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Full text of "Paul Helleu, peintre et graveur. Par Robert de Montesquiou"

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MONTESQUIOU 


EXMBPIS 


GERKOr 
VERlWEY 


Paul   Helleu 

Peintre  et  Graveur 


JUSTIFICATION 


IL    A    ÉTÉ    TIRE    DE    CET    OUVRAGE 

100     EXEMPLAIRES    SUR     PAPIER     JAPON 

NUMÉROTÉS    DE    1     A    100 


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I 

HELLEV,  PAR  BOLDINI 


Robert  de   Montesquiou 


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Paul     Helleu 


Peintre  et  Graveur 


PARIS 
H.    FLOURY,   ÉDITEUR 

I,    Boulevard    des    Capucines,     i 
I915 


553 


H35HG 


MADAME 

PAUL   H  ELLE  U 


a 


«  la  multiforme  Alice 
dont    la    rose    chevelure 
illumine  de  son  reflet 
tant    de    miroirs    de    cuivre   ». 


Robert  de  Montesquiou 


II 

LA  CHEVELURE  DORÉE 


III 

LES   VITRAUX  DE  REIMS 


Nos  amateurs  d'art  persisteront-ils  à  de- 
meurer des  amoureux  de  bric-à-brac, 
moins  la  géniale  autorité,  sans  la  supérieure 
indépendance  d'un  Concourt  devançant  la 
mode,  la  créant,  avec  sa  richissime  collec- 
tion de  dessins,  amassée  à  si  peu  de  frais  ! 
rien  que  racheter  ou  conserver  des  papiers 
d'emballeur,     des     enveloppes     de     paquets  ; 


Veuillot  aurait  dit  :  «  autour  d'un  resseme- 
lage »  ? 

Certes,  d'importantes  leçons  nous  sont 
venues  de  cette  vente,  qui  n'aura  pas  mérité 
uniquement  l'épithète  à' mfenninûbh'.  Le  billet 
de  mille  froissé  autour  de  cette  épreuve  de  la 
Bouquetière'  de  Boucher,  en  marge  de  laquelle 
se  lisait  encore,  au  crayon,  le  prix  que  l'avait 
vendue,  aux  deux  frères,  le  père  même  de 
l'expert  Danlos  :  trois  livres  dix  sols,  devra, 
s'il  est  bien  entendu,  persuader  aux  ache- 
teurs qui  n'ont  pas  le  seul  souci  de  se  mon- 
trer riches,  que  c'en  est  fait  de  ces  antiques 
achats,  enlaidis  de  gros  prix,  et  qu'il  faut 
désormais  laisser  aux  maniaques  ou  aux 
musées. 

Il  est  encore  de  nobles,  de  plus  réceuts 
objets  méconnus,  qu'il  siérait  de  grouper  glo- 
rieusement et  modestement,  ainsi  que  l'ont 
fait  les  Concourt,  pour  la  première  et  la  plus 
importante   partie    de    leur  collection.    C'est 


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ceux-là  qu'il  devient  spirituel  de  rechercher  ;  et 
puisque  la  mode  s'adonne  aux  reconstitutions, 
c'est  le  suranné  qu'il  faudrait  reconstituer,  pour 
ne  pas  retarder  sur  les  trouvailles. 

Seulement,  une  sincérité  est  nécessaire  à  la 
mise  en  pratique  de  ce  conseil,  que  je  donnais 
déjà  il  y  a  pas  mal  d'années ,  et  que  je  vois  suivre 
par  des  jeunes  gens,  qui  me  paraissent  lui 
substituer  plus  d  affectation  que  d'application. 
Que  penser,  par  exemple,  dune  Exposition  du 
Dandysme,  dans  laquelle  ne  figure  pas  un  seul 
portrait  de  d'Orsay?  Je  n'en  croyais  ni  mes 
yeux,  ni  la  logique,  ni  la  distraction,  ni  la 
naïveté  ;  tout  comme  le  jour  où  le  nom  de 
Madame  Lebrun  ne  fut  pas  prononcé,  dans  une 
sensationnelle  manifestation  en  l'honneur  des 
peintres  du  Dix-Huitième  Siècle. 

Le  Bertin  d'Ingres  (pour  en  revenir  à  de 
plus  hautes  statures)  était,  il  y  a  quelques 
années  encore,  à  la  portée  d'hésitantes  col- 
lections,   qui   n'en  ont  pas  voulu,    et  qui   se 


seraient  pourtant  haussées,  en  se  l'appro- 
priant, à  une  noblesse  historique. 

Mais  de  plus  sensibles  conseils  se  de- 
vraient imprimer  dans  les  cerveaux,  sous  le 
martel  de  ces  enchères  ;  sans  omettre  cette  ré- 
flexion que  Watteau  n'a  pas  toujours  été  mort, 
et  qu'il  s'est  parfois  rencontré  des  amateurs 
éclairés  pour  faire  exécuter,  par  des  vivants, 
des  décorations  et  des  objets  d'art  d'autant 
plus  discutés  à  leurs  débuts,  que  l'avenir  leur 
doit  être  plus  clément  ou  plus  fervent,  et 
qui  deviendront  des  chefs-d'œuvre. 

Car  c'est  une  haute  dignité,  considérer  les 
choses  actuelles,  avec  le  regard  renseigné  dont  les 
contempleront,  dans  l'avenir,  ceux  qui  les  com- 
prendront enfin  l 

Unardent  désir  de  se  signaler,  dans  cegenre, 
me  paraît  une  noble  et  charmante  descente 
du  Saint-Esprit  sur  une  tête  fortunée  ;  et  l'on 
ne  cesse  de  l'attendre,  même  après  tant  d'es- 
poirs avortés,  d'exaltations  follettes,  de  con- 


13 


sécrations   falotes   et   de    formidables   oublis. 

Des  erreurs,  des  écoles  comportent,  en 
cette  voie,  plus  de  dignité,  que  de  timides 
réussites  sur  des  chemins  parcourus;  et  j'aime 
mieux  certains  essais  violents  et  saugrenus 
du  pauvre  rêveur  de  Bavière,  qu'une  réci- 
dive de  Salon-Soleil  ou  de  Boudoir-Rococo, 
dont  ce  Louis-là  sut  du  moins  les  manquer 
tous  ! 

Oui,  je  veux  rajeunir  l'extase  des  regards, 
renouveler  l'appétit  des  sens,  au  début  d'un 
repas,  à  l'aurore  d'une  fête;  je  demande  à  m'eni- 
vrer  réellement,  fictivement,  en  de  modernes 
vases  murrhins  ;  je  réclame  nnsnrfouf  de  table 
qui  associe  des  cristaux  d'Emile  Galle,  le  ver- 
rier fée,  à  des  émaux  du  bijoutier  magicien, 
René  Lalique  ;  j'exige  que  le  festin  qu'il  or- 
nemente soit  servi  sous  des  coupoles  pleines 
de  muses  dues  à  Stevens  et  à  Whistler,  de 
Femmes-Fleurs  par  Boldini  et  par  ce  mul- 
tiple   Besnard,   que   les   circonstances  et  son 

13 


génie  ont  mis  en  état  de  prouver  jusqu'où  il 
pouvait  élever,  dans  le  divin  et  dans  Thumain, 
l'art  de  la  décoration  murale.  Et  que  ces  beaux 
spectacles  nous  soient  offerts  entre  des  parois 
qui  se  creusent  sur  de  profonds  et  mystérieux 
panneaux  de  Lobre,  et  des  frises  où  Maurice 
Denis  (dont  les  inoubliables  fresques  de  la 
chapelle  Cochin  ne  sont  pas  loin  d'évoquer 
Gozzoli)  fait  sonner  du  cor  dans  les  bleus 
espaces,  et  donner  de  l'hallali  au  plus  haut  des 
cieux,  par  les  anges  bottés  de  la  Chasse  à 
Courre. 

Ces  noms  seuls,  pour  grands  qu'ils  soient 
restés,  pour  amplifiés  même  qu'ils  m'apparais- 
sent,  disent  que  ces  réflexions  ne  datent  pas 
d'hier.  Je  vois  bien  ceux  que  l'actualité  enten- 
drait me  leur  faire  substituer.  Je  n'y  souscris 
qu'avec  une  réserve,  dont  je  voudrais  qu'elle 
lut  du  discernement.  Certes  je  ne  tiens,  en 
aucune  manière,  pour  une  réalisation  de 
mon    vœu,    l'apparition    née    du    sillage    de 


Beardsley  embourgeoisé  et  de  Bakst  bêtifié, 
d'une  école  à  la  fois  abracadabrante  et  enfan- 
tine, dont  les  combinaisons  disgracieuses  et 
criardes  me  font  penser  à  un  joujou  de  Nurem- 
berg pour  parents  terribles.  Fâcheux  ensemble 
duquel  les  contours  sans  courbes  nous  mena- 
cent de  fmir  dans  le  Magenta,  comme  nous 
avons  commencé  dans  le  Solfer/iw,  vilaines 
et  vineuses  couleurs  guerrières  de  notre  jeu- 
nesse. 


Que  de  fois  ces  pensées  me  sont  venues  de- 
vant ces  émouvants  aspects  de  Versailles  expo- 
sés au  Champ-de-Mars,  par  notre  subtil  ami 
Helleu,  à  la  gloire  de  qui  l'on  pourrait  bien  — 
mis  en  goût  d'anciennes  citations  —  transposer 
ce  vers  : 

Peintre,  cesse  de  vaincre  ou  je  cesse  d'écrire  ! 

Car  entre,  à  vrai  dire,  de  flatteurs  succès, 

15 


il  faut  pourtant  la  cécité  même  de  ceux  qui 
l'admirent  et  s'adressent  à  lui,  pour  n'avoir 
pas  encore  entendu  les  mélodiques  accords 
qu'un  si  harmonieux  peintre  pourrait  faire 
rendre  aux  heureuses  murailles  qui  lui  se- 
raient confiées. 

C'est  avec  plaisir  et  peine  que  je  l'ai 
appris,  des  amateurs  intelligents  se  sont  par- 
tagé ces  ensembles  automnaux.  Ce  ne  sera 
qu'un  doux  et  triste  tableau,  dans  chacune  de 
leurs  collections,  sans  nul  doute  délicatement 
élaborées.  Mais  le  bel  et  mélancolique  Bou- 
doir de  l'Automne,  aux  tentures  en  quin^e- 
sei:^e  bleu  pâle,  dont  c'étaient  là  les  dessus-de- 
porte  nés,  et  que  l'artiste  eût  complété  des 
fresques  exquises  et  impatientes,  desquelles 
ses  brosses  sont  remplies,  le  voilà  veuf  d'une 
de   ses  tapisseries   dorées  ! 

Tous  les  brocarts  de  l'Arrière-Saison,  pit- 
toresquement  décrits  par  une  Sévigné,  Helleu 
les  a  souvent  peints   dans  ses  toiles  enchan- 

i6 


tées.  Octobre  y  pleure  des  larmes  d'or  sur 
des  Olympiens  désolés  ;  et  ce  sont  des  au- 
tomnes plus  anciens,  dont  s'attardent  les 
reflets,  sur  les  groupes  de  ce  bassin,  où  des 
feuillages  jaunis  se  sont  défilés,  comme  les 
grains  de  chapelet  d'un  abbé  musqué,  les 
perles    mortes    dun    collier    de   favorite. 

Mais  combien  d'autres  chambres,  en  des 
styles  divers,  et  différemment  élus,  se  sont 
offertes  aussi  vainement,  sous  le  pinceau 
d'Helleu,  au  millionnaire  inéclairé  ou  inat- 
tentif, à  l'affût  dun  Hubert  Robert  retouché, 
ou  d'un  Canaletti  apocryphe  ! 

J'ai  vu  de  quoi  tendre  toute  une  Sa  Ile 
des  Fratcheiu's,  sous  des  panneaux  de  mer, 
glauques  et  azurés,  où  claquent  et  se  dia- 
prent  les  drapeaux  des  yachts,  où  des  jetées 
se  fleurissent  joyeusement  de  toilettes  et  de 
parasols. 

De  plus  suaves  rayons  ont  couru  sur  la 
palette  de  notre  peintre.  Il  les  faudrait  décrire 

17 


avec  détail.  Si  les  navires  lui  furent  chers, 
il  aima  non  moins  les  nefs  de  notre  salut, 
les  frais  vaisseaux,  pleins  de  reflets  et  d'en- 
cens, des  cathédrales  pensives.  Les  taches 
arc-en-ciélées,  que  le  soleil  fait  se  mouvoir 
au  long  des  murs  et  courir  sur  les  tombeaux, 
en  jouant  à  travers  les  verrières,  le  peintre 
a  su  fixer  leurs  insaisissables  tons  d'althœas 
satinés  et  lisses.  Mais,  agonies  d'automne,  flots 
soleilleux,  mausolées  où  le  jour  expire,  qui 
saurait  vous  peindre,  que  de  tons  de  fleurs, 
que  de   teints   d'enfants   et   de   femmes? 

Femmes-Heurs,  fleurs-enfants,  ce  sont  les 
vrais  modèles  d'Helleu,  rare  maître  des  élé- 
gances ;  ses  pastels  de  la  Comtesse  Greffulhe 
seront  des  émerveillements  de  l'avenir,  et 
ses    bleus    hortensias    sont    pleins    de    rêves. 

Concourt  Ta  dit  dans  la  délicate  préface, 
dont,  à  ma  requête,  un  peu,  ~  j'ose  le 
rappeler,  —  il  ornementa,  en  189s,  un  cata- 
logue de  ces  eaux-fortes  d'Helleu,  aujourd'hui 


célèbres,  et  dont  une  importante  collection, 
en  très  belles  épreuves,  fut  le  joyau  d'une 
suprême  vacation  de  la  vente  d'Auteuil  ! 
«  Je  ne  sais  pas  un  autre  mot  pour  les 
baptiser,  ces  pointe-sèche,  que  de  les  appeler 
les  insfaiitcine's  de  la  grâce  de  la  femme.  // 
Qu'ajouter  à  cela,  si  ce  n'est  qu'il  y 
faudrait  moins  —  et  davantage  —  à  savoir, 
après  la  décorative  consécration  de  cette  Pré- 
face d'un  Concourt  et  l'estime  ancienne  des 
critiques  perspicaces  ou  des  amis  compréhen- 
sifs,  il  y  faudrait,  dis-je,  comme  dans  les  Mille 
et  UneNitifs,  l'apparition  imminente  d'un  Palais 
d'Aladin,  mais  aux  murs  blancs  et  nus,  et  qui 
s'en  retourneraient  délicieusement  revêtus  par 
Helleu,  avec  toutes  les  nuances  des  cieux  et  des 
ondes,  et  de  la  mort  du  soleil  parmi  les  vitraux, 
et  de  l'agonie  des  étés  au  seuil  des  automnes... 


Ces  lignes,   ou  presque  toutes,   ces  lignes 

19 


dont  notre  défunt  ami  Rodenbach  goûtait  le 
finale,  je  suis  heureux  d'en  reprendre,  avec 
moins  de  sécheresse,  la  graphique  pointe-sèche, 
naguère  ébauchée  par  moi,  et  publiée,  d'après 
Paul-CésarHelleu,  dessinateur,  peintre,  pastel- 
liste, pointe-séchiste. 

Longtemps  confiné,  par  la  manie  de  caté- 
gories où  le  public  se  complaît,  dans  la  troisième 
de  ces  appellations,  je  soupçonne  Helleu  de  lui 
garder  rancune,  tout  comme  Balzac  s'irritait  de 
s'entendre  appeler  :  L'Auteur  d'Eugénie  Gran- 
det, au  détriment  de  tant  d'autres  œuvres.  Aussi 
semble-t-il  que  le  pastelliste  qui,  dans  cette 
branche  de  son  travail,  avait,  à  sa  façon,  comme 
Hugo  récrivait  de  Baudelaire,  «  inventé  un  fris- 
son nouveau  »  —  préfère  momentanément  aux 
délicates  irisations  de  l'art  de  Vivien,  deLatour, 
de  Perronneau,  de  La  Rosalba  et  de  Liotard,  le 
rouge  et  le  noir  des  crayons  de  Watteau;  et, 
mieux  encore,  les  savantes  égratignures  du  dia- 
mant sur  le  cuivre. 


