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Paris galant au Dix-HuirièME siècle
Vie privée du
prince de Conty
LOUIS-FRANÇOIS DE BOURBON
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Racontée d'après les documents des archives
les notes de la poHce des mœurs
et les Mémoires, manuscrits ou imprimés,
de ses contemporains
G. CAPON et R. YVE-PLESSIS
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Otrmge orné d'un portrait en tailk-doucc
JEAN SCHEMIT, LIBRAIRE
52, rue Laffitte, Paris
1907
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PaRJS galant au DlX-HUlTlèME SIÈCLE
Vie privée du
prince de Conty
LOUIS-FRANÇOIS DE BOURBON
Racontée d'après les documents des archives
les notes de la pohce des mœurs
et les Mémoires, manuscrits ou imprimés,
de ses contemporains
G. CAPON et R. YVE-PLESSIS
Ouvrage orné d'un portrait en taffle-douce
)EAN SCHEAUT, LIBRAIRE
52, rue Lafïitte, Paris
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LE PRINCE DE CONTY
LOUIS-FRANÇOIS DE BOURBON
1/ a été Hré
Six cents exemplaires numérotés, dont :
io exemplaires sur Japon impérial (é à lo)
20 exemplaires sur Hollande Y an Gelder (n à 3o)
Sjo exemplaires sur e Vellum » anglais (3é à 600)
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Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.
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Paris galant au dix-huitième siècle
Vie privée du
prince de Conty
LOUIS-FRANÇOIS DE BOURBON
0717-1776}
Racontée d'après les documents des archives
les notes de la police des moeurs
et les Mémoires, manuscrits ou imprimés,
de ses contemporains
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G. CAPON et R. YVE-PLE8SIS
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Ouvrage orné d'un portrait en taille-douce
JEAN SCHEMIT, LIBRAIRE
Si, rue Laffitte, Paris
1907
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THE NEW VORK
PUBLIC LIRHAPV
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ASTOR. LENOX AND
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n 1 02^ L
VIE PRIVÉE DU PRINCE DE CONTY
Pour juger impartialement an personnage historique^
rien de tel que de connaître^ au préalable^ le bien et le
mal que disaient de lui ses contemporains. Avant d'en-
treprendre une relation de la vie privée de Louis-Fran-
çois de Bourbon-Conti/y il n'est pas sans intérêt de
résumer y d'après une liasse de papiers du temps, F opi-
nion qu'avaient de ce prince les gens qui rapprochaient.
Nous classerons ces portraits à peu près par ordre
chronologique.
En ijio {Conty a vingt-trois ans), le marquis dAr-
genson, qui le déteste cordialement^ note cette impres^
sion :
M. le prince de Conty a un fonds d* esprit , mais il a la
grande sottise de quantité d'affectation ; il outre ce qu'il
est; il Joue le libertin, Fêtant; le méchant, le satyrique,
tétant aussi; et, à tout ce métier-là, il se fera crever et
haCr (i).
(i) Marquis d'Aaoinson, Journal et Mémoires, édition Rathery,
tome III, p. 27.
1
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À LB PRINCB DB CONTT
En 1745^ dans un de ces livres à clé comme il en
parut tant au dix-huitième siècle^ les Mémoires Secrets
pour servir à l'Histoire de la Perse, attribués à La
BeaumellCy on trouve cette esquisse sous le nom supposé
de Morad-Bakche :
Morad'Bakche (Prince de Conty)^ fils dune sœur de
Mirza-Haddi (Duc de Bourbon) fut ^ dans ses jeunes années,
un Prince d^une grande beauté et bien fait . // avoit de
tesprit; il éioit d'un caractère aimable, et il ne démentit
guère, en croissant, les grandes espérances qu'on en avoit
conçues. Il étoit brave, aimant le métier de la guerre, vif,
jaloux de son rang, mais trop prodigue, défaut quidéran-
gea ses affaires (i).
Le prince de Ligne^ dans ses Lettres et pensées,
étage et fortifie son sentiment personnel de celui de la
mère du prince de Conty :
Cest un composé de vingt ou trente hommes. Il est fier,
il est affable, ambitieux et philosophe tour à tour ; fron-
deur, gourmand, paresseux, noble, crapuleux ; V idole et
Vexemple de la bonne compagnie, n'aimant la mauvaise
que par un libertinage de tète, mais y mettant beaucoup
d amour-propre, tenant un peu de M, de Vendôme et du
grand Condè ; voulant jouer un rôle, mais n'ayant pas
assez de tenue dans l'esprit. Sa mère disait un jour de lui :
a Mon fils a bien de l'esprit ; oh ! il en a beaucoup ; on en
voit d abord une grande étendue ; mais il est en obélisque,
il va toujours en diminuant à mesure qu'il s'élève, et finit
par une pointe, comme un clocher » (2).
A propos de la campagne de Conty en Italie {ij4i)y
Mouffie d'Angerville, auteur de la Vie privée de
Louis XV, parue sous l'anonyme en z///, dit :
C étoit un prince appliqué et qui, dans la fougue de Page
et des plaisirs, étoit tourmenté de cet amour de la gloire
(i) Mémoires Secrets pour servir à V Histoire de la Perse, p. 34.
(2) PnmcB DC Ligne, Lettres et Pensées, pp. g-io.
LE PRINCE DB CONTY 3
qui fait supporter le travail le plus pénible et vaincre tous
les obstacles (i).
L'écrivain qui^ sous le titre : Fastes de Louis XV,
« démarqua » la Vie privée de Mouffle^ explique ainsi
la retraite prématurée du prince de Conty et son déta-
chement des ajf aires :
Son aversion pour les gênes de la Cour^ son peu d égards
pour les maîtresses de Louis XV F en ont éloigné depuis et
empêché d'être employé selon ses mérites. En général la
franchise du caractère du prince de Conty ne sympathi-
soit point avec celui du monarque qui sentoit la supériorité
de cette âme forte et énergique sur la sienne (2).
Dans une note^ rédigée vers l'jSg par M. de Paulmy
et conservée avec son « portefeuille » aux manuscrits de
la Bibliothèque de F Arsenal ^ on peut lire :
Il (Conty) est de la plus belle figure ; // a beaucoup
desprit et la superficie de beaucoup de connoissances. Il
est noble^ fier^ généreux^ ennemy dangereux ; bon amy et
protecteur zélé dès qu'il affectionne (3).
D'une villégiature à FIsle-Adam en Jj6j^ la comtesse
de Genlis rapporte toute une collection de notes, petits
essais malins, sur les familiers du prince. De Vamphy^
trion, voici ce qu'elle pense :
M, le prince de Conty étoit le seul des princes du sang,
qui eût le goût des sciences et de la littérature, et qui sut
parler en public. Il avoit une beauté, une taille et des
manières imposantes ; personne ne sut dire des choses obli-
geantes avec plus de finesse et de grâce et, malgré ses succès
auprès des femmes, il étoit impossible de découvrir en lui
(i) Vie privée de Louis XV, tome II, p. 194.
(2) Fastes de Louis XV, tome I, p. 99.
(3) BiBL. DB l'Arsbnal, ManuscHts, 3 119, fol. 89.
4 LE PRINCE DE CONTY
la plus légère nuance de fatuité. Il fut aussi le plus magni-
fique de nos princes... (i).
M^^ de Genlis ne reproche à Conty que son regard.
Il a l'œil trop profond et scrutateur; quand il vous fixe j
on se sent comme paralysé.
Le président Hénault lui consacre ces lignes :
Ce prince né sauvage et en même temps si bienfait pour
la société, n'a pu en être séparé d abord que par timidité ;
car il ne faut pas s*y méprendre, le désir de plaire qui
tient tant à Vamour-propre et au témoignage favorable
que Von se rend de soi-même, fait qu*on ne veut pas man-
quer son coup. Mais enfin ses succès Vont encouragé et il
n'y a pas de particulier plus aimable. Nul ne connaît mieux
les attentions les plus flatteuses ; ce n'est pas populaire, ni
civil qu'il est ; c'est de cette politesse qui n'est restée qu'à
lui dans l'âge où nous vivons (a).
A la mort de Conty {1776) /«^Mémoires secrets, dits
de Bachaumonty constatent :
On s'entretient beaucoup de la mort du prince de Conty
qui, par son patriotisme généreux, avoit mérité Caflection
des Français (3).
Enfin un mémorialiste qui a vu le prince de très près j
un ami de la comtesse de Bouffiers-Rouverel, maîtresse
de Conty ^ le diplomate Dutens. écrit ^ en 1808^ ce pané"
gyrique désintéressé :
M. le prince de Conty étoit l'un des plus aimables et des
plus grands hommes de son siècle ; il avoit la taille parfai-
tement belle, l'air noble et majestueux, les traits beaux et
réguliers, la physionomie agréable et spirituelle, le regard
(1) M"« DE Gbnlis, Mémoires^ lome I, p. 298.
(2) PRisioENT Hénault, Mémoires, p. 276.
(3) Mémoires secrets, tome IX, p. 202.
LE PRINCE DE COIITT 5
fier ou doux^ suivant Voccasion; il parlait bien, avec une
éloquence mâle et vive, s'exprimait sur taus les sujets avec
beaucoup de chaleur et de farce ; Célévatian de san âme,
la fermeté de san caractère, son caurage et sa capacité
sont assez connus en Europe pour que je me dispense d'en
parler ici. Quand il vivait familièrement avec ceux quil
ai moi t^ il étoit simple dans ses manières, mais c'était la
simplicité du génie ; dans la société^ il était le premier à
bannir toute contrainte ; il s'en trouvait gêné lui-même, au
point cTen témoigner de t impatience,,, (i).
Comment ce prince si remarquablement doué — tous
là-dessus sont d accord — appelé par sa naissance et
son intelligence à jouer un râle politique considérable
d une époque oà les grands hommes étaient plutât
rareSf n^a-t-il laissé qu^une trace presque nulle? Com-
ment, selon le mot de Sainte-Beuve^ est-il^ en quelque
sorte^ « passé à côté de PHistoire^ sans y entrer » ?
C'est que le prince de Conty, simple et bienveillant
avec ses inférieurs^ se montrait au contraire, avec ceux
quil estimait être ses pairs, d'une intraitable raideur.
C^est qu'il manquait absolument de souplesse dans
r échine ; souplesse nécessaire alors, non seulement
devant le Bai, mais encore devant ses favoris, voire ses
favorites. Conty, brave, actif, ambitieux, opiniâtre;
généreux Jusqa à la prodigalité et pourtant très entendu
aux affaires; ardent mais réfléchi et voyant de loin;
amoureux des arts, épris du beau sous toutes ses for-
mes ; libertin à P excès, mais sans jamais se laisser avilir
par ses maîtresses ; infatué de son rang quoique philo-
sophe; indévot sans être athée; — Conty, esprit com-
plexe, mais caractère droit et tout d'une pièce, professait
par dessus toute chose l'horreur de la bassesse, le mépris
de la courtisanerie. Ecarté de la faveur du Bai par
tanimadversion de M^^ de Pompadour, il préféra se
hérisser dans son orgueil et vivre exilé de Versailles,
brouillé avec Louis XV, même après la mort de son
(i) DuTBNS, Mémoires d'an Voyagear qui se repose, tome II,
p. 17.
b LB PRINGB DE CONTY
ennemie^ plutôt que de tenter un geste de rapproche-
ment qiion aurait pu prendre pour un acte de soumis^
s ion. Par son opposition syistématique aux hommes de
la Cour, il devint le plus populaire des princes. Mais la
popularité ne survit pas à son objet et Conty en mourant
disparut tout entier^ faute d^avoir eu Foccasion de don'
ner la mesure de ses talents.
Enfance et adolescence
Naissance de Louis-François de Boarbon-Gonty. — Son père putatif,
Louis-Armand de Bourbon. — Passe-temps princiers. — Un ménage
troublé. — Les amants de madame de Conty. — M. de la Fare, dit
c Poupart 1. — Education du prince. — La mort du père Ducer-
ceau. — Mariage de Louis-François.
L
ouis-François de Bourbon naquit à Paris, le
i3 août 1717, en l'hôtel de Conty, sur le quai qui
porte aujourd'hui son nom. Dangeau dit, à cette date :
« Le prince dont madame la princesse de Conty vient
d'accoucher, ne s'appellera point comte de la Marche;
il aura le nom de prince de La Roche-sur-Yon » (i).
(i) Ce titre de prince de La Roche-sur- Yod avait été porté déjà
dans la famille par le graod-père de celui qui nous occupe,
Fraoçois-Louis, dit le Grand Conty, réphémère roi de Pologne
(1664-1709). On lit à ce propos, dans les Mémoires de Mademoi"
selle de Montpensier (IV, 493 j : « M. le prince de Conty, n'ayant
point de nom à lui donner, me demanda la permission de lui
faire porter celui-là, dont j'ai la terre ». C'est ainsi qu'il est
nommé, en 1670, par la Gazette de France, rendant compte du
baptême de Mademoiselle de Bourbon {Gazette^ p. 9Ô0).
Le Grand Conty avait d'ailleurs transmis le titre à la deuxième
de ses filles, Louise-Adélaïde, princesse de La Roche sur-Yon
(1696-1750), tante de notre héros. — Voir, à la fin de ce volume,
le tableau généalogique des Conty.
8 LE PRINCB DE CONTT
Dangeau se trompe de bonne foi. Très probable-
ment, le prince de Conly avait-il au mois de juillet
rintention de nommer ainsi son second fils. A ce
moment, en eifet, son fils atné, le jeune comte de
La Marche, né le 28 mars 17 r 5, vivait encore et deux
frères, à supposer que l'enfant qu'on attendait fût un
garçon, ne pouvaient pas porter le même titre. Mais
le petit prince, valétudinaire et rachitique, mourut le
iw août 1717, douze jours avant les deuxièmes cou-
ches de sa mère. Et très certainement cette mort déter-
mina les parents à changer de projet pour donner à
Louis-François, devenu Tatné de leur descendance le
titre qui désignait, de père en fils, les héritiers pré-
somptifs de leur nom.
Héritier du nom, Louis*François Tétait, à coup
sûr. Quant à être le fils de son père et le descendant
des Conty, la chose est beaucoup moins probable et
la controverse au moins est permise.
Son père putatif, Louis-Armand II de Bourbon-
Conty, était un très vilain sire, au moral aussi bien,
ou plutôt aussi mal qu'au physique. Bossu par devant
et par derrière, plein de tics nerveux, d'une laideur
si forte qu'on l'avait, à la Cour, surnommé le « Singe
vert », il n'était pas moins méchant que contrefait, pas
moins vicieux que hideux. Possible même qu*il fût
un peu dément ; car outre son humeur, en tout temps
bizarre, il apportait dans la débauche, « sadique »
avant le marquis de Sade, certains raffinements qui
dénoncent un véritable déséquilibre d'esprit. Ses
simples passe-temps étaient volontiers cruels et il
semblait faire assaut de férocité avec son jeune
parent, le comte de Charolais, cet autre fou dont
l'Histoire rapporte des traits à faire frémir... Veut-on
savoir comment le prince Armand de Conty se diver-
tissait au bal ?
A Tun des derniers bals de l'Opéra, raconte la princesse
Palatine, il s'empara d'une pauvre petite fille récemment
arrivée de la province, l'arracha d'à côté de sa mère, la plaça
LE PRINCE DE GONTT 9
entre ses jambes, et tandis qu'il la tenait d'un bras, il lui
appliqua des soufflets et des chiquenaudes, qui lui firent sor-
tir le sanç du nez et de la bouche. La jeune personne qui ne
lui avait jamais fait de mal, et qui ne le connaissait même
pas, pleura à chaudes larmes ; mais il se mit à rire et dit :
« Ne sais-je pas bien donner des chiquenaudes » ? Tous ceux
qui ont été témoins de cette scène brutale, en ont eu pitié ;
cependant personne n'a osé venir au secours de la pauvre
enfant ; car on craint d*avoir affaire à ce fou violent : il fait
les grimaces les plus affreuses; moi, qui redoute extrême-
ment les fous, je tremble quand je me trouve tête à tête avec
lui (I).
On disait encore de Louis-Armand, s'il faut croire
aux Souvenirs de M"** de Gaylus, qu'il était « le mary
de bien des femmes et la femme de bien des hommes ».
 dix-huit ans, Conty avait épousé, le g juillet i7t3,
en la chapelle du château de Versailles, sa cousine
Louise-Elisabeth de Bourbon-Condé, dite mademoi-
selle de Bourbon, de deux ans plus âgée que lui,
femme charmante et très digne d'être aimée de son
mari.
« C'est une personne pleine d'agréments, qui joue
à la beauté le tour de prouver clairement que la grâce
est préférable. Quand elle veut se faire aimer, on ne
peut y résister ; elle a des manières agréables, de la
douceur et point de mauvaise humeur et dit toujours
quelque chose d'obligeant ». Ainsi témoigne d'elle
une contemporaine, qui ne pèche point dans ses juge-
ments par excès d'indulgence {2).
Mais le mariage n'avait modifié ni les goûts ni les
habitudes de l'affreux bossu, sinon qu'il ajouta à ses
violences ordinaires des accès de jalousie maladive.
Il séquestrait sa femme, lui défendait toute société
masculine, la menaçait sans cesse, faisait épier ses
moindres mouvements, se plaisait à la venir surpren-
(i) M^M LA DUCHB88B d'Orlâans, PRINGBS8B Palatinb, Mémoires^
Fragments historiques et Correspondance, pp. 270-271.
(2) Ibidem,
10 LB PRINCE DE CONTT
d're, au milieu de la nuit, pistolet au poing, sous pré-
texte qu'elle cachait des amants dans sa chambre à
coucher; et comme il était souvent enflammé de vin,
la princesse tremblait que, dans ces crises, il ne se
portât à quelque extrémité.
Gardait-il au moins, de son côté, cette fidélité qu'il
exigeait de sa femme avec tant de rigueurs? Une
anecdote va nous le peindre tout entier.
Parmi les prostibules de Paris, un des mieux acha-
landés, à la fin du règne de Louis XIV, était celui des
époux Berlier de Montrival, au faubourg Saint-Martin.
Ces entremetteurs de condition^ vraie noblesse s'il vous
plaît, avaient réuni dans leur demeure, magnifique-
ment meublée^ une demi-douzaine de jolies « barbo-
teuses » dont les chroniqueurs du temps nous ont
conservé les noms et dont Tatnée n'avait pas plus de
vingt ans (i). La clientèle n'était que de qualité. Ce
fut dans cette maison que, malgré le tarif élevé du
sérail et la jeunesse des aimées, Louis-Armand de
Bourbon gagna, l'année qui suivit son mariage^ une
de ces maladies que les plaisants d'alors nommaient
a clou de Saint-Côme » (2). Le pire est qu'il en fit
immédiatement présent à la princesse, sa femme. Non
content de porter plainte au lieutenant de police,
Conty retourna chez les Montrival avec sa livrée,
accompagné d'un garçon boucher qu'il avait habillé
de même et muni d'un gros soufflet. Après avoir fait
subir mille cruautés à la fille coupable, le prince la
(i) Elles se nommaient : Reine Dupré, 17 ans ; Thérèse Four-,
nier, 19 ans; Marguerite Ruzé, 20 ans; Elisabeth Ghamard,
18 ans ; Nicole Desprée, 18 ans et Marie Beaurepaire, 17 ans.
(BuvAT, Journal de la Régence, p. 126).
(2) A Isernia, près de Naples, le culte de Priape subsista long-
temps et on venait prier saint Côme en lui offrant des ex-ooto en
forme de « membre affligé ». On vendait également dans cette
église de l'huile de saint Côme pour guérir les malades qui
venaient se présenter à l'autel, mettant sans honte à découvert
la partie malade, laquelle était toujours l'original de la figure
en cire qu'ils avaient offerte (Dulaure, Histoire des différents
cultes, II, 294).
LE PRINCE DE CONTT il
livra au boucher qui la souffla par Tanus comme il
eût fait (l*un veau ou d'un mouton. La malheureuse
creva de cette opération terrible. L'affaire, on le pense,
s'ébruita et le lieutenant de police, déjà saisi de la
plainte de Conty, chercha des responsables. Comme
il ne pouvait s'attaquer à un prince du sang, le poids
de la vindicte publique retomba sur les tenanciers
chez qui s'était commis ce crime étrange. Le 12 mars
I7i4i le bourreau fustigea publiquement le marquis
et la marquise de Montrival attachés au cul d'une
charrette, nus jusqu'à la ceinture, et, selon le cérémo-
nial ordinaire, coiffés d'un chapeau de paille. Ce
n^est pas le chapeau qui les gênait le plus. Ils furent
menés dans cet équipage depuis la prison de la Con-
ciergerie où ils étaient détenus jusqu'à leur hôtel du
faubourg Saint-Martin. L'arrêt de la Chambre de la
Tournelle qui les avait condamnés à cette peine infa-
mante prescrivait en plus qu'ils seraient bannis de
Paris pendant neuf ans u pour avoir fait de leur mai-
son une académie de débauche en corrompant des
jeunes filles, pour y attirer des jeunes gens de qualité
et autres afin de s'en divertir ». Les Montrival se retirè-
rent à Rouen où ils continuèrent leur commerce (i).
Si la vengeance abominable qu*il avait tirée d'une
pauvre prostituée avait apaisé le prince, il n'en était
pas de même de la princesse. Outragée et souillée,
elle résolut de se venger à sa manière et cette manière
fut de rendre à son mari trait pour trait, cocuage
pour infidélité. Elle prit des amants. Le premier
(i) BuvAT, Joarnal de la Régence, p. 126. ~ [Soulavib], Mémoi-
res du duc de Richelieu, tome VIII, p. 182. — Boisjourdain,
Mélanges historiques, tome II, p. 3o5. ~ Dans ses Mémoires du
duc de Richelieu, Soulavie, qui broaille un peu les faits, les
dates et les personnes, impute cette histoire à notre Conty,
Louis -François. C*est une erreur grossière et qui ne se discute
même pas, puisque les Montrival furent condamnés en 1714 et
que Louis-François de Bourbon vint au monde en 1717. « Com-
ment l'aurais-je fait, si je n*élais pas né », dit Tagneau de la
fable.
12 LB PRINCE DB CONTT
paraît avoir été Georges-Gaspard de Clermont-Ges-
sans, comte de Clermont, marquis de Saint-Âignan,
colonel au régiment d'Auvergne et gentilhomme du
prince de Conly, qui le logeait dans son hôtel aux
appoinlemenls de 13.000 livres. Mais le prince s'aper-
çut vite de la manigance, fit des éclats qui amusèrent
la Cour et la Ville, et mit Clermont à la porte, pour
donner sa place à Ârmand-Louis du Plessis, 61s du
marquis de Richelieu (i).
D'après Soulavie {Mémoires du duc de Richelieu) le
successeur de M. de Clermont dans le cœur de M°>^ de
Gonty futle marquis de La Fare, capitaine des gardes
du Régent. Mais nous avons des raisons de croire
qu'une autre intrigue fut nouée par la princesse,
dans l'intervalle, avec M. de Matignon-Gacé (2).
(i) L'abbé Soulavie dit, parlant de ce seigneur : le marqais de
Richelieu. Mais il n'existait à cette époque qu'un marqais de
Richelieu, Louis-Armand du Plessis, né en ié54, et par consé-
quent âgé de plus de soixante ans. Saint-Simon rapporte que
c'était « un homme obscur, ruiné, débauché ». Nous savons
encore par les Mémoires de Soarches qu'il avait été « un garçon
extraordinaire, de complexion très amoureuse, un des plus
vi^ureux et des plus agiles hommes de son temps ». Il était
neveu du duc de Richelieu et de la duchesse d'Aiguillon. A la
mort de cette dernière, en 1704, il avait fait des pieds et des
mains pour avoir le duché, mais sans 7 réussir.
Il s'agit donc ici, très certainement, du fils, Armand-Louis
du Plessis, qu'il avait eu en i683 de son mariage avec Marie-
Charlotte de La Porte-Mazarini et qui parvint en lySi, l'année
qui suivit la mort de son père, à se faire mettre en possession
du titre de duc d'Aiguillon. Ce Richelieu, duc d'Aiguillon, qui
mourut en 1780, fut le père du fameux duc d'Aiguillon, maréchal
et ministre de Louis XV.
(2) Marie-Thomas-Auguste Goyon de Matignon, né le 18 août
1684, connu d'abord sous le nom de chevalier et ensuite de mar^
quis de Matignon, baron de Briquebec et de Gacé, comte de
Bourbon, de Montjay et d'Ormoy. troisième fils de Charles-
Auguste de Matignon, maréchal de France. Garde-marine en
i6g8, enseigne de vaisseau en 1703, mestre de camp d'un régi-
ment de cavalerie vacant par la mort d'un de ses frères en 1707,
il fit toutes les campagnes de 1709 à 1718 et fut nommé briga.
dier des armées du Roi en 17 19. Il épousa en 1720 Edme-Char-
lolte de Brenne, dame du palais de la Reine. — On l'appelait
LS PRINCE DB CONTT 13
Nous avons vu que les éclats du prince de Conty
avaient prêté à rire à tout Paris. On chansonnait
ferme le jaloux contrefait qui mettait sottement le
public au courant de ses déboires conjugaux. Or,
deux couplets, différents, du Chansonnier de Maure-
^ pas, nomment M. de Matignon-Gacé comme prédéces-
seur de M. de La Pare :
Chanson^ sur Pair : c La Fari don daine ».
Ecoutez, dames de Paris,
Je vais parler sans feinte;
Je commence par la Conty
Que La Fare f... sans crainte ;
Il succède à ce Matignon,
La fari don daine,
La fari don don ;
Qa*il prenn* garde d*y réussi,
Biribi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.
Autre Chanson sur l'air des < Cloches ».
Le Gacé
Est chassé ;
Le Conty vous a laissé
La Fare !
LaFarel(i)
parfois Matignon le cadet pour le distinguer de Louis^ean-
Baptiste, son frère aîné, et il passait pour fort débauché. Des
triolets, rimes eo 1716 et conservés à la Bibliothèque Nationale
(Manuscrits français, 12628, fol. SyS), disent de lui :
Parlons un peu de Matigïion,
Non pas de rainé que j'honore,
Mais du cadet, méchant fripon ;
Parlons un peu de Matignon.
Il mène la vie de chausson,
Et finira plus mal encore.
Parlons un peu de Matignon,
Non pas de rainé que j'honore.
(i) BiBLiOTHÂQuB Nationale: Manuscrits français, 12628, ff. 889 6m
et 332. — A la deuxième de ces chansons, on lit, en marge, sur le
manuscrit : « Mm« la princesse de Conty, la jeune ».
14 LE PRINGB DE CONTY
A notre compte, le marquis de La Fare ne vint
donc probablement que troisième, en Tannée 1716,
ainsi que l'indiquent très formellement les dates des
chansons qui précèdent et de celles qu'on va lire.
Philippe-Charles, marquis de La Fare et comte de
Laugère, était né en i685. Il avait été tenu sur les
fonts du baptême, au Palais Royal, par Monsieur et
Madame. Lieutenant dans la maison du Roi, il avait
eu le régiment de Gâtinais en 1704. Depuis le mois de
mai 1712, il était capitaine des gardes du corps de
Philippe d'Orléans et il avait été nommé brigadier
d'infanterie le i«' janvier de cette année 1716(1). Il
avait épousé, le 6 août 1718, Françoise Paparel, fille
de Claude-François, seigneur de Vitry-sur-Seine, tré-
sorier de l'ordinaire des guerres. Mais Paparel venait
d'être condamné à mort pour crime de péculat et ses
biens confisqués au profit du Roi. La Fare avait obtenu
que son beau-père fût seulement détenu à vie aux
tles Sainte-Marguerite et ses biens attribués à lui-
même, son gendre. De ce fait, il était puissamment
riche, d'autant plus qu'il conservait seul l'administra-
tion de cette fortune mal acquise, ayant décidé sa
femme à s'enfermer au couvent pour fuir le scandale.
Cet homme pratique était un beau cavalier, grand,
bien charpenté, auquel on ne pouvait guère reprocher
que son obésité précoce et sa face trop ronde. La
princesse de Conty Rappelait en riant : son poupart et
le sobriquet lui resta. Il passait auprès des femmes
pour un médiocre champion dans les tournois amou-
reux. Ces couplets en font foi :
(i) Le marquis de La Fare fut par la suite lieutenant-général
au gouvernement du Languedoc, département et étendue du
Vivarais, du Velay et du diocèse d'Uzès (1718) ; gouverneur des
villes et chAteau d*Alais et du pays des Gévennes ; maréchal de
camp (1720) ; chevalier de la Toison d'Or (1722) ; commandant
en chef du Languedoc (1724), etc. ; maréchal de France en 1746.
Il mourut de la petite vérole le 4 septembre 1752 (La Ghesnayb-
Desbois, Dictionnaire de la Noblesse).
LB PRINCE DE GONTY 15
Chanson sur Vair de c La Fronde »,
ou : Il a battu son petit frère.
Que la Contj soit enrag'ée
A un singe d'être attachée,
Cela ne se peut autrement ;
Mais qu'elle s'en tienne à la Fare,
Ou son appétit n'est pas grand
Ou sa retenue est bien rare (i).
Autre Chanson sur Cair des t Landiris ».
Belle princesse de Conty,
Poupart a le V. . trop petit ;
La Noue vaut bien mieux pour cela,
Alleluïa ! (2)
(Extrait d'un) Noël pour tyij.
A la crèche arrivée,
La charmante Contjr
Parut fort étonnée
D'y voir La Fare aussi ;
L'Enfant qui connaît tout dit : c Gardez-vous, Marie,
c De servir ce mignon,
c Don, don ;
c Le bossu le sçaura,
c La, la,
€ Il vous fera la vie » (3).
Tous ces vaudevilles prouvent surabondamment
que les amours de la princesse de Conty et du marquis
de La Fare étaient en quelque sorte publiques.
Encore avons-nous négligé de citer une facétie, très
goûtée dans les ruelles, qui assignait des logements
fantaisistes aux personnes de la Cour. Les satirisants
logeaient le prince de Conty, laid et malpropre : c< A
(i) BiBLiOTHàguB Nationale: Manuscrits français^ 12628, f. 292.
(2) BiB. Nat. : Manuscrits français y 12628, f. 3o2. — M. de la
Noue, un des fils du marquis de Langeais, était premier écuyer
du prince de Conty.
(3) BiB. Nat. : Manuscrits français^ 12629, f> >7^*
16 LE PRINGB DB GONTT
renseigne du Singe vert, à la Savonnerie », et la prin-
cesse, sa femme : € Au Pouparty rue du Singe ».
Nul d'ailleurs ne songeait à complaindre le « singe
vert » de son infortune. On approuvait plutôt la prin-
cesse :
Chanson sur l'air : c Daye, dandaye »
ou c L'année est bonne ».
Vous avez, divine Conty,
Un vilain singe de mary ;
Bran de l'hymen qui vous le donne i
Belle mignonne {bis).
Quoi, ce magot, dans votre lit.
Passe donc le jour et la nait ;
Pourquoi souffrir qu'il vous moissonne ?
Belle mignonne {bis).
Gardez pour un objet charmant
Ces trésors, cet enchantement ;
Qu'ils revienn't au Dieu qui les donne...
Belle mignonne {bis) (i).
Nous ne nous appesantirons pas plus longtemps
sur les querelles scandaleuses du ménage Gonty. On
en retrouvera les échos dans tous les mémoires de la
Régence. Soulavie prétend qu'à La Fare succéda le
prince de Soubise (2) qui, lui-même, fut remplacé
par M. de Richelieu. Cette fois le prince de Conty,
trahi par son propre favori, par l'homme qu'il avait
introduit dans sa maison en le substituant à M. de
Clermont, déchaîna un tapage infernal. La princesse
pour se soustraire aux fureurs de son mari, fit ins-
truire un gros mâtin qui couchait sous son lit et qui
(i) BiBLiOTHÂQUB Nationale : Manuscrits français y 12629, ^* >^7'
(2) Jules François-Louis de Rohan, prince de Soubise (fils de
Hercule-Mériadec de Rohan), né le 16 janvier 1697 ; reçu capi-
taine-lieutenant des gendarmes dans la garde du Roi, en sur-
vivance de son père, au mois de février 1717 ; mort de la petite
vérole le 6 mai 1724. Il avait épousé, le 16 septembre i7i4f
Anne-Julie-Adélaïde de Melun, fille de Louis, prince d'Ëspinoy.
LE PRINCE OB GONTT 17
en défendait les approches (i). Enfin, après une scène
plus violente que les autres qui se passa le matin de
Noël 1721, M"« de Conly, grosse pour la quatrième
fois, se décida à quitter le prince et, profitant de ce
qu'il était ivre à rouler, se réfugia chez la princesse
Palatine, au Petit Luxembourg ; de là^ dans un cou-
vent. Les époux se racommodèrent pourtant lors du
mariage du Roi (lyaS) et reprirent la vie commune
qui fut^ jusqu'à la fin, traversée par des orages fré-
quents, car la princesse ne cessait point de voir M. de
Richelieu (3).
Revenons, en 171 7, à la naissance de Louis«Fran-
çois, comte de la Marche, futur prince de Conty. Â
cette époque, la princesse était, depuis plus d'un an,
la maîtresse du marquis de La Fare. Personne n'hésita
à attribuer le poupon au Poupart (3).
 l'inverse de son atné, cet enfant d'ailleurs était
superbe. Le chirurgien Clément l'ayant, à la demande
de la mère, examiné pour savoir s'il était né viable,
le trouva conformé à souhait. Il se rendit chez le
prince et lui dit naïvement : — « Monseigneur, j'ai
examiné la taille du prince qui vient de nattre. Il est
droit. Faites-le coucher sans chevet, pour qu'il reste
ainsi. Songez quel chagrin ce serait pour la princesse
qui a fait ce prince droit si vous le rendiez tortu et
(i) [Soulavib], Mémoires da duc de Richelieu^ tome VIII,
pp. 55-56.
(2) Le lecteur trouvera tous les détails désirables sur les alter-
cats conjugaux des Conty qui furent le grand scandale de Tépo-
que, dans les ouvrages suivants : Maurkpas, Mé/hoires, tome I,
p. 236. — BuvAT, Journal de la Régence, tome lî, pp. 320-822.
— Mémoires, Fragments historiques et Correspondance de la
PniNCBssB Pàlatinb, passim. — Journal et Mémoires de Maibiev
Marais, tome II, p. 207.
(3) Cette opinion était si bien acceptée par les contemporains,
qu'en 1745» vingt-huit ans plus tard, quand Louis-François de
Bourbon-Conty partit avec La Fare guerroyer en Allemagne, on
chanta :
Nous avons le &ls et le père,
Il ne reste qu'à souhaiter
Que le Saint-Esprit les éclaire.
2
18 LB PRINCE DE GONTT
bossu »• Le prince de Conty aurait bien voulu parler
d'autre chose. Mais Clément, sans y entendre malice,
le ramenait toujours à ses moutons : — < Songez qu'il
est droit comme un jonc. Ne le rendez pas tortu et
bossu, Monseigneur». Le prince de Conty, n'y pou-
vant plus tenir^ prit le parti de la fuite (i).
La prime jeunesse du comte de La Marche s'écoula
sans incidents. Livré aux femmes, ainsi que tous les
bambins de son âge et de son rang, il grandit et pros-
péra en force et en santé tandis que s'étiolait et dépé-
rissait son cadet, Louis-Armand, duc de Mercœur,
venu au monde en 1720 (2). Quand il eut quatre ans,
on le baptisa. Il eut l'honneur d'être tenu sur les
fonts par son grand cousin. Sa Majesté le roi de
France. Le Mercure^ en ces termes, relata l'événe-
ment :
Avril iy2i, — Le 28, le Roy entendit la Messe chantée par
sa musique, après laquelle M. le comte de La Marche, Prince
du sang^ fils de Louis-Armand, Prince de Conty, reçut les
cérémonies du baptôme ; ayant le Roy pour parrain et Madame
pour marraine (3) ; et il fut nommé Louis. M. le duc d'Or-
léans et toute la Cour assistèrent à cette cérémonie, qui fut
faite par M. Tévèque de Metz, premier aumônier, en pré-
sence du curé de St-Germain-l'Auxerrois.
A l'instigation de la princesse de Conty, seconde
douairière, de qui le directeur de conscience appar-
tenait à la compagnie célèbre fondée par Ignace de
Loyola, Louis-François, quand il fut en état de com-
mencer ses études classiques, fut placé au collège
Louis-le-Grand. Il avait neuf ans. Il est assez curieux
de constater que ce prince qui devait être dans la
suite le plus indévot de sa race et qui, seul peut-être
de tous les Bourbons, mourut sans confession, fut
(i) Mémoires de la Princesse Palatine, p. 272.
(2) Le duc de Mercœur mourut en 1722 (Voir la généalogie
des Conty à la fin du volume).
(3) Madame, duchesse douairière d'Orléans.
LE PRINCB Dfi CONTV {9
éduqué par les Jésuites. Il est vrai que Descartes et
Voltaire qui ne se signalèrent point comme des modè-
les de piété, étaient élèves des mêmes maîtres.
La princesse deContj, dit Mathieu Marais (décembre 1726)
a voulu voir son fils aux Jésuites. Elle a parlé aux RR. PP.
et leur a dit qu'elle leur donnerait aussi le second, mais qu'il
ëtoit bien vif et que, d'abord qu'il voyoit une fille, il se jetoit
dessus et lui prenoit les tétons. Le P. Sanadon lui a répondu :
a Donnez-nous-le, Madame, nous lui ferons bien chang'er de
caractère » (i).
C'est durant son séjour au collège, que le comte de
la Marche devint prince de Conty, par le décès de son
père survenu le 4 mai 1727. Louis-Armand de Conty
n'avait que trente-deux ans ; mais il avait usé sa vie,
hâté sa fin, par ses débauches de tout genre. Il mou-
rait riche et n'était point de ceux qu'avait ruinés le
Système, bien au contraire. Ayant su réaliser à la
hausse ses actions de la banque de Law^ sur les brouil-
lards du Mississipi, il avait gagné, en un seul jour,
la somme ronde de quatorze millions de livres (2).
Son fils se chargerait d'écorner cette fortune.
Le jeune prince de Conty que nous appellerons
dorénavant ainsi, serait vraisemblablement resté à
Louis'le-Grand jusqu'au terme de ses humanités sans
un beau trait de dignité du Père Porée, professeur de
rhétorique à ce collège (3). Louis-François était pen-
(i) Joarnal et Mémoires de Mathieu Marais, tome III, p. 4^2.
— Ce second fils, dont il est ici question, est le jeune comte
d'Alais, né en 1722, et qui devait mourir à 8 ans, le 7 avril 1730.
En décembre 1726, les Conty avaient trois enfants vivants,
savoir : i^ Louis-François, comte de la Marche ; 2^ le comte
d'Alais ; 3^ M>^ de Conty (Louise-Henriette), née le 20 juin pré-
cèdent.
(2) Henri Martin, Histoire de France^ tome III^ p. 142.
(3) Porée (Charles), savant Jésuite français, né en 1676 à
Vendes, près Caen, mort à Paris en 1741* H étudia au collège
du Mont, à Paris, entra à 17 ans dans la Compa/a^nie de Jésus, le
8 septembre 1692, et fut envoyé à Rennes en 1696 pour y com-
20 LE PRINGB OB GONTT
sionnaire. On était alors dans Tusage, quand il s'agis-
sait d'enfants de la très haute volée, que le professeur
allât chercher lui-même son élève en son quartier
pour ramener à la classe et qu'il le reconduisît de sa
classe au quartier, afin d^éviter les familiarités et
quelquefois les vivacités des autres élèves. Le Père
Porée s'entêta à refuser cette attention au prince son
disciple. Il soutenait qu'un maître ne devait aucun
égard à un écolier quelle que fût sa naissance et
mencer son cours de régence. Ses maîtres, habiles à démêler les
aptitudes, décidèrent qu'il enseignerait la rhétorique au collège
Louis- le-Grand. Il y entra en 1708 et y eut pour collègue le
P. Legay. Il se sentait lui-même une vocation très décidée pour
le professorat ; il s'y consacra tout entier, et il exerça, par son
éloquence touchante et persuasive, une grande influence sur les
élèves. Il leur fit aimer les lettres et la vertu. Il rendait ses
leçons attrayantes en introduisant dans sa classe des exercices
littéraires, plaidoyers et représentations théâtrales déjà établies
dans les collèges des Jésuites dès i655. C'est lui-même qui for-
mait ses acteurs, cherchant à donner aux jeunes gens de famille
appelés à remplir dans le monde des fonctions élevées, la grAce
des manières, l'élégance du maintien. Ces pièces, Porée les
anime d'une franche gaieté ; Tauteur sait peindre avec bonheur
quelques-uns des ridicules et des vices qui caractérisent plus
spécialement son époque, l'amour de l'argent et des plaisirs .. .
(DiDOT, Biographie générale).
C'est de lui que Voltaire écrivait en 1746 au Père de La Tour :
« Rien n'effacera dans mon cœur la mémoire du P. Porée, qui
est également chère à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais
homme ne rendit l'étude et la vertu plus aimables. Les heures
de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses, et j'au-
rais voulu qu'il eût été établi, dans Paris comme dans Athènes,
qu'on pût assister à tout âge à de telles leçons. Je serais revenu
souvent les entendre. J'ai eu le bonheur d'être formé par plus
d'un Jésuite du caractère du P. Porée, et je sais qu'il a des suc-
cesseurs dignes de lui. Enfin, pendant les sept années que j'ai
vécu dans leur maison, qu'ai-je vu chez eux ? la vie la plus
laborieuse, la plus frugale, la plus réglée ; toutes leurs heures
partagées entre les soins qu'ils nous donnaient et les exercices
de leur profession austère. J'en atteste des milliers d'hommes
élevés p|ir eux comme moi ; il n'y en aura pas un seul qui
puisse me démentir » (Voltaire, ^ac;re« (Ed. Garnier), tome XIV,
p. 427)-
LB PRINCB DB CONTT 21
menaça de ne plus professer si on voulait l'assujettir
à une déférence qu'il jugeait humiliante.
La fermeté du professeur fut cause que Louis-Fran-
çois sortit du collège. La princesse de Conty, seconde
douairière, très entichée de son nom, ne put digérer
la fierté intempestive de ce pédagogue et elle retira
son petit-fils, malgré tous les efforts faits pour le rete-
nir par les chefs de l'établissement (i).
L'auteur du libelle auquel nous empruntons ce
détail ajoute:
Le prince de Gontj ne fut pas fâché de Tévénement (sa sor-
tie de Louis-le-6rand). Ennuyé d'être renfermé dans les murs
d'un collège et d'être soumis aux règles d'une vie monotone,
d'obéir dix fois le jour au son d'une cloche, il rentra avec
joie dans le sein de sa famille.
Dès lors il renonça aux livres et à l'étude pour se livrer à
des dissipations qui étaient plus de son goût et de son âge.
Son inclination se tourna du côté des armes, il apprit la
malice de l'èpée sous les premiers maîtres d'escrime. Il par-
vint à un degré de force et de subtilité qui le mettoit en état
de se mesurer avec les spadassins les plus redoutés.
Il partageoit ses instants entre les plaisirs de la chasse et
la société des femmes qui savoient qu'il falloit le dispenser
des soupirs (2).
Cela n'est pas tout à fait exact, ainsi qu'on va le
voir et le libelliste se trompe complètement lorsqu'il
écrit que la princesse de Conty fut irritée de la fierté
du Père Porée au point qu'elle ne voulut plus recevoir
chez elle de Jésuites et qu'elle témoigna son ressenti-
ment à son confesseur en lui ôtant la direction de sa
conscience. La princesse gardait si peu rancune aux
Jésuites de l'opiniâtreté d'un des leurs, qu'elle choisit
(i et 2) J. P***, Vie privée et politiqae de Loais^François^Oieph
de Conty^ pp. 22-24-2O. — Cette Vie privée, libelle écrit au
moment de la Révolution, n'est point celle de notre héros, mais
celle de son fils, le dernier des Conty. On y trouve pourtant
quelques anecdotes rétrospectives concernant Louis-François.
22 LB PRINCE DB CONTT
comme précepteur, pour continuer en famille Téduca-
tion du prince, précisément un autre Jésuite, le
Père Ducerceau.
Jean-Antoine Ducerceau n'avait point la valeur du
Père Porée, comme éducateur. Mais il était peut-être
plus réputé, à cause de ses comédies qu'on jouait un
peu partout en France, dans les collèges. Il était sur-
tout plus répandu, plus mondain. 11 collaborait au
Mercure et on le citait comme Tauteur des factums
remarquables composés pour ses collègues dans la
fameuse affaire de Brest, qui occupa l'opinion, de
1717 à 1723. C'était un homme aimable et lettré, qui
n^avait d'autre tort que de se croire un grand poète
et de vouloir embrasser tous les genres littéraires. Il
était, en tous cas, excellent professeur et la renommée
qu'il s'était acquise dans Tart de former d'habiles
élèves lui valait d'être appelé à surveiller les études
du Prince. Hélas ! il ne les surveilla pas longtemps.
En 1780, le Prince revenait avec sa mère d'une tour-
née dans le Midi qui avait été une suite ininterrom-
pue de fêtes et de galas. A Carpentras par exemple, où
ils arrivèrent le 22 mai, la princesse de Conty et son
fils avaient été reçus par Tévêque, porté à leur rencon-
tre dans un carrosse à six chevaux. A une lieue de
la ville, ils avaient été salués par le corps des maîtres-
marchands, quarante hommes parfaitement montés,
tous en habit rouge, avec des bandoulières aux cou-
leurs des Conty, qui s'étaient offerts à leur servir de
gardes du corps. Et c'est précédés de trompettes, de
timbales et d*un étendard à leur armes qu'ils avaient
fait leur entrée dans la ville, au bruit des bottes d'ar-
tifices et des décharges de mousqueterie (1). A Mar-
seille, la réception n'avait pas été moins pompeuse et
le jeune Prince, promu par le Roi chevalier du Saint-
Esprit au mois de février dernier, le jour de la Chan-
deleur, avait pu faire admirer aux populations méri-
dionales, sous les arcs de triomphe et les guirlandes
(i) Mercure de France^ juin 1780.
LE PRINCE DE CONTY 23
de verdure, le cordon bleu qu'il étrennait avec un
naïf orgueil.
De retour au mois de juin, on était allé se reposer
à la campagne des fatigues de ce voyage, en Tou-
raine, au château de Véretz qui appartenait à M. du
Plessis-Richelieu. Dans la matinée du 4 juillet, le
Père Ducerceau se promenait à travers le parc avec son
élève. Celui-ci venait d'obtenir de sa mère son pre-
mier fusil de chasse qu^elle lui avait longtemps refusé.
Ivre de joie, il tournait, retournait en tous sens Tarme
qui était chargée... Soudain le coup part et le précep-
teur tombe roide, tandis que Louis-François se sauve
affolé en criant : « J'ai tué le Père Ducerceau ! » On
chercha à celer la cause de ce lamentable accident
et Ton raconta que le Jésuite était mort d'apo-
plexie (i). Mais la vérité perce toujours à la longue.
(i) [A. Péricaud], Essai sur la vie et les œuvres du P. Ducerceau y
par P. A. ; préface, — Le même auteur donne, sur le P. Ducer-
ceau et ses œuvres, les détails biographiques et bibliographi-
ques suivants :
ce Jean-Antoine Ducerceau, né à Paris le 12 novembre 1670,
étudia chez les Jésuites et fut reçu dans leur Compagnie le
12 janvier 1688. A 25 ans, il publia des poèmes latins. Fit aussi
quelques poésies en vers m aro tiques : Remerciement au duc du
Afaine pour des pâtés, La Nouvelle Ève^ Épttre à Estienne, etc.
Insérées d*abord dans des feuilles, elles parurent en volume
en 1715. En 1720, autre édition, augmentée de deux ouvrages
dramatiques : Le destin du Nouveau Siècle et L* Enfant prodigue,
«Cependant il avait déjà composé une comédie qu*on doit regar-
der comme son chef-d'œuvre. C'est Le Faux Duc de Bourgogne.
II en composa aussi qui furent jouées au collège Louis-le-Grand
et qu'on joua bientôt dans tous les collèges de France : k* Ecole
des Pères, Esope au Collège, Les Cousins, etc.
« Ce laborieux écrivain avait aussi consacré la plus grande
partie de sa vie à renseignement de la jeunesse, et il avait pro-
fessé les humanités dans plusieurs collèges de son institut. II
s'était surtout fait connaître à Rouen et à La Flèche.
« Il occupait ses loisirs à préparer des travaux historiques. Il
avait entrepris des Commentaires sur Horace, sur Pline le Jeune,
et sur le traité de Cicéron : De la Nature des Dieux ; il avait
poussé plus loin un Essai sur le caractère du style poétique et un
Traité de la perspective, mais il ne parait pas les avoir achevés.
24 LB PRINCB DB CONTY
Et, plus tard, les ennemis de Conty lui reprocheront
comme un crime volontaire ce qui n'était qu'un
malheur imputable à la pétulance de la jeunesse et,
bien plus encore, à l'imprudence de ceux qui avaient
mis une arme à feu aux mains d'un enfant de douze
ans et demi (i).
Le Père Ducerceau fut immédiatement remplacé
auprès de Louis-François par le Père Simon de La Tour,
également Jésuite, professeur de philosophie à Tours
et, plus tard, principal du collège Louis-le-6rand (a).
Sans aspirer à la gloire, sans la rechercher, son imagination
embrassait tous les genres ; mais, soit caprice, soit inconstance,
il abandonnait souvent ce qu*il avait commencé pour ne plus y
revenir ».
(i) D'Argenson qui ne manque jamais une occasion de médire
de Conty écrira : « On m'a dit que M. le prince de Conty, dans
son enfance, avait tué d*un coup de fusil le Père Ducerceau,
Jésuite, qui était son préfet, parce qu*il l'avait tourné en ridi-
cule » (D*Ar6bnson, Journal et Mémoires^ tome VI, p. iSg).
Soulavie, après bien d'autres, ramassera cette calomnie : a Ce
jeune prince s*était distingué dans le collège par des actions
qui annonçaient une terrible adolescence... Il avait tué à la
campagne son professeur le Père Ducerceau, Jésuite, qu'il cou-
cha en joue en lui disant : « Prenez garde à vous I » et qu'il
frappa de mort^ sans que nous puissions l'accuser ou l'absoudre
d'homicide parce que nous trouvons dans nos papiers des juge-
ments contradictoires et des sentiments qui lui attribuent tantôt
un coup prémédité et tantôt un coup d'étourderie » (Mémoires
du duc de Richelieu, tome V, p. 3i).
Paul-Louis Courier^ qui n'était pas bon. et dont Tftcreté d'hu-
meur est aussi avérée que le talent, se promenant un jour dans
les bois de Véretz avec M. Delécluze, comme s'il avait eu quel-
que pressentiment de sa fin sinistre, lui dit : « On se débarrasse
lestement de ceux qu'on n'aime pas en ce pays. Tenez, voyez-vous
ces grands arbres I c'est dans ce parc que le jeune prince de
Conty a tué son précepteur d'un coup de pistolet, le Père Ducer-
ceau » (Sainte-Bbuve, Nouveaux landis, tome IV, p. 169).
Et voilà comment se propagent les légendes les plus atroces.
(2) Simon de La Tour, Jésuite français, né à Bordeaux en
1697, mort à Besançon en 1766. Il fît à Paris sa théologie, pro-
fessa la philosophie à Tours, et fut chargé à la mort du Père Du-
cerceau de terminer l'éducation du prince de Conty. Il devint
ensuite principal du collège Louis-le-Grand et procureur géné-
ral des missions étrangères. Ce fut à lui que Voltaire, peu de
LE PRINCB DE CONTY 25
C'est seulement à cette époque, c'est-à-dire, vers
l'âge de treize ans et demi que le prince commença,
selon l'expression du libellisle par nous cité plus
haut^ (( à se livrer à des dissipations » qui étaient
plus de son goût. Entendez par là que tout en termi-
nant ses humanités, il acquit les connaissances jugées
alors indispensables à tout gentilhomme, en équita-
tion, en gymnastique, en escrime, etc. Le directeur
de cette éducation physique fut le capitaine des chas-
ses du feu prince de Conty, un colonel réformé,
nommé Ricard de la Chevaleraye. C'était, à Topinion
du cardinal Fleury, un méchant homme, athée, esprit
fort et libertin (i). Son élève pensait autrement de lui
puisqu'il lui accorda pour son fils la survivance de
son emploi de capitaine des chasses et que ce fils,
Edouard-Gédéon de la Chevaleraye, mourut au ser-
vice du prince, en 1746, à L'Isle-Adam, où nous avons
retrouvé son nom sur les registres de Tétat civil.
L'enseignement du colonel fit de Louis-François un
cavalier remarquable, un chasseur intrépide, et sur-
tout un escrimeur émérite. Le prince fréquenta aussi
l'Académie Du Gard, où il se perfectionna.
A Paris, sous Louis XV, les Académies tenaient la
première place pour l'instruction de la noblesse.
L'élève y entrait vers treize ou quatorze ans ; « des
écuyers habiles le conduisaient au manège ; des maî-
tres en mathématiques le fortifiaient dans les équa-
tions et le guidaient dans les ténébreuses difficultés
des problèmes compliqués et des théorèmes trans-
cendants; le mattre à dessiner l'initiait aux merveil-
les des couleurs, des pastels, des crayons et des lavis ;
le maître à danser lui apprenait la bonne tenue, Ja
temps (1746) avant sa réception à TAcadémie française, adressa
une lettre qui fit beaucoup de bruit, et où il décernait de grands
éloges aux Jésuites, ses anciens maîtres. Lors de la suppression
de Tordre en France, le P. La Tour se réfugia à Besançon. Il
avait été quelque temps un des rédacteurs du Journal de Tré-
ooax (DiDOT, Biographie générale),
(i) Marqi^s d'Argsnson, Journal et Mémoires, tome III, p. i6a.
^O LE PRINCE DE COXTY
grâce du menuet ou de la pavane ; et le mattre en fait
d'armes lui montrait I élégance du salut, le rompait
aux fatigantes leçons et aux violents assauts dans le
bruit des appels et le cliquetis des lames qui se frois-
sent » (i).
Il y avait à Paris trois Académies : celles de Vau-
deuil, rue des Canettes ; celle de La Guérinière, rue
de Vaugirard, auprès du Luxembourg et celle des
Du Gard, père et fils, rue de TUniversité. Cette der-
nière, fondée en 1726, était la plus recherchée des
trois, et les spectacles qu'elle donnait étaient fort
appréciés. Le public y assistait aux courses de bagues
et de têtes avec la lance et Tépée ; on y admirait les
exercices de haute école de la fille de Du Gard, mon-
tant et conduisant son cheval d'une façon admirable.
Elle récolta jusqu'aux bravos du cardinal Bentivoglio,
tant elle surpassait les autres élèves dressés pourtant
par le même mattre^ son père.
Le prix de la pension dans cette Académie était
plus élevé que dans les deux autres. La règle était :
Livres.
Pour le logement et la nourriture i5oo
Pour le logement et la nourritude d'un gouverneur . 700
ou d'un domestique . 4oo
Droit d'écurie 29
Droit pour les gaules (2) 3
Au maître d'armes 18
Au maître de danse i5
Au maître d'exercice et de voltige i5
Au maître de mathématiques i5
Au tapissier pour la location des meubles et du linge. i5o
Les exercices des armes qui se faisaient l'après-
midi, étaient enseignés par Le Perche cadet.
(i) Tout ce qui trait aux Académies du xviii* siècle est em-
prunté par nous à rexcellent ouvrage de M. Gabrul Lbtainturibr,
Les Joueurs cTépée en France, pp. 295-800 .
(2) On appelait ainsi en termes de manège une petite hous-
sine ou verge servant à manier le cheval (Dict, de Tréooux).
LE PRINCE DE CONTY 27
Mais en outre des internes, rAcadémie des Du Gard
était fréquentée par une clientèle princière qui venait
simplement suivre les leçons, comme aujourd'hui
dans les salles d'armes. C'est chez Du Gard que le
prince de Conty eut avec le prince d'Epinoy une petite
dispute qui se termina par une mystification, que
Soulavie nous paratt prendre un peu bien au tragi-
que (i). Voici le récit de cet auteur :
Une autre fois, allant à Tacadémie de du Guat (Du Gard),
ce prince donna an coup de baguette au prince d'Epinoy, qui
ne le prit point en badinant. Conty, voyant que d'Epinoy se
fâchoit, recommença ; et celui-ci, pour le faire cesser donna
au prince un coup de chambrière assez fort pour lui faire
beaucoup de mal : le prince dont la fureur augmentoit à
mesure que d'Epinoy montroit son mécontentement, alloit le
tuer quand on l'arrêta.
Pour se venger d'une autre manière, il mena d'Epinoy à
Llsle-Adam et le fit loger dans une chambre préparée pour
lui jouer un tour terrible ; il fit placer derrière une tapisserie
mobile une rangée de tètes de mort éclairées par des bougies
allumées dans les tètes, et l'appareil fut préparé de telle
manière que, par le moyen de diverses coulisses, les spectres
hideux avançoient ou reculoient à volonté. D'Epinoy s*étant
endormi, on tira les rideaux ; on fit avancer l'épouvantable
machine avec toutes ces rangées de tètes lumineuses. On
croyoit encore aux revenans ; et d'Epinoy qui avoit perdu
son père depuis peu, en fut si saisi de terreur qu'il s'efforça
de l'appeler et qu'il ne le put jamais. Frappé de stupeur et
d'effroi, il ne put articuler une seule parole Revenu à lui, il
(i) Jean-Alexaadre-Théodore, comte de Melun, prince d'Espi-
noy, prévôt héréditaire de Douay, châtelain de Bailleul, conné-
table .héréditaire de Frandres, mestre de camp du régiment
Royal-Cavalerie, né en 170g d'Ambroise, marquis de Melun,
prince d'Espinoy, et de Charlotte de Moncley, fille du baron de
Wismes. Mort à Montmartre le 6 janvier 1788 (La Chbsnayb-Des-
BOIS, Dictionnaire de la Noblesse et Gazette de France du 18 jan-
vier 1788). Ce Théodore était le seul descendant mâle de trois
frères, Alexandre, Ambroise et Louis-Gabriel, dont le dernier,
Louis-Gabriel, mourut à Abbeville le 21 août 1789, âgé de
65 ans ; avec lui s'éteignit la race des Melun-Espinoy.
28 LE PRINCB DB GONTY
appela ses gens et se traîna dans une autre pièce tandis qu'on
profitoit de son absence pour fermer les rideaux de son lit et
remettre la tapisserie bien tendue comme auparavant. Tout
le château ayant accouru au bruit qu'il fit, on fut étonné de
voir d'Epinoy si alarmé pour un songe. D'Epinoy se laissa
persuader qu'il avoit été travaillé d'un rêve bien ora|;|feux ;
mais il en eut une maladie pendant laquelle le prince de
Conty, qui n'en fut loué ni applaudi, racontoit cette cruelle
aventure (i).
Cependant Louis-François allait sur ses quinze ans ;
fils atné, il était aussi fils unique depuis la mort pré-
maturée du comte d'Alais, son cadet ; il était grand
et vigoureux ; on voulut marier sans plus attendre ce
précieux rejeton de sa race, qui seul pouvait désor-
mais préserver le nom des Conty de s'éteindre. La
princesse, sa mère, qui cherchait une alliance capable
d'honorer sa maison, la trouva telle chez les Orléans,
en la personne de mademoiselle de Chartres, Louise-
Diane d'Orléans, fille de feu le Régent. Louis-François
étant, par sa mère, neveu de Monsieur le Duc (Bour-
bon-Condé), les Condé et les Conty, par ce mariage,
se rapprochaient encore du trône, puisque mademoi-
selle de Chartres était arrière-petite- fille de Louis XIII
et le Roi arrière-petit-fils de Louis XIV.
Louis XV ayant donné son agrément à cette union,
fixa lui-même la cérémonie des épousailles au 22 jan-
vier 173a. Le marié avait exactement, ce jour-là, qua-
torze ans, cinq mois et neuf jours ; la mariée, née le
18 juin 1716, était âgée de quinze ans, sept mois et
quatre jours. Elle fut baptisée à Versailles le 19 jan-
vier, avant-veille de son mariage, auquel, par ordre
du Roi, le marquis de Dreux, grand-matlre des céré-
monies, invita, de la part de Sa Majesté, les princes-
ses et les princes du sang ainsi que les princes légi-
timés (a).
(1) [Soulavie], Mémoires da dac de Richelieu, tome V, pp. 32-33.
(2) Journal de Pixrrb NARBOimE, commissaire de police à Ver-
sailles, pp. 197-198.
LB PRINGB DE CONTY 29
Le ai au soir, jour de la signature du contrat et des fian-
çailles, les Princes se trouvèrent vers les six heures dans le
cabinet du Roy, où la Reine, avertie par le grand- maître des
cérémonies, arriva quelque tems après, étant accompagnée
des Princesses et Dames de la cour qui s'étoient rendues dans
son appartement. Le prince de Contj donnoit la main à
MUe de Chartres, dont la mante était porté par M^^® de Sens (i).
Lorsque le contrat de mariage eut été signé de Leurs Majes-
tés et des Princes et Princesses qui étoient dans le cabinet du
Roy, le cardinal de Rohan fit les fiançailles; Monseigneur
le Dauphin et Mesdames de France étoient auprès de Leurs
Majestés pendant cette cérémonie.
Le 22, au midi, le Roy et la Reine précédez du grand-maî-
tre et de Taide des cérémonies et accompagnés des Princes et
Princesses, allèrent à la chapelle et lorsque Leurs Majestés
furent arrivées le Duc d'Orléans, la Duchesse de Bourbon,
douairière, le Duc et la Duchesse de Bourbon, le Comte de
Charolais, le Comte de Clermont, la Princesse de Conty, troi-
sième douairière, M^® de Beaujolais, M^^® de Charolais, M^^^ de
Clermont, M*i« de Sens et M*^« de la Roche-sur- Yon, prirent
leurs places suivant leur rang, à la droite et à la gauche du
Roy et de la Reine ; le Prince de Dombes, le Comte d'Eu et
le Comte et la Comtesse de Toulouse se placèrent derrière les
princes et princesses du sang. Madame la Duchesse d'Orléans
n'ayant pu accompagner Leurs Majestés étoit dans la tribune,
ainsi que le Duc de Chartres. Le Prince de Conty et M**® de
Chartres qui précédoient le Roy dans la marche, s'étoient
avancés en entrant dans la chapelle jusqu'au près de l'autel.
Leurs Majestés suivies des Princes et Princesses s'en étant
approchées, le Cardinal de Rohan fit la cérémonie du mariage,
en présence du curé de la paroisse de Versailles, qui, la
veille, avoit assisté aux fiançailles.
Le soir Leurs Majestés soupèrent en public avec les Prin-
cesses, dans l'appartement de la Reine ; la Duchesse de Bour-
bon, douairière, la Princesse de Conty, troisième douairière,
M**e de Beaujolais, M^^® de Clermont et M\^^ de la Roche-sur-
Yon étoient à la droite de Leurs Majestés. La Duchesse de
Bourbon, la Princesse de Conty, M}^^ de Charolais, M)^^ de
Sens et la Comtesse de Toulouse étoient à la gauche. Après
(i) Elisabeth-Alexandriae de Bourbon-Gondé (M"« de Sens)
sixième fille de Louis III de Bourbon; née le i5 septembre 1706,
morte sans alliance le i5 avril 1765.
30 LB PRINGB DE CONTY
le souper, le Roy fit rhonneur au Prince de Contj de lui don
ner la chemise, et la Reine fit le même honneur à la Prin-
cesse de Conty.
Le lendemain, après-midi, Leurs Majestés allèrent voir la
Princesse de Conty, qui reçut le même jour la visite de Mon-
seig^neur le Dauphin et de Mesdames de France, et de tous
les Princes et Princesses. 11 y a très lontems que la Cour
n'avoit paru si brillante et si nombreuse. On ne peut rien
ajouter à la magnificence des habits, pour lesquels les plus
riches étoffes et du meilleur goût ont été employés, relevées
encore par Téclat des pierreries (i).
En somme, hors la pompe des habits et la qualité
des témoins^ il n'y eut, à roccasion de ce mariage,
aucune réjouissance spéciale à la Cour. Le soir, la
comédie se donna ainsi qu'à l'ordinaire^ et c'est seule-
ment après le spectacle que le Roi ofFrit à souper, chez
la Reine, à la mariée et à neuf dames, tant princesses
que duchesses.
On remarquera que seule la princesse de Gonty^
troisième douairière, c'est-à-dire la mère du marié,
assistait à la cérémonie. La seconde douairière, Marie-
Thérèse de Bourbon, veuve du Grand Conty et grand-
mère de Louis-François, était alors trop malade pour
subir ces fatigues; elle mourut un mois jour pour
jour après les noces, le 22 lévrier. Quant à la première
douairière, grand'tante du marié, la fille légitimée de
Louis XIV et de M*^® de Lavallière, la grande Conty,
ainsi qu'on l'appelait à la Cour à cause de sa haute
taille, nous ignorons le motif de son absence...
(i) Mercure de France^ janvier 1782.
]]
Conty soldat
Le prince de Conty et M\^^ Quoniam. — Guerre de la succession de
Pologne. ^ Naissance du comte de La Marche. — Mort de Ja prin-
cesse de Conty, la jeune. — Retraite du Prince à L'Isle-Adam. —
Guerre de la succession d'Autriche. — Départ subreptice pour Tar-
mée. — Conty général en chef en Italie et en Allemagne. — La cam-
pagne des Flandres. — Démêlés du Prince avec le maréchal de Saxe.
LA lune de miel du prince de Conty s'écoula sans
nuages. Il n'était point follement amoureux de
sa femme, son mariage ayant été, comme toutes les
unions princières, bien plus de convenance que d'in-
clination. Au mois de juin lySS, sollicité d^accompa-
gner le Roi à Compiègne, Louis-François, sans efiFort,
se séparait de sa jeune épouse qu'il laissait aux soins
de la duchesse d'Orléans, à Bagnolet (i).
Sous la tutelle de son gouverneur La Chevaleraye,
le prince avait eu déjà des maîtresses d*occasion ; il
continua d'en avoir, étant marié. La première dont la
chronique nous ait transmis le nom lui fut comme
léguée par son oncle, le prince de Bourbon-Condé,
comte de Glermont, qui, bien qu'abbé et rente, à ce
(i) La Cour et Paris en iy32''iy33^ in « Revue Rétrospective »,
année i836, page 894.
32 LB PRINCB DE GONTT
titre, de aoo.ooo livres de bénéfices, ne menait pas
une conduite édifiante. Clermont devait plus de deux
millions dans Paris et changeait souvent de maîtresse.
Pour l'instant, il avait à sa solde une jolie brune, la
demoiselle Quoniam, qu'il avait quittée et reprise deux
ou trois fois. Mais, depuis peu, il venait de se charger
de M"® Gamargo, danseuse à l'Opéra, et il cherchait
quelque soulagement à ses finances tant obérées. Au
cours d'un souper avec le prince de Conty, il proposa
à son neveu de lui céder Quoniam et la proposition
fut agréée par les intéressés d'un commun accord
aussi simplement qu'elle avait été faite. Louis-Fran-
çois n'était pas à Tàge prudent où l'on entoure ces
liaisons de mystère. Tout Paris sut, au bout de huit
jours, que la Quoniam était au prince de Conty. Et la
chose parvint aux oreilles de la duchesse d'Orléans
douairière, qui donnait dans la grande dévotion^ et ne
cacha pas son mécontentement. Comme, d'autre part,
M}^^ Quoniam fut quelques semaines sans se montrer
en public, le bruit s'accrédita dans le beau monde
qu^elle avait été enlevée de force par ordre du duc
d'Orléans et séquestrée en lieu sûr. Bruit mal fondé :
on le vit bien, lorsque Quoniam reparut avec éclat,
dans les premiers jours de juillet :
Dimanche 5 (dit Tavocat Barbier), M^^® Quoniam alla à
rOpéra, dans une loge, et aussitôt qu'elle fut aperçue des
jeunes gens du parterre, ils claquèrent des mains pour mar-
quer la joie publique sur ta fausseté de la nouvelle. Le soir,
elle alla aux Tuileries, où étoient toutes les princesses de la
maison de Condé, ce qui faisoit faire une haie quand elles
passoient. On en faisoit une pareille sur le passage de
M}^^ Quoniam, à qui on faisoit un compliment général par
gaîté (i).
Aussi bien, les événements politiques allaient four-
nir aux Orléans le sûr moyen de détacher Conty de sa
maîtresse sans rigueurs inutiles. Frédéric-Auguste,
(i) Barbixr, Journal f tome II, page ao.
LE PRINGB DE CONTY 33
roi de Pologne, étant mort en février, Stanislas Leck-
zinski, ancien roi détrôné et beau-père de Louis XV,
avait essayé de récupérer sa couronne. Mais la Russie
et TAu triche avaient contrecarré ce projet et Stanis-
las, quoique régulièrement élu par la diète des ma-
gnats polonais et ouvertement appuyé par la France,
avait dû fuir devant les armées russes. L'insulte exi-
geait réparation. Après s'être assuré de la neutralité
de l'Angleterre et de celle des Pays-Bas, Louis XV se
rapprocha de l'Espagne et forma une alliance où entra
la Sardaigne.
On ne pouvait songer à attaquer les Russes, perdus
là-bas dans leurs glaces. Les alliés décidèrent de faire
porter sur l'Empereur tout le poids de leurs armes. Le
roi de France se chargea seul de mater l'Autriche et
d'aider le roi de Sardaigne en Lombardie, pendant
que le roi d'Espagne ferait la conquête des Deux-
Siciles. La guerre fut déclarée par un acte du lo octo-
bre 1733, dans lequel Sa Majesté Très Chrétienne
ordonnait à tous Français « de courre sus aux sujets
de l'Empereur ».
L'occasion s'offrait propice aux parents de Louise-
Diane d'Orléans pour éloigner de Paris le prince de
Conty en l'expédiant à la frontière. Le cardinal Fleury,
omnipotent sur l'esprit du Roi depuis la disgrâce de
M. le Duc, entra d'autant plus volontiers dans le plan
des Orléans que, parmi tous les princes, Conty et
Gharolais étaient, avec le duc du Maine, ceux qu'il
détestait et redoutait le plus (i). A la suggestion de
son ministre, le Roi désigna premiers Charolais et
Conty pour suivre le maréchal de Berwick sur le
Rhin.
Conty accueillit avec transports Tordre royal, ne
pensa plus à M}^^ Quoniam et ne s'inquiéta que de son
équipement. Quoi de plus charmant que la guerre
pour un colonel de seize ans? Mais sa tante, M"* de la
Roche-sur-Yon, qui avait de la religion, estima néces-
(i) Vie privée de Loais XV, tome I, p. 180.
34 tR PRINCE DE CONTY
saire d'appeler sur cette première campagne de Louis-
François les bénédictions célestes en Tassociant à quel-
que œuvre pie. Presque à mi-chemin, entre le village
de L'Isle-Adam dont Conty était seigneur châtelain et
le village de Vauréal dont elle-même était baronne, se
dresse, dominant l'Oise, le haut clocher de Téglise
Saint-Maclou, perle architecturale de Pontoise. M"' de
la Roche-sur- Yon voulut offrir à . Saint-Maclou une
cloche dont elle serait marraine et dont son neveu
serait parrain. Cette cloche, la plus grosse de l'église,
fut commandée au mattre fondeur Renault, de Paris,
qui cisela dessus cette inscription, en relief :
€ L'an 1733, je fus nommée Louise par très haute, très
puissante et très excellente princesse Louise-Adélaïde de Bour-
boo-Conty de la Roche-sur-Yon, princesse de sang royal, dame
baronne de VeauvroUe [Vauréal J et autres lieux et par très
haut, très puissant et très excellent prince Son Altesse Mon-
seigneur Louis-François de Bourbon, prince de Conty, prince
du sang, pair de France, chevalier des ordres du Roy, lieu-
tenant-général de ses armées et gouverneur pour S. M. des
provinces du haut et bas Poitou, etc. » (i).
Tandis que le vieux Villars se disposait, en Italie, à
se rendre maître du Milanais, le maréchal de Berwick
gagnait le Rhin, où il donnait le signal des opérations.
Son armée, qu'on appelait « l'armée des princes »,
parce qu'elle comptait, outre Conty et Charolais, le
prince de Dombes, le comte d'Eu et le comte de Cler-
mont qui avait obtenu un bref du Pape lui permettant
de porter les armes, passa le fleuve le i4 octobre 1733.
Le 12, le maréchal avait détaché en avant le comte
(i) La cloche, qui sonne encore actuellement^ pour les Pontoi-
sîens, le second coup des quarts de l'horloge, mesure i^yo de
diamètre à la base et 11046 de hauteur; elle est placée dans la
tour à la hauteur du toit de Téglise. — Il est probable qu*elle ne
fut terminée et posée que postérieurement à 1783. Le prince de
Conty y est en efiFet qualifié « lieutenant-général des armées du
Roi ». Or, en 1783, il n'était que colonel de cavalerie et ne fut
nommé lieutenant-général qu'en juillet 1735.
LK PRINCE DB CONTV 35
Maurice de Saxe, entré depuis peu au service de la
France.
Le soir même du i4 octobre, le fort de Kehl était
investi. Après douze jours de tranchée^ les assiégeants
tentèrent un assaut général qui ne réussit pas. L'atta-
que fut remise au 28. Mais le général Phul, qui com-
mandait le fort, fit battre la chamade le 27 et la capi-
tulation fut signée le lendemain. Nous n'avions perdu
que cent cinquante hommes. Encore, sur ce nombre,
étaient quatre-vingts soldais qui furent pendus pour
avoir maraudé malgré les défenses expresses du maré-
chal.
C'est que M. de Berwick était inexorable sur ce
point de discipline. Le lendemain du jour que ses
troupes avaient passé le Rhin, il avait fait publier un
ban à la tête de l'armée, interdisant sous la peine capi-
tale aux soldais d'aller en maraude et de faire aucun
dégât. Certains pourtant contrevinrent à l'ordre. Us
auraient tous été pendus si le prince de Conty n*eût
intercédé pour ceux de son régiment. Et ce ne fut
qu'après s'être bien fait prier que le maréchal accorda
au jeune colonel la grâce de faire tirer les coupables
au sort pour n'en brancher qu'un seul (i). On ne recon-
naît guère, dans celte intervention de Conty, la « ter-
rible adolescence » dont parle Soulavie.
L'hiver s'annonçait exceptionnellement pluvieux.
On pataugeait nuit et jour dans la boue. Les opéra-
tions militaires étaient paralysées. Le maréchal de
Berwick laissa le commandement à son plus ancien
lieutenant-général, M. de Quadt, et reprit, le 20 no-
vembre, la route de Paris, avec les princes de son
état-major. M. de Quadt, devant la persistance des
pluies qui comblaient nos ouvrages, repassa le Rhin
et prit, sur la rive gauche, ses quartiers d'hiver qui
furent à peine troublés par quelques escarmouches de
cavalerie. On aimait, en ce temps-là, se battre au sec,
avec toutes ses aises.
(i) Histoire de Maurice, comte de Saxe, tome I^ p. 281 .
36 LE PftINCB DE GONTY
Le prince de Conty, rentré à Paris fin novembre,
avait totalement oublié M\^^ Quoniam et il donna à la
princesse sa femme des preuves immédiates de sa ten-
dresse, puisqu'en mai suivant, lorsqu'il repartit à l'ar-
mée du Rhin, il la laissait enceinte de cinq mois.
L'opération capitale de notre campagne de 1784 en
Allemagne fut, après une série de marches savantes à
tromper le prince Eugène lui-même, la prise de Phi-
lipsbourg, qui fut investi le 25 mai et qui capitula le
18 juillet. Conty escortait, avec les autres princes^ le
maréchal de Berwick,lorsquecelui-ci,le 8 juin, recon-
nut les abords de la place pour Tendroit de la pre-
mière attaque. C'est encore le régiment de Conty qui
descendait de la tranchée, le 12 juin, quand un boulet
tua net M. de Berwick. Cette mort n'arrêta pas les tra-
vaux du siège et le commandement passa à M. d'As-
feldt, promu maréchal de France, en même temps que
Conty était nommé maréchal-de-camp. La Gazette de
France signale les a grands exemples de valeur » que
donnèrent les princes lors de l'assaut de Touvrage
couronné, le i4 juillet (i).
Sans attendre le reste de Tétat-majorqui abandonna
Tarmée vers le milieu de septembre^ à cause du mau-
vais temps, Louis-François regagnait Paris au mois
d'août, par permission spéciale du Roi, pour assister
aux couches de la princesse.
Le 1"^ septembre ifi^, à huit heures du soir, naquit
Louis-François-Joseph, le nouveau comte de La Mar-
che. La délivrance de M"« de Conty fut laborieuse. La
princesse resta plus de quatre heures dans un travail
douloureux et risqua d'y perdre la vie. Pendant ces
crises, on agitait secrètement sur le parti à prendre.
Le chirurgien-accoucheur ne savait à quoi se résou-
dre. Il se faisait fort de délivrer la mère en sacrifiant
l'enfant ou de sauver l'enfant aux dépens de la mère.
Mais on voulait épargner l'un et l'autre. Dans cette
perplexité, le prince de Gonty^ témoin des souffrances
(i) Gasettede France, juillet 1734.
LB PRINCE DB CONTY 37
de la princesse et de Tembarras de l'opérateur, fut
consulté. Partagé entre la tendresse conjugale et la
tendresse paternelle^ également attaché à la conserva-
tion de sa femme et de son fils, il vit sa sensibilité
mise à une rude épreuve. Un effort de la nature, aidé
par la dextérité de l'accoucheur^ calma enfin ses
angoisses (i).
Louis-François-Joseph, né si difficilement, était
d'une complexion débile et plusieurs fois, dans son
jeune âge, il ne dut la vie qu'aux soins constants de
sa nourrice.
La princesse de Conty ne se remit jamais complète-
ment de cette précoce et pénible maternité. Pourtant,
malgré son état de langueur, on la croyait hors de
danger lorsque le Prince endossa le harnais pour
retourner à Tarmée d'Allemagne, sous les ordres, cette
fois, de M. de Coîgny.
Malgré l'emploi subalterne de Louis-François, sa
conduite au siège de Philipsbourg avait attiré sur lui
Tattention publique. Un poète de carrefour salua son
départ de ce quatrain prometteur :
CoQty n'attend pas quatre lustres
Pour faire trembler les Germains;
Sang des Rois dont les mains illustres
Sont faits (sic) pour régir les humains (2).
En dépit de ces pronostics^ la campagne de 1735
fut peu fertile en événements militaires. Des bruits
de prochaine paix commençaient à se répandre et les
généraux, sentant venir les diplomates, restaient dans
une prudente expectation. L'armée du roi de France
borna son action à une promenade militaire du camp
de Weinholsheim à celui de Bermesheim, du camp
d'Eppenheim à celui d'Oguersheim. L'avancement
(i) Vie privé el politique de L.-F.-J, de Conty ^ pp. i3, 16, 17.
(a) Bibliothèque Nationale : Manascrits français (Recueil de
chansons, t. III), 12675.
38 LE PniNCE DE CONTY
d'ailleurs ne souffrit point de cette espèce d*armistice
et, le i8 juillet, Conty ceignit l'écharpe de lieutenant-
général. On sait comment les pourparlers, engagés
tandis que nos soldais prenaient leurs quartiers d'hi-
ver, aboutirent en 1788 au traité de Vienne qui, en
échange de la renonciation de Stanislas Leczinski
au trône de Pologne, lui accordait les duchés de
Lorraine et de Bar, réversibles sur la couronne de
France.
La guerre terminée, Conty reprit à Versailles son
rôle de prince du sang. Nous Tapercevons aux côtés
du Roi à toutes les cérémonies où l'appelle son rang.
Quand il ne chasse pas dans le parc avec Sa Majesté,
quand il ne passe point sur la place d*armes quelque
revue des mousquetaires, il assiste aux processions
dont Louis XV est friand; il sert les plats sur la table
royale en compagnie des autres princes, à la Cène tra-
ditionnelle de la semaine sainte ; les soirs d'Opéra, il a
son pliant dans la loge du monarque et son couvert
est mis aux soupers des petits-cabinets (i).
Un deuil cruel interrompit ces travaux d*étiquette.
La princesse de Conty, la jeune, succomba aux suites
de ses couches le 26 septembre 1736. Elle mourut au
château d'Issy, propriété des Conty, à onze heures du
matin, et fut inhumée le 2 octobre dans l'église Saint-
André-des-Arcs, à Paris. Son cœur, placé dans une
urne, fut porté à la Chapelle du Val-de-Grâce. La
veille de l'inhumation, M"® de Clermont, nommée par
la Reine pour aller jeter l'eau bénite sur le corps de
la défunte, s'acquitta de cette mission avec tout l'ap-
parat et toute la minutie désirables.
M*i« de Clermont, dit le duc de Luynes, partit de Versailles
dans son carrosse avec M°>® la duchesse de Boufflers, M<°« la
comtesse de Mailly (dames du palais de la Reine) et M°^® de
(i) Voir pcusim la Gazette de France et les Mémoires du dac de
Laynes.
LB PRINCE DB CONTT 39
Ribérac, sa dame d'honneur. Elle étoit habillée en grand
deuil, avec une mante de sept aunes de long^. Elle descendit
aux Tuileries et entra dans l'appartement de M. Bontemps,
gouverneur de ce château . Elle y resta quelque temps pour
attendre que M. de Dreux, g>rand mattre des cérémonies, vint
l'avertir. M. de Dreux, vêtu d'un |o;'rand manteau à queue
traînante» étant arrivé, M^^* de Clermont sortit et trouva dans
la cour deux carrosses de la Reine, huit f^ardes du corps à
cheval qui mirent l'épée à la main quand elle parut. Ils étoient
commandés par un exempt, vêtu de deuil, en pleureuse et à
cheval. M. Coulon, écuyer ordinaire, donna la main à
MUe de Clermont, qui monta dans l'un des carrosses et se mit
seule dans le fond de derrière. M'^^ la duchesse de BoufQers
se mit dans le fond de devant avec M"® de Mailly, et M™« de
Ribérac étoit à Tune des portières. M. de Dreux et M. Coulon
montèrent dans l'autre carrosse et marchèrent devant celui où
étoit M^lo de Clermont. Celui-ci étoft suivi de huit gardes, et
Texempt à cheval à la portière. Elle arriva à Issy dans la mai-
son de M. le prince de Conty. Les Cent-Suisses garnissoient
la cour des deux côtés. M"« de la Roche-sur- Yon, suivie de
M^^ de Bussy, dame d'honneur de Mademoiselle, mais qui
lui servoit alors de dame d'honneur, attcndoit M^^^ de Cler-
mont au bas du perron qui est à l'entrée de la maison. M^^ la
comtesse d'Alèg^res, dame d'honneur de M'^® de la Roche-sur-
Yon, y étoit aussi ; mais elle représentoit alors la dame d'hon-
neur de feu M^^ la princesse de Conty. M">® la marquise de
Créquy, qui l'étoit, ayant demandé à se retirer quelque tems
avant la mort de cette princesse et n'ayant pas encore été
remplacée. M"« de la Roche-sur- Yon étoit en mante, et étoit
suivie de toute la maison de M. le prince et de Mi°o la prin-
cesse de Conty, en grand manteau (i). M^'® de Clermont fut
conduite dans une chambre en bas et en traversant plusieurs
autres. Il y avoit dans ladite chambre plusieurs fauteuils
noirs; M^^* de Clermont se mit dans le premier, l'exempt der-
rière elle ; M"« de la Roche-sur- Yon assise à gauche sur un
pliant, à ce que Ton croit, au moins cela devoit être. Cepen-
dant toutes les dames, non seulement M^^ de Boufflers, mais
les autres qui n'étoient point titrées, étoient assises, ce qui
n'est point régpulier, puisque M^^^ de Clermont représentoit la
(i) fc Les trois dames qui gardoient le corps furent les seules
qui n'allèrent point au-devant de M^^« de Clermont, parce qu'elles
ne doivent point quitter le corps « {^ote du duc de Luynes),
40 LE PRIN'CE DE CONTY
Reine. On croit qu'en entrant dans la chambre où étoit le
corps, on auroit dû annoncer la Reine, ce qui ne fut point
fait. M™« de Mailly avoit pris la queue de la mante en des-
cendant du carrosse. M. de Dreux avertit M"® de Clermont. il
Ja conduisit dans la chambre où étoit le corps. Elle y trouva
un prie-Dieu et un fauteuil. Elle se mit à g'enoux dessus ce
prie-Dieu, et l'exempt des g^ardes derrière le fauteuil. L'abbé
de St-Aulaire, aumônier ordinaire de la Reine, se mit à
genoux devant le prie-Dieu, suivant l'usagée. Aussitôt on
chanta le De Projundis, Il y avoit quatre ou cinq hérauts
d'armes, mais il n'y en eut que deux qui parurent avec le roi
d'armes. Ces deux hérauts étoient à côté du corps. L'aide des
cérémonies fit le premier les révérences au corps et à M"« de
Clermont, ensuite M. de Dreux, puis le roi d*armes et les
deux hérauts d'armes ; après quoi elle se leva et, suivie de
M°>® de Mailly, qui reprit la queue de la mante, elle s'avança,
prit le goupillon qui lui fut présenté par Tabbé de St Aulaire,
qui Tavoit reçu du roi d'armes, et, suivie aussi de l'officier
des gardes, elle jeta de l'eau bénite ; elle se remit aussitôt à
sa place, après avoir rendu le goupillon à labbé de St-Au-
laire, qui le remit dans le bénitier. W^^ de la Roche-sur-
Yon se remit sur le carreau, près de M^'* de Clermont, à côté
du drap de pied, et M.^^ la duchesse de Boufflers sur un
autre, auprès d'elle. Les hérauts d'armes et le roi d'armes
ayant refait les mômes révérences, W^^ de Clermont se leva
et fut reconduite, dans le môme ordre, dans la chambre où
elle avoit été reçue en entrant. Comme elle devait aller jeter
de l'eau bénite comme princesse du sang, pour éviter l'em-
barras et la peine de revenir une seconde fois à Issy. M. de
Dreux lui proposa de s'acquitter aussitôt de ce devoir » (i).
La douleur du prince de Conty fut sincère, quoique
modérée. Louis-François avait aimé raisonnablement
sa femme ; mais il avait pour elle plus d'estime et
d'affectueuse amitié que d'amour à proprement dire.
Cependant la bienséance Técarta quelque temps des
réceptions de la Cour. Il se retira dans son château
de L'Isle-Adam et fatigua son corps à la chasse pour
faire diversion aux ennuis de son isolement forcé. Le
(i) Duc DE LuYNEs, Mémoires, tome I, p. 98-100.
LE PniNCE DE CONTY 4!
comte de Charolais, son cousin, venait parfois lui
tenir. compagnie (i). La retraite à la campagne offrait
encore à Conty un moyen décent de masquer un peu
ses embarras d'argent. La vie de continuelle représen-
tation que sa naissance Tobligeait à mènera Versailles
était très coûteuse et la prodigalité naturelle du Prince
n'était pas pour compenser l'insuffisance de ses reve-
nus dont la plupart, en terres, étaient plus apparents
que réels; même les bénéfices de son gouvernement
du Poitou avaient été réduits par le Roi de 45.ooo li-
vres à la mort de Louis-Armand de Conty.
Peut-être aussi le séjour prolongé de notre prince à
L'IsIe-Adam eut-il une autre cause. Louis-François,
ainsi qu'on le verra plus loin, s'était épris, vers 1787,
d'une femme qui devait tenir dans son existence une
place marquante, M™® d'Arty. Peut-être, tout entier à
ses nouvelles amours, cherchait-il la solitude à deux.
Ainsi s'expliquerait son éloignement de Versailles, où
le duc de Luynes, fidèle enregistreur des menus faits
de la Cour, ne mentionne sa réapparition qu'au mois
de septembre 1788, à l'occasion d'une chasse où le Roi
lui infligea une petite mortification :
Le Roi, dit Luynes, fut hier tirer dans le parc de Versailles
et y tua environ 280 pièces. M. le Duc et M. le prince de
Conty avoieut suivi le Roi à la chasse, et un grand nombre
de courtisans. M. le Duc avoit fait porter des fusils, et tua
120 pièces. Le Roi avoit permis à M. de Courtenvaux et
M. de Soubise de tirer à coups de pistolet. Ils tuèrent Tun
26 ou 27 pièces, et l'autre une quinzaine. M. le prince de
Conty n'eut point permission de tirer. C'est à «lause d'une
chasse dans la plaine, je crois, de Gennevilliers, que M. le
prince de Conty a faite avant que le Roi y fut, où il tua avec
ceux qui Taccompagn oient 800 pièces de gibier (2).
(i) Archives nationales: Monuments historiçaes, K 574 (Lettres
du comte de Charolais).
(2) Duc DE Luynes, Mémoires, tome II, p. 289.
42 LE PRINCE DE CONTY
En 1789, au mois de mai, le prince de Conty hérita
de sa grand'tante Marie-Anne qui était doublement
une Bourbon, et par sa naissance, et par son alliance.
Née à Vincennes des amours de Louis XIV avec la
douce La Vallîère, lég'itimée sous le nom de M^'* de
Blois, elle avait épousé à quatorze ans Louis-Armand
de Bourbon-Conty qui Tavait laissé veuve à dix-neuf
et qu'elle pleura un demi-siècle sans vouloir se rema-
rier.
En 1740, autre deuil de famille. Monsieur le Duc,
frère de M*"* de Conty, la mère, mourut à Chantilly de
la dysenterie. Il n'avait été malade que quelques jours.
Le Roi chargea Louis-François d'aller lui jeter Teau
bénite. L'année suivante, quand décéda la reine de
Sardaigne, Conty fut encore désigné par Louis XV
pour le représenter au service célébré à Notre-Dame.
Malgré Tintimité de ses rapports avec le monarque
et, peut-être, à cause de celte intimité même, le Prince
manifestait déjà des velléités d'indépendance qui, en
dépit de la futilité des circonstances, choquaient par-
fois les courtisans. Un jour à la chasse, il heurtait du
poitrail de son cheval la monture de Sa Majesté et
croyait suffisamment s'excuser en alléguant qu'il avait
tourné sa bête de peur de blesser M. de Villeroy, botte
à botte avec lui. Le Roi ne dit mot, mais il rougit et
cette émotion royale acheva de rendre tout à fait scan-
daleuse aux yeux des assistants, la réponse hardie du
prince de Conty (i). Une autre fois, comme Louis XV
partait à Choisy, Conty lui demanda de l'accompagner.
A quoi le Roi dit que ce déplacement serait très court,
qu'il valait mieux attendre un autre voyage. Le lende-
main pourtant, Louis-François, venu seul de Paris, se
trouvait à Choisy où sa présence était défavorablement
commentée (2). Ce n^étaient là que des vétilles, mais
qui dénotaient chez le prince une humeur peu disci-
plinée.
(i) Marquis d'Argknsok, Joarnal et Mémoires, tome III, p. i4^.
(2) Duc DE LuYNBs, MémotreSy lome IV, pp. 20-21.
LE PniNCB DE CONTT 43
L'amour de la gloire fit dégénérer ces incartades à
Tétiquette en révoUe ouverte. Il n'entre point dans
notre cadre de raconter en détail la guerre de la Suc-
cession d'Autriche qui est du domaine de THistoire
générale ; nous devons pourtant y suivre de loin notre
héros^ qui sut faire montre des talents militaires les
plus réels.
Nous avions pris les armes en 1741 pour assurer
l'Empire à l'Electeur Charles de Bavière, au détriment
de Marie-Thérèse d'Autriche et en violation de la
Pragmatique Sanction à laquelle nous avions pour-
tant adhéré. Alliés de l'Espagne, de la Prusse, de la
Pologne, de la Sardaigne, nos débuts avaient été bril-
lants. Tandis que Tarmée d'observation du maréchal
de Maillebois contenait, en Westphalie, les électeurs
allemands dans la neutralité, nous étions allés à Prague
(nous eussions mieux fait d'aller à Vienne) ; Char-
les VII par nos soins avait été couronné roi de Bohème ;
Marie-Thérèse semblait perdue. Le patriotisme des
Hongrois, aidé par Tor des Anglais, retourna la situa-
tion. En i742,àPouverture de la deuxième campagne,
nous avions perdu tous nos avantages de l'année pré-
cédente, nous étions à notre tour assiégés dans Prague
où la retraite paraissait coupée au maréchal de Broglie.
Le prince de Conty avait sollicité un commande-
ment en Allemagne sans pouvoir l'obtenir. L'hostilité
du cardinal Fleury, si prompte à servir autrefois les
intérêts des Orléans, alors que le Prince n'était qu'un
petit colonel de seize ans, déniait à Louis-François,
maintenant lieutenant-général, le droit de s'illustrer à
la guerre. En vain Conty avait insisté sur le ton un peu
hautain qui lui était propre, écrivant au vieux minis-
tre : « Quand on trouve un homme, j'ose dire, d^aussi
bonne volonté que moi, au moins faut-il le laisser
faire; m'ôter une occasion militaire de m'instruire,
c'est me faire tort » (i). Cette lettre est du 12 fé-
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions, 3o85.
44 LB PRINCE DB CONTY
vrîer 1742; nous étions encore victorieux en appa-
rence. Quand le revers se dessina, Conty n^hésita plus.
En septembre, malgré la volonté formelle du Roi, il
partit rejoindre l'armée du maréchal de Maillebois.
Le dessein était médité depuis longtemps. Au mois
de juin, le Prince s'en était ouvert à M™« de Mailly, la
favorite, qui avait fait son possible pour le détourner
de son entreprise, lui représentant combien cette
démarche déplairait au souverain. Conty n'avait point
paru convaincu et avait seulement prié M"« de Mailly
d'oublier cette confidence. Mais, pour partir, il fallait
s'équiper, et Louis-François était pour lors dans une
détresse extrême. Il rassembla dans sa famille et ses
amis une soixantaine de mille livres; et le lundi
10 septembre, il quittait Paris en poste, à trois heures
du matin, avec son capitaine des gardes et deux
domestiques. Le Roi ne fut informé de cette fugue que
le mercredi. Sur le champ, il ordonna à M. de Bre-
teuil, ministre de la guerre, de dépêcher franc étrier
un courrier à M. de Maillebois, lui prescrivant de
mettre le Prince aux arrêts dès que celui-ci arriverait
au camp. En même temps, des missives étaient adres-
sées à chacun des princes du sang, portant défense de
quitter le royaume sans permission.
La princesse de Conty était prévenue du projet de
son fils. Louis-François lui avait laissé une lettre pour
le duc d'Orléans, par laquelle il rendait compte à son
beau-frère de sa conduite, lui reconvmandait le comte
de La Marche et le priait de reprendre sur le jeune
prince, pendant son absence, tous les droits d'un
tuteur (i). A sa mère, Conty avait encore donné
commission d'intercéder personnellement auprès de
Louis XV de qui le mécontentement n'était que trop
facile à prévoir. Le i3 au matin, la princesse était à
Issy, où elle voyait le cardinal Fleury qui lui reprocha
de l'avertir si tard. M"* de Conty riposta qu'elle n'au-
(i) Philippe d'Orléans avait été efiPecttvement le tuteur du
comte de La Marche jusqu'à la majorité du prince de Conty.
LE PRINGB OB GONTY 45
rait pu l'avertir plus tôt parce qu'elle avait voulu
laisser au Prince le temps de gagner assez le large
pour n'être plus arrêté en chemin. Elle convenait,
d'ailleurs, d'avoir approuvé le plan de son fils et ajou-
tait que son seul regret était de ne pouvoir être dans
le même cas que lui parce qu'elle aurait agi de même.
Elle venait seulement demander conseil au ministre,
son intention étant d'aller se jeter aux pieds du Roi
pour solliciter la grâce du coupable. Mais Sa Majesté
était àChoisy; que faire? Le cardinal répondit qu'il
n'était point de lieu où le Roi pût trouver mauvais
qu'une mère comme elle allât réclamer pour son fils.
En conséquence, M™* de Conty, après une visite à la
Reine qu'elle mit au fait, partit de Versailles dans
l'après-midi pour Choisy, afin de se trouver à l'arrivée
du monarque qui chassait à Sénart. M"^® de Mailly
accompagnait la princesse. Il fut convenu qu'en arri-
vant à Choisy la favorite passerait la rivière et irait à
la rencontre du Roi pour lui parler et le prévenir; que
la princesse ne se montrerait point et demeurerait
dans le logement de la concierge jusqu'à ce qu'on sût
si Louis XV accordait l'entrevue. Les choses se pas-
sèrent selon ce programme :
Elle (M°»« de Mailly) fit avertir M™« la princesse de Conty
lorsque le Roi fut arrivé ; et elle la conduisit dans la chambre
du Roi jusqu'à ce que le débotté fût fini ; dès que le Roi fut
habillé, il passa dans son cabinet ; alors M°^<^ la princesse
de Conty s*avança à la porte du cabinet avec Mi'« de Conty et
M*'« de la Roche-sur- Yon, et dit au Roi qu'elle venoit lui
demander pardon pour son fils, que M"*^ la Duchesse seroit
venue aussi si elle ne s'étoit pas trouvée incommodée. Le Roi
répondit d'un air fort froid : « — Il a fait une grande sot-
tise ». « — Il est vrai, Sire, répondit M™« la princesse de
Conty, et c'est pour cela que je viens supplier Votre Majesté de
lui pardonner et lui faire grâce ». Le Roi lui dit : « — J'ai
envoyé des ordres à M. de Maillehois ». M'i^ de la Roche-sur-
Yon prit la parole, et dit qu'au moins M. le prjnce de Conty
avoit marqué beaucoup de zèle. « — Il a effectivement beau-
46 LE PRINCE DE CONTY
coup de zèle », dit le Roi. M^^ la princesse de Conty ne put
avoir d*autre réponse, et repartit aussitôt (i).
Elle ne se tint pas pour battue et quelques jours plus
tard, ayant fait venir à Versailles le comte de La Mar-
che, elle pria le cardinal de le mener chez le Roi. A
l'heure du travail, Louis XV vit entrer dans son cabi-
net le bambin qui lui dit sans préambule : « — Sire^
je viens vous supplier de pardonner à mon papa ».
Le Roi sourit et dit : « — Il faudra bien vous accorder
ce que vous demandez ». Au vrai, la grâce était déjà
octroyée, puisque Louis XV, dans l'intervalle, avait
réduit à huit jours le temps des arrêts du Prince et
seulement les jours où l'armée ne marcherait pas. Sa
punition faite, Louis-François était autorisé à rester
auprès de M. de Maillebois pour y servir sans grade et
comme volontaire. Enfin le 29 novembre, le comte de
La Marche recevait le baptême à Versailles avec le
Roi pour parrain et, pour marraine, la reine Marie
Leczinska. Le même jour, le Dauphin et Madame
(Henriette de France) nommaient Louise-Henriette de
Conty, sœur du Prince. A cette occasion, Louis-Fran-
çois eut rémission pleine et entière ; M. de Breteuil
lui expédia ses lettres de service en qualité de lieute-
nant-général.
Le prince de Conty était arrivé à l'armée de M. de
Maillebois au moment où les généraux français
venaient de se décider à marcher au secours de Prague
bloqué. Après une manœuvre savante, qui trompa les
Autrichiens, lesquels avaient levé le siège de cette
ville, s'étaient portés à notre rencontre et occupaient
les défilés du Waldmûnchen, M. de Maillebois pénétra
dans la Bohême à la fin de septembre. Un instant il
(i) Duc DB LuYNES, Mémoires, tome IV, p. 280. — Dans le public,
on partageait 1 opinion de Mlle de La Roche-sur- Yon. Barbier dit,
dans son Journal (II, 33 1) : « Ceci est très louable pour ce Prince
qui, par ardeur et par gloire., veut servir. Mais il est pourtant de
conséquence pour l'autorité du Roi, qu*un prince ne serve point
dans les armées contre sa volonté... »
LE PRINCE DE CONTY 47
put espérer rejoindre le maréchal de Broglie qui, sorti
de Praçue avec la majeure partie de la garnison, avait
gagné Leitmeritz, pour s'avancer sur Saitz, notre com-
mun objectif. Mais ce projet fut déjoué par l'ennemi
qui occupa Saltz et mille tentatives de notre part
n'aboutirent qu'à épuiser nos soldats par des marches
et des contre-marches continuelles. M. de Maillebois,
manquant de vivres, débordé par le nombre des mala-
des, dut se déterminer à se replier sur Egra et à
reprendre la route du Haut-Palatinat, tandis que l'ar-
mée de M. de Broglie retournait s'enfermer dans Pra-
gue. Retraite désastreuse, qui du reste coûta son com-
mandement au maréchal de Maillebois, lequel fut
remplacé par M. de Broglie. On devine que le prince
de Conty n'avait point trouvé à se signaler beaucoup
dans cette guerre où Ton manœuvrait toujours sans
jamais se battre. Il eut pourtant l'occasion de montrer
sa valeur, le 3 octobre, dans une escarmouche où,
pour délivrer un corps de nos troupes attaqué par les
hussards hongrois, il chargea à la tête des dragons et
fit merveille. Lorsqu'en novembre M. de Balincourt
franchit le Danube avec lo.ooo hommes pour mettre
notre allié bavarois, le maréchal de Seckendorf, en état
de se soutenir à Braunau, Conty appuya le mouvement
avec une vingtaine d'escadrons, à deux jdurs de mar-
che ; mais il n'eut pas à donner. Au résumé, beaucoup
de peine et peu d'honneur... Et M. de Broglie ne par-
venant pas à s'entendre avec M. de Seckendorf sur le
plan de campagne à suivre, on prit les quartiers d'hi-
ver entre l'Inn et le Danube, par un froid rigoureux
qui décimait notre armée plus que n'eussent fait dix
batailles rangées.
Cependant le prince de Conty s'était acquis une
estime générale par sa bravoure, sa volonté, son appli-
cation. Il en eut la preuve lors du voyage qu'il fit à
Versailles, au mois de mars i743. Il fut reçu parfaite-
ment bien du Roi quand il alla lui faire sa révérence.
Louis-François était fort changé et très amaigri. Bien
qu'on fut en carême, le Roi qui le garda à souper deux
i8 LB PRINCE DE CONTY
soirs de suite dans les petits cabinets, lui fit servir du
gras ce qu'on n'avait point encore vu à la Cour et ce
qui fut très remarqué. On jasait ferme aussi sur l'objet
du voyage. Des gens se disant bien instruits, préten-
daient que le Prince apportait à Louis XV une lettre
autographe de l'empereur Charles VII, dans laquelle
notre allié réclamait le rappel du maréchal de Broglie,
se fondant sur l'incompatibilité d'humeur qui divisait
cet officier et le maréchal de Seckendorf. Ils annon-
çaient même que le prince de Conty allait commander
l'armée, avec, à ses ordres, le comte Maurice de Saxe.
La vérité, plus simple, est que la princesse de Conty
avait en personne sollicité du Roi le retour de son fils,
pour motifs de santé et d'affaires, mais à la condition
expresse que Sa Majesté permit au Prince de retourner
à l'armée quand il serait remis de ses fatigues.
Celui-ci repartit vers la fin du mois et il assista à
toute la campagne de 1743, série d'échecs lamentables,
malgré la valeur déployée en pure perte. Grâce à la
mésintelligence entre Broglie et Seckendorf, le prince
Charles, qui commandait les Autrichiens, avait déjà
rassemblé ses quartiers, que les troupes impériales et
françaises étaient encore cantonnées par petits postes.
On fut battu séparément. Après le général Minuzzi,
enlevé à Erlach avec son corps de 6.000 Bavarois;
après la prise du partisan Lacroix^ capturé avec ses
compagnies franches malgré la plus belle résistance,
ce fut le marquis du Châtelet attaqué dans Dingelfin-
gen avec i.4oo hommes par le comte de Thann avec
10.000 Autrichiens, et n'abandonnant qu'après vingt-
quatre heures de combat la place en ruines. M. Phe-
lipes, lieutenant-général, qui^ la veille, avait évacué
Dingelfingen ne put que protéger la retraite de ces
vaillants qui le rejoignirent en passant Tlser sur un
pont de radeaux. Prévenu de cette attaque, le prince
de Conty qui occupait Landau avec 12.000 hommes se
porta aussitôt au secours de Dingelfingen mais il arriva
trop tard ; la ville incendiée par les Autrichiens ache-
vait de brûler; et Landau^ où le prince n'avait laissé
LE PRINGS DE CONTY 49
qu'une faible garnison subit le même sort quelques
jours plus tard. Tout cela, sans que le général de
Charles VII, qui était à Landshut, ftt aucun mouve-
ment pour nous prêter aide.
Ces choses se passaient le i8 et le 19 mai. Le 27 du
même mois, les Autrichiens enlevaient d^assaut la ville
de Deckendorf, et forçaient les Français, après quatre
heures d'une résistance acharnée, à se retirer dans les
retranchements qu*ils avaient construits à la tête du
pont. Le régiment de Champagne se couvrit de gloire
en s'ouvrant un passage à la baïonnette au travers de
l'ennemi. Conty, accouru avec sa cavalerie pour pro-
téger la retraite, donna des marques d'une bravoure
sans égale. Il eut son cheval tué sous lui et perdit tous
ses équipages. « Mais le prince Charles les lui renvoya
le lendemain avec toute la politesse imaginable, ayant
même défendu de recevoir la moindre rançon » (i).
L'armée de secours du maréchal de Noailles n'était
pas plus heureuse et se faisait battre à Dettingen pour
avoir attaqué trop tôt et mal à propos.
Bref, quand M. de Broglie, arrivé le 9 juillet à
Wimpfen, sur le Neckar, remit son armée au comte
de Saxe, sous les ordres de M. de Noailles, de iSo.ooo
hommes environ envoyés en Bavière et en Autriche,
le froid, la misère, la désertion encore plus que le feu
de l'ennemi, avaient réduit Teffectif à moins deSo.ooo.
Ce beau résultat coûtait à la France à peu près trois
cents millions de livres.
Il faut placer ici un rapport de police anonyme qui
prouve avec quelle perfidie les ennemis du prince
de Gonty s'activaient à le desservir à Versailles tandis
qu'il se battait pour le Roi. Voici cette note, évidem-
ment suggérée en haut lieu au policier qui la rédigea :
^9 jviin 1743, — On fait courir le bruit que M. le prince
de Conty a dû partir le a5 avec la réserve pour aller joindre
M. le maréchal de Noailles. On demande ce qu'on veut faire du
(i) Vie du comte de Saxe, tome II, p. a4.
50 LB PRINCB DE GONTT
reste de l'armée, à quoi aboutit ce projet et si l'on veut ajouter
à tant de fautes faites celle d'avoir trop de complaisance pour
M. le prince de Conty. On dit que ce prince parle et écrit avec
beaucoup de liberté et qu'il se fait beaucoup de partisans. On
pense que quand un Etat se trouve dans certaines circonstan-
ces, il est de la prudence du ministère de prévoir les choses
qui ont l'air le plus éloig'uées. Gens de bon ton disoient hier
que le prince dont on vient de parler, se moque, dans toutes
les occasions, des ministres excepté d'un seul, qu'il a toujours
considéré pour un bon mot qu'on lui prête. Ayant un jour
surpris sa femme avec le prince de..., il se retira en disant à
un intime : « Du moins ne s'encanaille-t-^lle pas; de l'humeur
dont je la connois, elle coucheroit avec le Roi » (i).
A qui faire remonter la paternité de ces insinua-
tions? On les jurerait dictées par Tévêque de Fréjus
si Fleury, à cette date, n'était mort depuis plusieurs
mois? Mais ne pourrait-on l'imputer au marquis d'Ar-
genson^ le frère du nouveau ministre de la guerre ;
au marquis d'Argenson, qui fut toujours, sans que
nous sachions pour quelle cause, l'ennemi mortel du
prince de Conty?... Cette tentative de rendre le prince
suspect ne porta pas les fruits attendus ; bien au con-
traire. Le 3o juin (la note est du 39) le Roi accordait
à Louis-François 36. 000 livres d'augmentation sur
son gouvernement du Poitou ; et ce qui doublait le
prix de cette grâce, c*est qu'elle était spontanée, la
princesse de Conty ni son fils n'ayant rien demandé (2).
Le prince de Conty revint à Versailles le 7 novembre
quand l'armée de Ravière eut pris ses quartiers d'hi-
ver, après un armistice qui avait duré une partie de
l'été. Il fut bien accueilli du Roi et très fêlé des prin-
ces. Bientôt ses liens de parenté avec les Orléans se
resserraient encore par le mariage de sa sœur Louise-
Henriette avec le duc de Chartres. Les fiançailles de
M"« de Conty furent célébrées le 16 décembre 1743 ; la
(i) Chronique du règne de Louii XV, in « Rbvus RirROSPBC-
nvB », année x834, p. \7&, — Cette Chronique est attribuée à un
limier du lieutenant de police.
(a) Duc DB LuYNBS, Mémoires, tome V, p. 5^.
LE PRINCE DE CONTY 51
bénédiction nuptiale fut donnée le lendemain. Ainsi
Louis-François devenait beau-frère à la fois du père et
du fils (i).
En sortant de la cérémonie des chevaliers du Saint-
Esprit, le I*' janvier i744i le prince de Conty apprit
qu'il était désigné par le Roi pour commander en chef
l'armée d'Italie, ou, plutôt, l'armée du Dauphiné. Telle
était en effet Tappellation exacte des corps auxiliaires
mis par la France à la disposition de Sa Majesté Très-
Catholique, pour combattre le roi de Sardaigne, notre
allié du début de la guerre, maintenant tourné contre
nous. Mais on disait communément armée d'Italie,
parce qu'on jugeait avec raison qu'elle était destinée
à passer dans la péninsule.
On faisait observer à ce propos qu*il n'y aurait pas
de maréchal de France sous le prince de Conty. M. de
Maillebois, fils du maréchal, dont on disait grand bien,
serait maréchal général des logis; milord Tyrconnel,
maréchal des logis de la cavalerie et M. de Chauvelin,
frère de l'intendant d'Amiens, maréchal général de
l'infanterie. Une petite difficulté surgissait pour-
tant. Les troupes espagnoles devaient avoir à leur
tête l'infant don Philippe, secondé par le capitaine
général marquis de La Mina (i). Quel cérémonial
(i) Nous avons vu plus haut dans quelle intimité vivaient les
CoDty et les Orléans. Quand la princesse de Conty porta au duc
d'Orléans la lettre où Louis-François, partant pour l'armée, met-
tait le comte de La Marche sous la tutelle de son cousin, celui-ci
o£Frit à la princesse de l'accompagner pour intercéder auprès du
Roi en faveur du fug^itif. Cependant l'abbé Soulavie, à propos du
mariage du duc de Chartres écrit textuellement :
«r Les Conty et les d'Orléans ne se fréquentaient pas, et le duc
d'Orléans se présentant chez la princesse, celle-ci fut étonnée, et
lui demanda par quel hasard il venait chez elle? « Pour deman-
der votre fille en mariage » répondit le duc d'Orléans. « Avec qui
donc? » repartit Mme la princesse, « Avec mon fils, le duc de
Chartres ». Le même jour il alla en donner la nouvelle à
Mme d'Orléans et prendre les ordres du Roi » ([Soulavik], Mé^
moires du duc de Richelieu^ tome VIII, p. 6i).
(i) Don Philippe, Infant d*Espagne, fils de Philippe V et d'Eli-
sabeth Famèse, né à Madrid, le i5 mars 17^0, était grand-amiral
52 LE PRINCB DE CONTY
réglerait la préséance et les honneurs militaires entre
le prince français et le prince espagnol ? Une lettre du
roi d'Espagne à M, de La Mina par l'entremise de
M. de Montijo, enjoignit au capitaine général d'obéir
en tout au prince de Conty qui commanderait Tarmée
espagnole comme la française, sous les ordres de l'In-
fant (2). Réciproquement Louis XV prescrivit à Louis-
François, pour le bien du service et l'union des alliés,
de fermer les yeux sur tout ce qui ne serait pas essen-
tiel. Conty obtint néanmoins gain de cause sur un
point très disputé qui lui tenait à cœur. Il prétendait
recruter, en sa qualité de commandant d'armée, une
compagnie de gardes du corps ayant rang d'ofiiciers
dans la cavalerie. Il se fondait en cela sur l'exemple
du grand Condé qui avait eu une compagnie de gen-
darmerie attachée à sa personne. Le Roi lui objectait
que c'était se mettre trop ostensiblement sur le pied
d'égalité avec Tlnfant, alors que nous n'étions en
somme que troupes auxiliaires de l'Espagne. Le crédit
de la duchesse de Ghâteauroux, fort amie de Louis-
François, leva tous les obstacles et le prince put faire
enrôler sa compagnie de gardes telle qu'il la désirait.
