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Full text of "Pensées du Père Bourdaloue : de la compagnie de Jésus, sur divers sujets de religion et de morale"

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i 


MM 


I 


PENSÉES 

DU    PERE 

BOURDALOUE. 


PE  NSÉE  S 

DU    PERE 

BOURDALOUE, 

De  la  Compagnie  de  Jésus , 

SUR    DIVERS    SUJETS 
DE  RELIGION  ET  DE  MORALE* 

TOME    PREMIER. 
*_ — : . — , — — , — i— % 

Septième  Edition. 


A    PARIS, 

Chez   la  Veuve  Desaint,  Libraire  ; 
rue  du  Foin  Saint  -  Jacques. 


st»iy*i!na!awwwWi*B^afe-^-  ;  -■■-.:  ~~- 


M.  DCC.  LXXIV. 

'Avec  Approbation  &  Privilège  du  Ro'u 
J 


ADâMSi 


A  VER  TISSEMENT. 

E  m'acquitte  de  la  parole 
que  je  donnai  il  y  a  quel- 
ques années  ,  lorfque  je 
fis  paraître  les  Exhortations  &  les 
Inftru&ions  du  Père  Bourdaloue. 
Dans  rAvertiflement  qui  eft  à  la 
tëtQ  de  ces  deux  Volumes  d'Inf- 
truâions  &  d'Exhortations  ,  je 
m'engageai  à  un  nouveau  travail  5 
fans  fçavoir  bien  où  il  me  condui- 
roit  ^  ni  fi  j'aurois  de  quoi  remplir 
le  deffein  que  je  m'étois  propofé» 
Quoi  qu'il  en  foit  ,  je  promis  de 
faire  une  nouvelle  révifion  des 
Manùfcrits  du  Père  Bourdaloue, 
&  de  recueillir  tout  ce  que  j'y  trou- 
verais de  Penfées  détachées  ^  de 
Réflexions  ,  de  Fragmens  qui  fe- 
roient   demeurés  imparfaits  3    & 


vj  AVERTISSEMENT. 

qu'il  n'auroit  point  employé  clans 
fes  Sermons. 

Car  avant  que  de  compofer  un 
Sermon j  le  Père  Bourdaloue  fai- 
foit  ce  que  font  communément  les 
Prédicateurs.  Il  jettoit  d'abord  fur 
le  papier  les  différentes  idées  qui  fe 
préfentoiènt  à  lui  touchant  la  ma- 
tière qu'il  avoit  en  vue  de  traiter. 
Il  marquoit  tout  confufément ,  & 
fans  aucune  liaifon.%Mais  s'étant 
enfuite  tracé  le  plan  de  fon  dif 
cours  ,  il  choififlbit  ce  qui  lui  pou- 
voit  convenir ,  &  laiffoit  le  reïte. 
Ce  refte  néanmoins  qu'il  laiffoit 
comme  fuperflu  ,  avoit  fon  prix  5 
&  c'efl  de  quoi  il  m'a  paru  que  je 
pouvois  former  un  recueil  j  fous 
le  titre  général  de  Penfées  fur  di- 
vers fujets  de  Religion  &  de  Morale, 

Cependant ,  il  y  falloit  mettre 
quelque  ordre  ,  &  tellement  diïtri- 
înier  ces  penfées,  que  celles  qui 
ont  rapport  à  un  même  fujet ,  fut 
fent  toutes  réunies  fous  un  titre 
particulier.  Cela  même  ne  fuffifoit 


AVERTISSEMENT,  vij 

point  encore*:  mais  de  ces  Penfées 
les  unes  étant  bien  plus  étendues 
que  les  autres ,  il  a  fallu  faire  des 
premières  comme  autant  d'articles 
ou  de  paragraphes ,  &  ranger  les 
autres  indifféremment  ôcfans  fuite, 
fous  le  fimple  titre  de  Penfées  di~* 
verfes.  Tout  cela,  comme  on  le 
juge  affez ,  demandoit  que  l'Edi- 
teur mît  un  peu  la  main  à  l'œuvre, 
pour  difpofer  fes  matières,,  pour 
les  lier  ou  les  déyelopper  y  pour 
les  finir  &  leur  donner  une  certai- 
ne forme  :  mais  je  n'ai  rien  fait  à 
l'égard  de  ce  recueil  de  Penfées  , 
que  je  n'eufle  déjà  fait  à  l'égard 
des  Sermons,  Exhortations,  Inf 
truâions  y  &  de  la  Retraite  fpiri-* 
tuelle  du  même  Auteur. 

Voilà  tout  le  compte  que  j'ai  à 
rendre  de  ces  Opufcules,  qui  com- 
mencent à  voir  le  jour.  Car  ce  ne 
font  ici  proprement  que  des  Opuf 
cules  ;  mais  où  il  me  femble  que 
l'illuftre  Auteur  dont  ils  portent  le 
nom  ne  fera  point  méconnoiffable* 


vlîj  AVERTISSEMENT. 

Les  hommes  d'un  génie  fupérieur 
fe  font  par-tout  connoître  5  &  juf- 
ques  dans  les  moindres  chofes  ils 
gardent  toujours  leur  caradère.  Le 
Public  en  jugera  %  &  peut-être  me 
fçaura-t-il  gré  de  la  confiance  avec 
laquelle  je  me  fuis  appliqué  depuis 
près  de  trente  ans  à  lui  donner  une 
Edition  complette  des  Œuvres  du 
Père  Bourdaloue.  Il  n  y  avoit  rien 
à  perdre  d'un  fi  riche  fonds;  &  c'ëft 
beaucoup  pour  moi  ,  fi  je  puis 
penfer  qu'il  n  ait  point  dépéri  dans 
mes  mains. 


PENSÉES 


PENSEES 

SUR    DIVERS    SUJETS 

DE  RELIGION, 

ETDEMORALE. 

DU    SALUT. 


NéceJJîté  du  Salut  &  Vufage  que  nous 

en  devons  faire  contre  les  plus 

danger euf es  tentations  de  la  vie. 

N  parle  du  Salut  comme 
d'une  affaire  fouverainement 
importante  5  &  on  a  raifon 
d'en  parler  de  la  forte.  Mais 
c'eft  trop  peu  dire  :  il  faut  ajouter  que 
c'eft  une  affaire  abfolument  néceffaire  \ 
&c  ce  fut  l'idée  que  le  Sauveur  des  hom- 
mes en  voulut  donner  à  Marthe .  dans 
Tome  L  A 


%  Nécessite 

jLue»  $p  cette  grande  leçon  qu'il  lui  fit  :  Marthe  A 
^Q*        vous  vous  inqidéte^  &  vous  vous  émbarraf- 
fe%  de  bien  des  chofes  ;mais  une  feule  chofc 
ejl  néceffaire. 

Ce  n'eft  donc  point  feulement  une 
affaire  d'une  importance  extrême  que  le 
Salut  ,  mais  une  affaire  d'une  abfolue 
nécelîité.  Entre  l'un  ôc  l'autre  la  diffé- 
rence eft  effentielle.  Qu'on  me  faffe  en- 
tendre qu'une  affaire  m'eft  importante 
Ôc  très-importante  ,  je  conçois  précifé- 
ment  par-là  que  je  perdrai  beaucoup 
en  la  perdant,  fans  qu'il  s'enfuive  néan- 
moins que  dès-lors  tout  fera  perdu  pour 
moi  ,  ôc  qu'il  ne  me  reftera  plus  rien. 
Mais  que  ce  foit  une  affaire  abfolument 
néceffaire ,  ôc  feule  néceffaire,  je  conclus 
ôc  je  dois  conclure  ,  que  fi  je  venois 
à  la  perdre ,  tout  me  feroit  enlevé ,  ÔC 
que  ma  perte  feroit  entière  ôc  fans  ref- 
fource.  Or  tel  eft  le  Salut. 

Affaire  néceffaire ,  Ôc  feule  néceffaire  : 
néceifaire,  puifque  je  ne  puis  me  paffer 
du  Salut  :  feule  néceffaire ,  puifque  , 
hors  le  Salut ,  il  n'y  a  rien  dont  je  ne 
puiffe  me  paffer.  Je  dis ,  néceffaire ,  puif- 
que je  ne  puis  me  paffer  du  Salut  :  car 
c'eft  dans  le  Salut  que  Dieu  a  renfermé 
toutes  mes  efpérances ,  en  me  le  propo- 
fant  comme  fin  dernière  ,  ôc  c'eft  de-là 


D    U        S    A    L    U    T.  $ 

que  dépend,  mon  bonheur  pendant  toute 
l'éternité.  Je  dis  feule  nécelfaire  ,  puis- 
qu'il n'y  a  rien,  hors  le  Salut ,  dont  je  ne 
puifle  me  pafTer.  Car  je  puis  nie  paifer 
de  tout  ce  que  je  vois  dans  le  monde  j 
je  puis  me  palier  des  richeifes  du  monde , 
je  puis  me  pafïer  des  honneurs  &  des 
grandeurs  du  monde  ;  je  puis  me  paiTer 
des  aifes  &  des  récréations  du  monde. 
Tout  cela ,  il  eft  vrai ,  ou  une  partie 
de  tout  cela  peut  m'être  utile  ,  par 
rapport  à  la  vie  préfente ,  fuivant  l'état 
&  la  condition  où  je  me  trouve  ;  mais 
enfin  je  puis  me  paiTer  de  cette  vie 
préfente  fe  mortelle ,  êc  il  faudra  bien  , 
tôt  ou  tard  ,  que  je  la  perde.  Par  consé- 
quent je  n'ai  de  fonds  à  faire  que  far  le 
Salut  :  c'eft-là  que  je  dois  tendre  incef- 
famment ,  uniquement ,  nécefTairement , 
à  moins  que  par  un  affreux  défefpoir  je 
ne  confente  à  être  immanquablement  , 
pleinement ,  éternellement  malheureux. 
Terrible  alternative  ,  ou  un  malheur 
éternel ,  qui  eft  la  damnation  j  ou  une 
éternelle  béatitude  ,  qui  eft  le  Salut .. 
Voilà  fur  quoi  je  fuis  obligé  de  me  dé- 
terminer ,  fans  qu'il  y  ait  aucun  tempé- 
rament à  prendre.  Le  Ciel  ou  l'Enfer, 
point  d'autre  deftinée.  Si  je  me  fauve, 
le  Ciel  eft  à  moi  ôc  il  ne  me  fera  jamais 

Ai; 


"4  NÉCESSITE 

ravi.  Si  je  me  damne  ,  l'Enfer  devient 
irrémiiliblement  mon  partage  >  ôc  jamais 
je  ne  cefTerai  d'y  fournir.  Car  la  mort 
n'eft  point  pour  nous  un  anéantnTement  y 
ce  n'eft  point  ,  comme  pour  la  bête , 
une  deftru&ion  totale.  Au  contraire , 
l'homme  en  mourant ,  ne  fait  que  chan- 
ger de  vie  j  d'une  vie  courte  ôc  fragile  , 
il  pafTe  à  une  vie  immortelle  ôc  perma- 
nente. Vie  qui  doit  être  pour  les  élus 
le  comble  de  la  félicité  ôc  le  fouverain 
bien  ;  vie  qui  fera ,  pour  les  réprouvés  , 
la  fouveraine  mifére  ôc  l'afTemblage  de 
tous  les  maux.  Ainfi  Dieu  dans  le  confeil 
de  fa  fagefTe  l'a-t-il  arrêté,  ôc  fes  décrets 
font  irrévocables.  Voilà  ma  créance  , 
voilà  ma  Religion. 

De-là  même  ,  affaire  tellement  né- 
celïaire  ,  qu'il  ne  m'eft  jamais  permis 
en  quelque  rencontre  que  ce  foit,  ni 
pour  qui  que  ce  foit ,  de  l'abandonner. 
Un  père  peut  facrifier  fon  repos  &  fa 
fante  pour  fes  enfans.  Un  ami  peut  re- 
noncer à  fa  fortune  ,  ôc  fe  dépouiller  de 
tous  fes  biens  pour  fon  ami.  Bien  plus  , 
il  peut ,  en  faveur  de  cet  ami  y  facrifier 
jufqu'à  fa  vie.  Mais  s'agit-il  du  Salut ,  il 
n'y  a  ni  lien  du  fang  ôc  de  la  nature ,  ni 
tendrefle  paternelle ,  ni  amitié  iî  étroite 
qui  puiffe  nous  autorifer  à  faire  le  facrifîce 


D    U        S    A    L    U    T.  5 

«l'un  bien  fupérieur  à  toute  liaifon  hu- 
maine ,  de  à  toute  confidération. 

Plutôt  que  de  confentir  à  la  perte  de 
mon  ame  ,  je  devrois  ,  s'il  dépendoit  de 
moi ,  laifTer  tomber  les  Royaumes  8c  les 
Empires ,  je  devrois  laifTer  périr  le  mon- 
de entier.  Et  ce  n'eft  point  encore  aflez  : 
car,  félon  les  principes  de  la  morale  évan- 
gélique ,  3c  félon  la  loi  de  la  charité  que 
je  me  dois  indifpenfablement  à  moi- 
même  ,  non-feulement  ii  ne  m'eft  pas 
libre  de  facrifier  en  quelque  manière 
que  ce  puifTe  être  ,  mon  Salut  j  mais  il 
ne  m'eft  pas  même  permis  de  le  hazar- 
der  &  de  l'expofer.  Le  feul  danger  vo- 
lontaire ,  ii  c'eft  un  danger  prochain ,' 
eft  un  crime  pour  moi  j  éV  quoiqu'il 
m'en  pût  coûter  5  ou  pour  le  prévenir  9 
ou  pour  en  for  tir ,  je  ne  devrois  rien 
ménager  ni  rien  épargner  :  fallût-il  en 
venir  à  toutes  les  extrémités  ;  fallût-il 
quitter  père ,  mère  ,  frères ,  fœurs  ;  fal- 
lût-il m'arracher  l'œil  ou  me  couper  le 
bras  :  pourquoi  cela  ?  toujours  par  cette 
grande  raifon  de  la  nécefîîté  du  Salut  , 
qui  prévaut  à  tout ,  &  l'emporte  fur  tout* 

Allons  plus  loin  ;  &  pour  nous  faire 
mieux  entendre  ,  réduifons  ceci  à  quel- 
ques points  plus  marqués  &  plus  ordi- 
naires dans  la  pratique.  Je  prétens  donc 

A  iij 


6  NÉ    C    !    S    S    ï   T   i 

que  cette  néceffité  du  Salut  bien  mécu% 
tée  ôc  bien  comprife  ,  eft  *  avec  le  fe- 
cours  de  la  grâce ,  le  plus  prompt  &  le 
plus  puiffant  préfervatif  centre  toutes 
les  tentations  dont  nous  pouvons  être 
afïaiilis  ,  chacun  dans  notre  état.  Mais 
fa/is  enibraffer  trop  de  chofes ,  &  fans 
nous  engager  dans  un  détail  infini  3  bor- 
nons -  nous  à  certaines  tentations  par- 
ticulières y  plus  communes  5  pins  fpé- 
cieufes ,  plus  violentes  ,  qui  naifTent  de 
la  néceilité  de  du  befoin  où  l'on  peut  fe 
trouver  en  mille  occaiîons ,  par  rapport 
aux  biens  temporels  &  aux  avantages 
du  fiécle.  Je  m'explique. 

Il  y  a  des  extrémités  fâcheufes  où  fe 
trouvent  réduits  une  infinité  de  perfon- 
nes  ;  Se  que  fait  alors  l'ennemi  de  notre 
Salut ,  ou ,  pour  mieux  dire  ,  que  fait  la 
tiature  corrompue ,  que  fait  la  paillon 
Se  l'amour  ptopre  ,  plus  à  craindre  mille 
fois  pour  nous  que  tous  les  démons? 
G'eft  dans  des  conjonctures  fi  critiques 
Bc  fi  périlleufes ,  que  tout  concourt  à 
nous  féduire  &  à  nous  corrompre.  Le 
prétexte  de  la  néceilité  nous  devient 
une  prétendue  raifon  dont  il  eft  difficile 
de  fe  défendre  ,  8c  la  confeience  n'a 
point  de  barrières  fi  fortes,  que  cette 
néceilité  ne  puiffe  nous  faire  franchir* 


duSalut,  7 

Par  exemple ,  on  manque  de  toutes  chp- 
fes  ,  Se  pourvu  qu'on  voulût  s'écarter 
des  voies  de  l'équité  Se  de  la  bonne  foi , 
on  ne  rrtanqueroit  de  rien,  on  auroit 
non-feulement  le  néceiTaire  ,  mais  le 
commode ,  &  on  l'auroit  abondamment» 
On  voit  décheoir  fa  famille  de  jour  en 
jour  -,  elle  eft  fur  le  point  de  fa  ruine  ;  Se 
pourvu  qu'on  voulût  entrer  dans  les  in- 
trigues criminelles  d'un  Grand ,  Se  fé- 
conder fes  injuftes  defTeins,  on  en  fe- 
roit  un  patron  qui  la  foutiendroit  Se  l'é-* 
leveroit.  On  eft  embarqué  dans  une 
affaire  de  conféquence  5  c'eft  un  procès 
dont  la  perte  doit  caufer  un  dommage 
irréparable  :  il  eft  entre  les  mains  d'un 
Juge  accrédité  dans  fa  compagnie  j  Se 
au  lieu  de  folliciter  ce  Juge  affez  inuti- 
lement ,  fi  l'on  vouloit  aux  dépens  de  la 
vertu  ,  écouter  de  fa  part  d  autres  foîK- 
citations ,  Se  y  condefeendre  ,  .on  pour- 
roit  ainfi  fe  procurer  un  arrêt  favorable 
Se  un  gain  allure.  On  a  un  ennemi  dont 
on  reçoit  mille  chagrins  j  c'eft  un  hom- 
me fans  raifon  &fans  modération,  qui 
îious  butte  en  tout ,  qui  nous  perfécute  j 
Se  ii  l'on  vouloit  ufer  contre  lui  de  cer- 
tains moyens  qu'on  a  en  main,  on  feroit 
bien-tôt  à  couvert  de  {es  atteintes.  Quel 
empire  ne  faut-il  pas  prendre  fur  foi  S& 

Aiiij 


S  Nécessité 

fur  les  mouvemens  de  fon  cœur,  pouf 
ne  pas  fuccomber  à  de  pareilles  tenta- 
tions ,  &  pour  demeurer  ferme  dans  fou 
devoir  ? 

Car  encore  uno  fois  de  quoi  n'eft-on 
pas  capable ,  quand  la  néceiîité  prerTe  , 
8c  a  quoi  n'a-t-elle  pas  porté  des  millions 
de  gens  ,  qui  du  relie  avoient  d'affez 
bonnes  difpoiitions  ,  8c  n'étoient  de  leur 
fonds  ni  vicieux ,  ni  méchans  ?  De  com- 
bien d'iniquités  la  pauvreté  8c  l'indi- 
gence n'eft-elle  pas  tous  les  jours  le  prin- 
cipe ?  Combien  a-t-elle  fait  de  fcélé- 
fats ,  de  traîtres ,  de  parjures,  d'impies  y 
d'impudiques ,  de  raviffeurs  du  bien  d'au* 
trui ,  8c  de  meurtriers  ,  qui  fans  cela  ne 
l'auraient  jamais  été  j  qui  ne  l'ont  été  en 
quelque  manière  que  malgré  eux  8c  qu'a- 
vec toutes  les  répugnances  poflibles  j 
mais  enfin  qui  l'ont  été ,  parce  qu'ils  ont 
cru  y  être  forcés  ?  Non  -  feulement  ils 
Font  cru ,  mais  de-'là  fouvent  ils  fe  font 
periuadés  que  jufques  dans  leurs  crimes 
ils  étoient  excufables  y  8c  voilà  ce  qui 
rend  encore  la  néceiîité  plus  dangereufe. 
On  fe  fait  aifément  de  faufTes  confcien- 
ces  ,  on  étouffe  tous  les  remords  du  pé- 
ché j  on  fe  dit  à  foi  -  même  que  dans 
la  foliation  où  l'on  eft  8c  dans  toutes 
fes  circonilances  qui  l'accompagnen 


©uSalut.  9 

il  n'y  a  point  de  loi  ,  &  que  tout  eft 
permis  :  on  exagère  cet  état  ,  dont  on 
veut  fe  prévaloir  ;  &  l'on  prend  pour 
dernière  extrémité  &  pour  néceilité  ab- 
folue  ,  ce  qui  n'eft  que  difficulté  ,  qu'in- 
commodité ,  que  l'effet  d'une  imagina- 
tion vive  &  d'une  exceiîive  timidité.  Quoi 
qu'il  en  foit ,  tout  cela  mené  à  d'étranges 
conféquences ,  &  les  fuites  en  font  af- 
freufes. 

Or  quel  eft  pour  nous ,  en  de  fembla- 
bles  attaques ,  le  plus  folide  appui  &  le 
foutien  le  plus  inébranlable  ?  le  voici. 
C'eft  de  fe  retracer  fortement  le  fouve- 
nir  de  cette  maxime  fondamentale  ,  il  Luc,  e. 
n'y  a  qu'une  chofe  nécejfaire  ;  c'eft  de  I0,  * 
s'armer  de  cette  penfée  5  félon  la  figure  de 
l'Apôtre ,  comme  d'une  cuirajje  3  comme  %vM* 
d'un  cafque  ,  comme  d'un  bouclier  qui  ré-* 
(ifle  aux  traits  les  plus  enflammés  de  l'ef- 
prit  tentateur ,  &  que  rien  ne  peut  péné- 
trer. C'eft  a  dis-je ,  d'oppofer  néceilité  à 
néceilité  )  la  néceilité  de  fauver  fon  ame  5 
qui  eft  une  néceilité  capitale  &  fouve- 
raine ,  à  la  néceflité  de  fauver  fa  fortune, 
de  fauver  fes  biens ,  de  fauver  fa  vie. 

Car  je  dois  ainfi  raifonner  :  il  eft  vrai , 
je  pourrais  rétablir  mes  affaires ,  fi  je  vou- 
lois  relâcher  quelque  chofe  de  cette  in- 
tégrité fi.exa&e  ci  fi  févére  ,  qui  n'eft 


ÎO  N    É    C    £    S    g    I    T    I 

guéres  de  faifon  dans  le  tems  où  nous 
lommes  ,  Se  qui  m'empêche  de  faire  les 
mêmes  profits  que  tant  d'autres  :  mais  en 
me  rétablifïant  ainil  félon  le  monde  3  je 
me  perdrois  félon  Dieu ,  je  perdrois  mon 
ame  :  or  il  la  faut  fauver.  11  eft,  vrai ,  iî 
je  ne  me  rends  pas  à  telle  propofition 
qu'on  me  fait  ,  je  choquerai  le  maître 
qui  m'employe  ;  j'aliénerai  de  moi  le  pro- 
tecteur qui  rn'a  placé  ,  &  qui  peut  dans 
la  fuite  me  faire  encore  monter  plus 
haut ,  je  ferai  obligé  de  me  retirer  ;  Se 
n'ayant  plus  perfonne  qui  s'intéreife  pour 
moi ,  ni  qui  m'avance  5  je  relierai  en 
arrière ,  Se  que  deviendrai-je  ?  Il  n'im- 
porte :  en  acquiefçant  à  ce  qu'on  me  de- 
mande ,  j'offenferois  un  Maître  bien 
plus  puifïànt  que  tous  les  maîtres  Se 
tous  les  Potentats  de  la  terre  3  Se  pour 
conferver  de  vaines  efperances,  je  facri- 
fierois  un  héritage  éternel ,  je  facrifierois 
mon  ame  Se  je  la  damne  rois  :  or  il  la 
faut  fauver.  Il  eft  vrai,  l'occafion  eft  belle 
de  me  tirer  de  l'oppreffion  où  je  fuis  , 
Se  d'abattre  cet  homme  qui  ne  cefTe  de 
me  nuire  Se  de  me  traverfer  }  mais  en 
me  délivrant  des  pourfuites  d'un  ennemi  3 
qui  3  malgré  toutes  fes  violences  3  Se 
quoiqu'il  entreprenne  contre  moi ,  ne 
peut  après   tout   me  faire  quun  mal 


du     Salut»  ii 

pafTager  ,  je  me  ferois  un  autre  ennemi 
bien  plus  redoutable ,  qui  eft  mon  Dieu  , 
&  qui  de  fon  bras  vengeur  peut  égale- 
ment &  pour  toujours  porter  fes  coups 
fur  les  âmes  comme  fur  les  corps.  A  quoi 
donc  expoferois-je  mon  ame  ?  or  il  la 
faut  fauver.  Il  eft  vrai ,  ma  condition 
eft  dure  ,  Se  je  mené  une  vie  bien  trifte  ; 
je  n'ai  rien  ,  3c  je  ne  vois  point  pour 
moi  de  refTource.  On  me  fait  les  offres 
les  plus  engageantes 3  &  fi  je  les  rejette, 
me  voilà  dans  le  dernier  abandon nement, 
&  dans  la  dernière  mifére  :  mais  d'ail- 
leurs je  ne  les  puis  accepter  qu'au  préju- 
dice de  l'honneur  ,  &c  fur  -  tout  qu'au 
préjudice  de  mon  ame  ;  or  il  la  faut 
fauver.  Oui ,  il  le  faut ,  &  à  quelque  prix 
que  ce  foit ,  &  quelque  peine  qu'il  y  ait 
à  fubir.  Il  le  faut ,  oc  quelque  infortune, 
quelque  décadence  ,  quelque  malheur 
qui  en  doive  fuivre  par  rapport  aux  inté- 
rêts humains.  Il  le  faut  ;  car  c'eft  là 
le  feul  nécefTaire ,  le  pur  nécelfaire.  En- 
core une  fois  je  dis  le  pur  5  le  feul  né- 
cefTaire ,  parce  que  en  comparaifon  de  ce 
nécefTaire  rien  n'eft  proprement ,  ni  ne 
doit  être  cenfé  nécefïaire  ;  parce  que  dès 
qu'il  s'agit  de  ce  nécefTaire  ,  toute  autre 
chofe  qui  s'y  trouve  en  quelque  forte  op- 
pofée  >  cefTe  dès-lors  d'être  nécefTaire  ^ 


îi  Nécessite 

parce  que  ceft  à  ce  néceifaire  que  doi- 
vent fe  rapporter  ,  comme  à  la  régie  pri- 
mitive &  invariable  ,  toutes  mes  délibé- 
rations ,  toutes  mes  réfolutions  5  toutes 
mes  aérions. 
Daniel.  Ce  fut  ainfi  que  raifonna  la  chafte  Su* 
ax/3'  fanne  ,  lorfqu'  elle  fe  vit  attaquée  de  ces 
deux  vieillards  qui  voulurent  la  féduire  , 
&  qui  la  menaçoiént  de  la  faire  périr  ,  fi 
elle  ne  confentoit  à  leur  paillon.  Que 
ferai-je,  dit-elle  5  dans  le  cruel  embarras 
où  je  fuis  ?  quelque  parti  que  je  prenne  5 
je  ne  puis  éviter  la  mort  :  mais  il  vaut 
mieux  que  je  pèrirTe  par  vos  mains ,  que 
de  pécher  en  la  préfence  de  mon  Dieu  5 
de  de  périr  éternellement  par  l'arrêt  de  fa 
*L&M<I"  juftice.  Ce  fut  ainfi  que  raifonna  le  gêné- 
£•  z6,  reux  Eléazar ,  lorfoue  de  faux  amis  le 
follicitoient  de  manger  des  viandes  dé- 
fendues félon  la  Loi ,  &  de  fe  garantir 
par-là  de  la  colère  du  Prince.  Ah  !  ré- 
pondit ce  zélé  défenfeur  de  la  religion 
de  fes  pères ,  en  obéiffant  au  Prince  Se 
en  fuivant  le  confeil  que  vous  me  don- 
nez, je  pourrais  pour  le  tems  préfent  me 
fauver  du  fupplice  où  je  fuis  condamné  3 
ëc  prolonger  ma  vie  de  quelques  années  ; 
mais  vif  ou  mort ,  je  ne  me  fauverai  pas 
des  jugemens  formidables  du  Tout-puif 
fant  j  &  qu'y  a-t-il  de  fi  rigoureux ,  qu§ 


du     Salut.  i$ 

je  ne  doive  endurer ,  plutôt  que  d'en- 
courir fa  haine ,  Se  de  renoncer  à  fes 
promefTes  ?  C'eft  ainfi  que  raifonnoit  Saint  ?om,c,X 
Paul ,  ce  vaifTeau  d'élection ,  Se  ce  Doc- 
teur des  nations.  Il  fe  repréfentoit  tout 
ce  qu'il  y  a  de  plus  effrayant ,  de  plus 
affligeant ,  de  plus  défolant.  Il  fuppofoit 
que  la  tribulation  vînt  fondre  fur  lui  de 
toutes  parts }  qu'il  fut  accablé  d'ennuis  , 
prefTé  de  la  faim  ,  tourmenté  de  la 
lbif  ,  environné  de  périls  ;  qu'il  fût 
abandonné  aux  perfécutions  ,  aux 
croix  ,  aux  glaives  tranchans  j  que 
dans  un  déchaînement  général  ,  tout 
l'univers  fe  foulevât  contre  lui ,  la  terre  , 
la  mer ,  ôc  toutes  les  puilTances  célefles  , 
toutes  les  puiiTances  infernales ,  toutes 
les  puilTances  humaines  :  il  le  fuppofoit , 
Se  à  la  vue  de  tout  cela  ,  il  s'écrioit  : 
Qui  me  féparera  de  la  charité  de  Jefus- 
Chrift  ?  Il  alloit  plus  loin  ;  Se  par  la  force 
de  la  grâce  qui  le  tranfportoit ,  s'élevant 
au-defïus  de  tous  les  événemens  3  il  ofoit 
fe  répondre  de  lui-même ,  Se  ajoûtoit  :  Je 
le  feai  _,  &  j'en  fuis  certain  j  que  ni  la 
mort  j  ni  la  vie  j  ni  les  Anges  .,  ni  les 
principautés  y  ni  le  préfent  j  ni  V avenir  _, 
ni  ce  qu'il  y  a  de  plus  haut  j  ni  ce  qu'il  y 
a  de  plus  bas  ^  ni  quelque  créature  que  ce 
foitj  ne  pourra  me  détacher  de  l'amour  de 


!4  Nécessité 

Dieu  j  mon  Seigneur  &  mon  Sauveur. 
Voilà  comment  parloir  ce  grand  Apôtre. 
Et  d'où  lui  venoit  cette  confiance  êc  cette 
fermeté  infurmontable  ?  c'eft  qu'il  conce- 
voit  de  quel  intérêt ,  de  de  quelle  néceflité 
il  étoit  pour  lui  de  fauver  fon  ame,  en  fe 
tenant  toujours  étroitement  de  infépara- 
blement  attaché  au  Dieu  de  fon  Salut. 

Ce  font  là,  dit -on,  de  beaux  fenti- 
mens ,  ce  font  de  belles  réflexions  :  mais 
après  tout  ,  on  ne  vit  pas  de  ces  fenti- 
mens  ni  de  ces  réflexions ,  de  cependant 
il  faut  vivre.  Avec  ces  réflexions  on  ne 
fait  rien  ,  on  n'amaffe  rien  ,  on  ne  par- 
vient à  rien  ;  3c  toutefois  il  faut  avoir 
quelque  choie  ,  il  faut  faire  quelque 
chofe  ,  il  faut  parvenir  à  quelque  chofe. 
J'en  conviens ,  on  ne  vit  pas  de  ces  ré- 
flexions ;  mais  de  ces  réflexions  on  ap- 
prend à  mourir  fi  l'on  ne  peut  vivre  fans 
rifquer  le  falut  de  fon  ame.  Je  l'avoue , 
avec  ces  réflexions  on  ne  fait  rien  dans 
le  monde ,  on  n'amaffe  rien  ,  on  ne  par- 
vient à  rien  ;  mais  de  cqs  réflexions  on 
apprend  à  fe  paffer  de  tout,  fi  l'on  ne 
peut  rien  faire ,  ni  rien  amaffer ,  ni  par- 
venir à  rien  ,  fans  expofer  le  falut  de 
fon  ame.  Difons  mieux ,  on  apprend  de 
ces  réflexions ,  que  c'eft  tout  faire  que  de 
faire  fon  falut ,  que  c'eft  tout  gagner  que 


du     Salut.  15 

tTamaffer  un  tréfor  de  mérites  pour  le 
falut ,  que  c'eft  parvenir  à  tout  que  de 
parvenir  au  terme  du  falut.  Voilà  ce  que 
ces  réflexions  ont  appris  à  tant  de  Chré- 
tiens de  l'un  &  de  l'autre  fexe  :  car  mal- 
gré la  corruption  ,  dont  tous  les  états  du 
monde  ont  été  infe&és ,  il  y  a  toujours 
eu  dans  chaque  état  des  fidèles  de  ce 
.caractère ,  prêts  à  quitter  toutes  chofes 
pour  mettre  en  fureté  leur  falut  j  il  y  en 
a  eu ,  dis-je  ,  &  plaife  au  Ciel  qu'il  y  en 
ait  toujours  !  La  néceffité  du  falut  étoit- 
elle  autre  chofe  pour  eux  que  pour 
nous  ?  y  étoient-ils  plus  intéreiTés  que 
nous  ?  Non ,  fans  doute  :  c'étoit  pour 
eux  &  pour  nous  la  même  néceffité  ; 
mais  ils  y  penfoient  beaucoup  plus  que 
nous  j  &  en  y  penfant  plus  que  nous , 
ils  la  comprenoientauiîi  beaucoup  mieux 
que  nous.  Penfons-y  comme  eux ,  médi- 
tons-là  comme  eux  ,  nous  la  compren- 
drons comme  eux  ;  Se  en  la  comprenant 
comme  ils  l'ont  comprife  5  nous  en  fe- 
rons comme  eux  notre  affaire  eiTentielle , 
&  nous  y  adrelTerons  toutes  nos  préten- 
tions &  toutes  nos  vues. 

Mais ,  hélas  !  où  les  portons  -  nous  ? 
Quand  je  vois  les  divers  mouvemens 
dont  le  monde  eft  agité  ,  de  qui  font  ce 
<ju on  appelle  1#  commerce  du  monde  \ 


j6  Nécessite 


quand  je  vois  cette  multitude  confufe  de 
gens  qui  vont  ôc  qui  viennent  7  qui  s'em. 
preiTent  ôc  qui  fe  tourmentent  3  toujours 
occupés  de  leurs  deffeins  ,  ôc  toujours 
en  action  pour  y  réuiîîr  ôc  les  conduire 
à  bout ,  n'ayant  que  cela  dans  l'efprit  , 
n'afpirant  qu'à  cela ,  ne  travaillant  que 
pour  cela ,  au  milieu  de  ce  tumulte  j'irois 
volontiers  leur  crier  avec  le  Sage  :  Hom- 
mes dépourvus  defens  3  &  aujji peu  rai- 
'Sap.  c.  Jonnables  que  des  enfans  à  peine  formés  & 
'  fortis  dufein  de  leur  mere^  à  quoi  penfez 
vous  ?  que  faites -vous  ?  Hors  une  feule 
Eccl.  c,ck0fe>  tout  k  re&e  nefi  que  vanité  ^  ôc 
$•  *.  par  une  efpéce  d'enforcellement ,  cette 
vanité  vous  charme ,  cette  vanité  vous 
entraîne  ,  cette  vanité  vous  polfede  aux 
dépens  de  l'unique  nécefTaire  !  Je  le  di- 
ïois  aux  grands  ôc  aux  petits ,  aux  riches 
ôc  aux  pauvres  5  aux  fçavans  ôc  aux  igno- 
rans.  Malheur  à  quiconque  ne  m'écou- 
teroit  pas ,  ôc  dès-à-préfent ,  malheur  à 
quiconque  demeure  là-deffus  dans  une 
indifférence  ôc  un  oubli  qu'on  ne  peut 
affez  déplorer. 

4 

Eftimt 


bu     Salut.  17 

Eftinie  du  Salut  >  &  delà  gloire  du 

Ciel,  par  la  vue  des  grandeurs 

humaines. 

C'eft  une  morale  ordinaire  aux  Pré- 
dicateurs 5  d'infpirer  du  mépris  pour 
toutes  les  pompes  ôc  toutes  les  gran- 
deurs du  monde.  Us  en  font  les  peintu- 
res les  plus  propres  à  les  rabanTer  dans 
notre  eftime  ôc  à  les  dégrader.  De  la  ma- 
nière qu'ils  en  parlent  ôc  dans  les  termes 
qu'ils  s'en  expliquent  5  ce  ne  font  que  de 
vaines  apparences ,  que  des  fantômes  ôc 
des  illufions  qui  nous  féduifent  5  ôc  dont 
nous  devons  3  autant  qu'il  eft  pofïible  , 
détourner  nos  regards.  A  Dieu  ne  plaife 
que  je  prétende  en  aucune  forte  déroger 
à  la  vérité  &  à  la  fainteté  de  cette  Mo- 
rale. Je  l'ai  prêchée  comme  les  autres  , 
en  plus  d'une  rencontre  j  ôc  je  fuis  bien 
éloigné  de  la  contredire  ,  puifque  ce  fe- 
roit  me  contredire  moi  -  même  :  mais 
après  tout ,  quoique  nous  en  puifïîons 
dire  ,  il  faut  toujours  convenir  que  ces 
grandeurs  ôc  ces  pompes  humaines  ,  iî 
méprifables  d'ailleurs  ,  ne  laifTent  pas 
d'avoir  quelque  chofe  en  effet  de  pom- 
Tome  L  B 


I  g  E    5    T    I    M'!," 

peux  &  de  brillant,  quelque  chofe  de 
grand  &  de  magnifique  'y  8e  c'eft  par  où 
il  me  femble  ,  non-feulement  qu'il  eft 
permis  y  mais  qu'il  peut  être  très-utile  i 
un  Chrétien  de  les  envifager  ?  pourvu 
qu'on  les  envifage  chrétiennement.  Don- 
nons jour  à  cette  penfée. 
?/.  iS.      Les  Cieux  5  dit  le  Prophète  Royale 
nous  annoncent  la  gloire  de  Dieu ,  le 
Firmament  dont  il  eft  l'Auteur  y  nous 
fait  connoître  l'excellence  de  l'Ouvrier 
qui  l'a  formé.  Auiîi  eft-ce  en  conféquence 
de  ce  principe ,  8c  conformément  à  cette 
parole  du  Prophète ,  que  l' Apôtre  Saine 
Paul  reprochoit  aux  Sages  de  l'antiquité  ,. 
de  n'avoir  pas  glorifié  Dieu  félon  la  con- 
nohTance  qu'ils  en  avoient  par  fes  ou- 
vrages. Car  toutes  les  chofes  viiibles  9 
ajoûtoit  ce  Do&eur  des  Gentils ,  tous  les 
êtres  dont  nos  fens  font  frappés ,  &  qui 
fe  préf  entent  à  nos  yeux  avec  leurs  per- 
fections ,  nous  découvrent  les  perfections 
invifibles  du  fouverain  Maître  qui  les  a 
créés  :   tellement  que  les  Philofophes 
mêmes  du  Paganifme  ont  été  inexeufa- 
blés  de  ne  pas  rendre  à  ces  perfections 
divines ,  qu'ils  ne  pouvoient  ignorer ,  le 
jufte  tribut  de  louanges  qui  leur  étoit  dû. 
Or   voilà  par  proportion  &  fuivant  la 
même  régie  à  quoi  nous  peut  fervir  la 


du    Salut.  19 

vue  de  ce  que  nous  appelions  grandeurs 
I  Ôc  pompes  du  monde.  Ce  font  des  ima- 
ges ,  quoiqu'imparfaites  >  des  grandeurs 
céleftes ,  ôc  de  cette  gloire  qui  nous  eft 
promife  fous  le  terme  de  Salut.  Ce  font 
des  ébauches ,  où  nous  eft  préfenté ,  quoi- 
que très-légérement ,  ce  que  Dieu  pré* 
pare  à  fes  Elus  dans  le  féjour  de  la 
Béatitude.  Ce  font ,  pour  ainfi  parler , 
'  comme  des  erTais  de  la  magnificence  du 
Seigneur  ,  qui  nous  donnent  à  juger  pfm  ffi 
quelles  richefïes  immenfes  il  verfera  dans 
|  le  fein  de  fes  prédeitinés  ,.  de  quel  éclat 
|  il  les  couronnera ,  de  quelles  délices  ,  ôc 
de  quels  torrens  de  joie  il  les  enyvrera  ^ 
quand  il  .  lui^plai-ra  de  les  retirer  de  cette 
région  des  morts  où  nous  fommes  3  ôc 
de  les  introduire  dans  la  terre  des  vivans  :• 
quand  il  les  fera  fortir  de  ce  defert  où> 
nouspafTons,  ôc  quilles  recevra  dans  la 
bienheureufe  Jérufalem  j  quand  il  fera 
finir  pour  eux  cet  exil  où  nous  languif-* 
fons ,  ■&  qu'il  les  établira  dans  leur  glo- 
rieufe  patrie  ;  quand,  il  leur  ouvrira  fes 
tabernacles  éternels ,  qu'il  en  étalera  à 
leurs  yeux  toutes  les  beautés ,  tous  les 
tréfors  ,  qu'il  les  revêtira  de  fa  divine 
clarté  ôc  les  élèvera  dans  les  fplendeurs 
;  des  Saints  ;  enfin  quand  il  les  mettra  en 
poffeffion  de  ce  Salut,  qu'ils  ne  voyoient 

Bij 


20  I    S    T    I    M    1 

i.  Cor,  auparavant  que  fous  des  figures  énigmati* 

dj.ias  '<jjugS  fe  comme  dans  un  miroir  ;  mais  dont 

ils  connoîcront  alors  tout  le  prix  ,  parce 

qu'ils  le  verront ,  8c  qu'ils  commenceront 


à  en  jou 


Voilà  ,  dis-je ,  de  quoi  les  pompes  8c 
les  grandeurs  du  fiécle  nous  tracent  quel- 
que idée ,  8c  une  idée  affez  forte  pour  ex- 
citer tout  notre  zélé  à  la  pourfuite  du 
Salut ,  8c  à  la  conquête  du  Royaume  de 
Dieu.  Car  d'une  part  considérant  ces 
grandeurs  mortelles  5  8c  y  en  ajoutant 
même  encore  de  nouvelles ,  autant  que 
c  j'en  puis  imaginer  ;  8c  d'autre  part  con- 
«•  2.  p.  fuit  ait  la  Foi ,  &  méditant  ces  paroles 
du  grand  Apôtre  5  ^#e  l'œil  n'a  jamais  rien 
vu  _,  <pe  V  oreille  n  a  jamais  rien  entendu  y 
que  le  cœur  de  V homme  na  jamais  rien 
penfeni  rien  compris  qui  égale  ce  que  Dieu 
dejiine  à  ceux  qui  l'aiment  j  8c  dont  il  fera 
éternellement  aimé  :  quelle  conféquence 
dois-je  retirer  de  l'un  &  de  l'autre  ?  Je 
Chry-  m'attache  au  raifonnement  de  S.  Chry- 
foftôme  ,  8c  je  dis  :  quelque  mépris  que 
je  fafTe  de  la  terre  '8c  que  j'en  doive  faire , 
il  m'eft  toutefois  évident  que  j'y  vois  des 
chofes  merveilleufes  j  il  ne  m'eft  pas 
moins  évident  qu'on  m'en  rapporte  en- 
core d'autres  plus  furprenantes  8c  plus 
admirables  -}  8c  fi  je  veux  laiffer  agir  mon 


fifi 


BU      S    A    L    tJ   T.  Il 

imagination  Se  lui  donner  l'eifor  ,  que 
n'eft-elle  pas  capable  de  fe  figurer  au- 
delïus  même ,  &  de  tour  ce  que  je  vois , 
de  de  tout  ce  que  j'entends  ?  Cependant 
ni  tout  ce  que  je  vois  ,  ni  tout  ce  que 
j'entends  ,  ni  tout  ce  que  je  puis  me  fi- 
gurer 5  non  -  feulement  félon  les  idées 
naturelles  &  raifonnables  ,  mais  par  les 
fictions  les  plus  exceiïîves  ôc  les  plus  ou- 
trées ,  n'approche  point  de  ce  que  j'ef- 
pere  après  cette  vie  j  &  de  ce  que  Dieu 
a  fait  pour  moi  dans  un  aurre  monde 
que  celui-ci.  Quand  je  vois  tout  cela,, 
quand  je  l'entends  3  que  je  me  le  figure  5 
j'en  fuis  ravi ,  j'en  fuis  charmé  ;  mais 
tout  cela  néanmoins  n'eft  point  la  gloire 
que  j'attends ,  tout  cela  ne  peut  être  mis 
en  comparaifon  avec  la  gloire  que  j'at- 
tends ,  tout  cela  n'eft  rien  auprès  de  la 
gloire  que  j'attends  ;  3c  fi  je  multipliois 
tout  cela ,  fi  je  le  redoublois ,  fi  je  l'accu- 
mulois  fans  mefure ,  après  y  avoir  épuifé 
toutes  les  puhTances  de  mon  ame ,  &c 
toutes  les  forces  de  mon  efprit ,  tout  cela 
feroit  toujours  infiniment  au-deiîous  de 
la  gloire  que  j'attends.  Qu'eft  -  ce  donc  3 
mon  Dieu,,  que  cette  gloire  !  Qu'eft-ce 
que  ce  Salut  !  mais  en  même  tems  , 
Seigneur  ,  qu'eft-ce  que  l'homme ,  &  à 
qui  appartient  -  il  qu'à  un  Dieu  aufiî 


%%  -      Ë    S    T    î    M'    & ■- 

libéral  &  auffi  bon  r  auffi  puiflaftt  & 
auffi  grand  que  vous  l'êtes  ,  de  nous* 
récompenfer  de  la  forte  ,  Ôc  de  nous- 
glorifier ,  non  -  feulement  au  -  delà  de 
tous  nos  mérites  ,  mais  au  -  delà  de 
toutes  nos  connoifiances  de  de  toutes  nos 
vues  ? 

C'eft  ainfi  que  raifonnoit  Saint  Chry-- 
foftôme  ,  ôc  c'eft  ainfi  que  par  la  vue  des 
pompes  humaines  &  des  grandeurs  du 
monde  ,  j'acquiers  la  connoiflànce  la 
plus  fenfible  &  la  plus  parfaite  que  je 
puiffe  maintenant  avoir  ,  du  falut  où 
j'afpire  ,  &  de  la  gloire  qui  m'eft  réfer- 
vée  dans  le  Ciel,  fi  je  fuis  aflez  heureux 
pour  y  parvenir.  Ne  pouvant  connoître 
préfentement  cette  gloire  par  ce  qu  elle 
'eft ,  je  la  connoîs ,  par  ce  qu'elle  n'eft 
pas  y  &la  connoiffance  que  j'en  ai  5  par 
ce  qu'elle  n'eft  pas ,  me  difpofe  mieux 
que  toute  autre ,  à  la  connoiflance  de  ce 
qu'elle  eft. 

ïl  ne  s'agit  donc  point  ici  de  déployer 
fon  éloquence  en  de  vagues  3c  de  lon- 
gues déclamations  fur  le  néant  de  tout 
ce  que  nous  voyons  en  ce  monde ,  §ç  de 
toutes  les  grandeurs  dont  nos  yeux  font 
frappés.  Avouons  que  ces  grandeurs  , 
quoique  paffagéres  5  ont  du  refte  en 
elles  -  mêmes  ilequoi  toucher  nos  fens  , 


du     Salut.  23 

dequoi  attirer  nos  regards ,  dequoi  pi- 
quer notre  envie  ,  dequoi  exciter  nos 
defirs  ,   dequoi  allumer  nos  pafïions  r 
avouons  -  le  encore  une  fois  &  recon- 
noilfons  -  le  }  mais  pourquoi  ?  afin  qu'en 
fuite  montant  plus  haut     &  nous  difant 
à  nous-mêmes ,  ce  n'erV  point  encore-là 
le  bonheur  qui  m'eft  propofé ,  ce  n'eft 
point  encore  le  faint  héritage  où  je  pré- 
tends ;  nous  concevions  de  cet  héritage 
célefte  &  de  ce  bonheur  fouverain  ,  une 
idée  plus  noble  &  plus  excellente.  Quand 
Saint  Auguftin  voyoit  la  Cour  des  Em- 
pereurs de  Rome ,  fi  fuperbe  3c  fi  Ronf- 
lante ;  quand  il  ailiftoit  à  certaines  cé- 
rémonies où  ils  fe  montroient  avec  plus 
d'appareil  &  plus  de  fplendeur ,  il  ne  di- 
foit  pas  avec  dédain  ni  d'un  air  de  mé- 
pris :  Qu'eft-ce  que  fafte  &  cette  abon- 
dance ?  Qu'eft  -  ce  que  ce  luxe  &  cette 
fomptuofité  ? -Qu'eft -ce  que  cet  amas 
prodigieux  de  biens  <k  de  richelTes  ?  A 
s'en  tenir  au  premier  afpecl:,  ce  fpecta- 
cle  lui  rempliîïbit  l'efprit  3  le  furprenoit  5 
f  atrachoit  ;  mais  delà  bien  -  tôt  paffant 
plus  avant  8c  s'élevant  à  Dieu  :  Si  tout 
ceci ,  mon  Dieu  ,  s'écrioit-il ,  eft  fi  au- 
gufte  3   qu'eft-ce  de  vous  -  même  ?  ôc 
û  toute    cette  pompe  fe  voit  hors  d& 
vous  3  que  verra-t-on  dans  vous  ?  Telle 


24  I    S    T    I    M    B 

devroit  être  la  méditation  des  Grands; 
Il  n'y  a  perfonne  à  qui  elle  ne  convienne 
mais  c'eft  aux  Grands  que  ce  fujet  eftt 
fpécialement  propre ,  parce  qu'il  leur  eft 
plus  préfent.  Ils  font  beaucoup  plus  fou- 
vent  témoins  &  fpe&ateurs  de  la  gran- 
deur êc  de  la  Majefté  royale.  Us  la 
voyent  de  plus  près  que  les  autres ,  8c  ils  ; 
la  voyent  dans  tout  fon  luftre.  Or  il 
leur  feroit  fi  utile  &  fi  facile  tout  enfem- 
ble  ,  de  faire  ce  que  faifoit  Moïfe  au 
milieu  de  la  Cour  de  Pharaon.  Le  tu- 
multe &  le  bruit  du  monde ,  les  grandes 
&:  différentes  fcénes  qui  lui  paffoient 
continuellement  devant  les  yeux  ?  ne  lui 
firent  jamais  perdre  de  vue  l'Invifible, 
félon  l'exprefïïon  de  Saint  Paul  ;  mais  il 
en  conferva  toujours  l'image  auffi  vive- 
ment empreinte  dans  fon  efprit ,  que  s'il 
l'eût  vu  en  effet ,  ce  Dieu  dlfraël  qu'il 
adoroit  au  fond  de  fon  cœur  3  &  vers 
qui  il  tournait  tous  fes  defirs  comme 
vers  la  fource  de  tous  les  biens  5  Se  le 
difpenfateur  de  tous  les  dons. 

O  qu'un  Grand ,  inftruit  des  vérités 
du  Chriftianifme ,  &  jugeant  des  chofes 
félon  les  principes  de  la  Religion y  feroit 
defalutaires  &de  folides  rérlexions,quand 
dans  une  Cour  ,  comme  fur  un  Théâtre 
©uvert  de  toutes  parts  P  il  voit  paroître 

tant 


du     Salut.  25 

tant  de  perfonnages  Se  de  toutes  les  for- 
tes !  Quand  il  voit  tant  de  mondains ,  Se 
de  mondaines  que  l'ambition  raifemble 
Se  qui  tous  à  l'envi  cherchent  à  fe  mon- 
trer ,  à  fe  diftinguer  ,  à  fe  fignaler  par  la 
fomptuofité  Se  la  dépenfe  ,  à  tenir  les 
plus  hauts  rangs ,  à  jouer  les  plus  beaux 
rôles.  Quand  il  voit  certaines  fortunes  , 
Se  tout  ce  qui  les  accompagne  ,  tout  ce 
qui  les  décore  :  fur- tout  ,  quand  après 
mille  intrigues  dont  il  ne  lui  eft  pas  dïni- 
cile  de  fuivre  les  traces ,  &  dont  les  ref- 
forts  ne  peuvent  être  fi  fecrets  qu'il  ne 
les  apperçoive  bien  3  il  voit  l'iniquité 
dominante  ,  l'iniquité  triomphante ,  l'i- 
niquité honorée  ,  accréditée  ,  toute- 
puiffante  !  S'il  avoit  alors  une  étincelle 
de  Foi ,  ou  s'il  la  confultoit ,  cette  Foi 
ou  il  a  été  élevé,  &  qu'il  n'a  peut-être 
pas  perdue  ,  que  penferoit-il  ?  que  di- 
roit-il  ?  Il  entreroit  dans  le  fentiment  de 
Saint  Auguftin  :  il  admireroit  la  libéralité 
de  Dieu  jufques  envers  fes  ennemis  les 
plus  déclarés.  Mais ,  mon  Dieu  ,  con- 
clûroit-il ,  fi  c'eft  là  fur  la  terre  le  par- 
tage des  pécheurs ,  lors  même  qu'ils  fe 
tournent  contre  vous  ,  qu'avez  -  vous 
donc. préparé  dans  votre  Royaume  pour 
ces  bons  Se  fidèles  ferviteurs  qui  ne  s'at- 
tachent qu'à  vous  ?  Cette  afïluence ,  ce 
Tome  I.  C 


%G  Estime 


crédit ,  cette  autorité  ,  ces  titres ,  ces  di-* 
gnités  ,  ces  tréfors  j  voilà  ce  que  vous 
abandonnez  indifféremment  au  vice  Se 
au  libertinage  ;  voilà  ce  que  vous  accor- 
dez plus  fouvent  qu'aux  autres ,  &:  plus 
abondamment ,  à  des  réprouvés  Se  à  des 
vafes  de  colère  \  voilà ,  pour  m'exprimer 
ainfi ,  ce  que  vous  livrez  en  proie  à  tou- 
tes  leurs  convoitifes  ,  à  toutes  leurs  in- 
juftices  :  ah  î  mon  Dieu  5  que  refte-t-U 
donc  pour  la  vertu  ?  que  refte-t-il ,  ou 
plutôt  3  Seigneur  ,  que  ne  refte  - 1  -  il 
point  pour  ces  prédeftinés  en  qui  vous 
avez  mis  vos  complaifances ,  ôc  que  vous 
avez  choilis  comme  des  vafes  de  miféri- 
corde  ? 

Heureux  qui  fçait  envifager  de  la  forte 
les  grandeurs  du  fiécle  préfent,  Se  qui 
delà  apprend  à  eftimer  les  efpérances  Se 
la  gloire  du  fiécle  futur.  Il  n'eft  point  à, 
craindre  que  ce  préfent  l'attache  ,  puif* 
que  c'eft  même  de  ce  préfent  qu'il  tire 
de  puilTans  motifs  pour  porter  tous  {qs 
vœux  vers  l'avenir.  Quelque  fenfation 
que  ce  préfent  fa(fe  d'abord  fur  fon  cœur , 
elle  ne  lui  peut  être  nuifible ,  puifqu'au 
contraire  elle  ne  fert  qu'à  lui  donner 
une  plus  grande  idée  de  l'avenir  où  il 
afpire  ,  Se  où  il  ne  peut  arriver  que  par 
lin  détachement  véritable  Se  volontaire 


du     Salut.  ly 

de  ce  préfent.  Ainfi  tout  ce  que  ce  pré- 
fent  étale  à  fa  vue  d'éclat ,  de  charmes  , 
d'attraits ,  bien  loin  de  le  détourner  du 
falut ,  ne  contribue  qu'à  raffermir  da- 
vantage dans  cette  maxime  capitale  :  Que  Man^4 
fert-il  à  l'homme  de  gagner  tout  le  monde  c.  16. 
yil\  vient  à  Je  perdre  lui-même  j  &  quel 2  * 
échange  pourra  le  dédommager  de  la  perte 
de/on  ame  ? 

Maxime  fortie  de  la  bouche  de  Jefus- 
Chrift  même ,  qui  eft  la  vérité  éternelle  : 
maxime  affez  connue  dans  une  certaine 
fpéculation ,  mais  bien  peu  fuivie  dans  la 
pratique.  Car  voici  l'énorme  renverfe- 
ment  dont  nous  n'avons  que  trop  d'exem- 
ples devant  les  yeux ,  8>c  qui  croît  de  jour 
en  jour  dans  tous  les  états  du  Chriftia- 
niime.  Parce  que  les  fens  nous  dominent , 
ôc  que  nos  fens  ,  tout  matériels  ôc  tout 
gromers,  ne  font  fufceptibles  que  des  ob- 
jets qu'ils  apperçoivent  de  qui  leur  font 
préfens  ;  c'eft  à  ce  préfent  que  nous  nous 
arrêtons.  Au  lieu  de  dire  comme  S.  Paul ,  He£,  c 
nous  n'avons  point  ici  une  demeure  Jlab  le  ^  ** 
&  permanente  _,  mais  noustn  attendons  une 
autre  dans  l'avenir y  à  peine  concevons- 
nous  qu'il  y  ait  un  avenir  au-delà  de  ce 
cours  d'années  que  nous  paffons  fur  la 
terre,  &  dont  la  mort  eft  le  terme.  A  peine 
nous  laiffons-nous  perfuader  qu'il  y  ait  un 

Cij 


2.8  Estime 

autre  bonheur ,  qu'il  y  ait  d'autres  biens 
8c  d'autres  grandeurs  que  ces  grandeurs 
8c  ces  biens  vifibles  dont  nous  pouvons 
jouir  <lans  le  tems.  D'où  il  arrive  que 
nous  avons  il  peu  de  goût  pour  les  chofes 
du  Ciel ,  8c  pour  tout  ce  qui  a  rapport  au 
falut.  On  nous  en  parle ,  nous  en  parlons 
nous  -  mêmes  j  mais  ce  qu'on  nous  en 
dit ,  comment  l'écoutons-nous ,  8c  nous- 
mêmes  comment  en  parlons-nous  ?  avec 
le  même  froid  que  fi  nous  n'y  prenions 
nul  intérêt.  Et  il  n'y  a  rien  en  cela  de 
l.  Cor.  Surprenant ,  puifque  l'homme  fenfuel  & 
c.  2,14.  an\mal  ne  peut  s'élever  au  -  dejjus  de  lui* 
même  _,  ni  pénétrer  avec  les  yeux  de  chair 
dans  les  myjleres  de  Dieu. 

C'eft  pour  cela  que  la  vue  du  monde 
nous  devient  fi  dangereufe  8c  fi  perni- 
cieufe.  Non-feulement  elle  pourroit  nous 
être  falutaire  ,  mais  elle  devroit  l'être 
dans  la  manière  que  je  l'ai  fait  entendre. 
Elle  l'a  été  ,  8c  elle  l'eft  encore  pour  un 
petit  nombre  de  Chrétiens ,  accoutumés 
à  juger  de  tout  par  les  pures  lumières  de 
la  Foi ,  8c  non  par  l'aveugle  penchant  de 
la  nature,  Ils  voient  la  -  figure  de  ce 
monde  ,  ils  la  confidérent ,  mais  comme 
une  figure  &  non  point  autrement.  Car 
ce  n'eft  dans  leur  eftime  qu'une  figure  : 
mais  de  cette  figure  ils  panent  à  la  vérité 


D    U       S    A    L    U    T.  ly 

quelle  leur  annonce  ,  au  bien  réel  Se  fo- 
lide  qu'elle  leur  découvre  ,  à  la  fuprême 
béatitude  dont  elle  leur  trace  comme  un 
léger  crayon.  Que  ne  regardons-nous  ainfî 
le  monde  :  que  ne  nous  attachons-nous 
à  contempler  dans  ce   miroir  ce  qu'il 
nous  repréfente  des  beautés  ineftima- 
bles ,  Se  ineffables  d'un  autre  monde  où 
font  renfermées  toutes  nos  efpérances. 
C'eft  l'occupation  la  plus  ordinaire  de 
ces  âmes  ridelles  &  intérieures ,  que  l'Ef- 
prit  de  Dieu  conduit  >  Se  qui ,  fans  fe 
lailfer  prendre  à  des  dehors  trompeurs  , 
tournent  à  bien  pour  leur  perfection  Se 
leur  fatisfadtion ,  ce  qui  pervertit  le  com- 
mun des  hommes.  Car  voilà  quel  eft  le 
principe  de  ce  mortel  affotipifTement  , 
Se  fi  je  l'ofe  dire  ,  de  cette  ftupide  in- 
fenfibilité  Wi  nous  vivons  à  l'égard  du 
falut. 

Le  Prophète  reprochoit  aux  Juifs  5 
qu'ils  n'avoient  tenu  nul  compte  de  cette 
Terre  promife  que  le  Seigneur  leur  def- 
tinoit  ?  parce  que  dans  le  defert  où  ils 
marchoient ,  ils  n'étoient  attentifs  qu'à 
ce  qu'ils  rencontroient  fur  leur  route ,  ôc 
à  ce  qui  pouvoit  fatisfaire  leur  fenfualité, 
N'eft  -  ce  pas  là  notre  état  >  Se  fur  -  tout 
n'eft  -  ce  pas  là  l'état  d'une  infinité  de 
Grands  Se  d'opulens  y  qui  femblent ,  à 

,   Ciij 


30  Estime 

les  voir  agir  ,  n'avoir  été  faits  que  pour 
cette  vie  3  Se  y  avoir  établi  leur  dernière 
fin  ?  Ce  qui  les  occupe  ,  ce  n'eft  guéres 
leur  deftinée  éternelle  ?  Se  pourvu  que 
dans  la  voie  qui  leur  eft  ouverte  ,  rien  ne 
leur  manque  de  tout  ce  qu'ils  y  fourni- 
rent ,  foit  richeffes  ,  foit  honneurs  ,  foit 
douceurs  Se  commodités ;  ils  fe  mettent 
peu  en  peine  du  terme  où  ils  doivent 
adrelfer  tous  leurs  pas.  Mais  quel  eft  -  il 
donc  3  ce  terme  3  Se  fomrnes-nous  excufa- 
bles  de  ne  le  pas  fçavoir  ,  quand  nous  le 
pouvons  apprendre   de  tout  ce  qui  fe 
préfente  à  nous  ,  Se  qui  nous  environne  ? 
11  ne  faudrait  que  quelque  réflexion  ; 
mais  l'enchantement  de  la  bagatelle  dif- 
fipe  tellement  nos  penfées ,  que  dans  une 
diftradion    habituelle   Se  perpétuelle  ? 
nous  oublions  fans   ceife    le*feul  bien 
digne  de  notre  fouvenir.  L'heure  vien- 
dra ,  prenons  -  y  garde  ,  l'heure  viendra 
où  nous  en  connoîtrons  l'excellence  Se 
la  valeur  infinie  >  non  plus  par  des  con- 
jectures ni  des  comparaifons  ,  mais  par 
une  connoiffance    expreffe    Se  dire&e. 
Cette   connoiffance    claire  Se    dégagée 
des  illulions  qui  nous  trompoient ,  ré- 
formera dans  un  moment    toutes  nos 
idées  ;  mais  peut  -  être  ,  hélas  !  pour  ex- 
citer en  même  tems  tous  nos  regrets  : 


du     Salut,  31 

regrets  d'autant  plus  vifs  ,  que  nous 
commencerons  à  concevoir  une  plus 
haute  eftime  du  Salut ,  &  que  cette  ef~, 
time  n'aura  d'autre  effet  que  de  nous  en 
faire  reffentir  plus  vivement  la  perte. 

^^^^^^^^^^^^^^^^^^ 

JDefir  du  Salut  3  &  la  préférence  que 

nous  lui  devons  donner  au-dej/us 

de  tous  les  autre  biens. 

DE  l'eftime  naît  le  de/ir ,  &  ce  defir 
doit  croître  félon  le  prix  du  bien 
qui  nous  eft  propofé  ,  &  félon  la  mefure 
de  l'eftime  que  nous  en  devons  faire. 

Je  dois  donc  par  proportion  délirer  le 
Salut ,  comme  je  dois  aimer  Dieu.  Parce 
que  Dieu  eft  le  fouverain  bien  ,  je  dois 
l'aimer  fouverainement ,  &  parce  que 
le  falut  eft  la  fouveraine  béatitude  ,  je 
le  dois  fouverainement  délirer.  Si  dans 
toute  l'étendue  de  l'univers  ,  il  y  a  quel- 
que chofe  que  j'aime  plus  que  Dieu ,  dès- 
là  je  fuis  coupable  devant  Dieu  ,  parce 
que  je  déroge  à  la  fouveraineté  de  fon 
Etre ,  en  lui  préférant  un  être  créé  :  8c 
ii  dans  tous  les  biens  de  la  terre  il  y  a 
quelque  chofe  que  je  délire  plus  que 
le  falut  >  dès-là  je  manque  à  la  chanté 

C  iiij 


j%  Désir 

que  je  me  dois ,  &  je  me  rends  coupa- 
ble envers  moi-même  ,  parce  que  je  me 
dégrade  moi  -  même  ,  &  que  je  préfère 
au  fouverain  bonheur  de  mon  ame  une 
félicité  trompeufe  &  paftagere.  Ce  n'eft 
pas  affez  :  fi  dans  tout  l'univers  il  y  a  même 
quelque  chofe  que  j'aime  autant  que 
Dieu,  je  l'offenfe  3  je  lui  fais  outrage ,  de 
je  n'accomplis  pas  le  précepte  de  l'a- 
mour de  Dieu ,  parce  que  Dieu  étant 
par  fa  nature  au  -  deftus  de  tout  3  rien 
ne  peut  être  mis  dans  un  degré  d'égalité 
avec  ce  premier  Etre ,  cet  Etre  fuprême  : 
8c  fi  dans  toute  la  terre  ,  il  y  a  quelque 
chofe  que  je  defire  autant  que  le  falut , 
c'eftun  renverfement ,  c'eft  un  défordre  , 
parce  que  dans  mon  eftime  &  dans  mon 
cœur ,  j'ôte  au  plus  grand  de  tous  les 
biens  ce  caractère  de  fupériorité  8c  d'ex- 
cellence qui  lui  eft  eifentiel ,  8c  qui  ne  fe 
trouve ,  ni  ne  peut  fe  trouver  dans  aucun 
bien  mortel  &  périffable. 