30 


Je  regrette,  pour  ma  part,  et  quel  que  soit 
mon  goût  pour  ces  gravures,  leur  substitution, 
désormais  presque  intégrale,  dans  l'œuvre 
d'Helleu.  à  ces  grands  pastels  qu'il  produi- 
sait en  nombre,  il  y  a  tantôt  dix  ans,  dans  le 
même  temps  que  Forain  exposait  le  beau  por- 
trait —  qui  surprend  dans  son  œuvre,  et  qu'il 
peignit,  de  grandeur  nature,  d'après  Made- 
moiselle Bob  Walter,  en  costume  du  Dix-Hui- 
tième Siècle,  d'un  pâle  bleu  Wedgwood,  et 
sous  un  chapeau  de  bergère.  Qu'est  devenu 
ce  tableau,  que  j'ai  vainement  redemandé  à 
l'exposition  récapitulative  du  peintre  de  Doux 
Pays  ? 

C'était  aussi  le  temps  où  le  maître  Boldini, 
jusque-là  lui-même  plus  exclusivement  voué 
à  des  tableaux  de  genre,  se  prit  à  amplilier  leurs 
personnages  menus  et  déguisés  à  l'Empire, 
jusqu'aux  proportions  de  ces  grandes  figures 
si   verveusement  paiisiennes. 

Les     Parisiennes    d'Helleu     se     caractéri- 


21 


saient,  et  le  désignèrent,  dès  le  début,  par  un 
raffinement  distingué  et  inimitable. 

Pourlatoilette,  de  préférence  toujours  sobre 
ou  sombre,  aux  tons  tendres  ou  discrets,  on  eût 
dit  des  Anglaises  habillées  Rue  de  la  Paix,  ou  des 
Françaises  vêtues  à  Londres.  Une  sorte  d'ajuste- 
ment élégant,  sans  rien  de  voyant  ou  de  vif,  fait 
de  toute  rare  jeune  femme  qui  eut  le  goût  de  s'en 
décorer,  un  motif  inné  pour  Helleu,  dans  un 
salon  ou  sur  une  promenade. 

Je  regardais  hier  son  tout  dernier  modèle  : 
une  jeune  dame,  une  Américaine,  pensivement 
jolie,  mince,  grande  et  gracieuse.  Certes,  des 
affinités  électives  du  goût  choisi,  de  ce  que 
j'appellerai  du  tact  dans  la  mise,  avaient  fait 
se  rencontrer  le  sujet  et  le  peintre.  Jamais  le 
second  n'aurait  pu  indiquer  au  premier  une  si 
exacte  réalisation  de  Tatour  sans  clinquant  ; 
jamais  l'autre  n'aurait  su  revêtir,  sans  person- 
nelle prédilection,  une  parure  si  adéquate.  Un 
costume  de  demi-deuil,  mêlé  de  crêpe  de  Chine 


noir  et  de  pékin  noir  et  blanc,  aux  raies  inégales, 
où  des  boutons  de  cristal  taillé  faisaient  s'égout- 
ter  comme  des  briolettes.  Un  chapeau  d'une 
sparterie  d'un  noir  mat,  ni  trop  volumineux, 
ni  trop  cabossé,  mais  d'une  courbe  agréable. 

Le  noir  sied  aux  modèles  d'Helleu.  Un  de  ses 
grands,  et  des  plus  séduisants  pastels,  dont  je 
me  souviens  bien,  représente  une  jeune  femme 
en  noir,  décolletée.  Elle  tient  à  la  main  un  éven- 
tail argenté,  qui  se  déplisse  comme  un  papillon 
au  clair  de  lune.  J'insiste  sur  cette  comparaison 
et  sur  ce  détail,  en  apparence  léger,  significatif 
chez  ce  peintre  dc'licat,  de  quelques-unes  de  ses 
tendresses  artistes. 

Vibrant  émule  des  Outamaro  et  des  Okousaï, 
Helleu  ébauchait,  un  jour,  pour  moi,  un  projet 
de  kakémono,  d'après  une  vitrine  de  ces  Heurs 
ailées.  Maisquen'a-t-il  vu  la  prodigieuse  collec- 
tion de  ces  insectes,  récoltée  sur  d'exotiques 
calices  (dont  ils  avaient  hérité  les  coloris),  par 
un  chasseurde  chimères  ! 


De  par  la  munificence  d'une  femme  de  goût, 
que  j'eus  le  bonheur  de  seconder,  elle  chatoie 
aujourd'hui  dans  un  musée  d'art  décoratif 
étranger,  cette  pinacothèque  aligère  et  flori- 
fère. Elle  enseigne  à  de  jeunes  ornemanistes 
studieux  (que  Chavannes  eût  aimé  représen- 
ter, en  ces  audacieuses  copies  du  chef-d'œuvre 
de  la  Création)  à  tirer,  comme  l'a  fait  Lafarge, 
l'ingénieux  rénovateur  du  vitrail,  de  la  vivante 
et  mouvante  verrière  offerte  au  regard  par  le  vol 
du  Danaïs  Tytia,  papillon  de  l'Amérique  du 
Nord,  la  rayonnante  mise  en  plomb  de  vitraux 
ineffables.  Les  chinages  du  Teinopalpus  Impé- 
rialis,  papillon  hindou,  les  formeront  à  zébrer 
de  frissons  soyeux,  de  féminines  écharpes.  Et 
n'est-ce  pas  avec  un  religieux  émerveillement 
qu'ils  apprendront  à  vénérer,  en  tel  autre  papil- 
lon indien,  le  modèle  initial  du  textile  type,  du 
parangon  omnicolore  et  harmonieux  de  tous  les 
tissus,  du  châle  de  cachemire  ? 

Jlmagine  que  le  numéro  506  de  la  collection, 

24 


\e  Pyrameïs  Afû/aiifa ,  papillon  américain,  dans 
lequel  je  ne  sais  quelle  patiente  loupe  réussit  à 
dénombrer  quatre-vingt-sept  couleurs,  ne  fut 
pas  non  plus  étranger  à  la  composition  du  schall 
de  Madame  Firmiani  et  de  la  Cousine  Bette. 
Mais  quelle  autre  plus  magicienne  lentille 
saurait  répartir,  dans  l'aile  du  Protée  des  êtres, 
l'infinie  multiplication  de  ses  caprices  et  de 
ses  rôles? 

J'en  aimerais  catégoriser  les  inépuisables 
similitudes.  Je  préfère  les  présenter,  au  cours, 
en  apparence  incohérent,  d'une  notation  à  vol 
d'insecte.  Elles  sont  disparates  et  inouïes.  Une 
tête  de  mort,  une  carte  géographique,  et  le 
bariolage  tape-à-l'œil  d'un  accoutrement  de 
pitre.  Des  lunules  d'or,  ici;  et  là,  des  lunules 
argentées.  Le  rouge  et  le  noir  d'un  Méphisto  ; 
le  rouge  et  le  noir  d'un  vase  étrusque.  La 
tache  vermillon  d'un  bouchon  de  ligne,  ou  de 
ce  haillon  rouge  dont  Corot  aime  à  piqueter 
le  vert  gris   d'un  brumeux  paysage.   La  fervi- 

i  25 


dite  du  feu,  la  transparence  de  l'aquarelle;  le 
blanc  et  le  bleu  d'un  autel  virginal  ;  la  pluie 
d'or  de  la  Danaë  mythologique.  D'élégants 
rappels  de  toilettes;  d'indéplissables  plissés, 
une  robe  d'été  en  jaconas,  des  costumes  de 
yachting;  une  fiancée,  un  jour  de  contrat  ;  un 
demi-deuil  de  veuve  consolée.  —  Le  bois  : 
les  entre-croisements  de  la  marqueterie,  les 
perforations  du  liège.  Des  métaux  :  un  cuivre 
automnal,  des  damasquinés,  des  niellures. 
Les  gemmes  :  des  œils-de-chat,  des  chryso- 
prases,  des  opales.  Le  ciel  :  un  couchant 
vénitien,  un  firmament  scintillant  d'étoiles. 
Et  tous  les  phénomènes  de  déguisement, 
dont  plusieurs  sont  des  procédés  de  protec- 
tion, réellement  accordés  au  préciosissisme 
papillon,  moins  par  surcroît,  que  par  garan- 
tie. En  voici  un,  tout  vêtu  de  vert,  antenne 
de  deux  panaches  géants,  et  qui  fait  s'envoler 
comme  une  grenouille  emplumée.  Un  autre, 
qu'il    faudrait    nommer   :    papillon-edelweiss, 

26 


le  missionnaire  des  névés,  maternellement 
armé  par  la  nature,  et  orné,  par  elle,  pour 
lui  dérober  de  frigides  pollens,  sous  sa  robe 
d'un  blanc  gris,  toute  fourrée  d'un  duvet 
candide.  —  Celui-ci  semble  découpé  dans  ce 
tulle  végétal  en  lequel  le  ver  à  soie  trans- 
forme la  feuille  du  mûrier,  et  que  les  Chi- 
nois décorent  de  peintures  ;  celui-là,  pour 
décevoir  son  ennemi,  devient,  rien  qu'à  se 
refermer,  une  feuille  morte,  à  s'y  méprendre. 
De  plus  rares,  se  refermant  à  leur  tour,  se 
déguisent  figurativement  en  serpent,  ou  en 
hibou,  pour  terrifier  l'adversaire.  Un  petit 
bruit  d'ongles  est,  à  tel  sujet,  le  moyen  de 
défense  singulier  dont  la  Providence  lui  lit 
un  chasse-mouches.  Mais  les  mieux  gardés 
ne  sont-ils  pas  ces  deux-ci,  dont  le  goût 
est  si  doux,  qu'il  leur  faut  ces  deux  sosies 
amers  pour  assurer  la  conservation  de  leur 
trop  suave  espèce  ? 

Qu'on    s'étonne,    après    de  tels  prodiges, 

27 


que  Baudry,  dont  les  dernières  peintures 
n'en  témoignent  que  trop,  n'ait  pas  voulu 
donner  un  coup  de  pinceau,  sans  l'assortir 
à  un  papillon  piqué  au  châssis  de  sa  toile  ; 
que  le  papillotant  décorateur  Chéret  use, 
dit-on,  du  même  artifice  pour  communiquer 
à  ses  affiches,  tant  l'irradiation  du  coloris 
que  les  attitudes  voltigeantes  ;  qu'Helleu, 
enhn,  ait  tenté  l'impossible  kakémono  dont 
je  parlais  au  début  de  cette  incidente. 

Cette  aile  de  papillon  qu'est  l'éventail, 
nous  la  retrouvons  aux  mains  gantées  d'une 
autre  jeune  femme  en  noir,  décolletée  en 
cœur,  et  qui,  la  première,  au  Salon  des 
Pastellistes,  fixa  la  faveur  du  public  et  l'at- 
tention de  la  critique.  Une  tiède  atmo- 
sphère du  soir,  rosie  à  travers  l'abat-jour, 
par  une  lampe  discrètement  allumée,  quel- 
ques tleurs,  et  cette  autre  aile,  d'ange 
celle-là,  qu'est  une  harpe  debout  et  silen- 
cieuse,   tout,    jusqu'au    format    insolitement 


carré  de  cette  jolie  toile,  retenait  le  regard, 
et  n'a  cessé  de  le  charmer  aux  expositions 
ultérieures,  où  son  retour  lui  permet  de 
venir,  selon  l'expression  de  Vigny,  éprouver 
victorieusement  la  durée  de  l'opinion  et  de 
la  mode. 

De  la  même  époque,  est  un  portrait  pareil- 
lement au  pastel,  d'après  Mademoiselle  de 
Béchevel,  une  main  sur  la  hanche,  avec 
un  joli  rappel  de  rousseur  entre  le  gant 
de  peau,  et  la  chevelure  fauve.  Je  citerai 
encore  un  pastel  de  proportions  plus  res- 
treintes, qui  fait  partie  de  la  collection  de 
Mistress  Moore.  C'est  le  portrait  d'une  jeune 
tille  de  quinze  ans,  Lady  Mary  Montagu,  tille 
de  la  Duchesse  de  Manchester.  Mondaine 
Iphigénie,  au  seyant  chapeau  noir,  relevé 
d'une  plume  ;  gantée  de  blanc,  en  sa  tunique 
blanche,  retenue  par  des  rubans  de  satin 
noués  ;  gracieux  et  grave  visage  en  proie 
aux  atteintes  d'un  mal  qui  fauchait  ce  modèle 

29 


en  Heurs,  peu  de  mois  après  les  rapides 
séances  qui  nous  en  lèguent  le  candide  sou- 
venir. 

Les  adolescentes  aux  cheveux  serpentins, 
Helleu  les  aime.  J'admire  Tune  d'elles  dans 
le  salon  de  la  Marquise  de  Dion,  une  autre 
chez  la  Baronne  Deslandes,  qui  lui  donne 
pour  pendant  sa  propre  silhouette,  moulée 
en  une  robe  d'un  crêpe  de  ce  rose  saumon, 
qui  fut  cher  au  Second  Empire,  les  yeux 
alanguis,  la  bouche  tendrement  attristée,  le 
buste  infléchi,  les  bras  au  geste  évasé  comme 
des  ailes  alourdies  de  pluie,  prêtresse  d'un 
culte  inconnu,  semi-agenouillée  au  devant 
dune  divinité  invisible. 

Un  mystérieux  pastel  est  encore  la  pro- 
priété du  Docteur  Pozzi,  véritable  leçon  de 
choses,  chez  ce  savant  thérapeute.  Une  jeune 
femme,  une  accouchée,  une  opérée  peut- 
être,  béatement  convalescente,  en  une  cré- 
pusculaire clarté  d'alcôve,  s'amuse  à  efileurer 

30 


d'une  lleur,  un  miroir  dont  le  cadre  d'argent, 
miroir  lui-même,  rellète.  non  moins  que  la 
glace,  les  turquoises  de  ravons  épars,  de 
foyers  distants,  d'horizons  lointains.  Et  cette 
lleur.  par  une  harmonie  de  coloris,  une 
loi  de  sentiments,  se  trouve  être  un  soiui, 
qui  met  comme  une  blessure  dans  tout  ce 
linge  bleuté,  et  dont  l'orangé,  entre  les  cé- 
reuses  mains,  répète,  avec  plus  de  vivacité, 
la  nuance  des  cheveux  noués  au-dessus  du 
visage    de    cire. 

Un  souci   promené   sur  un   miroir 
Par   des    mains  hésitantes   de    malade; 
Pâles   doigts    d'une    cire    où   Ion   croit   voir 
S'effeuiller  le  souci  dun   jour  maussade. 

Un  miroir  où   du    bleu    s'est   reflété, 

Sans   qu'on   sache   encor  bien    ce   qui    l'azuré  ; 

Et    le    tout,    moins    lini    que    complété 

Par  un   front   où    s'endort    une  blessure. 

Une    tête  aux  cheveux   d'ambre    roussi. 
Au  bleuté  du    limon  mêlé    par  vagues, 
Comme    un  autre  abandon   d'humain  souci. 
Sur  l'azur   du   miroir  des  rêves   vagues. 

