  ne  peut  fournir 
un  écu  au  roi.  De  quelle  façon  se  procurer  de  l'argjBnt? 
L'impossibilité  d'établir  de  nouvelles  aides  n'a  pas  besoin 
d'être  démontrée  :  «  L'ayde  est  du  tout  impossible,  parce 
qu'on  ne  peult  plus  imaginer  espèce  quelconque  de  subside 
sur  quelque  chose,  quelle,  que  ce  soit,  qui  ne  soit  ja 
estably,  accreu  et  augmenté  si  avant  qu'on  n'y  peult 
plus  rien  adjouster  ».  Quant  à  l'iïnpôt  par  capitation, 
la  répartition  en  est  fort  difficile.  «  Le  riche  ne  veultj 
le  pauvre  ne  peult,  »  En  outre,  cet  impôt  sème  la 
discorde  entre  les  citoyens  et  jette  l'odieux  sur  les 
fonctionnaires  publics,  s'ils  emploient  la  contrainte  et 
mettent  des  gamisaires  chez  les  contribuables  récalci- 
trants. Or  ,  ajoutent  les  remontrances  dans  un  lan- 
gage presque  menaçant,  «  nous  sommes  en  temps,  s'il 
en  fut  jamais,  que  la  Ville  a  besoin  d'union  entre  ses 
concitoiens,  et  Votre  Majesté  et  le  publicq  des  bonnes 
prières  du  peuple  ».  A  toutes  les  causes  de  misère,  il  faut 
ajouter  la  contagion  qui  sévit  dans  la  capitale  et  empêche 
les  agents  du  fisc  de  pénétrer  dans  les  maisons  infectées 
pour  exercer  les  contraintes,  puis  encore  la  stérilité  d'une 
année  mauvaise.  Pour  faire  appel  au  concours  financier  de 
la  Ville,  le  roi  fera  bien  d'attendre  «  un  extrême  besoing...  » 
C'est  un  secours  extraordinaire  qui  est  réservé  «  à  l'extré- 
mité des  extrémités  ».  La  municipalité  termine  en  priant 
le  roi  de  vouloir  bien  faire  payer  les  arrérages  échus  de 
rentes  et  «  faire  contraindre  ceulx  du  clergé  de  paier  ce 
qu'ilz  doibvent  ». 

Le  roi  témoigna  le  cas  qu'il  faisait  des  énergiques 
remontrances  de  l'Hôtel  de  Ville,  en  lui  adressant,  dès 


LA  RÉSURRECTION  DE  LÀ  LIGUE  187 

le  13  septembre  de  la  même  année,  de  nouvelles  lettres 
patentes  demandant  56,000  escuz  à  constitution  de  rente 
sur  les  recettes  générales  de  Rouen,  Orléans  et  Tours. 
Étourdie  de  cette  brutale  réplique  à  ses  doléances,  la 
municipalité  parisienne  décide,  le  16  septembre,  que 
«  rcmonstrances  très  humbles  seront  faictes  à  S.  M.  de  la 
conséquence  de  l'affaire  ».  Par  quels  arguments  la  réso- 
lution de  la  Ville  fléchit-elle?  C'est  ce  qu'il  est  difficile  de 
dire  :  toujours  est-il  que,  le  20  septembre,  la  municipalité 
consentit  à  l'ouverture  des  bureaux  de  l'Hôtel  de  Ville 
pour  le  recouvrement  des  S6,000  écus,  à  condition  que 
les  assignations  des  anciennes  rentes  aliénées  par  le  roi 
seraient  payées  avant  celles  de  la  présente  émission.  Ce 
n'était  pas  fini.  Trois  jours  après,  le  23  septembre,  le 
prévôt  des  marchands  annonce  à  ses  collègues  que  le 
Conseil  d'Ëtat  et  le  roi  veulent  mettre  sur  les  Parisiens 
une  taxe  de  120,000  écus,  recouvrable  conome  les  taxes 
de  la  fortification  ^  Une  assemblée  générale  eut  lieu 
le  4  octobre  pour  délibérer  sur  la  communication  royale. 
Le  prévôt  des  marchands  vint  dire  que  Sa  Majesté  n'avait 
pu  se  dispenser  de  faire  appel  à  la  Ville  «  à  cause  des 
grandes  affaires  qu'il  a  à  présent  pour  le  paiement  des 
gens  de  guerre  levez  pour  la  conservation  de  son  Estât  »  ; 
mais  le  roi  laissait  les  intéressés  libres  «  d'adviser  sur  la 
forme  et  levée  de  ladicte  somme  ».  Ce  n'était  pas  tant  la 
forme  de  la  perception  de  l'impôt  que  l'impôt  lui-même 
et  sa  quotité  qui  troublaient  les  bourgeois.  Ils  offrirent 
bravement  60,000  écus  au  lieu  de' 120,000,  en  proposant 
de  répartir  la  somme  entre  les  seize  quartiers,  comme 
on  l'avait  fait  en  1576,  lorsqu'il  s'agissait  de  payer  la 
solde  de  deux  mille  Suisses.  Henri  III  fut  bon  prince  et  se 
déclara  satisfait  des  60,000  livres,  qui,  d'ailleurs,  ne  furent 

i.  Rbo.  h,  1798  bis,  t^  522  et  525. 


188  PARIS  ET  LA  LIGUE 

pas  aisées  à  lever  sur  le  peuple,  si  Ton  en  juge  par  les 
innombrables  mandements  aux  quartiniers  que  conservent 
les  Registres. 

Ainsi  mise  à  contribution,  la  Ville  essaya  de  se  dédom- 
mager d'un  autre  côté  en  réclamant  au  clergé  Texécution 
•de  ses  engagements.  On  a  dit  plus  haut  ^  à  la  suite  de 
quelles  circonstances  le  clergé  avait  été  amené  à  garantir 
le  payement  des  rentes  de  THôtel  de  Ville,  et  comment  un 
Arrêt  du  Parlement  de  décembre  1579  avait  contraint 
Tordre  ecclésiastique  à  continuer  pendant  dix  ans  encore 
le  versement  des  décimes  destinés  aux  rentes  de  la  Ville. 
Mais  cet  engagement  n'avait  pas  été  tenu,  et,  malgré  les 
actives  démarches  de  la  municipalité,  les  assemblées  du 
<^lergé  ne  cherchaient  qu'à  gagner  du  temps  et  donnaient 
des  réponses  évasives  *.  Le  Conseil  du  roi  et  le  Parlement 
faisaient  la  sourde  oreille.  Dans  ces  circonstances,  la  Ville 
s'adressa  encore  une  fois  au  clergé  lui-même,  en  alléguant 
«  les  grandes  plainctes  et  clameurs  que  faisoit  le  pauvre 
peuple  du  deffault  de  paiement  d'une  année  et  demy 
«schue  à  la  fin  du  mois  de  décembre  dernier,  qui  estoit 
•deue;  et  que  lesdictz  arréraiges  se  montoient  bien  à 
présent  jusques  à  la  sonome  de  700,000  escus,  comme 
apparoissoit  par  Testât  signé  du  receveur  de  ladicte  Ville 
et  dudict  Cas  tille,  receveur  d'icelluy  clergé  *  ».  L'ordre 
ecclésiastique,  assemblé  à  Saint-Germain  des  Prés  pour 
délibérer  sur  une  bulle  du  pape  ^  et  présidé  par  le  car- 


1.  Voy.  p.  7  à  9,  121  et  suivantes. 

2.  «  Quelques  diligences  que  la  Ville  ayt  pu  faire,  mesmes  contre  ledict 
clergé,  il  l'entretenoit  tousjours  d*espérances,  comme  dict  est,  de  jour  ea 
jour.  »  Rbo.  h,  1788  bis,  f*  581.  En  mars  1586,  le  roi  devait  k  la  Ville  en- 
viron 500,000  écus  de  rente,  garantis  par  les  recettes  générales,  et  le 
'Clergé  700,000  écus  environ  d'arrérages  échus. 

3.  Rbo.  h,  1788  bis,  fo  580. 

4.  U  s'agit  ici  de  la  bulle  par  laquelle  la  pape  avait  autorisé  le  roi  de 
France  à  vendre  le  temporel  de  rËgli8eju8qu'&  concurrence  de  100,000  écus 
de  rente,  «  ce  que,  dit  TEstoile,  t.  H,  p.  327,  ledict  clergé  trouvoit  fort 
•dur  et  estrange,  et  en  murmuroit,  disant  :  qu'on  le  vouloit  rendre  tribu- 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  189 

dinal  de  Bourbon,  répondit  aux  réclamations  de  la  Ville, 
«  par  la  bouche  de  M.  Tarchevêque  de  Vienne,  que  S.  M. 
requéroit  la  publication  d'une  bulle  pour  le  recouvrement 
de  la  somme  de  100,000  écus  de  rente  sur  ledict  clergé,  et 
que  si  ladicte  bulle  sortoit  effect,  ledict  clergé  n'auroit 
aucun  moien  de  payer  lesdicts  arreraiges  et  continuer 
lesdictes  rentes  ;  et  faisoient  estât  de  eulx  retirer  chacun 
en  leurs  maisons  en  particulier  ».  Repoussés  par  les 
évèques,  qui  avaient,  il  faut  le  reconnaître,  d'aussi  bonnes 
raisons  que  la  Ville  de  Paris  pour  se  plaindre  de  l'avidité 
de  Henri  III,  les  officiers  municipaux  eurent  recours  à 
leur  expédient  suprême,  qui  avait  un  peu  trop  servi  dans 
ces  derniers  temps  :  ils  firent  des  remontrances  au  roi  *. 

En  guise  de  conclusion,  la  municipalité  demande  au 
roi  de  lui  donner  lettres  et  commission  pour  saisir  le 
temporel  du  clergé,  jusques  à  plein  et  entier  payement  de 
la  somme  due.  Henri  III  répondit  qu'il  soumettrait   la 

laire  et  taillable,  ce  qu'on  n'avoit  jamais  veu  v.  C'était  l'évoque  de  Paris 
qui  avait  servi  d'intermédiaire  entre  le  pape  et  le  roi;  mais  il  avait 
dépassé  les  instructions  du  clergé  de  France,  qui  ne  Tautorisaient  à  con- 
sentir que  l'aliénation  de  50,000  écus  de  rente.  Aussi,  à  son  retour  de 
Rome,  le  malheureux  prélat  fut-il  traité  de  «  valet  du  diable  et  de  Judas  » 
par  les  représentants  de  son  ordre.  On  lui  chanta  ceci,  entre  autres  dou- 
ceurs : 

Où  as- tu  dy-je,  apprins,  je  te  prie,  hipocrile, 

Qu'un  pasteur,  ouingt  de  Dieu,  denst,  au  denier  comptant. 

Vendre  le  bien  du  pauTre  que  Dieu  estime  tant, 

Et  le  bien  de  ses  preslres,  sucoetseure  du  léTÎteT 

i.  Rro.  h,  1788  6û,  r>  581.  u  Sire,  disait  THÔtel  de  Ville  dans  ces  nou- 
velles doléances,  les  prévost  des  marchans  et  eschevins  de  la  Ville  de 
Paris  remontrent  très  humblement  à  Vostre  Majesté  que  ès-années  1566, 
1567,  1568,  1570,  1571,  1572,  1573,  MM.  du  Clergé  de  cestuy  royaume  ont 
sur  tous  et  chascun  de  leurs  biens  et  revenuz  temporels,  vendu  et  constitué 
À  Jadicte  Ville  plusieurs  rentes,  revenans  à  400,706  escuz  54  sols  par  chacun 
an,  au  paiement  desquelles  iizse  sont  obligez  solidairement  par  contractz 
bien  et  auclhentiquement  faictz,  passez  et  veriffiez  partout  où  besoing  a 
esté;  et  que,  ce  néanmoins,  depuis  quelques  années  en  ça,  les  arrerai- 
ges d'icelles  rentes  n*ont  pu  estre  si  bien  recouvrez,  quelques  diligences 
qu'iceulx  prevost  des  marchans  et  eschevins  y  ayent  employées,  que,  par 
chascun  an,  lesdictz  du  clergé  n'en  ayent  faict  reste  de  grande  somme.  » 
La  Ville  ajoute  que,  pour  les  arrérages  échus  au  31  décembre  1585,  il  reste 
dû  à  la  Ville  69,693  écus  46  sols  «  sans  en  comprendre  la  demie  année  qui 
escherra  au  jour  Saint  Jehan  Baptiste  prochain  ». 


i90  PARIS  ET  LÀ  LIGUE 

question  k  son  Conseil  dans  un  délai  de  deux  ou  trois 
jours.  Il  y  eut  en  effet  (les  28  et  29  mars  et  le  1*'  avril) 
plusieurs  réunions  du  Conseil  d'État  ',  tenues  en  présence 
de  la  teine  mère  et  des  délégués  du  clergé.  Catherine 
déclara  «  qu'elle  en  parleroit  au  roy  et  que  ce  seroient  les 
premières  paroUes  qu'elle  tiendroît  à  S.  M.  ».  Peu  de  temps 
après,  Henri  promit  «  de  donner  ordre  promptement  au 
faict  des  rentes  ».  Mais,  à  la  fin  d'avril  1586,  et  malgré 
de  nouveaux  pourpaiiers  entre  le  Conseil  d'État  et  les 
délégués  du  clergé,  on  n'était  pas  plus  avancé  qu'avant  les 
remontrances,  et  le  clergé  défendait  sa  bourse  avec  une 
énergie  qu'on  n'eût  pas  tolérée  de  la  part  de  simples 
magistrats  municipaux.  Enfin,  pour  terminer  la  série  des 
malheurs  financiers  de  la  Ville,  disons  que  le  28  juin  1586 
le  roi  lui  proposa  de  constituer  «  12,000  escuz  soleil  de 
rente,  rcvenans  à  sept  vingt-quatre  mil  escuz  en  prin- 
cipal '  »,  avec  assignation  sur  les  recettes  générales  et 
particulières.  La  Ville  accepta  cette  proposition,  qui  équi- 
valait à  un  ordre,  et  décida  de  «  faire  ouverture  des 
bureaux  pour  le  recouvrement  de  ladicte  sonmie,  pourvu 
que  ce  soit  de  gré  à  gré,  entre  les  voluntaires  et  sans 


1.  Sur  rorganisation  des  Conseils  du  Roi  à  cette  époque,  on  peut  con- 
sulter un  document  très  peu  connu,  bien  qu'il  soit  reproduit  au  t.  X  des 
Archives  curieuses,  p.  299;  il  est  intitulé  Les  règlements  faits  par  le  roy,  le 
premier  jour  de  janvier  mil  cinq  cens  quatre-vingt-cinq.  Ces  règlements 
font  connaître  que,  sous  Henri  III,  il  y  avait  auprès  du  roi  trois  Conseils, 
savoir  le  Conseil  d'État,  le  Conseil  privé  et  le  Conseil  des  finances.  Outre 
les  princes  du  sang  et  les  grands  officiers  de  la  couronne,  le  Conseil  d'État 
se  composait  de  trente-trois  membres,  dont  six  d'Eglise,  vingt  et  un  d'épée 
et  six  de  robe  longue,  dgés  d'au  moins  trente-cinq  ans.  Le  règlement  de 
1585  contient  Tindication  détaillée  des  attributions  du  Conseil  d'État.  Elles 
portaient  notamment  sur  les  remontrances  et  doléances  des  provinces,  «  la 
police  des  provinces,  communautez  et  villes  »,  le  rabais  des  tailles  et  sub- 
ventions des  villes  et  emprunts,  etc.  Le  roi  fixe,  dans  son  règlement, 
tous  les  détails  du  costume  des  conseillers  d'État  pour  l'été  et  pour  l'hiver. 
Voy.,  sur  l'origine  des  Conseils,  le  livre  de  M.  Ehilb  Bos  :  Les  avocats  aux 
Conseils  du  roi,  1  vol.  in-8%  1881,  et  le  bel  ouvrage  de  M.  Aucoc,  membre  de 
llnstitut  :  Le  Conseil  d'État  avant  et  depuis  /799, 1  vol.  in-8*.  Impr.  natio- 
nale, 1876. 

2.  Rbo.  h,  1788  bis,  f»  594. 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  191 

aulcune  contraincte  ».  Mais,  pour  ne  pas  laisser  croire  au 
roi  qu'elle  était  heureuse  de  voir  grossir  indéfiniment  le 
chiffire  de  sa  dette,  la  Ville  ajouta  à  sa  délibération  ce 
post-scriptum  :  »  Et  néantmoings  seront  faictes  remon- 
strances  très  humbles  au  roy  par  mondict  sieur  le  prévost 
des  marchands,  ad  ce  qu'il  plaise  à  Sa  Majesté  faire  pour- 
veoir  sur  le  payement  des  arréraiges  des  rentes.  » 

L'histoire  des  relations  financières  du  roi  et  de  la  Ville 
ne  présenterait  qu'une  nomenclature  un  peu  sèche,  sorte 
d'addition  dont  le  total  fuit  toujours,  si  l'on  n'avait  pas 
soin  de  la  replacer  dans  le  cadre  des  événements  politi- 
ques qui  conunencent,  en  cette  année  1S85,  à  se  dérouler 
avec  une  gravité  terrible.  Après  avoir  jeté  un  coup  d'œil 
sur  les  différentes  parties  de  l'administration  municipale, 
au  moment  où  elle  n'a  pas  encore  pris  un  caractère  occulte 
et  révolutionnaire,  il  convient  de  reprendre  le  récit  des  faits 
et  des  actes  qui  ont  préparé  la  seconde  phase  de  la  Ligue. 

En  licenciant  les  États  généraux  de  Blois  (l""  et  2  mars 
1577),  Henri  III  avait  formellement  refusé  de  rétablir 
l'unité  de  religion  par  la  force  ;  cette  tolérance  ne  dérivait 
pas  de  considérations  politiques ,  mais  de  la  pénurie  du 
Trésor,  qui  ne  lui  permettait  pas  de  réaliser  ses  premières 
intentions  *.  II  s'était  contenté  de  laisser  les  ducs  d'Anjou 

1.  Il  est  ioléressant  de  citer,  d'après  les  Mémoires  de  Nevers,  les  paroles 
que  prononça  Henri  III  dans  la  séance  du  Conseil  privé  tenue  à  Blois  le 
28  février  1577  :  «  Messieurs,  chacun  a  veu  de  quelle  afTection  j'ay  em- 
brassé ce  qui  estoit  pour  Thonneur  de  Dieu,  et  combien  j'ay  désiré  de 
Toir  qu'il  n'y  eust  qu'une  religion  en  mon  royaume.  Mesme  j'ay  brigué, 
s'il  faut  ainsy  dire,  les  gens  des  trois  Estais,  qui  n'alloient  que  d'une 
fesse,  pour  les  pousser  k  demander  une  seule  religion,  dans  la  croyance 
que  j'avois  qu'ils  m'aideroient  à  exécuter  une  si  sainte  résolution.  Mais, 
voyant  le  peu  de  moyens  qu'ils  m'en  ont  donné,  cela  m'a  fait  connoistre 
le  peu  d'espérance  qu'il  y  a  d'exécuter  ma  première  intention,  laquelle  je 
veux  bien  qu'on  sache  avoir  esté  telle.  Toutesfois,  comme  dit  M.  de  Nevers, 
il  est  permis  de  chauffer  s^n  opinion  quand  l'occasion  s'en  présente.  De 
mon  costé,  je  ne  pense^oint  faillir  si  je  ne  déclare  pas  maintenant  que 
je  veuille  entretenir  une^seple  religion  dans  mon  royaume,  puisque  je 
n'ay  pas  les  moyens  de  le  Taire...  »  Mém,  de  Nevers,  1. 1,  p.  177, 


192  PARIS  ET  LA  LIGUE 

et  de  Mayenne  batailler  quelque  temps  encore  avec  les  hu- 
guenots, afin  d'affaiblir  Tun  par  l'autre  les  deux  partis^  puis 
il  avait  signé  la  paix  de  Bergerac  (17  sept.  1577).  La 
Ligue,  déjà  constituée  par  Tacte  de  Péronne  (juin  1576), 
paraissait  frappée  à  mort  par  ce  coup  droit,  et  les  plans  des 
Guises  avortaient  jusqu'à  nouvel  ordre.  Ils  sommeillèrent  \ 
en  effet,  de  la  paix  de  Bergerac  à  la  mort  de  duc  d'Anjou 
(10  juin  1584).  Mais  alors,  grâce  aux  encouragements  de 
Philippe  II  et  du  pape,  les  ligueurs  jettent  le  masque  et 
lancent  contre  Henri  III  l'immense  armée  des  moines,  des 
curés  et  des  Jésuites.  Du  séminaire  catholique  de  Reims, 
succursale  du  Gesù,  la  doctrine  du  tyrannicide  s'élève  et 
se  répand  au  dehors  •.  Le  10  juillet  1584,  un  jeune  homme 
de  vingt-six  ans,  né  à  Villefaus,  en  Franche-Comté,  tue 
le  prince  d'Orange  d'un  coup  de  pistolet,  à  Delft.  Il  avoua 
qu'il  avait  communiqué  son  projet  homicide  à  trois  jésuites 
de  Trêves,  qui  l'avaient  approuvé  '.  En  février  1584,  on 
avait  découvert  en  Angleterre  une  conspiration  contre  la 
vie  de  la  reine  Elisabeth.  Guillaume  Parry  fut  exécuté 
(2  mars),  après  avoir  avoué  que  le  pape  lui  avait  envoyé 
sa  bénédiction  par  le  cardinal  Ptolémée  Gallo,  et  que  la 

1.  Toutefois  les  Guises  ne  cessèrent  pas,  dans  rintervalle,  de  se  donner 
comme  les  protecteurs  de  la  religion  catholique.  En  1579,  ils  eurent  assez 
de  crédit  pour  imposer  aux  Parisiens  un  pacte  très  curieux  qui  a  été 
conservé  dans  les  Mém,  de  Nevers  (t.  I,  p.  627)  et  par  lequel  les  associés 
s'engagent  à  se  tenir  armés  «  pour  la  conservation  de  là  religion  et  le 
service  de  Sa  Majesté  »,  à  former,  pour  le  gouvernement  de  Paris  et  de 
rUe-de-Prance,  un  contingent  de  500  cavaliers  et  de  2,500  fantassins,  à 
payer  la  somme  nécessaire  à  l'entretien  de  ces  forces,  et  prennent  l'en- 
gagement de  tenir  l'association  secrète  :  Henri  III,  auquel  les  États  de 
Normandie  et  de  Bourgogne,  ainsi  que  le  Parlement  de  Paris,  reprochaient 
violemment  ses  exactions  financières  et  ses  édits  bursaux,  n'osa  pas,  A  ce 
moment,  rompre  avec  les  Lorrains,  et  il  approuva  le  nouvel  acte  d'asso- 
ciation, dans  les  termes  qui  suivent  :  «  Après  avoir  entendu  le  contenu 
aux  articles  cy-dessus,  avons  permis  aux  sujets  de  nostre  bonne  ville  de 
Paris  d'exécuter  ce  qui  est  porté  par  iceux  et  octroyé  de  lever  sur  eux 
les  deniers  nécessaires.  Fait  k  Paris  le  douziesme  jour  de  janvier  1579.  » 
Ainsi  signé  Hurar.  Et  au-dessous,  au  bas,  contresigné  Pinart. 

2.  Voir  à  cet  égard  Michklbt,  t.  X,  p.  83  et  suiv. 

3.  Db  Thou,  t.  IX,  p.  186,  et  Bulletin  de  VAcad.  royale  de  Belgique,  t.  XXHI. 
no  10. 


LA   RÉSURREGTIOiN   DE  LA  LIGUE  193 

lecture  du  livre  d'Alain,  le  chef  du  séminaire  de  Reims, 
avait  dissipé  sds  dernières  hésitations  Ml  y  eut  aussi  deux 
projets  d'assassinat  contre  le  roi  de  Navarre  '.  Henri  de 
Guise  ne  cachait  plus  sa  haine  contre  le  prince  huguenot.' 
11  l'avait  d'abord  choyé,  accablé  d'avances,  au  lendemain 
même  de  la  mort  de  Charles  IX,  comme  pour  l'opposer  à 
Monsieur  l'héritier  présomptif.  «  Ils  ne  se  séparaient  pres- 
que plus,  dit  de  Thou  en  parlant  des  deux  Henri,  man- 
geaient ordinairement  ensemble  et  ne  se  servaient  souvent 
que  d'un  seul  lit.  »  Le  roi  de  Navarre  semblait  entrer 
dans  les  vues  du  Lorrain,  mais  on  jeta  les  masques  après 
la  mort  du  duc  d'Anjou,  et  Henri  de  Guise,  furieux  d'avoir 
été  dupé,  jura  à  son  ancien  ami  une  haine  éternelle.  Quant 
à  Henri  III,  il  flottait  entre  les  deux  rivaux,  n'osant,  d'une 
part,  affronter  les  Guises  et  leur  allié  Philippe  II,  mais  sen- 
tant, d'autre  part,  son  autorité  mise  à  néant  par  les  ligueurs. 
Au  début  de  novembre  1584,  le  roi  de  France  assembla 
ses  p  us  fidèles  serviteurs  à  Saint-Germain  et  leur  déclara 
qu'il  était  décidé  à  mettre  un  terme  aux  intrigues  «  de 
ses  ennemis  couverts  ».  Il  publia,  en  effet,  le  11  du  même 
mois,  une  «  déclaration  contre  ceux  qui  font  ligues,  en- 
roollemens  et  pratiques  contre  l'Estat  de  son  royaume,  avec 


1.  Mkh.  de  la  Ligue,  L  I,  p.  20.  Db  Tbou,  Ibid,,  p.  193.  Le  pape  qui  avait 
approuvé  les  desseins  criminels  de  Guillaume  Parry  était  encore  Gré- 
goire XUI,  qui  occupa  le  trône  pontifical  du  14  mai  15T2  au  10  avril  1585. 
Le  successeur  de  Grégoire  XUI,  le  bouillant  Sixte  V,  qui  fut  pape  jusqu'au 
17  août  1590,  excommuniera  bien  Henri  de  Bourbon,  mais  ne  consentira 
jamais  à  ériger  en  dogme  Tassassinat  des  rois. 

2.  D'Auger  de  Gislen,  seigneur  de  Busbec,  ambassadeur  de  Rodolphe  U 
empereur  d'Allemagne  auprès  de  Henri  III  jusqu'en  1592,  parle,  dans  une 
de  ses  lettres,  datée  du  6  mars  1585,  d'une  de  ces  tentatives  d'assassinat. 
Le  meurtrier  avait  voulu  tuer  Henri  de  Navarre  d'un  coup  de  pistolet, 
après  lui  avoir  administre  un  poison  qui  ne  produisit  pas  d'elTet..  Busbec 
ajoute  que  Henri  IH  envoya  un  conseiller  d'État  au  roi  de  Navarre  pour 
suivre  le  procès  de  l'assassin.  Archiv.  cur.,  t.  X,  p.  126.  L'ambassadeur 
de  l'empire  fait  sans  doute  allusion  &  la  tentative  d'un  secrétaire  nommé 
Ferrand,  que  la  reine  de  Navarre  avait  placé  auprès  de  son  mari  avec 
mission  de  Tempoisonner,  parce  que  le  Béarnais  avait  cessé  tous  rapports 
conjugaux  avec  elle  depuis  le  mois  d'août  1583.  L'Estoile,  t.  II,  p.  181. 

ROBIQUET.  13 


194  PARIS  ET  LA  LIGUE 

abolition  pour  ceux  qui  s'en  départiront  ^  ».  Le  roi,  dans 
cette  déclaration,  qualifie  de  «  criminels  de  lèse-majesté  » 
ceux  qui  sollicitent  ses  sujets  «  d'entrer  en  Ligue,  associa- 
lion  et  enrooUement  »  et  enjoint  aux  officiers  de  justice  de 
procéder  contre  eux  «  en  toute  rigueur  ».  Ainsi  menacé, 
le  duc  de  Guise  ne  garda  plus  aucun  ménagement.  Il 
décida  le  vieux  cardinal  Charles  de  Bourbon  à  prendre  le 
rôle  d'héritier  présomptif  de  la  couronne.  En  même  temps, 
pour  agir  par  les  yeux  sur  la  masse  du  peuple,  les  parti- 
sans des  Guises  firent  composer  des  planches  qui  étaient 
censées  représenter  les  supplices  que  les  catholiques  subis- 
saient en  Angleterre  ;  et,  tandis  que  le  peuple  parisien  con- 
sidérait ces  gravures,  des  gens  apostés  en  expliquaient  le 
sujet,  une  baguette  à  la  main^  disant  à  l'oreiUe  de  chacun 
que,  si  le  roi  de  Navarre  montait  sur  le  trône,  les  catho- 
liques de  France  seraient  soumis  au  même  traitement  que 
les  catholiques  d'Angleterre  ".  Henri  III,  informé  de  cette 
dangereuse  comédie,  donna  l'ordre  au  lieutenant  civil 
d'empêcher  qu'elle  continuât,  et  Claude  Dorron,  maitre 
des  requêtes,  fut  chargé  de  saisir  les  planches  et  de  les 
détruire.  De  fait,  on  savait  où  les  trouver  et  on  les  trouva 
à  l'hôtel  de  Guise  :  elles  furent  portées  au  roi,  mais  son 
autorité  était  déjà  si  compromise  que  les  ligueurs  firent 
peindre  sur  bois  le  même  sujet  et  exposèrent  ce  tableau 
dans  le  cimetière  de  Saint-Séverîn.  L'ambassadeur  d'Angle- 
terre se  plaignit  de  nouveau  à  Henri  III,  qui  eut  beaucoup 
de  peine  à  obtenir  des  marguilliers  de  la  paroisse  l'enlève- 
ment du  tableau  séditieux. 

Il  semble,  du  reste,  que  le  roi  de  France  ne  pouvait 
prendre  son  parti  de  rompre  avec  les  Guises,  soutenus  par 

1.  On  trouve  cette  pièce  dans  les  Mém.  de  Nevers,  t.  I,  p.  633.  Le  duc 
de  Nevers,  interpellé  personnellement  par  Henri  III,  ploya  le  genou  devant 
lui  et  Jura  «  qu'il  serait  toute  la  vie  aussi  fidèle  à  Sa  Majesté  qu'il  espérait 
de  rôtre  h  Dieu  ». 

2.  Di  Tho0,  U  IX,  p.  270. 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  195 

le  pape  et  l'Espagne .  L'éventualité  d'une  grande  lutte 
effrayait  le  faible  monarque, .et,  d'autre  part,  ses  préven- 
tions naturelles  contre  les  protestants  l'empêchaient  de  se 
jeter  dans  leurs  bras.  Toutes  ses  faveurs  étaient  réservées 
aux  zélés  catholiques  ou  aux  protestants  qui  revenaient 
au  catholicisme,  grâce  aux  insinuations  habiles  de  Joyeuse 
et  d'Épemon,  les  principaux  distributeurs  des  emplois  et 
et  des  pensions.  Les  ligueurs  sentirent  qu'il  fallait  brusquer 
les  choses,  si  l'on  ne  voulait  voir  le  parti  protestant  se 
fondre  de  lui-même,  ce  qui  eût  enlevé  tout  prétexte  aux 
entreprises  des  princes. 

Le  16  janvier  1585,  le  duc  de  Guise  renouvela  au  château 
de  Joinvîlle  le  traité  qu'il  avait  déjà  conclu  av^  le  roi 
d'Espagne.  Jean-Baptiste  Taxis ,  commandeur  de  l'ordre 
de  Saint-Jacques,  et  le  commandeur  Jean  Moreo  représen- 
taient Philippe  II;  François  de  RoncheroUes ,  sieur  de 
Maineville  (que  Henri  III  surnomma  plus  tard  Mène-Ligue)^ 
était  venu  au  nom  du  cardinal  de  Bourbon;  le  duc  de 
Guise  et  le  duc  de  Mayenne  son  frère  figuraient  en  per- 
sonne :  le  cardinal  de  Guise,  les  ducs  d'Aumale  et  d'Elbeuf 
avaient  envoyé  leurs  procurations.  Après  un  préambule 
portant  que  l'Union  n'avait  en  vue  que  la  conservation  de 
la  religion  catholique,  mal  protégée  par  le  roi  régnant  et 
directement  mise  en  péril  par  son  héritier  légitime,  le 
traité  comprenait  un  certain  nombre  d'articles  dont  nous 
ne  rappellerons  ici  que  les  principaux ,  en  substance  : 
A  la  mort  du  roi  Henri  III,  tous  les  princes  de  l'Union 
regarderaient  et  soutiendraient  le  cardinal  de  Bourbon 
comme  le  légitime  héritier  de  la  couronne  ;  en  possession 
du  trône,  le  cardinal  de  Bourbon  ratifierait  le  traité  de 
Cambrai  passé  entre  la  France  et  l'Espagne  en  1559,  procla- 
merait Tunité  de  religion  et  ferait  mettre  à  mort  sans  dis- 
tinction tous  ceux  qui  refuseraient  d'embrasser  le  catholi- 
cisme, ferait  publier  les  décrets  et  ordonnances  du  Concile 


496  PARIS  ET  LA  LIGUE 

de  Trente  et  renoncerait  à  Talliance  turque.  Le  roi  d*Espa- 
gne  s'engageait,  de  son  côté,  à  contribuer,  jusqu'à  concur- 
rence de  50  000  écus  par  mois,  aux  frais  de  la  guerre  contre 
les  protestants,  le  cardinal  de  Bourbon  promettant  de 
rembourser  ces  subsides  lorsqu'il  aurait  conquis  sa  royauté. 
On  rendrait  à  S.  M.  catholique  Cambrai  et  les  autres  places 
dont  les  hérétiques  et  les  rebelles  s'étaient  emparés  pendant 
les  dernières  guerres.  Aux  princes  contractants  pourraient 
se  joindre  les  gentilshommes,  villes,  chapitres,  universités 
et  tous  les  catholiques,  y  compris  les  princes  étrangers. 
La  place  des  signatures  des  ducs  de  Mercœur  et  de 
Nevers  S  absents,  devait  être  laissée  en  blanc  au  bas  du 
traité,  qtii  fut  rédigé  en  double  original,  l'un  pour  le  car- 
dinal de  Bourbon  et  les  princes  ligués,  l'autre  pour  le  roi 
d'Espagne,  qui  aurait  à  ratifier  les  clauses  du  traité  dans 
le  courant  du  mois  de  mars  suivant.  Il  était  entendu  que 
le  plus  grand  secret  serait  gardé  sur  l'existence   et  la 

1.  Le  duc  de  Nevers  ayant  joué  an  rôle  très  considérable  dans  les  dif- 
férentes phases  de  la  guerre  civile,  nous  ne  croyons  pas  inutile  de  donner 
sur  lui  quelques  renseignements  biographiques. 

Ludovic  de  Gonzague,  prince  de  Mantoue,  puis  duc  de  Nivernais,  de 
Réthelois  et  de  Clëves,  pair  de  France,  était  le  troisième  fils  de  Frédéric  H, 
duc  de  Mantoue.  Né  en  1539,  il  avait  été  amené  en  1549  à  la  cour  de 
Henri  II,  qui  lui  accorda  des  lettres  de  naturalisation  et  le  fit  élever  avec 
ses  enfants.  Ludovic  de  Gonzague  se  conduisit  en  bon  Français  à  la 
journée  de  Saint-Quentin,  et  fut  fait  prisonnier  par  son  oncle,  Ferdinand 
de  Gonzague,  général  de  Philippe  II.  Il  paya  une  rançon  de  60  000  écus 
d'or.  Il  prit  le  titre  de  duc  de  Nevers  et  quitta  celui  de  prince  de  Mantoue 
en  épousant  Henriette  de  Glèves,  sœur  du  dernier  duc  de  Nevers  (1567). 
C'est  ette  qui  fut  maîtresse  de  Coconas.  Ludovic  de  Gonzague  était  un 
catholique  ardent  et  contribua  à  faire  décider  la  Saint- Barthélémy.  Ami 
de  Henri  III,  quMl  avait  accompagné  en  Pologne,  il  eut  pendant  la  Ligue 
une  attitude  assez  ambiguë,  protestant  toujours  de  son  dévouement 
envers  le  roi,  et,  d'autre  part,  échangeant  avec  les  Guises  les  lettres  les 
plus  affectueuses.  On  peut  les  lire  dans  le  recueil  de  Gomberville  connu 
sous  le  nom  de  Mémoires  de  Nevers.  Dans  une  pièce  datée  du  15  décembre 
1584,  Nevers  exprime  le  souhait  que  «  l'illustre  maison  de  Valois  puisse 
être  assise  sur  le  thrône  jusques  à  la  consommation  des  siècles  »,  mais 
il  ajoute  quUl  «  ne  reconnoistra  jamais,  dans  quelque  extrémité  où  il  se 
trouve  réduit,  pour  son  prince  et  son  roy  légitime,  aucun  prince  héré- 
tique... »  Ces  deux  phrases  caractérisent  bien  les  deux  mobiles  de  la  con- 
duite incertaine  du  duc,  l'un  des  personnages  les  plus  curieux  de  son 
temps.  Il  ne  devait  mourir  qu'en  octobre  1595. 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  197 

nature  de  ce  marché  passé  avec  l'Espagne.  En  même  temps, 
le  pape  était  mis  en  demeure  de  se  prononcer  par  le  jésuite 
Claude  Mathieu,  «  le  courrier  de  la  Ligue  ».  Cet  actif  agent 
des  Guises  a  expliqué  lui-même  dans  une  lettre  en  date 
du  il  février  1383,  adressée  au  duc  de  Nevers,  comment  il 
remplit  sa  mission  *.  D'après  Mathieu,  le  pape  lui  aurait 
dit,  dès  le  18  novembre  1584,  «  qu'il  avait  peur  que  les 
catholiques  ne  fussent  trop  tardifs  à  commencer  ».  Il  pro- 
mettait «  quand  on  aurait  commencé  »  de  déclarer  le  roi 
de  Navarre  et  le  prince  de  Condé  incapables  de  succéder  à 
la  couronne.  «  Le  pape,  dit  le  jésuite,  ne  trouve  pas  bon 
qu'on  attente  sur  la  vie  du  roi  :  car  cela  ne  peut  se  faire 
en  bonne  conscience;  mais  si  on  pouvoit  se  saisir  de  sa 
personne  et  oster  d'auprès  de  luy  ceux  qui  sont  cause  de 
la  ruine  de  ce  royaume,  et  luy  donner  gens  qui  le  tinssent 
en  bride  et  qui  luy  donnassent  bon  conseil,  et  le  luy  fissent 
exécuter,  on  trouveroit  cela  bon  :  car,  sous  son  authorité, 
on  se  rendroit  maistre  de  toutes  les  villes  et  provinces  de 
ce  royaume.  »  Mathieu,  en  revenant  en  France,  avait 
trouvé  le  temps  de  pousser  une  pointe  en  Suisse  et  avait 
obtenu  du  colonel  Phifer  la  promesse  d'amener  aux  Lor- 
rains «  six  mille  Suisses  catholiques,  des  meilleurs  hommes 
qui  soient  par  delà  »,  pourvu  qu'on  lui  fit  tenir  trente  mille 
livres  à  Luceme.  Ainsi  la  Ligue  était  déjà  prête  à  entrer 
on  campagne  avec  les  armes  temporelles  et  spirituelles. 

De  leur  côté,  les  protestants  comprenaient  le  prix  du 
temps  et  ne  reculaient  pas  devant  la  lutte.  «  Au  commen- 
cement du  mois  de  février  (1385),  écrit  l'Estoile,  aiTÎ- 
vèrent  en  la  ville  de  Sentis  les  députés  des  Estais  de 
Flandre,  venans  pour  mettre  les  Pays-Bas  en  la  protection 
et  sauvegarde  du  roy  et  lui  demander  secours  contre 
les  oppressions    et   lirannies  du    roy    d'Hespagno  et  du 

1.  Métn,  de  Nevers^  t.  I,  p.  6ii5. 


198  PARIS   ET  LA  LIGUE 

duc  de  Parme,  son  lieutenant  ès-dits  pays.  »  Henri  III 
n'osa  pas  tout  d'abord  les  recevoir  à  Paris;  mais  D.  Ber- 
nard de  Mendoza,  ambassadeur  d'Espagne,  insista  avec 
tant  de  hauteur  pour  que  le  roi  chassât  les  Flamands,  sans 
même  les  avoir  entendus,  que  le  roi  eut  un  éclair  de  fierté 
et  répondit  à  Mendoza  que  «  la  France  avoit  toujours  été 
Fasile  des  malheureux,  et  qu'il  était  bien  aise  de  lui  appren- 
dre, à  lui  et  à  tout  le  monde,  qu'un  roi  de  France  ne  savait 
ce  que  c'était  que  de  trembler  *...  »  Et  Henri  III  donna 
audience,  le  12  février,  aux  ambassadeurs  des  Ëtats  géné- 
raux, leur  parla  avec  bonté  et  les  pria  de  lui  laisser  leurs 
propositions  par  écrit  afin  d'en  délibérer  mûrement  avec 
son  Conseil.  Le  prince  de  Parme  croyait  déjà  la  guerre 
inévitable  entre  l'Espagne  et  la  France,  et  il  envoyait  cour- 
rier sur  coiurier  à  Mendoza  pour  le  presser  d'agir  sur 
le  duc  de  Guise  et  de  le  décider  à  mettre  les  ligueurs  en 
campagne. 

Henri  III,  malgré  son  indécision  et  sa  mollesse,  sem- 
blait avoir  lui-même  pris  son  parti.  Il  reçut  avec  le  plus 
grand  éclat  dans  sa  capitale  (23  février  1S85)  une  ambas- 
sade anglaise  qui,  sous  couleur  d'apporter  au  roi  le  collier 
de  l'ordre  de  la  Jarretière,  venait  lui  offrir,  au  nom  de  la 
reine  Elisabeth,  de  contribuer,  dans  la  proportion  des  deux 
tiers,  aux  frais  de  la  guerre,  s'il  se  déclarait  en  faveur  des 
Flamands.  Le  28  février,  «  le  roy  en  grande  pompe  et 
magnificence,  vestu  d'un  habit  tel  que  portent  les  cheva- 
liers de  l'ordre  anglois,  rcceust,  après  vespres,  dans  l'église 
des  Augustins,  à  Paris,  le  collier  de  l'ordre  de  la  main  du 
comte  de  Warviq,  et  fit  entre  ses  mains  le  serment  de  l'ordre 
de  la  Jartière,  et,  le  soir  mesmes,  auxdits  comte  et  ambas- 
sadeurs fist  un  festin  magnifique  '  ».  En  même  temps,  le 


1.  L'analyse  du  discours  de  Mendoza  et  de  la  réiK>nse  de  Henri  III  a  été 
faite  par  de  Thou,  t.  IX,  p.  275,  avec  sa  précision  habituelle. 

2.  L'EsToiLK,  t.  II,  p.  181. 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  199 

roi  mandait  au  sieur  de  Fleury,  son  ambassadeur  en 
Suisse,  de  faire  des  levées  dans  les  cantons,  et  il  envoyait 
Gaspard  de  Schomberg,  comte  de  Nanteuîl,  recruter  des 
reîtres  en  Allemagne  ;  mais  ce  dernier  fut  arrêté  à  Briey 
par  les  officiers  du  duc  de  Lorraine.  Le  duc  de  Guise 
déployait  aussi  une  activité  rare,  aidé  par  tous  ceux  de 
sa  maison.  Tandis  que  les  Lorrains  massaient  leurs  forces 
vers  Chàlons  et  cherchaient  à  mettre  la  main  sur  les  trois 
évêchés  (et  ils  ne  devaient  pas  tarder,  en  effet,  à  s'emparer 
de  Toul  et  Verdun)  ;  tandis  que  le  duc  de  Nevers  se  rendait 
en  Provence  pour  essayer  de  fomenter  à  Marseille  un 
mouvement  populaire,  sauf  à  désavouer  ses  agents  s'ils 
échouaient  *,  le  cardinal  de  Bourbon  publiait  à  Péronne,  le 
dernier  jour  de  mars,  un  manifeste  exposant  les  causes 
qui  ont  mû  monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon  et  les 
pairs,  princes,  seigneurs,  villes  et  communautés  catho- 
liques de  ce  royaume  de  France  de  s'opposer  à  ceux  qui, 
par  tous  moyens,  s'efforcent  de  «  subvertir  la  religion  catho- 
lique et  l'État  '  ».  On  ne  rappellera  ici  que  la  conclusion 
de  cet  important  document  :  le  cardinal  déclarait  que  lui 
et  les  princes,  villes  ou  sujets  «  faisant  la  meilleure  et  la 
plus  saine  partie  du  royaume  »  avaient  tous  «  juré  et  sain- 
tement promis  de  tenir  la  main  forte  et  armée  à  ce  que  la 
sainte  Église  soit  réintégrée  en  sa  dignité  et  en  la  vraie  et 
seule  catholique  religion;  que  la  noblesse  jouisse  comme 
elle  doit  de  sa  franchise  toute  entière  et  le  peuple  soit 
soulagé  de  nouvelles  impositions  abolies  et  toutes  crues 
ôtées,  depuis  le  règne  du  roi  Charles  neuvième  que  Dieu 
absolve;  que  les  Parlements  soient  remis  en  la  plénitude 

1.  Voy.  Hist.  véritable  de  la  prise  de  Marseille  par  ceux  de  la  Ligue,  etc., 
Mém.  de.  la  Ligue^  t.  I,  p.  73.  On  peut  aussi  consulter  la  pièce  intitulée  : 
Lettres  escrittes  de  Marseille  contenant  au  vray  les  choses  qui  s'y  sont  paS' 
sées  les  *,  9  et  10  du  moys  d'avril  dernier,  1585.  Réimprimé  dans  les  Arch, 
curieuses,  t.  XI,  p.  29. 

2.  Mém.  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  56. 


300  PARIS  ET   LA  LIGUE 

de  leurs  connoissanccs  et  en  leur  entière  souveraineté  de 
leurs  jugemens,  chacun  en  son  ressort;  et  tous  sujets  du 
royaume  maintenus  en  leurs  gouvernemens,  charges  et 
offices,  sans  qu'on  leur  puisse  ôter,  sinon  en  trois  cas,  des 
anciens  établissemens  et  jugemens  des  juges  ordinaires, 
ressortissant  es  Parlemens;  que  tous  deniers  qui  se  relè- 
veront sur  le  peuple  seront  employés  à  la  défense  du 
royaume  et  à  Teffet  auquel  ils  sont  destinés  ;  et  que  désor- 
mais les  États  généraux,  libres  et  sans  aucune  pratique, 
soient  tenus,  de  trois  ans  en  trois  ans  pour  le  plus  tard, 
avec  entière  liberté  h  un  chacun  d'y  faire  ses  plaintes  aux- 
quelles n'aura  esté  deuement  pourvu  *  ».  En  terminant,  le 
cardinal  suppliait  Catherine  de  ne  pas  l'abandonner  et  fai- 
sait un  énergique  appel,  non  seulement  aux  princes,  pairs 
de  France,  «  personnes  ecclésiastiques  »,  seigneurs  et  gen- 
tilshommes, mais  aux  villes  et  communautés,  qu'il  exhor- 
tait «  à  mettre  la  main  à  cette  bonne  entreprise,  qui  ne 
sçauroit  que  prospérer  avec  la  grâce  de  Dieu  ». 

A  ce  manifeste,  très  énergique  et  fort  habile,  qui 
essayait  de  rallier  sous  l'étendard  des  ligueurs  toutes  \ef^ 
forces  de  la  nation,  Henri  III  répondit  aussitôt  avec  une 
modération  et  une  douceur  qui  attestaient  son  impuis- 
sance. Il  plaide  les  circonstances  atténuantes  en  faveur 
de  la  royauté,  proteste  de  son  dévouement  pour  la  reli- 
gion catholique,  s'étonne  qu'on  puisse  douter  de  sa  volonté 
de  restaurer  la  foi,  regrette  que  les  États  de  Blois  ne  lui 

i.  Le  texte  complet  de  la  déclaration  se  trouve  dans  les  Mém,  de  Nevetg^ 
1. 1,  p.  641,  et  dans  les  Mém.  de  la  Ligue,  1. 1,  p.  56.  Il  ne  porte  que  la  signa- 
ture du  cardinal  de  Bourbon,  mais  les  Mém,  de  Severs  donnent  la  liste  des 
chefs  de  la  Ligue  qui  fut  distribuée  avec  le  manifeste.  Les  voici  :  «  Le 
pape,  les  cardinaux  de  Bourbon,  de  Lorraine,  de  Guise,  de  Vaudemont,  de 
Vendôme,  l'empereur  et  princes  de  la  maison  d'Autriche  en  Allemagne,  le 
roi  d'Espagne  et  les  siens,  le  prince  d'Ecosse,  le  grand  maître  de  Malte, 
la  seigneurie  de  Venise,  la  république  de  Gênes  et  de  Lucques,  -le  grand- 
duc  de  Florence,  les  ducs  de  Lorraine  et  de  Guise,  Ueutenans  généraux  de 
ladite  Ligue,  les  ducs  de  Mayenne,  de  Mercœur,  d*Aumale,  d'Elbœuf,  de 
Nevers,  de  Savoie,  de  Ferrare,  de  Nemours,  de  Cléves,  de  Porme  et  autres, 
jusques  aux  évesques  de  Cologne  et  de  Mayence.  » 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA   LIGUE  301 

aient  pas  fourni  les  moyens  de  continuer  la  guerre  contre 
les  hérétiques,  célèbre  les  bienfaits  de  la  paix,  grâce  à 
laquelle  «  le  pauvre  laboureur,  accablé  de  la  pesanteur  du 
faix  insupportable  provenant  de  la  licence  effrénée  du 
soldat,  a  moyen  de  respirer  et  recourir  à  son  labeur  ordi- 
naire, pour  substanter  sa  pauvre  vie  ».  Le  roi,  avec  une 
superbe  assurance,  fait  sa  propre  apologie  et  affirme  no- 
tamment «  qu'il  a  convié  ses  sujets  par  son  exemple  à 
réformer  les  mœurs  et  recourir  à  la  grâce  et  miséricorde 
de  Dieu  par  prières  et  austérité  de  vie  ».  Il  raille  agréable- 
ment ceux  qui  s'inquiètent  des  sentiments  de  Théritier  de 
la  couronne,  attendu  «  qu'étant  encore,  grâce  à  Dieu,  en 
la  fleur  et  force  d'âge  et  en  pleine  santé,  et  pareillement  la 
reine  sa  femme,  il  espère  que  Dieu  leur  donnera  lignée,  au 
contentement  universel  de  ses  bons  et  loyaux  sujets.  Et 
lui  semble  que  c'est  vouloir  forcer  la  nature  et  le  tems,  et 
davantage  se  défier  par  trop  de  la  grâce  et  bonté  de  Dieu, 
de  la  santé  et  vie  de  sadite  majesté  et  de  la  fécondité  de 
ladite  dame  reine  sa  femme,  que  de  mouvoir  à  présent 
telle  question  et  même  en  poursuivre  la  décision  par  la 
voie  des  armes.  »  Comme  conclusion,  Henri  III  engage  les 
ligueurs  à  poser  les  armes,  à  renvoyer  les  soldats  étran- 
gers et  à  s'en  rapporter  à  lui  du  soin  de  «  pourvoir  au  sou- 
lagement de  son  peuple  *  ».  Au  cours  de  cette  guerre  de 
plume,  à  laquelle  Henri  III  s'entendait  d'ailleurs  assez  bien, 
il  trouva  un  auxiliaire  brillant  dans  la  personne  du  roi  de 
Navarre,  qui  publia  aussi,  le  10  juin  1585,  «  une  déclaration 


1.  Mém.  de  Nevers,  1. 1,  p.  63.  Certains  historiens  sont  très  sévères  pour 
^e  manifeste  de  Henri  II I,  attribué  par  TEstoileà  Villeroi,  secrétaire  d'Etat, 
fl  nous  parait,  au  contraire,  plein  d'esprit  et  dHronie  voilée.  De  Tiiod,  t.  IX. 
p.  287,  reconnaît  bien  «  qu'il  est  composé  avec  beaucoup  d*art  et  d'habi- 
leté n,  mais  il  le  trouve  indigne  de  la  mc^esté  royale.  Cela  est  bientôt  dit  : 
cependant  on  ne  pouvait  demander  an  roi  plus  de  vigueur,  quand  la  Cham- 
pagne presque  entière,  et  les  trois  quarts  de  la  Normandie^  de  la  Picardie, 
de  la  Bourgogne,  du  Berry,  de  TOrléanais,  de  la  Bretagne  se  déclaraient 
contre  lui.  Nous  verrons,  d'ailleurs,  qu'il  ne  resta  pas  inactif. 


202  PARIS  ET  LA  LIGUE 

contre  les  calomnies  publiées  contre  lui  et  protestations 
do  ceux  de  la  Ligue,  qui  se  sont  élevées  en  ce  royaume  »  *. 
Elle  se  terminait  par  l'invitation  qu'adressait  le  roi  de 
Navarre  au  duc  de  Guise  «  de  terminer  la  guerre  de  sa 
personne  à  la  sienne,  un  à  un,  deux  à  deux,  dix  à  dix, 
vingt  à  vingt,  plus  ou  moins,  ou  tel  nombre  que  ledit  sieur 
de  Guise  voudra ,  avec  armes  visitées  entre  chevaliers 
d'honneur  ». 

Nous  avons  cru  devoir  résumer  avec  une  certaine  pré- 
cision les  différents  manifestes  et  les  négociations  très 
complexes  qui  ont  servi  de  préambule  à  la  rentrée  en 
scëne  de  la  Ligue.  Cette  analyse  était  nécessaire  pour  Tintel- 
ligence  des  développements  qui  vont  suivre;  mais  nous 
sortirions  du  cadre  d'une  histoire  politique  et  municipale 
de  Paris  en  essayant  de  rechercher  sur  tous  les  points  de 
la  France  les  traces  et  les  manifestations  du  grand  complot 
catholique.  Il  faut  limiter  maintenant  notre  étude  aux 
événements  qui  ont  un  caractère  plus  spécialement  pari- 
sien. 

On  peut  reconstituer  l'histoire  du  début  de  la  seconde 
période  de  la  Ligue  à  l'aide  de  deux  documents  d'une 
valeur  rare  :  le  Journal  de  Nicolas  Poulain  *,  et  le  Dialo- 


1.  Le  rédacteur  de  cette  pièce  était  Duplessis-Mornay.  On  la  retrouve  au 
1. 1  de  ses  Mémoires,  p.  466.  Elle  est  reproduite  au  1. 1  des  Mém.  de  Nevers, 
p.  120,  et  a  été  traduite  en  latin  À  Leyde  en  1585.  Cest  le  plus  intéressant, 
mais  le  plus  connu  des  documents  analysés  au  texte. 

2.  Le  journal  de  Nicolas  Poulain  va  du  2  janvier  1585  jusqu'au  jour  des 
Barricades,  le  12  mai  1588.  Il  a  été  inséré  à  la  suite  du  journal  de  TEstoile 
(édit.  de  1744,  t.  II),  et  se  trouve  aussi  reproduit  au  t.  XI,  p.  282  des  Arch. 
curieuset.  Ce  Poulain,  lieutenant  du  prévôt  de  l'Ile-de-France,  joua  un 
double  rôle,  plus  ou  moins  honorable.  U  affecta  d'abord  un  grand  zèle  pour 
la  Ligue,  puis  avertit  le  roi  de  tous  les  projets  des  conspirateurs.  Dans  les 
Comptes  de  dépense  de  Henri  III,  1580  à  1588,  Arch,  nat.,  lettre  K,  et  Arch. 
cur,j  t.  X,  p.  424,  on  lit  l'article  ci-dessous  :  «  A  Nicolas  Poulain,  lieute- 
nant du  prévost  de  l'Isle- de-France,  la  somme  de  200  escus  soleil,  à  luy 
ordonnée  pour  le  service  de  Sa  Majesté  en  certain  lieu  et  endroit  dont  elle 
ne  veut  estre  cy  faict  mention  ny  déclaration,  le  dernier  may  1588,  et 
250  escus  le  dernier  jour  de  septembre  1588,  pour  mesme  cause.  » 


LA   RÉSURRECTION   DE   LA  LIGUE  203 

gue du Maheustre et  du  Manants  Les  Registres  de  la  Ville 
nous  permettront,  en  outre,  d'étudier  les  mouvements 
de  la  milice  et  la  nature  des  relations  du  roi  et  du  corps 
municipal.  Les  observations  prises  sur  le  vif  par  TEstoile 
et  les  nombreuses  pièces  originales  que  contiennent  les 
Mémoires  de  la  Ligue  et  le»  Mémoires  de  Nevers  compléte- 
ront cet  ensemble  d'informations,  dont  beaucoup  sont 
inédites. 

C'est  au  commencement  de  janvier  1585  que  la  Ligue 
parait  avoir  reconstitué  ses  cadres  à  Paris.  Nicolas  Poulain 
raconte  que  le  2  janvier  Jean  Leclerc,  procureur  au  Par- 
lement, et  Georges  Michelet,  sergent  à  verges  au  Châtelet 
de  Paris,  qu'il  connaissait  tous  deux  depuis  longtemps, 
vinrent  le  mettre  en  demeure  d'assister  à  une  réunion 
indiquée  pour  le  lendemain  chez  Leclerc,  en  lui  promet- 
tant «  la  faveïir  de  plusieurs  grands  seigneurs  et  person- 
nages de  la  Ville  de  Paris  »  et  «  une  bonne  sonrnie  de 
deniers  pour  se  mettre  à  son  aise  »,  s'il  consentait  à  prê- 
ter son  concours  aux  défenseurs  de  la  foi  catholique,  apos- 
tolique et  romaine.  Poulain  se  rendit  à  la  réunion;  le  sei- 
gneur de  Mayneville,  agent  du  duc  de  Guise,  y  était  venu 
aussi  pour  ^'entendre  avec  les  conjurés  «  et  leur  com- 
muniquer de  leurs  affaires  et  entreprises  ».  Leclerc,  pour 
échauffer  le  zèle  des  nouvelles  recrues,  affirma  qu'il  y  avait 
plus  de  10,000  huguenots  au  faubourg  Saint-Germain  «  qui 
vouloient  couper  la  gorge  aux  catholiques  pour  faire  avoir 
la  couronne  au  roy  de  Navarre  ».  Il  était  donc  nécessaire 
que  tous  les  bons  catholiques  prissent  les  armes,  d'autant 
que  Henri  III  favorisait  le  roi  de  Navarre  et  venait  de  lui 


1.  Le^Viahgue  du  Makeustre  et  du  Manant  est  généralemenl  attribué  à 
Cromé,  membre  du  conseil  des  Seize.  Cependant  une  note  manuscrite,  mise 
au  bas  d'un  exemplaire  de  la  première  édition  de  1594,  dit  que  Fauteur  est  le 
sieur  Roland,  conseiller  aux  Monnaies  et  aussi  Tun  des  Seize.  Le  dialogue 
est  imprimé  à  la  suite  de  plusieurs  éditions  de  la  Satyre  Ménippée,  notam- 
ment de  celle  de  Ratisbonne,  1752,  t.  III,  p.  367. 


204  PARIS  ET  LA  LIGUE 

envoyer  deux  cent  mille  écus  par  le  duc  d'Êpemon  pour 
entamer  la  guerre  contre  le  catholicisme.  Leclerc  ajou- 
tait «  qu'il  y  avoit  déjà  bon  nombre  d'hommes  secrettc- 
ment  pratiquez  dans  Paris,  qui  avoient  tojus  juré  de  mourir 
plustôt  que  de  Tendurer  ».  La  résistance  semblait  facile, 
car  le  roi  ne  disposait  guère  que  de  deux  ou  trois  cents 
gardes,  logés  au  Louvre,  des  archers  du  prévôt  de  Thôtel 
et  du  prévôt  de  Paris,  tandis  que  les  catholiques  seraicuit 
soutenus  par  les  ducs  de  Guise,  de  Mayenne,  d'Aumale  et 
toute  la  maison  de  Lorraine,  sans  compter  le  roi  d'Espa- 
gne, le  prince  de  Parme  et  le  duc  de  Savoie.  Mayneville 
<:onfirmait  ces  assurances  et  déclarait  que  le  duc  de  Guise 
avait  déjà  rassemblé  des  forces  en  Champagne  et  en 
Picardie  «  jusques  au  nombre  de  quatre  mil  hommes  soul- 
doyés  par  beaucoup  de  gens  de  bien  ».  Le  lendemain, 
4  janvier,  une  autre  réunion  eut  lieu  chet  la  Chapelle- 
Marteau,  maître  des  comptes.  Il  y  avait  là  Charles  Hotman 
de  la  Rocheblond,  receveur  de  Tévêque  de  Paris,  Rolland, 
général  des  monnoyes,  Tavocat  Drouart,  Crucé,  procureur 
au  Chàtelet,  et  «  plusieurs  autres  ».  Aucune  hésitation. 
Chacun  reçoit  son  rôle  :  Poulain  achètera  les  armes;  le 
prévôt  de  TIle-de-France  est  vieux  et  s'en  remet  à  son 
lieutenant  pour  l'exécution  des  mandements.  Les  armuriers 
de  Paris,  auxquels  le  roi  a  fait  défense  de  vendre  des  armes 
ou  cuirasses  «  sans  sçavoir  à  qui  »,  ne  feront  pas  difficulté 
<l'en  vendre  au  lieutenant  du  prévôt.  L'argent  ne  manquait 
pas  :  un  seul  seigneur  avait  donné  dix  mille  livres,  au  dire 
de  la  Chapelle,  et,  d'après  Hotman,  le  duc  de  Guise  aurait 
tiré  «  de  Messieurs  de  Paris  trente  mille  escus  par  plusieurs 
fois  ».  Il  est  entendu  que  la  Chapelle-Marteau  pratiquera 
\e$  membres  de  la  Chambre  des  comptes;  le  président  Le- 
maître  ceux  du  Parlement,  tandis  que  Leclerc  et  Michelet 
s'occuperont  des  procureurs  au  Parlement.  A  la  Cour  des 
aides,  le  président  de  Neuilly  avait  des  intelligences;  Roi- 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  205 

land  séduirait  ses  collègues  les  généraux  des  monnaies,  el 
le  lieutenant  particulier,  la  Bruyère,  les  conseillers  au  Ghà- 
telet.  Louchart,  Senaut,  Choulicr  et  d'autres  enrôleraient 
les  huissiers,  les  greffiers,  les  clercs,  tous  les  robins  subal- 
ternes. Crucé  répondait  des  procureurs  et  d'une  grande 
partie  de  TUniversité.  Déjà  de  Bart  et  Michelet  avaient 
gagné  «  tous  les  mariniers  et  garçons  de  rivière  du  costé 
deçà,  qui  font  nombre  de  plus  de  cinq  cens,  tous  mauvais 
garçons  ».  Quinze  cents  bouchers  et  charcutiers  avaient 
promis  leur  concours  à  Toussaint  Poccart  et  à  Gilbert,  agents 
des  ligueurs  ;  six  cents  marchands  de  chevaux  et  courtiers 
offraient  leurs  bras  au  commissaire  Louchart.  Voilà  ce 
qu'avait  appris  Poulain,  dès  le  4  janvier. 

Donc,  sans  qu'aucune  manifestation  extérieure  ait  encore 
eu  lieu,  la  Ligue  se  trouve  déjà  prête  et  dispose  de  forces 
imposantes.  Comment  a-t-elle  pu  s'organiser  ainsi,  dans 
l'ombre,  avec  une  rapidité  si  grande  et  un  tel  succès? 
L'auteur  du  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant  attribue 
l'initiative  du  mouvement  à  une  sorte  d'intervention  mys- 
térieuse de  la  Providence  qui  aurait  suscité  un  simple 
bourgeois,  Charles  Hotman,  sieur  de  la  Rocheblond,  pour 
sauver  la  religion  menacée  ^  Ce  parent  du  protestant 
François  Hotman,  l'illustre  auteur  de  la  Franco-Gallia,  se 
sentant  «  meu  de  l'esprit  de  Dieu  »,  alla  trouver  trois  ecclé- 
siastiques :  Jean  Prévost,  curé  de  Saint-Séverin  •,  Boucher, 
curé  de  Saint-Benoit  ',  de  Launay,  chanoine  de  Soissons, 


1.  Pierre  Pilhou,  dans  la  Satyre  Mënippée  (discours  de  M.  d'Aubray),  ex- 
plique la  résarrection  de  la  Ligue  par  les  pactes  passés  entre  les  Guises  et 
Philippe  II,  la  naïveté  des  bonnes  gens  qui  croyaient  la  religion  menacée, 
le  mauvais  gouvernement  de  Henri  III,  «  les  doublons  d'Espagne  »  et  «  l^i 
abjectes  et  honteuses  soumissions  pour  rechercher  et  gaigner  la  simple 
populace  ».  SaL  Mén.  Édit.  de  Ratisbonne,  Mathias  Kerner,  1752,  t.  I,  p.  128. 

2.  J.  Prévost  était  peut-être  le  plus  modéré  des  organisateurs  de  la  Ligue, 
Il  appellera  un  jour  les  Seize  des  larrons.  De  Thou  dit  qu*il  était  entré 
dans  la  Ligue,  imprudentia  potiuê  quant  turbarum  desiderio. 

3.  Jean  Boucher  était  né  en  1551,  d'une  famille  de  robe.  Il  était  parent 
de  Christophe  de  Thou  et  de  Guillaume  Budé.  Élève  du  curé  de  Saint- 


206  PARIS  ET  LA  LIGUE 

«  premiers  piliers  de  la  Ligue  à  Paris  K  »  C'est  ce  quatuor 
qui  fut  le  premier  groupe  organisé.  «  Ils  advisèrent  par 
ensemble,  raconte  le  Manant,  d'appeler  avec  eux  les  plus 
pieux,  fermes  et  affectionnez  catholiques  pour  acheminer 
et  conduire  les  affaires  de  la  Ligue  des  catholiques,  telle- 
ment qu'eux  quatre,  après  l'invocation  du  Saint-Esprit, 
nommèrent  plusieurs  particuliers  bourgeois  qu'ils  cognois- 
soient,  et  lors  se  résolurent  de  n'en  parler  qu'à  sept  à  huit, 
lesquels  ils  arrestèrent  et  nommèrent  entr'çux  :  à  sçavoir, 
ledit  de  la  Rocheblond  nomma  l'advocat  d'Orléans,  et  le 
sieur  Acarie,  maistre  des  comptes;  ledit  sieur  Prévost, 
curé  de  Saint-Severin,  nomma  les  sieurs  de  Caumont, 
advocat,  et  de  Compans,  marchand;  ledit  sieur  Boucher 
nomma  Mignager,  advocat,  et  Crucé,  procureur;  ledit  sieur 
de  Launoy  nomma  le  sieur  de  Manœuvre,  de  la  maison 
des  Hennequins  *.  »  Sondés  avec  prudence,  les  candidats 

Séverin,  Jean  Prévost,  dont  tous  les  historiens,  Davila,  Thynot,  de  Tbou, 
«'accordent  à  louer  l'éloquence  et  le  savoir,  fut  lui-même  professeur  & 
Reims,  puis  au  collège  de  Bourgogne.  Il  devint  ensuite  prieur  de  Sor- 
bonne.  A  trente  ans,  en  décembre  1580,  il  était  investi  des  fonctions  de 
recteur  de  FUniversité.  Quand  la  cure  de  Saint-Benoit  devint  vacante,  il 
l'obtint. 

1.  Mathieu  de  Launay,  ancien  ministre  protestant  de  Genève.  Marié,  il  se 
lassa  de  sa  femme  et  revint  au  catholicisme.  On  le  nomma  chanoine  de 
Soissons.  C'était  un  homme  bon  à  tout  faire,  un  grand  remueur  des  opinions 
de  la  populace,  dit  Pasquier;  le  Duchat  l'appelle  tout  nettement  un  seélérat. 
{Notes  sur  la  Ménippée,  t.  U.) 

2.  Dialogue,  t.  111,  p.  434.  Dans  l'édition  de  la  Satyre  Ménippée  donnée 
à  Genève  en  1598,  fut  insérée,  sous  le  titre  A^Âbrégé  des  Estais^  une  analyse 
du  passage  du  Dialogue  où  se  trouve  expliquée  la  résurrection  de  la  Ligue 
par  la  grftce  de  Dieu  et  des  Guises.  Ce  pastiche  se  trouve  dans  l'édition  de 
Ratisbonne  de  la  Ménippée  (1152),  aut.  I,  p.  353.  U  est  également  inséré 
daus  les  Mém,  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  639.  Édit  d'Amsterdam  (1758).  On  donne 
VAbrégé  comme  étant  l'ouvrage  de  Mademoiselle  de  la  Lalande,  qui  «  ser- 
voit  à  Madame  de  Nemours  pour  certaines  intrigues  ».  M.  Labitte  nous 
parait  commettre  une  légère  erreur  à  la  note  1,  p.  35  de  ses  Prédicateurs 
de  la  Ligue,  quand  il  dit  que  Jean  de  la  Taille,  dans  les  Singeries  de  la 
Ligue,  appelle  aussi  Prévost,  Launay  et  Boucher  «  les  premiers  piliers  de 
l'Union  ».  C'est  VAbrégé  qui  emploie  ces  expressions,  et  cela  n'est  pas 
étonnant,  car  l'auteur  ne  fait  guère  que  copier  le  Dialogue  du  Makeustre 
et  du  Manant.  U  n'y  a  pas  non  plus,  ce  semble,  à  reprocher  à  M.  Ranke 
(Hist.  de  la  pap,,  t.  UI,  p.  190)  d'avoir  pris  le  comité  Hotman  pour  le  pre- 
mier centre  de  l'Union,  en  alléguant  que  la  Ligue  existait  dès  1576.  «  Et 
nous  sommes,  dit  M.  Labitte,  en  45871  «  En  premier  lieu,  les  conciliabules 


LÀ  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  SOT 

proposés  par  les  quatre  premiers  conspirateurs  donnèrent 
sans  difficulté  leurs  adhésions.  Le  curé  Prévôt  leur  adjoi- 
gnit le  sieur  d'Effiat,  gentilhomme  d'Auvergne.  Puis,  le 
cercle  s'étendit  un  peu.  On  enrôla  maître  Jean  Pelletier, 
curé  de  Saint-Jacques,  maître  Jean  Gincestre,  bachelier  en 
théologie,  et  quelques  autres.  Pour  imprimer  une  direction 
régulière  au  complot  catholique,  un  Conseil  de  neuf  à  dix 
personnes  fut  institué.  En  outre,  les  seize  quartiers  de  Paris 
furent  réparti§  en  cinq  circonscriptions,  ayant  chacune  un 
chef.  Tous  les  délégués  venaient  rapporter,  au  Conseil  les 
résultats  de  leur  propagande  et  demander  des  instructions. 
Seuls,  les  cinq  délégués  et  le  sieur  de  la  Rocheblond 
avaient  qualité  pour  affilier  à  la  Ligue  de  nouvelles  recrues. 
Encore  ne  le  pouvaient-ils  faire  qu'après  enquête  et  lorsque 
le  Conseil  secret  avait  «  examiné  la  vie,  mœurs  et  bonne 
renommée  de  ceux  à  qui  Ton  avoit  parlé,  comme  n'estant 
raisonnable  de  commettre  la  cognoissance  de  cette  sainte 
cause  qu'entre  les  mains  de  gens  de  bien,  sans  reproche, 
fidèles  et  bien  affectionnez  » . 

Il  y  avait  donc,  à  l'origine,  un  Conseil,  de  neuf  à  dix 
membres,  qui  avait  la  haute  direction  de  la  Ligue  à  Paris, 
puis  un  autre  Comité  d'action,  composé  de  six  membres, 
à  savoir  la  Rocheblond,  Compans,  Crucé,  la  Chapelle-Mar- 
teau, Louchart  et  Bussy-Leclerc;  mais  il  faut  remarquer 
que  les  six  faisaient  tous  partie  du  comité  des  dix  '.  Cette 

d'Hotman  datent  non  pas  de  1587,  mais  de  janvier  1585,  ainsi  que  le  prouve 
le  Journal  de  Poulain;  en  second  lieu,  il  ne  faut  pas  exagérer  Timportauce 
pratique  de  l'acte  de  Péronne  (signé  en  juin  1576).  Qu*on  le  qualifie,  si  Ton 
veut,  d'acte  constitutif  de  la  Ligue,  mais  la  Ligue  n'a  été  vraiment  cons- 
tituée pour  Vaction  qu'au  début  de  1585.  La  querelle  que  M.  Labitte,  en 
son  excellent  ouvrage,  a  cherchée  &  M.  Ranke,  n'est  donc  guère  qu'une 
querelle  de  mots.  Nous  dirons  que  la  Ligue  a  été  constituée  en  juin  1576, 
et  reconstituée  en  janvier  1585. 

1.  Le  Dialogue  le  dit  formellement  :  Après  avoir  indiqué  les  noms  des 
ligueurs  nommés  chefs  des  quartiers  par  le  conseil  des  dix,  le  Manant 
igoute  :  «  Et  rapportoient  au  conseil  duquel  ils  faisaient  partie,  tout  ce 
qu'ils  avoient  entendu  chacun  en  son  destroit,  etc..  »,  p.  436,  t.  HI,  de 
l'édit  de  1752. 


208  PARIS  ET  LA  LIGUE 

distinction  du  comité  d'action  que  Cromé  appelle  les  Six  et 
du  Conseil  proprement  dit,  avait  pour  but  de  ne  pas  révéler 
aux  adhérents  nouveaux  la  nature  ou  même  Texistence  du 
conseil  de  direction,  afin  de  rendre  toute  trahison  impos- 
sible. 

Les  six  ne  manquaient  pas,  du  reste,  d*agents  secon- 
daires qui  travaillaient  «  par  leur  instruction  ».  Au  quar- 
tier de  la  Cité,  Compans  avait  «  pris  pour  aides  »  le  drapier 
Hébert  et  le  sieur  de  Laistre;  Crucé  avait  choisi  les  sieurs 
Pigneron,  Senault,  Noblet  et  Joisel;  la  Chapelle-Marteau 
s'était  adjoint  le  procureur  Emonnot  et  le  sieur  Béguin;  le 
commissaire  Louchart  était  secondé  par  Tronçon,  colonel 
de  la  milice,  et  de  la  Morliëre,  notaire  ;  Bussy  le  Clerc  avait 
sous  ses  ordres  Choulier,  Courcelles  et  Tavocat  Fontanon. 
C'était  une  organisation  déjà  très  puissante.  Les  ligueurs 
entrèrent  en  communication^  directe  avec  les  princes,  qui 
leur  envoyèrent  les  sieurs  de  Mayne ville,  Cornard  et  Beau- 
regard.  En  même  temps,  on  songeait  à  nouer  des  rela- 
tions avec  les  principales  villes  de  France.  Hotman,  le 
trésorier  de  la  Ligue,  remit  3,000  écus  *  au  sieur  Ameline 
pour  aller  faire  sur  place  de  la  propagande  catholique 
dans  la  Beauce,  l'Anjou,  la  Touraine  et  le  Maine.  L'envoyé 
de  la  Ligue,  «  homme  d'affaires  et  grand  négociateur  », 
visita  successivement  Chartres,  Orléans,  Blois  et  Tours  : 
il  adressait  ses  rapports  à  c<  Messieurs  de  la  Ligue  »  pai* 
l'intermédiaire  de  Nicolas  Poulain,  qui  était  averti  du  lieu 
où  se  tenait  le  Conseil  par  «  un  nommé  Mérigot,  graveur 
tenant  sa  boutique  aux  pieds  des  dégrez  du  palais  ».  Ainsi 
se  nouaient  peu  à  peu  tous  les  fils  de  la  conspiration. 

Le  roi  n'avait-il  aucun  soupçon  du  danger?  Il  était,  au 
contraire,  admirablement  informé  des  plans  de  la  Ligue  et 
«  de  tous  les  remuements,  comme  dit  l'Estoile,  de  divers 

1.  Journal  de  Poulain,  p.  295,  Arch.  cur.,  t.  XI. 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  209 

seingneurs  et  endroits  de  son  roiaume  ».  D*autre  part,  le 
duc  de  Bouillon  lui  avait  annoncé  rexistence  des  concen- 
trations de  troupes  qu'opérait  dans  Test  le  duc  de  Guise; 
mais  Henri  III  répondit  «  qu'il  ne  le  croioit  ni  ne  craingnoit  » . 
Toutefois  «  après  y  avoir  pensé  »  il  parut  disposé  à  s'ar- 
racher aux  fêtes  et  aux  mascarades  pour  faire  face  à  l'en- 
nemi. Des  avertissements  lui  venaient.  Le  12  mars,  on 
arrêta  à  Lagny-sur-Marne  «  en  un  bateau  venant  de  Paris 
et  montant  vers  Gbaalons  en  Champagne,  je  ne  sçai  quantcs 
tonnes  plaines  d'armes,  entre  lesquelles  furent  trouvées 
jusques  à  sept  cens  harquebuzes  et  deux  cent  cinquante 
corselets,  que  conduisait  un  nommé  la  Rochette  qu'on 
disoit  estre  escuier  du  cardinal  de  Guise  *...  »  Henri  III 
n'avait  pas  encore  une  attitude  très  nette  :  il  n'osa  retenir 
en  prison  M.  de  la  Rochette,  tout  en  jurant  au  roi  de  Navarre 
qu'il  n'avait  «  aucune  intelligence  ou  participation  »  avec 
les  Guises  *. 


1.  L'EsToiLE,  l.  II,  p.  185. 

2.  L'incident  rapporté  par  TEstoile  est  heureusement  complété  par  les 
Rbsistrbs  de  la  ViLLB,qui  donnent  sur  l'arrestation  de  M.  de  la  Rochette  trois 
pièces  importantes  et  encore  inédites.  Quand  le  duc  de  Guise  apprit  la 
saisie  du  navire  et  la  capture  de  son  agent,  il  s'adressa,  non  pas  au  roi, 
mais  à  la  Ville  de  Paris,  à  laquelle  il  écrivit  la  lettre  ci-dessous  :  «  Mes- 
sieurs, je  pensoy  s  que  par  le  retour  du  sieur  de  Maintenon,  à  qui  j'avois 
rendu  le  tesmoignage  de  la  charge  expresse  que  j'avois  donnée  au  sieur  de 
la  Rochette  pour  Tachapt  de  quelques  armes  dont  je  me  voyois  en  alTaire 
pour  ma  seuretté,  vous  eussiez  esté  entièrement  satisfaictz  du  doubte  qui 
vous  a  donné  subject  de  les  arrester,  m'asseurant  tant  de  vostre  bonne 
volonté  que,  pour  si  juste  occasion,  vous  ne  vonldriez  les  retenir  davan- 
iaige.  Mais,  afin  de  vous  en  esclairer  encor,  je  vous  ay  bien  voulu  faire  la 
présente  pour  vous  prier  de  les  vouloir  faire  rendre  au  sieur  de  la  Rochette, 
et  croire  que  vous  m'obligerez  infiniment  en  cela  que  je  tiendray  pour  un 
singulier  plaisir,  avec  une  entière  affection  de  m'en  revancher  par  tous  les 
moiens  qui  despendront  de  ma  puissance.  Priant  Dieu^  messieurs,  vous» 
avoir  en  sa  saincte  et  digne  garde.  De  Chaalons,  le  cinquiesme  jour 
d'apvril  1585.  £t  est  soubscript  :  Vostre  entièrement  meilleur  amy  à  jamais. 
Signé  :  Hbvry  db  Lorraikb.  »  Rbo.  H,  1788  bis,  fol.  443.  A  cette  lettre  était 
joint  le  certificat  suivant,  délivré  par  le  duc  de  Guise  :  -  Le  duc  de  Guise, 
pair  et  grand  maitre  de  France,  Nous  certiffions  à  tous  qu'il  appartiendra 
avoir  cy-devant  donné  charge  au  sieur  de  la  Rochette  d'achepter  par  nous 
et  en  nostre  nom  en  la  Ville  de  Paris  quelque  quantité  de  harquebuzes, 
corceletz  et  autres  armes  pour  nous  les  faire  conduire  et  admener  en  nostre 
maison  de  Joinville,  pour  la  seuretéde  nostre  personne.  £n  tcsmoing  de  quoy 

ROBIQUET.  14 


210  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Tandis  que  des  nuées  de  gentilshommes  partaient  en 
mission,  stylés  par  le  roi;  tandis  que  M.  de  Maintenon  se 
rendait  près  du  duc  de  Guise,  M.  de  Rocliefort  près  du  due 
de  Mayenne ,  et  Lamothe-Fénelon  près  du  cardinal  de 
Bourbon  «  pour  sonder  et  descouvrir  ce  qu'ils  pourroienl 
de  leurs  fins  et  intentions  »,  de  nombreuses  mesures  étaient 
prises  à  Paris  en  vue  du  maintien  de  l'ordre.  Les  Registres 
de  la  Ville  nous  en  donnent  le  minutieux  détail.  Dès  le 
26  mars  1585,  le  roi  «  étant  en  son  conseil  »  décida  qu'on 
enverrait  au  prévôt  des  marchands  Tordre  de  présenter  au 
gouverneur  de  Paris  «  un  rôle  de  tous  les  habitants  des 
dixaines,  avec  un  extraict  à  part  des  personnes  qui  seroient 
propres  pour  estre  cappitaines  et  lieutenans,  afin  que  le  roy 
les  puisse  destiner,  et  des  aultres  de  chacune  desdictes 
dizaines  ausquels  Ton  pourroit  faire  prendre  les  armes, 
s'il  en  est  besoin  ».  Les  clefs  seront  remises  aux  quarti- 
niers,  qui  iront  eux-mêmes  ouvrir  et  fermer  les  portes.de 
la  Ville.  Deux  bourgeois  assisteront  à  l'ouverture  et  à  la 
fermeture  de  chacune  d'elles.  Désormais  neuf  seulement 
resteront  ouvertes,  savoir  :  les  portes  Neuve,  Saint-Honoré, 
Saint-Denis,   Saint-Martin,  Saint- Antoine ,   Saint-Victor, 

nous  avons  signé  la  présente  à  ChaaIIons,  le  cinquiesme  jour  d^apvril  1585. 
Ainsi  signé  :  Hbnri  de  Lorraine.  Et  plus  bas  :  Perricard.  » 

La  Ville  de  Paris  répondit  au  duc  de  Guise,  le  8  avril,  qu'en  saisissant  le<« 
armes  achetées  pour  le  compte  de  la  Ligue,  elle  n'avait  fait  qu'exécuter  les 
ordres  du  roi  :  Voici  la  lettre  du  prévôt  des  marchands  et  des  échevins  : 
«  Monseigneur.  Nous  avons  receu  voz  lettres  escriptes  &  Chaalons  le  cin- 
quiesme jour  de  ce  mois;  pour  responce  auxquelles  nous  vous  supplions 
croire  que  les  armes  dont  vous  nous  escripvez  ont  esté  par  nous  arrestées 
de  Texprès  commandement  de  Sa  Majesté,  et  à  nous  laissées  en  garde,  des- 
quelles ne  pourrions  faire  aulcune  délivrance  sans  ordonnance  expresse  de 
Sa  Majesté,  à  laquelle  ayant  faict  entendre  le  contenu  en  vosdicles  lettres, 
comme  nous  debvons  toute  aultre  chose  concernant  son  service,  comme 
très  humbles  et  très  affectionnez  subjetz  que  nous  sommes,  nous  ne  pou- 
vons vous  rendre  satisfaîct  du  contenu  en  vosdites  lettres,  dont  il  vous 
plaira,  Monseigneur,  nous  excuser;  et  sur  ceste  assurance,  nous  supplie- 
rons le  Créateur  quMl  vous  donne,  Monseigneur,  en  heureuse  santé,  bonne  et 
longue  vie.  De  THostel  de  la  Ville  de  Paris,  ce  huictiesme  jour  d'apvril  4585. 
Et  est  soubzcript  :  Vos  très  humbles  et  très  obéissans  serviteurs  les  prévost 
des  marchans  et  eschevins  de  ladite  Ville.  A  monseigneur  le  duc  de  Guise, 
pair  et  grand  maitre  de  France.  >>  (/6W.,  fol.  445.) 


LA  RÉSURRECTION  DE  LA  LIGUE  211 

Saint-Marcel,  Saint-Jacques,  Saint-Germain.  Ce  ne  sont 
plus  uniquement  les  hôteliers  qui  doivent  espionner  leurs 
hôtes  pour  le  compte  de  la  police  :  «  le  roy  veult  aussi 
que  les  bourgeois  de  chacun  quartier,  de  quelque  qualité 
qu^ilz  soient,  et  sans  nul  excepter,  soient  tenuz,  à  Tinstànt 
mesme  qu'il  viendra  quelqu'un  en  leur  maison  ou  chambre, 
le  déclairer  et  en  apporter  le  nom  et  de  ses  serviteurs  et 
nombre  de  chevaux  au  dixinier  ».  Quotidiennement,  chaque 
dizainier  apportera  à  l'Hôtel  de  Ville  un  rôle  des  entrées 
et  sorties,  et  l'Hôtel  de  Ville,  quotidiennement  aussi,  fera 
faire  pour  le  gouverneur  de  Paris,  qui  en  référera  au  roi, 
un  résumé  de  ces  rôles.  Défense  est  faite  aux  bateliers, 
sous  peine  de  punition  corporelle^  «  de  passer  et  repasser 
l'eau  en  ceste  ville  et  à  deux  lieues  à  la  ronde,  depuis 
huit  heures  du  soir  jusques  à  quatre  heures  du  matin  ;  et 
seront  ostez  tous  les  basteaux  qui  sont  èsH3nviron  de  ceste 
Ville  *  ».  Quelques  jours  plus  tard,  le  29  mars,  le  prévôt 
des  marchands  mande  aux  quartiniers  :  «  Faictes  avec 
voz  cinquanteniers  et  diziniers  de  chacune  dizaine,  assem- 
blées des  habitans  de  chacune  d'icelles  dizaines  de  vostre 
quartier  en  vostre  maison  ou  bien  de  Tun  des  plus  appa- 
rens  dudict  quartier  pour,  après  le  serment  par  eulx  preste 
ès-mains  du  plus  notable  et  qui  présidera  en  icelle  assem- 
blées, procedder  à  l'eslection  desdicts  capitaines,  pour,  la 
dicle  eslection  faicte,  nous  rapporter  les  noms,  surnoms 
et  qualitez  de  ceulx  qui  auront  esté  ainsi  esleuz,  et  nV 
faictes  faulte  \  »  D'autres  ordres  enjoignent  à  des  capitaines 
nominativement  désignés  d'occuper  telle  ou  telle  porte  avec 
leurs  dizaines  '.  De  leur  côté,  les  quartiniers  sont  invités 

1.  Rko.  h,  1788  bis,  fol.  414. 

2.  Ibid.y  ^  441. 

3.  Nous  avons  déjà  dit  que  c^était  par  erreur  que  certains  historiens  de 
Paris  avaient  cru  devoir  attribuer  aux  'ligueurs  de  i588  la  substitution 
dans  le  commandement  de  la  milice  des  colonels,  capitaines,  etc.,  aux 
quartiniers  et  dizainiers.  Dès  1562,  chaque  dizaine  est  placée  sous  le  com- 


âl2  PARIS  ET  LA  LIGUE 

le  1®'  avril  à  «  fedre  perquisition  des  armes  dont  les  bour- 
geois sont  fournys  et  que  ceulx  qui  n'en  auront  suffisam- 
ment ilz  aient  à  leur  enjoindre  d'eulx  en  garnir  dedans 
vingt-quatre  heures,  sur  peine  de  dix  escus  d'amende  cha- 
cun ».  A  la  date  du  2  avril,  le  Bureau  de  la  Ville  envoya 
aux  quartiniers  «  le  règlement  imprimé  faict  par  le  roy  » 
et  signé,  en  effet,  de  lui,  sous  la  date  du  3  ^  Les  quarti- 
niers devaient  transmettre  le  contenu  de  ces  ordres  aux 
capitaines  de  leurs  quartiers  respectifs.  Le  règlement  du 
3  avril  1585  est  fort  intéressant  à  étudier,  en  ce  qu'il 
donne  des  renseignements  très  précis  sur  les  cadres  de  la 
milice  municipale  '. 

mandement  mililaire  d'un  capitaine,  élu  par  les  habitants  du  quartier,  ri 
dès  1568  il  y  seize  colonels  placés  à  la  tête  des  seize  quartiers.  (Voy.  notre 
Histoire  municip,,  p.  536  et  suivantes.)  Le  passage  de  Nicolas  Poulain 
rapporté  par  Leroux  de  Lincy  {Histoire  de  P Hôtel  de  Ville  de  Paris ^  !'•  partie, 
p,  200)  concerne  un  projet  d'organisation  révolutionnaire  des  quartiers 
en  1588,  qui,  pour  être  calqué  sur  l'organisation  officielle,  n'en  est  pas 
moins  tout  à  fait  distinct.  Il  en  était  si  bien  distinct  qu'il  comprend 
cinq  quartiers,  au  lieu  de  seize.  Présenté  au  nom  du  duc  de  Guise  par 
le  sieur  de  la  Chapelle,  il  n'est  pas  difficile  de  voir  que  le  sectionne- 
ment de  Paris  en  cinq  circonscriptions  correspond  &  la  première  répar- 
tition des  quartiers  entre  les  cinq  délégués  du  comité  d'action  de  1585, 
dont  parle  le  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant. 

1.  Voici  le  titre  exact  du  règlement  que  nous  ont  conservé  les  Registres 
de  la  Ville,  H,  1788  bis,  t*  447  :  Ordre  et  reiglement  que  le  Roy  veult  et 
ordonne  estre  gardé  et  observé  par  les  cappitaines^  bourgeois  de  sa  bonne 
ville  et  ailé  de  Paris,  esleuz  par  Sa  Majesté  pour  son  service  et  conservation 
de  ladicte  Ville  et  bourgeois  dicelle  soulz  son  obéissance. 

2.  «  Après  que  les  cappitaines  et  lieutenans  auront  esté  esleuz  »,  le 
mandement  du  29  mars  a  dit  comment,  chaque  capitaine  choisira  nn 
enseigne,  puis  avec  les  cinquanteniers  et  dizainiers  «  ira  en  personne  par 
toutes  les  maisons  ou  il  fera  description  de  tous  les  maistres  et  serviteurs 
pou  vans  porter  les  armes  n.  Puis  le  capitaine  comptera  les  hommes  de  sa 
dizaine  et  se  procurera  les  armes  nécessaires.  Il  nommera  des  sergens  de 
bandes  qui  porteront  la  hallebarde,  et  «  les  caporaux  qu'il  trouvera  les 
plus  capables,  qui  auront  vingt  hommes  soulz  leur  escouade,  et  chacun 
sergent  aura  deux  escouades  ».  C'est  aussi  par  les  soins  des  capitaines 
que  sont  posées  les  sentinelles  de  nuit  et  que  sont  désignés  les  bourgeois 
à  tour  de  rôle  pour  veiller  k  la  garde  des  portes.  Ceux  qui  ne  répon- 
draient pas  à  l'appel  seront  frappés  d'une  amende  de  deux  écus,  applicable 
«  pour  le  bois  et  chandelle  qu'il  conviendra  avoir  pour  servir  ès-corps 
de  garde  ».  Avant  de  fermer  la  porte  confiée  à  sa  surveillance,  le  capi- 
taine détachera  trois  ou  quatre  hommes  au  dehors  «  pour  veoir  s'il  n'y  a 
point  quelques  gens  de  mauvaise  volonté  »  et  l'on  sonnera  «  le  tabouriu 
hors  la  porte  pour  advertir  ceulx  du  dehors  qui  vouldroient  entrer  en 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  213 

Telles  étaient  les  mesures  auxquelles  Henri  III  s'était 
arrêté  pour  se  défendre  contre  les  Guises;  mais  il  n'avait 
pas  une  confiance  absolue  dans  le  dévouement  de  la  milice 
municipale.  «  Comme|  si,  écrit  TEstoile  au  début  du  mois 
d'avril  1585,  comme  si  le  Roy  se  fust  aucunement  desfié 
des  bourgeois  de  Paris  et  de  leur  garde,  envoie  de  jour  à 
autre  les  seigneurs  de  Chavigni,  Le  Curton,  de  Sennetaire 
et  des  Arpentis,  passer  par  lesdites  portes  et  espier  les 
actions  et  contenance  de  ceux  qui  sont  en  garde.  Et  y  va 
lui-mesme  quelquefois,  bien  accompagné  *.  »  Après  la  prise 
de  Cbâlons  par  le  duc  de  Guise,  le  roi  prit  même  une  réso- 
lution plus  énergique.  «  Bien  adverti  que  la  pluspart  des 
marchans  et  du  menu  peuple  de  sa  ville  de  Paris  tenoit 
le  parti  de  la  Ligue  et  afféctionnoit  les  desseins  des  Guises  », 
il  destitua  brusquement  tous  les  capitaines  et  lieutenans 
élus  de  la  milice  et  les  remplaça  par  «  ses  officiers  de  robbe 
longue  et  de  robbe  courte,  tant  qu'il  ne  peust  descouvrir, 
espérant  plus  fidèle  et  asseuré  service  de  ses  officiers  qui 

ladicte  Ville  •.  Si  le  service  le  requiert,  «  qui  demeure  la  nuict  à  coucher 
sur  la  porte  »  aura  la  faculté  d'ouvrir  le  guichet  dont  il  a  la  clef,  mais 
jamais  la  grande  porte,  dont  la  clef  d'ailleurs  n'est  pas  entre  ses  mains; 
encore  le  guichet  ne  peut-il  être  ouvert  qu'avec  précaution  et  après 
reconnaissance  des  individus  qui  désirent  entrer.  Dans  ce  cas,  le  pro- 
chain corps  de  garde  sera  prévenu.  Des  sentinelles  seront  postées  sur  les 
remparts,  et  relevées  d'heure  en  heure  et  f^congneuz  par  les  sergens.  En 
prévision  d'une  alarme,  un  certain  nombre  de  points  de  concentration 
sont  désignés  d'avance  aux  officiers  de  la  milice  et  ils  savent  ainsi  où  ils 
auront  &  se  rendre.  L'art.  7  du  règlement  établit  un  nouveau  mode  de 
nomination  des  colonels,  à  raison  d'un  colonel  par  quartier  :  •  Afin  que 
les  commandemens  du  roy  soient  plus  facilement  exécutez,  sera  bon  que 
tous  les  cappitaines  et  lieutenans  s'assemblent  en  leurs  quartiers,  afin 
d'eslire  ung  colonnel,  auquel  les  commandemens  s'adresseront  pour 
advertir  tous  les  aultres  cappitaines  du  quartier,  afin  que,  s'il  survient 
quelque  chose  de  pressé,  messieurs  les  prévost  des  marchans  et  les  échevins, 
au  lieu  qu*ilz  auroient  h  faire  plus  de  sept  vingtz  commandemens,  ilz  n'en 
auront  plus  à  faire  que  seize  qui  advertiront  tout  le  reste.  »  Registre.  Ibid, 
Il  est  vrai  qu'en  vertu  d'une  déclaration  du  5  août  1567  Charles  IX  avait 
déjà  confié  à  seize  chefs  militaires  le  commandement  des  quartiers  de 
Paris  (voy.  Hist.  munie,  p.  537,  note  I),  mais  Charles  IX  ne  s'en  était 
pas  remis  aux  capitaines  et  aux  lieutenants  du  soin  d'élire  leurs  colonels. 
H  les  avait  désignés  lui-même,  sur  une  liste  de  trois  candidats  par  quar- 
tier, dressée  par  le  Bureau  de  la  Ville. 
l.T.  Il,  p.  i87. 


214  PARIS  ET  LA   LIGUE 

lui  avoieni  preste  le  serment  de  fidélité  et  estoient  à  ses 
gages  que  d'autres  simples  bourgeois  de  Paris  *  »;  mais, 
en  même  temps,  Henri  III  envoyait  sa  mère  en  Champagne, 
avec  rarchevêque  de  Lyon,  pour  négocier  un  accommo- 
dément  entre  le  duc  de  Guise  et  la  royauté  chancelante. 
Tandis  que  le  duc  de  Montpensier  se  rend  dans  le  Poitou 
pour  faire  tête  aux  levées  du  duc  de  Mercœur,  gouverneur 
de  Bretagne  ;  tandis  que  Joyeuse  va  combattre  le  duc  d'El- 
bœuf  sur  la  Loire  et  le  poursuit  jusqu'au  Mans,  les  ambas- 
sadeurs des  Provinces-Unies  sont  poliment  congédiés  avec 
une  bonne  recommandation  pour  la  reine  d'Angleterre.  Le 
roi  de  Navarre  en  était  réduit  à  écrire  à  la  reine  mère  pour 
la  prier  au  moins  de  rester  neutre  et  de  ne  rien  stipuler 
au  préjudice  des  huguenots  dans  les  négociations  com- 
mentées avec  les  Guises.  C'est  une  confusion  inexprimable  ; 
les  manifestes  s'entrechoquent,  les  villes  se  déclarent  qui 
pour  le  roi,  qui  pour  la  Ligue.  D'Entragues,  gouverneur 
d'Orléans,  livre  à  l'Union  cette  ville  et  canonne  le  maréchal 
d'Âumont  et  le  duc  de  Montpensier,  qui  ramènent  piteuse- 
ment les  troupes  royales  à  Paris  (7  avril).  François  Man- 
delot,  gouverneur  de  Lyon,  provoque  une  émeute  catho- 
lique qui  se  rend  maîtresse  de  la  citadelle  et  la  détruit  de 
fond  en  comble  (S  mai).  Bordeaux  reste  fidèle,  grâce  à 
l'énergie  du  maréchal  de  Matignon,  qui  prend  possession 
du  château  Trompette  *.  Marseille  aussi  a  été  replacée 
sous  l'autorité  royale  par  quelques  citoyens  résolus  et  le 
bâtard  d'Angoulême,  gouverneur  de  Provence  (13  avril). 
Henri  III  hésite,  très  troublé;  que  faire  entre  le  roi  de 
Navarre,  la  vieille  Catherine,  les  Guises,  le  nouveau  pape. 
Sixte  V,  ce  dur  cordelier  qui  vient  de  remplacer  Gré- 


i.  L'EsTOiLE,  t.  II,  p.  187. 

2.  Construit  eo  1454  par  Charles  VU,  en  même  temps  que  le  fort  du  HA, 
pour  tenir  en  respect  la  population  de  Bordeaux.  Le  chAteau  Trompette  a 
été  démoli  en  1816. 


LA   RÉSURREC1I0N  DE  LA  LIGUE  215 

goire  XIII  *?  Aucun  conseil  viril  :  crEpemon  est  malade  à 
Sainl-Germain  (7  mai)  «  d'un  chancreux  mal  de  gorge  ». 
(i'est  donc  Catherine  qui  va  l'emporter.  Appuyée  par  ses 
créatures  Villeroi,  Bellièvre,  Cheverni,  elle  détaille  avec 
exagération  les  forces  de  la  Ligue  et  montre  ce  Paris  ter- 
rible qui,  comme  un  volcan  à  la  veille  d'une  inmiense  érup- 
tion, fait  entendre  dans  ses  profondeurs  le  grondement  de 
ses  fleuves  de  feu  et  de  ses  torrents  de  lave.  En  même 
temps  (10  juin),  le  cardinal  de  Bourbon  et  les  princes 
catholiques  adressent  au  roi  une  sorte  d'ultimatum,  le  som- 
mant d'accorder  un  édit  *  qui  proclame  l'unité  de  religion 
et  de  «  jurer  et  protester  en  son  parlement  de  Paris,  après 
la  lecture  et  publication  de  l'Edict,  estant  assisté  des  pairs 
et  officiers  de  la  couronne,  que  c'est  son  intention  de  le 
faire  perpétuellement  et  inviolablement  garder  ».  A  cette 
insolente  mise  en  demeure,  les  princes  ajoutaient  un  nouvel 
outrage,  en  demandant  au  roi  de  confier  aux  forces  de 
rUnion  le  soin  d'assurer  l'exécution  de  l'édit,  parce  que 
Texpérience  avait  prouvé  qu'il  était  arrivé  à  Henri  III  de 
révoquer  jusqu'à  cinq  édits  du  même  genre  très  peu  de 
temps  après  leur  promulgation.  Les  princes  terminaient  on 
offrant  au  roi  de  remettre  entre  ses  mains  toutes  les  charges 
dont  ïl&  étaient  titulaires  «  et  se  retirer,  comme  personnes 
privées,  en  leurs  maisons  pour  y  finir  leurs  jours  ».  Ces 
hypocrites  déclarations  pouvaient  éblouir  le  vulgaire,  mais 
Henri  III  avait  trop  de  finesse  pour  s'y  laisser  prendre^ 

1.  «  Ce  Pape  (Grégoire  Xni)  n*avoit  jamais  adhéré  à  la  levée  des  armes 
de  la  Ligue  et,  peu  de  jours  avant  sa  mort,  avoit  dit  au  cardinal  d'Esté 
que  la  Ligue  n'auroit  ni  bulle,  ni  bref,  ni  lettres  de  lui,  jusques  à  ce  qu'il 
vit  plus  clair  en  leurs  brouilleries.  •  L'Estoilb,  t.  H,  p.  190. 

2.  Voici  le  titre  de  cet  ultimatum  qui  est  reproduit  dans  les  Mémoires  de 
Seversy  t.  T,  p.  681  :  «  Requeste  au  roy  et  dernière  résolution  des  princes, 
seigneurs,  gentilshommes,  villes  et  communautez  catholiques,  présentée  & 
la  reine  mère  de  Sa  Majesté,  le  dimanche  neuvième  juin  1585.  Pour  mon- 
trer clairement  que  leur  intention  n'est  autre  que  la  promotion  et  ad%'an- 
«ement  de  la  gloire,  honneur  de  Dieu  et  extirpation  des  hérésies,  sans 
rien  attenter  à  l'Estat,  comme  faussement  imposent  les  hérétiques  mal 
iscntans  de  la  foy,  et  leurs  partisans.  » 


316  PARIS  ET  LA   LIGUE 

d'autant  que  le  roi  de  Navarre  lui  envoyait  de  Nérac  des 
lettres  infiniment  instructives.  Néanmoins,  la  peur  l'em- 
porta, et  le  7  juillet  1585  Catherine  signa  à  Nemours,  au 
nom  de  son  fils,  une  convention  qui  était  une  véritable 
capitulation  de  la  royauté  *.  Le  roi  s'engageait  à  proscrire- 
la  religion  nouvelle  par  un  édit  perpétuel  et  irrévocable,  à 
chasser  de  France,  dans  le  délai  d'un  mois,  tous  les 
ministres  protestants,  à  priver  tous  les  hérétiques  des 
emplois  qu'ils  occupaient,  notamment  dans  les  parlements, 
h  donner  une  garde  d'honneur  payée  par  le  roi  à  chacun 
des  princes,  en  conservant  leurs  grades  et  fonctions  à  tous 
les  gouverneurs  et  capitaines  qui  avaient  suivi  le  parti  de 
la  Ligue.  Des  places  de  sûreté  étaient  accordées  à  tous  les 
chefs  du  parti  :  Guise  recevait  Verdun,  Toul,  Saint-Dizier, 
Châlons;  le  cardinal  de  Bourbon,  Soissons;  le  duc  de  Mer- 
cœur,  Dinanet  le  Conquest;  le  duc  de  Mayenne,  le  château 
de  Dijon  et  le  ch&teau  de  Beaune;  le  duc  d'Aumale,  Rue; 
le  duc  d'Elbœuf,  le  gouvernement  du  Bourbonnais.  En 
revanche.  Sa  Majesté  ordonnait  «  que  les  villes  qui  avoient 
esté  baillées  en  garde  à  ceux  de  la  nouvelle  religion  pour 
leur  sûreté  seroient  incontinent  après  la  publication  de 
redit,  mises  en  liberté  et  que  les  garnisons  en  vuideroient 
incessamment  ».  En  conformité  des  articles  signés  k 
Nemours,  le  roi  donna  un  édit,  sous  forme  de  lettres  pa- 
tentes, qu'il  s*était  obligé  à  faire  enregistrer  dans  tous  les 
parlements  du  royaume.  «  Cet  édit  que  la  force  arracha  k 
Henri,  écrit  de  Thou  •,  fut  reçu  bien  diversement.  Les  gens 
sages  qui  aimoient  la  paix,  le  regardèrent  comme  le  pré- 
sage des  malheurs  qui  alloient  fondre  sur  le  roi  et  sur  le 
royaume.  Au  contraire,  il  fut  reçu  du  peuple  avec  un  applau- 

1.  Ooen  trouve  le  texte  dans  les  Mémoires  de  Nevers^  t.  I,  p.  686.  LMntî- 
tulé  de  la  convention  de  Nemours  est  ainsi  conçu  :  Articles  accordez  à 
Nemours,  au  nom  du  roy,  par  la  reine  sa  mère,  avec  les  pnnces  et  seigneurs 
de  la  Ligue,  en  présence  du  duc  de  Lorraine.  » 

2.  //f>/.  vniv.,  l.  IX,  p.  329. 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA   LIGUE  217 

dissement  général.  »  Le  23  juin,  veille  de  la  Saint-Jean  \ 
quand  le  roi,  accompagné  de  cent  gentilshommes,  alla  pré- 
sider à  l'embrasement  de  la  pyramide  traditionnelle  de  la 
place  de  Grève,  et  faire  collation  à  THôtel  de  Ville,  il  por- 
tait, si  Ton  en  croit  TEstoile,  «  une  allégresse  au  visage,  de 
Tavis  (conmie  on  présuma)  qu'il  avoit  eu  de  l'accord  fait 
par  la  roine  avec  ceux  de  la  Ligue,  laquelle  il  aimoit  tou- 
tefois aussi  peu  conune  il  faisoit  la  guerre  '  ». 

Le  18  juillet,  Henri  III  se  rendit  au  Parlement  pour  pré- 
sider à  l'enregistrement  de  l'édit.  Tous  |es  présidents  et 
tous  les  conseillers  y  assistèrent  par  ordre  en  robes  rouges; 
la  cérémonie  s'accomplit  au  milieu  d'un  profond  silence  ; 
mais,  quand  le  roi  sortit  du  palais,  quelques  cris  de  Vive  le 
rot!  se  firent  entendre.  Depuis  longtemps  pareille  chose  ne 
s'était  pas  vue  à  Paris;  mais  »  on  découvrit,  dit  TEstoile, 
que  ceste  acclamation  avoit  esté  faite  par  personnes  atti- 
trées et  apostées  par  les  Ligneux,  et  qu'on  avoit  donné  de 
l'argent  à  quelques  crocheteux  et  faquins  pour  ce  faire  et 
de  la  dragée  à  force  petits  enfants.  On  nommoit  le  prési- 
dent de  NuUi,  entre  autres,  qui  s'estoit  chargé  de  ceste 
commission.  » 

Comment  fut  accueillie  à  Paris  la  conclusion  du  traité 
de  Nemours,  qui  était  une  véritable  convention  de  guerre 
entre  le  roi  et  la  Ligue  contre  les  protestants?  La  popula- 
tion parisienne  ne  comprit  pas  tout  d'abord  la  portée  d'un 
pareil  acte.  Elle  allait  au  Te  Deum  de  la  Sainte-Chapelle 
et  à  celui  de  Notre-Dame  en  disant  :  C'est  le  «  Te  Deum  de 
la  paix  ».  On  ne  voyait  que  le  résultat  immédiat  :  Tallége- 

1.  Rappelons  que  chaque  année,  la  veille  du  jour  de  la  Saint-Jean,  la 
municipalité  parisienne  faisait  allumer  un  feu  de  joie  sur  la  place  de 
Grève.  Cet  usage  parait  remonter  au  xii«  siècle.  (Voir  dans  la  collection 
Leber,  t.  VHI,  p.  472,  deux  lettres  de  Tabbé  Lebœuf  sur  Vorigine  des  feux 
de  la  Saint-Jean.)  Au  xvi*  siècle,  la  cérémonie  du  feu  de  la  Saint-Jean 
avait  pris  une  grande  importance.  C'était  Toccasion  d'un  grand  banquet 
ou  collation  donné  au  roi  et  &sa  cour  par  la  Ville  de  Paris. 

2.  T.  H,  p.  199.  L'EsTOiLi. 


218  PARIS   ET  LA   LIGUE 

ment  du  service  de  garde  aux  portes  et  aux  tranchées.  Et  ce 
service  était  devenu  bien  lourd.  Le  22  juin,  quelques  jours 
avant  la  signature  de  la  convention  de  Nemours,  le  roi  avait 
encore  demandé  à  THôtel  de  Ville  de  lui  fournir  quatre  mille 
hommes  pour  la  garde  des  tranchées.  Dans  une  assemblée 
des  prévôt  des  marchands,  échevins  et  des  colonels  de  la 
Ville,  il  avait  été  décidé  que  les  colonels  se  concerteraient 
avec  les  capitaines  de  leurs  quartiers  respectifs,  les  quar- 
tiniers,  cinquanteniers  et  dizainiers  pour  arrêter  le  nombre 
d'hommes  que  chaque  capitaine  aurait  à  fournir  ^  En 
outre,  le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins  étaient 
astreints  à  çlc  fréquentes  visites  aux  portes,  notamment  à 
la  porte  Saint- Antoine,  où  il  y  avait  presque  constanunent 
un  poste  d'archers  de  la  Ville,  sous  le  commandement 
direct  de  Tun  des  échevins.  L'entente  faite  avec  la  Ligue 
eut  pour  avantage  de  délivrer  les  Parisiens  de  ces  lourdes 
obligations.  Un  règlement  royal,  en  date  du  29  juillet, 
«  considérant  que  les  trouppes  qui  s'estoient  eslevées  sont 
maintenant  retirées,  et  les  troubles  à  l'occasion  desquelz 
elles  estoient  eslevées,  pacifiés  »,  dispensa  en  partie  les 
capitaines  de  la  milice  et  les  bourgeois  de  la  garde  des 
portes,  les  quartiniers  devant  toutefois  en  conserver  les 
clefs  chez  eux;  les  habitants  purent  quitter  Paris  sans  pas- 
seports, à  condition  qu'ils  ne  formeraient  pas  un  groupe 
de  plus  de  six  personnes  et  ne  porteraient  pas  d'armes. 
Enfin,  le  prévôt  des  marchands  fut  déchargé  de  la  garde 
des  poudres  déposées  au  Temple.  On  retrouve  quelque 
chose  des  impressions  d'une  partie  au  moins  de  la  popula- 
tion parisienne  dans  la  harangue  que  le  prévôt  des  mar- 
chands fit  à  la  reine  mère  au  retour  de  son  voyage  diplo- 
matique couronné  par  les  articles  de  Nemours  '. 

1-Rbo.  h,  1788  6w,  ^  472. 

2.  «  Messieurs  les  prévôt  des  marchans  et  eschevins  de  la  Ville»  disent 
les  Registres,  aians  esté  ad?ertys  que  la  royne-mère  du  roy  estoit  de 


LA  RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  219 

Les  Parisiens  s'étaient  bien  trompés  en  croyant  que  la 
paix  avec  la  Ligue  allait  rendre  la  tranquillité  à  la  capitale 
et  permettre  aux  bourgeois  de  faire  des  économies  par  le 
travail  et  le  négoce.  Ils  oubliaient  que  la  paix  avec  la 
Ligue,  c'était  aussi  la  reprise  de  la  guerre  avec  le  terrible 
roi  de  Navarre,  qui,  à  la  nouvelle  de  la  révocation  des 
édits  de  tolérance,  avait  écrit  à  Henri  III  dans  les  termes 
les  plus  énergiques  pour  lui  reprocher  son  manque  de  foi  *. 
Le  Béarnais  ne  s'était  pas  borné  à  faire  entendre  de 
vaines  protestations  :  il  redoubla  ses  instances  auprès  du 
duc  Henri  de  Montmorency,  gouverneur  du  Languedoc, 
qui  déjà  avait  refusé  de  pactiser  avec  la  Ligue.  Avec  Tas- 
retour  de  ses  voyages  d*Espernay  et  de  Nemours,  où  elle  esloit  allée,  dès 
le  commencemeut  d'avril  dernier,  pour  la  paciffication  des  troubles  où  elle 
avoit  tant  travaillé  qu'elle  les  avoit  enfin  accordez  et  paciffiez,  et  estoit  à 
présent  à  son  chasteau  de  Sainct-Maur  et  debvoit  venir  cejourdhuy,  quin- 
ziesme  du  présent  mois  de  juillet  en  ceste  ville...  »  décidèrent  d'aller 
a  remercier  et  congratuler  ladite  dame  »  et  de  Tattendre  à  la  porte  Saint- 
Antoine  «  avec  le  plus  de  bourgeois  qu'il  seroit  possible  ».  Le  corps  de 
Ville  monta  donc  à  cheval  et  rencontra  la  reine  mère  à  la  Croix-Sainte- 
Catherine,  vers  neuf  heures  du  matin.  Voici  dans  quels  termes  le  prévôt 
des  marchands  félicita  la  négociatrice  d'avoir  livré  à  la  Ligue  le  gouver- 
nement du  royaume  :  «  Madame,  les  trois  estaz  de  la  Ville  de  Paris,  cap- 
pitalle  de  ce  royaume,  représentez  par  nous  prévost  des  marchands  et 
eschevins,  accompaignez  de  ce  nombre  de  bourgeois,  vous  saluent  en 
toute  humilité,  louent  Dieu  et  le  remercient  de  vostre  heureux  retour, 
recongnoissent  combien  ce  royaume,  mesme  cette  ville,  vous  doibt  pour 
puis  vingt-cinq  ans,  autant  qu'il  vous  a  esté  possible,  l'avoir  conservé  et, 
s'il  fault  dire,  retiré  d'une  infli\ité  de  foulles  et  oppressions;  et  aujour- 
d'huy,  par  vos  prudentes  remontrances  et  adviai  sans  y  espargaer  aucune 
chose  de  ce  qui  concernoit  vostre  repos,  l'avoir  rachepté  d'une  ruine  et 
lotalle  éversion  par  une  saincte  unyon  de  princes  avec  la  majesté  du  roy, 
nostre  souverain  et  naturel  seigneur,  pour  y  faire  régner  comme  aultrefois 
la  religion  catholicque,  apostolicque  et  romaine.  Espérans,  pour  l'asseu- 
rance  et  congnoissance  que  nous  avons  de  Vostre  Majesté,  que  ne  vous 
lasserez  que  n'aiez  ramené  en  icelle  noz  aultres  princes  soubz  la  race 
desquelz  elle  est  augmentée  et  accrue  à  Thonneur  de  Dieu  et  de  son 
Église,  pour,  en  son  obéissance  et  du  roy  nostre  souverain  seigneur,  finir 
noz  jours,  de  quoy  nous  luy  faisons  prières  en  toute  humilité  et  si  longue- 
ment prolonger  vostre  vie  que  puissiez  veoir  lignée  à  nostre  roy,  aagée 
pour  commander  après  luy  &  nous  tous  ses  subjebtz,  très  humbles  et  très 
affectionnez  serviteurs  de  Vostre  Majesté,  qui,  derechef  vous  saluans, 
disent  que  soiez  la  bienvenue,  nous  apportant  la  paix,  à  l'honneur  de  Dieu, 
contentement  de  noz  maistres,  soulagement  et  ropos  du  peuple.  »  Reg. 
H,  1188  bis,  r>*  475  et  476. 
i.  DbThou,  t.  IX,  p.  327.' 


â!20  PARIS  ET  LA   LIGUE 

sistancc  du  prince  de  Condé,  il  décida  le  duc,  que  de  Thou 
appelle  «  le  plus  grand  seigneur  du  royaume  »,  à  se  pro- 
noncer ouvertement  contre  les  Guises.  En  conséquence,  le 
roi  de  Navarre,  le  prince  de  Condé  et  le  duc  de  Montmo- 
rency se  réunirent,  le  10  août  1585,  à  Saint-Paul  de  Cade- 
jous,  en  Lauraguez,  à  deux  lieues  de  Lavaur,  et  publièrent 
un  manifeste  où  les  auteurs  de  la  Ligue  étaient  qualifiés 
«  d'ennemis  du  roi,  de  la  famille  royale  et  de  TEtat  ». 
Après  quoi,  le  roi  de  Navarre  et  le  prince  de  Condé  se  ren- 
dirent en  Guyenne,  et  Montmorency  en  Languedoc  pour 
s'occuper  des  préparatifs  de  la  guerre. 

Henri  III  comprenait  tout  l'odieux  de  sa  déloyauté 
envers  le  roi  de  NaVarre.  Il  ne  s'était  «  rendu  que  par 
force  ennemi  des  Bourbons  et  des  réformés,  se  couchant 
de  peur  d'être  abattu  *  »  ;  et  il  se  promettait  bien  de  faire 
payer  cher  à  ses  bons  sujets  catholiques  la  nécessité  de 
s'humilier  devant  les  Guises.  Le  il  août,  le  roi  mit  la  Ville 
de  Paris  en  demeure  de  lui  fournir  120,000  écus  en  don  '. 
Le  même  jour,  eut  lieu  au  Louvre  une  de  ces  comédies 
où  Henri  III  excellait.  Il  déclara  au  premier  président  du 
Parlement,  M.  de  Harlay,  au  prévôt  des  marchands  et  au 
doyen  de  la  cathédrale,  en  présence  du  cardinal  Louis  de 
Guise,  qu'il  était  ravi  d'avoir  suivi  les  bons  conseils  de  la 
Ligue,  mais  que,  pour  triompher  de  l'hérésie,  il  avait  besoin 
de  trois  armées,  l'une  devant  rester  auprès  de  lui,  la  seconde 
se  rendre  en  Guyenne,  et  la  troisième  se  porter  aux  fron- 
tières de  l'Est  pour  empêcher  les  corps  allemands  d'entrer 


1.  D'AuBiGNÉ,  Hist.  univ.j  col.  1183,  édit.  in-f»  de  1G26.  Le  roi  de  France 
essaya  de  s'excuser  auprès  du  roi  de  Navarre,  autinel  il  eavoya,  dès  la 
publication  de  Tédit,  une  ambassade  composée  du  cardinal  de  Lenoncourt, 
du  sieur  de  Poigny  et  de  Nicolas  Brulart,  président  aux  enquêtes.  Les 
en%'oyés  du  roi  arrivèrent  à  Nérac  le  25  août  1585.  Au  cardinal  de  Lenon- 
court qui  le  pressait  de  se  convertir  au  catholicisme  et  de  rendre  à 
Sa  Majesté  les  villes  de  sûreté,  Henri  de  Navarre  répondit  par  un  double 
refus. 

2.  Rfc.  Il,  ns8  hfs,  f-  483. 


LA   RÉSURRECTION   DELA  LIGUE  331 

en  France.  «  C'est  contre  mon  avis,  conclut-il,  que  j'ai 
entrepris  cette  guerre...  et  puisque  vous  n'avez  pas  voulu 
me  croire,  lorsque  je  vous  ai  conseillé  de  ne  point  penser  à 
rompre  la  paix,  il  est  juste  du  moins  que  vous  m'aidiez  à 
faire  la  guerre.  Car,  puisque  ce  n'est  que  par  vos  conseils 
que  je  l'ai  entreprise,  je  ne  prétends  pas  être  le  seul  à  en 
porter  tout  le  faix  '.  »  En  vain,  M.  de  Harlay  voulut  prendre 
la  parole;  le  roi  lui  ferma  la  bouche,  en  le  priant  d'avertir 
ses  collègues  du  Parlement  de  ne  pas  «  lui  rompre  la  tête 
de  leurs  remontrances  au  sujet  de  la  suppression  de  leurs 
gages  ».  Le  prévôt  des  marchands  eut  aussi  son  compli- 
ment. Henri  voulut  bien  lui  apprendre  que  non  seulement 
il  ne  payerait  pas  les  rentes  de  l'Hôtel  de  Ville,  mais  qu'il 
demanderait  beaucoup  d'argent  aux  bourgeois  de  la  capi- 
tale :  «  Assemblez  ce  matin  les  bourgeois  de  ma  bonne 
Ville  de  Paris,  et  leur  déclarez  que,  puisque  la  révocation 
de  redit  leur  a  fait  tant  de  plaisir,  j'espère  qu'ils  ne  seront 
pas  fâchés  de  me  fournir  deux  cent  mille  écus  d'or  dont 
j'ai  besoin  pour  cette  guerre.  Car,  de  compte  fait,  je  trouve 
que   la   dépense  montera  à   quatre  cent  mille  écus  par 
mois.  »  Puis,  se  tournant  vers  le  cardinal  de  Guise  avec 
un  visage  plein  de  haine,  il  lui  jeta  ses  paroles  :  «  Vous 
voyez,  monsieur,  que  je  m'arrange  et  que  de  mes  revenus, 
joints  à  ce  que  je  tirerai  des  particuliers,  je  puis  espérer 
de  fournir  pendant  le  premier  mois  à  l'entretien  de  cette 
guerre.  Car  je  ne  prétends  point  être  seul  chargé  de  ce 
fardeau  ni  me  ruiner  pour  cela.  Et  ne  vous  imaginez  pas 
que  j'attende  le  consentement  du  pape  :   car,  comme  il 
s'agit  d'une  guerre  de  religion,  je  suis  très  persuadé  que 
je  puis  en  conscience  et  que  je  dois  même  me  servir  des 
revenus  de  l'Église,  et  je  ne  m'en  ferai  aucun  scrupule. 
C'est  surtout  à  la  sollicitation  du  clergé  que  je  me  suis 

1.  De  Thoc,  t.  IX,  p.  335. 


222  PARIS  ET  L\  LIGUE 

chargé  de  cette  entreprise  ;  c'est  une  guerre  sainte  ;  ainsi 
c'est  au  clergé  de  la  soutenir  *.  »  Le  premier  président,  le 
prévôt  des  marchands  et  le  cardinal  de  Guise  essayèrent 
de  répliquer  à  ces  violentes  menaces  ;  mais  le  roi  les  arrêta 
coirrt  et  les  congédia  sur  ces  mots  :  «  Il  valait  mieux  vous 
contenter  de  la  paix  que  je  vous  avais  donnée.  Aujourd'hui 
que  vous  l'avez  violée,  j'appréhende  bien  que  ceux  que 
nous  cherchons  à  détruire  ne  se  trouvent  plus  disposés  à 
nous  donner  la  loi  qu'à  la  recevoir  de  nous.  » 

Cette  curieuse  conférence  indique  bien  l'état  d'esprit  du 
roi,  au  moment  de  l'alliance  forcée  de  la  monarchie  avec 
la  Ligue.  Il  a  honte  lui-même  de  son  abdication  entre  les 
mains  des  Guises.  Une  révolte  de  son  honneur  de  roi  lui 
inspire  quelques  violentes  paroles  contre  des  alliés  qu'il 
déteste,  mais  dont  il  a  peur.  On  dirait  qu'il  prend  plaisir 
à  faire  pleuvoir  les  menaces  et  les  demandes  d'argent  sur 
le  clergé,  sur  le  Parlement,  sur  l'Hôtel  de  Ville,  et  qu'il 


1.  Le  2  octobre  1585,  le  clergé  de  France  s'assembla  à  Saint-Germain 
des  Prés  pour  délibérer  sur  la  subvention  requise  par  le  roi  afln  de  sou- 
tenir la  guerre  contre  les  huguenots.  Regnauld  de  Beaune,  archevêque 
de  Bourges,  membre  du  Conseil  privé,  harangua  l'assemblée  au  nom  du 
roi.  C'était  «  un  homme  bien  disant  »,  &  ce  qu'assure  FEstoile.  Aussi  le 
clergé,  dans  l'assemblée  du  7  octobre,  accorda  au  roi  120,000  écus  d'avance 
et  une  série  de  subsides  mensuels  jusqu'à  concurrence  de  600,000  écus. 
(Voy.  Félibien,  Hist.  de  la  ville  de  Paris,  t.  II,  p.  1154.)  Mais  Henri  ni  ne 
se  tint  pas  pour  satisfait.  Il  prorogea  rassemblée  jusqu'au  19  juin  1587  et, 
dans  l'intervalle,  travailla  si  bien  le  clergé  par  l'entremise  des  évoques  de 
Noyon  et  de  Saint-Brieuc  qu'il  obtint  1,200,000  écus,  savoir  un  million 
d'or,  provenant  de  l'aliénation  de  50,000  écus  de  rente,  accordée  par 
le  pape,  et  200,000  écus  pour  les  frais,  outre  la  continuation  du  payement 
des  rentes  de  l'Hôtel  de  Ville  pour  dix  ans.  En  retour  de  ces  sacrifices,  le 
clergé  reçut  de  belles  promesses,  au  sujet  de  la  publication  du  concile  de 
Trente,  des  élections  ecclésiastiques,  de  la  modération  des  appels  comme 
d'abus,  etc.  Il  va  sans  dire  que  ces  promesses  restèrent  sans  effet.  Des 
remontrances  présentées,  le  19  novembre  1585,  au  nom  du  clergé,  par 
l'évéque  de  Saint-Brieuc,  Nicolas  Langelier  (Mém,  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  247), 
il  résulte  que,  depuis  vingt-cinq  ans,  le  clergé  avait  fourni  à  la  monarchie 
vingt-cinq  ou  trente  millions,  sous  forme  de  décimes  ou  de  subven- 
tions, sans  compter  les  aliénations  du  domaine  de  l'Église;  il  résulte  aussi 
des  remontrances  qu'aux  termes  du  contrat  de  1580  la  somme  annuelle 
due  par  le  clergé  pour  le  payement  des  rentes  de  la  Ville  s'élevait  à 
1,300,000  Hvres. 


LA   RÉSURRECTION   DE  LA  LIGUE  323 

caresse  le  secret  désir  de  ruiner  les  membres  de  la  Sainte- 
Union,  en  mettant  à  leur  charge  la  solde  d'une  armée  dont 
il  sera  heureux  d'apprendre  la  défaite.  La  crainte  seule 
l'avait  empêché  de  rompre  avec  les  Guises  :  ceux-ci  le 
comprenaient  à  merveille  et  n'y  voyaient  qu'un  motif  de 
plus  de  précipiter  leur  entreprise.  Quant  au  peuple  de 
Paris,  il  méprisait  chaque  jour  davantage  un  prince  qui 
n'apportait  aucun  enthousiasme  dans  la  guerre  à  l'hérésie, 
et  il  tournait  ses  regards  vers  les  chefs  de  la  Ligue,  avec 
une  ardeur  fanatique  qui  conseillait  de  tout  oser. 


CHAPITRE  III 


LES  PRÉPARATIFS   DE   LA  LUTTE 

(Depoifl   la   Convention   de    Nemours   jusqu'aux    Articles    de    Nancy. 

7  juillet   1585  —  féyrier  1588.) 


La  lullc  qui  s'engage  va  être  un  drame  à  cent  actes 
divers  qui  rayonnera  sur  toute  la  France;  mais  c'est  à 
Paris  qu'il  faudra  revenir  pour  en  observer  les  péripéties 
essentielles  et  le  dénouement.  Dès  l'abord,  on  reste  con- 
fondu de  rinégalité  des  forces  en  présence.  Il  y  a  d'un 
côté  Philippe  II  et  ses  richesses,  ses  renommés  capitaines, 
ses  admirables  soldats  ^,  les  jésuites  et  leurs  perfidies,  les 
Guises  et  leurs  puissantes  ressources,  le  clergé  tout  entier 
et  ces  moines  fanatiques  qui  ont  pris  d'assaut  les  chaiires 
de  Paris,  couvrent  la  province  de  leurs  émissaires  et  pèsent 
de  tout  leur  poids  sur  une  populace  ignorante.  De  l'autre, 
un  petit  roitelet  sans  royaume,  pressé  comme  par  deux 
enclumes  entre  le  colosse  de  l'Espagne  et  le  colosse  de  la 
France  ligueuse,  en  quête  d'alliances,  mais  n'en  ayant  pas 
encore,  trahi  par  Henri  III,  frappé  des  foudres  de  l'Église. 
Malgré  son  peu  de  sympathie  pour  l'orgueilleux  roi  d'Es- 
pagne et  pour  les  conspirateurs  de  la  Ligue,  le  successeur 
du  faible  Grégoire  XIII,  l'énergique  cordelier  Sixte-Quint 

1.  Le  prince  de  Parme  a  pris  Anvers  le  17  août  1585,  après  un  siège 
mémorable,  signalé  par  des  prodiges  d'énergie  et  des  travaux  d'art 
gigantesques.  Bruzellesi  Malines,  la  Flandre,  le  Brabant  sont  aux  Espa- 
gnols. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  225 

n'a  pas  cru  pouvoir  refuser  à  la  Ligue  et  au  père  jésuite 
Mathieu,  son  agent,  l'excommunication  du  roi  de  Navarre 
et  du  prince  de  Condé.  Il  a  fait  expédier  la  bulle  le  9  sep- 
tembre 1585,  ^  et  l'affiche,  publiée  à  Rome  le  21  septembre, 
porte  la  signature  de  vingt-cinq  cardinaux. 

La  nouvelle  de  l'exconmiunication  du  Béarnais  éclata 
comme  un  coup  de  foudre  dans  la  capitale.  C'était  le  mot 
d'ordre  qu'attendait  depuis  longtemps  la  faction  cléricale 
pour  recommencer  sa  campagne  non  seulement  contre 
l'héritier  du  trône  des  Valois,  mais  contre  ceux  qu'elle 
représentait  au  peuple  comme  les  secrets  complices  des 
huguenots,  c'est-à-dire  contre  Henri  III  lui-même  et  le 
duc  d'Ëpernon  qui  avait  toujours  engagé  son  maître  à 
écraser  la  Ligue.  Enhardis  par  l'impunité,  les  prédica- 
teurs perdirent  toute  mesure  *.  On  sait  comment,  loin  de 
se  laisser  abattre  par  les  foudres  pontificales,  le  Béarnais 
rendit  trait  pour  trait,  et  fit  afficher  sur  le  piédestal 
des  statues  de  Pasquin  et  de  Marforio  et  dans  les  lieux 
les  plus  fréquentés  de  la  ville  éternelle,  une  opposi- 
tion à  la  bulle  dont  le  ton  n'avait  rien  de  diplomatique, 
puisque  cette  philippique  endiablée  traitait  le  pape  d'Anté- 
christ ' . 


1.  Telle  est  la  date  donnée  par  l'Estoilb,  t.  II,  p.  210,  et  dans  le  texte  de 
la  traduction  de  la  bnlle  latine  que  reproduisent  les  Mém,  de  la  Ligue, 
t.  I,  p.  214.  D'après  db  Thou  (t.  IX,  p.  369),  la  bulle  aurait  été  expédiée 
dès  le  28  août.  Le  texte  latin  se  trouve  dans  les  Scripta  utriusque  partis, 
Francfort,  1586,  in-8«,  et  à  la  suite  du  Brutum  fulmen,  etc.,  de  François 
Hotman,  réfutation  amère  de  la  bulle.  Elle  fut  traduite  en  1587.  L'éditeur 
des  Mémoires  de  la  Ligue  dit  naïvement,  à  propos  du  Brutum  fulmen  :  «  Il 
y  a  beaucoup  d'érudition  et  de  lumière  dans  cet  ouvrage,  mais  il  est 
trop  satyrique.  L'auteur  aurait  pu  défendre  avec  plus  de  modération  les 
droits  des  souverains  et  épargner  davantage  les  papes.  « 

2.  Voy.  DE  Thou,  t.  IX,  p.  372.  «  Cette  démarche  du  pape,  dit  le  grave 
historien,  fut  comme  l'huile  qu'on  verse  sur  le  feu  et  qui  ne  sert  qu'à 
l'allumer.  » 

3.  L'auteur  de  la  pièce  n'était  autre  que  Pierre  de  l'Estoile,  le  rédacteur 
du  fameux  registre  journal.  Il  l'avoue  lui-même  (t.  II,  p.  212)  en  repro- 
duisant le  texte  de  l'opposition.  Ce  texte  se  trouve  aussi  au  t.  I,  p.  243 
des  Mémoires  de  la  Ligue  et  au  t.  XI,  p.  59  des  Arch.  curieuses.  Dans 
l'édition  de  1603  du  Brutum  fulmen,  on  peut  lire  une  traduction  latine  de 

ROBIQUET.  *  15 


226  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Sixte-Quint,  si  maltraité  dans  le  factum  de  l'excom- 
munié, conçut,  h  partir  de  ce  moment,  la  plus  grande  con- 
sidération pour  un  prince  à  ce  point  audacieux  *.  Il  n'en- 
voya pas  un  écu  à  la  Ligue  et  se  contenta  de  remplacer  son 
nonce  en  France,  Jacques  Ragazzoni,  évêque  de  Bergame  *, 


la  réponse  du  roi  de  Navarre  &  Sixle  V,  qui  a  été  également  insérée  dans 
le  recueil  Scripta  utriusque  partis^  Francfort,  1586.  D'après  Varillas  (Aver- 
tissement sur  Vhistoire  de  Henri  //),  ce  serait  un  gentilhomme  Orléanais, 
Jacques  Bongars,  qui  aurait  affiché  à  Rome  la  traduction  latine  dont  il 
était  l'auteur. 

1.  Db  Thou  dit  tenir  du  marquis  de  Pisani,  ambassadeur  de  France  à 
Rome,  que,  dans  les  fréquents  entretiens  qu'il  avait  avec  Tambassadeur, 
Sixte-Quint  ne  pouvait  se  lasser  de  porter  aux  nues  la  grandeur  d'Ame  et 
la  constance  inallèrable  qui  n'abandonnaient  jamais  le  roi  de  Nayarre.  Le 
pape  ajoutait  qu'il  était  regrettable  que  le  roi  de  France  n'eût  pas  les 
mêmes  qualités.  Hist,  univ.y  t.  X,  p.  378. 

2.  L'attitude  du  Saint-Siège  devant  avoir  forcément  une  grande  influence 
sur  le  développement  ultérieur  du  parti  ligueur  dans  la  capitale,  il  est 
nécessaire  de  donner  ici  quelques  détails,  puisés  à  des  sources  authen- 
tiques, sur  les  rapports  de  Henri  lU  avec  le  nouveau  pape  Sixte  V. 

Le  roi  s'était  d'abord  montré  très  satisfait  de  Télection  de  Félix 
Peretti,  cardinal  de  Montalte,  en  remplacement  de  Grégoire  XIII.  Les 
instructions  données  au  cardinal  d'Est  (petit-fils  de  Louis  XII  par  sa  mère, 
Renée  de  France,  et  qui  résidait  à  Rome  au  milieu  d'une  cour  de  poètes 
dont  faisait  partie  le  Tasse)  prescrivaient  seulement  au  cardinal  et  à  l'am- 
bassadeur Saint-Goard,  marquis  de  Pisani,  d'engager  ceux  des  électeurs 
du  Sacré-Collège  qui  étaient  à  la  dévotion  de  la  France  à  porter  leurs 
suffrages  sur  un  prélat  «  amateur  du  bien  et  repos  de  la  chrétienté  et 
propre  à  celle  fin  pour  tenir  la  balance  égale  entre  les  princes  d'icelle  » 
(lettre  du  roi  au  cardinal  d'Est,  en  date  du  22  avril  1585,  Coll.  Lucas- 
Montigny,  et  Rev.rétrosp.^  2«  série,  t.  VIII,  p.  239).  Le  roi,  toujours  machia- 
vélique, ajoutait  que  si  les  candidats  français  n'avaient  pas  de  chances 
sérieuses,  il  faudrait  avoir  l'air  de  favoriser  le  cardinal  qui  réunirait  la 
majorité,  afin  de  se  faire  ensuite  valoir  auprès  de  lui.  Uenri  III  recom- 
mandait surtout  de  travailler  à  écarter  le  cardinal  de  Mondenis,  sachant 
«  qu'il  a  l'dme  très  espagnole  ».  Après  l'élection  du  cardinal  de  Montalte, 
le  roi  se  montra  très  satisfait  et  se  cot\jouit  avec  le  cardinal  de  Bergame, 
nonce  de  Sa  Sainteté  en  France.  11  chargea  l'ambassadeur  à  Rgme  «  de 
baiser  les  pieds  de  sa  part  à  Sadile  Sainteté  »,  à  laquelle  il  adressa  une  let- 
tre autographe  de  félicitations.  Sixle-Quint,  de  son  côté,  assura  Henri  III 
«  de  sa  paternelle  bienveillance  »  et  le  félicita  d'avoir  rélabli  en  son 
royaume  l'unité  de  religion.  Mais  les  cardinaux  de  Vendôme  et  de  Sens  et 
le  duc  de  Nevers  ne  tardèrent  pas  à  prévenir  le  pape  contre  le  roi.  (Cathe- 
rine Tavait  appris  et  le  constate  avec  amertume  dans  une  lettre  à  l'am- 
bassadeur, du  30  juin  1585.)  Le  rappelde  l'évéque  de  Bergame  et  l'envoi 
de  l'archevêque  de  Nazareth  en  qualité  de  nonce  mirent  le  comble  à  la 
brouille.  Henri  lll,  en  apprenant  le  renvoi  du  marquis  de  Pisani,  fut  outré 
de  colère.  Il  écrit  à  son  ambassadeur^  le  17  août  :  «  Je  n'eusse  jamais 
pensé  que  le  Pape  se  fût  tant  oublié  que  de  me  faire  recevoir  l'injure  qui 
vous  a  été  faite...  »  Pisani  reçut  ordre  de  revenir,  mais  lentement,  pour 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  227 

qui  devait  sa  nomination  à  Grégoire  XIII  et  passait  pour 
un  prélat  conciliant,  par  le  Napolitain  Fabiô  Muerto  Fran- 
gipani,  archevêque  de  Nazareth,  dont  les  instructions 
n'avaient  pas  un  caractère  aussi  pacifique.  Henri  III, 
sachant  que  le  nouveau  nonce  était  entièrement  à  la 
dévotion  des  Guises,  lui  prescrivit  de  s'arrêter  h  Lyon  et 
d'attendre  ses  ordres;  sur  quoi,  le  fougueux  Sixte-Quint 
expulsa  de  Rome  l'ambassadeur  français  Saint-Goard, 
marquis  de  Pisani.  Henri  III  el  le  pontife  finirent  par  se 
réconcilier  :  Pisani  revint  à  Rome  et  le  nonce  Frangipani 
fut  agréé,  mais  l'incident  laissa  quelque  aigreur  et  à  la  cour 
pontificale  et  à  la  cour' de  France. 

Le  Valois  était  d'ailleurs  dans  une  situation  tellement 
fausse  qu'il  ne  savait  plus  quelle  contenance  garder,  non 
seulement  vis-à-vis  du  pape,  mais  vis-à-vis  de  ses  propres 
sujets.  Il  n'avait  pas  osé  s'abstenir  d'envoyer  la  bulle  du 
pape  au  Parlement  de  Paris  et  d'en  requérir  la  vérification, 
bien  que  la  doctrine  de  la  suprématie  «  du  pouvoir  spirituel 
sur  toutes  les  couronnes  terrestres  fût  bien  faite  pour 
blesser  l'orgueil  d'un  prince  absolu.  Mais  le  Parlement 
défendit  mieux  que  lo  souverain  la  dignité  royale  et  l'indé- 
pendance de  la  nation.  Il  adressa  au  roi  des  remontrances 
dont  le  ton  est  très  remarquable  *,  en  ce  que  la  cour  sou- 
veraine se  prononce  avec  une  énergie  extrême  contre  la 


donner  au  pape  le  lemps  de  »  rhabiller  les  choses  »;  car,  au  fond,  le  roi, 
ayant  besoin  de  Tautorisation  pontiflcale  pour  aliéner  le  temporel  de  TÉglise 
de  France,  trouvait  que  la  rupture  avec  le  pontife  «  ne  pouvait  arriver  en 
saison  plus  malpropre  pour  ses  affaires  ».  Cette  querelle  du  roi  de  France 
et  du  pape  se  termina  par  la  soumission  du  roi;  mais  les  dépêches  des 
années  suivantes  prouvent  que  Sixte-Quint  accueillit  avec  beaucoup  de 
froideur  les  dépêches  du  roi  «  priant  le  Saint-Père  d'admonester  les 
princes  (les  Guises)  d'obéir  et  donner  contentement  »  à  leur  souverain. 
Henri  ni  flnit  par  se  borner  à  demander  au  pape  de  rester  neutre  entre 
lui  et  la  Ligue. 

1.  Mém.de  la  Ligue,  1. 1,  p.  222.  Nous  croyons  devoir  analyser  au  texte 
les  déclarations  du  Parlement  et  du  roi  de  Navarre,  car,  mieux  que  tous 
les  développements,  elles  indiquent  les  sentiments  et  le  programme  des 
adversaires  d%  la  Ligue. 


S28  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Ligue,  flétrît  ceux  qui  «  ont  abusé  de  la  piété  et  dévotion 
du  roi  pour  couvrir  leur  impiété  et  rébellion  *  »;  s'élève 
vigoureusement  contre  la  proscription  des  huguenots  et  la 
rupture  des  édits  de  pacification,  rappelle  au  roi  qu'il  est 
le  pasteur  de  son  peuple,  et,  lui  montrant  le  grand  nombre 
des  protestants,  pose  au  faible  Henri  III  cette  question  : 
«  Qui  osera  prononcer  le  mot  pour  exposer  tant  de  mî>- 
lions  d'honmies,  de  femmes  et  enfants  à  la  mort,  voire 
sans  cause  ni  raison  apparente,  vu  qu'on  ne  leur  impute 
aucun  crime  que  d'hérésie,  hérésie  encore  inconnue  ou  pour 
le  moins  indécise,  hérésie  qu'ils  ont  soutenue  en  votre 
présence  contre  les  plus  fameux  théologiens  de  votre 
royaume,  en  laquelle  ils  sont  nés  et  nourris  depuis  trente 
ans  par  permission  de  Votre  Majesté  et  du  feu  roi  votue 
frère,  d'heureuse  mémoire,  laquelle  ils  remettent  au  juge- 
ment d'un  concile  universel,  général  ou  national?....  Qui 
est  celui  qui  se  puisse  imaginer  le  massacre  d'une  telle 
multitude  sans  horreur  et  qui  y  puisse  consentir,  sans 
dépouiller  tout  sentiment  d'humanité?  »  Et  d'ailleurs,  le 
roi  pense-t-il  que  les  huguenots,  ayant  à  lutter  pour  con- 
server leurs  vies  et  tout  ce  qu'ils  ont  de  plus  cher  au 
monde,  ne  se  défendront  pas  avec  l'énergie  du  désespoir'? 

1.  Henri  III,  au  fond,  n'élait  pas  plus  aveugle  que  le  Parlement  sur  les 
véritables  inlentions  des  Guises.  Daos  une  lettre  adressée  le  6  mai  1585  & 
M.  de  Saint-Goard,  marquis  de  Pisani,  ambassadeur  de  France  à  Rome,  le 
roi,  tout  en  disant  qu'il  a  consenti  à  révoquer  les  édits  de  pacification, 
ajoute  ce  correctif  qu'avant  d'employer  la  force  contre  les  huguenots  il 
convient,  à  son  avis,  de  les  admonester  etsemonder  de  renoncer  à  leur  reli- 
gion. «  Sur  quoi,  continue  Henri  III,  mesdits  oncle  et  cousin  (le  card.  de 
Bourbon  et  le  duc  de  Guise)  ne  m'ont  encore  fait  entendre  leur  délibéra- 
tion; mais,  s'ils  refusent  ce  parti,  ils  feront  assez  connaître  être  poussés» 
d'autre  zèle  et  intention  que  du  bien  de  la  religion.  »  Coll.  de  M.  Lucas 
Montigny,  Voy.  Revue  rétrosp.^  2«  série,  t.  VIII,  p.  249.  Dans  sa  lettre  du 
28  mai  1583,  le  roi  accuse  formellement  les  Guises  de  «  n'en  vouloir  tant 
aux  huguenots  et  &  l'hérésie  qu'à  son  État  », 

2.  Henri  III  est  encore  du  même  avis  :  u  ...  Nous  eussions  mieux  établi 
et  avancé  le  service  de  Dieu  et  de  son  Église  durant  la  paix  et  par  le 
moyen  d'icelle  que  nous  ne  ferons  par  ladite  guerre,  de  laquelle  la  suite 
sera  plus  longue  et  incertaine  que  plusieurs  ne  cuident  ou  veulent  à  pré- 
sent estimer.  »  Ibid. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  329 

Le  résultat  de  cette  guerre  fratricide,  ce  sera  la  ruine  du 
royaume.  Le  Parlement  ne  peut  admettre  qu'on  décore 
«  du  nom  paternel  A'édit  les  articles  d'une  Ligue  assem- 
blée contre  l'Ëtat,  armée  contre  la  personne  du  Roi  et 
qui  s'élève  contre  Dieu  même  et  qui  dépite  la  nature, 
commandant  aux  pères  de  n'être  plus  pères  à  leurs  enfants, 
et  défendant  aux  mères  de  n'être  plus  mères  à  leurs  filles, 
invitant  l'ami  à  trahir  son  ami  et  appelant  l'assassin  à  la 
succession  de  celui  qu'il  aura  assassiné  ».  Il  ne  ménage 
pas  plus  que  la  Ligue  ce  pape  qui  met  le  pied  sur  la  tête 
des  rois  et  se  mêle  de  distribuer  des  couronnes.  «  Quant  à 
la  bulle  sainte,  la  cour  en  trouve  le  style  nouveau  et  si 
éloigné  de  la  modestie  des  avant-papes  qu'elle  ne  reconnoit 
aucunement  la  voix  d'un  successeur  des  apôtres;  et  d'au- 
tant que  nous  ne  trouvons  point  par  nos  registres,  ni  par 
toute  l'antiquité  que  les  princes  de  France  aient  jamais  été 
sujets  à  la  justice  du  pape  S  ni  que  les  sujets  aient  pris 
connaissance  de  la  religion  de  leurs  princes,  la  Cour  ne 
peut  délibérer  sur  icelle  que  premièrement  le  pape  ne 
fasse  apparoir  du  droit  qu'il  prétend  en  la  translation  des 
royaumes  établis  et  ordonnés  de  Dieu  avant  que  le  nom 
de  pape  fût  au  monde,  qu'il  ne  nous  ait  déclaré  à  quel  titre 
il  s'entremêle  de  la  succession  d'un  prince  plein  de  jeu- 
nesse et  de  vigueur,  qui  doit  avoir  ses  héritiers  en  ses 

reins Il  faut  qu'il  nous  enseigne  avec  quelle  espèce  de 

piété  et  sainteté  il  donne  ce  qui  n'est  pas  sien,  il  ôte  à 
autrui  ce  qui  lui  appartient  légitimement,  il  mutine  les 
vassaux  et  les  sujets  contre  leurs  seigneurs  et  princes 
•souverains  et  renverse  les  fondements  de  toute  justice  et 


1.  Dans  sa  dépêche  à  Tambassadeur  de  France  à  Rome  en  date  du 
-6  juillet  1585,  Henri  UI,  tout  en  protestant  de  sa  révérence  pour  le  Saint- 
Père,  «  de  rautorité  duquel  les  rois  de  France  ont  été  protecteurs  et  défen- 
seurs 1»,  prie  très  nettement  Saint-Goard  de  dire  au  Pape  «  que  les  rois 
de  France  ne  reconnaissent  autre  puissance  et  supérieure  que  celle  de 
Dieu,  de  la  seule  main  duquel  ils  sont  créés  et  établis  ». 


230  PARIS  ET  LA  LIGUE 

ordre  politique  *.  »  Repoussant  ainsi  avec  une  ironie 
indignée  les  prétentions  de  la  cour  de  Rome,  le  Parlement 
propose  au  roi  «  de  jeter  la  bulle  au  feu  en  présence  de 
toute  l'Église  gallicane  ».  Sans  doute,  les  membres  de  la 
cour  souveraine  ne  se  font  pas  d'illusion  ;  ils  ne  se  flattent 
pas  de  voir  leurs  remontrances  produire  la  moindre  im- 
pression sur  le  roi,  «  mais,  lui  disent-ils,  si  tant  est  que  nos 
péchés  nous  aient  du  tout  fermé  l'oreille  de  votre  clémence 
et  justice,  faites-nous  cette  grâce,  sire,  de  reprendre  en 
main  les  états  dont  il  a  plu  à  Vostre  Majesté  et  aux  rois 
vos  prédécesseurs  nous  honorer,  afin  que  vous  soyez 
délivré  des  importunes  difficultés  que  nous  sommes  con- 
traints de  faire  sur  tels  édits,  et  nos  consciences  déchargées 
de  la  malédiction  que-  Dieu  prépare  aux  mauvais  magistrats 
et  conseillers...  Il  e6t  plus  expédient  à  Votre  Majesté 
d'être  sans  Cour  de  Parlement  que  de  la  voir  inutile  comme 
nous  sommes  ;  et  nous  est  aussi  trop  plus  honorable  de  nous 
retirer  privés  en  nos  maisons  et  pleurer  en  notre  sein  les 
calamités  publiques  avec  le  reste  de  nos  concitoyens  que 
d'asservir  la  dignité  de  nos  charges  aux  malheureuses 
intentions  des  ennemis  de  votre  couronne  *.  »  Le  Parlement 
dut  néanmoins  se  soumettre  et  enregistra  le  46  octobre  1585 
la  déclaration  du  7  octobre  précédent  par  laquelle  le  roi, 

1.  Un  coq-À-1'âDe  du  temps,  que  nous  a  conservé  l'Estoilb  (t.  II,  p.  302), 
exprimait  à  peu  près  les  mômes  idées  que  le  Parlement  : 


Que  ce  pape  e»t  h  redouter 
En  sa  moDachale  natare  ! 

Je  mourrai,  »'il  faut  qu'il  advienne 
Que  les  roiales  majestés 
Endurent  les  indignités 
Des  fulminalions  d'un  pape, 
Et  »\  ehascun  mord  à  la  grappe, 
Comme  je  fay,  l'on  sçaura  bien 
Que  je  ne  le  dy  pas  pour  rien. 
N'est-ce  rien  quand  on  abandonne 
Un  ta^i,  ou  bien  qu'on  le  donne 
A  qui  premier  l'occupera? 


2.  Mém,  de  la  Ligue,  1. 1,  p.  272. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  231 

aggravant  Fédit  de  juillet ,  réduisait  à  quinze  jours  le  délai 
accordé  aux  protestants  pour  se  convertir  au  catholicisme 
ou  vendre  leurs  biens  et  sortir  du  royaume  *  ;  mais  que 
n'aurait  pu  faire  avec  des  magistrats  ainsi  hostiles  aux 
prétentions  théocratiques  un  autre  roi  qva^  le  roi-femme  ! 

Par-dessus  la  tête  de  Henri  III,  le  Parlement  de  Paris 
tendait  la  main  au  roi  de  Navarre.  Le  Béarnais  se  garda 
bien  de  ne  pas  répondre  à  Tappcl  du  plus  grand  corps  de 
TÉtat  et  riposta  à  Tédit  d'octobre  par  «  une  déclaration  du 
30  novembre  158S,  sur  les  moyens  qu'on  doit  tenir  pour  la 
saisie  des  biens  des  fauteurs  de  la  Ligue  et  de  leurs 
adhérens  ».  Il  adressa  ensuite  de  Montauban  une  série 
de  lettres  à  «  Messieurs  des  trois  états  de  la  France  et  à 
messieurs  de  la  Ville  de  Paris  *  ».  Ces  lettres  sont  fort 
belles  et,  comme  les  remontrances  du  Parlement,  méritent 
d'être  analysées  avec  soin. 

Au  Clergé,  le  roi  huguenot  déclare  qu'il  a  fait  tout  au 
monde  pour  éviter  la  guerre.  Qui  en  est  responsable?  Ceux 
qui  ont  mis  le  feu  aux  quatre  coins  du  royaume,  au  seul 
profit  de  leur  ambition  particulière  et  grâce  à  l'argent  du 
clergé  ^. 

i.  Un  mandement  du  Bureau  de  la  Ville,  transmis  par  ordre  du  roi  le 
15  novembre  1583,  prescrite  tous  les  colonels  de  la  milice  de  laisser  sortir 
de  Paris,  à  pied  ou  à  cheval  et  sans  passeport,  tous  ceux  qui  se  présente- 
ront aux  portes.  (Reg.  H,  1788  àis,  fo  545.)  Peut-être  voulait-on  ainsi  enga- 
ger tous  les  protestants  à  laisser  le  champ  libre  &  la  faction  des  Guises. 

2.  Mém.  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  300  à  310. 

3.  «  Je  ne  crains  (et  Dieu  le  sait)  le  mal  qui  me  peut  venir,  ni  de  vos 
deniers,  ni  de  leurs  armes.  L*un  et  Tautre  ont  été  jà  employés  assez  de 
fois  en  vain.  Je  plains  le  pauvre  peuple  innocent,  qui  souffre  presque  seul 
de  ces  folies.  »  Le  roi  de  Navarre  fait  honte  au  clergé  d'abandonner  sa 
mission  de  paix  et  de  favoriser  une  guerre  qui  va  répandre  tant  de  sang. 
Pourquoi  Q*avoir  pas  accepté  les  offres  de  transaction;  pourquoi  ne  pas 
avoir  accepté  un  concile  pour  trancher  les  questions  religieuses?  Pour- 
quoi mêler  TÉglise  à  des  questions  qui  ne  la  regardent  pas?  Le  pape,  à 
la  sollicitation  de  certains  ecclésiastiques,  a  déclaré  le  roi  de  Navarre 
inhabile  à  succéder  au  trône.  «  Ne  pensez,  dit  Texcommunié,  que  ces 
foudres  m'étonnent  :  c'est  Dieu  qui  dispose  des  rois  cl  des  roiaumes,  et 
vos  prédécesseurs,  qui  étoient  meilleurs  chrétiens  et  meilleurs  françois  que 
les  fauteurs  de  cette  bulle,  nous  ont  assez  enseigné  que  les  papes  n^ont 
que  voir  sur  cet  État.  »  Il  est  inconvenant  de  «  décider  à  Rome  la  suc- 


332  PARIS  ET  Lk  LIGUE 

S'adressant  ensuite  à  la  Noblesse,  le  Béarnais  démontre 
que  le  roi  a  la  main  forcée  par  les  ligueurs,  déclarés  per- 
turbateurs du  royaume  par  tant  d'édits  et  d'arrêts.  Que 
reproche-t-on  à  ceux  de  la  religion,  sinon  d'être  trop  bons 
Français;  les  Guises  sont,  au  contraire,  les  alliés  et  les  servi- 
teurs de  l'étranger  ;  ils  prennent  leur  mot  d'ordre  à  Rome. 
«  Pour  chasser  la  France  hors  de  France,  le  procès  ne  se 
pouvoit  juger  en  France  :  elle  étoit  par  trop  suspecte  en 
cette  cause;  il  falloit  qu'il  fût  jugé  en  Italie.  »  Le  Béarnais 
pardonne  aux  gentilshommes  qui  croient  obéir  au  roi 
de  France  en  servant  les  desseins  des  Guises.  Il  leur  dit 
avec  une  émotion  chaleureuse  :  k  Les  princes  français 
sont  les  chefs  de  la  noblesse.  Je  vous  aime  tous  :  je  me 
sens  périr  et  afToiblir  en  votre  sang!  l'étranger  ne  peut 
avoir  un  sentiment  :  l'étranger  ne  sent  point  d'intérêt  en 
cette  perte.  J'aurois  bien  à  me  plaindre  d'aucuns,  j'aime 
mieux  les  plaindre  :  je  suis  prêt  à  les  embrasser  tous  ». 

Au  Tiers  état,  Henri  de  Navarre  proteste  de  son  amour 
de  la  paix  :  il  ne  fait  que  se  défendre.  Quant  aux  ligueurs, 
ils  promettent  toujours  de  diminuer  les  tailles,  de  ramener 
les  impôts  k  ce  qu'ils  étaient  au  temps  de  Louis  XII.  Mais 
ils  ne  pensent  «  qu'à  leur  particulier  »  et  ils  oublient  inva- 
riablement le  peuple  quand  la  guerre  prend  fin.  Le  clergé 
n'a  fait  qu'avancer  les  arrhes  du  marché  ;  mais  «  ce  sera  au 

cession  d'un  roi  vivant  et  en  fleur  d'Âge....  Dieu  confonde  en  sa  juste 
fureur  ceux  qui  sont  si  providens  que  d'anticiper  sa  mort  par  leurs  con- 
seils. »  Après  avoir  supposé  que  tout  le  clergé  n'est  pas  solidaire  de  ces 
actes  coupables,  mais  «  que  c'est  le  complot  de  quelques-uns,  poussés 
d'ailleurs  peut-être  de  l'inspiration  de  quelques  jésuites,  semence  d'Es- 
j>agne  »,  le  Béarnais  termine  par  cette  belle  profession  de  foi  :  «  Nous 
croyons  un  Dieu,  nous  reconnaissons  un  Jésus-Christ,  nous  recevons  un 
même  Évangile;  si,  sur  les  interprétations  des  mêmes  textes,  nous  sommes 
tombés  en  différend,  je  crois  que  les  douces  voies  que  j*avois  proposées 
nous  pouvoient  mettre  d'accord.  Je  crois  que  la  guerre  que  vous  pour- 
suivez si  vivement  est  indigne  de  chrétiens,  indigne  entre  chrétiens  de 
ceux  principalement  qui  se  prétendent  docteurs  de  l'Évangile.  Si  la  guerre 
vous  plaît  tant,  si  une  bataille  vous  plaît  plus  qu'une  dispute,  une  conspi- 
ration sanglante  qu'un  concile,  j'en  lave  mes  mains.  Le  sang  qui  s'y  ré- 
pandra soit  sur  vos  testes.  » 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  233 

pauvre  peuple  à  le  tenir  et  à  parfournir  le  reste,  à  quoi 
^u'il  monte  ;  à  celui  qui  n'en  peut,  mais  qui  en  porte  le 
^lommage  et  n'en  attend  point  le  fruit,  à  supporter  tout  le 
faix,  à  endurer  tout  le  mal  qui  en  viendra  ».  Sachant  bien 
que  ceux  du  tiers  état  «  selon  leur  vocation  sont  sujets  à 
endurer  le  mal  et  non  pas  à  le  faire  »,  Henri  ne  leur 
demande  que  «  leurs  vœux,  leurs  souhaits  et  leurs 
prières  ». 

Le  roi  de  Navarre  prend  enfin  à  témoin  «  Messieurs  de 
la  Ville  de  Paris  »,  qu'il  estime  «  le  miroir  et  l'abrégé  du 
royaume  ».  Très  habilement,  il  porte  la  question  sur  le 
terrain  financier,  où  il  se  sait  en  parfaite  communauté 
d'idées  avec  la  majorité  des  officiers  municipaux  et  des 
bourgeois.  De  ce  que  la  Ville  a  manifesté  l'intention  de 
refuser  au  roi  les  subsides  qu'il  demandait  pour  la  guerre, 
le  fin  Béarnais  tire  cette  conclusion  que  tous  les  Parisiens 
trouvent  cette  guerre  civile  complètement  injuste  :  car,  en 
d'autres  circonstances,  Paris  n'a  pas  ménagé  l'or  pour 
secourir  ses  rois,  aux  temps  de  François  P'  ou  du  roi 
Jean  notamment.  A  toutes  ses  concessions,  à  la  demande 
d'un  concile,  à  l'offre  d'un  combat  singulier,  on  a  répondu 
par  la  guerre,  une  guerre  qui  a  pour  but  «  d'éteindre  le 
sang  et  la  postérité  de  France,  de  réduire  le  roi  en  servi- 
Aude  et  en  prison  *  ».  On  a  appelé  les  étrangers  en  France 
et  préparé  la  ruine  de  l'État.  Le  roi  de  Navarre  voudrait 
donner  sa  vie  pour  le  salut  du  pays.  Il  attend  des  Parisiens 
«  tout  ce  qui  se  peut  et  doit  de  vrais  Français  et  de  la  règle 


1.  Une  petite  pièce  conservée  par  TEstoile  (t.  II,  p.  318)   expose  ainsi 
«  Le  vray  fond  du  dessein  des  Lorrains  et  de  Madame  la  Ligue  en  deux 

mots Nous  prendrons  les  armes;  nous  dirons  que  c'est  au  huguenot 

que  nous  en  Toulons,  mais  ce  sera  au  roy,  en  elTect,  auquel  nous  brouil- 
lerons si  bien  les  cartes,  maintenant  qu'il  n'a  plus  de  successeur  qui  soit 
de  sa  ligne,  que,  s'il  ne  s-'aide  du  roy  de  Navarre,  il  est  perdu,  et,  s'il  s'en 
aide,  encore  plus.  Nous  le  ferons  excommuqier  par  le  pape;  et,  en  ce  fai- 
sant,  le  rendrons  si  odieux  qu'il  n'y  en  aura  pas  pour  nos  pages.  Nous 
nous  en  desferons  aisément  ou,  pour  le  moins,  nous  en  ferons  un  moine....  » 


234  PARIS  ET  LA  LIGUE 

exemplaire  des  Français  »  et,  de  son  côté,  promet  «  tout  ce 
qui  se  peut  et  doit  d'un  prince  français  et  d'un  prince 
chrétien  pour  Tunioii  de  TÉglise,  le  service  du  roi  son 
seigneur,  le  bien  du  royaume,  le  soulagement  du  peuple  et 
le  contentement  de  tous  les  gens  de  bien  ». 

Aux  lettres  si  nobles  et  si  énergiques  du  roi  de  Navarre^ 
la  Ligue  opposa  un  pamphlet  qui  exprime  bien  les  senti- 
ments de  la  faction  cléricale  dont  les  Guises  avaient  pris 
la  direction,  de  concert  avec  Philippe  II  *.  Un  court  passage 
nous  permettra  de  résumer  ce  factum  :  «  Vous  leur  pouvez 
dire  [aux  hérétiques)  que  vous  aimez  mieux  estre  Espagnols 
que  huguenots  comme  ils  sont  ;  qu'il  n'y  a  nom  qui  porte 
avec  soy  et  qui  comprenne  tant  de  crimes,  tant  de  vices  et 
tant  de  sales  ordures  et  inspuretcz  que  le  nom  d'un  héré- 
tique; que,  devant  que  d'avoir  un  prince  huguenot,  vous 
iriez  chercher  non  seulement  un  espagnol  au  fond  de 
Grenade  ou  de  Castille,  mais  un  Tarlare,  un  Moscove  ou 
quelque  Scyte  qui  seroit  catholique...  »  Ainsi  le  roi  de 
Navarrais  était  Français  avant  tout,  et  la  Ligue  immolait 
le  patriotisme  aux  passions  violentes  des  moines  et  aux 
convoitises  étrangères.  Son  idéal,  c'est  le  système  gouver- 
nemental d'un  Philippe  II,  qui  «  aima  mieux  violer  les  droits 
de  la  nature  et  se  priver  d'enfant  masle  et  de  successeur  à 
son  Estât  que  de  rompre  la  foy  qu'il  avoit  promise  à  Dieu 

1.  En  voici  le  titre  exact  :  «  Advertisseinent  des  catholiques  anglais  aux 
français  catholiguesy  du  danget*  ou  ils  sont  de  perdre  leur  religion  et  d'ejrpé' 
rimenter,  comme  en  Angleterre  y  la  cruauté  des  ministres,  s*ils  reçoivent  à  la 
couronne  un  roy  gui  soit  hérétique.  »  1586.  Ce  pamphlet  avait  pour  auteur 
l'avocat  Louis  d'Orléans,  qui  devint  plus  tard  avocat  général  de  la  Ligue. 
Voici  ce  qu'en  dit  Palma-Cayet,  le  précepteur  de  Henri  IV,  dans  l'Intro- 
duction de  sa  Chronologie  novenaire  :  «  Ce  livre  esloit  d'un  langage  fort 
naïf,  plain  de  vives  pointes;  il  contenoit  des  flateries  et  mocqueries  du 
roy,  exaltoit  surtout  la  valeur  du  duc  de  Guise,  disoit  mille  impostures  du 
roy  de  Navarre  et  de  la  feue  royne  de  Navarre,  sa  mère,  et  surtout  se  plai- 
gnoit  qu'on  n'avoit  pas  bien  solemnisé  la  Saint-Barlhélemy  1571,  et  qu'on 
avoit  tiré  moins  de  deux  poilettes  de  sang  (dénottant  par  là  que  l'on  y 
devoil  tuer  le  roy  de  Navarre  et  le  prince  de  Gondé)  ».  VAdvertissement 
a  été  réimprimé  au  t.  XI,  p.  3  des  ârch.  crn. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  235 

et  à  l'Église  *  ».  Elle  se  sent  prise  d'enthousiasme  pour 
celte  Inquisition  d'Espagne  «  qui  contient  les  hommes  aux 
bornes  de  leur  religion  »  et  dont  les  huguenots  font  «  un 
monstre,  une  chiche-face,  une  chimère  dont  ils  font  peur 
aux  petits  enfants  ».  C'est  la  «  haie  »  qui  empêche 
«■  d'entrer  en  la  vigne  ».  Un  moment,  le  Parlement  de 
Paris  a  joué  ce  rôle  de  barrière  contre  l'invasion  des 
hérétiques,  mais,  depuis  qu'il  condamne  le  pape  et  ses 
bulles,  la  Ligue  regarde  les  magistrats  d'un  œil  menaçant. 
Même  défiance  des  purs  de  la  faction  contre  l'Hôtel  de 
Ville  de  Paris.  On  l'accuse  de  prêter  de  l'argent  au  roi  de 
Navarre  et  au  prince  de  Condé,  de  tolérer  le  prêche  et  de 
prêter  les  mains  à  une  prochaine  revanche  de  la  Saint- 
Barthélémy  *.  Cette  sortie  contre  les  magistrats  munici- 
paux de  Paris  est  d'autant  plus  étrange  que,  de  son  côté, 
Henri  UI  se  défiait  des  Parisiens  et  de  leurs  administra- 
teurs. Le  13  février  1586,  il  écrit  au  prévôt  des  marchands 
pour  ordonner  des  perquisitions  domiciliaires  dans  tous 
les  quartiers  de  la  Ville,  mais  il  ajoute  qu'elles  se  feront 
sous  la  surveillance  de  chevaliers  du  Saint-Esprit,  désignés 

1.  Advertissement,  etc.  L'auteur  avoue  ainsi,  avec  une  naïveté  féroce, 
que  Philippe  II  a  fait  mourir  son  flls  don  Carlos  «  prince  certainement 
bien  nay,  mais  qui  trop  inconsidérément  avala  l'amorce  et  Tamecon  de 
l'hérésie  ».  C'est  la  version  de  Schiller  qui,  dans  sa  tragédie  de  Don  Carlos, 
représente  le  malheureux  prince  comme  un  partisan  de  l'insurrection  des 
Pays-Bas  et  un  ennemi  de  l'Inquisition.  Don  Carlos  étant  mort  le  24  juil- 
let 1568,  V Advertissement f  publié  en  1586,  n'est  pas  un  témoignage  à  dédai- 
gner sur  ce  problème  historique. 

2.  «  Tant  que  la  ville  de  Paris  a  résisté  à  l'hérésie,  tant  qu'elle  a  aimé 
les  princes  catholiques,  tant  qu'elle  a  offert  et  la  vie  et  la  bourse  de  ses 
habitans  pour  sauver  et  sonstenir  la  religion,  c'est  contre  elle  que  les 
huguenots  ont  dressé  leurs  plumes,  leurs  langues  et  leurs  forces.  Mais,  à 
présent  qa*elle  preste  de  l'argent  au  roy  de  Navarre,  que  sa  bourse  sub- 
vient aux  affaires  du  prince  de  Condé,  qu'elle  tolère  le  presche  à  ses 
yeux,  c'est  lors  qu'ils  laissent  Paris  en  paix  et  n'escrivent  plus  contre  elle; 
ains  lui  adressent  leurs  lettres,  la  recognoisscnt  pour  une  très  bonne 
ville,  et  s'attendent  bientost  d'y  loger,  si  on  veut  croire  leurs  fourriers, 
afin  d'y  exécuter  une  contre-Sainct-Barthélemy  ».  lltid,  Voy.  à  la  suito  de 
y  Advertissement  des  catholiques  anglais,  etc.,  la  réponse  de  Duplcssis- 
Mornay  :  Lettre  d'un  gentilhomme  catholique  françois.  AncHiv.  cun.,  t.  XI, 
p.  203. 