Ce  n'eft  pas  tout  encore  \  8c  quand  je 
n'aimerois  rien  plus  que  Dieu  ,  rien  au- 
tant que  Dieu ,  û  j'aime  avec  Dieu  quel- 
que chofe  que  je  n'aime  pas  pour  Dieu  , 
je  n'ai  pas  cette  plénitude  d'amour  qui 
eft  due  à  Dieu  ,  puifque  mon  amour  eft 
partagé  ;  8c  d'ailleurs  en  ce  que  j'aime 
avec  Dieu  fans  l'aimer  pour  Dieu  3  je 


du     Salut.  33 

a  honore  pas  Dieu  comme  fin  dernière  , 
à  qui  tout  doit  être  rapporté.  De  même  , 
quand  je  ne  defirerois  rien  plus  que  le 
falut ,  rien  autant  que  le  falut ,  fi  je 
defire  avec  le  falut  quelque  chofe  que 
je  ne  defire  pas  pour  le  falut  &  en  vue 
du  falut ,  je  n'ai  pas  ce  defir  pur ,  ce 
plein  defîr  que  mérite  un  bien  tel  que 
le  falut  j  c'eft  -  à  -  dire  ,  un  bien  que 
je  dois  proprement  regarder  comme  mon 
unique  bien  ,  puifque  tout  autre  bien 
que  je  pourrois  prétendre  en  ce  monde  , 
n'eft  un  vrai  bien  pour  moi  ,  que  félon 
qu'il  pourroit  m'aide r  à  parvenir  au  fa- 
lut ,  comme  au  feul  terme  de  mon 
efpérance  &  au  feul  comble  de  tous  les 
biens. 

Mais  quoi  !  n'eft-ce  pas  un  bien  que  la 
fanté  ,  les  forces  ?  n'eft  -  ce  pas  un  bien 
qu'un  établifTement  honnête ,  ôc  une  for- 
tune convenable  à  ma  condition  ?  n'eft- 
ce  pas  un  bien  que  tout  ce  qui  eft  nécef- 
faire  à  l'entretien  de  la  vie  ,  ôc  ne  puis- 
je  pas  defirer  tout  cela  ?  Oui ,  ce  font  là 
des  biens  ,  &  je  puis  les  defirer  :  mais  ce 
ne  font  que  des  biens  fubordonnés  au 
premier  bien  ,  qui  eft  le  falut  ;  d'où  il 
s'enfuit  que  je  ne  dois  les  defirer  qu'avec 
cette  fubordination  y  &  que  faivant  le 
rapport  qu'ils  peuvent  avoir  à  ce  bien 


34  D  es  i  s. 

fupérieur.  Or  en  les  délirant  de  la  forte  ; 
ce  ne  font  point  abfolument  ces  biens 
que  je  délire  ,  mais  c'eft  le  falut  que  je 
délire  dans  ces  biens  8c  par  ces  biens  , 
conformément  au  bon  ufage  que  je  fuisfi 
réfolu  d'en  faire  :  tellement  qu'il  eft  tou- 
jours vrai  de  dire  alors ,  que  je  ne  délire 
que  le  falut ,  &  que  je  ne  veux  rien  que 
le  falut. 

Ainfî  il  n'y  a  que  le  falut  que  je  doive 
délirer  directement ,  que  je  doive  délirer 
formellement  8c  exprelTement ,  que  je 
doive  defirer  en  lui-même  &  pour  lui- 
même.  Quand  je  demande  à  Dieu  tout 
le  relie  ,  je  ne  dois  le  lui  demander  que 
fous  condition ,  8c  qu'avec  une  véritable 
indifférence  fur  ce  qu'il  lui  plaira  d'en 
ordonner  }  lui  témoignant  mon  delir , 
mais  du  relie  me  foumettant  à  fa  fagelfe 
&  à  fa  Providence  pour  juger  li  c'eft  un 
bon  defir  ,  li  c'eft  un  delir  félon  {qs  in- 
tentions 8c  félon  fes  vues ,  s'il  m'eft  utile 
que  ce  delir  s'accomplifte  8c  s'il  en  tirera 
fa  gloire  }  renonçant  à  ce  delir ,  li  tout 
cela  ne  s'y  rencontre  pas ,  le  défavouant 
de  cœur  5  8c  même  priant  Dieu  ,  que 
bien  loin  de  l'exaucer  ,  il  falTe  tout  le 
contraire  ,  fuppofé  que  fa  gloire  8c  mon 
avantage  fpirituel  y  foient  intérelTés. 
Mais  quand  je  lui  demande  mon  falut  ? 


du     Salut.  35 

je  le  lui  demande  ,  ou  je  dois  le  lui  de- 
mander de  toute  une  autre  manière.  Car 
je  le  dois  demander  déterminément  , 
nommément ,  fans  toutes  ces  conditions , 
puifqu  elles  s'y  trouvent  déjà  ,  8c  fans 
nulle  indifférence  fur  le  fuccès  de  ma 
prière.  Expliquons-nous. 

Quand  je  demande  à  Dieu  mon  falut  5 
je  ne  lui  dis  pas  (amplement ,  ni  ne  dois 
pas  lui  dire  :  Seigneur  ,  donnez-moi  vo- 
tre Royaume ,  8c  daignez  écouter  là-def- 
fus  mon  defir  ,  û  c'eft  un  bon  defir  *  mais 
je  lui  dis ,  8c  je  lui  dois  dire  :  donnez- 
moi  ,  Seigneur  ,  votre  Royaume  ,  8c 
rendez-vous  là-deffus  favorable  à  mon 
defir  ,  parce  que  je  fçais  que  c'eft  un  bon 
defir.  Je  ne  lui  dis  pas  ,  ni  ne  dois  pas  lui 
dire  ,  Seigneur  ,  donnez  -  moi  votre 
Royaume  ,  8c  daignez  écouter  là-deifus- 
mon  defir ,  fi  c'eft  un  delir  félon  vos  in- 
tentions 8c  félon  vos  vues  j  mais  je  lui 
dis  8c  je  dois  lui  dire  :  donnez  -  moi , 
Seigneur,  votre  Royaume,  8c  rendez-vous 
là-deffus  favorable  à  mon  defir  ,  parce 
que  je  fçais  que  c'eft  un  defir  félon  vos 
vues  8c  félon  vos  intentions.  Je  ne  lui  dis 
pas ,  ni  ne  dois  pas'  lui  dire  :  Seigneur  , 
donnez-moi  votre  Royaume  ,  8c  daignez 
écouter  là-deffus  mon  defir,  s'il  m'eft 
Utile  que  ce  defir  s'accompliiTe  3  8c  & 


$6  Désir 

vous  en  devez  tirer  votre  gloire  :  mais  )€' 
lui  dis  &  je  dois  lui  dire  :  donnez-moi  * 
Seigneur ,  votre  Royaume ,  &  rendez- 
vous  la-deiTus  favorable  à  mon  deftV, 
parce  que  je  fçais  qu'il  m'eft  fouveraine- 
ment  utile  qne  ce  defîr  s'accomplifte  j 
que  c'eft  dans  PaccompliiTement  de  ce 
deiir  qu'eft  renfermée  toute  mon  efpé- 
rance  j  que  fans  l'accomplnTement  de  ce 
deiir  ,  il  n'y  a  point  pour  moi  d'autre 
bonheur  ;  Se  parce  que  je  fçais  encore 
que  vous  y  trouverez  votre  gloire  ,  puif- 
que  c'eft  dans  le  falut  de  l'homme  que 
vous  la  faites  particulièrement  coniifter* 
Enfin  ,  je  ne  lui  dis  pas  ,   ni  ne  dois'pas 
lui  dire  feulement  *.  Seigneur  ?  fauvez- 
moi ,  ii  c'eft  votre  volonté  :  mais  je  lui 
dis ,  êc  je  dois  lui  dire  :  fauvez  -  moi , 
Seigneur ,   &  je  vous  conjure  ,  6  mon 
Dieu  ,  que  ce  foit  là  votre  volonté  ,  une 
volonté  fpéciale  5  une  volonté  efficace. 
Si  bien  qu'il  ne  m'eft  jamais  permis  de 
renoncer  à  ce  deiir  du  falut ,  comme  il 
ne  m'eft  jamais  permis  de  renoncer  au 
falut  même  ;  mais  bien  loin  de  laiffer  ce 
deiir  s'éteindre  dans  mon  cœur ,  je  dois 
fans  cefte  l'y  entretenir  ôc  l'y  rallumer. 
Conféquemment  à  ce  deiir  ,   Dieu 
veut  donc  que  j'aie  recours  à  lui.  Il  veut 
que  je  frappe  continuellement  à  la  porte  > 


du     Salut.  37 

ic  que  par  des  vœux  redoublés ,  je  lui 
fafTe  une  efpéce  de  violence  pour  l'en- 
gager à  m'ouvrir  &  à  me  recevoir.  Il 
veut  que  ce  foit  là  le  fujet  de  mes  priè- 
res les  plus  fréquentes  &  les  plus  arden- 
tes. Il  ne  me  défend  pas  de  lui  deman- 
der d'autres  biens  ;  mais  il  veut  que  je 
ne  les  lui  demande  qu'autant  qu'ils  ne 
peuvent  préjudicier  à  mon  falut ,  qu'au- 
tant qu'ils  peuvent  concourir  avec  mon 
falut ,  qu'autant  que  ce  font  des  moyens 
pour  opérer  mon  falut.  Sans  cela  il  re- 
jette toutes  mes  demandes,  parce  qu'elles 
ne  font  ni  clignes  de  lui  qui  a  tout  fait 
pour  le  falut  de  fes  Elus ,  ni  dignes  de 
moi  qu'il  n'a  créé  &  placé  dans  cette 
région  des  morts ,  que  pour  tendre  à 
la  terre  des  vivans  Ôc  pour  obtenir  le 
falut. 

C'eft  par  le  fentiment  Se  l'impreflîon 
de  ce  defir  du  falut ,  que  le  Saint  Roi 
David  s'écrioit  fi  fouvent  Ôc  difoit  fi 
affe&ueufement  à  Dieu ,  Hé!  Seigneur  j  Pf»  i4*< 
quand  fera-ce  !  Quand  viendra  le  moment 
que  j'irai  à  vous  _,  que  je  vous  verrai .,  je 
vous  pojféderai  j  &  je  goûterai  dans  votre 
fein  les  pures  délices  de  la  béatitude  cé- 
lefie ?  Tout  Roi  quil  étoit ,  aiîîs  fur  le 
Trône  de  Juda  ,  comblé  de  gloire  ôc  ne 
manquant  d'aucun  des   avantages  qui 


3S  D    E    S    I    K 

peuvent  le  plus  contribuer  au  bonheur 
humain  ,  il  fe  regardoit  en  ce  monde 
comme  dans  un  lieu  d'exil.  Il  n'en  pou- 
voit  foutenir  l'ennui ,  &  il  en  témoignoit 
*!/"•"?•  à  Dieu  fa  peine  :  Hélas  !  que  cet  exil  ejl 
long  !  ne  finir a-t  Al  point  ^  Seigneur  ;  & 
combien  de  tems  languirai-je  encore  _,  avant 
que  mon  attente  &  mes  fouhaits  foient 
rem-plis  !  Et  de-là  aulîî  ces  tranfports  de 
joie  qui  le  raviiïbient  dans  la  penfée  que 
fon  heure  approchoit ,  &  que  bien-tot  il 
fortiroit  des  miféres  de  cette  vie  pour 
pafler  à  l'heureux  féjour  après  lequel  il 
pf.  m.  foupiroit.  On  me  l'a  annoncé  ■>  &  ma 
l*  joie  en  ejl  extrême  :  j'irai  dans  la  mai/on 
de  mon  Seigneur  &  de  mon  Dieu, 

C'eft  de  la  même  impreflion  Se  du 
même  fentiment  de  ce  delir  du  Salut , 
qu'étoient  fi  vivement  touchés  ces  anciens 
èc  fameux  Patriarches  que  Saint  Paul 
nous  repréfente  plutôt  comme  des  Anges 
habitans  du  Ciel ,  que  des  hommes  vi- 
vans  fur  la  terre.  Ils  y  étoient  comme 
s'ils  n'y  euffent  point  été  j  ils  y  étoient 
comme  des  étrangers  &  des  voyageurs  : 
tous  leurs  regards  fe  portoient  vers  leur 
patrie  &  leur  éternelle  demeure  j  ils  la  fa- 
luoient  de  loin ,  ils  s'y  élançoient  par  tous 
les  mouvemens  de  leur  cœur  5  Se  rien  n'en 
détournoient  leurs  yeuxnileur  attentioa? 


du      Salut.  39 

Defir  du  falut  qui  dans  les  Saints  de  la 
Loi  nouvelle  n'a  pas  été  moins  vif  ni 
moins  empreffé  que  dans  ceux  de  l'an- 
cienne Loi.  Le  grand  Apôtre  en  eft  un 
exemple  bien  mémorable  Se  bien  tou- 
chant :  la  vie  n'étoit  pour  lui  qu'un  ef- 
clavage  Se  une  trifte  captivité  ;  Se  fans  en 
accufer  la  Providence  ni  s'en  plaindre  , 
il  ne  laiiToit  pas  de  déplorer  fon  fort ,  Se 
d'en  gémir  :  Malheureux  que  je  fuis  ! 
Quel  étoit  le  fujet  de  ces  gémilTemens  fi 
aaiers  &  tant  de  fois  réitérés  ?  c'eft  que  fon 
ame  retenue  dans  un  corps  mortel ,  ne 
pouvoit  jouir  encore  de  fa  béatitude. 
Qui  me  délivrera  de  ce  corps  de  mort  ?  Qui  Rom* 
détruira  cette  prifon  Se  qui  brifera  mes  7*  24" 
liens  ,  afin  que  je  prenne  mon  vol  vers 
l'objet  de  tous  mes  vœux  Se  le  centre  de 
mon  repos  ?  Dans  une  femblable  difpofî- 
tion  il  n'avoit  garde  de  s'abandonner  aux 
horreurs  naturelles  de  la  mort  ;  mais  par 
la  force  du  deiîr  dont  il  étoit  tranfporté  , 
il  fçavoit  bien  les  réprimer  Se  les  fur- 
monter.  Bien  loin  que  la  mort  rétonnât , 
il  l'envifageoit  avec  une  forte  de  complais 
fance  ;  Se  bien  loin  de  la  fuir ,  il  s'y  pré- 
fentoit  lui-même  Se  la  demandoit.  Mou-  Philip. 
tir ç'étoit  un  gain  félon  fon  eftime ,  parce  '  2I* 
que  c'étoit  paffer  dans  le  fein  de  Dieu  Se 
arriver  au  terme  du  Salut, 


4o  Désir 

Si  nous  comprenions ,  comme  ce  Doc- 
teur des  Nations  de  comme  tant  d'autres 
après  lui ,  ce  que  c'eft  que  le  Salut  ;  fi 
Dieu),  pour  un  moment  9  daignoit  faire 
luire  à  nos  yeux  un  rayon  de  fa  gloire  -% 
8c  de  cette  gloire  qu'il  nous  prépare  à 
nous-mêmes  3  qui  peut  exprimer  quelle 
fainte  ardeur ,  quel  feu  s'aÛumeroit  dans 
nos  cœurs  ?  Du  refte  fans  avoir  encore 
cette  vue  claire  8c  immédiate  qui  n'eft 
réfervée  qu'aux  Bienheureux  dans  le 
Ciel ,  nous  avons  la  foi  pour  y  fuppléer.  ' 
Il  ne  tient  qu'à  moi  de  me  rendre ,  avec 
cette  lumière  divine  qui  m'éclaire  ,  plus 
attentif  aux  grandes  efpérances  que  la 
Religion  me  donne  &  dont  je  devrois 
uniquement  m'occuper. 

Je  le  devrois ,  mais  comment  eft-ce 
que  je  fatisfais  à  ce  devoir  ?  Comment 
eft-ce  qu'on  y  fatisfait  dans  tous  les  états 
du  monde ,  Se  du  monde  même  chré- 
tien ?  Rien  de  plus  rare  que  ce  defir  du 
falut  :  pourquoi  ?  parce  que  ce  defir  eft 
étouffé  prefque  dans  tous  les  cœurs  par 
mille  autres  defirs  qui  n'ont  pour  fin  que 
la  vie  préfente  &c  que  fes  biens.  Non- 
feulement  on  defire  les  biens  de  la  vie 
avec  le  falut  fans  les  délirer  pour  le  falut  % 
non-feulement  on  les  defire  autant  que 
le  falut  ^  non-feulement  même  on  les 

defire 


©  u     Salut.  4ï 

defire  plus  que  le  falut  \  mais  le  dernier 
degré  de  l'aveuglement  &  du  défordre  , 
c'eft  que  la  plupart  ne  défirent  que  les 
biens  de  la  vie  ,  ne  foupirent  qu'aptes 
les  biens  de  la  vie ,  &  ne  penfent  pas 
plus  au  Salut  que  s'ils  n'en  ctoyoient 
point,  ou  n'en  efpéroient  point.  Eft-ce 
en  effet  par  un  libertinage  de  créance 
qu'ils  vivent  dans  une  telle  infeniibilité 
à  l'égard  du  Salut  ?  Eft-ce  par  une  efpéce 
d'enchantement  Se  d'enforcellernent  ? 
Quoi  qu'il  en  foit,  fi  je  confidere  toute  la 
face  du  Chriftianifme  ,  qu'eft-ce  que  j'y 
apperçois  ?  J'y  vois  des  gens  affamés  de 
richeiîes ,  des  gens  affamés  d'honneurs  9 
des  gens  affamés  de  plaifirs,  8c  des  plai- 
firs  les  plus  grofliers.  Voilà  où  s'étend 
toute  la  fphére  de  leurs  defirs  j  voilà  les 
bornes  où  ils  les  tiennent  renfermés  fans 
les  porter  plus  loin  ni  les  élever  plus 
haut. 

Ce  n'eft  pas  que  quelquefois  dans  les 
difeours  on  ne  reconnoiffe  l'importance 
du  Salut.Ce  n'eft  pas  qu'on  ne  s'en  explique 
en  certains  termes,  &  qu'on  ne  convienne 
qu'il  n'eft  rien  de  plus  defirable  ni  même 
de  fi  defirable.  Les  plus  mondains  fçavent 
en  parler  comme  les  autres ,  &  fouvent 
mieux  que  les  autres.  Mais  qu'eft-ce  que 
cela  ?  un  langage ,  des  paroles  affectées  > 
Tome  L  D 


4i  Désir 

èc  rien  de  plus.  Car  fans  nous  en  tenir 
aux  paroles  de  aux  expreftions,  mais  exa- 
minant la  chofe  dans  la  vérité  ,  peut-on 
dire  que  nous  defirons  le  Salut ,  lorfque 
de  tous  les  fentimens  &:  de  tous  les  mou- 
vemens  de  notre  cœur  ,  il  n'y  en  a  pas 
un  qui  tende  vers  le  Salut?  Nous  aimons , 
mais  quoi  ?  eft-ce  ce  qui  nous  conduit 
au  Salut  ?  Nous  haïrions,  mais  quoi  ?  eft- 
ce  ce  qui  nous  détourne  du  Salut  ?  Nous 
nous  réjouirions ,  mais  de  quoi?  eft-ce 
des  mérites  que  nous  acquérons  pour 
le  Salut  ?  Nous  nous  affligeons  ,  mais 
pourquoi  ?  eft-ce  parce  que  nous  avons 
îbuffert  quelque  dommage  &  fait  quel- 
que perte  qui  intéreiTe  le  Salut  ?  Par- 
courons ainfi  de  l'un  à  l'autre  toutes  nos 
parlions  &  toutes  nos  affections  ;  laquelle 
pourrons-nous  marquer ,  quelle  qu'elle 
îbit ,  qui  ait  pour  terme  le  Salut ,  &  où 
il  ait  aucune  part  ?  Je  ne  veux  pas  faire 
entendre  par-là ,  que  nous  vivions  dans 
une  indolence  qui  ne  s'affe&ionne  à  rien 
&  que  rien  n'émeut  :  au  contraire  ,  toute 
notre  vie  fe  paiTe  en  defirs  ,  &  en  deiîrs 
qui  nous  agitent  ,  qui  nous  troublent', 
qui  nous  dévorent ,  qui  nous  confirment. 
Car  telle  eft  la  vie  de  l'homme  dans  le 
monde,  telle  eft  fouvent  même  la  vie 
de  bien  des  hommes  jufques  dans  la  re- 


D    U       S    A    L    U    T.'  43 

traite.  Vie  de  deiirs  ,  mais  de  quels 
deiirs  ?  de  deiirs  hïvoles  ,  de  deiirs  teK- 
reitres ,  de  deiirs  infenfés ,  de  deiirs  per- 
nicieux ,  de  ces  deiirs.  que  formoient 
ies  Juifs  ?  &  que  Dieu  fembloit  écouter , 
quand  il  vouloit  punir  cette  Nation  in- 
docile ,  en  les  abandonnant  à  eux-mêmes 
Se  à  la  perveriité  de  leur  coeur. 

Puiiîions-nou*  amortir  tous  ces  defirs 
qui  nous  entraînent  dans  la  voie  de  per- 
dition !  Car  voilà ,  dit  l'Apôtre  ,  où  ils 
nous  conduifent ,  &  à  quoi  ils  fe  termi- 
nent. Il  nous  amufent  pendant  la  vie,  ils 
nous  tourmentent ,  ils  nous  trompent , 
Se  par  une  fuite  immanquable  ,  ils  nous 
damnent.  Effets  trop  ordinaires  ,  &  que 
mille  gens  éprouvent  ,  fans  apprendre 
de-là  à  fe  détromper.  Deiirs  qui  nous  ï.  Timt 
amufent  par  les  vains  objets  auxquels  *'  9a 
nous  nous  attac lions ,  Se  les  vaines  efpé- 
tances  dont  nous  nous  flattons.  Ou  ce 
font  des  biens  qui  nous  font  refufés ,  6c 
que  nous  n'obtenons  jamais ,  malgré  tous 
les  foins  que  nous  y  apportons  }  ou 
fi  nous  fommes  plus  favorifés  de  la  for- 
tune ,  ce  font  des  biens  dont  nous  dé- 
couvrons bientôt ,  comme  Salcœon  5  la 
fauiîeté  &  la  vanité.  Deiirs  qui  nous  tour* 
mentent  par  les  inquiétudes ,  les  crain- 
tes ,  les  foupeons  3  les  impatiences ,  les 


44  D   E    S   ï   R 

dépits  ,  les  mélancolies  &  les  chagrains 
où  ils  nous  expofent.  Interrogeons  ià-def- 
fus  une  multitude  innombrable  de  mon- 
dains ambitieux  ,  de  mondains  intéref- 
réiîes ,  de  mondains  voluptueux  ;  s'ils 
font  de  bonne  foi ,  ils  conviendront  que 
ce  qui  leur  ronge  plus  cruellement  i'ame 
8c  ce  qui  fait  leur  plus  grand  fupplice 
dans  la  vie,  ce  font  l^s  violens  defirs 
que  leur  infpirent  l'ambition  ,  la  cupi- 
dité ,  l'amour  du  plaifir  qui  les  dominent. 
Delirs  qui  nous  corrompent  par  les  cri- 
mes où  ils  nous  précipitent  &  qu'ils  nous 
font  commettre.  Car  on  veut  les  con- 
tenter, ces  defirs  déréglés,  &  Il  l'on  ne  îe 
peut  par  les  voies  droites ,  on  prend  les 
voies  détournées  qui  font  les  voies  de 
l'iniquité  &  de  l'injuflice.  De-là  même 
enfin ,  delirs  qui  nous  damnent  :  au  lieu 
que  par  des  avantages  tout  oppofés ,  un 
vrai  defir  du  Salut ,  fert  à  nous  occuper 
folidement,  à  nous  tranquillifer  dans  les 
événemens  les  plus  fâcheux  &  dans  tou- 
tes les  adversités  humaines ,  à  nous  fanc- 
tifier  &  à  nous  fauver. 

Ce  defir  du  Salut  eft  pour  une  ame  ri- 
delle l'occupation  la  plus  folide.  Elle 
s'entretient  de  fa  fin  dernière  ;  elle  y  fixe 
toutes  fes  penfées  comme  à  fon  unique 
bien  3  elle  en  goûte  par  avance  les  dou- 


d  u     a  a  l  u  t.  45 

ceurs  toutes  pures  :  &  c'eft  comme  un 
pain  de  chaque  jour  qui  la  nourrit.  Ce 
même  delir  dufalut,  en  dégageant  l'ame 
de   tous  les  defirs  du  fiécle  ,   l'établit 
dans  un  repos  prefqu'inaltérable.  A  peine 
s'appercoit-elle  de  tout  ce  qui  fe  paiTe 
dans  le  monde  ,  tant  elle  y  prend  peu 
d'intérêt ,  ■&  tant  elle  eft  au-deffus  de 
tous  les  accidens  &  de  toutes  les  révo- 
lutions. Elle  n'a  qu'un  point  de  vue  qui 
eft  le  Ciel ,  hors  de-là  rien  ne  l'inquiète  , 
parce  que  hors  de-là  elle  ne  tieiit  à  rien , 
ni  ne  veut  rien.  Par  une  conféquence 
très-naturelle  ,   autant  que  ce  defir  du 
Salut  contribue  au  repos  de  l'ame  chré- 
tienne ,  autant  contribue-t-il  à  fa  fan&i- 
iication  :  car  fi  c'eft  un  defir  véritable  , 
de  tel  qu'il  doit  être,  c'eft  un  defir  effi- 
cace ,  qui  dans  la  pratique  nous  fait  évi- 
ter avec  un  foin  extrême  tout  ce  qui 
peut  nuire  en  quelque  forte  que  ce  foit 
à  notre  Salut ,  &  nous  applique  fans  re- 
lâche à  toutes  les  œuvres  capables  de 
l'aflurer  Se  de  le  confommer.  Or  ces 
œuvres  ce  font  des  œuvres  faintes   & 
fandirlantes ,  &  voilà  comment  le  defir 
du  Salut  nous  fauve. 

Renouvellons-le  dans  nous,  ce.  defir  fi 
falutaire  ;  ne  cefTons  point  de  le  réveil- 
ler 3    de  le  ranimer  par  la  fréquente 


4  6  Desïr 

méditation  de  l'impôt  tance  infinie  du 
falut.  Que  defirons-nous  autre  chofe  ,  6c 
où  devons-nous  afpirer  avec  plus  d'em- 
prefement  &  plus  de  zélé  ,  qua  un  bien 
qui  feul  nous  fuffit  ,  ôc  fans  quoi  nul 
autre  bien  ne  nous  peut  fufrlre  ? 

©®®®®®®$#®®®®®$®®© 

Incertitude  du  Salut,  &  desfentimens 

quelle  doit  nous  infpirer  _,  oppofés 

à  une  faujje  fécurité. 

AFfreufe  incertitude  ,  Seigneur ,  où 
vous  me  laiffez  fur  mon  affaire  ca- 
pitale ,  fur  la  plus  effentielle  ôc  même  la 
feule  affaire  qui  doive  ,  m'intéreffer  fur 
l'affaire  de  mon  Salut  î  Je  fuis  certain  que 
vous  voulez  me  fauver  \  je  fuis  certain 
que  je  puis  me  fauver  :  mais  me  fauve- 
rai-je  en  effet,  mais  ferai-je  un  jour  dans 
votre  Royaume  au  nombre  de  vos  Pré- 
définies ,  mais  parviendrai-] e  à  cette  éter- 
nité bienheureufe  ,  pour  laquelle  vous 
m'avez  créé ,  &  qui  eft  mon  unique  fin  ? 
Voilà,  mon  Dieu,  ce  qui  paffe  mon 
intelligence  ;  voilà  ce  que  toute  la  fub- 
tilité  de  l'efprit  humain  ,  ce  que  tous 
•mes  raifonnemens  ne  peuvent  décou- 
vrir, Car  de  tous  les  hommes  vivans  fur 


du     Salut.  47 

la  terre  5  en  eft  -  il  un  qui  fçache  s'il  eft 
digne  de  haine  ou  d'amour  }  de  par  con- 
féquent  en  eft-il  un  qui  fçache  s'il  eft 
dans  une  voie  de  falut  ou  dans  une 
voie  de  damnation  ? 

Je  ne  puis  douter ,  Seigneur  ,  que  je 
n'aie  péché  contre  vous ,  ôc  péché  bien 
des  fois ,  &  péché  en  bien  des  manières  , 
de  péché  jufqu'à  perdre  votre  grâce:  mais 
puis-je  me  répondre  qui  j'y  fuis  rentré., 
dans  cette  grâce  ,  que  j'ai  fait  une  vraie 
pénitence  &  que  vous  m'avez  pardonné? 
En  fuis  -  je  allure  ?  Quand  même  il  en 
feroit  ainfi  que  je  le  délire  ,  &:  quand  je 
pourrois  me  flatter  de  l'avantage  d'être 
-actuellement  Se  parfaitement  réconcilié 
avec  vous  ,  fais-je  aiïiiré  de  perfévérer 
dans  cet  état  :  Et  ii  je  m'y  foutiens  quel- 
que tems ,  fuis-je  afTuré  d'y  perfévérer 
jufquau  dernier  moment  de  ma  vie  ? 
Suis- je  affiiré  d'y  mourir  ? 

Tout  cela  ,  mon  Dieu ,  ce  font  pour 
moi  d'épaiiTes  ténèbres  ,  ce  font  des 
abîmes  impénétrables.  Dès  que  je  veux 
entreprendre  de  les  fonder  ,  l'horreur 
me  faifit  &  je  demeure  fans  parole.  Et 
crui  n'en  feroit  pas  effrayé  comme  moi  y 
pour  peu  qu'on  vienne  à  confidérer  l'im- 
portance de  cette  affaire  dont  le  fuccès 
eft  fi  incertain  ?  Car  de  quoi  s'agit-il  ?  de 


4§  Incertitude 
tout  Phomme ,  c'eft-à-dire  y  du  fouveraïit 
bonheur  de  l'homme  ou  de  fou  fouve- 
rain  malheur.  Il  s'agit  par  rapport  à  moi 
d'être  mis  un  jour  en  pofîeiîion  d'une  fé- 
licité éternelle  ,  ou  d'être  condamné  à 
un  tourment  éternel.  Quelle  fera  la  dé- 
cifion  de  ce  jugement  formidable?  Quel 
fera  le  terme  de  ma  courfe  ?  Sera-ce  une 
gloire  fans  mefure ,  ou  une  réprobation 
fans  relTource  ?  Sera-ce  le  Ciel  ou  l'En- 
fer ?  Encore  une  fois ,  dans  ces  penfées 
mon  efprit  fe  trouble  ,  mon  cœur  fe 
refferre  ,  toute  ma  force  m'abandonne  > 
ôc  je  refte  interdit  &  confterné. 

Ce  n'eft  point  là ,  Seigneur  ,  de  ces 
craintes  fcrupuleufes ,  dont  les  âmes  ti- 
morées fe  tourmentent  fans  raifon  ;  ce 
ne  font  point  de  vaines  terreurs  :  com- 
bien y  a-t-il  de  réprouvés  ,  qui  pendant 
un  long  efpace  de  tems  avoient  mieux 
vécu  que  moi  de  paroiffoient  être  plus  en 
fureté  que  moi?  Qui  l'eût  cru  >  qu'éloi- 
gnés du  monde ,  &  retirés  dans  les  cloî- 
tres &  dans  les  deferts ,  ils  y  dulTent  ja- 
mais faire  ces  chûtes  déplorables  qui  les 
ont  damnés  ?  Suis-je  moins  en  danger 
qu'ils  n'y  étoient ,  &  ne  feroit-ce  pas  la 
plus  aveugle  préfomption  ,  fi  j'ofois  me 
promettre  que  ce  qui  leur  eft  arrivé  ,  ne 

m'arnver-a 


D    U       S    A    L    U    T.  49 

m'arrivera  pas  à  moi-même  ?  Une  telle 
témérité  furïiroit  pour  arrêter  le  cours 
de  vos  grâces  ,  &  mon  falut  alors  fe 
trouve roit  d'autant  plus  expofé  ,  que 
j'en  ferois  moins  en  peine  &  que  je  le 
croirois  plus  à  couvert. 

Je  ne  vous  demande  point ,  ô  mon 
Dieu ,  qu'il  vous  plaife  de  me  révéler 
l'avenir  -y  je  ne  vous  prie  point  de  me 
faire  voir  quel  doit  être  mon  fort,  &  de 
tirer  le  voile  qui  me  cache  cet  adora- 
ble ,  mais  redoutable  myftere  de  votre 
Providence.  C'en:  un  fecret  où  il  ne 
m'appartient  pas  de  m'ingérer,  de  qui 
n'eft  réfervé  qu'à  votre  Sageife.  En  le 
dérobant  à  ma  connoiifance ,  &  le  te- 
nant enfeveli  dans  une  fi  profonde  ob- 
feurité ,  vous  avez  vos  vues  toujours 
faintes  8c  toujours  falutaires  ,  il  j'ap- 
prends à  en  profiter.  Vous  voulez  me 
préferver  de  la  négligence  où  je  tom- 
berais 3  fi  j'avois  une  certitude  abfoluc 
de  ma  prédeftination  ou  de  ma  répro- 
bation. Car  l'un  &  l'autre  ,  ou  plutôt 
l'afTurance  de  l'un  Se  de  l'autre  me  por- 
terait à  un  relâchement  entier.  Que  dis- 
je  :  l'afTurance  même  de  ma  réprobation 
nie  précipiterait  dans  le  défefpoir  & 
dans  les  plus  grands  défordres.  Vous  i.  Pet. 
voulez  que  par  de  bonnes  œuvres  j  fuivant  Ul°' 

Tome  I.  E 


^o  Incertitude 

l'avis  dû  Prince  des  Apôtres,  j em'étudh 
de -plus  en  plus  à  rendre  sûre  ma  vocation  & 
mon  élection  ;  de  forte  que  je  fois  pourvu 
abondamment  de  ce  qui  peut  me  donnèrent 
trie  auRoyaume  de  Jefus-Ckrijl. Vous  vou- 
lez que  je  m3 humilie  fans  cejje  fous  votre 
main  toutepiïijfante  >  comme  un  criminel 
qui  attend  une  Sentence  d'abfolution  ou 
de  mort  j  8c  qui  ,  profterné  aux  pieds  de 
fon  Juge  ,  n'omet  rien  pour  le  toucher 
en  la  faveur  Ôc  pour  obtenir  grâce.  Vous 
voulez  que  je  vive  dans  un  tremblement 
continuel ,  8c  dans  une  défiance  de  moi- 
même  ,  qui  m'accompagne  par-tout,  8c 
qui  me  falTe  prendre  garde  à  tout.  Vous 
le  voulez ,  Seigneur  ,  8c  c'eft  cela  même 
auili  que  je  vous  demande.  Par-la  l'incer- 
titude où  je  fuis ,  toute  effrayante  qu'elle 
eft ,  bien  loin  de  m'être  nuifibie  ôc  dom- 
mageable ,  me  deviendra  utile  &  pro- 
fitable. 
Pf>  17''  Cependant ,  mon  Dieu  ,  je  ne  per- 
drai rien  de  ma  confiance  ,  8c  je  n'ou- 
blierai jamais  que  vous  êtes  le  Dieu  démon 
falut:  Dieu  de  monfalut,  parce  que  je 
ne  puis  me  fauver  fans  vous  8c  que  par 
vous  :  Dieu  de  mon  falut  ,  parce  que 
vous  voulez  que  je  me  fauve  ,  8c  que 
vous-même  vous  voulez  me  fauver  :  Dieu 
de  mon  falut ,  parce  que  pour  me  fauver 
yous  ne  me  refufez  aucun  des  fecours 


16. 


D     U        S    A    L    U    T.  ^t 

nécefïaires  ôc  que  vous  me  mettez  dans 
un  plein  pouvoir  d'en  ufer.  Voilà  ,  Sei- 
gneur ,  ce  qui  me  rafture ,  6c  ce  qui 
calme  mes  inquiétudes.  Vous  m'ordon- 
nez de  les  jetter  toutes  dans  votre  fein  s 
ôc  de  m'y  retirer  moi-même  comme 
dans  un  alyle  toujours  ouvert  pour  me 
recevoir.  De-là ,  fans,  préfumer  de  vos 
miféricordes ,  je  défierai  tous  les  enne- 
mis de  mon  ame  ,  &  je  ne  ceffe  rai  point  Pfii. 
de  dire ,  avec  votre  Prophète  :  Le  Sei- 
gneur eji  ma  lumière  ^  il  efi  ma  défenfe  , 
de  quoi  dois-je  m'ailarmer  ?  Quand  je 
marcherois  au  milieu  des  ombres  de  la 
mort  ,  mon  cœur  riQïi  feroit  point 
ébranlé ,  parce  que  mon  efpérance  étant 
dans  le  Seigneur  5  il  eft  auprès  de  moi. 
Je  ne  veux  de  lui  qu'une  feule  chofe ,  ôc 
je  la  chercherai ,  je  tâcherai  de  la  méri- 
ter :  c'eft  d'être  avec  lui  pendant  tous 
les  fiécles  â.QS  liécles  dans  la  fainte  mai- 
fon  Se  dans  le  féjour  de  fa  gloire.  C'eft- 
là  que  fe  portent  tous  mes  defirs  :  tout 
le  refte  ne  m'eft  rien. 

Confiance  chrétienne  :  mais  qui ,  pour 
être  chrétienne ,  doit  avok  fes  régies , 
Se  n'aller  point  au-delà  des  bornes.  Car 
il  eft  certain  d'ailleurs  qu'il  y  a  des  gens 
d  une  fécurité  merveilleufe ,  ou  plutôt 
d'une  préfomption  énorme  touchant  le 

Eij 


5'x  Incertitude 

Salut.  Ce  ne  font  point  5  il  eft  vrai ,  des 
libertins  &  des  impies  ;  ce  ne  font  point 
d.es  pécheurs  fcandaleux  8c  plongés  dans 
ia  débauche  j  ils  n'enlèvent  point   le 
bien  d'autrui  5  8c  ne  font  tort  à  perfon- 
ne  j  enfin,  je  le  veux ,  ce  font  de  fort  • 
honnêtes  gens  félon   le    monde.  Mais 
font-ce  des  Apôtres  ?  bien  loin  de  s'em- 
ployer au  falut  &  à  la  fanclification  du 
prochain  en  qualité  d'Apôtres  ,  à  peine 
penfent-iis  à  leur  propre  fandification  5 
Se  à  leur  propre  falut  en  qualité  de  chré- 
tiens. Sont-ce  des  hommes  d'oraifon  , 
accoutumés  aux  raviflemens  6c  aux  ex- 
tâfes  ?  jamais  ils  n'eurent  nulle    con- 
noiflance    ni  le  moindre  ufage  de  ces 
exercices  intérieurs ,  où  l'ame  s'élève  à 
Dieu  ,  8c   s'entretient  affedueufement 
avec  Dieu.   Quelques    pratiques  com- 
munes dont  ils  s'acquittent  avec  beau- 
coup de  négligence  8c  de  tiédeur  ;  voi- 
là où  fe  réduit  tout  leur  chriftianifme. 
Sont-ce  des  pénitens  ennemis  de  leur 
chair  8c  exténués  d'auftérités  8c  de  jeû- 
nes ?  ils  ont  toutes  leurs  commodités  ou 
du  moins  ils  les  cherchent  ;  ils  mènent 
une  vie  douce  ,  tranquille  8c  agréable  j 
ils  écartent   tout  ce  qui  pourroit  leur 
être  pénible  8c  onéreux  ,  8c  ils  ne  fe  re- 
fufent  aucun  des  divertiffemens  qui  fe 


bu     Saluî.  ^3 

préfentent  ôc  qui  leur  femblent  propres 
de  leur  état.  Avec  cela  ils  vivent  en  paix ,■ 
fans  crainte ,  fans  inquiétude  fur  l'affaire 
du  Salut  }  ôc  parce  qu'ils  ne  s'abandon- 
nent pas  à  certains  défordres ,  ils  ne  dou- 
tent point  que  Dieu ,  félon  leur  expref- 
fion ,  ne  leur  faife  miféricorde.  Or  qu'ils- 
écoutent  un  Apôtre  ,  ôc    un  des    plus 
grands  Apôtres  ,  un  Prédicateur  de  l'E- 
vangile ,  ôc  le  Docteur  des  Nations. 
Qu'ils  écoutent  un  Saint  ravi  jufqu'au 
troifiéme  Ciel ,  ôc  qui  dans  la  plus  fu- 
biime  contemplation  avoit    appris  des 
fecrets  dont  il  neft  permis  à  nul  hom- 
me déparier.  Qu'ils  écoutent  un  pénitent 
confumé  de  travaux  ,  crucifié  au  monde 
ôc  à    qui  le  monde  étoit  crucifié  :  c'eft  ç**   ^S 
Saint  Paul.  Que  dit-il  de  lui-même  ?  Je 
châtie  mon  corps  j  je  le  réduis  en  fervitu- 
de  :  Pourquoi  de  peur  qu'après  avoir  prêché 
aux  autres  ^je  ne  fois  réprouvé  moi-même. 
J'avoue  que  je  ne  lis  point.,  ou  n'en- 
tends point    ces    paroles  fans   frayeur. 
Quel  langage  \   quel  fentiment  !   Cet 
Apôtre ,  ce  maître  des  Gentils ,  ce  vaif- 
feau  d'élection  >  ce  pénitent ,  Paul  trem- 
ble ;  ôc  mille  gens  dans  le  monde ,  tout 
au  plus  chrétiens ,  ôc  chrétiens  encore 
très-imparfaits ,  fe  tiennent  en  aifuran- 
ce  1  II  tremble ,  ôc  que  craint-il  ?  Eft- 

E  iij 


54  Incerti  t  uî>  e 

ce  feulement  de  décheoir  en  quelque' 
chofe  de  la  perfection  apofëolique ,  Ôc 
de  ne  parvenir  pas  dans  le  Ciel  à  toute 
la  gloire  où  il  afpire  ?  Ce  n'eft  point  là 
de  quoi  il  eft  queftion  :  mais  il  craint 
pour  fon  falut ,  il  craint  pour  fon  ame  , 
il  craint  d'être  condamné  &  rejette  par- 
mi les  réprouvés  j  ôc  tant  de  gens  dans 
le  monde  îfobfervant  qu'à  demi  les 
commandemens  de  la  Loi ,  bien  loin  de 
tendre  à  fa  perfection  ,  n'ont  pas  le 
moindre  trouble  fur  leur  difpoiition 
devant  Dieu,  ôc  fe  mettent  comme  de 
plein  droit  au  rang  des  prédeftinés.  Il 
tremble ,  Ôc  où  ?  ôc  en  quelles  conjonctu- 
res y  en  quel  miniftere  ?  Oeil  en  prê- 
chant la  parole  de  Dieu  j  c'en:  en  ré- 
pandant la  foi  dans  les  Provinces  Ôc 
dans  les  Empires  ;  c'eft  en  s'expofant  a 
toutes  fortes  de  périls  ôc  de  fouffrances 
pour  le  nom  de  Jefus-Chrift.  Au  mi- 
lieu de  tout  cela,  ôc  malgré  tout  cela 
il  eft  en  peine  de  fon  fort  éternel  :  Ôc 
une  infinité  de  gens  dans  le  monde  y 
tout  occupés  des  affaires  du  monde  , 
engagés  dans  toutes  les  occasions  du 
monde  ,  jouiffant  de  toutes  les  dou- 
ceurs du  monde  ,  font  au  regard  de  leur 
éternité  dans  un  repos  que  rien  n'altère  ! 
Il  faut  ou  que  Saint  Paul  ait  été  dans 


du     Salut.  55 

Terreur ,  ou  que  nous  y  foyons  :  c'eft-à- 
dire  ,  il  faut  que  Saint  Paul  par  une  ti- 
midité fcrupuleufe ,  par  l'effet  d'une 
imagination  trop  vive ,  portât  la  crainte 
à  un  excès  hors  de  mefure ,  ou  que  par 
une  aveugle  témérité  nous  nous  laiflions 
flatter  d'une  efpérance  ruineufe  Se  mal 
fondée.  Or  de  foupçonner  le  grand 
Apôtre  ,  infpiré  de  i'efprit  de  Dieu , 
d'avoir  donné  dans  une  pareille  illu- 
fion ,  ce  feroit  un  crime.  C'eft  donc 
nous-mêmes  qui  nous  abufons  ;  Se 
qu'eft-ce  de  fe  tromper  dans  une  affaire 
d'une  telle  conféquence. 

A  Dieu  ne  plaife  que  je  tombe  dans 
un  fi  terrible  égarement  !  Pour  m'en  ga- 
rantir ,  il  n'y  a  point  de  vigilance  que  je 
ne  doive  apporter ,  ni  de  précaution  que 
je  ne  doive  prendre.  Car  ce  n'eft  point 
là  de  ces  erreurs  qu'on  peut  aifément 
réparer,  ou  dont  les  fuites  ne  peuvent 
caufer  qu'un  léger  dommage.  La  perte 
pour  moi  feroit  fans  reffource  ;  Se  pen- 
dant l'éternité  toute  entière ,  il  ne  me 
refleroit  nul  moyen  de  m'en  relever. 
C'eft  donc  à  moi  d'être  incefTamment 
fur  mes  gardes ,  Se  d'obferver  tous  mes 
pas  ,  comme  un  homme  qui  dans  une 
nuit  obfcure  marcheroit  à  travers  les 
ccueils  Se  les  précipices  5  Se  fe  trouve- 

Eiv 


5  6         Incertitude  du  Salut. 
roit  à  chaque  moment  en  danger  de 
faire  une  chute  mortelle  &  fans  retour. 
Toute    mon    attention   ne   fiiffira   pas 
pour  me  mettre  dans  une  pleine  affû- 
rance^  Se  quoique  je  faffe,  j'aurai  tou- 
jours fujet  de  craindre  :  car  il  fera  tou- 
jours vrai ,  mon  Dieu ,  que  vos  voies 
font   incompréhensibles ,  &   vos  juge- 
mens  impénétrables.   Mais  après    tout 
vous  aurez  égard  aux  mefures  que  je 
prendrai ,  aux  vœux  que  je  vous  pré- 
senterai ,  aux  œuvres  que  je  pratique- 
rai ,  à  tout  ce  que  pourra  me  fuggérer 
ie  zèle  de  mon  Salut,  que  vous  avez 
confié  à  mes  foins  Se  que  vous  avez  fait 
dépendre ,  après  votre  grâce ,  de  ma  fidé- 
lité.  Si  ce  n'eft  pas  affez  pour  m'ôter 
toute  défiance  de  moi-même  ,  c'eft  afTez 
pour  affermir  mon  efpérance  en  votre 
miféricorde  5  Se    pour  "la  foutenir.  Ce 
fage  tempérament  de  défiance  &  d' ef- 
pérance me  fervira  de  fauve-garde ,  de 
me  préfervera  de  deux  extrémités  que  je 
dois  également  éviter  j  l'une  eft  une  dé- 
fiance pufillanime ,  Se  l'autre  une  efpé- 
rance préfomprueufe.  Par-là  j'attirerai 
fur  moi  la  double  bénédiction  que  le 
Prophète  a  promis  au  Jufte ,  qui  tout 
enfemble  craint  le  Seigneur  5  &  fe  con- 
fie dans  le  Seigneur, 


Possibité  du  Salut.      57 

Poffibilité  du  falut  dans  toutes  les 
conditions  du  monde. 

OU  and  un  homme  du  mondé  dit 
qu'il  ne  peut  fe  fauver  dans  fon 
état ,  c'eft  une  mauvaife  marque  :  car  un 
des  premiers  principes  pour  s'y  fauver , 
eft  de  croire  qu'on  le  peut.  Mais  c'eft 
encore  pis,  quand  perfuadé  ,  quoique 
fauifement ,  que  dans  fa  condition  il  ne 
peut  faire  fon  falut ,  il  y  demeure  néan- 
moins :  car  un  autre  principe  non  moins 
inconteftable  3  c'eft  que  dès  qu'on  ne 
croit  pas  pouvoir  fe  fauver  dans  un  état , 
il  le  faut  quitter.  J'ai ,  dites-vous  ,  des 
engagemens  indifpenfables  qui  m'y  re- 
tiennent. Et  moi  je  réponds  que  fi  ce 
font  des  engagemens  indifpenfables , 
ils  peuvent  dès-lors  s'accorder  avec  le 
falut  y  puifqu'étant  indifpenfables  pour 
vous  ,  ils  font  pour  vous  de  la  volonté 
de  Dieu;  &  que  Dieu  qui  vous  veut 
fauver  ,  n'a  point  prétendu  vous  en- 
gager dans  une  condition  où  votre 
falut  vous  devînt  impoilible.  Dévelop- 
pons cette  penfée  :  elle  eftfolide. 

C'eft  un  langage  mille  fois  rebattu 


58  Possibilité 

dans  le  monde ,  de  dire  qu'on  ne  s'y 
peut  fauver  :  &  pourquoi  ?  parce  qu'on 
eft  ,  dit-on  ,  dans  un  état  qui  détourne 
abfolument  du  falut.  Mais  comment 
en  détourne-t-il  ?  Eft-ce  par  lui-même  ? 
Cela  ne  peut  être  ;  puifque  c'eft  un  état 
établi  de  Dieu  ;  puifque  c'eft  un  état  de  la 
vocation  de  Dieu  -y  puifque  c'eft  un  état 
où  Dieu  veut  qu'on  fe  fanctifie  •  puif- 
que c'eft  un  état  où  Dieu  par  une  fuite 
immanquable  donne  à  chacun  des  grâ- 
ces de  falut  Se  de  fan&ification  •  &  non- 
feulement  des  grâces  communes ,  mais 
des  grâces  propres  &  particulières ,  que 
nous  appelions  pour  cela  grâces  de  l'é- 
tat j  enfin  ,  puifque  c'eft  un  état ,  où  un 
nombre  infini  d'autres  avant  nous  ont 
vécu  très-réguliérement ,  très-chrétien- 
nement ,  très-faintement ,  &  où  ils  ont 
confommé  par  une  heureufe  fin  leur 
prédeftination  éternelle.  Reprenons,  8c 
de  tous  ces  points  ,  comme  d'autant  de 
vérités  connues  3  tirons  pour  notre  con- 
viction les  preuves  les  plus  certaines ,  de 
les  plus  fenfibles. 

Un  état  que  Dieu  a  établi  :  car  le 
premier  Inftituteur  de  tous  les  états  qui 
partagent  le  monde  &  qui  compofent 
la  fociété  humaine  ,  c'eft  Dieu  même  «, 
c'eft  fa  Providence,  Il  a  été  de  la  divi- 


du     Salut.  59 

ne  Sageife  ,  en  les  inftituant ,  d'y  atta- 
cher des  fondions  toutes  différentes  j 
&c  de-là  vient  cette  diverfité  de  condi- 
tions ,  qui  fert  à  entretenir  parmi  les 
hommes  la  fubordination.  >  lamftance 
mutuelle ,  la  régie  &  le  bon  ordre.  Or 
Dieu  qui  dans  toutes  (es  œuvres  envi- 
fage  fa  gloire ,  n'a  point  apurement  été 
ni  voulu  être  Fauteur  d'une  condition  , 
où  l'on  ne  pût  garder  fa  Loi ,  où  l'on 
ne  pût  s'acquitter  envers  lui  des  de- 
voirs de  la  Religion  ,  où  l'on  ne  pût  lui 
rendre  3  par  une  pratique  fldelle  de  tou- 
tes (es  volontés ,  l'hommage  &  le  culte 
qu'il  mérite.  Et  comme  c'eft  par-là 
qu'on  opère  fon  faiut ,  il  faut  donc  con- 
clure ,  qu'il  n'y  a  point  d'état  qui  de  lui- 
même  y  foit  oppofé  ,  ni  qui  empêche 
d'y  travailler  efficacement. 

Un  état  qui  eft  établi  de  Dieu ,  eft  de  la 
vocation  de  Dieu.  C'eft-à-dire ,  qu'il  y 
en  a  plufieurs  que  Dieu  deftine  à  cet 
état  \  puifqu'il  veut  &  qu'il  eft  du  bien 
public  que  chaque  état  foit  rempli.  Que 
ferviroit-il  en  effet  d'avoir  mftitué  des 
profeilions  ,  des  miniflères  ,  des  em- 
plois ,  s'ils  dévoient  demeurer  vu'ides, 
&  qu'il  ne  fe  trouvât  perfonne  pour  y 
vaquer  ?  Mais ,  d'ailleurs  ,  comment 
pourrions-nous  accorder  avec  l'infinie 


6o  Possibilité 

bonté  de  Dieu  ,  notre  Créateur  &c  notre 
Père  ,  de  nous  avoir  appelle  à  un  état 
où  il  ne  nous  fût  pas  poiîible  d'obtenir 
la  fouveraine  béatitude  pour  laquelle  il 
nous  a  formés ,  ni  de  mettre  notre  ame 
à  couvert  d'une  éternelle  damnation  ? 

Un  état  où  Dieu  veut  qu'on  fe-fanc- 
tifie  Se  qu'on  fe  fauve.  C'eft  le  même 
commandement  pour  toutes  les  conditi- 
ons, Se  c'étoit  à  des  Chrétiens  de  toutes 
les  conditions  que  faint  Paul  difoit  fans 
i.Theff.  exception  :  La  volonté  dcDieueft  que  vous 
f*  4*  3'  deveniez  faims.  Voilà  pourquoi  il  leur 
recommandait  à  tous  d'acquérir  la  per- 
fection de  leur  état ,  &  leur  promettait 
au  nom  de  Dieu  le  falut  comme  la.  ré- 
compenfe  de  leur  fidélité.  D'où  il  eft 
évident  que  Dieu  nous  ordonnant  ainfi 
de  nous  fanctiiier  dans  notre  état ,  quel 
qu'il  foit  5  Se  voulant  que  par  la  fainteté 
de  nos  œuvres  nous  nous  y  fauvions  , 
la  chofe  eft  en  notre  pouvoir,  fuivant 
cette  grande  maxime  ,  que  Dieu  ne 
nous  ordonne  jamais  rien  qui  foit  au- 
delîlis  de  nos  forces. 

Un  Etat  aum*  où  Dieu  ne  manque 
point  de  nous  donner  des  grâces  de  fa- 
lut Se  de  fandification  :  Grâces  commu- 
nes ,  Se  grâces  particulières.  Grâces 
communes  à  tous  les  états  j  grâces  par- 


du     Salut.  61 

riculieres  Se  conformes-à  l'état  que  Dieu 
par  fa  vocation  nous  a  fpécialement 
deftiné  :  les  unes  3c  les  autres  capables 
de  nous  foutenir  dans  une  pratique 
confiante  des  obligations  de  notre  état  ; 
capables  de  nous  afïurer  contre  toutes 
les  occafions  ,  toutes  les  tentations  , 
tous  les  dangers  où  peut  nous  expofer 
notre  état  ;  capables  de  nous  avancer , 
de  nous  élever ,  de  nous  perfectionner 
félon  notre  état.  De  forte  que  par- 
tout ,  de  en  toutes  conjonctures ,  nous 
pouvons  dire  avec  l'humble  ôc  ferme 
confiance  de  l'Apôtre.  Je  puis  tout  par  Philip, 
le   f cœur  s    de     celui     qui    me   fortifie.  c'*'lï* 

Un  Etat  enfin  où  mille  autres  avant 
nous  fe  font  fanctifiés  &  fe  font  fauves. 
Les  Hiftoires  faintes  nous  l'apprennent  : 
nous  en  avons  encore  des  témoignages 
préfens  ;  ôc  quoique  dans  ces  derniers 
fiécles  le  dérèglement  des  mœurs  foit 
plus  général  que  jamais ,  ôc  qu'il  croiiïe 
tous  les  jours  ,  il  eft  certain  néanmoins 
que  fi  Dieu  nous  faifoit  connoître  tout 
ce  qu'il  y  a  de  perfonnes  qui  vivent 
actuellement  dans  la  même  condition 
que  nous  >  nous  y  trouverions  un  afTez 
grand  nombre  de  gens  de  bien ,  dont  la 
vie  nous  confondroit.  Il  eft  difficile 
que   nous  n'en  connoiflîons  pas  quel- 


6i  Possibilité 
ques-uns  ,  ou  que  nous  n'en  ayons  pas 
entendu  parler.  Que  ne  faifons  r  nous 
ce  qu'ils  font  ?  qîie  n'agilfons •-  nous 
comme  ils  agifTent  ?  que  ne  nous  fau- 
vons-nous  comme  ils  fe  fauvent  ?  Som- 
mes-nous d'autres  hommes  qu'eux  ,  ou 
font  -  ils  d'autres  hommes  que  nous  ? 
Avons-nous  plus  d'obftacles  à  vaincre , 
ou  les  moyens  de  falut  nous  manquent- 
ils  ?  Reconnoifïbns  -  le  de  bonne  foi  : 
l'efTentielle  <k  la  plus  grande  différence 
qu'il  y  a  entre  eux  Se  nous  ,  n'eu:  ni 
dans  l'état ,  ni  dans  les  obftacles  ,  ni 
dans  les  moyens  ,  mais  dans  la  volonté. 
Ils  veulent  fe  fauver ,  3c  nous  ne  le  vou- 
lons pas. 

De-là  qu'arrive-t-il  ?  parce  qu'ils  veu- 
lent fe  fauver  ,  &  qu'ils  le  veulent  bien , 
ils  fe  font ,  des  peines  ôc  des  engagemens 
de  leur  état ,  autant  de  fujets  de  mérite 
pour  le  falut  j  &  parce  que  nous  ne 
voulons  pas  nous  fauver  ,  ou  que  nous 
ne  le  voulons  qu'imparfaitement  3  nous 
nous  faifons ,  de  ces  mêmes  engagemens 
&c  de  ces  mêmes  peines  a  autant  de 
prétextes  pour  abandonner  le  foin  du 
falut.  Je  fçais  que  pour  fe  conduire  en 
chrétien  dans  fon  état  ,  que  pour  n'y 
pas  échouer  ,  &  pour  fe  préferver  de 
certains  écueils  qui  s'y  rencontrent  par 


D    U       S    A    L    U    T.  63 

rapport  au  falut ,  on  a  befoin  de  réfle- 
xion ,  d'attention  fur  foi  -  même  5  de 
fermeté  ôc  de  confiance  :  or  c'eft  ce  qui 
gêne  ,  &c  ce  qu'on  voudroit  s'épargner. 
Au  lieu  donc  de  tout  cela ,  on  penfe 
avoir  plutôt  fait  de  dire  qu'on  ne  peut 
fe  fauver  dans  fon  état  ;  on  tâche  de  fe 
le  perfuader ,  &  peut-être  en  vient-on 
à  bout.  Maii, trompe  -t -on  Dieu  ?  3c 
quand  un  jour  nous  paroîtrons  devant 
fon  Tribunal  ,  de  nous  lui  rendrons 
compte  de  notre  ame  ,  que  lui  répon- 
drons-nous ,  lorfqu'il  nous  fera  voir  que 
cette  prétendue  impollibilité  qui  nous 
arrêtoit  ,  n'étoit  qu'une  impoiîîbilité 
fuppofée  ,  qu'une  impoiîîbilité  volon- 
taire ,  qu'une  lâcheté  criminelle  de  notre 
part  ,  qu'une  foiblefîe  qui  dès  le  pre- 
mier choc  fe  laifloit  abattre ,  8c  qui  bien 
loin  de  nous  juftifier  en  ce  jugement 
redoutable  ,  ne  doit  fervir  qu'à  nous 
condamner  ? 

Mais  pour  mieux  pénétrer  le  fonds 
de  la  chofe,  je  demande  pourquoi]  nous 
ne  pourrions  pas  allier  enfemble  les  de- 
voirs de  notre  état  &  ceux  de  la  reli- 
gion ?  Notre  état  5  je  le  veux  ,  nous 
engage  au  fervice  du  monde  ;  mais  ce 
fervice  du  monde  ,  autant  qu'il  con- 
vient à  notre  condition  ,   n'eft  point 


'(5*4  Possibilité 
contraire  aufervice  de  Dieu.  Car,  quoi- 
que nous  puifiions  alléguer ,  trois  véri- 
tés font  indubitables,  i .  Que  les  devoirs 
du  monde  Ôc  ceux  de  la  religion  ne 
font  point  incompatibles.  2.  Qu'on  ne 
s'acquitte  jamais  mieux  des  devoirs  du 
monde  ,  qu'en  s'acquittant  bien  des 
devoirs  de  la  religion.  3 .  Qu'on  ne  peut 
même  fatisfaire  à  ceux  de  la  religion 
fans  s'acquitter  des  devoirs  du  monde  : 
ôc  voilà  de  quelle  manière  nous  pou- 
vons &  nous  devons  pratiquer  cette 
excellente  leçon  du  Sauveur  des  hom- 
Mdtf.  6.  mes.  Rende^  à  Céfar ,  c'eft-à-dire  5  au 
f.22,.21.  monde  :  ce  qUi  ejl  à  Céfar  j  &  rende%  à 
Dieu  ce  qui  appartient  àDieu:l\in  n'eft  pas 
ici  féparé  de  l'autre.  Par  où  nous  voyons , 
félon  la  penfée  ôc  l'oracle  de  notre  di- 
vin Maître ,  qu'il  n'eft  donc  point  im- 
poffible  de  fervir  tout  à  la  fois  ôc  con- 
formément à  notre  état  ,  Dieu  ôc  le 
monde  :  Dieu  pour  lui-même  ,  ôc  le 
monde  en  vue  de  Dieu. 

J'ai  ajouté  ,  de  c'eft  une  vérité  fon- 
dée fur  la  raifon  ôc  fur  l'expérience  , 
qu'on  ne  s'acquitte  jamais  mieux  de  ce 
qu'on  doit  à  fon  état  ÔC  au  monde  , 
qu'en  s'acquittant  bien  de  ce  qu'on  doit 
à  Dieu  ,  parce  qu'alors  tout  ce  qu'on 
fait  pour  ion  état  ôc  pour  le  monde , 

on 


D    U       S    A    L    U    T.  65 

on  le  fait  pour  Dieu  ,  Se  dans  l'efprit  de 
Dieu  :  or  le  faifant  dans  l'efprit  de  Dieu 
Se  pour  Dieu  ,  on  le  fait  avec  une  con- 
feience  beaucoup  plus  droite  ,  avec  un 
zèle  plus  pur  Se  plus  ardent  ,  avec  plus 
d'aiïïduité ,  de  régularité ,  de  probité.  Un 
troisième  Se  dernier  principe ,  non  moins 
vrai  que  les  deux  autres  ,  c'eft  qu'on 
ne  peut  même  s'acquitter  pleinement 
de  ce  qu'on  doit  à  Dieu  5  fi  l'on  ne 
s'acquitte  de  ce  qu'on  doit  à  fon  état 
Se  au  monde  ,  puifque,  dès  qu'on  le 
doit  au  monde  Se  à  fon  état  3  Dieu  veut 
qu'on  y  fatisfaffe  ,  Se  que  c'eft-là  une 
partie  de  la  religion.  * 

De  tout  ceci  concluons  ,  que  fi 
notre  état  nous  détourne  du  falut ,  ce 
n'eft  point  par  lui-même ,  mais  par  no- 
tre faute  :  car  bien  loin  que  de  lui- 
même  ce  foit  un  obftable  au  falur,  c'eft 
au  contraire  la  voie  du  falut  que  Diev* 
nous  a  marquée.  Nous  devons  tous  afpi- 
rer  au  même  terme  ,  mais  nous  n'y  de- 
vons pas  tous  arriver  par  la  même  voie. 
Chacun  a  la  fienne  :  or  la  nôtre  c'eft 
l'état  que  Dieu  nous  a  choifi  }  Se  en 
nous  y  appellant  ,  il  nous  dit  :  voilà 
votre  chemin  j  c'eft  par-là  que  vous  mar~ 
chere%  :  tout  autre  ne  feroit  point  fi  fur 
pour  nous  9  dès  qu'il  feroit  de  notre 

Tome  L  E 


&é         Possibilité. 
choix,  fans  être  du  choix  de  Dieu. 

Comment  donc  &  en  quel  fens  eft- 
ii  vrai  qu'on  ne  peut  fe  fauver  dans  fou 
état  ?  C'eft  par  la  vie  qu'on  y  mené  de 
qu'on  y  veut  mener ,  laquelle  ne  peut 
compatir  avec  le  falut  }  mais  on  y  peut 
vivre  autrement  ;  mais  on  y  doit  vivre 
autrement  :  mais  on  peut  &  on  doit 
autrement  s'y  comporter. 

Cet  état  expofe  à  une  grande  diffi- 
pation  par  la  multitude  d'affaires  qu'il 
attire  ,  8c  cette  diffipation  fait  aifément 
oublier  les  vérités  éternelles,  les  pratiques 
du  Chriftianifme  ,  le  foin  du  falut. 
Le  remède  ,  ce  feroit  de  ménager 
chaque  année  ,  chaque  mois  ,  chaque 
femaine  ,  &  même  chaque  jour ,  quel- 
que tems  pour  fe  recueillir  &  pour  ren- 
trer en  foi-même.  Ce  tems  ne  manque- 
rait pas ,  &  on  fçauroit  affez  le  trou- 
ver fi  l'on  y  étoit  bien  réfolu  ;  mais 
pour  cela  il  faudrait  prendre  un  peu 
fur  foi ,  Se  c'eft  à  quoi  on  ne  s'eft  ja- 
mais formé.  On  fe  livre  à  des  occupa- 
tions tout  humaines  j  on  s'en  laiffe 
obféder  &  poiTéder  j  on  en  a  fans  cefïe 
la  tête  remplie  :  le  fouvenir  de  Dieu 
s'efface ,  Ôc  on  penfe  à  tout ,  hors  à  fe 
fauver. 