Elle fut composée de 5o gentilshommes magnifique-
d'Espagne depuis 1787. Il avait été marié par ppocuration à Ver-
sailles, le 26 août 1789 et en personne à Alcala, le 25 octobre
suivant, à Louise-Elisabeth de France, fille de Louis XV. Il fut
par la suite duc de Parme, de Plaisance et de Guastalla ^traité
d'Aix-la-Chapelle, 1748) et mourut à Alexandrie, en 1765.
(2) Le comie del Montijo, don Cristobal-Greg'orio Portocarrero,
Guzmaa, Luna. Henriquez de Almansa, Cardenas, Pacheco,
Acuna, Funes de Villalpando, Monroy y Aragon, marquis de la
Algaba et de Villenueva del Fresno, etc., grand d'Espagne, né le
12 mars 1692, était en mission extraordinaire à Paris, porteur de
doubles lettres de créance de Philippe V et de l'Empereur. Il fut
reçu par le Roi à Fontainebleau le 3o octobre 1743 et repartit le
i4 janvier 1744- H s'était déjà arrêté à Paris en 1741, sans doute
pour se concerter avec les ministres français au sujet de Télection
à l'Empire de l'Electeur de Bavière (Recueil des instructions don-
nées aux ambassadeurs et aux ministres de France. Espagne»
tome m, p. 435).
LB PRINCB DE CONTY 53
ment yêtus à la livrée des Conty (i). Leurs habits
étaient galonnés d'argent, les bandoulières étaient
bleues avec le même galon. Leur capitaine, M. de Mon-
talembert-Maumont, chevalier de Saint-Louis, avait
commission de mestre-de-camp.Leur lieutenant avait
brevetde lieutenant-colonel et les simples gardes étaient
lieutenants. Leur paye se montait à dix-huit sous par
jour et leurs chevaux étaient nourris et entretenus aux
frais du Roi (2). Ils quittèrent Paris le 11 avril pour se
rendre à Aix-en-Provence, défilant par les rues deux
à deux, Tépée à la main. Quelques jours auparavant
la revue de cette compagnie avait été passée chez la
princesse de Conty par M. le comte d'Argenson,
ministre de la guerre (3).
Devançant son escorte, Conty avait rejoint Tlnfant
sur le théâtre des opérations depuis le 7 mars. Il s*était
mis en route à trois heures du matin, courant à trente
chevaux, de manière à être à Toulon dans les quatre
jours. Instruit par la guerre malheureuse de Bavière,
mûri quoique jeune par l'expérience que donne l'ad-
versité plus que le succès, il s'était préparé à ce gêné-
ralat tant ambitionné par une persévérante étude de
la tactique, durant tout l'hiver qu'il avait passé à Paris.
Il connaissait l'Italie mieux peut-être que sa patrie ; il
en avait confronté toutes les cartes dans leurs plus
petits détails; il savait par cœur les campagnes de
Gatinat et de Vendôme; il s'était en un mot « muni
(i) Les armes des CoDty étaient les mêmes que celles de la
branche aînée, les Condé ; la livrée différait un peu : au lieu
d'être d'un jaune franc, elle était d'une sorte de chamois clair
qu'on appelait, du reste, chamois*Conty.
(2) En 174s» après la guerre, Conty conserva sa compagnie de
gardes, qu'il établit à son château de Beaumont. Le Roi continua
de les payer; ils coûtaient 80.000 livres par an.
(3) Bàrbibr, Journal^ tome II, p. 390; et Duc dk Luynks, Mémoi-
res, tome V, p. 395. — L'équipage du Prince était parti le
13 février. Il était formé de plus de 80 mulets, de 36 chevaux de
main, de 20 hommes de suite à cheval, de 2 carrosses de cam-
pagne, pour les officiers supérieurs, et de 5 ou 6 fourgons à
bagages.
54 LE PRINCE DB CONTY
de toutes les connaissances de spéculation qui peuvent
suppléer à la pratique » (i).
L'armée combinée de France et d'Espagne, 4o.ooo
hommes environ, franchit le Var dès le i^"^ avril, con-
traignant les troupes piémontaises du roi de Sardaigne
à se retirer et à abandonner les châteaux d'Aspremont,
d^Utelle, de Nice et de Castelnuovo. L'Infant et le
Prince projetaient d'attaquer, le i5, les retranchements
ennemis au fort de Montalban et à Villefranche, par
six endroits à la fois; mais un orage terrible, qui fit
un torrent du ruisseau du Paillon et rendit les che-
mins impraticables, obligea de remettre cette attaque
au 19. Ce jour, Conty se présenta au Pas de Ville-
franche, haut de près de aoo toises et que le roi de Sar-
daigne croyait inaccessible, avec ses gorges étroites et
ses profonds abîmes sur lesquels plongeait Tartillerie.
Détail curieux, cette artillerie piémontaise était servie
par des canonniers anglais que l'amiral Mathews avait
débarqués à Villefranche. Malgré la sûreté de leur tir,
ce rempart du Piémont était couvert en moins de
quelques heures de Français et d'Espagnols qui avaient
escaladé la forteresse, de rocher en rocher. L'amiral
anglais et ses matelots faillirent être capturés.
Cette opération rapide, qui assurait la conquête du
comté de Nice, fut accueillie avec des transports de joie
à Paris et à Versailles. Le 16 mai, un Te Deum solen-
nel fut chanté à Notre-Dame. Toutes les Cours y assis-
tèrent. On afficha dans Paris une ordonnance du Roi
autorisant à faire des feux de joie dans les rues, ce qui
fut exécuté avec zèle par les bons bourgeois de la
capitale. A ceux qui trouvaient excessif ce Te Deum^
alors que nous n'avions pas guerre déclarée avec le
roi de Sardaigne et que nous n'étions qu'auxiliaires,
on remontrait que ces actions de grâce avaient été
désirées par Sa Majesté Très-Catholique (2).
(i) Vie privée de Louiê XV, tome II, p. 194.
(2) Barbier, Journal, tome II, p. 894 ; el Duc db Lutnbs, Mémoi-
res, lome V, p. 434.
LB PAINGB DB GONTT 55
Plus rude encore que la prise de Villefranche fut
Tescalade du Château-Dauphin que donnèrent le
comte de Campo-Santo à la tête des Espagnols et le
prince de Gonty à la tête des Français. Deux mille
Piémontais sont retranchés sur un roc à pic avec de
Tartillerie. Nous n'avons pas de canon, et Tennemi nous
foudroie à bout portant. Cependant le bailli de Givry
et le brave Chevert, le même qui était monté le pre-
mier sur le rempart de Prague, enlèvent leurs grena-
diers qui s'élancent à la baïonnette, et, chose près-
qu'incroyable, sautent dans les retranchements par les
embrasures que les canons, après avoir tiré, laissaient
vides dans leur recul. Nous perdîmes là près de 2.000
hommes, mais pas un Piémontais n'échappa. Dans
son rapport au marquis de La Mina, le comte de
Campo-Santo disait : € Il se présentera peut-être
quelques occasions où nous ferons aussi bien que les
Français, mais il n'est pas possible de faire mieux ».
Ce fait d'armes arracha pourtant des larmes au prince
de Conty, lorsqu'il apprit que le marquis de la Carte,
son plus fidèle officier, à qui lui-même avait confié le
commandement du régiment de Conty-Infanterie, était
parmi les morts. L'Infant d'Espagne lui dit avec éton-
nement : u — Si vous aviez été battu que feriez-vous
donc? » Le Prince répondit : « — Je serais honteux
de ma défaite, mais je ne puis Têtre de pleurer mes
amis et la perte de tant de braves gens ». Dans sa cor-
respondance au Roi, Conty mentionnant cette journée,
écrivait :
« C'est une des plus brillantes et des plus vives actions qui
se soient jamais passées ; les troupes y ont montré uue valeur
au-dessus de rhumanité. La brigade de Poitou, ayant
M. d*Agenois à sa tète, s'est couverte de gloire. La bravoure
et la présence d*esprit de M. de Chevert ont principalement
décidé de l'avantage. Je vous recommande M. de Solemi et le
chevalier de Modène. La Carte a été tué. Votre Majesté qui
connott le prix de l'amitié, sent combien j'en suis touché » (i).
(1) Vie privée de Louis XVy tome II, p. 197.
56 LE PRINCB DB CONTT
Tandis que Ton prenait Château-Dauphin, il fallait
franchir ce qu'on appelait les Barricades, passage
exigu entre deux hautes montagnes et dans lequel le
roi de Sardaigne avait fait dériver la Stura qui baigne
cette vallée. Trois retranchements et un chemin cou-
vert défendaient ce poste. Un mouvement tournant
des troupes franco-espagnoles emporta les Barricades
presque sans coup férir^ en plaçant les Piémontais
entre deux feux (i).
La France à ce moment triomphait sur toute la ligne.
L'armée d'Allemagne, aux ordres du maréchal de Coi-
gny, avait repris toutes les villes-frontières et TAu-
triche antérieure ; Tempereur Charles VII, notre pro-
tégé, qui avait été obligé de fuir sa capitale Pannée
précédente, était rentré en grande pompe à Munich ;
Frédéric de Prusse, revenu à notre alliance qu'il avait
une première fois abandonnée, pénétrait à marches
forcées dans la Bohême; Louis XV enfin n'avait eu
qu'à paraître dans les Flandres pour voir les places
fortes réputées inexpugnables tomber devant lui. C'est
à Metz, où il s'était rendu pour donner audience au
ministre plénipotentiaire de Frédéric, que le roi de
France reçut les rapports circonstanciés d'Italie. Dans
un souper qu'il offrit à la Cour, le Roi but à la santé
de Frédéric II et leva son verre en l'honneur « de mon
cousin, le grand Conty » (a).
Et pendant qu'en Lorraine ce toast enthousiasmait
les courtisans, à Paris, où la chanson ne perd jamais
ses droits, on comparait Conty à Annibal qui jadis, dit
Juvénal, entailla les Alpes par le vinaigre et par le
feu.
(i) Fastes de Loais XV, tome I, p. 221. Sur cette partie de la
campagcne consulter également la Gazette de France, année 1744»
pp. 243, 244i 266, 258, 270, 271, etc., et le Journal de Barbier,
tome III, pp. 507, 5 12, 53o, etc.
(2) Barbisr, Joarnaly tome II, p. 4oi.
LE PRINCB DE CONTY 57
Chanson sur l'air des Ennuyeux
Annibal pour passer les monts
Employa d'étranges recettes ;
Il fit distiller des glaçons,
Mit les cailloux en vinaigrette ;
Et fit brûler, au feu d'enfer,
Des rochers plus durs que le fer.
Conty, le héros de ce tems,
Pour forcer le même passage,
N'employa qu'un merveilleux sens
Et qu'un invincible courage ;
Cela n'est-il pas aussi bon.
Que du vinaigre et du charbon? (i)
Les Alpes Dauphinoises frani^hies, restait à Conty la
tâche de se rendre mattre du Piémont. Le premier
obstacle à notre marche était la forteresse de Démonte,
si formidablement défendue par la nature et par Tart,
qu'il échappa au marquis de La Mina de dire : « En
vérité, voilà qui est imprenable 1 » — « Prenez garde,
répondit en souriant le prince de Conty, le mot n'est
pas français » (a). En effet, la place était prise le
17 août, avec toute sa garnison.
L*armée franco-espagnole mit aussitôt le siège devant
Goni, mais la tranchée était à peine ouverte que le roi
de Sardaigne attaqua les alliés pour ravitailler les
assiégés. C^est au lieu dit la Madona del OImo que se
livra, le 3o septembre, cette bataille, une des plus san-
glantes de la campagne. Les Piémontais parvinrent à
faire entrer un convoi dans la ville, mais ils laissèrent
5.000 hommes sur le champ de bataille et furent con-
traints à se retirer en désordre, abandonnant Coni à
(i) BibuothAqub NAnONÀLB: Afanascrits français, 127 11 (Chan-
sonnier Glairambault).
(2) BiBuonukQUB Nationalb, Manascrits français^ io434 (Mélan-
ges, tome I).
58 LB PRINCB DE GONTT
ses propres forces. Les Espagnols perdirent 900 hom-
mes, nous eûmes i.aoo tués ou blessés. M. de Bissy fut
chargé de porter au Roi (convalescent à Strasbourg
après avoir pensé mourir à Metz d'une fièvre putride)
la nouvelle de cette victoire. Gonty, dans sa lettre au
monarque, s^étendait sur les services signalés de M. de
Courten, sur ceux de MM. du Cayla, de Beaupréau, de
Montmorency, de Stainville, du marquis de Maillebois
et de M. de Ghauvelin, ses deux majors généraux. Par
contre, il passait modestement sous silence deux coups
de feu dont il avait eu sa cuirasse percée et deux che-
vaux tués sous lui (i). Les bardes populaires reprirent
aussitôt leur luth et Ton chanta dans les carrefours de
Paris sur Pair : Suivons f amour ^ c'est lui qui nous
mène :
Suivons Conty, c'est luy qui nous mène.
Nous sommes sûrs de vaincre toujours ;
Sous luy la mort nous fait moins de peine
Que l'embarras de veiller à nos jours.
Victor, lassé de tant de batailles,
Dit en voyant ses champs désolés.
Pourquoi Louis n'a-t-il un Noailles
Pour opposer à nos coups redoublez?
De ce héros chantons la victoire
Tout doit céder au brave Conty ;
Mars et Vénus vont combler sa gloire
Puisqu'il n'a plus qu'à forcer un Gony (a).
Lyrisme prématuré. Notre victoire était condamnée
à rester stérile et les espoirs conçus se muèrent bientôt
en déception. Goni résista trois semaines encore et la
capitulation ne paraissait plus qu'une affaire de jours.
<i) Vie privée de Louis XV^ tome H, p. 198; et duc de Limna,
MémoireM, tome VI, p. 116.
(2) BiBuoTHÂQus Nationalx: AfanoMcrits français, 12713 (Chan-
sonnier Glairambauit).
LB PRINCE DB CONTT S9
quand la fonte des neiges^ le débordement de la Stura
et, plus encore que les rigueurs de la saison, le mau-
vais vouloir du marquis de La Mina, obligèrent à lever
le siège. La retraite se fit précipitamment, les Espa-
gnols étant pressés; cependant nous ne fûmes pour-
suivis ni par Tarmée du roi de Sardaigne, ni par la
garnison de Coni. Quelques coups de fusils seulement
furent échangés dans la montagne entre miquelets et
barbets. Et le prince de Conty eut le temps, en se reti-
rant, de miner les fortifications de Démonte pour les
faire sauter s'il en recevait Tordre.
Cette reculade inattendue ne fut point imputée en
France au Prince, dont maintenant on savait assez
Tendurance et la ténacité. Une facétie intitulée : Cata-
loffue des pièces qui ont été représentées sur les différents
théâtres de FEurope^ vengea Louis-François de ce dé-
boire : c L'infant don Philippe et le prince de Conty
(disait ce badinage) ont fait représenter à Démonte et
à Coni la comédie des Mal-assortis » (i).
Le Roi était encore dans son lit, à Trianon, le matin
du 19 décembre, quand le prince de Conty, arrivé
depuis une heure à peine, se fit annoncer. A l'issue de
l'entretien qui fut long, les courtisans notèrent que
Sa Majesté avait les yeux rougis de larmes, signe cer-
tain que Tentretien n'avait pas roulé seulement sur la
guerre d'Italie et qu'un souvenir au moins avait été
donné par l'amant et par l'ami à cette pauvre duchesse
de Châteauroux, si indignement traitée lors de la
maladie du Bien-Aimé, et morte naguère, quand sa
disgrâce paraissait finie.
Louis XV, voulant traiter Conty avec honneur, lui
fil donner le grand appartement de gauche à Trianon.
Et le Prince, une semaine plus tard, signait au contrat
de mariage du duc de Penthièvre (a). Cependant le
(i) BibuothAqub Nationale : Manascrits français^ 12660 (Ghan-
sonnier Maurepas).
(2) Louis-Jean-Mane de Bourbon, duc de Penthièvre, de Ghà-
teauvillain et de Rambouillet, amiral et grand Veneur de France.
60 LE PRINCE DE CeNTT
Roi, chez qui Tesprit de famille était si développé
qu'il sacrifia souvent les intérêts de la France à ceux
de sa maison, déplorait la dissension qui avait troublé
les rapports de Conty et de Tinfant don Philippe. Pour
éviter tout conteste nouveau entre son gendre et son
cousin, il résolut de continuer la guerre offensive en
Flandres et en Italie et de la faire défensive en Alle-
magne. Le prince de Conty remplacerait le maréchal
de Maillebois sur le Rhin, tandis que M. de Maillebois,
plus souple, remplacerait le Prince auprès de Tlnfant.
Rien n*était plus contraire au tempérament fougueux
de Conty que ce commandement en chef d'une armée
d'observation. Le Prince accepta pourtant, ne se dou-
tant peut-être pas du rôle qu'on lui préparait. Le
public non plus ne s'en doutait guère. Le nom de
Conty signifiait alors : victoire, et l'on chantait :
Air : De tous les capucins du monde. ♦
Le Roi nous donne cette année
Pour général de notre armée,
Le vaillant prince de Conty;
Nous râlions voir en Allemaigne
Victorieux de l'ennemy,
Comme il fut du roi de Sardaigne.
De Versailles part à lavance
La Fare en toute diligence,
Afin de bien tout préparer ;
Nous avons le fils et le père,
Nous n'avons plus qu'à souhaiter
Que le Saint-Esprit les éclaire (i).
Il était fils du comte de Toulouse, bâtard légitimé de Louis XIV
et était né à Rambouillet eu 1725. Il épousa, le 29 décembre 17449
en la chapelle du chAteau de Versailles, Marie-Thérèse-Félicité
d'Esté, fille de François III, duc de Modéne. Veuf en 1764, il
mourut en 1798 à Bizy, prés de Vernon.
(x) BiBU0TH]&Qus Nationale : Manuscrits français, 12.648 (Chan-
sonnier Maurepas). — On a vu précédemment (page 17) ce que
signifie cette allusion à la parenté de M. de La Fare et du prince
de Conty.
LE PRINCE DE CONTT 61
On ne tarderait pas à déchanter... Le prince de
Conty ne partit qu'à la mi-avril 1745 pour rAIIemagne,
retenu jusque-là à Paris auprès de sa mère dangereu-
sement malade. Le 17 avril, le maréchal de Maillebois
vint à Strasbourg au-devant du Prince et lui passa le
commandement, mettant aux ordres de Louis-François
toutes les troupes de son arméeduBas-Rhin. Les batail-
lons d'infanterie, les escadrons de dragons et les com-
pagnies franches détachés aux ordres de M. de Lowen-
dhal pour renforcer le corps de M. de Maillebois, ainsi
que le reste des troupes cantonnées en Alsace et en
Souabe, à l'exception de deux régiments de hussards
destinés à passer en Bavière, étaient également subor-
donnés au Prince.
A peine eut-il franchi le Rhin que les difficultés
commencèrent pour lui. Ce fut d'abord comme une
épidémie de désertion dans son armée. Les soldats,
mécontents de n'avoir pas touché le « bien vivre »
traditionnel, quoiqu'ils eussent passé Thiver en pays
étranger, décampaient par escouades entières, avec
armes et bagages (i). Ce fut ensuite et surtout le sen-
timent de son impuissance, lié, garrotté qu*il était par
par les ordres formels du Roi qui le condamnaient à
rinaction.
Il faut avouer que nous nous trouvions alors dans
une étrange posture en Allemagne. L'Electeur de
Bavière, que nous avions fait Empereur et pour qui
cette guerre absurde avait été entreprise, venait de
mourir. Son fils, loin d'ambitionner la pourpre impé-
riale, ne songeait au contraire qu'à se débarrasser de
ce fardeau trop lourd pour ses épaules et à s'arranger
à Pamiable avec Marie-Thérèse. Notre protégé ne vou-
lait plus de notre protection. Et nous allions sur le
(i) M. DE Marvillb, Lettres, tome II, p. io5. — On appelait
(( bien vivre » un supplément de solde (environ 6 livres par
homme), donné aux troupes en quartier afin qu'elles n'exigeas-
sent rien au delà de ce qu'il était imposé à Thabitant de leur
fournir.
62 LE PRINCE DE CONTT
Rhin pour le roi de Prusse, pour empêcher les Autri-
chiens de tomber avec des forces trop supérieures sur
Frédéric ; éventuellement pour couvrir TÂIsace et les
Flandres.
Les instructions écrites données au prince de Conty
et dont il n^eul connaissance que quelques jours avant
son départ (elles sont datées du 3o mars) sont, dans
leur précision, d'une indécision rare :
L'intention du Roi, disent-elles, est de maintenir tous les
engagements qu'il a contractés avec ses alliés, en sorte qu'on
ne puisse imaginer qu'il ait eu seulement la pensée de s'en
séparer.
En partant de ce principe jusqu'à ce qu'on ait des preuves
certaines de l'accommodement de l'Electeur de Bavière avec la
reine de Hongrie, il convient que les troupes du Roi se main-
tiennent en Allemagne en promettant d'accorder aux princes
qui observeront exactement la neutralité et sur les terres des-
quels l'armée de Sa Majesté subsistera, des dédommagements
proportionnés, et d'en user avec eux à la paix ainsi que cela
a été pratiqué
L — Lorsqu'on aura l'avis positif que l'Electeur de Bavière
aura fait son accommodement, si les troupes de la reine de
Hongrie entrent sur les terres des Cercles, et qu'elles prennent
leur route par la Souabe pour venir sur le Neckre, on juge
que le corps de cette armée ne pourroit composer au plus que
18.000 hommes; c'est en proportion de ces forces que M. le
prince de Contj pourroit laisser sur le Neckre (comme il le
propose) un corps capable d'attendre les ennemis et de leur
disputer le passage de cette rivière. Si au lieu de prendre la
route par la Souabe, elles cherchoient à faire leur jonction avec
le duc d'Aremberg, les troupes du Neckre marcheroient sur
le Mein, pour fortifier l'armée au cas qu'on ne put pas empê-
cher la jonction.
U. — Le duc d'Aremberg restant à la droite du Rhin, si
M. le prince de Conty ne pouvoit former sur cette armée
aucune entreprise, il se contenteroit de se maintenir sur la
Lahn, et il ne doit même soutenir cette position qu'autant que
les Cercles de Franconie et de Souabe garderont la neutralité
et qu'ils n'assembleront pas de corps de troupes capables
LB PRINCE DE CONTY 63
d'inquiéter M. le prince de Confy dans ses derrières. Si au
contraire les Cercles assemblent des troupes, il conviendroit
de se retirer successivement et même de passer à la gpauche du
Rhin, s'il y avoit du risque de rester à la droite.
III . — Si le duc d'Aremberg passoit le Rhin pour le des-
cendre, rintention du Roi est que M. le prince de Contj ne
suive point le duc d'Aremberip, et qu'au contraire il remonte
successivement le Rhin pour être toujours à portée de défen-
dre l'Alsace.
IV. — Si le duc d'Aremberg repassoit le Rhin pour remon-
ter la Moselle, M. le prince de Gontj le passeroit aussi pour
suivre l'ennemi et s'opposer aux entreprises qu'il voudrait
tenter du côté des Evéchés.
V. — Si le roi de Prusse faisoit son accommodement et que
Farmée du prince Charles se mit en marche pour venir sur le
Rhin, M. le prince de Conty se retireroit successivement pour
se trouver à l'arrivée de l'ennemi dans la position la plus
avantageuse à la défense de l'Alsace, et la prudence exige que,
dans la vue des événements qui peuvent arriver dans ce cas, on
prenne dés à présent les précautions nécessaires pour assurer
cette frontière, en pressant l'exécution des travaux ordonnés
pour former les retranchements sur la Queich, et même en
perfectionnant les lignes de la Lautre, suivant que M. le prince
de Contj, pourra juger ces précautions utiles et nécessaires.
VI. — Si l'Electeur de Bavière a fait son accommodement,
Sa Majesté n*ajant de guerre déclarée qu'avec la reine de
Hongrie et les Angtois, et n'ayant plus de princes alliés à sou-
tenir en qualité d'auxiliaire, son objet ne peut plus être que
d'attaquer les positions immédiates de la reine de Hongrie et
de combattre son armée partout où on pourra la joindre, sans
néanmoins trop s'écarter de la défense de nos frontières.
En conséquence, Sa Majesté réduit ses projets à trois points
principaux :
Le premier, défendre l'Alsace en la mangeant le moins que
faire se pourra, et, plus tard, lorsque son armée ne pourra
plus se soutenir en Allemagne, soit que les Cercles se décla-
rent ou que toutes les forces de la reine de Hongrie marchent
sur le Rhin ;
Le second, faire avancer dès à présent et successivement un
corps jusqu'à concurrence de ao bataillons et 4o escadrons
sur Thionville et Longwy ;
Le troisième, que ce détachement soit en état de joindre
Tarmée de Sa Majesté avant l'arrivée du duc d'Aremberg s'il
64 LE PRINCB DE CONTT
marchoit en Flandre, ou s'il faisoit un détachement pour
rejoindre en Flandre l'armée des alliés et d'être pareillement
en état de faire passer ces ao bataillons et 4o escadrons à l'ar-
mée de M. le prince de Conty, si le duc d'Aremberg' restoit
sur le Rhin et que les Cercles se déclarassent ou que l'armée
du prince de Conty revint sur le fleuve (i).
Au résumé, tous ces si et ces mais signifiaient : ne
rien tenter, voir venir, temporiser, modeler ses mou-
vements sur ceux de l'ennemi, éviter de livrer bataille
jusqu'à la dernière extrémité, tant que TÂlsace ne
serait point en péril. Singulière besogne pour un
Conty : où il fallait Fabius, on était allé prendre Anni-
bal ! Et pourtant Fexcès même de cette prudence
assura le succès du plan. Les Impériaux qui avaient
d'abord tremblé pour Mayence en voyant à la tête de
notre armée un général que sa conduite en Italie avait
classé au premier rang des audacieux, n'arrivèrent
jamais à s'imaginer que Louis XV avait fait passer le
Rhin à un prince de son sang uniquement pour être
témoin bénévole des délibérations de la Diète qui
s'assemblait à Francfort en vue de nommer roi des
Romains, puis Empereur, le grand-duc de Toscane,
époux de Marie-Thérèse. Ils se bornèrent donc à cou-
vrir Francfort où l'élection se fit aussi tranquillement
qu'en pleine paix, mais, redoutant peut-être quelque
traquenard, ils demeurèrent autant que nous sur
la défensive. On ne saurait donner le nom de cam-
pagne à cette expédition dont les événements les plus
saillants furent l'occupation par Conty du village de
Gernsheim, et sa retraite de TrebueràRheindûrckeim,
où M. de La Fare perdit ses équipages, lesquels furent
vendus à l'encan dans une foire des environs... (a)
A Paris, où se débitaient journellement les nou-
velles du Rhin, l'inertie du prince de Conty paraissait
extraordinaire et les pires propos se tenaient sur
(i) J. Colin, Les campagnes du maréchal de Saxe; tome III,
pp. 42-47.
(2) M. Ds Màrvillb, Lettres, tome II, p. 119.
LE PRINCE J>B CONTY 65
son cas. On disait qu'il comptait pour rien la vie
des hommes et que ce n'est qu'à force de sacrifier
du monde qu'il avait parfois réussi ; que ses plans
étaient mal conçus et qu'il était toujours indécis dans
l'exécution; qu*il traitait le général, l'officier, le sol-
dat avec la même hauteur insupportable ; qu'il était
toujours livré à ses plaisirs plus que soucieux de son
devoir; qu'il vivait dans la débauche avec des filles
mandées de Paris et quelques jeunes seigneurs de son
état-major (i).
Pour démentir ces clabauderies, il fallut le voyage
en Pologne de M. de Saint-Severin qui, au retour,
visita l'armée de Conty. Il rapporta « que le Prince se
mettait à table tous les jours à six heures, n'y restait
jamais plus d'une heure et demie et qu'on n'y buvait
du vin qu'à sa soif; que pour le reste, il entrait lui-
même dans tous les détails et s'en acquittait avec pré-
cision et netteté (a) ». Ce son de cloche, si différent de
ceux qu'on avait ouïs jusque-là, persuada peut-être le
Roi et M. d'Argenson qui avaient en M. de Saint-
Severin pleine confiance. Mais l'impression dans le
public fut longtemps à s'effacer. Même à la Cour, il en
resta toujours quelque chose. Et lorsque l'armée du
Bas-Rhin disloquée, en novembre^ Conty rentra à Ver-
sailles, l'accueil du Roi fut plus réservé, semble- t-il,
que d'ordinaire : « Le prince de Conty arriva ici hier
(i) M. DE Marville, LettreSj tome II, p. i47*
(2) Duc DE LuYNBS, Mémoires^ tome VII, p. 124. — Le mémo-
rialiste ajoute cette explication plausible :
< Deux circonstances peuvent avoir indisposé les esprits de
l'armée contre M. le prince de Conty :
« L'officier veut voir son général et manger avec lui, et le seul
repas d'usage pour la représentation à l'armée est le dtner. M. le
prince de Conty prétend ne pouvoir pas dtner ; cependant il a
deux grandes tables chez lui tous les jours à dtner ; mais comme
il n'y paroit point, elles ne sont ordinairement remplies que par
ceux qui sont bien aises de trouver un bon dtner.
« D'ailleurs, M. le prince de Conty consulte peu les officiers
généraux qui sont sous ses ordres et l'on se plaint qu'en tout il
ne se communique pas assez » .
5
66 LE PRINCE DE CONTT
matin^ écrit Luynes à la date du lo décembre ; il me
parott qu'il a été bien reçu. » Sous la plume d'un
courtisan^ cet : il me parott est le chef-d'œuvre de la
nuance.
Toute négative qu'eût été cette campagne de 1745,
elle inspira suffisamment, tant la flatterie est ingé-
nieuse en ses allégories, un des graveurs préposés à
rhistoire métallique du siècle de Louis XV. L'artiste
représenta le Prince sous la figure du jeune Hercule
appuyé sur sa massue. Il regardait le Rhin, person-
nifié par un vieillard barbu, tout épouvanté de voir
sur ses bords deux femmes casquées, la Discorde et la
Guerre. Le héros, par la sérénité de son geste, ras-
surait le vieillard et lui faisait connaître qu'il ne crai-
gnait point ses ennemis. Légende : « Quis quemve
amneniy hoc prohibente^ tranet ? (i) ».
Malgré cette trompeuse satisfaction d'amour-propre,
Conty sentait bien qu'il n'y avait désormais pour lui
de lauriers à moissonner que sous les yeux mêmes du
Roi, dans les Flandres, où, depuis le mois de jan-
vier 1746, le maréchal de Saxe préparait les voies à
Louis XV. Il obtint le commandement d'un des corps
de l'armée royale, fut de l'entrée à Bruxelles, le 4 mai ;
et de l'entrée à Anvers, le 4 juin. Après un Te Deum
dans la cathédrale, un conseil de guerre fut tenu en
présence du Roi où il fut résolu, contre l'avis du maré-
chal de Saxe, adversaire de la guerre de sièges et par-
tisan de l'action en rase campagne, que l'on conti-
nuerait les opérations par les prises de Mons et de
Gharleroi (2). Le corps d'armée de Conty fut chargé
(i) Ce graveur- médail liste se nommait Gosmond. Sa composi-
tion se trouve dans un recueil intitulé : Histoire des campagnes
da Roi représentées par des figures aflégoriçaes . Il est à remar-
quer que le même recueil ne contient rien sur la guerre dltalie.
(2) « ^o jain 174^. — ... M. le maréchal de Saxe est fort
mécontent de ce que son plan sur les opérations de cette campa-
gne n'a pas été suivi, et de ce que, au contraire, on en suit un
qui nous fera perdre la campagne entière à prendre deux ou trois
places que nous rendrons à la paix, au lieu de s'être attaché,
après la prise d'Anvers, à suivre l'ennemi, le détruire elle forcer
LB piiiNCB DE Covrr 67
de ces deux sièges. La tranchée devant Mons fut
ouverte dans la nuit du a4 s^u a5 juin et commandée
par MM. de la Fare et de Bouflers. Le lo du mois de
juillet, une double attaque, l'une à la porte de Ber-
thamont, Pune à la porte de Nimy, eut raison des
assiégés qui arborèrent le drapeau blanc.
Comme le fort annexe de Saint-Ghislain n'avait pas
été compris dans la reddition de Mons, Conty en fit le
siège dans les formes et la citadelle succomba le
a3 juillet. La garnison fut conduite à Valçnciennes.
Cependant le Roi avait quitté Tarmée depuis la mi-
juillet pour assister aux couches de la Dauphine, à
Versailles (i). De ce fait, le commandement en chef,
virtuellement exercé par Louis XV, se subdivisait
maintenant en autant de commandements qu'il y avait
de chefs de corps d'armée. Le maréchal de Saxe, déjà
mécontent de ce que son plan de campagne n'eût pas
été adopté au conseil de guerre du mois de juin,
aurait voulu que l'armée de Conty passât sous son
commandement. Il redoutait en effet que les alliés,
qu*il avait chassés du bassin d*Ânvers et obligés à se
replier sur Bréda, mais qui avaient reçu des renforts
d'Autriche et d'Angleterre et qui maintenant débou*
chaient par la frontière de Hollande conduits par le
prince de Lorraine, ne parvinssent à couvrir Namur
et à passer entre les deux armées françaises. En per-
sonne, il quitta Bruxelles, pour barrer au prince de
Lorraine la route de Namur et campa son armée en
face de Fennemi sur les rives de la Mehaigne, affluent
de la Meuse. Quelques lieues seulement séparaient son
état-major de celui du prince de Conty qui, conformé-
ment aux instructions royales, venait de mettre le
siège devant Charleroi. Craignant ou feignant de
craindre une attaque, Maurice de Saxe pria Conty de
à nous proposer lui-même une paix que nous aurons la mollesse
de lui offrir sans cesse sans qu'il daigne accepter. » (M. de Mar-
viLUi, Lettres , tome III, p. 4)*
(i) La Dauphine mourut d*une fièvre puerpérale, le 22 juillet.
OO LE PRINCB DE CONTT
le rejoindre sans délai. Le Prince lui envoya le comte
d'Ëslrées avec la bataillons et lo escadrons, mais en
stipulant, dans les commissions écrites données à ce
lieutenant-général, que celui-ci n'agirait point sans
des ordres positifs de sa part. C'était clairement indi-
quer au Maréchal qu'il n'entendait point abdiquer la
moindre parcelle de son autorité (i). Se voyant deviné,
Maurice de Saxe affecta une grande indignation qu'il
s'efforça tout aussitôt de faire partager à M. d'Argen-
son : « Voilà^ écrivait-il au ministre de la guerre, une
chose qui mérite toute l'attention du Roi et la vôtre...
Vous verrez, par la lettre de M. le prince de Conty,
que si les ennemis venaient pour m'attaquer (ce qui
peut arriver d'un moment à l'autre), M. d'Estrées serait
obligé de rester spectateur du combat, à moins qu'il
n'eût obtenu la permission d'agir de M. le prince de
Cônty qui reste à six grandes lieues d'ici... Cette con-
duite du Prince est incompréhensible. Je la cache
avec grand soin à Tarmée afin que Tennemi Pignore...
Je suis trop bon serviteur du Roi pour rendre à M. le
prince de Conty ce qu'il me fait. Je veux cependant
lui en faire la peur, en le menaçant de me retirer au
camp de Louvain » (a).
La menace ne troubla point Conty outre mesure,
quoique le départ de Maurice de Saxe pour Louvain
Teût exposé à être écrasé par des forces très supérieu-
res : « Si vous voulez vous en aller à Louvain, répon-
dit-il^ il faut m'en avertir pour que je sauve mon
canon. » Et il continua le siège de Charleroi qui, du
reste, capitula le lendemain de cette réponse. La cor-
ruption plus que la force décida du sort de la place.
Conty craignait tellement d'être obligé de lever le
(i) Déjà au commencement de juillet, le prince de Conty avait
révoqué les sauvegardes données par le Maréchal aux habitants
de la région de Mons et les avait remplacées par de nouvelles,
identiques au fond, mais signées de lui.
(2) MiNiST&RB DB LA GuBRRB : Atchives historiques (Correspon-
dance de Maurice de Saxe avec le comte d*Argenson ; 3i juillet
X746>. -* Cf. Duc DB Brogub, Maurice de Saœe, tome I, p. ms.
LE PRINCE DE CONTT 60
siège sur des sommations venues de Versailles, qu'il
avait promis 5o.ooo écus à un vieux valet de chambre
du gouverneur qui commandait dans Charleroi, s'il
pouvait décider son mattre à se rendre. Le serviteur,
très influent sur Tesprit de son maître, lui représen-
tait à tout moment qu'il ne pouvait tenir plus long-
temps, que d'ailleurs en cédant tout de suite il aurait
l'honneur de capituler avec un prince du sang de
France, et plusieurs autres belles raisons que lui ins-
pirait l'appât des 5o.ooo écus. c Mais, répondait le
gouverneur, encore faut-il que je sois attaqué plus
vivement, et que j'aie l'air d'avoir fait une belle dé-
fense». — « Eh ! Monsieur, disait le valet de chambre,
n'y a-t-il pas trente ans que vous gardez cette place
pour la Maison d'Autriche ? Peut-on faire une plus
belle défense ? » (i).
Conty avait si peu l'intention de ne point secourir
Saxe qu'à peine Charleroi tombé, il demandait au
Maréchal un rendez-vous au bourg de Valhem : « Si
vous ne pouvez venir^ ce qui serait signe de combat,
j'irai vous rejoindre à tire-d'ailes avec toutes les forces
que je pourrai vous amener ».
L'entrevue eut lieu le 2 août. Et ce qui prouve bien
le dessein prémédité du comte de Saxe de mettre la
main sur les troupes du Prince, et pas autre chose,
c'est que cette conférence, qui dura deux jours entiers,
se passa à discuter la question de savoir si Ton atta-
querait ou non le prince de Lorraine. C'était Conty
présentement qui voulait pousser de Tavant et c'était
Saxe qui ne voulait plus marcher, alors pourtant que
la jonction des deux armées lui donnait la presque
certitude d'anéantir l'adversaire (2). De guerre lasse,
Conty finit par céder : on attendrait que le prince de
Lorraine, n'osant pas avancer et ne pouvant subsister
(1) DuTENS, Mémoireê d'un Voyageur qui se repose, tome II,
p. 20.
(a) L'armée de Conty qui avait joint celle de Saxe avait sa
gauche près de Conroy et appuyait sa droite à la Sambre.
70 LB PRINCE DE COMTT
sur le champ étroit laissé à son armée, prit spontané-
ment le parti de la retraite. Vainqueur sur ce premier
point, Maurice de Saxe se démasqua tout à fait et
réclama ouvertement de commander en chef. Pour le
coup, Conty se montra intraitable. Lieutenant-général,
patenté comme tel par le Roi, il soutenait avec raison
ne devoir la subordination à aucun autre officier
général. Que si, en dehors des grades militaires, Mau-
rice de Saxe invoquait pour la préséance son titre de
maréchal de France, lui, Conty, pouvait invoquer
non moins légitimement son titre de prince du sang.
Et il citait à l'appui de sa thèse l'exemple du grand
Condé qui, dans sa dernière campagne, avait exigé le
pas sur cinq maréchaux de France. Saxe qui se savait
soutenu à Versailles par W^ de Pompadour, la nou-
velle favorite, laquelle ne redoutait rien tant que de
voir le Roi repartir pour les Flandres où sévissait la
petite vérole, maintint sa prétention. Conty écrivit
alors au Roi, demandant la permission de quitter son
poste et fit, en attendant, partir ses équipages pour
Mons. Un peu inquiet sur le résultat de cette brusque
décision, Saxe envoya ce billet au Prince : « Aurais-je
eu le malheur de vous déplaire^ Monseigneur. J'ai
plusieurs choses à régler auxquelles je ne suis point
préparé. Voudriez-vous m^indiquer une heure pour
prendre vos ordres et vous présenter mes respects ? »
« J'étais partie en chemin, répondit Conty, quand j'ai
reçu la lettre que vous m'avez écrite hier. C'est avec
plaisir que j'eusse conféré avec vous, si je n'avais pas
été embarqué. Il est vrai que j'ai demandé au Roi de
m'en aller; la façon dont nous avons été ensemble ne
doit pas, Monsieur le Maréchal, vous faire imaginer
que je me plaigne de vous » (i).
Le retour inopiné de Louis-François, qui arriva en
(i) Ministère de la Guerre : Archives historiçaes, partie sup^
plémentaire (Correspondance de Maurice de Saxe avec le prince
de Conty et de Conty avec Saxe, 12 et 1 3 août 1746). Cf. Duc de
Broglix, Maurice de Saxe^ tome I, p. 352.
LE PRINCB DB CONTY 71
poste à Paris, le i4 août, et se présenta le i5 à Ver»
saiiles, donna lieu à mille commentaires. Les uns
disaient qu'il était incommodé, version peu vraisem-
blable vu la mine de santé du Prince ; d'autres, mieux
informés, parlaient de sa dissidence avec Saxe, mais
ils étaient crus difficilement puisque le Maréchal, on
le savait, n'avait point brevet de généralissime ; cer-
tains voyaient là Findice d'une disgrâce éclatante et
déjà ils exilaient le Prince à L'Isle-Adam ; quelques-
uns, enfin, affirmaient qu'il ne revenait à la Cour que
pour se concerter avec Sa Majesté afin de ne plus pas-
ser par l'intermédiaire de M. d'Ârgenson et pour pres-
ser le départ du Roi... Généralement on blâmait
plutôt Gonty, qui, dans cette occasion, disait-on, aurait
trouvé à s'instruire dans l'art militaire en servant sous
an homme tel que le Maréchal (i).
Le comte Maurice de Saxe passait en effet, à Paris,
pour le premier capitaine que nous eussions eu depuis
Turenne et le grand Gondé; on lui attribuait encore
la victoire de Fontenoy tandis qu'en réalité cette
bataille avait été gagnée par M. de Richelieu qui avait
fait donner le canon à l'heure où Saxe, jugeant la
partie perdue, ne conservait une batterie en réserve
que pour couvrir la fuite du Roi. Et puis, on voyait le
Maréchal de loin, comme dans une auréole de gloire;
il gagnait moins à être vu de près. G'étaitle type accom-
pli du soudard et son origine teutonne ajoutait à sa
rudesse. Grossier et malembouché, il jurait comme un
grenadier et il était totalement illettré. La petitesse de
(i) Marville, Lettres, tome III, pp. 25, 28 et 29 ; Duc de Lutnes,
Mémoires, tome VII, p. 386 ; Barbier, Journal, tome II, p. 496. —
Une facétie manuscrite due probablement au même auteur que
celle précédemment citée (voir page Sg), disait : a M. le prince
de Gonty a voulu donner en Flandre, une représentation de la
Comédie intitulée V Indépendant', mais comme elle se seroit jouée
au dépend de M. le maréchal de Saxe, on Ta prié de retirer sa
pièce, ce qu'il a fait à la satisfaction de ceux qui doivent être les
spectateurs, w (Bibliothèque Nationale : Manuscrits français,
12650. Chansonnier Maurepas),
72 LB PKINCE DE CONTT
cette âme vulgaire se trahissait par an amoar immo-
déré de l'argent (i). Quelle sympathie pouvait accorder
une telle nature avec celle du prince de Gonty, noble ,
poli, cultivé, généreux jusqu'à la prodigalité?...
Les rumeurs contradictoirestombèrent quand on sut
l'accueil aimable fait au Prince par le Roi ; on ne
douta plus que Conly n'eût quitté Tarmée avec l'agré-
ment de Sa Majesté. Un petit voyage à Grécy avec le
Roi et le duc de Chartres, à la fin d'août; en novem-
bre, un assez long séjour à Fontainebleau où le
Prince travailla souvent avec le Roi et M. d'Ârgenson ;
les grâces enfin accordées à tous les officiers qui avaient
servi sous le Prince, tandis que ceux du Maréchal
étaient quelque peu oubliés ; tout cela joint au titre
de généralissime conféré à Louis-François^ corrobora
Topinion que celui-ci n'avait en rien démérité (3).
(i) « Un jour que Mme de Pompadour lui demandait les rai-
sons de son amitié pour le fermier général Le Riche de La Pou-
pliniére et quelles étaient Us qualités dans ce fermier qui pou-
vaient justifier cet attachement : — Madame, répondit le Maré-
chal, il en a une pour moi que je trouve excellente ; car quand
j'ai besoin de cent mille livres, je les trouve dans son coffre. »
( Vie prioée de Louis XV, tome II, p. 36o).
(2) « Le ij septembre iy4^ et joars suivants . — La nouvelle qui
s'est répandue que le prince de Gonty a obtenu ses patentes de
généralissime est fondée sur la vérité. Elles lui ont été accor-
dées le 7 ou 8 de ce mois. Elles enjoignent à tous les maréchaux
de France et aux autres officiers militaires, de prendre Tordre de
lui partoutoù il plaira à Sa Majesté de l'envoyer commander. Le
maréchal de Saxe en a de pareilles, mais elles portent seulement
rinjonction aux officiers de quelque rang et naissance qu'ils
puissent être qui n'auront pas aussi patente de généralissime de
recevoir l'ordre de lui et de lui obéir en tout ce qu'il leur com-
mandera pour le service du Roi » (M. de Marville, Lettres,
t. III, p. 42).
Ce brevet de généralissime (in pariibas) dont parle également le
ducdeLuynes dans ses Mémoires, suscita les récriminations du
maréchal de Saxe quand ce dernier parut à la Cour au mois de
décembre 1746 : ■ Je sais, disait Saxe« le respect qui est dû aux
princes de la maison de France, et je ne m'en écarterai jamais ;
que le Roi les déclare tous généralissimes de ses armées au ber-
ceau, je n'ai rien à dire; mais que M. le prince de Conty ait
LE PRINCE DB CONTT 73
Mais on apprit bientôt également qu'il ne rejoindrait
point ses troupes en Flandre tant qu'elles seraient
sous les ordres de Saxe. Au mois de février^ plusieurs
officiers généraux s'étant présentés chez le Prince
pour lui demander de servir sous lui, Conty qui venait
de vendre ses équipages, leur déclara : « — Je serais
charmé, Messieurs, de vous obliger ; mais assurément
il n'est question de moi en aucune façon et je ne pré-
vois pas que je m'éloigne de L'Isle-Adam, où vous serez
les mattres de venir me voir quand il vous plaira > (i).
D'autre part, le Roi, parlant des princes qui assiste-
raient au service que l'on préparait à Notre-Dame
pour l'oraison funèbre de la reine de Pologne dit assez
méchamment à Conty : « — Mon cousin, voilà pour
vous une occupation, cet été. » Le Prince parut goûter
mal la plaisanterie (2).
Peu avant les noces du Dauphin avec Marie-Josèphe
de Saxe (5 février 1747)9 le Roi avait promu Maurice
maréchal-général de ses corps et armées, titre suprême
dont il n'y avait point d'exemple depuis Turenne et
Conty avait accepté sans murmure cette nouvelle élé-
vation de son rival. Très politiquement^ il se tint coi
pendant toute la campagne de 1747» n'ayant l'air
occupé que des bâtisses qu'il édifiait à L'IsIe-Adam et
acqais ce titre comme une récompense de services, je crois avoir
droit de me plaindre. Après cela j*aime le Roi, je dois exécuter
ses ordres ; quand il voudra que je marche, il faudra bien mar-
cher, mais dans le fond qu'ai-je à espérer? . . » (Duc de Lutnes,
Mémoires, tome VIII, p. 27).
Une note manuscrite de M. de Paulmy fait allusion à ce titre
de Conty : a . . . Prince fort aimé et distingué par beaucoup d'es-
prit et de connaissances en tout genre, il se distingua d'abord
dans le militaire, et obtint des lettres de généralissime pendant
la paix qui suivit la guerre, où il s'èloit principalement dis-
tingué. » (Bibliothèque de l'Arsenal : Manuscrits, 3 119, f. 38).
La Chesnaye-Desbois, dans son Dictionnaire de la Noblesse
(tome III, col. 767) dit aussi : « Louis-François de Bourbon ..
fait généralissime des armées de France et d*Espagne en Italie,
en 1744 ; et dans les Pays-Bas, en 1746. n
(i) M. DE Marvillb, Lettres j tome IIL p. 162.
(2) Duc DE Lutnes, Mémoires^ tome Vill, p. 160.
74 LE PftINCB OB CONTY
« faisant aatânt de tapage aux ouvriers que s'il s'agis-
sait encore d'escalader les Alpes » (i). Il n'entra per-
sonnellement en lice que lorsqu'il sentit fléchir la
confiance populaire dans le guerrier favori. En 1748,
on commençait à trouver à la Cour et à la Ville que
cette guerre sans objet (puisque l'Electeur de Bavière
avait, depuis trois ans, renoncé à TEmpire) durait
décidément bien longtemps. Les esprits s'aigrissant,
on en venait jusqu'à soupçonner Saxe de traîtrise. On
démontrait que, dans les trois dernières campagnes,
il s'était comporté, par ambition, en homme qui veut
éterniser la guerre et que d'ailleurs il n'y entendait
rien. Le remède? Placer vite à la tête des armées du
Roi, dans les Pays-Bas, un Français, et surtout un
prince du sang, qui aurait intérêt à en finir. Les
ministres eux-mêmes poussaient Conty à attaquer
Saxe. « Un prince du sang ose tout dire quand il est
appuyé par le ministère » (2).
Il est vraisemblable que le Prince, s'il n'obtint pas
(1) M. DE Marvillb, Leitre$i tome III, p. igS. — Il s'occupait
aussi de pourvoir ses protégés. Nous trouvons, à la date du
i5 mai 1747* une lettre de M. de Maurepas au Prince, relative à
son capitaine des gardes, le marquis de Montalembert : c Je sais,
7 disait M. de Maurepas, que M. de Montalembert a des talents
vraiment académiques et qu'il a lu un mémoire à l'Académie
qui a fort réussi. Je n'ignore pas surtout qu'il est attaché à Votre
Altesse Sérénissime qui ne doit pas douter du désir que j'ai de
contribuer par tout ce qui peut dépendre de moi au succès de ce
qu'elle désire ; maïs l'intention n'est pas de remplir si tdt la
place vacante que M. de Montalembert voudroit obtenir. J'ins-
truirai Votre Altesse Sérénissime des raisons qui éloignent cette
décision aussitôt que j'aurai l'honneur de la voir. Je la supplie
d'être toujours convaincue de l'attachement et du respect
inÛni, etc.. Maurbpas. • Quelle place vacante désirait M. de
Montalembert? S'agirait-il du fauteuil à l'Académie des Sciences
où le marquis fut élu au mois de juillet suivant ? Nous croyons
plutôt qu'il est ici question d'une lieutenance en province. M. de
Montalembert obtint, en e£Pet, cinq ans plus tard, la lieutenance
de Saîntonge et d'Angoumois.
(2) Marquis d'Arobnson, Journal et Mémoires^ tome V, p. 184
et 207.
LB PIIIICCB DB CONTT 75
pour lui-même le commandement de Farmée des
Flandres, ne se fit pas faute de miner Saxe dans leç
conseils du Roi et qu'il contribua plus que personne
à la conclusion de cette paix après laquelle tout le
monde soupirait.
Mais il convient aussi de laver Gonly de la calomnie
propagée par ses ennemis qui Tout accusé sans preu-
ves d'avoir, en 1760, tué Saxe en duel, ou plutôt de
l'avoir assassiné, étant données l'adresse duprince à
manier Tépée et la faiblesse physique du Maréchal qui
traînait depuis deux ans, à son château de Chambord,
les restes languissants d'une vie à son déclin (i).
Le libelliste, auteur de la Vie privée et politique de
L.'F.-J. de Conty, lance la calomnie sans Tappuyer
d'aucune démonstration :
Le père du prince de Conty, dit-il, étoit un furieux, un spa-
dassin qui s'amusoit bassement à faire des assauts soldates-
ques avec des grenadiers, de vils brèteurs. Il tua le maréchal
de Saxe à la vérité, mais il profita de la foi blesse et de la
maladie de ce grand capitaine, qui ne pouvoit se défendre.
Voilà sa prouesse héroïque!... (2)
Merle, le vaudevelliste, qui publia en 1882 une
monographie du château de Chambord, ne pouvait
laisser dans Tombre un événement si important. Il
interrogea les gens du maréchal qui vivaient encore
(Merle était né en 1785 et son histoire de Chambord
fut vraisemblablement préparée longtemps avant la
publication).
Comme il faut, dit-il, que le peuple trouve toujours une
raison singulière à la fin des grands, on attribua celle du
(i) Maurice de Saxe était hydropique. En 1745, le jour de Fon-
tenoy, il était déjà si malade qu*il fut incapable de montera che-
val et dut se faire porter sur le champ de bataille dans une espèce
de voiturette en osier.
(2) Vie privée et poliiiqae de L,^F,'J, de Conty ^ etc.; p. ^, en
note.
76 LB PRINCB DB CONTY
maréchal de Saxe à un duel, qui aurait eu lieu entre lui et le
prince de Contj. Voici ce que m'a raconté Moret, son ancien
valet de chambre :
« Vers les derniers jours du mois de novembre, vers
huit heures du matin, une chaise de poste, précédée d*un
courrier sans couleurs, entra dans le parc de Chsmbord, par
la porte de Muides ; elle s'arrêta au bout de Tavenue du par-
terre; il en descendit deux personnes; le courrier se rendit au
château, charg'é d'une lettre pour le Maréchal, qui était encore
couché. Monseigneur, après avoir lu cette lettre, s'habilla à la
hAte, fit prévenir son aide de camp, et, suivi de son valet de
chambre, il descendit, par l'escalier dérobé, de son apparte-
ment, sortit par les fossés du château, et marcha à la ren-
contre des deux étrangers. Le père Desfins (vieux fermier du
-parc dont la famille j est établie depuis plus de deux cents ans
et dont les petits-fils vivent encore) les vit mettre l'épée à la
main, et bientôt après les deux inconnus remontèrent en voi-
ture ; et le Maréchal soutenu par son aide de camp revint au
château et se remit au lit. Le bruit courut qu'il venait d'être
blessé par le prince de Conty; mais on ordonna le plus grand
secret à tous les g^ns de service. On expédia un courrier à
Fontainebleau, où se trouvait la Cour, et le Roi envoya aus-
sitôt dans une de ses voitures, son médecin M. de Sénac, qui
arriva quelques heures avant sa mort » (i).
Néanmoins récrivain ne paraît pas absolument con-
vaincu par les dires du domestique, puisqu'il ajoute
tout aussitôt ce correctif^ comme pour atténuer le
témoignage :
Vieux conte du pays sous lequel Moret est resté, car ce ne
fut pas lui qui fut témoin du duel, et son camarade a toujours
gardé le silence. Moret me dit : € Ils ont dit, dans le temps,
que c'était un frisson, mais je suis sûr, moi, que le frisson
dont est mort M. le maréchal était au bout de Tépée du prince
de Conty » (2).
Vieux conte du pays... qu'importe! Tanecdote fleure
un parfum de mélodrame qui séduit le rédacteur des
Nouveaux mémoires de (rr/mm, publiés en i834; il
(I et 2) J.-T. Mbrle, Chambord, pp. 77-79.
LB PRINCB DE GONTY 77
s'empare de rhistoriette, renjolivej'habille à sa mode
et voici un témoignage irrécusable, en apparence,
puisque c*est censément le baron Grimm qui parle,
qu'il peut dire : « J y étais, j'ai vu ». Nous copions
le passage :
J'étais depuis trois jours à Chambord, avec le comte de
Friesen» et déjà notre retour à Paris était arrêté; le Maréchal
souffrait moins de ses infirmités, et son neveu avait obtenu
de lui la promesse qu'il viendrait à Paris tout l'hiver.
Nous avons vu entrer au château un homme sans livrée qui .
donna mystérieusement au Maréchal un pli cacheté. Le Maré-
chal était seul dans son cabinet. L^émissaire attendait dans la
pièce voisine; le Maréchal lui avait remis sa réponse, et le
courrier mystérieux était reparti sur le champ. Le Maréchal,
rentré dans son cabinet, s y fit consigner pour tout le monde.
Nous avons su depuis qu'il s'était occupé à ranger des papiers
et à écrire. Il sortit, demanda son neveu, avec lequel il s'en-
tretint quelques instants, et se rendit au parc sans vouloir
être suivi. Je le vis s'y promener seul et toujours dans la
même allée ; il fixait parfois ses regards vers la grille qui
communiquait avec le bois.
J'étais rentré au château avec une sorte d'inquiétude mélan-
colique dont je ne pouvais définir la cause. On s'entretenait
au salon de la mort toute récente de M^^^ de Sens. A cette nou-
velle M. de Friesen s'est écrié brusquement : € Où est mon
oncle ?» et, se levant avec une agitation extrême, il me prend
par la main et m'entraîne vers le parc. Nous apercevons un
groupe de domestiques portant un brancard; nous appro-
chons... c'était le Maréchal blessé, sans mouvement et d'une
effrayante pâleur ! Aux cris de son neveu, il ouvre les yeux^
fait un effort pour lui tendre la main, et les seuls mots qu'il
put prononcer nous révèlent la cause de sa blessure : € Le
prince de Gonty est-il encore ici? Assurez-le que je ne lui en
veux nullement. Faites prévenir Sénac : je sens qu'il arrivera
trop tard, mais j'ai besoin de revoir mon ami. Je demande le
plus grand secret sur tout ce qui vient de se passer ».
Sénac était au château ; mais il ne pouvait faire de miracle ;
la blessure était mortelle (i).
(i) Noaoeaax mémoireê secrets ei inédits da baron Orimnip
tome I, pp. 54*56.
78 LE PRINCB DB GONTT
Voilà, n'est-il pas vrai? un témoin implacable. Nul
détail n'est omis; les c dernières paroles » du Maré-
chal sont accablantes pour Gonty. Le malheur est que
les prétendus Mémoires inédits du baron Grimm sont
apocryphes, c Rien n'est moins certain, dit Téminent
bibliographe Quérard, que l'authenticité de ces
Mémoires ». En effet, lisez-les avec attention ; vous y
rencontrerez à chaque page des tournures, des expres-
sions, des phrases, textuellement empruntées aux
Mémoires secrets, dits de Bachaumont; le c démar-
quage » saute aux yeux.
Ne nous arrêtons pas à relever les divergences entre
le récit attribué à Grimm et le récit de Moret. Celui-ci
dit qu'il était huit heures du matin quand un courrier
apporta le cartel, que le Maréchal était encore couché,
qu'il se leva et descendit aussitôt dans le parc avec
son aide de camp; celui-là prétend que le Maréchal
était dans son cabinet^ qu'il s'y attarda à ranger des
papiers, qu'il descendit après avoir parlé à son neveu,
M. de Friesen, enfin qu'il attendit seul, en se prome-
nant, l'arrivée de son adversaire. •• Tout cela ne con-
corde guère. Mais il y a, dans la version Grimm, des
inexactitudes beaucoup plus graves et flagrantes.
La première est que M. de Friesen n'était pas à
Chambord. Cela résulte à l'évidence d'une lettre écrite
par le baron Le Fort, chirurgien en chef des uhlans
que Maurice de Saxe conservait comme garde d'hon-
neur.
La deuxième est que M. de Sénac, médecin du Roi,
n'était pas, lui non plus, à Chambord; mais bien à
Fontainebleau, avec la Cour; et ce fut une lettre du
même baron Le Fort, qui le manda d'urgence auprès
du Maréchal mourant, malgré la volonté de ce der-
nier.
La troisième est qu'on ne pouvait parler en novem-
bre 1760 de la mort de M"« de Sens qui n'expira qu'en
avril 1765, quinze ans plus tard.
Un consciencieux historien allemand, M. Vitzhum
d'Eckstaedt, qui a consacré un gros volume à la vie du
LB PRINCB DB CONTT 79
maréchal de Saxe, discute et rétorque excellemment
la thèse fantaisiste du duel telle qu'elle est présentée
par les soi-disant Mémoires de Grimm :
Le duel, si duel il j a eu, ne peut avoir eu lieu que le
21 novembre, jour où Maurice sortit pour la dernière fois et
se promena dans le parc; car le 22, à 10 heures, le maréchal
se coucha pour ne plus se relever. Ni le comte de Friesen, ni
le docteur Sénac, ne se trouvèrent à Chambord le jour où Saxe
tomba malade; et l'alibi de Friesen, si bien constaté par les
dépositions de deux témoins irrécusables, Roth et Le Fort,
rend peu probable la prétendue présence de Grimm. Mais en
admettant que le récit de Grimm soit réfuté quant au fait de
la présence du comte de Friesen, ne se pourrait-il pas que
l'histoire du duel fut vraie quant au fond ? Et ce mystère que
Maurice désirait faire de sa maladie ne doone-t-il pas à pen-
ser ? Nous répondrons que Tordre donné par le Maréchal de
n'appeler personne, pas même Sénac, s'explique fort simple-
ment par le motif que Le Fort allèg'ue dans sa lettre : le Maré-
chal ne voulait pas alarmer Paris. Si cet ordre avait été donné
pour ne pas ébruiter une fatale rencontre, Le Fort auraitril
pris sur lui d'y désobéir en faisant appeler Sénac? Et une fois
résolu d'appeler à Chambord le médecin ainsi que le neveu,
comment expliquer le singulier silence qu'il garde dans sa
lettre sur un fait aussi important ? (i)
Nous pourrions nous en tenir à ces arguments fort
bien déduits et conclure simplement avec Mouffle
d'Angerville :
Saxe mourut à Chambord âgé de cinquante-quatre ans. On
fit des contes sur cet événement comme sur tout ce qui con-
cerne Tes hommes extraordinaires. Le vrai est qu'il mourut
dans son lit^ des suites de ses débauches. Dans les deux der-
nières années de sa vie, c'étoit un cadavre ambulant dont il ne
restoit plus que le nom (2).
(i) G. -F. ViTiHUif d'Bcrstabdt : Maurice, comte de Saxe et
Marie~Jo9êphe deSaxe, p. 523.
(2) Vie prioée de Loaie XV, tome II, p. 558.
80 LB PRINCE DB CONTT
Mais nous avons à cœur de dégager complètement
la mémoire de Gonty de ces odieux racontars. Mieux
que les meilleurs arguments, les faits (les faits « qui
sont choses opiniâtres», selon le mot d'un savant
anglais), vont se charger de plaider la cause du Prince.
Maurice de Saxe mourut le 3o novembre. Sa der-
nière sortie dans le parc de Chambord eut lieu le ai.
Cette date est acquise^ et, là-dessus, tous les biogra-
phes du Maréchal sont d'accord. C'est donc le 21 au
matin qu'il aurait été mortellement frappé. Si nous
prouvons que ni le 20, ni le 21 novembre lySo, Contj
ne bougea de Paris, nous aurons, du même coup,
démontré l'inanité de la légende du duel, tout au
moins en ce qui concerne le Prince.
Or, précisément le 20 novembre lySo, Louise-Adé-
laïde de Bourbon-Conty, princesse de la Roche-sur-
Yon, mourait en son hôtel, à Paris, de la petite vérole,
faisant son neveu son exécuteur testamentaire. Nous
n'ignorons point qu'il n'y a pas concordance entre
tous les témoignages des contemporains sur la date de
cette mort. La Gazette dit que W^^ de la Roche-sur-
Yon mourut le 21 novembre et qu'elle fut enterrée le
même jour (i). Les Afficher annoncent la mort dans
les décès du 21 (2). Le registre de la paroisse Saint-
Sulpice dit qu'on a transporté le 21 à Saint-Ândré-
des-Arcs, le corps de la princesse « morte avant-hier »,
le ig par conséquent. Le duc de Luynes dit également
le ig (3). Mais Collé note qu'elle mourut le 20 novem-
bre (4)- Mais Barbier donne aussi la date du 2o(5).Mais
d'Argenson dit « dans la nuit du 20 au 21 » (6). Mais
le registre de la paroisse Saint-André-des-Arcs déclare
que le 21 fut transporté de Saint-Sulpice, pour être
inhumé dans cette église, le corps de la princesse
(i) Gazette de France, année 1780, p. 576.
(2) Affiches de Parts, avis dioers, n^ du 23 nor. 1760.
(3) Duc DE LuTNBS. Mémoires, tome X, p. 373.
(4) Collé. Journal historiçae, tome I, p. 287.
(5) Barbier, Joarnal, tome III. p. i84.
(6) Marquis d'Aroenson, Joarnal et Mémoires, tome VI, p. 293.
LB PRINGB DE CONTY 8t
«c décédée la veille », le 20 par conséquent. Mais enfin
les registres de la Secrétairerie d'Etat, qui font foi
officiellement, portent le 20, à diverses reprises (i).
Une date domine ce débat. Celle du 21, jour des
obsèques. Or, on ne conservait jamais plus de quelques
heures les corps des gens morts de la petite vérole. On
peut donc être assuré que la princesse mourut dans la
nuit du 20 au 21. Conty n'avait pas quitté le chevet
de la moribonde (2). Il ne pouvait pas être le 21, à
huit heures du matin, au château de Ghambord, dis-
tant de Paris de quarante-cinq lieues.
(i) Archives Nationales : E, 344^, il'. 89, 11 3, 44^.
(2) Duc DE LuTNES, Mémoires, p. 373.
N
Ministre sans portefeuille
Le prince de Gonty travaille avec le Roi. — Commentaires et supposi-
tions. — Les imaginations du marquis d'Arg^enson. — c Roi de
Pologne ». — La vérité sur ces travaux mystérieux. — Police
diplomatique. — Le chevalier d'ECU. — Lord Taaf. — Le Père de
La Tour. — La Compagnie de Jésus et TOrdre de Malte. — Conty
contre Pompadour. — Retraite du Prince.
Mie prince de Conty « travaille avec le Roi » A
♦ dater du mois de décembre 1747 et pendant
près de dix années, telle est la formule qui revient
ainsi qu'une litanie, dans le journal si scrupuleuse-
ment tenu par le duc de Luynes. Sur l'objet de ce tra-
vail on se perd en conjectures et le secret qu'obser-
vent les augustes collaborateurs pique au suprême
degré la curiosité des courtisans oisifs. On a supposé
d'abord qu'il était question seulement d'intérêts pri-
vés, Conty ayant sollicité pour lui-même, en 1748, la
charge de grand fauconnier qu'il n'a pas eue, puis, en
1749, le grand-prieuré de l'Ordre de Malte qu'il a
obtenu grâce au Roi. Mais, Gonty pourvu, le travail a
continué comme devant. Le Prince, grand-prieur,
logé au palais du Temple, ayant ensuite vendu à
Louis XV l'hôtel de Conty, on a présumé que
LE PRINCE DB GONTY 83
les longs téte-à-téte avec Sa Majesté pouvaient avoir
trait à cette vente. Un mot du Roi, répété par
M. de Gesvres, premier gentilhomme de la Chambre,
que la cession regardait particulièrement, a encore
détruit cette hypothèse. M. de Gesvres, ne parvenant
point à se faire remettre un mémoire relatif à l'hôtel
de Gonty que le Prince lui avait promis, s'était
adressé directement au Roi. Louis XV avait grommelé:
c Voilà bien comme il est, il oublie toujours de me
parler de ses affaires ». S'agissait-il donc de la nouvelle
place que Ton allait ouvrira Paris, au Pont-tournant?
Ou de la remise du gouvernement d'Alais, en Langue-
doc, que le marquis de La Fare abandonnait à Conty
pour recevoir du Roi le gouvernement de Gravelines,
compensation fructueuse ? Mais ces matières étaient
de bien mince importance et ne justifiaient pas
un labeur aussi soutenu. Pour quelle raison le
Prince et le Monarque s'enfermaient-ils ainsi chaque
semaine ?
Une explication admirable fut enfin trouvée en lySS,
alors que le mystérieux travail se poursuivait depuis
cinq ans. On avait remarqué qu'un seul confident
était admis parfois à ces conciliabules dans le cabinet
du Roi, où le Prince entrait chargé d'un gros porte-
feuille, comme un ministre. C'était M. de Saint-Sevc-
rin, le diplomate à la mode, le nouveau secrétaire
d'Etat aux affaires étrangères, naguère ambassadeur
du Roi en Saxe et en Pologne (i). On savait aussi
(i) « Janvier ij/^S, — On est toujours étonné de Timmixtion
du prince de Conty dans les afiPaires d*Etat. M. le comte de Saint-
Severin ne bouge de son cabinet où ils travaillent des quatre et
cinq heures. Ce prince porte souvent de gros portefeuilles chez
le Roi et travaille avec Sa- Majesté » (Marquis d'Aroenson, Jour»
nal et Mémoires, tome V, p. 167). •— Le comte de Saint-Severin
d'Arragon, seigneur italien, d'une bonne famille du royaume de
Naples, était venu pour la première fois en France en 1726,
comme envoyé extraordinaire du grand-duc de Parme. Chauve-
lin qui aimait les étrangers, avait persuadé à Fleury d'attacher
au service du Roi cet homme souple et spirituel; on l'avait pen-
sionné de 10.000 livres et on lui avait fait épouser la sœur dn
84 LS PRINCB DS CONTY
que Conty travaillait des six heures de suite chez son
ancien préfet, le Père Simon de La Tour, Jésuite,
« qui lui rédig^eait des systèmes politiques ». Puis ce
fut le tour de M. de Chavigny, de qui, durant quel-
ques mois, le Prince fit sa société continuelle (i).
Assurément, dans le commerce impénétrable du Roi
et du Prince, s'agitaient des questions d'Etat et l'on
crut avoir le mot de 1 énigme quand un courtisan plus
imaginatif que les autres s'avisa que le Prince, jaloux
d'égaler le grand Conty, son aïeul, convoitait la cou-
ronne de Pologne (2), Peut-être ce courtisan n'était-il
fermier-général Villeinur. Employé dans les ambassades, il
s'était signalé en Suède (1741; pour la prompte conclusion du
traité des subsides qu'il avait enlevée en quinze jours. Bien que
ce succès rapide fut dû en grande partie à l'habileté de son pré-
décesseur, M. Casteja, tout le bénéfice de la négociation revint à
Saint-Severin qui passa dès ce jour pour un maître diplomate.
Ambassadeur en Saxe, ministre plénipotentiaire à la Diète de
Francfort, négociateur du traité d'Aix-la-Chapelle, prôné à la
Cour par le maréchal de Noailles et par Mme de Pompadour, il
était rhomme en vedette que tout désignait pour entrer dans les
conseils du Roi. Il y entra en février 1748. Haut, imposant, il
cachait, disaient ses ennemis, sa nullité réelle sous les plus
magnifiques dehors. Ministre jusqu'en septembre 1 755, M. de Saint-
Severin mourut le 7 mars 1767 (Voyez Ed. et J. de Goncourt,
JUme de Pompadour, p. 33 ; Vie privée de Louis XV , t. II,
p. 344» Marquis h'Argessos^ Journal et Mémoires, pctssim).
(i) Théodore Chevignard, dit de Chavigny^ fils d'un juge de
Beaune, qui essaya de se faire passer pour descendant de la
maison éteinte de Chavigny-le-Roi. Il était entré dans la diplo-
matie et avait débuté à Ratisbonneen 1726. Ambassadeur à Lis-
bonne en 174O9 chargé de missions en Allemagne, en 1743-17441
il passa à Venise en 1749 et en Suisse en 1761. Lors de ses tra-
vaux avec Conty, il était toujours ambassadeur en Suisse, mais
en congé à Paris. Voyez Almanach Royal, 1753
(2) On sait que le prince François-Louis de Conty fut élu roi
de Pologne (1697) et proclamé par le primat sans que la faction
de Frédéric-Auguste, Electeur de Saxe, osât s'y opposer. Quand
les partisans du Prince se furent retirés de l'assemblée, Tévèque
de Cujavie. chef du parti de l'Electeur, proclama à son tour ce
dernier roi. Pendant que le grand Conty était encore en route
pour se rendre en Pologne, sur la flotte de Jean-Bart, Frédéric-
Auguste m se faisait couronner à Cracovie, et grossissait son
parti à prix d'or. Conty était mouillé en rade de Dantzig, atten-
LB PRINCE DE CONTY 85
autre que le frère du ministre de la g'uerre, le marquis
d'Argenson, ancien ministre des affaires étrangères
(1744-Ï747)* qui s'était mis cette idée dans la tête
depuis qu'il avait reçu, au moment de la Diète de
Pologne (1746)? 'es confidences d'un certain Blan-
dowskiy ancien agent secret, employé par nous en
1733 à l'élection malheureuse de Stanislas. Ce Blan-
dowski avait conté à M. d'Argenson, alors ministre,
qu'il était venu de Varsovie, mandé par M. de Saint-
Severin, lequel avait partie liée avec Conty pour faire
élire ce dernier au trône d'Auguste III dès que la
place serait vacante ou même avant. Le roi de Polo-
gne ne pouvait aller loin ; il souffrait d'ulcères aux
jambes, comme feu son père, et la succession de cet
homme malade ne tarderait pas à s'ouvrir. Blan-
dowski, depuis son arrivée en France était, disait-il,
demeuré caché à l'Isle-Adam. Mal payé, il se décidait
à tout révéler. M. d'Argenson qui, sur la recomman-
dation de Conty, venait justement de faire nommer
M. des Issarts au poste d'ambassadeur en Pologne,
s'était figuré avoir été pris pour dupe en envoyant là-
bas, à son insu, un émissaire du Prince, un nouvel
abbé de Polignac fi). Vexé, il avait couru chez le Roi,
avait démontré à Louis XV, sans doute fort ébahi, tout
le pernicieux de ce projet et, probablement, avait
éventé la nouvelle, car peu de temps après M. deLoos,
dant que les troupes qu'on lui avaient promises vinssent le rece-
voir, pendant que son rival agissait. 11 attendit en vain et remit
à la voile, sans avoir débarqué.
Auguste II dépossédé en 1704 dans une assemblée de la nation
et déclaré inapte à porter la couronne, fut remplacé par Stanislas
Leczinski, protégé de Charles XII. Mais en 1709, quand Char-
les XII eut perdu la bataille de Pultawa, Auguste II fut rétabli
et régna jusqu'en 1733.
(i) Cet abbé de Polignac que Louis XIV avait accrédité auprès
de Sobieski comme ambassadeur, en lôgS, fut Tagent qui très
habilement prépara Topinion polonaise à accepter comme roi un
prince français lorsque vaquerait la couronne (Voyez Recueil des
instructions données aux ambassadeurs de France,.. Pologne^
t. I, pp. LV-LVII, introduction de M. Louis Farges).
86 LB PRINCE DE CONTT
ambassadeur extraordinaire d'Auguste III, était venu
lui demander à ce sujet des explications. M. d'Ar-
genson s'était défendu de son mieux, affirmant à
Tambassadeur qu'on avait expédié M. des Issarts
à Varsovie « comme on l'aurait envoyé ailleurs ».
Depuis cet incident, le marquis d'Argenson était
resté si bien persuadé des desseins ténébreux de
Conty sur la Pologne, qu'il ramenait les faits les plus
simples à son idée fixe. M. Parisot, mattre des requê-
tes au Parlement et grand ami du Prince, projetait-il
d'aller en Allemagne voir les fêtes données à l'occasion
de la noce de la Dauphine ? C'est qu'il voulait se ren-
dre à Dresde pour cabaler contre Saxe même (i).
M. Ghambrier, ministre du roi de Prusse en France,
se liait-il d'amitié avec le même Parisot ? C'est que
Frédéric de Prusse était du complot et soutiendrait au
besoin Conty contre la Russie. M. des Issarts, déjà
nommé, épousait-il en Pologne la fille d'un magnat ?
C'est qu*il espérait par là se donner plus de crédit
pour son prince. Conty, enfin, procurait-il des
entrées dans le monde et parmi les femmes de la
Cour à M. le baron Scheffer, ministre de Suède à
Versailles ? C'est que la Suède s'embarquerait avec la
Prusse pour Conty. Et ainsi de suite. On relève à cha-
que instant dans le Journal du marquis d'Argenson
l'indice de celte obsession étrange (2). De là à con-
clure qu'il y avait relation étroite entre les séances
hebdomadaires de Conty chez le Roi et la préparation
de sa candidature polonaise, il n'y avait qu'un pas.
Probablement un mystificateur que M. d'Argenson
(i) En l'jlq, le Dauphio, veuf de Marie Thérèse, infante d'Es-
pagne, épousa en deuxièmes noces, par procuration à Dresde, le
10 janvier, et en personne à Versailles, le 5 février, Marie-Josèpbe
de Saxe, cinquième fille de Frédéric-Auguste III, roi de Pologne
et électeur de Saxe et de Marie-Joeèpbe d'Autriche, née à Dresde
le 4 novembre 1731. Elle mourut à Versailles le i3 mai 1767,
quinze mois après son époux.
(2) Marquis d'Argenson, Journal et Mémoires^ tome V, pp. 5o et
382; tome VI, pp. 33g et 34o.
LB PRINCE DE CONTT 87
avait entretenu de ses rêveries, l'aida à franchir ce
pas; le marquis notait sut son Journal, en mars lySS:
L'on m' informe de quelques secrets : ce travail si fréquent
et si long de M. le prince de Gonty avec le Roi regarde unique-
ment le dessein de faire ce Prince roi de Pologne, soit après
la mort du roi régnant, soit même plus tôt. L'on croît que
son parti est considérable et qu'on y a embarqué les puis-
sances voisines, surtout le roi de Prusse (i).
Et ce qu'il écrivait pour lui-même et pour la posté-
rité, M. d'Argenson le glissait sans doute de bonne
vogue à roreille de ses intimes qui colportaient l'his-
toire de tous côtés. C'est là qu'il faut chercher l'origine
de cette fable, que Conty n'eut garde de démentir et
qui s'enracina si solidement chez les contemporains
que, vingt ans plus tard, M"**^ du Deffand appelait
encore par moquerie Conty : le roi de Pologne, et que
Gustave de Suède, parlant dans une lettre à
M™® de Boufflers de l'effritement de la Pologne qui
commençait, pouvait dire très sérieusement : c< ...M. le
prince de Gonty qui s'est si souvent vu au moment
d'être dans une place dont il étoit bien plus digne
que celui qui se l'est arrogée aujourd'hui, doit être
vivement affecté de l'état où se trouve dans ce moment
un royaume qu'il a regardé longtemps comme devant
devenir un jour son patrimoine ... » (2).
Si le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable,
rien n'est plus facilement adopté pour vrai que l'in-
vraisemblable. Le roman de Gonty aspirant au trône
de Pologne se propagea rapidement. Personne n'ob-
serva quelle rare extravagance eût dénoté chez
Louis XV ce projet de déchirer le traité de Vienne,
de nous exposer à perdre la Lorraine garantie à la
France par la renonciation de Stanislas Leczinski et
de nous mettre l'Europe entière sur les bras, unique-
(i) Marquis d^Aroenson, Journal et Mémoires ^ tome VU, p. 438.
(2) Lettres de Gustave IJI à la comtesse de Boufflers, etc, p. 62.
80 LE PRINCB DE CONTT
ment pour le plaisir de détrôner, au profit d'un cou-
sin, le père de la Dauphine, sa bru (i).
Malgré tout l'attrait qu'offre le merveilleux, les
belles imaginations du marquis d'Argenson rencon-
trèrent quelques incrédules. Le duc de Luynes, entre
autres^ qui, en 17849 cherchait encore la clé du mys-
tère : c ... M. le prince de Conty travaille avec le Roi.
On est toujours à comprendre ce que peut être ce
travail ; car M. le prince de Conty a un portefeuille,
comme un ministre^ et on ne voit pas cependant qu'il
soit chargé de rien. » (a).
Vingt-cinq ans plus lard, en 1779, l'explication
vraie fut donnée par le comte de Broglie dans un fac-
tum judiciaire signé par lui et rédigé par son procu-
reur. Mais la révélation passa inaperçue : Louis XV
éiait mort depuis cinq années, Conty depuis trois.
Personne ne s'inquiétait plus de ce qu'avaient pu
faire ensemble le Roi et le Prince.
Voici le passage saillant du mémoire de M. de Bro-
glie :
Feu M. le prince de Conty me remit, le jour de ma nomi-
nation à l'ambassade de Pologne, l'ordre de la main de S. M.
de correspondre secrètement avec Elle, et de préférer ceux
qu*ËlIe me ferait passer par ce Prince à ceux qui me vien-
draient directement de son conseil. Je fus, je l'avoue, effrayé
(i) Comme il y a toujours quelque grain de vérité au fond
d*une légende, on peut admettre que Louis XV ait caressé un
instant le projet de molester Auguste III. En 1745, lorsque le fils
de Tempereur Charles VII, électeur de Bavière, out fait son
accommodement avec Marie-Thérèse, nous avions essayé de sus-
citer à sa place, comme candidat à l'Empire, Auguste III, roi de
Pologne et Electeur de Saxe. Mais ce dernier, qui avait un traité
d'alliance défensive avec l'Autriche, l'Angleterre et les Pays-Bas,
avait repoussé nos offres, refusant de lâcher la proie pour l'om-
bre et de risquer son trône de Pologne pour la couronne impé-
riale encore à conquérir. De ce refus, Louis XV avait gardé
quelque temps un certain ressentiment. Mais depuis le mariage
du Dauphin avec Marie-Josèphe de Saxe (1747), tout cela était
certainement oublié.
(2) Duc DE LuTNES, Mémoires, t. XIII, p. 424.
LB PRINCE DE CONTT 89
de ces conflits d'ordres ; je prévoyais les ennemis puissants
que cela me ferait ; je priai M. le prince de Gonty d engag-er
Sa Majesté à choisir un autre ambassadeur; je reçus le lende-
main un second ordre du Roi. J'obéis et rien depuis n'a
ébranlé ma fidélité ni mon zélé. En 1767, lorsque M. le prince
de Gonty se retira des affaires. Sa Majesté daigna me confier
sa correspondance secrète, dont j'ai été chargé jusqu'à sa
mort. Voilà le ministère clandestin que l'abbé Georgel et ses
fauteurs et protecteurs me reprochent et ont toujours donné
comme une intrigue, une source de délations (1).
Pour choquant que le terme paraisse à M. de Bro-
glie qui le souligne dans son factum, c'est bien
un « ministère clandestin » qu'il exerça et qu'exerçait
avant lui le prince de Gonty. Ghargé de la correspon-
dance secrète du Roi, ce n'était pas seulement avec les
ambassadeurs attitrés que le Prince était en rapport,
mais encore avec les ministres occultes, entretenus
dans les cours étrangères par Louis XV, dans le but
de traiter certaines affaires diplomatiques directe-
ment, en dehors et par-dessus la tête de l'ambassa-
deur. Nous en donnerons tout à l'heure un exemple.
Si le travail de Gonty avec le Roi demeura un mys-
tère à Versailles, il n'en fut d'ailleurs pas de même
hors de France et quelque lettre violée ou perdue
dénonça Gonty, ministre des affaires secrètes étran-
gères. Ëcoutez dans quels termes Marie-Thérèse, en
1775, met en défiance son fidèle agent, M. de Mercy-
Argenteau, contre les politesses que prodigue Gonty à
Marie-Antoinette :
On a vu des lettres de ce Beaumarchais, où il dit qu'il est
fait secrétaire du cabinet du prince de Gonty. A propos de
celui-ci, je dois vous avertir, le connaissant par sa corres-
pondance secrète du règne du feu Roi, qu'il a toujours été
très peu porté pour l'alliance avec nous, qu'il est d'une ambi-
tion extrême et ose beaucoup. Il voulait être roi de Pologne
(i) Exposé des motifs qui ont nécessité la plainte du comte de
Broglie, p. 5.
90 LB PRINGB DB GONTY
et a fait bien des pas à Tinsa du Roi. Je crains pour les pré-
venances qu'il vous prodigue à cette heure qu'il y a du des*
sous (i).
Une précieuse confirmation nous est apportée par
M. Dutens, le diplomate anglais, qui vécut longtemps
dans la familiarité du Prince et qui reçut parfois ses
confidences :
M. le prince de Conty avoit joui longtemps de la confiance
de Louis XV, qui le consultoit sur les affaires les plus impor-
tantes de l'Etat; il arrivoit souvent que, par son avis, le Roi
avoit un ministère secret dans les cours, lequel, à Tinsu
de son ambassadeur, négocioit directement par d'autres
moyens. Telle fut la chevalière d'Eon à la Cour de Russie,
qui, recommandée par le prince de Conty, lequel ne connais-
soit pas encore son sexe, fut à Pétersbourg pendant quelques'
mois, eut l'adresse de s'introduire auprès de l'impératrice Eli-
sabeth en habit de femme et conclut en quinze jours une
affaire que l'ambassadeur faisoit traîner depuis longtemps.
Ce fut aussi le prince de Conty qui recommanda M. de Ver-
gennes à Louis XV comme très capable de servir dans les cours
étrangères ; en effet, il se trouva au changement du système
établi en Suède.
A ces deux noms (Eon, Vergennes) nous en pouvons
joindre un troisième, beaucoup moins connu dans
(i) Correspondance secrète de MarieThérèse^ t. II, p. 280 (Let-
tre du 3 jaDvier 1775). — Les annotateurs de la Correspowiance
secrète de Marie-Thérèse ajoutent (tant certaines légendes onl la
vie dure) à propos de la phrase : « Il vouloit être roi de Polo-
gne », cette note : « Ce furent en effet les espérances de Conty au
trône de Pologne, qui, encouragées par Louis XV sans être
acceptées par sa politique officielle, donnèrent lieu à la diplo-
matie secrète, continuée ensuite dans d'autres vues ».
Les mêmes annotateurs observent, à propos de Beaumarchais :
<t Nous ne trouvons nulle part que Beaumarchais ait été le
secrétaire de Conty ». En effet on n'en trouve nulle part la preuve
matérielle, quoique le prince ait protégé ouvertement l-auteur
des Mémoires contre le Parlement Maupeou et lui ait accordé sur
sa cassette une pension viagère de 2.000 livres qui lui fut conti-
nuée après la mort de Conty.
(2) DuTENS, Mémoires d'un voyageur qui se repose, t. II, p. 18.
LB PilINCB DE CONTY 91
rhistoire, celui de lord Taaf, irlandais, ancien mem-
bre du Parlement d'Angleterre, qui fut très certaine-
ment Tagent du prince de Conty. Théobald Taaf vivait
sur un assez grand pied à Paris, en lySi, lorsqu'une
vilaine affaire au jeu, où il friponna un juif anglais,
le fit décréter d'accusation et conduire au For-FEvê-
que. Puissamment protégé, il sortit vite de prison.
Mais il ne put retourner à Londres où le bruit de cet
exploit Tavait fait exclure du Parlement et où il pas*
sait (dit un rapport de police) pour un espion de la
France. C*était un petit homme fort laid, fin, intri-
gant et peu scrupuleux. Il eut par la suite maille à
partir plusieurs fois avec la police et fut mis à la
Bastille en 1768. Toujours il fut relâché, grâce à la
protection soit de M. de Belle-Isle, qui Tavait employé
à diverses besognes dans les Pays-Bas, soit du prince
de Conty (i).
Si nous ignorons la nature précise des négociations
confiées à lord Taaf, nous sommes mieux renseignés
quant au chevalier d'Eon^ l'androgyne si longtemps
réputé femme. Avant même la publication des Mé-
moires de Dutens, la mission confidentielle du diplo-
mate en jupons avait été signalée dans la Vie privée'
de Louis XV ^ dont Tauteur assure que « le prince de
Conty honorait d'une bienveillance particulière » la
famille Eon de Beaumont.
La Russie (dit Mouffle d'Angerville) était alors brouillée
avec la France. Il étoit essentiel de rapprocher les deux cours:
on vouloit un agent mystérieux, sans caractère et cependant
capable de s'insinuer et de remplir la mission délicate dont il
seroit chargé .
(i) Dans les Archives de la Bastille y conservées à la Bibliothè-
que de TArsenal, un volumineux dossier (12.022) est consacré à
« Milord Taaf 0. Mêmes Archive» (10.241), se trouve le dossier de
la demoiselle Lannoy Taînée, sa maîtresse. — Voyez aussi, sur
Théobald Taaf : J. Hovyn de Tranchère, Les dessous de l'Histoire,
t. II, pp. 3o4-3o7 et le Journal des inspecteurs de M, de Sariines,
p. 173.
92 LE PRINCE DE CONTY
Le prince de Conty crut avoir trouvé en M\^^ d'Eon toutes
les qualités requises et la proposa à Louis XV qui aimoit ces
sortes de mystères.
Il adopta volontiers le nég'ociateur femelle qui, aux appro-
ches de Pétersbourg, prit les habits de son vrai sexe et réussit
si bien dans son rôle que S. M. se plut à la renvoyer une
seconde fois en Russie avec le chevalier de Dougplas. Alors
elle avait reprisses habits d'homme et joua le second person-
nag'e avec plus de finesse encore puisqu'on assure qu'elle ne
fut pas même reconnue de l'impératrice. Le fruit de leurs
nég'ociations fut de déterminer la Russie à s'allier aux cours
de Vienne et de Versailles plutôt qu'avec la Prusse, etc. (i).
L^anecdote s'arrête là; mais le chevalier d'Eon,
revenu de Russie au mois de mai lySy, y retourna la
même année pour la troisième fois, sur les instances
de MM. de Belle-Isie et de Bernis, en qualité de secré-
taire du m:irquis de L'Hôpital, notre ambassadeur à
Saint-Pétersbourg. Et quel est le parrain de ce secré-
taire, vraisemblablement placé comme espion auprès
de rambassadeur ? Ce n'est plus Conty, que la faveur
du Roi abandonne ; mais c'est le professeur du Prince
en police diplomatique, c'est l'homme qui, avec
M. de Saint-Severin a dirigé de ses conseils la « cor-
respondance secrète » de Louis XV, c'est le Père Simon
de La Tour. Le Jésuite écrit au marquis de L'Hôpital :
// aoât 1^5^. — Je profite de l'occasion sûre de M. d'Eon
de Beaumont pour rendre à Son Excellence mes plus tendres
et affectueux hommages. Je le connais depuis longtemps, je
le considère beaucoup, et je suis bien trompé, ou M. le Mar-
quis aura tout sujet d'être content de son esprit, de son intel-
ligence, de son caractère et de sa vertu (2).
Le rôle joué par le Père de La Tour auprès du
prince de Conty pourrait sembler obscur à ceux qui
ne verraient en lui que l'ancien précepteur du Prince
(i) Vie privée de Louis XV, t. IV, pp. i49-i5o.
(2) Chevalier d*Eon, Lettres, Mémoires et négociations particu-
lières y p. 352.
LE PRINCB DE CONTY 93
OU rancien principal du collègue Louis-le-Grand. Mais
il ne faut point oublier que le Jésuite est monté en
grade. Et lorsqu'il devient le collaborateur diplomati-
que du ministre sans portefeuille qu'est Conty, il est
lui-même Procureur général des Missions étrangères
de son ordre. Il a, par les ramifications puissantes de
la Compagnie de Jés(us, des relations dans toutes les
capitales, dans tous les pays d*Europe. Il sent Forage
qui gronde sourdement en France contre les Jésuites
et il cherche à faire d'eux sinon des auxiliaires indis-
pensables par les services qu'ils rendent au Roi, du
moins des gens à ménager pour les secrets d'Etat dont
ils deviennent les confidents.
Quoiqu'il n'aimât pas les religieux en général, le
prince de Gonty avait gardé de ses anciens maîtres le
meilleur souvenir (i). Le concours du Père de La
Tour était de ceux qu'on ne laisse pas échapper.
Le même calcul qui détermina Conty à s'adjoindre
la collaboration du Jésuite avait évidemment déjà
guidé le Prince dans la lutte qu^il soutint pour se faire
nommer grand-prieur de l'Ordre de Malte.
Les chevaliers de Malte, nés des Hospitaliers de
Saint-Jean de Jérusalem, étaient les successeurs di-
rects des Templiers, avec lesquels ils avaient rivalisé
d'héroïsme pendant les croisades. Bien qu'ils eussent
perdu à la longue, depuis que la chrétienté avait fait
la paix avec les infidèles, le caractère militaire et reli-
(i) Voyez à ce propos, dans le tome VIII des Œuvres de Vol*
taire^ les vers facétieux composés par ce dernier et dédiés à
Conty, pour lui recommander le neveu de feu le Père Sanadon,
de son vivant bibliothécaire du collège Louis le-Grand :
Votre âme. à la vertu docile,
Eut de moi plus dune leçon ;
Je fus autrefois le Chiron
Qui guidait cet aimable Achille.
Mon pauvre neveu Sanadon,
Connu de vous dans votre enfance,
N*a pour ressources que mon nom,
Vos bontés et son espérance. Etc..
94 LB PRINCE OB CONTY
gieux qui était la raison d'être des Hospitaliers d'au-
trefois, ils avaient conservé leurs règles, leurs biens,
leurs ressources et Tétendue de leur influence. Orga-
nisation internationale parfaitement administrée, cou-
vrant PEurope de ses commanderies, TOrdre de Malte
conférait à ses hauts dignitaires un pouvoir d'investi-
gation considérable. Gonty rêva sans doute de mettre
cette puissance au service de sa diplomatie secrète, et
il voulut être grand-prieur de France.
Mais le grand-prieuré était regardé comme la
récompense des plus anciens commandeurs de TOr-
dre. C'était ordinairement le grand-hospitalier qui
montait à la première dignité. Lorsqu'au mois de juin
1748, le grand-prieuré de France fut vacant par la
mort de Jean-Philippe, chevalier d'Orléans, qui le
détenait depuis 1719, le premier à monter en grade
était le bailli Rénon. On parlait bien aussi d'une can-
didature du chevalier de Modène, mais nul n'aurait
soupçonné que le prince de Gonty se mît sur les
rangs, d'autant plus qu'il n'appartenait pas à TOrdre
et qu'il déclarait tout net ne pas vouloir prononcer le
vœu de célibat obligatoire. Appuyé par Louis XV,
Gonty n'eut point de peine à recevoir de Rome le bref
pontifical nécessaire. Mais l'accord se fit bien plus dif-
ficilement du côté de Malte. Le grand-mattre s'était
déjà vu forcer la main en Espagne^ où le prieuré de
Castille avait été adjugé sans droits à l'infant don Phi-
lippe. En France la mort du chevalier d'Orléans,
prince débauché dont la vie avait été un scandale de
chaque jour, était pour TOrdre comme une déli-
vrance (i). Et voici qu'on tentait de lui imposer
(i) Voici dans quels termes on chansonnait, en 1734? le cheva-
lier d'Orléans, bâtard du Régent et grand-prieur de France :
Air : « Nanette, dormez- vous,., »
Payez vos créanciers {bis)
En aussy mauvais vers
Prieur, si vous pouvez,
Que ceux que, cet hiver.
Vous nous avez donnés.
LE PRINCB DE CONTY 95
encore un prince ! Le grand-maître ne voulait pas
céder. Se figurant que Conty visait moins la dignité
que les bénéfices y attachés, lesquels étaient environ
de 60.000 livres par an, plus le logement au palais du
Temple, il offrit une transaction : l'Ordre constitue-
rait au Prince So.ooo livres de rente et lui louerait
une belle maison dans Paris, à condition qu'il renon-
çât au prieuré. Son truchement auprès du Roi était le
bailli de Froulay, ambassadeur de l'Ordre. Celui-ci
soutenait les intérêts de Malte avec prudence, mais
avec vivacité. Il représentait à Louis XV que le
prince de Conty n'avait jamais été reçu même simple
chevalier ; que c'était faire un tort irréparable au
bailli Rénon, ancien commandeur; enfin que TOrdre,
quelque honoré qu'il fût d'avoir un prince du sang,
aurait beaucoup de peine à y consentir à cause de la
règle. Conty avait pour avocat le bailli de Saint-Simon
qui, très instruit de tout ce qui regardait Malte, avait
été prié par la princesse de Conty de trouver des argu-
ments pour rétorquer ceux de M. de Froulay (i). Le
bailli de Saint-Simon objectait que l'élévation du
Prince au grand-prieuré ne souffrait aucune difficulté ;
qu'il y avait des précédents nombreux de princes bien
moins légitimes que lui et nommés grands-prieurs,
uniquement parce que princes : en i549t François de
Prieur, quittez la Cour, (bis)
Disent les gens de bien
Qui sont dans ce séjour ;
Car c'est un vilain train
Qu'un poste de catin.
Gardez votre venin {bis)
Pour un monstre hideux
Qui vous le rendra bien ;
Tenez -vous en tous deux
Au seul mal vénérien.
(Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, 12676, f. i4i).
(i) Duc DE LuTNES, Mémoires^ t. IX, pp. 262, 288 et 4^3; X,
pp. i38-i4o. — Voyez aussi : Barbier, Journal, t. III, p. 36 et
filARQUis d'Argbnson, Joumal et Mémoires, t. V, p. 239.
96 LS PRINCE DE CONTT
Lorraine, fils du duc de Guise et beau-frère de Henri III;
en iSyS, Henri d'Angoulême, bâtard de Henri II ; en
1687, Charles d'Orléans, bâtard de Charles IX ; en 1618,
Alexandre de Vendôme, bâtard de Henri IV ; enfin en
1679, Philippe de Vendôme, arrière petit-fils du même
roi, qui démissionna en 1719 et vendit son titre au che-
valier d'Orléans, sans qu'aucun dédommagement fût
accordé au bailli de Perraux, alors grand-hospitalier.
Le meilleur argument fut la volonté de Louis XV,
sans la bienveillance de qui TOrdre de Malte ne pou-
vait subsister en France. Il fut convenu toutefois que
le bailli Rénon recevrait comme indemnité 8.000 livres
de pension. Moyennant quoi, le prince de Conty, eut
le consentement du grand-mattre, avec dispense des
vœux, jusqu'à ce que le comte de La Marche fût marié
et qu'il eût un fils. Au cas où Conty se remarierait, il
devrait remettre le grand-prieuré.
Le ministère occulte de Conty se maintint jusqu'en
1757. Le Prince perdit la faveur de Louis XV en
même temps que le comte d'Argenson, ministre de la
guerre et pour le même motif : tous deux gênaient
M"* de Pompadour. Le ressentiment de la favorite fut
la cause principale de la rupture qui se produisit entre
le Roi et le Prince, jeta celui-ci dans l'opposition et
le brouilla si définitivement avec le monarque, qu'il
ne parut plus en Cour que par ordre et pour les céré-
monies d'éclat et de bienséance auxquelles son rang
l'appelait de toute nécessité.
C'est à son retour de la campagne d'Allemagne, au
mois de novembre 1745, que Conty avait trouvé la
nouvelle idole installée à Versailles. Il avait reçu
d'elle le plus aimable accueil. M^^ de Pompadour, à
ce moment, se sentait en butte à une hostilité sourde,
mais quasi-générale de la Cour. Elle avait à se faire
pardonner son élévation subite et cherchait des
alliés.
Conty pourtant se tinl sur la réserve. Non qu'il
lui répugnât de fréquenter chez une maîtresse
LE PRINCE DE CONTY 97
du Roi. Il avait été le confident de M™« de Mailly et,
plus tard, l'ami, Tami tendre et dévoué de sa sœur,
M"® de Châleauroux. II avait accepté la protection de
cette dernière. C'est un peu par elle qu'il avait obtenu
le commandement de l'armée d'Italie en 1744 ; c'est
beaucoup par son influence qu'il avait été autorisé à
lever cette compagnie de gardes à ses couleurs qui
avait tant rehaussé son prestige de général-prince et
l'avait placé sur un pied d'égalité avec l'infant
don Philippe. Mais M"°® de Mailly et M™« de Château-
roux étaient nées ; elles étaient des Mailly-Nesle (i).
On chuchotait même que la seconde était mieux
encore^ qu'elle avait dans les veines du sang des Bour-
bons, que son père était Monsieur le Duc (2). Un Conly
pouvait sans déchoir frayer avec une presque Condé.
Il en allait autrement avec la maîtresse du jour,
une Poisson, que son union avec un Lenormand
d'Etiolés, homme de finances, avait peut-être enrichie,
mais n'avait pas savonnée de sa vilenie originelle. Il
était dans l'ordre des choses que le Roi trompât la
Reine, abîmée en un bigotisme farouche. Mais que le
Roi choisît sa concubine aussi bas, positivement le
(i) Les demoiselles de MaîlJy-Nesle, dont trois passèrent dans
le lit du Roi, Mme de Mailly, Mme de Vintimille et Mme de Châ-
teauroux, étaient filles de Louis de Mailly, marquis de Nesle,
commandant de la gendarmerie de France et d'Armande de La
Porte-Mazarini, dame du palais de la Reine.
L*aînée, Louise-Julie, née en 1710, avait épousé à seize ans son
parent Louis-Alexandre de Mailly Rubenpré^ dit le comte
de Mailly. Elle devint à la mort de sa mère (1729) dame du palais
et fut en 1733 la maîtresse du Roi. Elle mourut en 1761 d*une
fluxion de poitrine. Elle était veuve depuis 1747.
Mme de ChAteauroux, née en 1717, avait été mariée en 1734 à
Jean-Louis, marquis de la Tournelle Veuve en 1740, créée
duchesse de Ghâteauroux en décembre 1743, remerciée en août
1744) iors de la maladie du Roi, elle mourut le 28 décembre de
la même année.
(2) Le marquis d'Argenson écrit, se faisant Técho de ce bruit :
« Mme de La Tournelle a 4o 000 livres de rentes, tant de la dot
que lui a constituée Monsieur le Duc, qui s*est cru son père, que
de son défunt mari » (Joqrnal et Mémoires, t. IV, p. ^o).
7
m LB PftINCB DB CONTY
Bien-Aimé s'encanaillait. Si encore il s'était contenté
de la voir en secret. II Taffichait au contraire et lui
passait d'étaler sa roture. Il tolérait qu'elle reçut à
Versailles son père, individu sans éducation, sans
décence, fait comme un fiacre (i). II recevait lui-
même son frère, le jeune Poisson, grand dadais frais
émoulu du collège, qui s'émerveillait tout haut de
voir des cordons-bleus se baisser pour lui ramasser
son mouchoir; il le conviait à ses petits soupers et le
nommait en badinant/r^ro/ (2). Familiarités excessi-
ves, que Conty blâmait, comme tout le monde.
Le pire est que son nom à lui, Conty, avait été
mêlé à cette turpitude. Le Roi pour avoir sa maîtresse
plus près, avait exigé qu'elle fût dame d'honneur de
la Reine, qu'elle fût par conséquent présentée. Il fal-
lait une marraine peu dégoûtée pour servir de chape-
ron à l'anoblie de fraîche date. La princesse de Conty,
femme d'intrigue, que nous avons vue naguère
intime avec M™« de Mailly et que son désordre, ses
dettes, vouaient un peu à ces métiers de complaisance,
avait accepté le rôle. La présentation de M^^ d'Etiolés
à la Reine avait eu lieu, à Versailles, en septembre.
Et la marquise émue ayant, par mégarde, laissé choir
un de ses gants, la princesse s'était abaissée jusqu'à le
ramasser, tout comme les cordons-bleus relevaient le
mouchoir an frérot.
(i) Un jour qu'un valet nouveau faisait quelque difficulté d'in-
troduire le père Poisson, à cause de son extérieur ignoble :
ff Maraud^ lui cria-t-il, apprends que je suis le père de la putain
du Roi I » {Vie privée de Loais XV, i. liï, p. i5).
(2) Abel -François Poisson, créé marquis de Vandières-en-
Ghampagne, de Marigny-en-Orxois, de Ménars-le Château-en-
Biaisois, comte de Mouthiers, vicomte de Clignon, seigneur de
Nozieuz, etc.. était né en 1726, à Paris. Il fut fait cordon
du Saint Esprit en 1755; conseiller d*Ëtat d'épée, lieutenant
général des provinces de Beauce et Orléanais, capitaine gouver-
neur du château royal de Blois et capitaine de la Varenne
des Tuileries, directeur et ordonnateur général des bâtiments,
jardins, arts et manufactures du Roi, le 27 juin 1766. Il démis-
sionna le 10 juillet 1770. Il mourut à Paris, le 11 mai 1781 (PP.
AiitBLMB, Anob et SiMPLiaiN, Histoire ginMogique),
LB PRINCE DB CONTT W
Paris, qui avait su l'anecdole, fredonnait aussitôt^
sur l'air : Lon lan.la derirette^ cette chanson dont
M. de Marville, lieutenant de police, ne découvrait
pas Fauteur :
On s'inquiétoit l'autre jour
Qui présenteroit à la Cour
Lon lan la derirette
Le bel objet du Roi chéri
Lon lan la deriri.
A la Reine premièrement
Falloit mener pompeusement
Lon lan la derirette
Ensuite à Mesdames aussi
Lon lan la deriri.
Cette étoile du firmament
Faite marquise récemment,
Lon lan la derirette
Dont le canal est anobli,
Lon lan la deriri.
C'étoit un cérémonial
Comme un article principal,
Lon lan la derirette
Avant de partir pour Choisy
Lon lan la deriri.
Une femme de qualité
Eut fort bien l'office accepté,
Lon lan la derirette
Mais cela n'auroit pas suffi,
Lon lan la deriri.
Pour un emploi si beau, si g^rand,
Notre Roi, ce fier conquérant,
Lon lan la derirette
Au milieu des siens a choisi,
Lon lan la deriri
Voulant augmenter le renom
D'une princesse de Bourbon,
Lon lan la derirette,
Il jeta les yeux sur Conty,
Lon lan la deriri.
1-106;
100 LB PRINGB DE CONTY
Elle a rempli sa fonction
Avec g^rande distinction,
Lon lan la derirette,
D*un air qui fut fort applaudi,
Lon lan la deriri .
La Pompadour, d'un air galant,
Entre et laisse tomber son gant,
Lon lan la derirette,
Que n'a voit pas mis par oubli,
Lon lan la deriri .
La princesse, voyant cela,
Au plus vite le ramassa,
Lon lan la derirette :
« Tenez, Madame, le voici »
Lon lan la deriri.
Après ce service important,
Le monarque reconnoissant
Lon lan la derirette
Lui dit : « Cousine, grand merci, >
Lon lan la deriri.
L'assurant positivement
Qu'il l'estimoit infiniment,
Lon lan la derirette.
Et qu'il prendroit soin de son fils
Lon lan la deriri (i).
M"' de Conty se fût aisément consolée de ces cou-
plets. On ne les chantait point à ses oreilles. Maiis elle
elle avait directement essuyé une mortification plus
cruelle ; un soir de bal à TOpéra, qu*elle était en quête
d'un siège, s'étant avisée, afin de l'obtenir, d'ôter son
loup, tous les masques qui occupaient une banquette
se liguèrent pour lui refuser une place : — € Je suis la
princesse de Conty 1 », s'écria-t-elle. — « Nous ne vous
connaissons pas », répliqua le banc. — « Vous êtes
donc gens de bien mauvaise compagnie ?» — « Si
(i) M. Màrvillb, Lettres à M, de Maurepas^ t. II, pp. i54-i56
(en note).
LE PRINCE DE GONTY 101
mauvaise qu'elle ne veut pas être gâtée davantage »...
Et la princesse dut rester debout (i).
Conty, le héros d'Italie et d'Allemagne, digérait
mal ces affronts publics, qui rejaillissaient sur lui
puisqu'ils visaient quelqu'un de sa maison. Ne pou-
vant s'en prendre à sa mère, il en tenait responsable
la favorite qu'il méprisait déjà pour la bassesse de son
extraction. Volontiers il aurait imité, s'il avait pu, le
geste outrageant du Dauphin qui, lorsque la marquise
lui avait été présentée pour la première fois, avait tiré
la langue avec grimace en lui donnant l'accolade de
cérémonie. Mais pour une créature dont le règne
serait probablement passager, Conty allait-il s'aliéner
le Roi ? Louis-François était ambitieux ; les lauriers
de Maurice de Saxe troublaient son sommeil ; il convoi-
tait un commandement dans les Flandres pour vain-
cre sous les yeux du Roi et pour tirer de ses victoires
plus de bénéfices matériels qu'il n'en avait récoltés
jusqu'ici. II se borna à repousser par la froideur les
avances de M™* de Pompadour que sa reconnaissance
envers la mère n'autorisait que trop à quelques
empressements envers le fils.
Lorsqu'après la prise de Mons et de Charleroi, en
1746, Conty revint à Versailles soumettre au Roi son
différend avec le maréchal de Saxe, la situation en
Cour de M"® de Pompadour avait singulièrement
grandi. Elle s'était faufilée et tout à fait imposée dans
les conseils royaux. Et comme elle protégeait Saxe,
comme elle ne voulait pas surtout que la dualité du
commandement offrît au Roi un prétexte pour retour-
ner à l'armée, elle s'était employée de toute son
influence, soutenue de celle du ministre de la guerre,
à faire passer les forces françaises dans une seule
main, celle du maréchal. On a vu comment Conty,
discernant la conséquence de cette mesure qui le
plaçait en sous-ordre, préféra se démettre des pou-
voirs qu'il avait reçus plutôt que de céder sur le point
(i) [Soulavik], Mémoires da duc de Richelieu^ t. III, p. 5i.
102 LE PRINCE DB CONTY
de préséance. Mais il ne se résignait pas sans amer-
tume à ce sacrifice, et la conversation qu'il eût avec le
Roi fut assez vive. M™® de Pompadour qui était pré-
sente, eut l'effronterie de l'interrompre. A quelqu'une
de ses assertions : — « Vous ne mentez jamais, Mon-
sieur ? » dit-elle. — « Pardonnez-moi, Madame^ fit le
Prince, quelquefois... aux femmes ». Et se retournant
vers le Roi, il continua Tentretien (i).
De ce jour, Gonty eut une ennemie mortelle. Cepen-
dant la favorite était trop fine politique pour rompre
en visière brutalement à un adversaire que la Cour
comptait pour ses mots à l'emporte-pièce, que le Roi
lui-même ménageait parce qu'il se sentait peut-être
au fond quelques torts envers lui et parce que le prin-
cipe de Louis XV, égoïste indolent, était de vivre en
repos avec sa famille. M°^® de Pompadour dissimula
donc. Mais ce fut une paix fourrée, rancune tenante.
Les Concourt nous paraissent plus romanciers qu'his-
toriens quand ils hasardent cette affirmation :
La Reine conquise ou au moins désarmée, M>°« de Pompa-
dour attachait aux intérêts de sa fortune un prince du sang,
le prince de Gonty. Mettant à profit l'ambition de la vieille
princesse de Conty qui Tavait présentée à la Cour, exploitant
la jalousie de cette branche de la famille royale contre les
Condé et les d*Orléans, et qui s^indignait des barrières qu'elle
trouvait entre elle et le trône, la favorite gagnait le jeune
prince par la promesse d'emporter son mariage avec M™« Adé-
laïde (2).
Rien de semblable dans les Mémoires du temps ; le
duc de Luynes observe seulement : « i^^ mars ijiS, —
Pendant toute la petite vérole de M™® Adélaïde,
(i) DuTENS, Mémoires d'an voyageur qui se repose, t. II, p. 20.
(2) Ed. et J. DE Concourt, Af^wc de Pompadour , p. 3i . — et En
efiPet, ajoutent en note, les mêmes auteurs, il y avait comme des
fiançailles dans la permission donnée, au mois de mars 1748,
au prince de Conty^ de s'enfermer avec Mme Adélaïde, pendant la
petite vérole de la princesse ».
LE PRINCE DE CONTY 103
M. le prince de Conly a été fort assidu à lui faire sa
cour : on assure que le Roi lui avoit dit d'aller lavoir.
Cette assiduité a donné occasion à des propos » (i).
Conty, d'autant plus soucieux de plaire au Roi qu'il
se savait miné par dessous, obéissait simplement à un
désir de son mattre. Il fallait l'imagination des habi-
tués de l'Œil-de-bcBuf pour inventer là des prélimi-
naires de mariage.