31 


Le  cher  modèle  aux  cheveux  couleur  de 
souci,  nous  le  reconnaissons,  en  cette  autre 
grande  toile,  assorti,  cette  fois,  non  à  une 
fleur,  mais  à  la  fourrure  dorée  d'un  somp- 
tueux épagneul  étendu  à  son  côté  :  la  dame, 
allongée,  à  la  fois,  et  accoudée,  au  milieu 
d'un  gazon,  ou  d'un  tapis,  éploie  autour 
de  soi,  ainsi  que  le  plumage  d'un  paon, 
les  plis  de  sa  robe,  d'un  écossais  vert  et 
bleu.  Et  l'acajou  massif  du  cadre,  choisi  par 
Helleu  pour  ce  tableau,  complète  la  sym- 
phonie. Je  distingue  une  variante  d'un  simi- 
laire motif,  dans  un  pastel  de  moindre  dimen- 
sion, appartenant  à  Monsieur  Hœntschell. 
Ce  ne  sont  plus  ici,  les  boucles  anhitrn  de 
la  jeune  femme,  qui  se  concertent  avec  les 
tons  dorés  du  collic;  mais  sa  robe,  qui  imite, 
en  un  arrondissement  fastueux,  la  roue  de 
l'oiseau  de  Junon,  lequel  parade  au-devant 
d'elle.  Nous  retrouverons  un  sujet  appro- 
chant    dans     la     série     des    gravures.     C'est 

32 


aux  Bouleaux,  dans  le  Trianon  de  la  Com- 
tesse Henry  Greffulhe,  qui  en  mit.  un  temps, 
la  simple  et  royale  hospitalité  à  la  disposi- 
tion du  ménage  artiste,  qu'Helleu  traça  ces 
études  de  paons.  Moi-même,  hôte  à  mon  tour 
du  Pavillon  des  arbres  d'argent,  je  rimai,  à 
la  louange  des  oiseaux  ocellés,  une  poésie  en 
laquelle  des  adverbes  orgueilleux,  sesquipe- 
dalia  verba ,  s'essayaient  à  représenter,  dans 
mes  vers  et  par  le  gazon,  traînes  et  roues 
emplumées  : 

Ces  deux  adverbes  joints  font  admirablement. 


Transition  qui  m'amène  à  parler  du  plus 
prestigieux,  du  plus  mystérieux  aussi,  des 
modèles  d'Helleu,  et  à  conclure  ces  quelques 
notes,  à  propos  de  ses  grands  pastels,  par 
les    plus    intéressants    de    cette    œuvre. 

La    Comtesse    Henry    Greffulhe,    la    belle 

33 


Elisabeth  de  Caraman-Chimay,  dont  le  nom 
demeurera  comme  d'une  Récamier  de  ce 
temps,  cycniforme  et  ingénieuse,  a  posé  sans 
les  exposer,  pour  de  radieuses  images.  Je 
tiens  pour  un  devoir  de  la  Beauté,  exemple 
vivant,  de  réagir  contre  la  destruction,  de 
perpétuer  ses  pouvoirs,  non  par  des  fards 
impuissants,  mais  par  des  portraits  fidèles 
et  divers,  qui  font  des  contemporains  per- 
pétuellement épris,  des  générations  à  venir, 
dans  les  Musées.  C'est  une  noble  survie  de 
cette  sorte,  que  préparent,  consciemment  ou 
candidement,  les  effigies  de  l'exceptionnelle 
jeune    femme. 

Mes  arrière-neveux  me  devront  cet  ombrage. 

Carolus-Duran  s'y  est,  des  premiers,  appli- 
qué, et  ny  a  pas  perdu  sa  maîtrise.  Il  a  peint 
la  Comtesse,  telle  qu'une  jeune  Victoire,  un 
brin  de  laurier  dans  les  cheveux,  et  glacée 
d'un  fourreau    luisant,    ainsi   qu'une   Naïade. 

34 


Ses  yeux  ardents  et.  foncés  ont  envahi  son 
visage  menu,  pareils  à  deux  lacs  de  sombre 
clarté  qui  rayonnent  de  l'ombre.  Celle-ci, 
c'est  Diane  (une  puissante  aquarelle  de  Jac- 
quet), en  costume  d'un  bal-déguisé  Sagan  ; 
elle  promène  ses  regards  dorés,  sur  les  yeux 
bruns  épandus  au  long  de  sa  peau  de  pan- 
thère. Une  autre  aquarelle,  celle-là  de  Lami, 
transforme  en  une  Fée  nocturne,  aux  ailes  de 
chauves-souris,  la  beauty  professionnelle.  A 
son  tour,  Gandara,  en  des  fusains  aux  allon- 
gements de  cygne  noir,  apporte  sa  contri- 
bution à  cette  iconographie.  Et  j'aime  à  me 
représenter  une  salle,  notable  entre  toutes, 
en  un  Louvre  futur,  où  le  visiteur  captivé, 
sentira  converger  sur  soi  l'émouvante  fas- 
cination   des    yeux    impérissables. 

Ce  sera  sous  l'aspect  de  blancs  cygnes 
qu'y  apparaîtront  et  joueront,  alors,  leur 
rôle  prédominant,  les  trois  pastels,  dès  long- 
temps accomplis  par  Helleu,  d'après  l'incom- 

35 


parable  modèle.  Je  revois  encore  le  premier, 
ébauché,  dans  une  furia  de  bon  augure. 
C'est  le  soir,  à  la  lumière  des  bougies, 
dont  les  llammes  inégales  palpitent,  comme 
ces  papillons  que  chérit  Helleu,  au-dessus 
des  appliques  de  Gouthières.  Une  pierre  de 
lune,  au  buste  de  la  Dame  de  beauté,  semble 
un  de  ces  insectes  de  feu,  attiré  par  les  roses 
du  corsage.  D'autres  papillons,  obscurs  et 
rayonnants,  sont  ces  vastes  prunelles  que  nul 
point  lumineux  ne  paillette,  mais  qui  sem- 
blent  des   étoiles   ténébreuses. 

Or,  ceci  n'est  qu'une  vaste  ébauche.  Plus 
important,  plus  capital,  plus  scénique,  le 
deuxième  pastel,  exécuté  dans  le  même 
décor;  mais  avec  plus  de  sûreté  et  plus  d'allure. 
Dans  l'ambiance  dorée  et  grise  du  salon 
Louis  XVI,  tout  papillotant  de  lustres,  la 
blanche  personne,  debout,  s'évente  d'un  blanc 
éventail  géant,  que  Ion  prendrait  pour  son 
aile.  Sous  la  fumée  des  cheveux  frisés  haut, 

36 


les  yeux  presque  durs  dans  leur  regard,  en- 
semble pénétrant  et  profond,  seule  note 
foncée  en  ce  tableau,  dilatent  leurs  pupilles 
nocturnes.  Et  l'on  pourrait  inscrire,  au- 
dessous  de  ce  portrait,  le  derniers  vers  de 
ce    sonnet    inspiré    par    le    modèle    : 

Beau    Lis   qui    regardez  avec    vos  pistils   noirs  ! 

Le  troisième  pastel  est  né  d'une  esquisse 
que  j'ai  sous  les  yeux,  et  qu'il  a  dévelop- 
pée. Appuyée,  incurvée,  au  bord  d'un  gué- 
ridon Empire,  dont  certains  cygnes  de  bronze 
sont  le  mythologique  ornement,  n'est-ce  pas 
un  cygne  féminin  que  cette  silhouette  de 
jeune  Muse,  inspectant  au  pourtour  du 
meuble  précieux,  la  silhouette  ciselée  de 
l'oiseau  de  Léda,  en  une  attitude  de  grâce 
toute    fraternelle  ? 

Concourt  a  parlé  de  ces  dessins  :  '<  Helleu 
m'entretient  d'une  centaine   de  croquis  faits 

37 


dans  un  séjour  à  Bois-Boudran,  de  la  Com- 
tesse Greffulhe...  » 

Ensevelis  dans  le  mystère  des  cartons, 
comme  les  pastels  en  des  chambres  closes, 
dessins  et  pastels,  quelque  jour  lointain,  Hen- 
ri ront  de  regards  et  de  sourires  étoiles,  les 
radieuses  parois  d'une  salle   enchantée. 

Ces  dessins,  si  je  me  souviens  bien,  sont 
tous  à  la  mine  de  plomb  ou  au  crayon 
noir.  C'est  seulement  depuis,  qu'Helleu  s'est 
assimilé  la  sanguine  de  Watteau,  propice 
au  rendu  des  cheveux  roux,  au-dessous  des- 
quels le  trait  sombre  accentue  étrangement 
l'intense  caresse  des  prunelles.  D'année  en 
année,  les  sanguines  d'Helleu  ont  pris  plus 
de  souple  liberté,  revêtu  de  plus  person- 
nelles allures.  Elles  fixent,  de  préférence, 
des  jeunes  femmes  ;  l'une  d'elles,  appuyée, 
on  dirait  incorporée  à  une  harpe  ancienne, 
aile  sinueuse  dont  les  cordes  dessinent,  avec 
régularité,    comme    un    plumage    angélique. 

38 


Ayant  énuméré  quelques-uns  des  pastels 
d'Helleu,  et  de  ses  dessins,  en  leur  si  fémi- 
nine interprétation  de  la  femme,  je  veux, 
maintenant,  parler  de  ses  peintures.  Les  gra- 
vures  viendront   ensuite. 

Ces  essais  de  classification,  je  les  aime 
assez.  Je  m'y  suis  naguère  appliqué  pour  la 
poésie  de  Madame  Valmore.  J'en  veux  esquisser 
un    pour    l'œuvre    d'Helleu. 

La  femme,  certes,  y  domine,  la  domine, 
au  point  de  l'envahir  et  de  se  l'approprier, 
d'y  régner  en  souveraine,  et  d'y  amener  à 
sa  ressemblance,  tout  ce  qui,  de  prime  abord, 
lui    semblait    étranger. 

C'est  que  nous  avons  affaire  à  un  féministe 
convaincu  et,  disons-le,  bienveillant.  S'il 
rend  pleine  justice  aux  trente  beautés  d'Hé- 
lène, ou  de  Bellotte,  en  séance,  ses  clémences 
n'en    savent  pas   moins   indulgencier  jusqu'à 

39 


Laideronnette,  dont  je  vois,  sous  un  béné- 
vole crayon,  se  déplisser  la  frimousse  in- 
grate. 

Tout  de  même,  ce  Celte  plaisante  quel- 
quefois. Un  jour,  il  ouvrit  à  une  dame, 
qui  voulait  son  image  à  l'eau-forte.  C'était 
la  Dame  dont  d'Aurevilly  aurait  écrit  : 
«  Elle  est  peinte  à  sept  couches,  comme 
une  voiture  ».  —  Rendez-vous  fut  pris,  pour 
la  séance.  «  Quand  vous  reviendrez,  ne  vous 
fardez  pas  !  »  fit  seulement  l'artiste  sur  le 
seuil.  Autant  dire  :  ne  revenez  point.  Le  mo- 
dèle ne  reparut  plus.  Ce  fut  peut-être  un 
tort.  S'il  avait  suivi  le  conseil  négatif,  qui 
sait  si  la  beauté  ne  se  fût  pas  retrouvée 
sous  les  sept  voiles  de  la  poudre  et  de 
l'onguent,  de  la  crème  et  de  l'opiat,  du 
carmin,    de    l'antimoine    et    de    la    céruse  ? 

L'enfant  dont  Marcelline  a  écrit  ce  vers 
ravissant  : 

C'est  notre  âme  en  dehors  en    robe  d'innocence. 
40 


reniant  qui  n'est  que  le  fruit  humain  de 
la  femme  devenue  mère,  le  peintre  de  la 
femme  devait  en  fixer,  avec  non  moins 
de  bonheur,  les  plus  fugitives  puérilités,  les 
insaisissables   enfantillages. 

On  pourrait  sans  doute,  de  même,  rat- 
tacher au  Oitœrc  iiiiilierem  les  autres  thèmes 
incessamment  variés  par  les  panneaux  du 
subtil  artiste. 

Les  voiles  blanches  des  Navires  légers, 
faisant  glisser  comme  de  blanches  jupes  sur 
les  tlots  bleus  qui  les  ourlent  de  leur  écume. 

Les  vieux  Parcs  où  les  reines  ont  sou- 
piré   et    paradé    les    favorites. 

Les  Cathédrales,  que  la  Vierge  étoile  de  son 
nom,  que  des  saintes  ont  fleuries  de  leurs 
vocables,  dentelles  de  pierre,  pareilles  à  des 
guipures  de  lin.  et  entre  lesquelles,  azurés, 
empourprés  au  travers  des  vitraux,  le  salut 
du  levant  ou  les  adieux  du  couchant  font 
glisser    des    pétales    de    feu,    sur    les    pieds 


marmoréens  des  impératrices  chrétiennes. 
Les  Fleurs  enfin,  féminines  parures,  entre 
lesquelles,  éminemment,  l'hortensia  bleu,  que 
Vigny  semble  avoir  vu  s'azurer  aux  mains 
de    la   Poésie   elle-même,   quand    il   a   écrit  : 

Troublé  par  sa  lueur  mystérieuse  et  pâle, 
Le  vulgaire  effrayé   commence  à   blasphémer. 

Et  je  m'en  voudrais  de  ne  pas  noter 
ici  un  hortensia  bleu  qui  m'est  plus  cher, 
celui  qu'Helleu  a  gravé  sur  la  couverture 
de    mon    poème. 

Rapprochements  poétiques,  sinon  absolus. 
«  Les  fils  mystérieux  où  nos  cœurs  sont  liés  » 
nous  persuadent  ces  concordances.  Qu'il  nous 
suffise  de  leur  faire  formuler,  pour  l'œuvre 
de  l'artiste  qui  nous  occupe,  les  leitmotiv 
qui  circulent   en  elle. 

Les  Marines  d'Helleu  sont  pimpantes 
comme  des  salons  de  couturiers  ;  des  yachts, 
palpitants  de  leurs  flammes,  pareilles  à  des 

42 


rubans   de   chapeaux,   y  glissent  comme   des 
ladies. 

Des  vieux  parcs.  Versailles  est  le  pré- 
féré. J'ai  dit  plus  haut  les  aspects  que  l'ar- 
tiste en  a  fixés,  et  dont  l'un  décore  le 
Luxembourg.  Certain  bassin  de  Latone,  ex- 
posé l'an  d'avant,  est  peut-être  le  chef-d'œuvre 
du  peintre.  Au  centre  des  plumes  liquides, 
projetées  par  les  grenouilles  dorées,  en  les- 
quelles Jupiter  vient  de  transformer  les 
pavsans  Cariens,  la  mère  d'Apollon  se  modèle 
tinement  sur  le  bleu  ciel,  où  rayonnent,  en 
rougeoyant,  les  baisers  enflammés  de  son  tils. 
Les  habitués  des  jardins  de  Versailles  n'ou- 
blieront pas  de  sitôt  le  jeune  homme  vêtu  de 
noir,  peignant  frénétiquement,  durant  l'heure 
attribuée  aux  Grandes  Eaux,  les  iris  épars 
dans  les  panaches  écumeux  et  dans  les  pul- 
vérisations aquatiques.  Une  série  d'eaux-fortes 
nous  est  promise,  dont  Versailles  est  le  royal 
objet;  j'en  connais  des  fragments  alléchants. 

43 


Le  juvénile  buste  de  Louis  XIV,  autour 
duquel  le  Bernin  a  fait  tournoyer  un  ouragan 
de  plis  et  de  boucles,  en  ouvrira  le  fron- 
tispice fulgurant,  au-devant  des  dieux  morts, 
qui  pleurent  dans  les  vases  de  marbre, 
ciselés  de  symboliques  tournesols,  les  larmes 
d'or    de    l'Automne. 