Cet  état  donne  des  rapports  qui  obli- 


du     S  A  l   u  %  6y 

gent  de  voir  le  monde  ,  de  cônverfer 
avec  le  monde ,  d'entretenir  certaines 
habitudes  ,  certaines  liaifons  parmi  le 
monde  :  8c  perfonne  n'ignore  combien 
pour  le  falut  il  y  a  de  rifques  à  courir 
dans  le  commerce  du  monde.  Le  pré- 
fervatif  néceiTaire  ,  ce  feroit  d'abord  de 
retrancher  de  ces  liaifons  8c  du  com- 
merce du  monde  ce  qui  eft  de  trop  ; 
enfuite  >  de  fe  renouveller  fouvent  ,  8c 
de  fe  fortifier  par  l'ufage  de  la  prière  , 
de  la  confeiîîon  ,  de  la  communion  , 
de  la  le&ure  des  bons  livres  j  mais  on 
ne  veut  point  de  toutes  ces  précautions  , 
8c  on  ne  s'en  accommode  point.  On  fe 
porte  par-tout  indifféremment  8c  fans 
difeernement  j  tout  foible  3  8c  tout  àé£- 
armé  ,  pour  ainfi  dire  3  qu'on  eft ,  on 
va  affronter  l'ennemi  le  plus  puiffant  8c 
le  plus  artificieux.  On  fuit  le  train  du 
monde  ,  on  eft  de  toutes  fes  compa- 
gnies ,  on  en  prend  toutes  les  manières, 
Eft -il  furprenant  alors7  5  que  dans  un 
air  fi  corrompu  l'on  s'empoifonne  ,  8c 
qu'au  milieu  de  tant  de  fcandales ,  on 
faife  des  chûtes  griéves  8c  mortelles. 
Je  parle  bien  d'autres  exemples ,  8c  }a- 
voue  qu'en  fe  conduifant  de  la  forte 
dans  fon  état ,  il  eft  împomble  de  s'y 
fauver  :  mais  confultons-nous  nous  me- 

Fij 


ê%  P    0    S    S    I    B    ï    L    î    ï    E 

mes  3  Se  tendons-nous  juftice.  Qui  nôii$ 
empêche  d'ufer  des  moyens  que  nous 
avons  en  main ,  pour  mieux  régler  nos 
démarches  ôc  mieux  allure r  notre  falut  ? 
ne  le  pouvons-nous  pas  ?  Or  de  ne  l'avoir 

f>as  fait  lorfqu'on  le  pouvoit  5  lorfqu'on 
e  devoit,  lorfqu'  il  s'agifïbit  d'un  fi  grand 
intérêt  que  le  falut  3  quel  titre  de  répro- 
bation ! 

Il  n'eft  donc  point  queftion  pour 
nous  fauver  ,  de  changer  d'état  ;  &  fou- 
vent  même  >  comme  nous  l'avons  déjà 
obfervé  >  ce  changement  pourroit  pré- 
judicier  au  falut ,  parce  que  le  nouvel 
état  qu'on  embrafïeroit  ne  ferait  point 
proprement ,  ni  félon  JDieu ,  notre  état  s 
c'eft-à-dire ,  que  ce  ne  ferait  point  l'é- 
tat qu'il  auroit  plu  à  Dieu  de  nous  aiîi- 
gner  dans  le  confeil  de  fa  fagefle. 

Il  n'eft  point  queftion  de  renoncer 
abfolument  au  monde  ,  &  de  nous  enfe- 
veiir  tout  vivans  dans  des  folitudes  , 
pour  n'être  occupés  que  des  chofes  éter- 
nelles ,  &  pour  ne  vaquer  qu'aux  exer- 
cices intérieurs  de  l'âme.  Cela  eft  bon 
pour  un  petit  nombre  à  qui  Dieu  infpire 
cette  réfolution  ,  &  à  qui  il  donne  la 
force  de  l'exécuter  :  mais  après  tout ,  que 
feroit-ce  de  la  raciété  humaine  fi  cha- 
cun prenoit  ce  parti  ?  A  quoi  fe  rédui- 


D  tj     Salut.  '€$ 

foit  le  commerce  des  hommes  entre 
eux  ;  8c  fans  ce  commerce,  comment 
pourroit  fubfifter  l'ordre  8c  la  fubordina- 
tion  du  monde  ?Ainfi  rien  de  plus  fage, 
ni  de  plus  raifonnable  que  la  régie  de 
Saint  Paul ,  lorfqu'écrivant  aux  premiers 
fidèles  nouvellement  convertis ,  il  leur 
difoit  :  Mes  Frères  *  demeure^  dans  les  r.  Cor, 
mêmes  conditions  ou  vous  etie%  quand  il c%1%  zo* 
a  plu  à  Dieu  de  vous  appeller  ;  comme 
s'il  leur  eût  dit  :  dans  ces  conditions , 
vous  pouvez  être  chrétiens  ,  8c  vivre  en 
chrétiens  ;  car  ce  n  eft  point  précifément 
à  la  condition  que  la  qualité  de  chrétien 
éft  attachée.  Or  vivant  en  chrétiens  8c 
pratiquant  dans  vos  conditions  l'Evangile 
de  Jefus  -  Chrift  3  vous  vous  fauverez  ; 
puifque  c'eft  de  cette  vie  chrétienne  6c 
de  cette  fldelle  obfervation  de  la  loi  5 
que  le  falut  dépend» 

Voilà  ce  qu'une  infinité  de  mon- 
dains ne  veulent  point  entendre ,  parce 
qu'ils  veulent  avoir  toujours  de  quoi 
s'autorifer  dans  leur  vie  mondaine  9  8c 
que  pour  cela  ils  ne  veulent  jamais  fe 
perfuader  qu'ils  puifient  vivre  chrétien- 
nement dans  leurs  conditions.  Ils  font 
merveilleux  dans  les  idées  qu'ils  fe  for- 
menu  ,  8c  dans  les  dïfcours  qu'il  tien- 
nent en  certaines  rencontres.  Il  femble 


fQ  FOSSIBILïTË 

qu'ils  ayent  leur  falut  extrêmement;  à 
cœur ,  &c  qu'ils  foient  dans  la  meilleure 
volonté  de  s'y  employer  j  mais  bien 
entendu  que  ce  fera  toujours  dans  un 
autre  état  que  celui  où  ils  fe  trouvent. 
O  ii  je  vivois ,  difent-ils  ,  dans  la  retrai- 
te, 8c  que  je  n'euiTe  à  penfer  qu'à  moi- 
même  !  O  ii  je  ne  voyois  plus  tant  le 
monde  3  &  que  je  puiTe  ne  m'occuper 
que  de  Dieu  !  Mais  le  moyen  d'être  , 
au  milieu  même  du  monde ,  continuel- 
lement en  guerre  avec  le  monde ,  pour 
fe  défendre  de  fes  attraits  3  pour  agir 
contre  {qs  maximes  ,  pour  fe  foutenir 
contre  fes  exemples  3  pour  ne  fe  laifTer 
pas  furprendre  à  fes  illuiîons ,  ni  em- 
porter par  le  torrent  qui  en  entraîne 
tant  d'autres.  Quel  moyen  ?  ii  l'on  me 
le  demande,,  je  répondrai  que  la  chofe 
eft  difficile  ;  mais  j'ajouterai  qu'en  ma- 
tière de  falut  5  à  raifon  de  fon  impor- 
tance ,  il  n'y  a  point  de  difficulté  qui 
puiife  nous  fervir  de  légitime  excufe. 
Je  dirai  plus  :  car  ces  difficultés  à  vain- 
cre &  ces  efforts  à  faire  ,  ce  font  les 
moyens  de  falut  propres  de  notre  état. 
Chaque  condition  a  fes  peines  ,  8c  la 
Providence  l'a  ainfi  réglé  ,  afin  que  dans 
notre  condition  nous  euiîions  chacun 
dQs  fujets  de  mérite  ,  par  la  pratique 


du      Salut.  71 

de  cette  abnégation  évangélique  en 
quoi  confifte  le  vrai  Chriftianifme ,  de 
par  conféquent  le  falut. 

Voie  étroite  du  Salut  y  &  ce  qui  peut 

nous  engager  plus  fortement 

à  la  prendre, 

L'Evangile  de  Jefus  -  Chrift  eft  au- 
deiïus  de  la  raifon  •  mais  on  peut 
dire  en  même  tems  qu'il  n'eft  rien  de 
plus  raifonnable  :  c'eft  la  droiture  &  la 
vérité  même.  Il  ne  déguife  point ,  il  ne 
flatte  point.  Ce  qui  peut  fe  faire  fans 
peine  ,  il  le  repréfente  tout  auffi  aifé 
qu'il  l'eft  -y  Se  ce  qui  porte  avec  foi  quel- 
que difficulté ,  il  le  propofe  comme  dif- 
ficile ,  &  ne  cherche  point  à  l'adoucir 
par  de  faux  tempéramens. 

C'eft  ce  que  nous  voyons  au  re- 
gard du  falut.  Car  au  lieu  que  dans  îa 
conduite  ordinaire ,  on  ne  découvre  pas 
d'abord  à  un  homme  tous  les  obftacles 
qui  pourroient  le  détourner  d  une  entre- 
prife  ,  Se  qu'au  contraire  on  lui  en  ca- 
che une  partie ,  afin  de  ne  le  pas  éton- 
ner dès  l'entrée  de  la  carrière  ,  8c  de 
ne  lui  pas  abattre  le  cœur  y  l'Evangile 


yi  VûïË      ÉTROITE 

nïife  point  de  ces  réferves  touchant  le 
falut  j  il  s'explique  fans  ménagement ,  8c 
tout  d'un  coup  il  nous  déclare  que  c'eft 
une  affaire  qui  demande  les  plus  grands 
efforts. 

Le  Sauveur  des  nommes  n'a  rien 
omis  pour  nous  le  faire  entendre.  Il  a 
mille  fois  infifté  fur  ce  point  ;  8c  de 
toutes  les  vérités  évangéliques  ,  il  fem- 
ble  que  ce  foit  là  celle  dont  il  ait  eu 
plus  à  cœur  que  nous  fumons  inftruits  y 
tant  il  Ta  fouvent  répétée  ,  8c  tant  il  a 
employé  de  termes  ,  de  figures ,  de 
tours  différens  à  l'exprimer  dans  toute 
fa  force.  S'il  parle  de  la  voie  du  falut , 
il  ne  fe  contente  pas  de  dire  qu'elle  eft. 
étroite  ,  mais  par  une  exclamation  qui 
marque  jufques  dans  ce  Dieu-homme 
une  efpéce  d'étonnement  ,  il  s'écrie  : 
Que  cette  voie  eft  étroite  !  S'il  parle  du 
Royaume  que  £on  Père  nous  a  préparé , 
8c  dont  la  poifemon  n'eft  autre  chofe 
que  le  falut ,  il  nous  avertit  qu'on  ne  l'em- 
porte que  par  violence. 

Si  pour  nous  donner  de  ce  falut  des 
idées  fenfibles ,  il  ufe  de  comparaifons  , 
il  nous  le  fait  concevoir  comme  un 
fomptueux  édifice  5  mais  qui  coûte  dos 
frais  immenfes  à  bâtir  ;  comme  un  tré- 
for  caché  5  mais  qu'on  ne  trouve  qu'à 

force 


d  y     S  a  l  u  t.  75 

force  de  remuer  la  terre  ,  Se  de  creufer  ; 
comme    une    pierre    précieufe  ,    mais 
qu'on  n'acheté    qu'en  fe  défaifant    de 
tout  le  refte  8c  le  vendant  ;  comme  une 
moifïbn  abondante ,  mais  qu'on  ne  re- 
cueille que  dans  la  faifon  des  fruits  ,  8c 
lorfque  par  un  travail  alîîdu  on  a  cultivé 
le  champ  du  père  de  famille  j  comme 
un  riche  falaire  ,  mais  qu'on  ne  reçoit 
que  le  foir ,  8c  qu'après  avoir  porté  tout 
le  poids  de  la  chaleur  Se  du  jour  ;  comme 
une  ample  récompenfe  ,  mais  de  quoi  ? 
d'une  ferveur  dans  ■  la  pratique  de   la 
juftice  chrétienne  ,  8c  d'un  zèle  fem- 
blable  à  une  foif  8c  à  une  faim  dévo- 
rante y  d'un  détachement  au-defïus  de 
coût  intérêt  temporel  8c  humain  j  d'une 
pureté  d'ame    8c  d'une  innocence    do 
mœurs  ,  exemte  des  moindres  taches  j 
d'une  pénitence  auftère  ,  8c  d'une  mor- 
tification ennemie  de  toutes  les  corn-» 
modités  5    8c  de  tous   les  plaifîrs  des 
fens  ;  d'une  douceur  que  rien  n'émeut 
ni  n'aigrit ,  dont  rien  ne  trouble  la  paix  , 
&  qui  s'applique  par-tout  à  la  mainte- 
nir ;  d'une  charité  bienfaifante  8c  toute 
miféricordieufe ,  toujours  prête  à  pré- 
venir le  prochain  >  à  le  foulager  8c  a 
l'aider  j  d'une  patience  inaltérable  dans 
les  maux  de  la  vie ,  8c  même  au  milieu 
Tome  L  G 


*74  Voie     étroite 

des  perfécutions  .&  des  .malédictions  J 
car  voilà  le  précis  des  enfeignemens 
que'Jefas-Chrift  ,.  notre  guide  '&  notre 
maître ,  nous  a  tracés  ,  autant  par  fes. 
exemples  que  par  fes  paroles ,  fur  l'af-* 
faire  du  falut  :  voilà  le  chemin  qu'il  nous 
a  ouvert.  Il  n'y  en  a  point  d'autre  ,  ni 
jamais  il  n'y  en  aura 

Or  nous  ne  fentons  que  trop  de  com- 
bien d'épines  ce  chemin  eft.  femé  ,   ôc 
combien  il  eft  rude  à  tenir  ,  fur-tout 
dans  l'extrême  foiblefïe  où  nous  fom- 
mes.  C'eft  pourquoi  le  même  .Fils  de 
Dieu  ne  nous  a  pas  dit  iimplement ,  en- 
trez dans  ce  chemin  ,  mais   efforcez- 
vous  d'y  entrer ,  mais  excitez-vous ,  ani- 
mez-vous, &:  prenez  à  chaque  pas  un 
courage  tout  nouveau  pour  y  avancer 
de  y  perfévérer.  Les  Apôtres  r\Qn  ont 
point  autrement  parlé.  Dans  toutes  leurs 
Epîtres  ils  ne    nous    prêchent  que   la 
fuite  du  monde ,  que  la  retraite  ,  que 
le  recueillement  intérieur  ,  que  la  dé- 
fiance de  nous-mêmes ,  que  la  péniten- 
ce ,  que  l'abnégation  ,  qu'une  guerre 
continuelle  de  l'efprit  contre  la  chair , 
que   la  mort  de  tous  les  appétits  déré- 
glés 3  Se  de  tous  les  defirs  du  fiecle.  La 
nature  a  beau  fe  plaindre  &  murmurer , 
les  élus  de   Dieu   ne  fe  font  jamais 


T>    XJ       S     A    L    U    T.  JC 

Battes  là  -  defTus  ,  3c  n'ont  point  ima- 
giné de  voie  plus  douce  par  où  ils 
crufTent  pouvoir  atteindre  au  port  dtt 
falut. 

On  me  dira  que  cette  morale  eft  bien 
févère  :  hé  î  qui  en  doute  ?  nous  en 
convenons  ;  nous  ne  prenons  point ,  en 
l'annonçant  ,  de  circuit ,  ni  de  détour  , 
nous  fommes  prêts  ,  ainii  qu'il  nous 
eft  ordonné ,  de  la  publier  fur  les  toits. 
Mais  du  refte,,  avec  toute  fa  févérité  , 
cette  morale  fubfifte  toujours  telle  que 
nous  l'avons  reçue  ,  Se  toujours  elle 
fubfiftera.  Tout  cela  eft  rigoureux  ,  il 
eft  vrai  ;  mais  il  n  eft  pas  moins  vrai , 
quelque  rigoureux  que  tout  cela  foit  , 
qu'il  ne  nous  eft  pas  permis  d'en  rien 
retrancher  :  il  n'eft  pas  moins  vrai  que 
quiconque  refufe  de  s'affujettir  à  tout 
cela ,  eft  dans  la  voie  de  perdition ,  Se 
qu'il  n'y  a  point  de  falut  pour  lui  :  il 
n'eft  pas  moins  vrai  que  de  prétendre 
modérer  tout  cela  ,  expliquer  tout  cela 
par  des  interprétations  favorables  à  la 
cupidité  de  l'homme  Se  à  nos  inclina- 
tions fenfaelles ,  c'eft  fe  tromper  foi-  . 
même ,  8c  tromper  ceux  qu'on  entraîne 
dans  la  même  erreur  ;  Se  qu'en  fe  trom- 
pant ainfi  foi  -  même  Se  trompant  les 
autres ,  on  fe  damne  Se  on  les  damne. 

Gij 


j&        Voie     étroite 
avec  foi.  Voilà  ce  qui  ne  peut  être  con- 
tefté  ,  dès  qu'on  a  quelque  teinture  de 
la  morale  chrétienne  •    ôc   comme  les 
portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  jamais 
contre  l'Eglife  de  Jefus-Chrift  ,  je  puis 
ajouter  que  jamais  tous  les  artifices  ni 
tous  les  prétextes  de  notre  amour  pro- 
pre ne  prévaudront  contre  ces  princi- 
pes évangéliques ,  &  contre  les  obliga- 
tions étroites  qu'ils  nous  impofent.  Le 
ciel  ôc  la  terre  palferont ,  mais  la  pa- 
role du  Seigneur  ne  paiTera  point.  Or 
il  nous  a  dit  en  venant  parmi  noiiî: 
Mat.e.  ce  n>eft  point  &  pàïx  ni  un  repos  oijlf 
*°«  34»  que  je  vous  apporte  ;  mais  je  viens  vous 
mettre  le  glaive  à  la  main  :  je  viens  vous 
apprendre  à  vaincre  tous  les  ennemis  de 
votre  falut ,  ôc  fur-tout  à  vous  vaincre 
vous-même.  N'efpérons  pas  de  changer 
cet  ordre  de  la  divine  Sageffe  j  mais  ne 
penfons ,  pour  nous  y  conformer ,  qu'à 
nous  changer  nous-mêmes. 

On  me  demandera  ,  qui  pourra  donc 
fe  fauver  ?  Qui  le  pourra  ?  ceux  qui  pra- 
tiqueront l'Evangile.  On  ira  plus  loin, 
ëC  on  me  demandera  qui  le  pourra  pra- 
tiquer, cet  Evangile ,  dont  la  morale  eft 
fi  pure  ,  &  la  perfection  fi  relevée  ?  Qui 
le  pourra  ?  ceux  qui  par  une  volonté 
ferme  ôc  inébranlable  3  aidée  de  la  grâce  3 


D    U       S    A    L    U    T.  77 

s'y  feront  fortement  déterminés.  Mais 
on  ne  s'en  tiendra  pas  encore-là ,  &  l'on 
me  demandera  enfin  qui  pourra  fe  dé- 
terminer à  une  vie  auiîi  régulière  ,  8c 
auffi  laborieufe  ,  que  l'Evangile  nous  la 
prefcrit  ?  Qui  le  pourra  ?  ceux  qui  par 
une  folide  &  fréquente  réflexion  fe  fe- 
ront bien  remplis  l'efprit  &  bien  con<- 
vaincus  de  l'importance  du  falut.  Car 
quoique  je  l'aie  déjà  remarqué  plus 
d'une  fois,  je  le  redis  &  je  ne  puis  trop 
le  redire  ,  c'eft  de-là  que  tout  dépend  -y 
c'eft-à-dire  ,  de  cette  vive  perfuafion  , 
de  cette  vue  toujours  préfente ,  de  cette 
idée  du  falut  comme  de  l'affaire  capi- 
tale ,  comme  de  l'unique  affaire ,  comme 
d'une  affaire  qui  feule  ,  oii  par  fon 
fuccès  doit  faire  notre  bonheur  fouve- 
rain  ,  ou  p?'  fa  perte  notre  fouverain 
malheur.  V  oilà  le  reffort  qui  remuera 
toutes  les  puiffances  de  notre  ame  : 
voilà  3  après  la  grâce  du  Seigneur  ,  le 
premier  mobile ,  d'où  nous  recevrons 
ces  grandes. imprelîions  auxquelles  rien 
ne  réfiffce.  Tellement  que  quelques  com- 
bats qu'il  y  ait  à  foutenir  ,  &c  quelques 
nœuds  qu'il  y  ait  à  rompre  ,  quelques 
charmes  que  le  monde  préfente  à  nos 
yeux  pour  nous  attirer  &  nous  attacher , 
rien  déformais  ne  nous  touchera  ,  ne 

G  iij 


78         Voie    étroite 
nous    ébranlera  ,    ne  nous  retiendra  : 
pourquoi  ?  parce  que  dans  notre  eftime  y 
nous  ne  mettrons  rien  en  parallèle  avec 
le  falut. 

Expliquons  ceci  par  un  exemple  fami- 
lier :  la  comparaifon  eft  très  -  naturelle» 
Le  feu  prend  dans  une  maifon  ,  il 
s'allume  de  toutes  parts  ,  il  fe  com- 
munique ,  il  croît ,  l'embrafement  eft 
général  :  chacun  penfe  à  foi  3  tous  pren- 
nent la  fuite  3  on  fe  fauve  par  où  Ton 
peut  j  de  comme  l'on  peut.  Cependant 
un  homme  profondément  endormi ,  ne 
fent  pas  le  péril  où  il  eft  d'être  confumé 
par  les  flammes  &  d  y  périr  ;  on  court  à 
lui  ,  on  l'éveille  ,  il  ouvre  les  yeux  5 
il  voit  tout  en  feu.  A  ce  moment  que 
fait-il  ?  délibere-t-il  à  fe  fauver  ?  prend- 
il  garde  s'il  lui  fera  facile  de  s'échap- 
per ?  un  premier  mouvement  l'emporte > 
Ôc  ne  lui  donne  pas  le  loifir  de  rien 
examiner.  S'il  faut  grimper  fur  un  mur  > 
s'il  faut  fe  précipiter  d'un  lieu  élevé  , 
s'il  faut  paffer  à  travers  la  flamme  5 
point  de  moyen  qu'il  ne  tente.  Pour 
éviter  un  danger  3  il  fe  jette  dans  un 
autre  3  6c  pour  fe  garantir  de  la  mort 
qui  le  menace ,  il  s'expofe  3  fans  héri- 
ter ,  à  mille  morts.  D'où  lui  vient  cette 
ardeur  3  cette   agitation  a  cette  réfolu- 


D    U       S    A    L    U    T.  7^ 

tion  ?  c'eft  qu'il  y  va  de  la  vie  ,  Se  que 
de  tous  les  biens  de  ce  monde  nul  né 
lui  eft  fi  cher  que  la  vie  ,  parce  qu'il 
fçait  que  le  fondement  de  tous  les  biens 
de  cette  vie,  c'eft  la  vie  même. 

Belle  image  d'un  chrétien  qui  revient 
de  ralïbupifTement  où  il  étoit  à  l'égard 
du  falut ,  &  qui  commence  à  bien  con- 
noître  la  conféquence  infinie  d'une  telle 
affaire ,  après  en  avoir  mûrement  con- 
sidéré le  fonds ,  le  danger  ,  les  obfta- 
cles ,  toutes  les  fuites.  U  fe  voit  au  mi- 
lieu du  monde  comme  au  milieu  du 
feu  :  parlions  ardentes  ,  .qui  dévorent 
les  cœurs  }  fauffes  maximes ,  qui  cor-* 
rompent  les  efprks  ;  objets  flatteurs  a 
qui  fafeinent  les  yeux  }  fales  plaifirs  ,- 
qui  amolliifent  les  fens  }  exemples  qui 
entraînent,  occafions  qui  furprennent, 
difeours  libertins  ,  fcandales  publics  5 
intérêts  fordides  ,  injuftices  criantes  , 
engagemens  de  la  coutume ,  efclavage 
du  refpect  humain  ,  excès  de  la  dé- 
bauche ,  profanation  des  plus  faints 
lieux ,  abus ,  facriléges  &  impiétés ,  que 
dirai-je  ?  ôc  peut-on  avoir  aifez  peu  de 
connoilfance  pour  ne  fçavoir  pas  com- 
bien le  monde  eft  perverti ,  &c  combien 
il  eft  capable  de  nous  pervertir  nous- 
mêmes  ? 

Giiij 


g©  V  O  ï  I       ÉTROITE 

Comment  fe  défendre  de  cette  con- 
tagion répandue  par-tout  ,  8c  comment 
fe  mettre  à  couvert  de  fes  atteintes  ? 
Comment  afTailli  de  tous  côtés,  8c  affiégé 
de  tant  d'ennemis  ,  leur  faire  face  8c 
en  triompher  ?  Comment  repouiîer  leurs 
attaques ,  éviter  leurs  furprifes ,  parer  à 
tous  leurs  traits  ?  En  un  mot ,  fur  le  pen- 
chant d'une  ruine  toujours  prochaine, 
comment  afïurer  tous  fes  pas  8c  fauver 
£on  ame  ?  Comment  ?  laiffez  agir  ce 
chrétien  éclairé  de  la  lumière  de  Dieu 
ëc  fortifié  de  fa  grâce.  C'eft  alfez  qu'il 
fe  foit  bien  imprimé  dans  fon  fouvenir  5 
l'excellence  du  falut ,  c'eft  allez  qu'il  en 
ait  connu  le  prix  ;  tant  que  cette  penfée 
l'occupera ,  qu'elle  le  frappera ,  8c  que 
pour  la  conferver  il  la  renouvellera  fou- 
vent  ,  8c  la  rappellera,  j'ofe  dire  qu'alors 
il  fera  comme  invulnérable  8c  comme 
invincible.  Il  réprimera  les  pallions  les 
plus  violentes ,  il  détruira  les  habitudes 
les  plus  enracinées  ,  il  fe  roidira  contre 
toute  considération  humaine  ,  contre 
le  torrent  de  la  coutume  ,  contre  la 
chair  8c  le  fang5  contre  les  objets  les 
plus  corrupteurs ,  8c  les  attraits  des  plai- 
firs  les  plus  féduifans.  Il  s'adonnera  aux 
exercices  de  la  religion  3  fans  en  négli- 
ger aucun  3  ni  par,  mépris  3  ni  par  déli- 


d  v     Salut.  Sr 

tàtefle  ,  ni  par  une  vaine  crainte  des 
raifonnemens  du  public.  Il  les  pratiquera 
iidellement ,  exactement ,  conftamment  my 
&  parce  que  cette  afîiduité  eft  un  joug  , 
&  pour  plufieurs  même  en  mille  con- 
jonctures un  joug  très-pefant ,  il  fe  cap- 
tivera ,  il  fe  fiwrmontera ,  il  s'élèvera 
au-defïus  de  lui-même  ,  jamais  la  peine 
ne  l'étonnera. 

A-t-elle  étonné  tant  de  Solitaires  > 
quand  ils  fe  font  confinés  dans  les  dé- 
ferts  3  3c  retirés  dans  les  plus  fombres  ca- 
vernes ?  A-t-elle  étonné  tant  de  Religieux 
quand  ils  fe  font  cachés  dans  l'obfcurité 
du  cloître  5  &  fournis  à  toutes  fes  aufté- 
rites  ?  A-t-elle  étonné  tant  de  Vierges 
chrétiennes  ,  quand  elles  ont  facrifié 
tous  les  agrémens  de  leur  fexe  ,  3c 
qu  elles  ont  porté  fur  leurs  corps  toute 
la  mortification  de  Jefus-Chrift  ?  A-t-elle 
étonné  tant  de  Martyrs  ,  quand  ils  fe 
font  immolés  comme  àes  victimes ,  ôc 
livrés  aux  plus  cruels  tourmens  ?  Il  s'agit 
pour  nous  du  même  falut ,  dont  l'efpé- 
rance  leur  donnoit  cette  force  fupérieure 
&  vi&orieufe.  Fallût  -  il  donc  l'acheter 
par  les  mêmes  fuppHces ,  par  les  mêmes 
facrifices  ,  nous  y  devons  être  difpofés. 
Mais  le  fommes  -  nous  en  effet  ,  ÔC 
quoique  nous  en   difions  >    peut  -  on 


ïi  Voie  étroite 
nous  en  croire  ,  lorfqu'on  nous  vole 
céder  honteufement  Se  iî  vire  aux  moin- 
dres difficultés  ?  Car  le  Chriftianifrne 
aufli  -  bien  que  le  monde  ,  eft  pleir* 
de  ces  faux  braves  ,  qui  loin  du  péril 
témoignent  une  afiiirance  merveilleu- 
fe  ,  &  à  qui  tout  fait  peur  dans  Toc- 
cafion. 

Bifarre  contradiction  de  notre  fiécle  ! 
jamais  dans  les  entretiens ,  dans  les  pa- 
roles ,  dans  les  leçons  de  morale ,  on 
n'a  plus  rétréci  le  chemin  du  falut  , 
parce  que  les  leçons  &  les  paroles  n'en- 
gagent à  rien  }  Se  jamais  en  même  tems 
on  ne  l'a  plus  élargi  dans  la  pratique  Se 
dans  les  œuvres  ,  parce  que  ce  font  les 
oeuvres  qui  coûtent  3  Se  que  c'eft  la  pra- 
tique qui  mortifie.  Ne  cherchons  ,  ni 
par  une  rigueur  outrée,  à  le  rétrécir, 
jufqu'à  le  rendre  impraticable  \  ni  par 
un  relâchement  trop  facile  ,  à  i'applanir 
Se  l'élargir,  jufqu'à  lui  ôter  toute  fa  févé- 
rité  Se  tout  fon  mérite.  L'un  nous  con- 
duirait au  défefpoir ,  Se  l'autre  nous  per- 
drait par  une  trompeufe  confiance. 

Prenons  le  jufte  milieu  de  l'Evangile , 
Se  fans  donner  dans  aucune  extrémité  , 
fouvenons  -  nous  que  la  voie  du  Ciel 
n'eft  point  fi  étroite  qu'on  n'y  puiffe 
marcher  j  mais  auffi  qu'elle  l'eft  affez 


du     Salut,  8| 

pour  demander  toute  notre  confiance, 
8c  pour  exercer  toute  notre  vertu. 

Cependant,  pour  la  confolation  de 
ceux  à  qui  le  zèle  de  leur  falut  infpire 
de  fuivre  cette  voie  8c  d'y  avancer  5 
voici  ce  que  j'ajoute ,  ôc  ce  que  je  puis 
appeller  le  miracle  de  la  grâce.  Car 
une  expérience  de  tous  les  fîécles  de- 
puis Jefus  -  Chrift  ,  l'auteur  8c  le  con- 
îbmmateur  de  notre  foi  3  a  fait  con- 
noître  que  cette  voie  ,  toute  épineufe 
qu'elle  eft ,  devient  d'autant  plus  douce 
qu'on  y  cherche  moins  de  douceurs  > 
8c  qu'on  s'afïujettit  avec  moins  de 
ménagemens  8c  moins  de  réferve  à  fes 
auftérités  les  plus  mortifiantes.  Com- 
ment cela  fe  fait-il  ?  C'eft  aux  âmes  qui 
l'éprouvent  à  nous  en  inftruire  •  ou  plu- 
tôt ,  c'eft  un  de  ces  fecrets  dont  Saint 
Paul  difoit  ,  qu'il  n'eft  permis  à  nul 
homme  de  les  expliquer.  Mais  tout 
impénétrable  qu'eft  ce  myftère  ,  il  n'en 
eft  pas  moins  réel  ni  moins  véritable, 
Car  de  quelque  manière  que  ce  puiffe 
être ,  8c  en  quelque  fens  que  nous  puif- 
fions  l'entendre  ,  il  faut  que  la  parole 
de  Jefus  -  Chrift  s'accompliffe  :  c'eft  une 
parole  divine  3  8c  par  conféquent  infail- 
lible. Or  cet  adorable  Maître  nous  a 
4it  que  fon  joug  eft  doux  8c  fon  fardeau 


$4  Voie  étroite 
léger  •  &  en  nous  invitant  à  le  prendre  ; 
il  nous  a  promis  que  nous  y  trouve- 
rons la  paix.  Ces  termes  de  joug  Se  de 
fardeau  marquent  de  la  difficulté  Se  de 
la  pefanteur  :  mais  avec  toute  fa  pefan- 
teur  5  ce  fardeau  devient  léger,  Se  ce 
joug  devient  doux  ,  dès  que  c'eft  le 
joug  Se  le  fardeau  du  Seigneur  ;  pour- 
quoi ?  parce  que  la  grâce  y  répand 
toute  fon  on&ion ,  &"  qu'il  n'eft  rien  de 
ii  pefant  ou  de  fi  amer  ,  dont  cette  onc- 
tion célefte  n'adouciffe  l'amertume  > 
Se  qu'elle  ne  faffe  porter  avec  une  fainte 
allégreffe. 

On  en  efl  furpris  ,  Se  ,  pour  ainfî  di- 
re ,  on  ne  fe  comprend  pas  foi-même  , 
tant  on  fe  trouve  différent  de  foi-mê- 
me. Au  premier  afpecl  de  la  voie  étroite 
du  falut ,  tous  les  fens  s'étoient^ révoltés , 
Se  à  peine  fe  perfuadoit-on  qu'on  y  pût 
faire  quelques  pas  :  mais  du  moment 
qu'on  y  eft  entré  avec  ,une  ferme  con- 
fiance 3  les  épines  5  fi  j'ofe  ufer  de  ces 
figures ,  fe  changent  en  rieurs  ,  Se  les 
chemins  les  plus  raboteux  s'applanif- 
fent.  Ah  !  Seigneur ,  s'écrioit  un  grand 
Saint ,  vous  rnave\  heureufement  trompé. 
En  m'enrollant  dans  votre  milice  ,  je 
m'attendois ,  félon  les  principes  de  vo- 
tre Evangle^  à  des  affauts  Se  à  une  guer- 


D  U    S  A  I    U    T.  ^   $  5 

te  ,  où  je  craignois  que  ma  foiblefTe  ne 
fuccombât.  Je  me  figurois  une  vie  trif- 
te  ,  pénible  5  ennuyeufe  ,  fans  repos  , 
fans  goût  j  &  jamais  mon  cœur  ne  fut 
plus  content,  ni  mon  efprit  plus  calme  ÔC 
plus  libre.  Combien  d'autres  ont  rendu 
le  même  témoignage  ?  mais  le  mil  eft 
qu'on  ne  les  en  croit  pas ,  qu'on  ne  veut 
pas  fe  convaincre  par  une  épreuve  per- 
fonnelle  &  par  fon  propre  feiitiment- 

Soin  duSalut&  V extrême  négligence 

avec  laquelle  on  y  travaille 

dans  le  monde. 

CHerchei  premièrement  le  Royaume  tut*  c* 
de  &  fa  juftice.  En  ce  peu  de  pa-  «»3W 
rôles ,  le  Sauveur  du  monde  nous  don- 
ne une  jufte  idée  de  la  conduite  que 
nous  devons  tenir  à  l'égard  du  falut.  Ce 
falut ,  ce  Royaume  de  Dieu  ,  c'eft  dans 
l'éternité  que  nous  le  devons  pofTéder  > 
c'eft  à  la  mort  que  nous  le  devons  trou- 
ver }  mais  c'eft  dans  la  vie  que  nous  le 
devons  chercher.  Si  donc  je  ne  le  cher- 
che pas  dans  la  vie  ,  je  ne  le  trouverai 
pas  à  la  mort  j  Se  fi  j'ai  le  malheur  den^ 
le  pas  trouver  à  la  mort ,  je  ne  le  trour 


86  Soin 

verai  jamais  ,  3c  dans  l'éternité  j'aurai 
l'affreux  défefpoir  d'avoir  pu  le  poffé- 
der ,  &  de  ne  le  pouvoir  plus. 

C'eft ,  dis-je ,  dans  la  vie  qu'il  le  faut 
chercher  y  car  l'unique  voie  pour  y 
arriver  Se  pour  le  trouver  ,  ce  font  les 
bonnes  oeuvres  ,  c'eft  la  fainteté.  Or 
ces  bonnes  œuvres  ,  où  les  peut-on 
pratiquer  ?  en  cette  vie  5  Se  non  en 
l'autre.  Cette  fainteté ,  où  la  peut-on 
acquérir  ?  dans  le  temps  préfent ,  Se  non 
dans  l'éternité  ;  fur  la  terre  5  Se  non  dans 
le  Ciel.  En  effet ,  il  y  a  cette  différence 
à  remarquer  entre  le  Ciel  Se  la  Terre  : 
la  terre  fait  les  Saints ,  mais  elle  ne  fait 
pas  les  bienheureux  :  Se  au  contraire  le 
Ciel  fait  les  bienheureux  ,  mais  il  ne 
fait  pas  les  Saints.  Suppofez  de  tous  les 
Saints  celui  que  Dieu  aura  élevé  au  plus 
haut  point  de  gloire  dans  le  Ciel ,  tout 
l'éclat  de  fa  gloire  n'ajoutera  pas  un 
feul  degré  à.  fa  fainteté.  Cet  état  de 
gloire  couronnera  fa  fainteté  ,  confir- 
mera  fa  fainteté ,  confommera  fa  fainte- 
té j  mais  il  ne  l'augmentera  pas.  Il  la 
rendra  plus  durable  ,  puifqu'il  la  rendra 
éternelle  }  mais  il  ne  la  rendra  ni  plus 
méritoire  ,  ni  plus  parfaite. 

C'eïl  donc  dès  maintenant  Se  fans 
différer  3  que  nous  devons  donner  nog 


duSalvt.  $7 

{oins  à  chercher  le  Royaume  de  Dieu. 
Mais  encore  comment  le  faut-il  cher- 
cher ?  Premièrement  :  c'eft-à-dire  que  £«*«  ei 
nous  devons  faire  du  falut  notre  pre-  2*  3 
iniere  affaire  ,  pourquoi  ?  parce  que 
c'eft  notre  plus  grande  affaire.  Régie 
divine ,  puifque  c'eft  le  Fils  même  de 
Dieu  qui  nous  l'a  tracée.  Régie  la  plus 
droite  ,  la  plus  équitable  ,  puifqu'elle 
eft  fondée  mr  la  nature  des  chofes ,  Se 
qu'il  eft  bien  jufte  que  le  principal 
l'emporte  fur  l'acceffoire.  Régie  fixe  de 
inviolable  ,  puifque  c'eft  une  loi  éma- 
née d'en  haut  3  êc  un  ordre  que  Dieu  a 
établi  8c  qu'il  ne  changera  jamais.  Mais 
nous  toutefois  5  nous  prétendons  ren- 
verfer  cet  ordre  ,  nous  entreprenons  de 
contredire  cette  loi  ,  nous  voulons 
fubftituer  à  cette  Régie  une  Régie  toute 
oppofée.  Car  Jefus  -  Chrift  nous  dit  : 
cherchez  d'abord  le  Royaume  de  Dieu  , 
8c  pour  ce  qui  eft  du  vêtement ,  de  la 
nourriture  ,  des  biens  de  la  vie ,  n'en 
foyez  .point  en  peine.  Vous  pouvez 
vous  en  repofer  fur  votre  Père  célefte  , 
qui  vous  aime ,  8c  qui  vous  donnera  toutes  im, 
ces  chofes  par fur  croît.  Mais  nous  au  con- 
traire nous  difons  :  cherchons  d'abord 
les  biens  de  la  vie  :  8c  pour  ce  qui  re- 
garde les  biens  de  l'Eternité ,  le  Royau- 


S8  S  o  i  n 

me  de  Dieu ,  le  falut ,  ne  foyons  point  ; 
en  peine  ,  mais  confions-nous  en  la  mi- 
féricorde  du  Seigneur  :  il  eft  bon  ,  il  ne 
nous  abandonnera  pas. 

Nous  le  difons ,  finon  de  bouche  ,  du 
moins  en  pratique  ,  ôc  c'eft  ainfi  que 
raifonnerent  les  sConviés  de  l'Evangile. 
Ils  étoient  invités  à  un  grand  repas  :  il 
falloit  pour  y  aftifter  ,  certains  habits 
de  cérémonie  ,  ■  certains  préparatifs  ; 
tue,  c.  mais  eux ,  tout  occupés  de  leurs  affai- 
■Ï4*I7»  res  temporelles ,  il  crurent  qu'ils  y  dé- 
voient vaquer  préférablement  à  l'invi- 
tation qu'on  leur  avoit  faite.  Ils  ne  dou- 
tèrent point  qu'ils  n'euifent  fur  cela 
de  bonnes  raiforis  pour  s'excufer  ;  Se 
pleins  de  confiance  ,  l'un  dit ,  je  me 
marie  ,  &  il  faut  que  j'aille  célébrer  les 
noces  :  l'autre  dit  3  j'ai  acheté  une  ter- 
re ,  Se  je  ne  puis  me  difpenfer  de  l'aller 
voir  j  un  autre  dit ,  j'ai  à  faire  l'efTai  de 
cinq  paires  de  bœufs  qu'on  m'a  vendus. 
Tous  conclurent  enfin  qu'ils  avoient 
des  chofes  plus  preffées  ,  que  ce  repas 
dont  il  s'agiiïbit ,  ôc  répondirent  que  ce 
feroit  pour  une  autre  fois.  Or  qu  eft-ce 
que  ce  grand  repas  ?  dans  le  langage  de 
l'Ecriture ,  c'eft  le  falut.  Dieu  nous  y 
appelle ,  &  nous  y  appelle  tous.  Il  ne  fe 
contente  pas ,  pour  nous  y  convier ,  de 

nous 


D    U      S  A   L    U*    T.  $$ 

nous  envoyer  fes  Miniftres  &  Tes  S  ervi- 
teurs  :  mais  il  nous  a  même  envoyé  fon 
Fils  unique.  On  nous  avertit  que  de  la 
part  du  Maître  tout  eft  prêt ,  &  qu'il  ne 
refte  plus  que  de  nous  préparer  nous- 
mêmes  ,  &  de  nous  mettre  en  état  d'ê- 
tre reçus  au  Feftin.  Mais  que  répon- 
dons-nous ?  J'ai  d'autres  affaires  préfen- 
tement ,  dit  un  mondain  j  &c  quelles 
font-elles  ces  autres  affaires  ?  l'affaire  de 
mon  établir! ement ,  ajoute-t-il ,  l'affai- 
re de  mon  aggrandiffement ,  les  affaires 
de  ma  maifon  j  en  un  mot ,  tout  ce  qui 
regarde  ma  fortune  temporelle. 

Pour  ces  affaires  humaines  que  ne 
fait-on  pas  ,  &  cette  fortune  temporelle 
à  quel  prix  ne  l'achete-t-on  pas  ?  Eft- 
il  moyen  qu'on  n'imagine ,  &  eft-il 
moyen  >  quelque  pénible  &  quelque 
fatiguant  qu'il  foit ,  qu'on  ne  mette  en 
œuvre  pour  fe  pouffer  ,  pour  s'avan- 
cer ,  pour  fe  diftinguer  ,  pour  s'enri- 
chir y  pour  fe  maintenir  ,  foit  à  la  Cour 
foit  à  la  Ville  ?  Il  femble  que  le  monde 
ait  alors  la  vertu  de  faire  des  miracles  ? 
&c  de  rendre  pofïible  ce  qui  de  foi-mê- 
me paroîtroit  avoir  des  difficultés  in^ 
furmontables  ,  de  être  au-deffus  des  for- 
ces de  l'homme.  Il  donne  de  la  fanté 
aux  foibles  y  8c  leur  fait  foutenir  des  tra,- 
Tome  jL  li 


cjo  S  o  r  *r 

vaux ,  des  veilles  ,  des  contention^ 
d'efprit ,  capables  de  ruiner  les  tempé- 
rament les  plus  robuftes.  Il  donne  de 
l'activité  aux  pareffeux  3  &  leur  infpire 
un  feu  Se  une  vivacité  qui  les  porte 
par-tout ,  8c  que  rien  ne  ralentit.  Il  don- 
ne du  courage  aux  lâches  >  8c  malgré  les 
horreurs  naturelles  de  la  mort,  il  les 
expofe  à  tous  les  orages  de  la  mer  ,  8c  à 
tous  les  périls  de  la  guerre.  Il  donne  de 
rinduftrie  aux  iimples ,  8c  leur  fuggére 
les  tours  5  les  artifices  ,  les  intrigues  5 
les  mefures  les  plus  efficaces  pour  par- 
venir à  leurs  fins  8c  pour  rcuïïir  dans 
leurs  entreprifes,  Voilà  comment  ou 
cherche  les  biens  du  monde  ,  8c  com- 
ment on  croit  les  devoir  chercher.  De 
forte  que  fi  l'on  vient  à  bout  de  fes  def- 
feins  ,  quoiqu'il  en  ait  coûté  on  s'efti- 
me  heureux ,  8c  l'on  ne  penfe  point  à 
fe  plaindre  de  tous  les  pas  qu'il  a  fallu 
faire  :  8c  que  11  les  defTeins  qu'on  avoit 
formés  ,  échouent ,  ce  n'eft  point  de 
toutes  les  fatigues  qu'on  a  effuyées  3 
que  l'on  gémit ,  mais  du  mauvais  fuccès 
où  elles  fe  font  terminées.  Tant  on  eft 
perfuadé  de  cette  fauffe  8c  dangereufe 
maxime  ,  que  pour  les  affaires  du  mon- 
de on  ne  doit  rien  épargner ,  8c  qu'el- 
les demandent  toute  notre  application. 


du     Salut.  91 

Cependant  que  fait-on  pour  le  faiut  -y 
&  quand  il  s'agit  du  Royaume  de  Dieu  , 
a  quoi  fe  tient-on  obligé ,  quelle  dili- 
gence y  apporte-t-on  ?  Les  uns  en  laif- 
fent  tout-à-fait  le  foin  j  8c  tout  le  foin 
que  les  autres  en  prennent ,  fe .  réduit  à 
quelque  extérieur  de  religion  ,  prati- 
qué fort  à  la  hâte  ,  8c  très-imparfaite- 
ment. On  ne  s'en  inquiète  pas  davan- 
tage :  comme  fi  cela  fuffifoit  ,  8c  que 
Dieu  dut  fuppléer  au  refte.  En  vérité 
efë-ce  ainfi  que  le  Sauveur  des  hommes 
nous  a  avertis  de  chercher  ce  Royaume 
fermé  depuis  tant  de  fiécles  ,  8c  dont  il 
eft  venu  nous  tracer  le  chemin  8c  nous 
ouvrir  l'entrée  ?  Il  veut  que  nous  le  Mat.  as 
cherchions  comme  un  tréfor  :  or  avec  13*  *** 
quelle  ardeur  agit  un  homme  qui  fe 
propofe  d'amaifer  un  tréfor  ?  On.  eft  at- 
tentif à  la  moindre  efpérance  du  gain  , 
fenfible  à  la  plus  petite  perte  5  prudent 
pour  difeerner  tout  ce  qui  peut  nous 
Servir ,  ou  nous  nuire  :  courageux  pour 
fupporter  tout  le  travail  qui  fe  préfente  ; 
tempérant  pour  s'interdire  tout  diver- 
tiifement ,  toute  dépenfe  qui  pourroic 
arrêter  nos  projets  ,  8c  diminuer  nos 
profits.  Il  veut  que  nous  le  cherchions 
comme  une  perle  précieufe  1  or  cet 
homme  de   l'Evangile  qui  a  découvert 

Hij- 


9  2.  Soin 

une  belle  perle ,  ne  perd  point  de  rems  Jj 
court  dans  fa  maifon ,  vend  tout  ce  qu'il 
a ,  fe  défait  de  tout  pour  acheter  cette 
perle  dont  il  connoît  tout  le  prix ,  8c 
qu'il  craint  de  manquer»  Il  veut  que 
nous  le  cherchions  comme  notre  con- 
quête :  or  à.  quels  frais ,  à  quels  hazards  , 
à  quels  efforts  n'engage  pas  la  pourfuite 
8c  la  conquête  d'un  Royaume  l  II  veut 
que  nous,  le  cherchions  comme  notre 
fin  8c  notre  dernière  fin  :  or  en  toutes 
chofes  la  fin.,  &  fur-tout  la  fin  dernière  y 
doit  toujours  être  la  première  dans  l'in- 
tention •  on  ne  doit  vifer  que  là ,  n'afpi- 
rer  que  là  ,.  n'agir  que  pour  arriver  là. 

Et  voilà  pourquoi  notre  adorable 
Maître  ne  nous  a  pas  feulement  dit  t 
Luc,  c,  cherche^  le  Royaume  de  Dieu  ;  mais  il 
S2§  31*  ajoute,  &  farjuJUce.,  Qu'efl-ce  que  cette 
Juftice  ?  finon  ces  œuvres  chrétiennes  £ 
cette  fainteté  de  vie  fans  quoi  l'on  ne 
peut  prétendre  au  Royaume  éterneL 
Car  je  viens  de  le  dire  y  8c  je  ne  puis 
trop  le  répéter ,  ce  Royaume  n'eft  que 
pour  les  Saints.  Il  n'eft  ni  pour  les 
grands  ,  ni  pour  les  nobles ,  ni  pour  les 
riches  ,  ni  pour  les  fçavans  :  difons 
mieux  ,  il  eft  ,  8c  pour  les  grands ,  8ç 
pour  les  nobles  ,  8c  pour  les  riches ,  8c 
pour  les  fçavans  3  6c  pour  tous  les  au- 


du    Salut.  95 

très  9  pourvu  qu'à  la  grandeur  ,  qu'à  la 
noblefïe ,  qu'à  l'opulence ,  qu  a  la  fcien- 
ce ,  qu'à  tous  les  avantages  qu'ils  polie- 
dent ,  ils  joignent  la  fainteté.  Tous  ces 
avantages  fans  la  fainteté  feront  réprou- 
vés de  Dieu  j  &  la  fainteté  fans  aucun 
de  ces  avantages  fera  couronnée  de 
Dieu. 

Mais  cette  Juftice  ,  cette  fainteté  de 
vie  ,  ce  mérite  des  œuvres ,  c'eft  ce  qui 
ne  nous  accommode  pas,  Se  ce  que  nous 
mettons ,  dans  le  plan  de  notre  condui- 
te ,  au  dernier  rang.  Du  moment  qu'on 
veut  nous  en  parler ,  une  foule  de  pré- 
textes fe  préfente  pour  nous  tenir  lieu 
d'exeufes  ?.  ou  de  prétendues  excu- 
ks  :  on  eft  trop  occupé  ,  on  n'a  pas  le 
tems ,  on  a  des  engagemens.  indifpenfa- 
blés  ôc  à  quoi  l'on  peut  à  peine  fufrl- 
re  j  on  eft  incommodé  ,  on  eft  d'une 
complexion  délicate  ,  on.  eft  dans  le  feu 
de  la  jeunefTe  ,  on  eft  dans  le  déclin  de 
l'âge  ,  en  un  mot  on  a  mille  raifons  y  tou- 
tes aulîi  fpécieufes ,  mais  en  même  tems 
toutes  aulli  fauffes  les  unes  que  les.  autres* 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable  ,  c'eft 
qu'on  fe  croit  par-là  bien  juftifié  devant 
Dieu,  lorfquon  ne  l'eft  pas.  Ces  con- 
viés qui  s'exeuferent ,  ne  doutèrent  point 
que  le  Maître  qui  les  avoir  invités ,  ne 


^4        Soin  du  Salut, 
fut  très-content  d'eux,  &/de  ce  qu'ils 
lui  alléguoient  pour  ne  pas  fe  trouver: 
à  fon  repas.  Mais  il  en  jugea  tout  autre-* 
ment ,  il  en  fut  indigné ,  8c  déclara  fur 
l'heure,  que  jamais  aucun  de  ces  gens-là  ne 
I«f.  eparoîtroit  à  fa  table.  Tel  eft-  de  la  part  de  I 
^4.24,  Y)içu   le  jugement    qui    nous    attend», 
Dès  que  nous  refufons  de  travailler  à 
notre  falut ,  8c  d'y  travailler  folidement , 
il  nous  rejette  par  une  réprobation  an- 
ticipée, 8c  nous  exclut  de  fon  Royaume. 
Quel  arrêt  '  quelle  condamnation  !  mal- 
heur à  l'homme  qui  s'y  expofe.    Ah  i 
nous  avons  des  affaires  :  mais  du  moins, 
pour  ne  rien  dire  de  plus ,  comptons  le 
falut  au  nombre  de  ces  affaires  ,  8c  re- 
gardonsrle  comme  une  occupation  di- 
gne de  nous. 

Non-feulement  elle  en  eft  digne,  mais 
par  comparaifon  avec  celle-là  nulle  ne. 
mérite  nos  foins  ,  8c  tout  ce  que  nous 
donnons  de  tems  à  toute  autre  affaire  T 
au  préjudice  de  celle-là,  ou  indépen- 
damment de  celle-là  ,  ne  peut  être 
qu'un  temps  perdu.  Je  ne  dis  pas  que 
c'eft  toujours  un  tems  perdu  pour  le  mon- 
de ,  mais  pour  le  falut  :  or  étant  perdu 
pour  le  falut  ,  tout  autre  emploi  que 
nous  en  faifons ,  n'eft  plus  qu'un  amufe- 
ment  frivole ,  8c  tout  autre  fruit  que  nous 
en  retirons  n'eft  que  vanité  8c  illufion. 


Substitution  des  Grâces  y8cc.  95 

Subftitution  des  grâces  du  Salut;  les 
vues  que  Dieu  s'y  propofe  _,  6* 
comment  il  y  exerce  fajuftice  & 
fa  miféricorde. 

P\  Ans  l'ordre  du  Salut  il  y  a  de  la 
JL/part  de  Dieu  des  fubftitutions  ter- 
ribles :  c'eft-à-dire  que  Dieu  abandonne 
[  les  uns  ,  &  qu'il  appelle  les  autres  ;  que 
Dieu  dépouille  les  uns  ,  &:  qu'il  enri- 
chit les  autres  ;  que  Dieu  ôte  aux  uns 
les  grâces  du  falut ,  8c  qu'il  les  tranfpor- 
te  aux  autres.  Myftère  de  prédeftina- 
tion  certain  &  inconteftable,  Myftère 
qui ,  tout  rigoureux  qu'il  paroît  &  qu'il 
eft  en  effet  ,  ne  s'accomplit  néanmoins 
que  félon  les  loix  de  la  plus  droite  Juf~ 
tice  3  3c  que  par  le  Jugement  de  Dieu  le 
plus  équitable.  Enfin  Myftère  où  Dieu 
fait  tellement  éclater  la  fevérité  de  fa 
juftice ,  qu'il  nous  découvre  en  même 
tems ,  tous  les  tréfors  de  fa  miféricorde  , 
ôc  les  reiTources  inépuifables  de  fa  provi- 
dence :  de  forte  qu'à  la  vue  de  ce  grand 
Myftère  ,  je  puis  bien  dire  comme  le 
Prophète  :  Le  Seigneur  a  parlé  j  &  voici  pfai. 

'  16.  I£f 


*9<£  Substitution  des  Grâces 
deux  chofes  que  j'ai  entendues  tout  à  la 
fois  :fcavoirj  que  le  Dieu  que  j'adore  eft 
également  redoutable  par  fon  infinie 
puifTance  ,  8c  aimable  par  fa  fouveraine 
bonté. 

I.  Myftère  certain  &  inconteftabk  ; 
myftère  de  Foi.  Toute  l'Ecriture  ,  fur- 
tout  l'Evangile  ,   les  Epîtres  des  Apô- 
tres nous  annoncent   cette  vérité ,    8c 
les  exemples  les  plus  mémorables  l'ont 
confirmée    jufques    dans    ces   derniers 
'Matt.  c,  fiécles.  Le  Royaume  de  Dieu  vous  fera  en- 
ai*  43*  levé j  difoit  le  Sauveur  du  monde  aux 
Juifs ,  &  il  fera  donné  à  un  peuple  qui  en 
produira  les  fruits.  Le  même  Sauveur  8c 
au  même  endroit ,  en  propofant  la  pa~ 
fbih   rabole  de  la  vigne ,  ajoutoit  :  Que  fera 
^0#        le  Maure  à  ces  vignerons  qui  fe  font  révol- 
tés contre  lui?  Il  fera  périr  miférablement 
ces  mif érables  s  &  il  louera  fa  vigne  à  d'au- 
tres â  qui  la  cultiveront  &  prendront  foin  de 
la  faire  valoir.  N'eft-ce  pas  aufïi  félon  cette 
conduite  de  Dieu ,  que  Saint  Paul  8c 
Saint  Barnabe  eurent  ordre  d'aller  prê- 
cher l'Evangile  aux  Gentils,  8c  qu'ils  fe 
retirèrent  de  la  Judée   en  prononçant 
rAû,  c.  cette  efpece  de  malédiction;  Puifque  vous 
{*  3  •  46»  rejette^  laparole  du  Salut  ^  que  vous  vous 
juge^  indignes  de  la  vie  éternelle j  voilà  que 

nous 


D    U      S  A  L    T7    T.  97 

nous  nous  tournons  vers  les  Nations  ;  car 
le  Seigneur  nous  l'a  ainfi  ordonné. 

Il  y  auroit  cent  autres  témoignages  à 
produire ,  les  plus  évidens ,  8c  qui  nous 
marquent  deux  fortes  de  fubftitutions  ; 
fubftitutions  générales  ,  8c  fubftitutions  : 
particulières.  Subftitutions  générales 
d'une  nation  à  une  autre  nation.  Les 
Gentils  ont  pris  la  place  des  Juifs  :  Ceux  jfdt  Ci 
quïétoient  enveloppés  des  plus  épaljfesté-  ?•  2» 
nebres  &  ajjls  à  l'ombre  de  la  mort  _,  ont  vu 
s' élever  fur  eux  le plus  grand jour \>  &  ont  été 
éclairés  de  la  plus  brillante  lumière  ?  tandis 
que  le  peuple  choiii  de  Dieu ,  que  les 
enfans  de  la  promefle  font  tombés  dans 
Paveuglement  le  plus  profond ,  8c  dans 
un  abandonnement  qui  s'eft  perpétué 
de  génération  en  génération  ,  3c  d'où 
ils  ne  font  jamais  revenus  :  Vengeance 
divine  ,  dont  nous  n'avons  pas  feule- 
ment la  preuve  dans  cette  nation  ré- 
prouvée ,  mais  ailleurs.  On  a  va  des 
Provinces ,  des  Royaumes  ,  des  Empi- 
res ,  où  la  vraie  Eglife  de  Jefus-Chxift 
dominoit ,  3c  où  la  plus  pure  8c  la  plus 
fervente  Catholicité  formoit  des  mil- 
liers de  Saints  ,  perdre  tout-à-coup  la  foi 
de  leurs  pères  ,  8c  fe  précipiter  dans 
tous  les  abîmes  où  l'efpdt  de  menfonge 
les  a  conduits ,  pendant  que  cette  mê- 
Tome  I.  I 


cj%  Substitution  des  Grâces 
me  foi  j  profcrite  &  bannie ,  palïbit  au- 
delà  des  mers  3  ■&  portoit  le  falut  à  des 
fauvages  &  à  des  infidèles.  Voilà ,  dis- 
je  5  ce  que  l'on  a  vu ,  &c  de  quoi  nous 
-avons  encore  devant  les  yeux  les  trilles 
monumens.  Plaife  au  Ciel  de  ne  nous 
pas  enlever  un  fi  riche  talent ,  &  que 
nous  ne  fervions  pas  d'exemple  à  ceux 
qui  viendront  après  nous  ,  comme  nous 
en  fervent  ceux  qui  nous  ont  précédés. 
Le  danger  eft  plus  à  craindre  &  plus 
prefîant  que  nous  ne  le  croyons  :  puif- 
lions-nous  y  prendre  garde.  Subftitu- 
tions  particulières ,  d'un  homme  à  un 
autre  homme.  Dans  l'ancienne  Loi , 
Jacob  eut  la  bénédiction ,  qui ,  par  le 
droit  d'aineffe  ,  appartenoit  à  fon  frère 
Efaii  :  figure  fi  familière  à  l'Apôtre  Saint 
Paul ,  &  qu'il  met  iî  fouvent  en  œuvre. 
Dans  la  Loi  nouvelle.,  Saint  Matthias 
fuccéda  à  Judas  déchu  de  l'Aportolat. 
Entre  quarante  Martyrs  fur  le  point  de 
çonfommer  leur  facririce ,  un  fut  vaincu 
&:  manqua  de  confiance  j  mais  dans  le 
moment  même  un  autre  fit  le  quaran- 
tième ,  3c  emporta  la  couronne.  Ce 
n^fl  pas  pour  une  fois  que  des  Solitai- 
res ,  que  des  Pénitens  ,  que  des  Juftes 
fe  font  pervertis ,  &  qu'en  même  tems 
4es  mondains  ?  des  pécheurs  feanda- 


D   U     S  A  L    U    T.  9£ 

leux ,  des  impies  ont  été  touchés ,  ont 
ouvert    les  yeux  ;    non-feulement  font 
revenus  à  Dieu ,  mais  Te  font  élevés  à 
la  plus   haute  fainteté.  On  eft   encore 
quelquefois  témoins  de  certaines  chûtes 
qui  étonnent ,  &  d'autre  part  on  entend 
aulîi  parler  de  certaines  converfions  qui 
ne  paroiffent  pas    moins  furprenantes. 
Chacun  en    juge  félon  fa    penfée  ,   8c 
chacun  prétend  en  connoître  les  vérita- 
bles caufes  j  mais  fi  nous  pouvions  ap- 
profondir  les  fecrets  de  Dieu  ,    nous 
trouverions  fouvent  que  cela  s'eft  fait 
par  un  tranfport  de  grâces  que  celui-là 
a  rejettées  ,  8c  dont  celui-ci  a  profité. 
Quoi  qu'il  en  foit ,  n'oublions  jamais 
l'avis  que  donnoit  Saint  Paul  aux  Ro- 
mains ,  de  ne  fe  laifiTei  point  enfler  des 
dons  qu'ils  avoient  reçus ,   mais  de  fe 
tenir  toujours  dans  une  crainte  humble 
8c  falutaire.  Si  nous  pouvons  croire  avec 
quelque  confiance  que  nous  marchons 
dans  le  chemin  du  falut  &  de  la  perfec- 
tion   chrétienne  ,    humilions-nous  à  la 
vue  de  tant  d'autres  ,  qui  après  y  avoir 
paffi   de  longues  années  ,    8c  y  avoir 
fait  incomparablement  plus  de  progrés 
que  nous  ,  ont  eu  le  malheur  d'en  for- 
tir  ,   &  de  s'en^aeer  dans  la   voie  de 
perdition  3  où  ils  ont  péri.  Et  fi  nous 


iôo  Substitution  des  Grâces 
voyons  un  pécheur  plongé  dans  toutes 
les  abominations  du  vice  &  du  liberti- 
nage ,  ne  penfons  point  avoir  droit  de 
le  méprifer  j  mais  humilions-nous  en- 
core à  la  vue  de  tant  d'autres  auiîi  cor- 
rompus ,  &  ,  pour  ainlî  dire ,  auiîi  per- 
dus que  lui ,  qui  ont  eu  le  bonheur  de 
fe  reconnoître  ,  de  fe  relever  ,  d'acqué- 
rir par  la  ferveur  de  leur  pénitence  un 
fond  de  mérites  que  nous  n'avons  pas  , 
Ôc  de  parvenir  dans  le  Ciel  à  un  point 
de  gloire  ,  où  nous  ne  pouvons  guéres 
efpérer  d'atteindre.  Voilà  le  grand  fen- 
timent  que  nous  avons  à  prendre  ,  & 
dont  nous  ne  devons  point  nous  dépar- 
tir. Mais  avançons. 

II.  Myftère ,  qui ,  tout  rigoureux  qu'il 
paroît  de  qu'il  eft  en  effet  3  ne  s'accomplit 
néanmoins  que  félon  les  loix  de  la  plus 
droite  Juftice ,  &  que  par  le  Jugement 
de  Dieu  le  plus  équitable.  Quand  dans 
une  Cour  on  voit  la  décadence  d'un 
Grand  que  le  Prince  éloigne  de  fa 
perfonne  ,  qu'il  bannit  de  fa  préfence, 
qu'il  dégrade  de  tous  les  titres  d'hon- 
neur qui  l'illuftroient  &  le  diftinguoient , 
ce  renverfement  de  fortune  ,  cette  dif- 
grace  répand  dans  les  cœurs  une  ter- 
reur fecrette  :  on  fe  regarde  l'un  l'au^ 


du    Salut.  ioi 

tre  ;  dans  la  fuprife  où  Ton  fe  trouve , 
on  mefure  toutes  fes  paroles  ,  &  l'on 
n'ofe  d'abord  s'expliquer.  Mais  fi  l'on 
apprend  enfuite  les  juftes  fujets  qu'a  eu 
le  Maître  de  frapper  de  fon  indignation 
ce  favori ,  ce  courtifan  ,  &  de  retirer 
de  lui  fes  dons ,  on  revient  alors  de  1  e- 
tonnement  où  l'on  étoit ,  on  impute  à 
la  perfonne  fon  propre  malheur  ,  Se 
l'on  traite  la  conduite  du  Prince  ,  non 
point  de  févérité ,  mais  de  punition  lé- 
gitime ôc  raifonnable. 