336  PARIS  ET  LA  LIGUE 

è  cet  effet  et  adjoints  aux  officiers  municipaux,  quarti- 
niers,  cinquanteniers  et  dizainiers  '.  Le  prévôt  des  mar- 
chands dut  subir  ce  contrôle  et  porter  à  la  connaissance 
de  chacun  des  quartiniers  le  nom  du  chevalier  du  Saint- 
Esprit  qui  ferait  avec  lui  les  perquisitions.  Néanmoins,  les 
franchises  municipales  étaient  respectées  dans  le  même 
temps  et  les  élections  des  officiers  de  la  milice  s'accomplis- 
-saient  librement,  même  quand  il  s'agissait  des  importantes 
fonctions  de  colonel.  C'est  ainsi  que  le  2  février  1386  les 
<;apitaines  et  lieutenants  d'un  des  quartiers  de  Paris 
furent  convoqués  par  le  prévôt  des  marchands  pour  élire 
leur  colonel  en  remplacement  du  président  de  Morsaut 
décédé  *.  Et,  le  même  jour,  le  quartinier  Leconte  recevait 
•ordre  d'appeler  «  les  bourgeois  et  habitans  de  la  dizaine 

de ,  dizinier  du  quartier,  en  la  main  de  Tung  des  plus 

apparens  de  ladicte  dizaine,  pour,  après  le  serment  par 
<eulx  preste  es  mains  du  plus  notable  et  qui  présidera  en 
ladicte  assemblée,  procedder  à  Teslection  d'un  cappitaine 
d'icelle  dizaine,  au  lieu  de  feu  M.  le  président  de  Mor- 
saut, pour,  ladicte  eslection  faicte,  nous  rapporter  le  nom 
et  surnom  de  coUuy  qui  aura  esté  esleu  au  premier  jour'  >». 


1.  «Avons  résolu...  de  faire  faire  une  très  diligente  et  très  exacte  perqui- 
sition et  recherche  en  chacun  quartier  de  ceste  dite  ville  de  toutes  les  per- 
sonnes non  domiciliées  en  icelles  par  aulcuns  sieurs  chevalliers  de  nostre 
ordre  du  Sainct-Esprit  qu'avons   nommez,  choisiz  et   esleuz  pour   cest 

effect A  ceste  cause,  vous  mandons  et  ordonnons  advertir  et  mander 

aux  capitaines,  quarteniers,  cinquanteniers  et  diziniers  de  chacun  des 
quartiers  de  ceste  ville  d'assister  et  accompaigner  lesdictz  sieurs  cheval- 
liers du  Saint-Esprit  en  ladite  perquisition  et  recherche »  Rbo.  H, 

1788  bis,  f»  570. 

2.  «  Sire  Jehan  Leconte,  quartenier  de  ladicte  Ville,  priez  Messieurs  les 
•cappitaines  et  lieutenans  de  vostre  quartier  de  eulx  assembler  au  premier 
jour,  en  tel  lieu  qiie  lesdictz  sieurs  adviseront,  pour  eslire  ung  colonel  du- 
dict  quartier,  au  lieu  de  feu  M.  le  président  de  Morsaut,  pour,  ladicte  eslec- 
tion faicte,  nous  rapporter  le  nom  et  surnom  de  celui  qui  aura  esté  esleu 
au  premier  jour.  Si  n'y  faictes  faulte.  Faict  au  Bureau  d'icelle  ville,  le 
samedy  vingt-deuxiesme  de  fefvrier  1586.  »  Rbg.  H,  1788  bis,  fQ  573. 

3.  Ibid.  On  peut  conclure  de  ces  deux  textes  :  1»  qu'en  février  1586  les 
colonels  de  la  milice  étaient  élus  par  les  capitaines  et  lieutenants  du 
quartier;  2o  que  le  capitaine  de  chaque  dizaine  était  élu  par  les  bourgeois 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  237 

Le  roi  n'avait,  en  effet,  aucune  raison  sérieuse  de 
prendre  des  mesures  de  précaution  contre  la  milice  pari- 
sienne, et  tout  Teffort  des  troupes  de  la  Ligue  s'égarait  en 
ce  moment  sur  les  bords  de  la  Garonne  et  de  la  Dordogne,. 
oii  Mayenne  guerroyait,  sans  grand  succès,  contre  le  roi 
de  Navarre,  el  surtout  contre  Thiver,  qui  était  des  plus 
rigoureux.  Les  clients  des  moines  en  étaient  réduits,  faute 
de  pouvoir  fêter  d'autres  victoires,  à  célébrer  la  prise  par 
Mayenne  du  château  de  Montignac-le-Comte  en  Périgord, 
dont  la  petite  garnison  protestante  de  80  soldats  avait 
capitulé  d'une  manière  très  honorable  devant  toute  une 
armée  (4  fév.  1586)  *.  Ce  qui  était  plus  grave  pour  Henri  III,. 
c'est  que  le  duc  de  Guise  venait  d'arriver  à  Paris  (15  fév.) 
avec  une  suite  très  nombreuse.  Le  roi  l'avait  bien  mandé, 
mais  il  ne  l'attendait  pas  si  accompagné.  Il  fallut  renforcer 
la  garde  du  Louvre,  et  les  chevaliers  du  Saint-Esprit, 
suivis  des  capitaines  et  des  commissaires  des  quartiers, 
redoublèrent  les  perquisitions  pour  surveiller  les  étrangers 
et  les  suspects.  Mais  c'était  aux  Parisiens  eux-mêmes  que 
le  duc  de  Guise  réservait  ses  préférences,  en  travaillant 
surtout  à  se  concilier  la  sympathie  des  basses  clisses  '. 
Pendant  trois  mois,  jusqu'au  18  mai,  le  chef  de  la  Ligue 
continua  son  active  propagande  et  n'épargna  pas  ses  efforts 
pour  rendre  le  roi  odieux  au  peuple.  Henri  III  semblait 
d'ailleurs  s'étudier  à  faciliter  les  progrès  de  ses  ennemis. 
Le  Clergé  ne  lui  pardonnait  pas  ses  extorsions  et  faisait 
opposition  devant  le  Parlementa  la  bulle  du  pape,  obtenue 


cette  dizaine  ;  3»  que  le  môme  personnage  pouvait  être  à  la  fois  colonef 
son  quartier  et  capitaine  d*une  des  dizaines  de  ce  quartier,  dont  il 


de 
de 
avait  la  direction  militaire. 

1.  «  ....  Le  roy  de  Navarre  n'avoit  auparavant  qu^un  concierge  dans  ceste 
place,  sans  vouloir  souffrir  qu'on  fist  la  guerre....  Et  toutefois  la  Ligue, 
à  Paris,  en  fist  un  trophée  au  duc  de  Maienne.  »  L'Estoile,  t.  II,  p.  326. 

2.  «  Le  duc  de  Guise,  estant  à  Paris,  se  rend  si  populaire,  que  les  artizans 
et  crocheteux  en  reçoivent  beaucoup  d^honneur  et  peu  de  profit,  car  ils 
sont  caressés  et  salués  de  lui  fort  honorablement.  »  làid,t  P*  327. 


338  PilRIS   ET  LA   LIGUE 

par  Tévêque  de  Paris  et  qui  autorisait  le  roi  à  vendre  le 
temporel  de  TÉglise  jusqu'à  concurrence  de  cent  mille  écus 
de  rente.  Le  7  mars  1386,  Tévêque  de  Noyon  développa 
les  moyens  d'opposition  avec  une  grande  amertume,  et  il 
fallut  que  le  premier  président  intervînt  pour  blâmer  la 
violence  de  ses  appréciations.  Quelques  jours  après,  Tévêque 
de  Paris  arrivait  dans  la  capitale  ;  il  fut  accueilli  par  une 
tempête  de  malédictions,  pour  avoir  demandé  au  pape  et 
obtenu  de  lui  une  aliénation  de  cent  mille  écus  de  rente  sur 
le  temporel  de  l'Église,  alors  qu'il  n'avait  reçu  du  clergé 
que  l'autorisation  de  consentir  cinquante  mille  écus  de 
rente.  On  le  traita  de  Judas  et  de  complice  du  roi.  Henri  III 
crut  se  faire  pardonner  au  moyen  de  quelques  capucinades. 
Le  26  mars  il  quitta  Paris,  suivi  de  deux  cents  pénitents,  et 
se  rendit  à  pied  à  Notre-Dame  de  Chartres  ;  il  revint  de* 
même  et  ne  rentra  dans  Paris,  le  dernier  jour  de  mars,  que 
pour  s'enfermer  au  couvent  des  Capucins  jusqu'au  mardi 
de  Pâques.  C'était  un  bon  moyen  pour  ne  pas  voir  la 
misère  publique.  Le  froment  coûtait  à  Paris  sept  et  huit 
écus  le  seticr,  aux  Halles.  Des  nuées  de  mendiants  se 
répandaient  dans  les  rues  et  assiégeaient  les  portes  des 
bourgeois.  On  fut  obligé  de  recueillir  des  aumônes;  deux 
députés  de  chaque  paroisse  visitèrent  chaque  maison,  et  les 
bons  bourgeois  donnèrent  ce  qu'ils  purent. 

La  guerre  continuait  toujours  dans  le  Midi,  mais  avec 
lenteur.  Mayenne  était  malade  à  Bordeaux,  profitant  de 
cette  maladie  vraie  ou  feinte  pour  essayer  de  rattacher  la 
grande  ville  aux  intérêts  de  la  Ligue.  A  Paris,  les  ambas- 
sadeurs des  princes  protestants  d'Allemagne  et  le  secrétaire 
du  roi  de  Navarre,  La  Marsilière,  cherchaient  à  brouiller 
le  roi  avec  ses  amis  les  ligueurs;  mais  le  pauvre  prince 
manquait  de  cœur  «  conune  si  le  duc  de  Guise  l'eût  déjà 
tenu  par  le  colet  ».  Il  renvoya  La  Marsilière  avec  une 
réponse  évasive  (avril).  En  outre,  pour  dissiper  les  bruits 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  239 

qui  l'accusaient  de  pactiser  avec  les  hérétiques,  Henri  III 
rendit,  le  26  avril  1586,  un  édit  sévère,  réglementant  la 
vente  des  meubles  des  rebelles  et  des  revenus  de  leurs 
immeubles.  Une  ambassade  du  roi  de  Danemark  qui 
venait  intercéder  en  faveur  des  huguenots  fut  très  mal 
accueillie.  Cela  n'empêcha  pas  le  roi  de  négocier  avec  les 
cantons  suisses  et  de  rester  en  relation  avec  le  roi  de  Na- 
varre. Afin  d'empêcher  la  guerre  d'aboutir  à  un  résultai 
décisif,  le  roi  avait  fractionné  ses  forces  en  trois  armées. 
L'une,  qui  devait  opérer  en  Auvergne  et  en  Languedoc, 
primitivement  destinée  au  brave  maréchal  d'Aumont,  avait 
été  confiée  à  Joyeuse,  le  grand  favori;  la  seconde,  dirigée 
sur  la  Saintonge,  avait  pour  chef  Biron,  et  la  troisième  fut 
placée  sous  les  ordres  du  duc  d'Épernon,  nommé  gouver- 
.neiir  de  Provence  à  la  place  du  grand  prieur  Henri  d'An- 
goulême,  qui  venait  de  mourir  assassiné  ^ 

Pour  entretenir  ces  trois  armées,  il  fallait  beaucoup 
d'argent.  Le  roi  rendit  en  un  seul  jour  vingt-sept  édits  bur- 
saux  créant  des  offices  de  vendeurs  de  marée,  de  vendeurs 
de  bétail,  de  receveurs  alternatifs  d'épices,  etc.;  il  força 
à  financer  les  lieutenants  de  robe  longue  de  chaque  élec- 
tion. Tous  ces  édits,  qu*on  appela  les  édits  guisards,  furent 
publiés  le  16  juin,  dans  un  lit  de  justice  tenu  au  Parlement. 
Les  procureurs  au  Châtelet  et  au  Parlement  cessèrent  leur 
service  plutôt  que  de  payer  des  lettres  de  confirmation, 
taxées  à  deux  cents  écus.  Les  membres  de  la  Chambre 
des  comptes,  auxquels  le  roi  voulait  vendre  le  droit  de 
survivance,  moyennant  versement  de  moitié   du  prix  de 

1.  Le  grand  prieur,  bâtard  de  Henri  II,  ayant  appris  quMl  était  desservi 
auprès  du  roi  par  le  Florentin  Pliilippe  Altoviti,  mari  de  la  Chàteauneuf, 
^ancienne  maîtresse  de  Henri  III,  passa  son  épce  au  travers  du  corps  de 
ritalien.  Ce  dernier,  se  sentant  blessé  à  mort,  tira  son  poiguard  et  en 
donna  un  coup  dans  Taine  au  grand  prieur.  Tous  deux  moururent.  Le  roi 
nomma  grand  prieur  un  autre  bâtard,  Charles,  fils  de  Charles  IX  et  de 
Marie  Toucbet,  et  investit  d'Épernon  du  gouvernement  de  Provence.  Dk 
Thou,  t.  IX,  p.  695;  l'Estoilb,  t.  II,  p.  337. 


! 


240  PARIS  ET  LA  LIGUE 

leurs  offices,  résistèrent  également  et  sortirent  de  la 
chambre  de  leurs  délibérations.  L'édit  qui  les  concernait 
fut  enregistré,  le  27  juin,  en  présence  de  trois  personnes 
seulement,  le  président  Nicolaï,  Tavocat  du  roi  Pasquier 
et  le  greffier  Danès.  Il  y  eut  un  soulèvement  général  de 
l'opinion  publique,  entraînée  par  Ténergie  de  la  magistra- 
ture. A  Troyes,  les  artisans  se  révoltèrent  et  coururent  sus- 
aux  huissiers.  A  Paris  même,  on  craignit  de  graves  dé- 
sordres. Le  roi  revint  de  Saint-Maur  coucher  au  Louvre 
pour  faire  tète  au  mouvement. 

C'est  dans  ces  circonstances  que  le  seigneur  d'O  fut 
nonnné  gouverneur  de  Paris  et  lieutenant  général  «  aux 
pays  et  provinces  de  l'Isle-de-France,  à  la  survivance  du 
sieur  de  Villequier,  son  beau-père  ».  Les  lettres  patentes 
qui  consacraient  ce  beau  choix  avaient  été  signées  le 
2  janvier  et  enregistrées  au  Parlement  le  2  juin.  C'est  le 
9  juillet,  dans  une  assemblée  du  grand  Bureau,  que  la 
Ville  procéda  à  la  réception  du  seigneur  d'O.  Le  prévôt 
et  les  échevins  vinrent  au-devant  de  lui  jusqu'à  la  grande 
porte  de  l'Hôtel  de  Ville  et  le  conduisirent  au  grand  Bureau, 
où  les  conseillers  de  la  Ville  attendaient.  M.  d'O,  «  assiz  au 
bout  d'en  hault,  en  une  chaire  de  velours  qui  pour  ce  faire 
luy  avoit  esté  préparée  »,  prononça  un  discours  dans  lequel 
il  se  félicitait  de  sa  nomination  pour  plusieurs  motifs  :  le 
jugement  du  prince,  la  grandeur  de  la  Ville,  la  qualité  de 
ses  habitants  ^ 


1.  tt  Surtout  luy  a  faict  entrer  en  ceste  charge  l'amitié  et  bienveillance  que 
de  tout  temps  mesdicts  sieurs  avoient  porté  &  leurs  gouverneurs  et  de 
laquelle  il  espère  mériter  par  bons  bonnestes  déportemens  desquelz  il  ne 
perdra  jamais  les  occasions;  s'ilz  en  vouloient  des  gages,  qu'ilz  prinssenl 
pour  asseurance  qu'ayant  des  commodités  ailleurs,  il  a  choisy  sa  princi- 
palle  retraicte  dedans  leur  prévosté  et  y  a  mis  comme  entre  leurs  mains 
sa  personne,  sa  famille,  et  ce  que  Dieu  luy  a  donné  de  plus  prétieux,  qui 
esloit  s'embarquer  à  bon  escient  dedans  leur  navire,  duquel  il  ne  vouldroit 
entreprendre  la  conduicte  sans  Tassurance  quMl  a  d'estre  tousjours  assisté 
de  leurs  bons  et  prudentz  advis,  avec  lesquelz  il  promet  que,  nonobstant 
les  oraiges  desquelz  la  misère  du  temps  nous  semble  menasser,  nous  vien- 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  241 

A  cette  harangue,  le  prévôt  des  marchands  répondit  en 
invoquant  la  protection  du  seigneur  d'O,  notamment  pour 
défendre  la  caisse  municipale  et  les  intérêts  des  Parisiens, 
si  souvent  menacés  par  les  incursions  des  gens  de  guerre 
jusqu'aux  portes  de  la  capitale.  C'était  répondre  par  une 
ironie. assez  fine  aux  belles  paroles  d'un  courtisan  depuis 
longtemps  connu  des  magistrats  municipaux.  Henri  n'avait 
pas  besoin  de  cette  nouvelle  maladresse  pour  perdre  les 
sympathies  de  sa  bonne  Ville.  Il  se  trouvait  en  présence 
d'une  grève  de  magistrats  si  unanime  qu'il  fallut  céder, 
révoquer  le  14  juillet  l'édit  sur  les  procureurs  et  atténuer, 
le  15,  l'édit  sur  l'augmentation  du  grand  Conseil.  Les  con- 
seillers en  charge  mirent  leurs  cornettes  sur  la  table  devant 
le  roi. 

Ainsi  bravé,  Henri  IH,  qui,  en  outre,  ne  voulait  pas 
recevoir  les  ambassadeurs  protestants,  quitta  Paris  le 
23  juillet  *.  Catherine,  de  son  côté,  se  rendit  à  Chenon- 
ceaux,  dans  l'intention  de  renouer  les  pourparlers  avec  le 
roi  de  Navarre.  M.  de  Villequier  fut  chargé  de  maintenir 
l'ordre  à  Paris,  avec  le  concours  du  chancelier  Cheverny 
et  du  Conseil  privé,  tandis  que  le  roi  s'en  allait  dans 
le  Bourbonnais,  puis  à  Lyon,  pour  voir  successivement 
Joyeuse  et  d'Épernon.  Arrivé  à  Lyon,  sans  souci  du 
royaume  en  feu,  Henri  IH,  las  du  bilboquet,  dépensa 
100,000  écus  pour  sa  collection  de  petits  chiens.  Une  mul- 
titude d'hommes  et  de  femmes  leur  prodiguait  des  soins 
éclairés,  ainsi  qu'aux  singes  et  aux  perroquets  de  Sa  Ma- 
jesté *,  Pour  varier  ses  plaisirs,  le  roi  découpait  aussi  les 

drons  enfin  surgir  au  port  du  repos  et  tranquillité  ».  Reg.  H,  1788  fus, 
roi.  599. 

!.  C'est  la  date  donnée  par  TEstoile  et  de  Thou.  H.  Martin  donne  la  date 
•du  10  juillet. 

2.  De  Thou,  t.  IX,  p.  599.  La  grande  faveur  du  bilboquet  remontait  à 
septembre  4585.  n  En  ce  temps,  dit  TEstoile,  le  roy  commencca  de  porter 
un  bilboquet  À  la  main,  mesmes  allant  par  les  rues,  et  s'en  jouoit  comme 
font  les  petits  enfants...  » 

ROBIQUET.  16 


242  PARIS  ET  LA  LIGUE 

miniatures  de  ses  missels  et  les  collait  aux  murailles  de 
ses  chapelles.  A  côté  de  ces  puérilités  coûteuses,  des  accès 
impolitiques  de  dignité  qui  eussent  peut-être  convenu  h 
un  grand  roi  victorieux,  mais  non  à  cette  poupée  sans 
force.  Les  anibassadeurs  des  princes  allemands  insistaient 
depuis  longtemps  pour  remplir  leur  mission.  Henri  III 
revint  de  Lyon  et  leur  donna  audience  à  Saint-Germain 
en  Laye  le  42  octobre  1586;  mais  ce  fut  pour  les  congédier 
avec  des  paroles  offensantes.  Les  ambassadeurs  repartirent 
immédiatement  pour  T Allemagne,  où  leurs  récits  provo- 
quèrent une  indignation  universelle  contre  le  roi  do 
France. 

Par  des  raisons  différentes,  les  sujets  du  roi,  et  en  parti- 
culier les  Parisiens,  ne  lui  étaient  pas  moins  hostiles.  Tous 
les  jours,  de  nouveaux  pasquils,  de  la  dernière  violence, 
étaient  placardés  sur  les  murs  du  Louvre.  L'un  d'eux,  qui 
fut  apporté  «'  par  un  quidam  accoustré  d'une  robe  longue 
et  d'une  cornette,  qu'on  ne  peust  reconnoislre  ne  descou- 
vrir »,  portait  que  si  le  roi  ne  mettait  pas  fin  à  son  système 
d'exactions,  deux  cents  hommes  avaient  juré  de  le  mettre 
îi  mort.  Les  agents  de  la  Ligue  redoublaient  d'activité^ 
représentant  le  roi  comme  un  Sardanapalc.  Au  collège 
Forteret,  dans  les  conciliabules  des  catholiques,  on  agite 
sérieusement  le  projet  de  se  saisir  de  la  personne  de 
Henri  III.  «  Et  combien,  dit  l'Estoile,  que  ces  conseils  mal 
rivés  et  ces  périlleux  desseins  fussent  plus  difficiles  à 
exécuter  qu'à  résoudre,  si  voioit-on  par  là  que  les  rats, 
pour  se  garder  du  chat,  cherchoient  tous  moiens  pour  lui 
pendre  une  sonnette  à  l'aureille;  mais  que  nul  n'osoit 
entreprendre  do  l'attacher.  » 

La  manière  dont  le  gouverneur  de  Paris,  Villequier, 
traita  les  franchises  municipales,  attestait  déjà  une  hostilité 
sourde  entre  la  capitale  et  la  monarchie.  Le  16  août  1586, 
on  avait  h  nommer  un   prévôt  des  marchands  et  deux 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  243 

échevins  *.  Après  le  vote,  tout  le  corps  de  Ville,  prévôt, 
échevins,  greffier,  procureur,  scrutateurs,  conseillers,  quar- 
tiniers  et  bourgeois  allèrent  «  marchant  devant  eulx  les 
sergens  d'icelle  ville,  vestuz  aussi  de  leurs  robbes  de  livrée, 
en  THostel  et  par  devers  monseigneur  de  Villequier,  gou- 
verneur et  lieutenant  général  pour  le  roy  en  cestc  dite 
Ville  et  Isle-de-France,  auquel  les  sieurs  scrutateurs 
auraient  présenté  le  scrutin  de  ladicte  eslection  cloz  et 
scellé,  et  d'iceluy  requis  la  confirmation  suivant  Tordon- 
nance.  Et,  après  ouverture  et  lecture  faicte  dudict  scrutin, 
ledict  sieur  gouverneur  auroit  remonstré  à  la  compagnie 
que  le  roy,  avant  son  partement,  luy  auroit  déclairé  et 
audict  sieur  prévost  des  marchands,  que  son  vouloir  et 
intention  estoit  que  le  sieur  LugoUy,  conseiller  dudict 
sieur  et  l'un  des  lieutenants  de  M.  le  grand  prévost  de 
France,  feust  reçeu  eschecin  avecq  celuy  qui  se  trouveroit 
avoir  le  plus  de  voix  en  ladicte  eslection,  commandant  que 
Ton  feist  venir  MM.  Hector,  seigneur  de  Ferreuse,  esleu 
prévost,  de  Sainct-Yon,  qui  avoit  le  plus  de  voix,  et  Lugolly, 

1.  Voici,  d'après  le  Reg.  H,  1789,  foL  1,  la  teneur  des  mandements  de  con- 
vocation adressés  à  chacun  des  quartiniers  pour  la  réunion  des  électeurs 
municipaux  :  «  De  par  les  prévôt  des  marchans  et  esclievins  de  la  Ville  de 
Paris.  —  Sire  Guillaume  Parfaict,  quartenier  de  ladicte  Ville,  appeliez  vos 
ciuquanteniers  et  dixiniers  avec  buict  personnes  des  plus  apparens  de 
vosire  quartier,  tant  officiers  du  roy*  s'il  s'en  trouve  audict  quartier,  que 
des  bourgeois  et  notables  marchans  non  mécanivques,  lesquels  seront  tenuz 
de  comparoir  sous  peine  d'estre  privés  de  leurs  privilèges  de  bourgeoisie, 
franchises  et  libériez,  suivant  Tédict  du  roy,  et  faire  le  serment  es  mains 
du  plus  notable  desdites  huict  personnes  de  eslire  quatre  notables  per- 
sonnes desdictes  huict;  ausquels  eslenz  dictes  et  enjoignez  quMlz  se  trou- 
vent en  leurs  maisons  samedy  prochain,  jusques  après  neuf  heures  du 
matin  que  manderons  d'eulx  d'iceulx  venir  en  Thostel  d'iccUe  ville  pour 
proccdder  à  Feslection  d*un  prévost  des  marchans  et  de  deux  eschevins  nou- 
veaulx,  au  lieu  de  ceulx  qui  ont  faict  leur  temps,  et  nous  apporter  ledict 
jour,  à  sept  heures  du  matin,  le  procès-verbal  cloz  et  scellé,  ce  que  faict  en 
aurez  suivant  l'ordonnance  d'ancienne  coustume.  Si  n'y  faictcs  faulte.  Faict 
au  bureau  d'icelle  ville,  le  jeudi  quatorzième  jour  d'aoust  1586.  »  Rappelons 
que,  d'après  l'édit  de  mai  1554,  les  quatre  notables  par  quartier  élus  au  pre- 
mier degré  ne  pouvaient  pas  être  pris  parmi  les  ciuquanteniers  et  dizai- 
niers.  Sur  la  composition  du  corps  électoral,  voir  Hist,  munie,  p.  2i8  et  455. 
Les  formes  de  l'élection  n'ont  pas  varié  depuis  Tordonnance  de  1450,  rédi- 
gée sous  les  auspices  de  Charles  VII,  d'après  les  anciens  Registres  de  la  Ville. 


244  PARIS  ET  LA  LIGUE 

mandez  audict  lieu,  pour  en  prendre  et  recevoir  le  serment 
on  tel  cas  acoustumé,  qui  seroient  à  Tinstant  comparus;  et 
par  ledict  sieur  de  Sainct-Yon  a  esté  remonslré  qu'il  avoit 
la  pluralité  des  voix,  et  partant  debvoit  précedder  ledict 
sieur  de  LugoUy,  lequel  même  le  lui  avoit  cy-devant 
accordé,  au  cas  qu'il  eust  la  pluralité  des  voix  comme  il 
avoit,  et  de  ce  se  rapportoit  à  son  serment.  Sur  quoy, 
ledict  sieur  gouverneur  auroit  ordonné  qu'il  recevroit  ledict 
serment  ensemblement,  sans  préjudicier  à  ladicte  préséance, 
ce  qu'il  auroit  faict;  et,  pour  cest  effect,  auroit  iceluy 
gouverneur  faict  faire  les  serments  acoustumés  ausdictz 
sieurs  de  Ferreuse  pour  prévost  des  marchands  et  de 
Sainct-Yon  et  LugoUy  pour  eschevins  *,  sans  préjudice  de 
ladicte  préséance  sur  laquelle  Sa  Majesté  déclairera  sa  vo- 
lonté, ainsy  qu'elle  verra  bon  estre.  Et  estant  de  retour 
en  l'Hostel  de  ladicte  Ville,  lesdicts  sieurs  prévost  des 
marchands  et  eschevins  auroient  esté  mis  en  possession 
desdicts  estatz  par  les  anciens,  en  la  manière  accous- 
tuméc  '.  »  Ainsi  le  roi  pratiquait  ouvertement  la  candida- 
ture officielle  et  imposait  la  nomination  d'un  échevin  de 
son  choix.  Il  se  défiait  déjà  de  la  bourgeoisie  parisienne  et 
ne  cherchait  plus  à  lui  plaire. 

Le  29  août  1586,  le  grand  Bureau  fut  convoqué  «  pour 
adviscr  sur  l'édit  du  roy  de  la  vente  et  constitution  de  80,000 
escus  de  rente  que  S.  M.  veult  faire  à  ladicte  Ville  sur  le 
sel  ».  Le  prétexte  était  la  nécessité  de  payer  des  «  colon- 
nelz  et  reistres  et  aultres  seigneurs  d'Allemagne  ».  Mais 
es  Parisiens  préféraient  employer  leurs  économies  à  d  é- 
frayer  la  propagande  de  la  Ligue.  L'assemblée  municipale 
décide  que  «  remonstrances  très  humbles  seront  faites  au  roy 

i.  Nicolas  Hector,  seigneur  de  Pereuse  et  de  Beaubourg,  était  maître  des 
requêtes  de  TUÔtel  du  roi.  Louis  de  SaintrYon  était  avocat;  quant  à  Pierre 
de  LugoUy,  sa  qualité  est  indiquée  par  le  procès-verbal  que  nous  citons. 

2.  Rkg.  h,  1789,  fol.  2  à  5.  Le  registre  U,  1789,  commence  le  14  août  1586 
et  finit  le  30  mars  1590. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  248 

OU  aux  sieurs  de  son  Conseil  de  la  conséquence  dudict 
édict,  et  à  ce  qu'il' plaise  à  S.  M.  excuser  la  dicte  Ville  de 
l'ouverture  du  Bureau  d'icelle  pour  le  recouvrement  des- 
dictz  80,000  écus  *  ».  Le  Conseil  d'Etat  n  ayant  pas  fait, 
on  le  pense  bien,  un  accueil  favorable  aux  remontrances, 
l'Hôtel  de  Ville  essaya  d'abord  d'éviter  de  garantir  les 
arrérages  des  nouvelles  rentes  à  créer  par  une  hypothèque 
sur  le  domaine  municipal.  On  vota  dans  l'assemblée  du 
;}  septembre  que  le  roi  serait  prié  de  fournir  d'autres 
sûretés;  mais  le  prince  n'accepta  pas  cette  substitution  et, 
le  13  novembre,  fit  transmettre  à  la  Ville  par  M.  de  Bel- 
lièvre,  surintendant  des  finances,  Tordre  d'obliger  le  do- 
maine municipal  à  la  garantie  du  payement  des  rentes  *. 
Le  moment  était  mal  choisi  pour  grever  de  nouvelles 
dettes  la  caisse  municipale.  Dans  toute  la  France,  la  misère 
publique  s'accroissait  de  jour  en  jour.  «  En  ce  mois  d'aoust, 
dit  l'Estoile  ',  quasi  par  toute  la  France,  les  pauvres  gens 
des  champs,  mourans  de  faim,  alloient,  par  trouppos, 
couper  sur  les  terres  les  espis  de  bled  à  demi  meurs  et 
les  manger  à  l'instant,  pour  assouvir  leur  faim  effrénée  : 
et  ce  en  despit  des  laboureurs  et  autres  auxquels  les  bleds 
pouvoient  appartenir,  si  d'aventure  ils  ne  se  trouvoient 
les  plus  forts.  Mesmes  les  menassoient  ces  pauvres  gens 
de  les  manger  eux-mesmes,  s'ils  ne  leur  permectoient  de 
manger  les  espis  de  leur  bled.  »  A  Paris,  la  détresse  n'était 
pas  moindre,  et  la  rigueur  de  la  saison  la  rendait  encore 
plus  terrible.  Dans  une  assemblée  du  19  septembre,  le 
Bureau  de  la  Ville  prit  la  résolution  de  faire  renvoyer  dans 
leur  pays  d'origine  les  pauvres  valides  non  originaires  de 
la  capitale  *.  Quant  aux  pauvres  valides,  nés  à  Paris,  et 
aux  infirmes  de  toute  provenance,  on  tâcha  de  se  procurer 

1.  Keo.  H,  1789^  foL  7. 

2.  Ihid.,  foK  8. 

3.  T.  H,  p.  353. 

4.  Reg.  h,  1789,  foL  19. 


I  246  PARIS  ET  LA  LIGUE 

des  ressources  pour  les  nourrir  en  taxant  les  bourgeois 
qui  n'avaient  pas  supporté  leur  part  daûs  la  dernière  con- 
tribution des  pauvres,  et  au  moyen  de  prélèvements  sur 
les  revenus  des  hôpitaux  et  du  grand  Bureau  des  pauvres. 
Mais  tout  cela  restait  encore  au-dessous  des  besoins.  François 
de  Vigny,  receveur  de  la  Ville,  dut  avancer  3,000  écus 
de  sa  bourse  «  pour  subvention  urgente  desdits  pauvres 
es  mois  de  juing,  juillet  et  aoust  ».  Le  Bureau  en  demanda 
le  remboursement  à  «  Messieurs  de  la  police  générale  » 
et  refusa  d'accorder  les  secours  extraordinaires  demandés 
pour  les  pauvres  par  les  lettres  patentes  du  roi.  Il  donnait 
pour  excuse  «  que  les  affaires,  grandes  nécessitez  et  charges 
dont  la  Ville  est  à  présent  tellement  pressée  qu'elle  ne 
peut  fournir  et  satisfaire  aux  charges  ordinaires  ».  Le  Par- 
lement, de  son  côté,  avait  ordonné  l'ouverture  «  d'asteliers 
pour  employer  les  pauvres  valides  ».  Non  seulement  la 
Ville  protesta  et  se  déclara  hors  d'état  d'entretenir  de  nou- 
veaux ateliers  sur  les  fonds  de  la  caisse  municipale,  mais 
elle  ajouta  qu'elle  «  n'entendoit  continuer  les  austres 
astelliers,  sinon  tant  et  si  longuement  que  les  aulmones 
des  bourgeois  continueront  *  ».  Un  peu  plus  tard,  au  mois 
de  décembre,  le  froid  redoubla  d'intensité,  et  les  glaces 
menaçaient  de  rompre  les  ponts  de  Paris.  L'administration 
municipale  prescrit  le  7,  «  aux  maistres  des  ponts,  plan- 
cheieurs,  gardes  de  basteaux  de  la  Ville,  marchans,  voîctu- 
riers  par  eau  et  aultres  qu'il  appartiendra,  de  fermer,  pré- 
sentement et  en  la  plus  grande  diligence  que  faire  se 
pourra ,  à  doubles  cordes  tous  Icsdictz  basteaux ,  tant 
chargez  que  vuides  estans  au-dessus  desdictz  pontz,  tant 
que  lesdictes  glaces  dureront  *...  »  Ceux  qui  n'auront  pas 
de  corde  en  loueront.  Le  tout  sous  peine  d'amende  et  de 
punition  corporelle,  s'il  y  échct. 

1.  Reg.  h,  1789,  foL  22. 

2.  Ibid.,  toi  19. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  247 

La  misère  enfante  généralement  les  agitations  sociales 
et  fournit  un  aliment  aux  entreprises  des  factieux  ou  des 
fous.  Comme  il  arrive  toujours  aux  époques  troublées,  les 
ennemis  du  pouvoir  rencontraient  dans  tous  les  rangs  de 
la  société  des  complices  inconscients  et  qui  n'en  étaient  pas 
moins  passionnés.  C'est  ainsi  que  dans  les  derniers  mois 
de  Tannée  1586  un  avocat  au  Parlement,  nommé  François 
Le  Breton,  occupa  tout  le  royaume  par  la  violence  de  sa 
parole  et  de  ses  écrits,  puis  par  le  caractère  tragique  de  sa 
fin.  Le  Breton,  originaire  d'une  bonne  famille  de  Poitiers, 
s'était  acquis  quelque  réputation  au  Palais  par  une  qualité 
ou  un  défaut  qui,  parait-il,  était  bien  rare  au  xvi"  siècle  : 
il  se  passionnait  pour  les  causes  qui  lui  étaient  confiées,  et 
fcs  considérait  comme  siennes.  S'il  perdait  son  procès,  il 
injuriait  publiquement  les  juges.  La  Grande  Chambre  du 
Parlement  lui  ayant,  pour  ce  motif,  infligé  une  réprimande, 
il  alla  trouver  le  roi  au  Louvre,  agitant  au  bout  d'un  bâton 
un  factum  que  les  circonstances  lui  avaient  inspiré.  Malgré 
les  gardes,  il  put  arriver  jusqu'à  Henri  III  qui,  après 
l'avoir  écouté  sans  colère,  le  renvoya  en  lui  ordonnant  de 
ne  plus  parler  en  public.  Mais  Le  Breton  était  incorrigible; 
il  se  mit  à  parcourir  toute  la  France  «  comme  une  Bac- 
chante »,  suivant  une  expression  de  Thistorien  de  Thou  *, 
et  à  se  faire  l'apôtre  de  la  révolte.  Où  il  n'allait  pas,  il 
envoyait  ses  écrits  incendiaires.  Mayenne  le  reçut  à  Bor- 
deaux et  le  ménagea.  L'étrange  voyageur  revint  à  Paris, 
se  croyant  déjà,  l'homme  de  la  Providence,  le  sauveur  du 
pays.  Il  débuta  par  de  nouveaux  libelles  contre  la  magis- 
trature et  contre  le  roi,  qu'il  traitait  de  tyran  débauché. 
Au  lieu  d'enfermer  cet  homme  comme  aliéné,  on  l'enferma 
h  la  Bastille  comme  criminel  d'État,  et  il  fut  traduit  devant 
le  Parlement.  Sur  le  rapport  de  M.  Chartier,  doyen  de  la 

i.  T.  IX,  p.  612. 


248  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Grand'Cliambrc,  qui  pourtant,  si  Ton  en  croit  TEstoile^ 
était  «  homme  de  bien,  juge  entier  et  non  corrompu  »,  on 
condamna  le  malheureux  à  subir  la  peine  de  mort,  comme 
convaincu  d'avoir  excité  le  peuple  à  la  révolte  par  des 
paroles  et  des  écrits  séditieux.  Son  attitude  devant  la  Cour 
avait  d'ailleurs  été  d'une  telle  incohérence  que  la  folie  de 
l'accusé  ne  pouvait  faire  doute  ;  aussi  le  Parlement  crut-il 
concilier  ses  devoirs  envers  le  roi  avec  ses  devoirs  envers 
la  justice,  en  suppliant  le  souverain,  par  un  article  séparé^ 
de  gracier  Le  Breton,  qui  ne  paraissait  guère  responsable  . 
de  ses  actes.  Mais  il  fallait  au  prince  une  victime  expia/- 
toire,  car  il  n'osait  atteindre  les  Guises  «et  leurs  agents^ 
les  vrais  instigateurs  de  la  rébellion.  Le  22  novembre,. 
François  Le  Breton  fut  pendu  dans  la  cour  du  Palais.  Jean 
du  Garroi  et  Gille  Martin,  qui  avaient  imprimé  ses  libelles,, 
furent  fouettés,  la  corde  au  cou,  et  bannis  du  royaume. 

Ces  brutales  exécutions  n'eurent  aucunement  la  vertu 
d'intimider  les  véritables  ennemis  de  l'autorité  royale. 
Dans  une  assemblée  tenue  à  l'abbaye  d'Orcamp,  près  de 
Noyon ,  sur  la  fin  de  septembre ,  les  chefs  de  la  Ligue 
résolurent  de  prendre  les  armes,  sans  autrement  s'inquiéter 
du  roi,  et  d'occuper  plusieurs  places  de  la  frontière,  notam- 
ment  Sedan  et  Jametz,  qui  pouvaient  servir  de  base  d'opé- 
rations aux  protestants  d'Allemagne.  Par  des  moyens 
assez  déloyaux,  le  duc  de  Guise  se  saisit  de  Rocroi,  qu'un 
aventurier  nommé  Montmarin  avait  un  moment  occupé, 
et  de  Raucour,  ville  du  duché  de  Bouillon.  Il  établit  une 
sorte  de  blocus  devant  la  place  de  Sedan.  Ce  n'était  là,, 
d'ailleurs,  qu'un  épisode  du  plan  général  de  la  Ligue  recon- 
stituée. Les  conjurés  déployaient  une  activité  sans  égale 
et  ne  reculaient  pas  devant  la  mutilation  du  territoire 
national  au  profit  de  l'étranger.  Philippe  II  voulait  avoir  à- 
sa  disposition  un  port  de  la  Picardie  pour  y  concentrer  et 
y  abriter  la  flotte  formidable  qu'il  se  préparait  depuis  quel- 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  249 

ques  années  à  lancer  contre  TAngleterre.  Bernardin  de 
Mendoze,  son  ambassadeur  en  France,  demanda  au  duc 
de  Guise  de  faire  enlever  Boulogne-sur-Mer  par  le  duc 
d'Aumale,  qui  guerroyait  en  Picardie  pour  le  compte  do 
la  Ligue,  et  promit  en  retour  qu'une  flotte  espagnole  vien- 
drait débarquer  au  même  endroit  un  corps  de  troupes  qui 
se  joindrait  aux  forces  de  la  faction  catholique  française. 
Ces  propositions  furent  acceptées  et,  dans  un  conseil  tenu 
au  couvent  des  jésuites  de  la  rue  Saint-Antoine,  on  arrêta 
les  détails  du  coup  de  main.  Le  prévôt  de  la  maréchaussée  * 
du  pays  de  Boulogne,  le  sieur  Vêtus,  qui  allait  tous  les  trois 
mois  dans  la  ville  «  pour  faire  sa  chevauchée  »  et  dont  per- 
sonne ne  se  défiait,  reçut  la  mission  de  se  saisir  d*une  des 
portes  et  de  faire  entrer  ensuite  le  ducd'Aumale  et  un  corps 
de  ligueurs  qui  attendrait  dans  le  voisinage  le  résultat  de  la 
tentative.  Elle  devait  d'autant  mieux  réussir  que  le  duc 
d'Epernon,  gouverneur  de  la  province  pour  le  roi,  était 
fort  impopulaire.  Mais  Henri  III  fut  avisé  du  complot  par 
Nicolas  Poulain,  le  lieutenant  de  la  prévôté  de  Paris,  qui 
avait  assisté  au  conseil  tenu  chez  les  jésuites  '.  Il  écrivit 
au  sieur  de  Bernay,  gouverneur  de  la  Ville,  et  quand  Vêtus 
se  présenta,  on  le  fit  prisonnier  entre  deux  portes  avec 
une  bonne  partie  des  siens.  Le  duc  d'Aumale,  salué  à 
coups  de  canon,  dut  se  retirer  en  toute  hâte  et  faillit  tomber 
dans  une  embuscade  disposée  par  Bernay. 

La  Ligue  essaya  de  se  dédommager,  à  Paris,  de  Tin- 
succès  de  l'entreprise  sur  Boulogne.  Elle  comptait  déjà  de 
nombreux  adhérents  dans  la  capitale  :  des  membres  du 
Parlement  ou  de  la  Chambre  des  comptes,  comme  les  pré- 


1.  Sur  Ie8  prévôts  des  maréchaux  ou  de  la  maréchaussée,  voir  le  Dict, 
des  atréts  de  Jacques  Brillon.  Édit.  in-fol.  de  1727,  l.  IV,  p.  21!,  et  l,  V,  p.;424. 

2.  Il  le  dit  lui-même  dans  son  Procès-verbal  :  «  Ce  qu'estant  par  moy  en- 
tendu, j'en  advertis  aussitost  Sa  Majesté,  etc.  ».  De  Tuou  confirme  cet  aveu  : 
«  Ce  fut  Nicolas  Poulain,  lieutenant  de  Nicolas  Hardi,  prévôt  de  Tlsle,  qui 
découvrit  le  complot  sur  Boulogne  ».  T.  IX,  p.  659. 


250  PARIS  ET  LA  LIGUE 

sidents  Pierre  Hennequin  et  Etienne  de  Neuilly,  des  prê- 
tres, comme  Jean  Boucher,  curé  de  Saint-Benoît,  Jean 
Pelletier,  curé  de  Saint-Jacques  de  la  Boucherie,  Jean 
Guinccstrc,  fameux  prédicateur,  Jean  Prévôt,  archi- 
prêtre  de  Saint-Séverin,  théologien  de  la  Faculté  de  Paris, 
des  banqueroutiers  comme  du  Rousseau;  des  basochiens 
comme  Louis  d'Orléans,  avocat  au  Parlement,  Crucé,  pro- 
cureur au  Châtelet,  la  Morlière  et  Hatte,  greffiers,  Bussy  le 
Clerc,  procureur  au  Parlement  et  ancien  maître  d'armes  ; 
des  nobles,  comme  Gilbert  Coeffier,  sieur  d'Effiat,  qui, 
après  avoir  assisté  aux  premières  séances  du  collège  de 
Sorbonne  et  du  collège  de  Forteret,  devait  bientôt  s'ef- 
frayer lui-même  de  sa  complicité  dans  la  rébellion  et  se 
séparer  des  ligueurs;  ou  encore  comme  François  de  Ron- 
cherolles  de  Maineville,  frère  puîné  de  Hugueville,  gou- 
verneur d'Abbeville.  Ce  Maineville  était  l'émissaire  le  plus 
actif  du  duc  de  Guise,  et  il  faisait  une  propagande  effrénée 
dans  la  capitale  K  Ses  auxiliaires  de  bas  étage,  comme 
Toussaint  Pocard,  assassin  de  profession,  et  le  parfumeur 
Gilbert ,  répandaient  des  bruits  absurdes ,  assurant ,  par 
exemple,  que  les  partisans  du  roi  de  Navarre  devaient  s'as- 
sembler une  nuit  et  massacrer  tous  les  catholiques.  Grâce 
à  ces  mensonges  grossiers,  on  ameutait  facilement  la  popu- 
lace et  on  l'enrôlait  sous  la  bannière  des  capitaines  de  la 
Ligue.  De  Thou  dénonce  une  autre  classe  d'agents  des 

Guises.  «  Les  confesseurs,  dit-il,  abusant  de  leur  minis- 

• 

tère,  n'épargnaient  ni  le  roi,  ni  les  ministres  et  les  offi- 
ciers qui  lui  étaient  le  plus  attachés  ;  et  au  lieu  de  consoler 
par  des  discours  de  piété  les  personnes  qui  s'adressaient 

1.  AifQUETiL,  L'Esprit  de  la  Ligue,  trois  vol.  iii-12,  Paris,  1767,  t.  H,  p.  285, 
constate  que  Maineville  ou  Menneville  représentait  seul  le  duc  de  Guise 
parmi  les  membres  du  comité  de  la  Ligue  qui  siégeait  à  Paris  :  u  Guise 
n'avoit  entre  eux  qu'un  homme  dépositaire  de  son  secret,  savoir  François 
de  RonclieroUes  de  Menneville,  gentilhomme  aimable,  hardi,  éloquent, 
propre  à  inspirer  Tenthousiasme,  mais  qui  ne  fut  pas  toujours  le  maître  de 
calmer  la  fougue  qu'il  avoit  excitée.  » 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  25i 

à  eux,  ils  leur  remplissaient  l'esprit  de  faux  bruits  et  met- 
taient leurs  consciences  à  la  torture  par  des  questions  em- 
barrassées et  par  mille  scrupules  qu'ils  leur  jetaient  dans 
l'esprit.  Par  le  même  moyen,  ils  fouillaient  dans  les  secrets 
des  familles,  et,  en  alléguant  quelques  passages  de  l'Écri- 
ture et  quelques  raisonnements  de  scolastique  pour  prouver 
qu'en  fait  de  religion  les  sujets  peuvent  faire  des  associa- 
tions sans  la  permission  du  prince,  ils  les  engageaient 
enfin  dans  cette  ligue  funeste.  S'ils  trouvaient  quelqu'un 
qui  ne  voulut  pas  y  entrer,  ils  leur  refusaient  l'absolution  *.  » 
L'église  avait  installé  ses  officines  en  pleine  rue,  dressant 
des  reposoirs  que  les  fidèles  chargeaient  de  vases  d'or  et 
d'argent  pour  attirer  la  foule.  C'était  autour  de  ces  autels 
que  s'assemblait  tous  les  jours  la  grande  armée  cléricale, 
tandis  que  des  frontières  de  Champagne,  de  Picardie  et 
de  Lorraine,  le  duc  de  Guise  acheminait  vers  Paris  d'in- 
terminables processions  de  dévots  et  de  dévotes  qui,  en 
longs  habits  blancs  ornés  de  croix,  traversaient  la  ville  et 
l'assourdissaient  de  chants  bizarres  qu'un  grand  historien 
compare  aux  cris  effrayants  des  oiseaux  de  mer,  avant-cou- 
reurs des  tempêtes.  Le  roi,  qui  se  souvenait  d'avoir  donné 
lui-même  le  triste  exemple  de  ces  mascarades  pieuses, 
n'osait  agir,  et  sa  faiblesse  encourageait  l'audace  des  con- 
jurés. Déjà,  dans  les  assemblées  secrètes  du  parti,  on  dis- 
cutait les  moyens  de  se  défaire  du  Valois,  lorsqu'il  revien- 
drait de  Vincennes,  où  il  allait  souvent  faire  ses  dévotions  *. 
Quelques-uns  proposaient  de  tuer  son  cocher  et  les  hommes 
d'escorte,  de  tirer  Henri  III  de  son  carrosse  et  de  l'enfermer 
dans  une  petite  tour  de  l'église  Saint- Antoine.  D'autres  opi- 
naient pour  l'assassinat  pur  et  simple,  d'autres  enfin  pour 
un  cloître.  Mais  les  ligueurs  manquaient  d'une  direction 
suprême.  Ils  adressaient  au  duc  de  Guise  appel  sur  appel, 

1.  De  Thou,  t.  IX,  p.  653. 

2.  Voy.  Procès-verbal  de  Nicolas  Poulain. 


252  PARIS  ET  LA  LIGUE 

et  le  duc,  tout  entier  à  ses  grands  projets,  rêvant  la  convo- 
cation des  États  généraux,  ne  se  souciait  pas  de  rentrer  à 
Paris.  Ce  fut  son  frère,  Mayenne,  qui  arriva,  faisant  sonner 
bien  haut  ses  exploits  de  Guyenne.  Une  députation  dc»^ 
ligueurs  Talla  aussitôt  trouver  à  Saint-Denis,  oii  il  s'était 
arrêté  et,  dans  une  assemblée  nocturne,  le  serment  de  la 
Ligue  fut  solennellement  renouvelé.  La  présence  de  Mayenno 
enhardit  les  factieux  et  leur  fit  prendre  une  attitude  mena- 
çante. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  le  sieur  Hector  de  Pereuse, 
maître  des  requêtes  de  THôtcl  du  roi,  avait  été  nommé 
prévôt  des  marchands  le  16  août  1586.  C'était  un  honmie 
énergique  et  peu  sympathique  à  la  faction  cléricale.  Par 
ordre  du  roi,  il  avait  cru  devoir  faire  enlever  et  emprisonner 
à  rilôtel  de  Ville  un  nommé  la  Morlière,  qui  était  connu 
pour  tenir  chez  lui  des  assemblées  secrètes.  Cédant  aux 
objurgations  des  ligueurs,  Mayenne  ne  craignit  pas  d'aller 
trouver  le  prévôt  des  marchands  et  de  le  sommer  de  mettre 
en  liberté  la  Morlière.  Pour  donner  du  poids  à  sa  brutale 
injonction,  le  duc  fit  entourer  la  maison  de  Percuse  par 
la  tourbe  des  bateliers  et  des  gens  du  port,  qui  se  sou- 
ciaient peu  de  respecter  le  premier  magistrat  de  la  cité.  Le 
prévôt  eut  à  peine  le  temps  d'envoyer  demander  au  roi 
quels  étaient  ses  ordres.  Henri  HI,  sur  le  conseil  de  sa 
mère  et  de  Villequier,  envoya  dire  à  Pereuse  de  rendre  la 
liberté  à  son  prisonnier,  mais  en  ayant  soin  de  déclarer 
qu'il  ne  l'avait  arrêté  qu'en  vertu  de  sa  propre  initiative  et 
non  sur  l'ordre  du  roi.  Tout  le  monde  sachant  le  contraire^ 
l'injure  faite  au  souverain  prenait  une  gravité  nouvelle. 

La  faiblesse  insigne  de  la  cour  porta  au  plus  haut  point 
l'audace  des  ligueurs  et  leur  inspira  la  résolution  de  s'em- 
parer au  plus  tôt  de  la  capitale,  car  ils  ne  pouvaient  plus 
espérer  de  pardon  et  se  demandaient  si  la  mollesse  du  roi 
ne  cachait  pas  un  piège.  Voici  le  plan  qui  fut  adopté.  Pour 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  283 

s'emparer  de  la  Bastille,  qui  était  placée  sous  le  comman- 
dement de  Laurent  Testu,  chevalier  du  guet,  on  devait 
envoyer  une  troupe  d'une  centaine  d'hommes  afin  de  Tas- 
sassiner  dans  son  domicile  privé,  à  la  Culture  Sainte-Cathe- 
rine. Delà,  on  irait  faire  une  visite  du  même  genre  au  pre- 
mier président  de  Harlay,  à  Jacques  Faye,  sieur  d'Espesse, 
avocat  général,  et  chez  plusieurs  autres  fonctionnaires 
fidèles.  L'arsenal  serait  livré  par  un  fondeur  ;  le  grand  et 
petit  Chàtelet  par  quelques  sergents  et  comanissaires  dévoués 
à  la  Ligue;  l'Hôtel  de  Ville,  le  Temple  seraient  envahis  au 
moment  de  l'ouverture  des  portes,  et  quatre  mille  arquebu- 
siers seraient  chargés  d'investir  le  Louvre,  de  tuer  ou  d'af- 
famer les  gardes  du  roi  et  de  faire  le  prince  lui-même  pri- 
sonnier. Pour  contenir  les  pillards,  des  barricades  seraient 
établies  dans  les  rues  au  moyen  de  chaînes  et  de  tonneaux. 
On  ne  pourrait  les  firanchir  qu'en  donnant  un  mot  de  passe. 
Le  Louvre  pris,  on  se  déferait  des  membres  du  Conseil  et 
Ton  en  nommerait  un  autre  selon  le  cœur  de  la  Ligue  ;  le 
Parlement  subirait  le  même  sort  que  le  Conseil  du  roi. 
Mayenne  attendrait  l'issue  de  l'insurrection  dans  un  hôtel, 
afin  de  se  mettre  à  la  tète  des  conjurés  s'ils  réussissaient, 
et,  s'ils  échouaient,  il  sortirait  de  la  capitale  par  la  porte 
de  Bussy,  que  gardait  Bassompierre,  dévoué  aux  Lorrains. 
Poulain,  qui  avait  déjà  fait  prévenir  le  roi  par  le  Chan- 
celier du  projet  sur  Boulogne,  raconte  dans  son  procès- 
verbal  comment  l'horreur  que  lui  inspiraient  les  nouveaux 
desseins  de  la  Ligue,  la  crainte  de  mourir  lui-même  «  et,  au 
partir  de  là,  aller  droit  en  enfer  »  et  aussi  peut-être  des 
motifs  moins  désintéressés,  le  déterminèrent  à  dévoiler 
le  complot.  Il  alla  donc  trouver  le  Chancelier,  qui  lui  donna 
rendez-vous  pour  le  lendemain.  Sur  ces  entrefaites,  Pou- 
lain fut  arrêté  et  emprisonné  au  grand  Chàtelet  sur  la  pour- 
suite de  deux  créanciers  ;  mais  il  trouva  moyen  de  se  faire 
conduire  chez  le  Chancelier  et  de  lui  exposer  les  plans  des 


284  PARIS  ET  LA  LIGUE 

ligueurs,  sans  se  compromettre  aux  yeux  de  leurs  agents, 
la  Chapelle  et  Busày  le  Clerc,  qui  étaient  venus  au  Châtelet 
le  visiter  et  s'enquérir  des  causes  de  son  arrestation. 
Henri  III,  ému,  à  juste  titre,  de  révélations  aussi  graves, 
se  fît  amener  Poulain  pendant  la  nuit,  et  Tenvoya  ensuite 
à  M.  de  Villeroy  pour  consigner  entre  les  mains  de  ce  der- 
nier le  procès-verbal  de  la  dénonciation  *•  Des  mesures 
énergiques  furent  immédiatement  prises  pour  mettre  Paris 
et  le  roi  en  sûreté,  Henri  III  concentra  toutes  les  troupes 
disponibles,  mit  des  corps  de  garde  à  toutes  les  portes,  fit 
garder  les  ponts  de  Saint-Cloud  sur  la  Seine  et  de  Cha- 
renton  sur  la  Marne.  Des  officiers  dévoués  se  saisirent  des 
principales  positions.  M.  de  Longueil  prit  le  commande- 
ment du  grand  Châtelet,  et  Nicolas  Rapin  celui  du  petit  Châ- 
telet. Le  coup  était  manqué.  Mayenne,  qui  depuis  plusieurs 
jours  faisait  le  malade,  trouva  périlleux  de  sortir  de  la 
capitale  par  la  porte  Bussy.  Il  préféra  solliciter,  par  Ten- 
tremise  de  la  reine,  un  sauf-conduit  pour  aller  demander  au 
roi  la  permission  de  se  retirer  dans  son  gouvernement.  «  Eh 
quoi!  lui  dit  Henri  III  en  lui  donnant  son  congé,  eh  quoi! 
mon  cousin,  vous  abandonnez  ainsi  la  Ligue  etles  ligueurs  !  » 
Mayenne  joua  la  surprise  et  se  hâta  de  quitter  Paris,  en 
assurant  les  ligueurs  qu'il  allait  prendre  avec  son  frère  des 
mesures  efficaces  dans  l'intérêt  du  parti;  mais,  une  fois 
sorti  des  faubourgs,  le  duc  tourna  la  tête  du  côté  de  Paris 
et  maudit  avec  Bassompierre  le  peuple  fanatique  qui  l'avait 
exposé  k  un  péril  mortel  dont  il  n'avait  pu  éviter  les  suites 


i.  MiciiBLBT  fait  à  ce  propos  les  réflexions  suivantes  :  a  Gomment  servir 
Henri  UI?  Il  se  trahissait  lui-même.  Son  entourage  lui  fit  croire  que  Pou- 
lain était  payé  par  les  huguenots.  Il  renvoya  faire  ses  révélations  à  un 
Villeroy,  ami  de  Guise,  et  qui  le  tenait  au  courant  de  tout.  »  Hist.  de  Fr,, 
t.  X,  p.  136.  Certains  courtisans  paraissaient,  en  elTet,  trouver  que  Poulain 
faisait  trop  bien  son  métier  d'espion.  L*étrange  personnage  rapporte  un 
peu  plus  loin  dans  son  procès-verbal  que  M.  de  Viilequier,  le  gouverneur 
de  Paris,  lui  fit  une  scène  violente  et  le  menaça,  s'il  cherchait  à  revoir  le 
roi,  de  «  lui  apprendre  à  se  mêler  de  ses  affaires  et  non  de  celles  de  TEstat  ». 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  255 

que  par  une  humiliation  et  par  un  mensonge.  Il  laissait 
(F ailleurs  dans  la  capitale,  sur  le  conseil  du  cardinal  de 
Guise,  son  frère,  soixante  capitaines  aguerris  qui  se  logè- 
rent au  faubourg  Saint-Germain  et  reçurent  la  mission  de 
diriger  les  coups  de  main  des  ligueurs. 

(îes  furieux  ne  se  décourageaient  pas  facilement.  Sur  un 
coniplot  déjoué  se  greffait,  de  suite,  un  autre  complot.  Le 
roi  devait  aller  à  la  foire  Saint-Germain,  où  Taftluence  des 
badauds  était  toujours  considérable,  et  Ton  savait  qu'un 
diner  serait  donné  en  son  honneur  à  Tabbaye;  mais 
Henri  III,  averti  encore  par  Poulain,  se  fit  remplacer  par 
le  duc  d'Épernon,  qui  eut,  du  reste,  beaucoup  de  peine  à  se 
tirer  «  d'une  querelle  d'Allemand  »  suscitée  par  les  éco- 
liers. Cette  fois,  les  ligueurs  se  le  tinrent  pour  dit  et  ren- 
voyèrent les  capitaines  de  Mayenne,  non  sans  les  avoir 
grassement  payés,  au  moyen  d'une  taxe  levée  «  sur  les 
plus  affectionnez  ».  On  avait. pris  pour  base  de  cette  levée 
la  taxe  dos  boues  ;  tout  ligueur  qui  était  imposé  à  trente 
sols  pour  cet  objet  versa  trente  écus  et  ceux  qui  étaient 
taxés  à  six  sols  versèrent  six  écus  pour  la  cause  catholique. 

Lorsque  le  duc  de  Guise  apprit  les  imprudences  des 
Parisiens  et  leur  piteux  résultat,  il  témoigna  un  vif  mécon- 
tentement. M.  de  Maineville  vint  dire  de  sa  part  aux  ligueurs 
de  la  capitale  que  s'ils  ne  changeaient  pas  de  conduite  et 
continuaient  à  enfreindre  ses  instructions,  le  duc  ne  s'occu- 
perait plus  de  leurs  affaires.  Les  Parisiens  s'excusèrent 
très  humblement,  alléguant  l'arrestation  de  la  Morlière, 
qui  leur  avait  fait  craindre  à  tous  un  sort  semblable,  et  pro- 
mirent de  se  conformer  dorénavant  à  tous  les  ordres  du  duc. 
Maineville,  gratifié  d'une  chaîne  d'or  de  cent  écus,  promit 
de  travailler  k  la  réconciliation  de  Guise  et  des  Parisiens. 
En  effet,  depuis  que  le  duc  reprend  la  direction  du  parti, 
ToBuvre  lento  et  dangereuse  d'une  diplomatie  profonde 
se  substitue  au  hasard  des  coups  de  main.  Tandis  que  le 


2S6  PARIS  ET  LA  LIGUE. 

roi,  mal  conseillé  ou  impuissant,  multiplie  dans  la  capitale 
les  mesures  de  police,  la  Ligue  fortifie  ses  intelligences 
avec  la  province  et  travaille  à  jeter  sur  la  France  le  vaste 
filet  de  ses  intrigues  *.  «  Furent  dès  lors  députez  quelques 
bons  habitans  de  Paris,  gens  de  cervelle,  lesquels,  avec 
bonne  instruction,  allèrent  en  plusieurs  provinces  et  villes 
du  royaume,  pour  rendre  capables  quelques-uns  des  plus 
affectionnez  catholiques ,  habitans  desdites  villes ,  de  la 
création  et  formation  de  la  Ligue  et  de  Toccasion  d'icelle, 
des  projets  et  intelligence  avec  les  princes,  afin  de  ne  faire 
qu'un  corps  par  une  mesme  intelligence  en  toute  la  France, 
soubs  la  conduite  des  princes  catholiques  et  conseil  des 
théologiens,  pour  combattre  Thérésie  et  la  tyrannie  *.  » 
Ces  agents  de  la  Ligue,  qui  allaient  catéchiser  la  province, 
ne  parlaient  pas  les  mains  vides.  Ils  emportaient  des 
instructions  et  des  circulaires  écrites  dont  Tétude  présente 
un  vif  intérêt  '.  Les  pièces  doi\t  il  s'agit  comprenaient  trois 
mémoires  :  «  Le  premier  contenant,  disaient  les  ligueurs, 
nos  projects  et  intentions;  le  second  la  forme  de  s'y  gou- 
verner, et  lé  troisième  la  forme  de  nostre  serment  ».  Quant 
aux  projets,  voici  en  quoi  ils  consistaient.  Dans  le  cas  où 
les  Suisses  et  les  reîtres  hérétiques  se  mettraient  en  marche 


i.  Au débul  de  Tannée  1587, les  Rci^istres  delà  Ville  indiquenl  uq  redou- 
blement d'acUvilé  de  la  police  municipale  :  «  Le  roy  ordonne  que  le  lieu- 
tenant civil  et  les  prévosl  des  marchans  et  eschevins  feront  ensemblement 
les  recherches  eu  ceste  Ville  de  Paris,  et  que,  à  cestc  fin,  ilz  entreront 
dedans  les  maisons  particulières  pour  y  fouiller  et  regarder  bien  exacte- 
ment tout  ce  qui  se  trouvera,  lant  des  personnes,  armes  que  aultres  choses 
qui  y  pourroient  estre,  pour  après  en  donner  advis  bien  particulier  &  Sa 
Majesté,  qui  désire  en  eslre  esclercie,  pour  aulcunes  considérations  concer- 
nant grandement  le  bien  de  son  service,  voullant  qu'elle  soit  faicle  la  plus 
exacte  et  particulière  qu'il  sera  possible.  Faict  à  Paris,  le  onzième  jour  de 
janvier  1587.  Signé  :  Henry.  v.Rbg.  H,  1789,  fol.  23. 

2.  Dialogue  (Ventre  le  Mahçustre  et  ù  Manant,  t.  IIÏ,  p.  439,  de  la  Satyre 
Ménippée,  Édit  de  Ratisbonne  de  1752. 

3.  Les  circulaires  envoyées  par  le  conseil  de  la  Ligue  nous  ont  été  con- 
servées par  le  précepteur  de  Henri  IV,  Palma-Cayet,  chronologue  de  France. 
Voy.  Vlntrod.  de  la  chronologie  novenaire,  Coll.  Michaud,  1"  série,  t.  XII, 
p.  34  et  suiv. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTtE  257 

pour  entrer  en  France,  les  «  ecclésiastiques,  gentilshommes 
et  communaulez  catholiques  des  bonnes  villes,  spéciale- 
ment de  Paris,  Rouen,  Lyon,  Orléans,  Amiens,  Beauvais, 
Péronne  »>  offriraient  au  roi  un  corps  de  vingt  mille  hommes 
de  pied  et  de  quatre  mille  chevaux  payés  pour  un  an,  mais 
sous  cette  condition  que  les  villes  associées  nommeraient 
leurs  capitaines,  et  que  ces  capitaines  seraient  pris  parmi  les 
créatures  de  la  Ligue.  On  ne  laisserait  au  roi  que  le  choix 
du  général  en  chef.  Paris,  pour  sa  part,  fournirait  quatre 
mille  fantassins  et  mille  chevaux  ;  le  contingent  des  autres 
villes  était  également  fixé.  Prévoyant  le  cas  où  le  roi  refu- 
serait des  soldats  dont  il  serait  moins  le  chef  que  le  prison- 
nier, la  Ligue  ajoutait  qu'on  n'en  lèverait  pas  moins  Farmée 
catholique  qui,  au  refus  du  roi,  prendrait  pour  chef  un 
prince  dévoué  au  parti.  «  Advenant  le  cas  de  la  mort  du 
roy  sans  enfans,  que  Dieu  ne  veuille  »,  on  réunirait  entre 
Paris  et  Orléans  toutes  les  forces  qu'on  aurait  sous  la  main, 
on  convoquerait  les  États,  et  tout  serait  mis  en  oeuvre  pour 
les  décider  à  nommer  le  cardinal  de  Bourbon,  non  sans 
avoir  réclamé  la  bénédiction  du  Saint-Père  et  le  concours 
du  roi  d'Espagne.  Ainsi  se  trouverait  écarté  «  Henry  de 
Bourbon,  prince  de  Béarn,  hérétique,  relaps  et  excom- 
munié )),  et  les  catholiques  ne  lui  accordent  même  pas  son 
titre  de  roi  de  Navarre. 

Le  second  mémoire  du  comité  parisien  exposait  les 
projets  de  la  Ligue,  en  d'autres  termes  la  politique  à  suivre 
et  les  procédés  à  employer  pour  «  rétablir  la  monarchie  et 
tous  les  cstats  d'icelle  selon  les  anciennes  fondamentales 
loix,  sans  se  despartir  de  la  deue  obcyssance  que  l'on  doit 
au  roy,  tant  qu'il  sera  catholique  ou  qu'il  ne  se  déclarera 
fauteur  d'hérétiques  ».  Les  Seize  recommandent  d'abord 
«  de  faire  que  le  plus  que  l'on  pourra  de  provinces  et 
bonnes  villes  s'unissent  ensemble  de  force  et  conseil  et 
moyens  ».  Ils  comptent ,  pour    réaliser   cette-  espèce   de 

ROBIQUET.  t"? 


2S8  PARIS  ET   LA   LIGIE 

fédération  municipale,  sur  «  les  prédicateurs  ausquels  k* 
peuple  a  créance,  gentilshommes  vertueux  et  de  bonne 
vie,  officiers  du  roV  qui  ne  sont  encore  corrompus,  bons  cl 
notables  bourgeois  et  marchands,  tous  gens  de  bien  et  de 
bonne  conscience  ».  Pour  diriger  tous  ces  gens  de  bien, 
le  mémoire  prescrit  d'établir  dans  chaque  ville  un  con- 
seil de  six  personnes,  se  réunissant  une  fois  ou  deux  par 
semaine  et  servant  de  comité  de  propagande ,  en  même 
temps  que  de  centre  d'action  en  relations  constantes  avec 
Paris.  Le  concours  des  princes  catholiques  sera  accepté. 
On  leur  laissera  le  commandement,  la  direction  des  opéra- 
tions militaires,  mais  sous  le  contrôle  des  «  Estats  et  Conseil 
des  catholiques,  veu  que  les  villes  fourniront  et  souldoye- 
ront  les  hommes,  et  feront  eslection  des  chefs  particuliers 
h  leur  volonté,  et  que  Ton  establira  cependant  un  (ionseil 
de  gens  de  bien  et  qualité  des  trois  estats,  par  Tadvis  des- 
quels les  affaires  se  manieront  en  la  justice  et  finances 
dont  ils  cognoistront  souverainement  *  ». 

La  troisième  instruction  contenait  la  formule  du  serment 
de  la  Ligue.  Cette  formule,  trëft  longue,  peut  se  résumer  en 
•quelques  propositions  générales.  Les  affiliés  doivent  pro- 
mettre de  consacrer  leurs  vies  et  leurs  biens  à  la  défense 
de  la  religion  chrétienne,  catholique,  apostolique  et  ro- 
maine »  ;  d'empêcher  la  couronne  de  «  tomber  en  la  domi- 

1. 11  y  a  certes  dans  le  second  mémoire  du  comité  parisien  un  programme 
assez  net  de  fédération  entre  les  diverses  municipalités  ligueuses  et  une 
prétention  formelle  de  ne  laisser  aux  princes  catholiques  que  la  direction 
des  opérations  militaires,  le  contrôle  financier  et  administratif  étant  réservé 
aux  «  Estats  et  conseil  des  catholiques  ».  Mais  ce  n'est  là  qu'un  programme. 
En  fait,  à  cette  époque,  les  Guises  étaient  les  seuls  chefs  de  la  Ligue,  à  tous 
les  points  de  vue;  et  quand  les  Parisiens  voulaient  agir  en  dehors  d'eux, 
ils  étaient  vertement  tancés  par  les  princes,  qui  leur  envoyaient  Maine- 
ville  ou  un  autre  officier  pour  leur  faire  sentir  que  les  tentatives  d'éman- 
cipation ne  plaisaient  pas  en  haut  lieu.  L'extension  des  franchises  muni- 
cipales ne  passionnait  personne  à  cette  époque  :  la  grande  affaire  pour  les 
Parisiens,  au  point  de  vue  municipal,  était  de  toucher  leurs  rentes  sur 
l'Hôtel  de  Ville  :  aussi  peut-on  conclure  que  la  Ligue  n'a  nullement  été 
une  révolution  municipale,  mais  une  révolution  politique,  accomplie  par 
les  Guises  et  par  le  clergé. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  259 

nation  de  Henry  de  Bourbon,  prince  de  Béarn,  héré- 
tique, relaps  et  excommunié  »  ;  ils  jureront  de  ne  pas  poser 
les  armes  jusqu'à  ce  qu'une  assemblée  générale  des  États 
du  royaume  ait  rendu  à  TËglise  ses  anciennes  et  sainctes 
institutions,  privilèges,  honneurs,  libertez  et  franchises  » 
selon  les  décrets  du  concile  de  Trente,  dont  il  faudra  pour- 
suivre Y  homologation  cl  la  publication  «  pour  estre  unis  et 
incorporez  inséparablement  avec  l'Église  catholique,  aposto- 
lique et  romaine,  qui  est  la  vraye  et  seule  Église  de  Dieu  ». 
Après  un  pathétique  appel  à  la  noblesse  catholique,  que  les 
conjurés  s'engageront  à  ne  pas  abandonner,  les  ligueurs 
demandent  dans  leur  formule  à  <(  Messieurs  les  ecclésias- 
tiques et  nobles  »  de  faire  cause  commune  avec  eux  «  jusques 
h  ce  que  l'on  ait  asseuré  et  restably  les  corps  et  commu- 
nautez  des  bonnes  villes  en  leurs  anciens  privilèges,  libertez, 
honneurs  et  franchises;  semblablement  que  l'on  ait  pourveu 
aux  intolérables  misères  desquelles  le  pauvre  et  commun 
peuple,  nourricier  de  tous  les  autres  estats,  est  aujour- 
d'huy  de  mille  façons  barbarement  opprimé  ».  Le  serment 
se  termine  par  une  invocation  «  au  grand  Dieu  du  ciel,  qui 
a  seul  puissance  sur  les  empires  du  monde  »,  et  une  hypo- 
crite et  méprisante  protestation  de  Fidélité  au  roi  :  «  le  tout 
sans  nous  départir  de  la  deue  obeyssance  que  nous  devons 
au  roy,  veu  que,  si  nostre  intention,  par  l'ayde  d'en  haut, 
se  peut  accomplir,  au  lieu  qu'il  se  peut  dire  à  présent  le 
plus  pauvre  et  mal  obey  roy  de  la  terre,  on  le  verroit  estre 
honnoré  et  mieux  obey  qu'autre  qui  vive  ». 

Ainsi  ce  roi,  «  le  plus  pauvre  et  mal  obéi  de  la  terre  », 
était  en  présence  d'une  conspiration  organisée,  disposant 
de  forces  énormes,  appuyée  d'une  part  sur  l'Église  et  de 
l'autre  sur  l'étranger,  et  dont  le  centre  était  Paris  avec  son 
peuple  terrible.  Dans  cet  extrême  péril,  Henri  lU  se  trou- 
vait isolé,  impuissant  *,  trahi  même  par  ime  partie  de  ses 

1,  Quelques  mesures  de  police  furent  cependant  prescrite»  aux  quartiniers 


260  PARIS  ET  LA  LIGUE 

courtisans.  A  Touesl,  après  la  rupture  des  conférences  de 
Saint-Bris,  près  de  Cognac  (14  déc.  1586)  *,  le  roi  de  Na- 
varre, le  prince  de  Condé  et  le  vicomte  de  Turenne  avaient 
vigoureusement  recommencé  la  guerre  dans  le  Poitou  et 
pris  les  places  de  Chisay,  Sauzay,  Saint-Maixent,  Fonlenay 
et  Mauléon.  Sur  les  frontières  de  Champagne,  le  duc  de 
Guise  se  comportait  comme  un  souverain,  sans  se  soucier 
des  ordres  du  roi,  et  guerroyait  contre  le  duc  de  Bouillon, 
en  attendant  le  grand  choc  avec  l'armée  des  protestants 
d'Allemagne.  Incertain  encore  sur  la  politique  à  suivre, 
Henri  III  n'avait  qu'une  idée  bien  nette,  la  défiance  envers 
la  Ligue  comme  envers  les  huguenots,  et  qu'un  souci  per- 
manent, celui  de  remplir  la  cassette  royale  aux  dépens  des 
sujets.  Les  talents  des  chefs  ligueurs  pour  mettre  à  contri- 
bution leurs  affiliés  avaient  inspiré  au  monarque  une  ému- 


le 23  février  1587.  Le  roi  leur  mande,  à  cette  date,  de  «  marquer  sur  le 
papier  »  le  nombre  des  gens  armés  qui  passaient  chaque  jour  par  chaque 
porte  K  non  compris  et  sans  faire  mention  de  personnes  aians  chevaulx  de 
harnais  ou  portaux  ».  Le  lendemain,  le  roi  envoie  À  la  Ville  de  Paris  un 
nouveau  règlement  de  police  dont  voici  l'intitulé  :  «  L'ordre  que  le  roy 
entend  estre  observé  pour  sçavoir  à  la  vérité,  en  temps  soupçonneux,  les  gens 
de  guerre  et  aultres  personnes  qui  entrent  ordinairetnent  dedans  ceste  ville 
de  Paris  et  de  ceulx  qui  passent  es  environs.  »  Sa  Majesté  ordonne  au  prévôt 
des  marchands  d'envoyer  dans  les  environs  de  Paris,  sur  des  points  déter- 
minés (Corbeil,  Essonne,  Montlhéry,  Viilepreux,  Poissy,  Pontoise,  Senlis, 
Dammartin,  Meaux,  Brie-Comte-Robert,  Melun),  des  émissaires  ayant  pour 
mission  d'observer  les  groupes  de  «  plus  de  cinq  ou  six,  ou  seigneurs  qui 
ayt  train  extraordinaire,  pour  en  advertir  par  lettre,  de  deux  jours  Fun, 
ledictz  prévost  des  marchans;ou  bien,  s'il  aperçoit  chose  digne  d*adverUs- 
sèment,  qu'il  envoie  plustost  homme  de  pied  ».  Même  surveillance  aux 
portes  de  Paris.  On  préviendra  Sa  Majesté  dès  que  le  prévôt  des  marchands 
et  les  échevins  apprendront  par  les  bulletins  des  portiers  et  des  commis  de 
la  ferme  placés  aux  portes  «  qu'il  y  aura  un  grand  abord  d'hommes  en 
ladite  ville  ».  Chaque  soir,  les  aubergistes  devront  apporter  au  quartinier 
les  noms  de  leurs  locataires.  Les  commissaires  et  les  gentilshommes  du 
roi  assisteront  aux  perquisitions  des  officiers  municipaux.  Les  mesures  de 
surveillance  s'étendront  aux  faubourgs.  (Req.  H,  1189,  fol.  28  et  29.) 

1.  Henri  de  Navarre  avait  bien  compris  que  la  reine  mère  ne  visait  qu*à 
gagner  du  temps  et  à  relarder,  s'il  se  pouvait,  rentrée  en  France  de  Tarmée 
des  protestants  allemands.  Aussi  le  roi  de  Navarre  répondit-il  avec  amer- 
tume aux  ouvertures  faites  par  Catherine  et  la  railla-t-il  d'être  venue  de  si 
loin  pour  «  lui  proposer  une  chose  tant  détestée  »  que  le  changement  de 
religion.  Voy.  d'Aubigné,  Hist.  univ.,  t.  III,  col.  40,  et  aussi  Mathieu,  t«  L 
p.  519.  Palma-Gayet,  Introd.,  p.  31. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  261 

lalion  ardente.  Et  puis,  accusé  de  favoriser  secrètement  les 
réformés,  il  trouvait  là  un  prétexte  pour  demander  de 
l'argent  aux  Parisiens  et  aux  bonnes  villes,  sous  couleur 
de  se  mettre  en  campagne  contre  les  ennemis  de  la  reli- 
gion catholique. 

Le  10  janvier  1587,  le  roi  assembla  au  Louvre  plusieurs 
présidents  et  conseillers  au  Parlement,  la  plupart  des  mem- 
bres de  son  Conseil,  tant  de  robe  longue  que  de  robe  courte, 
enfin  le  prévôt  des  marchands,  les  échevîns  et  les  plus 
notables  bourgeois  de  la  ville.  Il  leur  déclara  qu'il  était 
résolu  h  faire  une  guerre  acharnée  aux  relîgionnaires, 
qu'il  exposerait  même  ses  jours,  s'il  le  fallait,  pour  en 
venir  à  bout,  et  qu'en  attendant  il  avait  enjoint  à  ses  officiers 
de  saisir  et  de  «lettre  en  vente  les  biens  des  protestants. 
Cette  petite  harangue  obtint  un  succès  d'enthousiasme; 
mais  Henri  III  gardait  ixn pas t-scriptum,..  Il  fit  une  «  petite 
pause  »,  comme  dit  l'Estoile  *,  puis,  se  tournant  vers  le 
prévôt  des  marchands  et  les  échevins,  il  leur  demanda,  ^ 
pour  faciliter  l'exécution  de  ses  desseins,  une  subvention 
de  cent  vingt  mille  écus.  Les  pauvres  gens  restèrent  interdits 
«  ety  s'en  retournans  tout  faschés,  dirent  qu'ils  voioient 
bien  qu'à  la  queue  gisoit  le  venin  ».  Quelques  jours  après, 
le  19  janvier,  le  roi  écrivit  au  prévôt  des  marchands  pour 
préciser  sa  demande.  Il  dit,  en  substance,  dans  cette  lettre, 
qu'il  a  besoin  d'argent  pour  se  débarrasser  «  des  estrangers 
qui  y  ont  servi  l'année  dernière  »  et  subvenir  aux  dépenses 
de  l'armée.  Plusieurs  villes  ont  déjà  fourni  des  sommes 
importantes,  mais  Paris  n'a  encore  payé  aucuns  subsides, 
bien  que  la  capitale  ait  été  taxée  à  120,000  écus.  Par  bien- 
veillance pour  les  habitants  de  la  ville  où  il  réside,  le  roi 
ne  veut  pas  recevoir  cette  somme  en  pur  don  ;  mais  il  fera 
dresser  par  son  conseil  «  les  rooUes  et  département  de 
ladicte  somme  de  six  vingtz  mil  escus  sur  ceulx  que  nous 

i.  T.  in,  p.  2.  Voy.  aussi  Féub.,  Hist.  de  la  Ville,  t.  Il,  p.  1157. 


262  PARIS  ET  LA   LIGUE 

avons  entendu  avoir  plus  de  moien  en  chascun  quartier  de 
nostre  dicte  ville  ».  Les  quartiniers  enjoindront  aux  bour- 
geois portés  sur  les  rôles  de  mettre  entre  les  mains  de 
M.  François  de  Vigny,  receveur  de  la  ville,  «  la  somme  que 
chacun  d'eulx  est  desparty  *  ».  Le  receveur  municipal 
transmettra  ensuite  les  deniers  encaissés  à  M.  Jacques 
Leroy,  trésorier  de  l'épargne.  Dans  l'assemblée  du  Bureau 
en  date  du  28  janvier,  la  Ville  décida  de  faire  des  remon- 
trances au  roi;  mais  les  ligueurs  ne  manquèrent  pas  de 
tirer  parti  du  mécontentement  du  peuple  pour  Fexciter 
contre  le  prince  et  ses  principaux  officiers.  Le  premier  pifé- 
sident  du  Parlement,  Achille  de  Harley,  et  Hector  de  Pe- 
reuse,  prévôt  des  marchands,  ne  furent  pas  épargnés  par 
les  rédacteurs  de  placards  *.  ♦ 

Paris  ressemblait  à  une  mine  trop  chargée.  Une  nouvelle 
grave  faillit  provoquer  l'explosion.  Le  1"  mars  1587,  on 
apprit  dans  la  capitale  Texécution  de  Marie  Stuart,  qui  avait 
eu  lieu  à  Fotheringay  le  18  février,  sur  Tordre  d'Elisabeth. 
Bien  que  le  roi  de  France  eût  envoyé  à  la  reine  d'Angle- 
terre Pomponne  de  Bellièvre ,  en  qualité  d'ambassadeur 
extraordinaire,  pour  la  prier  de  ne  pas  exécuter  la  sentence 
de  mort  rendue  dès  le  26  octobre  par  la  haute  cour,  la 
Ligue  insinuait  que  l'hypocrite  monarque  avait  demandé 
en  secret  la  mort  de  sa  belle-sœur.  Il  y  eut  à  Paris  un 
concert  d'imprécations  en  français  et  en  latin  contre  «  la 
Jézabel  »,  contre  «  la  louve  anglaise  ». 

Anglois,  TOUS  dites  qu'entre  vous 
Aucun  loup  vivant  ne  se  trouve? 
Non,  mais  vous  avez  une  louve, 
Pire  qu'un  million  de  loups. 

4.  Reg.  de  la  V.  h,  1789,  fol.  23. 

2.  L'£sToiLE  nous  a  conservé  un  sonnet  bizarre,  où  Achille  de  Harlay  et 
Hector  de  Pereuae  sont  comparés  à  Achille  et  à  Hector  d'Homère,  avec 
celte  différence  que  le  poète  anonyme  les  suppose  d'accord  pour  faire 
entrer  les  Grecs  (lisez  les  Huguenots)  dans  Paris  et  leur  permettre  de  mas- 
sacrer les  Parisiens.  T.  III,  p.  9. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  263 

Les  Guises,  qui,  par  leurs  intrigues,  avaient  certes  con- 
Iribué  à  exaspérer  Elisabeth  et,  par  suite,  à  précipiter  le 
dénouement,  tirèrent  parti  de  Témotion  causée  au  peuple 
par  la  nouvelle  de  Texécution  de  Fotheringay  et  firent 
publier  dans  toutes  les  chaires  que  si  le  roi  de  Navarre 
devenait  maître  de  royaume,  il  agirait  avec  la  même 
cruauté  qu'Elisabeth.  Les  prédicateurs  ajoutaient  que  la 
religion  de  Marie  Stuart  était  la  principale  cause  de  sa 
mort.  C'était  une  façon  ingénieuse  de  surexciter  la  haine 
des  catholiques  français  contre  les  huguenots  et  de  rendre 
impossible  la  paix  que  Henri  III  eiit  voulu  rétablir  *.  Afin 
de  donner  un  témoignage  public  de  ses  sentiments  de  dou- 
leur, le  roi  prit  le^ deuil,  avec  toute  la  cour.  Il  ordonna 
qu'un  service  solennel  aurait  lieu  le  13  mars  à  Notre- 
Dame  ,  en  présence  de  tous  les  grands  corps  de  l'État, 
des  princes  et  des  grands  du  royaume.  Les  membres  du 
corps  de  Ville  y  assistèrent,  comme  ils  avaient  déjà  assisté 
la  veille  aux  vigiles  des  morts  qui  avaient  été  dites  égale- 
ment dans  la  cathédrale.  Le  roi  prit  à  charge  les  irais  que 
ces  cérémonies  entraînèrent  pour  la  municipalité  *.  D'ail- 
leurs ces  démonstrations  ne  contre-balançaient  pas  l'effet 
des  menées  de  la  Ligue.  Grâce  aux  avis  de  Poulain,  le 
roi  prenait  bien  quelques  mesures  de  précaution.  C'est 
ainsi  qu'un  mandement  du  Bureau  de  la  Ville,  qui  porte 

1.  Voy.  DB  Thou,  t.  IX,  p.  618.  L'Estoile,  t.  III,  p.  13.  Féubieic,  recueillant 
le  mot  d'ordre  des  écrivains  cléricaux,  écrit  aussi  :  «  La  mémoire  de  celte 
reine  infortunée,  dont  le  crime  capital  avoit  esté  l'attachement  à  la  religion 
^atholiquei  réveilla  tout  de  nouveau  Tanimosité  des  ligueurs  de  France 
4!ontre  les  huguenots.  »  Hist.  de  la  Ville  de  Paris,  t.  II,  p.  1158. 

2.  Voici,  d'après  les  Registres,  le  préambule  de  la  lettre  écrite  à  la  Ville 
par  le  roi  à  l'occasion  du  service  funèbre  en  Tbonneur  de  Marie  Stuart  : 
*<  Nos  très  chers  et  bien  amez,  comme  il  a  pieu  à  Dieu  appeller  à  soy 
noslre  très  chère  et  très  aimée  la  reyne  d'Escosse,  douairière  de  France, 
nostre  belle-sœur,  et  désirant  singulièrement  honorer  sa  mémoire,  pour  le 
rang  qu'elle  tenoit  par  la  pompe  funèbre  et  service  (jui  se  fera  pour  son 
•dme  en  Tégllse  Nostre-Dame  de  cesle  ville  de  Paris,  nous  voulons  et  vous 
mandons  que  vous,  ains  le  procureur,  receveur,  greffier,  conseillers, 
quarteniers,  quatre  notables  bourgeois  de  chacun  quartier  de  noslre  dite 
Ville,  etc.  >»  Voy.  Rbo.  H,  1789,  fol.  31. 


■^-    *    ^ 


264  PARIS   ET   LA  LIGUE 

la  date  du  13  mars,  ordonne  aux  colonels  des  quai'liei"î>  dt? 
«  faire  faire  la  ronde  de  nuict  par  Tun  des  capitaines  de 
leur  quartier  accompaigné  de  trente  hommes  ou  plu» 
grand  nombre,  tant  de  pied  que  de  cheval  *  ».  Celte  ronde 
commençait  à  onze  heures  du  soir  et  finissait  au  point  du 
jour.  Elle  se  faisait  «  par  toute  la  ville,  es  quartiers  de  deçà 
les  ponts  seulement  ».  Mais  c'étaient  des  alertes  conti- 
nuelles. Dans  la  nuit  du  15  mars,  on  avait  remarqué  dos 
groupes  d'hommes  armés  singulièrement  suspects,  no- 
tamment rue  aux  Ours  et  dans  le  faubourg  Saint-Germain. 
Il  y  eut  une  panique  qui  n'était  pas  sans  fondement  ;  mais 
le  Parlement  s'assembla  des  le  lendemain  et  décida  «  qu*on 
feroit  la  nuit  par  la  ville  bonnes  gardes  et  sentinelles,  et^ 
de  jour,  exacte  garde  aux  portes  :  ce  qui  fut  exécuté.  — 
L'EsïOiLE  ».  Se  voyant  devinés,  les  conspirateurs  craigni- 
rent d'être  victimes  de  la  colère  du  roi,  d'autant  plus  que 
leurs  principaux  chefs  quittaient  Paris  et  que  le  duc  do 
Guise,  éloigné  aussi  de  la  capitale,  désavouait  les  impru- 
dences de  ses  partisans.  Henri  III  eut  donc  un  moment  de 
répit. 

Il  en  profita  pour  essayer  de  regagner  la  faveur  des  ca- 
tholiques par  des  démonstrations  de  piété  qui,  jusqu*à  pré- 
sent, n'avaient  trompé  personne.  Le  5  avril,  il  fit  assembler 
aux  Âugustins  tous  les  capitaines  des  dizaines  de  Paris  ', 
assista  avec  eux  à  la  messe,  «  durant  laquelle  il  marmonna 
toujours  son  grand  chapelet  de  testes  de  morts  que,  depuis 
quelque  temps,  il  portoit  à  sa  ceinture,  ouist  la  prédica- 
tion tout  du  long  et  fist  en  apparance  tous  actes  d*un 
grand  et  dévot  catholique  ».  Mais,  quand  les  dizainiers 
eurent  le  dos  tourné,  le  roi  dit  «  en  se  moquant  de  toules 
ces  simagrées  :  Yoilà  le  fouet  de  mes  ligneux,  monstrank 


1.  Ri6.  H,  1789,  foL  36. 

2.  En  vertu  d'un  vieil  usage  tombé  en  désuétude,  les  dizainiers  s'assem- 
blaient le  premier  dimanche  de  chaque  mois.  LTstoilb,  t.  UI,  p.  39. 


LES   PRÉPARATIFS   DE  LA   LITTE  263^ 

son  grand  chapelet  ».  Henri  III  allait-il  prendre  vis-à-vis 
des  rebelles  une  attitude  plus  énergique?  Plusieurs  cir- 
constances tendaieàt  à  le  faire  croire.  Le  duc  de  Montpen- 
sîer  lui  ayant  envoyé  un  genlilhomme  de  sa  maison  pour 
se  plaindre  du  duc  de  Guise,  qui  menaçait  la  ville  de 
Sedan,  le  roi  dépêcha  M.  de  Bellièvre  au  duc  de  Guise- 
pour  lui  donner  Tordre  formel  de  quitter  les  environs  de 
la  place;  Guise  obéit,  mais  sans  parvenir  &  dissimuler  sa 
colère.  Le  14  avril,  un  nouveau  règlement  fut  adressé  par 
le  souverain  à  M.  de  Villequier,  gouverneur  de  Paris.  C'est 
à  la  fois  un  règlement  militaire,  concernant  Torganisalion 
de  la  milice  municipale,  et  un  règlement  de  police,  indi- 
quant les  mesures  h  prendre  pour  la  surveillance  des. 
étrangers  *. 

Il  résulte  de  l'intitulé  même  de  cette  pièce  importante 
qu'en  1587  c'était  le  roi  qui  désignait  les  capitaines  et 
lieutenants  de  la  milice  municipale  '  et  leur  faisait  prêter 
serment  de  fidélité  ^  Les  capitaines  désignaient  ensuite 


1.  tt  Ordre  et  règlement  que  le  roy  veult  et  ordonne  &  Monseigneur  de 
Villequier,  gouverneur  et  son  lieutenant  général  en  sa  bonne  ville  et  cité- 
de  Paris  et  Isle-de-France,  faire  garder  et  observer  par  les  prévosl  des- 
marchans  et  eschevins,  colonnels  et  capitaines  bourgeois  de  sa  dicte  bonne 
ville  de  Paris  esleuz  par  S.  M.  pour  son  service,  conservation  de  ladicle 
ville  et  bourgeois  dMcelle  soulz  son  obéissance  ».  (Rrg.  H,  1789,  fol.  39.)- 
Ce  règlement  est  daté  du  14  avril  1587. 

2.  Nous  avons  déjà  eu  Toccasion  d'esquisser  Tbistoire  de  la  milice  pari- 
sienne au  xvi"  siècle  et  de  préciser  les  attributions  respectives  des  quar- 
tîniers  et  des  capitaines.  A  l'origine,  sous  Charles  IX,  les  capitaines  étaient 
élus  par  les  habitants  du  quartier.  Voy.  Hist.  munie,  p.  536  et  la  note. 

3.  «  Après  que  les  capitaines  et  lieutenans  auront  esté  esleux  et  faict  le 
serment,  sera  ordonné  l'enseigne  par  le  capitaine  à  tel  que  bon  luy  sem- 
blera qu'il  choisira,  lequel  porte-enseigne  ainsy  choisy  sera  tenu  de  l'ac- 
repter,  encore  qu'il  ayt  cy-devant  commandé  un  aultre  degré,  pour  après 
eulx  tous,  ensemblement  les  cinquantenlers  et  dixiniers  appeliez,  faire 
description  de  tous  les  chefs  d'hostel  et  locataires  des  maisons  de  leur 
dizaine,  puis  après  yront  eulx-mesmes  en  personne  par  toutes  les  maisons 
de  leur  dizaine  où  ilz  feront  description  et  rooUe  contenans  les  noms,  sur- 
noms et  quallités  de  tons  les  maistres  et  serviteurs  pouvant  porter  arme, 
desquels  serviteurs  les  maistres  demoureront  responsables...  Le  capitaine 
choisira  les  sergents  de  bande  qui  porteront  la  hallebarde  pour  conduire 
la  compagnie  et  nommera  les  caporaulx  qu'il  trouvera  les  plus  cappables, 
qui  anront  vingt  hommes  soulz  leur  escouade;  et  chacun  sergent  aura 


266  PARIS  ET  LK  LIGUE 

renseigne,  les  sergents  et  les  caporaux.  Aux  chefs  incom- 
bera le  soin  de  compléter  dans  chaque  dizaine  reflfectif 
réglementaire  et  de  forcer  ceux  qui  n^auraient  pas  d'armes 
(corselets,  arquebuses,  morions)  à  se  les  procurer.  Le  lieu 
de  rassemblement  de  chaque  compagnie  n  est  autre  que 
devant  la  porte  du  capitaine.  Quand  la  compagnie  sera 
dressée  *,  le  capitaine  la  passera  en  revue.  Lorsqu'une 
place  de  colonel  deviendra  vacante,  les  capitaines  et  lieu- 
tenants du  quartier  dont  le  défunt  était  le  chef  militaire 
s'assembleront  afin  de  lui  choisir  un  successeur.  Chaque 
jour,  le  prévôt  des  marchands  fera  «  seize  bulletins  cloz  el 
scellés  du  scel  de  la  ville,  dedans  chacun  desquelz  sera 
escript  le  mot  du  guet  ».  Chaque  colonel,  au  reçu  de  son 
bulletin,  en  adressera  une  copie,  cachetée  de  son  cachet  de 
colonel,  à  chacun  des  capitaines  du  quartier.  Le  prévôt 
des  marchands,  les  échevins  ne  sont  pas  autorisés  à  se 
décharger  sur  les  colonels  de  la  surveillance  de  la  ville. 
«  Chacun  en  leur  tour  »  ils  doivent  aussi  faire  des  rondes, 
et  les  corps  de  garde  et  sentinelles  ne  doivent  être  levés 
«  qu'après  qu'il  fera  grand  jour  w.  Quant  aux  bourgeois, 
leurs  obligations,  en  ce  qui  concerne  le  service  de  garde, 
sont  sanctionnées  par  des  amendes  et  de  la  prison.  «  Les 
bourgeois  chefz  d'hostel,  tenans  et  logez  en  chambres  de 
louaige,  etaussy  ceulx  ayant  pouvoir  et  puissance  de  porter 
armes  »  doivent  aller  en  personne  «  aux  guel  et  garde 
qui  leur  sont  commandez  et  ordonnez  par  les  capitaines, 
lieutenans  et  enseignes  »,  à  peine  d'un  écu  d'amende, 
deux  écus,  en  cas  de  récidive,  et  vingt-quatre  heures  de 


deux  escouades,  tellement  que  quand  le  capitaine  aura  besoing  d'assem- 
bler ses  gens,  il  n'aura  à  faire  sinon  d'advertir  ses  lieutenans  et  enseignes 
pour  commander  aux  sergens  d'assembler  les  caporaulx  À  ce  qu'ilz  aient 
à  assembler  leurs  escouades  pour  eulx  trouver  devant  le  logis  de  leur  capi- 
taine. 0  (Reg.  h,  1789,  fol.  39.) 

1.  C'est-à-dire  levée,  «  Dressoit  deux  compagnies  afin  qu'il  se  jettast  dans 
la  Réolle  ».  Mém,  de  Montluc,  t.  II,  p.  73.  Voy.  le  DicL  de  Lacume  de  Sainte- 
Palaye,  Édit.  Favre.  V«  Drbssbr,  t.  V,  p.  259. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  267 

prison  pour  la  deuxième  récidive.  C'est  le  prévôt  des 
marchands  qui  décerne  les  contraintes  pour  le  payement 
«les  amendes. 

Le  service  des  portes  de  la  ville  est  réglé  avec  un  soin 
méticuleux.  Chaque  matin  le  quartinier  dans  le  ressort 
duquel  se  trouve  une  porte  envoie  un  dizainier  ou  un 
cinquantenier  à  cette  porte  avec  la  clef,  et  le  capitaine  de 
la  garde  montante  préside  à  Touverture.  De  même  pour  la 
fermeture  :  le  quartinier  envoie  de  nouveau  les  clefs,  qu'il 
est  tenu  de  garder  chez  lui,  car  les  capitaines  ne  sont  que 
des  agents  d'exécution  et  non  les  véritables  représentants 
de  l'autorité  municipale.  Pendant  la  nuit,  deux  portes  seu- 
lement resteront  ouvertes  ou  du  moins  pourront  être 
ouvertes.  Ce  sont  les  portes  Saint-Jacques  et  Saint-Denis; 
un  quartinier  y  passe  la  nuit  et  reste  détenteur  de  la  clef 
du  guichet.  Une  enquête  sommaire  sera  faite  chaque  fois 
qu'un  forain  se  présentera  pour  entrer  dans  Paris  :  on  lui 
demandera  où  il  va  loger,  ce  qu'il  vient  faire  dans  la  capi- 
tale. S'il  a  des  armes,  elles  seront  portées  à  son  hôtelier, 
qui  ne  pourra  les  lui  rendre  qu'au  départ,  sous  peine  de 
dix  écus  d'amende,  sans  préjudice  de  la  confiscation  des 
armes. 

Diverses  prescriptions  complètent  ces  mesures.  «  Afin 
que  les  règlements  susdicts  réussissent  à  quelque  bon 
ofiTet,  pour  l'honneur  de  Dieu,  manutention  de  la  reli- 
gion apostolique  et  romaine,  obéissance  du  roy  et  conser- 
vation de  ladite  ville,  sera  la  messe  des  capitaines  célé- 
brée les  premiers  dimanches  du  mois,  et  fut  commencée  le 
dimanche  de  Quasimodo  au  couvent  des  Augustins.  »  Un 
peu  plus  tard,  le  3  juillet  1587,  la  Ville  assembla  les 
<:olonels,  lieutenants  et  enseignes  dans  la  maison  commune, 
et  l'on  décida,  dans  cette  séance,  que  les  colonels  et  capi- 
taines se  réuniraient  tous  les  vendredis  à  l'Hôtel  de  Ville 
«  pour  adviser  sur  les  affaires  et  occurrances  qui  pourront 


268  PARIS   ET  LA   LIGUE 

se  présenter  *  ».  Un  ordre  antérieur  du  Bureau,  daté  du 
24  avril  %  avait  enjoint  aux  cinquanteniers  et  dizainiers  de- 
demeurer  dans  la  circonscription  de  leur  dizaine,  et  ct-^ 
dans  le  délai  de  quinze  jours,  sous  peine  de  privation  do 
leur  état.  Ainsi  se  trouvait  constituée,  sur  le  papier  tout  au 
moins,  une  force  redoutable  dont  le  roi  désignait  les  chefs  ; 
mais  la  suite  prouvera  que  la  milice  municipale  n'était  pas- 
disposée  à  suivre  aveuglément  ses  officiers. 

Il  faut  remarquer  que  la  publication  de  l'important 
règlement  de  police  que  nous  venons  d'analyser  coïncidait 
avec  le  retour  du  duc  d'Epernon  ^  à  Paris  (avril).  C'était  le 
plus  énergique  des  amis  du  roi  et  le  plus  hostile  à  la 
Ligue.  Tout  récemment,  il  avait  failli,  à  Lyon,  être  victime 
d'un  guet-apens  tramé  par  Mayenne,  et  il  s'en  souvenaiL 
Son  entrée  à  Paris  «  en  grande  magnificence  et  compagnie 
de  plus  de  trois  cens  chevaux  »  consterna  les  ligueurs,  «  qui 
disoient  qu'il  n'y  avoil  que  lui  qui  mottoit  le  cœur  au 
ventre  du  roi  *  ».  Presque  en  même  temps  que  d'Epernou, 
le  duc  de  Joyeuse  rentra,  de  son  côté,  dans  la  capitale  ;  il 
arrivait  de  la  Normandie  ;  mais  le  crédit  du  beau  Joyeuse 
était  bien  affaibli  depuis  que  le  roi  avait  eu  connaissance 
de  ses  relations  beaucoup  trop  cordiales  avec  la  faction 
des  Guises. 

Henri  III  était  toujours  en  butte  aux  insolentes  déclama- 
tions  des  prédicateurs,  qui,  nous  dit  l'Estoile  dans  son 
pittoresque  langage,  «  lui  donnaient  des  coups  de  bec, 
comme  s'il  eust  favorisé  sous  main  l'hérétique,  et  là-dessus 

1.  Rbg.  h,  1789,  f>  50. 

2.  Ibid.,  f»  43. 

3.  AnQDEnL  donne  en  quelques  lignes  un  aperçu  exact  des  tendances- 
opposées  des  principaux  courtisans  de  Henri  UI  :  «  Dans  sa  cour  et  dans 
son  conseil,  les  attachements  étoient  divers  comme  les  opinions.  Joyeuse^ 
un  des  mignons,  Villeroy,  un  des  principaux  ministres,  la  reine  mère, 
beaucoup  de  seigneurs  penchoient  pour  la  Ligue.  Espernon,  autre  favori, 
et  tous  ceux  que  les  prétentions  audacieuses  du  duc  de  Guise  révoltaient, 
favorisoienl  les  Bourbons  ». 

4.  L'Estoile,  t.  IH,  p.  42. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  269 

le  crocheteur  de  Paris  le  traînoit  par  la  fange  de  ses 
infâmes  médisances  et  bouffonneries  ».  L'argument  qu'on 
•employait  alors  pour  le  rendre  odieux  au  peuple,  c'est 
iju'il  ne  procédait  pas  à  la  vente  des  biens  des  huguenots, 
ordonnée  par  lettres  patentes  du  2  mai  1586  *.  Pour 
priver  les  fanatiques  de  ce  thème  commode,  le  roi  ordonna 
au  Parlement  de  publier  Tédit  de  confiscation;  mais,  en 
même  temps,  il  enjoignit  aux  magistrats  de  punir  sévère- 
ment les  auteurs  des  libelles  séditieux  contre  la  personne 
royale,  et  menaça  les  membres  du  Parlement  de  s'en 
prendre  à  chacun  d'eux  personnellement,  si  la  répression  se 
faisait  attendre.  Il  sortit  de  ces  menaces  une  belle  ordon- 
nance qu'on  appela  l  ordonnance  de  cire^  parce  qu'elle  «  se 
fondit  aux  tièdes  faveurs  des  grands  et  n'eut  vertu  que  du 
papier  ». 

Le  corps  municipal  rivalisait  avec  le  Parlement  de  froi- 
deur envers  le  pauvre  monarque,  et,  d'ailleurs,  la  Ville 
n'avait  pas  lieu  de  lui  témoigner  un  grand  amour,  car  il 
venait  de  décider  de  saisir  purement  et  simplement  les 
fonds  destinés  au  payement  des  rentes  de  la  Ville  dont  le 
quartier  venait  à  échéance  le  dernier  jour  de  juin  1587.  En 
apprenant  cette  nouvelle  atteinte  aux  privilèges  de  la  cité, 
le  Bureau  s'assembla,  et,  dans  la  séance  du  28  avril,  il  fut 
«  conclud  que  MM.  les  prévost  des  marchans  et  eschevins 
et  conseillers  de  la  Ville,  MM.  de  l'Hostel-Dieu  et  commis- 
saires des  pauvres  iroient,  le  lendemain,  vers  MM.  de  la 
(iour  de  Parlement  pour  les  supplier  de  faire,  de  leur  part, 
remontrances  au  jroy,  ad  ce  qu'il  plaise  à  Sa  Majesté  pour- 
veoir  au  paiement  des  arrérages  des  rentes  d'icelle  ville  *  ». 
La  députation  municipale  se  rendit,  en  effet,  auprès  du 
roi,  le  29  avril,  et  lui  adressa  les  remontrances  qu'elle 

1.  On  peut  lire  le  texte  de  ces  lettres  patentes  dans  le  Recueil  des  Mémoires 
de  la  Ligue,  t.  I,  p.  310. 
'2.  Rbo.  h,  1789,  f»  43. 


270  PARIS  ET  LA  LIGUE 

avait  mission  de   présenter.    Mais    Henri  III,  loin  d'eu 
tenir  compte,  répliqua  en  faisant  demander  à  THôtel  de 
Ville  par  M.  de  Villequier,  gouverneur  de  Paris,  «  bonne 
somme  de  deniers  pour  le  paiement  des   reltres   et  des 
Suisses  ».  Il  s'agissait  de  140,000  écus  destinés  à  payer  la 
solde  de  4,000  Suisses  pondant  quatre  mois.  L'assemblée 
générale  qui  eut  lieu  le  43  mai  \  k  la  maison  commune, 
entendit  avec  stupeur  cette  nouvelle  injonction.  On  eut 
recours  au  Parlement,  qui  ne  refusa  pas  son  intervention, 
et,  le  30  mai,  à  ce  que  nous  apprend  TEstoile  *,  «  certain 
nombre  de  présidens  et  conseillers  de  la  Cour  furent  par 
icelle  derechef  députés  pour  aller  au  Louvre  faire  au  roy 
remonstrances  sur  la  saisie  des  deniers  destinés  au  paie- 
ment des  rentes  de  la  ville  et  Tarrest  de  leurs  gages,  et  lui 
dire  que,  s'il  n'en  bailloit  main-levée,  ils  estoient  résolus  de 
n'aller  plus  au  palais  et  abandonner  son  service  accous- 
tumé  ».  A  cette  menace  directe,  qui  attestait  le  mépris  pro- 
fond dans  lequel  les  magistrats  eux-mêmes  tenaient  le  roi, 
leur  maitre,  Henri  III  répondit  avec  rage  qu'il  ferait  droit 
à  la  requête  du  Parlement  s'il  «  lui  baillait  main-levée  de 
la  guerre  »,  mais  qu'il  voyait  bien  ce  que  signifiait  l'attitude 
des  gens  de  justice  «  et  qu'ils  marchandoient  à  se  faire 
jeter  dans  un  saq  à  la  rivière  ».  Le  roi  voulait  dire  sws 
doute  que  les  magistrats  avaient  peur  des  cris  et  des  décla- 
mations des  prédicateurs  qui,  dans  leurs  sermons  de  la 
Fête-Dieu,  étaient  allés  jusqu'à  dire  qu'il  fallait  coudre 
dans  un  sac  et  jeter  à  Teau  a  ceux  de  la  justice  »,  à  cause 
de  leur  complaisance  pour  les  exactions  du  prince.  Quant  à 
la  Ville,    elle  supplia   le  roi,    pour  éviter  la  saisie  des 
rentes,  de  vouloir  bien   se  contenter  de  200,000  livres, 
«  laquelle  somme   seroit  taxée  et  imposée   sur  tous   et 
chacun  les  manans  et  habitans  de  ladicte  ville  et  faulx- 

1.  Rso.  H,  1189,  f»  43. 

2.  T.  ni,  p.  46. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  271 

bourg,  le  fort  portant  le  faible,  privilégiés  et  non  privi- 
légiés »,  sans  excepter  même  les  gens  d'Église  et   les 
domestiques  du  roi  *.  C'était  là  le  maximum  des  sacrifices 
que  pouvaient  alors  supporter  les  finances  municipales,  car 
la   misère  sévissait  durement  à  Paris  :  le  blé  se  vendait 
aux  Halles  trente  francs  le  setier  '  et  jusqu'à  trente  cinq, 
quarante  et  quarante-cinq  livres  dans  les  villes  voisines. 
Une  multitude  de  pauvres  errait  dans  les  rues,  à  tel  point 
qu'on  fut  obligé  d'en  loger  deux  mille  à  l'hôpital  de  Gre- 
nelle, où  le  roi  leur  faisait  donner,  chaque  jour,  cinq  sous 
par  tête. 

Les  circonstances  ne  paraissaient  pas  favorables  au 
rétablissement  de  la  prospérité  publique.  La  Franco  entière^ 
était  en  armes  ;  toutes  les  provinces  se  transformaient  en 
champ  clos  oii  protestants  et  catholiques  continuaient  leur 
duel  acharné.  Sur  les  frontières  de  Champagne,  le  duc  de 
Guise  guerroyait  contre  le  duc  de  Bouillon.  Dans  le 
Poitou  et  le  Périgord,  le  roi  de  Navarre,  le  prince  de  Gondé, 
le  vicomte  de  Turenne  faisaient  tête  vigoureusement  aux 
troupes  catholiques.  Au  commencement  de  juin,  le  duc  de 
Joyeuse  quitta  Paris  pour  aller  se  mesurer  avec  le  terrible 
Bourbon.  Une  grande  partie  de  la  noblesse  le  suivit  :  il 
emmenait  environ  huit  mille  hommes.  Les  premières 
escarmouches  furent  assez  heureuses  pour  le  favori,  qui 
obtint  quelques  succès  dans  le  Poitou  contre  les  protes- 
tants, mais  se  déslionora  en  massacrant  ses  prisonniers, 
notamment  lors  de  la  prise  de  Saint-Eloi  et  de  Tonnay- 
Charente.  Le  roi  de  Navarre  ne  pouvait  laisser  accabler  en 
détail  ses  petits  postes  avancés.  Il  sortit  de  la  Rochelle  et 


1.  Ces  200  000  livres  étaieot  un  don  gratuit.  Ils  furent. votés  dans  une 
assemblée  du  samedi  11  juillet  1587. 

2.  Le  setier  avait  une  contenance  d'environ  156  litres.  «  Le  prix  du  blé  a 
toujours  été  assez  uniforme  et,  année  commune,  un  setier  de  blé  a  tou- 
jours payé  quatre  paires  de  souliers  depuis  Charlemagne.  »  Dict.  Philos., 
V»  Blé. 


272  PARIS  ET  LA  LIGLE 

marcha  contre  Joyeuse,  dout  le  quartier  général  était  à 
Niort;  mais  le  duc  venait  d'apprendre  que  son  absence  rui- 
nait de  plus  en  plus  le  crédit  qui  lui  restait  à  la  cour  ; 
ses  troupes  commençaient  à  se  débander,  la  contagion  les 
décimait.  Laissant  le  commandement  à  Jean  de  Beaumanoir 
de  Lavardin,  Joyeuse  abandonna  ses  soldats  à  la  grâce  do 
Dieu  et  revint  en  poste  à  Paris  (15  août).  Navarre  profita 
de  ce  départ  du  général  ligueur  pour  refouler  les  catholi- 
ques du  côté  de  la  Touraine  et  s'avança  jusqu'à  Monso- 
reau sur  la  Loire,  au-dessus  de  Saumur.  II  v  bâtit  un  fort 
et  fit  construire  un  pont  de  bateaux  pour  permettre  aux 
renforts  qu'il  attendait  de  Normandie  et  d'Anjou  de  venir 
le  joindre. 

Henri  III  se  trouvait  acculé  à  la  nécessité  de  faire  la 
guerre,  mais  à  qui?  Tous  ses  actes  sont  complexes  et  con- 
-tradictoires.  Il  convoque  ses  compagnies  d'ordonnance  et 
forme  trois  corps  d'armée  pour  combattre  les  huguenots, 
comme  s'il  était  décidé  à  faire  un  effort  décisif;  mais  il 
quitte  Paris  au  même  moment  (19  juin)  pour  aller  àMeaux, 
<lans  l'intention  d'y  mander  le  duc  de  Guise  et  de  conférer 
avec  lui  sur  les  moyens  de  rétablir  la  paix.  D'tpernon, 
Villeroy,  les  gens  du  Conseil  et  plusieurs  membres  du  Par- 
lement accompagnent  le  souverain  pour  l'aider  de  leurs 
lumières.  La  municipalité  parisienne  est  représentée  h 
Meaux  par  deux  cchevins,  Pierre  Lugoly,  lieutenant  cri- 
minel au  Ghàtelet,  et  Louis  de  Saintyon,  avocat  '.  Mais  le 
roi  dut  revenir  à  Paris,  le  27  juin,  sans  avoir  vu  le  duc 
de  Guise,  qui,  craignant  quelque  piège,  n'avait  pas  répondu 
à  l'appel  du  monarque.  Il  fallut  envoyer  la  reine  mère 
pour  rassurer  le  duc,  qui  daigna  enfin  se  rendre  à  Meaux. 

1.  Les  éleclions  municipales  de  1587  pour  le  remplacement  de  deux 
•écbevins  sortants  eurent  lieu  le  17  août,  sans  incident.  C'est  le  roi 
lui-même  qui  reçut  le  serment  des  deux  écbevins  nouveaux,  Jean  Le  Comte 
et  François  Bouvart,  choisis  parmi  les  quartiniers.  Le  scrutin  fut  ouvert 
par  M.  de  Villeroy,  secrétaire  d'État.  Rbg.  H,  1789,  f*  62. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  273 

Henri  III  y  revint  de  son  côté,  le  3  juillet,  toujours  suivi 
de  d'Èpernon.  Tout  le  résultat  de  Tentrevue  se  réduisit, 
d'ailleurs,  à  quelques  embrassades  de  commande,  échangées 
entre  le  duc  de  Guise  et  le  duc  d*Épemon.  Le  premier  dit 
résolument  au  roi,  qui  le  pressait  de  se  prêter  à  un  accom- 
modement avec  les  huguenots,  «  qu'il  était  du  côté  de  la 
guerre  »,  et  engagea  le  prince  à  se  souvenir  qu'il  était  roi 
d'un  peuple  qui  n'avait  jamais  craint  autre  chose  que  la 
chute  du  ciel.  A  cela,  le  duc  ajouta  d'aigres  récrimina- 
tions sur  le  gaspillage  des  fonds  destinés  à  la  guerre  et 
sur  la  disgrâce  de  plusieurs  gentilshommes  dévoués  à  la 
Ligue.  Henri  III  n'était  jamais  à  court  de  paroles  et  ré- 
pondit en  accusant  Guise  d'avoir  voulu,  par  lui  ou  ses 
lieutenants,  se  saisir  de  places  fortes  que  les  huguenots  ne 
menaçaient  nullement,  comme  Boulogne-sur-Mer  et  Vitry- 
le-François,  et  d'avoir  détourné  pour  d'autres  usages  cent 
mille  écus,  levés  pour  reconstruire  la  citadelle  de  Verdun. 
En  somme,  le  roi  céda  et  promit  de  s'opposer  lui-même 
par  les  armes  à  l'invasion  des  protestants  d'Allemagne,  et 
surtout  à  leur  jonction  avec  le  roi  de  Navarre.  Le  plan  du 
machiavélique  Valois  consistait  à  s'établir  sur  la  Loire 
avec  une  forte  armée,  tandis  qu'à  l'ouest  Joyeuse  contien- 
drait les  forces  que  le  Béarnais  recrutait  en  Gascogne,  et 
qu'en  Lorraine  le  duc  de  Guise  recevrait  le  choc  des  reîtres 
allemands  et  serait  peut-être  battu,  car  il  ne  disposait  que 
d'un  efTectif  insuffisant.  Joyeuse  vainqueur,  Guise  affaibli  ou 
tué,  le  roi  redevenait  assez  puissant  pour  braver  la  Ligue, 
et  quant  aux  reîtres  et  aux  Suisses  huguenots,  avec  de  l'or 
on  s'en  débarrasserait  toujours.  Le  calcul  pouvait  certes 
réussir,  et  un  peu  de  prestige  était  bien  nécessaire  au  roi. 
A  Paris,  l'audace  des  ligueurs  ne  connaissait  plus  do 
bornes.  Le  3  juin,  Roland,  général  des  monnaies,  que 
l'Estoile  appelle  quelque  part  a  l'un  des  arcsboutans  et  pil- 
liers  de  la  Sainte-Ligue  »,  s'exprima  avec  une  telle  vio- 

ROBIQUET.  18 


S74  PARIS  ET   LA  LIGUE 

lence  sur  le  compte  du  roi,  en  pleine  assemblée  de  THôtel 
de  Ville,  qu'il  fallut  Tarrêter  et  Técrouer  h  la  Conciergerie; 
mais,  chose  étrange,  la  Ligue  eut  le  crédit  de  faire  arrêter 
et  emprisonner,  le  même  jour,  le  Toulousain  du  Belloy, 
qui  avait  trop  hautement  pris  le  parti  du  roi  de  France  et  du 
roi  de  Navarre  contre  les  libelles  diffamatoires  des  catho- 
liques. Et  Roland,  le  ligueur,  fut  relftché  au  bout  de  quel- 
ques jours,  tandis  que  du  Belloy,  le  royaliste,  resta  en 
prison.  Le  Parlement  devenait  de  plus  en  plus  hostile  :  il 
avait  refusé,  le  27  juin,  d'homologuer  quatre  édits  de 
finances,  destinés  à  fournir  au  roi  les  fonds  nécessaires  à 
la  levée  des  troupes.  Au-dessous  de  ces  édits,  dont  l'un  or- 
donnait Taliénation  du  domaine  jusqu'à  concurrence  de 
300,000  écus,  le  Parlement  écrivit  un  mot  :  Néant.  Dans 
la  rue,  la  foule  grossière  et  fanatisée  venait  au  cimetière 
Saint-Séverin  contempler  le  tableau  de  Madame  de  Mont- 
pensier  *,  ainsi  nommé  parce  que  la  duchesse  avait  eu 
l'idée  de  parler  aux  yeux  du  peuple  au  moyen  de  cette 
fresque  ridicule,  qui  était  censée  représenter  «  plusieurs 
cruelles  et  estranges  inhumanités  exercées  par  la  reine 
d'Angleterre  contre  les  bons  et  zélés  catholiques,  aposto- 
liques romains  ».  Grâce  aux  commentaires  enflammés  des 
prédicateurs,  les  badauds  parisiens  prenaient  pour  authen- 
tiques toutes  les  horreurs  imaginées  par  le  peintre  ligueur 
et  s'attroupaient  en  criant  vengeance!  Les  choses  allèrent 
au  point  que  le  roi  manda  au  Parlement  de  prendre  des 
mesures  pour  enlever  le  tableau;  mais  telle  était  déjà  la 
faiblesse  des  autorités  que  l'on  n'osa  pas  exécuter  en  plein 
jour  les  ordres  du  roi,  et  que  l'enlèvement  de  la  peinture 
chère  à  Madame  de  Montpensîer  eut  lieu  de  nuit  (9  juillet) 
par  les  soins  de  Jérôme  Auroux,  conseiller  au  Parlement 
et  marguillier  de  Saint-Séverin.  Le  pauvre  magistrat  y 

\ .  L'EsTOiLB,  t.  III,  p.  53. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  27o 

perdit  sa  popularité,  car  on  l'avait  pris  jusque-là  pour  un 
zélé  catholique.  Comme  le  marguiliier  était  fils  d'un  maçon, 
les  ligueurs  lui  avaient  décoché  ces  avertissements  iro- 
niques : 

Et  toi,  Hierôme,  et  toi,  à  qai  l'on  a  donné 

Charge  de  faire  oster  ce  tableau  massonné, 
Garde  bien  d*attenter  à  ceste  œuvre  tant  chère  ! 
Ton  père,  en  son  vivant,  de  son  art  fut  masson  ; 
Si  tu  demassonnais,  tu  lairrois  la  raison, 
Dédaingnant,  fils  ingrat,  le  mestier  de  ton  père. 

Pour  ramener  à  lui  la  faveur  des  masses,  le  roi  multi- 
pliait les  démonstrations  pieuses.  Tantôt  il  faisait  promener 
la  châsse  de  sainte  Geneviève,  afin  d'obtenir  la  cessation 
de  la  pluie  (9  juillet);  mais  cela  n'aboutissait  qu'à  discré- 
diter les  puissances  célestes,  car,  dès  le  10,  si  Ton  en  croit 
la  chronique,  la  pluie  «  recommençait  de  plus  belle  ». 
Tantôt  il  assistait,  vêtu  en  pénitent  blanc,  aux  processions 
organisées  à  Saint-Germain  des  Prés  par  le  cardinal  de 
Bourbon,  processions  superbes  où  l'on  voyait  marcher 
tous  les  enfants,  fils  et  filles  du  faubourg  Saint-Germain, 
vêtus  de  blanc,  pieds  nus,  des  fleurs  sur  la  tête  et  un  cierge 
ardent  à  la  main  ^  Ce  fut  très  édifiant;  mais  le  peuple 
parisien  ne  s*en  trouvait  pas  plus  heureux.  Le  22  juillet, 
il  y  eut  une  émeute  aux  Halles  et  Ton  pilla  les  boulan- 
geries, sous  prétexte  que  le  pain  était  trop  cher.  Deux 
bourgeois  qui  prêchaient  le  respect  de  la  propriété  furent 
tués,  et  les  mutins  firent  un  feu  de  joie  avec  les  charrettes 
et  les  hottes  des  malheureux  boulangers. 

Dans  les  chaires,  les  prédicateurs  continuaient  leurs 
déclamations,  appelant  les  bénédictions  du  ciel  sur  les 
armes  de  Joyeuse  et  du  duc  de  Guise.  Cette  tendresse  de 

i.  Celte  procession  eut  lieu  le  mardi  24  juillet  (ov  Brbdil  donne  à  tort 
la  date  du  25,  car  le  25  n'était  pas  un  mardi  cette  année-là).  |Félu.,  UisL 
de  la  Ville  de  Paris,  t.  H,  p.  1162. 


276  PARIS  ET  LA   LIGUE 

la  Ligue  pour  Joyeuse  avait  bien  diminué  la  faveur  de 
Tancien  mignon  auprès  du  roi.  Orgueilleux  et  brave,  il  ne 
put  s'habituer  à  la  froideur  du  prince  et  demanda  avec 
instance  la  permission  de  livrer  bataille  au  roi  de  Navarre» 
Henri  III  y  consentit  et  Joyeuse  repartit  dans  FOuest, 
emmenant  avec  lui  toute  la  fleur  de  la  noblesse  de  cour. 
Mais  le  roi  de  Navarre  anéantit  à  Coutras  Tarmée  catho- 
lique qui  avait  osé  lui  livrer  bataille,  et  le  malheureux 
Joyeuse  périt  dans  la  déroute  des  siens  (20  octobre).  On 
renvoya  son  corps  à  Paris.  Henri  III  le  pleura  peu;  par 
contre,  les  poètes  de  la  cour,  des  Portes,  Baïf,  du  Perron^ 
chantèrent  le  défunt  sur  tous  les  modes. 

Battue  à  Coutras,  la  Ligue  était-elle  plus  heureuse  du 
côté  de  la  frontière  de  rEst?Dès  le  20  août,  les  reîtres 
allemands  envoyés  par  Télecteur  de  Saxe,  l'électeur  de 
Brandebourg  et  le  prince  palatin  Jean-Casimir,  se  trou- 
vaient concentrés  à  Strasbourg,  sous  les  ordres  du  baron* 
de  Dohna.  Ils  étaient  environ  huit  mille,  auxquels  il 
faut  ajouter  seize  mille  Suisses  des  cantons  protestants,, 
quatre  mille  autres  ayant  pris  la  direction  du  Dauphiné.. 
Enfin,  le  duc  de  Bouillon  avait  rejoint  l'armée  protestante 
avec  deux  mille  hommes  d'infanterie  française  et  trois  cents 
chevaux.  Malgré  les  ordres  de  l'empereur,  cette  grosse 
armée  entra  en  France  par  les  défilés  de  Phalsbourg,  que 
les  catholiques  ne  surent  pas  défendre,  et  s'achemina  vers 
la  Loire,  après  avoir  traversé  la  Champagne.  Le  duc  de 
Lorraine  et  le  duc  de  Guise  ne  paraissaient  pas  en  état 
d'arrêter  l'invasion,  car  ils  ne  disposaient  que  de  forces 
insuffisantes  et  sans  cohésion.  On  avait  dit,  en  outre,  aux 
Allemands  et  aux  Suisses  que  le  roi  de  France  souhaitait 
ardemment  la  défaite  de  la  Ligue  et  ne  chercherait  nulle- 
ment à  entraver  la  marche  de  l'invasion.  Mais,  en  arrivant 
sur  la  Loire,  ils  trouvèrent  tous  les  gués  gardés  par  l'armée 
royale. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  277 

Henri  III  s'était   décidé,  en  effet,  à  quitter  Paris  pour 
aller  chercher  ailleurs  une  apparence  de  gloire.  La  Ligue 
Tabreuvait  d'humiliations,  et  l'on  ne  s'en  tenait  même  plus 
aux  paroles.  Nicolas  Poulain  *  dévoile  la  tactique  des  pré- 
dicateurs qui,  par  la  violence  croissante  de  leurs  déclama- 
tions, avaient  entrepris   «   de  provoquer  le   roy  à   faire 
prendre  quelqu'un  d'eux,  afin  d'avoir  subject  de  s'élever 
contre  luy  ».  L'un  de  ces  enragés  sermonnaires  *  osa,  du 
haut  de  la  chaire  de  Saint-Séverin,  faire  tomber  sur  le  roi 
les  plus  grossières  injures.  Henri,  malgré  son  habitude  de 
fermer  les  yeux,  dut  faire  menacer  l'insolent  d'une  punition 
sévère.  Aussitôt   les  ligueurs  répandirent   le   bruit  qu'on 
voulait  faire  pendre  ce  prédicateur  et  se  saisir  des  autres 
porteurs  de  la  bonne  parole  (2  septembre).  Là-dessus,  Bussy 
le  Clerc,  avec  sa  compagnie  en  armes,  vint  s'embusquer  au 
logis  d'un  notaire  nommé  Hatte,  enseigne  de  son  quartier, 
et  qui  demeurait  proche  de  Saint-Séverin.  En  même  temps, 
de  nombreux  émissaires  parcouraient  la  rue  Saint-Jacques 
et  ses  environs,  criant  :  «  Aux  armes  !  Qui  est  bon  catho- 
lique, il  est  l'heure  qu'il  le  montre.  Les  huguenots  veulent 
tuer  les   prédicateurs    et   les  bons  catholiques   ».   Pour 
accroître   le    désordre,  les  curés   de  Saint-Séverin  et  de 
Saint-Benoît  firent  sonner  le  tocsin.  Quand  la  nouvelle  de 
ces  préparatifs  séditieux  arriva  au  roi,  il  avait  auprès  de  lui 
le  chancelier  Cheverny  et  M.  de  Villequier,  gouverneur 
de   Paris.  Le   premier   conseilla   au   prince  de   faire  un 
exemple  et  de  se  saisir  des  coupables,  mais  le  gouverneur 
traita  de  mensongers  tous  les  rapports  qu'on  apportait  au 
Louvre,  affirma  que  le  peuple  parisien  aimait  trop  son  roi 
pour  jamais  attenter  contre  sa  personne,  et,  comme  le  chan- 


1.  Arcb.  cur.,  t.  XI,  p.  308. 

2.  D'après  les  Mémoires  de  Pape  de  Saint-Auban,  dont  les  Mém.  de  la 
tigue  (t.  n,  p.  200)  contiennent  un  fragment,  Tauteur  du  sermon  sédi- 
tieux ne  serait  autre  que  le  curé  même  de  Saint-Séverin,  le  sieur  Prévost. 


278  PARIS  ET  LA   LIGUE 

eolier  insistait,  VîUequier  ajouta  sur  le  ton  de  la  plaisan- 
terie :  «  Sire,  cela  ne  m'empêchera  pas  d'aller  me  verser 
quatre  rasades.  »  Puis  il  alla  se  mettre  à  table.  Comme  le 
tumulte  augmentait  dans  l'après-midi  et  devenait  plus 
menaçant  d'heure  en  heure,  le  roi  envoya  d'abord  un  gen- 
tilhomme de  sa  chambre  au  logis  du  notaire  Hatte  pour 
savoir  ce  que  signifiait  l'attitude  hostile  de  ses  hôtes 
armés,  Bussy  le  Clerc,  Crucé,  Henault  et  les  autres.  Mais 
Hatte,  qui  connaissait  personnellement  le  gentilhomme  du 
roi,  le  retint  prisonnier,  sans  même  daigner  lui  répondre. 
On  envoya  ensuite,  vers  neuf  heures  du  soir,  Pierre  de 
Lugoli,  lieutenant  du  prévôt  de  l'Hôtel  avec  ses  gens  et  un 
détachement  de  gardes  du  corps,  et  Lugoli  fut  suivi  de 
Jean  Séguier,  lieutenant  civil,  qui  manda  force  sergents 
et  commissaires;  mais  le  notaire  Hatte  s'était  esquivé,  et 
rémeute  grossissant  toujours,  les  gens  du  roi  couraient 
un  véritable  danger.  Les  courtisans  décidèrent  le  faible 
prince  à  rappeler  ses  gardes  et  la  police,  sans  qu'on  eut 
cherché  à  forcer  la  maison  du  notaire,  transformée  en  cita- 
delle de  la  Ligue.  C'était  une  victoire  pour  celte  poignée  de 
rebelles  qui  avait  bravé  l'autorité  royale.  Dès  le  lende- 
main, les  manifestations  hostiles  recommencèrent  avec 
plus  de  rage  que  jamais.  «  On  voyait  courir  les  ligueurs 
par  pelotons  dans  les  rues  de  la  ville  *  et  s'attrouper  dan» 
les  carrefours  où  ils  tenaient  conseil  entre  eux  et  déchi- 
raient la  personne  du  roi  et  du  duc  d'Épernon,  tandis 
que  les  prédicateurs,  et  Bouclier  surtout,  le  plus  furieux  de 
tous,  faisaient  retentir  les  chaires  chrétiennes  des  invectives 
atroces  qu'ils  vomissaient  contre  ce  prince  et  ses  ministres.  » 
Henri  III,  sur  le  conseil  de  sa  mère,  afiecta  de  n'avoir 
reçu  aucune  injure,  et  le  3  septembre  il  fit  bonne  mine,  à 

1.  De  Thou,  t.  X,  p.  39.  Voir  aussi,  sur  la  journée  de  Saint- Séverin  : 
Le  procès-verbal  de  Nicolas  Pou/atn,  p.  308;  l'Estoilb,  t.  III,  p.  63;  Félibikn, 
Hist.  de  la  Ville,  t.  II,  p.  1162. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  279 

son  petit  lever,  aux  notables  du  parti  ligueur.  Bussy 
le  Clerc  et  quelques-uns  des  plus  compromis  jugèrent 
toutefois  prudent  de  s'absenter  jusqu'à  nouvel  ordre.  Peut- 
être  firent-ils  sagement,  car  le  Valois  se  sentait  atteint 
dans  son  honneur.  Villeroy  lui  persuada  qu'il  n'avait  qu'un 
moyen  d'en  imposer  aux  factieux  :  quitter  la  capitale  et 
se  rendre  h  l'armée.  Ses  courtisans  tâcheraient  de  lui 
cueillir  quelques  lauriers  pour  faire  pâlir  ceux  du  roi  de 
Navarre  et  du  duc  de  Guise. 

Le  42  septembre  1587,  Henri  III  se  rendit  au  camp 
d'Ëtampes.  Il  emmenait  avec  lui  les  ducs  de  Nevers  et 
d'Épernon  *.  Ce  n'était  pas  sans  regrets  que  le  roi  s'arra- 
chait aux  délices  de  la  capitale  ;  ce  n'était  pas  sans  craintes 
qu'il  laissait  derrière  lui  la  grande  citadelle  de  la  Ligue. 
Il  confia  la  défense  de  sa  cause  au  ciel  et  aux  autorités 
municipales. 

Avant  de  partir  «  à  Montereau  dresser  son  camp  et  armée 
pour  empescher  les  mauvais  desseings  de  plusieurs  estran- 
gers  qui  sont  entrés  dans  ce  royaume  »,  le  souverain  fit 
dire  dans  l'église  de  la  Sainte-Chapelle  «  des  prières  pu- 
bliques à  Dieu,  à  ce  qu'il  luy  plaise  luy  donner  victoire  à 
rencontre  de  ses  ennemis  *  ».  Le  corps  de  Ville  y  assista 
en  grande  pompe.  Le  il  septembre,  Henri  manda  au 
Louvre,  en  sa  chambre,  «  les  prévôt  des  marchands  et  éche- 
vins,  accompaignez  des  sieurs  capitaines,  lieutenans  et 
enseignes  ou  la  pluspart  d'iceulx  »,  et  leur  enjoignit  en 


1.  Le  dimanche  23  août,  le  duc  d'Épernon,  que  le  roi  appelait  alors  son 
fils  ainéf  avait  épousé  Marguerite  de  Foix,  comtesse  de  Caudale,  dont  la 
sœur  du  roi,  Diane  d'Angouléme,  avait  dirigé  Péducation.  Les  noces  s'étaient 
célébrées  à  Vincennes,  avec  une  simplicité  relative.  D*Épernon  était  un 
homme  rangé  :  il  préféra  garder  pour  lui  le  don  du  roi  :  quatre  cent  mille 
écutl  A  lui  seul,  le  collier  de  perles  que  le  roi  donna  à  la  mariée  valait 
cent  mille  écus.  Le  30,  il  y  avait  eu,  en  Phonneur  des  nouveaux  époux,  un 
bal  magnifique  à  TbAtel  de  Montmorency.  Le  roi  y  avait  «  balle  en  grande 
allégresse,  portant  néantmoins  son  chappelet  de  testes  de  mort,  tant  que 
le  bal  dura,  tousjours  pendu  h  sa  ceinture  ».  L'Estoilb. 

2.  Rao.  H,  i789,  ^  19. 


280  PARIS  ET  LA  LIGUE 

son  absence  «  obeyr  à  la  royne  sa  mëre,  à  monseigneur 
de  Villequier,  gouverneur  et  lieutenant  général  de  Sa  Ma- 
jesté en  ceste  ville  et  Isle-de-France,  et  ausdictz  sieurs 
prévost  des  marchands   et  eschevins  »'.  Et  le  lendemain 
12  septembre,  jour  même  de  son  départ,  le  roi,  étant  en 
son  conseil,  publia  un  règlement  «  pour  la  conservation 
de  sa  ville  et  repos  des  bourgeois  d'icelle  *  ».  Ce  règle- 
ment, qui    est    extrêmement   développé,  ressemble    par 
beaucoup  de  points  aux  autres  documents  du  même  genre 
qu'on  a  eu  déjà  Toccasion  de  citer.  Néanmoins,  il  contient 
quelques  prescriptions  intéressantes,  relativement  au  mode 
de  nomination  des  officiers  de  la  milice  :  «  Les  cappitaines 
et   lieutenans   des  dizaines  '  de  la  ville  et  faulxboui^s 
seront  choisis  et  esleus  conmie  ilz  ont  esté  cy-devant  par 
Sa  Majesté  ou  par  aultre  représentant  sa  personne  au 
Gouvernement  de  la  Ville  ».  Ainsi,  le  roi  retenait  à  lui  la 
nomination  des  officiers  des  dizaines,  ce  qui  suffit  à  expli- 
quer le  peu    d'action  qu'auront    ces   officiers   sur   leurs 
hommes  dans  les  désordres  de  la  Ligue.  Ils  devaient  prêter  ' 
serment  aux  mains  du  roi  ou  du  gouverneur  de  Paris  et, 
seulement  à  leur  défaut,  entre  les  mains  du  prévôt  des 
marchands.  Mais  si  les  capitaines  et  les  lieutenants  étaient 
nommés  par  le  roi,  les  colonels,  en  cas  de  décès  ou  de 
changement  de  quartier  des  titulaires,  restaient  à  la  nomi- 
nation des  capitaines  et  lieutenants  du  quartier.  «  Lesdictz 


i.  Rio.  h,  i789,  foL  49. 

2.  C'était  une  chose  assez  grave  que  de  modifier  le  nombre  et  l*impor- 
tance  d'une  dizaine.  Les  habitants  de  la  rue  des  Lombards,  qui  autrefois 
ne  formaient  qu'une  dizaine,  avaient  été  répartis  en  deux  dizaines.  Ils 
adressèrent  une  requête  à  la  Ville  pour  protester  contre  ce  dédoublement 
et  réclamer  la  suppression  de  la  nouvelle  dizaine.  La  Ville  soumit  cette 
requête  &  une  instruction  et  prit  Tavis  du  quartinier  Jehan  Durantel  et  du 
diiainier  Pierre  Crochet.  Ils  répondirent  que  «  soixante  ans  sont  environ 
que  les  deux  dizaines  sont  instituées  audit  quartier,  et  que,  par  juge- 
gement  du  3  février  de  Tan  1582,  lesdictz  habitans  avoient  esté  débouttez 
de  pareille  requeste  ».  Aussi  le  Bureau  de  la  Ville,  par  décision  du 
31  août  1587,  crut-il  devoir  rejeter  la  requête.  /6td.,  ^  67. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  281 

colonnelz,  porte  le  règlement,  esleuz  comme  dict  est  par 
lesdictz  cappitaines  et  lieutenans^  seront  respectez  comme 
•çhefe  des  armes  en  leur  quartier  et  auront  Foeil  et  soing 
sur  les  aultres  capitaines  et  chefz  de  bande  de  leursdictz 
-quartiers.  »  Le*  corps  de  garde  sont  tout  simplement  instal- 
lés c<  dans  la  maison  d'un  des  bourgeois  d'icelle  ville,  par 
l*advis  du  colonel  du  quartier  et  du  capitaine  de  ladicte 
dizaine;  et  sera  tenu  ledict  bourgeois  accomoder  ledict 
<5orps  de  gafde  en  sadicte  maison,  en  le  payant  du  loyer  de 
^on  lieu  et  place,  selon  ce  qui  sera  trouvé  raisonnable,  aux 
despens  d'ieelle  dizaine  ».  Le  seul  bénéfice  de  cette  hospi- 
talité plus  ou  moins  volontairement  donnée  à  la  garde 
nationale  du  temps,  c'était,  pour  le  bourgeois  envahi,  le 
privilège  d'être  «  excusé  de  la  garde  tant  de  jour  que  de 
nuict,  en  récompense  de  l'incommodité  qu'il  souffrira  en 
sa  maison  ».  Les  rondes,  les  patrouilles  seront  faites  sui- 
vant le  mode  ordinaire,  mais  le  règlement  du  12  septembre 
nous  apprend  qu'il  y  avait  sur  les  remparts  des  loges  pour 
les  sentinelles  chargées  de  «  veoir  soigneusement  s'il  y 
aurait  quelques  gens  aux  champs».  En  cas  «  d'esmotions 
populaires  ,  sédition  et  meurtres  »  ,  les  colonels  et  les 
capitaines  devront,  sur  l'ordre  du  prévôt  des  marchands, 
«  asseoir  guet  et  garde  de  jour  par  la  ville  jusques  au 
nombre  de  vingt  hommes  par  chascun  jour  en  chascun  des 
seize  quartiers,  et  ung  caporal  avec  eulx,  si  les  capitaine, 
lieutenant  ou  enseigne  n'y  peulvent  estre  eulx-mesmes  en 
personne  ».  Ces  détachements  parcourront  le  quartier  on 
tous  sens  et  se  saisiront  des  séditieux,  qu'ils  conduiront 
aux  prisons  de  la  ville.  Des  points  de  ralliement  pour  la 
milice  de  chaque  quartier*  sont  indiqués  avec  précision 
par  le  règlement  *. 
Ces  mesures  furent  complétées  par  les  précautions  d'usage 

1 .  Voy.  le  Registre^  t*  77. 


382  PARIS  ET  LA  LIGUE 

dans  les  temps  troublés.  Une  décision  du  Bureau,  en  date 
du  26  septembre,  prescrivit  le  licenciement  «  des  vallides  et 
aultres  besongnans  aux  asteliers  de  la  ville  ^  )>.  C'était  là 
surtout  une  mesure  d'économie,  car  le  receveur  de  la  Ville, 
François  de  Vigny,  se  déclarait  hors  d'état  de  payer  les 
pauvres  diables  employés  dans  les  ateliers  municipaux.  En 
revanche,   on  avait  levé  douze  cents  pionniers  pour  tra- 
vailler aux  fortifications  de  Paris,  et  un  ordre  du  Bureau 
en  date  de  2  septembre  avait  enjoint  aux  habitants  de  la 
Courtille  de  «  les  recepvoir  et  loger  *  ».  Pour  suffire  à  ces 
dépenses,  la  Ville  avait  constitué  mille  écus  de  rente  sur 
les  <(  aydes,  dons,  octrois  et  subsides  sur  le  domaine  do 
la  Ville  ».  Les  abords  de  la  Seine  furent  dégagés  par  le.s 
soins  du  maître  des  œuvres  de  maçonnerie  de  la  ville,  assisté 
de  deux  commissaires  des  quais  de  la  ville,  «  des  scelles 
à  laver,  lessives,  planchers  pour  hayons  »  que  plusieurs 
personnes,  sans  aucune  autorisation,  avaient  installés  «  le 
le  long  des  portz,  quaiz  et  rivaiges  de  la  rivière  en  ceste 
dite  ville  *  ».  Un  autre  ordre  du  Bureau,  en  date  du  28 
octobre,  enjoignit  «  au  premier  sergent  de  la  ville  d'aller 
le  long  de  la  rivière  de  Seine-et-Oise  et  faire  admener  en 
ceste  ville,  réaniment  et  de  faict,  tous  les  bacqz  qui  sont 
depuis  icelle  jusqu'à  Mantes  et  Ponthoise,  pour  obvier  à 
tous  inconvénients  qui  pourroient  advenir  *  ».   D'autres 
sergents  furent  chargés  de  remplir  la  même  mission  du 
côté  de  Corbeil  et  Lagny.  Enfin,  le  7  novembre,  le  Bureau 
prescrivit  «  à  tous  soldatz  estans  de  présent  en  ceste  ville 
et  faulxbourgs,  de  vuider  de  ladite  ville  et  faulxboUrgs 
dedans  six  heures  après  la  publication  de  la  présente,  sup* 
peine  (Testre  pendu z  et  estranglés  sans  forme  ne  figure  de 

1.  Reg.  h,  1789,  fo  79. 

2.  ïbid.,  f^  68. 

3.  Ibid,^  fo  82.  La  décision  qui  ordonne  la  saisie  de  tous  ces  objets 
encombrants  est  du  3  octobre  1587. 

4.  Ibid,,  f»  86. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  283 

procès  *  •..  »  Défense  était  faite,  en  même  temps,  à  tous 
bourgeois,  collèges  et  communautés  de  les  recevoir  «  sur 
la  mesme  peine  ».  De  quels  soldats  voulait  parler  cet  ordre 
draconien?  Probablement  des  émissaires  de  la  Ligue,  qui 
comptaient  profiter  du  départ  du  roi  pour  organiser  quelque 
coup  de  main  et  trouvaient  dans  les  communautés  des  asiles 
assurés.  Cette  hypothèse  n'a  rien  de  chimérique,  car  un 
passage  du  procès-verbal  de  Nicolas  Poulain  établit  que 
les  fortes  têtes  de  la  Ligue  avaient  Tintention  de  se  rendre 
maîtres  de  la  capitale,  tandis  que  le  duc  de  Guise  tâcherait 
de  faire  du  roi  son  prisonnier  au   cours  des  opérations 
contre  les  huguenots  allemands.  «  En  Tan  1587,  dit  Tes- 
pion  du  roi,  Sa  Majesté  partit  de  Paris  pour  aller  au-devant 
des  reistres,  et  laissa  à  Paris  la  royne  sa  mère  et  la  royne 
sa  femme  pour  gouverner  en  son  absence  ;  et  lors  Messieurs 
de  la  Ligue  furent  en  délibération  de  se  saisir  de  la  Ville 
de  Paris,  en  Tabsence  du  roy,  selon  les  mémoires  que  leur 
eu  avoit  dressé  le  duc  de  Guise,  qui  pensoit  se  saisir  de  la  per- 
sonne du  roy  en  la  campagne  \  » 

Le  commissaire  Louchart  alla  trouver  le  duc  de  Guise 
à  son  camp  pour  le  consulter  sur  l'opportunité  d'une  ré- 
volte à  Paris  même;  mais  le  duc  fut  effrayé  encore  une 
fois  de  l'audace  des  ligueurs  parisiens  et  «  ne  trouva  pas 
ceste  entreprise  seure,  voyant  une  si  grosse  et  forte  armée 
près  la  ville,  tellement  qu'il  la  rompit  ».  Qui  sait  ce  qui 
serait  arrivé  si  le  duc  de  Guise  avait  pu  se  rendre  lui- 
même  à  Paris  et  prendre  la  direction  du  mouvement?  Vil- 
lequier,  le  gouverneur  de  Paris,  qui  avait  déjà  eu  la  plus 
singulière  attitude  lors  de  la  journée  de  Sain t-Sé vérin, 
n'était  pas  homme  à  contrarier  un  nouvel  assaut  de  la  Ligue 
contre  le  malheureux  Valois.  Se  méfiant  de  Poulain,  le 
gouverneur  fit  venir  le  personnage  et  chercha  longtemps 

1.  Reo.  h,  1789,  {•  87. 

2.  Procès-verbal  de  Poulain,  p.  307.  Arch.  cuk.,  t.  XF,  !'•  série. 


284  PARIS   ET   LA   LIGUE 

à  lui  arracher  l'aveu  de  ses  relations  avec  le  roi;  mais, 
comme  Poulain  persistait  h  jouer  rétonnement,  Villequîer 
proféra  les  jurons  les  plus  énergiques  et  menaça  son  inter- 
locuteur d'un  châtiment  exemplaire,  s'il  continuait  à   se 
mêler  des  affaires  de  l'État.  Poulain  ne  s'émut  pas  et^ 
conformément  à  ce  qu'il  avait  promis,  ne  se  priva  pas  de 
faire  ses  confidences  au  chancelier,  tant  que  dura  l'absence 
du  souverain.  Ce  Villequier  apportait,  d'ailleurs,  dans  ses 
relations  avec  les  Parisiens,  une  grâce  toute  particulière. 
Comme  on  manquait  de  bras  pour  continuer  les  travaux 
■des  tranchées,  il  réquisitionna  de  force  tous  les  maçons  et 
interdit  aux  bourgeois  de  les  employer.  Le  Bureau  de 
la  Ville  porta  ces  ordres  à  la  connaissance  de  la  popu- 
lation *. 

Pendant  qu'on  prenait  à  Paris  ces  mesures  de  précau- 
tion contre  une  attaque  possible  de  l'armée  allemande, 
celle-ci  s'efforçait  de  passer  la  Loire  et  s'étonnait  de  voir 
Henri  III  en  personne  leur  barrer  le  passage,  alors  que 
l'intérêt  évident  de  ce  prince  était  de  se  servir  des  reîtres 
protestants  pour  abattre  la  Ligue.  Repoussés  à  La  Charité, 
les  alliés  tournaient  sur  place,  en  proie  à  une  sorte  de 
panique  étrange.  Le  duc  de  Guise,  renforcé  par  les  troupes 
de  Mayenne  et  des  ducs  d'Aumale  et  d'Elbeuf,  et  par  celles 
du  comte  de  Brissac,  harcelait  la  marche  pénible  et  em- 


1.  «  De  par  lb  ROY.  Af.  le  Gouverneur  et  lieutenant  général  de  Sa  Majesté  en 
4^ste  Ville  de  Paris  et  Ile-de-France  et  les  prévost  des  marchans  et  eschevins 
de  la  Ville  de  Paris.,,  11  est  interdit  à  tous  massons,  aides  et  aultres 
manœuvres  de  quicter  et  laisser  leur  astellier,  et  &  tous  les  dessusdictz  et 
aides  valides  d'aller  promptement  besongner  et  travailler  aux  tranchées 
et  advenues  du  pourtour  d'icelle  ville,  demain  matin,  es  lieux  et  endroictz 
qui  leur  seront  ordonnez  par  les  maistres  des  œuvres  et  aultres  personnes 
qui  ont  charge  de  ce  faire,  leur  déclairant  qu'ilz  seront  très  bien  paies  et 
-satisfaictz,  et  seront  faictes  deffences  à  tous  bourgeois  et  aultres  d'emploier 
lesdictE  massons,  aides,  vallides  en  leurs  astelliers  et  ouvraiges  particuliers, 
«ur  peine  de  vingt  escus  d'amende  pour  le  regard  desdictz  bourgeois,  et 
ausdictz  massons,  ouvriers  vallides,  de  pugnilion  corporelle,  s'il  y  eschet, 
le  tout  jusques  à  ce  que  aultrement  en  ayt  esté  ordonné.  Faict  au  Bureau 
de  la  Ville  le  mercredi  28  octobre,  Tan  1587.  »  Rbg.  H,  4789,  ^  85. 


LES   PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  285^ 

barrassée  des  envahisseurs ,   et  finalement  vint  se  placer 
entre  eux  et  la  capitale,  en  prenant  position  à  Courtenay,, 
au   delà  du  Loing  :  car  il  voulait  éviter  à  ses  amis  les 
Parisiens  le  voisinage  des  troupes  confédérées,  qui  auraient 
pu  se  laisser  aller  à  la  tentation  de  piller  la  banlieue.  Que 
serait  alors  devenue  la  popularité  du  duc?  Dans  la  nuit 
du  28  octobre,  il  y  eut  un  choc  entre  les  forces  du  duc  do 
Guise  et  celles  du  baron  de  Dhona,  à  Vimori,  près  de  Mon- 
targis.  Mayenne  commandait  en  personne  la  cavalerie  ca- 
tholique et  se  comporta  fort  bravement  :  il  reçut  du  baron 
de  Dhona  lui-même  un  coup  de  pistolet  dans  la  menton- 
nière de  son  casque  et  blessa  son  adversaire  d'un  coup 
de  sabre.  L'engagement  n'était,  d'ailleurs,  qu'une  échauf- 
fe urée  sans  importance  *.  Cela  n'empêcha  pas  les  ligueurs 
de  chanter  victoire,  et  «  la  nouvelle  estant  arrivée  à  Paris^ 
fust  aussitost  mise  par  la  presse,  imprimée,  criée  et  pu- 
bliée, avec  les  adjonctions   ordinaires   et  accoustumées, 
faisans  monter  le  cent  à  mil  *  ».  L'armée  protestante  entra 
en  Beauce,  sans  nouvelle  attaque  de  la  part  du  duc  de 
Guise,  qui  passa  de  Montargis  à  Nemours  et  de  Nemours 
à  Montereau,  puis  à  Étampcs,  où  il  arriva  le  18  novembre. 
Henri  III  se  croyait  trahi  et  envoya  Joachim  de  Dinteville 
demander  au  chef  de  la  Ligue  la  raison  de  cette  espèce 
de  retraite,  car  on  pensait,  dans  l'entourage  du  roi,  que 
Guise  pouvait  bien  songer  à  conduire  ses  troupes  près  de 
Paris  pour   en  rester  maître  après  une  victoire.    Cette 
crainte  reposait  d'ailleurs  sur  un  fondement  sérieux,  car 
c'est  à  Ëtampes  que  le  duc  donna  audience  au  commis- 
saire Louchart,  qui  l'engagea  vivement  à  s'emparer  de  la 
personne  royale,  tandis  que  les  ligueurs  parisiens  met- 
traient la  main  sur  les  membres  du  Conseil  et  du  Parle- 


i.  Db  Teou,  l.  X,  p.  45.  Rouvray,  qui  portait  la  cornelte  de  Mayenne,  la 
perdit  pendant  l'action. 
2.  L'ËSTOiLB,  t.  ni,  p.  74. 


286  PARIS   ET  LA   LÎGUE 

ment,  dont  le  dévouement  à  la  bonne  cause  inspirait  des 
doutes.  Le  chevalier  d'Aumale  s'était  déjà  rendu  à  Paris 
pour  se  tenir  prêt  à  tout  événement.  Mais  Guise,  sans 
rejeter  absolument  ces  propositions  audacieuses,  remit  a 
plus  tard  l'exécution  d'une  entreprise  directe  contre  le  roi 
et  se  contenta  de  dire  à  Louchart  qu'il  fallait  enrôler  le 
plus  d*honames  possible  sous  la  bannière  de  la  Ligue  et... 

attendre. 

Henri  III,  en  effet,  pouvait  encore  défendre  sa  couronne. 
Établi  sur  la  Loire  avec  une  belle  armée,  ayant  auprès  de 
lui  son  énergique  favori,  d'Épernon,  il  aurait   peut-être 
imposé  au  peuple  sa  volonté  par  une  victoire  retentissante. 
Il  préféra  autoriser  le  duc  de  Nevers  à  offrir  400,000  ducats 
aux  Suisses  de  l'armée  alliée  pour  acheter  leur  soumis- 
sion. Le  duc  de  Guise  comprit  mieux  ce  qu'attendaient 
d'un  général  catholique  l'orgueil  national  et  le  fanatisme 
des  masses.  Tandis  que  le  roi  traitait,  il  tombait,  le  24  no- 
vembre,  sur  les  Allemands  du  baron  de  Dhona,  qui,  ap- 
préhendant d'être  abandonnés  par  les  Suisses,  se  dispo- 
saient, avec  le  contingent  français  du  brave  chef  huguenot 
(^hàtillon,  à  se  frayer  de  nouveau  un  cliemin  vers  la  Loire  ; 
il  les  surprit  dans  le  bourg  d' Anneau,  entre  Chartres  et 
Dourdan,  et  leur  tua  environ  deux   mille   hommes.   Le 
vainqueur  s'empressa  d'envoyer  le  sieur  de  la  Châtre  au 
roi  pour  lui  présenter  neuf  drapeaux  enlevés  à  l'ennemi  et 
lui  donner  les  détails  de  la  bataille.  Henri  eut  peine  à  dis- 
simuler son  dépit,  car  il  comprenait  toute  l'étendue  des 
conséquences  que  pouvait  avoir  le  succès  de  la  Ligue.  Pour 
avoir  l'air  de  prendre,  lui  aussi,  Tattitude  guerrière  des 
membres  de  l'union,   il  ordonna  quelques   escarmouches 
contre  les  débris,  encore  très  redoutables,  qu'avait  pu  rallier 
Dhona,  fit  un  assez  grand  nombre  de  prisonniers  et  put 
réussir  à  enlever  plusieurs  canons.  Un  résultat  plus  impor- 
tant fut  obtenu  par  d'Épernon  :  les  Suisses  abandonnèrent 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  287 

définitivement  Farinée  allemande  *.  Ce  qui  en  restait, 
épuisé  par  les  maladies,  se  dirigeait  péniblement  vers  le 
Maçonnais  par  les  bois  du  Morvan.  D'Épernon  profita  de 
leur  découragement  pour  décider  les  Allemands  à  faire 
leur  soumission.  Us  promirent  de  ne  jamais  servir  eu 
France  sans  la  permission  de  Sa  Majesté  et  s'engagèrent  à 
sortir  du  royaume  enseignes  ployées  (8  décembre). 

Aux  yeux  des  Parisiens,  qui  était  le  vainqueur?  Le  grand 
Guise,  tout  seul.  Les  efforts  de  Henri  III  ne  servirent  qu'à 
augmenter  la  popularité  du  chef  de  la  Ligue.  Cependant 
rien  ne  fut  négligé  pour  provoquer  dans  la  capitale  un 
enthousiasme  de  commande,  à  défaut  de  manifestations 
spontanées.  Le  samedi  28  novembre,  M.  de  Villequier, 
ayant  reçu  du  roi  des  lettres  annonçant  la  soumission  des 
Suissesprotestants,  donna  Tordre  au  Parlement,  àla  Chambre 
des  comptes,  au  corps  de  Ville,  aux  généraux  de  justice, 
d'assister  à  un  grand  Te  Deum  d^actions  de  grâces  qui  fut 
dit  à  Notre-Dame,  en  présence  des  reines,  de  Mesdames 
de  Nemours  et  de  Montpensier  et  d'un  peuple  immense  ; 
mais  TEstoile  nous  dit  que  «  dans  Téglise  résonnoient 
plus  les  louanges  du  duc  de  Guise  que  celles  de  Dieu  ». 

Après  la  convention  pour  la  retraite  des  Allemands,  qui 
fut  connue  à  Paris  le  14  décembre  1587  et  apportée  par  le 
fils  de  M.  de  Villeroy,  nouveau  déploiement  de  réjouissances 
officielles.  La  Ville  prescrivit  de  faire  des  feux  de  joie  dans 
les  différents  quartiers  afin  de  célébrer  ce  qu'on  présentait 
comme  une  victoire  du  souverain.  Les  Registres  contien- 
nent rhistorique  de  la  campagne  et  la  version  officielle 
des  triomphes  de  Sa  Majesté.  Ils  rappellent  que  le  roi  quitta 
sa  capitale  le  12  septembre  pour  aller  fermer  aux  reîtres 

1.  D'après  TEsloile,  le  roi  donna  deux  écus  à  chaque  soldai  suisse,  leur 
fournit  des  vivres  jusqu'à  leur  sortie  du  royaume  et  leur  oclroya  pour 
cinquante  mille  écus  de  drap,  tant  de  soie  que  de  laine.  Il  restait  sept  ou 
huit  mille  Suisses  du  contingent  huguenot  :  cinq  à  six  mille  avaient  péri 
en  France  par  le  fer  et  la  maladie,  t.  III,  p.  76. 


288  PARIS  ET   LA  LIGUE 

et  aux  Allemands  «  le  passaige  de  la  Loire  qu*ilz  ienaieui 
pour  ouvert,  affin  de  s'aller  joindre  aveeq  le  roi  de  Navarre 
de  ses  compaignies  estans  en  Poictou  et  Limosin  et  bran- 
quêter  '  toute  la  France...  »  Mais  sur  leur  route  ils  ont 
«  trouvé  en  teste  sadicte  Majesté,  qui  n'a  pareil  que  soy- 
mesme  en  force,  prudence,  bon  confort  et  clémence,  lequel, 
d'un  cœur  généreux  et  d'une  prudence  admirable,  san» 
coup  férir,  du  moins  avec  peu  de  perte  des  siens,  a  rompu 
leurs  desseins  et  iceulx  tous  vaincus  et  mis  &  vau  de  route 
en  fuite,  de  sorte  que  ce  qui  en  reste ,  mesmes  desdictz 
estrangers,  n'ont  pu  trouver  plus  sûr  accès  pour  conserver 
leur  vye  que  de  eulx  aller  gecter  aux  pieds  de  S.  M.'.,.  » 
On  devine  que  cet  éloge  de  la  clémence  royale  était  peu 
fait  pour  toucher  les  Parisiens,  qui  reprochaient  précisément 
à  Henri  III  d'avoir  conservé  la  vie  aux  reitres  allemands 
et  assuré  leur  retraite. 

La  rentrée  du  roi  dans  sa  capitale  avait  été  fixée  uu 
24  décembre.  Au  jour  dit,  le  corps  de  Ville  fut  prié  au  Te 
Deum  solennel  qui  devait  être  dit  «  pour  louer  et  magnifier 
Dieu  de  l'heureux  succès  et  pacifique  victoire  qu'il  luy  a 
pieu  donner  contre  ses  ennemis  )).  Le  prévôt  des  marchands 
et  les  échevins  allèrent  au-devant  du  roi  jusqu'à  Bourg-la- 
Reine  et  le  conduisirent  ensuite  à  Notre-Dame  pour  entendre 
le  Te  Deum  ^  Le  maître  de  l'artillerie  reçut  l'ordre  «  de 

1.  Bransqueter  {Me'm.  de  Sully,  t.  VUI,  p.  69),  ou  branqueter  {Lettres  de 
Pasguier,  t.  III,  p.  689),  ou  branstater  (Lettres  de  Louis  XII,  t.  IV,  p.  135), 
signifie  piller,  mettre  à  contribution,  La  Noue  emploie  aussi  l'expression 
de  bransqueter  dans  le  même  sens  (Disc,  polit,  et  milit,,  p.  749). 

2.  Rbg.  h,  1789,  fol.  93  et  94. 

3.  Nous  n*insislons  pas  sur  les  détails  de  cette  entrée,  qui  fut  entourée 
d'une  grande  pompe,  parce  que  sur  ce  point  le  procès-verbal  du  Registre 
est  reproduit  dans  Félibien  (t.  V,  Preuves,  p.  443).  Le  roi  était  arrivé  à 
cheval  avec  d'Épernon  et  les  cardinaux  de  Bourbon  et  de  Vendôme.  A 
Bourg-la-Reine,  il  essuya  la  harangue,  d*ailleurs  très  brève,  de  Villequier, 
le  gouverneur  de  Paris,  mais  dit  en  riant  au  prévôt  des  marchands  de 
réserver  pour  le  lendemain  matin  à  son  lever  le  discours  qu'il  se  préparait 
à  débiter,  parce  qu'on  avait  encore  deux  lieues  à  faire  avant  d'entrer  à 
Paris.  Nous  citerons  seulement  l'inscription  mise  sur  la  porte  Saint-Jac- 
ques et  sur  celle  de  l'Hôtel  de  Ville  :  «  Au  roy  très  chrétien  et  très  victo- 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  289 

préparer  vingt-deux  grosses  pièces  de  rartiileric  et  grande 
quantité  de  boestes  ».  Devant  la  maison  commune,  on 
disposa  «  grand  amas  de  bois  pour  ung  feu  publicq  et  gé- 
néral ».  Toutes  les  boutiques  du  pont  Notre-Dame  furent 
illuminées,  ainsi  que  les  maisons  «  des  rues  Saint^Jacques 
l't  de  la  Boucherie,  Saint-Denis  jusques  au  tournant  de  la 
rue  de  la  Ferronnerye,  et  de  là  à  la  rue  Saint-Honoré 
jusque  vers  la  croix  du  Tiroir  vers  le  Louvre,  où  le  roi  allait 
descendre;  et,  pour  obviera  Tobscurité  de  la  nuict,  estant 
près  de  six  heures  lorsque  le  roi  sortit  de  Notre-Dame, 
MM.  de  la  Ville  avoient  commandé  faire  mettre  au  parvis 
Notre-Dame  et  devers  THostel-Dieu  plusieurs  grands  flam- 
beaux et  feux  de  poix  ardente  pour  esclairer  ledict  pas- 
saige  *  ».  La  relation  officielle  raconte  que,  sur  le  parcours 
du  cortège  royal,  le  peuple,  «  esmeu  de  joye  et  resjouis- 
sance  »,  cria  Vive  le  roi  !  bycc  transport,  mais  c'était,  paraît- 
il,  un  transport  intéressé,  car  TEstoile  rapporte  que  Ton 
avait  distribué  de  l'argent  à  «  quelque  nombre  de  popu- 
lasse  ramassée,  et,  entre  icelle,  une  bonne  partie  de  faquins  ». 
Voilà  les  gens  qui  criaient  Vive  le  roi!  «  Et  fust  le  tout, 
ajoute  le  chroniqueur,  fait  de  Texprès  conunandement  de 
Sa  Majesté,  irritée  et  envieuse  de  l'honneur  que  donnoit  ce 
«ot  peuple  au  duc  de  Guise,  auquel  il  attribuoit  la  louange 
<le  tous  les  heureux  succès  de  ceste  victoire,  sans  faire 
aucune  mention  du  roy,  non  plus  que  s'il  ne  l'eust  point 
recongneu  *.  »  Au  premier  abord,  on  serait  tenté  de  croire 
que  la  municipalité  parisienne  ne  fit  entendre  à  Henri  III, 
He  retour  en  sa  capitale,  qu'une  phraséologie  creuse  et  ser- 
vile  ;  toutefois,  à  bien  lire  la  harangue  que  le  prévôt  dos 

rieux,  Henri  troisiesme^  roy  de  France  et  de  Polongne,  père  de  son  peuple, 
pour  rheureux  succès  de  ses  victoires  contre  les  reistres,  suisses,  lansquenets 
et  autres,  sa  Ville  de  Paris,  très  fidelle  et  très  obeyssante,  luy  voue  et  donne 
perpétuelle  félicité,  » 

1.  Ibid, 

2.  L'EsTOiLB,  t.  ni,  p.  79. 

ROBIQUET.  19 


290  Paris  et  la  ligue 

marchands  ne  put  débiter  en  recevant  le  roi  à  Bourg~la~ 
Reine,  mais  qu'il  récita  le  lendemain  matin  à  huit  heures, 
en  allant  au  lever  du  roi,  on  se  demande  si  Texagératioii 
des  louanges  n'avait  pas  un  caractère  ironique.  «  Sire,  dit 
le  chef  de  la  municipalité  S  vous  veistes  hier,  à  votre 
arrivée  on  vostre  ville  capitalle,  très  grande  multitude  de 
peuple,  et  dehors  et  dedans,  plains  de  joye  et  liesse,  qui 
tesmoignoient  par  les  acclamations  et  applaudissemens  de 
toute  sorte  de  gens  le  grand  contentement  qu'ilz  avoient, 
aians  cet  honneur  de  contempler  vostre  royalle  majesté, 
après  avoir  entendu  la  bonne  nouvelle  de  vos  grandes, 
glorieuses  et  admirables  victoires,  pour  lesquelles  nous 
avons  rendu  grâces  solennelles  à  Dieu  pour  la  troisième 
fois  en  l'église  Notre-Dame.   »  N'était-ce  pas  se  moquer 
d'un  prince  qui,  pendant  sa  campagne  de  la  Loire,  n'avait, 
pour  ainsi  dire,  pas  tiré  l'épée  du  fourreau,  que  de  vanter 
ses  «  grandes,  glorieuses  et  admirables  victoires  »  et  de 
l'assurer  qu'il  venait  de  rendre  «  à  jamais  son  nom  immortel 
à  la  postérité  ».  Ce  qui  rend  la  supposition  très  plausible, 
c'est  qu'après  avoir  appelé  à  son  aide  tous  les  écrivains  de 
l'antiquité  pour  célébrer  le  nouveau  héros,  le  prévôt  des 
marchands  emprunte  une  dernière  citation  à   Plutarque 
pour  soutenir  cette  thèse  «  qu'il  y  a  plus  d'avantaige,  de 
bien  et  de  profiict  pour  le  repos  du  pays  à  se  deffaire  ainsy 
des  ennemis,  à  quelque  prix  que  ce  feust,  et  en  purger  la 
province  par  moienSy  que  d'en  venir  au  combat,  qui  est 
ordinairement   hasardeux  '  ».  On  ne  pouvait  reprocher 
plus  nettement  au  roi  d'avoir  reculé  devant  la  fortune  des 
armes  et  d'avoir  acheté  une  victoire  diplomatique.  Le  prévôt, 
faisant  ensuite  allusion  au  sauf-conduit  donné  aux  reitres 
pour  évacuer  le  territoire  français,  ajoute  «  qu'on  ne  peut 
imaginer  chose  plus  grande,  ny  plus  sagement,  prudem- 

\ .  FiuBioi  n'a  pas  reproduit  ce  passage  des  Registres. 
2.  Rio.  h,  1789,  ^  97. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  291 

ment  ci  plus  à  propos  conduicte  ^  ».  Enfin,  alors  que  tout 
le  inonde  savait  le  roi  impuissant  ou  la  reine  incapable  de 
lui  donner  des  héritiers,  il  y  avait  peut-être  une  singulière 
cruauté  à  souhaiter  à  Henri  UI  «  lignée  masculine  pour 
succéder  à  sa  couronne,  au  bien,  repos  et  conservation  de 
son  Estât  ». 