Ecoutez    Mirbeau    sur    ce    sujet    : 

«  Le  bassin  aux  eaux  profondes  et  bronzées,  habitées  par 
tant  de  sourds  reflets...  la  ronce  et  le  cuivre  vif  des  feuillages 
qui  l'entourent...  analyse  de  quoi  est  faite  cette  eau,  de  quoi 
sont  faits  ces  glorieux  feuillages...  et  tu  admireras  la  cons- 
cience et  aussi  la  vision  de  cet  artiste  passionné...  Et  ce  petit 
satyre  de  marbre  qui  joue  de  la  flûte,  tandis  que  les  rafales  de 
vent  couchent  les  arbres  et  font  autour  de  lui  tourbillonner  les 
feuilles  mortes.  Quelle  idée  charmante,  quelle  grâce  simple  ! 
Oui,  il  faut  aimer  cet  homme-là...  il  est  bien  de  chez  nous.  >> 

Sur  la  série  des  intérieurs  de  cathédrales, 
par  Helleu,  j'aime  à  citer  ces  deux  autres 
passages  d'Octave  Mirbeau,  qui  fut  l"un  des 
premiers    zélateurs    de    leur    peintre  : 

«  De  Monsieur  Helleu.  deux  intérieurs  de  cathédrales.  La 
Cathédrale  de  Reims,  sereine,  pacifique  ;  les  piliers  montent 

44 


comme  des  prières  ;  les  architraves  dessinent  des  courbes,  des 
arcs  solennels;  un  grand  silence  religieux  emplit  la  haie  dé- 
serte, et  la  rosace,  au  fond  du  chœur,  s'épanouit  doucement, 
enlueurstranquilles.  L'effet  est  grandiose;  le  recueillement  de 
la  pierre  impressionne.  —  Le  soleil  trappe  les  vitraux  de  la 
cathédrale  de  Saint-Denis;  et  dans  la  chapelle,  sur  les  piliers, 
les  murs,  c'est  un  ruissellement  de  clartés  jaunes,  rouges, 
vertes,  un  frisson  de  lumières  changeantes  et  tremblantes,  qui 
colorent  les  architectures  et  qui  tombent  en  pluie  sur  les 
tombeaux  où  sont  allongés  des  personnages  de  marbre». 

Entendons     maintenant     Concourt,     à    ce 
double    propos  : 

«  A  la  tin  de  la  soirée,  arrive  Helleu,  qui  a  passé  toute  la 
journée  à  peindre,  par  ce  froid,  les  statues  de  Versailles,  à 
demi  ensevelies  sous  la  neige,  parlant  de  la  beauté  du  spec- 
tacle, et  du  caractère  de  ce  monde  polaire.  Et,  sur  la  passion 
delà  peinture  d'après  des  vitraux,  il  me  confesse  avoir  ce  goût, 
et  avoir  travaillé  à  Chartres,  à  Reims  et  à  Notre-Dame,  qu'il 
a  habitée  la  matinée,  presque  deux  années,  visitant  tous  les 
coins  et  recoins  des  tours,  au  milieu  de  ces  anges  suspendus 
dans  le  ciel,  ayant  comme  des  mouvements  de  corps,  pour  se 
retenir  et  ne  pas  tomber  en  bas.  Et  il  nous  parle  d'une  fête, 
où,  peignant  au  milieu  des  chants,  des  roulements  de 
l'orgue,  du  son  des  cloches  en  branle,  il  donnait  des  coups  de 
pinceausur  la  toile,  à  la  façon  d'un  chef  d'orchestre,  complè- 
tement affolé.  // 

Quant    aux    bleus    hortensias,    je    les    ai 

45 


sous  les  yeux  ;  ils  sont  avec  notre  com- 
mun amour  pour  «  la  Palmyre  où  dort  la 
Royauté  >/,  une  des  prédilections  de  Nature 
et  d'Art  qui  m'unissent  au  peintre.  «  J'ai 
souhaité  que  ce  fût  vous  qui  tissiez  ce  portrait 
de  moi,  me  redisait-il  hier,  nous  aimons 
les  mêmes  fleurs  et  les  mêmes  pierres  !  » 
Peintures  et  pastels,  je  possède  sept  pan- 
neaux d'hortensias  jardines  par  Helleu,  et 
dont  les  corymbes,  glauques  ou  blondis- 
sants, mirent,  en  des  plateaux  d'argent,  comme 
des    bouquets    de    turquoises    mortes. 


«  Mon  cher  Helleu, 

Vous  me  faites  l'honneur  de  me  demander  de  présenter, 
en  quelques  lignes,  au  public,  votre  œuvre.  Je  le  lais  avec 
grand  plaisir,  ne  me  cachant  pas  cependant  la  difficulté 
grande  à  bien  parler  de  vos  pointe-sèche,  à  la  fois  si  légères 
et  si  colorées,  vos  pointe-sèche  d'une  égratignure,  sur  le 
cuivre,  si  artiste. 

Votre  œuvre,  c'est  d'après  le  cher  modèle,  qui  prête  la 
vie  élégante  de  son  corps   à  toutes  vos  compositions,  une 


46 


sorte  de  monographie  de  la  femme,  dans  toutes  les  attitudes 
intimes  de  son  chez  soi  —  dans  le  renversement  de  sa  tête 
sur  un  fauteuil,  dans  son  agenouillement  devant  le  feu 
d'une  cheminée,  avec  le  retournement  de  son  visage  contre 
le  chambranle,  et  la  fuite  contournée  du  bas  de  son  corps; 
dans  une  rêverie  qui  lui  fait  prendre  dans  la  main  la  che- 
ville d'une  jambe  croisée  sur  l'autre  ;  dans  une  lecture,  avec 
le  défrisement  d'une  boucle  de  cheveux,  le  long  de  sa  joue, 
quelque  chose  d'interrogateur  au  bout  du  nez,  une  bouche 
un  rien  entr'ouverte  où  il  y  a  l'épellement  heureux  de  ce 
qu'elle  lit  ;  dans  le  sommeil  où,  de  l'enfoncement  dans 
l'oreiller,  émerge  la  vague  ligne  des  épaules,  et  un  profil 
perdu,  au  petit  nez  retroussé,  à  l'œil  fermé  par  de  noirs  cils 
courbes.  Et  si  la  femme,  ainsi  représentée  dans  son  intérieur, 
sort  de  chez  elle,  regardez-la  sur  cette  merveilleuse  planche  : 
«  La  femme  devant  les  trois  crayons  de  Watteau,  du 
Louvre  i,,  regardez-la,  une  main  sur  son  ombrelle,  avec 
toute  l'attention  de  sa  séduisante  et  ondulante  personne, 
penchée  sur  les  immortels  dessins  de  la  Vente  d'imécourt. 
Non,  je  ne  sais  vraiment  pas  un  autre  mot  pour  les  baptiser, 
ces  pointe-sèche  que  de  les  appeler  les  instantanés  de  la 
grâce  de  la  femme  //. 

Elles  sont  aujourd'hui  au  nombre  de  deux 
mille,  ces  planches  ;  beaucoup  moins  nom- 
breuses, quand  Concourt  écrivait  pour  elles, 
cette  Préface,  en  1893.  J'en  ai  des  centaines 
sous   la    main.    J'y   vois   bien   encore   de   nos 


47 


fleurs  de  prédilection  ;  puis,  des  statues  et 
des  vases,  en  des  quinconces  ;  mais  ces  lleurs 
ne  sont  quun  détail,  ces  sites,  qu'un  décor, 
autour  de  cette  double  figuration  :  l'En- 
fant et  la  Femme. 

A  peine  trois  ou  quatre  essais  de  portraits 
d'hommes,  en  cette  innombrable  collection  : 
Concourt,  avec  cet  air  de  «  perle  grise  dans 
du  coton  >/  que  lui  trouvait  Madame  Forain  ; 
Whistler,  tel  un  chat  tigre  spirituel,  un  œil 
clair  sous  son  monocle,  l'autre  pétillant  de 
malice. 

'<  Il  (Helleu)  —  écrit,  en  1894,  l'auteur  de  la  Faustin  — 
vient  faire  une  eau-forte  d'après  moi,  disant  qu'il  est  très 
intimidé,  qu'il  a  rêvé  toute  la  nuit  qu'il  manquait  mon 
portrait,  et  que,  pour  se  mettre  en  train  —  lui  qui  ne  fait 
que  des  femmes  —  il  a  essayé  de  se  portraiturer  lui-même.  » 

Je  ne  pense  pas  que  le  magnanime  artiste 
ait  eu  de  funestes  songes  à  propos  de  mon 
profil,  la  nuit  qui  précéda  le  jour  fortuné  où 
son    diamant    fameux    lui    assura    la    durée, 

48 


puisque  rien  de  tout  cela  n'était  combiné, 
mais  au  contraire,  fut  impromptu,  soudain, 
irrésistible. 

C'était  peu  de  temps  après  la  lecture  que  je 
fis,  2iVi  Pavillon  des  Muses ,  pour  une  quarantaine 
d'amis  éminents,  d'un  chapitre  du  livre  par  moi 
consacré  à  la  mémoire  de  mon  compagnon  de 
vingt  années.  De  ces  amis-là,  Helleu  apparais- 
sait des  premiers.  Il  m'en  donna,  ce  jour  mé- 
morable, au  cours  d'une  visite  que  je  lui  fai- 
sais, une  nouvelle  et  insigne  preuve,  dont 
j'aime  à  écrire,  ici,  à  quel  point  elle  me 
toucha  et  combien  j'en  reste  reconnaissant. 

Je  me  tenais  dans  le  salon  depuis  une 
minute,  que  le  maître  du  lieu  n'avait  pas 
encore  paru.  Tout  à  coup,  il  fit  irruption  de 
l'extérieur,  venant  du  balcon,  où  je  ne  pou- 
vais l'apercevoir,  et  sans  môme  me  dire 
bonjour,  il  me  cria,  comme  en  proie  à  une 
inspiration  violente  :  «  Asseyez-vous  là, 
Montesquiou,    je   veux    faire    votre    portrait  ; 

g  49 


Yturri  l'avait  longtemps  souhaité  ;  je  veux 
donner  satisfaction  à  ce  désir  de  celui  dont 
vous  avez  si  noblement  parlé  dans  votre  ou- 
vrage, et  pour  lequel  j'avais  une  amitié  véri- 
table. » 

Je  me  sentais  si  surpris,  en  même  temps 
que  si  ému;  je  ne  savais  que  répondre.  Quel- 
ques heures  après,  l'eau-forte.  que  je  tiens 
pour  un  des  chefs-d'œuvre  d'Helleu,  était 
accomplie.  Il  est  rare  que  les  orgueilleux 
soient  satisfaits  de  leurs  images.  Moi  je  le 
suis  de  la  mienne.  A  la  fois  juvénile  et  âgée, 
comme  le  modèle  peut-être,  elle  note  ainsi 
deux  traits  du  caractère  de  ce  dernier,  en  qui 
certaine  gaieté  s'allie  à  la  méditation,  et  qui 
semble  voir  venir,  dans  cette  interprétation 
élégante  et  pensive,  le  correctif  dont  on  sou- 
rit, en  même  temps  que  le  motif  dont  on 
pleure. 

Les  jeunes  femmes,  ce  sont,  un  peu  au 
hasard,    la    joueuse    de    tennis,    le    nez    au 

50 


vent,  la  bouche  entr'ouverte,  les  yeux  eni- 
vrés de  grand  air  et  comme  grisés  d'une 
anodine  liqueur,  un  verre  d'anisette,  quel- 
ques gouttes  de  '<  parfait  amour  »  ;  une 
grasse  rieuse  s'amusant  à  donner  un  shake- 
hand  à  un  chat,  qui  fait  poliment  patte 
de  velours,  au  beau  milieu  de  la  menotte 
gentiment  tendue  ;  la  Cigarette,  une  autre 
gracieuse  griserie,  l'épreuve  déjà  payée  cher 
à  la  vente  Concourt  ;  une  des  plus  sédui- 
santes feuilles  du  présent  recueil,  le  spirituel 
prolil  d'une  belle  jeune  fille,  d'une  habile 
artiste,  Mademoiselle  Suzanne  Lemaire;  Made- 
moiselle Cécile  Sorel,  sous  un  chapeau 
ombreux  ;  Mademoiselle  Lucy  Cérard,  coiffée, 
elle,  d'un  chapeau  nuageux,  et  à  qui  le  bois 
sculpté  du  canapé  Louis  XV,  où  son  repos 
s'adosse,  a  l'air  de  présenter  une  rose  gé- 
minée :  Mademoiselle  Liane  de  Pougy  pelo- 
tonnée en  une  chaise  longue  rocaille,  une 
bague    au    doigt    de   son    pied   nu  ;   tous   les 

-51 


allongements,  les  étirements,  les  acoquine- 
ments  de  V E terne/  Féminin  dans  la  conque 
gracile  ou  tarabiscotée  des  méridiennes.  Au 
bord  des  estacades,  sur  la  passerelle  des 
paquebots,  au-devant  des  âtres.  aux  vitres 
des  vitrines,  aux  cimaises  des  muséums, 
la  voyageuse,  la  visiteuse,  la  promeneuse, 
en  canotier,  en  chapeau  jamais  tapageur, 
cambre  son  torse,  renverse  son  buste,  ar- 
rondit sa  taille.  Au-dessus,  la  nuque  sup- 
porte le  remous  des  cheveux,  et  la  pointe 
de  diamant  se  donne  carrière  :  cette  pointe 
ayant,  (au  dire  de  Concourt)  "  un  tournant 
sur  le  métal  que  n'a  pas  la  pointe  d'acier, 
et  avec  lequel,  il  (Helleu)  se  vante  de 
pouvoir  faire  un  8  ».  Huit  de  cheveux,  tour- 
nant de  cheveux.  «  On  n'aime  une  femme 
que  pour  un  détail  »  disait  Rodenbach,  subtil 
adorateur  des  chevelures.  Pc^ssé  maître  au 
rendu  des  coitïages  roux,  que  la  sanguine 
peint    au    naturel,    rien    qu'à    les    dessiner, 

52 


il  n'est  tresses  et  chignons,  boucles,  fri- 
sures, ondulations,  éparpillements  qui  ré- 
sistent à  la  pointe  de  diamant  décrite  par 
le    Maître    d'Auteuil. 

Si  l'intitulé  cher  à  Balzac  :  Étude  de 
Femme,  Autre  étude  de  femm^e,  peut  dénommer 
une  grande  part  de  l'œuvre  d'Helleu,  Étude 
de  Mains,  titre  d'un  des  Emaux  et  Camées,  de 
Gautier,  se  pourrait,  non  moins,  appliquer  à 
nombre  de  ses  planches;  mains  longues,  aux 
doigts  effilés,  divisés  ou  rassemblés,  contour- 
nées autour  d'un  bibelot,  jointes  au-dessous 
d'un  menton,  ou  caressant,  d'un  médius  et 
d'un  index  réunis,  l'intérieur  d'une  paume 
satinée.  Doigts  mollement  rentlés,  aux  pha- 
langes amincies,  et  pareils  à  des  fuseaux  de 
chair,  autour  desquels  s'enroulent  les  volutes 
des  frisons  roux,  les  anneaux  parfumés  des 
toisons;  mains  appliquées,  au-dessous  d'un 
visage  baissé,  dans  le  si  attentif  mouvement 
d'enfiler  une  aiguille. 

53 


Il  n'est  jusqu'aux  doigts  enfantins  qui  ne 
deviennent  parlants,  en  ces  maternelles 
séries.  Geste  indicateur  et  potelé,  d'un  marmot 
désignant  avidement  quelque  objet  de  son 
désir.  Je  ne  sais  qu'aux  Enfants  et  Mères  de  la 
Muse  de  Douai,  des  caresses  si  tendrement 
échangées,  de  si  véridiques  et  souriantes 
notations  du  groupe  à  deux  personnages 
«  fondus  en  un  »  du  bambin  et  de  l'accou- 
chée. C'est  tantôt  le  lin  protil  de  la  maman, 
et  les  rondeurs  de  la  frimousse  du  bébé,  dont 
s'épousent,  presque  se  concertent  les  sinuo- 
sités, comme  en  une  coquille,  les  deux 
amandes  d'une  philippine.  Ce  sont  des  cache- 
cache,  entre  les  pieds  tors  des  tables  de  style, 
et  les  cotwotis,  derrière  un  fauteuil  de  ravau- 
deuse.  Toutes  les  sérieuses  gentillesses  du 
premier  âge,  épiées,  surprises  et  rendues  par 
un  peintre,  qui  est  un  père;  le  petit  dessina- 
teur s'essayant  à  copier  cette  pelote  de  chez 
Kirby  :  un  cochonnet  en  velours  rose;  la  fil- 

54 


lette  qui  parle  bas  à  l'oreille  de  son  cheval 
de  bois,  ou  qui  promène  un  démêloir-joujou 
dans  la  tignasse  de  sa  poupée;  et  cette  bam- 
bine plus  exquise,  embrassant  câlinement  le 
bras  nu  d'une  jeune  tille.  Essaim  fixé  des 
puériles  caresses,  dérobées  à  XhabiUis  corporis 
enfantin,  au-dessus  duquel  plane,  coiffée  d'un 
chapeau  de  plissés,  en  forme  d'ombelle  ren- 
versée, la  tête  sérieuse  d'Ellen  Helleu,  les 
yeux  clairs  dans  le  brun  visage. 