Image  parfaite  de  ce  qui  fe  paffe  en- 
tre Dieu  &  l'homme.  Quand  on  nous 
dit  que  Dieu  délaifTe  une  ame  ,  qu'il  ne 
lui  donne  plus  ,   comme  autrefois  3  fes 
foins  paternels ,  qu'il  ne  fait  plus  def- 
cendre  fur  cette  terre  ilérile  &  déferte , 
ni  la  rofée  du  Ciel  pour  l'amollir ,  ni  les 
rayons  du  foleil  pour  l'éclairer  ;  qu'il  n'y 
croît  plus  que  des  ronces  &:  des  épines  : 
quand   nous    entendons    cette  affreufe 
malédiction  que  Dieu  lance  contre  fon 
peuple',  Vous  nefere^plus  mon  peuple  _,  &   Cf?e.  ci 
je  ne  ferai  plus votre  Dieu  .-quand  nous  li-  J'7* 
£ons  au  Livre  des  Rois  cette  trifte  paro- 
le de  Samuel  à  Saùl  5  le  Seigneur  vous  a    i-  Reg* 
rejette  ;  &  que   là  même  nous   voyons  jô*5* 
comment  Pefprit  de  Dieu  fort  de  ce 
Prince  malheureux  ,  8c  va  fufeiter  Da- 

lui 


io2  Substitution  ©es  Grâces 
vid  pour  occuper  le  Trône  d'Ifraeî  ; 
quand  nous  penfons  à  cette  menacé 
'■M&t.c,  prononcée  par  le  Fils  de  Dieu  ,  Plujîeurs 
t.  ii»  viendront  de  l'Orient  &  de  l'Occident  j  Se 
tout  étrangers  qu'ils  font ,  ils  auront  place, 
au  Fejlin  avec  Abraham  j  Ifaac3  &  Jacob 
dans  le  Royaume  des  deux  ;  mais  les  En- 
fans  du  Royaume  feront  jettes  dehors 
dans  les  ténèbres  :  Et  quand  enfin  tout  cela 
fe  vérifie  à  nos  yeux  ,  c'eft-à-dire  y  quand 
nous  fommes  témoins  de  la  corruption 
Se  du  débordement  des  mœurs  où  fe 
font  précipités  des  gens  ,  dont  la  vie  > 
il  y  a  quelques  années ,  étoit  très-régu- 
liere  ,  très-chrétienne ,  très-édifiante  ;  Se 
que  nous  faifons  cette  réflexion,  qu'il  a 
fallu  pour  en  venir  à  de  telles  extrémités, 
qu'ils  aient  été  étrangement  abandon- 
nés de  Dieu  ;  ces  idées  nous  effrayent, 
bous  nous  figurons  Dieu  ,  comme  un 
Juge  formidable  ?  nous  tremblons  fous 
fa  main  toute-puiflante  ,  nous  adorons 
fes  Jugemens  j  mais  autant  que  nous 
les  révérons ,  autant  nous  les  redoutons. 
On  ne  peut  difeon venir  qu'ils  ne  foient 
à  craindre ,  Se  il  eft  bon  même  que  nous 
foyons  touchés  de  cette  crainte  falutai- 
re  dont  le  Prophète  Royal  fouhaitoit 
d'être  pénétré  jufques  dans  la  moelle 
de  fes  os.  Mais  après  tout  3  nous  avons 


du    Salut.  103 

d'ailleurs  de  quoi  nous  raffiner  •  &: 
voici  comment.  Suivant  les  principes 
de  la  Religion  ,  cette  fouftraction  de 
grâces  ne  vient  pas  de  Dieu  primitive- 
ment ,  pour  m'exprimer  de  la  forte  y 
mais  de  nous-mêmes.  Que  veut  dire 
cela  ?  C'eft  que  Dieu  ne  fondrait  à 
l'homme  la  grâce  3  qu'après  que  l'hom- 
me par  fa  réfiftance  s'en  eft  rendu  for- 
mellement indigne  ;  c'eft  que  Dieu  ne 
ceffe  de  communiquer  à  l'homme  fou 
Efprit ,  qu'après  que  l'homme  5  par  une 
obftination  volontaire  &  libre  ,  lui  a 
fermé  l'entrée  de  fon  cœur  •  c'eft  que 
Dieu  n'abandonne  l'homme  3c  ne  le 
retranche  du  nombre  des  Juftes  ,  qu'a- 
près que  l'homme  lui-même  a  aban^ 
donné  Dieu  ,  &  qu'il  s'eft  livré  à  fon 
fens  réprouvé  &  aux  ennemis  de  fon 
falut. 

Il  ne  tenoit  qu'à  cet  homme  d'écou- 
ter la  voix  de  Dieu  ,  de  fuivre  la  grâce 
de  Dieu  5  d'être  fidèle  aux  infpirations 
de  PEfprit  de  Dieu,  de  demeurer ,  avec 
l'aftiftance  d'enhaut ,  inviolablement  at- 
taché à  Dieu  j  &  Dieu  alors  l'eût  tou- 
jours foutenu  ,  lui  eût  toujours  été 
préfent  par  une  protection  confiante  , 
lui  eût  toujours  fourni  de  nouveaux  fe- 
cours  :  car  ne  plaife  au  Ciel  que  jamais 

I  iiij 


ïo4   Substitution  des  Grâces 
nous  donnions  dans  cette  erreur  fi  hau- 
tement condamnée  par  l'Eglife  ,  fça- 
voir   qu'il  y    ait  des  Juftes   que  Dieu 
îaiffe  manquer  des  grâces  néceffaires  y 
lors  même  qu'ils  veulent  agir ,  &  qu'ils 
s'efforcent  d'obéir  à  fes  divines  volon- 
tés félon  l'état  &  le  pouvoir  actuel  où 
ils  fe  trouvent  !  Si  donc  Dieu  inter- 
rompt à  notre  égard  le  cours  de  fa  pro- 
vidence fpirituelle  ,  ôc  Iaiffe  tarir  pour 
nous  les  fources  du  falut  ,  nous  n'en 
pouvons  accufer  que  nous-mêmes.  Il  a 
abandonné  les  Juifs  ;  mais  n'avoit-il  pas 
auparavant   recherché  mille   fois   cette 
ingrate  nation  ,   &  n'avoit-il  pas  em- 
ployé mille  moyens  pour  vaincre  leur 
opiniâtreté  ,  Se  pour  amollir  la  dureté 
Zvc.  c  de  leur  cœur  ?  Jérufalem  j  Jérufalem  j  toi 
:*$  '  34»  qui  verfes  lefang  des  Prophètes _>  &  qui  lapi- 
des ceux  qui  te  font  envoyés^  combien  de 
fois  ai- je  voulu  raffembler  tes  enfans  com- 
me fous  mes  ailes  j&  tu  ne  F  as  pas  voulu? 
Voilà  que  votre  maifon  va  être  déferte. 
Sans  infifter  fur  bien  d'autres  exemples 
affez  connus,  quoiqu'éloignés  de  nous,  il 
abandonne  tous  les  jours  une   infinité 
de  pécheurs  y    mais  fi   nous  pouvions 
pénétrer  dans  le  fecret  de  leurs  âmes , 
nous  verrions  combien  de  fois ,  avant  que 
d'en  venir  là ,  il   a  voulu   les  attire* 


du    Salut.  i o 5 

à  lui  Se  les  gagner  :  Je  vous  ai  appelles  >  Prou,  a 
&  vous  vous  êtes  rendus  fourds  à  ma  pa-  '•  I4* 
rôle  :je  vous  ai  tendu  les  bras  j  &  vous  ave% 
négligé  de  vous  rendre  à  mes  invitations  > 
vous  ave\  méprifé  mes  confeils  _,  vous  na- 
ve%  tenu  nul  compte  de  mes  avertijfemens  _, 
ni  de  mes  menaces.  C'ejl  pourquoi  je  vous 
méprife  moi-même.  Or  qu'y  a-t-il  en  cela 
de  la  part  de  Dieu  que  de  raifonnable  ? 
La  conféquence  que  nous  en  devons  tirer, 
c'eft  de  prendre  bien  garde  à  nous ,  de 
redoubler  chaque  jour  notre  attention  y 
de  conferver  chèrement  le  don  de  Dieu 
iî  nous  l'avons  }  de  ne  nous  mettre  ja- 
mais au  hazard  de  perdre  un  talent  fi 
précieux  :  de  nous  ïouvenir  que  nous 
le  portons  dans  des  vafes  très-fragiles  , 
&  que  c'eft  néanmoins  toute  notre  ri- 
chefle  &  tout  notre  falut.  Allons  encore 
plus  loin  ,  &  achevons. 

III.  Myftère  011  Dieu  fait  tellement 
éclater  la  févérité  de  fa  Juftice  _>  qu'il 
nous  découvre  en  même  tems  tous  les 
tréfors  de  fa  miféricorde ,  &  les  ref four- 
ces  inépuifables  de  fa  providence.  Car 
je  l'ai  déjà  dit  >  &  c'eft  à  quoi  nous  de- 
vons faire  préfentement  une  réflexion 
toute  nouvelle  :  il  n'en  eft  pas  de  notre 
Dieu  3  comme  de  ces  maîtres  intéreffés , 


lôo  Substitution  des  Ghàcës 
qui  reprennent  ieurs  dons  pour  les  a  voit - 
8c  pour  les  garder.  Ce  qu'il  enlevé  d'une  ' 
part ,  il  le  rend  de  l'autre  j  mais  à  qui 
Je  rend-il  ?  à  ceux  que  fa  miféricorde  i 
choira  pour  faire  valoir  ce  que  d'autres  ; 
poilédoient  inutilement  8c  ce  qu'ils  dif- 
îipoient.  De  forte  que  les  dons  de  Dieu, 
fi  je  l'ofe  dire  ainii ,  ne  font  que  chan- 
ger de  mains.  Subftitutions  où  noiTs  ne 
pouvons  anez  admirer  3  ni  les  adorables 
confeils  de  fa  fageife ,  ni  les  foins  pa- 
ternels de  fon  amour.  Et  d'abord  ,  c'eft 
par  de  telles  fubftkutions  qu'il  remplit 
le  nombre  de  fes  Elus.  Car  il  veut  que 
Rom,  c.  ce  nombre  foit  complet  \  &  faudra-t-it 
donc,  difoit  l' Apôtre ^  parce  que  quelques- 
uns  ont  été  incrédules ,  que  par  leur  objli- 
nation  la  promejfe  de  Dieu  demeure  fans 
effet  ?  Faudra-t-il  que  les  favorables  def» 
feins  qu'il  a  plu  à  fon  infinie  bonté  de 
former  fur  le  falut  des  hommes ,  foient 
arrêtés  8c  renverfés  ?  Non  ?  fans  doute  ; 
mais  au  défaut  de  l'un  il  appellera  l'au- 
tre )  l'étranger  deviendra  l'héritier ,  8c 
l'efclave  fuccédera  au  fils  lequel  étoit 
né  libre.  Quand  le  Père  de  famille  ap- 
prend que  ceux  qu'il  avoit  invités  à  fon 
ferlin  ,  ont  refnfé  d'y  venir ,  il  ne  veut 
pas  pour  cela  que  tous  les  apprêts  qu'il 
a  faits  3  foient  perdus  ;  mais  il  ordonné 


3.  3 


d   u    Salut.  107 

fur  l'heure  à  fon  ferviteur  ,  d'aller  dans 
toutes  les-  rues  de  la  Ville ,  8c  de  lui 
amener  les  pauvres  ,  les  paralytiques , 
les  aveugles  ,  les  boiteux  y  8c  quand 
I  malgré  tout  ce  qu'on  a  pu  ramafler  de 
monde  ,  on  liû  rapporte  encore  qu'il  y 
a  des  places  qui  relient ,  il  donne  un 
nouvel  ordre ,  qu'on  cherche  hors  la 
Ville  3  dans  les  chemins  8c  le  long  des 
haies  ,  8c  qu'on  prefle  les  gens  d'en- 
trer :  pourquoi  ?  Afin  ,  dit-il ,  que  ma  Luc*  g, 
maifonfe  remplïjfe.  C'eit  ainfi  que  les  *' I4é 
Anges  rebelles  ayant  laifïe  par  leur  chu- 
te comme  un  grand  vuide  dans  le  Ciel , 
Dieu  leur  a  fubftitué  les  hommes  j  ne 
voulant  pas  que  la  damnation  de  ces 
Efprits  réprouvés  interrompît  le  cours 
de  fes  largefTes  ,  ni  qu'elle  mît  des  bor- 
nes à  fa  miféricorde.  Or  ce  qui  eft  vrai 
des  Anges  à  l'égard  des  hommes  ,  i'eft 
pareillement  d'un  homme  à  l'égard  d'un 
autre  homme. 

-JDe  plus  :  c'eit  par  ces  mêmes  îubfti- 
mtions  que  Dieu  tourne  le  mal  en  bien  5 
8c  que  le  péché  fert  ail  falut  des  pé- 
cheurs 8c  à  leur  fanctification.  Ce  pé- 
cheur abufoit  de  telle  grâce ,  8c  Dieu 
l'a  tranfportée  à  cet  autre  ,  auiîi  pé- 
cheur ,  peut-être  même  plus  pécheur 
que  lui  j  mais  qui ,  dans  l'heureux  mo- 


'ïo8  Substitution  des  Grâces 
ment  où  la  grâce  vient  tout  de  nouveau 
le  folliciter  ,  cède  enfin  à  l'attrait  &  le 
fuit ,  fe  reconnoît  5  fe  convertit ,  com- 
ble de  confolation  toutes  les  perfonnes 
qui  s'intéreffent  à  fon  faîut.  Cet  olivier 
fauvage  3  enté  fur  l'olivier  franc  dont 
les  branches  ont  été  rompues  ,  produit 
des  fruits  au  centuple ,  ôc  d'excellens 
fruits.  Ce  pénitent  efface  tout  le  paiTé 
par  la  ferveur  de  fa  pénitence  ,  il  s'a- 
vance ,  il  fe  perfectionne ,  il  devient  un 
Saint  :  voilà  l'œuvre  du  Seigneur ,  voi- 
là le  miracle  de  fa  droite  ,  voilà  ce  qui 
répand  l'édification  fur  la  terre ,  &  la 
joie  dans  toute  la  Cour  célefte.  Ajou- 
tez que  fouvent  dans  ces  fubftitutions 
la  perte  d'un  petit  nombre  de  pécheurs 
eft  plus  que  fuffifamment ,  &  même 
plus  qu'abondamment  compenfée  par 
le  grand  nombre  des  autres  que  Dieu 
prend  delà  occafion  de  fauver.  Qu'é- 
toit-ce  que  le  peuple  Juif  en  compa- 
raifon  de  toutes  les  nations  du  monde  ? 
Or  parce  que  cette  petite  contrée  n'a 
pas  reçu  la  Loi  évangélique ,  à  quelles 
nations  &  en  quels  lieux  les  Apôtres  ne 
l'ont-ils  pas  prêchée?  Ils  fe  font  difper- 
£és  dans  le  monde  entier  j  ils  y  ont  fait 
retentir  le  nom  de  Jefus-Chrift  j  ils  y 
ont  procuré  le  falut  d'une  multitude  in- 


du    Salut.  109 

nombrable  d'Elus.  Maifon  d'Ifraël  , 
ouvre  les  yeux  ,  8c  vois  en  quelle  folitu- 
de  tu  es  reftée  ;  il  n'y  a  plus  pour  toi , 
ni  temple ,  ni  autel ,  ni  Prophètes  j  mais 
du  levant  au  couchant  ,  du  midi  au 
feptentrion,  que  de  Prédicateurs  ont 
été  envoyés ,  que  de  Miniftres  ont  été 
confacrés  ,  que  d'Autel  ont  été  érigés  , 
que  de  Temples  ont  été  confiants  en 
l'honneur  du  Dieu  immortel  !- Quelle 
moifïbn  !  quelle  récolte  ,  que  tant  d'a- 
mes  qui  l'ont  connu  ,  qui  l'ont  glorifié  , 
qui  fe  font  dévouées  à  lui  &  à  fon  Fils 
unique ,  leur  Meilie  Ôc  leur  Sauveur! 
Tant  il  eft  vrai ,  &  tant  le  Prophète  a 
eu  fujet  de  dire  ,  que  les  miféricordes  du 
Seigneur  font  au-deffus  de  f es  jugements. 
Mais  ce  n'eft  pas  encore  tout  ;  &  il 
me  femble  que  dans  les  fubftitutions 
dont  je  parle ,  &  dont  je  tâche ,  autant 
qu'il  m'eft  permis ,  de  développer  le 
profond  Myftére  ,  je  découvre  quel- 
ques traits  de  la  miféricorde  divine  ,  à 
l'égard  même  du  pécheur  que  Dieu  pri- 
ve de  certaines  grâces  pour  les  répandre 
ailleurs.  Car  ces  grâces ,  par  l'abus  que 
ce  pécheur  en  faifoit ,  ne  ferviroient 
qu'à  le  rendre  plus  criminel  ôc  plus  re- 
devable à  la  Juftice  de  Dieu  :  fi  bien 
cjue  dans  un  fens  >  il  vaut  mieux  pour 


îio     Substitution  des  Grâces 
lui  de  ne  les  point  avoir  ,  que  de  les 
tourner  à  fa  ruine  &  à  fa  condamnation. 
Donnons  à  Dieu  la  gloire  qui  lui  eu: 
due  j   reconnoiflons  en  toutes  chofes  la 
droiture  &  la  fainteté  de  (es  voies.  Si 
dans  la  vue  des  déréglemens  de  notre 
vie,   nous  craignons  qu'il  ne  nous  ait 
abandonnés  ,    ne    nous    abandonnons 
point    nous-mèrnes  ,   c'eft-à-dire  ,    ne 
nous  perfuadons  point  qu'il  n'y  ait  plus 
de  retour  à  efpérer ,  ni  de  Dieu  à  nous  , 
ni  de  nous  à  Dieu.  Tant  que  nous  vi- 
vons en  ce  monde ,  il   y  a  toujours  un 
fonds    de    grâces   dont   nous   pouvons 
ufer.  Avec  ce  fonds  de  grâces  ,   tout 
petit  qu'il  eft  ,  nous  pouvons  gémir  , 
prier ,    reclamer  la  bonté  divine  ;    6c 
pourquoi  le  Seigneur   ne  nous  écoute- 
roit-il  pas  ?   Heureux  le  fidèle  qui  met  1 
toute  fon   étude  &  toute  fon  applica- 
tion à  fe  pourvoir  pour  le  falut  :  qui  ne 
peut  fouffrir  fur  cela  le  moindre  déchet  ; 
qui  bien  loin  de  fe  lailîer  ravir  ce  qu'il 
pofTede  ,  le   fait  croître  chaque  jour, 
6c  ajoute  mérites  fur  mérites.  11  doit 
fouhaiter  le  falut  de  tous  les  hommes  , 
il  le  doit  demander  à  Dieu  ,  6c  c'efi: 
ce  que  la  charité  nous  infpire  j  mais 
avant  le  falut  des  autres ,  il  doit  deman- 
der le  lien  8c  le  fouhaiter  par  préférence  j 


du     Salut.  iii 

car  en  matière  de  falut  5  voila  le  pre- 
mier objet  de  notre  éharité. 

Ah  !  quel  fera  le  mortel  dépit ,  quelle 
fera  la  confternation  de  tant  de  réprou- 
vés au  Jugement  de  Dieu  ,  quand  il 
leur  montrera  les  places  qu'il  leur  defti- 
noit  5  &  dont  ils  feront  éternellement 
exclus!  Quand,  dis-je ,  un  Eccléfiafti- 
que  verra  en  fa  place  un  Laïque  ;  quand 
i  un  Religieux  verra  en  fa  place  un  hom- 
me du  £écle  j  quand  un  Chrétien  verra 
en  fa  place  un  infidèle.  Nous  fommes 
fi  jaloux  de  garder  chacun  nos  droits 
&  nos  rangs  dans  le  monde }  foyons-le 
mille  fois  plus  encore  de  les  pouvoir 
garder  un  jour  dans  le  Ciel. 


ni        Petit    nombre 

■8©0©©©  ©  ©  ©  ®©@©@@ 

Petit  nombre  des  Elus  ;  de  quelle 
manière  il  faut  F  entendre  y  &  le 
fruit  quon  peut  retirer  de  cette 
vérité. 


i 


L  eft  confiant  que  le  nombre  des 
Elus  fera  le  plus  petit ,  Se  qu'il  y  au- 
ra incomparablement  plus  de  réprou- 
vés. Or  c'eft  une  queftion  que  font  les 
Prédicateurs,  fçavoir  s'il  eft  à  propos 
d'expliquer  aux  peuples  cette  vérité ,  Ôc 
de  la  traiter  dans  la  Chaire ,  parce 
qu'elle  eft  capable  de  troubler  les  âmes , 
Ôc  de  les  jetter  dans  le  découragement. 
J'aimerois  autant  qu'on  me  demandât 
s'il  eft  bon  d'expliquer  aux  peuples  l'E- 
vangile ,  &  de  le  prêcher  dans  la  Chai- 
re. Hé  !  qu'y  a-t-il  en  effet  de  plus  mar- 
qué dans  l'Evangile ,  que  ce  petit  nom- 
bre des  Elus  ?  Qu'y-a-t-il  que  le  Sau- 
veur du  monde  dans  fes  divines  inftruc- 
tions  nous  ait  déclaré  plus  authentique- 
ment  3  nous  ait  répété  plus  fouvent , 
nous  ait  fait  plus  formellement  &  plus 
'Mat.  c.  clairement  entendre  ?  Beaucoup  font  ap- 
pelles j  mais  peu  font  élus:  c'eft  ainfl  qu'il 

conclut 


20.  16 


des     Elus.  î  i  $ 

tonclut  quelques-unes  de  fes  paraboles. 
Le  chpmin  qui  mené  à  la  perdition  3  eji  Mm.  c, 
large  &fpacieux  _,  dit-il  ailleurs}  legrand?'1!-1** 
nombre  va  là.  Mais  que  la  voie  qui  conduit 
I  à  la  vieejl  étroite  !  il  y  en  a  peu  qui  y  mar~ 
]  chent. Faites  effort  pour  y  entrer.  Eft-il  rien 
de  plus  précis  que  ces  paroles  ?  Voilà  ce 
que  le  Fils  de  Dieu  enfeignoit  publique- 
'  ment  ;    voilà  ce  qu'il  inculquoit  à  fes 
i  Difciples  ,   ce   qu'il    repréfentoit    fous 
:  différentes  ligures  qu'il  leroit  trop  long 
de  rapporter.  Sommes-nous  mieux  inf- 
j  truits  que  lui  de  ce  qu'il  convient  ou  ne 
;  convient  pas   d'annoncer  aux  fidèles? 
!  Prêchons  l'Evangile  ,    3c    prêchons-le 
fans  en  rien  retrancher  5    ni    en  rien 
adoucir  •    prêchons-le  dans   toute    fon 
étendue  ,  dans  toute  fa  pureté  ,   dans 
toute  fa  févérité  _>  dans  toute  fa  force. 
Malheur  à  quiconque  s'en  fcandaîifera  5 
il  portera  lui-même ,  3c  luifeul,  la  peine 
de  fon  fcandale. 

On  dit  :  ce  petit  nombre  d'Elus  , 
cette  vérité  fait  trembler.  Mais  auiîî 
l'Apôtre  veut-il  que  nous  opérions  no- 
tre faiut  avec  crainte  3c  avec  tremble-- 
ment.  On  dit  :  c'eft  Une  matière  qui 
trouble  les  confciences.  Mais  aulîi  eft- 
il  bon  de  les  troubler  quelquefois  ,  &  il 
vaut  mieux  les  réveiller  en  les  troublant, 
Tome  L  K 


1*4  .Petit  nombre 

que  de  les  laiffer  s!endormir  dans  un  tem- 
pos oifif  &  trompeur.  Enfin  ,  dit-on  , 
l'idée  d'un  fi  petit  nombre  d'Elus  dé- 
courage 8c  défefpere.  Oui ,  cette  idée 
peut  décourager  8c  peut  même  défefpé- 
rer ,  quand  elle  eft  mal  conçue ,  quand 
elle  eft  mal  propofée  3  quand  elle  eft 
portée  trop  loin  3  8c  fur-tout  quand  elle 
eft  établie  fur  de  faux  principes  3c  fur 
des  opinions  erronées.  Mais  qu'on  la 
conçoive  félon  la  vérité  de  la  chofe  y 
qu'on  la  propofe  telle  qu'elle  eft  dans 
fon  fonds  ,  8c  non  point  telle  que  nous 
l'imaginons  }  qu'on  la  renferme  en  de 
juftes  bornes ,  hors  defquelles  un  zèle 
outré  8c  une  févérité  mal  réglée  peu- 
vent la  porter  •  qu'on  Fétablifie  fur  de 
bons  principes ,  fur  des  maximes  conf- 
iantes ,  fur  des  vérités  connues  dans  le 
Chriftianifme  :  bien  loin  alors  qu'elle 
jette  dans  le  découragement ,  rien  n'eft 
plus  capable  de  nous  émouvoir  >  de 
nous  exciter ,  d'allumer  toute  notre  ar- 
deur ,  8c  de  nous  engager  a  faire  les  der- 
niers efforts  pour  afîurer  notre  falut ,  8c 
pour  avoir  place  parmi  la  troupe  bien- 
heureufe  des  prédeftinés.  Il  s'agit  donc 
présentement  de  voir  comment  ce  fuj et 
doit  être  touché  .5  quels  écueils  il  y  faut 
éviter  >  8c  félon  qgels  principes  il  y  faut 


des     Elus.  i  i  £ 

raifonner ,  afin  de  le  rendre  utile  8c  pro- 
fitable. 

Je  l'avoue  d'abord ,  &  je  m'en  fuis 
affez  expliqué  ailleurs  ,  il  y  a  certaines 
méthodes  ,  fuivant  lefquelles  on  ne  peut 
prêcher  le  petit  nombre  des  Elus  ?  fans 
ruiner  l'efpérance   chrétienne  ,  8c  fans 
mettre  fes  Auditeurs  au  défefpoir.  Par 
exemple ,  prêcher  qu'il  y  aura  peu  d'Elus, 
patee  que  Dieu  ne  veut  pas  le  falut  de 
tous  les   hommes  ,    parce   que  Jefus- 
Chrift  Fils  de   Dieu  n'a  pas    répandu 
fon  fang  ni  offert  fa  mort  pour  le  fa- 
lut de  tous  les  hommes ,   parce  qu'il  ne 
!  donne  pas  fa  grâce  ni  ne  fournit  pas  les 
moyens  de  falut   à  tous   les  hommes  , 
parce    qu'il   réferve  à  quelques-uns  ùs 
bénédictions  ,    qu'il  épanche    fur   eux 
avec   profuflon  toutes    fes    richeifes  8c 
toutes   fes    miféricordes  ,   tandis    qu'il 
lairTe  tomber  fur  les  autres  toute  la  ma- 
lédiction attachée  à  ce  péché  d'origine 
qu'ils    ont   apporté   en  naiffant  :  je  le 
fçais  ,  encore  une  fois  ,  8c  j'en    con- 
viens  ,     débiter    dans    la    Chaire    de 
pareilles  propolirions  ,  8c  s'appuyer  fur 
de  femblables  preuves ,  pour  conclure 
précifément  de-là  ,  que  très-peu  entre- 
ront dans  l'héritage  célefte  ,  8c  parvien- 
dront à  la  vie  éternelle  3  c'eft  fcandali- 

Ki] 


ï  1 6         Petit    nombre 
fer"  un  Auditoire  ,    &  ralientir  tonte» 
fa  ferveur  en  tenverfant  toutes  fes  pré- 
tentions au  Royaume  de  Dieu.  Chacun 
dira  ce  que  les  Apôtres  dirent  au  Sau- 
Mat.  ç.  veiu*  du  monde.  :  Si  cela  ejl  de  la  forte  J 
tl$*  zî'  qui  ejl- ce  qui  -pourra  être  fauve  ?  Mais 
quel  £eroit  le  Prédicateur  allez  peu  inf- 
trait ,  pour  ignorer  que  comme  notre 
Ofée  c.  falut  vient  de  Dieu  ,  notre  perte  ne  vient 
que  de  nous-mêmes  ;  de  qu'ainfi  c'eft  dans 
l'homme ,  &  non  pas  en  Dieu  ,  qu'il  faut , 
toujours  en  chercher  la  caufe. 

Afin  donc  de  prendre  le  point  jufte 
où  l'on  doit  s'en  tenir,,  fi  j'entreprenois 
de  faire  un  difeours  fur  le  petit  nombre 
des  Elus  y  voici ,  ce  me  femble  ,  quel 
en  devroit  être  le  fonds.  Je  poferois 
avant  toutes  chofes.  les  principes  fui- 
vans, 

i .  Que  nous  avons  tous  droit  d'efpé- 
rer  que  nous  ferons  du  nombre  des 
Elus  :  droit  fondé  fur  la  bonté  &c  fur  la 
miféricorde  de  Dieu  qui.  nous  aime 
tous  comme  fon  ouvrage  ,  &  dont  la 
providence  prend  foin  de  tous  les  Etres 
que  fa  puiflance  a  créés  :  droit  fondé  fui 
les  promeuves  de  Dieu  qui  nous  regar- 
dent tous,  fur-tout  comme  chrétiens: 
car  c'eft  à  nous  aiiiH-bien  qu'aux  fidèles 
de  Corinthe  ,   que  Saint  Paul  difok 


D    E  S      E    L    U    S,  117 

Ayant  donc  _,  mes  très-chers  Frères  j  de 
telles  promeffes  de  la  part  du  Seigneur  j 
purifions-nous  de  toute  fouillure  3  &  ache- 
vons  de  nous  fanclifier  dans  la  crainte  de 
Dieu  :  droit  fondé  fur  les  mérites  infinis 
de  J.  C.  auxquels  nous  participons  tous , 
ôc  en  vertu  defquels  nous  pouvons  ôc  nous 
devons  tous  le  reconnoître  comme  notre 
Sauveur  :  croit  fondé  fur  la  grâce  de  no- 
tre adoption^  puifque  nous  tous  qui  avons 
été  baptifés  en  Jefus-Chrift  ,.  nous  avons 
acquis  un  pouvoir  fpecial  de  devenir  en- 
fans  de  Dieu,  Or  tous  les  enfans  ont  droit 
à  l'héritage  du  père  ,  ôc  par  conféquent 
en  qualité  d' enfans  de  Dieu  nous  avons 
tous  droit  à  l'héritage  de  Dieu. 

2.  Que  non-feulement  nous  fommes 
tous  en  droit ,  mais  dans  une  obliga- 
tion indifpenfable  ,  d'efpérer  que  nous 
ferons  du  nombre  des  Elus.  Comment 
cela  ?  C'eft  que  Dieu  nous  commande  à 
tous  d'efpérer  en  lui  ,  de  même  qu'il 
nous  commande  a  tous  de  croire  en  lui 
ôc  de  l'aimer.  L'efpérance  en  Dieu  eft 
donc  pour  nous  cîune  obligation  auiîi 
étroite ,  que  la  Foi  Ôc  que  l'Amour  de 
Dieu.  Or  être  obligé  d'efpérer  en  Dieu, 
c'eft  être  obligé  d'efpérer  le  Royaume 
de  Dieu ,  la  pofTeffion  éternelle  de  Dieu, 
la  gloire  ôc  le  bonheur    des  Elus  de 


ïiB  Petit  nombre 
Dieu  :  de  forte  qu'il  ne  nous  eft  jamais 
permis  ,  tant  que  nous  vivons  fur  la  ter- 
re 3  de  nous  entretenir  volontairement 
dans  la  penfée  Se  la  créance  formelle  , 
que  nous  ferons  du  nombre  des  réprou- 
vés' :  pourquoi  ?  parce  que  dès-lors  nous 
ne  pourrions  plus  pratiquer  la  vertu 
d'efpérance  ,  ni  en  accomplir  le  com- 
mandement. 

3 .  Qu'il  n'y  a  point  même  de  pécheur 
qui  ne  doive  conferver  cette  efpérance  > 
qui  ne  commette  un  nouveau  péché 
quand  il  vient  à"  perdre  cette  efpérance  y 
qui  ne  fe  rende  coupable  du  péché  le 
plus  énorme  ,  ou  plutôt  qui  ne  mette 
le  comble  à  tous  fes  péchés  ,  quand  il 
renonce  tout-a-fait  à  cette  efpérance, 
de  qu'il  l'abandonne.  Car  comme  je  l'ai 
déjà  fait  remarquer ,  on  peut  être  ac- 
tuellement pécheur  &c  être  un  jour  au 
nombre  des  Elus  :  témoin  Saint  Pierre ,. 
témoin  Saint  Paul ,  témoin  Magdelaine. 
Ce  n'eft  pas  ,  à  Dieu  ne  plaife  y  en  de- 
meurant toujours  pécheur ,  mais  en  fe 
convertiiTant.  Or  il  n'y  a  point  de  pé- 
cheur, dont  Dieu  ne  veuille  la  conver- 
Ezech.  (ion  :  Ce  nefl  point  la  mort  des  pécheurs 
j'j^'  que  je'  demande  ;  mais  je  veux  quilsfe 
convertirent  &  qu'ils  vivent.  Ce  ne  font 
que  les  pécheurs  que  Jefus-Chrifl  eft  venu 


desElus.  119 

thercher  &  racheter:  Lorfque  nous  étions  Rom.c* 
encore  pécheurs  _,  &  ennemis  de  Dieu  j  5* 
nous  avons  été  réconciliés  par  f on  Fils.  Il 
'  n'y  a  point  de  pécheur  qui  ne  doive  ré- 
parer fes  péchés  par  une  vie  pénitente  : 
Si  vous  ne  faites  pénitence  _,  vous  périr 'qr  Luc» 
tous.  Donc  tout  cela  étant  efïentielle-  1i*U 
ment  lié  avec  l'efpérance  en  Dieu ,  il 
n'y" a  point  de  pécheur  qui  ne  la  doive 
toujours  garder  dans  fon  cœur  quelque 
•pécheur  qu'il  foit  du  refte ,  de  en  quelque 
abîme  qu'il  fe  trouve  plongé. 

Ces  principes  fuppofés  comme  autant 
de  maximes  incontestables  ,  j'examine- 
rois  enfuit e  ,  non  point  s'il  y  aura  peu 
d'Elus  ,  puifque  Jefus-Chrift  nous  l'a 
liîi-même  marqué  exprefïement  dans 
fon  Evangile  :  mais  pourquoi  il  y  en 
aura  peu  ;  &  il  ne  me  feroit  pas  difficile 
d'en. donner  la  raifon,  fçavoir  ,  qu'il  y 
en  a  peu  Se  fort  peu  qui  marchent  dans 
la  voie  du  falut  y  &c  qui  veuillent  y 
marcher.  Je  ne  dis  pas  qu'il  y  en  a  peu 
qui  puiflent  y  marcher  :  car  une  au- 
tre vérité  fondamentale  que  j 'établi- 
rois  ,  c'eft  que  nous  le  pouvons  tous 
avec  la  grâce  divine ,  qui  ne  nous  eft 
point  pour  cela  refufée  j  que  tous ,  dis- 
je ,  nous  pouvons ,  chacun  dans  notre 
état ,  accomplir  ce  qui  nous  eft  preferk 


no  Petit  nombre 
de  la  parc  de  Dieu  pour  mériter  la  cou- 
ronne ,  8c  pour  affurer  notre  falut.  Sur 
quoi  je  reprendrois  8c  je  conclurois  3 
que  fi  le  nombre  des  Elus  fera  petit , 
même  dans  le  Chrirtianifuie  3  c'eft  par 
la  faute  8c  la  négligence  du  grand  nom- 
bre des  chrétiens  ;  que  c'eft  par  leur 
conduite  toute  mondaine ,  toute  payen- 
ne ,  toute  contraire  à  la  Loi  qu'ils  ont 
embraflfée  ,  8c  à  la  Religion  qu'ils  pro- 
feffent. 

De-là  prenant  l'Evangile  8c  entrant 
dans  le  détail ,  je   dirois  :  A  qui  eft-ce 
*  que  le  falut  eft  promis  ?  à  ceux  qui  fe 
Matu  c.  font  violence  :  ï)epuïs  le  tems  de  Jean?* 
l'    '    Baptijle  j uf qu'à  préfent  y  le  Royaume  des 
deux  fe  prend  par  force^  &  ceux  quuy 
employent  la  force  _,  le  ravijfent  :  A  ceux 
qui  fe  renoncent  eux-mêmes  ,  qui  por- 
tent leur  croix,  qui  la  portent  chaque 
jour ,  8c  qui  confentent  à  la  porter  :  Si  { 
Mat\  c.  quelqu'un  veut  venir  après  moi ,  qu'il  re~\ 
■xô.  24    nonce  à  foi-même  _,  qu'il  prenne  fa  croix  >  \ 
qu'il  la  porte  tousles  jours  ,  &  qu'il  me 
Juive  :  A  ceux  qui  obfervent  les  comman- 
démens  ,  fur-tout  les  deux  commande- 
mens  les  plus  effentiels  qui  font  l'amour 
de  Dieu  8c  la  charité  du  prochain  :  Tous 
Lucc.    aimere^  te  Seigneur  votre  Dieu  de  tout 
xo.  27»  votrc  cœurj  &  votre  prochain  comme  vous* 

même  ; 


des    Elus,  rir 

prime  ;  faites  cela  ,  &  vous  vivre^  :  A 
Ceux  qui  travaillent  pour  Dieu  ,  qui 
agirent  félon  Dieu ,  qui  pratiquent  les 
bonnes  œuvres ,  8c  font  en  toutes  chofes 
la  volonté  de  Dieu  :  Ceux  qui  me  difent  j  Mattk* 
Seigneur  3  Seigneur  ^  n'entreront  pas  tous 
dans  le  Royaume  des  deux  :  mais  celui 


C.7.2-!' 


qui  fera  la  volonté  de  mon  Père  célejl 
celui-là  entrera  dans  le  Royaume  des 
deux  :  A  ceux  qui  mortifient  leurs  pai- 
fions  ,  qui  furmontent  les  tenta- 
tions ,  qui  s'éloignent  des  voies  du 
monde  8c  de  les  fcandales  3  qui  fe 
préfervent  du  péché ,  qui  fe  maintien- 
nent dans  l'ordre  ,  dans  la  règle  ,  dans 
l'innocence ,  ou  qui  fe  relèvent  au  moins 
par  la  pénitence  ,  8c  y  perféverent  juf- 
qu'à  la  mort.  Voilà  le  caractère  des 
JÊlus  \  mais  £ms  cela  ce  feroient  im- 
manquablement des  réprouvés.  Or  y  en 
a-t-il  beaucoup  parmi  les  Chrétiens 
mêmes  ,  à  qui  ces  caractères  convien- 
nent? Là-deïfus  je  renvoyerois  à  l'ex- 
périence :  c'eft  la  preuve  la  plus  fenfible 
6c  la  plus  convaincante.  Sans  juger  mal 
de  perfonne  en  particulier  ,  ni  damner 
perfonne  ,  il  fuffit  de  jetter  les  yeux  au- 
tour de  nous  3  8c  de  parcourir  toutes  les 
conditions  du  monde  5  pour  voir  com- 
bien il  y  en  a  peu  qui  faifent  quelque 
Tome.  L  L 


j%i  Petit  nombre 

chofe  pour  gagner  le  Ciel  ;  peu  qui  fca-» 
client  profiter  des  croix  de  la  vie ,  ë£ 
qui  les  reçoivent  avec  foumiffion  j  peu 
qui  donnent  à  Dieu  ce  qui  lui  eft  dû ,  qui 
l'aiment  véritablement ,  qui  le  fervent 
fidèlement ,  qui  cherchent  à  lui  plaire 
en  accompliffant  fes  faintes  volontés  j 
peu  qui  s'acquittent  envers  le  prochain 
des  devoirs  de  la  charité ,  qui  en  aient 
dans  le  cœur  les  fentimens ,  &  qui  dans 
la  pratique  en  exercent  les  œuvres  \ 
peu  qui  veillent  fur  eux-mêmes  ,  qui 
fuient  les  occafions  dangereufes  ,  qui 
combattent  leurs  pallions ,  qui  réfiilentf 
a  la  tentation  de  i  intérêt  5  à  la  tentation 
de  l'ambition  3  à  la' tentation  du  plaifir 


3 

à  la  tentation  de  la  vengeance ,  à  la  ten- 


tation de  l'envie  ,  à  tontes  les  autres  , 
&  qui  ne  tombent ,  en  y  fuccombant  , 

dans  milles  péchés  j  peu  qui  reviennent 
de  leurs  égaremens ,  qui  fe  dégagent  de 
leurs  habitudes  vicieufes  ,  qui  £z£fent :  J 
après  leurs  défordres  paiTés ,.  une  péni- 
tence folide  3  efficace  ,  durable.  Et  quel 
eft  aulli  le  langage  ordinaire  fur  la  cor- 
ruption des  mœurs  ?■  Ce  ne  font  point 
feulement  les  gens  de  bien ,  mais  les  plus 
libertins  qui  en  parlent  hautement. 
N'entend-on  pas  dire  fans  ceiTe  que 
lout  eft  renverfé  dans  le  monde  :  qu@ 


des     Elus.  113 

le  dérèglement  y  eft  général  j  qu'il  n'y 
a  ni  âge  ni  fexe ,  ni  état ,  qui  en  foit 
exempt  ,  qu'on  ne  trouve  prefque  nulle 
part  ni  religion,  ni  crainte  de  Dieu  , 
ni  probité  ,  ni  droiture  ,  ni  bonne  foi  , 
ni  juflice,  ni  charité,  ni  honnêteté,  ni 
•  pudeur  •  que  ce  n'eft  par-tout  ou  prefque 
par-tout ,  que  libertinage  ,  que  diifo- 
lution  ,  que  menfonge  ,  que  trompe- 
ries ,  qu'envie  de  s'agrandir  &  de  do- 
miner ,  qu'avarice  ,  qu  ufure ,  que  con- 
cuiîions ,  que  médifances ,  qu'un  mont 
mieux  aifemblage  de  toutes  les  iniqui- 
tés. Voila  comment  on  nous  repréfente 
le  monde  \  voilà  quelle  peinture  on  en 
fait ,  &:  comment  on  s'en  explique.  Or 
parler  de  la  forte  ,  n'eft-ce  pas  rendre 
un  témoignage  évident  du  petit  nom- 
bre des  Elus  ? 

Et  fi  l'on  fe  retranchoit  à  me  dire  que 
c  eft  la  mort  après  tout  qui  décide  dir 
fort  éternel  des  hommes  ;  que  ce  n'eil 
ni  du  commencement  ,  ni  même  du 
cours  de  la  vie ,  que  dépend  abfolu- 
ment  le  falut ,  mais  de  la  fin  ;  &  que 
tout  conhfte  à  mourir  dans  des  difpofi- 
tions  chrétiennes  :  il  eft  vrai,  répondrais- 
je,  mais  on  ne  peut  gueres  efpérer  de 
mourir  dans  ces  difpoiïtions  chrétien- 
nes ,  qu'après  y  avoir  vécu  }  puifqu  il 


124  Petit  nombre 
y  en  a  très-peu  qui  y  vivent  ,  je  conclu-; 
rois  qu'il  y  en  a  très-peu  qui  y  meurent. 
Car  il  me  feroit  aifé  de  détruire  la  fauffe 
opinion  des  mondains  ,  qui  fe  persua- 
dent que  pour  bien  finir  &  pour  mourir 
chrétiennement  ,  il  n'eft  queftion  que 
de  recevoir ,  dans  l'extrémité  de  la  ma- 
ladie ,  les  derniers  Sacremens  de  FEglifç 
8c  de  donner  certains  fignes  de  repen- 
tir. Ah  !  qu'il  y  a  là-deifus  d'iliunon  , 
A  peine  oferois-je  déclarer  tout  ce  que 
j'en  penfe. 

Non  certes ,  il  ne  s'agit  point  feule- 
ment de  les  recevoir ,  ces  Sacremens  fi 
faints  en  eux-mêmes ,  ôc  fi  falutaires , 
mais  il  faut  les  recevoir  faintementj 
c'efl-a-dire  ,  qu'il  faut  les  recevoir  avec 
une  véritable  converfion  de  cœur ,  & 
voilà  le  point  de  la  difficulté.  Je  n'en- 
treprendrois  pas  d'approfondir  ce  terri- 
ble myftère ,  &  j'en  laifferois  à  Dieu  le 
jugement.  Mais  du  relie  n'ignorant  pas 
à  quoi  fe  rédurfent  la  plupart  de  ces 
converfions  à  la  mort  5  de  ces  conver- 
fions  précipitées  ,  de  ces  converfions 
commencées  ,  exécutées  9  confommées 
dans  l'efpace  de  quelques  momens ,  où 
Ton  ne  connoît  plus  guères  ce  que  l'on 
fait}  de  ces  converfions  qui  feroient 
autant  de  miracles ,  û  c'étoient  de  bon- 


des     Elus.  125 

tees  Se  de  vraies  converfions  :  8c  fça- 
chant  combien  il  y  entre  fouvent  de 
politique  ,  de  fageffe  mondaine ,  de  cé- 
rémonies ,  de  refpect.  humain  ,  de  corn- 

!  plaifance  pour  des  amis  ou  des  parens  5 
de  crainte  fer  vile  8c  toute  naturelle,  de 
demi-Chriftianifme  ,  je  m'en  tiendrois 

!  au  fentiment  de  Saint  Auguftin  ,  ou 
plutôt  à  celui  de  tous  les  Pères  ,  3c  je 
dirois  en  général ,  qu'il  efi  bien  à  craindre 
que  la  pénitence  d'un  mourant  j  qui  nefi. 
pénitent  quà  la  mort  j  ne  meure  avec  lui , 
&  que  ce  ne  foit  une  pénitence  réprouvée, 
A  ce  nombre  prefque  infini  de  faux  pé- 
nitens  à  la  mort ,  j'ajouterois  encore  le 
nombre  très-confidérable  de  tant  d'au- 
tres que  la  mortfurprend,  qu'elle  enlevé 
tout  d'un  coup ,  qui  meurent  fans  Sa- 
cremens ,  fans  fecours ,  fans  connoiflan- 
ce  ,  fans  aucune  vue  ni  aucun  fenti- 
ment de  Dieu  \  8c  de  tout  cela  je  vien- 
drois  fans  hériter  ,  après  le  Sauveur  du 
monde,  à  cette  affreufe  conféquence:  Màttfa 
Beaucoup  d' appelles  &  peu  d'élus.        •      c.  zz. 

Cette  importante  matière  traitée  de  *4* 
la  forte  ne  doit  produire  aucun  mauvais 
effet ,  8c  en  peut  produire  de  très-bons. 
Elle  ne  doit  défefpérer  perfonne  ,  puif- 
qu'il  n'y  a  perfonne  qui  ne  puiffe  être 
du  petit  nombre  des  Elus.  Je  dis  plus , 

L  il) 


'lie  Petit  nombre 

Ôc  quand  il  y  en  auroit  quelques-uns 
que  ce  fujet  défefpérât ,  qui  font-ils  ? 
ceux  qui  ne  veulent  pas  bien  leur  falut  j' 
ceux  qui  ne  font  pas  déterminés  3  corn  - 
me  il  le  faut  être ,  à  tout  entreprendre 
3c  atout  faire  pour  le  falut  j  ceux  qui 
prétendent  concilier  enfemble  ôc  accor- 
der une  vie  molle  ,  fenfuelle  ,  commo- 
de ,  avec  le  falut  \  une  vie  fans  œuvres , 
fans  gêne ,  fans  pénitence  3  avec  le  falut  ; 
l'amour  du  monde  ,  avec  le  falut  j  les  paf- 
ïïons ,  les  inclinations  naturelles  ,  avec  le 
falut  y  ceux  qui  cherchent  à  élargir  , 
autant  qu'ils  peuvent ,  le  chemin  du  fa- 
lut ,  ôc  qui  ne  fçauroient  foufFrir  qu'on 
le  leur  propofe  auffi  étroit  qu'il  l'eft, 
parce  qu'ils  ne  fçauroient  fe  réfoudre  à 
tenir  une  route  ii  difficile.  Ceux-là ,  j'en 
conviens  ,  à  l'exemple  de  ce  jeune 
homme  qui  vint  confulter  le  Fils  de 
Dieu  ,  s'en  retourneront  tout  triftes  ôc 
tout  abbatus  :  mais  cette  triftelfe  ,  cet 
abattement ,  ils  ne  pourront  l'attribuer 
qu'à  eux-mêmes  ,  qu'à  leur  foiblerTe 
volontaire  ,  qu'à  leur  lâcheté  ;  Se  tout 
bien  examiné ,  il  vaudroit  mieux  ,  Il  je 
l'ofe  dire  ,  les  défefpérer  ainfî  pour 
quelque  temps ,  que  de  les  lailfer  dans 
leur  aveuglement  ôc  leurs  fauffes  pré- 
ventions fur  l'affaire  la  plus  elFentielle  5 
qui  eft  le  falut. 


t  es      Elus.  ïïj 

Quoiqu'il  en  foit ,  tout  Auditeur  fage 
&  chrétien  profitera  de  cette  penfée  du 
petit  nombre  des  Elus  ,  &  faifi  d'une 
j iifte  frayeur,  il  apprendra,  i.^à  redou- 
bler fa  vigilance  ,  &  à  f e  prémunir  plus 
que  jamais  contre  tous  les  dangers,  où 
peut  l'expofer  le  commerce  de  la  vie  : 
2.  à  ne  pas  demeurer  un  feul  jour  dans 
l'état  .du  péché  mortel  ,  s'il  lui  arrive 
quelquefois  d'y  tomber  j  mais  à  courir 
inceiïamment  au  remède ,  6c  à  fe  rele-^ 
ver  par  un  prompt  retour  :  3 ,  à  fe  fépa- 
rer  de  la  multitude ,  &  par  conféquent 
du  monde  j  à  s'en  éparer  ,  dis-je  5  fî- 
noii  d'effet  (  car  tous  ne  le" peuvent  pas) 
au  moins  d'efp rit ,  de  cœur,  de  maxi- 
mes ,  de  fentimens ,  de  pratiques  :  4.  à 
fuivre  le  petit  nombre  des  chrétiens 
vraiment  chrétiens  ;  c'eft-à-dire  ,  de 
chrétiens  réglés  dans  toute  leur  con- 
duite ,  fidèles  à  tous  leurs  devoirs  , 
aiîidus  au  fervice  de  Dieu  ,  charitables 
envers  le  prochain  ,  foigneux  de  fe  per- 
fectionner &  de  s'avancer  par  un  con- 
tinuel exercice  des  vertus ,  dégagés  de 
tout  intérêt  humain  ,  de  toute  ambition, 
de  tout  attachement  profane  ,  de  tout 
reflentiment ,  de  toute  fraude,  de  toute 
injuftice  ,  de  tout  ce  qui  peut  blefler  la 
confeience  &  la  corrompre  :  5 .  à  pren- 

Liv 


&  à  8  Petit  nombre 
dre  réfolument  &;  généralement  là 
voie  étroite  ,  puifque  c'eft  l'unique 
voie  que  Jefus-Chrift  eft  venu  nous 
enfeigner  my  à  s'efforcer  ,  félon  la  parole 
du  même  Sauveur  ,  &  à  fe  roidir  contre 
tous  les  obftacles  ,  foit  du  dedans  ,  foit 
du  dehors  ,  contre  le  penchant  de  la 
nature  ,  contre  l'empire  des  fens ,  contre 
le  torrent  de  la  coutume  ,  contre  l'at- 
trait des  compagnies  3  contre  les  im- 
prefPons  de  l'exemple  ,  contre  les  dif- 
couu  Hc  les  jugemens  du  public  j 
n'ayant  en  vue  que  de  fe  fauyer  ,  ne 
voulant  que  .cela  ,  ne  cherchant  que 
cela  ,  n'étant  en  peine  que  de  cela  :  6. 
«nfin  ,  à  réclamer  fans  celfe  la  grâce  du 
Ciel ,  à  recommander  fans  ceffe  fon 
ame  à  Dieu ,  &  à  lui  faire  chaque  jour 
Sa?,  c.  l'excellente  prière  de  Salomon  ,  Dieu 
de  miféricorde  ^  Seigneur ^  donneytnoi  la 
yraiefagejfe  ,  qui  eft  la  fcience  dufalut, 
■&  ne  me  rejette-^  jamais  du  nombre  de  vos 
enfans,qm  font  vos  Elus.  Oui,mon  Dieu, 
fouvenez-vous  de  mon  ame  ;  fouvenez- 
vous  du  fang  qu'elle  a  coûté  :  elle  vous 
doit  être  précieufe  par-là.  Sauvez-la, 
Seigneur ,  ne  la  perdez  pas ,  ou  ne  per- 
mettez pas  que  je  la  perde  moi-même  j 
car  ii  jamais  elle  étoit  perdue ,  c'eft  de 
moi-même  que  viendront  fa  perte.  Je  la 


des      Elus.  115) 

mets ,  mon  Dieu ,  fous  votre  protection 
toute-pui (Tante  ;  mais  en  même  temps  5 
je  veux  ,  à- quelque  prix  que  ce  foit ,  la 
conferver  :  je  redoublerai  pour  cela 
tous  mes  efforts;  je  n'y  épargnerai  rien. 
Telle  eft  ma  réfolution  ,  Seigneur  }  ôc 
puifque  c'eft  vous  qui  me  l'infpirez  , 
c'eftpar  vous  que  je  l'accomplirai* 

Heureux  le  Prédicateur  qui  renvoyé 
fes  Auditeurs  en  de  fi  faintes  difpofi- 
tions  ! .  Son  travail  eft  bien  employé , 
6c  tout  fujet  qui  fait  naître  de  pareils 
fentimens  >  ne  peut  être  que  très-folide 
&:  très-utile. 


î|o       Pensées  diverses 

xxxxxxxxx--X'XX--xxxxxxx^ 

Penfées  diverfes  fur  le  Salut* 

J'Entends  dire  afTez  communément 
dans  le  monde,  au  fujet  d'un  hom- 
me qui  après  avoir  paffé  toute  fa  vie 
dans  les  affaires  humaines  ,  quitte  une 
charge  ,  fe  démet  d'un  emploi ,  &  f e 
retire  :  II  na  plus  rien  maintenant  qui 
l'occupe  j  il  vapenfer  à  fonfalut.  Il  y  va 
penfer  ?  Hé  quoi  !  il  n'y  a  donc  point  en- 
core penfé  ?  Il  a  donc  attendu  jufqua 
préfent  a  y  penfer  ?  Il  a  donc  vécu  de- 
puis tant  d'années  dans  un  danger  con- 
tinuel de  mourir  fans  avoir  pris  foin  d'y 
penfer  ?  Le  falut  étoit  donc  pour  lui  une 
de  ces  affaires  ,  auxquelles  on  ne  penfe 
que  lorfqu'il  ne  refte  plus  rien  autre 
chofe  à  quoi  penfer  ?  Quel  aveugle- 
ment !  Quel  renverfement. 

Il  fera  bien  néanmoins  d'y  penfer , 
car  il  vaut  mieux  ,  après  tout ,  y  penfer 
tard  ,  que  de  n'y  penfer  jamais  :  mais  en 
y  penfant  qu'il  commence  par  fe  con- 
fondre devant  Dieu  ,  de  n'y  avoir  pas 
penfé  plutôt.  Qu'il  tienne  pour  perdu 
le  temps  où  il  n'y  a  pas  penfé  ,  l'eût-il 
employé  dans  les  plus  grands  miniftè- 


sur  le  Salut,  131 

tes  y  8c  eût-il  para  dans  le  plus  grand 
!  éclat.   Qu'il  comprenne  que  li  les  au- 
tres affaires  ont  leur  temps  particulier , 
;  l'affaire  du  falut  eft  de  tous  les  temps  , 
j  ôc  que  tout  âge  eft  mûr  pour  le  Ciel. 
Qu'il  admire  la  patience  de  Dieu,  qui 
ne  s'eft  point  lalTé  de  fes  retardemens. 
Sur-tout  qu'il  agiffe   déformais  ,    qu'il 
i  redouble  le  pas ,  &  qu'il  fe  fouvienne  , 
i  que  la  nuit  approche  ,  &  que  plus  le  jour  joant  K 
;  baiffe  ,  plus  il  doit  hâter  fa  marche.  Ce  9>  4» 
i  ne  fera  pas  en  vain  :  le  jufle  dont  parle 
!  le  Sage  ,  dans  l'étroit  efpace  d'une  pre- 
I  miere  jeuneffe,  fournit  une  ample  carrière    sap.  s: 
I  &  anticipe  un  long  avenir  :  pourquoi  le  4«  1h 
mondain  revenu  du  monde  ,  en  repre- 
nant la    voie  du  falut  3  quoique   dans 
une*  vieilleife    déjà  avancée  ,  ne  pour- 
roit-il  pas ,  félon  le  même  fens ,  rappeller 
tout  le  chemin  qu'il  n'a  pas  fait  ? 

f  II  e(t  de  foi  'que  nous  ne  ferons 
jamais  damnés  que  pour  n'avoir  pas 
voulu  notre  falut ,  ôc  que  pour  ne  l'a- 
voir pas  voulu  de  la  manière  dont  nous 
pouvions  le  vouloir.  Tellement  que 
Dieu  aura  le  plus  juile  fujet  de  nous 
reprocher  ce  défaut  de  volonté  3  &  d'en 
faire  contre  nous  un  titre  de  condam- 
nation. N'eft-ce  pas  en  effet  fe  rendre- 
digne   de  toutes   Ïqs  vengeances   divi- 


Î32.  Pensées  diverses 
nés  ,  que  de  perdre  un  fi  grand  bien"  ; 
lorfqu'il  n'y  a  qu'à  le  vouloir  pour  fe' 
l'afîurer  ?  Mais  efl-il  donc  poiTible  qu'il 
y  ait  un  homme  alTez  ennemi  de  lui-* 
même  &  affez  perdu  de  fens ,  pour  ne 
vouloir  pas  être  fauve  ?  Il  eft  vrai  5  nous 
voulons  être  fauves  3  mais  nous  ne  vou- 
lons pas  nous  fauver.  Or  Dieu  qui  veut 
notre  falut  ,  de  qui  nous  ordonne  de  le 
vouloir  ,  ne  veut  pas  fimplement  que 
par  fa  grâce  nous  fuyons  fauves  3  mais 
qu'avec  fa  grâce  nous  nous  fauvions, 

J  Faillie  relTource  du  mondain  :  Dieu 
ne  m3 a  pas  fait  pour  me  damner.  Non  fans 
doute ,  mais  aufîi  Dieu  ne  vous  a  pas  fait 
pour  l'offenfer.  Vous  renverfez  toutes 
les  vues  :  de  quoi  vous  plaignez -vous 
s'il  change  à  votre  égard  tout  l'ordre  de 
fa ,  Providence.  Quoiqu'il  ne  vous  ait 
pas  fait  pour  l'offenfer  5  vous  l'offen- 
fez  ;  ne  vous  étonnez  plus  que  quoiqu'il 
ne  vous  ait  pas  fait  pour  vous  damner  3 
il  vous  damne. 

f  Ce  n'eft  point  un  paradoxe ,  mais 
une  vérité  certaine  ,  que  nous  n'avons 
point,  après  Dieu  ,  d'ennemi  plus  à 
craindre  que  nous  -  même  :  comment 
cela  ?  Parce  que  nul  ennemi  ,  quel 
qu'il  foit ,  ne  nous  peut  faire  autant  de 
mal  9   ni  caufer  autant  de  dommage , 


sur  *le  Salut,"  153 
que  nous  le  pouvons  nous-mêmes.  Que 
toutes  les  puiifances  des  ténèbres  fe  li^ 
guent  contre  moi  :  que  tous  les  poten^ 
tats  de  la  terre  conjurent  ma  ruine  ;  ils 
pourront  me  ravir  mes  biens  ,  ils  pour- 
ront tourmenter  mon  corps ,  ils  pour- 
ront m'enlever  la  vie ,  ôc  là-defïus  je  ne 
ferai  pas  en  état  de  leur  réfuter  j  mais 
jamais  ils  ne  m'enlèveront  malgré  moi 
ce  que  j'ai  de  plus  précieux  ,  qui  eft 
mon  ame.  Ils  auront  beau  s'armer  , 
m'attaquer ,  fondre  fur  moi  de  toutes 
parrs  ôc  m'accabler  :  je  la  conferverai  y 
û  je  veux  :  indépendamment  de  tou- 
tes leurs  violences  ,  aidé  du  fecours 
de  Dieu  ,  je  la  fauverai  j  car  il  n'y  a 
que  moi  qui  puifle  la  perdre.  D'où  il 
s'enfuit  que  je  fuis  donc  plus  redouta- 
ble pour  moi  que  tout  le  relie  du  mon- 
de ,  puifqu  il  ne  tient  qu'à  moi  de  don- 
ner la  mort  à  mon  ame  ,  fk  de  l'exclure 
du  Royaume  de  Dieu. 