De  fait,  ce  roi  vainqueur,  ce  héros  en  Thonneur  duquel 
on  chantait  des  Te  Deum,  était  bafoué  et  insulté  par  tout 
le  monde,  et  spécialement  par  les  ligueurs,  qui  ne  lui  par- 
donnaient pas  d'avoir  laissé  perdre  l'occasion  d'exterminer 
les  reîtres  allemands  '.  La  Sorbonne  se  distinguait  par 
l'àpreté  de  son  opposition.  Trente  ou  quarante  docteurs  en 
théologie  avaient  tenu,  le  16  décembre,  une  assemblée 
secrète  où,  sur  un  cas  de  conscience  proposé  à  plaish*,  il 
avait  été  décidé  «  qu'on  pouvoit  oster  le  gouvernement 
aux  princes  qu'on  ne  trouvoit  pas  tels  qu'il  falloit,  comme 
l'administration  à  un  tuteur  devenu  suspect  ».  Boucher, 
curé  de  Saint-Benoit,  «  prêchait  publiquement  en  l'église 
Sainl-Barthélemy  que  le  roy  vouloit  empescher  les  prédica- 
teurs de  dire  la  vérité,  et,  à  cet  effet,  qu'il  avoit  fait  mourir 
maistre  Burlat,  théologal  d'Orléans,  ce  qu'il  imprima  si 
fort  en  l'esprit  de  ses  auditeurs  qu'ils  le  croyèrent  ferme- 
ment et  le  rapportèrent  par  toute  la  ville  pour  chose  très 
véritable'  ».  Le  30  décembre  1S87,  le  roi  manda  au  Louvre 

1.  Encore  un  amer  sarcasme  I  Une  foule  de  libelles,  au  moment  même 
où  le  prévôt  des  marchands  prononçait  ces  paroles,  insultaient  le  roi  et  le 
duc  d*Èperuon,  qui  avait  négocié  Tarrangement  accordé  aux  reitres.  Un 
de  ces  libelles,  que  les  colporteurs  criaient  dans  tout  Paris,  avait  pour 
litre  :  «  Grands  faicts  alarmes  du  duc  d'Espemon  contre  V armée  des  héréti- 
ques ».  Et  sur  chaque  page  on  lisait  ce  mot  unique  en  gros  caractères  : 
Rnsif.  Yoy.  de  Thou,  t.  X,  p.  63. 

2.  Le  duc  de  Guise,  par  contre,  ne  respectait  nullement  la  convention 
faite  avec  Tarmée  allemande,  et,  dès  qu'elle  eut  franchi  la  frontière  pour 
entrer  en  Savoie,  il  ne  se  fit  pas  faute  d'attaquer  en  détail  les  détache- 
ments ennemis;  le  marquis  du  Pontet  Mandelot  agirent  de  même  dans 
la  Bresse,  ce  qui  fit  dire  à  Chicot  «  qu'il  n'y  avait  alouette  de  Beausse  qui 
ne  coustast  aux  huguenots  un  reislre  armé  et  à  cheval  »  ;  car  les  alliés 
ne  revirent  pas  tous  leur  pays. 

3.  Traité  des  causes  et  des  raisons  de  la  prise  d*  armes  faite  en  janvier  t589,— 


292  PARIS  ET   LA   LIGUE 

le  Parlement  et  la  faculté  de  théologie ,  et ,  prenant  la 
parole,  commença  par  reprocher  amèrement  aux  docteurs 
de  la  Sorbonne  Topposilion  violente  qu'ils  faisaient  à  sa 
personne  et  à  son  autorité,  ainsi  que  le  caractère  séditieux 
de  leurs  prédications.  Il  leur  dit  qu'ils  étaient  malheureux 
et  damnés  pour  deux  motifs,  le  premier  pour  avoir  calomnié 
leur  prince  dans   la   chaire  chrétienne,  le  second   pour 
avoir  dit  la  messe  sans  s'être  confessés  de  ce  crime.  Tout 
en  dédaignant  la  résolution  du  16,  dont  la  Sorbonne  n'avait 
peut-être  pas  compris  toute  la  gravité  «  parce  que  c'estoit 
après  déjeuner  »,  le  roi  rappela  aux  prédicateurs  qu'il 
pourrait  fort  bien  se  débarrasser  d'eux  suivant  le  procédé 
de  Sixte  V,  qui  avait  envoyé  aux  galères  quelques  cordolicrs 
au  langage  intempérant.  Certes,  les  théologiens  de  Paris 
avaient  mérité  un  traitement  plus  rigoureux  encore,  mais 
le  roi  voulait  bien  encore  tout  oublier  et  tout  pardonner; 
seulement  il  ordonnait  au  Parlement,  présenta  l'audience, 
de  faire  justice  exemplaire,  si  l'on  commettait  de  nouveaux 
attentats  contre  la  personne  royale.  Quant  à  Boucher,  curé 
de  Saint-Benoit,  il  fut  pris  personnellement  à  partie  dans 
cette  même  circonstance.  Henri  III  lui  dit  que  son  oncle, 
Jean  Poisle,  ancien  conseiller  à  la  cour,  avait  été  un  mé- 
chant homme,  mais  que  lui  Boucher  valait  encore  moins  ; 
qu'en  effet  il  avait  eu  l'impudence  d'assurer  en  pleine  chaire 
que  le  roi  avait  fait  mettre  dans  un  sac  et  jeter  à  l'eau  Bur- 
lat,  le  théologal  d'Orléans,  bien  que  ledit  Burlat  «  fusl 
tous  les  jours  avec  lui  et  ses  compagnons,  beuvant,  man- 
geant et  ergottant  comme  de  coustume  *  ».  La  seule  puni- 


Par  le  duc  de  Ncvers.  Arcm.  cur.,  t.  XIU,  p.  173.  Celle  pièce,  imprimée 
en  1590  à  vingt-cinq  ou  trente  eiemplaires,  a  été  aussi  reproduite  au  t.  II 
des  Mém,  de  Nevers,  édit  de  1665,  in-K 

1.  Telle  est,  du  moins,  la  version  de  l'Estoile,  t.  III,  p.  80;  le  duc  de 
Ne  vers  {dans  Vouvrage  cité)  présente  le  dialogue  du  roi  avec  Boucher  d'une 
manière  un  peu  différente.»  Sa  Migesté  envoya  quérir  plusieurs  docteurs 
et  prédicateurs  de  la  Sorbonne,  et  entre  autres  ledit  Boucher,  auquel  il 
demanda  pourquoy  il  avoit  presché  qu*il  avoit  fait  mourir  ledit  théologal, 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  293 

lion  infligée  à  Boucher  fut  rinterdiction  de  paraître  en 
chaire  jusqu'à  nouvel  ordre. 

Cette  excessive  clémence  d'un  roi  envers  la  Sorbonne 
qui  le  menaçait  d'une  déposition  prochaine  et  envers  Bou- 
cher, qui  le  traitait  d'assassin,  démontre  la  profonde  im- 
puissance de  Henri  III  et  met  dans  tout  son  jour  la  faute 
considérable  qu'il  avait  commise  en  fermant  aux  protes- 
tants le  passage  de  la  Loire  et  en  ruinant  le  parti  du  roi 
de  Navarre  au  profit  du  duc  de  Guise,  dont  la  journée  d'Au- 
neau  avait  fait  l'idole  de  Paris  et  le  véritable  maître  du 
pays.  Le  pape  venait  d'envoyer  au  duc  une  magnifique  épée, 
et  le  duc  de  Parme,  au  nom  de  son  maître,  lui  adressait 
ce  compliment  «  qu'entre  tous  les  princes  de  l'Europe,  il 
n'appartenoit  qu'à  Henri  de  Lorraine  à  porter  les  armes 
et  à  estre  chef  de  guerre  *  ».  Henri  III  essaya  en  vain  de 
prendre  une  revanche  jcontre  la  Ligue  et  son  chef  en  acca- 
blant d'honneurs  le  duc  d'Épernon.  Il  était  déjà  colonel 
général  d'infanterie  française  et  gouverneur  de  Provence, 
de  Boulogne  et  de  Metz;  on  le  nomma  amiral  de  France, 
et,  le  il  janvier  1588,  le  premier  président  de  Harlay  l'ins- 
talla au  siège  de  la  Table  de  marbre.  Un  peu  plus  tard,  le 
roi  donna  à  son  favori  le  gouvepnement  de  la  Normandie, 


lequel  respondit  qu'on  le  luy  avoit  ainsi  asseuré.  Le  roy  ]uy  dlt:«  L*avez- 
vous  veu  morl? — Non, sire, respondit  ledit  Boucher,  mais  il  m'a  esté  affirmé 
pour  chose  très  véritable.  »  —  Lors  le  roy  luy  répliqua  :  a  Pourquoy  voulez- 
voua  croire  plustost  le  mal  que  le  bien,  et  prescher  en  la  chaire  de  vérité 
une  menterie  si  évidente?  »  Et  incontinent  fit  représenter  ledit  théologal 
se  portant  fort  bien,  car  il  l'avoit  retenu  au  chasteau  d'Amboise  quelque 
temps  en  une  chambre,  mais  fort  bien  traitté.  Ce  qui  estonna  bien  fort 
ledit  Boucher  et  beaucoup  d'autres...  »  Mais  il  est  possible  que  le  duc  de 
Nevers  ait  confondu  la  prétendue  incarcération  de  Burlat  en  1587  avec 
celle  qu'il  eut  à  subir  &  Amboise,  en  1589.  On  lit  dans  les  Rechefvhes  sur 
Orléans,  de  Lottin  (t.  0,  p.  93),  sous  la  date  du  17  avril  4589  :  n  Hugues 
Burlat,  théologal  pénitencier  et  curé  de  Sainte-Catherine,  furieux  ligueur, 
avant  publié  des  libelles  injurieux  contre  le  roi  Henri  III,  est  enlevé  d'Or- 
léans et  conduit  &  Amboise.  »  Voir  aussi,  sur  l'audience  du  30  décembre, 
Félibu»,  t.  II,  p.  1165.  Cil.  Labtttb,  De  la  démocratie  chez  les  prédic.  de 
la  Ligue,  p.  34. 
1.  L'EsTOiLB,  t.  ni,  p.  83. 


r    -^ 


294  PARIS  ET  LA   LIGUE 

le  premier  du  royaume.  Les  ligueurs  ripostèrent  par  des 
chansons,  et  Mme  de  Montpensier,  protégée  par  la  reine 
mère,  non  seulement  continua  à  tenir  en  haleine  par  ses 
largesses  les  plus  violents  prédicateurs  de  Paris,  les  Bou- 
cher, les  Prévost,  les  Guincestre  et  tant  d'autres,  mais  se 
garda  bien  d'obéir  à  un  ordre  royal  qui  lui  enjoignait  de 
sortir  de  la  ville.  Elle  disait  partout  :  Je  porte  à  ma  cein* 
turc  les  ciseaux  «  qui  donneront  la  troisième  couronne  à 
frère  Henri  de  Valois  *  ». 

La  Ligue  ne  gardait  plus  aucun  ménagement  et  semblait 
vouloir  pousser  le  monarque  à  une  résolution  désespérée. 
Non  contents  de  continuer  la  guerre  contre  les  princes 
protestants  et  de  chercher  à  mettre  la  main  sur  les  places 
de  Sedan  et  Jametz,  après  la  mort  du  duc  de  Bouillon,  le 
duc  de  Lorraine,  le  duc  de  Guise  et  les  principaux  chefs 
de  la  Ligue  avaient  ouvert  à  Nancy,  vers  la  fin  de  janvier 
1588,  des  conférences  qui  se  prolongèrent  jusqu'au  milieu 
de  février.  Il  en  sortit  une  formule  de  sommation  au  roi, 
divisée  en  articles^  et  qui  devait  acculer  Henri  HI  à  une 
véritable  abdication  entre  les  mains  des  Guises  ou  à  une 
résistance  ouverte  ». 

1.  C'est-À-dire  la  tonsure  :  les  deux  premières  couronnes  du  roi  étaienl 
celles  de  France  et  de  Pologne.  La  Ligue  avait  mis  en  vers  latins  la  menace 
de  Mme  de  Montpensier  : 

Qui  dédit  ante  duoi  unam  t^ttulit;  altéra  nutat; 
Tertia  tontorit  est  faeienda  manu. 

2.  On  trouve  le  texte  et  le  commentaire  des  Articles  de  Sancy  dans  les 
Mémoires  de  la  Ligue^  t.  II,  p.  269.  De  Thod,  t.  X,  p.  236,  en  a  donné  aussi 
une  analyse  très  exacte.  Cf.  aussi  :  Palma-Catet,  Introduction  de  la  ch^^ 
ttohgie  novenaire^  Coll.  Michaud  et  Poujoulal,  p.  43.  Voici  la  substance  de 
ces  articles.  Ils  portaient  «  que  le  roi  serait  sommé  de  se  joindre  plus 
ouvertement  et  à  bon  escient  à  la  Ligue,  et  d*ôler  d'entour  de  soi  et  des 
places,  états  et  ofQces  importants  ceux  qui  lui  seroient  nommés...  De 
faire  publier  le  concile  de  Trente...  D'établir  la  sainte  Inquisition,  au 
moins  es  bonnes  villes,  qui  est  le  plus  propre  moien  pour  se  défaire  des 
hérétiques  et  suspects,  pourvu  que  ces  officiers  de  l'Inquisition  soient 
étrangers  ou  du  moins  ne  soient  natifs  des  lieux  et  n*y  aient  parents  ni 
alliés...  D'accorder  aux  ecclésiastiques  de  pouvoir  racheter  à  perpétuité 
les  biens  ci-dessus  aliénés  de  leurs  églises...  De  fournir  la  solde  des  gens 
de  guerre  qu'il  est  nécessaire  d'entretenir  en  Lorraine  et  es  environs  pdur 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  295 

Qui  le  croirait?  en  recevant  cet  ultimatum,  Henri  III  ne 
s*indigna  pas.  Quand  on  lui  présenta  les  Articles  de  Nancy, 
il  ne  parut  pas  fort  éloigné  d'y  souscrire  *.  Pure  tactique, 
d'ailleurs,  car  le  roi  sentait  bien  l'amertume  de  l'insulte, 
malgré  l'indolence  de  sa  nature  voluptueuse.  Le  duc  d'An- 
maie,  à  la  tête  de  douze  cents  arquebusiers  et  d'un  état- 
major  de  gentilshommes  ligueurs,  s  étant  emparé  d'Abbo- 
ville  (mars),  Henri  lui  envoya  le  sieur  de  Chemcraut 
pour  lui  demander  l'explication  d'une  pareille  agression, 
et,  sur  la  réponse  insolente  du  duc,  le  roi  avait  dit  :  «  Je 
vois  bien  que  si  je  laisse  faire  ces  gens-ci,  je  ne  les  aurai 
pas  pour  compagnons,  mais  pour  maîtres  à  la  fin.  Il  est 
bien  temps  d'y  donner  ordre  *  ».  Mais  devant  Paris  fré- 
missant, déjà  enrégimenté  par  les  agents  ligueurs,  devant 
la  menace  de  Philippe  II,  qui,  au  moment  de  lancer  contre 
l'Angleterre  sa  grande  armada^  veut  brusquer  en  France 
le  déchaînement  de  la  guerre  civile,  le  dernier  Valois 
hésite,  comme  frappé  de  vertige.  On  dirait  qu'il  vise  à 
précipiter  la  catastrophe  par  mille  provocations  gratuites 
adressées  au  peuple.  Lorsque  le  Trésor  est  à  sec  et  qu'il 
devient  nécessaire,  pour  se  procurer  quelques  ressources, 
de  décréter  une  nouvelle  crue  de  la  gabelle  ',  le  prodigue 
monarque  consacre  des  sommes  immenses  aux  funérailles 

obvier  à  une  invasion  des  étrangers  voisins.  Et,  à  cette  fln,  pour  continuer 
toujours  la  guerre  encommencée,  faire  vendre  au  plutôt  et  sans  autres 
!^oIemnités,  tous  les  biens  des  hérétiques  et  de  ceux  qui  leur  seront 
associés  ».  Les  ligueurs  demandaient  encore  que  les  hérétiques  convertis 
ou  ceux  qui  seraient  tenus  pour  tels,  depuis  l'an  1560,  fassent  frappés 
d'une  contribution  du  quart  au  moins  de  leur  bien,  pendant  toute  la 
duré£  de  la  guerre;  qu'en  outre,  les  parents  ou  associés  des  hérétiques 
fussent  contraints  d'acheter  leurs  biens;  qu'enfin  on  ne  fit  grâce  de  la  vie 
&  aucun  prisonnier  ennemi,  sinon  à  ceux  qui  jureraient  d^embrasser  le 
r^tholicisme  et  de  payer  comptant  la  valeur  de  leurs  biens. 

1.  Db  Thou  Tafflrme,  t.  X,  p.  237. 

2.  L'ËSTOiLE,  t.  ni,  p.  131. 

3.  Le  roi  avait,  en  effet,  créé  une  taxe  supplémentaire  de  cent  sols  par 
minot  de  sel;  or  le  minot  revenait  déjà  à  treize  livres.  La  perception  du 
nouvel  impôt  fut  commencée  avant  même  la  promulgation  de  Tédit.  11  y 
eut  quelques  velléités  de  résistance  de  la  part  du  Parlement,  mais  le  roi 
lui  imposa  silence  (mars). 


S96  PARIS  ET  LA  LIGUE 

du  duc  de  Joyeuse.  Les  Registres  de  la  ville  en  décrivent 
le  faslueux  cérémoniaK 

Le  7  mars  1788,  les  sieurs  de  Versigny  et  Legoux,  con- 
seillers et  maîtres  d'hôtel  ordinaires  du  roi,  accompagnés» 
d'un  héraut  d'armes  de  S.  M.  et  de  plusieurs  officiers  du 
feu  duc,  viennent  «  présenter  à  MM.  les  prévost  des  mar^ 
chans  et  eschevins  d'icelle  ville  lettres  du  roy  pour  le  faict 
des  obsèques  et  funérailles  de  feu  mondict  seigneur  due 
de  Joyeuse  ».  Ces  lettres  invitaient  les  représentants  de  la 
cité  à  assister  le  lendemain  à  une  heure  au  convoi  du  ducv 
«  dont  Teffigie  serait  portée  de  Téglise  Saint-Jacques  de 
Haut-Pas  en  l'église  et  couvent  des  Augustins  *  ».  C'est  à 
Saint-Jacques  du  Haut-Pas  que,  le  8  mars,  le  corps  d<f 
Ville,  avec  son  cortège  d'archers,  d'arbalétriers  et  d'arque- 
busiers, alla  chercher  ce  qui  restait  du  brillant  Joyeuse  et 
de  son  frère  Saint-Sauveur.  Un  immense  cortège,  où  figu- 
raient des  pénitents  de  toute  couleur,  des  compagnies  de 
Suisses,  des  évoques,  des  délégations  des  compagnies 
souveraines  et  douze  cents  pauvres  portant  des  torches,, 
traversa  la  grande  ville,  indignée  de  tant  d*honneurs,  et 
accompagna  le  char  funèbre  jusqu'à  l'église  des  Augustins^ 
où  furent  chantées  les  vêpres  des  morts.  Le  lendemain  9^ 
à  la  même  église,  eurent  lieu  «  le  service  et  sermon  funèbre  » 
vu  présence  du  roi,  de  toute  la  cour  et  des  grands  corps  de 
TËtat.  Ce  fut  Tévêque  deMeaux  qui  dit  la  messe  et  l'évèque 
de  Sentis  qui  prononça  l'oraison  funèbre.  L'Estoile  a 
donné  un  post-scriptum  à  ce  morceau  d'éloquence  sacrée 
en  expliquant  à  sa  manière  la  raison  de  toute  cette  pompe. 
«  C'est  la  coustume  ordinaire  et  la  couverture  de  tout. 
Quand  un  mari  a  perdu  ce  qu'il  vouloit  perdre,  il  faif 
faire  un  beau  service,  qu'il  avoit  voué  dès  longtemps  à 
Dieu  pour  une  si  bonne  fortune  que  celle-là  •  ». 

1.  Rec.  h.  1789,  ^  lOC. 

2.  T.  ni,  p.  129. 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  297 

Joyeuse  avait  bien  fait  de  mourir.  Il  était  depuis  long- 
temps déjà  remplacé  dans  la  faveur  du  prince  et  dans  la 
haine  du  peuple  par  Nogaret  d'Épernon,   qui  venait  dt* 
recevoir  la  plus  riche  dépouille  du  mort  :  le  gouvernement 
de  la  Normandie.  D'Épernon  devient  le  point  de  mire  des 
attaques  et  des  imprécations  de  la  Ligue.  Accusé  publi- 
quement par  le  favori,  en  présence  du  roi,  d'avoir  entretenu 
un  commerce  criminel  avec  sa  propre  sœur,  Pierre  d'Espi- 
nac,  archevêque  de  Lyon,  avait  pris  violemment  parti  pour 
la  Ligue  et  préludé  à  la  guerre  effective  par  une  guerre 
de  plume,  en  suscitant  la  publication  de  pamphlets  incen- 
diaires contre  d'Êpernon  *.  De  concert  avec  Boucher,  le 
fanatique  curé  de  Saint-Benoît,  d'Espinac traduisit  V Histoire 
tragique  de  Gavei^ston^  favori  d'Edouard  II  d'Angleterre, 
que  les  seigneurs  firent  exécuter  on  1302.  On  mit  en  tête 
de  cette  traduction  do  Thistorien  anglais  Walsingham  une 
lettre-préface  qui  en  faisait  l'application  directe  à  d'Eper- 
non  et  le  menaçait  de  mort.  Avec  une  ingéniosité  de  jésuite, 
l'auteur  trouvait  dans  Noguaret  l'anagramme  de  Gaver- 
.ston,  et,  comme  il  y  avait  une  S  de  trop,  il  donnait  h  celte 
lettre  de  supplément  l'interprétation  suivante  :  «  Cette  S 
est  proche  du  T;  or  le  T  est  un  simulacre  de  la  potence; 
rS  qui  y  touche  figure  donc  le  cordeau  que  vous  trahie;^ 
après   vous.  ))  Le  libelliste  ligueur  parlait  aussi  dans  le 
langage  des  dieux  et  donnait  à  Henri  III  le  conseil  de 
mettre  d'Épernon  à  sa  place  : 

Tout  ce  que  nous  pouvons  pour  vostre  Majesté 
Est  vous  donner  conseiJ,  en  bonne  conscience, 

\.  Voy.  sur  ce  point  Ch.  Labittb,  Les  Prédicateurs  de  la  LiguCj  p.  30. 
M.  Labitte  dit  que  M.  de  Sismondi  (Hist.  des  Français)  a  eu  tort  d'attribuer 
VHistoire  de  Gaverston  au  seul  d'Espinac.  Mais  pour  attribuer  le  Gaverston 
à  Boucher,  M.  Labitte  ne  s'appuie  que  sur  un  passage  de  la  Chronologie 
novenaire,  qui  se  borne  à  dire  :  «  Le  bruit  estoit  que  c'estoit  du  curé  de 
Saint-Benoli  ».  De  Tbou  affirme  d'une  façon  précise  que  c'est  d'Esplnac 
qui  publia  le  Gaverston,  à  la  suite  de  sa  violente  discussion  avec  d'Ëpemoa 
en  présence  du  roi,  t.  X,  p.  239. 


i^      *•  » 


298  PARIS  ET   LA  LIGUE 

Qae  votre  favory  vous  faciez  roi  de  France, 
Et  soyez  son  ami;  tel  qu'il  vous  a  esté... 

D'Épernon  répliqua  par  un  Anti-Gaverston,  dédié  à 
Henri  de  Vaudémont  (le  duc  de  Guise).  D'Espinac  y  était 
accusé  d'inceste  avec  sa  sœur,  d'hérésie  et  de  honteux 
excès.  Quant  à  Thistoire,  plus  ou  moins  authentique,  du 
favori  d'Edouard  II,  on  lui  trouvait  de  frappantes  analogies 
avec  celle  du  duc  de  Guise,  en  signalant  cette  aggravation 
que  la  mort  de  Gaverston  avait  rendu  le  calme  à  l'Angle- 
terre, tandis  que  quatre  monarques  français  avaient  déjà 
subi  le  joug  des  princes  lorrains. 

Tout  Paris  se  passionnait  pour  ces  tournois  littéraires, 
et  Henri  III  lui-même  s'amusait  à  faire  publier  un  pam- 
phlet intitulé  Bibliothèque  de  Mademoiselle  de  Monlpen- 
sier.  Cependant  les  circonstances  devenaient  de  plus  en 
plus  critiques.  Ce  n'était  plus  le  temps  des  paroles.  Le  9 
mars,  une  nouvelle  sinistre  s'était  répandue  à  Paris.  On  y 
apprenait  que  «  messire  Henri  de  Bourbon,  prince  de 
Condé,  étoit  décédé  en  la  ville  de  Saint-Jean- d'Angeli,  le 
samedi  5*^  de  ce  mois  et  second  jour  de  sa  maladie,  aiant 
esté  empoisonné,  selon  le  bruit  commun,  par  un  page,  à 
la  suscitation  de  la  demoiselle  de  la  Trémouille,  sa  femme  ^  » . 
Cette  catastrophe  imprévue,  qui  privait  les  huguenots  d'un 
de  leurs  chefs  les  plus  énergiques,  souleva  dans  les  rangs 
ligueurs  des  transports  d'allégresse.  Le  peuple  de  Paris, 


1.  L'EsTOiLB,  t.  lU,  p.  130.  On  peut  consulter  le  rapport  des  médecins 
de  Catherine,  Bonteuaps,  Pallet,  Poget,  et  des  chirurgiens  Pierre  Mesnard 
el  Cholard,  qui  firent  Tautopsie  le  6  mars.  Mém.  de  la  Ligue,  t.  W,  p.  304. 
Ils  concluent  nettement  à  Tempoisonnement.  On  arrêta  et  on  exécuta  Jean- 
Ancelin  Brillaud,  domestique  du  prince,  et,  sur  Tordre  du  roi  de  Navarre, 
une  information  fut  commencée  contre  la  princesse  de  Condé,  Charlotte- 
Catherine  de  la  Trémouille,  qui  était  alors  enceinte.  Elle  accoucha,  le 
i«r  septembre  15S8  et  dans  sa  prison,  d*un  prince  qui  continua. la  race  des 
Condé.  Le  roi  de  Navarre  refusa  de  dessaisir  ses  commissaires  du  soin 
de  suivre  la  procédure,  et  le  Parlement  de  Paris  évoqua  vainement  l'affaire. 
C'est  par  ce  motif  qu'en  1595  on  cassa  l'arrêt  du  Conseil  du  roi  de  Navarre 
comme  ayant  été  rendu  par  des  juges  incompétents. 


J 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  299 

<loai  la  préoccupation  dominante  était  en  ce  moment  de 

gagner  les  indulgences  accordées  par  le  pape  à  l'occasion 

-àa  jubilé,  vit  dans  l'empoisonnement  d'un  prince  huguenot 

-de  trente-cinq  ans,  qui  donnait  à  son  parti  et  à  la  France 

de  magnifiques  espérances,  un  arrêt  de  la  Providence  et  fit 

■des  feux  de  joie.  Seul,  le  duc  de  Guise,  comme  par  un 

pressentiment  de  sa  destinée  prochaine ,  accueillit  avec 

une  mélancolie  sincère  la  nouvelle  de  la  mort  du  prince 

«on  ennemi  *.  Poussé  par  l'immense  armée  de  la  Ligue, 

mis  au  pied  du  mur  par  Philippe  II,  qui,  dans  les  premiers 

jours  d'avril,  lui  envoyait  à  Soissons  l'Aragonais  Moreo 

pour  lui  promettre  trois  mille  écus,  six  mille  lansquenets 

et  douze  cents  lances,  Guise  ne  pouvait  plus  se  dispenser 

d*agir.  Il  fallait  obéir  aux  sommations  des  Parisiens  et 

venir  se  mettre  à  leur  tête  pour  donner  au  Valois  le  suprême 

assaut,  ou  bien  perdre  à  jamais  sa  popularité  ^  N'hésitant 

plus,  il  arrêta  ses  dernières  dispositions. 

Depuis  que  Charles  Hotmann,  dit  La  Rocheblond,  avait, 
sur  la  fin  de  1584,  jeté  les  bases  de  l'organisation  de  la 

i,  Voy.  DB  Tbou,  t.  X,  p.  247. 

2.  Anquetil,  au  t.  H  de  V Esprit  de  la  Ligue  (iroïs  vol.  m-12,  Paris,  1167), 
indique  exactement  de  quelle  manière  le  duc  de  Guise  a  justifié  par 
avance  la  vérité  d'un  axiome  dont  notre  époque  a  trouvé  la  formule  défi- 
nitive. —  Je  suis  leur  chef  y  donc  je  dois  les  suivre  :  «  Il  est  certain  que  le 
duc  de  Guise  fut  poussé  plus  vite  qu'il  ne  le  voulut  d'abord.-  Qu'on 
examine  attentivement  la  marche  du  complot,  on  verra  que  les  résolutions 
extrêmes  partirent  du  Conseil  de  la  Ligue.  C'étoit  une  espèce  de  comité, 
formé  presque  fortuitement  de  gens  ramassés  de  tous  états,  plus  pas- 
sionnés qu*éclairés  :  avocats,  huissiers,  procureurs,  greffiers,  magistrats; 
des  curés  trop  zélés,  un  apostat  du  calvinisme,  des  banqueroutiers,  des 
prédicateurs  séditieux,  un  Bussi-Leclerc,  ancien  maître  en  fait  d'armes; 
des  marchands  :  Crucé,  Louchard,  La  Chapelle-Marteau,  et  d'autres,  de 
diverses  professions...  Une  femme  furieuse  sonfDoit  aussi  à  ces  forcenés 
sa  haine  et  ses  désirs  de  vengeance.  On  ignore  en  quoi  Henri  III  avoit 
offensé  Catherine-Marie  de  Lorraine,  sœur  du  duc  de  Guise  et  veuve  du 
duc  de  Montpensier.  Il  est  à  présumer,  par  la  vivacité  que  cette  princesse 
mit  dans  ses  ressentiments,  qu'elle  avoit  à  venger  ses  appas  méprisés, 
peut-être  des  avantages  négligés  ou  des  intrigues  galantes  r&vélées,  crimes 
qu'une  femme  ne  pardonne  jamais.  Quoi  qu'il  en  soit  du  motif,  la  veuve 
de  Montpensier  jura  à  Henri  une  haine  irréconciliable  et  le  poursuivit 
jusqu'au  tombeau.  Elle  se  trouve  dans  toutes  les  conjurations  formées 
tant  contre  son  Ëtat  que  contre  sa  personne.  »  T.  II,  p.  285. 


300  PARIS   ET  LA   LIGUE 

Ligue,  avec  la  collaboration  de  Prévost,  curé  de  Saint-Sévo- 
rin,  de  Boucher,  curé  de  Saint-Benoît,  et  de  Mathieu  de 
Launov,  chanoine  de  Soissons  *,  les  cadres  de  Tinsurrecliou 
s'étaient  singulièrement  élargis  et  perfectionnés.  Comme 
ou  Ta  vu  plus  haut  *,  les  quatre  conjurés  de  la  première 
heure  avaient  fait  de  nombreuses  recrues,  parmi  lesquelles 
nous  avons  cité  lavocat  Louis  d'Orléans,  Jean  Pelletier,  curé 
de  Saint-Jacques,  Compans,  marchand,  Jean  Guincestre^ 
bachelier  en  téologie,  Bussy  le  Clerc,  procureur  au  Parle- 
ment, le  commissaire  Louchart,  le  notaire  la  Morlière,  le 
procureur  Crucé  '  et  beaucoup  d'autres  fanatiques.  La 
direction  supérieure  du  parti  avait  été  confiée  à  un  conseil 
de  neuf  ou  dix  personnes,  tant  ecclésiastiques  que  laïques; 
mais  Tautorité  effective  appartenait  au  Conseil  des  Six^  qui 
n'était  qu'une  délégation  de  l'autre,  puisque  les  Six  en  fai- 
saient tous  partie.  Les  Six  étaient  chargés  des  mesures  d'exé- 
cution dans  les  seize  quartiers.  Crucé  devait  s'occuper  plus 
particulièrement  des  quartiers  de  l'Université,  Saint-Jac- 


i.  Ce  sont  ces  quatre  personnages  qu'on  appela  les  quatre  premiers  piliers 
fie  la  Ligue,  Voy.  Remarques  sur  la  Satyre  Ménippée,  Édit.  de  Ratisbonne, 
1752,  t.  II,  p.  148. 

2.  Voy.  p.  205. 

'i.  Voy.  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant,  Ibid,,  t.  UI,  p.  434.  Nous 
avons  déjà  donné  (voy.  p.  207),  quelques  renseignements  sur  les  premier» 
organisateurs  de  la  Ligue  et  sur  la  constitution  des  comités  ligueurs.  H 
n^est  pas  exact  de  dire,  comme  l'a  fait  H.  Maitiit,  4»  édit.,  t.  X,  p.  54, 
note  3,  que  «  les  chefs  des  seize  quartiers  faisaient  partie  du  conseil  ou 
comité  directeur  de  Paris  «.  H  est  vrai  que  dans  le  Dialogue  du  Maheustre 
et  du  Manant  (p.  445  du  t.  UI  de  l'édit.  de  Ratisbonne)  on  désigne  sou- 
vent les  chefs  de  la  Ligue  parisienne  par  cette  qualification  «  les  Seize  n  ; 
mais  nous  pensons  qu'il  faut  entendre  par  cette  dénomination  générale 
la  réunion  du  Conseil  des  Dix  et  du  Conseil  des  Six,  qui  délibéraient  en 
commun.  Quant  aux  seize  quartiers  de  Paris,  nous  avons  expliqué  que  le 
duc  de  Guise  les  avait  groupés  en  cinq  grandes  circonscriptions,  confiées 
à  cinq  membres  du  Conseil  des  Six;  le  sixième,  qui  était  Charles  Hotmann, 
n'ayant  pas  de  commandement  défini,  mais  jouant  néanmoins  un  rôle 
très  actif.  Le  premier  Conseil  comprenant  dix  personnes  et  le  second  six, 
cela  fait  bien' seize;  mais  il  va  sans  dire  que  les  seize  quartiniers,  chefs 
officiels  des  seize  quartiers  de  Paris,  n'avaient  rien  de  commun  avec  les 
seize  chefs  de  la  Ligue.  Il  est  à  remarquer  que  N.  Poulain  ne  dit  jamais 
«i  les  Seize  »  dans  son  procès-verbal,  mais  emploie  des  termes  vagues, 
ordinairement  «  Messieurs  de  la  Ligue  ». 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  301 

ques,  Saint-Marcel  et  Saint-Germain;  Compans  était  le  chef 

de  la  Cité  :  La  Chapelle,  Louchart  et  Bussy  surveillaient  les 

autres  quartiers.  La  Rocheblond  complétait  le  comité  des 

Sia:.  Se  réunissant  tantôt  au  collège  de  Sorbonne,  dans 

l'appartement  de  Boucher,  puis  au  collège  de  Forterel,  où 

ce  dernier  alla  demeurer  et  qui  fut  appelé  le  berceau  de 

la  Ligue;  tantôt  chez  La  Rocheblond  ou  La  Chapelle,  les 

premiers  ligueurs  avaient  observé  une  grande  prudence  et, 

tout  en  faisant  une  active  propagande  contre  le  roi,  ne 

dévoilaient  qu'à  un  très  petit  nombre  de  personnes  sûres 

le  mystère  de  leur  organisation,  «  tellement  qu'il  n  y  avoit 

que  ces  cinq  personnes,  avec  le  sieur  de  La  Rocheblond, 

au  commencement  qui  travaillassent  par  toute  la  ville  à  ' 

instituer  et  établir  la  Ligue  *.  » 

L'état-major  de  la  Ligue  étant  ainsi  constitué,  il  reste  à 
dire  ou  à  rappeler  sur  quelles  classes  de  la  population  pari- 
sienne il  pouvait  compter  pour  recruter  ses  soldats.  Il  dis- 
posait d'abord  de  l'immense  armée  des  moines  de  toutes 
couleurs,' dont  les  couvents  ressemblaient  aux  citadelles  de 
l'insurrection  et  qui,  par  leurs  déclamations  dans  les 
églises  ou  dans  la  rue  même,  fournissaient  aux  Guises  des 
milliers  d'agents  aussi  fanatiques  qui  désintéressés.  Les 
doubles  d'Espagne  venaient  en  aide  à  cette  propagande 
cléricale  et  suscitaient  des  dévouements  mercenaires  parmi 
les  gens  du  bas  peuple  et  la  tourbe  qui  encombrait  les 
poris  de  la  Seine.  La  presque  unanimité  du  clergé,  direc- 
tement visé  par  les  exactions  de  Henri  III  et  hostile  à  tout 
prince  hérétique,  ne  voyait  pas  de  meilleur  moyen  pour 
écarter  du  trône  Henri  de  Navarre  que  la  suppression  ou 
le  renversement  du  dernier  Valois.  Quant  à  la  noblesse,  elle 
était  divisée  ;  mais  les  gentilshommes  qui  suivaient  la  for- 
tune des  Guises  devenaient,  de  jour  en  jour,  plus  nom- 

1.  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant,  t.  HI,  p.  437. 


30:2  PARIS  ET  LA   LIGUE 

breux,  car  la  faveur  exclusive  accordée  par  le  roi  à  ses 
mignons  le  privait  de  bien  des  épées.  Parmi  les  favoris, 
plusieurs  pactisaient  presque  avec  les  chefs  de  la  Ligue; 
Villequier,  Villeroy  s'inspiraient  de  la  politique  à  double 
face  de  Catherine.  Au  contraire,  les  Guises  pouvaient 
compter  sur  le  zèle  constant  de  leurs  officiers  qu'ils  payaient 
bien  et  n'abandonnaient  jamais.  Dans  la  classe  bourgeoise 
et  la  magistrature,  mêmes  divisions.  Certes,  le  Parlement 
n'était  pas  clérical  :  il  l'avait  bien  montré  en  protestant 
contre  la  bulle  de  Sixte-Quint  et  la  prétention  du  pape  de 
soumettre  toutes  les  couronnes  au  pouvoir  spirituel  ;  mais^ 
humiliés  par  Henri  III,  menacés  dans  leurs  biens  et  leurs 
dignités,  beaucoup  avaient  fait  défection,  parmi  les  mem- 
bres des  compagnies  souveraines,  qui  auraient  pu  être  les 
plus  fermes  défenseurs  de  la  monarchie.  C'est  cependant 
dans  la  catégorie  des  hommes  de  robe  et  des  riches 
bourgeois  que  le  Valois  et,  plus  tard,  Henri  de  Navarre 
conservaient  encore  des  partisans  précieux,  mais  dont  le 
concours  était  paralysé  par  un  manque  absolu  de  direction. 
Enfin,  la  mauvaise  administration  du  roi,  les  incessantes 
créations  d'impôts  et  la  saisie  des  rentes  avaient  vivement 
indisposé  contre  la  cour  les  petits  rentiers  et  le  petit  com- 
merce, réduits  aux  abois.  Le  prestige  des  Guises,  les  pré- 
jugés ou  les  croyances  de  beaucoup  d'honnêtes  gens  gros- 
sissaient encore  le  nombre  des  complices  inconscients  de 
la  Ligue.  De  là  sa  force  immense  à  Paris  ;  ajoutons  qu'elle 
étendait  son  action  à  toutes  les  parties  du  territoire. 

Des  émissaires  bien  pourvus  d'argent  et  munis  d'ins- 
tructions précises  reliaient  les  deux  conseils  de  Paris  aux 
centres  catholiques  des  provinces,  et  quand  l'envoyé  d'une 
ville  ou  province  arrivait  dans  la  capitale,  il  savait  toujours 
à  quelle  porte  frapper,  «  car  il  y  avoit  des  catholiques  qui 
estoient  commis  pour  recevoir  lesdits  agents  selon  les  pro- 
vinces, les  uns  de  Picardie,  les  autres  de  Normandie,  les 


LES  PRÉPARATIFS  DE  LA  LUTTE  303 

autres  de  Bourgogne,  ceux  d'Orléans,  de  Lyon  et  autres 
villes  et  provinces,  avec  lesquels  esloit  fort  amplement 
communiqué,  et  s'en  retoumoient  bien  instruits  et  avec 
bons  mémoires  et  promesses  de  se  secourir  les  uns  les 
autres  pour  le  soustënement  de  la  religion  contre  les 
hérétiques  et  leurs  fauteurs  *.  » 

Le  duc  de  Guise,  au  moment  de  rompre  avec  Henri  III, 
disposait  donc  d'une  organisation  puissante  qui  avait  déjà 
bravé  la  cour  avec  succès,  notamment  dans  la  journée  de 
Saînt-Séverin  *;  c'était  lui  *  qui  avait  eu  l'idée  de  grouper 
les  seize  quartiers  de  Paris  en  cinq  grandes  circonscrip- 
tions, afin  de  ne  pas  diviser  ses  forces  et  de  ne  pas  mettre 
trop  de  ligueurs  dans  la  confidence  de  ses  desseins.  En 
outre,  comme  il  n'était  pas  absolument  sûr  des  officiers  de 
la  milice  municipale,  le  duc  fit  entrer  dans  les  compagnies 
un  certain  nombre  de  gentilshommes  dévoués  à  ses  inté- 
rêts, et  entre  autres  Urbain  de  Laval-de-Bois-Dauphin, 
Charles  de  Cossé,  comte  de  Brissac,  de  Mayneville,  de 
Gomeron,  de  Richebourg,  Guedon  d'EsclavoUes  de  Cha- 
mois, Antoine  de  Saint-Paul.  Cinq  cents  cavaliers  dont 
le  duc  d'Aumale  devait  prendre  le  commandement  furent 

1.  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant^  t.  IH. 

2.  Voy.  plus  haut,  p.  277. 

3.  Db  Thou  le  dit  formellement,  t.  X,  p.  248.  Le  procès-yerbal  de  Nicolas 
Poulain  est,  d'ailleurs,  en  parfaite  concordance  avec  de  Thou.  L'espion  du 
roi  explique  que,  pour  obéir  aux  instructions  du  duc  de  Guise  et  avant 
de  commencer  l'insurrection,  les  chefs  de  la  Ligue  se  réunirent  «  au  logis 
de  Santeuil,  devant  Saint-Gervais  ».  La  Bruyère,  La  Chapelle,  Rolland, 
Leclerc,  Crucé,  Coftipans  et  Poulain  lui-même  assistaient  à  cette  confé- 
rence. La  Chapelle  donna  d'abord  lecture  d'une  lettre  du  duc  de  Guise 
prescrivant  aux  ligueurs  «  d'establir  secrettement  leurs  quartiers  et  voir 
quel  nombre  ils  pourroient  faire  ».  La  Chapelle  ajouta  qu'il  fallait  nommer 
pour  chaque  quartier  «  un  colonnel  et,  soubs  chaque  colonnel,  quatre  capi- 
taines, afin  qu'en  l'exécution  de  leur  entreprise,  il  n'y  eust  aucune  con- 

.  fusion.  Et  à  l'instant  ledict  La  Chapelle  auroit  desployé  une  grande 
charte  de  gros  papier  où  estoit  peinte  la  ville  de  Paris  et  ses  fauxbourgs, 
qui  fut  tout  aussi tost,  au  Heu  de  seize  quartiers  quHl  y  avoit  à  Paris,  partie 
et  séparée  en  cinq  quartiers,  et  à  chacun  quartier  estably  un  colonnel,  et 
depuis,  soubs  chacun  desdicts  colonnels,  furent  établis  nombre  de  capi- 
taines, &  chacun  d'eux  baillé  un  mémoire  de  ce  qu'ils  avoient  k  faire  et 
le  lieu  où  dévoient  trouver  des  armes  ceux  qui  n'en  avoient  point  ». 


304  PARIS  ET'  LA  LIGUE 

logés  aux  environs  de  Paris,  à  Aubervillicrs,  à  la  Villelle, 
à  Saint-Ouen  et  Saint-Denis.  Une  revue  secrète  des  forces 
de  la  Ligue  fut  passée  par  Tordre  du  duc  de  Guise.  Ce 
recensement  donna  un  total  de  trente  mille  hommes, 
d'après  Nicolas  Poulain,  de  vingt  mille,  d'après  de  Thou  '. 
Et  cette  armée  de  fanatiques  s'accroissait  chaque  jour, 
grâce  à  Tinfiltration  de  tous  les  aventuriers  de  la  clientèle 
des  Guises  et  des  moines.  Poussés  vers  la  capitale  par  la 
séduction  des  coups  de  main  probables,  ces  irréguliers  «  de 
toutes  qualités,  en  armes  et  équipage,  entraient  par  divers 
endroits  en  cette  grande  ville  et  y  fondaient  comme  dans 
une  mer  spacieuse,  sans  y  être  de  prime  face  aperçus  ni 
autrement  reconnus  que  par  leurs  partisans  *  ». 

Tout  est  donc  préparé  pour  Témeule,  ot  la  première 
étincelle  va  provoquer  l'explosion. 

1.  T.  X,  p.  249. 

2.  Mém.  de  la  Ligue,  t.  11,  p.  309. 


CHAPITRE  IV 


LES    BARRICADES 

Depuis  les  Articles  de  Nancy  jusqu'à  la  fuite  du  Rot. 
(Février  1588  —  13  mai  1588.). 


Les  ligueurs  parisiens,  fiers  de  la  connivence  assurée 
des  princes  lorrains  et  confiants  dans  la. puissance  de  leur 
organisation  nouvelle ,  avaient  résolu  de  commencer 
Faction  par  un  coup  de  maître  qui  n'allait  à  rien  moins 
qu*à  s'emparer  de  la  personne  du  roi.  Le  15  avril  1588, 
Nicolas  Poulain,  se  trouvant  chez  Bussy  le  Clerc,  reçut  la 
confidence  de  l'attentat  projeté.  Toutes  les  dispositions 
étaient  prises.  Déjà  de  nombreux  capitaines  s'étaient  intro- 
duits dans  Paris;  la  cavalerie  du  duc  d'Aumale,  logée  à 
Aubervilliers  et  aux  environs,  n'attendait  qu'un  signal. 
Dans  la  nuit  du  dimanche  de  la  Quasimodo  (24  avril),  la 
porte  Saint-Denis,  dont  les  clefs  étaient  à  la  disposition  des 
conjurés,  serait  ouverte  aux  soldats  des  Guises  ^  Aussitôt 
entrés,  les  ligueurs  devaient  mettre  la  main  sur  le  duc 
d'Épernon,  qui  faisait  une  ronde  chaque  nuit,  entre  dix 
lieures  du  soir  et  quatre  heures  du  matin.  Deux  gardes  du 
duc,  gagnés  d'avance,  se  chargeraient  d'égorger  le  plus 
énergique  des  amis  du  roi.  Ensuite,  on  pousserait  droit  au 

1.  Les  ligueurs  ayaient  aussi  essayé  de  se  faire  livrer  les  clefs  de  la  porte 
Saint-Denis,  mais  Téchevin  Lecomte  leur  avait  opposé  un  refus  formel. 
ProC'Verb,  de  N,  Poulain^  p.  311. 

ROBIQUET.  20 


306  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Louvre,  on  en  massacrerait  les  défenseurs  et  Ton  se  saisi- 
rait de  la  personne  du  roi,  tandis  que  les  capitaines  de  la 
milice  dévoués  au  parti  réuniraient  leurs  hommes  .  dans 
leurs  quartiers  et  s'y  barricaderaient.  Bussy  le  Clerc  s'était 
réservé  le  commandement  d'une  troupe  de  trois  mille 
hommes  qu'il  se  chargeait  de  conduire  «  aux  bonnes  et 
fortes  maisons  ».  C'était  une  nouvelle  Saint-Barthélémy, 
avec  cette  différence  qu'elle  eût  été  dirigée  non  seulement 
contre  les  hérétiques,  mais  encore  contre  le  roi  et  ses  parti- 
sans. Poulain,  terrifié  de  ces  révélations,  demanda  à  un 
huissier  du  conseil,  nommé  Pinguct,  de  lui  procurer  les 
moyens  de  parler  au  roi  secrètement.  Pin  guet  s'adressa  au 
seigneur  de  Petremol,  qui  avait  la  confiance  du  prince,  et 
Petremol  *  fit  part  à  Henri  III  du  désir  de  Poulain.  L'au- 
dience fut  accordée  aussitôt  pour  le  lendemain,  qui  était  le 
22  avril.  Poulain,  s'étant  présenté  au  Louvre  de  grand 
matin,  fut  introduit  par  Petremol  dans  le  cabinet  du  roi 
«  par  une  petite  montée  où  il  ne  fut  vu  de  personne  ». 
Henri  III,  après  avoir  pris  connaissance  de  tout  ce  que 
Bussy  le  Clerc  avait  dit  à  Poulain,  félicita  vivement  le  révé- 
lateur, lui  promit  une  récompense  de  20  000  écus  et  lui 
ordonna  de  faire  sur  les  plans  de  la  Ligue  et  ce  qu'il  en 

1.  Quel  était  ce  seigneur  de  Petremol?  Le  procès-verbal  de  Poulain  dit 
qu'il  fut  plus  tard  gouverneur  d'Élampes;  que  la  Ligue  le  fil  prisonnier 
dans  cette  ville,  puis  l'envoya  dans  les  prisons  de  Paris,  où  elle  le  flt 
mourir.  Dans  la  traduction  de  la  Grande  Histoire  de  J.-A.  de  Thou,  édit. 
de  Londres  de  1734,  t.  X,  p.  249,  on  l'appelle  Pierre-Paul  Tosinghi,  ce  qui, 
d'après  un  annotateur,  ne  serait  autre  chose  que  la  métamorphose  en 
italien  corrompu  de  Petrepol^  nom  qui  se  rapproche  de  celui  du  Petremol 
dont  il  est  question  au  procès-verbal  de  Poulain.  Cest  une  hypothèse 
grammaticale  qui  parait  bien  forcée.  Pourquoi  le  Petremol  signalé  par 
Poulain  en  1588  ne  serait-il  pas  le  même  Petremol  qui,  douze  ans  plus 
tôt,  avait  acheté  la  charge  de  receveur  de  la  ville  À  François  de  Vigny,  le 
jeune,  moyennant  une  somme  de  50,000  francs,  et  dont  le  contrat  fut  cassé 
par  le  prévôt  des  marchands  et  l'assemblée  de  Ville?  L'EsTon.B,  qui  a  rap- 
porté ce  fait  (t.  I,  p.  158),  ajoutait  que  Petremol  «  estoit  de  la  maison  et 
famille  du  bastard  du  feu  roy  Henri,  lors  grand  prieur  de  France  ».  Gela 
expliquerait  fort  bien  son  intimité  avec  Henri  III.  Il  faut  noter  aussi  que, 
d'après  le  chroniqueur,  Petremol  était,  en  1576,  «  eu  mauvais  nom  et  en 
soubçon  de  beaucoup  devoir  ».  Voir  plus  haut,  p.  94  à  98. 


LES  BARRICADES  307 

savait  un  mémoire  qu'il  remettrait  à  François  d'O,  présent 
à  l'entretien.  Le  23  avril,  le  roi  fit  venir  au  Louvre  un  cer- 
tain nombre  de  cuirasses,  en  plein  jour;  Bussy  le  Clerc  et 
La  Chapelle,  qui  surveillaient  le  Louvre  avec  le  plus  grand 
soin,  en  conclurent  que  Tentreprise  était  découverte,  mais 
ils  ne  soupçonnèrent  nullement  la  trahison  de  Poulain,  qui 
trouvait  toujours  des  raisons  ingénieuses  pour  expliquer  ses 
visites  au  palais  du  roi.  Les  ligueurs  consternés  tinrent 
conseil  au  logis  de  La  Chapelle^Marteau,  et  il  eût  été  facile 
de  les  arrêter,  puisque  le  roi  savait  par  Poulain  le  lieu  de 
leur  assemblée  ;  mais  Villequier  et  la  reine  mère  empêchè- 
rent le  faible  monarque  de  profiter  de  l'occasion  et  de  se 
défaire  de  ses  plus  redoutables  ennemis. 

Cependant  le  duc  de  Guise  s'était  avancé  jusqu'à  Gonesse, 
prêt  à  seconder  les  ligueurs  de  Paris  si  leur  coup  de  main 
réussissait;  les  soldats  du  duc  étaient  déjà  répandus  un 
peu  partout,  à  Saint-Denis,  à  la  Villette  et  jusque  dans  les 
faubourgs  Saint-Laurent  et  Saint-Denis;  mais,  dès  qu'il 
apprit  que  le  roi  faisait  venir  quatre  mille  Suisses  de 
Lagny  et  qu'il  les  cantonnait  dans  les  faubourgs  Saint- 
Denis  et  Saint-Marlin,  Guise  rappela  ses  troupes  en  toute 
hâte  et  se  retira  lui-même  à  Dammartin.  C'est  là  que  La 
Chapelle,  au  nom  des  ligueurs  parisiens,  vint  le  trouver 
en  poste  pour  le  supplier  de  ne  pas  abandonner  ses  parti- 
sans à  la  vengeance  royale.  Le  duc  répondit  qu'il  était 
prêt  à  agir  et  qu'il  reviendrait  bientôt  à  Paris;  qu'en  atten- 
dant il  laissait  deux  de  ses  gentilshommes,  Chamois  et 
Bois-Dauphin,  pour  le  représenter  auprès  des  ligueurs. 
Puis  il  retourna  à  Soissons.  Poulain  donna  exactement  avis 
au  roi  de  toutes  ces  circonstances,  et  il  y  eut,  le  vingt-six 
avril,  une  sorte  de  conseil  secret  dans  le  cabinet  du  prince 
et  en  présence  de  d'Épernon,  La  Guiche  et  d'O.  Henri  III, 
avec  sa  nature  soupçonneuse,  demanda  à  Poulain  de  lui 
fournir  des  preuves  matérielles  de  ses  dires  et  ajouta  cette 


308  PARIS  ET  LA   LIGUE 

question  étrange  :  «  N'êtes-vous  point  de  la  religion  *?  » 
Poulain,  surpris,  jura  ses  grands  dieux  qu'il  n'avait  dit  que 
la  pure  vérité;  qu'il  n'avait  jamais  été  protestant,  et  priai 
le  roi  de  faire  arrêter  «  quatre  des  principaux  de  la  Ligue 
qu'il  lui  nommerait  »;  on  saurait  bien  alors  si  les  révé- 
lations étaient  exactes.  Henri  III  répondit  par  de  bonnes 
paroles,  félicita  Poulain  de  son  zële  et  l'engagea  à  ne  pas 
laisser  sa  vigilance  sVndormir.  Il  annonça,  en  congédiant 
son  espion,  qu'il  allait  passer  sept  ou  huit  jours  à  Saint- 
Germain,  et  qu'en  son  absence  les  renseignements  devaient 
être  apportés  à  M.  d'O.  C'est  le  même  jour,  en  effet  (26  avril)^ 
que  le  roi  sortit  de  Paris  pour  accompagner  d'Épernon,  qui 
allait  prendre  possession  de  son  gouvernement  de  Nor- 
mandie *.  Le  favori  emmenait  avec  lui  des  forces  assez 
considérables  :  quatre  compagnies  d'honunes  d'armes  et 
vingt-deux  enseignes  de  gens  de  pied.  Il  avait  pour  con- 
seil l'avocat  du  roi  Séguier.  Ce  départ  du  plus  énergique 
des  courtisans  n'était  que  l'exécution  d'un  plan  arrêté  df- 
concert  avec  Henri  III,  qui,  prévoyant  de  prochains  conflits 
avec  la  Ligue,  voulait  évidemment  se  ménager  un  point 
d'appui  en  province,  tout  en  concentrant  des  troupes 
autour  de  Paris.  Mais  après  s'être  séparé  de  d'Épernon^ 
le  roi  eut  comme  un  accès  de  découragement  et  s'enferma^ 
le  29  avril ,  dans  un  monastère  de  Vincennes ,  disant ,, 
à  ce  que  rapporte  l'Estoile,  «  qu'il  vouloit  faire  péni- 
tence sept  jours  entiers  et  qu'on  ne  lui  parlast  d'aucune» 
affaire  ». 

.  Le  moment  était  mal  choisi  pour  mener  la  vie  contem- 
plative. Les  ligueurs,  se  voyant  trahis  par  un  des  leurs,, 
égaraient  leurs  soupçons  sur  Compans,  parce  qu'il  avait 
été  huguenot,  sur  Téchevin  Lecomte,  sur  d'autres  encore,, 
et  cherchaient  h  précipiter  les  événements  pour  que  le  roi 

\ .  C'esl-à-dire  protestant. 
2.  L'EsToir.E,  I.  m,  p.  13*. 


LES  BARRICADES  309 

n'eût  pas  le  temps  de  prendre  des  mesures  décisives. 
Catherine-Marie  de  Lorraine,  duchesse  de  Montpensier, 
essaya  d'abord  d^obtenir  du  roi  que  le  duc  Guise  fût  auto- 
risé officiellement  à  venir  à  Paris,  sous  prétextre  de  lui 
permettre  de  se  justifier  «  des  faux  bruits  et  calomnies 
qu'on  luy  avoit  mis  sus  ».  Mais  Henri  III  fit  voir  claire- 
ment par  sa  réponse  à  la  duchesse  qu'il  savait  à  quoi  s'en 
tenir  sur  le  dévouement  de  son  frère  à  la  personne  royale. 
Mme  de  Montpensier  n'avait,  d'ailleurs,  en  faisant  cotte 
démarche,  d'autre  but  que  celui  d'endormir  le  roi.  Elle 
tramait,  à  ce  moment  même,  un  nouveau  complot  contre 
lui.  Sachant  que,  le  5  mai,  Henri  devait  aller  à  Vincennes, 
avec  quatre  ou  cinq  valets  et  un  ou  deux  gentilshommes 
pour  toute  escorte,  elle  avait  caché  quelques  ligueurs 
résolus  et  bien  armés  dans  le  jardin  d'une  maison  de  plai- 
sance appelée  Bel-Ebat  et  située  hors  de  Paris,  non  loin  de 
la  porte  Saint-Antoine.  Leur  consigne  était  d'arrêter  le 
carrosse  du  roi  à  son  retour  de  Vincennes,  de  massacrer 
l'escorte  et  de  diriger  Henri  III  vers  Soissons,  au  moyen 
de  relais  préparés  d'avance.  En  même  temps,  on  aurait 
répandu  à  Paris  le  bruit  que  le  roi  avait  été  enlevé  par  les 
huguenots,  afin  d'avoir  un  prétexte  pour  se  Jeter  sur  les 
politiques  et  les  sujets  fidèles,  non  seulement  dans  la  capi- 
tale, mais  dans  toutes  les  villes  dévouées  à  la  Ligue.  Ce  plan 
pouvait  fort  bien  réussir,  car  il  était  d'une  exécution  facile  ; 
mais  Bussy  le  Clerc  en  ayant  fait  confidence  à  Poulain,  le 
faux  ligueur  alla  immédiatement  trouver  le  roi  à  Vincennes 
et  le  mit  au  courant  de  ce  qui  se  tramait  contre  lui.  Henri 
envoya  demander  à  Paris  une  forte  escorte  de  cavalerie, 
qui  le  reconduisit  jusqu'au  Louvre  *.  Dès  que  les  conjurés 
avaient  vu  passer  les  cavaliers   allant  chercher  le  roi  à 

1.  De  Thou,  t  X,  p.  252.  Proc.^verbal  de  Poulain,  p.  319.  On  ne  s'ex- 
plique guère  pourquoi  Henri  III,  averti  par  Poulain  du  lieu  où  l'alten- 
daient  les  agents  de  la  Ligue,  ne  les  fit  pas  cueillir  au  gîte. 


310  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Yincenncs,  ils  avaient  quitté  à  la  hâte  la  maison  de  Bel- 
Ébat  et  s'étaient  dispersés. 

Certains  d'être  trahis  et  redoutant  la  vengeance  du 
prince,  les  meneurs  du  parti  dépêchèrent  à  Soissons 
Tavocat  Brigard,  surnommé  le  «  courrier  de  TUnion  »,  pour 
mettre  en  demeure  le  duc  de  Guise  de  venir  immédia- 
tement se  mettre  à  la  tète  des  ligueurs  de  la  capitale. 
Brigard  déclara  au  duc  que,  s'il  temporisait  davantage, 
tous  ses  serviteurs  Tabandonneraient  et  ne  manqueraient 
pas  de  révéler  au  roi  les  projets  de  la  Ligue  ^  Le  duc  de 
Guise  eut  un  moment  de  perplexité  terrible.  D'une  part, 
ses  partisans  le  menaçaient  de  l'abandonner  et  même  de  le 
trahir,  s'il  tardait  à  donner  le  signal  de  l'insurrection,  et, 
d'autre  part,  le  roi  lui  avait  fait  transmettre  à  trois  reprises 
différentes  la  défense  formelle  de  venir  à  Paris.  Il  faut  pré- 
ciser ce  point  important.  En  quittant  Paris,  le  26  avril  % 
pour  faire  la  conduite  jusqu'à  Saint-Germain  à  son  favori 
d'Épernon  qui  allait  prendre  possession  de  son  gouverne- 
ment de  Normandie,  Henri  III  avait  envoyé  une  première 
fois  Pompone  de  Bellièvre  à,  Soissons,  où  se  trouvaient 
réunis  les  princes  ligués,  pour  engager  le  duc  de  Guise  à 
ne  pas  venir  à  Paris.  Il  est  probable  que  cette  première 
injonction  n'eut  pas  le  caractère  impératif  que  lui  attribue 
Miron,  le  médecin  du  roi  '.  Si  l'on  en  croit  de  Thou^^l'en- 


1.  L^EsToiLB  rapporte  que  Brigard  u  usa  de  ces  mots  :  que  les  frères 
estoient  fort  desbauchés,  mais  que  sa  présence  rabhilleroit  tdut,  et  qu'il 
le  pouvoit  asseurer  sur  sa  vie  et  sur  son  honneur  que  tout  se  porteroit 
bien,  s'il  venoit  ».  De  Tbou  est  entièrement  d'accord,  comme  presque 
toujours  d'ailleurs,  avec  la  version  de  l'Estoile. 

2.  C'est  DB  Tuou  qui  donne  ce  renseignement  précieux,  que  nous  com- 
plétons par  le  passage  de  l'Estoile  qui  mentionne,  sous  la  date  du  26  avril, 
le  départ  de  d'Épernon  et  du  roi. 

3.  Relation  de  la  mort  de  Messieurs  les  duc  et  cardinal  de  Guise,  par  le 
sieur  AftVon,  médecin  du  roy  Henri  III,  1588.  Abch.  cur.,  1'^  série,  t.  XU, 
p.  113.  «  ...  Sa  Majesté,  par  le  conseil  de  la  reine  sa  mère,  depescha  le 
sieur  de  Bellièvre  pour  luy  faire  très  e.rprés  commandement  de  n'entrepren- 
dre ce  voyage,  sur  peine  de  désobéissance.  »  Mais  il  est  possible  que  ce 
passage  se  rapporte  au  second  voyage  de  Bellièvre. 


LES  BARRICADES  311 

voyé  du  souverain  n'aurait  essayé  de  fléchir  la  résolution 
du  duc  que  «  par  des  bassesses  et  des  prières  indignes  de 
la  majesté  d'un  roi  ».  Il  aurait  déclaré  au  chef  de  la  Ligue 
que  jamais  le  roi  n'avait  ajouté  foi  aux  rapports  qui  pré- 
sentaient sa  conduite  sous  un  mauvais  jour;  que  S.  M.  ne 
doutait  nullement  de  sa  fidélité,  mais  qu'elle  le  priait  seu- 
lement de  différer  pendant  quelque  temps  son  voyage  à 
la  cour,  afin  de  ne  pas  paraître  braver  ouvertement  ses 
ordres.  Le  duc  de  Guise  parut  fort  étonné  de  la  demande 
du  roi  :  il  fit  valoir  ses  services,  qu'on  récompensait  fort 
mal,  suivant  lui,  et  ajouta  que  l'honneur  lui  commandait 
de  protéger  les  fidèles  et  bons  catholiques  qui  s'exposaient 
pour  lui.  Quand  il  aurait  obtenu  pour  eux  des  garanties 
suffisantes,  S.  M.  recevrait  de  sa  part  toute  satisfaction; 
mais  si  les  complices  secrets  des  protestants  continuaient 
leurs  intrigues,  il  prendrait  le  parti  que  lui  inspirerait  son 
zèle  pour  la  religion  et  pour  la  patrie  *.  C'est  avec  ces 
paroles  vagues  que  le  duc  congédia  Bellièvre,  qui  était  de 
retour  à  Paris  le  jeudi  S  mai.  Henri  III,  on  peut  le  croire, 
ne  fut  nullement  rassuré  par  le  compte  rendu  de  la  mis- 
sion. Il  voulait  une  réponse  catégorique  et  renvoya  Bel- 
lièvre  à  Soissons,  avec  une  recharge,  comme  dit  l'Estoile, 
par  laquelle  il  commandait  au  duc  «  qu'il  n'eust  à  venir  à 
Paris  qu'il  ne  le  mandast,  et  que,  s'il  y  venoit,  les  affaires 
estans  en  Testât  qu'elles  estoient,  pourroient  y  causer  une 
esmotion  de  laquelle  il  l'en  tiendroit  à  jamais  aucteur  et 
coulpable  de  tout  le  mal  qui  en  adviendroit  ».  Non  content 
d'avoir  ainsi  renouvelé  ses  ordres  par  Bellièvre,  le  roi 
envoya  encore  M.  de  La  Guiche  au  duc  de  Guise  pour  lui 
notifier  une  fois  de  plus  la  défense  de  venir  à  Paris  V  Le 

1.  Db  Thou,  t.  X,  p.  251. 

2.  «  Le  samedy  ensuivant  (7  mai)  je  fus  advertir  Sa  Majesté  que  Mon- 
sieur de  Guise  venoit;  laquelle  me  fit  responce  quMl  y  avoit  envoyé  le 
sieur  de  La  Guiche  luy  dire  quMl  ne  vinst  pas.  •  Proc-verbal  de  Poulain, 
p.  320. 


312  PARIS  ET  LA  LIGUE 

roi  avait  raison  de  se  défier  de  Bellièvre.  Ce  dernier  avail 
vu  la  reine  mère  avant  de  partir  *,  et  Catherine  lui  avait 
donné  des  instructions  toutes  contraires  à  celles  du  roi. 
Bellièvre  s'acquitta  de  sa  nouvelle  mission  avec  une  indé- 
cision et  une  faiblesse  extrêmes  :  le  duc  de  Guise  n'eut  pas 
de  peine  à  le  congédier  «  le  laissant  en  suspens  s'il  iroit 
ou  s'il  ne  bougeroit  *  »  ;  mais,  à  peine  Bellièvre  parti,  le  duc 
monta  à  cheval  et  se  mit  lui-même  en  route  vers  la  capi- 
tale avec  une  escorte  de  huit  gentilshommes,  sans  compter 
Brigard,  l'émissaire  des  Parisiens.  C'était  le  8  mai,  sur  les 
neuf  heures  du  soir.  La  petite  troupe  entrait  à  Paris  le 
lendemain  vers  midi,  suivant  de  près  Bellièvre,  qui^  de 
retour  à  neuf  heures,  s'était  immédiatement  présenté  au 
Louvre  et  n'avait  pas  craint  «  d'assurer  le  roi  que  le  duc 
obéirait  ^  ».  Trahi  par  sa  mère  et  par  une  partie  de  ses 
gentilshommes,  Henri  n'était  nullement  préparé  à  fairo 
front  au  danger  qui  le  menaçait. 

Après  avoir  fait  une  courte  halte  à  Mortrives,  qui  était 
«  des  appartenances  de  Saint-Denis  »,  Guise  remonta  à 
cheval,  passa  au  travers  des  régiments  suisses  sans  être 
reconnu  et  franchit  à  midi  la  porte  Saint-Martin  «  camU" 


1.  Voy.  Mém,  de  Nevers,  1. 1,  p.  164.  «  M.  de  Bellièvre,  envoyé  vers  luy 
[le  iluc  de  Guise),  pour  luy  faire  entendre  de  se  bien  garder  de  venir  &  la 
cour,  parle  à  la  reine-mère  avant  que  partir;  laquelle,  sçachant  la  créance 
que  le  roy  lui  a  voit  baillée,  luy  dit  au  contraire  qu'il  faut  qu'il  vienne; 
autrement  le  roy  est  si  en  colère  qu'un  monde  de  gens  d'importance  sont 
perdus.  Qu'il  le  luy  doit  persuader  ou  au  moins  ne  l'en  dissuader  pas, 
afln  que,  venant,  toutes  choses  se  rhabillent  et  que  le  roy  oublie  le  passé.  » 

2.  Amplification  des  particularités  qui  se  passèrent  à  Paris  lorsque  M.  de 
Guise  s'en  empara  et  que  U  roi  en  sortit»  ArCh.  eut.,  1^  série,  t.  XI,  p.  3£»2. 
Cette  pièce  se  trouve  aussi  dans  le  recueil  des  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  Il, 
p.  315,  et  dans  les  Preuves  de  la  Satyre  Ménippée,  t.  III,  p.  64. 

3.  Relation  de  Miron,  Le  médecin  du  roi  ajoute  que  Bellièvre  «  sa  voit 
tout  le  contraire,  ayant  veu  premièrement  et  dit  la  vérité  &  la  reine-mèn* 
du  roy,  laquelle,  disait-on,  jouoit  le  double  sur  le  dessein  de  ce  voyage, 
d'autant  qu'elle  dés  iroit  ce  duc  auprès  du  roy  pour  s'en  servir  h  reprendre 
et  à  maintenir  lautorité  qu'elle  avoit  eue  auparavant  au  maniement  des 
alTaires,  et  pour  s'en  forlifîer  contre  les  insolences  et  les  dédains  insup- 
portables du  duc  d'Épernon,  qui  l'avoit  réduite  à  telle  extrémité  que, 
«luoiqu'il  en  peust  arriver,  elle  estoit  résolue  à  sa  ruine  ». 


LES   BARRICADES  313 

fato^  le  visage  caché  de  son  manteau  jusques  à  ce  qu'il 
arrivât  dans  la  rue  Saint-Denis.  Et  lors  un  jeune  gentil- 
homme de  sa  troupe,  nommé  Fourronne,  nepveu  de 
M.  Sainct-Anthoinc  de  Vienne,  luy  vint,  comme  par  jeu, 
lever  le  chappeau  de  sa  teste  et  tirer  le  manteau  d'alentour 
du  visage,  disant  qu'il  estoit  temps  de  se  faire  cognoistre 
à  riiostellerye  *  ».  Ce  jeu  de  scène,  prémédité  ou  impro- 
visé, rendit  aussitôt  publique  l'arrivée  du  chef  de  la  Ligue. 
Il  s'achemina,  sans  plus  se  préoccuper  de  son  incognito^ 
jusqu'à  l'hôtel  de  la  reine  mère  «  aux  Filles-Repenties  *  ». 
La  naine  de  Catherine  regardait,  par  hasard,  à  la  fenêtre, 
«t  elle  s'écria  qu'elle  voyait  venir  le  duc  de  Guise.  Croyant 
ù  une  mauvaise  plaisanterie,  la  vieille  reine  dit  «  qu'il 
falloit  bailler  le  fouet  à  ceste  nayne  qui  mentoit;  mais  à 
l'instant  elle  cogneust  que  la  nayne  disait  vray,  dont  elle  fut 
tellement  esmeue  d'aise  et  de  contentement  que  l'on  la  vit 
trembler,  frissonner  et  changer  de  couleur  '  ».  Après  quel- 
ques paroles  diplomatiques  qui  avaient  pour  but  de  se 
couvrir  vis-à-vis  du  roi,  dont  elle  connaissait  les  ordres, 
puisqu'elle  les  avait  contrariés,  Catherine  envoya  M.  de  La 
Guiche  avertir  officiellement  le  roi  de  l'arrivée  du  duc,  qui 
demandait  la  permission  d'aller  lui  faire  «  la  révérence  et 

i.  Histoire  de  la  journée  des  Barricades  par  un  bourgeois  de  Paris,  Celte 
pièce,  très  curieuse  et  remplie  de  détails  précis,  émane  d'un  bourgeois  de 
Paris  resté  inconnu.  Elle  est  tirée  d'un  recueil  manuscrit  de  la  Bibl.  nat., 
départ,  des  imprimés,  fonds  de  Thoisy,  intitulé  Recueil  hisL,  t.  UI,  iQ-f<>.  On 
la  trouve  reproduite  dans  la  Revue  rétrosp.^  t.  IV,  1'*  série,  p.  39i  (1834), 
et  dans  Cihber  et  Danj.,  V*  série,  t.  XI,  p.  365  (1836). 

2.  Amplification,  etc.,  loc.  cit.y  p.  3o2.  C'est-à-dire  l'hôtel  bâti  sur  rancien 
«mplacemeut  des  Filles-Repenties.  Il  a  été  remplacé  par  la  Halle  au  blé. 

3.  Histoire  de  la  journée  des  Barricades,  etc.,  p.  368.  Nous  ne  savons  sur 
quel  fondement  Michelet  a  écrit,  en  parlant  de  Catherine  :  a  Elle  qui  négo- 
ciait, qui  croyait  Tempécher  de  venir,  elle  le  voit  tout  venu,  pâlit,  bé- 
gaye.... »  Ayant  elle-même  engagé  le  duc  à  venir  de  suite  à  Paris;  la 
reine  mère  ne  pouvait  que  manifester  de  la  satisfaction  en  le  voyant  pa- 
raître. De  Thou  est,  au  surplus,  d'accord  avec  le  Bourgeois  de  Paris  et  dit 
«  qu'elle  reçut  parfaitement  bien  •  le  duc  de  Guise,  t.  X,  p.  253.  Tous  ces 
points  sont  fort  importants  et  prouvent  que  le  récit  d'événements  en 
apparence  très  connus  peut  toujours  être  amené  à  une  exactitude  et  à 
une  précision  plus  grandes. 


314  PARIS  ET  LA   LIGUE 

submissions  accoustumées  '  ».  Le  roi  fit  répondre  par 
M.  de  Villequier  qu'il  recevrait  Guise. 

Qu'allait-il  se  passer?  Outré  de  colère,  Henri  III  dit  à 
Villeroy  :  «  Il  est  venu!  Par  la  mort-Dieu!  il  en  mourra.  Où 
est  logé  le  colonel  Alphonse?  —  En  la  rue  Sainct-Honoré, 
dit  le  sieur  de  Villeroy.  —  Envoyez-le  quérir  et  qu'on  luy 
die  qu'il  s'en  vienne  soudain  parler  à  moi  *.  »  Le  colonel 
corse  Alphonse  Omano  arriva  sans  retard  au  Louvre,  et  h* 
roi  lui  dit,  après  s'être  enfermé  avec  lui  dans  son  cabinet  : 
«  Voilà  donc  M.  de  Guise  qui  vient  d'arriver,  et  toutefois 
je  lui  avois  mandé  qu'il  ne  vinst  point.  A  vostre  advis^ 
capitaine  Alphonse,  si  vous  estiez  en  ma  place  et  que  vous 
lui  en  eussiez  mandé  autant,  et  qu'il  n'en  eust  tenu  autre 
compte,  que  feriez-vous?  —  Sire,  il  n'y  a,  ce  me  semble, 
qu'un  mot  en  cela  :  tenez-vous  M.  de  Guise  pour  vostre  ami 
ou  pour  vostre  ennemi?  »  Le  roi  ayant  fait  un  geste  signi- 
ficatif,. Ornano  ajouta  :  «  Ce  qu^estant,  s'il  vous  plaist 
de  m'honorer  de  cette  charge,  sans  vous  en  donner  autre- 
ment peine,  je  vous  apporterai  aujourd'hui  sa  teste  à  vos 
pieds  ou  bien  vous  le  rendrai  en  lieu  là  où  il  vous  plaira 
d'en  ordonner,  sans  qu'aucun  homme  du  monde  bouge  ne 
remue,  si  ce  n'est  à  sa  ruine  '.  >>  Bien  que  cette  offre 
hardie  ait  été  directement  provoquée  par  Ilenri  III,  il  n'osa 
pas  l'accepter  et  répondit  en  termes  vagues  «  qu'il  n'estoil 
encores  besoin  de  cela  et  qu'il  espéroit  de  donner  ordre  à 
tout  en  bref  par  un  autre  et  plus  court  moien  ».  Le  moyen 
d'Ornano  ne  laissait  pas  cependant  d'être  expéditif. 

Tandis  qui»  ces  projets  violents  s*agitaient  dans  le 
cabinet  du  roi,  Catherine,  sachant  par  M.  de  Villequier 
que  Henri  III  refusait  de  se  rendre  chez  elle,  comme  elle 

1.  Histoire,  etc.,  p.  368.  Miron,  de  son  côté,  dit,  dans  sa  narration,  que  ce 
fut  M.  de  Villeroy  qui,  arerti  au  milieu  de  son  dtner  par  un  de  ses  amis 
de  l'arrivée  du  duc,  alla  immédiatement  prévenir  le  roi  au  Louvre. 

2.  Relation  de  Miron,  p.  115. 

3.  L'EsTOiLE,  t.  ni,  p.  136. 


LES  BARRICADES  315 

l'en  avait  prié,  car  elle  se  trouvait  fort  souffrante  *,  prit  la 
résolution  de  conduire  elle-même  le  duc  de  Guise  au 
Louvre.  La  vieille  reine  se  fit  mettre  dans  une  «  chaire  à 
bras  »  et  s'achemina  vers  le  palais  de  son  fils.  Le  duc  de 
Guise  la  suivit  à  pied,  à  travers  les  rues  remplies  d'une 
foule  enthousiaste.  On  criait  :  Vîve  Guise!  Vive  le  pilier 
de  l'Église  '!  Des  femmes  s'attendrissaient,  cherchant  h 
toucher  le  bord  de  son  manteau.  Une  boutiquière,  qui  était 
sur  le  pas  de  sa  porte,  s'écria  tout  haut  :  «  Bon  prince, 
puisque  tu  es  ici,  nous  sommes  sauvés  M  »  Lui  restait 
calme,  dissimulant  sous  un  air  de  hauteur  affectée  la  joie 
intérieure  que  lui  causaient  les  manifestations  de  l'amour 
populaire  *.  Il  arriva  ainsi  au  Louvre,  comme  porté  par  un 
flot  vivant.  Ce  qu'il  vit  là  était  fait  pour  diminuer  un  peu 
son  assurance.  Sous  le  coup  de  sa  colère,  Henri  III  avait 
pris  quelques  mesures  menaçantes  :  les  abords  et  les  esca- 
liers du  palais  étaient  occupés  militairement  par  les  gardes 
françaises  et  suisses  ^  Guise  dut  traverser  ces  haies  de 
fer  avant  de  parvenir  jusqu'au  roi  ".  Il  saluait  en  souriant, 

1.  D'après  une  des  quatre  lettres  sur  les  Barricades  qui  se  trouvent  dans 
les  manuscrits  de  Baluze,  la  reine  mère,  dès  l'arrivée  chez  elle  du  duc  de 
Guise,  aurait  envoyé  chercher  M.  de  Villequier,  dont  elle  connaissait  l'in- 
fluence sur  le  roi,  et  l'aurait  chargé  d'aller  demander  à  Henri  III  de  venir 
chez  elle.  Le  roi  se  serait  emporté  contre  sa  mère  et  Villequier,  et  aurait 
formellement  refusé  de  sortir  du  Louvre.  D'après  la  relation  du  Bourgeois 
de  Paris  qui  se  trouve  dans  le  Recueil  hist.  de  la  Bibl,  nat.,  c'est,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut,  M.  de  la  Quiche  qui  aurait  été  le  messager  de 
Catherine,  et  Villequier  n'aurait  fait  que  porter  la  réponse  du  roi  à  sa  mère^ 
réponse  qui  autorisait  seulement  le  duc  de  Guise  et  la  reine  mère  à  se 
présenter  au  Louvre. 

2.  L'EsTOiLE,  t.  III,  p.  437. 

3.  Ibid.j  et  Ampli f.  des  partie,  etc.,  p.  3oi. 

4.  De  Thou,  t.  X,  p.  253. 

5.  La  Relation  du  Bourgeois  de  Paris  dit  qu'après  avoir  expédié  M.  de 
Villequier  à  la  reine  mère  pour  l'autoriser  à  venir  au  Louvre  avec  le  duc 
de  Guise,  le  roi  avait  «  fait  en  diligence  assembler  ses  gardes,  tant  fran- 
çaises que  suisses,  et  les  ranger  en  meilleur  ordre  et  plus  apparant  que 
de  coustume  ». 

6.  Nous  suivons  la  version  de  l'historien  de  Thou,  toujours  si  exact, 
mais  il  faut  noter  que,  suivant  la  Relation  du  Bourgeois,  Catherine  et  le 
duc  entrèrent  au  Louvre  »  par  la  petite  porte  qui  est  près  du  jeu  de  paume» 
afin  de  ne  passer  parmi  les  gardes  ». 


316  PARIS  ET   LA  LIGUE 

multipliant  les  efforts  de  sa  grâce,  comme  pour  abaisser 
devant  lui  les  épées.  Peut-être,  à  ce  moment,  la  présence 
de  Catherine  fut-elle  sa  meilleure  sauvegarde.  Enfin  le  duc 
•et  la  reine  mère  furent  introduits  auprès  de  Henri  III.  Le 
«•oi  attendait,  avec  cette  dignité  hautaine  qu'il  savait 
prendre  dans  les  circonstances  graves.  Il  était  dans  «  la 
chambre  de  la  reine  *  »  assis  près  du  lit  *  «  et  ne  se  remua 
point  pour  Tentrée  dudit  sieur  de  Guise  qui  lui  fit  une 
révérence,  touchant  quasi  le  genou  en  terre;  mais  le  roi, 
irrité  de  sa  venue,  ne  lui  fit  autre  accueil,  sinon  lui 
demander  :  «  Mon  cousin,  pourquoi  esles-vous  venu  *?  » 
Le  ton  de  ces  paroles  en  rendait  la  concision  plus  mena- 
çante. Henri  III  était  blême,  dit  Miron,  et  mordait  ses 
lèvres.  Le  duc  se  crut  perdu.  Cependant,  comme  le  roi  ne 
l'interrompait  pas,  il  entama  une  longue  justification  de 
sa  conduite  et  de  celle  de  la  Ligue,  disant  qu'on  l'avait 
calomnié  et  priant  S.  M  de  soumettre  tous  ses  actes  à  une 
«enquête  impartiale.  Le  roi,  s'adressant  alors  à  M.  de 
Bellièvre,  lui  dit  :  «  Ne  vous  avais-je  pas  commandé  de 
lui  faire  entendre  mon  intention?  »  Bellièvre  balbutia, 
troublé  de  la  colère  de  son  maître,  essayant  de  soutenir 
qu'il  avait  fidèlement  transmis  ses  ordres;  mais  Guise,  qui 
Jouait  sa  tête,  interrompit  le  malheureux  courtisan  et  lui 
rappela  de  quelle  manière  équivoque  et  à  double  entente 
il  avait  rempli  la  mission.  Henri  III  pénétra-t-il  l'énigme 
-de  cette  trahison?  Le  visage  de  Catherine  resta-t-il  impas- 
sible devant  le  regard  de  son  fils?  On  ne  sait  :  le  roi 
démêla  toujours  une  partie  de  la  vérité,  car  il  foudroya 
Bellièvre  par  ces  mots  significatifs  :  «  Je  vous  en  avais  dit 


1.  Relation  de  Miron. 

2.  Amplification  des  particularités ,  etc. 

3.  Ibid.y  p.  353.  L'auteur  de  V Amplification  ajoute  que  le  duc  de  Guise,  en 
répondant  à  la  question  du  roi,  était  u  tout  ému  et  fort  pasle,  comme  sUl 
«ust  craint  que  le  roi  ne  se  voulust  dèa  lors  ressentir  du  mépris  qu'il  avoil 
fait  de  ses  commandemens  ». 


LES  BARRICADES  317 

davantage.  »  Une  réponse  imprudente  du  pauvTe  Bellièvre 
pouvait  à  jamais  perdre  Catherine  dans  l'esprit  du  roi  et 
faire  tomber  la  tète  du  duc  de  Guise.  La  vieille  reine  savait 
par  expérience  à  quelles  extrémités  s'emportait  soudain  le 
sang  des  Valois,  et  la  sauvage  fureur  de  Charles  IX  au 
moment  de  la  Saint-Barthélémy  risquait  d'être  égalée  en 
ce  moment  par  la  rage  froide  et  concentrée  de  Henri  IIL 
Mais  il  y  avait  là  trop  de  femmes,  surtout  les  deux  reines, 
également  intéressées  à  sauver  Guise,  Tune  parce  qu'elle 
iHait  sa  complice,  l'autre  parce  qu'elle  était  du  même  sang 
({ue  le  chef  de  la  Ligue  ^  Aussi,  coupant,  en  quelque 
sorte,  l'aigre  dialogue  du  roi  et  de  Bellièvre,  Catherine 
s'entremet  *  aussitôt,  enveloppe  son  fils  de  ses  paroles 
mielleuses,  et  la  reine  Louise  engage  une  conversation 
avec  le  duc,  comme  pour  le  prendre  sous  sa  protection 
pendant  <(  le  pourparler  do  la  reine-mère  avec  le  roi  '  »• 
Les  courtisans  à  moitié  traîtres  comme  Yillequier,  un  pied 
dans  les  deux  camps,  mais  haïs  du  peuple,  appuyaient  les 
instances  des  reines  et  agitaient  devant  les  yeux  et  l'àmo 
vacillante  du  roi  le  spectre  des  représailles  de  Paris,  si 
ridole  des  foules  succombait.  Cette  étrange  conférence  se 
prolongea  longtemps  :  pendant  trois  mortelles  heures  *. 
Guise  se  répandait  en  protestations  de  fidélité,  allant  jusqu'à 
dire  «  qu'il  portait  une  épée  bien  tranchante  pour  tirer 
raison  de  ses  calomniateurs  ^  ».  A  ces  audacieuses 
excuses,  Henri  UI  répondait  qu'il  savait  à  quoi  s'en  tenir 
sur  les  menées  de  la  Ligue  ;  il  accusa  le  duc  «  de  mener 

1.  La  reine  Louise,  rappelons-le,  était  fille  de  Nicolas  de  Lorraine,  comte 
de  VaudémoDt,  et  cousine  des  Guises. 

2.  C'est  l'expression  dont  se  sert  Miron. 

3.  Amplification  des  particularités ^  etc. 

4.  A  lire  les  historiens  de  Paris,  on  pourrait  croire  que  l'entrevue  du 
roi  avec  Guise  dura  à  peine  quelques  minutes;  mais  la  relation  attribuée 
à  Sainct-Yon  (Arch.  cim.,  t.  XI,  !'«  série,  p.  329)  nous  dit  que  Guise  entra 
au  Louvre  à  deux  heures  et  n'en  sortit  qu'à  cinq.  C'est  ce  que  confirme 
aussi  le  Procès-verbal  de  Poulain. 

5.  Lettre  tirée  des  Mss.  de  Baluze  par  Cimber  et  Danjou,  t.  XI,  p.  35i. 


LES  BARRICADES  319 

intentions  du  chef  de  la  Ligue,  et  l'ayant  tenu  à  sa 
ion,  il  venait  de  le  laisser  partir;  il  se  contenta  donc 
iger  Poulain  à  se  tenir  sur  ses  gardes  et  à  veiller  à 
reté  personnelle.  L'étrange  personnage  se  le  tint  pour 
t,  après  avoir  donné  à  M.  d'O  tous  les  renseignements 
il  disposait,  il  quitta  Paris  deux  jours  après,  «  atten- 
les  nouvelles  qui  demeureroit  le  plus  fort  ». 
.e  roi  de  France  allait-il  reculer  sans  lutte  devant  le  roi 
Paris  qui,  s'étant  trouvé  à  deux  doigts  de  la  mort,  trans- 
mait  son  hôtel  en  forteresse,  ralliait  ses  gentilshommes 
faisait  entrer  ses  Albanais  et  ses  capitaines  dans  la 
pitale?  Malgré  son  inertie  naturelle,  Henri  III  avait  pris 
«lelques  mesures  de  défense.  Il  avait  d'abord  songé  à  faire 
oignarder  le  duc   par  les  Quarante-cinq,  le  lendemain 
aatin  10  mai,  quand  il  se  présenterait  au  lever,  et  à  faire 
;Cter  le  corps  par  les  fenêtres  du  Louvre,  «  l'exposant  à  la 
veue  d'un  chacun  pour  servir  d'exemple  à  tout  le  monde 
et  de  terreur  à  tous  les  conjurés  *  ».  Mais  Villequier  et  La 
Guiche    dissuadèrent    le    prince    d'employer    ce    moyen 
violent  et  prévinrent   le  duc  de  Guise  qu'il  pouvait  se 
présenter  impunément  au  Louvre  le  lendemain  matin.  Et 
c'est  ce  que  fit  le  chef  de  la  Ligue,  le  mardi  dix  mai;  il 
avait,  cette  fois,  une  escorte  de  «  trente  et  quarante  che- 
vaux '  »  ;  le  lendemain,  ce  fut  le  roi  qui  alla  trouver  le  duc 

son  mélier  d'agent  de  police  à  la  su  île  de  la  cour,  jusqu'A  la  mort  de 
Henri  III.  Il  se  vante,  en  terminant  son  curieux  Procès -verbal,  d*aToir 
rendu  A  son  maître  de  «  signalés  services  qu'on  ne  peut  pas  écrire  au 
vrai,  sans  en  toucher  quelques-uns  qui  n'en  seroient  pas  conteos  ». 

1.  Relation  de  Miron,  p.  116. 

2.  Amplifie,  des  partie,  etc.  Dissimulant  sa  colère,  le  roi  fit,  dans  cette 
seconde  entrevue,  bon  visage  au  duc  et  l'autorisa  à  faire  venir  à  Paris 
l'archevêque  de  Lyon,  d'Espinac,  l'un  des  ligueurs  les  plus  énergiques 
et  les  plus  dangereux.  Mais  le  11  au  matin,  lorsque  le  roi,  se  trouvant 
chez  la  reine  mère,  vit  arriver  le  duc,  «  il  tourna  le  visage  d'austre  costé, 
qui  fut  cause  que  monsieur  de  Guise  s'assit  sur  un  coffre  près  monsieur 
de  Bellièvre  et  luy  tint  plusieurs  propos,  se  plaignant  des  mauvais  rap- 
ports qu'on  avoit  faits  de  luy  à  Sa  Majesté....  »  Hist,  de  la  journée  des 
Barric.  Arch.  cur.,  V  série,  t.  XI,  p.  371 .  —  Michelet  a  placé  cet  incident,  que 
raconte  le  Bourgeois  de  Paris,  dans  la  première  entrevue  de  Guise  et  du 


320  PARIS  ET  LA  LIGUE 

à  riiôtel  de  la  reine  mère.  Dans  ces  deux  entrevues, 
Henri  III  et  Guise  échangèrent  sans  fin  des  récriminations 
et  des  griefs  réciproques.  Cette  situation  tendue  ne  pou- 
vait se  dénouer  que  par  un  coup  de  force.  Les  deux  adver- 
saires le  comprenaient  bien  et  se  préparaient  à  la  lutte.  On 
connaît  les  forces  de  la  Ligue;  elles  s'accroissaient  tous 
les  jours  par  Taccession  des  aventuriers  que  Guise  faisait 
entrer  dans  Paris,  par  Tardente  propagande  des  curés, 
des  moines  et  des  agents  patentés  du  parti.  Qu'avait  fait  le 
roi  pour  se  défendre  et  sur  qui  pouvait-il  compter? 

Le  jour  même  de  l'arrivée  du  duc  de  Guise  daus  la 
capitale,  le  roi  avait  fait  faire  par  le  Bureau  de  la  Yille 
«  deffenses  très  expresses,  sur  peine  de  la  vye,  à  tous 
bourgeois,  manans  et  habitans  de  la  Yille  et  faulxbourgs 
de  Paris  et  autres  personnes,  de  quelque  qualité  ou  condi- 
tion qu'ilz  soient,  de  sortir  hors  leurs  maisons  avecq  armes 
aultres  que  Tespée  et  dague  après  9  heures  du  soir  son- 
nées, sinon  à  ceulx  ausquelz  il  a  esté  commandé  de  eulx 
tenir  prestz  en  armes  pour  le  service  de  S.  M.  et  repos  de 
ladite  Ville  *  ».  Un  autre  mandement,  en  date  du  même 
jour,  ordonne  que  «  les  gardes  soient  faites  tant  aux 
portes  de  ceste  ville  que  par  la  ville,  suivant  les  règle- 
ments qui  ont  esté  donnés  aux  prévost  des  marchans  et 
eschevins,  lesquelz  commenceront  dès  ce  soir  à  establir 

roi  au  Louvre,  celle  du  9  mai.  Hist,  de  Fr.,  t.  X,  p.  148.  Il  n'est  pas  indif- 
férent de  noter  qu'il  se  place  dans  Tentrevue  du  11  :  car  cela  prouve  que 
le  duc  de  Guise  se  crut  menacé  de  mort  deux  jours  après  son  arrivée  à 
Paris. 

1.  Rbg.  de  la  V.  h,  1789,  f«  116.  Voy.  aussi  lettres  de  Pasquibr,  livre  11, 
lettre  3.  Anqubtil,  parlant  de  la  situation  de  Paris  dans  les  premiers  mois 
de  1588,  dit,  de  son  c6té  :  «  Henri  III  crut  arrêter  les  complots  des  ligueurs 
par  un  simple  édit  qui  défendait  les  levées  d'hommes  et  les  attroupe- 
ments, mais  on  n'en  tint  aucun  compte.  A  Paris  même,  sous  ses  yeux,  le 
roi  souffrait  que  le  peuple  se  familiarisât  avec  les  armes  :  tolérance  tou- 
jours dangereuse,  surtout  quand  les  esprits  sont  échauffés.  Pasquier 
écrivait  à  un  de  ses  amis  :  «  Nous  sommes  maintenant  devenus  tous 
guerriers  désespérés.  Le  jour  nous  gardons  les  portes,  la  nuit  nous  fai- 
sons le  guet,  patrouilles  et  sentinelles.  Bon  Dieu!  que  c'est  un  métier 
plaisant  à  ceux  qui  en  sont  apprentis!  »  VEsprii  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  243. 


LES  BARRICADES  3!21 

les  corps  de  garde  pour  la  nuit  et,  demain  du  matin,  la 
garde  des  portes  •  ».  Afin  de  prêter  main  forte  à  la  garde 
du  roi,  qui  n'était  pas  très  nombreuse,  le  9,  le  prévôt  des 
marchands  avait  adressé  à  plusieurs  colonels  de  la  milice 
municipale  un  ordre  ainsi  conçu  :  «  M...,  colonel  au  quar- 
tier de  X...,  quartenier,  nous  vous  prions  de  faire  armer 
jusques  au  nombre  de  vingt  hommes  de  chacune  dixaine 
de  vostre  colonnelle  et  eulx  tenir  pretz  cejourdliyuy  à 
C heure  de  midij  pour  obéir  ad  ce  qui  leur  sera  enjoinct  et 
commandé  pour  le  service  du  roy  et  de  la  Ville.  Faict  au 
Bureau  d'iccUe,  le  lundi  9  mai  1588  '.  »  Il  ne  faudrait  pas 
croire,  au  surplus,  que  la  milice  municipale  fût  entière- 
ment dans  la  main  du  roi.  Henri  III  pouvait  compter  sur 
le  dévouement  du  prévôt  des  marchands,  Nicolas-Hector  de 
Pereuse,  maître  des  requêtes  de  THôtel,  et  sur  les  échevins 
Le  Comte  et  Pierre  Lugoly,  mais  dans  le  corps  de  Ville 
même  il  y  avait  d*ardents  ligueurs,  Sainct-Yon,  par 
exemple,  auquel  on  doit  Tune  des  plus  intéressantes  rela- 
tions de  la  journée  des  Barricades.  De  même,  dans  les 
rangs  de  la  milice  municipale,  se  trouvaient  un  fort  grand 
nombre  de  ligueurs.  Les  officiers  étaient  fort  divisés,  bien 
que  le  roi  eût  nommé  un  grand  nombre  de  capitaines  en 
vertu  de  son  bon  plaisir  et  sans  tenir  compte  des  élections 
traditionnelles.  Dès  le  7  mai,  dans  une  grande  assemblée 
de  ville  «  en  laquelle  tous  les  capitaines  et  lieutenans  com- 
mandans  à  Paris  furent  mandez  »,  plusieurs  d'entre  eux 
avaient  été  notés  comme  suspects,  parce  qu'ils  avaient  émis 
l'avis  d'appliquer  un  remède  violent  à  la  crise  où  l'on 

1.  BcG.}  ibid» 

2.  Ihid,  Ce  mandement  parait  établir  que  THÔlel  de  Ville  fut  averti  de 
Karrivée  du  duc  de  Guise  avant  même  qu'il  eût  franchi  les  portes  de  Paris» 
car  les  documents  que  nous  avons  cités  disent  que  Guise  arriva  sur  le 
midy  (voy.  notamment  la  relat.  du  Bourgeois  de  Paris,  HisL  de  la  journée 
des  Barricades  et  Amplifie,  des  partie,).  Le  mandement  est  évidemment 
antérieur  à  l'heure  de  midi,  puisque  les  capitaines  doivent  avoir  réuni 
tous  leurs  hommes  à  midi. 

ROBIQUET.  21 


322  PARIS  ET  LA  LIGUE 

s'agitait,  remède  qui  eût  consisté  à  faire  une  nouvelle  Saint- 
Barthélémy  d'hérétiques.  Les  capitaines  hostiles  aux 
ligueurs  accusaient,  d'autre  part,  ces  derniers  de  n'être 
que  des  rebelles  et  des  perturbateurs  de  l'ordre  public.  Les 
deux  camps  se  réunissaient  d'une  manière  distincte  et  se 
mesuraient  de  l'œil.  Sur  le  bruit  qui  se  répandit,  le  7  au 
soir,  que  le  duc  de  Guise  était  au  Bourget  avec  une  armée 
de  trente  mille  hommes,  les  échevins  et  les  capitaines 
royalistes  mirent  leurs  hommes  sur  pied  :  les  capitaines 
ligueurs  prirent  alors  les  armes  afin  de  se  garder  d'une 
surprise  K  Le  dimanche  8,  Pereuse,  prévôt  des  marchands, 
accompagné  de  l'échevin  Le  Comte,  voulut  mener  les 
archers  de  la  Ville  au  Temple  pour  prendre  possession  des 
poudres  qui  s'y  trouvaient;  mais  les  archers,  ou  du  moins 
la  plus  grande  partie  d'entre  eux,  firent  mine  de  quitter 
leurs  hoquetons,  s'écriant  bien  haut  qu'ils  étaient  catholi- 
ques; et  peu  s'en  fallut,  Sainct-Yon  l'affirme,  qu'ils  ne  mis- 
sent à  mort  le  prévôt  des  marchands  et  l'échevin  Le 
Comte.  La  nuit  du  8  au  9,  les  capitaines  des  deux  factions 
prirent  la  garde,  se  surveillant  mutuellement,  et,  bien  que 
le  prévôt  des  marchands  n'eût  adressé  de  mandements 
pour  la  garde  qu'aux  officiers  dévoués  au  roi,  les  archers 
de  la  Ville  refusèrent  tout  service  *.  C'était  déjà  une 
situation  révolutionnaire,  puisque  les  ligueurs,  non  con- 
voqués   pour   le  service  de  garde,    prenaient  les  armes 

1.  Hist.  très  veril.,  etc.,  relation  attribuée  à  Sainct-Yon,  t.  UI  des  Preuves 
de  la  Satyre  Ménippée,  £dit.  de  Ratiabonne  de  1752,  p.  40. 

2.  IlncL  Anquetil  (Esprit  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  21)  parait  un  peu  s'aven- 
turer, quand  il  déclare  que  jusqu'au  jeudi  matin  le  roi  aurait  pu  faire 
arrêter  le  duc  de  Guise,»  parce  qu'il  avoil  pour  lors  tous  les  capitaines  de 
quartier,  toutes  les  cours  souveraines,  la  bonne  bourgeoisie  et  4,000  Suisses, 
outre  sa  garde  ».  Les  documents  que  nous  avons  analysés  au  texte  établis- 
sent, d'une  manière  certaine,  que,  dès  le  7  mai,  une  grande  partie  des  capi- 
taines de  la  milice  refusaient  tout  service  à  la  municipalité  royaliste,  et 
que  les  archers  de  la  Ville  se  mettaient  en  révolte  ouverte  dès  le  dimanche 
8  mai.  Le  maréchal  de  Biron  sera  beaucoup  plus  dans  la  vérité,  en  disant 
au  roi,  le  12,  que  les  30,000  hommes  <]e  milice  forment  le  principal  con- 
tingent de  rémeute. 


LES  BARRICADES  323 

d'eux-mêmes.  Cette  attitude  d'une  bonne  partie  de  la  milice 
dut  rendre  illusoires  ou  tout  au  moins  paralyser  les 
mesures  de  police  qu'ordonna  le  Bureau  dans  les  journées 
des  10  et  H.  Il  avait  été  prescrit  aux  quarliniers  d'appeler 
les  oinquanteniers  et  dizainiers,  et  de  faire  des  perquisitions 
dans  toutes  les  hôtelleries,  tous  les  garnis  et  autres  lieux, 
afin  de  rechercher  les  vagabonds  et  les  étrangers,  et 
d'avertir  le  prévôt  des  marchands  de  tout  ce  qui  se  pas- 
serait dans  chaque  quartier.  Quant  aux  colonels,  ils  reçurent 
Tordre  «  de  faire  faire  corps  de  garde  aux  portes  et  par  la 
Ville,  suivant  les  règlemens  qui  ont  esté  cy-devant  faictz  », 
et  d'empescher  «  qu'il  ne  soit  tiré  aulcun  coup  d'harquebuzc 
après  neuf  heures  du  matin  sonnées  jusques  au  matin  que 
la  garde  soit  levée  *  ».  Le  lendemain,  le  Bureau  transmet 
aux  quartiniers  l'injonction  «  d'advertir  par  chacun  matin 
à  l'ouverture  des  portes  MM.  les  colonels  et  capitaines  de 
la  Ville  qui  entreront  en  garde  ès-portes  d'icelle  Ville,  de 
ne  laisser  rentrer  ne  sortir  aulcunes  personnes  par  lesdites 
portes  portans  armes  à  feu  »,  de  fouiller  ceux  qui  entrent  et 
de  saisir  les  lettres  et  paquets  qu'on  pourrait  trouver  sur 
eux,  puis  de  porter  le  tout  à  l'Hôtel  de  Ville  '.  Le  même 
mandement  invite  les  quartiniers  à  continuer  les  perqui- 
sitions domiciliaires  et  à  «  entrer  eulx-mesmes  dedans 
chacune  des  maisons  ». 

Le  11  mai,  à  cinq  heures  du  soir,  eut  lieu,  dans  la 
maison  commune  et  sur  Tordre  du  roi,  une  assemblée  où 
figurèrent  le  sieur  d'O,  le  prévôt  des  marchands,  les  éche- 
vins  et  «  aucuns  colonels  ».  Il  y  fut  décidé  qu'on  ferait,  la 
nuit  suivante,  «  bonne  garde  par  quelques  places  »,  mais 
que  ce  service  de  surveillance  ne  serait  confié  qu'à  certains 
colonels  ou  capitaines  sur  qui  le  roi  pouvait  compter. 
L'échevin  Sainct-Yon  représenta  vainement  que  chaque 

1.  Mandement  du  10.  (Reo.  db  la  V.  H.  1789,  fol.  117.) 

2.  Ibid,,  fol.  118.  Mandement  du  11  mai. 


334  PARIS  ET  LA  LIGUE 

colonel  devait  régler  dans  son  quartier  le  service  de  garde, 
et  qu'en  dirigeant  telle  ou  telle  compagnie  sur  d'autres 
circonscriptions  militaires  on  s'exposait  à  mécontenter  la 
population  et  à  provoquer  une  émeute.  Un  des  présidents 
du  Parlement  ayant  appuyé  ces  observations,  M.  d'O  y 
coupa  court  par  cette  brutale  apostrophe  :  «  Par  la  mort 
Dieu!  messieurs,  je  n^ay  que  faire  de  vostre  conseil  en 
cest  endroit.  J'ay  la  volonté  du  roy;  il  veut  estre  mainte- 
nant obéy  K  »  Cette  violente  attitude  n'était  pas  faite  pour 
calmer  les  esprits  :  aussi,  l'aspect  de  Paris  devint-il  de  plus 
en  plus  menaçant.  Le  roi  en  fut  avisé  et  manda  aussitôt 
quelques  magistrats  notables  dont  il  connaissait  le  dévoue- 
ment et  qu'il  avait  nommés  capitaines  dans  la  milice  mu- 
nicipale. Il  leur  prescrivit  de  rassembler  leurs  hommes  et 
d'occuper  fortement  le  cimetière  des  Innocents  dont  deux 
portes  débouchaient  rue  Saint-Honoré  et  deux  autres  rue 
du  Fouare  ^  C'est  Augustin  de  Thou,  président  au  Par- 
lement, qui  fut  choisi  par  le  prince  pour  commander 
les  onze  compagnies  fidèles  ou  présumées  telles,  qui  de- 
vaient prendre  position  au  cimetière.  De  Thou  reçut  la 
consigne  de  ne  point  quitter  son  poste  jusqu'à  l'arrivée  de 
Nicolas  de  Brichanteau,  sieur  de  Beauvais-Nangis.  Ces 
ordres  furent  exécutés  à  neuf  heures  du  soir;  mais  le 
moral  de  la  milice  était  si  peu  affermi  que,  malgré  les 
objurgations  du  vieux  président  de  Thou,  quatre  compa- 

1.  Relation  de  Sainct-Yon. 

2.  Dr  Thou,  t.  X,  p.  255.  D'après  cet  historien^  les  ordres  auraient  été 
donnés  directement  par  le  roi  à  Augustin  de  Thou  et  à  réchevin  Le  Comte, 
tandis  que  Sainct-Yon  dit  que  les  colonels  avaient  reçu  leurs  instructions 
de  M.  d'O  au  conseil  de  Ville  dont  nous  avons  parlé.  Les  Registres  de  la 
Ville  attestent -que  les  ordres  du  roi  furent,  en  tout  cas,  régulièrement 
transmis  au  président  de  Thou.  Voici  le  texte  même  du  mandement  :  «  De 
par  les  prévost  des  marchans  et  eschevins,  M.  le  président  de  Thou,  colon- 
nel,  nous  vous  prions  de  mander  vostre  compaignie  et  celle  de  M.  Tronson 
cejourd'huy,  heure  de  huict  heures  du  soir,  pour  de  lù  les  mettre  en  garde 
au  cimetière  des  Saincts-Innocens,  et  ne  les  lever  jusques  &  demain  cinq 
heures,  suivant  l'exprès  commandement  du  rov.  Faict  au  bureau  de  la 
Ville,  le  H  mai  1588.  »  (Rbg.  H,  1789,  fol.  118.) 


LES  BARRICADES  325 

gnies  sur  onze  refusèrent  de  se  laisser  enfermer  dans  le 
cimetière  et  allèrent  se  poster  dans  la  rue  Saint-Honoré  et 
dans  la  rue  du  Fouare.  Vers  trois  heures  du  matin  *,  M.  d'O, 
suivi  d'une  petite  escorte  d'arquebusiers,  vint  visiter  le 
cimetière,  et,.s'adressant  aux  officiers  des  quatre  compa- 
gnies dissidentes,  leur  demanda  avec  arrogance  pourquoi  ils 
avaient  quitté  leur  poste.  Les  officiers  répondirent  sur  le 
même  ton  qu'ils  avaient  voulu  se  mettre  en  mesure  de 
défendre  leurs  femmes  et  leurs  enfants  contre  la  solda- 
tesque étrangère  qui  allait  mettre  Paris  au  pillage.  D'O 
n'osa  pas  insister,  car  il  craignait  de  provoquer  une  muti- 
nerie ouverte,  et  se  contenta  de  dire  aux  quatre  compagnies 
qu'elles  faisaient  leur  devoir.  Il  pénétra  ensuite  dans  le 
cimetière  et  félicita,  au  nom  du  roi,  ceux  qui  n'avaient  pas 
quitté  leur  poste.  Il  s'approcha  du  président  de  Thou  et  lui 
dit  à  l'oreille  de  faire  encore  patienter  ses  gens  quelque 
temps,  en  attendant  les  troupes  que  le  roi  avait  mandées. 
D'autres  détachements  de  la  milice,  notamment  les  com- 
pagnies de  la  rue  Saint-Honoré,  avaient  occupé  le  petit 
Chàtelet  et  le  pont  Saint-Michel.  A  la  place  de  Grève, 
M.  de  Marie,  maître  des  requêtes,  avait  établi  un  poste 
avec  les  compagnies  de  la  rue  Saint- Antoine;  le  chevalier 
du  guet,  avec  cinquante  archers,  s'y  trouvait  aussi.  M.  d'O, 
en  quittant  le  cimetière  des  Innocents,  se  rendit  chez  un 
quartinier  nommé  Canaye,  qui  était  tout  dévoué  au  roi  et 
auquel  on  avait  confié  la  garde  des  clefs  de  la  porte  Saint- 
Honoré.  Il  se  tint  chez  Canaye  une  sorte  de  conseil; 
l'échevin  Le  Comte  *  y  assista,  ainsi  que  Téchevin  Lugoly, 
qui  avait  passé  la  première  partie  de  la  nuit  à  l'Hôtel  do 

1.  C'est  l'heure  indiquée  par  de  Thou,  dont  nous  suivons  la  version. 
D'après  la  relation  de  Sainct-Yon,  M.  d'O  aurait  fait  sa  ronde  &  une  heure 
du  matin. 

2.  Le  Comte  avait  servi  de  lieutenant  au  président  de  Thou  dans  le  cime- 
tière des  Innocents;  c'est  lui  qui  avait  harangué  les  capitaines  pour  les 
engager  à  défendre  la  cause  du  roi.  Il  avait  les  clefs  du  cimetière  et  en 
xivait  fermé  les  portes,  sauf  un  guichet.  Voy.  la  Relation  de  Sainct-Yon. 


326  PARIS  ET   LA   LIGUE 

Ville.  Après  une  courte  délibération,  d'O,  suivi  de  Le  Comte 
et  Lugoly,  alla  ouvrir  la  porte  Saint-Honoré,  vers  quatre 
heures  du  matin,  au  régiment  des  gardes  et  aux  onze  en- 
seignes de  Suisses  que  le  roi  avait  mandés.  Ces  troupes 
défilèrent  en  silence  jusqu'au  cimetière  des  Innocents  *, 
puis  se  dispersèrent  et  s'avancèrent  tambour  battant  vers 
les  postes  qui  leur  étaient  assignés.  Le  maréchal  de  Biron 
conduisit  trois  enseignes  de  Suisses  et  deux  françaises  au 
Marché-Neuf,  et  détacha  une  compagnie  au  Petit-Pont, 
sous  le  commandement  de  Joachim  de  Dinteville.  Une 
compagnie  de  gardes-françaises,  commandée  par  le  capi- 
taine Claude  de  Tlsle,  sieur  de  Marivaux,  s'empara  du 
pont  Saint-Michel  que  la  milice  avait  presque  abandonné  ', 
et  une  autre,  commandée  par  le  Gascon  du  Gast,  occupa 
le  petit  Châtelet.  Louis  Berton  de  Grillon,  maître  de  camp 
du  régiment  des  gardes  et  qui  devait  plus  tard  acquérir 
une  si  brillante  réputation  militaire,  avait  ordre  de  se 
saisir  de  la  place  Maubert,  position  stratégique  de  premier 
ordre;  mais  il  se  trouva,  au  carrefour  Saint-Séverin,  en 
présence  d'une  troupe  de  factieux  et  allait  la  charger  quand 
il  reçut  ordre  de  battre  en  retraite.  Il  ne  s'y  résigna 
qu'avec  colère,  comprenant  bien  que  cette  reculade  allait 
singulièrement  encourager  les  émeutiers  d'un  quartier 
populaire  entre  tous  et  qu'il  aurait  fallu  maîtriser  sans 
retard.  C'est,  en  effet,  de  là  que  l'insurrection  se  répandit 
sur  la  ville  entière.  Dès  quatre  heures  du  matin,  le  procu- 


1.  Quaire  ou  cinq  compagnies  de  Suisses  restèrent  au  cimetière,  sous  les 
ordres  du  capitaine  Bonouvrier  de  Saintonge. 

2.  L'échevin  Sainct-Yon,  qui  avait  affecté  d'agir  en  sens  contraire  de  ses 
collègues  Le  Comte  et  Lugoly,  nous  apprend  dans  la  relation  qui  lui  est 
attribuée  qu'il  aida  fort  à  faire  retirer  un  capitaine  nommé  Riolle,  cordon- 
nier du  roi,  qui  voulait  prendre  position  sur  le  pont  Saint-Michel.  Ce 
Riolle  avait  été  huguenot  :  aussi  Sainct-Yon  n*eut-il  pas  de  peine  &  dé- 
tourner ses  hommes  de  lui  obéir.  Quant  au  quatrième  échevin  (que  la 
relation  de  Sainct-Yon  appelle  tantôt  Bonnet,  tantôt  Bonnard,  comme  la 
plupart  des  documents  du  temps},  il  était  au  pont  Saint-Michel  avec  Sainct- 
You  et  ue  joua  qu'un  rôle  effacé. 


LES  BARRICADES  327 

reur  Crucé,  apprenant  Tentrée  dos  Suisses,  avait  ameuté 
toute  l'Université  en  faisant  crier  par  ses  émissaires  : 
Alarme!  alaime!  et  en  répandant  le  bruit  que  Châtillon 
avec  ses  huguenots  était  dans  le  faubourg  Saint-Germain*. 
Les  écoliers  de  TUniversité,  voyant  les  troupes  se  retirer, 
descendirent  de  la  montagne  Sainte-Geneviève,  occupèrent 
la  place  Maubert  *  et  construisirent  immédiatement  quel- 
ques barricades  à  dix  pas  des  Suisses.  Pendant  ce  temps, 
d*0,  à  la  tête  de  quatre  compagnies  suisses  et  de  deux 
compagnies  de  gardes-françaises,  se  rendit  maître  de  la 
Grève  et  de  THôtel  de  Ville,  où  le  prévôt  des  marchands, 
Nicolas-Hector  de  Pereuse,  avait  passé  la  nuit,  assisté  de 
rjiristophe  de  Marie  Versigny  et  de  Laurent  Têtu,  chevalier 
du  guet;  on  a  dit  plus  haut  que  Téchevin  Pierre  Lugoly 
était  resté  aussi  en  permanence  à  la  maison  commune, 
qu'il  n'avait  quittée  qu'à  quatre  heures  du  matin  pour  aller 
ouvrir  la  porte  Saint-Honoré  aux  Suisses  et  aux  gardes 
françaises.  Ainsi  mis  à  l'abri  d'un  coup  de  main  des  li- 
gueurs, l'Hôtel  de  Ville  devint,  en  quelque  sorte,  le  quar- 
tier général  des  royalistes.  Le  prévôt  des  marchands  y 
convoqua  tous  les  colonels  de  la  milice  pour  se  concerter 
avec  eux  '. 


1.  Voy.  Palma-Gaybt,  Introd.  à  la  Chronologie  novenaire, 

2.  Amplifie,  des  partie,  et  Relat.  de  Sainct-Yon,  L'échevin  ligueur  dit 
que  Grillon,  voulant  se  saisir  de  la  place  Maubert,  avait  trouvé  «  l'embou- 
cheure  de  ladicte  place  Maubert  fermée  à  Tendroict  du  carrefour  Sainct- 
Severin  où  estoit  descendu  un  capitaine  de  l'Université  n.  Palma-Cayet 
ajoute  que  «  la  Cité  et  toute  TUniversilé  fut  toute  barricadée  sur  les  neuf 
heures;  la  ville  ne  le  fut  que  sur  le  midy  ». 

3.  «  De  par  lesprévost  des  inarchans  et  eschevins  de  la  Ville  de  Paris,  M.  le 
président  de  Thou,  colonnel,  nous  vous  prions  de  vous  trouver  présente- 
ment en  Thoslel  de  ceste  ville  pour  adviser  ad  ce  qui  e:»t  à  faire  pour  la 
seuretté  de  la  ville,  et  oultre  mander  à  tous  les  cappitaincs  de  vostre  quar- 
tier qu'ilz  aient  à  tenir  les  bourgeois  et  leurs  serviteurs  de  leurs  dizaines 
en  armes  en  leurs  maisons  pour  le  service  du  roy  et  conservation  de  ladite 
ville.  Faict  au  Bureau,  le  12  mai  1588,  dix  heures  du  matin.  »  (Reg.  H. 
1189,  fol.  119.)  Pareil  mandement  fut  envoyé  à  MM.  de  Pereuse,  Tambon- 
neau,  Bellanger,  Néré  Brisson,  de  Charmeau,  Allegrain,  Abelly,  Bodat  du 
Blanc-Mesnil,  du  Four,  de  Brion,  de  Thou,  Huberdeau,  Perrot,  Boursier, 
Fournier,  Gaillart. 


338  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Toutes  ces  allées  et  venues  des  troupes  et  de  la  milice 
avaient  profondément  ému  la  population.  L'aspect  des 
rues  était  lugubre  :  «  chacun  fermait  sa  boutique  avec 
un  étrange  courroux  *  ».  Sur  les  huit  heures,  les  présidents 
Brisson  et  Séguier  vinrent  trouver  le  roi  pour  appeler  son 
attention  sur  cette  attitude  des  bourgeois  et  le  prièrent 
d'envoyer  le  gouverneur  de  Paris  afin  de  décider  les  bou- 
tiquiers à  ouvrir  leurs  volets  •.  Henri  III  prescrivit  à 
M.  de  Villequier  de  monter  à  cheval  et  d'aller  donner  ordre 
aux  habitants  de  tenir  leurs  maisons  ouvertes  :  il  se  plai- 
gnit aux  membres  du  Parlement  du  peu  de  soin  que  les 
bourgeois  avaient  apporté  dans  l'exécution  de  ses  ordres 
relatifs  aux  perquisitions  domiciliaires.  Villequier  ne  ren- 
contra pas  de  résistance;  mais  à  peine  était-il  passé  que  les 
habitants  refermaient  leurs  boutiques. 

Au  moment,  du  reste,  où  le  roi  recevait  la  députation 
du  Parlement,  la  situation  n'était  nullement  désespérée. 
Les  rues  n'étaient  pas  encore  barricadées,  sauf  dans  la 
Cité  ;  le  duc  de  Guise  se  tenait  enfermé  dans  son  hôtel,  avec 
peu  de  monde  autour  de  lui.  Il  fut  sur  le  point  de  se 
rendre  aux  instances  de  Catherine  et  de  Bellièvre,  qui  ren- 
gageaient, au  nom  du  roi,  à  quitter  Paris,  sous  promesse 
qu'aucun  de  ses  partisans  ne  serait  inquiété  '.  Son  ami, 
d'Espinac,  l'archevêque  de  Lyon,  étant  venu  au  Louvre 
pour  supplier  le  roi  de  «  faire  retirer  ses  gardes  et  ses 
Suisses,  de  crainte  de  quelque  mauvais  accident  »,  trouva 
Henri  III  plein  d'assurance  et  de  gaieté.  Le  roi  exprima 
même  avec  tant  d'énergie  la  certitude  de  se  faire  obéir 


1.  HisL  très  véritable f  etc.  Relat.  de  Saincl-Yon. 

2.  Hist,  de  la  Journée  des  Barricades  par  un  Bourgeois  de  Paris,  Le  Par- 
lement 8*élail  réuni  le  matin,  de  très  bonne  heure.  «  Les  présidens  et 
aucuns  conseillers  >  avaient  d'abord  montré  •  un  visage  riant  et  fait  bonne 
contenance  n;  mais,  quand  ils  surent  que  Témeute  grandissait  d'heure  en 
heure,  ils  «  changèrent  de  couleur  »  et  rentrèrent  chez  eux.  Reiat,  de 
Sainct'Yon. 

3.  De  Tiiou,  t.  X,  p.  259. 


LES  Barricades  3â9 

que  l'archevêque,  qui  pourtant  n'était  pas  facile  à  intimi- 
der, se  crut  lui-même  menacé,  «  tellement  qu'estant  venu 
à  pied,  il  emprunta  un  mulet  d'un  sien  amy  voizin  du 
Louvre,  sur  lequel  il  s'en  retournast  le  plus  tost  qu'il  peust 
à  riiostel  de  Guise,  où,  après  avoir  rendu  compte  de  son 
ambassade,  il  dit  audit  sieur  de  Guise  qu'il  s'estoit  venu 
rendre  là  pour  vivre  et  mourir  avec  luy  *  ».  D'autre  part, 
les  officiers  et  les  soldats  du  roi,  loin  de  trembler  devant  le 
peuple,  ne  lui  ménageaient  ni  les  quolibets,  ni  les  me- 
naces. «  Les  garnisons  demandoient  aux  femmes  contre 
les  logis  desquelles  ils  estoient  campez,  si  elles  avoient  de 
gros  demisaints  d'argent,  et  touchoient  sous  leurs  robbes, 
cherchant  leurs  bourses  avec  folles  paroles  •.  »  Il  arriva 
même  à  Grillon  de  dire  tout  haut  que  «  qui  seroit  si  hardi 
de  sortir  de  sa  maison  avec  l'espéc,  il  le  feroit  pendre  au 
bout  d'une  picque  et  qu'il  mettroit  le  feu  dedans  la  maison 
pour  la  brusler,  et  les  femmes  et  enfans  ;  mesmement  usa 
de  ce  mot  de  chevaucher  les  filles  »  ».  Au  cimetière  des 
Innocents,  le  capitaine  Bonouvrier,  qui  commandait  un 
détachement  de  soldats  des  gardes  et  plusieurs  enseignes 
de  Suisses,  prenait  en  pitié  les  bourgeois  de  la  milice  en 
train  d'ébaucher  des  barricades;  et,  interpellant  M.  de  Saint- 


1.  Hist.  de  la  Journée  des  Barricades,  elc. 

2.  Relation  de  Sainct-Yon,  L'échevin  ligueur  dit  ailleurs  que  «  la  Bastille 
estoit  remplie  de  soldats,  tant  de  ceux  des  gardes  du  roy  que  Grillon  avoit 
baillés  au  chevallier  du  guet  il  y  avoit  jà  dix  jours  que  des  mortes-paies 
ordiifaires,  et  estoit  toute  couverte  de  fauconneaux  qui  flanquoient  tout 
au  long  de  la  rue  Sainct-Anthoine  ».  Et  le  Bourgeois  de  Paris,  dans  son 
Hist.  de  la  Journée  des  Barricades,  ajoute,  de  son  côté  :  u  L'on  tenoit,  le 
matin,  M.  de  Guise  pour  perdu.  11  y  avoit  en  TÂrsenal  vingt  pièces  d'ar- 
tillerie chargées,  en  THostel  de  Ville  deux  cens  petites  pièces  fauconneaux, 
pièces  à  croc  et  autres;  ceux  du  Parlement  qui  l'aiment  le  désiroient  h 
viugt  lieues  de  Paris  ».  Guise  n'avait  même  pas  de  cuirasse;  un  sieur  de 
Grande-Rue  lui  envoya  la  sienne.  làid.  Les  forces  dont  le  roi  disposait 
eussent  été  encore  plus  considérables  si  le  régiment  de  Picardie,  qu'il  avait 
mandé,  avait  pu  entrer  dans  Paris;  mais  les  gens  de  Pontoise  lui  refusé* 
rent  le  passage  du  pont.  Six  compagnies  de  gendarmes  furent  aussi  con- 
tremandées,  à  ce  que  rapporte  Sainct-Yon. 

3.  Ibid. 


330  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Paul,  leur  capitaine,  lui  conseillait  ironiquement  de  s'en 
aller  à  Châlons,  où  il  serait  plus  en  sûreté  *.  Saint-Paul 
répondait  sur  le  même  ton,  et  les  bourgeois  de  la  rue 
Saint-Denis  laissaient  les  troupes  royales  à  leur  joie  pour 
aller  communier,  puis  s'armer.  A  la  place  de  Grève,  M.  d'O 
répondait,  avec  sa  forfanterie  habituelle,  à  sept  ou  huit 
officiers  de  la  milice  et  conseillers  de  Ville  qui  lui  deman- 
daient s'il  était  nécessaire  que  les  sujets  fidèles  prissent  les 
armes  :  «  Il  n'est  besoing  de  s'armer,  ains  apprendre  seu- 
lement à  obeyr;  aujourd'huy  le  roy  sera  maistre  *  ».  Quel- 
ques marchands  des  environs  de  l'Hôtel  de  Ville  vinrent 
le  prier  d'engager  le  roi  à  retirer  ses  soldats,  «  parce  qu'il» 
craignoient  quelque  émotion  du  peuple;  mais  M.  d'O,  frap- 
pant par  trois  fois  sur  l'espaule  de  l'un  d'eux,  leur  fit 
response  que  par  la  mort-Dieu,  ils  estoient  trop  forts...  » 
Et  alors,  sous  le  porche  de  l'Hôtel  de  Ville,  on  vit  un  valet 
du  bourreau  ! 

Les  bourgeois  indignés  allèrent  s'armer,  commencèrent 
à  élever  des  barricades  dans  toutes  les  avenues  qui  condui- 
saient à  la  place  de  Grève,  même  du  côté  de  la  Seine,  et 
interceptèrent  les  munitions  destinées  aux  soldats  du  roi, 
immobiles  devant  l'Hôtel  de  Ville.  Le  capitaine  Cossin, 
que  d'O  avait  laissé  là,  ne  tarda  pas  à  se  rendre  compte  du 
danger  de  la  position  et  se  plaignit  du  prévôt  des  mar- 
chands qui  avait  promis  au  roi  le  concours  de  trente  mille 
hommes  de  la  milice.  Je  vois  bien,  disait  le  pauvre  capi- 
taine, que  les  trente  sont  pour  moi  et  les  mille  pour  M.  d<» 
Guise  ^  ! 

11  y  avait  deux  tactiques  possibles  pour  reprendre  pos- 

1.  Hist.  de  la  Journée  des  Barric,  par  un  bourgeois  de  Paris. 

2.  làid. 

3.  Ce  détail,  donné  par  le  Bourgeois  de  Paris,  est  confirmé  par  un  pas- 
sage de  la  relation  de  Sainct-Yon  :  •  Le  bruit  commun  estoit  que  les  pré- 
Tosts  et  eschevins  s'estoient  faits  forts  de  trente  mille  hommes  pour  assister 
les  conjurés  lorsque  les  garnisons  se  seroient  saisies  des  places  et  adve- 
nues de  Paris,  ce  que  toutefois  ne  peurent  exécuter  ». 


LES   BARRICADES  331 

session  de  la  capitale  :  ou  bien  concentrer  les  troupes 
.  régulières  dans  les  environs  du  Louvre,  en  se  ménageant 
une  ligne  de  retraite  vers  Textérieur,  ou  bien  marcher 
sans  délai  sur  les  premières  barricades  et  balayer  ceux  qui 
les  construisaient.  Mais  le  roi  ne  sut  prendre  à  temps  ni 
Tune  ni  Tautre  de  ces  résolutions,  bien  qu'iL  eût  sous  la 
main  des  hommes  d'action  comme  Alphonse  Ornano, 
Grillon  et  le  maréchal  de  Biron.  C'était  d'ailleurs  Catherine 
qui  donnait  les  ordres.  Se  flattant  de  venir  à  bout  du  duc 
de  Guise  par  ses  petites  ruses  ordinaires,  elle  lui  dépêchait 
Bellièvre  à  plusieurs  reprises,  tandis  qu'elle  répondait  aux 
pressants  messages  de  M.  d'O  de  se  tenir  sur  la  défensive 
et  de  contenir  les  troupes  *.  Pendant  que  le  roi  reculait 
ainsi  devant  la  lutte  «  avec  défense  à  tous  les  siens  de  tirer 
leurs  espées  seulement  à  moictié,  sur  peine  de  la  vie, 
espérant  que  la  temporization,  douceur  et  belles  paroles 
accoiseroient  la  fureur  des  mutins  et  désarmeroient  peu 
à  peu  ce  sot  peuple  »,  »  l'attitude  des  ligueurs  devenait  de 
plus  en  plus  menaçante.  Excités  par  les  agents  du  duc  de 
Guise  qui  mettaient  dans  le  désordre  un  ordre  relatif,  les 
bourgeois  multipliaient  les  barricades  et,  se  sentant  plus 
forts,  commençaient  «  à  regarder  de  travers  les  Suisses  et 
soldats  françois  estant  par  les  rues  et  à  les  braver  de  con- 


1.  De  Tuou,  t.  X,  p.  259. 

2.  L'ËsTOiLK,  t.  ni,  p.  140,  accoiseroient.  Le  mot  accoiser  veut  dire  calmer, 
rendre  coi. 

3.  Chevernt  assure  dans  ses  Mémoires  que  dès  le  jeudi  matin  le  duc  de 
Guise  lui  envoya  «  son  plus  confident  secrétaire  »  pour  lui  demander  si 
rentrée  des  troupes  régulières  avait  pour  but  «  d'entreprendre  quelque 
chose  sur  sa  personne  ».  Ce  confident,  qui  n'était  autre  que  l'archevêque 
(le  Lyon,  d'Espinac,  comme  on  Va  dit  plus  haut,  fut  amené  par  Chevern> 
au  roi  lui-même;  et  c'est  après  Tenlrevue  de  l'archevêque  et  de  Henri  UI 
que  le  duc  de  Guise  «  commença  d'envoyer  quelques  gentilshommes  des 
siens  aux  quartiers... ,  et  de  fait,  ajoute  Cheverny,  l'on  vit  incontinent  par 
la  ville  lesditz  gentilshommes,  assistez  de  quelque  menu  peuple  des  plus 
inconsidérez,  commencer  à  fermer  et  retrancher  les  rues  de  barricades, 
puis  peu  à  peu  force  habitaus  à  piocher  leurs  maisons  et  y  faire  grandes 
provisions  de  pierres  pour  jetter  par  les  fenêtres...  »  M(fm.,  coll.  Michaud, 
If*  série,  t.  X,  p.  486. 


332  PARIS  ET   LA  LIGUE 

tenance  et  de  parolles,  les  menassant  si  bientost  ils  ne  se 
reliroient  de  les  mettre  tous  en  pièces  ».  A  la  place  Mau- 
bert,  rue  Neuve-Notre-Dame,  rue  de  la  Calandre,  les  bour- 
geois qui  gardaient  les  barricades  et  les  sentinelles  des 
royalistes  étaient  h  quelques  pas  les  uns  des  autres.  Un 
blocus  de  fait  entourait  tous  les  détachements  de  Tamiée 
régulière  ;  les  fenêtres  étaient  garnies  d'arquebusiers  et  les 
auvents  abattus  :  un  convoi  de  vivres  destiné  aux  compa- 
gnies de  Suisses  qui  occupaient  le  cimetière  des  Innocents, 
fut  intercepté  par  les  ligueurs,  et  la  milice  but  à  leur  santé 
en  les  narguant. 

Qui  tira  le  premier  coup  de  feu?  On  ne  sait;  dans  ces 
terribles  convulsions  qui  secouent  à  certaines  heures  la 
population  de  Paris,  une  étincelle  suffit  pour  tout  embra- 
ser. «  Aucuns,  dit  un  document  du  temps  \  imputent  le 
commencement  de  Témotion  de  ceux  de  la  ville  à  ce 
qu'aucuns  des  soldats  françois  (soit  que  cela  se  fist  à  la 
main  et  par  personnes  interposées  ou  autrement  pour 
avancer  Témotion)  qui  étoient  mis  en  garde  crièrent  à 
aucuns  des  habitants  qu'ils  missent  des  linges  blancs  en 
leurs  lits  et  que,  ce  même  jour,  ils  couch croient  en  leurs 
maisons.  »  A  neuf  heures  du  matin,  il  y  avait  eu  une 
/ilarme  du  côté  du  pont  Notre-Dame  :  tous  les  ligueurs 
prirent  leur  poste  de  combat,  chaque  barricade  étant 
garnie  de  quarante  arquebusiers  au  moins;  les  femmes 
aussi  étaient  aux  fenêtres  «  bien  résolues  de  se  défendre  ». 
11  y  eut  quelques  coups  d'arquebuses  tirés  un  peu  au 
hasard;  un  tailleur  d'habits  fut  atteint  mortellement  au 
bout  de  la  rue  Neuve-Notre-Dame  *.  Les  Suisses  du  Mar- 


1.  Amplifie,  des  partie,  etc. 

2.  Nous  suivons  ici  la  relation  de  Saincl-Yon;  dans  celle  du  Bourgeois, 
ce  tailleur  aurait  été  tué  plus  lard,  dans  Taprès-midi,  au  moment  où  les 
Puisses,  ayant  quitté  le  Marché-Neuf,  passaient  sur  le  pont  Notre-Dame,  ce 
4iui  aurait  été  la  cause  du  massacre  d^un  certain  nombre  de  Suisses,  parce 
qu'on  disait  que  le  tailleur  avait  été  tué  par  eux. 


LES   BARRICADES  33.^ 

ché-Neuf  se  croyaient  déjà  sur  le  point  d'être  assaillis  de 
toutes  parts;  mais  leurs  capitaines  vinrent  dire  aux  bour- 
geois qui  gardaient  les  barricades  qu'ils  étaient  chrétiens- 
et  amis,  que  Biron  les  avait  postés  là  malgré  eux  et  «  que 
maudite,  fut  l'heure  en  laquelle  ils  y  estoient  venus  ».  On 
leur  promit  de  ne  pas  les  attaquer,  «  à  condition,  dit  Sainct^ 
Yon,  qu'ils  se  retirassent  au  fond  du  Marché-Neuf,  afin  que^ 
leur  présence  ne  faschast  le  peuple  ».  Le  capitaine  La  Rue, 
qui  commandait  une  troupe  de  ligueurs  sur  le  pont  Saint- 
Michel,  ordonna  au  capitaine  Malivaut,  de  la  garde  suisse, 
d'avoir  à  évacuer  de  suite  les  abords  du  pont  et  à  se  retirer 
dans  le  Marché-Neuf,  où  les  autres  compagnies  suisses 
étaient  déjà  immobilisées.  «  Malivaut,  se  voyant  assiégé  par 
les  deux  bouts  du  pont,  ne  se  fist  prier  deux  fois'.  «L'Uni- 
versité, depuis  la  retraite  de  Grillon,  avait  mis  également 
le  temps  à  profit.  Trois  bSrricades  avaient  été  construites, 
à  la  hauteur  de  l'église  Saint-Yves,  devant  l'horloge  Saint- 
Benoît  et  devant  les  Jacobins  ;  puis,  laissant  dans  ces  cita- 
delles improvisées  des  garnisons  suffisantes,  les  capitaines- 
ligueurs  de  la  rue  Saint-Jacques  s'étaient  mis  en  marche 
vers  le  carrefour  Saint-Sévcrin,  qui  commandait  l'issue  prin- 
cipale de  la  place  Maubert,  et  avaient  placé  une  barricade  à 
six  pas  des  Suisses.  Dans  toute  l'étendue  de  la  ville,  on  ne 
pouvait  plus  circuler  sans  un  mot  de  guet,  un  passeport  ou 
un  billet  particulier  des  capitaines  et  colonels  dévoués  à  la 
Ligue*.  Le  maréchal  d'Aumont,  qui  avait  en  vain  essayé  de 
se  rendre  maître  du  grand  Châtelet  et  avait  du  se  retirer  avec 
ses  deux  arquebusiers  devant  les  barricades  des  bourgeois^ 
en  se  «  mordant  les  doigts  »  ^,  se  rendit  vers  midi  à  la 
barricade  de  la  rue  de  la  Calandre  avec  le  maréchal  de 
Biron  et  M.  d'O,  pour  parlementer  avec  les  bourgeois.  Mais 


1.  Relat.  de  Sainct-l'on. 

2.  Amplifie,  des  partie.^  etc. 

3.  Relat.  de  Sainct-Yon. 


334  PARIS  £T  LA  LIGUE 

ceux-ci  réclamèrent  avant  tout  qu'on  fit  sortir  de  Paris 
les  troupes  étrangères,  et  comme  les  fiers  gentilshommes 
répondirent  qu'ils  n  avaient  pas  «  charge  d'entendre  les 
remontrances  »  des  sujets  du  roi,  on  les  coucha  enjoué,  en 
les  sonmiant  à  l'instant  de  se  retirer,  s'ils  ne  voulaient  pas 
assister  au  massacre  des  Suisses  *.  Personne  ne  prenait 
au  sérieux  les  ordres  du  roi  transmis  par  la  municipalité 
officielle,  qui  enjoignaient  aux  bourgeois  de  rester  chez 
eux  *,  pas  plus  que  les  objurgations  des  gentilshommes 
qui,  depuis  le  matin,  parcouraient  les  rues  pour  apaiser 
la  population  ou  faire  arrêter  les  mutins  ^  Ils  couraient 
plutôt  risque  d'être  arrêtés  eux-mêmes.  Quant  au  prévôt 
des  marchands,  il  était  également  maudit  par  les  courti- 
sans et  par  les  ligueurs.  D'une  part,  le  maréchal  de  Biron 
disait  au  roi  que  les  trente  mille  hommes  de  milice  dont 
le  chef  de  la  municipalité  avait  promis  le  concours  actif  au 
monarque  formaient  le  principal  contingent  de  l'émeute,  et, 
d'autre  part,  les  ligueurs  accusaient  de  trahison  *  Pereuse 
et  deux  des  échevins.  Le  Comte  et  Lugoly,  parce  qu'ils 

1.  Relation  de  Sainct-Yon. 

2.  Voici  le  texte  de  ces  mandements  :  «  Colonne),  nous  vous  prions  de 
mander  à  tous  les  capitaines  de  vostre  quartier  d'assister  X...  quartenier, 
pour  asseurer  les  bourgeois  de  son  quartier  de  la  bonne  intention  du  roy 
et  les  contenir  armez,  chacun  d'eulx  un  leur  maison,  souiz  la  charge  de 
leur  capitaine,  pour  le  service  du  roy  et  conservation  de  la  ville.  Faict  au 
bureau  d'icelle,  le  douzième  jour  de  may,  Tan  1588  ».  (Reg.  H,  1789,  fol.  119. 

3.  Voici,  d'après  les  Registres  de  la  Ville,  le  texte  même  des  instructions 
données  par  le  roi  à  ces  officiers  :  «  Le  roy  commande  aux  sieurs  et  gen- 
tilshommes qui  ont  esté  ce  matin  départiz  par  les  quartiers  de  cette  ville 
sy  en  ayent  incontinent,  se  y  logent  et  demeurent  pour  commander  à 
tous  les  bourgeois  desdictz  quartiers  de  se  contenir  en  repos  et  donner  tel 
ordre  que  ne  puisse  advenir  aulcune  esmotion,  tant  de  jour  que  de  nuict; 
et  sy  aulcuns  se  vouUoient  réunir  et  esmouvoir,  les  faire  arrester  et  asseurer 
ung  chacun  que  l'intention  de  Sa  Majesté  n*est  aultre  que  de  conserver  en 
repos  ses  bons  subjectz  de  sa  ville  de  Paris  et  tous  ceux  qui  y  sont,  com- 
mandant sadite  Majesté  aux  prévost  des  marchans  et  eschevins  d'envoyer 
les  doubles  de  la  présente  commande  aux  quarteniers,  afin  qu'ilz  se  ran- 
gent et  aillent  incontinent  trouver  lesdiclz  sieurs  et  gentilzhommes  et  les 
assister  incessamment,  ensemble  les  colonnelz  et  capitaines  dcsditz  quar- 
tiers, pour  suivre  et  observer  la  bonne  et  saincle  intention  de  sadicte 
Majesté.  Faict  à  Paris,  le  12  mai  1588.  o  Signé  :  Hknry;  et  plus  bas  :  Pinart. 

4.  Relation  de  Sainct-Yon. 


LES  BARRICADES  335 

avaient  ouvert  la  porte  Saint-Honoré  aux  Suisses  et  aux 
gardes-françaises.  Aussi,  dès  que  Témeute  devînt  mena- 
çante, les  trois  magistrats  se  cachèrent  et  ne  parurent  plus 
de  la  journée  *. 

Cependant  reffervescence  croissait  de  minute  en  minute. 
Une  chaleur  lourde  régnait  dans  Paris,  et  les  hommes  de 
la  Ligue,  à  force  de  boire,  s^exaltaient  de  plus  en  plus  *. 
Enfin,  sur  les  deux  heures,  ceux  qui  gardaient  les  barri- 
cades de  la  Cité,  notamment  celles  de  la  rue  de  la  Calandre, 
firent  circuler  la  consigne  de  charger  les  Suisses  lorsque 
retentirait  «  la  batterie,  tant  du  clocher  de  Saint-Germain- 
le-Yieil  que  de  toutes  les  maisons  de  la  rue  de  la  Calandre  » 
qui  dominaient  le  Marché-Neuf  '  ».  En  même  temps,  les 
capitaines  de  T Université  s'assemblaient  chez  un  bourgeois, 
nommé  Pigneron,  et  décidaient  d'envoyer  une  députation 
à  rilôtel  de  Ville  pour  annoncer  leur  intention  de  chasser 
par  la  force  les  troupes  étrangères,  si  le  roi  ne  les  rappe- 
lait pas  de  bon  gré.  On  confia  cette  mission  au  colonel  du 
quartier  de  l'Université  :  un  de  ses  capitaines  l'accompagna. 
Les  autres  regagnèrent  leurs  postes  respectifs.  Crucé  *,  qui 
commandait  la  barricade  du  carrefour  Saint-Séverin,  était 
en  train  de  réunir  ses  hommes,  quand  un  coup  d'arquebuse 
fut  tiré  par  les  Suisses.  Il  croit  que  les  soldats  du  roi  veu- 
lent en  venir   aux  mains   et  ordonne  de  faire  feu.  Les 


1.  Relation  de  Sainct-Yon.  U  faut  cependant  uc  pas  oublier  que  Sainct- 
Yon,  en  présentant  bous  un  jour  peu  favorable  la  conduite  du  prévôt  des 
marchands  de  Pereuse  et  celle  des  deux  échevins  Lugoly  et  Le  Comte, 
plaide  sa  propre  cause,  puisqu'il  était  lui-même  du  parti  de  la  Ligue. 

2.  Db  Tiiou.  t.  X^  p.  259,  Mém.  de  Cheverny,  Coll.  Michaud,  i**  série,  t.  X, 
p.  486. 

3.  Relation  de  Sainct-Yon, 

4.  Nous  pensons  que  le  capitaine  du  carrefour  Saint-Séverin  était  Crucé, 
parce  que  la  relation  de  Sainct-Yon  dit  un  peu  plus  loin  que  c'est  ledit 
capitaine  (celui  de  la  barricade  de  Saint-Séverin)  qui  occupa  le  petit  Châ- 
telet  en  poursuivant  les  Suisses.  Or  Palma-Gayet  (Introd,  à  la  Chron.  nove- 
naire)  écrit  ce  qui  suit  :  «  Crucé,  qui  conduisoit  ceux  de  l'Université,  estoit 
des  plus  ardents;  des  paroles  il  vint  aux  elTects,  les  siens  font  retirer  les 
gardes  du  roi  et  se  saisissent  du  petit  Ghastelet.  » 


336  PARIS  ET  LA   LIGUE 

Suisses  s'enfuient  dans  la  direction  du  petit  Chàtelet; 
Crucé  (ai  les  siens  les  poursuivent,  tirant  «  à  coup  perdu  *  », 
et  leur  tuent  cinq  hommes.  Ils  occupent  en  passant  le  petit 
Chàtelet  et  y  laissent  une  petite  garnison  de  vingt  ligueurs 
qui  paradent  aussitôt  sur  la  plate-forme  et  continuent  le 
feu  sur  les  malheureux  gardes  du  roi.  Ceux-ci  sont  refou- 
lés vers  le  Marché-Neuf  *,  où  se  trouvaient  déjà  entassées 
d'autres  compagnies  suisses,  et  se  heurtent  aux  insurgés, 
qui  débouchaient  du  pont  Saint-Michel,  sous  la  conduite 
du  comte  de  Brissac,  un  des  plus  ardents  officiers  du  duc 
de  Guise.  Le  comte  avait  mis  la  hallebarde  à  la  main  '; 
il  haranguait  furieusement  le  peuple,  et,  prenant  à  partie  le 
roi,  s*écriait  :  «  Il  a  dit  de  moi  que  je  n'étais  bon  ni  sur 
terre  ni  sur  mer;  il  saura  maintenant  que  j'ai  trouvé  mon 
élément  et  que  je  suis  bon  sur  un  pavé^  ».  Ces  imprécations 
contre  la  personne  royale  n'étaient  pas  isolées.  Déjà  beau- 
coup songeaient  à  mettre  la  main  sur  Henri  III.  Un  avo- 
cat, nommé  La  Rivière,  criait,  avec  des  jurons  à  épouvanter 
les  Suisses  :  «  Courage,  çiessieurs!  C'est  trop  patienter; 
allons  prendre  et  barricader  ce  bougre  de  roy  [dans  son 
Louvre  "  ».  Et,  de  fait,  le  roi  paraissait  perdu.  Ses  soldats 
fuyaient  de  toutes  parts,  criblés  de  coups  d'arquebuses, 
assommés  par  les  pavés  que  les  femmes  et  les  enfants 


i.  D'AuBioN^y  HiâL  uniu.,  p.  113,  coL  1.  «  Lors  chascun  voulut  monirer 
qu'il  sçavoit  tirer  et,  bien  que  la  pluspart  le  fissent  à  coup  perdu,  toute 
la  ville  crut  que  les  royaux  estoient  enfoncez...  » 

2.  Palma-Gayet  rapporte  que  les  Suisses  perdirent  au  Marché-Neuf  une 
vingtaine  des  leurs  et  eurent  une  trentaine  de  blessés. 

3.  Histoire  de  la  Journée  des  Barricades  par  le  Bourgeois  de  Paris.  Le 
comte  Charles  U  de  Cossé-Brissac  était  le  second  fils  du  maréchal  de 
Cossé-Brissac,  (|ui  avait  été  gouverneur  de  Paris  en  1562.  Charles  de  Brissac 
avait  d*abord  servi  dans  la  marine,  et  pris  part,  en  1382,  à  la  malheureuse 
expédition  de  Strozzi  aux  lies  Âçores.  Il  y  avait  d'ailleurs  déployé  un  grand 
courage.  C'est  lui  que  Mayenne  nommera  plus  tard  gouverneur  de  Paris, 
et  qui  ouvrira  au  roi  Henri  IV  la  porte  de  la  capitale.  L^Estoile  assure  que 
ce  fut  Brissac  qui  fit  faire  les  premières  barricades  rue  Saint- Jacques  et 
place  Maubert. 

4.  Voy.  d'AuBiONÉ,  col.  114. 

5.  L'£sTOiL£,  t.  III,  p.  142. 


LES  BARRICADES  337 

jetaient  sur  eux  par  les  fenêtres  de  chaque  maison.  Les 
Suisses   se  mirent  à  genoux,  montrant  leurs   chapelets, 
criant  :  Bonne  France!  Miséricorde!  Bon  catholique!  On 
en  eut  pitié;  on  les  laissa  partir.  Quelques  bourgeois  en 
Hrent  entrer  chez  eux.  C'est  à  ce  moment  même  que  d'O 
et  le  maréchal  d'Aumont  se  présentèrent  de  la  part  du  roi, 
avec  l'ordre  de  faire  retirer  les  troupes  *.  La  députation 
des  capitaines  de  l'Université  était  arrivée  à  l'Hôtel  de  Ville 
vers  trois  heures  et  avait  déclaré  aux  personnages  officiels 
qui  se  trouvaient  dans  la  maison  que  «  le  feu  s'allumait 
de  telle  façon  qu'il  était  urgent  d'y  pourvoir  ».  Il  fut  décidé 
que  le  sieur  Bellanger,  conseiller  au  Parlement,  colonel  au 
quartier  de  l'Université,  et  Téchevin  Sainct-Yon  iraient  im- 
médiatement trouver  le  roi  pour  le  mettre  au  courant  de 
ce  qui  se  passait.  Bellanger  et  Sainct-Yon  remplirent  sans 
retard  leur  mission,  et  c'est  sur  leurs  instances  que  Tordre 
avait  été  donné  par  Henri  HI  au  maréchal  d'Aumont  de 
ramener  les  Suisses  vers  le  Louvre.  Quand  d'Aumont,  suivi 
de  M.  d*0,  arriva  au  Marché-Neuf,  il  était  environ  quatre 
heures.  Le  maréchal  obtint  sans  difficulté  qu'on  livrât  pas- 
sage aux  soldats  du  roi.  Il  fut  décidé  que  la  compagnie  de 
gardes-françaises  commandée  par  le  capitaine  Malivaut 
marcherait  en  tète  et  celle  du  capitaine  du  Gast  en  queue  : 
au  milieu  se  placèrent  les  compagnies  suisses,  mousque- 
taires, arquebusiers  et  piquiers.  Tout  alla  bien  d'abord, 
mais,  au  moment  où  les  arquebusiers  suisses  défilaient  sur 
le   pont    Notre-Dame,   plusieurs   bourgeois  leur  crièrent 
d'éteindre   les   mèches   de   leurs   arquebuses.  Ils   eurent 
l'imprudence  de  refuser  et  firent  même  une  décharge  qui 
lua  deux  bourgeois  de  la  milice  et  blessa  un  lieutenant  à 
la  gorge.  Cette  agression  d'hommes  qu'on  considérait  dans 
le  peuple  comme  des  prisonniers  et  des  vaincus  que   le 

1.  Relation  de  Sainct-Yon. 

UOBIQUFT.  ^'2 


338  PARIS  ET   LA  LIGUE 

vainqueur  daigne  épargner,  ralluma  la  colère  des  gens  de 
la  milice.  Ils  chargèrent  les  Suisses  avec  un  redoublement 
de  furie  et  les  refoulèrent  vers  le  Marché-Neuf,  d'où  ils 
venaient  de  sortir.  En  un  moment,  et  depuis  la  rue  Neuve- 
Notre-Dame  jusqu'à  Saint-Denis  de  la  Chartre,  les  roya- 
listes perdirent  cinquante  ou  soixante  des  leurs.  Affolés,  ils 
jetaient  leurs  armes,  tombaient  les  uns  sur  les  autres 
assommés  par  les  pierres  que  leur  lançaient  les  femmes 
de  toutes  les  fenêtres.  Ils  levaient  les  bras  au  ciel,  criant  : 
«  France,  France,  chrestiens  nous!  »  Mais  les  ligueurs 
n'écoutaient  plus  rien  et  le  sinistre  mot  d'ordre  :  «  Tue  ! 
Tue!  »  couvrait  les  supplications  des  fuyards  *.  «  Un  grand 
Suisse,  armé  tout  à  blanc  *,  qui  avoit  une  grande  barbe  qui 


1.  Relation  de  S(nnct''Yofu 

2.  Hist,  de  la  Journée  des  Barric,  par  un  Bourgeois.  Armé  à  blanc  est  syno- 
nyme de  armé  à  crudy  c'est-à-dire  sans  cotte  d'armes  sur  la  cuirasse.  H 
serait  intéressant  d'étudier  &  ce  propos  les  variations  du  costume  des 
Suisses  de  la  garde  royale.  Une  relation  de  l'entrée  de  Louis  XII  à  Paris, 
en  1498,  dit  en  parlant  des  Suisses  de  la  garde  de  ce  prince,  qu'ils  étaient 
habillés  a  tous  d'une  livrée,  hocquetons  rouges  et  jaunes  et  grands  plu- 
meaux sur  leurs  testes  ».  Hist,  de  Louis  XII,  par  Jehan  de  Sainct-Gelais. 
p.  126-127  (Paris,  1622,  in-4»).  Le  Cérétnonial  de  Godefroy,  t.  I,  p.  266,  édit. 
in-fol.  de  1649,  rendant  compte  de  Tordre  observé  à  l'entrée  de  François  I*' 
à  Paris  en  1514,  au  retour  de  son  sacre,  dit  que  les  Suisses  de  la  garde  du 
roi  étaient  u  tous  acoustrez  de  pourpoints  de  damas,  d'un  costé  tout  rouge, 
et  de  l'autre  demy  blanc  et  demy  jaune  ;  les  chausses  et  leurs  plumails  sur 
le  bonnet  de  mesmes  couleurs,  chacun  la  hallebarde  sur  l'espaule,  quatre 
tambours  et  deux  flfres  au  milieu  d'eux,  vestus  de  damas  blanc  ».  A  l'en- 
trée de  Henri  II,  le  26  juin  1549,  les  Suisses  de  la  garde  royale  étaient 
vêtus  u  de  pourpoints  et  chausses  écartelées,  moitié  de  toile  d'argent,  et 
moitié  de  velours  noir,  leurs  bonnets  couverts  de  grands  pennaches  à  leur 
mode,  aux  couleurs  du  roy  ».  L* Histoire  militaire  des  Suisses  au  service  de 
la  France,  du  baron  de  Zur-Lauben  (Paris,  5  vol.  in-8«,  1751),  ne  donne  pas 
de  renseignements  suffisants  sur  ce  point;  mais  en  revanche,  cet  ouvrage 
contient  un  assez  bon  récit  de  la  jouruée  des  Barricades,  t.  V,  p.  248,  et 
reproduit  la  traduction  eu  français  d'une  lettre  écrite  en  allemand  que  le 
colonel  Gallaty  adressa  de  Chartres,  le  20  mai  1588,  aux  cantons  catholiques. 
Le  colonel  suisse  déclare  que  le  roi  avait  donné  aux  ofGciers  la  consigne 
de  ne  faire  de  mal  à  personne  et  de  tâcher  d'apaiser  l'émeute,  si  elle  se 
produisait.  II  ajoute  que  les  Suisses  se  croyaient  «  au  milieu  de  leurs  bons 
amis  »,  proteste  contre  «  l'attaque  infâme  qui  les  a  surpris  »,  annonce  que 
son  régiment  a  laissé  quarante  soldats  sur  la  place,  mais  qu'aucun  officier 
n'a  été  tué.  Gallaty  termine  en  disant  qu'après  sa  sortie  de  Paris,  le  roi  a 
donné  une  gratification  aux  Suisses  blessés,  et  que  Sa  Majesté  est  très 
aigrie  contre  les  Parisiens. 


LES  BARRICADES  339 

luy  pendoit  jusques  à  la  ceinture,  se  mit  à  genoux,  tendant 
les  mains  au  ciel,  monstroit  son  chapelet;  il  fut  pris  par 
un  bourgeois  et  retiré  en  une  maison  pour  le  sauver.  »  Le 
notaire  Cotereau,  qui  cherchait  à  mettre  fin  au  massacre, 
reçut  un  coup  de  mousquet  dans  la  jambe  et  en  mourut 
quelques  jours  après.  Une  partie  des  Suisses  fut  sauvée 
par  Brissac,  et,  après  avoir  jeté  ses  armes,  rentra  dans  le 
Marché-Neuf.  Quant  au  capitaine  du  Gast,  qui  commandait 
la  compagnie  de  gardes-françaises,  il  prit  peur  en  voyant 
tomber  quatre  ou  cinq  des  siens  et,  bien  que  placé  à  Far- 
rière-garde  de  la  colonne,  il  abandonna  ses  soldats  pour 
se  réfugier  dans  la  maison  d*un  marchand.  Les  débris  dv 
la  colonne,  qui  n'étaient  pas  revenus  au  Marché-Neuf, 
traversèrent  à  grand'peine  le  pont  Notre-Dame  «  et  furent 
les  seigneurs  d*0  et  Corse,  qui  les  ramenoient,  en  grand 
danger  de  leurs  vies  et  personnes,  confessans  qu'ils 
n*avoient  jamais  eu  tant  de  peur  qu'à  ceste  heure-là  *  ». 
Les  détachements  laissés  au  cimetière  des  Innocents  et  à 
la  place  de  Grève  ne  se  trouvaient  pas  dans  une  situation 
sensiblement  meilleure.  Ils  savaient  que  le  combat  s'était 
engagé  dans  la  Cité  et  étaient  bloqués  de  tous  côtés  par  les 
bourgeois  en  armes,  qui  n'attendaient  qu'un  signal  pour 
commencer  l'attaque. 

Un  seul  honmae  pouvait  apaiser  l'insurrection  et  sauver 
les  malheureux  soldats  du  roi  :  c'était  le  duc  de  Guise. 
Henri  III,  prévenu  du  péril  que  couraient  ses  Suisses  et 
ses  gardes  par  le  conseiller  Bellanger  et  l'échevin  Sainct- 
Yon,  avait  envoyé  le  maréchal  de  Biron  à  l'hôtel  de  Guise, 
en  même  temps  qu'il  donnait  Tordre  à  d'O  et  au  maréchal 
d'Aumont  d'aller  donner  à  la  garnison  du  Marché-Neuf 
l'ordre  de  battre  en  retraite.  On  a  vu  comment  cette  retraite 
avait  dégénéré  en  massacre  et  en  déroute.  Biron  réussit 

i.  L'EsTOiLE,  t.  ni,  p.  441. 


340  PARIS  ET  LA  LIGUE 

mieux  dans  sa  mission.  «  Ëh  bien!  monsieur,  qu'estH^e  que 
cela?  dit-il  au  duc  en  Tabordant.. —  Vous  voyez,  mon  père, 
répondit  Guise,  ce  n'est  pas  moy  ;  je  n*ay  bougé  de  céans  *, 
encores  que  j'aye  esté  fort  solicité  de  sortir;  c'est  le  bon 
conseil  du  roy,  c'est  ce  coquin  d'O  qui  Ta  si  bien  conseillé. 
Je  suis  asseuré  que  ce  n'est  pas  vous.  Je  voudrois  bien 
sçavoir  s'il  auroit  la  hardiesse  de  venir  céans  pour  m*as- 
sailir.  Il  n'est  pas  de  nostre  mestier;  vous  le  sçavez  bien, 
mon  père.  Il  dit  que  je  ne  m'accompaigne  que  de  crochet- 
teurs;  mais  qu'il  se  tienne  asseuré  que,  si  je  le  tiens,  je  le 
feray  fouetter  par  des  crochetteurs  depuis  la  porte  Sainct- 
Antlioine  jusques  à  la  porte  Sainct-Jacques  *  ».  Biron  finit 
par  décider  Guise  à  se  rendre  aux  ordres  du  roi  et  à  sortir 
pour  aller  dégager  les  Suisses  et  les  gardes.  Le  chef  de  la 
Ligue  était  en  pourpoint  de  satin  blanc,  sans  autre  arme 
qu'une  épée  au  côté.  Deux  pages  suivaient,  l'un  portant 
sa  rondache,  l'autre  un  coutelas.  Quelques  gentilshonmies 
entouraient  leur  maître,  armés  seulement  de  leurs  épées, 
qu'ils  tenaient  sur  l'épaule.  Quand  le  duc,  qui  allait  à  pied, 
parvint  à  la  place  de  Grève,  après  avoir  traversé  les  barri- 
cades au  milieu  de  l'enthousiasme  populaire,  les  troupes 

1.  Sur  ce  point,  lous  les  historiens  ne  sont  pas  d'accord.  Sainct-Yon  dit, 
comme  le  bourgeois  de  Paris,  que  le  duc  «  ne  s'estoit  tout  le  joiy*  bougé 
de  sa  maison,  pensant  à  part  soy  quelle  seroit  Tissue  de  cesle  tragédie  ». 
11  ne  serait  sorti  qu*&  cinq  heures  du  soir,  diaprés  la  relation  de  Téchevin. 
L'Estoile  dit,  de  son  côté  :  «  11  n'estoit  sorti,  tout  ce  jour,  de  son  logis  et 
avoit  tousjours  esté  aux  fenestres  de  son  hostel  de  Guise,  avec  un  pour- 
point blanc  découppé  et  un  grand  chappeau,  jusques  &  quatre  heures  du 
soir  de  ce  jour  quUl  en  sortist  pour  faire  ce  bon  service  au  roy.  »  Mais  il 
résulte  des  détails  (fournis  par  l'illustre  et  sincère  historien  de  Thou)  que 
Guise  sortit  au  moins  une  fois  vers  midi  et  se  promena  assez  longtemps 
dans  les  environs  de  son  hostel,  en  habit  de  campagne  et  d'un  air  intré- 
pide. Il  était  accompagné  de  l'archevêque  de  Lyon  et  donnait  ses  ordres 
aux  exprès  que  lui  envoyaient  ses  ofOciers  des  différents  points  de  la 
Ville.  De  Thon  affirme  même  qu'étant  sorti  lui-même,  un  peu  avant  midi, 
pour  observer  raltitude  des  deux  partis,  il  passa  par  l'hôtel  de  Guise  et 
rencontra  le  duc  qui  se  promenait,  le  visage  rayonnant  de  gaieté  et  de  con- 
fiance. L'historien  en  fut  frappé  et  dit  à  un  ami  qui  l'accompagnait  :  «  Ce 
jour  verra  porter  le  dernier  coup  à  l'autorité  royale.  »  De  Thou,  Hist.  univ., 
t.  X,  p.  260. 

2.  Hist.  de  la  Journée  des  Barric.ypar  un  Bourgeois  de  Paris. 


LES   BARRICADES  341 

royales  négociaient  avec  les  bourgeois  pour  obtenir  pas- 
sage et  avaient  déjà  donné  deux  de  leurs  officiers  en  otage; 
mais  ils  faisaient  difficulté  d'éteindre  les  mèches  de  leurs 
arquebuses,  comme  le  demandaient  les  ligueurs,  et  ces 
derniers  s'apprêtaient  «  à  commencer  le  jeu  ».  L'interven- 
tion de  Guise  pacifia  tout.  En  le  voyant  arriver,  les  Suisses 
se  mirent  à  genoux,  l'appelant  leur  sauveur  et  le  suppliant 
de  les  laisser  partir.  Saint-Paul,  un  des  officiers  de  la 
Ligue,  fut  chargé  de  les  conduire  à  la  porte  Saint-Honoré. 
M.  de  Plaisance,  par  l'ordre  du  duc,  alla  dégager  les  com- 
pagnies royalistes  qui  étaient  bloquées  dans  le  cimetière 
des  Innocents.  Sur  bien  des  points,  il  y  avait  encore  des 
furieux  qui  voulaient  massacrer  les  vaincus.  Quand  le  duc 
de  Guise  passa  rue  de  la  Juiverie,  il  fut  acclamé  par  des 
bourgeois  qui  lui  dirent  :  «  Nous  avons  défait  nos  ennemis; 
il  en  reste  encore  un  peu  sous  le  petit  Ghâtelet  ;  nous  allons 
les  tailler  en  pièces,  car  ils  nous  ont  trop  bravés  ce  matin.  » 
Mais  le  triomphateur  apaisa  la  colère  de  ses  partisans  et 
obtint  qu'ils  ne  feraient  pas  de  mal  au  capitaine  du  Gast 
et  à  ses  soldats,  qui  s'étaient  réfugiés  dans  les  maisons 
avoisinant  le  petit  Ghâtelet.  Le  pauvre  gascon  du  Gast 
n'avait  plus  sa  morgue  du  matin.  «  Il  se  leva  du  lieu  où  il 
estoit,  plus  pasle  que  la  mort,  avec  ses  soldats  si  effrayez 
qu'ils  ne  pouvoient  quasi  marcher,  tant  ils  trembloient  *.  » 
Saint-Paul,  qui  revenait  après  avoir  conduit  à  la  porte 
Saint-Honoré  les  Suisses  de  la  place  de  Grève,  fut  encore 
chargé  d'assurer  la  retraite  de  du  Gast  et  de  ses  hommes. 
Us  marchaient  «  en  confusion,  de  crainte  du  peuple,  l'en- 
seigne rouUée,  le  tambour  sur  le  dos,  et  les  mèches  esteinte», 
en  la  façon  des  garnisons  de  la  Grève  ».  Leur  conducteur, 
Saint-Paul,  tenait  une  houssine  à  la  main  avec  une  grâce 
parfaite.  Il  avait  l'air  de  surveiller  un  convoi  de  bestiaux  : 

1.  Relation  de  Sainct-Yon, 


342  PARIS  ET  LA   LIGUE 

cela  faisait  rire  le  peuple.  Ce  Saint-Paul  était  ironique  et, 
comme  un  des  gardes  l'appelait  «  monseigneur  »,  il  répli- 
qua :  «  Quand  monsieur  de  Guise  arriva  au  Louvre,  ny 
encores  depuis,  vous  ne  daigniez  le  regarder  et  saluer,  et 
maintenant  à  moy,  qui  ne  suis  que  son  petit  sei^teur,  vous 
donnez  le  titre  de  monseigneur  et  me  parlez  avec  si  grand 
respect  et  révérence  *.  »  Ayant  opéré  ce  second  sauvetage, 
Guîse  se  rendit  au  Marché-Neuf.  Sur  son  passage  on  criait  : 
«  Vive  Guise  !  »  et  lui,  faisant  TofFensé,  disait  tout  haut  : 
«  Mes  amis,  vous  me  ruinez;  criez  :  Vive  le  roi!  »  En  arri- 
vant au  Marché-Neuf,  le  duc  trouva  le  maréchal  de  Biron 
et  Bellièvre  au  milieu  des  Suisses  désarmés  et  à  genoux, 
qui,  croyant  loucher  à  leur  dernière  heure,  se  répandaient 
en  lamentations.  Dès  qu'ils  aperçurent  Guise,  tous  ces 
malheureux  crièrent  :  «  Bon  duc  de  Guise,  bonne  France, 
chrétiens  I  »  Le  chef  de  la  Ligue  fut  ému,  et^  soupirant,  dit 
à  Biron  :  «  Ceux  qui  ont  allumé  le  feu  le  devraient  éteindre.  » 
Alors  le  maréchal  répliqua  :  «  Malheur  sur  celuy  qui  en  a 
donné  le  conseil;  j'ay  obéi  au  roy  les  conduisant  en  ce 
lieu,  mais  je  ne  les  retireray  comme  je  les  ay  posez,  car  de 
si  grand  nombre  que  j'ay  amené,  en  voilà  quatre  cents  de 
reste,  tous  blessez  et  désarmez  '.  »  Guise  les  fit  à  l'instant 
conduire  au  Louvre  et  se  retira  au  milieu  des  acclamations 
populaires.  Il  répondit  par  des  sourires  et  des  flatteries. 
Passant  sur  le  pont  Notre-Dame,  la  vue  des  barricades  lui 
arracha  ce  compliment,  qui  alla  droit  au  cœur  des  bour- 
geois :  «  Vous  avez  merveilleusement  bien  fait!  »  A  quoi 
l'un  des  barricadeurs  répliqua  :  «  Monseigneur,  cy-devant 
nous  n'estions  que  mouches,  mais  vostre  présence  nous  a 
faict  devenir  lions  '.  »  Ces  lions  réclamaient  une  dernière 
proie  :  M.  d'O,  qui  était  resté  prisonnier  de  l'émeute  avec 


1.  Relat,  du  Bourgeois. 

2.  RelaL  de  Sainct-Yon, 

3.  Hist,  de  la  Journée  des  Barricades. 


LES  BARRICADES  343 

le  corse  Ornaiio.  D'O  était  aussi  impopulaire  que  son  beau- 
père  Villequier.  Le  bruit  public  leur  reprochait  à  tous 
deux  d'avoir  conseillé  au  roi  de  «  faire  cestc  belle  disposi- 
tion de  trouppes  armées  par  la  ville,  comme  aussi  ç'avoit 
esté  lui  qui,  le  matin,  les  y  est  oit  venu  poser  et  disposer 
avec  Grillon,  auquel  on  n'en  vouloit  pas  moins  pour  avoir 
esté  si  insolent  et  vilain  en  paroles  que  de  menasser  les 
bourgeois  de  Paris,  ceste  nuit-là,  du  déshonneur  de  leurs 
femmes,  et  ce  en  termes  injurieux  et  impudiques  tout  oui- 
trc  *.  »  Mais,  sur  le  soir,  le  chevalier  d'Aumale  vint,  aii 
nom  de  Guise,  délivrer  d'O  et  son  compagnon  le  corse, 
Alphonse  Ornano.  Le  chef  de  la  Ligue  ne  voulait  plus  de 
sang  :  il  jetait  sa  clémence  à  la  face  du  roi,  comme  une 
injure  suprême. 