Je  dirai  encore  l'importance  dont  Helleu 
sait  revêtir,  au  cours  de  ses  dry-pohifs,  tel  ou 
tel  accessoire  distinct  ;  un  groupe  de  Nym- 
phenbourg,  une  gravure  de  Watteau  occu- 
pant avec  autorité  le  fond  de  la  scène,  ainsi 
que  le  peut  faire,  en  une  toile  de  Vermeer, 
une  carte  de  géographie. 

C'est  encore  à  Octave  Mirbeau  que  je 
laisse  le  soin  de  résumer  éloquemment  notre 
impression  sur  ce  blanc  et  noir  : 

/<  Helleu...   un   en    qui  toute   la  grâce...   tout  le  goût  si 

55 


surprenant  qui  immortaliseront  l'art  du  Dix-Huitième  Siècle, 
se  sont  comme  par  miracle,  réfugiés....  Ce  qui  est  extraordi- 
naire, c'est  qu'on  n'a  pas  l'air  de  se  douter  qu'Helleu,  avec 
la  fine  pointe  de  son  diamant  mordant  sur  le  cuivre,  est  en 
train  de  créer  une  des  plus  précieuses,  une  des  plus 
vibrantes,  une  des  plus  amoureuses  œuvres  de  ce  temps » 

Cependant  Londres  s'en  tient  fort  au  cou- 
rant; et  c'est  une  royale  coquetterie  de  notre 
ami,  d'inscrire  au  premier  rang  des  collec- 
tionneuses de  ces  etchings,  celle  qui  fut  la 
Princesse  de  Galles,  celle  qui  fut  la  Reine 
d'Angleterre,  celle  qui  reste  la  noble  veuve 
d'Edouard  VII. 


Helleu  est  né  à  Vannes  en  i8sq,  d'un  père 
Breton  et  d'une  mère  Parisienne.  Tous  deux 
avaient,  je  crois,  du  goût  pour  l'art,  et  quel- 
que talent  de  dessin.  Du  côté  paternel,  l'as- 
cendance héroïque  du  jeune  homme,  horresco 
referens,  est  celle-ci,  —  honni  soit  qui  mal  y 

56 


pense  —  Le  Quinio,  l'une  des  plus  cruelles 
figures  de  la  Révolution,  celui  dont  Chénier 
a  écrit,  en  ces  propres  termes,  dans  une 
pièce  à  l'Etre  Suprême,  poème  inachevé  de 
ses  ïambes  : 

Quoi,  ton  (fil  qui  voit  tout,  sans  les  réduire  en  cendre, 

«  pénètre  dans  les  cachots  ou  les  Couthon, 
les  Le  Quinio,  couchés  sur  des  cadavres,  ron- 
gent des  ossements  humains  »  ? 

Et  n'est-il  pas  curieux  de  revoir,  épris  des 
ombrages  de  Versailles,  le  petit-tils  du  ter- 
rible Le  Quinio,  graver  ses  pointe-sèche,  au 
lieu  même  où  le  pur  André  traça  ses  der- 
niers vers? 

Helleu  (bien  que  trop  de  célébrités  se  soient 
vantées  d'un  tel  précédent)  fut,  en  pension,  un 
mauvais  élève,  remplaçant  les  devoirs  par  des 
croquis;  Galland,  qui  connut  Helleu  au  sortir 
même  de  ces  années,  admira,  dit-on,  de  ses 
premiers  dessins,  dont  plusieurs  restèrent  en 

57 


sa  possession,  qui  reparaîtront,  quelque  jour, 
peut-être. 

C'est,  je  crois  bien,  seulement  en  1893 
(est-ce  un  anniversaire  de  Le  Quinio?)  que  le 
jeune  peintre  fait  son  apparition  dans  le 
Journal  de  Gou court,  qui,  jusque-là,  semble 
l'ignorer.  Il  entre  de  but  en  blanc  :  «  Tissot 
m'a  amené  Helleu,  qui  veut  décidément  faire 
une  eau-forte  d'après  moi  ». 

Plus  loin  : 

«  Le  peintre  Helluu,  des  yeux  fiévreux, 
une  physionomie  tourmentée,  et,  avec  cela, 
la  peau  et  les  cheveux  du  noir  d'un  cor- 
beau. » 

En  quelques  lignes,  portrait  saisissant  et 
assez  exact.  Il  y  manque  pourtant  la  noire 
barbe  de  François  d'Assise.  Comparez  encore 
ce  portrait  écrit,  au  plat  de  faïence,  entre 
tous  unique  et  précieux,  où  Boldini,  céra- 
miste pour  une  fois,  a  reproduit  la  ligure  de 
son    ami    (en    ce    temps-là    décorateur    chez 

58 


Deck),  appliqué  lui-même  à  contourner 
savamment.  au  centre  d'un  plat,  le  prolil 
aigu  d'une  beauté  célèbre.  Et  le  plat  qu'Hel- 
leu  est  censé  peindre,  en  ce  plat  peint  par 
Boldini,  encore  aujourd'hui,  dans  la  salle  à 
manger  de  la  Rue  des  Belles-Feuilles,  se  sus- 
pend à  côté  de  l'autre. 

Rue  des  Belles-Feuilles!  Désignation  poé- 
tique et  prophétique  dont  j'aurais  voulu  la 
donner  pour  intitulé  à  cette  Etude,  qui  fait  se 
dérouler  tant  de  beaux  feuillets  graves,  où 
des  visages  sont  inscrits,  comme  des  oracles, 
autrefois,  sur  les  feuilUiges  de  l'antique  forêt, 
laquelle  les  mêlait  à  ses  murmures. 

On  sait  tout  ce  que  l'examen  discret,  mais 
perspicace,  d'un  intérieur,  sait  nous  révéler 
sur  son  maître.  Ici,  à  peine  quelques-unes  des 
œuvres  du  peintre,  qui  n'y  trônent  pas,  plutôt 
y  traînent,  et  comme  à  regret;  mais  des  har- 
monies en  des  tons  clairs,  presque  blancs, 
inondés  de  lumière  vive.  Helleu  ne  fut-il  pas, 

5-9 


il  y  a  tantôt  quinze  ans,  un  des  premiers  res- 
tituteurs  du  blanc,  aux  appartements  rafraî- 
chis, jusque-là,  depuis  longtemps  voués  à  ce 
qu'il  appelait  :  le  mobilier  Chat  Noir,  le 
Henri  II  d'occasion,  le  faux  Gothique?  Helleu 
aime  les  tapis  d'un  gris  léger.  Il  y  fait  courir 
de  blancs  lits  de  repos,  semblables  aux 
bateaux  de  la  chansonnette  des  enfants;  des 
bateaux  qui  ont  des  jambes.  Aux  murs,  des 
cadres,  vides  souvent,  des  cadres  ancienne- 
ment dorés,  aimés  pour  eux-mêmes. 
Ecoutons  Concourt  : 

«  Pendant  qu'il  travaille,  penché  sur  la  planche  de 
cuivre,  qui  lui  met  un  reflet  rouge  sur  la  ligure,  il  me  con- 
fesse ses  goûts  de  bibeloterie,  son  amour  des  bois  sculptés 
du  Dix-Huitième  Siècle,  et  il  m'avoue  que,  pour  le  tableau 
qu'il  finit  dans  le  moment,  tableau  vendu  seulement  deux 
mille  francs,  il  vient  d'acheter  un  cadre  aux  armes  de  France, 
de  quinze  cents  francs.  » 

Parfois  l'un  de  ces  cadres  enferme  une 
esquisse  dun  ami,  une  Léda  de  Boldini, 
pochade  libre  et  libertine  qui  tient  de  Frago- 

60 


nard  et  de  Jules  Romain;  ou  quelqu'une  de 
ces  gravures  de  Watteau,  publiées  chez  la 
veuve  de  Chereau,  Aux  deux  Piliers  d'or,  et 
sur  lesquelles  leur  intitulé  et  leurs  dimen- 
sions se  répètent  en  un  latin  ampoulé  et 
amphigourique;  pour  l'Embarquement  :  Ad 
Cythera  Conscensio;  pour  les  Plaisirs  de  l'Eté  : 
^stivœ  ohlectationes;  pour  la  Perspective  : 
Prospectus;  et,  au-dessous  :  sculpUis  juxtà 
exeniplar  a  WaUeavo  depictuni,  etc.. 

Çà  et  là,  des  meubles  Empire,  l'acajou  et 
les  bronzes  (de  préférence  des  flèches  et  des 
papillons)  qu'Helleu  s'est  mis  à  juxtaposer  à 
l'argent,  au  plaqué,  à  l'étain  qui  naguère  le 
charmaient  à  peu  près  exclusivement,  asso- 
ciés aux  candides  satins,  aux  étoffes  nei- 
geuses. 

Et  sur  les  dessus  de  marbre,  blancs  aussi, 
de  'telle  cheminée  ou  de  telle  console,  des 
vases  en  blanc  de  Chine,  des  statuettes  en 
blanc  de    Saxe.   C'est    entre  ces    objets   pim- 

61 


pants,  qu'il  se  vante  de  devoir  à  son  travail, 
que  vit  et  produit  ce  '<  jeune  homme  vêtu  de 
noir  >/  que  je  n'ai  jamais  vu,  depuis  plus 
de  vingt  ans  que  j'ai  la  joie  d'être  son  ami, 
porter  sur  soi  une  teinte,  une  couleur;  en 
éternel  deuil,  peintre  des  nuances  suaves. 
Quand  Verlaine  a  écrit  ce  vers  : 

Aw  pâle  clair  de  lune  tristr  et  beau, 

il  a  rendu  toute  leur  primitive  valeur  à  trois 
simples  et  nobles  mots,  tombés  en  déshé- 
rence. Rendez,  de  même,  son  lustre  à  cette 
locution  devenue  banale  :  ////  i(ofit  t'xcjitis;  vous 
en  pourrez  faire  don  à  Helleu  qui,  entre  tous, 
en  est  digne.  Cette  qualité  émane  de  ce  qu'il 
a  choisi,  de  ce  qu'il  a  groupé  ou  créé,  vous 
frappe  aux  yeux  et  au  cœur  —  quelque  sou- 
venir que  vous  ayez  gardé  de  ses  précédentes 
réussites  —  en  toute  exhibition  où  vous  abor- 
diez sa  travée,  —  et  vous  apprête  un  sûr  repos 
des  regards,  chaque  fois  que  cet  aristocrate, 

62 


de  plus  en  plus  dégoûté  des  accointances 
tapageuses,  daigne  prouver  que  les  plus 
harmonieux  moyens  de  séduction  et  d'emprise 
ne  sont  ni  dans  le  blaireau  éhonté,  ni  dans  la 
brosse  captieuse. 

Une  mémorable  preuve  en  fut  faite  pour 
nous  et  pour  tous,  parmi  certaine  exposition 
de  la  Rue  de  Sèze,  où,  lleuri  à  droite  et  à 
gauche  de  deux  panneaux  d'hortensias  bleus, 
souriait  le  plus  gracieux  pastel  qu'il  ait  sans 
doute  peint,  une  rose  ligure  entre  les  bruns 
miroitants  des  martres. 

«  Cheveux  gris,  perles  grises,  robe 
grise...  »  m'écrit  le  peintre,  parlant  d'un  de 
ses  modèles,  cette  fois  de  New-York,  en  1912. 
Mais  sa  prédilection  du  délicat  n'empêche  pas 
les  concepts  grandioses.  En  collaboration  avec 
Monsieur  Warren,  il  imagine  un  plafond  de 
cent  mètres,  à  la  fois  cosmographique,  esthé- 
tique et  américain  :  une  voûte  bleu-nuit, 
traversée  d'un  Zodiaque  aux  signes  d'or,  d'une 

63 


voie  lactée  et  argentée,  autour  de  laquelle 
des  constellations,  des  planètes  et  des  étoiles 
répondent  électriquement  aux  appels  des 
commutateurs. 


'<  Que  voulez-vous  que  je  dise  de  vous, 
Helleu?  >/  lui  demandai-je,  ayant  à  écrire,  sur 
son  propos,  un  ai'licle,  un  jour. 

«  Dites  qu'à  l'Ecole  des  Beaux-Arts,  quand 
j'avais  quinze  ans,  j'étais  le  seul  à  aimer 
Manet  et  Monet,  et  que  j'avais,  pour  cela, 
soixante  camarades  clabaudant  à  mes  trous- 
ses. —  Maintenant,  ils  peignent  tous  violet... 
—  et,  moi,  pas!  » 

Certes,  Helleu  préfère,  et  il  a  raison, 
demeurer,  ainsi  que  l'a  nommé  Concourt, 
l'auteur  «  des  pastels  où  l'on  sent  un  œil  de 
peintre,  amoureux  de  douces  étoffes,  de  ten- 

64 


dres  nuances  passées,  de  soieries  harmonieu- 
sement déteintes  ». 

Et  ne  sera-ce  pas  un  bel  éloge  si  l'on  dit 
de  lui,  si  l'on  grave  sur  son  marbre  :  homme 
d'un  seul  dieu  :  l'Art  ;  d'un  seul  maître  :  le 
Goût;  d'une  seule  femme  :  «  le  charmant  mo- 
dèle qui  prête  la  vie  élégante  de  son  corps  à 
toutes  ces  compositions,  ne  pouvant  faire  un 
mouvement  qui  ne  soit  de  grâce  et  d'élé- 
gance, et  que,  dix  fois  par  jour,  le  peintre 
s'essaie  à  surprendre  »...  la  multiforme  Alice, 
dont  la  rose  chevelure  illumine  de  son  retlet 
tant  de  miroirs  de  cuivre? 


6s 


IV 

EDMOND  DE  GONCOURT 


"\ 


II 


FEUILLETANT,  ces  dernières  années,  une 
importante  Revue  Allemande,  je  fus  ar- 
rêté par  ce  titre  d'une  Nouvelle  qui  occupait 
deux  Numéros  de  ce  Périodique.  Elle  portait 
cet  intitulé  alléchant  :  Une  Tête d'Helleit'.  Allé- 
chant pour  beaucoup,  sinon  pour  tous,  depuis 
que   d'heureuses   vitrines   d'antiquaires"  et   de 

I.  Ein  Kopf  von  Helleu,   Deutsche  Rundschau,  1900. 

67 


modernistes  se  sont  fleuries  de  la  rose  rouge 
des  têtes  rousses,  qui  s'épanouissent  au  centre 
des  feuillets  où  le  féministe  Helleu  promène 
sa  sanguine. 

Ce  serait  une  faiblesse  de  nous  déprendre 
des  œuvres  qui  nous  charment,  lorsqu'elles 
semblent  se  départir  de  Xodi  profanum  qui 
les  distinguait  et,  les  isolant,  nous  en  faisait 
plus  proches.  C'est  donc  tout  amateur  d'Art 
Moderne,  dans  la  bonne  acception  d'un  mot 
qui  prête  au  malentendu,  à  savoir,  d'un  art 
qui  sait  allier  au  respect  du  passé,  à  la  con- 
naissance, comme  au  culte  de  ses  Maîtres, 
une  originalité,  une  individualité  servies  par 
des  moyens  personnels  —  c'est,  dis-je,  tout 
lecteur  ainsi  préparé,  que  devait  séduire  le 
titre  précité  de  la  Nouvelle  Allemande.  Et, 
plus  expressément,  l'ami  averti,  témoin  sen- 
sible et  renseigné  des  premiers  essais,  des 
luttes  continues,  des  victoires  remportées, 
honneur  de  l'artiste  indépendant  et  sensitif, 

68 


entre  tous  ceux  dont  l'œuvre  vibrante  doit 
transmettre  à  l'avenir  un  peu  de  la  vie  ner- 
veuse d'une  époque  exacerbée. 