D'autant  plus  redoutable ,  que  je  mç 
fuis  toujours  préfent  à  moi-même ,  parce 
que  je  me  porte  par-tout  moi  -  même 
Ôc  avec  moi  toutes  mes  pallions  5  tou- 
tes mes  convoitjfes ,  toutes  mes  habi- 
tudes ôc  mes  mauvaifes  inclinations. 
Aufîi  quand  je  demande  à  Pieu  qu'il 
me  défende  de  me§  ennemis ,  je  lui  de- 


ï^    P  1  ^  S  i  E  S      DIVERSES 

mande,  ou  je  dois  fur-tout  lui  deman-* 
der,  qu'il  me  défende  de  moi-même. 
Et  de  ma  part ,  pour  me'  mettre  moi- 
même  en  défeufe ,   autant  qu'il  m'eft 
poffible  j  je  dois  me  comporter  envers 
moi ,  comme  je  me  comporterais  en^- 
vers  un  ennemi  que  j'aurois  fans  ceffe 
à  mes  côtés ,   &  dont  je  ne  détourne^ 
rois  jamais  la  vue  j  dont  j'obferverois 
jufqu'aux  moindres  monvemens  ,    fur 
qui  je  tâcherois    de    prendre   toujours» 
l'avantage  ,   fçachant  qu'il  n'attend  que 
le  moment  de  me  frapper  d'un  coup 
'Jozti*  c*  mortel.  Celui  qui  kaitfon  ame  dans  la  vie 
£2,  ZS> préf€nte  ,    difoit  en  ce  fens  le  Fils   de 
Dieu  ,  la  gardera  pour  la  vie  éternelle.- 
Trille  ,    mais   falutaire    condition    de 
l'homme  3  d'être  ainii  obligé  de  fe  tour- 
ner contre  foi-même  ,  3c  de  ne  pouvoir 
fe  fauver  que  par  une  guerre  perpétuelle 
avec  foi -même  3  que  par  la  haine  de 
foi-même  ! 

f  '  Nous  difons  quelquefois  à  Dieu 
dans  l'ardeur  de  la  prière  :  Seigneur  j 
aye^  pitié  de  mon  ame.  Les  plus  grands- 
pécheurs  le  difent  à  certains  momens ,  1 
où  les  penfées  &  les  fentimens  de  la  re- 
ligion fe  réveillent  dans  eux ,  8c  où  ils 
voyent  le  danger  8c  l'horreur  de  leur  j 
état  :  ah  !  Seigneur  >  ayez  pitié  de  moi| 


sur  le  Salut*  135 
ame.  Mais  Dieu  ,  par  la  parole  du  Saint- 
Eiprit ,  ôc  par  la  bouche  du  Sage ,  nous 
répond.  Ayey^en  pitié  vous-même  de  cette  Mift* 
Mme  que  j'ai  confiée  à  vos  foins  ,  &  qui  eji  r£*  ïï£~ 
votre  ame.  Je  l'ai  formée  à  mon  ima-  EccL  c* 
ge  ,  je  l'ai  rachetée  de  mon  fang  ,  je  Z** 
l'ai  enrichie  des  dons  de  ma  grâce  3  je 
l'ai  appellée  à  ma  gloire ,  je  veux  la 
fauver  j  &:  il  elle  s'écarte  de  mes  voies , 
des  voies  de  ce  falut  éternel  que  je  lui 
ai  propofé  comme  fa  fin  dernière  Ôc  le 
terme  de  fes  efpérances  5  je  l'excite 
pour  la  ramener  de  {qs  égaremens ,  pour 
la  relever  de  fes  chûtes ,  pour  la  purifier 
de  fes  taches  5  pour  la  guérir  de  fes  blef- 
fures  ,  pour  la  reiTufciter  par  la  péni- 
tence ,  ôc  pour  lui  rendre  la  vie.  N'eil- 
ce  pas  -  la  l'aimer  ?  n'eil  -  ce  pas  en 
avoir  pitié  ?  Mais  vous  ?  vous  la  défigu- 
rez ,  vous  la  profanez  ,  vous  la  facri- 
fiez  à  vos  pallions  ,  vous  la  perdez ,  & 
tout  cela  par  le  péché.  N'eft-ce  donc 
pas  à  vous  -  mêmes  qu'on  doit  dire  : 
Aye\  pitié  de  votre  ame.  Ayez-en  pitié  : 
d'autant  plus  que  c'eft  la  vôtre.  Quand 
ce  feroit  famé  d'un  étranger  ,  lame 
d'un  infidèle  &  d'un  payen  ,  l'ame  de 
votre  ennemi  ?  vous  devriez  être  iqh- 
fible  à  fa  perte ,  3c  vous  fouvenir  que 
ç  eft  une  ame  pour  qui  Jefus-Chrift  eil 


12,6  Pensées     diverses 
mort.  Mais  outre  cette  raifon  générale  i 
il  y  en  a  une  beaucoup  plus  particu- 
lière à  votre  égard ,  dès  que  c'eft  de  votre  ! 
ame ,  que  c'eft  de  vous-même  qu'il  s'agit. 
.    Qu.ld  Efl-il  rien  de  plus  mïférable  au  un  mi  fera-* 
mifero  ^  ble  qui  n  ejt  pas  touche  de  Ja  mijere  ,  & 

SJ1LT/Î  1ul  n'a  nu^c  PltLé  de  lui-même. 

ipfum.         ^  Un  courtifan  veut  s'avancer  ,  faire 
ugt  fon  chemin  ,    s?élever    à   une  fortune 
après  laquelle  il  court  de  où  il  a  porté 
fes  vues  j  il  ne  s'embarraife  gueres  3  fi  les 
autres  fe  pouffent  &  s'ils  réuiliffent  dans 
leurs  projets.  C'eft  leur  affaire  ,  dit-il  , 
ôc  non  la  mienne  :  chacun  y  ejl  pour  foi. 
Voilà  comment  on  parle  ,  au  regard  de 
mille  affaires ,  comment  on  penfe  3  &  ce 
n'eft  pas  toujours  fans  raifon  :  car  dans 
une  infinité  de  chofes  ,  c'eft  à  chacun 
en  effet  de  penfer  à  foi ,  &:  les  intérêts 
font  perfonnels.  Or  fi  cela  eft  vrai  dans 
les  affaires  humaines ,  combien  l'eft-il 
plus  dans  l'affaire  du  falut  ?  Chacun  y  eft 
pour  foi.  C'eft-à-dire,  qu'à  l'égard  du 
falut  chacun  gagne  ou  perd  pour  foi- 
même  ,  8c  ne  gagne  ou  ne  perd  que  pour 
foi-même,  indépendamment  de  tous  les 
autres.  Si  je  me  fauve ,  quand  tout  le  mon- 
de ,  hors  moi ,  fe  damneroit ,  je  n'en 
ferois  pas  moins  heureux  ;.  &  fi  je  me 
damne  ,  quand  tout  le  monde  ?  hors 

moi, 


sur  le  Salut.  137 
moi ,  fé  fativeroit ,  je  n'en  ferois  pas 
moins  malheureux.  Non  pas  que  nous 
ne  puiflions  8c  que  nous  ne  devions 
par  une  charité  8c  des  fecours  mu- 
tuels ,  contribuer  au  falut  les  uns  des 
autres  \  mais  dans  le  fond  ce  qui  nous 
fauve  ra ,  cène  font ,  ni  les  foins  ,  ni  les 
prières  ,  ni  les  mérites  d'autrui ,  mais 
nos  propres  mérites  unis  aux  mérites  de 
Jefus  -  Chrift.  Qu'on  m'oppofe  donc 
tant  qu'on  -voudra  ,  la  multitude  ,  la 
j  coutume ,  Fexemrfle  j  qu'on  me  dife  y 
\  c'eit-là  l'ufage  du  monde  ,  c'eft  ainii 
:  que  le  monde  vit  8c  qu'il  agit  :  ne  pou- 
vant réformer  le  monde  ,  je  le  laifTerai 
vivre  comme  il  vit ,  8c  agir  comme  il 
agit  y  mais  moi  j'agirai  ,  Se  je  vivrai 
comme  il  me  femblera  plus  convenable 
au  falut  de  mon  ame  j  8c  fans  égard  à 
tous  les  difeours,  je  me  contenterai  de 
répondre  en  deux  mots  :  Chacun  y  eji 
pour  foi. 

f  Nous  femmes  admirables  ,  quand 
nous  prétendons  rendre  un  grand  fer- 
vice  à  Dieu,  de  nous  appliquer  à  l'affaire 
de  notre  falut  ,  8c  d'y  donner  nos  foins. 
Il  femble  que  Dieu  nous  en  foit  bien 
redevable  :  comme  fi  c'étoit  fon  inté- 
rêt ,  8c  non  pas  le  nôtre.  Hé  !  mon 
Dieu,  pour  qui  donc  eft-ce  que  je  tra- 
Tome  L  M 


-138'  Pensées    diverses 
vaille  3  en  travaillant  à  me  fauver  ?  n'efi> 
ce  pas  pour  moi-même  ?  &  à  qui  en  re-« 
vient  tout  l'avantage ,  n'eft-ce  pas  à.  moi-- 
même ?  Car  qu'eft  -  ce  devant  vous>( 
Seigneur  ,|  de  pour  vous  ,  qu'une  aulli  i 
vile    créature  que   moi  ?  qu'eit-ce  que 
tout'  l'univers  avec  moi  ?  Depuis  que- 
vous  avez  précipité  du  Ciel  des  légions 
d'Anges ,  ôc  qu'ils  font  devenus  des-  dé- 
mons j  depuis  que  vous  avez  frappé  de 
vos  anathêrnes   tant    de    pécheurs   qui 
brûlent  actuellement  dans  l'Enfer ,  ôc 
qui  doivent  y  briller  éternellement ,  en 
êtes-vous  moins  grand ,  6  mon  Dieu  j 
en  êtes-vous  moins   glorieux  ôc  moins 
puiiîant  ?  Et  quand  le  monde  entier  fe- 
roit  détruit ,  ôc  que  je  me  trouverais 
enfeveli  dans  fes  ruines  j  quand  par  un 
jufle  jugement,  vous  lanceriez  fur  tout- 
ce  qu'il  y  a  d'hommes  ,  3c  fur  moi  com- 
me fur  les  autres ,  toutes  vos  malédk> 
rions ,  l'éclat  qui  vous  environne  en  re- 
cevrait -  il  la  plus  légère  atteinte  3   de 
en  feriez  -  vous    moins  riche  ,  moins 
heureux  ?   O  bonté  fouveraine   !    fans 
avoir  nul  befoin  de  moi ,  vous  ne  vou- 
lez pas  que  je  me  perde  'y  Se  vous  me 
faites  j  de  la  charité  que  je  me  dois  à 
moi-même  5   un    commandement    ex- 
près j  vous   m'en  faites  un  mérite  >  ôc- 
un  fujet  de  récompenfe. 


sur  le  Salut.  139 
5  On  eft  ii  jaloux  dans  la  vie ,  far- 
tout  à  la  Cour,  de  certaines  diitincHons  : 
on  veut  être  du  petit  nombre  >  du  nom- 
bre des  favoris ,  du  nombre  des  élus  du 
monde  ;  &  moins  il  y  a  de  gens  qui  s'é- 
lèvent à  certains  rangs  tk  à  certaines 
places ,  plus  on  ambitionne  ces  degrés 
d'élévation  ,  8c  plus  on  fait  d'efforts 
pour  y  atteindre.  Si  le  grand  nombre  y 
parvenoit ,  on  n'y  trouveroit  plus  rien 
qui  diftinguât.}  &  cet  attrait  manquant  y 
on  n'auroit  plus  tant  d'ardeur  pour  les 
obtenir ,  &c  l'on  rabattroit  infiniment  de 
l'idée  qu'on  en  avoit  conçue.  Il  faut  du 
choix  ,  de  la  fingularité  ?  pour  attirer 
notre  eilime  ,  8c  pour  exciter  notre 
envie.  Chofe  étrange  !  Il  n'y  a  que 
l'affaire  du  falut  où  nous  penfions  ,  ce 
où  nous  agirions  tout  autrement,  Car  à 
l'égard  du  falut ,  il  y  a  le  grand  nombre 
3c  le  petit  nombre  :  le  grand  -nombre 
exprimé  par  ces  paroles  du  Fils  de 
Dieu  5  plufieurs  font  appelles }  le  petit 
nombre  marqué  dans  ces  autres  paroles 
du  même  Sauveur  ,  peu  font  élus.  Le 
grand  nombre  ,  c'eil-à  -  dire  ,  au 
moins  tous  les  fidèles  ,  que  Dieu  ap- 
pelle au  falut ,  8c  à  qui  il  fournit  pour 
cela  les  moyens  néceffaires ,  mais  dont  la 
plupart  ne  répondent  pas  à  cette  vocation 

M  ij 


140  Pensées  diverses 
divine  ,  &  ne  cherchent  que  les  biens 
vifibles  &  préfens.  Le  petit  nombre  j 
c'eft  -  à  -  dire  ,  en  particulier  les  vrais 
chrétiens  6c  les  gens  de  bien  ,  qui  fe 
féparent  de  la  multitude  3  renoncent 
aux  pompes  de  aux  vanités  du  fîécle  ,  8c 
par  l'innocence  de  leurs  mœurs ,  par  la 
îainteté  de  leur  vie  ,  tendent  fans  cefTe 
vers  le  iouverain  bonheur  &  travaillent 
à  le  mériter.  En  deux  mots  ,  le  grand 
nombre  ,  qui  font  les  pécheurs  &  les  ré- 
prouvés j  le  petit  nombre  ,  qui  font  les 
juftes  Se  les  prédeftinés.  Mais  voici  le 
défordfre  :  au  lieu  d'afpirer  continuel- 
lement à  être  de  ce  petit  nombre  des 
amis  de  Dieu  ,  de  fes  élus  &  de  fes 
faints  ,  nous  vivons  fans  peine  ,  &  nous 
demeurons  d'un  plein  gré  parmi  le 
grand  nombre  des  pécheurs  tk  des  ré- 
prouvés de  Dieu.  Nous  penfons  comme 
le  grand  nombre  ,  nous  parlons  comme 
le  grand  nombre  ,  nous  agifïbns 
comme  le  grand  nombre  ;  &  la  feule 
chofe  où  il  nous  eft  non  -  feulement 
permis ,  mais  expreiïement  enjoint  de 
travailler  à  nous  diftinguer  ?  eft  jufte- 
ment  celle  où  nous  voulons  être  con- 
fondus dans  la  troupe  &  fuivre  le  train 
ordinaire. 

O  homme  fi  jaloux  des  vains  hon- 


sur  le  Salut.  14?' 
ïieurs  du  fiécle ,  apprenez  à  mieux  con- 
noître  le  véritable  honneur  ,  &  à  cher- 
cher une  diftindfcion  digne  de  vous  : 
le  falut ,  le  rang  de  prédéfinie ,  voilà 
pour  vous  le  ieul  objet  d'une  folide  Ôc 
îainte  ambition. 


E  LA  FOI, 

ET    DES    VICES 

QUI  LUI   SONT    OPPOSÉ! 

Accord  de  la  Raifort  &  de  la  FoL 

î.  jj|^~||S|l  N  homme  du  monde  qui 
jj§  ËBifï  kit  ptofellion  du  chriftia- 
îpkByil  nifme  ,  &  à  qui  l'on  deman- 
fcea^rfiï  de  compte  de  fa  foi ,  dit  : 
je   ne   raifonne   point  ,   mais   je   veux 
croire.  Ce  langage  bien  entendu  peut 
être  bon  ^  mais  dans  un  fens  affez  ordi- 
naire ,  il  marque  peu  de  foi ,  ôc  même 
une  fecrette  difpofition  à  l'incrédulité. 
Car  qu'eft-ce  à  dire  ,  je  ne  raifonne 
point  ?  Si  ce  prétendu  chrétien  fçavoit 
bien   là  -  demis   démêler  les  véritables 
fentimens  de  fon  cœur  5  ou  s'il  les  vou- 
loir nettement-declarer ,  ii  reconnoîtroit 


Accord  de  la  Raison .,  &c.   14^' 
que  fouvent  cela  fignifïe  :  je  ne  raifonne 
point ,  parce  que  ii  je  raifonnois  ,  je  ne 
croirois  rien  j  je  ne  raifonne  point ,  par- 
ce que  fi  je  raifonnois ,  ma  raifon  ne 
trouveroit  rien  qui  la  déterminât  à  croi- 
re y  je  ne  raifonne  point  ,  parce  que  fi 
je  raifonnois,  ma  raifon  même  m'oppo- 
feroit  des  difficultés  qui  me  détourne^ 
roient  abfolument  de  croire.  Or  penfer 
de  la  forte  8c  être  ainfl  difpofé  ,   c'eft 
manquer  de  foi  :  car  la  foi  ,  je  dis  la 
foi  chrétienne  ,  n'eft  point  un  pur  ac- 
quiefcement  à  croire  ,   ni   une  (impie 
f  oumiîîion  de  l'efprit ,  mais  un  acquies- 
cement &  une  fourmilion  raifonnable  ; 
&  fi  cette  foumiiîion  ,  fi  cet  acquiefce- 
ment  n'étoit  pas  raifonnable  ,  ce  ne  feroit 
plus  une  vertu.  Mais  comment  fera-ce  un     RttioA 
acquiefcement ,  une  foumiiîion  raifon-  0hfe- 
nable  ,  fi  la  raifon  n'y  a  point  de  part  ?  9ui?m 

-irtr  1  -r  ■     •  V     *»\   vejrruTi 

Il  faut  donc  raiionner  5  mais  julqu  a      Roma 
certain  point,  &c  non  au-delà.  11  faut^12"1* 
examiner  ,  mais  fans  paffer  les  bornes 
que  l'Apôtre  marquoit    aux    premiers 
fidèles ,  quand  il  leur  difoit  :  Mes  frères  3      Romi 
tn  vertu  delà  grâce  qui  m'a  été  donnée  ^je  c*  I?,93* 
vous  avertis  tous  fans  exception  j  de  ne 
porter  point  trop  loin  vos  recherches  dans 
les  matières  de  la  foi  3  mais  d'uferfur  cela- 
d'une  grande  retenue  j  &  de  n'y  toucher 


'*44  Accord  de  la  Raison 
que  très-fobrement.    Quelles  preuves^ 
quels  motifs  me  rendent  la  Religion  que 
je  proferTe  ,  &  conféquemment  tous  les 
myftères  qu'elle  m'enfeigne ,    évidem- 
ment croyables  ?  voilà  ce  que  je  dois 
tâcher  d'approfondir  j  voila  ce  que  je 
dois  étudier  avec  foin  &  bien  pénétrer  j 
voilà  où  je  dois  faire  ufage  de  ma  raifon  à 
&  fur  quoi  il  ne  m'eft  pas  permis  de  dire , 
je  ne  ràifonne  point.  Car  fans  cet  examen 
ôc  cette  difcuilion  exacte ,  je  ne  puis  avoir 
qu'une  foi  incertaine  Se  chancelante  , 
qu'une  foi  vague  ,  fans  principes  &  fans 
confiftance.  Aulli    eft  -  ce  pourquoi  le 
*1  K€^  Prince  des  Apôtres ,  S.  Pierre  ,  nous  or- 
donne  de  nous  tenir  toujours  prêts  ajatiy 
faire  ceux  qui  nous  demanderont  raifon  de 
ce  que  nous  croyons  &  de  ce  que  nous  efpé~ 
rons.  Il  veut  que  nous  foyons  toujours  là- 
demis  en  état  de  répondre  ,   de  juftifier 
le  fage  parti  que  nous  fuivons  ,  de  faire 
voir  qu'il  n'en  eft  point  de  mieux  éta- 
bli ,  &  de  produire  les  titres  légitimes 
qui  nous  y  autorifent  &  nous  y  attachent 
inviolablement. 

Mais  quel  eft  le  fonds  de  ces  grands 
myftères,  que  la  religion  me  révèle  ,  & 
qui  nous  font  annoncés  dans  l'Evangile  ; 
en  quoi  confïftent-ils  ?  comment  s'ac- 
compliifent-iis  ?  c'eft-là  que  la  raifon 

doit 


et    de    la    Foi.  145 

doit  s'arrêter ,  qu'elle  doit  réprimer  fa 
curiofitc  naturelle  ,  &  qu'il  ne  m'eft 
plus  feulement  permis  ,  .mais  expref- 
fément  enjoint  de  dir-e  :  je  ne  raifonue 
point ,  je  crois.  En  effet ,  il  me  fiiflit  de 
lçavoir  que  je  dois  croire  tout  cela  , 
que  je  crois  prudemment  tout  cela  , 
que  je  ferois  déraifonnable  &  criminel 
de  ne  pas  croire  tout  cela ,  m'étant  en- 
feigne  par  une  Religion ,  dont  les  plus 
forts  raifonnemens  &  les  argumens  les 
plus  fenfibles  me  font connoître  l'iiicon- 
teftable  vérité.  C'eft-là,  dis-j€,  tout  ce 
qu'il  me  faut  :  <k  fi  je  voulois  aller  plus 
avant  :  ii  par  une  préfomption  femblable 
à  celle  de  Saint  Thomas  dans  le  tems  de 
fon  incrédulité,  je  difois  comme  lui, 
A  moins  que  je  ne  VGie  _,  je  ne  croï-  Joan,  ci 
rai  point  i  dès -lors  je  perdrois  la  foi,  zo%  "^ 
je  l'anéantirois  ,  &  j'en  détruirois  tout 
le  mérite.  Je  l'anéantirois  ,  pourquoi  ? 
parce  qu'il  eft  êiîentiel  a  la  foi  de  ne  pas 
voir ,  &c  de  croire  ce  qu'on  ne  voit  pas. 
J'en  détruirois  tout  le  mérite  ,  pour- 
quoi ?  parce  qu'il  n'y  a  point  de  mérite 
a.  croire  ce  qu'on  a  fous  les  yeux  ,  ce 
qui  nous  eft  préfent  &  qui  nous  frappe 
les  fens  ,  ce  qu'on  volt  clairement  ôc 
diftin clément.  On  n'efl  point  libre  fur 
cela  j  on  n'eft  point  maître  de  fa  créance 
Tome  L  N 


: 


146  Accord  de  la  Raison 
pour  la  donner  ,  ou  pour  la  refufer  : 
on  eft  p.erfuadé  malgré  foi  :  on  eft  con- 
vaincu ians  qu'il  en  coûte  ni  effort  5  ni 
facrifice.  Et  c'eft  en  ce  fens  que  le  San- 
z5>«  veur  des  hommes  a  dit  :  Heureux  ceux 
qui.  n'ont  point  vu  ^  &  qui  ont  cru. 

Tel  eft  donc  l'accord  que  nous  de- 
vons faire  de   la  raifon  &  de   la  reli- 
gion. La  raifon éclairée  d'en-haut ,  fait 
comme  les  premiers  pas ,  ou  met  comme 
les  préliminaires ,  en  nous  convainquant  il 
que  la   religion  vient    de  Dieu  ;   que  [ 
de  tous  les    articles  qu'elle  contient  , 
il  n'y  en  a  pas  un  qui  n'ait  été  révélé 
de    Dieu  ,    foit  dans   l'Ecriture  ,   foit 
dans   la   tradition  ?   expliquée    &  pro- 
pofée  par  FEglife  ;  que  Dieu  étant  ab- 
folument  incapable  d'erreur  ou  de  men- 
fonge  ,  il  s'enfuit  que  tout  ce  qu'il  a 
prononcé    ,    eft    fouverainenient   vrai  1 
enfin  ,  que  la  religion  ne  nous  annon- 
çant que  la  parole  de  Dieu ,  &  ne  nous 
l'annonçant  qu'au  nom  de  Dieu  ,  elle 
eft    par   conséquent    également  vraie  2 
de  demande  une  adhéiion  parfaite  ddj 
notre  efprit  &  de  notre  cœur.  Voilà  où- 
la  raifon  agit ,  &ce  que  nous  découvrons 
à  la  faveur  de  fes   lumières.   Mais  ce 
principe  pofé  en  général  ,  la  religion 
prend  enfuite  le  demis  >  elle  propofé 


ET  DE  la  Foi.  Ï47 
fes  vérités  particulières  ,  &  toutes  ca- 
chées qu'elles  font  ,  elle  y  foumet  la 
raifon  ,  fans  lui  laifter  la  liberté  d'en 
percer  les  ombres  myftérieufes.  Si  par 
fon  indocilité  naturelle  &  par  fon  or- 
gueil la  raifon  y  répugne  ,  la  religion  , 
par  le  poids  de  fon  autorité  &  par  un 
commandement  exprès  ,  la  réduit  fous 
le  joug  ôc  la  tient  captive.  Si  la  rai- 
fon ofe  dire  ,  comment  ceci ,  ou  com- 
ment cela  ?  c'eft  aftez  5  lui  répond  la 
religion  ,  d'être  inftruit  que  ceci  ou 
cela  eft  ,  &c  de  nmi  pouvoir  douter  fé- 
lon les  régies  de  la  prudence»  Or  on 
n'en  peut  douter  prudemment ,  puifque 
félon  les  régies  de  la  prudence ,  on  ne 
peut  douter  que  Dieu  ne  l'ait  ainfi  dé- 
claré. Cette  réponfe,  ce  filence  impofé 
à  la  raifon  l'humilie  j  mais  c'eft  une 
humiliation  falutaire  ,  qui  empêche 
la  raifon  de  s'égarer,  de  s'émanciper , 
de  tourner,  fuivant  l'expreiTion  de  Saint 
Paul ,  à  tout  vent  de  doctrine  ,  &  qui 
la  contient  dans  les  juftes  limites  ,  où 
elle  doit  être  reiTerrée  ,  &  d'où  elle  ne 
ne  doit  jamais  fortir.  De  cette  forte  , 
notre  foi  eft  ferme  ,  fans  rien  perdre 
néanmoins  de  fon  obfcurité  ;  &  elle  eft 
obfcure  fans  rien  perdre  non  plus  de  fa 
fermeté. 

Nij 


148      Accord  de   la  Raison 

II.  Développons   encore    la   chofe  $j 
êc  pour  la  rendre  plus  intelligible  &  lui 
donner    un    nouveau  jour  ,    mettons- 
la   dans    une    efpéce  de    pratique.    Je 
fuppofe  un  Chrétien  fur  pris   d'une  de 
ces    tentations   qui    attaquent  la    foi  , 
&  dont    les  âmes   les    plus   religieufes 
ôc  les  plus  ridelles  ne  font  pas  exemp- 
tes  elles  -  mêmes  à  certains  momens. 
Car  il  y  a  des  momens  où  une  ame  5 
quoique-   chrétienne   ,    eft     intérieures 
ment  auiîi  agitée  par  rapport  à  la  foi , 
que  le  fut  Saint  Pierre  fur  les  eaux  de 
la  mer  ,  quand  Jefus  -  Chrift  lui   dit  : 
Matth,  Homme  de  peu  de  foi  j  pourquoi  aye^-vous 
«•i4»3T-  douté?  Cependant  on  ne  doute  pas  :  on 
croit  ,  mais  d'une  foi  prefque  chance- 
lante ,    &    rimprefïion  eft   fi  vive   en 
quelques  rencontres,  qu'il  fenible  qu'on 
ne  croit  rien ,  &  qu'on  ne  tient  à  rien. 
Epreuve  difficile  à  foutenir  j  mais  que 
Dieu   permet   pour    épurer   notre    foi 
même  Se  pour  la  perfectionner.  Il  a  fes 
vues  en  cela  ;  &  bien  qu'il  paroifîe  nous 
délailfer  ,  ce  font   pour  nous  des  vues 
de  feint  ,  parce  qu'il  fçait  que  tout  con- 
tribue à  la  fanétiflcation  de  fes  élus ,  8c 
qu'au  lieu  de  dégénérer  &  de  tomber  9 
gçû  dm$  une  foibleffe  apparente  que 


E  T      D  E      L  A      F  O  I.  1 4? 

la  vertu  fe  déploie  avec  plus  de  force 
ôc  qu'elle  s'avance. 

Or  en  de  pareilles  conjonctures  ^ 
dans  lefquelles  je  puis  me  trouver  auili- 
bien  que  les  autres  ,  que  fais-je  ou  .que 
dois  -je  faire  ?  Après  avoir  imploré  faf- 
fiftance  divine  ;  après  m'être  écrié  comme 
le  Prince  des  Apôtres  en  levant  les  mains 
au  Ciel  :  Seigneur  _,  fauve^-nous  j  autre-  -^ii, 
ment  nous  allons  périr  :  je  fais  un  re- 
tour fur  moi-même ,  &  pour  me  fortifier 
j'appelle  tout  enfemble  à  mon  fe- 
cours  3  &  ma  raifon  ,  de  ma  religion. 
L'une  8c  l'autre  me  prêtent  ,  pour 
ainri  dire  ,  la  main  ,  &c  concourent  à 
calmer  mes  inquiétudes ,  de  à  me  raiïu- 
rer. 

Ma  raifon  me  rappelle  ces  grands 
motifs  qui  m'ont  toujours  déterminé 
à  croire  5  &  m'ont  paru  jufqu'à  pré-» 
fent  les  plus  propres  à  m'affermir  dans  la 
foi  où  j'ai  été  élevé.  Par  exemple  3  elle 
me  repréfente  ce  vafte  Univers ,  &  cette 
multitude  innombrable  d'êtres  vifibles 
qui  le  compofent.  Elle  m'en  fait  admi- 
rer la  diverfité ,  la  beauté  ,  l'immenfe 
étendue  ,  l'arrangement  ,  l'ordre  5  la 
liaifon  ,  la  dépendance  mutuelle  ,  l'u- 
tilité 5  la  durée  depuis  tant  de  fiècles 
&;  leur  perpétuité.  Elle  me  fait  contera- 

Niij 


150  Accord  de  la  Raison 
pler  les  cieux  qui  roulent  fur  nos  têtes  ± 
ôc  dont  les  mouvemens  fi  rapides  font 
toujours  ri  réglés  :  ces  aftres  qui  nous 
éclairent  3  ce  nombre  prodigieux  d'étoi- 
les qui  brillent  dans  le  firmament ,  cette 
variété  de  faifons  qui  par  des  révolu- 
tions Ci  conftantes  ôc  fi.  merveiileufes 
fe  fuccédent  tour-à-tour,  ôc  partagent, 
le  cours  des  tems.  Elle  me  fait  par- 
courir de  la  penfée  plutôt  que  de  la 
vue  3  ces  longs  efpaces  de  terres  ôc  de 
mers  ,  oui  font  comme  le  monde  infé- 
rieur  au  -  deffous  du  monde  célefte* 
Que  de  richefles  j'y  apperçois  !  que  de 
productions  différentes  3  ôc  de  toutes 
les  efpeces  !  quelle  fécondité  !  quelle 
abondance  !  Y  manque-t-il  rien  de  tout 
ce  qui  peut  fervir ,  non  -  feulement  à 
l'entretien  nécefïaire  ou  commode  s 
mais  à  la  fplendeur  ôc  à  l'éclat,  mais  a 
la  fbmptuofité  &  à  la  magnificence  ," 
mais  aux  douceurs  Ôc  aux  délices  de  la 
vie  ?  Sans  égard  à  bien  d'autres  preuves 
que  je  paffe  ,  &  fur  lefquelles  ma  raifon 
pourroit  infifter,  en  voilà  d'abord  au- 
tant qu  il  faut ,  pour  m'attacher  à  la  foi 
d'un  Dieu  toujours  exiftant  ôc  toujours 
vivant ,  l'être  fouverain  ,  le  principe  de 
toutes  chofes ,  &  l'Auteur  de  tant  de 
merveilles.  Car  difcourant  en  moi-më- 


ET  DE  la  Foi,  tft 
me,  Se  jugeant  félon  les  règles  d'une 
droite  raifon  ôc  félon  le  fens  ordinaire  & 
le  plus  univerfel,  j'ohferve  d'un  premier 
coup  d'oeil  ,  qu'un  ouvrage  li  bien  en- 
tendu ,  ii  bien  aiïorti  dans  toutes  fes  par- 
ties ,  êc  d'une  ftru&ure  au-delïus  de  tout 
l'artifice  humain ,  ne  peut  être  le  pur  eflet 
du  hazard.  Que  ce  firmament ,  ces  cieux , 
ces  aftres ,  cette  terre  3  ces  mers ,  que 
tout  cela  &  tout  ce  que  nous  voyons  5 
ne  s'eft  point  fait  de  foi -même  ,  ne 
s'eft  point  arrangé  de  foi-même  3  ne  fe 
remue  point  de  foi-même  ,  ne  fubfifte 
point  par  foi  -  même  ,  fans  qu'aucune 
intelligence  fupérieure  y  préfide  5  ni  ja- 
mais y  ait  préfide.  Le  fentiment  qui  me 
vient  donc  là-deffus  &  qui  me  touche  , 
pour  peu  que  j'y  farTe  d'attention  ,  eft 
de  reconnoître  une  première  caufe  $c 
un  premier  moteur  ,  un  ouvrier  par  ex- 
cellence ,  une  puiffance  fuprême  ,  de 
qui  tout  eft  émané  ,  de  qui  ordonne 
tout ,  qui  difpofe  tout ,  qui  donne  à 
tout  Fimpreffion,  qui  anime  &foutie'nt 
tout.  Or  cet  excellent  ouvrier  ,  cette 
puiflance  primitive  ,  effentielle  3  indé- 
pendante ,  toujours  fubfiftante  5  c'eft 
ce  que  nous  appelions  Dieu  j  Se  ce  que 
nous  devons  honorer  comme  Dieu, 
Je  dis  honorer  comme  Dieu  •  &  d@ 

N  iiij 


152.  Accord  de  la  Raison. 
degré  en  degré  >.  la  même  raifon  qui 
me  guide  ,  me  porte  plus  avant ,  '&.  me 
fait  paifer  de  la  connohTance  de  Dieu  , 
à  la  connoifTance  du  culte  que  je  lui 
dois  rendre ,  &  qui!  a  droit  d'exiger 
de  moi.  Culte  religieux  :  8c  qu'y  a-t-iî 
de  plus  raifonnable  ?  fait  dans  le  Créa- 
teur ,  que  d'attendre  de  fes  créatures 
les  j uftes  hommages  qui  lui  appartien- 
nent ,  &  de  les  leur  demander  ;  foit 
dans  les  créatures  ,  que  de  glorifier  j 
félon  qu'elles  en  font  capables  ,  le  Créa- 
teur de  qui  elles  ont  reçu  l'être  j  que 
d'ajouter  foi  à  fes  oracles  3  de  fe  con- 
former à  fes  volontés ,  de  pratiquer  fa 
loi ,  de  lui  offrir  leur  encens ,  Se  de  fe 
dévouer  pleinement  à  fon  fervice  ?  En 
cela  confifte  la  religion.  Mais  parce 
que  dans  la  multiplicité  des  religions  3 
qui  par  l'égarement  des  efprits ,  fe  font 
introduites  parmi  les  hommes  ,  il  y  en 
a  nécefTairement  de  fauifes  &  que 
Dieu  réprouve  5  puisqu'elles  fe  contre- 
difent  les  unes  les  autres  ;  il  eft  queftioa 
d'en  chercher  une  véiitable  ,  &  d'exa- 
miner de  plus  fi  celle-là  même  n'eft  pas 
l'unique  véritable.  Or  entre  celles  qui 
régnent  actuellement  dans  le  monde  5 
je  trouve  la  religion  chrétienne  j  &  à 
la  lueur  de  ma  feule  raifon  ,.  j'y  décou- 


I  T     DELA     Foi.  153 

:   vre  des  cara&ères  de  vérité  iî  marqués  , 

;   qu'ils    doivent    convaincre   tout    efprit 

fenfé  ,  folide  ,  docile  ,  qui  ne  s'obftine 

point  à  imaginer  des  difficultés  ,  ni   à 

faire  naître  de  vaines  difputes. 

Quand   il    n'y  auroit  point    d'autre 
témoignage  que  celui  des  miracles  de 
Jefus-Chrift  ,  ce  feroit  une  preuve  plus 
que  fuffifante.  Ce  nouveau  Légiilateur 
paroît  fur  la  terre  }  il  y  prêche  (on  Evan- 
gile ,  qui  eft  la  loi  chrétienne  ,  3c  pour 
i  autorifer  fa  prédication  ,  il  fe  dit  en- 
j  voyé  de  Dieu.  Il  eft  évident  que  fi  c'eft 
Dieu  qui  l'envoyé ,  &  que  ce  foit  au 
|  nom  de  Dieu  qu'il  parle ,  tout  ce  qu'il 
enfeigne  eft  vrai  ,~&  que  nous  fommes 
obligés  de  foufcrire  à  fa  doctrine.  Car 
il  faudrait  ne  pas  avoir  la  plus  légère 
;  notion  de  Dieu  ,  pour  fe  perfeader  qu'il 
,  pût  attefter  le  menfonge  ,-  &  le  confir- 
i  mer.  Ce  qui  refte  donc  à  Jefus-Chrift  , 
!  c'eft  dé  prouver  fa  million.  Mais  com- 
|  ment  l'entreprend-il  ?  par  les  miracles 
qu'il  opère  :  Les  chofes  que  je  fais  3  dit-il ,  joan.  e» 
rendent  témoignage  de  moi;  fi  vous  ne  m3  en  l  *■  z  *9 
croyez-pas  fur  ma  parole  ■,  croye^àmes  œu-  . 
vres.   Et  il   eft  encore   certain  que  ces 
œuvres  miraculeufes  étant  au-deiîus  des 
forces  de  la  nature  ,    &   ne    pouvant 
procéder  que  de  la  vertu  d'en-haut ,  fi 


154    Accord  de  la  Raison 
Jefus-Chrifl  a  fait  réellement  des  mira?- •! 
clés  3  far-tout  certains  miracles ,  &  qu'il 
les   ait  faits  pour  affirmer  qu'il  eit  le. 
Meflie  ,   on  ne  peut  lui  contefter  cette; 
qualité ,  ni  douter  qu'il  ne  foit  venu  de  la  i 
part  de  Dieu.  Autrement  Dieu  feroit 
l'auteur  de  Pimpofture  ,'  en  lui  commu- 
niquant un    pouvoir  dont  il  fe  feroit 
prévalu   pour    tromper  les   peuples   5c 
abufer  de  leur  crédulité. 

Or  que  Jefus-Chrifl:  ait  fait  des  mi-. 
racles  3  <k  des  miracles  du  premier  or- 
dre ,  &  des  miracles  en  très-grand  nom- 
bre ,  &  des  miracles  des  plus  éclatans  > , 
Se  des  miracles  dont  la  fin  principale 
étoit  de  fe  faire  connoître  comme  l'en- 
voyé de  Dieu  \  qu'il  ait  chafle  des  corps 
les  démons  &  délivré  les  poiTédés  j  qu'il 
ait  exercé  fur  les  élémens  un.  empire 
abfolu  5  &  qu'ils  oient  obéi  à  fa  voix  ; 
qu'il  ait  commandé  à  la  mer  3  ap'paifé 
fes  flots ,  calmé  les  tempêtes  j  qu'il  ait 
guéri  toutes  fortes  de  maladies  ,  rendu 
la  vue  aux  aveugles  y  Fouie  aux  fourds  5 
f  ufage  de  la  langue  aux  muets  ,  le  fen~ 
timent  &  le  mouvement  aux  paraliti- 
ques ,  la  vie  aux  morts  j  enfin  que  par 
le  prodige  le  plus  fingulier  &  le  plus 
inoui  ,  il  fe  foit  reffufeité  lui  -  même 
après  avoir  été  mis  à  mort  ôc  enfermé 


et  de  la  Foi.  155 
dans  le  tombeau  5  c'eft  de  quoi  une 
raifon  éclairée  Se  dégagée  de  tout  pré- 
jugé ne  peut  refufer  de  convenir.  Il  n'y 
a  qua  confidérer  mûrement  Se  par  or- 
dre toutes  les  circonftanceî  dont  ces 
faits  fe  trouvent  revêtus ,  leur  variété  , 
leur  éclat ,  le  tems ,  les  occafions ,  les 
lieux  >  les  campagnes  ,  les  places  publi- 
ques où  ils  fe  font  pafTés  ,  la  multitude 
de  gens  qui  en  ont  été  fpectateurs ,  ou 
qui  fur  le  récit  qu'ils  en  entendoient 
comme  des  miracles  avérés  Se  tout  ré- 
cens ,  embrafïbient  la  foi  Se  formoient 
ces  troupes  de  chrétiens  ii  célèbres  par 
leur  zèle  Se  leur  fainteté  ;  les  qualités 
irréprochables  des  témoins  qui  les  ont 
vus ,  qui  les  ont  rapportés  9  qui  les  ont 
publiés  jufqu'aux  extrémités  de  la  terre  , 
qui  les  ont  tranfmis  à  la  poflérité  dans 
leurs  Evangiles  ,  qui  les  ont  foutenus 
fans  fe  démentir  jamais  ,_&  en  ont  dé- 
fendu la  vérité  aux  dépens  de  leur  for- 
tune ,  de  leur  repos  ,  de  leur  vie.  XI  n'y 
a  ,  dis  -  je  5  qu'à  faire  mie  difcuiïloii 
exacte  de  chacun  de  ces  points  ,  ôc 
d'autres  que  je  n'ajoute  pas  j  il  n'y  a 
qu'à  les  bien  pefer  ,  Se  on  avouera  que 
de  tous  les  faits  hiftoriques  ,  nuls  ne 
font  plus  folidèment  appuyés  3  ni  plus 
à  couvert  de  la  cenfure.  Mais  encore 


i$6  Accord  de  la  Raison 
une  fois ,  cette  perquifition  ,  à  qui  dcùxÀ 
elle  appartenir  ,  de  du  l'effort  de  qui  eft-  j 
elle  ,  il  ce  n'eft  du  refïbrt  de  la  raifon  ? 
C'eft  à  la  raifon  d'éclaircir  d'abord.] 
tout  cela ,  de  le  vérifier ,  &  d'en  tireJ 
des  preuves  authentiques  en  faveur  dqji 
la  Religion. 

III.  Cependant  après  rnètre  con^ 
vaincu  par-là,  ôc  par  cent  autres  mo-I 
tifs ,  que  je  dois  m'en  tenir  à  la  Loi  de 
Jefus-Chrift  ,  après  m'ètre  ,  pour  ainfïl 
dire  ,  démontré  à  moi-même  ,  par  la 
voie  du  raifonnement  ,  que  c'eft  une,! 
loi  divine,  une  loi  que  PEfprit  de  véri- 
té ,  qui  eft  l'Efprit  de  Dieu  ,  a  di&ée- j 
après  avoir  conclu  en  générai  ôc  par 
une  conféquence  néceffaire ,  que  cette; 
loi  ne  peut  donc  me  tromper,  ôc  que, 
je  ne  puis  m'égarer  en  la  fuivant;  que] 
tout  ce  que  cette  loi  m'enfeigne  ,  eft 
donc  tel  en  effet  qu'elle  me  l'enfei- 
gne  ,  ôc  que  tout  ce  qu'elle  me  propofe 
de  dogmes  à.croire  ,  font  autant  d'arti- 
cles de  foi  auxquels  je  fuis  indifpeni'a- 
blement  oblige  d'adhérer  ;  que  de  va- 
ciller là-deifus  ,  ôc  de  demeurer  un 
moment  dans  une  fiifpenrion  volon- 
taire ,  ce  ferait  donc  un  crime  ôc  une 
infidélité  digne  de  la  damnation  éter- 


£T     DE     LA     For.  157 

uelle  :  enfin  après  avoir  bien  compris 
le  grand  oracle  du  Prince  des  Apôtres , 
que  cette  loi  ayant  été  donnée  aux  hom- 
mes pour  être  la  feule  règle  de  de  notre 
créance  &  de  nos  mœurs  ,  il  neft  point  AEi  •  Ct 
fous  le  Ciel  d  autre  nom  _,  en  vertu  duquel 
nous  puijjions  être  fauves  _,  que  le  nom  de 
Jefus-Chrifi  :  du  refte ,  fi  ma  raifon  veut 
aller  plus  loin ,  &  qu'elle  prétende  percer 
l'abyfme  des  impénétrables  myftères  que 
la  Religion  nous  a  révélés ,  mais  dont  elle 
nous  a  caché  le  fonds  ,  c'eft-là  que  la  foi 
prend  le  deifus ,  qu'elle  s'élève  ,  qu'elle 
défend  {es  droits ,  qu'elle  me  met  un 
voile  fur  les  yeux  ,  &  me  condamne  à 
ne  plus  marcher  que  dans  les  ténèbres. 

La  raifon  a  beau  fe  recrier  ,  cette 
raifon  également  curieufe  &  préfomp- 
tueufe.  Elle  a  beau  demander  :  mais 
qu'eft-ce  que  le  myftère  d'un  Dieu  en 
trois  perfonnes  ,  &  de  trois  perfonnes 
dans  un  feul  Dieu  ?  Mais  qu'eft-ce  que 
le  myftère  d'un  Dieu  fait  homme  fans 
ceifer  d'être  Dieu  ;  mortel  &  immortel 
tout  enfemble  ,  paliible  &  impaftible  , 
&  réunifiant  dans  une  même  perfonne 
toute  la  gloire  de  la  divinité  ,  &  toutes 
les  mifères  de  notre  humanité  ?  Mais 
qu'eft-ce  que  le  myftère  d'un  Dieu 
homme  réellement  préfent  fous  les  efpè- 


i;  |  8    ACCORD    DE    LA   R  A  I  S  0  N 

ces  du  pain  &  du  vin  dans  le  Sacre- 
ment de  nos  Autels  ?  Qu'eft-ce  que  tout 
le  refte  ?  La-deffas  la  foi  lui  dit  ce  que 
7ob.  c  Dieu  dit  à  la  mer  :  Tu  viendras  jufques- 
5°  •        là  j  mais  c3efi-là  même  que  tu  t'arrêteras  ;ï 
cefi-là  que  tu  briferas  tes  flots  j  &  que  tul 
abaijjeras  les  enflures  de  ton  orgueil.  Arrêt 
abfolu  ,  contre  lequel  une  raifon  chré-|  i 
tienne  n'a  rien  à  oppofer  ni  à  répliquer. 
Elle  y  trouve  même  des  avantages  infi- 
nis :  car  c'eft  ainfi  que  l'homme  ,   en 
faiiant  à  Dieu  le  facrifice  de  fou  corps 
par  la  pénitence  ?  le   facrifice    de  fon 
cœur    par  l'amour  ,   lui  fait  encore  Wr 
facrifice  de  fon  efprit  par  la  foi.  En  fa-J 
crinant  à  Dieu  fon  corps  par  la  péni^  ^ 
tence  ,  il  honore  Dieu  comme  fouve- 
rainement    équitable'}    en   facrifiant  à 
Dieu  fon  cœur  par  l'amour  ,  il  honore  I 
Dieu  comme  fouverainement  aimable  ; 
ôc  en  facrifiant  a  Dieu  fon  efprit  par  la  i 
foi ,  il  honore  Dieu  comme  fouveraine- 
ment infaillible  &  véritable. 

Avantages  par  rapport  à  Dieu  :  mais  I 
de  plus ,  à  prendre   la  chofe  par  rap- 
port   à  l'homme  &  fa  tranquillité  ,   il 
ne  lui  doit   pas  être  moins  avantageux 
d'avoir  une   règle  qui  feule  arrête  les  I 
viciffitudes    perpétuelles  de    fa    raifon  i 
lorfqu'elle   eft  abandonnée  à  elle-mê-  [ 


n   de    la    Foi,  159 

me.    Or  cette   règle  ,  c'eft  la  foi.  En 
effet,  fans  une  foi  foumife  ,  toutes  les 
fermières  de  ma  raifon  ,  au  lieu  de  me 
•raiTurer  dans  le  choix  d'un  parti ,  &  de 
me   mettre  l'efprit  en  repos  ,  ne  fervi- 
ïtoiit  au  contraire  ,   qu'à  me  jetter  cha^ 
que  jour  dans  de  nouveaux  embarras  , 
éc  à  me  caufer  de  nouvelles  agitations. 
Car  on  fçait  combien  la  raifon  humai- 
ne ,  dès  qu'on  lui  donne  Ténor  ,    eft 
;  variable  dans  les  vues  ,  3c  combien  elle 
eft  féconde  en  idées  toujours  nouvelles 
ique  l'imagination  lui  fuggere.  De  forte  , 
qu'aujourd'hui  nous  penfons   d'une  fa- 
■  çon  &:  demain  d'une  autre  ;  qu'au] our- 
•  d'hui  un  fentiment  nous  plaît ,   &  que 
demain  nous  le  rejettons  j  qu'aujour- 
d'hui une  difficulté  nous  fait  de  la  pei- 
ne ,  &c  qu'elle  n'eft  pas  plutôt  réfolue 
qu'un  autre  doute  vient  bientôt  après 
nous  troubler  :   ce  qui  eft  fur-tout  vrai 
en  matière  de  Religion  ,  &  ce  qui  eft 
encore  plus  commun  aux  efprits  vifs  & 
pénétrans  ,  aux  prétendus  fages  &  aux 
îçavans  du  fiècie  ,  qu  a  des  efprits  11m- 
pies  &  bornés.  D'où  il  arrive  ,  que  nous 
demeurons  dans  une  perplexité  où  l'on 
fe  prête  à  tout  ce   qui  fe  préfente  ,  ôc 
l'on  ne    tient    à  rien.   Saint   Auguftin 
nous  le  témoigne  aftez  en  parlant  de 


ï^o  Accord  de  la  Raison 
lui-même.  Il  cherchoit  la  vérité ,  il  eiî.i 
faifoit  fon  étude  ,   il  y  employoit  toute 
fa  philofophie  :  mais  après  bien  des  re- 
cherches  Se  après  être  tombé  dans  les:» 
erreurs  les  plus  groiîieres  ,  il  étoit  tou- 
jours flottant  &  incertain  5  &  il  ne  trou- 
vait rien  où  il  crût  pouvoir  fe  repofer  : 
pourquoi  ?  parce  qu'il  ne  prenojt  point  : 
d'autre  guide  que  fa  raifon  ,  8c  qu'elle 
ne  lui  fuffifoit  pas  pour  tenir  fon  efprit 
en  arrêt ,  &  pour  le  guérir  de  les  inquié- 
tudes. Delà  tant  de  changemens ,  tant" 
de  mouvemens  inutiles ,  tant  de  fyftê- 
mes  différens  dont  il  fe  laifïa  préoccu- 
per ,   &  dont  il  ne  revint  que  lorfqu  il 
penfa  férieufement  à  fe  convertir  &  à*, 
embrafler  la  foi.  En  quels  termes  s'ex- 
plique-t-il   là -deflus   dans  fes  Confef- 
iions  ,  3c  déplore-t-il  l'aveuglement  où. 
il  avoit  vécu  pendant  plufieurs  années  ! 
Quelles  actions  de  grâces  rend-il  à  Dieu , 
d'avoir  rompu  le  charme  d'une  feience 
profane  qui  lui  fafeinoit  les  yeux ,  &c 
de  l'avoir  réduit  à  la  fainte  ignorance 
d'une  foi  fouple  6c  docile  ! 

Car  fi  la  raifon  fe  foumet  à  la  foi  •  il 
dans  une  parfaite  intelligence  elles  fe 
donnent  mutuellement  le  fecours  qu'el- 
les doivent  recevoir  l'une  de  l'autre  : 
voilà  le  moyen  prompt  ôc  immanqua- 
ble 


£T  DE   la   Foi,  l6ï 

\>le  de  pacifier  mon  ame  >  &  de  nie  pré- 
munir contre  toutes  les  attaques  dont  je 
puis  être  aiTailli  au  iujet  de  la  Religion, 
De  quelque  doute  que  je  fois  combattu 
malgré  moi ,  foit  par  la  malice  de  l'Ef- 
i  prit  tentateur  ,   foit   par    les   difcours 
j  d'une  troupe  de  libertins ,   foit  par  les 
I  révoltes  involontaires  de  ma  raifon  8c 
fon  indocilité  naturelle  ,  je  n'ai  point 
de  réplique  plus  courte  ni  plus  déciftve 
à  faire  que  celle  de  Jefus-Chrift  même 
au  démon  qui  le  vint  tenter  dans  le  de- 
fert  :  II  eft  écrit.  Oui  y  il  eft  écrit  qu'il  y 
a  un  premier  Etre  ,   8c  qu'il  n'y  en  a 
qu'un  ,  éternel ,  invifible ,  tout-puiffant  , 
par  qui  le  monde  a  été  créé  3  8c  par  qui 
il  eft  confervé  &  gouverné.  Il  eft  écrit ,, 
que    dans   cet  Erre  adorable  &  cette 
fuprême  divinité  ,  il  y  a  tout  à  la  fois 
8c  fans  confuilon  ,.  une  unité  de   fub- 
ftance  ,  8c  une  trinité  de  perfonnes.  Il 
eft  écrit ,  que  de  cette  trinité  de  perfon- 
nes,  Père  ,  Fils ..,  8c Saint-Efprit ,  le  Fils 
égal  à  fon  Père  8c  envoyé  de  fon  Père  % 
eft  venu  fur  la  terre  pour  la  rédemption 
des  hommes  j  que  tout  Dieu  qu'il  eft" 
8c  qu'il  n'a  jamais  ceifé  d'être  ,  il  s'eft 
Fait  homme  lui-même ,  il  a  vécu  parmi 
nous ,  il  eft  mort  fur  une   croix ,  il  eft: 
rellufcité  &  monté .  au  Ciel.  Il  eft  écriv 
Tome.  L.  O 


tlG%  Accord  de  la  Raison- 
que  ce  nouveau  Législateur  &  ce  Sait-- 
veur  ,  voulant  demeurer  avec  nous  ju£*-i 
qu'à  la  confommation  des  iiècles-,  nous  ai: 
iaiiTé  fa  chair  facrée.  &  fon  précieux  fang,., 
fous  les.  apparences  du  pain  &  du  vin  j  que  : 
nous  offrons  l'un  &  l'autre  en.  facrifice  ï\ 
&  que  l'un  &  l'autre  ,  pour  le  foutien  de  a 
nos  âmes  3  nous  fert ,  comme  Sacrement  %  J 
de  nourriture  &  de  breuvage,  11  eft.  écrit  : 
qu'il  y  aura  un  jugement  où  nous  ferons  ;! 
tous  appelles  y  &  que  dès  maintenant  il 
y  a  une  béatitude  célefte  ,  où  les  bons;' 
feront  à  jamais  récompenfés,  &  un  enfer  ■ 
où  les  pécheurs  feront  condamnés  à  un 
tourment  fans  mefure  &  fans  fin.  Ainfî 
des  autres  articles  qui  me"  font  propo-*  • 
fés  comme   des  points  de  créance.  Or 
du  moment  que  tout  cela  eft  écrit  5  c'eft- 
à-dire   que   tout   cela   m'efl  révélé   de. 
Dieu  ou  delà  part  de  Dieu  5  &  que  cette 
révélation  m'eft  tellement  notifiée  par 
des  motifs  de  crédibilité,  qu'il  feroit  con- 
tre le  bon  fens  de  n'en  vouloir  pas  con- 
venir ,  je  ne  demande  rien  de  plus.  Je 
rends   à    la  foi    par    mon    obéiiTance 
l'hommage  qui  lui  eft  dû  \  je  lui  laifîe 
prendre  Tafcendant  ,    &   exercer   fou 
empire.  Dès  qu'elle  parle  ,  je  l'écoute  , 
je  me  tais  ,  je  crois  ,  parce  que  je  me 
fens  aiîuré  de  tout  ce  qu'elle  me  dit. 


D  E     L  A      F  O  I.  ï6$ 

Autant  qu'il  me  vient  à  Pefprit  de  quef- 
.  rions ,  d'obje&ions ,  3c  de  raifonnemens 
où.  je  me  perds  &  que  je  ne  puis  démê- 
ler ,  autant  de  fois  j'ai  recours  au  fenti- 
ment  de  l'Apôtre,  &  je  me  contente  avec 
:  lui  dem'écrâer  :  O  profondeur  de  la  fageffe  Rom.c* 
I  &  de  la  fcience  de  Uieu  !  que  f es  juge-      '   ** 
:  mens  font  incompréhenfibles  _,  &  que  Jes 
voies  font  au-deffus  de  ce  quon  en  peut 
<  découvrir!  car  qui  a  pénétré  dans  les  pen- 
Jées  du  Seigneur  ■>  &  qui  ejt  entré  dans  fon 
confeil  !  Suivant  ces  principes  &  y  de-- 
me  virant  ferme  ,  je  réfous  dans  un  mot 
toutes  les  difiicultés  j  je  diiïipe  tous  les 
doutes,  je  me  débarra(Te  de  mille  ré- 
I  flexions  dangéreuies  &  pernicieufes ,  du 
|  moins  très-impormnes  8c  inutiles }  j'agis 
en  paix  ,  &  n'ai  d'autre  foin  que  de  vivre 
chrétiennement  félon  les    maximes  ôc 
fous  la  direction  de  la  foi. 

Mais  comment  croire  ce  que  l'on  ne 
comprend  pas  ?  Efprit  humain  ,  ne  te 
feras<u  point  juftice  ?  ne  comioitras-ta 
point  ta  foibleife  }  &c  pour  la  connaî- 
tre ne  te  consulteras  -  tu  point  toi- 
même  &  ta  propre  raiion  ?  Car  à  ne- 
confu.lt  er  même  que  la  raiion  ,  qui  ne 
voit  pas  ,  à  moins  qu'on  ne  foit  dépour- 
vu de  toute  lumière  ,  combien  il  e(t  dé- 
raifonnable   8c    peu  foutenable    de  ne- 

Ôi| 


id'4  Accord  de  la  Rais  air  - 
vouloir  pas   croire   une    chofe  y  parce 
qu'elle  e(l  au-deifus.  de  nos  connoiflan^ 
ces ,   &  qu'on,  ne  la  peut  comprendre  ? 
Hé  !  combien   de  chofes   exiftent  dans.s 
toute  l'étendue  de  l'univers ,  combien  ■ 
fe  pafTent  fous  nos  yeux  &  nous  font! 
certaines  3  fans  que    nous   les  compre- 
nions ?  Parce  que  nous  ne.  les  compre- 
nons pas ,   en  font-elles  moins  vraies?? 
Parce  qu'on    n'a   pas    compris   jufqu'à 
préfent   comment  fe  fait  le  flux  Se  1§| 
reflux  de  la  mer ,  eft-il  un  homme  afles 
infenfé  pour  douter  de  ce  mouvement- 
des  eaux  fi  régulier  &  fi  confiant  ?  Com- 
prenons-nous bien  les  ouvrages  de  la 
nature  3    &   combien  y   en  a-t-il  qui 
échappent  à  nos  prétendues  découver- 
tes &  à  toute  notre   pénétration  ?  Ju- 
geons de-là  il  nous  devons  être  furpris 
que  les  myflères  de  Dieu  foient  hors  de 
notre  portée  r  &  que  nous  ne  puiffions 
y    atteindre  y  &  jugeons   encore   delà» 
même  (i  c'eft  une  jufte  conséquence  de. 
dire ,  je  ne  dois  point  croire  que  cela; 
fait ,  puifque  je  n'y  conçois  rien. 

A  Dieu  ne  plaife  que  je  penfe  de  la 
forte  ,  ni  que  j'ofe  ,  Seigneur  ,  m'in- 
gérer  dans  des  fecrets  qui  me  font  pré- 
fentement  inconnus.  Ce  feroit  une  pré- 
emption j  3c.  félon  la  menace  de  votre 


ET    DE    LA    Foi.  1 6  f 

"Saint  Efprit ,  en  voulant  contempler  de 
I  trop  près  votre  Majeflé  ,  je  m'expofe- 
rois  à  être  accablé  de  votre  gloire.  Le  Prov.ci 
jour  viendra  ,  je  Pefpere  ainn  de  votre    ' 
;,  miféricorde   ,    il  viendra    cet  heureux 
jour ,  où  j'entrerai  dans  votre  Sanctuai- 
re éternel  ,  où  vous  vous  montrerez  à 
moi  dans  tout  votre  éclat  r  où  je  vous 
:  verrai  face  à  face.  D'une  foi  ténébreu- 
se ,  vous  me  ferez  palier  à  une  clarté 
fans  nuage   8c  toute    lumineufe.-  Mais- 
j|ufqiies-là  ,   jufqiies   à    ce    jour   de    la 
j  grande   révélation  ,    vous  me  mettez  à 
:  l'épreuve  ,  8c  vous  voulez  que  je  vous 
[cherche  dans  la  nuit  8c  par  des  voies 
.fombres.  Ce  n'eft  pas ,  Seigneur,  que" 
vous  réprouviez  les  lumières  de  ma  rai- 
|fon  }    au    contraire  ,    vous  me    l'avez 
^donnée  comme  un  flambeau  pour  me 
Iguider  :  mais  après  en  avoir  fait  l'ufage 
i  convenable  ,   vous  m'ordonnez   de  lui 
fermer  les  yeux  ,    de   la  réprimer ,  de 
;rafïujettir  ,  &  de  l'accorder  par  cette: 
ifujettion  même,   avec  la   foi   qui   doit 
lavoir  toujours  la  Supériorité  fur  elle  8c 
la  dominer.  Vous    l'avez  ainfi    réglé  , 
Seigeur  ,    8c   pour  l'honneur  de  votre 
parole  ,   8c  pour  mon    faiut.   De    bon 
cœur  j'y  confens.  Je  crois  ce  qu'il  vous 
a  plu  de  me  faire  annoncer,  6c  je  le 


\66  Accord  de  la  Ra  r  s  oh 
crois  précifémenr ,  parce  que  vous  l'avez'/ 
'Marc,  c,  fctm  je  crois  ,  mon  Dieu  >  mais  en  même  ' 
terns  j'ajoute ,  comme  ce  Père  del'Evan-4 
gile,  fortifiez^  mon  peu  de  foi  i  car  il  meJ 
femble  en  certaines  conjectures  qu'elle' 
eft  bien  faible,  cette  foi  -,  pour  laquelle. i 
néanmoins  ,  je  dois  être  en  difpohtioai: 
de  répandre  mon  fang.  Vous  la  fou— | 
tiendrez  ,  ou  vous  me  -foutiendrez  moi-- 
même contre  les  plus  violents  allants  ,J 
8c  vous  ne  permettrez  pas  qu'un  fondai 
fi  néceifaire  &c  il  précieux  me  foit  enlevé* 

La  Foi  fans  les  Œuvres  :  Foijlérile 
&  fans  fruit.. 

LçOmmes-nous  Chrétiens?    ne  le 
v3  fommes-nous  pas?  Si  nous  ne   le: 
fonimes   pas  5    pourquoi   afFectons-nous  > 
de  le  paraître  ?  Pourquoi  en  portons- 
nous  le  nom  ?   C'eft  une    hypocrifie  8c 
un  menfonge.  Mais  fi  nous  le  fournies  >  j 
que  n'en  pratiquons-nous  les   œuvres  'r\ 
3c  n'eft-ce  pas  une  contradiction  énor-r 
me  ,  d'être  chrétien    dans   la  créance  , , 
&c  payen  ou    plus   que  payen  dans  les 
mœurs  ? 

Voila  le  trifte  état  du  Chriftianifrne  M 


La  For  sans  les  Œuvres,    \Cy 
en  voilà  le  défordre  le  plus  univerfeL 
Je  dis  le  plus  imiverfel ,  8c  pour  en  ve- 
nir à  la  preuve  ,  toute  fondée  fur  l'ex- 
périence ,  nous  devons  diftinguer  trois 
:  fortes   de  chrétiens  :  des  chrétiens  feu- 
;  lement  de  nom  ,  des  chrétiens  de  pure 
spéculation  ,     des   chrétiens   tout   à  la 
•  fois  de  créance    8c  d'action.  Chrétiens 
'  feulement  de  nom  ,    8c  rien  de  plus  i 
■  c'eil:  un  certain  nombre   de  libertins  > 
'■  qui  dans  le  iein  même  de  la  religion  ? 
;"  vivent  fms  religion,  j  renonçant  au  bap- 
tême y  où  ils  ont  été  régénérés  3  &  à  la 
foi  qu'ils  y    ont  reçue.  Non  pas  qu'ils 
-s'en  déclarent  hautement ,  ni  qu'ils  faf- 
'  ,fent  une  profefïion  ouverte  d'impiété  t 
ils  gardent  toujours  quelques,  dehors  y 
ils  ne  produifent  leurs  fentimens  ,  qu'en 
termes  équivoques  y  ou  qu'en  préfence 
|de  quelques  libertins  comme  eux }  leur 
apoftaiie  eft  fecrette  :  mais  enfin  par  la 
corruption  de  leur  cceur ,  ils  en  font 
venus  à  douter  de    tout    8c  à  ne  rien 
icroire  :  ils  ont  encore  l'apparence  d3hom-  ^pocah 
\tnes  vivans  _,  &  ils  font  morts.  Chrétiens  de 
pure  fpéculation  ,  autre  caracbère  :  c'eft- 
à-dire  qu'ils  non  pas  perdu  l'habitude     - 
8c  le  don  de  la  foi  -y  ils  ne  conteftent 
aucune  de  fes  vérités  ,  8c  ils  les  refpec- 
tent  toutes  ;  ils  penfent  bien  :  mais  s'il 


io8  La  For 

faut  pafler  à  la  pratique  ,  c'eft-là  quel 
leur  foi  fe  dément  ,  ou  qu'ils  la  dé-  I 
mentent  eux-mêmes  ,  par  l'inutilité  de.J 
leur  vie  3  &  fouvent  même  par  les  plus' 
honteux  déréglemens.  Eniin  chrétiens  \ 
de  créance  &  d'action  :  ce  font  les  vrais 
chrétiens  ;  d'autant  plus,  chrétiens  queJ 
l'efprit  de  la  foi  dont  ils  font  remplis  y. 
les  porte  à  une  pratique  plus  excellente. 
&"  plus  confiante  de  tous  leurs  devoirs  j 
&  par  un  heureux  retour,  d'autant  plus; 
animés  &  plus  touchés  de  cet  efprit  de: 
foi  5  qu'ils  le  mettent  plus  conftammentji 
&  plus  excellemment  en  œuvre  ,  3c 
qu'ils  s'adonnent  avec  plus  de  foin  ai 
tous  les  exercices  dune  piété  agiffante. 
Se  fervente  :  car  de  même  que  la  fol 
vivifie  les  œuvres ,  on  peut  dire  que  les* 
œuvres  vivifient  la  foi.  Ils  croient  ,  M 
pour  cela  ils  agiffent  ;.  &  parce  qu'ils 
agiffent  ,  .leur  foi  croît  à  me f ure  ,  &c 
devient  toujours  plus  ferme  &  plus  vi- 
ve. 

Or  de  ces  trois  efpéces  de  chrétiens  I 
il  eft  évident  que  le  plus  grand  nombre, 
eft  de  ceux  que  j'ai  appelles  chrétiens;: 
de  fpéculation  y  &  qui  tiennent  le  ma 
lieu  entre  les  premiers  8c  les  derniers^ 
Il  eft  vrai  qu'il  y  a  dans  le  monde  8é 
parmi  nous  des  impies  en  qui  la  foi  eifc'l 

absolument 


sans  les  Œuvres.  169 
absolument  éteinte.  Bien  loin  d'avoir 
aucun  fentiment  de  Dieu  ,  ils  ne  re- 
connoiffent  ni  Dieu  ni  loi  -y  ou  il  l'a- 
veuglement dans  lequel  ils  font  plon- 
gés ,  n'a  pu  effacer  de  leur  efprit  toute 

!  idée  d'un  Dieu  premier  moteur  de  l'u- 
nivers,  du  moins,  à  l'exemple  de  ces 
Philofophes  dont  parle  Saint  Paul ,   ne 

"  le  glorifient  -  ils  pas  comme  Dieu ,  & 
traitent-ils  de  fupetftition  populaire  l'o- 

:-  béiffance  de  le  facré  culte  que  nous  lui 
rendons  félon  l'Evangile  &  les  enfei- 
gnemens  de  Jefus-Chrift.  Mais  il  faut 

•après  tout  convenir  que  ce  n'eft  point- 
là  l'état  le  plus  commun.  Il  n'y  en  a 
toujours  que  trop,  je  le  fçais ,  hélas! 
6c  j'en  gémis  :  mais  du  refte  ce  liberti- 
nage entier    Se  complet  n'eft  répandu 

:  que  dans  une  petite  troupe  de  gens  , 
qui  n'ofent  même  le  découvrir  ,  ou  qui 
tombent  dans  le  mépris  ,  Se  fe  diffament 

[en  le  laiflfant  appercevoir.  Il  eft  vrai 
d'ailleurs  que  la  foi  n'eft  point  non  plus 
tellement  affoiblie ,  ni  altérée  dans  tout 
le  chriftianifme  ,  qu'il  n'y  ait  encore 
jufques  au  milieu  du  fîécle  de  parfaits 
chtétiens ,  qui  par  la  divine  miféricor- 
de  Se  le  fecours  de  la  grâce  ,  foutien- 
nent  dignement  la  fainteté  de  leur  pro- 
feifion  :  auffi  fidèles  Se  aufli  religieux 
Tome  l  P 


Xfa  La    F  o  ï 

dans  la  conduite  ,   qu'ils  le  font  dans  fa  J 
doctrine;  rempliffant  avec  une  régula- 
rité  édifiante  toutes  leurs  obligations  , 
de  confefîant  Jefus-Chrift  par  leur  bon- 
ne vie  de  leurs  exemples ,  comme  ils  le 
confeifent  de  cœur  par  leurs  fentimens , 
de  de  bouche  par  leurs  paroles.  Nous  ; 
en  devons  bénir  Dieu  ;  mais  ce  qu'on  J 
ne  fçauroit  en  même  tems  afTez  déplo-^  • 
rer  ,  c'eft  que  les  Chrétiens  de  ce  ca- 
ractère foient  il  rares ,    de  qu  a  peine  a 
nous  en    puimons   compter    un    entre] 
mille.  Ce   n'eft  pas  d'aujourd'hui  que; 
cette  décadence  a  commencé  dans  PE-- 
glife  }  mais  pour  peu  qu'on  ait  de  zélé  9 . 
on  ne  peut  voir  fans  une  amère  dou- 
leur  combien  le   mal   augmente   tous1 
les  jours  ?  &  combien  la  charité  de  ces1 
derniers  fiécles  fe  refroidit  d'un  tems  a. 
l'autre. 