Ce  jeu  ne  réussit  pas  avec  l'ambassadeur  d'Angleterre, 
le  comte  de  Stafford,  auquel  Guise  députa  lô  comte  de 
Brissac,  avec  mission  d'offrir  une  sauvegarde  à  l'ambas- 
sadeur, qui  demeurait  sur  le  quai  des  Bernardins,  un  peu 
au-dessous  de  la  place  Maubert.  Une  pareille  offre  pouvait 
n'être  pas  inutile,  car  l'ambassadeur  d'Elisabeth  subissait 
le  contre-coup  de  la  haine  que  les  prédicateurs  de  la  Ligue 
avaientvouée  àlareine  d'Angleterre.  (Iles fanatiques  faisaient 
courir  le  bruit  que  Stafford  avait  converti  son  hôtel  en 
forteresse,  afin  d'avoir  un  prétexte  de  l'attaquer  et  de  le 
piller.  Un  bourgeois  important  du  parti,  le  marchand  de 
drap  Nicolas  Pigneron,  avait  vivement  pressé  le  duc  de 
Guise  d'ordonner  une  perquisition.  Brissac  devait  donc  à 
la  fois  examiner  avec  soin  ce  qui  se  passait  à  l'ambassade 
et  agir  comme  l'envoyé  du  véritable  maître  de  la  France, 
ce  qui  était  une  manière  de  se  faire  valoir  aux  yeux  de 
rétranger  et  d'abaisser  encore  l'orgueil  de  Henri  IIL  Mais 

1.  UEsTOiLB,  t.  ni,  p.  H2.  L'auteur  de  V Amplification  sur  les  particularités ^ 
ctCji^oute  «qu'en  cette  émeute  aucuns  voulurent  tuer  messieurs  de  Biron 
et  Bellièvre,  ce  que  toutefois  M.  de  Guise  empescha  ». 


344  PARIS  ET  LA   LIGUE 

Stafford  arrêta  Brissac  dès  les  premiers  mots,  dit  que  «  ce 
qui  se  passoit  à  Paris  seroit  trouvé  très  étrange  et  très 
mauvais  par  tous  les  princes  de  la  chrétienté  qui  y  avoient 
interost;  que  nul  habit,  diapré  qu41  fust,  ne  le  pourrait 
faire  trouver  beau,  étant  le  simple  devoir  du  sujet  de 
demeurer  en  la  juste  obéissance  de  son  souverain  »;  et, 
comme  Brissac  insistait,  essayant  de  lui  iaire  peur  et 
s'étendant  sur  les  sentiments  d'hostilité  du  peuple  parisien 
envers  Elisabeth  et  son  représentant  ;  comme  il  lui  conseil- 
lait de  fermer  les  portes  de  son  hôtel,  Stafford  répliqua  : 
«  Je  ne  dois  pas  le  faire,  la  maison  d'un  ambassadeur  doit 
eslre  ouverte  à  tous  allans  et  venans,  joint  que  je  ne  suis 
pas  en  France  pour  demeurer  à  Paris  seulement,  mais  près 
du  roi,  où  qu'il  soit  *  ». 

La  nuit  tombait,  mais  les  Parisiens  ne  dormirent  pas.  Ils 
restaient  sur  le  pied  de  guerre,  refusant  d'accepter  le  mot 
d'ordre  que  le  prévôt  des  marchands  voulait  leur  donner 
au  nom  du  roi,  comme  à  l'ordinaire  *;  en  revanche,  ils 
allèrent  recevoir  le  mot  du  duc  de  Guise.  Il  y  avait  «  des 
feux  par  toutes  les  rues  et  à  chasque  fenestre  une  chan- 
delle allumée,  tout  le  peuple  estant  en  armes  et  faisant 
bon  guet^..  »  Les  capitaines  de  la  milice  et  les  officiers 
du  duc  de  Guise  parcouraient  les  postes  et  passaient  de 
maison  en  maison  pour  tenir  en  haleine  l'enthousiasme  du 
peuple  et  Texciter  contre  le  roi.  Brissac  surtout  déploya 
une  activité  sans  égale  ;  il  disait  partout  qu'il  avait  assemblé 
au  carrefour  Saint-Séverin  une  petite  armée  d'éjcoliers  et 


1.  Amplifie,  etc.  De  Thou,  t.  X,  p.  266. 

2.  De  Thou,  Ibid.,  p.  262.  L'historien,  en  relevant  cet  acte  de  rébellion, 
le  trouve  beaucoup.plus  grave  que  les  barricades  de  la  veille  et  leurs  suites^ 
qui  pouvaient  trouver  une  excuse  dans  la  provocation. 

3.  Relation  de  Sainct-Yon,  Quant  &  Tëchevin  lui-même,  après  le  sauve- 
tage des  Suisses  par  Guise  et  Saint-Paul,  il  était  allé  prendre  un  repos 
nécessaire  a  las  et  recreu,  pour  avoir  seul  travaillé  depuis  sept  heures  du 
matin  jusques  à  sept  heures  du  soir,  sans  boire  ny  sans  manger,  avec 
le  grand  péril  de  sa  vie,  pour  la  conservation  de  ses  concitoyens  ». 


LES  BARRICADES  34!^ 

qu'il  la  tenait  toute  prête  «  pour  la  faire  marclier  quaiui 
besoin  seroit  *  ».  Au  Louvre,  on  veillait  aussi  :  car  les^ 
barricades  du  quartier  Saint-Honoré,  celles  de  Saint-Ger- 
main-l'Auxerrois  et  de  la  chapelle  de  Bourbon  ressem- 
blaient aux  travaux  d*approche  d'un  siège.  «  Dans  la 
chambre  du  roy,  chacun  tenoit  Tespée  au  poing,  toute  nue; 
et  dura  cest  effroy  plus  d'une  heure  entière,  soulz  un  faux 
bruict  qu'on  les  venoit  assiéger  '.  »  Henri  III  n'était  pas, 
d'ailleurs,  sans  défense.  En  dehors  de  ses  gentilshommes, 
il  était  entouré  de  la  majeure  partie  des  compagnies  suisses 
et  françaises,  qui,  au  lieu  de  sortir  de  la  ville,  comme  elles- 
s'y  étaient  engagées  envers  le  duc  de  Guise  et  les  bour- 
geois, étaient  venues  prendre  position  dans  les  jardins  et 
la  basse  cour  du  Louvre  ^  Le,  roi  dans  la  soirée,  avait  aussi 
«  envoyé  quérir  le  régiment  de  Picardie  *  ».  Vers  les  deux 
heures  du  matin,  le  bruit  se  répandit  que  toutes  ces  troupes 
allaient  charger  «  à  la  dianne  »  et  aussitôt  les  ligueurs 
furent  sur  pied;  mais  le  bruit  fut  reconnu  faux,  en  ce  qui 
concerne  du  moins  l'arrivée  du  régiment  de  Picardie  et  de 
six  compagnies  d'honimes  d'armes  qu'on  croyait  à  la  porte 
Saint-Honoré.  Les  Suisses  et  les  gardes -françaises  se 
tenaient  «  tous  en  bataille  près  le  Louvre  *  ». 

Le  jour  qui  se  levait  allait  sans  doute  éclairer  la  défaite 
finale  du  dernier  Valois.  Guise  semblait  avoir  résolu  de 
frapper  le  coup  suprême  et  d'abattre  ce  fantôme  de  roi.  11 
écrivait,  le  13  au  matin,  à  M.  d'Entragues,  gouverneur 
d'Orléans,  pour  lui  donner  l'ordre  de  jeter  dans  la'  lutte 
parisienne  le  poids  des  forces  insurrectionnelles  dont  dis- 


1.  L'EsTOiLB»  t.  m,  p.  143. 

2.  Helat,  du  Bourgeois. 

3.  C'est  ce  qu'affirme  Sainct-Yon,  en  ce  qui  concerne  notamment  les 
Suisses  et  gardes-françaises  que  Saint-Paul  arait  ramenés  de  la  place  de 
Grève,  et  M.  de  Plaisance  du  cimetière  des  Innocents. 

4.  Relat,  du  Bourgeois  de  ParL*. 

5.  Relat.  de  Sainct-ïon. 


346  PARIS  ET  LA   LIGUE 

posait  la  Ligue,  à  proximité  de  la  capitale  ^  Pendant  la 
lutte  du  12,  toutes  les  portes  de  Paris  avaient  été  fermées, 
sauf  une,  la  porte  Saint-Honoré.  Le  13  au  matin,  le  roi 
voulut  faire  occuper  par  ses  gardes  les  portes  Saint-Jac- 
ques, Saint-Marceau,  Buci  et  Saint- Antoine  ;  mais  les  bour- 
geois refusèrent  de  s'en  dessaisir.  Ils  les  laissèrent  ouvertes 
aux  ligueurs  du  dehors,  qui  «  entraient  à  la  file  dans  la 
ville  *  »,  et  fermées  aux  officiers  du  roi  qui  accouraient 
des  environs  pour  lui  prêter  main  forte.  C'est  ainsi  qu'à 
huit  heures  du  matin,  M.  de  Méru,  qui  s'était  avancé  avec 
cent  quarante  chevaux  jusqu'à  la  porte  Saint-Honoré,  dut 
rebrousser  chemin  '.  Le  roi  ne  disposait  plus  que  de  la  porte 
Neuve,  située  sur  le  bord  de  la  Seine,  et  qui  faisait  com- 
muniquer le  Louvre  avec  les  Tuileries.  Des  profondeurs  de 
la  ville  de  sourdes  rumeurs  montaient.  Dans  le  quartier  de 
l'Université,  Brissac  avait  passé  la  nuit  à  réunir  dans  le 
cloître  Saint-Séverin  et  «  à  faire  armer  sept  ou  huit  cens 
escoliers  et  trois  ou  quatre  cens  moines  de  tous  les  couvens, 
prests  à  marcher  sur  le  Louvre  *  ».  Leurs  capitaines  étaient 
trois  docteurs  en  théologie,  dont  le  Bourgeois  de  Paris 
nous  a  conservé  les  noms  :  Péginard,  Martin  et  de  Guîsche. 

1.  tt  Avertissez  nos  amis  de  nous  venir  trouver,  en  la  plus  grande  dili- 
gence qu'ils  pourront,  avec  chevaux  et  armes  et  sans  bagage;  ce  qu'ils 
pourront  faire  aisément,  car  je  crois  que  les  chemins  sont  libres  dUci  & 
vous.  J'ai  défait  les  Suisses,  taillé  en  pièces  une  partie  des  gardes  du  roi 
et  tiens  le  Louvre  investi  de  si  près  que  je  rendrai  bon  compte  de  ce  qui  est 
dedans.  Cette  victoire  est  si  grande  qu*il  en  sera  mémoire  à  jamais.  » 
Mém.  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  313.  Cette  lettre  fut  interceptée  et  portée  au  roi 
quelques  jours  après. 

2.  L'EsTOiLB,  t.  III,  p.  143. 

3.  Relat.  de  Sainct-Yon,  L'Estoile  confirme  le  fait  (t.  III,  p.  144)  et  dit  que 
Mérus  ne  se  retira  que  sur  un  ordre  du  roi.  «  Aussi  lui  manda  le  roy  qu'il 
se  retirast,  craingnant  qu*on  ne  couru st  à  lui  et  à  ses  gens  comme  on 
estoit  prest  à  ce  faire.  »  Le  Bourgeois  de  Paris  dit,  de  son  côté  :  «L'après- 
disnée  dudit  jour,  monsieur  d*Ânville  se  présenta  à  la  porte  Sainct-Hon- 
noré  avec  soixante chevanlx  ou  environ;  on  lui  relTusa  l'entrée,  de  qaoy 
il  advertit  le  roy  et  la  royne  mère  aussy,  qui  luy  mandèrent  tous  deux 
qu'il  s'en  retournast,  encore  que  le  roy  avoit  trouvé  mauvais  le  reiTus 
qu'on  luy  avoit  faict.  Il  fut  environ  une  heure  &  compter  les  chevilles  de 
la  porte.  » 

4.  L*EsT0iLE,  Ibid.,  p.  145. 


LES   BARRICADES  347* 

Ces  gens-là  portaient  la  cuirasse  et  prêchaient  leurs  ouaUles, 
les  exhortant  «  à  combattre  pour  la  liberté  de  la  Ville  et 
pour  la  religion  *  ».  Du  grenier  des  boucheries  du  Marché- 
Neuf  on  avait  porté  des  brassées  de  piques  «  prises  par 
(*omptes  et  à  charge  de  les  rendre  »  au  collège  des 
jésuites,  transformé  en  caserne  pour  la  circonstance.  Tous 
ces  écoliers,  tous  ces  moines  «  avoient  tous  les  bords  de 
leurs  chapeaux  retroussez,  et  sur  le  troussîs  chacun  une 
croix  blanche,  armez  d'espée  et  de  poignard  '  ».  Dès  six 
heures  du  matin,  le  roi,  effrayé  de  Taspect  de  la  ville,  fit 
mander  au  Louvre  les  officiers  municipaux.  Sainct-Yon 
vint  le  premier  et  essuya  les  premières  récriminations  du 
malheureux  prince,  qui  ne  comprenait  pas  Tacharnement 
de  la  population,  ayant  consenti  lui-même  à  subir  ses  exi- 
gences et  à  rappeler  ses  troupes.  L'argument,  certes,  man- 
quait de  force,  car  si  les  troupes  n'avaient  pas  été  rappelées 
ou  plutôt  si  le  duc  de  Guise  n'était  pas  intervenu  pour 
faciliter  leur  retraite,  elles  n'eussent  pas  échappé  à  une 
mort  certaine.  L'échevin  ligueur  se  borna  à  faire  observer 
au  roi  que  «  le  pauvre  peuple  n'avoit  jamais  pensé  d'entre- 
prendre aucune  chose  contre  Sa  Majesté  et  n'avoit  passé 
les  bornes  de  la  défensive  »,  car  il  croyait  «  qu'on  le  vou- 
loît  tuer  ».  Au  mot  de  défensive,  Henri  III  s'écria  :  «  Com- 
ment! entrer  en  défensive  contre  leur  roi!  »  Alors  Sainct- 
Yon  se  mit  à  pleurer  et  «  remontra  audit  seigneur  que 
Dieu  et  nature  avoient  donné  à  un  chacun,  tant  grand  que 
petit,  un  désir  de  conserver  sa  vie  et  celle  des  siens!  '  ...  » 


1 .  Helat,  du  Bourgeois, 

2.  Palma-Catbt,  Introd,  à  la  Chron.  novenaire. 

3.  Reiat.  de  Sainct-Yon,  «  est  possible  que  Téchevin  exagère  ici  son 
rôle  personnel.  Il  dut  venir  trouver  le  roi  avec  le  prévôt  des  marchands, 
les  autres  échevins  et  plusieurs  capitaines  de  la  Ville,  qui,  à  ce  qu'assure 
TEstoile,  se  rendirent  au  Louvre  le  matin  du  13  u  voyans  que  le  peuple 
armé  et  mutiné,  qui  toute  la  nuit  estoit  demeuré  tumultuant,  les  armes 
au  poing  et  bravant  sur  le  pavé,  continuoit  encore  ce  jour  et  menaçoit 
de  faire  pis...  » 


•348  PARIS   ET   LA  LIGUE 

Il  finit  par  conseiller  au  roi  de  faire  appel  au  duc  de  Guise 
pout  lui  demander  de  monter  à  cheval  avec  les  sieurs  de 
Villequier  et  de  Lansac,  et  de  «  faire  ôter  les  barricades  ». 
Le  roi  suivrait  à  cheval  et  irait  à  la  Sainte-Chapelle.  Ayant 
donné  au  prince  ce  conseil  étrange,  Sainct-Yon  se  retira 
«  plein  de  fièvre  »  et  se  mit  au  lit.  La  reine  mère  arriva 
vers  huit  heures,  ainsi  que  trois  présidents  du  Parlement 
et  la  plupart  des  officiers  municipaux  qui  insistèrent  vive- 
ment pour  que  le  roi  donnât  Tordre  de  faire  sortir  de  Paris 
toutes  les  troupes  régulières.  C'était,  suivant  eux,  le  seul 
moyen  de  rétablir  la  tranquillité  dans  la  ville.  Henri  III 
voulait  bien  y  consentir,  mais  il  désirait  d'abord  «  que  le 
peuple  levast  les  barricades  et  posast  les  armes,  les  asseu- 
rant  en  foy  et  parole  de  roy,  qu'il  feroit  retirer  ses  forces 
à  sept  lieues  de  Paris,  voire  à  dix,  si  ce  n*estoit  assez,  et 
contremanderoit  les  autres  qu'il  avoit  mandées  venir  à 
lui  *  ».  Le  prévôt  des  marchands  insista,  disant  que  le 
temps  pressait  et  que  si  le  roi  ne  prenait  pas  immédiate- 
ment la  résolution  de  renvoyer  ses  soldats,  lui  et  ses  collè- 
gues «  avoient  peur  qu'on  y  vinst  trop  tard  ».  Henri  céda 
enfin  et  promit  de  transmettre  ses  ordres  sur-le-champ. 
C'est  ce  qu'il  fit.  «  Sur  les  dix  heures  du  matin,  le  roy 
manda  par  tous  les  quartiers  au  peuple  qu'on  eust  à  s'apaiser 
et  qu'il  avoit  contremandé  le  régiment  de  Picardie,  et  que, 
pour  le  regard  des  compagnies  estrangères  et  françaises, 
elles  sorliroient  avant  midy  '.  »  La  plupart  des  Suisses 
sortirent,  en  effet,  vers  onze  heures  par  la  porte  Saint-Ho- 
noré  '  ;  et  comme  on  continuait  à  faire  courir  le  bruit  que 
le  roi  allait  faire  rentrer  par  la  porte  Neuve  les  Suisses  et 
le  régiment  de  Picardie,  Henri  déclara  aux  délégués  des 
bourgeois,  notamment  au  président  Tambonneau,   qu'il 


1.  L'EsTOiLV,  p.  143. 

2.  Relat.  de  Sainct'Yon. 

3.  Ibid.      * 


LES  BARRICADES  349 

avait  contremandé  ce  régiment  et  qu'il  permettait  à  la  milice 
de  ne  pas  poser  les  armes  avant  d'être  certaine  que  les 
troupes  régulières  s'étaient  éloignées  à  une  distance  de  sept 
lieues  de  Paris  *.  Tous  ces  actes  de  faiblesse  ne  firent, 
comme  il  arrive  d'ordinaire,  que  porter  à  son  paroxysme 
l'audace  des  insurgés.  Déjà,  le  roi  était  bloqué  dans  son 
Louvre.  Il  voulut  sortir  pour  aller  à  la  Sainte-Chapelle; 
on  lui  refusa  le  passage.  Catherine  fut  plus  heureuse. 
Accompagnée  de  M.  de  Villequier  et  de  plusieurs  gen- 
tilshommes, elle  se  dirigea  «  à  beau  pied  »  vers  la  Sainte- 
Chapelle,  «  chacun  luy  faisant  passage  partout,  avec  beau- 
coup de  contentement,  comme  aussi  à  la  royne  régnante  *  ». 
A  chaque  barricade,  on  ôtait  une  barrique  «  par  où  elle 
passoit,  et  soudain  on  la  remettoit  en  son  lieu  pour  serrer 
le  passage  ;  elle  monstroit  un  visage  riant  et  asseuré,  sans 
s'estoriner  de  rien  '  ».  Mais  c'était,  de  la  part  de  la  vieille 
reine,  une  attitude  de  commande.  Elle  avait  trop  d'expé- 
rience pour  ne  pas  se  rendre  compte  de  la  gravité  du 
péril. 

Sainct-Yon  dit  que  les  deux  reines  «  furent  fort  étonnées 
de  voir  tant  de  forces  ».  L'Estoile  ajoute  que  «  tout  le  long 
de  son  disner,  elle  ne  fit  que  pleurer  *  ».  Le  roi,  d'abord 
impassible,  dut  cependant  s'émouvoir  des  nouvelles  qui 
arrivaient  au  Louvre.  «  Un  familier  et  domestique  du  duc 
de  Guise  et  un  gentilhomme  bien  qualifié  »  vinrent  lui 
annoncer  que  «  monsieur  de  Guise  et  ceux  de  Paris,  ses 
partisans,  avoient  résolu  de  faire  sortir,  la  nuit  suivante, 
douze  ou  quinze  mille  hommes  par  la  porte  Neuve  ou  autres 
|)ortes,  pour  aller  investir  le  Louvre  par  dehors  et  en  barrer 


1.  Relal,  du  Bourgeois. 

2.  Relat.  de  Sainct-Y'on. 

3.  Relat.  du  Bourgeois. 

4.  T.  ni,  p.  143.  L'auteur  de  VAmplificaL  des  partie,  qui  se  passèrent 
à  Paris  est  entièrement  d'accord  sur  ce  poiul  avec  TKstoile  et  s'exprime 
dans  les  mêmes  termes. 


350  PARIS  ET  LA  LIGUE 

l'issue  au  roi  pour  le  prendre  là-dedans  *  ».  Un  émissaire 
du  roi,  grâce  à  un  déguisement  et  à  la  complicité  d*un  des 
capitaines  de  la  Ville,  put  se  couler  jusque  dans  le  palais  et 
confirma  les  informations  qui  venaient  deThâtel  de  Guise'. 
L'Hôtel  de  Yille  et  l'arsenal  étaient  aux  mains  de  l'émeute. 
Dans  le  quartier  de  TUniversité,  les  écoliers  et  les  moines, 
tout  enflammés  par  les  prédications  des  docteurs  en  théo- 
logie «  qui  marchoient  en  teste  comme  colonnels  des 
mutins  et  ne  tenoient  autre  langage,  sinon  qu'il  falloit 
aller  quérir  frère  Henri  dans  son  Louvre  '  »,  commençaient 
à  s'ébranler  au  bruit  du  tocsin  *  ...  En  présence  de  cette 
marée  montante  de  l'insurrection,  qui  menaçait  de  sub- 
merger le  trône  et  la  personne  royale,  les  membres  du 
Conseil,  réunis  autour  du  prince,  l'engagèrent  à  quitter  Paris, 
eu  lui  c<  remonstrant  quelques  exemples  de  la  furie  des 
peuples,  lesquelles  il  vaut  mieux  esviter  qu'attendre  ^  ». 
Mais  Catherine,  toujours  confiante  dans  sa  diplomatie,  prit 
la  parole  pour  combattre  l'avis  unanime  du  Conseil  :  «Hier, 
dit-elle,  je  ne  cognus  point  aux  paroles  de  M.  de  Guise 
qu'il  eust  d'autre  envie  que  de  se  ranger  à  la  raison  ;  j'y 
retoumeray  présentement  le  veoir  et  m'asseure  que  je  luv 
feray  apaiser  ce  trouble®  ».  La  vieille  reine  monta  en  effet 
dans  ((  sa  chaire  »  et  se  dirigea  vers  l'hôtel  de  Guise,  à 
travers  les  barricades  que  le  peuple,  comme  le  matin,  ouvrait 


1.  Amplification  des  partie.  De  Tuoc  dit  que  les  ligueurs  Toulatent  faire 
sortir  huit  mille  hommes  pour  se  saisir  des  dehors  du  Louvre. 

2.  Cette  circonstance  qu'un  familier  du  duc  de  Guise  annonça  au  roi 
rintention  où  étaient  les  ligueurs  d'aller  se  saisir  de  sa  personne,  rend 
très  vraisemblable  une  hypothèse  de  Michelet.  l\  dit,  en  parlant  du  duc  : 
«  Je  ne  crois  pas  qu'un  homme  si  avisé,  si  informé,  ait  ignoré  que  le  roi 
avait  toujours  une  porte  libre  pour  s'en  aller.  Si  Guise  les  faisait  garder 
toutes,  moins  une  (celle  des  Tuileries),  c'est  que  probablement,  n'osant 
défendre  le  roi  et  cependant  craignant  pour  lui,  il  voulut  que  son  man- 
nequin royal  gardât  la  clef  des  champs.  »  T.  X,  p.  154. 

3.  L'EsTOiLB,  p.  145. 

4.  Mém,  de  Cheverny,  Coll.  Michaud,  i^^  série,  t.  X,  p.  487. 

5.  Palma-Gatbt.  Introd.  à  la  Chronologie  novenaire, 

6.  Ibid, 


LES  BARRICADES  3S1 

pour  lui  livrer  passage  et  refermait  derrière  elle  *.  Arrivée 
eu  présence  du  chef  de  la  Ligue,  Catherine  le  supplia 
d'apaiser  l'émeute  et  de  venir  trouver  le  roi  pour  «  lui 
faire  paroistre,  en  une  si  urgente  occasion,  qu'il  avoit  plus 
de  volonté  à  servir  qu'à  dissiper  sa  couronne  '  ».  Mais  le  duc, 
glorieux  de  sa  victoire,  ne  se  donnait  même  plus  la  peine  de 
feindre.  Il  répondit  «  faisant  le  froid  »,  qu'il  n'en  pouvait 
mais,  et  qu'il  était  aussi  malaisé  de  retenir  le  peuple  que 
d'arrêter  «  des  taureaux  échauffés  ».  Quant  à  se  rendre 
auprès  du  roi,  c'est  ce  qu'il  ne  ferait  jamais,  le  Louvre  lui 
étant  «  étrangement  suspect  »  ;  et  puis  il  n'était  pas  assez 
naïf,  pour  «  se  jetler  foible  et  en  pourpoint  à  la  merci  de 
.  ses  ennemis  ^  ».  Catherine,  voyant  qu'elle  n'arrivait  pas  à 
ébranler  le  duc,  dit  tout  bas  au  secrétaire  d'État  Pinart, 
qui  l'avait  accompagnée  à  l'hôtel  de  Guise,  d'aller  informer 
le  roi  de  l'attitude  peu  rassurante  du  chef  ffe  la  Ligue. 
Lorsque  Pinart  arriva  au  Louvre,  le  roi  n'y  était  plus; 
craignant  de  voir  son  palais  envahi  par  les  ligueurs,  qui 
rapprochaient  de  plus  en  plus  leurs  barricades  \  supplié 
par  ses  émissaires  de  quitter  Paris  »  plutôt  tout  seul  », 
s'il  ne  voulait  pas  tomber  aux  mains  de  l'émeute,  Henri  III 
sortit  du  Louvre  à  pied  par  la  porte  Neuve  «  sur  les  quatre 
heures  après  midy  ^  ».  Il  avait  une  baguette  à  la  main  et 

1.  L'EsToiLB  et  l'auteur  de  V Ampli fcation  des  partie,  etc.,  s'expriment 
encore  ici  dans  les  mêmes  termes.  Seulement  il  semblerait  ressortir  de 
VAmplif,  que  Catherine  alla  deux  fois  trouver  le  duc  de  Guise  dans 
l'après-midi,  ce  qui  est  en  contradiction  avec  les  autres  documents  que 
nous  avons  analysés.  W  résulte,  en  effet,  du  récit  de  Sainct-Yon  que  Cathe- 
rine alla  le  13  à  la  Sainte-Chapelle  dans  la  matinée,  et  de  la  relation  de 
PEstoile  qu'elle  se  rendit  &  Thôtel  de  Guise  dans  l'après-midi.  Mais  rien 
n'indique  qu'elle  ait  fait  deux  fois  le  voyage  à  travers  les  barricades  dans 
cette  journée  du  13.  U  faut  conclure  seulement  des  paroles  que  Palma- 
Cayet  met  dans  sa  bouche,  que  Catherine  avait  déjà  fait  une  visite  au 
duc  la  veille,  c'est-à-dire  le  12. 

2.  L'EsTOiLB,  p.  144. 

3.  Ibid,,  p.  145. 

4.  Un  tavemier,  nommé  Perrichon,  que  TEstoile  appelle  un  coquin  el 
qui  depuis  fut  pendu  à  Paris  même  par  ses  compagnons,  avait  dressé  une 
barricade  contre  les  portes  mômes  du  Louvre. 

5.  Cette  heure  est  indiquée  dans  la  relation  de  Sainct-Yon. 


382  PARIS  ET  LA  LIG\3E 

f  on  aurait  pu  croire  qu'il  allait  faire  sa  promenade  habi- 
tuelle. Comme  il  franchissait  la  porte  Neuve,  un  bourgeois 
royaliste,  qui,  la  veille,  avait  sauvé  le  maréchal  de  Biron, 
s'approcha  de  lui  et  lui  dit  de  se  hâter,  parce  que  le  duc  do 
Guise  s'apprêtait  à  marcher  sur  le  Louvre  avec  une  troupe 
de  douze  cents  honMues  du  parti  ligueur.  Le  sieur  Bour- 
sier, capitaine  de  la  rue  Saint-Denis,  avait  annoncé  tout 
haut  le  but  de  l'expédition  *.  Le  roi  s'arrêta  aux  Tuileries 
«  quelque  peu,  appuyé  sur  une  pierre,  il  pleura  fort  chau- 
dement et  dit  :  0  ville  ingrate,  je  t'ay  plus  aymée  que  ma 
propre  femme!  *  »  A  cinq  heures  du  soir  ',  Pinart  rejoi- 
gnit son  maître  et  lui  apporta  le  message  de  Catherine.  Il 
n'y  avait  plus  à  hésiter.  Henri  se  rendit  aux  écuries,  qui  se 
trouvaient  aux  Tuileries,  et  monta  à  cheval  avec  toute  sa 
suite.  Son  écuyer  du  Halde,  tout  ému,  le  botta,  et,  dans  sa 
précipitation,  lui  mit  un  éperon  à  l'envers  :  «  Je  ne  vais  pas 
voir  ma  maîtresse,  dit  le  roi  ;  nous  avons  un  plus  long  chemin 
k  faire  ».  Et  il  prit  la  route  de  Saint-Cloud,  après  s'être 
retourné  vers  Paris  pour  maudire  la  ville  et  jurer  qu'il  n'y 
rentrerait  «  que  par  la  brèche  *  ».  Les  courtisans  qui  se 
trouvaient  là  se  procurèrent  des  chevaux  comme  ils  purent 
t$  et  en  trouvant  à  grand'peine;  nous  monstames  tous  la 
pluspart  sans  bottes  »,  dit  Chevemy.  Avec  le  chancelier,  le 
roi  emmenait  le  duc  de  Montpensier  ^^  M.  de  Longueville, 

1.  L'EsTOiLE,  t.  III,  p.  145. 

2.  Relat,  du  Bourgeois, 

3.  C'est  rheure  indiquée  par  CheverDy  dans  ses  Mémoires,  Palma-Cayet  dil 
que  le  roi  reçut  l'avis  de  la  reine-mère  «  entre  cinq  et  six  heures  du  soir  ». 

4.  L'EsTOiLB,  p.  146. 

5.  M.  de  Montpensier  avait  envoyé  chercher  ses  chevaux,  qui  se  trou* 
vaient  au  faubourg  Saint-Germain.  11  voulait  leur  faire  traverser  Feau  dans 
le  bac  où  se  trouvaient  déjà  quelques  gardes  du  roi.  Mais  les  bourgeois, 
croyant  que  les  troupes  allaient  attaquer  le  faubourg  Saint-Germain,  cou- 
pèrent la  corde  du  bac  qui  s'en  alla  jusqu'aux  Bons-Hommes,  où  le  rejoi- 
gnirent les  chevaux  de  M.  de  Montpensier.  {Relat.  du  Bourgeois.)  Le  même 
récit  prétend  que  le  roi  partit  en  carrosse  et  non  à  cheval,  et  que  ce  car- 
rosse ne  le  vint  chercher  qu'aux  Bons-Hommes,  où  il  se  serait  rendu  à 
pied.  Mais  Gheverny,  témoin  oculaire  et  qui  était  du  voyage,  dit  formel- 
lement que  Henri  III  partit  &  cheval  avec  toute  sa  suite.  L'Estoile  et 


LES  BARRICADES  36S 

M.  d'O,  le  comte  de  Saint-Paul,  le  cardinal  de  Lenoncourt, 
les  maréchaux  de  Biron  et  d'Aumont,  Jacques  Faye,  avocat 
au  Parlement,  M.  de  Bellièvre  et  les  secrétaires  d*Ëtat 
Villeroy  et  Brulart.  Les  magistrats  étaient  en  robe  longue. 
L'avocat  d'Espesses  n'avait  pas  d'éperons  ;  Mme  de  Fréluc 
iui  en  fit  un  en  bois  dans  les  Tuileries;  mais  le  pauvre 
4iomme,  dans  son  empressement  à  suivre  le  roi,  perdit  sa 
bourse,  qui  contenait  trois  cents  écus.  Le  secrétaire  Brulart 
partit  avec  «  deux  testons  en  poche,  pour  n'avoir  eu  le 
loisir  d'aller  jusques  k  sa  maison  en  prendre  davantage  *  ». 
Ouant^  Pinart,  le  roi  le  renvoya  à  Thôtel  de  Guise  «  afin 
de  faire  entendre  à  la  reine  sa  mère  les  raisons  de  son 
subit  partement  '  ».  Le  chef  de  la  Ligue  savait  déjà  que  le 
roi  était  parti.  Dès  que  Henri  III  sortit  du  Louvre,  le  bruit 
de  sa  fuite  courut  dans  Paris  et  fut  porté  à  l'hôtel  de  Guise 
par  plusieurs  émissaires,  notamment  par  Maineville,  l'un 
•fies  plus  intimes  confidents  du  duc.  (Catherine  conférait 
avec  Guise,  cherchant  à  gagner  du  temps  ;  mais  le  mot  que 
Davila  prête  au  duc  :  «  Me  voilà  mort,  madame!  tandis 
que  Votre  Majesté  m'amuse  ici,  le  roi  s'en  va  pour  me 
perdre!  »  paraît  bien  problématique.  Le  Bourgeois  île  Paris 
rapporte,  au  contraire,  et  avec  beaucoup  plus  de  vraisem- 
blance, qu'aux  ligueurs  qui  lui  demandaient  s'il  fallait 
empêcher  le  roi  de  quitter  Paris  «  il  fit  response,  avec 
grande  véhémence,  que  non;  que  c'estoit  son  roy  et  qu'il 
estoit  en  sa  liberté  d'aller  ou  de  demeurer  où  bon  luv 
sembleroit  ». 

Cependant  la  retraite  du  roi  de  France  rappela  beaucoup 
Irop  par  sa  précipitation  et  ses  côtés  presque  ridicules  la 
manière  dont,  quatorze  ans  auparavant,  il  avait  quitté  la 


Sainct-Yon   conflnuent  les  détails   donnés  sur   ce  point  par  Cheverny. 
D'après  SainetrYon,  la  petite  troupe  comprenait  environ  soixante  chevaux. 

1.  Relat.  du  Bourgeois. 

i.  Mêtn,  de  Cheverny, 

K  CRIQUET.  23 


354  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Pologne  et  perdu  sa  première  couronne.  Alors  qu'il  avail 
autour  de  lui  quatre  mille  Suisses  et  soldats  de  sa  garde 
française  et  de  nombreux  officiers,  fort  braves,  qui  lui 
auraient  au  moins  assuré  une  retraite  fière  et  digne,  il  fuit 
éperdùment,  sans  donner  d'ordres  à  sa  garde,  avec  un<» 
escorte  de  chevaux  de  louage  et  de  courtisans,  sans  man- 
teaux et  sans  bottes,  poursuivi  par  les  huées  du  peuple  et 
les  arquebusades  de  la  milice  ^  ! 

En  quittant  Paris,  Henri  III  avait  l'intention  de  se  rendn* 
à  Saint-Germain;  mais  il  fit  cette  réflexion  qu'il  serait  là 
trop  près  de  la  terrible  capitale,  et,  après  avoir  hésité  un 
moment  entre  Rouen  et  Beauvais,  il  finit  par  se  décider 
pour  Chartres  '.  Cheverny,  qui  était  gouverneur  de  cette 
ville,  partit  en  avant  pour  annoncer  l'arrivée  du  roi,  qui  fit 
collation  à  Trappes  et  coucha  à  Rambouillet  «  tout  botté  ^  ». 
Le  lendemain,  14  mai,  Henri  III  entra,  vers  onze  heures 
du  matin  *,  dans  la  ville  de  Chartres,  dont  Tévêque , 
Nicolas  de  Thou,  était  fervent  royaliste.  Ce  prélat  ne  négligea 
rien  pour  recevoir  magnifiquement  son  souverain  malheu- 
reux, et  Henri  put  même  entendre  les  cris  de  :  Vive  le  roi! 
que  les  Parisiens  ne  lui  prodiguaient  pas  ^.  Ni  les  Suisses, 

1.  «  Ainsy  que  le  roy  sortoit  par  la  Porte-Neuve«  quelque  quarante  har- 
quebusiers  que  Ton  avoit  mis  à  la  porte  de  Nesle  tirèrent  vivement  sur 
luy  et  ceux  de  sa  suite;  le  menu  peuple,  qui  ne  va  que  comme  on  le 
pousse,  crioit  au  bord  de  l'eau  mille  injures  contre  le  roy.  »  Palma-Cayet. 
Introduction  à  la  Chronologie  novenaire. 

2.  Mém,  de  Cheverny, 

3.  L'EsToiLB.  Db  Tuou,  t.  X,  p.  267,  assure  qu'à  Trappes  le  roi  fit  placer 
des  gardes  à  toutes  les  avenues,  car  il  craignait  d'être  poursuivi  par  les 
troupes  de  la  Ligue,  envoyées  de  Paris. 

4.  Belat.  du  Bourgeois, 

5.  Cet  enthousiasme  était  d'ailleurs  superficiel.  L'historien  de  Thou,  qui 
devait  être  bien  renseigné  par  son  oncle,  dit  que  c*est  uniquement  à  ce 
dernier  que  le  roi  dut  Taccueil  chaleureux  d'une  partie  de  la  population 
de  Chartres.  Il  ajoute  que  u  le  reste  du  clergé  et  du  peuple  s'était  déjà 
laissé  aveugler  ou  corrompre  par  les  émissaires  de  la  Ligue.  «>  T.  X,  p.  267. 
Il  est  possible  aussi  que  les  hôteliers  de  Chartres  aient  été  sensibles  aux 
bénéfices  que  leur  attirait  l'arrivée  du  roi.  «  La  cherté  y  est  si  grande, 
écrit  l'auteur  de  la  Journée  des  Barricades,  que  les  hosteliiers  font  payer 
pour  homme  et  pour  cheval  trois  escus  la  journée,  et  que  le  chapon 
couste  cinquante  solz  et  va  jusque  à  un  escu.  » 


LES  BARRICADES  3SS 

ni  les  autres  Iroupes  n'entrèrent  dans  la  ville.  Dégoûtés 
de  servir  un  pareil  monarque,  les  Suisses  furent  même  sur 
le  point  de  faire  défection  et  de  passer  à  la  Ligue  *.  Toute- 
fois, ils  se  décidèrent  à  ne  pas  déserter  les  drapeaux  roya- 
listes, d'abord  parce  qu'ils  espéraient  rentrer  dans  l'arriéré 
de  leur  solde,  et  ensuite  parce  que  le  régiment  de  Picardie 
ot  les  compagnies  des  gardes  les  menacèrent  de  les  attaquer 
s'ils  refusaient  de  suivre  '. 

Guise  est  maître  de  Paris.  Que  va-t-il  faire  de  sa  victoire? 
Henri  III  est  chassé  de  sa  capitale  et  humilié  par  la  Ligue? 
Comment  va-t-il  réparer  sa  défaite?  La  municipalité  pari- 
sienne est  désorganisée  :  leséchevins  Le  Comte  et  Lugoly, 
qui  avaient  joué  un  rôle  actif  dans  la  lutte  de  Tautorité 
régulière  contre  l'organisation  insurrectionnelle  des  li- 
gueurs, se  sont  soustraits  par  la  fuite  aux  conséquences  de 
de  leur  fidélité  à  la  cause  royale  '.  Les  deux  autres  éche- 


1.  FÉLiBiBjf,  Preuves j  t.  I,  p.  776.  Le  colonel  et  les  capilaines  des  Suisses 
du  roi  écrivirent  de  Trappes  au  duc  de  Guise  une  lettre,  datée  du  14  naai, 
et  qui  est  fort  curieuse.  Les  officiers  suisses  prétendent  que,  trois  ans 
auparavant,  c'est  le  duc  de  Guise  qui  demanda  un  régiment  de  Suisses 
tt  pour  le  service  de  la  couronne  de  France  ».  Après  la  défaite  de  l'armée 
des  protestants  allemands  qui  avaient  enyahi  la  France,  le  roi,  u  par  la 
trop  grande  facilité  de  leur  colonel  »,  les  aurait  retenus  en  leur  promet- 
tant de  les  envoyer  contre  le  roi  de  Navarre.  Mais  on  les  aurait  fait  venir 
&  Paris  «  avec  ruse  et  artifice  »,  en  leur  faisant  croire  qu'il  s'agissait  de 
faire  une  exacte  recherche  des  hérétiques,  avec  l'aide  des  bourgeois  et  du 
duc  de  Guise.  On  les  a  trompés  et  vendus  à  la  boucherie.  C'est  Guise  qui 
les  a  sauvés.  Le  roi  leur  doit  quatre  soldes.  Il  est  parti,  en  leur  disant 
seulement  «  qu'ils  pouvaient  se  retirer  ».  Ils  ont  cherché  en  vain  à  rejoindre 
le  monarque  à  Saint  Cloud,  puis  à  Trappes,  où  ils  sont  arrivés  après  son 
départ.  Les  Suisses  demandent  au  duc  de  Guise  «  ce  qu'ils  ont  &  faire  ». 
Ils  consentent  à  revenir  à  Paris  et  promettent  de  vivre  et  mourir  au  ser- 
vice du  duc.  La  lettre  se  termine  par  cette  mention  :  «  Ecrit  en  secret  h 
Trappes,  le  14  mai  4588  ». 

2.  Gest  ce  qu'atteste  formellement  le  Bourgeois  de  Paris,  auteur  de  la 
Journée  des  Barricades.    * 

Z.  Relat.  de  Saint' Yon.  Le  royalisme  du  prévôt  des  marchands,  Hector 
de  Pereuse,  et  des  échevins  Le  Comte  et  Lugoly,  n'est  pas  douteux. 
Sainct-Yon  affiche,  dans  la  relation  qui  lui  est  attribuée,  des  sentiments  très 
favorables  à  la  Ligue,  bien  que  mélangés  d'un  certain  respect  pour  le  roi, 
qu'il  appelle  à  plusieurs  reprises  «  son  bon  prince  ».  Quant  au  quatrième 
échevin,  sa  personnalité  et  ses  actes  sont  plus  effacés.  11  y  a  môme  quelque 
incertitude  sur  l'ortliographe  de  son  .nom.  De  Thou  (t.  X,  p.  269)  et  l'Es- 


356  PARIS   ET  LA  LIGUE 

vins,  Bonnard  et  Sainct-Yon,  avaient  gardé  pendant  la 
journée  une  attitude  fort  équivoque  qui  devint  tout  à  fait 
sympathique  à  la  Ligue  après  la  victoire.  Suspects  aux 
meneurs  de  la  faction  cléricale,  ils  éprouvèrent  le  besoin 
«  d'attester  le  ciel  et  la  terre  qu'ils  estoient  innocens  de  ce 
dont  on  les  chargeoit;  que  leurs  compagnons  les  avoient 
Irahis,  faisant  leur  conseil  à  part  sans  les  y  appeller  ». 
Quant  au  prévôt  des  marchands,  Hector  de  Pereuse,  qui 
était  courageusement  resté  à  Paris  après  la  fuite  du  roi,  il 
n'allait  pas  tarder  à  être  arrêté. 

Ainsi,  la  royauté,,  chassée  de  la  capitale,  laisse  encore 
une  fois  le  champ  libre  à  une  émeute  triomphante.  En 
1588,  Tennemi  n'est  plus  un  seul  homme,  s'appel&t-il 
Etienne  Marcel,  qui  ne  réussit  qu'un  moment  à  entraîner 
des  masses  ignorantes  et  versatiles  :  c'est  la  puissante 
union  d'une  partie  des  chefs  de  la  noblesse,  du  clergé  tout 
entier  et  de  la  fraction  la  plus  énergique  de  la  bourgeoisie  : 
c'est  une  organisation  savante,  dès  longtemps  mûrie  et 
perfectionnée,  mise  en  œuvre  par  des  mains  habiles  et 
vigoureuses,  puissamment  secondée  ou,  si  l'on  veut,  do- 
minée par  l'impérieuse  complicité  de  Philippe  II.  La  révo- 
lution de  mai  i  588  a  fait  table  rase  non  seulement  du  gou- 
vernement royal,  mais  de  la  municipalité  traditionnelle.  Elle 
ne  vise  pas  à  donner  à  la  prévôté  des  marchands  une  exten- 
sion presque  souveraine  ou,  comme  on  dirait  aujourd'hui, 
une  autonomie  complète.  En  1358,  le  vainqueur,  dans  la  lutte 
engagée  contre  le  pouvoir  central,  c'est  le  prévôt  des  mar- 

TOiLB  (t.  m,  p.  151)  rappellent  Bonnard,  Sainct-Ton,  dans  sa  relation, 
rappelle  d'abord  Bonnety  puis  Bonnard.  Quant  A  Lreoux  db  Lihcy,  dans 
sa  Chronologie  des  officiers  municipaux  (appendice  IV  de  VHist,  de  VHùtel 
de  Ville  de  Paris),  qui  rectifie  souvent  le  travail  de  J.  CheviUardf  il  adopte 
Porthographe  de  Bouvart,  La  chose,  au  fond,  n'a  pas  une  extrême  impor- 
tance; mais  il  est  certain  que  Bouvart,  Bonnard  ou  Bonnet  conforma  son 
atUtude  à  celle  de  Saincl-Yon,  c'est-à-dire  fut  sympathique  à  la  Liguet 
Palma-Gayet  s'est  trompé  lorsqu'il  a  écrit  que  «  trois  des  quatre  échevins 
trouvent  moyen  de  suivre  le  roy;  un  seul  d'entre  eux  ae  trouva  du  costé 
des  factieux  ».  Le  Comte  et  Lugoly  suivirent  seuls  le  nii. 


LES  BARRICADES  357 

rliauds,  Etienne  Marcel,  et  la  révolution  prend,  de  la  sorte, 
un  caractère  presque  exclusivement  municipal;  en  1588, 
le  prévdt  des  marchands  compte  parmi  les  vaincus,  et  si 
le  vieux  cadre  des  institutions  n'est  pas  modifié  en  appa- 
rence, toute  la  réalité  du  pouvoir  municipal  passe  aux 
Conseils  de  la  Ligne.  Certes,  on  a  dit  que  le  duc  de  Guise 
«3t  les  Seize  avaient  inscrit  sur  leur  programme  «  le  réta- 
blissement de  Tantique  liberté  des  élections  municipales  *  »  ; 
mais  c'est  là  une  vaine  apparence.  Au  fond,  la  Ligue 
substituera  des  élections  tumultuaires  aux  élections  régu- 
lières ;  il  n'y  aura  pas  plus  de  liberté  dans  les  choix,  parce 
qu'ils  seront  dictés  par  les  meneurs  d'une  faction,  au  lieu 
d'être  dictés  par  le  roi.  En  dernière  analyse,  le  véritable 
but,  comme  le  véritable  résultat  des  Barricades,  c'est  l'attri- 
bution du  gouvernement  au  clergé  et  à  ses  hommes  ;  c'est 
ce  que  la  langue  moderne  appellerait  le  triomphe  du  cléri- 
calisme. L'histoire  ne  peut  douter  des  tendances  auda- 
cieuses de  tous  ces  sermonnaires  qui  commandaient  les 
quatre  cents  moines  et  les  huit  cents  écoliers  dont  nous 
avons  dit  le  rdle  pendant  la  Journée  des  Barricades.  Ils 
invoquaient  pour  le  peuple  comme  pour  le  pape  le  droit 
de  déposer  le  roi  !  Qui  leur  soufflait  cette  doctrine?  Le  duc 
de  Guise.  Et  pourtant  ce  fut  lui  qui  recula  et  laissa  échapper 
«  la  beste  qu'il  tenoit  en  ses  filets  ».  Etienne  Marcel  avait 
épargné  le  dauphin  Charles,  et  il  en  mourut;  Henri  de 
Guise  épargne  le  roi  Henri  HI,  et  il  en  mourra.  Un  roi 
qui  se  laisse  insulter  en  face  par  un  sujet ,  a  peu  de 
chances  de  conserver  sa  couronne;  un  sujet  «  qui  tire 
l'épée  contre  son  prince,  en  doit  à  l'instant  jeter  le  four- 
reau ».  C'est  ce  que  dit  le  duc  de  Parme  en  apprenant 
l'issue  des  Barricades.  Quant  au  pape ,  il  blâma  égale- 
ment Henri  de  Guise  de  s'être  mis,  lors  de  son  arrivée 

I.  H.  Martut,  t.  X,  p.  Vt. 


388  PARIS  ET   LA   LIGIE 

dans  la  capitale,  à  la  discrétion  d'un  roi  qu'il  avait  cruel- 
lement outragé;  et  Henri  III,  de  Tavoir  laissé  échapper  : 
«  0  le  lâche  prince  !  ô  le  pauvre  prince  !  dit  Sixte  V,  d'avoir 
ainsi  perdu  l'occasion  de  se  défaire  d'un  homme  qui  semble 
être  né  pour  le  perdre  *  ».  Le  duc  de  Guise,  de  son  côté, 
après  avoir  commis  l'énorme  imprudence  de  se  rendre 
presque  seul  au  Louvre,  en  commit  une  seconde,  plus 
grave  encore,  lorsqu'il  permit  au  roi  vaincu  de  quitter 
Paris.  Une  demi-rébellion  est  un  non-sens,  et,  «  à  la  vérité, 
qui  a  voulu  boire  une  fois  du  vin  des  dieux,  jamais  ne  se 
doit  recongnoistre  homme...,  car  il  faut  être  César  ou  rien 
du  tout  '...  » 


1.  De  THor,  t.  X,  p.  266. 

2.  L'EsTOiLE,  t.  ]II,  p.  147.  Voy.  aussi  Pasquier,  lettres  12  et  21.  Anqoetil, 
CKsprit  de  la  Ligue ,  t.  Il,  p.  21. 


CHAPITRE  V 

OUISE   ET   PARIS   APRÈS   LES   BARRICADES 

(Dopui»  le  13  mai  jusqu'au  !•'  Mptembre  1588.) 

Le  duc  (le  Guise  ik»  perdit  pas  de  temps  pour  compléter 
sa  victoire.  Dans  la  soirée  même  du  13,  il  retourna  chez 
la  reine  mère  pour  lui  témoigner  Tétonnement,  plus  ou 
moins  sincère,  que  lui  causait  le  départ  du  roi,  et  il  affecta 
de  dire  que  rien  ne  motivait  la  brusque  détermination  do 
Henri  III  *.  Après  cette  visite  diplomatique;  Guise  par- 
courut à  pied  la  capitale  et  posa  lui-même  les  corps  de 
garde,  causant  avec  les  principaux  ligueurs  et  conservant 
malgré  tout  Tair  de  dignité  grave  qui  seyait  si  bien  à  sa 
physionomie.  Complètement  édifié  sur  la  chaleur  de  Ten- 
thousi^sme  populaire,  le  chef  de  la  Ligue  se  rendit  ensuite 
chez  les  principaux  membres  du  Parlement,  car  une  séance 
était  indiquée  pour  le  lendemain.  Au  cours  de  sa  visite  au 
premier  président  Achille  de  Harlay  ',  il  lui  déclara  que, 

1.  Db  Thou,  t.  X,  p.  268. 

2.  Achille  de  Harlay,  né  à  Paris  le  7  mars  1536,  avait  été  nommé  con- 
seiller &  vingt-deux  ans,  sous  le  bénéfice  d'une  dispense  d'âge,  et  président 
dès  1572,  par  suite  de  la  retraite  de  son  père.  En  1568,  il  avait  épousé 
Catherine  de  Thou,  flile  du  premier  président.  En  1582,  il  succéda  à  son 
beau-père.  Il  avait  su  résister  avec  fermeté  aux  édils  de  proscription 
de  1585  contre  les  huguenots  et  aux  bulles  du  pape  qui,  après  la  mort  du 
duc  d'Alençon,  déclarèrent  le  Béarnais  déchu  de  son  droit  au  trône.  Il  res- 
tera premier  président  jusqu'en  1616.  C'est  une  des  plus  belles  figures,  la 
plus  belle  peut-être,  de  la  magistrature  française,  qui  a  compté  tant  do 
nobles  caractères. 


360  PARIS  ET   LA   LIGUE 

par  suitf!  du  départ  du  roi,  il  était  coairaini  do  veiller  Iv 
sa  s&reté  ainsi  qu'à  celle  de  ses  amis,   et  qu'il  priait  le- 
président  de  ne  pas  assembler  la  compagnie  le  lendemain.. 
Mais  de  Harlay  répondit  que  les  convocations  étaient  faites,, 
qu'il  ne  pouvait  plus  donner  contre-ordre  et  que,  d'ailleurs,, 
il  ne   reconnaissait  d'autre  autorité  que  celle  du  roi  \. 
Guise,  décontenancé  par  cette  ferme  attitude  du  premier- 
président,   le  regarda  «  sans  mot  dire,  environ  l'espace 
d'un  quart  d'heure  *  »,  et  finit  par  le  prier  de  ne  pas  revenir 
sur  les  faits  accomplis,  ce  que  de  Harlay  accorda.  En  sor- 
tant de  chez  le  premier  président,  le  duc  de  Guise  dit  à 
haute  voix  :  «  Je  me  suis  trouvé  à  des  batailles,  à  des 
assauts  et  &  des  rencontres  les  plus  dangereuses  du  monde  ; 
mais  jamais  je  n'ai  été  étonné  comme  à  l'abord  de  ce  person- 
nage '  ».  Cependant,  à  minuit.  Guise  avait  retrouvé  sou 
sang-froid,  et  il  envoya  un  message  à  de  Harlay  pour  lui 
enjoindre  de  contremander  les  membres  du  Parlement. 
((  Deux  heures  après,  la  royne  mère  l'envoya  prier  à  mesmo 
fin  *.  »  Déférant  à  celte  double  injonction,  le  premier  pré- 
sident fit  contremander  ses  collègues,  le  samedi  14,  de 
grand  matin  ;  mais  plusieurs  ne  reçurent  pas  le  billet  et 
vinrent  au  palais.  Il  y  trouvèrent  de  Harlay  et  le  prièrent 
de  présider  l'assemblée.  Un  grand  silence  régna  d'abord; 
a  on  se  regardait  l'un  l'autre,  sans  mot  dire,  sinon  que  dô 
myne  ou  des  épaules  ».  Enfin,  quelques  conseillers  de» 
enquêtes  proposèrent  d'envoyer  une  députation  au  roi,  si 


1.  D*aprês  cerlainfi  historiens.  le  premier  président  aurait  fait  une  phrase 
à  hermine  :  w  Quand  la  Majesté  du  prince  est  violée,  le  magistrat  n'a  plus 
d'autorité  ».  Voy.  Anqubtil,  V Esprit  de  la  Ligue,  t.  III,  p.  23;  Mathiei,. 
livre  VIII,  p.  548.  Cette  réponse  a  dû  être  fabriquée  après  coup,  comme  lut 
plupart  des  mots  historiques. 

2.  Hist.  de  la  Journée  des  Barric.  par  un  Bourgeois  de  Paris. 

3.  Mém.  fort  singuliers  servant  «  VUist,  de  Fr.  Ms.  de  Dupuy,  col.  661.. 
Récit  du  président  du  Vair. 

4.  Relat.  du  Bourgeois.  H.  Martin  se  met  en  contradiction  (t.  X,  p.  Va} 
avec  le  récit  du  Bourgeois,  lorsqu'il  écrit  que  «  le  lendemain,  sur  l'express*- 
invitation  de  la  reine  mà'ey  les  magistrats  se  rendirent  au  palais  »>. 


GUISE   ET   PARIS   APRÈS   LES  BARRICADES  361 

celte  mesure  était  approuvée  par  la  reine  mère.  Le  prési- 
dent de  Thou  alla  demander  aussitôt  le  consentement  de 
Catherine,  qui  le  donna  avec  empressement  et  ajouta  qu'ell(y 
enverrait  à  Chartres  le  secrétaire  d'État  Pinart,  avec  charge 
d'avertir  le  roi  de  la  résolution  de  la  cour.  On  nomma,  pour 
faire  partie  de  la  députation  qui  devait  partir  le  lende> 
main,  les  conseillers  Courtin,  Brissard,  Bonnin,  Gillot,  le 
président  de  la  Guesle  et  son  fils,  le  procureur  général. 
Ce  dernier  était  fort  compromis,  car  il  «  avoit  esté  des  plus, 
aspres  à  faire  dresser  la  barricade  de  son  quartier,  où  il 
auroit  tousjours  esté  armé  d'une  cuirasse  ^  ».  Il  avait  & 
cœur  de  se  justifier  auprès  du  roi  et  prétendait  n*avoir  agi 
que  contraint  et  forcé,  afin  de  diminuer  Tantipathie  que 
le  peuple  avait  vouée  à  sa  maison. 

A  cela  se  borna  la  protestation  du  Parlement.  Guise,, 
sans  s'arrêter  aux  récriminations  de  Catherine,  appelait 
des  troupes  de  Picardie,  faisait  des  levées  dans  Paris- 
même  et  se  saisissait  des  positions  importantes  de  la 
capitale.  C'est  ainsi  que,  dès  le  samedi  14  mai,  le  surlen- 
demain des  Barricades,  et  sur  les  deux  heures,  il  fit 
occuper  la  Bastille  par  Jean  Le  Clerc,  procureur  au  Par- 
lement et  capitaine  de  la  dizaine  de  la  rue  des  Juifs  '.. 
Laurent  Têtu,  chevalier  du  guet,  qui  commandait  la  for- 
teresse au  nom  du  roi,  ne  fit  pas  Tombre  de  résistance.. 
Alphonse  Omano,  qui  avait  sollicité  le  poste  de  gouver- 
neur, se  fût  défendu  tout  autrement.  Mais  le  chevalier  du 
guet  tenait  à  son  argenterie.  Il  quitta  Paris  dès  le  lende- 
main par  la  porte  Saint-Antoine  avec  quatre  bons  chevaux 
et  un  passeport.  Le  peuple  ne  vit  pas  d'un  bon  œil  le 
départ  d'un  fonctionnaire  détesté;  sa  propre  femme  lui 
reprocha  sa  h\cheté  en  termes  violents  '.  S'il  s'était  rendu 

1.  Relation  du  Bourgeois. 

'2.  L*EsTOiLE,  t.  III,  p.  147.  11  s'agil  de  Bussy  Le  Clerc. 

:t.  Helat.  du  Bourgeois.  De  Thou,  1.  X,  p.  269. 


362  PARIS   ET  LA   UGCE 

à  Charlies,  le  roi  Taurait  fait  pendre.  On  trouva  dans 
rintérieur  de  la  Bastille  de  grandes  quantités  de  farine, 
de  viande  salée,  de  vin  et,  sur  la  plate-forme,  quinze  ou 
seize  canons  braqués  sur  la  ville  et  chargés.  Le  cabinet 
du  roi,  qui  avait  été  placé  dans  la  citadelle,  fut  respecté, 
comme  la  vaisselle  plate  du  gouverneur.  Quelques  prison- 
niers politiques  furent  mis  en  liberté,  notamment  Tavocat 
Bamnus,  syndic  du  pays  d'Agénois,  que  le  roi  avait 
envoyé  à  la  Bastille  quatre  ans  auparavant  pour  avoir  eu 
le  verbe  trop  haut  dans  les  assemblées  de  Guyenne,  et  le 
marchand  Feuillet,  qui  ne  voulut  plus  se  séparer  de  la  clef 
de  son  cachot  et  prétendait  qu'on  Tavait  laissé  trois  jours 
sans  boire  ni  manger.  Bussy  Le  Clerc  porta  les  clefs  de  la 
porte  Saint-Antoine  au  duc  de  Guise,  qui  ne  voulut  pas  les 
recevoir,  mais  les  laissa  prendre  à  un  de  ses  gentils- 
hommes. Le  château  de  Yincennes  tomba  également  aux 
mains  des  ligueurs,  le  18  mai  ^  On  y  mit  une  garnison 
d'une  soixantaine  d'hommes,  qui  trouvèrent  la  place  abon- 
damment approvisionnée.  Toutefois  le  pillage  ne  fut  pas 
autorisé;  la  vaisselle  d'argent  et  une  grosse  somme  en 
espèces,  qui  se  trouvaient  à  Yincennes,  furent  mises  en  lieu 
sur.  Guise  fit  sceller  les  coffres  de  l'Hôtel  de  Ville  qui 
contenaient  les  recettes  municipales  et  promit  qu'un  quar- 
tier ou  deux  seraient  payés  aux  rentiers.  Les  prédicateurs 
devenaient  bénins  et  pacifiques.  Ils  cherchèrent  k  prévenir 
toutes  les  violences  envers  les  personnes.  Deux  soldats 
ayant  fait  quelques  prisonniers  sans  ordre,  le  duc  de  Guise 
fit  venir  les  deux  coupables  «  et,  à  la  chaude,  bailla  à 
chacun  d'eux   un  coup  d'épée  •  ».  Quant  à  Pereuse,  le 


1.  H.  Mabtin  (t.  X,  p.  77)  écrit  :  «  Le  17,  Vinceanes  capitala  ».  Or  on  lil 
dans  la  Relation  du  Bourgeois  de  Paris  que  «  le  lundy  oh  s'assura  de  l'Ar- 
senal, et  le  mercredy  ensuivant  du  chasteau  de  Vincennes,  etc.  ».  Le  mer- 
credi était  le  18  mai,  comme  il  est  facile  de  le  constater  en  parcourant  le 
journal  de  TEstoile. 

2.  Relat,  du  Bourgeois. 


GUISE  ET  PARIS  APRfiS  LES   BARRICADES  863 

prévôt  des  marchands,  il  courait  un  véritable  danger,  car 
sa  Kdélité  au  roi  ne  faisait  aucun  doute,  et  Ton  savait  qu'il 
était  de  ceux  qui  avaient  conseillé  au  roi  de  «  chastier  les 
meschans  ».  Il  était,  en  outre,  en  relations  intimes  avec 
M.  d'O  et  avec  d'Épernon,  qui,  lors  de  son  départ  pour  la 
Normandie,  avait  chaudement  recommandé  Pereuse  à 
Henri  III.  Afin  de  soustraire  le  prévôt  des  marchands  aux 
représailles  populaires,  on  Tarrèta  et  on  le  conduisit,  le 
dimanche  15  mai,  à  la  Bastille,  en  compagnie  de  quelques 
huguenots  ou  politiques.  Le  duc  de  Guise  s'était  montré 
fort  embarrassé  quand  les  capitaines  ligueurs  et  les  bour- 
geois «  armés  et  mutinés  »  lui  avaient  amené  le  prévôt, 
qu'ils  venaient  d'arrêter  à  son  domicile,  rue  Vieille-du- 
Temple.  Le  duc,  après  avoir  un  moment  conféré  avec  lo 
chef  de  la  municipalité,  l'avait  même  autorisé  à  rentrer 
chez  lui  ;  mais  Bussy  Le  Clerc  Talla  saisir  de  nouveau  et  lo 
conduisit  à  la  Bastille.  C*était  là  un  acte  grave,  qui  mettait 
la  Ligue  en  état  de  rébellion  ouverte  non  pas  seulement 
rontre  le  roi,  mais  contre  des  institutions  séculaires.  Aussi 
(iatherine,  malgré  sa  modération  affectée,  crut-elle  devoir 
protester  hautement  contre  la  violence  faite  au  premier  des 
magistrats  municipaux.  Guise  répondit  aux  réclamations 
de  la  reine  mère  :  «  S'il  vous  plaist,  madame,  qu'il  sorte, 
je  vous  l'iray  quérir  moi-mesmos  et  vous  le  ramènerai  par 
la  main;  mais  il  est  mieux  là  qu'en  sa  maison  et  plus  seu- 
rement  qu'en  lieu  où  vous  le  scauriez  mettre  *  ». 

L'arrestation,  préméditée  ou  non,  du  prévôt  des  mar- 
chands, laissait  le  champ  libre  aux  ligueurs  pour  installer 
leurs  créatures  à  l'Hôtel  de  Ville.  Aucune  résistance  n'était 
à  craindre  :  les  échevins  Le  Comte  et  Lugoly  avaient  suivi 
le  roi;  Sainct-Yon  '  était  malade  ou  feignait  de  l'être; 

1.  L'EsTOiLB,  t.  ni,  p.  150. 

2.  Db  Thoc  donne  quelques  déUils  intéressanls  sur  Sainct-Yon,  avocat 
au  ChAtelet.  Il  aurait  été  nommé  échevin  i>ar  la  protection  dn  roi,  et,  pan- 


364  PARIS   ET   LA   LIGUE 

Boiluard  n'avait  aucune  autorité.  Le  duc  de  Guise»  au  sur- 
plus, ne  perdit  pas  de  temps  et  ne  s'attarda  pas  à  discuter 
la  légalité  du  renouvellement  des  officiers  municipaux. 
Le  18  mai  1588,  une  grande  assemblée  fut  convoquée  à 
rilôtel  de  Ville.  La  composition  en  était  parfaitement 
irrégulière,  car,  au  lieu  de  convoquer  les  soixante-dix-sept 
électeurs  de  droit  (savoir  le  prévôt  et  les  éclievins,  les 
vingt-quatre  conseillers  de  Ville,  les  seize  quartiniers  et  les 
trente-deux  notables  choisis  par  le  grand  Bureau  '],  les 
chefs  de  la  Ligue  avaient  réuni  dans  la  grand' salle  de  la 
maison  commune  ce  que  Palma-Cayet  appelle  «  une 
assemblée  générale  du  peuple  »  et  ce  que  les  Registres  de 
la  Ville  '  nomment  plus  exactement  une  «  compagnie  de 
bons  bourgeois  catholiques  »,  ou,  pour  parler  net,  do 
ligueurs  dévoués.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  les  élec- 
tions du  18  mai  '  présentent  une  physionomie  toute  par- 
ticulière. Le  duc  de  Guise,  tenant  la  place  du  premier 
prince  du  sang,  le  cardinal  de  Bourbon,  qui  était  indis- 


dant  la  Journée  des  Barricades,  joua,  comme  on  Ta  vu  plus  haut,  un  rôle 
assez  équivoque.  Il  alla  plusieurs  fois  au  Louvre  avec  Jacques  Bellanger^ 
conseiller  au  Parlement  et  commandant  de  la  milice  du  quartier  de  la  place 
Maubert;  mais,  après  la  défaite  des  Suisses,  Sainct-Yon  conseilla  au  roL 
de  s'entendre  avec  le  duc  de  Guise  et  de  chevaucher  avec  lui  dans  Paris. 
On  trouva  le  conseil  suspect  (t.  X,  p.  269). 

1.  En  ce  qui  touche  la  composition  du  corps  électoral  qui  nommait  le 
prévôt  des  marchands  et  échevins,  voy.  Tordonnance  de  1450  sur  la  juridic- 
tion de  la  prévôté  des  marchands.  Nous  Tavons  analysée  dans  notre  Hist. 
munie,  de  Paris,  p.  247,  spécialement  sur  le  mode  de  désignation  des  bour- 
geois notables.  Voy.  (ibid.,  p.  455),  l'analyse  de  Tédit  de  mai  1554. 

2.  Rbo.  h,  1789,  fol.  127.  Nous  ferons  remarquer  que  nous  reprenons  ici 
la  série  des  Registres,  qui  n'a  pu  être  mise  &  profit  pour  tracer  le  tableau  de 
la  Journée  des  Barricades,  par  ce  motif  qu'il  y  a  dans  les  Registres  une 
lacune  regrettable,  depuis  le  12  jusqu'au  18  mai  1588.  Les  feuillets  120  à 
126  sont  en  blanc  dans  le  registre  original,  ce  qui  suppose  que  ces  feuillets 
ont  existé  sous  une  autre  forme.  Est-il  téméraire  de  supposer  qu'une  main 
puissante  a  fait  disparaître  ces  pages,  peu  flatteuses  pour  Tamour-propre 
royal?  Cixbbr  et  Dakjou,  au  t.  XI  de  la  1'*  série  des  Arch.  cur.,  p.  411, 
ont  reproduit  plusieurs  extraits  des  Registres,  depuis  le  18  mai  jusqu'au 
28  juillet  1588. 

3.  UEsTOiLB,  ordinairement  si  exact,  dit  par  erreur  que  ces  élections 
eurent  lieu  le  «  mardi  17*  ».  La  date  des  Registres  fait  foi;  elle  est, d'ailleurs^ 
confirmée  par  de  Thou. 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       365 

posé,  se  présenta  dans  la  grand'salle  de  THôtel  de  Ville 
avec  une  brillante  escorte  et  pria  rassemblée  d'élire  de 
nouveaux  officiers  municipaux   «   au   lieu   des    anciens, 
aulcuns  desquels  se  sont  absentés,  les  autres  sans  exercice, 
pour  estre  mal  vouUus  et  hays  du  peuple  &  Toccasion  des 
choses  naguëres  advenues  en  ladite  Ville  *  ».  Après  avoir 
joui  des  applaudissements  de  ses   partisans,    le   duc  se 
retira.  Aussitôt  après  son  départ,   l'assemblée   décida  à 
Tunanimité  qu'il  y  avait  lieu  de  procéder  aux  opérations 
électorales,  et  arrêta,  en  outre,  que  «  les  suffrages  seroient 
donnés  par  les  assistans  à  haulte  voix  pour  éviter  à  tous 
abbus  ».  C'était  un  moyen  assuré  de  prévenir  toute  sur- 
prise, mais  c'était  aussi  une  violation  des  vieilles  coutumes, 
qui   garantissaient  le   secret  du  vote.  On   remplaça   les 
quatre  scrutateurs  traditionnels  par  deux  bourgeois  «  com- 
mis et  députés  pour  tesmoignage  de  fidélité  au  recueille- 
ment des  voix  »,  et  il  ne  parait  pas  avoir  été  question  de 
serment  prêté   sur  le   tableau  juratoire   *.   Le  sieur   de 
Marchaumont,  ancien  ambassadeur   en   Angleterre,   an- 
cien chambellan  de  feu  Monsieur,  fut  élu  prévôt  des  mar- 
chands par  la  majorité  des  suffrages.  Les  électeurs  nom- 
mèrent échevins  Nicolas  Rolland,  général  des  monnaies, 
Jehan    de    Compans,   François   Costeblanche   et   Robert 
Desprès,   tous   bourgeois  de  Paris  •.  François  Brigard, 
avocat  au  Parlement,  fut  désigné  pour  remplir  les  fonc- 
tions de  procureur  du  roi  près  l'Hôtel  de  Ville,  en  rem- 
placement  de   Pierre   Perrot.  Mais    Marchaumont  ayant 


i.  RSG.  n,  1789,  ibid. 

2.  Voy.  notre  Hitt,  munie,  p.  458. 

3.  Db  Thou  (t.  X,  p.  269)  commet  une  erreur  en  disant  que  SainctrYon 
et  Bonnard,  ayant  convaincu  les  ligueurs  de  leur  fidélité,  furent  conservés 
dans  leurs  charges  d'échevins.  Le  texte  des  Registres  dit  le  contraire,  et 
TEstoile  explique,  avec  plus  de  précision  encore,  que  Costeblanche,  dra- 
pier, demeurant  rue  de  la  Tonnellerie,  fut  nommé  au  lieu  de  l'avocat 
Sainct-Yon  «  malade  »,  et  Robert  Desprès,  marchand  teinturier  de  la  pel- 
leterie, au  lieu  de  Bonnard. 


366  Paris  et  la  ligue 

refusé  les  fonctions  de  prévôt  des  marchands,  d'abord 
parce  qu'il  n'était  pas  Parisien  et  ensuite  à  cause  de  sa 
qualité  de  «  serviteur  et  conunis  domestique  du  seigneur 
de  Guise  '  »,  il  fallut  réunir  une  seconde  assemblée  et 
procéder  à  de  nouvelles  élections.  Cette  seconde  assem- 
blée eut  lieu  le  vendredi  20  mai  et  fut  beaucoup  plus  nom- 
breuse que  la  précédente.  Le  duc  de  Guise  s'y  rendit, 
accompagné  du  prince  de  Joinville,  son  fils  et  «  autres 
princes,  seigneurs  et  gentilshommes  ».  Il  fit  lire  par  le 
greffier  des  lettres  du  cardinal  de  Bourbon  qui  étaient  ainsi 
conçues  :  «  Messieurs,  ne  pouvant  aller  en  vostre  Hostel 
de  Ville,  à  cause  de  mon  indisposition,  j'ay  prié  M.  de 
Guyse,  mon  nepveu,  d'y  voulloir  aller  et  adviser  à  tout  ce 
qui  sera  besoing  pour  le  repos  de  ladicte  ville  et  des  gens 
de  bien,  soubz  le  bon  plaisir  et  aucthorité  du  roy  mon  sei- 
gneur ».  Le  duc  de  Guise  prit  ensuite  la  parole  et  déclara 
lui-même  que  le  sieur  de  Marchaumont,  «  pour  n'estre 
natif  de  ceste  ville  et  pour  estre  son  ami  domestique  »,  ne 
pouvait  accepter  la  charge  de  prévôt  des  marchands  sans 
contrevenir  aux  coutumes  et  privilèges  de  Paris.  Il  conclut 
en  priant  l'assemblée  d'élire  un  autre  prévôt  des  mar- 
chands. Plusieurs  proposèrent  alors  de  nommer  La  Cha- 
pelle-Marteau, qui  avait  eu  le  plus  de  voix  dans  la  dernière 
élection  après  M.  de  Marchaumont.  Guise  ayant  adhéré  à 
cette  motion,  La  Chapelle-Marteau  fut  «  nommé  et  confirmé 
tout  d'une  voix  et  par  acclamation  publicque  ».  Les  nou- 
veaux officiers  municipaux,  et  Brigard,  le  nouveau  pro- 
cureur de  la  Ville  *,  prêtèrent  ensuite  serment  sur  «  le 


1.  Rbo.  Ibid. 

2.  Etienne  Pasquier  fait  deux  remarques  importantes  au  sujet  de  la  cons- 
titution de  la  nouvelle  municipalité.  II  dit  d'abord  qu'on  ne  donna  pas  à 
Brigard  le  titre  traditionnel  de  Pt'octireur  du  roi  et  de  la  Villes  mais  simple- 
ment  celui  de  Procureur  de  la  Ville,  par  cette  raison  «  que  tous  les  estais 
de  THostel  de  Ville  estoient  populaires  et  qu'il  n'y  falloit  point  de  procu- 
reur du  roy  ».  Pasquier  ajoute  u  qu'en  toutes  ces  assemblées  de  Ville,  nul 
(le  messieurs  du  Parlement,  des  comptes  et  généraux  des  aides  n'a  esté 


GUISE  ET  PARIS   APRÈS  LES  BARRICADES  367 

livre  des  saincts  Évangiles  et  figures  de  la  mort  et  passion 
de  nostre  Sauveur  Jésus-Christ  »  que  leur  présenta  le  duc 
de  Guise.  Il  y  eut  un  remarquable  incident.  Nicolas  Rol- 
land, Tun  des  échevins  élus,  déclara  qu'il  ne  pouvait 
accepter  sa  charge  «  sinon  soubz  le  bon  plaisir  du  roy  et 
jusques  à  ce  que  aultrement  en  ayt  esté  ordonné  par  Sa 
Majesté  »  et  requit  acte  de  sa  déclaration.  La  Chapelle, 
Compans  et  Brigard  imitèrent  son  exemple.  Compans 
manifesta  à  son  tour  son  intention  de  ne  pas  prêter  serment 
si  Rolland,  qui  cependant  avait  eu  moins  de  voix  que  lui, 
refusait  d'accepter  le  titre  de  premier  échevin.  Rolland  finit 
par  accepter  cet  honneur,  non  sans  beaucoup  de  façons. 
Guise,  après  avoir  reçu  tous  les  serments,  délivra  à  La 
Chapelle  les  sceaux  de  la  Ville  et  enjoignit  aux  nouveaux 
élus  «  de  bien  et  deuement  exercer  leurs  charges  et  y 
servir  fidèlement  Sa  Majesté  et  le  publkq  *  ». 

La  municipalité  ligueuse  montra  immédiatement  de  quelle 
façon  elle  entendait  respecter  la  volonté  du  roi  en  desti- 
tuant «  tous  les  présidents,  conseillers  et  officiers  du  roy 
qui  avoient  esté  créés  colonels  et  capitaines  Tan  1585  '  ». 
On  les  remplaça  par  des  hommes  de  bas  étage  dévoués  à 

délégué  pour  s'y  trouver  ».  Lettres,  liv.  XIl,  I.  6,  édil.  d'Amsterdam,  1723, 
2  vol.  in-fol.,  t.  II,  p.  338. 

1.  Rbg.  h,  1789.  Ibid,  11  est  à  remarquer  que  le  Parlement  rerusa  d'en- 
voyer aucun  délégué  aux  deux  assemblées  qui  remplacèrent  la  municipa- 
lité ré;;ulière.  Si  l'on  en  croit  le  récit  du  président  du  Vair  (manuscrit  de 
Dupuy,  n<>  661),  Guise,  étant  allé  au  palais  avec  le  cardinal  de  Bourbou, 
pour  arracher  aux  magistrats  la  consécration  de  la  révolution  municipale» 
se  troubla  au  point  d'en  perdre  la  parole  et  s'attira  une  foudroyante 
réplique  du  premier  président,  qui  lui  dit  :  «  Pour  cette  compagnie,  elle  est 
assise  sur  les  fleurs  de  lis,  et,  étant  établie  par  le  roi,  elle  ne  peut  respirer 
que  pour  son  service  :  nous  perdrons  trestous  plutôt  la  vie  que  de  fléchir  à 
rien  de  contraire  ».  Palma-Caykt,  Introd.  à  la  ChronoL  nov.f  dit  que  la 
reine  mère  reçut  le  serment  des  nouveaux  officiers  municipaux  «  et  les 
eut  pour  agréables  ».  Ce  fait  important  n'est  pas  consigné  dans  les  Registrey 
de  la  Ville, 

2.  Palma-Gatet,  Itfid.  Cet  historien  dit  avec  précision  :  «  Du  consente- 
ment du  duc  de  Guise,  la  première  chose  qu'ils  firent  {les  ligueurs),  ce  fut 
de  changer  les  colonels,  capitaines  et  quarteniers  qui  n'estoient  de  leur 
faction  «.  Le  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant  constate  que  Catherine 
s'opposa  vainement  &  ces  destitutions. 


368  PARIS  ET   LA   LIGUE 

la  faction  des  Seize.  Il  n*y  eut  aucune  résistance,  mais  Ir 
peuple,   tout  en  obéissant  aux  nouveaux  officiers  de  la 
milice,   ne  tarda  pas  à  les  tourner  en  dérision  et  à  les 
appeler,  suivant  le  métier  qu'ils  exerçaient  :  «  capitaines 
•de  la  morue,  capitaines   de  Taloyau   ».    Les  vainqueurs 
-complétèrent  Toccupation  de  Paris  on  mettant  la  main  sur 
la  justice  du  Chàtelet,  oii  les  causes  se  jugeaient  en  pre- 
mière instance  et  qui  connaissait  des  contraventions  à  la 
police  municipale.  La  charge  de  lieutenant  particulier  fui 
donnée  à  La  Bruyère,  qui  avait  pris  une  si  grande  part  à  la 
formation  de  la  Ligue  :  quant  à  Autruy  Séguier,  lieutenant 
général  civil,  chef  de  la  justice  du  Châtelet,  il  resta  sourd 
à  toutes  les  avances  et,  quand  les  ligueurs  firent  succéder 
les    menaces   aux   caresses,   il   quitta   Paris    pour    aller 
rejoindre  le  roi.  La  Sorbonne  et  l'Université  furent  aussi 
Tobjet  d'une  épuration  :  Boucher  et  les  jeunes  docteurs 
n'eurent  pas  de  peine  à  y  prendre  une  influence  absolue  *. 
Maître  incontesté   de  Paris,  le  duc  de  Guise  pouvait 
ou  bien  se  mettre  en  lutte  ouverte  avec  le  roi  ou  bien 
entamer  avec  lui  des  négociations.   Il  débuta  par    une 
guerre  de  plume  à  laquelle  s'associa  la  nouvelle  munici- 
palité de  la  capitale.  Dès  le  17  mai,  le  duc  adressait  au  roi 
à  Chartres  une  lettre  curieuse  où  il  essayait  de  justifier  sa 
conduite.  Rappelant  les  «  faux  bruits  et  calomnies  dont 
Ton  usait  pour  entretenir  toujours  Sa  Majesté  en  défiance 
de  lui  »,  les  mesures  violentes  prises  par  le  roi,  notamment 
l'introduction  de  soldats  étrangers  dans  Paris,  il  soutient 
«  qu'il  n'a  jamais  tant  craint  que  de  déplaire  au  roi  »,  et 
qu'il  Ta  bien  prouvé  «  en  contenant  le  peuple  »,  en  l'empê- 
chant «  de  venir  aux  effets  »,  en  sauvant  les  Suisses  et  les 
officiers  des  gardes.  Il  affirme  que  le  départ  du  roi  lui  a 
causé  «  un  des  plus  grands  déplaisirs  qui  lui  pouvoienl 

1.  Palma-Cayet,  lOid. 


GUISE  ET  PARIS  APRES  LES  BARRICADES  369 

advenir  »,  car  il  a  ainsi  «  perdu  Toccasion  d'accommoder 
toutes  choses  à  son  contentement  »  ;  en  terminant  il  promet 
«  de  se  comporter  en  très  fidèle  sujet  et  serviteur  utile  *  ». 
Mais  ce  n'était  là  qu'un  langage  diplomatique.  Dans  les 
lettres  qu'il  écrivait  à  ses  amis,  le  duc  de  Guise  ôtait  son 
masque  et  prenait  le  ton  glorieux  d'un  vainqueur.  Accusant 
nettement  Henri  III  d'avoir  provoqué  les  catholiques,  alors 
que  lui,  Guise,  était  venu  «  baiser  les  mains  de  Sa  Majesté, 
ne  portant  autre  sauf-conduit  que  ses  services  »,  le  duc 
avoue  qu'il  «  a  mis  de  Tordre  »  dans  l'émeute,  mais 
qu'après  la  victoire  il  a  sauvé  neuf  cents  Suisses  et  par- 
couru Paris  jusqu'à  deux  heures  du  matin,  «  priant,  sup- 
pliant, menaçant  le  peuple,  si  bien  que,  par  la  grâce  de 
Dieu,  il  ne  s'ensuivit  aucun  meurtre,  massacre,  pillerie, 
ni  perte  d'un  denier,  ni  d'une  goutte  de  sang  ».  Il  met  tous 
les  torts  à  la  charge  du  roi  et  de  ses  courtisans,  car  le 
peuple  que  «  Dieu  avoit  miraculeusement  excité  à  courir 
unanimement  aux  armes  »  n'avait  pu  contenir  sa  fureur, 
«  pour  avoir  vu  vingt  potences  prêtes  avec  quelques  écha- 
fauds  »  et  les  exécuteurs  de  justice  qui  devaient  frapper 
cent  à  cent  vingt  personnes  qu'on  nommait  et  dont  le  duc 
aime  mieux  «  laisser  deviner  qu'écrire  »  les  noms.  Puis,  la 
joie  du  triomphe  éclate  :  «  Je  ne  vous  puis  celer  combien, 
de  contentement  m'apporta  cette  grâce  immense  de  Dieu.  » 
Il  se  vante  «  d'avoir  pu,  mille  fois,  s'il  l'eût  voulu,  arrêter 
le  roi  »  ;  mais  il  ajoute  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que  j'y  aie  jamais 
songé  »  !  Certes  il  n'ignore  pas  que  le  roi  «  depuis  son  par- 

1.  Mém.  de  la  Ligue,  t.  U,  p.  331,  et  Preuves  de  la  SaL  Mén.,  t.  III,  p.  76. 
Êdit.  de  Ratisbonne,  1752.  La  même  lettre  a  été  réimprimée  au  t.  XI, 
l'«  série  des  Arch,  cur.  de  Cimbbi  et  Danjou,  p.  449.  Palma-Gaybt,  parlant 
de  la  lettre  du  duc  au  roi  et  de  celle  que  Guise  adressa  à  ses  amis,  assure 
«  que  ces  lettres  ne  furent  si  tost  publiées  et  imprimées  que  le  duc  de 
Guise  eust  voulu  les  retenir  en  son  cabinet  :  le  commissaire  Louchart  fut 
employé  pour  en  soliciter  la  déffense;  il  meine  les  imprimeurs  et  ceux  qui 
les  Tendoient  prisonniers.  Il  fut  toutefois  comme  contraint  de  les  laisser 
vendre,  puisqu'aussi  bien  il  ne  retenoit  pas  les  copies  qu'il  avoil  luy-mesme, 
•iree  le  conseil  des  Seize,  envoyées  hors  et  dedans  le  royaume  »• 

ROBIQUET.  24 


370  PARIS   ET  LA  LIGUE 

tementy  a  quelque  autre  conseil  et  aigreur  ».  Mais  le  roi 
s'adoucira  :  Guise  a  <c  T Arsenal,  la  Bastille  et  les  lieux  forts 
entre  ses  mains...  et  si  le  mal  continue,  il  espère  par  les 
mêmes  moiens  conserver  ensemble  et  la  religion  et  les 
catholiques,  et  les  dégager  de  la  persécution  que  leur  pré- 
paroient  les  confédérés  des  hérétiques  auprès  du  roi  *  ». 

Suivant  l'exemple  du  duc  et  certainement  d'accord  avec 
lui,  les  nouveaux  magistrats  de  THôtel  de  Ville  adressèrent 
au  roi  une  lettre  officielle,  datée  du  22  mai.  Elle  est  fort 
courte  et  assez  insignifiante.  On  y  découvre  cependant  une 
intention  ironique  quand  elle  établit  une  corrélation  entre 
la  prospérité  des  affaires  et  Tamour  que  les  Parisiens  por- 
tent à  leurs  rois;  puis,  lorsqu'elle  constate  que  le  navire 
symbolique  de  la  Ville  «  a  passé  légèrement  »  sur  les 
écueîls  qu'il  a  rencontrés  «  au  milieu  de  sa  navigation  en  la 
personne  de  ceulx  qui  approchoient  les  princes  '  ».  Le  len- 
demain 23  mai,  de  concert  avec  le  cardinal  de  Bourbon  et 
le  duc  de  Guise  qui  mirent  leurs  signatures  à  côté  des 
leurs,  la  Chapelle-Marteau,  Rolland,  Compans  et  Coste- 
blanche  '  rédigèrent  et  transmirent  une  «  requête  au  roi  », 
qui  est  un  document  de  plus  longue  haleine  et  constitue 
comme  un  programme  des  revendications  de  la  Ligue 
après  la  victoire  *. 


1.  Mém,  de  la  Ligue,  Ibid.,  p.  334.  —  Sat.  Ménip.,  Preuves^  L  HI,  p.  19.  Les 
Mém,  de  la  Ligue,  p.  337,  donnent  aussi  une  lettre  circulaire  que  le  duc 
de  Guise  écrivit  le  17  mai  «  aux  manans  et  habitans  des  villes  du  rolaume 
de  France  qui  sont  de  la  religion  romaine  ».  Tout  en  se  montrant  respec- 
tueux pour  le  roi,  Guise  engage  les  catholiques  des  villes  de  province  «  de 
ne  laisser  être  faite  aucune  altération  dans  leur  ville,  et  de  ne  pas  prêter 
leurs  demeures  pour  servir  d'arsenal  aux  passions  inconsidérées  de  quel- 
ques-uns qui  seroient  bien  aises,  sous  prétexte  du  service  du  roi,  de  dresser 
une  armée  dans  leurs  murailles  et  possessions...  » 

2.  Rbg.  db  la  V.  h,  1789,  fol.  139.  —  FéuBisir,  t.  V,  p.  445.  —  Arch.  cur,, 
t.  XI,  p.  433. 

3.  Le  quatrième  échevin,  Robert  Després,  n'a  pas  signé  la  requête  au  roi 
dont  il  s'agit. 

4.  Rbg.  db  la  V.,  fol.  133.  —  Arch,  cur.,  t.  XI,  p.  422.  —  Mém,  de  la  Ligue, 
l.  n,  p.  34  —  La  requête  fut  présentée  au  roi,  à  Chartres,  par  une  députation 
que  conduisait  la  reine  mère  elle-même,  si  Ton  en  croit  Palma-Cayet.  Cet 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       371 

C'est,  on  le  pense,  sur  le  terrain  «  de  Thonneur  de  Dieu 
1*1  conservation  de  son  Église  »  que  se  placent  les  ligueurs 
parisiens.  Ils  font  remarquer  au  roi  avec  une  ironie  cruelle 
qu'après  «  les  grandes  victoires  qu'il  a  pieu  à  Dieu  lui 
donner  »,  il  lui  est  très  facile  d'arracher  «  la  mauvaise 
plante  d*hérésie  qui  a  faict  naistre  en  ce  royaume  tant  de 
doHMnageables  rcjeltons  ».  Mais  c'est  M.  de  Guise  qu'il 
faut  charger  de  l'opération.  Sans  doute,  le  roi  a  d'excel- 
lentes intentions,  mais  les  bons  yeux  des  ligueurs  recon- 
naissent «  quelques  empeschemens  qui  peulvent  non  seu- 
lement traverser  son  sainct  désir,  mais  encore  amener 
ung  jour  la  subversion  de  la  religion  catholique  et  de 
TEstat  de  ce  royaume  ».  Les  principaux  s'appellent  le  duc 
d'Épernon  et  le  sieur  de  La  Vallette  son  frère,  que  la 
France  et  la  chrétienté  reconnaissent  comme  «  les  princi- 
paux fauteurs  et  suposts  des  hérétiques  ».  Et  les  chefs  de 
la  Ligue  parisienne  font,  à  leur  manière,  la  biographie  de 
cet  horrible  d'Épernon  d'où  vient  tout  le  mal.  Ils  l'accusent, 
ainsi  que  son  frère,  de  haïr  les  catholiques,  d'avoir  favo- 
risé la  retraite  des  reîtres,  et  surtout  «  d'avoir  ravy  et  mis 
en  leurs  coffres  toutes  les  finances  de  France  ».  Après 
avoir  engagé  le  roi  à  prendre  conseil  sur  ce  point  «  de  la 
royne  sa  mère  qui,  par  la  prudence  de  laquelle  elle  a  usé 
au  gouvernement  de  cest  État,  par  le  rang  qu'elle  tient, 
s'est  acquise  assez  de  puissance  de  parler  franchement  des 
choses  »,  les  auteurs  de  la  requête  somment  nettement 
Henri  III  de  bannir  d'Épernon  et  son  frère  et  de  leur 
enlever  leurs  charges  et  leurs  gouvernements.  Alors  tout 
ira  beaucoup  mieux  :  on  pourra  poursuivre  la  guerre  en 
Guyenne  contre  les  hérétiques,  tandis  que  la  reine  mère 
«  tiendra  les  choses  très  tranquilles  »  à  Paris  et  que  le  duc 
de  Mayenne,  de  son  côté,  se  portera  au  secours  des  catho- 

écrivain  donne  (Introd.  Chron,  nov.,  p.  33)  la  harangue  de  la  députation  au 
roi  et  analyse  le  conlenn  de  la  requête. 


372  PARIS  ET   LA  LIGLE 

liques  dans  le  Dauphiné.  Déban*assé  des  courtisans  qui  le 
ruinent,  le  roi  sera  en  mesure  d*alléger  le  poids  des  impôts 
et  d'abolir  les  édits  fiscaux  de  récente  création  ;  bref,  de 
supprimer  tous  les  abus.  Puis  vient  le  chapitre  des  ré- 
formes qui  intéressent  spécialement  la  capitale  :  «  Pour 
ce  qui  concerne  vostre  bonne  Ville  de  Paris,  Sire,  vos  très 
humbles,  très  obéissans  et  très  fidèlles  subjets  les  bour- 
geois et  habitans  d'icelle,  et  nous  avecq  eulx,  oultre  ce  que 
dessus,  vous  supplions  en  toute  humilité...  qu'il  vous 
plaise  croire  qu'en  tout  ce  qui  s'est  passé  ces  derniers 
jours,  ils  n'ont  jamais  eu  volonté  ny  intention  de  se  départir 
de  la  vraie  obéissance  que  les  subjetz  doivent  à  leur  roy.  h 
Ce  qui  n'empêche  pas  les  fidèles  sujets  qui  ont  été  très 
calomniés  auprès  de  Sa  Majesté  de  lui  demander  «  seureté 
de  pouvoir  cy-après  vivre  en  Iranquilité  et  repos  »,  et, 
pour  commencement,  ils  réclament  le  congé  de  M.  d'O  et 
expriment  le  désir  formel  «  qu'il  se  desparte  doresnavant 
du  maniement  des  affaires  de  la  Ville  et  commandement 
en  icelle,  pour  quelques  raisons  qu'ilz  ayment  mieulx  taire 
que  publier,  si  Sa  Majesté  ne  le  commande  ».  Les  Pa- 
risiens prient  également  le  roi  d'approuver  le  remplace- 
cément  des  anciens  prévôt  des  marchands  et  échevins  par 
les  nouveaux  magistrats  que  «  le  corps  des  habitans  »  u 
mis  pour  deux  ans  en  leur  place.  «  Autrement,  disent  les 
ligueurs,  la  Ville  ne  pouvoit  estre  disposée  à  la  tranquilité 
que  Votre  Majesté  y  désire.  »  Quant  à  l'avenir,  on  reven- 
dique la  restauration  des  libertés  municipales,  l'abolition 
de  la  vénalité  des  offices  qui  depuis  quelque  temps  s'était 
intronisée  à  l'Hôtel  de  Ville. 

Il  faut  que  désormais  «  vaccation  advenant  par  mort  ou 
forfaiture  desditz  officiers,  tant  des  conseillers  de  Ville 
que  quarteniers  et  autres,  il  y  soit  pourveu  par  eslection, 
pour  en  joyr  par  lesditz  esleus  durant  deux  ans,  ou  tel 
aultro  temps  qu'il  sera  advisé  pour  le  mieulx;  et,  ce  temps 


GLISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       l^Ti 

4\\piré,  sera  proceddé  à  de  nouvelles  esleclions,  selon  qu'en 
avez  esté  cy-devant  requis  par  plusieurs  fois  ».  Les  ligueurs 
parisiens,  en  terminant  leur  requête,  supplient  le  roi 
«  quand  il  luy  plairoit  retourner  en  ceste  ville  »  de  n'ame- 
ner avec  lui  que  ses  gardes  ordinaires,  et  de  tenir  éloi- 
gnées les  autres  troupes  d'au  moins  douze  lieues  de  la 
<*apitaIo. 

C'était  sur  ce  ton  menaçant  et  superbe  que  les  Parisiens 
<it  leurs  chefs  parlaient  au  roi  de  France,  humilié  et  presque 
déchu.  Ils  adressèrent  en  même  temps  aux  villes  catho- 
liques une  série  de  lettres  pour  célébrer  la  victoire  de  la 
Ligue  et  jeter  les  bases  d'une  sorte  de  fédération  contre 
les  ennemis  de  la  religion.  Plusieurs  de  ces  lettres  sont 
déjà  connues  et  publiées  *,  mais  d'autres,  et  non  des  moins 
curieuses,  sont  encore  inédites.  Pour  donner  une  idée  du 
ton  et  de  l'esprit  de  ces  correspondances  municipales,  nous 
Tie  reproduirons  que  la  circulaire  uniforme  que  l'Hôtel  de 
Ville  de  Paris  adressa  le  28  mai  1588  aux  villes  de  Rouen, 
Troyes  et  Sens  *.  Au  point  de  vue  commercial,  la  Ville  de 

1.  CiMBBR  et  Danjou,  Arch»  cur.,  t.  XI,  !'•  série,  p.  436,  ont  reproduit, 
d'après  les  registres  de  la  Ville  H,  1789,  fol.  141,  une  lettre  de  la  munici- 
palité de  Paris  à  celle  de  Lyon  en  date  du  26  mai  1388.  Elle  se  trouve  aussi 
imprimée  dans  les  Preuves  de  Félibien,  t.  V,  p.  443.  —  Félibien,  ibid,,  p.  446, 
a  donné  aussi,  d'après  le  registre  H,  1789,  fol.  130,  une  lettre  de  la  munici- 
palité de  Paris  à  celle  de  Tours,  en  date  du  8  juin.  —  Capbfioue,  dans  son 
livre  intitulé  :  la  Ligue  et  Henri  /F,  a  publié  des  lettres  de  THôtel  de  Ville  de 
Paris  aux  magistrats  municipaux  de  Montereau,  d'Orléans,  et  des  réponses 
des  échevins  d'Amiens  et  d'Abbeville  qui  font  acte  d'adhésion  à  la  Ligue 
des  villes  catholiques, 

2.  «  A  messieurs  les  maire  et  eschevins  de  la  ville  de  Rouan.  Pareilles  à 
messieurs  les  bourgeois,  manans  et  habitans  de  la  ville  de  Troyes,  du 
XXX  may  1388;  aultres  pareilles  lettres  aux  maire  et  eschevins  de  la  ville 
de  Sens  ».  «  Messieurs,  sy  les  malheurs  procçdans  de  la  désunion  des  Fran- 
çois n'estoient  congneus  à  ung  chacun,  ne  sçavoit  que  la  racine  en  est 
extraicte  des  hereticques  et  pullule  maintenant  par  leurs  confederez  et 
associez  qui  par  ruses  et  artiffices  veullent  rendre  le  party  des  catholicques 
si  foible  par  leur  discussion  qu'avec  le  temps  ilx  puissent  parvenir  à  nostre 
entière  ruyne,  si  les  effectz  de  telz  dcsscings  ne  nous  en  faisoient  saiges  ; 
nous  ne  serions  esbahis  comme  nous  sommes  d'ouyre  dire  que,  tout  à  coup 
et  sans  congnoissance  de  cause,  on  vous  veull  persuader  de  rompre  avec 
410U6  le  commerce  par  lequel  nous  avons  eu  ensemble  telle  communaulté 
que  noz  affaires  <ont  parmy  plusieurs  sy  annexes  et  conjoinofeF  que  tnfailli- 


374  Paris  et  la  ligue 

Paris  invoque  la  nécessité  de  maintenii'  des  relalious 
d'affaires  ([ui  ont  existé  de  tout  temps  entre  Paris  et  les 
autres  cités,  relations  dont  la  rupture  causerait  une  ruine 
générale;  ou  point  de  vue  politique,  la  municipalité  pari- 
sienne prend  violemment  à  partie  le  «  pernicieux  conseil 
du  roy  »  qui,  après  avoir  déchaîné  la  guerre  sur  la  capitale, 
vise  à  troubler  Tordre  établi  de  toute  antiquité  dans  le 
royaume,  met  le  feu  aux  quatre  coins  de  la  France,  ôte 
leurs  dignités  aux  grands  officiers  de  la  couronne  et  est 


blement  la  ruyne  des  ungs  attire  après  elle  la  ruyae  des  aullres,  et  sans 
lequel  vous  confesserez  que  sy  aisément  ne  feussiez-nous  en  la  commodité 
qui  tient  voz  ayses  jusques  icy,  pour  n'avoir  Toraige  encores  esté  jusquesà 
vous,  nous  rooongnoissons  vivement  ung  mesme  Dieu,  une  mesme  foy  et  ung 
mesme  roy,  nous  protestons  d^y  voulloir  vivre  et  mourir,  et  ne  prétendons 
privileiges  ou  franchisic  que  celles  que  nous  sommes  légitimement  acquises, 
sy  ce  qui  s'est  passé  depuis  quinze  ou  seize  jours  en  ça  a  esté,  comme  beau- 
coup d'aultres  choses,  tant  artificiellement  desguysé,  le  mal  qui  en  pro- 
viendra ne  se  doibt  prendre  particulier  à  nostre  ville.  Le  pernicieux  con- 
seil du  roy,  qui  a  recongneu  sa  faultc  en  nous  prostituant  à  une  sédition 
et  sac  de  nostre  ville  dont  il  a  pieu  à  Dieu  seul  par  sa  bonté  préserver  ses 
bons  et  fldelles  serviteurs,  ne  veult  cesser  de  dissiper  Tantien  ordre  estably 
en  ce  royaume;  et  comme  désespéré  de  veoir  seullcment  esmouvoir  les 
plainctes  du  peuple  françois  contre  soy,  il  vouldroit  par  quelque  moien  que 
ce  feust  avoir  mis  le  Teu  aux  quatre  coings  du  royaume  pour  ne  faire 
qu'une  ruyne  des  bons  et  des  mauvais,  tant  ilz  se  sentent  coulpables  des 
crimes  qui  leur  sont  imputez,  pour  lesquelz  sy  toute  la  France  a  paty,  sy 
les  grands  ont  esté  deschassez,  sy  les  officiers  de  la  couronne,  de  la  jus- 
tice et  de  la  police  ont  esté  changez  et  corrompus  par  argent,  par  mes- 
routentement  et  aultres  voyes,  et  sy  tout  le  peuple  a  esté  mangé  jusques 
aux  os  pour  engraisser  ung  si  petit  nombre  de  gens  qui  ne  se  peulvent 
encores  rassasier  et  assouvir,  est-il  raisonnable  que  Paris  seul  porte  le 
faix  du  restablissement,  et  qu'ayant,  comme  la  première  et  capitalle  ville 
du  royaume,  commencé  à  le  demander  par  très  humble  requesle  à  leur 
roy,  elle  soit  en  cause  sy  juste  abandonnée  de  toutes  les  aultres  qui  n'y 
ont  nioings  d*intérest  ù  ceste  réformation?  Non,  elle  ne  le  sera  pas  ainsy. 
Mais  d'ouyr  maintenant  dire  que  la  ville  de  Sens,  qui  tient  au  cœur  de  ce 
royaume  ung  rang  notable  des  bonnes  villes,  se  vouUust  séparer  ou  se 
mettre  à  Tabry  et  aux  escouttes,  pendant  que  les  aultres  travaillent  à  ung  si 
sainct  euvre,  ce  seroit  chose  monstrueuse,  et  plus  encores  de  la  veoir  pour 
telle  occasion  rendre  partie  et  unie  à  celle  qui  luy  est  la  plus  utille,  voire 
nécessaire  de  toutes  les  aultres,  nous  ne  demandons  rien  pour  nous  en 
particullier,  nous  demandons  pour  vous  et  pour  toutes  les  aultres  villes, 
voire  pour  tout  le  royaume;  du  fruict  que  nous  en  espérons,  nous  n'en 
prendrons  plus  de  part  que  vous  et  y  ont  tous  les  gens  de  bien  ung  pareil 
et  commung  interest.  Que  si  par  lesdictz  artifices  on  vous  desguysé  nos 
prétentions,  patience  du  moings  que  vous  soiez  bien  informez  de  la  vérité 
et  sachiez  quelle  est  nostre  requeste,  et  en  ce  que  vous  trouverez  à  redire» 
refusez  vostre  assistance,  mais  précipitamment  ne  vous  rendez  pas  con- 


GUISE  ET   PARIS   APRÈS  LES   BARRICADES  378 

cause  que  «  tout  le  peuple  a  esté  mangé  jusque»  aux  os 
pour  engraisser  ung  petit  nombre  de  gens  qui  ne  se  peul- 
vent  encore  rassasier  et  assouvir  ».  Paris  ne  trouve  pas 
juste  de  supporter  seul  le  poids  de  la  résistance  et  demande 
le  concours  des  bonnes  Villes  catholiques,  on  faisant  valoir 
que  la  capitale  est  le  centre  de  Tadministration  du  pays, 
le  siège  de  ce  Parlement  qui  homologue  tous  les  édits  et 
statuts,  le  grand  marché  de  tous  les  commerçants  de 
France,  le  foyer  intellectuel  qui  attire  toute  la  jeunesse 
du  pays.  En  terminant,  les   magistrats  parisiens   prient 

Iraire  ou  eiincmy  de  vos  amys.  Pensez  à  plus  d'une  fois  desquelz  membres 
est  composé  le  corps  de  Paris,  que  la  court  la  plus  souveraine  des  parle- 
mens,  la  court  des  Pairs,  unicque  en  France,  est  celle  de  nostre  Ville  ;  qu'en 
icelle  doivent  estre  osmologuez  les  ecdictz  et  slatutz,  plus  important  que 
la  négociation  et  commerce  d'entre  nous  et  vous.  Pensez  encores  combien 
il  y  a  de  communaultez  entre  les  marchans  de  voslre  ville  et  la  nostre  et 
à  ung  plus  chair  dépost  que  nous  avons  de  vous  par  les  coUeiges  de  cesle 
ville  où  vous  ne  vouldriez  desnier  à  vos  enlTantz  ce  que  l'on  vous  veult  et 
'  aux  aultres  villes  persuader  de  nous  desnier,  par  les  vivres  et  aullres  com- 
moditez  desquelles  de  tout  temps  nous  nous  sommes  secourus  réciproque- 
ment; et  pour  ne  vous  laisser  du  tout  en  suspens  de  ce  qui  s^esi  passé  par 
deçà  et  sur  quoy  ledict  mauvais  conseil  fonde  et  exige  soubz  main  des 
causes  artificielles  pour  faire  faire  en  cachette  ce  qu'il  n'ose  ordonner  pu- 
blicquement,  nous  ne  vous  représenterons  que  Tunion  admirable  et  comme 
infuze  spirituellement  n  par  tous  nos  concitoyens  pour,  soubz  la  bonté  de 
Dieu,  nous  préserver  de  la  tirannye  en  laquelle  ce  malheureux  conseil  vou- 
loit  prostituer  les  plus  fidelles  et  respectueulx  snbjectz  du  roy  nostre  sou- 
verain Seigneur,  pour  le  service  duquel  nous  protestons  derechef  vouer 
en  perpétuelle  dévotion  de  sacriffice  noz  vies,  nus  enfîans  et  noz  biens, 
en  l'obéissance  et  fidellité  que  Dieu  nous  commande  de  luy  porter.  Et 
cependant  vous  prions,  s'il  vous  demoure  quelque  scrupule  de  noz  actions, 
que  par  la  conférance  qui  nous  est  aysée,  pour  estre  si  voisins  que  nous 
sommes,  vous  en  soiez  esclaircis,  sans  vous  despartir  d'ung  seul  poinct 
de  nostre  antienne  et  invétérée  amityée,  association  et  commerce;  nous 
mandant  sur  ce  de  voz  nouvelles  par  le  porteur  de  la  présente  qui  vous 
pourroit  rendre  compte  d'aultres  particularitez  que  désirez  sçavoir.  Mes- 
sieurs, nous  estans  en  cest  endroict  très  affectueusement  recommandez  à 
vos  bonnes  grâces,  nous  prions  Dieu  vous  donnez  en  très  parfaicte  santé 
très  longue  et  très  heureuse  vye.  Du  bureau  de  la  Ville  de  Paris,  le 
XXVIU*  may  1588  ».  Vos  très  affectionnez  frères  et  amys  les  prévost  des 
marchans  et  eschevins  do  la  Ville  de  Paris  ».  Req.  H,  1789,  fol.  143.  Une 
autre  lettre,  datée  du  30  mai  1588  et  adressée  par  les  prévost  des  mar- 
chands et  échevins  de  la  ville  de  Paris  à  a  Messieurs  les  maire  et  esche- 
vins  de  la  ville  de  Chaaions,  aussy  aux  maire  et  eschevins  de  la  ville  de 
Reims,  et  aussy  aux  maire  et  eschevins  de  la  ville  d'Amiens.  Pareilles  aussy 
à  messieurs  les  maire  et  eschevins  de  la  ville  de  Montdidier  »,  diffère  peu 
de  la  précédente.  Nous  nous  bornons  à  en  analyser  au  texte  les  passages 
les  plus  intéressants. 


376  PARIS   ET  LA   LIGLE 

leurs  collègues  de  se  mettre  en  relation  avec  eux  et  de 
demander  tous  les  éclaircissements  nécessaires  au  porteur 
de  la  circulaire. 

Dans  la  lettre  adressée  aux  municipalités  de  Chàlons,  do 
Reims,  de  Montdidier,  d'Amiens,  sous  la  date  du  30  mai, 
la  Ville  de  Paris  développe  des  considérations  analogues. 
Il  faut  toutefois  citer  un  passage  de  cette  seconde  circu- 
laire où  les  membres  de  la  nouvelle  municipalité  ligueuse 
exposent  les  raisons  qui  les  ont  portés  à  supprimer  révolu- 
lionnairement  les  magistrats  en  fonction,  ainsi  que  beau- 
coup de  capitaines  de  quartier  :  «  Que  sy  les  mesmes 
magistrats  du  corps  de  ceste  Ville  estoient  encore  à  leur 
authorité,  nous  sçavons  qu'il  seroit  fort  malaisé  et  peut- 
être  impossible  de  les  faire  condescendre  à  nostre  rcqueste, 
pour  avoir  esté  les  ungs  d'eulx  tellement  entachez  d'hé- 
résie que  leurs  œuvres  ont  tousiours  faict  paroistre  combien 
ilz  inclinent  de  ce  costé-là;  les  aultres  guaignez  et  corrom- 
pus de  la  faveur  d'ung  siècle  sy  misérable,  cela  nous  a 
meu  de  procedder  à  nouvelle  eslection  d'ung  prévost  des 
marchans  et  eschevins,  et  d'ung  procureur  de  ville,  et 
mesmes  des  cappitaines  de  quartiers  où  nous  avons  pensé 
la  nécessité  le  requérir,  espérant  par  ce  moyen,  désormais 
diriger  noz  actions,  de  telle  sorte  que  Dieu  les  bénice,  le 
roy  en  soit  plus  fidellement  servy  et  le  peuple  mieulx 
asseuré  et  aullrement  souUaigé  qu'il  ne  Pauroit  esté  par 
telz  magistratz  *.  »  Il  y  a  aussi  quelque  intérêt  à  relever 
dans  le  document  auquel  nous  faisons  allusion,  la  préten- 
tion des  administrateurs  parisiens  de  donner  le  mot  d'ordre 
à  toute  la  France.  «  Comme  de  toute  partye  au  moins  où 
Dieu  a  conservé  les  catholiques  en  leur  estât,  Ton  nous  a 
plusieurs  fois  faict  entendre  que  selon  les  déportementz 
de  Paris,  toutes  les  aultres  villes  s'y  conduiroient,  qui  nous 

1.  Kkg.  h,  1189,  iijid. 


GUISE  ET  PARIS   APRÈS  LES  BARRICADES  377 

a  faict  vous  prier  fort  afTectueuscment  vouloir  adviser  à 
establir  un  bon  ordre  pour  le  gouvernement  de  vostre 
ville...  »  La  devise  que  la  Ligue  parisienne  propose  aux 
cités  de  TUnion  c'est  «  un  même  Dieu,  une  même  foi,  un 
même  roi  et  une  même  loi  ».  Les  villes  dissidentes  seront 
exclues  de  tout  commeixe  et  négotition  avec  les  villes  con- 
fédérées, et  Ton  déjouera  tous  les  complots  des  traîtres  et 
des  ambitieux  qui  s'efforcent  de  diviser  les  catholiques, 
dans  la  conviction  que  «  par  Tunion  et  mutuelle  intelli- 
gence des  gens  de  bien,  leurs  tyrannies,  extorsions  et 
pilleries  sont  sy  descouvertes  qu'infailliblement  ilz  en- 
courent la  pugnition  de  leurs  faultes  ». 

A  cette  campagne  audacieusement  entreprise  par  les 
ligueurs,  maîtres  de  Paris,  contre  la  couronne  et  Tautorité 
royales,  Henri  III  allait-il  opposer  le  langage  qui  convient 
à  un  monarque  absolu,  et  aurait-il  le  courage  de  conformer 
ses  actes  à  la  fierté  de  ses  paroles  ?  «  Les  lettres  que.  le 
roi  adressa  à  tous  les  gouverneurs  des  provinces  étaient, 
dit  de  Thou,  un  aveu  tacite  de  la  lâcheté  de  la  cour  *.  » 
Henri  III  débute  par  un  récit  des  événements  qui  ont 
amené  les  barricades.  Il  rappelle  l'arrivée  imprévue  du  duc 
de  Guise  à  Paris,  les  menées  des  factieux  pour  aigrir 
l'esprit  de  la  population;  affirme  qu'il  n'a  fait  entrer  les 
Suisses  et  les  gardes  dans  la  capitale  que  pour  assurer  le 
service  des  perquisitions;  qu'il  avait  si  peu  l'intention  de 
prendre  des  mesures  violentes  contre  les  Parisiens  et  do 
leur  imposer  des  garnisons  étrangères,  que  les  chefs  des 
troupes  royalistes  avaient  reçu  Tordre  «  d'endurer  et  souf- 
frir plustost  toutes  les  extrémitez  du  monde  »  que  «  d'at- 

1.  Voy.  le  texte  de  la  circulaire  royale  dans  Palha-Catet,  ïntrod,  à  la 
Chron.  noi;.,  et  dans  les  Arch,  cur.,  t.  XI,  p.  441.  —  De  Thou,  t.  X,  p.  271,  en 
donite  une  analyse  très  complète.  D'après  Palma-Cayet.  la  circulaire  royale 
portail  la  date  du  17  mai.  La  même  date  est  donnée  dans  les  Mém,  de  la 
Ligue,  t.  II,  p.  328,  qui  reproduisent  le  texte  de  l'expédition  de  la  circulaire 
royale  adressée  à  Monseigneur  de  Boisséguin,  gouverneur  de  Poitiers. 


378  PARIS   ET   LA   LIGUE 

tenter  aucunes  choses  contre  les  habitans  >».  (l'est  grâce  à 
cette  consigne  qu'on  a  pu  «  éviter  un  sac  général    de  la 
ville,  avec  une  très  grande  effusion  de  sang  ».  S'il  avait  eu 
le  dessein  de  sévir,  il  l'aurait  mis  &  exécution  avant  qui^ 
les  habitants  eussent  commencé  à  tendre  leurs  chaînes  et 
à  dresser  leurs  barricades.  Mais  on  ne  lui  a  su  aucun  grr 
de  sa  modération.  Les  <(  gentilshommes,  capitaines,  ou 
autres  estrangers  envoyez  par  le  duc  de  Guise  ot   qui  sv 
trouvèrent  en  bien  peu  de  temps  départis  et  rangiez  par 
chacune  des  dizaines  »  ont  poussé  le  peuple  à  la  révolte, 
fait  tirer  sur  les  Suisses,  pris  l'Hôtel  de  Ville,  saisi    les 
clefs  de  la  porte  Saint-Antoine  et  d'autres  portes;  onfiii, 
poussé  leurs   corps  de   garde  jusque  devant  le  Louvre. 
Malgré  tout,  le  roi   n'a  pas  voulu  «  employer  ses  forces 
contre  les  habitans,  pour  lui  avoir  esté  toujours  la  conser- 
vation de  la  Ville  et  des  bons  bourgeois  et  habitans  d'icellf 
aussi  chère  et  recommandée  que  celle  de  sa  propre  vie  >*. 
Il  a  mieux  aimé  «  s'absenter  et  esloigner  de  la  chose  du 
monde  qu'il  aime  autant,  comme  il  désire  faire  encore,  que* 
(le  la  voir  courre  de  plus  grand  hazard  et  en  recevoir  aussi 
plus  de  déplaisir  ».  Il  est  donc  parti,  laissant  à  la  reini* 
mère  le  soin  «  d'assoupir  le  tumulte  »  et  il  s'est  rendu  a 
Chartres.  Le  roi  termine  en  insistant  sur  les  conséquences 
déplorables  de  la  division  des  catholiques  qui,  au  lieu  de 
combattre  ensemble  comme  autrefois,  pour  la  propagation 
de  la  religion,  vont  tourner  leurs  armes  les  uns  contre  les 
autres.  La  conclusion  est  qu'il  faut  faire  prier  Dieu  dans 
les  églises  pour  que  cette  scission  prenne  fin  et  que  les 
villes  «  ne  se  desvoyent  pas  du  droit  chemin  »,  mais  de- 
meurent fidèles  à  leur  roi.  Henri  III  ne  se  borna  pas  h 
transmettre  sa  circulaire  aux   gouverneurs  des  villes  du 
royaume;  il  adressa  des  lettres  spéciales  aux  corps  muni- 
cipaux de  chacune  d'elles  pour  les  prier  de  repousser  les 
M  inventions  et  inductions  »  de  la  Ligue  et  manifester  le 


GL'ISE  ET  PARIS  APRES  LES  BARRICADES  379 

regret  profond  de  voir  «  qu'aucuns  ont  eu  pouvoir  d'im- 
primer au  cœur  des  habitans  de  la  ville  de  Paris  qu*il 
ait  eu  volonté  de  leur  donner  des  garnisons  étrangères 
et  qu'il  soit  en  doute  de  la  fidélité  et  dévotion  des  bons 
bourgeois  d'icelle  *  ». 

Le  29  mai,  le  roi  répondit  à  la  requête  que  le  duc  de 
Guise,  le  cardinal  de  Bourbon  et  les  membres  de  la  nou- 
velle municipalité  de  Paris  lui  avaient  adressée  le  23  mai  '. 
Henri  débute  par  prolester  «  du  zèle  très  ardent  et  constant 
qu'il  porte  à  l'honneur  de  Dieu  et  du  soin  qu*il  a  toujours 
eu  de  défendre  son  Église  catholique,  apostolique  et  ro- 
maine ».  Il  a  tout  récomment  encore,  dans  la  guerre  contre 
les  reîtres,  exposé  sa  propre  personne  et  arrêté  l'invasion 
des  hérétiques  sur  les  bords  de  la  Loire.  S'il  n'a  pas  tiré 
profit  de  ses  succès,  c'est  à  cause  des  défiances  et  des 
jalousies  que  sa  politique  a  rencontrées.  Il  n'a  rien  épar- 
gné et  n'épargnera  rien  pour  les  dissiper  ;  il  oubliera  «  les 
choses  advenues  ces  jours  passés  en  sa  ville  de  Paris 
dont  il  a  senti  en  son  âme  tous  les  regrets  et  déplaisirs 
qu'il  est  possible  de  supporter  »,  aussitôt  que  les  Parisiens 
se  comporteront  en  bons  et  loyaux  sujets.  S'ils  se  confient 
en  la  bonté  de  leur  prince,  leurs  libertés,  droits  et  privilèges 
ne  recevront  aucune  atteinte.  Henri  III  invite  ensuite  les 
princes  catholiques  et  ses  autres  sujets  à  s'unir  à  lui  «  de 
cœur,  d'affection  et  de  leurs  personnes  pour  tous  ensemble 
aller  faire  la  guerre  aux  hérétiques,  le  plus  diligemment 
que  faire  se  pourra  ».  Quant  aux  désordres  et  aux  abus 
dont  se  plaignent  les  ligueurs,  le  roi  a  jugé  ne  pouvoir 
mieux  faire  que  de  confier  le  soin  d'y  remédier  aux  États 
généraux  du  royaume  et  il  a  résolu  de  les  convoquer  à 
Blois  pour  le  15  août  suivant.  En  attendant  la  réunion  des 

1.  Voy.  dans  les  Mém,  de  la  Ligue,  t.  Il,  p.  329,  la  lettre  donnée  k 
Chartres,  le  17  mai  1588,  aux  maire,  échevins,  manans  et  habitans  de  la 
ville  de  Poitiers. 

2.  Voy.  plus  haut,  page  370. 


:J80  PARIS   ET  LA   LIGUE 

États,  on  supprimera  plusieurs  édits,  impositions  et  com- 
missions qui  surchargent  et  grèvent  les  sujets.  Le  prince 
•termine  par  une  déclaration  assez  embarrassée,  en  ce  qui 
-concerne  d'Épernon  et  la  Valletle  :  «  Pour  le  regard  de  la 
plainte  particulière  que  font  lesdits  princes  contre  les 
fiieurs  duc  d'Épornon  et  de  la  Valette,  connue  Sa  Majesté 
i\oii  rendre  justice  et  faire  raison  à  tous  ses  sujets,  de 
quelque  qualité  qulls  soient,  elle  fera  toujours  paraître,  en 
cette  occasion,  'comme  en  toutes  autres,  qu'il  est  prince» 
équitable  et  droiturier,  qui  a  pour  principal  but  de  ne  faire 
tort  ni  injure  à  personne  et  avec  cela  préférer  Futilité  pu- 
blique de  ce  royaume  à  toute  autre  chose  \  » 

Il  faut  le  dire  :  ce  qui  éclate  h  chaque  ligne  de  cette 
pitoyable  réponse  à  la  hautaine  sommation  des  princes, 
«'est  la  peur.  Les  courtisans  fidèles  *,  les  huguenots  eux- 
mêmes  en  rougirent  pour  lui.  D'Épernon,  avant  de  quitter 
•ia  cour  et  de  donner  sa  démission  de  gouverneur  de  Nor- 
«mandie,  réfuta  énergiquement  dans  un  factum  les  accusa- 
tions des  ligueurs.  Aux  Parisiens  qui  prétendent  n'avoir 
fait  les  barricades  que  pour  forcer  le  roi  à  se  débarrasser 
Ac  d'Épernon  et  de  son  frère,  il  répond,  en  s'adressani 
au  roi  :  «  Le  jeu  est  trop  découvert  et  cette  couleur  ne 
mérite  point  de  réponse.  Votre  Majesté  le  sait  et  tout  le 
monde  l'a  vu.  Quelle  apparence,  je  vous  supplie,  de  faire 


1.  ifnd.,  p.  350.  D'Épernon  était  arrivé  le  20  mai  à  Chartres  {Hist.  de  lu 
Journée  des  Banncades  par  le  Bourgeois  de  Paris).  D'après  le  Bourgeois, 
MM.  de  Montpensier,  de  Longuevilie,  d'Aumont  et  autres  auraient  dit  au 
roi  que  «  s'il  venoit,  ils  s'en  iroient  tous  ».  D'Épernon  fit  tète  à  l'orage  et 
publia  une  apologie  en  réponse  à  la  requête  des  princes  de  la  Ligue.  Cette 
réplique,  qui  porte  le  titre  de  Remontrance  au  roi  par  un  vrai  catholique 
romain,  son  serviteur  fidèle,  répondant  à  la  requête  présentée  par  la  Ligue 
contre  les  sieurs  d'Épernon  et  la  Vallette.  se  trouve  réimprimée  au  t.  H. 
p.  354,  des  Mém.  de  la  Ligue,  Voy.  aussi  Palua-Catet,  loc.  cit. 

2.  Voy.  la  Remontrance  de  d'Épernon,  loc.  cit.,  et  V Excellent  et  libre  dis- 
cours sur  l'État  présent  de  la  France^  attribué  à  Michel  Hurault  du  Fay, 
huguenot  et  chancelier  du  roi  de  Navarre,  petit-fils  du  chancelier  de  l'Hos- 
pital.  Ce  discours,  très  remarquable,  se  trouve  au  1. 111,  p.  2,  des  Mém,  de  la 
Ligue,  et  au  L  III,  p.  8i,  de  la  Satyre  Ménippée.  Édit.  de  Ratisbonne  (1752). 


GUISE  ET  Paris  après  les  barricades  381 

entreprise  à  Paris  pour  prendre  le  duc  d'Épemon  qui  éioit 
à  Rouen;  et  quel  sujet  de  se  barricader  à  la  porte  du  Lou- 
vre, armer  et  mutiner  le  peuple  et  s'emparer  de  tous  les 
chefs  de  la  Ville,  pour  chasser  le  sieur  de  la  Vallette  de 
Valence,  en  Dauphiné,  où  il  étoit?  »  Aux  cléricaux  qui 
soutiennent  que  d'Épernon  est  le  complice  et  Tallié  du  roi 
de  Navarre,  le  duc  riposte  par  une  apostrophe  ironique  à 
ces  bons  catholiques ^  à  ces  gens  de  bien  «  qui  ont  fait 
soulever  toute  la  France  contre  leur  roi  et  prince  naturel,, 
rayant  depuis  peu  de  temps  chassé  de  son  siège  et  ville 
capitale,  de  façon  qu'à  leur  mode  c'est  être  huguenot  ou 
hérétique  de  ne  reconnoitre  en  France  que  le  roi;  et  le- 
premier  point  de  la  religion  catholique  qu'ils  introduisent 
et  qu'ils  veulent  à  tout  hasard  défendre,  c'est  être  rebelle 
4'omme  ils  sont  mutins  et  séditieux  ».  Il  sied  bien  de  parler 
de  réformes  aux  ambitieux  qui  «  seroient  bien  marris,  les- 
bons  réformateurs,  qu'il  n'y  eût  rien  à  réformer,  et  faudroit 
que  les  choses  allassent  bien,  s'ils  ne  trouvoient  à  remuer 
et  à  crier  ».  Il  sied  bien  de  parler  du  désordre  des  finances 
à  ces  princes  lorrains  «  de  race  étrangère  et  adoptée  à  la 
ruine  de  la  France  »  qui,  sous  Henri  II  et  François  II,  ont 
tenu  dans  leurs  mains  les  finances  du  royaume,  comme  ei> 
font  foi  les  registres  de  la  Chambre  des  comptes  et  qui 
sont  «  parvenus  d'un  très  petit  commencement  à  une 
extrême  et  formidable  grandeur...  maison  agrandie  qui 
veut  envelopper  sa  tête  dans  la  hauteur  des  nues  et  remuer 
du  pied  la  couronne  du  roi  ».  Si  d'Épernon  et  son  firëre 
ont  reçu  des  bienfaits  du  roi,  du  moins  ils  n'ont  jamais 
rien  sollicité  «  et  louent  Dieu  au  moins  de  ce  qu'on  ne  Icsk 
peut  accuser  d'être  pensionnaires  du  roi  d'Espagne,  d'avoir 
reçu  argent  de  lui  pour  faire  la  guerre  à  leur  roi  et  empê- 
cher qu'il  ne  reprît  la  seigneurie  des  Pays-Bas,  ni  d'avoir 
repris  par  force  les  deniers  de  ses  recettes  générales,  volé 
le  coche  de  Bourges  et  contraint,  en  pleine  paix,  d'accom- 


38î2  PARIS  ET   L\  LIGUE 

pagnor  de  cent  hommes  d'armes  l'argent  de  Normandie 
jusqu'aux  portes  de  Paris  ».  Néanmoins  d'Épernon  et  son 
frère,  qui  n'ont  commis  aucun  crime  et  auxquels  on  n'a 
pas  même  permis  de  se  justifier,  vont  être  obligés  de  quit- 
ter la  cour  et  de  se  dépouiller  de  leurs  charges  et  gouver- 
nements; ils  se  sacrifieront  pour  assurer  le  repos  du  roi; 
mais  ils  voudraient  voir  leurs  accusateurs  faire  de  même. 
En  terminant,  d'Épernon  donne  à  son  maître  ce  dernier 
conseil  d'apporter  plus  de  soin  et  d'énergie  que  par  le  passé 
à  «  se  garantir  des  conspirations  de  ceux  qui,  la  première 
année  de  leur  entreprise,  se  cantonèrent  à  une  journée  de 
Paris,  la  seconde  faillirent  prendre  Paris;  la  troisième  l'ont 
pris,  n'aïant  failli  Vostre  Majesté  que  d'un  quart  d'heure  et 
qui,  à  la  première  occasion  (ce  que  Dieu  ne  veuille),  la 
dépouilleront  d'honneur,  d'état,  de  liberté  et  de  vie  bientôt 

après  *  » . 

Quant  aux  protestants,  ils  étaient  tenus  à  moins  de 
ménagements  envers  le  roi,  et  le  chancelier  du  roi  de  Na- 
varre, Michel  Hurault  du  Fay,  se  chargea  de  traduire  tout 
leur  mépris  à  l'égard  d'un  prince  qui  montrait  si  peu  de 
dignité.  La  circulaire  de  Henri  III  aux  gouverneurs  de 
provinces  «  sur  ce  qui  est  avenu  à  Paris,  le  douzième  de 
mai,  contre  lui-même  »  parait  au  confident  du  Béarnais, 
dont  il  reflète  probablement  la  pensée,  «  si  froide,  si  timide 
que  rien  plus,  comme  d'un  homme  qui  se  plaint  et  n'ose 
nommer  celui  qui  Ta  battu;  comme  d'un  homme  qui  a 
peur  que  son  ennemi  soit  encore  en  colère  et  ne  se  veuille 
contenter  du  mal  qu'il  lui  a  déjà  fait.  Il  n'ose  dire  qu'il  ait 
été  contraint  de  s'enfuir,  ni  qu'on  l'ait  chassé,  n'ose  appeller 
cela  injure;  à  peine  déclareroit-il  qu'il  en  fera  punition;  ne 
commande  plus  à  son  peuple,  mais  le  prie  et  au  bout  du 
compte,  ce  qui  est  le  plus  ignominieux,  mande  que  Ton 

J.  Remontrances  au  /'O?,  loc,  cit. 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       383 

fasse  des  supplications  aux  Églises  afin  que  cette  querelle 
se  puisse  bientôt  appaiser,  comme  s'il  avoit  peur  que  Mon- 
sieur de  Guise  fût  offensé  de  ce  qu'il  ne  s'étoit  laissé  pren- 
dre dans  son  Louvre,  mais  s'en  étoit  fui.  »  A  cette  plate 
déclaration,  Michel  Ilurault  oppose  les  lettres  du  duc  de 
Guise,  dont  nous  avons  plus  haut  donné  l'analyse,  «  toutes 
deux  lettres  de  soldat,  braves,  audacieuses  oii  il  se  loue 
galantement  de  ce  qu'il  a  fait...  »  Le  chancelier  du  roi  de 
Navarre  divise  la  France  en  trois  partis  :  celui  de  la  Ligue, 
qui  est  le  plus  grand;  celui  du  roi,  le  plus  légitime,  mais 
le  plus  faible  ;  enfin  celui  du  roi  de  Navarre,  qui  est  le  plus 
juste  et  le  plus  sûr.  Il  accuse  nettement  le  duc  de  Guise  de 
viser  «  à  se  faire  roi,  s'il  peut;  sa  procédure  et  ses  moiens, 
c'est  la  guerre  civile  et  la  division  des  Français  catholiques 
contre  ceux  de  la  religion...  »  L'auteur  de  V Excellent  dis- 
cours^ après  avoir  esquissé  en  traits  incisifs  les  portraits 
des  chefs  de  partis  qui  se  disputent  la  France  et  des  princes 
étrangers  qui  sont  mêlés  plus  ou  moins  directement  aux 
luttes  du  royaume,  terminait  par  une  longue  apostrophe 
au   duc  de  Guise,  qui  est  pleine  d'éloquence  et  de  feu  *. 


1 .  «  Je  veux  flnir  par  toi,  flambeau  de  la  guerre,  qui  as  tourné  à  la 
mine  de  ton  roi  et  de  ta  patrie  les  grandes  grâces  que  Dieu  t^avoit  don- 
nées pour  pouYoir  dignement  servir  et  l'un  et  Tautre.  Penses-tu  point  que 
tu  seras  puni  un  jour  du  parricide  que  tu  commets  contre  ta  propre 
mère?».' Non,  non,  il  ne  te  faut  point  d'autre  punition  que  tes  propres 
desseins;  voilà  ta  gêne.  Pauvre  homme!  tu  as  déjà  presque  quarante  ans 
sur  la  t6tè  et  tu  n'oses  encore  prendre  le  nom  du  roi!....  Mais  tu  ne  veux 
pas  régner!  Ehl  qui  donc,  misérable!  si  ce  n'est  cela,  qui  te  mène?  si  ce 
n'est  une  grande  et  puissante  ambition  qui  t'anime,  telle  que  l'avoient 
.autrefois  ou  MariuS;  ou  Sylla  ou  César;  on  te  détestera  bien  aux  siècles 

à  venir  d'avoir  fait  tant  de  mal  au  monde  pour  néant Ce  n'est  point 

encore  tout  cela.  Quoi  donc?  Le  seul  zèle  de  la  religion  catholique 
t'échanffe  le  cœur?  Je  crois  que  tu  le  dis  en  public,  non  pas  en  ton  cabi- 
net... n  y  a  encore  tant  de  Turcs  et  de  Sarrasins  au  monde  qui  te  dé- 
tiennent le  roïaume  de  Jérusalem,  héréditaire  à  ta  maison  :  que  ne 
tournes-tu  plutôt  là  tes  desseins  que  sur  celui  de  France?  Mais  c'est  pour 
le  défendre  :  hé!  qui  l'attaque?  qui  ose  rien  demander  aux  catholiques... 
Non,  n'allègue  point  ces  excuses;  on  s'en  mocque  :  dis  seulement  que  tu 
veux  régner,  que  ta  veux  être  roi  :  voilà  la  plus  vraie  et  la  plus  belle 

couleur  de  ton  enseigne Tu  te  plains  encore  que  l'on  avoit  fait  courir 

de  mauvais  bruits  contre  toi  et  contre  ton  honneur...  certes,  tu  t'en  es 


384  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Ainsi,  les  protestants  se  chargeaient  de  confondre  l'ambi- 
tion dos  Guises,  au  nom  d'un  roi  dégénéré,  qui  oubliait  la 
dignité  de  son  rang  et  mendiait  la  clémence  du  chef  de  la 
Ligue. 

Les  Parisiens,  pleins  de  confiance  dans  le  duc  de  Guise, 
suivaient  aveuglément  Timpulsion  de  leur  idole.  De  là  une 
tactique  à  la  fois  prudente  et  active  ;  on  prodigue  au  roi 
les  témoignages  de  soumission  et,  en  même  temps,  Ton 
resserre  de  toutes  parts  les  mailles  du  filet  où  la  dynastie 
des  Valois  agonise.  Le  17  mai,  le  frère  Ange,  ci-devanl 
Henri  de  Joyeuse,  comte  du  Bouchage- et  frère  du  feu  duc 
de  Joyeuse,  quitta  processionnellement  Paris,  une  croix 
sur  le  dos,  et  suivi  de  trente  cinq  pénitents  de  la  confrérie 
fondée  par  Henri  HI  cinq  ans  auparavant.  Cette  troupe 
pieuse,  qui  se  composait  presque  exclusivement  de  ligueurs, 
se  rendit  «  à  beau  pied  et  nuds  pieds  »  *  à  Chartres  pour 
prier  le  roi  d'accorder  son  pardon  aux  Parisiens.  Les  con- 
frères ou  les  compères  entrèrent  à  Chartres  en  chantant  et 
jouèrent  leur  mystère  à  Tantique.  Frère  Ange,  figurant  le 
Christ,  semblait  succomber  sous  sa  croix  de  carton,  le  front 
couvert  d'un  sang  bien  imité;  des  bourreaux  le  frappaient 
sans  relâche,  et  deux  jeunes  capucins  déguisés  figuraient 
la  Vierge  et  la  Madeleine.  «  Tout  ce  peuple  de  Chartres, 
dit  TEsloile,  espandu  par  les  rues  pour  les  regarder,  estoit 
étonné  ;  les  uns  trouvans  beaux  ces  nouveaux  mistèrés,  les 
autres  s'en  rians  et  s'en  moquans  et  beaucoup  s'en  offen- 
sans,  comme  si  on  eust  voulu  se  servir  des  cérimonies  de 
la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine  pour  mas- 


bien  purgé.  On  t'accusoit  d'avoir  mutiné  le  peuple  de  quelques  villes  de 
ce  rolaume  contre  les  gouverneurs  que  le  roi  vouloit  y  établir;  tu  as  effacé 

ce  bruit  en  mutinant  celui  de  Paris  contre  le  roi  même Ainsi  tu  essuies 

bravement  un  larcin  par  un  sacrilège,  un  meurtre  par  un  parricide,  un 
parricide  par  un  crime.  » 
1.  L'EsTon^R,  1.  m,  p.  152. 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       385 

que  et  risée.  »  Toutefois,  celte  mascarade  n'était  qu'un 
prétexte  :  la  Ligue  faisait  de  la  dévotion  pratique,  et  de 
Thou  affirme  que  les  pénitents  ne  se  proposaient  qu'un 
but  :  reconnaître  de  près  la  situation  de  la  Cour  et  pousser 
la  population  de  Chartres  à  la  révolte  * .  Le  président  de 
Neuilly,  Tun  des  confrères,  s'acquitta  consciencieusement 
de  sa  mission,  sous  les  yeux  du  roi,  et  alla  partout  quêter 
des  adhésions  à  la  Ligue.  Un  chanoine  avait  averti  le 
maréchal  de  Biron  du  lieu  où  se  réunissaient  le  président 
et  ses  affiliés  de  Chartres,  et  le  maréchal  engagea  le  roi  à 
faire  arrêter  les  factieux;  mais  Henri  III  resta  inerte, 
comme  naguère  à  Paris,  lorsque  Nicolas  Poulain  lui  avait 
dénoncé  les  conciliabules  de  la  Ligue. 

Guise  et  Catherine  s'entendirent  pour  envoyer  à  Chartres 
une  députation  d'un  autre  genre.  La  reine  mère  avait  fait 
dire  sous  main  au  premier  président  de  Ilarlay  et  au  pré- 
sident de  La  Guesle  qu'il  lui  semblait  à  propos  que  le  Par- 
lement députât  quelques-uns  de  ses  membres  au  roi  pour 
lui  donner  un  témoignage  public  de  fidélité  qui,  dans  les 
circonstances  présentes,  ne  serait  pas  indifférent  au  malheu- 
reux monarque.  Conformément  à  cet  avis  officieux,  le  Par- 
lement rendit  un  arrêt,  sur  les  réquisitions  conformes  du 
procureur  général,  et  une  députation  fut  chargée  d'aller 
faire  hommage  au  roi.  Elle  se  composait  du  président  do 
La  Guesle,  du  procureur  général,  fils  du  précédent,  des 
conseillers  Jacques  Brisard,  Jean  Courtin,  Prosper  Bauin, 
Jacques  Gillol.  Les  magistrats  arrivèrent  à  Chartres  le  16 
et  furent  reçus  par  Henri  III,  qui,  en  réponse  à  leur  haran- 
gue, fit  une  déclaration  assez  ferme,  où  il  promettait  de 
pardonner  aux  Parisiens,  pourvu  qu'ils  se  soumissent  et 
fissent  l'aveu  de  leur  faute.  Dans  l'après-midi,  le  roi  rap- 
pela près  de   lui  les  parlementaires,  donna  de  longues 

1.  De  Thou,  t.  X,  p.  293. 

ROBIQUET.  î'i 


386  PARIS  ET  LA  LIGUE 

explications  sur  la  bienveillance  de  ses  intentions  envers 
les  Parisiens,  qui  s'étaient  crus  à  tort  menacés  dans  leurs 
biens  et  leurs  vies  par  Tenlrée  des  troupes  étrangères, 
alors  que  ces  troupes  ne  devaient  rester  que  vingt-quatre 
heures  dans  la  capitale,  pour  faire  une  visite  exacte  des 
maisons  et  cliasser  de  la  ville  les  suspects,  évalués  à  quinze 
mille.  Le  roi  fit  suivre  ces  doléances  d'assez  vives  menaces 
et  assura  que  si  les  Parisiens  abusaient  de  sa  patience* 
((  elle  se  tourneroit  en  furie  ».  Il  termina  en  autorisant  le 
Parlement  à  rester  en  fonctions  et  chargea  les  délégués  do 
rapporter  aux  habitants  de  la  capitale  tout  ce  qu'il  avait 
dit.  Quelques  jours  après,  le  roi  envoya  au  Parlement 
Claude  Dorron,  maître  des  requêtes,  pour  annoncer  que 
les  États  généraux  seraient  réunis  vers  la  fin  de  Tannée  \ 
mais  qu^il  fallait  auparavant  que  les  rebelles  missent  bas 
les  armes,  h  peine   d'être    traités   en  criminels  de  lèse- 
Majesté  *.  Henri  III  reçut  à  Chartres  beaucoup  d'autres 
députations;  tous  les  corps  de  TËtat  firent  cette  prome- 
nade. Le  clergé  régulier  députa  le  cordelier  Feuardant,  et 
le  clergé  séculier  maître  Faber,  curé  de  Saint-Pol,  et  de 
Ceuilli,  curé  de  Saint-Germain  TAuxerrois.  Au  président 
de  Neuilly,  député  par  la  Cour  des  aides  et  l'un  des  suî- 


1.  L'ordonnance  de  convocation  des  États  généraux  fut  signée  le  31  mai 
1388  et  publiée  le  17  juin  à  son  de  trompe  et  cri  public.  Le  texte  de  ce 
document  est  assez  curieux.  Après  des  considérations  vagues  sur  le 
malheur  des  temps,  le  roi  fixe  la  date  du  15  août,  comme  devant  être  celle 
de  Touverture  des  États  à  Blois;  puis,  au  moment  de  signer,  le  roi  fait  la 
rectification  ci-dessous  :  «  Comme  nous  voulions  signer  la  présente,  nous 
avons  jugé  que,  pour  donner  plus  de  loisir  de  faire  rassemblée  pour  venir 
ausdictz  estats,  il  estoit  nécessaire  de  proroger  le  terme  jusques  au  15*  jour 
de  septembre;  ce  que  nous  avons  ainsi  advisé,  alln  que  Ton  n'y  faille 
point,  et  que  Ton  s'y  trouve  précisément  audit  15  septembre,  en  nostrc 
ville  de  Bloys   »  Isambbrt,  Rec.  des  anc,  lois  françaises  y  L  XIV,  p.  613. 

2.  Dr  ThoV,  t.  X,  p.  285  à  289.  L'ëstoub,  t.  HI,  p.  152.  On  peut  consul- 
ter dans  VHist,  de  la  journée  des  Barricades  par  un  Bourgeois  de  Paris  le 
compte  rendu  fait  le  président  de  la  Guesle  et  le  procureur  général,  son 
fils,  du  voyage  de  Chartres.  Les  Mém.  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  362,  donnent  le 
texte  des  deux  discours  du  roi.  Voy.  aussi  Palma-Catet.  Édit.  Michaud, 
p.  56. 


Gl'ISE  ET   PARIS   APHÉS  LES  BARRICADES  387 

vants  de  la  procession  de  frère  Ange,  le  roi  fit  une  réplique 
assez  mordante.  Comme  le  président  «  pleuroit  comme  un 
veau  et  s'excusoit  de  ce  qui  estoit  advenu,  il  [le  roi)  dit  ces 
mots  :  Hé!  sot  que  vous  estes,  pensez-vous  que  si  j'eusse 
<»u  quelque  mauvaise  volonté  envers  vous  et  les  autres  de 
votre  faction,  que  je  ne  Teusse  bien  peu  exécuter?  Qui 
m'en  eust  gardé,  si  j'en  eusse  eu  envie?  Non,  non,  j'aime  les 
Parisiens  en  dépit  d'eux,  combien  qu'ils  m'en  donnent  fort 
peu  d'occasions  * ...  »  C'était  dissimuler  son  impuissance  avec 
une  grâce  légère  qui  n'était  pas  indigne  du  premier  gentil- 
homme de  France.  Le  Bourgeois  de  Paris  et  l'Estoile  s'accor- 
dent à  dire  que  le  Valois  affectait  à  Chartres  une  gaieté  et 
une  bonne  humeur  inaltérables.  Il  écrivait,  dit  le  Bourgeois, 
des  lettres  «  aussi  enjouées  qu'il  fit  jamais,  par  lesquelles  il  se 
gaussoit  de  sa  façon  de  desloger  soudainement  et  de  Cra- 
covie  et  de  Paris  ».  Il  faut  reconnaître  que  ce  roi,  on  appa- 
rence si  résigné  aux  humiliations,  déploya,  en  cette  cir- 
constance du  moins,  une  certaine  activité.  Après  le  renvoi 
de  d'Épernon  et  le  départ  du  favori  disgracié  pour  la  Sain- 
tonge  et  l'Angoumois,  Henri  III  envoya  dans  les  provinces 
douteuses  plusieurs  commissaires,  qui  étaient  pour  la  plu- 
part des  maîtres  des  requêtes  ou  des  membres  soit  du 
Parlement,  soit  du  Grand  Conseil.  Jacques-Auguste  de 
Thou,  le  célèbre  historien  ',  alla  en  Normandie;  Charles 
Turquant,  en  Limousin,  pour  déjouer  les  manœuvres 
d'Edmond  de  Hautefort;  Pierre  Lubert,  en  Champagne,  où 
le  cardinal  de  Guise  dirigeait  les  affaires  de  la  Ligue  ;  Pré- 
vôt de  Saint-Cyr,  en  Touraine  ;  Adrien  du  Drac,  en  Picardie, 
sans  parler  des  autres  '.  Un  coup  de  thé&tre  qui  ne  man- 


1.  L'Estoile,  ibid,,  p.  153. 

2.  Il  était  alors  président  à  mortier  au  Parlemeot,  en  survivance  de  son 
oncle  Augustin.  Sa  mission  lui  valut  le  titre  de  conseiller  d'État,  le 
26  août  1588. 

3.  Db  Thou,  t.  X,  p.  305  à  310,  raconte  longuement  les  péripéties  de  9a 
mission  en  Normandie. 


388  PARIS  ET  LA   LIGUE 

quait  pas  d'habileté  fut  la  révocation  en  bloc,  par  leltres 
patentes  (27  mai),  de  trente-cinq  à  quarante  édits  bursaiix, 
résultats  des  concussions  financières  des  dernières  années  *. 
On  coupait  court  ainsi  aux  déclamations  des  ligueurs,  qui 
se  plaignaient  hautement  du  poids  des  impôts. 

Tandis  que  le  roi  cherchait  à  constituer  à  Chartres  un 
centre  de  gouvernement  et  à  ressaisir  une  ombre  d'auto- 
rité, la  Ligue,  installée  à  Paris  comme  dans  une  citadollo 
imprenable ,  étendait  ses  intrigues  à  toutes  les  provinces 
et  recueillait  les  fruits  de  sa*  victoire.  Le  duc  de  Guise  en 
personne,  laissant  à  Paris  le  vieux  cardinal  de  Bourbon  et 
le  cardinal  de  Vendôme,  neveu  du  précédent  et  fils  du 
prince  de  Condé,  Guise,  disons-nous,  avait  poussé  une 
pointe  jusqu'à  Meaux  et  à  Château-Thierry.  Un  brave  otli- 
cier,  Tristan  de  Rostcing,  gouverneur  du  château  de  Melun, 
empêcha  Saint-Paul,  lieutenant  du  duc  de  Guise,  de  prendre 
cette  dernière  place.  Jean  d'Hemery,  sieur  de  Villers,  con- 
serva aussi  quelque  temps  la  place  de  Corbeil  que  le  roi 
Favait  chargé  de  défendre  ;  mais  Henri  III,  ne  voulant  pas 
laisser  écraser  son  lieutenant  par  les  Parisiens,  lui  donna 
Tordre  d'évacuer  cette  position.  Troyes  avait  d'abord 
résisté  aux  avances  de  la  Ligue,  et  les  échevins  de  cette 
ville  avaient  même  renvoyé  au  roi  les  lettres  du  duc  de 
Guise  et  des  Parisiens;  malheureusement,  si  les  magis- 
trats municipaux  donnaient  l'exemple  de  la  fidélité  à 
l'ordre  établi,  il  n'en  était  pas  de  même  du  bas  peuple, 
travaillé  depuis  longtemps  par  les  émissaires  cléri- 
caux. Après  avoir  échoué  dans  une  première  tentative 
pour  entrer  dans  la  ville,  le  cardinal  de  Guise,  qui  avail 
quitté  Paris  déguisé  sur  la  fin  de  mai  et  avait  dû  y  re- 
venir, jetant  feu  et  flammes  contre  les  Troyens,  réussit,  le 
14  juin,  à  pénétrer  dans  leur  cité,  grâce  à  la  complicité 

1.  L'EsTOiLE,  t.  III,  p.  185. 


GUISE  ET  Paris  après  les  barricades  389 

peu  désintéressée  du  gardien  de  Tune  des  portes.  Il  fit 
nommer  maire  le  sieur  Nicolas  de  Haulte,  son  ami;  chassa 
Pierre  Lubert,  membre  du  Grand  Conseil,  que  le  roi  avait 
envoyé  à  Troyes  pour  résister  à  la  Ligue;  confisqua  les 
fonds  des  receveurs,  leva  des  impôts,  nonuna  une  nouvelle 
municipalité,  donna  des  jeux  et  des  festins  et,  pour  com- 
pléter le  programme  des  divertissements,  fit  allumer  des 
feux  où  Ton  brûlait  les  effigies  de  Thérésie  et  de  Théo- 
dore de  Bèze  *.  Cette  singulière  administration  du  cardinal 
se  prolongea  jusqu'à  son  départ  pour  les  Etats  de  Blois, 
au  commencement  de  septembre  '. 

Ainsi  rayonnait  autour  de  la  capitale  Faction  formida- 
ble de  la  faction  qui  avait  fait  de  la  grande  ville  son  quar- 
tier général.  L'influence  des  Guises  et  de  leur  clientèle 
réussit  bien  vite  à  transformer  en  administration  régulière 
les  éléments  fort  disparates  que  la  fuite  du  roi  avait  laissés 
maîtres  de  Paris.  Pendant  les  mois  de  juin  et  de  juillet,  do 
nombreuses  mesures  de  police  furent  prises  par  la  muni- 
cipalité. Les  quartiniers  reçurent,  le  31  mai.  Tordre  de 
visiter  en  toute  diligence  les  «  chesnes,  rouetz  et  poteaulx 
de  leurs  quartiers  '  ».  Le  l*""  juin,  un  mandement  du  Bu- 
reau invite  les  quartiniers  à  convoquer  les  dizainiers  de  leur 
quartier  et  à  leur  adjoindre  «  quatre  notables  bourgeois 
de  chacune  desdictes  dizaines,  afiectionnez  à  Thonneur  de 
Dieu,  service  du  roy  et  seureté  de  la  Ville  »,  sur  lesquels 
le  Bureau  en  retenait  deux  «  pour  visiter  les  coffres,  malles, 
quesses,  balles,  tonneaux  ou  aultres  choses  que  Ton  vouldra 
faire  transporter  hors  ceste  ville  *  ».  Ces  mesures  furent 

1.  C'était,  parait-il,  une  distraction  à  la  mode,  car  l'Estoile  (t.  III, 
p.  165)  nous  raconte  qu'à  Paris  même,  «  le  23*  juin,  au  feu  de  la  Saint- 
Jean,  le  prévost  des  marchans  et  les  eschevins  firent  mettre  sur  Tarbre 
la  représentation  d'une  grande  furie  qu'ils  nommèrent  Hérésie f  plaine  de 
feux  artificiels,  dont  elle  fut  toute  bruslée  ». 

2.  Voy.,  sur  la  prise  de  possession  de  Troyes  par  le  cardinal  de  Guise, 
DE  Tbou,  t.  X,  p.  310. 

3.  Rbo.  h,  1789,  f-  147. 
i.  Ibid. 


390  PARIS  ET   LA   LIGUE 

complétées  par  un  mandement  du  4  juin  qui  prescrivait 
aux  bourgeois  chargés  de  cette  besogne  d'apposer  «  leur 
cachet  en  cire  au  lieu  de  Touverture,  afin  que,  après  la- 
dicte  Visitation,  il  ne  soit  rien  remis  ny  chargé  èsdictz 
coffres,  tonnes  et  balles  *.  » 

Il  était  urgent  de  rétablir  dans  la  Ville  une  police  régu- 
lière, car  les  actes  de  pillage  et  de  désordre  n'y  étaient  pas 
rares.  Tantôt  c'est  un  pauvre  pédagogue,  le  nonmié  Mer- 
cier, qui  est  poignardé  et  jeté  à  Teau,  sous  prétexte  d'hé- 
résie, par  deux  coquins,  le  potier  Poccart  et  le  tailleur 
Pierre  la  Rue  (mai);  tantôt  c'est  le  prévôt  des  marchands, 
Pereuse,  qui,  après  avoir  été  mis  en  liberté  par  le  duc  do 
Guise,  est  assiégé  dans  sa  maison  et  ramené  à  la  Bastille 
(4  juin);  tantôt  ce  sont  des  étrangers,  comme  l'Italien 
Masseï,  le  Portugais  Roderic,  qui  subissent  les  attaques  à 
main  armée  des  «  capitaines  et  gens  de  guerre  affamés,  se 
renommans  du  duc  de  Guise  »,  simples  brigands  au  fond 
qui  visaient  principalement  à  mettre  la  main  sur  les 
bourses  bien  garnies.  Guise  s*indignait  de  ces  désordres  et 
menaçait  de  les  réprimer  avec  la  plus  grande  énergie; 
mais  il  fallait  compter  avec  ceux  qui  s'abritaient  sous  son 
grand  nom,  même  pour  le  compromettre.  Le  28  juin,  en 
vertu  d'une  sentence  du  prévôt  de  Paris,  confirmée  par  le 
ï^arlement,  on  brilla  en  place  de  Grève  les  deux  filles  de 
Jacques  Foucaud,  procureur  au  Parlement  '.  Leur  crime 

1.  Ibid.,  f°  149.  Les  relations  du  temps  prouvent  que  cette  inquisition 
était  poussée  très  loin.  Le  dernier  jour  de  mai,  les  bourgeois  qui  gardaient 
la  porte  Saint-Antoine  avaient  arrêté  13  mulets  appartenant  au  duc 
d'Épernon  et  dont  chacun  portait  deux  bahuts  pleins  de  vaisselle  d'ar- 
gent. Bien  que  les  gens  du  duc  fussent  munis  d'un  passeport  signé  de  la 
reine  mère  et  que  les  mulets  portassent  des  couvertures  aux  armes 
royales,  le  convoi  fut  conduit  à  THÔtel  de  Ville,  et  l'Estoile  conclut  par 
celte  réflexion  mélancolique  :«  Tant  se  monstroient hardis  et  insolents  les 
Parisiens,  sous  couleur  de  Pappui  et  support  du  duc  de  Guise.  » 

2.  Le  16  juillet  1588,  en  vertu  d'un  arrêt  du  Parlement,  on  brûla  encore 
sur  la  place  de  Grève  un  sieur  Guitel,  accusé  de  calvinisme.  En  réalité, 
c'était  un  athée  qui  n'était  pas  plus  catholique  que  protestant.  Voy.  l'Es- 
toile, t.  111,  p.  171. 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       391 

était  do  refuser  d'abjurer  le  protestantisme.  On  les  mena 
bâillonnées  au  supplice,  et  tel  était  racharnement  du  peuple 
que  l'une  des  deux  sœurs  fut  brûlée  toute  vive,  des 
forcenés  ayant  coupé  la  .corde  avant  qu'elle  fut  étran- 
glée * . 

Le  beau  temps  de  la  Saint-Barthélémy  revenait  :  chacun 
dénonçait  ses  ennemis  et  voulait  en  faire  un  suspect.  La 
soif  du  sang,  la  passion  de  Tor  s'alliaient  au  fanatisme. 
Autour  de  la  capitale,  dans  la  banlieue,  des  bandes  de  par- 
tisans erraient,  comme  des  bètes  de  proie  le  soir  d'une 
bataille.  On  s'en  émut  à  l'Hôtel  de  Ville,  et  un  mandement 
du  2  juin,  «  pour  ce  que  ès-environs  de  ceste  ville  de  Paris 
se  retirent  nombre  de  gens  de  guerre  qui  font  grans 
degatz,  ruyne  et  oppression  au  peuple  du  plat  pays,  y 
consommant  tous  vivres  et  commoditez;  par  là  disette  et 
pénurie  de  vivres  en  ceste  ville,  s'il  n'y  estoit  promptement 
pourveu...  »,  fit  défense  «  aux  capitaines  et  aux  autres  chefs 
des  gens  de  guerre  d'approcher  à  six  lieues  à  la  ronde  de 
ceste  dicte  ville,  ny  aulcune  chose  y  prendre,  fourraiger  et 
enlever,  sous  peine  de  la  vie  et  d'estre  les  contrevenans 
taillez  et  mis  en  pièces  ».  Par  le  même  mandement,  il  fut 
enjoint  à  tous  les  gens  sans  aveu  de  quitter  promptement 
Paris  «  sur  peine  de  la  hart  '  ».  Un  peu  plus  tard,  le 
20  juin,  sur  les  remontrances  du  procureur  du  roi  et  de 
la  Ville,  qui  avait  cru  devoir  s'élever  contre  les  actes  de  pil- 
lage commis  dans  Paris  et  dans  la  banlieue,  le  Bureau 
décide  que  «  les  quarleniers  de  chacun  quartier  de  ceste 
dicte  ville  feront  assembler,  en  chacune  dixaine  de  leur 
quartier,  les  capitaines,  lieutenans  et  bourgeois  d'icelles 
dixaines,  pour  faire  eslection  et  convenir  ensemblement  de 
dix  personnes,  bourgeois  et  habitans  de  chacune  desdictes 
dixaines,  tant  mousquetaires,  harquebuziers  que  picquiers 

1.  L'EsToiLB,  l.  III,  p.  166. 

2.  Rbg.  h,  1789,  fo  147. 


392  PARIS  ET  LA  LIGUE 

qui  seront  toujours  prestz  pour  faire  service  quand  besoing 
sera  *  ». 

C'était  une  nécessité  de  la  situation  faite  aux  Guises  par 
leur  succès  même  d'enlever  aux  gens  de  robe  que  le  roi 
avait  chargés  de  commander  la. milice  municipale,  leurs 
grades  et,  par  suite,  leur  autorité.  La  nouvelle  municipa- 
lité fut  chargée  de  cette  besogne.  Pendant  les  quatre  pre- 
miers jours  de  juillet,  le  prévôt  des  marchands  et  les  éche- 

1.  Ibid.,  fo  164.  Voy.  sur  rélection  des  capitaines  les  détails  curieux  que 
donne  Pasquieb,  livre  XH,  lettre  IX.  Œuvres,  t.  11,  p.  341.  11  rappelle  qu'en 
1585  le  roi  avait  mis  à  la  tête  de  chaque  dizaine  des  capitaines  et  des 
lieutenants  de  son  choix,  presque  tous  gens  de  qualité.  S'oici  comment 
les  meneurs  de  la  Ligue  procédèrent  pour  désappointer  ces  orOciers  nom- 
més par  le  roi.  Une  commission,  présidée  par  le  prévôt  des  marchands  et 
composée  de  ligueurs  fanatiques,  notamment  Bussy  le  Clerc,  Crucé,  Se- 
nault,  Louchard,  Boucher,  le  curé  de  Saint-Benoit,  fit  venir  chaque  jour  à 
ruôtel  de  Ville  les  dizaines  comprises  dans  un  quartier,  et,  comme  il  y 
avait  seize  quartiers,  l'opération  dura  seize  jours.  Une  liste  d'officiers 
préparée  d'avance  était  recommandée  aux  électeurs,  et  ces  candidatures 
officielles  devenaient  définitives  u  par  la  voie  du  Saint-Esprit  »,  c'est-à- 
dire  qu'il  s'agissait  d'une  simple  ratification.  On  faisait  d'ailleurs  voter 
ensemble  toutes  les  dizaines  du  quartier,  au  lieu  de  faire  voler  séparé- 
ment les  membres  de  chaque  dizaine  au  logis  de  eon  dizainier,  confor- 
mément aux  vieux  usages.  En  outre,  les  électeurs  notables,  et  surtout  les 
membres  des  compagnies  souveraines,  s'abstinrent  de  se  rendre  aux  con- 
vocations. Pasquier  fit  exception  et  réclama  avec  énergie  le  maintien  des 
formes  traditionnelles.  Il  obtint,  malgré  les  menaces  de  Bussy  et  de  ses 
acolytes,  que  les  dizaines  qui  n'avaient  pas  encore  été  convoquées,  vote- 
raient séparément,  mais  cela  n'empêcha  pas  la  Ligue  de  faire  nommer  des 
taverniers  «  et  autre  telle  engeance  de  gens  ». 

Le  Parlement  aurait  peut-être  été  en  mesure  de  se  mettre  à  la  tête 
d'une' résistance  efficace  contre  les  mesures  violentes  de  la  Ligue.  La  des- 
titution des  officiers  de  la  milice  lui  fournissait  un  excellent  terrain  de 
lutte,  d'autant  plus  qu'un  grand  nombre  de  capitaines  étaient  membres 
des  compagnies  souveraines.  Le  7  juillet,  il  y  eut  au  Palais  une  grande 
assemblée,  à  laquelle  assistèrent  le  cardinal  de  Bourbon  et  le  duc  de  Guise. 
«  En  ceste  assemblée,  dit  l'Estoile,  le  premier  président  parla  longuement 
et  fortement  pour  la  manutention  de  vieux  capitaines  et  abolition  des 
nouveaux,  et  fut  bien  secondé  de  plusieurs  de  ceste  compagnie.  ••  Mais 
pour  briser  ces  résistances,  le  duc  de  Guise  n'eut  qu'à  prier  les  magistrats 
«  avec  beaucoup  de  soubmission  et  révérence,  qu'ils  voulussent  encore 
donner  cestui-l&  au  temps  et  au  publiq...  »  On  comprit  à  demi-mot  : 
c'était  la  menace  de  la  justice  populaire  dont  le  duc  agitait  le  spectre.  Deux 
jours -après,  le  peuple  vint  lui-même  au  Palais  sommer  le  Parlement  d'en- 
voyer au  bûcher  un  protestant,  nommé  du  Beloy,  qui  se  trouvait  en  prison 
à  la  Conciergerie  ;  les  ligueurs  criaient  qu'en  cas  de  refus  «  il  y  avoîC 
danger  que  le  peuple  ne  fist  justice  ».  Le  Parlement  manda  le  prévôt  et 
les  échevins,  qui  désavouèrent  les  mutins;  mais,  comme  le  dit  philosophi- 
quement le  chroniqueur,  u  ce  n'estoient  que  mines  et  dissimulations  ». 


<' 


GUISE  ET  PARIS    APRÈS  LES   BARRICADES  393 

vins  firent  assembler  les  dizaines  pour  procéder  à  la  dépo- 
sition des  officiers  suspects;  «  et  déposèrent  singulièrement, 
pcrit  TEstoile  S  les  gens  de  robbe  longue,  nommément 
ceux  qui  estoienl  officiers  du  roy,  pour  ce  qu*ils  estoient 
tous  hérétiques,  à  leur  dire,  et  le  faisoient  ainsi  crier  et 
croire  à  cette  sotte  populasse  parisienne,  tellement  qu'au 
lieu  d'hommes  de  qualité  et  d'honneur  qui  commandoienl 
à  la  Yille,  furent  establis  de  petits  mercadans  et  un  tas  de 
faquins  ligneux,  tous  bons  catholiques,  pour  ce  qu'ils 
tenoient  le  parti  du  duc  de  Guise  et  non  celui  du  roi  ».  Ce- 
travail  d'élimination  fut  assez  laborieux,  car  une  ordon- 
nance du  28  juillet  qui  se  trouve  dans  les  Registres  de  la 
Ville  *,  porte  que  les  bourgeois  de  chaque  quartier  seront 
assemblés  alternativement  à  l'Hôtel  de  Ville  pour  «  pro- 
céder à  la  confirmation  ou  nouvelle  élection  des  colonels,, 
capitaines,  lieutenans  et  enseignes,  qui  presteront  serment 
à  la  manière  accoustumée,  sans  qu'il  tourne  à  marque 
ou  blasme  d'avoir  esté  changez  et  destituez  ».  Le  change- 
ment des  quartiniers  s'opéra  plus  facilement,  à  cause  de 
leur  petit  nombre  ;  la  plupart  d'entre  eux  avaient  d'ailleurs 
volontairement  cessé  de  remplir  leurs  fonctions  ^.  On  les 
remplaça  dans  les  formes  accoustumées  *. 

\.  T.  III,  p.  167.  Le  25  juin,  une  assemblée  de  ville  convoquée  «  de  l'ex- 
près commandement  du  duc  de  Guise  »  avait  sanctionne  les  mesures 
d*épuratioa. 

2.  Reg.  h,  1789,  t*  182.  Voy.  aussi  Fêlibibn,  Preuves,  t.  V,  p.  447. 

3.  Dans  plusieurs  quartiers,  les  bourgeois  de  la  milice  refusèrent  d'ac- 
cepter les  nouveaux  capitaines.  C'est  ainsi  que,  le  5  juillet,  on  dut  laisser 
fermée  la  porte  Saint-Germain,  parce  que  M.  Alexandre  Legrand,  conseiller 
au  Parlement  et  capitaine  de  son  quartier,  avait  été  destitué  par  la  Ligue, 
et  (fue  la  dizaine  refusait  d'accepter  son  successeur.  Ce  fut  une  grosse 
affaire.  Le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins  furent  mandés  au  Parle- 
ment :  on  consulta  la  reine  mère  et  le  duc  de  Guise,  qui  fit  venir  Legrand, 
lui  demanda  «  de  se  déposer  lui-même  »  et  lui  dit  «  qu'il  estoit  contraint 
d'en  endurer  lui-mémc  et  que,  la  colère  des  Parisiens  estant  rassise,  iK 
donneroit  ordre  à  tout  ».  L'EsTOiLg,  t.  III,  p.  168. 

4.  Voici  le  texte  du  mandement  qui  ordonne  d'élire  un  quartinier  en 
remplacement  de  Leconte  :  «  Sur  la  remontrance  du  procureur  du  roy  et 
de  la  Ville,  avons  ordonné  et  ordonnons  par  la  présente  qu'il  sera  procédé 
A  eslection  nouvelle  d'ung  quartenier  de  ladicte  Ville,  au  lieu  dudict  Le- 


394  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Lorsque  la  Ligue  eut  ainsi  rempli  de  ses  créatures  les 
cadres  de  la  milice  et  accaparé  les  fonctions  mumcipales, 
elle  éprouva  le  besoin  de  jouer  une  comédie  qui  ne  trompa 
personne.  Le  13  juillet  1388,  Michel  Marteau,  sieur  de  La 
Chapelle,  conseUler  du   roi   et  maître  ordinaire  de  ses 
comptes;  Nicolas  Rolland,  général  des  monnaies;  Jehan  dt- 
Compans;   François    de    Costeblanche,   sieur    de    llslc; 
Robert  Desprez  et  François  Brigard,  avocat  au  Parlement  ', 
se  présentèrent   devant  la  reine  mère,  qui  était  encore 
à  Paris,  et  lui  déclarèrent  «  qu'ayant  esté  esleuz  depuis  le 
douziesme  de  mai  dernier  par  l'assemblée  générale  de» 
bourgeois  de  la  Ville  pour  prévost  des  marchans,  eschevins 
ot  procureur  de  ladicte  ville  de  Paris,  au  lieu  et  place  des 
derniers   précédens   prévost,  eschevins  et  procureur    de 
ladicte    Ville,    ils    auroient   accepté  et    exercé   lesdictes 
charges  jusqu'à  présent,  plus  pour  le  bien  du  service  du 
roy  et  seureté  de  ladicte  Ville  que  pour  aultre  respect  ny 
considération,  lesquelles  charges,  à  présent  que  les  affaires 
sont  plus  tranquilles  qu'elles  n'cstoient  lors,    ils  désire- 
roient  volontiers  remettre  et  s'en  décharger  ès-mains  de 
Sa  Majesté,  pour  y  estre  pourvcu  suivant  les  privilèges  de 
ladicte  Ville,  sy  elle  avoit  agréable  de  les  y  admettre  et 
recevoir,  comme  ils  l'en  ont  suplié  et  suplient  très  hum- 
blement *    ».   Prenant   cette  offre  de  démission  pour  ce 
qu'elle  valait,  Catherine  tira  cependant  parti  de  la  démar- 
che peu  sincère  des  officiers  municipaux  de  la  Ligue  pour 
affirmer  les  droits  du  roi,  et  répondit  qu'elle  allait  s'in- 


conte  absent,  selon  et  suivant  la  forme  prescrite  sur  les  ordonnances  de  la 
Ville;  et  à  ces  fins  sera  expédié  mandement  aux  cinqtianteniers  dudicl 
<|uartier.  Faict  au  Bureau  d'icelle  ville,  le  quatriesme  jour  dejuing,  l'an 
1S88.  »  Reo.,  iOid.,  f  148. 

1.  On  avait  fait  sur  la  nouvelle  municipalité  ligueuse  la  plaisanterie  sui- 
vante, que  l'Estoilb  a  conservée  :  «  J'ai  vu  Rolland  qu'on  pend  en  cotte 
blanche  entre  la  Chapelle  et  des  Prés,  »  c'est-à-dire  au  gibet  de  Mont- 
faucon,  qui  est  entre  la  Chapelle  et  les  Prés  Sainl-GervaLo. 