M™® de Pompadour avait si peu « attaché à sa for-
tune » le prince de Conty, qu'il évitait d'aller chez
elle quoique à cette époque il fût le plus souvent à
Versailles. D'Argenson (1749) en fait la remarque :
M. le prince de Conty ne va plus du tout chez M"« de Pom-
padour, depuis que M. de Saint-Séverin a été fait ministre,
et ce Prince y prétend aussi; ainsi, comme on le voit, il ne
manque pas de prétendants au ministère (a).
Ce : « ne va plus du tout >> laisserait supposer
qu'avant l'accès de M. de Saint-Séverin au ministère,
le Prince allait quelquefois chez la favorite. Mais un
autre témoin, beaucoup plus véridique que le marquis
d'Argenson, le duc de Luynes, écrit, au mois de sep-
tembre 1760, à propos des travaux mystérieux de
Conty chez le Roi :
Il est assez singulier qu'avec cette intimité de travail, sans
fonction connue, bien loin d'ôtre en grande liaison avec
lyfme de Pompadour, il [Conty] n'alloit jamais chez elle. Ce
nest que depuis tout au plus un an, qu'il a commencé à y
aller ; encore te fut par occasion et pour ainsi dire malgré
lui. Le Roi et M™« de Pompadour s*amusent beaucoup de
pigeons et poules de différentes espèces, ils en ont partout, à
Trianon, à Fontainebleau, Compiègne, THermitage, Bellevue
et même le Roi en a dans ses cabinets, dans les combles.
M. de Gesvres qui a ce même goût est souvent appelé dans
ces détails. M. le prince de Conty donna de beaux pigeons au
(i) Doc DE LuTNBS, Mémoires, t. IX, p. 187.
(2) Marquis d^Aroenson, Journal et Mémoires, t. V, p. 354.
104 LB PRINCE OB CONTT
Roi ; on les porta dans les combles. M™® de Pompadoar vint
les voir ; étant rentrée chez elle, elle envoya prier M. de Ges-
vres d'y venir, sans rien faire dire à M. le prince de Conty.
M. de Gesvres qui étoit avec lui, le pressa d'aller faire cette
visite ; ils trouvèrent M°»« de Pompadour en peignoir, nu-
tôte, à sa toilette, et pour toute compagnie dans la chambre,
M^^ la duchesse de Penthièvre dans un fauteuil, près de la
toilette, et ses deux dames (M^^ de Saluées et Clermont) sur
des tabourets auprès de la porte. Toutes ces circonstances sont
remarquables (i).
Le mariage du jeune Condé, fils de feu Monsieur le
Duc ( ! 753), fit la partie belle à Conty pour se déclarer
contre M™« de Pompadour, et même il put espérer
avoir tourné contre elle les autres princes et princes-
ses du sang (2). Louis-Joseph de Bourbon, prince de
Condé, avide de grâces et de faveurs, était un de ceux
qui se pliaient le plus dévotement au service de la
favorite. Pour lui complaire, il avait accepté de ses
mains M'*® de Soubise, fille de Charles de Rohan^
prince de Soubise et d'Epinoy, pair et maréchal de
France, bas adulateur de la marquise. Les princes à
qui cette union déplaisait, étaient assemblés le 9 mai
dans le cabinet du Roi pour signer le contrat; ils
s*aperçurent, à la lecture des articles, que le beau-
père y était qualifié très haut et puissant prince, titre
auquel avaient droit les seuls princes du sang. Conty
qui s'était opposé en 1740 aux empiétements des légi-
timés, qui même avait rédigé contre eux un mémoire
remis au Roi ; Conty qui, en 1749? lors de l'ouverture
du testament de la duchesse d'Orléans, avait refusé de
(i) Doc DE LuTNES, Mémoîres^ t. X, p 438.
(2) Louis-J'oseph de Bourbon, prince de Condé, fils de M. le Duc
(mort en 17^) était né à Paris le 9 août 1786. Il était filleul du
Roi et de la Reine. Il mourut au Palais-Bourbon, le i3 mai 1818.
Il se maria en premières noces, le 3 mai 1763, dans la cha-
pelle du château de Versailles à Charlotte-Godefride-Elisabeth
de Soubise, fille de Charles de Rohan, prince de Soubise et
d'Epinoy et d'Anne-Marie de La Tour d'Auvergne, princesse de
Bouillon.
LB PRINCE DE CONTT 105
signer au procès-verbal parce qu'on y donnait de
V altesse sérénissime au duc de Penthièvre (i);Conty
enfin qui était enchanté d'humilier deux protégés de
jyfme ^Q Pompadour, prit la parole au nom des princes
réunis et déclara qu'ils ne pouvaient approuver par
leur signature l'usurpation d'une qualité inhérente à
eux seuls par leulr naissance. Que si le Roi leur
ordonnait quand même de signer, il leur permît
auparavant de protester. Ce qui fut admis.
Sans perdre temps, Conty se chargeait de dresser la
protestation collective et la portait lui-même à M. de
Saint-Florentin, chez qui il rencontrait M. de Sou-
bise. Conty pria ce dernier de rester et- très obligeam-
ment lui déclara « qu'il connaissoit la grandeur de sa
naissance et ses illustres alliances, et qu'il avoit pour
lui toute Testime et considération qui lui étoient jus-
tement dues ; qu'il savoit bien que le Roi pouvoit
donner, dans son royaume, tels rangs qu'il jugeoit à
propos, mais non pas faire des princes puisqu'il n'y
avoit que Dieu seul qui le pût faire » (2). Le Roi avait
donné trois mois à M. de Soubise pour faire la preuve
de sa prétention. En juillet, il évoqua à lui la contes-
tation et maintint les maisons de Rohan et de Bouil-
lon dans la possession du qualificatif de très haut et
puissant prince. Mais Conty était tenace et, stylés par
lui, les princes présentèrent requête au Roi contre sa
propre décision. Cas embarrassant. D'après la Consti-
tution française, le droit des princes était indéniable;
d'autre part, Louis XV ne voulait pas désobliger
M"« de Pompadour qui tenait pour Soubise. Il prit
une tournure normande et écrivit : « Je ne veux ni
juger ni faire juger si Messieurs de Rohan sont prin-
ces ou non, mais je veux que toutes choses soient
remises dans l'état où elles étoient avant le mariage
(i) La duchesse d'Orléans (MHe de Blois, fille légitimée de
Louis XIV et de Mme de Maintenon), femme du Régeot et belle-
mère du prince de Conty, mourut le i" février 1749. Elle était née
en 1677.
(2) Doc DE LuTNES, Mémoire» ^ t. XII, p. 443.
106 LB PRINCB DE CONTY
de M. le prince de- Condé avec M"« de Soubîse, sans
que les signatures du contrat puissent faire tort aux
droits et prétentions d'un chacun, ni les favoriser ».
Réponse ambiguë qui ne contenta personne. Aussi
bien l'affaire avait fait grand éclata Conty avait mis en
échec la favorite et il avait les rieurs de son côté.
Les princes furent obligés^ par ordre du Roi, de
venir se raccommoder chez la Marquise. « H ne resta,
dit le duc de Croy, que le prince de Conty, qui n'avait
jamais été chez elle, qu'elle n'avait jamais pu chasser
de la confiance du Roi, non plus que M. d'Argen-
son » (i).
Pour elle-même, M"® de Pompadour avait obtenu
du Roi, en 1762, le tabouret et les honneurs de du-
chesse. Pour son frère Abel-François Poisson, déjà
créé marquis de Vandières, elle avait la survivance
promise de M. Lenormand de Tournehem, directeur
et ordonnateur des bâtiments, jardins, arts et manu-
factures du Roi, ce qui serait comme une sorte de mi-
nistère des Beaux-Arts, puisque l'ordonnateur général
travaillait directement avec Sa Majesté. En attendant^
pour soustraire le « frérot » aux quolibets suscités par
son nom de Vandières (les courtisans l'appelaient par
dérision : Marquis d' Avant-hier), elle lui faisait subir
une seconde métamorphose : le Roi le créait marquis
de Marigny-en-Orxois et les lettres d'érection de ce
marquisat en sa faveur (1764) portaient que Sa Ma-
jesté entendait que cet homme nouveau jouît des
honneurs attachés à la plus haute noblesse et aux
gens de qualité. Il ne lui manquait plus que le Saint-
Esprit pour achever de tromper son monde et paraî-
tre un vrai gentilhomme. La favorite de longtemps
sollicitait pour lui le cordon bleu. Le Roi eût été
assez disposé à la satisfaire, mais il craignait le ridi-
cule. L^n familier qu'il avait vaguement consulté là-
dessus quelques années plus tôt avait répondu par un
(1) Duc DE Croy, Journal inédit, tome I, p. 335.
LE PRINCE DE GONTY 107
persiflage, insinuant « que le Poisson n'était peut-être
pas assez gros pour être mis au bleu ». Depuis lors, le
Poisson avait grossi ; mais tout chevalier admis dans
rOrdre était tenu de faire ses preuves de noblesse, et
Ton prévoyait bien que c'était là où l'arrêterait le ter-
rible Conty.
Celui-ci n'y aurait pas failli si Ton n'eût pris un
biais et tourné la difficulté :
J'allai UD lundi à Versailles, dit le comte de Gheverny.
Le cabinet du Roi, oii j'avais des amis, était le lieu où je me
tenais de préférence. Dès que le Roi était passé dans ses
appartements ou ailleurs, la conversation était gaie, aimable,
soutenue. C'était là seulement où l'on savait les intrigues des
autres, du moins ce qui pouvait s'en dire. J'y trouvai un jour
M. le prince de Conty et M. le comte de la Marche, son fils,
qui attendaient le retour du Roi. C'était aux environs de
la Chandeleur.
— Est-il vrai, dit le Prince, que Marigny va être cordon
bleu?
M. de Souvré répondit :
— On le dit, par charge.
— Par charge ou autrement, il me semble, dit le Prince,
que cette décoration ne va pas à un poisson. >
M. le comte de la Marche reprit :
— J'espère bien que si on nous consulte, il ne le sera pas.
Et la conversation continua sur ce ton (i).
Le Roi se garda de consulter personne. Le secré-
taire de rOrdre du Saint-Esprit était de par le règle-
ment dispensé des preuves. M. de Marigny fut pourvu
par charge du secrétariat et il parut, le jour de la
Chandeleur (2 février lySB) avec son cordon en sau-
toir. Mais M°*® de Pompadour à qui le libre propos du
Prince avait été certainement rapporté lui sut le
même gré de l'intention.
Louis XV redoutait son intraitable cousin plus que
tout autre à la Cour et tâchait parfois à réconcilier
(i) Comte de Gheverny, Mémoires, t. I, p. laS.
108 LE PRINCE DB GONTY
ces deux puissances butées Tune contre Vautre (i).
II invitait Conty à des soupers intimes. En pure perte.
Luynes se bornait le lendemain à des constatations de
ce genre, dans son journal :
g juillet iy54- — M. le prince de Conty a soupe avec le Roi
et Mb'^ de Pompadour dans les petits cabinets. Il n*a nulle
liaison avec elle. Ils se voient, voilà tout (2).
Cette guerre à coups d'épingle dura plusieurs
années. Un bon mot du prince de Conty, un de ces
mots cinglants et sanglants dont il avait la spécia-
lité, mit fin à des relations qui n'étaient que de
forme. II faut savoir que les princes du sang, plus
dociles que Louis-François, avaient tous fait leur
paix avec la favorite ; que par son entremise ils obte-
naient des grâces qu'ils n'auraient pas osé demander
au Roi ; que M™® de Pompadour était vraiment toute-
puissante et seule puissante à Versailles; que lors-
qu'on avait dit : « La marquise le veut », on avait tout
dit. A exercer ainsi une souveraineté de fait avec
toutes ses appartenances, la ci-devant M"« d'Etiolés
avait pris des manières royales, et quand elle accor-
dait audience, on se tenait debout devant elle. Un
jour que Conty, par hasard, lui rendait visite dans sa
chambre à coucher, elle se départit de sa prudence
ordinaire et le laissa dans cette posture de suppliant.
Le Prince outré, mais non déconcerté, s'assit tranquil-
lement sur le lit et, de son air ironique : — « Voilà,
dit-il. Madame, un excellent coucher ». L'humiliation
était rude... Si rude que le Roi prévenu ordonna au
Prince de se retirer dans ses terres (3).
(i) « 10 janvier iy53. — L'on craint à la Cour M. le prince
de Conty plus que les autres ». — Marquis d'Aroenson, Journal et
Mémoires, t. VII, p. 38i.
(2) Duc DK LuTNES, Mémoires, t. XIII, p. 435.
(3) Selon l'abbé Grimot, auteur d'une Histoire de UIsle-Adam,
Conty reçut Tordre d'aller passer quelques jours à son château
de Trie, près Gisors : « Mais, dit-il, le Prince qui avait entendu
LE PRINCE DE CONTY 109
A compter de ce jour, Conty ne mit plus les pieds à
Versailles et ne parut plus en Cour que lorsque les
circonstances l'y obligeaient; comme, il advint, en
octobre 1761^ lors du double baptême du duc de Berry
et du comte de Provence par Mgr l'archevêque de
Narbonne, grand aumônier de France ; le comte de
Provence avait pour parrain Tex-roi de Pologne, duc
de Lorraine et de Bar et pour marraine M"® Victoire ;
ce fut Conty qui, par procuration et comme repré-
sentant de Stanislas Leczinski, tint sur les fonts le
futur Louis XVIII (i) ; comme encore, en miai 1770,
lors du mariage du Dauphin, où Conty alla avec la
Cour à Compiègne recevoir Marie-Antoinette, assista
aux noces et au festin royal (2).
Mais d'intimité avec le Roi, mais de chasses et de
soupers, de comédie dans les petits appartements ou
de travail en commun dans le cabinet du monarque,
il n'était plus question. Cependant Louis XV résistait
aux sollicitations de la marquise qui le pressait d'exi-
ler le Prince. Et ce dernier qui, par ses affidés, n'igno-
parler des dispositions malveillantes du Roi à son égard, avait
pris les devants pour échapper à cet exil en faisant à la hfite
étayer son château, ce qui lui permit de représenter au Roi qu'il
ne pouvait se rendre à son domaine de Trie, les bâtiments mena-
çant ruines de toutes parts » {Histoire de Ulsle-Adam, p. 28).
Nous ne savons où l'auteur a cueilli cette anecdote. Elle est
peut-être exacte ; mais il faut toujours contrôler sévèrement les
allégations de Tabbé Grimot; sa brochure abonde en erreurs,
souvent comiques. C'est ainsi que dans sa candeur tout ecclé-
siastique, le bon abbé n'est pas éloigné d'attribuer à une
vertueuse indignation l'aversion du Prince pour Mme de Pompa-
dour. Et leur rupture serait venue de cette exclamation de Conty
s*écriant : « Tiens I vous avez un bien bon lit, pour une femme
comme vous! » (Textuel). S'imagine-t-on Conty, ce raffiné de poli-
tesse et d'esprit, tenant à une femme pareil propos I Le plus amu-
sant est que cette phrase « historique » a paru tellement fine et
jolie à un autre monographe de Llsle-Adam qu'il n'a pas hésité
à le reproduire pieusement (Voyez : Etudes historiques sur Ulsle^
Adam, par M. Denise).
(i) Gazette de France, année 1761, p. 527.
(2) û€ueite de France, srnnèe 1770, p. 164.
110 LB PRINCB DB CONTY
rail aucun des grands mouvements que M*"® de Pom-
padour se donnait pour le perdre, faisait incruster
dans la façade de son château de L'IsIe-Âdam un chêne
orgueilleux montant jusqu'au second étage^ avec cette
devise à l'adresse de son adversaire :
Exagitat frondes immoto stipite ventus f
Bravade facile. Qu'aurait pu le Roi, hors un fait
prouvé de lèse-majestë, contre un prince de son sang,
contre un personnage inviolable et insaisissable tel
que le grand-prieur de l'Ordre de Malte, auquel des
actes royaux centenaires et sans cesse renouvelés
garantissaient, même en cas de guerre civile, la sécu-
rité de sa personne et celle de ses biens ? Louis XY
n'était pas Philippe le Bel et les temps étaient changés.
Néanmoins le lieutenant général de police reçut
ordre de faire surveiller dorénavant par ses « mou-
ches » la vie privée du Prince dont on redoutait l'es-
prit entreprenant et vindicatif. Les inspecteurs de
M. Bertin, plus tard ceux de M. de Sartines et ceux
de M. Le Noir, en furent pour leurs pas et démarches.
Les seules intrigues que dénonça leur zèle furent des
intrigues amoureuses. Nous en reparlerons.
lY
La Cour du Temple
Le priace de Conty, grand-prieur de France, se loge au Temple. —
Le palais prieural. — Réceptions princières. — Les habitués, les
intimes. — c Le thé à l'anglaise dans le salon des quatre glaces ».
— La musique du Prince et ses concerts.
AU lendemain du jour où il avait été nommé grand-
prieur de France, le prince de Conty avait aban-
donné son hôtel du bord de la Seine pour aller loger
au Temple, propriété des chevaliers de Malte. Mais
retenu à Versailles en hiver par les devoirs de son
ministère occulte ; obligé d'accompagner le Roi dans
ses déplacements dé printemps et d'automne, à Com-
piègne, à Choisy, à Fontainebleau ; ne s'échappant
Tété que pour passer quelques semaines à son châ-
teau de L'Isle-Adam ou pour faire une cure aux
eaux de Fougues, ses thermes favoris, il ne restait
guère au Prince de loisirs et il n'habitait le palais
prieural que d'une façon intermittente, sauf aux épo-
ques du chapitre de TOrdre, qu'il ne laissait à per-
sonne le soin de présider. C'est seulement à partir de
1767 environ, lorsque le Prince, en demi-disgrâce, fut
rendu à la vie privée, que se forma ce qu'on a depuis
412 LB PRINCE DE CONTY
appelé la Cour du Temple, avec ses réceptions, ses
fêtes et ses spectacles.
Le Temple I ce nom n^évoque plus dans nos esprits
que l'image, popularisée par la gravure, du donjon
trapu et carré, aux tourelles à poivrières ; de la pri-
son d'Etat où fut détenue sous la Révolution la
famille royale, où furent enfermés avant leur départ
pour Cayenne les députés fructidorisés, où s'étrangla
Pichegru. Le donjon n'était pourtant qu'une partie du
Temple et non la principale. L*Enclos du Temple avec
son église, son couvant, son cloître, ses vastes cours
meublées d'hôtels particuliers et de maisons d'artisans,
était comme une ville à part dans Paris, même
comme un Etat dans l'Etat, puisqu'il avait ses privilè-
ges spéciaux, sa justice, sa police, sa voirie particu-
lières (i). Tous ces bâtiments dont il ne subsiste pierre
sur pierre ont été patiemment restitués et minutieuse-
sèment décrits par M. Henri de Curzon dans une thèse
présentée à la faculté des lettres de Paris, ouvrage
définitif sur la matière (a). Nous lui emprunterons,
en la résumant, la description de l'hôtel prieural, tel
qu'il existait quand le prince de Conty en prit posses-
sion.
Bâti par Mansard en 1667, restauré et agrandi par
Oppenord, architecte du Régent, le palais du grand-
prieur était une demeure quasi royale, très distincte
des monuments conventuels du reste de l'Enclos et ne
conservant rien de ce qui pouvait leur garder un
caractère religieux sinon monastique. On y péné-
(i) L'ËDclos du Temple était ua (e^raod quadrilatère irrégulier
boroé par la rue du Temple, la rue de la Corderie (aujourd'hui
rue Réaumur), la rue de Beaujolais (aujourd'hui rue de Picardie
et rue de Franche-Comté) et la rue de Vendôme (aujourd'hui rue
Béranger). La porte de l'Enclos était rue du Temple en face de
la rue des Fontaines ; l'entrée du palais prieural se trouvait un
peu plus à droite, à mi-chemin entre la rue des Fontaines et la
rue Phelipeaux (Réaumur actuelle).
(2) Henri de Curzon, La maison du Temple de Paris, histoire et
description.
LE PRINCE DE CONTY 113
trait, de la rue du Temple, par un portail, ouvert
dans un enfoncement arrondi et donnant sur une
grande cour en fer à cheval, entourée d'une allée de
tilleuls taillés en arcades. Au fond de la cour, s'éle-
vait le palais, un corps de logis flanqué de deux
pavillons à angle droit qui faisaient saillie sur la
cour et sur les jardins situés derrière. Le bâtiment
central était divisé en trois parties égales, celle du
milieu légèrement avancée. De la cour, on montait au
rez-de-chaussée, élevé de cinq marches, par une porte
percée au milieu de la façade entre deux couples
de colonnes, avec balcon au dessus. Trois grandes
fenêtres à croisée double éclairaient chacune des trois
divisions de la façade ; au second étage^ les fenêtres,
plus petites, n'avaient qu'une croisée simple. Au-des-
sus s'étendait le comble, dont un fronton cintré déco-
rait le milieu.
Au centre de l'aile droite, entre cette aile et le mur
d'enceinte de l'Enclos, du côté de la rue de la Corde-
rie, un édifice avait été accolé en 1720, par les ordres
du chevalier d'Orléans et prolongé jusqu'au coin de la
rue du Temple. C'est dans cette bâtisse annexe que le
prince de Conty établit son appartement à coucher.
Sa chambre, à alcôve et boiseries dorées, avait vue
par deux portes-fenêtres sur une terrasse, d'où l'on
descendait dans un petit jardin privé, fermé de grilles
et distinct du jardin prieural. Gontigus à sa chambre
à coucher, le <( cabinet turc » et la bibliothèque, dont
les baies donnaient sur la rue de la Corderie. L'aile
droite, formant trois grands salons, dont deux se
dénommaient modestement < antichambres »> se rac-
cordait par la salle de billard au bâtiment central,
divisé en trois immenses pièces quadrangulaires : la
salle de billard, à quatre fenêtres, le salon d'assem-
blée, à huit fenêtres et deux portes-croisées, la salle
des Nobles, à quatre fenêtres^ comme le billard.
L'aile gauche comportait, outre le logement du capi-
taine des gardes et divers cabinets, la salle à manger,
un salon de jeux et une chambre à coucher dite <x des
114 LE PRINCE DE CONTY
petits appartements »^ qui communiquait par un long^
corridor avec le Donjon et I^hôtel du Chapitre. Ce
couloir servait à la fois de bibliothèque générale et de
galerie pour la collection de tableaux. Les papiers du
Prince et son médailler étaient au second étage (i).
Dans ce grand salon d^assemblée du rez-de-chaus-
sée, dans ce « salon des quatre glaces », défilèrent
pendant plus de vingt ans tout ce qui comptait à
Paris par la naissance ou la célébrité, tous ceux qui
portaient un grand nom dans Tarmorial de France,
tous les étrangers de marque. Les réceptions du prince
de Conty, très ouvertes, se donnaient le lundi. Après
le concert, le souper; après le souper, le jeu qui se
prolongeait fort avant dans la nuit. Le Prince qui ne
dînait jamais et ne se mettait à table que pour le
repas du soir, veillait souvent jusqu'au matin et
volontiers faisait de la nuit le jour. Les habitués de
ces fêtes nous sont en partie connus.
C'était le marquis de Chauvelin, ancien major géné-
ral du Prince à Tarmée d'Italie, son compagnon d'ar-
mes en Allemagne et dans les Flandres, ambassadeur
à Turin en 1766 par la protection de Conty et, plus
tard, commandant des troupes françaises en Corse ;
C'était Âdrien-Louis de Bonnières, comte de Souas-
très, dit comte de Guines, colonel aux grenadiers de
France et futur ambassadeur ;
C'était Charles-Armand d'Usson de Bonnac, dit le
marquis de Donnezan, lieutenant du Roi au comté de
Foix, célèbre dans les cercles pour son talent de
comédien de société qu'il avait développé chez le
comte de Clermont ;
C'était le marquis de Montesson, brigadier des
(i) Voyez, en plus de l'étude de M. Henri deCurzon, le procès-
verbal des magistrats qui posèrent les scellés à la mort du Prince
(Archives Nationales, X^a) et les Plans originaux du rez-de-
chaussée du Temple (Bibl. NAnoNALB, Département des Estampes^
topographie parisienne).
LR PRINCE DE GONTY 115
armées, nonagénaire peu ragoûtant, dont la femme
comptait quelque soixante-dix printemps de moins
que son époux et promettait d'être une des veuves
les plus aimables de Paris ;
(^étaient le comte Joseph de Sabran, seigneur de
Grammont, chef d*escadre, et sa femme née De Jean
de Manville, si jolie, avec ses cheveux blonds et ses
yeux noirs, que Tabbé Delille qui la vit chez M™« Tru-
daine, voulut être son maître de latin ;
C'étaient le marquis de Surgères, lieutenant géné-
ral, et la marquise, née de Morville, laquelle, veuve
vers 1760, se consolait de son veuvage avec Mgr Nicolas
de Bouille, évêque d'Autun, prélat plein d'onction ;
Celaient le comte de Blot. maréchal de camp, et la
comtesse, ancienne dame d'honneur de Louise-Hen-
riette de Conty, duchesse d'Orléans. M"® de Blot pas-
sait pour être la maîtresse du comte de Friesen, neveu
du maréchal de Saxe (i) ;
(i) « Mmo de Blot dit un jour devant notre Prince qu*elle vou-
drait avoir le portrait en miniature de son serin dans une
bague. Le prince de Gontj ofiFrit de faire faire le portrait et la
bague, ce que Mm« de Blot accepta à la condition que la bague
serait montée de la manière la plus simple et qu'elle n'aurait
aucun entourage. En efiPet. la bague n'eut qu'un petit cercle d*or,
mais au lieu de cristal pour couvrir la peinture, on employa un
gros diamant que Ton rendit aussi mince qu'une glace.
Mme de Blot s'aperçut de cette magnificence ; elle fit démonter la
bague et renvoya le diamant ; alors le Prince fil broyer et réduire
en poudre la pierre précieuse et s'en servit pour sécher l'encre du
billet qu'il écrivit à ce sujet à Mme la comtesse de Blot » {[Abbé
Grimot] : Histoire de Vhle-Adam^ p. 27).
A la mort de la duchesse d'Orléans, née Conty, en 1769, on
trouva, dit-on, dans ses papiers une chanson <( dédiée à son mari
et renfermée dans une cassette confiée à Mme de Polignac », où
tous les familiers du Palais-Royal étaient passés en revue et plu-
tôt malmenés. De cette chanson, conservée à l'Arsenal (Manas'
erits, 3i 19, f. 37) le couplet suivant visait Mme de Blot :
Elle est fille d'un gros boucher,
Mais on l'eût plutôt écorchée,
Que d'empêcher le Frise.*.
Ëhbien?
De lever sa chemise,
Vous m'entendez bien I
116 LE PRINCE BE GONTT
C'était M™« du Plessis-Richelieu, duchesse d'Age-
nois, puis d'Aiguillon, fille du comte Louis-Robert
de Peplo, le brave ;
C'était la belle lady Sarah Lennox, sœur du duc
de Richmond, opulente beauté brune, aux yeux
pleins de feu^ à qui le Prince présentait un soir en ces
termes le jeune duc de Lauzun : (c Je vous demande
vos bontés, Milady, pour mon Lauzun, il est bien fou,
bien extravagant, bien aimable; il vous fera les hon-
neurs de Paris mieux que personne : permettez-moi
de vous faire les siens, je suis caution du désir qu'il a
de vous plaire » (i) ;
C'était Gabrielle-Charlotte de Ghimay, sœur du
prince d'Hénin et femme du vicomte de Cambis : une
taille élégante, de l'esprit, des talents, de la grâce ;
C'était le jeune comte de Coigny, mestre de camp,
dont la femme, Anne Michel de Roissy, raffolait
d'anatomie...
Un volume ne suffirait pas à énumérer, avec leurs
titres, les habitués du Temple qui se pressaient en
foule aux réceptions hebdomadaires du Prince. Mais
en dehors de ces commensaux de hasard, il y avait
les familiers, les préférés, les amis de tous les jours,
d'hier et de demain. Cette cour intime, le peintre
ordinaire du prince de Conty, Michel Ollivier, nous la
montre au complet dans son tableautin : Le thé à
Fanglaise dans le salon des quatre glaces (2). La pré-
sence au clavecin de Mozart enfant date la scène ;
(1) Duc DE Lauzun, Mémoires, p. 54.
(2) Michel-Barthélémy Ollivier, ne à Marseille en 17 12, mort à
Paris en 1784, fut agréé à l'Académie en 1766. Il avait longtemps
voyagé en Espagne. Il peignait l'histoire et le paysage, était
miniaturiste et graveur. Son exécution est précieuse, son coloris
vague ; il a le goût des modes de son temps (A. Sirbt, Diction'
naire des peintres). Ollivier exposa au Salon de 1767 : Le Mas-
sacre des Innocents, une Femme savante, une Famille espa-
gnole et des portraits. Diderot disait de lui dans sa revue du
Salon de 1769 : « Ollivier promettait ; il y avait au dernier Salon
des choses précieuses de sa façon. Il n'a rien fait qui vaille cette
année » .
LE PRINCE DE CONTY 117
elle est de 1766, lors du second voyage à Paris de
l'enfant prodige (i). Tous ceux qui figurent sur cette
petite toile, commandée pour orner le salon de L'IsIe-
Adam, y sont groupés par la volonté du Prince.
A droite, assis à cette table, c'est le bailli de Cha-
brillant) du grand-prieuré d'Aquitaine, capitaine des
gardes du prince, son homme lige, son gentilhomme
de confiance. Il habite dans le Temple, près de Téglise.
En l'absence du bailli chargé de l'administration et
de la police de l'Enclos, c'est lui qui le remplace.
M. de Chabrillant appartient à une vieille famille du
Dauphiné. Il n'est pas riche : tout au plus 10.000 livres
de rente. Cependant il vit dignement et possède équi-
page (2).
Assis en face de lui à la même table, au fond, c'est
Dortousde Mairan, physicien, mathématicien, littéra-
teur, successeur de Fontenelle à l'Académie des scien-
ces. II est le doyen de la cour de Conty et porte allègre-
ment ses quatre-vingt-huit ans. Jusqu'à sa fin, il sera le
convive fidèle du Prince et mourra de cette fidélité
même : en sortant de souper avec Son Altesse, il con-
tractera la pleurésie qui le mettra au cimetière.
Cette grande dame debout, qui verse à boire au
vieux savant, c'est Marie-Sylvie de Rohan-Chabot.
(1) Mozart était venu une première fois à Paris en lyôS et y
revint avec sa famille en mai 17Ô6; lors de ce second voyage, il
était âgé de dix ans. Son père écrivait de Paris, le 9 juin 1766 :
« Nous avons eu l'honneur de recevoir chez nous le prince héré-
ditaire de Brunswick > . Le tableau se rapporte donc aux mois
de mai ou de juin 1766, date du séjour à Paris du prince
de Brunswick et du jeune Mozart. En même temps que le Thé à
Vanglaxêe au Temple^ Conty commandait à B.-M. Ollivier une
toile de même dimension représentant un Déjeuner sous la tente
offert par lui, à L'Isle-Adam, au prince de Brunswick-Lunebourg.
(2) Bibliothèque de l'Arsenal, Archives de la Bastilley i0238. —
Il ne faut pas confondre les baillis de l'Ordre de Malte, grade
immédiatement supérieur à celui de commandeur, avec les
baillis du Temple, officiers de police de l'Enclos. Les baillis du
Temple, pendant la période qui nous occupe, sont MM. de Sozzy
(1738- 1766) et Le Paige (x757-i790)y tous deux avocats au Parle-
ment.
ii8 LE PRINCE DB GONTT
Veuve du comte de Clermonl-d'Ainboise,elle a épousé
en secondes noces, voici deux ans à peine, le prince
de Beauvau-Craon. C'est, au témoignage de son mari,
une « femme gaie, vive, raisonnable, toujours égale,
toujours piquante et qui règne par les grâces Son
visage annonce la candeur de son âme et toute sa
personne rend tout son esprit. Ses yeux pleins de feu
et de douceur expriment tout ce qu'elle sent, et tout
s*embellit par leur expression ; ils pourroient avoir
seuls Thonneur de sa physionomie, si un front char-
mant, des dents admirables, le plus grand éclat, des
airs de tète singuliers, ne contribuoient pas à lui
donner Fair du monde le plus spirituel. Une gorge
divine, de belles jambes, de jolis pieds, de jolies
mains, mille autres détails... » (i).
Au premier plan, voici M. le comte de Chabot et
son jeune frère, M. le vicomte de Jarnac. Celui qui
mange un gâteau est Louis de Rohan-Chabot, maré-
chal de camp, qu'on surnomme plaisamment le mysté''
rieux ; bègue et souffrant de son infirmité, il ne
prend jamais la parole dans un salon que pour
répondre brièvement, à voix basse, et ne s'exprime
en tout que par petits mots^ murmurés à Toreille plu-
tôt que prononcés, mais qu'on répète aussitôt avec
éloge, parce qu'ils sont toujours fins et galants. Il
n'est pas beau, mais tout en lui semble gracieux. Il
pourrait avoir de grandes dames ; il préfère les filles.
Sa procureuse ordinaire est la Hecquet, proxénète. Il
a sa petite maison dans la rue des Amandiers, à Pin-
court (2). Charles, vicomte de Jarnac, celui qui tient
(i) La MARÉcHiiLB, PRINCESSE DB Beauvau, Souvenipê^ suivis des
Mémoires du maréchal, prince de Beauvau, pp. 42-45. — La
seconde princesse de Beauvau étail née le 12 décembre 1729.
Mariée le 7 septembre 17^9 à Jean-Baptiste Louis de Glermonl-
d'Amboise, marquis de Renel, qui mourut le 18 décembre 1761.
Elle était fille de Guy-Aug^usle, comte de Chabot et d'Yvonne Syl-
vie de Breuil de Rais (La Chesnate-Dbsbois, Dictionnaire de la
noblesse, t. II, col. 742).
(2} Bibliothèque nationale, i/anu«ortto français, 11 359, ^- ^47
LE PRINCE DE €ONTY 119
un plat, manque de cette grâce qu'on admire jusque
dans le bègaîment de son aîné ; mais il y supplée par
la noblesse de ses manières, par son aménité ; modèle
accompli de courlbisie, il est encore ami des arts et
connaisseur; on vante sa magnificence autant que la
beauté de sa figure (i). Tous deux descendent de cette
exquise Marie-Claire de Créquy, comtesse de Jarnac^
qui fut dame d'honneur de M^*« de Montpensier, et ils
ont hérité d'elle la politesse du grand siècle.
Un peu plus loin, servant d'un plat posé sur un
réchaud, c'est M"*® la comtesse de Boufflers, la dame
de céans, la « Minerve du Temple » ; elle porte le
tablier des servantes, sans doute pour mieux laisser
croire qu'elle est la maîtresse. (Nous aurons l'occasion
de parler d'elle plus en détail).
Assis devant le paravent, tassé sur son siège et tout
de noir habillé, reconnaissez Charles Jean Hénault,
président en la première des Enquêtes au Parlement
de Paris, surintendant de la maison de la Reine,
membre de TÂcadémie française et de celle des Ins-
criptions. Il cultive Thistoire et la poésie, la musique
et la prose légère. Il a été dans sa jeunesse Tamant
de la luxuriante et luxurieuse maréchale d'Ëstrées,
de qui les bons mots scandalisaient, même sous la
Régence. Vieillard, il est maintenant grave et doux,
délicat, pondéré en toutes choses : un tempérament
de second plan, que d'Ârgenson a merveilleusement
dépeint en quelques lignes : oc Son caractère, surtout
quand il était jeune^ paraissait être fait pour réussir
auprès des dames, car il avait de Tesprit, des grâces,
(Rapports de police). — Mm« de Genus, Mémoires, tomes I, p. 3o7
et II, p. 197. — Louis-Antoioe-Auguste de Rohan-Chabot, né
le 20 avril lySS, colonel aux grenadiers de France en 1749» maré-
chal de camp en 1761. Il devint lieutenant général en 1781
(Anselme, Histoire généalogique, tome IX, p. 23o).
(i) Mme deGbnlis, Mémoires, tome I, p. 3o8. — Charles-Rosalie
de Rohan-Chabot, vicomte, puis comte de Jarnac, né le 9 juil-
let 1740 ; mestre de camp en 1781 (Anselme, Histoire généalogi-
que, tome IX, p. 2$o),
120 LE PRINCE DE CONTT
de la délicatesse, de la finesse. Il n'est jamais ni fort,
ni élevé, ni fade, ni plat. Il y a de grandes dames qui
lui ont pardonné le défaut de naissance, de beauté et
même de vigueur. Il s'est toujours conduit dans ces
occasions avec modestie, ne prétendant qu'à ce qu'il
pouvait prétendre. On n*a jamais exigé de lui que ce
qu'il pouvait aisément faire » (i).
Une serviette à la main, cette jeune femme, coiffée
d'un large chapeau et qui lient un plat, est M"'* la com-
tesse d'Ëgmont la jeune, née Richelieu, fille du maré-
chal. Elle a épousé à seize ans Casimir, comte d'Eg-
mont-Pignatelli^ grand d'Espagne, lieutenant général
des armées du Roi. Elle n'aime point son mari, débau-
ché parfait; ce qui pis est^ elle aime ailleurs, sans
espoir : un sentiment romanesque dont elle meurt à
feu lent, consumée de langueur, car elle est honnête
femme et de mœurs irréprochables. Malgré son aspect
maladif, elle a le plus charmant visage qui se puisse
voir. Elle fait beaucoup de mines, mais ces mines
sont jolies. Son esprit est maniéré comme sa figure.
Est-ce affectation? Non, ce n'est que singularité ; elle
est née ainsi. Les femmes envient les agréments de sa
personne, sans rendre justice à sa douceur, à sa
bonté, et comme on la peut critiquer en mille petites
choses, il n'est moqueries qu'on ne colporte sur elle;
ce qui n'empêche point de la rechercher et de Tac-
cueillir... (2).
(i) Voyez M. de Lescure, préface de la Correspondance de
jltme du De/fant, pp. xxvii-xxxiii . — Le président Hénault
né à Paris, le 5 février i685, fit ses études à TOratoire, et obtint
la lieutenance des chasses et le gouvernement de Corbeii. Entré
au Parlement en 1706, et président de la première chambre des
enquêtes en 1710, il fut surintendant de la maison de la Reine
et ensuite de celle de la Dauphine. Elu en 1728 à l'Académie
française, il fut reçu membre honoraire de celle des inscrip-
tions et belles lettres en 1765, et aussi de celles de Nancy, Berlin
et Stockolm. 11 mourut à Paris le 24 novembre 1770. Il a
laissé un Abrégé chronologique de Vhistoire de France et des
Mémoirei.
(2) Jeanne - Sophie -Elisabeth -Louise -Septimanie du Plessis
LE PRINCE DB CONTT 121
Sa belle-mère, vêtue de rouge, découpe un gâteau.
M"*® la comtesse d'Egmont douairière, née de Duras,
dame du palais de la Reine, est âgée de soixante-dix
ans. Elle est veuve depuis 1743 et il ne lui reste de son
mariage que le comte d'Egmont et la duchesse de
Chevreuse, mère du duc de Luynes. C'est une très
grande dame, imposante, affable, effacée, qui n*a
jamais fait beaucoup parler d'elle et se borne à tenir
son rang (i).
Près d'elle, accoudé sur un fauteuil et regardant en
arrière, voici Antoine Ferriol, comte de Pont-de-
Veyle, frère aîné du comte d'Argental et neveu de
M™* de Tcncin. Il est gouverneur de la ville de Pont-
de-Veyle, en Bresse, intendant des classes de la
marine, ancien lecteur du Roi et ancien amant de la
première duchesse de Luxembourg. Homme de goût
et de talent, acharné collectionneur de pièces de théâ-
tre, auteur lui-même de plusieurs comédies qu'il
n'avoue point, par modestie, ce M. de Pont de-Veyle
est l'âme de tous les divertissements dans les sociétés
où il fréquente. Or, voyez le contraste, nul plus que
lui n'est, au premier abord, froid, réservé, de manières
moins empressées. Par crainte de déplaire à ses
amis, il a l'air de tout approuver, de n'être pas
frappé des ridicules du siècle. S'il critique parfois les
défauts de ceux qu'il aime, c'est sans avoir l'air d'y
toucher, leur en faisant sentir les inconvénients ; mais
jamais il n'acquiescera au mal que dirait quelqu'un
Richelieu, née à Paris, le i*' mars 1740. Mariée en lySôau comte
d^Eji^monl Pig^naleili, duc de Bisaccia, lieutenant général, veuf
depuis 1753 de Blanche-Âlphonsine d'Aragon. La seconde com-
tesse d'Egmont mourut au château de Braine, en Picardie, le
i4 octobre 1773.
(i) Henriette- Julie de Durfort, fille de Jacques Henri II duc
de Duras et de Louise-Madeleine Eschalart de Lamarck, née en
2696, mariée à vingt et un ans, à Procope-Nicolas-Augustin-
Léopold Pignatelli-Bisaccia, comte d*Egmont, âgé de quatorze
ans, fils de Nicolas Pignatelli, duc de Bisaccia au royaume de
Naples et de Marie, héritière d*Egmont (La Chesnate Desbois,
Dictionnaire de la noblesse, tome VII, col. i23, 124, 186).
122 LE PRINCE DE CONTY
d'un absent. Cette apparence de scepticisme et d'in-
différence, qui semble n'aimer rien et s'accommoder
de tout, cache en réalité un cœur d'or. Une amitié de
quarante ans déjà, sans un nuage, le lie à M°^® la com-
tesse du Deffand ; celle-ci est moqueuse, grondeuse,
acariâtre, la langue méchante et la dent acérée ; aucun
de ces travers ne refroidit Pont-de-Veyle qui passe
auprès d'elle, avec le président Hénault, tous les ins-
tants qu'il ne donne pas au prince de Conty... parce
qu'elle est aveugle et clouée par son infirmité sur sa
causeuse, au coin de ses chenets.
Debout, la main au dossier d'une chaise, se tient
Alexandre Marc-Marcelin, marquis de la Verre, prince
d*Hénin, que les satiriques appelleront un jour oc le
nain des princes», jeune flamand, naguère débarqué
à la Cour de France pour faire figure dans le monde ;
il va épouser dans quelques semaines M^*® de Mon-
conseil et Leurs Majestés ont promis de signer au
contrat, en l'honneur de la mère du marié, née Beau-
vau-Craon. Le prince d'Hénin n'a pas encore conquis
cette réputation de galanterie suprême que lui vau-
dront bientôt ses amours avec Sophie Arnould, mais
il s'essaye de son mieux à la vie de Paris et de Ver-
sailles ; il est nul, élégant et 1res exactement façonné.
Posée plutôt qu'assise sur la chaise où s'appuie le
prince d'Hénin, se retourne et se penche la vieille
maréchale de Luxembourg, dei^xième en date, petite
fille du maréchal de Villeroy, veuve du ducdeBouftlers
qu'elle épousa à quatorze ans ; veuve encore du maré-
chal de Luxembourg qu'elle a pris, veuf, alors qu'il
était déjà son amant. Son amant, après bien d'autres ;
caria jeunesse, voire Tâge mûr de la duchesse, furent
légers, et M. de Tressan a sur elle fait, dans le temps,
ce couplet :
8;
uaod Boufflers parut à la Cour
n crut voir la mère d*Amour.
Chacun s'empressoit à lui plaire
Et chacun Tavoit à son tour... (i).
(I) « Quand Mme de Luzenibour|B^ chantait plus tard ce couplet.
LB PRINCE DE GONTY 123
Elle fut dame du palais de Marie Leczinska et, tout
en demeurant Tamie de la Reine que ses saillies amu-
saient, elle fut aussi Tamie des trois sœurs de Nesle,
maîtresses successives du Roi ; c'est elle qui reçut les
confidences in extremis de M*"® de Châteauroux. Elle
s*est brouillée tout de suite avec M"*® de Pompadour et
Gonty lui sait bon gré des traits malins qu'elle déco-
cha sans cesse contre leur commune ennemie. La
maréchale de Luxembourg a été fort belle sans paraî-
tre s'en douter ; sa physionomie mobile, son regard
brillant, exprimaient si bien tous les mouvements de
son âme qu'elle n'aurait pas eu besoin de la parole.
Rassurez-vous : elle a parlé quand même, et beau-
coup. Pénétrante à faire trembler, spirituelle et mor-
dante (mais avec tant d'art et de mesure !), lardant
son prochain (mais avec tant de justesse et d'à-pro-
pos !), elle a toujours dominé partout, sans concur-
rence, et par elle le salon du maréchal fut l'un des
ornements de Paris. Présentement, elle est dévole et
ne s'inquiète plus que d'éduquer sa petite-fille. Horace
Walpole, de passage à Paris, écrivait (l'elle, tout
récemment, à son ami, le poète Gray : « Elle a été très
jolie, très abandonnée et très méchante. Sa beauté
s'en est allée ; ses amants s'en sont allés et elle pense
que le Diable va venir. Ce déchet l'a radoucie au point
de la rendre plutôt agréable, car elle a de l'esprit et
de bonnes manières ». Cependant elle a conservé
sa finesse, et si M°°® de Choiseul l'appelle quelque
part la chatte rose^ c'est qu'elle égratigne encore en
ronronnant. Arbitre du bon ton, elle attache la plus
grande importance à la pureté du langage^ même dans
elle s'arrêtait au dernier vers et disait : J'ai oublié le reste. Un
jour elle se mit à marmotter cette chanson devant M. de Tressan
lui même, en disant : « — Connaissez-vous l'auteur ? elle est si
jolie que non seulement je lui pardonnerais, mais je crois que je
Tembrasserais «>. Tressan y fut pris comme le corbeau de
la fable, et il dit : a — Eh bien 1 c*est moi ». Elle lui appliqua
deux bons soufflets » (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, tome IV,
p. II).
124 LE PRINCE DE CeNTT
la prière, à la connaissance des usages, même dans
l'intimité ; elle juge autrui sans appel sur une phrase
de mauvais goût, et le plus curieux est que ce juge-
ment frivole se trouve presque toujours juste.
Derrière elle, vue de profil, c'est la jeune duchesse
de Lauzun, née Amélie de Boufflers, pelite-fille de la
maréchale ; l'ange auprès de la vieille fée, ange d'in-
nocence et de pureté (i). La sarcastique M™® du Def-
fand la compare à un oiselet qui pépie : « La petite
femme est un petit oiseau qui n'a encore appris aucun
des airs qu'on lui siffle ; elle fait de petits sons qui
n'aboutissent à rien; mais comme son plumage est
joli, on Tadmire, on la loue sans cesse; sa timidité
platt, son petit air efl^arouché intéresse ; mais moi je
n'en augure pas trop bien » (a).
De ces deux dames, près de la porte, celle qui verse
à l'autre du thé, c'est M'''^' la maréchale de Mirepoix,
la sœur du prince de Beauvau ; veuve, en premières
noces du prince de Lixin et, en deuxièmes, de Gaston,
duc de Lévis-Mirepoix, mort depuis huit ans, homme
singulier « parlant des coudes, raisonnant du menton,
marchant bien, dur, ,poli, sec, civil », qui poussait
l'originalité jusqu'à adorer sa femme. Elle n'était et
n'est, pourtant, pas jolie malgré son teint éblouissant
(i) Malgré la similitude des prénoms, il ne faut pas confoudre
Amélie de Boufflers, duchesse de Lauzun, avec la comtesse Amé-
lie de Boufflers, née Des Alleurs, mariée en 1768 au comte,
de Boufflers Rouverel, fils de Tamie du prince de Gonty ; pour la
distinguer de sa belle-mére, la comtesse douairière, les contem-
porains nomment généralement M^e de Boufflers la jeune :
comtesse Amélie, tout court. Amélie de Boufflers (duchesse
de Lauzun ) était fille de Charles-Joseph-Marie, duc de Boufflers,
vicomte de Ponches, pair de France, colonel d'infanterie
wajonne, né à Paris le 16 août 1781, marié le 28 avril 1747 à
Marie-Philippine-Thérèse de Montmorency-Logny, mort le i3 juil-
let 1751. Amélie de Boufflers était née le 5 mai 1751 ; elle venait
d'être mariée, le 4 février 1766, à Armand-Louis de Gontaut, duc
de Lauzun, plus tard duc de Biron, pair de France. Tous deux
furent décapités; lui, le 3i décembre 1798; elle, le 28 juin 1794
(Ansblme, Histoire généalogique^ tome IX, p 784).
(2) Mm* DO Deffand, Correspondance^ tome I, p. 4io.
LE PRINCB DE CONTY 125
de fraîcheur, mais elle est douce et simple, ne parle
point d'elle-même, ne décide jamais, dispute rare-
ment ; timidité d'ailleurs sans embarras; la maré-
chale a de la présence d'esprit et de Tà-propos (i) ;
seulement son désir de plaire est plutôt de la poli-
tesse que de la coquetterie. Aussi les femmes ne la
jalousent pas et les hommes n'osèrent devenir amou-
reux d'elle, tellement son maintien fut toujours sage,
son extérieur paisible et réglé (2).
L'autre dame, celle qui reçoit le thé, c'est M"« Ber-
nardin de Mesnildot, marquise de Vierville, née Fran-
çoise-Elisabeth de Fresnel. Elle a été dame d'honneur
de la feue duchesse d'Orléans, sœur de Conty, et son
mari était également attaché au Palais-Royal. Avant
que leur fille Charlotte eût épousé le marquis de Bar-
bantane, en rySS, on chuchotait qu'ils la réservaient
aux plaisirs du duc d'Orléans, alors duc de Chartres :
Monseigneur, votre Menido
Sera toujours votre macqu'reau ;
Sa femme fut macqu'relle...
Eh bien ?
Faites beaucoup pour elle...
Vous m'entendez bien I
(i) Ma>^ de Mirepoix voyait Mme de Pompadour. Se laissant
emporter un jour par la vivacité de l'altercation, M^^ de Boufflers
alla jusqu'à dire à la maréchale : « Ce n'est au bout du compte
que la première fille du royaume». — « Ne me forcez pas de
compter jusqu'à trois », répliqua Mme de Mirepoix. La deuxième
en effet, eût été M^le Marquis, maîtresse du duc d'Orléans. Mme de
Boufflers serait venue troisième (Sainte-Beeuv, Nouveaux lun-
di8,\ome IV, p. 178).
(2) Cette femme posée, avec sa figure placide et ronde, avait
pourtant, dans sa jeunesse, en 1739, inspiré une passion violente
au duc de Villars, fils du maréchal, qui passait pour aimer tout
autre chose que les femmes. El les mauvais plaisants d'expliquer:
11 est donc converti, par tes charmes vaincu I
Ne l'enorgueillis point de ce faible avantage ;
C'est le magique effet des traits de ton visage,
Qui forment à ses yeux l'apparence d*un c...
(Bibliothèque nationale, Manttsctnta français^ 12.675^ Recueil de
chansons, tome III, f. 335).
126 LB PRINCE m CONTT
Barbantane pour son époux
A quitté un sort bien plus doux ;
Car son père et sa mère..,
Eh bien ?
Vouloient qu'elT vous fît faire...
Vous m'entendez bien ! (i)
Toute seule devant ce guéridon, surveillant une
petite bouilloire placée sur un fourneau portatif,
M"® Bagarotti, dame d'honneur de M"»* la princesse
de Conty douairière, semble réfléchir. A quoi pense-
t-elle ? A ses dettes qui dépassent de beaucoup ses
rentes ou bien aux revenants dont elle sait quantité
d'histoires merveilleuses? Peut-être, simplement, à
la demi-douzaine d'œufs frais dont elle^ videra demain
les blancs pour en barbouiller ses joues et conserver
la pureté de son teint. Cette recette de M"® Bagarotti
a suggéré une chanson au chevalier de Boufflers, le
neveu de la maréchale de Mirepoix :
Gens de Paris, vous êtes
Sans esprit, sans attraits ;
Jamais sur vos toilettes
Vous n'avez mis d'œufs frais :
Voyez mademoiselle,
Qui ne manqua jamais
D'ôter, pour être belle,
La vie à six poulets.
Tous les jours ses gros charmes
Sont armés d'un couteau ;
Le poulailler en larmes
La prend pour son bourreau :
La fille, d'un air ferme,
Met les œufs en éclats
Elle y trouve le germe
De cent nouveaux appas (2).
Dans l'encoignure de la fenêlre, à côté du prince
de Conty, qui, debout, ne se laisse voir que de dos
^i) Bibliothèque de l'Atsenal : Manuscrit, Siig, f. 38.
(2) Œuvres de Boufflers, tome I, p. 65.
LE PRINCE DE CONTY i27
— modestie d'ampbytrion s'eifaçant devant ses invi-
tés — c'est M. Daniel- Charles de Trudaine, intendant
des finances et directeur des ponts et chaussées, un
des meilleurs hommes qu*on ait jamais vus dans la
société et dans les affaires ; ses adversaires lui repro-
chent de trop désirer les grandes places, mais c'est
pour le bien public pins que pour le sien(i).
A gauche^ au clavecin, Mozart, âgé de dix ans,
accompagne le chanteur Jélyotte qui pince de la
guitare.
Derrière Mozart, paraissant suivre la musique sur le
cahier, se dresse, de toute sa haute stature, le cheva-
lier de Lorenzi, gentilhomme du Prince, son secré-
taire particulier, fervent sigisbée de M™® de Boufflers.
M. de Lorenzi passe auprès des dames pour un pro-
fond mathématicien. Afin d'être mieux cru, il hante
assidûment D'Alembert. C'est un brave seigneur flo-
rentin qui a servi dans les armées françaises et s'est
retiré du service peu de temps après la prise de
Minorque, avec le grade de colonel. On l'appelle com-
munément cA^t;a/£>r, parce qu'il est chevalier de Tor-
dre toscan de Saint-Etienne. Sa candeur rare, qui
prend tout au sérieux, et le galimatias de ses discours
truffés de mots italiens, en font un personnage très
original, et aussi très comique. Du reste, plein d'hon-
neur, et d'une inaltérable aménité (a).
(i)« Ce pauvre M. de Trudaine méritait d*6tre loué par un
panégyriste moins sec que M. Gondorcet et moins moqueur que
M. d'Alembert » {Lettres da Chevalier de Boa/Jlers à M^* de
Sabran; p. i6). — Trudaine (1703-1769) fut d'abord conseiller au
Parlement, puis intendant d'Auvergne, conseiller d*Etat (lyS^) ;
intendant des Finances et directeur des Ponts ; membre hono-
raire de l'Académie des sciences^ en 1743.
(2) Le jour qu'on investit le fort Saint-Philippe (dit Voltaire,
dans son Siècle de Louis XV) M. de Lorenzi trouva dans une
maison de campagne appartenant à un commissaire de la marine
anglaise, parmi des papiers, la table des signaux de l'escadre de
l'amiral Byng. 11 la déchi£Fra et remit la traduction au maré-
chal de Richelieu qui l'envoya à M. de la Galissonnière.
Les naïvetés du chevalier de Lorenzi faisaient la joie des
428 LE PRINCE DE CONTT
Enfin, assis et lisant une brochure, c'est Charles-Just,
prince de Beauvau-Craon et du Saint-Empire, grand
d'Espagne, ancien grand-mattre de la maison de Sta-
Encjclopèdistes. La Correspondance de Grimm et de ses amis en
rapporte quelques-unes qui ne sont point sans saveur :
« Son goût la toujours porté aux sciences abstraites, à la
géométrie et à l'astronomie et il en a pris l'habitude d'évaluer
les événements de la vie et de les réduire à des valeurs géomé-
triques. Il est naturellement rêveur, distrait, naïf, simple, tou-
jours vrai, sérieux et grave. Le plaisant de ses traits consiste en
ce que les opérations de sa tête se font lentement et difficilement,
qu'il a de la peine à assortir Texpression à son idée, qu'il sup-
prime ordinairement tous les intermédiaires entre deux proposi-
tions, qu'il répond souvent à sa tête, au lieu de répondre à ce
qu'on lui dit. Comme il n'est frappé que par le côté vrai ou faux
d'un objet, et jamais par le côté plaisant, il entend la plaisante-
rie mieux que personne, et l'on peut rire de lui et de ses pro-
pos tant qu'on veut sans le fâcher, mais aussi sans lui faire
perdre son sérieux » .
Un jour, chez WL^^ GeofFrin, Lorenzi s'endort : « Il me sem-
ble, chevalier, dit Grimm, que notre conversation vous amuse
beaucoup, puisqu'elle vous endort tout debout ». — « Oh, non,
dit-il en hochant la tête, avec son ton innocent ; je dors quand je
veux ».
Allant avec Saint-Lambert à Versailles, ils causent, et Saint-
Lambert, par occasion, lui demande son ftg'e : a J'ai soixante
ans, lui répond le chevalier ». — « Je ne vous croyais pas si
Agé ». — « Quand je dis soixante ans, reprend le chevalier, je
ne les ai pas encore tout à fait... non, pas tout à l'heure, mais... »
— M Mais enfin, quel âge au juste avez vous ?» ~ « J'ai cin-
quante-cinq ans faits; mais ne voulez-vous pas que je m'assu-
jettisse à changer d'âge tous les ans, comme de chemise ».
Pendant le siège de Minorque, le chevalier allait tous les soirs
à la tranchée, muni d'un télescope et d'un attirail astronomique
pour faire ses observations. Un jour il s'en revient à son quar-
tier, ayant laissé tous ses instruments à la tranchée : « On vous
les volera, M. le Chevalier, lui dit Saint-Lambert». — « Oh!
non, lui répond le chevalier; j*ai mis ma montre à côté ».
Voulant faire l'éloge de la taille d'une dame, au lieu de dire
qu*elle avait une taille de nymphe, il dit : « Elle a la taille
comme M"^ AUard » (Cette danseuse était très grosse). — « Vous
ne rencontrez pas heureusement, lui dit quelqu'un; on peut louer
MUa AUard par bien des côtés, mais on n'a jamais cité sa taille
comme belle ». — « Ah I ah I reprit-il, je ne la connais point, et
ne Tai jamais vue ; mais comme tout le monde parle de
LK PRINCE DE CONTY 129
nislas Leczinski, lieutenant général des armées du Roi
et capitaine de ses gardes du corps (i).
Evidemment, te peintre a voulu occuper ses person-
nages et prêter i chacun d'eux une attitude naturelle.
Mais on aime à croire que, lorsque, d'aventure,
Mozart touchait le clavecin ou lorsque, moins rare
aubaine, Jélyotte chantait chez le princfe de Conty, les
dilettantes composant Tauditoire ne choisissaient pas
précisément cet instant pour lire, pour bavarder ou
pour servir le thé. D'abord le Prince « qui ne faisait
point (dit Dutens; de distinction de rang dans la
société », qui « en remplissait lui-même les devoirs
plus exactement que personne », n'aurait pas souffert
qu'on infligeât à des artistes qu'il aimait et qu'il pro-
tégeait l'humiliation de ne les point écouter. Par
ailleurs, il était trop bon musicien pour ne point pré-
férer le chant de Jélyotte à la conversation de Tru-
daine. Jélyotte, bien qu'il eût quitté TOpéra depuis
dix ans et se contentât, jouant à la perfection de tous
les instruments, d'être, chez le Roi, théorbe de la
Chambre, était encore en ce temps le premier fort-
ténor de l'Europe, les délices de la Cour. « Dès qu'il
chantait, dit le comte de Cheverny, il se faisait un
silence involontaire qui avait quelque chose de reli-
gieux ; son timbre était d'une haute-contre parfaite
et certains sons étaient aussi brillants que s'ils sor-
taient d'une cloche d'argent ; sa prononciation était si
nette et si bien détaillée qu'on ne perdait pas le moin-
M^ AUard, je crois pouvoir en parler aussi » (Correspon-
dance de Grimm, Raynal, Meitter^ etc., tome VIII, pp. 68, 70
et 85).
(i) Charles Just de Beauvau, né à Lunéville en 1720 ; lieute-
nant en 1738 : colonel en 17^0 ; brigadier en 1746 et maréchal de
camp en 1748; fit les campagnes d*Allemagne et de Flandres.
Etait à la conquête de Minorque en 1756. Chevalier du St-Ësprit
en 1767, lieutenant général en 1768. Campagne d*Allemagne et
du Haut-Rhin de 1759 à 1761. — Il sera fait gouverneur de Pro-
vence en 1782 ; maréchal de France en 1783 et mourra le 21 mai
1793. — Epoux, en 1745, de Marie Charlotte de la Tour d'Au-
vergne, veuf en 1763, remarié au mois de mars 1764.
9
130 T.K Ï>RINCB DB CONTY
dre mot... » (i). Et Ton oubliait rhomme laid, petit,
mal fait, pour ne plus entendre que cette voix divine,
pour ne plus voir que ce regard qui rayonnait,
comme de flamme, sitôt que le chanteur s'animait.
Il était, avec Trial, l'artiste favori de Conly et sou-
vent participait aux concerts avec orchestre ofFerts
aux invités du lundi (2). Un des secrétaires du Prince,
M. Quêtant, auteur dramatique, qui rimait d'assez
pauvres vers, a réuni sous le titre : Bagatelles lyriques
exécutées chez Monseigneur le prince de Conty toutes
les romances, ariettes et ritournelles de ces soirées
du Temple, celles du moins dont il était fauteur. Ces
poésies quelconques, pastorelles et paysanneries, ber-
geries et vilanelîes, dont Ânnette et Lucas, Lubin et
Colinette font les frais, avaient comme principal
mérite d^étre interprétées excellemment. Veut-on un
échantillon du savoir faire de M. Quêtant ?
Ariette
Bergères jeunettes,
Quand sous les coudrettes
Vous cherchez le frais,
L'amour sait de près
Les pas que vous faites.
Vous fuyez en vain,
Belles pastourelles,
L'amour a des ailes
(i) CoMTB DB Chevbknt, Mémoirts ; tome I, p. 99. — Pierre
Jélyotte, né le i3 avril 171 3 à Lasseube, dans les Pyrénées, était
neveu d'un chanoine de Toulouse et devait lui succéder. Il chan-
tait dans cette ville, comme enfant de chœur, quand un amateur,
l'ayant entendu, le dirigea vers le théâtre II débuta triomphale-
ment à rOpéra en lySS. y demeura jusqu'en 1765. A partir de ce
moment jusqu'en 1765, il ne joua plus que sur le théâtre de la
Cour. Il était déjà mattre de guitare du Koi quand, en. 1758,
il fut nommé premier théorbe de la Chambre.
(a) En 1778, après la mort de Conly, Jélyotte touchait encore
10.000 livres de gratification, « comme suite des bienfaits que
feu Monseigneur était en usage de lui accorder » {Registre des
comptes de Manscoart, chapitre i a de la Dépense).
LE PRINCE DE CONTY 131
Pour couper le chemin
Aux beautés cruelles.
Bergères jeunettes, etc...(i).
M. Quêtant n'était point le seul auteur dont les
œuvres inédites se représentaient au Temple. M°>® la
comtesse de Bouftlers s'essayait également dans Fart
dramatique. Elle écrivit au moins une tragédie en
prose qui fut d'abord lue et prônée dans la société du
Prince et sur laquelle elle voulut avoir l'avis de Jean-
Jacques Rousseau :
Elle l'eut (dit le bourru Genevois), mais modéré, tel que le
méritoit l'ouvrage Elle eut, de plus, l'avertissement que je
crus lui devoir, que sa pièce, intitulée V Esclave généreux^
avoit un très grand rapport à une pièce anglaise assez
peu connue, mais pourtant traduite, intitulée Oroonoko.
M™* de Boufflers me remercia de l'avis, en m'assurant toute-
fois que sa pièce ne ressembloit pas du tout à l'autre. Je n'ai
parlé de ce plagiat à personne au monde qu'à elle seule (a).
Rousseau n'en parle « à personne au monde » ;
mais il met la postérité dans la confidence. Quelle
bonhomie I
Le Prince aussi composait. C'est M™ du Deffant qui
l'annonce par lettre à Horace Walpole, avec cette
causticité qui jamais ne Tabandonne quand elle parle
de Gonty et de sa « clique » (3) :
Le prétendant à la couronne de Pologne, en attendant son
élection, s'occupe à faire la musique et les paroles d'un opéra
qu'il veut faire Représenter apparemment à L'Isle-Adam, ou
au Temple, car je me persuade que ce ne sera pas aux Italiens ;
(i) Bagatelles lyriques exécatéet ches Momeignear le prince
de Conty (Bibliothèque Nationalb : Mana$crit$ français, iS.ogi).
(2) Jean-Jagqubs Rousseau, Confessions, tome II, p. 4^9.
(3) C'est ainsi que W^ du DefiFant appelait rentourage du
Prince : a 3i mai ijSy. Le prince, VIdole et toute leur clique
reviennent aujourd'hui de Llsle-Adam... ». VIdole c'est Mme de
Boufflers.
132 LE PniNGB DE CONTY
c'est une fôte qu'il veut donner à M. le duc de Chartres à Toc-
casion de son mariag^e. Le sujet est Arîanne abandonnée par
Thésée dans Ttle de Naxos; elle y a trouvé Bacchus, et elle
suit le conseil de M^^^ Antier, médiocre actrice, à qui on
disait, en lui faisant répéter le rôle d'une amante abandon-
née : a Qu'est-ce que vous feriez. Mademoiselle, si vous vous
trouviez dans cette situation, si votre amant vous quittait ».
— « Ce que je ferais? j'en prendrais un autre ». Jugez des
talents de cette actrice et jugez de l'intérêt dont sera le drame
de Sa Majesté polonaise (i).
En 1770, Jean^acques Rousseau revenu du Dau-
phiné à Paris, avant de remettre au directeur de
l'Opéra la partition d'une œuvre nouvelle intitulée Les
Neuf Muses, en fit faire par Torchestre et par les chan-
teurs du prince de Conty une répétition au Temple.
Epreuve après laquelle on décida que la pièce n'était
pas jouable, et jugement que Rousseau ne pardonna
jamais à M""* de Boufflers (2).
Nous aurions voulu reconstituer cet orchestre et
cette troupe lyrique qui passaient pour les meilleurs
de Paris (3). Nous avons dû renoncer devant la diffi-
culté de la tâche. Cependant nous avons retrouvé
quelques-uns des principaux exécutants. Le batteur
de mesure était Jean-Claude Trial, frère du chanteur.
En même temps qu'il dirigeait la musique du Prince,
il était chef du pupitre des violons à l'Opéra-Comique.
En 1767, il quitta le Temple, appelé avec Berton à la
(i) M"*» DU Dbffant, Correspondance f tome I, p. 558 (Lettre du
1er avril 1769).
(2) GrAgoirb, Les gloires de f Opéra, tome III, p. 338. — Gré-
goire dit que Rousseau u qui habitait en Suisse, vint à Paris au
mois de décembre 1768 » soumettre cette pièce au directeur de
l'Opéra. Mais il y a évidemment erreur. Rousseau après son
séjour à Trye, chez le prince de Conty, ne retourna pas en Suisse
et il ne revint à Paris qu'en 1770.
(3) « Le prince de Conty n'allait point en cour. II se consolait
dans son exil avec sa tendre marquise [comtesse] de Boufflers et
avec son orchestre, an des meilleurs et de» plus complets qu'on
puisse voir » (Les faste* de Louis XV, tome I, p. lxxxvui).
LB PRINCB DB GONTT 133
direction de TOpéra. II mourut subitement en 1771,
âgé de trente-neuf ans seulement. Outre ses opéras,
ses ouvertures. Trial laissa divers morceaux de musi-
que instrumentale et des cantates^ spécialement com-
posés pour les concerts du Prince (i).
Le maître de clavecin était Jean Schobert et le chef
des violons Pierre Vachon. Les violoncelles étaient
Janson, Jacques Duport et Joseph Fillière, auteur
d'une suite de six sonates pour cet instrument. Nous
avons les noms de trois des clarinettes : Charles Du-
port, Gaspard et Fliéger, et de l'un des premiers
hautbois : Provers. Les cors étaient tenus par Heina
et Schenker ; la fille de ce dernier, âgée en 1766 de
treize ans, était première harpiste {2). Citons encore
Kohault, joueur de luth, D'Héricourt et Antoine Gro-
nemann qui se qualifient : « ordinaires de Mgr le
prince de Gonty ». Sont-ce des instrumentistes ou des
chanteurs ? A l'Opéra, ce terme d'ordinaires désignait
les artistes du chant.
Mais le Prince employait aussi ceux qu'on pourrait
nommer ses « extraordinaires », des célébrités, atta-
chées à divers théâtres et qu'il pensionnait pour les
avoir toujours à sa disposition. C'est lui qui, en 1762,
appela d'Aix à Paris Antoine Trial, qui devait se faire
à l'Opéra-Comique une telle réputation que son nom
resterait attaché au genre créé par lui, celui des
ténors comiques (3). Trial manquait peut-être d'argent
(i) Contj fit à la veuve de Trial, née Caubet, une rente via-
gère de 5.000 livres {Registre Manscourty rente iSy).
(2) Ces noms sont recueillis, partie dans la Gazette du temps,
partie dans Les gloires de V Opéra, de Grég'oire ; mais surtout dans
un factum judiciaire intitulé: Mémoire pour les sieurs de Peters
et AfirogliOi associés. Au bureau d'abonnement musical, 1767.
|3) Antoine Trial, frère de Jean-Claude, ci-dessus nommé,
naquit à Avignon le i3 octobre 1787. D'abord enfant de chœur à
l'église cathédrale de son pays, il vint à Paris, pour faire partie
de la troupe du prince de Gonty. Il débuta en 1764 à la comédie
Italienne (Opéra -comique) par le rôle de Bastien dans le Sorcier,
de Philidor.
« Bon musicien, acteur intelligent et plein de finesse, il snt
134 LB PRINCE DE CONTT
pour son voyage ; il s'en procura par un moyen peu
délicat. Témoin cette lettre adressée à Gonty par le
secrétariat de la maison du Roi :
A Monseigneur le prince de Conty
2g Juin ij62, — Aussitôt que Votre Altesse Sérénîssime
m'eut fait coonoître le dessein où elle étoit d'avoir le sieur
Trial, musicien du concert d'Aix, j'écrivis à M. le duc de Vil-
larspour qu'il lui ordonnât de se rendre icj. M. le duc de Vil-
lars me répondit sur la fin du mois d'avril que ce chanteur
étoit la seule haute-contre qu'eût le concert, et qu'il tomberoit
totalement si on la lui ôtoit sur-le-champ. Il me proposa en
conséquence de différer son départ jusqu'à ce que le concert
se fût pourvu d'un sujet pour le remplacer. Je viens de rece-
voir une nouvelle lettre de M. le duc de Villars que le sieur
Trial, après s'être fait payer 4o écus d'avance sur ses appoin-
tements, comme s'il eût voulu rester, étoit ensuite parti furti-
vement. Je suis persuadé que Votre Altesse Sérénissime n'ap-
prouvera point une pareille conduite et qu'EUe voudra bien
donner des ordres à ce chanteur pour l'obliger à restituer une
somme qu'il s'est procurée par une voie répréhensible et qui
ne lui appartient point (i).
faire oublier les défauts de sa voix (g^rèle et nasillarde, et créa en
France aux applaudissements du public, Temploi de chanteurs
sans voix auquel il a donné son nom dans TOpéra-coroique. Cet
emploi qui appartient au ténor, a été conservé dans presque tou-
tes les pièces de ce genre de spectacle pendant plus de soixante
ans » (FÉTis, Dictionnaire des masicienst tome III, p. 255).
« Trial, qui devait laisser son nom à l'emploi des paysans
niais et des valets imbéciles où il excellait, s'imagina, dans le
principe, qu'il pouvait remplir les rôles d'amoureux, auxquels
son physique avantajiçeux semblait le désiis^ner. Grimm assure
qu'il y était détestable. Il dit à propos des Péchet/rs, un acte de
La Salle, musique de Gossec : « Il y a un certain Trial qui double
Clairval dans les rôles d'amoureux et qui, à lui tout seul, seroît
capable de faire tomber la meilleure pièce ». Trois ans après, il
dit encore : « Ce M. Trial est fort médiocre comédien ; il a une
voix que je ne puis souffrir : mais il est d'ailleurs fort beau
garçon et il est bon musicien » (E. Campàrdon, Les comédiens da
Roi de la troape italienne, tome II, p. 170).
(i) Archives Nationales : Maison da Roi, Dépèches du Secré-
tariat ; 0',458.
LE PRINCE DE CONTY 135
Une autre artiste notable des concerts du Tem-
ple fut, vers i76i,M"« Lemierre, de TOpéra.Le Prince
qui avait été son amant, lui donnait mille écus de
traitement (i). M"« Lemierre ayant épousé son cama-
rade Larrivée, du même théâtre, et voulant lui rester
fidèle, prit pour se libérer des assiduités du Prince le
prétexte qu'on n'avait pas invité son mari à souper,
certain soir qu'on Tavait demandée (a).
A côté de M*ïc Lemierre, brillait M"« Fel, ancienne
cantatrice de TOpéra ; aussi noire et courtaude que
Lemierre était blonde et élancée, aussi laide que sa
rivale était jolie. Cependant, malgré son âge (elle
était de lyiS), Grîmm soupirait encore pour Fel, et
son amant, le poète Cahusac, secrétaire des comman-
dements du comte de Clermont, était fort jaloux de
ses charmes (3).
A noter aussi la demoiselle Billion!, de la Comédie-
Italienne, cantatrice et danseuse, qui avait débuté à
douze ans et que les théâtres privés se disputaient
pour la grâce de son chant et de ses pas (4). La pro*
(i) C'est du moins le chi£Fre que fixent les rapports de police.
Mais nous savons, d'une source plus sûre, que M^^ Lemierre,
touchait en outre sur la cassette du Prince une rente de
3.000 livres. Le registre manuscrit des Comptes de Manscourt^
trésorier de la succession du prince de Conty^ prouve que
M^ Lemierre, femme Larrîvée, émargeait encore pour cette
somme, en 1780, au chapitre 10 de la Dépense (Rentes viagères),
article 180.
(2) Mémoires secrets, tome I, p. 244*
(3) M"* Fel, née à Bordeaux, le 24 octobre lyiS, débuta a
l'Opéra en 1733. La Tour, qui fut son amant, a laissé d'elle un
portrait fameux. Elle mourut après 1789.
(4) Catherine-Ursule Bussa, femme Billion dite Billioni, était
née à Nancy en 1761. Elle débuta dans de petits rôles et épousa
à quinze ans le sieur Billion, maître de ballet à l'Opéra-Comique
et à la Comédie-Italienne. Son succès devint si grand comme
cantatrice qu'elle dut abandonner la danse en 1771 pour chanter
aux Concerts spirituels. Le Roi lui accorda i.ooo livres de gra-
tification. Elle était la maîtresse du chanteur Clairval et la fin
de sa vie fut assez incidentée. Elle mourut le 19 juin 1783
(Voyez : Péris, Dictionnaire de^ musiciens, tome I, p. 91 et Gré-
GoiRB^ Les gloires de V Opéra, tome III, p. 93).
136 LB PRINCE DB CONTT
tection du Prince la suivit au théâtre et M. Papillon
de Là Ferté, intendant des Menus, eut à subir à diver-
ses reprises, des recommandations impérieuses récla-
mant pour elle de l'avancement (i).
Par rengagement de M"® Lemierre, par celui d'An-
toine Trial, nous connaissons la date, au moins
approximative, du début des spectacles périodiques
au Temple. Ils commencèrent vers 1761. Nous igno-
rons quand ils prirent fin exactement. Mais nous
pouvons affirmer qu'ils se soutenaient en 1768. Le
lundi 2 mai de cette année, le concert habituel fut
remplacé, vu les conjonctures douloureuses où se
trouvait la Cour — la maladie de langueur de la
Reine — par une fête à huis-clos en l'honneur de
Mademoiselle. Six personnes seulement y assis-
taient. On représenta V Impromptu de campagne^ de
Poisson, et le jeune duc de Chartres, dans le rôle
du père, fit beaucoup rire sa sœur par les bouffonne-
ries qu'il mêlait à son jeu (a). La répétition sans suc-
cès des Neuf Muses de Jean-Jacques prouve qu'en
1770 ils duraient encore.
Vraisemblablement, les concerts du palais prieural
furent supprimés en 1771 par mesure d'économie. Le
nombre des maîtresses que le Prince entretenait dans
le ballet de l'Opéra lui imposait ce retranchement.
Un libelliste, en nous apprenant que Conty vient de
rayer douze de ces demoiselles de l'état de sa
dépense, ajoute : « Le Prince a eu effectivement la
magnificence d'avoir douze pensionnaires à TOpéra,
ce qui tauait décidé à renoncer à sa musique et à ses
grands soupers pour soutenir cette dépense, dont il
s'est enfin soulagé comme de tout le reste » (3).
(i) Voyez : Journal de Papillon de la Ferté^ p. 245 et p. 296.
(2) Mémoires secrets, tome IV, p. 25.
(3) [Thévbnbau db Morandb], Le Philosophe cynique, p. 82 (en
note).
V
L'I sic- Adam
Le prince de CSoniy, propriétaire. — Ses acquisitions, ses écban^s. —
Embellissement et agrandissement de L*Isle~Adam. — Le château,
ses dépendances. — Les plaisirs de la campagne. — M. de Cbau vé-
lin, poète, et M. de Pont-de-Veyle, paradiste. — • Quelques anecdotes.
— Le t père Prince ».
LE prince de Conty fut grand terrien et grand bâtis-
seur. Héritier de biens-fonds un peu dispersés, il
s'assigna comme tâche l'agrandissement progressif,
par des acquisitions^ par des échanges répétés, du
principal de ces domaines. Nous voulons parler de sa
châtellenie de L'Isle-Adam, sur les confins du Vexin et
du Beauvaisis.
C'est que L'Isle-Adam était, pour le Prince, la terre
des ancêtres par excellence. Tous ses autres biens : les
hôtels de Conty à Paris, à Versailles, à Fontainebleau,
les châteaux d'Issy près Paris, d'Ivry et de Garenne en
Normandie, le duché de Mercœur, les domaines de
Trye, de Beauchamps, etc., n'étaient venus que suc-
cessivement grossir la chevance familiale. L'IsIe-
Adam, au contraire, était comme le berceau des
Conty. Après avoir appartenu à la famille de L'Isle-
Adam qui avait ajouté à son nom patronymique celui
138 LB PRINCB DE CONTT
de sa terre ; après être passée aux mains des Villîers
qui devinrent les Villiers-de-L'Isle-Adam, celte châ-
tellenie était la propriété des Montmorency lorsque
le maréchal de ce nom fut, en i632, condamné à la
peine capitale par arrêt du Parlement de Toulouse,
pour s'être révolté avec Gaston d'Orléans. Ses terres
furent confisquées et mises à la disposition du Roi.
Mais, en considération des services rendus à la cou-
ronne par la maison de Montmorency, Louis XIII
(lettres patentes du mois de mars i633), attribua les
biens du décapité à la princesse de Condé, aux du-
chesses d'Angoulême et de Ventadour, sœurs du
maréchal. Â la princesse de Condé et à son mari échut
L'Isle-Adam.
Du mariage de cette Charlotte de Montmorency avec
Henri de Bourbon, prince de Condé, naquirent Louis
(le grand Condé), Armand, future tige delà branche
de Conty et Anne-Geneviève, future duchesse de Lon-
guevillc Lors du partage de la succession d'Henri
de Condé, en i65i, les domaines de L'Isle-Adam allè-
rent au dit Armand, prince de Conty. Depuis, ils
n'étaient plus sortis de la famille et s'étaient même
embellis et arrondis.
Louis-François entra en possession de Llsle-Adam
au décès de son père (1727), mais il ne put mettre à
exécution son plan d'annexions systématiques avant
1745. Rappelons-nous qu'il se débattit dans les dettes
jusqu'à rheure où il posséda la faveur du Roi pour
ses services militaires. Cependant, dès 1734» il échan-
geait avec le prince de Condé ses principautés d'Ar-
ches et d'Arleville et le tiers de sa baronie d'Ivry, con-
tre la propriété de la basse-forêt d'Enghien et tous les
droits sur Presiés, Péroles, Nerville et Villiers-Adam.
En 1745, le Prince, qui commençait à sortir de ses
embarras financiers, réunit à ses domaines de L'Isle-
Adam : 1° la terre de Presles ; 2° le fief de Coursel ;
3» le fief Du Val Saint-Germain ; 4° le fief de Phi-
lippe de Beloy, à Nerville ; 5® la terre de Moure ;
6^ celle de Nointelle dont le château et la plus grande
LB PRINCE DE CONTY 139
partie des terres furent dans la suite échangés par lui
avec M. Bergerel, fermier général, contre un hôtel et
une ferme à Nogent (i).
En 1746, il acquit la terre du Mesnil-Sainte-Hono-
rine, les fiefs et marais du Mesnil-Saint-Denis et moi-
tié du fief du maréchal d'Armentières. La même
année Conty acheta t i® du marquis de Verderonne
le château de Stors, avec les fiefs du Grand-Moulin,
par la suite donnés en échange aux Feuillants ; les
fiefs de Grant; neuf arpents de pré à Stors; 2^ un fief
de deux cents arpents de bois de la Grande-Vente,
situés en la forêt de UIsle-Adam ; 3° le fief de Palois-
d'Aunay, à la basse forêt; 4® le fief Crochard, à
Nogent; 5® le fief de Gorfontaine, de douze arpents,
situé dans le potager de L'Isle-Adam ; le fief de Bour-
nonvilliers, d'Escalpont, à Valmondois ; 6® le fief
Brabant, à Hérouville, Villiers-Adam, Nointelle et
Carnelle.
En 1747» Conty céda au Roi ses terres d'Ivry et de
Garennes en Normandie, en échange de plusieurs
domaines de la couronne^ d'un revenu équivalent. Cet
échange, autorisé par arrêt du Conseil d'Etat du
19 août 1747? était contracté à titre héréditaire et
perpétuel (u). L'acte, passé le 19 septembre devant
M®* Jourdain et Brouard, notaires à Paris, par les
commissaires du Roi et par les délégués du Prince,
fut ratifié le jour même à L'IsIe-Adam par Conty en
personne.
Le Roi transportait au Prince le domaine et comté
de Beaumont ; le domaine de Ghaumonl-en-Vexin,
avec i.ooo livres de baliveaux; la terre, justice et
(i) Primitivement le oom de L'Isle-Adam désignait seulement
les deux tles sur TOise. Le village de la rive gauche se nommait
Nogent, à l'exemple de quantités de hameaux du bord des riviè-
res (Nogent-sur-Seine, Nogent sur-Marne, elc) Longtemps après
que L*Isle-Adam eut englobé Nogent, on continua dans le pays à
appeler Nogent la partie de TIslc-Adam bâtie en terre ferme.
(2) Archives Nationales : Chambre des Comptes^ P 1870, 2o4o,
2043.
140 LE PRINCB DB GONTY
seigneurie de Chambly ; le domaine et comté de Péze-
nas, en Languedoc ; le domaine et comté de Bagnols,
en Languedoc ; le domaine de Pontoise ; les domai-
nes de Mantes et de Meulan.
Ces divers biens étaient estimés ensemble d^un re-
venu de 4<*56a livres ; les terres dlvry et de Garennes
étant estimées d'un revenu de 43.ooo livres, les bali-
veaux de Chaumont et ceux de Chambly formaient le
supplément de la somme (i). Les lettres patentes de
Louis XV homologuant cet échange ne furent enre-
gistrées au baillage de Senlis que près de deux ans
plus tard, le 17 mars 1749* Au duc de Bouillon qui
était seigneur engagisle de Pontoise, 60.000 livres
furent comptées comme indemnité (2). Conty lui
(i) Musée Tavbt, à Pontoise : Mantucrits, liasse do i25o. Oq y
trouve encore cette note, relative aux baliveaux dont s'agit :
« Le comté de Beaumont était, depuis le i4 novembre lyoS, la
propriété des Conty. Le Grand Conty l'avait, à cette date, acheté
à la veuve du maréchal La Motte-Houdancourt (née Louise de
Prie, duchesse de Cardonne), gouvernante des Enfants de France,
vente consentie moyennant 25.4oo livres, dont 4-ooo livres au
comptant. Mais Conty ne jouissait pas des 5oo livres annaelles
des coupes de baliveaux et le roi ne l'avait pas confirmé dans son
titre de seijs^neur engagiste, dont, en fait, d'ailleurs, en sa qua-
lité de propriétaire et seigneur, il exerçait tous les droits. C'est
pourquoi lorsque son petit-fils, Louis François, traita avec
Louis XV réchange du 19 septembre 1747. les 5oo livres de bali-
veaux du comté de Beaumont furent ajoutés aux i.ooo livres, ou
environ, de baliveaux du comté de Chambly, pour parfaire au
profit de Conty l'équivalence, quant aux revenus, de ce que
cédait le Boî, avec ce que cédait le Prince, qui en valait un peu
plus ».
(2) Il y avait prés de deux siècles que ce domaine de Pontoise
avait été détaché de celui de la couronne par Henri III, pour
composer l'apanage du duc d'Anjou, son frère. Celui ci l'avait
engagé par la suite à Nicolas Aublin. sieur de Fravelles, moyen-
nant une somme de six mille écus-sols, et à la charge d'entrete-
nir les lieux domaniaux et de faire, au château de Pontoise, les
menues réparations nécessaires. Ces domaines, terres et châtel-
lenie, avaient passé successivement à Charles Neuville de Vil-
leroy, baron d'Alincourt, gouverneur de Pontoise ; aux cardinaux
de Joyeuse et de Richelieu ; à Marie-Thérèse Vignerot, duchesse
LE PRINCE DE CONTT 141
acheta en outre, pour loo.ooo livres, le château de
Saint-Martin de Pontoise, qui en avait coûté près de
1.800.000 à son premier propriétaire, le cardinal de
Bouillon (i). Cette demeure, infiniment plus vaste
que le château de L'isle-Adam, passait pour une mer-
veille. V Enfant Rouge en avait fait un palais digne
d'être mis en parallèle avec Versailles. Le jardin
était un des plus beaux de l'Europe. Le fameux Le
Nôtre en avait tracé les plans. Bassins, jets d'eau,
terrasses, pelouses, bouling'rins^ labyrinthes, oran-
gerie, parterres fleuris, allées plantées d'essences
rares, rien n'y manquait. Ainsi qu'il est dit plus
haut, le cardinal y avait dépensé 600.000 écus, chif-
re presque incroyable à une époque où le salaire des
ouvriers variait de huit à dix sols par jour.
En 1760, le prince de Conty acheta le Chenil-au-
Daim, ainsi qu'un jardin et une maison, à Anvers. A
la fin de la même année, il hérita de sa tante, Louise-
Adélaïde, princesse de La Roche-sur-Yon. Elle le
faisait son légataire universel, avec substitution au
profit du comte de La Marche, son petit-neveu ; elle
avait toutefois réservé un legs assez considérable à
sa nièce, la duchesse de Chartres. La défunte, entre
autres biens, possédait un bel hôtel à Paris, quai des
d'AiguilloQ ; enfin au cardinal de Bouillon et à ses héritiers.
(Abbé Trou, Recherches historiques sur la ville de Pontoise^
p. 299)-
(i) Ëmmanuel-Théodose de la Tour, duc de Bouillon, neveu de
Turenne, né en i643, mort en 1716. Cardinal à vingt-cinq ans et,
pour ce, surnommé a TenfaDt rouge », grand aumônier de
France, pourvu des abbayes de Cluny. deSaint-Ouen de Rouen, de
Saint- Waast d'Arras, de Tournus et de Saint-Martin de Pontoise.
— Sort lamentable : il ne devait pas jouir de ce palais de Saint-
Martin, édifié à si gros frais. Exilé par le Roi dans son abbaye de
Tournus, au retour d'une ambassade à Rome, il ne put obtenir
son rappel et se décida à aller vivre dans les Pays-Bas, puis à
Rome, où il mourut. — Un beau portrait de ce prince de l'Eglise,
attribué à Mignard, mais malheureusement restauré, se voit au
Musée Tavet, à Pontoise.
142 LB PRINCB DB CONTY
Théatins (i) ; une terre dans le Perche, à Sénonches,
qui valait 60.000 livres de rentes à cause de la forêt et
des forges; enfin le château de Vauréal, bâti sur la
rive droite de TOise, en aval de Pontoise, et pour
rembellissemenl duquel elle avait sacrifié plus d'un
million de livres (2).
En 1751, comme il manquait de finance pour toutes
ses acquisitions, Conty, devenu grand prieur, vendit
à la Ville de Paris Thôtel de Conty où il était né. Il
était question depuis longtemps de cette vente. Bar-
bier en fait mention dans son Journal dès le mois
d'août 1749* On ne savait pas positivement le prix :
on disait de 1.600.000 à 1.800.000 livres, dont moitié
au Prince, pour payer ses créanciers et moitié â la
duchesse de Chartres, sa sœur (3). Ce dont on était
sûr, en revanche, c'était de la destination du terrain :
on y bâtirait un Hôtel -de- Ville. La cession ne fut
définitive qu'au mois de décembre 1751. Le marquis
d'Argenson apprit la nouvelle par le duc de Gesvres :
ig janvier lyôs, — Le duc de Gesvres m'a dit que le con-
trat de vente de Thôtel de Cooty étoit signé ; que la Ville
alloit payer ce mois-ci Soo.ooo livres au prince de Conty et lui
feroit 5o.ooo livres de rente... Après cela, Ton va démolir
l'hôtel de Conty, en vendre les matériaux, puis choisir et
mettre à exécution les dessins pour le nouvel Hôtel-de-Ville,
ce qui coûtera quantité de millions dans un tems où il y a
grande pénurie. Mais M. le prince de Conty a insisté avec
brigue et menaces pour qu'on prtt sa maison si cher, ce qui
embarque dans ce dédale d entreprises (4).
(i) Cet hôtel fut démoli vers 1860; il était au n<^ 11 du quai
Maiaquais actuel.
(a) Barbier, Journal, tome III, p. 184.
(3) Bàrbibr, Journal, tome III p. 98.
(4) Marquis d'Argenson, Journal et Mémoires^ tome VII, p. 78.
— En janvier 1764, une facétie sur les « log-ements des seig-neurs
de la Cour » log'eait le prince de Conty : Quai de la Misère, oit-
à- vis la Caisse des Emprunts (Bibl. Nationale : Manuscrits fran-
çaisy 10.479).
LE PRINCE DE CONTT !4B
On ne donna pas saite au projet de construire sur
cet emplacement un Hôtel de- Ville. On renonça éga-
lement à y établir la Comédie-Française, comme il en
en avait été un instant question. L'hôtel de Conty
resta sans destination jusqu'en lySS, que le garde-
meuble de la couronne y fut transféré. L'hôtel fut
démoli en 1768 et on éleva à cette place THôtel des
Monnaies.
En janvier 1755, le prince de Conty s'employa à
retirer au Roi la principauté d'Orange, son bien. Il
prétendait en eiFet que le Roi ne se Tétait appropriée
que pour examiner ses droits, dix ans après sa majo-
rité ; il affirmait surtout que le Roi ne lui avait payé
jusque-là ni intérêt ni principal. Les réclamations de
Conty étaient fondées, puisqu'au mois de juillet de la
même année, le marquis d'Argenson consignait dans
son Journaly avec sa mauvaise foi ordinaire :
s juillet iy55. — Le Roi vient de donner i.5oo.ooo livres
au prince de Conty pour payer ses dettes entièrement. Le
prétexte en a été le prétendu tort qu'on a fait à ce prince sur
la vente d'Orange au Roi. Les commissaires ne l'ont fait
monter qu'à un million, mais le Roi y a ajouté de sa grâce
5oo.ooo livres pour l'achèvement de Tacquittement de ses
dettes (1).
Comment^ à quel titre, le prince de Conty se pré-
tendait-il prince d'Orange ? Après avoir appartenu
pendant cent cinquante ans aux Chaalons, princes de
Neufchâtel, dont Tun avait épousé en i386, la fille
unique de Raymond V^ dernier prince d'Orange, la
principauté était échue par héritage, en i53o, à René
de Nassau, neveu de Philibert de Chaalons, mort sans
enfants. Depuis lors, elle était restée dans la maison
de Nassau. En 1608, le prince Philippe-Guillaume de
Nassau, époux de mademoiselle de Bourbon, ayant fait
son entrée dans Orange, le peuple l'acclama et prêta
(i) Marquis (I^Argbnson^ Journal et Mémoires ^ tome IX, p. 35.
144 LE PRINCK DE CONTY
serment qu*il le reconnaissait, lui et ses successeurs,
pour princes droicturiers et souverains(i). Or, la prin-
cesse d'Orange-Nassau, veuve en 1618, mourut Tannée
suivante, instituant pour héritière sa nièce, Anne-
Geneviève de Bourbon, encore dans les langes. Cette
nièce devait épouser, quelque vingt ans plus tard, le
duc de Longueville. La duchesse de Longueville et
son mari étaient donc en droit princes souverains
d'Orange. Mais en fait la maison de Nassau n'avait pas
laissé échapper la principauté et le duc de Longue-
ville, sans avoir jamais régné sur Orange, décéda en
i663, laissant ses droits à son fils Jean-Louis-Charles
d*Orléans, duc de Longueville, qui les transmit par
testament, en 1694, à François-Louis de Bourbon-
Conty, son cousin germain et son légataire universel.
En 1702, à la mort du roi d'Angleterre, Guillaume III,
dernier prince d'Orange de la maison de Nassau,
Louis XIV s'empara d'Orange et le grand conseil ren-
dit un arrêt par lequel il mettait en possession réelle
et perpétuelle le prince François-Louis de Conty en
sa qualité de légataire universel du duc de Longue-
ville. En 1708, Louis XIV proposa au prince de Conty
de lui acheter Orange par échange. Le contrat fut
passé le 10 juin 1708; on n'en connatt pas les condi-
tions. Mais, dans le même temps, le roi de Prusse,
comme le plus proche héritier du roi d'Angleterre
par dame Louise de Nassau, électrice de Brande-
bourg, son aïeule, réclamait ses droits prétendus à la
(i) Arghivbs Nationales : Papiers des Princes ^ R« 69 et 70. —
EléoDore de Bourbon, princesse d'Orange, était née le 3o avril
1887 ; elle avait été mariée au chAteau de Vallery, en i6oô. k
Philippe Guillaume de Nassau, prince d'Orange ; veuve le
21 février 1618, elle mourut le 20 janvier 1619, au château de
Muret. Elle élait la fille de M. le Prince, Henri I*' de Bourbon-
Condé (i552-i588), et de sa seconde femme Charlotte de La Tré-
moille. Elle était la sœur, par conséquent, de Henri II de Bour-
bon Condé (i 588- 1646) lequel, marié en 1609 à Charlotte de
Montmorency, fut le père du Grand Condé, d*Armand de Bour-
bon-Conty et de Anne-Geneviève de Bourbon, née en 1619,
mariée en 1642 à Henri-Louis d'Orléans, duc de Longueville.
LB PBINCE DE CONTT i45
principauté. Cette circonstance empêcha sans doute
l'exécution du contrat. Par le traité d'Utrecht (i7i3),
Orange revint à la France et^ par lettres patentes du
mois de juillet 1718, le Roi ordonna que le prince de
Conty continuerait de jouir en toute propriété des
droits et revenus de la principauté, Sa Majesté se
réservant seulement le droit d'hommage et la souve-
raineté (i). Louis XV, en 1731, désira réunir Orange
à la couronne. Les ouvertures qui furent faites au
jeune prince de Conty ayant été accueillies, le Roi
nomma, par arrêt du conseil du 20 mars 1781, des
commissaires pour procéder à un échange contre des
terres et domaines de valeur convenable et pareille.
Et, jusqu'à ce que ces terres et domaines eussent été
fournis, Sa Majesté s'engageait à payer annuellement
au Prince, à compter du i*' janvier 1781, la somme de
80.000 livres à prendre sur le produit des fermes
générales. Ces lettres patentes ne furent point expé-
diées; cependant l'échange continua d'avoir son exé-
cution jusqu'en avril 1755. C'est à ce moment que
Conty réclama. Non seulement en efiFet la rente de
80.000 livres ne représentait pas la valeur réelle
d'Orange, mais surtout cette rente n'avait jamais été
payée. Nous avons vu, plus haut comment le Roi
l'indemnisa par un don de i.5oo.ooo livres (3). En
1768, on revint à de nouveaux pourparlers d'échange.
Les commissaires royaux, nommés le i*'^ décembre,
estimaient la valeur de la principauté d'Orange à
2.5oo.ooo livres. Ils offraient en retour au Prince les
droits de péage levés aux lieux de Baix-sur-Baix et
Perrière (diocèse de Viviers), celui qui se levait en la
ville de Pont- Saint-Esprit et les droits de leude et de
vingtain du revenu des moulins de la même ville ; le
(I et 2) Archiyba Nation ALB8 : Chambres des Comptes, P 2o44*
(3) En réalité Cooty aurait dû recevoir i .920.000 livres, repré-
sentant la rente impayée de 80.000 livres pendant 24 ans, de
1781 à 1755. plus les intérêts de cette somme. On voit de quelle
partialité fait preuve M. d'Argenson quand il parle de « prétexte »
et de c< tort prétendu » .
40
146 LE PRINCE DE CONTY
tout, faisant partie du domaine de la couronne, était
estimé à 720.000 livres. Restait dû par conséquent :
1.780.000 livres, dont les intérêts au denier ving-t
étaient de 89.000 livres, que le Roi s'engageait à
payer au Prince sur le produit des fermes générales à
compter du i*"" décembre 1768. Conty accepta cette
proposition (i).
M. de Paulmy fait erreur quand il écrit dans une
note consacrée au prince de Conty : «... Ayant vendu
chèrement au Roi sa principauté de Neufchâtel par le
moyen de M. de Boullongne, contrôleur général qui
voulut l'obliger, le Prince paya ses dettes et se mit à
tenir le plus grand état; etc. » (2). M. de Paulmy con-
fond certainement avec l'échange de la principauté
d'Orange. Le prince de Conty était bien souverain en
droit de la principauté de Neufchâtel, au même titre
que de celle d'Orange, mais il ne pouvait en disposer,
n'en ayant pas la possession de fait (3).
Ci) Archives Nationales : Chambre des Comptes ^ P 2o44. — Le
document ajoute : « Quelques recherches qui ayent été faites sur
les registres de la ferme générale, depuis 1758, on n'a trouvé
sur aucun l'emploi de la somme de 89.000 livres » .
Cependant la comptabilité du sieur Manscourt, trésorier du
prince de Conty pendant sa vie, et trésorier de sa succession,
prouve que la rente fut payée. Au chapitre III, article 5 de la
Recette du registre de comptes de Manscourt (année 1780) que
nous avons sous les yeux, il est dit :
« Rente Orange. — Cette rente étoit originairement de
89.000 livres. Mais par difiPérents remboursements opérés sur le
capital depuis 1766 jusques et compris 1776, montant en intérêts
à la somme de 27.600 livres, la dite rente se trouve réduite à
61.400 livres ».
Les remboursements de capital opérés visaient sans doute les
droits de péage et de leude ci -dessus dits, que Conty rétrocéda
au Roi le 9 octobre 1770.
(2) BiBLiOTHÀQUB DB l'Arsbnal : Manoscrîts, 3 119, f. 38.
(3) La souveraineté de NeufchAtel était entrée en 1394 dans la
maison de Fribourg^ par le testament d'Isabelle de Neufchâtel en
faveur de Conrad de Fribourg^, son neveu ; de qui elle passa à
Jean de Fribourg, neveu du précédent, et après lui, en i457, par
testament de i45o, à Rodolphe d'Hocberg, auteur de Jeanne
d'Hocberg^, épouse ^en i5o4) de Louis d'Orléans, duc de Longue-
LB PRINCE DE CONTY 447
Contj employa à de nouveaux achats les 720.000
livres d'argent comptant qu'il avait reçues pour la
principauté d'Orange :
En 1*765 et 1766, les terres de Lavogne et de Leyret.
En 1769, de M. de Brancas, comte de Lauraguais, la
terre et seigneurie de Franconville; les deux tiers de
la terre de Baillet ; un fief dont dépendaient quatre
cent vingt-quatre arpents de bois à la haute forêt de
Montmorency et quarante et un arpents et demi à
Carnelle.
En 1770, le prince vendit au Roi son duché de Mer-
coeur et sa terre de Sénonches qui valaient ensemble
aSo.ooo livres de rente, sur le pied du denier trente ;
il en plaça une partie en rentes viagères pour s'assu-
rer le même revenu ; du surplus il paya ses dettes (i).
Enfin en 1776 et même en 1776, l'année de sa mort,
il achetait la moitié de la terre de Montoglan, à Beth-
mont; du comte de Balincourt^ la justice sur le ter-
ville. Cest donc à bon droit qu'Henri-Louis d'Orléans, duc de
Lon^ueville, plénipotentiaire au traité de Munster en 1648, y
signait : t prince et comte souverain de Neufchâtel ». A la mort
de son fils. Jean-Louis-Charles d'Orléans» duc de Longueville,
en 1694* lequel instituait François-Louis de Bourbon Conty son
légataire universel, la duchesse de Nemours, sœur de Longueville
et son héritière ab inteslat, poursuivit la cassation du testament
qui fut confirmé en 1698. Mais les agents de M^e de Nemours
s'emparèrent de Neufchâtel, y introduisirent des troupes étrangè-
res et François-Louis de Conty en fut pour ses protestations. En
1707, à la mort de la duchesse de Nemours, les agents de l'Elec-
teur de Brandebourg qui prétendait avoir des droits sur Neuf-
chAlel, du chef de la maison de Nassau, parvinrent à composer
un tribunal qui déféra la souveraineté à l'Electeur. Neufchâtel
était donc, en 17^8, au mains du roi de Prusse quand, au moment
des conférences d'Aix-la-Chapelle, notre Conty produisit un
mémoire pour conserver les droits qu'il tenait de son aïeul.
Mais cette réclamation resta vaine. Nous ne trouvons aux Archi-
ves Nationales (Maison Royale, K 549 et 55o, Succession de
Neufchâtel) aucune pièce diplomatique postérieure à 1727, sauf
le Mémoire imprimé présenté par Conty au Congrès d'Aix-la-
Chapelle, mémoire d'après lequel nous avons résumé l'exposé
ci -dessus.
(i) Mme DU Dkffànd. Correspondance, tome II, p. 69.
148 LE PRINCE DE CONTY
roir de Verville et les fiefs des bois des Fonds de Nêle.
Tout cela, sans préjudice de nombre d'acquisitions
ou échanges moins importants, pour opérer des per-
cements de routes et avenues.
Ainsi qu'il est facile de le vérifier sur une carte un
peu détaillée du Vexin, tous les achats du Prince con-
verg^ent vers L'Isle-Adam ; et s'il pousse des pointes
de divers côtés, c'est dans l'espoir de souder un jour
ces parcelles lointaines au noyau central par des mar-
chés nouveaux, pour former un immense terroir d'un
seul tenant, sur les deux rives de l'Oise, avec point
de jonction au château, dans l'tle que sa prédilection
a choisie comme résidence d'été.
L'Isle-Âdam, au dix-huitième siècle, rt'était point
la coquette petile ville d'aujourd'hui. C'était un sim-
ple hameau sur (a rive gauche de TOise, en face d'un
autre hameau, Parmains, sur la rive droite, qui appar-
tenait au même seigneur. Son papier terrier s'il exis-
tait encore, révélerait que les trois quarts des habi-
tants de L'Isle-Adam étaient les serviteurs du Prince
châtelain. Du château vivait le pays (i).
L'Oise à cet endroit se divise en trois bras, baignant
deux îles, Tune étroite et longue, celle du Prieuré,
l'autre, presque ronde, dite tie de la Cohue. C'est dans
rtle du Prieuré qu'était bâti le château des Conty et,
pour ce, on l'appelait communément : île du château.
Trois ponts publics réunissaient les deux bords de la
rivière : le pont du Moulin, entre Parmains et l'île du
Prieuré, ainsi nommé parce qu'un moulin en occu-
pait la partie de droite ; le Grand-Pont ou pont de la
Cohue, entre le Prieuré et la Cohue; le pontCabouillet
entre la Cohue et l'unique rue qui constituait alors le
bourg de L'Isle-Âdam. Un quatrième pont, celui-ci
privé, mettait en communication la cour d'honneur
(i) Depuis cent cinquante ans, la population a tout juste décu-
plé. Elle était de 364 habitants en 1726; de i.54a, en i836 ; de
3.639, au dernier recensement (1906).
LE PRINGB DE CONTT 149
du château et la rive droite, par dessus le bras du
Moulin ; ce pont, tout en bois, à tablier mobile, était
baptisé le pont Yen, sans doute à cause de la couleur
dont la mousse et Thumidité avaient badigeonné ses
pilotis (i).
Le château, nous l'avons dit, était construit dans
rtle du Prieuré dont il tenait, avec ses dépendances,
toute Textrémilé nord, depuis le bec en maçonnerie
opposé à la violence des eaux de TOise jusqu'à la
route coupant les deux îles, dans Taxe des trois ponts.
Sur celte roule, une grande grille en fer ouvragé, de
vingt toises et demie, appuyait ses bouts à deux pavil-
lons de vingt-quatre pieds de face chacun (2). Elle
ouvrait sur une avant-cour large de trente toises, de
Fun à l'autre parapet, et longue de vingt-huit. Pour
passer de l'avant-cour dans la cour d'honneur, il fal-
lait franchir un petit pont tournant, jeté sur un fossé
large desix toises elqu'alimentaitTeau de la ri vière(3).
La cour d'honneur, enfin, prise de la tête de l'île
jusqu'au petit pont entre-cours, mesurait quarante-
quatre toises de long sur quatorze de large.
A droite, en entrant dans la cour, le château, de
forme barlongue, avec pavillons au nord et au sud. Sa
façade orientale, regardant L'Isle-Adam, était au bord
(i) Il ne reste presque rien de ce pont, dont les culées exis-
taient encore en 1904. Celle du cdté de Parmains a été détruite
à cette époque pour des travaux de canalisation ; celle du côté
de nie subsiste, mais très déformée par les réparations
(Denise, Etades historiques sar UIste~Adam, p iSg). — Le pont
du Moulin présente un tout autre aspect ; il a été reconstruit
sous le régne de Louis-Philippe. Quant au Grand'Pont ou pont
de la Cohue, que surmontait une croix de pierre et que déco-
raient les armes des Conty, il a été détruit par la mine en 1870
pour arrêter quelques heures Tinvasion allemande. Après la
guerre, il fut remplacée par un pont de fer ([Abbé Ghimot], ffis^
toire de LIsle-Adam^ p. 4o).
(a) Rappelons que le pied valait environ 33 centimètres et que
la toise valait 6 pieds, soit environ a mètres.
(3) Ce pont tournant fut remplacé en 1777 par un pont de
pierre, fixe, d'une seule arche ; il a aujourd'hui complètement
disparu, ainsi que le fossé.
150 LE PRINCE DE CONTT
même de TOise. Elle comprenait : les sous-sols, amé-
nagés en salles de bains qui s'ouvraient sur une ter-
rasse longeant la rivière ; le rez de chaussée et trois
étages ; Ton y comptait soixante-quinze fenêtres ou
portes. La façade occidentale, regardant Parmains^
donnait de plain-pied sur la cour ; elle n'était éclairée
que par soixante fenêtres ou baies, à cause des sous-
sols en moins. Le bâtiment mesurait vingt-huit toises
de face sur sept toises et demie de profondeur, au droit
des pavillons ; le péristyle, neuf pieds d'arrière-corps,
et deux pieds sept pouces du côté de la rivière. Comme
hauteur, treize toises el demie, de la terrasse du bord
de Teau au faîtage ; trois toises de moins du côté de
la cour (i).
Des fenêtres du château, la vue était superbe. Elle
était bornée au couchant par une chaîne de hautes col-
lines; par le hameau de Parmains; le grand parc, de
quatre-vingts arpents; les potagers, de seize arpents,
et le Petit Château, élevé sur la rive droite en face du
pont Vert (2). Au nord, Pœil remontait le cours de
l'Oise jusqu^à l'île de Champagne. Au levant, il décou-
vrait la basse forêt, les Maisons-Neuves et, plus à
.droite, l'église et le bourg de L'Isle-Adam. Au midi,
c'était l'île du Prieuré, boisée, mais percée d'une large
avenue qui laissait apercevoir la rivière aux bords
pittoresques et, dans le lointain, de belles prairies se
prolongeant jusqu'au château de Stors (3).
(i) Il D9 reste rien de ce palais. La grande terrasse du bord
de l'eau a existé jusqu^en igoS ; depuis, on Ta supprimée pour
rélarg^issement de la rivière, sauf une petite bordure. De l'an-
cienne construction, il ne subsiste que les sous-sols, en majeure
partie comblés et dont les ouvertures ont été murées. Ces murail-
les font partie de la clôture de la propriété. Le château actuel,
brûlé en 1870 et restauré, est une bâtisse moderne qui ne rap-
pelle en rien la somptueuse demeure des Conty.
(2) Ce « petit château » est aujourd'hui, parait il, la mairie de
Parmains.
(3) Toutes ces descriptions, si précises, sont empruntées par
nous à l'ouvrage de l'architecte André : Chronologie des Seignears
de VIsle-Adam ; passim.
LB PRINCE DE CONTT 151
Le rez-de-chaussée du château était affecté aux
appartements du Prince. C'est là qu'étaient sa chambre
à coucher, pièce à alcôve s'éclairant sur la rivière par
deux croisées; le salon de compagnie, la salle à man-
ger. Chaque étage était divisé en huit chambres, don-
nant toutes sur la rivière et dont les portes, numéro-
tées comme celles d'une hôtellerie, s'alignaient au long
d'un couloir ayant vue sur la cour (i). C^étaient les
logements des amis, toujours nombreux à Llsle-Adam
dans la belle saison.
Au Petit Château, sur la rive droite^ était la salle
des jeux ; l'inventaire qu*on en fit à la mort du Prince,
énumère trois tables de tric-trac à pieds, complètes;
une autre pliante, en cuir; un jeu de galets, sur son
pied, avec ses galets en ivoire; un quillet chinois, un
jeu de roulette, un jeu de portique, un jeu de tonneau
avec ses palets, un jeu de trou-madame avec ses bil-
les, etc. Il y en avait pour tous les goûts. Mais on
couchait aussi au Petit Château et les chambres y
étaient fort élégantes, avec leurs lits de damas bleu
galonné d'argent ou garnis de broderie des Indes.
Un autre « en cas » pour les jours de réception nom-
breuse était ménagé sur la rive gauche, au bout du
pont Cabouillet. C'était Fhôtel Bergeret, que le Prince
avait acheté de ce fermier général pour y installer sa
capitainerie, mais où il s'était réservé pour lui-même
un appartement à coucher donnant sur les jardins et^
pour ses invités, plusieurs autres logements numéro-
tés, tels ceux du château.
L'hospitalité à L'Isle-Adam était fastueuse et libé-
rale. C'était la même noble compagnie qu'au Temple,
moins abondante peut-être, plus choisie encore, parce
qu'il fallait être davantage de l'intimité du Prince
pour être prié. Toute étiquette en revanche en était
bannie. Conty laissait à ses hôtes la disposition de
leurs journées. Chacun vivait à sa mode et selon sa
(i) Archives Nationales : X^a, 9178-9179.
152 LE PRINCE DE CONTY
libre fantaisie. On ne se réunissait que le soir, pour le
souper.
Le Prince étail passionné pour tous les genres de
chasse. Il tirait chaque année de sa propriété de
Pierre-Latte, enDauphiné, tous les œufs de bartavelle
qu'on lui. pouvait récolter et, de son gouvernement du
Poitou, tous les œufs de perdrix rouge, pour les faire
couver et repeupler L'Isîe-Adam de gibier (i). Mais
son plus grand délice était de courre le cerf qu'il
traquait à cor et à cri jusque dans la basse forêt de
Montmorency, voisine de celle de L'Isle-Adam et dont
le prince deCondé avait autorisé l'accès à ses piqueurs
et à ses meutes (2). La majeure partie de ses heures
s'écoulait ainsi en chevauchées à travers bois et l'em-
ploi de son capitaine des chasses n'était pas une siné-
cure. 11 honorait du reste d'une amitié particulière cet
officier de sa maison qui était en même temps le gou-
verneur de L'Isle-Adam. Lorsqu'il ne chassait pas avec
quelqu'un de ses invités, Conty passait ses après-
midi tantôt chez sa maîtresse, tantôt dans sa bibliothè-
que ou son laboratoire. Il avait la teinture de beau-
coup de connaissances. Il aimait à se persuader qu'il
était savant astronome et se découvrait une vocation
déterminée pour la chimie. Il inventait des drogues
et des onguents. Son chirurgien Guérin les expéri-
mentait sur la valetaille. Le comte de Cheverny, lors
de son mariage, avait fait cadeau à Conty d'un de ses
domestiques, nommé Marnier, qui était un homme
précieux pour organiser rapidement et discrètement
une partie galante. Cette qualité était bien le fait du
Prince :
(i) Marquis d'Argbnson, Journal et Mémoires y tome VI, p. ai5.