Refte  donc  de  conclure ,  que  la  foi' 
de  la  plus  grande  partie  des  Chrétiens 
fe  réduit  toute  à  un  ilmple  acquiefee- 
ment  de  l'efprit ,  fans  effets ,  fans  fruits , 
de  que  c'eft  là  le  renverfement  le  plus: 
général.  Car  quelques  plaintes  que  forv 
ment ,  au  fujet  de  la  foi  ,,les  perfonnes 
zélées ,  de  de  quelque  manière  que  s'é- 
noncent les  Prédicateurs  dans  leurs 
difeours ,  quand  ils  s'écrient  qu'il  n'y  m 


sans   les  Œuvres.        171 
plus  de  foi  fur  la  terre  ,  &  qu'elle  y  eft 
abolie  j    quand  ils    s'adreflent  à  Dieu 
comme  le  Prophète  ,   &  qu'ils  lui  de- 
mandent :  Seigneur,  qui  eft-ce  qui  croit 
à  la  parole  que  nous  annonçons  ,   &c  où 
i  trouve-t-on  de  la  foi  ?  quand  à  là  vue 
de  ce  déluge  de  vices  quife  font  débor- 
dés de  toutes  parts  ,  qui  infectent  tant 
d'ames }  du  moins  à  la  vue  de  l'extrême 
tiédeur ,  3c  de  l'affreufe  inutilité  où  s'é- 
coulent jufques   à   la  mort  toutes  nos 
;  années ,  ils  en  attribuent  la  caufe  à  un 
défaut  abfolu  de  foi  :   cqs  expre liions 
qu'une  fainte  ardeur  infpire  3    ne  doi- 
ivent  point  être  prifes  à  la  lettre  ni  dans 
'toute  la  rigueur  de  leur  fens.  Ce  feroit 
ioutrer  la  chofe  ;  &  pour  ne  rien  exagé- 
rer ,  il  me  femble  que  tout  ce  qu'il  y  a 
Ide  réel  en  tout  cela ,    c'eft  que  la  foi 
fubfiftant  encore  dans  le  fond ,  ce  n'eft 
[plus ,   par  la  dépravation  &  le  malheur 
;des  terns  ,  qu'une  racine  infructueufe  ; 
|&  que  ce   facré  germe  dont  les  pro- 
ductions autrefois  étoient  h*  merveilleu- 
tfes  ,   ii  promptes  ,   ri  abondantes ,  n'o- 
père plus  ou  prefque   plus.  Pourquoi  ? 
parce  que  ce  n'eft  plus  qu'une  foi  lan- 
guiiTante  ou  comme  endormie  j  parce 
que  nous  ne  la  faifons  entrer  ,  ni  dans 
nos  délibérations ,  ni  dans  nos  réfolu- 

pij 


ïji  L  a   F  o  i. 

dons  j   ni  dans  nos  a&ions  j  parce  que 
fans  l'effacer  de  notre  cœur  ,  nous  l'ef- 
façons de  notre  fouvenir  j   &  que  ces 
vérités  ,  quelque  importantes  de  quel- 
que touchantes  qu'elles  foient ,  ne  nouss 
étant  jamais  préfentes  à  la  penfée  ,  elles 
ne   doivent  faire   fur   nous   nulle  ini— 
preilion.  D'où  il   arrive  ,  que  dans  le 
plan  de  notre  vie  elles  ne  fervent  ni  ai 
nous  détourner  du  mal ,  ni  à  nous  por- 
ter au  bien  ,    quoiqu'elles  nous   ayentt 
été  fur-tout  révélées  pour  l'un  &  pour; 
l'autre. 


IL  Je  dis  que  c'eft  pour  nous  détour- •' 
ner  du  mal  &  pour  nous  porter  au  bien  , ,, 
que  nous  ont  été  révélées  les  vérités  de.'! 
la  foi.  Car  fi  Dieu  nous  a  donné  la  foi , , 
ce  n'eft  point  feulement  afin  que  notre 
foi  foit  pour  nous  une  régie  de  créance  „ 
Ephef.  mais  une  régie  de  conduite.  Avant  même: 
*« l  •  4»  la  création  du  monde  j  dit  l'Apôtre  ,  Dieu  I 
nous  a  choifis  en  Jefus-Chrijl  _>  &  il  nous  a  | 
appelles  j  afin  que  nous  fujjtons  faints  &  ' 
fans  tache  devantfesyeux.  Voilà  ce  peuple  ■ 
parfait ^que  le  divin  Précurfeur  vint  d'a-- 
bord  5  félon  la  parole  de  Zacharie  ,prépa-  ■ 
parer  au  Seigneur  _>  &  à  qui  le  Seigneur  i 
lui-même  a  voulu  mettre  enfuite  les  ; 
ierniers  traits.  De-là  ces  grandes  ma-;- 


sans  les  Œuvres.  tyf 
xlmes  &:  ces  principes  de  morale  dont 
foute  la  loi  évangélique  eft  compofée. 
Notre  adorable  Maître  ne  s'eft  pas  con- 
tenté de  les  enfeigner  aux  hommes  &: 
de  nous  les  expliquer  ;  mais  il .  a  voulu 
pour  notre  exemple  les  pratiquer.  Que 
dis-je  ?  il  a  plus  fait  ;  êc  pour  nous 
montrer  combien  il  avoit  à  cœur  cette 
pratique ,  de  combien  il  la  jugeoit  efTen- 
tielle  dans  la  religion  j  avant  que  d'en- 
feigner ,  il  a  commencé  par  pratiquer. 
De-là  même ,  ces  leçons  fi  fréquentes , 
ces  exhortations  des  Apôtres  3  lorfqu'ils 
inftruifoient  les  fidèles  ,  &  qu'ils  les 
formoient  au  chriftianifme.  De  quoi 
leur  parloient-ils  plus  fouvent  ?  des 
bonnes  œuvres.  Que  leur  recomman- 
doient-ils  plus  fortement  ?  les  bonnes 
œuvres.  Que  leur  reprochoient-ils  plus 
vivement  ?  leurs  négligences  Ôc  leurs 
relâchemens  dans  les  bonnes  œuvres  j 
c'étoit-là  prefque  l'unique  fujet  de  leurs 
épîtres  &  de  leurs  prédications.  Car 
fans  rapporter  en  particulier  tous  les 
points  dont  ils  leur  enjoignoient  une 
pratique  journalière  &  aiUdue  ,  voilà 
dans  une  vue  générale  ce  qu'ils  préten- 
doient  leur  marquer  ,  en  les  conjurant 
de  fe  comporter  toujours  d'une  manière 
digne  de  leur  vocation  ,    de  chercher 

Piij 


174  L  A    F  o  î 

en  toutes  chofes.  le  bon  plaifir  de  Dieu  ; 
d'achever  l'ouvrage  que  la  grâce  avoit 
commencé  dans  eux ,  Se  de  faire  enfer- 
re que  rien  ne  manquât  à  leur  perfection 
Se  à  leur  fandification  ,  afin  que  rien  ne 
manquât  à  leur  falut  éternel  9  Se  à  leur 
gloire.  Tels  étoient  les  enfeignemens 
de  ces  premiers  Prédicateurs  de  la  foi , 
pleinement  inftruits  des  intentions  du 
Fils  de  Dieu ,  Se  fuivant  le  même  Efprit , 
ils  réprouvoient  une  foi  lâche  Se  non- 
chalante ,  Se  ne  connoifîoient  qu'une 
foi  vigilante  ,  entreprenante  3  édifiante. 
Et  certes,  comment  l'entendons-nous, 
fi  nous  nous  flattons  d'obtenir  la  vie 
bienheureufe  par  la  foi ,  fans  les  œu- 
vres de  la  foi  ?  Eft-ce  à  la  foi  feule  que 
Jefus  -  Chrift  a  promis  fon  Royaume  ? 
Eft-ce  la  foi  feule  qui  nous  juftifie  ?  La 
foi  efb  le  fondement  de  la  fainteté  chré- 
tienne ,  Se  les  œuvres  en  doivent  être 
le  complément  :  ôtez  donc  les  œuvres , 
je  fuis  en  droit  de  vous  dire  comme 
Jac»  e,  l'Apôtre  Saint  Jacques ,  fi  quelqu'un  a  laj 
%*  foi  &  qu  il  n  ait  point  les  œuvres  _,  de  quoi 
cela  lui  fervira-t-il  ?  efi-ce  que  la  foi  le 
pourra  fauver  ? 

On  m'oppofera   la   parole   de  Saint 

*     Paul ,  Se  l'exemple  d'Abraham  tiré  du 

cinquième  Chapitre  de  la  Genéfe ,  où 


sans  les  Œuvres.  175 
il  eft  dit  qu'Abraham  crut ,  Se  que  fa  foi 
lui  fut  imputée  à  jufrice.  Il  eft  vrai , 
Abraham  8c  tant  d'autres  ,  foit  Patriar- 
ches ,  foit  Prophètes  de  l'ancienne  Loi  > 
fe  font  rendus  par  la  foi  recommanda- 
bles  auprès  de  Dieu}  mais  par  quelle 
foi  ?  consultons  le  même  Saint  Paul , 
8c  il  nous  l'apprendra.  C'eft  au  Chapi- 
tre onzième  de  fon  Epître  aux  Hébreux , 
où  il  décrit  avec  une  éloquence  toute 
divine  ,  ce  que  la  foi  infpira  de  plus 
héroïque  8c  de  plus  grand  à  ces  hom- 
mes incomparables. 

En  effet  ,  fans  vouloir  ici  les  nom- 
mer tous ,  8c  fans  en  faire  un  dénom- 
brement trop  étendu  ,  quelle  fat  la  foi 
d'Abraham  ?  Il  crut ,  mais  II  ne  fe  bor- 
na pas  à  croire  j  ou  plutôt ,  parce  qu'il 
crut  &:  qu'il  crut  efficacement  8c  d'une 
foi  parfaite ,  il  quitta  fa  patrie  ,  ainfi 
qu'il  lui  étoit  ordonné  ,  il  s'éloigna 
de  fes  proches ,  il  offrit  fon  Fils  uni- 
que ,  il  fe  mit  en  .devoir  de  l'immoler  , 
8c  ne  ménagea  rien  pour  rendre  hom- 
mage à  Dieu  ,  8c  lui  témoigner  fon 
obéiffance.  Quelle  fut  la  foi  de  Moïfe  ? 
Il  crut ,  mais  il  ne  fe  contenta  pas  de 
croire  ;  ou  plutôt ,  parce  qu'il  crut  8c 
qu'il  crut  vivement  8c  d'une  foi  prati- 
que ,  il  renonça  à  toutes  les  efpérances 

P  iiij 


i7^  La   Foi 

humaines ,  il  facriiia  dans  une  Cour  étran- 
gère les  titres  les  plus  pompeux  Se  la 
plus  riche  fortune  3  il  fe  réduiiit  dans  une 
condition  humble  ,  Se  dans  un  état  de 
fourTrance  ,  s'eflimant  plus  heureux 
d'être  amigé  avec  le  peuple  de  Dieu , 
que  de  goûter  les  fauffes  douceurs  du 
péché  parmi  les  Idolâtres.  Quelle  fut 
la  foi  d'un  Gédéon  y  d'un  Jephté  3  d'un 
David ,  de  tant  de  glorieux  combattans 
Se  de  zélés  Ifraëlites  ?  Ils  crurent  -y  mais 
ils  ne  s'eftimerent  pas  quittes  de  tout  en 
croyant ,  ou  plutôt ,  parce  qu'ils  cru- 
rent ,  Se  qu'ils  crurent  bien  &  d'une 
foi  courageufe  ,  les  uns  s'expoferent  à 
mille  périls  pour  la  caufe  du  Seigneur  9 
lui  fournirent  les  nations  ennemies ,  Se 
fubjuguérent  les  Royaumes }  les  autres 
panèrent  par  les  plus  rudes  épreuves  y 
endurèrent  pour  le  Dieu  de  leurs  Pères 
Se  pour  la  loi  les  plus  rigoureux  traite- 
mens ,  &  périrent  par  le  tranchant  de 
l'épée  ;  d'autres  féparés  du  monde  , 
confinés  dans  les  deferts ,  cachés  dans 
de  fombres  cavernes ,  menèrent  la  vie 
la  plus  auftère  3  Se  reffentirent  toutes  les 
miféres  de  la  pauvreté  Se  de  l'indigen- 
ce :  tous  fe  regardant  fur  la  terre  com- 
me des  étrangers ,  Se  n'ayant  nulle  pré- 
tention, nul  intérêt  temporel  qui  les 


sans  les  Œuvres.  177 
attachât  ,  ne  s'employèrent  qu'à  cher- 
cher fans  cefTe  ,  Se  par  les  vœux  de  leur 
cœur  y  Se  par  le  mérite  de  leurs  œu- 
vres ,  cette  Cité  célefte  que  la  foi  leur 
faifoit  entrevoir  de  loin  ,  Se  où  elle  les 
appelloit.  Car  telle  eft  en  abrégé  la 
peinture  que  l' Apôtre  nous  a  tracée  de 
ces  Saints  de  la  première  alliance.  C'eft 
ainfi  que  la  foi  agiiïbit  dans  eux ,  ou 
qu'ils  agifïoient  par  la  foi ,  perfuadés 
qu'ils  ne  pouvoient  fans  cela  efpérer  l'ac- 
complhTement  des  promefTes  qui  leur 
avoient  été  faites  ,  ni  entrer  en  pofTef- 
fion  de  l'héritage  qui  leur  étoit  deftiné. 

Les  Saints  de  la  loi  nouvelle  en  ont- 
ils  jugé  autrement  à  l'égard  d'eux-mê- 
mes ?  ont-ils  penfé  que  cette  loi  de  grâce 
leur  donnât  un  privilège  particulier, 
Se  qu'indépendamment  des  œuvres  la 
qualité  de  chrétien  leur  fût  un  titre  fufH- 
fant  pour  être  admis  au  rang  des  Elus } 
Si  c'étoit-là  leur  morale  ,  Se  s'ils  ne 
comptoient  que  fur  la  foi ,  pourquoi  fe 
confumoient-ils  de  veilles  Se  de  tra- 
vaux ?  Pourquoi  s'exténuoient-ils  d'ab- 
ftinences ,  de  jeûnes  ,  de  mortifica- 
tions ?  Pourquoi  fe  refufoient-ils  tous 
les  plaiiirs  <1qs  fens ,  Se  faifoient-ils  a  leur 
corps  une  guerre  fi  cruelle  ?  Qu'étoit-il 
nécefTaire  qu'ils  s'exerçaflent  continuel- 


I7S  L  A    F  O  I 

lement  en  des  pratiques  d'humilité  ,  de 
patience  ,  de  charité  ?  Que  leur  impor- 
toit-il  d'être  h*  alïidus  à  la  prière  &  à; 
l'oraifon  ?  Se  d'y  paiTer  prefque  les  jour-; 
nées  entières  Se  les  nuits  ?  Que  ne  for- 
toient-ils  de  leurs  retraites  ?  Que  ne  fe 
répandoient-ils  dans   le   monde  ?   Que 
ne  fe  donnoient-ils  plus  de  relâche  8d< 
plus  de  repos  ?  Mais  encore  après  tant 
d'oeuvres   faintes  ,   après  s'être  épuifés 
pour  la  gloire  de  Dieu  ,  pour  le  fervice 
du  prochain  ,  pour  leur  propre    fane- 
tification    Se  leur    progrès    perfonnel 
après  avoir  amaiie  ci  îmmenies  treiors  , 
comment  ne  fe  qualifioient-ils  que  de  ; 
ferviteurs  inutiles  ?  Comment  3  à  les  eni 
croire  ,  fe  trouvoient-ils  les  mains  vui-  - 
des ,   Se  déploroient-ils  avec  autant  de  2 
confufion    que  d'amertume  de   cœur,, 
leurs  befoins  fpirituels  Se  leur  dénué-- 
ment  extrême  ?    D'où  leur  venoit  ce  ; 
tremblement  dont  ils   étoient  faifis  au  i| 
fujet  de  leur  falut ,  Se  au  fouvenir  des 
arrêts  du  Ciel  ?  ils  avoient  tout  entre- 
pris ,  tout  exécuté ,  tout  foutenu  ,  Se  il 
iembloit  néanmoins  qu'ils  n'eufTent  rien 
fait.  Ne  nous  en  étonnons  pas   :  c'eft 
qu'ils  étoient  convaincus  de  l'indifpen- 
fable  néceilité  des  œuvres  pour  rendre 
leur  foi  falutaire  j  qu'ils  craignoient  de 


sans  les  Œuvres.  179 
ne  pas  remplir  fur  cela  toute  la  mefure 
qui  leur  étoit  prefcrite. 

Avons-nous  moins  à  craindre  qu'eux , 
Se  ferons-nous    moins    expofés  à  cette 
^  malédi&ion  dont  le  Fils  de  Dieu  frap- 
pa le  figuier  ftérile  ?  Il  s'approcha  de  ce 
figuier  ,  il  y  chercha  des  fruits ,  mais 
;  n'y  voyant  que  des  feuilles ,  Que  jamais j    Matth. 
dit-il ,  tu  ne  portes  de  fruits  &  queperfonne 
jamais  ne  mange  rien  qui  vienne  de  toi. 
L'effet  fuivit  de  près  l'anathême  ;  le  fi- 
[  guier  dans   l'inftant  même  perdit  tout 
1  fon  fuc  ,  Se  fécha  jufques  dans  fes  raci- 
•  nés.  Ce  ne  fut  plus  qu'un  bois  mort  & 
;  propre  à  brûler,  figure  terrible  !  Quand 
le  fouverain  Juge   viendra  ,    ou  qu'il 
nous  appellera  à  lui  ,  pour  décider  de 
notre  éternité  ,  ce  qu'il  examinera  dans 
nous  ,  ce  qu'il  y  cherchera  3  ce  ne  fera 
pas  feulement  la  foi  que  nous  aurons 
confervée  ,  mais  les   œuvres   qui  l'au- 
ront accompagnée.  Ainfi   nous  le  dé- 
clare le  grand  Apôtre  dans  les  termes 
les  plus  exprès  :  Nous  par vitrons  tous  de-  1.  Cbr* 
vant  le  Tribunal  de  jefus-Chrift  ^  afin  que  **  I0* 
chacun  reçoive  félon  le  bien  qu  il  aura  prati- 
qué ^ou  félon  le  mal  qu  il  aura  commis, .L'A- 
pôtre ne  dit  pas  précifément ,  que  nous 
recevrons    félon  que  nous  aurons  cru 
ou  que  nous  n'aurons  pas  cru  j  mais  fe- 


i8o  La   Foi 

Ion  que  nous  aurons  agi ,  ou  que  nous 

n'aurons  pas  agi  conformément  à  notre 

croyance. 

Et  n'eft  -  ce  pas  aufli  ce  que  nous1 
voyons  clairement  exprimé  dans  la  £en-  ■ 
tence  ,  ou  de  falut ,  ou  de  damnation  , , 
que  prononcera  le  Fils  de  Dieu ,  foit  à  i 
l'avantage  des  juftes  en  les  glorifiant  y\ 
foit  à  la  ruine  des  pécheurs  en  les  ré-- 
iMatth.  prouvant  ?  Que  dira-t-il  aux  uns  ?  Vene\  s , 


c.z 


34,"      vous  qui  êtes  bénis  de  mon  père  j  pojféde^  le 

Royaume  qui  vous  a  été -préparé  des  le  com-  -, 

mène ement  du  monde  :  car f  ai  eu  faim  j  &A 

vous  m'ave-^  donné  à  manger _,  &  le  refte» . 

Que  dira-t-il  aux  autres  ?  Retire^  -  vou$< 

maudits y  &  alle^au  feu  éternel _,  parce  que  ■ 

j'ai  étéprejféde  la  faim  _,  &  vous  nave^pas  ■ 

eu  foin  de  me  nourrir,  U  n  eft  point  la  . 

parlé  de  la  foi  ;  non  pas  qu'elle  ne  foit 

îuppofée ,  &  que  dans  le  jugement  qui 

fera  porté  ,   ou  en  notre  faveur  ,  ou 

contre  nous  ,   elle  ne  doive  avoir  toute 

la  part  qu'elle  mérite  :  mais  enfin  il  n'en 

eft  point  fait  mention.  Il  n'eft  point  dit 

aux  prédeftinés  _,  vous  êtes  bénis  de  mon 

père ,  parce  que  vous  avez  été  fournis 

aux  vérités  de  mon  Evangile  \  comme 

il  n'eft  point  dit  aux  réprouvés  _,  Alleç,  3 

maudits  au  feu  éternel  _,  parce  que  vous 

avez  été  incrédules  :  mais  il  femble  que 


sans    les    Œuvres.    181 
tous  les  motifs  de~ce  double  jugement 
ne  foient  pris  que  de  la  pratique ,  ou  de 
i'omillion  des  œuvres  chrétiennes.  J'ai  4I^ 
eufoifj  &  vous  rnave\donné _,  ou  vous  ne 
m'ave^pas  donné  à  boire  ;je  navois  point 
Ide  logement  y  &  vous  rnave^  recueiUi  _,  ou 
ne  m'ave^pas  recueilli  cke^  vous  ;  j'étois 
malade  j  &  vousm3ave\^  ounem'ave^pas 
ajjijlé.  'Tout  cela  ne  regarde  en  appa- 
rence que  les  œuvres  de  miféricorde , 
mais  comprend  en  général   toutes  les 
autres  qui  y  font  fous-entendues. 

En  vain  donc  je  pourrai  dire  alors  à 
Dieu  :  Seigneur,  j'étois   chrétien  ,  & 
,  j'avois  la  foi':  fi  je  ne  puis  ajouter  que 
j'ai  mis  en  œuvre  cette  foi  ,    que  j'ai 
'  profité  de  cette  foi ,  que  cette  foi  m'a 
fervi  à  exciter  &:  a  entretenir  ma  fer- 
veur dans  l'exercice  de  toutes  les  ver- 
I  tus  j  qu'avec  cette  foi ,  Se  par  les  gran- 
,  àcs  considérations  que  cette  foi  préfen- 
toit  continuellement  à  mon  efprit ,  je 
;  me  fuis  détaché  du  monde  ,  j'ai  com- 
battu mes  pallions ,  j'ai  mortifié  mes 
fens ,  j'ai  jeûné  ,  j'ai  prié ,  j'ai  fait  l'au- 
'  mône  ,  je  n'ai  rien  omis  de  tous  mes 
devoirs j  li,  dis-je,  ces  mérites  de  l'ac- 
tion me  manquent ,   Dieu   produifant 
contre  moi  cette  foi  même  ,    que  j'ai 
reçue  fur  les  facrés  fonts  ,  Se  que  j'ai 


1 8  z  La     Foi 

profefTée  ,  n'aura  de  fa  part  point: 
d'autre  réponfe  a  me  faire  ,  que  celle 
de  ce  maître  de  l'Evangile  au  fervi-j 
teur  parefTeux  :  méchant  ferviteur  J 
pourquoi  n'avez  -  vous  pas  employé 
votre  talent  ?  pourquoi  l'avez  -  vous; 
gardé  inutilement  dans  vos  mains  %i 
au  lieu  de  le  mettre  à  profit ,  afin  qu'à  i 
mon  retour  j'en  retirafle  quelque  inté--j 
ret? 

Qu'eft-ce  que  ce  talent  3  finon  la  foi  M 
8c  qu'eft-ce  que  ce  ferviteur  parefTeux ,  J 
finon  un  de  ces  chrétiens  oififs  8c  négli- 
gens ,  qui  tiennent  leur  foi  comme  en-  • 
fevelie  ,  8c  en  qui  elle  paroît  morte  ?  '  I 
Ce  ferviteur  parefTeux,  quoique  feule- 
ment  pareiTeux   8c    fans   avoir    diiîipé 
fon  talent ,  fut  traité  de  méchant  fer- 
viteur ,  8c  par  cette  raifon  feule  il  fut 
condamné  8c   rejette  du  maître  j  8c  ce 
chrétien    négligent   8c   oifif ,    quoique 
feulement  oifif  8c  négligent ,  fans  s'être 
écarté  de  la  foi ,  fera  traité  de  mauvais 
chrétien  5  8c  par  ce  titre  feul  Dieu  le 
jugera  coupable  8c  le  renoncera.  Cou- 
pable ,   parce  que  la  foi ,  dans  les  vé-   i 
rites  qu'elle  nous  révèle  ,  lui  fournifTant 
les  plus  puiflans  motifs  ,  pour  allumer 
tout  fon  zèle  ,  8c  pour  l'engager  à  une 
vie  toute  fainte  3  il  y  aura  été  infenfible 


sans    les    Œuvres.    18$ 
Se  n'y  aura  pas  fait  l'attention  la  plus 
légère.  Coupable  ,  parce  que  la  foi  lui 
di&ant    elle  -  même   qu'exclufivement 
,aux  œuvres  ,  elle  n'étoit  pas  fuffîfante 
pour  lui  aiïurer  un  droit  à  l'héritage  cé- 
îefte  ,  il  ne  l'aura  point  éco.itéefur  un 
article  auflî  important  que  celui-là  3c 
n'en  aura  tenu  nul  compte.  Coupable  , 
parce  que  la  foi  étant  une   grâce  5  3c 
l'une  des  grâces  les  plus  précieufes  ,    il 
en  falloit  ufer ,  puifque  les  grâces  divi- 
ines  ne  nous  font  point  données  à  d'autre 
ifin  j  &  que  n'en  ayant  fait  aucun  em- 
ploi ,  il  ne  fe  fera  pas  conformé   aux 
jvues  de  Dieu  fur  lui  ,   3c  n'aura  pas 
rempli  fes  defTeins.   Coupable  ,   parce 
1  qu'ayant  eu  la    foi  dans  le  cœur  ,    3c 
l'ayant  même  confeiTée  de  bouche  ,  il 
l'aura  démentie  dans  la  pratique  ;  qu'il 
l'aura    contredite    3c   tenue  dans    une 
efpéce  de  fervitude  ;  qu'il  aura  rélifté 
à  les  connohTances  3c  à  fes  lumières  ; 
-qu'il    l'aura    deshonorée  ,    en    la    dé- 
;  pouillant  de  fa  plus  belle  gloire  ,  qui 
heft  la  fainteté  des  œuvres  ;  qu'il  l'aura 
[j  feandalifée  devant  les  libertins ,  en  leur 
faifant  dire  3  que  pour  être  chrétien  , 
on  n'en  eft  pas  plus  hommes  de  bien. 
Enfin    coupable   par  comparaifon  avec 
tout  ce  qu'il  y  aura  eu  avant  lui  3c  après 


ï84  La     Foi 

lui  de  chrétiens  fervens  ,  appliqués; 
laborieux  ,  qui  n'avoient  pas  pourtant 
une  autre  foi  que  la  fienne  j  &  même 
coupable  par  comparaifon  avec  une 
multitude  innombrable  d'infidèles  & 
d'idolâtres  ,  en  qui  la  foi  eût  fructi- 
fié au  centuple  de  dont  elle  eût  fait  au-  [ 
tant  de  faints  ,  s'ils  eulTent  été  éclai- 
rés comme  lui  de  l'Evangile. 

Voilà  pourquoi  Dieu  le  réprouvera, 
Ôc  lui  fera  entendre  cette  défolante  pa- 
role :  je  ne  vous  connois  point.  Non  pas: 
qu'à  l'égard  des  chrétiens  il  en  foit  tout-a- 
fait  de  même  ,  qu'à  l'égard  du  ferviteur  : 
pareffeux.  Le  maître  en  condamnant  ce . 
ferviteur  inutile,  lui  fit  enlever  le  talent: 
qu'il  lui  avoit  confié  ;  mais  en  réprou-  J 
vant  ce  lâche  chrétien ,  Dieu  lui  laiiTera 
l'excellent  caractère  dont  il  i'avoit  ho- 
noré. Jufques  dans  l'enfer ,  ce  fera  tou- 
jours un  chrétien  j  mais  il  ne  le  fera  i 
plus   que  pour  fa  honte    ,    que  pour:' 
ion  fupplice ,  que   pour  fon  défefpoir.  J 
Cette    glorieufe    qualité     de    chrétien  J 
qu'il  aura  fi  long  -  tems  oubliée  ,  quand  I 
il  étoit  pour  lui  d'un  fouverain  intérêt  : 
d'y  penfer  ,    il   ne   l'oubliera  jamais  , , 
lorfqu'il  en  voudroit  perdre  l'idée  ,  ôc 
que  le  fouvenir  qu'il  en  confervera ,  ne 
pourra  plus  fervir  qu'à  le  tourmenter. 

Quels 


sans    les    Œuvres    18$ 
Quels  regrets    fera-t-elle    naître    dans 
fon    cœur  ,    quand    elle    lui  remettra 
les  prétentions  qu'elle   lui  donnoit   au 
royaume  de  Dieu ,  &  que  par  une  in- 
.  dolence  molle  où  il  fe  fera  endormi ,  il 
fe  verra  déchu  de  toutes  les  efpérances. 
.  A  quels  reproches  l'expofera-t-elle ,  de 
la  part  de    tant  de   Gentils  réprouvés 
comme  lui  ;  mais  fans  avoir  été  revê- 
i  tus  du  même  caractère ,  ni  avoir  eu  le 
même    avantage   que  lui  ?  Hé  quoi  ! 
,  vous  êtes  devenu  femblable  à   nous  ! 
vous  avez  encouru  le  même  fort  !  Que 
.  vous  demandoit  -  on  de  ïi  difficile  ^  8c 
\  comment  avez-vous  perdu  un  bien  dont 
,  votre  foi  vous  découvroit  le  prix  inefti- 
mable ,  Se  que  vous  pouviez  acquérir  à 
.  fi  peu  de  frais  ? 

III.   Que  peuvent  dire  à  cela  ces 

honnêtes  gens  du   liécle  ,   qui  paiTent 

pour  chrétiens ,  &  qui  le  font  en  effet  5 

|  mais  dont  la  foi  toute  renfermée  au-^ 

;  dedans   ne   fe  produit  prefque  jamais 

au  -  dehors  par  aucun  acte  de  chriftia- 

nifme  ,  ni  aucune  des  œuvres  les  plus 

|  ordinaires  dans  la  religion  ?  Car  voilà 

I  où  la  foi  en  eft  réduite  ,  même  parmi 

ceux  qui  dans  le  monde  ont  une  repu- 

i  tation  mieux  établie  y  &  font  voir  dans 

Tome  L  Q 


iî6  L  a     F  o  ï 

leur  conduite  plus  de  régularité  8c  plus 
de  probité.  Telle  eft  la  vie  de  tant  de 
femmes  ,  en  qui  je  conviens  qu'il  n'y  ai' 
rien  à  reprendre  par  rapport  à  la  fagefTe 
8c  à  Fhonneur  de  leur  fexe.  Telle  eft  la  i 
vie  de  tant  d'hommes ,  qui  dans  l'efti-  | 
me  publique  font  réputés  hommes  d'or-| 
dre  8c  de  raifon,  droits  ,  intégres ,  enne- 
mis du  vice  ,  8c  ne  fe  portant  à  nul  ex-  | 
ces.  Je  veux  bien  là-defïus  leur  rendre 
toute  la  juftice  qu'ils  méritent  j  je  ne  • 
formerai  point  contre  eux  des  accufa-  | 
tions  faruTes  8c  mal-fondées  j  je  ne  leur  | 
imputerai  ,  ni  libertinage  ,   ni  débau- 
ches ,  ni  pallions  honteufes ,   ni  com- 
merces défendus  ,  ni  colères ,  ni  em-  ' 
portemens  ,  ni  fraudes ,  ni  ufurpations ,  , 
ni  concuilion.    Que    fur    tous    ces   fu- 
jets   8c  fur  d'autres  ils  foient  hors  d'at- 
teinte ,    j'y  confens  ;    mais   je  ne   les  ; 
riens  pas  dès-lors  afliirés  de  leur  falut. 
Si  d'une  part  j'ai  de  quoi  efpérer  pour  j 
eux  ,  je  ne  vois  d'ailleurs  que  trop  à 
craindre  ;  8c  en  voici  la  raifon.  Car  ne 
nous  laifTons  point  abufer  d'une  erreur 
d'autant  plus  dangereufe  ,    qu'elle  eft 
plus  apparente  8c  plus  fpécieufe  j  8c  ne 
penfons  point  que  tout  le  mérite  abfo- 
lument  requis  pour  le  falut ,  confifte  à 
éviter  certains  péchés.  Dieu  dans  fa  loi 


sans    les    Œuvres.'  187 
ne  nous  a  pas  dit  feulement ,  abftenez- 
vous  de  ceci  &c  de  cela  ;  mais  il  nous  a 
dit  de  plus ,  faites  ceci  &:  faites  cela.  Le 
père  de  famille  ne  reprit  d'aucune  ac- 
tion mouvaife  ces  ouvriers  qu'il  trouva 
dans  la  place  publique  ;  mais  il  les  blâma 
de  perdre  leur  tems ,  &  de  demeurer  là   Matt'-. 
fans  occupation.  Àllc\3  leur  dit-il,  dans  c«~0»^ 
ma  vigne  >  de  travaillez-y  ]  car  fans  tra- 
vail vous  ne  gagnerez  rien  ,  8c  vous  ne 
I  devez  être   récompenfés    que  félon   la 
!  mefure   de  votre   ouvrage.  Tellement 
que  nous  ne  ferons  pas  moins  refpon- 
;  fables  à  Dieu  du  bien  que  nous^  aurons 
I  omis  ,  que  du   mal  que   nous  aurons 
commis. 

Or  qu'on  me  dife  quel  bien  prati- 
quent la  plupart  des  chrétiens ,  ôc  même 
de  ces  chrétiens  que  je  reconnois  vo- 
lontiers pour  gens  d'honneur  ,  &c  à  qui 
j'accorde  fans  peine  la  louange  qui  leur 
appartient.  Ils  font  de  bonnes  moeurs  , 
ils  s'en  félicitent  ,  ils  en  font  gloire  ; 
mais  ces  bonnes  mœurs  a  quoi  vont- 
elles  ,  &  où  fe  réduifent-elles  ?  Sont- 
ce  des  gens  pieux  &:  religieux  ,  qui 
s'adonnent  ,  autant  que  leur  état  leur 
permet ,  à  la  prière  ,  qui  ailiftent  aux 
offices  divins  3  qui  fe  rendent  aiîidus  au 
facrifice  de  nos  autels  ?  qui  fréquentent 


i88  L  a     F  o  ï 

les  Sacremens  ,   qui  fe  nourrhTent  de 
faintes  lectures ,  qui  écoutent  la  parole 
de  Dieu  ,  qui  chaque  jour  fe  rendent 
compte  à  eux-mêmes  de  la  difpofition 
de  leur  confcience^  &  qui  après  cer- 
taines   diffractions    indifpenfables  ,    de: 
certaines  affaires  où  leur  condition  les* 
engage  ,  aient  leur  tems  marqué  pour 
fe  recueillir  de  pour  vaquer  au  foin  de 
leur  ame  ?  Sont- ce  des  gens  charita- 
bles ,  qui  par  un  efprit  de  religion  s'in- 
téreffent    aux   miféres    8c  aux   befoins 
d'autrui  y    &c   foient    même  pour  cela 
difpofés  à  relâcher    tout  ce  qu'ils  peu- 
vent de   leurs  intérêts  propres  -y  qui  , 
Rom»  e.  fuivant  la  maxime  de  l'Apôtre ,  pieu-. 
17,9  '*•  rent  avec  Ceux  qui  pleurent  ^  &  fans  fe  pi- 
quer d'une  maligne  jalouiie  ,  fe  réjouif- 
fent  avec  ceux  qui  ontfujet  defe réjouir' 
qui  félon  leurs  facultés  contribuent  au 
foulagement  des  pauvres  &  à  la  confola- 
tion    des   affligés  ,    s'appliquant    à   les 
connoître    ,   fe  faifant  inftruire  de  ce 
qu'ils  foiuTrent ,  &  de  ce  qui  leur  man- 
que }  les  viiîtant  eux-mêmes  ,    autant 
qu'il  convient  j  Se  ne   dédaignant   pas 
dans  les  rencontres  de  leur  porter  les 
fecours    nécefïaires    ;    qui   dans   toutes 
leurs  paroles  &  dans  toutes  leurs  manières 
d'agir,   prennent  foigneufement  garde 


sans  les  Œuvres.  i  $9 
à  noffenfer  perfonne  ,  6c  du  refte 
ne  penfent  aux  injures  qu'on  leur  fait 
que  pour  les  pardonner  -y  doux  ,  hum- 
bles ,  patiens ,  affables  à  tout  le  monde  , 
de  ne  cherchant  à  l'égard  de  tout  le 
monde  ,  que  les  fujets  de  faire  plaifir 
&:  d'obliger  ?  Sont  -  ce  des  gens  mor- 
tifiés &  détachés  d'eux  -  mêmes  5  qai 
répriment  leurs  defirs  ,  qui  captivent 
leurs  fens  5  qui  crucifient  leur  chair  , 
qui  par  un  fentiment  de  pénitence  Se 
en  vue  de  cette  abnégation  évangéli- 
que  ,  dont  le  Fils  de  Dieu  a  fait  le 
point  capital  de  comme  le  fondement 
de  fa  loi ,  renoncent  aux  commodités 
&  aux  aifes  de  la  vie  ,  fe  retranchent 
tout  fuperflu ,  Se  f e  bornent  précifément 
au  néceffaire  ? 

Hé  !  que  dis-je  ?  connoiffent  -  ils  cette 
morale  ?  la  comprennent-ils  ?  en  ont-ils 
même  quelque  teinture  ?  Que  je  la  leur 
propofe,  Se  que  j'entreprenne  de  les  y 
affujettir  ,  ils  me  prendront  pour  un 
homme  outré  ,  pour  un  zélé  indiferet  9 
pour  un  fauvage  venu  du  defert.  C'eft 
néanmoins  la  morale  de  Jefus-Chrift  9 
de  c'eft  à  cette  morale  que  le  falut  eft 
promis.  Il  n'eft  point  promis  à  une  vie  Matth 
douce  &  toute  humaine  ,  quelqu'inno-  Cf  7#I3* 
cente  au-dehors  qu'elle  paroiffe.  Je  cou- 


190  La     Foi 

md.   fuite  l'Evangile  .  &  voici  ce  que  je  lis  ; 

II.  xi.    r  f  y       .  r-        '  rr 

Joan.  c.  £>ntre-{  par  la  porte  étroite  j  faites  effort. 
JZ>  35*  Le  royaume  de  Dieu  ne  s'emporte  que  pari 
c.  13"    violence  :  Un  y  a  que  ceux  qui  emploient  1 
l°'lu   la  force  qui  le  raviffent.  Marche-^  _,  c'ejl-à- 
14.  \l  dire^  cigijfe^  tandis  que  le  jour  vous  éclaire. 
17  *        L'arbre  qui  ne  produit  point  de  bons  fruits y 
fera  coupé  &  jette  au  feu  :  enfin  celui  qui  ne 
porte  pas  fa  croix  >  &  ne  la  porte  pas  tous  ; 
les  jours  j  ne  peut  être  mon  difciple  ni  digne 
de  moi  :  tout  cela  eft  court ,  précis ,  déci- 
fif.  C'eft  Jefus-Chrift  qui  parle  ,  &  qui 
nous  donne  des  règles  infaillibles  pour 
juger  fi  nous  ferons  fauves  ou  réprouves. 
Toute  vie  conforme   à  ces  principes  , 
eft  une  vie  de  falut  }  mais  toute  vie: 
auili  qui  leur    eft   oppofée  ,   doit   être, 
une  vie  de  réprobation. 

Et  qu'on  ne  me  demande  point  en 
quoi  cette  vie  eft  criminelle  ,  &  pour- 
quoi fans  être  une  vie  licencieufe  & 
vicieufe  ,  c'eft  toutefois  une  vie  ré- 
prouvée de  Dieu.  Je  ne  m'engagerai 
point  ici  dans  un  long  détail ,  ni  en  des 
queftions  fubtiles  ôc  abftraites  j  je  n'ai 
en  général  autre  chofe  a  répondre  ,  fi- 
non  que  cette  vie  dont  on  fait  confif- 
ter  la  prétendue  innocence  à  s'abftenir 
de  certains  excès  &  de  certains  défordres  - 
fcandaleux  >  n'a  point  précifément  par- 


SANS      LES      (EuVRES.      Ipî 

là  les  cara&ères  de  prédeftination  mar- 
qués dans  les  textes  inconteftables  ôc 
irréprochables  que  je  viens  de  rappor- 
ter. Vivre  de  la  forte ,  ce  n'eft  certaine- 
ment point  entrer  par  la  porte  étroite  , 
ni  tenir  un  chemin  rude  <Sc  difficile. 
Ce  n'eu:  point  avoir  de  grands  efforts 
à  faire  pour  gagner  le  Ciel ,  ni  à  ufer 
de  grandes  violences.  Ce  n'eft  point 
profiter  du  tems  que  Dieu  nous  donne  , 
ni  faire  de  nos  années  un  emploi  tel 
que  Dieu  le  veut ,  pour  notre  avance- 
ment dans  fes  voies  &  notre  perfection. 
Ce  n'eft  point  être  de  ces  bons  arbres 
qui  s'enrichifTent  de  fruits  de  remplif- 
fent  par  leur  fertilité  les  efpérances  du 
maître.  En  un  mot  ,  ce  n'eft  point 
vivre  félon  l'Evangile ,  puifque  ce  n'eft 
ni  fe  renoncer  foi  -  même  ,  ni  por- 
ter fa  croix  ,  ni  fuivre  Jefus  -  Chrift. 
Or  quiconque  ne  vit  pas  félon  l'Evan- 
gile ,  ne  peut  arriver  au  terme  où  l'E- 
vangile nous  appelle  ;  &c  je  conclus 
fans  héfiter ,  qu'il  eft  hors  de  la  route , 
qu'il  s'égare  ,  qu'il  fe  damne.  Ce  rai- 
sonnement me  fufïit ,  &  je  n'en  dis  pas 
davantage.  Malgré  toutes  les  juftifica- 
tions  qu'on  peut  imaginer  ,  je  ne  me 
départirai  jamais  de  ce  principe  fonda- 
mental &  inébranlable.  Si  tant  de  chré- 


i$%         Les    Œuvres 
tiens  du  fiécle  6c  de  chrétiennes ,   n5efl 
font    point  troublés ,    leur  faillie  con* 
fiance  ne  m'empêche  point  de  trembler 
pour  eux ,  &  de  trembler  pour  moi-mê- 
me. Qu'ils  raifonnent  comme  ils  leur 
plaira  :  s'ils   n'ouvrent  pas  les  yeux  ,  & 
qu'ils  s'obftinent    à  ne  vouloir  pas  re- 
connoître  la  fatale  illulion  qui  les  fé- 
duit,  j'aurai  pitié  de  leur  aveuglement, 
mais  je   ne  céderai  point  de  prier  em'ô 
même  tems  le  Seigneur  qu'il  me  garde- 
bien  d'y  tomber. 

Les  Œuvres  fans  la  Foi  _,  Œuvres 

infruâueufes  &  fans  mérite 

pour  la  vie  éternelle. 

I.T    'Apôtre  S.  Jacques  a  dit  :  faites* ,: 
J   a  moi  voir  vos  œuvres  ,  &  je  ju--| 
gérai  par  -  là   de  votre  foi  ;  &  fans1 
blefTer  le  refpedt  dû  à  la  parole  du  Saint  l 
Apôtre  ,   ne  pourroit-on  pas  en  quel- 
que manière  renverfer  la  proposition  ,  J 
Ôc  dire  aufïi  :  faites-moi  voir  votre  foi  ^ 
de  je  jugerai  par  -  là  de  vos  œuvres  }  ! 
c'eft-à-dire  ,    que  je  connoîtrai  par  le 
caractère  de  votre  foi  3  fi  les  œuvres 
que  vous  pratiquez  font  véritablement 

de< 


SANS        LAFoI.  I95 

de  bonnes  œuvres ,  fi  ce  font  des  œu- 
vres chrétiennes ,  des  œuvres  faintes  de- 
vant Dieu  ,  des  œuvres  que  vous  puif- 
fiez  préfenter  à  Dieu  ,  de  qui  vous 
tiennent  lieu  de  mérites  auprès  de 
Dieu, 

Car  il  ne  faut  point  confidérer  no* 
œuvres  précifément  en  elles  -  mêmes  , 
pour  fçavoir  {1  elles  font  bonnes  ou 
mauv  ifes  ,  {1  elles  font  utiles  ou  infruc- 
tueufes ,  fi  Dieu  les  accepte ,  ou  s'il  les 
méprife  8c  les  rejette  ;  mais  pour  cette 
diftindion  ,  on  en  doit  examiner  le 
principe.  Or  le  principe  de  toutes  bon- 
nes œuvres  ,  de  toutes  œuvres  méri- 
toires 8c  recevables  au  tribunal  de  Dieu 
c'eft  la  foi ,  puiique  la  foi ,  félon  l'ex- 
prefife  dédiion  du  Concile  de  Trente  , 
eft  la  racine  de  toute  juftice  ;  d'où  il 
s'enfuit  que  cette  racine  étant  altérée  8c 
gâtée  ,  les  fruits  qu'elle  produit  doivent 
s'en  refTentir ,  8c  que  ce  ne  peuvent  être 
4e  bons  fruits. 

Gardons  -  nous  toutefois  de  donner 
dans  une  erreur  très  -  condamnable  , 
qui  feroit  de  traiter  de  péché  tout  ce 
qui  ne  vient  pas  de  la  foi  parfaite  8c 
vertu  théologale.  Ce  feroit  outrer  la 
matière ,  8c  s'engager  dans  des  confç-« 
Tome  L  R 


î94  Les  Œuvres 
quences  hors  de  raifon.  Corneille  con* 
uoifïbit  le  vrai  Dieu  <Sç  çroyoit  en  lui  j 
mais  il  n'ayoit  aucune  connoilTance  de 
Jefus-Chrift  :  cependant  fes  aumônes  Ôç 
fes  prières  font  fi  agréables  à  Dieu  , 
qu'il  lui  envoie  un  ange  ,  pour  lui  ap- 
prendre le  moyen  de  connoître  le  myftère 
de  notre  rédemption  ,  de  recevoir  1$ 
Baptême ,  èc  de  devenir  Chrétien. 

On  peur  donc  ,  avec  un  commence^ 
ment  de  cette  foi  qui  opère  par  la  cha-?  ■ 
rite  ,    faire   des    oeuvres    moralement 
bonnes  ,    qui    nous   attirent    de    plus  ; 
grandes  grâces  j    la  foi  parfaite  ,    ôc 
formée  par  la  chanté  juftifiante ,   avec  : 
laquelle  nous  faifons  des  œuvres  méritoi- 
res  de  la  vie   éternelle.  Or  c'eft  de  ce  : 
genre  de  mérite  que  je  parle  ,  quand  je 
dis  que  fans  la  foi  il  n'y  a  point  de  bon^ 
nés  œuvres, 

Ainfi  comme  les  œuvres  font ,  d'une:  : 
part  5  les  preuves  les  plus  fenfibles  de  la 
foi,   de  même  eft-il  vrai ,  d'autre  part,, 
que  c'eft  la  foi  qui  fait  le  difcernement 
des  œuvres  ;  tellement  que  toutes  bon* 
nés  qu  elles  peuvent  être  de  leurs  fonds 
6c  devant  les  hommes  3  elles  ne  le  font?  : 
auprès  de  Dieu  &  par  rapport  à  la  vie  3 
éternelle  qu'il  nous  a  promue  a  qu'autan^  : 


s4  ans  la  Foi.  195 
quelles  procèdent  d'une  foi  pure ,  {im- 
pie &  entière»  Car ,  félon  le  témoignage 
de  l'Apôtre  ,  il  n'eft  pas  poftibie  de 
plaire  à  Dieu  fans  la  foi  :  &  la  difpo- 
îition  nécelfaire  pour  approcher  de 
Dieu  ,  eft  ,  avant  toutes  chofes  ,  de 
Croire  qu'il  y  a  un  Dieu  ,  &:  de  fe  fou- 
înettre  à  tout  ce  qu'il  nous  a  révélé  ou 
par  lui-même  ,  ou  par  fon  Eglife. 

Delà  il  eft  aifé  de  juger  iî  c'eft  tou-> 
jours  raifonner  jufte ,  que  de  dire  :  cqs 
gens-là  font  gens  de  bonnes  œuvres, 
réglés  dans  leurs  mœurs ,  irréprochables 
dans    leur    conduite  ,    d'une    morale 
exa&e   ,  n'ayant  autre    chofe  dans  la 
bouche  &  ne   prêchant  autre  chofe  : 
par  conféquent  ce  font  des  hommes  de 
Dieu,  ce  font  des  gens  parfaits  félon 
Dieu.  Tout  cela  eft  beau,  ou  plutôt, 
tout  cela  eft  fpécieux  8c  apparent  :  mais 
après  tout ,  les  hérétiques  ont  été  tout 
cela    ,  ou  ont  affe&é  de  le  paraître. 
Témoin  un  Arius  ,  témoin  un  Pelage  ÔC 
tant  d'autres  :  on  relevoit  leur  fainteté  , 
on  canonifoit  leurs  a&ions ,  on  les  pro- 
pofoit  comme  de  grands  modèles  j  mais 
avec  tout  cela  ce  n'étoit  certainement 
pas   des   hommes    de    Dieu  ,    parce 
qu'avec  tout  cela  c'étoient  des  gens  ré- 
voltés contre  l'Eglife,  attachés  à  leuj; 


ï^       Les     <E  u  v  bi  g  s 
fens ,  entêtés  de  leurs  opinions  :  en  un 
mot  >  des  gens  corrompus  dans  leur  foit 
Qn  a  néanmoins  de  la  peine  a  fe  per^-  • 
fuader  3   que  des  hommes  qui  vivent 
bien  ,  ne  penfent  pas  bien  3  ôc  qu'étant 
ii  réguliers  dans  toute  leur  manière  d'a- 
gir ,   ils  s'égarent   dans  leur  créance  : 
mais  voilà  juflement  un  des  pièges  les 
plus  ordinaires ,  ôc  les  plus  dangereux 
dont  les  héréfiarques  Se  leurs  fauteurs  fe 
(oient  fends  pour  infpirer  le  venin  de 
leurs  héréfies  &  pour  s'attirer  des  fe&a- 
teurs  y  piège  que  Saint  Bernard ,  fans  re- 
monter plus  haut,  nous  a  fi  naturelle- 
ment &  iî  vivement  repréfenté  dans  la 
perfonne  de  quelques  hérétiques  de  fon 
%ernt  tems.  Que  difoit-il  d'Abaillard  ?  Ç'eji  un 
tpifi.  ad  homme  tout  ambigu  ,  &  dont  la  vie  efi  une, 
rr^m.      contradiction  perpétuelle.  Au  dehors  c  ejt. 
Hem  A  un  Jean-Baptijle  j  mais  au-dedans  c'e/luç; 
Epfco-   Hérode.  Que  difoit-il  d'Arnaud  de  Breffe  ? . 

^■mn      Plut  â  Dieu  que  fa  doctrine  fût  aufïl  faine  y 
Confiait-  r      .       S      as       ,   tt  • 

tienjèm»  queja  vie  ejt  aujtere  !  Il  ne  mange  j  ni  ne 

boit  j& '  ilejl  de  ces  gens  que  l'Apôtre  nous 

a  marqués  j  lef quels  ont  tout  V extérieur  de 

la  piété \  mais  qui  n'en  ont  pas  le  fonds  ni 

les  fentimens.  Ses  paroles  j  ajoutpit  le. 

même  faint  Ûo&eur,  en  parlant  du  même 

Arnaud 3  fes  paroles  coulent  comme  l'hui-. 

IÇj  &  ShQnt  j  cefcmbU}  l'onction  ;  mail 


"Sansla     Foi.       15^ 
té  font  traits   empoïfonnés.  Car  ce  qu'il 
prétend  par  des  difcours  fi  polis  j  &  de  fi 
belles  apparences  de  vertu  _,  c'efi  de  s'infi- 
-huer  dans  les  efprits  &  de  les  gagner  àfoà 
parti.  Que  difoit-il  de  Henri ,  écrivant  à 
un  homme  de  qualité  ?  Ne  vous  étonne^ 
pas  qu'il  vous  aitfurpris.  C'efi  unferpent      %ernt 
adroit  &  fubtil.  À  le  voir  >  il  ne  paroît  cpi/?;  oâ 
tien  en  lui  que  d'édifiant  j  mais  ce  n'efi  là    onr^ 
qu'une  vaine  montre  j  &  dans  l'intérieur  il 
n'y  a  point  de  religion. 

Ces  exemples  furEfent  pour  nous  faire 
comprendre  ,  combien  on  doit  peu 
compter  fur  certaines  œuvres  d'éclat  &c 
fur  certaine  réputation  de  fainteté  ,  qui 
fouvent  ne  font  que  des  lignes  équivo- 
ques ,  &  d'où  l'on  ne  peut  conclure  avec 
aifurance  qu'un  homme  marche  dans  la 
voie  droite ,  ni  que  ce  foit  un  bon  guide 
en  matière  de  foi.  Âulîi  eft-ce  encore 
l'avis  que  donnoit  Saint  Bernard  au 
peuple  de  Toulonfe.  C'étoit  un  tem's 
de  ténèbres ,  où  l'héréfie  chef  choit  à  fe 
répandre  j  mais  pour  les  préfervèr  d'une 
pefte  fî  contagieufe ,  il  leur  enjoignoit 
de  ne  pas  recevoir  indifféremment  tou- 
tes fortes  de  Prédicateurs  >  &  de  nen 
admettre  chez  eux  aucuns  qu'ils  ne 
cpnnufTent.  Car  ne  vous  y  fiez  pas  ;  „;J*jJ 
Ne  vous  en  tene^préciférnentj  ni  à  ce  qu'ils  Tokfv- 

R  iij  * 


fypî      Les     Œuvrer 
yous  diront  ^  ni  au  %èle  qu'ils  vous  témoU 
gnerontjy  ni  à  la  haute  perfection  de  la  mo- 
rale qu'ils  vous  prêcheront.  Ils  vous  tien- 
dront un  langage  tout  divin^  &  ils  vous  par-  ■ 
leront  comme  des  Anges  venus  du  Ciel  i  ■ 
mais  de  même  qu'on  mile  fecrétement  le 
poifon  dans  les  plus  douces  liqueurs j  avec 
les  exprejjions  les  plus  chrétiennes  ^  ils  fe- 
ront couler  leurs  nouveautés _,  &  ils  vous  les 
préfenter ont  fous  des  termes  enveloppés  & 
pleins  d'artifices.  Faux  Prophètes j  loups 
raviffans  déguifts  en  brebis  ! 

Cependant  les  fimples  fe  laiffent  fur- 
prendre.  Ils  voyent  des  hommes  quant 
à  l'extérieur  recueillis  y  modeftes ,  zélés , 
laborieux  ,  charitables ,  fidèles  à  leurs 
devoirs  ,  3c  rigides  obfervateurs  de  la 
difcipline  la  plus  étroite.  Cette  régula- 
rité les  charme  ,  &  ils  feroient  icrupule 
d'entrer  là  -  defïus  en  quelque  dé- 
fiance ,  ôc  de  former  le  moindre  foup- 
çons  défavantageux.  On  a  beau  leur 
dire  que  ce  n'eft  pas  là  l'efTentiel  ; 
que  c'effc  la  foi  qui  en  doit  décider  , 
que  ii  la  foi  manque  ,  ou  qu'elle  ne  foit. 
pas  telle  qu'elle  doit  être  ,  tout  le  refte 
n'eft  rien  :  ils  prennent  ce  qu'on  leur 
dit  pour  des  calomnies  ,  pour  des  ja- 
loufies  de  parti ,  pour  des  préventions  , 
&  de  faux  jugemens.  Ain  fi  le  Sauveur 


s  À  tf  s  la  Foi.  199 
in  monde  s'élevoit  contre  les  Phari- 
iiens  &  démafquoit  leur  hypocrifie  ; 
mais  en  vain  :  le  peuple  touché  de  leur 
air  pénitent  Ôc  dévot ,  de  leur  longues 
prières ,  de  leurs  abftinences  ,  de  leur 
exactitude  aux  plus  légères  pratiques  de 
la  loi ,  s'attachoit  à  eux  ,  les  âdmiroit , 
les  révéroit ,  les  combloit  d'éloges ,  ôc 
malgré  tous  les  avertiflemens  du  Fils 
de  Dieu  5  ne  vouloit  point  d'autres  maî- 
tres ni  d'autres  conducteurs* 

Mais  après  tout  >  cette  vie  exemplaire 
ne  fait-elle  pas  honneur  à  la  religion ,  ôc 
ce  zèle  dQs  bonnes  oeuvres  n'efï-il  pas 
utile  à  l'Eglife  ?  A  cela  je  fais  une  ré- 
ponfe  qui  paroîtra  d'abord  avoir  quelque 
chofe  du  paradoxe ,  mais  dont  on  recon- 
noîtra  bien-tôt  la folidité  ôc l'incontefta- 
ble  vérité  ,  pour  peu  qu'on  entende  ma 
penfée.  Car  je  Soutiens  qu'il  y  a  des  per- 
fonnes ,  &  en  aiTez  grand  nombre  ,  qui 
dans  un  fens  feraient  beaucoup  moins  de 
mal  à  la  religion  ,  ôc  s'en  feraient  beau- 
coup moins  à  eux-mêmes  par  une  vie  li~ 
cencieufe  Ôc  fcandaleufe ,  que  par  leur 
fainteté  prétendue  ôc  par  l'éclat  de  leur 
zèle.  Beaucoup  moins  de  mal  a  la  reli- 
gion ,  pourquoi  ?  parce  que  dès  qu'on 
les  verrait  fujets  à  des  défordres  gref- 
fiers ,  on  perdrait  en  eux  toute  confiance 
R  iiij 


ioo      Les     Œuvres 
Se  qu'ils  fe  trouve  roient  par-là  moins  eïïi 
état  de  féduire  les  efprits ,  &  d'établir  t 
leurs  dogmes  erronés.  Au  lieu  de  les  fui--! 
vre ,  on  s'-éloigneroit  d'eux  ;  Se  le  mépris . 
où.  ils  tomberoient  3  les  déxréditeroit  ab-  - 
folument ,  Se  leur  ôteroit  toute  autorité 
pour  appuyer  le   menfonge.  Beaucoup  » 
moins  de  mal  à  eux-mêmes ,  comment  ?  '  ' 
parce  que  tôt  ou  tard ,  l'horreur  de  leurs  . 
défordres  pourroit  les  toucher ,  les  réveil- 
ler, leur  infpirer  des  fentimens  de  re- 
pentir Se  les  ramener.  Les  exemples  en 
font  aiTez  communs.  De  grands  pécheurs 
ouvrent  les  yeux  ,  écoutent  les  remon- 
trances qu'on  leur  fait ,  reviennent  de 
leurs  égaremens  j  Se  plus  même  ils  font 
grands  pécheurs  ,  plus  il  eft  quelquefois 
aifé  de  les  émouvoir ,  en  leur  repréfen- 
tant  les  excès  où  ils  fe  font  abandonnés  , 
Se  les  abîmes  où  la  paflion  les  a  emportés. 
Mais  des  gens  au  contraire  dont  la 
vie   eft  exempte  de  certains  vices ,  Se 
qui  d'ailleurs  s'adonnent  à  mille  prati- 
ques très  -  chrétiennes  en  elles-mêmes , 
Ôe   très-pieufes  ;  voilà  ceux  auxquels  il 
eft   plus  difficile  de   fe  détromper   Se 
d'appercevoir  Pillufion  qui  les  aveugle 
Se  qui  les  perd.  A  force  de  s'entendre 
canonifer ,  ils  fe  perfuadent  fans  peine 
qu'ils  font  tels  en  effet  qu'on  les  vante 


sans     i  a     For.     loi 
de  tous  cotés.  Cette  bonne  idée  qu'ils 
conçoivent  d'eux  -  mêmes  ,  les  entre- 
tient dans  la  faillie  idée  doiit  ils  fe  font 
lailîes  prévenir ,  que  fur  la  doctrine  ils 
:  'ont  les  vues  les  plus  juftes ,  &  qu'ils  fonr 
|  les  défenfeurs  de  la  vérité.  Ils  fe  regar- 
dent comme  les  appuis  de  la  foi,  6:  ils 
croyent  rendre  fer  vice  à  Dieu  ,  en  te- 
nant ferme  dans  leur  nouveau  corps  de 
religion  ,  contre  toute  autorité  Se  toute 
puifëmce  fupérieure ,  foit  Laïque  5  foit 
Eccléfiaftique.  De  cette  forte  ils  s'oblti- 
nent  dans  un  fchifrne  dont  ils  font  Iqs 
principaux  agens.  Us  y  vivent  en  paix, 
êc  ils  meurent  dans  une  opiniâtreté  in- 
surmontable. D'autant  plus  malheureux 
qu'il  leur  en  coûte  plus  pour  fe  perdre 
6c  qu'ils  fe  damnent  à  plus  grand  frais. 
Ce  qui  leur  manque  ,  c'eil  principale- 
ment la  foi.   Quand  ils  feraient   tout 
ce  qu'il  faut  faire  pour  fe  fanétifier  , 
n'ayant    pas    le    fondement    de    toute 
fainteté ,  qui  eft  la  foi  ,  je*5  veux  dire 
l'obéifTance ,  la  docilité  ,  îa  pureté  de 
la  foi  y  avec  tout  ce  qu'ils  font ,  ils  ne 
fe  fanctifient  pas.  Ils  né  bâtiiïent  que 
fur  le  fable  ;  Ou  félon  la  figure  de  faine 
Paul,   l'édifice   qu'ils  conftruifent ,  n'eft. 
qu'un  édifice  de  paille.  De  forte  qu'au 
four  du  Seigneur  ils  feront  de  ces  Pro- 


£o£      Les     Œuvres 
phèces  dont  il  eft  parlé  dans  l'Evangile 
ôc  qui  fe  préfentant  à-  Dieu  pour  être  ju 

tUtth.   gés3  lui  diront?  Seigneur^  n  avons-nom. 

e' 7* %z'  pas prophétifé  en  votre  nom?  n  avons-nom 
pas  en  votre  nom  chaffe  les  démons  ?  n'a-, 
yons-nous  pas  fait  des  miracles  ?  mais  à 
qui  Dieu  répondra  :  je  ne  vous  eonnois 
point  ;  retirez-vous  de  moi  _,  mauvais  ou- 
vriers d'iniquité. 

II.  Il  y  a  encore  d'autres  œuvres  faites] 
fans  la  foi  j  quoique  faites  avec  la  foi.  Jeu 
m'explique.  Œuvres  faites  avec  la  foi  j;! 
car  dans  le  fond  on  eft  chrétien ,  on  eft I 
catholique,  on  eft  uni  de  croyance  avec. 
l'Eglife  ,  on  ne  rejette  aucune  de  fes  dé- 
diions ,  &  on  les  reçoit  toutes  frncére- 
ment  &  fans  détours.  Mais  d'ailleurs , 
ceuvres  faites  fans  la  foi ,  parce  que  la  foi 
n'y  a  point  de  part  i  que  la  foi  n'y  entre 
point ,  que  ce  n'eft  point  la  foi  qui  les 
infpire  ,  qui  les  dirige ,  qui  les  anime* 
Tout  chrétien  qu'on  eft,  on  agit  en  payen; 
je  ne  dis  pas  en  payenfujet  aux  vices  &  au 
dérèglement  des  mœurs ,  où  conduifoit 
de  lui  -  même  le  paganifme  ;  mais  je  dis  , 
en  honnête  <St  lage  payen*  C'eft-à-dire  , 
qu'on  agit,  non  point  par  la  foi,  ni  par  des 
vues  de  religion  ,  mais  par  la  feule  rai- 
fona  mais  par  une  probité  naturelle,  mais 


fc  a  k  s  i  a  F  6  t:  lof 
par  un  refped  tout  humain  ,  mais  paf 
la  coutume  ,  l'habitude  ,  l'éducation  ^ 
mais  par  le  tempérament  5  l'inclination  , 
le  penchant. 