2.  Reo.  h,  1789,  ^  118.  Voy.  aussi  A«cb.  cor.,  1"  série,  t.  XI,  p.  439. 


GUISE  ET  PARIS   APRÈS  LES  BARRICADES  395 

former  <lo  sa  volonté;  en  attendant,  elle  invitait  le  sieur  de 
La  Chapelle  et  ses  collègues  à  continuer  l'exercice  de  leurs 
charges  et  lui  fit  délivrer  par  Villequier,  gouverneur  de 
Paris,  le  cachet  de  la  Ville  et  «  ensemble  les  clefs  du  Bureau 
et  armoiries  ».  Il  y  eut  un  procès-verbal  de  cette  remise 
qui  fut  contresigné*  par  le  secrétaire  d'État  Brulard  et 
signé  par  Catherine.  Quelques  jours  après,  le  20  juillet, 
Catherine  manda  au  Louvre  La  Chapelle-Marteau  avec  les 
quatre  échevins  et  leur  «  fit  entendre  le  roy  avoir  accepté 
la  démission  cy-dessus  déclairée,  et  néantmoings,  pour  le 
bon  rapport  qui  a  esté  faict  à  Sa  Majesté  de  leurs  personnes 
et  aultres  considérations,  veult  qu'ils  demeurent  ès- 
charges  des  prévost  des  marchands,  eschevins  et  procu- 
reur de  ladicte  Ville,  pour  en  continuer  l'exercice  jusques 
au  jour  de  la  fête  de  Notre-Dame  de  my-aoust  que  Ton 
contera  1590,  en  la  manière  accoustumée  ».  Après  quoi, 
les  cinq  ligueurs  desquels  on  avait  fait  au  roi  «  un  bon 
rapport  »  prêtèrent  le  serment  ordinaire  entre  les  mains 
de  Catherine  *.  Le  28  juillet,  les  nouveaux  élus  envoyèrent 
une  délégation  au  roi  pour  le  remercier  de  sa  bienveil- 
lance, «  luy  rendre  compte  de  l'état  de  la  Ville  et  supplier 
de  très  fidèle  affection  S.  M.  de  ne  la  priver  plus  Ion- 
temps  de  sa  présence  *  ».  Mais  personne  à  l'Hôtel  de  Ville 
ne  pouvait  se  faire  d'illusion  sur  le  résultat  de  cette  dé- 
marche. 

On  comprend  que  le  malheureux  roi  ne  fût  nullement 
disposé  à  se  remettre  à  la  discrétion  des  Parisiens.  Il  vou- 
lait bien  négocier,  traiter  avec  eux,  mais  à  distance.  Encore 
le  redoutable  réseau  des  intrigues  cléricales  menaçait-il 
d'envelopper  la  monarchie  en  fuite  et  de  l'étouffer  à  jamais. 
Le  travail  diplomatique  de  la  municipalité  parisienne  à  cette 
époque  est  vraiment  extraordinaire,  et  il  ne  paraît  avoir  été 

1.  Rbo.  h,  1789,  fo  179,  et  Aich.  cur.,  p.  440. 

2.  Ibid.,  fo  181,  et  Arch.  cob.  p.  441. 


396  PARIS  ET  LA  LIGUE 

suffisamment  étudié.  L'Hôtel  de  Ville,  depuis  la  retraite  du 
roi,  entretient  avec  toutes  les  grandes  villes  une  correspon- 
dance infatigable  dont  nous  avons  donné  plus  haut  quelques 
échantillons  *.  Cette  correspondance  se  poursuivit  pendant 
le  mois  de  juin  1588  avec  une  rare  activité.  Elle  était  évi- 
demment inspirée  par  ce  que  Pasquier  appelle  le  conseil 
d'État  du  duc  de  Guise  *.  Il  se  composait,  entre  autres,  de 
Bussy  le  Clerc,  Senault,  Aimonnot,  Louchard,  Heuron  et 
Crucé;  le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins  y  avaient 
voix  délibérative.  Sous  l'impulsion  des  chefs  du  parti,  la 
municipalité  ligueuse  se  met  en  relation  avec  toutes  les 
grandes  villes  de  France  et  varie  son  langage  avec  un  tact 
et  une  habileté  qui  révèlent  et  trahissent  la  collaboration 
du  duc  de  Guise.  Tantôt  les  magistrats  parisiens  félicitent 
une  municipalité  qui  est  avec  eux  en  complète  communauté 
de  vues  et  Texhortent  à  nouer  des  intelligences  avec  les 
villes  voisines.  C'est  ainsi  que,  le  9  juin,  ils  écrivent  au 
maire  et  aux  échevins  d'Orléans  :  «  Sy  vous  recongnoissez 
entre  vous  combien  vostre  dernier  bon  euvre  apporte  de 
seureté  à  voslre  ville,  nous  ne  pouvons  exprimer  la  con- 
jouissance  que  nous  en  recepvons  de  tous  costés  »;  et  le 
prévôt  des  marchands  prie  le  maire  d'Orléans  de  nouer 
une  correspondance  suivie  avec  Tours,  Chartres,  Angou- 
lème,  villes  avec  lesquelles  «  il  a  le  commerce  le  plus 
fréquent  ®  ».  Tantôt  on  engage  les  autres  villes  à  envoyer 
des  députés  au  roi  pour  appuyer  les  revendications  pari- 
siennes *,  et  l'on  affirme  que  le  roi  s'est  résigné  «  à  don- 

i.  Voy.,  page  373,  les  lellres  adressées  le  28  mai  à  la  ville  de  Rouen 
et,  vers  la  même  époque,  aux  villes  de  Lyon,  Sens,  Troyes,  Reims,  etc. 

2.  Pasquier,  livre  XU,  lettre  IX^  t.  H,  p.  346. 

3.  Reg.  h,  1789,  f«  152.  De  Tiiou  (t.  X,  p.  317  et  suiv.)  raconte  longue- 
ment les  négociations  entreprises  par  le  comte  de  Schomberg,  au  nom  du 
roi,  pour  décider  d'Entragues,  lieutenant  du  gouverneur  d'Orléans,  qui 
était  alors  nominalement  le  chancelier  CJIheverny,  à  remettre  la  ville  à 
Henri  III.  Ces  négociations,  qui  occupèrent  beaucoup  la  cour  ambulante 
du  vaincu  des  Barricades,  n'aboutirent  à  aucun  résultat. 

4.  Lettre  au  maire  de  Dijon,  Reo.  H^  1789,  f«  157.  Daus  cette  lettre,  la 


GUISB  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES  397 

ner  audience  aux  députés  de  toutes  parts  »  ;  qu'il  a  même 
envoyé  plusieurs  de  ses  officiers  à  la  reine  mère  «  pour 
adviser  à  pacifier  toutes  choses  avec  messieurs  les  prin- 
ces ».  Les  mêmes  exhortations  sont  adressées  à  la  ville  de 
Lyon  et  h  son  gouverneur  Mandelot,  dont  l'attitude  était 
douteuse.  Ici  les  Parisiens,  craignant  sans  doute  que  leur 
dépêche  ne  soit  communiquée  à  la  cour,  protestent  de  leur 
fidélité  et  de  leur  respect  pour  la  personne  royale,  tout 
en  regrettant  que  Sa  Majesté  se  trouve  circonvenue  par  les 
ennemis  des  bons  catholiques.  Aussi  convient-il  que  Lyon 
appuie  les  requêtes  présentées  au  roi  par  la  capitale,  et 
l'on  prie  le  gouverneur  Mandelot,  «  non  sans  se  recom- 
mander très  humblement  à  ses  bonnes  grâces  »,  de  favo- 
riser la  négociation  entamée  avec  la  mairie  de  Lyon  *.  A 
cette  première  lettre  en  est  jointe  une  autre  qui  est  adres- 
sée à  «  messieurs  les  maire  et  eschevins  de  la  ville  de 
Lion  ».  Le  prévôt  des  marchands  y  développe  toutes  les 
raisons  qui  doivent  engager  Lyon  k  s'unir  à  Paris.  Les 
principales  sont  tirées  de  la  fréquence  des  relations  com- 
merciales, qui  fait  que  «  Tune  des  deux  villes  ne  peult 
estre  destruicte  sans  trayner  après  soy  la  ruyne  totalle  de 
l'autre  »;  et,  en  second  lieu,  les  souvenirs  de  la  Saint- 
Barthélémy  qui  ont  rendu  les  Lyonnais  aussi  odieux  que 
les  Parisiens  à  ceux  de  la  nouvelle  religion.  «  Davantage, 
nostre  zelle  commun  à  l'honneur  de  Dieu  nous  a  rendus 
esgallement  hays  des  hérétiques  et  de  ceulx  qui  portent 
leur  parti,  pour  ce  que,  au  temps  de  la  Saincte-Barthelmy, 


Ville  de  Paris  accuse  u  ceux  qui  abusent  de  Tautorité  du  roi,  d'avoir 
voulu  se  saisir  de  la  yille  capitale  et  de  plusieurs  aultres  pour  les  rendre 
pivotz  de  restablîssement  d'un  roy  hérétique  en  France  »;  et  elle  déclare 
que  V Union  *  n'est  qu'une  ferme  alliance  que  les  princes  et  villes  catho- 
liques ont  ou  prennent  ensemble  pour  l'extirpation  des  hérésies,  pour  la 
tuition  et  delTense  de  la  religion  catholique  contre  les  forces  de  ses  enne- 
mis, ruses  et  artifices  de  leurs  fauteurs,  pour  le  soulaigement  du  peuple 
français,  tant  opprimé,  et  le  bien  et  repos  universel  du  seul  royaume  ». 
1.  Ric.  H,  1789,  fo  165.  Lettre  à  Mandelot,  en  date  du  23  juin. 


398  PARIS  ET  LA   LIGUE 

journée  de  laquelle  ilz  portent  une  cruelle  vengeance  es- 
critte  en  leur  âme,  nous  avons  faîct  une  toute  pareille 
démonstration  à  rencontre  d'eulx  *.  » 

Les  ligueurs  parisiens  ne  se  contentent  pas  d*une  pre- 
mière adhésion  ;  ils  tiennent  à  maintenir  les  relations  éta- 
blies et  à  leur  donner  une  sanction  effective.  C'est  ainsi 
que,  par  lettre  du  24  juin,  ils  remercient  d'abord  le  maire 
et  les  échevins  de  Bourges  de  leur  avoir  envoyé,  le  18, 
leur  procuration;  mais  il  faudra  que  les  magistrats  munici- 
paux de  Bourges  s'occupent  de  dresser  des  cahiers  de  remon- 
trances destinés  à  être  présentés  à  S.  M.  par  des  délégués 
spéciaux ,  car  tel  est  le  mot  d'ordre  donné  aux  autres 
villes  '. 

La  Ville  de  Paris  a  évidemment  la  prétention  d'exercer 
une  véritable  suprématie  sur  les  autres  cités.  Elle  distribue 
les  félicitations,  les  menaces,  les  conseils  suivant  Foccur- 
rence.  Nous  avons  vu  plus  haut  ^  que  Saint-Paul,  l'un  des 
lieutenants  du  duc  de  Guise,  n'avait  pu  réussir  à  s'emparer 
de  Melun.  A  la  date  du  10  juin,  les  magistats  municipaux 
de  la  capitale  écrivent,  en  termes  aigres-doux,  au  maire  et 
aux  échevins  de  cette  ville  pour  exprimer  le  regret  d'ap- 
prendre que  la  municipalité  de  Melun  s'est  laissé  persuader 
par  les  agents  du  roi  «  de  se  distraire  de  la  communaulté 
et  antienne  amitié  que  nous  avons  eue  ensemble  »,  disent 
les  bons  ligueurs  parisiens;  ces  derniers  supplient  leurs 
collègues  provinciaux  de  ne  pas  se  laisser  influencer  «  par 
les  passions  de  quelques  particuliers  »  et  do  contracter 

1.  Reg.  h,  1789,  P  167. 

2.  Ilnd.,  fo  169.  Dans  une  autre  lettre  datée  du  10  juin  {ibid.,  f»  152), 
la  Ville  de  Paris  avait  fait  savoir  au  maire  et  aux  échevins  de  Bourges  que 
les  agents  du  roi  vont  venir  saisir  tous  les  deniers  de  la  recette  générale 
qui  se  trouvent  dans  leur  ville  k  affin  d'oster  le  moien  d'acquitter  les 
gaiges,  les  rentes  ou  aultres  debtes  au  payement  desquelles  ilz  sont  affectez 
et  d'aultant  augmenter  le  nombre  des  malcontents  ».  C'est  un  prétexte 
pour  accuser  les  courtisans  «  d'avoir  machiné  la  ruyne  généralle  »  de  la 
France  et  pour  les  traiter  d'ennemis  jurés  du  repos  de  la  nation. 

3.  Voy.  p.  388. 


GUISE  ET  PARIS   APR&S  LES  BARRICADES  399 

union  avec  «  nos  seigneurs  les  princes,  comme  font  toutes 
ou  la  plupart  des  villes  *  ».  Corbeil,  ainsi  que  nous  Tavons 
dit  également  y  avait  été  évacué  par  les  troupes  royales; 
mais  la  Ligue  n'y  avait  pas  mis  de  garnison  ;'  le  prévôt  des 
marchands  écrit  le  15  juin,  au  maire,  «  qu'on  lui  donne 
souvent  allarme  et  deffiance  que  Ton  ne  surprenne  cette 
ville,  qui  est  une  des  advenues  »  de  Paris  *;  en  consé- 
quence, les  Parisiens,  tout  en  consentant  à  ne  pas  loger 
de  troupes  à  Corbeil,  y  envoient  un  délégué,  le  sieur  de 
Courty,  pour  assister  les  bourgeois  de  Corbeil,  ou,  en 
d'autres  termes,  pour  les  surveiller  et  leur  inculquer  les 
bons  principes. 

La  correspondance  des  ligueurs  parisiens  avec  le  maire 
et  les  échevins  d'Angoulème  présente  un  vif  intérêt,  parce 
que  cette  ville  se  trouvait  dans  le  gouvernement  du  dur 
d'Épernon,  et  que  l'ex-favori  s'était  dirigé  de  ce  côté  après 
sa  disgrâce.  Aidé  par  la  reine-mère,  Villeroi,  qui  négociait 
alors  avec  le  duc  de  Guise,  désirait  ardemment  se  venger 
des  affronts  que  d'Épernon  lui  avait  prodigués  en  mainte 
circonstance.  Le  roi  avait  lâchement  abandonné  le  duc  à 
ses  ennemis  et  à  la  Ligue,  et  avait  même  transmis  h 
Norman,  consul  d'Angoulême,  et  &  Pierre  des  Bordes, 
gouverneur  de  la  citadelle  de  cette  ville ,  l'ordre  de  nV 
recevoir  personne  avec  des  troupes.  C'était  la  fermer  à 
d'Épernon,  qui  se  trouvait  déjà  à  Loches,  en  Touraine. 
Averti  par  ses  amis  de  ce  qui  se  tramait  contre  lui,  le  duc 
devança  de  trois  jours  les  ordres  du  roi  et  tomba  comme 
la  foudre  à  Angoulème.  Jean  du  Houssay,  sieur  de  la  Borde, 
agent  du  roi  de  Navarre,  vint  l'y  retrouver  et  s'entendre 
avec  lui  sur  les  moyens  de  faire  face  à  la  Ligue.  Toute  la 
noblesse  de  la  province  accourut  pour  rendre  hommage  k 
Torgueilleux  d'Épernon,  qui  donna  des  tournois  comme 

1.  Reg.  h,  1789,  fM53. 

2.  Ibid.,  f»  163. 


400  PARIS  ET  LA  LIGUE 

un  vrai  souverain.  Mais,  dans  Tombre,  le  consul  Norman 
tramait  la  perle  de  Tancien  mignon  et  obtenait  de  Henri  III, 
par  l'intermédiaire  de  son  beau-frère,  un  sieur  Souchet, 
qui  alla  en  poste  à  la  cour,  Tordre  formel  de  se  saisir  de 
d'Épernon,  afin  qu'on  pût  Tobliger  à  remettre  au  roi  les 
villes  de  Boulogne  et  de  Metz  et  à  se  contenter  de  son  gou- 
vernement de  Provence.  Le  10  août,  Norman,  avec  quarante 
hommes  dont  les  armes  étaient   dissimulées,  envahit  le 
château  d'Angoulême  et  marcha  droit  à  Tappartement  de 
d'Ëpernon;  mais  il  rencontra  dans  l'antichambre  cinq  ou 
six  secrétaires  et  amis  du  duc  qui  firent  une  terrible  résis- 
tance. A  lui  seul,  le  Florentin  Gieronymi  blessa  quatre  des 
assaillants.  Quelques  gentilshommes  organisèrent  la  lutte 
€t  tuèrent  le  consul  Norman.  Mais  la  duchesse  était  prison- 
nière de  l'émeute,  et  les  agents  de  Villeroy  et  de  la  Ligue 
parisienne  avaient  soulevé  le  peuple,  qui  cernait  le  château. 
Les  conjurés  attendaient  un  détachement  de  troupes  royales 
que  le  baron  d'Aubeterre  devait  amener.  Déjà  l'on  appro- 
chait les  pétards  des  portes  du  château,  quand  l'arrivée 
du  sieur  de  Tagent,  lieutenant  de  d'Ëpernon,  qui  revenait 
de  Saintes  avec  un  détachement  de  cavalerie,  et  surtout 
l'apparition  d'un  corps  protestant,  expédié  par  le  roi  de 
Navarre  et  commandé  par  le  comte  de  Larochefoucauld, 
sauvèrent  le  malheureux  d'Ëpernon.  Il  était  temps;  le  duc 
avait  passé,  avec  ses  gens,  trente  heures  sans  boire  ni  man- 
ger, et  il  manquait  de  poudre.  L'abbé  d'Elbène,  familier  du 
duc,  servit  d'instrument  de  transaction  :  les  barricades 
élevées  autour  du  château  furent  abattues;  la  duchesse 
d'Ëpernon  fut  rendue  à  son  mari,  qui,  de  son  côté,  rendit 
les  cadavres  de  Norman  et  de  son  frère,  ainsi  que  les  prison- 
niers qu'il  avait  faits,  grâce  à  des  prodiges  de  valeur  qui 
prouvent,  une  fois  de  plus,  que  les  mignons  de  Henri  III 
étaient  d'héroïques  soldats.  A  peine  libre,  d'Ëpernon  écrivit 
au  roi  pour  accuser  Villeroy  de  cet  abominable  complot,  et 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES  401 

la  responsabilité  de  Henri  III  lui-même  n'était  pas  niable, 
car  le  consul  Norman,  mourant  et  mis  à  la  question  par 
d'Épernon  *,  avait  tout  révélé.  Le  roi  s'en  tira  par  une 
lâcbeté  nouvelle,  en  répondant  à  d'Épernon  qu'il  n'avait 
voulu  le  faire  arrêter  que  pour  le  ramener  auprès  de  lui  et 
le  traiter  comme  son  propre  fils. 

Il  fallait  résumer,  ces  étranges  événements,  qui  pour- 
raient fournir  le  sujet  d'un  roman  d'aventures,  avant  de 
citer  la  lettre  de  la  Ville  de  Paris  au  maire  ou  consul 
d'Angoulême,  dont  la  destinée  devait  être  si  tragique. 
Cette  lettre  est  antérieure  au  guet-apens  tenté  contre  le 
château  d'Angoulême,  puisqu'elle  porte  la  date  du  18  juin. 
Elle  fut  confiée  à  un  émissaire  que  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris 
avait  chargé  de  faire  de  vive  voix  aux  ligueurs  d'Angou- 
lême le  récit  des  événements  survenus  dans  la  capitale. 
Envoyez-nous  des  députés,  disaient  les  Parisiens,  «  avec- 
que  amples  pouvoirs  et  mémoires  tant  sur  vostre  advis 
des  choses  publicques  que  pour  ce  qu'en  particuUier  vous 
pouvez  désirer,  à  ce  que  unanimement  et  communément 
nous  dressions  noz  supplications  et  requestes  à  S.  M.  entre 
celles  qui  desjà  lui  ont  esté  faictes  par  messeigneurs  les 
princes  catholiques  de  notre  Union  *  ».  Et,  dans  un  post- 
scriptum,  le  prévôt  des  marchands  ajoutait  que  la  Ligue 
avait  saisi  des  lettres  du  duc  d'Ëpernon  qui  ne  laissaient 
aucun  doute  sur  les  tentatives  faites  par  lui  pour  détourner 
Angoulême  de  l'Union  catholique  ;  en  conséquence,  les  ma- 
gistrats parisiens  annonçaient  au  maire  qu'ils  donnaient 
mission  à  M.  de  Saint-Luc  de  maintenir  les  habitants 
d'Angoulême  dans  des  sentiments  sympathiques  à  la  Ligue. 
La  suite  prouva  que  Saint-Luc  remplit  consciencieusement 
sa  mission,  car  la  population  d'Angoulême  passa  presque 

1.  Db  Thou  n'affirme  pas  le  fait,  mais  le  rapporte  comme  une  probabi- 
lité; et  Ton  sait  que  d'Épemon  n'avait  pas  Tâme  tendre,  d'autant  qu'il 
courait  lui-même  danger  de  mort. 

2.  Rio.  H,  1789,  fo  169. 

ROBIQUET.  26 


403  PARIS  ET  LA  LIGUE 

tout  entière  au  parti  des  conjurés,  et  elle  eût  fait  un  mau- 
vais parti  à  d'Ëpernon  si  ce  dernier  n'avait  pas  été  secouru 
à  temps. 

La  Ville  de  Paris  ne  se  bornait  pas  à  correspondre  avec 
les  principales  cités  de  France;  elle  se  tenait  également 
en   relations  suivies  avec   les    principaux   seigneurs   du 
royaume.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'elle  écrit  le  7  juin 
1588  au  duc  de  Nevers  pour  le  prier  «  de  vouloir  s'unir 
avecq  les  princes  catholiques  en  la  poursuite  de  la  requeste 
par  eulx  pour  cest  effect  présentée  à  S.  M.  *  »  ;  le  14  juin,  à 
M.  de  Villars,  gouverneur  du  Havre,  pour  le  prier  de  donner 
son  adhésion  «  à  la  requeste  présentée  au  roy  par  messei- 
gneurs  les  princes  catholiques  »  et  la  plupart  des  bonnes 
villes.  Les  Parisiens  essayent  de  démontrer  au  gouverneur 
que  ladite  requête  ne  tend  «  que  par  suite  de  religion,  à 
rendre  au  roy,  nostre  souverain  seigneur,  toute  obéissance 
et  iidellité,  de  le  requérir  du  repos  de  son  pauvre  peuple  *  »>. 
De  Villars,  ami  du  duc  de  Guise,  n'avait  pas  besoin  de 
méditer  ce  langage  hypocrite  pour  donner  son  concours  à 
la  Ligue;  mais  la  municipalité  du  Havre  penchait  plutôt 
pour  le  parti  du  roi,  et  la  Ville  de  Paris  dut  lui  adresser, 
le  24  juin,  une  lettre  particulière  pour  la  presser  «  de  $o 
résoudre  à  l'Union,  soubz  la  bonne  conduite  de  M.   de 
Villars,  son  gouverneur  '  ».  Lorsque  la  Ville  n'écrit  plus 
à  des  princes  encore  hésitants,  mais  à  des  chefs  de  la  Ligue 
et  surtout  aux  membres  de  la  famille  de  Lorraine,  c'est  le 
ton  du  dithyrambe  qu'elle  emploie.  Dans  sa  lettre  du  10 
juin,  elle  félicite  le  duc  de  Mayenne  d'être  «  l'ung  des 
princes  de  la  France  ausquelz  Dieu  a  mis  en  main  les 
armes  et  la  magnanimité  en  son  couraige  pour  s'opposer 

1.  Rio.  h,  1789,  ^  149. 

2.  Mitf.,  f«  156. 

3.  /6td.,  f  136.  De  Thou  dit  que  de  Villars  finit  par  se  déclarer  ouverte- 
ment pour  le  duc  de  Guise,  malgré  les  pressantes  sollicitations  de  Grillon  * 
^ue  le  roi  envoya  deux  fois  au  Havre.  T.  X,  p.  324. 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       403 

à  rhérésie  et  à  la  tyrannie  que  Ton  veoit  pied  à  pied  envahir 
ce  royaume,  par  le  mauvais  conseil  de  ceulx  que,  pour  la 
pugnition  de  noz  faultes,  Dieu  a  permis  s*eslever  aux  plus 
grandes  dignitez  et  entreprendre  une  aucthorité  par-dessuz 
les  naturelz  conservateurs  et  de  la  religion  et  de  TEstat  *  ». 
Quand  le  cardinal  de  Guise  se  rendit  maître  de  Troyes  * 
dans  les  circonstances  que  nous  avons  racontées,  la  muni- 
cipalité parisienne  écrivit  «  à  Tilluslrissime  et  révérendis- 
sime  cardinal,  duc  et  archevêque  de  Rheims  et  premier 
pair  de  France  »  pour  le  féliciter  de  «  Theureux  succès  de 
ses  affaires  avecq  MM.  de  la  ville  de  Troyes  »>.  Le  prévôt 
des  marchands  et  les  échevins,  qui  se  disent  eux-mêmes 
«   tous  gens  de  bien,  catholiques  et  fidellcs  subjectz  du 
roy  »,  se  déclarent,  en  outre,  «  obligés  à  sacriffier  leurs  vyes 
et  moyens,  après  la  cause  généralle,  au  service  particulier 
qu'ils  doibvent  au  cardinal,  et  ils  terminent  par  cet  acte  de 
soumission  respectueuse  :  Commandez  doncques,  s'il  vous 
pLaist,  et  aux  effectz  vous  congnoistrez  que  vous  n'avez  et 
n* aurez  jamais  de  plus  affectionnez  serviteurs  que  nous  ^  ». 
En  face  de  cette  coalition  des  villes  et  de  l'aristocratie 
ligueuses,  Henri  III  paraissait  bien  faible.  Promenant  sa 
petite  cour  de  Chartres  à  Vernon,  puis  de  Vernon  à  Rouen, 
où  il  était  entré  le  11  juin,  il  n'essayait  même  pas  un 
semblant  de  résistance  et,  tandis  qu'il  s'amusait  à  donner 
des  joutes,  comme  si  le  royaume  eût  joui  de  la  tranquillitr 
la  plus  profonde,  ses  émissaires  avaient  pour  mission  exclu- 
sive de  chercher  à  deviner  les  conditions  auxquelles  le  duc 
de  Guise  accepterait  un  accord.  Gaspard  de  Schomberg, 
Marc  Miron,  premier  médecin  du  roi,  Nicolas  de  Neuville, 
sieur  de  Villeroy,  servaient  d'intermédiaires  habituels  entre 
Henri  III,  d'une  part,  et  Catherine  et  Guise,  d'autre  part. 


1.  Rbg.  h,  1789,  fo  133. 

2.  Voy.  plus  haut,  p.  388. 

3.  Ibid,,  P>  163. 


404  PARIS  ET  LA   LIGUE 

Le  roi  avait  autorisé  Villeroy  à  offrir  au  vainqueur  des 
Barricades  le  titre  de  connétable.  Catherine  conseilla  de 
ne  lui  donner  que  celui  de  généralissime.  Elle  savait  par 
Schomberg  qu'il  s'en  contenterait.  Après  bien  des  pour- 
parlers, les  chefs  de  la  Ligue  firent  remettre  au  roi  le  der- 
nier mot  de  leurs  revendications.  Elles  différaient  peu  des 
Articles  de  Nancy.  Les  princes  demandaient,  en  résumé, 
que  le  roi  reconnût  la  Sainte-Union,  lui  laissât  pendant 
six  années  la  jouissance  des  villes  de  sûreté,  fît  publier  et 
observer  en  France  les  décisions  du  concile  du  Trente, 
ordonnât  la  vente  des  biens  des  protestants  et  mît  sur 
pied  deux  armées,  dont  Tune  agirait  en  Poitou,  sous  les 
ordres  du  duc  de  Guise,  et  Tautre  en  Dauphiné,  sous  les 
ordres  du  duc  de  Mayenne. 

Telle  était,  en  substance,  cette  fameuse  requête  dea 
princes  catholiques  dont  il  est  si  souvent  question  dans 
les  lettres  de  la  municipalité  parisienne  et  que  Villeroy 
porta  au  roi  le  i5  juin.  Mais,  en  dehors  de  cette  requête 
des  princes,  à  laquelle  se  joignit  THôtel  de  Ville  de  Paris, 
les  meneurs  parisiens  adressèrent  au  roi,  sous  le  titre  de 
remontrances,  une  série  d'articles  supplémentaires  dont  ils 
demandaient  la  ratification  '.  Voici  le  résumé  de  ces  arti- 
cles :  Le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins  seront 
investis  du  soin  d'assurer  la  police  de  la  Ville,  ce  qui  ne 
constituera  qu'un  retour  aux  coutumes  anciennes  et  mettra 
Paris  sur  le  même  pied  que  beaucoup  d'autres  villes  moins 
importantes,  comme  Toulouse,  Bordeaux,  Amiens,  Châlons; 
M.  d*0  ne  sera  jamais  gouverneur  de  Paris  ;  la  Bastille 
sera  remise  à  la  garde  du  prévôt  des  marchands  ou  bien 
elle  sera  rasée,  si  Sa  Majesté  le  préfère;  défense  sera  faite 
aux  gens  de  guerre  de  se  loger  à  moins  de  douze  lieues  de 
Paris,  et,  s'ils  enfreignent  cette  prohibition,  le  prévôt  des 

i.  Mém,  de  Severs,  l.  I,  p.  133.  Ces  remontrances   portent  la  date  du 
5  juillet,  et  chaque  article  est  suivi  de  la  réponse  du  roi. 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       405 

marchands  et  les  échevins  pourront  <<  leur  faire  courre  sus  »  ; 
le  prévôt  Rapin  sera  destitué  %  et  sa  charge  sera  donnée  à 
un  catholique  non  suspect;  le  roi  nommera  un  chevalier 
du  guet  sur  une  liste  de  trois  candidats  dressée  par  la 
Ville;  le  roi  ne  détournera  plus  les  deniers  des  recottes 
générales,  grenier  à  sel,  ou  du  clergé,  affectés  au  payement 
des  rentes  sur  l'Hôtel  de  Ville  ;  les  lettres  d'anoblissement 
données  par  le  roi  en  1577  aux  prévôts  des  marchands  et 
aux  échevins  seront  vérifiées  en  Parlement  «  fors  et  excepté 
pour  le  regard  dos  derniers  prévost  des  marchands  et  quatre 
échevins  qui,  par  la  voix  commune,  ont  esté  démis  de 
leurs  charges  ».  S.  M.  révoquera  les  survivances  consenties 
sur  la  demande  de  certains  conseillers  de  Ville  ou  quarti- 
niers  et,  advenant  leurs  démissions  ou  leurs  décès,  il  y 
sera  pourvu  par  voie  d'élection.  En  outre,  sans  attendre  la 
démission  ou  la  mort  des  quartiniers  en  charge  et  autres 
officiers  municipaux,  on  en  élira  d'autres  selon  les  formes 
accoutumées,  et  leur  mandat  ne  sera  valable  que  pour  deux 
ou  trois  ans;  les  élus  ne  seront  rééligibles  qu'après  un 
intervalle  de  quatre  ou  six  ans,  et  ils  devront  être  nos  h 
Paris. 

«  Afin  que  les  quartiers  de  la  ville  puissent  estre  remar- 
quez et  signalez  par  autres  marques  que  des  noms  des- 

1.  Il  s'agit  ici  du  poète  co-auteur  de  la.  Ménippée.  Voici  ce  que  dit 
l'Estoile  à  ce  sujet  :  «  M.  Aappin,  prévôt  de  l'hostcl,  fut  chassé  en  ce 
temps  (11  juillet)  de  Paris,  pour  estre  fidelle  serviteur  du  roy,  et  despouillé 
de  son  estât,  duquel  la  Ligue  investit  un  larron  nommé  La  Morliére  ». 
On  devine  bien  que  le  poète  illustré  par  la  puce  de  Mlle  Dearoches  se 
vengea  de  la  Ligue  par  des  vers  que  TEstoile  nous  a  conservés.  Leur 
•accent  est  celui  de  la  douleur  et  de  la  misère.  Le  pauvre  Rapin  avait  une 
femme  et  neuf  enfants. 

Qao  fugiam  extorrii»,  sine  munere  privas  el  exapes, 
Conjuge  cam  châra  pignoribtiâque  novem  7 

Voici  la  réponse  du  roi  aux  Parisiens  qui  demandaient  sa  destitution 
<t  attendu  que  ses  déportemens  Tont  rendu  très  odieux  &  tous  les  liabitans 
<le  la  ville  ».  Henri  III  ne  montra  jamais  moins  de  dignité  :  •  Pour  le 
regard  dudit  Rapin,  Sa  Majesté,  voulant  s'en  servir  ailleurs,  luy  comman- 
•dera  de  résigner  ladite  charge  à  personne  capable  et  fidelle  &  son  service  ». 


406  PARIS   ET  LA   LIGUE 

dits  quarteniers,  qu'il  plaise  à  Sa  Majesté  trouver  bon  qut» 
les  quartiers  soient  nommez  ou  par  les  Églises  principales 
ou  par  les  places  communes  qui  sont  en  iceux,  sans  que 
floresnavant  ils  puissent  porter  les  noms  desdits  quarte- 
niers *.  »  Les  colonels,  capitaines,  lieutenants  et  enseignes 
qui  ne  seraient  pas  élus  selon  les  formes  seront  destitués 
et  remplacés  par  les  suffrages  des  bourgeois  de  chaque 
dizaine  pour  les  capitaines  et  officiers  subalternes,  et  par 
les  suffrages  des  capitaines  et  lieutenants  pour  les  colonels. 
Les  interdictions  de  prêcher  faites  à  certains  prédicateurs 
seront  levées.  Nul  hérétique  ne  sera  admis  à  remplir  les 
charges  publiques  de  la  Ville.  «  Justice  sera  promptement 
faicte  tant  de  ceux  qui  sont  h  présent  es  prisons  que  des 
autres  qui  y  seront  amenez  cy-après.  » 

Le  roi  accueillit  toutes  ces  sommations,  malgré  l'inso- 
lence de  la  forme  où  elles  étaient  présentées,  avec  une» 
patience  et  une  faiblesse  étonnantes.  Il  céda  sur  presque 
tous  les  points;  promit  de  combler  les  fossés  de  la  Bastille, 
du  côté  de  Paris;  d'interdire  aux  protestants  l'accès  des 

1.  En  marge  de  cet  article,  le  roi  écrivit  acco9x((f,  et  il  tint  sa  promesse, 
car  nous  trouvons  dans  les  Registres  de  la  Ville,  f>  185,  U,  1789,  le  docu- 
ment ci-dessous  : 

État  des  noms  desguelz  le  roi  veult  que  les  seize  quartiers  de  la  ville  de 
Paris  soient  doresnavant  nommez.  Le  quartier  que  Ton  soaloit  appeler  de 
Carrel  se  nommera  doresnavant  de  Saincte-Genefiesve;  celuy  de  Huot  se 
nommera  5ainc^5tft;rm;  celuy  de  Guerrier,  de  Nostre-Dame:  celuy  de  Danès, 
du  Saint-Esprit;  céiuy  de  Goix,  de  Saint-Jehan  ;  celuy  de  ChoiWy,  de  Saint- 
Gen^ais;  celuy  de  Parfaict,  de  Saint- Anthoine  ;  celuy  de  Charpentier,  du 
Temple;  celuy  de  Vassenr,  de  Saint-Marlin  ;  celuy  de  Beausse,  le  Sépul- 
chre;  celuy  de  Bourlon,  Saint-Jacques  de  VHospital;  celuy  de  Gambier,  de 
Saint-Eustache;  celuy  de  Canaye,  de  Saint-Honoré ;  celuy  de  Parlan,  de  Saint- 
Germain  de  VAuxerrois;  celuy  de  Duranlel,  Saint-Jacques  de  la  Boucherie: 
celuy  de  Bourgeois,  des  Sainctz-Innocentz.  Faict  à  Chartres  le  1"  jour 
d*aou8t  1588.  Signé  Henry;  et  plus  bas  de  Neufvillb. 

Ce  document  est  important,  puisqu'il  constitue  l'abolition  d'une  coutume 
introduite  par  les  quartiniers.  Seulement  il  a  servi  de  texte  à  des  appré- 
ciations inexactes;  c'est  ainsi  que  Leroux  de  Lincv  (Hist.  de  VHôtel  de 
Ville  de  Paris,  p.  198)  attribue  à  Henri  III  l'initiative  de  cette  réforme,  alor? 
que  le  texte  des  remontrances  des  Parisiens  que  nous  analysons  prouve 
que  le  roi  ne  fit  qu'obéir  aune  sommation.  C'est  ici  l'occasion  de  rappeler 
que  Paris  comptait  seize  quartiers  depuis  1383,  sous  Charles  VI.  Aupara- 
vant, il  n'en  comprenait  que  huit,  et  quatre  avant  Philippe-Auguste. 


GUISfi  ET  PARIS   APRÈS  LES  BARRICADES  407 

charges  publiques  ;  de  nommer  une  commission  pour  statuer 
sur  la  question  de  la  police  de  la  ville  ;  d'éloigner  les  gens 
de  guerre  de  la  capitale,  dans  un  rayon  de  douze  lieues; 
de  ne  plus  saisir  les  deniers  affectés  au  payement  des 
rentes  ;  de  réduire  le  nombre  des  conseillers  de  Ville  au 
chiffre  de  24  ;  de  révoquer  les  survivances,  de  rendre  élec- 
tives les  charges  de  quartiniers,  de  colonels,  capitaines 
et  lieutenants...  Il  exprima  seulement  le  désir  de  laisser 
les  quartiniers  en  charge  exercer  leurs  fonctions  pendant 
deux  ou  trois  ans,  dans  le  cas  où  une  assemblée  de  Ville 
déciderait  de  rendre  les  quartiniers  temporels;  et  la  volonté 
de  maintenir  les  colonels,  capitaines  et  lieutenants  en 
charge  *. 

C'est  à  Rouen,  le  5  juillet,  que  le  roi  avait  donné  ses 
réponses  aux  requêtes  des  Parisiens  *.  C'est  aussi  à  Rouen, 
et  quelques  jours  plus  tard,  qu'il  signa  TEdit  sur  l'union 
de  ses  sujets  catholiques  ou,  pour  parler  clairement,  sa 
capitulation  devant  la  Ligue  \  Dans  un  onctueux  préam- 
bule, Henri  III  dissitnule  son  profond  dépit  sous  un  flot 
d'épanchements  mystiques.  A  l'en  croire,  s'il  traite  avec 
ceux  qui  l'ont  humilié  et  chassé  de  sa  capitale,  c'est  uni- 
quement pour  obéir  à  des  scrupules  de  conscience.  «  Re- 
mettant devant  nos  yeux  ce  à  quoi  le  devoir  d'un  bon  roi 
très  chrétien  et  premier  fils  de  l'Église  nous  oblige,  avons 

1.  Nous  avons  vu  plus  haut,  p.  392,  que  la  Ville  n'avait  tenu  aucun 
compte  de  la  volonté  du  roi  et  avait  coraplètenaent  renouvelé  les  cadres 
des  colonels,  capitaines  et  lieutenants,  ainsi  que  ceux  des  quartiniers. 

2.  Les  Mém.  de  Nevers,  p.  741,  donnent,  à  la  suite  des  remontrances  des 
Parisiens,  une  décision  du  Conseil  du  roi,  signée  par  Catherine  le  14  juillet, 
qui  contient  «  ce  qui  a  esté  depuis  advisé  sur  aucuns  articles  des  susdites 
remonstrances  ».  Geitherine  nomme  une  commision,  où  figurent  le  prévôt 
des  marchands,  Tun  des  échevins  et  quatre  notables,  pour  o  adviser...  de 
tout  ce  qui  concernera  le  fait  et  Tordre  de  la  police  de  la  ville  ». 

3.  Mim.  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  368.  Le  Père  Lelong,  dans  sa  Bibl,  de  la 
France,  reproduit  Tintitulé  de  l'édit  dans  les  termes  suivants  :  «  Édit  du 
Roi  sur  Tunion  de  ses  sujets  catholiques,  avec  les  articles  accordés  au  nom 
de  Sa  Majesté  entre  la  Reine  sa  mère,  d'une  part;  le  cardinal  de  Bourbon, 
le  duc  de  Guise  et  autres  qui  ont  suivi  ledit  parti,  d'autre  part.  Du 
21  juillet,  in-S»,  Tours,  1588.  » 


408  PARIS   ET  LA   LIGUE 

résolu  (loules  autres  considérations  postposées)  de  pour- 
voir, tant  qu'il  plaît  à  Dieu  qu'il  soit  au  pouvoir  des  hom- 
mes, à  ce  que,  de  notre  vivant,  il  soit  établi  au  fait  de  notre 
religion  catholique,  apostolique  et  romaine,  un  bon  et 
assuré  repos;  et  lorsqu'il  plaira  à  Dieu  disposer  de  nos 
jours  pour  nous  appeler  à  sa  foi,  nous  puissions  nous  repré- 
senter devant  sa  sainte  face,  portant  on  notre  conscience 
que  nous  n'avons  rien  obmis  de  ce,  où  Tesprit  humain 
s'est  pu  étendre,  pour  obvier,  qu'après  notre  décès  il 
n'advienne  en  celui  notre  roïaume  changement  ou  altéra- 
tion au  fait  de  la  religion.  «  Après  cette  explication  édi- 
fiante, le  roi  renouvelle  solennellement  le  serment,  prêté 
par  lui  lors  de  son  sacre,  d'extirper  du  royaume  «  tous 
schismes  et  hérésies,  condamnés  par  les  saints  conciles,  et 
principalement  par  celui  de  Trente,  sans  faire  jamais 
aucune  paix  ou  trêve  avec  les  hérétiques,  ni  aucun  édit 
en  leur  faveur  ».  Il  exhorte  ses  sujets  à  l'aider  dans  cette 
œuvre  pie  et  leur  ordonne,  pour  le  cas  où  il  mourrait  sans 
enfants,  «  de  ne  recevoir  à  être  roi,  prêter  obéissance  à 
prince  quelconque  qui  soit  hérétique  ou  fauteur  d'hérésie  ». 
Il  promet  de  ne  pourvoir  d'aucune  charge  ou  office  ceux 
qui  ne  justifieraient  pas  de  leur  catholicisme  par  l'attes- 
tation de  l'évêque  ou  de  ses  vicaires  «  avec  la  déposition 
de  dix  témoins,  personnages  .qualifiés  et  non  suspects  ». 
Par  une  contradiction  bizarre,  qui  caractérise  admirable- 
ment la  fausse  situation  du  monarque,  il  enjoint  à  tous  les 
sujets  «  qui  se  sont  ci-devant  déclarés  associés  ensemble 
contre  les  hérétiques  »  de  jurer  w  de  se  défendre  et  con- 
server les  uns  les  autres  sous  son  autorité  et  commande- 
ment »,  ce  qui  est  bien  permettre  et  légitimer  la  Ligue; 
puis,  dans  un  autre  article,  il  veut  que  les  mêmes  sujets 
«  jurent  de  se  départir  de  toutes  unions,  pratiques,  intelli- 
gences ,  ligues  et  associations  contraires  à  la  présente 
union  et  à  la  personne  et  autorité  royale  ».  Une  amnistie 


ir  . 


GUISE  ET  PARIS   APRÈS  LES  BARRICADES  409 

générale  était  enfin  accordée  par  Tédît  à  tous  les  méfaits 
passés  des  ligueurs,  sans  excepter  «  ce  qui  est  advenu  et 
s'est  passé  les  douze  et  treizième  du  mois  de  mai  ». 

Cet  édit  fut  enregistré  au  parlement  de  Rouen  le 
19  juillet,  et,  deux  jours  après,  au  parlement  do  Paris.  II 
était  complété  par  des  articles  secrets,  beaucoup  plus 
importants  que  les  dispositions  de  Tédit  lui-même,  qui  ne 
consistaient  guère  que  dans  des  phrases  creuses  *.  Cette 
convention  portait,  en  substance,  que  le  roi  confirmait  le 
traité  passé  à  Nemours  le  7  juillet  1388;  qu'il  lèverait  deux 
armées  pour  opérer  contre  les  hérétiques,  Tune  en  Poitou, 
dont  le  roi  désignerait  le  chef,  l'autre  en  Dauphiné,  sous  le 
commandement  de  Mayennes  que  le  concile  de  Trente 
serait  publié  au  plus  tôt,  sous  réserve  des  droits  de  la 
couronne  et  des  libertés  de  TEglise  gallicane,  lesquels 
seraient  définis  par  une  assemblée  spéciale  ;  que  les  places 
de  sûreté  accordées  aux  princes  par  le  traité  de  Nemours 
ne  seront  pas  rendues  à  S.  M.  avant  l'expiration  d'un 
délai  de  six  ans;  que  Valence  serait  remise  au  sieur  de 
Oessan,  chassé  de  cette  place  par  La  Valette;  que  M.  de 
Belloy  rentrerait  en  possession  du  Crotoy  ;  que  le  gouverne- 
ment de  Boulogne  serait  enlevé  à  M.  do  Bernay,  ce  lieute- 
nant du  duc  d'Épernon  qui  s'était  si  bien  défendu  contre  le 
<luc  d'Aumale.  Les  articles  secrets  disaient  encore  qu'il 
serait  procédé  incessanmicntà  la  vente  des  biens  apparte- 
nant aux  hérétiques;  que  le  roi  entretiendrait  à  ses  frais 
les  régiments  de  Saint-Paul  et  de  Sacremore,  et  les  gar- 
nisons de  Toul,  Verdun,  Marsal  et  Metz;  que  les  compa- 
gnies de  cavalerie  légère  levées  par  les  princes  seraient 

1.  Voy.  dans  les  Mém,  deNevers^  1. 1,  p.  723,  le  texte  complet  des  articles 
secrets.  En  Toici  Tintitulé  :  u  Articles  accordez  au  nom  du  roy,  entre  la 
•reine  sa  mère,  d'une  part,  monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon  et  mon- 
sieur le  duc  de  Guise,  tant  pour  eux  que  pour  les  autres  princes,  prélats, 
seigneurs  gentilhommes,  villes,  communaustez  et  autres  qui  ont  suivix 
leur  party,  d'autre  part;  la  reine  présente.  »  De  Thou  en  donne  une  fldèlc 
analyse,  t.  X,  p.  325. 


410  PARIS  ET  LA  LIGIE 

traitées  sur  le   même   pied   que    les   autres  troupes    du 
roi. 

Si  toutes  ces  exigences  devaient  sembler  intolérables  à 
Torgueil  du  roi,  les  conditions  relatives  à  Paris  avaient 
quelque  chose  de  plus  amer  encore  et  de  plus  humiliant 
pour  le  souveraip.  Henri  III  s'engageait  à  confirmer  dans 
leurs  charges  le  prévôt  des  marchands,  les  échevins  et 
tous  les  officiers  municipaux  et  les  capitaines  de  la  milice 
qui  tenaient  leur  nomination  de  la  Ligue.  Ils  donneraient 
seulement  leurs  démissions  pour  la  forme  et  seraient  réin- 
stitués par  S.  M.  Tous  les  prisonniers  faits  de  part  et 
d*autre  depuis  le  12  mai  seraient  remis  en  liberté,  et  la 
Bastille  ferait  retour  au  roi  ^  Rien  ne  pouvait  être  plus 
pénible  au  vaincu  des  Barricades  que  le  maintien  à  THôtel 
de  Ville  de  ceux  qui  avaient  remplacé,  grâce  à  Témeute, 
les  magistrats  légitimes.  De  Thou  atteste  qu'après  la  dou- 
leur qu'il  éprouva  en  quittant  Paris  comme  un  fugitif, 
Henri  n'en  connut  pas  de  plus  vive  que  cette  sorte  de  révo- 

1.  Voici  le  texte  même  des  articles  concernant  Paris  :  «  Ceux  qui  exer- 
cent a  présent  les  charges  de  prévost  des  marchands  et  escheTîus  de  la 
Ville  de  Paris,  remettront  présentement  lesdites  charges  es  mains  de 
sadite  Majesté,  laquelle,  ayant  esgard  à  la  remonstrance  qui  luy  a  esté 
'  faite  du  besoin  qu*a  ladite  Ville  qu'ils  continuent  à  servir  en  icelle,  ordon- 
nera qu'ils  y  soient  réintégrez  et  maintenus,  tant  jusques  à  la  Nostre-Dame 
d'aoust  prochain  venant  que  pour  deux  ans  après.  Quant  à  Brigard,  qui 
a  esté  esleu  en  Testât  et  office  de  procureur  du  roy  et  de  la  Ville,  il  le 
remettra  pareillement  entre  les  mains  de  Sadite  Majesté,  laquelle  ordon- 
nera qu'il  exercera  jusqu'à  la  my-aoust  1590.  Et  cependant  Perrot  jouira 
des  gages  ordinaires  que  la  Ville  a  accoustumé  payer  et  des  pensions  qu'il 
a  pieu  au  roy  cy-devant  accorder  pour  ledit  office;  et  sera  remboursé  par 
celuy  qui  sera  esleu  pour  exercer  ledit  office  après  ledit  jour  de  my- 
aoust  1590,  de  la  somme  de  40,000  livres,  au  cas  qu*il  plaise  à  Sa  Majesté 
continuer  audit  nouveau  esleu  lesdites  pensions.  Et  où  Sa  Majesté  ne 
voudroit  continuer  lesdites  pensions,  sera  ledit  Perrot  seulement  rem- 
boursé de  la  somme  de  3,000  livres.  —  Le  chasleau  de  la  Bastille  sera 
remis  entre  les  mains  de  Sa  Majesté  pour  en  disposer  ainsi  qu'il  luy  plaira. 
Sa  Majesté  fera  eslection  d'ung  personnage  &  elle  agréable  et  à  ladite 
Ville,  pour  estre  pourveu  de  Testât  de  chevalier  du  guet.  Les  magistrats, 
conseillers  et  autres  officiers  des  corps  des  villes,  ensemble  les  capitaines 
qui  ont  esté  changez  ès-villes  de  ce  royaume,  qui  ont  suivy  le  party  des- 
dits seigneurs  princes,  se  démettront  pareillement  entre  les  mains  de 
Sadite  Majesté  desdites  charges;  laquelle  les  y  fera  réintégrer  prompte- 
ment  pour  le  bien  et  la  tranquilité  d'icelle.  »  Mém.  de  Nevei*s,  t.  I,  p.  728. 


GUISE  ET  PARIS   APRES  LES  BARRICADES  411 

lution  municipale,  parce  qu'elle  creusait  un  abîme  entre  les 
Parisiens  et  la  couronne  *.  L'Estoile,  de  son  côté,  affirme 
—  et  on  le  croira  sans  peine  —  que  «  le  roy  tisfcc  second 
édit  de  juillet  pour  la  Ligue,  autant  contre  son  cœur  que  le 
premier,  et  le  vid-on  pleurer  en  le  signant,  regrettant,  ce 
bon  prince,  son  malheur  ,  qui  le  contraignoit ,  pour 
asseurer  sa  personne,  de  bazarder  son  Estât  '  ». 

Il  fallut  encore  que  le  pauvre  roi  ordonnât  des  réjouis- 
sances et  des  fêtes  pour  célébrer  sa  propre  bumiliation! 
Après  la  publication  de  Tédit  d'Union  au  parlement  de 
Paris  (21  juillet),  il  y  eut  un  Te  Deum  solennel  auquel 
assistèrent  les  grands  corps  de  rÉtat  et  tout  ce  qui  restait 
de  la  cour  dans  la  capitale,  car  les  royalistes  fidèles  entou- 
raient le  monarque  à  Rouen,  où  fut  d'ailleurs  célébré  un 
autre  Te  Deum  dans  la  cathédrale  de  cette  ville.  La  muni- 
cipalité parisienne  ne  manqua  pas  de  donner  le  plus 
d'éclat  possible  aux  cérémonies  de  conmiande  dont  le 
véritable  but  était  la  glorification  d'une  émeute  victorieuse 
que  le  vaincu  lui-même  devait  consacrer  '.  Un  mandement 
du  Bureau  avait  prescrit  aux  quartiniers  de  convoquer 
deux  notables  bourgeois  de  chaque  quartier  pour  qu'ils 
se  joignissent  au  corps  de  Ville  et  assistassent  «  bm  Te  Deum 
qui  sera  donné  en  l'Église  de  Paris  pour  l'unyon  faicte  par 
le  roy  avec  ses  subjectz  catliolicques  pour  l'extirpation  des 
hérésies  *  ».  Ils  se  rendirent  à  la  convocation  et  assistèrent 
en  robes  au  Te  Deum,  Le  lendemain,  22  juillet,  «  feste 
de  la  Magdeleine,  le  feu  d'alégressc  en  fust  fait  en  Grève, 
devant  l'Hôtel  de  Ville  ».  Si  Ton  en  croit  certaines  chroni- 
ques, la  population  parisienne  aurait  accueilli  avec  froideur 


1.  T.  x,  p.  270. 

2.  T.  m,  p.  172. 

3.  11  y  eut,  le  17  août,  une  assemblée  générale  à  l'Hôtel  de  Ville  <*  pour 
prêter  le  serment  prescrit  par  Tédit  d'Union  -.  La  Ville  adressa  à  ce  sujet 
un  mandement  aux  quartiniers.  Reg.  H,  1789,  fo  190. 

4.  Reg.  H,  1789,  f»  182. 


412  PARIS   ET  LA  LIGUE 

la  célébration  officielle  du  triomphe  de  la  Ligue.  L'Estoile 
dit  que  les  feux  de  joie  de  la  place  de  Grève  ne  provoquè- 
rent que  t<  peu  ou  point  de  resjouissance  du  peuple,  qui 
murmuroit  sourdement  que  les  princes  s'estoient  bien 
accordés  avec  le  roy,  mais  qu'ils  avoicnt  laissé  le  peuple  en 
crouppe  *  ».  Jacques  de  Thou  affirme,  au  contraire,  que  les 
Parisiens,  depuis  longtemps  acquis  à  la  cause  de  ce  qu'ils 
appelaient  la  Sainte-Union ,  apprirent  la  signature  de 
l'édit  avec  une  joie  indicible  •*.  Honorât  du  Laurent,  avocat 
général  au  parlement  d'Aix,  composa  spécialement,  à 
-cette  occasion,  un  ouvrage  qu'il  intitula  rHenoticon,  C'est 
un  panégyrique  de  l'unité  de  religion  et  de  ses  bienfaits. 

Voyant  que  le  roi  cédait  tout,  la  Ligue  eut  une  dernière 
audace  :  elle  entreprit  de  ramener  par  la  persuasion  le  mal- 
heureux prince  dans  ce  Louvre  d'où  l'émeute  l'avait  chassé 
et  qu'elle  espérait  bien  transformer  en  prison.  Catherine, 
•toujours  complaisante,  fut  envoyée  en  avant-garde  à  Mantes 
le  23  juillet,  mais  elle  fut  «  refusée  et  esconduite  tout  à 
plat  de  S.  M.,  -dont  elle  revinst  à  Paris  mal  contente  le 
mercredi  27*  du  présent  mois  de  juillet  '  ».  Les  ligueurs  ne 
-se  tinrent  pas  pour  battus.  Dès  le  29,  et  toujours  d'accord 
avec  la  reine  mère,  le  prévôt  des  marchands,  accompagné 
"des  échevins  Compans  et  Costeblanche,  du  capitaine 
Bussy  le  Clerc  et  de  quelques  autres  notabilités  du  parti,  se 
mit  en  route  pour  aller  trouver  le  roi  à  Chartres.  Le 
lendemain,  le  duc  de  Guise  en  personne,  avec  une  suite 
de  quatre-vingts  chevaux;  le  cardinal  de  Bourbon,  «  pré- 
cédé de  cinquante  archers  de  sa  garde,  vestus  de  cazaques 
•de  velous  cramoisi,  bordées  et  enrichies  de  passemens 


1.  T.  m,  p.  112. 

2.  T.  X,  p.  326.  Le  témoignage  de  l'illustre  historien  est  d'autant  plus 
digne  de  créance  qu'il  expose  avec  énergie  toutes  les  raisons  politiques 
qui  auraient  dû  porter  les  Français  à  s'affliger  d'une  paix  qui  semblait 
consacrer  la  déconsidération  et  riiumiliation  du  souverain. 

3.  L'EsTOiLR,  t.  111,  p.  173. 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       413- 

d'or  »  ;  d'Ëspinac,  le  dangereux  archevêque  de  Lyon,  et  un 
grand  nombre  de  gentilshommes  ligueurs  quittèrent  à 
leur  tour  Paris  et  arrivèrent  à  Chartres  le  lundi  premier 
août.  Le  roi  leur  fît  Taeeueil  le  plus  bienveillant  et  pro- 
digua ses  sourires  à  ceux  qui  lui  avaient  prodigué  Fin- 
suite,  mais  il  refusa  même  de  discuter  la  possibilité  d'un 
retour  à  Paris.  Vainement  Catherine  insista  «  aiant 
recours  aux  larmes  (qu'elle  a  toujours  eu  fort  à  comman- 
dement)   Comment,  mon  fils,  que  dira-t-on  de  moi?  et 

quel  compte  pensez-vous  qu'on  en  fasse,  quand  on  me  verra 
ainsi  esconduite  de  vous,  et  que  moi,  que  Dieu  a  fait 
naistre  votre  mère,  ait  si  peu  de  crédit  en  vostre  endroit? 
Seroit-il  bien  possible  qu'eussiez  changé  tout-à-coup  vostre 
bon  naturel,  car  je  vous  ai  toujours  congneu  de  bonne 
nature,  prompte  et  aisée  à  pardonner.  »  Henri  ne  se  lais- 
sait plus  prendre  aux  larmes  de  sa  bonne  mère.  Il  répondit 
en  ricanant  :  «  Il  est  vrai,  ce  que  vous  dites,  madame; 
mais  que  voulez-vous  que  j'y  fasse?  C'est  ce  méchant 
Desparnon  qui  m'a  gasté  et  m'a  tout  changé  mon  bon 
naturel  *.  »  Et,  le  lendemain,  ayant  à  sa  table  le  duc  de 
Guise,  il  lui  propose  gaiement  de  boire  «  à  ses  bons  barri- 
cadeux  de  Paris  »  qu'il  n'a  garde  d'oublier.  Guise  rit  du 
bout  des  lèvres  et  se  retire  pensif.  Eh  quoi!  tous  les  hon- 
neurs dont  le  roi  l'accable  ne  seraient-ils  qu'un  piège  et 
une  ironie?  Par  lettres  patentes  du  4  août,  datées  de 
Chartres,  Henri  confère  «  à  son  très  cher  et  trèsamé  cousin, 
pair  et  grand  maislre  de  France  »,  une  autorité  supérieure 
sur  toutes  les  armées  du  royaume  ".  Guise  se  sent  confus 
d'une  dignité  si  haute.  II  envoie  au  roi  d'Espinac  et  la 
Châtre,  pour  dire  qu'il  ne  peut  l'accepter  et  qu'il  se  contente 
bien  de  sa  charge  de  grand  maître  de  la  maison  royale. 


1.  L'EsTOiLB,  t.  III,  p.  174. 

2.  Od  trouve  te  text»  des  lettres  patentes  dans  les  Mém,  de  Nevers,  t.  I, 
p.  129.  Elles  forent  publiées  en  Parlement  le  26  août. 


414  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Aussitôt  le  chœur  de  la  Ligue  vante  et  publie  partout  ce 
désintéressement  admirable.  Mais  Henri  III  insiste  et^  sur 
le  conseil  de  Villeroi,  force  le  duc  à  recevoir  le  conunan- 
dément  suprême  des  armées,  à  devenir,  en  fait,  une  sorte 
de  connétable  de  France.  Tous  les  autres  princes  eurent 
leur  part  de  la  curée  :  au  cardinal  de  Bourbon,  le  privilège 
souverain  de  faire  un  maître  de  chaque  métier  dans  chaque 
ville  du  royaume;  au  cardinal  de  Guise,  la  promesse  de 
demander  pour  lui  au  pape  la  légation  d'Avignon  ;  à  l'ar- 
chevêque de  Lyon,  la  promesse  des  sceaux;  au  duc  de 
Mayenne,  le  commandement  de  Tarmée  du  Dauphiné;  au 
duc  de  Nevers,  le  gouvernement  de  Lyon.  Le  lâche  abandon 
du  doc  d'Épernon,  dont  nous  avons  dit  le3  tragiques 
aventures  à  Angoulème,  couronnait  cet  ensemble  de  con- 
cessions et  lui  donnait  le  caractère  d'une  abdication. 

Tant  de  faiblesse  serait  incroyable  si  elle  ne  trouvait 
une  excuse  dans  la  terreur  qu'inspirait  au  roi  Timmense 
effort  de  TEspagnc  pour  abattre  Txlngleterre  protestante. 
Après  la  victoire,  qui  empêcherait  Philippe  II  d'abaisser 
sa  lourde  main  sur  la  chétive  couronne  des  Valois  et  de  la 
briser  en  se  jouant?  Henri  III  se  crut  habile  en  traitant  à 
tout  prix  avec  Guise,  Tallié  et  l'agent  du  terrible  Espa- 
gnol. L'édit  d'Union  produisit  cet  effet  imprévu  qu'il 
faillit  brouiller  le  duc  de  Guise  avec  Philippe  IL  Quelques 
articles  des  conventions  secrètes  enjoignaient  aux  princes 
du  parti  ligueur  «  de  se  départir  de  toutes  autres  unions, 
pratiques,  intelligences,  ligues  et  associations,  tant  dedans 
que  dehors  le  royaume  ».  Le  roi  d'Espagne  affecta  de 
considérer  ce  passage  comme  une  violation  du  pacte  qu'il 
avait  conclu  au  mois  d'avril  avec  le  duc  de  Guise.  Ce  der- 
nier écrivit  à  Philippe  II  pour  le  rassurer  et  lui  expliquer 
la  véritable  portée  de  l'édit  d'Union  (24  juillet).  Mais  ce 
qui  rapprocha,  mieux  que  toutes  les  explications,  le  sombre 
Espagnol  et  l'ambitieux  chef  de  la  Ligu^,  ce  fut  l'immense 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       415 

désastre  de  V Armada  (aoùt-seplembre  1588),  qui  sauva 
l'Angleterre  du  plus  grand  péril  qu'elle  ait  jamais  couru, 
et  permit  aux  alliés,  non  moins  qu'aux  ennemis  de 
Philippe  II,  de  relever  un  peu  la  tête.  Henri  III  osa  refuser 
à  l'ambassadeur  d'Espagne  de  lui  livrer  quelques  centaines 
de  forçats  barbaresques  qui  avaient  pu  s'échapper  d'un 
navire  espagnol  échoué  près  de  Calais;  et  le  duc  de  Guise 
n'eut  pas  besoin  de  faire  comprendre  à  Philippe  qu'il 
fallait  encore  compter  avec  les  ligueurs  français,  devenus 
les  véritables  maîtres  du  royaume.  L'étrange  humilité  de 
Henri  III  paraissait  suspecte  au  roi  d'Espagne  et  il  fit  dire 
au  duc  de  Guise  de  prendre  garde  *.  Le  chef  de  la  Ligue 
méprisait  trop  Henri  III  pour  le  croire  encore  redoutable. 
Une  lettre  du  pape  Sixte  V  '  qui  comparait  Guise  aux 
Machabées,  porta  le  comble  à  son  orgueil  :  il  fit  traduire  et 
imprimer  cette  lettre  et  la  répandit  dans  le  peuple  de 
Paris. 

Les  catholiques  parisiens  n'avaient  pas  besoin  de  ces 
excitations  nouvelles  pour  perdre  complètement  le  respect 
de  l'autorité  royale.  Henri  HI  avait  délivré  au  comte  de 
Soissons,  qui  venait  de  se  brouiller  avec  le  roi  de  Navarre, 
des  lettres  patentes  l'absolvant  d'avoir  combattu  dans  les 
rangs  des  hérétiques  et  déclarant  qu*on  lui  reprochait  à 
tort  d'avoir  tué  le  duc  de  Joyeuse,  son  beau-frère,  dans  la 

1.  Capefioub,  dans  la  Ligue  et  Henri  /K,  3*  édit.,  p.  36,  donne  la  traduc- 
tion de  la  lettre  de  Philippe  II  à  son  ambassadeur  en  France,  pour  blâmer 
redit  d*Union  et  mettre  en  garde  le  duc  de  Guise  :  «  ...  Don  Bernardino 
Mendoça,  je  tous  engage  À  avertir  le  cardinal  de  Bourbon  et  le  duc  de 
Guise  de  ne  pas  autant  s'aventurer  auprès  du  roi  dont  ils  doivent  avoir 
tant  de  défiance.  Insistez  bien  pour  leur  démontrer  le  danger  qu'ils  cou- 
rent; il  faut  que,  sans  s'écarter  des  devoirs  qu'ils  doivent  h,  leur  souve- 
rain, ils  prennent  leurs  précautions.  Conseillez-les  ainsi  de  nouveau,  de 
ma  part;  quelles  que  soient  les  tendresses  (caricias)  du  roi,  qu'ils  ne  se 
fient  point  à  ces  trompeuses  démonstrations;  rien  saurait-il  inspirer  de 
la  confiance  dans  celte  volonté  variable,  dans  cette  pensée  dangereuse?  » 
Palma-Catbt  rapporte  que  «  les  princes  et  conseil  de  la  ligue  des  Seize  à 
Paris  n  répondirent  à  Philippe  II  qu'ils  restaient  plus  que  jamais  ses  alliés 
et  que  Fédit  d'Union  «  n'avoit  esté  que  pour  mieux  préparer  les  choses  ». 

2.  De  Thou,  t.  X,  p.  344. 


416  PARIS  ET  LA  LIGUE 

journée  de  Coutras.  Mais  les  Seize  et  leurs  amis  ne  Tenten- 
daient  pas  ainsi.  Le  30  août,  un  grand  nombre  de  bourgeois 
et  de  capitaines  de  la  milice  envahirent  le  Palais,  à  Theure 
où  le  Parlement  entrait  en  séance,  et  remirent  à  Nicolas 
Perrot,  conseiller  de  la  Grande  Chambre,  qui  était  désigné 
pour  faire  le  rapport  sur  l'homologation  des  lettres- 
patentes,  une  requête  rédigée  «  au  nom  de  tous  les  catho- 
liques unis  de  la  France  »  et  par  laquelle  le  peuple  faisait 
opposition  à  la  vérification  des  lettres  d'abolition.  Cédant 
à  cette  injonction  brutale,  le  Parlement  n'enregistra  pas 
les  lettres  et,  sur  le  rapport  de  Perrot,  on  renvoya  la 
requête  des  catholiques  au  roi,  en  conseil  privé,  ou  bien  aux 
États  généraux,  convoqués  à  Blois  pour  le  mois  suivant. 
C'était  là  un  triomphe  pour  Guise,  qui  haïssait  les  Condé, 
et  une  nouvelle  humiliation  pour  le  roi,  dont  la  volonté 
devenait  un  objet  de  risée.  La  municipalité  parisienne 
porta  encore  plus  loin  la  bravade  en  refusant  d'exécuter  la 
clause  des  articles  secrets  qui  stipulait  que  la  Bastille 
serait  rendue  au  roi  et  que  le  chevalier  du  guet,  son  ancien 
gouverneur,  que  les  ligueufs  avaient  déposé,  serait  réin- 
tégré dans  ses  fonctions.  A  l'instigation  du  duc  de  Guise^ 
Le  Clerc,  un  des  plus  énergiques  ligueurs,  continua  d'oc- 
cuper la  forteresse  *. 

La  Ville  n'avait  pas  lieu,  d'ailleurs,  de  se  féliciter  des 


1.  L'EsTOiLB,  t.  ni,  p.  185.  Les  Registres  de  la  Ville  donnent  le  texte  de  la 
déclaration  formelle  par  laquelle  la  Ville  refusa  de  rendre  à  Testu,  cheva- 
lier du  guet,  la  garde  de  la  Bastille  :  «  Certificat  des  prévost  et  eschevins 
par  lequel,  sur  la  présentation  faite  par  le  chevalier  du  guet,  le  sieur 
Testu,  de  Tordre  du  roy  par  lequel  S.  M.  veut  qu'il  continue  Texer- 
cice  de  sa  charge  et  que,  pour  la  récompense  de  la  capitainerie  de  la 
Bastille  dont  il  estoit  pourveu  et  que  le  roy  auroit  remise  à  leur  garde, 
il  luy  fust  par  eux  donné  4,000  livres,  ils  déclarent  que,  sur  ce  qu'ils 
auroient  escrit  à  S.  M.  du  trouble  qui  pourroit  arriver,  s'il  rentroit 
dans  l'exercice  de  saditc  charge,  8.  M.  par  lettre  du  28  aoust  trouve 
bon  qu'il  ne  l'exerce  et  que,  pour  la  récompense  de  ladite  capitainerie, 
elle  ne  leur  auroit  esté  laissée  à  condition  d'icelle  récompense  par  Tescrit 
signé  du  roy  au  mois  de  juillet  dernier.  Du  dernier  aoust.  »  Rbo.  H,  1189y 
fo  191.  —  Voy.  aussi  Féub.,  Preuves,  t.  V,  p.  448, 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       417 

procédés  du  roi  à  son  égard.  Henri  III,  ne  pouvant  plus 
puiser  à  son  aise  dans  les  caisses  municipales,  cherchait 
visiblement  à  intercepter  les  sources  des  revenus  de 
THôtel  de  Ville.  Dans  une  lettre,  datée  du  5  août  1588,  il 
avoue  au  prévôt  des  marchands  qu'il  à  saisi  et  affecté  aux 
dépenses  de  la  guerre  «  les  deniers  laissez  en  fonds  pour 
le  payement  durant  la  présente  année  des  rentes  consti- 
tuées en  la  maison  de  Ville  de  Paris,  tant  sur  les  receptes 
généralles  que  p'articullières  de  nos  finances  que  de  ceulx  du 
clergé  sur  M.  Philippe  de  Castille,  recepveur  général  d'icel- 
luy,  et  aultres  récepteurs  particuUiers  desditctz  decyines 
establys  en  Testandue  des  générallitez  du  royaume  *  ».  La 
lettre  du  S  août  a  pour  effet  de  restreindre  au  quartier  de 
juillet  la  main-levée  donnée,  le  23  juillet,  par  le  roi  à  la 
VDle  de  Paris  pour  les  deniers  des  rentes,  comme  une  sorte 
de  conséquence  gracieuse  de  Tédit  d'Union.  Quant  à  ce  qui 
a  été  encaissé  par  le  trésor  royal  sur  les  quartiers  de 
janvier  et  d'avril,  le  roi  entend  le  garder  dans  ses  coffres. 
Défense  expresse  à  la  Ville  de  Paris  de  répéter  ces 
sommes  sur  les  receveurs  généraux  ou  particuliers  des 
finances  ou  sur  le  receveur  du  clergé.  Le  roi  tempère,  il 
est  vrai,  l'odieux  de  cette  injonction  par  quelques  assu- 
rances consolantes.  Nous  ferons  remplacer,  dit-il,  «  ainsy 
que  nous  le  désirons,  au  plus  tost  que  faire  se  pourra, 
lesdictes  sommes  dont  nous  nous  sommes,  ainsy  que  dict 
est,  aydés  pour  employer  aux  dépenses  de  guerre  '  ». 
Mais,  comme  pour  mieux  accentuer  l'ironie  de  pareilles 
promesses,  Henri  III,  dès  le  lendemain,  6  août,  écrit  à  la 
Ville  de  Paris  une  nouvelle  lettre  pour  lui  rappeler  que, 
Tannée  précédente,  elle  a  voté  666,666  écus  «  pour  ayder 
à  supporter  partie  des  dépenses  de  l'armée  ».  Cette 
somme  n'ayant  pas  été  versée  assez  vite,  le  roi  a  dû  em- 

1.  Rbo.  h,  1789,  P>  186. 

2.  Ibid. 

ROBIQUBT.  27 


418  PARIS  ET  LA  LIGUE 

prunier  à  »  plusieurs  de  ses  bons  subjets  et  serviteurs  » 
qui  désirent  rentrer  dans  leurs  fonds.  Il  faut  donc  que  la 
Ville  s'occupe  de  percevoir  les  taxes  et  cotisations  afin  de 
parfaire  la  somme  qu'elle  a  promise. 

Rien  n'indique  que  la  municipalité  ait  fait  la  moindre 
diligence  pour  adresser  des  subsides .  au  monarque  qui 
cherchait  à  faire  le  vide  dans  les  caisses  de  THôtel  de  Ville. 
En  revanche,  le  prévôt  des  marchands  et  ses  collègues 
continuent,  avec  une  singulière  insistance,  à  demander  le 
retour  du  roi  à  Paris.  Dans  une  première  lettre,  datée  du 
11  août,  ils  s'adressent  à  la  reine  mère  et,  après  force 
compliments  pour  les  services  qu'elle  a  déjà  rendus  au 
royaume  et  à  la  Ville,  lui  demandent  d'interposer  ses  bons 
offices  pour  décider  le  roi  à  «  honorer  les  Parisiens  dun 
voyage  par  deçà,  pour  tant  et  sy  peu  de  temps  qu'il  luy 
plaira  avant  l'assemblée  générale  de  ses  Estats  ^  ».  Et,  le 
lendemain,  les  officiers  municipaux  adressent  une  seconde 
lettre  au  roi  lui-même,  pour  l'engager  à  venir  visiter  ses 
bons  sujets.  Veuillez,  disent-ils,  «  oyr  les  députez  de  la 
Ville  qui,  'sur  toutes  aultres  choses,  ont  charge  de  repré- 
senter à  V.  M.  combien  nous  jugeons  non  seullement 
utile,  mais  très  nécessaire,  pour  l'asseurance  et  bien  de  voz 
affaires,  qu'il  luy  plaise,  pour  tel  temps  qu'elle  trouvera 
bon,  faire  un  voyage  par  deçà,  maintenant  que  toutes 
choses  sont  pacifiées  et  réduittes  en  tel  estât  que  le  pou- 
viez désirer,  en  estant  la  conséquence  très  grande  pour 
plusieurs  bonnes  villes  qui,  pendant  votre  absence  et  jus- 

1.  Rio.  h,  1789,  f>  188.  Nous  ne  donnons  pas  le  texte  entier  de  cette 
lettre  inédite,  parce  qu'elle  fait  un  peu  double  emploi  avec  celle  du  12 
adressée  au  roi.  Il  faut  cependant  noter  que  les  ligueurs  parisiens  dé- 
clarent qu'entre  toutes  les  obligations  qu'ils  ont  à  Catherine  «  la  dernière 
et  la  plus  grande  par  laquelle,  lui  disent-ils,  vous  nous  avez  faict  ressentir 
les  effectz  de  vosire  prudence  et  bonté  plus  yifvement  que  nous  ne  faisons 
oncques,  c'est  en  l'ecdict  de  réunion  que,  de  vostre  grâce,  il  vous  a  pieu 
impétrer  du  Roy  ».  Cette  façon  de  faire  comprendre  qu'ils  ne  savent 
aucun  gré  au  roi  lui-même  de  sa  complète  soumission,  est  assez  remar- 
:iuab]e. 


GUISE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES  419 

ques  à  ce  qu'il  vous  ayt  pieu  honorer  de  vostre  présence 
celle  de  Paris,  ne  se  peuvent  retenir  de  penser  diverse- 
ment de  la  cause  de  cestuy  vostre  retardement.  Pardonnez- 
nous,  Sire,  sy  le  zelle  que  nous  avons  à  vostre  service 
nous  faict  représenter  à  Votre  Majesté  sy  franchement  la 
vérité  des  choses  qui  importent  au  bien  de  voz  affaires, 
pour  la  prospérité  desquelles  nous  continuerons  noz  très 
dévotes  prières  envers  Dieu.  Qu'il  luy  plaise,  Sire,  assister 
vos  sainctes  intentions,  continuer  à  vostre  royaume  par 
vostre  lignée  la  bénédiction  qu'il  a  reçu  de  ses  bons  roys, 
et  donner  h  Vostre  Majesté,  en  parfaicte  santé,  très  longue 
et  très  heureuse  vie  !  De  vostre  ville  de  Paris  le  douzième 
jour  d'aoust  1388.  Voz  très  humbles,  très  obéissans  servi- 
teurs, les  prévost  des  marchans  et  eschcvins  de  la  Ville  de 
Paris  *  ». 

Prévoyant  que  le  roi  ne  se  montrerait  pas  touché  de  ces 
pressantes  objurgations,  la  Ville  avait  cru  habile  d'envoyer 
h  la  cour  un  agent  permanent,  pour  renseigner  l'Hôtel  de 
Ville  sur  ce  qui  se  passerait  dans  l'entourage  du  monar- 
que. C'était  le  sieur  Jean-Baptiste  de  Champion,  conseiller, 
notaire  et  secrétaire  du  roi  '.  Non  contents  d'avoir  ainsi 
placé  un  espion  auprès  du   prince,  les   Parisiens  cher- 


i.  Rbg.  U,  1789,  ^  189. 

2.  Sa  commission,  datée  du  11  août,  sous  le  scel  de  la  prévôté  des  mar- 
chands, charge  Champion  «  de  poursuivre,  pourchasser  et  requérir  au 
nom  de  la  Ville,  tant  envers  Sa  Majesté,  messeigneurs  de  son  Conseil,  nos 
seigneurs  les  cbancellier  et  tous  aultres,  toutes  et  chacunes,  les  lectres, 
brevetz,  expédition,  commission  et  aultres  provisions  nécessaires  qui  nous 
ont  jà  esté  et  seront  cy-aprës  accordées  pour  bien  et  afTaires  de  ladicte 
ville,  et  pour  poursuivre  et  pourchasser  toutes  choses  au  bien  d*ieeile;  et 
en  tout  vous  y  conduire,  gouverner  selon  noz  mémoires,  instructions  et 
avis  qui  vous  seront  par  nous  donnés  et  envoyés,  vous  tenant  à  cest 
effect  à  la  suitte  de  la  cour  de  sadite  Majesté,  y  usant  en  tout  des  deb- 
voirs,  dilligence  et  fldelité  que  nous  nous  sommes  promis  de  vous,  comme 
bon  citoyen,  bien  zellé  et  affectionné  aux  bien  et  alTaires  de  ladicte  ville, 
à  telz  gages,  taxations  et  droictz  qui  vous  seront  par  nous  ordonnez 
cy-après,  vous  donnant  de  ce  faire  pouvoir.  En  tesmoing  de  quoy,  nous 
avons  mis  &  ces  présentes  le  scel  de  ladicte  prévosté  des  marchans.  » 
Rio.  h,  1789,  ^  189. 


420  PARIS  ET  LA   LIGUE 

chaient  à  se  rendre  de  plus  en  plus  indépendants  et  à  se 
dégager  complètement  de  Tautorilé  royale.  Le  17  août, 
«  sur  ce  que  les  prévost  des  marchans  et  esclie\ins  sup- 
plicient le  roy  d'éloigner  les  troupes  de  12  lieues  de  Paris, 
sauf  ses  gardes,  et  qu'en  cas  de  contravention  il  leUr  fust 
permis  de  faire  courre  sus  aux  dictes  troupes  »,  Ilenri  III 
dut  signer  un  brevet  par  lequel  «  il  accorde  .de  soulager 
les  environs  de  Paris  le  plus  -qu'il  se  pourra  et  donnera 
ordre,  en  cas  de  licence  des  troupes,  au  gouverneur  de 
Paris,  d'y  pourvoir,  et,  en  son  absence,  au  prévost  de 
Paris  ou  son  lieutenant,  auxquels  S.  M.  aura  agréable  que 
les  prévost  des  marchans  et  eschevins  donnent  assis> 
tance  *  ».  Le  roi  a  bien  essayé  de  conserver  la  direction 
supérieure  des  affaires  parisiennes  en  signant  à  Chartres, 
le  n  août,  des  lettres  par  lesquelles  il  «  a  accordé,  veult  el 
entend  que  le  sieur  de  Villequier,  gouverneur  et  lieutenant 
général  de  Sa  Majesté  à  Paris  et  Isle  de  France,  s'entre- 
mette seul  en  icelle  charge  de  gouverneur  et  lieutenant 
général  en  icelle  ville  *  ».  Mais  la  ville  ne  prit  nul  souci  du 
gouverneur  royal  et  arrêta,  de  sa  propre  autorité,  toutes 
les  mesures  de  police  qui  lui  paraissaient  nécessaires.  Dès 
le  5  août,  l'accord  entre  les  princes  de  la  Ligue  et  le  roi 
étant  bien  consacré,  la  municipalité  avait  diminué  de  moi- 
tié la  garde  des  portes  et  supprimé  les  passeports,  sauf 
pour  les  armes  et  la  poudre,  ainsi  que  pour  les  groupes  de 
plus  de  six  personnes.  Les  gens  armés  qui  entreront  dans 
Paris  devront  les  remettre  aux  capitaines  et  gardiens  des 
portes  jusqu'à  ce  qu'un  hôtelier  vienne  les  reprendre  en 
certifiant  la  preudhomie  du  nouveau  venu.  La  nuit,  il  n'y 
aura  plus  que  huit  hommes  de  garde  dans  chaque  quartier, 
et  trois  rondes  d'officiers,  suivis  de  quinze  hommes,  chaque 
nuit,  dans  les  quartiers  de  la  Grève,  de  l'Université  et  des 

1.  Reo.  h,  1789.  fo  190.  Féub.,  Pr,,  t.  V,  p.  448. 

2.  W/d.,  fM91. 


GUISE  ET   PARIS  APRÈS  LES  RARRICADES  4M 

Halles  *.  Mais  le  30  août,  «  pour  ce  que,  chacun  jour,  il 
arrive  en  ceste  ville  nombre  effréné  de  soldats  vagabonds 
et  aultres  personnes  sans  adveu  qui  ne  peuvent  apporter 
que  rumeur  en  ceste  dicte  ville  et  y  troubler  le  repos  »,  le 
prévôt  des  marchands  prescrit  aux  colonels  de  faire,  dans 
la  journée  du  1®'  septembre,  «  recherche  des  vagabonds 
dans  toutes  les  maisons,  chambres  garnies,  hostelleryes 
et  aultres  lieux  *  ».  Ce  service  de  recherches  et  de  garde, 
qui  incombait  à  la  milice,  lui  semblait  probablement  assez 
lourd,  car  il  résulte  d'un  mandement,  en  date  du  9  septem- 
bre, que  «  plusieurs  chefs  d'hostel  »  avaient  délaissé  leurs 
maisons  «  pour  ne  pas  monter  leurs  gardes  ».  Le  mandement 
invite  les  colonels  à  réunir  les  capitaines,  lieutenants  et 
enseignes  de  leurs  quartiers  respectifs  pour  «  leur  faire 
entendre  la  nécessité  de  continuer  les  gardes  de  jour  et  de 
nuict,  pour  maintenir  la  ville  en  seureté  et  repos  contre 
les  desseins  des  ennemis  de  Dieu  et  du  roy  ».  Les  bour- 
geois, on  serait  presque  tenté  d'écrire  les  gardes  natio- 
naux, sont  priés  de  se  faire  remplacer  par  quelqu'un,  s'ils 
sont  empêchés,  «  sous  peyne  de  1/2  escu  d'amende,  apli- 
cable  en  la  manière  accoustumée  pour  la  première  fois  et, 
pour  la  seconde  fois,  du  double,  aplicable  moictié  aux  frais 
du  corps  de  garde,  l'autre  moictié  aux  pauvres  de  THostel- 
Dieu  de  Paris  '  ». 

Enfin,  comme  pour  montrer  son  dédain  pour  le  Valois, 
à  ce  moment  même  où  la  royauté,  humiliée  et  bafouée  par 
la  Ligue,  peut  se  retourner  contre  Paris  et  menacer  dans  un 
effort  suprême  la  capitale  de  la  rébellion,  l'Hôtel  de  Ville 
ne  soupçonne  pas  qu'un  danger  sérieux  puisse  venir  de  ce 
vaincu  qui  pardonne,  et  l'on  s'occupe  gravement  dercce- 

« 

1.  Rbo.  h,  1189,  t9  185. 

2.  Ibid.,  f-  191. 

3.  Ibid.,  f»  193.  Il  faut  croire  que  la  bonne  volonté  dea  ligueurs  laissait  à 
<]ésirer,  car  les  admonestations  municipales  seront  renouvelées  le  10  octobre* 
Rec.  h,  1789,  ^  196. 


422  PARIS  ET  LA  LIGUE 

voir  la  démission  de  Nicolas  Quetin,  «  conseiller  du  roi  au 
Ghâtelet  de  Paris,  concierge  de  Thostel  commun  de  Thostel 
de  ladite  ville  et  garde  de  Testappe  d'icelle  »,  au  profit  de 
M.  Charles  Tamponnet,  «  bourgeois  de  Paris,  juré,  vendeur 
et  controUeur  des  vins  en  ladite  ville  *  ». 

Si  Ton  s  en  rapporte  aux  déclarations  des  contempo- 
rains ',  les  Seize  avaient  ouvertement  jeté  le  masque  :  ils 
adressaient  «  à  toutes  les  villes  et  communautez  de  la 
ligue  »  un  véritable  programme  de  révolution  cléricale, 
faisaient  imprimer  «  une  remontrance  sur  les  désordres  et 
misères  du  royaume,  causes  d'icelles  et  moyens  d  y  pour- 
voir »,  qui  était  l'œuvre  des  fortes  têtes  du  parti,  notam- 
ment de  l'avocat  Roland,  et  dont  le  but  était  de  rendre  le 


1.  Reg.  H,  1189,  f"  191.  La  charge  de  concierge  de  THôtel  de  Ville,  dont 
Lbroux  de  Lincy  ne  parle  pas  dans  son  Histoire  de  VHôtel  de  Ville,  ayait  une 
certaine  importance  que  nous  ne  voyons  expliquée  nulle  part.  \\  était  garde 
de  Vestappe,  c'est-à-dire  du  marché  aux  vins  de  la  place  de  Grève.  Le  mot 
estappe  vient  soit  du  vieux  mot  latin  staplus^Ueu  à  découvert,  ou  de  l'allé- 
mand  Staple,  marché  ou  foire  publique.  Dblamare^  dans  son  Traité  de  la 
Police,  t.  III,  p.  548,  rapporte  que  le  marché  aux  vins  de  Paris  se  trouvait 
primitivement  aux  Halles,  et  qu'il  fut  transporté  à  la  place  de  Grève  par 
lettres  patentes  de  Charles  VI,  en  date  du  mois  d*octobre  1413.  Mais  ce 
que  Delamare  ne  dit  pas  et  ce  que  nous  apprennent  les  Registres  de  la 
Ville,  c'est  que  le  concierge  de  THôtel  de  Ville  avait  «  la  garde  des  vins, 
charriotz,  charrettes  et  voictnres  de  la  d.  estappe,  aux  droictz,  proffictz  et 
charges  y  déclarées  ».  Nous  lisons  dans  une  sentence  du  prévôt  de  Paris, 
en  date  du  1"  juin  1580  :  a  II  fut  ordonné  que,  pendant  les  mois  d*octobre, 
novembre,  décembre  et  janvier,  par  chacune  année,  le  garde  de  ladicte 
estappe  sera  tenu  nectoyer  et  faire  vuider  toutes  et  chacunes  boues  qui* 
pourront  survenir  en  ladite  place  de  Grève,  ensemble  tous  feurres 
(pailles)  et  ordures,  provenans  des  chariots  et  charrettes  amenans  vin  en 
ladite  place;  mesurer  les  boues  et  immondices  et  ordures  qui  prorien- 
dront  des  maisons  desdictz  habitans,  fors  et  excepté  les  fiens  {fumiers)^ 
gravois  et  grosses  vuidanges  qui  pourront  y  estre  mises;  et,  le  surplus  de 
Tannée,  seront  leadictz  habitans  tenuz  faire  nectoyer  chacun  au  droict 
soy  et  devant  leurs  maisons;  comme  aussi  le  garde  de  ladicte  estappe  ès- 
endroictz  de  ladicte  estappe,  qui  sera  tenue  et  occupée  par  les  mçLTchans  et 
forains,  admenans  vin  en  ladicte  place.  »  A  Tépoque  où  Tamponnet  suc- 
céda à  Nicolas  Quetin,  le  concierge  de  THôtel  de  Ville  était  tojours  chargé 
du  nettoyage  de  la  place  de  Grève  et  prélevait  sur  chaque  charrette  ame- 
nant du  vin  sur  la  place  un  droit  de  deux  deniers  parisis  par  jour,  et  un 
droit  de  12  à  16  deniers  parisis  sur  les  charretttes  qui  passaient  la  nuit  et 
auxquelles  le  concierge  fournissait  des  tréteaux, 

2.  Voy.  notamment  Palma-Cayet  {Introd,  à  la  chronol,  novenaire,  Coll. 
Michaud,  p.  62). 


6UIS£  ET  PARIS   APR&S  LES  BARRICADES  423 

roi  odieux  au  peuple.  A  Villars,  gouverneur  du  Havre;  à 
Corbon,  gouverneur  de  Hani;  aux  gouverneurs  de  Ro- 
croy  et  de  Vitry ,  qui  leur  avaient  envoyé  des  députés  «  pour 
scavoir  comment  ils  se  dévoient  gouverner,  puisque  par 
Tédict  d'union  ils  avoient  juré  de  se  départir  de  toute 
ligue  et  que,  suivant  ledit  édict,  ils  se  dévoient  ranger  du 
tout  auprès  du  Roy  »,  les  membres  du  conseil  de  la 
Ligue  avaient  répondu  «  qu*il  ne  falloit  rien  changer  de 
l'intelligence  et  association  précédente  qu'ils  avoient  entre 
eux,  mais  qu'il  falloit  toujours  continuer  plus  que  ja- 
mais, affin  de  parvenir  à  TefFect  désiré  ».  Des  émissaires 
étaient  envoyés  au  maréchal  de  Montmorency  pour  trai- 
ter de  nouveau  avec  lui,  et,  en  Suisse,  pour  s'assurer  le 
concours  du  colonel  Phiffer.  Enfin  la  Ligue  portait  une 
atteinte  directe  à  l'autorité  royale,  à  propos  de  la  Pi- 
cardie. Le  gouvernement  de  cette  province  étant  disputé  au 
duc  de  Nevers  par  le  duc  d'Aumale,  le  roi  avait  donné 
l'ordre  au  duc  de  Nevers  d'aller  en  prendre  possession  avec 
deux  maîtres  des  requêtes.  Le  duc  se  disposait  à  quitter 
Paris  pour  exécuter  cet  ordre,  quand  le  prévôt  des  mar- 
chands et  les  échevins  «  le  vinrent  trouver  en  son  logis  et 
luy  dirent  qu'il  se  donnast  de  garde  de  toucher  au  lieute- 
nant-général d'Amiens  et  à  d'autres  leurs  confederez,  par 
ce  qu'ils  ne  vouloient  ny  ne  pouvoient  les  abandonner  *  ». 
Nevers  dut  subir  cet  affront  et  renoncer  au  voyage  de 
Picardie  pour  recevoir  le  commandement  de  l'armée  du 
Poitou  qui  n'existait  pas.  Le  6  août,  il  écrivit  au  roi  une 
lettre  désolée,  en  suppliant  Sa  Majesté  de  la  communiquer 
au  Conseil.  Comment  faire  la  guerre,  disait  le  duc,  en  sub- 
stance, quand  le  trésor  est  à  sec? Nevers  offrait  au  roi  d'en- 
tretenir à  ses  frais  cent  gentilshommes  pendant  trois  ans,  et 
de  servir  sous  les  ordres  d'un  autre  général.  Verbalement, 

1.  Palma-Catbt. 


424  PARIS  ET  LA  LIGUE 

il  noircissait  le  duc  de  Guise  dans  l'esprit  du  roi,  et  insis- 
tait sur  le  danger  de  confier  au  chef  de  la  Ligue  le  com- 
mandement suprême  des  armées.  Il  allait  jusqu'à  insinuer 
que  Guise  ne  reculerait  pas  devant  les  grands  attentat»^.  La 
lettre  audacieuse  du  duc  de  Nevers  fut  communiquée  au 
Conseil. 

Henri  III,  ébranlé,  sombre,  partageait  toutes  les  craintes 
du  duc  et  voulait  révoquer  les  lettres  patentes  qui  nom- 
maient Guise  généralissime.  Mais  Catherine,  soutenue 
par  Villeroy,  éteignit  ce  brusque  éclair  de  rage  sous  le 
flot  mielleux  de  sa  réthorique.  La  paix  était  faite,  après 
maintes  difficultés  vaincues.  Pourquoi  risquer  encore  le 
sort  de  la  couronne?  pourquoi  refuser  à  Guise  un  vain 
titre,  quand  le  roi  avait  la  réalité  du  pouvoir?  Ttfauvaises 
raisons  qui  sonnaient  faux.  Depuis  qu'elle  avait  voulu  le 
ramener  à  Paris,  le  livrer  aux  ligueurs,  Henri  se  défiaifde 
sa  mère  plus  que  de  personne.  Cependant,  encore  une  fois,  il 
céda  et  expédia  au  chef  de  la  Ligue  le  brevet  qui  faisait  de 
luile  vrai  maître  de  laFrance.  Mais,  alors  même  qu'il  tendait 
ainsi  la  joue  aux  soufflets,  le  roi  sentait  croître  sa  haine 
contre  Guise.  Plus  il  se  faisait  souple  devant  les  princes 
catholiques,  devant  les  Parisiens  rebelles,  plus  il  s'affer- 
missait dans  une  idée  fixe  qui  l'obsédait  jour  et  nuit  :  se 
défaire  de  ce  grand  rival,  idole  de  tout  un  peuple,  et  jeter 
sa  tête  comme  un  suprême  défi  à  la  ville  ingrate  qui  avait 
chassé  son  roi. 

Mais  on  dirait  qu'au  moment  d'agir  il  se  trouve  encore 
trop  près  du  monstre;  toutefois,  le  théâtre  sera  grand  et 
aura  pour  spectateurs  tous  les  représentants  du  pays.  Le 
lieu  désigné,  c'est  Blois,  où  les  lettres  patentes  signées  le 
le  15  juillet  ont  convoqué  les  États  généraux  pour  le  18  sep- 
tembre 1588.  Henri  HI,  dit  Palma-Cayet,  «  partit  de  Char- 

1.  De  Thof,  t.  X,  p.  346,  348. 


GUiSE  ET  PARIS  APRÈS  LES  BARRICADES       425 

très  après  la  Nostre-Dame  de  septembre  et  alla  coucher  à 
Chasteaudun,  le  lendemain  à  Marché-Noir;  et,  le  troisième 
jour  dd  son  départ  de  Chartres,  il  arriva,  sur  les  trois  heu- 
res après  midy,  dans  son  chasteau  de  Blois,  accompagné 
de  M.  le  duc  de  Guise  et  d'une  vingtaine  de  gentilshom- 
mes ».  C'était  le  premier  septembre.  La  vie  politique  do 
la  France  va  se  concentrer  pendant  quelque  temps  dans 
ronceinte  du  château  de  Blois,  et  il  faut  y  suivre  les  dépu- 
tés de  Paris,  dont  le  rôle  promet  d'être  considérable. 


CHAPITRE  VI 


PARIS     A     BLOIS 

LES  ÉTATS  GÉNÉRAUX 
(Depuis  le  1"  sept.  1588  jusqu'au  15  janvier  1589.) 

C'est  le  13  août  1588  qu'eurent  lieu  les  «  assemblées 
des  trois  Estais  de  la  prévosté  de  Paris  pour  députer  aux 
Estats  généraux  de  Blois  ».  Les  formes  suivies  pour  les 
élections  aux  Étals  généraux  ayant  varié  suivant  les  ré- 
gions, il  importe  de  préciser  comment  on  procédait  au 
xvie  siècle.  Tantôt  directement,  tantôt  par  l'intermédiaire 
des  gouverneurs  de  provinces,  les  lettres  de  convocation 
étaient  adressées  par  le  roi  aux  baillis  et  sénéchaux  de 
premier  ordre  *.  Ceux-ci  en  ordonnaient  la  lecture  publique 
à  leur  audience  et  l'enregistrement  sur  les  registres  de  leur 
juridiction,  puis  ils  les  faisaient  publier  à  son  de  trompe  et 
afficher  dans  les  endroits  les  plus  fréquentés  de  la  ville  de 
la  résidence.  La  même  publicité  était  faite  ensuite  dans 
tous  les  sièges  particuliers  des  juridictions  inférieures; 
puis  les  ecclésiastiques  et  les  nobles  du  ressort  recevaient 
l'invitation  de  se  rendre,  à  tel  jour,  à  l'assemblée  générale 


1.  Uy  avait,  en  effet,  des  bailliages  et  sénéchaussées  de  premier  ordre, 
ressortissant  aux  cours  souveraines,  et  des  bailliages  et  sénéchaussées  de 
second  ordre,  ressortissant  aux  précédentes,  sans  compter  les  bailliages 
des  seigneuries  particulières,  qui  relevaient  immédiatement  des  juges 
royaux  de  second  ordre,  et  médiatement  des  baillis  du  premier  ordre. 
Voy.  Bibliothèque  de  VEcole  des  Chartres,  2*  série,  t.  II,  p.  422.  Étude  de 
M.  A.  Taillandier. 


PARIS  A   BLOIS  437 

(lu  bailliage.  Quant  aux  habitants  des  paroisses,  c'était  au 
prône  des  messes  paroissiales  qu'on  leur  lisait  les  lettres 
royales,  avec  injonction  de  députer  deux  d'entre  eux, 
munis  de  pouvoirs  réguliers,  à  l'assemblée  générale  du 
bailliage,  où  ils  apporteraient  les  cahiers  de  leurs  plaintes, 
doléances  et  remontrances.  Ces  assemblées  générales  de 
bailliage  constituaient  la  réunion  des  électeurs  primaires. 
Elles  avaient  lieu  le  dimanche,  au  son  de  la  cloche,  à 
rissue  de  la  messe,  et  étaient  présidées  par  le  juge  de  la 
localité,  s'il  en  existait,  et  en  présence  des  procureurs  du 
roi  ou  fiscaux.  Dans  les  villages  dépourvus  de  siège  judi- 
ciaire, le  notaire  présidait  l'assemblée  et  en  dressait  le 
procès-verbal.  Un  certain  nombre  d'habitants  recevaient  la 
mission  de  dresser  les  cahiers  de  doléances,  que  signaient 
les  rédacteurs  et  le  président;  puis  l'assemblée  primaire 
nommait  les  députés,  ordinairement  au  nombre  de  deux, 
qui  devaient  faire  partie  de  l'assemblée  du  bailliage  prin- 
cipal et  y  porter  les  cahiers  de  leurs  commettants,  soit 
figurer  aux  États  généraux,  s'ils  relevaient  directement 
d'un  bailliage  de  premier  ordre.  Dans  les  villes,  sièges  d'un 
grand  bailliage  ou  d'une  sénéchaussée  principale,  on  convo- 
quait aussi  une  assemblée  primaire  qui  se  réunissait,  sous 
la  présidence  du  maire  ou  du  bailli,  voire  de  son  lieute- 
nant, à  la  maison  de*  ville,  dans  une  salle  qu'on  appelait 
chambre  de  Véchevinage.  Cette  assemblée  se  composait  des 
officiers  municipaux,  des  bourgeois,  députés  par  chacune 
des  paroisses  de  la  ville  et  nommés  dans  des  réunions  par- 
ticulières; des  députés  des  différents  corps  de  la  ville, 
médecins,  notaires,  sergents  et  autres;  enfin  des  délégués 
des  corporations  et  communautés  d'arts  et  métiers,  tous 
munis  des  cahiers  que  leurs  commettants  spéciaux  avaient 
élaborés.  L'assemblée  primaire  de  la  ville  nommait  d*abord 
une  commission  pour  coordonner  les  cahiers  des  différents 
groupes  que  nous  avons  indiqués,  et  en  former  un  cahier 


as  PARIS  ET  JLk  LIGUE 

unique,  destiné  à  rassemblée  générale  du  bailliage  ;  ensuite 
on  procédait  à  la  nomination  des  délégués  qui  devaient  se 
rendre  à  l'assemblée  générale  dont  il  s'agit.. Elle  se  tenait 
-au  tribunal  du  bailliage,  sous  la  présidence  du  bailli  ou  de 
son  lieutenant,  et  comprenait  les  délégués  des  trois  ordres. 
<3elui  du  tiers  état  était  représenté,  comme  on  Ta  dit,  par 
les  députés  des  villages  ou  plat  pays,  par  ceux  de  la  ville 
-et  des  faubourgs  ressortissant  au  bailliage.  Celui  du 
•clergé  se  composait  de  Tévèque,  des  délégués  des  commu* 
nautés,  chapitres,  abbayes  et  de  tous  les  curés  du  ressort; 
<lans  celui  de  la  noblesse  figuraient  tous  les  possesseurs  de 
fiefs  ou  biens  nobles  domiciliés  dans  l'étendue  du  bailliage. 
Âpres  la  séance  générale  où  le  président  donnait  lecture 
des  lettres  royales  et  de  l'objet  de  la  convocation,  chaque 
ordre  tenait  des  réunions  séparées,  compilait  ses  cahiers  et 
procédait  à  la  nomination  des  députés  qui  devaient  figurer 
'en  son  nom  aux  États  généraux  du  royaume.  En  réalité, 
les  députés  aux  États  généraux  étaient  issus  d'un  suffrage 
à  deux  ou  trois  degrés  pour  les  communes  rurales  et  pour 
les  villes,  avec  cette  particularité  que,  dans  les  villages,  le 
suffrage  fonctionnait,  au  premier  degré  tout  au  moins, 
tandis  que,  dans  les  villes,  les  assemblées  primaires  du 
tiers  état  n'étaient  formées  que  des  représentants  de  corps 
privilégiés ,  nommés  eux-mêmes  dans  des  réunions  anté- 
rieures, ce  qui  écartait  absolument  l'application  du  suffrage 
universel  pour  la  désignation  des  électeurs  primaires. 

Tel  était  le  système  électoral  dans  la  plupart  des  pro- 
vinces; mais  il  y  avait  des  usages  particuliers  çà  et  là,  no-  " 
iamment  dans  la  Champagne,  le  Languedoc  et  les  pays 
<rÉtats.  Il  a  semblé  nécessaire  de  tracer  ce  tableau  d'en- 
semble avant  d'aborder  ce  qui  concerne  spécialement  les 
«élections  parisiennes  \ 

1.  Conf.  les  détails  donnés  au  chap.  1,  p.  62  à  69,  sur  les  assemblées 
préparatoires  tenues  à  Paris  en  vue  de  la  réunion  des  États  généraux  à 


PARIS   A   BLOIS  429' 

Au  point  de  vue  électoral,  la  situation  do  Paris  était  un 
peu  complexe  et  n'a  pas  toujours  été  bien  comprise.  Paris- 
jouissait  d'un  double  droit  de  représentation  :  la  Ville  et 
les  faubourgs  avaient  une  voix  aux  États  généraux;  la 
prévôté  et  vicomte  une  autre  voix,  lorsqu'on  opinait  par 
bailliage.  Aussi,  tout  le  mécanisme  des  élections  des  dé- 
putés aux  États  généraux  resterait-il  incompréhensible,  si 
Ton  confondait,  comme  beaucoup  d'écrivains  le  font  jour- 
nellement, le  prévôt  de  Paris  et  le  prévôt  des  marchands  \ 
le  premier,  magistrat  d'épée,  représentant  du  roi,  chef  de 
la  juridiction  du  Châtelet;  l'autre,  magistrat  purement  mu- 
nicipal. Quand  il  y  avait  lieu  de  procéder  à  des  élections 
pour  les  États  généraux,  le  roi  envoyait  une  lettre  au 
prévôt  des  marchands  pour  mettre  le  corps  de  Ville  en 
demeure  d'exercer  son  droit  de  nomination;  une  autre 
lettre  royale  était,  en  même  temps,  adressée  au  prévôt  de 
Paris,  comme  aux  autres  baillis  du  royaume,  car  le  prévôt 
de  Paris  faisait  fonctions  de  bailli  pour  la  capitale.  Il  faisait 
lire  les  lettres  du  roi  dans  la  Chambre  du  conseil  du  Ghà- 
telet,  les  faisait  enregistrer  et  fixait  le  jour  de  l'assemblée 
de  la  prévôté.  Les  opérations  de  publicité  et  d'affichage 
étaient  analogues  à  celles  que  nous  avons  déjà  indiquées. 
Chaque  communauté  tenait  ses  réunions  particulières,  pré- 
parait son  cahier  de  doléances  et  nommait  ses  délégués  à 
l'assemblée  générale  de  la  prévôté.  Au  jour  fixé,  cette 
assemblée  générale  se  réunissait  à  Tévèché,  à  cause  de  la 
grandeur  des  salles  de  cet  édifice,  sous  la  présidence  du 
prévôt  de  Paris,  entouré  de  ses  lieutenants  civil,  criminel 
et  particulier,  ainsi  que  des  procureurs  et  avocats  du  roi  '; 

Blois  qui  était  indiquée  pour  le  15  novembre  1576.  Us  ne  s*ouvrireut  que 
le  6  décembre. 

1.  Cette  confusion  s'est  glissée  dans  quelques-uns  des  articles  publiés  à 
Toccasion  de  notre  Hist,  municipale  de  Paris  jusqu'à  l'avènement  de 
Henri  III. 

2.  Cette  assemblée  générale  ayait  pour  but  de  faire  entendre  la  lecture 
des  lettres  royales  par  le  greffier  du  prévôt  et  de  recevoir  le  serment  de» 


430  PARIS  ET  LA  LIGUE 

puis  les  trois  ordres  se  rendaient  dans  des  salles  distinctes 
afin  d'y  procéder  à  l'élection  des  députés  de  la  prévôté  et 
vicomte  de  Paris.  Pour  le  tiers  état,  il  ijiésulte  du  procès- 
verbal  de  l'élection,  qui  nous  a  été  conservé,  qu'il  ne  fut 
nommé  qu'un  seul  député  pour  la  prévôté  de  Paris  :  ce  fut 
le  prévôt  des  marchands,  La  Chapelle-Marteau,  nommé  à  la 
majorité  relative  et  au  premier  tour  par  139  suffrages  siu* 
386  votants.  Venaient  après  lui,  dans  l'ordre  des  voix, 
le  lieutenant  particulier,  Mathias  de  La  Bruyère,  avec 
i05  suffrages,  le  sieur  Marion  avec  37,  Louis  d'Orléans 
avec  32,  etc.  *. 

Les   élections  pour  la  Ville  de  Paris  proprement  dites 
eurent  lieu  le  3  septembre,  et  il  est  à  remarquer  que  la 

<i  gens  des  trois  estais  ».  Ils  juraient  «  d'eslire,  ciiacun  en  leurs  corps, 
ung  personnage  tel  qu'ilz  estimeroient  estre  capable  pour  comparoir 
devant  ladicte  Majesté  auxdictz  estatz  pour  faire  leurs  plainctes  ei  do- 
léances ».  Il  faut  noter  que,  comme  d'habitude,  le  corps  de  Ville  de  Paris 
reproduisit  dans  rassemblée  générale  de  la  prévôté  du  13  août  1588  la 
protestation  traditionnelle.  L'échevin  Gompans,  assisté  de  deux  bourgeois 
notables,  Oudineau  et  Louis  Bourdin,  «  requit  acte  de  sa  comparution 
pour  la  ville  et  dict  que  ce  qu'ilz  comparoissent  n^estoit  en  vertu  du  man- 
dement de  monsieur  le  prévost  de  Paris,  ains  par  le  commandement  du 
roy  porté  par  les  lettres  de  Sa  Majesté...  »  II  déclare  réserver  les  droits  du 
corps  de  ville  et  faire  opposition  &  ce  que  les  corps  et  communautés  de  la 
ville  et  des  faubourgs  de  Paris  «  fassent  le  serment,  eslisent  et  baillent 
leurs  plaintes  et  dolléances  à  autre  que  audict  prévost  de  marchands  ». 
Le  prévôt  des  marchands,  en  effet,  avait  tocgours  émis  la  prétention  que 
c'était  à  lui  et  non  au  prévôt  de  Paris  qu'il  appartenait  de  convoquer 
le  tiers  état  de  Paris. 

1.  M.  Taillandibr  (/oc.  cit.)  a  découvert  et  publié  dans  un  vol.  manus- 
crit appartenant  à  la  bibliothèque  de  la  Chambre  des  députés,  aux  armes 
de  Colbert  de  Croissy,  archevêque  de  Rouen,  le  procès-verbal  de  «  l'as- 
semblée des  trois  Estats  de  la  prévosté  de  Paris  pour  députer  aux  Estats 
généraux  de  Blois  ».  Ce  document,  très  curieux  et  dont  l'original  n'existe 
pas  aux  Archives,  contient  la  nomenclature  des  paroisses  qui  jouissaient 
du  droit  d'envoyer  des  délégués  élus  par  le  suffrage  universel  des  habi- 
tants, à  l'assemblée  générale  de  la  prévôté.  Il  prouve  que,  dans  cette 
assemblée  générale,  les  suffrages  s'exprimaient  à  haute  voix  et  publique- 
ment et  que  l'élection  avait  lieu  au  premier  tour;  la  majorité  relative  suf- 
fisait. On  remarque  que  les  paroisses  le  plus  rapprochées  de  Paris,  telles 
que  le  Pré  SaintrGervais,  Passy,  Auteuil,  Montmartre,  Charenton,  Sèvres, 
Haint-Gloud,  Boulogne,  etc.,  votèrent  pour  le  prévôt  des  marchands.  Un 
assez  grand  nombre  de  paroisses  dont  les  noms  figurent  au  procès-verbal 
ont  aujourd'hui  disparu  et  ne  se  retrouvent  ni  dans  le  coutumier  général, 
ni  dans  l'abbé  Lebœuf  (Hist,  du  diocèse  de  PatHs),  ni  dans  le  Did,  alph. 
des  environs  de  Paris,  par  Ch.  Oudibtte. 


PARIS  A  BLOIS  431 

composition  du  corps  électoral  parisien  reposait  sur  des 
bases  beaucoup  moins  larges  que  celle  du  corps  électoral 
des  bailliages  ruraux.  Dans  l'assemblée  qui  avait  lieu  à 
l'Hôtel  de  Ville  pour  s'occuper  des  élections  aux  Etals 
généraux,  on  ne  trouvait  guère  que  le  prévôt  des  mar- 
chands, les  échevins,  les  conseillers  de  Ville,  les  délé- 
gués des  cours  souveraines  désignés  par  leurs  compagnies 
respectives,  les  quartiniers  et  six  notables  bourgeois  de 
chaque  quartier.  Ainsi  ce  corps  électoral  était  même  plus 
restreint  que  les  assemblées  générales  de  la  Ville.  Lorsque 
cette  petite  poignée  d'électeurs  avait  nommé  des  commis- 
saires pour  recevoir  les  plaintes  et  doléances  de  la  popu- 
lation, tous  les  habitants  de  Paris  pouvaient  venir  remettre 
leurs  vœux  aux  commissaires  ou,  s'ils  préféraient  garder 
l'anonyme,  déposer  leurs  mémoires  dans  un  coffre  en 
forme  de  tronc,  fermé  de  trois  serrures  et  placé  dans  la 
salle  du  Grand  Bureau  de  la  Ville.  A  l'expiration  d'un 
certain  délai,  les  commissaires  se  réunissaient  et  rédi- 
geaient le  cahier  des  doléances  de  Paris.  Puis  on  convo- 
quait une  nouvelle  assemblée  où  figuraient,  à  côté  des 
membres  de  la  première  ',  les  gardes  des  marchands  et 
jurés  des  métiers.  Le  texte  définitif  du  cahier  général  étant 
arrêté,  on  procédait  à  l'élection  des  députés  aux  Ëtats 
généraux.  Il  est  assez  étrange  que  les  Registres  de  la  Ville 
ne  fassent  pas  mention  des  opérations  électorales  du  3  sep- 
tembre 1588,  soit  que  le  procès-verbal  en  ait  été  rédigé 
à  part,  soit  qu'une-  raison  d'Ëtat  en  ait  motivé  la  suppres- 


1.  Les  registres  du  Parlement  indiquent  que  la  Ville,  pour  les  élections 
du  3  septembre,  demanda  à  la  cour  de  désigner  une  délégation  qui  s'ad- 
joindrait aux  magistrats  municipaux  pour  nommer  les  députés  aux  États  : 
<t  Du  troisième  septembre.  Ce  jour  deux  des  eschevins  sont  venus  sup- 
plier la  cour  députer  aulcuns  des  présidons  ou  conseillers  pour  assister, 
cejourd*hui  de  relevée,  en  THÔtel  de  Ville,  à  Teslection  des  personnes  qui 
seront  retenues  pour  aller  é&-6statz,  ainsi  qu^ en  cas  pareil  elle  a  aceoustumé 
faire.  A  quoy  par  M.  le  président  Brisson  a  été  dict  que  la  cour  fera  en  la 
manière  accoustumée.  » 


432  PARIS   ET   LA   LIGUE 

sion.  On  trouve  seulement,  sous  la  date  du  28  septembre, 
cette  indication  assez  précieuse  qu'on  procéda,  ce  Jour-là^ 
en  assemblée  générale  de  l'Hôtel  de  Ville,  «  à  la  lecture  des 
coppies  des  plainctes  et  doléances  de  la  Ville  et  faubourgs 
de  Paris  faictz  et  dressez  pour  porter  aux  Estais  généraux 
assignez  en  la  ville  de  Blois  '  ».  Or  la  lecture  des  cahiers 
ayant  lieu  d'habitude  avant .  l'élection  des  députés  aux 
États,  il  est  singulier  qu'en  1588  l'Hôtel  de  Ville  ait  élu 
les  députés  dès  le  3  septembre,  pour  revenir  le  24  à  la 
lecture  des  cahiers.  Aussi  croyons-nous  que,  dans  cette 
assemblée  du  24,  les  électeurs  parisiens  ne  firent  que  relire 
et  non  lire  pour  la  première  fois  des  cahiers  de  doléances 
rédigés  antérieurement;  cela  est  d'autant  plus  vraisem- 
blable que  l'on  prit,  dans  la  même  séance,  une  résolution 
portant  qu'au  cahier  des  plaintes  de  la  Ville  serait  annexée 
une  requête  du  30  août  pour  s'opposer,  au  nom  de  Paris, 
à  l'entérinement  des  lettres  de  réhabilitation  obtenues 
du  roi  par  le  comte  de  Soissons.  On  a  lieu  de  croire  que 
ce  vote  des  électeurs  parisiens  était  dû  à  la  pression  des 
Guises,  qui  avaient  déjà  empêché  le  Parlement  d'enre- 
gistrer les  lettres  d'abolition  accordées  au  comte  par  le 
pape,  et  qui,  à  Blois,  reprirent  avec  plus  ou  moins  do 
succès  la  même  attitude. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'ensemble  de  la  députation  de  la 
Ville,  prévôté  et  vicomte  de  Paris  aux  États  généraux 
de  1588  était  foncièrement  dévoué  à  la  Ligue.  Voici  la 
nomenclature  complète  de  ces  députés  '  :  pour  la  noblesse  : 
M.  Robert  de  Pié-de-Fer,  seigneur  de  Guyencourt;  pour 

1.  Rbg.  h,  1787,  P  195. 

2.  n  est  bon  de  consigner  ici,  d'après  un  manuscrit  provenant  de  la 
bibliothèque  de  Saint-Gerraain-des-Prés  et  qui  est  reproduit  dans  le  Recueil 
des  pièces  originales  et  authentiques  concernant  la  tenue  des  États  généraux 
(Paris,  chez  Barrois  Talné,  1789),  Fintitulé  de  cette  précieuse  liste  :  «  Noms, 
surnoms  et  qualités  de  ceux  qui  ont  été  élus  par  les  duchés,  comtés,  bail- 
liages, sénéchaussées,  provinces  et  villes  de  ce  royaume  pour  être  envoyés 
comme  députés  aux  États  généraux  tenus  à  Blois  l'an  1588.  » 


PARIS  A  BLOIS  433 

le  cierge  :  W  Pierre  Ruelle,  président  es  enquêtes;  Lazai*e 
Cocquelay,  conseiller  au  Parlement,  chanoine  de  l'Ëglisc 
de  Paris;  frère  Michel,  prieur  des  Chartreux  de  Paris; 
Jean  Hérault,  prieur  de  Saint- Victor  ;  Jacques  Cuelly,  curé 
de  Saint-Germain  TAuxerrois  ;  Julien  Pelletier ,  curé  de 
Saint-Jacques  de  la  Boucherie  ;  enfin,  pour  le  tiers  état  : 
Michel  Marteau,  prévôt  des-  marchands,  nommé  double- 
ment par  les  électeurs  de  la  prévôté  et  par  ceux  de  la  Ville 
de  Paris  proprement  dite;  Etienne  de  Neuilly,  premier 
président  de  la  Cour  des  aides;  Jean  de  Compans,  échevin; 
Nicolas  Auroux  et  Louis  Bourdin,  bourgeois  de  Paris; 
Louis  d'Orléans*,  avocat  au  Parlement. 

Le  rôle  de  ces  personnages  dans  le  grand  drame  des 
États  de  Blois  a  été  assez  considérable  pour  mériter  d'être 
étudié  avec  soin,  d'autant  plus  qu'on  ne  parait  pas  avoir 
signalé  encore  avec  une  suffisante  précision  les  rapports 
entretenus,  pendant  la  durée  des  États,  entre  la  députation 
parisienne  et  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris.  C'est  le  14  sep- 
tembre que  les  députés  de  Paris  arrivèrent  k  Blois  '.  Dès 
le  16,  le  tiers  état  tient  sa  première  réunion  à  deux  heures, 
dans  une  des  salles  de  l'Hôtel  de  Ville  de  Blois,  «  suivant 
la  publication  faite  ledit  jour  matin,  à  son  de  trompe  et 
cri  public  par  ordonnance  du  roi  Henri  UI  ».  La  convo- 
cation fut  faite  par  le  sieur  Merle  d'Oignon,  maître  des 
cérémonies.  Jehan  Courtin,  l'un  des  députés  du  bailliage 
de  Blois,  fut  chargé  d'enregistrer  les  noms  des  membres 
présents,  sans  être  pour  cela  nommé  greffier  ou  secrétaire 


1.  Louis  d'Orléans  est  appelé  Louis  Dorlbt  par  le  Procès-verbal  de  Penrol- 
lement  du  tiers  état.  Recueil^  etc. 

2.  Des  Étais  généraux  et  autres  assemblées  nationales»  Paris  et  La  Hatb, 
1189,  t.  XI V.  Ce  volume  contient,  à  partir  de  la  p.  440,  le  Journal  des 
États  de  Blois  tenus  en  4388  et  4589,  par  Af«  Etienne  Bernard,  avocat  au 
parlement  de  Dijon,  député  du  tiers  état  de  ladite  Ville  pour  y  assister. 
Par  sa  sincérité  et  sa  piH&cision,  ce  journal  est  un  document  précieux  pour 
l'histoire;  et  il  trouve  un  utile  complément  dans  le  procès-verbal  du  tiers 
état  qui  se  trouve  au  t.  IV  du  Recueil  des  pièces  originales  cité  plus  haut* 

KOBIQUET.  28 


434  PARIS   ET  LA  LIGUE 

de  rassemblée.  Cette  opération  préliminaire,  qui  avait 
une  grande  importance,  à  cause  de  l'habitude  qu'ont  les 
honunes  de  ratifier  le  fait  acquis,  fut  dirigée  sans  oppo- 
sition par  le  prévôt  des  marchands  La  Chapelle-Marteau. 
«  Messieurs  de  Paris  étant  arrivés  à  ladite  maison  de  Ville, 
écrit  Etienne  Bernard  dans  son  journal,  fut  proposé  par  Iv 
prévôt  des  marchands  qu'il  seroit  expédient  de  nommer 
quelqu'un  de  la  compagnie  pour  recevoir  la  comparution 
des  présens,  avec  protestation  que  ce  qu'il  avoit  pris  la  pa- 
role n'étoit  pas  pour  revendiquer  l'autorité  de  président, 
laquelle  il  savoit  bien  dépendre  de  la  nomination  des 
États,  ains  seulement  pour  acheminer  les  progrès  desdits 
États,  suivant  la  volonté  de  Sa  Majesté;  ce  qui  fut  trouvé 
bon.  » 

Dans  cette  première  séance,  se  produisit  un  curieux 
incident.  «  Honorable  homme  Jean  de  Compans,  bourgeois 
de  Paris,  l'un  des  échevins  de  ladite  Ville  et  Tun  des  dé- 
putés d'icelle  »,  vint  déclarer  à  ses  collègues  «  qu'il  a  ceddé 
et  cedde  le  lieu  de  sa  nomination  deuxième  à  M.  le  prési- 
dent de  NuUy  \  tenant  l'un  des  premiers  lieux  de  ladite 
ville  de  Paris  et  ayant  séance  au  Conseil  privé  du  roi,  et 
aussi  qu'il  a  été,  puis  peu  de  temps,  par  quatre  années 
consécutives,  prévôt  des  marchands,  sans  avoir  occasion, 
en  protestant  toutesfois  que  ladite  cession  ne  puisse,  en 
quelque  sorte  et  manière  que  ce  soit,  préjudicier  par  ci- 
après,  en  la  qualité  ou  autorité  du  lieu  et  rang  que  tient 

1.  On  remarquera  cette  manière  d'orthographier  le  nom  du  premier 
président  de  la  Cour  des  aides.  C'est  celle  du  Prixiés-verbal  de  PenroUement 
et  évocation  des  pays,  gouvernemens,  provinces,  sénéchaussées  et  bailliages 
du  royaume  de  France  et  présentation  des  députés  pour  le  tiers  état  du 
royaume,  etc^  qu'on  trouve  avec  une  pagination  spéciale  dans  le  t.  IV  du 
Recueil  des  pièces  originales.  Il  est  asseï  curieux  que  la  liste  des  noms  et 
stimoms  des  élus  qui  se  trouve  en  tète  du  même  volume,  donne  l'ortho- 
graphe suivante  :  Etienne  de  NeuiUy,  qui  est  aussi  adoptée  par  l*Estoilb, 
t.  ni,  p.  153.  Lbroux  db  LmcT,  dans  sa  chronologie  des  députés  de  Paris, 
écrit  ce  nom  de  la  même  manière;  il  est  vrai  que,  dans  sa  chronologie  des 
officiers  municipaux,  le  même  auteur  imprime  Etienne  de  Neully,  C'est  une 
troisième  variante. 


PARIS  A  BLOIS  435 

et  possède  pour  lejourd'huy  ledit  de  Compans  en  ladite 
Ville,  et  que  ce  qu'il  en  fait  n'est  pour  diminuer  ni  amoin- 
drir ledit  lieu  et  place  qu'il  tient,  ains  seulement  pour 
ledit  respect,  en  considération  desdites  qualités,  lieux  et 
place  tenus  par  ledit  sieur  président...  » 

Le  tiers  état  aurait  de  suite  constitué  son  bureau  défi- 
nitif si  le  roi  ne  l'avait  prié,  par  l'intermédiaire  de  M.  de 
Rambouillet,  de  reculer  l'élection  du  président,  du  greffier 
et  des  autres  officiers  jusqu'à  l'arrivée  des  députés  retar- 
dataires (séance  du  19  septembre).  Il  fut  décidé  d'un  com- 
mun accord  «  que  l'on  iroit  vers  Sa  Majesté  pour  la 
supplier  de  limiter  un  temps  dans  lequel  les  absens  seroient 
attendus,  vu  que  le  jour  de  l'assignation  des  États  étoit 
passé  et  que  les  présens  y  étoient  à  grands  frais  pour  leurs 
provinces,  pour  leur  particulier,  avec  beaucoup  d'incom- 
modité ^  ».  Conformément  à  ce  vote,  l'assemblée  nomma 
une  commission,  dans  laquelle  figurait  le  président  de 
Neuilly.  Cette  commission  alla  trouver  le  roi  (20  sept.), 
qui  fixa  un  délai  de  huit  jours,  avant  l'expiration  duquel 
il  était  interdit  de  nommer  un  président.  Henri  III  ferait 
ensuite  connaître  sa  volonté.  Une  réponse  aussi  hautaine 
n'était  pas  propre  à  satisfaire  les  députés,  et  dès  le  24  ils 
délibéraient  déjà  sur  la  question  de  savoir  s'il  n'y  avait  pas 
lieu  d'envoyer  au  roi  une  députation  nouvelle,  quand  le 
sieur  de  Marie,  maître  des  cérémonies,  se  présenta  dans  la 
salle  de  l'Hôtel  de  Ville  où  se  réunissaient  les  députés  du 
tiers,  et  leur  déclara  que  Sa  Majesté  désirait  que  les  dépu- 
tés nouvellement  arrivés  et  qu'il  n'avait  pas  encore  vus, 
eussent  à  venir  «  le  lendemain,  jour  de  dimanche,  à  l'issue 
de  son  diner,  pour  lui  faire  la  révérence  et  lui  baiser  les 
mains  ».  Puis  de  Marie,  «  ayant  tiré  son  rôle  de  tous  les 
gouvememens  et  bailliages  de   ce   royaume,  auroit  sur 

1.  Procès-verbal  de  PenroUemeni,  etc. 


436  PARIS  ET   LA  LIGUE 

icelui  collé  les  présens  qui  restoient  à  faire  la  révérence  à 
Sadilc  Majeslé  *  ».  C'est  le  même  jour  qu'une  sorte  de 
panique  se  répandit  parmi  les  députés.  On  faisait  courir  le 
bruit  «  que  les  hérétiques  et  leurs  partisans  montoient  à 
cheval  et  que  le  roi  de  Navarre  approchoit  de  cette  ville  ; 
que  plusieurs  gens  de  guerre  y  dévoient  arriver  pour 
attenter  quelque  chose  contre  la  liberté  des  États  ».  Très 
peu  rassurés,  les  députés  du  tiers  nomment  aussitôt  une 
conmiission  de  dix  membres,  parmi  lesquels  le  président 
de  Neuilly  représentait  le  gouvernement  de  Paris  et  Ile-de- 
France,  pour  aller  s'entendre  avec  les  deux  autres  ordres, 
et  supplier  Sa  Majesté  «  de  pourvoir  à  la  sûreté  requise  et 
nécessaire  pour  la  conservation  de  tous  en  général,  afin 
que  librement  on  pût  vacquer  à  la  tenue  des  États  ».  Deux 
jours  après,  le  26  septembre,  le  président  de  Neuilly  vient 
rendre  compte  de  la  conférence  qu'il  a  eue  avec  le  roi,  en 
compagnie  des  délégués  du  clergé  et  de  la  noblesse. 
L'archevêque  de  Bourges,  qui  se  piquait  de  beau  langage, 
avait  informé  le  roi  «  des  levées  et  assemblées  de  gens  qui 
se  faisoient  par  ceux  de  la  nouvelle  opinion  et  de  la  venue 
de  quelques  princes  *  que  l'on  assuroit  venir  fort  accom- 
pagnés en  cette  ville,  qui  pourroient  empêcher  la  sûreté 
de  leurs  personnes  et  libertés  ».  Henri  III  ne  s'était  nulle- 
ment ému  de  ces  insinuations,  assez  semblables  à  des 
menaces,  puisque  le  comte  de  Soissons  ne  venait  aux 
États  qu'après  avoir  obtenu  rautorisation  royale.  Le  mo- 

1.  ProcêS'Verbal  de  Pem^llement,  etc.  Palma-Catbt,  Introd.  à  la  ehronoL 
novenaire,  dil,  de  son  côté  :  «  A  mesure  que  les  députés  arri voient,  Sa 
Majesté  avoit  donné  ordre  qulls  fussent  conduits  par  devers  luy  pour  les 
voir  et  recognoistre...  » 

2.  C'est  évidemment  une  allusion  à  la  prochaine  arrivée  du  comte  de 
Soissons  (Charles  de  Bourbon,  fils  de  Louis  I«',  prinee  de  Condé),  qui,  en 
effet,  fit  son  entrée  à  Blois  quelques  jours  après,  le  vendredi  7  octobre, 
-  fort  accompagné  de  noblesse  ».  Voy.  l'Estoilb,  t.  III,  p.  188.  Réconcilié 
avec  Henri  HI,  le  comte  était  également  suspect  à  Henri  de  Navarre,  qui 
l'avait  éloigné  de  lui,  et  aux  ligueurs,  qui  le  considéraient  toujours  comme 
un  hérétique. 


PARIS   A   BLOIS  437 

narque  congédia  donc  la  délégation  des  trois  ordres  en 
rassurant  «  qu'il  feroit  en  sorte  que  la  force  lui  demeure- 
roit  comme  elle  lui  apparten'oit,  et  régleroit  tellement  les 
trains  des  princes  que  nul  n'en  pourroit  prendre  aucun 
doute  ».  Ainsi  l'astucieux  Valois,  fort  capable  de  glisser 
dans  ses  paroles  des  sous-entendus  redoutables,  laissait 
comprendre  qu'il  n'était  pas  moins  choqué  que  les  députés 
du  train  de  certains  princes,  qui  peut-être  n'étaient  pas  les 
princes  protestants.  Les  ligueurs  sentirent  sans  doute 
rironie  et  méditèrent  une  revanche  prochaine;  mais  il 
fallait  avant  tout  constituer  les  États  par  la  nomination 
des  bureaux  des  trois  ordres.  Dès  le  26  septembre,  le  tiers, 
après  avoir  entendu  le  rapport  verbal  du  président  de 
Neuilly,  décide  que  la  même  députation  retournera  le 
lendemain  trouver  le  roi,  avec  mission  de  lui  demander 
la  permission  pour  le  tiers  de  procéder  à  l'élection  de  ses 
officiers,  car,  sur  douze  gouvernements,  dix  étaient  déjà 
représentés. 

Henri  III  se  décida,  dès  le  lendemain,  à  faire  droit  aux 
réclamations  des  députés,  et  Nicolas  d'Angennes,  sieur  de 
Rambouillet,  vint,  en  compagnie  du  sieur  de  Yersigny, 
déclarer  aux  trois  ordres  que  le  roi  leur  permettait  de 
nommer  leurs  officiers  le  lundi  suivant,  et  que,  huit  jours 
après,  il  ouvrirait  solennellement  les  États.  Sa  Majesté 
terminait  sa  communication  en  invitant  les  députés  à  invo- 
quer la  grâce  du  Saint-Esprit,  et  <(  à  se  préparer  par  jeunes 
et  abstinences  pour  dignement  se  présenter  à  la  sainte 
communion  ».  On  peut  croire  qu'il  était  temps  pour  le  roi 
de  mettre  fin  à  sa  résistance,  car  les  députés  commençaient 
à  perdre  patience,  et,  dans  la  séance  du  27  septembre,  lo 
tiers  état,  sans  daigner  répondre  à  la  communication  royale 
qu'il  jugeait  sans  doute  trop  tardive,  vota  une  motion  qui 
avait  tous  les  caractères  d'un  nouvel  acte  d'hostilité  contre 
la  couronne.  C'était  une  protestation  contre  «  Tédît  créant 


438  PARIS  ET  LA  LIGUE 

de  nouveaux  bailliages  de  six  lieues  ».  Le  tiers  demandait 
au  roi  sa  révocation,  ainsi  que  celle  de  «  tous  autres  édits 
et  commissions  concernant  la  création  de  nouveau^  ofii- 
cierSy  nouvelles  impositions  d'aides,  emprunts,  subsides  et 
subventions,  aliénations  ou  reventes  du  domaine  »  ;  et,  pré- 
voyant le  cas  où  les  députés  seraient  éconduits,  la  délibé- 
ration ajoutait  que  «  Sa  Majesté  seroit  suppliée  licencier 
et  congédier  les  députés  ».  Il  était  difficile,  on  le  recon- 
naîtra, de  prendre  une  attitude  plus  comminatoire  ;  et,  en 
cette  circonstance,  les  deux  autres  ordres  faisaient  abso- 
lument cause  commune  avec  le  tiers.  Une  députation  col- 
lective, composée  de  dix  députés  du  tiers,  dont  le  président 
de  Neuilly,  dix  du  clergé  et  six  de  la  noblesse,  se  présenta 
au  palais  le  vendredi  30  septembre.  Henri  III  se  formalisa 
et  refusa  de  recevoir  une  députation  aussi  nombreuse  :  il 
demanda  qu'elle  fût  réduite  à  neuf  personnes,  quatre  pour 
l'Église,  deux  pour  la  noblesse  et  trois  pour  le  tiers.  Il 
fallut  se  soumettre  k  cette  exigence  du  prince.  L'audience 
ouverte,  Henri  déclara  qu'il  ne  pouvait  reconnaître  aux 
États  le  droit  de  prendre  aucune  résolution  et  n'admettait 
que  des  requêtes.  En  ce  qui  concernait  spécialement  l'éflil 
relatif  aux  nouveaux  bailliages,  il  fit  entendre  qu'on  lui 
cherchait  à  ce  propos  une  méchante  querelle,  car  l'édit 
dont  il  s'agissait  n'avait  pas  reçu  d'application  :  «  le  camp 
étant  à  Beaugency,  il  en  avoit  été  parlé,  pour  la  nécessité 
qui  étoit  trouver  argent,  mais,  depuis,  le  tout  avoit  été 
délaissé  ».  En  congédiant  les  députés,  Henri  ne  parvint 
pas  à  dissimuler  sa  colère  et  s'éleva  vigoureusement  contre 
«  les  gens,  si  peu  aCTectionnés  au  repos  de  son  État,  qui 
ne  cessoient  d'y  semer  de  faux  bruits  '  ». 

A  la  suite  de  cette  audience  royale  du  30,  il  y  eut  un 
moment  de  répit  :  la  noblesse  cessa  même  de  tenir  séance  ; 

!.  Procés^erbal  de  Venrollement,  etc. 


PARIS  A  BLOIS  439 

on  ne  s'assembla  que  pour  la  forme.  Quant  au  tiers  état,  il 
consacra  la  séance  du  1^'  octobre  à  s'occuper  de  la  question 
de  la  vérification  des  pouvoirs  et  des  contestations  diverses 
auxquelles  cette  vérification  donnait  lieu.  Le  tiers  état 
revendiquait  le  droit  pour  les  États  de  statuer  souveraine- 
ment sur  ces  contestations.  Consulté  à  son  tour,  le  clergé, 
par  l'organe  de  l'archevêque  de  Bourges,  déclara  aui  dé- 
légués du  tiers,  MM.  La  Chapelle-Marteau  et  de  la  Fosse, 
qu'au  sein  de  l'ordre  ecclésiastique  deux  opinions  s'étaient 
manifestées  :  les  uns  estimaient  que  «  les  États  dévoient 
prendre  connaissance  des  différends  et  oppositions  dont  il 
est  question,  sans  s'arrêter  aux  arrêts  et  jugements  qui 
pourroient  être  donnés  par  le  roi  en  son  conseil,  et  passer 
îceux  par  connivence,  à  l'exemple  du  bon  pilote,  lequel 
étant  en  pleine  mer  ne  laisse,  pour  les  chants  des  syrcnnes, 
eccueils  et  dangers  qui  se  rencontrent,  de  continuer  sa 
course  et  navigation  ».  D'autres,  au  contraire,  pensaient 
a  qu'il  valloit  mieux  attendre  jusques  à  lundi  que  l'on 
procédera  à  l'élection  d'un  président  et  officiers,  parce  que, 
iceux  étant  élus,  les  États  avoient  pouvoir  d'en  connoître, 
et  cesseroit  l'objet  que  Sa  Majesté  a  proposé  qu'ils  n'avoient 
encore  aucuns  officiers  ».  Le  tiers  état  finit  par  se  ranger 
îï  cette  dernière  opinion. 

C'est  le  3  octobre  que  le  tiers  état  constitua  son  bureau, 
après  avoir  assisté  à  une  messe  du  Saint-Esprit  dans 
Téglise  des  frères  prêcheurs  *.  On  procéda  à  l'élection  du 

i.  Bernard  donne  sur  le  cérémonial  de  cette  messe  des  détails  assez 
curieux  :  «  Le  lundi,  troisième  jour  dudit  mois,  les  députés  du  tiers  état 
se  trouvèrent  en  l'église  des  Jacobins  pour  ouïr  la  messe.  Au  commence- 
ment, fut  chanté  le  Vent  Creator;  ladite  messe  fut  célébrée  du  Saint-Esprit, 
et  après  icelle  fut  chantée  la  prière  Domine,  non  secundum.  Le  premier  banc 
fut  pour  ceux  de  la  Ville  de  Paris  seulement,  le  second  pour  les  députés 
de  notre  province  de  Bourgogne,  et  en  ce  même  rang  fûmes  à  VOffertoire. 
La  messe  dite,  chacun  marcha  en  son  rang,  ceux  de  Paris  les  premiers, 
nous  après,  ayant  le  concierge  de  la  maison  et  ville  de  Blois,  qui  marchoit 
le  premier  avec  sa  verge,  portant  une  robe  violette  et  une  manche  pen- 
dante à  la  gauche,  battue  en  or,  en  laquelle  sont  représentées  les  armes 
de  la  ville.  » 


PARIS   ET   LA  LIGUE 

président  «  par  bailliages  et  à  haute  voix^  à  la  pluralité 
desquelles  iuessire  Michel  Marteau,  conseiller  et  maître  de 
la  Chambre  des  comptes  de  Paris,  prévôt  des  marchands  do 
ladite  Ville,  a  été  élu  président  de  la  compagnie,  par  pro- 
testation que  ladite  élection  ne  puisse  empêcher,  en  con- 
vocation d'Ëtats  qui  se  feront  par  cy-après,  que  les  députés 
du  tiers  état  ne  puissent  élire  pour  président  tel  d'entre 
eux  qu'il  leur  plaira  ».  Ainsi  rassemblée  consignait  son 
désir  d'observer  la  tradition  qui  attribuait  au  prévôt  de^ 
marchands  Thonneur  de  la  présidence,  et  réservait  le  droili 
des  députés  du  tiers  de  porter  leurs  suffrages  sur  le  repré- 
sentant d'une  autre  circonscription.  Après  avoir  prêté  ser- 
ment «  sur  rimage  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  de  bien 
et  duement  et  fidellement  s'acquitter  de  sa  charge  de  pré- 
sident, de  tenir  secret  tout  ce  qui  seroit  proposé,  couclud 
et  arrêté  sans  révéler  aucune  chose  »,  La  Chapelle-Marteau 
prit  la  parole  et  prononça  le  discours  suivant  : 

«  Messieurs,  je  reçois  à  très  grand  honneur  la  charge  à 
laquelle  il  vous  plaît  m'appeller  et  ressens  de  tout  mou 
pouvoir  l'obligation  que  j'en  ai  à  une  si  notable  compagnie^ 
élue  et  choisie  en  tous  les  endroits  de  la  France;  mais  je 
crains,  messieurs,  que  vous  ne  soyez  bientôt  déçus  eii 
l'opinion  qu'avez  conçue  de  moi,  plus  par  aventure  pour- 
mon  zèle  auquel  je  ne  céderai  à  l'homme  vivant,  et  pour 
le  respect  de  cette  grande  Ville  de  laquelle  je  suis  envoyé 
que  pour  aucune  capacité  qui  soit  en  moi.  Il  me  restera» 
de  suppléer  à  mes  défauts  par  une  entière  correspondance 
que  j'apporterai  à  vos  bonnes  et  saintes  intentions,  sans- 
aucun  intérêt  ni  passion  particulière,  n'ayant  tout  autre 
but  que  l'honneur  de  Dieu,  la  manutention  de  Sa  Ma- 
jesté, le  service  du  roi,  le  bien  de  son  état  et  le  soula- 
gement de  son  pauvre  peuple,  duquel  nous  sommes  dé- 
putés pour  procureurs  et  conservateurs  de  ses  droits  et 
libertés,  procureurs  de    sa  décharge  et  restaurateurs  dt*^ 


PARIS  A  BLOIS  441 

ses  droits  et  fibertés,  ou  tant  que  nous  y  pouvons  servir 
par  très  humbles  remontrances  de  son  repos.  En  cela^ 
messieurs,  j'avouerai  n'être  moins  riche  et  abondant 
on  affection  que  manquer  d'ailleurs  en  suffisance,  vous 
suppliant  de  recevoir  Tune  de  bonne  part  et  couvrir  Tautre 
de  vos  faveurs,  avec  protestations  que  je  vous  fais  que  je 
n'oublierai  en  rien  du  respect  que  je  vous  dois  à  tous  ;  or, 
messieurs,  je  ne  vous  dirai  point  à  quelle  fin  nous  sommes 
colloques,  et  n'entre  en  discours  du  besoin  que  nous  avions 
de  cette  tenue  d'états;  je  me  déporterai  pareillement  do 
vous  représenter  les  nécessités  de  ceux  qui  nous  ont 
choisis,  les  remèdes  et  moyens  qui  se  peuvent  appliquer. 
Vous  n'en  avez  moins  de  connaissance  que  moi.  Il  n'y  a 
celui  de  vous  lequel  soit  bien  instruit  et  informé  de  tout 
ce  qui  appartient  à  sa  charge;  seulement,  j'ai  à  vous  faire 
une  très  instante  prière  au  nom  de  Dieu,  lequel,  s'il  lui 
plaît,  au  milieu  de  nous,  que  tous  soyons  unis  et  concluant 
en  même  volonté  de  bien  faire,  et  qu'avant  qu'entrer  en 
aucune  délibération  que  tout  ce  qui  se  proposera  et  fera 
soit  tenu  secret,  et  que  tous  fassions  un  religieux  et  étroit 
serment  do  ne  le  révéler  à  aucune  personne,  de  quelque 
qualité  et  condition  qu'elle  soit;  et,  pour  fin  de  mon  propos,, 
je  prie  Dieu  de  tout  mon  cœur  qu'il  nous  veuille  tous  ins- 
pirer et  faire  tant  de  grâces  que  nos  conseils  ne  soient  in- 
fructueux, ainsi  que  nous  en  rapportions  à  nos  provinces 
l'utilité  que  chacun  s'en  promet,  et  que  le  besoin  le  re- 
quiert *.  » 

Au  moment  où  Ton  allait  voter  pour  compléter  le  bureau^ 
les  sieurs  de  Cbantonnel,  de  Celles  et  le  baron  de  Betho- 
mas  se  présentèrent  de  la  part  de  l'ordre  de  la  noblesse  et 
demandèrent  aux  membres  du  tiers  «  de  vouloir  bien  leur 
dire  la  forme  qu'ils  tenaient  pour  élire  leur  président  et 

1.  Procès 'Vet*bal  de  Venroitefnent,  etc.  Le  Journal  de  Bernard, 


443  PARIS  ET  LA   LIGUE 

autres  officiers...  »  L'assemblée  répondit  à  cette  demande, 
qui  ressemblait  fort  à  un  hommage,  en  députant  deux  des 
siens,  Bernard,  de  Bourgogne,  et  Damonville,  de  Nor- 
mandie, pour  porter  à  la  noblesse  les  renseignements  dont 
elle  avait  besoin.  On  procéda  ensuite  à  la  nomination, 
toujours  à  haute  voix  et  par  bailliages,  du  secrétaire,  du 
greffier  et  des  deux  évangélistes  du  tiers.  Jehan  Courtin, 
seigneur  de  Nanteuil,  député  de  Blois,  fut  élu  secrétaire; 
Jehan  Guillau,  avocat  au  bailliage  de  Rennes,  Le  Duc  et 
Auroux  furent  désignés  pour  remplir  les  autres  fonctions 
d'officiers  du  tiers  *.  Tous  les  députés  prêtèrent  ensuite  le 
serment  de  ne  révéler  à  personne  le  secret  des  délibéra- 
tions, à  genoux  devant  un  crucifix  de  bois. 

Dans  la  même  séance  du  3  octobre,  se  produisit  une 
querelle  de  préséance  assez  singulière  entre  le  sieur  de 
Marchepareau,  qui  venait  d'arriver  la  veille  avec  le  titre 
de  délégué  de  la  Ville  de  Paris  *,  et  l'un  des  députés  de 

1.  Apre»  avoir  également  rapporté  la  nomination  du  sieur  Nanteuil  en 
qualité  de  secrétaire  du  tiers  état,  le  Journal  de  Bernard  «goûte  que  Ton 
nomma  contrôleurs  et  évangélistes  M.  Faron,  député  de  Paris,  et  Guilleaume^ 
avocat,  député  de  Bourgogne.  On  voit  qu'il  y  a  ici  un  certain  désaccord 
entre  le  Procès-verbal  et  le  Journal  de  Bernard,  C'est  dans  ce  dernier  docu- 
ment qu'on  trouve  l'indication  du  nombre  de  suffrages  obtenu  par  chacun 
des  élus.  La  Chapelle-Marteau,  pour  la  présidence,  eut  65  voix;  le  prési- 
dent de  Neuilly,  16;  le  sieur  Davinet,  2,  et  le  sieur  de  Marchepareau,  1.  Ber- 
nard donne  ce  détail  personnel  que  «  comme  Ton  procédoit  à  la  nomina- 
tion des  évangélistes,  il  eut  quelques  voix,  ce  qui  lui  donna  occasion  de  se 
lever  pour  rompre  ce  coup  et  s'excuser  ». 

2.  Nous  donnons  ici  l'orthographe  du  Journal  de  Bernard.  Les  Registres 
de  la  Ville,  en  plusieurs  endroits  (voy.  notamment  H,  1789,  fol.  194  et  214), 
apppellent  le  même  personnage  «  M.  de  Masparault  «.  Il  parait  avoir  été 
surtout  chargé  par  la  Ville  de  s'occuper  des  questions  de  finances  inté- 
ressant Paris.  Le  18  septembre  1588,  il  avait  été  désigné  avec  les  sieurs 
Dampierre  et  deChampin,pour  s'entendre  avec  trois  commissaires,  nommés 
par  le  fermier  général  du  sel,  sur  les  moyens  u  de  convertir  les  deniers 
des  gabelles  en  payement  des  rentes  constituées  par  ladite  Ville  ».  Ces 
pourparlers  traînèrent  en  longueur,  à  cause  de  la  prétention  de  la  Ville  de 
nommer  elle-même  le  receveur  de  la  gabelle,  prétention  que  le  roi  n'admit 
pas.  G*est  ce  que  fit  savoir  La  Chapelle-Marteau  dans  une  lettre  du  10  octo- 
bre 1588,  adressée  de  Blois  à  la  municipalité  de  Paris.  Il  y  eut  alors  une 
assemblée  de  Ville  le  13  octobre,  dont  le  résultat  fût  que  le  receveur  et  le 
contrôleur  de  la  gabelle  seraient  nommés  d'un  commun  accord  par  les  trois 
délégués  de  la  Ville  de  Paris  dont  nous  avons  donné  les  noms,  et  trois 


PARIS  A   BLOIS  443 

Paris,  réchevin  Jehan  de  Compans.  On  se  rappelle  qu'il 
avait  déjà  spontanément  cédé  son  rang  de  séance  au  prési- 
dent de  Neuilly.  Marchepareau,  qui  se  croyait  sans  doute 
un  aussi  gros  personnage  que  le  président  de  Neuilly, 
allégua,  pour  justifier  sa  prétention,  «  qu'il  étoit  conseiller 
de  la  Ville,  que  ledit  état  étoit  perpétuel,  qu'il  avoit  été 
conseiller  au  Parlement,  depuis  maître  des  requêtes  et 
conseiller  d'État;  que  ledit  échevin  n'étoit  en  sa  charge 
qu'à  tems;  qu'il  étoit  simple  marchand  drapier  et  qu'il 
avoit  quitté  sa  place  au  sieur  président  de  NuUy,  l'un  des 
élus;  par  ainsi  que,  par  même  raison,  il  devoit  siéger 
devant  ledit  échevin  ».  Jean  de  Compans,  quoique  simple 
marchand  drapier,  ne  baissa  pas  pavillon  devant  l'orgueil- 
leux conseiller  d'État.  Il  insista  sur  son  titre  de  député  et 
dit  à  Marchepareau  «  qu'il  ne  falloit  pas  mettre  en  avant 
ses  grades  et  honneurs  passés,  et  que  la  gratification  qu'il 
avoit  faite  audit  sieur  de  Neuilly  n'étoit  obligatoire  pour 
en. faire  autant  pour  le  sieur  Marchepareau  ».  L'assem- 
blée du  tiers,  fort  embarrassée,  ajourna  la  solution  du 
litige. 

Le  tiers  employa  les  séances  suivantes  (4,  5,  6  octobre) 
à  des  vérifications  de  pouvoirs  très  fastidieuses  et  à  la  dis- 
cussion de  contestations  diverses  entre  les  députés.  Il  faut 
cependant  en  citer  quelques-unes,  parce  qu'elles  ont  donné 
lieu  aux  intéressés  de  rappeler  les  privilèges  de  la  Ville  de 
Paris.  Robert  Hannivel,  député  de  la  ville  de  Rouen,  con- 
testait les  pouvoirs  du  sieur  Vauquelin,  lieutenant  au 
bailliage  de  Caen,  et  refusait  à  la  ville  de  Caen  le  droit 
d'avoir  deux  voix  aux  États.  Les  députés  de  Caen  reven- 
diquaient au  contraire  le  droit  dont  il  s'agit  «  tout  ainsi 


délégués  du  fermier  général.  L*a8semblée  recommanda  la  candidature  de 
Nicolas  Parent  au  choix  des  six  membres  de  la  commission  mixte.  H,  1789, 
fol.  197.  Au  mois  de  décembre  1588,  on  retrouve  Masparault  à  Paris,  et  le 
Bureau  le  convoque  au  Conseil  de  Ville.  Ibid.,  fol.  214. 


444  PARIS   ET   LA   LIGUE 

cl  en  la  mémo  forme  que  ceux  de  la  ville  de  Rouen  et  bail- 
liage ».  L'assemblée  du  tiers,  se  plaçant  apparemment  au 
point  de  vue  de  la  stricte  équité,  ne  vit  pas  bien,  en  effet, 
pourquoi  Rouen  prétendait  être  traité  plus  favorablement 
que  la  ville  de  Caen,  et  elle  allait  ouvrir  la  discussion  sur 
ce  point;  mais  Robert  Hannivel  s'y  opposa  vigoureuse- 
ment et  justifia  sa  thèse  en  critiquant  les  privilèges  de  la 
Ville  de  Paris.  Il  supplia  la  compagnie  «  de  n'entrer  en 
jugement  du  privilège  et  possession  en  laquelle  ladite 
ville  de  Rouen  est  d'avoir,  pour  le  corps  de  ladite  ville, 
une  voix  séparée  et  distincte  d'avec  le  bailliage  dudit 
Rouen,  ainsi  que  Messieurs  de  Paris  d'avec  la  prévôté  et 
vicomte  de  Paris,  parce  que  lesdits  de  Paris  et  Cham- 
paigne  l'ont  voulu  empêcher;  aussi  qu'il  entend  donner 
empêchement  que  lesdits  sieurs  de  Paris  n'ayent  en  leur 
compagnie  plus  grand  nombre  de  députés  que  de  cou- 
tume ».  Comme  il  arrive  souvent  dans  les  assemblées,  ou 
évita  de  donner  au  débat  de  trop  grandes  proportions,  et 
les  choses  restèrent  en  l'état. 

Ce  droit  de  vérifier  les  pouvoirs  paraît  avoir  été  exercé 
simultanément  par  le  tiers  et  par  le  roi.  Ainsi,  d'une  part, 
le  roi  se  réserva  l'examen  des  contestations  fort  vives  qui 
s'élevèrent  entre  les  députés  des  treize  bonnes  villes  d'Au- 
vergne et  ceux  du  plat  pays  de  cette  province.  D'autre 
part,  l'assemblée  exclut  certains  députés,  par  exemple 
Lazarre  Colesse,  député  du  bailliage  de  la  Ferté-Alais;  et 
si  nous  parlons  de  ce  personnage,  c'est  que  l'opposition  à 
son  admission  fut  formée  par  Michel  Marteau,  le  député  de 
Paris.  Il  fut  décidé  que  Lazarre  Colesse  «  n'auroit  séance 
en  ladite  compagnie,  ains  se  retireroit  à  mettre  ès-mains 
dudit  sieur  Marteau,  député  de  la  prévôté  et  vicomte  de 
Paris,  le  cahier  et  mémoire  de  la  Ferté-Aleps  ».  Le  motif 
donné  à  l'appui  de  cette  décision  était  que  le  bailliage  de 
la  Ferté-Alais  avait  fait  retour  à  la  prévôté  et  vicomte  de 


PARIS  A  BLOIS  44S 

Paris,  par  suite  de  la  réunion  du  duché  d'Orléans  à  la 
couronne. 

Un  peu  plus  tard,  dans  la  séance  du  19  décembre,  «  fut 
remuée  une  contention  entre  les  députés  de  Bourgogne 
et  ceux  de  TIle-de-France  ».  Les  premiers  soutenaient 
«  qu'ils  avoicnt  eu  en  tous  les  États  le  premier  rang, 
séance  et  avis  après  ceux  de  la  Ville  de  Paris;  que  ce  que 
ceux  de  TIsle-de-France  étoient  sous  le  même  gouvernement 
n'étoit  pas  pour  participer  aux  droits  et  privilèges  de  la 
Ville  de  Paris,  mais  seulement  avoient-ils  été  mis  et 
rangés  sous  ledit  gouvernement  pour  éviter  la  multitude 
des  suffrages  ;  par  ainsi  ils  étoient  bien  du  même  gouver- 
nement ad  hoc  seulement;  qu'insensiblement  ils  donne- 
roient  voix  et  avis,  mais  que  ratione  dignitatis  ils 
étoient  tous  distingués,  et  qu'ainsi  ne  fut  ils  étoient  ap 
pelles  par  les  héraults,  non  seulement  après  la  province  de 
Bourgogne,  mais  après  plusieurs  autres  gouvememens, 
marchoient  des  derniers,  opinoient  des  derniers,  sauf  et 
excepté  quand  il  s'agissoit  du  cahier  général  où,  pour  la 
facilité  et  breveté,  l'on  les  faisoit  opiner  avec  ceux  de  la 
Ville  de  Paris,  de  laquelle  Ville,  en  acte  particulier,  ils 
prenoient  toute  leur  clarté  et  lumière...  »  Ici  encore,  ce 
n'est  pas  le  tiers  état,  mais  le  roi  en  Conseil  privé  qui 
jugea  le  différend;  et  il  convient  d'ajouter  que  la  compé- 
tence du  Conseil  privé  fut  invoquée  non  par  la  couronne, 
mais  par  les  députés  de  l'Ile-de-France,  qui  avaient  for- 
mellement refusé  de  prendre  l'assemblée  du  tiers  pour 
arbitre.  On  peut  supposer  que  la  décision  du  Conseil  ne 
fut  pas  favorable  aux  députés  de  l'Ile-de-France,  car,  après 
l'arrestation  des  députés  de  Paris,  on  verra  Bernard, 
député  de  Bourgogne,  présider  la  séance  du  31  décembre, 
probablement  par  ce  motif  que  la  Bourgogne  prenait  rang 
après  la  Ville  de  Paris. 

Il  faut  passer  rapidement  sur  ces  questions  de  détail, 


446  PARIS  ET  LA   LIGUE 

malgré  toute  Timportance  qu'elles  avaient  pour  Tépoque, 
et  aborder  le  récit  de  faits  d'un  caractère  plus  général. 

C'est  dans  la  séance  du  7  octobre  que  M.  de  Marie  vint 
annoncer  au  tiers,  de  la  part  du  roi,  que  l'ouverture  solen- 
nelle des  États  aurait  lieu  le  dimanche  16  octobre.  Il  sem- 
ble bien  que  l'approche  d'un  événement  aussi  considérable 
et  aussi  désiré  stimula  encore  l'audace  des  députés 
ligueurs  et  les  décida  à  mettre  le  comble  à  leurs  exigences. 
Nous  avons  déjà  signalé  leurs  protestations  violentes 
contre  les  édits  créant  de  nouveaux  impôts  et  de  nouvelles 
charges  vénales  ^  Le  projet  de  renouvellement  du  bail  de 
la  gabelle,  dont  l'adjudication  devait  avoir  lieu  dans  les 
premiers  jours  d'octobre,  avait  déjà  donné  lieu  entre  la 
représentation  nationale,  la  Ville  de  Paris  d'une  part,  et  la 
couronne  d'autre  part,  à  un  conflit  des  plus  graves.  On 
sait  que  l'impôt  sur  le  sel  formait  une  des  branches  les 
plus  importantes  de  l'administration  financière  de  l'État  : 
le  service  chargé  de  son  recouvrement  s'appelait  la  gabelle 
et  avait  à  sa  tête  un  fermier  général  auquel  ressortissaient 
plusieurs  généralités.  Le  fermier  général  passait  un  mai- 
ché  avec  les  propriétaires  des  salines,  afin  de  se  procurer 
les  quantités  de  sel  nécessaires  à  la  consonmiation  du 
royaume;  puis  il  prélevait  sur  la  vente  du  sel  un  droit  fixé 
par  le  bail  ou  contrat.  Or  la  perception  de  cet  impôt  avait 
donné  lieu  à  de  scandaleux  abus.  Dans  un  curieux  mé- 
moire, le  président  Mallet  et  le  sieur  Bobier,  secrétaire  de 
feu  Monsieur,  établirent  que  sur  le  bail  de  1582-1S8S  le 
fermier,  qui  n'avait  droit  qu'à  une  recette  de  800,000  écus, 
destinés  au  trésor  royal,  avait,  en  réalité,  perçu 
1,315,333  écus.  Or,  les  frais  de  perception  n'étant  que 
15,333  écus  par  an,  le  roi  perdait  par  an  500,000  écus. 
Sur  le  contrat  valable  de  1585  à  1588  fin  septembre,  la 

i.  Voy.  plus  haut,  p.  437. 


PARIS  A  BLOIS  447 

perte  da  Trésor  et  le  bénéfice  illégal  du  fermier  s'élevaionl 
k  2,S08,000  écus,  soit  836,000  écus  par  an  ^  Il  paraissait 
impossible  que  le  roi,  ainsi  éclairé  sur  les  concussions 
des  fermiers  du  sel,  renouvelât  leur  bail  dans  les  mêmes 
conditions. 

Chose  curieuse  et  qui  n'est  indiquée,  croyons-nous,  par 
aucun  historien,  la  Ville  de  Paris  s'était  mise  sur  les 
rangs  pour  prendre  à  son  compte  ce  qu'on  appelait  «  le 
parti  du  sel  ».  La  demande  avait  été  présentée  au  roi  par 
La  Chapelle-Marteau  et  Compans.  Dans  l'assemblée  de 
Ville  du  13  octobre  1588,  le  sieur  Roland,  premier  échevin, 
qui  était  resté  à  Paris,  donna  lecture  de  lettres  datées  de 
Blois,  8  octobre,  par  lesquelles  le  prévôt  des  marchands 
et  son  collègue  Compans  faisaient  savoir  à  la  municipalité 
parisienne  qu'ils  avaient  prié  Henri  III  «  d'accorder  h  la 
Ville  de  Paris  le  party  entier  dudict  sel,  tenu  à  présent 
par  M.  Noël  de  Hire,  pour  être  employé  tant  en  l'acquit  des 
arrérages  de  toutes  les  rentes  constituées  sur  l'Hostel  de 
ladite  Ville  que  au  rachapt  d'icelles  ».  Dans  ces  lettres, 
les  députés  de  Paris  ajoutaient  qu'ils  n'avaient  pas  voulu 
«  passer  oultre  à  la  poursuite  dudict  affaire  sans  en  avoir 
prins  l'advis  des  au!  très  eschevins  et  conseil  de  ladicte 
Ville  ».  C'est  Nicolas  Auroux,  conseiller  et  aumônier  de  la 
reine  mère,  aussi  député  de  Paris  aux  États  généraux, 
que  le  prévôt  des  marchands  chargea  d'aller  prendre  l'avis 
des  officiers  municipaux  restés  dans  la  capitale.  Après 
l'avoir  entendu,  l'assemblée  de  Ville  décida  que  «  ledict 
faict  seroit  remis  à  la  prudence  et  fidellité  desdicts  sieurs 
députez  pour  en  faire  toutes  les  poursuites  requises  '  ». 


i,  La  descouverture  des  deniers  salez,  dédiée  au  Roy  et  à  messieurs  des 
États  à  Blois,  advis  très  utile  et  nécessaire  pour  le  recouvrement  de  notables 
sommes  de  finances  sur  lespartizans  du  sel.  Au  grand  soulagement  du  peuple 
à  Pwis.  De  Vimprimerie  de  Denys  Duval,  au  Cheval-  Volant,  rue  Saint-Jean 
de  Beauvais  (1588),  avec  privilège.  —  Archiv.  cun.,  i'*  série,  t.  XII,  p.  48. 

2.  Reo.  db  la  ViLLB,  H,  1789,  fol.  198. 


448  PARIS   ET  LA  LIGUE 

Mais  la  Ville  dul  ajourner  la  réalisation  de  ses  désirs,  car 
les  États  firent  opposition  à  Tadjudication  de  la  gabelle^ 
afin  d'ouvrir  sur  les  concussions  des  partisans  un  débat 
approfondi .  Henri  III  se  montra  profondément  irrité 
de  cette  ingérence  des  députés  dans  Tadministration  de 
ses  finances,  et  il  avait  peut-être  des  raisons  de  craindre 
que  la  curiosité  des  réformateurs  ne  s'attaquât  à  de  plus 
hauts  personnages  que  le  fermier  de  la  gabelle. 

Sans  se  soucier  de  cette  mauvaise  humeur  du  prince, 
les  États  l'excitèrent,  une  fois  de  plus,  en  proposant  le 
renouvellement  de  l'édit  d'Union  et  le  serment  solennel 
des  députés.  C'est  le  tiers  qui  prit  l'initiative  de  cette 
mise  en  demeure  dans  la  séance  du  14  octobre  ^  On 
décida  de  faire  des  démarches  immédiates  auprès  des  deux 
autres  ordres  pour  inviter  le  roi  à  jurer  de  nouveau 
l'édit.  Henri  III,  informé  de  cette  décision  du  tiers  état, 
la  prit  en  fort  mauvaise  part,  estimant  que  «  c'étoit  révo- 
(juer  en  doute  la  fermeté  de  son  serment  ».  Il  eût  bien  pré- 
féré qu'on  s'occupât  «  de  faire  fonds  de  quatre  à  cinq  cent 
mille  écus  pour  l'entretènement  des  armées  ».  Dans  cette 
circonstance,  le  clergé  et  la  noblesse  firent  cause  commune 
avec  le  tiers  état,  et  c'est  au  nom  des  trois  ordres  que  l'èvê- 
que  d'Embrun  adressa  un  discours  au  roi  pour  le  décider 
à  renouveler  son  serment  à  l'ouverture  des  États.  Irrité 
d'une  pareille  insistance,  Henri  opposa  d'abord  un  refus 
formel  et  fit  observer  que  son  premier  serment  était  bon  et 
franc.  Il  répéta  que  le  forcer  à  renouveler  ce  serment, 
t)*était  «  douter  de  sa  foi  et  intégrité  ».  Mais  les  États  ne 
cédèrent  pas  et  allèrent  même  jusqu'à  faire  prévoir  oûe 
demande  de  licenciement  pour  le  cas  où  l'on  ne  tiendrait 
pas  compte  de  leurs  vœux.  Dès  le  lendemain  15  octobre, 

1.  M.  Picot,  dans  son  Hist,  des  États  généraux,  t.  UI,  p.  95,  altribue  à 
l'ordre  du  clergé  l'idée  première  de  faire  jurer  de  nouveau  Védit  d'Union  w. 
roi.  Mais  le  procès-Terbal  de  la  28*  séance  du  tiers  état  parait  bien  formel. 


PARIS  A  BLOIS  449 

le  roi  déclara  aux  délégués  des  trois  ordres  que,  tout  en 
trouvant  la  requête  qu'on  lui  adressait  un  peu  étrange,  il 
consentait  à  ce  que  Tédit  «  fût  de  nouveau  juré  en  son 
trône  de  justice,  en  pleine  assemblée  et  avec  les  plus 
grandes  solennités  que  faire  se  pourrait  ». 

L'ouverture  solennelle  des  États  eut  lieu  le  16  octobre 
1588  dans  la  grand' salle  du  château  de  Blois.  Ce  devait 
être  un  magnifique  spectacle  que  celui  de  cet  immense 
vaisseau,  garni  de  riches  tapisseries  et  de  velours  violet 
semé  de  fleurs  de  lis  d'or  S  avec  le  miroitement  de  tous 
les  costumes  splendidcs  des  princes,  des  cardinaux,  des 
seigneurs,  des  conseillers  d'État,  et  l'encadrement  impo- 
sant des  dames  de  la  cour  qui  garnissaient  les  galeries 
fermées  de  jalousies,  au-dessus  des  hautes  tribunes  où 
s'étageait  une  foule  éblouie.  Entre  le  troisième. et  le  qua- 
trième pilier,  on  avait  dressé  «  un  grand  haut  dais  en 
forme  d'échafiaut  »  pour  le  roi,  les  deux  reines  et  les 
princes  du  sang,  sorte  de  temple  de  la  royauté  française, 
qui  se  donnait  à  elle-même,  par  le  déploiement  de  cet 
appareil  orgueilleux,  l'illusion  d'un  pouvoir  presque  divin, 
alors  que  la  terre  ne  la  respectait  déjà  plus.  Entouré  des 
capitaines  des  gardes  et  des  deux  cents  gentilshonunes 
avec  leurs  haches  ou  becs  de  corbin,  le  roi  portait  un 
costume  simple,  «  ses  habits  ordinaires  »,  dit  le  journal 
de  Bernard,  avec  le  grand  ordre  du  Saint-Esprit  au  cou; 
devant  lui,  deux  massiers  chacun  une  masse  d'or  à  la 
main.  Les  bancs  des  secrétaires  du  roy,  du  conseil  d'État 
de  robe  longue  et  de  robe  courte  séparaient  l'estrade 
royale  des  bancs  du  clergé  et  de  la  noblesse;  ceux  du 
clergé,  au  nombre  de  huit,  se  trouvaient  à  droite,  ceux 
de  la  noblesse,  au  nombre  de  neuf,  à  gauche  '.  Quant  aux 

• 

1.  Voy.  le  Cérémonial  français  de  Théodore  Goderiot.  Paris,  2  vol.  in-fol., 
1649,  t.  11,  p.  322. 

2.  Le  clergé  comptait  134  députés,  dont  I  archevêques,  21  éTéque»  et 

ROBIQUBT*  29 


PARIS  ET  LA  LIGUE 

députés  du  tiers,  la  place  qui  leur  était  assignée  montrait 
assez  en  quelle  mince  considération  les  tenait  la  Cour  : 
«  Tout  cela  estoit  environné  et  clos  de  grandes  et  fortes 
barrières,  hautes  de  trois  pieds,  ayant  une  seule  ouverture 
vis-à-vis  du  roy,  entre  •  les  susdits  trois  et  quatrième 
piliers,  par  laquelle  entroient  les  députez.  Et  par  dedans 
l'enclos  de  ces  barrières  et  tout  à  Ceiitour,  estoient  les 
bancs  des  députez  du  peuple  ^  »  Un  huissier  les  appela 
suivant  un  ordre  déterminé  et  en  commençant  par  les 
députés  de  la  ville  et  prévôté  de  Paris  ;  puis  les  hérauts 
de  Normandie,  d'Alençon  et  de  Valois,  revêtus  de  leurs 
cottes  d'armes  de  velours  violet,  allèrent  les  recevoir  à 
l'entrée  extérieure  des  barrières  et  les  conduisirent  un  à 
un  dans  la  salle  où  les  hérauts  de  Bretagne  les  remet- 
taient entre  les  mains  des  sieurs  de  Rhodes  et  de  Marie, 
maîtres  des  cérémonies,  qui  leur  assignaient  une  place, 
suivant  la  province  dont  ils  étaient  députés. 

Quand  tous  eurent  pris  place,  «  le  duc  de  Guise  assis  en 
sa  chaire  *,  habillé  d'un  habit  de  satin  blanc,  la  cappe 
retroussée  à  la  bizarre,  perçait  de  ses  yeux  toute  l'épaisseur 
de  l'assemblée  pour  reconnoistre  et  distinguer  ses  servi- 
teurs, et  d'un  seul  eslancement  de  sa  veûe  les  fortifier  en 
l'espérance  de  l'avancement  de  ses  desseins,  de  sa  fortune 
et  de  sa  grandeur,  et  leur  dire  sans  parler  :  Je  vous  voy  y>. 
Il  se  leva,  fit  une  grande  révérence  et,  suivi  des  capitaines 
des  gardes  et  des  deux  cents  gentilshommes,  alla  chercher 
le  roi.  Henri  fit  son  entrée,  avec  cette  majesté  qu'il  savait 
prendre  dans  les  grandes  occasions,  et  tandis  qu'il  descen- 


2  chefs  d*ordre;  la  noblesse,  180  gentilshommes;  et  le  tiers  état,  191  députés, 
tous  gens  de  justice  ou  de  robe  courte. 

1.  Cérémonial,  d'après  Matbibu,  Hitt,  de  Henry  le  Grande  livre  VUI. 
Voy.  aussi  d^Aubiohé,  Hisi,  univ,,  livre  II,  chap.  ▼,  p.  173. 