(a) CoDty eut maille à partir à ce propos avec le comte de Cha-
rolais qui, sans l'en prévenir, avait semé de « gobes » empoison-
nées tous les carrefours de la forêt de Montmorency, afin d*y
détruire les loups et les renards — ce qui était fort dan^reux
pour les chiens. La querelle alla jusqu'au Roi qui, pour calmer
Conty, lui accorda vingt cerfs à prendre dans sa forêt de Senart
(Voir les Mémoires du duc de Luynes« tome XIV, p. 348).
LE PBINCE DE CONTY 153
Marnier n y fut pas trois semaines (écrit Cheverny), que le
Prince me dit un jour : « — Vous m'avez donné un homme
excellent, mais vous avez voulu vous en débarrasser, car il
est malade au moins pour six mois et dans un état aCFreux ».
Je lui protestai avec vérité que je n'en avais rien su. — « Tant
pis, me dit-il, je vous en estime moins ». — a Ma foi, lui
répondis-je, s'il faut mériter votre estime à pareille épreuve,
il y a grande apparence que je ne l'aurai jamais ; mais pas
moins à vos ordres pour toute autre chose ». — c Sûrement,
reprit-il, tel que vous me voyez, j*ai été plus de quatre fois
trompé, et je ne m'en estime pas moins. Au surplus, vous nous
avez rendu un service à l'un et à l'autre, parce.que je vais faire
sur lui un essai qui le guérira radicalement ; car vous savez
que j'ai un cabinet de chimie. C'est une préparation chimique
admirable. Il se portera mieux qu'il ne s'est jamais porté et
sera comme un enfant qui vient de nattre » (i).
Le Prince, à Llsle-Adam, donnait aussi des fêtes aux
princes du sang, ses cousins, ou aux nobles étrangers
de passage. C'est ainsi qu'il reçut, en 1766, le prince
de Brunswick-Lunebourg que toute la haute société
s'arrachait et lui ofiPrit un festin sous la lente, dans le
bois de Cassan, au rond-point dit de la Table, près du
chêne légendaire appelé « chêne de Conty » (2). Michel-
(1) CoMTB deGhevbrny, Mémoîres, tome I, p. 169.
(2) Charles-Guillaume-FerdinaDd, prince héréditaire de Bruns-
wick, arrivant d*Angie(erre, fut présenté au Roi, à Versailles, le
22 avril 1766. sous le nom de comte de Blakenbourg et repartit
le 23 juin suivant. « Pendant son séjour, dit Marmontei, dans
ses Mémoires, tout le monde lui donna des fêtes ». « Les Lettres
et les Arts, dit la Correspondance de Grimm se sont empressés à
seconder la politesse française pour rendre au prince héréditaire
de Brunswick son séjour en France agréable »•— Le chêne Conty
de Cassan est un arbre énorme, à trois branches égales, ayant
chacune les proportions d'un chêne ordinaire : l'ensemble a
environ trente mètres de haut. La Table de Cassan existe encore;
c'e8i une sorte de guéridon massif, en pierre dure, qui remonte
à une époque lointaine. Elle était autrefois au centre exact du
carrefour, dans l'axe de la roule de L'isle-Adam à Beaumont ; on
l'a déplacée au dix-neuvième siècle pour laisser le champ libre
aux voitures (Dbnisb, Etudes historiques sur UIslfi-Adam,
p. 209).
154 LE PRINCE DE CONTY
Barthélémy Ollivier, le peintre ordinaire du Prince, fut
chargé de fixer sur la toile cette réception mémora-
ble (i).
Mais ces grands galas étaient rares. A ces pompes
Conty préférait la simplicité de sa cour familière, où
la devise était celle des thélémites : « Fais ce que
veux ! )) Il s'appliquait à ce que chacun fut chez soi à
Llsle-Adam. Chaque dame avait un carrosse à ses
ordres : cent trente-cinq chevaux dans les écuries,
cinquante et une voitures dans les remises, permet^
taient de faire atteler à toute heure. L'inventaire après
décès du Prince nomme les plus beaux de ces che-
vaux et décrit ces équipages. Parmi les bêtes de prix,
il cite V Effronté et la Paysanne, au poil noir; la Han-
gardy le Masque^ la Crécelle^ le Navarin^ la Vestale^
le Mille-Fleurs^ le Grand-Pie. Parmi les calèches, ber-
lines, cabriolets, chaises et vourstes pour suivre la
chasse, on remarque la Verava et la Franchise, dou-
blées de drap gris ; la dormeuse de Bruxelles, à fond
de canne et doublée de drap vert ; la Gondole des offi-
ciers^ en velours d'Utrecht gris ; le Confessional^ petite
voiture bleue ; la Demoiselle noire, garnie de calle-
mande cramoisi, etc. (2).
Quand on avait exploré le château, quand on avait
admiré les six canons de bronze pris sur l'ennemi qui
décoraient Taiant cour (3); quand, sur une escadrille
de barques pilotées par le chef gondolier Doray, on
avait battu la rivière en tous sens, de Champagne à
Valmondois; quand on avait épuisé les jeux variés
du Petit Château, on prenait la « chaise à l'anglaise »
ou la c voiture à la renard » et Ton partait en caravane
dans les environs; on allait voir, au bois du Lay, un
autre chêne Conty, monstre trapu, vieux de près de
vingt siècles, dont six personnes formant la ronde
n'arrivaient pas à encercler le tronc (4) ; on allait
(i) Voir plus loin l'Iconographie du prince de Conty.
(a) Archives Nationales: X'a, 9 178-9 179.
(3) [Abbé Grimot]. Histoire de la ville de L'hle-Adam, p. 21.
(4) Démise, Etudes historiques sur Liste- Adam, p. 56.
LB PRINCE DE CONTT 155
visiter à la ferme de Boulonviiie, près de Jouy-ie-
Comte, la petite colonie d'anabaptistes que le Prince
avait ramenés des Flandres (i) ; on allait révérer à
Notre-Dame de Pontoise la statue de la vierge miracu-
leuse qui, en i638, sauva la ville de la peste, alors, il
est vrai, que les trois quarts et demi des habitants
étaient déjà morts.
Venue Theure du dîner, on descendait à la salle à
nrianger commune qui pouvait contenir plus de cent
personnes, à moins qu'on n'aimât mieux se faire ser-
vir en ses appartements, avec sa société particulière;
le Prince qui ne dînait pas ne contraignait personne.
La représentation n'était que pour le soir. Deux
heures avant le souper, on se réunissait dans le salon
d'assemblée. On papotait, on rabotait sur les gens de
Versailles, on devisait philosophie, art ou littérature;
on improvisait de petits vers, la mode étant aux
impromptus, aux à-propos, aux bouts-rimés et aux
charades ; on jouait des proverbes ou des comédies.
Hier, c'était le marquis de Chauvelin qui, sollicité
par sept dames de composer des rimes de circons-
tance, s'en tirait par un emprunt galant au caté-
chisme r — « Mesdames, disait-il, si vous étiez trois,
je vous comparerais aux Grâces ; si vous étiez neuf, je
vous appellerais les Muses; mais vous êtes malheureu-
sement sept, il ne me reste qu'à vous comparer aux
sept péchés capitaux i>.
Sitôt le marquis, fabriquait les quatrains suivants,
chacune des pécheresses tirant son péché par le sort :
La Luxure f sortie première, échéait à M°»« de Mirepoix :
Dât-il vous en coûter quelque peu d'innocence.
Un si joli péché doit-il vous alarmer?
Vous savez trop le faire aimer
Pour ne pas lui devoir de la reconnaissance.
(i) Denisk, Études historiques sur L'Isle-Adam, p. 98.
156 LE PRINCE DE CONTT
La Gourmandise^ à M°>« de Chauvelin :
En songeant à votre péché
Et vous voyant les traits d'un ange.
En vérité je suis fâché »
De n'être pas quelque chose qu*on mange.
La Colère^ à M™« de Courteilles :
Sans vous défendre la colère,
Je vous obligerai, Chloris. d'y renoncer :
Il ne vous sera plus permis de l'exercer
Que contre ceux à qui vous n aurez pas su plaire.
L'Avarice^ à M™« de Surgères :
Quoique votre péché paraisse un peu bizarre,
Si vous vouliez il deviendrait le mien.
Iris, si vous étiez mon bien.
Je sens que je serais avare.
V Orgueil y à M"»* de Mau lévrier :
L'orgueil vous doit un changement bien doux ;
Jadis il passait pour un vice ;
Depuis qu'il a le bonheur d'être à vous,
On le prendrait pour la justice.
La Paresse, à M^^® de Cicé :
A la paresse on peut bien se livrer,
Iris, lorsqu'on est sûr de plaire ;
On fait bien de se reposer,
Il ne reste plus rien à faire.
VEnvie, à M">« d'Agenois :
Peut-être je suis indulgent,
Mais à votre péché, Thémire, je fais grâce ;
Ne faut-il pas que je vous passe
Ce q!ie j'éprouve en vous voyant (i)?
(i) Gabriel Abry, Notice sur le marçais de Chauvelin, pp. 6-8.
LE PBINCE DE CONTT 157
Et les jeunes daines s^émerveillaient de la facilité
poétique du marquis, tandis que les vieilles se rappe*
laient avoir entendu quelque part cette « improvisa-
tion » sur les péchés capitaux (i).
Aujourd'hui, c'est M. de Pont-de-Veyle, qui célèbre
le gris sur un air bachique, tous les invités du Prince,
hommes et femmes, s'étant vêtus de gris, à la prière
de Monseigneur :
Bacchus et le dieu de Cjpris,
Se trouvent dans ces lieux chéris,
Aimons, buvons de ce vins gris,
On est heureux quand on est gris.
Ce vin échauffe les esprits ;
Il fait que, d'une froide Iris,
On croit voir les yeux attendris...
On est heureux quand on est gris.
(i) Selon les Mémoires du comte de Maurepas (tome III, p. 21 5),
elle daterait de 1733, et le marquis de Chauveliu l'aurait sortie
pour la première fois à la fiu d'un dîner, chez lui. Les six
dames admises à ce diner étaient, avec Mme de Ghauvelin :
l^ma la vîdame de Montfleury (VOrgaeil) ; M"*« la marquise de
Surgères (V Avarice); M™« de Montboissier (la Luxure) \ M"« la
duchesse d'Aiguillon {V Envié) ; Mme de Courteilles (la Colère) ;
Mme Pineau de Luze (la Paresse), Mais il se peut très bien que
M. de Maurepas fasse erreur quant aux dates. L'impromptu de
M. de Ghauvelin provoqua en e£Fet ces vers de Voltaire, adressés
à la marquise :
Les sept péchés que mortels on appelle,
Furent chantés par Monsieur votre époux ;
Pour l'un des sept nous partageons son zèle,
Et, pour vous plaire, on les commettrait tous.
C*est grand' pitié que vos vertus défendent
Le plus chéri, le plus digne de vous,
Lorsque vos yeux malgré vous le demandent.
Or, dans Toeuvre de Voltaire, cette pièce se place vers 1758.
Et, d'autre part, en effets M. de Ghauvelin ne se maria qu'en
1758. Il épousa le 5 avril de cette année, Agnès-Thérèse Mazade
d'Argeville, fille d'un conseiller au Parlement.
15R LB PRINCE DE CONTY
Parmi le vin, les jeux, les ris,
Un cœur est aisément épris ;
Le plus sauvage est bientôt pris...
On est heureux quand on est gris.
Mais si la belle a des mépris,
Si je lui vois dos favoris,
Je bois, je chante et je m'en ris...
On est heureux quand on est gris.
Souvent les plus fâcheux maris,
Les jaloux les moins aguerris,
En buvant se trouvent guéris...
On est heureux quand on est gris.
Un philosophe en ses écrits,
Dit que de tout il est surpris ;
Mais un buveur a tout compris...
On est heureux quand on est |i;>^ris.
Chantons tous la gloire du gris.
On n'en trouve plus à Paris ;
Ils sont icy tous réunis :
On est heureux quand on est gris (i).
Ah ! rincomparable Pont-de-VeyIe, resté malgré
son âge, le boute-en-lrain de ces réunions! II est un
vivant répertoire de chansons, de parodies et de
parades qu'il promène à travers les salons, y ajus-
tant chaque fois quelque nouveau couplet, quelque
scène, quelque lazzi à mourir de rire. Tantôt il se
travestit en pythie, pour dire la bonne aventure aux
dames sur l'air de la Pythie de Bellérophon. Tantôt il
se présente à la porte déguisé en marchand d'orvié-
tan, demandant qu'il lui soit permis d'étaler sa bouti-
que et de vendre ses drogues ; et il trouve le secret
d'amuser plus d'une heure par le récit extraordinaire
de tout ce qu'il a vu au cours de ses prétendus voya-
ges. Ensuite il distribue ses onguents, c'est-à-dire
qu'il donne à chacun de petites boîtes renfermant,
(i) Bibliothèque de l'Arsenal : Manascriis^ 3 119, fol. 45 (Porte-
feuille de M. de Paalmy).
LB PRINCE DE CONTT 159
avec des rubans et des dragées pour les dames, un
vaudeville applicable à la personne qui le reçoit. Cette
scène du vendeur d'orviétan, il Ta déjà débitée chez
madame de Rochefort, chez le duc d'Orléans, un peu
partout; mais on ne s'en lasse point et partout on la
redemande (i).
M. de Pont-de-VeyIe a encore une spécialité. Tous
les soirs, à la fin du souper, le Prince le requiert de
chanter des impromptus sur les dames qui sont à
table. Il compose aussitôt, en vers blancs, des compli-
ments pleins de galanterie sans fadeur, mais parfois
embarrassants pour les jeunes femmes, auxquelles il
paraît « difficile d'avoir un bon maintien devant ces
espèces d'éloges publics^ malgré leur petite tournure
épigrammatique » (2).
Demain on jouera la comédie pour de bon, soit
avec des acteurs de société, soit avec des artistes
empruntés à la Comédie-Italienne, auquel cas Papil-
lon de la Ferté, intendant des Menus, s'ingéniera à
arranger le répertoire de ce théâtre, pour que le Prince
puisse avoir à L'Isle-Adam les sujets qu'il désire (3). Il
y a au château une petite scène portative fort bien
agencée, avec tout un matériel et des décorations bros-
sées exprès pour chaque pièce. Ecoutons une invitée
du Prince, M°® de Genlis, nous parler sans feinte de
ces comédies de société et de ces comédiens d'occa-
sion.
Je trouvai au prince de Conty une très belle représentation,
une majestueuse et belle figure, et beaucoup d'esprit ; mais je
n'ai jamais pu m'accoutumer à lui, ni vaincre l'embarras
qu'il m'inspiroit : il avoit dans sa manière de regarder, quel-
que chose de scrutateur qui me déconcertoit. Malgré les pré-
ventions de mesdames de Boufflers et de Luxembourg, il me
trouva bien médiocre ; aussi quand M . Donezan lui dit que
(i) G. Gapon et R. Yve-Plbssis, Leê Théâtres clandestine ^
pp. 181 et i85.
(2) Mœ© DB Gbnus, Mémoires f tome I, p. 297.
(3) Journal de Papillon de la Ferté, p. 81 et p. 89.
160 LK PRfNCB DK CONTY
je jouois les proverbes d'une manière extraordinaire, il ne
voulut pas le croire. Il fut décidé que nous en jouerions. On
fit faire un petit théâtre portatif que Ton mit dans la salle à
mang^er et nous répétâmes le Savetier et le financier. Il n y
avoit que trois personnag'os, le financier, le savetier et sa
femme. Je faisois ce dernier rôle ; M. Donezan, celui de save-
tier avec une perfection qui ne laissoit rien à désirer... Nous
eûmes un succès prodigieux. La timidité silencieuse que j'avois
habituellement donna quelque chose de merveilleux à ce
succès : dans une dernière scène, je fis pleurer et rire ; Tenthou-
siasme de M. le prince de Conty fut extrême. Il fit promettre
à M. de Genlis de me faire peindre dans ce costume de save-
tière, tenant un panier plein d'oignons ; on m*a peinte en efiet
avec cet habit, je ne sais ce que ce portrait est devenu. On
nous fit jouer quatre jours de suite ce proverbe. La Maréchale
et madame de Bouffi ers furent charmantes pour moi en cette
occasion... M. le prince de Conty essaya encore de causer avec
moi, mais en vain ; mon malaise avec lui étoit invincible.
Toutes les femmes voulurent jouer des proverbes et deman-
dèrent des leçons à M. Donezan, qui assura ne m'en avoir
donné aucune. On arrang'ea plusieurs proverbes. Madame de
Montesson et madame de Sabran (dames de M^^'la princesse
de Conty) prirent des rôles, et jouèrent, non pas d'une
manière passable, mais ridiculement. Elles le sentirent, et
leur humeur fut extrême. Madame de Sabran montra la
sienne comme une enfant ; après les proverbes elle pleura de
dépit... Cette scène fut étonnante et me confondit. Madame de
Sabran qui m'avoit montré quelque bienveillance devint mon
ennemie. On cessa de jouer des proverbes, au g'rand reg'ret du
prince de Conty, de mesdames de Luxembourg-, de Boufflers
et de M. Donezan. Mais on joua la comédie. Je n avois que
deux rôles insignifiants, celui d'amoureuse dans V Impromptu
de campagne, et celui d'Isabelle dans les Plaideurs. Mais
oour m'entendre chanter et jouer de la harpe, M. de Pont-de-
Veyle ftt un divertissement, Les noces d Isabelle ^ dans lequel
je jouai une sonate de harpe et je chantai de fort jolis couplets.
Madame de Montesson jouoit fort mal la comédie, parce
qu'en cela, comme en toute chose, elle manquoitde naturel.
Mais elle avoit beaucoup d'habitude, et l'espèce de talent
d'une comédienne de province, parvenue par son âge aux pre-
miers emplois, et n'ayant que de la routine (i)...
(i) Mme DE Gknlis, Mémoires , tome I, pp. 3o5-3o6.
LE PRINCE DE GONTY i6i
Cela se passait en 1767. A partir de cette année, la
comédie de société s'imposa parmi lesdiverlissements
ordinaires. On jouait une fois la semaine. Pendant les
fêtes de Noël, au moment des grandes chasses, les
amateurs étaient remplacés par des professionnels
de la scène, comme au temps où Âudinot, le futur
directeur de l'AmbiguComique^ avait la direction de
la troupe.
Un autre théâtre avait été bâti dans Ttle de la
Cohue pour la réjouissance des habitants du vil-
lage (i).
Mais, parfois aussi, on avait la comédie sans comé-
diens. Une aventure comme celle-ci venait mettre en
gatté les hôtes du château :
Un officier du prince étant couché, sent brusquement enle-
ver sa couverture ; il la retire, on répète la plaisanterie ; tant
qu'à la fin, l'officier ennuyé jure d'exterminer le mauvais plai-
sant, met la main à son épée, cherche dans tous les coins de
la chambre et ne trouve rien. Etonné, mais brave, il veut,
avant de conter son aventure, éprouver le lendemain si Tim-
portun reviendra. Il s*enferme avec soin, se couche, écoute
longtemps et finit par s*endormir ; alors on lui renouvelle le
même tour que la veille. Il s'élance du lit, réitère ses menaces
et perd son temps en inutiles recherches. La crainte s'empare
de lui ; il appelle un frotteur qu'il prie de coucher dans sa
chambre, sans lui dire, toutefois, pour quel motif. Mais
l'esprit qui avait fait son tour ne paraît plus.
La nuit suivante, il se fait accompagner du frotteur à qui
il raconte ce qui lui est arrivé et ils se couchent tous deux. Le
fantôme ne tarde pas à manifester sa présence. Il éteint la
chandelle qu'on avait laissée allumée, les découvre lestement
et s'enfuit. Comme nos deux braves avaient entrevu dans
l'ombre une façon de monstre di£Forme, hideux et gamba-
dant, le frotteur s'écrie que c'est le diable et court chercher
en la chapelle du château de l'eau bénite. Mais au moment
qu'il lève le goupillon pour asperger la chambre, l'esprit le
lui arrache et disparait
Les deux champions poussent des cris; on accourt; on
(i) [Assit Grimot], Histoire de VMe-Adam, p. 3o.
11
162 LE PRINCE PE GONTY
passe la Duit eo alarmes ; et le matin on aperçoit, sur le toit
de la maison, un gros singe qui, armé du goupillon, le plon-
geait dans Teau de la gouttière et en arrosait les passants (i).
Après cent cinquante ans écoulés^ les traces sont
encore profondes qu'a laissées le prince de Conty
dans la mémoire des Isle-Adamois. Interrogez les
vieillards du pays, ils ne connaissent point Louis-
François de Bourbon, encore que son nom^ attaché à
la voie qui traverse les ponts ^la rue Conty), marque
pour la postérité la place où se dressait le castel sei-
gneurial. Mais, à ces mêmes vieillards, parlez un peu
du « père Prince », tout aussitôt ils s'épancheront
en maints détails à sa louange, inexacts pour la plu-
part mais que la tradition a pieusement forgés. Cet
affectueux sobriquet de « père Prince » suffit à indi-
quer combien Louis-François était populaire parmi ses
vassaux. C'est que le prince de Conty, si orgueilleux
avec les grands, étaitsimple avec les humbles et que sa
générosité naturelle le rendait juste et pitoyable aux
misères humaines. On savait que les airs terribles
qu'il prenait quelquefois n'étaient qu^une ostentation.
Voici un trait dont j'ai été témoin, dit M^^ de Genlis. Un
jour que nous passions d'un salon dans une pièce voisine pour
aller entendre la messe, M. de Chabriant arrêta M. le prince
de Conty pour lui demander ses ordres sur un braconnier
qu'on venoit de prendre. A cette question, le prince de Conty,
élevant extrêmement la voix, répondit froidement : n — Cent
coups de bâton et trois mois de cachot 0, et il poursuivit son
chemin avec l'air du monde le plus tranquille.
Ce sang-froid uni à tant de cruauté me fit frémir. L'après-
midi, me trouvant auprès de M. de Chabriant, il me fat
impossible de ne pas lui parler du pauvre braconnier et de
l'arrêt barbare .prononcé parle prince. « — Bon, dit en riant
M. de Chabriant, il ne parloit que pour la galerie. Je connois
cela. Jamais un seul de ses ordres tjranniques, donnés en
public, n'a été exécuté ; et quant au braconnier qui vous
intéresse, il sera seulement banni de Llsle-Adum pour deux
(i) Dictionnaire des sciences occaltes ; au mot : Esprit.
LE PRINCB DB CONTT 163
mois^ et, pendant ce temps, Monseigneur prendra secrètement
soin de sa famille qui est très nombreuse. Voilà Tordre qu'il
m'a donné tout bas, en sortant de la messe ». — c Quoi,
repris-je, ce n'est point un mouvement de colère qui lui fait
prononcer ces odieuses sentences? » — a Non, c'est seulement
une prétention qu'il se donne ; il veut de temps en temps
paroftre sévère et redoutable » (i).
Et pourtant il s'agissait d'un braconnier ; c'est-à-
dire, aux yeux d*un chusseur tel que Conty, d'un
homme bon à pendre pour le moins. Mais si le Prince
tâchait à effrayer ces malfaiteurs giboyant sur ses ter-
res, comme il savait aussi trouver le geste qui fait
aimer I Un malin, de la terrasse du château, il aperçoit
des bateaux chargés de blé qui descendent vers la
Seine. Il s'informe ; ce sont des grains qu on exporte
à l'étranger. Indignation du prince. A l'étranger ! au
profit de quelques accapareurs, quand en France on
manque de pain ! Il ordonne qu'on hèle les bateliers,
les oblige à débarquer leur blé et le fait distribuer à
ses vassaux qui commençaient à le payer cher (2).
Le souvenir du « père Prince » ne fut pas un pal-
ladium suffisant pour sauver L'Isle Adam des fureurs
et du vandalisme populaires. Un jour, au début de la
Révolution^ les six canons pris sur l'ennemi qui dor-
maient dans Tavant-cour, accroupis sur leurs affûts,
soudain furent éveillés. Manœuvres par une horde en
démence, ils pivotèrent, dit-on, sur eux-mêmes et
braquèrent leur gueule de bronze contre la façade du
château. Le pillage et l'incendie achevèrent l'œuvre
du boulet. De celte demeure, patiemment embellie
pendant tant d'années, quelques heures firent un
monceau de ruines.
(i) Mme DE Genlxs : Mémoires, tome I, p. 3oi.
(2) Mémoires secrets, tome XVIII, p. 3i5.
Yl
Conty parlementaire
Pair de France. ~ La « passion du Parlement ». — La crise de 1770.
— Procès du duc d'Aiguillon. — Exil du Parlement de Paris. —
Protestation des princes. -> Défection du comte de La Marche. —
Louis-François-Joseph de Bourbon. — Le prince de Conty demeure
seul inébranlable. — Son triomphe au rappel du Parlement. — Opi-
nions politiques et philosophiques du Prince. — Ses relations avec
J.-J. Rousseau. Beaumarchais, Diderot, l'abbé Prévost.
Ecarté des affaires de TEtat, le prince de Conty ne
s'était point désintéressé de la chose publique. 11
était membre né du Parlement (Chambre des pairs).
Toute son activité se tourna vers la politique inté-
rieure du royaume, dont le Parlement avait sinon la
direction, réservée aux ministres du Roi, secrétaires
d*Elat, du moins le contrôle partiel en vertu du droit
de remontrance.
Prompt à s'assimiler les sujets les plus ardus, con-
naissant mieux que le meilleur légiste la Constitution
française; doué d'une éloquence mâle et persuasive,
alors que pas un des autres princes du sang n*était
seulement capable de parler en public — le prince de
Conty avait rapidement conquis une influence prépon-
dérante et sa parole était écoutée entre toutes.
LB PRINCB m CONTT 165
Si de la société il passe aux affaires, dit le président
HéDault, il étonne par sa perspicacité ; il a tout deviné et il
n'y a point de magistrat ni de praticien qui n'en soit surpris.
Nous l'avons vu dans les assemblées du Parlement être l'ora-
cle des opinions; s'est-il agi de rédiger les avis, prendre la
plume et au milieu de cent cinquante personnes, aussi recueilli
que dans son cabinet, nous lire des résumés qui ont été adop-
tés unanimement : aussi est-il la passion du Parlement... (i j.
C'est qu*aussi le Prince maniait h merveille ces grâ-
ces courtoises^ ces attentions flatteuses qui désarmant
les adversaires les plus récalcitrants. Non qu'il s'abais-
sât à flagorner ses « collègues » pour emporter leurs
suffrages II n*aurait,au contraire, pour rien au monde
abdiqué le plus mince de ses privilèges princiers, la
traversée du parquet ou le salut du bonnet (2). Mais
il savait à l'occasion faire montre d'une politesse
exquise qui semblait n'être restée qu'à lui et faisait
dire qu'il était le dernier des princes, comme Brutus
fut le dernier des Romains. Le jour où furent admis
au Parlement les ducs d'Harcourt, de Rochechouart,
d'Antin, de Fitz-James et de Valentinois, quelques-
uns des pairs s'amusaient à dénombrer les membres
(i) Prâsxdbnt Hénault, Mémoires, p. 276.
(2) Les seuls princes du sang légitimes avaient le droit de
« traverser le parquet » et d*être précédés de plusieurs huissiers
lors de la tenue d'un lit de Justice Le parquet était la superficie
de la salle comprise dans Tenceinte occupée par les opinants au
Parlement à un lit de Justice ou autrement. Elle était toujours
vide et personne, pour aller à sa place, ne pouvait autrefois la
traverser diagonalement; il fallait en faire le tour. Le grand
Gondé ayant peine à marcher, à cause de sa goutte, dérogea une
fois à l'usage pour abréger. Les autres princes du sang l'imitè-
rent bientôt et le privilège passa en droit à leur usage. . .
Les princes du sang avaient droit au a salut du bonnet y». Le
premier président, quand on allait aux voix ou quand on délibé-
rait, adressant la parole aux princes du sang disait : « Monsiear^
votre aois..,? ■ et les saluait; tandis que pour les ducs et pairs,
il ajoutait le nom, disant : « Monsieur le duc un tel, votre
avis..,? it et que pour les parlementaires, il ne saluait pas du tout
( Vie privée de Louis XV, tome I, p. 1 10) .
présents à la réception : « — Nous sommes vingt-
deux », dit le prince de Conty après un coup d'œil
rapide. Et comme quelqu*un objectait qu'on ne pou-
vait compter ainsi, mais bien trois princes et dix-neuf
ducs : « — Nous sommes vin$^t-deux, insista aimable-
ment Conty, et Ton ne saurait compter autrement » (i).
Simple complaisance, dîra-t-on, et propos d'honnê-
teté. Non. Le Prince n'était pas moins dévoué qu'ai-
mable, et toujours prêt à s'entremettre auprès du Roi
lorsqu'il sentait menacées les prérogatives parlemen-
taires. C'est ainsi qu'en lySS, à la suite des procédu-
res concernant l'abus des billets de confession et le
refus des sacrements, quand l'exil fut prononcé par
Louis XV contre les Chambres des enquêtes et des
requêtes ; quand la Grand'Chambre, s'obstinant à
s'occuper des mêmes objets, fut à son tour transférée
à Pontoise, le prince de Conty s'était posé en nég'ocia-
teur. Tout en affirmant qu'il ne se mêlait point des
querelles du Parlement, que c'était le Roi qui diri-
geait tout, il avait tenu plusieurs conférences avec le
premier président pour moyenner un accommode-
ment (2). Et le Parlement avait triomphé, en somme,
puisqu'il avait été rappelé à Paris au bout de quatre
mois et que, s'il eut à enregistrer la déclaration royale
imposant silence sur les disputes de religion, cette
même déclaration portait défense aux curés molinis-
tes c< de faire aucuns actes tendant au schisme et
aucuns refus de sacrements sous prétexte du défaut de
représentation d'un billet de confession ».
Donc le prince de Conty était, selon le mot du pré-
sident Hénault, a la passion du Parlement», quand
éclata la grande crise de 1770, qui divisa le royaume
en deux camps au sujet du procès intenté au duc
d'Aiguillon. Nous avons quelque peine à comprendre
(i) Dvc DB LuYNBs, Afémoiret^ lome XIV, p. 88.
(2) Barbier, JoamaU tome III, p. 474* ~ I^uc db Lûmes, Mémoi*
re$f tome XIII, p. 436.
aujourd'hui cet accès de fièvre politique qui s'empara
de la France entière pour un déni de justice, lequel
n'était, au demeurant, ni pire ni plus $^rave que la
plupart de ceux journellement perpétrés sous l'an-
cien régime. C'est qu'il faudrait pouvoir nous replon-
ger dans l'émotion du temps. Nous jui^eons mal de
ces choses, parce que nous les juçeôtts de trop Toin et
trop impartialement; parce que nous ne voyons quie
les feits sans tenir as^z de compte du milieu ; et' sur-
tout parce que, limitant notre indignation pour essayer
d'être justes, nous restons froids. Mais, alors, l'effer-
vescence était générale.
Nous ne redirons point les longs débuts de cette
affaire, intimement liée à l'histoire du parlement de
Bretagne et de la guerre entre le procureur général
La Chalotais et le duc d'Aiguillon, (gouverneur de la
province. En 1770, le parlement de Bretagne, dissous
puis réintégré, sauf La Chalotais, réclamait le châti-
ment de l'ancien gouverneur. Louis XV était las de
cette histoire qui traînait depuis des années. Le chan-
celier Maupeou su€:géra au Roi un élégant moyen d'en
finir; savoir : laisser libre cours à l'instruction du
procès, mais, par des lettres patentes, en dessaisir le
parlement de Bretai^cne au profit de la Cour des pairs
présidée par Sa Majesté. Un tribunal de princes et de
ducs, laverait certainement M. d'Aiguillon des accu-
sations témérairement porlées contre lui... Le parle-
ment de Bretagne, pour déjouer cet escamotage et
pour éviter toute chicane de juridictiori. transmit de
son propre mouvement l'affaire au parlement de
Paris. Celui-ci arrêta qu'il n'avait pas besoin de let-
tres patentes pour connaître de l'action intentée à un
duc et pair, « étant la seule, unique et essentielle Cour
où ce procès allât de droit ». La Chambre des pairs,
en effet, ne constituait légalement qu'une fraction
du parlement de Paris ; mais au Parlement tout entier.
y compris les magistrats, appartenait seul le droit de
se dire cour souveraine et de statuer sans appel, quelle
que fût la qualité du comparant. Telle fut la thèse
t68 LB PRINCB DE CONTT
que soutint à la Chambre des pairs, le prince de
Conty, qui déclara ridicule la prétention émise par
certains ducs déjuger sans le concours de ceux qu'ils
appelaient dédaigneusement les « légistes»; attendu
que les pairs de 1770 n'étaient pas plus les grands
feudataires de la couronne d*autrefois que les magis-
trats du Parlement n'étaient les légistes du temps
jadis.
Sur ce point) le parlement de Paris obtint satisfac-
tion. Le procès d'Aiguillon fut évoqué à Versailles le
4 avril 1770, sous la présidence du Roi, et la présence
des magistrats confirma Tessence intégrante du Par-
lement avec la pairie pour former la t^our des pairs.
Louis XV cessa bientôt de présider les débats et Tar-
rèt condamnant le duc d'Aiguillon fut prononcé sans
lui, le 2 juillet. Mais le lendemain, à Tinstigation du
chancelier, le Roi contresignait un autre arrêt, pré-
paré par Maupeou, Terray et Saint-Florentin, qui
cassait celui du Parlement et enjoignait au duc d'Ai-
guillon de continuer ses fonctions de pair de
France (i).
Sans tenir compte de Tarrêt de cassation, le parle-
ment de Paris avait transmis Tarrét de condamnation
aux parlements et cours souveraines de province.
Les plus importants, ceux de Bordeaux, Toulouse,
Metz, etc., adoptèrent l'arrêt du a juillet. Furieux de
cette résistance, le chancelier Maupeou profita des
vacances parlementaires pour élaborer à loisir et pour
faire signer au Roi un édit portant le titre : Edit de
règlement, par lequel défense était faite au parlement
de Paris de se servir de certains termes allusifs à l'unité
(i) Vie privée de Louis XV, tome IV, pp. 173-175 et 197. —
Maupeou et ses deux collègues n^eurent pas la patience d atten-
dre le texte officiel de la condamnatioD du duc d'Aiguillon. Ils
rédigèrent séance tenante Tarrèt de cassation qui fut envoyé au
Roi, par courrier Louis XV mit en marge : Bon et renvoya par
le même courrier la pièce qui fut publiée le lendemain (Voyez
G. Flammermont, Le chancelier de Afaupeoa et les parlements^
passim).
LE PRINCE DE CONTT 169
et à rindivîsibilité parlementaire, termes dont il avait
usé dans son communiqué à la province; défense
d'envoyer aux autres parlements toutes pièces et titres
que ce fût ; défense de donner des démissions concer-
tées... en un mot, défense de manifester toute velléité
d'indépendance. Cet édit, transmis au Parlement le
27 novembre 1770 pour être enregistré, provoqua
chezles parlementaires un si vif émoi que, ne voulant
point prononcer ab iratOj ils en remirent la discus-
sion à huitaine. Le lundi 3 décembre, toute colère
n'était pas éteinte puisqu'un membre proposait la
mise en accusation du chancelier. Cependant Tavis
plus modéré prévalut, de faire au Roi des représenta-
tions. Au premier président d'AIigre qui lui portait
ces remontrances, Louis XV répondit : « — Je vous
ordonne d'enregistrer mon édit dès demain ». Le Par-
lement peu pressé d'obéir, fit le lendemain de nou-
velles représentations : « — Je vous ferai savoir mes
intentions », dit sèchement le monarque. Le 5^ Tédit
fut retiré. Mais le 7, dans un lit de Justice tenu à Ver-
sailles, le chancelier Maupeou, en fin de séance,
déclara que « le Roi ordonnait l'enregistrement de
l'édit ». Rentrés à Paris, les magistrats, ne pouvant
se mettre d'accord, s'ajournèrent au 10 décembre. Ce
jour, ils arrêtèrent que M. le Premier irait supplier le
Roi « de rétablir l'honneur et la constitution d'Etat
que l'édit avait attaqués ». En même temps, le Parle-
ment se déclarait en permanence jusqu'après la
réponse du Roi. C'était suspendre toute la vie judi-
ciaire au palais et dans le ressort du parlement de
Paris. Louis XV répartit à M. le Premier que la loi
qu'il voulait était nécessaire et que la conduite du
Parlement le prouvait. Le Parlement persista dans son
refus d'enregistrer.
Les fêtes et réceptions de la nouvelle année (1771)
suspendirent quelque temps les hostilités et donnè-
rent à Maupeou le temps de préparer Tespèce de coup
d'Etat qu'il méditait. Dans la nuit du 19 au ao jan-
vier, chacun des membres du Parlement fut réveillé
tt9 LE PRINCB DB CONTir
par deux mousquetaires qui lui présentèrent une let-
tre de cachet portant ces simples mots du Roi : « Vou-
lez-vous, oui ou non, vous soumettre à mes ordres ».
Soixante-dix magistrats répondirent : non; vinçt-cinq
ne firent aucune réponse ; dix refusèrent de se pro-
noncer; cinquante promirent obéissance. Dans la nuit
du 20 au 21, un huissier vint signifier leur exil et la
confiscation de leur office à tous les récalcitrants.
Mais cette rigueur alla contre son but. Des cinquante
qui avaient promis d'obéir, il ne resta plus que trente-
huit; encore ces derniers persistèrent-ils à maintenir
les arrêtés pris par la compagnie. Un ordre d*exil fut,
le lendemain, la riposte du Roi. Des lettres patentes
du 23 janvier commirent provisoirement à l'adminis-
tration de la justice un certain nombre de conseillers
d'Etat et de maîtres des requêtes du Conseil. Un édit
du 23 février 1771 réorganisa un Parlement composé
en majeure partie des créatures du chancelier.
Seize ducs et pairs avaient pris parti pour le Parle-
ment exilé, mais les princes jusqu'ici avaient paru
rester neutres dans le conflit. Cependant, depuis la
dispersion du Parlement, ils s'étaient réunis plusieurs
fois chez le duc d'Orléans pour aviser une'réconcilia-
tion ; ils avaient même rédigé un mémoire que le
prince de Conty proposa de transformer en lettre col-
lective au Roi ; l*opposition du prince de Condé fit
échouer cette proposition. Ce mémoire, comme la
protestation dont il sera parlé plus loin, était l'œuvre
de Conty aidé d'un légiste éminent, Louis-Adrien
Lepaige, avocat et bailli du Temple. Le Prince tenait
Lepaige au courant de tous les projets du chancelier
et lui suggérait les arguments propres à expliquer
l'absence des princes au lit de Justice que l'on pré-
voyait pour l'installation du parlement postiche de
Maupeou. <c M. Bossuel, les Pères Bourdaloue et Mas-
sillon sont à piller, surtout les deux premiers », man-
dait un jour Conty à son collaborateur.
Convoqués pour le lit de Justice du i3 avril, les
princes déposèrent la veille au greffe du Parlement et
LB FRINGB DB CONTT VM
larent en présence de Messieurs du conseil siégeant
au palais, une protestation contre ]*édit de décembre
1770, contre les lettres patentes du 23 janvier 1771,
contre Tédit de réorganisation du 23 février, contre
« tout ce qui s'en était ensuivi ou pourrait s'en sui-
vre ». Dans ce factum, il était dit notamment :
... Que le droit des Français, un des plus utiles au monar-
que et un des plus précieux à ses sujets, est d'avoir des corps
de citojeos perpétuels et inamovibles, avoués dans tous les
temps par les rois et par la nation, qui, sous quelque forme
et dénomination qu'ils aient existé, concentraient en eux le
droit g'énéral de chacun des sujets d'invoquer les lois, de
réclamer leurs droits et de recourir au Prince ; dont les plus
importantes fonctions ont toujours été d*être chargées de veil-
ler au maintien des lois établies, de peser dans les lois nou-
velles l'utilité ou le danger des contradictions qui pourraient
s'y trouver avec les lois anciennes, de les vérifier et de repré-
senter au souverain tout ce qui pourrait être un préjudice des
droits de ses sujets ou des lois primordiales et constitutives
de son royaume.
La protestation des princes se terminait par cette
phrase vigoureuse où Ton reconnaît Conty :
Nous, comme gentilshommes, protestons pour la conserva-
tion des droits de la noblesse ; comme pairs de France nés,
pour celle des droits des pairs et des pairies, et comme prin-
ces du sang pour les droits essentiels de toute la nation, les
nôtres, ceux de notre postérité et pour le maintien des lois
qui les assurent.
Simultanément, les princes annonçaient par lettre
au Roi leur intention de ne point assister au lit de
Justice du lendemain. Louis XV se fit apporter la
minute de la protestation signifiée au greffe du Par-
lement et la jeta au feu. A la lettre des princes^ il
répliqua par Tinterdiction de s'approcher de moins de
quatre lieues de la Cour, de paraître devant sa per-
sonne et de voir aucun membre de la famille royale.
172 LB PRINCE DB CONTY
Le Ht de Justice, où le Roi prononça par édit la
cassation de l'ancien Parlement, celle de la Cour des
aides et la transfusion du grand conseil en Parlement
nouveau, se fit donc sans les princes. Il n'assista à
cette solennité que les enfants de France et le fils du
prince deConly, le comte de La Marche : « — Soyez le
bien venu, mon cousin, lui dit le Roi ; nous n'aurons
pas nos parents » (i). La Marche le savait de reste ;
les autres princes du sang avaient tenté vainement les
derniers efforts pour le ramener dans leur parti ; à
minuit, ils avaient encore envoyé chez lui pour le pres-
ser d'adhérer à leur protestation. Mais La Marche pré-
férait son intérêt à celui du Parlement.
C'est ici le lieu de tracer le rapide portrait de ce
prince, si différent de son père. Le comte de La Mar-
che que nous avons laissé au berceau, vagissant, ché-
tif, aux bras de sa nourrice, était resté, en grandis-
sant, ce qu'il était à sa naissance : de complexion
débile et de physique langoureux. Il n'avait du prince
de Conty, ni le port majestueux, ni la physionomie
ouverte et franche. Elevé par des femmes, instruit
dans ses jeunes années (avant que de passer sous le
gouvernement de M. de la Clavière) par un prêtre
mondain, Louis-François-Joseph de Bourbon, comte
de La Marche, usagé au mieux, l'air timide et doux,
dissimulait sous des manières engageantes un carac-
tère cauteleux, une nullité à peu près absolue (2).
(i) Vie privée de Loais XV ^ tome IV, p. 220.
(a) On lit, à propos des éducateurs du comte de La Marche,
dans la Vie privée et politique de L.'F.-J. de Conty, <pp. ag-So) :
« On seul bien que diaprés ses principes, ce prince [Conly] ne
confia point Féducation de son fiU unique à des religieux. Il
fallut trouver un évéque aimable et mondain, sans austérité; il
ne fut pas difticile de le trouver. Le prince jeta le» yeux sur
révêque de B***. homme enjoué, homme de plaisirs et à bons
mots. 11 fut nommé gouverneur du comte de La Marche. Son
précepteur avoil été choisi par Tévêque, c'est à- dire qu'il fut un
homme d*esprit, encore plein d*effervescence et de goût pour les
dissipations voluptueuses.
« Le comte de La Marche s'y attacha beaucoup. Il apprit, sous
LE^PRINGB DE^CONTY 173
Malgré cette apparente timidité, sa jeunesse fut tur-
bulente. Le comte de La Marche courut, déguisé, les
cabarets de la Courtille, fit boucan dans les mauvais
lieux en société d'autres seigneurs de son âge, rossa
les inspecteurs de police et soupa en petites maisons
avec des « filles à partie » (i)>
Pendant la guerre de Sept ans, il servit en Allema-
gne sous les ordres du comte de Clermont et du maré-
chal d'Estrées. Il fut à Hastenbeck, il fut à Crevelt. Il
n'y révéla point d'éclatantes qualités guerrières et son
père le rappela pour le marier. Au mois de février
1759, Louis-François-Joseph épousa, par procuration
à Milan et en personne à Nangis-en-Brie, Marie-For-
tunée d Este, fille de François-Marie, duc de Modène,
et de Charlotte-Aglaé d'Orléans (2). Le contrat avait
cet ÎDStîtuteur habile mais facétieux, plus de maximes de galan-
terie que de latin et d'histoire. II reçut des leçons de politesse
qu'il n'a point oubliées, car on peut dire que mon héros est le
prince le plus galant, le plus affable de la Cour.. .
« Le cours de ses études ne fut point de longue durée. Il ne
fut point contrarié; ses maîtres ne cherchoient qu'à lui plaire, à
se concilier son estime et son attachement... Avant i5 ans le
comte de La Marche fut le mattre absolu de ses volontés. Toutes
ses inclinations se tournèrent du côté des plaisirs. Les femmes
et la chasse occupoient tout son temps... »
Nous ignorons quel est cet évéque « aimable » dont parle le
libelliste, à moins que l'initiale B*" ne désigue Mgr. de Bissy,
qui fut en effet l'ami du prince de Conty, auquel cas le prêtre
mondain, premier éducateur du comte de La Marche, serait
Tabbé Prévost, aumônier du Prince. Nous ne connaissons avec
certitude que le dernier gouverneur du comte de La Marche, celui
qui compléta son instruction et tenta de lui inculquer le goût
du militaire. C'était M. Claude de Chamborant, comte de La Cla-
viére, seigneur d'Aiguzon, lieutenant général des armées et gou-
verneur de Pont d'Arles et de Montmédy.
(i) Vie privée et politiçaCf etc, pp. 85-87. — Voyez aussi les
rapports de Tinppecteur des mœurs Meusnier (Bibuothàque db
l'Arsenal: Archives de la Bastille, i0235, fif. 192. 482, 485, 487,
489; — 10236, ff. 56, 57, 36o, 478; - 10237, f. i5; — i0238, £F.
8, 589, 601 ; — 10239, fif. 6 bis, 38 ; — 10243, fiF. 97, io4).
(2) Voyez Gazette de France, 1769, p. 107.
174 LE PRINCE DB GONTY
été signé le 3 janvier. Le duc de Modène donnait en
dot à sa fille un million de livres de France (700.000
le lendemain du mariage et 3oo.ooo payables en trois
ans). Le comte de La Marche apportait à la commu-
nauté la terre et marquisat de Gravelle, too.ooo livres
de principal restant di>par son père sur déplus gran-
des sommes payées pendant^a minorité, les diamants
de feu sa mère, estimés à 72.800 livres, plus les suc-*
cessions non encore partagées du duc et de la
duchesse d'Orléans, ses aïeux maternels, et de M"« de
Beaujolais, sa tante (i). Il ne fût pas plutdl marié
qu'il délaissa sa femme. On assure qu'il s'enfuit le
soir même de ses noces et fut coucher seul à L Isle-
Adam. La raison de cette sauvagerie? On Tavait,
paraît-il, trompé sur la personne de sa fiancée en lui
présentant avant les accordailles, au lieu du portrait
de la princesse cadette de Modène, celui de sa sœur
atnée, infiniment moins laide (2). L'auteur de la Vie
privée et />o//7£9u/; de Louis-François-Joseph, prétend
(i) AncBivES Nationales : Papien des Princes y R'qS (Contrat de
mariage).
(2) Le visage de Marie-Fortunée d'Esté était surtout déparé par
un nez phénoménal, unique en son genre à la Cour de France.
A propos de ce nez, M^^ de Genlis rapporte Tanecdote suivante,
postérieure à la mort du prince de Conty :
« Nous avons au Palais Royal un petit nègre qui fait nos déli-
ces, on rappelle Scipion et il a sept ans ; c'est le petit nègre des
quatre parties du monde le plus caressé et le plus gâté. Il est de
toutes les fêtes ; il assiste à toutes les réunions : il régne dans le
salon du Palais Royal au milieu du plus beau cercle; il marche
à quatre pattes et fait la culbute sur le tapis; il casse tous les
éventails quMl peut attraper; il se glisse sous les chaises des
dames^ les déchausse très adroitement et s'enfuit, emportant
leurs souliers. Il débite d'une manière très bruyante tout ce qui
lui passe par la tête. L'autre jour il s'approcha de Mme la prin-
cesse de Cooty et lui dit très gravement : « Madame, pourquoi
donc avez-vous un si grand nez » ? Cette question faite à la prin-
cesse du monde la plus sérieuse et la plus imposante, qui a le
plus grand nez, et'devant quarante personnes, causa un étrange
embarras.
a On voulut renvoyer Scipion, et il s'obstina à vouloir
s'instruire et répéta sa question en disant toujours : « Je veux
LS PRINCE DE GONTY ^5
même que la princesse dut agir de ruse pour attirer
son mari au lit conjugal :
La Marche avoit donné parole à une femme galante de se
rendre chez elle dans la nuit. G'étoit à Tépouse d'un de ses
gentilshommes. On étoit convenu du fait, de Theure. Tout
étoit bien arrangé. La dame qui n'aimoit point La Marche
usa d'un stratagème qui lui fut très avantageux et qui fit rire
toute la Cour. Elle avoit reçu cinq cents louis pour arrhes.
Elie en reçut autant de la Princesse qu'elle avertit de la pro-
position, de la convention même entre elle et le Prince. La
Princesse, charmée d'une si belle occasion d'avoir les faveurs
de son mari, ne manqua pas de la saisir. Elle alla se coucher
dans le lit de la femme du gentilhomme, et y attendit com-
plaisamment son mari qui ne manqua pas de venir sans
lumières se mettre à côté de sa femme sans se douter de la
ruse. La Princesse eut l'attention de ne point parler, de faire
la dormeuse. Son mari, ainsi trompé, sacrifia aux plaisirs
de l'amour et de l'hyménée. Ce ne fut que le lendemain matin
qu'il s'aperçut du tour. Loin d'en rire et de revenir sur ses
pas, c'est-à-dire de vivre en une union légitime avec sa
femme, il entra en fureur et partit désespéré d'avoir été fine-
ment surpris, il ne pardonna jamais ce tour à sa femme ni à
l'épouse de son gentilhomme, qui en essuya les désagré-
ments. C'est la seule fois que la Princesse se trouva dans le
lit nuptial. 11 est vrai qu'elle s'est bien dédommagée de cette
privation avec vingt seigneurs de la Cour et de sa suite... (i).
Le libellisle oublie évidemment ici qu*il a écrit,
quelques pages plus haut, parlant de la dérobade de
La Marche, la nuit de ses noces : « ...Il revint de lui-
même. Elle [sa femme] le reçut dans ses bras, non
par amour, mais par vanité. Mais cette complaisance
ne fut point de longue durée. Ce qui força le Prince
à prendre son parti »), De quelque côté que soit venue
la rupture, elle fut bientôt accomplie. Et le parti que
savoir cela ». On fut oblig-é de l'emporter en s'écriant : a C'est
que je n'ai jamais vu un nez si lon^j^ » (Mme dk Genlis : Mémoires^
tome IV, p. 227).
(i) Vie privée et politique de L.-F,-L. de Conty, pp. 80 «Si.
176 LB PRINGB DB GONTY
prit le comte de La Marche fut de se consacrer tout
entier à sa maîtresse en titre, la Coraline, actrice de
la Comédie-Italienne, à laquelle il fit plusieurs
enfants...
Le prince de Conty qui avait voulu ce mariag-e,
s'irritait de Fabandon où La Marche laissait la prin-
cesse, abandon qui nécessairement amènerait l'extinc-
tion de la branche des Conty. Il gardait aussi rancune
à son fils de ses complaisances envers M"'® de Pompa-
dour, Tennemie. De ce moment, tout en multipliant
ses aménités envers sa bru, Conty dévoila son intention
de déshériter La Marche au profit du duc de Char-
tres (i). Mais la menace n'eut pas tout Teffet espéré.
La Marche n'avait jamais beaucoup escompté la suc-
cession de son père dont il savait Texcessive prodiga-
lité. Il se détacha de plus en plus du logis paternel
et se rapprocha de Trianon, source des grâces fruc-
tueuses.
jy^me de Pompadour étant morte (1764), il continua
de faire sa cour à M™® Dubarry que cette vieille plai-
deuse de comtesse de Béarn avait eu le courage de
présenter, mais qui avait quelque peine à se créer une
compagnie. La formule mise au bas des invitations
de la favorite : « Sa Majesté m'honorera de sa pré-
sence », fournit le prétexte d'accepter : on allait en
quelque sorte chez le Roi. La Marche donna le branle
et fut un des adulateurs de la première heure. Son
exemple entraîna Condé qui, pour avoir le Roi à
Chantilly, y reçut également la Dubarry. Bientôt les
femmes s'apprivoisèrent ; M™« de THôpital, M°*® de
Valentinois, M"® de Mirepoix s^enhardirent les pre-
mières. Et toutes les dames de la Cour se firent insen-
siblement à former le cénacle autour de la ci-devant
(i) La comtesse de La Marche faisail avec son beau -père les
honneurs de L'Isle-Adam. Nous trouvons sa sig^nature sur le
registre baptistaire du village, à la date du 6 octobre 1765. Elle
est marraine de Fortunée-Olympe de Boisfranc, fille du comman-
dant des équipages de Conty. Le prince signe comme parrain
(Mairie de L'Isle-Adam : Registre de l'Etat civil).
LE PRINCE OB CONTY 177
demoiselle Vaubernier. Celle-ci ne fut point ingrate ;
elle n'oublia pas le secours que lui avait prêté si
opportunément le comte de La Marche, de qui, grâce
à la favorite, l'influence eu Cour ne tarda pas à pri-
mer celle des ministres les plus aimés du Roi. M. de
Choiseul en lit la triste expérience. Le comte de
La Marche lui demanda un jour pour M. de Sailly,
son premier gentilhomme, la croix de chevalier de
Saint-Louis, quoique les services de ce militaire eus-
sent été interrompus. Comme M. de Choiseul refusait,
La Marche, blessé du procédé, consulta son père sur
la conduite à tenir : « — Mon fils, répondit le Prince^
il faut savoir si M. de Choiseul est dans les règles, en
ce cas vous n'avez rien à dire. Sinon, il est bon gen-
tilhomme et vous pouvez lui faire l'honneur de vous
battre avec lui » (i). La Marche ne suivit qu'à demi
le conseil paternel ; il se rendit à Versailles, rencon-
tra le ministre de la guerre et lui proposa des coups'
de canne. Le duc de Choiseul se plaignit à Louis XV
qui, loin de blâmer son jeune parent, ordonna au duc
de faire des excuses au Prince et de lui porter la croix
de M. de Sailly. La Marche remercia le ministre en
ces termes : « — Apprenez, Monsieur, que les prières
d'un homme comme moi sont des ordres pour un
homme comme vous » (2).
Dans la protestation collective des princes, La Mar-
che ne vit que Poccurence pour lui-même d'affirmer
par un coup d'éclat sa fidélité au Roi et de faire con-
verger sur sa propre personne les grâces qui s'épar-
pillaient auparavant sur ses cousins du sang royal. Le
tils de Conty était pauvre, et, malgré son économie,
que son père taxait d'avarice, il n'arrivait que péni-
blement à faire figure de Prince. La lettre suivante
de l'abbé Terray, publiée « dans les gazettes étrangè-
(i) Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, tome IV, p. 176.
(a) Vie privée et politique de L.'F.'J, de Conty, p. 5i.
12
f7i LB PRINCB DE CONTT
res », montre que le calcul était bon et que le loya-
lisme intéressé de La Marche lui fut grassement payé :
Monseigneur,
Votre protection et vos bontés m'honorent. Je n'ai rien
tant à cœur que de les mériter. J'attends vos ordres pour
vous faire porter les quatre millions que vous demandez, et
je vous supplie de croire que je suis de Votre Altesse Séré-
nissime, Monseigneur, le très humble et très obéissant servi-
teur.
Abbé Terrât,
Contrôleur^général des Fînancet (i).
La défection du comte de La Marche indigna pro-
fondément le prince de Conty : « — Je le savais bien,
dit-il, mauvais fils, mauvais mari, mauvais ami; mais
je ne le savais pas mauvais français » (2).. Il lui ferma
sa porte désormais.
Cependant la coalition des princes n'était pas aussi
solide au fond qu'elle paraissait à première vue. En
vérité, deux hommes seulement menaient de tout
cœur la charge contre le chancelier: Conty qui entraî-
nait son beau-frère le duc d'Orléans et, avec lui, le
jeune duc de Chartres ; Clermont qui tirait son neveu
le prince de Condé et, avec lui, le jeune duc de Bour-
bon. Mais leur belle entente du début, qui refusait
rinvitation d'assister aux noces du comte de Provence
(mai 1771), ne résisterait pas au temps, ce grand
débilitant des énergies (3). Pas plus que les magistrats
parlementaires qui, peu à peu, acquiescèrent indivi-
duellement aux édits en faisant liquider leur pension,
(i) Vie privée et poliiiqae de L.-F'J de Conty ^ p. 67.
(2) Fastes de Loais XV. tome II. p. 621 .
(3) « Les princes du saD|B^ ayant remercié quand le Roi les a
fait inviter au mariajçe du comte de Provence, il leur a été enjoint
le lendemain par lettres de cachet d'assister à la cérémonie, ce
qu'ils n'ont pas fait. Les princesses seulement 8*y sont rendues,
avec des habits de noces et la galté qu'on porte à un enterre-
ment » ([Théveneau de Morande], Le Garetier cuirassé, p. 28).
LB PRIirCB 9S C0NTY 179
dans la crainte de perdre tout à fait la finance de leur
office et de voir durer leur exil, les princes, pris un à
un, n'étaient capables de bouder indéfiniment aux
avances habiles de Maupeou. Ils tinrent bon pourtant
jusqu'à l'automne de 1772. Mais le comte deCiermont
s'étant laissé mourir, Condé, prince frivole, qui n'ai-
mait que jouer à la paume et caresser sa maîtresse,
Catherine de Brignolles, princesse douairière de
Monaco, Condé donna le signal du raccommodement.
La Marche et Soubise lui avaient insinué que le
comte d'Artois avait du goût pour Mademoiselle.
Cette perspective d'unir sa fille au troisième enfant
de France et le cordon bleu promis au petit duc de
Bourbon, décidèrent Condé (i). Il écrivit au Roi sa
lettre de soumission et « le père elle fils allèrent cher-
cher le Saint-Esprit» à Versailles, le 7 décembre 1772.
Le duc d'Orléans fut alarmé de voir rentrer les Condé.
Bon homme, affable et populaire, mais faible de
caractère; épris jusqu'à la passion de M"*^ veuve de
Montesson qui ne songeait qu'à se faire épouser, il se
laissa persuader aisément par le duc d'Aiguillon et
par la Dubarry, que l'agrément du Roi à son mariage
public serait la récompense de son retour: « — Gros
père, avait dit la favorite, épousez toujours ; nous
verrons à vous contenter mieux ensuite >». Le duc
d'Orléans revint le 28 décembre. Il eut quelque mal
à ramener le duc de Chartres. Celui-ci vif, pétulant,
beaucoup plus attentionné à l'escamotage qu'à la
politique (il prenait des leçons du fameux Comus),
craignait de se brouiller avec Conty. Avant de céder,
il essaya de déterminer son oncle à suivre le courant.
Mais Conty « fit la plus forte résistance » et ne voulut
jamais céder aux conseils et aux prières de ses cou-
(i) Maupeou, La Marche et Soubise bernaient Condé. Jamais
le Roi n'avait eu de vues matrimoniales sur Mademoiselle
(Louise- Adélaïde de Bourbon -Condé) pour le comte d'Artois, qui,
l'année suivante, épousait Marie-Théièse de Savoie, fille de Vic-
tor Amédée III de Sardaigne et sœur de la comtesse de Provence.
fSO LB PRINGB DB GONTY
sins. « Vainement lui firent-ils observer combien sa
position serait dang^ereuse, après que lous les princes
du sang auraient fait leur paix avec le Roi ; il leur
répondit qu*ii attendrait paisiblement Tévénement
et qu'il saurait le supporter tel qu'il pourrait arri-
ver » (i). Et le prince de Conty demeura intraitable.
a — Mon cousin Tavocat n'a pas encore assez chi-
cané M, dit Louis XY ironiquement, quand il sut que
Conty ne céderait pas. Mais il s'abstint néanmoins de
toute tentative auprès du Prince qui aurait pu mal
recevoir les négociateurs (2).
Seul contre la Cour — seul avec l'opinion de l'im-
mense majorité des Français — vengé seulement par
le mépris universel qui s*attachait au Parlement Mau-
peoUy Conty, comme il avait promis, attendit les évé-
nements et, jusqu'à la mort du Roi ne fit pas un geste
pour se rapprocher de Versailles.
Quand Louis XV eut rendu l'âme, on s'attendait à
voir le Prince rappelé à la Cour, et lui-même y comp-
tait fermement. Il n'en fut rien. Le mercredi 11 mai
1774, la vieille princesse de Conty se rendit à Choisy
et demanda au Roi le retour de son fils. Louis XVI
répondit « que le prince de Conty avait été dans le cas
de rentrer en grâce auprès du feu Roi et qu'il en avait
négligé l'occasion ; que lui-même croirait manquer au
respect dû à la mémoire de son grand-père, s'il rece-
vait la visite du prince » (3) La princesse de Conty
répliqua qu'il était d'un bon roi d'examiner les motifs
(i) Note de Lepaige dans un manuscrit de Dureyde Mayoière
(BiBL. Nationalb : Manuscrits français, ySy^j.
(2) Selon Théveneau de Morande, le chancelier de Maupeou
ayant demandé une audience à Conty, celui-ci lui £t dire a qu'il
ne voulait le voir qu*à la Grève ».
Toujours d'après ce libelliste, Conty rencontrant un soir, au
Colysée, le maréchal de Richelieu, lui demanda jusqu'à quand il
serait le valet de Maupeou. Le maréchal ayant répondu par une
autre question : « Jusqu'à quand serez-vous désobéissant au
Roi? », le prince courut sur lui la canne levée et le poursuivit
jusqu'à son carrosse (Le Gazetier cuirassé^ p. 80 et p. 121).
(3) Correspondance secrète [dite de Métra], tome I, p. 34.
LB PRINCB DB CONTT 181
qui avaient décidé son fils au parti qu'il avait pris.
Louis XVI dit simplement qu'il ne manquerait pas de
faire cet examen (i).
Battu de ce côté, Conty se tourna vers la Reine. II
écrivit à Marie-Antoinette une lettre remplie d'hom-
mages; il l'appelait: « ...une princesse chérie, que
tout le monde admire et dont tout le monde espère. »
Dictée par Mercy-Argenteau, agent de Marie-Thérèse
et mentor de la Reine, la réponse de Marie- Antoinette
fut douce et honnête, mais pleine de réserve : « Quoi-
que je ne me mêle d'aucune affaire, je ne puis que
partager les désirs et les intentions du Roi » (2).
Cependant l'ancien Parlement avait été rappelé et la
gloire du Prince qui n*avait jamais voulu plier sous le
joug avait paru ce jour-là dans tout son éclat. Le
nouvel an avait été un triomphe non moins éclatant ;
la quantité de visites reçues par Conty, le i®*" janvier
1775, de tous les ordres de TEtat, avait été presque
incroyable (3). Mercy-Argenteau qui n*avait point
d'abord soupçonné tant de popularité, s'aperçut que
Conty était une puissance avec laquelle il fallait comp-
ter et songea, un peu tard, à ménager cet homme
imprudemment rabroué. Ses rapports à Marie-Thérèse
exposent des calculs utilitaires, d'un machiavélisme
naïf:
28 septembre 1774» — • •• Comme ce prince du sang, avec
certains inconvénients, ne laisse pas d'avoir un grand parti
dans le public de ce pays-ci, et qu'il est d'ailleurs fort entre*
prenant, plein de nerf et de suite dans sa conduite, il est bon
qu'un pareil personnage soit attaché à la Reine ; et j'ai fait
observer à Sa Majesté que, sans se mettre en frais, il lui serait
facile^ par des moyens très simples, de se conserver la bonne
volonté de ces personnes susdites et de leurs attenances (4).
(i) Mo»« DU Dkffand, Correspondance, tome II. p. 4o6.
(2) Correspondance secrète de Marie- Thérèse^ tome II, p. 160.
(3) Correspondance secrète [dite de Métra], tome I, p. iSg.
(4) Correspondance secrète de Marie- Thérèse, tome II, p. 241.
182 Li FsiNCB SB Goimr
1 5 janvier 1776. — ... J'ai eu à parler, à ce sujet, da
prÎQce de Conty, de sa prépondéraoce dans le Parlement, des
vues qu'il peut avoir en maaifestaat, comme il le fait, son
désir de s'attacher à la Reioe et de se concilier sa bienveil-
lance et sa protection. J'ai fait voir ce que cette circonstance
pouvait représenter d'avantag'eux pour le meilleur service de
la Reine, et j'ai montré en même temps les inconvénients à
éviter. Le prince de Conty est le seul parmi les princes du sang
qui, par ses qualités personnelles, puisse jouer un rôle dans
ce pays-ci ; il a de l'esprit, des connaissances, beaucoup de
fermeté et de courag'e, mais son humeur trop entreprenante
exigée qu'il soit contenu dans certaines bornes (i).
Le comte de Mercy-Argenleau ignorait encore que
Conty, si tenace en certains de ses desseins, n'était
pas dans la coutume doffrir deux fois ses services
quand une fois ils avaient été dédaignés. Exclu de la
Cour par la pitié filiale de Louis XVI, il se confina
dans Topposition et la jolie réponse qu*il fit un soir à
(i) Correspondance ienrêie de Marie- Thérêie, tome II. p. 283. —
Il est assez piquant de rapprocher cette opinioo de Mercy-Argen-
teau sur CoDty, du jugement porté sur le même par l'anglais
Horace Walpole. Aussi fermé à la politesse et à l'esprit de Paris
que le chevalier de Lorenzi était fermé à la plaisanterie, Walpole
n*a pas entendu goutte à la conversation de Conty. Aussi le
déclare-t-il d'esprit médiocre, confus dans ses idées, diffus et
incompréhensible :
« Un seul membre de la famille royale affecta de la protéger
[la cause du Parlement] ; mais il était trop, méprisé à la Cour,
trop peu important et d'un esprit trop médiocre pour nuire à
tout autre qu'à lui-même : c'était le prince de Conty. Beau et
d'une tournure vraiment royale ; gracieux à ses heures, mais
d*une hauteur et d'une arrogance extrêmes ; dissolu et prodigue;
il avait formé autour de lui une sorte de cour composée de ceux
qui n'avaient rien à espérer de celle du Hoi ; mais il lui man*
quait le pouvoir de leur donner ou d'en recevoir aucun appui.
Confus dans ses idées, mais 1res nettement convaincu de la supé-
riorité de son intelligence, il se montrait à la fois diffus et
incompréhensible. Tyrannisant à son aise son petit cercle, il se
posait en patron de la liberté et pourtant personne n'a poussé
plus loin que lui l'abus de ses privilèges La Cour ne prit point
ombrage d'un pareil ennemi {Lettres d*Horace Walpole à .set
amis, p. 187).
VI FBINCB DE GONTT IIS
Marie-Antoinette aurait fait réfléchir toute autre que
la belle Autrichienne évaporée. La Reine, croisant à
rOpéra le Prince dans un couloir, s'écriait : « — Eh!
vous voilà, monsieur ! Que faites-vous ici ? » — « Mada-
me, dit en souriant Gonty, je suis un Parisien qui vient
voir la Reine » (i). Et jamais plus il ne chercha à être
autre chose que ce Parisien dont on n'avait pas voulu
à Versailles.
La conduite du prince de Conty durant la crise par*
lementaire, son irréductible intransigeance; d'autre
part, la protection dont il honora certains philosophes,
nous autorisent-elles à le classer parmi ces précur-
seurs plus ou moins conscients de la Révolution qui,
lentement mais sûrement, préparèrent pendant la
seconde moitié du dix-huitième siècle, la ruine de la
monarchie? En deux mots, quelles furent les opinions
politiques et philosophiques du prince de Conty ?
On commettrait, croyons-nous, une étrange erreur
en se figurant Conty démocrate, parce qu'il se range
du côté du Parlement contre le Roi. Conty, par son
éducation, par le milieu où il vit, est imbu, plus que
tout autre de ses contemporains, de Tesprit aristocra-
tique et monarchique. Mais il est « constitutionnel »
avant tout. Il estime que la Constitution française,
c'est-à-dire l'ensemble des lois fondamentales du
royaume, qui groupent autour du trône, avec des
droits précis et dans une hiérarchie consacrée par le
temps, les princes et les grandes familles de France
— il estime que cette Constitution, inaltérable à ses
yeux, est le point d'appui le plus solide et le plus sûr,
la sauve-garde même de la Société monarchique. Le
Parlement lui apparatt comme le gardien de ces lois,
comme le pouvoir modérateur propre à guider par ses
avis, à retenir par ses remontrances, le pouvoir exé-
cutif si, d'aventure, le Roi mal informé s'écartait des
(i) DuTENS, Mémoirei d'an Voyagear qai se repose^ tome H,
p. 24.
484 LE PRINCl Dl CONTT
régules constitutionnelles. Louis XV lorsqu'il réduit le
Parlement au rôle de simple chambre d'enregistre-
ment, n'outrepasserait pas à la rig^ueur son droit de
monarque absolu, s'il n*érig^eait pas en système une
mesure exceptionnelle et si les édits à enreg'istrer,
conformes aux Jois, étaient Texpression réfléchie de
la volonté royale. Mais, en fait, Louis XV, roi pares-
seux, est à la merci de ses mattresses et de ses minis-
tres. Et Gonty trouve intolérable que les lois, qui sont
la force de l'Etat parce qu'elles sont la tradition
monarchique codifiée, soit méconnues et remplacées
par l'arbitraire, par le caprice omnipotent d'une
favorite ou d'un surintendant de hasard. En défen-
dant les privilèges du Parlement, Gonty, bien loin de
faire œuvre révolutionnaire, défend la monarchie con-
tre le Roi.
Si le moindre doute subsistait là-dessus, la réponse
que le Prince fit adresser par son amie, M"« de Bouf-
flers, à une lettre du roi Gustave III de Suède, serait
topique. Le monarque Scandinave écrit en 1772 à
l'ancienne mattresse de Gonty, avec laquelle il est en
correspondance depuis son voyage de Tannée précé-
dente à Paris :
... Le spectacle que ma pauvre patrie offre dans ce moment
peut mériter les regards d'une personne qui réfléchit autant
que vous : le choc de la démocratie contre raristocratîe expi-
rante ; cette dernière préférant se soumettre à la démocratie
plutôt que d'être protégée par la monarchie qui lui tendoit les
bras, voilà la décoration que cet hiver vous auroit présentée.
C'est à peu près le même tableau que j'ai vu en France à mon
passage; là,c'étoit l'aristocratie luttant contre une monarchie
établie depuis longtemps ; mais ce qui étoit pour vous conso-
lant, c'étoit que, de quelque côté que la balance eût été em-
portée, votre gouvernement eût été très bien réglé, au lieu
qu'ici nous approchons à grands pas vers l'anarchie... (i).
Celte épître va évidemment à une double adresse
(i) Lettres de Gustave III y pp. 5^, 55.
LE PRINCB DB CONTT )85
Gustave III veut être lu de M"" de Boufflers et du
Prince. Celui-ci ne s'y méprend pas, et il riposte, indi-
rectement, par l'entremise de la comtesse :
... M. le prince de Cooty me char/dpe d'avouer à Votre
Majesté qu'il ne peut adhérer à un des traits de la lettre qu'elle
m'a fait l'honneur de m'écrire, où il s'ag'it du choc de Taris-
tocratie avec la monarchie, et il regrette hien de n'être pas à
portée de soumettre avec franchise aux lumières de Votre
Majesté, les raisons qui lui font penser qu'elle pourroit être en
quelque erreur à cet égard. Il désireroit ardemment en trou-
ver l'occasion, etc..
Conty ne soufiPre pas qu'on pense et qu'on dise à
l'étranger que Taristocratie française, dont il est un
des plus hauts représentants, à combattu la monar-
chie, alors qu'il a conscience, en luttant contre le Roi
et son chancelier, d'avoir au contraire lutté pour les
principes monarchiques foulés aux pieds.
Un autre indice des tendances résolument conser-
vatrices du prince de Conty, est l'aversion que lui ins-
pirent les novateurs politiques et notamment les Eco-
nomistes. Après la mort de Louis XV, il reporte contre
Turgot la combativité qu'il exerçait naguère contre le
ministère Maupeou-Terray. Il faut dire que Turgot
qui, pas plus que ses amis de la secte économique, ne
comprend la nécessité de la séparation des pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire, Turgot qui rêve de
faire du pouvoir unique de la royauté l'instrument
de la raison publique, s'est opposé de toutes ses for-
ces au rétablissement des anciens Parlements. Le par-
lement de Paris lui en garde rigueur. Mais il y a dans
la guerre déclarée par les parlementaires au nouveau
contrôleur-général, autre chose qu'une revanche de
rancune. C'est l'ancien régime qui se dresse contre
les réformes ; c'est le passé qui tente de barrer la route
à l'avenir menaçant. Aussi quand Turgot, soutenu par
Louis XVI, s'attaque aux deux vingtièmes, à la cor-
vée, à Texemption d'impôts de la noblesse, Conty
malade, presque mourant, assiste néanmoins à toutes
186 LE PRINCB DB GONTT
les assemblées du Parlement pour encourager la résis-
tance, pour voter les remontrances réclamant le retrait
des édits royaux^ pour condamner au feu la brochure
que Turgot a fait rédiger contre les Droits féodaux»
C'est au cours d'une de ces séances qu'un chien, entré
on ne sait comment dans la salle où siégeaient les
Pairs, vint faire ses ordures, précisément devant le
fauteuil du Prince. Un huissier voulait chasser la bêle
incongrue à coups de houssine « — Laissez faire I
Liberté, liberté, liberté toute entière ! » s'écria Conty,
persiflant par cette formule favorite des Economistes,
le système en vertu duquel les vins, après les blés,
venaient d'être affranchis des douanes intérieures (i).
L'opposition de Conty ne se bornait pas à voter et à
railler. Quelques mois plus tdt, au moment des émeu-
tes des farines (mai 1776), c'est à Pontoise, tout près
de Llsle-Adam, qu'avaient éclaté les troubles qui
s'étaient propagés jusque dans la capitale, jusque
sous les fenêtres du palais de Versailles ; et Ton disait
tout haut que celte fermentation, qui aboutit au pil-
lage des minoteries et des boulangeries, avait été
fomentée par les agents du Prince (3).
Comment concilier ce misonéisme, cette croyance
en quelque sorte innée chez Conty aux droits ina-
missibles d'une classe privilégiée, avec la faveur dont
le prince couvre publiquement des hommes tels que
Rousseau, Beaumarchais, Diderot, des philosophes,
des pamphlétaires, des prêcheurs d'égalité ? C'est que
Conty, malgré les préjugés inhérents à sa naissance,
est plein d'aspirations vagues mais sincères vers le
bien et le juste. Sa raison élevée le porte vers les hom-
mes d'idées, vers les théoriciens dont les utopies lui
semblent généreuses et belles. Mais son orgueil de
caste se cabre devant les hommes d'action, qui boule-
versent le repos public, et prétendent réaliser des
nouveautés qu'il juge subversives de l'ordre établi.
(i) Mémoires secrets, tome IX, p. 5o.
(2) Mémoires secrets, tome XXX, p. 2i43.
LB PaiNCB DE CONTT 1S7
Les relations du prince de Conty avec Jean-Jacques
Rousseau sont du reste très antérieures aux affaires
du Parlement et rien ne permet de supposer que le
Prince se soit jamais ran/^é sous la discipline du phi-
losophe çénevois. On sait, par les Confessions, com-
ment se nouèrent ces relations. Rousseau, depuis qu'il
avait quitté THermitag^e, brouillé avec M™® d'Epinay
(décembre 1767), s'était retiré à Montlouis, près de
Montmorency, dans la maison d'un de ses admira-
teurs, M. Mathas, procureur fiscal du prince de Condé.
Il avait pour voisin le maréchal et la maréchale de
Luxembourg qui passaient la belle saison à leur châ-
teau de Montmorency. Ils le firent inviter à les aller
voir. Rousseau déclina l'invitation. Il craignait qu*on
le fît manger à l'office, comme autrefois, chez M"*® de
Beuzenval. Cependant, dit Rousseau, les avances con-
tinuèrent :
Madame la comtesse de Bouffi ers qui étoît fort liée avec
Madame la Maréchale, étant venue à Montmorency, envoya
savoir de mes nouvelles et me proposer de venir me voir. Je
répondis comme je devois, mais je ne démarrai point. Au
voyage de Pâques de Tannée suivante, 1759. le chevalier de
Lorenzi qui ëtoit de la Cour de M. le prince de Conty et de la
société de Madame de Luxembourg, vint me voir plusieurs
fois : nous fîmes connaissance ; il me pressa d'aller au châ-
teau ; je n'en fis rien. Enfin, un après-midi que je ne songeois
à rien moins, je vis arriver M. le maréchal de Luxembourg,
suivi de cinq ou six persoones. Pour lors, il n'y eût plus
moyen de m'en dédire et je ne pus éviter sous peine d'être un
arrogant et un malappris, de lui rendre sa visite et d'aller
faire ma cour à Madame la Maréchale, de la part de laquelle
il m'a voit comblé des choses les plus obligeantes (i).
Voilà donc Rousseau introduit au château de Mont-
morency. On le mit si vite à son aise qu'il ne tarda
pas à s'installer complètement dans une annexe
nommée le « petit château », tandis que les menuisiers
réparaient le plancher de sa maison de Montlouis.
(i) J.*J. Rou98BAu, Con/ettions, tome II, p. 374.
188 LB PROfci DB coimr
C'est là qu'il reçut (en 1760) la première visite du
prince de Conty, poussé probablement par M™® de
Boufflers. L'année suivante, le Prince retourna voir le
philosophe à Montlouis. Mais il choisit, les deux fois,
le moment où M^ de Luxembourg n'était pas à Mont-
morency, afin de rendre plus manifeste sa politesse
envers Rousseau.
Je n'ai jamais douté, écrit celui-ci, que je ne dusse les pre-
mières boutés de ce prince à Madame de Luxembourg^ et k
Madame de Boufflers ; mais je ne doute pas non plus que je
ne doive à ses propres sentiments et à moi-même, celles dont
il n'a cessé de m'honorer depuis lors.
Comme mon appartement de Montlouis étoit très petit, et
que la situation du donjon étoit charmante, j'y conduisis le
Prince, qui, pour comble de /grâces, voulut que j'eusse l'hon-
neur de faire sa partie aux échecs (i). Je savoîs qu'il j°:agnoit
le chevalier de Lorenzi, qui étoit plus fort que moi. Cepen-
dant malgré les signes et les grimaces du chevalier et des
assistaos, que je ne fis pas semblant de voir, je gagnai les
deux parties que nous jouâmes. En finissant, je lui dis d'un
ton respectueux, mais grave : « Monseigneur, j'honore trop
Votre Altesse Séréoissime, pour ne pas la gagner toujours
aux échecs». Ce grand prince, plein d'esprit et de lumières,
et si digne de n'être pas adulé, sentit en effet, du moins je le
pense, qu'il n y avoit là que moi qui le traitasse en homme,
et j'ai tout lieu de croire qu'il m'en a vraiment su bon gré (a).
(i) Le « donjon » était une espèce de pavillon que Rousseau
avait fait vitrer pour lui servir de cabinet de travail et qui ter-
minait, au bout du jardin, une allée en terrasse donnant sur la
vallée et Tétang de Montmorency.
(2) J.-J. Rousseau, Confessions^ tome II, p. 4ït. — L^s Mémoi-
res de Casanova rapportent d'une toute autre manière que les
Con/es* ions ceite visite à Montmorency :
(c Le Prince, homme aimable, se rend seul à Montmorency
tout exprès pour passer une agréable jouroée è causer avec le
philosophe qui, à cette époque, était déjà célèbre. Il le trouve
dans le parc, il l'aborde, et lui dit qu*il venait pour avoir le plai-
sir de dtner avec lui et pour passer la journée à causer en
liberté.
« Votre Altesse fera mauvaise chère, lui dit Rousseau ; mais
je vais dire qu'on mette un couvert de plus.
« Le philosophe part, va donner ses ordres, revient trouver
LB PRINCB DE CONTY 189
En effet, peu de jours après, le Prince faisait
envoyer à Rousseau un panier de gibier.
Mais c'est à la publication de V Emile (1762), que
s'affirma, mieux que par des visites, la bienveillance de
Conty. Jean-Jacques était très lu depuis sa Nouvelle
Héloïse qui avait été un des gros succès de librairie du
temps. Un livre de lui ne pouvait plus passer ina-
perçu. Les hardiesses de l'Emile provoquèrent un
véritable toile contre son auteur. Le Parlement qui ne
voulait pas, dans les circonstances présentes, se lais-
ser accuser par les Jésuites d'indifférence en matière
de religion, décida, non seulement de poursuivre l'ou-
vrage, mais de décréter Rousseau de prise de corps.
Jean-Jacques n'était pas encore atteint de cette manie
de la persécution qui le rendit par la suite si ingrat
envers ses meilleurs amis. Fort de son innocence, il
se reposait, plein d'une quiétude trompeuse. M°^^ de
le Prince et passe avec lui deux ou trois heures à se promener.
Quand Theure du dîner fut venue, il mène le prince dans son
salon, où celui ci, voyant trois couverts, lui dit :
a ^ Qui voulez vous donc faire dîner avec nous? Je pensais
que nous dînerions tète à tête.
u — Notre tiers, Monseigneur, lui dit Rousseau, est un autre
moi-même. C'est un être qui n'est ni ma femme, ni ma maî-
tresse, ni ma servante^ ni ma mère, ni ma fille, et qui est tout
cela à la fois.
tf — Je le crois, mon cher, mais n'étant venu que pour dîner
avec vous tout seul, je ne dînerai pas avec votre autre vous-
même, et je vous laisserai avec votre tout.
a En disant cela le Prince le salua et partit. Rousseau ne cher,
cha pas à le retenir » (Mémoires tle Casanova, tome III, p. 367).
Cette anecdote est très certainement controuvée. Le comte
d'Escherny dans ses Mélanges de littérature (tome III), parlant
avec complaisance des excellents dîners qu'il a faits chez Rous-
seau, tête à tête avec lui, dîners préparés pur Thérèse Levasseur,
la Le Vasseur comme il l'appelle, ajoute : « Ce qui m'étonnait
le plus c*est que, malgré mes sollicitations, jamais il n'a voulu
permettre qu*elle se mît à table avec nous ». A plus forte raison
Rousseau n'aurait-il pas eu l'idée de faire dîner sa servante-
maîtresse avec un prince du sang. On remarquera d'ailleurs que
Conty, dans sa visite à Montlouis, était accompagné de plusieurs
familiers, et non point seul, comme le dit Casanova.
IM LB PRINCB DE CONTY
Boufflers el le prince de Conty étaient moins tran-
quilles.
Au milieu de la nuit du 8 au 9 juin, Rousseau qui
lisait dans son lit, fut interrompu par un envoyé de
M. de Luxembourg. L'exprès apportait une lettre du
Prince au Maréchal. Cette lettre de Conty donnait avis
que, malgré ses efForts, on était disposé à procéder à
toute rigueur contre Tauteur de V Emile: « La fermen-
tation est extrême, mandait le Prince, rien ne peut
parer le coup ; la Cour l'exige, le Parlement le veut ;
à sept heures du matin, il sera décrété de prise de
corps et Ton enverra sur-le-champ le saisir ; j*ai obtenu
qu'on ne le poursuivra pas s'il s'éloigne, mais s'il per-
siste à vouloir se laisser prendre, il sera pris » (i).
Rousseau, courut en hâte à Montmorency, conférer
avec la maréchale de Luxembourg. Il y trouva le
Maréchal qui arrivait de Paris avecM™« de Boufflers.
Tous deux achevèrent de décider le philosophe à dis-
paraître. Il était deux heures du matin. Le Maréchal
lui offrait un asile au château ; la comtesse le pressait
de se réfugier au Temple. Il préféra partir pour la
Suisse et gagna le canton de Berne, en évitant Lyon
et Besançon où les courriers devaient se présenter au
commandant de place. Enfin il arriva à Yverdun chez
son ami Roguin (2).
(i) J.-*J. Rousseau, Confessions, tome II, p. 4^8.
(2) Les Mémoires secrets donnent de l'évasion de Rousseau une
version un peu différente :
« On prétend qu'il ne vouloit point absolument partir, qu'il
s'obstinoit à comparoir ; que M. le prince de Conty lui ayant fait
là-dessus les instances les plus pressantes et les plus tendres,
cet auteur avoit demandé à S. A. ce qu'il lui en pouvott arriver,
en ajoutant qu'il aimoit autant vivre à la Bastille ou à Vincen-
nés que partout ailleurs ; qu'il vouloit soutenir la vérité, etc. ;
que le Prince lui ayant fait entendre qu il y alloit non seulement
de la prison, mais encore du bûcher, la stoîcité de Rousseau
s'étoit émue, sur quoi le Prince avoit repris : — « Vous n'êtes
point encore assez philosophe, mon ami, pour soutenir une
pareille épreuve » et que, là-dessus, on l'avoit emballé et fait
partir » (Mémoires secrets, tome I, p. 102).
LE PRINCE DE CONTY i9i
La sollicitude du Prince suivit Rousseau dans son
exil. Il était à peine établi en Suisse que M'^^' de Bouf-
fiers le suppliait c de se conserver pour ses amis ». Il
faut citer un passage de cette lettre si noble et si tou-
chante d'une femme que la folie de Rousseau soup-
çonnera bientôt de duplicité et de traîtrise :
... Je vous avouerai que lorsque je pense à votre situation,
j'éprouve la peine la plus sensible. Vcus voulez devoir votre
subsistance à votre travail ; mais, dans le lieu que vous avez
choisi, dans Tétat où vous êtes, quelles occupations peuvent
vous convenir ? Vous n*avez aucun revenu ;vous ne voulez plus
écrire ; comment pourrez-vous vivre, si vous vous obstinez à
refuser à vos meiUeurs amis le plaisir et la gloire de vous
secourir? Tranquillisez -moi sur cet article : vous en avez un
moyen, que mon amitié pour vous mérite et exige que vous
employiez : c'est de me promettre de ne pas vous réduire
vous-même à des extrémités dont la seule pensée m'effraie, et
de vous adresser à moi avant que vos propres ressources
soient tout à fait épuisées. Vous savez mieux que qui que ce
soit que le bien est également éloigné de tout excès. Craignez
donc de porter la délicatesse trop loin ; craignez d*y sacrifier
de véritables devoirs. C en est un sans doute de se conserver
pour ses amis, de leur montrer de la reconnaissance, de Tes-
time. Voulez-vous persuader à toute TËurope qui a les yeux
sur vous, que, dans le nombre de gens qui vous aiment, il
n'y en a pas un seul que vous jugiez digne de vous ser-
vir ?. . . (i).
Quand, en décembre 1765, Rousseau revint à Paris
par tolérance tacite de M. de Choiseul, avant de pas-
ser en Angleterre avec David Hume il habita d'abord
rue de Richelieu, chez la veuve Duchesne, libraire.
Mais le prince de Conty jugea qu'il serait plus en sûreté
au Temple, asile Inviolable, et le logea dans l'Enclos^
à Thôtei Saint-Simon. Rousseau avait à cette époque
adopté le costume arménien et la curiosité qu'il exci-
tait était grande. C'était du matin au soir un concours
empressé de badauds ou d'admirateurs. Le Prince
(i) Sainte-Bsuve, Nouveaux lundis^ tome IV, p. 194.
i92 LB PRINGB DB GONTY
envoyait ses musiciens jouer sous ses fenêtres et Jean-
Jacques pouvait écrire à son ami Du Peyrou : «Comme
Sancbo dans son île de Barataria, en représentation
toute la journée, j'ai du monde de tous les étalsdepuis
rinstant où je me lève jusqu'à celui où je me couche
et je suis forcé de m'habilleren public. Le Prince sait
bien que cette magnificence n^est pas de mon goût,
mais je comprends que, dans la circonstance, il a voulu
donner en cela un témoignage public de Testime dont
il m*honore ».
Rousseau quitta Paris le 4 janvier 1766 et franchit
le détroit. On sait comment il remercia Hume de ses
bons procédés en le traitant de scélérat, en l'accusant
d^avoir tenté de le déshonorer ; comment il revint en
France, à la fin de mai 1767. Après un court séjour
chez le marquis de Mirabeau, à Meudon, c*est au châ-
teau de Trie, voisin de Gisors, que le philosophe
trouva un refuge. Trie appartenait au prince de Conty
qui mit le domaine à sa disposition, recommandant
qu'on ne laissât manquer de rien il/. /{^/lou (c'est le nom
qu'avait emprunté Rousseau pour ne point paraître
braver le parlement de Paris). Cet ordre fut mal
observé :
... Malgré la recommandation du Prince, ses gens n'eurent
pas beaucoup d'égards pour un homme simple, sans mine et
qui mangeoit avec sa gouvernante. L'inconnu eut la délica-
tesse de ne point se plaindre, mais il écrivit à son protecteur
de ne point trouver mauvais qu'il quittât ce lieu et de lui per-
mettre de se soustraire à ses bienfaits. Le prince de Conty se
douta de ce qui étoit ; il arrive chez lui, il arrache son secret
à Rousseau, il le fait manger avec lui, assemble sa maison et
menace de toute son indignation dans les termes les plus
énergiques, celui qui manquera à cet étranger (1).
Rousseau lui-même rend témoignage des empresse-
ments de Conty à son égard dans une lettre du 5 no-
vembre 1768 :
i) Mémoires secrets ^ tome IV, p. 60.
LE PRINCE DE CONTT 193
Jamais prince n'en a tant fait pour un particulier qu'il en
a daig'né faire pour moi! : « Je le mets ici à ma place,
disoit-il à son officier; je veux qu'il ait la même autorité que
moi, et je n'entends pas qu'on lui offre rien, parce que je
le fais maître de tout ». Il a même daigné me venir voir
plusieurs fois, souper avec moi tête-à-tête, me dire en pré-
sence de toute sa suite, qu*il venoit exprés pour cela... (i)
Cependant quand il écrit cela, Rousseau n'est déjà
plus à Trie depuis le mois de juin. Thérèse Le Vas-
seur, sa maîtresse, qui s y déplaisait, Ta brouillé avec
tout le monde. Il est à Lyon, il va habiter Bourgoin
et Monquin, dans le Dauphiné, refusant l'hospitalité
que Conly lui offre à son château de Lavagnac. 11
reviendra à Paris en juin 1770 et, tout à coup, sans
qu'on puisse deviner pourquoi ni comment (serait-ce
pas à propos de son opéra des Neuf Muses ^ répété au
Temple et déclaré injouable?), il s'apercevra que la
confiance qu'il a mise jusque-là dans le prince de
Conly, dans M"*« de Boufflers, dans M™® de Luxem-
bourg, était « aveugle et stupide » (2).
Tel est l'historique aussi condensé que possible du
commerce de Rousseau avec le prince de Conty. David
Hume, qui fut témoin de l'intérêt que prenait le Prince
au philosophe durant qu'il l'hébergeait au Temple,
dit que Conly « accablait Rousseau de si grandes
bontés qu'elles auraient pu passer pour railleuses s'il
eût été moins à plaindre, ou le Prince moins géné-
reux » (3). En peut-on conclure que Conty adopta les
doctrines politiques de Jean-Jacques? Nullement. Le
Prince qui était allé visiter le philosophe par curiosité,
pour voir de près un sauvage de génie, se prit de ten-
(i) J.-J. Rousseau, Correspondance (Lettre à M. MoultOD).
(2) Lui-même ajoute cette note extravagante au passage des
Confessions où il parle des visites du Prince : « Remarquez la
persévérance de cette aveugle et stupide confîance,aa miliea de
tous les traitements qui dévoient le plus m en désabuser (!) Elle n a
cessé que depuis mon retour à Paris, en 1770 ».
(3) Lettre de David Hume à M. de Malesherbes, du xo mai
1766. ..Cf. : Œuvres de Rousseau, tome III, p. xxg.
13
194 LE PRINCE DE GONTY
dresse pour lui quand il le vit malheureux. Comme
il arrive d'ordinaire, cette pitié affectueuse s* accrut
en proportion des services rendus au persécuté, jus-
qu'au jour où Rousseau s*écarta spontanément d*un
protecteur que son cerveau malade travestissait en
ennemi. Mais rien qui ressemble moins que ce senti-
ment du Prince à Tengouement d'un disciple pour son
maître. Conty partageait si peu les opinions de Jean-
Jacques que M"« deBoufflers, écrivant à David Hume
pour lui apprendre Tévasion du Genevois après la
publication de l'Emile^ s'exprimait ainsi :
Jean-Jacques Rousseau, citoyen de (reDève, et auteur de
plusieurs écrits qui vous sont vraisemblablement connus,
vient de composer un Traité sur l'Education en quatre volu-
mes ou il expose plusieurs principes contraires aux nôtres,
tant sur la politique que sur la religion. Comme nous ne
jouissons pas ici de la liberté de la presse^ le Parlement, par
un arrêt Juste, s* il est, comme je n'en doute pas, conforme
aux lois du royaume, mais néanmoins rigoureux. Ta décrété
de prise de corps et Ton prétend que, s'il n'avait pas pris la
fuite, il aurait été condamné à la mort... (i).
Et cette appréciation des démêlés de Rousseau avec
la justice française, n'empêche point M"« de Boufflers
de vanter un peu plus loin, dans la même lettre, le
caractère du philosophe, son « cœur droit », son
« âme noble et désintéressée », sa « délicatesse »
excessive, la pureté de sa « vertu ».
L'intérêt que porta Conty à Rousseau était en
somme de la même nature que celui dont il honora
l'avocat Gerbier qui passait en son temps pour Tora-
teur le plus éloquent du barreau de Paris. Le Prince
saluait le mérite partout où il le rencontrait. Conve-
nons aussi que Gerbier savait, mieux que cet ours de
Rousseau, répondre aux politesses des grands. Les
(i) Saintb-Bbuve, Noaveaax tandis, tome IV, p. igS ; d'après
la Vie et Correspondance de David Hame, publiées en anglais, par
M. John Hill Burton (x856), tome II, p. 107.
LB PRINCE DB CONTY 195
Mémoires secrets relaient une visite, faite en 1769 par
Conty, à l'avocat en villégiature à Aulnay-sous-Bois :
L'orateur confondu d*une telle visite, mit dans sa réception
toute l'éloquence dont il est capable. Mais le Prince exigea
qu'on oubliât le cérémonial dQ à son rang et qu'on le traitât
comme un ami de la maison. Son premier soin fut de par-
courir les délicieux jardins du château. Ces jardins sont créés
en quelque sorte par le nouveau maître et c'est un jardinier
anglois qui a traité cette partie dans toute la singularité du
costume de sa nation. Après les premières promenades, le
sieur Gerbier, laissant faire les honneurs de sa maison à sa
femme, demanda la permission au Prince de le quitter un
moment sous quelque prétexte ; il revint peu après et con-
duisit insensiblement Son Altesse, comme pour se reposer,
sous un belveder agréable, ou on lut ces vers fraîchement
écrits :
Sous son humble toit Philémon
Reçut le maître du tonnerre ;
A son bonheur le mien répond :
Je vois Conty dans ma chaumière.
Le Prince enchanté de cette galanterie ingénieuse, redoubla
de bontés et de caresses pour son hôte, et voulut passer trois
jours chez lui, faveur signalée, dont aucun particulier peut-
être n a jamais pu se vanter (i).
La faveur témoignée par Conty à Beaumarchais n'im-
plique pas davantage l'acquiescement du Prince aux
formules impertinentes, aux brocards égalitaires dont
Figaro criblera un jour les privilégiés de la monar-
chie- D'ailleurs, en 1774, Figaro est encore à naître, et
Beaumarchais n'est, au théâtre^ le père que A'Eugénie^
fille larmoyante et modeste. En revanche, la verve
frondeuse de l'écrivain s'est largement donné carrière
contre les magistrats du Parlement Maupeou et ses
Mémoires dans TafTaire Goezman ont fait rire la France
entière. C'est plus qu'il n'en faut pour que Beaumar-
chaisy condamné par ses juges, absous par le public,
(1) Mémoires secrets ^ tome IV, p. 325.
196 LB PRINCB DB CONTT
devienne l'hôte choyé du Prince qui l'admet à sa table,
Texhibe à ses invités, en vertu de ce principe de poli-
tique : les ennemis de nos ennemis sont nos amis. Et
comme Beaumarchais n*a pas encore établi cette
réputation d'esprit que lui vaudront ses comédies
d*intrigue, on attribue à Conty une part de collabo-
ration dans les satires judiciaires du sieur Caron :
g mars ijji* — Le priDce de Conty couvre le sieur de Beau-
marchais de la protection la plus éclatante et malgré Tarrèt
qui déclare ce particulier iot'âme, il Ta fait souper l'autre
jour chez lui, avec quarante personnes très qualifiées. Cette
faveur qui ne se manifeste ouvertement que dans ce
moment-ci, mais qu'on s'aperçoit être ancienne, tourne les
soupçons presqu'en certitude que la Correspondance et
autres brochures de cette espèce sortoient du Temple et se
travailloient sous les auspices de Son Altesse : une certaine
identité de style, de tournure, de méchanceté et d'esprit, tout
forme de fortes présomptions pour faire croire que ses enne-
mis ne Tont point taxé vaguement d'avoir eu part aux écrits
en question, et qu'ils avoient là-dessus de bons renseigne-
ments (i).
Entre Beaumarchais et Conty, existe du reste un
autre trait d'union : tous deux raffolent de peinture
et l'écrivain confie au Prince des tableaux pour les
expertiser (2).
C'est probablement aussi à la peinture qu'il faut
attribuer la pension dont le prince de Conty^ quelque
temps avant sa mort, gratifie Diderot c pour qu'il
(i) Mémoires secrets^ tome VIII, p. i56. — La Correspondance
à laquelle font allusion les Mémoires secrets était un libelle très
curieux, paru en 1771 et intitulé : Correspondance secrète et
familière de M. de Maapeou avec M. de Sorhouet^ conseiller da
nouveau Parlement, » M. Hippeau, annotateur de Paris et Ver^
sailles, Journal anecdotiqae^ dit (p. 79) : a Malgré les efforts de la
police, on ne put arrêter le cours de ces publications. Elles sor-
taient d'une presse cachée dans le Temple, appartenant au prince
de tonty ».
(2) Voyez ci-après le chapitre relatif à la vente des biens dn
Prince.
LE PRINCE OB CONTT 197
puisse se payer un secrétaire ». L'auteur du Neveu de
/{a/neau est également Fauteur des Salons du Louvre*.
C'est le critique d'art que le Prince pensionne, et non
le fondateur de TEncyclopédie.
Le prince de Conty pourtant partai^eait au moins
sur un point les opinions des Encyclopédistes. Il était
le plus dénué des hommes à l'égard des croyances
religieuses. Bien qu'éduqué par les Jésuites, il n'ai-
mail point leur morale : n 11 n'avait d*ailleurs aucune
estime pour les moines, les collèges, les séminaires et
les communautés; il méprisait la piété des reclus,
qu'il qualifiait de tartufes et de fripons masqués » (i).
Il assistait rarement aux offices de son plein gré ;
bien différent en cela du Roi qui, au milieu de ses
plus grands désordres, ne manquait jamais à ses
prières du matin et du soir^ entendait régulièrement
la messe chaque jour, allait à vêpres, au sermon^ au
salut, observait exactement les pratiques les plus
minutieuses de la religion.
Conty avait un aumônier. Mais le premier qui
occupa cette charge dans sa maison y entra un peu
par hasard. C'était l'abbé Prévost, Tauteur de Manon
Lescaut. Tour à tour novice chez les Jésuites^ volon-
taire dans un régiment, de nouveau novice, soldat de
nouveau, bénédictin, professeur, prédicateur, fugitif
enfin à l'étranger, Antoine-François Prévost d'Exilés
avait obtenu, vers lySô, de rentrer en France et de
reparaître sous l'habit séculier, par la haute protec-
tion du cardinal de Bissy et du prince de Conty. Le
Prince l'avait recueilli, mais ne lui donnait que le
logement et la table; Tabbé eût désiré d'être attaché
à Son Altesse d'une façon plus particulière et surtout
plus lucrative. 11 s'en ouvrit au Prince timidement :
c — Eh ! mon pauvre abbé, que puis-je faire pour
toi ?» — « Monseigneur, je me trouverais bien heu
(i) Vie privée et politique de Loais^François-Joseph de Conty ^
p. 37.
198 LE PRINCE DB CONTY
reux si Votre Altesse me nommait son aumônier ». —
« Mon aumônier ! Te moques-tu ? Je n'entends
jamais la messe » — « Précisément, Monseigneur,
moi je ne la dis jamais » — « En ce cas, fit le Prince
avec le plus grand sérieux, tu es justement le chape-
lain qu*il me faut ». Et il le pensionna de douze
cents livres (i). L'amitié de Conty servit et sui-
vit Tabbé Prévost quand celui-ci, pour avoir impru-
demment obligé un libelliste, se vit compromis et
forcé de repasser la frontière. C'est encore grâce au
Prince que le bénédictin défroqué revint à Paris,
Dix ans plus tard, il était toujours « Paumônier » du
Prince ou du moins un des assidus de l'hôtel de Conty ;
il n'ignorait rien de ce qui s'y passait. En 17499 sou-
pant chez M°*^ du Boccage, il narrait au chevalier de
Mouhy comment le Prince avait dû consigner à ses
officiers la maison de M*^* Lamotte, de la Comédie-
Française, personne si friande d'adolescents qu'elle
avait mis sur les dents deux jeunes pages à la livrée
de Conty, débauchés par elle au moyen de petits pâtés
et de bonbons... (2).
Le prince de Conty n'avait point le respect du
clergé et les plus hauts dignitaires de l'Eglise
n'échappaient pas à ses sarcasmes. Mgr de Branciforte,
nonce du Pape, reçu à Paris en lySS avec une pompe
inusitée parce qu'il apportait pour le jeune duc de
Bourgogne, fils du Dauphin, des langes bénis par le
Saint^Père, s'était vite acquis auprès des matrones et
des filles de la capitale une réputation méritée de
débauché spécial et ses goûts socratiques étaient
notés à la police (3). Le prince de Conty se chargea
(i) [DuoAS DE B018 Saint-Just], Paris f Versailles et la pro^
vincey tome III, p. 121. — En 1787, Prévost portait encore le cos-
tume civil (Voyez : Boisjourdàin, Mélanges^ tome III, p. i5i).
Son aumônerie doit être de 1788 environ.
(2) Ravaisson, Archives de la Bastille, tome XII, p. 333.
(3) Voyez notamment un rapport de Tarent Durocher, du
7 septembre 1753, conservé à I'Arsenal : Archiœs de la Bastille^
10.262.
LE PRINCE DB CONTT 199
de propager à Versailles une anecdote qui mit les
gens au fait de cette faiblesse du gros prélat. Le nonce
aux langes, contait le Prince, s'étant rendu au bal de
rOpéra, masqué jusqu'aux dents, écrasa, dans la
foule, les orteils d'un domino qui, se retournant,
s'écria sans malice : « Ce bougre-là ne prend pas
garde à ce qu'il fait ». Mais Branciforte, à ce mot de
bougre, ne voulut pas aller plus loin et quitta le bal en
disant : « Je suis reconnu ! » (i).
S*il se gaussait ainsi avec les grands et, peut-être,
s'attirait par là un peu de l'inimitié du Roi, plein de
vénération pour les ministres du culte et d'horreur
pour les indévots, Conty n'affichait point ces senti-
ments en public. Il donnait au besoin l'exemple de la
piété extérieure quand l'étiquette ou la bienséance
exigeait cet eifort; et le curé de L'Isle-Âdam n'avait
point de paroissien plus généreux que lui. Si Conty
montrait la plus large tolérance envers les anabap-
tistes flamands qu'il avait établis à sa ferme de Bou-
lonville, il entendait aussi que ses vassaux catholi-
ques respectassent les heures du service divin ; par
affiche signée de Pierre-Charles Potel, son bailli de
L'Isle-Âdam, il défendait aux cabaretiers et auber-
gistes de ses domaines de donner à boire, non plus
qu'à jouer aux boules, quilles, raquette, sas et bat-
toir, le dimanche et les jours de fêtes pendant les
offices (2).
C*est qu'il pensait, avec Jean-Jacques « que l'huma-
nité seule réclame le respect de la religion »^ religion
nécessaire au peuple a que l'attente d'une autre vie
console des misères de celle-ci » (3).
Une seule fois le Prince scandalisa par son attitude
d'incrédulité. C'était le lo mai 1774; il assistait, par
(i) Comte db Chsverny, Mémoires^ tome I, p. i5i.
(2) Voyez le Règlement de police de Llsle-Adam, du 21 février
1770.
(3) J.-J. Rousseau, Correspondance (Lettre à Deleyre). Cf. :
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, tome IV, p. 345.
200 LB PRINCE DB CONTT
convenance, aux prières des quarante heures qu'on
récitait à la paroisse du Temple, ainsi que dans tou-
tes les églises de Paris, pour appeler les grâces du
ciel sur le Roi bien malade, quand on vint annoncer
que Louis XV était défunt. Oubliant la décence que
le lieu commandait, Conty intima Tordre à Tofficiant
de renfermer le Saint-Sacrement dans le tabernacle^
coupant court à des oraisons désormais sans objet.
Le peuple se retira privé de la bénédiction (i).
Le Prince, qui ne voyait que superstitions dans les
dogmes de la religion catholique, était^il pourtant
superstitieux à sa manière? On a dit qu'il croyait,
comme Pythagore, à la fatalité des nombres et que le
chiffre douze lui paraissait faste entre tous ; qu'il
aimait avoir douze mets à son menu, douze cou-
verts à sa table, douze épées dans son magasin
d*armes, douze costumes dans son vestiaire ; que lors-
qu'il gratifiait quelqu'un, c'était de douze louis ou de
douze cents livres (2). A Tabbé Prévost, nous l'avons
vu accorder, en effet, douze cents francs de pension.
Un de ses faucons s'échappe-t*il? il promet douze louis
de récompense à qui le rapportera ; mais un paysan
s'étant présenté avec l'oiseau douze jours plus tard,
Conty voit dans ces deux douze un présage alarmant;
subitement furieux, il ordonne de jeter le paysan dans
les fossés du château et Tintervention d'une femme
empêche seule Texécution de cet ordre insensé (3).
Nommé au commandement de l'armée d'Italie, c'est
le 12 février 1744 qu'il met en route ses équipages (4)-
Le plus important des chapitres de Malte s'ouvrait tra-
ditionnellement le II juin, fête de Saint^Barthélemy
(la grande fête du Temple) ; devenu grand-prieur,
Conty reporte au 12 juin 1781 la tenue du premier
(i) F<ute9 de Louis XV^ tome II, p. 749.
(2) G. Capon et R. Yvb-Plbssis, Fille (T Opéra, p. 187. — Cf. :
Vie privée et politique de Louis-François-Joseph de Conty, p. 35
(en note).
(3) [Soulavib], Mémoires du duc de Richelieu, tome IV, p. 34.
(4) BARBuii, Journal^ tome U, p. 383.
LB PRINCE OB CONTT 201
chapitre qu'il préside (i). En 1771, soucieux d'écono-
miesy le Prince réduit le nombre de ses maîtresses
à l'Opéra : il en fait rayer douze de Tétat de sa
dépense (2). La même année, c'est le 12 avril seule-
ment qu'il fait signifier au greffe du Parlement la
protestation des princes, rédigée pourtant depuis
le 4.
Peut-être sont-ce là simples coïncidences. On admet
difficilement ces petitesses chez un esprit aussi bien
équilibré que celui du prince deConty. Mais les plus
g^rands hommes n'ont-ils pas eu leurs manies?...
(i) H. DE CuRzoN, La maison da Temple, p. 67, et Duc db Lutnbs,
Mémoires, tome XI, p. 178.
(2) Le Philosophe cynique, p. 3a.
vu
Les amotxrs du prince de Conty
Les mattresBes en titre. — Trois liaisons de durée. — Mme Paneau
d'Arty. — Amours batailleuses. — Une amie de M<n« d*Epina7. — La
ressucitée de Stors. — M"« de Boufflers. — La t Minerve du Tem-
ple, n — L'amante reste Tamie. — M(n« Gauché-Dailly, dite de Bri-
mont. — La recluse de Popincourt. — Les bâtards reconnus du
Prince, derniers Bourbon-Gonty.
P
LAiRE fut la préoccupation constante du prince de
Conty. Plaire aux femmes fut une de ses princi-
pales occupations.
Parmi les maîtresses du Prince, si nombreuses que
nous avons dû renoncer à en établir la liste complète,
il faut néanmoins distinguer. Trois liaisons de durée,
les deux premières publiques, avouées, constituent ce
qu'on pourrait nommer les amours honnêtes : la
première de ces liaisons s'appelle M™« d'Arly; la
deuxième, M™« de Boufflers ; la dernière, M°»« Dailly.
Ne vient qu'après, quoique simultanément, la bande
des actrices, des filles, des professionnelles de la
galanterie, avec, çà et là, quelque femme à allure, de
demi-vertu, grande dame ou petite bourgeoise, égarée
dans le nombre. Ce sont les caprices d'un mois ou
d'une semaine, parfois les coucheries sans lendemain.
LB PRINCE OE CONTT 203
Etudions d'abord les maîtresses en titre ; nous pas-
serons ensuite la revue des éphémères.
On a peu de documents sur M"® d*Arly. Pour lui
consacrer une courte et charmante notice dans un
recueil de portraits féminins du dix-huitième siècle,
M. Honoré Bonhomme, aux prises avec Tinsaisissa-
ble, a dû dépenser des trésors d'ingéniosité, suppléer,
supposer, supputer (i).
Par Jean-Jacques et ses ConfessionSj nous savions
déjà que M"« d'Arty était la fille naturelle de M°»® de
Fontaine et du financier Samuel Bernard :
Elles étoient trois sœurs qu'on pourroit appeler les trois
Grâces : Madame de la Touche, qui fit une escapade en Angle-
terre avec le duc de Kingston ; Madame d'Arty, la maîtresse
et bien plus, Tamie, l'unique et sincère amie de M. le prince
de Conty, femme adorable autant par la douceur, par la
bonté de son charmant caractère que par l'agrément de son
esprit et par l'inaltérable gaîté de son humeur; enfin madame
Dupin, la plus belle des trois... (2).
Grâce aux manuscrits de la Bibliothèque Nationale,
que n'a point connus M. Honoré Bonhomme, nous
possédons l'état civil de M™« d'Arty. Marie-Anne-
Louise Guillaume^ dont le père putatif se faisait appe-
ler Guillaume de Fontaine, naquit à Paris, le 25 août
1710, et fut baptisée à Saint-Roch (3). Elle épousa à
quatorze ans, le 16 octobre 1724, Antoine-Alexis
Panneau d'Arly, né en 1696, qui fut, de 1787 à 1743,
directeur général des aides et, longtemps, habita
l'hôtel Bretonvilliers, dans l'île Saint-Louis (4). Après
(i) Honoré Bonhomme. Grandes dames et pécheresses.
(2) J.-J. Rousseau, Confessions ; tome II, p. 22.
(3) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions, 2o534» f. i36.
(4) Aoloine Paoeau ou Panereau d'Ârty portait : d'argent à un
réseau de sable, à la fasce de gueules brochant sur le tout et
chargé de deux lacs d'amour d'or. Il était fils d'Alexis, payeur
des rentes de l'Hôtel de Ville et de sa deuxième femme, Jeanne-
Angélique Vaillant.