Je  déchiffrai  les  feuillets,  et  m'applique  à 
en  recueillir  le  sens,  pour  le  rapporter  au 
toujours  jeune  Maître  qui  nous  occupe,  à  son 
œuvre  que  nous  aimons,  et,  sinon  en  extraire 
\ incomuie  (à  jamais,  et  c'est  son  charme, 
fuyante  et  indevinée),  tout  au  moins  en  tirer 
des  variations  d'élégante  féminité  et  de  psy- 
chologie enrubannée. 

Un  fils  de  famille,  allemand,  esthéticien 
de  mérite,  s'est  épris  d'une  jeune  tille,  Lis- 
beth,  que  le  hazard  d'une  rencontre  lui  tit 
protéger,  dans  la  rue,  contre  je  ne  sais  quelle 
injure  d'un  passant;  or,  la  belle  se  trouve 
être  modeste  employée  chez  un  docteur,  mais 
d'une  distinction  de  visage  et  d'allures,  qui 
séduit  le  protecteur,  bientôt  le  fiancé. 

Ce  dernier,  au  cours  d'un  voyage,  a  pro- 
mis d'envoyer,  de  Paris,  un  cadeau  typique, 

59 


résumé  des  séductions  de  la  Ville-Lumière; 
et  ce  présent  est  attendu  avec  la  curiosité  de 
l'espérance,  la  palpitation  de  l'amour.  Voici 
la  caisse,  que  la  destinataire  hésite  à  ouvrir 
sous  les  regards  malicieux  de  ses  compagnes. 
Déception!  Ce  n'est  ni  le  colifichet  rêvé,  ni 
le  brimborion  qui  doit  faire  pâlir  l'étalage  des 
gai anfer l'en  locales.  Dans  un  beau  cadre  clair, 
une  grande  feuille  de  papier  dont  un  des 
témoins  donne  une  description  fantaisiste. 
Puis,  viennent  des  appréciations,  des  discus- 
sions à  propos  du  sujet.  Et  ce  public,  de 
disserter  plus  ou  moins  gauchement  sur  les 
mérites  du  précieux  envoi.  Et  la  jolie  tille, 
inconsciemment  portraiturée  à  distance,  par 
l'aquafortiste  raftiné,  s'éloigne,  incompréhen- 
sive  et  attristée,  avec  la  perle  dont  elle  ignore 
l'orient,  qui  cependant  la  retlète. 

Car  c'est  ainsi  ;  et  toute  la  grâce  ingé- 
nieuse et  sentimentale  du  tiancé  tient  dans 
ce   détail    :    il   a    retrouvé    et    reconnu,    sous 

70 


quelque  vitrine  de  la  Rue  Laftitte,  en  une 
esquisse  du  graveur  français,  une  similitude 
de  la  chère  absente. 

La  lumière  intervient,  sous  l'aspect  de  la 
femme  du  docteur.  Elle  voit  la  gravure  et 
s'écrie  :  «  Ce  ne  peut  être  que  d'Helleu,  cette 
image  ravissante!  Comme  cet  homme  des- 
sine! Avec  si  peu  de  moyens!  Quelques  traits 
pour  l'ombre;  quelques  traits  dans  un  autre 
sens,  pour  indiquer  les  cheveux  doux  comme 
de  la  soie.  Rien  de  plus.  A  peine  les  contours 
de  la  tête...  »  Et  comme  la  ressemblance  de 
l'œuvre,  au  modèle  distant  et  inconnu,  se 
révèle  à  cette  femme  avisée  :  «  C'est  incroya- 
ble, poursuit-elle,  comme  cet  artiste,  qui  n'a 
jamais  vu  Lisbeth,  en  donnant  ses  traits,  dans 
un  croquis  génial,  légèrement  jeté  sur  le 
papier,  rend  en  même  temps  ce  qui  est  la 
quintessence  de  son  être  :  le  calme  d'une 
pensée  intacte  et  sans  fausse  culture  d'esprit; 
l'impression  qui  dit  comme  cette  enfant,  tout 

71 


enfant  qu'elle  est,  suivra  son  chemin  tout 
droit,  hors  des  influences  mondaines,  et  con- 
servera entiers  son  moi  et  son  caractère.  »  Et 
la  maîtresse  ajoute  :  «  Votre  fiancé  a  une 
haute  opinion  de  vous  en  pensant  que  vous 
comprendrez  l'art  exprimé  par  cette  image  ». 
—  «  Trop  haute  opinion,  répond  la  jeune 
fille,  car,  en  effet,  je  ne  le  comprends  pas  ». 
Et  l'aventure  se  déroule,  banale  ensemble 
et  dramatique.  Présentée  à  la  mère,  puis 
aux  relations  de  son  promis,  la  demoiselle 
éprouve  la  froideur  de  l'une,  le  mépris  des 
autres.  Elle  écrit  à  son  amoureux  une  simple 
lettre  de  rupture,  en  lui  retournant  la  jolie 
image.  «  Et  moi,  formule  l'entêtée,  la  naïve, 
la  féroce  qui  est  dans  toute  aimée  —  et  moi 
je  ne  trouve  pas  que  cette  gravure  soit  si 
belle  que  toi  et  Madame  vous  le  dites;  c'est 
pour  cela  que  je  te  la  renvoie!  »  Et  comme 
elle  signifie,  en  même  temps,  son  congé  au 
pauvre  soupirant...  il  en  meurt. 

72 


«  Nous  n'aurions  pas  pu  nous  comprendre, 
puisque  nous  ne  comprenions  pas  les  mêmes 
choses»,  répond  Lisbeth  émue,  mais  fataliste, 
à  sa  maîtresse  qui  lui  reproche  une  appa- 
rente indifférence. 

«  Cependant,  la  mère  du  jeune  mort,  en 
comparant  l'écriture  incertaine  et  enfantine 
du  billet  d'adieu,  avec  les  contours  de  l'image 
qui  la  regardait  sérieusement,  comprit  l'amour 
de  son  fils  et  ce  que  sa  douleur  lui  faisait 
entrevoir  de  commun  entre  elle  et  cette 
pauvre  fille.  » 

J'ai  cité  cette  nouvelle,  j'en  donne  le 
compte  rendu  succinct,  tout  d'abord  parce 
qu'elle  témoigne,  une  fois  de  plus,  une  flat- 
teuse préoccupation  des  littératures  étran- 
gères, autour  de  Toeuvre  du  prestigieux  ar- 
tiste. En  outre,  cet  épisode  nous  sauve  de 
ressasser  des  vérités  acquises,  de  repasser,  que 
pour  en  résumer,  en  redire  le  charme,  par  les 
chemins  qu'il  nous  a  faits  familiers,  du  Parc 

y  73 


de  Versailles  dont  il  a  traduit,  à  l'automne, 
et  mieux  que  nul  autre,  les  pénétrantes  dou- 
ceurs, les  rousseurs  mélancoliques  : 

La  Diane  de  marbre,  au  bois  automnal,  chasse, 
Tout  Octobre  se  rouille  aux  feuilles  d'acajou; 
De  courir,  sans  mourir,  cette  statue  est  lasse, 
Et  le  vieux  parc  a  l'air  d'un  immense  bijou. 

La  sertissure  d'or  des  feuillages  rougeâtres 
Monte,  d'un  ciel  pâli,  le  saphir  qui  se  meurt; 
Les  dieux  marmoréens,  mélangés  à  des  pâtres. 
Attendent  d'expirer,  de  vieillesse,  sans  heurt. 

Et,  dans  le  soir  bleui,  qui  se  vêt  de  son  voile, 
LIne  blancheur  se  lève,  et  s'ouvre,  un  astre  pur. 
Comme  si  la  Diane  eût  blessé  d'une  étoile 
Le  cœur  mystérieux  et  profond  de  l'azur. 

Les  froides  allées  de  pierre,  entre  les  om- 
breux piliers  des  basiliques,  alternent,  nous 
l'avons  vu,  dans  cette  œuvre  complexe,  avec 
les  arbres  des  royaux  bocages,  avec  les  esta- 
cades  soleilleuses,  où  palpitent  les  flammes 
des  yachts  et  les  ceintures  des  baigneuses, 
avec  les  cimaises  des  musées  où  se  penchent, 

74 


dans  des  attitudes  d'attention,  plutôt  appli- 
quées à  se  faire  admirer,  les  Parisiennes  cos- 
mopolites. 

C'est,  notamment,  et,  surtout,  par  ces  ins- 
tantanés de  la  grâce  de  la  femme,  selon  la  pit- 
toresque formule  de  Concourt,  que  le  nom, 
que  le  renom  d'Helleu  sont  devenus  célèbres. 
Mais  c'est,  je  le  dirai,  beaucoup  aussi,  —  et 
la  nouvelle  allemande  nous  le  révèle  joliment 
—  par  ce  qui  reste  et  rayonne  d'universelle- 
ment féminin,  dans  les  effigies  qu'il  retrace 
des  duchesses  et  des  ladies,  et  en  dehors 
d'elles,  que  le  graveur  nous  émeut. 

Rares  faveurs,  certes,  que  d'avoir  peint  la 
Comtesse  Greffulhe,  et  de  l'avoir  assimilée 
aux  cygnes  sinueux  et  dorés  des  bronzes  de 
l'Empire;  d'avoir  dessiné  Madame  Georges 
Menier,  à  la  coiffure  Grecque,  au  visage  par- 
fait, au  regard  limpide  et  lucide,  qui  semble 
projeter  devant  soi,  comme  fait  le  modèle, 
un    peu    de    la    pensée    aimable    et    assurée  ; 

75 


d'avoir  fait  s'épanouir,  au-dessus  d'un  col 
pareil  à  une  tige  de  tleur,  la  tête  sérieuse  et 
rose  de  la  Duchesse  de  Marlborough,  et 
fait  sourire  le  protil  printanier  de  Miss  Dea- 
con,  sous  le  tricorne  menu  des  amazones  du 
siècle  poudré,  des  chasseresses  de  chasse  à 
courre.  Mais  n'est-ce  pas  oeuvre,  plus  inci- 
sive, de  traducteur  du  mystère  féminin,  que 
de  faire  reconnaître,  à  la  fois  personnelle- 
ment et  anonymement  par  chacun  de  nous, 
dans  Une  Tête  cf  Hel/eu,  le  visage  d  une  belle 
chérie  ? 

L'auteur  de  notre  petite  nouvelle  a  erré, 
en  rangeant  Helleu  parmi  les  impression- 
nistes. Nous  l'avons  entendu  s'écrier  :  «  Ils 
peignent  tous  violet,  et  moi,  pas!  »  en  par- 
lant de  ses  compagnons  d'école.  Une  telle 
personnalité  suscite  des  imitateurs,  elle  ne  se 
subordonne  point  à  des  groupes. 

Son  œuvre,  comme  Ta  bien  fait  ressortir 
le    nouvelliste    allemand,    ne   cesse  doffrir  à 


ceux  qui  savent  l'interroger,  ce  qui  réelle- 
ment s'y  trouve  :  Timage  ravissante  et  saisis- 
sante des  femmes  et  de  la  femme;  le  dessin 
rusé  et  câlin  qui  tixe  un  contour,  d'une 
caresse  ou  d'une  égratignure ;  et,  '<  de  peu  de 
moyens,  quelques  traits  pour  l'ombre,  quel- 
ques traits,  dans  un  autre  sens,  pour  indi- 
quer les  cheveux  doux  comme  de  la  soie  />, 
exprime  l'amie  de  chacun  et  Tamie  de  tous; 
en  un  mot,  «  parles  quelques  lignes  d'un  génial 
croquis,  légèrement  jeté  sur  le  papier  »,  a  su 
rendre,  pour  chacun  de  nous,  et  sans  l'avoir 
jamais  vue,  ce  qui,  dans  le  présent  ou  dans  le 
passé,  l'attache  à  la  femme  aimée. 

Je  lisais,  l'autre  jour,  d'un  nouveau  venu, 
qu'il  devait  être  considéré  comme  '<  le  créa- 
teur de  la  silhouette  des  Parisiennes  actuelles  ». 
Y  a-t-il  lieu  de  s'en  féliciter,  de  le  compli- 
menter ?  Ce  fourreau  de  parapluie,  indécent 
et  laid,  qui  semble  se  rétrécir,  à  mesure 
que    le    pardessus    des    hommes    prend    plus 

77 


d'ampleur,  et  comme  des  tournures  de  jupe  ; 
cette  maigre  traîne  de  soutane,  ces  effets 
de  jambes,  ces  pieds  disproportionnés,  ces 
allures  étriquées,  ces  coiffures  saugrenues  aux 
bords  démesurés,  aux  panaches  ridicules,  tout 
cela  représente  autant  de  défis  au  bon  sens, 
d'offenses  au  bon  goût. 

Ce  sera  l'honneur  d'Helleu  de  n'avoir 
jamais  sacrifié  à  ces  travestissements  déplo- 
rables, d'avoir  donné,  à  ses  jeunes  tilles,  des 
grâces  de  jeunes  filles,  à  ses  femmes,  des  airs 
de  dames,  qui  seront  sans  doute  les  derniers, 
s'il  faut  se  résigner  à  voir  la  Parisienne,  docile 
jusqu'à  l'imbécillité,  sous  l'aspect  d'un  éphèbe 
dégingandé  et  dévergondé,  qu'elle  se  laisse 
misérablement  infliger  par  les  soi-disant  créa- 
teurs de  ses  silhouettes.  Je  décrirai  celle-ci  : 
une  demoiselle,  contorsionnée  dans  on  ne 
sait  quel  agenouillement  pseudo-gracieux, 
crispe  sur  le  manche  de  son  ombrelle,  une 
main,  que  dis-je?  une  patte,   dont  se  conten- 

78 


terait  une  araignée,  une  pince  qui  ne  dépare- 
rait point  un  crabe. 

Et  forcément,  à  côté  des  créateurs,  il  y  a 
les  reproducteurs,  qui  renchérissent  et  rem- 
plissent les  magazines,  de  dessins  odieux, 
comme  tout  ce  qui  associe  la  médiocrité  à 
l'extravagance,  et  dont  l'indigente  originalité 
apparaît  au  fond  entièrement  nulle,  puisqu'elle 
est  tout  entière  prise  à  l'auteur  du  Râpe  of 
the  Look,  et  aux  ballets  russes,  amalgamés 
pauvrement. 


79 


V 

HORTENSIAS  D'A UTOMNE 


III 


CE  qu'on  appelle  Variations,  en  musique, 
offre  à  l'oreille  un  divertissement  agréa- 
ble. Les  anciens  maîtres  du  clavier  en  ont 
présenté  des  exemples  fameux.  Le  thème  du 
début  s'y  retrouve,  enguirlandé  d'arpèges, 
fleuri  de  toutes  sortes  d'ornements  qui,  tantôt 
le  voilent  ou  le  dénudent,  et  sous  une  allure 
tour    à  tour  ralentie  ou  précipitée,  en  chan- 


gent  la  physionomie  sonore,  pas  assez  pour 
la  faire  méconnaître,  assez  pour  en  multiplier 
l'attrait. 

De  telles  variations  existent  en  peinture. 
Monet  notamment  y  excelle.  Chacune  de  ses 
expositions  annuelles  s'exerce  sur  un  sujet 
unique;  les  champs  de  tulipes  de  Haarlem; 
les  meules,  au  lever,  puis  au  coucher  du 
jour;  un  groupe  de  peupliers,  pareillement 
exposés  à  de  mouvantes  lumières;  puis  de 
successifs  aspects  d'un  bassin  de  nénuphars. 
Quant  aux  Danseuses  de  Monsieur  Degas, 
combien  de  fois  n'a-t-il  pas  varié  l'effet,  avec  une 
puissance  toujours  accrue,  de  leurs  jupons 
de  tulle  et  de  leurs  ronds  de  jambes? 