2.  La  chaire  du  duc  de  Guise  était  «  une  chaire  A  bras  non  endossée, 
couverte  de  velours  violet  semé  de  fleurs  de  lys  d'or  ».  Elle  se  trouvait 
devant  le  grand  marchepied  sur  le  grand  dais  royal.  C'était  la  place  du 
grand  maître  de  France,  Il  tournait  le  dos  au  roi,  u  la  face  vers  le  peuple  ». 


PARIS   A   BLOIS  451 

dait  le  grand  escalier  qui  aboutissait  à  Testrade  royale, 
tous  les  députés  se  levèrent,  tête  nue,  et  les  princes  demeu- 
rèrent debout  jusqu*à  ce  qu'on  leur  commandât  de  s'asseoir. . . 
Puis  le  roi  prit  la  parole  et  prononça  un  discours  fort  long 
et  fort  étudié  dont  Taudace  étonne  encore  aujourd'hui  *. 

Il  débute  par  accorder  quelques  mots  d*éloge  à  la  reine 
«  sa  bonne  mère...  qui  ne  doit  pas  seulement  avoir  le  nom 
de  mère  du  roi,  mais  aussi  de  mère  de  l'État  et  du  royaume  », 
puis  il  explique  le  but  qu'il  s'est  proposé  en  convoquant 
les  Ëtats  généraux  ;  c'est  de  «  restaurer  cette  belle  monar- 
chie... de  raffermir  la  légitime  autorité  du  souverain,  plutôt 
que  de  l'ébranler  ou  de  la  diminuer,  ainsi  qu'aucuns  mala- 
visés ou  pleins  de  mauvaise  volonté,  déguisant  la  vérité, 
voudroient  faire  accroire...  Je  suis  votre  roi  donné  de  Dieu 
et  je  suis  le  seul  qui  le  puisse  véritablement  et  légitime- 
ment dire;  c'est  pourquoi  je  ne  veux  être,  en  cette  monar- 
chie, que  ce  que  j'y  suis,  n'y  pouvant  souhaiter  aussi  plus 
d'honneur  et  d'autorité.  »  Après  l'apothéose  de  la  royauté 
absolue  vient  le  panégyrique  personnel.  Henri  rappelle 
«  les  batailles  qu'il  a  gagnées,  cette  grande  armée  de  reis- 
très  dont  il  a  abattu  la  gloire  »,  puis  l'édit  d'Union,  son 
dévouement  à  la  cause  de  la  religion  catholique;  il  fulmine 
contre  l'hérésie,  qui  n'a  pas  de  plus  grand  ennemi  que  lui  : 
t(  La  juste  crainte  que  vous  auriez  de  tomber  après  ma 
mort  sous  la  domination  d'un  roi  hérétique,  s'il  advenoit 
(jue  Dieu  nous  défortunàt  tant  que  de  ne  pas  me  donner 
lignée,  n'est  pas  plus  en  racine  dans  vos  cœurs  que  dans 
le  mien.  »  Après  cette  profession  de  foi,  destinée  à  flatter 
la  Ligue,  il  esquisse  tout  un  programme  de  réformes  et  fait 


1.  D'AuBiONÉ.  loc.  cit.,  p.  175,  qui  donne  une  analyse  intéressante  des  deux  . 
premières  séances  des  Êlats,  attribue  le  discours  du  roi  &  la  plume  de 
du  Perron,  le  futur  cardinal  :  «  Qui  voudra  voir  tout  le  discours  au  long, 
il  le  trouvera  aux  œuvres  diverses  du  cardinal  du  Perron,  qui  n*a  pas 
voulu  avoir  fait  ce  présent  &  son  maistre,  sans  se  garder  Tusufruict  de  la 
réputation,  n 


452  PARIS  ET  LA  LIGUE 

briller  aux  yeux  des  députés  «  la  répression  des  blasphèmes 
et  juremens  qui  sont  si  desplaisans  à  Dieu...  la  recherche 
et  la  punition  de  la  simonie,  la  suppression  de  la  vénalité 
et  la  diminution  du  nombre  des  offices.  Il  promet  de  no 
plus  donner  de  survivances,  de  rendre  la  justice  moins 
coûteuse,  d'encourager  les  lettres,  les  arts,  le  commerce, 
«  de  retrancher  du  luxe  et  des  superfluités  et  taxation  des 
choses  qui  sont  montées  à  un  prix  excessif  ».  Mais  tout 
cela  n'est  que  pour  la  forme.  Les  deux  idées  capitales  do 
ce  curieux  discours  se  résument  dans  une  demande  d'ar- 
gent et  une  menace  contre  la  Ligue.  «  Il  me  fâche  infini- 
ment que  je  ne  puisse  maintenir  ma  dignité  royale  et  les 
charges  nécessaires  du  royaume  sans  argent...  C'est  un  mal 
nécessaire;  la  guerre  aussi  ne  se  peut  dignement  faire  sans 
finances  ;  et  puisque  nous  sommes  en  quelque  beau  chemin 
pour  extirper  cette  maudite  hérésie ,  il  sera  besoin  do 
grandes  sommes  de  deniers  pour  y  parvenir.  »  Quant 
aux  menaces  contre  la  Ligue,  elles  sont  formulées  avec 
une  énergie  singulière  :  «  Aucuns  grands  de  mon  royaume 
ont  fait  telles  ligues  et  associations,  mais,  témoignant  ma 
bonté  accoutumée,  je  veux  bien  mettre  pour  ce  regard 
tout  le  passé  sous  le  pied  ;  mais,  comme  je  suis  obligé  et 
vous  tous  de  conserver  la  dignité  royale  je  déclare  dès  & 
présent  pour  l'avenir,  après  que  la  conclusion  sera  faite  des 
loix  que  j'aurai  arrêtées  en  mes  États,  atteints  et  convaincus 
de  même  crime  de  lèze-majesté,  ceux  de  mes  sujets  qui 
ne  s'en  départiront  et  y  tremperont  sans  mon  aveu.  »  Pas- 
quier  *  ajoute  même  que  le  roi  se  plaignit  d'avoir  été 
empêché  d'exterminer  complètement  l'hérésie  «  par  l'am- 
bition démesurée  de  quelques-uns  de  ses  sujets  ».  Enfin, 
dans  une  péroraison  éloquente ,  Henri  III  conjura  ses 
sujets  «  de  s'unir  et  de  se  rallier  autour  de  lui  pour  com- 

1.  Tome  II,  col.  360. 


PARIS   A  BLOIS  453 

battre  le  désordre  ot  la  corruption  de  l'Ëtat...  Si  vous  en 
usez  autrement,  s'écria-t-il  dans  un  beau  mouvement  ora- 
toire, vous  imprimerez  une  tacbe  d'infamie  perpétuelle  à 
votre  mémoire  ;  vous  ôterez  à  votre  postérité  ce  beau  litre 
de  fidélité  héréditaire  envers  votre  roi  qui  vous  a  été  si 
soigneusement  acquis  et  laissé  par  vos  devanciers.  Et  moi 
je  prendrai  à  témoin  le  ciel  et  la  terre,  j'attesterai  la  foi 
de  Dieu  et  des  hommes  qu'il  n'aura  point  tenu  à  mon  soin 
ni  à  ma  diligence  que  les  désordres  de  ce  royaume  n'aient 
été  réformés;  mais  que  vous  avez  abandonné  votre  prince 
légitime  en  une  si  digne  et  si  louable  action.  Et  finalement 
vous  ajournerai  à  comparaître  devant  le  juge  des  juges  et 
le  roi  des  rois  où  les  intentions  et  les  passions  se  verront  à 
découvert,  là  où  les  masques  des  artifices  et  des  dissimu- 
lations seront  levés  pour  recevoir  la  punition  que  vous 
encourrez  de  votre  désobéissance  envers  votre  roi  et  de 
votre  peu  de  générosité  et  loyauté  envers  son  État  *...  » 

Si  grande  que  fût  l'audace  du  duc  de  Guise,  qui  était 
placé  immédiatement  devant  le  roi,  il  ne  put  entendre  ces 
fiëres  paroles  sans  «  changer  de  couleur  et  perdre  conte- 
nance et  le  cardinal  son  frère  encores  plus  *  ».  Cependant 
la  séance  continua.  Le  nouveau  garde  de  sceaux',  François 

i.  Recueil  des  pièces  originales  et  authentiques  concernant  les  États  gêné- 
fxiujr.  Édit.  de  1786,  t.  VII.  Y.  aussi  PALMA-CAYer,  Inti^.  à  la  chron.  nov.^ 
d'Aubigiié  et  DE  THOCt  t.  X,  p.  373. 

2.  L'EsTOiLB,  t.  IH,  p.  189. 

3.  Au  commencement  de  septembre,  le  roi  avait  brusquement  renvoyé 
ses  ministres  :  le  chancelier  de  Cheverny,  le  surintendant  des  finances 
Bellièvre,  le  puissant  Viileroy  et  les  secrétaires  d'État  Pinart  et  Brùlart. 
Palma-Catbt  {!ntrod.  à  la  chr,  nov.)  et  d'Aubigné  (col.  166)  attribuent  celte 
détermination  du  roi  aux  ordres  de  la  Ligue.  Cheverny,  Tun  des  intéressés, 
avoue  dans  ses  Mémoires  (Coll.  Michaud,  t.  X,  p.  489)  qu'il  a  cherché  en 
vain  les  motifs  de  sa  disgrâce;  mais  il  rapporte  les  explications  diverses 
qui  avaient  cours  et  notamment  celle-ci  :  que  le  roi  n'avait  plus  aucune 
confiance  dans  la  reine  mère,  ni  par  suite  dans  les  membres  de  son  con- 
seil «  que  ladite  dame  avoit  tous  advancez  ».  C'est  aussi  le  motif  que 
donne  db  Thou  (t.  X,  p.  369),  et  ce  doit  être  le  vrai.  Montholon  était  le  fils 
d'un  ancien  garde  des  sceaux  de  François  1*'.  D'une  grande  probité,  il 
n'avait  aucune  habitude  de  la  politique  :  c'était  un  protégé  du  duc  de 
Nevers. 


454  PARIS  ET  LA  LIGUE 

de  Montkolon,  avocat  général  au  parlement  de  Paris,  prit 
ensuite  la  parole  pour  expliquer  les  intentions  du  roi  et 
tracer  la  peinture  des  maux  du  royaume  qui  se  recomman- 
daient à  la  sollicitude  des  Ëtats.  Puis  les  orateurs  des  trois 
ordres  adressèrent  au  roi  les  compliments  d'usage.  Nous 
ne  dirons  rien  des  discours  de  Renaud  de  Beaune,  arche- 
vêque de  Bourges,  orateur  du  clergé,  sinon  que  c'est  un 
clief-d'œuvre  de  pédantismc  et  de  pathos  *.  L'allocution  du 
baron  de  BaufTremont-Senecey,  président  de  la  noblesse, 
fut  au  contraire  simple  et  brève,  mais  absolument  banale  '. 
La  Chapelle-Marteau,  prévôt  des  marchands  de  Paris,  parla 
lo  dernier,  au  nom  du  tiers  état,  et  s'exprima  en  ces  ter- 
mes •  :  «  Sire,  ayant  plu  à  Votre  Majesté  ouvrir  son  cœur 
et  SOS  saintes  intentions  à  son  peuple  et  l'assurer  de  sa 
charité  vraiment  paternelle,  vos  très  humbles,  très  obéis- 
sans  et  très  fidèles  sujets  du  tiers  état,  louent  première- 
ment Dieu  qui  a  jeté  ses  yeux  de  miséricorde  sur  nous,  on 
l'oxlrémilé  de  nos  afflictions,  et  après  rendent  infinies  grâces 
à  Votre  Majesté,  laquelle,  reconnaissant  sa  puissance  or- 
donnée d'en  haut,  pour  régir  cette  très  chrétienne  monar- 
chie par  toute  douceur,  a  daigné  s'incliner  à  nos  très 
humbles  requêtes,  ouïr  nos  griefs  et  doléances,  et  montrer 


1.  On  y  trouve  tous  les  personnages  de  Thistoire  sainte  et  de  rtiisloire 
ancienne  :  David,  Daniel,  Nabuchodonosor,  Cynis,  Darius,  Artaxerxès, 
Salomon,  etc.  En  Toici  seulement  une  phrase  :  «  Vive  Rex  in  sempitemum ; 
vivez  roy,  vivez  éternellement.  Vivez  ça  bas  les  ans  de  Nestor,  voire  ceux 
de  Arganthonius,  roy  des  Gades,  qui  vescut  neuf  vingts  ans,  vivez  par 
représentation  et  suitte  de  lignée  longue,  espèce  selon  les  philosophe? 
d'une  immortalité...  »  On  peut  juger  du  reste  par  celle  tirade  pleine  d'à 
propos,  adressée  à  un  prince  qui  passait  pour  impuissant.  —  Voy.  le  dis- 
cours complet  dans  le  Recueil  de  pièces  originales,  etc.  Il  en  existe  un  tirage 
à  part  en  15  feuillets,  date  de  1588.  Bibliothèque  de  la  ville  de  Paris. 
n«  18120. 

2.  On  en  trouve,  dans  le  même  recueil,  un  tirage  à  part  en  trois  feuil- 
lets, avec  ce  titre  :  Remerciement  faict  au  nom.  de  la  noblesse  de  France  par 
le  baron  de  Senecey.  \  Lyon,  par  Benoist  Rigaud,  1588,  avec  permission. 

3.  Recueil  de  pièces  originales^  etc.,  p.  88.  (D'après  le  recueil  de  Qui  net, 
2e  i>artle,  p.  135.)  La  Cliapelle-Marleau  prononça  son  discours  à  genoux. 
(D'AuBiGifï^,  liv.  H,  chap.  V,  col.  176.) 


PARIS   k  BLOIS  485 

un  singulier  désir  de  remettre  sou  peuple  en  vigueur, 
auquel  certes  il  ne  reste  que  la  parole,  encore  bien  foible 
et  débile.  Sire,  la  bonté  et  clémence  qui  est  née  avec  cette 
majesté  que  Dieu  fait  reluire  en  votre  face,  nous  promet 
ce  que  nous  avons  requis  et  souhaité  avec  tant  de  larmes 
et  de  continuelles  prières;  que  Votre  Majesté,  suivant  les 
vœux  qu'il  lui  a  plu  d'en  faire  et  l'exemple  de  ses  ancêtres, 
lesquels  elle  égale,  voire  surpasse  en  toute  piété,  rétablira 
notre  sainte  religion  en  son  entier,  par  Textirpation  de 
toutes  erreurs  et  hérésies  ,  réglera  et  remettra  tous  les 
ordres,  altérés  par  l'injure  du  temps,  en  leur  première 
forme,  et  donnera  soulagement  à  son  pauvre  peuple,  sans 
lequel  nous  pouvons  dire  avec  vérité  que  nous  sommes 
menacés  d'une  entière  désolation  et  ruine  de  tout  TÉtat.  En 
quoi,  Sire,  nous  protestons  de  ne  manquer  nullement  de 
notre  très  humble,  très  iidèle  et  très  dévotieux  service  et 
de  n'y  épargner  nos  propres  vies  jusqu'au  dernier  soupir  : 
ne  les  pouvant  mieux  employer  que  pour  Thonneur  de 
celui  lequel  a  répandu  son  sang  pour  nous,  et  duquel 
nous  n'attendons  moins  qu'en  la  damnation  éternelle  (si 
nous  connivons  en  l'avancement  de  sa  gloire  par  des  con- 
sidérations de  quelque  prudence  humaine)  ou  l'immortelle 
béatitude,  si  constamment  nous  persévérons  à  embrasser 
sa  cause  en  la  foi  et  créance  qu'il  nous  a  laissée,  sur  laquelle. 
Sire,  est  fondée  la  perdurable  fermeté  de  votre  très  chré- 
tienne couronne,  et  sans  laquelle  elle  ne  peut  en  façon  quel- 
conque subsister.  » 

Les  chefs  de  la  Ligue  étaient  sortis  furieux  de  la  séance 
royale,  et  le  cardinal  de  Guise  reprocha  durement  à  son 
frère  «  de  ne  faire  jamais  les  choses  qu'à  demi  *  ».  Excité 
par  les  propos  violents  du  prélat,  le  duc  envoya  au  roi,  dès 
le  lendemain,  l'audacieux  archevêque  de  Lyon,  après  avoir 

1.  L'EsTOiLB,  t.  ni,  p.  181. 


456  PARIS  ET  LA   LIGUE 

en  vain  sollicité  Tintervention  de  la  reine  mëre.  D^Espinac 
somma  Henri  III  d*adoucir  certaines  expressions  trop 
vives  de  son  discours  d'ouverture  des  Etats,  car  les  chefs 
de  la  Ligue  ne  pouvaient  tolérer  qu'on  le  publiât  tel  qu'il 
avait  été  prononcé.  Le  roi  résista  d'abord,  alléguant  qu'il 
n'avait  nommé  personne,  mais  que,  s'il  ne  prétendait  pas 
porter  atteinte  à  la  liberté  des  États,  il  ne  souffrirait  pas  non 
plus  qu'on  entreprit  sur  la  sienne.  L'archevêque  de  Lyon, 
voyant  qu'il  ne  gagnait  rien,  haussa  immédiatement  le  ton 
et  en  vint  aux  menaces  ;  il  déclara  que  si  le  roi  ne  donnait 
pas  satisfaction  aux  Guises,  la  plupart  des  députés  quitte- 
raient Blois  sur-le-champ  et  que  la  guerre  civile  recom- 
mencerait ^  Henri  III,  comprimant  sa  colère  et  circonvenu 
par  la  vieille  Catherine ,  consentit  à  laisser  détruire  les 
exemplaires  déjà  imprimés  de  sa  harangue.  D'ailleurs,  les 
ligueurs  les  avaient  saisis  avec  une  audace  incroyable, 
avant  même  d'avoir  obtenu  le  consentement  du  roi.  La 
phrase  «  aucuns  grands  de  mon  royaume  ont  faict  des 
ligues,  etc.,  »  disparut  de  la  version  officielle.  L'Estoile 
raconte  «  que  pendant  cette  rétractation,  il  survinst  une  si 
grande  obscurité  par  un  orage  et  gresle  qu'il  falust  allumer 
la  chandelle  en  plain  jour,  pour  lire  et  escrire  :  ce  qui  fisl 
dire  à  quelqu'un  que  c'estoit  le  testament  du  roy  et  de  la 
France  qu'on  escrivoit,  et  qu'on  avoit  allumé  la  chandelle 
pour  lui  voir  jetter  le  dernier  souspir  ». 

Chaque  jour  apportait,  en  effet,  au  roi,  une  humiliation 
nouvelle.  Le  mardi  18  octobre  eut  lieu  la  seconde  séance 
royale  pour  renouveler  le  serment  à  Tédit  d'Union.  Après 
quelques  mots  prononcés  par  le  roi,  le  secrétaire  d'Ëtat 
Ruzé  de  Beaulieu  donna  lecture  d*une  déclaration  royale 
coulirmant  et  déclarant  loi  fondamentale  du  royaume  l'Édit 
r Union.   Puis  la  parole  fut   donnée  à  Tarchevèque   de 

I.  De  Tlioc»  UX,  p.  39i.  Pâuu-CATCT. 


PARIS   A  BLOIS  «  457 

Bourges,  qui  disserta  pompeusement  sur  la  gravité  du 
serment  et  les  peines  éternelles  qui  sont  réservées  aux 
parjures.  Cette  harangue  terminée,  Henri  jura  foi  de  roi 
<[u'il  observerait  Tédit  u  tant  que  Dieu  lui  donnerait  vie 
ici-bas  »  et  reçut  le  serment  des  députés  «  mettant  par  les 
ecclésiastiques  les  mains  à  la  poitrine  et  tous  les  autres 
levant  les  mains  au  ciel  ».  L'assistance  couvrit  le  prince 
d'applaudissements  que  de  Thou  qualifie  d'ironiques,  puis 
on  se  rendit  à  l'église  Saint-Sauveur  pour  entendre  un  Te 
Deum  '.  Henri  HI  avait  tellement  perdu  l'habitude  d'en- 
tendre crier  Vive  le  roi!  qu'il  se  laissa  gagner  lui-même 
par  la  joie  de  la  Ligue  triomphante,  sans  songer  qu'elle 
triomphait  contre  lui.  «  En  cette  joye  populaire,  écrit  Palma- 
i^ayet,  il  saresjouit  et  dit  à  plusieurs,  et  mesmes  au  prévost 
des  marchands  de  Paris,  qu'il  sçavoit  estre  un  des  pre- 
miers de  la  faction  des  Seize,  qu'il  oublioit  la  journée  des 
Barricades  et  tout  le  ressentiment  quïl  en  pourroit  avoir; 
que  jamais  il  ne  s'en  souviendroit  ny  de  tout  ce  qui  s'estoit 
passé,  pourveu  qu'on  n'y  retournast  plus  V  » 

Pour  célébrer  tant  de  bonheur,  un  seul  Te  Deum  ne  suf- 
fisait pas.  Henri  HI  crut  nécessaire  d'envoyer  un  messager 
à  la  Ville  de  Paris  pour  lui  donner  Tordre  de  faire  chanter 
un  second  Te  Deum  à  Notre-Dame,  d'allumer  des  feux  de 
joie  et  de  tirer  le  canon  en  signe  d'allégresse  '.  L'ambas-  • 

1.  Voy.  sur  cette  seconde  séanee  la  brochure  intitulée  :  «  Actes  de  la 
seconde  séance  des  Estais  généraux  de  France  «.  Lyon,  par  Jean  Pillehotte, 
1588.  Avec  privilègi!  du  roi.  Conf.  dbThou,  t.  \,  p.  393;  d'Aubioné,  col.  177; 
Palma-Cayet,  introd. 

2.  Bernard  rapporte  le  môme  fait  dans  son  journal  :«....  Jamais  le  roi,  la 
cour  et  le  peuple  ne  furent  si  joyeux.  Le  roi  déclara  au  prévôt  de  Paris, 
qui  Pavait  remercié  avec  moi,  qu'il  oublioit  tout  ce  qui  avoit  été  fait  à 
Paris,  selon  que  jà  il  Tavoit  promis  et  lui  promettoit  encore,  parole  et  foi 
de  roi.  »  T.  XV,  p.  14  du  Recueil  des  États  généraux,  Voy.  aussi  d'Aubigîié 
(col.  118),  qui  ajoute  ce  détail  qu'au  moment  où  le  roi  invitales  députés  & 
renouveler  le  serment  d'observer  l'édit  d'Union  «  tous  levèrent  les  mains 
et  la  voix,  avec  une  joye  si  grande  et  un  si  haut  cri  de  Vivb  le  loi!  qu'il 
courut  par  toute  la  ville  ». 

3.  Voici,  d'après  les  Registres  de  la  Ville,  le  texte  même  de  la  lettre  du 
roi  :  «  De  par  us  Roy.  Chers  et  bien  amez,  nous  envoyons  en  nostre  bonne 


488  •  PARIS   ET  LA   LIGUE 

sadcur  que  choisît  le  roi  dans  celte  circonstance  ,  fut 
maître  Pierre  Senault,  clerc  du  greffe,  «  qu'il  congnoissoit 
pour  un  des  plus  mutins  ligueurs  de  Paris  et  le  plus  fac- 
tieux de  tous  les  Seize,  lequel  il  voulust  honorer  de  ceste 
commission  exprès  pour  agréer  à  la  Ligue,  laquelle  con- 
noissait  ledit  Senault  pour  le  plus  mauvais  serviteur  qu'eust 
le  roy  à  Paris  V».  La  Ville  de  Paris  fut-elle  sensible  à  cette 
attention  du  roi?  Toujours  est-il  quVUe  fit  chanter  le  Te 
Deiim  en  grande  pompe  et  adressa  au  monarque  une  belle 
lettre,  en  date  du  23  octobre,  qui,  à  travers  force  marques 
de  respect,  exprime  quelques  souhaits  ironiques,  tels  que 
«  lignée  capable  de  succéder  à  la  couronne  »,  et  le  plaisir 
qu'auraient  les  Parisiens  k  revoir  le  roi  dans  la  capitale  *. 


ville  de  Paris  Senault  pour  vous  faire  entendre  bien  particullièrement  ce 
qui  s*est  passé  à  ceste  ouverture  de  nos  Estatz  généraux;  desqueiz  nous 
voyons  le  commencement  estre  tant  favorisé  de  Dieu  que  nous  n'en  pou- 
vons attendre  que  une  semblable  yssue,  au  contentement  général  de  toute 
la  France;  et,  pour  ceste  occasion,  vous  ferez  rendre  louange  et  actions  de 
grâce  à  sa  divine  bonté  par  un  Te  Deum  que  vous  ferez  chanter  en  Téglise 
Notre-Dame  où  ceulx  de  noz  courtz  souveraines  assisteront,  suivant  ce 
que  nous  leur  en  avons  mandé,  faisant  aussy  faire  des  feux  de  joye  et 
tirer  rartillerie,  en  signe  de  resjouyssance,  que  nous  espérons  augmenter 
dans  peu  de  temps  par  la  nouvelle  d*une  bonne  résolution  des  Ëtatz... 
Escript  à  Blois  le  XLV  jour  d*octobre  1588.  Signé  Henry.  »  Rio.  H,  4789, 
r>201. 

1.  L'ESTOILB,  t.  III,  p.  190. 

2.  Voici  la  lettre  de  la  Ville  de  Paris  au  Roi,  d'après  le  Reo.  U,  1189,  f»  202  : 
«  Au  ROY.  Sire,  Ayans  receu  cest  honneur  d'estre  advertis  par  Vostre 

Majesté  de  ce  qui  s^est  passé  à  l'ouverture  de  vos  Estatz  généraulx  et  de 
la  déclaration  que  vous  avez  faicte  en  rassemblée  desdictz  Estatz  touchant 
vostre  édict  de  l'Union,  nous  avons  respandu  ceste  dicte  nouvelle  par 
toute  vostre  ville,  au  grand  plaisir  et  contentement  de  voz  bons  subjectz 
qui,  dès  le  mesme  instant,  en  ont  loué  Dieu  et  vous  en  ont  remercié  avec 
beaucoup  d'allégresse,  recevant  ceste  nouvelle,  par  excès  du  bien  que 
chacun  se  promet  de  ladi«te  assemblée  de  vos  Estatz,  cspérans  que  soubz 
vostre  auclhorité  Dieu  sera  pour  l'advenir  mieux  servy  et  vostre  peuple 
plus  soulagé  qu'il  n'a  jamais  esté,  de  quoy  chacun  a  rendu  ce  jourd'huy 
plus  apparent  et  public  tesmoignage  au  Te  Deum  qui  a  esté  chanté  fort 
solennellement  en  la  principalle  Église  de  ladicte  ville,  auquel  ont  assisté 
Messieurs  de  vostre  Parlement,  Chambre  des  Comptes  et  Court  des  Aydes, 
le  recteur  de  l'Université  et  nous  avec  eulx,  le  plus  honnorablement  qu'il 
nous  a  esté  possible  ;  ayant  oultrecela  Tartillerie  esté  tirée  et  feux  de  joye 
faicts  en  la  place  de  Grève  et  aultres  endroictz  de  ladicte  ville,  avec  pein- 
tures et  acclamations  publicqnes  à  l'honneur  de  Vostre  Majesté,  selon  que 
vous  'avez  désiré  et  ce  nous  l'avez  commandé  par  voz  lectres,  ce  qui  sera 


PARIS  A  BLOIS  489 

Après  ces  moments  d'effusion,  plus  ou  moins  sincère, 
les  trois  ordres  s'occupèrent  de  la  rédaction  de  leurs 
doléances.  Le  3  novembre,  on  procéda  à  l'ouverture  des 
cahiers,  en  commençant  par  celui  de  Paris.  Ce  cahier  de 
Paris  contenait,  entre  autres  articles,  «  une  requête  pré- 
sentée à  la  Cour  du  Parlement  de  Paris  contre  M.  de  Sois- 
sons,  pour  le  faire  déclarer  indigne  de  la  couronne  '  ».  On 
sait  qu'on  lui  reprochait  son  alliance  avec  le  roi  de  Navarre 
et  sa  prétendue  complicité  dans  l'assassinat  du  duc  de 
Joyeuse.  Une  discussion  s'ouvrit  sur  la  proposition  du 
cahier  de  Paris.  «  Quatre  gouverneurs  adhérèrent  à  ladite 
requête,  quatre  autres  opinèrent  à  ce  que  ledit  article  fût 
communiqué  aux  Chambres;  quatre  à  ce  qu'il  fût  rayé, 
avec  bonnes  raisons,  car  il  avoit  juré  l'édit  d'Union,  il 
avoit  eu  absolution  de  Sa  Sainteté;  il  étoit  en  cour,  faisant 
le  catholique,  par  ainsi  il  n'y  avoit  pas  raison  ;  aussi  qu'il 
étoit  incivil  d'apporter  aux  Ëtats  généraux  une  requête 
d'une  ville  particulière  pour  être  avouée  par  toute  laFrance.  » 
Bernard  ajoute  que  cette  opinion  était  celle  de  sa  province 
et  qu'il  déclara  lui-même  au  président  de  Neuilly  que  «  cet 
(irticle  ne  seroit  jamais  avoué  par  les  autres  ordres  et  que 


poursuyvi,  Dieu  aydant,  d'infinis  jeûnes  el  prières,  lesquelles  se  préparent 
entre  cy  et  ce  jour  de  Toussainctz  pour  vostre  prospérité  et  supplier 
uoslre  Dieu  qu'il  vous  donne  lignée  capable  de  succéder  à  vostre  cou- 
ronne, à  sa  gloire  et  au  salut  commun  de  cest  Estât  et  de  toute  la  chres- 
tienneté,  en  quoy  nos  prédicateurs  font  ung  très  grand  et  très  fldelle 
debvoir,  et,  de  nostrc  part,  noua  tâchons  de  tout  nostre  pouvoir  de  les 
seconder  et  de  vous  rendre,  le  service  que  nous  vous  debvons  pour  main- 
tenir vostre  ville  en  l'obéissance  et  fldellité  qu'elle  vous  doibl;  en  quoy 
nous  estimons  jusques  ici  n'avoir  perdu  nostre  peine,  y  estans  toutes 
choses  calmes  et  paisibles  soubz  vostre  auctborité  et  ung  chacun  dési- 
reux de  vous  y  veoir  en  prospérité  et  bonne  santé,  comme  nous  espérons 
de  brief  et  le  nous  avez  promis.  Cependant  nous  continuerons  en  ce 
debvoir  et  attenderons  ung  commandement  pour  y  obéir  d'anssy  bonne  el 
ndelle  aiTection  que  nous  supplions  le  Créateur,  Sire,  tous  donner  en  toute 
prospérité  longue  et  heureuse  vie.  De  vostre  Ville  de  Paris,  en  l'hostel 
public  d'icelle,  le  vingt-troisième  jour  d'octobre  1588.  Voz  très  humbles, 
très  obeyssans  et  très  ridelles  subjectz  et  serviteurs  les  ÉcbeTins  de  vostre 
Ville  de  Paris.  » 
i.  Journal  de  Bernard.  Hrr.  des  Étals  f/énérau.r,  t.  XIV,  p.  21. 


460  PARIS  ET   LA  LIGUE 

ce  n'étoit  qu'à  exciter  du  bruit  mal  à  propos  *  ».  Quaud  on 
alla  aux  voix,  il  se  trouva  que  la  majorité  fut  d'avis  de 
rayer  l'article  du  cahier  de  Paris  qui  visait  le  comte  de 
boissons. 

Les  députés  de  Paris  se  trouvèrent  intimement  mêlés 
aux  discussions  et  aux  conférences  qui  eurent  lieu  dans  le 
•courant  de  novembre,  à  propos  du  chapitre  des  finances. 
Bien  que  les  gens  du  roi  eussent  reçu  Tordre  de  soumettre 
-aux  États  tous  les  comptes  et  tous  les  documents  de  nature 
à  faciliter  leur  enquête,  il  ne  fut  pas  difficile  de  constater 
•que  le  plus  grand  désordre  régnait  dans  l'administration 
•des  finances.  L'évêque  du  Maine  et  le  président  de  Neuilly 
signalèrent  directement  au  roi  ces  graves  lacunes  de  la 
•comptabilité  publique,  et,  dans  la  séance  tenue  par  le  tiers 
état  le  21  novembre,  Neuilly  déclara  que  le  roi  avait  envoyé 
■en  poste  à  Paris  pour  «  prendre  mémoire  en  la  Chambre 
■des  Comptes  ».  Sans  se  laisser  détourner  de  leur  but  par 
les  préoccupations  extérieures  que  venait  de  provoquer 
l'audacieuse  conquête  du  marquisat  de  Saluées  par  le  duc 
•de  Savoie  Charles-Emmanuel  (fin  oct.,  début  de  novembre), 
4e  tiers  état  soumettait  aux  deux  autres  ordres  un  projet  de 
réduction  des  tailles.  Le  23  novembre,  l'union  de  tous  les 
•députés  était  faite  sur  ce  point  et  le  texte  même  de  la 
requête  se  trouvait  déjà  rédigé  quand  arriva  un  gentilhomme 
de  la  reine  mère  pour  mander  le  prévôt  des  marchands  et 
le  président  de  Neuilly.  Voici  comment  le  procès-verbal 
<\u  tiers  rend  compte  de  l'entrevue,  à  cette  même  date  du 
:23  novembre  :  «  M.  le  président  de  NuUy  a  fait  rapport 
que  M.  le  prévôt  des  marchands  et  lui  avoient  été  mandés 
par  la  reine,  mère  du  roi,  pour  parler  à  S.  M.,  laquelle  lui 
avoit  dit  que  le  roi  étoit  duement  averti  de  la  requête  que 
les  députés  avoient  présentée  à  S.  M.  pour  le  rabais  des 

i.  Journal  de  Bernard, 


461 

,     -«li^  la  euerrc  pour     «       i  vouloit  ncn  nray 

*^''"      Von  S  vouloU  ««^««'^'^'.rju  enpropres  termes, 
ffioin»  l  o»  "y      ,,.    xie,  et  que  c  étoit,  enp    v  ^^.^ 

pour  la  poursuite  *  J^  ;  .^  ^^  Vautre;  «l^^f  .^  °" i[ gran- 
liller  d'une  «^^ f^Te 'oi  s'indigueroU  et  f^^^J^^J 

^^  -:.t^:nriu  po.t  r--^-r  rr.uiu 

pas,  et,  aprfes  avo  requête  sera  i» 

dera  k  «  ''"'  .  „,=„  «4  novembre,  q»  «  '  ju^,  ,„ 

au  lier,,  le  1»<""»""„  «btemr  1.  ''*»"  "^  X."*"""- 
«ti^te  au  roi  pour  u  subside**'  suav*^ 

«'"■'  '""To^r^ir  toute  ee««  •-  'Ji^U».  •"•■'  .»■ 
,i„u.,  »e  Pf'  «'°    Bourse»  (*<"*  /-^^îl  la  nomit-"»" 

d.„ue  ChanAre  eo»p        ,„„r  fcjr.  «"f  |„^é  du  tier., 
,8n«»«*''""llLaCli»pe««-*"^'" 


462  PARIS  ET  Lk  LIGUE 

prit  la  parole  à  son  tour  el  fit  un  tableau  poignant  de  la 
misère  publique,  laissant  entendre  même  que  cette  misère 
pouvait  porter  les  sujets  au  désespoir  et  leur  faire  perdre 
le  respect  de  l'autorité  royale. 

On  s'attendait  à  un  accès  de  rage,  à  l'un  de  ces  empor- 
tements furieux  qui  sauvent  ou  perdent  les  princes  poussés 
ï\  bout.  Henri  III  répondit  avec  plus  d'onction  que  jamais. 
A  l'entendre,  il  n'avait  convoqué  les  États  que  pour  tra- 
vailler au  soulagement  de  son  peuple  et  «  il  avoit  Tàme 
trop  bonne  pour  devenir  tyran  *  ».  Il  se  bornait  à  demander 
qu'on  lui  permit  d'entretenir  sa  maison  et  de  soutenir  la 
guerre.  Au  surplus,  il  ferait  en  sorte  de  contenter  les  dé- 
putés avant  leur  départ. 

Malgré  son  calme  apparent,  le  roi  ne  prenait  pas  aisé- 
ment son  parti  de  l'attitude  hautaine  des  Ëtats,  et  il  des- 
cendit aux  démarches  les  plus  humiliantes  pour  essayer 
de  fléchir  les  représentants  de  la  nation.  Le  26  novembre, 
il  manda  La  Chapelle-Marteau  et  le  président  de  Neuilly, 
puis  leur  déclara  qu'il  se  contenterait  de  trois  millions 
d*or  «  pour  l'entretènement  de  son  État  »  et  consentait  à 
laisser  le  reste  «  en  telles  mains  que  les  provinces  avise- 
roient,  sauf  que  les  trésoriers  en  eussent  le  maniement  '  ». 
A  ces  confidences  officieuses,  Henri  mêlait  de  vives  récri- 
minations contre  les  exigences  des  députés,  d'amères  pro- 
testations contre  le  refus  de  voter  les  tailles.  Le  lendemain 
27,  à  l'issue  de  la  messe,  car  c'était  un  dimanche,  le  roi 
fait  dire  à  Bernard,  l'orateur  du  tiers,  et  au  sieur  Coussin, 
échevin  et  député  de  Dijon ,  de  venir  le  trouver  à  une 
heure  «  en  la  salle  de  la  reine-mère  ».  Après  avoir  déjeuné 
chez  M.  de  Lux,  ils  se  rendirent  au  château.  M.  de  Marie  les 
introduisit  auprès  du  roi,  qui  conférait  déjà  avec  Tarche- 


1.  D*aprèB  Bernard»  le  roi  aurait  dit  «  qu*il  ne  vouloit  écorcher  ses 
sujets  ».  T.  XV  du  Recueil  des  EU  gén.,  p.  58. 

2.  Procès-verbal  du  tiers,  p.  227. 


PARIS  A  BLOIS  463 

vêque  de  Lyon  et  le  président  de  Neuilly.  Henri  III  prit  la 
parole  et  dit  «  qu'il  vouloit  régler  sa  maison  et  la  réduire 
au  petit  pied  ;  que,  s'il  avoit  trop  de  deux  chapons,  il  n'en 
vouloit  qu'un  ;  qu'il  avoit  trop  de  regret  d'avoir  vécu  de  la 
façon  du  passé,  et  qu'avant  de  partir  il  promettoit  aux 
députés  grand  contentement  ».  Mais  ce  7nea  culpa  n'était 
que  pour  la  forme  :  au  fond,  le  prince  refusait  de  ramener 
la  taille  au  pied  de  l'année  1576,  conmie  le  demandaient 
les  États  ;  il  avait  besoin  de  ressources  pour  continuer  la 
guerre  contre  les  hérétiques,  «  et  ce  n'étoit  pas  lui  donner 
du  courage  que  de  lui  retrancher  ses  moyens  *  ».  Content 
de  sa  rhétorique,  il  faisait  monter  les  députés  du  tiers  qui 
attendaient  dans  la  cour  du  château  l'issue  de  la  conférence, 
et  rééditait  son  discours.  Puis  Coussin  et  Bernard  répon- 
dirent longuement,  ne  tarissant  pas  sur  la  misère  du  peuple 
et  la  mauvaise  administration  du  Trésor.  Écoutez  ce  que 
vous  dit  Bernard,  interrompait  le  roi   en  s'adressant  à 
MM.  Marcel  et  Pétremol,  intendants  des  finances,  qui  se 
trouvaient  présents.  Enfin  Henri  reprit  encore  une  fois  la 
parole,  compensant  le  refus  de  diminuer  les  tailles  par  de 
bonnes  paroles  :  «  Nous  tendons  au  même  but,  mais  nous 
y  venons  par  divers  chemins  ».  Ni  le  but,  ni  les  chemins  ne 
se  ressemblaient,  mais  la  douche  émolliente  de  l'éloquence 
royale  détrempait  un  peu  l'arrogance  des  députés  du  tiers. 
Un  auxiliaire  inattendu  s'entremit,  et  cet  auxiliaire  n'était 
autre  que  le  duc  de  Guise.  Le  chef  de  la  Ligue  commençait 
à  trouver  que  les  députés  allaient  trop  loin  et  poussaient 
le  roi  aux  extrêmes.  En  bonne  conscience,  il  fallait  voter 
quelques  sommes  pour  continuer  la  guerre  civile,  car  si  le 
roi  se  décourageait  et  se  jetait  dans  les  bras  des  hugue- 
nots, que  deviendraient  les  Guises,  sinon  de  purs  rebelles? 
Alors,  coup  sur  coup,  il  assemble  les  députés  notables, 

1.  Journal  de  Bernard,  p.  61. 


464  PARIS  ET  LA  LIGUE 

d*abord  le  28  novembre,  chez  le  prévôt  des  marchands  de 
la  ville  de  Paris,  La  Chapelle-Marteau.  Un  souper  sert  de 
prétexte  :  Coussin,  Bernard,  les  présidents  de  Normandie^ 
de  Guyenne,  de  Provence,  de  Lyon  et  Bassompierre.  «  La 
table  levée  »,  Guise  prend  la  parole,  insiste  sur  la  détresse 
du  roi  et  prie  les  députés  de  faire  quelque  chose  «  pour 
son  soulagement  '  ».  Mais,  malgré  la  popularité  de  l'ora- 
teur ,  les  convives  de  La  Chapelle-Marteau  restèrent 
froids,  et  le  duc  ne  gagna  rien  sur  eux  '.  Il  revint  à  la 
charge  le  lendemain  et  manda  le  président  de  Neuilly ,  Ber- 
nard, Du  Vert,  représentant  de  Provence,  Le  Roy,  représen- 
tant de  Picardie,  et  d'autres  députés.  «  Après  nous  avoir  fait 
préparer  des  sièges  en  son  cabinet,  écrit  Bernard,  il  nous 
déclara  le  zèle  qu'il  avoit  à  la  conservation  de  TËtat,  que 
s'il  avoit  hier  soupe  avec  nous,  ce  n'étoit  que  par  exprès 
commandement  du  roi,  afin  d'empêcher  la  rupture  des  États, 
les  huguenots  ne  demandant  autre  chose...  »  Mais,  comme 
il  arrive  souvent  aux  chefs  de  partis,  qui  s'étonnent  de  ne 
pouvoir  arrêter  les  fanatiques  par  eux  déchaînés,  le  duc 
de  Guise  ne  put  décider  ses  amis  des  États  à  faire  au  roi 
la  moindre  concession.  «  Nous  lui  fîmes  entendre,  écrit 
Bernard,  qu'il  étoit  impossible  d'ébranler  la  compagnie.  » 


1.  Journal  de  Bernard,  p.  64. 

2.  Plusieurs  historiens,  notamment  Palma-Cayet,  affirment  que  toutes  les 
requêtes  des  États  avaient  été  délibérées  au  Conseil  du  duc  de  Guise  : 
«  ...  Mesmes  le  Roy  creut,  comme  plusieurs  ont  escrit,  qu'il  ne  se  faisoit 
aucunes  remonstrances  ny  requestes  que  premièrement  elles  n*eussent  esté 
résolues  en  un  conseil  qui  se  tenoit  au  cabinet  dudit  dite  par  les  princi- 
paux de  la  Ligue,  qui  avoient  avec  animosité  brigué,  chacun  en  la  province 
d'où  ils  estoient,  pour  estre  députez  aux  Estais  et  qui,  dans  chaque 
chambre,  pou rsuy voient  ce  qu'ils  avoient  conclu  au  Conseil  du  duc  de 
Guise  n.Introd.  à  la  CkronoL  novena ire.  V.  aussi  Pasouieb,  lettre  XXL  Mais, 
comme  Ta  fait  judicieusement  remarquer  M.  Picot  {Hist.  des  États  généraux, 
t.  lU,  p.  124),  il  n'est  pas  invraisemblable  de  supposer  que  le  duc  de  Guise, 
«  charmé  au  début  de  voir  les  députés  résister  au  roi,  commençait  lui-môme 
h  s'inquiéter  de  leurs  projets  ».  Db  Thou  raconte  que,  dans  ce  banquet  du 
28  nov.,  le  président  de  Neuilly  et  La  Chapelle-Marteau  prédirent  au  duc 
que  le  roi  attenterait  &  sa  vie  en  le  faisant  tomber  dans  une  embûche,  et 
lui  conseillèrent  de  quitter  la  cour,  t.  X,  p.  468. 


PARIS  A   BLOIS  468 

Étonné,  le  duc  va  immédiatement  prévenir  Henri  III  do 
Tattitude  intransigeante  des  députés.  Le  roi  se  résigne  à 
une  dernière  tentative.  Le  30  novembre,  il  fait  appeler  au 
château  Bernard  et  Coussin.  Ceux-ci  trouvent  le  prince 
seul  avec  Bellegarde,  qui  lui  mettait  son  ordre  et  son  cein- 
turon. On  ne  peut  qu'admirer  la  parfaite  humilité  du  roi 
qui,  après  avoir  promis  «  de  vivre  de  toute  autre  façon 
qu'il  n'avoit  fait  par  le  passé  »,  se  plaint  de  sa  profonde 
détresse,  comme  un  fils  de  famille  aux  abois.  A  l'entendre, 
«  il  n'avoit  plus  un  sol;  c'étoit  une  honte  que,  dans  son 
conseil,  l'on  tirât  la  langue  d'un  pied  de  voir  ses  néces- 
saires; ses  dépêches  demeuroient,  faute  d'avoir  cent  écus 
pour  payer  ses  courriers...  »  Et  comme  à  la  misère  du  roi 
les  députés  opposent  la  misère  du  peuple  et  déclament 
contre  «  les  belles  gens  »  qui  l'exploitent,  c'est-à-dire  contre 
les  courtisans  et  les  partisans,  Henri  leur  répond  avec  dou- 
ceur :  «  Je  vous  aime  d'ainsi  parler  ».  Mais  le  roi  ne 
restait  si  ainaable  que  pour  masquer  sa  défaite.  Le  tiers 
état  restait  inébranlable  et  annonçait,  le  30,  son  intention 
d'aller  le  lendemain  en  corps  «  quérir  la  résolution  du 
roi  »  sur  les  requêtes  des  États.  A  grand'peine ,  on  put 
ajourner  au  2  décembre  l'effet  de  cette  sommation;  mais, 
ce  jour-là,  le  roi  dut  essuyer  les  plaintes  et  remontrances 
de  M.  de  Bourges,  au  nom  des  trois  chambres  des  États. 
Ne  faire  aucune  concession  eût  été  périlleux.  Henri  III 
s'en  tira  par  une  gasconnade.  Assis  «  dans  une  chaire, 
accompagné  de  M.  de  Guise  et  de  M.  de  Lyon,  tenant  le 
flambeau,  il  dit  :  Je  vous  accorde  vos  requêtes.  Un  chacun 
se  mît  à  crier  Vive  le  royl  sans  lui  donner  le  temps  de 
parachever.  Mais,  le  bruit  fini,  il  nous  dit  que  c'est  à  la 
charge  que  vous  me  fassiez  fonds  et  donniez  moyens  assurés 
pour  l'état  de  ma  maison  et  fonds  de  la  guerre,  suivant 
votre  promesse  *  ».  Les  naïfs  députés  ne  prennent  pas  garde 

1.  Journal  de  Bernard^  p.  69. 

ROBIQUET.  30 


466  PARIS   ET  LA  LIGUE 

au  correctif  et  applaudissent  à  tout  rompre.  Bien  mieux, 
ils  font  chanter  un  Te  Deum,  le  4  décembre,  à  l'église 
Saint-Sauveur  pour  remercier  le  prince.  Le  Valois  allait-il 
donc,  une  fois  de  plus,  endormir  la  Ligue?  Cela  ne  faisait 
plus  Taffaire  des  meneurs.  Après  ce  Te  Deum  du  4,  le  théo- 
logal de  Senlis  monte  en  chaire,  et,  devant  la  vieille  Cathe- 
rine, prononce  un  sermon  d'une  violence  inouïe,  plein  do 
personnalités  amëres.  Il  reproche  aux  députés  «  de  branler 
à  tous  vents,  d*èlre  des  Ëtats  d'oiseaux  »,  auxquels  ou 
envoie  un  mei'le  pour  chanter  et  un  faucon  pour  donner 
quelques  coups  de  bec  ^  Ces  jeux  de  mots  plus  ou  moins 
spirituels  ayant  fait  rire  rassemblée,  le  président  "  de 
Neuilly  dit  à  ses  collègues  :  «  Cela  n'est  pas  sujet  à  risée; 
sont  oiseaux  qui  ne  nous  sont  pas  propres;  ils  sont  mau- 
dits par  l'Ëvangile  ».  Le  théologal  continue  ;  il  traite  M.  d'O 
de  Satan  ',  tout  crûment,  et,  s'attaquant  au  roi  lui-même, 
le  compare  à  Roboam,  lequel  s'entourait  d'un  conseil  de 
jeunes  gens  «  qu'il  avoit  nourris  pages,  qui  le  mirent  en 
pauvreté,  car  de  tout  son  royaume  il  ne  demeura  roi  que 
d'une  ville,  appelée  Juda,  et  d'une  autre,  mais  tout  le  reste 
se  révolta  ».  Cette  furieuse  harangue  se  termine  par  un 
véritable  appel  à  l'insurrection.  Le  roi,  suivant  le  prédi- 

1.  L'orateur  sacré  faisait  ainsi  allusion  à  MM.  de  Faucon  et  de  Merle  (ou 
de  Marie)  que  le  roi  envoyait  fréquemment  aux  États  pour  leur  faire 
entendre  ses  volontés. 

2.  Nous  supposons  que  Bernard  parle  ici  du  président  de  Neuilly,  bien 
qu'il  atlribue  le  propos  «  au  sieur  président  »  sans  citer  de  nom.  Peut- 
être  s'affil-il  du  président  du  tiers  état,  La  Chapelle-Marteau,  prévôt  des 
des  marchands  de  Paris? 

3.  Ces  violentes  attaqnes  du  prédicateur  contre  M.  d*0  forcèrent  le  roi 
de  le  congédier  avec  Miron,  le  premier  médecin.  L'Estoilk,  qui  place  ce 
fait  assez  curieux  sous  la  date  du  4  décembre,  c'est-à-dire  le  jour  même 
où  tûX  prononcé  le  sermon  du  théologal,  dit  que  le  roi  «  se  disait  fbrt 
importune  de  ce  faire  par  les  députés  des  Estatz,  c'est-à-dire  par  le  duc  de 
Guise,  qui  les  connoissoit  pour  estre  plus  au  roy  qu'A  lui  ».  T.  IH^  p.  193. 
Miron,  dans  sa  relation  de  la  mort  des  duc  et  cardinal  de  Guise  (^eA.acr., 
t.  XII,  p.  121),  prétend  que  le  duc  provoqua  la  disgrâce  de  Miron  en 
disant  de  lui  trop  de  bien  à  Henri  IH.  Le  soupçonneux  monarque  envoya 
son  médecin  à  Paris  porter  des  parements  d'autel  au  couvent  des  Capu- 
cins. D'O  rentra  en  grftce,  après  avoir  fait  ses  soumissions  aaducdeC^uise. 


PARIS   A   BLOIS  467 

calcur,  a  bien  fait  do  diminuer  les  tailles,  sans  quoi  «  il 
faut  croire  que  le  peuple,  vexé  de  subsides  extraordinaires, 
eut  secoué  le  joug  de  son  obéissance  ». 

Au  fond,  ce  prêtre  fanatique  exprimait  les  véritables 
sentiments  du  tiers.  Le  conflit  tournait  à  l'état  aign.  Dès  le 
î)  décembre,  le  lendemain  du  Te  Deum,  Bernard  et  Coussin, 
miDindés  par  le  roi,  refusent  de  se  rendre  au  château,  «  parce 
que  rhonneur  qu'on  leur  faisoit  donnoit  occasion  à  ceux 
qui  ne  savoient  Tintégrité  des  deux  députés  d'en  entrer  en 
quelque  doute  *  ».  Dans  sa  séance  du  même  jour,  le  tiers 
état  reçut  les  trésoriers  de  France  ',  qui,  au  nombre  de 
trente-cinq,  venaient,  en  compagnie  d'un  notaire»,  «  pour 
faire  quelques  protestations  »  contre  les  accusations  que 
les  députés  avaient  dirigées  contre  eux.  M.  de  Neuilly  «  prit 
le  propos  et  leur  fit  entendre  la  faute  qu'ils  commettoient  ; 
qu'ilz  s'oublioient  par  trop  en  leur  devoir  et  ne  savoient 
pas  rhonneur  et  le  respect  dû  aux  États  ».  Et  les  malheu- 
reux trésoriers,  «lyant  essuyé  cette  rebuffade,  se  retirent  avec 
leurnotaire,  non  sans  déposer  sur  le  bureau  du  tiers  un  fac- 
tum  en  trois  feuilles,  rempli  de  propos  injurieux.  Henri  III, 
réduit  à  une  véritable  détresse,  se  fait  de  plus  en  plus 
humble  ;  il  envoie  dire  au  tiers  par  l'archevêque  de  Lyon, 
MM.  de  Rambouillet  et  Marcel,  qu'il  a  un  pressant  besoin 
d'argent  pour  les  armées  du  Poitou  et  du  Dauphiné  ;  qu'en 

1.  D*après  le  Procès-verbal,  le  tiers  état  décide,  le  5  décembre,  de  persister 
dans  ses  requêtes  et  d'en  aviser  la  noblesse  et  le  clergé.  De  son  côté,  le 
roi  fait  demander  l'état  des  impôts  dont  la  suppression  est  réclamée  et 
rindication  des  moyens  qu'on  propose  pour  faire  face  aux  besoins  de 
rÉlat.  Rec.  de  pièces  orig.,  t.  VU,  p.  234. 

2.  Les  États  avaient  décidé  que  les  charges  de  trésorier  général,  gran- 
«lement  multipliées  par  les  édits  bursaux,  seraient  réduites  au  nombre 
ancien,  c'est-à-dire  à  deux  par  élection  (il  y  en  avait  dix  en  moyenne). 
Près  de  300  trésoriers  s'assemblèrent  au  couvent  des  Gordeliers  et  choisi- 
rent Scévole  de  Sainte-Marthe,  homme  très  estimé,  pour  plaider  leur  cause 
devant  les  États.  Sainte-Marthe  se  serait  exprimé  avec  une  grande  viva- 
cité, en  accusant  les  députés  de  s'être  fait  élire  par  brigue  et  par  cabale. 
Le  tiers  envoya  le  président  de  Neuilly  se  plaindre  au  roi,  et  Henri  Ul 
adressa  aux  trésoriers  une  réprimande  qui  ressemblait  à  des  félicitations. 
Voy.  DE  Thou,  t.  X,  p.  436. 


^- 


468  PARIS  ET  LA  LIGUE 

outre  «  son  pourvoieur  lui  a  déclaré  qu'il  quittoit  Tenlretien 
et  fourniture  de  sa  table,  et  que  ses  chamtres  lui  avoient 
dit  qu'ils  quitteroient  aussi  le  service  et  ne  chanteroient 
plus  qu'ils  n'eussent  leurs  gages  ».  Le  siège  des  députés  in- 
fluents continue,  et  les  députés  de  Paris,  considérés  comme 
plus  dangereux  que  les  autres,  sont  l'objet  d'obsessions 
multiples.  Bernard,  après  avoir  dîné  le  8  chez  le  garde  des 
sceaux,  qui  «  sourit  à  lui  fort  chaudement  »,  consent  à  s'en- 
tremettre pour  amener  au  roi  le  président  de  Neuilly.  Tous 
deux  se  rendent,  le  9,  au  château,  et  trouvent  le  roi  entouré 
de  ses  secrétaires  Beaulieu,  Revol  et  Marcel.  Henri  tenait 
à  la  main  le  petit  discours  prononcé  par  l'archevêque  de 
Bourges,  le  2  décembre  précédent,  et  qui  arrivait  de  l'im- 
pression. Le  texte  n'était  pas  conforme,  parait-il,  à  la  teneur 
de  l'allocution  réellement  prononcée,  et  le  roi  «  s'émer- 
veilla de  ce  que  si  impudemment  l'on  osoit  écrire  ce  qui 
étoit  contenu  au  dit  discours,  le  sieur  de  Bourges  ne  lui  en 
ayant  dit  un  seul  mot  ».  Puis  le  roi  s'attendrit,  dit  «  qu'il 
a  reçu  le  matin  son  Créateur  et  qu'il  jure  sur  la  damnation 
de  son  âme  que  jamais  roi  n'eut  si  bonne  volonté  au  sou- 
lagement de  son  peuple  ».  Il  va  plus  loin,  promet  de  rendre 
«  son  État  à  demi-démocratique  »  conune  celui  de  Venise 
et  offre  d'avoir  un  cof&e  «  duquel  l'une  des  clefs  lui  demeu- 
reroit  et  l'autre  aux  États,  sans  l'avis  desquels  il  juroit 
ne  vouloir  rien  mettre  sur  son  peuple  *  ».  Cette  fois,  l'en- 
chantement des  députés  fut  complet  et  sans  mélange.  Le 
président  de  Neuilly,  en  racontant  à  ses  collègues  l'entrevue 
qu'il  venait  d'avoir  avec  le  roi,  versa  de  véritables  larmes  *. 
La  Chapelle-Marteau  proposa  d'offrir  au  roi  «  mis  à  la  be- 
sace »  une  aumône  de  120,000  écus,  mais  en  spécifiant  que 
ces  sonunes  étaient  destinées  à  MM.  de  Nevers  et  du  Maine 

i.  Journal  de  Bernard,  p.  81. 

2.  «  Ce  rapport  fat  fait  à  ceux  du  tiers  état  avec  un  tel  contentement 
que  plusieurs  en  pleurèrent,  mêmement  ledit  sieur  de  Neuilly,  tant  estoit* 
il  satisfoit.  •  Ibid.,  p.  83. 


PARIS  A  BLOIS  469 

«  pour  être  employées  à  rentretènement  des  armées  *  ». 
Ces  fonds  seraient  avancés  par  un  certain  nombre  de 
députés,  qui  se  rembourseraient  sur  les  premiers  produits 
des  impôts  de  Tannée  1589.  Le  tiers  vota  cette  proposition 
et  chargea  son  président  de  la  notifier  au  roi.  Mais,  dès 
le  14  décembre,  le  tiers  paraissait  déjà  disposé  à  revenir 
sur  son  vote,  et  Ton  disait  couramment  qu'il  ne  s'agissait 
que  d'une  simple  promesse  de  s'obliger  qui  n'engageait  à 
rien.  Et,  de  fait,  personne  ne  s'occupa  de  réunir  les  120,000 
écus.  Le  roi,  inquiet,  envoya  au  tiers  état,  le  16  décembre, 
M.  de  Rambouillet  pour  demander  la  réalisation  de  la  pro- 
messe de  subside;  mais  l'envoyé  royal  faillit  rester  à  la 
porte  de  la  salle  des  délibérations,  parce  qu'il  figurait  sur 
la  liste  des  suspects.  On  le  reçut  cependant,  mais  unique- 
ment à  cause  de  d'Espinac,  l'archevêque  de  Lyon,  qui 
l'accompagnait.  Le  prélat,  en  bon  guisard,  écouta  béate- 
ment les  doléances  des  députés  et  se  chargea,  sans  se  faire 
prier,  de  rapporter  au  roi  le  sentiment  des  États  à  l'endroit 
de  «  ceux  qui  possédoient  S.  M.  au  commencement  do 
Tannée  et  avoient  tout  perdu  et  dissipé  ».  Dans  la  même 
séance,  le  président  du  tiers,  La  Chapelle-Marteau,  prévôt 
des  marchands  de  Paris,  fit  le  compte  des  sommes  énormes 
gaspillées  par  les  courtisans  et  réclama  énergiquement 
l'épuration  du  Conseil  du  roi.  Quant  aux  120,000  écus,  il 
exprima  cet  avis  qu'il  convenait  de  prélever  sur  cette  somme 
100,000  écus  pour  les  armées  de  MM.  de  Mayenne  et  de 
Nevers.  Cela  revenait  à  dire  que  les  États  ne  voulaient 
presque  rien  donner  au  roi  et  se  souciaient  peu  de  la 
pénurie  de  sa  cassette.  En  outre,  le  tiers  persistait  à  de- 
mander la  constitution  d'une  Chambre  de  justice  pour 
rechercher  les  financiers  et  partisans  qu'on  accusait  d'avoir 
mis  à  sac  le  trésor  public. 

4.  Procès-verbal^  p.  23  i. 


470  PARIS  ET  LA   LIGUE 

Ainsi  le  roi  se  trouvait  placé  entre  un  coup  d*Ëtat  et  une 
abdication  ^  La  duchesse  de  Montpensier  montrait  à  toute 
la  cour  ses  ciseaux  d'or,  destinés  k  tondre  le  moine  Henri. 
ËUe  quitta  brusquement  Blois,  sous  prétexte  d'accompagner 
Catherine  de  Glèves,  duchesse  de  Guise,  qui  allait  faire 
ses  couches  à  Paris,  et  le  roi  crut  qu'elle  retournait  dans 
la  capitale  afin  de  fomenter  une  nouvelle  insurrection  ^ 
Le  propre  frère  de  Guise,  le  duc  de  Mayenne,  faisait  dire* 
au  roi  par  le  colonel  Ornano  de  se  défier  du  chef  de  la 
Ligue.  Dans  une  audience  particulière,  obtenue  d'ailleurs 
à  grand'peine,  la  duchesse  d'Aumale  donna  au  Valois  les 
mêmes  avis  que  Mayenne  ^  Une  intervention  énergique 
du  maréchal  d'Aumont,  que  Guise  avait  essayé  en  vain  de 
gagner  k  sa  cause,  et  qui  déclara  que  le  duc  voulait  se 
faire  nommer  connétable  par  les  Etats;  enfin  l'audacieuse 
demande  du  gouvernement  d'Orléans  par  Guise,  achevèrent 
de  porter  au  comble  l'exaspération  de  Henri  UI;  mais  ce 
qui  contribua  peut-être  plus  que  tout  le  reste  à  lui  inspirer 
un  acte  de  désespoir,  c'est  la  crainte  d'être  ramené  de  force 
à  Paris..  Le  cardinal  de  Guise  conseillait  à  son  frère  d'aller 
occuper  Orléans,  tandis  que  lui-même  enlèverait  le  roi  et 

i.  L'assassinat  du  duc  de  Guise  s'explique,  à  coup  sâr,  par  les  raisons 
politiques  qui  sont  indiquées  au  texte,  oaais  il  peut  avoir  été  décide  sous 
rinûuence  d'un  état  pathologique  de  Henri  III.  C'est  le  chancelier  Che- 
verny  qui  a  donné  à  l'historien  de  Thou  de  bien  curieux  détails  sur  la 
santé  du  dernier  Valois.  11  était,  en  hiver,  sujet  À  des  accès  de  bile,  et  alors 
il  devenait  intraitable  pour  ses  ministres  et  ses  serviteurs,  n  Je  me  sou- 
viens, écrit  DE  Thou,  que,  quelque  temps  avant  la  mort  du  duc  de  Guise, 
comme  je  passais  par  son  château  d'Esclimont,  au  pays  chartrain,  pour  me 
rendre  à  la  cour,  ce  magistrat  (Cheverny)me  parla  de  ces  humeurs  du  roi 
et  me  prédit  que,  si  le  duc  continuait  à  pousser  ce  prince,  il  serait  homme 
à  le  faire  quelque  jour  assassiner  sans  bniit  dans  sa  chambre  méme^  parce 
qu*on  était  dans  une  saison  oit  il  s'irritait  aisément  et  où  sa  colère  approchait 
fort  de  la  fureur,  »  T.  X,  p.  678. 

2.  Db  Thou,  t.  X,  p.  443. 

3.  I6id.,  p.  444.  L*EsT0iL£  ajoute  avec  plus  de  prédsion  que  Mayenne 
faisait  allusion  à  un  prochain  attentat  contre  le  roi  (t.  Ill,  p.  196j.  D'Épernon 
écrivit  aussi  pour  informer  son  maître  d'une  «  conspiration  contre  sa  per- 
sonne ».  Le  bruit  courait  à  la  cour  que  «  ce  seroit  le  jour  de  Saint-Thomas  ». 
L'Estoile  confirme  également  la  dénonciation  faite  au  roi  par  la  duchesse 
d'Âumale.  T.  III,  p.  196. 


PARIS   K  BLOIS  471 

le  conduirait  dans  la  capitale.  Un  courtisan  apprit  Texis- 
tcnce  de  ce  projet  de  la  bouche  du  sieur  de  Provenchères, 
domestique  du  duc  de  Guise,  et  alla  aussitôt  en  informer 
le  roi  *,  Mayenne,  d'après  certains  historiens,  aurait  éga- 
lement appris  au  roi  le  but  final  du  plan  des  ligueurs. 
Etienne  Pasquier,  qui  constate  ce  fait  grave,  rapporte  qu'il 
courut  à  Blois  «  un  bruit  sourd  que  l'opinion  de  M.  de 
Guise  estoit  de  ramener  le  roy  à  Paris,  après  la  clos- 
ture  des  Estais,  et  de  disposer  tellement  les  affaires  qu'il 
ne  l'en  eust  osé  éconduire  »;  Pasquier  assure  «  que  ce 
fascheux  bruit  n'apporta  de  petits  tintouins  en  la  teste  du 
roy  *  ».  Un  violent  entretien  qu'eut  le  duc  de  Guise  avec 
Henri  III  le  jeudi  22  décembre,  k  Tissue  de  la  messe,  entre- 
tien qui  dura  jusqu'à  midi,  dissipa  les  dernières  hésita- 
tions du  roi  ^  Il  prit,  d'ailleurs,  le  temps  de  la  réflexion, 
car,  dès  le  18  décembre,  il  avait  tenu  un  conseil  avec  quel- 
ques courtisans  dévoués  :  le  maréchal  d'Aumont,  Nicolas 
d'Angennes,  seigneur  de  Rambouillet,  et  Antoine  de  Bri- 
chanteau,  sieur  de  Beauvais-Nangis  *.  Aucune  résolution 
ne  fut  arrêtée  ce  jour-là;  mais,  le  lendemain,  dans  un 
second  conciliabule  auquel  prit  pari  Louis  d'Angennes, 
frère  de  Rambouillet,  la  mort  du  duc  fut  décidée.  On 
reconnut  également  la  nécessité  do  mettrez  la  main  sur  le 
cardinal  de  Guise,  le  prince  de  Joinville,  les  ducs  de  Ne- 

1.  Relat,  de  Miron, 

2.  Ultres  de  Pasquiei-,  livre  XI H,  lettre  VI,  édition  d'Amsterdam  in-^  de 
1723,  t.  Il,  p.  371.  Pasquier  s^élève  vivement  contre  le  dessein  des  Guises 
de  ramener  le  roi  à  Paris,  «  dans  une  ville  où  il  avoit  reccu  tel  alTront;  et, 
à  bien  dire,  ce  D'estoit  pas  raccompagner,  ains  mener  en  triomphe  dans 
Paris  ». 

3.  Voy.  sur  ce  point  la  Relation  de  Miron,  qui  entendit  le  roi  faire  &  la 
duchesse. d^Angoulôme  le  récit  de  cette  dernière  entrevue,  où  s'échangè- 
rent de  vives  récriminations. 

4.  D'après  db  Tiiou,  qui  n'avance  rien  à  la  légère^  le  roi  aurait  adressé  à 
ses  conseillers  un  long  discours  pour  leur  expliquer  ses  griefs  contre  le 
duc  de  Guise.  Il  dit  notamment  que  Guise  voulait  se  faire  connétable, 
c'est-à-dire  donner  à  la  France  un  second  roi;  or  il  ne  pouvait  y  avoir 
qu'un  roi,  de  même  qu'il  n'y  a  qu'un  soleil  pour  éclairer  le  monde  :  deux 
soleils  brûleraient  la  France.  T.  X,  p.  450. 


472  PARIS  ET  LA  LIGUE 

mours  et  d'Elbeuf,  et  enfin  sur  le  cardinal  de  Bourbon. 
Le  secret  fut  si  bien  gardé  que,  le  22  décembre,  les  États 
députèrent  auprès  du  roi  pour  lui  demander  la  liste  des 
membres  du  Conseil,  ce  qui  constituait  une  provocation 
de  plus,  et  Henri  III  leur  fit  répondre  par  M.  de  Marie 
que,  le  lendemain  23,  tout  le  monde  connaîtrait  la  volonté 
royale. 

Aucun  soupçon  ne  troublait  la  quiétude  des  Ëtats,  et  il 
faut  lire  le  Journal  de  Bernard  pour  se  rendre  bien  compte 
de  la  stupeur  des  députés  du  tiers,  lorsque  le  grand  prévôt 
de  riiôtel,  François  du  Plessis  de  Richelieu  *,  après  b» 
meurtre  du  duc  de  Guise  et  TaiTCStation  du  cardinal  son 
frère  et  de  Tarchevêque  de  Lyon,  vint  frapper  à  la  porte 
de  l'Hôtel  de  Ville  de  Blois,  où  le  tiers  état  tenait  ses 
séances  •. 

«  Le  vingt-troisième  (décembre),  la  Chambre  étant 
assemblée  tant  pour  la  séance  accoutumée  que  par  exprès 
commandement  du  roi  de  nous  trouver  tous  ledit  jour, 
il  vint  un  homme  avertir  notre  président  qu'il  y  avoit  du 
bruit  et  émotion  au  château,  que  les  ponts  étoient  levés  et 
les  soldats  en  garde.  Cet  avis  fut  confirmé  par  Crespy, 
messager  de  Dijon,  lequel  m'ayant  fait  aussi  savoir  qu'il 
y  avoit  du  murmure  et  que  les  boutiques  de  la  ville  se 
fermoient,  cela  donna  occasion  de  commettre  le  sieur  de 
La  Fosse,  député  de  Caen,  pour  aller  au  château  et  nous 
rapporter  la  vérité;  pendant  que  le  sieur  Duret,  député  de 
Moulins,  fit  son  rapport  de  ce  qu'il  avoit  été  chargé  de 
dire  au  clergé,  touchant  l'aliénation  des  biens  de  l'Église, 

i.  C*est  le  père  d'Armand  de  Richelieu,  le  futur  ministre  de  Louis  XIII^ 
qui  était  né  en  1585. 

2.  Nous  ne  croyons  pas  utile  de  refaire  ici  le  récit  de  l'assassinat  du  duc 
de  Guise,  qui  se  trouve  dans  toutes  les  histoires.  On  peut  consulter  sur 
ce  drame  extraordinaire  les  diverses  relations  insérées  au  t.  XII  des  Arch, 
cur,,  notamment  celle  de  Miron.  Voir  aussi  l'Estou^e,  t.  III,  p.  197  ;  dK  Thou, 
t.  X,  p.  469;  D'AuBiG?iÉ,  2«  partie,  col.  211;  Pasquier,  livre  XIII,  lettre  V^ 
p.  366  du  t.  II  de  l'édit.  d'Amsterdam  ;  Palma-Cayet,  Introd.  à  la  Chron.  nov.j. 
Coll.  Michaud,  i^  série,  t.  XII,  p.  79. 


PARIS  A  BLOIS  47a 

M.  Le  Roy,  d'Amiens,  proposa  qu'il  falloii  se  retirer.  M.  de 
Neuilly  dit  qu'il  ne  falloit  faire  compte  du  bruit  ;  que  ce 
pouvoit  être  quelque  mutinerie  de  laquais.  Les  autres,  par- 
lant sérieusement,  proposèrent  que  nous  ne  devions  bouger 
du  lieu  qui  étoit  Tasile  d'assurance  et  une  partie  du  corps 
de  la  France.  Il  advint  qu'au  fil  de  nos  propos  plusieurs 
soldats,  armés  de  piques,  hallebardes  et  arquebuses,  se 
présentèrent  à  la  porte  de  la  salle,  car  nous  n'avions  voulu 
permettre  que  la  première  porte  de  la  cour  fût  fermée  ;  ils 
entrent  avec  furie"  et  avec  grand  étonnement.  Le  grand 
prévôt  entra  des  premiers,  avec  plusieurs,  les  épées  nues, 
criant  :  «  Tue  !  Tue  !  Tire  !  Tire  !  L'on  a  voulu  tuer  le  roi  et 
que  les  coupables, de  la  conspiration  étoient  de  la  compa- 
gnie *  ».  Chacun  fut  ému  et  étonné,  et  furent  plusieurs  qui 
se  départirent,  de  peur  extrême.  Je  m'avançai  pour  parler 
et  dire  que  le  roi  ne  pouvoit  permettre  telle  insolence  si 
grande  au  mépris  des  États  ;  mais  les  raisons  peuvent  peu 
parmi  les  armes!  Lors  ledit  prévôt,  nonuné  le  sieur  de 
Richelieu,  prit  un  billet  où  étoient  compris  ceux  que  l'on 
disoit  savoir  l'entreprise  mise  en  avant.  Les  sieurs  de  La 
Chapelle,  de  Neuilly,  Compans,  Orléans,  Le  Roy,  Aurou, 
Du  Vert  et  Du  Vergier  étoient  au  rôle,  et,  nonobstant  toutes 
prières  et  remonstrances,  furent  emmenés  lesdits  sieurs  do 


1.  On  peut  comparer  au  récit  de  Bernard  la  déposition  faite  le  24  juin  158t> 
par  La  Chapelle-Marteau  devant  MM.  Michon  et  Courtin,  chargés,  à  la 
requête  de  la  duchesse  de  Guise,  d'informer  sur  «  les  massacres  commis  à 
Blois  ès-personnes  des  duc  et  cardinal  de  Guise  ».  On  trouve  l'information 
dans  VHistoire  des  cardinaux  par  Aubery,  t.  V,  et  le  t.  XII,  i^  série,  des 
Arch,  curieuses,  p.  188.  La  déposition  de  La  Chapelle-Marteau  concorde  par- 
faitement avec  le  Journal  de  Bernard.  Elle  ajoute  cependant  quelques 
détails  précis  :  u  ...  Environ  entre  huict  et  neuf  heures  du  matin,  entra  If* 
sieur  de  Richelieu,  grand  prévost  de  Thostel,  lequel  demeurant  à  la  porte 
dict  :  «  Messieurs,  personne  ne  bouge;  Ton  a  voulu  tuer  le  roy,  il  y  a 
deux  soldats  qui  sont  pris.  »  Et  lors  la  compagnie  s'estonnant  et  quelques- 
uns  se  voulant  lever,  ledit  grand  prévost  mitTespée  au  poing,  et,  suivy  de 
trente  ou  quarante,  tant  de  ses  archers  que  des  soldats  des  gardes-fran- 
çoises  à  pied,  ayant  la  mesche  sur  le  serpentin  et  les  piques  dressées 
contre  la  poitrine  des  députés,  crians  :  «  Tue,  tue,  mort-Dieu  !  tue  I  que 
personne  ne  bouge.  » 


.* 


474  PARIS   ET   LA   LIGUE 

La  Chapelle,  de  Neuilly,  Compans  cl  Le  Roy.  Les  sieurs 
Aurou  et  Du  Vergier  n'y  éloient  pas.  Le  sieur  Du  Vert  se 
sauva  ^  Ce  fut  un  grand  crëve-cœur  à  tous  les  députés  de 
voir  à  leurs  yeux  leurs  présidens  et  confrères  traités  avec 
tant  d'indignité.  Je  pensois  inviter  la  compagnie  à  les 
suivre,  mais  la  force  se  fit  donner  place  et  n'eut  la  raison 
point  de  lieu.  Nous  fûmes  réservés  en  notre  chambre,  et 
tôt  après  vinrent  des  particuliers  qui  nous  dirent  que  M.  de 
Guise,  ayant  été  mandé  au  Conseil  du  roi  et  de  là  appelle  au 
cabinet  de  S.  M.,  avoit  été  tué  par  les  Quarante-cinq;  l'on 
nous  rapporta  pareillement  que  M.  le  cardinal  de  Guise,  le 
sieur  de  Lyon  et  autres  avoient  été  tués.  Jamais  on  ne  vit 
un  si  grand  étonnement.  Le  lieutenant  de  Blois  me  dit  à  part 
ces  mots  :  Actum  est  de  Gallia.  » 

Les  archers  du  grand  prévôt  n'avaient  pas  même  donné 
le  temps  aux  députés  arrêtés  de  prendre  leurs  manteaux  et 
leurs  chapeaux,  et  les  avaient,  sous  la  pluie  qui  tombait 
avec  violence,  (c  rudement  et  indignement  »  conduits  jus- 
qu'au château.  Les  portes  en  étaient  fermées  et  des  com- 
pagnies de  Suisses  et  de  gardes-françaises,  rangées  en 
bataille,  gardaient  les  issues.  On  fit  passer  les  prisonniers 
par  un  guichet,  et  on  leur  fit  monter  le  grand  escalier,  à 
travers  la  foule  des  soldats  et  des  courtisans.  Terrorisés 
par  le  tragique  événement,  ceux-ci  n'osaient  plus  recon- 
naître les  députés  de  Paris.  Dunes,  qui  avait  avec  La  Cha- 
pelle-Marteau des  relations  familières,  se  trouvait  sur  son 
passage  ;  il  ne  l'honora  pas  d'un  regard  *.  A  l'entrée  de  la 


i.  D'après  k  déposition  du  prévùt  des  marchands,  le  grand  prévôt 
aurait  ea  avec  lui  le  dialogue  suivant  :  «  Vous  êtes  le  premier  accusé 
d'avoir  voulu  tuer  le  roy;  je  dis  vous,  monsieur  le  président  de  Neully, 
monsieur  Compans,  monsieur  d'Orléans,  le  président  Du  Verger,  de  Tours, 
Le  Roy,  lieutenant  d*Amiens,  et  Du  Vair...  A  quoy  respondit  le  déposant 
qu'il  louoil  Dieu  et  qu'il  espéroit  que  bientost  son  innocence  seroit 
connne.  »  Conf.  l'Estoilb,  t.  UI,  p.  200. 

2.  Information  faicte  par  P,  Michon  et  J.  Courtin.  Déposition  de  La  Cha- 
pelle-Marteau. 


PARIS   A   BLOIS  475 

salle  du  Conseil,  les  députés  rencontrèrent  les  Quarante- 
cinq  qui  affectaient  un  air  triomphant;  puis  ils  furent 
introduits  dans  la  salle  même  où  se  trouvaient  «  grand'- 
partie  de  ceux  qui  avoient  accoustumé  d'assister  au 
Conseil,  estans  debout,  fort  pasles  et  étonnez  ».  Le  grand 
prévôt  poussa  la  cruauté  jusqu'à  conduire  ses  captifs  à  la 
porte  du  cabinet  du  roi  et  les  laissa  là  \  dans  la  chambre 
royale,  à  deux  pas  du  cadavre,  qui  était  dissimulé  par  un 
tapis.  Il  y  avait  près  de  la  porte  a  deux  grands  tas  de  sang 
fumant,  et  lors  le  président  de  NeuUy  dit  aux  députés  : 
Hé,  mon  Dieu!  il  y  a  quelque  malheur  icy  '  ».  Les  Qua- 
rante-cinq allaient  et  venaient,  regardant  les  députés  les 
uns  après  les  autres.  Un  valet  vint,  sur  ces  entrefaites,  avec 
un  flacon  d'argent  rempli  d'eau  et  un  balai,  pour  effacer 
les  taches  de  sang....  Telle  était  l'horreur  du  crime  que 
les  courtisans  eux-mêmes  ne  pouvaient  celer  leur  indigna- 
tion. Devant  Loignac,  le  chef  des  assassins,  M.  de  Marie 
s'approcha  des  prisonniers  et  dit  à  La  Chapelle-Marteau  : 
«  Je  voudrais  être  à  cent  pieds  sous  terre  ».  Et,  comme 
le  prévôt  des  marchands  ne  comprenait  pas,  M.  de  Mau- 
vissière  lui  demanda  s*il  avait  vu  le  corps  de  M.  de  Guise. 


1.  Le  cabinet  du  roi  communiquait  par  une  porte  située  à  gauche  avec 
la  chambre  royale.  C'est  en  soulevant  la  tapisserie  du  cabinet  que  le  duc 
de  Guise  avait  reçu  le  premier  coup  de  poignard.  Voy.  db  Thou,  t.  X, 
p.  470;  l'Estoile,  t.  III,  p.  199;  le  Martyre  des  deux  frères,  Arch.  cur., 
i.  XII,  !»•  série,  p.  83. 

2.  Information,  etc..  Le  Martyre  des  deux  frères  ajoute  quelques  détails 
curieux  sur  l'attitude  du  prévôt  des  marchands  et  de  ses  compagnons  : 
«  On  les  faict  entrer  en  la  chambre  du  massacre,  où  estans  apperceurent 
le  sang  do  prince  martyrisé,  et,  s'estant  enquesté  M.  le  prévost  des  mar- 
i^hands  de  ce  que  pouvoit  estre,  Tun  des  enfants  du  père  du  mensonge, 
ennemy  de  toute  vérité,  luy  dit  que  c*estoit  une  bouteille  de  vin  espendue... 
Un  autre,  s'approchaqt  du  sieur  prévost,  voyant  que  de  plus  près  il  le 
regardoit  et  jugeoit  que  pour  le  certain  c^estoit  du  sang,  luy  dit  :  Ne 
l'avcz-vous  point  vcu  ?  Ledit  sieur  prévost  luy  respond  :  Qui?  —  L'autre 
réplique  :  Monsieur  de  Guise;  il  n'est  pas  à  trois  pas  de  vous,  tout  roide 
mort  en  cesle  ruelle  (montrant  le  lit  du  traistre  H«?nry);  il  est  couvert  d'un 
vieux  tapis.  Lors,  ledit  sieur  prévost  s'approcha  de  M.  le  président  de 
Neuilly  et  luy  dit  :  «  Monsieur,  nous  sommes  morts;  ils  ont  assassiné  ce 
bon  prince.  » 


476  PARIS   ET   Lk  LIGUE 

—  Comment  I  est-il  mort?  —  Oui,  répliqua  de  Mauvis- 
sière,  le  roi  Ta  fait  mourir.  »  —  Terrifié,  La  Chapelle- 
Marteau  murmura  seulement  :  «  Voilà  un  pernicieux 
conseil  ». 

En  réalité,  les  députés  de  Paris  avaient  lieu  de  conce- 
voir de  vives  appréhensions  pour  leur  sécurité  personnelle. 
On  eut  l'attention  sauvage  de  donner  devant  eux  Tordre  à 
rhuissier  Nambu  d'aller  faire  immédiatement  dresser  des 
potences  et  des  échafauds.  Ce  n^était  là  sans  doute  qu'une 
mystification  funèbre.  Sur  le  coup  de  dix  heures,  Larchant, 
capitaine  des  gardes,  sortit  du  cabinet  du  roi,  et,  appelant 
un  officier  de  sa  compagnie,  le  sieur  Hamilton,  lui  confia 
les  prisonniers,  avec  défense  de  les  laisser  parler  à  per- 
sonne. Sous  Tescorle  de  douze  gardes,  ils  furent  d'abord 
menés  dans  une  chambre  basse,  puis  dans  une  autre 
pièce  située  au-dessus  de  l'escalier  de  la  salle  des  États. 
Quatre  archers  et  un  exempt  des  gardes,  nommé  Duglas, 
restèrent  pour  les  garder.  A  quatre  heures,  cet  exempt 
vint  inviter  les  députés  à  faire  leur  examen  de  conscience, 
car  leur  mort  était  décidée.  C'est  à  ce  moment  que  Cosle- 
blanche,  échevin  de  la  Ville  de  Paris,  fut  amené  dans  la 
prison,  où  se  trouvaient  déjà  le  prévôt  des  marchands  et 
ses  collègues.  Tous  priaient,  à  genoux....  Ainsi  se  passa  la 
première  journée  :  le  lendemain  à  neuf  heures,  l'exempt 
Duglas  leur  annonça  la  mort  du  cardinal  de  Guise.  Dans 
l'après-midi,  l'un  des  capitaines  des  gardes  et  M.. de  Ri- 
chelieu, le  grand  prévôt  de  THôtel,  les  visitèrent  et  leur 
firent  savoir  qu'ils  seraient  interrogés  par  le  garde  des 
sceaux.  Une  grande  chambre  «  en  galletas  qui  estoit  au- 
dessus  »  devait  être  préparée  à  cet  effet  pour  l'interrogatoire, 
et  ils  remarquèrent  qu'on  y  portait  «  grande  quantité  de 
bois  ».  En  attendant,  l'enseigne  Hamilton  vint  les  chercher, 
à  six  heures,  en  appelant  d'abord  le  président  de  Neuilly. 
et  on  les  conduisit  de  nouveau  dans  une  chambre  basse. 


•      PARIS  A  BLOIS  477 

Ils  y  devaient  rester  jusqu'au  vendredi  suivant,  30  décem- 
bre. Alors  on  les  mena  «  dans  une  chambre  prochaine  »,  et 
le  prévôt  des  marchands  raconte  qu'ils  y  passèrent  un 
mois.  Le  roi  se  donna  le  cruel  plaisir  de  faire  revenir  La 
Chapelle-Marteau,  séparé  de  ses  compagnons,  dans  la  pre- 
mière salle  qu'ils  avaient  occupée  «  au-dessus  de  la  viz  de 
la  salle  des  Estatz...  pour  aller  en  laquelle  on  le  fit  monter 
par  une  petite  montée,  le  noyau  de  laquelle  estoit  tout 
ensanglanté.  Et  dès  l'entrée  de  la  chambre  jusques  au  feu, 
la  chambre  estant  petite,  se  voyoit  la  figure  d'un  corps,  et 
en  plusieurs  endroits  d'icelle  force  taches  de  sang,  et  sen- 
tent en  icelle  une  fort  grande  puanteur  conune  de  corps 
bruslez;  dont  se  plaignant  aux  gardes,  luy  dirent  que 
c'estoit  où  les  corps  des  deffuncts  sieur  cardinal  et  duc  de 
Guise  avoient  esté  bruslez  *.  » 

Pendant  que  son  président  était  captif,  que  faisait  le 
tiers  état?  Il  avait  d'abord  manifesté  l'intention  de  suivre 


1.  Information  des  massacres  commis  à  Blois.,.  L^Estoilb  n'est  pas  ici 
parfaitement  d*accord  avec  La  Chapelle-Marteau.  Il  écrit  ce  qui  suit  :  «  Le 
soir  de  ce  jour  (24  décembre)  les  corps  du  duc  de  Guise  et  cardinal  furent 
mis  en  pièces  par  le  commandement  du  roy,  en  une  salle  basse  du  chasteau^ 
puis  brûlés  et  mis  en  cendres  :  lesquelles  après  furent  jettées  au  vent, 
afin  qu'il  n'en  restât  ne  relique,  ne  mémoire.  »  D'après  de  Thod,  «  la  nuit 
de  la  veille  de  Noël,  on  descendit  les  deux  cadavres  avec  une  corde  dans 
la  basse-cour  du  château  où  on  les  mit  dans  de  la  chaux  qu'on  avait  pré- 
parée pour  cela  par  le  conseil  d'un  des  chirurgiens  du  roi,  aGn  qu'il  n'en 
restât  aucune  trace  ».  T.  \,  p.  479.  Une  petite  pièce,  reproduite  par  les 
Akch.  cur.,  t.  XII,  p.  144,  et  qui  est  intitulée  Advis  de  ceux  qui  ont  esté  à 
BloiSf  etc. y  1588,  in-8*,  donne  des  détails  très  précis  sur  la  crématiou  des 
deux  frères  :  «  Le  sabmedi  sur  le  soir  {i4  déc.)  estans  les  deux  corps 
estendus  sur  le  pavé  dans  V oratoire,  le  Roy  commanda  que  l'on  posast 
celui  du  cardinal  sur  une  couchette,  en  une  petite  chambre  prochaine  où 
il  y  avoit  un  matelas  couvert  de  vert;  et  furent  en  telle  sorte  jusques 
après  la  feste  de  la  Nativité  du  Seigneur,  demeurant  le  corps  du  duc  de 
Guise  sur  le  pavé,  estendu  en  mesme  contenance  qu'il  estoit  décédé,  le 
poing  en  la  bouche  et  l'autre  main  en  derrière  sur  son  poignard.  Le  mer- 
credi {i8  déc.)  les  deux  corps  furent  portez  en  la  grande  salle  et  consumez 
et  réduits  en  cendres  par  feu  avec  chaux  vifve  et  soulffre  meslé,  et  les 
cendres  jectées  par  les  fenêtres.  »  Il  est  donc  probable  que  les  deux  cada- 
vres furent  plusieurs  fois  changés  de  place  avant  l'incinération  finale.  C'est 
dans  l'intervalle  que  la  mère  des  Guises  pria  en  vain  le  roi  de  lui  rendre 
les  corps  des  victimes  pour  les  faire  inhumer.  Voy.  sur  ce  point  db  Thou, 
Ibid.,  p.  479. 


478  PARIS  ET  LA  LIGUE* 

en  masse  La  Chapelle-Marteau  et  les  autres  prisonniers, 
mais  M.  de  Richelieu  avait  coupé  court  à  ce  beau  mouve- 
ment par  une  brutale  injonction.  Cependant  personne 
n'empêcha  les  députés  de  quitter  la  salle  de  leurs  délibé- 
rations et  de  se  répandre  dans  la  ville.  Seulement,  les 
portes  du  château  et  Taccès  du  pont  étaient  gardés.  Il  fut 
aisé  aux  membres  du  tiers  de  savoir  la  vérité  sur  la 
fameuse  conspiration  qui  avait  servi  de  prétexte  à  l'arres- 
tation du  prévôt  des  marchands,  ainsi  que  sur  le  sort  du 
duc  de  Guise  et  de  son  frère  le  cardinal.  Les  deux  autres 
ordres  n'étaient  ni  moins  émus,  ni  plus  rassurés.  Aussitôt 
après  le  coup  de  force  exécuté  par  le  grand  prévôt  de 
THôtel,  M.  de  Bauffremont-Senecey  ,  président  de  la 
noblesse,  manda  Bernard  et  Coussin.  Il  leur  fit  part  de  sa 
douleur,  «  car  les  plus  sages  et  résolus  ne  savaient  que 
dire  *  ».  Quant  à  Tavocat  de  Dijon,  il  éprouvait  de  telles 
appréhensions  qu'il  soupa  avec  messieurs  d'Autun  et  de 
Charolais  et  coucha  dans  la  même  chambre  qu'eux.  Le 
soir,  on  fit  défense  aux  députés  par  cri  public  de  sortir  de 
Biois.  Il  fallut  tenir  séance  le  24  au  matin,  sur  Tordre 
formel  du  roi.  M.  de  Rostaing  et  le  président  de  Ris  •  vin- 
rent, de  sa  part,  rassurer  les  députés  et,  en  même  temps, 
leur  enjoindre  d'effectuer  le  dépôt  des  cahiers  avant  le 
8  janvier  1589.  Les  délégués  du  roi,  faisant  allusion  aux 
arrestations  qui  avaient  si  fort  ému  la  compagnie,  décla- 
rèrent que  si  Sa  Majesté  «  en  avoit  tiré  quelques-uns,  il  ne 
falloit  point  penser  que  ce  fût  pour  diminuer  la  liberté  que 
l'on  doit  avoir,  mais  parce  que  iceux  n'avoient  apporté  la 
volonté  qu'ils  dévoient  ».  Après  le  départ  des  deux  hommes 
de  cour,  on  prit  la  résolution  de  se  concerter  avec  le  clergé 
et  la  noblesse  pour  clore  les  cahiers  et  aller  demander  la 
liberté   des  députés  captifs.  Les  trois  ordres  tombèrent 

i.  Journal  de  Bernard. 

2.  Faucon,  sieur  de  Ris,  président  au  Graud  Conseil. 


r 


PARIS   A  BLOIS  479 

d'accord  à  Tinstant,  et  chacun  d'eux  nomiîla  une  déléga- 
tion de  six  membres  pour  aller  trouver  le  roi  *.  Mais  les 
députés  ne  purent  arriver  jusqu'au  prince.  M.  de  Marie 
leur  barra  le  passage,  en  disant  «  que  le  roi  ne  les  pouvoit 
ouïr  et  que,  si  Ton  vouloit  parler  aussi  pour  le  cardinal  de 
Guise,  il  étoit  mort  ».  La  délégation  insista  en  vain,  et 
M.  de  Marie  lui  enjoignit  de  se  retirer. 

On  n'était  plus  au  temps  où  les  Ëtats  se  croyaient  tout 
permis  et  envoyaient  au  roi  des  sommations,  plus  ou 
moins  respectueuses;  la  crainte  de  provoquer  la  mort  du 
prévôt  des  marchands  et  de  ses  collègues  étouffait  main- 
tenant toute  velléité  de  résistance.  Cependant  le  tiers  n'alla 
pas  jusqu'à  ratifier  le  coup  d'État  sanglant  qui  venait  de  se 
produire.  Le  28  décembre,  le  procureur  général  au  Parle- 
ment, Jacques  de  la  Guesle,  et  le  sieur  d'Espesses,  avocat 
du  roi,  s'étaient  présentés  dans  la  salle  des  délibérations, 
pour  inviter  le  tiers  à  insérer  au  cahier  général  «  quel- 
ques articles  concernant  le  crime  de  lèse-majesté,  à  ce 
que,  ceux-ci  étant  connus,  l'on  prît  garde  à  ne  pas  se 
méprendre  et  tomber  en  semblable  faute  ».  Dans  l'assem- 
blée du  lendemain  matin,  le  tiers  refusa  net  l'insertion  de 
ces  articles,  «  d'aultant  que  ledit  cahier  ne  comprenoit 
que  les  plaintes  et  doléances  du  peuple  ».  Henri  III  eut 
beau  donner  aux  députés  l'ordre  formel  d'insérer  les 
articles,  en  invoquant  cet  argument  que  la  plupart  d'entre 
eux  avaient  déjà  figuré  au  cahier  général  des  derniers 
Etats  de  Blois;  il  eut  beau  employer  la  séduction  et  la 
menace,  le  tiers  état,  après  avoir  pris  l'avis  du  clergé  et 
de  la  noblesse,  décida,  dans  la  séance  du  3  janvier  i589, 
«  que  les  articles  du  crime  de  lèse-majesté  ne  seroient 
insérés  au  cahier  général,  mais  que  l'on  se  ti endroit  aux 


1.  C^est  rindication  donnée  par  Bernard.  Toutefois  le  procès-verbal  du 
tiers  état  porte  que  la  délégation  du  tiers  se  composait  seulement  de 
quatre  personnes,  à  savoir  MM.  de  La  Fosse,  Martin,  Descaffort,  Liberge. 


480  PARIS  ET   LA  LIGUE 

ordonnances  et  cousiumes  des  provinces  faites  pour  la 
punition  dudit  crime  ».  Il  refusa  aussi  d'entrer  en  confé- 
rence avec  MM.  du  Conseil  du  roi  sur  le  fait  des  finances 
et  sur  les  cahiers,  bien  que  le  roi  eût  réclamé  le  31  dé- 
cembre l'envoi  de  quatre  ou  six  députés,  par  l'intermé- 
diaire d^une  grande  ambassade  où  figuraient  le  cardinal 
de  Vendôme,  le  cardinal  de  Gondy,  le  maréchal  de  Retz, 
le  garde  des  sceaux  et  MM.  de  Rambouillet,  d'O,  de  Ris 
et  de  Petremol.  Bernard  avait  répondu  à  tous  ces  hauts 
personnages  en  déclarant  qu'il  ne  devait  pas  y  avoir  d'in- 
termédiaires entre  le  roi  et  les  Etats  généraux;  et  quant 
aux  subsides  que  demandait  la  cour,  il  était  difficile  de 
traiter  la  question  en  l'absence  des  hommes  les  plus  com- 
pétents. C'était  une  allusion  audacieuse  à  La  Chapelle- 
Marteau  et  au  président  de  Neuilly.  D'ailleurs,  l'orateur  du 
tiers  demanda  formellement  à  la  délégation  royale  «  d'in- 
tercéder vers  Sa  Majesté  pour  ses  confrères  détenus  et 
arrêtés  et  faire  en  sorte  qu'ils  fussent  conservés  et  remis 
en  liberté,  tant  en  leurs  personnes  qu'en  leur  renommée  ». 
On  ne  fit  que  rire  de  l'éloquence  emphatique  du  cardinal 
de  Vendôme,  qui  avait  pris  pour  texte  de  sa  harangue 
Hannibal  ad  portas. 

Tout  se  préparait  pour  le  départ,  et  les  députés,  dès  le 
29  décembre,  avaient  alloué  au  concierge  de  la  salle  une 
gratification  de  44  écus  et  une  autre  de  20  écus  pour  le 
salaire  du  greffier  et  de  ses  aides.  Le  4  janvier,  tout  le 
tiers  état  alla  prendre  le  clergé  à  l'église  des  Jacobins,  puis 
présenter  au  roi  le  cahier  général,  dont  la  minute  était 
signée  par  les  présidents  des  douze  provinces.  L'arche- 
vêque de  Bourges  parla  pour  le  clergé,  M.  de  Brissac  pour 
la  noblesse  et  Bernard  pour  le  tiers  état.  A  lire  le  discours 
de  Brissac,  il  serait  difficile  de  reconnaître  l'un  des  acteurs 
les  plus  fougueux  de  la  journée  des  Barricades,  l'ami 
intime  du  duc  de  Guise,  celui  que  le  roi  avait  fait  arrêter 


'  PARIS  A  BLOIS  481 

I 

eu  même  temps  que  les  députés  parisiens  et  n'avait  relâclié 
qu'à  grand'peine.  Rien  de  plus  incolore  et  de  plus  plat 
que  sa  harangue.  Celle  de  l'orateur  du  tiers  état  fut,  au 
contraire,  pleine  d'énergie  et  de  force.  Elle  traçait  un 
sombre  tableau  du  royaume  de  France  et  dénonçait  for- 
mellement les  concussionnaires.  <(  Il  est  temps,  dit-il  au 
roi,  de  con^primer  l'éponge  trop  remplie.  Le  secours 
sera  prompt  et  facile,  parce  que  les  deniers  ne  sont  hors 
du  royaume,  ni  en  Allemagne  ou  à  la  banque  de  Venise  : 
ils  sont  aux  cofires  de  quelques  particuliers  qui,  abusant 
de  vos  grâces  et  faveurs,  se  sont  enrichis  et  élevés  suc- 
cessivement. »  Il  pria  le  roi,  au  nom  du  tiers  état,  de  lui 
permettre  de  se  séparer  et  déclara  en  terminant  «  que  ses 
collègues  lui  avoient  donné  charge  expresse  de  supplier 
S.  M.  qu*en  continuant  sa  clémence  et  bonté  ordinaires,  il 
lui  plaise  mettre  en  liberté  ses  confrères  détenus  et 
arrêtés,  et  les  rendre  à  la  compagnie  du  tiers  état  entiers 
de  leurs  personnes  et  réputation  ».  Fort  embarrassé,  le 
roi  essaya  une  justification  timide  de  l'assassinat  du  duc 
de  Guise,  disant  «  que  quelques  choses  étoient  avenues  ces 
jours  passés  à  son  regret,  mais  que,  contre  son  naturel, 
il  avoit  esté  forcé  de  ce  faire  et  qu'il  n'y  avoit  aucun  de 
ses  sujets  hors  de  passion  qui,  mettant  la  main  à  la  con- 
science, ne  dit  que  ce  qui  a  été  .fait  l'a  été  justement,  et 
qu'il  ne  pouvait  faire  autrement  ».  Il  fallait  bien  répondre 
enfin  aux  prières  des  députés  tendant  à  l'élargissement  de 
La  Chapelle-Marteau  et  de  ses  collègues.  Henri  III  s'en  tira 
par  cette  déclaration  vague  :  «  Quant  aux  prisonniers,  je 
ne  puis,  pour  le  présent,  accorder  vos  requêtes,  mais  je 
ferai  toujours  paraître  ma  bonne  clémence.  »  C'était,  du 
moins,  la  vie  sauve  pour  les  captifs. 

La  tragi-comédie  des  États  de  Blois  était  terminée. 
Personne  n'y  avait  rien  gagné  •:  ni  la  Ligue,  qui  avait 
perdu  ses  deux  puissants  chefs,  ni  le  roi,  que  son  attentat 

ROBIQUBT.  31 


48â  PARIS  ET  LA  LIGUE 

avait  rendu  odieux  à  la  grande  majorité  de  la  nation. 
Le  14  janvier  1589,  le  lit  de  justice  de  clôture  s'ouvrit  à 
midi  dans  la  grande  salle  du  château.  On  entendit  encore 
deux  interminables  harangues  de  l'archevêque  de  Bourges 
et  du  comte  de  Brissac,  si  bien  que,  c<  la  nuit  approchant  », 
Bernard  dut  remettre  au  lendemain  le  discours  qui  résu- 
mait «  les  plaintes  et  doléances  du  tiers  état  ».  Il  s'en 
acquitta  fort  bien,  si  Ton  en  croit  son  témoignage.  Après 
quoi,  le  roi  permit  aux  députés  de  prendre  congé  et  fit  lire 
les  réponses  préparées  d'avance  à  certains  articles  des 
cahiers.  Les  députés  du  tiers  se  réunirent  une  dernière 
fois,  le  17  janvier,  à  huit  heures  du  matin.  Louis  Bourdin, 
député  de  Paris,  remercia  Bernard  de  ses  courageux 
efforts,  au  nom  de  la  députation  de  Paris  et  de  l'Ile-de- 
France.  Unis  dans  la  même  pensée  douloureuse,  les 
députés  nommèrent  encore  une  députation  pour  réclamer 
la  mise  en  liberté  du  prévôt  des  marchands  et  des  autres 
prisonniers,  pour  présenter  au  roi  les  articles  omis  ou 
altérés  dans  le  cahier  général  et  requérir  la  taxe  des 
députés.  Mais  le  roi  n'avait  garde  de  rendre  ses  otages. 
Bernard,  qui  avait  accepté  la  mission  «  de  porter  le  propos, 
quoiqu'il  f&t  périlleux  d'en  parler  davantage  »,  ne  craignit 
pas  cependant  d'aborder  Henri  au  sortir  de  la  messe  et  de 
lui  soumettre  sa  requête.  Le  roi  «  fit  réponse  qu'il  y  avi- 
seroit  et  que  c'étoit  une  affaire  d'État  où  il  vouloit 
penser  de  près  ».  Tristes  et  découragés,  les  députés  ren- 
trèrent dans  la  salle  des  délibérations  et  se  firent  leurs 
adieux,  «  avec  beaucoup  de  regret  des  choses  passées  et 
appréhension  des  périls  et  troubles  prochains;  plusieurs 
avoient  la  larme  à  l'œil  et  disoient  que  leur  séparation 
auguroit  que  la  France  s'en  alloit  séparée  ». 

En  effet,  il  y  avait  de  quoi  pleurer  sur  la  France.  La 
guerre  civile,  l'anarchie,  le  fanatisme,  tous  les  fléaux, 
tous  les  crimes  semblaient  se  conjurer  contre  elle.  Les 


PARIS  A  BLOIS  483 

astrologues  prédisaient  que  le  monde  allait  s'abimer  * .  En 
frappant  le  duc  de  Guise,  «  le  roi  de  Paris  »,  Henri  III 
avait  cru  décapiter  la  rébellion,  et  voilà  qu'à  un  chef  de 
grande  race,  non  moins  diplomate  que  général,  la  Ligue 
allait  substituer  le  furieux  élan  des  foules  et  la  féroce 
énergie  de  moines  sans  scrupules.  La  vieille  Catherine 
elle-même  n'était  plus  là  pour  amortir  les  haines.  Déjà 
malade,  au  moment  des  exécutions  des  23  et  24  décembre, 
l'émotion  de  l'assassinat  des  Guises  l'avait  achevée  (5  jan- 
vier 1589).  Cette  femme,  qui  avait  gouverné  la  France 
sous  quatre  rois  et  dont  les  yeux  impassibles  étaient  restés 
secs  devant  tant  d'horreurs  et  tant  de  crimes,  ne  put  sup- 
porter la  sénile  colère  et  les  apostrophes  indignées  du 
cardinal  de  Bourbon,  lui  aussi  prisonnier  du  roi.  D^ailleurs 
qu'eût-elle  pu  faire,  si  elle  avait  survécu?  Malgré  les  vrai- 
semblances, le  peuple,  surtout  celui  de  Paris,  Taccusait 
«  d'avoir  donné  consentement  et  occasion  à  la  mort  des 
deux  princes  lorrains.  Et  disoient  les  Seize  que  si  on  ap- 
portoit  le  corps  à  Paris,  pour  l'aller  enterrer  à  Saint-Denis, 
au  sépulcre  magnifique  que,  de  son  vivant,  elle  avoit  basti 
à  elle  et  au  feu  roy  Henri  son  mari,  qu'ils  le  traîneroient 
à  la  voirie  ou  le  jetteroient  dans  la  rivière  ".  »  Vivante, 
celle  qu^hier  encore  on  appelait  la  «  Junon  de  la  Cour  » 
n'eût  pas  reçu  de  la  capitale  un  meilleur  accueil,  et  elle  se 
serait  vainement  efforcée  de  réconcilier  Paris  et  le  roi... 

Henri  III  avait  dit  :  «  Morte  la  bête,  mort  le  venin  », 
mais,  conune  dit  Pasquier,  la  queue  de  labète  était  longue. 
Laissé  sans  argent  par  les  États,  qui,  deux  jours  avant  de 
se  séparer,  lui  avaient  intordit  même  d'aliéner  les  biens 

1.  Voy.  Palma-Gatbt,  Introil.  à  la  chronoL  novenaire,  Pasquibr  (livre  XH], 
lettre  VI)  cite  les  vers  de  Nostre-Dame  (dans  ses  centuries  de  1553)  : 

Paris  conjure  un  grand  meurtre  commettr*'  : 
bloys  lui  fera  sortir  son  plein  effect. 

2.  L'EsTOiLB,  t.  m,  p.  233. 


484  PARIS  ET  LA  LIGUE 

du  domaine,  il  était  aussi  presque  saas  soldats.  A  la  suite 
de  Tassassinat  des  Guises,  Tarmée  du  duc  de  Nevcrs 
s'était  débandée,  ne  voulant  plus  servir  l'assassin,  et  le 
général  était  revenu  seul  à  la  cour.  Orléans  avait  forcé  le 
maréchal  d'Aumont  d'évacuer  la  place.  Charles  VII  un 
moment  avait  été  le  roi  de  Bourges;  Henri  III  n'était  plus 
que  le  roi  de  Blois.  Il  allait  se  diminuer  encore  en  se  fai- 
sant le  geôlier  du  prévôt  des  marchands,  de  Tarchevêque 
de  Lyon,  du  prince  de  Joinville  et  du  duc  d'Elbœuf,  dont 
la  captivité  gênait  Taudace  de  la  rébellion  ligueuse. 

Si  maintenant  on  jette  un  coup  d'œil  en  arrière  pour 
résumer  le  rôle  des  députés  parisiens  aux  Etats  géné- 
raux de  Blois,  on  arrive  à  cette  conclusion  qu'ils  ne  brillè- 
rent ni  par  leur  éloquence,  ni  par  leurs  lumières,  ni  par 
leur  énergie.  Président  élu  du  tiers  état,  chargé  de  le 
diriger  par  une  tradition  séculaire,  le  prévôt  des  mar- 
chands, La  Chapelle-Marteau,  ne  fut  qu'un  médiocre  auxi- 
liaire de  l'ambition  des  Guises.  On  chercherait  vainement 
dans  ce  personnage  effacé  l'étoffe  et  les  grandes  vues  d'un 
successeur  de  Marcel.  Le  président  de  Neuilly,  Jean  de 
Compans,  Nicolas  Auroux,  Louis  Bourdin,  Louis  d'Or- 
léans, ses  collègues  de  la  députation  parisienne,  pour  le 
'tiers  état,  pâlissent  comme  lui  à  côté  de  la  grande  victime 
du  drame  de  Blois.  Les  députés  de  la  noblesse  et  du 
clergé,  pour  la  Ville,  prévôté  et  vicomte  de  Paris,  font 
encore  plus  mince  figure  dans  la  lutte  contre  Henri  III; 
on  ne  trouve  aucune  trace  de  leur  action  dans  le  procès- 
verbal  des  États.  Un  seul  honmie,  en  dehors  des  princes, 
montre  quelque  initiative  et  dépasse  de  la  tète  tous  les 
agents  de  la  ligue;  c'est  Etienne  Bernard,  député  de 
Dijon.  Par  son  honnêteté,  son  courage,  son  éloquence,  il 
réussit  un  moment  à  intimider  le  roi,  qui  le  ménage  et 
le  respecte.  C'est  Bernard  qui  ose,  après  l'assassinat  des 
Guises,  refuser,  au  nom  du  tiers,  d'entrer  en  délibération 


PARIS  A  BLOIS  485 

avec  le  Conseil  «  sur  le  fait  des  finances  »,  et  réclame  à 
plusieurs  reprises  la  mise  en  liberté  des  députés  parisiens. 
Il  eût  mérité  de  présider  le  tiers  état  et  de  tenir  la  placé 
du  prévôt  des  marchands.  Quant  à  La  Chapelle-Marteau, 
il  n'apporta,  dans  ces  circonstances  tragiques,  qu'un  petit 
esprit  et  de  petits  moyens  ;  alors  qu'il  aurait  pu  parler  au 
nom  d'un  grand  peuple  et  s'ériger  en  redresseur  des  abus 
criants'  de  la  monarchie  des  Valois,  il  ne  fut  que  le  plat 
valet  des  Guises  et  l'une  des  causes  de  leur  fin  sanglante  par 
ses  basses  adulations,  par  ses  conseils  provocateurs.  Il 
n'eut  ni  la  grandeur  du  vaincu,  ni  l'audace  du  roi  meur- 
trier. Ayant  pu  être  un  tribun  ou  un  réformateur,  il  ne  fut 
qu'un  comparse,  un  otage  vulgaire  auquel  on  laissa  la  vie, 
par  dédain. 

Désormais  l'intérêt  n'est  plus  à  Blois,  mais  à  Paris,  où 
la  Ligue  va  installer  le  quartier  général  de  l'insurrection. 
Certes,  ce  n'est  pas  uniquement  la  municipalité  parisienne 
qui  se  chargera  à  elle  seule  d'organiser  la  résistance;  mais, 
à  côté  des  prédicateurs,  à  côté  de  l'ambassadeur  d'Espagne 
Mendoza,  elle  jouera  néanmoins  un  rôle  considérable  dans 
los  préparatifs  de  la  lutte.  Tout  en  gardant  prisonnier  le 
prévôt  des  marchands,  Henri  III  commit  une  grande  im- 
prudence. Pour  essayer  de  se  concilier  les  Parisiens,  il 
leur  renvoya,  vers  la  fin  de  décembre,  les  échevins  Com- 
pans  et  Costeblancbe,  qui  avaient  d'abord  été  arrêtés,  et  il  se 
contenta  de  leur  faire  jurer  de  servir  ses  desseins.  C'était 
Claude  Marcel  (l'ancien  prévôt  des  marchands  de  1570, 
dont  nous  avons  dit  les  états  de  service  lors  de  la  Saint- 
Barthélémy),  c'était  Claude  Marcel  qui  avait  reçu  du  roi  la 
mission  de  reconduire  les  échevins  mis  en  liberté  et  de 
ménager  une  transaction  avec  l'Hôtel  de  Ville.  Compans 
et  Costeblancbe  oublièrent  de  suite  leurs  serments,  et  les 
confesseurs  de  la  Ligue  ne  manquèrent  pas  de  les  en  dé- 
lier. Quant  à  Marcel,  il  perdit  toute  son  influence  en  deve- 


486  PARIS  ET  LA   LIGUE 

nant  rhomme  du  roi  :  mais  ce  qui  prouve  bien  que  le  soulè- 
vement de  Paris  ne  fut  pas  immédiat,  c'est  que  les  meneurs 
ne  repoussèrent  pas  violemment  les  ouvertures  du  souve- 
rain et  députèrent  à  Blois  Pierre  le  Maître,  président  aux 
enquêtes,  afin  d'amuser  le  roi  et  de  surveiller  ses  actes. 

Il  faut  se  transporter  maintenant  dans  la  capitale  pour 
voir  à  l'œuvre  les  meneurs  de  la  Ligue,  moines,  princes, 
bourgeois,  agents  de  l'Espagne  ou  du  pape,  et  suivre  de 
près  l'organisation  et  les  péripéties  de  la  lutte  suprême 
contre  le  dernier  des  Valois. 


CHAPITRE  VII 


PARIS    RÉGICIDE 

(Depuis  raisastinat  des  Oolses  jusqu'à  TassaBsinat  du  Roi. 
23  décembre  1588  —  2  août  1589.) 


Le  duc  de  Guise  avait  été  assassiné  dans  la  matinée  du 
23  décembre  1588.  Dès  le  24  au  soir,  la  fatale  nouvelle 
était  apportée  à  Paris,  mais  pas  par  les  courriers  de 
Henri  III,  bien  que  le  roi  eût  pris  des  mesures  pour  avertir 
immédiatement  les  fonctionnaires  dévoués  qu'il  comptait 
dans  les  principales  villes.  En  cette  circonstance,  la  haine 
fut  plus  diligente  que  le  zèle  officiel,  et  les  chefs  de  la 
Ligue  apprirent  le  drame  de  Blois  avant  les  autorités 
régulières  de  la  capitale  ^  Ils  profitèrent  de  cette  avance 
pour  organiser  sans  délai  Tinsurrection,  mirent  sur  pied 
les  dizaines,  déployèrent  «  leurs  vieux  drapeaux  et  commen- 
cèrent à  crier  Au  meurtre I  au  feu!  au  sang!  et  à  la  ven- 
geance '  )).  On  se  saisit  de  toutes  les  portes  et  des  positions 
stratégiques  de  la  Ville;  un  émissaire  fut  dépêché  immé- 
diatement au  duc  d'Aumale,  qui  faisait  ses  dévotions  au 
couvent  des  Chartreux,  pour  le  prier  de  rentrer  dans  Paris  ; 
enfin.  Ton  mit  garnison  chez  les  principaux  membres  du 
parti  royaliste  '.  Dans  la  nuit  du  24  au  25,  les  ligueurs  de 

i.  Palkà-Gatbt,  Chron,  nov.,  livre  I«».  De  Thou,  t.  X,  p.  481.  Pasquier, 
Lettres,  livre  XIII,  lettre  IX. 

2.  L'EsTOiLB,  t.  III,  p.  202. 

3.  Palma-Gaybt  dit  que  les  partisans  du  roi  étaient  appelés  •'politiques 


488  PARIS  ET  LA   LIGUE 

marque  tinrent  conseil  chez  le  duc  d'Aumale  et  prirent  la 
résolution  de  s'emparer  de  la  capitale,  sauf  à  s'inspirer 
ensuite  des  circonstances  ^  Il  ne  parait  pas  que  les  roya- 
listes aient  essayé  de  résister  sérieusement.  Prévenus  plus 
lard  que  les  ligueurs,  ils  perdirent  encore  du  temps  à  se 
consulter,  tandis  que  leurs  adversaires  descendaient  dans 
la  rue  *.  L'Estoile  affirme,  un  peu  légèrement  peut-être, 
que  les  royalistes,  «  mesme  les  premiers  de  la  justice  », 
eussent  été  les  plus  forts,  s'ils  s'étaient  décidés  à  agir;  mais 
ils  se  laissèrent  intimider  et  montrèrent  leurs  craintes,  si 
bien  que  les  mutins,  »  voians  qu  ils  avoient  peur  d'eux, 
leur  sautèrent  au  colet  et,  aians  pris  les  armes  pendant 
qu'ils  consultoient,  ce  qui  dévoient  avoir  jà  fait,  frappè- 
rent les  premiers  et  par  ce  moien  obtinrent  l'avantage  et 
la  victoire,  laquelle,  en  toutes  révoltes  et  séditions  popu- 
laires, demeure  à  ceux  qui  entreprennent  les  premiers  ». 

Ainsi  maîtres  de  Paris  sans  combat,  les  membres  du 
conseil  de  la  Ligue  (qui  avaient  à  leur  dévotion  Roland 
et  Desprez,  les  seuls  magistrats  municipaux  restés  en  fonc- 
tion à  l'Hôtel  de  Ville  depuis  l'arrestation  de  La  Chapelle- 
Marteau,  Gompans  et  Costeblanche)  employèrent  la  nuit 
du  24  décembre  à  rédiger,  sous  le  nom  de  la  Ville,  des 
lettres  et  circulaires  à  différentes  cités  et  à  plusieurs  grands 
personnages  qu'il  était  important  de  se  concilier. 

Une  formule  collective  parait  d*abord  avoir  été  arrêtée 
pour  informer  les  villes  fidèles  à  l'Union  de  l'assassinat 
du  duc  de  Guise  et  les  grouper  autour  de  la  capitale.  G'est 
la  circulaire  intitulée  «  A  plusieurs  villes  '  »  ;  mais  d'autres 

et  ont  esté  appelez  depuis  catholiques  royaux,  à  différence  des  catholi- 
ques liguez,  qui  se  qualinèrent  du  tiltre  de  catholiques  unis  ou  de  rUnion  ». 
L'EsToiLB  emploie  également  les  expressions  de  royaux  et  de  politiques. 

1.  Db  Trou.  Ibid, 

2.  «  Soudain  qu'ils  eurent  advis  ^e  la  mort  des  deux  frères,  la  révolte 
fut  générale...  »  Pasquikh. 

3.  Nouj  croyons  inutile  d'en  reproduire  le  texte,  d'autant  qu'il  a  été 
imprimé   dans   les  Preuves   de  Féubien,  t.  V,  p.  449,  et  réimprimé  par 


PARIS  RÉGICIDE  489 

lettres  furent  adressées  par  des  émissaires  spéciaux  à 
quelques  cités  importantes  ',  ou  à  des  princes  du  parti 
catholique.  Le  duc  de  Lorraine,  par  exemple,  fut  honoré 
d'une  communication  datée  du  24  décembre  à  minuit  ^ 
Dans  cette  nuit  terrible  du  24  au  25,  la  stupeur  fut  indici- 
ble. De  Thou  affirme  que  personne  ne  dormit;  les  prédica- 
teurs eux-mêmes  étaient  si  étourdis  du  coup  qui  venait  de 
frapper  la  faction,  qu'ils  ne  semblaient  pas  songer  à  la  ven- 
geance ;  les  politiques  se  demandaient  avec  angoisse  com- 
ment le  roi  allait  faire  face  au  prochain  réveil  de  la  colère 
publique.  Ce  calme,  précurseur  des  tempêtes,  dura  encore 
pendant  la  matinée  du  25,  jour  de  Noël;  toute  la  popula- 
tion était  rassemblée  dans  les  églises.  Mais,  dans  l'après- 
midi,  les  prédicateurs  commencèrent  à  déclamer  contre 
les  assassins  du  chef  de   la  Ligue  ^,  et  les  meneurs  du 


H.  Mabtin,  t.  X,  p.  118.  Toute  la  circulaire  se  résume,  d'ailleurs,  dans  les 
phrases  suivantes  :  «  Nous  travaillons  icy'tant  que  nous  pouvons;  nou& 
nous  assurons  que  vous  ne  ferez  pas  moins  de  vostre  côté.  G*est  à  cette 
fois  ou  jamais  qu'il  se  faut  aider...  Autrement  nos  ennemis  sont  au-dessus 
de  leurs  afTaires.  n  Rbo.  H,  1789,  fo  212. 

1.  C'est  ainsi  que  les  échevins  de  Paris  écrivirent  à  «  Messieurs  Iqs  colo- 
nels de  la  ville  de  Rhodez  »  une  lettre  qui  débute  ainsi  :  «  Vous  avez 
entendu  la  tragédie  jouée  à  Blois,  tant  contre  les  députez  de  tout  ce 
royaume  que  particulièrement  à  rencontre  de  ceux  qui  se  seroient  opposez 
vaillamment  aux  perturbateurs  de  cet  Estât...  »  Reg.  U,  1789,  f°  214. 
Félib.,  Preuves,  t.  V,  p.  449. 
.  2.  Voici  cette  lettre,  qui  a  son  intérêt.  (Cf.  Félib.,  P/*.,  t.  V,  p.  449.) 

H  MoNSBiGXEun.  Vous  entendrez  par  la  despéche  de  monseigneur  d'Au- 
male  le  mallieureux  acte  commis  en  la  personne  de  monseigneur  de  Guise, 
ainsi  que  nous  l'avons  entendu  par  deux  courriers  présentement  arrivez. 
Cette  nouvelle  nous  a  réduits  en  telle  perplexité  et  affliction  que  nous  ne 
vous  en  pouvons  rien  représenter,  mais  que  nous  connoissons  qu'il  ira  de 
la  perte  ou  conservation  de  nostre  religion  et  de  tout  ce  qui  nous  est  de 
plus  cher  en  ce  monde.  Nous  aurons  recours  à  Dieu  et  à  tout  ce  qu'il 
nous  a  donné  de  meilleur,  pour  de  tout  nostre  cœur  embrasser  sa  querelle 
et  la  nostre.  En  telle  querelle,  sa  divine  bonté  nous  a  toujours  assistez  des 
princes  de  vostre  nom.  Nous  nous  assurons,  de  vostre  costc;  de  nous 
aussi  il  vous  plaira  faire  estât.  De  Paris,  le  24  décembre,  à  minuit,  1588.  w 
Reg.  /6irf.,  f»  1. 

3.  Ce  fait  est  attesté  nettement  par  Palua-Cayet  :  «  Les  prédicateurs  de  la 
faction  des  Seize,  en  leurs  prédications  qu'ils  firent  le  jour  de  Noél,  incitèrent 
tellement  le  peuple  à  la  rébellion  que,  dez  le  lendemain,  contre  le  gré  de 
messieurs  de  la  Cour  de  Parlement,  en  une  assemblée  qu'ils  firent  en  l'Hos- 
tel  de  Ville,  ils  esleurent  M.  d'Aumalle  pour  gouverneur  de  Paris...  »  Chron, 


490  PARIS  ET  LA  LIGUE 

parti,  se  voyant  absolument  maîtres  de  la  situation,  réso- 
lurent de  se  mettre  en  état  de  rébellion  ouverte.  Le  len- 
demain après  les  vêpres,  ils  assemblèrent  leurs  partisans 
à  THôtel  de  Ville  et  forcèrent  le  premier  président  de 
Harlay  et  le  président  Augustin  de  Thou  ^  à  se  rendre  à 
la  séance.  Toute  discussion  sérieuse  paraissait  impossible, 
tellement  étaient  bruyantes  les  vociférations  des  factieux , 
qui  cherchaient  évidemment  à  provoquer  les  magistrats 
et  à  faire  naître  l'occasion  de  les  mettre  en  pièces.  Cepen- 
dant l'échevin  Jean  Roland,  dont  la  réputation  de  violence 
était  bien  établie  et  qui^  peu  de  temps  auparavant,  avait 
été  arrêté  avec  Pierre  Belloy  par  ordre  de  Henri  III,  Jean 
Roland  fit  signe  qu'il  voulait  parler  et  réussit  à  obtenir 
le  silence.  Il  en  profita  pour  prononcer  une  harangue  dont 
le  but  était  d'exhorter  les  assistants  à  s'unir  pour  la 
défense  de  la  religion  et  de  la  liberté,  et  à  ne  faire  qu'un 
seul  corps  sous  la  main  d'un  chef  digne  d'assumer  une 
tâche  aussi  importante.  Il  conclut  en  proposant  de  nom- 
mer le  duc  d'Aumale  gouverneur  de  Paris.  Cette  motion 
fut  accueillie  avec  un  vif  enthousiasme;  le  peuple,  qui 
avait  forcé  les  portes  de  l'Hôtel  de  Ville,  poussait  d'étour- 
dissantes clameurs,  et,  conmie  il  faut  des  jouets  san- 
glants à  ces  foules  déchaînées,  quelques  fanatiques  por- 
taient déjà  la  main  sur  les  deux  magistrats  quand  l'inter- 
vention du  duc  d'Aumale  les  sauva. 

Les  Seize,  qui  venaient  de  faire  nonMner  un  gouverneur 
de  Paris,   usurpant  ainsi  sur   les   prérogatives    du    roi, 

nôv.,  chap.  I**".  Les  prédicateurs  n^attendirent  donc  pas  le  29  décembre 
pour  rompre  le  silence,  comme  le  dit  M.  Gh.  Labittb,  De  la  démocratie 
chez  les  prédicateurs  de  la  Ligue,  p.  43. 

1.  Oncle  de  Thistorien  Jacques-Auguste  de  Thou,  qui  a  donné  un  drama- 
tique récit  des  insistances  faites  auprès  des  deux  magistrats  parleurs  amis 
pour  les  décider  à  ne  pas  se  rendre  à  THôtel-de-Ville,  où  l'on  pensait  qu'ils 
trouveraient  la  mort.  C'est  le  président  de  Thou  qui  conseilla  au  premier 
président  de  répondre,  «omme  lui-même,  à  la  convocation  menaçante  des 
ligueurs,  en  disant  qu'ils  ne  trouveraient  jamais  l'occasion  de  mourir 
plus  glorieusement.  De  Thoi*,  t.  X,  p.  488. 


PARIS  RÉGICIDE  49i 

commirent  une  seconde  illégalité  en  reconstituant  la  mu- 
nicipalité parisienne  par  des  élections  non  moins  irrégu- 
liëres  que  les  précédentes.  Une  autre  assemblée  générale  * 
nomma  les  sieurs  Drouart,  avocat,  Crucé,  le  fameux  pro- 
cureur au  Chàtelet,  et  de  Bordeaux,  marchand,  pour 
tenir  la  place  du  prévôt  des  marchands  La  Chapelle-Mar- 
teau, et  des  eschevins  Compans  et  Costeblanche,  qui  étaient 
les  prisonniers  du  roi  *.  L'Hôtel  de  Ville  affirma  immé- 
diatement sa  résurrection  en  adressant  force  mandements 
aux  officiers  municipaux  et  en  se  plaçant  humblement 
sous  l'autorité  des  Seize  et  du  duc  d'Aumale  ',  entre  les 
mains  duquel  les  nouveaux  élus  prêtèrent  serment.  Dès 
la  date  du  28  décembre,  on  trouve  d'ailleurs  dans  les 
Registres  de  la  Ville  des  ordres  qui  portent  cette  formule  : 
«  De  par  monseigneur  le  duc  d^Aumalle^  gouverneur  de 
ceste  ville  de  Paris^  et  les  Prévost  des  nxarchans  et  Esche- 
vins  de  ladicte  Ville.  »  Ainsi  s'opère  la  fusion,  jusque-là 
inconnue,  de  l'exécutif  et  du  délibérant.  L'Hôtel  de  Ville 
n'est  plus  qu'un  organe  du  gouverneur  de  Paris,  agent 
lui-même  des  conseils  occultes  de  la  Ligue. 

Certes,  il  est  difficile  de  donner  une  idée  nette  et  pré- 
cise du  nouveau  pouvoir  qui  va  dominer  Paris,  par  cela 

1.  Cette  assemblée  générale  se  tint  le  5  janvier  1589.  Les  Registres  cons- 
tatent que  les  nouveaux  élus  «  vacqueront  aux  affaires  de  la  Ville  pendant 
la  détention  du  prévost  des  marchands  et  deux  échevins  »,  mais  qu'ils 
n'auront  pas  qualité  d'échevins  et  ne  porteront  robbes  de  livrée.  FtuB.,  Pr,, 
t.  V,  p.  452.  Les  mandements  de  convocation,  datés  du  4  janvier,  convo- 
quent les  quartiniers  «  pour  eslire  et  commettre  un  prévôt  des  marchands 
et  deux  eschevins  pendant  la  rétention  de  ceulx  qui  sont  absents  jusques 
h  leur  retour  ».  Rbo.  H,  1789,  f»  229. 

2.  Palma-Gatbt,  Chron,  nov,^  chap.  I.  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant. 
Celte  source  présente  une  autorité  spéciale  pour  la  période  qui  nous 
occupe,  surtout  si,  comme  on  l'a  souvent  prétendu,  le  dialogue  a  pour 
auteur  Téchevin  Roland.  Cf.  Preuves  de  la  Satyre  Ménippée,  t.  111,  p.  367, 
édit.  de  Ratisbonne  de  1752. 

3.  Dès  le  26  décembre,  un  mandement  du  Bureau  de  la  Ville,  signé  le 
Prévost  des  marchands  et  Eschevins  de  la  Ville  de  Paris ^  invite  les  conseillers 
de  la  Ville  à  se  rendre  le  lendemain  &  la  maison  commune  pour  désigner 
une  délégation  chargée  «  d*assister  au  Conseil  qui  se  tiendra  près  la  per- 
sonne de  monseigneur  le  duc  d^Âumale  ».  Rbo.  H,  1789,  f»  214. 


49â  PARIS  ET  LA  LIGUE 

même  que  le  mécanisme  en  est  modifié  à  toute  heure  par 
les  circonstances.  «  Tout  le  bâtiment  des  Seize,  dit  Tauteur 
anonyme  du  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant j  a  res- 
semblé à  l'entreprise  de  la  Tour  de  Babel.  »  Ce  n'est  guère 
qu'en  suivant  l'ordre  chronologique  qu'on  peut  atteindre, 
h  cet  égard,  la  vérité  historique.  Déjà,  nous  avons  essayé 
de  retracer  la  genèse,  pour  ainsi  dire,  de  ce  fameux  comité 
des  Seize  *,  qui  au  fond  a  toujours  compris  plusieurs  comi- 
tés. Les  événements  de  Blois  lui  firent  subir  une  transfor- 
mation nouvelle.  Aussitôt  après  la  nomination  du  duc 
d'Aumale  en  qualité  de  gouverneur  de  Paris  et  la  recons- 
titution de  la  municipalité  parisienne,  les  meneurs  du  parti 
«  firent  élire  par  le  peuple  '  un  Conseil  général  de  r  Union 
des  catholiques,  composé  des  trois  Estats,  gens  de  bien  et 
de  créance  ^  ».  Ce  Conseil  général  ne  s'attribuait  pas  une 
moins  haute  mission  que  celle  «  d'ordonner  des  affaires 
do  l'État  et  recevoir  en  conférence  toutes  les  provinces  et 
villes  catholiques,  les  députés  desquelles  avoient  séance 
et  voix  délibérative  audit  Conseil  ».  Un  de  ses  premiers 
soins  fut  de  décerner  au  duc  de  Mayenne,  alors  en  Bour- 
gogne, le  titre  de  lieutenant  général  de  l'État  et  couronne 
de  France.  Mais  la  composition  du  Conseil  général  de 
rUnion  ne  semble  pas  avoir  été  définitivement  fixée  avant 
l'arrivée  de  Mayenne  à  Paris;  et  cette  arrivée  n'eut  lieu 
que  le  12  février  1589.  Jusque-là,  l'administration  de  Paris 
parait  avoir  été  confiée  aux  échevins,  titulaires  et  provi- 
soires, auxquels  le  duc  d'Aumale  adjoignait  quatre  ou  six 
conseillers  de  Ville,  désignés  chaque  semaine  *. 

1.  «  On  dit  qae  les  Seze,  des  plus  séditieux  de  Paris,  geDs  de  basse  con- 
<UtioD,  y  ont  empiété  toute  authorité  et  puissance,  que  Ton  appelle  le 
Conseil  de  Seze.  C'est  une  vraye  anarchie...  »  Pasqviei,  Lettres,  livre  XIII, 
1.  IX,  p.  319. 

2.  11  va  sans  dire  que  cette  élection  par  le  peuple  fut  absolument  fic- 
tive, et  que  les  membres  du  Conseil  général  de  l'Union  n'étaient  que  les 
•créatures  des  comités  insurrectionnels. 

:).  Dialogue,  etc.,  p.  453. 

4.  C'est  ce  qui  résulte  d'un  procès- verbal  tiré  des  Registres  et  qui  porte 


PARIS  RÉGICIDE  WA 

La  force  principale  •  de  rorganisaiion  nouvelle  résidai! 
d'ailleurs  dans  les  comités  de  quartiers.  «  Au  mesme 
temps,  Ton  establit  des  conseils  particuliers  en  chacun  des 
seize  quartiers,  composés  chacun  de  /2^<//*  personnes  nota- 
bles, esleues  par  chacun  quartier,  en  intention  de  veiller 
chacun  en  son  quartier  sur  tout  ce  qui  s  y  faisoit,  et  en 
advertir  le  prince  et  les  magistratz  pour  y  donner  ordre 
selon  les  occurrences.  Quand  le  Conseil  général  fut  establi, 
les  Seize,  de  jour  à  autre,  rapportaient  Testât  de  la  ville  et 
des  provinces  de  la  Ligue,  desquelles  ils  avoient  advertis- 
sèment  par  la  praticque  qu'ils  avoient  observée  auparavant 
les  Barricades  ^  »  Ainsi  :  un  gouverneur  de  Paris,  le  duc 
d'Aumale,  un  Conseil  général  sur  le  papier,  un  Bureau  de 
la  Ville,  complété  par  une  adjonction  de  quatre  ou  six 
conseillers  de  Ville  qu'un  roulement  renouvelait  chaque 
semaine,  seize  quartiniers  et  seize  comités  de  neuf  mem- 
bres, telle  était  la  composition  du  gouvernement  insurrec- 

la  date  du  27  décembre  1588  :  u  ....  A  été  advisé  el  condud  que  l'on  lais- 
sera en  la  liberté  de  monseigneur  le  duc  d'Aumalle,  gouverneur  de  ladite 
Tille,  et  desdictz  sieurs  eschevins,  de  appeller  par  chacune  huitaine  quatre 
ou  six  desdictz  sieurs  conseillers,  qui  se  rendront  assiduz  pour  assister 
au  Conseil  de  ladite  ville,  selon  qu*ilz  adviseront.  »  Rbg.  H,  1189,  ^  213. 
Le  Bureau  de  la  Ville,  ainsi  complété,  était  un  rouage  nouveau  que  le 
procès-verbal  du  16  février  1589  qualifie  de  «  Conseil  particulier  de  la 
Ville  ». 

1.  Dialogue f  etc.  Db  Thou  écrit  de  son  côté  :  «  Après  s'être  donné  un 
gouverneur  &  leur  dévotion,  ils  avoient  mis  à  la  tète  des  seize  quartiers  de 
Paris  seize  personnes  tirées  de  la  lie  du  peuple,  tous  gens  ruinés  ou 
qui  avoient  sujet  d'appréhender  la  rigueur  de  la  justice.  C'étoient  les  Seize 
qui  étoient  chargés  de  sonder  les  dispositions  des  bourgeois  de  cette  ca- 
pitale. »  T.  X,  p.  511.  Nous  croyons  que  la  version  du  dialogue  et  celle  de 
l'historien  de  Thou  peuvent  aisément  se  concilier.  Chaque  quartier  avait 
un  comité,  et  le  chef  de  ce  comité  était,  à  coup  sûr,  le  quartinier  établi  par 
la  Ligue.  La  délibération  du  18  février,  sur  laquelle  nous  reviendrons,  fait 
une  allusion  formelle  «  au  conseil  establi  en  chacun  des  seize  quartiers  »,. 
et,  d'autre  part,  elle  se  termine  par  un  mandement  «  aux  quarieniers  de 
se  trouver  au  bailliage  du  palais  avec  les  colonels,  capitaines,  lieutenans, 
enseignes,  cinquanteniers  et  dizeniers....  »  Félibibn,  Pr.,  t.  V,  p.  457.  Le 
dialogue  lui-même  rapporte  d'ailleurs  tous  les  noms  des  Seize  :  «  Le  pre- 
mier desquels  est  de  La  Bruyère,  en  après  Crucé,  et  puis  suivent  Bussy  Le 
Clerc,  le  commissaire  Louchart,  de  la  Morlière,  Senaull,  le  commissaire 
de  Bart,  Drouart,  avocat,  Alvequin,  Emonnot,  Jablier,  Messier,  Pasî^art, 
colonel,  Oudineau,  Le  Tellier  et  Morin,  procureur  au  Chastelet.  » 


494  PARIS  ET  LA  LIGUE 

tionnel  avant  TaiTivée  de  Mayenne.  Voyons  maintenant 
ses  moyens  et  ses  actes,  dans  cette  sorte  d'interrègne 
démocratique  qui  laisse  le  champ  libre  aux  couches  infé- 
rieures de  la  faction  cléricale. 

A  en  juger  par  les  textes,  la  municipalité  ligueuse,  à  la 
tin  de  1588  et  au  commencement  de  1589,  a  déployé  une 
activité  extraordinaire.  Son  premier  soin  fut  d'emprisonner 
les  royalistes  fidèles  «  sans  aucune  distinction  de  sexe  ny 
d'aage  ^  ».  Ce  n'était  pas  un  simple  système  de  vexation; 
c'était  ai)ssi  une  façon  ingénieuse  de  se  procurer  de 
l'argent.  L'Estoile  dit  que  le  duc  d'Aumale  «  commença 
la  guerre  par  les  bourses  '  »,  celles  des  amis  comme  celles 
des  ennemis,  car  le  chroniqueur  ajoute  qu'on  adressa 
«  mandement  aux  curés  des  paroisses  de  la  ville  et  des 
fauxbourgs  de  lever  de  chacun  de  leurs  paroissiens  le 
plus  de  deniers  qu'ils  pourroient  pour  les  affaires  de  la 
guerre  et  défense  de  la  ville  ».  Dans  une  assemblée 
générale  tenue  le  31  décembre  en  la  grande  salle  de 
l'Hôtel  de  Ville  et  présidée  par  l'échevin  Roland  ',  il  fut 
reconnu  «   qu'il  estoit  requis  et  nécessaire  faire  quelque 

1.  Palma-Gatbt,  Ibid. 

2.  «  U  commença  la  guerre  par  les  bourses,  envoiaat  fouiller  les  maisons 
des  roiaux  et  politiques  par  les  Seize  (comme  fust  la  mienne,  la  première 
du  quartier,  fouillée  par  maistre  Pierre  Senault  et  La  Rue,  mercredi  28*  de 
ce  mois,  jour  des  Innocens)  et  tout  plain  d'autres,  emprisonnés  pour  avoir 
de  l'argent.  »  T.  in,  p.  203.  Pasquibe  écrit  à  son  fils  :  «  On  fait  très  bon 
marché  des  bourses,  spécialement  de  celle  des  absents;  cela  s'appelle 
cinq  ou  six  cens  escus  pour  le  moins,  pour  subvenir  aux  affaires  de  la 
Saincte  Union  qu'il  faut  que  nos  femmes  trouvent,  sur  peine  d'espouser 
une  prison.  »  Livre  XIII,  lettre  IX,  p.  379. 

3.  Les  convocations  étaient  adressées  aux  u  députez  des  courts  souve- 
raines, corps,  collèges,  chappelles,  communaultez  ecclésiastiques,  quarteniers 
et  huit  notables  bourgeois  de  chacun  quartier  d'icelle  ville,  encore  esmeue 
et  troublée  &  l'occasion  des  meurtres  et  emprisonnement  des  princes, 
seigneurs  et  bourgeois  tant  de  ladite  ville  que  aultres  de  ce  royaume, 
mesmes  du  pré  vos  t  des  marchans  et  deux  eschevins  de  ladite  Ville,  dé- 
putez en  l'assemblée  généraUe  des  Estatz  de  ce  royaume  convocqnez  en  la 
ville  de  Blois...  »  Reo.  H,  1789,  fo  219.  Il  est  assez  curieux  de  remarquer 
({ue  les  bourgeois  notables  ne  répondirent  pas  avec  empressement  à  la 
convocation  de  la  municipalité  ligueuse.  Sur  les  128  mandés,  il  n'en  vint 
que  35! 


PARIS   RÉGICIDE  495 

fondz  notable  de  denyers  d'entrée,  et  puis  après  contribuer 
quelque  médiocre  somme  par  mois,  tant  que  la  nécessité 
durera  ».  L'affectation  à  donner  aux  fonds  ainsi  demandés 
aux  Parisiens  devait  être  double  :  ils  serviraient  à  solder 
les  gens  de  guerre  «  levés  pour  la  manutention  de  la  reli- 
gion catholique,  apostolique  et  romaine  »  et,  en  outre,  à 
ouvrir  des  ateliers  municipaux,  destinés  au  «  menu  peuple, 
lequel  demeurant  oyseux  et  en  nécessité,  pourroit  s'esmou- 
voir  et  se  mutiner  ».  Roland,  dans  son  discours,  propose 
d'employer  tous  ces  pauvres  gens  à  la  réparation  des 
fortifications  et  autres  travaux  d'édilité  *.  Quant  aux 
moyens  de  se  procurer  des  ressources,  ils  seront  d'une 
grande  simplicité.  On  fera  une  «  levée  généralle  sur  tous 
les  bourgeois,  manans  et  habitans  de  la  ville  »,  et  ou  les 
invitera  «  à  contribuer  gratieusement  et  sans  crainte  pour 
une  sy  juste  et  saincte  cause  ».  Les  quêtes  seront  faites  par 
les  curés,  accompagnés  de  quatre  bourgeois,  ou  bien  par 
deux  délégués  des  capitaines  et  bourgeois  do  chaque 
dizaine.  Il  est  aisé  de  deviner  k  quel  point  les  bops  Pari- 
siens étaient  libres  de  refuser  leurs  cotisations  à  des  curés 
si  escortés.  La  Ligue  complétait  ces  procédés  de  perception 
gracieuse  en  recouvrant,  dans  toute  l'étendue  de  l'élection 
de  Paris,  les  tailles  et  subsides  arriérés,  sur  le  taux  de  1576 
ou  dans  la  proportion  des  deux  tiers  de  l'impôt  de  Tannée 
précédente.  Toutes  ces  recettes  devaient  être  centralisées  à 
Paris,  entre  les  mains  de  l'échevin  Roland  *. 


1.  Sous  la  date  du  5  janvier  1589,  nous  trouvons  dans  les  Registres  un 
mandement  ainsi  conçu  :  t  On  faict  assavoir  à  tous  pauvres,  manouvriers, 
mercenaires  et  gens  de  peyne  vallides  qui  vouldront  estre  employez  aux 
asteliiers  de  ladite  ville  et  du  boys  de  Vincennes,  qu*ils  ayent  à  se  trouver 
et  présenter  samedy,  une  heure  de  relevée,  au  parc  des  Toumelles,  pour 
Gstre  receuz  et  enrôliez  ausditz  asteliiers,  et  estre  eonduictz  où  il  sera 
ordonné,  esquelz  asteliiers  ilz  seront  payez  raisonnablement,  en  se  gar- 
njssant  de  outilz  propres  à  remuer  et  porter  la  terre.  »  Rbg.  H,  1188,  fo  230. 

2.  «  5  janvier  1589.  Il  est  ordonné  que  les  deniers  qui  ont  esté  receuz 
par  les  paroisses  seront  remis  ès-mains  de  monsieur  Telleu  Rolland,  com- 
mis et  députté  à  faire  la  recepte  et  despence  de  Tarmée  qu'il  convient 


496  PARIS  ET  LÀ  LIGUE 

Avec  de  l'argent  on  fait  la  guerre,  et  le  roi  n'est  pas  si 
riche  que  la  Ligue,  mais  il  a  contre  Paris  des  otages  pré- 
cieux, le  prévôt  des  marchands  et  deux  échevins.  Pour  les 
lui  arracher,  THôtel  de  Ville  n'a  qu'une  arme  :  la  diplo- 
matie! Dès  le  28  décembre  1588,  la  Ville  écrit  au  roi  une 
lettre  très  respectueuse  pour  demander  la  liberté  de  La 
Chapelle-Marteau  et  de  ses  deux  collègues,  et  elle  confie  au 
président  Le  Maistre  la  mission  de  porter  cette  supplique  à 
Blois  ^  Le  pauvre  homme  avait  peur  et  fit  son  testament 
avant  de  partir;  mais  «  le  tyran  »,  déjà  rassasié  de  ven- 
geance, ne  songeait  guère  à  prendre  la  vie  de  l'ambassa- 
deur des  Parisiens.  Sollicité  par  les  députés  du  tiers  état, 
dont  nous  avons  dit  plus  haut  les  courageuses  instances^ 
bercé  aussi  de  l'illusion  d'apaiser  Paris  à  force  de  man- 
suétude, Henri  III  va  lui  rendre  la  duchesse  de  Nemours, 
mère  de  Guise  l'assassiné,  et  les  échevins  Compans  et  Coste- 
blanche  ;  quant  à  Le  Maistre,  il  reviendra  avec  l'édit  du  31  dé- 
cembre par  lequel  Henri  III  s'amnistiait  et  amnistiait  ses 
ennemis. 

En  attendant,  les  ligueurs  parisiens  ne  perdaient  pas  une 
minute.  A  chacun  sa  tâche  :  le  prêtre  et  le  moine  fulmi- 


mettre  sus  pour  la  de(Tence  de  la  religion  catholique,  apostolique  et  ro- 
maine. »  Rbo.  h,  1789,  f*  231.  Un  mandement  du  Bureau  enjoignit  aux 
curés  de  remettre  à  Roland  l'argent  recueilli  par  eux.  S'ils  tardent,  ils 
sont  menacés.  C'est  ainsi  qu'un  mandement  du  Bureau,  en  date  du  19  janvier, 
fait  savoir  au  curé  de  Saint-Médéric  que,  s'il  ne  presse  pas  ses  paroissiens 
d'apporter  leur  obole  &  la  Ligue,  on  s'en  prendra  à  lui  «  par  les  voyes  qui 
seront  ».  Rbg.  H,  1189,  ^  236.  U  ne  faut  pas  s'étonner  si,  comme  l'écrivait, 
le  8  janvier  1589,  le  duc  d'Aumale  &  un  prêtre,  «  MM.  du  clergé  ont  très 
sainctement  consenty  la  vente  d'une  parUe  de  leur  temporel,  afQn  d'en 
employer  les  deniers  aux  fraiz  de  la  guerre  contre  les  héréticqnes.  »  Ibid,, 
t*  235«  M.  Binet,  receveur  des  décimes  de  la  généralité  de  Paris,  centralisait 
ces  pieuses  officandes. 

1.  Rbg.  h,  1789,  (•  216.  Nous  ne  reproduisons  pas  le  texte  de  cette  lettre, 
que  Félibien  a  déjà  insérée  au  t.  V,  Preuves ^  de  son  Hist,  de  la  V.de  Paris ^ 
p.  450.  Tout  en  réclamant  la  mise  en  liberté  des  députés  de  Paris  aux 
États  généraux,  TUÔtei  de  Ville  avait  pris  une  précaution  dans  l'assemblée 
générale  du  31  décembre  1588.  Elle  avait  révoqué  les  pouvoirs  des  députés 
dont  il  s'agit  et  fait  homologuer  cette  révocation  par  les  trois  cours  sou- 
veraines. FiuB.,  Pr.,  t.  Y,  p.  451  • 


PARIS  RÉGICIDE  497 

nent  dans  les  chaires,  les  Conseils  et  l'Hôtel  de  Ville  réqui- 
sitionnent, encaissent,  arment  et  font  de  la  propagande. 
Il  faut  suivre  tous  ces  acteurs;  et  d'abord  les  curés,  les 
moines,  les  théologiens. 

Depuis  les  Barricades  et  la  fuite  du  roi,  Paris  est  la  proie 
du  clergé  révolutionnaire.  Il  s'installe  dans  la  capitale 
comme  en  place  conquise,  occupe  toutes  les  cures,  s'ins- 
talle de  force  dans  toutes  les  chaires.  François  Pigenat, 
un  des  plus  fougueux  élèves  des  Jésuites  *,  déposséda  le 
curé  de  Saint-Nicolas  des  Champs,  Legeay,  qui  passait 
pour  royaliste.  Guincestre,  autre  énergumène  dont  l'atti- 
tude scandalisait  les  ligueurs  un  peu  civilisés,  surtout 
lorsqu'il  suivait  les  processions  tout  nud  et  vestu  d'une 
simple  guilbe  de  toile  blanche  ',  se  fit  installer  avec  le 
même  sans-gêne  dans  la  cure  de  Saint-Gervais.  Le  curé 
titulaire,  Pierre  Chauveau,  fut  évincé,  grâce  à  des  procédés 
extrêmement  ingénieux.  A  la  date  du  12  novembre  1588, 
Chauveau  est  mandé  au  Bureau  de  la  Ville,  et  il  apprend 
«  qu'il  se  prépare  quelque  émotion  au  sujet  de  sa  cure  ». 
Le  pauvre  homme  répond  en  vain  qu'on  a  profité  d'une 
absence  qu'il  avait  dû  faire,  par  suite  de  maladie,  pour 
«  le  calomnier  d'être  hérétique  »  ;  il  invoque  sans  plus  de 
succès  les  «  attestations  de  ses  paroissiens  pour  justifier  sa 
probité  »,  les  ligueurs  du  Bureau  de  la  Ville  ne  veulent 
rien  entendre  et  l'invitent  à  «  se  retirer  de  Paris  jusqu'à  ce 
que  les  choses  soient  plus  calmes,  luy  faisant  connoistre 
qu'on  avoit  droict  de  le  luy  enjoindre  '  ».  Il  fallut  obéir  à 

1.  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  son  frère,  Odon  Pigenat,  qui  fut  pro- 
vincial des  Jésuites  après  le  décès  du  Père  Mathieu  et  fit  partie  du  con- 
seil des  Seize.  Voy.  Le  Duchat,  Remarques  sur  la  Satyre  Ménippéet  t.  II, 
p.  82,  et,  sur  l'installation  de  Pigenat  dans  la  cure  de  Saint-Nicolas  des 
Champs,  l'Estoilb,  t.  III,  p.  187. 

2.  Journal  des  choses  advenues  à  Pans.  M.  Labittb,  dans  les  Prédicateurs 
de  la  Ligue,  p.  43,  donne  bien  quelques  renseignements  biographiques  sur 
Guincestre,  mais  il  ne  raconte  pas  les  mésaventures  de  Pierre  Chauveau, 
son  prédécesseur  &  Saint-Gervais. 

3.  Rbo.  U,  1189,  fo  204,  et  Féub.,  t.  V,  Preuves,  p.  448. 

ROBIQDET.  32 


498  PARIS  ET  LA  LIGUE 

celle  injonclion.  Mais  ce  n'étaîllà  que  le  premier  acle  de  la 
comédie.  Le  22  novembre,  MM.  Chauveau  père  el  fils  sout 
de  nouveau  mandés  à  l'Hôlel  de  Ville.  Le  père,  qui  élait 
procureur  au  Parlement,  comparaît  seul.  Il  dit  que  Pierre, 
son  fils,  est  empêché,  cl  demande  ce  qu'on  lui  veut.  La 
réponse  fut  «  qu'on  estoil  averti  que  Chauveau  fils,  quoi- 
qu'il eût  résigné  sa  cure  »,  avait  Tintention  de  se  présenter 
dans  sa  paroisse  aux  fêtes  de  Noël  et  d'y  faire  l'office  du 
curé.  Or,  il  n'en  avait  pas  le  droit  «  étant  prévenu  et  pour- 
suivi par-devant  M.  Tévèque  de  Paris  pour  avoir  presché 
plusieurs  propositions  erronées  ».  Au  surplus,  le  dessein 
du  curé  causerait  forcément  du  désordre,  car  il  était  sou- 
tenu par  une  partie  de  ses  paroissiens,  et  la  Ville  préten- 
dait s'opposer  à  ce  conflit.  Chauveau  père  répond  à  cela 
que  son  fils  a  renoncé  à  se  présenter  dans  son  église  avant 
de  s'être  purgé  devant  l'évêque*  des  accusations  dirigées 
contre  lui.  Le  même  jour,  à  quatre  heures,  Pierre  Chauveau 
comparait  à  son  tour  au  Bureau  et  fait  des  déclarations 
identiques  à  celles  de  son  père.  Il  prie  la  Ville  de  Tauto- 
riser  à  rentrer  dans  sa  cure  quand  il  aura  obtenu  «  sentence 
h  son  proffict  ».  Il  avoue  «  qu'il  a  eu  mauvaise  opinion  des 
princes  catholiques  et  de  ceux  de  leur  party,  mais  que, 
h  présent,  il  avoyt  changé  d'advis  et  étoit  d'opinion  toute 
contraire  ».  Cette  rétractation  ne  réussit  pas  à  fléchir  le 
Bureau.  Il  répliqua  «  qu'une  sentence  au  proffict  de  Chau- 
veau seroit  suffisante  pour  l'entier  recouvrement  de  son 
honneur,  sans  qu'il  luy  soit  besoin  de  rentrer  en  ladite 
cure,  parce  qu'il  n'en  a  poinct  esté  chassé,  ains  s'en  est 
desmis  volontairement,  et  qu'il  avoyt  plus  de  commodité 
d'en  tirer  une  honneste  récompense,  sy  faire  se  pouvoit, 
que    d'affecter  trop  opiniastrement  de  rentrer  en  ladite 


cure  *  ». 


i.  Reo.  H,  1789,  t^  210-211.  L'extrait  donné  par  Félibien  est  une  analyse 
très  incomplète  du  procès-verbal  des  registres  de  la  Ville.  Cf.  L*Enoiu, 


PARIS  RÉGICIDE  499 

C'est  ainsi  que  Guincestre  devint  curé  de  Saint-Gervais. 
Il  promena  son  éloquence  dans  toutes  les  paroisses  de 
Paris  '.  Le  29  décembre  1588,  il  prêchait  à  Saint-Barthé- 
lémy; échauffé  par  les  déclamations  de  ce  fanatique,  le 
peuple,  en  sortant  de  Téglise,  arracha  les  armoiries  royales 
qui  en  décoraient  le  portail,  les  jeta  dans  le  ruisseau  et  les 
foula  aux  pieds  ',  avec  des  jcris  insultants  pour  ce  vilain 
Hérode;  «  ainsi  avoierit  les  "prédicateurs,  dit  TEstoile,  ana- 
grammatizé  le  nom  de  Henri  de  Valois  ».  Le  1"  jan- 
vier 1589,  autre  fête.  Guincestre  prêchait  encore  à  Saint- 
Barthélémy,  et  il  termina  son  sermon  en  faisant  lever  la 
main  à  tous  les  assistants  pour  jurer  «  d'emploier  jusques 
au  dernier  écu  de  leur  bourse  et  jusques  à  la  dernière 
goutte  de  leur  sang  »  à  venger  les  princes  lorrains  assas- 
sinés. Et,  comme  en  face  de  lui,  au  banc  d'oeuvre,  se  trou- 
vait le  premier  président  de  Harlay,  il  l'interpella  à  deux 
reprises  :  «  Levez  la  main,  monsieur  le  président,  levez-la 
bien  haut,  encores  plus  haut,  s'il  vous  plaist,  afin  que  le 
peuple  le  voie  '.  »  De  Harlay  jura  et,  s'il  eût  refusé,  le 
peuple  l'aurait  sans  doute  assommé  sur  place. 

Ce  Guincestre  ne  respectait  même  pas  la  mort.  Le 
8  janvier,  il  commentait  devant  ses  ouailles  la  mort  de 
Catherine  de  Médicis,  dont  la  nouvelle  avait  été  apportée  à 
Paris  la  veille  :  «  Elle  a  fait,  dit  le  curé  de  Saint-Gervais 


t.  III,  p.  187.  Le  chroniqueur  dit  que  la  cure  de  Saint-Gervais  avait  «  esté 
résignée  par  le  petit  curé  Chauveau  vivant  à  maistre  Michel  Du  Buisson, 
qui,  comme  vicaire  d'icelle,  Tavoit  desservie  vingt  ans  durant,  soubs  def- 
funct  Antoine  Du  Vivier,  curé,  au  contentement  de  tous  les  paroissiens  ». 
C'est  ce  Michel  Du  Buisson  auquel  les  ligueurs  auraient  substitué  Guin- 
cestre. L'Estoile  ajoute  ce  détail  que  «  le  roy,  ayant  entendu  ces  beaux 
mesnages,  dit  tout  haut  qu'il  voioit  bien  que  les  Parisiens  estoient  rois 
et  papes,  et  que  qui  les  voudroit  croire,  qu'ils  disposeroient  à  la  lia  de 
tout  le  temporel  et  spirituel  de  son  royaume  «. 

1.  «  Il  est  à  remarquer,  écrit  Ch.  Labilte,  que  pour  mieux  animer  la 
foule,  sans  doute,  et  varier  les  émotions,  les  curés  prêchaient  rarement 
dans  leurs  paroisses.  »  Les  prédicateurs  de  la  Ligtte,  p.  43. 

2.  L'EsTOiLE,  t.  m,  p.  204. 

3.  Ibid.,  p.  230.  Cf.  Palma-Gaybt,  Chronol,  nov.j  chap.  I«'. 


500  PARIS  ET  LA  LIGUE 

en  parlant  de  la  reine  mëre,  beaucoup  de  bien  et  beaucoup 
de  mal,  et  croi  qu'elle  en  a  encores  plus  fait  du  dernier 
.que  du  premier.  Je  n'en  doute  point.  Aujourd'hui,  mes- 
sieurs, se  présente  une  difficulté,  sçavoir  :  si  l'Église 
catholique  doit  prier  Dieu  pour  elle,  aiant  vescu  si  mal 
qu'elle  a  vescu,  avancé  et  supporté  souvent  l'hérésie...  Sur 
quoi,  je  vous  dirai,  messieurs,  que  si  vous  lui  voulez 
donner  à  l'avanture,  par  charité,  ung  Pater  et  un  Ave^ 
vous  le  pouvez  faire  :  il  lui  servira  de  ce  qu'il  pourra,  sinon 
il  n'y  a  pas  grand  intérest.  Je  le  laisse  à  vostre  liberté  *.  » 
C'est  encore  Guincestre  qui  accusait  Henri  III  d'avoir 
commerce  avec  les  démons  de  l'enfer,  et,  à  l'appui  de  son 
dire,  exhibait  en  chaire  les  figurines  d'argent  doré  trouvées 
au  château  de  Vincennes  '.  Des  moyens  aussi  grossiers 
suffisaient  auprès  du  peuple  parisien,  qui  a  toujours  aimé 
faire  ou  briser  des  idoles.  Après  un  sermon  de  Guincestre 
(2  janvier)  n'alla-t-il  pas  à  l'église  Saint-Paul  démolir  le 
mausolée  élevé  par  le  roi  à  la.  mémoire  de  Saint-Mesgrin, 
de  Quélus  et  de  Maugiron?  Ne  s'amusa-t-il  pas  une  autre 
fois  à  lacérer  le  tableau  du  couvent  des  Augustins  qui 


i.  L'EsTOiLB,  t.  III,  p.  233. 

2.  La  Satyre  Ménippée  fait  allusion  à  ces  stupides  accusations  :  «  Nos 
prescheurs  et  docteurs  ont-ils  pas  presché  que  le  feu  roy  estoit  sorcier  et 
adoroit  le  diable,  au  nom  duquel  il  faisoit  toutes  ses  dévotions,  et  mesoies 
aucuns  ont  esté  si  impudens  de  montrer  en  chaire  publiquement  &  leurs 
auditeurs  des  effigies  faites  à  pfaisir,  qu'ils  juroient  estre  l'idole  du  diable 
que  le  tyran  adoroit.  »  T.  I,  p.  156.  Ces  figurines  n'étaient  pas,  d'ailleurs, 
imaginées  &  plaisir.  Elles  venaient  réellement  de  la  résidence  du  roi  au 
bois  de  Vincennes  et  consistaient  dans  «  deux  satyres  d'argent  doré,  de 
la  hauteur  de  quatre  poulces,  tenans  chacun  en  la  main  gauche  et  s'ap- 
puyant  dessus,  une  forte  massue,  et  de  la  droite  soustenans  un  vase  en 
crystal  pur  et  bien  luisant;  eslevez  sur  une  base  ronde,  godcronnée  et 
soustenue  par  quatre  pieds  d'estal....  lis  estoient  au-devant  d'une  croix 
d'or  au  milieu  de  laquelle  y  avoit  enchâssé  du  bois  de  la  vraie  croix  de 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ  ».  Voy.  Les  sorceiteries  de  Henry  de  Valois  et 
les  ablations  qu*il  faisait  au  diable  dans  le  bois  de  Vincennes.  Paris,  1589. 
Arch.  cur.,  t.  XII,  p.  488,  i'o  série.  En  admettant,  comme  l'auteur  du  fac- 
tum,  qu*auprès  d'un  morceau  de  la  vraie  croix  «  deux  anges  ou  simples 
chandeliers  eussent  esté  plus  décens  que  ces  satyres  »,  il  ne  faut  voir 
dans  cette  trouvaille  qu'une  preuve  du  scepticisme  de  Henri  III  et  non  de 
ses  intelligences  avec  le  diable  de  ce  temps-là. 


PARIS  RÉGICIDE  SOI 

représentait  Henri  III  instituant  l'ordre  du  Saint-Esprit  *  ? 
Mais  la  partie  honnête  de  la  population  ne  se  laissait  pas 
encore  séduire  par  la  Ligue  et  se  faisait  scrupule  d'entrer 
en  rébellion  ouverte  contre  le  roi  légitime  ".  Pour  rassurer 
ces  consciences  délicates,  les  meneurs  de  la  Ligue  imagi- 
nèrent un  expédient  décisif.  Le  7  janvier,  ils  firent  pré- 
senter à  la  Faculté  de  théologie,  sous  le  couvert  du  prévôt 
des  marchands  et  des  échevins,  un  mémoire  qui  posait  la 
question  suivante  :  Les  Français  pouvaient-ils  se  considérer 
comme  dégagés  du  serment  de  fidélité  qu'ils  avaient  prêté 
à  Henri  III?  En  second  lieu,  pouvaient-ils  prendre  les  armes 
contre  un  roi  qui  avait  violé  la  foi  publique  aux  États 
généraux  de  Blois?  Les  docteurs  de  la  Faculté,  au  nombre 
de  soixante,  s'assemblèrent,  et,  après  avoir  assisté  à  une 
messe  du  Saint-Esprit,  ouvrirent  la  discussion.  Jean  le 
Fèvre,  doyen  de  la  Sorbonne,  Robert  Vauvarin,  Denis 
Sorbin,  docteurs  estimés,  soutinrent  vainement  que  l'au- 
torité du  roi  était  inviolable.  Leur  avis  ne  put  prévaloir 
contre  les  déclamations  de  Guillaume  Rose,  de  Jean 
Hamilton,  du  feuillant  Bernard,  du  cordelier  Feu-Ardent 
et  du  jésuite  Gommolet.  Tous  les  prêcheurs,  les  Boucher, 
les  Prévost,  les  Aubry,  les  Pigenat  «  qui  avoient  esté  les 
principaux  inventeurs  de  la  question,  en  baillèrent  eux- 
mesmes  la  conclusion  le  7  janvier  avec  quelques  jeunes 
docteurs  ^  ».  La  Sorbonne  déclarait  le  peuple  dégagé  du 
serment  de  fidélité  envers  Henri  de  Valois,  rayait  son  nom 
des  prières  de  l'Église,  et  permettait  à  tous  de  prendre  les 
armes  contre  lui  pour  la  défense  de  la  religion.  Ce  décret  * 


1.  Palma-Caybt,  loc.  cit. 

2.  Db  Thou,  t.  X,  p.  51  i.  Palma-Caybt,  Ibid, 

3.  Palma-Catbt,  Ibid.  Db  Thou,  t.  X,  p.  511.  Introd.  aux  Économies  royales, 
2«  série,  t.  I,  p.  109.  UEstoilb,  t.  Ill,  p.  242.  Voy.  au  t.  UI  de«  Mém.  de  la 
Ligue,  p.  187,  Pexamen  de  la  résolution  de  la  Faculté  de  théologie  (par  un 
protestant). 

4.  On  en  trouve  le  texte  au  t.  XII,  !'•  série,  p.  349,  des  Abch.  oui.  Il 
porte  le  titre  de  Responsum  facultatis  théologies  parisiensis;  il  n'est,  en 


502  PARIS  ET  LA  LIGUE 

fut  envoyé  au  pape,  imprimé  et  rendu  public.  Dans  les 
dernières  couches  du  peuple,  l'impression  fut  assez  vive, 
mais  la  haute  bourgeoisie  et  le  Parlement,  ou  du  moins 
les  plus  marquants  de  ses  membres  \  restaient  hostiles  à  la 


eiïet,  que  la  réponse  à  la  requête  présentée  par  les  «  bons  bourgeois, 
manans  et  habitanfl  de  la  ville  de  Paris  à  monseigneur  le  duc  d'Aumalle 
et  à  messieurs  les  prévost  des  marchands  eteschevins  de  la  ville  de  Paris». 

Une  pièce  curieuse,  conservée  par  les  Registres  (H,  1789,  f*  246),  atteste 
ce  fait  important  que  plusieurs  villes  de  TUnion  donnèrent  pouvoir  aux 
envoyés  parisiens,  qu'on  chargea  de  porter  au  pape  le  décret  de  la  Sor- 
bonne,  de  parler  en  même  temps  au  nom  de  ces  municipalités  provin- 
ciales. »  A  tous  ceux  qui  ces  présentes  lectres  verront,  Mayeur  et  Esche- 
vins  de  la  ville  d'Abbeville  en  Ponthieu,  salut.  Sçavoir  faisons  comme  nous 
avons  sur  les  remuements  faict  union  avec  les  villes  cathol.  de  ce  royaume 
pour  la  conservation  et  manutention  de  nostre  saincte  Religion  catho- 
licque,  apostolicque  et  romaine,  repos  et  tranquilité  publicque,  après  avoir 
entendu  le  désastre  très  pernicieux  survenu  &  Bloysle  XXIII  décembre  1588, 
pour  la  mort  arrivée  de  Messeigneurs  les  duc  et  cardinal  de  Guise,  qui  y 
ont  esté  misérablement  massacrez,  recongnoissans  combien  il  est  de  be- 
soing  et  nécessaire  que  nostre  Sainct  Père  en  soit  deuement  adverty,  en 
luy  donnant  advis  de  l'union  qu'avons  d'abondant  jurée  et  promis  tenir» 
sans  nous  en  pouvoir  départir,  nous  à  ces  fins  et  par  ces  présentes  don- 
nons pouvoir  à....  députez  de  Messieurs  de  Paris  pour  le  regard  vers  Sa 
Saincteté  de,  pour  et  en  nostre  nom,  faire  telles  remonstrances  et  doléances 
qu'ilz  adviseront  bon  estre  vers  nostre  Sainct  Père  pour  le  bien  et  conser- 
vation de  nostre  saincte  Religion;  et,  à  ce  faire,  leur  donnons  tout  pouvoyr 
et  puissance,  promectans  avoir  agréable  tout  ce  qui  sera  par  eulx  faict  et 
apporté,  sans  aucunement  y  contrevenir,  mais  en  tout  et  partout  y  satis- 
faire et  obéir,  comme  vraiz  enfans  de  TÉglise  catholique.  En  tesmoing 
de  quoy,  nous  avons  fet  expédier  les  présentes  et  y  fet  apposer  le  grand 
scel  de  la  Ville.  Au  grand  eschevinagej  le  xni*  jour  de  janvier  1589.  » 

Pour  compléter  ce  qui  concerne  l'envoi  au  pape  du  décret  de  la  Sor- 
bonne  et  les  démarches  faites  par  la  Ligue  en  vue  d*aîgrir  Sixte  V  contre 
Henri  111,  il  faut  ajouter  que  Mayenne,  dès  le  8  janvier,  envoya,  de  Dijon, 
le  chevalier  Jacques  de  Dion  à  Rome,  avec  mission  de  prier  le  pontife  de 
prendre  sous  sa  protection  les  catholiques  de  France  et  de  venger  l'outrage 
fait  à  l'Église  dans  la  personne  d'un  cardinal.  D'autre  part,  la  Ligue  pari- 
sienne fil  partir  pour  Rome  Lazare  Coqueley,  conseiller  au  Parlement,  et 
lui  donna  pour  second  Nicolas  de  Pilles,  abbé  d'Orbays,  qui,  accusé  de 
faux  près  la  cour  pontificale,  avait  été  redevable  de  son  acquittement  à 
l'intervention  du  cardinal  de  Lorraine.  Henri  111,  de  son  côté,  avait  envoyé 
&  Rome,  Claude  d'Angennes,  évêque  du  Mans,  et  avait  écrit  au  marquis  de 
Pisani,  son  ambassadeur  près  le  SaintrSiège.  Voy.  Db  Thou,  t.  X,  p.  535. 

i.Le  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant  dit  que  le  duc  d'Aumale,  les 
Seize  et  Mayenne,  qui  avait  donné  des  instructions  aux  chefs  de  la  Ligue, 
ne  demandaient  l'arrestation  que  de  «  dix  ou  douze  des  plus  apparans  de 
la  Cour  de  Parlement,  vrais  partisans  du  roy  Henri  ».  Sat,  Mémppée^  t.  ni. 
Preuves,  p.  451.  Le  Parlement  se  composait,  à  cette  époque,  de  180  membres 
environ,  dont  126  avaient  juré  sur  le  crucifix  de  ne  pas  se  séparer  de  la 
Ligue.  Cf.  Mémoires  secrets  d'un  politique»  Arch.  cur.,  i**  série,  t.  XII, 
p.  249,  note  1,  p.  271. 