204 LE PRINCE DE GONTT
lui avoir donné un fils, Alexis-Armand, qui^ plus
tard, fut d'église, elle avait été séparée judiciairement.
Elle avait vingt-sept ans quand elle aima le prince
de Conty, vers 1737. Le Prince avait alors vingt ans.
D'un billet de M. Beringhen, grand écuyer du Roi,
billet écrit àCompiègne le 19 juillet 1789, autorisant
jyfme d'Arty à tirer des lapins dans le bois de Boulogne
et accompagné d'une lettre d'envoi des plus aimables,
M. Bonhomme a conclu que M™* d'Arty devait être
déjà la maîtresse du Prince en 1789, pour obtenir
faveur aussi rare. Par la même méthode dëductive,
nous avons pu reculer cette date et, d'une facétie
manuscrite, d'un prétendu < Catalogue des livres qui
se vendent au Palais Royal » en 1737, inférer cette
année 1737 comme le début de ces amours. Parmi les
titres imaginaires du catalogue nous relevons ceux-ci :
« Traité de la jalousie des maris, par M. d'Arty,
[dédié] à M"« de Mortemart » (M™® de Mortemart
plaidait alors en séparation). « L'usage des bonnes
mœurs, par le comte de Donges, à Monsieur le prince
de Conty » (i).
Louis-François et Marie-Louise vivent tout à fait
ensemble en 1740. La détresse pécuniaire de Conty
est grande. C'est le temps où ses fournisseurs lui refu-
sent tout crédit. L'intérêt ne guide pas M°»« d'Arty,
plutôt riche. Ces amants épris se battent pourtant
comme plâtre. Un manuscrit inédit, échappé au bio-
graphe de M"® d'Arty, et qui est intitulé : Sommaire
des prouesses et faicts merveilleux arrivés à Letuce
[Lutèce]f capitale du royaume des Lesgau [Gaulesl^
depuis PEgire, ce manuscrit dit :
Chapitre IX. Gomme quoi le prince Tinoe, après avoir
mangé et ribaudé tout soo avoir, s*est retiré dans Tisle
Dama pour y vivre eu hermite ; comme quoi il s*y est
enfermé avec la Sunamite Napeautidar pour y faire péni-
tence et s y flageller Tun Tautre.
(i) BiBuoTHÈQUE ^ATiONÀLKi Afanuscrîts français, 12.634, f. aie.
LB PRINCE DB CONTT 205
En marge, ces explications :
Le prince de Conty s'est trouvé, en 1740, dans une telle
extrémité qu*un jour son intendant vint luy représenter que
personne ne vouloit plus luj faire de crédit, excepté le rôtis-
seur; que cependant il n'y avoit plus ni foin ni avoyne dans
la maison pour donner aux chevaux. Sur quoy le prince de
Conty fit cette jolie répartie à son intendant : « Qu'on leur
donne des poulardes ». Quelque tems après, il se retira tout
à fait à L Isle-Adam, avec Madame Paneau d'Arty, sœur de
Madame Du Pin, fermière générale, et de Madame de La
Touche, qui a passé en Angleterre en 1786 pour suivre
Milord Kingston. Elles sont toutes trois filles de Madame
Fontaine, maîtresse de Samuel Bernard.
La chronique veut que le prince de Conty et la dame
d'Arty se battent l'un l'autre comme des diables, et ce, pour
des riens (i).
De 1742 à 1746, malgré la guerre, la tendresse du
Prince pour son amie ne se relâche point. Peut-être
même leur liaison se fortifie-t-elle des absences forcées
de Conty. A se quitter souvent, ils se reprennent avec
plus de joie après chaque campagne, et leurs amours
sont moins batailleuses quand le Prince a épuisé con-
tre l'ennemi son trop plein de vivacité.
A l'automne de 1746, M"® d'Arty fait la connais-
sance deM™^ d'Epinay et les deux femmes, brusque-
ment, se prennent Tune pour l'autre d'une extraor-
dinaire amitié. En dépit des conseils de ses parents
qui font à M"® d'Arty grise mine, M°*« d'Epinay ne voit
que par sa nouvelle amie, ne saurait plus se passer
d'elle, tant elle la juge aimable, gaie et d'un tour
d'esprit amusant. Elles s'écrivent de petits billets pres-
que passionnés :
(i)BiBuoTHÂQUB Nationaub i ManiucHts françaîSy io.479« f* 4^3.
— L'ouvrage n'est en effet qu'une suite de sommaires. Le texte
absent des chapitres est remplacé par des notes marginales ser-
vant à éclairer les obscurités (très relatives) de chaque som-
maire.
206 LE PRINGB DE CONTY
De M^^ dEpinay à M^^ dArty.
J*ai été un peu grondée, ma reine, d*avoir passé deux jours
de suite chez vous ; moyennant cela je n'ose aller vous voir
aujourd'hui. Si vous sortez, passez un moment chez moi,
comme par hasard. Mais non, ne venez pas; car cela donne-
rait encore de l'humeur à mes parents. J'aime mieux être
privée du plaisir de votre société aujourd'hui, afin d^n jouir
plus à mon aise demain. Adieu. Je ne sais comment cela se
fait, mais je ne puis plus me passer de vous. Si vous voyez
Francœur, dites-lui de venir me voir.
De M^ dArty à M^ne dEpinay.
Cela est, en effet, bien scandaleux de voir deux femmes
passer leur journée et veiller tête à tête ; en vérité, vos
parents sont fous. S'ils veulent encore s'opposer à notre liai-
son, je louerai un appartement aux Capucins, je vous regar-
derai toute la journée sur votre balcon, et s'ils mettent le nez
à la fenêtre, je leur ferai la grimace pour leur apprendre à
vivre.
On m'a éveillée pour me remettre votre lettre, et je n'ai
qu'un œil d'ouvert ; encore ne l'est-il qu'à moitié. J'ai le bout
des doigls gelé, mais cette sensation ne va pas plus loin
quand il s'agit de vous. Adieu, ma belle ; je ne vous réponds
pas, malgré votre défense, de ne vous point voir aujourd'hui :
je ne me sens pas d'humeur à m'im poser cette pénitence ; et
vous n'en serez vous pas moins boudée pour une visile de
plus ou de moins ! Voilà Francœur qui vient dîner avec moi ;
je vous l'enverrai après (i).
De ces épi très tombent aux mains de M. Lalive
d'Epinay qui fait la moue en les rendant à sa femme,
surtout quand elles sont, par hasard, datées : « À six
heures du matin, en sortant de chez le prince de
Conty )).
Celte belle passion s'éteint, comme elle avait pris,
en feu de paille, au mois de février 1747^ à la suite
(1) Mme d'Epinày, Mémoires, tome I, p. 85.
LE PRINCE DE CONTY 207
d'un souper chez le musicien Francœur. Que s'est-il
passé à ce souper? M^^d'Epinay ne le dit pas. Mais
ses yeux se sont dessillés. Et elle confie à ses Mémoi-
res sa désillusion :
Dans quelle ivresse j'étoîs de Madame Dartj il y a peu de
jours encore I Je la croyois un oracle, sa tournure d'esprit
m*enchantoit, ses plaisanteries me paraissoient naïves et
avoient à mes yeux le caractère de la vraie gaieté ; maintenant
elles ne me paroissent que libres et indécentes. Je veux fuir
cette femme, et je ne sais comment m*y prendre. Elle a tant
d'amitié pour moi f si je lui donnois quelques avis sur son
étourderie ? elle se moqueroit de moi : elle m'auroit peut-être
écoutée autrefois, mais à présent ! 11 m'eu faut retirer peu à
peu, et comme me Ta conseillé mon mari (i).
Et c'est fini. M"® d'Epinay ne revoit plus <c sa reine »
qu'à de longs, à de rares intervalles. D'abord, en mars
1748, à l'occasion du mariage de sa belle-sœur avec
M. d'Houdetot. Puis, seulement deux ans après :
Comme j'allois sortir ce matin, Madame d'Arty, que je
n'avois pas vue depuis un siècle est venue me dire adieu ; elle
retourne pour six mois à la campage d'où elle arrive :
« Croyez-vous, m'a-t-elle dit, que vous avez beaucoup gagné
à la solitude où vos parents vous ont tenue et au vœu authen-
tique que vous avez fait de ne plus me voir? On vous donne
une botte d'amants, ma chère : d'abord Francueil, Duclos,
Gauffrecourt, et je ne fais que d'arriver » (a).
A ce moment (1750), M™« d'Arty est-elle encore la
maîtresse du Prince ? Nous penchons pour l'affirma-
tive. Mais il y a entre eux grand refroidissement. Ils
se sont brouillés, raccommodés, brouillés encore. Ils
se querellent et se battent plus que jamais. Déjà, en
juin 1748» le marquis d'Argensoa croyait à un
divorce :
(i) Mme d'Epinat, Mémoirety tome I, p. gg.
(2) Mme d'Epinat, Mémoires, tome I, p. 276 •
208 LB PRINCE DE CONTT
g juin iy4S' — Voici M. le priace de Conty entièrement
brouillé avec la dame Darty, qu*il avait depuis sa première
jeunesse ; ils se battirent il y a quelque tems à coups de
poing", enfin la brouillerie est définitive. Elle a quitté la mai-
son de rOrang^erie de L'Isle-Adam, et, sur le champ, toute la
famille Ty est venue voir ; comme madame sa mère, sa
sœur, etc. (t).
Ce n'était qu'une alerte. Le mois d'après, les deux
pugilistes sont raccordés ensemble :
4 juillet it48. — M. le prince de Conty s'est raccommodé
et brouillé, puis raccommodé avec sa maîtresse, la dame
Darty. Ils se querellèrent à table, à L'isle-Adam, devant bien
du monde. Le Prince donna un coup à la dame ; elle le prit à la
joue, il saigna ; quand il vit son sang, il devint furieux
comme le lion. Chacun se retira ; il ne resta qu'un coureur à
qui le Prince ordonna de jeter la dame par les fenêtres ; ce
valet la traîna par les cheveux, on Tenferma dans sa chambre,
on l'y a fait jeûner huit jours au pain et à l'eau. Elle s'est
sauvée par une fenêtre ! Elle a confié tout son bien au Prince,
son amant ; il ne la paye pas ; elle s'est brouillée avec son
mari. Depuis cela, elle s'est raccommodée avec le Prince. His-
toire ridicule (2).
Pendant ces bourrasques, en attendant Téclaircie,
M"® d'Arty se retirait au château de Stors que le
Prince avait acheté, en 1746, du marquis de Verde-
ronne, « Monsieur de Six-Blancs », ainsi que le nom-
mait plaisamment Conty, parce que le marquis,
lorsqu^il visitait le Prince, son suzerain, attelait pom-
peusement six chevaux blancs à son carrosse. Le
hameau de Stors, à une demi-lieue au midi de L'Isle-
Adam, n'était guère qu'un groupe de maisons, en
amphithéâtre sur le coteau bordant l'Oise, autour du
château construit d'après les dessins de Mansart pour
(i) Marquis d'Arobnson, Journal et Mémoires, tome V, p. aaô.
(2) Marquis d'Argenson, Journal et JUémoires, tome V, p. a3i.
LE PRINCE DB GONTT 209
la famille de UAubespine ( ().Mais la situation en était
riante et jolie. Et c'est la campagne, « d*où elle arrive^
où elle retourne », dont veut parler M°** d'Ëpinay.
La rupture définitive des amants doit se placer vers
la fin de lySo ou le début de 1751. En janvier lySo,
le prince de Conty, grand-prieur, afferme les revenus
du Temple au sieur Fontaine, frère de M"® d'Arty (2).
Mais il ne lui renouvelle pas son privilège qui passe
au sieur Danthieur, ancien juge à Nérac (3). D'autre
part, le règne de M"' de Boufflers commence en lySi
environ...
^me d'Arty, délaissée, se jeta dans la dévotion. Elle
vécut désormais à l'écart^ s'adonnant à des œuvres de
charité, s'enfonçant de plus en plus dans les prati-
ques pieuses. Cependant elle n'avait pas perdu le
souvenir du Prince. Elle eut une maladie, fort grave
alors, la petite vérole, pendant laquelle son état ne
permettait pas qu'on reçût personne dans sa cham-
bre.
Son confesseur, qui seul avait le droit d ; entrer avec les
gens de son service, lui représenta que, dans la situation où
elle était, elle devait renoncer, tant pour elle-même que pour
Tédification publique, à toutes les illusions, à toutes les vaines
affections de ce monde, et par conséquent fermer sa porte au
Prince, qui était jour et nuit dans son antichambre pour
demander de ses nouvelles : — c Ah ! mon père, répondit-
(i) [ÂBBéGRiMOT] Histoire de UIsle-Adam, p. 42.— Etienne-Louis
deL'Aubespine, dit d*abord le marquis de Beaucourt, puis le mar-
quis de Verderonne, à la mort de son frère atné (Claude-Marie
de L'Aubespine, marquis de Verderonne, seigneurde Stors, ensei-
gne de gendarmerie, tué à Malplaquet en 1709), était capitaine
des gendarmes anglais et gouverneur de Montélimart. Il avait
épousé, en 1718. Françoise-Sabine de Grolée deViriville(ANSBLMB,
Histoire chronologique, tome VI, p. 563). — Le château de Stors,
acheté sous TËmpire par Kellermann, ducde Valmy, appartient
aujourd'hui aux Lannes de Montebello.
(a) Marquis d'Arqbnson, Joarnai et Mémoires, tome VI, p. 149.
(3) BiBuoTuÈQUE DB l'Arsbnal : Archives de la Bastille, 10237
(Dossier Quinson).
14
210 LE PRINCE DE CONTY
elle avec naïveté, que voas me rendez heureuse f Je craignais
bien d'enôtre oubliée > (i).
jyfme d'Arty mourut dans les premiers jours de mars
1765, et, selon toute apparence, à Paris. Son testa-
ment, retrouvé par nous aux Archives Nationales, est
daté du 10 décembre 1769, mais il porte un codicille
du 27 février 1765.11 fut remisa M® Mareschal, notaire
à Paris, le 3 mars suivant, scellé le même jour, con-
trôlé le 4* On scellait généralement aussitôt après le
décès. M*°® d'Arty serait donc morte le 2 ou le
3 mars.
Donnons le texte intégral de ce testament. On y
verra M°*« d'Arty, riche encore en 1769 des libéralités
du prince de Conty, presque gênée au moment de sa
mort, puisqu'elle a dû vendre ses diamants et emprun-
ter à ses domestiques.
Ceci est mon testament :
L*heure de ma mort étant incertaine, et ne voulant pas en
être surprise sans avoir écrit mes dernières volontés, ce jour-
d'hui 10 décembre 1769, après avoir recommandé mon âme
à Dieu, créateur du ciel et de la terre, et de ma pleine volonté
et en bonne santé, je demande à mon fils, légataire universel
de tout ce dont je ne disposerai pas ou à mon neveu Ville-
neuve, fils de ma sœur de La Touche, auquel je substitue
tout ce que je laisse à mon fils ; je leur demande de me faire
entérer dans le cimetière de la paroisse sur laquelle je décé-
derai, sans aucun frais ni cérémonies, et de donner au curé
aoo livres pour les pauvres de ladite paroisse ; et ne craignant
rien tant que d'être entérée vive, la première grâce et la plus
grande que mon fils puisse me faire et que je lui demande
avec le plus d'insistance, est de me faire ouvrir a4 heures au
moins après ma mort (a).
(i) [DuoAST DE B018 Saint- Just], PariSy Vernailles et les provinces,
tome I, p. i4i. — Voyez également Mise ^ecker^ Mélanges^ citée
par H. BoNHOiiiiB, Grandes dames et pécheresses^ p. 187.
(2) A la mort d*Alexis-ArmaDd Paneau d'Arty, prêtre et doyen
de la Sainte-Chapelle de Ponloise, conseiller au Grand conseil,
qui décéda le 7 février 1771 à Paris, rue Cadet, < dans une mai-
LB PRINCB DE GONTT 2il
Je donne et lègue aux prêtres de la paroisse de Llsle-Adam
800 livres, une fois payées ; je les prie d'en distribuer
5oo aux pauvres de Stors, Nog'ent, etc., et du surplus d'en
prier Dieu pour moi.
Je donne et lèg^ne à ma sœur Dupin mes boucles d'oreilles
de diamant et mes bracelets qui sont des jarretières à boucles
et à plaques de diamant ; ceci est une bien faible preuve de
ma tendre amitié pour elle et de la rcconnoisance que je lui
dois.
Je donne et lèg'ue à ma sœur de la Touche mon collier de
diamants avec le peu de bagues et gpénéralement tout ce qui
se trouvera à ma mort en diamants, de boîtes et de bijoux ;
j'en exempte ceux dont j ai disposé pour ma sœur Dupin ; je
voudrois que ma fortune me permît de donner à toutes deux
de plus g-randes preuves de mon tendre attachement.
Je donne et lègue à Manon 5oo livres de rente viagère à
prendre sur un contrat de 1000 livres, au principal de
20.000 livres, que j'ai placé sur Son Altesse Sérénissime Mgr.
le prince de Gontj.
Je donne et lègue à Marie- Anne la rente viagère sur sa tète,
celle de Marignj et de leurs deux petites filles, des autres
5oo livres du susdit contrat ; j'ordonne qu'il soit remis entre
les mains du trésorier de S.-A.-S. Mgr. le prince de Contj,
je le prie de vouloir bien s'en charger et de ne payer qu'à mes
gens sus-nommés et de ne le rendre à mon fils que quand les
susdites rentes seront éteintes.
J'ordonne que ma garde-robe soit vendue au profit de mes
femmes, moitié à Manon et moitié à Marie-Anne, sur
laquelle somme il sera pris aoo livres pour ma femme de
garde-robe.
Je donne et lègue à Marigny 5.ooo livres d'argent comptant
une fois payées ( 1 ).
son à lui appartenant par bail à vie », la substitution au profit
de son cousin Vallet de Villeneuve fut néanmoins contestée et
des oppositions à l'héritage furent mises par la famille des
sœurs de M>b« d'Arty (Archives Nationales : Y. i3i23). Ajoulons
que Vallet de Villeneuve recevait du prince de Conty i 000 livres
de pension, à lui constituées depuis le a6 avril 1751, plus une
rente de 5 65o livres, depuis le 4 septembre 1765 {Registre deê
comptes de Manscoart, Dépense, chap. 9, rentes a64 et 4^)*
(I) Caboche, dit Marigny, fut par la suite portier du chAteau
de Stors. Il occupait encore ce poste en 1779 et reçut de Conty,
2)2 LE PRINCE DE CONTY
Je donne et lègne à mon cuisinier loo livres de rente via-
g'ère et je lui en donne aoo si le jour de ma mort il y a plus
de dix ans qu'il est à mon service.
Je donne et lèg^ue à tous mes autres domestiques 600 livres
chacun une fois payées, excepté ceux qui le jour de ma mort
m'auront servi plus de dix ans, à qui je donne et lè|j^ue
100 livres de rente viagère.
Je rends à Son Altesse Sérénissime Mgr le prince de Conty
son château de Stors et tous ses meubles ; ceci est inutile à
dire puisque mon fils sait ainsi que moi que le tout m'a été
prêté et qu'il n'y a aucun meuble, de quelque espèce qu'il soit,
à emporter de Stors, ayant été payés par Son Altesse Séré-
nissime. Mais ce qui n'est pas inutile est de le remercier
encore de Tusag'e qu'il m'en a permis et de reconnottre que
tout ce que je possède je le tiens de ses bontés, afin que mon
fils et mes héritiers n'oublient jamais que tout ce qu'ils auront
de moi vient de lui. Je lui demande d'ajouter à toutes ses
grâces celle de m'assurcr quelqu'un de sa maison pour l'ar^
rangement de ma succession et pour Texécution de mes der-
nières volontés, que je recommande aussi au respect et à l'ami-
tié que mon fils me doit (i).
Après la mort de mon fils, je substitue à mon neveu Ville-
neuve tout ce qui se trouvera dans ma succession et je lui
donne et lègue le tout en forme de substitution, afin qu'il en
retrouve la valeur au cas que mon fils mourût avant lui Tout
ce qui est contenu sur le présent testament est ma volonté
écrite de ma main, dans ma chambre, à Paris, le 10 décembre
1759.
Signé : M.-L. Guillaume de Fontaine-Darty.
Codicile pour ajouter et retrancher de mes dernières volon-
tés. Je dois à M^^^^b Duhreuil, habitantes de L'isle Adam, filles,
6.000 livres qu'elles m'ont prêtées pour mon fils. Je dois à
Marigny 5.a5o livres qu'il m'a prêtées suivant mon billet. Je
par testament, une rente viagère de 260 livres (Registre des
comptes de Manscoart, Dépense, cbap. 2).
(i) Ce passage est à opposer à celui des Mémoires du duc de
Richelieu (tome VIII, p. 5i) où Soulavie affirme : « Le prince de
GoDty n'était pas mieux rangé dans ses a£Paires [que son oncle
le comte de Clermont]. Chargé de dettes, Mm» d^Arlic, qui depuis
fut sa maîtresse, le secourut souvent de ses deniers pour des
besoins urgents ». On peut Topposer également à celui du Jour-
nal du marquis d'Argenson, cité plus haut, p. 207
LE PRINCE DE GONTT 213
dois à Leroy, mon portier à Stors, i .700 et tant de livres, sui-
vant mon billet. Je dois à Manon plusieurs années de ses
gag'es, à raison de 5o écus par an. Sa dernière quittance est
sur son livre et sur le mien. 11 faut s'en rapportera elle. Tou-
tes lesquelles dettes, je désire qu'elles soient acquittées au
contentement des parties, ainsi que ce que je dois à mon
tapissier. On trouvera ses quittances d*accompte sur mon
livre. Ce que je dois à Fontaine, le maçon^ et tous les ouvriers
qui ont travaillé pour moi, je les recommande à la pitié et à
la probité de mon fils, pour qu'ils soient tous contents. Je suis
obligée de retrancher à mes sœurs La Touche et Dupin la
faible marque de reconnoissance que j'avois projet de leur
donner ; mais il faut avant tout que mes dettes soient payées
et je les prie de le trouver bon. Je retranche à mon cuisinier
La ville la rente de 100 ou de 200 livres viag'ères, attendu que
je l'ai récompensé d'autre manière.
Je donne et lègue à Babet, ma fille de garde-robe, ao écus de
rente viagère. Je ratifie et confirme tous les autres article» de
mon testament ; je lui désire pleine et entière exécution et je
l'espère du légataire et de Texécuteur. Telle est ma volonté
écrite de ma main, le 27 février 1766.
Signé : Marie-Louise Guillaume de Fontaine-Darty (i).
M™® d'Arty, avons-nous dit plus haut, mourut à
Paris. La date de sa mort et la remise du testament, le
jour même du scellé, à un notaire parisien, permet-
tent en effet de supposer qu'elle décéda à son domi-
cile d'hiver.
Nous avons en tout cas la preuve qu'elle ne mourut
pas au château de Stors, sa résidence d'été. Au cours
de notre enquête à L'Isle-Adam et dans les environs,
alors que nous nous attachions à dépister tous les ves-
(1) Archives Nationales : Insinuations, Y 69, f. 142 verso. — En
marge du 2* feuillet reclo : « Contrôlé à Paris, le 4 mars 1766.
L'original dudit testament, depuis insinué à Paris, sur une expé*
ditioD d'icelui, le 20 mars 1766, a été déposé pour minute à
M* Mareschal, l'un des notaires soussignés, par acte du 3 dudit
mois, le tout demeurant audit Mareschal ». En marge est écrit :
« Scellé ledit jour ». Cette date du 4 est confirmée en marge du
Registre des Insinuations (246, f. 28) conservé aux Archives de
LA Seine.
214 LE PRINCE DE CONTT
tiges que pouvait avoir laissés dans la région le pas-
sage du prince de Conty, une étrange histoire nous
fut rapportée. On nous conta que M°** d'Arty était
morte à Stors, et même qu'elle y était morte deux
fois.
]\fm6 d'Arty étant défunte fut inhumée, nous disait-
on, dans la chapelle du château. Or, le lendemain,
comme la dalle du caveau funèbre n^était pas encore
cimentée, un domestique s^introduisit dans la cha-
pelle, pour dérober les bijoux dont on avait paré la
morte. Le violateur fait sauter le couvercle de la bière,
dégage une main du linceul pour arracher les bagues. ..
Mais voici que le bras s'agite, que le cadavre se dresse.
Le voleur épouvanté lâche sa lanterne et s'enfuit. La
morte n'était qu'en léthargie. Elle appelle, on accourt,
on lui prodigue des soins ; elle est sauvée N'écoutant
que sa joie de revivre, elle voudrait connaître son
libérateur, à peine entrevu dans la pénombre. Elle
promet amnistie, et bonne récompense. Personne ne
se déclare. Seulement, à quelques jours de là, un vieux
serviteur, que nul n'aurait soupçonné, disparut furti-
vement, sans réclamer son compte ; on ne le revit
jamais.
La légende ajoutait que MJ^ d'Arty ne survécut pas
longtemps à cette aventure macabre et qu'elle tré-
passa peu aprtis, cette fois pour tout de bon.
Il faut se méfier des « traditions ». Ici, d'ailleurs,
le contrôle était facile. Si M"« d'Arty était morte à
Stors, nous devions, sur le registre obituaire de la
paroisse de Llsle-Adam, à laquelle ressortissait le
château, retrouver son acte de décès. Nous en devions
même retrouver deux, le premier annulé, le second
expliquant l'événement. Nous avons compulsé le dit
registre. De M"* d'Arty, pas la moindre trace. Elle
n'est pas morte à Stors (i).
(i) Nous avons découvert depuis que l'histoire de la bague
volée et de la morte en léthargie n'est pas tout à fait con trouvée.
Mais elle s'appliquerait à une dame Ardant qui fut propriétaire
LB PRIN€E DE GONTY 2iSr
A M™® Paneau d'Arty, succéda M™« de Boafflers.Sont
à distiaj^uer au dix-huitième siècle trois grandes dames
de ce nom, également jolies, pareillement connues, et
presque dans le même temps. On les a parfois confon-
dues. La première est la duchesse de Boufflers qui, par
un second mariage, échangea son nom contre celui de
maréchale-duchesse de Luxembourg ; nous l'avons
déjà citée en dénombrant les habitués du Temple. La
deuxième est la marquise de Boufflers, maîtresse du
roi Stanislas Leczinski et mère de Taimable chevalier
de Boufflers, petit poète galant. La troisième est la
comtesse de Boufflers, célèbre pour les agréments de
sa fig-ure, mais encore plus pour son esprit et pour ses
connaissances. Amie tendre du prince de Conty^ elle
brilla à la cour du Temple, comme la marquise, son
homonyme, brillait à celle de Lunéville. Notez que la
comtesse aurait pu être nommée aussi justement :
marquise de Boufflers, puisque son mari, le comte de
Boufflers-Rouverel, fut marquis à la mort de son père.
Les contemporains rappellent préférablement com-
tesse. M^^ du Deffand, dans sa correspondance, la
désigne ironiquement sous ce titre, la « divine com-
tesse » et plus souvent encore T/rfofe, parce qu'elle est
adorée dans un Temple. La société du Prince la sur-
nomme la Minerve savante.
Marie-Charlotte-Hippolyte de Gampet de Saujon,
fille de Charles-François, chevalier de Saujon, en
Saîntonge, baron de la Rivière, lieutenant des gardes
du corps du Roi, et de Marie-Louise-Angélique de
Barbarin de Reignac, naquit à Paris et fut baptisée à
Saint-Sulpice, le 6 septembre 1725. Elle épousa, le
mardi t5 février 1746, en Téglise Saint-Eustache, mes-
sire Edouard, comte de Boufflers-Rouverel, né en
Espagne en 1722, capitaine de cavalerie dans le régi-
du château de Slors après la Révolution, avant que le domaine
fût acheté par Kellermann . Il se peut également que la crainte
d'être enterrée vive manifestée par Mme d'Arty, ait aidé à la con-
fusion de personnes.
216 LB PRINCE DB CONTT
ment de Chepy, et demeurant à Paris, à Thôtel de
Boufflers, rue d'Anjou-Saint-Honoré (i).
Par son frère, le marquis de Saujon, g'enlilhomme
du duc de Chartres et son compa^^non de plaisir, M"»*de
Boufflers avait accès au Palais-Royal. Louis-Philippe
d'Orléans et la duchesse de Chartres, sa femme, née
Bourbon-Conty, avaient signé à son contrat, en com-
pagnie delà princesse de la Roche-sur-Yon et du comte
de La Marche. La jeune comtesse fut d^me d'hon
neur de la duchesse de Chartres et son mari, au mois
d'avril 1746, promu colonel du régiment de Chartres-
Infanterie. Mais M"»® de Boufflers, par sa mère, avait
également un pied à Thôtel de Conty ; M™« de Saujon,
veuve, s'étant remariée à M. de Montmorency-Laval,
premier gentilhomme du Prince.
Dans ces deux cours, elle eut l'occasion de voir fré-
quemment Louis-François. Il devint amoureux d'elle,
le lui dit, la persuada. Peut-être brusqua-t-il le dénoû-
ment. C'est au moins ce que sous-entend Tauteur ano-
nyme de ce portrait :
lancrède est un guerrier dans tout ce qu'il fait. Il va chez
une femme comme à Tattaque d*une place. Dès qu^il a reconnu
les dehors, il méprise de prendre des sûretés qui pourroient
retarder ses victoires. Il se présente eu boa ordre, donne Tas-
saut, monte à l'escalade, et pousse si chaudement l'attaque
qu'il se trouve souvent au corps de la place, et sur la place
d'armes, avant qu'on se soit aperçu de son arrivée. II traite
sa conquête en ville qu'il ne veut pas garder. Loin d'en tirer
une contribution honnête, il la pille sans égards et l'aban-
(i) Le marié était naturalisé Français depuis 1729, mais il était
Français d'origine. Son père, Antoine-François Oudart de Bouf-
flers, seigneur de Rouverel, né en 1679, était, en efiPet, lieute-
nant aux gardes-françaises, lorsqu*en 1699, il tua en duel, à
Paris, rue de Seine, un officier au même corps. M. de Bauque-
mare. Obligé de s'enfuir, il prit du service en Espagne. Ses
biens furent confisqués et donnés à sa sœur Renée-Espérance de
Rouverel. Il épousa en 1721, Anne-Françoise Wanehop, d'une
noble famille écossaise (La Ghesnaye-Desbois, Dictionnaire de la
Noblesse^ tome III, col. 697.698^.
LE PRINCE DB CONTY 217
donne à qui veut s'en emparer. Tancrède est partout le vain-
queur de B... (i).
Si, comme il est probable, ce B majuscule désigne
M™® de Boufflers, Tauteur est mauvais prophète sur un
point: la ville prise ne sera pas, cette fois, « abandon-
née à qui voudra s'en emparer ». M"® de Boufflers va
devenir en même temps que l'amante, Tamie indispen-
sable du Prince ; plus tard, quand elle ne sera plus
Tamante, elle restera la conseillère fidèle et dévouée.
Le portrait de Conty sous le nom de Tancrède est
de 1762. M™* de Boufflers est donc, à ce moment déjà,
la matlresse du Prince. Mais en 1760, le duc de Luy-
nes la rencontrait à Versailles y allant faire la révé-
rence d'étiquette à l'occasion de la mort de son beau-
père, M. de Rouverel. Signe qu'elle n'était pas encore
séparée de son mari. Ce rapprochement de dates nous
conduit, par une autre voie, à la même conclusion que
ci dessus lorsque nous fixions, par à peu près, à l'an-
née 1751, la rupture du Prince avec M*"® d'Arty et
Tavènement de la comtesse.
Aussitôt que M™® de Boufflers quitte le Palais-
Royal, brouillée à mort avec les Orléans, pour pren-
dre logis à l'Enclos du Temple où le prince de Conty
lui offre un hôtel, sa vie durant, sa victoire s'affirme
sur toutes ses rivales possibles (2). Non seulement elle
(i) U école de Pllomme, oa Parallèle des portraits da siècle,
tome III, p. 211. La clé se trouve à la fin du volume dans les édi-
tions ori§^inales ; c'est l'auteur lui-même qui indique Tancrède
comme étant Conty.
(2) Voici la description que donnaient de Thôtel de Boufflers,
au Temple, les délégués de TOrdre de Malte dans les commande-
ries, lors de la » visite » de 1783 :
« Nous sommes entrés dans une maison appelée l'hôtel de
Boufflers, n^ 20, par une grande porte cochère. A droite, en
entrant, est une petite basse-cour« après laquelle est un dessous
de porte où est le logement du suisse
» Ensuite nous sommes passés dans une grande cour, à droite
de laquelle sont des écuries et, plus loin^ une basse-cour où est
2i8 LB PRINCB DE CONTY
captive le cœur de son amant par les grâces de sa per-
sonne, mais elle enchaîne son esprit parles agréments
du sien, par Futilité de ses avis, par le charme de sa
conversation. Une sorte de séduction émane d*elle.
un bâtiment composant des remises, au-dessus desquelles sont
des greniers et logement pour le cocher.
» Au bout de laquelle cour et en face de la porte d*entrée est
le corps de logis dudit hôtel dont les offices sont à demi souter-
rains.
» Lie rez-de-chaussée dudit hôtel est composé d*un corridor,
d'une anti chambre, d'une salle à manger, d'un salon, d'une
chambre à coucher, d'un cabinet de toilette, dans lequel sont
lieux à Fangloise, d'une chambre de bibliothèque, d'un balcon
en forme de terrasse faisant le pourtour jusques et compris les
croisées du salon.
» Au premier étage sont trois appartements de maître au-des-
sus desquels sont différentes chambres de domestiques et un
grenier servant de garde-meuble.
» En retour sont des cuisines et garde-manger ayant vue sur
l'hôtel de Guise ; après est un mur de clôture au bout duquel est
le dessous de ladite porte, dans lequel est pratiqué un escalier
conduisant aux chambres d'appartement de maîtres et de domes-
tiques au-dessus.
» Ledit corps de logis est couvert en ardoises. Derrière lequel
est un grand jardin clos de mur, au bout dudit jardin est un
petit bâtiment composé de trois pièces dont la façade est formée
de trois arcades ouvrant chacune à deux vantaux, une fenêtre,
une demie feinte et l'autre ouvrant réellement â vantaux et les
trois impostes cintrées en vitrage.
» Dans la plus grande pièce est la cheminée garnie de sa
plaque de fer, de son contre-cœur, d'un chambranle et sa table de
marbre, une alcôve, deux niches et trois portes dont une com-
muniquante â un résidu à droite de la cheminée, dans lequel est
une vue de souffrance tirant son jour du côté du voisin, d'après
l'ouverture grillée de trois barreaux et le châssis ouvrant et fer-
mant qui existe : à gauche de la cheminée est une porte d'ar-
moire ; celle vis-à vis la cheminée est communiquante à l'autre
pièce qui parolt être disposée pour antichambre, et la troisième
pièce, où est le fourneau, paroît être pour la baignoire
» Dans la première pièce il convient de refaire les deux
niches, etc.
1» En face du dit bâtiment est un bassin d'environ 12 pieds de
diamètre au milieu duquel sont différentes figures en plomb for-
mant jet d'eau.
» Au fond du jardin et adossé contre le mur de clôture est un
LE PRINCE DE CONTY 249
comme un parfum. Tous ceux qui l'approchent la pro-
clament la plus aimable femme de son temps ; et plus
on la connaît, plus on lui rend cette justice. Ce qu'elle
dît est tournédifféremment de ce que disent les autres;
elle est unique pour ne rien perdre de son naturel en
ayant toujours de Tesprit. Cependant nulle n'a plus
d'amis qu'elle, ni si peu d*ennemis, parce qu'elle joint
à tous les dons de la nature, et à leur culture, une
bonté et une sensibilité qui la portent à s'oublier
sans cesse pour ne s'occuper que des biens ou des maux
de ceux qui Tentourent (i). Qui la dépeint ainsi ?
Est-ce un de ses adorateurs ?Non. C'est un diplomate
« de sens rassis », Dutens, le premier éditeur complet
de Leibnitz, « anglais d'adoption et de jugement, qui
a visité les principales cours de TEurope et qui a en soi
bien des termes de comparaison » (2).
Un autre témoin de sa vie, un homme à qui elle a
rendu le service important de le tirer du couvent et
de le faire relever de ses vœux^ lui a dédié la traduc-
tion d'un livre anglais, entreprise sous ses auspices.
Ecoutez comme s'exprime sa reconnaissance :
Je dédie cet ouvrage à la personne à qui je dois le bien le
plus précieux de la vie pour qui sait en jouir. Distinguée par
petit bâtiment couvert d'ardoises et servant de salon de repos.
» Tous lesdits bâtiments nous ont paru en bon état et bien
entretenus.
» La jouissance de tous lesdits lieux a été concédée par feu
Monseigneur le Prince de Conty. grand prieur de France, en
vertu du bref d'autorisation de S. A. E. Monsei|B^neur le Grand
Mattre et son Sacré Conseil â Malte, â Mme la comtesse de Bouf-
flers pour en jouir sa vie durant, à la charge de l'entretien seu-
lement ; et ensuite â M. de Boufflers, son fils, et â Mme de Bouf-
fiers, sa bru. aussi leur vie durant, à la charge pareillement
d'entretenir les lieux en bon état pendant le temps de leur jouis-
sance et â charge de payer annuellement au grand prieuré de
France la somme de 2.000 livres de loyer». (Archives Nationales:
S. 5.566 Visite priearale de 1783, ff. 3o8 3ii).
(i) DuTENS, Mémoires d'an Voyageur qai se repose, 1. 1, p. 196;
t. II, p. 14.
(2) Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, tome IV, p. 172.
220 LE PRINCE DE CONTY
le raD|^ et la naissance, elle Test infiniment plus par la délica-
tesse et Télévation des scntimens, la beauté du g^énie, l'éten-
due des lumières, la pénétration de Tesprit, la précision et la
vigueur du raisonnement, la pureté et Télég-ance du lang-ag'c,
la justesse et la finesse du goài. Sans le vouloir elle passe, à la
cour, à la ville, chez Tétranger et dans la république des
lettres, pour une des premières femmes de sa nation et de
son siècle...
Fadeurs ordinaires d'une dédicace? Point. Car
M™'* de Boufflers ici n'est pas nommée et n^aurait pas
souffert qu'on la nommât. C'est l'admiration qui parle
toute pure.
Des qualités si rares élèvent M™® de Boufflers trop
au-dessus de la plupart des femmes de son cercle pour
qu^elle ne leur paraisse pas quelque peu étrange et
paradoxale. Tout en la déclarant charmante : c Elle
est trop l'ennemie des lieux communs », dit M^^ de
Genlis, à qui la postérité n'adressera jamais semblable
reproche (i). La vieille marquise du Deffand que
toute renommée blesse, qui n'observe que pour se
moquer, enrage des succès de M™® de Boufflers et la
correspondance dont son amour sénile accable le
sceptique Horace Walpole, abonde en Irails venimeux
à l'adresse de VIdole et de sa « clique ». C'est ainsi
qu'elle nomme la société du Temple. Il est vrai que
dans la querelle de M™® du Deffand avec M'^« de Lespi-
nasse, M™* de Boufflers a refusé de prendre parti. Cela
ne se pardonne pas.
La duchesse de Chartres, devenue d'Orléans, ne par-
(i) Mme DE Genlis, Mémoires, iora^ I, p. 299. - Mme de Genlis que
ses propres contradictions n'embarrassent point dit, il est vrai,
un peu plus loin : « Mme de Boufflers passoit pour la personne
de la société la plus spirituelle ; elle èloit même auteur de plu-
sieurs drames et comédies, mais qui n'ont jamais été imprimés.
On l'accusoit de soutenir dans les conversations des paradoxes
ou des thèses bizarres ; c'est ce que je D*ai jamais entendu, je
Tai toujours trouvée aussi raisonnable que spirituelle, mais elle
n'étoit jamais commune : c'est là sans doute ce qu'on appeloitde
la bizarrerie a (Tome II, p. 262).
LE PRINCE DE CONTY 221
donne pas non plus à son ancienne dame d'atour
d'être mainlenanl sa belle-sœur de la main gauche.
El quoique sa propre conduite laisse fort à désirer (le
comte de Melfort en dirait quelque chose), elle chan-
sonne la favorite de son frère en termes outrageants :
La catin d'un prince de sang
Tient à Paris uo fort beau rang
Chés les filles publiques,
Ëhl bien?
Tant elle est impudique...
Vous m'entendez bien I (i)
Qu'importent ces taches au portrait? Ainsi qu'ob-
serve Sainte-Beuve, mieux que tous les propos de
société, Testime profonde et Taifection que saufa ins-
pirer M^^ de Boufflers au grand historien David Hume,
à Paris en qualité de secrétaire d'ambassade, jugent la
femme et sont garants du sérieux, de la bonté, qu'il
trouve en elle sous Técorce mondaine et brillante.
Cette intimité de Hume et de la comtesse coïncidera
précisément avec une des crises les plus douloureuses
que puisse subir un cœur aimant... Nous sommes en
1764. Depuis treize ans, ï Idole est admirée, choyée.
Ce ne sont en son honneur, au Temple comme à L'Isle-
Adam, que fêtes, concerts, soupers littéraires, récep-
tions grandes ou petites, hommages perpétuels; sa vie
est une féerie de chaque jour. Que manque-t-il à
M"* de Boufflers pour être parfaitement heureuse?
Presque rien : sinon un état régulier dans le monde,
une situation moins équivoque. Or, voici que M. de
Boufflers meurt subitement au mois d'octobre. Elle est
libre : le prince de Conty est veuf. Que va-t-il faire?
Leur liaison va-t-elle prendre un autre nom^ un tour
plus honorable? Beaucoup de gens le croient. Hume,
confident de M°^^ de Boufflers, lui rend compte des
opinions diverses qu'il recueille :
(i) Bibliothèque de l'Arsenal : Manascrits^ 3 119, f. 38.
222 LE PRINCB DR CONTY
Mercredi 28 novembre ijS^. — Vous pouvez penser que
depuis mon retour à Paris, je n'ai cessé de tenir ouverts mes
jeux et mes oreilles pour ne rien perdre de ce qui a rapport à
votre affaire. Je trouve que l'opinion générale de tous ceux
qui se croient le mieux informés est qu'une résolution sera
prise en votre faveur et que cette résolution aura probable^
ment son effet.
Mais vous ne pouvez certainement vous attendre qu'un si
gl^rand événement se passe sans critique : il conviendrait mal à
mon amitié de vous flatter sur ce chapitre. L'envie et la jalousie
naturelle au monde suffiraient pour expliquer la répugnance
d'un grand nombre. Personne n'a été plus généralement con-
nue que vous, et dans ces dernières années et dans votre pre-
mière jeunesse : se peut-il qu*un si grand nombre de connais-
sances vous voient avec plaisir passer du rang de leur égale à
celui de leur supérieure, et si fort supérieure ?Supportera-t-on
de vous voir unir l'élévation si marquée du rang à l'élévation
du génie qu'on sent en vous et qu'on voudrait en vain contes-
ter? Soyez assurée que celle-là sera réellement et sincèrement
votre amie, qui pourra vous accorder de bon cœur de si
grands avantages...
Au total, je suis persuadé, par tout ce que j'entends et vois,
que la chose finira comme nous le désirons; mais en tout cas
je prévois que, quelle que soit l'issue, vous recueillerez de
tout cela beaucoup d'honneur et beaucoup d'ennui... (i)
Hélas! non. La chose ne finira pas « comme on le
désire ». Les jours se passent; la résolution du Prince
est prise. Ce n'est pas le refus formel; mais c'est
l'ajournement indéfini, qui équivaut au refus. Hume
n*a plus qu'à consoler son amie, qu'à panser de son
mieux cette blessure cruelle. Avec quels ménagements
infinis il procède, avec quelle délicatesse il lave la
plaie! Il commence par expliquer, par excuser, s'il se
se peut, la conduite de Tamant :
Les princes, dit-il, plus que les autres hommes sont nés
esclaves des préjugés et ce tribut leur est imposé comme une
(i) David Hume ne paratt point se douter que l'acceptation de
GoDty comme grand-prieur de France par l'Ordre de Malte avait
été subordonnée à iaconditioù expresse que le Prince ne se rema-
rierait pas ou qu'il remettrait le grand-prieuré (Voir ci-dessus,
LE PRINGK DR GONTY 223
sorte de représailles par le public. Le prince en particulier
dont il s'agit est, à tous les points de vue, si émiaent qu'il doit
quelque compte de sa conduite à l'Europe en fipénéral, à la
France et à sa famille, la plus illustre qui soit au monde. On
doit s'attendre que des hommes dans sa condition ne seront
pas poussés à a|^ir par des mobiles privés... Il pourrait faire
sans doute un pas extritordinaire en considération d'un
mérite extraordinaire... Mais, s'il ne le fait point, aurait-on
bonne grâce à s'en plaindre et à en concevoir le moindre res-
sentiment ?
Puis il arrive à l'application du remède, remède
énergique mais nécessaire, selon lui :
La perte d'un ami, celle d'une dignité ou de la fortune,
admet quelque consolation, sinon par raison, au moins par
oublia et ces sortes de chagrins ne sont pas éternels. Mais tant
que vous maintenez vos relations présentes, vos espérances
toujours ravivées ranimeront toujours votre désir naturel de
l'état auquel vous aspirez, et en même temps votre dégoût
pour l'état dans lequel vous vous trouvez aujourd'hui. Je pré-
vois que vos passions si vives, continuellement remuées, met-
tront en pièces votre frêle machine : la mélancolie et une
constitution ruinée deviendront alors votre lot, et les remèdes
qui pourraient maintenant préserver votre santé et conserver
l'équilibre de votre âme viendront trop tard pour les rétablir.
Quel conseil donc puis-je vous donner dans une situation
si intéressante? La ligne de conduite que je vous recommande
exige du courage, mais je crains que rien autre chose ne soit
capable de prévenir les conséquences que j'appréhende si jus-
tement : c'est, en un mot^ après avoir employé tous les doux
moyens pour prévenir une rupture, que vous en veniez à
diminuer graduellement votre intimité avec le prince, que
vous soyez moins assidue dans vos visites» que vous fassiez
de moins fréquents et de plus courts voyages dans ses rési-
dences de campagne et que vous vous rangiez vous-même à
une vie de société privée et indépendante à Paris. Par ce
changement dans votre plan de vie, vous coupez court d'un
coup à Tattente de ce rang auquel vous aspirez; vous n'êtes
pas agitée plus longtemps par des espérances et des craintes,
votre tempérament recouvre insensiblement son premier ton,
votre santé revient; votre goût pour une vie simple et privée
224 LE PRINCB DE CONTY
gag'ne du terrain chaque jour, et vous finissez par vous aper^
cevoir que vous avez fait un bon marché en acquérant la trao-
quillité au prix de la grandeur. La diK^nité même de votre
caractère, aux yeux du monde, reprend son lustre, puisque
les hommes voient le juste prix que vous mettez à votre
liberté et que, quelles que soient les passions de jeunesse qui
vous aient séduites, vous ne voulez plus maintenant faire le
sacrifice de votre temps, là où vous n'êtes pas jugée digne de
tout honneur.
Et pourquoi repousseriez -vous si fort la pensée d'une vie
privée à Paris ? C'est la situation pour laquelle je vous ai
toujours crue la mieux faite depuis que j'ai eu le bonheur de
votre connaissance. Les grâces inexprimables et délicates de
votre caractère et de votre conversation, comme les douces
notes d'un luth, sont perdues au milieu du tumulte du monde
dans lequel je vous ai vue journellement engagée. Une
société plus choisie saurait mettre un prix plus juste à votre
mérite. Des hommes de sens, de goût et de littérature,
s'accoutumeront d'eux-mêmes à fréquenter votre maison.
Toute société élégante recherchera votre compagnie et, quoi-
que tout grand changement dans les habitudes et la manière
de vivre puisse d'abord paraître désagréable, l'esprit se récon-
cilie bien vite avec sa nouvelle situation, surtout si elle lui
est le plus naturelle et celle pour laquelle il est né... (i).
Quelle sagesse afFectueuse et comme on sent que
ces conseils si pratiques, si désintéressés, sont dictés
par une amitié vraie! Cette belle lettre fait autant
d'honneur à celle qui la reçut, étant capable de la lire,
qu'à celui qui l'écrivit en toute sincérité d'âme.
M™« de Boufflers ne suivit qu'à demi les avis de
Hume. Elle se détacha peu à peu du Prince, qui d'ail-
leurs commençait lui-même à se détacher d'elle. Elle
cessa d*ètre sa maîtresse, mais elle n'eut pas le cou-
rage d'aller jusqu'au bout de roblation. Elle resta au
Temple; elle y conserva son hôtel et son jardin
anglais, la merveille de TEnclos; elle continua de
payer son écot à la loge du Prince, au théâtre de
(i) Lettre de Hume, traduite et citée par Sainte-Bscjvk, Noa-
veauœ Lundis, tome IV, pp. 181-186.
LE PRINCE DE CONTY 225
l'Opéra (i). L'habitude fui plus forte que le resseati-
ment.
En 1767^ la comtesse n'est plus que « l'ancienne
amie » du prince de Conlv. Ainsi l'appelle M"'* de Gen-
lis, à propos d'un voyage à L'Isle-Adam. Jean-Jacques,
confessant qu'il faillit devenir amoureux de M°^® de
Boufflers en 1761, dit également : « Si je ne fis pas la
folie de devenir son rival [le rival du Prince], il s'en
fallut de peu; car alors M"*^ de Boufflers étoit encore
sa maîtresse ». Etait encore... Elle ne l'esl donc plus
au moment où Rousseau écrit ses Confessions. Cette
scission charnelle n'est un secret pour aucun des habi-
tués du palais prieural, et si Rousseau lui-même en
est instruit à distance, c'est que dans Paris bien peu
de gens l'ignorent. Ce néanmoins le Prince rend à
^{qoe ()ç Boufflers les mêmes devoirs, les mêmes hom-
mages extérieurs qu'autrefois. Elle est toujours la
reine de la petite cour du Temple ; elle est de tous les
déplacements, de tous les plaisirs, et Conty va souper
chez elle deux ou trois fois la semaine. Pour mieux
donner le change à Topinion, il pousse les scrupules
de la bienséance jusqu'à s'abstenir d'assister au ma-
riage du jeune comte de Boufflers, en décembre
1768. Bien que Pont-de-Veyle ait mitonné ce mariage
avec M^'® des Alleurs, fille de notre ancien ambas-
sadeur à la Porte ; bien que la maréchale de Luxem-
bourg ait choisi les boucles d'oreilles de la mariée ;
bien que toute la société du Temple soit de la noce
et quatre-vingts personnes priées au repas du len-
demain, le Prince n'y paratt point (2). Et l'on ne
saurait imaginer d'autre explication que la délica-
tesse à cette absence préméditée, puisque peu après
(i) La comtesse de Boufflers, la maréchale de Luxembourg et
la duchesse de Lauzun contribuaient chacune pour 5oo livres
par an à la location des deux loges de Conty, à TOpéra (Registre
des Comptes de Manscoart, Recette, chapitre 20, article 2).
(2) Mme DU Deffano» Correspondance f tome I, pp. 4?^ et 52i. —
Gcuette de France, 9 décembre 1768.
15
^226 LB PlinfCE DB GONTT
Conty iémoig^ne de son intérêt à la mère et au fils en
nommant le comte de Bouffiers lieutenant-colonel du
régiment de Conty-Dragon (i).
M""* de Bouffiers demeura au Temple jusqu'à la
mort du prince de Conty, sans que rien parût être
modifié dans son état. Conty disparu (1776), elle se
retira dans une jolie maison qu'elle possédait à
Auteuil, puis elle alla soigner à Arles sa santé ébran-
lée par le chagrin. C'est alors qu'elle écrirait à Gus-
tave ni de Suède :
D'Arles^ 24 janvier ijjj. — ...La perte que j'ai faite.
Sire, est une perte nationale ; elle m'inspireroit les regrets les
plus vifs pour riotérêt de mon pays si, dans ma profonde
douleur, je poavois être occapée d*aotre chose que de ce qui
m'est particulier dans ce malheur. Mais lorsque je considère
ce royaume privé de son principal ornement par la mort pré-
maturée d^un héros, d*un grand prince, doué des vertus et
des qualités les plus distinguées, d'une probité antique, d'une
franchise véritablement françoise, plein d'amour pour la
patrie, zélé défenseur des droits de chacun, exposant à cha-
que occasion son repos et sa sûreté, sa vie même, pour con-
server nos libertés, et que je viens à réfléchir qu'une destinée
favorable en apparence, mais en effet la plus cruelle, m^avoit
attaché ce grand homme par les liens de la plus tendre ami-
tié, je suis prête à mourir de l'excès de mon désespoir... (a).
Elle se consola pourtant, regagna Auteuil et y vécut
jusqu'à la Révolution dans une paisible retraite, avec
(i) Louis-Edouard de Bouffiers était né le 3 décembre 174^.
Elevé à l'étranger, il voyagea pendant toute sa jeunesse. En 1770,
il fttinommé mestre de camp-lieutenant de Ck>nty-Dragofi, lequel
régiment à la mort du Prince prit le nom de Boufflers (ordon-
nance du la septembre 1776) tandis que Louis-Edouard en deve-
nait mestre de camp. Passé brigadier de dragons le 5 décembre
1781, il fut nommé maréchal de camp le 9 mars 1788. Il mourat
en émigration vers 1795. De son mariage avec Amélie des Alleurs,
il avait eu unfits,Améiie-Joseph-Edouard,né à Paris le 16 novem-
bre 1785. (Jal, abusé par le prénom féminin a pris cet enfant pour
une fille).
(2) Corrtnpondance de Gatiaoe IIJ et de Jf^ne de Boafflere,
pp. io4-io5.
LB miNCB DE CONTT 22?
sa bru, la comtesse Amélie, recevant chez elle, en été,
la meilleure compagnie de Paris, allant quelquefois
passer le printemps aux eaux de Spa... (i).
Bile s'était justement attardée à Spa en 1789 lorsque
fut prise la Bastille. Au lieu de rentrer en France, les
dames de Boufflers, pour attendre les événements,
passèrent en Angleterre, d'où elles ne revinrent qu'en
1792, probablement sous la menace de la confiscation
de leurs biens, comme émigrées. Et les deux ci-devant
nobles, tout aussitôt, s^efforcent de se hausser au rang
de bonnes citoyennes. Espérant attendrir l'ogre révo^
lutionnaire, elles multiplient leurs dons patriotiques.
Prudemment, elles déposent au comité d*Auteuil,8ans
les décacheter, les lettres quelles reçoivent de l'étran-
ger. Même la comtesse Amélie, dont le mari est resté
hors frontières, va jusqu'à réclamer contre lui le
divorce, qu'elle obtient (i3 février 1793).
Inutiles précautions, vain étalage de civisme. Emi«
grées rentrées, par là seul elles sont suspectes. Le
22 janvier 17949 un ordre du comité de Sûreté géné-
rale les envoie à la Conciergerie, après perquisition
domiciliaire et saisie de leurs papiers. On ne découvre
heureusement rien de compromettant chez elles,
sinon « un portrait à la silhouette que la citoyenne
Campet-Saujon déclare être celui du prince de Conty ;
le dit portrait en médaillon garni en or et de deux
glaces, enfoncé dans un étui de galuchat x> (i). Mais
(i) Mm« do Oeffand écrit à Horace Walpole en 1780 : « Elle a
complèlement oublié TAltesse pour qui elle voulait qu'on crût
qu'elle avait une grande passion ; celle qu'il avait eue pour elle
était tellement passée qu'on prétend qu'il ne la pouvait plus
souffrir : heureusement il n'avait pas attendu à ses derniers
moments pour loi faire du bien ; elle a, dit-on, quatre-vingt ou
cent mille livres de rente ;. elle en fait bon usage » {Corrtêpon-'
dancede if>n« du De/fand^ tome II, p. 715).
Noua ne savons pas à combien se montait la fortune person-
nelle de Mm«de Boufflers. Do prince de Conty elle tenait seule-
ment 3o.ooo livres de rente, exemptes d'impositions (Regiitre
des Comptée de Manteourt. Dépense, chapitre 10, rente n^ 173).
228 LE PRINCB DE CONTY
les renseignements sur les accusées et sur Delesterne,
leur domestique, arrêté avec elles, ne sont pas défa-
vorables ; elles ont la chance de doubler le 9 thermi-
dor sans être jugées; en vendémiaire, quand elles
comparaissent devant le farouche tribunal, la détente
commence à se faire ; elles sont acquittées, a non
convaincues d'être auteurs d'une conspiration qui a
existé contre la liberté du peuple » (a).
Les dernières années de la comtesse de Boufflers
sont obscures. Une pétition adressée par elle à la
Convention nationale nous avertit seulement qu*elle
perdit son fils. Elle y dit qu'après avoir été enfermée
puis acquittée, elle ne doit pas être soumise aux exi-
gences de la loi sur les parents d'émigrés « pour les
biens saisis à son fils décédé, et qui lui revien-
nent » (3).
Lorsque Sainte-Beuve consacrait à la « divine com-
tesse » trois de ses Lundis littéraires, on ignorait la
date de sa mort ; « ce dernier renseignement précis,
on ne l'a pas encore obtenu, et il se peut en effet
qu'elle ne se soit éteinte qu'en 1800, comme une vague
tradition l'a répété » (4). La vague tradition s'est,
depuis, faite certitude. M"** de Boufflers mourut à
Rouen, rue Faucon, le 28 novembre 1800 (5).
Sa belle-fille lui survécut vingt ans. Elle s'éteignit
dans un état voisin de la misère, le 4 nt^i 1820, à
Auteuil, chez son ancien cuisinier. Son fils, le comte
(i) Archives Nationalbs : W 453, dossier i36 (Perquisition à
la maison rue de Choiseul, n* 714» appartenant à la citoyenne
Boufflers).
(2) Le Moniteur universels i4 vendémiaire an III. Le jugement
est du 2 vendémiaire U3 septembre 1794).
(3) Pétition adressée à la Convention nationale par la
citoyenne Campet, veuve d* Edouard Boufflers, etc. Ce factum
est imprimé sans lieu ni date; mais il est forcément antérieur au
26 octobre 1798, jour où la Convention se sépara, léguant à la
France la Constitution de Tan III et le Directoire.
(4) Sainte Beuvb, Nouveaux Lundis, tome IV, p a34.
(5) Ch. Naurot, « Le Curieux », tome I, p. 296.
LB PRINCE D£ CONTT 229
Amélie de Boufflers, dernier de sa race, mourut le
5 avril i858. La mère et le fils reposent dans la partie
ancienne du cimetière d'Âuteuil.
La troisième maîtresse d'habitude du prince de
Conty s'appelait M°^^ Dailly. Il la connut vers le mois
de juin 1770, autant que Ton peut conjecturer sur
une phrase incidente d'un rapport de Tagent Marais,
inspecteur de la police des mœurs : « On dit que
jyjine Dailly vivoit avec M. le duc de Choiseul ; qu'elle
vient d'accoucher; qu'elle est au désespoir, mais que
M. le prince de Conty lui reste » (i). Point de date à
cette note ; mais elle est sûrement de la fin de mars
ou du commencement d'avril 1771. M"* Dailly accou-
cha, en eifet, le 21 mars de la dite année.
Et le même agent Marais nous reparlera d'elle dans
un rapport daté, celui-ci, du a6 avril : « Il [Conty]
tient aussi sous la clef, la dame Dailly^ de chez laquelle
il a tout à fait éconduit le comte de Chabot » (2).
Que M^^ Dailly ait été, ou non, la maîtresse de
M. de Choiseul, récemment disgracié, et celle de
M. de Chabot, peu nous importe. Ce qui est avéré,
c'est qu'elle sut persuader au prince de Conty, lequel
n'était point tout à fait un naïf, que l'enfant né le
21 mars 1771 était de lui. Voilà pourquoi nous pou-
vons, en toute certitude, faire remonter, pour le moins,
au milieu de l'année précédente cette liaison nouvelle
du Prince, liaison qui se poursuivra désormais dans
un mystère si absolu que la plupart des contempo-
rains ignoreront jusqu'au nom de M™® Dailly.
Cependant cette femme mériterait dans l'index des
maîtresses du Prince, une place à part, à côté de
M™* d'Arty, à côté presque de M"* de Boufflers. Au-
tant que ces deux dames, elle est l'amante et l'amie.
Sérieuse et rangée, elle se pique d'introduire l'ordre
(1) G. Piton, Paris ious Louii XV^ tome 1, p. Sg.
(2) Bibliothèque Nationale : Manuscrite français, ii.36o,
f. 537.
230 LB PHINCB DB CONTT
josque dans le désordre. Pendant cinq ans, jusqu'à
la mort du Prince, M^*^ Dailly, pour lui complaire, va
se confiner dans une quasi-clôture, Tolontairement
séparée du monde. Elle coûtera peu, n'exigera rien,
subira docilement les contraintes d'une jalousie
renouvelée des tuteurs de comédie. Cette décence,
a£Fectée ou sincère, ce désintéressement, réel ou feint,
retiendront Couty. L'orgueil d'être père le captera
tout à fait, quand un frère sera né, en décembre 1772,
au premier bfttard de 1771.
La réussite de M*^* Dailly tient bien un peu au
besoin d'économie qui s'impose au Prince depuis que,
son engouement pour les beaux-arts tournant à la
passion, il consacre chaque année des sommes énor-
mes à embellir sa galerie de tableaux. Mais cette réus-
site tient aussi à ce que M°"® Dailly vient au bon
moment, à l'heure physiologique. Conly touche à
Tftge du repos. Cette effervescence amoureuse, cette
apparente fureur sensuelle qui, comme on le verra
plus loin, l'ont porté, de 1767 à 1771, à collection-
ner les mattresses par douzaines, étaient les der-
niers éclats de la lampe près de s'éteindre. Le Prince
va sur ses cinquante-cinq ans; la vieillesse le guette,
la décrépitude le menace. Les succès abondants que
lui procurait jadis sa réputation d^aimeur vigoureux,
il ne les obtient plus qu'à prix d'or. Si les femmes
à présent se retournent sur son passage, ce n'est
qu'au tintement de ses écus. Il en plaisante, mais il
en souffre : « Autrefois, dit-il, mes politesses étaient
prises pour des déclarations d'amour; aujourd'hui,
mes déclarations ne sont plus prises que pour des
politesses » (i). L'avis pittoresque donné au roi
Louis XV par son médecin ordinaire : « Sire, il faut
dételer », s'appliquerait à merveille au prince de
Conty. Mais dételer serait comme un aveu de sa dé-
chéance physique. Et, pareil au gourmet blasé qui
(i)DuTiH8, Mémoires d'un Voyageur qui se repose^ tome II,
p. M.
LB PRINCB DB CONTT 231
espère trouver dans la yariéié des mets Pépiee propre
à ravigoter son palais, Conly, remplaçant Tamour
par la débauche, s'est obstiné à chercher parmi cent
gueuses, la femme savante au déduit, capable de
ranimer ses sens paresseux. Quelle prudence pour-
tant en ses excès ! Et comme, dans cette chasse à Toi-
seau rare, il ménageait ses munitions. Laissons l'agent
Marais révéler ce détail au lieutenant de police, tout
à cru, avec ce dédain de la périphrase dont l'inspec-
teur des mœurs est coutumier :
3i janvier ijjî. — Ce prince [Contj] passe poor un héros
en amour, mais je sais d'une bréteuse qui lui a passé par les
mains et qui est fort grecque, qu'il n'en a que l'apparence.
Voiey comme il s j prend : on convient qu'il a encore un peu
d*érection, mais pour soutenir la bonne opinion qu'il veut
qu'on ait de lui, au moment du plaisir, sous prétexte de pré-
cautions pour sa santé, il se retire et a l'air de finir son affaire
dans un mouchoir blanc qu'il porte toujours à cet effet, et
l'instant d'après, il parott recommencer sur nouveaux frais.
Une femme, dernièrement, se saisit adroitement du mouchoir
et lui fit connottre que tous ses grands airs se réduisoient au
mérite d'être un bon garçon serrurier, c'est-à-dire qu'il sait
très bien limer (i).
A la faveur de cette crise, de ce « retour d'âge »,
M"* Dailly, sitôt qu'elle paraît, s'empare du Prince
parce qu'elle rend l'illusion de l'amour è ce cœur
désenchanté des femmes pour avoir trop aimé les
filles...
Marie-Claude Gauche était née à Charleville, en
17479 de Jean Gauche et de Jeanne-Françoise Tugot,
artisans peu fortunés. A quinze ans, ses parents Ta-
vaient mariée à un peintre sur émail, un abbevillois,
nommé Jacques-François Dailly, qui avait le double
de son âge et qui l'emmena à Paris. Le ménage ne
fut pas longtemps heureux. L'épouse était-elle trop
(i) BuLiOTHiQUB NAT10NAI.B : MattuicritA fratiçaiêf i|.36o, fol.
497-
232 LE PRINCE DE CONTT
volage? L'époux était-il trop violent? Nous ne con-
naissons que les griefs de la femme, tels qu'ils sont
exposés dans la plainte en séparation de corps qu'elle
rendit contre son mari à Michel-Pierre Guyot, com-
missaire au Châtelet :
... Laquelle nous a dit qu'à Tâge de quinze ans elle a eu le
malheur d'épouser François Daillj, peintre en émail ; que
cette union n'a été pour elle qu'une source d'amertume et de
chagrins; que son mari, loin d'avoir pour elle les sentiments
qu'elle avoit droit d'en attendre, n'a pas même conservé long-
tems les égars que la bienséance et l'humanité exigent ;
qu'elle a fait tout ce qui a dépendu d'elle pour ramener son
esprit et se concilier son affection, mais que sa douceur et sa
complaisance n'ont fait que le rendre plus intraitable ; qu'il a
bientôt déployé toute la violence de son caractère et qu'il lui a
fait essuyer des scènes dont elle a pensé être la victime ; qu'il
n'a cessé de l'injurier en l'appelant journellement a salope »
et a bougueresse >,et en employant contre elle les termes les
plus grossiers ; qu'il a semblé prendre à tâche de décrier sa
conduite et ses mœurs, et qu'il a poussé la diffamation jus-
qu'à la traiter devant différentes personnes de c garce » ; que
non content de l'accabler et de la diffamer, il ne cessoît de la
menacer ouvertement ; que des menaces, il a passé aux mau-
vois traitemens, qu'il l'a frappée plusieurs fois avec violence ;
qu'un jour il lui mit le poing sous la gorge en lui disant :
« Bougueresse, va-t-en, sors de chez moi, sinon je te fouterai en
bas des escaliers » ; qu'effectivement il en seroit venu à cette
extrémité si la plaignante, cédant à la nécessité, n'eût enfin
pris le parti de se retirer pour mettre ses jours en sûreté ;
qu*ainsi chassée de sa propre maison par les violences de son
mari, elle n'eut d'autres ressources que de se retirer chez la
dame sa mère ; que depuis ce tems son mari n'a jamais voulu
la revoir ; qu'il ne lui a jamais rien fourni, ni pour sa subs-
sistance ni pour son entretien, au point qu'elle auroit manqué
des choses les plus nécessaires à la vie sans le secours que
la dame sa mère lui a procuré ; qu'enfin il a poussé le mépris
envers elle jusqu'à l'abandonner totalement, en sorte qu'elle
ignore même ce qu'il est devenu. Et comme la plaignante a
intérêt de se mettre pour toujours à couvert de ses violences,
et qu'elle désire se pourvoir en justice pour obtenir sa sépa-
ration de corps, elle est venue nous rendre la présente
LE PRINCE DE COMTT 233
plainte dont elle nous a requis acte, à elle octroyé pour lui
servir et valoir ce que de raison (i).
Celte plainte est du 12 octobre 1775. M"* Dailly est
la maîtresse du prince de Conty depuis quatre ans et,
certainement, elle exagère quand elle prétend «qu'elle
eût manqué des choses les plus nécessaires à la vie
sans le secours de la dame sa mère ». Si le Prince tient
sa maîtresse « sous la clé », comme dit Marais^ la cage
où il renferme est dorée à souhait. Elle habite dans
la paroisse Sainte-Marguerite, une fort belle maison
située rue de Popincourt, au coin de la rue Saint-
Sébastien. Elle se fait appeler M'"® de Brimont et elle
édifie ses voisins par sa bonne tenue, elle les charme
par sa douceur et son esprit (2).
M"** Dailly, avons-nous dit, ne quitta point le Prince
jusqu'à sa mort. Lors de la dernière maladie de Louis-
François, elle s'était établie au Temple dans un cabi-
net contigu à sa chambre à coucher et, dès qu'il était
seul, elle entrait (3). C*est qu'il s'agissait d'assurer le
sort de ses enfants, d'obtenir du Prince qu'il les avouât
publiquement. Elle y parvint. François-Claude-Fauste
et Marie-François-Félix, furent reconnus par un codi-
cille au testament de Conty, codicille reçu le 3i juillet
1776 par M« Duclos-Dufresnoy, notaire. Confiés à la
tutelle de M. Benjamin de Laborde, valet de chambre
du Roi; pourvus chacun d'une rente de 12.000 livres,
ils portèrent respectivement dans leur jeunesse les
titres de marquis de Rémovilleet de chevalier d'Hat-
tonville, du nom de terres que leur avait données leur
père (4).
(i) Archives Nationales : Papiers des commissaires ^ Y 1 3.556.
(2) Journal (f un bourgeois de Popincourt (Lefebvre de Beau-
vray) publié par H. Vul et G. Gapon^ pp. 19-21.
(3) Correspondance secrète [dite de Métra], tome III» p. sss.
(4) Hémoville, dans les Vosges ; Hattonville» près de Paris. —
Dans deux actes de 1787. les bâtards du prince de Contysont qua-
lifiés « élèves de la marine ». A la Restauration , ils déposèrent
2S4 LB PRINCE OB CONTT
Selon l'auteur de la Correêpondanee aecrète^ wXiwv*
buée à Métra, les enfants de M°>« Dailly étaient deux
filles. Cet auteur a fait confusion dans le sexe. Les
bâtards reconnus par le Prince furent deux garçons
et leurs dates de naissance suffiraient presque à dési-
gner leur mère. La présence de M*^® Dailly au chevet
de Gonty jusqu'à son dernier jour serait encore un
argument. Le Prince mourut le 2 août 1776 ; c'est le
3i juillet seulement qu'il songea à appeler son notaire
pour authentiquer ses bâtards. Qui donc lui aurait
suggéré cette tardive reconnaissance, sinon celle qui
veillait sans cesse auprès de lui? Et quel intérêt y
aurait eu M™® Dailly^ si ces enfants n'avaient pas été à
elle ?... Un autre argument pourrait être tiré de Tacte
baptistaire du plus jeune des deux frères, baptisé à
la paroisse Saint-Laurent. Cette pièce, découverte par
M. Nauroy, est libellée comme suit : « Le :(2 décembre
1772, fut baptisé Marie-François-FéliX| né de ce jour,
aux minutes de M* Denis, notaire à Paris, une correspondance de
feu leur frère légitime Louis-François-Joseph, dernier prince de
Conty, datée de i8o4 et de 1807, qui établissait leur reconnais-
sance Des lettres patentes de Louis XVIH, du 17 novembre i8i5,
registrées à la Cour royale de Paris le 1 1 décembre suivant, les
confirmèrent dans leurs noms et titres et les autorisèrent à porter
le nom de Bourbon-Conty.
Le marquis François-Claude de Bourbon-Conty, <x ancien colo-
nel et chevalier de plusieurs ordres », mourut célibataire à Paris
le 8 juin i833, en son domicile de la rue Saint-Dominique, n*54-
Son frère, le chevalier Marie-François de Bourbon-Conty, éga-
lement « ancien colonel et chevalier de plusieurs ordres «, mou-
rut le 6 juin i84o, sans postérité 11 avait épousé Herminie de la
Brousse de Verteîllac, qui se remaria en i85oau duc delà Roche-
foucauld Doudeauville. Le Moniteur^ en annonçant que le roi a
si^né au contrat de mariage de Mlle de Verteillac, appelle le marié
comte de Bourbon-Conty. C'est également le titre dont il se pare
en i833 sur l*acte de décès de son aîné. 11 n'y a pas droit. I^e
titre de comte lui fut bien accordé par ordonnance royale du
29 avril 1824. mais « sous la condition que les lettres patentes
constitutives lui seraient délivrées dans les deux mois ». Lesdi-
tes lettres n'ayant pas été délivrées, l'ordonnance demeurait sans
effet (Voyez : NxmioT, « LeCuHeiup », tome 1 (i885) pp. 202-ao3
et le Moniteur univmr^elf année 9828, p. 470)-
LE PRINCE DE CONTY StSS
fils d'un père et d'une mère inconnus, rue Saint-Mar-
tin» de cette paroisse, etc.. :>. Ainsi le nouveau-né
est déclaré de père et de mère inconnus. Pour le père,
cette réserve va de soi. Mais pour la mère? .. De tou-
tes les maîtresses qu'eut le prince de Conty en 177a
(car il fit à M°^ Oailly plusieurs inâdélités}, une seule
était obligée de cacher son identité : ÎA^^ Dailly. Tou-
tes les autres étaient des filles. Si l'une d'elles avait eu
on enfant des œuvres du Prince, elle n'aurait pas
manqué, n'ayant rien à y perdre et pouvant y gagner
beaucoup, de proclamer sa maternité. M°^ Dailly au
contraire est mariée. Elle vit séparée de son mari,
mais celui-ci existe. Si elle déclare l'enfant à son nom,
cet enfant adullério, en vertu de Tadage : is pater
estf sera, par li même, réputé fils de Jacques-Fran-
çois Dailly. Elle s'expose à un humiliant désaveu de
paternité. A supposer que Dailly ne désavoue pas
l'enfant, celui-ci ne pourra plus, dans la suite, être
reconnu parle Prince. Elle garde l'anonyme... Mais la
meilleure preuve que les deux bâtards sont bien les
fils de M"** Dailly se trouve dans le livre dés comptes
de Manscourt, le trésorier du prince de Conly. Le
Prince constitua à M"® Dailly une rente perpétuelle
de iS.ooo livres et aux deux enfants une rente de
a4*ooo livres (i). Sur le registre de ManscourC, qui
embrasse plusieurs années, le paiement des quartiers
de cette rente est indiqué de la manière suivante :
«c Mineurs Fauste et Félix », et immédiatement après :
« C.-M. Gauche, femme Dailly >. La désignation de la
mère varie parfois. Tantôt Manscourt l'appelle :
c M™® Gauché-lJailly », tantôt : « M""® Gauche, femme
séparée du sieur Dailly, à présent dame de Brimont».
Mais invariablement les mineurs Fauste et Félix, pour
lesquels émarge leur tuteur, M. de Laborde, viennent
à la ligne au-dessus. Ce rapprochement n'est pas for-
tuit.
(f) Registre des comptes de Manscourt, Dépense^ chapitre 10,
rentes 174 et 1 75.
236 LE PRINCB DE CONTT
Après la mort du prince de Conty, M^^^ Daîllj
garda la maison qu'elle occupait en partie à Popin-
court, près de la barrière de la Roulette. Malgré la
petite fortune que lui laissait le père de ses enfants,
sa vie fut aussi simple que par le passé. Les comméra-
ges de ses voisins ne trouvèrent à lui reprocher que
les trop fréquentes visites d'un maître des requêtes au
Parlement qui habitait la même maison qu'elle,
M. Roslin dlvry, fils d'un fermier général. Mais ces
bavardages s'éteignirent en même temps que Tamou-
reux présumé^ qui mourut en 1786 d'une phthisie
galopante (i).
La Révolution ruina M^^ Dailly ; Texode des princes
lui supprima sa rente viagère. Sans doute elle n'était
plus assez riche pour vivre à Paris ; elle se retira dans
le Midi, à Roujan (Hérault). Elle était encore domici-
liée dan» ce village en 1798, lorsqu'elle revint à Paris
pour faire prononcer son divorce. Elle Tobtint par
un jugement du 9 messidor an VIII, lequel fut signi-
fié le 39 messidor (17 juillet 1798) à Jacques Dailly
habitant pour lors, 19, faubourg du Temple (2).
A partir de ce moment, nous perdons complètement
la trace de Marie-Claude Gauche, dite dame de Bri-
mont.
(i) Journal d'un bourgeois de Popincourt, p. ai . — UÂimanach
royal indique le domicile de M. Roslin dlvry, au faubourg^
Saint-Antoine, rue Contrescarpe. S'il n'y a pas là une erreur
d'adresse qu'excuse la topographie.de ce quartier, il faut croire
que M. Roslin dlvry avait loué un second logement pour se rap-
procher davantage de M°ie Dailly.
(a) Archives db la Seinb : Reconstitution des actes de l'Etat
civil de la ville de Paris,
vin
Les amours du prince de Conty
(Suite)
Les mattresses de rencontre. — Index chronologique et anecdotique
de 173... à 1776,
j^ÊMB par approximation, il n'esl point aisé d'éva-
luer le nombre des maîtresses passagères du
prince de Conty. En dehors de quelques chansons du
temps, de quelques indications succinctes glanées chez
les mémorialistes, nous ne possédons d'autre source
de renseignements que les rapports manuscrits de la
police. Or, jusqu'en lySy, ces rapports sont muets
sur le compte du Prince. Réserve compréhensible : de
1739 a 1747^ Isi police parisienne est entre les mains
de M. Feydeau de Marville, ami personnel du Prince.
Son successeur, M. Berryer de Renonville^ n'a pas la
même raison d'être discret, mais c'est un homme pru-
dent ; Conty est à ce moment le favori du Roi ; il tra-
vaille avec Sa Majesté et le lieutenant de police ne se
hasarderait pas à faire surveiller, sans des ordres spé-
ciaux, un personnage de cette importance. Il semble
que rinspecteur des mœurs Meusnier, dans les résu-
més hebdomadaires qu'il rédige pour son chef d'après
238 LE PRINCE DE CONTY
les notes de ses « mouches » subalternes, évite avec soin
de transcrire quoi que ce soit d'allusif au prince de
Conty. Le nom de celui-ci n'est prononcé qu'une seule
fois, etfort incidemment, dans un rapport de l'agent
Durocher, du i6 octobre lySa. A propos d'une maison
occupée par une fille, rue Plumet, il est dit : «... C'est
un vuide-bouteilles qui a servi autrefois aux plaisirs
de M. le comte de Charollais et au prince de Conty » (i).
Rien de plus.
A partir de lySy, au contraire, Conty, disgracié, est
mis en observation sévère par M. Bertin et par ses suc-
cesseurs, M. de Sartines, M. Lenoir, M. d'Albert. Le
Prince s'est occupé de politique extérieure ; il connaît
tous les dessous de notre diplomatie ; il a eu des agents
secrets dans les capitales de l'Europe. Le Roi veut
savoir s'il continue à entretenir des relations à l'étran-
ger, quels sont ses tenants, dans quelles intrigues il
trempe. Et la surveillance se poursuivra^ sans relâche-
ment, pendant près de dix-sept ans. Mais l'intéressé^
qui, sans doute, est sur ses gardes, déjoue cet espion-
nage par l'innocence même de sa conduite et l'ins-
pecteur Marais, qui a remplacé Meusnier, ne trouve à
relater, concernant le Prince, que des intrigues amou-
reuses.
De ce qui précède, il suit que Ton pourrait diviser
artificiellement en deux séries les amours de rencontre
du prince de Conty : i^ jeunesse, période antérieure
à 1757, sur laquelle les données positives font défaut;
a* ftge mûr, période postérieure à 1787, sur laquelle
nous sommes renseignés par les fiches de police.
Encore ces fiches sont-elles insuffisantes pour dénom-
brer avec exactitude les conquêtes du Prince ; elles
nous révèlent une quarantaine de maîtresses environ,
alors que le chiffre des bijoux recueillis à la mort de
Conty permettra d'en supputer au moins dix fois plus.
11 faut également tenir compte de la disparition des
(i) BiBLiofHiQUB DE l'Arsemàl : Archives de la Boetille^ 10.240,
f. 276.
LB PRINCB DE GONTY 239
rapports pour 1787 et 1758, lesquelles années man-
quent aux archives.
Si incomplète que soit forcément notre liste, nous
donnerons tel quel le résultat de nos recherches.
L'initiatrice
Quelle fut la première maltresse du prince de
Conty ? Si Tanecdote suivante doit être crue^ tenons
pour assuré que cette initiatrice n'était point belle et
qu'elle n'était plus jeune.
Le comte de La Marche, fils du prince de Gooty. mérita
dans sa jeunesse une renommée brillante dans les fastes de
Cythère. Il était à peine adolescent lorsque son g^ouverneur
l'ayant surpris en flagprant délit avec la fille d*un porteur
d'eau, s'en vint tout éperdu conter ce fait au prince de Conty,
et lui demander ses ordres.
— Cette malheureuse est-elle jolie ?
— Que trop. Monseigneur.
-^ Eh f bien, mon fils est plus heureux que moi^ car j'ai
débuté avec une créature laide et presque vieille.
— Mais, Monseig^neur^ que faut-il en faire ?
— Ce soin regarde mon fils. Pensez-vous, monsieur, que
je l'aie mis au monde pour Télever en sot? Il verra des filles,
cela fait passer le temps.
— La morale, Monseigneur.
— Votre devoir est de la lui apprendre ; ne craignez pas que
la petite personne aille sur vos brisées en ce genre d'ensei*-
gnement.
Ce fut tout ce que le gouverneur put tirer du prince de
Conty (i).
M"* QUONIAM
Nous avons parlé, en leur temps (1733), des amours
du Prince, nouvellement marié, avec la demoiselle
(i)[Lamothb-LiAngon], Galanteries (Tune demoiselle du monde
au Souvenirs de M^ Duthé, tome U, p. 384-
240 LB PRINCE DE CONTY
Quoniam, que lui offrit son oncle, le comte de Cler-
mont. Ajoutons quelques notes sur cette jeune per-
sonne qui jouissait d'une certaine notoriété dans la
g^alanterie parisienne.
Encore enfant, Quoniam avait été livrée au Régent
par sa mère, belle rôtisseuse du faubourg Saint-
Antoine. En échange de cette complaisance, la dame
Quoniam avait eu le crédit de se faire débarrasser
d'un mari gênant qu'on avait expédié aux Iles, sans
jugement, par simple lettre de cachet. L*enlèvement
subreptice du sieur Quoniam avait causé quelque
émotion dans Paris et le commerce de sa femme en
avait prospéré. Après la mort du Régent, le rôtisseur
rapatrié fut recueilli par sa fille. La mère s'enferma
dans un couvent par pénitence. Elle y mourut, dit-on.
M}^^ Quoniam devait faire, par la suite, une fortune
assez brillante. Entretenue par le maréchal de Saxe,
puis par M. Duguay-Trouin qui lui constitua lo.ooo
livres de rente et la couvrit de bijoux, nous la retrou-
vons, vers lySo, logée rue de Suresne, au faubourg
Saint-Honoré. C'est une grosse femme de bonne mine,
encore appétissante malgré ses quarante-cinq ans.
Elle affiche la dét^otion, ce qui ne la retient point
d*avoir un amant de trente ans, M. de Landivisiau,
ancien aide de camp de Maurice de Saxe, qui vit chez
elle sur le pied de pensionnaire.
Cette liaison finit par un mariage et Quoniam s'ap-
pela M<°® de Landivisiau (i).
M°*® LA IfARQUISE DE BeLLEFONDS
Un couplet, rimé en 1735 par Conty, sur l'air : Où
sont-elles allées mes belles amourettes ? et par lui dédié
à M. de Richelieu, nous informe que le Prince et le
duc, rivaux, sont trompés tous les deux par la même
maîtresse :
(i) BiBuoTHÂQUE DE l'Arsenal .' Archtves de la Bastille^ xo.a43.
LR PRINCE OB GONTY 241
Nous avons tous deux ChimèDe,
Quel bonheur a plus d'appas !
Sans soins, sans crainte, sans peine.
Tour à tour entre ses bras,
Nous partagpeons la semaine...
Et ne lui suffisons pas (i).
Quelle est cette Ghimëne à plusieurs Rodrigues ?
C'est M^^ la marquise de Bellefonds, née Suzanne-
Armande du Châtelet. Elle n'est mariée que depuis le
mois de juin 1733 à Charles-Bernardin-Godefroy
Gigault, marquis de Bellefonds, colonel au régiment
de La Marche-Infanterie ; mais elle fut quasi-veuve
presque aussitôt qu*épousée. Son mari a été embarqué
avec les troupes envoyées àDantzig au secours de Sta-
nislas et, depuis la capitulation du fort de Veehel-
munde, il est prisonnier de guerre en Moscovie.M"'® de
Bellefonds,en son absence, travaille à son avancement
qui sera rapide (2).
M"* DB Vaujours (?)
Aux belles de nos jours immolant ses épaules,
Orphée est à Paris en Amadis des Gaules. . .
Que d'états confondus I L^univers en danger
Dans son premier cahos veut-il se replonger ? (3).
Ce quatrain, extrait d'un « Amphigouri sur les
affaires du tems » qui paraît peu antérieur à 173g,
s'applique au chanteur Jélyotte, acteur de TOpéra
depuis 1733. Jélyotte s'est vanté d*avoir eu les faveurs
(I) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, 12.675
(Recueil de chansoDs), tome III, f. 2o5.
(a) Le marquis de Bellefonds mourut maréchal de camp en
1747 ; sa veuve lui survécut jusqu'en 1754 (La Chbsnayb-Desbois,
Dictionnaire de la noblesse, tome IX» col. a5oa5i).
(3j Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, 1 5. 1 49 (Piè-
ces critiques et satiriques, tome VII, f 44^).
16
242 LB PRINCE DB CONTY
de la duchesse de Vaujours (i). Pour le punir de cette
fatuité, le prince de Conty Ta fait bâlonner : d'où la
plaisanterie d'Orphée transformé en Amadis des
Gaules, et immolant son échine «aux belles de nos
jours » : nos Jours, consonnance de Vaujours.
Le duc et la duchesse de Vaujours avaient leur
appartement chez la princesse de Conty, première
douairière, rue Neuve-Saint Au;^uslin (2). L'empres-
sement du jeune prince de Conty à se faire le cham-
pion de la duchesse qui était fort belle, donnerait à
croire que M"*® de Vaujours était pour le Prince autre
chose et mieux que la dame d'honneur de sa grand'-
tante. Ce n'est là toutefois qu'une hypothèse de notre
part.
M^^* Barbarine
Autres couplets. Ceci se chantait, en 1740, sur l'air
de la Petite Fronde :
Une nouvelle fort plaisante
Qui paroît même intéressante :
Allez dedans la rue Chapon,
Où vous y trouverez deux filles
Entretenues tout de bon
Par un merle et une chenille.
Le merle chante comme un diable
Et la chenille abominable
Cherche à lui disputer le pas ;
Mais, pour apaiser leur querelle.
(i) Julie-Françoise deCrussol, fille de Jean Gharlesde Crussol,
duc d'Uzès, née en lyiS. mariée depuis 1782 à Louis-César Le
Blanc de La Baume« duc de La Vallière. par mutation du nom de
Vaujours, né en 1708 d abord marquis de La Vallière. colonel
d'un régpiment d'ioraolerie, duc par démission, et alors appelé
duc de Vaujours, devenu duc de La Vallière en 1739.
(2) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions, 21.021, f. i et f. i3 V®.
LB PRINCB DE CONTT 243
Est survenu un fier-à-bras
Qui s'est saisi de la plus belle (i).
Le merle, c*est le marquis de Choiseul. La chenille,
le comte de La Carte qui est fort laid. Le « fier-à-bras »
qui les apaise à la manière du juge de la fable, c'est
Conty. Au cas de doute, un nouveau refrain, celui-ci
sur Tair des Rochelais, nous mettrait au fait. Le chan-
sonnier anonyme reproche au Prince sa générosité
grande, car il est bruit que cette victoire lui coûte
So.ooo livres :
Conty, on publie dans Paris,
Pour moj je n'en suis pas surpris,
Que vous f . .tez la Barb ,
Que vous lui donnez de l'argent...
Un héros d'aussj bonne mine
Ne devroit pas payer comptant.
Et le Prince est censé riposter :
Quand on veut prendre ses ébats,
Il faut bien donner des ducats ;
Aussy^ je n'en fais plus mistère,
Car c'est dedans la rue Chapon
Que, par devant et par derrière.
Faisons éjaculation (2).
La plus belle des deux héroïnes de la rue Chapon se
nommait M}^^ Barbarine.
Une prêtresse de Vénus
A la fin du mois de décembre 1746, le prince de
Conty racontait lui même au Roi une petite aventure
toute récente. Etant allé dans un u temple de Vénus »
(i et a) Bibliothèque Nationalb : Manuscrits français, 12.675
(Recueil de chansons, tome III, S. 344 et 376).
244 LB PKIHCB DB COSITT
proche de la place des Victoires, il était resté si longs-
temps à faire son offrande qu*il retrouva à la porte son
cocher endormi sur le sièg^e. Comme il voulait l'éveil-
ler, le cocher prenant son maître pour un passant,
renvoya faire f tout net. Â quoi le Prince répli-
qua : « Je fai obéi d'avance; c'est à toi maintenant de
suivre mes ordres » (i).
M"^ LA COMTESSE DB NoiSY
Avec la comtesse de Noisy, nous abordons les
amours sans date précise. Une ligne dans une anec-
dote> pas davantage, désigne cette grande dame
comme la maîtresse du Prince. Cette anecdote n'est
pas datée. Mais il s'agît d'une mystification à Tadresse
de M. de Marville, lieutenant de police, par consé-
quent entre 1789 et 1747» années extrêmes de sa magis-
trature.
M. de Marville, malgré le caractère de sa place et de ses
foQCtioDs qui rendaient peu communicatifs ceux qui les
exerçaient, était homme du monde et lié avec le prince de
Conty ; celui-ci avait pour maîtresse la comtesse de Ploisy^
chez qui le lieutenant général de police se rendait habituelle-
ment. Le Prince et cette dame, dans un moment de gatté peu
obligeante, conçurent le projet de mystifier le magistrat (a).
La mystification vaut d'être racontée, surtout pour
la façon spirituelle dont le mystifié la retourna contre
Conty.
M. de Marville avait promis d'accompagner au bal
de rOpéra le fils de M"*^ de Noisy, jeune homme à ses
débuts dans le monde. Quelques filles, choisies parmi
les plus audacieuses et dont les amants tenaient de
près à la Cour, furent engagées par les émissaires du
(i) M. DE Marvillb, Lettres, tome III, p. gS.
(3) Pbughkt, Mémoires tirés des archives de police, tome II,
p. 112 et 8uiv.
LE PRINCE DE CONTT 245
Prince à profiter de la liberté et de rincojg^nito du bal
pour mortifier le lieutenant de police, leur ennemi
naturel. On leursiçnala le déguisement du magistrat
qui, à peine entré dans le bal, se vit entouré et assailli
par toutes ces impures et par leurs amies, prévenues.
Quelque coin de la salle où il se réfugiât, cette meute
hurlante le persécuta, débitant des aménités à faire
rougir un garde-française ; M. de Marville fut obligé
de prendre la fuite. Mais il élait trop bien informé
pour ne pas connaître, dès le lendemain, d'où partait
le complot. Il résolut d'avoir sa revanche et l'occasion
s'offrit bientôt.
Il savait que le Prince, respectueux à l'extrême de
rétiquette, parce qu'il pensait en devoir donner
l'exemple, n'abhorrait au fond rien tant que la repré-
sentation, la cérémonie et les propos flagorneurs des
harangues. Instruit par ses limiers que Conty devait
se rendre à la chasse à L'Isle-Adam et qu'il partirait
de très bonne heure pour être plus tôt arrivé, M. de
Marville expédia la nuit précédente des courriers de
police aux consuls, échevins, jurats, maîtres, juges,
officiers de la maréchaussée, gens de la ferme, aux
curés, aux chapitres des collégiales, à tous les nota-
bles enfin des villages que devait traverser le Prince.
Ordre formel à tous, au nom du Roi, de s'échelonner
dès l'aube, aux limites de leur paroisse, pour rendre
à Son Altesse les honneurs dus à son rang, sans
oublier un Te Deam dans chaque église et des dis-
cours, dont, pour plus de sûreté, les courriers appor-
taient le modèle.
A peine Conty est-il entré dans la banlieue de
Paris qu'il voit venir au-devant de sa berline, proces-
sionnellement, le clergé et les magistrats de la pre*
mière commune, a — Qu'est-ce ? » demande-t-il à sa
suite, avec un peu de mauvaise humeur. Hélas ! le
malheureux ne le saura que trop I Les discours succè-
dent aux discours, les éloges aux éloges, les salves de
mousqueterie pétaradent. Enfin le curé offrant le dais,
Teau bénite et Tencens, invile Monseigneur à descen-
246 LE PRINCE DE CONTT
dre de voiture pour aller à la paroisse écouter le chant
d'allégresse... Gonly, furieux mais le sourire aux
lèvres, a avalé toutes ces couleuvres : « — Une heure
de perdue! Fouette, postillon, etreg^agnonsletemps! »
— « Oui, Votre Altesse! » El la vélocité de la course
conduit un peu plus vite TÂltesse dans une autre
commune où la même scène se renouvelle ; puis dans
une troisième, une quatrième, une cinquième... G* est
partout comme une insurrection de flatterie^ comme
un guet-apens de révérences. Bref le prince de Conty,
parti à cinq heures du matin, arriva au rendez-vous
à quatre heures après-midi. La chasse était terminée.
Le Roi, mis au courant de Taventure, convint que
M. de Marville, rendant éloges pour injures, s'était
vengé en bon chrétien autant qu'en homme d'es-
prit (i).
M™* DE Vauvré
Nous n'avons guère plus de précisions sur M™® de
Vauvré, femme d'un mattre des requêtes qui fut choisi
au mois d'août 1760 par la princesse de Conty douai-
rière, comme chef de son conseil. « C'est un étrange
choix, observe le marquis d'Ârgenson. Ce Vauvré
jugé, pris la main dans le sac, chassé du Conseil
autant qu'il fut au pouvoir du Chancelier, aurait été
obligé de se défaire de sa charge sans le crédit de
l'hôtel de Conty. M"« la princesse de Conty aime à
avoir à elle des gens à tout faire. M. le prince de Conty
a aimé la femme de ce Vauvré; et voilà l'outil de la
tolérance qu'on a pour lui » (i).
Catherine Hatte, fille d'un avocat à la Cour qui
devint fermier général, et d'une demoiselle Miotte,
était née en 1714* Elle avait épousé, en 1733, Louis-
Alexandre Girardin de Vauvré, âgé de trente-trois
(i) Pbuchbt, Mémoires tirés des archives de police, tome II,
p. ii5.
(2) Marquis d'Argenson, Journal et Mémoires j tome YI, p. Ml
LB PRINCB DE CONTT 247
ans^qui logeait rue du Parc-Royal, au Marais. Ce maî-
tre des requêtes élait un des plus travailleurs et des
plus habiles du Conseil, mais il n'était pas riche.
Débauché et dépensier, il avait, pour se procurer de
l'argent, malversé dans plusieurs affaires dont il était
rapporteur et le scandale avait été si loin que son
exclusion avait été réclamée par ses collègues eux-
mêmes (i). M"® de Vauvré était jolie et passait pour
aussi avisée dans la galanterie que son mari dans les
affaires. On prétendait qu'elle allait jusqu'à faire des
parties chez une proxénète célèbre ; et d'aucuns
disaient que son époux lui-même Ty avait conduite,
« par gentillesse » (2).
M™* LA MARQUISE DE l'HoSPITAL
Revenons aux grandes dames avec M^^ la marquise
de l'Hospital. Celle-ci est la fille de Jean de Boullon-
gue, ancien conseiller au Parlement de Metz et inten-
dant des ordres du Roi depuis 1737, en attendant
qu'il soit contrôleur général des finances. Elisabeth-
Louise de Boullongue, âgée de quinze ans à peine, a
épousé en 1736, Paul-François, marquis de THospital,
qui en a trente-neuf. Elle est dame d'honneur de mes-
dames Henriette et Adélaïde de France; son époux,
lieutenant-général en 1745, ensuite premier écuyer de
madame Adélaïde, quitte l'armée pour la diplomatie.
Il sera ambassadeur à Naples, puis à Saint-Péters-
bourg.
C'est probablement à cette époque que le prince de
Conty, « enfariné de politique étrangère » devient
l'amant de M™« de l'Hospital. Il n'est du reste pas son
premier amant et ne sera pas le dernier. La chronique
scandaleuse reprochera à la marquise ses stations
(1) Sur cette affaire Vauvré ou peut consulter : Procédures
respectives signifiées dans Vinstance pendante -au Bureau des
Economats.
(2) Barbier, Journal, tome II, pp. 180-181.
248 LE PRINCB DB CONTT
chez M. le prince de Soabise en son petit sérail de la
rue de l'Arcade ; stations dont le beau chanteur Clair-
val, des Italiens, la coqueluche des dames de qualité,
sera le principal bénéficiaire. La marquise meublera
Tartiste, l'entretiendra de bijoux et de costumes aux
frais de son adorateur princier (i).
Cette passion de M,^ de FHospital pour un acteur
est d'autant plus surprenante que la marquise, sing'u-
lièreroent entichée de noblesse, ne peut séparer l'idée
d'un homme de celle de ses armoiries. Elle a refusé
d'épouser le comte de Choiseul, atné de sa maison,
gouverneur général du Dauphiné et ambassadeur à
Vienne, parce que les armes du comte sont sur
champ d'azur et qu'elle a horreur de tous les écus à
fond bleu. Il y a bien dans les armes des l'Hospital
une pièce qui ne lui chante guère, un diable de coq
qui ne vaut pas mieux que la croix d*or sur azur des
Ghoiseul. Mais comme elles sont écartelées de celles
de Narbonne et que le rouge y domine, ces gueules
l'ont décidée, quoique le marquis ne soit ni aussi
jeune ni aussi bien fait que le comte. « Elle aimait
naturellement les beaux messieurs, disent les Mémoi-
res de M™® de Créquy ; mais c'était à condition que
leur blason n'eût rien de vulgaire et que leur nom
lui parût grandiose; il y avait dans son cœur, de la
marquise et de la femme galante... » (2). Clairval
n'avait qu'un nom modeste et les pièces de son bla-
son se fussent réduites à un peigne et à des ciseaux,
en sa qualité d'ancien perruquier; la marquise pour-
tant l'aima.
M™® de l'Hospital demeura toujours en termes cor-
diaux avec le prince de Conty et nous la verrons
s'entremettre pour réconcilier le Prince au lit de la
mort avec son fils, le comte de La Marche.
(i) Journal des inspecteurs de M. de Sartines^ p. a55.
(2) [C^ovKcsLAXp^], Souvenirs de la marquise de Créquy» tome W,
pp. i56, i58, 159.
LB PRINCE DB CONTT 249
M"* Deschamps
Le libellisle, auteur de la Vie privée et politique de
Louis François-Joseph de Conty^ fils de Louis-François,
dit, parlant des amours de jeunesse de son héros,
lorsque celui-ci n'était que comte de La Marche :
Sa première maîtresse fut la célèbre Deschamps de l'Opéra,
dont son père a voit été lamant titré. Cette actrice célèbre,
désolée d'avoir été quittée par le père, qui n'aimoit point à se
captiver, se trouva bien dédommag-ée par les soins et par la
tendresse du fils. Elle n'a voit eu de ses premières amours
qu'une fausse couche qui n*avoit rien altéré de ses fiicrAccs
admirées, ni refroidi le feu de ses talents supérieurs... (i).
Dans le volume que nous avons consacré à l'histoire
de M"^ Deschamps, née Marie-Anne Pages, nous avons
déduit les motifs pour lesquels nous placions vers
1767 les amours du prince de Conty avec la célèbre
courtisane (2). Nous laissons au libelliste toute res-
ponsabilité quant à la grossesse inutile de la Des-
champs Il paratt, d'ailleurs, très sûr de son fait, et
vient à la rescousse un peu plus loin :
On a remarqué dans le temps, dit-il. que le comte de
La Marche plus constant, plus fidèle que son père, n'eut pas
rhonneur de rendre la Deschamps féconde. Son pèreavoit été
plus heureux. Cette réussite donnoit quelquefois matière au
père de se prévaloir sur son fils et de lui adresser des plai-
santeries, des railleries piquantes (3).
Si brèves qu*aient été les amours du Prince et de la
ballerine, elles furent pour M^'® Deschamps le signal
de la fortune. C'est grâce aux libéralités du prince de
Conty, qu'elle meubla ce fastueux hôtel de la rue
(i cl 3) Vie privée de Conty ^ p. 3oet p 34.
(2) G. Capon et R. Yvb Plbssis, Fille d'Opéra, histoire de
M^^ Deschamps f pp. i4i-i43*
290 LB PBllfCB DB COMTT
Saînt-Nicaîse que les riches étrang^ers venaient visi-
ter comme une des merveilles, comme un des scanda-
les de Paris, et que nous avons décril ailleurs (i).
Nous n'ajouterons rien à ce que nous écrivions
alors ; mais nous tenons à rectifier un point de détail,
sur lequeU trop docilement, nous acceptâmes les allé-
g^ations de l'auteur précité. Nous avons dit du prince
de Conty : « Il se targuait (il se vantait peut-être)
d*avoir couru douze postes d'amour en une nuit avec
la Deschamps. El depuis cette nuit fameuse, pour
louanger son exploit, il faisait frapper le numéro 12
sur les boutons de ses culottes, de ses habits, de ses
chapeaux, marquer ses chemises au chiffre 12 ; il vou-
lait tout avoir par douzaine, douze fusils, douze épées,
douze couverts à sa table, douze plats à son menu, etc.».
Il y a là une exagération que nous avons reconnue
depuis. Le fétichisme, réel, du Prince pour le chiffre
12, dont nous avons parlé précédemment, ne tendait
nullement à « louanger son exploit » avec la Des-
champs, puisque Conty était déjà affligé de cette
superstition numérale bien avant 1757.
M™« LA DUCHESSE DE MaZARIN (?)
La duchesse de Mazarin fut-elle, en 1761, la maî-
tresse du prince de Conty et lui donna-l-elle une fille?
Conséquemment, la femme qui si^g^nail en 1798 deux
forts volumes intitulés : Mémoires historiques de Sté-
phanie-Louise de Bourbon-Conty^ écrits par elle-même;
qui se faisait encore appeler comtesse de Montcairzain
(anagramme de Conti-Mazarin); qui se prétendait fille
naturelle du Prince et de la duchesse ; — celle femme
était-elle une aventurière, ainsi que l'ont affirmé la
plupart des historiens qui se sont occupés d'elle?
Nous dirons plus loin notre avis sur les prétentions
de la comtesse de Montcairzain, lorsque nous traite-
(i)G. Capon et R. Yve-Plessis, Fille d'Opéra, pp. 137-140.
LE PRINCE DE CONTT 251
rons des bâtards divers attribués, à tort ou à raison,
au prince de Gonty. Pour le moment, bornons-nous à
déplorer l'absence de tout document probant sur
les amours de M™« de Mazarin et du seigneur de
L'Isle-Adam. Louise-Jeanne de Durfort-Duras, der-
nière héritière des duchés de Mazarin, La Meilleraye
et Mayenne, n'élait pas, à coup sûr, une vertu farou-
che. Mariée très jeune et séparée depuis longtemps de
son mari, Louis-Marie-Guy d'Aumont, duc d'Aumont
et marquis de Villequier, grand coureur de filles, elle
menait, de son côté, la vie joyeuse et sa réputation de
galanterie était solidement établie à la Cour.
Elle fréquentait chez le prince de Conly, ainsi que
le montrent quelques chiffres, empruntés à son carnet
de dépense :
Mai lyôt. — Au voyage de L'Isle-Adam, pour sept chevaux
de poste, de Saint-Brice à L'Isle-Adam, deux postes et demie...
22 livres. Pour dix chevaux de poste de L'Isle-Adam à Saint-
Rrice... 3i livres lo sols. Donné au cocher de M. le prince de
Conty... 6 livres.
Du 25 avril iy62. — Payé un fiacre pour aller et venir
chez Mgr le prince de Conty, cy... 3 livres 12 sols (i).
Mais ces visites à grandes guides ne prouvent en
somme aucune intimité particulière. Le Prince n'était
pas nécessairement le vainqueur de toutes les femmes
reçues au Temple ou à L'Isle-Adam.
W^^ Lemierre
Nous voici parvenus à la seconde période, celle des
fiches de police. Nous publierons ces notes in extenso
en les accompagnant, lorsqu'il sera possible, de quel-
ques éclaircissements sur les personnages mis en
cause par Tinspecteur des mœurs Marais :
(i) ReviLe rétrospective, 189a, tome XVI, p. 4o6.
252 LE PRINCE DE CONTT
iO juillet tj6i. — Monseig'neur le prince de Conty. depuis
la semaiDe dernière, a pris à ses appointements la demoiselle
Lemière, actrice à TOpéra. Cette inclination s'est fait sentir
chez le prince après Tavoir entendue plusieurs fois chanter à
son concert. On ignore encore quels sont les arranjçements
particuliers; mais le baron de Wançen, qui prétend être au
fait, assure que le premier cadeau monte au moins à 5oo
louis. Cette demoiselle Lemière est connue pour avoir appar-
tenu à M. Je duc de Gramont; son greluchonnagpe avec le
sieur Pérard, violon, lui fit perdre alors ce seigneur. En der-
nier lieu, elle vivait avec M. le chevalier Clermont-d'Amboise
qu'on dit, pour le présent, être absent, et avait pour ami de
cœur le sieur Larrivée, acteur à TOpéra. Par elle-même, elle
est fille d'un musicien (i).
Marie-Jeanne Lemierre était née à Sedan, le 29 no-
vembre 1733. Elle avait débuté à l'Opéra en 1760,
comme actrice récitante. Elle était blonde, grande, les
yeux vifs et les dents superbes. Elle demeurait alors
rue Saint-Honoré (2). Sa beauté et sa voix pleine de
souplesse la mirent promptement en vedette. En 1761,
elle est premier sujet à TAcadéraie royale de musique.
Sa liaison avec le prince de Conty fut de courte durée :
f4 fioàt lyôi. — Monseigneur le prince de Conty qui s'étoit
chargé de la demoiselle Lemière, Tune des premières actrices
de l'Opéra, ainsi que je l'ai annoncé dans mes notes du mois
de juillet dernier, après avoir contenté sa fantaisie, lui a fait,
à ce que l'on dit, quelques rentes. 11 a continué à lui donner
3o louis par mois, en la laissant maîtresse de disposer
d'elle-même comme elle jugera à propos, avec la faculté
cependant d'en pouvoir user comme il lui plaira. Cet arran-
gement se trouve être parfaitement du goût de cette demoi-
selle, et, pour le mettre à profit, elle a prêté volontiers
l'oreille aux fleurettes et aux avantages que lui a proposés
M. de Bauche, conseiller honoraire (3).
(1) C. Piton, Paris sous Louis XV, tome I, p. 828.
(2) BiBLiOTHÂQUB DE l'Arsenal t Archivcs de la Bastille^ 10.237.
(3) Journal des inspecteurs de M de Sartines, p . i4 (M. Dou-
blet de Bauche, cooseiller honoraire aux Enquêtes et aux
Requêtes, demeurait rue Boucherat, au Marais).
LE PRINCE DE CONTY 253
L'inspecteur Marais, la semaine suivante, revient
sur les « arrangements » pris par le Prince et donne
le chiffre de la pension :
21 août lyôi. — Cette demoiselle (Lemière) a eu l'esprit
aussi de se ménag-er 4*ooo livres de rente de M. le prince
de GoDtj, dont elle a eu Thonneur de contenter le caprice,
sous la condition cependant de venir chanter à son concert
toutes les fois qu'il Tordonneroit (i).
La convention passée eut son effet jusqu'en 176a.
Marie-Jeanne Lemierre ayant épousé son amant, Henri
Larrivée, superbe basse-taille à la voix flexible et
pleine, rompit avec le passé et sa conduite fut désor-
mais irréprochable (2).
7 janvier iy63, — Je suis aussi instruit que la demoiselle
Lemierre depuis son mariag^e avec le sieur Larrivée,n'a point
voulu en aucune façon se prêter aux désirs de M. le prince
de Contj et que Son Altesse en est très mortifiée (3).
Comme prétexte à sa rupture, M}^^ Lemierre allégua
qu'un jour où elle avait été appelée au Temple pour
chanter au concert du Prince, celui-ci avait négligé
d'inviter son mari à souper (3). M"« Lemierre quitta
l'Opéra en 1777. Elle mourut au mois d'octobre 1786.
M^B* LA MARQUISE DE CoiSUN
Dans le même rapport du 7 janvier 1763, Marais
note la fin du penchant de Conty pour M"** la marquise
(i) Journal des inspecteurs de M. de Sartines, p. 19. Les
Mémoires secrets (tome I, p. 244) fixent à i.ooo écus seulement
la pension de Mii« Lemierre. C'était en réalité une rente viagère
de a. 000 Vivres {Registre des comptes de Manscourty Dépense,
chapitre 10, rente 178).
(2) Larrtvée, un des plus célèbres chanteurs de TOpéra, né en
1737, avait débuté à l'Académie royale de musique en 1765.
(3) BiBLioTHiQUB Nationalb : Manuscrits frarigais, 11. 35g (Rap-
port de Marais».
(4) Mémoires secrets, tome I, p. 244*
254 LB PBIlfCB DB GOSTT
de Coîslin, naguère maîtresse da jeane comte de
Coignj (i).
M. le chevalier de Durfort, colonel des dragons d*Orléaiis,
depuis son retour de l'armée, a repris tous ses droits sur
MiD« de Coasiio. Pendant son absence, cette dame avoit assez
bien traité M. le prince de Contv, mais c'est une affaire finie,
de même que sa liaison avec M. le comte de Coignj a été Je
très peu de durée... (2).
Marie-Ânne-Louîse-Adélaîde de Maillj, épouse de
René du Cambout, marquis de Coislio, était grande et
imposante. « Elle avoit, dit M°^ de Geniis, une figure
de Minerve, une manière emphatique et lente de par-
ler, qui contrastoit singulièrement avec les discours
très vulgaires et les contes grivois dont son entretien
étoit toujours semé. Elle écrivoit ridiculement et avoit
fort peu d*esprit; mais de la beauté, de la causticité et
beaucoup de hardiesse Tout rendue une personne
remarquable et lui ont donné une superficielle appa-
rence d'originalité » (3).
En contre-partie à ce portrait malin, opposons le
madrigal rimé en 1768, après le voyage à Paris du roi
de Danemark qui, parmi toutes les femmes de la Cour,
avait surtout distingué la marquise; c'est le souverain
qui parle :
Je cherche des grâces légères,
Un cœur honnête, un esprit fin :
Retirez-vous, beautés grossières,
Laissez approcher Goaslin (4)-
(i) Marie-Anne-Louise-Adélaide deMailly (fille de Louis.comte
de Rubempré, puis marquis de Nesle, lieutenant-général des
armées du Roi, premier écuyer de la Dauphioe et deAnne-Fran-
çoise-Elisabeth Arbaleste de Meluo, dame du palais de la même
princesse), née à la Borde-au -Vicomte, le 17 septembre lySa,
épousa, le 8 avril lySo, Charles- Georges- René du Cambout, mar-
quis de «Joisliu, né en 1728, colonel des grenadiers de France,
bri^^adier des armées du Roi en 1762.
(2; Journal des inspecteurs de M. de Surfines^ p. 229.
(3) Mme DB Genus, Mémoires, tome H, p. 187.
(4) Mémoires secrets, tome IV, p. 192.
LB PRINCE DB CONTY 255
M"'^ de Coislin était de la société du Temple ou du
moins des invités ordinaires. Un lundi que la foule
était plus compacte que d'habitude el que, pour arri-
ver jusqu'au Prince, il fallait traverser, tout le long
du grand salon, les rangs pressés des courtisans,
Gonty, voyant venir M™« de Coislin, s'avança vers elle
et lui demanda, un peu ironiquement, si, avec sa timi-
dité naturelle, elle n'avait pas été bien embarrassée
en se trouvant au milieu de tant de monde.
— Oui, Monseigneur, répondit la dame. J'ai été si
intimidée, j'ai tellement perdu la tête que, dans mon
trouble, j'ai fait... la révérence à Monsieur.