Pourquoi  l'écriture  se  refuserait-elle  à  ce 
jeu  de  répétitions  diversifiées?  Face,  profil, 
trois-quails,  il  y  a  toujours  à  revenir  sur  un 
portrait;  ou  plutôt,  une  expression  à  la  fois 
mobile  et  immuable,  stable  et  changeante, 
nous     offre     d'incessants    prétextes    à    noter 

82 


d'elle,  de  nouvelles  acceptions  qui,  par  la 
réunion  de  leurs  aveux  distincts  et  gradués, 
nous  rapprochent  davantage,  chaque  fois,  de 
la  ressemblance  totale.  Tantôt  cette  ressem- 
blance se  synthétise  en  un  sommaire  contour; 
tantôt  elle  confie  à  un  détail  le  soin  de  nous 
révéler  un  trait  de  caractère. 

J'ai  bien  souvent  essayé  de  telles  varia- 
tions sur  l'œuvre  d'Helleu,  et  j'en  voudrais  à 
l'année  qui  ne  me  permettrait  pas  d'embellir 
ma  Muse,  en  lui  donnant  à  se  mirer,  elle 
aussi,   dans  la  prestigieuse  plaque  de  cuivre. 

Ce  sont  encore,  jel'aidit,  des  variations  sur  le 
type  féminin,  et  séduisantes  entre  toutes,  que 
renouvellent  incessamment  les  pinceaux,  les 
crayons,  et,  plus  particulièrement,  la  pointe 
de  diamant  dont  l'incomparable  graveur  trace, 
sur  le  rectangle  métallique,  le  reflet  de  celles 
qui  viennent  s'y  mirer  de  tous  les  points 
du  monde. 

De  ces  interprétations  multipliées  par  l'Ar- 

83 


liste,  d'après  \ Eternel  Féminin,  les  caractéris- 
ques  demeurent,  encore  une  fois,  l'élégance  et 
la  distinction,  la  race  et  la  grâce;  non  point 
la  maladroite  caricature  ou  la  prétentieuse 
contrefaçon  de  ces  exceptionnelles  manières 
d'être;  mais  leur  exquise  approche,  leur  indu- 
bitable présence  réelle. 

Oh!  comme  je  plaindrais  la  jolie  femme 
qui,  moins  heureuse  que  les  Reines,  que  tant 
d'Altesses  Impériales,  Royales  ou  Mondaines, 
que  la  Grande-Duchesse  Cyrille  et  la  Princesse 
Patricia  de  Connaught,  que  la  Princesse  de 
Pless,  la  Princesse  de  Broglie,  Lady  Dudley, 
Lady  Vincent.  Madame  Lydig.  Madame  Van- 
derbilt,  et  que  tant  d'autres,  pourrait  se  dire 
qu'elle  n'offrira,  ni  à  l'actualité  contemplative, 
ni  à  l'avenir  émerveillé,  ses  traits  à  jamais 
fixés  par  la  pointe  de  diamant  inspirée  !  Mais, 
comme  cette  jolie  femme-là  serait  sans  goût, 
il  ne  faudrait  pas  la  plaindre;  il  suffirait  de 
l'abandonner  au  'sort  malheureux,  la  livrant, 


toute  vive,  à  tout  ce  qui  reste  de  Gainsbo- 
rough  dans  Pierre  Grassou,  lequel,  pour  avoir 
changé  de  nom,  n'en  reste  pas  moins  toujours 
le  même. 

Je  rappellerai  seulement  que  ce  fut,  pour 
ce  grand  et  charmant  artiste  qu'est  Helleu,  se 
pencher,  une  fois  de  plus,  sur  le  mystère 
féminin,  que  de  redemander  aux  miroirs  d'eau 
de  Versailles,  qu'il  a  peints  avec  tant  de  mé- 
lancolie, le  reflet  des  souveraines  et  des  favo- 
rites . 

Et  ces  cathédrales  qu'il  a  reproduites  avec 
amour,  ne  peuvent-elles  pas  être  tenues  elles- 
mêmes  pour  des  Majestés  de  pierre,  abritant 
dans  les  plis  de  leurs  robes  sculptées,  avec 
l'inquiétante  «  Madame  Mondanité  »  et  la 
rieuse  Reine  Baba,  des  saintes  portant  des 
reliques  et  des  vierges  portant  des  songes? 

Enfin,  les  fleurs  n'ont-elles  pas,  elles  aussi, 
des  grâces  de  femmes?  —  Elles  furent,  elles 
restent  de  ses  modèles;   bien  notamment  ces 

«s 


mystérieuses  boules  d'hortensias  bleuis,  sur 
lesquelles  semblent  s'être  posés  la  caresse  de 
Séléné,  le  baiser  de  Diane. 

Continuez,  Helleu,  de  nous  traduire, 
mieux  que  pas  un  de  ceux  qui  manient  le 
diamant,  le  mystère  féminin  sous  toutes  ses 
formes,  charnelles,  changeantes,  fleuries  ou 
pétrifiées  :  saintes  des  basiliques,  reines  des 
parterres  et  des  palais,  ou  Parisiennes  aux 
chapeaux  ailés,  sous  lesquels  s'abritent  des 
yeux  aussi  pleins  de  mystère  que  les  fleurs 
d'Hortense,  que  les  vitraux  des  rosaces  de 
Chartres,  ou  que  les  eaux  du  bassin  de  Nep- 
tune ! 


Mais  je  craindrais  de  méconnaître  une 
grande  part,  peut-être  la  plus  tendre  part  de 
l'œuvre  d'Helleu,  si  je  n'insistais  pas  sur  son 
talent  à  étudier,  à  exprimer,  les  grâces  enfan- 


86 


tines.  Il  vient,  une  fois  de  plus,  de  nous  en 
donner  une  preuve,  d'une  abondance,  d'une 
éloquence,  d'une  diversité,  je  crois  bien  sans 
équivalent  dans  l'histoire  de  l'art. 

Certes,  les  Maîtres  anciens  ont  rendu 
avec  plus  de  puissance,  et  de  majesté,  dans  la 
représentation  de  leurs  Madones,  les  effleure- 
ments du  filial  front,  par  l'amour  maternel. 
Les  vierges  de  Botticelli  sont  prêtes  à  s'éva- 
nouir d'émotion  sur  leur  divin  fruit,  qui  lui, 
va  saigner.  Le  seul  Musée  de  Berlin,  contient, 
(pour  ne  parler  que  de  celles-là)  deux  saisis- 
santes expressions  de  cette  sensibilité,  je 
dirais  presque  de  cette  visibilité  du  cœur  des 
mères.  La  première,  qui  n'est  que  délicieuse, 
est  de  Quentin  Metsys.  Celle-là,  c'est  l'his- 
toire et  le  dessin  d'un  baiser.  On  dirait  deux 
coquillages  vivants,  deux  innocentes  fleurs 
qui  se  mêlent.  L'autre  est  de  Mantegna.  La 
grâce  des  précédentes  ligures  s'y  développe 
en   grandeur.    La  jeune   mère,    déjà    doulou- 

87 


reuse  dans  le  pressentiment  de  l'avenir,  ap- 
puie son  visage  charmant  et  grave  contre  la 
tête  du  nouveau-né,  en  laquelle  il  lui  semble 
entendre  se  dérouler  la  Passion  et  préluder  le 
Calvaire. 

Certes  encore,  et  par  bonheur,  rien  de  cela 
dans  la  jolie  suite  que  nous  présentait  hier 
Helleu,  sous  le  titre  de  Nos  Bébés.  Cependant, 
n'y  a-t-il  pas  toujours  un  peu  de  calvaire,  dans 
le  cœur  d'une  mère  songeant  à  l'avenir  de 
son  fils?  —  Seulement,  ces  humbles  calvaires 
humains  ne  font  que  rider  d'un  pli  transpa- 
rent les  fronts  gracieux  de  nos  mamans  pari- 
siennes. 

Suivons-les,  au  cours  de  ce  joli  livre;  elles 
s'assoupissent  sur  l'allaitement,  en  une  co- 
quette paresse;  elles  dorlotent  les  petits 
maux,  endorment  les  cris,  bercent  les  som- 
meils et  les  songes;  et,  dans  l'entre-bâillement 
des  portes,  dans  la  conque  des  canapés, 
assises  ou  debout,  rampantes  ou  agenouillées, 

88 


avec  cette  souplesse  qui  fait,  de  la  mère 
aimante,  l'infatigable  enveloppement  de  son 
marmot,  par  la  tendresse  et  par  la  caresse, 
elles  donnent  et  reçoivent  des  baisers,  tou- 
jours heureuses  (même  dans  l'inquiétude) 
lorsqu'elles  se  sentent  assez  près  pour  écouter 
le  naissant  cœur  battre. 

Or,  si  nombreuses  que  puissent  être  les 
variations  du  thème  maternel,  le  thème  en- 
fantin les  surpasse  en  multiplicité,  sinon  en 
grâce.  Le  bambin,  lui.  tette,  se  traîne  à  quatre 
pattes,  mange  sa  bouillie,  dévore  son  joujou, 
peigne  sa  poupée,  aligne  ses  soldats  de 
ph)mb.  parle  à  son  cheval  de  bois,  conduit 
son  agneau,  ou  sur  la  selle  d'osier  de  son  élé- 
phant de  carton,  prend  un  air  de  maharajah 
en  tournée.  Il  taquine  la  corde  de  la  harpe, 
ou  la  lyre  du  clavecin,  pianote,  range  ou 
dérange  les  gravures,  dessine,  épelle,  écrit  sa 
lettre  de  fête,  en  un  mot,  en  mille  mots,  fait 
tout  ce   qui   concerne   son  état   de   bambin,   à 

89 


travers  toutes  les  phases  du  bobo,  du  dodo, 
du  nanan,  de  la  baballe  et  du  drinn-drinn,  de 
tous  ces  gentils  monosyllabes  redoublés,  dont 
s'écrit  l'histoire  de  l'enfance. 

Mais  les  redites  sont  inévitables,  avec  cet 
artiste  auquel  j'appliquais,  naguère,  une  cita- 
tion, sur  la  nécessité  de  cesser  de  vaincre, 
pour  ne  pas  essouffler  le  narrateur.  —  Et  lui- 
même,  parlant  de  ses  bienfaits  à  l'égard  des 
amateurs  de  son  œuvre,  ne  pourrait-il  pas 
dire  qu'en  ayant  «  comblé  »,  il  en  veut  «  acca- 
bler »  ? 

Ce  nouveau  bienfait  prend  encore  aujour- 
d'hui la  forme  d'un  album  enfantin.  Sept 
sanguines  illustrant  les  Chansons  Simplettes, 
œuvre  charmante  de  Madame  Georges  Goyau, 
de  qui  j'aime  à  saluer  mélancoliquement  le 
distingué  souvenir. 

Qu'elles  sont  jolies,  ces  chansons  qu'au- 
rait aimées  la  grande  Marcelline  ! 


90 


Les  Cygnes  : 

...  glissant  sur  l'eau  sombre 

Où  nous  apercevons  le  beau  ciel  renversé. 

Sur  la  Grand' Route  : 

N'importe  quelle  route  on  suive, 
C'est  l'avenir  et  le  passé. 

Paroles  à  la  Lune  : 

Lorsque  vous  brillez,  c'est  du  soleil  bleu. 

Le  Goûter,  la  Poupée,  et  surtout,  ce  /^^;'- 
m^:^'  les  Rideaux,  qui  est  le  petit  chef-d'œuvre. 
L'enfant,  à  sa  fenêtre,  le  soir,  tourne  invinci- 
blement ses  yeux  vers  l'obscurité  qui  l'attire 
et  le  terrifie,  car 

...  la  grande,  on  veut  la  connaître; 

En  haut  les  rideaux  dessinent  un  cœur. 

Ce  vilain  cœur  noir,  dans  les  rideaux  roses. 
Il  semble  effrayant.  Moi,  je  parle  bas. 
Elle  assombrit  tout  pour  cacher  les  choses, 
La  méchante  nuit  que  l'on  n'aime  pas. 

La  lampe  nous  tient  sous  sa  bonne  garde, 
Repoussant  la  nuit.  Le  feu  donne  chaud, 
Entre  les  rideaux,  vois,  la  nuit  regarde. 
Comme  un  prisonnier  du  fond  d'un  cachot. 

01 


Et.  sur  toutes  ces  choses,  la  sanguine  et  le 
cravon  d'Helleu  promènent  leurs  traits  entre- 
mélangés, elle,  de  la  couleur  des  rideaux  gais, 
lui.  du  ton  des  mornes  ténèbres,  en  cet 
album  qui  pourrait  tirer  un  titre  du  combat 
de  ces  deux  colorations,  et  s'appeler  :  le  Rose 
et  Je  Noir. 


Celle    de    mes   Paroles   Diaprées,    que  j'ai 
consacrée  à  Helleu.  s'exprime  ainsi  : 

Votre   nom   souffrirait  en  n"étant  pas  tracé 
Dans  ce  recueil  élu,   dit   de  la  dédicace  ; 
Ce  recueil  pleurerait  en  écoutant  c|u"il  passe 
Sans  que  votre  beau   nom  }    soit  dédicacé. 

Je  prends  votre  burin,   qui   lit  tant  de  merveilles, 
Et  la  plaque  de  cuivre  où  triomphent  vos  mains. 
Et  j'écris  :  «  Je  suis  las,  j'ai  vu  beaucoup  de  veilles 
Car  je  ne  verrai  plus  autant  de  lendemains. 

«  Mais  je  sais,  aussi  loin  que  mes  regards  d'artiste 
Se  projettent,  depuis  que  j'apprends  à  savoir, 
Que  j'admire,  de  vous,  ce  qui,  joyeux  ou  triste, 
Enchante  notre  vue,  et  que  vous  faites  voir. 
Au  long  des  feuillets  blancs,   égratignés   de  noir 


» 


92 


Il  me  plaît  de  m'exprimer  en  vers,  quand 
je  parle  de  ce  poète  de  la  ligne  ;  je  le  sais 
capable  de  ressentir  le  rythme  intérieur  des 
strophes,  non  moins  que  d'en  apprécier  la 
forme  un  peu  ingénieuse. 

J'ai  souvent  pensé  que  les  artistes  dignes 
de  ce  nom,  pourraient  aussi  bien  exceller  dans 
d'autres  carrières  que  celles  qu'ils  ont  choisies 
et  qui  les  ont  désignés.  En  voici  une  preuve. 
Un  soir  que  j'étais  allé,  avec  Helleu,  admirer 
Madame  Ida  Rubinstein.  au  cours  d'une  de 
ses  belles  reconstitutions  antiques,  mon  com- 
pagnon me  cria,  dans  un  élan  de  plaisir  : 

Elle  est,  d'Ingres,  Thétis,  elle  est  la  Stratonice!  .. 

Je  sais  peu  de  poètes  de  la  pensée,  capa- 
bles d'improviser  un  si  noble  alexandrin. 


En    réponse    à   ma   demande   de   quelques 

93 


renseignements  supplémentaires,  j'ai  reçu  la 
belle  lettre  qui  suit  : 

«  Mon  Cher  Ami, 

«  J'ai  fait  plus  de  deux  mille  planches.  (Je 
vous  envoie  une  liste  un  peu  longue).  Il  y  en 
a  beaucoup  de  mauvaises;  mais  je  crois 
qu'après  ma  mort,  les  artistes  verront  aussi 
qu'il  y  en  a  de  bonnes.    » 

Elégante  et  charmante  modestie,  lors- 
qu'elle émane  d'un  artiste  de  mérite  si  rare  ! 
Le  contraire  apparaît  fort  comique.  Je  lisais, 
l'autre  jour,  les  propos  avantageux  d'un 
peintre,  ou  d'un  qui  se  donne  pour  tel,  faible- 
ment désigné  par  une  longue  production 
amorphe  et  incolore  :  «  J'ai  —  disait-il, 
croyant  ajouter  à  l'admiration,  par  cette 
concession  feinte  —  j'ai  fait  beaucoup  de  por- 
traits, qui  ne  sont  pas  tous  bons...  » 

94 


Il  y  en  avait  donc  de  bons.  Quel  dommage 
que  ce  soient  ceux-là  qui  m'aient  échappé! 