PARIS  RÉGICIDE  803 

Ligue.  Aussi,  les  Conseils,  de  connivence  avec  le  duc 
d'Aumale,  prirent-ils  la  résolution  de  se  débarrasser  d'une- 
opposition  gênante. 

Le  lundi  16  janvier,  Jean  Le  Clerc,  ce  procureur  devenu 
capitaine  de  la  Bastille  par  la  grâce  du  duc  de  Guise, 
investit  le  palais  avec  «  vingt-cinq  ou  trente  coquins,  tous 
comme  lui  armés  de  leurs  cuirasses,  aiant  la  pistole  en  la 
main  ^  ».  Dès  le  matin,  de  très  bonne  heure,  la  compagnie 
de  Compans,  qui  s'assemblait  d'ordinaire  dans  la  cour  du 
palais,  était  là,  cernant  toutes  les  issues.  Néanmoins,  les 
magistrats  ne  s'étaient  pas  inquiétés.  A  leur  arrivée,  on 
avait  expliqué  par  différents  prétextes  un  déploiement  de 
forces  inusité;  mais,  à  huit  heures,  Bussy  pénétra  avec 
sa  bande  dans  la  Grand'chambre  dorée  et  se  mit  en  devoir 
de  lire  à  haute  voix  la  liste  des  magistrats  qu'il  avait 
charge  d'arrêter.  Elle  «  s'ouvrait  par  les  noms  du  premier 
président,  Achille  de  Harlay,  et  du  président  Augustin  de 
Thou..Ce  dernier  interrompit  Le  Clerc  *  et  dit  qu'il  n'était 
pas  nécessaire  de  lire  d'autres  noms,  car  tous  les  magis- 
trats étaient  résolus  à  suivre  leur  chef.  Les  membres  du 
Parlement  qui  assistaient  à  l'audience  se  levèrent,  en  effet, 
et  se  laissèrent  enmiener  par  Le  Clerc  jusqu'à  la  Bastille 
«  tout  au  travers  des  rues,  plaines  de  peuple,  qui,  espandu 
par  icelles,  les  armes  au  poing  et  les  boutiques  fermées 
pour  les  voir  passer,  les  lardèrent  de  mille  brocards  et 


1.  L'EsTOiLB,  Ibid.  Db  Thou  donne  les  noms  de  quelques-uns  des  ligueurs 
qui  accompagnaient  Bussy  Le  Clerc.  C'étaient  Jean-Baptiste  de  Machault, 
Michel  de  Marillac  et  Baston. 

2.  D'AuBiGNÉ,  Hist.  univ.,  t.  H,  col.  231,  raconte  très  brièvement  l'invasion 
du  palais  par  les  Ligueurs  et  ajoute  :  «  Pour  eachantillon  ou  chef-d'œuyre 
de  quoi,  un  procureur  nommé  le  Cler,  qui  ayant  fait  le  coup  que  je  tous 
conterai,  se  fit  appeller  quelques  mois  après  Bussy.  L'auteur  des  Remarques 
sur  la  Satyre  Ménippée,  t.  Il,  p.  103,  ajoute  que  ce  qui  donna  à  Le  Qerc 
l'idée  de  se  parer  de  ce  nom  de  Bussy,  ce  fut  le  désir  «  de  faire  renaître 
pour  lui  dans  l'âme  des  Parisiens  les  mêmes  égards  de  terreur  et  d'estime 
qu'ils  avoient  eus  autrefois  pour  le  brave  Bussy  d'Amboise,  dont  le  nom 
valloit  encore  chez  eux  autant  que  celui  de  César  ». 


804  PARIS  ET  LA  LIGUE 

yilanies  *  ».  Le  bruit  s'était  répandu  qu'on  conduisait  les 
magistrats  à  l'Hôtel  de  Ville,  et  une  multitude  de  portefaix 
et  de  gens  du  port  avaient  pris  possession  de  la  place  de 
Grève  dans  l'intention  de  massacrer  les  robes  rouges  et  de 
provoquer  un  tumulte  qui  aurait  permis  de  piller  les  de- 
meures des  riches  bourgeois;  mais  on  réussit  à  faire 
prendre  une  autre  route  aux  Parlementaires  et  à  les  sous- 
traire aux  mains  furieuses  de  cette  foule  en  délire*.  Le 
Clerc  et  ses  complices,  les  Louchart,  les  Senault,  les 
La  Morlière,  les  Olivier  ne  se  contentèrent  pas  de  ce  vaste 
coup  de  filet  ;  ils  allèrent  arrêter  à  domicile  de  nombreux 
membres  de  la  Cour  des  Aides,  de  la  Chambre  des  Comptes 
et  des  autres  grandes  compagnies.  Beaucoup  furent  élar- 
gis, il  est  vrai,  dans  les  jours  qui  suivirent,  nullement  par 
bonté  d'âme,  mais  parce  que  Le  Clerc  trouvait  dans  ces 
marques  de  clémence  une  magnifique  source  de  revenus. 
Ils  ne  sortaient  de  prison,  dit  l'Estoile,  en  parlant  des 
magistrats,  «  que  quand  il  plaisoit  à  monseigneur  de 
Bussi;  auquel  (outre  les  trois,  quatre  et  cinq  escus  que  par 
jour  il  exigeoit  de  chaque  teste  pour  leur  journalière  des- 
pense, encores  qu'elle  fust  bien  maigre),  il  fallait  encorcs 
faire  quelque  présent  de  perles  ou  de  chaisncs  d'or  à  ma- 
dame, de  vaisselle  d'argent  ou  de  deniers  clairs  et  comp- 
tans  à  monsieur,  avant  qu'en  pouvoir  sortir  ». 
•  Le  Parlement  de  Paris  était  brisé.  Dès  le  lendemain, 
17  janvier,  «  on  plaida  en  la  Grand'Chambre ,  à  huis 
ouverts  »;  la  peur  avsdt  ramené  au  palais  la  plupart  des 
magistrats  que  l'émeute  avait  épargnés.  L'audience  était 
présidée  par  le  président  Brisson,  jurisconsulte  érudit, 
mais  caractère  flottant  et  indécis,  qui  essayait  de  conserver 
à  la  fois  les  bonnes  grâces  de  la  Ligue  et  celles  du  roi. 
Ce  personnage  singulier,  qui  devait  payer  cher  la  duplicité 

1.  L'Estoile,  t.  III,  p.  255. 

2.  Db  Thou,  t.  X,  p.  515. 


PARIS  RÉGICIDE  805 

de  son  attitude,  exerça  de  fait  les  fonctions  de  premier 
président  *.  Comme  le  procureur  général,  M.  de  La  Guesle, 
et  deux  avocats  généraux  avaient  quitté  Paris,  le  Parle- 
ment nomma  procureur  général  le  conseiller  Mole,  sous  la 
pression  du  populaire,  qui  criait  Molé!  Molé!  et  chargea  de 
remplir  les  fonctions  d'avocats  généraux  Jean  le  Maistre 
et  Louis  d'Orléans,  avocats.  Ainsi  reconstituée,  la  Cour 
souveraine  donna  immédiatement  la  mesure  de  ses  senti- 
ments. Le  19  janvier,  elle  rendit  un  arrêt  portant  qu'elle 
s'unissait  avec  le  corps  de  Ville  de  Paris  pour  l'assister  en 
toutes  choses  et  contribuer  même  aux  frais  de  la  guerre  *. 
Un  autre  arrêt  (du  20  janvier)  autorisa  les  échevins  Com- 
pans  et  Costeblanche,  que  le  roi  avait  envoyés  à  Paris  sur 
parole,  et  sous  serment  de  revenir  à  Blois  dans  un  délai 
de  quinzaine,  à  ne  poinct  retourner  d'où  ils  venaient; 
l'évêque  de  Paris  et  ses  vicaires  reçurent,  en  outre,  injonc- 
tion de  les  délier  de  leur  serment  *. 

Enfin,  pour  compléter  l'asservissement  du  Parlement, 
les  ligueurs  lui  présentèrent  le  30  janvier  *  une  formule 
de  serment  par  laquelle  tous  les  magistrats  s'engageaient 
devant  Dieu  à  vivre  et  à  mourir  dans  la  religion  catho- 
lique, à  «  employer  leurs  vies  et  biens  pour  la  conserva- 
tion et  accroissement  d'icellesans  yrienespargner,  jusques 
à  la  dernière  goutte  de  leur  sang...,  à  résister  de  toutes 

1.  Barnabe  Brisson,  pour  prendre  ses  sûretés  contre  les  représailles 
éventuelles  du  roi,  déposa,  le  22  janvier,  entre  les  mains  d*un  notaire,  une 
déclaration  dont  TEstoile  donne  le  texte  (t.  ITI,  p.  239}  et  dans  laquelle 
il  a  proteste  devant  Dieu  que  tout  ce  qu'il  a  fait  et  dit,  proposé  et  délibéré 
en  la  Cour  de  Parlement  et  ce  qu'il  fera,  dira,  délibérera,  jugera  ou  signera 
cy-après,  a  esté  et  sera  contre  son  gré  et  volonté,  et  par  la  terreur  des 
armes  et  licence  populeuse  qui  règne  à  présent  en  ceste  ville....  "> 

2.  Voir  dans  le  môme  sens  Réponse  aux  mémoires  d'un  politique.  Ap. 
Arch.  cur.,  t.  XII,  Ic"  série,  p.  218  :  «  Or,  depuis  lesdits  emprisonnemens 
et  eslargissement  de  quelques-uns,  le  Parlement  n'a  pas  délaissé  de  con- 
tinuer, et  mesme,  deux  jours  après,  il  authorisa  tout  ce  que  la  Ville  dési- 
roit  de  iuy,  etc....  » 

3.  L'EsTOiLK,  t.  III,  p.  238. 

4.  C'est  la  date  indiquée  par  de  Thou.  Palroa-Gayet  donne  celle  du 
26  janvier. 


506  PARIS  ET  LA  LIGUE 

leurs  puissances  à  reffort  et  intention  de.  ceux  qui  ont 
violé  la  foy  publique,  rompu  Tédit  de  la  réunion,  franchises 
et  libertez  des  Estats  do  ce  royaume  par  le  massacre  et 
emprisonnement  commis  en  la  ville  de  Blois  les  23  et 
24  décembre  dernier,  et  en  jpoursuivre  la  justice  par  toutes 
voyes,  tant  contre  les  auteurs,  coupables  et  adhérans  que 
contre  ceux  qui  les  assisteront  et  favoriseront  cy-après  ». 
Enfin  les  magistrats  promettaient  de  «  ne  jamais  s'aban- 
donner les  uns  les  autres  et  n'entendre  à  aucun  traicté, 
sinon  d'un  commun  consentement  de  tous  lesdits  princes, 
prélats,  villes  et  conmiunautez  unies  ^  ».  Ce  serment  fut 
prêté  le  30,  par  tous  les  présidents  et  conseillers,  et  le 
lendemain,  par  tous  les  avocats  et  procureurs.  Un  de  ces 
derniers,  nommé  Baston,  qui  avait  naguère  offert  à 
Henri  III  d'assassiner  Guise,  et,  sur  le  refus  du  roi,  s'était 
jeté  dans  la  Ligue,  s'ouvrit  la  veine  et  signa  l'acte  avec 
son  sang. 

Une  autre  scène  à  effet  fut  préparée  par  la  Ligue.  A  cette 
même  date  du  30  janvier,  Catherine  de  Clèves,  veuve  du 
duc  de  Guise,  vint,  en  grand  deuil  et  suivie  d'un  cortège 
imposant,  présenter  requête  au  Parlement  pour  obtenir 
qu'il  fût  informé  contre  les  auteurs  du  crime  de  Blois.  La 
cour  commit  les  conseillers  Pierre  Michon  et  Jean  Courtin 
pour  procéder  à  cette  information.  Statuant  ensuite  sur 
les  conclusions  d'une  seconde  requête  tendant  à  faire 
opposition  à  l'instruction  commencée  à  Blois  contre  les 
prétendus  crimes  du  duc  de  Guise  et  du  cardinal  son 
frère,  la  Cour  «  fit  inhibitions  et  défenses  particulières 
aux  commissaires  et  tous  autres  de  passer  outre,  ny  en- 
treprendre aucune  court,  jurisdiction  ou  cognoissance  du 
faict  contenu  en  ladite  requeste,  circonstances  et  dépen- 
dances, sur  peine  de  nullité  de  procédures  '  ». 

1.  Palma-Catbt,  livre  I,  et  Mém.  de  la  Ligue,  t.  III,  p.  178. 

2.  Arresls  de  la  Cour  souveraine  des  pairs  de  France  donnez  contre  les  meur- 


PARIS  RÉGICIDE  507 

Le  roi  ne  pouvait  manquer  de  se  montrer  sensible  à  la 
défection  des  grands  corps  de  TÉtat,  ainsi  qu'à  la  consti- 
tution, h  Paris,  d'un  véritable  gouvernement  insurrec- 
tionnel. Il  envoya  le  héraut  Auvergne  signifier  au  duc 
d^Aumale  «  qui  se  disoit  et  se  portoit  gouverneur  de 
Paris  »  Tordre  de  quitter  la  capitale,  et  au  Parlement,  à 
la  Chambre  des  Comptes,  à  la  Cour  des  Aides,  au  prévôt 
des  marchands  et  à  tous  les  autres  officiers  royaux 
ou  municipaux,  interdiction  d'exercer  aucune  juridiction 
(26  janvier).  Mais  on  ne  se  donna  même  pas  la  peine 
d'ouvrir  le  paquet  de  dépêches  qu'apportait  le  pauvre  Au- 
vergne. Il  fut  renvoyé  «  sans  réponse,  avec  injure  et  con- 
tumélie,  tant  estoient  les  Parisiens  insolens,  envenimés  et 
animés  contre  leur  roy  *  ». 

Ainsi,  toutes  les  bornes  sont  franchies  :  on  ne  garde 
plus,  vis-à-vis  du  roi,  ces  apparences  de  soumission  et  do 
respect,  si  mensongères  qu'elles  pussent  être,  que  le  duc 
de  Guise  et  la  municipalité  ligueuse  s'étaient  fait  une 
règle  de  conserver  dans  leurs  communications  et  leurs 
correspondances  avec  la  cour,  après  le  succès  des  Barri- 
cades. Henri  III  n'est  plus  le  roi  ;  on  l'appelle  Henri  do 
Valois,  comme  la  Faculté  de  théologie  l'a  officiellement 
prescrit.  On  a  effacé  du  canon  de  la  messe  Pro  rege  nostro 
Henrico.  Le    Parlement    cesse    également   de   rendre   la 


triers  et  assassinateurs  de  messieurs  les  cardinal  et  duc  de  Guyse.  Imprimé 
&  Paris,  chez  Nicolas  Nyvelle,  1589,  in-8<*.  ârch.  ccr.,  t.  Xll,  1^"  série,  p.  222. 
De  Thou,  t.  X,  p.  518.  Palma-Catbt,  /oc.  cit,^  diL  que  «  plusieurs  ont  tenu 
que  ceste  resqueste,  quoy  qu'elle  ait  esté  imprimée,  n'avoit  jamais  esté 
présentée,  non  plus  que  beaucoup  d'autres  choses  qui  ne  furent  pour  lors 
imprimées  à  Paris  que  pour  entretenir  le  peuple  an  party  de  l'Union.  » 
Vinformation  faicte  par  P.  Michon  et  J.  Courtin  se  trouve  imprimée  dans 
V Histoire  des  cardinaux  d'Aubery,  t.  V,  et  dans  le  t.  XII  des  ârch.  cub., 
p.  289. 

1.  L'EsTOiLB,  t.  111,  p.  241.  L'auteur  de  la  Réponse  aux  mémoires  d'un 
politique....  écrit,  de  son  côté  :  «  que  si  la  populace  eust  esté  creue,  il 
eust  espousé  la  prison,  car  elle  croioit  en  public  qu'il  ne  falloit  pas  garder 
la  foy  à  celuy  qui  leur  avoit  plus  que  barbarement  violée.  »  Abch.  cur., 
t.  XII,  p.  280. 


808  PARIS  ET  LA  LIGUE 

justice  au  nom  du  roi.  Quant  aux  mandements  de  la  Ville, 
ils  sont  précédés  de  la  formule  :  «  De  par  les  princes  catho- 
liques unis  avec  le  clergé,  la  noblesse  et  le  peuple  pour 
la  religion  et  le  bien  de  l'État  *  »,  ou  de  cette  autre  :  «  De 
par  monseigneur  le  duc  d*Aumale,  gouverneur  de  Paris 
et  les  prévost  des  marchands  et  eschevins  de  la  Ville.  )> 
Il  y  a  quelque  intérêt  à  étudier  les  procédés  et  les 
allures  de  ce  gouvernement  mixte  et  un  peu  confus  qui  a 
précédé  Torganisation  de  la  lieutenance  générale  du  duc 
de  Mayenne.  Le  duc  d'Aumale  •  a  déjà  la  prétention  de 
dicter  des  lois  à  la  France,  témoin  son  édit  du  19  jan- 
vier 1S89  par  lequel  il  prescrivit  à  tous  les  receveurs  et 
trésoriers  de  France  de  réduire  d'un  quart  le  principal 
de  la  taille,  libéralité  d'ailleurs  inutile,  puisque,  le  3  dé- 
cembre précédent,  le  roi  avait  accordé  aux  États  une 
réduction  identique;  mais  c'était  encore  une  façon  de 
nier  l'autorité  royale  '.  Quelques  jours  après,  le  4  février, 
le  gouverneur  et  la  municipalité  présentèrent  au  Parle- 

1.  Rbo.  h,  1789,  ^  237,  mandement  aux  pionniers  et  manouvriers,  daté 
du  11  janvier  1589. 

2  De  Taou  (t.  X,  p.  513)  dit  que  le  duc  d'Aumale  était  un  homme  sans 
expérience.  Quant  au  chevalier  Claude  de  Lorraine,  son  frère,  on  peut  con- 
sulter, sur  ses  excès  et  ses  débauches,  le  pamphlet  intitulé  :  Conseil  salu- 
taire d'un  bon  Français  aux  Parisiens.  Paris,  1589.  Voy.  aussi  Arch.  cur., 
l^*  série,  t.  XII,  p.  333.  Mém.  de  la  Ligue,  t.  III,  p.  399,  et  Sat.  Ménippée^ 
t.  III,  p.  268.  M.  Labilte,  Prédic.  de  la  Ligue^  p.  50,  proteste  contre  les 
assertions  de  Fontelte  qui,  dans  ses  additions  &  la  Bibl.  hist.  duP.Lelong, 
appelle  ce  pamphlet  «  un  mélange  confus  de  citations  et  d'injures  ».| 

3.  Reg.  h,  1789,  f*  255.  Cet  édit  porte  l'intitulé  suivant  :  «  Les  princes 
catholiques,  villes  et  communautez,  unies  avec  les  trois  eslatz  du  royaume 
pour  la  conservation  de  la  religion  catholique  et  libertez  du  peuple.  » 
Il  expose  que  les  tailles  out  été  réduites  par  la  Ligue  au  taux  de  1576, 
mais  que  le  roi  veut  réclamer  aux  contribuables  les  mêmes  impôts  qu'en 
1588.  C'est  pourquoi  u  par  Tadvis  et  délibération  du  Conseil  général  de  la 
Ville,  il  est  fait  défense  aux  trésoriers  généraux  de  France  et  autres  offi- 
ciers de  lever  plus  des  trois  quarts  de  la  taille  »,  et  les  contribuables  sont 
invités  &  verser  les  fonds  entre  les  mains  «  des  receveurs  de  tailles  et 
taillon  de  leurs  eslections,  résidans  aux  villes  de  l'Union  catholicque  et,  en 
leur  absence,  ès-mains  des  commis  qui  seront  à  ce  faict  députez  et  non 
aultres,  sur  peine  de  payer  deux  fois  ».  Ordre  est  enfin  donné  de  saisir 
les  sergents  qui  viendraient  lever  d'autres  taxes  que  celles  qui  sont  auto- 
risées par  l'Union,  et  de  les  emprisonner  «  comme  exacteurs  et  concus- 
sionnaires publicqz  ». 


PARIS  RÉGICIDE  509 

ment  une  requête  qui  fut  suivie  d'un  arrêt  conforme;  cet 
arrêt  défend  «  à  tous  les  gentilshommes  et  autres  per- 
sonnes, quelles  qu'elles  soient,  de  mettre  obstacle  aux 
progrès  de  la  Sainte-Union,  d'empêcher  le  transport  des 
vivres  dans  la  capitale,  de  s'opposer  à  la  liberté  du  com- 
merce des  villes  de  l'Union,  ou  de  rien  entreprendre  à 
leur  préjudice  ».  Enfin,  ledit  arrêt  ordonne  «  de  faire  de 
nouveau  jurer  l'observation  de  l'édit  d'Union  dans  toutes 
les  villes  du  royaume  *  ».  Ainsi  les  autorités  parisiennes 
essayaient  bien  de  se  substituer  au  pouvoir  royal  et 
d'exercer  sur  toute  l'étendue  du  pays  le  pouvoir  législatif. 
La  correspondance  de  la  Ville  de  Paris  avec  les  princi- 
pales cités  du  royaume  atteste,  d'ailleurs,  mieux  que  tous 
les  raisonnements  et  que  tous  les  textes,  la  tendance  de  la 
municipalité  ligueuse  à  s'attribuer  toutes  les  prérogatives 
du  pouvoir  central.  Nous  avons  déjà  cité  la  circulaire 
collective  adressée  par  les  échevins  aux  villes  de  France 
dans  la  nuit  du  24  décembre  1588,  ainsi  que  la  lettre  au 
duc  de  Lorraine  pour  lui  annoncer  les  événements  de 
Blois,  rédigée  dès  l'arrivée  des  deux  courriers  "  qui  appor- 
tèrent à  Paris  les  terribles  nouvelles.  Depuis  ces  premières 
dépêches,  Tardeur  épistolaire  de  la  Ville  ne  s'était  pas 
ralentie.  Il  serait  oiseux  de  reproduire,   d'après  les  Be^ 

1.  DeThod,  t.  X,  p.  520. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  408.  Félibien,  t.  V,  Preuves^  p.  454,  reproduit  le 
texte  d'une  autre  circulaire,  adressée  par  la  Ville  de  Paris  aux  villes  de 
rUnion,  qui  est  extraite  du  Registre  H,  1789,  f>  242,  et  porte  la  date  du 
12  janvier  1589.  Il  est  donc  inutile  de  la  reproduire  de  nouTeau.  C'est  tou- 
jours le  même  commentaire  indigné  des  événements  de  Blois.  Nous  n'en 
citerons  que  la  conclusion  :  u  Unissons-nous  donc  plus  estroitement  que 
nous  ne  le  fusmes  oneques,  puisque  le  sacrement  de  baptesme  nous  y  a 
premièrement  obligez,  et  le  serment  d'un  si  saint  édit  nous  oste  tout  scru- 
pule d'autre  considération  humaine.  Secourons  ceux  que  nous  voulons  se- 
courir et  qui  nous  veulent  secourir.  Continuons  nostre  commerce  et  nous 
maintenons  la  foy  mutuelle,  nous  donnant  sur  ce,  s'il  vous  plaist,  vostre  res- 
ponse  et  assurance,  nous  faisant  sçavoir  souvent  de  vos  nouvelles  et  nous 
aimant  comme  vos  confrères  et  amis,  qui  veulent  en  si  juste  cause  ne  se 
départir  autrement  d'avec  vous,  nous  recommandons  de  très  bon  cœur  à 
voua,  et  prions  le  Créateur,  messieurs,  vous  conserver  en  tout  bien  et 
prospérité.  Du  Bureau  de  la  Ville  de  Paris,  ce  12  janvier  15S9.  n 


810  PARIS  ET  LA  LIGUE 

gistreSy  le  texte  de  toutes  ces  lettres,  qui  présentent  un 
fonds  commun,  puisqu'elles  exploitent  uniformément  l'as- 
sassinat du  duc  de  Guise  et  du  cardinal  son  frère,  en  vue 
de  provoquer  une  insurrection  générale  contre  le  roi.  Habi- 
tuellement, la  municipalité  parisienne,  après  les  considé- 
rations de  style  sur  la  cruauté  du  meurtrier,  demande  à 
ses  correspondants  de  province  une  assistance  effective. 
S'il  s'agit  d'une  ville  pourvue  d'un  château  ou  citadelle, 
on  lui  demande  de  faire  avec  Paris  «  bonne  union  et 
amitié  *  »  et  de  s'opposer  à  l'entrée  d'une  garnison  royale, 
ou  bien  de  mettre  «  nombre  de  genz  assurez  dans  ce 
chasteau  pour  le  pouvojrr  conserver  contre  tous  *  ».  A  la 
ville  de  Dreux,  et  à  ses  magistrats,  on  écrit  :  «  C'est  à 
vous  à  y  songer  et  de  croire  que  la  ruyne  de  Paris  est  la 
vostrc  inévitable  '.  »  A  une  autre  cité,  les  officiers  muni- 
cipaux de  la  capitale  assurent  que,  «  si  l'on  ne  s'oppose 
verlueusement  dès  le  commencement  »  à  tous  les  attentats 
de  Henri  IH,  «  cette  tirannye  prendra  tel  accroissement 
qu'il  n'y  aura  personne  qui  puisse  vivre  en  la  sainctc 
religion  ny  en  seureté  de  sa  personne  et  biens...  »  Et  les 
échevins  ajoutent  :  »  Ces  considérations,  mûrement  déba- 
tues  en  plusieurs  conseilles  tenuz  en  ceste  ville  entre 
plusieurs  grans  et  graves  personnages  de  toutes  qualilez 
et  provinces  qui  y  ont  esté  appelez  et  ouys,  nous  ont  faict 
résoudre  de  nous  opposer  par  les  armes  à  telle  force  et  vio- 
lence *.  »  C'est  une  véritable  déclaration  de  guerre  au  roi 
légitime,  déclaration  qui  est  renouvelée  d'ailleurs  dans 
une  autre  lettre  adressée  à  la  ville  d'Étampes,  avec  cette 
particularité  que  les  Parisiens  annoncent  leur  intention  de 
se  tenir  «  sur  la  deffensive  jusque  l'arrivée  de  monseigneur 

1.  Letire  à  une  ville,  du  28  décembre  1588,  Rbo.  H,  1189,  f»  215.  Autre 
lettre,  même  date,  ibid.,  ^  217. 

2.  Lettre  à  une  ville,  du  9  janvier  1589,  f*  228. 

3.  Rio.  H,  1789,  t»  218.  Lettre  du  29  décembre  1588. 

4.  Rbo.,  ibid,,  f»  224.  Lettre  du  11  jauTier  1589. 


PARIS  RÉGICIDE  511 

le  duc  de  Mayenne  »  qu'ils  «  espèrent  recevoir  dans  le  XV®  de 
ce  moys  au  plus  tard,  accompagné  d'une  belle  et  gaillarde 
armée,  résolu  d'assister  les  catholicques  de  sa  vye  et 
moyens  *  ».  Voilà  un  argument  décisif  qui  va  entraîner 
tous  les  hésitants  !  Aussi  la  Ville  de  Paris  le  replace-t-elle 
dans  le  sermon  qu'elle  adresse  sous  pli  à  un  seigneur 
qu'elle  ne  nomme  pas  sans  doute  pour  éviter  de  le  com- 
promettre. «  Le  duc  du  Maine  s'avance  avec  l'armée  qu'il 
a  mise  sus  ■.  » 

La  Ligue  parisienne  étend  sans  difficulté  l'effet  des 
mesures  militaires  à  toutes  les  parties  du  territoire,  et 
principalement  à  la  région  du  centre,  du  nord  et  de 
l'ouest.  Après  l'assassinat  des  Guises,  Odéans  s'était  sou- 
levé, à  l'instigation  de  la  congrégation  du  nom  de  Jésus  et 
de  Roissieux,  écuyer  du  feu  duc  et  maire  de  la  ville.  Le 
maréchal  d'Aumont  s'était  enfermé  dans  la  citadelle  avec 
un  corps  de  gardes   suisses  et  de  gardes  françaises,  et 

1.  Reo.  h,  1789,  fo  231.  Lettre  du  6  janvier  1589. 

2.  Lettre  du  8  janvier.  Ibid.,  f»  232.  Dans  cette  curieuse  épltre,  la  Ville, 
après  avoir  rappelé  toutes  les  victoires  du  duc  de  Guise,  flétrit  Tassas- 
sinat  de  son  frère  le  cardinal...  «  27  heures  après  sa  détention,  de  sang- 
froid  et  sans  luy  permettre  seullement  le  sacrement  de  pénitence,  sans 
respect  de  Tordre  de  prêtrise  et  de  la  dignité  d*archevesque,  de  premier 
pair  de  France...  ».  Elle  s*élève  aussi  contre  «  la  détention  du  premier 
prince  de  sang,  monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon,  de  messeigneurs  les 
ducs  de  Nemours  et  d'Ëlbœuf  et  du  prince  de  Joinville,  et  aussy  celle  de 
plusieurs  seigneurs  et  autres  notables  personnages  qui,  en  l'assemblée  des 
Ëstatz  où  ils  ont  esté  convocquez  a£>us  la  foy  publicque,  travaillans  pour 
le  service  de  Dieu  et  du  public,  contre  tout  droict  divin  et  humain  et 
contre  la  franchise  naturelle  de  telles  assemblées,  ont  esté  pris  par  le 
grand  prévost,  accompagné  du  bourreau.*.  »  La  Ville  proteste  d'ailleurs 
contre  l'excuse  alléguée  en  faveur  du  Roi,  qu'il  aurait  été  poussé  à  bout 
par  la  sommation  que  lui  avaient  faite  les  Etats  de  jurer  l'édit  d'Union  : 
«  Car  ce  feust  estre  forcé  de  bien  faire,  estant  cest  édict  par  les  trois 
ordres  des  Estatz  recongneu  d'une  voix  très  utille,  voire  nécessaire  et 
l'exécution  d'icelluy  requise,  icelluy  en  assemblée  généralle  juré  solennel- 
lement, mesme  sur  le  sainct  sacrement  du  précieux  corps  de  Jésus-Christ, 
et  non  seulement  une  fois,  mais  plusieurs.  C'est  chose  horrible,  seulle- 
ment à  penser,  que  des  chrétiens  veullent  rendre  une  telle  foy  viollable  et 
blasphème  exécrable,  que  la  saincte  communion  doibve  servir  de  masque 
à  l'entreprise  de  telles  cruaultez,  et  que  les  corps  ainsy  inhumainement 
meurtriz  doibvent  estre  escartellez  et  bruslez  pour  les  priver  de  leur  sé- 
pulture. » 


Slâ  PARIS  ET  LA  LIGUE 

la  population  surexcitée   le  bloquait   étroitement,  tandis 
que  Henri  III,  mal  conseillé  par  le  duc  de  Retz,  hésitait  à 
envoyer  au  maréchal  les  renforts  qu'il  demandait  avec 
instance.  C'est  dans  ces  circonstances  que  la  ville  de  Paris 
résolut  d'expédier  des  secours  aux  Orléanais.  Le  cheva- 
lier d'Aumale,  Claude  de  Lorraine,  frère  du  gouverneur, 
s'ofifrit  pour  commander  cette  expédition  :  c'était  d'ailleurs 
une  excellente  occasion  de  débarrasser  la  capitale  de  tous 
les  brigands  qui  infestaient  les  faubourgs  et  la  banlieue. 
Un  ordre  du  gouverneur  enjoignit  «  à  tous  maistres  de 
camp,  capitaines  et  chefz,  conducteurs  de  gens  de  guerre,, 
tant  de  cheval  que  de  pied,  estant  levez  pour  la  déffence 
de  la  saincte  religion  catholicque,  de  s'acheminer  avec  leurs 
trouppes  et  compagnies,  en  la  plus  grande  dilligence  qui 
leur  sera  possible,  vers  Orléans,  pour  rejoindre  à  l'armée 
de  monseigneur  le  duc  de  Mayenne,  sans  plus  séjourner 
ès-environs  de  ceste  ville  de  Paris,  ny  en  aultre  lieu,  sur 
peine   de   la  vye  *  ».  Chef  de  ces  bandits,  le  chevalier 
d'Aumale  commença  la  guerre  sainte  en  pillant  l'hôtel  de 
Gondy  au  faubourg  Saint-Germain  où  il  se  procura  écono- 
miquement plusieurs  chevaux  de  prix  '.  Néanmoins,  le 
petit  corps  parisien  arriva  sans  obstacle  jusqu'à  Orléans  et 
redoubla  l'ardeur  des  habitants  qui  continuaient  d'assiéger 
le  château,  sous  la  direction  des  sieurs  de  Trémont  et 
de  Roissieux.  Une  seconde  colonne,  partie  après  le  cheva- 
lier d'Aumale,  avec  un  convoi  de  poudre,  fut  moins  heu- 
reuse que  la  première;  elle  rencontra  en  route  un  déta- 
chement royaliste,  commandé  par  Philippe  d'Angennes  et 
François  de  la  Grange   de  Montigny,  qui  enlevèrent  le 
convoi  et  mirent  en  déroute  les  ligueurs  de  l'escorte.  La 
situation  du  maréchal  d'Aumont  n'en  était  pas  moins  des 
plus  critiques.  Il  n'avait  avec  lui  que  quatre  cents  hommes 

1.  Reo.  h,  1789.  fo  275. 

2.  DeTuou,  t.  X,  p.  489. 


PARIS  RÉGICIDE  S13 

en  face  d'une  véritable  armée,  et  la  citadelle,  déjà  mal 
fortifiée,  était  à  moitié  ruinée  par  le  canon  des  ligueurs.  En 
outre,  Mayenne  se  dirigeait  vers  Orléans,  à  travers  la 
Champagne,  et  toute  ligne  de  retraite  serait  bientôt  coupée. 
Dans  cette  extrémité,  d'Aumont  enleva  ou  détruisit  ses 
canons  et,  abandonnant  la  place,  se  retira  en  bon  ordre 
sur  Beaugency  avec  ses  quelques  compagnies  suisses  et 
françaises  (31  janvier).  La  nouvelle  de  la  prise  d'Orléans 
parvint  à  Paris  dès  le  1"  février  *,  et  le  même  jour,  à 
dix  heures  du  soir,  le  duc  de  Nemours  ',  frère  utérin  du 
feu  duc  de  Guise,  «  par  subtil  moien,  eschappé  du  chas- 
teau  de  Blois  où  il  estoit  prisonnier,  arriva  à  Paris,  où  il 
fust  par  les  Parisiens  veu  et  receu  en  grande  joie,  comme 
estimé,  par  eux,  Tun  des  princes  les  plus  affectionnés  à 
leur  parti  ».  On  cria  :  «  Loué  soit  Dieu!  Voilà  encores 
un  de  nos  bons  princes,  et  des  meilleurs,  eschappé  des 
griffes  du  tyran  !  '  » 

Cet  accueil  enthousiaste  fait  à  des  princes  qui,  comme 
le  duc  de  Nemours,  n'avaient  jamais  donné  de  grandes 


1.  C'est  ce  qui  résulte  d'une  lettre  écrite  par  les  échevins  parisiens  à 
une  ville  non  désignée  et  que  les  Registres  nous  ont  conservée.  Datée  du 
!*>*  février  1589,  eue  porte  que  le  siège  d'Orléans  a  été  levé,  que  la  cita- 
delle a  été  prise  par  le  chevalier  d'Aumale  et  que  le  duc  de  Mayenne  est 
entré  à  Orléans.  Rbo.  H,  1789,  f»  273.  De  Tiiou  dit,  au  contraire,  que 
Mayenne  n'entra  dans  Orléans  que  quelques  jours  après  le  départ  du  ma- 
réchal d*Aumont  (t.  X,  p.  521).  Eq  revanche,  le  Registre,  sous  la  même  date 
du  1*'  février,  porte  la  mention  ci-dessous  :  «  Depuis  ceste  lettre,  nous 
avons  eu  cest  honneur  de  recevoir  en  ceste  ville  monseigneur  le  duc  de 
Nemours,  en  très  bonne  santé,  grâces  &  Dieu  eschappé  de  sa  prison.  »  11 
est  probable  que  ce  post-scriptum  fut  ajouté  dans  la  soirée  du  1*'  février, 
puisque  l'Estoilb  dit  formellement  que  le  duc  arriva  dans  Paris  u  le  pre- 
mier février,  sur  les  dix  heures  du  soir  ». 

2.  Charles-Emmanuel  de  Savoie,  duc  de  Nemours  (1567-1595),  était  fils 
de  Jacques  de  Savoie,  duc  de  Nemours,  qui,  en  1566,  avait  épousé  Anne 
tf'Este,  veuve  de  François  de  Guise. 

3.  L'EsToiLR,  t.  ni,  p.  245.  1)k  Thou  n'attribue  pas  la  fuite  du  duc  de 
Nemours  à  une  cause  très  précise,  car  il  suppose,  ce  qui  va  de  soi,  qu'il 
corrompit  ses  gardes  ou  qu'il  trompa  leur  vigilance.  Quant  à  Mme  de 
Guise,  sa  mère,  elle  avait  été  conduite  à  Amboise  avec  les  autres  prison- 
niers. Mais  le  roi  la  laissa  partir,  soit  par  compassion,  soit  par  politique, 
avant  Compans  et  Costeblanche.  De  Tbou,  iàid.,  p.  485. 

ROBIQUET.  33 


514  PARIS  ET  LA  LIGUE 

preuves  de  capacité  personnelle,  attestait  chez  les  Parisiens 
le  besoin  instinctif  d'un  gouvernement  quelconque  et  d'une 
direction  suivie,  en  même  temps  qu'une  réaction  naturelle 
contre  le  désordre.  Depuis  la  fuite  du  roi,  Tétat  matériel 
et  moral  de  la  capitale  avait  laissé  beaucoup  à  désirer. 

La  municipalité  ligueuse  n'était  ni  moins  tracassière  ni 
moins  inquisitoriale  que  la  municipalité  royaliste  qu'elle 
avait  remplacée  révolutionnairement  le  20  mai  1588.  Elle 
soumit  les  hôteliers  à  une  surveillance  étroite  et  les  obligea 
à  venir  chaque  jour  remettre  à  l'Hôtel  de  Ville  «  ung 
roole  de  tous  ceulx  qui  arrivoient  et  logeoient  en  leurs 
maisons  »,  en  indiquant  le  jour  de  leur  départ  '.  Elle  chargea 
les  colonels  de  se  livrer  à  une  véritable  chasse  des  vaga- 
bonds, de  soldats  isolés  et  «  aultres  personnes  sans  adveu  '  ». 
Le  service  des  gardes  de  nuit  fut  énergiquement  réorga- 
nisé et  des  amendes,  dont  la  moitié  revenait  aux  pauvres 
de  l'Hôtel-Dieu,  frappèrent  les  bourgeois  qui  ne  répon- 
daient pas  à  la  convocation  des  colonels  et  ne  se  faisaient 
pas  remplacer  '.  Ces  mesures  n'ayant  pas  encore  paru  suf- 
fisantes; le  prévôt  des  marchands  assembla,  le  13  octobre 
1588,  les  colonels  et  les  capitaines  de  la  milice  municipale, 
dont  les  cadres  avaient  été,  comme  nous  l'avons  expliqué, 
renouvelés  tumultuaircment  dans  les  premiers  jours  de 
juillet,  et  cette  assemblée  militaire  élabora  un  nouveau 
règlement  «  touchant  le  faict  des  gardes  de  la  nuict,  pour 
le  service  duroyetseureté  delà  ville*  ».  On  décida  qu'outre 
les  gardes  de  nuit  ordinaires,  il  y  aurait  désormais  trois 
rondes  supplémentaires  «  es  trois  grands  quartiers  de  la 


1.  Reg.  h,  1789,  fo  179.  Mandement  du  Bureau  en  date  du  16  juillet  1588. 

2.  xMandements  du  30  août  et  du  {•'  septembre    1588.   Reg.  H,  1789, 
fo  191. 

3.  Mandements  du  9  septembre  1588,  ibid,,  f»  193,  et  du  10  octobre» 
ibid.,  fM96. 

4.  Ibid,,  fo  199. 


PARIS  RÉGICIDE  515 

ville,  assçavoir  une  au  quartier  des  Halles,  une  aultre  au 
quartier  de  Grève,  et  une  aultre  au  quartier  des  pontz, 
citté  et  Université  ».  Le  guet  devrait  donner  le  mot  aux 
rondes  de  bourgeois  lorsqu'il  les  rencontrerait;  un  roule- 
ment serait  établi  entre  les  colonels  et  les  capitaines  des 
différents  quartiers  pour  surveiller  l'exécution  de-  ces 
mesures.  C'étaient  surtout  les  écoliers  qui,  parait-il,  se 
plaisaient  à  maintenir  la  tradition  du  tapage  nocturne.  Le 
29  octobre  1588,  le  procureur  de  la  Ville  vient  déclarer  au 
bureau  que  «  plusieurs  escoUiers  et  aultres  personnes  vont 
la  nuict  par  troupes  avecq  armes  et,  le  plus  souvent, 
sans  avoir  lumière  ou  mot  de  guet  par  les  rues  de  la  ville...  » 
Sur  ces  observations,  le  Bureau  prend  aussitôt  une  délibé- 
ration contenant  «  défense  d'aller  à  heure  indue,  avec 
armes  ou  sans  armes,  en  troupes  de  plus  de  trois  ou  quatre 
ensemble,  parles  rues  de  ceste  dicte  ville,  sur  peine  d'amende 
arbitraire  et  pugnition  corporelle,  s'il  y  eschet  *  ».  Il  faut 
peut-être  attribuer  au  peu  de  confiance  que  les  écoliers 
inspiraient  à  la  Ville  l'ordre  du  28  décembre  de  la  même 
année  qui  enjoignit  «  à  tous  les  principaux  des  collèges 
d'envoyer  au  bureau  de  l'hostel  de  la  ville,  dans  trois 
jours,  les  noms  et  surnoms  des  maîtres,  pédagogues,, 
régens,  enfans  et  serviteurs  es  tans  en  leurs  dictz  collèges , 
soyt  qu'il  y  ayt  exercice  ou  non,  et  ce  à  peine  de  cinq  cens 
escus  d'amende,  qui  se  payera  sans  déport  '  ».  Cette  suppo- 
sition est  d'autant  plus  vraisemblable  qu'un  ordre  du  prévôt 
des  marchands,  en  date  du  28  janvier  1589,  défend  aux 
principaux  des  collèges  «  de  laisser  sortir  les  écoliers  hors 
de  leurs  collèges  ^  ». 

Après  l'assassinat  des  Guises,  l'état  de  guerre  s'ouvrait 
de  fait  entre  le  roi  et  Paris.  De  là,  pour  la  municipalité,  une 


1.  Rbo.  h,  1789,  f»  204. 

2.  Ibid.,  P  217. 

3.  /6irf.,  fo  270. 


816  PARIS  ET  LA  LIGUB 

double  préoccupation  :  réunir  des  soldais  pour  soutenir  la 
cause  de  la  Ligue  et  réprimer  les  désordres  et  les  excès  de 
ces  soldats  improvisés.  On  ne  donne  pas  d*armes  à  n'im- 
porte qui,  et  les  armuriers  et  quincailliers  ne  peuvent  en 
vendre  «  sans  Texprès  congé  de  monseigneur  le  duc  d'Au- 
male  ou  du  corps  de  ville  *  ».  De  nombreuses  perquisitions, 
faites  à  la  fin  de  décembre  par  les  colonels  et  capitaines  de 
la  milice,  ainsi  que  par  les  quartiniers,  cinquanteniers  et 
dizainiers,  permirent  de  s'assurer  si  les  suspects  ou  les 
tiëdes  cachaient  des  armes  dans  leurs  maisons.  D'autre 
part,  la  Ligue  tient  à  conserver  sous  sa  main  la  fortune 
mobilière  des  royalistes  :  c'est  un  gage  dont  elle  ne  veut 
pas  se  dessaisir.  Aussi  un  ordre  du  duc  d'Aumale  et  de 
«  messieurs  les  prévost  des  marchans  et  eschevins  »  fut-il 
publié  pour  défendre  aux  Parisiens  «  de  faire  transporter 
aulcuns  biens,  meubles  et  argent  ou  aultres  choses  quel- 
conques hors  de  la  ville  »,  sans  l'autorisation  du  gouver- 
neur ou  des  Échevins.  Les  habitants  qui  ont  quitté  Paris 
sont  sommés  d'y  rentrer  «  dedans  huictaine  pour  tout  délay . . . 
aultrement  sera  mis  garnison  en  leurs  maisons  et  gens 
commis  pour  eulx  et  à  leurs  despens  aux  guetz  et  gardes, 
tant  de  jour  que  de  nuict  *  ».  Un  ordre  du  Bureau  prescrit 
de  rouvrir  les  maisons  fermées  et  abandonnées  par  leurs 
propriétaires  et  de  faire  inventaire  des  meubles  qu*elles 
contiennent.  Toutefois,  on  ne  va  pas  jusqu'à  les  réquisi- 
tionner pour  y  installer  de  bons  ligueurs.  La  Ville  interdit 
même  aux  colonels  de  «  loger  aulcune  personne  ès-maisons 
et  logis  des  quartiers,  sous  prétexte  que  les  bourgeois,  loca- 
taires ou  propriétaires,  sont  absents  hors  de  la  ville  '  ».  S'il 

1.  Mandement  du  28  décembre  1588.  Ibici.,  fo  217. 

2.  Reg.  h,  1789,  fo  253.  Ordre  du  18  janvier  1589. 

3.  Ibid.,  ^  297.  Aux  termes  d'un  ordre  du  Bureau  du  28  janvier,  les 
absents  furent  assimilés  aux  refusants,  en  ce  qui  touche  «  la  cueillette  des 
deniers  ordonnés  pour  la  conservation  de  la  Ville  et  destinés  pour  le 
faict  de  la  guerre  ».  Ibid.,  f°  271.  Le  recouvrement  des  rôles  avait  lieu  par 
les  soins  des  curés  et  des  capitaines  de  la  milice.  Quatre  bourgeois,  élus 


PARIS  RÉGICIDE  S17 

faut  s'en  rapporter  aux  documents  officiels,  THôtcI  de  Ville 
et  le  duc  d'Aumalo  n'avaient  pas  moins  à  surveiller  leurs 
propres  soldats  que  les  agents  royalistes.  La  discipline  était 
déplorable  parmi  les  troupes  de  T Union.  Dans  un  ordre 
du  jour  daté  du  20  janvier  1589,  le  duc  d'Aïunale  et  les 
échevins  constatent  eux-mêmes  que  les  gens  qu^ils  avaient 
envoyés  au  bois  de  Vincennes  «  se  débandent  et  abandon- 
nent souvent  leurs  corps  de  garde  pour  aller  fourrager  es- 
dits  villages  circonvoisins  *  ».  En  conséquence,  on  autorise 
les  villageois  à  leur  courir  sus  et  à  les  amener  prisonniers 
à  Paris.  D'autres  mandements,  de  la  fin  de  janvier  et  des 
premiers  jours  de  février,  permettent  à  certains  faubourgs 
et  villages  de  la  banlieue  de  construire  des  murs  afin  de 
repousser  plus  facilement  les  incursions  des  pillards.  Gha- 
ronne,  Vanves,  Vaugirard,  Clamart,  Bagneux,  Fontenay, 
Arcueil,  Gentilly,  Monlrouge  obtinrent  des  autorisations 
de  ce  genre.  Repoussés  sur  un  point,  les  batteurs  d'estrade 
se  portaient  sur  d'autres,  envahissant  et  pillant  les  villages 
non  fortifiés.  Issy,  qui  appartenait  au  cardinal  de  Bourbon, 
ne  fut  pas  des  moins  visités  par  ces  hôtes  incommodes  et 
obtint  le  9  février  la  faveur  de  se  clore  *. 

Malgré  l'indiscipline  de  pareilles  troupes,  la  Ligue  pari- 
sienne se  préparait  aussi  activement  que  possible  à  sou- 
tenir un  siège.  Le  11  janvier,  elle  faisait  appel  «  à  tous 
pionniers  et  manouvriers  qui  volontairement  vouldront 


par  ]e8  dizaines  de  chaque  quartier,  avaient  charge  de  conserver  les  rôles 
pour  les  représenter  à  THôtel  de  Ville  ».  Le  {•'  février,  Jehan  Lechassier 
fut  nommé  «  contrôleur  des  recettes  et  dépenses  de  tous  les  deniers  levés 
sur  les  bourgeois  de  Paris  pour  le  faict  de  la  guerre  et  conservation  de  la 
Ville  ».  lôid.,  f  274. 

i,  Reo.  h,  1789,  f»  260.  Voy.  aussi  Féub.,  Preuves,  t.  V,  p.  456. 

2.  Le  3  février  1389,  Gharonne  présenta  une  requête  au  bureau  de  la 
Ville  afin  de  clore  ses  avenues.  Cette  requête  fut  accueillie  favorablement, 
ainsi  qu'une  autre  analogue  des  bourgs  Saint-Liénard  et  Saint- Jacques 
près  Corbeil.  Félib.,  Ibid,,  p.  457.  Il  faut  remarquer  que  le  terrain  néces- 
saire à  la  construction  des  murailles  fut  acquis  par  les  villages  intéressés 
«  en  les  payant  au  dire  de  gens  »  et  aux  frais  de  la  collectivité. 


M8  PARIS  ET  LA  LIGUE 

s'employer  au  faict  des  tranchées  et  forteresses  *  »  ;  ces 
ouvriers  devaient  se  réunir  à  l'Arsenal,  près  les  Célestins, 
et  être  payés  directement  par  la  Ville.  D'autre  part,  Pierre 
Guillain,  maître  des  œuvres  de  maçonnerie  de  la  Ville, 
reçut  l'ordre  de  prendre  chez  les  taillandiers,  merciers  et 
ferronniers,  tous  les  outils  nécessaires  aux  travaux  des 
tranchées  et  à  les  faire  apporter  à  l'Hôtel  de  Ville.  Les  mar- 
chands furent  payés  sur  la  caisse  municipale,  au  vu  des 
bons  que  leur  laissait  Pierre  Guillain.  Le  même  mande- 
ment ordonnait  «  à  tous  officiers,  sergens  et  commissaires 
des  quais  de  la  ville  ou  aultres  qu'il  appartiendra  assister 
ledit  Guillain,  faire  lesdictes  saisies  et  transports  d'où- 
tilz  *  ».  On  chargea  les  colonels  et  les  officiers  de  la  milice 
de  réquisitionner  quatre  cents  chevaux  «  pour  les  affaires 
de  la  Ville  '  ».  Des  mesures  spéciales  furent  prises  pour 


1.  Re6.  h,  1789,  f»  237. 

2.  Voici  le  texte  du  mandement  adressé  à  Pierre  Guillain  :  «  11  est 
enjoinct  à  Pierre  Guillain,  M^  des  œuvres  de  la  maçonnerie  de  la  d.  ville, 
de  soy  transporter  présentement,  sur  peyne  de  privation  de  sa  charge, 
ès-maisons  des  taillandiers,  marchans  merciers,  ferronniers  et  aultres  où 
il  pensera  qu'il  puisse  y  avoir  des  outils  pour  servira  la  suitte  de  l'armée, 
pour  prendre  et  soy  saisir  de  telle  quantité  d'outils  qui  luy  a  esté  com- 
mandée, comme  picqz,  hoyaulx,  pelles  ferrées  et  non  ferrées,  congnées, 
tarrières,  bisagues,  ciseaulx,  pinses  et  aultres  ustancilles  que  besoing  est 
pour  l'efTet  que  dessus,  et  iceulx  faire  apporter  en  l'hostel  de  ladîcte  ville, 
délaissant  toutesfois  mémoires  à  ceux  à  qui  appartiendront  lesdictz  ou- 
tilz,  signez  de  sa  main,  contenant  le  nombre  et  qualité  d'iceulx,  en  vertu 
tlcsquelz  sera  faict  payement  ausdictz  marchans,  ferronniers  et  aultres 
des  sommes  qu'il  appartiendra...  »  En  outre,  le  mandement  prescrit  «  à 
tous  offlciers,  sergents  et  commissaires  des  quais  de  la  ville  ou  aultres 
qu'il  appartiendra,  assister  le  d.  Guillain,  faire  lesdictes  saisies  et  trans- 
portz  d'outilz.  »  Rso.  H,  1789,  fo  235. 

3.  Il  semble,  d'après  la  teneur  du  mandement,  que  la  conscription  des 
chevaux  existait  à  Paris  vers  la  fin  du  xvi«  siècle,  et  que  chaque  proprié- 
taire de  chevaux  était  tenu  d'en  faire  déclaration.  En  cas  de  réquisition, 
on  ne  remboursait  la  valeur  des  animaux  réquisitionnés  que  s'ils  venaient 
à  périr.  Voici,  d'ailleurs,  le  texte  du  mandement  :  «  Il  est  enjoinct  à  tous 
colonnelz,  cappitaines,  quarteniers  et  autres  ayans  charge  en  ladite  ville, 
de  promptement  faire  bailler  et  délivrer  au  porteur  du  présent  mande- 
ment la  quantité  de  400  chevaux  pour  estre  employez  et  envoyez  pour  les 
aiTaircs  de  la  Ville,  et,  pour  cest  elTect,  contraindre  tous  et  un  g  chacun  les 
particulliera  ayans  chevaux,  suivant  les  rooles  qui  en  ont  esté  cy-devant 
faictz,  leur  déclarant  qu'au  cas  où  lesdictz  chevaulx  périssent,  ilz  seront 
remboursés  de  la  valleur  d'iceulx,  selon  la  taxe  qui  en  sera  faicte  par  les 


PARIS  RÉGICIDE  519 

mettre  les  ponts  en  état  de  défense  ou  en  construire  de 
nouveaux  sur  les  rivières  des  environs  de  Paris  et  sur  la 
Seine.  A  la  date  du  18  janvier  1589,  le  duc  d'Aumale  et 
trois  échevins  mandent  au  sieur  de  BouUe,  «  garde-marteau 
de  la  forêt  de  Crécy  »,  de  marquer  et  faire  abattre  dans  la 
forêt  de  Crécy  «  cent  pieds  d*arbres  chesnes,  veuz  bons,  pro- 
pres à  bâtir  et  édiffier  pontz-levis  et  pieux  *  ».  Au  pont  de 
Saint-Maur,  fut  placée  une  garde  particulière,  composée  de 
six  bourgeois  de  Paris  et  de  quatorze  personnes  de  Nogent- 
sur-Marne  et  Fontenay-sous-Bois  ».  De  nombreuses  dépê- 
ches prient  différentes  villes  de  disposer  des  étapes  pour 
les  forces  catholiques  qui  vont  à  Paris  ou  qui  en  sortent, 
ou  bien  de  faciliter  la  tâche  des  émissaires  chargés  do  ras- 
sembler des  munitions  et  des  vivres  pour  les  troupes  de 
l'Union  \ 

Au  milieu  de  tous  ces  préparatifs,  un  sentiment  dominait 
la  population  parisienne  et  les  conseils  de  la  Ligue.  Ils 
attendaient  et  appelaient  le  duc  de  Mayenne,  qui  parais- 
sait beaucoup  plus  capable  que  le  duc  d'Aumale  d'imprimer 
aux  forces  catholiques  une  direction  politique  et  militaire. 
C'est  seulement  après  la  mort  du  duc  de  Guise  que  Mayenne 
s'était  déclaré  ouvertement  pour  la  Ligue.  Une  grande 
aff^ection  n'unissait  pas  les  deux  frères,  et  l'on  rapporte 
qu'à  propos  d'une  femme,  ils  s'étaient  même  provoqués 


quartiers,  suivant  les  précédentes  ordonnances  de  la  ville.  Fdict  au  bureau 
d'icelle  le  xno  jour  de  janvier  Tan  ^589.  »  Reo.  H,  1789,  f*>  242. 

1.  Reg.  h,  1789,  fo  250,  et  Félib.,  Preuves,  t.  V,  p.  456.  Le  mandement 
porte  cet  intitulé  pompeux  :  «  Les  princes  catholiques  uniz  avec  les  pré- 
lats et  aultres  ecclésiastiques,  seigneurs,  gentilshommes,  bonnes  villes  et 
communautez  de  France  pour  la  defTence  et  protection  de  la  religion  ca- 
tholique, apostolique  et  romaine,  et  soulagement  du  peuple,  hault  et 
puissant  prince  Charles  de  Lorraine,  duc  d*Aumalle,  gouverneur  de  Paris, 
et  les  prévost  des  marchans  et  échevins  d*icelle,  stipulans  pour  les  dessus 
dits.  » 

2.  /6irf.,  fo  212. 

3. /dirf.,  f»  240.  Lettre  du  12  janvier  adressée  par  le  duc  d'Aumaie  à 
une  ville;  lettre  du  16  et  17  janvier  pour  les  étapes  des  troupes  catholi- 
ques, ^•  249  et  252. 


520  PARIS  ET  LA  LIGUE 

en  duel  et  ne  s'étaient  réconciliés  que  sur  le  terrain,  par 
une  sorte  de  honte  que  motivait  bien  1  enormité  de  cette 
haine  *.  Il  n'en  était  pas  moins  resté  le  chef  de  la  faction 
Caroliney  composée  des  princes  lorrains  et  ainsi  nonmiée 
parce  que  le  duc  de  Nemours,  frère  de  mère  de  Mayenne, 
ainsi  que  les  ducs  d'Aumale  et  d'Ëlbœuf,  ses  cousins,  por- 
taient tous  le  nom  de  Charles.  Mayenne,  on  s'en  souvient, 
avait  fait  prévenir  le  roi  par  le  colonel  Ornano  des  ambi- 
tieuses visées  de  Guise  *  :  le  duc  et  la  duchesse  d'Aumale 
ne  s'étaient  pas  abstenus  davantage  de  dénoncer  à  Henri  III 
le  chef  de  la  Ligue;  mais  le  drame  de  Blois,  en  faisant 
passer  Mayenne  du  second  plan  au  premier,  changea  brus- 
quement ses  dispositions  intimes.  Sans  doute,  les  excita- 
tions violentes  de  Mme  de  Montpensier,  sa  sœur,  qui, 
à  la  première  nouvelle  de  l'assassinat  des  Guises,  s'était 

1.  Db  Taor,  l.  X,  p.  443.  Au  surpIuB,  presque  tous  les  princes  de  la 
maison  de  Lorraine  jalousaient  la  puissance  du  duc  de  Guise,  à  commen- 
cer par  le  duc  de  Mercœur,  frère  de  la  reine  et  gouverneur  de  la  Bre- 
tagne. 

2.  Dans  une  déclaration  royale,  datée  de  février  138^,  Henri  HI  explique 
lui-même  comment  il  a  été  averti- par  Mayenne  de  se  garder  du  duc  de 
Guise  :  a  Sans  nous  amuser  aux  particularités  de  la  vie  desdits  feu  duc  de 
Guise  et  de  son  f^ëre,  dont  la  mémoire  e^t  encore  trop  fraîche  en  ce 
roïaume,  principalement  entre  ceux  qui  les  connoissoient  le  mieux,  pour 
ne  perdre  temps  à  l'écrire,  il  nous  suffira  seulement  de  dire  que,  peu  de 
jours  auparavant  sa  mort,  icelui  duc  de  Mayenne,  entr'autres  choses, 
nous  manda  par  un  chevalier  d'honneur,  qu'il  nous  envoia  exprès,  que  ce 
n'était  pas  à  son  frère  de  porter  des  patenôtres  au  col,  mais  qu'il  falloit 
avoir  une  âme  et  une  conscience;  que  nous  prissions  bien  garde  à  nous; 
qu'il  falloit  que  lui-môme  duc  de  Mayenne  ou  ledit  chevalier  vinssent 
pour  nous  avertir,  et  que  le  terme  étoit  si  brief,  et  que,  s*il  ne  se  hâtoit, 
il  étoit  bien  h  craindre  qu'il  n'arriveroit  pas  assez  à  temps.  »  Déclaration 
du  roi  sur  Vattentaly  félonnie  et  rébellion  du  duc  de  Mayenne,  duc  et  che- 
valier d'Aumale  et  ceux  qui  les  assisteront.  M^m.  ob  la  Lioce,  t.  HF,  p.  203. 

On  lit,  d'autre  part,  dans  la  harangue  de  d'Aubray  [Sat,  Ménippée,  t.  I, 
p.  138)  :  tt  Aucuns  ont  voulu  dire  que  vous,  M.  le  lieutenant,  estant  jaloux 
de  la  grandeur  et  haute  fortune  de  Monsieur  votre  frère,  advertistes  le 
defTunct  roy  de  l'entreprise  qu'on  faisoit  de  remmener  et  l'admonestiez  de 
se  hasler  d'y  prévenir.  Si  cela  est  vray,  je  m'en  rapporte  À  vous  ;  mais 
c'est  chose  tout  vulgaire  que  Madame  d'Aumale,  vostre  cousine,  fut  à 
Blois  exprez  pour  découvrir  tout  le  mystère  au  roy  :  où  elle  ne  perdit  pas 
ses  peines,  et  dit-on  que  son  mary  et  elle  eussent  dès  lors  fait  banqueroute 
à  la  Ligue,  si  on  luy  eust  voulu  donner  le  gouvernement  de  Picardie  et 
de  Boulogne  et  payer  ses  dettes.  » 


PARIS  RÉGICIDE  521 

rendue  en  poste  auprès  de  lui,  purent  contribuer  à  raffermir 
dans  ses  projets  de  vengeance^  mais  Tintérêt,  à  défaut 
d'autre  motif,  l'eût  décidé  à  se  ranger  au  parti  ligueur. 
Aussi  les  Parisiens  le  trouvèrent-ils  parfaitement  préparé, 
lorsqu'ils  lui  écrivirent,  dès  le  premier  janvier  1589,  pour 
le  féliciter  d'avoir  échappé  lui-même  aux  machinations  et 
le  prier  de  venir  à  Paris  prendre  la  direction  de  la  guerre 
sainte  *. 

Le  duc  rassemble  immédiatement  des  troupes  avec  le 
concours  de  ses  officiers,  notamment  de  Chrétien  de  Savigny 
de  Rosnc,  de  Roger  de  Grammont,  de  Mauléon  et  d'Escla- 
voles  de  Chamois,  puis  il  se  mit  en  marche  vers  Orléans 
(qu'il  ne  fit  que  traverser,  puisqu'il  trouva  la  citadelle  éva- 
cuée par  d'Aumont),  et  entra  à  Chartres,  le  sept  février. 
Malgré  l'opposition  sourde  de  Tévêque  Nicolas  de  Thou, 
Mayenne  fut  accueilli  dans  la  capitale  de  la  Beaucc  avec 
un  grand  enthousiasme,  et  Nicolas  de  Thou  fut  contraint 
par  les  chanoines  et  par  le  peuple  de  venir  recevoir  à  la 
cathédrale  le  chef  de  la  Ligue.  Cependant  les  Parisiens 
avaient  hâte  de  voir  leur  prince.  Ils  lui  écrivaient  lettres 
sur  lettres  pour  presser  sa  marche  triomphale  à  travers  la 
France  '. 


1.  Rbo.  h,  1789,  fo  223.  Cette  lettre,  d'ailleurs  fort  curieuse,  étant  repro- 
duite par  Félxbien,  Preuves,  t.  V,  p.  451,  nous  n'en  citerons  qu'un  passage  : 
tt  Pour  ce  que  le  péril  n'est  qu'au  trop  de  remise  et  de  langueur,  nous 
vous  supplions  très  humblement,  monseigneur,  faire  estât  de  cette  Ville 
pour  estre  du  tout  &  vostre  dévotion,  et,  à  ceste  cause,  y  venir  en  per- 
sonne, vous  offrant  nos  vies  et  nos  biens,  d  Puis  vient  une  orgueilleuse 
affirmation  du  rôle  prépondérant  de  la  capitale  :  «  Considérez  que  toutes 
les  bonnes  villes  ayant  Tœil  sur  celle-cy  comme  la  capitale  et  de  laquelle 
la  ruine  attireroit  après  elle  celle  de  tout  le  reste  du  royaume,  il  est 
besoin  surtout,  premièrement  pourvoir  à  nostre  conservation,  estant  aisé 
à  juger  qu'icy  tombera  le  grand  effort;  remédiant  auquel,  aussi  le  reste 
se  conservera  aisément.  »  La  Ville  termine  par  une  sorte  de  menace  et 
par  une  allusion  à  l'opinion  publique  que  le  duc  ne  peut  mépriser  :  «  Les 
affaires  disposées  comme  elles  sont,  s'il  se  reconnoissoit  quelque  retarde- 
ment, pour  quelque  occasion  que  ce  soit,  nous  ne  pourrions  retenir  les 
jugements  de  tant  de  personnes  qui  n'ont  mis  de  longue  main  par  vostre 
promesse  leur  espérance  tant  en  personne  qu'en  vous.  » 

2.  Voici  une  de  ces  lettres,  datée  du  18  janvier  1589  :  «  Monseigneur, 


332  PARIS  ET  LA  LIGUE 

En  attendant,  la  Sainte-Union  entretenait  le  fanatisme 
du  peuple  par  maints  spectacles  émouvants.  Tantôt,  c'était 
une  exhibition  de  tableaux  à  sensation.  La  municipalité 
plaçait  sur  l'arbre  de  la  Saint-Jean  «  la  représentation  d'une 
grande  furie  qu'ils  nommèrent  Hérésie,  dont  elle  fut  toute 
bruslée*  ».  Tantôt  c'étaient  des  processions  extraordinaires. 
«  Sur  la  fin  de  janvier,  dit  l'Estoile,  les  petits  enfans,  fils 
et  filles  de  la  ville  de  Paris,  commencèrent  à  faire  proces- 
sions et  prières  publiques  par  la  ville,  allans  d'église  en 
autre,  en  grandes  trouppes,  marchans  deux  à  deux,  por- 
tans  chandelles  de  cire  ardantes  en  leurs  mains,  chantans 
les  letanies,  les  VII  psaumes  pénitentiaux  et  autres  psalmes, 
himnes,  oraisons  et  prières,  faites  et  dictées  par  les  curés 
de  leurs  paroisses  •.  »  Tous  les  jours,  ces  processions  se 
renouvelaient,  et  l'on  s'habituait  à  voir  passer  ces  étranges 
cortèges  de  femmes  en  chemise  et  portant  des  cierges 
allumés  qu'elles  éteignaient  sur  un  mot  d'ordre,  en  s'écriant  : 
«  Dieu,  éteignez  la  race  des  Valois!  »  Le  14  février,  jour 
du  mardi  gras,  «  se  firent  à  Paris  de  belles  et  dévotes  pro- 
cessions, au  lieu  des  dissolutions  et  ordures  de  mascarades 
et  quaresmeprenans  qu'on  y  souloit  faire  les  années  précé- 
dentes »  ».  Une  troupe  de  600  écoliers,  dont  la  plupart 

l'ardente  aîTection  qu'avez  toujours  montrée  avoir  à  la  manutention  de 
nostre  religion  catholique,  apostolique  et  romaine  et  nostre  commune 
conservation^  amitié  et  bonne  intelligence,  nous  ont  faict  prendre  occasion 
de  vous  faire  mot,  oultre  nos  précédentes,  par  lequel  nous  vous  prions 
afTeclionnément  de  vous  acheminer  de  nostre  costc  avec  voz  trouppes,  le 
plus  tost  quMI  vous  sera  possible,  où  vous  pouvez  vous  promettre  que 
vous  serez  très  bien  receu  et  respecté...  »  Rkg.  H,  1789,  fo  253. 

1.  L'Estoile,  t.  III,  p.  163. 

2.  Ibid.,  p.  243. 

3.  Jbid.,  p.  247.  Plusieurs  de  ces  processions  eurent  un  caractère  absola- 
ment  officiel.  C'est  ainsi  que  le  jendi  16  février  1589,  second  jour  de  ca- 
rême, les  capitaines  de  Paris  firent  une  procession  imposante.  «  Ils  estoieni 
huit  vingt  en  nombre,  dit  l'Estoile,  et  autant  de  lieutenants,  et  encore  au- 
tant de  porte-enseignes,  pource  qu'aux  seize  quartiers  de  Paris  on  compte 
huit  vingt  dizaines.  »  T.  III,  p.  249.  Précédés  de  congrégations  nombreuses 
qui  marchaient  pieds  nus  et  chantaient  des  psaumes,  ils  allèrent  de 
Saint-Marlin-des-Champs  à  Sainte-Geneviève  «  deux  à  deux,  tous  en  deuil, 
portans  torches,  flambeaux  et  cierges  blancs,  armoiries  des  armoiries  des 


PARIS  RÉGICIDE  523 

avaient  dix  ou  douze  ans,  promena  dans  Paris  ses  cierges 
et  ses  litanies  discordantes.  Tout  cela  était  si  captivant 
que  la  nuit  ne  mettait  pas  fin  à  ce  mardi-gras  sacré.  Les 
chroniqueurs  les  plus  dignes  de  foi  affirment  même  que 
l'intérêt  du  spectacle  augmentait  encore  avec  les  ténèbres. 
L'Estoile  rapporte  que  les  ligueurs  se  levaient  souvent 
pour  aller  quérir  le  curé  de  leur  paroisse  et  le  forcer  de 
prendre  la  direction  d'une  procession  nocturne.  La  chose 
arriva  au  curé  de  Saint-Eustachc,  qui  trouva  le  zèle  de  ses 
paroissiens  bien  intempérant;  et  puis  cet  ecclésiastique 
«  avec  deux  ou  trois  autres  de  Paris  et  non  plus  »  consta- 
tait que  dans  ces  promenades  politico-religieuses  «  tout 
estoit  de  quaresmeprenant  et  que  bonne  maquerelle  pour 
beaucoup  estoit  umbre  de  dévotion.  Car,  en  icelles,  hommes 
et  femmes,  filles  et  garsons,  marchoient  pesle  mesle  en- 
semble, tout  nuds,  et  engendroient  des  fruits  autres  que 
ceux  pour  la  fin  desquels  elles  avoicnt  esté  instituées  *  ». 
La  fille  d'une  bonnetière  du  quartier  de  la  Porte-Montmartre 
en  sut  quelque  chose  au  bout  de  neuf  mois,  et  «  un  curé  de 
Paris  qu'on  avoit  ouï  prescher,  peu  auparavant,  qu'en  ces 
processions  les  pieds  blancs  et  douilletz  des  femmes  estoient 
fort  agréables  à  Dieu,  en  planta  un  autre  {un  fruit)  qui 
vinst  à  maturité  au  bout  du  terme  '  ».  Le  chevalier  d'Au- 
male,  qui  n'était  pas  ennemi  des  plaisirs  profanes,  s'amu- 
sait à  jeter  aux  dames,  au  moyen  d'une  sarbacane,  des 
dragées  musquées,  et  réchauffait  les  pénitentes  transies  «  par 
les  colations  qu'il  leur  aprestoit,  tantôt  sur  le  pont  au 
Change,  autrefois  sur  le  pont  Nostre-Dame,  en  la  rue  Saint- 
Jacques-la-Verrerie  et  partout  ailleurs  '  ».  Ces  scandales 


deffuncts  duc  et  cardinal  de  Guise  avecq   chapiteaux    noirs   semés   de 
larmes.  »  Le  duc  et  le  chevalier  d*Aumale  se  trouvaient  en  tête  du  cortège. 

1.  L'Estoile,  t.  IIl,  p.  247. 

2.  Ibid.,  p.  248. 

3.  làid,,  p.  248.  Le  grave  historien   de  Thou  confirme  absolument  le 
dire  de  TEstoile,  toujours  si  eïact  et  de  si  bonne  foi  :  «  Il  s'en  trouvoit 


5â4  PARIS  ET  LA   LIGUE 

contristaient  bien  quelques  bonnes  âmes,  mais  on  fermait 
les  yeux  dans  Tintérêt  de  la  bonne  cause. 

D'ailleurs  ,  des  distractions  d'un  caractère  différent 
étaient,  en  même  temps,  offertes  aux  Parisiens. 

Le  lundi  30  janvier  1589  *,  eut  lieu  à  Notre-Dame  un 
service  solennel  pour  le  salut  des  âmes  du  duc  et  du  car- 
dinal de  Guise.  Tous  les  chroniqueurs  du  temps  s'accor- 
dent à  reconnaître  qu'on  ne  déploya  jamais  pareille  pompe 
pour  les  funérailles  des  rois.  Aimar  Hennequin,  évêque  de 
Rennes,  officia,  et  Pigenat,  le  fameux  curé  de  Saint-Nicolas 
des  Champs,  prononça  l'oraison  funèbre.  La  Ville  de  Paris, 
en  corps,  toutes  les  cours  souveraines  et  le  duc  d*Aumale 
assistèrent  à  la  cérémonie.  C'est  la  municipalité  qui  sup- 
porta les  frais  de  la  cire  des  cierges,  et  le  chapitre  métropo- 
litain prit  à  sa  charge  le  reste  de  la  dépense. 

Quelques  jours  plus  tard,  le  7  février,  une  autre 
solennité  passionna  les  Parisiens.  Peu  de  temps  avant 
la  mort  de  son  mari,  la  duchesse  de  Guise  *  avait  quitté 
Blois  pour  venir  faire  ses  couches  à  Paris.  LVnfant  vint 


même,  dit-il,  quelques-unes  des  plus  jolies  filles  qui,  pour  rendre  leur  dé- 
votion plus  agréable  à  ceux  qui  en  étoient  témoins,  n'étoient  couvertes 
que  d'une  seule  toile  de  lin  très  fine,  qui  n'opposoit  aucun  obstacle  aux 
regards  curieux,  ni  souvent  même  aux  caresses  empressées  des  jeunes 
gens  qui  les  conduisoient  galamment  par-dessous  les  bras.  »  Hist.  univ., 
t.  X,  p.  529.  —  Conf.  Conseil  salutaire  d* un  bon  Français  aux  Parisiens,  après 
Sat.  Ménippée,  t.  III,  p.  268. 

1.  C'est  la  date  donnée  par  l'Estoile.  Pi^xibiks  (l.  Il,  p.  1179)  dit  que  le 
30  était  un  jeudi,  mais  c'est  évidemment  une  erreur. 

2.  Catherine  deClèves,  née  en  1548  de  François  de  Ctèves,  duc  de  Nevers, 
et  de  sa  première  femme,  Marguerite  de  Bourbon-Vendôme.  Veuve  en  1566 
d'Antoine  de  Croy,  prince  de  Portien,  qu'elle  avait  épousé  en  octobre  1560 
et  qui  lui  avait  fait  embrasser  le  calvinisme,  elle  abjura,  sur  les  instances 
de  Catherine  de  Mâdicis,  et  se  remaria  en  1570  avec  Henri  de  Guise.  Ses 
mœurs  avaient  été  plus  que  légères.  Comme  sa  sœur  aînée,  la  duchesse  de 
Nevers,  elle  portait  dans  ses  heures  les  portraits  de  ses  amants  peints  en 
crucifix.  Le  comte  de  Saint-Mégrin,  que  Mayenne  fit  tuer  au  sortir  du 
Louvre,  figurait  sur  cette  liste.  Voy.  dans  Tallemant  des  Réaux  l'histoire 
du  bouillon  que  le  duc  de  Guise  fit  prendre  à  sa  femme,  (T.  I,  p.  80.  Edition 
Monmerqué  et  Paulin  PÂris.)  La  duchesse  ne  devait  mourir  que  le  11  mai 
1633,  en  odeur  de  sainteté,  à  cause  de  ses  largesses  aux  jésuites  (amore 
incensa  societatis  Jesu). 


PARIS  RÉGICIDE  ^  536 

au  monde  après  Tassassinat  de  son  père  et  cette  déli- 
vrance de  la  duchesse  souleva  parmi  la  population  pari- 
sienne un  enthousiasme  universel.  Conformément  à  la 
demande  qu'ils  avaient  faite,  le  prévôt  des  marchands  -et 
les  échevins  tinrent  sur  les  fonts  Tenfant  du  chef  de  la 
Ligue,  à  Téglise  Saint-Jean-en-Grève.  La  duchesse  d'Au- 
male  fut  la  marraine  et  Ton  donna  au  posthume  les  noms 
de  François- Alexandre,  Paris  de  Lorraine  *.  Ce  haptême 
se  fit  remarquer  par  un  faste  inaccoutumé  et  «  de  la 
magnifique  cérimonie,  comme  dit  TEstoile,  car  la  plus 
part  des  capitaines  des  dixaines  de  Paris  marchoienl 
deux  &  deux,  portaus  flambeaux  de  cire  blanche  et 
ardante,  et  estoient  suivis  des  archers,  harquebouziers  et 
arbalestriers  de  la  Ville,  vestus  de  leurs  hoquetons,  mar- 
chans  en  même  ordre  et  pôrtans  semblables  torches  ou 
flambeaux  ».  Pour  terminer  la  fête,  une  magnifique  col- 
lation fut  oflerte  dans  la  maison  commune  aux  princes  et 
princesses  de  la  Ligue  et  l'artillerie  municipale  retentit 
en  signe  d'allégresse.  «  Le  peuple  de  Paris  en  grande 
affluence  estoit  espandu  par  les  rues  où  passait  la  pompe, 
bénissant  Tenfant  et  regrettant  le  père  avecq  douleur 
et  gémissements  très  grands  •  ». 

Malgré  l'attrait  de  toutes  ces  cérémonies  à  effet,  les 
meneurs  de  la  Ligue  comprenaient  fort  bien  qu'elles  ne 
suffisaient  pas  à  occuper  l'esprit  du  peuple  et  qu'un  chef 
était  plus  que  jamais  nécessaire  pour  imprimer  une  direc- 
tion suivie  aux  forces  de  la  faction.  Enfin  Mayenne  fit  son 
entrée  à  Paris  le  12  février  1589  %  au  milieu  d'un  enthou- 


1.  Il  mourut  en  juin  1614,  des  suites  d'un  accident,  et  fat  gouverneur  de 
Provence.  La  mort  des  barons  de  Luz,  père  et  fils,  sont  les  deux  actions 
qui  ont  illustré  le  filleul  de  Paris,  et  c'est  une  célébrité  qui  serait  aujour- 
d'hui de  la  compétence  de  la  cour  d'assises. 

2.  T.  m,  p.  246.  Gonf.  Palma-Cayet.  CkronoL  7iov.,  livre  1. 

3.  Il  avait  été  précédé  de  la  duchesse  de  Montpcnsier  arrivée  le  9,  de  la 
duchesse  de  Mayenne  arrivée  le  10,  de  la  duchesse  de  Nemours  arrivée 
le  11.  L'EsTOiLE,  t.  ni,  p.  246. 


836  PARIS  ET  LA  LIGUE 

siasme  indescriptible.  Il  avait  à  ses  côtés  le  duc  do 
Nemours  et  devant  lui  le  duc  et  le  chevalier  d'Aumale. 
Du  premier  coup  d'oeil,  le  nouveau  maître  de  Paris  vit 
qu'il  fallait  soustraire  à  la  démagogie  le  gouvernement  de 
la  capitale  et  il  profita,  non  sans  habileté,  des  bonnes 
dispositions  du  peuple  pour  prendre  des  mesures  déci- 
sives. Une  assemblée  générale  fut  convoquée  à  THôtel  de 
Ville  le  16  février.  Elle  comprenait  les  ducs  de  Mayenne, 
de  Nemours,  d'Aumale,  le  comte  de  Chaligny,  les  éche- 
vins,  les  conseillers  de  Ville,  les  députés  des  cours, 
corps,  collèges,  chapitres  et  communautés  ecclésiastiques, 
les  quartiniers  et  «  quatre  notables  bourgeois  des  neuf  élus 
pour  le  conseil  de  chacun  quartier  *  ».  Mayenne,  qui  pré- 
sidait, dit  «  qu'il  estoit  expédient  d'establir  un  Conseil 
général  de  tous  les  ordres  es  estats  de  la  Ville  pour  pour- 
voir à  toutes  les  affaires  concernantes  ladite  Ville  et  tout 
TEstat,  tant  au  fait  de  la  guerre  que  finances  et  police  du 
royaume,  attendant  la  tenue  des  Estats  généraux  ».  Il  ne 
paraît  pas  y  avoir  eu  de  discussion  sérieuse  :  la  propo- 
sition du  duc  fut  renvoyée  à  ce  «  Conseil  particulier  de  la 
Ville  »  dont  nous  avons  dit  plus  haut  la  composition  *  et 
qui  n'était  qu'une  sorte  de  réduction  de  ce  qu'on  appelait 
autrefois  le  Grand  Bureau  de  la  Ville.  C'est  là  qu'on 
devait  dresser  «  le  rôle  des  personnes  jugées  capables  » 
d'entrer  dans  le  conseil  général  de  l'Union.  Il  fut  décidé 
que  ce  rôle  serait  ensuite  soumis  à  tous  les  comités  de 
quartier  et  que  «  seroit  rapporté  le  lendemain  au  conseil 
qui  seroit  assemblé  près  lesdits  seigneurs  princes,  pour 


i.  Reg.  h,  1789,  fo  284.  Ce  passage  met  en  relief  TexisteDce  des  seize  co- 
mités de  quartiers,  composés  chacun  de  neuf  membres.  Les  Registres  con- 
cordent parfaitement  avec  le  passage  du  Dialvgue  du  Maheustre  et  du  Ma. 
nant  qui  parait  appliquer  cette  dénomination  énigmatique  les  Seize  k 
l'ensemble  des  seize  comités.  Nous  avons  déjà  cité  plus  haut,  p.  493,  ce 
texte  qui  se  trouve  au  t.  III  de  la  Satyre  Ménippée,  édit.  de  Ratisbonne, 
p.  454. 

2.  Voy.  p.  492,  note  4. 


PARIS   RÉGICIDE  837 

sur  iceux  arrester  le  voile  du  Conseil  général^  sans  autre 
plus  grande  assemblée  ».  Ainsi,  en  définitive,  les  princes 
devaient  avoir  le  dernier  mot.  Le  lendemain  17,  ils  se 
réunirent  en  conseil  avec  quelques  membres  des  compa- 
gnies souveraines,  quelques  gentilshommes,  les  échevins 
et  «  aucuns  bourgeois  notables  de  la  Ville  »  pour  exa- 
miner les  rôles  «  baillez  tant  par  la  cour  de  Parlement, 
chambre  des  comptes  et  généraux  de  la  justice  des  aydes 
que  par  les  députez  des  quartiers,  suivant  la  délibération 
faicte  lejourd'hier,  en  l'assemblée  générale  des  habitans 
d'icelle  ville,  contenant  les  noms  de  ceux  qui  sembloient 
propres  pour  assister  au  conseil  général  que  Pon  a  désiré 
estre  estably  comme  nécessaire  pour  pourvoir  à  Tentre- 
tenement  de  TUnion  et  conservation  de  la  religion  catho- 
lique, apostolique  et  romaine  et  de  Testât  ^  ».  A  la  suite 
de  cette  conférence,  Mayenne  arrêta  la  composition  du 
Conseil  général  de  TUnion.  C'est  très  improprement  qu'on 
Ta  appelé  le  Conseil  des  quarante,  car,  ainsi  que  nous 
Tavons  dit  plus  haut  ',  il  ne  paraît  pas  avoir  été  constitué 
avec  des  cadres  bien  arrêtés,  lors  de  la  nomination  du 
duc  d'Aumale  en  quantité  de  gouverneur  de  Paris  et  de 
la  reconstitution  de  la  municipalité  parisienne.  Quant  à 
Mayenne,  il  éleva  le  nombre  des  membres  du  conseil 
général  de  FUnion,  le  17  février  1589,  à  cinquante-quatre 
membres,  si  Ton  en  croit  le  Dialogue  du  Maheustre  et  du 
Manant  ^;  et  les  personnages  sur  lesquels  il  porta  son 
choix  pour  contrebalancer  Tinfluence  démagogique  des 
élus  du  peuple  *  appartenaient  tous  aux  plus  hautes  classes 


1.  Extraits  des  ordonnances.  Félib.,  Pr.,  t.  III,  p.  306. 

2.  Voy.  p.  492. 

3.  T.  III  de  la  Sat.  Ménippée,  p.  472. 

4.  Les  membres  du  conseil  élus  par  le  peuple  ou,  pour  être  plus  exact, 
par  les  comités  de  quartier,  étaient,  d'après  le  Dialogue  du  Maheustre  et  du 
Manant f  les  sieurs  deBrézé,  évêque  de  Meaux;  Roze,  évêque  de  Senlis;  de 
Villars,  évêque  d*Agen  ;  Prévost,  curé  de  Saint-Séverin  ;  Boucher,  curé  de 
Saint-Benoist;  Aubry,  curé  de  Saint-André  ;  Pelletier,  curé  de  Saint-Jacques  ; 


S28  PARIS  ET  LA  LIGUE 

de  la  société.  C'étaient  l'évêque  de  Rennes,  Hennequin, 
l'abbé  de  Lenoncourt,  les  présidents  Jeannin,  du  parle- 
ment de  Dijon,  et  Vêtus,  du  parlement  de  Rennes;  le  pré- 
sident le  Maistre,  du  parlement  de  Paris;  le  conseiller 
d'Amours,  les  Villeroy  père  et  fils,  qui  décidément  pre- 
naient parti  pour  la  Ligue  ;  le  sieur  de  la  Bourdaiziëre,  le 
sieur  du  Fay  et  les  présidents  d'Ormesson  et  Videville; 
mais  Mayenne  ne  se  borna  certainement  pas  à  l'addition 
de  ces  quatorze  membres,  car  la  liste  définitive  du  conseil 
que  coUationna  Pierre  Senault,  d'après  l'original  et  qui  est 
citée  par  Félibien,  indique  des  noms  qui  ne  figurent  ni 
parmi  les  quarante  membres  de  la  fondation,  ni  parmi  les 
quatorze  de  la  seconde  fournée.  Nous  citerons  notamment 
L'Huillier,  maître  des  comptes;  de  Sarmoisc,  de  Dam- 
pierre,  maîtres  des  requêtes;  Lescaut,  Gobelin,  sieur  de 
Saint-Germain.  D'ailleurs  l'ordonnance  du  7  février,  qui 
porte  établissement  définitif  du  Conseil  *,  comprend  cette 
disposition  finale  :  «  A  esté  arresté  que  messieurs  les  pré- 
sidens,  advocats  et  procureurs  au  parlement,  estans  à 
présent  en  exercice,  y  pourront  assister  quand  bon  leur 
semblera  et  y  auront  voix  délibérative.  Pareillement,  les 
autres  évesques  de  l'Union  y  auront  séance  et  voix  par 
l'advis  du  conseil.  Les  prévost  des  marchans  et  eschevins 
et  le  procureur  de  la  Ville  qui  sont  de  présent  en  charge, 

Pigenat,  curé  de  Saint-Nicolas,  et  de  Launoy,  chanoine  de  Soissons,  pour 
l'Eglise.  —  Les  sieurs  de  Maineville.  de  Canillac,  de  Saint-Pol,  de  Rosnc, 
de  Montbereauld.de  Hautefort  et  du  Sauseay,  pour  la  noblesse.  —  Les  sieurs 
de  Masparault,  de  Neuilly  [le  prévôt  des  marchands  absent),  Coqueley, 
Midorge,  de  Machault.  Baston,  Michel  de  Marillac  (le  futur  garde  des 
sceaux  sous  Louis  XUT,  conseillers  au  Parlement;  Acarie,  maître  des 
comptes;  de  Bray,  intendant  des  finances;  le  Beau  Clerc,  de  la  Bruyère, 
lieutenant  civil;  Anroux,  Foutanon,  le  jurisconsulte;  Drouart,  Crucé,  de 
Bordeaux,  Halvequiu,  Soly,  Bellanger,  Poncher,  Charpentier  et  Pierre 
Senault,  commis  au  greiïe  du  Parlement  et  nommé  secrétaire  et  greffier 
du  Conseil.  On  peut  compléter  ou  rectifier  cette  liste  d'après  l'extrait  des 
ordonnances  que  cite  Félibibn,  Pr.,  t.  HI,  p-  306. 

1.  Celte  ordonnance  est  signée  de  Charles  de  Lorraine,  Charles-Emma- 
nuel de  Savoie,  Henry  de  Lorraine,  Roland,  de  Compaos,  Costeblanche  et 
Desprez.  Voy.  Félibien,  Pr.,  t.  III,  p.  307. 


PARIS  RÉGICIDE  529 

y  auront  séance  et  voix  délibérative  à  tousjours,  sans  le 
tirer  à  conséquence  pour  Ifeurs  successeurs  et  seoiront 
immédiatement  après  les  présidens  des  cours  et  compa- 
gnies souveraines  et  maistres  des  requestes.  Des  députez 
des  trois  ordres  des  villes  et  provinces  unies  y  auront 
aussi  séance  et  voix.  »  Par  conséquent,  les  cadres  du 
conseil  général  de  TUnion  restaient  élastiques,  se  resser- 
rant et  s'élargissant  suivant  la  volonté  de  son  président. 
Le  Dialogue  accuse,  du  reste,  les  princes  d'avoir  fait 
entrer  de  nouveaux  membres  au  conseil  «  sans  les  suf- 
frages du  peuple  »,  dans  le  seul  dessein  «  d'emporter  les 
voix  des  dénommez  par  le  peuple  ».  Ceux  que  le  Manant 
appelle  les  supernuméraires ^  c'est-à-dire  les  magistrats  et 
les  officiers  municipaux  qui  avaient  droit  d'entrée  au 
conseil  quand  bon  leur  semblait,  ou  plutôt  quand  il  sem- 
blait bon  aux  princes,  devaient  servir  à  noyer  les  suffrages 
des  représentants  des  couches  inférieures  de  la  population  *, 
car  ils  étaient  plus  nombreux  que  les  membres  primitifs 
du  conseil. 

Ayant  ainsi  assuré  la  prépondérance  de  son  autorité 
quasi  souveraine,  le  duc  de  Mayenne  décida  que  le  conseil 
général  se  réunirait  «  à  la  maison  du  bailliage  du  Palais  » 


i .  Le  Manant  dit  que  Mayenne  ajouta  quatorze  membres  au  conseil,  dont 
il  cite  les  noms,  «  et  depuis  eux  plusieurs  autres  de  leur  façon  et  pratique, 
pour  emporter  les  voix  des  dénommez  par  le  peuple;  de  sorte  que,  le  plus 
souvent,  ils  estoient  en  contradiction,  tellement  que,  quand  les  grands  vou- 
loient  frapper  quelque  coup  au  désavantage  du  party  des  catholiques  et 
favoriser  les  ennemis,  ils  faisoient  venir  les  présidens  de  la  cour  et  gens 
du  roy  avec  leurs  adhérans,  comme  le  président  le  Sueur  de  Bragelogne, 
trésorier,  Rolland,  Teschevin,  et  autres  de  semblable  farine,  qui  avoient 
séance  et  voix  délibérative  audit  conseil,  afîn  d'emporter  ce  qu'ils  vou- 
loient  par  la  pluralité  des  voix,  d'autant  que  ces  supernuméraires  surpas- 
soient  le  nombre  de  ceux  nommez  par  le  peuple  ».  P.  473,  t.  III,  édit.  de 
Ratisbonne.  —  Il  est  assez  difOcile  de  concilier  ce  passage  avec  les  apprécia- 
tions de  L'EsToiLB(t.  III,  p.  250),  qui  attribue  à  Senault  «  une  merveilleuse  auc- 
torité  et  plus  d'audivit  et  de  commandement  lui  seul  que  tous  ceux  du  con- 
seil ensemble  ».  D'après  le  chroniqueur,  quand  on  faisait  une  proposition 
désagréable  à  Senault,  il  se  levait  et  disait  :  «  Messieurs,  je  l'empesche  et 
m'y  oppose  pour  40,000  hommes  »,  à  laquelle  voix  ils  baissoient  tous  la 
teste  comme  cannes  et  ne  disoient  plus  mot  ». 

ROBIQUET.  34 


830  PARIS  ET  LA  LIGUE 

et  que  la  liste  de  ses  membres  serait  enregistrée  au  Parle- 
ment. Celte  formalité  fut  remplie  le  20  février,  à  la  requête 
du  procureur  général  K 

Le  nouveau  chef  de  la  Ligue  craignait  si  peu  que  la 
fraction  démagogique  du  parti  clérical  pût  être  tentée  de 

« 

protester  *,  qu'il  partit  à  Rouen,  le  21  février,  avec  le  duc 
de  Nemours,  le  prédicateur  Pigenat  et  un  délégué  spécial 
de  la  Ville  de  Paris,  le  sieur  de  Saliot  '.  Il  s'agissait  de 
briser  la  résistance  du  parlement  de  Rouen  qui  refusait  de 
prêter  serment  à  TUnion.  Ce  résultat  fut  obtenu  sans  diffi- 
culté. Tandis  que  Mayenne  exécutait  en  Normandie  cette 
espèce  de  coup  d'État  parlementaire,  le  conseil  général  de 
rUnion  témoignait. sa  servilité  envers  le  duc  en  lui  confé- 
rant le  titre  de  lieutenant  général  de  CEstat  royal  et  cou- 
ronne  de  France  (4  mars  1589)  *.  C'était  là,  il  faut  le 
reconnaître,  un  titre  singulier  et  fort  ambigu,  car  il  était 
à  la  fois  trop  ambitieux  et  trop  timide,  puisqu'il  impliquait 
l'existence  d'une  autorité  supérieure,  qui,  selon  le  droit 
monarchique,  ne  pouvait  être  que  celle  du  roi  *.  Le  prési- 


I.Félib.,  Vr.^  t.  III,  p.  307. 

2.  Le  Dialogue  du  Maheustre  et  du  Manant  atteste  cependant  que  rélément 
populaire  du  conseil  vit  avec  colère  la  fournée  de  hauts  fonctionnaires  intro- 
duite par  Mayenne  assurer  la  prépondérance  de  l'élément  aristocratique  : 
«  Si  le  conseil  général  de  TUnion  s'est  fourvoyé,  dit  le  Manant,  ra  esté  par 
l'introduction  des  grands  que  l'on  y  a  mis  sans  les  suffrages  du  peuple.  • 
P.  472,  Sat.  Ménippée,  t.  III. 

3.  Le  RÊo.  H,  1789,  f^  228,  contient  le  texte  de  la  procuration  donnée  par 
le  prévôt  des  marchands  et  les  échevins  au  sieur  de  Saliot  «  pour  se  trans- 
porter avec  monsieur  le  duc  du  Mayne  &  Rouen  et  partout  ailleurs,  et  traiter 
au  nom  de  la  Ville  tout  ce  qui  sera  jugé  utile  pour  ladite  Union.  Du 
20  février  i589  ».  Voy.  aussi  Féub.,  Pr.,  t.  III,  p.  439. 

4.  C'est  la  date  donnée  par  de  Thou,  t.  X,  p.  524. 

tS.  C'est  ce  qu'a  parfaitement  exprimé  Pierre  Pithou  dans  la  harangue  de 
d'Aubray  :  «  Lieutenant  de  TFltat  et  couronne  est  un  titre  inouy  et 
estrange  qui  a  trop  longue  queue,  comme  une  chimère  contre  nature  qui 
fait  peur  aux  petits  enfants.  Quiconque  est  lieutenant  est  lieutenant  d'un 
autre,  duquel  il  tient  le  lieu,  qui  peut  faire  sa  fonction,  à  cause  de  son 
absence  ou  autre  empeschement  ;  et  lieutenant  est  lieutenant  d'un  autre 
homme,  mais  de  dire  qu'un  homme  soit  lieutenant  d'une  chose  inanimée, 
comme  TEstat  ou  la  couronne  d'un  roy,  c'est  chose  absurde  et  qui  ne  se 
peut  souffrir  ».  Sat,  M.,  1. 1,  p.  150. 


PARIS  RÉGICIDE  B31 

• 

dent  Brîsson,  auquel  de  Thou  attribue  la  paternité  de 
cette  qualification  étrange,  prétendait  se  faire  un  mérite 
d'avoir  sauvé  ainsi  le  symbole  et  le  principe  de  la  royauté 
française.  Les  lettres  de  lieutenance  furent  scellées  d'un 
nouveau  sceau  qui  portait  Tinscription  suivante  :  Le  Scel 
du  royaume  de  France  *.  Mayenne,  de  retour  à  Paris, 
prêta  serment  devant  «  cette  assemblée  d'esclaves,  cette 
canaille  prostituée  qu'ils  apeloient  le  Parlement*  »,  le  lundi 
13  mars  1589.  Par  la  formule  que  le  président  Brisson  pro- 
nonça et  que  Mayenne  répétait,  le  lieutenant  général 
promit  de  combattre  pour  la  religion  catholique,  de  main- 
tenir l'autorité  des  parlements,  les  privilèges  du  clergé  et 
de  la  noblesse  et  de  diminuer  les  impôts  '. 

En  attendant  l'ère  des  dégrèvements,  le  conseil  de 
rUnion  avait  une  façon  primitive,  mais  assez  pratique  de 
se  procurer  des  ressources.  Il  confisquait  les  biens  des 
royalistes  et,  comme  le  dit  énergiquement  la  Satire  Mé- 
nippée  *,  «  curait  rudement  les  bourses  ».  Ayant  appris  que 
la  maison  de  Pierre  Molan,  trésorier  de  l'épargne,  recelait 
des  meubles  précieux  et  des  sommes  d'argent  considé- 
rables, les  ligueurs  y  envoyèrent  Baptiste  de  Machault  et 
Bertrand  Soly,  conseillers  au  Parlement,  pour  mettre  la 
main  sur  ce  trésor,  dont  l'existence  avait  été  révélée  par 
les  maçons  qui  avaient  pratiqué  les  cachettes.  L'Estoile,  qui 


1.  Palma-Cayet,  p.  103.  L'Estoile,  t.  III,  p.  258.  Pour  être  tout  à  fait 
exact,  il  convient  de  dire  qu'il  y  eut  deux  sceaux,  fabriques  sur  l'ordre  des 
ligueurs,  un  grand  pour  le  Conseil  et  un  plus  petit  pour  les  parlements 
et  les  chancelleries.  —  Quant  aux  arrêts  du  Parlement,  ils  furent  doréna- 
vant précédés  d'une  mention  ainsi  conçue  :  «  Les  gens  tenant  le  Parle- 
ment »,  substituée  à  l'intitulé  :  Henry^  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France 
et  de  Pologne.  Les  lettres  de  grâce,  rémission,  abolition,  délivrées  par  le 
duc  de  Mayenne,  portèrent  ce  titre  :  Charles^  duc  de  Mayenne,  pair  et  lieu- 
tenant général  de  Vestat  et  couronne  de  France.  Voy.  Palma-Cayet.  Ihid, 

2.  L'Estoile.  Ihid, 

3.  De  Thou,  t.  X,  p.  526.  Les  lettres  furent  lues,  publiées  et  i^egistrces  au 
Parlement  le  19  février.  La  Chambre  des  comptes  et  la  Cour  des  aides  ne 
les  reçurent  qu'en  avril  et  en  mai. 

4.  Harangue  de  (TAubray. 


832  PARIS  ET  LA   LIGUE 

reproduit  le  procès-verbal  de  la  saisie,  déplore  le  malheur 
des  temps  et  la  chance  des  «  larrons  de  TUnion  »,  tout  en 
traitant  aussi  d'archi-larron  le  trésorier  Molan,  lequel 
a  avoit  si  excessivement  volé  et  dérobbé  le  roy  et  le  peuple 
qu'il  méritoit  bien  d'estre  pendu...  »  Quoi  qu'il  en  fût, 
c'était  pour  l'Union  une  bonne  aubaine  dont  le  total  s'éle- 
vait à  environ  trois  cent  mille  écus.  «  Affriandés  aux  inven- 
taires des  Politiques  »,  comme  dit  le  chroniqueur,  les 
ligueurs  ne  bornèrent  pas  là  leurs  exploits,  et  leurs  limiers 
multiplièrent  les  perquisitions.  On  inventoria  les  meubles 
et  les  valeurs  appartenant  au  sieur  Amelot,  prieur  de  Saint- 
Martin  des  Champs,  et  au  président  Amelot  son  frère.  Chez 
le  président  de  Verdun,  on  saisit  une  somme  de  40,000  écus 
qui  passa  dans  la  caisse  du  parti  catholique  ^  Il  faut 
d'ailleurs  reconnaître  que  dans  cette  campagne  financière 
la  Ligue  parisienne  déploya  le  génie  le  plus  inventif.  Un 
grand  nombre  do  magistrats  royalistes  avaient  été  mis  à 
la  Bastille.  Bussy  Le  Clerc  se  montra  disposé  à  ouvrir  la 
porte  de  la  prison  dont  il  était  gouverneur  à  quelques-uns 
d'entre  eux;  c'est  ainsi  que  furent  mis  en  liberté  les  con- 
seillers Perrot,  du  Puis,  Jourdain,  Tournœbus,  les  prési- 
dents Forget  et  Amelot,  le  doyen  Séguier,  le  secrétaire 
Mortier  et  l'avocat  Boney,  «  mais  il  y  falust  employer, 
comme  on  dit,  le  vert  et  le  sec  et  le  sang  de  la  bourse  •  ». 
Quant  aux  autres,  sans  doute  plus  riches  et  dont  le  geôlier 
espérait  tirer  de  fortes  sommes,  ils  durent  rester  en  prison; 
la  duchesse  de  Guise,  la  Sainte-Veuve,  comme  on  l'appe- 
lait, s'amusait  beaucoup  «  des  damoiselles  et  fenmies  de 
bien  qui  alloient  visiter  leurs  maris  prisonniers,  disant 
qu'elle  prenoit  un  singulier  plaisir  à  voir  ces  damoiselles 
crottées  qui  s'en  alloient  à  la  Bastille  raccoustrer  les  hauts 
de  chausses  à  leurs  maris  ».  Cet  aventurier  de  Bussy  Le 

1.  L'EsTOiLE,  t.  m,  p.  257. 

2.  Ibid.,  p.  259. 


PARIS  RÉGICIDE  S33 

Clerc  entendait,  d'ailleurs,  la  tolérance  à  sa  manière,  et  il 
se  montra  plein  d'égards  pour  un  de  ses  prisonniers,  le 
ministre  huguenot  Damours,  «  disant  le  dit  Bussi  et  jurant 
Dieu  en  catholique  zélé  qu'il  étoit  plus  homme  de  bien, 
tout  huguenot  qu'il  estoit,  que  tous  ces  beaux  politiques  de 
présidens  et  conseillers  qu'on  lui  avoit  baillés  en  garde, 
qui  n'estoient  que  des  hipocrites,  et  qu'il  eust  mieux  aimé 
lui  faire  plaisir  qu'à  eux,  encores  qu'il  n'alloit  point  à  la 


messe  *  ». 


Tandis  que  ses  alliés  se  donnaient  ces  distractions  lu- 
cratives, Mayenne,  avec  une  persévérance  remarquable, 
s'occupait  de  «  nouer  et  estraindre  par  un  ordre  et  règle- 
ment toutes  les  villes  qui  s'estoient  déjà  mises  du  party  de 
l'Union  et  celles  qui  s'y  mettroient  encor  à  l'advenir  «  ». 
C'est  dans  ce  dessein  qu*il  publia,  au  commencement  d'avril^ 
un  règlement  en  vingt  et  un  articles,  pour  régulariser 
l'action  combinée  des  forces  de  l'Union  et  arrêter  les  actes 
de  pillage.  Plusieurs  articles  défendent  :  de  saisir  «  les 
biens  meubles  appartenans  aux  ennemis...  n'est  raisonnable 
de  souffrir  que  les  biens  des  particuliers  soient  exposez  au 
pillage  et  appliquez  au  profit  particulier  d'aucuns,  mais 
qu'ils  doivent  estre  employez  au  secours  des  affaires  publi- 
ques »;  ainsi  la  Ligue  ne  rend  pas  l'argent,  mais  elle  veut 
régler  l'emploi  des  biens  confisqués.  Défense  aussi 
d'arrêter  les  suspects  sans  ordonnance  écrite  des  magis- 
trats; d'occuper  les  maisons  des  absents  et  de  s'en  appro- 
prier le  contenu,  comme  le  faisaient,  paraît-il,  certains 
«  gentilshommes  du  party  de  l'Union  ».  D'autres  articles 
convoquaient  les  États  généraux  à  Paris  pour  le  13  juillet 
suivant  et  rétablissaient  le  Grand  Conseil,  «  à  la  charge 
que  les  officiers  d'iceluy  feraient  le  serment  de  l'Union  '  ». 


1.  L'ËSTOiLB,  t.  m,  p.  260. 

2.  Palha-Catst,  p.  103.  Il  donne  le  texte  entier  du  règlement. 

3.  Dès  le  mois  de  mars,  le  président  d'Orsay  réunit  chez  lui  le  Grand 


534  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Le  règlement  indiquait  aussi,  avec  minutie,  de  quelle 
manière  et  devant  quelles  autorités  chaque  catégorie  de 
Français  devait  prêter  ce  fameux  serment  à  défaut  duquel 
on  n'était  pas  «  tenu  et  réputé  du  corps  de  l'Union  ». 

Chaque  cité  catholique  envoyait  au  Bureau  de  Ville  de 
Paris  des  délégués  pour  présenter  son  adhésion  «  à  l'acte  de 
serment  de  l'Union  *  ».  Des  correspondances  curieuses 
s'échangeaient  entre  la  Ville  de  Paris  et  certains  grands 
seigneurs,  d'attitude  hésitante.  Le  duc  de  Nevers  était  un 
de  ceux-là.  Aux  instances  de  la  Ville  de  Paris,  qui  le 
pressait  d'entrer  dans  l'Union,  il  avait  répondu  de  Tours, 
lé  23  mars,  qu'il  désirait  connaître  plus  clairement  «  les 
intentions  et  desseings    de    Paris  *  ».   Les   ligueurs  de 

Conseil  et  lui  fit  jurer  l'édit  d'Union.  II  siégea  depuis  lors  aux  Blancs-Man- 
teaux. Martin  Langlois  fut  nommé  procureur  général  et  Ordineaa  grand 
prévôt.  Voy.  Félibien,  t.  II,  p.  Ii86. 

1.  Le  Rboistrb  H,  1789,  fo  288,  porte,  sous  la  date  du  20  février  1589,  que 
«  les  eschevins,  gouverneur  et  syndic  de  la  ville  de  Senlis  viennent  au 
Bureau  de  la  Ville  de  Paris  «  présenter  l'acte  de  serment  de  l'Union  faict 
par  lesdictz  manans  et  habitans,  dacté  du  17*  des  présens  mois  et  an  ». 

2.  En  même  temps  qu'il  écrivait  aux  magistrats  municipaux  de  Paris 
cette  lettre  officielle  du  23  mars,  le  duc  de  Nevers  rédigeait,  sous  le  nom 
d'un  bourgeois  de  Paris,  un  long  advertissement  que  reproduisent  les  Mém. 
de  Nevers,  t.  I,  p.  885.  Dans  ce  document  fort  curieux,  le  duc  s'efforce  de 
plaider  les  circonstances  atténuantes  en  faveur  du  roi,  meurtrier  des 
Guises.  Il  combat  timidement  l'avis  de  la  Sorbonne  qui  a  délié  les  sujets 
du  roi  de  leur  serment  de  fidélité  et  il  invoque  ce  singulier  motif  qu'on 
n'aurait  pas  dû  condamner  le  roi  «  sans  informer  et  sans  Touyr  ».  Le  duc 
reconnaît  cependant  que  u  les  meurtres  des  Guises  sont  exécrables  et  inhu- 
mains ».  Néanmoins,  il  trouve  «  qu'il  est  contraint  de  dire  que  ce  n'est 
pas  chose  nouvelle  que  pour  aOaires  d'£tat  l'on  ait  fait  tuer  des  cardi- 
naux ».  Quant  au  duc  de  Guise,  c'était  un  grand  et  valeureux  prince,  a  mais» 
pour  dire  vray,  chacun  jugeait  bien  clairement  qu'il  estoit  impossible  que 
les  riotes  qui  à  toutes  heures  survenoient  à  Blois  entre  le  roy  et  nosdits 
princes  n'amenassent  quelque  grand  esclat  » Et  puis,  est-ce  que  Phi- 
lippe II  n'a  pas  fait  tuer  son  fils  «  pour  la  jalousie  de  sa  vie  et  de  son  Estât  »? 
La  reine  d'Angleterre  n'a-t-elle  pas  fait  exécater  par  justice  la  reine  d'Ecosse, 
sa  cousine,  etc.  ?  L'histoire  est  pleine  de  pareils  exemples.  Le  duc  proteste 
contre  le  projet  de  tuer  le  roi  ou  de  le  chasser  de  son  royaume,  et  il  objecte 
surtout  que  le  pape  n'a  pas  excommunié  Henri  III  et  n'a  pas  autorisé  la 
prise  d'armes  contre  lui.  u  II  n'y  a  pas  d'occasion  apparente  n'y  pressée 
qui  doive  induire  &  élire  un  autre  roy.  »  On  ne  peut  «  longuement  demeurer 
en  l'eslablissement  qui  a  esté  fait  de  la  personne  de  monseigneur  le  duc 
de  Mayenne  pour  lieutenant  général  de  l'Estat  et  de  la  couronne  de  France  ». 
Nevers  ne  prend  pas  au  sérieux  le  projet  de  donner  la  couronne  à  Mayenne^ 
car  ce  n'est  «  qu'un  puisné  des  puisnez  de  la  maison  de  Lorraine  ».  Leduc 


PARIS  RÉGICIDE  535 

l'Hôtel  de  Ville  s'empressèrent  de  donner  au  duc  tous  les 
éclaircissements  qu'il  réclamait.  Ils  déclarent,  dans  leur 
réplique,  qu'ils  ne  peuvent  tolérer  que  le  gouvernement 
passe  au  roi  de  Navarre,  qui  est  un  hérétique.  D'ailleurs 
le  serment  d'Union  dont  la  formule  est  adressée  au  duc 
Téclairera  sur  les  intentions  des  princes  catholiques.  Quant 
à  la  croyance  exprimée  par  Nevers  que  «  le  roy  est  fort 
enclin  à  extirper  les  hérésies  du  royaume  et  a  pour  agréable 
de  se  servir  de  ceulx  qui  le  pourront  assister  en  telle 
occasion  »,  la  Ville  ne  peut  la  partager  et  elle  fait  cette 
objection  que  le  duc  et  le  cardinal  de  Guise  étaient  de 
bons  catholiques  «  ne  tendans  toutes  leurs  actions  et  leurs 
desseings  qu'à  la  gloire  de  Dieu  ».  Et  pourtant  le  roi  les 

trouve  plus  aisé  de  a  réduire  le  royaume  en  république  »,  mais  il  oe  pense 
pas  qu'un  pareil  changement  puisse  avoir  lieu  h  sans  amener  un  très  dan- 
gereux et  tyrannique  événement  >i.  Ce  serait  une  véritable  anarchie.  Ni  les 
officiers  de  la  couronne,  ni  les  princes,  ni  TEglise  ne  pourraient  conserver 
leurs  privilèges  et  leur  autorité.  La  soldatesque  se  croirait  tout  permis 
et  pillerait  villages  et  monastères.  On  s'emparerait  par  la  force  de  la  maison 
de  son  voisin,  si  on  la  trouvait  à  sa  bienséance.  Partout  se  produiraient  des 
massacres,  comme  ceux  de  Toulouse.  Enfin  une  désolation  universelle 

Paris  perdrait  plus  que  toute  autre  ville  à  la  continuation  de  la' guerre 
civile,  «  car  ayant  toujours  esté  la  capitalle  de  toutes  les  autres  et  ob  les 
rois,  le  Parlement,  la  Chambre  des  comptes,  la  Cour  des  aydes  et  le  Grand 
Conseil  ont  fait  par  si  longtemps  leur  résidence,  ce  qui  y  a  fait  apporter 
de  si  grandes  commoditez  et  richesses  que  justement  Ton  peut  dire  qu'elle 
estoit  le  gouffre  des  richesses  de  tout  le  royaume  ».  L'absence  de  la  cour 
et  des  grands  corps  de  TEtat  va  la  priver  de  toutes  ces  prospérités  «  et 
Therbe  croistra  dans  peu  de  temps  sur  nos  Ponts  au  Change  et  de  Nostre- 
Dame  ;  et  après  que  nous  aurons  consommé  ce  que  nous  avons  pillé  aux  mai- 
sons de  nos  bourgeois,  pour  n'estre  de  nostre  Ligue,  et  que  nous  aurons 
espuisé  nos  bourses  pour  nostre  dépense  ordinaire  et  pour  les  frais  de  la 
guerre,  nous  maudirons  nos  folies  et  l'ambition  d'autruy,  qui  nous  aura 
réduits  à  une  telle  extrémité  et  à  une  telle  misère  »!  Les  bons  bourgeois, 
«  rudoyez  par  les  safTranniers  et  en  danger  d'estre  pillez  et  tuez  »,  laisse- 
ront la  ville  déserte;  les  artisans,  ne  gagnant  plus  leur  vie,  s'emporteront 
à  tous  les  désordres;  déjà  il  n'y  a  plus  d'autorité  municipale,  car  le  prévôt 
des  marchands  et  les  échevins  sont  annihilés  par  le  conseil  des  Quarante, 
«  ce  qui  les  rend  contemptibles  par  le  peuple  ».  Ils  craignent  «  de  faire 
chose  contraire  au  vouloir  des  impudens  et  arrogans,  de  peur  d'estre  eux- 
mêmes  saccagez  et  tuez  ».  En  terminant,  le  pseudo-bourgeois  engage  les 
Parisiens  à  rendre  l'unité  et  la  paix  à  la  France,  et  déclare  que,  s'il  voit«  les 
cœurs  endurcis  à  nil  faire  et  hors  d'espérance  d'une  bonne  réconciliation, 
il  se  résoudra  d'essuyer  sa  plume,  de  reposer  sa  langue  et  d'abandonner 
tout  son  pauvre  petit  mesnage  pour  se  retirer  avec  Dieu  hors  de  la 
patrie » 


536  PARIS  ET  LA  LIGUE 

a  traités  comme  on  sait.  Le  duc  de  Nevcrs  devrait  bien 
savoir  que  le  roi  ne  Taime  pas;  que  ce  prince  a  violé 
les  serments  les  plus  sacrés.  Comment  s'endormir  sur 
ses  bons  visages?  Le  bruit  court  que  le  duc  de  Nevers 
veut  quitter  la  France;  c'est  donc  qu'il  n'a  pas  confiance 
dans  la  sincérité  du  roi.  La  Ville  de  Paris  termine  enfin 
cette  épitre  assez  amère  en  mentionnant  une  calomnie 
qui  accusait  le  duc  de  Nevers  de  vouloir  «  s'enrichir  des 
dépouilles  de  feu  M.  le  duc  de  Guise  et  supplanter  M.  son 
fils,  son  neveu,  auquel  il  debvoit  servir  de  père,  au  gou- 
vernement de  Champagne  '  ». 

Pour  que  la  Ville  de  Paris  se  permit  un  langage  aussi 
audacieux  à  l'encontre  d'un  des  plus  grands  seigneurs  du 
royaume,  comme  le  duc  de  Nevers,  il  fallait  que  la  Ligue 
eût  une  idée  très  haute  de  sa  force.  De  fait,  toutes  les 
villes,  tous  les  fonctionnaires,  même  dévoués  au  roi, 
tremblaient  devant  cette  nouvelle  puissance  qui  s'était 
constituée  dans  la  capitale.  A  Chartres,  l'évèque,  Nicolas 
de  Thou,  François  d'Escoubleau  de  Sourdis,  gouverneur 
de  la  place,  et  François  d'Escoubleau,  évèque  de  Maille- 
zais,  frère  du  gouverneur,  avaient  voulu  résister  au  torrent 
populaire  déchaîné  par  les  agents  des  échevins  de  Paris. 
Les  ligueurs  coupèrent  violement  la  parole  à  leur  évèque, 
arrêtèrent  le  procureur  général  de  la  Guesle  qui  voulait 
aussi  les  haranguer  au  nom  du  roi  et  forcèrent  toutes  les 
autorités  de  la  ville,  à  commencer  par  l'évèque  et  le  gou- 
verneur, à  jurer  les  articles  de  l'Union',  dans  une  assem- 
blée solennelle  tenue  le  13  février  1589. 

Une  seule  humiliation  gâtait  le  triomphe  des  Parisiens. 
Le    prévôt    des   marchands  était   toujours  prisonnier   à 


1.  Rbo.  h,  1789,  fo  291. 

2.  Ibid,,  fo  281.  \\  est  vrai  de  dire  que  le  duc  de  Mayenne  avait  passé  à 
Chartres  le  7  février  et  y  était  resté  deux  jours,  avant  de  faire  son  entrée 
h.  Paris,  qui  eut  lieu  le  12  février.  (Voy.  plus  haut  p.  521.) 


Paris  régicide  537 

Amboise.  Nous  avons  dit  plus  haut  ^  que  le  roi  avait 
laissé  partir  la  duchesse  douairière  de  Nemours,  ainsi 
que  les  échevins  Compans  et  Costeblanche,  soit  qu'il  ait 
voulu  accorder  quelque  satisfaction  aux  réclamations  des 
Etats  généraux,  soit  qu'il  ait  nourri  Tillusion  d'apaiser 
la  rage  des  ligueurs  parisiens  qui,  par  lettre  du  28  décem- 
bre 1588,  avaient  mis  le  roi  en  demeure  de  leur  rendre 
les  trois  magistrats  municipaux  incarcérés.  D'autre  part, 
à  la  faveur  de  la  panique  qui  avait  suivi  l'évacuation 
d'Orléans  par  le  maréchal  d'Aumont  (31  janvier  1589),  le 
duc  de  Nemours  avait  réussi  à  s'échapper  de  sa  prison 
et  à  gagner  Paris.  Mais  Henri  III  gardait  soigneusement 
les  autres  otages,  parmi  lesquels  se  trouvait  La  Chapelle- 
Marteau.  Trouvant  même  que  le  château  de  Blois,  «  simple 
maison  de  plaisance  »,  comme  dit  Palma-Cayet,  n'était 
pas  une  prison  assez  sûre,  le  roi  s'abaissa  au  métier  de 
geôlier  et  s'embarqua  sur  la  Loire  avec  ses  prisonniers, 
qu'il  écroua  au  château  d'Amboise  entre  les  mains  du 
capitaine  Du  Guast,  l'un  des  principaux  figurants  du  drame 
de  Blois.  Telle  était  pourtant  la  triste  destinée  du  roi  que 
ses  plus  fidèles  serviteurs  songeaient  successivement  à  le 
trahir.  C'est  ainsi  que  le  fameux  Loignac,  l'un  des  maîtres 
de  la  garde-robe,  le  gouverneur  d'Anjou  et  Touraine, 
qui  avait  plus  que  personne  trempé  les  mains  dans  le 
sang  des  Guises,  n'avait  pu  résister  au  dépit  que  lui  cau- 
sait la  perte  de  la  faveur  du  prince  et  s'était,  une  belle 
nuit,  échappé  de  Blois,  roulant  dans  son  esprit  des  projets 
de  vengeance.  Loignac  alla  trouver,  sans  désemparer, 
'  son  ami  Du  Guast,  gouverneur  d'Amboise,  et  n'eut  pas 
de  peine  à  lui  faire  comprendre  que  les  prisonniers  confiés 
à  sa  garde  valaient  un  trésor.  Mais  Du  Guast,  qui  goûtait 
le  conseil,  voulut  en  garder  pour  lui  les  avantages  éven- 

1.  Voy.  p.  513. 


838  PARIS  ET  LA  LIGUE 

tuels,  et  un  jour  que  Loignac  revenait  au  ch&teau  d'Am- 
boise,  après  avoir,  cherché  sans  succès  des  pillards  imagi- 
naires que  ringénieux  gouverneur  lui  avait  signalés,  il 
trouva  la  porte  close  et  dut  reprendre  le  chemin  de  son 
pays  de  Gascogne,  où  il  était  destiné  à  périr  obscurément  \ 
Quant  à  Du  Guast,  il  ouvrait  complaisamment  Toreille  aux 
offres  de  La  Chapelle-Marteau  et  traitait  en  roi  le  cardinal 
de  Bourbon.  ïlenri  III,  informé  de  Tétrange  attitude  de  Du 
Guast,  qui  venait  d'envoyer  son  propre  frère  aux  ligueurs 
parisiens  pour  leur  servir  d'otage  ',  mit  tout  en  œuvre 
pour  détourner  le  gouverneur  d'Amboise  de  livrer  ses 
prisonniers  à  la  Ligue.  Il  y  avait  urgence,  car  déjà  les 
émissaires  de  l'Union  «  approchoient  en  troupe,  avec  force 
de  gens  et  d'argent,  qui  venoient,  ainsi  que  l'on  disoit, 
pour  arrhes  et  avance  de  ce  qu'ils  avoient  promis  '  ». 
Enfin,  par  l'entremise  d'un  certain  capitaine  Gotz,  Du  Guasl 
entra  en  composition  et  convint  de  rendre  au  roi,  moyen- 
nant trente  mille  écus,  le  cardinal  de  Bourbon,  le  prince 
de  Joinville  et  le  duc  d'Elbœuf.  Quant  à  l'archevêque  de 
Lyon,  au  prévôt  des  marchands  et  aux  autres  prisonniers, 
ils  devaient  rester  entre  les  mains  du  gouverneur  d'Am- 
boise, qui  toucherait  leur  rançon.  Cette  honteuse  transac- 
tions fut  religieusement  exécutée;  le  roi  lui-même  *  vint 
prendre  livraison  du  cardinal  de  Bourbon,  du  prince  de 
Joinville  et  du  duc  d'Elbœuf  et  les  ramena  à  Blois  sous 


i.  Voy.  Letlres  de  Pasquier,  t.  II,  p.  383,  et  Palma-Caybt,  p.  97. 

2.  Db  Thou,  t.  X,  p.  509. 

3.  Pasquier,  Ibid, 

4.  Palma-Catet.  Il  faut  signaler  la  curieuse  hypothèse  de  l'Estoile,  qui 
prétend  que  Loignac  trahissait  non  pas  le  roi,  mais  les  Parisiens  auxquels 
il  voulait  extorquer  200,n00  écus,  sous  prétexte  de  leur  rendre  les  prison- 
niers d'Amboise.  Le  chroniqueur  ajoute  qne  les  ligueurs  de  Paris  le  pri- 
rent bien  pour  un  traître  et  emprisonnèrent  son  oncle  le  seigneur  de  Bour- 
bonne  et  le  frère  du  capitaine  Du  Guast  qui  étaient  venus  traiter  cette 
affaire.  «  Les  Parisiens,  aians  descouvert  la  fraude,  les  serrèrent  tous  deux 
prisonniers  en  la  Bastille  dont  ils  furent,  quelque  temps  après,  retirés  et 
rendus  en  eschange  du  seigneur  de  La  Chapelle-Marteau,  prévost  des  mar- 
chans  de  Paris.  »  T.  III,  p.  253. 


PARIS  RÉGICIDE  839 

bonne  escorte.  Libre  de  mettre  à  rançon  La  Chapelle-Mar- 
teau, le  président  de  Neuilly  et  Tarchevêque  de  Lyon,  Du 
Guast  ne  fit  pas  avec  la  Ville  de  Paris  un  moins  bon  mar- 
ché qu'avec  le  roi.  Dès  le  25  février  1589,  «  le  conseil  général 
des  catholiques  estably  à  Paris,  attendant  rassemblée  des 
Estats  du  royaume  *  »,  avait  prescrit  à  la  municipalité  de 
réunir  une  assemblée  générale  pour  traiter  la  question  de 
la  délivrance  et  de  la  rançon  des  prisonniers  d'Amboise. 
Cette  assemblée  eut  lieu  le  27  février.  Il  y  «  fut  exposé 
qu'on  estoit  convenu  à  200,000  livres  pour  la  délivrance 
des  princes,  prévost  des  marchands,  président  de  Neuilly 
et  autres  prisonniers  d'Amboise ,  ladite  somme,  payable 
par  termes,  à  quoi  dix  ou  douze  notables  personnages 
offrent  de  s'obliger,  qu'il  est  raisonnable  d'indemniser  *  ». 
Cette  proposition  fut  adoptée,  et  l'assemblée,  après  avoir 
voté  des  remerciements  aux  notables  qui  garantissaient 
la  rançon  des  prisonniers,  autorisa  la  levée  «  d'une  capi- 
tation  sur  tous  les  habitans  sans  exception  »  pour  rem- 
bourser aux  capitalistes  du  parti  le  montant  de  leurs 
avances.  Dès  que  Du. Guast  eut  touché  la  rançon  convenue, 
il  mit  en  liberté  le  prévôt  La  Chapelle-Marteau,  le  président 
De  Neuilly  et  l'archevêque  de  Lyon.  On  peut  aisément  se 
faire  une  idée  de  l'atteinte  profonde  que  tous  ces  marchan- 
dages portèrent  à  l'autorité  royale,  déjà  si  affaiblie.  Il 
faut  conclure  sur  ce  point  comme  Palma-Cayet  :  «  Les 
choses  laides  sont  tousjours  laides,  quelque  couleur  qu'on 
leur  donne  ». 


1.  Extraits  des  registres,  Félib.,  Pr.,  t.  V,  p.  459. 

2.  Ibid,  Pasquier  parail  exagérer  quand  il  écrit  que  la  convention  passée 
entre  Henri  III  et  Du  Guast  stipulait  que  ce  dernier  «  prendroit  des 
ligueurs  les  dix  mil  escus  qu'ils  luy  apporloient  ».  On  peut  supposer  peut- 
être  que,  outre  la  part  contributive  de  Paris,  les  princes,  villes  et  com- 
munautés de  l'Union  avaient  aussi  fourni  leurs  cotisations.  En  tout  cas,  il 
semble  incontestable  que  le  roi  donna  30,000  écus  comptant.  Sans  parler 
du  témoignage  de  Pasquier,  liv.  XIII,  lettre  X,  os  Tiiou,  X,  p.  510,  affîmie 
que  les  30,000  écus  furent  payés  comptant  par  Pierre  Molao,  trésorier  de 
l'épargne. 


840  PARIS  ET  Lk  LIGUE 

L'excès  des  humiliations  eut  cependant  pour  effet  de 
rendre  un  peu  d'énergie  au  roi.  Il  exprima  d'abord  sa 
colère  dans  une  série  de  manifestes  ou  déclarations  ^  La 
première  déclaration  enlevait  au  duc  de  Mayenne,  au  duc 
et  au  chevalier  d'Aumale  toutes  leurs  charges  et  dignités, 
en  les  qualifiant  «  d^infidelles,  rebelles,  atteints  et  con- 
vaincus des  crimes  de  rébellion,  félonnie  et  de  lèze-majesté 
au  premier  chef  ».  La  seconde,  datée  comme  la  première 
de  février  1586  et  signée  à  Blois,  vise  spécialement  les 
villes  de  l'Union.  Elle  porte  que  les  «  Villes  de  Paris, 
Orléans,  Amiens  et  Abbevilles  et  toutes  les  autres,  si  au- 
cunes y  en  a  qui  les  assistent,  sont  aussi  déchues  de  tous 
les  états,  offices,  honneurs,  pouvoirs,  gouvernements, 
charges,  dignités,  privilèges,  prérogatives,  dons,  octrois 
et  concessions  quelconques  ».  Le  roi  les  déclare  coupables 
de  félonie  et  de  lèse-majesté  dans  les  mêmes  termes  que  les 
princes  de  l'Union.  Il  accorde  à  Paris  et  aux  autres  cités 
rebelles  jusqu'au  15  mars  1589  pour  «  reconnaître  leur 
faute  et  se  remettre  en  l'obéissance  "...  »  En  outre,  et 
doutant  lui-même  de  l'effet  de  ces  excommunications 
laïques,  Henri  III  expédia  des  lettres  patentes  pour  con- 
voquer la  noblesse,  le  ban  et  l'arrière-ban  et  les  com- 
pagnies de  gendarmerie.  Un  édit  de  février,  enregistré 
plus  tard  dans  un  lit  de  justice  du  23  mars,  transféra  à 
Tours  le  Parlement  et  la  Chambre  des  comptes  ^.  Enfin, 
Henri  III  expédia  en  Suisse  Nicolas  Harlay  de  Sancy,  avec 
des  pouvoirs  illimités  pour  faire  des  levées,  mais  sans  lui 
donner  un  écu.  Sancy  dut  prendre  un  déguisement  pour 


1.  Mém,  de  la  Ligue,  p.  203  et  suivanlcs. 

2.  Jbid,,  p.  213.  Lettres  patentes  des  6  et  il  février  1539. 

3.  Ibid,f  p.  224.  L*édit  ordonne  à  «  tous  les  officiers  de  la  cour  de  par- 
lement de  Paris,  de  quelque  qualité  qu'ils  soient,  de  se  rendre  dans  la  ville 
de  Tours,  dans  le  quinzième  jour  du  mois  d'avril  prochain,  hormis  ceux 
qui  sont  détenus  en  prison  pour  s'être  montrés  fidèles  à  leur  roi  légitime 
et  naturel  ». 


PARIS  RÉGICIDE  841 

traverser  Lyon  et  arriva  à  Genève  le  14  février.  Sa  mission 
réussit  au  delà  de  toute  espérance  *. 

Encore  une  fois,  le  roi  luttait  pour  la  couronne  et  pour 
la  vie.  Soutenu  par  une  partie  de  la  noblesse  et  par  quelques 
villes  fidèles,  à  cause  de  Ténergie  des  gouverneurs  royalistes, 
Henri  III  ne  paraissait  pas  en  mesure  de  résister  aux  forces 
immenses  et  à  Taudacieuse  propagande  de  la  Ligue.  Il 
avait  vu  successivement  passer  à  ses  ennemis  Rouen 
(9  février),  le  Mans  (12),  dont  le  gouverneur  Philippe  d'An- 
gennes  du  Fargis  avait  été  blessé  et  envoyé  à  la  Bastille 
de  Paris;  Melun,  Senlis,  Lyon  (24  février),  où  Charles  de 
Neuville  d'Alincour,  gendre  de  Mandelot,  s'était  mis  à  la 
tête  de  la  révolte  *  ;  Bourges,  dont  Claude  de  la  Châtre, 
gouverneur  du  Berry,  provoqua  et  partagea  la  défection; 
presque  toutes  les  villes  picardes  et  celles  de  Provence,  y 
compris  Marseille,  Arles,  Toulon  et  Aix,  avec  presque  tout 
son  Parlement!  Si  Omano  contenait  le  Dauphiué,  si  le 
maréchal  d'Aumont,  au  début  d'avril,  réussit  à  mettre  en 
fuite  le  comte  de  Brissac,  qui  avait  donné  à  la  ville  d'Angers 
une  seconde  édition  de  Barricades;  si  le  maréchal  de  Mati- 
gnon fit  rentrer  Bordeaux  dans  le  devoir  avec  quelques 
volées  de  canon  et  grâce  à  l'expulsion  des  jésuites,  convain- 
cus d'avoir  fomenté  l'insurrection,  sur  d'autres  points  la 
Ligue  obtenait  des  avantages  importants.  Le  duc  de  Mer- 
cœur  (frère  de  la  reine  et  auquel  le  roi  avait  donné  le  gou- 
vernement de  la  Bretagne  après  l'avoir  enlevé  au  duc  de 
Montpensier  et  au  prince  de  Dombes,  son  petit-fils)  profitait 

1.  Db  Tnou,  t.  X,  p.  SU.  —  Palma-Gayet  dit  que  le  roi  avait  d'abord  chargé 
le  maréchal  de  Retz  de  faire  des  levées  en  Suisse,  mais  que  le  maréchal 
fut  fait  prisonnier  par  le  sieur  de  Neuvy  Le  fiarrois  et  amené  à  Orléans, 
p.  97. 

2.  Voy.  dans  les  Mëm,  de  la  Ligue,  t.  HI,  p.  271  la  déclaration  des  consuls, 
échevins,  manans  et  habitans  de  la  ville  de  Lyon  sur  V occasion  de  la  prise 
d'armes  par  eux  faite  le  ^4  février  4589.  Elle  passe  pour  avoir  été  rédigée 
par  Claude  de  Riibys,  qui  fut  avocat  et  procureur  général  à  Lyon  pendant 
trente  années.  ^  Dr  Thoi-,  t.  X,  p.  555,  dit  qu'il  était  né  pour  son  malheur 
et  pour  celui  de  la  ville  de  Lyon. 


842  PARIS  ET  LA  LIGUE 

de  Tanarchie  où  se  débattait  la  France  pour  seconder  les  me- 
nées de  révêque  de  Rennes,  Hennequin,  membre  du  conseil 
général  de  TUnion,  que  le  parti  avait  envoyé  en  Bretagne. 
Rennes  chassa  René  de  Montbarot,  son  gouverneur  rova- 
liste;  Fougères,  Dinan,  Dol,  suivirent  la  défection  de  Mer- 
cœur.  Sa  fenune,  l'ambitieuse  Marie  de  Luxembourg, 
héritière  de  la  maison  de  Penthièvre,  souleva  Nantes  * 
(7  avril),  tandis  que  Rennes  rappelait  le  gouverneur  royal 
(8  avril).  L'Auvergne  aussi  se  divisait  en  deux  :  Riom  tenait 
pour  la  Ligue  et  Clermont  pour  le  roi. 

Mais  nulle  part  les  désordres  ne  furent  aussi  graves  qu'à 
Toulouse,  et  il  est  triste  de  constater  que  Paris  approuva 
les  assassinats  qui  se  commirent  de  ce  côté.  Au  lendemain 
de  la  mart  des  Guises,  une  fermentation  menaçante  s'était 
produite  à  Toulouse.  Bien  qu'ennemi  déclaré  des  protes- 
tants, le  premier  président  du  Parlement,  Jean  Duranli, 
avait  essayé  d'en  imposer  aux  ligueurs  et  de  faire  respecter 
l'autorité  du  roi.  Mais  l'arrivée  de  l'évêque  de  Comminges, 
Urbain  de  Saint-Gelais,  qui  avait  failli,  à  Blois,  partager 
le  sort  du  cardinal  de  Guise,  redoubla  l'audace  des  agita- 
teurs. Ils  constituèrent  une  sorte  de  comité  de  Salut  public 
à  l'Hôtel  de  Ville  et  firent  nommer  gouverneur  l'évêque  de 
Comminges  par  le  Parlement  divisé  et  terrorisé.  Bientôt, 
le  Parlement  fut  mis  en  demeure  de  déclarer  que  la  vijle 
n'obéirait  plus  au  roi.  Des  barricades  s'élevèrent  de  toutes 
parts;  le  premier  président  se  rendit  au  Palais,  mais,  au 
retour,  son  carrosse  fut  criblé  de  coups  d'épée  et  lui-même 
fut  obligé  de  se  réfugier  à  l'Hôtel  de  Ville.  En  vain,  le 
Parlement,  pour  le  sauver,  l'autorisa  à  se  retirer  à  deux 
lieues  de  la  ville,  au  château  de  Balma.  La  populace  em- 
pêcha l'exécution  de  l'arrêt  et  l'enferma  au  couvent  des 
dominicains.  Daffis,  l'avocat  général  au  parlement  de  Tou- 

1.  De  Tiiou,  t.  X,  p.  558.  —  Palma-Gaybt,  p.  108. 


PARIS  RÉGICIDE  843 

louse,  avait  écrit  à  son  frère  Guillaume  Daffis,  premier 
président  au  parlement  de  Bordeaux,  et  au  maréchal  de 
Matignon  pour  les  prier  de  faire  secourir  Duranti,  mais 
les  ligueurs  saisirent  la  lettre  et  arrêtèrent  également 
Daffis.  Le  bruit  que  le  premier  président  voulait  livrer  la 
ville  au  maréchal  de  Matignon  acheva  d'exaspérer  les  Tou- 
lousains. Ils  se  portèrent  le  10  février,  à  quatre  heures  du 
soir,  au  couvent  des  dominicains,  mirent  le  feu  aux  portes, 
s'emparèrent  de  Duranti  et  le  massacrèrent.  Puis,  après 
avoir  traîné  son  cadavre  à  travers  les  rues,  on  le  cloua  au 
pilori,  en  face  d'un  portrait  du  roi,  avec  cette  inscription  : 
«  Tu  as  tant  aimé  le  roi;  jouis  présentement  de  sa  vue  à 
ton  aise  et  meurs  avec  lui.  »  Ce  fut  ensuite  le  tour  de 
l'avocat  général  Daffis  ;  les  ligueurs  le  tirèrent  de  la  Con- 
ciergerie et  le  tuèrent  en  sortant  de  la  prison  *. 

C'est  à  la  suite  de  ces  exploits  que  la  Ville  de  Paris  crut 
devoir  adresser  une  lettre  de  félicitations  aux  capitouls  de 
Toulouse.  La  lettre  porte  la  date  du  27  février  1589  *  : 
«  Messieurs,  ce  nous  a  esté  un  grand  contentement  et  con- 
solation d'avoir  appris  par  vos  propres  lettres  les  moyens 
desquels  vous  avez  usé  pour  vostre  conservation  et  de  la 
religion  catholique;  en  quoy  nous  pensons  avoir  bonne 
part,  par  l'alliance  et  union  que  nous  avons  avec  vous  en 
cette  si  juste  et  sainte  cause;  c'est  pour  quoy  nous  nous 
en  réjouissons  et  en  louons  Dieu  et  vous  en  remercions 
de  tant  de  résolutions  et  devoirs  que  y  avez  faits  en  cette 
nécessité...  »  Dans  une  seconde  lettre,  qui  porte  la  même 
date,  la  Ville  de  Paris  expose  au  parlement  de  Toulouse 
l'organisation  générale  du  parti  :  «  Il  ne  reste  plus  sinon 
d'establir  un  bon  ordre  aux  affaires,  à  quoy  nous  travail- 
lons tant  que  nous  pouvons  par  l'establissement  du  conseil 


1.  De  Thou,  t.  X,  p.  563. 

2.  Rko.  h,  1789,  fo297.  —  Féubibn,  t  V,  p.  459,  Pr.,  paraît  avoir  fondu  en- 
semble les  deux  lettres  relatives  aux  événements  de  Toulouse. 


844  PARIS  ET   LA    LIGUE 

général  de  TUnion,  composé  d'un  grand  nombre  de  grandes 
et  honnectes  personnes  des  trois  ordres,  auquel  conseil 
s'expédient  et  ordonnent  toutes  les  affaires  de  nostre  Union 
avec  messieurs  les  princes  catholiques ,  lesquels  ont  les 
premiers  juré  d'obéir  audit  conseil  *  ».  La  Ville  de  Paris 
annonce  ensuite  aux  capitouls  de  Toulouse  que  toutes  les 
dépêches  du  conseil  sont  scellées  «  d'un  sceau  nouveau  aux 
armes  de  France,  en  la  légende  duquel  sont  escrits  ces 
mots  :  Sigillum  regni  Francias*;  que  le  parlement  de  Paris 
a  autorisé  le  conseil  et  son  sceau,  qui  figure  également  sur 
toutes  les  expéditions  d'actes  judiciaires.  Elle  ajoute  que 
«  toutes  les  capitales  villes  des  provinces  ralliées  ne  laissent 
pas  d'avoir  un  conseil  provincial  pour  les  affaires  de  la 
province,  qui  reconnoist  et  se  réfère  au  conseil  général 
de  Paris  et  y  a  recours,  quand  on  a  besoin  du  sceau  pour 
les  affaires  susdites  ».  Ces  villes  envoient  au  conseil  général 
des  délégués  auxquels  on  accorde  voix  délibérative.  Telle 
est  l'organisation  qui  fonctionne,  en  attendant  la  réunion 
des  Etats  généraux  qui  a  été  ordonnée  par  le  Conseil  et  le 
Parlement.  En  terminant,  la  municipalité  parisienne  de- 
mande au  parlement  de  Toulouse  d'imiter  l'exemple  du 
parlement  de  Rouen  et  d'adhérer  aux  mesures  prises  par 
rUnion. 

Dans  les  premiers  jours  de  mars,  le  roi  s'était  installé 
à  Tours  après  avoir  signé  l'édit  qui  transférait  dans  cette 
ville  le  Parlement  et  la  Chambre  des  comptes'.  Mais  cette 
monarchie  errante  paraissait  bien  chétîve  en  face  de  la 
Ligue  et  de  la  formidable  Union  des  cités  catholiques. 
Autour  de  lui,  tout  était  en  feu.  Il  était  pris  entre  les 
forces  ligueuses  de  la  Beauce  et  l'insurrection  bretoniue, 
tandis  que  les  huguenots  devant  lesquels  l'armée  du  duc 


1.  Rbo.  h,  1789,  f«  297. 

2.  Voy.  plus  haut  p.  531  et  note  1. 

3.  Palma-Caybt,  p.  107.  —  Db  Thou,  t.  X,  p.  582. 


PARIS  RâGIGIDE  545 

de  Nevers  s'était,  pour  ainsi  dire,  fondue,  occupaient  en 
maîtres  le  Poitou,  une  partie  du  Berry  et  venaient  jusqu'en 
Touraine  montrer  leurs  enseignes  aux  derniers  défenseurs 
du  roi  de  France  comme  une  espérance  ou  comme  une 
menace.  Le  roi  de  Navarre,  remis  d'une  maladie  grave  *, 
voyait  tomber  toutes  les  places  devant  la  seule  terreur  de 
son  nom  ou  le  prestige  de  sa  politique  de  clémence.  Après 
Niort,  il  avait  pris  Saint-Maixent,  Maillezais,  Mirebeau, 
Vivonne,  TIle-Bouchard,  Argenton  et  Chatellerault  '.  C'est 
de  cette  ville  qu'à  la  date  du  4  mars  1589  il  adressa  un 
manifeste  célèbre  aux  trois  états  du  royaume.  Le  Béarnais, 
tout  en  refusant  d'abjurer  sa  religion  «  la  dague  sur  la 
gorge  »,  affirme  ses  sentiments  de  tolérance  à  l'égard 
des  catholiques,  d'amour  et  de  pitié  pour  le  peuple  que 
ruine  une  guerre  fratricide,  de  fidélité  au  roi  «  son  sei- 
gneur »;  il  somme  les  ligueurs  de  mettre  fin  à  leurs 
entreprises  et  les  menace,  s'ils  refusent,  de  rendre  la 
paix  au  royaume,  soit  tout  seul  ot  «  au  hasard  de  dix 
mille  vies  »,  soit  avec  le  concours  du  roi,  s'il  l'appelle 
auprès  de  lui  '. 

Ainsi  Henri  de  Bourbon  préparait  sa  réconciliation 
avec  Henri  HI  et  mettait  une  délicatesse  pleine  de 
dignité  à  faciliter  une  alliance  qu'une  partie  de  la  cour 
du  Valois  estimait  nécessaire  *.  Mais,  malgré  toutes  les 
humiliations  dont  il  était  redevable  à  la  Ligue,  Henri  UI 
éprouvait  une  répugnance  invincible  à  se  jeter  dans  les 
bras  du  roi  huguenot.  Fidèle  à  ses  habitudes  de  duplicité, 


1.  Le  roi  de  Navarre  était  tombé  malade  à  Saint- Père,  le  9  janvier,  en 
allant  secourir  la  place  de  la  Ganache,  assiégée  par  le  duc  de  Nevers.  Le 
bruit  courut  à  Blois  que  Henri  de  Bourbon  était  mort,  et  la  Ganache  capi* 
tula.  Voy.  Palma-Caybt,  p.  99. 

2.  De  Thou,  t.  X,  p.  584,  et  d'Aubioné,  HUt.  univ.,  livre  II,  chap.  xv. 

3.  Mém.  de  la  Ligue,  t.  III,  p.  230.  —  Palma-Caybt,  p.  112. 

4.  Louis  d'Angennes  de  Maintenon  pressait  plus  que  personne  Henri  III 
de  s'accorder  avec  le  roi  de  Navarre  et  de  rappeler  les  forces  royalistes 
qui  se  trouvaient  en  Poitou.  Db  Thou,  t.  X,  p.  588. 

ROBIQUET.  35 


846  PARIS  ET  LA  LIGUE 

il  essaya  de  négocier  en  même  temps  avec  Mayenne  par 
rintemiédiaire  du  légat  Morosoni,  et  avec  le  roi  de 
Navarre  par  l'entremise  de  la  duchesse  d'Angoulême. 
C'est  seulement  après  le  refus  hautain  de  Mayenne  que 
le  roi  se  décida  à  traiter  avec  les  huguenots,  sous  la 
forme  singulière  d'une  trêve  d'un  an  *  dont  les  conditions 
avaient  été  arrêtées  à  Tours,  dès  le  3  avril,  entre  Henri  III 
et  Philippe  Duplessis-Mornay,  mais  dont  la  ratification 
avait  été  ajournée  sur  la  demande  du  roi,  qui  voulait  se 
ménager  le  temps  de  recevoir  la  réponse  de  la  Ligue.  Il 
était  convenu  que  le  roi  de  Navarre  entretiendrait  à  ses 
frais  un  corps  de  douze  cents  chevaux  et  deux  mille  arque- 
busiers, et  qu'il  recevrait  une  place  sur  la  Loire  pour  le 
passage  de  ses  troupes.  Le  Béarnais,  dès  le  i8  avril  *, 
publia  un  nouveau  manifeste  qui  était  une  déclaration  de 
guerre  à  la  Ligue  et  la  constatation  éclatante  de  son 
alliance  avec  Henri  III.  Martin  Ruzé  de  Beaulieu  livra 
Saumur  aux  huguenots  le  21  du  même  mois,  conformé- 
ment aux  ordres  de  la  cour. 

Que  faisaient  pendant  ce  temps  les  Parisiens  et 
Mayenne,  leur  grand  homme  de  guerre?  La  nouvelle  de 
l'alliance  conclue  entre  les  deux  rois  produisit,  à  coup 
sûr,  un  grand  effet  dans  la  capitale.  On  fit  un  nouvel 
appel  au  fanatisme  des  prédicateurs  pour  relever  le  cou- 
rage des  ligueurs.  Dans  cette  campagne  de  calomnies  et 
de  diffamations,  ceux  qui  se  distinguèrent  par-dessus  les 
autres  s'appelaient  Guillaume  Rose,  évèque  de  Senlis^ 
cet  extravagant  auquel  la  Ménippée  a  donné  l'immortalité 
du  ridicule  ',  Guincestre,  Jean  Hamilton,  le  pèn»  Bernard, 
de  l'ordre  des  Feuillants,  Christophe  Aubry,  Pierre 
Cluîstin,  Guillaume  Lucain,  Mauclerc,   le  père  Jacques 

1.  La  déclaration  de  trêve  fut  enregistrée  au  parlement  de  Tours  le 
29  avril  1589.  Ibid.,  p.  593. 

2.  De  Tbou,  p.  593.  —  Palma-Gatbt,  p.  122. 

3.  Sat.  Mén.,  t.  I,  p.  78  à  96.  La  harangue  attribuée  à  Rose  est  de  Rapin. 


PARIS   RÉGICIDE  547 

Commolet ,  jésuite ,  Jean  Guarinus ,  Jacques  Cueilly  y 
Pigenat,  Gilbert  Genebrard,  professeur  royal  de  la  langue 
hébraïque,  nommé  archevêque  d'Aix  par  Grégoire  XIII,  et 
le  cordelier  François  Feuardent  *.  Au-dessus  de  tous  ces 
énergumènes  se  plaçaient,  par  Tascendant  nafturel  de  leur 
rage  implacable,  Mathieu  de  Launay,  le  chanoine  de 
Soissons  dont  nous  avons  déjà  parlé  plus  haut,  Tancien 
calviniste  apostat,  le  grand  remueur  des  opinions  de  la 
populace^  selon  l'expression  de  Pasquier,  Fun  des  quatre 
piliers  de  la  Ligue,  et  pour  tout  dire  un  scélérat,  comme* 
l'appelle  Le  Duchat;  et,   en  second   lieu,  le   non  moinn 


\,  Db  Thou,  t.  X,  p.  594.  Guincestre  et  Feuardent  étaient  les  principaux 
iiisligateurs  du  décret  de  la  Faculté  de  théologie  qui  déclara  Henri  111 
déchu  du  trône.  Nous  avons  déj&  parlé  du  premier,  le  fameux  curé  de 
Saint-Gervais,  qui  avait  forcé  le  président  De  liarlay  à  jurer  fidélité  &  la 
Ligue.  —  François  Feuardent,  né  à  Coutances  en  1539,  était  un  érudit  fana- 
tique, auteur  de  la  Theomachia  calvinistica  ou  Entremangerie  des  protes- 
tants. Voy.  sur  lui  Wadduvo,  Script,  ordinis  minorum  (1650,  in-fol.,  p.  115). 

—  Bibl.  de  Duvbrdieh,  v*»  François.  —  Bail,  Sapientia  torts  prxdicans, 
part.  III,  p.  478.  —  Batlb  et  Moréri,  Lettres  de  Pasquier,  t.  Il,  p.  456.  — 
Ch.  Labitte,  De  la  démocratie  de  la  Ligue,  p.  71.  —  Génébrard,  né  à  Riom 
en  1537,  était  un  bénédictin  de  mœurs  austères,  mais  d'une  excessive  vio- 
lence de  plume.  Éditeur  d'Orlgène,  traducteur  de  Josèphe,  il  n'a  pas  éorit 
moins  de  trente  et  un  ouvrages.  François  de  Sales  fut  son  élève  au  Collège 
royal.  Voy.  Goujet,  Hist.  du  Collège  royal  (1758,  in-4o,  part.  I,  p.  102).  — 
NicÉRON,  t.  XXII,  p.  1  à  18.  —  Tbissibr,  Eloge  des  savants  (1715,  in-12,  p.  301 
à  309).  —  Labitte,  p.  69.  —  Le  P.  Bernard,  fils  de  Bertrand  Percin,  seigneur 
de  Montgaillard.  Né  en  1563,  d'après  Bayle,  et  âgé  par  conséquent  de  vingt- 
six  ans  en  1589,  il  entra  à  seize  ans  dans  l'ordre  des  Feuillants,  fut  dis- 
tingué par  Henri  III,  prêcha  au  Louvre  et  acquit  une  grande  réputation. 
On  l'avait  surnommé  le  Petit  Feuillant.  L'Estoile  affirme  que  les  dames 
l'aimaient  fort  et  lui  envoyaient  souvent  des  confitures.  Il  contribua,  dit^on, 
à  la  conversion  de  Henri  IV,  et  sut  conserver  son  estime,  bien  que  cer- 
tains auteurs  l'accusent  d'avoir  trempé  dans  les  conspirations  contre  le  roi 
(voy.  notamment  sur  le  Petit  Feuillant,  qui  ne  mourut  qu'en  1628,  à  son 
abbaye  d'Orval,  après  mille  pérégrinations,  les  Remarques  surlaSat,  Ménip., 
t.  II»  p.  56  à  65).  —  Jean  Hamilton,  curé  de  Saint-Cosme,  était  Écossais;  doc- 
teur en  1586,  il  s^espagnolisa  vite,  comme  dit  Le  Duchat  (Hist.  Gymn.  Navan\ 
aP'  Launoii  oper.,  t.  VII,  p.  754;  Ch.  Labitte,  p.  74).  —  Voy.  sur  Christophe 
Aubry,  curé  de  Saint- André  des  Arc9>  les  Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  434. 

—  Jacques  Cueilly,  d'origine  parisienne,  tenait  la  cure  de  Saint-Germain- 
l'Auxerrois,  après  avoir  été  recteur  de  l'Université  en  1574  (du  Boulay,  Hist. 
univ.  Parisiens.,  t.  VI,  p.  806).  —  Pierre  Christin,  de  Nice,  Jean  Guarinus 
ou  Garin,  cordelier  savoyard,  le  franciscain  Panigarolla,  représentaient  le 
contingent  des  moines  étrangers.  ~  Guillaume  Lucain  avait  le  titre  de 
docteur. 


S48  '  PARIS  ET   LA  LIGUE 

célèbre  Jean  Boucher,  qui,  malgré  ses  alliances  avec  les 
meilleures  familles  de  la  capitale,  notamment  avec  celle 
des  de  Thou,  s'était  furieusement  jeté  dans  le  parti  de  la 
Ligue,  croyant  y  trouver  des  satisfactions  sans  limites 
pour  sa  dévorante  ambition.  Successivement  professeur  à 
Reims,  régent  de  philosophie  au  collège  de  Bourgogne, 
prieur  de  Sorbonne,  recteur  de  T  Université  en  1580,  à 
trente  ans,  il  était  en  1589  curé  de  Saint-Benoît  et  can- 
didat malheureux  à  tous  les  évêchés  vacants  *.  Pour 
donner  une  issue  au  fiel  qui  l'étouffait,  il  composait  alors 
un  libelle  de  la  dernière  violence  contre  le  roi.  Cela  était 
intitulé  :  De  justa  Henrici  abdicatione  '.  «  Jamais,  dit 
de  Thou,  dans  ces  temps  de  licence  et  de  désordre,  il 
n'avait  encore  paru  d'ouvrage  aussi  exécrable.  »  Tous  ces 
prêtres  fanatiques  et  ambitieux  entretenaient  les  Parisiens 
dans  un  état  permanent  de  fureur  et  d'exaltation  et  ne  se 
faisaient  pas  faute  de  répandre  les  fausses  nouvelles  du 
haut  de  la  chaire  chrétienne.  Elle  ne  retentissait  plus  que 
des  exploits  militaires  de  la  Ligue,  et  Mme  de  Montpensier 
n'était  pas  satisfaite  quand  on  se  couchait  sans  apprendre 
une  prise  de  ville  ou  une  bataille  gagnée  *. 

Il  faut  néanmoins  reconnaître  que  les  ligueurs  fai- 
saient preuve  d'une  grande  activité  et  n'étaient  pas 
assez  remplis  d'illusions  pour  espérer  vaincre  les  roya- 
listes avec  des  sermons  et  des  libelles.  Dès  le  7  avril, 
Mayenne  avait  écrit  au  pape  Sixte  V  et  lui  avait  dépêché 
Pierre  Frison,  doyen  de  Reims,  pour  le  supplier  de  ne 
pas  accorder  à  Henri  III  l'absolution  qu'il  réclamait  avec 
tant  ^d'instances.  Le  lendemain,   il  sortait  de  Paris  avec 

1.  Voy.  sur  Boucher  :  Mim,  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  22.  —  Le  Duchat,  Notes 
sur  la  Ménippée.  —  Brûlé,  ChronoL  des  curés  de  Saint-Benoit  (1752,  in-8«, 
p.  32).  —  Ch.  Labitte,  p.  61.  —  De  Tbou,  t.  X,  p.  595. 

2.  Gel  ouvrage  parut  avec  le  nom  de  l'auteur  à  Paris  chez  Nivelle  et  ne 
fut  (achevé  qu'un  peu  après  la  mort  de  Henri  IH.  La  seconde  édition  fut 
donnée  à  Lyon  en  1590,  chez  Pillehotte. 

3.  Voy.  DB  Thou,  U  X,  p.  598. 


PARIS  RÉGICIDE  549 

une  armée  assez  belle  dont  les  trésors  saisis  chez  Pierre 
Molan  *  avaient  singulièrement  facilité  la  levée  et  l'équi- 
pement et  s'était  dirigé  sur  Châteaudun.  Son  avant-garde, 
commandée  par  M.  de  Rosné,  s'empara  de  Vendôme  que 
livra  son  gouverneur  Jacques  de  Maillé,  faillit  faire  pri- 
sonnier le  comte  de  Soissons  et  garda  comme  otages  tous 
les  membres  du  Grand  Conseil  que  le  roi  avait  imprudem- 
ment laissés  dans  la  ville  ;  on  arrêta  même  les  gros  plai- 
deurs afin  d'en  tirer  rançon.  Mayenne  ayant  rejoint  la  tête 
de  ses  colonnes  poussa  jusqu'à  Châteaurenault,  à  sept 
lieues  de  Tours  ;  puis,  profitant  d'un  avis  de  l'archevêque 
de  Lyon,  fondit  à  l'improvisle  sur  la  cavalerie  royaliste  de 
Charles  de  Luxembourg,  comte  de  Brienne,  beau-frère  du 
duc  d'Épernon,  qui  s'était  logé  à  Saint-Ouen,  tout  près 
d'Amboise.  Ce  fut  une  déroute.  Assiégé  dans  le  ch&teau 
de  Saint-Ouen,  Brienne  n'attendit  pas  les  secours  que  lui 
amenait  le  roi  de  Navarre,  à  la  prière  de  Henri  III,  et  se 
rendit  avec  les  gentilshommes  de  sa  suite.  Cette  défaite,  de 
mauvais  augure  pour  la  campagne  décisive  qui  s'ouvrait, 
força  le  Valois  à  unir  complètement  sa  fortune  à  celle 
du  Béarnais.  L'entrevue  de  Plessis-les-Tours  "  dissipa 
toutes  les  préventions  qui  avaient  existé  jusque-là  entre 
les  deux  rois  (30  avril). 

«  La  confédération  et  association  des  deux  rois  »,  bien 
que  prévue  depuis  quelque  temps,  ne  manqua  pas  de  pro- 
voquer à  Paris  une  recrudescence  de  fureur.  «  Madame 

1.  Voy.  plus  haut,  p.  531. 

2.  Voir  pour  les  détails  de  cette  entrevue  Palma-Catbt,  p.  127,  et  ni  Thou, 
t.  X,  p.  618  et  suivantes.  C'est  Duplessis-Mornay  et  François  de  ChAtillon 
qui  contribuèrent  surtout  à  décider  Henri  de  Navarre  &  venir  au  rendez- 
vous  fixé  par  Henri  III.  Beaucoup  de  gentilshommes  protestants  prédisaient 
à  leur  mattre  qu'il  se  rendait  à  la  boucherie.  Du  reste,  les  gens  du  Béar- 
nais prirent  quelques  précautions  contre  une  trahison  possible,  et  se  sai- 
sirent d'une  des  portes  du  château  du  Plessis-les-Tours.  L'entrevue  fut 
attendrissante.  Les  deux  rois  «  a'estans  joints,  s'entrebrassèrent  très  amou- 
reusement, mesmes  avec  larmes,  principalement  le  roy  de  Navarre,  des 
yeux  duquel  on  les  voiot  tomber  grosses  comme  poix,  de  grande  joie  qu'il 
avoit  de  voir  le  roy  ».  (L*Estoilb,  t.  III,  p.  277.) 


550  PARIS  ET  LA  LIGUE 

de  Montpensier,  par  ses  prédicateurs  gagés  et  appointés  k 
cet  effect,  y  fist  prescher  partout  que  le  masque  estoit  des- 
couvert, que  le  tiran  avoit  osté  1q  voile  de  son  hipocrisie, 
«'estant  tout  à  fait  déclaré  fauteur  et  partisan  de  Théréti- 
que  *.  »  Il  y  eut  un  nouveau  déchaînement  de  sonnets 
satiriques  et  de  libelles  diffamatoires.  L'Estoile  dit  en  avoir 
ramassé  plus  de  trois  cents  qu'il  avait  fait  relier  en  quatre 
gros  tomes  ;  sans  compter  un  gros  in-folio  «  plein  do 
figures  '  ».  Cette  littérature  sainte  était  «  farcie  de  toutes 
les  plus  atroces  injures  qu'on  se  pouvoit  aviser,  jusques  k 
en  rechercher  des  mémoires  sur  les  vieux  ruffiens,  maque- 
relles,  garces  et  harangères  du  Petit-Pont  ».  Les  ligueurs 
mettaient  k  profit  la  rage  anti-monarchique  que  les  prédi- 
cateurs développaient  dans  l'esprit  du  peuple  pour  conti- 
nuer les  levées  d'hommes  et  fortifier  la  capitale,  tandis  que 
Mayenne  guerroyait  en  Touraine  contre  les  deux  rois  '. 
Pour  leur  donner  du  cœur,  on  montra  aux  Parisiens  le 
comte  de  Brienne,  fait  prisonnier  par  Mayenne,  et  l'on 
attacha  aux  voûtes  de  Notre-Dame  six  enseignes  à  titre  de 
trophées  royalistes.  Il  est  vrai  que  les  ligueurs  n'en 
avaient  pris  que  trois  au  combat  de  Saint-Ouen,  mais  il 
ne  fallait  pas  lésiner  sur  ces  glorieuses  étoffes,  «  y  en  aiant 
toujours  de  toutes  prestes  et  cousues  à  cest  effect  par  la 
sage  conduite  et  pourvoiance  de  Madame   de  Montpen- 


sier *  ». 


1.  L'EsTOiLB,  t  m,  p.  278. 

2.  Ibid.,  p.  279.  Voy.  les  échanlillons  que  donne  le  chroniqueur. 

3.  Voici  un  extrait  des  Registres  qui  prouve  qu'on  faisait  surtout  appel 
aux  enrôlements  volontaires  :  «  Les  princes  catholiques,  unis  avec  les  trois 
estats  de  France  pour  la  protection  et  defTense  de  la  religion  catholique, 
apostolique  et  romaine,  libertez  de  la  noblesse  et  descharge  du  peuple, 
et  les  prévost  des  marchands  et  eschevins,  reprêsentans  toutes  les  autres 
villes  et  communautez  de  ladite  Union,  etc.,  commission  au  sieur  de 
Crécy  pour  armer  gens  de  compagnie  de  pied  et  de  cheval  des  bourgeois 
qui  le  voudront  volontairement  suivre,  pour  charger  les  troupes  des  héréti- 
ques et  politiques  qui  ravageront  le  plat  pays  des  environs  de  Paris.  Du 
24  avril.  »  (Rbo.  H,  1789,  fol.  289,  et  Félib.,  Preuves,  t.  V,  p.  460.) 

4.  L'EsTOiLB,  t  III,  p.  285. 


PARIS  RÉGICIDE  S51 

Malgré  tout,  le  peuple  souffrait  cruellement  de  la  guerre. 
Il  y  avait  longtemps  que  les  rentes  sur  THôtel  de  Ville 
n'étaient  plus  payées;  les  loyers  ne  rentraient  pas  davan- 
tage et,  par  arrêt  du  45  avril,  le  Parlement  dut  en 
remettre  aux  locataires  qui  ne  s'étaient  pas  acquittés  *. 
Ces  soufifrances,  que  la  continuation  de  la  guerre  devait 
aggraver  de  plus  en  plus,  se  perdaient  d'ailleurs  dans 
l'agitation  belliqueuse  de  la  capitale  et  dans  le  déchaîne- 
ment des  haines  religieuses.  On  pouvait  se  croire  revenu 
au  temps  de  la  Saint-Barthélémy  :  d'odieux  spectacles 
étaient  offerts  au  peuple.  «  Le  samedi  6*  may,  écrit  TEs- 
toile,  fuçt,  par  sentence  du  prévost  de  Paris,  confirmée 
par  arrêt  de  la  Cour,  attachée  à  un  posteau  et  bruslée  vive 
en  Grève  une  pauvre  femme  huguenote  qui  ne  se  voulust 
jamais  desdire  et  mourut  ferme  et  constante  en  sa  reli- 
gion. »  Le  brigandage  politique  était  légalement  autorisé 
par  la  municipalité  ligueuse  :  un  ordre  du  prévôt  des  mar- 
chands en  date  du  3  mai  1589  porte  «  qu'il  est  enjoint  et 
permis  au  capitaine  de  la  Vigne  de  prendre  et  saisir  aux 
corps  ceux  qu'il  reconnoistra  hérétiques  et  fauteurs  d'iceux, 
tenans  le  parti  de  Henry  de  Valois,  demeurans  à  Brie- 
comte-Robert  et  environs  seulement,  ensemble  se  saisir 
de  leurs  biens  *  »,  d'en  prélever  une  partie  pour  lui-même 
et  de  verser  le  reste  «  pour  la  cause  de  l'Union  '  ». 

Quant  à  la  guerre  proprement  dite,  elle  se  faisait  avec 
des  raffinements  de  cruauté  incroyables.  Après  la  prise  du 

.  1.  Db  Trou,  t.  X,  p.  598.  Cette  mesure  n'était  pas  applicable  aux  immeu- 
bles appartenant  à  la  Ville  et  aux  Hôpitaux. 

2.  Félib.,  Pr.,  t.  V,  p.  460.     ^ 

3.  Sans  négliger  ces  recettes  extraordinaires,  la  Ville  pressait  la  rentrée 
des  taxes  de  guerre  que  centralisaient  les  curés.  Un  mandement  municipal 
du  29  avril  1589  les  prie  d'exhorter  leurs  paroissiens  «  à  porter  ou  en- 
voyer, en  la  plus  grande  diligence  qu'il  sera  possible,  es  mains  du  recepveur 
de  leur  quartier,  tant  les  deniers  j&  levez  par  advance  que  aultres  deniers 
de  leurs  taxes  pour  employer  au  payement  des  ^ens  de  guerre  levez  pour 
la  deffense  de  nostre  saincte  religion  et  conservation  de  ladite  Ville, 
assaillie  et  environnée  de  toutes  partz  de  nos  communs  ennemys  ».  (Rio.  H, 
1789,  fol.  323.) 


853  PARIS   ET  LA   LIGUE 

faubourg  Saint-Symphorien  à  Tours  par  les  troupes 
ligueuses,  et  Téchec  subi  par  Henri  III  en  personne 
(8  mai),  le  chevalier  d'Âumale  lâcha  la  bride  à  la  solda- 
tesque, vola  les  vases  sacrés,  força  la  porte  des  églises  où 
s'étaient  réfugiées  les  femmes,  avec  leurs  objets  les  plus 
précieux,  et  en  laissa  violer  trente  ou  quarante  au  pied  des 
autels.  Pour  sa  part  de  butin,  il  eut  «  une  fille  de  douze 
ans,  des  meilleures  maisons  de  Tours,  laquelle  il  força 
dans  un  grenier,  lui  tenant  tousjours  le  poignard  à  la 
gorge  '  ».  Tels  étaient  les  exploits  des  contingents  pari- 
siens et  leur  manière  de  combattre  pour  la  sainte  cause. 
Ils  affirmaient  que  tout  leur  était  permis  et  que  le 
pape  absoudrait  leurs  péchés,  tandis  que  les  huguenots 
n'avaient  pas  les  mêmes  protections  auprès  de  Dieu  *. 
Mayenne,  de  son  côté,  s'acharnait  sur  les  cadavres.  Sainte- 
Maline,  l'un  des  meurtriers  du  duc  de  Guise,  avait  été 
tué  au  combat  du  faubourg  Saint-Symphorien.  Le  général 
ligueur  condamna  le  mort  à  être  pendu  par  les  pieds,  après 
qu'on  lui  aurait  coupé  la  tête  et  le  poing.  Un  écriteau 
serait  attaché  au  gibet,  avec  cette  inscription  :  «  Que  pour 
la  punition  exemplaire  de  sa  damnable  exécution,  la  teste 
serait  portée  à  Montfaucon,  mise  au  lieu  plus  éminent, 
attendant  qu'elle  soit  accompagnée  de  celle  de  Henri  de 
Valois  '  ». 

Ainsi,  du  côté  de  l'ouest,    les  événements  semblaient 
prendre  une  tournure  assez  favorable  à  la  Ligue,  et  les  Pa- 

1.  L'EsTOiLB,  t.  in,  p.  288. 

2.  Db  Thou,  t.  X,  p.  626. 

3.  L'ËsTDiLB  a  pris  cela  dans  une  relation  imprimée  à  Paris  par  Nicolas 
Nivelle  et  Rolin-Tliierry,  imprimeurs  de  l'Union.  Elle  avait  pour  titre  :  «  Dis- 
cours ample  et  véritable  de  la  des  faite  obtenue  aux  fauxbourgs  de  Tours  sur 
les  trouppes  de  Henri  de  Valois,  par  Monseigneur  le  duc  de  Maienne,  pair  et 
lieutenant  général  de  VEstat  roial  et  couronne  de  France  «.  —  De  Thou  cite 
également  cette  relation  ligueuse,  mais  il  ajoute  qu'il  a  lui-même  interrogé 
les  habitants  du  faubourg  Saint-Symphorien  pour  savoir  ce  que  les  troupes 
ligueuses  avaient  fait  pendant  la  nuit  du  8  au  9,  et  qu'il  n'a  pas  entendu 
parler  du  traitement  barbare  auquel  aurait  été  soumis  le  cadavre  de  Sainte- 
Malin  e.  T.  X,  p.  627. 