Et elle désigna un homme dont elle avait à se
plaindre et qui avait fait contre elle un couplet sati-
rique (i).
Deux belles boulangères
Mais M^^ de Coislin n'est pas le seul caprice du
Prince en 1762. Au mois de juin de la même année.
Son Altesse s'est offert deux jolies « vilaines », trop
honorées de la préférence de leur seigneur :
Juin ty62. — Lundi, 1 4 de ce mois, les deux belles boulan-
gères de L Isle-Adam sont arrivées à Paris au Temple, à
sept heures précises du soir, au rendez-vous du prince
de Conlj, dans 1 appartement du sieur Russ, son écuyer. Le
prince y a resté en particulier avec la cadette jusqu'à
onze heures. Les deux sœurs ont couché dans cet apparte-
ment et elles ont dû partir de Paris mercredy dernier, pour
retourner à L'Isle-Adam (2).
M"« Sophie Arnould
On a insinué que Conty fut, en 1763, l'amant de So-
phie Arnould. La chose en soi n'aurait rien d'invrai-
(i) Mme DB Gbnus, Mémoires, tome II, p. iSg.
(2) Bibliothèque Nationalb : Manuscrits français, 11. 358, f. 729
(Rapport de Marais).
256 LB PRINCB DB CONTT
semblable. La fameuse cantatrice est en pleine vog^ue ;
sa réputation a sans cesse été grandissant depuis ses
débuts à rOpéra, en 1768, un événement. Recherchée
de tous côtés, elle s'est prodiguée à tous et, malgré
sa préférence secrète pour M. de Lauraguais, père de
ses enfants, peu d'adorateurs l'ont trouvée cruelle.
Après M. Bertin, contrôleur général des finances, elle
a M. de Monville, grand mattre des eaux et forêts. En
outre, elle mène de front Lacroix,, son coiffeur, et le
duc de Fronsac, fils du maréchal de Richelieu.
C*est justement à propos d'une « galanterie » récol-
tée par M. de Fronsac et dont il ne saurait préciser
la donatrice que Marais dit, dans une fiche du
18 février 1763 :
.. .Le fait n'est pas bien éclairci. On désireroit fort que ce
fdt la demoiselle Arnould qui en fût la distributrice. Cela
deviendroit fâcheux pour le souverain du Temple (i).
Le «t souverain du Temple », c'est le prince de
Conty. Mais comment expliquer que Marais se soit ta
jusqu'ici sur cette intrigue et qu'il n'en parle qu'inci-
demment? II faudrait, pour répondre à la question^
être d'abord certain que tous les rapports de Pins-
pecteur nous sont parvenus, qu'ils ne se sont pas
dispersés, qu'il ne s'en est pas égaré...
Marais, en tout cas^ ne partage pas l'engoûment de
ses contemporains pour Sophie. « Il faut croire, dit-il,
que ces messieurs courent après les talents de cette
demoiselle, car je ne vois rien en elle qui soit fort
attrayant. Je l'ai vue au sortir de son lit ; elle a la
peau extrêmement noire et sèche, et a toujours la
bouche pleine de salive, ce qui fait qu'en vous par-
lant, elle vous envoie la crème de son discours au
visage » (2).
(i) Journal des inspecteurs de M. de Sartines, p. 246.
(a) BiBuoTHiQUE Nationale : Manuscrits français^ 1 1.359,
fol. 175. — Mme VigéeLebrun dit, dans ses Mémoires : «Sophie
LB PRINCB DB GONTT 257
Notons que Sophie Ârnould reçut du prince de
Gonly une rente viagère de 4-ooo livres pour elle-
même et^ pour chacun de ses trois enfants, une rente
de i.5oo livres (i).
M™« d'Esparre
L'inspecteur Marais, pour mieux espionner le prince
de Conty, a trouvé inj^énieux de se faufiler dans l'en-
tourage de son fils et parfois il reçoit ses confidences.
C'est ainsi qu'au mois de mars 1764, le comte de La
Marche, amoureux d'une certaine M™« d'Esparre qu'il
désespère « d'amener à bien », s'ouvre à Marais de
l'inutilité de ses efforts (2). En vain il a tenté de cor-
rompre Lachapelle, laquais de M*"® d'Esparre, pour
qu'il remette une lettre à sa maîtresse; ce garçon a
constamment refusé de s'y prêter :
. . .M. le comte de La Marche, en outre, m'a dit qu'il la
croyoit en intrigue avec le prince de Gonty et que certaine-
ment Lachapelle étoit vendu à ce prince; qu'il avoit vu un de
setf agents sortir d'un cabaret avec lui ; il y a bien quelque
vraisemblance à cela, car M°>® d'Esparre, depuis que son mari
est parti pour son régiment, ne manque pas d'aller souper
deux fois par semaine au Temple (3).
Au mois de mai suivant, La Marche est arrivé à ses
fins. Marais dit c qu'il ne se contente pas de M'"^* d'Es-
parre » (4)- Ici comme avec la Deschamps, le comte
Arnould n*était pas jolie ; sa bouche déparait son visage : ses
yeux seulement lui donnaient une physionomie où se peignait
l'esprit remarquable qui Ta rendue célèbre ».
(i) Registre des comptes de Manscourt, Dépense, chapitre 10,
rentes 2g et 3o .
(2) Anne-Adélaide Camusset, femme d'Alexandre-Joseph-Séra-
phin, comte d'Esparre. Elle plaida en séparation de biens contre
son mari, au mois de juin 1767 ; Archives Nationales : Y i4.33o).
(.^ et 4) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, 1 1 .SSg,
ff.32i et 354.
17
958 LB PRINCE DB CONTT
de La Marche a-t-il succédé à son père, ou bien
n'étaient-ce que des soupçons sans fondement?..
M™ Brissart
Fille, sœur, femme et bru de roaltotiers; fille du
fermier générçl, cousin de M"« de Pompadour ; sœur
de Jean-Benjamin de Laborde, financier, musicien,
littérateur et premier valet de chambre du Roi, Hen-
riette de Laborde, avait épousé, en 1750, le fils du
fermier général Brissart, à qui la survivance de son
père était promise et qui, en effet, obtint la charge en
1751. Nous avons ailleurs tracé la portraicture de ce
personnage à la fois libertin el avaricieux (i).
M"^® Brissart, appétisante encore que médiocrement
belle, rendait avec usure à son mari ses infidélités
multipliées. Même, elle était, au dire de Marais,
d'une facilité excessive : « Cette femme, à Texceplion
des yeux, n*a rien de joli. Sa réputation est perdue
et, pour s'en approcher^ il suffit d'en avoir la har-
diesse. C'est exactement un bénitier, où chacun a le
droit de se décrasser, sauf les risques » (a).
A ce bénitier, le prince de Conty « se décrassa »
vers la fin de l'an 1764. Mais le Prince n'était pas
dévot. Il n'usa pas longtemps de l'eau bénite. Marais
ne s'occupe de cet accord que pour en annoncer le
dénoûment :
22 février tj65, — M. le prince de Çonty paroit depuis
quelque tems négliger M°>« Brissard et M. le comte de Bran-
cas s'en est emparé, ils ne font pas un pas Tun sans l'autre et
cette dame ne cherche même pas à sauver les apparences ; les
trois derniers bals de TOpéra, ils ne se sont point quittés. Le
comte, qui est indiscret comme une cloche, affiche hautement
sa bonne fortune ; mais comme il est connu pour le roy des
menteurs^ on en diminue au moins les trois quarts (3).
(1) Voir noire Fille (TOpéra, pp. 98 à 96^ ii4 à 116, 124 à
126, etc.
(2) BiBLiOTHàQUB NATIONALE iMantiscrits français j ii.36o, f. 167.
(3) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.SSg.f. 644.
LE PRINCE DE CONTT 259
En l^espèce, M. de Brancas ne se vantait pas. C'est
au château du Coq, rue Saint-Lazare, acheté par lui
à M. de Martel, que la dame Brissart lui donnait ren-
dez-vous (i).
Malgré qu'elle fût « négligée » par le Prince,
M™* Brissart conservait plus d'un an encore ses rela-
tions avec lui. Nous trouvons dans les comptes de ses
domestiques des articles ainsi détaillés : « D'espancé
pour M™® Brissart, du 21 août 1766, pour avoir été
au Temple en fiacre, 2 livres 8 sols » ; « Le 11 décem-
bre 1766, pour avoir été au Temple, 11 sols » (2).
M™« Saint-Janvier
Le prince de Conty, au surplus, s'inquiétait peu
d'avoir un successeur. M°^® Brissart, avant même que
d*être définitivement quittée, n'était-elle pas déjà rem-
placée 7
8 mars ij65. — M. de Brancas suit partout M™« Brissard
que M. le prince de Gontj néglige tout à fait et on assure
que M™« Saint-Janvier, femme d'un payeur de rentes, très
jolie, a déjà rendu à ce Prince quelques visites secrètes (3).
M"« Auguste
Une preuve nouvelle de l'insuffisance des rapports
de Marais ou des lacunes qui se rencontrent dans les
papiers qu'on a conservés de cet agent, résulte d'une
lettre d'Horace Walpole, de passage à Paris au mois de
janvier 1766, et écrivant à un de ses amis de Londres:
Je vais m'habiller dans un instant pour aller chez M°^* la
comtesse de La Marche qui m'a donné audience pour ce soir,
(i) G. Gapon, Les petites maisons galantes de Paris, p. 4?.
(2) BiBLioTHisQUB NATIONALE : Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions, 20 g55, ff. 17, 19.
(3) fiiBLioTHÂQUE NATIONALE : Manuscrits français, xi.35q,
f. 655.
260 LE PRINCE DE CONTY
neuf heures. Il peut vous sembler un peu singpulier d'être
présenté à une princesse du sang- à cette heure-là ; mais je
vous ai dit qu'il n'est pas un seul de nos usag'es qui ressem-
ble À ce qu'on voit ici. J'ai été présenté à son beau-père le
prince de Contj, vendredi dernier. Au milieu du leuer^ entra
une jeune femme avec trop de sans-façon, me parul-il, pour
être autre qu'une proche parente. Je fus confirmé dans mon
opinion en la voyant, après que le Prince lui eut parlé, faire
le tour du cercle, en faire les honneurs. Je demandai à un
g-entilhomme qui était près de moi, si c'était la comtesse de
La Marche : il commença par éclater de rire, et puis il me
dit que c'était M^^® Au^uste^ une danseuse. Mais qui est-ce
qui était dans son tort, je vous prie ? (i)-
Or, Marais ne fait aucune allusion à cette demoiselle
Autruste. De sorte que nous ne savons même pas s'il
s'agit de M"® Auguste l'aînée, l'ancienne favorite du
maréchal de Lowendahl, belle brune à qui Ton ne
reprochait qu'une légère surdité, ou de M^^® Auguste
cadette, ou de la fille de Tune des deux.
W^ Testard
M"« Anne-Marie Mathieu, dite Testard, native de
Rouen, avait été amenée à Paris, vers 1768, par ses
parents qui jouissaient de sept à huit mille livres de
rente. Sa mère, femme d^industrie, lui fit apprendre i
danser et elle entra à l'Opéra-Comique en 1762. Elle
avait alors quinze ans et demi à peu près. Elle était
jolie^ faite au moule et d'un grain de peau admirable.
Tout de suite, elle trouva preneur et la Lavarenne,
proxénète, lui procura M. Toquinet, riche banquier.
Au mois de septembre 17649 la nouvelle se répandit
qu'elle venait de partir pour TAmérique avec un sieur
Perault, colon fortuné. Elle avait vendu tous ses meu-
bles, à la réserve d'une petite chambre qu'elle laissait
(i) Lettre citée par Sainte-Beuve, Nouveaux lundis ^ tome IV,
p. 225 (en note).
LE PRINCE DE CONTY 261
à sa mère et avait levé le pied sans prévenir personne.
Mais ce n'était qu'un faux départ et, deux mois plus
tard, rinspecteur Marais la retrouvait aux mains du
chevalier de Marigny, beau mousquetaire noir, garçon
d'un tempérament éprouvé parmi les femmes galantes,
greluchon professionnel. Sans doute le militaire avait
des exigences pécuniaires trop fortes. C'est pour
échapper à ses persécutions que la demoiselle Testard,
au carnaval de 1766, liait partie avec le prince de
Conty :
2 may ij66. — M. le prince de Conty, malgré le grand
usage qu'il a des femmes, est tout étonné de sa faiblesse pour
la demoiselle Testard. Cette petite personne le tracasse ; der-
nièrement elle lui a mis le marché à la main parce qu'elle
avoit appris qu'il avoit eu des familiarités avec la demoiselle
Pelin, sa bonne amie, qui lui étoient préjudiciables. Elle a
fait la jalouse, le Prince a fait tout son possible pour l'apai-
ser et comptoit y être parvenu, il étoit même party pour
L'Isle-Adam; mais peodaat son absence, ayant été instruit
par le sieur Guérin, son chirurgien et son complaisant, que
cette demoiselle cherchoit à vendre ses meubles pour s'éloi-
gner de luy et s'en aller en province, il est revenu subitement,
lui a fait totalement le sacrifice de la Pelin, lui a fait louer
une autre maison à la Barrière-Blanche et lui a promis un
contrat de 1 .5oo livres de rentes, sans compter 100 louis qu'il
luy a donnés dans l'instant pour ses menus plaisirs et plu-
sieurs pièces d'étoile; au moyen de quoy la demoiselle Tes->
tard n'a plus boudé. Le sieur Guérin en me racontant cette
tracasserie, m*a dit : a Cette petite fille mènera loin le Prince,
car il trouve sa jouissance excellente » (2).
M"® Testard ne mena pas le Prince aussi loin que
craignait Guérin. Quinze jours après, tout était fini
et la demoiselle Pelin avait complètement débusqué
son amie :
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.SSg
fol. 494 et 573.
(2) BiBUOTHÈQUE NATIONALE : Mùnuscrits français, ii.36o,
fol. 80.
262 LB PRINCE DB CONTT
16 may ty66. — Monseigneur le prioce de Gontj, fatijipié
de toutes les tracasseries qu*il essuyoit de la demoiselle Tes-
tard, pour laquelle il s'étoit pris de fantaisie au hal de l'Opéra
dans les derniers jours du Carnaval, s*est enfin décidé à
Tabandonner à elle-même et elle est rentrée dans la classe
ordinaire ; c'est la demoiselle Pelin, sa bonne amie, qui lui a
porté le coup de grâce ; elle n'est cependant pas à beaucoup
près si jolie ; mais elle a un caractère complaisant et toute sa
personne annonce qu'elle est pleine de tempérament ; en outre
elle est connue pour être au déduit d*un libertinagpe outré, et
c'est ce que ce Prince aime, car comme il ne lui reste pour
ainsi dire que des désirs, il faut qu'une femme employé tout
l'art possible pour le faire parvenir à la jouissance. Enfin,
quoi qu'il en soit, la demoiselle Pelin a éconduit la demoi-
selle Testard, et journellement le Prince l'accable de bien-
faits. Testard m'a dit que, pour sa part, elle en avoit tiré
environ 600 louis, mais qu'il est faux qu*il lui ait fait un con-
trat, comme on Tavoit publié ; qu'il est vraj que si elle avoit
voulu se plier à toutes ses fantaisies, elleenauroittiré l'impos-
sible ; qu'au reste, elle étoit charmée d'en être quitte et qu'elle
préféroit sa liberté à l'honneur d appartenir au Prince; qu'elle
n'avoit jamais eu l'ambition d'appartenir à ses pareils, et que
si elle avoit d'abord accepté ses ofiFres, ce n'avoit été que pour
se débarrasser du chevalier de Marig^ny dont elle craignoit les
fureurs, mais qu'aujourd'hui qu'elle étoit certaine que la mer
les séparoit, elle rentroit dans tous ses droits et que, pour
commencer à en jouir, elle avoit accepté les offres de M. le
chevalier de La Tour (i).
Or, admirez rinconséquence féminine ! M"« Testard
qui appréhendait si fort a les fureurs de M. de Mari-
(i) Bibliothèque Nationalk : Manuscrits français, ii.36o,
fol. 87. — 11 y avait deux chevaliers de La Tour, l'uo frère de
M. Galloys de La Tour, ioteodant et premier président à Aix-en-
Proveoce, était ancieu capitaine de cavalerie et s'était retiré avec
la croix de Saint-Louis. Asthmatique de naissance, il ne pouvait
plus se coucher depuis TàjEçe de dix-huit ans et dormait la nuit sur
une chaise. Il était connu pour le plus grand joueur de trictrac de
Paris. Il avait invenlé une tactique nouvelle dont il ennuyait
tout le monde, ramenant sans cesse la conversation sur ses
découvertes militaires On l'appelait communément La Tour
des Pontais, pour le distinguer de l'autre chevalier de La Tour,
capitaine au régiment des gardes.
LE PRINCE DE CONTY 263
gny » avant que celui-ci passât la mer, s'aperçoit,
depuis le départ du chevalier, qu'elle était folle de
lui, simplement. Et dans les spasmes du plaisir, aux
bras du Prince, c'est le mousquetaire qu'elle appelle
à grands cris : « Ah ! mon cher Marigny, mon cœur
l'adore ». Ces évocations déplacées ont beaucoup
vexé Son Altesse (i).
Après la séparation, M'*® Testard resta pourtant
en commerce d'amilié avec le Prince. Elle con-
tinuait à le visiter dans sa loge, à l'Opéra ; dans
cette fameuse loge tapissée de moire d'Angleterre
rayée blanc et rose, dont Marais dit qu^elle était le
« siège du plaisir », dont la glace tournante avait
reflété le minois à mouche de toutes les filles de Paris,
et que Moreau devait prendre pour modèle (2).
C'est là qu'elle vit, en 1768, M. le duc dt Lauzun, et,
apprenant un soir que ce joli homme, choisi comme
aide de camp parM. de Chauvelin, allait bientôt s'em-
barquer pour la Corse, fondit en larmes, se jeta dans
ses bras. Lauzun conte la scène dans ses Mémoires :
(c Monsieur, me dit- elle, je me donne absolument à vous ;
vous ferez de moi tout ce que vous voudrez jusqu'à votre
départ. > On ne pouvait en effet avoir une maîtresse plus aima-
ble. Elle était entretenue par un homme riche nommé Rome
que cela contrariait beaucoup de me voir coucher avec elle.
Mlle Têtard lui déclara qu'il fallait y consentir ou renoncer à
elle. Il voulut un jour trouver mauvais qu'elle eût passé la
nuit chez moi, et faire du bruit. Je le traitai assez cavalière-
ment. Il fut absolument chassé de la maison. Mais comme je
devais partir quelque temps après et qu*il pouvait être utile
d'avoir quelques ménagements pour un aussi bon homme, il
me donna mille louis, demanda pardon de son humeur et
consentit à ce que M'^® Têtard me gardât, à condition que cela
ne fût su que de douze personnes discrètes (3).
(1) BiBuoTHiQOB Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
fol. 166.
(a) Voir l'inventaire des loi^es du Prince dans les trois théâtres
royaux, aux Archives Nationales : X>a, 9178-9179.
(3) Doc DE Lauzun, Mémoires, pp. 80-81. — Ce Rome, ou plutôt
284 LE PRINCB DB CONTT
M"e PeSUM
Marguerite-Angélique Peslin, née à Berlin en 1748,
avait débuté à TOpéra au mois de juin 1761 et de
prime saut elle avait conquis le parterre par la préci-
sion et Tagilité de sa danse, du genre qu'on nommait
alors a grotesque » en Italie. C'était une suite sans fin
de tours de force, de pirouettes sur un pied, de « gar-
gouillades » d'autantplus extraordinaires que M^i^Pes-
lin était très grasse. Elle avait pris pour amant le
sieur Barré, boucher pécunieux, et Marais s'avisait
qu'elle semblait faite exprès pour les gens de cette
sorte: <' Sa taille raccourcie, son embonpoint, jus-
qu'à son teint reluisant, tout annonce en elle qu'elle
est carnassière » (i).
Elle prouva son appétit en ne se limitant pas à
Barré. Et le comte de Cossé, le marquis de Romée, le
comte de Lowendahl, M. de Changeant, connurent
dans le même temps, ses étreintes tarifées :
Au comte de Cessé Peslin se dit fidèle ;
Il n'a que trois rivaux qui couchent avec elle (a).
Romée, est Albert-Marie, marquis de Romée de Veroouillet, né
en 1780, brigadier des armées du Roi, lieutenant des maréchaux
de France, gouverneur de Rouen, etc. 11 était fils d*une demoi-
selle Salaberry, grand'tante du président. li fut guillotiné en
1793. C'était un déterminé coureur de filles, un des meilleurs
clienls de l'appareilleur Brissaut.
(i) Journal des inspecteurs de M. de Sartines, p 220.
(2) BifiuoTHÈQUE Nationale : Manuscrits français, 11.339,
fol. 827 (Epigrammes attribuées à Poinsinet et à Pressigny). —
Hyacinthe-Hugues-Timoléon, comte de Cossé, né en 1746, colo-
nel d'infanterie etmenin du Dauphin, était fils de René-Hugues-
Timoléon, appelé le comte de Cossé-Brissac, lieutenant-général,
mort en 1784, et de Marie- Anne Hocquart, fille de Jean-Hyacinthe,
seigneur de Montfermeil. — François-Xavier-Joseph, comte de
Lowendahl, né à Varsovie, en 1742, était le fils du maréchal,
mort en 1755. Admis aux honneurs de la Cour en 1766, il épou-
sera, en 1772, Charlotte de Bourbon-Condé, fille légitimée du
comte de Gharolais et de Marguerite Caron de Rancurel. En 1792.
LE PRINCB DB CONTY 265
Mlle Peslin, sans beauté, possédait le don de plaire
et valait surtout par son caractère excellent ; elle cap-
tiva presque durablement le prince deConty. L'auteur
des Souvenirs de M^^^ Dathé force bien un peu la
vérité quand il prétend que « le Prince était devenu
véritablement amoureux d'elle, qu'il voulait lui faire
quitter le théâtre et la doter en conséquence » (i).
Mais il est réel que Louis-François eut pour M"c Pes-
lin un attachement de routine ; durant plusieurs années
elle vécut à ses appointements, sans préjudice du
casuel. « Je Tai prise, je ne sais pourquoi, disait
Conty ; jeTai gardée, je ne sais pourquoi ; et voilà au
moins mille louis qu'elle me coûte, je ne sais pour-
quoi M (2).
Marais, dans un rapport non daté mais qu'on sup-
pose ètrede i768environ,lui attribue encore le Prince
pour amant, alors qu'elle s'affiche avec le marquis de
Fleury, lequel la mène à laComédie-F'rançaise« sur le
poing », la suit jusque dans les coulisses quand elle
danse et se jette dans la dépense, persuadé d^étre
aimé pour lui-même, ravi, laid comme il est, de se
voir préféré à un prince du sang (3). Au vrai, le pré-
féré du moment est le danseur Dauberval.
Elle est toujours en 1 77 1 à la disposition du Prince et
Théveneau de Morande, parmi les petits scandales de
cette année, enregistre dans son Philosophe cynique
il commandera contre la France un corps d'armée d'émigrés
français. — Nous n'avons pu trouver aucun renseignement sur
l'obscur M. de Cban/B^eant.
(i) [Laiiothe-Lanoon]. Galanteries (Tune demoiselle du monde
ou Souvenirs de J/"e Duthë, tome II, p. 882.
(2) [IiiBBRT DE BouDREAu], Chroniqu€ scandaleusc, tome V, p. 9.
Mlle Peslin coûtait plus de i.ooo louis au Prince, puisqu'il lui
avait constitué, en 1767, une rente perpétuelle de 2.000 livres
{Registre des comptes de Manscourt, Dépense, chap. g, rente 701
et chapitre 10, rente 177).
(3) Rapports de Marais. Cf. Revue rétrospective^ i835, 2* semes-
tre, p. 440. — M. le marquis Pons-François Rosset de Fleury
(1727- 1774) était un des huit enfants du duc de Fleury, mort en
1748.
266 LE PBINCE DE CONTT
que « Mii<i Peslin, ayant eu un épanchement de lait sur-
naturel, Ta communiqué au prince de Conlj, qui sans
doute l*a fait passer à M"** la duchesse de B que
Ton dit capable de le rendre à tout le monde » (i). Si
c'est M™ de Boufflers que veut désig'ner celte ini-
tiale, si c'est elle que vise la note méchante où il est
dit que « Mole se charge de cette restitution au nom
de la duchesse », il faut convenir que le libelliste réfu-
gié à Londres est bien mal au courant des choses de
Paris.
M"« DURANCY
L'abbé Soulavie^ dans ses Mémoires du duc de
Richelieu, donne au prince de Conty W^^ Durancy, de
la Comédie-Française. L'auteur de ces Mémoires est
sujet à caution ; ainsi que nous l'avons fait observer
déjà, il confond aisément dates et gens. Nous accueil-
lerons sous toutes réserves Tanecdote qu'il rapporte
pour démontrer, dit-iU que Conty « manquait de cette
justice distributive et de détail qui soumet le prince
comme le moins fortuné des citoyens ».
Mlle Durancy, actrice de la Comédie-Française, passant pour
avoir une des plus heureuses santés et un des plus louables
tempéraments, le Prince épuisé, voulant imiter le saint roi
prophète, s'imagioa qu'il pourroit rajeunir avec elle, et lut
envoya le Mercure le plus adroit, pour lui déclarer que le
prince de Conty, amoureux d'elle, désirolt ardemment ses
faveurs. M^i« Duraocy qui logeoit dans un appartement
modeste, fit quelques difficultés et dit, eotre autres choses,
qu'elle étoit trop simplement meublée pour recevoir Monsei-
gneur. « Si Tameublement, répond le Mercure, est le seul
obstacle, vous en aurez demain un autre » ; et sur-le-champ
le Mercure ordonna au tapissier du Prince un lit superbe,
avec des crépines ; il en fît un temple de Tamour. Le prince
de Conty s'étant attaché peu de tems après à M^^^ Pelain, le
tapissier vint demander le paiement de ses meubles à
(i) Le philosopha cynique, p. 8.
LE PRINCE DE CONTY 267
M'te Durancy : — « Mes chevaux ! » lui dit-elle pour toute
réponse ; et elle vole chez M. le prince de Contj. Elle Tavoit
aimé de tout son cœur, et le voyant infidèle, elle lui dit toutes
les injures possibles sur ce qu'il l'a voit quittée, et le menaça
de le déshonorer s'il ne faisoit honneur à cette dette. Le
Prince paya les crépines et ses meubles et ne lui fit plus la
cour(i).
Nous n'avons pu vérifier le fait même des amours du
Prince avec l'actrice. Mais à qui sait la prodigpalité
ordinaire de Conty envers les femmes^ cette histoire
de crépines impayées semblera peu vraisemblable.
Plus invraisemblable encore paraîtra Tassertion de
Soulavie : que M'*« Durancy « avait aimé de tout son
cœur » le prince de Conty, à qui connaîtra la corn-
plexion androphobe de cette jeune femme. Marie
Durancy, qui par ses talents brilla alternativement à
la Comédie-Française et à l'Opéra, avait la voix belle et
le jeu pathétique. Mais son extérieur était ignoble. Sa
figure laide, commune, ses traits hommasses, faisaient
d'elle une virago que Grimm comparait à «une ser-
vante de cabaret » (2).
Ce physique ne trompait point. Rendant profusé-
(1) [Soulavie], Mémoires du duc de Richelieu, tome VIII, p. 53.
— Marie-Céleste Fieuzoi dite Duraacy, née à Paris le 23 mai
1746, morte le 28 décembre 1780, était la fiUe de comédiens de
proviDce distingués. Elle avait à peine six ou sept ans, lorsqu'à
Bruxelles, où son père était directeur de théâtre, elle montrait
les plus rares dispositions, bile n'avait pas encore treize ans
lorsqu'elle débuta à la Comédie Française, le 19 juillet 1769,
dans le rôle de Dorine. de Tartuffe. Comme sa voix se dévelop-
pait et devenait fort belle, elle quitta la Comédie pour aller, le
19 juin 1762, débuter à l'Opéra où elle restait quatre années;
retournait à la Comédie Française le i3 octobre 1766 et enfin, le
23 octobre 1767, revenait à l'Opéra où elle demeura jusqu'à ses
derniers jours. Elle obtint d'éclatants succès. Son âme ardente,
la passion brutale qui l'animait, un sentiment pathétique qui
allait jusqu'au sublime, en firent une des cantatrices les plus
puissamment émouvantes de son temps.
(2) Correspondance de Grimm, Raynal, MeisterjCtc., tome VU,
p. 271.
268 LE PRINCE DE CONTT
ment aax hommes lear manque d'empressements,
MHc Durancy préférait la société des femmes. Elle
devint une des adeptes de cette « secte anandrine »
que la grosse duchesse de Villeroy, lesbienne notoire,
aimait à réunir en son hôtel de la rue de TUniver-
sité (i).
Mîi« Allard
S'il fallait disculper le Prince de ces accusations
d'avarice par un nouvel exemple de sa libéralité, on le
trouverait dans ses « arrangements » avec M^'^ Allard,
danseuse à l'Opéra.
M'i« Allard, née à Marseille, passage Saint-FerréoI,le
i4 août 174^9 débutait comme danseuse à la Comédie-
Française en 1756. Elle avait le visage rond, les yeux
vifs, peu de gorge. Elle devait grossir par la suite et
presque égaler en embonpoint sa camarade M'^* Pes-
lin, qu'elle surpassait d'ailleurs en agilité. Après une
courte liaison -avec le prince de Condé, elle passait
en 1767 au duc de Montmorency, puis en 1769 au che-
valier de Luxembourg. C'est alors qu'elle aimait Ves-
tris, le diou de la danse ; de ces amours naissait, le
27 mars 1760, Auguste Vestris, qu'on appela Vestral-
lard. par une ingénieuse contraction des noms de ses
parents. En 1761, M^^^ Allard entamait une longue
intrigue avec le duc de Mazarin ; celui-ci lui consti-
tuait, au mois de juin 1763, une rente viagère de
3.000 livres. Cet exposé succinct démontre que, Ves-
tris à part, W^^ Allard savait se choisir des amants
profitables. Encore Vestris ne lui fut-il pas inutile ; il
la fit engager à l'Opéra.
Une aventure, ébruitée par les nouvellistes à la
main, attirait en 1767 l'attention du prince de Conty
sur M^ïe Allard. Par sa lubricité, disait-on, celle-ci
avait tellement tourné la tête d'un seigneur allemand,
(0 [Théveneàu de Morande], Le gazetier cuirassé, 3« partie,
p. 74. — Voyez nos Théâtres clandestins, p. ayS.
LE PRINCE DE CONTY 269
son amant de passage, qu'il lui avait offert le mariage.
Refusé, le noble teuton lui déclarait n'avoir d'autre
ressource que de se brûler la cervelle, mais qu*il la
lui brûlerait auparavant. Effrayée, M^^« AUard allait
prévenir le lieutenant de police, qui la rassurait (i;.
Cela se passait à la mi-août. Fin septembre, le Prince,
alléché, sans doute, par la renommée lubrique de la
danseuse, se faisait ménager par Sophie Arnould et
par son amant, M. de Lauraguais, une entrevue avec
Allard.
25 septembre lyôy . — M. le comte de Lauraguais adonné
à souper ces jours derniers à Monseigneur le prince de Gonty,
avec la demoiselle Arnould et la demoiselle Allard.
Ce Prince a témoigné toute sorte d'empressements à cette
dernière, et le public veut absolument que ce soit une affaire
consommée et qu'il lui ait donné la valeur de 80.000 livres,
mais rien n'est si faux. Il est vrai qu'il y a eu beaucoup de
pourparlers et cette demoiselle qui connoît la gesne dans
laquelle il faut vivre avec ce Prince, lui a signifié que s'il vou-
loit qu'elle cède à ses instances qu'il falloit qu'il lui fît tout
d'un coup un sort qui la mît à l'abri de ses inconstances et
de retomber dans les bras d'un autre, et ce sort a été estimé
12.000 livres de rente, sans l'acquit de ses dettes ; ce qui ne
laisse pas encore d'être considérable ; le Prince a trouvé ce
marché un peu trop conséquent et les choses en sont restées
là (2).
Les pourparlers pourtant furent repris, puisque, au
mois de janvier 1768, la demoiselle Allard ayant
accueilli pour son greluchon le chevalier de Launay^
officier aux gardes-françaises, ne lui laissait rien à
désirer « à Tinsu de M. le prince de Conty > (3). Mais
la danseuse avait abaissé le taux de ses faveurs à une
rente viagère de 3.ooo livres (4).
(i) Mémoires secrets, tome III, p. aSô.
(2 et 3; Bibliothèque Nationale : Manuscrits français , ii.36o,
fol. 824 et 383 (Rapports de Marais).
(k) Registre des comptes de Manscourt, Dépense, chapitre li,
rente 65.
270 LE PBINCE DE CONTY
Mlle David
Le duc de Chartres — futur Egalité — le marqais
de Fitz-James et le chevalier de Coigny étaient un trio
d'inséparables. Ensemble ils couraient le guilledou.
Fréquemment ils usaient de la maison de plaisance que
possédait à la Barrière-Blanche le prince de Guémé-
née et que celui-ci meUait à leur service, quand il n'y
menait pas lui-même la demoiselle Arnould, la demoi-
selle Lenoir ou quelque autre de même farine.
Au mois de mars 1768, les trois amis s*étant laissé
persuader que le prince de Gonty clottrait la demoi-
selle Davidy figurante à TOpéra, dans une petite mai-
son de Villeneuve-Saint-Georges, conçurent le plan
folâtre de lui ravir cette nymphe (i). Incontinent ils
se mettent en campagne et voilà nos jeunes fous qui,
d*une traite, piquent jusqu'à Villeneuve, heurtent à
toutes les portes et mettent le village sens dessus des-
sous. Mais ils sont obligés de se retirer bredouilles,
et, de rage, se rabattent chez Thospitalière M°>® Gour-
dan, qui tient magasin de filles à Paris, rue Goratesse-
d'Artois, et qu'on nomme pour ce, la a petite com-
tesse ». Le duc de Chartres, sa fringale amoureuse
apaisée, abandonnerait volontiers la poursuite ; mais
Coigny et Fitz-James sont plus tenaces en leurs des-
seins. Ils se sont juré de connaître la retraite de la
demoiselle David et ils ne veulent pas en avoir le
démenti. Ces messieurs s'adressent à l'inspecteur
Marais dont ils n'ignorent pas le métier. Marais opine,
comme eux, que la figurante doit être à Villeneuve-
Saint-Georges^ mais probablement sous un nom sup-
posé ; et voilà pourquoi ils ne Tout pas trouvée.
(i) Il y avait alors à l'Opéra, depuis 1766, deux demoiselles
David, deux sœurs, qui avaient appartenu à la Comédie Française
comme danseuses, de 1768 à 1766. L'aînée est figurante^ c'est
elle dont il s'agit ici ; la cadette n*est que surnuméraire.
Mile I)ayid l'atné loge rue Neuve-des-Petits Champs.
LE PRINCE DE CONTY 271
... Ils m'ont très fort prié (écrit Marais) de m'informer du
nom qu'elle avoit pris; je leur ai promis et n'en ferai rien, car
certainement le prince de Gonty ne seroit pas flatté de cette
niche; cependant pour l'instruction particulière de ce travail,
j'ai vu la sœur de la demoiselle David qui m'a dit qu'elle
n'étoit pas à Villeneuve-Saiot-GeoriiCes, mais que, pour le cer-
tain, elle étoit aux environs de Paris, dans une petite maison,
et qu'elle croyoit que c'étoit du costé de la Barrière-Blanche,
même maison qu'avoit occupée la demoiselle Testar du tems
qu'elle étoit au prince de Gonty; qu'elle ignoroit elle-même le
nom qu'elle y portoit, parce qu'elle ne vouloit pas qu'elle fût
la voir, de crainte qu'elle ne s'aperçût qu'elle y passoit les
remèdes; mais qu'elle s'informeroit de la demeure d'une
femme qui la voyait quelquefois (x).
Plus de nouvelles de la demoiselle David pendant
plusieurs années. Elle appartient toujours au prince
de Gonty qui, sans doute, la garde étroitement. Il la
quille vers 1770 et le marquis de Romée s'empare
d'elle. Mais ce seigneur s'aperçoit vite qu'il n'est pas
plus heureux qu'avec la volage demoiselle Testard et
qu'elle reprend son ancien train de vie, qui est de
(( donner dans les jeunes gens ». M. de Romée
l'abandonne au chevalier de Bezons. Un curieux
personnage, ce chevalier; généreux avec les filles,
d'elles redouté depuis la vengeance originale qu'il tira
d'une demoiselle Laforest qui l'avait gratifié, dit
Marais, « d'une galanterie des plus chaudes »; ayant
joint son ennemie au bal de TOpéra, il lui attachait,
dans le dos de son domino*, « une polissonnerie vul-
gairement appelée redingote angloise », et la demoi-
selle Laforest faisait plusieurs tours dans la salle avec
ce nœud d'épaule de nouvelle fabrique, laissant sur
son passage comme un sillage de quolibets, jusqu'à ce
qu'une amie charitable détachât Tobjet (2).
Après le chevalier de Bezons, que doublaient
(i) BiBuoTHÈQUB NATIONALE : ManuscHts français j ii.36o,
fol. 4ii.
(2) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.SSQi
fol. 102.
272 LE PBINCB DB CONTT
M. de la Patrille, le mousquetaire noir, et le cheTa-
lier de Sainl-Blancard, M"® David passa aux ordres de
M. de Maupeouy le colonel, tandis qu'elle prenait pour
greluchon le chevalier de Launay, des gardes fran-
çaises, l'ancien amant du cœur de M^'* Allard (i).
En manière de souvenir, le prince de Conty avait
laissé à M'^* David une rente viagère de a.ooo livres,
qu'elle touchait encore en 1779, alors qu'elle était
devenue comtesse de Leunoncourt (2).
M"« Heinbl, M»« Porsein
Tel un nouvel astre au firmament, une étoile, en
mars 1768, surgit à l'Opéra. Comme M^^* Peslin, la
berlinoise, Anne Heinel est allemande, native de Bay-
reulh. Mais loin de pratiquer la ugargouillade)>,elle se
révèle, dès ses premiers pas, modèle accompli de la
danse posée. Elle a quinze ans seulement et on la
compare à Vestris. La sveltesse de ses contours, les
charmes de sa figure, la noblesse de ses mouvements
font le ravissement des connaisseurs, qui l'ont sur-
nommée € la belle statue » (3). Heureux le Pygma-
lion qui l'animerai Son frère veille sur elle et la
garantit intacte et vierge. Les enchères montent
immédiatement. Le prince de Conty se met sur les
rangs, produit son offre. Mais il est distancé par le
comte de Lauraguais lequel, d'enthousiasme, propose
60.000 livres. Moyennant un supplément de 5oo louis
pour le frère, à titre d'épingles, M^** Heinel est adju-
gée à M. de Lauraguais (4).
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
fol. 656.
(2) Registre des comptes de Manscourt, Dépense, chapitre 9,
renie 702.
(3) Voyez : Noverre, Lettres sur la danse (édition de i8o4),
p. 84, et la Correspondance de Grimm^ tome VIII, p. 83.
(4) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
fol. 4i^« — [Imbert de Bouoreau], Chronique scandaleuse^
tome V, p. 123.
LB PRINGB DB CONTY 273
Cette emplette coûteuse du comte de Lauraguais
laisse en friche M'^® Porsein, sa maîtresse. Le prince
de Conty et le prince de Soubise la € couchent en
joue » simultanément (i). Lequel des deux chasseurs
l'abattra? L'un et l'autre, il faut croire. M"« Porsein
qui, avant d'être à M. de Lauraguais, aimait parallèle-
ment Clairval, Thistrion, pour sa belle figure^ et
Sainte-Foy, l'historien, pour sa bonne finance, n'en
est pas à un amant près...
Aussi bien Conty n'a pas abdiqué ses vues sur
M"« Heinel. Il attend son tour, sachant qu'avec de la
patience son heure sonnera. Elle sonne quelques mois
plus tard et M^^® Heinel fait à ce propos d'étranges
révélations à son amie Sophie Arnoud :
Cette fille ayant passé la nuit avec le prince de Conty parut
le lendemain assez peu satisfaite des plaisirs de la veille.
Mlle Arnoald, connue par ses saillies, lui demanda : « — Ehl
qu'as-tu, mon enfant, tu me semblés toute triste; n'es- tu pas
contente du prince? > — c Non, mon amie, dit M^'" Heinel, je
ne veux plus de commerce avec lui, il m'a joué un tour per-
fide ». — « Eh ! qu'est-ce, ma petite, conte-moi cela ». —
c( Imaginez-vous, dit la danseuse, en hésitant, qu'il a voulu
en user avec moi d'une manière fort extraordinaire, enfin
comme on se sert à Rome des petits... vous jugez bien que
j'ai dû souffrir des douleurs afiFreuses ». — (( Ah! ma
pauvre enfant, reprit M^^® Arnould, j'entre dans ta peine, et
je ne doute pas que cela n'ait été très difficile, car on n'est
jamais si petit qu'auprès des grands » (a).
Avec le temps, M^^® Heinel se façonna sans doute aux
manières romaines de Son Altesse. Leur commerce se
soutenait encore à la fin de 1770. C'est le comte de
La Marche qui, un soir de bal à l'Opéra, en jan-
vier 1771, certifiait à Marais leur division prochaine
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
fol. 4^2.
(2) Correspondance secrète (dite de Métra), lome I, p. 35.
18
274 LE PRINCB DE CONTY
« et que le marquis de Marigny allait s*ea arran-
ger » (i).
M"®s Delorme, Deryieux^ Adrienne,
LONGPRÉ, LaURPIN
Pour la clarté, nous sommes obligés d'énumérer les
maîtresses du prince de Conty à tour de rôle. Mais on
se tromperait fort en accordant à ce tableau une valeur
trop absolue quant à Tordre chronologique. En fait,
la fantaisie du Prince, variable et diverse, va et vient,
passe et repasse, de Tune à Tautre; il prend, quitte,
reprend; il ajoute à sa liste ou il en retranche, sans
méthode; rarement il se fixe à une seule conquête à
la fois.
C'est ainsi que, concurremment avec M^^® Heinel,
Conty entretient la petite Delorme, sa camarade, à
laquelle il rend visite dans sa loge, à l'Opéra, un soir
que M^^^ Heinel, malade, n'a pu daiiser. La jeune
Delorme qui voit en cachette M. de Vougny et qui
prend à M. de Sénac cent louis pour une passade,
quitte bientôt le service du Prince pour celui de
M. de Soubise (2).
C'est ainsi que Conty subventionne M"« Dervieux,
une ancienne à l'Académie de musique et de danse,
encore qu'elle n'ait pas plus de seize à dix-sept prin-
temps; mais, à dix ans elle dansait déjà comme un
ange, et Ton prévoyait qu'elle serait le bâton de vieil-
lesse de sa brave courtisane de mère. M^^ Dervieux
ne s'attarde pas aux menus cadeaux du Prince; et
M. de Soubise lui ayant offert un ravissant petit hôtel,
rue de la Victoire, 1.200 livres par mois pour ses
menus plaisirs et autant à madame sa mère pour les
dépenses de la maison, elle imite M"« Delorme et passe
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français , ii.36o,
fol. 488. '
A. If 00.
(2) C. Piton, Paris sous Louis XV, tome I, pp. 4o, 77, 81, 90.
LE PRINCB DE CONTY 275
au camp de Rohan. Elle garde pourtant la pension de
5.000 livres que lui a souscrite Conty (i).
Cest ainsi qu'il se lie^ toujours vers le même temps
(1770), à M"« Adrienne, également de TOpéra, et qu'il
convoitait depuis qu'elle avait paru sur le théâtre
d'Audinot, au boulevard du Temple. « Il la garde, dit
Marais, dans son petit sérail; un assure qu'il en a
vingt à présent )» (2).
C'est ainsi qu'il envoie, non sans motifs probable-
ment, cinquante louis à M^'® Longpré (3).
C'est ainsi qu'il patronne, pour la faire admettre
à l'Opéra, une demoiselle Laurpin, pensionnaire de la
Gourdan, proxénète :
Le prince de Conty, note Marais, lui a fait tenir 5o louis et
lui a fait dire qu'il la verroit encore trois ou quatre fois; mais
qu'elle pouvoit compter sur luy et que, comme elle étoit reçue
à l'Opéra, il lui feroit toucher 26 louis par mois, pour Taider
à payer ses maîtres (4)*
M^« Martin
Si Conty se décharge en janvier 1771 de la demoi-
selle Heinel, c'est qu'il a déjà jeté ailleurs son dévolu ;
une demoiselle Martin, fille d'un marchand de pois-
son en gros de la rue Aubry-le-Boucher, et dont la
mère, même rue, a boutique de modes et frivolités.
Dix-sept ans, grande, bien faite, les plus beaux yeux
du monde, M^^® Marxin passe, à juste titre, pour si
jolie que par curiosité jusqu'à des dames vont la voir.
£Ile n'a pas eu de peine à plaire au Prince, dit un rapport
(i) Registre des comptes de Manscourt, Dépeose, chapitre 10.
rente 187. — Voyez sur Miie Dervieux : G. CA?oti, Les petites mai-
sons galantes, pp. 100-102.
(sL)Revvie rétrospective, i835, 2* semestre, p. 442.
(3) C. Piton, Paris sous Louis XV, tome I, p. 49.
(4) BiBUOTHÈQUE NATIONALE \ Manuscrits français, ii.36o,
fol. 491*
276 LE PRINCE DE CONTY
de Marais, et il s'est décidé à s'en charg^er; j'ig^nore eDcore
les conditions da marché, j'en seraj informé ; mais elles doi-
vent être conséquentes, car ses père et mère ne sont point
dans la misère et poar garder une espèce de décorum avec
eux, le Prince doit la mettre quelque teros au couvent, où il
lui donnera tous les maîtres qui peuvent augmenter sesagré-
mens ; ensuite il se propose de la faire paroître avec éclat.
Monseigneur garde un grand mystère sur cette intrigue et
seroit désespéré d'être deviné, d'autant que la disparition de
cette demoiselle pour le couvent, qui doit s'opérer ces jours-
ci, étonnnera bien des gens qui ont les yeux dessus (i).
Un mois après, l'enlèvement de la demoiselle Martin
est accompli. Elle est mise au couvent du Calvaire, où
le Prince payera ses leçons. Sous prétexte d*aller voir
sa famille, elle ira de temps à autre visiter Son Altesse
au Temple (2). L'opération n'a pas coûté aussi cher
qu'on le pensait. Deux cent louis comptés aux parents,
pour satisfaire à des engagements pressants de leur
commerce, les ont décidés au sacrifice et cinquante
louis mensuels pour Tentretien de leur fille^ mais qui
leur passeront par les mains, ont levé leurs derniers
scrupules.
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français j ii.36oy
fol. 49»-
(2) En plaçant sa maltresse au couvent, le prince de Conty
n'avait pas le mérite de l'invention ; c'était le procédé du duc de
Duras :
c Le sieur Saint Louis (époux de la Montigny, a pparei lieuse]
vit une jeune fille, la demoiselle Brébantet, après en avoir joui,
l'amena à sa femme qui la trouvant jolie, lui inspira vivement
les idées de coquetterie de son métier. La Montigny qui avait
l'honneur de fournir à M. le maréchal de Duras des amusements
de débauche, ne manqua pas de lui présenter sa nouvelle acqui-
sition ; ce seigneur devint amoureux sur-le champ et capitula
avec la courtière pour se l'approprier. Dix louis de présents
déterminèrent la Montigny à qui il fut ordonné de garder à vue
et avec probité le bijou confié qui, au bout de huit jours, était con-
duite dans une communauté à Rueil, comme filleule du maré-
chal, où elle resta deux ans, venant de temps en temps à Thôtel
amuser Monseigneur » (BiBLiOTHiQUE Nationale : Manuscrits
français^ ii.358, fol. i3-i4).
LE PRINCE DE CONTY 277
Celui que désespère Taventure, c'est le sieur Duval
jeune, des bureaux du lieutenant de police, le fils
de ce premier secrétaire Duval, qui, du temps de
M. Berryer, recopiait les rapports des agenls secrets et
les transmettait au magistrat en orthographe et style
plus corrects. Duval va partout clamant qu'on lui a
dérobé une maîtresse chérie, dont il avait les faveurs
depuis dix-huit mois, dont il avait même la clef pour
entrer chez elle à toute heure et ce, du consentement
de ses père et mère. Pour colorer sa vantardise d'un
semblant de vérité, Duval, avec des airs de franchise,
énumère les charmes secrets de la fille, et convient
qu'elle a « le ventre un peu bis ».
Pour moy, observe Marais, je n'en crois pas un mot ; il est
bien vray qu'il alloit souvent au comptoir lui faire sa cour et
qu'il la persuadoit qu'elle seroit forcée avec le temps de céder
à ses grâces, mais elles lui ont réussi bien rarement; il s'aime
trop pour être aimé des femmes et, pour celles qui soDt con-
noisseuses, sa taille, qui a tout au plus Pair d'être faufiliée,
ne les prévient pas en sa faveur (i).
Au Calvaire, les progrès de la demoiselle Martin
furent si rapides qu'en avril, le Prince la retira de
chez les nonnes : mais ce fut pour la confiner, plus
jalousement encore, dans une petite maison de la rue
de la Chaussée d'Antin (2).
...Que devint par la suite M"" Martin ? N'est-ce
point elle que nous rencontrons, quinze ans plus tard,
marchande de rouge pour les dames, établie dans le
quartier du Temple et fournisseuse de la Reine, de
Madame, de M°*® Elisabeth, de la comtesse d'Artois et
de la duchesse d'Orléans? Elle est connue comme
femme galante et lient cercle en son arrière boutique.
Au printemps de cette année 1786, M^^® Martin a une
affaire avec M** Ader, jeune avocat qui la courtise et se
(i et 2) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français j ii.36o,
fol. 499 et fol. 537.'
278 LE PBIHCB m CONTT
permet d'être trop entreprenant. Elle le fait empoi-
gner et conduire chez le bailli du Temple où il reçoit
une mercuriale sévère. Mais la marchande de rouge
imprime en outre un mémoire qu'elle adresse à tous
les membres du barreau. Ce mémoire porte pour épi-
graphe : « Qui se laisse outrager mérite qu'on l'ou-
trage ». M"« Martin y donne à entendre qu'elle n'est
point mal de figure « et que M® Âder étoit en rut quand
il se porta aux excès dont elle se plaint /> (i).
M^^* Leglerg
Tandis qu'au couvent l'on polit et Ton décanaille
M"« Martin, le prince de Conty ne saurait chômer,
inactif. Et c'est encore à l'Opéra, « fonds d'inconti-
nence publique, harem de la nation, bazar où les
grands de l'empire achètent leurs esclaves », qu'il se
pourvoit d'une maîtresse nouvelle (2).
3i janvier ryji, — Monseigneur le prince de Conty, tou-
jours fertile en événements amoureux, a fait encore, la semaine
dernière, une nouvelle empiète, dans la personne de la jeune
Leclerc, danseuse dans les ballets de l'Opéra. On prétend
qu'il a compté à la mère mille louis comptant; du moins elle
s'en vante ; mais il est certain qu'il lui a donné un fort
accompte, car elle en a fait voir beaucoup à une de ses bon-
nes amies, et le duc de Luxembourg:, qui lui offrait 5o louis
par mois, n'a pu allen la voir. Elle a été livrée au Prince
comme pucelle; cependant M. Bertin, des Parties casuelles,
en avoit déjà tâté près d'un an, à la sourdine (3).
Friponne sur le titre du bijou, le Prince ne s'aper-
çoit-il pas de la duperie ou dédaigne-t-il d'en garder
rancune? Toujours est que, deux mois après, il met la
(i) Mémoires secrets, tome XXXII, pp. 88 ci 206.
(2) [Thureau de la Morandière]. Représentation à M. le lieute*
nant de police sur les courtisanes à la mode.
(3) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
fol. AgS.
LE PRINCE DE CONTT 279
petite Leclerc dans ses meubles et lui fait quitter
rOpéra pour mieux la tenir. Elle ne dansera plus,
c'est chose arrêtée. Mais avec Conty, qui dans ses
amours change et déchange perpétuellement, ces
grandes ré^^olutions ne tirent pas à conséquence. En
effet. Tannée 1771 n'est pas révolue que la danseuse,
rentrée au théâtre, partage ses loisirs entre M. Thi-
roux de Montregard et M. le duc des Deux-Ponts (i).
Mlle DUPUIS, DITE L^LIGOT ; M*^ BOUVANGE,
DITE GaSTILLON
En prenant M"« Leclerc au prince de Conty, le duc
des Deux-Ponts ne fait d'ailleurs qu'user de repré-
sailles. Le Prince ne vient-il pas de lui subtiliser la
demoiselle Dupuis, dite Lélicot du temps qu'elle ser-
vait aux plaisirs des chalands de la Gourdan, et qui
s'appelle de Ghelles, depuis que Chrétien IV l'a reti-
rée du boucan de cette proxénète?
Conty s'est amouraché de M'*« de Chelles au mois de
janvier 1771. Mais leur accord n*a pas marché tout
seul :
Monseigneur, dit Marais, voudroit la captiver tout à fait et
la mettre en petite maison pour qu'elle ne fût qu'à ses ordres.
Mais la petite personne s'en défend, malgré les avantages
qui en résulteroient pour son bien, parce quelle dit qu'elle
n'aime point la gesne; le vray motif de la répugnance, est
qu'elle aime Clairval des Italiens à la fureur. Enfin Monsei-
gneur, pour la réduire, a envoyé chercher la Gourdan, comme
Payant élevée, et l'a chargée d'employer toute sa rhétorique
(i) C. Piton, Paris sous Louis XV, tome I, pp. 60 et 69.
M. Thiroux de Montregard, trésorier de la maison du Roi en
1731, choisissait généralement ses maîtresses dans le corps de
ballet de l'Opéra. Il avait eu successivement Mlle Beaufort,
Mll^ Deschamps cadette, MUeDumirey. — Chrétien IV (1722-1773),
prince palatin, duc souverain des Deux-Ponts depuis 1735. Il
avait épousé morganatiquement MUo Gamache^ danseuse à
l'Opéra, à laquelle il donna le titre de comtesse de Forbach.
280 LE PRINCE DE CONTT
pour lui faire ag^réer ses intentions. Mais elle [la Gonrdan]
n'a pu encore rien obtenir et, pour se dissiper, il l'a priée, en
attendant, de négocier auprès de la demoiselle Bouvaoce,
dite Castillon, très jolie femme, maîtresse de M. le duc de
Saint-Mégrin ; il y a lieu de croire que cette affaire se fera ;
on ne dispute plus que sur le prix (i).
Qu'est-ce encore que cette Bouvance? Une ancienne
ouvrière qui s'est esquivée, voici quelque huit ans, de
la boutique du sieur Planson, marchand de modes,
où elle travaillait, pour entrer chez la Gourdan, d*où
Ta sortie M. Douet de la Boullaye (a). Elle s'appelait
alors Génescourt; elle se nomme à présent Castillon.
C'est la mode décidément chez les < demoiselles du
bon ton » de varier souvent leur nom de guerre.
Mais Conty n'a engagé M^*® Bouvance que comme
pis aller» pour l'intérim. Et sitôt Lélicot convaincue
par la rhétorique de la bonne Gourdan, c'est vers
Lélicot que revient le caprice du Prince :
8 mars lyyi. — M. le prince de Conty a encore cham-
bré la demoiselle Lélicot, dite de Chelles, qui a été entretenue
à sa sortie de chez la dame Gourdan par le prince des Deux-
Ponts. On ignore encore où il l'a mise, mais il est certain
qu'elle est avec luy et que le premier de ce mois, elle a quitté
son appartement, rue des Orties, pour se rendre dans celui
qu'il lui avoit fait préparer (3).
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
fol. 479*
(2) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.SSg,
fol. 579.
(3) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.36o. fol.
5i6. — Ed 1779, M'l« Dupuis touchait eacoresurla succession du
PrÎDce une rente de 2.000 livres, et celte même année le trésorier
payait un vieux solde de gages à sa femme de chambre Brémard :
700 \\Yv^% (Registre des comptes deManscourt, Dépense, chap. 10,
rente 176.)
LE PRINCE DE CONTT
M"« Denis
281
Tandis qu*il « chambre » en ville Leclerc ou Dupuis-
Lélicot, le Prince séquestre, dans le Temple même, la
dame Denis, épouse d'un employé des fermes, qu'il a
soustraite à son mari, depuis le mois de mars. En
octobre, M™« Denis, redoutant la colère de son mattre
légal, passera en Angleterre et c'est Conly qui lui
paiera la traversée (i).
M"® Dezanville, M"« Golard, dite Guimard
Dans l'intervalle, au mois de juillet 1771, le sieur
Guérin, esculape du Prince, a recruté deux tendrons
pour les soupers clandestins de Son Altesse : les
demoiselles Dezanville et Colard, dite Guimard. Conty
leur a prorois à chacune vingt-cinq louis par mois,
dont elles ont touché moitié au premier banquet où
elles assistèrent, en compagnie du président d'Ali-
gre.
La jeune Dezanville n'a pas Theur de plaire long-
temps; mais le Prince persévère quinze jours au moins
dans son goût pour la petite Colard; il porte ses
honoraires à cinquante louis et Marais qui la rencon-
tre radieuse au Colysée, le 18 juillet, la trouve <v tout
embellie par le bien-être » (a).
M"« Leclerc II
Au mois d'août, Guérin fait encore une trouvaille. Il
« soulève » une fillette, nommée Leclerc, qu'il présente
au sultan du Temple. On lui baille quelques nippes
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
f. 537 et C. Piton, Paris sous Louis XV, tome i, p. ai.
(2) BiBuoTHàQUB Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
ÉF. 676 et 58o.
282 LB PBINCB DE CONTT
et le Prince commet Guérin au soin de lui servir d'Ar-
gus, de la débrutir, de la manîérer : « Certainement,
observe Marais, Monseigneur peut s'en rapporter à lui
pour la mettre dans la main et dans les jambes, c'est
un très bon écuyer dans ce genre » (i).
M"« Mac-Carthy
Au mois de novembre, plus exactement le jour de
la Toussaint, la Gourdan moyenne au Prince une
irlandaise^ la demoiselle Mac*Carthy, assez recherchée
par les paillards de la rue Comtesse d'Artois. La rétri-
bution est de cinquante louis (2).
M^^ Legrand
Au mois de décembre, Marais nous divulgue une
passade du Prince avec la « petite » Legrand, ainsi
dénommée non point à cause de son âge, car elle
n'est plus toute gamine, mais à cause de sa taille
menue qui jure avec son nom. Ce bout de femme
n'est pas jolie mais elle pétille d'esprit. Intimement
liée autrefois avec la comtesse Dubarry, alors que
celle-ci n'était que Vaubernier et pas du tout com-
tesse, M"« Legrand a vécu longtemps avec M. Cour-
tois de Minutte, mattre des requêtes au Parlement,
puis avec M. Gauthier, rejeton du fermier général.
Pour le quart d'heure, elle gîte avec le sieur Leiièvre,
joli garçon, de qui le père, apothicaire, débite rue de
Seine un merveilleux élixir: le Baume de vie, propre
à guérir tous les maux. Le baume ne se vend-il pas,
ou l'apothicaire est-il pingre? Le fils Leiièvre et sa
maîtresse pâtissent d'une grande disette d'argent.
M"® Legrand, pour subsister, a dû engager plus de
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français^ m.36o
fol. 597.
(a) Bibliothèque Nationale : âfanuscrits français, ii.36o,
fol. 637.
LE PRINCE DE CONTT 283
3.OO0 livres d'effets. La g^énérosité du prince de Conty
sauve ce nantissement des g^riffes du préteur et
M^*^ Legrand, reconnaissante, paye le service à sa
manière (i).
Une lacune dans les fiches de Marais concernant le
Prince, une lacune de près d'un an, du mois d^août
1771 au mois de septembre 1772, donne à penser que
Conty, durant cette période, s'en tient uniquement à
M™« Dailly. Mais celle-ci devient grosse pour la
deuxième fois en mars 1772 et le Prince, respectant
les derniers mois de cette grossesse, cherche de-ci de-
là des distractions passagères.
Alignons sans commentaires ces rapports, non
datés, mais qu'on suppose être de septembre, octobre
et novembre 1772 (2).
Une PETITE FILLE
{Sans indication de mois ni quantième), — M. le prince
de CoQty vient d'avoir la petite fille d'un marchand dont on
n'a pu savoir le nom : on la dit belle comme l'Amour. Elle
avoit déjà un amoureux que le père ne savoit pns ; il l'a donnée
pour neuve au Prince. Ce jour là le jeune homme alloit mon-
ter à une fenôtre par laquelle il avoit coutume d'entrer. Il a
entendu arrêter un carrosse à deux pas. Il a soupçonné sa
mattresse, et comme la nuitétoit noire, il s'est caché pour voir
ce qui se passeroit. Il a vu que le sieur Bazini, vieux laquais
du Prince, a frappé et a emmené la petite fille coucher au
Temple ; elle n*en est sortie qu à huit heures du matin. C'est
le médecin du jeune homme qui a raconté l'histoire, comme
celui-ci étoit malade de chagrin (3).
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, ii.36o,
fol. 647.
(3) Les noies de Marais dans le Manuscrit 1 1 . 367 de la Bibuo-
THÈQUE Nationale, notes publiées par M. G. Piton (Paris sous
Louis X Vf p^p. 19 à 5o) sont de rannée 1772, sauf la première
anecdote, datée de 1769. Une preuve entre vingt : il y est ques-
tion du début à la Comédie-Française de M^e Sainval cadette,
qui eut lieu le 27 mai 1772.
(3) Revue rétrospective, i835, 2» semestre, p. 438. Cf. C. Piton,
Paris sous Louis XV^ tome I, p. 21.
284
LE PRINCB DB CONTT
Autre petite fille
M. le prince de Conty a pris la petite fille d'ao doinestiqae
qui apprend à jouer la comédie. Il lui a loué une maison de
i.5oo livres, rue Saint-Marc. Elle y est avec sa famille. On
assure que l'abbé Geffroy est le g^reluchon (i).
M"« Mars
M. le duc de Lauzun a eu M^^ Mars en passade. Elle est
aussi toujours à la solde de M. le prince de Conty (a).
M"® Matthâus
On dit que M le prince de Conty a M°>^ Mattbéus. Elle étoit
au bal de Vauxhall avec lui, dans sa loge (j^rillée (3).
jyfme Malherbe, M*i« Vernibr
M. le prince de Conty a fait meubler une maison à
M""^ Malherbe. Il vient de L*lsle-Adam la nuit pour la voir.
Cela n'a pas empêché M^^® Vernier, qui dansoit à l'Opéra,
n'ait été y passer quelques jours (4)>
Le PBTrr J...-F...
M. le prince de Conty s'est amusé au bal après toutes les
filles. Il a changé chaque fois de domino. Guérin étoit à la
découverte pour une petite fille de qui il a eu envie.
... On assure que M. le prince de Conty a attrapé une
galanterie avec une petite fille qu'on appelle le petit J...-F...;
que son chirurgien Guérin s'est trompé, et que le Prince ost
furieux (5).
(i et 2) C. Piton, Parti sous Louis XV, tome 1, p. 5i et p. S6.
(3 et 4) C Piton, Paris sous Louis XV, tome I, p. Sg «t p. 6i.
(5) C. Piton, Paris sous Louis XV, tome 1, p. yS.
L£ PRINCE DE CONTY 285
^meDgjjiy accouche en décembre 1772. Son amant
lui redevient fidèle et désormais les inspecteurs du
lieutenant de police n'entretiendront plus leur chef
des amours du prince de Conty.
Il nous reste à énumérer, pour être aussi complets
quMl est possible, une demi-douzaine de mattresses
dont les noms nous parviennent en quelque sorte par
ricochet et sans que nous puissions mettre des dates à
côté de ces noms.
Mii« d'Aigremont
Un rapport de Marais sig^nale, en 1771, le retour à
Paris d'une certaine demoiselle d'Aig^remont, femme
Daumesnil, à qui le duc de Lauzun fait tenir dix louis
et lord Binting^, son ancien amant, vingt-cinq, « sim-
plement pour Tobliger » et sans envie de revivre avec
elle. « Le prince de Conty, ajoute le policier, lui a fait
dire aussi de ne pas s'inquiéter et qu'il lui feroit pas-
ser des secours » (i). Il y a gros à parier que M'^^d'Ai-
gremont, pour mériter cette charité, possède des titres
anciens à la bienveillance du Prince.
Mlle DUPLAN, M"« DB MoNTGAULTIBR, M^* MaINTILLIERS
Imbert de Boudreau dans le dernier volume de sa
Chronique scandaleuse — paru en 179I9 et rédigé en
partie sur les notes de Marais — nomme trois femmes
dont le Prince aurait eu les faveurs.
Plus généreux que le comte de La Marche, dit Imbert, il
[Conty] donnoit le même jour un carrosse à la Duplan et
800 livres à la dame de Montgaultier qui les mangeoit avec
son basson.
Il n y a jamais eu que la Mainyilliers qui se soit plainte
(i) BmuoTHiQUB Nationale : Manuscrits français^ ii.36o, fol.
634.
286 LB PBIKCB J>B COHTT
d'avoir amusé Soo Altesse sans la moindre reconaoissance.
Mais elle s'en prit an président d'Alig^ et à Jacquet qui
ètoientde la partie (2).
De ces trois femmes, une seule a laissé quelque
trace : Françoise Campag^ne, dite Duplan, qui fut
chanteuse à l'Opéra, où sa haute taille et sa voix éten-
due lui réservaient les rôles qu'on appelait alors « à
baguette ». Après avoir chanté dans les chœurs, elle
avait débuté en 1762, à Tàge de dix-sept ans, et pres-
que aussitôt s'était laissée enjôler par le sieur Colin,
boucher, grand dénicheur de filles. Colin l'ayant ren-
due mère, Tabandonnait avec son enfant et réduite à
la misère, elle portait en 1766, contre Tinfidèle, une
plainte en < séduction ». C*est donc postérieurement
à 1766 qu'elle connut Conty et qu'elle eut un car-
rosse ; mais c'est antérieurement à 1770, puisque
M™« de Montgaultier qui, c le même jour », recevait
800 livres, les mangeait avec le basson du Prince ; or,
Conty licencia son orchestre en 1770.
Mii« La Prairib
Dans la Correspondance secrète, dite de Métra, à
propos d'une mésaventure judiciaire du comédien-
directeur Audinol, personnage sur lequel nous revien-
drons, l'auteur cite une nouvelle maîtresse du Prince :
Le directeur d'un tripot de saltimbanques qu'on nomme la
troupe d'Audinot (c'est Audinot lui-même), vient d'essuyer
un petit désagrément. Il vivoit depuis longtemps en concubi-
nage avec une femme dont il avoit plusieurs enfants. Ce
galant homme, imbu de l'esprit comique, avoit fabriqué à sa
guise les extraits baptistaires de ces en fans, en s y recounoîs-
saot le mari de sa maîtresse qui en avoit cependant un autre,
(i) [Imbbrt de Boudreau], Chronique scandaleuiCf tome V,
P-9-
(2) Archives Nationales : Y 12.667.
LE PRINCB DE CONTY 287
nommé La Prairie. Une fille, (isset célèbre à Paris par les
ag rémens de sa Jîgure et par ses liaisons avec le prince de
Coniy, est l'un des fruits de ces belles amours. Elle s'est avi-
sée un jour de consulter son extrait baptistaire, et y voyant un
nom étrangler qu*avoit imag'iné Audinot pour remplacer celui
de M°*® La Prairie qui étoit sa véritable mère, a attaqué le
directeur de la troupe en justice. Elle Ta fait sommer de lui
déclarer où étoit sa mère et, si elle étoit morte, de lui rendre
ses biens. Audinot a rendu naïvement compte de sa conduite
et du faux qu'il avoit commis. Cette plaisanterie lui a valu
quelques jours de prison (i).
Admirons en passant la mansuétude des jugées du
dix huitième siècle. Le même faux coûlerail aujour-
d'hui beaucoup plus cher à qui s'en rendrait coupable.
Cette demoiselle La Prairie, naguère appelée M^^* Au-
dinot, avait été, vers 1770, la maîtresse du prince de
Soubise qui lui donnait 1.200 livres par mois pour ses
menus plaisirs, et autant à sa mère pour les frais de
la maison : le même tarif qu'à la jeune Dervieux,
ci-dessus nommée (2).
Mi*« DUTHÉ
Pour clore la liste, nommons enfin W^^ Duthé, puis-
qu'elle-mème se nomme dans ses Mémoires :
Maintenaot (dit elle) tu me demanderas si je fus la seule à
laquelle le prince deConty fit Taffront de ne pas l'appeler à
prendre une tasse de café avec son premier gentilhomme ; je
n'ai pas un seul reproche à adresser à Son Altesse Sérénis-
sime; et je me plais à rendre justice à sa politesse et aux bon-
tés dont il m'a toujours honorée jusqu'au moment de sa mort ;
je lui dois de la reconnaissance, et certes, mon souvenirn'est
pas ingrat (3).
(i) Correspondance secrète, tome II, pp. 379-380.
(2) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français, 11.357, ^-23.
(3) Galanteries d'une demoiselle du monde, tome II, p. 38o. —
Nous n'ignorons pas que ces mémoires sont apocryphes, et rédi-
288 LB PRINCB DE CONTY
Blonde et fade, de figure <% moutonnière », aussi
dénuée d*esprit que de tempérament, Rosalie Dulhé
avait une qualité qui devait fixer, au moins passag^è-
rement, l'attention du prince de Conty : elle était la
courtisane à la mode. Sa vogue, qui dura longtemps,
lui venait surtout d'avoir eu Thonneur d'être choisie
pour donner au jeune duc de Chartres les premières
leçons de plaisir.
gés d'un bout à Tautre par Lamothe-Langon. Cependant malfl^
les enjolivements et les broderies, les aventures y relatées sont à
peu prés exactes quant au fond. Lamothe-Langon avait connu
MHe Duthé qui vécut jusqu'en 1826 et, sans parler du manuscrit
qu'il recueillit après la mort de cette pécheresse, il tenait de sa
bouche même une partie de ses souvenirs.
IX
Les Amours du prince de Conty
(Suite et fin)
Une collection de bagues et de souvenirs. — Cérémonial d'une yisite
amoureuse au Temple. — L'aventure de M"« Fauconnier. — Les
rabatteurs du Prince. — La Gourdan et le chirurgien Guérin. —
Audinot, comédien-directeur-proxénète. — Le chevalier de La Mor-
lière. — Mesny et sa correspondance : le ménage Dulin de Fontenette.
— Lebrun -PI ndare a-t-il vendu sa femme au prince de Conty?
K
pous avons avancé qu'il était impossible de dénom-
brer exactement les aventures g^alantes du prince
de Conty. A peine en effet avons-nous pu préciser une
cinquantaine de maîtresses, alors que ce chiffre doit
être presque décuplé. Sur quoi se fonde notre asser-
tion? Sur le nombre de bagues trouvées, après la mort
du Prince, dans l'inventaire de sa succession :
On remarque, disent les Mémoires secrets, dans son mobi-
lier immense uoe quantité de bagues, qu'on fait monter à
plusieurs milliers. On assure que sa manie étoit de constater
chacune de ses conquêtes amoureuses par cette légère
dépouille. Il falioit que la femme avec laquelle il couchoit,
lui donnât sa bague ou son anneau, qu'il pajoit bien sans
19
290 LB PMMCB DB COMTT
doote, et, sar le'champ, il Mqaettoît cette acquisition da
nom de l'andenne proprièudre (i).
L'auteur des Faztet de Louis XK confirme l'existence
de cette collection :
L'inventaire de ce Prince, dit-il« a été fort sin^^ier. On
parloit à sa mort de 800 tabatières et de 4.000 bapies. On
raconte sur Torigine de la multitude de ces bagatelles que le
prince de Conty a voit la fantaisie puérile de constater chacune
de ses conquêtes amoureuses par cette légère dépouille (2).
Le chevalier de La Morlière était plus formel encore
dans les confidences qu'il fit, vers 1766, à un inspecteur
de la police, lequel s'empressa d'en fabriquer un rap-
port :
Voici un nombre d'années, vingt ans au moins, qu*il (M. de
La Morlière) est le pourvoyeur de M. le prince de Conty. Il
sert cette Altesse d'affection, dit-il, lui procure toutes sortes
de distractions. Je tiens de lui que ce Prince a un livre
magnifiquement relié. Sur chaque page, un peintre en minia-
ture a représenté le Granymède ou l'Hébé du jour. Le Prince
y inscrit, de sa main, les noms, prénoms, qualités, âge, des-
cription exacte de la personne au physique et au moral. De
plus il y colle, retenus par des bandes de papier doré ou de
couleur, une mèche de cheveux et autres gages qui ne se
nomment guère. On parle aussi d*un attirail de guerre, con*
fectionné pour le tète-à-tète erotique, et dont le prince
de Conty vante beaucoup l'imagination, que le chevalier de
La Morlière s'attribue (3).
Quatre mille bagues! Si vaillant en amour qu'ait été
le prince de Conty, le chiffre est évidemment exagéré;
mais on ne prête qu'aux riches. L'inventaire après
décès du Prince est plus modeste; il accuse seulement,
(i) Mémoires secrets^ tome IX, p. 219.
(2) Fontes de Louis XV ^ tome I, p. 98.
<3} Peuchbt, Mémoires tirés des archives de police, tome II,
p. â34.
LB PRINCK DE CONTY 291
et c'est déjà respectable, 49^ bagues de pierres pré-
cieuses, la plupart gravées, dont une trentaine repré-
sentant des scènes empruntées à la légende du dieu
Priape. La disparité de ces bijoux, en tant que valeur
marchande, démontre assez la diversité de leur pro-
venance pourtant analogue. Ici, c'est un brillant
blanc, à huit pans, estimé 12.000 livres, laissé sur le
champ de bataille par quelque dame de qualité; là,
c*est une bague de g livres, en cheveux, avec tête
peinte, butin fait sur quelque petite bourgeoise; plus
loin, une bague en cœur, aux deux opales garnies de
diamants et valant aoo écus, voisine avec un lot de
10 anneaux de plomb prisés à 12 livres le lot (i).
Que si le lecteur désire connaître le cérémonial inva-
riable d*une visite faite au Temple par une « demoiselle
du monde » à ses débuts, les Mémoires de M'^® Duthé,
déjà cités, vont nous renseigner copieusement :
Un page de Son Altesse Sérénissime venait engager la
demoiselle à aller prendre une tasse de café avec le premier
gentilhomme de monseigneur; il indiquait Theure, souvent
très indue ; car le Prince avait l'usage de faire de la nuit le
jour; la demoiselle se parait de son mieux, une voiture
simple, des laquais vêtus de gris, la prenaient chez elle, au
moment convenu ; elle arrivait, deux femmes la recevaient, la
conduisaient dans une salle ou un bain était préparé; quand
elle l'avait pris, M. Guérin, le chirurgien de Son Altesse, fai-
sait la visite ; s'il concevait des doutes, la demoiselle, à la suite
d'une réprimande, était renvoyée sur le champ, mais jusque à
nouvel ordre, Son Altesse Sérénissime ne voulant renoncer
que lorsque l'impénitence finale était par trop constatée. Si le
docteur ne trouvait rien à dire, l'appelée passait dans une
pièce voisine, tendue en bleu si la demoiselle était blonde, ou
dans une autre tendue en jaune si elle était brune; là, elle
trouvait une collation préparée, et on lui remettait un écran
sur lequel on lisait les coutumes de la maisou, le don des
cheveux, de la bague, du portrait et le reste; le prince parais-
(I) Archives Nationales : X^a 9178-9179. — La liste générale de
ces gages de tendresse se trouve encore dans le catalogue de la
vente Gonty, £aite en 1777.
292 LE PRIHCK DB CONTY
sait enfin; il causait et, la conversation terminée, an carrosse
cette fois à ses armes et avec des gens à sa livrée, ramenait la
demoiselle, à qui on remettait une bourse de filigcrane avec
cinquante louis; non que le prince s'arrêtât à ce taux quand il
était content du sujet, mais enfin le cadeau ne manquait pas
de munificence envers une jeune personne qui pouvait en
outre compter sur la protection de Son Altesse Sérénis-
aime (i).
Il est vrai que si la jeune personne, après avoir
accepté le rendez-vous, faisait la récalcitrante et refu-
sait de se plier aux régules de la maison, elle devait
craindre les revanches possibles du Prince qui, en
toute chose, entendait avoir le dernier mot. Preuve,
la mésaventure dont fut victime M^^« Fauconnier Tat-
née, ex-maîtresse du duc de Grammont, belle brune
faite au tour et de vertu peu sauvage (a).
M^t® Fauconnier m'a raconté, disent les Mémoires de Rosa-
lie Duthé, que, dans une certaine circonstance, un monsieur
vêtu de noir, accompagné d'un exempt, se présente chez elle,
et demande à lui parler en particulier. La vue de l'oiseau de
mauvais augure qui est à sa suite et dont le costume et la
canne ne sont que trop bien connus, inspire déjà une telle
épouvante à cette pauvre fille, qu'elle est hors d'état de rien
refuser, dans la crainte légitime que des méchants ne lai
aient suscité une mauvaise affaire.
Elle passe donc dans une pièce reculée de son appartement
avec le monsieur vêtu de noir qui ferme les portes avec soin,
puis qui, baissant la voix :
— (( Mademoiselle, dit-il, je suis désespéré de la mission
pénible que j*ai la charge de venir remplir auprès de vous
par ordre exprès de monseigneur le lieutenant de police ».
 ce début sinistre, M^^^ Fauconnier est près de se trouver
mal; elle cherche par quel méfait elle se sera rendue cou-
pable, interroge sa conscience, se trouble, pâlit et demande
avec instance que son crime lui soit reproché.
— a Mademoiselle, poursuit le monsieur vêtu de noir, on
(i) Galanteries (Tune demoiselle du mondes tome II. pp. 378-379.
(2) Miie Fauconnier a son dossier de police dans les Archivée
de la Baslille, (i0238) à la Bibliothèque de l'Arsenal.
L£ PniNGB DB GONTY 293
VOUS accuse d*avoîr siog'ulièremeot altéré la santé d'un jeune
homme de très haut rang* qui est venu chez vous en plein
incognito et que vous avez pris pour un polisson sans consé-
quence. Ses illustres parents se sont plaints ; ils ont porté leur
requête à monseig'neur le lieutenant de police et ont demandé
que vous soyez enfermée aux Madelon nettes ».
A cette révélation funeste, la malheureuse s'évanouit à
moitié; cependant, forte de son innocence, elle repousse la
culpabilité prétend ue^ et offre la preuve que le méfait n'existe
pas.
— « Mademoiselle, monseigneur le lieutenant de police
sait ce qu'il doit aux parents du jeune homme, et rien ne
l'empêchera de les satisfaire si vous êtes dans votre tort. Mais,
d*une autre part, monseig'neur le lieutenant de police est
Téquité en personne, et, à ce titre, ne vous condamnera pas
si vous ne le méritez point; en conséquence, il m'a donné la
commission à moi, docteur en chirurgie de la faculté de
Montpellier, de venir vous trouver et, après vérification faite,
de lui adresser un rapport qui décidera le point; s'il est favo-
rable, on imposera silence aux accusateurs. Mais si j*en retire
la conviction .. l'exempt qui est avec moi vous conduira... je
souffre de vous le dire... il vous conduira aux Madelon-
nettes ».
M'^^ Fauconnier, un peu rassurée depuis qu'il dépendait
d'elle-même que l'affaire tournât bien, ne balança pas à invi-
ter M. le docteur en chirurgie de la faculté de Montpellier de
procéder conformément à la volonté de monseigneur le lieu-
tenant général de police; mais lui, avec un sourire respec-
tueux qui succéda à sa gravité première, prétendit qu'avant
qu'il pût instrumenter, il était un travail préliminaire que
]VfUe Fauconnier devait faire par nécessité et qui devait être
fait avec décence; il tira de la trousse dont il était muni un
rasoir et des ciseaux, les remit à l'inculpée, lui en indiqua
l'usage, non sans rougir, mais toujours au nom de monsei-
gneur le lieutenant de police, et lorsque, subjuguée par son
épouvante, M'*® Fauconnier, après s'être retirée modestement
dans un coin, se fut mise à l'instar d'une petite fille, quand
elle eut fait table rase, le chirurgien procéda à la visite sans
rien ometttre, puis dressa son procès-verbal, spécifiant l'état
des lieux par mots techniques et sans circonlocutions. La
chose faite, et l'accusée ayant remis ses vêtements, il lui dit
que l'usage était de payer un louis une telle visite et de don-
ner dix francs à l'exempt. M}^^ Fauconnier, trop heureuse
2M LB PlinfCB DB CONTT
d'en être quitte à si bon marché, car il lai fut assuré qu'on
allait la proclamer la demoiselle sans tache de tout Paris,
donna de g^rand cœur les dix écus, et on se sépara de bonne
amitié.
Eh t bien, tout cela n'était qu'une abominable plaisanterie;
elle reçut dans la journée la quittance de trente livres que lui
envoya le curé de sa paroisse, pour le versement qu'elle avait
fait faire d'une pareille somme au bénéfice des pauvres, et le
procés*verbal de la vérification de ses charmes courut imprimé
dans tout Paris, sans que Ton y edt omis le sacrifice prélimi-
naire exigée d'elle. Ce lui fut un rude coup ; elle demeura plus
de six mois sans oser se remontrer d'aucune façon ; et il en
résulta une perte incalculable en raison de cette vacance for-
cée ; elle aurait bien voulu porter plainte à son tour ; mais
elle apprit que le principal auteur de cette avanie était le
prince de Conty, dés lors il fallut se taire.
Si le prince deConty ne souffrait point qu'une femme
lui résistât quand il avait porté son dévolu sur elle, il
aimait à choisir ses maîtresses et ne tolérait pas
qu^on se jetât à sa tête. S*offrir était le plus sûr moyen
d'être refusée. Un manuscrit de notre bibliothèque,
que nous croyons inédit : Le peintre sans fard^ petit
recueil de portraits scandaleux daté de 1771, dépeint
comme suit une « grosse duchesse » que Tau teur pré-
nomme Gidalise :
Gidalise est une grosse duchesse qui s'est fait séparer d'avec
son mari pour vivre avec plus de liberté dans le monde. Etant
fille, elle accorda ses faveurs à un ministre, pour être, disoit-
elle, quelque chose à la cour. Elle a placé bien du monde.
L'évéque de Rennes est de sa création et le marquis de S. . .
son régiment (pic).
Une note du même manuscrit identifie un peu con-
fusément ladite Gidalise :
Les duchesses de Viller 4-) ^^ ^^z -f-+ ou la marquise de
Sal ++ ; car Gidalise est son nom et ce portrait est le sien.
(i) Galanteries d'une demoiselle du monde, tome U, pp. 372-376.
LB PRINCB DB GONTY 295
Un jeune mousquetaire, après avoir triomphé de sa vertu
dans une allée du bois de Boulo^irne, eut Timprudence de gra-
ver sur l'écorce d'un arbre : « Tel jour et à telle heure, j'ai
monté trois lois à lassant du c. . de ma berjpcére. Sal -|--|- est
son nom et Chen... celui de son fouteur ». Un vieux rappor-
teur, pilier de bordel, parut ensuite attaché à son char. Un
abbé comte de Lyon le remplaça ; puis un financier. Lasse
enfin de se prostituer à deà (^ens de cette espèce, elle entreprit
la conquête du prince de Contj. Ayant échoué auprès du
père, elle crut qu'elle réussiroit mieux auprès du fils ; mais
par une injustice innouie du sort elle se vit honteusement
chassée de ces deux maisons. Je ne vois plus pour elle de res-
source. Sa fortune est trop médiocre pour avoir un Adonis
à gSLfjçes. Le plaisir et le tems ont trop altéré ses traits pour
qu'elle puisse se flatter de faire encore quelque conquête.
Sans tenter d'approfondir s'il s'agit ici de la
duchesse de Villeroy, de la duchesse de Mazarin ou
de la marquise de Saluces, que paraît désigner le libel-
liste, retenons seulement quMl ne suffisait pas de
Youloir être distinguée du prince de Conty pour y
réussir.
Aussi bien le Prince avait ses fournisseurs attitrés :
proxénètes de métier comme la Gourdan, ou rabat-
teurs particuliers qui servaient Son Altesse « d'affec-
tion » selon le mot du chevalier de La Morlière, comme
le chirurgien Guérin, entrevu déjà ; comme encore le
comédien Audinot, ou comme le garçon doreur Mesny,
tous personnages avec lesquels nous allons faire
rapide connaissance.
Marguerite Stock, femme Gourdan, dite la c petite
comtesse », est trop célèbre dans les fastes de la galan-
terie parisienne au dix-huitième siècle pour que nous
reprenions ici sa biographie, tant de fois ressassée (i).
(i) On sait que, marchande de modes, Marguerite Stock fré-
queota dans sa jeunesse les maisons de débauche . Mariée A Fran-
çois-Didier Gourdan, capitaine des fermes, qui mourut, séparé
d'elle, quelques années après son mariage, elle monta un éta-
296 LB PRINCB DB CONTT
La Gourdan était autant une courtière d'amour Jivrant
les commandes à domicile, qu'une tenancière de pros-
tibule. Nous i*ayons vue insister auprès de M"« Léli-
cot pour la décider à accepter les offres deConly. Une
autre fois, c'est un ex-officier des eaux et forêts q;ii,
sans emploi et voulant relever sa fortune, amène sa
fille à la Gourdan. Celle-ci conduit la fille au Prince
qui donne cent louis pour l'essayer (i)...
Georie^es-Maurice Guérin^ chiruri^ien-major de la
seconde compagnie des mousquetaires du Roi, était à
la fois l'ami, le médecin de confiance et le pourvoyeur
du Prince. Il avait lui-même une réputation amou-
reuse bien établie. En fait foi ce couplet d*un c bou-
quet de fête » rimé en son honneur :
Pour convertir les Infidèles,
Ton saint prêcha l'austérité ;
Mais tu touches le cœur des belles,
A qui ton art rend la santé.
Comme apêtre, il eut de TEg^Iise
Le brevet de la sainteté ;
En toi, tout Paris canonise
Les talens de rhumanîtè (2).
blissemeat public de prostitutioQ, rue Sainte-Aone, eu 1769
(Archives db la Seinb : Lettres de ratification^ carton 975). La
clientèle du comte Dubarry et du duc de Richelieu fut la genèse
de sa fortune. Le comte, très satisfait de ses services, la prévint
un jour que toutes les fois qu'elle aurait besoin de 5o louis, elle
envoyât les prendre chez lui ou chez le Maréchal. En 1763, la
Gourdan s'installait luxueusement rue Comtesse d'Artois. d*où
son surnom. Enfin, en 1774. elle transférait ses pénates rue des
Deux Portes -Saint-Sauveur, où sa maison était citée comme la
première de ce genre dans tout Paris. Un procès, intenté en 1778
par un mari jaloux dont la femme s'était égarée chez la Gourdan,
mit la proxénète en fâcheuse posture ; elle goûta même de la
prison. Mais, surintendante des plaisirs de la Cour, elle possédait
trop de secrets sur tous et sur toutes pour n'être pas mise hors
de cause. L'année suivante, elle reprenait possession de son com-
merce qu'elle exerça paisiblement jusqu'à sa mort. Elle mourut
subitement en 1783.
(1) [Imbert de Boudreau], Chronicité scandaleuse, tome V, p. 58.
(2) Mercure de France^ décembre 1762, p. 63.
LB PRINCE DB CONTT 297
Guérin hantait aussi volontiers les coulisses de
rOpéra que l'infirmerie des mousquetaires. Un soir
de 1766, que M'^« Guimard, la danseuse, était renver-
sée par une pièce de décor et se cassai l le bras, Gué-
rin qui passait par là remettait aussitôt en place le
membre fracturé (i).
Le prince de Conty craignait fort certaine conta-
gion. Toutes les filles qu*il convoquait au Temple
n'avaient point une mère aussi scrupuleuse que cette
bonne dame Cordier dont l'agent Marais vante un
beau trait de probité :
M. le prince de Contj a voulu avoir M"® Cordier. 11 a fait
venir sa mère qui lui a répondu qu'elle ne vouloit pas le
tromper, que sa fille étoit malade. Le Prince a été enchauté
de ce procédé. Il lui a donné loo louis et il fait traiter la
fille. Il ne la laisse manquer de rien (2).
Guérin étaitdonc un auxiliaire indispensable comme
inspecteur sanitaire et, peut-être, ce prétendu méde-
cin de la faculté de Montpellier qui joua à M}^^ Fau-
connier le tour pendable qu*on a lu plus haut,
n'était -il autre que le chiruriçien des mousquetaires.
Car malgré ses cheveux blancs et son cordon noir
de Saint-Michel, qu'il portait avec dignité, Guérin
s'entremettait parfois de besognes bien mdins hono-
rables que Texercice de son art. Il racolait pour la
couche de Son Altesse qui lui savait gré d'être ser-
viable et le défendait à l'occasion, ouvertement. Un
petit fait montrera avec quelle violence le Prince pre-
nait parti pour les siens dès qu'on s'avisait d'y tou-
cher. Guérin, au bal de l'Opéra, en mars 1771, eut une
altercation avec le marquis de Langeac, colonel à la
suite des grenadiers de France, dont il avait très indé-
cemment fixé la maîtresse dans les yeux, songeant
peut-être in petto aux plaisirs du Temple. Le colonel
(i) Mémotreê êecrets, tome II, p. 3 16.
(2) C. Piton, Paris sous Louis X V, tome I, p. 76.
298 LB PRINCB DE CONTT
traita de haut le chiraripien, menaçant de le faire
bétonner par ses gens Guérin, sans s'émouvoir^ saî-
ait le marquis au collet et le traîna chez le commis-
saire où, s'étant fait connaître comme attaché à la
personne du prince de Conty^ il fut relaxé aussitôt en
dépit des cris de son adversaire qui jetait feu et
flamme. Avisé de l'incident, Conty adressait à M. de
Langeac la lettre suivante dont il répandait en même
temps des copies :
On dit, Monsieur, que vous voulez faire périr le sieur Gué-
rin sous le bâton. Je vous prie de son/t^er qu'il est mon chi-
rurKi^iea, qu'il m*est fort attaché ; que j'en ai besoin, car j'ai
beaucoup vu de filles ; que j*en vois encore, ce que Madame
votre . . . vous affirmerait en cas de besoin. J'ai eu des
bâtards, mais j'ai toujours eu soin qu'ils ne fussent pas inso-
lents. Je suis. Monsieur, avecla considération que vous méri-
tez, votre serviteur, etc.. (i).
Pour bien saisir les allusions cruelles de cette lettre
outrageante, il faut se rappeler que la marquise de
Langeacmére du colonel, était depuis fort longtemps
la maîtresse de M. de Saint-Florentin, duc de La
Vrilliére. D*abord mariée à un sieur Sabatin, qu'on
avait fait disparaître par lettre de cachet, elle avait
convolé avec le marquis de Langeac, gentilhomme
besogneux qui, pour quelques milliers de livres, avait
reconnu, en épousant la mère, les bâtards nés de son
commerce avec M. de Saint-Florentin. Par-dessus la
tête du jeune Langeac, c'était le v petit saint », le
ministre détesté, que la lettre de Contj frappait en
plein visage (2).
La maie aventure du Prince, échaudé par le « petit
J...-F... » montre que les diagnostics de Guérin
(t) Mémoires secrets, tome V, p. a66. Cf. Galanteries dune
demoiselle du monde^ tome II. p . 38o.
(2) On appelait le duc de la Vrilliére le petit saint parce qu'il
était court et içros, et parce qu'il s'était appelé Phelipeaux» comte
de Saint-Florentin.
LB PRINCB DB CONTY 299
n*étaient pas toujours infaillibles : Conty pourtant, la
première colère passée, ne tenait pas rigueur à son
vieux serviteur. Guérin, lorsqu*iI mourut, en 1776,
était toujours « premier chirurgien de Son Altesse
Sérénissime » (i).
Pour le recrutement des filles destinées au Prince,
Guérin avait un habile lieutenant en la personne de
Facteur Audinot, son ordinaire compagnon de débau-
che. Cet Audinot a laissé un nom dans l'histoire du
théâtre ; il fut le fondateur de TAmbigu-Comique dà).
Lorsqu'il enlra au service du prince de Conty, en 1762,
celui-ci le nomma régisseur de ses spectacles à L'Isle-
Adam, et, très probablement, méditait de lui confier
également la direction d*un théâtre public, au Temple.
Au fond d'une des cours de TEncios, cour dite de la
Corderie, se trouvait un grand bâtiment dont le Prince
projetait de faire une salle de spectacle, pour permettre
aux auteurs dramatiques de s'affranchir de la censure
royale, àTabrides privilèges spéciaux dont jouissait
Tordre de Malte. Le théâtre était entièrement achevé
(i) Annonces, affiches, avis dioers (ianylev 1775).
(2) Né à BourmoQt (Lorraine), en 1782, Nicolas-Médard Audi-
not fut attaché d'abord au concert de Nancy. Il se sauva de cette
ville en 1765, emmenant avec lui la femme d*un sieur Calame,
dit La Prairie, architecte, vint à Paris comme musicien du duc
de Grammont et joua à l'Opéra-Comique, puis à la Comédie Ita-
lienne, de 1768 à 1762. C'est en cette année qu'il entra au service
du prince de Conty. Revenu à la Comédie Italienne en 1764, il
obtint, en 1767, la direction du théâtre de Versailles. En 1769, il
ouvrit, à la foire Saint-Germain, un spectacle de marionnettes
qu'il appelait les Comédiens de bois, et qu*il transporta au bou-
levard du Temple la même année, sous le nom d'Ambigu-
Comique, remplaçant les marionnettes par des enfants. Ce fut un
triomphe. Audinot devint assez riche pour faire bâtir en 1772 un
véritable théâtre. En 1784, TOpéra. qui avait le privilège exclu-
sif des petits spectacles, fit fermer l'Ambigu. Audinot alla
fonder, au bois de Boulogne le théâtre du Ranelagh Mais ayant
composé avec l'Opéra, moyennant un arrangement pécuniaire,
il rouvrit l'Ambigu en octobre 1785 et le garda jusqu'en 1795.
Audinot mourut à Paris, au mois de mai 1801.
300 LB PRINCE DE CONTY
et il était question d'y jouer des pièces de tous les
genres, tragédies, comédies, opéras comiques, quand
le grand-prieur reçut une lettre de M. de Saint-Flo-
rentin qui, au nom du Roi, suspendait l'ouverture.
Sans doute cette mesure avait été prise sur les récla-
mations des théâtres royaux (i).
Rentré à la Comédie-Italienne, Audinot resta le pro-
tégé du Prince. C'est grâce à Taide pécuniaire de Son
Altesse qu'il ouvrit son théâtre des Comédiens de bois,
de concert avec un nommé Arnould Mussot, menui-
sier du châtelain de L'Isle-Adam. Conty était fort
attaché au comédien qui, sans compter ses filles, lui
avait procuré et lui procurait les plus jolies femmes
de sa connaissance (a). Même, lorsque Audinot fit
rebâtira grands frais son théâtre, sur le boulevard du
Temple, il eut, dans sa gratitude, l'heureuse idée d'y
ménager un corridor secret qui, partant de la rue
Basse, donnait dans une loge grillée où le Prince pou-
vait se rendre sans être aperçu. Dès que le directeur
était averti de l'arrivée de Son Altesse, il prenait la
plus avenante de ses actrices et la menait à Monsei-
gneur qu'il laissait en tête-à-tête avec elle.
Mayeur de Saint-Paul a tracé un portrait peu sédui-
sant de ce comédien-proxénète : « Maigre, décharné,
le teint plombé, les joues enfoncées, un regard hypo-
crite, un corps qui ne respire que par le souffle de
l'envie... Avec cela un mouchoir à la bouche, pour
cacher une lèvre livide qui distille le mercure ».
... Audinot (dît encore Mayeur) est un débauché qui réu-
nit tout ce que le libertinage le plus révoltant peut inventer ;
il n'est pas une seule de ses actrices, ou danseuses, avec
laquelle il ne se soit amusé ; même celles de la jeunesse la
plus tendre.
Semblable au Grand-Seigneur, Audinot tient sérail chez
(i) Henbi de Ci7RZ0N,La Maison du Temple, p> ayi et Mémoires
secrets, tome II, p. 297.
(a) Voyez plus haut, p. 286.
LB PRINCB DR CONTY 301
lui, et les mères complaisantes ordonnent à leurs filles de se
prêter à tous les désirs de cet homme (i).
Audinot bénéficia jusqu'à la mort du Prince de celte
faveur marquée ; et s'il se tira d'affaire à bon marché
en 1775, quand il fut poursuivi en justice, c'est qu'il
pouvait s'intituler fièrement « musicien de Monsei-
gneur le prince de Conty^ demeurant à Paris, rue des
Fossés-du-Temple, près le boulevard » (2).
Le chevalier de La Morlière, si fameux comme
c entrepreneur de succès dramatiques », et que Dide-
rot a si vigoureusement flagellé dans son Neveu de
Rameauj fut-il, ainsi qu'il s'en vantait, le pourvoyeur
du prince de Conty ? (3j. Le problème est encore à
résoudre. Nous avons en pure perte fouillé les dos-
siers de police du chevalier et nous n'avons rien trouvé
qui confirme des accointances quelconques entre
le Prince et l'auteur d* Angola. Presque tous les démê-
lés de La Morlière avec les commissaires au Châtelet
ont pour point de dépari des rapts compliqués d'es-
croquerie. Le chevalier, bel homme, de tournure élé-
gante, effronté libertin et grand hâbleur, a séduit
quelque femme ou quelque fille qu'il a enlevée de
chez son mari ou de chez ses parents, en lui recom-
mandant surtout de ne pas oublier d'emporter la
caisse. Enfermé à Saint-Lazare en 1762 sur Tordre
de M. de Sartines, il est interrogé par le commissaire
Gilles Chenu qui lui demande des références. La Mor-
lière répond que « ses principales liaisons à Paris
sont : la marquise de Saint-Aubin, le sieur de Sainte-
Foix et le sieur Antoine, architecte » (4). Nul doute
qu'il ne se fût, en l'occurrence, recommandé du prince
{i) Le chroniqueur déscsuvré ou r Espion du boulevard du
TemplCf tome l,pa8sim et tome II, p. 4^. Voyez aussi, la Confes^
sion générale d^ Audinot.
(2) Archives Nationales : Y 13.968.
(3) Voir ci-dessus, p. 290.
(4) Archives Nationales, Y 11.579 ('^ î^^^ 1762).
302 LE PRINCE DE CONTY
de Conty, s'il avait pu, sans être contredit jeter ce nom
dans la balance. Peut-être, le chevalier de La Mor-
liêre, lorsqu'il se targuait dans ses entretiens privés
d'être de Tintimité du Prince, abusait-il, pour créer
une équivoque, des excellents rapports que Ton savait
exister entre Conty et la famille La Morlière, de L'Isle-
Adam(i).
Si nous manquons de documents sur le commerce
d'amitié du chevalier de La Morlière et du Prince,
nous possédons en revanche une correspondance des
plus suggestives du sieur Antoine Mesny, ancien gar-
çon doreur, qui cumulait, vers 1770, le métier de bro-
canteur avec celui de factotum discret de Conty.
Mesny, pour le compte du Prince, achète et vend des
tableaux ; installe, meuble et fournit de vaisselle de
poche des maîtresses, dont malheureusement, il ne
parle dans ses épttres qu'à mots couverts. On serait
friand de connaître, par exemple, la femme dont il est
question dans ce billet :
25 mai (?). — Voici une lettre d'une femme que je ne con-
noispas, qu'on m'a prié de faire parvenir à Votre Altesse. On
dit que si cette femme étoit arrêtée cela pourroit compromet-
tre Votre Altesse ; je n'en sçai rien. C'est Belenger, de chez
Mil» Arnould, qui paroit s'intéresser à son sort. Elle n'a que
deux jours à attendre pour être libre ou enfermée.
Je suis, avec respect. Monseigneur, de Votre Altesse,
le très humble et très obéissant serviteur,
Mesnt (a).
(i) En 1769, CoQty avait été le parrain de François-Louis, fils
de Alexis Magalon de La Morlière, maréchal des camps et armées
du Roi et de Henriette-Louise-Catherine de Sergent, son épouse
{Registre de Vétat civil de Vlsle Adam, 8 novembre 1769). — Le
chevalier, originaire de Grenoble, s'appelait Jacques Hochette
de La Morlière (Voyez sur ce dernier personnage : Monsclbt,
Oubliés et dédaignés et Ad. de Rochas, Biographie du Dauphiné,
pp. 24-27).
(2) BiBLioTHÂQUE NATIONALE : Matiuscrits français. Nouvelles
acquisitions, 5oi3, f. 95.
LE PRINCE DE CONTY 303
Et quel est cet on mystérieux de la lettre suivante ?
Monseigneur,
Cy-joiot le compte de ce que j'ay payé en arg'ent pour Votre
Altesse. Ce qui augmente le compte de M. de *** ce sont les
glands et le mémoire du peintre, qui se monte bien plus haut
que je n'avois compté ; an surplus je donnerai toutes les quit-
tances pour justifier ce que j'ai payé.
On demande l'argent du loyer ; vous avez eu la bonté de me
dire de l'envoyer chercher aujourd'hui. Votre Altesse pourra,
si elle le veut, ordonner qu'on le remette à mon domestique ;
la somme se monte à 760 francs.
On a attendu Votre Altesse hier soir. On vouloit aller au
Vauxhal et on a préféré de vous attendre.
Je suis, etc...
Cei8(?)
Note des sommes payées en argent pour S. A. S. Mgr
le prince de Conty.
Le compte de M. de..., tous les mémoires acquittés, se mon-
tera à 3o . 000 francs
Payé à M. Donjeu 8.65i —
Payé à M™« Dulin 9.000 —
Payé pour les Athéniens i.44o —
Payé pour une boîte d'or, M. Eberts . . . 720 —
Restant dernier compte 1.600 —
Pour un billet resté en arriére a. 000 —
Payé pour les cartes envoyées au Ministre de
Prusse 420 (i)
Parmi les personnages cités dans le compte joint à
la lettre, Donjeu est un marchand de tableaux, Eberts
est un joaillier; mais la dame Dulin, à laquelle ont
été remises g. 000 livres, n'est point une commerçante.
Retenez ce nom. Nous le reverrons tout à l'heure.
Vers 1773, la brouille éclate entre Conly et son pour-
voyeur. Selon son habitude, le Prince a payé en billets
(i) BiBLioTHàQDB NATIONALE '. Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions^ 5oi3, ff. 76 et 9a.
304 LB PRINCE DE CONTï'
à longue échéance les bons offices de Mesny qui, lui,
a dû solder les achats faits, au comptant. Mesnj ne
trouve à escompter le papier de Gonty qu'à des taux
usuraires ; il devient pressant et se départit de sa
réserve :
3 mai ly^S, — ... Je n'aurois jamais imag'iaé. Monseigneur,
que M. deFontenette dût seul recueillir le fruit de mes peines,
assiduités et travaux de trois années près de Votre Altesse.
II a trouvé par moi le moyen d*avoir le pain, de se vêtir, de
se loger, payer ses dettes et même ses billets. Moi, je suis
dans l'embarras et ma récompense sont des délégations à
5 ans, etc.. (i).
Au mois de novembre, Mesny, plus gêné, est plus
explicite encore. Après quelques calculs de frais, il
écrit :
ig novembre iJjS. — ... Si j*a vois prévu. Monseigneur, les
suites de rameublement de M. de Fontenette, je ne Taurois
pas fait. Jai prêté les mains à cette intrigue amoureuse
pour vous plaire. Elle m'a peut- être ôté votre estime, mais
comme je n'ai pas prétendu établir ma fortune sur les suites
de cet engagement, qu'il m'est même plus onéreux que pro-
fitable, fose croire que vous n* aurez pas pour moi le même
mépris que pour ceux qui en font leur état. Trop heureux
d avoir contribué à vos plaisirs. Je le ferai toujours par zèle
et attachement pour vous.
Je suis, etc. (a).
Enfin, en juillet 17749 Mesny, acculé, récapitule
amèrement ses états de service^ et cette lettre, d'une
naïve impudence, est la plus curieuse du lot :
Monseigneur,
Il seroit inutile de répéter à Votre Altesse les embarras où
trop de zèle m'a plongé et plein de confiance dans cette pro-
(i) BiBLiOTHÂQUE NATIONALE i ManuscTtts frunçuis . Nouvelles
acquisitions^ 5oi3, f. 94.
(2) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions 9 5oi3, f. 97.
LB PRINCB DE CONTY 305
yidence tant vantée, j'ai attendu ses bienfaits avec tranquilité.
Mais il est vrai de dire : « L'Eternel nous a fait maître de pro-
poser, à lui seul apartient le droit de disposer ».
J'avois mal à propos, Monseigpneur, disposé de votre âme
bienfaisante en ma faveur ; vous m'aviez gàiè par trop de
bonté, mon imagination étoit dans une espèce d'ivresse qui a
été bien tôt dissipée, en éprouvant de la part de Votre Altesse
des reproches peu méritez» et que je ne peux justifier qu'au
tribunal de votre équité. Quels sont mes torts ?
10 D'avoir achetté des tableaux, de les avoir vendus en ren-
tes et de n'avoir pas prévu que cela me géneroit ;
30 D'avoir répondu à Donjeu d'une somme de 18.000 livres,
attendu que je devois prévoir qu'à l'échéance des termes je
serois gêné pour payer ;
3^ D'avoir fourni des meubles, des habits et du pain à un
homme qui n'en avoit point et que je devois connoître depuis
lon^mps pour ce qu'il étoit ;
4* Enfin d'avoir promis à Votre Altesse ce que je ne pou-
vois pas tenir.
Mais, Monseig^neur, pourroit-on pendre un homme qui
auroit promis à quelqu'un de lui prêter 100.000 écus et qui
ne rempliroit pas sa promesse ? Un enchaînement de causes
secondes est la source de tous mes malheurs et certainement
la vraie cause de la g'êne où je me trouve. Votre Altesse m'a
fait pour 47 000 livres dedélégpation. On ne veut me les pren-
dre que pour 33. 000 ; c'est une perte de i4>ooo livres ; je ne
veux pas y adérer ; il me reste à payer pour M. de Fontenette
7.000 livres ; vous exigiez de moi que je les paye à l'instant,
et Votre Altesse a pris cinq ans pour s'acquitter avec moi ; que
dois-je faire ?
Poursuivi pour des misères, tel le Juif Errant, je suis sans
feu ni lieu ; je joue aux barres avec les su pots subalternes de
Thémis, mais tôt ou tard j'aurai une querelle avec l'homme
à la baguette, et Dieu sçait comment je m'en tirerai. Voilà,
Monseigneur, ma position. Je n'ose me flater qu'elle vous
intéresse assez pour y prendre intérêt.
11 ne me reste plus qu'un moyen pour vous toucher. C'est
celui de prendre femme, jeune, jolie, d'en faire ma sollici-
teuse près de Votre Altesse. Mes dettes alors se payeront.
J'irai s'il le faut dans Linde, au royaume de Golconde, et si je
suis à Paris un ilustre confrère, qui sçait ce qui peut arriver?
Je deviendrai peut-être un riche nabad ou un souba du [illi-
sible] etc., etc.
20
306 LE PRINCE DE CONTT
Au reste, Monseig^neur, je me mets à votre merci. Faites
de moi toat ce que voas voudrez et daignez vous rappeler que
vous avez eu autrefois de l'amitié pour moi .
Daignez vous ressouvenir de votre conseiller Bonneau et
croyez que vous êtes le seul dans le monde entier dont il ait
été Tami, dans toute la force du mot, et qu'on nomme autre-
ment en province.
Je suis, etc.
Ce la juillet 1774 (i).
Conty ne répond pas immédiatement à cet appel
insolent d'un « ami dans tonte la force du root ».
Inquiet sans doute de ce silence, Mesny profite d'une
demande d'un fournisseur pour glisser à l'adresse du
Prince une flatterie d'un tour un peu familier :
12 août 1774» — Monseigneur, je ne veux plus parler à
Votre Altesse d'argent, ni de tout ce qui s'est passé ; cela
vous indispose contre moi et je préfère vos bontés à tout autre
intérêt.
Cj-joint une lettre d'Eberts qui me demande s'il doit remetr
tre Tatténienne à la belle Grecque qui la demande de votre
part. Je souhaite qu'au pied de ce taurobole, la charmante
Didon vous reçoive dans ses bras; vous méritez en vérité la
préférence sur le pieux Enée. J'attendrai vos ordres à cet
Je suis, etc. (a).
Arrêtons là ces citations, sans faire état d'une der-
nière missive, datée du 16 août, dans laquelle Mesny,
qui a reçu dans l'intervalle une verte semonce du
Prince, se défend de son mieux, à coups de chiffres et
proteste « que sa conduite est pure, mais ses moyens
insuffisants ».
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions f 5oi3, fF. 106.
(a) BiBuoTHÈQUB NATIONALE : Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions, 5oi3, f. 75.
LB PRINCB DB CONTT 307
Ces discussions dMntéréts demeureraient assez obs-
cures, quant à la bénéficiaire des largesses du Prince,
si le registre du trésorier Manscourt ne nous dévoilait
l'identité de la dame Dulin ci-dessus nommée : elle
est la propre femme de ce sieur de Fonienette contre
qui se déchatne si àprement Tindignation de Mesny.
Nous découvrons parmi les rentes inscrites par Mans-
court au chapitre ii de la Dépense (n® 826), une
annuité de 2.000 livres au nom de M°*® Dulin, femme
de Fontenette. Après la mort de Conty, M"* Dulin de
Fontenette poursuit Théritier du Prince de ses sol-
licitations, et celui-ci lui fait remettre, le 26 février
1778, une gratification de 4 000 livres « pour dernière
marque de la bienfaisance de Monseigneur et sous
condition de ne plus former de demande » (i). Ainsi
s'éclairent les sous-entendus de la correspondance de
Mesny et l'on a la clef du roman. Un sieur Dulin de
Fontenette est à Paris dans la misère avec sa femme,
belle Grecque. Mesny se fait le banquier du ménage
avec l'argent du Prince ; en retour, le Prince devient
l'amant de M""® Dulin. Une de plus sur la liste ; une
bague de plus dans la collection.
En dénombrant les familiers du Prince, nous avons
omis son poète ordinaire, Lebrun-Pi ndare, nous
réservant de parler de lui incidemment, en même
temps que des intendants préposés aux plaisirs amou-
reux de Son Altesse (2). Certains biographes ont en
(O Registre des comptes de Manscourt, Dépeniie, chapitre 12.
(2) PoDce-Denis Ëcouchard Lebrun, dit Lebrun-Pindare, naquit
le II août 1729, de Claude Ëcouchard Lebrun, premier valet
de chambre du prince de Conty, et d'Anne-Elisabeth Coffin,
demeurant rue Saint-Jacques. Il perdit, en ly/iS, son père qui
mourut à Thôtel de Conty et, tout jeune, il fut attaché à la per-
sonne du Prince comme secrétaire de ses commandements. En
1759, il épousa à Saint-Roch Marie-Anne de Surcourt, jeune per-
sonne spirituelle qu'il avait célébrée dans ses élég'ies. Cette union
devint bientôt orageuse. La femme aimable et jolie était galante,
l'époux était irascible et violent. Ils se quittèrent de fait vers
1773 et furent judiciairement séparés en 1 781.— Poète estimable.
308 LB PRINCB DE CONTT
effet rangé Lebrun sur la même ligne que Guérin. On
a même prétendu qu'il avait vendu à Conty sa jeune
femme, Marie-Anne de Surcourt. Hâtons-nous de
reconnaître que rien, dans nos recherches, n'a con-
firmé ces fâcheuses insinuations. Le contraire plutôt
semblerait démontré par les scènes de violence et de
jalousie dont Lebrun était coutumier. Secrétaire des
commandements du Prince et logé au Temple avec
sa femme, il tenait sur elle, malgré ce voisinage, les
propos les plus malsonnants : « C'est une salope,
disait-il, une gueuse, un insecte, un ver de terre. Elle
n'est bonne qu'à aller se faire foutre sur une borne.