On  rend  la  juftice  ,  parce  quon  éft 
droit  naturellement  8c  équitable  j  on 
fert  le  prochain  ,  parce  qu'on  eft  natu- 
tellement  officieux  3c  bienfaifant  j  on 
alîifte  les  pauvres  ,  parce  que  naturel- 
lement on  eft  fenlihle  aux  miferes  d'au- 
trui ,  ôc  qu'on  a  le  cœur  tendre  êc  affec- 
tueux ;  on  prend  foin  d'un  ménage  3c 
on  s'applique  à  bien  conduire  une  mai- 
fon  ,  parce  que  naturellement  on  eft 
rangé  ôc  qu'on  aime  l'ordre  j  on  remplit 
toutes  les  fonctions  de  fon  miniftère  , 
de  fon  emploi ,  de  fa  charge  >  parce  que 
l'honneur  le  demande ,  parce  que  la  ré- 
putation y  eft  engagée ,  parce  qu'on  veut 
toujours  fe  maintenir  en  crédit  3c  fur  un 
certain  pied  ;  on  s'occupe  d'une  étude  , 
on  parle  les  journées  &  fouvent  même 
les  nuits  dans  un  travail  continuel ,  parce 
qu'on  veut  s'inftruire  ôc  fçavoir  i  qu'on 
veut  réuffir  de  paroître  ,  qu'on  veut  s'a- 
vancer &  parvenir  :  ainfi  du  refte,  dont  le 
détail  feroit  infini, 

Tout  cela  eft  bon  en  foi  ;  mais  dans 
le  motif  tout  cela  eft  défectueux.  Il  eft 
bon  de  rendre  à  chacun  ce  qui  lui  eft 


io4  Les    (Ë  u  v  R  e  Si 

dû ,  de  protéger  l'innocence  &  de  gar-? 
der  en  toutes  chofes  une  parfaite  équitéi 
Il  eft  Bon  de  ie  prêter  là  main  lès  uns" 
aux  autres  ,  de  fe  prévenir  par  des  offi-* 
tes  mutuels,  &  d'obliger,  autant  qu'on 
peut,  tout  le  monde.  Il  eft  bon  dé 
conloler  les  affligés  ,  de  compatir  à 
leurs  peines  &  de  les  fecourir  dans  leurs 
befoins.  Il  eft  bon  de  veiller  fur  £qs  en- 
fans  ,  fur  des  dorrieftiques ,  fur  toute 
une  famille,  d'en  adminiftrer  les  biens  6é 
d'en  ménager  les  intérêts.  Il  efttbon  dans 
une  dignité  ,  dans  une  magiftratiire  ^ 
dans  un  négoce  ,  de  vaquer  à  fes  de-» 
voirs  ,  Se  de  s'y  adonner  avec  une  afîî- 
diiité  infatigable.  Que  dirai-je  de  plus  ? 
Il  eft  bon  de  cultiver  fes  talens ,  de  de- 
venir habile  dans  fa  profeftion  ,  de  tra- 
vailler à  enrichir  {on  efprit  de  nouvelles 
connoifFances  :  encore  une  fois ,  il  n'y 
a  rien  là  que  de  louable  ;  mais  voici  le 
défaut  capital.  C'eft  qu'il  n'y  a  rien  là 
qui  foit  marqué  du  fceau  de  la  Foi ,  ni 
par  conféquent  du  fceau  de  Dieu.  Or  le 
fceau  de  Dieu,  le  fceau  de  la  Foi  ne  s'y 
trouvant  point ,  ce  ne  peut  être  ,  pour: 
m'exprimer  ainfî  ,  qu'une  moniioié 
faufTe  dans  l'eftime  de  Dieu ,  Se  de 
nulle  valeur  par  rapport  à  l'éternité.  Car 
on  peut  nous  dire  alors  3  ce  que  difok 


c  S-47« 


sans  la  Foi.  ±05 
le  Sauveur  des  hommes  :  Qu'attendez- 
vous  dans  le  Royaume  du  Ciel ,  8c 
quelle  récompenfe  méritez-vous?  Utiles  Manh* 
payens  ne  faïfoïen't-il pas  tout  ce  que  vous 
faites  ?  &  qu'avez-vous  au-deiîlis  d'eux  , 
puiique  vous  ri agiriez  point  autrement 
qu'eux  ni  par  des  principes  plus  relevés  ? 
En  effet ,  il  y  a  eu  dans  le  paganifme  , 
comme  .parmi  nous  des  Juges  intégres, 
déclarés ,  fans  acception  de  perfonne  9 
en  faveur  du  bon  droit ,  &  aifez  géné- 
reux pour  le  défendre  aux  dépens  de 
leur  fortune  8c  même  au  péril  de  leur 
vie.  Il  y  a  eu  d'heureux  naturels ,  tou- 
jours difpofés  à  faire  plaifir ,  8c  ne  refu- 
fant  jamais  leurs  fervices.  Il  y  a  eu  des 
âmes  compatiflantes  ,  qui  par  un  fenti- 
ment  de  miféricorde  s'attendriiïoient 
fur  toutes  les  calamités ,  ou  publiques 
ou  particulières ,  8c  pour  y  fub venir  , 
répandoient  leurs  dons  avec  abondan- 
ce. Il  y  a  eu  des  hommes  d  une  droiture 
inflexible  ,  d'une  fermeté  inébranlable  , 
d'un  déimtéreiiement  à  toute  épreuve  , 
d'un  courage  que  rien  n'étonnoit,  d'une 
patience  que  rien  n'altéroit ,  d'une  ap- 
plication que  rien  ne  lafToit ,  d'une  at- 
tention 8c  d\me  vigilance  à  quoi  rien 
n'échappoit.  Il  y  a  eu  des  femmes  d'une 
régularité  parfaite  &   d'une   conduite 


jg,o£  Les  Œuvres 

irrépréhenfible.  Que    de  vertus  !  mais 
quelles  vertus  !  vertus  morales ,  &  rien 
au-delà.  Elles  méritoient  les  louanges; 
du   public  ,    elles   pouyoient    mériter 
même  de  la  part   de    Dieu  quelques, 
récompenfes  temporelles  ;  elles  étoienç 
bonnes  pour  cette  vie  >  mais  fans  être  : 
d'aucun  prix  pour  l'autre  ,  parce  que  h, . 
foi ,  en  les  rapportant   à  Dieu ,  ne  les 
lanétifioit  pas ,  ne  les  confacroit  pas. 

Telles  font  les  vertus  d'une  infinité 
de  chrétiens ,  telles  font  leurs  œuvres. 
Leur  voix  eft  la  voix  de  Jacob  \  mais 
leurs  mains  font  les  mains  d'Efaii  :  c'eft-àv 
dire  qu'ils  ont  la  foi ,  mais  comme  s'ils 
ne  l'avoient  point ,  puifque  dans  toutes 
leurs  actions  ils  ne  font  nul  ufagede  leur 
foi.  A  considérer  dans  la  fubftance  les 
œuvres  qu'ils  pratiquent ,  ce  font  des 
œuvrer  dignes  de  la  foi  qu'ils  profefTent , 
£c  ce  feraient  des  oeuvres  dignes  de 
Dieu ,  ii  la  foi  les  rapportoit  a  Dieu  \ 
mais  c'eft  à  quoi  ils  ne  penfent  en  au*  _ 
cune  forte.  Ils  confultent  3  ils  délibè- 
rent ,  ils  forment  des  deffeins  5  ils  pren-* 
nent  des  réfolutions  ,  ils  les  exécutent; 
dans  le  plan  de  vie  où  leur  condition 
les  engage ,  ils  fe  trouvent  chargés  d'une 
multitude  d'affaires  3  Se  pour  y  fuffire 
ilsfe  donnent  mille  mouvemens  ?  mill§ 


sansla  Foi,  icj 
foins ,  mille  peines }  ils  ont ,  félon  le 
cours  des  chofes  humaines  ôc  félon  les 
conjonctures  ,  leurs  contradictions , 
Jeurs  traverfes  à  eiFuyer  ,  ils  ont  leurs 
chagrins ,  leurs  ennuis ,  leurs  dégoûts  , 
leurs  adverfités?  leurs  fouffrances  à  por- 
ter :  ample  matière  ,  riche  fonds  de  mé- 
rites auprès  de  Dieu  ,  fi  la  foi  comme 
un  bon  levain  y  répandoit  fa  vertu  j  fi , 
dis-je  ,  toutes  ces  délibérations  ôc  tous 
ces  deileins  étoient  dirigés  par  des  ma- 
ximes de  foi  y  fi  toutes  ces  fatigues  Se 
tous  ces  mouvemens  étoient  foutenus 
par  des  coniidérations  divines  &"  de  foi  ; 
\\  toutes  ces  fouffrances  ôc  toutes  ces, 
affli&ions  étoient  prifes  ,  acceptées  ? 
offertes  en  facriiiee  ,  ôc  préfentées  par 
un  efprit  de  foi.  Tout  prorlteroit  alors 
pour  la  vie  éternelle,  ôc  rien  ne  feroit 
perdu. 

Je  dis  rien ,  quelque  peu  de  chofe 
que  ce  foit  :  car  voilà  quel  eft  le  pro- 
pre ôc  l'efficace  de  la  Foi  ,  quand  elle 
opère  par  la  charité  ôc  par  une  inten- 
tion pure  ôc  chrétienne.  On  ne  peut 
mieux  la  comparer  qu'à  ce  grain  évan- 
gélique  ,  qui  de  tous  les  légumes  eft  le 
plus  petit,  mais  qui  femé  dans  une  bon- 
ne terre  ,  croît,  s'élève  ,  pouife  des 
branches  ,    fe   couvre   de  feuilles  ôc 


£o?  L*  s  Œuvres 

devient  arbre.  Par-  tout  où  la  fpi  fe 
c  omm unique  ,  étant  accompagnée  de  la 
grâce,  <k  par-tout  où  elle  agit,  elle  y 
imprime  un   cara&ère  de   fainteté ,  Ô€ 
attache  aux  moindres  effets  qu'elle  pro?> 
«luit  un  droit  fpécial  a  l'héritage  célefle. 
Ne  fut-ce  qu'un  verre  d'eau  donné  au 
nom  de  Jefus-  Çhrift ,    c'eit  affez  pour 
obtenir    dans  l'éternité  une   couronne, 
de  gloire.  Les  Apôtres  paiferent  toute 
une  nuit  à  pêcher  &  ils  ne  prirent  rien,, 
pourquoi?  parce  que  Jefus-Chrifl  n'é- 
toit  pas  avec  eux  ;  mais    du  moment  : 
£]ue  cet  Homme-Dieu  parut  furie  riva- 
ge .,  de  que  par  fon  ordre  §ç  en  fa  pré- 
fence ,  ils  fe  remirent  au  travail ,  la  pér 
che  qu'ils  tirent  fut  fi  abondante  ,  que 
leurs  filets  fe  rompirent  de  toutes  parts  > 
&■  qu'ils  eurent  beaucoup  de  peine  à  la 
recueillir.  Image  fenfible ,  où  nous  de^ 
vons  également  reconnoître  ,  &  i'inutirH 
lité  de  toutes  nos  ceuvres  pour  le  far  ' 
lut ,  fi  la  foi  animée  de  la  charité  &  de 
la  grâce  n'en-eft  pas  le  principe  &  com- 
me le  premier  moteur  ;  Se  leur  excel- 
lence ,  fi  ce  font  les  fruits  d'une  foi  vi^ 
ve  8c  agiffante  ,  &  fi  c'efl:  par  Fimprefïion- 
de  la  foi  que  nous  fommes  excités  à  les 
pratiquer. 
Etrange  aveuglement ,  que  le  notre  9 
)  quand 


sans     la     Foi.        209 
■'quand  nous  fuivons  d'autres  régies  en 
agilfant ,   ëc  que  nous  nous  conduifons 
uniquement  par  la  politique  du  fiècle  , 
*k   par  la  prudence  de  la  chair  !  Com- 
bien vois-je  tous  les  jours  de  perfonnes 
de  l'un  ÔC  de  l'autre  fexe  ,  de  tout  âge ,  , 
Se  de    tout  état ,  qui  dans  les  occupa- 
tions Se  les  embarras  dont  ils  font  fans 
cefle  agités ,  ne  Te  donnent  ni  repos ,  ni 
relâche  j  qui  du  matin  au  foir  obligés 
d'aller  ,  de  venir ,  de  parler ,  d'écouter  , 
de  répondre,  de  veiller  à  tout  ce  qui  eft 
de  leur  intérêt  propre  ou  de  leur  de- 
voir, mènent  une  vie  très-fatiguante  ; 
iqui  dans  le  commerce  du  monde  font 
ifcxpofés  à    des  déboires  très-amers  ,  à 
[des  contre-temps  très-défagréables,  à  des 
;  revers  très-fâcheux ,  a  des  coups  Se  à 
des  événemens  capables  de  déconcer- 
ter toute  la  fermeté  de  leur  ame  ;  qui 
:  par  la  délicate tTe  de  leur  compléxion  , 
.-ou  le  dérangement  de  leur  fanté ,  font 
affligés  de  fréquentes  maladies ,  d'infir- 
1  mités  habituelles ,   fouvent  même   de 
I  douleurs  très-aiguës  ?  Or  en  quoi  ils  me 
paroiflfoient  tous  rlus  à  plaindre  ,  &  ce 
qu'il  y  a  pour  eux  ians  contredit  de  plus 
"déplorable ,   c'eft  que  tant  de  pas,  de 
-courfes ,  de  veilles ,  d'inquiétudes ,  de 
tourmens  d'efprit,  que  tant  d'exercices 
Tome  L  S 


2iû     Les  GEuvrs  sans  la  For; 
du  corps    très-pénibles  ,    &  quelque-* 
fois  accablans  ,  que    tant  d'accidens^.  , 
d'infortunes  ,   de  mauvais  fuccès ,    de 
pertes ,  de  contrariétés ,  de  tribulations  *  , 
d'humiliations ,  de  défolations  ,  de  foi- 
blefFes  8c  de  langueurs  y  que  tout  cela  j 
dis- je  ,  ôc  mille  autres  chofes ,  qui  leur 
deviendroient  falutaires  avec  le  fecours 
de  la  foi ,  ne  leur  foient ,  au  regard  du 
falut  5  d'aucun  profit ,  parce   que  tout 
abîmés  dans  les  fens  3  ils  ne  fçavent  poinr 
ufer  de  leur  foi }  &  qu'ils  ne  la  mettent 
jamais   en   œuvre.   Sans  rien  faire  de 
plus  qu'ils  ne  font ,  &  fans  rien  fourfric 
au-delà  de  ce  qu'ils  fouffrent ,  ils  pour- • 
roient ,  par  le  moyen  de  cette  foi  bien 
épurée  &  bien  employée ,  amafîer  d'im- 
menfes  richeffes  pour  un  autre  monde 
que  celui-ci ,  &  groiîîr  chaque  jour  leur  ; 
tréfor  y  au  lieu  que  fe  bornant  aux  vues  i 
profanes  d'une  nature  aveugle ,  &  aux  : 
vains  raifonnemens  d'une  féche  philo-  ■ 
fophie  ,  toutes  leurs  années  s'écoulent  : 
fans  fruit  y  Se  qu'à  la  fin  de  leurs  jours 
ils  n'ont  rien  dans  les  mains  dont  ils  ! 
puiflent    tirer    devant    Dieu    quelque  : 
avantage.  Heureux    donc  le  chrétien; 
qui  fait  toujours  la  fainte  alliance ,  ôc 
des  œuvres  avec  la  foi  P  de  de  la  foi  avec 
les  œuvres. 


du    Monde,  211 

La  Fol  vlâorkufc  du  monde, 

^'JE  craigne^pointj  difoit  Jefus-Chrift  Joan.  a 
k  à  fes  Apôtres  :  j'ai  vaincu  le  monde.  6%  53« 
Il  l'a  en  effet  vaincu ,  3c  par  où  ?   par  la. 
Foi  qu'il  efl  venu  nous  enfeigner ,  de 

{>ar  la  fainte  Religion  qu'il  a  établie  fur 
a  terre.  Aulli  ,  écrivoit  faint  Jean  aux 
premiers  Fidèles,  Quelle  eji  3  mes  Frères  ■> 
cette  victoire  qui  nous  a  fait  triompher  du 
Monde  ?  c'ejl  notre  Foi.  Pour  bien  enten- 
dre ceci ,  il  faut ,  félon  la  belle  obferva- 
tion  de  S.  Auguftin  ,  diftinguer  dans  le 
monde  trois  chofes  qui  nous  perdent  :  fes 
erreurs,  fes  douceurs  &  fes  rigueurs. Les 
erreurs  du  monde  nous  féduifent  ,  £qs 
douceurs  nous  corrompent  ,  &  fes  ri- 
gueurs ou  fes  perf éditions  nous  inf- 
pirent  une  crainte  lâche  ,  Se  nous  tyran- 
nifent  par  un  refped  humain,  dont  nous 
ne  pouvons  prefque  nous  défendre.  Ot 
la  Religion ,  je  dis  la  vraie  Religion  , 
qui  eft  la  Religion  chrétienne  ,  nous 
élevé  au-de(Tus  de  tout  cela,  &  nous  en 
rend  victorieux.  Elle  nous  détrompe 
des  erreurs  du  monde  5  elle  nous  de- 

Si] 


%\i  La  Foi    victorieuse 
goûte  des  douceurs  du  monde,  elle  nou^ 
fortifie  contre  les  rigueurs  du  monde. 

I.  Le  monde  efl  rempli  d'erreurs  ,& 
même  d'erreurs  les  plus  fenfibles  ôc  les; 
plus  grolîieres.   Ce  font  mille   fatuTes 
maximes  dont  il  fe  fait  autant  de  véri-  - 
tés  prétendues ,  ôc  autant  de  principes  i 
incontestables.  Quelles  font ,  par  exem-  • 
pie  y  les  maximes  de  tant  de  mondains  ; 
ambitieux ,  qui  mettent  la  fortune  à  la  i 
Ûîq   de   tout ,  ôc  qui   fe  la  propofanc 
comme  leur  fin  ,  concluent  qu'il  y  faut 
parvenir  à  quelque  prix  que  ce  puiffe 
être  ?  Quelles  font  les  maximes  de  tant: 
de  mondains  intérefTés ,  qui  fe  font  de 
leurs  richeiTes  une  divinité  ,  ôc  qui  pen- 
fant  ne  valoir  dans  la  vie  qu'à  propor- 
tion de    ce    qu'ils  poffédent  ,    regar- 
dent le  foin  d'amaffer  ôc  de  groiîir  leurs  : 
revenus  ,  comme   une  affaire  capitale  ft 
à  laquelle  toutes  les  autres  doivent  ce-;? 
der  ?  Quelles  font  les  maximes  de  tant 
de  mondains  abandonnés  à  leurs  plai- 
sirs ,  qui  s'imaginent  n'être  fur  la  terre 
que  pour  fe  divertir  ôc  pour  flatter  leur 
fens  ,  ôc  qui  livrés  à  des  pallions  hon- 
teufes ,  ne  connoiffent  point  de    plus 
grand  bonheur  que  de  les  contenter  en> 
toutes  les  manières,  ôc  de  vivre  au  gré 


î>  û  Mond  ê.  2î5 

'de  leurs  defirs  ?  Mais  fur- tout  à  quelles 
maximes  la  prudence  humaine  &c  la  po- 
litique n'a-t-elle  pas  donné  cours  ?  Voilà 
les  règles  de  conduite  que  fuit  le  mon- 
de ,   ik  où  il  fe  croit  bien  fonde.  Qui 
voudroit  en  appeller  ôc  les  contredire  , 
paiferoit  pour  un  efprit  fcible,  fans  con- 
noiffance,  &,  fi  je  l'ofe  dire,  pour  un 
imbécile   qui   n'eft  bon  à    rien ,    pour 
un  infenfé.  Ce  font   néanmoins  des  re- 
:  gles ,  ce  font  des  maximes    où  l'on  ne 
t  voit  ,    à   les  bien  examiner  ,  ni   faine 
I  raifon ,  ni  humanité ,    ni  charité  ,    ni 
\  honnêteté  5  ni   probité  ,   ni  bonne  foi , 
1  ni  jufrice  >  ni  équité.  Or  la  Religion 
nous  détrompe  de  toutes  ces   erreurs  ; 
comment  cela  ?  parce  que    raifonnant 
fur  des  principes  tout  oppofés  à  ceux 
dont  le  monde  fe  laiiTe  prévenir  Se  aveu- 
gler ,  elle  en  tire  dos  conféquences  ôc 
!  des  maximes  toutes  contraires. 

Car  fur  quels  principes  font  établies 
tant  de  maximes  erronées  &  abfolu- 
ment  fau(Tes  5  dont  le  monde  eft  infa- 
■:  tué  ?  fur  l'amour  de  foi-même  ,  fur  l'at- 
j  tachemênt  aux  plaifirs  ,  fur  la  cupidité  , 
la  fenfnalité  ,  fur  l'intérêt ,.  l'ambition , 
la  politique  ,  fur  toutes  les  inclinations 
de  la  nature  corrompue  &  toutes  les 
paillons  du  cœur.  De  telles  racines ,  il 


âî4  LaÏôi  yîctôAîêûsé 
n'eft  pas  furprenant  qu'il  vienne  dei 
fruits  infe&és  8c  gâtés  j  &  du  menfon-* 
ge  3  que  peut-il  naître  autre  chofe  que 
le  menfenge  ?  Mais  la  Religion  a  des 
vues  bien  différentes ,  3c  appuie  {qs  rai- 
fbnnemens  3c  fes  décirions  fur  des  prin- 
cipes bien  plus  relevés ,  qui  font ,  un  at^ 
tachement  inviolable  à  Dieu  3c  à"  la  loi 
de  Dieu ,  l'amour  du  prochain  3c  mê- 
me des  ennemis,  le  renoncement  à  foi- 
même  8c  au  monde  5  le  défintéreife- 
ment ,  la  fidélité ,  la  droiture  de  cœur  y 
la  mortification  des  fens ,  la  fandrifica- 
tion  de  (on  ame  3c  le  zèle  de  fon  falut* 
De  cette  oppoiition  de  principes  fuit 
une  oppofition  entière  de  maximes  3C 
de  régies  de  vie.  Ainfi  un  Chrétien  , 
c'eft  un  homme  qui  juge  des  chofes  3c 
qui  en  penfe  tout  autrement  que  le 
monde  ;  3c  voilà  la  première  victoire  que 
la  Religion  a  remportée ,  &  qu  elle 
remporte  tous  les  jours  5  en  faifant  re- 
venir une  infinité  de  mondains  des  opi- 
nions du  monde ,  3c  leur  en  décou- 
vrant Fillufion  8c  le  danger.  Le  monde 
fe  récrie  contre  ces  vérités ,  3c  les  re- 
jette comme  de  vaines  imaginations: 
mais  un  Chrétien  inftruit  de  fa  Reli- 
gion ,  s'en  tient  à  l'oracle  de  faint  Paul,  v 
qu'il  a  plu  à  Dieu  de  fauyer  les  hQmrc.es 


du  M  o  *---  f,  '  u f 
par  cela  même  quiparor1}^  monde  égare 
ment  &  folie. 

Je  dis  par  cela  même  qui  paroît  éga- 
rement d'efprit,  mais  qui  bien  loin  de 
l'être  ,  eft  plutôt  la  fouveraine  fageffe. 
Car ,  à  bien  examiner  tous  les  princi- 
pes &  toutes  les  maximes  de  l'Evangi- 
le ,  on  n'y  trouvera  rien  que  de  confor- 
me à  la  raifonla  plus  jufte  dans  {es  vues. 
Aulli  voyons-nous  que  dès  que  le  feu 
de  la  palîion  commence  à  s'amortir 
dans  un  homme ,  Se  qu'il  eft  plus  en  état 
de  difeerner  le  bien  &  le  mal ,  le  vrai 
de  le  faux  5  parce  qu'il  a  les  yeux  plus 
ouverts ,  de  qu'il  confidère  les  objets 
d'un  fens  plus  raiîis ,  t  c'eft  alors  que  ces 
maximes  3c  ces  principes  évangéliques 
contre  lefquels  il  fe  récrioit  tant,  lui 
femblent  beaucoup  mieux  fondés  qu'il 
ne  vouloit  fe  le  perfuader.  La  foi  qui  fe 
réveille  dans  fon  cœur  5  les  lui  repré- 
sente dans  un  jour  tout  nouveau  pour 
lui.  Plus  il  s'applique  à  en  rechercher 
les  motifs  ,  à  enfuivre  les  conféquen- 
ces ,  à  en  obferver  les  falutaires  effets , 
plus  il  y  découvre  de  folidité  Ôc  de  vé- 
rité. 11  eft  furpris  de  l'aveuglement  où 
il  étoit;  du  moins  il  commence  à  fe 
délier  de  fes  anciens  préjugés  j  &  la  lu- 
mière dont  il  appercoit  les   premiers 


i t &  La  foi  ?rctoruÊusI 
rayons,  pk,  ^'en  peu-a-peu  aa  travers 
des  nuages  qu/  iVofcurchToient ,  &  fe 
répandant  avec  plus  de  clarté }  cet 
homme  enfin  par  un  changement  qu'on 
ne  peut  attribuer  qu'à  la  vertu  de  la  foi 
êc  de  la  grâce  qui  l'accompagne  3  fe 
déclare ,  comme  Saint  Paul  ,  un  des 
plus  zélés  défenfeurs  des  vérités  mêmes 
qu'il  attaquoit  auparavant ,  &  qu'il  conv 
battoit  avec  plus  d'obftination.  Triom- 
phe qui  honore  la  Religion  ,  &c  dont 
elle  profite  pour  faire  d'autres  conque-»' 
tes  Èé  pour  convaincre  les  plus  incré-> 
dules ,  &  les  foumettre.  Ainfî  l'exemple 
de  Saul  élevé  dans  le  Judaïfme  ,  &  l'un 
des  plus  ardens  persécuteurs  de  l'Eglife* 
mais  devenu  par  une  converiion  éclatan- 
te Apôtre  de  Jefus-Chrifë ,  &  le  Docteur' 
des  Gentils  ,  étoit  un,  argument  fenfi- 
ble  contre  les  Juifs  ,  &  leur  faifoit  ad- 
mirer ,  malgré  eux  ,  l'efficace  &  le  pou- 
voir de  la  Foi  chrétienne. 

I  ï.  Comme  le  monde  par  fes  erreurs 
aveugle  l'efprit ,  c'eft  par  fes  douceurs 
qu'il  gagne  &c  qu'il  pervertit  le  cœur. 
Dans  l'un  il  agit  par  voie  de  féduction , 
&  dans  l'autre  par  voie  d'attrait  &  de 
corruption.  Ce  que  nous  appelions 
douceurs  du  monde 3  c'eft  ce  que  faint 

Jean 


du     Monde.  217 

Jean  appelle  concupifcence  des  yeux  , 
concupifcence  de  la  chair  ,    ik  orgueil 
de  la  vie  j  c'eft-à-dire ,  que  fous  ce  ter- 
me nous  comprenons  tout  ce  qu'il  y  a 
dans   le  monde  ,  qui  peut  éblouir  les 
yeux  ,  charmer   les  fens  ,  piquer  la  cu- 
riofité  ,  nourrir  l'amour  propre  ,  rendre 
la  vie  aifée  ,    commode   3    agréable  , 
molle  8c    délicieufe.    Voilà  par  où  le 
monde  ,   dans  tous  les  temps ,  s'eft  ac- 
quis un  empire  fi  abfolu  fur  les  cœurs 
des  hommes.  Voilà  par  où  il  nous  atti- 
re ,  ou  plutôt  par  où  il  nous   enchante 
&'nous  entraîne.  Ce  n'eft  pas  que  fou- 
vent  on  ne  connoiffe  la  bagatelle  &  le 
néant  de  tout  cela  :  on  en  eft  détrom- 
pé félon  les  vues  de  Fefprit  j  mais  par 
une  efpéce  d'enforcellement,  tout  dé- 
trompé qu'on  eft  de  cqs  fauffes  dou- 
ceurs du  monde ,  on  y  trouve  toujours 
un  certain  goût  dont  on   a  toutes  les 
peines    imaginables  à  fe  déprendre.  En 
vain  la  raifon  veut-elle  venir  au  fecours  : 
nous  avons  beau  raifonner  &  faire  les 
plus  belles  réflexions  ;  toutes  nos  réfle- 
xions &  tous  nos  raifonnemens  n'em- 
pêchent pas  que  ce    goût  ne  fe   faife 
fentir  5  &  qu'il  ne  nous  emporte  par  une 
efpéce  de  violence. 

11  n'y  a  que  la  Religion  à  qui  il  foit 
Tome  L  T 


1 I 8      LaFoI    VICTORIEUSE 

réfervé  de  le  bannir  de  notre  cœur ,  oir 
de  l'y  étouffer.  Comment  cela?  i.  Par 
Fefprit  de  pénitence  qu'elle  nous  infpi- 
re.  Car  elle  nous  fait  fouvenir  fans  celfe 
eiue  nous  fommes  pécheurs  ,  &  cette 
vue  fréquente  de  nos  pèches  ,  &  des 
juftes  châtimens  qui  leur  font  dûs  ,  nous 
remplit  d'une  fainte  haine  de  nous-mê- 
mes ,  ôc  nous  donne   ainii   du  dégoût 
pour  tout  ce  qui  flatte  notre  fenfualité  , 
comme  étant  peu  convenable  à  des  pé- 
nitens.  2.  Par  l'eftime  des   biens  éter- 
nels ,  où  elle  nous  fait  porter  toutes  nos 
prétentions  &c  tous  nos   deiirs.  Le  cœuf 
occupé  de  la  haute  idée  que  nous  con-.| 
cevons  de  cette  béatitude  qui  nous  eft 
promife ,  fe  dégage  peu-à-peu  de  tous  .' 
les  objets  mortels ,  &  devient  comme  : 
infenfible  à  tout  ce  que  le  monde  peut  : 
lSn*  lui  offrir  de  plus  attrayant.   Que  tout  cei 
que  je  vois  fur  la  terre  me  paroît  méprifa-* 
ble&  injïpide  ,  s'écrioit  un  grand  Saint,, 
quand  je  levé  les  yeux  au  Ciel!  Bien  d'au- 
tres avant  lui  l'avoient  penfé  de  même , , 
de  bien  d'autres   l'ont  penfé  après   lui. , 
3.  Par  les    confolations    divines    que 
l'efprit    de  religion    répand    dans    les 
âmes  vraiment   chrétiennes.    Confola- 
tions  cachées    aux   mondains  ,    parce 
xpie  l'homme  fenfuel ,  dit  le  grand  Apo- 


du     Monde.  2.19 

tre  ,  ne  peut  comprendre  ce  qui  eft  de 
Dieu.  Confolations  fpiritnelles  d'au- 
tant plus  relevées  au-defïus  de  tous  les 
plaifirs  des  fens ,  que  l'efprit  eft  plus 
noble  que  le  corps.  Confolations  fî 
douces  ôc  il  abondantes  ,  que  le  cœur 
en  eft  quelquefois  comme  innondé  Ôc 
enyvré.  A  peine  les  Saints  les  pou- 
voient-ils  foutenir ,  tant  ils  en  étoient 
comblés  ôc  tranfportés.  Saint  François 
Xavier  s'écrioit  en  s'adreftant  à  Dieu  , 
c'eft  affe^  _>  Seigneur  j  c'eft  aj[e%.  Sainte 
Thérèfe  tenoic  le  même  langage  ,  ôc 
demandoit  que  Dieu  interrompît  pour 
quelque  temps  le  cours  de  ces  douceurs 
céleftes  dont  elle  étoit  toute  pénétrée. 
D'autres  en  tomboient  dans  des  exta- 
fes  ôc  des  défaillances  où  ils  demeu- 
roient  des  heures  entières,  ôc  qui  les 
raviftoient  hors  d'eux-mêmes.  Le  mon- 
de en  jugera  tout  ce  qu'il  lui  plaira.  Ce 
qui  eft  de  certain  ,  c'eft  qu'avec  tous 
fes  a<?rémens  ôc  tous  fes  charmes  ,  il  n'a 
rien  de  comparable  à  ces  faintes  déli- 
ces ôc  à  ces  joies  fecrettes ,  que  la  Reli- 
gion nous  fait  goûter.  Une  ame  qui  les 
a  une  fois  reftenties ,  ne  fent  plus  rien 
de  tout  le  refte. 

C'eft  la  merveille  qu'on  a  vue  dans 
tous  les  temps  5  ôc  dont  nous  fommes 


%  1 0      LAFOI    VICTORIEUSE 

encore   témoins.  On  a  vu  "une  multÎH 
mde  innombrable  cle  perfonnes  de  tout; 
fexe  ,  de  tout  âge,  de  tout  état,  1  énon- 
cer aux  plaiiirs  du  monce  les  plus  en- 
gageais   &     les    plus    touchant.   C  é- 
toient  de  jeunes  vierges ,  à  qui  le  mon-> 
de  préfentoit  dans  un  long  cours  d'an- 
nées la  fortune  la  plus  riante.  C'étoient 
des  riches  du  iiécle  ,  des  hommes  opu- 
lens  ,  des  grands  ,  qui  dans  leur  gran- 
deur &  leur   opulence   jouiiïoient  ou 
pouvoient  jouir  de  toutes  les  aifes  de 
la  vie.  Mais  par  quel  prodige    ont-ils 
méprifé  tout  cela  ,  ont-ils  quitté  tout 
cela ,  fe  font  -  ils   volontairement   dé- 
pouillés de  tout  cela  ?  A  ces  richelles 
dont  le  monde  eft  11  avide  ,  &  où  il  fait 
prefque    confifter    tout  fon   bonheur , 
parce  qu'il  y  trouve  de  quoi  fatisfaire 
toutes  fes   convoitifes ,  ils  ont  préféré 
une  pauvreté  qui  leur  accordoit  à  peine 
le  nécefTaire ,    ou  pour  la  nourriture  , 
ou  pour  le  vêtement ,  ou  pour  la  de- 
meure. A  cet   éclat  &c  à  ces  honneurs 
dont  le  monde  eft  iî  jaloux,  &c  dont  il 
cherche  à  repaître  iî  agréablement  fon 
orgueil ,  ils  ont  préféré  Fobfcurité  de  la 
retraite ,  fi  oppofée  à  l'ambition  natu- 
relle ,  Se  fe  font  condamnés  à  vivre  in- 
connus éc  dans  l'oubli.  A  toutes  les  dé- 


du.  Monde,  ni 

licateiïes  &  toutes  les  commodités  du 
monde ,  ils  ont  préféré  la  pénitence  du 
cloître  ôc  les  plus  dures  pratiques  delà 
mortification  religieuie  :  auili  ennemis 
d'eux-mêmes  &  de  leur  chair  ,  qu'on  en 
eft  communément  efciave  &  idolâtre. 
Qui  leur  a  infpiré  ce  renoncement ,  ce 
détachement ,  8c  qui  les  a  Contenus  dans 
un  genre  de  vie  il  contraire  au  pen- 
chant de  la  nature  8c  à  l'efprit  du  mon- 
de ?  c'eft  la  foi  dont  ils  étoient  remplis, 
de  dont  ils  fuivoient  les  divines  impref- 
fions.-En  vain  le  monde  étaloit-il  de- 
vant eux  fes  pompes  les-plus  brillantes; 
8c  en  vain  pour  les  attirer  leur  faifoit-il 
voir  une  carrière  femée  de  rieurs  :  la  foi 
dillîpoit  tous  ces  preitiges,  8c  rien  ne 
les  touchoit  que  le  grand  fentiment  de 
l'Apôtre  ;  Pour  moi  j  Dieu  me  garde  de  Galat. 
me  glorifier  jamais  en  aucune  autre  chofe  j  c'  6' I4' 
que  dans  la  Croix  de  notre  Seigneur  Jejus- 
Chrijl  _,  par  qui  le  monde  rnefl  crucifié  & 
je  fuis  crucifié  au  monde. 

III.  Outre  fes  erreurs  8c  fes  dou- 
ceurs ,  le  monde  a  encore  fes  rigueurs. 
Ce  font  ces  perfécutions  qu'il  fufeite  à 
la  vertu ,  8c  où  elle  a  befoin  d'une  for- 
ce fupérieure.  Car  l'Apôtre  a  bien  eu 
raifon  de  dire ,  que  ceux  qui  veulent 

Tiij 


il %  La  For  victorieuse 
vivre  faintement ,  félon  J.  C.  doivent 
s'attendre  à  de  rudes  combats.  On  a  i 
des  railleries  à  effuyer ,  Se  mille  refpects  ; 
humains  à  furmonter.  On  refroidit  un  i 
ami  Se  on  l'indifpofe  ,  en  refufant  d'en- 
trer dans  fes  intrigues  ,  Se  de  s'engager 
dans  fes  entreprifes  criminelles.  On  de- 
vient un  objet  de  contradiction  pour 
toute  une  famille ,  pour  toute  une  fo- 
ciété ,  pour  tout  un  pays  ?  parce  qu'on 
veut  y  établir  la  régie  ,  y  maintenir  Tor- 
dre ,  y  rendre  la  juftice.  Ainfî  de  tant 
d'autres  fujets.  Voilà  ce  qui  fait  un  des 
"plus  grands  dangers  du  monde ,  Se  ce 
qui  caufk  dans  la  vie  humaine  tant  de 
défordres.  Car  il  eft  difficile  de  tenir 
ferme  en  de  pareilles  rencontres ,  Se 
nous  voyons  auiîi  qu'on  y  fuccombe 
tous  les  jours  Se  prefque  malgré  foi.  Un 
homme  gémit  de  l'efclavage  où  il  eft , 
Se  un  fonds  d'équité ,  de  droiture ,  de 
confeience  qu'il  a  dans  l'ame  ,  lui  fait 
délirer  cent  fois  de  fecouer  le  joug 
Se  de  s'affranchir  d'une  telle  tyrannie  : 
mais  le  courage  lui  manque ,  Se  quand 
il  faut  venir  à  l'exécution  ,  toutes  fes 
réfolutions  l'abandonnent.  Or  qui  peut 
le  déterminer  ,  l'affermir  ,  le  mettre  à 
toute  épreuve  ?  c'eft  la  Religion.  Avec 
les  armes  de  la  Foi  ,  il  pare  à  tous  les 


du     Monde.  21$ 

coups  ,  il  réfifte  à  toutes  les  attaques  , 
il  eft  invincible.  Il  n'y  a  ni  amitié  qu'il 
ne  rompe  ,  ni  fociété  dont  il  ne  s'éloi- 
gne ,  ni  menaces  qu'il  ne  méprife ,  ni 
efpérances,  ni  intérêts  ,  ni  avantages 
qu'il  ne  facrifie  à  Dieu  8c  à  ion  devoir. 
Telles  font ,  dis-je  ,  les  difpofitions 
d'un  homme  animé  de  l'Efprit  du  Chrif- 
tianifme  8c  foutenu  de  la  foi  qu'il  pro- 
felfe.  C'eft  ainfi  qu'il  penfe ,  8c  c'eft 
ainfi  qu'il  agit.  La  raifon  eft  ,  qu'étant 
chrétien ,  il  ne  reconnoît  point ,  à  pro- 
prement parler  ,  d'autre  Maître  que 
Dieu  ;  ou  que  reconnoiifant  d'autres 
puiffances ,  il  ne  les  regarde  que  com- 
me des  puiffances  fubordonnées  au 
Tout-Puiffant ,  lequel  doit  être  mis  au- 
deffus  de  tous  fans  exception.  Ce  fenti- 
ment  fans  doute  eft  généreux  ,  mais  il 
ne  faut  pas  fe  perfuader  que  ce  foit  un 
pur  fentiment ,  ni  une  fpéculation  fans 
conféquence  8c  fans  effet.  Il  n'y  a  rien 
là  à  quoi  la  pratique  n'ait  répondu  ,  8c 
dont  elle  n'ait  confirmé  mille  fois  la  vé- 
rité. Combien  de  difcours  8c  de  juge- 
mens  ?  combien  de  mépris  8c  d'outrages 
ont  effuyés  tant  de  vrais  Serviteurs  8c 
de  vraies  Servantes  de  Dieu ,  plutôt 
que  de  fe  départir  de  la  vie  régulière 
qu'ils  avoient  embralïee  ,  8c  des  faintes 

Tiv 


'32.4  La  Foi  victorieuse 
obfervances  qu'ils  s'y  étoient  prefcrites  ? 
Combien  d'efforts  ,  de  reproches,  d'op- 
pofitions  ont  furmonté  de  tendres  en- 
Fans  ,  &  avec  quelle  confiance  ont-ils ; 
réfîfté  à  des  pères  &  à  des  mères  qui  1 
leur  tendoient  les  bras  pour  les  retenir 
dans  le  monde  ,  &  les  détourner  de  l'é- 
tat Religieux  ?  A  combien  de  dilgraces  , 
de  haines ,  d'animofités ,  de  revers  ,  fe 
font  expoies ,  ou  de  fages  Vierges  qu'on 
n'a  pu  gagner  par  les  plus  puiffantes  fol- 
licitations ,  ou  de  Juges  intégres  qu'on 
n'a  pu  refondre  par  les  plus  fortes  inf- 
tances  à  vendre  le  bon  droit ,  ou  de  ver- 
tueux Officiers  ,  des  fubalternes  ,  des 
domeftiques  ,  que  nulle  autorité  n'a 
pu  corrompre  ,  ni  retirer  des  voies 
d'une  exacte  probité  ?  Quels  tour  mens 
ont  enduré  des  millions  de  Martyrs  ? 
Rien  ne  les  a  étonnés ,  ni  les  arrêts  Aqs 
Magiflrats ,  ni  la  fureur  des  tyrans ,  ni  la 
rage  des  bourreaux  ,  ni  l'obfciu'ité  des 
prifons,  ni  les  roues,  ni  les  chevalets, 
ni  le  fer ,  ni  le  feu.  Que  l'antiquité 
nous  vante  fes  héros  ;  jamais  ces  héros 
que  le  paganifme  a  tant  exaltés  ,  &: 
dont  il  a  confacré  la  mémoire  ,  firent- 
ils  voir  une  telle  force  ?  Or  d'où  ve- 
noit ,  dis-je ,  à  ces  glorieux  Soldats  de 
Jefus-Chrift  cette  fermeté  inébranlable, 


du     Monde.  2,15 

{\  ce  n'eft  de  la  religion  qu'ils  portoient 
vivement  empreinte  dans  le  cœur  ?  Elle 
les  accompagnoit  par-tout  ;  par-  tout 
elle  leur  fervoit  de  bouclier  &  de  fau- 
vegarde  :  miracle  dont  les  ennemis  mê- 
mes de  la  foi  chrétienne  &  fes  perfécu- 
teurs  étoient  frappés.  Mais  nous ,  de 
rout  ceci  que  devons-nous  conclure  à 
notre  confufion  ?  La  conféquence  ,  hé- 
las !  n'eft  que  trop  évidente  ,  &  que 
trop  aifée  à  tirer.  C'efl  qu'étant  h*  pré- 
occupés des  erreurs  du  monde  ,  h*  épris 
des  douceurs  du  monde ,  h*  timides  & 
ii  foibles  contre  les  refpe&s  &  les  con- 
iidérations  du  monde  ,  il  faut y  ou  que 
nous  ayons  bien  peu  de  foi  ,  ou  que 
notre  foi  même  foit  tout- à-fait  morte. 

Car  le  moyen  d'allier  enfemble  dans 
un  même  fujet  deux  chofes  auffi  peu 
compatibles  entre  elles  3  que  le  font 
une  foi  vive  qui  nous  détrompe  de  tou- 
tes les  erreurs  du  monde  \  &  cepen- 
dant ces  mêmes  erreurs  tellement  im- 
primées dans  nos  efprits  ,  qu'elles  de- 
viennent la  règle  de  tous  nos  jugemens  5 
&  de  toute  notre  conduite  ?  Comment  5 
avec  une  foi  qui  dans  fa  morale  ne 
tend  qu'au  crucifiement  de  la  chair  5 
&  à  l'abnégation  de  foi-même ,  accor- 
der une  recherche  perpétuelle  des  dour 


iiG    La    Foi  victorieuse 
ceurs   du  monde  ,   de  fes  faillies  joies 
ôc  de  fes  voluptés ,  même  les  plus  cri- 
minelles ?  Enfin  par    quel  aifemblage 
une  foi  qui  nous  apprend  à  tenir  ferme 
pour  la  caiife  de  Dieu ,  contre  tous  les 
raifonnemens  du  monde  ,   contre   tous 
fes  mépris  ôc  tous  fes~  efforts ,  peut-elle 
convenir  avec  une  crainte  pulillanime  , 
qui  cède  à  la  moindre  parole  ,  ôc  qui 
aifervit  la  confeience  à  de  vains  égards 
ôcà  des  intérêts  tout  profanes?   Sont-^i 
ce  là  ces  victoires  que  la  foi  a  rempor- 
tées avec  tant  d'éclat  dans  les  premiers 
fiécles  de  l'Eglife  ?  A-t-elle  changé  dans 
la  fuite  des  temps  ;  ôc  fi  elle  eft  toujours 
la  même  ,    pourquoi    n'opère  -  t  -  elle 
pas  les  mêmes  miracles  ?    Car  au   lieu 
que    la   foi   étoit  alors  victorieufe  du 
monde ,  il   n'eft  maintenant  que  trop 
ordinaire  au  monde  de  l'emporter  furu 
la  foi ,  d'impofer  filence  à  la  foi ,  de 
triompher  de  la  foi.  Nous  n'en  pouvons 
imaginer  d'autre    caufe  ,  finon  que  lai; 
foi  s'eft  affoiblie  à  mefure  que  l'iniqui- 
té s'eft  fortifiée  }  Ôc  parce  que  Finiquiri 
té  jamais  ne  fut  plus  abondante  qu'elle 
Feft  ,  ni  plus   dominante,  de-là  vient, 
aufîî  que  la  foi  jamais  ne  fut  plus  lan- 
"guifTante,  ni  moins  aghTante.  Encore  y 
combien  y  en  a-t-il  chez  qui  elle  eft  ab- 


du     Monde.  227 

folument  éteinte  ;  Se  doit-on  s'étonner 
après  cela  ,  que  cette  foi  qui  produi- 
sit autrefois  de  fi  beaux  fruits  de  fain- 
reté  ,  foit  11  ftérile  parmi  nous  ?  Prions 
le  Seigneur  qu'il  la  ranime  ,  qu'il  la 
reffufcite ,  &  qu'il  lui  falfe  reprendre 
dans  nous  fa  première  vertu.  Travail- 
lons nous-mêmes  à  la  réveiller  par  de 
fréquentes  ôc  de  folides  réflexions.  Con- 
fondons-nous de  toutes  nos  foiblefTes, 
ôc  reprochons-nous  amèrement  devant 
Dieu  l'afcendant  que  nous  avons  laifTé 
prendre  fur  nous  au  monde  ,  lorfqu'avec 
une  étincelle  de  foi  nous  pouvions  ré- 
futer à  fes  plus  violens  alfauts ,  ôc  re- 
;  pouifer  tous  fes  attraits.  Le  Fils  de  Dieu 
'  rendant  raifon  à  fes  Difciples  pourquoi 
ils  n'avoient  pu  chafTer  un  démon ,  ni 
guérir  un  enfant  qui» en  étoit  poiTédé, 
leur  difoit,  c'eft  à  caufe  de  votre  incré-  ^rrfe 
dulité  :  puis  ufant  d'une  comparaifon  c.  1 7. 
affez  lînguliere  ,  fi  votre  foi ,  ajoutoit 
le  même  Sauveur  ,  é g aloit  feulement  un 
grain  de  fenevé _,  quelque  petite  quelle 
fût  j  elle  vous  fuffiroit  pour  tranfporter 
les  montagnes  d'un  lieu  à  un  autre  _,  & 
tout  vous  deviendroit  pojfible.  Que  fe- 
roit-ce  donc  ,  fi  nous  avions  une  foi  par- 
faite; ôc  de  quoi  ne  viendroit-on  pas  à. 
bout  ? 


%% 


L 'Incrédule  convaincupar  lui-même, 

L'Impie  ne  peut  fe  réfoudre  à  croire 
les  vérités  de  l'Evangile  ,  tant  elles 
lui  femblent  choquer  le  bon  fens  ôc  la 
raifon.  Il  les  rejette  avec  le  dernier  mé- 
pris &  ne  craint  point  de  les  traiter 
d'inventions  humaines  &  de  pures  ima- 
ginations :  car  fon  impiété  va  jufques- 
là  y  &  s'il  garde  au  dehors  certaines  me- 
fures ,  &  que  dans  les  compagnies  il 
n'ofe  pas  s'expliquer  fi  ouvertement  ni 
en  des  termes  fi  forts ,  il  fçait  bien  dans 
les  entretiens  particuliers  fe  dédomma- 
ger de  fon  fiîence  ;  &  l'on  n'eft  pas 
affez  peu  inftruit ,  pour  ignorer  quels 
font  fes  difcours  devant  d'autres  liber- 
tins comme  lui ,  dont  la  préfence  l'ex-» 
cite ,  bien  loin  de  l'arrêter.  A  l'enten- 
dre, toute  la  Religion  n'eft  que  chime-- 
re  'y  &  tout  ce  qu  elle  nous  révèle ,  ne 
font  que  des  vifions.  Il  y  trouve  ,  à  ce  : 
qu'il  prétend ,  des  difficultés  invinci- 
bles ,  des  contradictions  évidentes,  des 
impofiibilités  abfolues.  En  un  mot ,  dit- 
il  d'un  ton  décifif  ,  tous  ces  myftères 
font  incroyables.  Il  le  dit  j  mais  en  le 


PAR    LUI-MESME.  2 2 5> 

difant ,  il  ne  remarque  pas  ,  cet  efprit 
rare  que  par-là  il  fournit  des  armes 
contre  lui-même ,  &c  que  de-là  il  doit 
tirer  pour  fa  conviction  propre  un  ar- 
gument perfonnel  &  des  plus  feniibles. 
Plus  nos  myftères  lui  femblent  hors  de 
toute  croyance  ,  plus  il  doit  concevoir 
quel  étonnant  prodige  c'a  été  dans  le 
monde  ,  que  des  myftères  félon  lui  il 
incroyables  ,  aient  été  crus  néanmoins 
ii  univerfellement  &  qu'ils  le  foient  en- 
core. 

Ceci  ne  funit  pas  ;  mais  pour  mieux 
convaincre  l'impie    par   fes   fentimens 
mêmes ,  &  pour  lui  faire  mieux  fentir 
l'avantage  qu'il  me  donne  &  l'embarras 
où  il  s'engage  ,  lorfqu'il  parle  fi  indi- 
gnement des    plus  faints  myftères    de 
notre  foi ,  comme  s'ils  étoient  oppofés 
à  toute  la  lumière  naturelle  ;  je  veux  rai- 
fonner  quelque  temps  avec  lui ,  &  entrer 
•  dans  le  détail  de   certaines  circonftan- 
'  ces  ,  qui  ferviront  à  fortifier  la  preuve 
qu'il  me  préfente   pour,  le  combattre. 
Car  encore  une  fois  je  ne  veuxlecom- 
■  battre  que  par  lui-même  ,  &  peut-être 
apprendra-t-il    à  devenir  plus    réfervé 
dans  fes  paroles,  &  à  en  craindre,  plus 
qu'il  ne  fait ,  les  conféquences. 

Je   lui  permets  donc  d'abord  de  for* 


2  5°       L'Incrédule  convaincu 
mer  fur  les  myftères  de  la  Religion,  tou* 
tes  les  difficultés  qu'il  lui  plaira  ,  &  de 
les  grolîîr,  de  les  exagérer.  J'irai  mê- 
me ,   s'il  eft  befoin  ,  jusqu'à  tolérer  {qs 
mauvaifes  plaifanteries  j  je  les  laillerai  i 
pafTer  ,   &  là-delïus  je  n'entreprendrai 
point  de  lui  fermer  la  bouche.  Je  con- 
fens  qu'avec  fes  grandes  exclamations  , , 
ou  avec  fes  airs  moqueurs ,  il  me  redife 
ce    qu'il  a  dit  cent  fois  :  Hé  qu'eft-ce 
qu'un  feul  Dieu  en  trois  perfonnes ,  de 
que  ces    trois   perfonnes  dans  un  feuL 
Dieu  ?  Hé  !  qui  peut  s'imaginer  un  Dieu 
tout  Efprit  de  fa  nature  &  comme  Dieu, 
mais  revêtu  de  notre  chair  &c  homme 
comme  nous  ?   Quoi  !   ce   Dieu   qu'on 
me    dit    être    d'une   puifïance ,  d'une 
grandeur  ,   d'une  Majefté  infinies  ,  je 
me  figurerai   qu'il  eft  defeendu  fur  la 
terre  ,  qu'il  y  a  pris  une  nature  fembla- 
ble  à  la  notre ,  qu'il  eft  né  dans  une  éta- 
ble  ,  qu'il  a  vécu  dans  la  mifére  &  dans  j 
la  fouffrance ,  enfin  qu'il  eft  mort  dans 
l'opprobre  &c   dans    l'ignominie  de    la 
Croix  ?  Tout  cela  eft-ii  digne  de  lui  ? 
tout  cela  eft-il  croyable  ?  Tel  eft  le  lan- 
gage de  l'impie ,  &  je  ne  rapporterai 
point   tout   ce  que  lui  fuggere  fon  li- 
bertinage fur  la  morale  chrétienne ,  fur 
la  providence  divine ,  fur  l'immortalité 


PAR    L  U  I   -  M  E  S  ME.  23  I 

de  lame  ,  far  la  réfurre&ion  future ,  fur 
le  jugement  général ,  fur  les  peines  éter- 
nelles de  l'enter.  Car  il  n'épargne  rien , 
&  il  ne  veut  convenir  de  rien.  Le 
moyen  ,  à  fon  avis  ,  de  fe  mettre  ces 
phantômes  dans  l'efprit ,  ôc  peuvent-ils 
entrer  dans  la  penfée  d'un  homme  rai- 
fonnable  ? 

Il  me  feroit  aifé,  en  lui  accordant 
que  les  myftères  de  la  Religion  font  au- 
deiiiis  cle  la  raifon  ,  de  lui  répondre  en 
même  temps  8c  de  lui  faire  voir,  que 
bien  loin  d'être  contre  la  raifon ,  ils  y 
font  au  contraire  très-conformes.  Je  dis 
très-conformes  à   une  raifon    faine ,   à 
une  raifon  épurée  de  la  corruption  du 
vice  ,  à  une  raifon  dégagée  de  l'empire 
des  fens  Ôc  des  pallions ,  à  une  droite 
raifon.  Mais  ce  n'eft  point  là  préfente- 
ment  le  fujet  dont  iKs'agit  entre  lui  ôc 
moi.  Je  me  fuis  feulement  propofé  de 
lui  montrer  comment ,  en  attaquant  la 
vérité  de  nos  myftères  ,  ôc  nous  les  re- 
préfentant  comme  des  myftères  Ci  rebu- 
tans  ôc  fi  difficiles  à  croire  ,  il  en  affer- 
mit par-là  même  la  foi  ,  ôc  que  l'idée 
qu'il  s'en  fait  pour  les  méprifer  Ôc  pour 
en  railler  ,  c'eft  juftement  ce  qui  le  doit 
difpofer  à  y  reconnoître  quelque  chofe 
de  furnaturel  ôc  de  divin. 


i.32,       L'Incrédule  convaincu 

Voici  donc   ma  réponfe ,  &  à  quoi  i 
je  m'en  tiens.  Je  prends  ce  beau  paiTa- 
ge  de  faint  Paul  dans  la  première  Epître 
1 .  Tim.  4  Timothée  :  C'eji  un  grand  myjière  de  : 
^c  u  16,  piété  j  qui  a  été  manifefté  dans  la  chair  yx\ 
autorifé par  Vefprit  _,  vu  des  Anges  j  prê- 
ché aux  Gentils  j  cru  dans  le  monde  j  &:\ 
élevé  à  la  gloire.  Ce  grand  myftère ,  c'eft 
le  myftère  de  J.  C. ,  Dieu  8c  homme 
tout  enfemble  ôc  l'Auteur  de  la  Loi  nou- 
velle. Que  ce  myftère  ait  été  réellement  , 
3c  véritablement  manifejlé  dans  la  chair,  : 
qu'il  ait  été  autorifé  par  Vefprit  célejle  >  : 
qui  eft  l'Efprit  de  Dieu  ;   que  les  Anges  , 
Vayent  vu,  &  qu'enfin  il  ait  été  élevé  à  la 
gloire  :  voilà  fur  quoi  l'impie  fe  récriera 
contre  moi ,  3c  s'inferira  en  faux.  Mais 
que  ce  même  myftère ,  &  que  tous  les  | 
myftères  particuliers  qui  y  ont  rapport  & 
qui  font  le  corps  de  la  Religion ,  aient 
été  prêches  aux  Gentils  ,    &  fur-tout 
qu'en  vertu  de   cette  prédication ,  ils 
aient  été  crus  dans  le  monde ,  je  nepen- 
fe  pas  que  ni  lui ,  ni  tout  autre  libertin 
comme  lui ,  foit  afTez  aveugle  &  afTez 
dépourvu  de  connoiffances ,  pour  former 
fur  cela  le  moindre  doute.  Ainfi  j'avan- 
ce 3  &  pour  mettre  ma  preuve  dans  tout 
fon  jour  &  toute  fa  force,  je  lui  fais  faire 
avec  moi  les  obfervations  fuivantes , 

dont 


PAR    LUI-  M  ES  M  E.  2J3 

dont  je  le  detie  de  me  contefter.  en  au- 
cune forte  la  certitude  &  F  évidence. 

i .  Que  ces  myftères  -  qu'il  prétend 
incroyables ,  ont  été  crus  néanmoins 
dans  le  monde.  On  les  y  a  prêches  >  en 
y  prêchant  la  Loi  chrétienne.  On  les 
a  expliqués  aux  peuples  ,  Se  on  les  en 
a  inftruits.  Les  peuples  dociles  &  fou- 
rnis,  ont  reçu  ces  inllrudions  3  ont 
embraifé  cette  doihïne.  La  même  foi 
les  a  unis  entre  eux  dans  une  même 
Eglife  ,  &  telle  a  été  l'origine  ôc  la 
naiiTance  du  Chriftianifme. 

2.  Que  ces  myftères  qu'il  prétend 
incroyables  ,  n'ont  point  feulement 
été  crus  dans  un  coin  de  la  terre  obfcur 
&:  inconnu  ,  ni  par  un  petit  nombre 
d'hommes  ramaiFés  au  hazard  5  &c  plus 
crédules  que  les  autres  ;  mais  qu'ils  ont 
été  crus  dans  toutes  les  parties  du  mon- 
.de.  Les  Prédicateurs  qui  furent  chargés 
d'annoncer  l'Evangile  ,  le  portèrent ,  fé- 
lon l'ordre  exprès  de  leur  Maître  ,  à  tou- 
tes les  Nations.  Dans  l'Orient  ,  l'Occi- 
dent ,  le  Midi ,  le  Septentrion ,  on  en- 
tendit par-tout  la  parole  du  Seigneur  , 
dont  ils  étoient  les  interprètes.  Des  trou- 
pes de  Profélytes  vinrent  en  foule  y  pour 
être  aggrégés  dans  l'Ecole  de  Jefus- 
Chrift.  Les  difciplcs  fe  multiplièrent,  fe 
Tome  L  Y 


234  L'Incrédule  convaincu 
répandirent  de  tous  côtés  :  les  Villes, 
les  Provinces ,  les  Royaumes  en  furent 
remplis ,  &  c'eft  ainfi  qu'en  très-peu  de 
temps  s'élevèrent  de  nombreufes  de  de1 
florilTantes  Chrétientés. 

3.  Que  ces   Myftères  qu'il  prétend 
incroyables  ,  n'ont  point  non  plus  été 
crus  feulement  par  le  iimple  peuple, 
par  des  fauvages  &  des  barbares ,  par 
des  efprits  grofÏÏers  &  ignorans;   mais 
par  les  plus  grands  génies  ,  par  les  efprits 
du  premier   ordre  ,   par   des  hommes 
d'une  profonde  érudition  8c  d'une  pru- 
dence confommée.  Il  n'y  a  qu'à  lire  les 
ouvrages  que  les  Pères  nous  ont  laiffés 
comme  de  fenfibles  monumens  de  la 
Religion.  A  conlidérer  précifément  ces 
faints  Docteurs ,  en  qualité  de  fçavans , , 
en  qualité  d'Ecrivains  &  d'Auteurs ,  il  I 
faut  n'avoir  ni  goût,  ni  difeernement i> 
pour  ne  point  admirer  l'étendue  de  leur  1 
do&rine  ,  la  pénétration  de  leurs  vues,! 
la  fublimité  de  leurs  penfées,  la  force  \ 
de  leurs  raifonnemens ,  la  fagefle  &  lai 
fainteté   de  leur  morale  ,  la  beauté  &  i 
l'énergie  de    leurs    exprelTTons  ,   leurs  ^ 
tours  même  éloquens  Ôc  pathétiques  , 
ou    ingénieux    &  fpirituels.    Certaine- 
ment ce  n'étoit  pas  là  de  petits  efprits , 
des    efprits  fuperftitieux ,   capables  de 


BARLUI-MESME.  235 

donner  fans  examen  dans  nilufion ,  ni 
à  qui  il  fat  aifé  de  faire  accroire  cour  ce 
qu'on  vouloit. 

4.  Que  ces  myftères  qu'il  prétend  in- 
croyables ,    ont  été  crus ,  non  plus  fur 
des  préjugés  de  la  naiifance  &  de  l'édu- 
cation ,  mais  plutôt  contre  tous  les  pré- 
jugés de  l'éducation  Se  de  la  naiifance. 
Pendant    une    longue   fuite    d'années, 
qu  étoit-ce  que  le   grand  nombre    des 
Chrétiens    ?    des   Gentils    nés  dans  le 
paganifme  ,  élevés  dans  l'idolâtrie.  Afin 
de  les  foumettre  à  la  foi ,  il  avoit  fallu 
détruire  toutes    leurs  préventions  ,   Se 
leur  arracher  du  cœur  des  erreurs  Se  des 
principes  de  Religion  directement  op- 
pofés  aux   myftères   qu'on   leur    enfei- 
gnoit.  Or   qui  ne  voit  pas  combien  ce 
.  changement  étoit  difficile  ,  ôc    quelle 
:  peine  il  devoit  y  avoir  à  détromper  des 
gens    préoccupés    en    faveur    de   leurs 
fautes  divinités  ,  Se  attachés  à  leurs  an- 
;  ciennes  obfervances  ,  Se  à   leurs  prati- 
•  ques  ?  C'eft  cependant  ce  qui  eft  arri- 
\  vé.  Les   payens  ie  font  convertis ,    les 
idolâtres  ont  renoncé  au  culte  de  leurs 
i  idoles  ;  leurs  prêtres  Se  leurs  fages  ont 
eu  beau  fe  récrier ,  raifonner  ,  difputer , 
la  Loi  nouvelle  a  prévalu ,  Se  comme  le 
jour  dilfipe  les  ténèbres ,  elle  a  effacé 

Vij 


2,36       L'Incrédule  convaincu 

des    efprits   toutes  les  idées  dont    iîs 

croient  prévenus. 

5 .  Que  ces  myftères  qull  prérend  in- 
croyables  ont  été  crus  malgré  toutes  les-  ; 
répugnances  de  la  nature  ,  malgré  rou- 
tes les  révoltes  &  de  la  raifon  &  des  1 
fens.  Révoltes  de  la  raifon  ;  car  quel- 
que raifonnables  en  eux-mêmes  &  quel- 
que certains  que  foient  ces  myftères, 
il  faut  après  tout  convenir  que  ce  font 
des  myftères  obfcurs  j  des  myftères  tel- 
lement cachés  fous  le  voile ,  que  notre 
raifon  n'y  pénétre  qu'avec  des  peines 
extrêmes  \  &  que  fouvent  même  toute 
fubtile  qu'elle  peut-être,  elle  fe  trou- 
ve obligée  de  reconnoître  fon  infufri- 
fance  &  la  foiblefte  de  fes  lumières.  Or 
nous  fentons  allez  qu'il  n'eft  rien  à  quoi 
elle  répugne  davantage  ,  qu'à  s'humi- 
lier alors  &  à  fe  foumettre  3  en  croyant 
ce  qu'elle  ne  voit  ni  ne  connoît  pas. 
Révoltes  des  fens  :  car  fur  ces  myftères 
qui  humilient  &  qui  captivent  la  rai- 
fon ,  eft  fondée  une  morale  qui  mortifie 
étrangement  la  chair.  On  croit  avec 
moins  de  réfiftance  des  vérités  qui  s'ac- 
commodent à  nos  inclinations  &  à  nos 
pallions  ;  des  vérités  au  moins  indiffé- 
rentes ,  &  qui  dans  leurs  conféquences 
îi  ont  rien  de   pénible  3  ni  de  gênant  3 


PAR    tUI-MESML  2^7 

mais  des  vérités  ,  en  vertu  defqnelles  on 
doit  fe  haïr  foi-même  ,  réprimer  fes  de- 
firs  les  plus  naturels ,  embralTer  la  Croix,, 
la  porter  chaque  jour  fur  fon  corps.,  8c 
fe  revêtir  de  toute  la  mortification  évan* 
gélique  ;  c'eft  à  quoi  l'on  ne  fe  rend  pas 
volontiers  ,  &  fur  quoi  l'on  ne  fe  lailfe 
perfuader  qu'après  avoir  bien  examiné 
les  chofes  ,  &  en  avoir  eu  des  preuves 
bien  convaincantes. 

6.  Que  ces  myftères  qu'il  prétend  in- 
croyables ,  ont  été  crus  d'une  foi  fi  vi- 
ve ,  d'une  foi  fi  ferme  &  il  efficace ,  que 
pour  pratiquer  fes  maximes,  pour  vivre 
félon  fes  régies  8c  fon  efprit ,  ou  pour  la 
défendre  8c  la  foutenir ,  on  a  tout  fa- 
crifié  ,  biens  ,  fortune ,  grandeurs ,  plai- 
fîrs ,  repos,  fanté,  vie.  On  fçait  les  ru- 
des combats  que  les  Chrétiens  ont  eu 
à  efluyer  dès  la  nailfance  de  PEglife. 
On  fcait  combien  de  farte  ils  ont  verfé  , 
ôc  comment  ils  ont  été  exilés ,  profcrits, 
enfermés  dans  des  cachots  ,  produits 
devant  les  Juges  >  condamnés  ,  livrés 
aux  bourreaux  pour  les  tourmenter  en 
mille  manières  ,par  le  glaive,  les  flam- 
mes ,  les  croix ,  les  roues  >  les  cheva- 
lets ,  les  bêtes  féroces  ,  les  huiles  bouil- 
lantes ,  par-tout  ce  que  la  barbarie  a  pa 
imaginer   de  fupplices  ôc  de  tortures* 


H 5 ^  L'Incrédule  convaincu 
Pourquoi  fe  laiifoient-ils  ainfi  opprimer ,' , 
accufer ,  emprifonner  ,  déchirer  3  brû- 
ler ,  immoler  comme  des  victimes  ?  ' 
Pourquoi  enduroient-ils  tant  d'oppro- 
bres de  d'ignominies ,  tant  de  calamités 
Se  de  miféres  ?  Pourquoi  au  milieu  de 
tout  cela  s'eftimoient-ils  heureux  ,  Se 
rendoient-ils  à  Dieu  des  adions  de  grâ- 
ces? Qui  leur  infpiroit  ce  courage  Se 
cette  patience  inaltérable  ?  c'eft  qu'ils 
avoient  les  myftères  de  notre  foi  fi  pro- 
fondément gravés  dans  lame  ,  ôc  qu'ils 
en  étoient  tellement  touchés ,  que  rien 
ne  leur  coûtoit ,  foit  pour  y  conformer 
leur  conduite  ,  foit  pour  en  attefter  la 
vérité  par  une  généreufe  confeilion. 