Écoutons  l'autre,  celui  dont  nous  parlions, 
celui  qui  a  le  droit  de  parler  : 

«  J'ai  eu  tant  de  beaux,  tant  de  jolis  mo- 
dèles, j'ai  travaillé  avec  tant  d'enthousiasme 
et  d'admiration  que  je  suis  persuadé  d'avoir 
gravé  cette  émotion  et  cette  admiration,  dans 
le  cuivre. 

«  J'ai  d'abord  fait  des  centaines  de  phni- 
ches,  d"après  Madame  Helleu  et  mes  enfants. 

«  Je  n'ai  fait  que  trois  ou  quatre  portraits 
d'hommes  :  Concourt,  Whistler,  Montes- 
quiou,  Rouart.  >/ 

Suit  une  liste  des  plus  considérables,  des 
plus  brillants,  parmi  ses  modèles  féminins. 
L'un  d'eux  obtient  même  de  lui  ce  croquis 
imprévu,  daté  de  Blenheim,  esquisse  à  la 
plume,  mais  toujours  d'un  trait  sûr  ;  '<  Elle 
posait,   au  printemps,   dans  une  vaste  pièce, 

95 


dont  une  grande  tapisserie  de  Boucher 
occupait  le  fond  :  V Entrée  de  Psyché  dans  le 
Temple.  Quelquefois,  appuyée  à  cette  tenture, 
elle  paraissait  se  confondre  avec  les  person- 
nages, auxquels  elle  ressemblait.  Ses  yeux 
seuls  brillaient.  //  Et  il  ajoute  : 

«  Des  centaines  d'Anglaises,  d'Améri- 
caines, d'Allemandes,  dont  je  ne  sais  plus  les 
noms...  » 

Ce  n'est  pas  non  plus  sans  émotion,  ni 
admiration,  que  je  trace  (je  voudrais  dire  : 
que  je  grave)  à  mon  tour,  sur  ce  dernier 
feuillet,  cette  phrase  si  simple,  si  sincère,  si 
saissisante! 

Le  voilà  bien,  F  Homme  des  Belles-Feuilles, 
«  au  milieu  du  chemin  de  sa  vie  »,  pareil  à 
un  arbre  touffu  et  prodigue,  ayant  secoué, 
ayant  dispersé,  à  travers  le  monde,  autour  de 
soi,  dans  le  souffle,  à  la  fois  éperdu  et  rétlé- 
chi,  de  l'ardeur  et  de  l'enthousiasme,  tant  de 
feuillages   inspirés,   dont  (n'en   déplaise  à   sa 

96 


scrupuleuse  sévérité)  pas  un  ne  deviendra 
feuille  morte. 

Lui,  ne  sait  plus  les  noms  de  beaucoup  de 
celles  qui  s'y  profilent,  ou  le  regardent  en 
face.  Mais,  elles,  ne  l'ont  pas  oublié.  Ce  serait 
se  montrer  ingrates. 

Non,  jusqu'à  l'heure  de  s'effeuiller  elles- 
mêmes,  dans  le  souflle  de  leur  dernier  au- 
tomne, elles  reverront  le  visage  brûlant  et 
sombre  de  l'homme  extasié,  qui  semblait 
puiser  de  leur  vie  éphémère,  pour  la  trans- 
former en  ressemblance  durable,  et  la  fixer 
sur  un  feuillet  devenu  précieux,  un  feuillage 
fait  immortel. 

ROBERT  DE  M0NTESQ_U10U. 


97 


VI 

LE  COMTE  ROBERT  DE  MONTESOUIOU 


. \(>V5<  ''i-^i-  v'^iaoS'i 


^îî'SS^ 


<f  ^/  y 


Peintures 


Dessins  et   Gravures 


VII 

LA  REINE  ALEXANDRA 


i.'/\(\'/.ï  /  \Al.  ■àVA:- 


/./^ 


gr- 


VIII 
LA  DUCHESSE  DE  MARLBOROUGH 


mv 
5-10^307103.171  kwi  aci  il^^aHo• 


IX 
ÉTUDE  D'APRÈS  LA  MÊME 


mâw\  hJ-  ^av\^\i 


u 


X 

ÉTUDE  D'APRÈS  LA  MÊME 


XI 
MISS  CHANCEY 


■f  :\  3/'l  .^\  )    <'.'■  \U- 


/^/e--. 


XII 
MISS  TAYLOR 


X 


XIII 

LES  FLAMMES  DES  YACHTS 


!  !  Z 


^^\\  )\- 


XIV 
LES  RÉGATES  DE  COWES 


,•» 


^ 


XV 

L'ÉVENTAIL  DES  BARQUES 


XVI 

ÉTUDE  POUR  LE  PORTRAIT 

DE  LA  COMTESSE  GREFFUHLE 


IVX 


''^\S^\ 


I 


I 


XVII 
LA  COMTESSE  MATHIEU  DE  NO  AILLES 


\.\  \\'. 


H'fl' 


t-^^ 


XVIII 
L'AUTEUR  DU  "   CŒUR  INNOMBRABLE 


•uat//\awjW/A  >\').v)o 


XIX 

LA  DUCHESSE  DE  MORNY 


/;  aa  didaH 


XX 

LA  COMTESSE  RENÉ  DE  BÊARN 


XXI 

MADAME  GEORGES  MENIER 


-^^^. 


XXII 
LA  DUCHESSE  D'AUDIFFRET  PASQUIER 


vv.w 


i 


XXIII 
MADAME  LETELLIER 


^^ 


XXIV 

ÉTUDE  D'APRÈS  LA  MÊME 


•11. 'u  aau'v'd 


XXV 
ÉTUDE  D'APRÈS  LA  MÊME 


awiâM  Ka  ^iVA'u.'a  :' 


XXVI 
ÉTUDE  D'APRÈS  LA  MÊME 


/' 


/ 


xxvn 

LA  COMTESSE  DE  SAN  MARITNO 


n  .'. 


XXVIII 
ÉTUDE  D'APRÈS  LA  MÊME 


XXIX 
MADAME  CHÉRUIT 


\i4KatA/i 


XXX 
ÉTUDE  D'APRÈS  LA  MÊME 


XXXI 

ÉTUDE  D'APRÈS  LA  MÊME 


'\\!     i    \    '-"nW^i  '<\    Ji<\.V\:\ 


XXXII 

MADEMOISELLE  MEDJÉ  CONQUY 


x^^ 


< 


i 


XXXIII 
DIANE  ET  VÉNUS 


XXXIV 

LE  JOUEUR  DE  FLUTE 


XXXV 
LES  EAUX  MORTES 


XXXV  r 

LA   DAME  A   LA   TOOUE 


\  :m:^ 


XXXVIII 
EVE 


XXXIX 

LE  CHAPEAU  A  PLUME 


XL 
LE  NŒUD  BLEU 


XLI 

LE  SPHINX 


y'/\\Vl>,    ;\,\ 


lîé»^- 


XLII 
LE   VISAGE  ENCADRÉ 


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XLIII 

L'ENIGME 


XLIV 
LE  COL  DE   VELOURS 


XLV 

LE   TRICORNE  FLEURI 


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iv;  \ 


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^ 


'fi 


XLVI 
LE  DEMI -SOURIRE 


XLVII 
ÉTUDE  DE  MAIN 


XLVIII 
LA  TOILETTE 


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1  /^ 


XLIX 
LE  BOL  DE  LAIT 


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LA  FEMME  A  LA  HARPE 


LI 

LES  BADINES 


LU 

LE  BUSTE 


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LUI 

LE  CHAPEAU  DE  LANCRET 


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uv 

LA  JARDINIÈRE  EMPIRE 


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A 


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LV 

SOMMEIL 


LVI 


LES  TROIS  CRAYONS  DE   WATTEAU 


y  \ 


^ 


Lvîl 

LA   ROBE  RELEVÉE 


Xi'  s  \ 


LVIII 
LA  PÈLERINE  DE  MARTRE 


1II',M 


LIX 

EXPOSITION 


I 


LX 

L'OMBRELLE 


LXI 
LA  ROBE  A    VOLANTS 


LXII 

LA  DORMEUSE 


LXIII 

LES  PAONS 


A       -^ 


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LXIV 
DIANE  CHASSERESSE 


LXV 
HELEN  HELLEU 


LXVI 
HELEN 


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Lxvir 

LE  CHAPEAU  DE  PLISSÉS 


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LXVIII 
LES  CHEVEUX  SERPENTINS 


X 


LXIX 

TÊTE  D'ÉTUDE 


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LXX 

LES   TROIS  REGARDS 


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LXXI 

PAULETTE  HELLEU 


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LXXII 

LES  LIONNES 


LXXIIl 
LIONNE 


LXXIV 
PETITE  CLÉOPATRE 


LXXV 
ADOLESCENTE 


LXXVI 
LE  PLATEAU  D'ARGENT 


LXXVII 
LE  GRAND  FRÈRE 


LXXVIII 
JEAN  HELLELl 


LXXIX 
LE  PETIT  DESSINATEUR 


LXXX 

LE  COPISTE  DE  CHARDIN 


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LXXXI 

L'ENFANT  ACCOUDÉ 


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LXXXII 
LE  YACHT 


LXXXIII 
LE  PETIT  MATELOT 


LXXXIV 
L'ALLAITEMENT 


LXXXV 
LE  BAISER  MATERNEL 


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LXXXVI 
MATERNITÉ 


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LXXXVII 
LA  FIÈVRE 


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LXXXVIII 
LE  BAISER  DISTANT 


LXXXIX 

CARESSES  MATERNELLES 


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coucou  D'ENFANTS 


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XCI 

CACHE-CACHE 


XCII 
LE  BERCE AV 


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LE  PIANO  EMPIRE 


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XCIV 
LA  PORTE  ENTR' OUVERTE 


^iiSMSSt-^'mimia»"  ■ 


xcv 

LE  BÉBÉ  SÉRIEUX 


XCVI 
L'ŒUF  A  LA  COQUE 


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■->-,. 


xcvii 

L'ENFANT  ATTABLÉ 


XCVIII 
CROQUIS  D'ENFANT 


XCIX 
PAGE  DE  TÊTES 


II 


'■^/. 


c 

CROQUIS  ANGLAIS 


Les 

Cent  Gravures 


I 

Helleu,    par    Boldini.    (Frontispice) 

II 

La    Chevelure    Dorée.    [En-Tête). 

III 

Les    Vitraux    de    Reims. 

IV 

Edmond    de    Concourt. 


lOI 


V 

Hortensias    d'Automne. 

VI 

Le    Comte    Robert   de    Montesquiou. 

VII 
La    Reine    Alexandra. 

VIII 


La    Duchesse    de   Marlborough, 


IX 

Etude   d'après  la   même, 

X 

Etude  d'après  la   même, 

XI 

Miss  Chancey. 

102 


XII 

Miss   Taylor. 

XIII 
Les    Flammes    des   Yachts. 

XIV 
Les    Régates   de    Cowcs. 

XV 

L'Eventail    des   Barques. 

XVI 
Étude    pour    un    Portrait. 

XVII 

La   Comtesse  Mathieu  de  Noailles. 

XVIII 
L'Auteur    du    «  Cœur   Innombrable  >/. 

103 


XIX 
La    Duchesse    de    Morny. 

XX 

La    Comtesse    René    de    Béarn. 

XXI 

Madame    Georges  Menier. 

XXII 
La    Duchesse    d'Audiffret    Pasquier 

XXIII 
Madame    Letellier. 

XXIV 

Etude    d'après    la    même. 

XXV 

Étude    d'après    la    même. 
104 


XXVI 

Etude    d'après    la    même. 

XXVII 

La    Comtesse    de    San    Martino. 

XXVIII 

Etude    d'après    la    même. 

XXIX 

Madame    Chéruit. 

XXX 

Etude    d'après    la    même. 

XXXI 

Etude    d'après    la    même. 

XXXII 

Mademoiselle    Medjé    Conquy. 

105 


XXXIII 

Diane    et    Vénus. 

XXXIV 

Le    Joueur    de    Flûte. 

XXXV 

Les    Eaux    Mortes. 

XXXVI 

La    Dame    k    la    Toque. 

XXXVII 
Le    Ruban    de    Cou. 

XXXVIII 
Eve. 

XXXIX 

Le    Chapeau    à    Plume. 

io6 


XL 

Le    Nœud    Bleu. 

XLl 
Le    Sphinx. 


XLIl 


Le    Visage    Encadré. 


XLIII 


L  Énigme, 


XLIV 
Le    Col    de    Velours. 

XLV 

Le    Tricorne  Fleuri. 

XLVl 

Le    Demi    Sourire. 

107 


XLVII 

Etude    de    Main. 

XLVIII 
La    Toilette. 

XLIX 

Le    Bol    de    Lait. 

L 

La    Femme    à    la    Harpe. 

LI 

Les    Badines. 

LU 

Le    Buste. 

LUI 

Le    Chapeau    de    Lancret. 


LIV 

La    Jardinière    Empire. 

LV 

Sommeil. 

LVI 

Les    Trois-Crayons    de    Watteau. 


LVII 

La 

Robe    Re] 

[evée. 

LVIII 

La 

Pèlerine 

de 

Martre . 
LIX 

Exposition. 

LX 

L'Ombrelle. 

109 


LXI 

La    Robe    à    Volants. 

LXII 

La    Dormeuse. 

LXIII 

Les    Paons. 

LXIV 

Diane    Chasseresse. 

LXV 

Helen    Helleu. 

LXVI 
Helen. 

LXVII 
Le    Chapeau    de    Plissés. 


LXVIII 

Les    Cheveux    Serpentins. 

LXIX 

Tête    d'Étude. 


LXX 


Les   Trois    Regards, 


LXXI 
Paulette    Helleu. 

LXXII 

Les    Lionnes. 

LXXII  I 
Lionne. 

LXXIV 

Petite    Cléopâtre. 


Il  I 


LXXV 

Adolescente. 

LXXVI 

Le    Plateau    d'Argent. 

LXXVII 

Le    Grand    Frère. 

LXXVIII 
Jean    Helleu. 

LXXIX 

Le    Petit   Dessinateur. 

LXXX 

Le    Copiste    de    Chardin. 

LXXXI 

L'Enfant   Accoudé. 

112 


LXXXII 

Le    Yacht. 

LXXXIII 

Le    Petit    Matelot. 

LXXXIV 

L'Allaitement. 

LXXXV 

Le    Baiser   Maternel. 

LXXXVI 
Maternité. 

LXXXVII 

La    Fièvre. 

LXXXVIII 
Le    Baiser    Distant. 


113 


LXXXIX 

Caresses    Maternelles. 

XC 

Coucou    d'Enfants. 

XCI 
Cache-Cache. 

XCII 
Le    Berceau. 

XCIII 
Le    Piano    Empire. 

XCIV 
La    Porte    Entr'ouverte. 

XCV 
Le    Bébé    Sérieux. 
114 


XCVI 
L'Œuf   à    la    Coque. 

XCVII 
L'Enfant    Attablé. 

XCVIII 

Croquis    d'Enfant. 


XCIX 


Page    de    Têtes. 


C 

Croquis    Anglais. 


ACHEVE  DIMPRIMER 

LE  VINGT  NOVEMBRE  MIL  NEUF  CENT  TREIZE 

PAR    VICTOR    JACQUEMIN 

GRAVEUR -IMPRIMEUR 

45,    RUE    LECOURBE,    45 

PARIS   —  XV' 


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