Je la ferai manger à la cuisine ; elle n'est pas digne
de porter mon nom et de manger avec moi. Il faudrait
la fouetter aux quatre coins de Paris et l'envoyer à
la Salpêtrière ». Des paroles passant aux actes, il la
pourchassait à travers son appartement, pincettes au
poing. Le sieur Tronc, contrôleur du Prince, et le chef
marmiton Viron, qui demeuraient dans le même esca-
lier, entendaient tout cela (i). M"* veuve Lebrun, mère
du poète, soutenait sa bru. Si son fils, affirmait-elle,
se maintenait au service de Monseigneur que révol-
taient son caractère intraitable et ses procédés vis-à-
vis de sa femme, c'était uniquement par égard pour
la mémoire de feu Lebrun et par considération pour
elle-même... N'est-il pas évident que Lebrun -Pindare^
s'il avait livré sa femme au Prince, se fût montré plus
accommodant? Maintenant, que la coquette Marie-
Anne, dont la conduite fut assez légère, ait accueilli
sans consulter son mari les hommages de Son Altesse,
la chose est bien possible. La grande ardeur du
Prince pour le sexe ne s'embarrassait point des dis-
Lebruo a consacré an certain nombre de ses œuvres aa Prince,
son bienfaiteur. Notamment une Ode sur le passage des Alpes,
une Ode sur le Temple^ et un Eloge des Beaux- Arts^ dédié au
Prince et demeuré manuscrit. Ce poème est conservé à la Biblio-
thèque Nationale (Manuscrits français. Nouvelles, acquisiiioru,
9ao4). Lebrun-Pindare mourut le 2 septembre 1807.
(i) Mémoire pour Marie^Anne de Surcourt, p. 35.
LIS PRINCE DE CONTY 309
tances sociales. Dames de conditions ou femmes de
bourgeois, filles de ihéâtre ou simples barboteuses,
nous avons vu que toutes lui étaient bonnes, pourvu
seulement qu'elles fussent jolies.
Et c'est à bon droit que les Mémoires secrets ont dit
de Conty, à sa mort : « ... Entre les princes galants de
la maison de Bourbon/ le défunt méritoit la première
place ».
Mort du prince de Conty
La santé da Prince décline. — Dernier séjour à la campagne. ^ Récon-
ciliation du père et du fils. — Impénitence finale de Gonty. — Sa
mort : on transporte le corps à L'Isle-Adam. — Les bâtards fani-
sèment attribués au Prince : les chevaliers de Vauréal et de Poa-
^ens. — La comtesse de Montcairzain. — La succession du prince
de Gonty. — Sa vente après décès.— Le Prince amateur de tableaux.
— Une collection admirable. — La chapelle funéraire de L'Isie-
Adam. — Ce qu'il en reste.
r
ENVIRON le mois d'août 1776, la santé du prince de
Conty déclina brusquement. Epuisé par un tra-
vail constant de corps et d'esprit, usé par des excès de
toul genre, le Prince tombait dans une espèce de lan-
gueur (i). Il avait maigri depuis quelque temps d'une
manière étonnante ; une fièvre continue le rongeait.
En réponse à une lettre de Gustave III qui, se figurant
que le nouveau règne allait rendre au Prince sa posi-
tion de jadis à Versailles, pressait comme d'un devoir
M"* de Boufflers, moins occupée, de faire le voyage de
Stockholm, la comtesse écrivait :
(i) Conty 80u£Prait depuis 1770 d'une fistule. (Voir la Corres»
pondance de M^ du Deffand^ tome II, p. ôg).
LE PRINCE DE CONTY 311
Ce 20 septembre 1775, — Sire, il n'y a point de devoir
plus pressant, plus honorable et plus cher à mon cœur que
celui que Votre Majesté daig^ne me rappeler. M. le Prince de
Gontj est revenu à la Cour, et quoiqu'on puisse dire que ce
soit avec plus d'estime que de faveur, sa personne et sa fj^Ioire
étant en sûreté, je devrois n'avoir plus rien à désirer à son
égard. Cependant, malgré tous les périls attachés à sa situa-
tion passée, j'étois plus trisinquille l'année dernière que je ne
le suis aujourd'hui : sa santé parott dans un état si fâcheux,
que je n'ose arrêter ma pensée sur ce que j'en puis crain-
dre, et mes inquiétudes sont trop vives pour me laisser
dans ce moment la liberté de faire aucun projet d'éloigne-
ment... (i).
En novembre, malgré les conseils de ses proches,
le Prince persistait encore à repousser les soins des
médecins.
2 novembre iyy5. — Le prince de Conty (disent les
Mémoires secrets) allarme de plus en plus par une fièvre
ardente qui le mine depuis trois mois, par l'éruption d'une
humeur acre et corrosive, qui lui cause des démangeaisons
insupportables et plus encore par la façon extraordinaire de
se conduire. Trois médecins, savoir les sieurs Petit, Bordeu
et Fumé, viennent souvent en consultation, et Son Altesse
soutient thèse contre eux et s'emporte avec une telle fureur
que ces séances lui deviennent très funestes. Elle se persuade
en savoir plus en médecine que les docteurs et surtout relati-
vement à son propre individu. Si ce Prince continue sa
manière de vivre, il est impossible qu'il y tienne encore long^
temps : il est d'une maigreur à faire frémir ceux qui l'appro-
chent (2).
Vers la fin de novembre, un mieux apparent se
manifesta. Le Prince s'était enfin rendu aux instances
des siens et se montrait plus docile aux ordres de la
faculté. De décembre 1776 à mars 1776, il prit une
part active aux travaux du Parlement dans le fameux
( I) Lettres de Gustave III et de la Comtesse de Bouf fiers, p. 99.
(2) Mémoires secrets^ tome VIII, p. 268.
312 LE PRINCE DE CONTT
procès du maréchal de Richelieu avec M"^ de SainU
Vincent, dans la procédure concernant le livre sur les
Inconvénients des droits féodaux (i).
Mais, au printemps, Conty sentit renaître ses dou-
leurs. Sûr de ne pouvoir guérir du mal qui le consu-
mait, il s'efforça de reprendre sa gatté et sa présence
d'esprity parce qu'il était brave et craignait seulement
le reproche d'avoir tremblé devant la mort. Il voulut
faire une dernière fois le voyage de L'Isle-Adam ; il
commanda lui-même son cercueil en plomb et l'essaya,
plaisantant sur la gène qu'il y éprouvait.
On le ramena à Paris, croyons-nous, dans les der-
niers jours de juin(a).Il recevait encore mais ne tenait
plus de maison à proprement parler et ne voyait qu^m
très petit nombre de personnes que M"^' de Boufflers
assemblait pour lui tenir compagnie et le distraire.
C'étaient, en femmes, la maréchale de Luxembourg et
sa petite-fille, la duchesse de Lauzun, la princesse de
Poix et sa belle-mère, la princesse de Beauvau ; en
hommes, l'archevêque de Toulouse, Brienne ; M. de
Lafayette, M. de Ségur, le chevalier Stanislas de Bouf-
flers, l'anglais Dutens... La comtesse Amélie, bru de
M"^ de Boufflers, jouait bien de la harpe ; on don-
nait de petits concerts autour du Prince malade (3).
Où donc étaient les fervents des concerts de naguère,
au salon des quatre glaces ? Hélas I la mort avait fau-
ché les meilleurs de ces fidèles. Trudaine avait pris
congèle premier,bientôt suivi par le président Hénault.
Mayran avait ensuite payé le tribut de nature. Il
(1) A la date du 25 février 1776, Mme du De£Pand écrit à Horace
Walpole : « M le prince de Gonty ne manque aucune séance au
Parlement et il se porte beaucoup mieux ; cette occupation lui
étoit nécessaire » {Correspondance de M^ du Deffand, tome II,
p. 526).
(2) c( Mme de Luxembourg partit hier [24 juin] pour L'Isle-
Adam avec sa petite-fille, l'Idole [Mme de Boufflers] et sa belle-
fille ; le Prince est, dit-on, mourant » (Correspondance de Ât^du
Deffandy tome II, p. 557).
(3) Sainti-Bbuvb, Nouveaux lundis^ tome IV, p. 220.
LE PRINCE DE CONTT 313
avait quatre-vingt-treize ans. Mais la pauvre com-
tesse d'Egmont la jeune, qui s'en était allée finir en
Picardie son roman d*amour inconsolable, n'en avait,
elle, que trente-trois. Le marquis de Chauvelin était
tombé d'apoplexie à Versailles en faisant la partie du
Roi ; honorable trépas pour un homme de Cour. Pont-
ci e-Veyle enfin j le joyeux et doux Pont-de-Veyle, avait
terminé ses jours Tannée précédente et sa mort avait
cruellement affecté Conty qui, pendant six semaines,
n'avait pas failli un seuljour à s'informer, en personne,
de Pétat de son ami...
Le Prince ne se levait presque plus quand Diderot,
conduit par Dutens, vint le remercier d'une pension
de i.ooo livres qu'il lui avait accordée pour se payer
un secrétaire. Conty reçut au lit Fencyclopédiste.
€ Bientôt Diderot, qu'on avait fait asseoir, ne tenant
pas sur sa chaise, se mit, tout en discutant, à s'appro-
cher du Prince et à s'asseoir sur le lit. On parlait des
affaires qui agitaient alors le Parlement et Diderot,
dans sa chaleur, voulant louer le Prince : ce Monsei-
gneur, dit-il, il paraît que vous êtes bien entêté ». —
« Halte-là! repartit vivement Conty, entêté, non, ce
mot n'est pas dans mon dictionnaire ; mais je suis
ferme » (i).
Cette /ermeté dont il était si fier, le Prince s'en
départirait pourtant à la fin. On sait que le comte de
La Marche, depuis sa trahison, était brouillé avec son
père. Celui-ci l'avait, par testament, déshérité au
profit de son neveu, le duc de Chartres. La Marche
n'ignorait pas ces mauvaises dispositions. Quoiqu'il
n'attendit pas grande hoirie d'un père aussi prodigue,
il alla trouver la vieille marquise de l'Hospital, femme
galante mais judicieuse, qui avait été la maîtresse de
Conty autrefois, et qui était restée un peu sa confi-
dente. Il la pria de s'entremettre pour lui. M"^* de
l'Hospital sentit la justesse de la réclamation, promit
(0 Saintb-Bbuvb, Nouveaux lundis, tome. IV, p. 176.
314 LE PRINCE DB CONTY
de courir chez le Prince, de manœuvrer une réconci-
lialion. Elle tint subitement sa promesse et fut se jeter
aux pieds du malade, lui représentant son injustice,
lui peignant les regrets de La Marche sous les plus
vives couleurs. Mal traitée d'abord^ elle ne céda point;
elle pleura ; elle supplia le père de permettre à un fils
repentant de solliciter son pardon. Elle obtint enfin
cette licence. La Marche qui n'était pas loin accourut.
A sa nue, Conty sentit son cœur se fondre et sa colère
tomba; peu après, il mandait son notaire et rétractait
son testament.
Les Orléans affectèrent d'approuver la démarche de
la marquise de THospital^ ajoutant publiquement que
si le prince de Conty avait commis pareille iniquité,
le duc de Chartres eût remis à Finstant le legs à son
cousin. Mais on savait trop combien le duc d'Orléans
était intéressé pour ajouter créance à ces belles décla-
rations. La Marche lui-même était bien persuadé du
contraire; sans quoi il ne se fût point présenté après
plusieurs années aux regards de celui qu'il n'avait
jamais tenté de fléchir (i).
Raccommodés, le père et le fils ne se quittèrent
plus. La Marche craignait peut-être que l'influence de
M"* Dailly, dont il venait d'apprendre l'existence, ne
fît revenir le Prince sur ses décisions testamentaires.
Conty en effet avait rendu compte à La Marche de ses
dispositions concernant ses bâtards : — c J'ai deux
enfants, lui avait-il dit, d'une femme que j'ai tendre-
ment aimée; je leur laisse à chacun la.ooo livres de
rente. »... Et comme le comte ne répondait point :
« — Trouveriez-vous que c'est trop ?» — « Oh ! non,
mon père, au contraire, ce n'est pas assez ». — « Ah!
mon fils, je me repens de ne vous avoir bien connu
qu'à ce moment » (2) ! La Marche savait que la mère
de ces enfants ne s'éloignait point du Temple; qu'elle
(i) Vie privée du prince Louis-François-Joseph de Conty,
pp. 93-95-
(3) Correspondance secrète [dite de Métra], tome III, p. 222,
LE PRINCB OB CONTT 315
se tenait constamment dans un petit cabinet près de
la chambre à coucher du Prince. La Marche faisait
bonne garde.
Gontj était-ii tout à fait dupe de ces tardifs témoi-
gnages de piété filiale? Qui sait? Il avait, par instants,
des mots de spirituel scepticisme : — « Mon fils, dit-il
un jour, profitez de ce beau temps; vous aimez la
chasse, allez-y ». — « Non, mon père, répondit le
comte de La Marche; j'aime mieux rester avec vous. »
— « Eh ! bien, envoyez-y donc votre équipage avec
le mien, afin qu'on puisse dire, une fois, que nos
chiens ont bien chassé ensemble » (i).
Au dernier voyage de TIsle-Âdam, Conty, aperce-
vant son trésorier et son aumônier qui se promenaient
ensemble dans le parc, s'était écrié en riant : « Voilà
bien les deux hommes les plus inutiles de ma mai-
son I ». On n'avait vu là qu^une boutade en l'air.
Bientôt on en comprit mieux la portée. Dès que le
bruit vint à la cour que le Prince était perdu,
Tarchevéque de Paris, Mgr de Beaumont, se pré-
senta au Temple. Le Prince le reçut fort honnête-
ment afin de témoigner toute Testime qu'il avait pour
la pureté de ses mœurs. Mais il ne pouvait oublier que
ce prélat, un des plus fanatiques tenants du parti
moliniste, avait célébré la messe rouge à la rentrée
du Parlement Maupeou ; que, pair du royaume^ com-
paraissant seul au milieu d'une cour réprouvée par
les princes et par les pairs, il avait publiquement
affirmé sa joie et qualifié cet attentat contre les lois
de « réunion du sacerdoce et de PEmpire » (a).
(i) [DuoAST DE Boi8-Saint-Ju8t], PaHs, Versailles et les pro»
vinces, tome III, p. 121. Cf. Correspondance secrète, tome III,
p. 322.
(2) Les contemporains dépeignent ce haut dignitaire ecclésias-
tique comme u fort ignorant, entêté, susceptible de prévention,
ami des flatteries et des délateurs ». Il était homme de qualité,
mais pauvre. Alors qu'il faisait sa théologie en Sorbonne, Tabbé
de Beaumont prenait ses repas dans une gargote à douze sous de
316 tB PRINCE DU GONTY
Quand l'archevêque voulut entretenir le Prince de
religion, celui-ci le pria de n'en rien faire ; il avait,
dit-il, mûrement examiné la chose et savait à quoi
s'en tenir. Mgr de Beaumont ne se donna pas pour
battu. A deux reprises, il revint à la charge. Mais le
suisse du Temple avait reçu des ordres ; deux fois il
lui refusa la porte, ne le laissant même pas descendre
de carrosse. Les âmes pieuses et les gens du métier
reprochèrent à Mgr de Beaumont de n'avoir pas su
esquiver cet affront, en employant une rouerie inno-
cente, en quittant sa voiture, en entrant dans la cour,
voire en se cachant dans quelque coin, afin d*en impo-
ser au moins à la foule des badauds attroupés dans la
rue et pour qu'on crût qu'il avait été reçu. Le Prince
était en effet le premier des Bourbons qui méprisât les
secours de l'Eglise et persévérât ainsi dans une
impénitence inconnue à ceux de sa race, toujours très
édifiante en ses derniers moments (i).
Les tentatives avortées de Tarchevèque furent repri-
ses par le sieur Cloud, prieur, curé du Temple, ins-
tallé dans la place. Quel triomphe de réussir, là où
Mgr de Beaumont avait échoué I Mais le digne curé
perdit ses peines et ses exhortations. Quand le malade
vit où il voulait en venir, il dit à son valet de cham-
bre : « Congédiez-moi ce grand homme noir qui
m'ennuie ».
Les derniers jours de sa vie, le Prince se faisait
porter assis dans son petit jardin, sur le bord d'un
bassin où il s'amusait à pêcher les cyprins à la ligne.
Le vendredi 2 août, dans l'après-dîner, comme il se
livrait à ce passe-temps, il se sentit pris d'un subit
malaise et fit un geste pour se lever. Son valet de
chambre se précipite, un coup de coude l'éloigné ; il
la rue de la Harpe. Il n'avait été évèque qu'à 38 ans. Le hasard
plaça son évèché à Bayonne, sur le chemin de la première Dau-
phine, infante d'Espagne, quand elle vint en France (1745). Les
soins et les flatteries de Tévèque furent récompensés par les siè-
ges de Vienne et de Paris, successivement vacants,
(i) Mémoires secrets, tome IX, pp. 202 et 207.
LB PRINCE DB COMTT 347
se rapproche pourtant, mais pour voir son mattre
retomber dans son fauteuil en murmurant : < Ma vue
se trouble... Je me meurs ! ». Louis-François de Bour-
bon venait d'expirer (i).
Il importait au clergé de prévenir un scandale qui
pouvait faire exemple. De concert avec les gens de la
maison, on supposa que le Prince avait reçu Textréme-
onction. Les saintes huiles furent efiFectivement appor-
tées en hâte au palais du Temple ; mais elles entrèrent
par une porte et sortirent par une autre, pour la
forme. On avait sauvé l'extérieur ; c'était le princi-
pal (a).
La mort du prince de Conty fit pendant une semaine
le sujet d'entretien des Parisiens. On s'accordait à
reconnaître qu'il avait par son patriotisme et par sa
fermeté dans les affaires du Parlement mérité l'affec-
tion de tous les bons citoyens. Mais comme en France,
tout finit par des chansons ou par des épigrammes, un
plaisant composa cette épitaphe :
Passant, si de Conty tu veux savoir le sort,
La moitié de son nom a mis ce prince à mort (3).
Le comte de La Marche se conduisit très dignement
dans son deuil. Il s'occupa tout aussitôt de réaliser les
dernières intentions du défunt. Conty avait manifesté
le désir d'être inhumé à Llsle-Adam et il avait fait
commencer, dans l'église de ce village, les travaux
d'une chapelle funéraire destinée à recevoir sa
dépouille mortelle et celle de ses descendants. Il fut
fait selon -sa volonté. Après l'embaumement, son corps
fut transféré le 6 août 1776 à L'Isle-Adam et déposé
dans un caveau provisoire, sous le chœur, en attendant
que la chapelle fût achevée.
(i) Correspondance secrète [dite de M^tra], tome III, p. aaS.
(2) Mémoires secrets, tome IX, p. 202.
(3) Correspondance secrète [dite de Mfou], tome II, p. 38i .
318 LB PRINCE DB GONTY
Le curé Hermand dressa de réyénement ce procès-
verbal :
L'an mil sept cent soixante et seize et le septième joar du
mois d'août, le corps de Très haut, Très paissant et excellent
prince Louis-François de Bourbon, Prince de Contj, Grand-
prieur de France, gouverneur général du Haut et Bas Poitou,
généralissime des troupes du Roi, décédé vendredi dernier,
deux du mois courant après midi à Paris, dans son Palais du
Temple, âgé du cinquante-neuf ans moins onze jours, la levée
du corps ayant été faite le jour d'hier environ les six heures et
demi (sic) du soir par le sieur Cloud, prieur, curé du Tem-
ple, et par lui conduit ici, illustrissime et révérendissime
Jean*Baptiste-Marie Champion de Cicée. évéque d'Auxerre,
portant le cœur, a été inhumé dans l'église de céans, après la
présentation qui nous a été faite du corps par mon dit Sei-
gneur évéque d' Auxerre, suivant toutes les formes portées au
rituel et cérémonies accoutumées; présent depuis la levée du
corps jusqu'à l'inhumation mon dit sieur Cloud, prieur, curé
du Temple, présent Très haut, Très puissant et excellent
prince Monseigneur le Comte de La Marche, fils, Très haut et
Très puissant Monseigneur le duc de Laval-Montmorenci,
lieutenant général des armées du Roi, et toute la maison de
mes dits seigneurs le prince de Conty et comte de La Marche.
Signé : Hermand, curé\ Guillet, vicaire ; Chevron, />r^/re,
Boimard, prêtre ; Defoin, curé de Fontenelle; Le Donc, curé
de Jouy-le-Comte ; Bestineuve de Chagne [illisible] ; Godde,
Jonquet (i).
Il ne nous appartient pas de suivre, après la mort
de Louis-François de Bourbon-Conty, son fils Louis-
François-Joseph, seul héritier légitime (a). Mais nous
devons revenir ici sur les enfants illégitimes prêtés au
(i) Maibib de LIsle-Adam, Registres de Vétat civiL à la date.
(2) Od sait que le comte de La Marche, devenu prince de Gontj
le 2 août 1776, s'expatria à la Révolution et qu'il mourut en
exil, à Barcelone, dans un état proche de la misère, le 10 mars
i8i4, quelques mois à peine avant Tépoque où la chute de Napo-
léon lui eût permis de rentrer en France. Il avait perdu sa femme,
Fortunée d'Esté, morte à Venise, au couvent de la Visitation, le
21 septembre i8o3.
LE PRINCB DE CONTT 310
Prince. Tant d'inexactitudes ont été imprimées là-
dessus, qu'il importe de remettre rapidement les cho-
ses au point.
Nous avons vu que le Prince, par testament, recon-
naissait les fils de M°>® Dailly. Ces deux bâtards furent
les seuls qu'il avoua. Et c'est commettre une étrange
erreur que de vouloir lai en attribuer d'autres, malgré
lui ; erreur dans laquelle sont pourtant tombés pres-
que tous les historiens.
Une « nouvelle à la main » de l'époque est cause
qu'on s'est obstiné, en dépit de l'évidence, à faire du
chevalier de Vauréal le fils naturel du prince de
Conty, alors qu'il était en vérité son petit-fils (i). Le
chevalier de Vauréal (Louis-François), né en 1761 à
Paris, mort vers 1785 à Melun, lieutenant-colonel du
régiment de Conty-Prince^ naquit de Anne-Marine
Yeronèze, dite Coraline, actrice aux Italiens, et du
comte de La Marche qui eut d'elle plusieurs enfants,
tous morts en bas âge, au dire des contemporains (a).
(i) Cette « nouvelle à la main » dit : « ^ novembre 1777. — Un
fils naturel de feu M. le prince de Conty, qui joint aux charmes
de la figure tous les talens les plus aimables, élevé sous les jeux
de son auguste père, vient d'être fait chevalier de Malthe et entre
dans le monde sous le nom de Chevalier de Vauréal, terre appar-
tenante à S. A. S. Il a environ seize ans. » (Bibl. de l'Arsenal :
Mantiscrits : 7083, fol. 89). — M. de Lescure, dans la Correspon-
dance secrète inédite, publiée par lui, a reproduit (tome I, p. io5)
cette note, avec quelques légères variantes dans les termes et
sous la date du 28 octobre 1777.
(2) On a imprimé que le compositeur Pierre-Antoine Gatajes,
né (dit Fétis) en i774t mort vers 1846, maître de guitare et auteur
de diverses romances en vogue sous l'Empire, était fils du comte
de la Marche et de la Coraline. Ceux qui adopteraient cette
légende peuvent consulter : FÉns, Biographie universelle des
musiciens, tome III, p. 420 et Denise, Etudes archéologiques sur
L'Isle-Adamj pp. 142 a 147. Hsj découvriront plusieurs choses
insoupçonnées. Comme quoi, par exemple, Coraline descendait
du fameux peintre Véronèze (Paul Calliari, de Vérone); comme
quoi le frère atné deGatayes s'appelait chevalier de Montréal {sic)
et, encore, comme quoi Coraline s'expatria avec le prince à la
Révolution (elle était morte depuis 1782).
320 LE PRINCB DB CONTT
Laissons la parole i Tun de ces témoins :
... Après avoir brouillé avec leur mari ane quantité de
femmes de condition qu'il avait séduites, le prince de Coatj
se fixa à la Caroline [Coraline], actrice des Italiens (i). Il en
eut plusieurs enfants qui moururent très jeunes ; il ne lui eo
resta qu'un fils qu'il aima tendrement. Il ne pouvoit en faire
un prince du sang, il en fit un grand seigneur ; il vendit des
biens considérables, il lui acheta de vastes seigneuries, il lai
fit porter le nom de chevalier de Vauréal, terre voisine de
L'IsIe-Adam, près Pontoise. Il le plaça dans son régiment de
Conty dont il le fit nommer lieutenant-colonel... Il avoitfait
sa maison; ses domestiques portoient la livrée des Conty.
Tous les jours ce jeune militaire venoit saluer et embrasser
son père.
. . . Après avoir placé son fils dans un régiment de son nom,
pour être plus à portée de le voir, il obtint que ce régiment
vînt en quartier dans la ville de Melun. Cette proximité de la
capitale procuroit au chevalier de Vauréal la satisfaction
d'être presque tous les jours chez son père qui le combloit de
bienfaits...
Le chevalier de Vauréal mourut à la fleur de son âge, il y a
quatre ans, à Melun (2).
Nous pourrions citer encore le témoignage de Casa-
nova (3). Mais parmi les raisons qui s'opposent à ce
que le chevalier de Vauréal soit le bâtard de Conty, la
plus forte est que la Coraline ne fut jamais la maîtresse
du Prince, tandis qu'elle était ouvertement celle du
comte de La Marche quand naquit le chevalier et
qu'elle continua de l'être pendant vingt ans. On a la
liste des amants de cette actrice : le premier fut Tac-
teur Charles-Antoine Bertinazzi dit Carlin, auquel suc-
céda Honoré-Camille Grimaldi, prince de Monaco, qui
constitua en 1753 à sa maîtresse trois mille livres de
(i) « Le prince de Conty se fixa à la Caroline. . ., etc. ». Lisez :
le comte de La Marche. Ces lignes en e£Pet sont écrites en 1790
et La Marche est prince de Conty depuis quatorze ans.
(2) Vie privée de Louis -François-Joseph de Conty, pp. 36-38.
(3) J. Casamova, Mémoires, tome III, p. igy.
us PRINGB DE GONTY 321
rente viagère (i). Puis viennent le marquis de Létorière,
Létorière le charmant, comme l'appelaient les filles
qui, toutes, raffolaient de lui, et M. de Sainte-Croix,
officier aux gardes. Enfin le comte de La Marche (1760)
qui, malgré quelques retours de Tactrice vers Létorière,
demeure seul mattre de la place. Après la naissance
du chevalier de Yauréal, il s'attache définitivement à
sa mattresse, la loge dans TEnclos du Temple, à
rhôtel d*Harcourt (ancien hôtel de Guise) et lui fait
don du marquisat de Silly (a). Lorsque Goraiine meurt^
en 178a, c'est son amant, devenu prince de Conty,
qui est son légataire universel par le testament que
voici :
Au nom du père, du fils, etc... Je fais Son Altesse Sérénis-
sime Monseigneur le Prince de Gonty mon légataire univer-
sel.
A Paris, ce aS jain 1780. Signé : Anne-Marine Véronèze,
dite de Sillj.
Signé et paraphé ne varietur par nous Gilles-Pierre Chena^
avocat au Parlement, conseiller du Roi et censeur royal,
commissaire au Ghàtelet, au désir de notre procès-verbal
d^apposition de scellés, après décès de Marine -Anne Véronèze,
dite de Silly, de ce jourd'hui 6 février 178a. Signé : Chenu (3).
Le prince accepte le legs et, par acte authentique,
prend l'engagement de continuer à Lucie-Perrette
Sperotti, mère de la défunte, la pension de 600 livres
que sa fille lui servait depuis 1768; il élève même à
i.ooo livres le chiffre de cette pension... 11 nous paratt
que la cause du chevalier de Vauréal est entendue.
Nous n'insisterons pas davantage.
On a encore prétendu que Marie-Charles- Joseph,
chevalier de Pougens, né à Paris le i5 août 1755, mort
(i) ARcmYBS MAT10NALB8 : Y 38o.
(2) E. Gaicpamk)n^ Les comédiens du Roi de la troupe italienne,
tome II, p. 197.
(3) Architbs NAT10NALB8 : K, 546.
SI
322 LE PRINCB DE CONTT
à Vauxbuin, près de Soissoas, le 19 décembre i833,
maritf à Julie Soyer, était fils naturel du prince de
Gonty. M"»* Louise Brayer de Saint-Léon qui fut l'édi-
teur des Mémoires et souvenirs de Pougens, et son bio-
graphe, nie expressément le fait : « M. de Pougens,
dit^lle, n'était point le fils du prince de Gonty. Je suis
autorisée à le déclarer » (i).
Plus sérieuses semblent les prétentions d'une femme
qu'on a peut-être trop à la légère qualifiée d'aventu-
rière parce qu'elle affirmait être la fille naturelle du
prince de Gonty et de la duchesse de Mazarin. Résu-
mons son histoire en quelques lignes.
Née en 176a, Louise, comtesse de Montcairzain,
transparent anagramme de Gonti-Mazarin, est élevée
luxueusement, d'abord au Temple, puis dans un riche
hôtel de la rue de Gléry. Sa vaisselle est aux armes de
France, sa livrée aux couleurs des Gonty. On Téduque
en fille de haut rang ; elle apprend le latin, le grec,
l'italien, le chinois; on lui enseigne Téquitation et le
jeu de l'épée ; on Tappelle Altesse et elle s'attend à être
sous peu légitimée et présentée à Versailles quand,
brusquement, son sort change. Enlevée de Paris en
chaise de poste, transportée à Lons-le-Saunier, on la
contraint à épouser, quoiqu'elle n'ait que douze ans,
un procureur crasseux et quadragénaire auquel d'ail-
leurs elle refuse obstinément de se livrer. Revenue à
Paris, quinze ans plus tard^ elle ne cesse de multiplier
les démarches pour faire reconnaître son origine...
Telle est la version donnée par l'héroïne de ce mys-
térieux roman dans les Mémoires qu'elle publia (aj.
Ajoutons que, jusqu'à sa fin, la comtesse de Mont-
cairzain ne varia pas d'un iota dans ses affirmations
(i) Charles de Pougens, if ^moire« et souvenir s, p. 100. — Cf. :
L. DussiEux, Généalogie de la maison de Bourbon, p. 188.
(2) Mémoire de Stéphanie- Louise de Bourbon, ., à la Conven-
tion Nationale, 179Ô, in-8. — Mémoires historiques de S.^L.
de Bourbon-Conti, écrits par elle-même; 1798, 2 vol. in-8. —
Mémoire présenté au Roi (1819), in-4*.
LE PRINCE DE CONTT 323
et que toute une vie de misère et de luttes n'ébranla
pas un seul instant la foi robuste qu'elle avait en sa
naissance (i).
Etait-elle folle, était-elle atteinte de la manie des
grandeurs? A dire vrai, c'est Timpression première
que laisse la lecture de ses Mémoires. Mais quelques
pièces j ustificatives sont plus probantes. Entre autres,
Tacte que Ton présenta, dit-elle, au prince de Conty
pour lui faire croire, quand elle fut enlevée de Paris,
que sa fille était morte. Cet extrait obituaire est ainsi
conçu :
Extrait du registre des baptêmes, mariages et sépultures de
la paroisse royale de Viroflay-Ies-Versailles, diocèse de Paris.
Le 7 juin 1773* a été fait le convoy et enterrement dans
cette église de très haute et très puissante dame et très excel-
lente princesse de BourboD-Gooty, comtesse de Montcair-Zina,
fille mineure légitimée, princesse du sang, décédée le 5, âgée
de II ans, six mois et quelques jours, en présence de Benoist-
Charles Richard, beau-frère de M">« de Lormes, institutrice
de Son Altesse Sérénissime la comtesse de Montcair-Zina et
M. Tabbé Aubrie, chapelain de M°>® la duchesse de Mazaria^
qui ont signé.
Gollationné à l'original par nous abbé sous signé, protono-
taire du Saint-Siège apostolique, commandeur de Tordre
sacré du Christ, camérier, comte du sacré palais de Latrao.
Le le i5 septembre 1773.
Signé : Dubut, curé (2),
(i) On consultera, avec le plus grand intérêt, une attachante
étude sur Montcairzain, parue dans le Temps du 11 juin 1907,
sous la signature de M. G. Lenotrb. L'éminent historien ne con-
clut pas précisément en faveur de la thèse soutenue par la pseudo-
princesse de Bourbon-Gontj ; mais on sent qu'il pencherait
volontiers pour l'affirmative.
En sens inverse, nous renvoyons le lecteur au volume, bien
rare aujourd'hui, de Barruel-Bbauvert : Histoire tragi-comique
de la soi-disant princesse Stéphanie-Louise de Bourbon^Conti,
1810, in-8.
(2) Cette pièce, ainsi que d'autres papiers relatifs à Mont-
cairzain, sont conservés en Tétude de M* Morel d'Arleux^ notaire
à Paris» 82, rue de Rivoli.
324 LB PBINGB DB CONTT
Or, cet extrait est un faux d'un bout à Tautre. Rien
de semblable ne se trouve sur les registres de Viro-
flay. Seule, la signature du curé Dubut est authenti-
que. A quelle fin cet ecclésiastique aurait-il commis
un faux, si jamais il n'avait existé de princesse de
Bourbon-Conty?
Notez les noms des deux prétendus témoins de la
mort : ce sont le sieur Richard, beau-firère de la
gouvernante Delorme, et Tabbé Aubrie, chapelain de
la duchesse de Mazarin. Nous allons les retrouver
bientdt.
A Lons-le -Saunier, où la dame Delorme Va menée
et où elle la fait passer pour sa fille, âgée de dix-huit
ans, la petite princesse est fiancée malgré elle à un
sieur Billet, procureur. On s'est pourvu de l'acte de
naissance d'une fille que la gouvernante eut autrefois,
en 1756, avant son mariage, et qui fut baptisée à Saint-
Sulpice. Cependant M"^ Delorme redoute les révéla-
tions de l'enfant. Elle écrit à son beau-frère Richard,
à Paris :
Lons-le-Saunier, le 10 octobre 1773.
M. le curé, mon cher beau-frère, m'a écrit vous avoir remis
tout ce qu'on lui a fait passer pour vous, et que vous aviez
bu de bon vin ensemble. Je lui ai répondu que ce n'ètoit pas
à quoi il falloit passer votre temps, tandis que je suis journel-
lement aux crises ici. On ne pourra pas se dispenser d'aller
faire le mariage là-bas. L'extrait en question est trop vieux
poar sa petite taille, vous m'entendez?... Elle commence à
croire qu'on poura faire de M. Billet un duc et pair, malgré
qu'elle dit que c'est impossible. Je vois bien qu'il n'y a que
cela qui la mettra de notre bord. Vous dites que vous êtes bien
sûr qu'elle n'a pas écrit à Monseigneur; cependant je lui ai
trouvé dans sa poche deux brouillons, l'un pour son frère,
l'autre pour son père, où elle lui dit que le roi est trop bon
pour ne pas lui laisser le beau bouquet de diamants pour
ses noces, et s'il ne donneroit pas le cordon bleu à son mari?
J'ai dit oui à toutes ses questions : il n'y a que comme ça
qu'on en fait quelque chose. Il faudra peu de monde à la noce.
Nous ne sommes pas au bout. Elle croit signer le nom de son
LB PRINCE OB GONTY 325
frère [père] à sa noce; elle dit que le curé sera très flatté
d'avoir une princesse mariée chez lui . Si le lieutenant civil pou-
▼oit faire sans elle? Tâchez donc, n'épargnez rien, afin de
rester le moins possible à Paris, et ce sera un rude moment
pour nous. Le curé m'a écrit que ma sœur se défioit de quel-
que chose. Dites-lui que c'est pour la faire légitimer de mon
mari qu'il y a tant de mystère; comme elle ne sait pas lire,
elle pourra en être... Ne lui dites pas que je vous ai écrit. Si le
curé persiste, il n'y aura que l'abbé Aubrie qui pourra faire la
cérémonie et la confesser, mais toujours dans une campagne ;
le curé n'est éloigné que par crainte ; aussi rassurez-le donc
que le plus fort est fait pour lui et que je réponds du reste.
Adieu, mon cher beau-frère. Ne lui mettez donc plus dans
vos lettres ni comtesse ni altesse ou Mont-Gair^Zina. Rappe-
lez-lui la circonstance qui peut l'humilier, et pour n'en plus
entendre parler, elle consentira à tout.
Mes compliments à nos deux abbés, et qu'il ne faut pas
perdre courage, tout ira bien.
Votre sœur : Dblormb.
Il était malaisé de faire confesser et marier cette
fillette de douze ans par un prêtre qui n'aurait pas
été complice. Aussi, nonobstant les cent dix lieues
qui séparent Lons-le-Saunier de Viroflay, c'est à
Viroflay que la « fille » de M^^ Delorme épousa, le
i8 janvier l^^^J le procureur Billet. Le curé Dubut
officiait et le sieur Richard, son compère, servait de
tuteur à la mariée...
Avions-nous tort — nous qui savons de source sûre
qu'en 1761 la duchesse de Mazarin était en relations
avec Gonty et qu'elle prenait la poste pour Taller
voir à L'Isle-Adam — avions-nous tort de dire plus
haut que les prétentions nobiliaires de Montcairzain
n'étaient pas dénuées de toute vraisemblance? (2)
(i) Cette lettre accablante, conservée en l'étude susdite, porte
bien le cachet de la poste de Lons le-Saunier, ce qui prouve
qu'elle ne fut pas fabriquée après coup par Montcairzain.
(a) C'est aussi l'opinion de M . Michel Bréal qui a tenu en
mains le dossier Montcairzain (V. de cet auteur, Deux études
sur Gœthe, passim). M. Michel Bréal croit reconnaître dans
326 LE PRINCE OB CONTT
Malheureusement pour Montcairzain elle était encore
trop jeune quand mourut le prince de Conty.
Revenons à la mort de ce dernier. Le Prince laissait
à son fils le soin de liquider une situation financière
assez embrouillée.
Claude-Henri Manscourt, trésorier général du
Prince, déclarait bien aux magistrats venus pour poser
les scellés au Temple et procéder à l'inventaire, qu^il
restait entre ses mains quatre à cinq cent mille livres
d'argent monnayé.
L'inventaire achevé accusait bien un état des ren-
tes et intérêts se montant à 185.807 livres, ce qui
supposait, aux différents taux de placement du
Prince, un capital évalué à 4*388.53o livres (i). Mais
cette estimation était aléatoire, d'abord parce qu'une
partie des ressources de Conty mouraient avec lui
(ses bénéfices du grand-prieuré^ son gouvernement
du Poitou, ses rentes viagères sur les aides et gabel-
les et sur le trésor royal) ; ensuite parce que la plu-
part des propriétés du Prince, au lieu de lui être
des sources de profits annuels, lui étaient plutôt des
causes de dépenses.
Sans parler en effet de ses prodigalités de tout
genre, des pensions constituées sur sa cassette à quan-
tité de filles, du train superbe de sa maison, qui
auraient déjà suffi à absorber ses revenus ; ses grandes
acquisitions immobilières loin d'accroître sa richesse
en augmentant ses biens-fonds et ses rentes en terres,
lui coûtaient au contraire chaque année des sommes
énormes, par sa manière onéreuse d'acquérir. Conty
payait rarement au comptant quand il achetait, mais
celte intrigue la main de la duchesse de Mazarin qui voulait se
débarrasser de cette fille adultérine gênante et celle du comte de
La Marche, qui craignait, en cas de légitimation, d'avoir à par-
tager l'héritage de son père. — Montcairzin mourut à Paris, le
29 mars i8a5
(\) Archives Nationales : Parlement civiL Scellés et inven-
taires des princes, X^ a 9 178-9 179.
LB PBINCE DB CONTY 327
il servait au vendeur la rente du capital qu'il aurait
dû verser. Comme il ne songeait que rarement à
s'acquitter du principal et que les vendeurs ne le pres-
saient point, trouvant mieux leur compte à attendre,
il arrivait à payer tout au double delà valeur vraie. Il
devait ainsi de tant de côtés que parfois il était embar-
rassé pour régler à l'échéance ces dettes périodiques.
Nous en avons un exemple en ce billet, signé Le Brun,
que nous détachons d'une liasse de manuscrits de la
Bibliothèque nationale concernant la succession du
Prince. (Ce Le Brun était probablement un habitant
de L'Isle-Adam, marguiller, le même dont nous avons
remarqué le nom, plusieurs fois répété, sur les regis-
tres de cette paroisse).
Le 22 décembre 1774*
Monseigneur,
Pardonné sie je prend la liberté de vous adressé ces lignes
pour vous prier d'avoir égard que se nest que la grande nes-
sessité qui me forse a vous en demandé et non pas de vous
importunné :
Demande
NOTTA Et cha de six mois
De mes rente viager au 3o janvier
prochain, a^ année .... 7.000 1.760
Du billet de 3 1. 000 iiv. tous les
6 mois au a8 février, 18 mois. 4 «650 i.55o
Du contra perpétuel de marner
[ma mère ?] au 4 févrillier,
18 mois i.Sgo g45
1X540 4.a45
Et la datte du 4 août 1778 a anvoiér au nautaire pour qu'il
soit terminé, Vous rendre le plus grand service à celui qui se
die de Votre Altesse Sérénissime, Monseigneur,
Votre très humble et respectueux servitteur, Le Brun(i).
(i) BiBLiOTBÈQUB NATIONALE : Manuscrxts français. Nouvelles
acquisitions ; 5oi3, f. 35.
328 LE PRINGB DB GONTT
Le comte de La Marche, légataire universel, dat
s*inquiéter immédiatement de combler tons ces trous
que la négligence paternelle avait creusés. II faut ren-
dre au fils de Louis-François cette justice de recon-
naître qu'il avait, parmi tant de défauts, au moins une
qualité: il était, dans lesa£Paires d*argent, d'une stricte
probité et n'aimait pas les dettes.
Pour parer au plus urgent et apaiser les créanciers
les plus hargneux qui déjà avaient formé des opposi-
tions sur l'héritage, il décida de vendre d'abord les
collections du Temple, tableaux^ statues, objets d'art,
dont la valeur, à ne considérer que les prix d'achat,
paraissait considérable. Il chargea le peintre-expert
Rémy d'en établir le catalogue et lui adjoignit, pour
les pierres gravées et les médailles, le sieur Millioly,
antiquaire du défunt. La confection et l'impression
de ce catalogue demandèrent plus de six mois. Il ne
comportait pas moins de viii-417 pages in-12, donnant
la nomenclature de a. 117 lots, sans compter les numé-
ros bis. Nous avons eu la bonne fortune d'en rencon-
trer un exemplaire annoté en marge des noms des
acquéreurs et des prix d'adjudication. Voici le titre
de ce document si intéressant pour l'histoire de l'Art
et de la Curiosité :
Catalogue d'une riche coUectioD de Tableaux des Maîtres
les plus célèbres des trois Ecoles; Dessins aussi des plus
grands Maîtres, sous verre et en feuilles ; bronzes, marbres,
terres cuites du Quesnoi, de Bouchardon, etc. Pierres gravées
antiques, Pendules, Montres et Bijoux et autres objets curieux
qui composent le cabinet de feu Son Altesse Sérènissime
Monseigneur le Prince de Conti, Prince du Sang, et Grand
Prieur de France. Cette vente se fera le mardi 8 avril 1777,
trois heures et demie précise de relevée, et jours suivants, au
Palais du Temple.
A Paris^ chez JUuzier père^ libraire^ quai des Auffustins,
et Pierre Rémy, peintre, rue des Grands- Augustins]
M.DGC.LXXVn.
LS PRINGB. DB CONTT 329
Le catalogue était ainsi divisé :
PsDrruRE. — Peintures des Ecoles italienne, flamande, fran-
çaise (on rang^eait alors les Espag'nois dansTEcole napolitaine
et les Allemands dans l'Ecole des Pays-Bas) : i . o85 pièces^
coupées en 929 lots ;
Peintures à la g^ouache et miniatures, sous verre : 97 pièces
en 6a lots ;
Peintures chinoises sur glace et dessins chinois : a3 pièces
en 10 lots;
Dessins des trois Ecoles^ sous verre : aaS pièces en
178 loto;
Dessins des trois Ecoles, en feuilles : 169 pièces en
91 loto ;
Miniatures, en feuilles : 178 pièces en 89 lots ;
Sculpture. — Figures, groupes et bas-reliefs en terre cuite
de François Flamand, dit Lequesnoy : 3o pièces groupées en
a6 loto ;
Terres cuites de di£Fèrento maîtres (Edme Bouchardon,
Glodion, Pajou, de la Rue, Chardin, etc.) : 3i pièces en
a4 loto ;
Bas-reliefs en cire : 8 pièces en 3 loto ;
Bas-reliefs de marbre blanc : 3 pièces en 3 lots ;
Vases de marbre, de bronze et d'améthyste : 12 pièces en
8 loto;
Mosaïques : 2 pièces en 2 lots.
Bronzes égyptiens et bronzes antiques : 28 lots (plus un lot
de 5 momies) ;
Bronzes modernes : a a pièces en 19 loto ;
Purres, buouz^ etc. — Pierres fines et pierres gravées,
tout en creux qu'en relief^ montées en bagues : 486 pièces en
486 loto:
Médailles: i.oai pièces en 17 loto, plus un sac de médailles
de bronze, un coin antique de Néroo et un petit médailler
« contenant des médailles » ;
Bijoux, boîtes, flacons, tabatières, ete., en or ou garnies
d'or : 5i pièces en 5i lots ;
Pendules (18) et 11 montres d'or, i d'argent;
Clavecins (5) et a buffeto d'orgue.
La vente commença le 8 avril 1777, au Temple^ et
se poursuivit sans interruption jusqu'au 6 juin sui-
330 LE PRINCE DE GONTY
vant. Disons tout de suite qu'elle foi un désastre. Le
total des adjudications ne se monta qu'à onze cent
mille livres environ, alors qu'on pouvait espérer trois
fois plus.
Essayons de démêler les raisons de cet échec qui
furent multiples. D'abord le choix de l'expert Rémy,
personnage sur lequel on nous permettra une courte
digression.
Pierre Rémy, peintre médiocre et qui n'a point
laissé d^œuvre, était en revanche le plus couru des
experts de Paris. Depuis vingt ans, depuis la vente de
la collection du duc de Tallard (i75i),il avait en quel-
que sorte monopolisé les grandes ventes après décès,
succédant à Gersaint et à Mariette qui avaient été les
maîtres du genre. Toute ou presque toute la Curiosité
de l'époque lui passait par les mains ; il possédait,
avec la vogue, la confiance des acheteurs et des ven-
deurs ; sa situation était si forte qu'il avait à peu près
dépossédé à son profit tous les autres experts de la
capitale : Boilleau, Basan, JouIIain, Le Brun, Martin,
Helle, Glomy et autres (i). Sur dix ventes, il en diri-
geait huit.
(i) GVst Rémy qui avait vendu la collection de M. de Heineken^
auteur du Dictionnaire des artistes, en 1767 ; la collection Gou-
cicaultt en 1788; celle du comte de Vence, en 1761 ; celle de
M. de Selle^ trésorier général de la marine, «nème année ; celle
du duc de Sully, en 1762 ; celle de M. de Chauvelin, ministre
d*Etat, même année ; celle de M. Gaillard de Gagny, receveur
général des finances de Grenoble, même année ; celle du peintre
Adrien Manglard, même année; celle de M. Peilhon, secrétaire
du Roi, en 17Ô3; celle de M. de Troy, directeur de l'Académie
de France, à Rome, en 1764 ; celle de M. Deshays, peintre du
Roi, en 1766 ; celle de M. Slodtz, sculpteur du Roi, même année;
celle de MP^ de Pompadour, en 176Ô ; celle de M. de Julienne,
écuyer, en 1767 ; celle de M. Gaignat, receveur des consignations,
en 1768 ; celle de M. Prousteau, capitaine des gardes de la Ville,
en 1769... Et plus il va, plus sa renommée s'établit, crescit
eundo. En 1770, il vend le peintre Beaudouin ; M. Bourlamaque,
ancien capitaine de caralerie ; M. Lalive de Jully, introducteur
des ambassadeurs; M. Blondel d'Azincourt ; M. Beringhen,
premier écuyer du Roi; M. Portier, doyen des notaires parisiens.
LB PRINCB DE CONTT 831
Le succès ordinaire des ventes auxquelles présidait
Rémy s'explique en partie par ses connaissances en
peinture, mais en partie aussi par un certain charla-
tanisme. Il ne craignait pas de faire valoir sa mar-
chandise. Dans ses catalogues, les tableaux mar-
quants, sur lesquels il veut attirer l'attention des
acheteurs, sont signalés par une notice de quelques
lignes, rédigée dans un curieux jargon dont il paraît
avoir le secret et où la naïveté le dispute parfois au
comique. Dans le catalogue Conty, chacun de ces
tableaux est : c de la première distinction » ; ou :
« d'un effet qui fait plaisir » ; ou : « d'un coloris le
plus séduisant qu'il soit possible de voir » ; ou : « peint
dans la grande manière » ; ou : c touché avec beau-
coup d'esprit » ; ou : « du meilleur faire de l'auteur » ;
ou : « digne d'être admiré par l'expression et la tou-
che savante de l'artiste » ; ou : « d'un beau fini » ; ou :
« plaisant par son grand mérite » ; ou : c aussi capital
que le précédent » ; ou : « d'une finesse de pinceau
qui donne à ce tableau de la sublimité » ; ou : « très
estimable » ; ou : (y fait avec une grande facilité » ;
ou : «r méritant considération » ; ou : ce de la plus
grande conséquence » ; ou : « d'un e£Pet tranquille » ;
ou : « fait à lei presto d'un faire excellent » ; ou : « d'un
mérite au-dessus de toute expression » ; ou : <c fait de
goût X) ; ou : c< d'un coloris très ragoûtant » ; ou: « du
plus beau ton argentin et agréable » ; etc.
En 177 1, il vend l'atelier de Boucher et le cabinet du comte de
la Guiche, lieutenant-général. En 1772 la rente du duc de Choi-
seul et celle du peintre L.-M. Vanloo lui échappent ; mais il se
rattrape avec celle de M. Grozat, baron de Thiers, et avec celle
du duc de Lauraguais. En 1778, il a M. de Vigny, architecte ; le
comte de Gaylus et M. Ladvocat, maître des comptes. En 1774»
M. Vassal de Saint-Hubert ; M. Pelt, mathématicien, et le comte
Dubarry. En 1776, le duc de Grammont ; M. de Ghoiseul, arche-
vêque de Gambray, et M. deBèze. En 177Ô, M. Sorbet, chirurgien
des mousquetaires gris ; M. Blondel de Gagny, trésorier général
des amortissements, et M. de Mortain. Enfin, au début de 1777,
il disperse aux enchères la galerie de M. Randon de Boisset,
receveur général des finances.
332 LB PRINCB DE COirTT
Le ragoûtant et Vargentin reviennent fréquemment
sous la plume de Pierre Rémy ; il affectionne ces épi-
thètes qui sans doute avaient, pour les amateurs d'au-
trefoisy une valeur et une saveur qu'elles ont perdues
depuis.
A l'exemple de ses prédécesseurs Gersaint et
Mariette, Rémy se plaisait à introduire^ dans les préfa-
ces de ses catalogues, le panégyrique de Tamatear
défunt dont, vivant, il avait été le fournisseur. Chacun
de ses clients était sûr de passer un peu à la postérité.
Mais, quand, d'aventure, Rémy abandonnait à un étran-
ger le soin d'écrire cet éloge posthume, il tolérait, sans
fausse modestie, qu*on le mêlât aux louanges méritées
par le mort. C'est ainsi que, dans son catalogue de
M.Randon de Boisset, préfacé par M. de Sireuil, après
avoir vanté le Mécène éclairé qui vient de disparaître,
l'ami des Boucher, des Greuze, des Hubert Robert, le
biographe ajoute :
a II consultoit dans toutes ses acquisitions M. Rémy.
C'étoit M. Boucher qui Tavoit fait connoîtreàM. Randon
de Boisset. Il ne pouvoit, dans le désir qu'il avoit de former
un cabinet distingué, accorder sa confiance à un homme
d'une probité plus reconnue : les cabinets qu'il [Rémy] a for-
més, la confiance des amateurs qui Taiment et l'estiment,
leur empressement à le consulter, tout concourt à le mettre
au rang des premiers connoisseurs en peinture. . . »
Si la vanité de l'expert à la mode recevait avec déli-
ces ces coups d'encensoir à bout portant, ses confrères
et rivaux, évincés par lui de toutes les ventes fruc-
tueuses, murmuraient contre l'accapareur. L'un d'eux
surtout, Glomy, pour avoir été son ami, jadis, et lui
avoir mis le pied à Tétrier en l'associant à la vente de
Tallard, lui gardait, de son élévation rapide, une ran-
cune à mort. Il avait essayé de le ridiculiser en pré-
tendantque, dansle catalogue du cabinet Bailly, Rémy
« n'avait eu d'autre part que d'avoir donné la mesure
des tableaux et Tordre chronologique des maîtres ».
LB PRINGB 1>E CONTT 333
Mais Rémy avait bec et ongles et il avait riposté, du
tac au tac, non sans esprit :
Les amateurs qui nous connoissent l'un et l'autre et qui
ont daig^né m'accorder leur confiance avant et depuis la vente
de M. le duc de Tallard, sont en état de décider du mérite de
cette observation. Je n'imiterai pas M. Glomy : la preuve que
je prends plaisir à lui rendre justice, c'est que je m'en fais
un d*annoncer au public qu'il est un des premiers pour coller
les dessins et pour les ajuster avec filets de papier doré.
Alllusion méprisante au principal talent de Glomy
qui excellait en effet à encadrer les dessins et estam-
pes dans des bandes alternées de lavis et de papier
doré ; ce qu'on a nommé bordures « églomisées ».
Lorsque les experts et marchands de tableaux appri-
rent que Elémy qui, dans les six mois derniers, avait
déjà vendu les belles collections Blondel et Randon,
allait être encore chargé de la vente Ck>nty, il dut y
avoir dans la corporation, contre l'heureux expert^ un
véritable déchaînement de tous les dépits et Glomy sut
jeter l'huile sur le feu.
Adolphe Thibaudeau, à qui Ton doit la remarqua-
ble lettre-préface que Charles Blanc a mise en tète de
son Trésor de la Curiosité^ possédait un exemplaire du
catalogue Gonty annoté de la main de Glomy, mieux
qu'annoté : rageusement critiqué. Et voici Topinion
de l'expert-encadreur :
Celui qui a fait ce catalogue parait si ignorant dans les
descriptions, qu'il a pris pour excellent ce qui est mauvais,
pour original ce qui est copie, pour italien ce qui est fla-
mand et hollandais, confondant les anciens avec les moder-
nes, ne connaissant pas même les peintres vivants ; ne pou-
vant juger de la condition et de la conservation des tableaux,
ne sachant pas que les tableaux frottés, usés, effacés perdent
beaucoup de leur mérite parce que les beautés de l'art sont
loin lorsqu'un tableau a perdu avec ses glacis le fini et l'har-
monie ; il ne reste plus alors que la composition ; encore
perd-elle beaucoup de son premier éclat, parce que l'effet, qui
est une grande partie dans la peinture, a disparu.. .
334 LE PRINCB DB CONTY
Les marchands, gens ignorants, fondent leur commerce et
leurs connaissances sur Tintrigue des catalogues. Ils payent
inconsidérément ce qui est copié, gâté, repeint ; un tiibleau
faux, racommodé, comme un tableau vrai et bien conservé ;
tout leur est indifférent, pourvu que le catalogue ait parlé ;
c'est là toute leur garantie.
Les marchands sont intéressés à soutenir la réputation de
leurs devanciers qui ont placé chez des amateurs de mauvais
tableaux à des prix exagérés. Ils se réunissent pour accré-
diter ces mêmes tableaux, en les poussant dans les ventes
publiques ; les catalogues, faits par les complices des mar-
chands, ne sont écrits que pour induire en erreur les ache-
teurs ; toutes les histoires qu'on y débite ne mettent ni com-
position, ni dessin, ni couleur sur les tableaux et ne peuvent
les faire devenir bons quand ils sont mauvais, etc.
Les lieux communs queGIomy griffonnait si prolixe-
ment sur les marges et les blancs d'un catalogue, il
est évident qu'il ne se gênait pas pour les répandre et
les débiter à tous venants, dans sa boutique et ail-
leurs.
Comme personne, à part quelques familiers du
Prince, ne connaissait la galerie Conty autrement que
par ouï-dire, les jugements de Glomy passèrent aisé-
ment pour Texpression de la vérité. Les Mémoires
secrets nous apportent Técho affaibli de ces rumeurs
pessimistes :
28 janvier 1777 • — On commence à voir une description
sommaire du cabinet de feu S. A. S. Mgr le prince de Conty.
La collection des tableaux est composée de près de 3oo origi-
naux des meilleurs maîtres de TEcole italienne ; de plus de
3oo tableaux des meilleurs mattres anciens et modernes de
VEtCol^ française \ de près de aoo tableaux des meilleurs
maîtres de TEcole flamande ; de plus de aoo de l'Ecole hoU
landaise ; de la tableaux de Rusch, Dietricei, Fergue (Ferg)
et autres maîtres de TEcole allemande des mieux choisis;
de 4^ miniatures choisies et des meilleurs peintres de ce
genre ; de plusieurs morceaux agréables peints à gouache et
d'environ 100 tableaux représentant des cérémonies torques
et chinoises ; de a4 bas*reliefs, etc. . . On conçoit que cette
LB PRINGB DE GONTY 335
collection seroit des plus riches» si elle étoit aussi bien choi-
sie que nombreuse, et si elle répondoit à l'annonce pompeuse
qu'on en fournit (i).
La réserve timidement exprimée à la fin de ce para-
graphe se retrouve, plus accentuée, dans une autre
note, écrite quelques jours seulement avant la vente.
Dans rintervalle, les calomnies semées par Glomy ont
pris racine. Et Ton accuse presque formellement la
plupart des tableaux d'être faux, sans d'ailleurs spé-
cifier lesquels.
2 avril 7777. — C'est à la vente des tableaux du prince de
Conty qu'on va procéder incessamment. La collection est des
plus nombreuses : dans ceux qu'on a placés pour être vus
du public, on en compte i.44o, et l'on parle de 3oo qui ne
sont pas encore mis en lumière. Mais il ne règne pas le
même goût dans cette collection que dans les précédentes,
et l'on prétend que Son Altesse, peu connoisseuse, a été
souvent trompée, (a)
Rémy certainement avait eu vent de cette espèce
de conspiration, de cette campagne organisée par
la brocante contre la collection du Prince. Il s'ef-
force, dans la préface de son catalogue, de combattre
par avance ces préjugés, ce parti-pris de dénigre-
ment :
. . . Pour être instruit, dit-il, il faut avoir vu et pour juger,
il faut être instruit. Le public jusqu'à présent n'a encore pu
porter son jugement sur le Cabinet de Monseigneur le Prince
de Conti.
Nous pourrions même dire qu'il n'en a qu'une fausse idée
et nous avons vu bien des gens ne regarder cette collection
que comme un amas immense de tableaux.
Il est nécessaire de le détromper et de le ramener à la
vérité. Jusqu'à présent, on n'a pu concevoir de ce Cabinet que
Ton n a jamais vu, que des idées fausses, (t après des propos
<i et 2) Mémoires secrets, tome X, p. a6 et p. 95.
336 LB PRINCB DB GONTT
oaffaes, rendus par des genspea instruits et peut-être mal-
intentionnés.
... Nous 0S0D8 donc assurer, môme sans craindre d'être
contredits par les connoisseurs, que cette dernière vente est
de la plus grande conséquence. Nous pouvons dire d'avance
qu'à la vue des objets, on sera forcé de revenir du ridicule
prèjuiR^ où Ton a été jusqu'à ce jour.
... L'originalité de ces tableaux ne doit pas être suspecte.
On en connoît la filiation ; nous avons cité autant que nous
l'avons pu, les différents Cabinets par où ils ont passé ; enfin
nous n'affirmerons rien dont nous ne soyons moralement
sûr.
Il n'était guère besoin de cette attestation pour dis-
culper le feu Prince du reproche, si légèrement lancé,
d'avoir acheté sans goût ni mesure. La seule lecture
de son catalogue aurait dû c ramener à la vérité » des
personnes moins prévenues que ne Tétaient les ama-
teurs travaillés depuis six mois par Glomy et con-
sorts. Dans tous ses achats en ventes publiques, depuis
ses premières acquisitions à la vente du prince de Cari-
gnan( 1743), jusqu'à la dernière commission qu'il con-
fiait à Rémy pour la vente du duc de Saint-Aignan
(1776), on reconnaît chez Conty le même discernement
judicieux, le même sens artiste. Il sait ce qu'il achète.
Et il nous paraît bien difficile d'admettre que ce même
homme, si avisé dans son choix lorsqu'il s'agissait de
toiles provenant de collections célèbres et ayant une
histoire, devenait subitement novice et ignare dès
qu'il achetait directement aux marchands. Nous mon-
trerons d'ailleurs plus loin comment Conty était plus
réellement expert en peinture que nombre d'experts
professionnels, ses contemporains.
Mais examinons, d'abord, ses acquisitions de « pro-
venance » :
A la vente Garignan, en 1743, il achète : Adcun et
Eoe^ du Josépin ; le portrait de Titus couronné^ de
Dominique Feti ; la Vierge à F Enfant^ de Barthélemi
Schidon ; la Vierge à l'Enfant^ de Louis Carrache ; un
portrait de Femme tenant une pomme et un portrait
LE PRINCE DE CONTT 337
d'Homme tenant un faucon^ du Titien ; la Femme adul-
iêre, de Paul Veronèze.
Pour un débutant, ce n'est pas trop mal ; poursui-
vons :
A la vente du duc de Tallard (lySG), il achète :
Flore dans une guirlande de fleurs^ de Mario Nazzi ;
la Cananéenne implorant la guérUon de sa fille, de
JérdmeMutien.
A la vente de Jullienne (1767) : les Noces de Cana^
de Murillo ; la Charité romaine, de Rubens.
A la vente Mariette (1768) : trois pastels de la Ro-
salba Carriera ; un Canal avec patineurs, d'Adrien
Van den Veld et le Portrait en buste de Charles /«'',
grisaille, de Van Dyck ; plus quantité de gouaches,
miniatures et dessins.
A la vente Gaignat (1768) : le Temple de la Sybille
tiburtine^ de Breughel de Velours; un Paysage, de
Stalben ; une Fille hachant des oignons, de Gérard
Dow.
A la vente Lalive de Jully (1770) : une Sainte
Famille du Guide et une autre de Simon Cantarini ;
une Jeune femme chantant^ de Godefroy Scaicken ;
V Apothéose de Saint Louis, de Ch. de La Fosse ; le
Sacrifice de Gédéon^ de François Boucher ; un Clair
de lune, de Joseph Vernet.
A la vente du comte de La Guiche (1771) : Jésus et
la Samaritaine, de TAlbane.
A la vente Choiseul (1772)^ il fait des folies, même
pour un prince ; mais ce ne sont que folies d'argent et
ses prédilections sontraisonnées : un portrait de Char^
leS'Quint dans son enjance, du Titien ; un Palais au bord
de la mer, du Salucci, avec figures (V Embarquement
d Hélène) de Jean Miel ; une Marine et un Paysage
dans les montagnes, de Salvator Rosa ; Danaé et Mars
et Vénus, attribués à Velasquez ; un Paysage du Tyrol,
de Pierre Breughel ; une Eglise de Flandre, de Pierre
Néefs, meublée de figures par François Franck ; un
Repos en Egypte, de Corneille Poelenburg ; l'Entrée
d^un bois, de J. Breughels de Velours ; un Intérieur
32
338 LE PBIirCB DE CONTY
d'église des Pays-Bas, de Henry Steenwick, avec figa-
res de Porbus ; un Portrait de Jacques JordaenSj par
lai-mème ; Saint François distribuant rcuimânej de
Jean Miel ; Moïse sauvé des eaux^ le Samaritain et un
Paysage^ effet de soleil, de Rembrandt ; un Paysage^
effet d'orage, de Rubens ; un Intérieur (deux hommes
et une femme), une Femme lisant une lettre^ une
Femme buvant et un Intérieur deferme^ de Gérard Ter-
burg ; les Œuvres de Miséricorde^ un Village avec
joueurs de boules^ un Canal près d'Anvers^ une Maison
de paysans y un Paysage avec un fauconnier ^ de David
Téniers ; un Intérieur flamand et un Jeu de galets^
d'Adrien Van Ostade ; une Marine^ de Willem Van
den Veld; une Vieille femme tenant un lièvre^ de
Gérard Dow ; une Femme à sa toilette^ un Chimiste
dans son laboratoire^ une Dame au clavecin j une
Femme à table^ de Gabriel Metzu ; un Marché aux che^
vauxy an Manège^ un Paysage avec rochers ^ un Départ
pour la chasse au voly une Moisson des foins, un Pay-
sage avec animaux, de Philippe Wouwermans ; deux
Ports de mer, un Berger et ses chèvres^ un Oiseleur
dans un paysage^ une Marine, de Nicolas Berghem ; le
Bois de La HayCj des Bœufs dans une prairie, un Pay-
sage avec figures, de Paul Potter ; une Vue de Skeve-
ling, un Rivage bordé de DuneSj une Mer agitée, un
Pont rustiquCy de Jacques Ruysdaêl ; un Aveugle et
son chien, de François Van Mieris ; un Intérieur et
buveurs, de Jean Steen ; une Gardeuse de vaches et un
Jeune garçon jouant avec son chien, de Carie du Jar-
din ; deux Places de la ville de Cologne et une vue du
Château de Beinthem, de Jean Van der Heyden, avec
figures d'Adrien Van den Veld; une Ville de Hollande,
de Guérard Berckeyden, avec figures d'Adrien Van
den Veld ; un Matelot chargé de poissons, de Willem
Van Mieris ; des Jeunes filles jouant aux osselets, Loth
et ses filles, et Jeunes garçons jouant avec des chats,
(2 sujets), d'Adrien Van den Weerf ; la Fuite en
EgyptCy de Gh.-G.-Ernest Dietricy ; Junon confiant à
Argus la garde d'Io et Argus endormi par Mercure,
LB PRINCE DE CONTY 339
de Claude le Lorrain ; un Repas en famille et un Ma-
réchal à sa forge^ de Le Nain ; un Temple à Priape et
une Jeune fille au bain, de Jean Raoux ; Les baigneu-
ses^ une Vue du Château Saint-Ange et une Vue du
Ponte Riotto, de Joseph Vernet ; la Prière à C Amour,
de J.-B. Greuze.
A la vente de Louis-Michel Van Loo (1772) : le Vœu
de Louis XlIIy de Lucas Giordano ; Laban cherchant
des Idoles dans les équipages de Jacob ^ de Sébastien
Bourdon ; Enée sauvant Anchise et Sainte-Clotilde,
esquisse, de Carie Van Loo.
À la vente Ladvocat (1773) : Mercure et Apollon et
Diane découvrant la grossesse de CalistOy de l'Albane ;
un Paysage avec chute d'eau, de P. -P. de Cortone
dit le Gobbo des Carraches ; Bacchantes et Satyres, de
Nicolas Poussin.
A la vente Dubarry (1774) • La consultation dumédc'
cin^ d'Eglon Van der Néer ; une Jeune femme assise, de
Jean-Marie Vien ; Vénus endormie, de Louis Lagre-
née ; deux Paysages, avec figures et animaux, de
H. Fragonard.
A la vente Lempereur (1776) : Sainte Véronique, du
Guide ; une Sainte Famille, de Gaudentio Ferrari ; un
Paysage, avec animaux et figures, de Benedette ; VAn^
nonciation à la Vierge, de François Solimène le Napo-
litain ; le Bon Pasteur, de Murillo ; la Rencontre de
Jacob et dEsaû et la Conversion de Saint- Paul, de
Rubens ; une Ménagère récurant un chaudron, de
Gérard Dow ; un Enfant et sa nourrice, de Gabriel
Metzu ; deux <7o/w6a/*c/eca«;afer/e, d'Antoine-François
Van der Meulen ; Betzabée menant Salomon au trône
et une Allégorie à la gloire de Mazarin, de Sébastien
Bourdon ; Armide et Renaud, de Jean-François de
Troye ; V Adoration des Rois, de Carie Van Loo ;
Galathée sur les eaux, de François Van Loo ; plus quan-
tité de dessins.
A la vente du duc de Grammont (1775) : la Pré-
sentation de Jésus au Temple, de Lagrenée cadet.
340 LB PRINCB DE CONTT
A la vente de Besse (1775) : la Vénus atix amours, de
B.-Michel Ollivier.
A la vente de Lassay (1776) : Psyché et F Amour
endormiy du Guide ; Suzanne et les vieillards^ du Guer-
chin.
A la vente du duc de Saint-Aignan (1776) : un Por-
trait du PapeBenott XIV ^ anonyme ; deux Paysages^
avec figures {Jésus et cinq de ses apôtres et des Capu-
cins), de Gofifredy.
Encore un coup, est-il admissible et logique que
le même Gonty qui faisait montre d'un goût si sûr lors-
qu'il « écrémait » ainsi les catalogues des grands col-
lectionneurs, se fût laissé grossièrement tromper dans
ses acquisitions privées, lorsqu'il achetait le Portrait
de Raphaël par lui-même, provenant de la galerie
de Charles !•' d'Angleterre, et donné par Char-
les II à Mazarin ; la Rencontre de Laban et de Jacob j
de Pierre de Cortone ; le Portrait de la mère du Cor-
rège, par celui-ci ; VEnfant Jésus au chardonneret,
d'Augustin Carrache ; Vlncrédulité de saint Thomas,
d'Alexandre Vèronèze ; le Joueur de Musette^ de Van
Dyck ; le Jésus à table^ de Philippe de Champagne ; la
Vue de la Meuse, d'Albert Cuyp ; la Défaite des Li-
gueurs, de Joseph Parrocel ; le Sacrifice (Tlphigénie^
de Jean Jouvenet ; le Narcisse se mirant dans Feauy de
François le Moine ; tant d'autres dont la sèche énu-
mération deviendrait fastidieuse 7
La preuve que le prince de Gonty était un fin con-
naisseur, en peinture autant qu'en musique, c'est que,
de même qu'il avait su deviner dans Mozart enfant ce
que serait un jour Mozart, de même il avait su dis-
cerner, parmi les peintres de l'école française, ses con-
temporains ou presque, ceux qui resteraient — alors
que les prétendus experts ne faisaient de leurs œuvres
que peu de cas et ne les cotaient qu'à des prix ridi-
cules. Quand on voit à la vente du Prince neuf tableaux
de Watteau faire au total 3.179 livres; dix de Jean-
Baptiste Pater être payés 6.383 livres ; six de Jean-
Baptiste Oudry être adjugés à 1.665 livres et 19 sous;
LE PRINCE DE CONTY 341
deux Boucher alleindre péniblemenl 465 livres et un
sou ; quatre Naloire réaliser 1.074 livres et 6 sous;
deux Chardin être donnés (c'est le mot) pour 3o6 li-
vres et un sou, etc., on a le droit d'être sceptique à
regard des soi-disant compétences de Tépoque et de
juger Conty singulièrement mieux averti des choses
de l'Art que la plupart de ceux qui Taccusaient gra-
tuitement de naïveté. La même observation peut s'ap-
pliquer, du reste, à ses connaissances en sculpture :
on a lu ci-dessus dans le titre du catalogue dressé par
Rémy, cette phrase : c bronzes, marbres, terres cuites
du Quesnoy, de Bouchardon, etc. ». Sait-on qui et
quoi l'expert désigne par cet et cœtera désinvolte ?
Deux vases, deux statuettes et quatre bas-reliefs de
Clodion, simplement. Les huit morceaux furent payés
ensemble 1.910 livres et 8 sous ; encore ce prix était-il
relativement élevé, parce que l'acquéreur fut un ama-
teur, le sculpteur Feuillet, et que les marchands pous-
sèrent les enchères. Mais sou tiendra- t-on que Conty
qui, le premier, avait recueilli ces œuvres d'un
inconnu (Clodion avait alors 3o ans à peine), était
dépourvu d'esthétique ou de flair?
...Toutes ces réflexions que pouvait suggérer un
attentif dépouillement du catalogue Conty, les ama-
teurs de 1777 ne les firent point. Ils préférèrent croire
sur parole les « gens peu instruits et peut-être malin-
tentionnés » dénoncés dans la préface de Rémy.
Une autre cause du désintéressement des amateurs
fut peut-être aussi la rareté de pécune. Les grandes
ventes précédentes, Blondel et Randon, se succédant
presque sans intervalle, avaient terriblement épuisé
les escarcelles. Et sans doute la vente Conty, ren-
voyée au début de 1778, aurait gagné à cette remise.
Quoi qu'il en soit, les riches particuliers restèrent
chez eux et ceux qui, par hasard, vinrent à la vente,
n'y apparurent que de loin en loin, ne firent que quel-
ques achats insignifiants : un tableau par-ci par-là.
Plus assidus furent le chevalier de Launay, le sta-
tuaire Feuillet, le comte de Merle et surtout certain
342 LE PRINCB DB CONTT
abbé Renoire qui semble avoir suivi les vacations
sans en omettre une seule ; d*autres ecclésiastiques
encore : l'abbé Blavet, Tabbé Leblanc, Tabbé Grillon,
Tabbé de Saint-Noms. Mais ce sont de petites bourses.
Notons pour mémoire les noms de M. de Sireuil, du
duc de Caylus, du vicomte de Choiseul, du chevalier
Beaudouin, de M. de Jumilhac, du chevalier de
Wailly, du chevalier de Luxembourg, du comte
d'Ossun, du comte de Neuville, des statuaires Pajou
et Moilte, de l'acteur Âudinot, de M. de Villetaneuse,
de M. Gobotde Bruen, de M. Boulogne de Premain-
ville, du chevalier Lambert, banquier. Mais ce sont
des passants qui ne font qu'entrer dans la salle, sans
s'asseoir.
En revanche, les marchands, qui ont tant clabaudé
pour avilir les prix, n'ont garde de manquer à
la curée. Il en est venu des quatre coins de Paris. Lan-
glier et ses voisins du quai de la Mégisserie, savoir :
Boilleau, qui s'intitule fièrement « peintre de TAca-
demie de Saint-Luc », et les deux brocanteurs Joul-
lain, le père et le fils ; Le Brun, le marchand de
tableaux et dessins de la rue de l'Arbre-Sec ; Paillet et
Mercier, les deux compères de l'hôtel d'Aligre, rue
Saint-Honoré ; Dulac, qui loge aussi rue Saint-
Honoré, mais près de l'Oratoire ; Basan, ancien gra-
veur, le plus gros vendeur d'estampes de Paris, dont
la boutique de l'hôtel Serpente est fréquentée par tous
les collectionneurs de l'Europe, celui que M. de
Choiseul surnommait : le maréchal de Saxe de la
Curiosité; Desmarais, son émule de la place Cambrai ;
Beauvarlet, le a graveur d'histoire » de la rue du
Petit-Bourbon, près Saint-Sulpice ; ToUiers, qui a
quitté son échope de la rue de la Monnaie; Ménageot,
qui a délaissé ses clients de la rue Sainl-Thomas-du-
Louvre ; Donjeux, accouru des Fossés-Montmartre ;
jusqu'à Brisson, le sculpteur ornemaniste de la rue
de Bourgogne... tous sont là, fidèles au poste, prêts à
profiter de la baisse par eux-mêmes provoquée.
Pierre Rémy qui n'a, pour tenir tète à cette coalition
LB PRINCE DB GONTY
343
des appétits, qu'une demi-douzaine de méchantes
commissions données par le Roi et une vingtaine de
M. Beaujon, financier, sera mis dans l'impossibilité
de a soutenir » les enchères et il se résignera à faire,
lui aussi, quelques bonnes opérations personnelles.
Les totaux des adjudications dans chacune des sec*
tions sus-indiquées, furent :
Tableaux
Gouaches et miniatures sous
verre
Peintures chinoises
Dessins sous verre
Dessins en feuilles
Miniatures en feuilles ....
Terres cuites du Quesnoy . . .
Terres cuites et bas-reliefs de di-
vers maîtres
Bas-reliefs de cire
Bas-reliefs de marbre blanc . .
Vases de marbre^ bronze, amé-
thyste
Mosaïques
Bronzes égyptiens et antiques .
Bronzes modernes
Bagues pierres fines et pierres
gravées
Médailles
Bijoux et objets divers . . .
Pendules et montres ....
Clavecins
Total général ....
933.076 liv. 8 80
ia.927 ]
► 19 >
1.079 '
35.491 1
9.639 1
3.689 '
5.65i 1
► 9 »
► i4 >
» 5 >
» 16 >
» 3 >
5.154 1
978 1
3.146 1
► 17 »
» 1 >
» > >
9.835 1
1.960 1
3 . 6o5 ]
► 19 »
» » »
» 3 >
3.696 1
» i5 >
38.630 1
» i5 >
6.683 ]
» 10 »
i4.o54 1
» II >
15.719 1
1.354 1
» 13 >
> 3 >
.091.340
Les prix les plus élevés furent obtenus par les qua-
torze morceaux ou lots suivants, les seuls qui dépassè-
rent 7.000 livres. Nous copions textellement les des-
criptions données par Rémy en ajoutant le prix de
vente, le nom de Tacquéreur et, lorsque nous le
savons, le prix d^achat.
344 LE PRINCE DE CONTT
Pietro Berettini^ dit Pierre de Cortone
N^ ai. La rencontre de Laban et de Jacob : composition de
cinq figpures d'environ 4 pieds 3 pouces de proportion, et de
trois enfants, sar toile, qui porte 6 pieds de haut sur 5 pieds
5 pouces de large.
Ce tableau jouit d'une réputation que personne ne peut
détruire : les connoisseurs conyiendront de son originalité.
Nous le garantissons être celui qui était à Rome, dans le
Palais Barberin, à la place duquel on a substitué une copie,
et nous savons comment ce morceau précieux, dont on ne
peut assez faire l'éloge, est passé en France.
(Acheté So.ooo livres par le prince de Gonty). Adjugé
à Le Brun, marchand : 36.ooi livres.
Gérard Dow
N<> 3a2. Une vieille femme qui tient de la main gauche un
lièvre, qu'une fille d'une jolie figure paroît marchander ;
celle-ci a la main droite appuyée sur un seau de fer-blanc :
derrière elle sont un homme et une femme qui entrent dans
la chambre : Tappui de la fenêtre au travers de laquelle on
voit ces personnages, est chargé d'un paon, de plusieurs
canards, d'un morceau d'éto£Fe de laine, d'un travail admira-
ble ; au-dessous un bas-relief taillé dans la pierre, sur lequel
se détache une cage à poulets, d'où sort la tète d'un coq qui
mange dans une terrine.
Ce tableau est de la touche la plus précieuse et d'un excel-
lent coloris ; il est un chef-d'œuvre et du premier ordre de
ceMattre : hauteur, aa pouces, largeur, 17 pouces 6 lignes ;
il vient de la collection de M. le Duc de Choiseul, n* i4 du
catalogue.
(Acheté 17.300 livres). Adjugé à Langlier, marchand :
ao. 000 livres.
Paul Potier
N*) 370. Le bois de La Haye. Cet endroit parott être un
rendez-vous de chasse ; on y voit une meute de chiens, plu-
sieurs chevaux qu'amènent des palfreniers ; et, dans le fond,
sous les arbres, un carrosse attelé de six chevaux qui parott
être celui du prince d'Orange.
LB PRINCE DB CONTY 345
La répatation de ce tableau est si bien établie qu'il n'est
pas besoin d'en faire l'éloge ; il est peint sur bois : hauteur,
a3 pouces 6 lignes, largeur, 28 pouces ; il vient du cabinet de
M. le Duc de Ghoiseul. n<> 71 .
(Acheté 27.400 livres). Adjugé à Langlier : ig.ooo
livres.
Gaido Reni, dit le Guide et Simon Cantarini
No 64. Une Sainte Famille, peinte par Guido Béni. On 7
voit la Sainte Vierge assise^ vêtue d'une robe de couleur
pourpre et d'un manteau bleu : elle tient sur ses mains l'en-
fant Jésus qui lui tend les bras en la regardant ; S. Joseph
s'appuie sur un arbre et est à leur droite ; au côté opposé un
paquet et une gourde.
Une autre Sainte Famille, par Simon Cantarini ; la Sainte
Vierge est assise au pied d'un arbre à droite dans le coin du
tableau, elle est vue plus que de profil et sa tête de trois
quarts; l'enfant Jésus dort entre ses bras; S. Joseph dort
aussi, sa tête appuyée sur sa main gauche ; ses jambes sont
nues et il est sur une élévation qui est à gauche un peu dans
l'éloignement.
Ces deux tableaux sont connus et estimés du plus précieux
coloris, et du meilleur /aire des deux grands maîtres que
nous annonçons ; ils ont le suffrage unanime de tous les con-
noisseurs. Le premier est peint sur bois, le second sur toile ;
chacun porte i5 pouces de haut sur 21 de large. Le Pezares
les a gravés à l'eau -forte : ils viennent du cabinet de M . La-
live de Jully, introducteur des ambassadeurs; c'est le n® 1 et 2
du catalogue .
(Achetés 5.83o livres). Adjugés à Le Brun : 16.000
livres i sou.
Paal Potier
N« 372. Une prairie d'Hollande bordée par un canal. On
voit sur une espèce d'tle, deux vaches debout et une troisième
couchée ; une femme qui écure son seau, un homme appuyé
contre un arbre et un chien près de lui ; plus loin dans la
prairie, sur des plans différents, des vaches ; dans Téloi-
gnement à perte de vue, à gauche, des arbres et des maisons.
346 LB PBINCE DE CONTT
Ce tableau est d'un bon e£Fet et d'une couleur qui plaît. Il
est peint sur bois; hauteur, i5 pouces 6 lig^nes, largeur,
i3 pouces 6 ligpnes.
Adjugé au duc de Caylus : lo.goo livres.
David Téniers
N^ 298. Les Œuvres de miséricorde.
Ce tableau connu pour être du plus grand mérite, est peint
sur cuivre : hauteur, a5 pouces, largeur, 82 ponces. Il a
appartenu à M. Gaignat et vient en dernier lieu du cabinet de
M. le Duc de Ghoiseul, no 3i du catalogue.
(Acheté 9.530 livres ; il avait été payé y.aBo livres à
la vente Gaignat). Adjugé à Langlier : io.5io livres.
Paal Potier
No 371. Une belle prairie dans laquelle sont trois bœufs
dont un parott se frotter contre un tronc d'arbre ; sur le
deuxième plan, plusieurs moutons; et dans le fond, un
hameau.
Le beau faire et le beau coloris de ce tableau, ce qui n'est
pas ordinaire à ce Maître, le rendent très recommandable :
hauteur, 2 pieds 7 pouces, largeur, 3 pieds 9 pouces, sur
toile. Nous Pavons vu, avec cette satisfaction que les choses
rares inspirent, dans le cabinet de M. le Duc du Ghoiseul, n«>72
du catalogue.
(Acheté 8.001 livres ; il avait été payé par Boilleau
4.91 1 livres à la vente Jullienne). Adjugé à Langlier :
9.530 livres.
Barthelemi'Etienne Murillo
N* 164. Les Noces de Gana, peintes sur une toile de 5 pieds
4 pouces de haut sur 7 pieds 2 pouces de large.
La finesse de la touche, le ton de couleur clair et agréable,
la noblesse des figures donnent à ce tableau un mérite peu
ordinaire : il vient du cabinet de M. de Jullienne, n^ 83 du
catalogue.
(Acheté 6.000 livres). Adjugé à Le Brun : 9.060
livres.
LB PRINCE J)B CONTY 347
Adrien Van der Weerf
N® 4^8. Deux jeunes filles jouant aux osselets sur Tappui
d'une croisée ; la principale g-alamment vêtue, tient la boule
et paroît disputer à Tautre qui a le coude appuyé sur un tapis
de Turquie qui pend au dehors de la fenêtre, et cache la
moitié d'un bas-relief ; entre elles on aperçoit dans la demi-
teinte un petit gfarçon qui les regarde .
Ce précieux tableau peint sur bois, hauteur, 1 1 pouces, lar^
geur, 9 pouces, vient du cabinet de M. le Duc de Ghoiseul,
n^ 8i dii catalogue.
(Acheté 12. i5o livres; il avait été payé 6.000 livres
à la vente Gaignat). Adjugé à Rémy : 8.oo5 livres.
Claude Gelée^ dit le Lorrain
N^ 544- Deux paysages ; Tun représente un matin frais et
agréable : on y voit Junon qui confie à Argus la garde d'Io,
métamorphosée en vache. L'autre un soleil couchant ; sur le
côté, à gauche, on observe des ruines d'un ancien temple,
entouré d'arbres près desquels est Mercure qui endort
Argus au son de la flûte ; plusieurs animaux paissent aux
environs.
Ces tableaux sont précieux par la juste dégradation des
sites, qui est d'une vérité sensible et pour le bon feuille des
arbres : hauteur chacun de 18 pouces, largeur de 27 pouces.
Ils viennent de la collection de M. le Duc de Ghoiseul, n<» 124
et 125.
(Achetés : le n^ 124, 1 2,585 livres; le n^ i25, 6.750
livres). Adjugés à Langlier : 7.900 livres.
Gérard Dow
N* 828. Une jeune fille plus qu'à mi-corps vue de trois
quarts, hachant de l'oignon dans un baquet placé sur une
table. Un jeune garçon lui en montre un qu'il tient dans la
main : sur la même table il y a un tapis, un pot d'étain ren-
versé, des oignons et un couteau. Le fond est une chambre à
cheminée, éclairée par une croisée qu'un rideau couvre en
partie ; on y remarque une cage attachée au plancher, une
poule attachée à la muraille, une lampe de terre, un chande-
lier, un mortier de cuivre.
348 LB PRINCE DB CONTT
Ce tableau est encore d'an mérite sublime par la finesse de
son pinceau et Tintellig'ence de la lumière : il porte la date de
1660 ; hauteur, 7 pouces 3 lignes, largeur, 5 pouces 9 lignes :
il vient du cabinet de M. Gaignat, no 29 du catalogue de sa
vente. M. le Duc de Ghoiseul se l'étoit réservé avec plusieurs
autres morceaux d'un grand mérite qui sont dans cette collec-
tion ; mais malgré son attachement pour ce tableau, il n'a pu
se refuser aux sollicitations de feu Son Altesse qui désiroit
l'avoir. On le trouve gravé dans la suite qui se vend chez le
sieur Basan, graveur, rue et Hôtel Serpente.
(Acheté 5.145 livres à la vente Gaignat). Adjugé à
Mercier, marchand : 7 .Soc livres.
Adrien Van Ostade
N<> 3i3. Un bon tableau peint sur bois : hauteur, i3 pouces
6 lignes, largeur, 10 pouces 6 lignes. Il représente une femme
tenant son enfant, vus à mi-corps ; ils sont dans une boutique
couverte d'un petit auvent ; et au-dessus, des branches de
vignes.
Adjugé à Paillet, marchand : 7.a5i livres.
David léniers
N» 299. Deux tableaux peints sur bois de chacun i4 pouces
de haut sur 23 pouces de large. L*un représente un village
flamand ; on voit sur le devant un jeu de boules et 9 figures,
plus loin un grand chemin qui conduit au village, et des pas-
sants dans la campagne. L'autre a sur le devant un canal au
bord duquel sont plusieurs figures qui mettent du poisson
dans un baquet, pendant que d*autres tirent un filet; de
l'autre côté on remarque une femme et plusieurs bestiaux sur
une éminence ; la ville d'Anvers est dans le lointain.
Ces deux morceaux sont clairs, argentins et de la touche la
plus spirituelle de David Téniers : ils viennent de la collec-
tion de M. le Duc de Ghoiseul, n<» 37 et 38.
(Achetés ensemble 5.6oo livres). Adjugés à Lan-
glier : 7.200 livres.
LB PRINCE DB CONTT 349
Adrien Van Ostade
fi^ 3o8. L'intérieur d'une maison de paysans ; quatre hom-
mes sont sur le devant dont un tient son chapeau à la main,
et a le dos tourné à la cheminée ; près de lui un enfant mange
sa soupe sur une chaise, un chien le regarde ; dans le fond,
deux autres hommes jouent au trictrac, un troisième regarde.
Ce tableau, daté de 1668,. est d'un effet de lumière très agréa-
ble ; son mérite est sublime ; il est peint sur bois : hauteur,
i3 pouces, largeur, 11 pouces 6 lignes.
Adjugé à Dubois, marchand : 7.001 livres i sou.
Nous ne saurions pousser plus loin cette énuméra-
tion. Les principaux prix de la vente Gonty ont été
reproduits par M. Charles Blanc dans son Trésor de la
curiosité., auxquels peuvent se reporter nos lecteurs.
Bornons-nous à constater que trois autres lots seule-
ment dépassèrent 6.000 livres ; treize atteignirent de
5.000 à 6.000 livres ; onze de 4*ooo à 5.ooo livres;
vingt-quatre de 3. 000 à 4-ooo livres ; trente-huit de
2.000 à 3.000 livres. Tout le reste se traîna entre 5oo
et i.5oo livres en moyenne. Les beaux tableaux qui se
vendirent le plus mal furent les numéros :
i6a. Le Bon Pasteur et ses brebis, de Jlfu-
rillo, adjugé à Rémy pour . . . i .4oi livres.
a4o. Une élévation de croix, de Rubens^
qui avait appartenu au peintre
Rigaud, et que le comte de La Mar-
che retira de la vente sur l'enchère
ridicule de 3. 810 >
a84- Moïse sauvé des eaux, de Rembrandt^
adjugé à Langlier i.4oo >
a85. Le Samaritain, du même, adjugé à
Langlier i.iSo >
3oo. Des maisons de paysans, de David
Téniers^ adjugé à M. Detouche, du
Trésor royal 901 >
474. Un marchand d'orviétan, de Paul
Ferg^ adjugé à Quesnel, mar-
chand I . aoo >
350 LB PRINCB DE CONTT
532 . Deux BacchaDtes assises et trois Saty-
res, de Nicolas Poussin, &cljug-é à
M. Feuillet, statuaire i.65o
552. Un repas de famille, de Le Nain^
adjugé à Le BruD i.oio
6o6. Le mariage de Sainte Catherine, de
Louis de Boulogne, adjugé à Rémy
(pour le Roi) 525
636. Le Sacrifice d'Iphigénie, de Jean
/oue^^ne^, adjugé à Langlier . . i.35o
637. L'adoration des Rois, du môme,
adjugea Basan i.2i3
Nous n'en finirions pas s'il nous fallait enregistrer
tous les prix déplorables que l'astuce des marchands,
aidée par l'apathie des amateurs, parvint à maintenir
d'un bout à Tautre de la vente.
On a vu revenir plusieurs fois le nom de Langlier
parmi les acquéreurs déjà cités. Nous avons eu la
curiosité d'établir un bordereau total de ce brocan-
teur. Il acheta à lui seul i63 lots de tableaux, 84 de
dessins et 35 de statues et bronzes, soit 282 lots, pour
la somme de 238. 112 livres 19 sous. Le bordereau de
Le Brun, qui s'était fait adjuger les plus beaux mor-
ceaux, montait à 121.970 livres iSsous; celui de Rémy
à5i.54o livres 19 sous. A eux trois, ils avaient raflé
plus du tiers de la totalité des objets mis en vente.
Derrière eux, les achats les plus nombreux, sinon les
plus importants, étaient aux noms, de Boilleau, Pail-
let, Ménageot, Desmarais, Basan, Donjeux, tous mar-
chands.
Si, maintenant, nous voulons tenter d'estimer, par
approximation, la perte subie à la vente Conty, c'est-
à-dire Técart moyen entre le prix d'achat et le prix de
vente, consultons cette note produite par un des four-
nisseurs du Prince, le maître peintre Boilleau, à l'ap-
pui de l'opposition formée par lui au lendemain du
décès de Louis-François (i). Boilleau n'avait pas été
(i) BiBuoTHÈQUE NATIONALE i Manuscnts frunçais. Noavelles
LB PRINGB DB CONTT 351
payé depuis quatre ans et il libellait ainsi son
mémoire.
Etat des affaires faites avec Mgr le prince de Conty
depuis IJJ2
livres
Bacchus et Arianne ( P. Véronèze) i . 200
Sixte-Quint enfant avec un g^os chien (Titien) . . i .200
Femme endormie avec l'Amour (tableau italien) . 600
Loth et ses filles (Trevisani) i . 200
Deux petits tableaux (Carie de Moor) 1.600
Deux tableaux d'animaux (Rooz) 1.600
Un petit tableau faisant pendant avec la Sainte
Cécile de Poussin (par Cig'uani) 600
Le VŒU de la mère de Louis XIII (par Philippe
de Champagne) 600
Le portrait en pied d'Henriette d'Angleterre (par
Mignard) 600
Paysans à table (par Le Nain) 2.400
Un Christ mort (Rolhmeyer) fourny pour les Ora-
toriens de Montmorency . i . 200
Tableau d'animaux (Del Campi d'Oglio) fourny
pour la salle à manger, dessus de porte ... 1 . 000
Deux coqs en colère (Weninx) 800
Un grand paysage (Vieux Meer) i . 000
Les Pellerins d'Ëmmaûs (Jacques Bassan) . . . i .200
L'annonce aux bergers (J. Bassan) 800
Deux tableaux, paysages et figures (Théodore). . 800
Un tableau de fruits (Baptiste) 200
Les ravages du Tems (Geminiani) 1.200
Le sacrifice d'Abraham, esquisse (Rombourg) . . i44
Deux terres cuites (Jean Goujon) 3oo
Deux paysages, pendants (A. Watteau) .... 1.600
La charité (Blanchard) 4oo
L'assomption de la Vierge M. (Corneille) . . . 600
Paysage (Paul Brill) 1.600
Petit concert (Le Nain). . 200
Bataille (Michel-Ange des Batailles) i . 200
acquisitions (Recueil de documents relatifs à la vente après décès
du prince de Conty); 5oiîi, ff. i3-i4.
352 LB PRINCB DB CONTT
Saint Jean dans le désert (Salvator Rosa) . . . i .5oo
Lucrèce (Sébastien Ricci) i . ooo
Sainte Agnès visitée par un ang'e (Lesueur) ... a . ooo
Huit tableaux français, sujets de la Fable . . . i .000
Deux batailles (du Bourguignon) a.4oo
Petite vierge sur cuivre (J. Redon) 36o
Paysage en long (Asselin) i.ooo
Tète de Saint Jean (Murillo) a. 000
Paysage italien (Francis Bolognèze) 3oo
Petit tiéibleau (par Brebiett) i5o
Petite Sainte Famille (Loir) 120
Nous avons reconnu la plupart de ces tableaux au
catalogue de la vente Conty, certains sous des titres
différents mais pourtant aisément identifiables. Quel-
ques-uns manquent à l'appel, soit que le Prince en
eût fait don, comme du Christ mort qu'il offrit aux
oratoriens de Montmorency, soit pour toute autre
raison qui nous échappe.
Nous allons, en sautant les manquants, reprendre,
dans le même ordre, la liste de Boiîleau et comparer
les prix de vente aux prix d'achat en indiquant les
numéros du catalogue ainsi que les divergences de
Rémy dans les titres ou les attributions :
Prix l»rix
de vente d*achat
N»« Liyres Livres
ao8. Bacchus, Ariane et un Amour, de
Véronèse (Rémy dit : c tableau attribué
k Alexandre Véronèse *) 101 i.ioo
98. Sixte-Quint enfant, du 7*iVi>n . . 170 i.aoo
44^. Deux petits tableaux de Carie de
Moor 600 1.600
395. Deux tableaux d'animaux, A' Henri
Roos aSo 1 . 600
176. Un petit tableau, de Cignani. Il est
vendu avec un autre du même maître
a.ao3 livres, soit moitié de ce prix, ci. i . 100 600
836. Le vœu de la mère de Louis XIII,
LB PRINCE DE CONTY 353
de Philippe de Champagne (Rémy dit :
a peint fSLT Champagne, le neveu 3. . 240 600
616. Le portrait en pied d'Henriette
d'Angleterre, de Mignard (Rémy dit :
c Un portrait de femme coefFée en che-
veux et ornée d'une guirlande de fleurs ;
elle tient un miroir ») 168 600
554. Paysans à table, de jL^ TVam . . . 1.800 a.4oo
853 . Les pèlerins d'Emmaûs, de Jacques
Bassan 270 1.200
177. L'annonce aux Bergers, de Jacques
Bassan (Rémy dit : « dans le goût du
Bassan ») 240 800
i83. Deux tableaux, paysage et figures,
de Théodore (Rémy dit : t Deux cara-
vanes, par Théodore ou par un de ses
disciples ») 39 800
634. Un tableau de fruits, de Baptiste
(sans doute Baptiste Monoyer) vendu
avec un autre du même maître pour 4i
livres, soit moitié, ci 20 200
62. Les ravages du Temps, de Gémi-
niani 2i4 1.200
669 . Deux paysages, pendants, de A . Wat-
teau 5oo i . 600
562. La charité, de ^/ancAare/. ... 64 4oo
661 . L'assomption de la Vierge Marie, de
B, Corneille (Rémy dit : « La Résurec-
tion de Notre Seigneur; la Vierge et
des anges sont proche du tombeau >). 182 600
226 . Paysage, de Paul Bril 600 1 . 600
2073. Petit concert, de Le Nain (Rémy
dit : c tableau qui nous paroît être d'un
des Nain ») 100 200
186 . Bataille, de Michel-Ange Cerquozzi
dit : des Batailles (Rémy : « Un com-
bat de cavalerie ») 601 1.200
119. hxxcvëce^ Ae Sébastien Ricci ... 120 i.ooo
618. Sainte Agnès visité par un ange, de
Lesueur (Rémy dit : c La Vierge à
genoux regardant un ange qui lui appa-
roît ») 1 . 000 2 . 000
56o. Deux batailles, du Aour^tti^/ion. . 800 2.400
i3
3M LE PRINCE DE GO^TY
484- Paysage en long, d'Asjtf/f/i . . .
i65. Tète de Saint Jean, de Murillo . .
83. Paysag^e italien, du ^o/o^ne^e . .
1.410
I.OOO
620
2.000
160
3oo
11.401 a8.3oo
Au totale vingtH^inq tableaux payés a8.3oo livres
sont vendus 11.401 ; soit soixante pour cent de perte,
sans compter les frais de la vente.
La même moyenne d'écart entre le prix d'achat et le
prix de vente nous est donnée, en à peu près, par un
billet deBasan, écrivant au Prince :
ai féorier 1774* — J'envoie à Monseigneur le prince de
Conty les deux tableaux en question de Jouvenet et Restout.
Il a dû recevoir le petit Wynant de la vente du sieur Paillet,
tout ensemble, y compris les dessins que je lui ai fournis et
ceux adjugés pour luy à M. Boilleau à la dernière vente, la
somme de 8.3oo livres
et le tout suivant le désir du Prince, mais non avec beaucoup
de bénéfice pour moy.
J'envoie en même temps un portefeuille de 44 feuilles de
di£Férens bons dessins. Si dans le nombre il y en a qui plaisent
au Prince, il les mettra à part et ensuite je lui en enverrai la
note au plus juste.
Son très humble et obéissant serviteur, Basan (i) .
Ici, le marchand ne donne malheureusement pas les
titres des tableaux dont il parle, ni les prix détaillés.
Nous apprenons seulement qu'y compris un certain
nombre de dessins fournis par le signataire et ceux
adjugés à Boilleau dans une vente récente, la note se
monte à 8.3oo livres. Estimons largement les deux
lots de dessins à 3.3oo livres; il reste 5. 000 livres pour
les tableaux. A la vente Conty, les trois Jouvenet
portés au catalogue font 3.ii3 livres, soit en moyenne
1.037 libres chacun ; les trois Restout que possédait
(i) BuuoTHàQUE Nationale: Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions ; 5oi3, fol. 2.
LB PRINCB DB CONTY 355
le Prince n'atteignent que 1.271 livres, soit 4^4 livres
pièce ; enfin, sur cinq tableaux de Wynant, les quatre
€ petits » se vendent 2.014 livres, soit environ 5o3 livres
l'un. Au total 2.000 livres environ. A les supposer
payés 5.000, on voit que c'est toujours la même diffé-
rence de soixante pour cent déjà constatée.
Si nous appliquons ces moyennes partielles à
l'ensemble de la vente, nous pouvons conclure que les
collections du prince de Conty, vendues 1.091.345
livres lui en avaient coûté 2.726.000 approximative-
ment (i).
Le recueil manuscrit des documents relatifs à la
vente après décès du prince de Conty, conservé à
la Bibliothèque nationale, et auquel nous avons em-
prunté les mémoires de fioilleau et de Basan, contient
encore quantité de petites notes ayant leur intérêt.
Il nous révèle par exemple qu'un certain nombre de
tableaux figurant au catalogue n'appartenaient pas
au Prince. Tels les numéros 2064 (un paysage de
Paul Bril) et 2o65 (un paysage de F. Millet et un autre
de Fouquière), vendus respectivement 5oo livres i sou
et 72 livres. Ces trois tableaux appartenaient à
]^me d'Aligre, la première présidente. Nous en trou-
vons la décharge, datée du 10 avril 1778, signée Baul-
dry et d'Aligre (2).
II nous apprend que Beaumarchais confiait au
Prince, pour les estimer, des tableaux et des minia-
tures. A la mort de Conty, il y en avait onze dans son
cabinet et quatre dans sa chambre à coucher, que
(i) Divers paiements effectués et les frais de vente soldés, les
sieurs Dufraocastel et Grossy, huissiers -primeurs chargés de la
vente Conty, versaient en 1779 à la succession du Prince i54*75a
livres 17 sous à valoir. Le trésorier Manscourt, en inscrivant
cette rentrée au chapitre 16 de la Recette, note naïvement : « On
ignore ce qui reste à recouvrer sur le produit de la vente du
mobilier de la succession » .
(2) BiBLioTHÀQUB NATIONALE: Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions ; 5oi3, fol. 190.
356 LE PRINCE DE CONTY
Tauteurda Barbier de Séville réclama et qui lui furent
rendus. Le manuscrit porte le récépissé autographe de
Beaumarchais (i).
Il nous renseigne sur la manière d'acheter du Prince
qui, de même que pour les terres, aimait à payer les
tableaux à tempérament, en rentes. Un certain Car-
bon écrit ce billet le i3 mai 1776 : « M. Dutens m'a
offert de la part de Votre Altesse Sérénissime, 1.600
livres de rente viagère pour un tableau italien qu'Elle
a choisi dans mon recueil... » Carbon voudrait que le
prince de Conty prît aussi tous les autres, parce que
le choix fait « enlève la meilleure toile du lot » (a).
Il nous fait connaître que les réparateurs et restau-
rateurs ordinaires des tableaux du Prince étaient les
sieurs Levieux et Picault (3).
Mais la révélation la plus importante du manuscrit
est celle d'une seconde vente Conty, dont ne parlent
ni les Mémoires secrets ni la Correspondance de Grimm.
Cette vente eut lieu le i5 mars 1779, à THôtel d'Aligre,
et fut dirigée par l'expert Boilleau, qui en rédigea le
catalogue, dont voici le titre :
Catalogae d'une collection précieuse de tableaux et de des-
sins des meilleurs maîtres des trois Ecoles. . . dont la vente se
fera dans la grande salle de THdtel d'Aligre, rue Saint-
Honoré, le lundi i5 mars et jours suivants . Par M. F.-J. Boil-
leau, peintre de LL. AA. SS. Nosseigneurs les duc d'Orléans
et prince de Conty. Se distribue à Paris, chez M* du Fran-
castel^ rue du Battoir, et M, Boilleau, quai de la Mégisse-
rie, 1779.
Sur l'exemplaire de la Bibliothèque nationale (8<>
V, 35395), on lit cette annotation manuscrite : c Cette
vente provient d'un engorgement de marchands qui
s'étoient trop chargés à la première du Prince et qui
ont rendu les objets annoncés dans celle-ci ». Au bas
(i) BuiuoTHÈQUE Nationalk : Manuscrits français, Nouvelles
acquisitions ; 5oi3, fol. 18.
{2) Ibidem, fol. 16.
{d^) Ibidem, fol. 4i et 53.
LE PRINCE DE GONTT 357
de la page» un renvoi donne les noms de ces mar-
chands « engorgés » ; ce sont Langlier et Le Brun. Les
prix et les acquéreurs sont inscrits en marge ; le total
des adjudications s'élève à 127.133 livres 16 sous. Du
moins le total brut, résultat de l'addition, car ce der-
nier chiffre ne concorde pas avec « l'état » manuscrit
fourni par Boilleau à la succession du Prince, et que
voici :
Bre^ état de la vente
La vente se monte à 107.580 1. 18 s.
Adjudications à déduire dont
S. A. S. se charge:
Boilleau . . . 2.495 1.5 s.) s 6a5 1 ^r
Paillet . . . 1.200 1. ] ^'^^^' ^s-
A déduire les objets n'apparte-
nant pas au Prince :
A M™^ la vicomtesse de '\
Castellane .... 386 r ^. .
A. M. Achet .... 206 (
AM°>o Delussault. • . 60 )
Reste. • . . io3.233 1. i3 s.
En déduisant les paiements et
frais de vente qui se montent à. 100 . 726 1. 4 s. 3 d.
Le recette excède la dépense de . 2.507 1. 8 s. g d. (i)
(i) Bibliothèque Nationale : Manuscrits français. Nouvelles
acquisitions, 5oi3^ f. 2o3.
Cet état ne fut approuvé et paraphé par le nouveau prince de
Conty que le 18 décembre 1787.
Dans l'intervalle, pour payer les dettes de son père, il avait
dû se défaire de la presque totalité de son héritage.
En 1777, il vendit au Roi Thôtel de Conty, situé place d*Annes,
à Versailles, moyennant 166.000 livres ; le château de Madrid, à
M. de Maurepas et le château dlssy, au président de Bresigny.
En 1778, il vendit sa propre terre du Plessis-Belleville, près de
Dammartin pour i .400.000 livres.
En 1779, il vendit le château du Leyris, à Anvers, à M. Denin
de Belhouzie, pour 27.000 livres.
Enfin en 1783, le 7 octobre, il vendit à Monsieur, frère du Roi,
qui les revendit le même jour à Louis XVI, et moyennant la
somme de 1 1 .000.000 livres, tous les domaines ci-après :
La baronie et châtellenie de l'Isle-Adam : la terre et châtellenie
358 LE PKINGB OB CONTY
Tandis que se dispersaient aux enchères les belles
collections que le feu Prince avait recueillies avec tant
de ferveur, on préparait à L'Isle-Âdam la chapelle
funéraire, sa dernière demeure. L'architecte Morel et
le maître maçon Talbot activaient leurs ouvriers et le
nouveau prince de Gonty commandait aux statuaires
Mérard et Moitte le tombeau qui devait perpétuer la
mémoire de son père (i). Les travaux exigeant plu-
de Méru ; le marquisat de Mouy; la terre et chfttelleoie de Trie;
les terres de Nog^ent, Valmoodois, Valangoujard, Pannain,
Jouy-le-Gomte, Fonteoelle, Boulonville, Stors, Vîlliers-Adam,
Champagne, Nointelle, Presie, Courcelle, Nerville, Baillet,
Moure, Auvers, Bury, Vaux, Montoglan, Ansac, les Bonshom-
mes ; le comté de Beaumont-sur-Oise ; le comté de Glermont-en-
Vexin ; les terres du Chambly, du Mesnil-Sainie-Honorine,
d'Augy; les seigneuries de Pontoise, Mantes et Meulan ; le comté
de Pézénas, en Languedoc, de Bagnols, de Ports, de Coursan, de
Cuaac, Ouveilhan ; la terre de Pierre-Latte, en Dauphiné ; la
terre d'Argilly ; la prévôté de Nuits, en Bourgogne ; la terre et
seigneurie de Gonneville, en Normandie.
Par cette vente, le prince se réservait pourtant, sa vie durant,
l'usufruit et jouissance de la seigneurie de Llsle-Adam, du chft-
teau, de ses dépendances, et de toutes les chasses (André : Chro-
nologie historique des différents propriétaires de VIsle-Adam et
Registre des comptes de Manscourt, passim).
(i) Les historiens de L'Isle-Ada m disent Mérard seul. Mais nous
croyons bien que le sujet allégorique seulement fut de Mérard et
que le médaillon de marbre, portrait de Gonty, fut exécuté par
Moitte. Nous lisons en e£Pet dans le compte des sommes payées
par André, architecte en chef des princes de Gonty, ce détail
pour les années 1777- 1779 :
« M. Moitte, sculpteur-figuriste
célèbre 1.200 livres
« M. Mérard, sculpteur-figuriste. /4.343 —
a MM. Lemaire et Bastier, sculp-
teurs en ornements. . . . 21.344 *^ >
D'autre part, on peut vérifier que le buste de Gonty, par
Mérard, qui figure au Musée de Versailles est beaucoup moins
ressemblant que le médaillon conservé dans l'église de L'isle-
Adam. Il est possible que, pour cette raison, le portrait primi-
tivement confié à Mérard et qui devait être un buste, ait été
refusé et remplacé par un médaillon de Moitte.
Enfin le Registre des comptes de Manscourt (chapitre ig de la
LE PRINCE DE CONTY 359
sieurs mois, il fut décidé qu'on remettrait au jour
anniversaire de la mort du Prince la cérémonie de
l'inauguration et la translation de ses cendres dans le
caveau définitif.
La chapelle était à la hauteur du transept nord de
l'église. On y montait par trois marches. L'autel, à
droite, en marbre Sainle-Anne de Belgique, fut sur*
monté d'un tableau attribué à Alonzo Cano et repré-
sentant la descente du Christ au tombeau.
En contrebas de la croisée perpendiculaire à l'autel,
on posa une tablette de marbre noir sur laquelle on
grava en lettres d'or trois distiques latins :
Hoc ducefalmineis Gallorum assaltibus Alpes
Subsedere ; manus Flandria vicia dédit.
Pacijicâ nec laude minor se ostendit in umbrâ
Dampatriam ardenti semper amore fouet.
Affusœ tumuloy lacrymis manantibuSy Artes
Prœreptum columen prœsidiumque gemunt{i).
Face à l'autel, à gauche, se dressait le monument
funèbre. Une pyramide de marbre bleu turquoise
adossée au mur revêtu de marbre blanc, et vue de pro-
fil pour éviter trop de saillie, dominait un haut socle
Dépense), en énumérant les di£Férenfes sommes versées pour
la chapelle — sommes dont le total se monte à 6i .56 1 livres 8 sou
— désigne ainsi Mérard : « Mérard, sculpteur et décorateur de
l'autel ».
(i) Voici la traduction librement rimée que donne de ces dis-
tiques Tabbé Grimot dans son Histoire de Vlale-Adam :
Quand, pareil à Téclair, ce prince magnanime
Franchit les monts Alpins, il en courba la ctme
Sous ses pas triomphants; après mille revers
La Flandre aussi gémit sous le poids de ses fers.
Mais si, dans les combats, sans cesse, la Victoire
Lui sourit, le repos ne l'endort pas sans gloire :
L'amour de la Patrie et le culte des Arts,
Sous son nom protecteur régnent de toutes parts :
Aussi les Arts, avec la France désolée,
Arrosent de leurs pleurs, hélas 1 son mausolée.
360 LB PaiNCB DE C05TT
de forme ovale, en marbre SaiQte-Anne de Bel^qae.
Sur ce socle, oq génie en bronze éteignait de sa main
droite la torche de la vie ; sa gauche s'appnjait sur un
médaillon de marbre de Carrare, portrait da prince
défunt. Le tout garni d'ornements en bronze ciselé.
Sur la pyramide on inscrivit :
Hominenij Ciuem, Principem logent omnes :
Patrem luget Fîlius addictissimus.
Sur le socle, dans un cartouche de marbre blanc :
Hoc pietatîs monumentum Patri Filius
ponendum curavit. Anno MDCCLXXVIL
Enfin, sur la plaque de marbre qui, au milieu de
la chapelle, recouvrait le caveau destiné à recevoir les
restes du Prince :
Hic j'acet
LudovicuS'Franciscus de Bourbon princepx de Conty
magnus Franciœ prior ;
natus Parisiis XHI augmti MDCCXVH
obiit Haugusti MDCCLXXVI.