PARIS  RÉGICIDE  583 

risiens  purent  chômer,  le  42  mai,  la  fête  des  Barricades 
avec  un  enthousiasme  sans  mélange.  La  chftsse  de  sainte 
Geneviève  fut  promenée  en  grande  pompe.  Mais  cette 
allégresse  n'allait  pas  tarder  à  être  douloureusement  trou- 
blée, grâce  à  rimpéritie  des  lieutenants  que  Mayenne  avait 
laissés  derrière  lui  pour  diriger  son  expédition  contre 
Tours.  C'était  le  duc  d'Aumale  qui  commandait  en  chef 
dans  la  Picardie  et  llle-de-France,  et  sa  tâche  paraissait 
aisée,  puisque  Melun  s'était  rendu  et  que  le  parti  royaliste 
ne  possédait  plus  dans  les  environs  de  Paris  que  le  châ- 
teau de  Vincennes.  Chaque  jour,  un  des  seize  quartiers 
envoyait  mille  ou  douze  cents  hommes  pour  en  continuer 
le  siège,  et  la  famine  semblait  devoir  accélérer  la  capitula- 
tion de  la  forteresse  *.  Mais  Téloignement  du  duc  de 
Mayenne  et  l'alliance  des  deux  rois  ranimèrent  bien  vite  le 
courage  des  royalistes.  MM.  de  Givry,  de  la  Grange-le- 
Roy  et  plusieurs  autres  gentilhommes  entrèrent  en  cam- 
pagne du  côté  de  la  Brie.  Senlis,  à  dix  lieues  de  la  capitale, 
fut  occupé  vers  la  fin  d'avril  par  Guillaume  Montmorency 
de  Thoré  ' .  Tous  les  gentilshommes  royalistes  des 
environs,  MM.  de  Fontenay,  de  Moussy,  le  baron  de 
Bondy  et  une  centaine  d'autres,  se  jetèrent  aussitôt  dans  la 
place  avec  quatre  cents  hommes  de  pied.  C'était  une 
menace  directe  pour  les  ligueurs  parisiens,  et  ils  organi- 
sèrent immédiatement  une  grande  expédition  contre 
Senlis.  Maineville,  gouverneur  de  Paris  pour  l'Union, 
partit  le  premier,  et  le  duc  d'Aumale  le  rejoignit  avec 
quatre  mille  hommes,  y  compris  les  cavaliers.  D'autres 
contingents  suivirent  et  la  milice  municipale  fut  mise  à 
contribution.  Il  est  à  croire  qu'elle  ne  témoignait  pas  de 
grandes   dispositions  pour    s'éloigner   de    ses   pacifiques 


1.  Palma-Catet,  p.  140. 

2.  Sur  l'affaire  de  Senlis,  voy.  le  Discours  qui  se  trouve  au  l.  III  des 
Mém,  de  la  Ligue,  p.  550. 


854  PARIS  ET  LA  LIGUE 

foyers,  car  les  chefs  ligueurs  avaient  recours  à  de  singu- 
liers stratagèmes.  Le  5  mai,  Brigard,  procureur  de  la  Ville, 
se  mit  en  route  afin  de  conduire  au  camp  du  duc  d*Au- 
male  deux  canons,  une  coulevrine  et  un  convoi  de  poudre; 
mais,  arrivé  au  Bourget,  il  s'arrêta,  ne  se  trouvant  pas 
suffisamment  escorté.  Pour  lui  donner  cette  escorte,  la 
Ville  envoya  Tordre  au  colonel  Aubry,  dont  c'était  le  tour 
d'aller  relever  les  troupes  qui  assiégeaient  le  château  de 
Vincennes,  de  sortir  par  la  porte  Saint-Martin  au  lieu  de 
la  porte  Saint-Antoine  et  de  rallier  Brigard  au  Bourget. 
Aubry  et  les  douze  cents  hommes  de  son  quartier  arrivè- 
rent le  lendemain  soir  devant  Senlis  et  saluèrent  la  Ville 
d'un  coup  de  canon.  Les  assiégés  parurent  en  bataille 
sur  les  murs  et  aux  sommations  de  se  rendre  répondirent 
que,  si  les  Parisiens  s'engageaient  à  donner  l'assaut,  ils 
abattraient  eux-mêmes  une  partie  de  leurs  murailles 
pour  les  mieux  recevoir.  L'assaut  n'eut  pas  lieu  toutefois, 
et,  dès  le  7  mai,  Gilles  des  Ursins  d'Armentières  réussit  à 
forcer  le  blocus  et  à  faire  entrer  dans  la  place,  une 
troupe  de  royalistes  déterminés.  Une  sortie,  vigoureuse- 
ment exécutée  par  cent  cavaliers,  permit  aux  assiégés 
d'expédier  des  messagers  k  Henri  d'Orléans,  duc  de  Lon- 
gucville,  qui  était  alors  à  Compiègne,  afin  de  presser 
.  l'arrivée  des  secours,  annoncée  par  d'Armentières. 
D'autre  part,  le  duc  d'Aumale  ne  déployait  pas  moins 
d'activité,  et  il  avait  fait  venir  Jean  de  Balagny,  gouver- 
neur de  Cambrai,  avec  quatre  mille  hommes  et  sept 
pièces  de  canon,  tirées  de  Péronne  et  d'Amiens.  Le 
17  mai,  au  matin,  l'artillerie  ligueuse  commença  à  battre 
furieusement  la  place  et  pratiqua  une  brèche  considérable. 
Avec  un  peu  d'ordre  et  de  sang-froid,  Senlis  était  em- 
porté, avant  l'arrivée  des  renforts  que  les  royalistes  atten- 
daient; mais  les  troupes  de  l'Union  montèrent  à  l'assaut 
avec  une  telle  confusion  qu'elles  furent  repoussées  et  per- 


PARIS   RÉGICIDE  8K5 

dirent  beaucoup  des  leurs.  Le  manque  de  poudre  et  de 
balles  empêcha  les  royalistes  de  profiler  de  leur  succès,  et 
ils  acceptèrent  même  une  capitulation,  aux  termes  de 
laquelle  ils  devaient  rendre  la  place  s'ils  n'étaient  pas 
secourus  le  jour  même.  Mais  à  midi  la  petite  armée  com- 
mandée par  le  brave  La  Noue  et  le  duc  de  Longueville 
parut  en  vue  des  murailles.  Elle  ne  se  composait  que  de 
huit  cents  chevaux  et  de  quinze  cents  arquebusiers;  aussi, 
en  présence  du  nombre  des  ligueurs,  La  Noue  hésita-t-il  un 
moment  à  engager  le  combat.  Il  céda  cependant  aux  ins- 
tances de  SQS  officiers,  et  les  deux  armées  s'abordèrent. 
D'Aumale,  peu  renseigné  par  ses  espions,  croyait  que  les 
royalistes  n'avaient  pas  de  canon  et  se  flattait  de  les 
vaincre  avec  sa  seule  cavalerie.  Ce  fut  précisément  l'artil- 
lerie, bien  commandée  par  M.  de  Sermoise,  qui  décida  du 
sort  de  la  journée.  Lorsque  le  ligueur  Balagny,  avec  la 
cavalerie  de  Cambrai,  fut  arrivé  à  deux  cents  pas  des 
arquebusiers  royaux,  ceux-ci  ouvrirent  leurs  rangs,  et  trois 
décharges  consécutives  mirent  la  confusion  dans  les 
bataillons  catholiques.  Une  charge  de  la  cavalerie  royale 
acheva  leur  déroute.  D'Aumale  et  Balagny,  blessés  tous 
deux,  ne  purent  même  établir  un  semblant  d'ordre  dans 
la  retraite  précipitée  de  l'armée  parisienne.  Dix  canons, 
d'immenses  approvisionnements  et  un  camp  rempli  de 
marchandises  de  toute  espèce  furent  le  prix  de  la  victoire. 
Plus  de  douze  cents  ligueurs  *  étaient  restés  sur  le  champ 
de  bataille,  entre  autres  le  gouverneur  de  Paris,  Maine- 
ville,  qui  s'était  battu  en  désespéré. 

Le  duc  d'Aumale  ne  s'arrêta  qu'à  Saint-Denis,  qu'il 
essaya  de  fortifier,  et  Balagny  alla  remplacer  Maineville  à 
Paris  dont  il  devînt  gouverneur.  Pour  calmer  la  colère  du 

1.  C'est  le  chiffre  donné  par  de  Thou,  t.  X,  p.  640.  —  Palma-Catet  parle  de 
deux  mille  morts  du  côté  de  la  Ligue.  Le  président  d'Assi,  dans  sa  lettre 
à  Mayenne  du  18  mai  1589,  indique  aussi  le  chifTre  de  deux  mille  morts. 


SS6  PARIS  ET  LA  LIGUE 

peuple,  il  affirma  qu'on  n'avait  perdu  que  cent  hommes  et 
quelques  canons,  en  ajoutant  que  dans  trois  jours  une 
nouvelle  armée  serait  mise  sur  pied,  et  que  les  Parisiens 
se  trouveraient  en  état  de  prendre  leur  revanche*.  En  atten- 
dant, les  ligueurs  éprouvèrent  un  nouvel  échec  à  Bonneval, 
localité  du  pays  chartrain.  Deux  cents  lanciers  et  cin- 
quante arquebusiers,  commandés  par  les  sieurs  de 
Saveuse  et  de  Forceville,  venaient  de  Picardie  rejoindre 
Tarmée  de  Mayenne  quand  ils  rencontrèrent  un  corps  de 
trois  cents  chevau-légers  et  de  quatre  cents  arquebu- 
siers à  cheval  que  M.  de  Chfttillon  conduisait  du  côté 
de  Chartres  pour  essayer  de  reprendre  cette  ville.  Après 
une  charge  héroïque  qui  enfonça  les  premiers  rangs  des 
royalistes,  les  ligueurs  succombèrent  sous  le  nombre. 
Saveuse  et  Forceville  moururent  de  leurs  blessures,  et  le 
premier,  transporté  à  Beaugency,  refusa  même  de  se 
laisser  panser  et  de  prendre  aucune  nourriture.  Chàtillon 
envoya  au  roi  la  cornette  du  vaincu,  qui  portait  la  croix 
de  Lorraine  avec  cette  devise  espagnole  \  inorir  o  mas 
contento.  Enfin,  pour  comble  de  mauvaise  fortune,  La 
Noue  et  le  duc  de  Longueville  ravitaillèrent  le  ch&teau  de 
Vincennes  dès  le  19  mai  *,  et  M.  de  Givry,  poussant  jus- 
qu'à la  Villette,  salua  Paris  de  plusieurs  volées  de  canon. 
Cette  audacieuse  démonstration  provoqua  dans  la  capitale 
une  émotion  extraordinaire.  Les  boutiques  se  fermèrent  et 
les  bourgeois  en  armes  se  répandirent  dans  les  rues.  Un 
ordre  de  la  Ville  du  19  mai,  u  sur  l'advis  que  les  ennemis 
menaçoient  les  fauxbourgs  Saint-Honoré,  Saint-Martin  et 
Saint-Denis  »,  prescrivit  aux  colonels  de  «  faire  garde  à 
leur  tour,  par  manière  de  provision,  et  d'assister  les  chefs 
en  personne,  pourveu  qu'ils  soient  valides  et  au-dessous 

1.  «  Il  faisoit  lors  dangereux  h  Paris  de  rire,  pour  quelque  occasion  que 
ce  fustf  car  ceux  qui  portoienl  seulement  le  visage  un  peu  guay  esloient 
tenus  pour  politiques  et  roiaux.  »  (L'Estoilb,  t.  lU,  p.  290.) 

2.  Palka-Caybt,  p.  143. 


PARIS  RÉGICIDE  887 

de  cinquante  ans  ^  ».  Chaque  dizaine  envoya  dix  hommes 
pour  garder  les  portes  et  les  avenues,  afin  de  repousser 
une  attaque  possible. 

La  Ligue  n'avait  encore  affaire  qu'aux  coureurs  de 
l'armée  royale.  Néanmoins  le  peu  de  sang-froid  de  la 
population  effrayait  les  chefs  du  parti  catholique.  Ils 
crurent  nécessaire  d'adresser  un  mémoire  aux  prédica- 
teurs de  Paris  pour  «  avertir  et  exhorter  le  peuple  conti- 
nuellement en  leurs  prédications  et  à  toutes  occasions,  afin 
de  le  contenir  en  l'obéissance  de  leurs  magistrats  et  supé- 
rieurs en  cette  Ville  do  Paris  ".  L'Hôtel  de  Ville  trouve 
fort  mauvais  qu'à  l'occasion  de  la  défaite  de  Senlis  «  ce 
peuple,  estant  surpris  d'effroy  et  se  sentant  incommodé 
de  ces  guerres  et  troubles,  se  soit  licentieusement 
avancé  de  discourir  sur  cet  accident,  et  sans  respect 
aucun,  sinon  du  mal  qui  le  presse,  et  ne  jugeant  les 
affaires  que  par  les  effets  et  succez,  se  soit  émancipé  de 
blasmer  et  calomnier  les  chefs  conducteurs  de  l'armée  et 
les  autres  magistrats  de  ladite  Ville.  »  Voilà  qui  est  pour 
les  meneurs  de  la  Ligue  l'abomination  de  la  désolation,  et 
ils  accusent  les  hérétiques  de  «  susciter  plusieurs  espions 
et  mauvais  garnemens,  qui  se  coulent  finement  parmi  les 
troupes  oiseuses  du  peuple  assemblé  devant  THostel  de 
Ville  et  y  sèment  leurs  calomnies,  faux  bruits  et  mauvaises 
nouvelles  pour  diviser  le  peuple  d'avec  les  princes  et  les 
magistrats  ».  Seuls,  les  prédicateurs  peuvent  ramener  au 
bien  les  esprits  égarés  et  leur  inspirer  le  remords  des 
péchés  qu'ils  commettent.  Aussi  la  Ville  fait-elle  un  éner- 
gique appel  au  dévouement  du  clergé  *.  Elle  termine  en 

1.  Ext.  des  reg.  —  Féub.,  Pr.,  t.  V,  p.  461. 

2.  Extr.  de  registres,  —  Félib.,  Pr.^  t.  V,  p.  461. 

3.  En  même  temps  qu'elle  réveillait  le  zèle  des  prédicateurs,  la  Ville  de 
Paris  écrivait  aux  autres  villes  de  l'Union  une  sorte  de  lettre  circulaire  qui 
est  conservée  dans  les  Rbgistrbs  H,  1789,  fol.  22.  Elle  avait  pour  objet  d'en- 
gager les  cités  catholiques  à  se  mettre  sur  leurs  gardes  pour  échapper  au 
sort  de  Senlis.  «  Faisans  votre  profûct  du  dommage  d'autrui,  à  l'exemple 


S58  PARIS  ET  LA  LIGUE 

raillant  le  roi,  qui  avait  prédit  dès  le  mois  de  janvier  que 
les  Parisiens  n'attendraient  pas  deux  mois  a  pour  se 
couper  la  gorge  les  uns  aux  autres  ». 

De    son    côté,    Mme   de    Montpensier,    pour    atténuer 
l'effet  de  la  déroute  de  Senlis,  avait  recours  à  son  procédé 
ordinaire.  Elle  se  servait  des  prédicateurs  pour  répondre 
de  fausses  nouvelles,  annonçait  qu'Edmond  de  Hautefort 
avait  tué  quatre  mille  hommes  à  des  Essarts  de  Saultour, 
qui,  avec  un  parti  royaliste,  assiégeait  le  château  de  Méry. 
près  de  Troyes;  et  que  Guillaume  de  Hautemer  de  Ferva- 
ques  et  Antoine  du  Prat,  baron  de  Viteaux,  avaient  mis 
en  déroute  un  autre  corps  de  royaux,  du  côté  de  Doule- 
vant,   en  Bourgogne.   Et   comme  les  Parisiens   se   plai- 
gnaient de  ne  pas  voir  les  drapeaux  conquis  sur  Tennemi, 
Mme  de  Montpensier  sortit  de  ses  coffres  quelques  nou- 
velles pièces  de  taffetas  et  en  fit  fabriquer  des  drapeaux. 
Puis,  après  les  avoir  déchirés  et  traînés  dans  la  boue, 
on  les  suspendit  aux  voûtes  de  Notre-Dame  comme  autant 
de  glorieux  trophées  conquis  sur  les  politiques.  Au  fond, 
la  duchesse  se  rendait  parfaitement  compte  de  la  gravité 
de  la  situation,  et  elle  écrivit  de  suite  à  Mayenne  pour 
rengager  à  revenir  à  Paris.  Le  sieur  Bernardin,  valet  do 
chambre    du  feu   duc  de   Guise,   que   la  duchesse  avait 
chargé  de    porter  le  message,  devait,  en  outre,  dire  à 
Mayenne  ce  que  sa  sœur  pensait  de  la  capacité  et  de  la 
valeur  du  duc  d'Aumale.  Mais,  arrivé  à  Chartres,  Ber- 
nardin, qui  venait  d'apprendre  la  défaite  de  Saveuse,  se 
découvrit  aussitôt  une  maladie  grave,  et,  après  avoir  couché 
ses  instructions  par  écrit,  il  les  confia  à  un  autre  messager. 
Ce   courrier  suppléant  eut  la  maladresse  de   se  laisser 

d'icelluy,  lequel  voyant  le  feu  en  la  maison  de  son  prochain,  se  peine  et 
travaille  par  telle  occasion  à  conserver  la  sienne.  »  La  lettre  dont  il  s'agit 
fut  envoyée  notamment  aux  villes  de  Melun,  Montfort,  Dreux,  Élampes, 
Montlhéry,  Chartres,  Corbeil»  Moret,  Nemours,  Saint-Denis,  Beauvais,  Pon- 
toise,  Creil,  Chaumont-en-Vexin. 


PARIS  RÉGICIDE  859 

prendre,  et  ses  lettres  furent  portées  au  roi  de  Navarre. 
Le  Béarnais  y  trouva  la  confirmation  de  la  prise  de  Senlis 
et  profita  de  la  circonstance  pour  semer  la  discorde  dans 
la  maison  de  Lorraine.  Il  envoya  un  trompette  à  Paris, 
avec  ordre  de  remettre  au  duc  d*Aumale  les  petits  papiers 
de  Bernardin  et  de  Mme  de  Montpensier.  Par  manière 
de  consolation,  Henri  ajoutait  que  si  d'Aumale  voulait 
tirer  raison  de  Tinsulte  qui  lui  était  faite,  il  s'offrait  en 
bon  cousin  pour  lui  servir  de  second  *. 

Les  Parisiens  pouvaient  craindre  à  bon  droit  que  le  ter- 
rible roi  de  Navarre  ne  suivît  de  près  son  trompette. 
Paris  était  décidément  Tobjectif  de  Faction  combinée  des 
deux  Henri.  Ils  assemblaient  une  grosse  armée  sur  la 
Loire,  tandis  que  Sancy,  qui  était  arrivé  à  Genève  vers  la 
fin  de  mars,  réalisait  ce  tour  de  force  d'obtenir  des  can- 
tons cent  mille  écus  d'or  et  un  contingent  de  douze  mille 

Suisses,  sous  cette  seule  condition  que  la  France  entrerait 

• 

en  campagne  contre  le  duc  de  Savoie,  l'ennemi  commun. 
Mais  Thabile  envoyé  de.  Henri  III  se  servit  de  l'argent 
des  Bernois  pour  lever  encore  mille  lansquenets,  trois  mille 
hommes  d'infanterie  française  et  quelque  cavalerie  alle- 
mande; puis,  après  plusieurs  escarmouches  avec  les 
troupes  savoyardes,  il  persuada  aux  troupes  suisses  d'en- 
trer  en  France,  passa  le  Rhône  le  20  mai,  traversa  la 
Franche-Comté  et  fit  sa  jonction  dans  l'évêché  de  Langres 
avec  le  comte  de  Tavannes,  que  le  roi  avait  envoyé  au 
devant  de  lui  *.  Le  duc  de  Longueville  et  La  Noue  rece- 
vaient en  même  temps  l'ordre  de  rassembler  des  troupes 
en  Champagne  et  de  les  réunir  à  celles  de  Sancy.  Malgré 
certaines  défections,  malgré  l'hostilité  du  pape  Sixte  V, 
qui  venait,  après  de  longues  hésitations,  de  rompre  défi- 
nitivement  avec  le   meurtrier   des    Guises,    malgré    les 

1.  Db  Thou,  t.  X,  p.  643. 

2.  Ibid.,  p.  646  à  658,  et  Palha-Cayist,  p.  146  k  148. 


B60  PARIS  ET  hk  LIGUE 

menaces  de  TËspagne,  qui  avait  promis  600,000  écus  et 
tout  son  concours  à  la  Li^e,  la  fortune  semblait  décidé- 
ment sourire  à  la  cause,  naguère  désespérée,  des  Valois  ^ 
Mayenne,  rappelé  d'ailleurs  par  la  duchesse  de  Montpen- 
sier,  jugea  qu'il  était  temps  de  ramener  son  armée  dans 
rile-de-France.  Il  quitta  donc  Alençon,  qu'il  venait  de 
forcer  à  capituler  (22  mai),  et  s'achemina  rapidement  du 
côté  de  la  capitale.  Les  ligueurs  parisiens  n'avaient  pas 
attendu  le  retour  du  lieutenant  général  de  l'Union  pour 
organiser  la  défense.  Depuis  le  commencement  de  mai,  do 
nombreuses  mesures  militaires  avaient  été  prises.  On 
avait  fortifié  les  faubourgs  Saint-Honoré,  Saint-Denis  et 
Saint-Martin,  et  chaque  jour  deux  compagnies  de  bour- 
geois allaient  monter  la  garde  aux  tranchées  V  Tous  les 
bateaux  qui  se  trouvaient  sur  la  Seine  jusqu'à  Corbeil 
avaient  été  amenés  à  Paris,  et  le  prévôt  de  Corbeil,  le  sieur 
Berger,  s'était  vu  destituer  comme  suspect  '.  A  Montereau, 
le  capitaine  Clerc  avait  été  envoyé  avec  une  petite  gar- 
nison pour  défendre  ce  point  in^)ortant  contre  les  roya- 
listes (15  mai)  ^.  Une  autre  garnison  occupait  le  pont  de 
Charantoneau,  depuis  le  4  mai;  et  un  mandement,  adressé 
aux  colonels  de  la  milice,  leur  avait  prescrit  de  «  recouvrer 

1.  Dans  un  consistoire  du  5  mai,  le  pape  lut  un  monitoire  qui  sommait 
Henri  III  de  rendre,  dans  les  dix  jours,  la  liberté  au  cardinal  de  Bourbon 
et  &  l'archevêque  de  Lyon,  faute  de  quoi  il  était  déclaré  excommunié  et 
soumis  à  toutes  les  censures  de  TÉglise.  Ce  monitoire  fut  publié  le  24  mai 
et  affiché  aux  portes  des  églises  Saint-Pierre  et  Saint-Jean  de  Latran.  11 
fut  également  publié  dans  plusieurs  villes  de  l'Union,  notamment  àMeaux, 
le  23  juin^  et  à  Chartres,  malgré  Toppositioa  de  Tévéque.  {De  Thou,  t.  X, 
p.  608.) 

2.  Reg.  h,  1789,  fol.  333. 

3.  Ibid,,  fol.  327. 

4.  Ibid.,  fol.  329,  et  Féub.,  Pr.,  t.  V,  p.  461.  Quelques  mandements  pren- 
nent un  ton  fanfaron  qui  atteste  une  certaine  panique.  C'est  ainsi  qu'à  la 
date  du  24  mai  «  il  est  ordonné  que  les  habitans  des  villages  de  Vanves, 
Issy,  Vaugirard,  Montrouge,  Gentilly,  Ârcueil,  Bagneux,  Clamart,  ChAtillon 
et  Meudon  se  mettront  en  eirmeSy  pourmettre  en  pièces  les  compagnies  des 
ennemis  qui  se  présenteront  »;  et  le  mandement  ajoute  naïvement  :  «  aux 
quels  habitans  nous  donnons  tout  pouvoir  de  ce  faire  ».  (Reg.  H,  1789, 
fol.  339.) 


PARIS  RÉGICIDE  561 

le  plus  de  gens  possible   pour   aller  en   toute   diligence 
secourir  le  pont  de  Gournay  *  ». 

Le  30  mai,  Mayenne  venait  diner  à  Saint-Cloud  et  cou- 
chait à  Saint-Denis.  Il  n'entra  dans  Paris  que  le  lende- 
main, dans  Taprës-midi,  assista  à  une  séance  du  conseil 
général  de  TUnion  et  revint  coucher  à  Pantin  *.  C'est  de 
là  qu'il  partit  pour  faire  une  pointe  dans  la  Brie,  où  il 
s'empara  du  château  de  la  Grange-le-Roi  et  de  quelques 
autres  points  fortifiés.  Il  revint  dans  la  capitale,  après 
avoir  repris  aux  royalistes  Montereau-faut- Yonne,  où  le 
duc  d'Épernon  avait  récemment  jeté  une  petite  garnison, 
sous  le  commandement  de  Jussac  d'Ambleville  3.  Grâce  à 
l'activité  de  Mayenne,  un  ordre  relatif  put  se  maintenir 
dans  Paris,  malgré  l'émotion  que  soulevait  une  attaque 
imminente.  Des  approvisionnements  considérables  furent 
réunis  *.  Les  boulangers  reçurent  l'ordre  de  cuire  du  pain  ^ 
dans  la  proportion  des  besoins  du  peuple  et  de  le  mettre 
en  vente  tous  les  jours.  Enfin  les  pauvres,  valides,  furent 
mis  en  réquisition  pour  travailler  aux  fortifications.  Un 
mandement  municipal,  en  date  du  5  juin,  ordonna  aux 
quartiniers  de  réunir  les  habitants  des  dizaines  afin  de 
leur  annoncer  «  qu'il  av.oit  esté  trouvé  expédient  et  néces- 
saire faire  ouverture  de  quelques  ateliers  pour  faire  tra- 
vailler ung  bon  et  grand  nombre  de  pauvres  vallides  qui 
sont  en  ceste  ville,  affin  que  par  ce  moien  trois  choses, 
grandement  utilles,  fussent  faictes  et  accomplyes,  dont  la 

1.  Rbo.  h,  1789,  fol.  324. 

2.  L'EsTOiLB,  t.  III,  p.  295. 

3.  De  Thou,  t.  X,  p.  665.  —  Palma-Caybt,  p.  143. 

4.  Le  6  juin,  la  ville  envoya  un  émissaire  à  Étampes  «  pour  admener  la 
plus  grande  quantité  de  bledz  et  grains  qu'il  sera  possible,  et  iceulx  faire 
venir  en  ladite  ville  de  Paris  ».  (Reg.  H,  1789,  fol.  346.) 

5.  tt  De  par  lesprévosi  des  marchons  et  eschevins  de  la  ville  de  Paris,  il  est 
enjoinct  à  tous  les  boullangers,  pâtissiers  et  aultres  de  cuire  présentement 
du  pain  pour  subvenir  à  la  nécessité,  lequel  doresnavant,  sans  avoir  esgard 
au  mercredy  ou  samedy,  ils  pourront  vendre  tous  les  jours  indifféremment, 
tant  aux  places  que  partout  où  ilz  verront  bon  estre,  tant  que  la  nécessité 
durera.  Faict  au  bureau  de  la  Ville,  le  24«  jour  de  may  1589.  »  {Ibid.,  fol.  339.) 

ROBIQUET.  36 


§62  PARIS  ET   LA  LIGUE 

première  est  la  charité,  par  la  nourriture  des  pauvres  ;  la 
seconde,  la  forlifficalion  et  réparation  de  ceste  ville  et 
lieulx  et  endroictz  nécessaires  ;  et  la  troisième,  Tempesche- 
ment  de  Toysiveté,  mère  nourrice  de  tous  maux  entre  les 
gens  inutiles  et  vagabonds  *.  »  Les  principaux  ateliers  de 
travaux  avaient  été  ouverts  aux  faubourgs  Saint-Honoré, 
Saint-Denis  et  Saint-Martin  *.  Du  côté  des  faubourgs  Saint- 
Germain,  Saint-Jacques,  Saint-Marcel  et  Saint-Victor,  les 
tranchées  se  trouvaient  déjà  en  bon  état  de  défense  et 
étaient  gardées  chaque  jour  par  seize  compagnies  qu'en- 
voyaient les  seize  quartiers  de  la  ville;  le  service  com- 
mençait à  six  heures  du  matin  et  finissait  le  lendemain  à 
une  heure  de  l'après-midi  '. 

A  mesure  que  l'armée  des  deux  rois  se  rapprochait  de 
Paris,  le  conseil  général  de  l'Union  et  l'Hôtel  de  Ville 
multipliaient  les  mesures  militaires.  Chaque  jour,  arrivait 
une  mauvaise  nouvelle  :  après  Gergeau-sur-Loire,  dont  h» 
gouverneur  Jallange  et  la  garnison  furent  impitoyablement 
massacrés  ;  après  Pithiviers,  dont  les  principaux  défenseurs 
avaient  été  pendus,  l'armée  royaliste  avait  pris  Étampes 
(1"  juillet)  et  poussé  ses  coureurs  jusqu'à  Clamart,  Meudon, 
Issy  et  Vaugirard.  Les  pauvres  paysans  de  la  banlieue 
affluèrent  à  Paris  «  en  grande  désolation,  chassant  devant 
eux  bœufs,  vaches,  moutons,  chevaux,  asnes  et  tout  ce 
qu'ils  pouvoient  sauver  de  leurs  meubles,  comme  faisoient 
aussi  les  religieuses  des  monastères  voisins  *  ».  Pour 
calmer  la  panique  qui  régnait  déjà  dans  les  faubourgs,  on 
envoya  tous  les  jours  quinze  cents  ou  deux  mille  bour- 
geois aux  tranchées,  et  les  quartiniers  furent   invités  a 


1.  Reg.  h,  1789,  fol.  344.  Les  deniers  destinés  au  paiement  des  pauTres 
valides  étaient  recueillis  dans  chaque  dizaine  par  un  bourgeois  que  nom* 
maient  les  cinquanteniers  et  dizainiers.  Ibid.,  fol.  335. 

2.  Ibid.,  fol.  378. 

3.  Jbid.,  fol.  351. 

,    4.  L*EsT0iLB,  t.  m,  p.  297. 


PARIS  RÉGICIDE  863 

provoquer  de  nouvelles  collectes  dans  les  dizaines  *. 
M.  Pierre  Guillain,  maître  des  œuvres  de  maçonnerie  de 
la  ville,  reçut  le  6  juillet  Tordre  «  de  mettre  et  employer 
gens  ouvriers  pour  rompre  Tune  des  travées  du  pont 
dormand  de  la  porte  Saint-Michel,  mettre  le  bois  et  pavé 
en  lieu  de  seureté  et  faire  murer,  de  mur  de  maçonnerie,  la 
porte  et  entrée  du  boullevart  de  ladite  porte  Saint-Michel 
du  costé  des  champs  *...  »  Le  blocus  était  déjà  presque 
réalisé,  car,  le  !«'  juillet,  le  chevalier  du  guet,  Congi,  qui 
avait  voulu  faire  une  reconnaissance  avec  un  homme  du 
côté  de  Bourg-la-Reine,  avait  été  chargé  par  les  royalistes 
et  n'avait  ramené  dans  Paris  que  cinq  ou  six  soldats  de  sa 
compagnie  *. 

On  se  vengeait  de  ces  échecs  répétés  en  persécutant  les 
suspects.  Le  6  juilljet,  en  vertu  d'une  délibération  de  «  mes- 
sieurs du  Conseil,  le  président  de  la  Cour  des  comptes, 
Amelot,  fut  conduit  à  la  Bastille  parle  capitaine  Perrichon, 
et  un  autre  capitaine  reçut  Tordre  de  se  saisir  «  de  la 
personne  de  Tadvocat  Canaye  et  icelluy  constituer  prison- 
nier au  chasteau  de  la  Bastille,  jusques  à  ce  qu'il  ayt 
fourni  la  somme  de  douze  cens  escus  qu'il  a  promise  pour 
employer  aux  frais  de  la  guerre  de  la  Saincte-Union  *  ». 
Des  archers  furent  mis  chez  certains  bourgeois  du  quartier 
Saint-Lambert  qui  étaient  aussi  en  retard  pour  le  payement 
des  taxes  de  guerre*.  Quant  aux  moines,  ils  se  consolaient 
des  défaites  de  la  Ligue  en  mutilant  les  statues  ou  les  por- 
traits du  roi  qui  se  trouvaient  dans  leurs  couvents.  Les 
cordeliers  avaient  au-dessus  du  maître  autel  un  tableau  où 
Henri  III  «  estoit  peint  à  genoux,  priant  Dieu  auprès  de  la 
roine  sa  femme  ».  Us  lui  enlevèrent  la  tête.  Autre  portrait 

1.  Extraits  des  reg,  —  Félib.,  Pr,^  t.  V,  p.  462. 

2.  Reo.  h,  1789,  fol.  364. 

3.  L'EsTOiLE,  Ibid, 

4.  Rbo.  Ibid,,  fol .  365. 

5.  Ibid,,  fol.  366. 


§64  PARIS  ET  LA  LIGUE 

aux  Jacobins  :  ces  bons  moines  a  barbouillèrent  et  cha- 
fourrèrent  tout  le  visage  »  du  prince  *.  Mais  ces  compen- 
sations étaient  minces  pour  la  Ligue.  Mayenne,  qui  aurait 
peut-être  réussi  à  retarder  la  marche  de  l'armée  royaliste, 
après  son  succès  de  Montereau,  avait  dû  revenir  en  toute 
h&te  dans  la  capitale,  rappelé  encore  par  Mme  de  Mont- 
pensier  et  TefiFervescence  de  la  capitale.  Le  duc  de  Longue- 
ville  et  La  Noue  en  avaient  profité  pour  faire  leur  jonction 
avec  Tarmée  suisse  de  Sancy  et  pour  passer  la  Seine  à 
Poissy.  Henri  III,  qui  assiégeait  Pontoise  depuis  quelques 
jours,  passa  en  revue  les  contingents  étrangers,  qui  s'éle-^ 
vaient  à  dix  mille  Suisses,  deux  mille  lansquenets  et  quinze 
cents  reîtres. 

Le  lendemain  de  l'arrivée  des  Suisses  (26  juillet)  *, 
Téglise  de  Pontoise,  où  les  ligueurs  avaient  concentré  la 
défense,  fut  emportée  d'assaut  par  les  assiégeants;  et  le  roi 
ordonna  à  Pierre  de  Mornay  de  Buhy  de  raser  cette  cita- 
delle improvisée.  Mayenne  avait  cependant  envoyé  quinze 
cents  arquebusiers  de  renfort  aux  défenseurs  de  Pontoise 
et  les  officiers  ligueurs  s'étaient  bravement  battus  ;  mais  la 
fortune  du  Béarnais  entraînait  tout.  Plusieurs  capitaines- 
et  soldats  catholiques  de  la  garnison  vaincue  se  rendirent 
à  lui,  pour  éviter  la  vengeance  de  Henri  III.  Le  roi 
huguenot  n'eut  garde  de  laisser  échapper  l'occasion  de  se 
rendre  populaire  parmi  ses  ennemis  ;  il  reconduisit  lui-même 
jusqu'aux  portes  de  Paris  les  prisonniers  catholiques.  Le 


1.  L'EsTOiLE,  Ibid,,  p.  298.  Le  mot  chaffourer  équivaut  à  salir,  grilTonner. 
On  lit  dans  Rabelais,  1. 1,  p.  64  :  «  Chaffburoit  le  parchemin  sans  m'amuser 
h  chaffourer  le  papier.  *>  On  disait  quelquefois  chaforer  ou  ckafourer,  —  Voy- 
La  Curnb  ob  Saikte-Palayb,  édit.  Favre  (1877). 

2.  C'est  la  date  donnée  par  l'ëstoile,  p.  301.  I!  résulte  de  la  relation  de 
l'historien  de  Thou  que  Pontoise  aurait  capitulé  douze  jours  après  la  mort 
d'Kdme  de  Hautefort,  second  de  Charles  de  Neuville  d'Alincourt,  gouver- 
neur de  la  place  pour  la  Ligue.  Or  Hautefort  fut  tué  le  12  juillet,  t.  X, 
p.  661.  D'autre  part,  Tauteur  de  la  relation  sur  V Assassinat  de  Henri  IIL 
insérée  au  t.  IH,  p.  539  des  Mém.  de  la  Ligue,  dit  que  Pontoise  capitula^ 
le  25  juillet. 


PARIS  RÉGICIDE  568 

prédicateur  Boucher  dit  publiquement  qu'il  aimerait  mieux 
traiter  avec  lui  qu'avec  «  le  tyran  *  ».  De  leur  côté,  les  pau- 
vres gens  de  la  banlieue  faisaient  une  comparaison  tout  à 
l'avantage  des  royalistes  et  s'indignaient  contre  les  pillards 
-de  la  Ligue  qui  commettaient  force  atrocités.  C'est  ainsi 
^ijue  le  7  juillet  une  bande,  sortie  de  Paris,  avait  envahi 
Villeneuve-Saint-Georges,  «  où  ils  tuèrent,  pillèrent,  rava- 
gèrent, violèrent  femmes  et  filles,  faisans  tous  actes  d'hos- 
tilité, pires  qu'en  pays  d'ennemis  et  de  conqueste*...  »  On 
se  plaignit  à  Mayenne,  qui  répondit  aux  malheureux  <(  de 
patienter  et  qu'il  avoit  affaire  de  toutes  ses  pièces  pour 
ruiner  le  tiran  ». 

La  situation  des  Parisiens  devenait  effectivement  bien 
critique.  Tandis  que  l'armée  des  deux  rois  grossissait  par 
l'arrivée  des  contingents  suisses,  et  que  toutes  les  places 
<lcs  environs  capitulaient  ou  étaient  enlevées  de  vive  force, 
la  Ligue  ne  recevait,  en  guise  de  renforts,  que  des  bandes 
de  pillards  dont  le  concours  était  plus  dangereux  qu'utile  ', 
Les  troupes  lorraines  et  les  auxiliaires  allemands  que 
Mayenne  avait  appelés  n'avaient  pas  osé  traverser  les  lignes 
tle  l'armée  royale  *,  et  le  duc  de  Nevers,  qui  assemblait  des 


1.  L'EsTOïLB,  t.  III,  p.  302.  —  D'ÂUBiGNÉ,  Hist.  Univ.,  livre  H,  chap.  xxi,  dit 
que  les  assiégés  obtinrent  une  capitulation  honorable,  «  particulièrement 
en  ce  qu'on  les  fournit  de  charriotz  cl  de  brancarts,  à  quoi  il  falut  1,800  che- 
vaux, qui  voulurent  estre  conduits  par  les  troupes  du  roi  de  Navarre, 
disans  assez  licentieusement  qu'ils  ne  trouvoyent  foi  que  de  ce  côté-là...  » 

2.  Jbid. 

3.  L'EsTOiLB  raconte,  par  exemple,  que  le  19  juillet  <t  le  sieur  de  la 
Chastre  arriva  à  Paris^  menant  quelques  compagnies  de  gens  de  guerre, 
de  pied  et  de  cheval,  qui  furent  logées  à  Gentilli,  Arcueil  et  autres  villages 
voisins  où  ils  firent  des  maux  et  meschancetés  innumérables  ».(T.  III,  p.  300.) 

4.  A  la  date  du  25  juin,  Charles  de  Lorraine,  duc  d'Aumale,  écrivait  de 
Meaux  &  la  Ville  de  Paris  :  «  Messieurs,  je  m'achemine,  suyvant  la  résolu- 
tion que  nous  avons  prise  icy,  pour  aller  aux  plus  grandes  journées  qu'il 
me  sera  possible,  recevoir  noz  estrangers,  qui  .sont  prelz  d'entrer  dans  le 

'^royaume  pour,  incontinent  les  avoir  jointz,  chercher  tous  les  moiens  qui 

.me  seront  possibles  de  combattre  ceux  de  noz  ennemis,  espérant,  avec 

Payde  de. Dieu,  que,  quand  nostre  armée  sera  toute  ensemble,  elle  sera 

telle  et  sy  forte  que  nous  pourrons  avoir  la  raison  de  nozdictz  ennemvs.  >» 

{Rio.  H,  1789,  fol.  364.) 


866  PARIS  ET  LA   LIGUE 

forces  dans  le  Lyonnais,  ne  paraissait  pas  en  vue  de  la  ca- 
pitale. Même  avant  la  prise  de  Pontoise  par  les  royalistes, 
on  était  découragé  dans  les  conseils  de  TUnion.  Le 
40  juillet,  la  Ville  de  Paris  chargeait  le  sieur  Boursier  de 
porter  une  lettre  désolée  à  la  ville  d'Amiens  :  «  Il  y  a  de 
quoy  espérer,  dit  la  municipalité  ligueuse,  que  Dieu  ne 
nous  abandonnera  pas  et  qu'il  fera  bientôt  paroislre 
quelque  rayon  de  sa  grâce  *.  » 

Paris  n'avait  plus  qu'à  compter  sur  lui-même,  et  délibé- 
rément il  ferme  son  enceinte  ;  un  mandement  ordonne  aux 
capitaines  de  visiter  toutes  les  portes  et  poternes  et  de 
faire  boucher  toutes  les  issues  *.  Dès  le  18  juillet,  la  Ville 
a  prescrit  à  MM.  de  Compans,  de  Costeblanche,  échevins, 
Pigneron,  colonel  du  quartier  Sainte-Geneviève,  B.  Le  Clerc, 
capitaine  de  la  Bastille,  Delarue,  dizainier  au  quartier 
Saint-Martin  des  Champs,  de  rapporter  au  Bureau  les  clefs 
des  portes  Saint-Jacques,  Saint-Honoré,  Montmartre,  Saint- 
Martin,  Saint-Antoine,  Saint-Victor,  Saint-Marcel,  Saint- 
Michel,  Saint-Germain,  Bussy  et  de  Neslo,  «  lesquelles  clefe, 
dit  le  mandement,  leur  ont  esté  baillées  en  garde,  pour 
estre  les  dites  clefz  baillées  et  distribuées  à  chacun  de  nous 
et  estre  par  nous  gardées  durant  les  troubles  présens,  sui- 
vant les  antiens  règlements  et  ordonnances  de  la  Ville  '  ». 
C'était  Mayenne  qui  avait  provoqué  cette  mesure.  Il  obli- 
gea les  colonels  à  venir  chaque  matin  chercher  les  clefs  à 
THôtel  de  Ville  et  à  les  renvoyer  chaque  soir  *.  Maintenant 
ce  ne  sont  plus  les  dizaines  qui  ont  à  fournir  des  hommes 
aux  tranchées.  Des  sommations  individuelles  mettent  les 
bourgeois  riches  et  surtout  les  suspects  en  demeure  «  d'en- 


1.  Reg.  h,  1789,  foL  365. 

2.  làid,,  foL  374.  Plus  tard,  od  ordonna  aux  habitants  de  n'avoir  qa'une 
porte  ouverte  en  leurs  maisons  et  de  maçonner  les  autres.  (Féub.^  Pr.,  t.  III, 
p.  463.) 

3.  Reg.  H,  1789,  fol.  376. 

4.  Ibid.,  fol.  376-377. 


PARIS  RÉGICIDE  867 

voyer  aux  tranchées  et  fortifications  de  la  ville,  vers. les 
faubourgs  Saint-Honoré  et  Saint-Denis,  chacun  ung  homme 
garny  d*outilz  propres  pour  y  travailler  durant  ceste  sep- 
maine  seuUement,  affin  que  par  cest  ayde,  provenant  de  leur 
franche  et  bonne  volonté,  ladite  Ville  soyt  secourue  et  pré- 
servée du  dommage  que  pouvaient  faire  les  ennemys  *  ». 
Les  perquisitions,  les  visites  domiciliaires  se  multipliaient. 
Tantôt  elles  avaient  pour  but  de  chercher  du  blé  *,  tantôt 
do  découvrir  des  dépôts  d'armes  '.  Malgré  les  violences  des 
prédicateurs  et  les  bulletins  mensongers  des  chefs  de  la 
Ligue,  le  mécontentement  grandissait.  Pour  prévenir  un 
mouvement  possible  des  royalistes  restés  à  Paris,  le  con- 
seil général  fit  emprisonner,  à  la  fin  de  juillet,  trois  cents 
notables  bourgeois,  sous  le  simple  soupçon  «  de  favoriser 
le  parti  du  roi  en  leur  cœur  ».  La  capitale  n'en  était  pas 
moins  frémissante,  et  les  plus  compromis,  édifiés  par  les 
exécutions  de  Gergeau  et  de  Pithiviors,  se  demandaient 
déjà  si  leurs  têtes  étaient  bien  fermes  sur  leurs  épaules  *. 
Si  Ton  en  croit  une  relation  ligueuse  attribuée  à  Charles 

1.  Reo.  h,  1789,  fol.  381.  Mandement  du  25  juillet. 

2.  Le  24  juillet,  la  Ville  prescrit  aux  colonels  de  faire  faire  par  les  capi- 
taines et  lieutenants,  assistés  des  dizainiers  et  de  deux  bourgeois  par 
chaque  dizaine,  des  perquisitions  dans  toutes  les  maisons,  «  et  faire  com- 
mandement aux  habitans,  chetz  d'hoslel  d'icelles  maisons,  sans  aulcune 
excepter,  de  leur  dire  et  déclarer  fidellement  la  quantité  de  grains,  tant  de 
bled  que  avoyne,  qu'ilz  ont  en  leurs  dictes  maisons  ou  ailleurs,  soyt  pour 
leur  provision  ou  aultremeut,  et  combien  chascun  desdictz  chefs  d'hostel 
a  de  bouches  à  nourrir  ih  (Reg.  H,  1789.)  Un  procès-verbal  devait  être  dressé 
chaque  jour  et  copie  en  devrait  être  portée  à  M.  Brisson,  président  au 
Parlement,  et  au  sieur  Rolland,  premier  échevin.  Une  autre  perquisition 
pour  constater  Tapprovisionnement  de  blé  que  possédait  chaque  particu- 
lier, fut  faite  le  9  août.  {Ibid.,  fol.  389.) 

3.  Perquisition  du  26  juillet.  Ibid.,  fol.  381.  Les  armes  trouvées  étaient 
transportées  à  Fllùtel  de  Ville. 

4.  Us  ne  se  trompaient  pas,  car  Henri  lil,  au  dire  de  tous  les  historiens, 
était  décidé  à  faire  des  exemples.  Le  27  juillet,  il  avait  envoyé  un  gentil- 
homme &  Mme  de  Montpensier  pour  lui  dire  «  qu'il  esloit  bien  advert 
que  c'estoit  elle  qui  soutenoit  et  cntretenoit  le  peuple  de  Paris  en  sa  ré- 
bellion; mais  que  s'il  y  pouvoit  jamais  entrer,  comme  il  Tespéroit  de  faire 
et  bientost,  qu'il  la  feroit  brusler  toute  vive.  A  quoi,  sans  autrement  s'es- 
tonner,  fist  response  que  le  feu  estoit  pour  les  sodomites  comme  lui  et 
non  pour  elle  ».  (L'Estoilb,  t.  III,  p.  302.) 


568  PARIS  ET  LA  LIGUE 

Pinselet,  chefcier  de  Saint-Germain-FAuxerrois  *,  «  il  n'y 
avoit  maison  qui  ne  fus!  jà  donnée  au  pillage  et  en  proye  : 
les  rues  et  les  quartiers  estoient  marquez,  tous  les  hommes 
au  fil  de  Tespée  ;  les  plus  catholiques,  les  uns  pendus,  les 
autres  noyez,  austres  bruslez  et  austres  escartelez,  et 
toutes  telles  autres  cruautez  estoient  jà  arrestées  par  le 
tyran  et  par  ses  satellistes...  »  Les  politiques  osaient 
«  lever  le  nez,  braver,  se  moquer  et  dire  à  haute  voix 
qu'avant  trois  jours  passez,  il  y  auroit  tant  de  pendus  qu'il 
ne  se  trouveroit  pas  assez  de  bois  dans  Paris  ».  Telles 
étaient  les  conséquences  de  l'approche  des  forces  roya- 
listes. 

Après  la  prise  de  Pontoise,  l'année  des  deux  rois  avait 
reçu  la  soumission  de  l'Isle-Adam,  Beaumont  et  Creil. 
Allait-on  entreprendre  le  siège  de  Paris  avec  une  trentaine 
de  mille  hommes  ?  C'était  une  bien  périlleuse  entreprise. 
Seul,  Givry  la  conseillait,  en  alléguant  qu'après  la  victoire 
de  Senlis  il  avait  bravé  la  capitale  avec  400  hommes;  les 
vieux  officiers  résistaient,  insistant  sur  toutes  les  difficultés 
du  siège.  Mais  le  roi  de  Navarre  «  donna  l'esperon  à  tout  », 
suivant  la  pittoresque  expression  de  d'Aubigné,  et  ajouta 
c(  qu'il  y  alloit  du  royaume  à  bon  escient  d'estre  venu 
baiser  cette  belle  ville  et  ne  lui  mettre  pas  la  main  au 
sein  *  ».  Le  30  juillet,  vers  le  soir,  les  royalistes,  déjà  maî- 
tres des  passages  de  TOise,  s'emparèrent  du  pont  de  Saint- 
Cloud  ;  quatre  canons  suffirent  à  forcer  à  la  retraite  les 
soldats  de  la  Ligue  qui  s'étaient  retranchés  sur  quelques 
arches  du  pont.  Henri  III  prit  ses  quartiers  à  Saint-Cloud 
dans  la  belle  maison  de  Jérôme  de  Gondy',  tandis  que  le 

i.  Voy.  Arch.  cur.,  1'«  série,  t.  XII,  p.  398.  Voici  le  Ulre  du  libelle  :  Le 
martyre  de  frère  Jacques  Clément,  de  tordre  de  Sainct-Dominique,  contenant 
au  vray  toutes  les  particularitez  plus  remarquables  de  la  saincte  résolution 
et  très  heureuse  entreprise  à  Rencontre  de  Henry  de  Vallois  (Paris,  4589, 
in-8«),  chez  Fiselier. 

2.  Hist.  univ„  livre  II,  chap.  xxi. 

3.  GoDdy,  l'évéque  de  Paris,  était  reslé  fidèle  au  roî.  HeDrl  III  se  trouTait 


PARIS  RÉGICIDE  569 

roi  de  Navarre,  soutenu  par  un  régiment  de  Suisses,  occu- 
pait la  rive  de  la  Seine  jusqu'à  Vaugirard.  Le  1"  août,  au 
inatin,  le  Béarnais,  «  n'ayant  que  800  chevaux,  se  vint 
mettre  en  bataille  à  la  veue  de  la  ville,  aux  carrières  de 
Vaugirard  *  ».  Rien  ne  bougea  dans  la  place.  Quant  aux 
huguenots,  ils  «  estoient  ravis  de  joie  d'ouyr  siffler  les 
balles  de  Paris  ».  C'était  à  qui  ferait  le  coup  de  pistolet 
avec  les  ligueurs,  et  Tune  des  vedettes  du  roi  de  Navarre 
'sauta  même  par-dessiis  le  fossé  du  Pré-aux-Clercs  pour 
aller  combattre  un  cavalier  parisien  qui  l'avait  défiée,  et 
-elle  l'amena  prisonnier  au  prince  de  Conti.  On  s'amusait, 
au  camp  huguenot,  de  ces  beaux  coups  d'épée  qui  rappe- 
laient Bayard  et  la  chevalerie  du  vieux  temps,  lorsque 
Roquelaure  «  éteignit  les  'gayetés  ^>  en  annonçant  à  ses 
<5ompagnons  qu'un  moine  venait  de  blesser  le  roi  de 
France... 

L'attentat  n'était  qu'une  conséquence  de  la  situation 
désespérée  de  la  Ligue  et  la  conclusion  logique  des  doc- 
trines des  théologiens  du  parti.  Il  serait  puéril  de  contester 
que  ces  doctrines  autorisassent  le  régicide.  Sans  parler  du 
décret  de  la  Sorbonne,  rendu  en  janvier  1589  *,  qui  per- 
mettait au  peuple  de  s'armer  contre  le  roi,  tous  les  prédi- 
cateurs excitaient  depuis  plusieurs  mois  la  fureur  homicide 
des  fanatiques.  Guincestre  notamment  n'éprouvait  pas  la 
moindre  hésitation.  Au  mois  d'avril,  le  vendredi  saint,  il 
avait  dit  à  un  des  principaux  personnages  de  l'Union  «  qui 


bien  là  pour  «  voir  tout  à  son  aise  sa  ville  de  Paris  quMl  disoit  estre  le 
•cœur  de  la  Ligue  et  que,  pour  la  faire  mourir,  il  lui  faloit  donner  le  coup 
droit  au  cœur  ».  (L'Estoilb,  t.  III,  p.  302.) 

1.  D'aubigné,  loco  cit. 

2.  On  en  trouve  le  texte  en  latin  dans  Cimber  et  Danjou,  1'*  série,  t.  XII, 
-p.  349.  «  ....  Populus  hujus  regiii  solutus  est  et  Hberatus  a  sacramento 
fidelitatis  et  obedientise  prœfato  Ilenrico  régi  prsstito.  Deinde  idem  populus 
4icitè  et  tuta  conscientia  potest  armari,  uniri  et  pecunias  colligere  et  con- 
iribuere  aO  defensionem  et  conservationem  religionis  catholicœ,  aposto- 
licœ  et  romanœ  adversus  nefaria  consilia  et  conatus  prsedicti  régis...  » 


870  PARIS  ET  LA  LIGUE 

faisoit  scrupule  de  faire  ses  Pasques  pour  la  vengeance 
qu'il  avoit  empreinte  dans  le  cœur  contre  Henry  de  Valois, 
qu'il  s'arrestoit  en  beau  chemin  et  qu'il  faisoit  conscience 
de  rien,  attendu  qu'eux  tous,  et  luy-mème  le  premier  qui 
consacroit  chacun  jour  en  la  messe  le  corps  de  Nostre- 
Seigneur,  n'eust  fait  scrupule  de  le  tuer,  ores  qu'il  eust  esté 
à  l'autel,  tenant  en  main  le  précieux  corps  de  Dieu  '  ». 
Était-ce  une  exaspération  isolée,  le  mot  d'un  maniaque 
sanguinaire  ?  Non,  c'était  la  conviction  sérieuse  de  tous  les 
moines,  et  la  conduite  du  pape  après  le  meurtre  démontre 
qu'aucune  voix  ne  s'élevait  dans  l'Église  pour  interdire  de 
tuer  un  tyran.  Avec  une  naïveté  féroce,  les  pamphlets 
ligueurs  ont  développé  eux-mêmes  la  thèse.  Puisque  le  roi 
«  est  un  homme  distrait  et  séparé  de  l'Église,  qui  boufToit 
de  tyrannies  exécrables  et  qui  se  déterminoit  d'estre  le 
fléau  perpétuel  et  sans  retour  de  la  France,  celuy  qui  le 
mettroit  à  mort,  comme  fit  jadis  Judith  un  Holoferne, 
ferait  chose  saincte  et  très  recommandable  *  ».  Enfin  les 
ligueurs  répandaient  le  bruit  que,  de  concert  avec  le 
Béarnais,  Henri  de  Valois  allait  suivre  l'exemple  d'Elisa- 
beth d'Angleterre  et  abolir  dans  ses  États  tous  les  ordres 
religieux.  Un  moine  devait  nécessairement  se  charger  di» 
f^ire  disparaître  le  prince  qui  nourrissait  de  tels  desseins. 
Ce  moine  s'appela  Jacques  Clément. 

1.  L'ËSTOiLE,  t.  III,  p.  340.  Vai\  de  l'édit.  1621,  iD-8%  p.  253.  Dans  son 
traité  De  justa  abdicatione  Henrici  tertii,  qui  était  déjà  à  moitié  imprimé 
lors  de  Tassassinat  de  Henri  III,  Boucher,  le  fameux  curé  de  Saint-Benoit, 
le  théoricien  et  le  théologien  de  la  Ligue,  développe  cette  doctrine,  hardie 
pour  le  temps,  que  c'est  le  peuple  qui  fait  les  rois;  que  le  droit  d'élection 
étant  supérieur  au  droit  d'hérédité,  la  république,  après  avoir  nommé  un 
roi,  garde  son  pouvoir  et  a  sur  lui  droit  de  vie  et  de  mort.  D'autre  part. 
Boucher  reconnaît  à  l'Église  le  même  droit  de  déposer  les  rois.  —  Voy. 
Ch.  Labittb  (les  Préd.  de  la  Ligue,  p.  92). 

2.  Discours  véritable  de  Vesirange  et  subite  mort  de  Henry  de  Valois,  MéIm. 
DE  LA.  Ligue,  t.  IV,  p.  6,  et  Arch.  cur.,  1'*  série,  t.  XII,  p.  385.  Il  n'y  a  pas 
&  taxer  de  partialité  db  Thou  et  d'autres  historiens  qui  ont  cité  la  con- 
sultation donnée  à  J.  Clément  par  le  père  Bourgoing,  prieur  de  l'ordre, 
puisque  de  Tiiou,  t.  X,  p.  668,  n'a  fait  que  reproduire  les  aveux  des  rela- 
tions ligueuses  et  notamment  celle  du  Discours  véritable» 


PARIS  RÉGICIDE  571 

Né  au  villagpe  de  Sorbonne,  près  de  Sens,  il  avait  été 
élevé  au  couvent  des  dominicains  de  cette  ville.  D'esprit 
grossier,  de  mœurs  plus  que  douteuses,  ayant  peut-être 
commis  «  quelques  crimes  énormes  auxquels  les  cloîtres 
sont  sujets  ^  »,  cet  homme  était  admirablement  préparé  à 
servir  dlnstrument  aux  doctrines  du  Gesu  sur  le  tyran- 
nicide  *.  On  exalta  son  cerveau  comme  on  avait  exalté  celui 
de  Balthasar  Gérard,  et  à  vingt-deux  ans  '  il  était  mûr 
pour  l'assassinat.  Telle  était  déjà  la  furie  de  son  langage 
et  l'intempérance  militaire  de  ses  allures  que  ses  cama- 
rades de  couvent  lui  avaient  donné  un  surnom  ;  ils  l'appe- 
laient le  capitaine  Clément.  Enfin,  obsédé  par  les  visions, 
ce  bourreau  mystique  ne  peut  plus  attendre.  Le  père 
Bourgoing,  son  prieur,  lui  promet  que,  s'il  succombe 
après  avoir  accompli  l'œuvre  sainte,  il  ira  droit  au  ciel  *. 
Alors,  toute  hésitation  disparait.  Jacques,  pendant  plu- 
sieurs jours,  jeûne,  fait  abstinence,  puis  «  se  confesse,  se 
fait  communier  et  recevoir  le  précieux  corps  de  nostre 
sauveur  Jésus-Christ,  se  disposant  comme  un  homme  qui 
va  rendre  son  âme  à  Dieu  *  ».  Mais  comment  parvenir  jus- 
qu'au roi?  D'après  les  relations  ligueuses  °,  Jacques  Clément 
se  serait  adressé  «  à  un  honneste  personnage,  bourgeois  de 
Paris  »,  qui  trouva  moyen  de  lui  donner  accès  auprès  du 
comte  de  Brienne,  beau-frère  du  duc  d'Epernon  et  qui  était 


1.  D'AiBioxÉ,  livre  II,  chap.  xxni. 

2.  Voy.  le  beau  chapitre  de  Michelet  sur  renseignement  des  séminaires 
de  Douai  et  de  Reims  d'où  étaient  sorties  les  conspirations  d'Angleterre 
en  1579,  et  l'assassinat  du  prince  d'Orange  en  mars  1581. 

3.  Le  procureur  général,  Jacques  de  La  Guesle,  dit  que  le  moine  paraissait 
de  vingt-sept  h  vingt-huit  ans.  Voy.  sa  lettre  après  l'Estoilb,  t.  UI,  p.  376. 
L'EsTOiLE  lui  donne  de  vingt-trois  à  vingt-quatre  ans. 

4.  De  Thou,  t.  X,  p.  668,  et  Discours  véritable ,  etc. 

5.  Ibid.,  Arch.  cub.,  t.  XU,  p.  386. 

6.  Voy.  notamment  le  Discours  aux  Français^  avec  Vhistoire  véritable  sur 
^admirable  accident  de  la  mort  de  Henry  de  Valois^  naguères  roy  de  France^ 
advenue  au  bourg  de  Sainct-Cloud-lès-Paris^  le  1*'  août  1589.  Cette  pièce, 
imprimée  à  Paris  en  1589  et  qui  est  rare,  a  été  reproduite  par  Cikber  et 
Danjou,  t.  XII,  p.  362.  —  Voy.  aussi  le  Martyre  de  J.  Clément  {Ibid.,  p.  397). 


572  PARIS  ET  LA  LIGUE 

alors  prisonnier  au  Louvre.  Ce  dernier,  plein  de  confiance 
<lans  les  déclarations  royalistes  du  moine,  lui  donna  un 
passeport  et  des  lettres  pour  le  roi.  De  là,  Clément  se 
rendit  au  faubourg  Saint-Martin,  où  il  eut  une  conférence 
avec  La  Chapelle- Marteau,  et  à  Saint-Lazare,  où  il  s'entre- 
tint avec  Mayenne  en  personne  *.  Le  duc  promit  à  l'as- 
sassin que  la  vie  des  nombreux  politiques  arrêtés  dans  les 
jours  précédents  répondait  de  la  sienne.  Mme  de  Mont- 
pensier  employa  peut-être  des  arguments  plus  décisifs 
encore  *.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  moine  se  met  en  route 
(31  juillet)  et  tombe,  au  sortir  de  Paris,  entre  les  mains  de 
deux  soldats  du  régiment  de  Comblanc  qui  se  mettaient  en 
devoir  de  le  conduire  à  leur  quartier,  quand  le  procureur 
général  de  La  Guesle  et  sa  suite,  qui  se  rendaient  également 
à  Saint-Cloud,  rencontrent  ces  trois  voyageurs.  La  Guesle 
s'informe,  apprend  que  le  moine  porte  au  roi  des  lettres  et 
des  nouvelles  et,  croyant  être  agréable  au  prince  dont  il 
connaissait  les  prédilections  pour  le  froc,  prend  Jacques 
Clément  sous  sa  protection,  en  fait  son  hôte  et  va  prévenir 
le  roi,  qui  promet  une  audience  pour  le  lendemain  matin, 
entre  six  et  sept  heures.  L'assassin  dîna  joyeusement  chez 
le  procureur  général  et  «  tailla  ses  morceaux  du  funeste 
couteau  ».  Il  dormit  si  paisiblement  qu'il  fallut  le  réveiller 
pour  le  conduire  au  roi.  Du  Halde  introduisit  La  Guesle  et 
le  dominicain;  Henri  III  venait  de  se  lever  (il  était  environ 
huit  heures),  et  il  se  trouvait  «  sur  sa  chaise,  tout 
débraillé  '  ».  Le  procureur  général  avait  pris  les  lettres  du 

1.  Db  Thou  donne  ces  deux  faits  comme  constants.  D'Aabray,  dans  la  Sat, 
M^n.y  p.  145,  affirme  également  que  Mayenne  Tit  et  encourageai.  Clément. 

2.  U  est  juste  de  reconnaître  que  de  Trou  est  sur  ce  point  moins  afûr- 
matif  et  ne  fait  que  rapporter  les  allégations  de  «  ceux  doiit  les  recher- 
ches ont  été  plus  malignes  ».  Il  ajoute  même,  avec  sa  bonne  foi  ordinaire, 
qu'il  ne  peut  croire  à  l'abnégation  suprême  de  Mme  de  Montpensier.  —  Conf. 
Bat.  Mén.,  loc.  citato..,  D'Âubray  fait  allusion  à  l'influence  des  jésuites  sur 
l'assassin. 

3.  Nous  suivons  ici  la  relation  de  La  Guesle,  témoin  oculaire  du  meurtre. 
Elle  a  été  reproduite  dans  l'Estoile,  t.  III,  p.  376,  et  par  Cihber  et  Danjou, 


PARIS  RÉGICIDE  873 

comte  de  Brienne  et  une  lettre  fausse  du  premier  président 
dont  le  moine  était  porteur,  et  il  les  remit  au  roi.  Henri 
fit  signe  à  Jacques  Clément  d'approcher  afin  d'exposer  ce 
qu'il  avait  à  dire.  Sur  l'insistance  du  misérable,  qui  préten- 
dait ne  vouloir  parler  qu'au  prince  lui-même  sans  témoin^ 
La  Guesle  et  le  grand  écuyer  Bellegarde  durent  se  reculer 
et  faire  place  à  Jacques  Clément.  Tandis  que  le  roi  tendait 
l'oreille  et  relisait  le  billet  du  comte  de  Brienne,  le  domi- 
nicain tira  un  couteau,  dissimulé  dans  sa  manche,  et 
frappa  vigoureusement  Henri  lU  dans  le  ventre,  au-dessous- 
du  nombril.  «  Ah!  malheureux,  que  t'avais-je  fait  pour 
m'assassiner  ainsi?  »  s'écria  le  Valois,  en  arrachant  le  cou- 
teau pour  en  frapper  l'assassin  au  front.  Eperdu,  La  Guesle- 
tira  son  épée  et,  «  lui  baillant  des  gardes  dans  l'estomac  »,. 
poussa  le  moine  dans  la  ruelle.  Il  fut  aussitôt  achevé  par 
les  ordinaires^  «  nonobstant  que  La  Guesle  leur  criast  par 
plusieurs  fois  qu'ils  n'eussent  à  le  tuer  ;  mais  leur  juste 
colère  ne  put  permettre  que  son  advertissement  servît  d'au- 
cune chose  *  ».  (1"  août.) 

Le  premier  moment  de  stupeur  passé,  on  mit  le  roi  sur 
son  lit,  et  les  chirurgiens  qui  le  pansèrent  ne  crurent  pas  la 
blessure  mortelle  :  des  nouvelles  rassurantes  furent  en- 
voyées aux  princes  étrangers  et  aux  gouverneurs  des  pro- 

1^  série,  t.  XII,  p.  376.  En  voici  le  titre  exact  :  Lettre  d'un  des  premiers 
officiers  de  la  cour  de  Parlement,  escHte  d  un  de  ses  amis,  sur  le  subject  de 
la  mort  du  roy. 

1.  Telle  est  du  moins  la  version  de  La  Guesle.  —  D^Aubighé,  H»^  univ.,  liv.2, 
chap.  xjui,  raconte,  au  contraire,  qu'après  avoir  frappé  le  roi,  J.  Clément 
u  estendit  ses  deux  bras  contre  une  muraille  contrefaisant  le  crucifix;  que 
là  le  procureur  général,  troublé  de  desplaisir  pour  se  voir  l'instrument 
d*une  chose  tant  à  contre-cœur,  donna  de  son  espée  à  travers  le  corps  du 
jacobin  et  le  tua  de  ce  coup  seul  ».  Db  Thou  dit  que  le  moine  fut  tué  par 
Montpesat  de  Lognac  et  Jean  de  Levis,  baron  de  Mirepoix,  peu  maîtres  de 
leur  premier  mouvement,  et  cela  concorde  bien  avec  le  récit  du  procureur 
général,  de  l'Estoilb  et  de  Palma-Caybt.  D'après  l'auteur  du  Discours  aux 
Français,  Abch.  cur.,  t.  XII,  p.  366,  c'est  Henri  III  lui-même  qui  aurait 
ordonné  de  tuer  J.  Clément,  et  l'ordre  aurait  été  exécuté  par  Montferrier, 
l'un  des  assassins  du  duc  de  Guise.  Edme  Bourgoing,  dans  son  récit  de 
la  mort  de  Henri  de  Valois,  dit  que  Jacques  Clément  u  fut,  à  l'instant,  tué 
de  divers  coups  par  les  gardes.  »  (Ibid.,  p.  387.) 


874  PARIS  ET  LA   LIGUE 

vinces  *.  Il  ne  parait  pas  que  le  roi  de  Navarre  se  soit 
rendu  immédiatement  auprès  de  Henri  III  blessé.  Peut- 
être  appréhendait-il  les  défaillances  morales  ordinaires  aux 
mourants  et  voulait-il  Téviter  d'entendre  des  déclarations 
contraires  à  ses  droits  ou  simplement  ambiguës.  Peut- 
être  aussi  crut-il  nécessaire,  comme  l'insinuent  certains 
historiens,  de  prendre  des  précautions  militaires  contre 
une  sortie  probable  des  ligueurs  parisiens  *.  Mais  cette 
sortie  n'eut  pas  lieu  :  le  conseil  général  de  l'Union  s'occupa 
toute  la  matinée  de  remplir  les  prisons  du  grand  et  du 
petit  Châtelet  et  y  fit  écrouer  tous  ceux  qui  avaient  des 
parents  dans  l'armée  royale.  D'autres  furent  dirigés  sur  le 
Louvre  et  la  Bastille.  Le  roi  passa  la  journée  avec  son  cha^ 
pelain,  Louis  de  Parade,  et  les  courtisans  préférés,  d'Éper- 
non,  Bcllegarde,  d'O,  Châteauvieux,  de  Clermont,  d'Antra- 
gues,  de  Beaulieu-Ruzé  et  Charles  d'Orléans,  comte  d'Au- 
vergne, duc  d'Angoulême,  fils  de  Charles  IX  et  de  Marie 
Touchet.  C'est  seulement  vers  le  soir,  alors  que  l'état  du 
blessé  était  déjà  beaucoup  plus  grave,  qu'il  reçut  le  Béar- 
nais et  ordonna  à  tous  ses  officiers  de  le  reconnaître  pour 
son  successeur  ^  Quant  aux  discours  que  Palma-Cayet  et 
de  Thou  prêtent  au  Valois  moribond,  ils  sont  trop  arrangés 
pour  mériter  qu'on  s'y  arrête  *.  Henri  HI  mourut  dans  cette 

i.  Voy.  le  texte  de  celte  dépêche  dans  Palma-Cayet,  p.  149,  et  au  t.  III, 
p.  563  des  Mém.  de  la  Ligue.  Lettre  au  comte  de  Montbéliard. 

2.  Palma-Cayrt,  p.  140.  «  n  fut  advisé  par  le  roy  de  Navarre  et  par  les 
princes  et  seigneurs  qui  avoient  charge  en  l'armée  que  Pon  devoit  se  tenir 
en  armes  et  prests,  de  peur  d'une  surprise  du  costé  de  Paris,  ce  qu'ils 
firent  tous.  Leur  raison  estoit  que  l'assassinateur  en  estant  sorty,  il  n'y 
avoit  point  de  doute  que  c'estoit  un  fait  prémédité  dans  ceste  Ville,  et  que 
les  chefs  de  guerre  qui  y  estoient,  estans  advertis  de  la  blessure  du  roy, 
présumeroient  qu'il  adviendroit  du  trouble  en  l'armée,  sous  la  faveur 
duquel,  en  attaquant  quelque  quartier,  ils  pourroient  faire  quelque  elTort 
notable.  » 

3.  Ibid,y  p.  150.  La  version  de  Palma-Cayet  s'accorde  avec  la  relation 
ligueuse,  Discours  aux  Français,  etc.  II  est  à  noter  que  de  Thou  ne  fait 
même  pas  mention  de  l'entrevue  de  Henri  III  mourant  avec  le  roi  de 
Navarre.  L'Estoilb  imite  ce  silence,  et  il  en  est  de  même  du  certiGcat  des 
seigneurs  qui  assistèrent  le  roi. 

4.  L'auteur  anonyme  du  Discoun  aux  Français  prétend  même  que  Henri  III 


PARIS  RÉGICIDE  87S 

nuit  du  2  au  3  août,  sur  les  trois  heures.  Il  avait  trente- 
huit  ans  et  dix  mois,  et  avait  régné  quinze  ans  et  deux 
mois  sur  le  royaume  de  France. 

Ainsi,  le  Paris  de  Jacques  Clément  et  de  la  Saint-Bartlié- 
lemy  avait  couronné  son  œuvre  de  vengeance  et  de  haine. 
Quelle  suite  de  péripéties  terribles,  depuis  les  Barricades 
jusqu'au  drame  de  Saint-Cloud,  en  passant  par  celui  de 
Blois  et  l'assassinat  du  grand  Guise!  Tout  ce  foyer  de 
crimes,  il  est  à  Paris  et  rayonne  au  loin.  Sous  la  main 
meurtrière  de  l'Église,  qui  bénit  les  régicides  et  brise  les 
couronnes,  tous  les  fanatismes  se  fondent  et  se  soulèvent 
dans  un  bouillonnement  colossal.  A  Tapothéose  de  l'assas- 
sin par  la  capitale  de  la  France,  répondent  la  joie  funèbre 
de  Philippe  II  et  la  tranquille  apologie  du  crime  par  le 
Saint-Siège.  Entre  l'explosion  d'enthousiasme  des  ligueurs 
parisiens  et  le  discours  pontifical  de  Sixte-Quint  au  con- 
sistoire du  11  septembre,  il  n'existe  qu'une  différence  de 
milieu.  Au  fond,  c'est  l'Église  qui  tient  le  couteau  sanglant 
et  elle  commet  cette  horrible  impiété  de  vouloir  rendre 
Dieu  complice.  Le  pape,  dans  un  discours  étudié  à  loisir, 
compare  l'action  du  moine  à  l'incarnation  du  Verbe  et  au 
mystère  de  la  résurrection  du  Sauveur  :  il  place  le  régicide 
au-dessus  de  Judith  et  d'Eléazar,  et  conclut  qu*un  dessein 
si  glorieux  n'a  pu  être  exécuté  sans  la  volonté  et  le  secours 
de  la  Providence  *. 


n'eut  pas  le  temps  «  de  se  reconnaître  et  de  penser  à  son  salut,  dont  il 
n'a  point  eu  de  soing,  n'ayant  receu  ses  sacrements  ny  parlé  à  aucun 
prestre,  à  la  manière  de  Henry  huictiësme,  premier  tyran  des  catholiques 
angloys  ». 

1.  De  Thou,  t.  X,  p.  679,  après  avoir  donné  une  exacte  analyse  de  ce 
discours  du  11  septembre,  ajoute  quMl  eût  été  de  l'intérêt  de  Sixte  V  et  du 
Saint-Siège  de  supprimer  un  pareil  écrit,  au  lieu  de  le  publier.  Conf.  VEs- 
prit  de  la  Ligue  par  le  chanoine  Anqubtil,  t.  III,  p.  94.  —  Le  libelle  intitalë 
ie  Martyre  de  frère  Jacques  Clément^  reproduit  la  thèse  du  pape  :  «  Dieu 
s'est  voulu  servir  du  plus  simple  et  plus  humble  et  infirme,  suivant 
l'apparence  humaine,  de  tous  les  religieux,  pour  terrasser  Torgueil  et 


576  PARIS   ET  LA  LIGUE 

Paris,  depuis  les  princesses  jusqu'aux  portefaix,  ne  témoi- 
gna ni  moins  de  cynisme,  ni  moins  d'hypocrisie  mystique, 
en  apprenant  la  mort  de  Henri  III.  Le  conseil  de  TUnion 
adressa  aux  prédicateurs  une  circulaire  officielle  qui  les 
invitait  à  développer  en  chaire  ces  trois  points  :  «  1°  Jac- 
ques Clément  est  un  héros  et  un  martyr;  2*  Le  Béarnais 
ne  peut  succéder  à  Henri  III;  3®  Ceux  qui  soutiendront 
son  parti  seront  excommuniés  * .  Guincestre  fit  Tapothéose 
de  Jacques  Clément  et  toutes  les  chaires  retentirent  des 
mêmes  hyperboles.  De  nombreux  libelles  chantèrent  les 
louanges  «  du  saint  martyr  de  J.-C,  du  bienheureux  enfant 
de  Saint-Dominique  '  ».  On  gravait  des  portraits  du  meur- 
trier avec  des  vers  en  son  honneur  '.  Des  cierges  furent 
allumés  dans  les  églises  autour  de  sa  statue,  et  Ton  fit 
venir  sa  mère,  du  village  de  Sorbonne,  pour  montrer  au 
peuple  celle  qui  avait  mis  au  monde  le  libérateur  de  Paris. 
Mme  de  Montpensier  *  logea  dans  son  hôtel  de  la  rue 
de  Tournon  la  mère  du  martyr,  et  cette  femme,  comblée 


l'audace  de  Henry  de  Valois,  etc.  »  (Arch.cur.,  t.  XII,  p.  399.)  —  Quant  &l'£s- 
TOILE,  il  s'indigne  de  voir  que  a  l'homme  d'Église,  qui  doit  servir  au  peuple 
de  patron  et  d'exemplaire  d'obéissance  envers  les  supérieurs,  soit  si  sou- 
dainement changé  et  métamorphosé  en  un  meurtrier  sanguinaire  de  son 
prince,  signes  certains  de  l'absence  de  Tesprit  de  Dieu...  »  (T.  III,  p.  308.) 
Ailleurs,  il  flétrit  la  «  jurisprudence  des  moines  et  prescheurs  de  ce  temps 
auxquels  les  parricides  et  les  assassinats  plus  exécrables  estoient  censés 
des  miracles  et  des  œuvres  de  Dieu.  »  (T.  V,  p.  4.)  —  Voy.  aussi  dans  la  Sat. 
Ménippéele  discours  de  d'Âubray  (p.  146),  qui  s'élève  contre  les  éloges  accor- 
dés à  J.  Clément  par  les  prédicateurs  et  la  joie  des  Parisiens. 

1.  Grevier,  Hist.  de  PUniv.,  t.  VI,  p.  414.  —  HisL  eccUs.  de  Flbcry,  t.  XXXVI, 
p.  273.  —  Ch.  Labitte,  De  la  démocratie  chez  les  prédicateurs  de  la  Ligucy 
p.  79. 

2.  Mézebat, /it5^  deFr.,  1685,  in-f*,  t.  III,  p.  659.  — De  Thou,  t.  X,  p.  679. 
Arch.  cur.,  t.  XII,  p.  397.  —  Le  Martyre  de  frère  Jacques  Clément.  —  Félib.  ,  Hist. 
de  la  V,  de  Paris,  t.  II,  p.  1183.  —  Saint-Foix,  Essais  sur  Paris,  t.  III,  p.  63. 

3.  Voy.  dans  l'Estoile,  édit.  Halphen, t.  IV,  p.  103  et  suivantes,  les  placards 
mis  au  bas  des  portraits  de  Jacques  Clément, 

4.  Mme  de  Montpensier,  si  Ton  en  croit  l'Estoile,  sauta  au  cou  de 
celui  qui  lui  apporta  la  première  nouvelle  de  la  mort  de  Henri  III  :  «  Hal 
mon  ami,  soie  le  bien  venu!  Mais  est-il  vrai  au  moins?  Ce  meschant,  ce 
perfide,  ce  tiran  est-il  mort?  Dieu  que  vous  me  faites  aise!  Je  ne  suis 
marrie  que  d'une  chose  :  c'est  qu'il  n'a  pas  sceu,  devant  que  de  mourir, 
que  c'estoit  moi  qui  Tavois  fait  faire.  »  (T.  V,  p.  1.) 


PARIS  RÉGICIDE  877 

de  présents,  s'en  retourna  chez  elle,  accompagnée  par 
quarante  moines  jusqu'à  une  lieue  de  Paris.  Quant  à  la 
duchesse  de  Nemours,  mère  de  Madame  de  Montpensier 
et  qui  avoit,  comme  elle,  distribué  des  écharpes  vertes  à 
tout  Paris,  en  criant  la  bonne  nouvelle  de  la  mort  du 
tyran,  elle  se  rendit  aux  Cordeliers  et  monta  sur  les  degrés 
du  grand  autel  pour  lancer  les  dernières  injures  contre 
<(  le  chien  Henri  de  Valois  ».  Enfin,  il  se  trouva  des  fana- 
tiques qui  allèrent,  un  peu  plus  tard,  chercher  à  Saint- 
Cloud  la  terre  arrosée  du  sang  de  l'assassin  *  et  la  char- 
gèrent sur  un  bateau  pour  conduire  ces  reliques  à  Paris. 
Malheureusement  le  vent  s'éleva  et  les  reliques  coulèrent 
k  fond  avec  ceux  qui  les  rapportaient  *. 

Ainsi  Paris  délire;  il  porte  le  deuil  vert,  la  livrée  des 
fous,  dit  l'Estoile,  et  il  répète  avec  les  duchesses  :  «  Le 
tyran  est  mort.  Il  n'y  a  plus  de  Valois  en  France  ».  Qui  va 
venir?  Mayenne,  Philippe  II,  le  duc  de  Savoie,  le  cardinal 
de  Bourbon?  On  ne  sait.  Au  fond,  la  capitale  n'a  de  haine 
que  contre  le  roi  de  Navarre,  le  prince  hérétique.  Et  quand 
le  parti  est  pris,  lorsque  Mayenne,  reconnaissant  la  diffi- 
culté de  poser  la  couronne  sur  sa  tête,  a  fait  proclamer, 
«ous  le  nom  de  Charles  X,  le  vieux  cardinal  de  Bourbon, 
et  s'est  fait  décerner  à  lui-même  le  titre  de  lieutenant 
général  au  gouvernement  de  l'Estat  et  couronne  de  France  ', 
ia  Ville  de  Paris  écrit  au  pape,  le  7  août,  et  elle  expose  en 
quelques  lignes  toute  sa  politique  :  «  De  ville  opulente  de 


1.  Le  corps  de  Jacques  Clément  avait  été  tiré  à  quatre  chevaux,  mis  en 
-quartiers,  puis  brûlé,  le  2  août,  sur  la  place  de  l'Eglise  de  Saint-Cloud.  Voy. 
L'EsToiLB,  t.  m,  p.  30,  et  Discours  aux  Français,  Arch.  cur.,  t.  XII)  p.  369. 

2.  DbThou,  p.  679.  —  L'Estoile,  t.  V,p.  6. 

3.  C'est  le  titre  indiqué  dans  la  lettre  de  la  Ville  au  Pape.  (Extv.  des 
Registres.  Félib.,  Pr.,  t.  V,  p.  463.)  —  Dans  son  édii  et  déclaration  du  9  août 
{Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  29),  Mayenne  s'intitule  a  Charles  de  Lorraine, 
duc  de  Mayenne,  pair  et  lieutenant  général  de  l'État  royal  et  couronne  de 
France  ». 

RODIQUBT.  37 


578  PARIS  ET  LA  LIGUE 

toutes  sortes  de  richesses  qu'estoit  celle-cy,  pour  subvenir 
à  une  guerre  si  juste  et  dont  elle  a  jusqu'ici  supporté  tout 
le  faix,  elle  s'est  rendue  pauvre  et  son  estât  déplorable, 
résolue  néanmoins  de  souffrir  encore  le  feu  et  la  famine 
plustost  que  la  domination  hérétique  ».  Paris  subordonne 
tout  à  la  question  religieuse;  la  Ligue  identifie  la  cause 
de  la  religion  catholique  et  celle  de  l'État.  Elle  a  fait  tuer 
Henri  III,  non  pas  parce  qu'il  avait  dilapidé  la  fortune 
publique  et  pressuré  sa  capitale ,  non  pas  parce  qu'elle 
voyait  en  lui  un  mauvais  prince,  mais  uniquement  «  parce 
qu'il  a  négligé  la  commination  du  Saint-Père  *  ».  On  ne 
saurait  dire  plus  clairement  que  Paris  reconnaît  la  supré- 
matie temporelle  du  pontife  de  Rome  et,  comme  le  reproche 
d'Aubray  à  Mayenne  dans  la  Ménippée,  «  qu'il  a  renoncé  à 
sa  nation  pour  servir  aux  idoles  de  Lorraine  et  aux  dé- 
mons méridionaux  '  ».  C'est  avec  raison  que  certains  his- 
toriens 3  ont  qualifié  la  Ligue  de  «  république  municipale, 
tout  entière  dévouée  au  catholicisme  »;  mais  il  convient 
d'ajouter  que  ce  prétendu  gouvernement  des  municipalités 
était  singulièrement  oligarchique  dans  sa  direction  suprême, 
puisque  les  princes  lorrains  annihilaient  à  Paris  l'Hôtel  de 
Ville.  Mayenne  est,  au  fond,  très  hostile  aux  revendications 
tumultueuses  des  masses  populaires,  et  il  n'a  pas  sur  elles 
l'action  extraordinaire  du  grand  Guise.  Mais,  d'autre  part, 
il  subit,  quoi  qu'il  en  ait,  l'irrésistible  influence  des  con- 
grégations, et  celle  de  l'Espagne,  qui  apporte  dans  les. 
conseils  de  la  Ligue  l'esprit  sombre  de  l'Inquisition. 

\,  Lettre  de  la  Ville  au  pape.  —  L'Èdit  du  5  août  «  pour  réunir  tous  vrais 
chrétiens  françols  à  la  défense  et  conseryation  de  TÉglise  catholique,  apos- 
tolique et  romaine  et  manutention  de  l'État  roîal  »,  emploie  des  expressions 
presque  identiques  :  «  ...A  présent  qu'il  a  plu  à  Dieu,  par  sa  seule  bonté, 
singulière  proTÎdence  et  justice,  nous  délivrer  de  celui  qui,  avec  Tautho- 
rité  roîale,  s'étoit  armé,  joint  et  uni  avec  les  hérétiques  contre  les  saintes 
admonitions  qui  lui  ont  esté  faites  par  notre  Très  Saint  Père  le  Pape...  » 

2.  Sat,  Mén.,  t.  I,  p.  164. 

3.  Notamment  Gapepigub,  La  Ligue  et  Henri  IVy  3«  édit.,  1843.  Paris, 
Belin-Prieur,  p.  15. 


PARIS  RÂGIGIDE  579 

L'intervention  de  la  municipalité  parisienne  dans  les 
événements  dont  nous  venons  de  suivre  la  marche  drama- 
tique, doit  être  réduite  à  sa  juste  valeur.  L'Hôtel  de  Ville 
a  servi  d'instrument  aux  Guises  pour  faire  les  Barricades 
et,  plus  tard,  pour  organiser  la  guerre  civile  et  venger  les 
victimes  de  Blois;  mais  il  n'a  joué,  au  fond,  qu'un  rôle 
subalterne.  C'est  à  tort  qu'on  a  comparé  la  révolution  de 
1588  tantôt  à  la  révolution  de  1789,  tantôt  au  grand  mou- 
vement démocratique  et  municipal  de  1338  *.  La  Chapelle- 
Marteau  n'a  nullement  l'étoffe  et  les  hautes  aspirations 
d'Etienne  Marcel  :  comme  les  autres  députés  de  Paris,  il 
ne  fut,  aux  Etats  généraux  de  Blois,  que  l'humble  et  mé- 
diocre agent  du  duc  de  Guise.  Toute  l'organisation  du 
mouvement  remonte  à  l'alliance  des  ordres  monastiques, 
inspirés  par  Rome  et  l'Espagne,  avec  la  faction  aristocra- 
tique qui  rédigea  les  actes  de  Péronne  en  1S76.  Depuis  que 
le  chancelier  l'IIospital  avait  demandé  au  clergé  un  état 
de  ses  biens,  et  que  le  tiers,  aux  États  de  Pontoise  (1561), 
avait  réclamé  la  vente  du  temporel  détenu  par  les  gens 
d'Église,  tout  le  clergé  se  sentait  frappé  et  il  en  appela  dès 
lors  au  Pape  et  à  l'Espagne.  Qe  là  l'orientation  donnée  à 
l'histoire  de  notre  pays  et  l'ouragan  des  guerres  civiles 
déchaîné  sur  la  France!  La  paix  de  Monsieur  (1576),  l'appa- 
rent triomphe  des  protestants  après  l'invasion  allemande 
de  Jean  Casimir,  la  vente  partielle  des  biens  du  clergé  en 
1576,  jointe  à  la  saisie  des  rentes  sur  l'Hôtel  de  Ville  de 
Paris,  jetèrent  dans  une  commune  révolte  la  démocratie 
parisienne  et  l'armée  cléricale.  Mais  il  suffit  de  lire  l'acte  con- 
stitutif de  la  Ligue,  rédigé  au  nom  de  la  Très  Sainte  Tri- 
nité S  pour  reconnaître  que  le  développement  des  institu- 

1.  Gapbfioub,  /&/(/.,  p.  2  et  15. 

2.  a  Cette  ligue,  dit  Palva-Caybt,  ea  reproduisant  le  texte  du  document 
fut  faite  à  Péronoe  l'an  1576,  par  aucuns  princes,  seigneurs  et  gentilshommes 
catholiques,  faschez  de  ce  que  le  roy  Henry  III  avait  pacifié  les  troubles  pour 
la  religion  en  son  royaume,  etc.  »  (Introd,  à  la  Chronol,  novenaire,p,  13.) 


580  PARIS  ET  LA  LIGUE 

lions  municipales,  et  spécialement  celui  des  franchises 
locales  de  Paris,  n'entra  pour  rien  dans  les  préoccupations 
des  promoteurs  de  la  Ligue.  La  découverte  du  mémoire 
de  l'avocat  David  prouva  même  que  les  Guises  poursui- 
vaient surtout  un  but  politique,  visaient  à  la  couronne  de 
France  et  à  l'abolition  des  libertés  de  l'Église  gallicane.  Il 
est  difficile  de  discerner  dans  le  pacte  de  Joinville,  signé  le 
16  janvier  1585  entre  les  princes  lorrains  et  l'Espagne,  autre 
chose  qu'une  déclaration  de  guerre  aux  idées  de  tolé- 
rance, dont  les  comités  parisiens  furent  assurément  compli- 
ces, mais  qui  ne  profitait  qu'au  Saint-Siège  et  à  l'Espagne. 
Le  second  manifeste  de  Péronne  (31  mars  1585)  est  animé 
du  même  esprit;  tout  au  plus  y  peut-on  lire  quelques  vagues 
protestations  contre  l'énormité  des  impôts  qui  accablent  le 
peuple,  mais  c'est  toujours  la  noblesse  qui  plaide  pour  sa 
propre  cause,  unie  à  celle  du  clergé,  et  réclame  le  maintien 
des  privilèges  les  plus  aristocratiques.  Bien  plus,  lors- 
qu'après  la  mort  de  Marie  Stuart  (18  fév.  1587)  la  fermen- 
tation des  masses  parisiennes  menaça  de  transformer  le 
caractère  de  la  Ligue,  Mayenne  quitta  Paris  et  le  duc  de 
Guise  manifesta  une  vive  irritation.  C'est  malgré  lui  que 
les  comités  parisiens  élaborèrent  et  expédièrent  aux  villes 
de  province  les  trois  mémoires  qui  contiennent  une  sorte 
de  plan  de  fédération  municipale,  sous  la  direction  des 
princes  catholiques  et  le  patronage  de  l'Hôtel  [de  Ville  de 
Paris. 

Dans  la  déclaration  datée  de  Nancy  (janvier  1588),  les 
princes  répudient  implicitement  les  tendances  démocra- 
tiques de  leurs  complices  parisiens,  car  ils  ne  réclament 
du  roi  que  la  publication  du  concile  de  Trente  et  l'établis- 
sement en  France  de  l'Inquisition.  Par  conséquent,  la 
direction  supérieure  du  parti  continue  à  prendre  son  mot 
d'ordre  à  Rome  et  reste  purement  aristocratique  et  cléri- 
cale. La  journée  des  Barricades  n'est  que  le  triomphe  de 


PARIS  RÉGICIDE  581 

Guise;  au  point  de  vue  municipal,  elle  a  pour  conséquences 
Varrestation  du  prévôt  des  marchands,  Hector  de  Pereuse, 
et  l'élection  irréguliëre  d'une  municipalité  imposée.  La 
Chapelle-Marteau  n'est  que  l'humble  serviteur  des  princes, 
à  Paris  comme  à  Blois.  Quand  l'excès  du  désespoir  a  décidé 
Henri  HI  à  se  débarrasser  de  son  orgueilleux  rival  et  à 
mettre  sous  les  verrous  les  députés  parisiens,  les  mouve- 
ments furieux  qui  se  produisent  dans  la  capitale  revêtent,  il 
est  vrai,  un  caractère  tout  populaire;  mais  qui  les  dirige  et 
les  inspire?  Toujours  les  moines  et  les  curés  ligueurs.  Les 
Louchart,  les  Bussy-Leclerc,  les  Senault  ne  sont  que  des 
comparses  qu'on  utilise.  Les  véritables  tètes  du  parti  se 
hâtent  d'appeler  Mayenne  pour  discipliner  la  foule  on- 
doyante et  terrible,  et,  dès  qu'il  arrive,  le  Conseil  général 
de  la  Ligue,  organe  de  la  démocratie  parisienne,  est  adroi- 
tement rempli  d'évêques  et  de  parlementaires.  Un  des  pre- 
miers soins  du  nouveau  chef  de  la  Ligue,  c'est  d'assurer 
le  pape  que  le  Conseil  général  de  Paris  n'agira  que  d'après 
les  ordres  du  Saint-Siège,  et,  au  lendemain  de  l'assassinat 
du  roi,  c'est  l'Hôtel  de  Ville  lui-même  qui,  dans  sa  lettre 
du  7  août,  se  met  aux  pieds  du  pontife  de  Rome. 

En  résumé,  si  l'on  voulait  caractériser  la  lutte  de  Paris 
contre  le  roi  Henri  IH  et  définir  l'esprit  de  la  Ligue,  on 
pourrait  dire  que  c'est  une  insurrection,  née  en  partie  des 
fautes  politiques,  en  partie  des  exactions  financières  du 
roi;  un  mouvement  qui  eut  le  Saint-Siège,  l'Espagne  et  le 
clergé  pour  inspirateurs,  les  Guises  pour  chefs,  et  la  partie 
la  moins  éclairée  de  la  population  parisienne  pour  instru- 
ment. Cette  formidable  coalition  se  brisera  contre  le  génie 
militaire  et  la  diplomatie  infatigable  du  roi  de  Navarre, 
Mais  si  l'unité  nationale  et  la  puissance  française  doivent 
beaucoup  au  fondateur  de  la  dynastie  bourbonienne,  il  a 
fait  porter  aux  franchises  municipales  de  Paris  la  peine 
du  fanatisme  des  Seize  et  installé  à  l'Hôtel  de  Ville  la  can- 


582  PARIS  ET  LA  LIGUE 

didaturc  officielle.  Son  règne,  si  brillant  à  certains  égards, 
écrasera  sous  le  niveau  de  la  centralisation  monarchique  et 
du  pouvoir  absolu  la  liberté  des  communes  :  il  marquera, 
en  même  temps  que  l'expansion  de  la  politique  française 
au  dehors  et  le  rétablissement  de  l'ordre  matériel  sur  toute 
la  surface  du  pays,  Fabolition  des  immunités  populaires, 
rabaissement  des  parlements  et  de  la  bourgeoisie  au 
profit  des  gentilshommes.  A  Paris,  THôtel  de  Ville  va  ren- 
trer dans  le  néant,  et  ses  Registres^  naguère  si  vivants  et  si 
dramatiques,  ne  présenteront  plus  à  Thistoire  que  la  mo- 
notone relation  des  cérémonies  officielles! 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CHAPITRE  PREMIER 

PABIB   ET   LE   NOUVEAU    ROI 

Depuis  l'avènement  de  Henri   III  jusqu'à  la  paix  de    Beriçerac. 
(30  mai  1574  —  17  septembre  1577.) 

Situation  générale  de  la  France  lors  de  Favènement  de  Henri  III.  —  Péré- 
grinations du  roi.  —  Son  mariage  et  son  sacre.  —  Arrivée  à  Paris  le 
27  février  1575.  —  Réjouissances  officielles.  —  Conversion  en  argent  des 
droits  perçus  en  nature  par  les  membres  du  corps  de  Ville.  —  SiniAnoif 
FiNANCiÉiB  DB  LA-  viLLK.  —  Le  rcccvcur  municîpal,  François  de  Vigny 
jeune,  of^re  sa  démission.  —  Le  clergé  de  France  ne  fait  pas  les  fonds 
destinés  au  payement  des  rentes  de  la  Ville.  —  De  Vigny  se  démet  des 
fonctions  de  receveur  général  du  clergé.  —  Henri  III  demande  À  Paris 
un  million  &  lever  par  capitation  sur  les  plus  aisés.  —  Création  d'offices. 

—  Vol  de  la  vraie  croix.  —  Mesures  prises  par  la  Ville  à  cette  occasion. 

—  Élections  municipales  de  1574  et  de  1575.  —  Résignation  d'un  office 
de  quartinier.  —  Formes  de  la  résignation.  —  Organisation  de  la  milice 
municipale  au  début  du  règne.  —  Fuite  du  duc  d'Alemçon.  —  Dangers 
extérieurs.  —  Mesures  de  défense  prises  à  Paris  et  dans  la  banlieue.  — 
Discours  de  Henri  III  À  l'Hôtel  de  Ville,  le  23  septembre  1575.  —  La 
famille  des  Valois.  —  Les  maréchaux  de  Cossé  et  de  Montmorency  à  la 
Bastille.  —  I^ur  mise  en  liberté.  ~  Rôle  de  Catherine.  —  Attitude  de 
la  Ville  de  Paris.  —  Revue  de  cinquante  mille  hommes  des  métiers  passée 
par  le  roi.  —  Postes  assignés  à  la  milice  parisienne.  —  Victoire  du  duc 
Henri  de  Guise  à  Château-Thierry.  — >  Popularité  du  Balafré  à  Paris.  — 
Assassinat  de  du  Guast.  —  Le  prévôt  des  marchands  ordonne  des  per- 
quisitions. —  Distractions  pieuses  de  Henri  HT.  —  Lettre  du  roi  &  la 
Ville  en  date  du  10  décembre  1575.  —  Plans  de  campagne.  —  Subven- 
tion demandée  à  la  Ville  pour  la  solde  de  3,000  Suisses  pendant  quatre 
mois.  —  La  Ville  vote  des  remontrances.  ~  Tableau  de  la  France  en 
décembre  1575.  —  Misère  du  peuple.  —  L'Église.  —  La  magistrature.  — 
Les  finances.  —  Réponse  de  Henri  III.  —  La  Ville  accorde  le  subside.  — 
Préparatifs  militaires  pour  défendre  Paris.  —  Commission  permanente 
de  THôtel  de  Ville.  —  Le  prévôt  des  marchands,  Jean  le  Charron.  —  Dif- 
ficultés dans  le  recouvrement  des  taxes.  —  Fuits  du  roi  db  Navarre.  — 
Mesures  de  défense  prises  à  Paris.  —  Paix  de  Monsieur  (avril  1576).  ^ 


â84  TABLE  DES   MATIÈRES 

Les  membres  des  cours  souveraines  mis  à  contribution  par  le  roi.  — 
Nouvelles  demandes  d'argent  adressées  à  la  Ville  de  Paris.  —  Lit  de 
justice  du  28  avril.  —  Répartition  des  taxes  par  une  commission  royale. 

—  Création  de  deux  offices  de  contrôleurs  des  rentes  de  la  Ville.  —  Le 
roi  se  fait  remettre  les  rôles  des  seize  quartiers.  —  Publication  de  la 
paix  à  Paris  (8  mai).  Les  chanoines  refusent  d'assister  au  Te  Deum.  — 
Mécontentement  du  peuple.  —  Le  roi  saisit  l'argent  des  renies.  —  Assem- 
blée générale  de  TUôtel  de  Ville  (26  mai).  Remontrances  du  !«'  juin.  — 
Moyennant  80,000  livres,  le  roi  renonce  h.  la  saisie  des  rentes.  —  Privi- 
légiés  dispensés  de  payer  les  taxes  pour  la  solde  des  Suisses.  —  Fermen- 
tation populaire  à  Paris.  ~  Origines  de  la  Ligue.  —  La  famille  des  Guises. 

—  Les  premiers  instigateurs  de  l'Union  à  Paris.  —  Pierre  et  Mathieu  de 
la  Bruyère.  —  Rôle  du  président  de  Thou.  —  Constitution  de  la  Ligue 
en  Picardie.  —  Le  pacte  de  Péronne.  —  Le  manifeste  des  douze  articles. 

—  Le  mémoire  de  Jean  David.  —  La  Ligue  à  THôtel  de  Ville.  —  Elections 
municipales  du  16  août  1516.  —  Le  président  Luillier,  préTÔt  des  mar- 
chands. —  Les  Ëtats-Généraux  dk  Blois  et  les  députés  parisiens.  —  Con- 
vocation du  tiers  état  parisien.  —  Conflit  entre  le  prévôt  des  marchands 
et  le  prévôt  de  Paris.  —  Assemblée  générale  des  électeurs  parisiens  h 
l'Hôtel  de  Ville  (6  septembre  1576).  —  Rédaction  des  cahiers  du  tiers  état 
parisien.  —  Assemblée  générale  du  2  novembre  1576.  —  Vote  des  cahiers. 

—  Nomination  des  députés  du  tiers  état  parisien  aux  États  généraux.  — 
Nicolas  Luillier.  —  Le  Prévost  et  Versoris.  —  Henri  îll  à  Blois  (18  nov.). 

—  Les  relations  avec  Paris.  —  Le  mémoire  sur  la  police  de  la  Ville.  — 
Réponse  du  roi.  —  Sa  correspondance  :  l'ouverture  des  États.  —  Atti- 
tude des  députés  parisiens.  —  Séance  solennelle  du  15  janvier  1577.  — 
Les  orateurs  des  trois  ordres.  —  Fausse  situation  des  députés  de  Paris. 

—  Bodin  les  force  à  quitter  les  États.  —  Le  roi  demande  300,000  livres 
À  la  capitale.  -^  Effets  de  la  politique  des  députés  parisiens.  —  Assem- 
blée générale  du  8  mars  1577.  —  Vote  de  remontrances.  —  Réponse  du 
roi.  —  La  ville  accorde  100,000  livres  (2  mai  1577).  L'impôt  à  la  rate,  — 
Rapports  de  la  vrlb  avec  LECtEROé,  à  propos  des  rentes  sur  l'Hôtel  de 
Ville.  —  François  de  Vigny  fils,  receveur  municipal.  —  11  offre  sa  démis- 
sion. —  Henri  Hl  le  force  à.  la  retirer.  —  Difficultés  avec  la  Chambre  des 
comptes.  —  Un  ancien  prévôt  des  marchands  poursuivi  et  condamné. 

—  Appel  de  la  Ville  devant  le  Parlement.  —  Reprise  de  la  guerre  civile. 

—  Les  victoires  de  Monsieur.  —  Banquets  de  Plessis-les -Tours  et  de  Che- 
nonceaux.  —  Paix  de  Bergerac  (17  sept.  1577).  —  Toutes  les  ligues  dis- 
soutes. —  Réjouissances  officielles  à  Paris.  —  Esprit  du  corps  de  Ville. 

—  Intervention  du  roi  dans  les  élections  municipales  d'août  1577...      i 


CHAPITRE  II 

Uk   BÉBUBXUSGTION   DE   LA   LIGUE 

Depuis  la  paix  de  Bergerac  jusqu'à  la  Conyention  de  Nemours. 
(17  septembre  1577  ~  juillet  1585.) 

La  cour  s'installe  à  Paris  (fin  octobre  1577).  —  Mœurs  du  roi.  —  L'entou- 
rage  :  Villequier,  d'O.  —  Absence  de  sécurité  à  Paris.  —  Assassinat  de- 
Troîlus  Ursin;  Bussy  d*Am boise.  ^  Duel  des  mignons.  —  Mort  de 
Caylus  ei  Maugiron;  assassinat  de  Saint-Mesgrin.  —  Fuite  du  duc- 
d'Anjon  (14  février  1578).  —  Les  Guises  quittent  Paris  (10  mai).  — 
Anarchie  et  pillages  en  province.  —  Paris  préservé.  —  Mesures  de  pré- 


TABLE  DES   MATIÈRES  585- 

caution  prises  par  la  municipalité.  —  Administration  municipale.  — 
Remontrances  du  13  décembre  1577,  relatives  aux  portes,  fontaines,  pavés^ 
quais  et  ponts  de  la  Ville.  —  Ëtat  du  pont  Notre-Dame.  —  Mode  de 
payement  des  ouvriers  employés  par  la  Ville.  —  Règlement  du  28  jan- 
vier 1578  sur  les  fêtes  foraines  de  Paris  .:  foire  Saint-Germain,  foire 
Saint-Laurent.  —  Organisation  de  la  police.  —  Élections  municipales 
du  18  septembre  1578  :  Qaude  Daubray  élu  prévôt  des  marchands.  — 
Affaires  de  finances.  —  Exactions  royales  :  résistance  du  Parlement  et 
du  clergé.  —  Les  prêts  forcés.  —  Fermentation  dans  toutes  les  pro- 
vinces.  —  Guerre  des  Amoureux  (avril  1580).  —  Rapports  du  clergé  avec 
le  roi  et  avec  la  Ville  de  Paris.  —  Synode  de  Melun  (juin  1579).  —  RefUs 
du  clergé  d'exécuter  ses  engagements  envers  la  Ville  de  Paris  (décembre). 

—  Agitation  à  Paris.  —  Attitude  énergique  et  habile  de  Qaude  Daubray, 
prévôt  des  marchands.  —  Arrêt  du  Parlement  ordonnant  Tarrestation 
des  évéques.  —  Le  clergé  cède. —  Mesures  de  police,  —  Gérémonul.  — 
Séance  solennelle  des  chevaliers  du  Saint-Esprit  (1^'  janvier  1580).  — 
Fêtes  données  à  Paris  par  le  cardinal  de  Bourbon,  le  cardinal  de  Guise, 
le  duc  de  Nevers.  —  Réception  à  l'Hôtel  de  Ville  de  M.  de  Villequier,  nommé 
gouverneur  de  Paris.  —  Obsèques  de  Téchevin  Jean  Bouer.  -—  Elections 
municipales  du  17  août  1580.  —  Augustin  de  Thou  nommé  prévôt  des 
marchands.  —  Le  roi  écarte  de  Téchevinage  Jacques  Paillard.  —  Epi- 
démie A  Paris.  —  Peste  de  1580.  —  Exécutions  de  la  Valette,  de  Gourreau,. 
prévôt  des  maréchaux  d'Angers.  —  Tremblement  de  terre  k  Paris. 
(6  avril).  —  La  coqueluche  à  Paris.  —  Peste.  —  Paris  déserté.  —  Ferme 
contenance  de  THôtel  de  Ville.  —  Création  d'un  prévôt  de  la  santé.- — 
Incendie  de  Téglise  des  Cordeliers.  —  Paix  de  Fleix  (25  nov.  1580).  — 
La  mi-carêmé  à  Paris  et  la  cour.  —  Causes  célèbres  du  temps  :  le  notaire 
Herbin;  le  seigneur  de  Saint-Léger.  —  Duel  de  M.  de  Liverdot  et  du 
marquis  de  Migneley.  —  M.  du  Voix  et  sa  femme.  —  Affaire  de  Jean 
Poisle,  conseiller  au  Parlement.  —  Augmentation  des  impôts;  édits 
bursaux  (juillet  1581).  —  Ëdit  du  20  mai  créant  dans  chaque  ville  un 
bureau  de  douanes.  —  Édit  de  novembre  1581  instituant  à  Paris 
30  charges  de  visiteurs,  vendeurs  de  bois,  charbon  et  foin.  —  La  Ville 
s'oppose  à  la  vérification  de  Tédit.  —  Détails  sur  les  officiers  subalternes, 
de  la  Ville.  —  Doctrines  économiques  de  la  municipalité.  —  A  quoi 
passe  le  produit  des  impôts  nouveaux.  —  Noces  de  Joyeuse  et  de  la 
Valette.  —  Fêtes  à  Paris  en  Thonneur  de  Joyeuse.  —  Festin  du  cardinal 
de  Bourbon.  —  Ballet  de  Circé  au  Louvre.  —  Henri  III  demande 
100,000  écus  à  la  Ville  pour  payer  les  Suisses.  ~  Valeur  des  monnaies, 

—  Émission  de  rentes  sur  la  Ville  pour  une  somme  de  50,000  écus 
(23  fév.  1582).  —  Réception  des  ambassadeurs  suisses.  —  Harangue  du 
prévôt  des  marchands.  —  Cérémonie  à  Notre-Dame  pour  jurer  ^alliance. 

—  Te  Deum  et  procession  pour  prier  Dieu  de  donner  lignée  au  roi.  — 
Le  roi  donne  à  Joyeuse  et  &  d'Epernon  80,000  écus  saisis  dans  la  caisse 
de  la  Ville  (mars  1582).  —  Taxe  sur  les  marchands  de  vin  parisiens,  sur 
les  officiers  des  greniers  à  sel.  —  Paris  taxé  &  200,000  écus.  Remon- 
trances municipales  (16  fév.  1583).  —  Les  rentes  ne  peuvent  être  payées. 

—  Le  duc  d'Anjou  rentre  en  France  (juin  1583).  —  Mysticisme  et 
débauches  du  roi.  —  Création  de  la  confrérie  des  pénitents  (mars  1583). 

—  Henri  III  et  les  prédicateurs.  —  Auger.  — •  Maurice  Poucet.  —  Rose. 

—  Processions  des  pénitents.  —  La  Ville  y  figure.  —  Les  pèlerins  à 
Paris  (sept.  &  nov.  1583).  —  Développement  des  idées  religieuses.  —  Les 
enterrements.  —  Obsèques  de  Christophe  de  Thou,  du  cardinal  de  Bi- 
rague,  chancelier  de  France.  —  Les  jurés  crieurs.  —  Mort  du  duc 
d'Anjou  (11  fév.  1584).  —  Cérémonial  de  ses  obsèques  à  Paris.  —  État 


586  TABLE  DES  MATIÈRES 

DES  FRANCB1SE8  MUNiciPALBs.  —  ÉlecUoiis  du  16  août  1584,  du  16  août  1585. 

—  Incident  des  élections  de  1582.  —  Maintien  des  privilèges  des  con- 
seillers de  la  Ville,  de  s  archers  arbalétriers  et  arquebusiers  de  la  Ville. 

—  Application  du  droit  de  résignation  à  Tofflce  de  greffier  de  la  Ville. 
Élévation  des  émoluments  des  mesureurs  de  sel,  des  maîtres  de  ponts. 

—  Travaux  d'édilité.  —  Commencement  des  travaux  du  Pont-Neur.  — 
Le  pavage.  —  Enlèvement  des  boues  et  immondices.  —  Les  fortifications. 

—  Le  pont  Notre-Dame.  —  Les  mendiants.  —  Suite  des  relations  finan- 
cières du  roi  et  de  la  Ville.  —  Le  vol  érigé  en  système;  saisies  des 
rentes  sur  l'Hôtel  de  Ville.  —  Prélimi:«aires  de  la  seconde  phase  de  la 
Ligue.  —  Accalmie  apparente  depuis  la  paix  de  Bergerac  (17  sept.  1577) 
jusqu'à  la  mort  du  duc  d'Anjou  (1584).  —  Pacte  de  1579.  —  Réveil  de  la 
Ligue  après  la  mort  du  frère  du  roi.  —  Doctrines  homicides  du  sémi- 
naire catholique  de  Reims.  —  Projets  d'assassinat  contre  le  roi  de 
Navarre.  —  Les  trois  Henri.  —  Hésitation  de  Henri  III.  —  Déclaration 
du  11  novembre  1584  contre  les  ligues.  —  Le  duc  de  Guise  se  démasque. 

—  Manœuvres  des  ligueurs.  —  Les  planches  de  l'hôtel  de  Guise  et  les 
tableaux  de  Saint-Severin.  —Traité  de  Joinville  entre  les  Guises  et  TEs- 
pagne  (16  janvier  1585).  —  Les  députés  flamands  à  Paris.  —  Henri  lU 
reçoit  une  ambassade  anglaise  (23  février)  et  lève  des  soldats  suisses. 
Manifeste  de  Péronne  (31  mars).  —  Réponse  de  Henri  IH.  —  Manifeste 
du  roi  de  Navarre  (10  juin  1585).  —  Reconstitution  de  la  Ligue  a  Paris. 

—  Charles  Hotman  organise  le  premier  comité  avec  Jean  Prévost,  Bou- 
cher et  de  Launoy.  —  Les  adjonctions  d'affiliés.  —  Répartition  des 
quartiers  en  cinq  circonscriptions.  —  Le  conseil  directeur  du  collège  de 
Sorbonne.  —  Le  comité  d'action  des  Six.  —  Les  agents  des  princes.  — 
Relations  créées  avec  les  principales  villes.  —  Hotman,  trésorier  de  la 
Ligue.  —  Voyage  d'Âmeline.  —  Rôle  de  Nicolas  Poulain.  —  Attitude  de 
Henri  III.  —  Lettres  du  duc  de  Guise  à  la  Ville  pour  faire  rendre  les  armes. 

—  Réponse  de  la  Ville.  —  Mesures  prises  par  le  roi  à  Paris.  —  Élections  de 
capitaines.  —  Rôle  distinct  des  quartiniers.  —  Règlement  royal  du 
3  avril  1585,  sur  la  milice  municipale.  —  Ambassadeurs  des  Provinces- 
Unies  congédiés.  —  Anarchie  en  province.  —  Orléans  livré  &  la  Ligue 
(7  avril  1585).  —  Émeute  catholique  &  Lyon  (5  mai).  —  Ultimatum  des 
princes  catholiques  (10  juin).  —  Catherine  signe  la  Convention  de  Nemours 
(7  juillet  1585).  —  Triomphe  de  la  Ligue.  —  Édit  de  révocation  des 
précédents  édits  de  tolérance.  —  LeTe  Deum  de  la  paix.  —  Harangue  du 
prévôt  des  marchands  à  la  reine  mère.  —  Protestations  du  roi  de  Na- 
varre. —  Manifeste  des  princes  protestants  (10  août).  —  La  Ville  de  Paris 
mise  à  contribution  pour  la  guerre.  —  Audience  du  11  août,  au  Louvre. 

—  Violente  attitude  du  roi  envers  le  Parlement,  le  clergé  et  la  Ville.  — 
Menace  de  saisir  les  rentes.  —  Demandes  d'argent.  —  Sentiments  dn 
roi  et  de  la  population  parisienne 106 


CHAPITRE  m 

LES   PRÉPARATIFa    DE    LA   LUTTE 

Depuis  la  Convention  de  Nemoors  jusqu'aux  Articles  de  Nancy. 
C?  juillet  1585  —  février  1588.) 

Situation  des  partis  après  la  convention  de  Nemours.  —  Excommunica- 
tion du  roi  de  Navarre* (9  sept.  1585).  —  8on  effet  à  Paris.  —  Violences 
des  prédicateurs.  ~  Attitude  de  Sixte-Quint  à  l'égard  de  Henri  UI. 
^  Énergique  réponse  du  roi  de  Navarre  à  la  Bulle.  —  Hostilité  du  par- 


TABLE  DES  MATIÈRES  887 

lement  de  Paris  envers  le  pape  et  la  Ligue.  —  Remontrances  au  roi.  ~ 
Négation  du  pouvoir  temporel  du  Saint-Siège.  —  Lettre  du  roi  de 
Navarre  à  «  Messieurs  des  trois  États  de  France  et  &  Messieurs  de 
la  Ville  de  Paris  ».  —  UAdvertissement  des  catholiques  anglois  aux 
français  catholiques,  par  Tavocat  Louis  d'Orléans.  —  Manifeste  des 
ligueurs.  —  Leur  défiance  contre  THÔtel  de  Ville  de  Paris.  —  Lettre 
du  roi  an  prévôt  des  marchands  (13  fév.  1586}.  —  Arrivée  du  duc 
de  Guise  à  Paris  (13  fév.  1586).  —  Sa  popularité.  —  Propagande  contre 
Henri  III;  sentiments  du  clergé.  —  La  Bulle  du  pape  autorisant 
Taliénation  de  cent  mille  écus  de  rente  sur  le  temporel  de  TÉglise.  — 
Rôle  de  révoque  de  Paris.  —  Gapucinades  du  roi  ;  son  voyage  à  pied 
à  Notre-Dame  de  Chartres  (26  mars).  —  Misère  à  Paris.  —  Édit 
du  26  avril  1586  sur  la  vente  des  biens  des  huguenots.  —  Les  trois 
armées  catholiques.  — '  Mesures  fiscales  ;  vingt-sept  édits  bursaux  en  un 
seul  jour.  —  Grève  des  procureurs  au  Ghâtelet  et  au  Parlement.  — 
Opposition  de  la  Chambre  des  Comptes.  —  Soulèvement  de  Topinion 
publique.  —  M.  d*0  nommé  gouverneur  de  Paris.  —  Révocatior^ de  Tédit 
sur  les  procureurs.  —  Henri  III  quitte  Paris  (23  juillet)  ;  la  reine  mère 
se  rend  à  Chenonceaux  pour  négocier  avec  le  roi  de  Navarre.  —  Henri  III 
en  province  ;  les  petits  chiens,  les  singes  et  les  perroquets  du  roi.  — 
Audience  royale  donnée  à  Saint-Germain  aux  ambassadeurs  des  princes 
allemands  (12  octobre).  —  Violentes  paroles  du  roi;  départ  des  ambassa- 
deurs. —  Impopularité  de  Henri  III  à  Paris.  -—  Pasquils  menaçants.  — 
Conciliabules  du  collège  Forteret.  —  Ëlbctions  d'un  prévôt  des  marchands 
ET  de  deux  ÉCHEViNS  (16  août  1586).  —  Formes  de  la  convocation  des 
électeurs.  —  Présentation  du  scrutin  à  M.  de  Villequier,  gouverneur  de 
Paris.  —  Un  échevin  recommandé  par  le  roi.  —  Constitution  de 
80,000  écus  de  rente  sur  THôtel  de  Ville.  —  Remontrances  de  TAssem- 
blée  municipale.  —  Le  roi  ordonne  d*afTecter  le  domaine  municipal  à  la 
garantie  de  ces  rentes  (13  nov.).  —  Misère-publique;  la  faim  en  province 
et  à  Paris.  —  Renvoi  par  la  Ville  des  pauvres  valides,  non  originaires  de 
la  capitale  (19  sept.).  — Taxes  sur  les  bourgeois  pour  secourir  les  pauvres 
de  Paris.  —  Froids  extraordinaires  (déc).  —  Fermentation  des  esprits. 

—  L  avocat  François  le  Breton  ;  ses  prédications,  ses  voyages  A  travers 
la  France  ;  ses  libelles.  —  Il  est  traduit  devant  le  Parlement,  condamné 
à  mort  et  pendu  (22  nov.).  —  Les  chefs  de  la  Ligue  se  préparent  à 
l'action.  —  Assemblée  de  Pabbaye  d'Orcamp  (fin  sept.).  —  Saisie  des 
places  frontières  par  les  ligueurs.  —  Entente  avec  Philippe  II.  —  Ten- 
tative sur  Boulogne.  —  Nicolas  Poulain  prévient  le  roi.  —  RKCOfisTrruTiON 
DE  LA  LiGDE  A  Paris.  —  Lcs  orgauisateurs  du  mouvement  catholique.  — 
Rôle  prépondérant  du  clergé.  —  Inaction  du  roi.  —  Projets  d'assassinat. 

—  Mayenne  à  Paris.  —  Impopularité  d*Hector  de  Pereuse,  prévôt  des 
marchands.  —  Mayenne  et  les  ligueurs  le  forcent  de  rendre  la  liberté 
au  sieur  de  la  Morlière,  arrêté  par  ordre  du  roi.  —  Faiblesse  de  Henri  III. 

—  Audace  croissante  des  ligueurs.  —  Projets  de  barricades.  —  Poulain 
dénonce  au  chancelier  les  plans  des  conjurés.  —  Mesures  prises  pour 
protéger  le  roi.  —  Mayenne  sollicite  un  sauf-conduit.  —  Henri  III  l'hu- 
milie et  le  laisse  partir.  -^  Complot  de  la  foire  Saint-Germain.  —  Il 
est  déjoué  par  Poulain.  —  Le  duc  d^Épemon  menacé.  —  Les  capitaines 
ligueurs  payés  et  congédiés  par  leur  parti.  —  Le  duc  de  Guise  fait  répri- 
mander les  Parisiens  par  M.  de  Maineville.  —  Tactique  plus  prudente  de 
la  Ligue.  —  Relations  organisées  avec  la  province.  —  Les  trois  mé- 
moires du  comité  parisien;  exposé  de  ses  projets  et  de  son  programme. 

—  Formule  du  serment  de  la  Ligue.  —  Impuissance  du  roi.  —  Il  cherche 
&  se  procurer  de  l'argent.  —  Assemblée  du  10  janvier  1587,  au  Louvre. 


888  TABLE  DES  MATIÈRES 

—  Le  roi  demande  à  la  Ville  un  subside  de  600,000  écus  pour  les  frais  de 
la  guerre.  —  Assemblée  du  Bureau  (28  janvier).  —  Remontrances  muni- 
cipales. —  Fermentation  populaire.  —  Paris  apprend  la  mort  de  Marie 
Stuart.  —  Henri  III  accusé  de  l'avoir  provoquée.  —  Le  roi  prend  le 
deuil.  —  Service  solennel  du  13  mars  à  Notre-Dame.  —  Panique  du 
15  mars.  —  Démonstrations  religieuses  du  roi.  —  Messe  des  capitaines 
(5  avril).  —  Le  roi  ordonne  au  duc  de  Guise  de  lever  le  blocus  de  Sedan. 

—  Règlement  du  14  avril  sur  l'organisation  de  la  milice  municipale  de 
Paris.  —  Retour  du  duc  d'Épernon  à  Paris.  —  Le  duc  de  Joyeuse  perd 
son  crédit.  —  Déclamations  et  propagande  des  prédicateurs  contre 
Henri  III.  —  Vordonnance  de  cire  contre  les  libelles.  —  Froideur  du  Par- 
lement et  du  corps  municipal.  —  Le  roi  saisit  les  rentes  de  la  Ville.  — 
Remontrances  municipales  (29  avril).  —  Attitude  dédaigneuse  du  roi.  — 
Assemblée  générale  du  13  mai.  —  Le  Parlement  menace  de  cesser  ses 
fonctions  (30  mai).  —  La  ville  offre  200,000  livres  pour  éviter  la  saisie  des 
rentes.  Opérations  militaires  en  province.  —  Joyeuse  abandonne  ses 
troupe^  et  revient  à  Paris  (15  août;.  —  Succès  du  roi  de  Navarre.  — 
Conférence  de  Meaux  avec  le  duc  de  Guise  (3  juillet).  ^  Plan  du  roi.  — 
Arrestation  de  Roland,  général  des  monnaies,  pour  outrage  public  au 
roi  à  rassemblée  de  l'Hôtel  de  Ville  (3  juin).  —  Il  est  relâché  et  la  Ligue 
fait  arrêter  le  royaliste  du  Belloy.  —  Hostilité  croissante  du  Parlement. 

—  Le  tableau  de  madame  Montpensier  au  cimetière  Saint-Séverin.  —  Le 
roi  le  fait  enlever  de  nuit  (9  juillet).  ^  La  procession  des  pénitents  blancs 
à  Saint-Germain  des  Prés.  —  Émeute  aux  Halles  par  suite  de  la  cherté  du 
pain  (21  juillet).  — Joyeuse  retourne  à  l'armée.  —  Il  est  vaincu  et  tué  à 
Goutras  (20  octobre  1587).  —  Son  corps  est  envoyé  à  Paris  :  élégies  des 
poètes  de  cour.  —  Opérations  des  ligueurs  sur  la  frontière  de  Test.  — 
L'invasion  des  protestants  d'Allemagne.  —  Habile  tactique  du  duc  de 
Guise.  ~-  Henri  III  insulté  par  les  prédicateurs  parisiens.  —  Affaire  de 
Saint-Séverin  (2  sept.).  —  La  maison  du  notaire  Hatte.  —  Le  roi  capitule 
devant  ses  défenseurs.  —  Il  se  décide  à  quitter  Paris.  —  Prières  publi- 
ques à  la  Sainte-Chapeile.  —  Le  roi  prend  congé  au  Louvre  du  prévôt 
des  marchands  (11  sept.).  —  Règlement  du  12  «  pour  la  conservation  de 
la  Ville  et  repos  des  bourgeois  d'icelle  ».  —  Complots  des  ligueurs  pour 
s'emparer  de  la  Ville  en  l'absence  du  roi.  —  Poulain  et  Villequier.  — 
Bataille  de  Vimori  (28  oct.).  —  Les  conseil  de  Louchart  au  duc  de  Guise. 

—  Henri  111  achète  la  soumission  des  Suisses  protestants.  —  Victoire  du 
-  duc  de  Guise  à  Anneau  (24  nov.).  —  D'Epernon  détache  les  Suisses  de 

Tarmée  allemande  (8  nov.).  —  Sentiments  des  Parisiens  sur  l'issue  de 
la  guerre.  —  Te  Deum  du  28  nov.  à  Notre-Dame.  —  Convention  pour  la 
retraite  des  Allemands.  —  Version  officielle  des  Registres  de  la  Ville  sur 
les  triomphes  de  S.  M.  —  Rentrée  du  roi  à  Paris  (24  déc).  —  Te  Deum 
du  même  jour.  —  Le  corps  de  Ville  va  recevoir  Henri  111  à  Bourg-la- 
Reine.  —  Discours  du  prévôt  des  marchands.  —  Louanges  ironiques. 

—  La  Sorbonne  autorise  le  peuple  à  détrôner  le  roi  (6  déc).  »  Le  Par- 
lement et  la  Faculté  de  théologie  mandés  au  Louvre  (30  déc.  1587).  — 

—  Menaces  du  roi.  —  Boucher,  curé  de  Saint-Benoit,  pris  A  partie.  — 
On  lui  interdit  la  chaire.  —  Le  duc  de  Guise  félicité  par  le  pape  et  le 
duc  de  Parme.  —  Le  duc  d'Épernon  comblé  d'honneurs  par  le  roi.  — 
Conférences  de  Nancy  tenues  par  les  chefs  ligueurs  (janv.-fév.  1588).  ~ 
Les  articles  de  Nancy  adressés  au  roi.  ~  Faiblesse  de  Henri  III.  —  Fas- 
tueuses funérailles  du  duc  de  Joyeuse.  —  Cérémonial  (8  et  9  mars).  — 
Impopularité  du  duc  d'Épernon.  —  Pierre  d'Espinac,  archevêque  de 
Lyon,  insulté  par  lui,  passe  à  la  Ligue.  —  Guerre  de  plume.  —  Paris 
apprend  la  mort  du  prince  de  Condé  (9  mar.^].  «  Allégresse  des  ligueurs. 


TABLE  DBS  MATIÈRES  589 

—  Sommations  adressées  par  Philippe  II  au  duc  de  Guise.  —  Il  se  décide 
à  agir.  —  Organisation  db  la  Ligue.  —  Les  conjurés  de  la  première 
heure.  —  Direction  du  parti.  —  Le  conseil  des  Dix  et  le  conseil  des 
Six.  —  Propagande  à  Paris  et  en  province.  —  Les  seize  quartiers  par- 
tagés en  cinq  circonscriptions  militaires  par  le  duc  de  Guise.  —  Revue 
secrète  des  forces  de  la  Ligue.  —  Derniers  préparatifs ...    224 


CHAPITRE  IV 


Depuis  les  Arlicles  de  Nancy  jusqu'à  la  fuite  du  Roi. 
(FéTrier  1&88  —  13  mai  1588.) 

Projets  d^attentats  contre  le  roi.  —  Rôle  de  Nicolas  Poulain.  —  Il  déjoue  le 
complot  d*avril  1588.  —  Le  duc  de  Guise  quitte  les  environs  de  Paris  et 
retourne  à  Soissons.  Angoisses  des  ligueurs.  —  Irrésolution  de  Henri  III. 

—  Complot  de  Madame  de  Montpensier  pour  enlever  le  roi.  —  Poulain 
prévient  ce  nouvel  attentat.  —  Députation  des  ligueurs  parisiens  auprès 
du  duc  de  Guise  pour  le  prier  d'agir.  —  L'avocat  firigard.  —  Henri  III 
envoie  Pompone  de  Belliëvre  au  duc  pour  lui  défendre  de  venir  à  Paris. 

—  Réponse  évasive  du  duc.  —  Seconde  mission  de  Belliëvre.  —  Rôle 
équivoque  de  la  reine  mère.  —  Le  duc  de  Guise  se  met  en  route;  son 
arrivée  à  Paris  (9  mai).  ^  Il  se  rend  à  l'hôtel  de  Catherine.  —  Conseil 
secret  dans  le  cabinet  du  roi.  —  Catherine  mène  le  duc  chez  le  roi.  — 
Enthousiasme  des  Parisiens.  —  Aspect  menaçant  du  Louvre.  —  L'en- 
trevue; Guise  échappe  &  la  mort.  —  Dernier  rapport  de  Nicolas  Poulain 
au  roi.  —  Henri  lU  songe  à  faire  poignarder  le  duc  de  Guise,  le  10  mai. 

—  Deux  entrevues  du  roi  et  du  duc  (10  et  11  mai).  Les  soldais  ligueurs 
entrent  isolément  dans  Paris.  —  Rôle  db  la  MumciPALrrÉ  parisienne.  — 
Mandements  du  Bureau  en  date  du  9  mai.  —  Dispositions  des  membres 
du  corps  de  Ville.  —  Le  prévôt  des  marchands  Ueclor  de  Pereuse;  les 
échevins  Le  Comte,  Lugoly,  Saint- Yon.  —  Esprit  de  la  milice  et  de  ses 
officiers.  —  Indiscipline  des  archers  de  la  Ville.  —  Le  prévôt  des  mar- 
chands et  un  échevin  menacés  de  mort.  —  Ordres  du  Bureau  pour  les 
perquisitions  et  la  garde  aux  portes  (10  et  11  mai).  —  Conférence  A 
i'Uôtel  de  Ville  avec  M.  d'O;  résistance  de  l'échevin  Saint- Yon;  vio- 
lente attitude  de  M.  d'O.  —  Aspect  menaçant  de  Paris  le  11  au  soir.  -* 
Augustin  de  Thou  chargé  d'occuper  le  cimetière  des  Innocents.  — 
Conseil  chez  le  quartinicr  Canaye  entre  d'O  et  les  échevins  Le  Comte  et 
Lugoly.  —  Ils  vont  ouvrir  à  quatre  heures  du  matin  la  porte  Saint- 
Honoré  aux  Suisses  et  au  régiment  des  Gardes.  —  Positions  occupées 
par  les  troupes  royalistes.  —  Matinée  du  12.  —  Le  quartier  de  l'Univer- 
sité ameuté  à  quatre  heures  du  matin  par  Crucé.  —  Occupation  de  la 
place  Maubert  par  les  écoliers.  —  Premières  barricades,  place  Maubert. 

—  L'Hôtel  de  Ville,  quartier  général  des  royalistes.  —  Rôle  du  prévôt 
des  marchands,  Hector  de  Pereuse.  —  Émotion  du  peuple;  fermeture 
des  boutiques.  —  Consternation  du  Parlement.  —  Hésitations  du  duc 
de  Guise.  —  L'archevêque  de  Lyon  d'Espinac  intimidé  par  le  roi.  — 
Préparatifs  à  la  Bastille,  à  l'Arsenal,  à  l'Hôtel  de  Ville  pour  écraser  le 
peuple.  —  Provocations  de  Grillon  aux  bourgeois.  —  Injures  adressées 
aux  femmes.  —  Altercation  au  cimetière  des  Innocents.  —  Forfanterie 
de  M.  d*0.  —  Un  valet  du  bourreau  &  THôtel  de  Ville.  ~  La  place  de 
Grève  bloquée  par  les  barricades.  —  Tentatives  de  la  reine  mère  pour 


890  TABLE  DKS  MATIÈRES 

négocier  avec  Guise.  —  Les  agents  du  doc  de  Guise  dirigent  la  cons- 
tructioD  des  barricades.  -^  Situation  périlloase  des  forces  royalistes. 

—  Les  premiers  eoupa  de  feu.  —  Effroi  des  Suisses  du  Marché-Neuf;  ils 
évacuent  le  pont  Saint*ACiehel.  ~  Les  trois  barricades  de  TUniversité.  — 
Impuissance  de  la  municîpaKté  et  des  gentilshommes  délégués  par  le 
roi  pour  apaiser  les  quartiers.  —  Le  prévôt  des  marchands  aecusé  par 
les  deux  partis.  —  Il  se  cache,  ainsi  que  les  échevins  Le  Comte  et  Lugoly. 

—  Effervescence  croissante  du  peuple.  —  Mot  d'ordre  menaçant  aux 
barricades  de  la  Cité.  —  Les  capitaines  du  quartier  de  fUaiversité 
envoient  une  députation  à  T Hôtel  de  Ville  pour  exiger  le  rsppd  des 
troupes  étrangères.  —  Coup  de  feu  tiré  par  les  Suisses  contre  la  bar- 
ricade du  carrefour  Saint-Sé vérin.  —  Décharge  générale  des  ligueurs. 
Fuite  des  Suisses  vers  le  petit  Châtelet.  —  Débandade  et  désespoir  des 
Suisses.  —  On  leur  fait  grftce.  —  Échauffourée  du  pont  Notre-Dame.  — 
Les  Suisses,  fusillés  de  nouveau  et  refoulés  sur  le  Marché-Neuf.  — 
Brissac  apaise  les  ligueurs.  —  Situation  critique  des  détachements  roya- 
listes du  cimetière  des  Innocents  et  de  la  place  de  Grève.  —  Le  rot  fait 
prier  le  duc  de  Guise  par  Biron  de  les  délivrer.  ~  Promenade  triom- 
phale du  duc  de  Guise  dans  Paris.  —  Il  apaise  le  peuple.  ~  Fière  atti- 
tude du  comte  de  Stafford,  ambassadeur  d'Angleterre.  —  La  nuit  di 
12  AU  13  MAI.  —  Paris  reste  sur  le  pied  de  guerre.  —  Péril  du  roi  au 
Louvre.  —  Jouejiéb  du  12.  —  Guise  appelle  des  forces  du  dehors.  —  Vaine 
tentative  du  roi  pour  se  saisir  de  plusieurs  portes  de  Paris.  —  Brissac 
au  cloître  Sain  t- Sève  ri  n.  ^  Six  heures  du  matin  :  le  roi  mande  au 
Louvre  les  offlciers  municipaux.  —  L'échevin  Saint-Yon  et  ses  conseils. 

—  Huit  heures  :  arrivée  de  la  reine  mère  au  Louvre.  —  Le  Parlement 
demande  le  renvoi  des  troupes  étrangères.  —  Instances  du  prévôt  des 
marchands.  —  Le  roi  fait  partir  les  Suisses  par  la  porte  Saint-Honoré. 

—  Henri  III  bloqué  dans  le  Louvre.  —  Les  deux  reines  traversent  les 
barricades.  —  Guise  laisse  prévenir  le  roi  des  projets  des  ligueurs.  — 
Catherine  de  Médicis  va  trouver  le  duc  de  Guise,  qui  refuse  d'intervenir. 

—  Elle  envoie  Pinart  au  Louvre.  —  Fuite  de  Henri  III.  —  Son  étrange 
escorte.  —  Pinart  envoyé  par  le  roi  à  Thôtel  de  Guise.  —  Impressions 
probables  du  duc  de  Guise.  -^  Heitri  III  a  Cbartrks  (U  mai).  —  Les 
Suisses  sur  le  point  de  déserter.  —  Guisb,  MAtrns  db  Paris.  —  Désorgani- 
sation du  corps  de  Ville.  —  Caiactèrb  db  la  RtvoLunoif  parisibnite.  — 
Opinion  du  dlic  de  Parme  et  du  pape  Sixte  V  sur  la  conduite  du  duc  de 
Guise  et  sur  celle  de  Henri  III 305 


CHAPITRE  V 

GUISE    ET    PARIS   APRÈS    LES    BARRICADES 

(Depuis  le  13  mai  jusqu'au  1"  septembre  1588.) 

Le  duc  de  Guise  après  la  victoire.  —  Son  attitude  à  Tégard  de  la  reine 
mère  et  du  Parlement;  réponse  du  premier  président  Achille  de  Harlay. 
—  Le  Parlement  envoie  une  députation  au  roi.  —  Guise  fait  occuper  la 
Bastille.  —  Lâcheté  du  chevalier  du  guet,  Laurent  Têtu.  —  La  Ligue  se 
saisit  du  château  de  Vincennes.  —  Guise  fait  sceller  les  coffres  contenant 
la  caisse  municipale  et  promet  d'assurer  le  payement  de  deux  quartiers 
de  rente.  —  Le  prévôt  des  marchands,  Hector  de  Pereuse,  est  conduit  A 
la  Bastille  (15  mai  1588).  —  Catherine  proteste;  réponse  du  duc  de 
Guise.  —  Convocation  d'une  grande  âssbvbléb  a  l'Hôtbl  de  Villb,  lb 
18  MAI.  —  Sa  composition  irrégulière.  —  Rôle  du  duc  de  Guise.  —  Vote 


TABLE  DES  MATIÈRES  591 

à  haute  voix;  violation  des  règles  traditionnelles  pour  les  élections 
municipales.  —  M.  de  Marchaumont  est  nommé  prévôt  des  marchands. 

—  Nicolas  Rolland,  Jehan  de  Compaos,  François  Costeblanche  et  Robert 
Desprès  sont  élus  échevins;  François  Brigard,  procureur  du  roi  près 
THÔtel  de  Ville.  —  Marchaumont  refuse  d'accepter  les  fonctions  de 
prévôt  des  marchands.  —  Assbmblée  nouvelle  le  20  mai.  —  Le  duc  de 
Guise  y  assiste.  —  Déclaration  au  nom  du  cardinal  de  Bourbon.  —  La 
Chapelle- Marteau,  kommé  Prévôt  des  marchands  par  acclamation.  —  Scru- 
pules des  échevins.  —  Guise  reçoit  les  serments  des  nouveaux  élus  et 
remet  les  sceaux  de  la  Ville  à  La  Chapelle-Marteau.  —  Destitution  des 
colonels  et  capitaines  de  la  milice  nommés  en  1585  par  le  roi.  —  La 
Sorbonne  et  TUniveraité  épurées  par  la  Ligue.  —  Correspondance  entre 
le  duc  de  Guise  et  le  roi.  —  Lettres  du  duc  à  ses  amis.  —  Lettre  adressée 
par  la  municipalité  parisienne  au  roi  le  22  mai.  —  Autre  lettre  du  23. 

—  Lettre  de  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris  aux  villes  catholiques.  —  Circu- 
laire du  28  mai.  —  Lettre  du  30  mai  aux  municipalités  de  Reims,  Châ- 
lons,  Montdidier,  Amiens.  —  Prétention  de  la  Ville  de  Paris  de  diriger 
toute  la  France.  —  Devise  de  la  Ligue  parisienne.  —  Attitude  de 
Henri  HL  —  Sa  circulaire  du  17  mai  aux  gouverneurs  des  provinces.  — 
Le  29  mai,  le  roi  répond  à  la  requête  des  princes  ligués  et  de  la  muni- 
cipalité parisienne.  —  Annonce  de  la  convocation  des  États  généraux 
pour  le  15  août  suivant.  —  Demi-engagement  d'abandonner  d'Épernon 
et  la  Valette.  —  Fier  langage  de  d*Épernon  :  sa  Bemontrance  au  rai.  — 
VexceUent  et  libre  discours  sur  Vétat  présent  de  ta  France,  par  Michel 
Huranlt  dn  Fay.  —  Guerre  de  plume  contre  les  princes  lorrains.  — 
Toute-puissance  du  duc  de  Guise  à  Paris.  —  La  procession  de  frère 
Auge  se  rend  de  Paris  à  Chartres.  —  Rôle  du  président  de  Nenilly.  — 
Députation  du  Parlement  envoyée  à  Chartres  par  Guise  et  Catherine 
(16  mai).  —  Discours  des  délégués,  réponse  du  roi.  —  Menaces  aux  Pari- 
siens. —  Ordonnance  de  convocation  des  États  généraux  à  Blois  pour 
le  15  septembre  (31  mai).  —  Autres  députations  reçues  par  Henri  III  ;  sa 
sortie  contre  le  président  de  Neuilly.  —  Disgrâce  de  d*Êpernon;  envoi 
de  commissaires  royaux  dans  les  provinces.  -^  Révocation  de  trente- 
sept  édits  bursaux  (27  mai).  —  Activité  de  la  Lioue.  —  Son  rayonne- 
ment dans  les  provinces.  —  Guise  laisse  à  Paris  le  cardinal  de  Bourbon 
et  se  rend  à  Meaux  et  à  Chftteau-Thierry.  —  Melun  résiste  aux  ligueurs. 

—  Évacuation  de  Gorbeil.  —  Le  cardinal  de  Guise  se  rend  maître  de 
Troyes  (11  juin).  —  Organisation  de  la  Ligue  dans  la  capitale  par  les 
princes  et  la  municipalité  parisienne.  —  Mandement  du  Bureau  de  la 
Ville  en  date  dn  1«' juin  pour  visiter  tout  ce  qui  sort  de  Paris.  —  Actes 
de  violence,  désordres  à  Paris.  —  L'ancien  prévôt  des  marchands,  Hector 
de  Pereuse,  mis  en  liberté  par  le  duc  de  Guise,  est  ramené  par  le  peuple 
à  la  Bastille  (4  juin).  —  Les  étrangers  menacés  par  la  soldatesque  de  la 
Ligue.  —  Les  filles  de  Jacques  Foucaud  brûlées  en  place  de  Grève  pour 
hérésie  (28  juin].  —  Le  sieur  Guitel  brûlé  pour  mêmes  causes  et  dans  les 
mêmes  formes  (16  juillet).  —  Recrudescence  des  passions  religieuses.  — 
Désordres  dans  la  banlieue.  —  Mandement  de  THÔtel  de  Ville  on  date 
du  27  juin.  —  Mandement  du  Bureau  en  date  du  20  juin.  —  Réorgani- 
sation DE  LA  MiucB  PARISIENNE.  —  Remplacement  des  anciens  officiers  par 
des  ligueurs  avérés.  —  Opérations  électorales;  candidatures  officielles; 
la  commission  d'épuration  à  THÔtel  de  Ville.  —  Assemblée  de  Ville  du 
25  juin.  —  Exclusion  des  gens  de  robe;  leur  remplacement  par  «  les 
petits  mercadans  ».  —  Résistance  des  bourgeois  sur  plusieurs  points.  — 
L'incident  de  la  porte  Saint-Germain  (5  juillet).  -—  Intervention  du  duc 
de  Guise.  —  Ordonnance  municipale  du  28  juillet  sur  les  nouveaux 


£92  TABLB  DES  MATIÈRES 

officiers.  —  ËlecttoDs  de  nouveaux  quarli niera.  -^  Ck>niëdie  jouée  par 
la  nouvelle  municipalité  ligueuse  le  15  juillet  1588.  —  Catherine  con- 
firme Tèlection  et  reçoit  le  serment  des  ligueurs  de  THôtel  de  Ville.  — 
Ils  envoient  une  députation  au  roi  (28  juillet).  —  Catherine  insiste  pour 
que  le  roi  revienne  à  Paris.  —  Kefus  catégorique  de  Henri  III.  — Rila- 

nOIlS  DE  LA  MUNICIPALITé  PARISIBNNB  AVEC  LBS  VILLBS  Ji%  PROVIRGC  —  Lc  COU- 

seil  d'État  du  duc  de  Guise.  — Lettre  du  9  juin  au  maire  d'Orléans.  — 
Lettre  au  maire  de  Dijon.  —  Définition  de  TUnion.  —  Lettres  à  Man- 
delot,  gouverneur  de  Lyon,  et  au  maire  de  cette  Tille  (23  juin).  —  Lettres 
du  10  et  du  24  juin  au  maire  de  Bourges.  -*  Lettre  du  10  juin  au  maire 
royaliste  de  Melun.  —  Lettre  du  15  juin  au  maire  de  Corbeil.  —  Corres- 
pondance entre  la  municipalité  de  Parie  et  celle  d'Angoulème,  à  propos 
du  duc  d'Épernon.  —  Lâcheté  du  roi.  —  Conspiration  pour  perdre  le 
•duc.  —  Énergie  et  activité  de  d'Épernon.  —  Il  triomphe  de  Pémeute  et 
adresse  une  plainte  au  roi.  —  Réponse  misérable  de  Henri  III.  —  Lettre 
du  18  juin.  —  Envoi  de  M.  de  Saint-Luc  à  Angouléme.  '-  Coerbspon- 
DANCE  DE  l'Hôtel  de  Vh^lb  de  Paris  avec  les  princes  ligués.  —  Lettres 
du  17  juin  au  duc  de  Nevers.  des  14  et  24  juin  &  M.  de  Villars.  gouver- 
neur du  Havre.  —  Lettre  du  10  juin  au  duc  de  Mayenne.  —  Lettre  au 
«ardinal  de  Guise  pour  le  féliciter  d'avoir  pris  Troyes.  —  Faiblesse  du 
noi.  —  Ses  agents  négocient  avec  Guise.  —  La  Requête  des  princes  catho- 
liques (15  juin).  —  L'Hôtel  de  Ville  s'y  associe.  —  Articles  supplémen- 
taires présentés  par  la  Ville  de  Paris  (5  juillet).  —  Réponse  du  lOi  (5  juillet). 
—  Sa  capitulation  devant  la  Ligne.  ~  L*Édit  d'Union  (29  juillet).  — 
Amnistie  générale  donnée  aux  ligueurs.  —  Les  articles  secrets.  —  Con- 
ventions relatives  à  la  Ville  de  Paris.  —  Confirmation  des  pouvoirs  de 
la  municipalité  ligueuse  et  des  officiers.  —  La  Bastille  rendue  au  roi.  — 
Abattement  de  Henri  III.  —  Les  Te  Deum  du  21  juillet  à  Paris  et  à 
Rouen.  —  Froideur  du  peuple  parisien.  —  Témoignages  contradictoires 
des  historiens.  —  La  municipalité  parisienne,  puis  les  princes  se  ren- 
dent à  Chartres  pour  chercher  Henri  lU  (30  juillet  1588).  —  Le  roi 
maintient  son  refus.  —  Lettres  patentes  du  4  août  conférant  au  duc  de 
Guise  le  commandement  général  des  armées.  —  Faveurs  accordées  aux 
autres  chefs  de  la  Ligue.  —  Philippe  II  blâme  l'Édit  d'Union  et  avertit 
<juise  d'être  sur  ses  gardes.  —  Le  désastre  de  VArmada  (août- 
septembre  1588).  Il  rapproche  l'Espagne  et  les  Guises.  —  Audace  crois- 
sante des  ligueurs  parisiens.  ~  Journée  du  30  août.  —  Envahissement 
du  Parlement.  —  La  requête  des  catholiques  unis  contre  le  comte  de 
Soissons.  —  Faiblesse  du  Parlement.  —  La  municipalité  parisienne 
refuse  de  rendre  la  Bastille  au  roi.  —  Henri  III  saisit  les  deniers  des- 
tinés au  payement  des  rentes  sur  la  Ville.  —  Lettres  du  5  août.  —  Lettre 
•du  6  août  pour  hâter  le  recouvrement  des  taxes  et  cotisations  levées 
sur  les  Parisiens.  —  Insistance  de  l'Hôtel  de  Ville  pour  obtenir  du  roi 
qu'il  revienne  à  Paris.  —  Lettre  à  la  reine  mère.  —  Lettre  au  roi 
(12  août).  —  Jean-Baptiste  de  Champion  envoyé  à  la  cour  comme  agent 
secret  de  la  Ville.  —  Brevet  du  17  août  pour  débarrasser  la  banlieue  de 
Paris  des  gens  de  guerre.  —  Lettres  royales  du  17  août  confirmant  les 
pouvoirs  de  M.  de  Villequier,  gouverneur  de  Paris.  —  La  Ville  n'en  tient 
aucun  compte.  —  Mesures  de  police  prises  par  le  Bureau  de  la  Ville.  — 
Mandement  du  9  septembre.  —  Amendes  infligées  aux  miliciens  en 
faute.  —  Démission  du  concierge  de  la  Ville  Nicolas  Quetin.  —  Propa- 
gande des  ligueurs  parisiens.  ^  Lettres  adressées  par  eux  â  plusieurs 
villes  et  gouverneurs.  —  Émissaires  envoyés  au  maréchal  de  Montmo- 
rency et  en  Suisse.  —  Lettre  du  duc  de  Nevers  au  roi  contre  le  duc  de 
•Guise.  —  Hésitations  de  Henri  III.  —  Intervention  de  Catherine.  -~  Le 


TABLE  DES.  MATIÈRES  593 

roi  quitte  Chartres  et  arrive  à  Blois,  où  il  a  convoqué  les  États  généraux 
(iw  septembre  1 588) S59 

CHAPITRE  VI 

PARia    A    BLOIS 

LES  ÉTATS   GÉNÂRAUX 
(Depuis  le  1"  sep.  1588  jusqu'au  15  janvier  1589  ) 

Assemblées  du  13  août  1588  pour  nommer  les  députés  de  la  prévôté  de 
Paris  aux  États  généraux  de  Blois.  —  Formes  des  élbctiors.  —  Conflits 
entre  le  prévôt  de  Paris  et  le  prévôt  des  marchands.  —  Composition  du 
corps  électoral  parisien.  —  Mode  de  dépôt  des  doléances.  —  Rédaction 
dû  cahier  général.  —  Opérations  électorales  du  3  septembre.  —  Assem- 
blée générale  du  28  septembre  tenue  à  l'Hôtel  de  Ville  pour  la  lecture 
des  cahiers  de  doléances.  —  Requête  de  la  ville  de  Paris  contre  le  comte 
de  Soissons.  —  Nomenclature  des  députés  de  la  Ville,  prévôté  et  vicomte 
de  Paris,  pour  les  trois  ordres.  —  ARRivéE  des  députés  de  Paris  a  Blois 
(14  sept.).  Première  réunion  du  tiers  état.  —  Le  prévôt  des  marchands, 
La  Chapelle- Marteau,  la  préside.   -  Jean  de  Compans,  échevin  de  Paris, 
cède  son  rang  de  deuxième  député  de  la  Ville  de  Paris  au  président  de 
Neuilly,  ancien  prévôt  des  marchands.  —  Retards  suscités  par  la  cour 
pour  la  nomination  du  bureau  du  tiers.  —  Protestation  des  députés 
parisiens,  à  l'occasion  de  l'arrivée  du  comte  de  Soissons.  —  Réponse 
ironique  du  roi.  —  Henri  III  se  décide  &  autoriser  la  nomination  du 
Bureau.  —  Résolution  du  27  septembre  contre  un  édit  royal  créant  de 
nouveaux  impôts  et  de  nouveaux  bailliages.  —  Députation  du  30.  —  Sa 
réduction  forcée.  —  Colère  du  roi.  —  Constitution  du  bureau  du  tiers, 
le  3  octobre.  —  La  Cbapells-Martbau  élu  président.  —  Son  discours.  — 
Querelle  de  préséance  entre  l'échevin  Jean  Compans,  député  de  Paris, 
et  M.  de  Masparault,  délégué  spécial  de  la  Ville.  —  Vérification  des  pou- 
voirs. —  Critique  des  privilèges  de  la  Ville  de  Paris  par  Robert  Han- 
nivel,  député  de  Rouen.  —  Contestation   pour  la  préséance  entre  les 
députés  de  Bourgogne  et  ceux  de  l'Ile-de-France.  —  La  question  de  la 
gabelle.  —  La  Chapelle-Marteau  et  Compans  demandent  au  roi  d'auto- 
riser la  Ville  de  Paris  à  prendre  A  son  compte  la  ferme  du    sel.  — 
Lettre  des  députés  parisiens  lue  à  THôtel  de  Ville  de  Paris  le  13  octo- 
bre 1588.  —  Nicolas  Auroux,  député  de  Paris,  vient  prendre  Tavis  de  la 
municipalité.  —  Opposition  des  États  A  Tadjudication  de  la  gabelle.  — 
Irritation  du  roi.  invité  à  jurer  de  nouveau  l'Édit  d'Union.  —  Ouverture 
solbnnrllb  des  Etats  généraux  (16  octobre).  —  Henri  III  et  le  duc  de 
Gui?e.  —  Énergie  du  discours  royal.  —  Discours  prononcés  an  nom  des 
trois  ordres.  —  Harangue  de  La  Chapelle- Marteau,  au  nom  du  tiers 
état.  —   Humiliation  imposée  au    roi.  —  Il  jure  de   nouveau    TËdil 
d'Union  (18  octobre).  —  Sa  lettre  à  la  Ville  de  Paris  pour  ordonner  un 
Te  Deum.  —  xMission  de  Pierre  Senault.  —  Réponse  de  la  Ville  de  Paris 
au  roi  (23  octobre).  —  Rédaction  des  doléances  des  États  généraux.  — 
Ouverture  du  cahier  de  Paris.  —  Le  tiers  raye  l'article  de  ce  cahier 
contre  le  comte  de  Soissons.  —  Le  président  de  Neuilly  signale  au  roi 
les  lacunes  de  la  comptabilité  publique.  —  Requête  du  23  novembre  sur 
la  réduction  des  tailles.  —  La  reine  mère  mande  La  Chapelle-Marteau  et 
le  président  de  Neuilly.  —  Les  trois  ordres  se  rendent  au  château.  — 
Discours  de  Tarchevèque  de  Bourges.  —  Discours  de  La  Chapelle-Mar- 
teau. —  Le  roi  négocie  avec  La  Chapelle-Marteau  et  Neuilly  (26  nov.).  — 

ROBIQUBT.  d8 


894  Table  des  matières 

Concessions  apparentes.  —  Refus  de  diminuer  les  tailles.  —  Interven- 
tion du  duc  de  Guise.  —  Souper  du  28  novembre  chez  le  prévdt  des 
marchands.  —  Résistance  des  députés.  —  Prédiction  de  La  Chapelle* 
Marteau.  —  Détresse  du  roi.  —  Remontrances  du  2  décembre.  —  Cas- 
connade  de  Henri  III.  —  Sermon  violent  du  théologal  de  Senlis  :  ses 
conséquences.  —  Séance  du  5  décembre  :  dures  paroles  de  M.  de  Neuilly 
aux  trésoriers  de  France.  —  Audience  royale  du  9  ;  le  roi  promet  de 
prendre  pour  modèle  la  constitution  démocratique  de  Venise.  —  Atten- 
drissement de  Neuilly.  —  La  Chapelle-Marteau  propose  d'offrir  au  roi 
120,000  écusy  avancés  par  les  députés.  —  Le  tiers  vote  cette  proposition; 
elle  n'a  pas  de  suite.  —  Le  prévôt  des  marchands  réclame  Tépuration 
du  conseil  du  roi  et  la  constitution  d'une  chambre  de  justice.  —  Henri  III 
acculé  ;  son  état  pathologique.  —  La  duchesse  de  Montpensier  et  la 
duchesse  de  Guise  retournent  à  Paris.  —  Le  duc  de  Mayenne  prévient 
le  roi  de  se  défier  du  duc  de  Guise.  —  Avis  analogue  de  la  duchesse 
d'Aumale.  —  Intervention  du  maréchal  d'Âumont.  —  Entrevue  du 
22  décembre  entre  le  roi  et  le  duc  de  Guise.  —  Conseils  secrets  du  18  et 
du  19.  —  La  mort  du  duc  est  décidée.  —  Quiétude  des  États.  —  La 
journée  du  23  décembre.  —  Assassinat  dc  duc  de  Guisb.  —  La  séance  du 
tiers  état.  —  Envahissement  de  la  Chambre  du  tiers.  —  Arrestation  par 
le  grand  prévôt,  Richelieu,  des  députés  parisiens.  —  Consternation  du 
tiers.  —  Les  députés  parisiens  conduits  au  château.  —  Les  Quarante- 
cinq  et  la  cour.  —  Attitude  de  La  Chapelle- Marteau.  —  Pérégrinations 
des  prisonniers.  —  Menaces  de  mort.  —  L'échevin  Costeblanche  vient 
les  rejoindre.  —  Us  apprennent  le  meurtre  du  cardinal  de  Guise.  —  La 
Chapelle-Marteau,  séparé  de  ses  collègues.  ~  Émotions  des  députés  du 
tiers  restés  libres.  —  Défense  leur  est  faite  de  quitter  Blois.  —  Séance 
du  24  décembre.  —  Le  roi  ordonue  de  déposer  les  cahiers  avant  le 
8  janvier.  —  Vaines  tentatives  pour  obtenir  la  délivrance  des  députés 
parisiens.  —  Le  tiers  refuse  d'insérer  au  cahier  général  des  articles  sur 
le  crime  de  lèse-majesté  et  de  traiter  avec  le  Conseil  du  roi  «  sur  le  fait 
des  finances  ».  —  Il  réclame  de  nouveau  la  mise  en  liberté  des  captifs.  — 
Présentation  du  cahier  général  (8  janvier  1589).  —  Discours  des  trois 
ordres.  —  Pâle  harangue  de  Brissac.  —  Énergique  allocution  de  Bernard, 
au  nom  du  tiers.  —  Appel  à  la  clémence  du  roi.  —  Réponse  embarrassée 
de  Henri  III.  —  Lit  de  justice  du  15  janvier.  —  Clôture  des  États  géné- 
raux. —  Dernière  réunion  du  tiers  (IT  janvier).  —  Délégation  nommée 
pour  demander  la  liberté  des  prisonniers  et  requérir  la  taxe  des 
députés.  —  Réponse  évasive  du  roi.  —  Les  adieux.  —  Mort  de  Catherine 
(5  janvier).  —  Jugement  d'ensemble.  -^  L'armée  du  duc  de  Nevers  se 
dissouL  —  Le  roi  de  Blois  et  ses  otages.  —  Il  renvoie  â  Paris  les  éche- 
vins  Compans  et  Costeblanche 426 

CHAPITRE  VII 

PARIS    RÉOICIDE 

Depuis  l'assassinat  des  Guises  jusqu'à  l'assassinat  du  roi. 
(23  décembre  158S  —  2  août  1589.) 

Paris  apprend  l'assassinat  du  duc  de  Guise  (24  déc.  1588).  —  Organisation 
de  la  révolte.  —  Inertie  des  politiques.  —  La  municipalité  ligueuse 
adresse  une  circulaire  aux  villes  de  TUnion.  —  Lettre  au  duc  de  Lorraine 
(24  décembre,  minuit).  —  Journée  du  25  décembre.  —  Déclamations  des 
prédicateurs.  —  Séance  à  l'Hôtel  de  Ville.  —  Le  premier  président  de 
Harlay  et  le  président  Augnslin  de  Thou  en  péril  de  mort.  —  Discours  dc 


TAfiLË  DES  MATIÈRES  595 

réchevin  Jean  Rolland.  —  Le  duc  d'Aumale  est  nommé  gouverneur  de 
Paris.  —  Drouart,  Crucé,  de  Bordeaux,  désignes  par  une  assemblée 
générale,  le  5  janvier  1589,  pour  tenir  la  place  du  prévôt  des  marchands 
La  Chapelle-Marteau  et  des  échevins  Compans  et  Costeblanche,  prison- 
niers du  roi.  —  Fusion  de  l'Hôtel  de  Ville  et  des  anro rites  insurrection- 
nelles. —  La  tour  de  Babel.  —  Conseil  GinÉRAL  de  l'Union  des  catholi- 
ques. —  Il  envoie  au  duc  de  Mayenne  le  titre  de  lieutenant  général  de 
rÉtat  et  couronne  de  France.  —  Adjonction  de  quatre  ou  six  conseillers 
de  Ville,  chaque  semaine,  au  bureau  des  échevins.  —  Constitution  d'un 
comité  de  neuf  membres  dans  chacun  des  seize  quartiers.  —  Résumé 
de  Torganisation  de  la  Ligne  à  Paris.  —  La  guerre  aux  bourses.  —  Négo- 
ciations pour  la  délivrance  du  prévôt  des  marchands  et  des  deux  éche- 
vins prisonniers.  —  Henri  III  élargit  les  échevins  Compans  et  Coste- 
blanche. —  Édit  d'amnistie  rapporté  par  Le  Maislre.  —  Activité  de  la 
Ligue.  —  Le  clergâ  révolutionnaire;  les  prédicateurs  Pigenat,  Guin- 
cestre  ;  affaire  de  la  cure  de  Saint-Gervais.  —  Sermon  du  29  décembre; 
ses  effets.  —  Sermon  du  i^^  janvier  1589.  —  Le  serment  du  président  de 
Harlay.  —  Catherine  de  Médicis  jugée  par  Guincestre.  —  Henri  III 
accusé  de  sorcellerie.  —  Décret  de  la  Sorbonne  du  7  janvier  1589.  — 
Paris  envoie  une  députation  au  pape  pour  lui  porter  le  décret  de  la 
Sorbonne.  —  Envahissement  du  palais  par  Bussy  Le  Clerc  (16  janvier).  — 
Le  Parlement  conduit  à  la  Bastille.  —  Le  président  Brisson.  —  Recon- 
stitution du  Parlement  par  la  Ligue.  —  Arrêt  d'Union  du  19  janvier.  — 
Les  échevins  Compans  et  Costeblanche  autorisés  par  arrêt  du  20  janvier 
à  ne  point  retourner  à  Blois.  —  Serment  prêté,  le  30  janvier,  par  les  ma- 
gistrats et  les  avocats.  —  Catherine  de  Clèves,  duchesse  de  Guise,  vient 
demander  au  Parlement  d'inTormer  contre  les  assassins  de  Blois.  — 
Rupture  ouverte  avec  le  roi  (26  janvier).  —  Édit  du  duc  d'Aumale 
(19  janvier)  portant  réduction  d'un  quart  de  la  taille.  —  Arrêt  du  Parle- 
ment en  date  du  4  février  ordonnant  à  toutes  les  villes  de  jurer  le  ser- 
ment d'Union.  —  Correspondance  de  la  Ville  de  Paris  avec  les  autres 
municipalités.  —  Secours  envoyés  aux  Orléanais.  —  Expédition  du  che- 
valier d'Aumale.  —  Prise  d'Orléans  par  les  ligueurs.  —  Situation  maté- 
rielle et  morale  de  Paris.  —  Lettre  de  la  Ville  de  Paris  au  duc  de 
Mayenne  pour  l'appeler  dans  la  capitale.  —  Les  processions  d'enfants. 

—  Procession  des  capitaines  de  la  milice  (16  fév.  1589).  —  Galanteries 
mystiques.  —  Le  chevalier  d'Aumale.  —  Service  solennel  à  Notre- 
Dame  pour  les  Guises  (30  janvier).  —  Baptême  du  fils  posthme  du 
duc  de  Guise.  —  Entrée  de  Mayenne  a  Paris,  le  12  février  1589.  — 
Assemblée  générale  du  15.  —  Reconstitution  du  Conseil  général  de 
l'Union  par  Mayenne.  —  Ordonnance  du  17  février  portant  établisse- 
ment définitif  du  Conseil.  —  Les  supemumér aires.  —  Mayenne  se  rend 
à  Rouen  avec  un  délégué  de  Paris  (21  fév.).  —  Le  Conseil  général  de 
l'Union  le  nomme  lieutenant  général  de  l'État  royal  et  couronne  de 
France  (4  mars  1589).  —  Serment  de  Mayenne  devant  le  Parlement.  — 
Distractions  de  la  Sainte-Veuve,  —  Règlement  pour  diriger  les  villes  de 
ru b ion  (avril).  —  Convocation  des  États  généraux  pour  le  15  juillet.  — 
Rétablissement  du  Grand  Conseil.  —  Correspondance  entre  la  Ville  de 
Paris  et  les  grands  seigneurs  catholiques.  —  Lettre  au  duc  de  Nevers. 

—  Advertissement  rédigé  par  le  duc.  —  La  Chapelle-Marteau  et  les  otages 
du  château  d'Amboise.  —  Conduite  singulière  de  Loignac  et  de  Du 
Gaast.  —  Henri  III  rachète  à  Du  Guast  et  ramène  à  Blois  le  cardinal  de 
Bourbon,  le  prince  de  Joinville  et  le  duc  d'Elbœuf.  —  Le  prévôt  des 
marchands  et  les  autres  prisonniers  restent  à  Amboise.  —  Paris  vote 
20,0000  livres  pour  le  rachat  des  prisonniers  d'Amboise.  —  Leur  mise 


£96  TABLE  DES  MATIÈRES 

en  liberté.  —  Déclarations  du  roi  contre  Mayenne  et  les  villes  de  TUnion. 

—  Translation  à  Tours  du  Parlement  et  de  la  Chambre  des  comptes.  — 
Résumé  de  la  situation  en  province.  —  Félicitations  adressées  par  U 
Ville  de  Paris  aux  capitouls  de  Toulouse  après  lassassinat  du  prési- 
dent Duranti  (lettre  du  27  février  1589).  —  Autre  lettre  où  se  trouve 
exposée  Forgantsation  générale  du  parti.  —  Sigillum  regni  Francix.  — 
Manifeste  du  roi  de  Navarre  (14  mar»)  aux  trois  États  du  royaume.  — 
Alliance  de  Henri  III  avec  le  Béarnais  (3  avril).  —  Effet  qu'elle  produit  à 
Paris.  —  Appel  au  fanatisme  des  prédicateurs.  — Détails  sur  les  plus 
marquants  :  Guillaume  Rose,  Guincestre,  Mathieu  de  LAunay,  Jean  Boa- 
cher,  Feu-Ardent.  —  Mayenne  sollicite  Tappui  du  pape  Sixte  V  (7  avril). 

—  Il  marche  sur  Tours.  —  Entrevue  de  Plessis-Ies-Tours  entre  Henri  III 
et  Henri  de  Navarre  (30  avril).  —  Fureur  des  Parisiens.  —  Excès  du 
chevalier  d*Aumale  et  exploits  des  contingents  parisiens.  —  La  fête  des 
Barricades  (12  mai).  —  Le  siège  du  château  de  Vtncennes.  —  Expédi- 
tion des  Parisiens  contre  Senlis.  —  Bataille  du  17  mai.  ->  Défaite  et 
retraite  précipitée  des  Parisiens.  —  M.  de  Givry  canon  ne  la  Villette.  — 
Panique  dans  Paris.  —  Manifeste  de  THÔtel  de  Ville.  —  Messager  envoyé 
à  Mayenne.  —  Dépêches  saisies  par  le  roi  de  Navarre.  -    Gasconnade. 

—  Les  deux  rois  sur  la  Loire  ;  les  contingents  suisses  de  Sancy.  — 
Paris  se  met  en  défense.  —  Mayenne  arrive  à  Saint-Denis  (30  mai). 
Pointe  dans  la  Brie;  prise  de  Monlereau  par  Mayenne.  —  Approvision- 
nements de  la  capitale.  —  Blocus  de  Paris.  —  Les  suspects.  —  Les 
moines  iconoclastes.  —  Mayenne  rentre  à  Paris.  —  Prise  de  Pontoise 
par  les  deux  rois  (26  juillet).  —  Découragement  de  la  Ville  de  Paris.  — 
Lettre  à  ceux  d'Amiens  (10  juillet).  —  Trois  cents  notables  emprisonnés. 

—  Prise  du  pont  de  Saint-Cloud  (30  juillet).  —  Confiance  et  prouesses 
des  huguenots.  —  Théories  régicides  des  prédicateurs  parisiens.  —  Jac- 
ques Clément.  —  Conférences  avec  La  Chapelle-Marteau  et  Mayenne.  — 
Arrestation  du  moine.  —  Le  procureur  général  La  Guesle  lui  donne 
l'hospitalité  et  le  conduit  au  roi.  —  Scène  du  meurtre  (31  juillet  1589). 

—  Précautions  du  roi  de  Navarre.  —  Arrestations  des  politiques.  — 
Derniers  moments  du  roi.  —  Le  pape  approuve  le  meurtre.  —  Circu- 
laire du  conseil  de  l'Union.  —  Apologie  de  Jacques  Clément  par  Guin- 
cestre.  —  Délire  des  Parisiens.  —  Lettre  de  la  Ville  au  pape  (7  août).  — 
Édit  du  5  août.  —  Causes  et  nature  de  la  révolution  ligueuse.  —  Juob- 

MBNT  D'eNSEXBLB 481 


FIN  DE  LA  TABLE  DES   MATIEBES. 


r 


ERRATA 


Page    20,  ligae  25.  Au  lien  de  :  meilleures,  lire  :  mielleuses. 

—  60,    —    12.         —  nommez       —     sommez. 

—  87,-13.         —  excuser       —     excusez, 

—  210,  note,  ligne  16.  Aa  lieu  de  :  Monseigneur,  lire  :  Monseigneur. 

—  213,  ligne  17.  Au  lieu  de  :  ne  peust,  lire  :  en  peust, 

—  296,     —       3.  —  4788        —  4588. 

—  375,  note,     ligne  28.  Au  lieu  de  :  Donnez,  lire  :  Donnet\ 

—  422,    —    1,-26.  —        :  tojours,  lire  :  toujours. 

—  537,    —    1.  Au  lieu  de  :  page  513,  lire  :  485. 

—  541,  ligne  20.       —         :  de  Barricades,  lire  :  des  Barricades. 


Coolommiers.  —  Imp.  P.  BRODARD  et  GALLOIS. 


À 


I 


GOULOMMIERS.  —  TYP.  P.  BRODARD  ET  tiALLOIS.