Le vendredi i^*" août 1777, le curé de L'Isle-Adam,
entouré de tout son clergé et de plusieurs prêtres des
environs, procéda à la bénédiction de la nouvelle cha-
pelle. Le fait fut ainsi consigné sur les registres de la
paroisse :
L'an mil sept cent soixante et dix-sept et le vendredi pre-
mier jour du mois d*août, en conséquence de la permission à
nous accordée par Monseigneur Tévéque comte de Beauvais, en
datte du vingt-six juillet de la présente année, signé François-
Joseph comte (le Beauvais, contresigné Jullyprov., a été faite
par nous, curé, soussigné, la bénédiction de la chapelle nou-
vellement construite pour servir de sépulture à Son Altesse
LE PRINCB DE CONTY 361
Sérénissîme Louis-François de Bourbon, prince de Conty, et
ce sous le vocable de Saint François d'Assise, d'après toutes
les prières et cérémonies portées au rituel du diocèse. En foi
de quoi a été dressé le présent procès-verbal, dont copie doit
être déposée au secrétariat de révéché de Bea avais. La dite
bénédiction a été faite en présence de tous les prêtres et ecclé-
siastiques de la communauté de TIsle-Adam et d'un grand
nombre de paroissiens, dont quelques-uns ont signé avec nous
et surtout les marguilliers.
Signé : Hermand, curé; Guillet, vicaire; Chevron^ prêtre;
Bonnard, prêtre ; Lécujer, margaillier ; Jonquet^ Godde,
Louis Le Brun, Cœuret, Brissat (i).
Le lendemain, 2 août, en présence du nouveau
prince de Conty, de son capitaine général des chasses^
M. de Mandreville, et de toute la maison du Prince,
la translation des cendres eut lieu et le caveau scellé
à jamais sur ce qui avait été Louis- François de Bour-
bon :
L'an mil sept cent soixante et dix-sept et le samedi
deuxième jour du mois d'août, le corps du Très haut, Très
puissant et excellent prince Louis-François de Bourbon,
prince de Conty, grand prieur de France et gouverneur du
Haut et Bas Poitou, généralissime des troupes du Roi, déposé
dans le chœur de cette église le mercredi septiesme jour du
mois d'août de la dernière année mil sept cent soixante et
seize comme il est porté à l'acte des registre desdits jour et
an, a été transporté dans le caveau de la chapelle nouvelle-
ment construite et bénie par permission de Monseigneur l'Ëvê-
que comte de Beauvais, sous le vocable de Saint François
(i et 2) Mairie de l'Islb-Adah: Registre de l'état civil, aux
dates. — Il est probable que la maquette seale du monument de
Mérard figura à la cérémonie d'inauguration et qu'elle revint
ensuite à Paris dans Tatelier du statuaire. On lit, en effet, dans
les Mémoires secrets, à la date du 22 décembre 1777, c'est-à-dire
près de cinq mois plus tard : « C'est le sieur Mérard, sculpteur,
qui est chargé d'un mausolée en marbre, pour être placé dans la
chapelle de la paroisse de L*Isle-Adam, où est enterré le prince
de Conty. On va voir chez lui le modèle » {Mémoires secrets,
tome X, p. 344)-
362 LE PHINCB DE CONTY
d'Assise, pour servir de sépulture à feu Son Altesse Sérénis-
sime. Présent, Très haut. Très puissant et excellent prince
Louis-François-Joseph de Bourbon, prince de Conty, fils du
feu prince, présens toute la maison de mes dits seigneurs père
et fils, et encore un grand nombre de Messieurs les curés et
ecclésiastiques du voisinage, les prêtres et ecclésiastiques de
la communauté deL'Isle-Adam, dont plusieurs ont signé avec
nous.
Signé : L.-F.-J. de Bourbon ; de Mandreville ; Bonnard,
prêtre; Fr. Antonin, capucin, prêtre desseroiuit de Jouy-le-
Co/n/^; Chevron, prêtre ; Théodore, curé de Villiers^Adam ;
Jonquet, Godde, Brissat ; Guillet, vicaire ; Hermand, curé (i).
Une messe annuelle de 3oo livres fut instituée en
mémoire du défunt (a).
Nous avons voulu vérifier ce qui restait de la cha-
pelle funéraire où repose toujours le prince de Contj.
L'aspect du monument primitif est considérablement
modifié. Les marbres sont toujours là. Mais, sous la
Révolution, alors qu'on cherchait partout du bronze
pour foudroyer l'ennemi, les iconoclastes n'hésitèrent
pas à arracher de son socle le génie de Mérard, ainsi
que tous les ornements ciselés. Le médaillon du Prince
disparut également et les inscriptions furent grattées
par des citoyens zélés qui n*entendaient rien à ce latin
et se figuraient y voir un outrage aux Droits de
l'Homme.
Sous le premier Empire, en 1811, on a garni le
socle vide d*une statue en plâtre de Moitte, représen-
tant une femme dans l'attitude de la douleur. Ce plâ-
tre, patiné par la poussière et qui, dans la pénombre
de la chapelle, joue assez bien le marbre, est la
maquette même de la statue agenouillée, en la basi-
lique de Saint-Denis, au pied du mausolée de
Louis XVL
(i) Mâirib db L'Islb-Adam : Registre de r Etat-civil, à la date.
(2) Registre des comptes de Manscourt, chapitre 16 de la
Dépense.
LK PRINCE DE GONTT 363
Sous le second Empire, le très beau médaillon
à Teffigie du prince de Conty fut retrouvé par le
maire de Llsle-Adam, M. Dambry, et rendu par lui.
Mais il ne s'accordait plus avec l'ensemble du monu-
ment dont il avait fait partie ; le magistrat municipal
le fit sceller dans la plaque de marbre noir placée en
contrebas de la croisée et flanquer de deux longues
urnes funéraires en marbre blanc.
L'inscription de la pyramide et celle du socle ont
été burinées à nouveau et dorées lors de la restaura-
tion de Téglise, il y a une cinquantaine d'années.
Mais la dalle du caveau, que cache à moitié un
méchant tapis, n'a pas été reprise. En sorte que
Tétranger qui, sans guide, visite aujourd'hui l'église
de L'Isle-Adam, peut se demander quel est ce père à qui
« le plus dévoué des fils » a érigé un monument. La
grille en fer forgé qui ferme la chapelle, grille de style
moderne avec des bordures à la grecque, ne suffira
pas à le renseigner, malgré les deux G entrelacés qui
en décorent les panneaux...
FIN
Iconographie
de Louis- François de Bourbon-Conty
On lit dans les Mémoires secrets jk la date du 27 juil-
let 1777 :
Feu M. le Prince de Conty, quoique bel homme et dig'ne à
tous égards que sa ressemblance fût conservée, n'a voit jamais
voulu être tiré de son vivant. On le voit cependant à L'Isle-
Adam, dans un déjeuné historié, figurant entre les princes,
princesses et illustres convives, mais représenté par le dos
seulement.
Un chevalier de Lorge, déjà connu par un portrait de la
Reine, a entrepris dépeindre ce Prince dans son lit de parade,
le dernier instant où il ait été possible de saisir sa figure. En
ayant eu l'agrément du comte de La Marche, il l'a esquissé
dans le tems. Il est occupé actuellement à terminer ce tableau
historique. Quelques connoisseurs qui l'ont vu en disent
déjà beaucoup de bien.
On verra plus loin la description du portrait in
extremis ou plutôt de Tallégorie funèbre composée
par le chevalier de Lorge. Constatons pour le moment
que les rédacteurs des Mémoires secrets sont mal ren-
seignés quand ils affirment que le prince de Gonty ne
se fit jamais peindre. Il existe au Musée de Versailles
366 LE PHINGE DB CONTY
une petite collection de peintures, exécutées du vivant
du Prince et « conservant sa ressemblance »• D'autres
ne furent terminées qu'après sa mort, mais elles avaient
été commandées par lui ; tels les tableaux de genre
de Michel-Barthélémy Ollivier. Un statuaire au moins
et non des moindres, Houdon, avait aussi «c tiré »
Conty d'après nature. Enfin plusieurs estampes attes>
tent que, dès la jeunesse du Prince, les graveurs
avaient songé à transmettre son effigie à la postérité.
Nous devons reconnaître que les portraits />o«^ mortem
sont aussi nombreux que les autres.
En voici la liste générale, aussi complète qu'il nous
a été possible de la dresser :
Pbinturb
Conty (Louis-François de Bourbon y prince de). Ecole de
Hyacinthe Rigaud. Hauteur i m. 89, largeur 1 m. 53.
Le Prince est représenté dans sa jeunesse, en pied, portant
une armure, le cordon de l'ordre du Saint-Esprit et une
écharpe blanche. Il appuie sa main droite sur un bâton de
commandement posé sur un tertre où se trouve son casque.
Au fond, un combat de cavalerie {Musée de Versailles^
2« étage, salle 166, no 4937).
Le Même. Ecole française. Tableau de forme ovale: H.
o m. 53. L. o m. 53 {Musée de Versailles^ a* étage, galerie
162, no 3961).
Le Mêmey par P. Franque. H. o m. 71. L. o m. 53 {Musée
de Versailles, rez-de-chaussée, salles des guerriers célèbres,
no 1200).
Le Mémey par W^ Glotilde Gérard. H. o m. 71. L. o m. 56
Musée de Versailles, a« étage, galerie 161, no 382o).
Féie donnée par le prince de Conty au prince hérédi"
taire de Brunswick-Lunebourg, à L'Isle-Adam ; 1766. Par
Michel-Barthélémy Ollivier. H. o m. 96. L. i m. a8.
Une longue table est dressée sous une grande tente dans
une clairière. Le prince de Conty, en habit jaune et portant
la plaque de l'ordre du Saint-Esprit, offre un plat à une
dame, à la droite de laquelle est le prince de Brunswick, en
habit noir. A droite, des dames debout et assises à terre; un
LE PRINGB DE GONTY 367
personnage portant la livrée da prince aide deux d'entre elles
à se relever. A gauche, des chasseurs et des valets. Dans le
fond, le bois de Gassan (i).
Ce tableau fut exposé au salon de 1777 sous ce titre : Fête
donnée par /eu Ai. le Prince de Conty au prince hérédi-
taire de Brunswick'Lunebourgy sous la tente^ dans le bois
de Cassan, à Vlsle-Adam. — 11 était destiné à décorer le
salon de L'Isle-Adam . Il est présentement au Musée de
Versailles, 2^ étage, galerie 161, no 3822.
Le cerf pris dans teau devant le château deVIsle-Adam ;
ij66. Par B.-M. Ollivier. H. o m. 96. L. 1 m. 29.
Au fond, le château, dont le balcon est couvert de specta-
teurs, au nombre desquels on reconnaît le prince de Gontj
portant un habit jaune et le cordon de l'ordre du Saint-Esprit.
A gauche, le cerf poursuivi dans Teau par les chiens et se
dirigeant vers un petit pont. A droite, des chasseurs à che-
val et à pied, des valets et des spectateurs ; dans le fond, la
terrasse et le parc du château.
Ce tableau, également exposé au salon de 1777, était des-
tiné à décorer le salon de Llsle-Adam {Musée de Versailles^
a<» étage, galerie 161^ n^ 3823).
Le thé à r anglaise dans le Salon des quatre glaces, au
Temple, avec toute la cour du prince de Conty, ij66. Par
B.-M. Ollivier. H. o m. 53. L. m. 68.
Un salon orné de grandes glaces et de dessus de portes
représentant des portraits de femmes. Mozart, enfant, joue
du clavecin et Jelyotte chante pour les invités de Conty (Voir
plus haut, pages 117 à 129, la description détaillée de la
cour du Prince). Dans l'angle de gauche sont posés un vio-
loncelle et des cahiers de musique. On lit sur un papier ce
quatrain :
De la douce et vive galté
Chacun icy donne Texemple ;
On dresse des autels au tné,
U méritoit d'avoir un Temple.
Ce tableau fut exposé au salon de 1777, sous le titre ci-
dessus reproduit. Une répétition se trouvait au palais de
Neuilly avant 1848. L'original figure au Musée du Louvre.
(i) Cette description et les suivantes concernant les toiles de
B.-M. Ollivier, sont empruntées à l'ouvrage d'Eudore Soulié ;
Notice du Musée de Versailles, tome III, pp. a32, 234.
368 LE PBIlfCB DE CONTT
Souper du prince de Conty au Temple; iy66. Par B.-M.
Oliivier. H. o m. 56. L. o m. 71.
A droite, une table richemeot servie^ éclairée aux bou-
gies, autour de laquelle sont assis neuf convives. Le prince
de Contj est en babit rouge, un ruban noir [Saint-Micbel] an
cou ; il prend une bouteille dans un seau à rafraîchir et se
penche à droite vers M"* de Boufflers. A sa gauche, serait
M^ Bagarotti. A chaque extrémité de la table sont des musi-
ciens ; sur le devant, une femme touchant du clavecin et un
homme pinçant de la harpe ; à l'autre bout, un homme et
une femme chantant (Jélyotte et M^ Fel). Au fond, une antre
table est servie dans un renfoncement, dont les panneaux
sont ornés d'arabesques sur fond d'or ; huit personnes sont
autour de cette table. Sur le devant, à droite, une petite table
sur laquelle se trouvent une guitare et des cahiers de musi-
que ; à gauche, deux chiens de chasse (Musée de Versailles^
a* étage, galerie 161, n® SSaS).
Voici d'autre part, d'après les Mémoires secrets
(5 septembre 1777), la description du tableau allé-
gorique de M. de Lorge, sur la mort du prince de
Conty :
Le Prince est sur son lit de parade. La France est à la gau-
che, qui gémit de la perte d'un tel soutien : Minerve, dans
les airs, la rassure et un Génie tenant d'une main un flam-
beau éteint et renversé en présente un second, plus brillant et
plus durable. Il annonce par là que S. A. S. ne quitte sa
dépouille mortelle que pour se revêtir de l'immortalité, fl
faut convenir que cette composition n'est ni ingénieuse, ni
nouvelle. Du reste, la figure principale est bien et ressem-
blante, malgré le défaut de vie et l'état de dessèchement après
une longue maladie de langueur. La Minerve n'a ni vigueur,
ni noblesse. La France est une très belle femme, trop jeune :
un garde ou serviteur du Prince, au pied de son lit, abtmé
dans sa douleur et se cachant le visage de ses deux mains, est
la figure qui caractérise mieux le peintre. Elle est fièrement
dessinée, mais forme un contre-sens en ce que ce personnage,
le moins intéressant, attire cependant le plus d'attention par
son attitude et son désespoir. Du reste un beau coloris, des
LE PRINCB DE CONTY 369
étoffes riches et un accessoire brillant dans les parties domi-
nantes de Touvrag'e (i).
Nous n'avons pu retrouver la trace de ce tableau.
Probablement fut-il détruit quand fut mis à sac le
château de L'Isle-Adam, pendant les troubles de la
Révolution. La toile du. chevalier de Lorge avait été
acquise pour 6.000 livres par Louis-François-Joseph
de Bourbon-Gonty au mois de décembre 1777. C'est
également sur commande que fut peint par Le Tellier,
pour 2.400 livres, le portrait du Prince destiné à être
gravé par Ramonet, dont il sera parlé plus loin (2).
Mentionnons encore, pour mémoire, les tableaux sui-
vants du Musée de Versailles, peintures qui ont trait
aux victoires remportées par le prince de Conty :
Bataille de Coni, 3o septembre 7/44 Par Henri-Auguste-
César Serrur. H. o m. 82. L. i m. i3.
Siège de Mons, juillet ly^G.^OiV Pierre Lenfant.H.i m. 76.
L. 3 m. 3i.
Siège de S aint-Guilhain^ juillet iy46- Par Verdussen.
H. o m. 8g. L. 1 m. i4.
Siège de Charleroi, 2 août ij^^. Par Ignace Parrocel.
H. o m. 8g. L. i m. 7g.
SGULPTUBB
Conty (Louis-François de Bourbon, prince de). Buste en
plâtre. Par Houdon. H. o m. 60 (Musée de Versailles, rez-de-
chaussée, vestibule 23, n^ 480).
Le Même. Buste en plâtre. Par Mérard. H. o m. 73. On
lit sur le côté du piédouche : « Par P. Mérard, en mai 1777 »
{Musée de Versailles, i*»" étage, galerie i5o, n® 2866). Ce
buste était probablement destiné par Tartiste au monument
funéraire du Prince et fut remplacé par le médaillon qui
suit :
(i) Mémoires secrets, tome X, p. 282.
(2) Nous empruntons ces chiflPres au Registre des comptes de
Manscourtf Dépense^ chapitre 8.
24
370 LE PRINCB DB CONTY
Le Même, Médaillon en marbre de Carrare (par Moitié ?).
Forme ovale. Tète de profil, tournée vers la gauche. Ce
médaillon, arraché, pendant la Révolution, du mausolée du
Prince de Conty, a été retrouvé sous le second Empire et
replacé dans la chapelle funéraire {Eglise de Lhle-Adam. —
Voir la description que nous avons donnée de cette chapelle).
GRAVURE
La Marche (S. A. S, Mgr le comte de). P. de hovmepinx,
Schmidt sculps. Estampe in-folio. Le futur prince de Contj,
âgé d'environ huit ans, est en buste, dans une bordure ovale,
de trois quarts à droite. Il porte une cuirasse. A droite, une
colonne. Dans un cartouche incurvé, cette légende : t Son
Altesse Sérénissime || Monseigneur le Comte de la Marche ».
Conty {LouiS'François de Bourbon, prince de) J. C. S.
se. [SjsangJ. Estampe petit in-octavo. Jeune, en buste, dans
une bordure octogone, cadre orné de feuilles d acanthe ; posé
de trois quarts à droite, portant la cuirasse et le grand cordon
du Saint-Esprit, drapé dans un manteau ; la tète nue.
Légende : c Louis-François de Bourbon || Prince de Conty».
Mariage du prince de Conty {1732). Anonyme. Gravure
sur bois, double in-folio. Au fond, devant l'autel, le cardinal
de Rohan, ayant à la main gauche un livre et bénissant de la
main droite. Un peu en avant, et sur ses côtés, à gauche le
prince de Conty, à droite W^^ de Chartres ; le Prince passe
Tanneau au doigt de la Princesse. A côté et en avant du
Prince, le Roi, avec un grand manchon, puis le duc d'Orléans
et le comte de Charoiais ; derrière eux, le duc de Bourbon, le
comte de Clermont et le prince de Dombes. A côté et en avant
de M^i» de Chartres, la Reine, puis M^^^de Clermont ; au der-
nier plan, à droite, M^^^ de la Roche -sur -Yon, M^e de Sens et
le curé de la paroisse. Légende : a Cérémonie du mariage de
Leurs Altesses Sérénissimes Monseigneur le prince de Con^
et M^« de Chartres, célébré dans la chapelle de Versailles, par
Son Eminence le cardinal de Rohan en présence du Roi, de
la Reine, des princes et princesses de la Cour t.
En dessous, et au milieu de la planche, dans un ovale, est
représenté le baptême de W^^ de Chartres : (( Cérémonie du
baptême de W^^ de Chartres par le cardinal de Rohan, et
nommée par le Roy et Mi^e de Conty, douairière, Louise-
Diane, le ig janvier 1782 ».
LE PRINCE DE CONTY 371
Dans la partie supérieure, ud cartouche contenant les noms
des personnages, désignés par des lettres de renvoi. Dans la
partie inférieure, un calendrier flanqué de deux compositions
allégoriques. Enfin, comme titre général : c Almanach pour
l'année MDCCXXXIII, à Paris, chez G. Jollain, rue St-Jac-
ques, à l'Ënfant-Jésus ».
C ont y (Louis-François de Bourbon^ prince dé). Anonyme,
Gravure au burin, petit in-octavo carré. A cheval, dirigé vers
la gauche, le corps de trois quarts à gauche ; en tenue de
campagne, avec le grand cordon, coiffé d'un chapeau, Pépée
nue dans la main droite. Fond de paysage. Le cheval se
cabre au-dessus d'un cadavre étendu à terre, au premier
plan, à gauche. Légende : c Monseigneur le prince de Conty
Il général de TArmée de France en Italie » .
Le même. Anonyme. Estampe grand in-quarto. A cheval,
dirigé vers la droite, le corps de trois quarts à droite. En
tenue de bataille, cuirasse, brassards, cuissards, grandes
bottes à entonnoir; la housse du cheval est ornée. Le Prince,
coiffé d'un bicorne enfoncé sur les yeux, tient son épée de la
main droite. Au fond, à droite, l'assaut d'une forteresse
Légende : f Louis-François de Bourbon, prince de Conty. ||
Né à Paris le i3 août 1717.
tt Digne fils des héros qui t'ont donné naissance,
« Terreur des ennemis, amour de nos soldats,
a Prince aussi bien faisant que fier dans les combats,
« Après Louis, tu fais la gloire de la France.
« A Paris, chez V^® de F. Chereau, rue St-Jacques, aux
2 piliers d'or. Avec permission de Monsieur le lieutenant
général de Police ».
Le même. Anonyme. Estampe in-octavo. En buste, dans
une bordure ovale; jeune; le corps de trois quarts à droite,
la tête de face ; cuirasse, cordon en sautoir, tête nue. Légende :
a Louis-François de Bourbon || prince de Conty || né à Paris
le i4 août 1717».
En dessous, un cartouche avec cette adresse : a Se vend à
Paris, chez Petit, rue St^acques, près les Mathurins » ; et ce
quatrain :
(f Digne fils des héros qui t'ont donné naissance,
« Terreur des ennemis, amour de nos soldats,
(( Prince aussi bien faisant que fier dans les combats,
« Après Louis, tu fais la gloire de la France.
« M. MORAIHE. »
372 LE PRINCE DE GONTT
Médaille allégorique^ allusiveà la campagne d'Allemagne
de 1745, de forme ronde, non signée. (Nous avons donné la
description de cette médaille de Gosmond dans notre chapi-
tre II, page 66).
Conty [Louis-François de Bourbon^ prince de). Le Maire
pinx. Le Cars sculps. Estampe in-folio. En buste, dans une
bordure ovale. Jeunesse. La tète et le buste de trois quarts à
droite. Cuirasse barrée du cordon du Saint-Esprit. La main
gauche sur la hanche, retient les plis d'un manteau. Perruque
flottante, une boucle descend sur Tépauie gauche. Au-dessus
de la bordure, écusson aux armes des Conty, dans une
chaîne qui porte la croix du Saint-Esprit. Dans la bordure,
cette inscription ; a Ludovicus Franciscus Bourbonius Prin-
ceps de Conti ». Au-dessous cette dédicace : « 0£Ferebat
Fr. Theob. Gas. Forien de Saint-Juire >.
Le même. Le Tellier,/>{na;. Ramonei sculps , Estampe in-
quarto. En buste dans une bordure ovale ; âge mûr. La tète
est de face ; le buste de trois quarts à gauche ; en habit ; sur
le cœur, la plaque du Saint-Esprit.
Dans un cartouche orné des armes des Conty, cette inscrip-
tion : a Louis-François de Bourbon, prince de Conty l| grand
prieur de France || né à Paris le i3 août 171 7, mort le
2 août 1776 >.
Dans la marge inférieure, ces vers :
« Des héros de son sang il soutint tout l'éclat ;
« Mécène des savants, idole des soldats,
ce 11 protégea les arts, il défendit le trône;
« Favori d'Apollon, de Thémis, de Bellone,
« Ferme, juste, profond, politique, guerrier,
« Son front est couronné d'un immortel laurier. »
Le même. Desrais del. Le Beau «c. Estampe petit in-octavo.
En buste, dans une bordure ovale décorée d'un nœud de
rubans à la partie supérieure et d'armoiries à la partie infé-
rieure. Age mûr. La tête de face, le corps de trois quarts à
droite ; grand cordon en sautoir ; le chapeau passé sous le
bras gauche.
Les armoiries sont posées sur un cartouche où on lit :
« Louis-François, prince de Conti, || grand-prieur de France
né à Paris le i3 août 1717 || mort le 2 août 1776 ».
Cette estampe se rencontre en deux états. Tantôt telle que
LE PRINCE DE CONTY 373
ci-dessus, tantô*, avec cette adresse dans la marge inférieure :
« A Paris, chez Ësnaut et Rapilly, rue St-Jacques, n^ 26g .
A. P. D. R. »
Le même. D'après Le Tellier. Landon, direx^- Gravure au
trait, in-ia. En buste, dans un cadre rectangulaire ; de trois
quarts à gauche ; redingote, plaque du Saint-Esprit. Légende :
« Le prince de Contj ». La ressemblance est nulle.
Le même, J. Croizier, d'après Le Tellier gravé par
B. Roger. Gravure in-octavo. En buste, jeune, de trois quarts
à gauche, cuirasse, la plaque du Saint-Esprit perdue dans les
plis d'un manteau, le jabot retombant par-dessus la cuirasse.
Légende : « Louis-François de Bourbon || Prince de Contj ».
On trouve deux états de cette gravure : lettre blanche et
lettre noire.
Le même. Dessiné par Girardet, gravé par Monnin. Gra-
vure sur acier, in-octavo. En buste, jeune, de trois quarts à
gauche, cuirasse, manteau garni d'hermine. Légende: c Contj
(Louis-François de Bourbon, prince de) 1776 ». A la partie
supérieure de la gravure : « Galerie historique de Versailles.
Collection du château d'Eu >.
Notons enfin un portrait in-4, gravé parPetit et que signale
M. Ambroise Tardieu, dans son Dictionnaire iconographi-
que des Parisiens y coi. 4S. Nous n'avons pu retrouver ce por-
trait.
LITHOGRAPHIE
Conty {Louis-François-Joseph et Louis-François, princes
de Bourbon). Anonyme. Deux portraits en buste, se faisant
face, chacun dans une bordure ronde, sur une même feuille
in-octavo oblong. A gauche, le fils, de profil à droite ; à
droite, le pére^ de profil à gauche. Légendes en exergue :
« L.-F.-J. de Bourbon-Conty, né le 4 mai 1784 > isic) et
« L.-F. de Bourbon-Contj, grand prieur de France, né le
1 3 août 1717, décédé le 2 août 1776». Ce double médaillon
sert de frontispice à l'ouvrage intitulé : « Chronologie histo-
rique des différents propriétaires des domaines de L'fsle-
Adam, Beaumont, Chambly, Auvert, etc., etc. ; tracée en
1807 par M. André, ancien architecte expert des bâtiments.
Paris f impr. de Bichomme, 1809. »
374 LE PRINCE DE CONTT
VITRAIL
En l'église de L'IsIe*Aclam, les vitraux des trois croisées
supérieures du chœur représentent saint Martin, le patron
de l'église, officiant comme pontife et célébrant la messe. A
cette messe assistent, agenouillés en prière et sous l'inspira-
tion de leurs patrons respectifs, les quatre grands seigneurs
qui ont le plus illustré L'Isle-Adam ; savoir : Philippe de
Villiers de L'Isle-Adam ; son frère, Louis de Villiers, évéque
de Beauvais; le connétable Anne de Montmorency; Louis-
François de Bourbon-Gontj.
Chaque croisée est divisée en deux parties. La figure de
saint Martin tient tout le vitrail du milieu, chacun des autres
personnages occupe la moitié de chacune des croisées de
droite et de gauche. Le prince de Contj, en habit jaune, avec
le cordon bleu, les cheveux poudrés, est dans la partie gau-
che du vitrail de droite.
Ces verrières, posées en i854, sont de médiocre valeur
artistique.
BMÂIL
Un émail du Musée de Chantilly, catalogué sous le no 325,
représente le prince de Conty.
Généalogie des princes de Conty
I. — Armand de Bourbon, prince de Conty, comte
de Pézenas, baron de la Fère, seijs^neur de L'Isle-
Âdam, second fils de Henri II de Bourbon, prince de
Gondé (son frère atné était le grand Condé) ;
Né à Paris le ii octobre 1629. Baptisé à Paris, en la
chapelle de l'hôtel de Condé, le 28 décembre i63o ; par-
rain et marraine : le cardinal de Richelieu et la
duchesse de Montmorency;
Mort en son château de la Grange-des-Prés^ près
Pézenas, le 21 février 1666;
Marié à Paris, après avoir quitté la robe (il était
abbé de Saint-Denis et de Cluny), dans la chapelle de
la Reine, au Louvre, le 22 février i654, à Anne-Marie
Martinozzi, fille du comte Jérôme Marlinozzi et de
Laure-Marguerite Mazarini, sœur aînée du cardinal,
née à Rome en 1687, morte à Paris, en Thôtel de
Conty, le 4 février 1672.
Enfants nés de ce mariage :
Louis de Bourbon^ né à Paris, le 6 septembre i658.
Mort à Paris le i4 septembre i658;
II. — Louis-Armand de Bourbon, prince de Conty,
comte de Pézenas, etc. (i66i-i685). Voir ci-après.
III. — François-Louis de Bourbon, dit le grand
Conty (i 664- 1709). Voir ci-après.
376 LB PRINCE DE CONTT
II. — Louis- Armand de Bourbon, prince de Conty,
comte de Pézenas, châtelain de L'Isle-Adam, etc.;
Né à Paris en l*hdtel de Conty, le 4 avril 1661. Bap-
tisé en la chapelle du Louvre, le 28 février 1662; par-
rain et marraine : le Roi et la Reine mère ;
Mort à Fontainebleau, en son hôtel, le 9 novembre
i685, sans postérité;
Marié le 16 janvier 1680, en la chapelle du château
de Saint-Germain, à Marie-Anne de Bourbon, Made-
moiselle de Blois, fille légitimée de Louis XIV et de
Mademoiselle de Lavallière, née â Vincennes le
a octobre 1666, morte â Paris le 3 mai 173g.
III. — François-Louis de Bourbon, prince de Conty,
comte d'Alais, de Beaumonl-sur-Oise et de Pézenas,
châtelain de L'Isle-Adam, etc., etc.; surnommé le
grand Conty, élu roi de Pologne le 27 juin 1697 î
appelé successivement : comte de la Marche, comte de
Clermont, prince de La-Roche-sur-Yon et enfin, après
la mort de Louis-Armand, son frère atné (i685),
prince de Conty ;
Né le 3o avril i664 à Paris. Baptisé le même jour à
Saint-Sulpice; parrain et marraine : le prince de Condé
et la duchesse de Longueville ;
Mort à Paris le 22 février 1709 ;
Marié en la chapelle du château de Versailles, le
29 juin 1688, à Marie-Thérèse de Bourbon, Mademoi-
selle de Bourbon, fille de Henri-Jules, prince de Condé,
morte à Paris, en son hôtel, le 22 février 1732 ;
Enfants nés de ce mariage :
Marie-Anne de Bourbon^ Mademoiselle de Conty,
née à Paris, le 18 avril 1689. Baptisée à Paris en la
chapelle de Thôlel de Conty, le 17 septembre 1697;
parrain et marraine : le prince de Condé, son grand-
père, et la princesse douairière de Conty. Morte à
Paris, le 21 mars 1720. Mariée en la chapelle du châ-
LE PRINCE DE CONTY 377
teau de Versailles, le 9 juillet lyiS, à Louis-Henri de
Bourbon, prince deCondé (Monsieur le Duc) ;
N. de Bourbon, né (avant terme) à Versailles^ le
18 novembre lôgS. Mort le 22 novembre 1698 ;
N, de Bourbon, prince de la Roche-sur- Yon, né au
château de Versailles, le i*' décembre i694. Mort à
Paris, le 26 avril 1698 ;
IV. — Louis-Armand de Bourbon, prince de Gonty
(1695-1727). Voir ci-après ;
Louise^Adélaide de Bourbon, Mademoiselle de La-
Roche-sur-Yon, née le 2 décembre 1696. Baptisée en
la chapelle du château de Versailles, le 16 février 1707 ;
parrain et marraine : le Dauphin et la duchesse de
Bourgogne. Morte à Paris, le 20 novembre 1780 ;
N. de Bourbon, Mademoiselle d'Alais, née à Paris,
le 19 novembre 1697. Morte à Paris, le 3 août 1699 !
Louis-François de Bourbon, comte d'Alais, né à
Paris le 27 juillet 1708. Baptisé le 28 en la chapelle de
rhôtel de Gonty ; parrain et marraine : Louis, duc
de Bourbon et la princesse de Condé, sa grand-mère.
Mort à Paris, le 21 janvier 1704.
IV. — Louis- Armand de Bourbon, prince de Gonty,
duc de Mercœur, comte de La Marche, d'Alais, de
Beaumonl-sur-Oise et de Pézenas, châtelain de LÎsle-
Adam, etc., pair de France. Appelé d'abord comte
de La Marche et^ après la mort de son père (1709),
prince de Gonty ;
Né le 10 novembre 1695 à Paris. Baptisé en la cha-
pelle du château de Versailles le 80 juin 1704; par-
rain et marraine : Louis XIV et la Reine d'Angleterre,
Marie-Eléonore d'Esté ;
Mort en Thôtel de Gonty, à Paris, le 4 mai 1727 ;
Marié en la chapelle du château de Versailles, le
9 juillet 1718, à Louise-Elisabeth de Bourbon, Made-
moiselle de Bourbon, fille de Louis de Bourbon,
prince de Gondé, née à Versailles, le 22 novem-
bre 1698, morte à Paris le 27 mai 1775.
378 LB PRINGB DB GONTT
Enfants nés de ce maria g^e :
N. de Bourbon^ comte de La Marche^ né à Paris, le
28 mars 1716. Mort à Paris le i*' août 1717 ;
V. — Louis-François de Bourbon, prince de Conty
(1717-1776). Voir ci-après ;
Louis-Armand de Bourbon^ duc de Mercœur, né à
Paris, le 19 août 1720. Baptisé à Paris, le 12 mai 1722;
parrain et marraine : Nicolas de Montmorency, sei-
gneur de Ghâteaubrun, écuyer du prince de Gonty, et
Marie-Elisabeth, veuve du comte de La-Roche-Milay.
Mort à Paris en Thôtei de Gonty le 12 mai 1722 ;
N. de Bourbon^ comte d^Âlais, né à Paris, en
rhôtel de Gonty, le 5 février 1722. Mort à Paris, le
7 août 1780 ;
Louise-Henriette de Bourbon, Mademoiselle de Gonty,
née à Paris le 20 juin 1726. Baptisée en la chapelle du
château de Versailles, le 29 novembre 1742; parrain
et marraine : le Dauphin et Madame (Henriette de
France). Morte à Paris au Palais-Royal le 17 décem-
bre 1759. Mariée en la chapelle du château de Ver-
sailles, le 17 décembre 1743, à Louis-Philippe d'Or-
léans, duc de Ghartres.
V. — Louis-François de Bourbon, prince de Gonty,
etc., etc. ; pair de France ; d'abord comte de La Mar-
che, puis prince de Gonty à la mort de son père (1727);
généralissime des armées du Roi, grand-prieur de
France ;
Né à Paris le i3 août 1717 ;
Baptisé à Paris en la chapelle des Tuileries, le
28 avril 1721 ; parrain et marraine : Louis XV et
Madame, duchesse douairière d'Orléans ;
Mort au Temple, à Paris, le 2 août 1776;
Marié à Versailles, le 22 janvier 1782, à Louise-Diane
d'Orléans, Mademoiselle de Ghartres, fille de Philippe,
duc d'Orléans, Régent de France; née à Paris, le
26 juin 1716, morte à Issy, le 26 septembre 1786 ;
LE PRINCE DE CONTY 379
Enfant né de ce mariage :
VI. — Louis-François-Joseph de Bourbon, prince
de Conly (1754-1814)- Voir ci-après.
' Enfants naturels reconnus par testament :
Franco is'Claude-Faus te ^ marquis de Rémoviiie,puis
marquis de Bourbon-Gonty, né à Paris le 21 mars 1771.
Mort à Paris, célibataire, en i833 ;
Marie- François-Félix, chevalier d'Hattonville, puis
chevalier de Bourbon-Conty, né à Paris le 22 décem-
bre 1772. Mort à Paris, sans postérité, en i84o.
VI. — Louis-François-Joseph de Bourbon, prince
de Couty ; d'abord appelé comte de La Marche^ puis
après la mort de son père (1776) prince de Conty ;
Né à Paris, le i**" septembre 1784 ;
Baptisé en la chapelle du château de Versailles le
29 novembre 1742 ; parrain et marraine : Louis XV et
la reine Marie Leczinska ;
Mort à Barcelone le 10 mars 18149 sans postérité ;
Marié, par procuration à Milan, le 7 février 1769, et
en personne à Nangis-en-Brie, dans le château du
comte de Guerchy, à Marie-Fortunée d'Esté, fille de
François-Marie, duc de Modène, et de Charlotte-Aglaé
d'Orléans ; née à Modène le 24 novembre 1781, morte
à Venise, au couvent de la Visitation, le 21 septem-
bre i8o3.
Enfant naturel :
Louis'François, chevalier de Vauréal, né à Paris, en
176t. Mort à Melun, en 1785.
Bibliographie
SOURCES MANUSCRITES
ARCHIVES NATIONALES
Maison du Roi. Dépêches dn Secrétariat (OS 458).
Papfers des Princes (R*, 6g, 70 et 98).
Monuments historiques (Maison du Roi ; princes du ssLUg ;
origine et progression du domaine royal : K, 546, 549) 55o
et 574).
Papiers de la Chambre des Comptes (P, 1870, ao4o-ao44)-
Registres de la Secrétairerie d'Etat (E, 3446).
Parlement civil. Scellés et inventaires après décès des princes
et princesses du sang (X'a, 9178-9179).
Biens des Congré^^pations supprimées (S, 5566).
Châtelet de Paris. Registre des Insinuations (Y, 69 et 38o).
Châtelet de Paris. Papiers des Commissaires (Y, 11579,
i3ia3, i3556, 13968, i433o).
Tribunaux révolutionnaires (W, 453. Dossier i36).
ARr4HiyBS DE LA SEINE
Registre des Insinuations de Paris (Registre 246).
Lettres de Ratifications (Carton 976).
Reconstitution des actes de TEtat civil de Paris. Loi du
la février 187a (Divorce Gauche).
382 BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
Recueil de documents relatifs à la vente après décès du prince
de Conty {Manuscrits français . Nouvelles acquisitions,
5oi3). •
Etat et inventaire des meubles, ling'e et arg-enterie de la Mai-
son de M™« la princesse de Conty, i** douairière [Manus-*
crits français. Nouvelles acquisitions, 21021).
Ëloge des Beaux-Arts, poème dédié à S. A. S. Mgr. le prince
de Conty, par P.-D.-E. Lebrun [Manuscrits français.
Nouvelles acquisitions, 9204).
Pièces critiques et satiriques pour servir à l'histoire du tems.
A Pantin, chez Jean Satire, rue des Mauvaises pensées, à la
Sottise {Manuscrits français, i5i49).
Mélangées {Manuscrits français, io434).
Sommaire des prouesses et faicts merveilleux arrivés dans
Lètuce, capitale du Royaume des Lesgau, depuis TEg-ire
( Manuscrits français, 1 0479) •
Recueil de chansons {Manuscrits français, 12675, tome III).
Chansonnier Maurepas [Manuscrits français, 12628, 12629,
12648, i265o).
Chansonnier Clairambault {Manuscrits français, 12711^
12713.
Rapports de police. Anecdotes galantes [Manuscrits fran-
çais, 11357-11860).
Papiers Brissart {Manuscrits français. Nouvelles acquisi-
tions, 20955).
Bagatelles lyriques exécutées chez Monseigneur le prince de
Conty, par M. Quéiaini [Manuscrits français, 16091).
Dictionnaire alphabétique des autographes qui ont figuré
dans les ventes faites à Paris de 1820 à i85o, par H.-L. Bor-
dier, 1878 {Manuscrits français. Nouvelles acquisitions,
3o85).
Caraman. Généalogie des Fermiers généraux {Manuscrits
français. Nouvelles acquisitions, 2o534)*
Durey deMaynière. Affaires du Psiriement {Manuscrits fran-
çais, 7578).
Palais du Temple. Plans originaux (Département des Estam-
pes ; Topographie de Paris ; 8« arrondissement ; quartier
du Temple).
BIBLIOGRAPHIE 383
BIBUOTHÂQUE DE l' ARSENAL
Police des mœars. Rapports [Archives de la Bastille :
Actrices, 10235-10287; Filles gpalaates, io238-io243).
Rapports de police. Dossier de Miiord Taaf {Archives de la
Bastille^ 12022).
Portefeuille de M. de Pauimy (Manuscrits, 3iig).
Nouvelles à la main {Manuscrits, 7083).
MINISTÈRE DE LA GUERRE
Correspondance de Maurice de Saxe avec le comte d'Arg^enson
et de Maurice de Saxe avec le prince de Conty {Archives
historiques et Archives historiques, partie supplémen-
taire).
MUSÉE TAVET, DE PONTOISE
Manuscrits concernant la région (Liasse, i25o).
MAIRIE DE l'iSLE-ADAM
Registres des naissances, mariages et décès de la paroisse de
L'Isle-Adam (Années 1736 à 1777).
PROVENANCE PARTIGUUÈRE
Compte que rend à S. A. S. Monseigneur Louis-François-
Joseph de Bourbon, prince de Conty, et à M^*^ de son con-
seil S. Claude-François-Henry Manscourt, trésorier de la
succession de feûe S. A. S. Monseigneur Louis-François de
Bourbon, prince de Conty, des Recettes et Dépenses par lui
faites en ladite qualité, depuis et y compris Je premier jan-
vier mil sept centsoixante-dix-huit jusques et y compris le
trente-un décembre de la dite année [et comptes sembla-
bles jusqu'au 3i déc. 1782] {Important manuscrit commu-
niqué par M. J. Schemit, libraire).
Le Peintre sans fard, c Dire la vérité fut toujours sa manie. >
Imprimé aux Antipodes, le dernier jour de Tan MDCCLXXI^
(Manuscrit de 56 pp. in-is. — De notre cabinet).
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Almanach historique et raisonné des architectes, peintres et
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Chronologie historique des différens propriétaires de L'Isle-
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par M. André, ancien architecte expert des bâtimens. Paris^
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augustins déchaussés. — Deuxième partie, contenant la
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de Courcy. Paris, Firmin Didot, 1878-1882, 9 vol.
in-fol .
Journal et Mémoires du marquis d'Argenson, publiés par
E.-J.-B. Bathery. Paris, Vve Jules Renouard, 1859-1867,
9 vol. in-8.
J.-F. Barbier. Journal historique et anecdotique du règne de
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Barillet. Recherches sur le Temple. Paris, Dufour, 1809, in-8.
Barruei-Beauvert . Histoire tragi-comique de la soi-disant
princesse Stéphanie-Louise de Bourbon-Conti. Besançon,
1810, in-8.
Souvenirs de la Maréchale princesse de Beauvau, suivis des
Mémoires du Maréchal prince de Beauvau ; recueillis par
M™e Standish, née Noailles. PariSy Techener, 1872, in-8.
Le Trésor de la Curiosité, tiré des catalogues de vente de
tableaux, dessins, estampes, livres, marbres, bronzes, ivoi-
res, terres cuites, vitraux, médailles, armes... et autres
objets d'art. Avec diverses notes et notices historiques et
biographiques par M. Charles Blanc, ancien directeur des
Beaux-Arts et précédé d^une lettre à !*auteur sur la Curio-
sité et les Curieux [par A. ThibaudeauJ. A Paris, Vve
Jules Renouard, 1867 1 858, 2 vol. in-8.
Mélanges historiques, satiriques, anecdotiques de M. de B...
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Honoré Bonhomme. Grandes dames et pécheresses. Etude
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Pétition adressée à la Convention Nationale par la citoyenne
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n'être point comprise parmi les parents d'émigrés dont
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tins, par G. Capon et R. Yve-Plessis. Ouvrage orné de
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Paris galant au dix-huitième siècle. Fille d'Opéra, vendeuse
d'amour. Histoire de M*i« Deschamps (1730-1764) par G.
Capon etR. Yve-Plessis. Ouvrage orné de 4 planches en cou-
25
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leurs, d'un plan et de a fac sîmile. Paris, Plessis^ 1906, in-8.
Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-
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Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la
Révolution, par J.-N. Dufort, comte de Chevernj, avec
introduction et notes par Robert de Grèvecœur. Paris,
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Le Chroniqueur désœuvré ou l'Espion du boulevard du Tem-
ple [par Majeur de Saint-Paul]. Londres^ 1788^ in-8.
Journal et Mémoires de Charles Collé sur les hommes de let^
très, les ouvrages dramatiques et les événements les plus
remarquables du règne de Louis XV (1748-1772). Nouvelle
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Paris, Didot et Cie, 1868, 3 vol. in-8.
Capitaine J. Colin. Les campagnes du Maréchal de Saxe.
Paris, R. Chapelot^ 1901, 1904, 1906..., 3 vol. inS (En
cours de publicalion).
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le pamphlet original et rarissime de 1774» p^i* Aug. Paer.
Rouen, Lemonnyer, 1880, in-8.
Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie«Antoi-
nette, la Cour et la Ville, de 1 777 à 1 792 ; publiée par M. de
Lescure. Paris, Pion, 1866, 2 vol. in-8.
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ou Mémoires pour servir à l'histoire des Cours, des Socié-
tés et de la Littérature en France depuis la mort de Louis XV.
Londres, Adamson, 1787- 1790, 18 vol. in 12.
Souvenirs de la Marquise de Créquy (1710 à 1800). Paris,
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vicomte de Grouchy et Paul Cottin. Paris, Flammarion^
1906, 3 vol. in-8 [En cours de publication).
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deux planches. Thèse présentée à la Faculté des lettres de
Paris, par Henri de Curzon, archiviste aux Archives natio-
nales. Paris, Hachette et Cie, 1 888, in-8.
Etudes historiques, archéologiques et anecdotiques sur la
ville de L'Isle-Adam, par A.-D. Denise, ancien maire de
Parmain, lauréat de concours historiques et archéologi-
ques. Méru, Impr. J. Douce, 1906, in-12.
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Adam . Beaumont, E. Fremont, i854, pet. în.8 de 8 pp .
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alchimie, alectryomancie, aleuromancie [etc., etc.] ou réper-
toire universel des êtres, des personnages, des livres, des
faits et des choses qui tiennent aux apparitions, aux divina-
tions, à la magie, au commerce de TÉnfer [etc., etc.]. Pam,
Au Petit Montrougey J -P. Miçne, i846-i852, a vol. in-4-
(Cet ouvrage communément désigné sous le titre de Die*
tionnaire de l'abbé Migne, son éditeur, est en réalité de
Gollin de Plancy.)
Œuvres complètes de Diderot. Avec notes, notices, tables et
précédées d'une étude sur Diderot par J. Assézat. Paris^
Garnier frères^ 1874-1877, 20 vol. in-8.
Correspondance complète de la marquise du Deffand avec ses
amis, suivie de ses œuvres diverses et éclairée de nom-
breuses notes de M. deLescure. Paris^ Pion, i865, 2 vol. in-8.
Généalogie de la Maison de Bourbon, de 1266 à 1871, par
L. Dussieux, professeur honoraire à TEcole militaire de
Saint-Gyr. Seconde édition. Paris, J. Lecoffre fils et Cie^
1872, pet. in-8.
Mémoires d'un Voyageur qui se repose, contenant des anec-
dotes historiques, politiques, etc., par M. Dutens. Paris,
Bossangej Massonet Besson, 1806, 3 vol. in-8.
L'Ecole de l'Homme ou Parallèle des portraits du siècle [par
Génard]. Londres-Amsterdam[Noyon'Rocher], 1752,3vol.
in-i6.
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d'Eon, ministre plénipotentiaire de France auprès du Roi
de la Grande-Bretagne, avec MM. les ducs de Praslin, de
Nivernois, de Sainte-Foy, et Régnier de Guerchy, ambas-
sadeur extraordinaire, etc., etc. A Londres, chez Jacques
Dixwell, 1764» in-8.
Mémoires de Madame d'Epinay, avec des notes de M. Paul
Boiteau. Paris, Charpentier, i865, 2 vol. in-12.
Les Fastes de Louis XV, de ses ministres, maîtresses, géné-
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écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son ar-
riére-neveu, M. le baron de Vigan. Paris, Dentu, i855, in-8.
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Lahure, 1878, in-8.
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ses seigneurs [par Tabbé Grimot]. Pantoise, Typogr. Amé-
dée Paris, 1884, in-8.
Histoire de Maurice, comte de Saxe, maréchal général des
camps et armées de Sa Majesté Très Chrétienne, duc élu de
Curlande, etc. [par Louis-Balthazar ^h^X], A Mittaw, 1761,
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Leroux, et Bordeaux, Perot et fils, 1886, 2 vol. in-S.
LlNTBRMéDiAiRB DBS Ghbrghburs bt Guribux (Année 1903).
Vie privée et politique de Louis-François-Joseph de Gond,
prince du sang* et sa correspondance avec ses complices
fu^tifs. Ornée de son portrait gravé d'après nature, par
J» P .A Turin, chez Garin, iinprimeur du Roi, rue des
Boucheries, 1790, pet. in-8.
VT .P*^^<>°naire critique de Biographie et d'Histoire.
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Journal des Inspecteurs de M. de Sartines [publié par Loré-
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Les Joueurs d'épée à travers les siècles (Maîtres d'armes,
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naux par M. de Boislisle. Paris, Champion, 1896-1905,
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Conty sur les Comtés souverains deNeufchâtel et Valangin.
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Lebrun, secrétaire des commandements de feu M. le prince
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Mémoire pour les sieurs de Peters et Miroglio, associés. Au
Bureau d'abonnement musical [Signé : Ondet] [Paris],
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Bourbon-ContyJ et adressé par ses ordres au ministre de
390 BIBUOGKAPBtt
l'Intériear. S. L n. d. [PiœU, impr. Brasseur^ i8tg\^ ui-4-
Mémoires du comte de fifanrepas, ministre de U marine.
Paris. Buisson^ ^19^^ 4 ▼<>!. in-8.
Mémoires poar servir à l'Histoire de la Perse fpar Rességvier
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par lui et continués par M°^o Louise B. de Saint-Léon,
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Procédures respectives signifiées dans l'instance pendante au
Bureau des Economats, sur la demande en paiement d'une
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général du même Bureau, contre M. de Vauvré, maître des
requêtes [etc., etc.]. Paris, Impr, C. Osmont, 17^0, in-fol.
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Index alphabétique
Achet. 357.
Ader, avocat. 277-278.
Adrienne (M"«). 276.
Agenois (M. d'). 55.
Agenois (M"*« d'). i56.
Aigremoni (M"*d'). 285.
Aiguillon (Duc d'). 12,
166, 168.
Aiguillon (Duchesse d').
12, 116, i4o, i4i) 157.
Alais (Comte d') voir :
Bourbon -Conty.
Albane (V). 887, SSg.
Albert (M. d'), lieutenant
de police. 238.
Alègres (Comtesse d').39.
Aligre (Le président d*).
169.
Aligre (M"^« d'). 355.
AUard (M»e). 128, 129,
268, 269, 272.
Angouléme (Henri d'),
grand-prieur. 96.
Anjou (Duc d'). i4o.
Antier (M»*). 182.
André, architecte. 358.
Antoine, architecte. 3oi.
Aragon (Blanche - Al-
phonsine d*), duchesse
de Bisaccia. 121.
Aremberg(Ducd').62,63.
Argenson (Marquis d^).
I, 5o, 65, 72, 85, 86,
87» 88, 97, io3, 106,
119, 142, 143, 145,
207, 208, 246.
Argenson (Comte d*). 5o,
53,68,71,96.
Argenson (Marquis de
Paulmy d'). 3, i46.
Argental (Comte d'). 121.
Armentières (Maréchal
d'). 139.
Arnould (M"« Sophie).
122, 2554257, 269, 270,
273, 302.
Artois (Charles - Phi-
lippe, comte d'). Voir:
France.
Arty (Antoine - Alexis
Panneau d'). 2o3, 204.
Arty (Alexis-Armand d*).
394
TABLB ALPHABETIQUE
ao4 , 310 à 2l3.
Arty (M»* Panneau d').
4I9 203 à 3l5, 329.
Asfeldt (Maréchal d').36.
Asselin, peintre. 353,
354.
Aublin (Nicolas), sieur
de Fravelles. i4o.
Aubrie(Abbé).323à335.
Audinot. 161, 376, 386,
395, 299 à 3oi, 343.
Auguste II, roi de Polo-
gne. 85.
Auguste III, roi de Po-
logne. 85, 86, 88.
Auguste (M"®). 359, 260.
Bagarotti (M"«). 136.
Bailly, collectionneur,
333.
Balincourt (M. de). 47.
Baptiste, peintre. 35 1,
353.
Barbantane (Marquis de)
125, 136.
Barbantane (Marquise
de). 135, 126.
Barbarin de Reignac
(Marie-Louise-Angéli-
que de). 3i5.
Barbarine (M"~). 343,
343.
Barrée boucher. 364.
Basan, marchand d'es-
tampes. 33o, 343, 35o,
354, 355.
Bassan (Jacques). 35i,
353.
Bastier, sculpteur. 358.
Bauldry. 355.
Bauquemare (M. de).
316.
Bavière (Charlotte-Elisa-
beth de), princesse pa-
latine, duchesse d'Or-
léans. 17.
Béarn (Comtesse de). 1 76.
Beaudouin (Le cheva-
lier). 343.
Beaudouin, peintre. 33o.
Beaufort (M»«). 379.
Beaujolais (M*^«de),i>oir :
Bourbon-Orléans.
Beaujon (M. de). 343.
Beaumarchais (Garon
de). 89, 90, 186, 195 à
197, 355, 356.
Beaumont (Mgr de), ar-
chevêque. 3 15, 3i6.
Beaupréau (M. de). 58.
Beauvarlet, graveur.343.
Beauvau-Craon (Prince
de). 118, 134} 128.
Beauvau-Craon (Marie-
Charlotte de la Tour-
d'Auvergne, princesse
de). 122, 129, 3i2.
Beauvau-Craon (Marie-
Sylvie de Rohan-Cha-
bot, princesse de). 11 7,
118.
Beau vais (Comte de).
36o.
Bellanger, architecte,
302.
Bellefonds (Marquis de).
34i.
Bellefonds (Suzanne-Ar-
TABLE ALPHABETIQUE
395
mande du Ghatelet,
marquise de). 24 1.
Belle-Isie (Maréchal de).
Benedette. 339.
Bentivoglio (Cardinal).
26.
Berckeyden (Guérard).
338.
Bergerel, fermier géné-
rai. 139.
Berghem (Nicolas). 338.
Beringhen, écuyer du
roi. 2o4, 33o.
Berlier deMontrival. 10,
II.
Bernard (Samuel). 203,
205.
Bernis (M. de). 92.
Berry (Duc de), voir :
Louis XVI.
Berryer de Renonville,
lieutenant de police.
237,277.
Berlin, lieutenant de po-
lice. 110, 238.
Bertin, trésorier des par-
ties casuelles et contrô-
leur des finances. 256,
278.
Berton, directeur de
rOpéra. i32.
Berwick (Maréchal de).
33, 35, 36.
Beuzenval (M"®de). 187.
Beze (M. dej. 33i, 34o.
Bezons (Chevalier de).
271, 272.
Billet^ procureur. 324.
Billioni (M»*). i35, i36.
Binting (Lord). 285.
Bissy (Mgr de). 58, 173,
'97-
Blanc (Charles). 333,
349.
Blanchard, peintre. 35i,
353.
Blandowski, agent se-
cret. 85.
Blavet (Abbé). 342.
Blondel de Gagny. 33i,
333, 341.
Blondet d'Azincourt.
33o.
Blot (Comte de). 11 5.
Blot (Comtesse de). ri5.
Boccage (M"*« du). 198.
Boilleau, marchand de
tableaux. 33o, 342,
346,350, 352, 354à 356.
Boisfranc(M"« Fortunée-
Olympe de). 176.
Bolognèze(Prancis).352,
354.
Bonhomme (Honoré).
2o3, 204.
Bontemps, gouverneur.
39.
Bordeu, médecin. 3ii.
Bossuet. 170.
Bouchardon(Edme).328.
329,341.
Boucher (François). 33o,
337,341.
Boufflers (Charles - Jo-
seph-Marie, duc de).
67, 122, 124.
Boufflers (Duchesse de)
396
TABLB ALPHABETIQUE
puis duchesse de Lux-
embourg, voir : Luxem-
bourg.
Boufflers (Chevalier de).
ia6y 2i5, 3i3.
Boufflers (Marquise de).
ai5.
Boufflers - Rouverel
(C!omte de). ia4» 3i5,
ai6, 331.
Boufflers - Rouverel
(Comtesse de). 87, 1 19,
i34y 135, i3i, i33, 169,
160,184,185,187,188,
190,193,194,303,309,
3i5à339, 366,310, 3l3.
Boufflers - Rouverel
(Lou is-Edou ard, com le
de). 319,335 a 338.
Boufflers - Rouverel
(Amélie des Alleurs,
comtesse de). 134,319,
335, 337, 338.
Boufflers - Rouverel
(Amélie - Joseph -
Edouard de). 336,339,
3l3.
Boufflers (Amélie de),
voir : Lauzun.
Bouille (Mgr Nicolas de).
ii5.
Bouillon (Cardinal de).
i4i.
Bouillon (Duc de). i4o,
Boullongne(M. de). i46.
Boulogne (Louisde).35o.
Boulogne , collection-
neur. 343.
Bourbon (Louis-Alexan-
dre de), comte de Tou-
louse. 39.
Bourbon (Louis-Augus-
te de) duc du Maine.
33.
Bourbon (Louis-Jean-
Marie de), duc de Pen-
thièvre. 59, io5.
Bourbon (Louis- Auguste
de), prince de Bom-
bes. 39, 34.
Bourbon (Louis-Charles
de), comte d'Eu. 39,
34.
Bourbon (Louise-Fran-
çoise de), princesse
de . Bourbon -Condé,
mère de Monsieur le
Duc. 39.
Bourbon (Marie - An ne
de) , princesse de
Conty. 3o, 4^, io5.
Bourbon (Marie - Thé-
rèse-Félicité d'Esté et
de), duchesse de Pen-
thièvre. io4.
Bourbon-Condé (Henri !•'
de) , Monsieur le
Prince. i38, i44-
Bourbon-Condé (Henri II
de). 144.
Bourbon-Condé (Louis
de), dit le Grand
Condé. 53, 70, i38,
i44.
Bourbon - Condé (Ar-
mand de), prince de
Conty, voir : Bour-
bon-Conty.
TABLB ALPHABETIQUE
397
Bourbon-Gondé (Louis-
Henri de), Monsieur
le Duc. 2, a8, 33, 4^9
42, 97-
Bourbon-Gondé (Gharles
de), comte de Gharo-
iais. 8, ag, 33, 34, 4i,
i52, 238.
Bourbon-Gondé (Louis
dej, comte de Gler-
mont. 29, 3i, 32, 34*
ii4, 178,179,212,240.
Bourbon-Gondé (Louis-
Joseph de). io4, 106,
170,176,178, 179,187.
Bourbon-Gondé (Ghar-
iotte, princesse de),
voir : La Trémoiiie.
Bourbon-Gondé (Eiéo-
nore de), princesse
d'Orange-Nassau. i43,
144.
Bourbon-Gondé (Ghar-
iotte, princesse de)
Voir : Montmorency.
Bourbon-Gondé (Ânne-
Geneviève de), du-
chesse de Longue-
ville, i38, 144.
Bourbon-Gondé (Marie-
Thérèse de), princesse
de Gonty, femme du
Grand Gonty. 3o.
Bourbon-Gondé (Louise-
Françoise, princesse
de), voir : Bourbon.
Bourbon-Gondé (Louise-
Elisabeth de), prin-
cesse de Gonty. 7 à 3o,
44 à 46, 5i, 98 à 100,
126, 180, 246.
Bourbon-Gondé (Marie-
Anne de), M"« de Gler-
mont. 38 à 4o, io4.
Bourbon-Gondé (Elisa-
beth-Âlexandrine de).
M"« de Sens. 29, 77,
78.
Bourbon-Gondé (Louise-
Adélaïde de). 179.
Bourbon-Gonty (Armand
de Bourbon - Gondé,
premier prince de
Gonty). i38, i44.
Bourbon-Gonty (Fran-
çois-Louis de), dit Ife
Grand Gonty. 7, 67,
84, i4o, i44, i47-
Bourbon-Gonty (Louis-
Armand de]. 7a 19, 4i-
Bourbon-Gonty (Louis-
Armand de), duc de
Mercœur. 18.
Bourbon-Gonty (N. de),
comte d'Alais, 19, 28.
Bourbon-Gonty (Louis-
François-Joseph),
comte de La Marche,
puis prince de Gonty.
36, 37, 44, 46, 5i, 96,
107, i4i, 172 a 179,
234, 289, 248, 249,
267, 273, 285, 3i3 à
3i5, 317 à 321, 328,
349, 365.
Bourbon-Gonty (Fran-
çois - Claude - Fauste ,
marquis de). 233à235.
398
TABLB ALPHABETIQUE
Bourbon-Conty (Marie-
François-Félix, cheva-
lier de). !i33 à a35.
Bourbon-Conty (Marie-
Anne, princesse de),
voir : Bourbon.
Bourbon-Conty (Marie-
Thérèse, princesse de),
voir : Bourbon-Condé.
Bourbon-Conty (Louise-
Elisabeth, princesse
de), voir : Bourbon-
Condé.
Bourbon-Conty (Louise-
Diane d*0rléans, prin-
cesse de), voir Bour-
bon-Orléans.
Bourbon-Conty (Louise-
Henriette de) , du-
chesse de Chartres,
puis d'Orléans. i9,3i,
3a, 45, 469 5o, 5i,
ii5, ia5, 14I9 142, ai6,
2ao, aai.
Bourbon-Conty (Louise-
Adélaïde de),priDces8e
de La Roche-sur-Yon.
7, ag, 33, 39, 4o, 45,
80, 81, i4i, ai6.
Bourbon-Conty (Marie-
Fortunée d'Esté, com-
tesse de La Marche,
puis princesse de),
voir : Este.
Bourbon-Conty (Stépha-
nie-Louise de), voir :
Montcairzain.
Bourbon-Orléans (Phi-
lippe de), régent de
France. 240.
Bourbon-Orléans (Louis
de). 18, 29, 32, 44,
5r.
Bourbon-Orléans (Louis-
Philippe de), duc de
Chartres jusqu'en 1762
puis duc d'Orléans.
5o, 5i, 72, 125, 169,
170, 178, 179, 216.
Bourbon-Orléans (Louis-
Philippe - Joseph de),
duc de Montpensier
jusqu'en 1782, puis
duc de Chartres. 182,
i36, 176, 178, 179,
270, 288, 3i3, 3i4-
Bourbon-Orléans (Jean-
Philippe de), cheva-
lier d'Orléans, bâtard
du Régent. 94 à 96,
ii3.
Bourbon-Orléans (Char-
lotte-Elisabeth, prin-
cesse de), voir : Ba-
vière.
Bourbon — Orléans
(Louise - Diane de),
princesse de Conty.
28, 29, 33, 36 à 38.
Bourbon-Orléans (Phi-
lippe - Elisabeth de),
W^^ de Beaujolais.
Bourbon — Orléans
(Louise - Henriette de
Conty, duchesse de
Chartres , puis du-
TABLB ALPHABETIQUE
399
chesse d'Orléan8),i;oir :
Bourbon-Gonty.
Bourbon-Orléans (Char-
lotte-Âglaé de), du-
chesse de Modène. 1 78.
Bourdaloue. 170.
Bourdon (Sébastien).
339.
Bonrguigp[ion (J. Cour-
tois dit le). 35a, 353.
Bourlamaque , collec-
tionneur. 33o.
Bouvance(M"«), dite Cas-
tillon. 280.
Brancas, voir : Laura-
guais.
Branciforte (Mgr de).
198, 199.
Bréal (Michel). 325.
Brebant (M"*). 276.
Brebiett, peintre, 352.
Bressigny(Présidentde).
357.
Breteuil (Baron de). 44»
46.
Breughei (Jean), dit de
Velours. 337.
Breughei (Pierre). 337.
Brienne (Mgr de). 3 12.
BrignoUes (Catherine de)
princesse de Monaco.
'79-
Brill (Paul). 35i, 353,
355.
Brissart. fermier géné-
ral. 258.
Brissart, (M»«). 258, 259.
Brisson, sculpteur. 34^.
Broglie (Victor - Fran-
çois,ducde).43,47à49*
Broglie (Charles-Fran-
çois, comte de). 88, 89.
Brousse de Verteliaci
(Herminie de la). 234*
Brunswick - Lunebourg
(Prince de). 117, i53.
Bussy (M«* de). 39.
Byng (Amiral). 127.
Caboche, dit Marigny.
211 à2i3.
Cahusac, poète. i35.
Camargo (U^^^), danseuse.
32.
Cambis(Vicomtede).i 16.
Campo-Santo(Comtede).
55.
Cano (Âlonzo). 359.
Cantarini (Simon). 337.
Carbon. 356.
Carignan (Prince de).
336.
Carlin (Ch. Antoine Ber-
tinazzi dit). 320.
Carrache (Augustin).34o.
Carrache (Louis). 336,
340.
Casanova (Jacques). 320.
Casteja (M. de). 84.
Castellane (Vicomtesse
de). 357.
Cayla (M. du). 58.
Caylus (Comte de). 33i,
34a, 346.
Caylus (M™« de). 9.
Cerquozzi (Michel-Ange)
dit des Batailles. 35i,
353.
400
TABLB ALPHABBTIQUB
Chaalons (Philibert de),
prince de Neufchftlel.
i43.
Chabot (Yvonne-Sylvie)
de Breuil de Rais,
comtesse de). 1 18.
Chabot, voir : Rohan-
Chabot.
Chabriliant (Bailli de).
117, 162.
Chamborant (Claude de),
comte de laClaviëre.
172, 173.
Chambrier, ministre de
Prusse. 86.
Champagne (Philippe
de). 340, 35i, 352.
Changeant (M. de). 264.
Chardin (Jean-Baptiste-
Siméon). 34i.
Charles Vil, Electeur de
Bavière et Empereur
d'Allemagne. 43, 49*
56, 88.
Charles (Le Prince). 48,
49.
Charles-Emmanuel III,
roi de Sardaigne. 49 à
61.
Charolais (Comte de),
voir : Bourbon-Condé.
Chartres (Duc de), voir :
Bourbon-Orléans.
Châteauroux (Duchesse
de). 52, 59, 97, 123.
Châtelet (Marquis du).
48.
Châtelet (Suzanne -Ar-
mande du), voir : Mar-
quise de Bellefonds.
Chauvelin (Marquis de).
5i, 58, 83, ii4« i55,
157, 263, 3i3, 33o.
Chauvelin(Marqui8ede).
i56, 157.
Chavigny, ambassadeur.
84.
Chenu,commissaire.3oi*
Cheverny (Comte de).
129, l52.
Chevert (François de).
55.
Chevreuse (Duchesse de).
121.
Chimay (Gabrielle-Char-
lotte de). 116.
Choiseul (Duc de). 177,
191, 229, 33i, 337,
342, 348.
Choiseul (Marquis de).
243.
Choiseul (Comte de). 248.
Choiseul (Mgr de). 33 1,
342.
Choiseul (Duchesse de).
123.
Cicé(M"*de). i56.
Cignani. 35i, 352.
Clairval, chanteur. ï349
248, 273, 279.
Clément, chirurgien. 17,
18.
Clermont (Comte de),
voir : Bourbon-Condé.
Clermont (M"* de), voir :
Bourbon-Condé.
Clermont (Georges-Gas-
pard de Clermoni-Ges-
TABLB ALPHABETIQUE
401
sans, comte de), voir:
Coucicault, collection-
Saint-Âignan.
neur. 33o.
Clermont-d'Am boise
Coulon, écuyer. 39.
(Comte de). ii8.
Courteilles(M"*«de). i56,
Clermont-d'Âmboise
157.
(Chevalier de). 262.
Courten (M. de). 58.
Clodion (Claude). 829,
Courtenvaux (Marquis
341.
de). 4i.
Cloud, curé du Temple.
Courtois deMinutte. 282.
3i6.
Créquy (Marquise de).
Coffin (Ânne-Elisabeth).
39.
3o8.
Créquy (Marie-Claire de),
Coigny (Duc de). 37,66.
comtesse de Jarnac.
Coigny (Comte de). 116,
119.
254.
Crillon (Abbé). 342.
Coigny (Chevalier de).
Croizier, graveur. 373.
270.
Croy (Duc de). 106.
Coislin (Marquis de).
Crozat (M. de), baron
254.
deThiers. 33 1.
Coislin (Marquise de).
Curzon (Henri de). H2,
253 à 255.
ii4.
Colin, boucher. 286.
Cuyp (Albert). 34o.
CoUard (M^^e), dite Gui-
mard. 281.
Dailly (Jacques - Fran-
Condé, voir : Bourbon-
çois). 23l, 232, 235,
Condé.
236.
Conty, voir : Bourbon-
Dailly (Marie - Claude
Conty.
Gauche, femme). 202,
Coraline, actrice à la Co-
229 à 236, 283, 285,
médie-Italienne. 176,
3i4, 319.
319 à 321.
Dalembert. 127.
Cordier (M»«). 297.
Dambry, maire deL'Isle-
Corneille (B.). 35i, 353.
Adam. 363.
Cortone (P.-P. de) dit le
Dangeau (Marquis de).
Gobbo des Carraches.
7,8.
339, 340, 344.
Danthieur, fermier du
Corrège (Ant. AUegri dit
Temple. 209.
Le). 340.
Dauberval, danseur. 266.
Cossé (Comte de). 264.
1
David (M"«). 270 à 272.
26
402
TABLB ▲LPHABBTIQUB
Deffand (Marquise du].
87, 123, 124) l3l| 2l5,
220, 227, 3ii, 3i2.
Del Campi d'Oglio).35i.
Delille (Abbé). ii5.
De Lorme, peintre. 370.
Delorme(M»*). 323 à 325.
Delorme(M"^)9daaseuse.
274.
DeIu8sault(M»*). 357.
Deuin deBelhouzie.357.
Denis (M™*). 281.
Dervieux (M"«). 274.
Des Alleurs (M"«), voir :
Boufflers-Rouverel.
Descartes. 19.
Deschamps (M*^). 249,
25o, 279.
Desfins, fermier. 76.
Deshays, peintre. 33o.
Desmarais, marchand de
tableaux. 342, 35o.
Desraisydessinateur. 372.
Detouche, collection-
neur. 349.
Deux-Ponts (Chrétien IV.
duc des). 279, 280.
Dezanville (M"«). 281.
D'Héricourl, musicien.
i33.
Diderot. 116, 1869 196,
3oi^ 3i3..
Dietricei. 334, 338.
Dombes (Prince de),
voir : Bourbon.
Donezan, voir : Usson.
Donjeu, marchand de
tableaux. 3o3, 3o5,
34a, 35o.
Donnes (Comte de). 204.
I)oray, gondolier. i54'
Dortous de Mairan. 117^
3l2.
Doublet de Bauche. 262.
Douglas (Chevalier de).
92.
Douet de la Boullaye.
280.
Dow (Gérard). 337, 338,
339, 344, 347.
Dreux (Marquis de). 28,
39, 4o.
Dubarry (Comte). 296,
33 1, 339.
Dubarry (JeanneVauber-
nier. Comtesse). 176,
177, 179, 282.
Dubois, marchand de ta-
bleaux. 349-
Dubreuil (M"*«). 212.
Dubut(Abbé).323à325.
Duclos. 207.
Ducerceau (Le Père). 22,
23.
Duchesne (M"« veuve),
libraire. 191.
Du Gard. 25 à 27.
Duguay-Trouin. 240.
Dulac, marchand de ta-
bleaux. 342.
DulindeFontenette.3o3,
3o4, 3o5, 307.
Dulin de Fontenette
{M"*e). 3o3, 307.
Dumirey (M"«). 279.
Du Peyrou. 192.
Dupin (M"*«). 2o3, 2o5,
211, 2l3.
TABLB ALPHÀBBTIQUB
403
Dupin de Francueil. 207.
Duplan (M»«). 286, 286.
Duport (Jacques), musi-
cien. i33.
Duport (Charles), musi-
cien. i33.
Dupuis (M"»), dite Léli-
cot. 279, 281.
Durancy (M"«). 266 à 268.
Duras (Jacques-Henri,
duc de). 121.
Duras (Maréchal de).
276.
Duras (Louise - Made-
leine Eschalart de La-
marck, duchesse de).
121.
Durfort (Chevalier de).
254.
Durocher, policier. 238.
Dutens, diplomate. 4)
90, 91, 129, 219, 3l2,
3i3, 356.
Duthé (M»*). 287, 288.
Duval, secrétaire du
lieutenant de police.
277.
Dyck(Van).337,34o.
Eberts, joailler. 3o3.
Egmont (Casimir, comte
d'). 120, 121.
Egmont (Henriette-Julie
de Durfort de Duras,
comtesse d'). 121.
Egmont (Jeanne du Pies-
sis - Richelieu, Com-
tesse d^* 120, 121, 3i3.
Elisabeth, impératrice
de Russie. 90.
Eon deBeaumont (Che-
valier d'). 90 à 92.
Epinay (Lalive d'). 206.
Epinay (M'»^ Lalive d').
187, 2o5 à 208.
Epinoy(Louis,princed').
16.
Epinoy (Ambroise, mar-
quis de Melun, prince
d'). 27.
Epinoy (Jean-Alexandre-
Théodore, comte de
Melun, prince d'). 27.
Esparre (M«^« d'). 267.
Este (Marie-Fortunée d'),
comtesse de La Mar-
che, puis princesse de
Conty. 173 à 176, 269.
Estrées (Comte d'). 68,
173.
Estrées (Maréchale d').
119.
Eu (Comte d*), voir :
Bourbon.
Eugène de Savoie, dit
le Prince Eugène, 36.
Fauconnier (M"®). 292 à
294, 297.
Fel (M»«). i35.
Ferg (Paul). 334, 349-
Ferrari Gaudentio. 339.
Feti (Dominique). 336.
Feuillet, sculpteur. 34i,
35o.
Fillière, musicien. i33.
Fi tz- James (Marquis de).
270.
404
TABLB ALPHABETIQUE
Flenry (Cardinal). 25,33,
43, 45, 5o, 83.
Fleurj (Marq uis de). 266.
Flieger, musicien. i33.
Fontaine (Guillaume dit
de). 2o3.
Fontaine (Guillaume dit
de), fils. 209.
Fontenelle. 117.
Fontenette, voir : Dulin.
Fortier, collectionneur,
33o.
Fragonard(Honoré).339.
France (Jean-Baptiste-
Gaston de), duc d'Or-
léans. i38.
France (Louis de), Dau-
phin. 46, 73, 86, loi.
France (Louis-Stanislas-
Xavier de), comte de
Provence. 109, 178.
France (Charles - Phi-
lippe de), comte d'Ar-
tois. 179.
France (Anne-Henriette
de), dite Madame. 46.
France (Louise - Marie-
Thérèse de), dite M«*
Victoire. 109.
France (Adélaïde-Marie
de), dite M°»* Adélaïde.
102.
Franck (François). 337.
Francœur,musicien.2o6.
Francueil (Dupin de),
voir : Dupin.
Franque (P.). 366.
Frédéric-Auguste, roi de
Pologne. 32, 33, 84-
Frédéric II, roi de Prusse.
56, 62, 86.
Fresnel (Françoise-Elisa-
beth de), marquise de
Vierville, voir : Mes-
nildot.
Fribourg (Conrad de).
i46.
Fribourg (Jean de). i46«
Friesen (Comte de). 77 à
79, II 5.
Fronsac (Duc de). 256.
Froulaj (Bailli de). 95.
Fumé, médecin. 3ii.
Gaignat (M. de), collec-
tionneur. 33o, 337,
346, 347, 348.
Gaillard de Gagny, col-
lectionneur 33o.
Gaspard, musicien. i33.
Gatayes (Pierre - An-
toine). 319.
Gauche (Jean). 23 1.
Gauffrecourt. 207.
Gauthier. 282.
Geoffroy (Abbé). 284.
Geminiani. 35 1, 353.
Genlis (Comtesse de). 3,
4, 159, 160, 162, 174,
220, 225, 254-
Geoffrin (M«^«). 128.
Georgel (Abbé). 89.
Gérard (Clotilde). 366.
Gerbier, avocat. 194, 195.
Gersaint, peintre-expert.
33o, 332.
Gesvres (Duc de). 83,
io3, io4» i42-
TA.BLB ALPHABETIQUE
405
Girardety dessinateur.
373.
Givry (Bailli de). 55,
Glomy, marchand de ta-
bleaux. 33o, 33a à 336.
Gobot de Bruen. 34a*
Goezman. ig5.
Goffredy. 34o.
Goncourt (Ed. et Jules
de). 102.
Goujon (Jean). 35 1.
Gourdan (M"*®), proxé-
nète. 270, 275, 279,
280, 2g5, 296.
Grammont (Duc de).
252, 299, 33 1, 339.
Gray(Th.). i23.
Greuze (J.-B.). 339.
Grimaldi, prince de Mo-
naco. 320.
Grimm (Baron). 77, 78,
79, 128, i34, i35, 267.
Grimot (Abbé). 108, 109.
Gronemann, musicien.
i33.
Guéménée (Prince de).
270.
Guerchin (Le). 34o.
Guérin, chirurgien. i52,
261, 281,282, 284,291,
295, 296 à 299, 307.
Guide (Guido Reni dit
le). 337, 339, 340.
Guillaume III, roi d'An-
gleterre. i44-
Guimard (M"«). 297.
Gustave IIl,roide Suède.
87, i84, i85, 226, 3io.
Hatte (Catherine), voir :
M™« de Vauvré.
Hattonville (Marie-Fran-
çois-Félix, chevalier
d'), voir : Bourbon-
Conty.
Hecquet (M"*«), proxé-
nète. 118.
Heina, musicien. i34.
Heineken (M. de), collec-
tionneur. 33o.
Heinel (M»^«). 272 à 274,
275.
Helle, marchand de ta-
bleaux. 33o.
Hénault (Président). 4,
C19, 120, 122, i65,i66,
3l2.
Hénin (Alexandre-Marc-
Marcelin, prince d').
116, 122.
Henri IIl, roi de France.
i4o.
Hermand,curé de L'Isle-
Adam. 3i8.
Hesse-Rhi nfelds (Caro-
line de), princesse de
Bourbon - Condé, (2^)
femme de Monsieur le
Duc. 29, 45.
Heyden (Jean van der).
338.
Hocberg (Rodolphe d').
i46.
Hocberg (Jeanne d'),du-
chesse de Longueville.
i46.
Houdetot (M. d'). 207.
406
TABLE ALPHABÉTIQUE
Houdon. 366, 869.
Hume (David). 1921 1989
221 à 224-
Issarts (Des), ambassa-
deur. 85, 86.
Janson, musicien. i33.
Jardin (Carie du). 338.
Jarnac, voir : Rohan-
Chabot.
Jelyotte (Pierre). 127.
129, i3o, 241.
Jordaens (Jacques). 338.
Josépin. 336.
Joullain, marchand de
tableaux. 33o, 342.
Jouvenet (Jean). 340,
35o, 354.
Joyeuse (Cardinal de).
i4o.
Julienne (M. de), collec-
tionneur.33oy 337, 346.
Jully (Lalive de), col-
lectionneur. 33O9 337.
Jumilhac (M. de), col-
lectionneur. 342.
Kellermann, duc de
Valmy. 209.
Kingston (Duc de). 2o3,
205.
Kohault, musicien. i33.
La Beaumelle. 2.
Laborde (Benjamin de).
235, 258.
La Carte (Marquis de).
55, 243.
LaChalotais. 167.
La Chevaleraye, voir :
Ricard.
LaClavière (M. de),i;otr :
Chamborant.
Lacroix, partisan. 48.
Lacroix, coiffeur. 256.
Ladvocat , collection-
neur, 33i, 339.
La Fare (Philippe-Char-
les, marquis de). 12
à i4, 17, 60, 64, 67,
83.
Lafayette (Marquis de).
3l2.
Laforest (M»*). 271.
La Fosse (Charles de).
337.
La Galissonniëre. 127.
Lagrenée. 889.
La Guériniëre. 26.
La Guiche (Comte de).
33o, 337.
La Marche (Louis-Fran-
çois-Joseph, comte de),
voir : Bourbon-Conty.
La Mina (Marquis de).
5i, 52, 55, 57, 59.
La Morlière (Chevalier
Rochette de). 290, 3o i ,
302.
La Morlière (Magalon
de). 3o2.
Lamotte (M"«). 198.
Landivisiau (M. de). 240.
Landon, graveur. 373.
Langeac (Marquis de).
2971 298.
Langeac (Marquise de).
298.
TABLE ALPHABETIQUE
407
Langlier, marchand de
tableaux. 34a, 344) 345
à 35o, 357.
Lannes de Montebello.
209.
Lannoy (M"«). 91.
La Noue (M. de). i5.
La Patrille, mousque-
taire. 272.
La Porte-Mazarini (Ar-
mande de). 97.
La Porte-Mazarini (Ma-
rie-Charlotte de). 12.
La Prairie (W^). 286,
299-
La Rochefoucauld-Dou-
deauville (Duc de).
234.
La Roche - sur - Yon
(Louise- Adélaïde,
princesse de), voir :
Bourbon-Conty.
Larrivée (Henri). i35,
252, 253.
La Rue, sculpteur. 329.
Lassay, collectionneur.
340.
La Touche (M"»* de).
203, 205, 2IO,2II,2l3.
La Tour (Le Père Simon
de). 24, â5, 84, 92, 93.
La Tour (Chevalier de).
262.
La Trémoille (Charlotte
de), princesse de Bour-
bon-Condé. i44-
L'Âubespine, voir : Ver-
deronne.
Launay (Chevalier de).
269, 272, 341.
Lau raquais (Louis-Féli-
cité-Léon, duc de
Brancas, comte de).
147,256,258,259,269,
272, 273, 33f.
Laurpin (M"«). 276.
Lauzun (Duc de). 116,
263, 285.
Lauzun (Amélie de Bouf-
flers,duchessede).i24.
225, 3l2.
LaVallière (M"« de). 42.
Lavarenne (M"^*), proxé-
nète. 260.
La Vrillière, voir : Phe-
lipeaux.
Le Beau, graveur. 372,
Leblanc (Âbbé). 342.
Lebrun - Pindare. 295,
307 à 309.
Lebrun (Marie-Anne de
Surcourt,femme).3o7,
3o8.
Lebrun, marchand de
tableaux. 33o, 342,
344,345,346,350,357.
Lebrun,marguillier.327.
Le Cars, graveur. 372.
Leczinska (Marie), reine
de France. 45, 46, i23.
Leckzinski (Stanislas).
33,38,85,87,109,215.
Leclerc (M"«). 278, 279.
LeclercII (M»«). 281.
Legrand (M"»). 282, 283.
Le Fort, chirurgien. 78,
79-
408
TABLE ALPHABETIQUE
Legay (Le Père). 20.
Lelièvre , apothicaire.
282».
Lemaire, sculpteur. 358.
Le Maire, peintre. 872.
Leinierre(M**«). i35, i36,
25 1 à 253.
Le Moine (François). 34o.
Lempereur, collection -
neur. 339*
Le Nain (Les frères),339,
35o, 35 1, 353.
Lenfant (Pierre). 369.
Lennox (Lady Sarah).
116.
Le Noir, lieutenant de
police, iio, 238.
Le Noir (M"«). 270.
Lenormand d'Etiolles.97.
Lenormand de Tourne-
hem. 106.
Le Nôtre, architecte. i4i.
Leuôtre (M. G.). 323.
Le Paig^e, avocat. 117,
170, 180.
Leroy, portier à Stors,
2l3.
Lespinasse(M"*de). 220.
Lesueur(Eustache). 352,
353.
Le Tellier. 372, 373.
Létorière (Marquis de).
321.
Le Vasseur (Thérèse).
189, 193.
Levieux, réparateur de
tableaux. 356.
L'Hôpital (Marquis de).
92, 247.
L'Hôpital (Marquise de).
176, 247, 248, 3 i3, 3i4.
Ligne (Prince de). 2.
Loir, peintre. 352.
Longpré (M"®). 275.
Longueville (Ducs de),
voir : Orléans.
Longueville (Anne-Ge-
neviève, duchesse de),
voir : Bourbon-Condé.
Longueville (Jeanne, du-
chesse de), voir : Hoc-
berg.
Loo (Carie van). 339.
Loo (François van). 339.
Loo (Louis-Michel van).
33i, 339.
Loos (Comte de), ambas-
sadeur. 85.
Lorenzi (Chevalier de).
127, 128, 182, 187, 188.
Lorge (Chevalier de) . 365,
368.
Lorrain (Claude Gelée
dit le). 339, 347.
Lorraine (François de),
grand-prieur. 96.
Louis XIIL i38.
Louis XIV. 85, 144.
Louis XV, passim.
Louis XVI, 109,180,181,
182,185,357.
Lovirendahl (Maréchal
de). 260.
Lowendahl (Comte de).
264.
Luxembourg (Maréchal
de). 187, 190, 278.
TABLE ALPHABETIQUE
409
Luxembourg (M"« de)
d'abord duchesse de
Boufflers. 38, 89, 4o,
I22àia4) 1^99160,187,
188^ 190, 193, ai5,
225, 3l2.
Luxembourg (Chevalier
de). 268, 342.
Luynes (Duc de). 4i> 66,
82, 88, 102, io3, 108,
121, 217.
Mac Carthy {W^). 282.
Maillebois (Maréchal de).
43, 44, 46, 47i 60, 61.
Maillebois (Marquis de),
fils du maréchal. 5i,
58.
Mailly (Comte de). 97.
Mailly (Comtesse de).
38 à 4o, 44, 45, 97,
98.
Maine (Duc du), voir :
Bourbon.
Mainvilliers (M"«). 285.
Mairan, voir : Dortous.
Malherbe (M"*«). 284.
Mandreville, capitaine
des chasses. 36 e.
Manglard, peintre. 33o.
Mansard, architecte. 112.
Manscourt, trésorier. 1 46,
235, 307, 326, 355.
Manville (M™® de Jean
de), voir : Sabran.
Marais, inspecteur de
police. 229, 23i, 233,
238, 25i, 253, 256 à
261, 263 à 205, 270^
273, 275, 277, 279,
281 à 283, 285^ 297.
Mareschal, notaire. 210^
2l3.
Marie - Antoinette. 89,
109, 181, 182, i83.
Marie-Josèphe d'Autri-
che. 86.
Marie-Thérèse d'Autri-
che. 43, 61 à 64, 88, 89,
181, 182.
Marie-Thérèse, infante
d'Espagne. 86.
Mariette, expert. 33o,
332, 337.
Marigny (Abel Poisson,
marquis de Vandiè-
res, puis marquis de).
98, 106, 107, 274.
Marigny (Chevalier de).
262, 263.
Marnier, domestique.
i52, i53.
Marquis (M"®). i25.
Mars (M™«). 284.
Martin, expert. 33o.
Martin (M"«;. 275 à 278.
Marville (Feydeau de),
lieutenant de police.
237, 244^246.
Massillon. 170.
Mathas,procureur fiscal.
187.
Matignon-Gacé (Marie-
Thomas - Auguste
Goyonde). 12, i3.
Matignon (Louis-Jean-
Baptiste Goyon de). 1 3.
410
TABLB ALPHABBTIQDB
Matignon (Edme-Char-
lotte de Brenne, mar-
quise de). 12.
Matthéas (M»<»). 284.
Maulévrier (M»« de). 1 56.
Maupeou (Le chancelier
de).i67ài69, 179, 180,
i85.
Maupeou (M. de), colo-
nel, 272.
Maurepas (M. de). 74,
157, 357.
Maximilien-Josephyélec-
teur de Bavière. 61,
62, 74.
Mayeur de Saint-Paul.
3oo.
Mazarin (Duc de). 25 1,
268.
Mazarin (Duchesse de).
25o, 25i, 295, 324, 325.
Méer (van der), le Vieux,
35i.
Melfort (Comte de). 221.
Melun (Ânne-Julie-Âdé-
laîde de). 16. '
Melun (Comte de), voir:
Epinoy.
Ménageot, marchand de
tableaux. 342, 35o.
Mérard, sculpteur. 358,
359, 36 1, 362, 369.
Mercier, marchand de
tableaux. 342, 348.
Mercy-Argenteau(Comte
de). 89, 181, 182.
Merle (Comte de). 34i-
Merle, vaudevilliste. 75.
Mesnildot (M™* Bernar-
din de), marquise de
Vierville. I25.
Mesnildot (Mu« de), mar-
quise de Barbantane,
voir : Barbantane.
Mesny, doreur. 295, 3o2
à 307.
Metzu (Gabriel). 338,
339.
Meulen (Van der). 339.
Meusnier, policier. 237,
238.
Michel-Ange des Batail-
les, voir : Cerquozzi.
Miel (Jean). 337, 338.
Mieris (François van).
338.
Mignard. 35 1, 353.
Millet (F.), peintre. 355.
Millioty,antiquaire. 328.
Minuzzi (Général). 48.
Mirabeau (Marquis de)-
192.
Mirepoix (Duc de). 124.
Mirepoix (Duchesse de).
124 a 126, 155,176.
Modène (Chevalier de).
55, 94.
Modène(François-Marie,
duc de). 173, 174.
Modène (Charlotte-
Agiaé, duchesse de),
voir : Bourbon -Or-
léans.
Moitte, statuaire. 342,
358, 370.
MoIé, comédien. 266.
Monaco (Prince de),i;oi>:
Grimaldi.
TABLE ALPHABETIQUE
4il
Moncley (Charlotle de).
27.
Moaconseil(M^de). 122.
Montalembert-Maamont
(Marquis de). 53, 74.
Moatboissier (M"** de).
i57.
Montcairzain (Comtesse
de). 25o, 322 à 326.
MontessoQ (Marquis de).
114.
MoDtesson (Marquise
de). ïikj 160.
Monlfleury (M"*« de). 157.
Monigaultier (M"« de).
285, 286.
Monti^ny (M"*«), proxé-
nète. 276.
Montmorency (Charlotte
de), princesse deBour-
bon-Condé. i38, i44-
Montmorency-Laval (M.
de). 58, 216, 268.
Montmorency-Logny
(M a r i e - P h i 1 i p pi n e-
Thérèsede). 124.
Montijo (Comte de). 52.
Montpensier (M"* de).
119.
Monville (M. de), grand
maître des eaux et fo-
rêts. 256.
Moor (Carie de). 35 1,352.
MoreaUydessinateur. 263.
Morel^ architecte. 358.
Moret, valet de chambre.
76, 78.
Mortemart (M™«de).2o4.
Mortain(M. de).33i.
Morville (M™« de), voir :
Surgères.
Mouffle d'Angerville.2,3.
Mouhy (Chevalier de).
198.
Mozart. 116, 117, 127,
129, 340.
Murillo. 337, 339, 346,
3499 352, 354.
Mussot (Ârnould). 3oo.
Mutien (Jérôme). 337.
Mercœur (Louis - Ar-
mand, duc de), voir :
Bourbon-Conty.
Nassau (René de). i43.
Nassau (Philippe-Guil-
laume de). i43, i44*
Nassau (Louise de), élec-
trice de Brandebourg.
144.
Natoire. 34 1.
Nauroy (M.). 234.
Nazzi (Mario). 337.
Néefs (Pierre). 337.
Néer (Eglon van der).
339.
Nemours (Duchesse de),
voir : Orléans.
Nesle (Marquis de). 97.
Neufchâtel (Isabelle de).
r46.
Neuville (Comte de). 342.
Noailles (Maréchal de).
49, 58, 84.
Noai 1 1 es (Marie-Victoi-
re-Sophie de), com-
tesse de Toulouse. 29.
Noisy (Comtessede). 244*
4f2
TABLE ALrBABSTIQUE
OllÎTier (Michel-Barthé-
lémy). II 6, 117, i54«
340, 366, 367, 368.
Oppenord, architecte.
112.
Oranj^-Nassaa (Eléono-
re, princesse d*), ooir :
Bourbon-Condé.
Orléans (Ducs d'}, voir :
Bourbon-Orléans.
Orléans (Jean - Louis -
Charles d'), duc de
Long^ueville. 144? i47*
Orléans(Henri-Louisd'),
duc de Longuevilie.
i44» i46, i47-
Orléans (Charles à%
grand-prieur de Fran-
ce. 96.
Orléans (Marie d'), du-
chesse de Nemours.
147.
Ossun (Comte d'). 34a.
Ostade (Adrien van). 338^
348, 349.
Oudry (Jean-Baptiste).
340.
Paillet, marchand de ta-
bleaux, 342, 348, 35o,
357.
Pajou, statuaire. 342-
Panneau d'Arty, voir :
Arty.
Paparel (Claude-Fran-
çois). i4*
Paparel (Françoise). i4.
Papillon de La Ferté.
i36, 169.
Parisot^ mattre des re-
quêtes. 86.
Parrocel (Joseph). 34o.
Parrocel (Ignace). 369.
Pater (Jean - Baptiste) .
340.
Peilhon, secrétaire du
roi. 33o.
Pelin (M"«). 261, 262,
264 à 266. 268, 272.
Pel t , mathématicien.
33i.
Penthièvre (Duc et du-
chesse de), voir : Bour-
bon.
Peplo (Louis-Robert de).
116.
Pérault, colon. 260.
Perraux, grand hospita-
lier. 96.
Petit, médecin. 3ii.
Petit, graveur. 373.
Phelipeaux, comte de
Saint-Florentin, puis
duc de La Vrillière.
io5, 168, 298, 3oo.
Phelipes (Lieutenant-gé-
néral). 48.
Philippe (Don), infant
d'Espagne. 5i à55, 69,
60, 97.
Phul (Général). 35.
Picault, réparateur de
tableaux. 356.
Pineau de Luze (M™«).
157.
Plançon, marchand. 280.
Poelenburg (Corneille).
337.
TABLE ALPHABETIQUE
443
Poix (Princesse de). 3 12.
Polignac (Abbé de). 85.
Polignac (M°*® de). 11 5.
Pompadour (Madame
de). 5, 70, 72, 84, 96 à
ifo, 123, 125, 176,
33o.
Pont-de-Veyle (Antoine
Ferriol, comte de).
121, 122, i57 à i6o,
225, 3i3.
Porbus. 338.
Porée(Le Père). 19 à 21.
Porsein (M**«). 272, 273.
Potel (P.-C), bailli de
Llsle-Adam. 199.
Potter (Paul). 338, 344,
346.
Pougens (Chevalier de).
321, 322.
Poussin (Nicolas). 339,
35o.
Prémainvîlle,collection-
neur. 342.
Prévost (Abbé). 173,197,
198, 200.
Prie (Louise de), du-
chesse de Gardonne,
maréchale La Motte-
Houdancourt. i4o.
Prousteau , collection-
neur, 33o.
Provence (Comte de),
voir : France.
Provers, musicien. i33.
Quadt (M. de>, lieute-
nant-général. 35.
Quesnel, marchand de
tableaux. 349-
Quesnoy (François Fla-
mand, dit Le). 328,
329, 341.
Quétan, secrétaire du
prince de Conty. i3o,
i3i.
Quoniam (M"«). 32, 33,
36, 239, 240.
Ramonet, graveur. 372.
Randon de Boisset. 33 1
à 333, 341.
Raoux (Jean). 339.
Raymond V, prince d'O-
range. 143.
Redon, peintre. 352.
Rembrandt. 338, 349-
Rémoville (François-
Claude - Fauste, mar-
quis de), voir: Bour-
bon-Conty.
Rémy, peintre -expert.
328, 33o à 332, 341 à
343, 347, 349, 35o, 352,
353.
Renault, fondeur. 34*
Renoire (Abbé). 342.
Rénon, bailli de Malte.
94 à 96.
Restout. 354.
Ribérac (M°>« de). 39.
Ricard de la Chevale-
raye. 25j 3i.
Ricci (Sébastien). 352,
353.
Richard (Charles). 323 à
325.
414
TABL£ ALPHABETIQUE
Richelieu (Cardinal de).
Richelieu (A rmand -
Louis du PlessiSy mar-
quis de). 12, i6y 17.
Richelieu (Duc de). 12,
71, 127, 180, 240, 24lt
296, 3l2.
Richelieu (Comtesse
d'Egmont, née), voir :
Egmont.
Richmond(Duc de). 1 16.
Rigaud(Hyacinthe).366.
Rocheforl (M">* de). 169.
Roguin, ami de J.-J.
Rousseau. 190.
Rohan (Cardinal de). 29.
Rohan-Ghabot (Guy-Au-
guste de). 119.
Rohan - Chabot (Louis-
Auguste de). 116, 119,
229,
Rohan-Chabot (Charles-
Rosalie de), vicomte de
Jarnac. 118, 119.
Rohan-Chabot (Marie-
Sylvie de), voir : Beau-
vau-Craon.
Roissy(Anne Michel de).
116.
Rombourg, peintre. 35 1 .
Romée (Marquis de).
263, 264, 271.
Rooz. 35 1, 352.
Rosa (Salvator). 337,
35i, 352.
Rosalba Carriera. 337.
Roslin d'ivry. 236.
Roth. 79.
Rothmeyer. 35i.
Rousseau (J.-J.)- i3i,
i32, i36, 186^ 187 à
195, 199, 2o3, 226.
Rou verel (Antoine-Fran-
çois Oudart de). 216,
217.
Rouverel (Renée-Espé-
rance de). 216.
Rubens. 337, 338, 339.
Rusch. 334.
Ruysdaël (Jacques). 338.
Sabatin (M»«), c;o2r: Lan-
geac.
Sabran (Comte Joseph
de). II 5.
Sabran (Comtesse de).
ii5, 160.
Sade (Marquis de). 8.
Sailly (M. de). 177.
Saint-Aignan (Georges-
Gaspard de Clermont-
Gessans,comte deCler-
mont, marquis de). 12,
16.
Saint-Aignan (Duc de).
336, 34o.
Saint^Aubin (Marquise
de). 3oi.
Saint-Blancard (Cheva-
lier de). 272.
Sainte-Beuve. 5,221,228.
Sainte-Foy. 273, 3oi.
Saint-Florentin, voir :
Phelipeaux.
Saint-Janvier (M™« de).
259.
Saint-Lambert. 128.
TABLB ALPHABBTIQUB
415
Saint-Léon (M"^® Louise
Brayer de). 3aa.
Saint^Loais, proxénète.
276.
Saint-Mégrin (Duc de).
280.
Saint^Noms (Abbé). 34^.
Saint-Séverin (Marquis
de).65,83à85,9a, io3.
Saint-Simon (Marquis
de), bailli. 96.
Saint-Vincent (M»* de).
3ia.
Salucci. 337.
Saluées (M™« de). io4,
295.
Sanadon (Le Père). 19,
93.
Sartines (M. de), lieute-
nant de police, iio,
a38, 3oi.
Saujon (Marquis de).
216.
Saujon (Charles-Fran-
çois, chevalier de).
2l5.
Saxe (Marie- Josèphe de).
73, 86, 88.
Saxe (Maurice de). 35,
66 à 81, loi, 240.
Scalcken(Godefroy).337.
Scheffer (Baron), minis-
tre de Suède. 86.
Schenker, musicien. i33.
Schenker (M"«) , harpiste .
i33.
Schidon (Barthelemi).
336.
Schmidt, graveur. 370.
Schobert, musicien. i33.
Scipion, petit nègre.
174, 175.
Seckendorf (Maréchal
de). 47, 48.
Ségur(M. de). 3i2.
Selle (M. de). 33o.
Sénac, médecin. 77.
Sénac (M. de). 274.
Sens (M"« de), voir:
Bourbon-Condé.
Sergent (Henriette-
Louise-Gatherine de).
302.
Serrur (Henri-Auguste-
César). 369.
Sireuil(M. de).332,342.
Slodtz, sculpteur. 33o.
Sobieski. 85.
Solémi (M. de). 55.
Solimène le Napolitain.
339.
Sorbets mousquetaire.
33i.
Soubise (Jules-François-
Louis de Rohan,
prince de). 16, 4i-
Soubise (Charles de Ro-
han, prince de). 104»
105,179,248,273,274,
287.
Soubise (M"« de). io4,
106.
Soulavie (Abbé). 16,
266, 267.
Souvré (M. de). 107.
Soyer (Julie). 322.
Sozzy, bailli du Temple.
117.
416
TABLE ALPHABBTIQUB
Sperotti (Lucie-Perret-
te). 321.
Stalben. SSy.
Stainville (M. de). 58.
Steen (Jean). 338.
Steenwick (Henri). 338.
Sully (Duc de). 33o.
Surcourt (Marie-Ânne
de), voir : Lebrun.
Surgères (Marquis de).
ii5.
Surgères (Marquise de.
ii5, i56, 157.
Sysang,dessinateur.370.
Taaf, agent secret. 91 .
Talbot, mattre maçon.
358.
Tallard (Duc de). 33o,
33a, 333, 337.
Téncin (M"® de). 121.
Ténier8(David).338,346,
348, 349.
Terburg (Gérard). 338.
Terray (Abbé). 168, 177,
178, i85.
Testard (M"«). 260 à 263,
271.
Thann (Comte de). 48.
Théodore, peintre. 35 1,
353.
Théveneau de Morande.
265.
Thibaudeau (Adolphe).
333.
Thiroux deMontregard.
278.
Titien (Le). 337, 35i,
352.
Tolliers, marchand de
tableaux. 342.
Toquinet,banquier. 260.
Toulouse (Comte de),
voir : Bourbon.
Toulouse (Comtesse de),
voir : Noailles.
Tournelle (Marquis de
la). 97.
Tressan (Comte de). 122,
123.
Trevisani, peintre. 35i.
Triai (Antoine), chan-
teur. i3o, i33, i34, i36.
Trial (Jean-Ciaude), mu-
sicien. i32, i33.
Trial (M"»«), née Caubet.
i33.
Tronc, contrôleur du
Prince, 3o8.
Troy (M. de). 33o.
T r o y e (Jean-François
de). 339.
Trudaine (Daniel-Char-
les de). 127, 129, 3i2.
Trudaine (M"e). II 5.
Tugot (Jeanne-Fran-
çoise). 23 1.
Turgot. i85, 186.
Tyrconnel (Lord). 5i.
Usson de Bonnac (Char-
les-Armand d'), dit le
marquis de Donezan.
ii4, 159^ 160.
Vachon, musicien. i33.
Valentinois (Duchesse
de). 176.
TABLE ALPHABETIQUE
m
Vandières, voir : Mari-
Vassal de Saint-Hubert.
33i.
Vaudeuii(M, de). 26.
Vaujours (Louis-César
Le Blanc de la Baume,
duc de La Vallière,
puis duc de). 242.
Vaujours (Julie-Fran-
çoise de Grussol, du-
chesse de) 242.
Vauréal (Chevalier de).
3ig à 821.
Vauvré (Alexandre Gî-
rardin de). 246, 247.
Vauvré (M"»» de). 246,
247.
Vélasquez. 387.
Veld (Van den). 887,
888.
Vence (Comte de). 880.
Vendôme (Duc de). 2.
Vendôme (Alexandre
de), ^rand-prieur. 96.
Verderonne (Claude-Ma-
rie de TAubespine,
marquis de). 209.
Verderonne (Etienne-
Louis de TAubespine,
marquis de Beau-
court, puis marquis
de). 198, 208, 209.
Verdussen, peintre. 869.
Vergennes (M. de). 90.
Vernet(Joseph).887,889.
Vernier (M»«). 284.
Véronèze (Alexandre).
340, 352.
Véronèze (P. Calliari de
Vérone, ditPaul).3i9,
337, 35i, 352.
Véronèze (Anne-Mari-
ne), voir : Coraline.
Vestris (Gaétan). 268.
Vestris (Auguste). 268.
Victoire (Madame), voir :
Bourbon.
Vien (Jean-Marie). 889.
Vierville (Marquise de),
voir : Mesnildot.
Vigny, architecte, 33 1.
Villars (Maréchal de).
34i 125, i34*
Villars (Duc de). i25.
Villemur, fermier géné-
ral. 84.
Villeneuve de La Tou-
210.
Villeroy (Maréchal de).
122.
Villeroy (Charles Neu-
ville de). i4o.
Villeroy (Duchesse de).
268, 295.
Viiletaneuse (M. de), col-
lectionneur. 342.
Vintimille (M"«de). 97.
Viriville (Françoise-Sa-
bine de Grolée de).
209.
Viron, chef marmiton.
3o8.
Voltaire. 19, 20, 24, 157.
Vougny (M. de). 274.
Wailly (Chevalier de).
842.
.Walpole (Horace). 128,
27
418 TABLB ALPHABÉTIQUE
131,182,220,227,259, Weerf (Van der). 338,
3i2. 347.
Wanehop (Anne-Fran- Weninx, 35 1.
çoise). 216. Wismes (Baron de). 27.
Wangen (Baron de). 252. Wouwcrmans. 338.
Watleau, 34o, 35i, 353. Wynanl. 354, 355.
Table des Matières
PAOIS
Jugements sur le prince de Conty i
I. — Enfance et adolescence 7
Naissance de Louis-François de Bourbon-Conty. — Son père
putatif, Louis-Armand de Bourbon. — Passe-temps prin-
ciers — Un ménage troublé. — Les amants de madame
de Conly. — M. de la Fare, dit c Poupart ». — Educa-
tion du prince. — La mort du père Ducerceau. — Mariage
de Louis-François.
II. —Conty soldat 3i
Le prince de Conty et MU^ Quoniam. — Guerre de la succes-
sion de Pologne. — Naissance du comte de La Marche.
~ Mort de la princesse de Conty, la jeune. — Retraite du
prince à l'Isle-Adam. — Guerre de la succession d'Autri-
che. — Départ subreptice pour Tarmée. — Conty général
en chef. — La campagne de Flandres. — Démêlés du
prince avec le maréchal de Saxe.
III. — Ministre sans portefeuille 82
Le prince de Conty travaille avec le Roi. — Commentaires
et suppositions. — Les imaginations du marquis d'Argen-
son. — t Roi de Pologne ». — La vérité sur ces travaux,
mystérieux . — Police diplomatique. — Le chevalier d'Eon.
— Lord Taaf . — Le père de La Tour. — La Compagnie de
Jésus et l'Ordre de Malte. — Conly contre Pompadour. —
Retraite du Prince.
IV. — La Cour du Temple m
Le prince de Conty, grand prieur de France, se loge au
Temple. — Le palais prieural. — Réceptions princières.
— Les habitués, les intimes. — c Le thé à Tanglaisc dans
le salon des quatre glaces ». — La musique du Prince et
ses concerts.
420 TABLE DBS MATIERES
V. — L'Isle-Adam 187
Le prince de Gonty propriétaire. — Ses acquisitions, ses
échanges. -> Embellissement et agrandissement de L'Isle-
Adam. — Le château, ses dépendances. — Les plaisirs de
la campagne. — M. de Ghauvelin, poète et M. de Pont-
de-Veyle, paradiste. ^ Quelques anecdotes. — Le c père
Prince >.
M. — Gonty parlementaire i64
Pair de France. — La c passion du Parlement ». — La crise
de 1770. — Procès du duc d'Aiguillon. — Exil du Parle-
ment de Paris. — Protestation des princes. — Défection
du comte de La Marche. ^ Louis-François-Joseph de
Bourbon. — Le prince de Gonty demeure seul inébranla-
ble. — Son triomphe au rappel du Parlement. — Opinions
politiques et philosophiques du Prince. ^ Ses relations
avec J.-J. Rousseau, Beaumarchais, Diderot, l'abbé Pré-
vost.
VII. — Les amours du prince de Gonty 20a
Les maîtresses en titre. — Trois liaisons de durée. — M">e Pan-
neau d*Arty. — Amours batailleuses. — Une amie de
Mme d'Epinay. — La ressuscitée de Stors. — M"»» de Bouf-
flers. — La « Minerve > du Temple. — L*amante reste
l'amie. — M^ Gauché-Dailly, dite de Brimont. — La
recluse de Popincourt. — Les bâtards reconnus du Prince,
derniers Bourbon-Gonty.
VIII. — Les Amours du prince de Gonty (Suite) 287
Les maîtresses de rencontre. — Index chronologique et
anecdotique de 173... à 1776.
IX. — Les Amours du prince de Gonty (Suite et fin) . . . 289
Une collection de bagues et de souvenirs. — Gérémonial
d'une visite amoureuse au Temple. — L'aventure de
Mlle Fauconnier. — Les rabatteurs du Prince. — La Gour-
dan et le chirurgien Guérin. — Audinot, comédien-direc-
teur-proxénète. — Le chevalier de La Morlière. — Mesny
et sa correspondance : le ménage Dulin de Fontenette. —
Lebrun-Pindare a-t-il vendu sa femme au prince de
Gonty ?
X. — Mort du prince de Gonty 3io
La santé du Prince décline. — Dernier séjour à la campagne.
— Réconciliation du père et du fils. — Impénitence finale
de Gonty. — Sa mort: on transporte le corps à L'Isle-
Adam. — Les bâtards faussement attribués au Prince :
les chevaliers de Vauréal et de Pougens. — La comtesse
de Montcairzain. —La succession du prince de Gonty. —
Sa vente après décès. — Le Prince amateur de tableaux.
TABLE DES MATIERES 421
PAGI8
— Une collection admirable. — La chapelle funéraire de
Llsle-Adam. — Ce qu'il en reste.
Iconographie de Louis François de Bourbon-Gonty. . . . 365
Généalogie des princes de Conty 378
Bibliographie , 38i
Index alphabétique ^ 393
Errata
Page 84, ligne i3 (en note). Au lieu de : « il s'était signalé en
Suéde (1741) pour la prompte conclusion du traité des subsi-
des... n, lire : « il s'était signalé par la prompte conclu*
si on, etc. »
Page i22« ligne 4- Au lieu de : « une amitié de quarante ans déjà
le lie à W*^ la comtesse du Deffand... », lire : « marquise du
Deffand ».
Achevé d'imprimer
à Laval
le 24 Décembre /507
sur les presses de
L. BAUJ^ÉOUD et C'
pour
Jean SCHEMIT, libraire
à Paris.
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y Des mêmes Auteurs
G. Capo4< et R. YvE-pLEi8i8 : Varxt gâtant au dix-huitième nèele :
les Théâtres ctandestins. Ouvrage orné de huit planches.
Paris, 1905, I vol. in-8, tiré à 53o exemplaires. iS fr.
G. Capon et R. Yve-PtEssia : Paris gâtant au dtx-huitième siècle :
"Fille d'Opéra, vendeuie d'amour ; histoire de M^ Deschamps
(1730-1764), racontée d'après des notes de police et des
documents inédits. Ouvrage orné de quatre planches en
couleurs, d'un plan et de deux fac-similés. Paris, 1906.
1 vpl. in-8, tiré à 53 o exemplaires t5 fr.
G. Capon et R. Yve-Plessis : Lettres d'amour de Cyrano de Ber-
gerac, publiées sur le Manuscrit inédit de la Bibliothèque
nationale, avec une introduction. Ouvrage orné d'un por-
rraii en taille-douce. Paris, içoS, 1 vol. petit in-8, tiré à
3 10 exemplaires 7 fr. 5o
G. Capon : Ler Petites-Maisons galantes deiParis an XVJW siicte,
•I vol. in-8. Epuisé.
Les Maisons closes au XKfJT siècle, i vol. in-8. T^puaé.
G. Capon et H. Vial : Journal d'un hourgeots de Popincottrf. Paris,
1900, in-8 5 fr.
R. Yve-Plessis : 'Essai d'une Bihliog^phie française de la Sorcel-
lerie. Avec une préface par AtasKT de Rochas. Ouvrage
orné de sept planches. Paris, 1900, 1 vol. tn-S. tiré à
5oo exemplaires lo fr.
Petit Essai de Bihtiothérapeutique, ou l'art de soigner les tiwres
vieux et malades, 1 vol. in- 12. Epuisé.
Bihtiographie de l'Argot et de la Langue verte, du XV' au
t XX' siècle, j vol. in-8, tiré k lyS exerapiâures. 7 fr. 5o
I
LAVAL. IMPRIMERIE L. EARNEOUO ET C^.
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