7.  Que  ces  myftères  qu'il  prétend  in- 
croyables ,  ont  été  crus  d'une  foi  fi  con- 
fiante ,  que  malgré  tous  les  obftacles 
qu'elle  a  eu  à  furmonter  ,  elle  fubfifte 
toujours  depuis  plus  de  feize  cens  ans , 
comme  nous  ne  doutons  point ,  félon 
la  promefTe  de  Jefus-Chrift  ,  qu'elle  ne 
doive  fubfifter  jufqu'à  la  dernière  con-- 
fommation  des  fîécles.  Toutes  les  puif- 
fances  infernales  fe  font  foulevces  con- 
tre elle  ;  toutes  les  puiffances  humaines 
fe  font  liguées  Se  ont  conjuré  fa  ruine  ; 
la  fuperftition  Se  le  libertinage  l'ont 
combattue  de  toutes  leurs  forces  :  mais 


PAR    1UI-MESM!,  239 

de  même  que  nous  voyons  les  flots  de 
la  mer  furieux  &  courroucés  ,  fe  brifer 
a  un  rocher  où  ils  viennent  fondre  de 
toutes  parts  ,  tout  ce  qu'on  a  fait  d'ef- 
forts pour  la  détruire  ,  n'a  pu  l'ébranler 
de  l'a  plutôt  affermie  :  de  forte  qu'après 
d'immenfes  révolutions  d'âges  Se  de 
temps  ,  qui  auroient  dû  l'affoiblir ,  elle 
eft  toujours  la  même ,  qu'elle  conferve 
Toujours  fur  les  efprits  le  même  empire , 
•qu'elle  leur  propofe  toujours  la  même 
doctrine  Se  les  trouve  toujours  égale- 
ment difpofés  à  la  recevoir.  Je  ne  parle 
point  de  la  manière  dont  cette  foi  s'eft 
établie  ,  Se  la  foibleife  de  ceux  qui  en 
furent  les  premiers  Apôtres ,  de  Faban- 
donnement  total  où  ils  étoient  des  fe- 
cours  ordinaires  Se  néceifaires  pour  faire 
réuflir  les  grandes  entreprifes ,  de  cent 
autres  particularités  très- remarquables. 
Car  ce  n'eft  point  par  le  fer ,  comme 
d'autres  religions  ,  ce  n'eft  ni  par  la 
violence  des  armes ,  ni  par  les  amorces 
de  l'intérêt  ou  du  plailir  _,  que  la  foi  de 
nos  myftères  s'eft  répandue  dans  toute  la 
terre.  Mais  fans  infifter  là-deifus  Se  fans 
rien  ajouter ,  j'en  reviens  à  mon  raifon- 
nement  contre  l'impie. 

Je  dis  :  s'il  eft  vrai  que  nos  myftères 
foient  aulîi  incroyables  qu'il  l'avance  > 


I.40      LIncredule  convaincu 
ôc  que  d'ailleurs  il  ne  puiffe  nier ,  coi 
nie  il  ne  le  peut  en  effet ,  qu'on  les 
crus  dans  le  monde  ,  &  qu'on  les  a  en 
fi  unanimement ,  fi  généralement 
promptement ,  fi   fortement  ,   fi  coi 
ftamment  ,    chez  toutes   les    Nations 
dans   tous  les  Etats  &  toutes  les  Pro- 
ferlions  ;   parmi  les  Sages  ,  les  Philofo- 
phes  ,  les  Sçavans  ,  parmi  les  Payens  f 
les  Idolâtres,  les  Sauvages,  les  Barba- 
res j  dans  les  Cours  des  Princes  ,  dansa 
les  Villes,   dans*les  Campagnes  ,  par- ! 
tout  :  il  faut  donc  qu'il  m'apprenne  pan 
quelle  vertu  a  pu  fe  faire  l'union  &  l'ac-j 
cord  ii  parfait  de  ces  deux   chofes  ;  ]e\ 
veux  dire ,  de  ces  myftères  5   félon  lui , 
abfplumerit  incroyables ,  &  de  ces  myf- ] 
téres    toutefois,   félon  la  notoriété  duJ 
fait  la  plus  évidente  &  la  plus  incon.-- 
teftable  ,    reçus  &  crus  avec  toutes  les? 
circonftances  que  je  viens  de  rapporter. 
Il    faut   donc  qu'il  avoue  malgré  lui  I 
qu'il  y  a  eu  en  tout  cela  de  la  merveille. . 
11  faut  donc  qu'il  confeffe  qu'il  y  a  au*-- 
deffus  de  la  nature  un  agent  fupérieur,. 
qui  a  conduit  tout  cela  comme  fon  ou-.' 
vrage ,  &  qui  ne  celle  point  de  le  con~~< 
duire    par  les  refïorts  invifibles  de  fâ. 
providence.  Il  faut  donc  ,  s'il  eft  capa- 
ble de  quelque    réflexion  P  qu  il  con- 
çoive 


!AR    LUI    -MESME,  2  4  I 

çoive  une  bonne  fois  comment  fes  traits 
de  raillerie  au  fujet  de  la  Religion  ,  re- 
tournent contre  lui  ,  8c  comment  fes 
exagérations  8c  fes  difcours  emphati- 
ques fur  1  înfurmontable  difficulté  d'a- 
jouter foi  à  des  myftères  tels  que  les 
nôtres  retombent  fur  lui  pour  le  con- 
fondre 8c  pour  l'accabler,  Car  plus  il  la 
relevé  Se  il  l'augmente ,  cette  difficulté  , 
plus  il  relevé  la  fouveraine  fageife  8c  la 
toute-puiifance  de  ce  Maître  a  qui  rien 

•  n'eft  impoflible  ,  &  qui  a  bien  fçu  la 
vaincre  8c  la  furmonter. 

Oui ,  on  les  a  crus ,  ces  adorables  8c 
incompréheniibles    myftéres  3    8c  voilà 
le   grand  miracle  dout    l'incrédule  eft 
forcé    de  convenir.    Miracle     d'autant 
plus  grand  pour  lui ,   que  ces  myftéres 
i  lui  paroiiTent  moins  croyables.  Ou  les 
I  croit  encore  ,  8c  par  la  miféricorde  infi- 
nie   de  mon  Dieu ,  je    les  crois.  C'effc 
.  dans   cette  foi   que    je    veux  mourir  , 
comme  j'ai  le  bonheur  d'y  vivre.  Car 
\  je  la  conferverai   dans  mon  cœur  ,  8c 
,  qui  l'en  arrachera  ?  Je  connois  mes  im- 

•  perfeclions  8c  mes  fragilités  fans  nombre. 
■  A  comparer  la  fainteté  de   la  Foi  que 

je  profeife  ,  avec  mes  lâchetés  8c  la  mul- 
titude des  ofFenfes  que  je  commets  ,  je 
fens  combien  j'ai  de  quoi  rougir  devant 
Tome  L  X 


%4r%  L'Incrédule  convaincu 
Dieu  ôc  de  quoi  m'humilier  :  mais  du 
refte  ,  tout  imparfait  8c  tout  fragile  que 
je  fuis  ?  ne  préfumant  point  de  mes 
forces ,  ne  comptant  point  fur  moi-mê- 
me ,  foutenu  de  ma  feule  confiance 
dans  la  grâce  du  fouverain  Seigneur  en 
qui  je  crois  ôc  en  qui  j'efpere  ,  il  me 
femble  que  pour  cette  foi  que  je  chéris 
ôc  que  je  regarde  comme  mon  plus  ri- 
che tréfor ,  je  ne  craindrais  point  de 
donner  mon  fang  ni  de  facrifier  ma  vie. 
Il  me  femble  que  béniifant  la  divine 
providence  -,  qui  dans  le  Chriftianiime 
a  fait  heureufement  fuccéder  la  tran- 
quillité ôc  la  paix,  aux  perfécutions  ôc 
aux  combats  ,  j'envie  après  tout  le  fort 
de  ces  chrétiens  ,  à  qui  la  conjon&ure 
des  temps  fourniiloit  des  occaiions  fi 
précieufes  de  fignaler  leur  foi  en  pré- 
lence  des  perfécuteurs  Se  des  tyrans. 
Telles  font  _,  à  ce  qu'il  me  paraît ,  mes 
difpofkions ,  ô  mon  Dieu  ;  tels  font  mes 
fentimens ,  ou  tels  ils  doivent  être. 

Mais  ce  n'eft  pas  tout  :  ce  que  je  crois 
de  cœur ,  je  le  confefTerai  de  bouche , 
félon  l'enfeignement  de  l'Apôtre  ;  Ôc  en 
cela  même  je  fuivrai  l'exemple  du  Pro- 
*■*•  phète  ,  ôc  je  dirai  comme  lui  :  J'ai  cru>  & 
voilà  pourquoi  j'ai  parlé.  Tout  chrétien 
doit  faire  une  profeflion  publique  de  fa 


V  Ail    LUI*  M  1    S  M  l.  I45 

foi ,  &:  malheur  à  quiconque  auroit 
honte  de  reconnoître  Jefus-Chrift  de- 
vant les  hommes ,  parce  que  dans  le  ju- 
gement de  Dieu  Jefus-Chrift  le  renon- 
ceroit  devant  fon  Père.  Mais  outre  cette 
obligation  commune  ,  un  devoir  par- 
ticulier m'engage ,,  comme  Miniftre  du 
Dieu  vivant  &  Prédicateur  de  fon  Evan- 
gile ,  à  prendre  la  parole.  Cette  foi  que 
l'impie  attaque  ,  &  ces  myftères  qu'il 
blafphême,  parce  qu'il  les  ignore,  je 
les  prêcherai,  Se  à  qui  ?  aux  Grands  Se 
aux  petits,  aux  Princes  &  aux  peuples , 
aux  fages  ôc  aux  limples ,  aux  forts  Ôc 
aux  foibles  ,  à  tous  :  car  dans  la  Chaire 
fainte  ,  c'eft  à  tous  que  je  fuis  redeva- 
ble. Si  je  me  taifois ,  mon  filence  me 
condamnerait ,  &  je  me  tiendrais  cou- 
pable de  la  plus  criminelle  prévarica- 
tion 'y  fur-tout  dans  un  temps  où  l'im- 
piété ofe  lever  la  tête  plus  que  jamais 
ôc  avec  plus  d'audace.  Au  nom  du  Sei- 
gneur qui  m'envoye  ,  je  la  combattrai, 
&  je  la  combattrai  par-tout  ,  quelque 
part  que  m'appelle  mon  miniftere.  L'im- 
.  pie  m'écoutera  fans  s'étonner ,  il  s'élè- 
vera intérieurement  contre  moi  ,  ou 
dans  le  fecret  de  fon  ame  il  me  regar- 
dera en  pitié  ;  mais  moi ,  touché  d'une 
bien  plus  jufte  compamon,  j'aurai  pi- 

Xij 


ï.  Cor. 


a. 44  LIncredule  convaincu 
tiède  fonavenglement,  de  fon  entête- 
ment ,  de  fa  témérité  ,  de  fon  ignoran- 
ce fur  des  points  dont  à  peine  il  peut 
avoir  la  plus  légère  teinture  ,  8c  dont! 
néanmoins  il  prétend  avoir  droit  de  jiir 
ger  avec  plus  dfailurance  que  les  Doc- 
teurs les  plus  confommés.  Il  tournera 
en  rifée  tout  ce  que  je  dirai ,  &  il  ne  let 
comptera  que  pour  des  idées  populai- 
res, que  pour  des  rêveries  ;  mais  moi 
dans  le  même  efprit  que  S.  Paul  Se  dans 
les  mêmes  termes,  je  lui  répondrai: 
Nous  prêchons  Jefus-Chrift  crucifié _,  qui 

H  •        eft  un  fujet  de  feandak  aux  Juifs  j  qui  pa~ 

roît  une  folie   aux  Gentils  j  &  qui  eft  la 

force  de  Dieu  &  la  fagejfe  de  Dieu,  Mais 

moi  je  lui  répondrai  avec  le  même  Doc- 

-     teur  des  Nations  ,  que  c' eft  par  la  folie  de1, 

«.  i.  21.  la  prédication  évangélique  ^   qu'il  a  plu  El 
Dieu  de  fauver  ceux  qui  croyent  en  lui  &- 
en  fon  Fils  Jefus-Chrift.  Mais  moi  je  lui 
répondrai ,  que  la  folie  de  la  Croix  neft 
folie  que  pour  ceux  qui  périjfent.  Terrible- 

Mi*  1 8»  parole  ,  pour  ceux  qui  périffent ,  pour 
ceux  qui  fe  damnent ,  pour  ceux  qui  par 
la  dureté  de  leur  coeur  &  par  leur  fens; 
réprouvé  fe  précipitent ,  comme  l'impie , 
dans  un  malheur  éternel  !  Il  y  fera  telle 
attention  qu'il  lui  plaira  ;  6c  pourquoi 
A^fpérerois-je  pas  que  le  Père  des  mifé- 


PAR    LUI-MESME.  1\$ 

ricordes  éclairera  enfin  cet  aveugle ,  8c 
que  fa  grâce  triomphera  de  cette  anie 
rebelle  ,  8c  la  foumettra  !  Qu'il  en  foit 
ainfi  que  je  le  deiire ,  8c  que  je  le  de- 
mande j  c'eft  un  de  mes  voeux  les  plus 
fincères  8c  les  plus  ardens. 

Naijfance  des  Héréfies  y  &  leur 
progrès, 

CE  qui  fait  l'Hérétique ,  ce  n'efi  pas 
feulement  l'erreur ,  mais  l'entête- 
ment &  l'obftination  dans  l'erreur.  Tout 
homme  ,  dès-là  qu'il  eft  homme  ,  eft 
capable  de  fe  tromper  y  8c  de  donner 
dans  une  erreur,  dont  lesfaïuTes  appa- 
rences le  furprennent  8c  le  féduifent  : 
mais  on  ne  peut  pour  cela  le  traiter 
d'hérétique  ,  &  il  ne  l'eft  point  précifé- 
nient  par-là.  On  peut  bien  dire  que  ce 
;  qu'il  avance  eft  une  hérélie  ;  que  telle 
proportion  ,  telle  doctrine  eft  contrai- 
f  re  aux  principes  de  la  foi  :  mais  s'il  ne 
s'y  attache  pas  opiniâtrement ,  &c  qu'il 
foit  chfpofé  à  fe  rétrader  8c  à  fe  fou-' 
mettre,  dès  que  le  Tribunal  eccléfiafti- 

Xiij 


1^6  Nais   s    ance 

que  &  fupérieur  aura   donné  un  juge- 
ment définitif  qui  décide  la  queftion  ; 
alors  *  pour  parler  ainfi ,  Fhéréfie  n'eft  t 
que  dans  la  proportion  avancée ,  que 
dans  la  dodrine  ,  fans  être  dans  la  per- 
fonne.  Auili  neïï-ce  pas  communément  r 
fur  la  perfonne  que  tombent  les  cenfu-  J 
res  de  FEglife  }  mais  fur  les  fentimens 
erronnés  qu  elle  condamne  &   qu'elle 
profcrit.  On  n'eft  donc  proprement  hé-  | 
rétique  ,  qu'autant  qu'on  eft  opiniâtre  ,  , 
parce  qu'on  n'eft  rebelle  à  FEglife  que 
par  cette  opiniâtreté  ,  qui  réfifte  a  l'o- 
bénTance  ,  &  que  nulle  autorité  ne  peut  i 
fléchir. 

Dans  la  fociété  même  civile  8c  dans 
f  ufage  ordinaire  de  la  vie  ?  ce  caractè- 
re d'entêtement  a  des  effets  très-perni- 
cieux. Il  caufe  des  maux  infinis ,  foit  par  i 
rapport  au  bien  public  ,  foit  par  rapport  : 
au  bien  particulier.  Par  rapport  au  bien 
public ,  on  a  vu  arriver  les  plus  triftes  « 
malheurs  dans  un  Etat  par  l'entêtement  i 
d'un  Grand  ,  dans  une  ville  par  l'entê---] 
tement  d'un  Magiftrat ,  dans  une  mai- 1 
fon  par  l'entêtement  d'un  père  ou  d'une 
mère ,  dans  une  communauté  par  l'en-  ■ 
têtement  d'un  fupérieur.  Rien  de  plus 
dangereux  que  l'entêtement  en  qui  que 
£e  (bit  y  mais  qu'eft-ce  fur-tout    dans 


DES     HÉRÉSIES.  247 

un  homme  revêtu  de  quelque  pouvoir 
8c  conftitué  en  quelque  dignité?  Par 
rapport  au  bien  particulier  :  il  y  a  mille 
gens  qui  fe  font  ruinés  de  fortune  ,  de 

i  crédit ,  d'honneur  ,  de  réputation  ;  par 

\  où  ?  par  un  malheureux  entêtement  dont 
les  plus  fages  confeils  ne  les  ont  pu  gué- 
rir. Aulîi ,  qu'avons-nous  entendu  dire 
en  bien  des  rencontres  ,  8c  qu'avons-nous 
dit  nous-mêmes  de  certaines  perfonnes  ? 

I  Ce  font  des  entêtés  :  leur  entêtement  les 
perdra.  L'événement  l'a  vérifié ,  &  c'eft 
dequoi  l'on  pourroit  produire  plus  d'un 
exemple. 

Mais  il  ne  s'agit  point  ici  de  ces  fortes 
d'entêtemens.  Dès  qu'ils  ne  regardent 
que  les  chofes  humaines,  8c  que  notre 

|  conduite  félon  le  monde  ,  les  confé- 
quences  ,  quoique  très  -  fâcheufes  du 
refte  ,  &  très-rdéplorables ,  en  font  tou- 
tefois beaucoup  moins  à  craindre.  L'en- 
têtement le  plus  funefte  &  dont  on 
doit  plus  appréhender  les  fuites ,  c'eit 
en  matière  de  Religion.  Car  voilà  d'où 

!  font  venues  toutes  les  héréfies  8c  toutes 

i  les  fe&es.  Un  homme  fe  prévient  de 
quelque  penfée  nouvelle  8c  en  fait  fa 
doctrine ,  à    laquelle  il  s'attache  d'au- 

:  tarit  plus  fortement,  qu'elle  lui  eft  pro- 
pre. Cependant  ,   c'eft   une    mauvaife 

Xiv 


%4$  Naissanc  E  • 
do&rine  ,  &  la  foi  s'y  trouve  intérefTée, 
S'il  étoir  afFez,  docile  pour  écouter  là- 
denais  les  avis  qu'on  lui  donne  r  &  pour 
entrer  dans  les  raifons  qu'on  lui  oppo- 
fe  ,  on  le  feroit  bientôt  revenir  de  Ion 
égarement.  Sa  foumiiîion  le  remettroit 
dans  le  chemin  y  arrêteroit  le  feu  prêt  à 
s'allumer  ,  8c  l'affaire  en  très-peu  de 
temps  feroit  affoupie  -y  mais  il  s'en  faut 
bien  que  la  chofe  ne  prenne  un  fi  bon 
tour»  C'eft  un  efprit  opiniâtre  ;  on  aura 
beau  lui  parler  ,  il  ne  fera  jamais  poffi- 
ble  de  le  réduire.  Il  s'élève  ,  il  s'enfle  , 
il  s'entête.  Soit  paillon  qui  le  pique  ,. 
foit  préfomption  qui  l'aveugle ,  foit  in- 
docilité naturelle  qui  le  roidit  ,  tout 
tela  fouvent  à  la  fois  ,  le  rend  intraita- 
ble. Quoiqu'on  lui  objecte  ,  il  a  fes  ré- 
ponfes  ,  qui  lui  paroiffent  évidentes 
8c  fans,  réplique.  Quiconque  ne  s'y  rend 
pas ,  eft  ,  félon  lui ,  dépourvu  de  toute 
raifon.  Plus  donc  on  l'attaque  vive- 
ment ,  plus  il  devient  ardent  à  fe  dé- 
fendte  }  plus  on  multiplie  les  difficultés , 
plus  de  fa  part  il  multiplie  les  fubtilités 
8c  les  faux-fuyans.  Pourquoi  cela  ?  C'efl 
qu'il  eft  déterminé  ,  quelque  chofe 
qu'on  lui  dife ,  à  ne  pas  reculer.  Àinfi 
toute  fon  attention  va  ,  non  point*  à 
examiner  la    force  8:    la  folidité    des 


desHérés-ies.  249 
preuves  qu'on  lui  apporte  pour  le  con- 
vaincre j  mais  à  trouver  de  nouveaux 
moyens  &  de  nouveaux  tours  pour  les' 
éluder  &  pour  fe  confirmer  dans  fes 
idées.  Car  Voilà  ce  que  fait  l'entête- 
ment. 

Du  moins  fi  ce  Novateur  s'en  tenoit 
a  fon  entêtement  perfonnel  ,  fans  le 
communiquer  à  d'autres  j  mais  il  veut 
s'appuyer  d'un  parti,  il  veutfe  faire  une 
école  ,  il  veut  avoir  des  difciples  8c  des 
fectateurs.  L'envie  de  dogmatifer ,  d'en- 
feigner,  d'être  l'Auteur  8c  le  Chef  d'une 
fe&e  ,  eft  une  efpéce  de  démangeaifon 
fi  naturelle  ,  qu'on  s'y  laiffe  aifément 
aller  \  8c  d'autre  part  la  nouveauté  &  la 
fmgularité  en  fait  de  doctrine  ,  a  pour 
une  inimité  d'efpiïts  des  charmes  fi  en- 
gageais ,  qu'ils  en  font  d'abord  infatués 
8c  qu'ils  s'y  portent  comme  d'eux-mê- 
mes. C'en:  une  choie  furprenante  3  de 
voir  combien  il  faut  peu  de  temps  pour 
y  attirer  toutes  fortes  de  perfonnes, 
hommes  ,  femmes  ,  grands ,  petits ,  Ec- 
ciéfiaftiques  ,  Laïques ,  Réguliers  ,  Sé- 
culiers ,  dévots ,  mondains.  Il  n'eft  point 
de  gangrène  fi  contagieufe  que  l'héré- 
lie.  Elle  gagne  fans  cefTe  8c  fe  répand. 
Ses  progrès  font  auili  prompts ,  qu'ils 
font  imperceptibles  j  elle  n'a  «pas  plutôt 


i$o  Naissance 

pris  naiffance,  que  toutes  profeiïions  , 

toutes  conditions  ,  tous  états  s'en  laifTent 

infecter. 

De-là  qu  arrive-t-il  ?  C'eft  que  ce  qui 
n'étoit  dans  fon  origine ,  que  l'entête- 
ment d'un  homme  ,  qu'un  entêtement 
particulier ,  devient  déformais  un  en- 
têtement commun,  un  entêtement  de 
cabale.  Or  on  peut  dire  que  c'eft  alors 
qu'il  eft  comme  insurmontable  ,  Se  l'ex- 
périence nous  le  fait  afTez  connoître. 
Tant  d'efprits  préoccupés  &  unis  en- 
femble  fe  foutiennent  par  leur  union 
même.  C'eft  une  fociété  formée  f  il 
n'eft  plus  moralement  poffible  de  la 
rompre.  Si  quelqu'un  chancelle  >  il  eft 
bientôt  obfédé  de  toute  la  troupe  ,  qui 
s'emprefife  autour  de  lui  &:  n'oublient  rien 
pour  l'affermir  &  le  retenir.  Que  ne  lui 
repréfente-t-on  pas  ?  la  prétendue  jufti- 
ce  de  la  caufe  qu'il  a  embraiTée ,  l'inté- 
rêt du  parti  où  il  s' eft  engagé  j  le  triom- 
phe qu'il  donnerait  à  fes  ennemis  en 
l'abandonnant ,  Se  l'avantage  qu'ils  en 
tireroient  ;  l'éclat  d'une  défertion  qui 
le  couvrirait  de  honte  9  Se  qui  i'expofe- 
roit  à  de  mauvais  retours  ;  enfin  pro- 
meffes ,  efpérances ,  reproches  5  mena- 
ces  5  faux  honneur  ,  tout  eft  mis  en 
œuvre*  Ainfi  s'anime-t-on  les  uns  les 


DE    S    HÉRÉSIE    S.  25I 

autres  5  &  fe  fcrtirie-t-on  }  c'eft  a  qui 
s'entêtera  davantage  ,  &c  qui  marquera 
plus  de  zèle  ,  c'eft-a-dire  plus  d'aheur- 
tement.  Les  morts  remifciteroient  Se  fe 
feroient  entendre ,  qu'on  ne  les  croiroic 
pas  j  ou  un  Ange  defcendroit  exprès 
du  Ciel ,  Se  emploveroit  les  plus  puhTans 
moyens  pour  défabufer  des  gens  que 
l'erreur  a  liés  de  la  forte  ,  Se  ligués  pour 
fa  défenfe  ,  qu'ils  ne  fe  rendroient  pas , 
Se  ne  reviendroient  jamais  de  leurs  pré- 
jugés. 

Cependant  quelque  foin  que  prenne 
de  fe  cacher  la  feâe  nailfante  ,  on  la 
découvre.  C'eft  im  feu  fecret ,  mais  qui 
croit  j  Se  plus  il  s'allume  5  plus  la  flamme 
éclate.  Les  fidèles  en  font  allarmés  y  les 
Pafteurs  de  l'Eglife  dépofitaires  de  la 
vraie  doctrine  ,  réveillent  leur  zèle 
contre  le  menfonge  qui  cherche  à  s'é- 
tablir :  l'erreur  eft  dénoncée ,  citée  au 
fouverain  Tribunal  ;  Se  fes  partifans 
obligés  de  comparoître  ,  ne  peuvent 
éviter  le  jugement  qui  fe  prépare ,  ou 
pour  leur  juftirication  ,  s'ils  font  aulîî 
orthodoxes  qu'ils  le  prétendent  ,  ou 
pour  leur  condamnation  ,  fi  les  dépor- 
tions de  leurs  adverfaires  fe  vérifient 
Se  fe  trouvent  bien  fondées.  Or  en  des 
conjonctures  fi  critiques  Se  dans    une 


252.  Naissance 
néceiîité  il  prenante  ,  que  faire  ?  De 
vouloir  décliner ,  ce  feroit  fe  déclarer 
coupable ,  ce  feroit  fe  juger  foi-même 
de  fe  condamner..  Il  faut  donc  affecter 
d'abord  une  contenance  affurée  ,  accep- 
ter la  difpute  8c  s'y  préfenter ,  deman- 
der à  être  écouté  Ôc  à  produire  fes 
raifons  ,  du  refle  témoigner  par  avance 
une  foumilîion  feinte  à  ce  qui  fera  dé- 
cidé &  prononcé.  Mais  tour  cela  ,  dans 
quelles  vues  ?  ou  dans  l'efpérance  de 
conduire  iî  habilement  l'affaire ,  de  lui 
donner  par  mille  déguifemens  ,  mille 
explications  &  mille  modifications ,  un 
fi  bon  tour,  qu'on  obtiendra  peut-être 
une  décifion  favorable  }  ou  dans  la  ré- 
folution  ,  fi  le  jugement  n'eft  pas  tel 
qu'on  le  veut ,  de  l'interpréter  néan- 
moins à  fa  manière }  Se  s'il  ne  fonffre 
abfoîument  nulle  interprétation ,  de  le 
rejetter. 

C'eft  ce  que  montre  en  effet  l'événe- 
ment. L'Eglife  éclairée  du  Saint-Efprit , 
ne  fe  trompe  point  ni  ne  fe  laiffe  point 
tromper.  Au  travers  de  tous  les  artifices 
Se  parmi  tous  les  détours  ,  elle  fçait  ap- 
percevoir  l'erreur  &  la  démêler.  Elle  la 
proferit  ,  elle  la  frappe  de  fes  anathê- 
mes  ,  elle  publie  fa  définition  comme 
une  loi  émanée  du  centre  de  la  vérité  3 


DES       HÉRÉSIES.         253 

&  comme  une  régie  que  chaque  fidèle 
doit  fuivre.  Qui  ne  croiroit  pas  alors 
que  toutes  les  queftions  font  finies  ,  8c 
que  tous  les  efprits  vont  fe  réunir  dans 
une  heureufe  paix  ,  8c  dans  une  même 
croyance  ?  Mais  qu'eft-ce  que  l'entête- 
ment ,  8c  de  quoi  n  eft-il  pas  capable  ! 
c'eft  là  tout  au  contraire  que  recom- 
mence une  guerre  ,  d'autant  plus  vive 
de  part  8c  d'autre,  que  les  uns  font 
plus  piqués  du  mauvais  fuccès  ,  qui 
fans  les  réduire  en  aucune  forte  ,  ni  les 
abattre  ,  les  humilie  toutefois  8c  les 
chagrine  ;  &  les  autres  plus  indignés  de 
la  mauvaife  foi  avec  laquelle  on  refufe 
d'obéir  purement  8c  fimplement  à  une 
fentence  ,  qui  pouvoit ,  8c  qui  de  voit 
terminer  tous  les  différends. 

Bien  loin  donc  que  toutes  les  quef- 
tions ceifent  5  on  les  multiplie  à  l'infini. 
On  veut  perfuader  au  public  que  le 
jugement  de  l'Eglife  ne  tombe  point 
fur  la  doctrine  qui  lui  a  été  déférée. 
On  veut  perfuader  à  l'Eglife  même  , 
qu'on  entend  mieux  quel  eft  le  fens  de 
fes  paroles  ,  8c  qu'on  fçait  mieux  ce 
qu'elle  a  dit  ou  ce  qu'elle  a  eu  en  vue  de 
dire.  On  veut  lui  faire  accoire  qu'elle 
n'a  pas  vu  ce  qu'elle  a  vu,  8c  qu'elle  a 
cru  voir  ce  qu'elle  ae  voyoit  pas.   Si 


^54  Naissance 
pour  réprimer  une  audace  ,  ou  pour 
confondre  une  obfUnation  qui  i'outrage , 
elle  entreprend,  de  s'expliquer  tout  de 
nouveau,  elle  a  beau  ufer  des  termes 
les  plus  formels  ,  les  plus  précis  ,  les 
plus  clairs  ,  on  y  trouve  toujours  de 
l'ambiguïté  ,  parce  qu'on  trouve  tou- 
jours une  lignification  étrangère  &  for- 
cée à  y  donner.  D'ailleurs  même  on 
difpute  a  l'Eglife  fes  droits  ,  comme  fi 
elle  excédoit  fon  pouvoir  -y  comme  ri 
les  matières  préfentes  n'étoient  pas  de 
fon  r effort  ;  car  il  n'y  a  point  de  retran- 
chement où  l'on  ne  tâche  de  fe  fauver. 
Il  ne  refte  plus  ,  fuppofé  que  l'Eglife 
redouble  fes  efforts  &  qu'elle  porte  les 
derniers  coups  ,  qu'à  lever  enfin  le 
mafque  ,  qu'à  lui  faire  tête  ,  &  qu'à  fe 
féparer.  Trifle  dénouement  de  tant  d'in- 
trigues,  de  conteftations ,  d'agitations, 
qui  ne  manquent  pas  d'aboutir  avec  le 
tems  à  une  divifion  entière  &  à  un 
fchifme  déclaré. 

Telle  a  été  la  fource  de  toutes  les 
héréfies  ,  &  tel  en  a  été  le  progrès.  Il 
n'y  a  qu'à  lire  l'hiftoire  de  l'Eglife  ,  &c 
l'on  verra  depuis  les  premiers  iiécles 
jufqu'aux  moins  éloignés  de  nous ,  que 
les  hérétiques  &  leurs  fauteurs  ,  ayant 
cous  été   animés   du   même    efprit    &c 


DES       HÉRÉSIES.      255 

poffédés  du  même  entêtement ,  ils  ont 
tenu  tous  la  même  conduite  j  qu'ils  ont 
tous  eu  les  mêmes  procédés ,  tous  em- 
ployé les  mêmes  moyens  ,  &  mis  en 
œuvre  les  mêmes  artifices  pour  infînuer 
leurs  pernicieufes  nouveautés  ,  pour  les 
couvrir  des  plus  belles  apparences  & 
des  couleurs  les  plus  fpécieufes  ,  pour 
leur  donner  des  noms  empruntés  ,  Se 
les  retenir  fous  un  faux  femblant  de  les 
abandonner  j  pour  les  perpétuer  dans 
le  monde  Chrétien  ,  indépendamment 
de  toutes  les  puilTances  ,  foit  Eccléfiaf- 
tiques  ,  foit  temporelles.  On  diroit 
qu'ils  fe  font  copiés  les  uns  les  autres , 
ôc  que  fans  fe  connoitre  ,  ils  font  con- 
venus entr'eux  :  tant  la  conformité  eft 
parfaite.  Enforte  que  de  voir  agir  les 
hérétiques  d'un  fiécle  ,  c'en:  voir  agir 
ceux  de  tous  les  fiécles  palfés  ^  &  ceux 
de  tous  les  fiécles  à  venir ,  car  là  même 
caufe  produit  toujours  les  mêmes  effets, 
Quoi  qu'il  en  foit,  il  eft  aifé  de  juger 
à  quels  mouvemens  ,  6c  à  quelles  con- 
tentions tout  cela  engage  :  écrits  fur 
écrits  ,  mémoires  fur  mémoires ,  répli- 
ques fur  répliques ,  erreurs  fur  erreurs. 
Pour  foutenir  Tune  ,  on  eft  fouvent 
obligé  d'en  avancer  une  autre.  A  me- 
fure  qu'on  fe  fent  prefle  ,  on  vient  à 


ij-6  Naissance 
dire  ce  qu'on  n'eût  jamais  dit  ^  &c  ce 
qu'on  ne  diroit  pas  encore  ,  ii  ce  n'é- 
îoit  la  feule  voie  qui  fe  préfente  pour 
fe  tirer  de  l'embarras  où  l'on  eft  j  &  tel , 
quelques  années  auparavant  ,  eût  eu 
horreur  de  la  proportion  qu'on  lui  eût 
faite  de  franchir  certaines  barrières  , 
qui  dans  la  fuite  les  a  franchies,  ôc  de 
degrés  en  degrés  eft  defcendu  jufques 
au  fond  de  l'abîme.  De-là  milk  varia- 
tions ,  mille  contradictions.  On  tient 
un  langage  aujourd'hui ,  &  demain  on 
en  tient  un  tout  oppofé  }  on  change 
félon  les  conjonctures  &  félon  les  be~ 
foins.  Que  le  public  le  remarque  ,  il 
n'importe  ;  on  le  laiffe  parler  ,  &  l'on 
feint  de  ne  le  pas  entendre.  En  un  mot , 
pour  fe  confirmer  dans  fon  entêtement 
&  pour  y  periifter ,  il  n'y  a  rien  qu'on  né 
furmonte  ,  ni  rien  qu'on  ne  dévore. 

Oh  !  qu'on  s'épargneroit  de  défagé- 
mens  ,  de  ferremens  de  cœur  ,  d'in- 
quiétude ôc  de  tourmens  d'efprit  ,  Il 
l'on  avoit  appris  à  être  plus  fouple  6c 
plus  flexible  !  Sur-tout  qu'on  épargne- 
roit  à  l'Eglife  de  fcandales  qui  la  défo- 
lent ,  Se  qui  font  pour  elles  de  rudes 
coups  I  Mais  c'eft  une  chofe  terrible 
que  de  s'être  endurci  contre  la  vérité. 
Plutôt  que  de  la  reconnoître  >  lorfque 

le 


î>    î     S       HÉRÉSIES.       257 

le  Miniftre  du  Seigneur  la  lui  repréfen- 
toit  ,  Pharaon  fourTrit  le  défordre  de 
fon  Empire  ,  la  ruine  de  fes  Provinces , 
le  murmure  de  fes  peuples.  Si  tout  cela 
fit  de  tems  en  tems  quelque  imprefïion 
fur  lui  ,  ce  ne  fut  qu'une  impreiîion 
paifagère  ,  &  il  en  revint  toujours  à  fes 
premières  préventions  j  enfin  il  s'expofa 
à  fe  perdre  lui-même  ,  3c  en  effet  il  fe 
perdit.  Affreux  exemple  d'un  entête- 
ment indomptable ,  8c  que  nulle  confé- 
dération ne  peut  faire  plier.  On  verroit 
tout  l'ordre  de  FEglife  fe  renveffer  , 
qu'on  n'en  feroit  point  ému.  Le  parti 
cft  pris  ,  tous  les  pas  font  faits  j  il  n'y  a 
plus  de  retour. 

Ce  n'eft  pas  que  ce  retour  foit  impolîï* 
ble  ,  mais  qu'il  eft  difficile  8c  qu'il  eft 
rare  ,  particulièrement  en  ceux  qui  con- 
duifent  toute  la  le&e  8c  qui  en  font  l'ap- 
pui !  Il  faudroit  pour  les  changer ,  une 
grâce  bien  forte }  8c  Dieu  fouvent  par 
une  jufte  punition  ,  permet  au  contraire 
qu'ils  s'obftinent  de  plus  en  plus  3  6c 
qu'ils  reftent  jufques  à  la  mort  dans  le 
même  entêtement.  Il  femble  qu'il  y  ait 
une  malédiction  particulière  fur  eux. 
On  a  vu  incomparablement  plus  de 
pécheurs  8c  plus  d'impies,  que  d'héré- 
fiarques ,  ou  des  fauteurs  d'héréfîes  ?  fe 
Tome  L  Y 


ï$%         Naissance 
convertir  ,  quand  ils  font  au  lit  de  la 
mort.  D'où  vient  cela  ,  fi  ce  n'ed  pas 
un  châtiment  du  Ciel  ?  Us  vivent  tran- 
quilles dans  leurs  erreurs ,  &  ils  y  meu-, 
rent  dans   une  afïurance   qui  faifit  de 
frayeur   ,   lorfqu'on   penfe   au   compte 
qu'ils   doivent   rendre  à  Dieu  de  tant 
crames  qu'ils  ont  féduites  5  8c  de  tant  de  • 
maux   dont  ils  font  devenus  refponfa-  • 
blés. 

Mais  5  dit-on  ,  ils  font  perfuadés  de 
îa  vérité  de  leur  doctrine  ,  &  ils  agirent . 
fuivant  cette  perfuafion.  Ce  n'eft  pas 
bien  parler  ,  que  de  dire  qu'ils  en  font 
perfuadés  j  mais  il  faut  dire  qu'ils  en 
font  entêtés.  A  prendre  les  termes  dans  . 
toute  leur  juftefle  ,  il  y  a  une  grande 
différence  entre  la  perfuafion  8c  Y  entê- 
tement. La  perfuafion  eft  dans  l'efprit  3 
qui  raifonne  8c  qui  juge  fans  être  préoc- 
cupé ni  pafïionné  ;  mais  l'entêtement 
eft  dans  l'imagination  ,  qui  fe  frappe  , 
qui  fe  révolte ,  qui  s'échauffe  &  ne  fuit 
que  l'opiniâtreté  du  naturel  ,  ou  que 
le  mouvement  de  quelque  paillon  du 
cœur.  Or  voila  par  où  ils  font  inexcu- 
fables  devant  Dieu  ,  de  ne  s'être  pas 
fait  plus  de  violence  pour  rompre  ce 
naturel ,  &  de  n'avoir  pas  mieux  appris 
à  reprimer  cette  pafïion.  Quelles  en  ont 


DES    HÉRÉSIES,  25^ 

été  les  fuites  ?  Quelle  charge  pour'  eux , 
&  à  quel  jugement  font-ils  réfervés? 

Faifons  fouvent  la  prière  de  Salo- 
mon  ,  de  demandons  a  Dieu  un  efprit 
docile.  C'eft.  le  cara&ère  des  efprits 
fermes  &  folides.  Comme  ils  compren- 
nent mieux  que  les  autres  de  quelle 
néceiîité  il  eft  de  fe  foumettre  dans  les 
matières  de  la  religion  à  une  première 
autorité  ,  ils  n'ont  point  honte  3  fup- 
pofé  qu'elle  fe  déclare  contre  eux ,  de 
défavouer  leurs  propres  penfées  &  de  fe 
rétracter.  Docilité  qui  leur  eft  égale- 
ment méritoire  ,  glorieufe  ,  8c  falutaire. 
Méritoire  auprès  de  Dieu  ,  à  qui  ils 
obéirent  en  obéilTant  à  fon  Eglife.  Glo- 
rieufe dans  l'eftime  de  tout  le  peuple 
fidèle  ,  par  l'édification  qu'ils  lui  don- 
nent. Enfin ,  falutaire  pour  eux-mêmes , 
parce  qu'ils  mettent  ainfi  leur  foi  à  cou- 
vert ,  &  qu'ils  fe  préfervent  de  tous  les 
écueils  où  elle  pourroit  échouer. 


&# 


Yij 


160    Pensées  diverses 

Penfées  diverfes  fur  la  Foi  *  &  fur 
les  vices  oppofés. 

Ï/~YN  efl  fî  zélé  pour  l'intégrité  des 

V /mœurs  -y  quand  le  fera-t-on  pour 

l'intégrité  de  la  foi  ?  On  fe  récrie  aves 
tant  de  chaleur  contre  de  prétendus  re- 
îâchemens  dans  la  manière  de  vivre  j; 
quand  s'élevera-t-on  avec  la  même  force 
contre  d'affreux  égaremens  dans  la  ma- 
nière de  croire  ? 

$  Où  en  fommes  -  nous  ,  6c  où  eft 
cette  foi  des  premiers  fiécles  ,  cette 
foi  qui  a  converti  tout  le  monde  B 
Alors  des  athées  devenoient  chrétiens^  : 
maintenant  des  chrétiens  deviennent 
athées- 

f  Bizarrerie  de  notre  fîécle ,  foit  à 
l'égard  de  la  difcipline  Eccléfiaftique , 
foit  à  l'égard  de  la  doctrine  !  Jamais 
tant  de  zèle  en  apparence  pour  l'anti- 
quité ,  Se  jamais  tant  de  nouveautés. 

$  Le  jufte  profite  de  tout  &  tourne 
tout  à  bien  :  mais  au  contraire  ,  il  n'y  a 
rien  que  l'impie  ne  profane ,  &  dont 
il  n'abufe.  La  Religion  Chrétienne  éta- 
blit dans  la  fociété  humaine  ôc  dans  la 


s  v  k  la  For.  l£l 
vie  civile  un  ordre  admirable.  Elle  tient 
chacun  dans  le  devoir  :  elle  régie  toutes 
les  conditions  ,  &  y  entretient  une  par- 
faite fubordination.  Elle  apprend  aux 
petits  à  refpe&er  les  grands ,  &  à  leur 
rendre  l'obéiflance  qui  leur  eft  due  ,  Se 
elle  apprend  aux  grands  à  ne  point  mé- 
prifer  les  petits  ,  &  à  ne  point  les  op- 
primer ,  mais  à  les  ioutenir ,  à  les  aider, 
à  les  conduire  avec  modération  >  avec 
prudence  ,  avec  équité.  Elle  réprime 
les  méchans  par  la  crainte  des  châti- 
mens  éternels  ;  &  elle  anime  les  bons 
par  Pefpérance  d'une  gloire  fans  mefure 
&:  fans  fin.  De  forte  que  bannifTant 
ainli  tous  les  vices ,  fraudes,  injuftices  , 
violences ,  colères ,  animofités ,  vengean- 
ces ,  médifances  ,  impudicités  ,  débao- 
ches  y  &  engageant  à  la  pratique  de 
toutes  les  vertus  ,  de  la  charité ,  de 
l'humilité  ,  de  la  patience  ,  de  la  mor- 
tification desfens ,  d'undéfintéreflement 
parfait ,  d'une  fidélité  inviolable  ,  d'une 
juftice  inaltérable  >  Se  des  autres  ;  il  n'eft 
rien  de  plus  falutaire  pour  le  bien  pu- 
blic ,  ni  rien  de  plus  propre  à  maintenir 
par-tout  la  paix  ,  l'union  ,  le  commerce, 
l'arrangement  le  plus  merveilleux. 

$  Delà    quelle    conféquence  tire   le 
juile  ?  Dans  une  Religion  qui  ordoime 


161  Pensées  diverses 
fi  bien  toutes  chofes  ,  il  découvre  là 
fageiTe  de  Dieu  ,  &  il  reconnoît  que 
c'eft  l'ouvrage  d'une  providence  fupé- 
rieure.  Mais  par  le  plus  groiîier  aveu- 
glement ,  &  l'abus  le  plus  étrange  ,  l'im- 
pie forme  un  raifonnement  tout  oppofé  ; 
ôc  parce  que  cette  Religion^eft  ïi  utile  à 
tous  les  états  de  la  vie  ,  &  qu'elle  eft 
feule  capable  d'en,  faire  le  bonheur ,  il 
prétend  que  c'eft  une  invention  de  la 
politique  des  hommes.  N'eft  -  ce  pas 
là  prendre  plaifir  à  s'aveugler  5  &  vou- 
loir s'égarer  de  gaieté  de  cœur?  Hé  quoi! 
afin  que  la  religion  ait  le  cara&ère  &  la 
marque  de  vraie  religion  ,  faudra-t-il 
que  ce  foit  une  loi  qui  mette  le  trouble 
dans  le  monde  Se  qui  en  renverfe  toute 
l'économie  ? 

f  Cette  diverfité  de  religions  qu'il 
y  a  dans  le  monde  3  eft  un  fujet  de 
fcandale  pour  l'incrédule.  A  quoi  s'en 
tenir  ,  dit-il  ?  l'un  croit  d'une  façon  3 
l'autre  d'une  autre.  Là-deiïus  il  fe  dé- 
termine à  les  rejetter  toutes ,  &  à  ne- 
rien  croire.  On  pourrait ,  ce  me  fem^ 
bîe  ,  lui  faire  voir  ,  que  ce  qui  le  con- 
firme dans  fon  incrédulité,  c'eft  jufte- 
ment  ce  qui  devroit  l'engager  à  en  for- 
tir  ,  &  à  prendre  pour  cela  tous  les  foins 
néceffaires.  Car  s'il  raifonnoit  bien ,  il 


sur  la  Foi.  16$ 
feroit  les  réflexions  fuivantes  :  que  ce 
grand  nombre  de  religions  ,  quoique 
faufTes  ?  eft  une  preuve  qu'il  y  en  a  une 
vraie  :  que  cette  idée  générale  de  re- 
ligion ,  gravée  dans  Pefprit  de  tous  les 
peuples  ,  &  répandue  par  toute  la  terre  , 
eft  trop  univerfelle  ,  pour  être  une  idée 
chimérique  :  que  il  c'étoit  une  pure 
imagination  ,  tous  les  hommes  d'un 
confentement  fi  unanime ,  ne  feroient 
pas  convenus  à  fe  la  former  ,  de  même 
qu'ils  ne  fe  font ,  par  exemple  ,  jamais 
imaginé  qu'ils  ne  doivent  point  mourir  : 
quec'eft  donc  comme  un  de  ces  premiers 
principes  qui  font  imprimés  dans  le 
fond  de  notre  ame  ,  &  qui  portent 
avec  eux  leur  évidente  &  inconteftable 


vérité, 


Delà  il  iroit  plus  avant  -,  &  perfuadé 
de  la  vérité  d'une  religion  en  général  5 
il  chercherait  où  elle  eft  ,  cette  vraie 
religion.  Il  examineroit  ?  il  confulte- 
roit ,  il  écouterait  ce  qu'on  aurait  à  lui 
dire  j  &  alors  ,  dans  le  choix  qu'il  fe 
propoferoit  de  faire  entre  toutes  les 
religions ,  il  ne  feroit  pas  difficile  de 
lui  montrer  l'excellence ,  la  fupériorité 
de  la  Religion  Chrétienne  ,  3c  les  ca- 
ractères vilibles  de  divinité  qui  la  diftin- 
guent.  Mais  il  ne  veut  point  entrer  en 


i ^4  Pensées  diverses 
toutes  ces  recherches  ,  ôc  d'abord  il 
prend  fon  parti  ,  de  vivre  fans  reli- 
gion au  milieu  de  tant  de  religions, 
Eft-ce  là  agir  fagement  ?  Soyez  éternel- 
lement béni ,  Seigneur ,  de  la  miféri- 
corde  qu'il  vous  a  plu  exercer  envers 
moi.  Ce  qui  fcandaîife  l'incrédule  ,  ôc 
ce  qui  l'éloigné  de  vous ,  c'eft.  ce  qui 
m'y  attache  inviolablement  6c  par  la 
plus  vive  reconnonTance.  Je  coniidère 
cette  multitude  innombrable  de  peu- 
ples plongés  dans  les  ténèbres  de  l'infi- 
délité ,  ôc  adonnés  à  des  cultes  fuperfti- 
tieux.  Plus  il  y  en  a  ,  plus  je  feus  la 
grâce  de  ma  vocation  à  l'Evangile  &  a 
votre  fainte  loi.  C'eft  une  diftinction 
que  je  ne  puis  aflfez  eftimer>&  dont  je 
ne  fiiis  redevable  qu'à  un  amour  fpécial 
Tf.  de  votre  part.  Le  Seigneur  nen  a  pas  ainfi 
347#  ufé  à  l'égard  de  toutes  les  Nations  ;  il  ne 
leur  a  pas  découvert  comme  à  moi  [es  ad- 
mirables myCteres. 

f  II  eft  bien  glorieux  à  la  Religion 
chrétienne  ,  que  tout  ce  qu'il  y  a  de 
libertins  qui  l'attaquent ,  foient  des  gens 
corrompus  dans  le  cœur  ôc  déréglés 
dans  leurs  mœurs.  Tandis  qu'ils  ont 
vécu  dans  Tordre  ,  fans  attachemens 
criminels  ,  fans  habitudes  vicieufes  , 
fans   débauches,  ils  n'avoienr  point  de 

peine 


SUR       L    A      F    O    I.  l6$ 

peine  à  fe  foumettre  au  joug  de  la  foi, 
ils  la  refpeclroient  ,  ils  la  profeiïoient  : 
tout  ce  qu'elle  leur  propofoit  leur  pa- 
roiiïoit  raifonnable  &  croyable.  Quand 
ont-ils  changé  ce  fentiment  ?  c'eft  lorf- 
qu'ils  ont  changé  de  vie  Se  de  conduite. 
Leurs  parlions  fe  font  allumées  ,  leurs 
fens  fe  font  rendus  maîtres  de  leur  rai- 
fon  ,  leurs  aveugles  Se  honteufes  con- 
;  voitifes  les  ont  plongés  en  toute   forte 
:  de  défordres  ,  Se  alors  cette  même  foi , 
'  où  ils  avoient  été  élevés ,  a  perdu  dans 
leur  efprit  toute  créance.  Ils  ont  com- 
mencé à  la  contredire  ,  &  à  la  com- 
battre. Or  encore  une  fois  ,  voilà  fa 
gloire  ,  de  n'avoir  pour   ennemis  que 
des    hommes    aind  dérangés ,  paflion- 
nés ,  efclaves   de  leur  chair ,  idolâtres 
;  de  leur  fortune  9  Se  de  ne  pouvoir  s'ac- 
commoder avec  eux.   Car  voilà  Févi- 
;  dent  témoignage  de  fa  fainteté  ,  de  fa 
droiture  inflexible  ,  &  de  fon  inviolable 
équité.  Si ,  en  leur  faveur  ,  elle  fe  relâ- 
choit  de  cette  intégrité  Se  de  cette  fé- 
:|  vérité  ,  qui  lu»  font  efTentielles  j  11  elle 
étoit  plus  complaifante  pour  le  vice  ,  Se 
qu'elle  s'ajuftât  à  leurs   cupidités  Se  à 
leurs  fales  deiirs  5  à  leurs  vues  intérefïees 
ou  ambitieufes ,  à  leurs  injuftices  Se  à 
Tome  L  Z 


2. 66    Pensées    diverses 
leurs  pratiques  3  ils  la  laifTeroient  domi-i 
ner  en  paix  fur  la  terre ,  Se  ils  cefTeroient 
de  l'attaquer. 

Je  fçais  bien  qu'ils  ne  fe  déclarent 
pas  fi  ouvertement  contre  fa  morale 
que  contre  fes  myflères  ,  où  ils  ne  com- 
prennent rien ,  difent-ils  ,  Se  qui  rèn- 
verfent  toutes  les  idées  humaines  :  mais 
c'eft  un  artifice  ,  Se  s'ils  vouloient  de 
bonne  foi  le  reconnoître  ,  ils  avoue- 
raient qu'ils  ne  fe  tournent  contre  les 
myftères ,  qu'afin  de  porter  ,  au  travers 
des  myftères  ,  le  coup  mortel  à  la  morale 
qui  y  eft  jointe  ,  Se  de  détruire  une 
loi  qui  s'oppofe  à  leurs  entreprifes  y  Se 
qui  les  trouble  dans  la  jouiiTance  de 
leurs  plaifirs.  Ces  myftères  ne  leur  feront 
plus  de  peine  ,  Se  ne  leur  coûteront  rien 
à  croire  ,  dès  que  cette  loi  pourra  s'ac- 
corder avec  le  myftère  d'iniquité  qu'ils 
recèlent  dans  leurs  cœurs.  Mais  quelle 
alliance  peut-il  jamais  y  avoir  entre  la 
lumière  Se  les  ténèbres ,  entre  Jefus- 
Chrift  Se  Belial ,  entre  la  corruption  du 
iiècle  &  la  pureté  de  l'Evangile  ? 

^  L'incrédulité  de  l'impie  Se  du  liber- 
tin s'accorde  avec  le  défordre  Se  la  cor- 
ruption de  fa  vie  :  donc  elle  ne  vauti 
rien,  En  deux  mots,,  voilà  (a  condam- 
nation, 


s  u  r     la     Foi.       167 
f   Sappofons  que  dans  le  monde  il 
s'élève  une  fociété  de  gens  ,   qui  par 
profelîion  &  par  une  déclaration   ou- 
.  verte ,  s'attachent  à  décrier  le  fervice  du 
Prince  ;  qui   s'émancipent  a  raifonner 
fur  fes  ordres  comme  il  leur  plaît ,  6c 
qui  les  rejettent  avec  mépris  j  qui  par- 
lent de  fa  perfonne  fans  reipect ,  Se  trai- 
tent de  foiblelï  e  5  de  petite(Te  d'efprit , 
tous  les  devoirs  qu'on  lui  rend  ;  qui 
tournent  en  ridicule  le  zèle   qu'on  té- 
moigne pour  fes  intérêts  ,  6c  la  difpoii- 
tion  où  l'on  paroît  être  de  mourir  ,   s'il 
étoit  nécefïàire  ,   pour  fa  caufe  ;  enfin  , 
;  qui  débitent  a  toute  occaiion  des  maxi- 
i  mes  injurieufes  à  la  Majefté  Royale  , 
:  6c  capables  de  renverfer  les  fondemens 
|  de  la  Monarchie  :  je .  demande  fi  l'on 
,  fouffriroit  des  hommes  de  ce  caractère , 
I  6c  li  l'on  ne  travailleroit  pas  à  les  exter- . 
:  miner  ?  Il  s'élève  tous  les  jours  dans  le 
;  Çhriftianifme  des  fociétés  de  libertins , 
:  qui  par  leurs  impiétés  6c  leurs  railleries , 
t  profanent  les  chofes  les  plus  faintes  , 
8c  décréditent ,  autant  qu'ils  peuvent , 
le  fervice  de  Dieu  ;  qui  s'attaquent  k 
Dieu  même ,  à  ce  Dieu  que  nous  ado- 
rons ,   6c   voudroient  en  effacer  toute 
idée  de  notre  efprit  ;  qui  lui  difputent 
jufques  à  fon  être  >  6c  s'efforcent  de  le 

Zij 


%6§    Pensées    diverses 
faire  paffer  pour  une  divinité  imaginai- 
re ;  qui  ne  tiennent  nul  compte  ,.  ni  de 
fes  commandemens ,  ni  de  fon  culte ,  \ 
&:  regardent  comme    des  fuperftitions-' 
tous  les  hommages  dont  on  l'honore  j; 
qui   cherchent   à   lui  enlever  fes    plus 
fidèles  ferviteurs  8c  à  les  retirer  de  fé$l 
autels ,  fe  jouant  de  leurs  pieufes  prati- 
ques ,  8c  les  accufant  ou  d'hypocrifie  oui 
de  fimplicité  :  Il  y  a  ,  dis-je,  des  impies  s 
de  cette  forte  ,  il  y  en  a  plus  que  jamais,] 
leur  nombre  croît  fans  ce(fe  j  8c  parmi» 
des  Chrétiens  ,  parmi  des  Catholiques  £, 
parmi  même  des  âmes  dévotes,  on  les1, 
écoute  ,  on  les  fouffre  î  Mais  ce  font 
du  refte  d'honnêtes  gens.   D'honnêtes  * 
gens   !   j'avoue    que  je  n'ai  jamais  pûi 
digérer    ce    langage   8c  qu'il  m'a  tou- 
jours choqué.  Car  j'y  trouve  la  qualité: 
d'honnête  homme   étrangement  avilie. 
A  la  religion  près ,  dit-on  ,  cet  homme 
eft  un  fort  honnête  homme.  Quelle  ex- 
ception ,  à  la  religion  près  !  C'eft-à-dire , 
que  c'eft  un  fort  honnête  hommef,  à  cela, 
près  qu'il  manque  au  devoir  le  plus  ef- 
fentiel  de  l'homme,qui  eft  de  reconnoitre 
fon  Créateur,  8c  de  s'y  foumettre.  C'eft.. 
à-dire  ,  que  c'eft  un  fort  honnête  hom- 
me ,  à  cela  près  qu'il  a  des  principes  qui 
vont  à  ruiner  tout  commerce  ,  toute 


sur     la     Foi.  169 

confiance  entre  les  hommes ,  &:  félon 
lefquels  il  doit  être  déterminé  à  toutes 
choies ,  dès  qu'il  s'agira  de  Ion  intérêt  , 

.  de  fon  plaiiir  ,  de  fa  paiîîon.  En  un  mot , 
ç'eft-à-dire  que  c'eft  un  fort  honnête 
homme  3  à  cela  près  qu'il  n'a  ni  foi ,  ni 
loi.  Mettez-le  à  certaines  épreuves ,.  & 
fiez  vous-y  :  vous  verrez  ce  que  c'eft  que 

,  cet.  honnête  homme. 

f  On  propofe  à  un  libertin  les  rêvé  - 
lations  de  la  foi ,  c'eft-à-dire  ,  des  révé- 
lations fondées  fur  la  tradition  la  plus 
ancienne  &  la  plus  confiante  ,  confir- 
mées par  un  nombre  infini  de  miracles , 

!  de  de  miracles  éclatans ,  fignécs  du  fang 
d'un  million  de  martyrs  ,  autorifées 
pas  les   témoignages   des   plus  fçavans 

;  hommes  ,  &  par  la  créance  de  tous  les 
peuples  :  mais  tout  cela  ne  fait  fur  lui 
aucune  impreiîion  ,   3c  il  nen  tient  nui 

i  compte.    On  lui  propofe  d'ailleurs  les 

:  rêveries  &  les  vaines  imaginations  d'un 
nouveau  philofophe  3  qui  veut  régler  le 
monde  félon  fon  gré  ;  qui  raifonne  fur 

:  toutes  les  parties  de  ce  grand  univers  3 
fur  la  nature  &;  l'arrangement  de  tous 
les  êtres  qui  le  compofent  avec  autant 
d'afïurance  que  fi  c'étoit  l'ouvrage  de 
fes  mains  ;  qui  les  fait  naître  ,  agir  , 

Zhj 


z-jo     Pensées   diveisis 
mouvoir  ,  comme  il  lui  plaît  :  &  voilà 
ce  que  ce  grand  génie  admire  ,  ce  qu'il 
médite  profondément ,  ce  qu'il  fondent  J 
opiniâtrement ,  à  quoi  il  s'attache  8c  dé:; 
quoi  il  fe  feroit  prefque  le  martyr.  Cer-J 
tes  la  parole  de  Saint  Paul  eft  bien  vraie  : 
&om.  Dieu  les  a  livrés  à  un  fins  réprouvé.  Ils  i 
*  fi  font  perdus  dans  leurs  penfées  frivoles 
&  chimériques  j  &  eux  qui  fi  difint  figes  <\ 
font  devenus  des  infenfés. 

f  Que  fera  -  ce  qu'un  Etat  où  il  ny J 
aura  ni  Roi ,  ni  puiffance  fouveraine  ? 
Dans  une  pleine  impunité  chacun  fera 
le  maître  d'entreprendre  pour  fes  pro- 
pres intérêts  ce  qu'il  lui  plaira  j  8c  coin-  • 
me  nos  intérêts  s'accordent  rarement  i 
avec  les  intérêts  d'autrui ,  que  s'enfui- 
vra-t-il  ?  des  guerres  perpétuelles  ,  des 
diffenfîons  éternelles  ,  un  brigandage 
urùverfel  :  tellement  qu'il  faudra  tou- 
jours avoir  les  armes  à  la  main  pour  la 
défenfe  de  fes  biens  8c  de  fa  vie.  Le 
pauvre  pillera  le  riche  ,  le  voifin  oppri- 
mera {on  voifin  ,  le  fort  accablera  le 
foible.  On  vengera  £qs  querelles  parti- 
culières par  les  meurtres  8c  les  aiTailî- 
nats.  Confuiion  générale  ,  bouleverfe- 
ment  total.  Je  ne  parle  que  d'un  royau- 
me j  mais  voilà  ce  que  l'Athée  voudrait 


sur  la  Foi.  27  t 
faire  du  monde  entier  ,  lorfqu'il  combat 
l'exiftence  d'un  Dieu. 

f  Quand  j'entends  des  libertins  rail- 
ler de  la  religion  ,  Se  prétendre  l'avoir 
bien  combattue  ,  lorfqu'ils  ont  ri  de 
quelques  pratiques  particulières  ?  ôc  de 
quelques  dévotions  populaires  ,  qu'ils 
traitent  d'abus  Se  de  fuperftitions  :  ou 
leur  ignorance  me  fait  pitié  ,  ou  leur 
malignité  me  donne  de  l'indignation. 
Car  la  religion  que  nous  proférions  ,  ne 
coniifte  point  en  cela.  Ce  ne  font  point, 
ces  fortes  de  dévotions  ni  ces  pratiques 
qui  en  font  le  capital.  Si  dans  ces  pra- 
tiques Se  ces  dévotions ,  il  fe  glirTe  quel- 
que chofe  de  fuperititieux ,  PEglile  le 
condamne  elle  -  même  ,  Se  le  défend 
fous  des  peines  très-griéves.  Si  elle  ny 
trouve  rien  de  mauvais  en  foi  ;  Se  qu'au 
contraire  remontant  au  principe  ,  elle 
voie  que  ce  font  de  pieufes  inftitutions  , 
qu'un  bon  zèle  a  infpiré  aux  âmes  dé- 
votes pour  l'honneur  de  Dieu  Se  des 
Saints ,  elle  les  tolère  ,  elle  les  permet , 
elle  les  approuve  même  ,  mais  fans  les 
regarder  comme  le  fonds  de  fa  créance  , 
Se  de  fon  culte.  Voilà  ce  que  nos  liber- 
tins doivent  fçavoir  5  Se  à  quoi  ils  de- 
vroient  faire  attention.  S'ils  ne  le  fçavens 

Z  iiij 


tyi  Pensées  bi  ver  s  es. 
pas  ,  c'eft  dans  ces  grands  génies  8c 
ces  efprits  forts  du  fiècle  une  ignorance 
pitoyable.  S'ils  le  fçavent  c'eft  dans  eux 
une  malignité  encore  moins  fupporta- 
ble  ,  de  s'attaquer  vainement  8c  li  opi- 
niâtrement à  Faccefîoire  de  la  religion , 
8c  de  n'en  vouloir  pas  confidérer  l'ef- 
fentiel  8c  le  principal. 

Qu'ils  aghTent  de  bonne  foi ,  &  que 
fans  prévention  ,  fans  paiîion  5  ils  exa- 
minent la  religion  chrétienne  en  elle- 
même  j  je  m'aiïure  qu'ils  ne  pourront 
fe  défendre  d^en  admirer  la  fublimité  , 
la  figeiïe ,  la  fainteté.  Ils  reconnoîtront 
qu'elle  a  de  quoi  contenter  les  efprits  du 
premier  ordre  ,  tels  qu'ont  été  les  Pères 
de  l'Eglife  j  8c  malgré  eux  ils  y  décou- 
vriront un  cara&ère  de  divinité  qui  les 
frappera.  Mais  c'eft  juflement  ce  qu'ils 
ne  veulent  pas  *,  8c  que  font-ils  ?  Ils 
laifTent  ,  pour  ainfi  dire  ,  le  corps  de 
la  religion  qu'ils  ne  peuvent  entamer,  8c 
ils  s'attachent  au-dehors.  Un  point  qui 
n'eft  de  nulle  conféquence  ,  8c  où  la  re- 
ligion ne  fe  tient  aucunement  inté- 
reifée  ,  un  petit  exercice  de  piété ,  une 
cérémonie  ?  une  coutume  qui  les  cho- 
que ,  8c  qu'une  louable  Simplicité  des 
peuples   a  introduite  ,  c'eil  là  -  deilus, 


sur.  la  Foi.  273' 
qu'ils  lancent  tous  leurs  traits ,  ôc  qu'ils 
déployent  toute  leur  éloquence.  En  vé- 
rité ,  il  faut  que  notre  Religion  foit  bien 
affermie  fur  fes  fondemens  ,  ôc  bien 
cimentée  de  toutes  parts  ,  puifqu'on  eft 
réduit  à  ne  l'attaquer  que  de  h*  loin ,  ôc 
par  de  telles  minuties. 

Ç  Les  hérétiques  ont  'toujours  eu 
pour  principe  de  fe  faire  craindre  ,  ôc 
cela  communément  leur  a  réuffi.  Ils  en 
ont  tiré  deux  avantages.  L'un ,  d'arrêter 
les  efprits  timides ,  Ôc  l'autre  d'engager 
les  efprits  intéreifés.  Mille  efprits  timi- 
des qui  ne  manquent  pas  d'habileté  ,  Ôc 
qui  pourraient  leur  faire  tête  ,  n'ofent 
néanmoins  les  attaquer  ,  parce  qu'ils  ne 
veulent  pas  irriter  un  puiffant  parti ,  ni 
fe  l'attirer  fur  les  bras  -y  ôc  mille  efprits 
intéreifés ,  qui  ont  leurs  vues  Ôc  leurs 
prétentions ,  fe  joignent  même  à  eux  , 
dans  l'efpérance  que  le  parti  les  fou- 
tiendra  ôc  qu'il  les  mettra  en  vogue  : 
efpérance  qui  n'eft  point  mai  fon- 
dée. Avec  cet  appui  ,  un  auteur  voit 
fes  ouvrages  recherchés  de  tout  le  monde 
comme  des  chefs  -  d'œuvres  ,  toutes 
les  paroles  d'un  Directeur  font  reçues 
comme  des  paroles  de  vie  ,  ôc  un  Pré- 
dicateur   eft  écouté   comme  un  oracle, 


f 74   Pensées    diverses 

J  La  réflexion  de  Saint  Auguftin  eft 

bien  vraie  5  qu'il  n'y  a  perfonne  qui  fe 

pare  avec  plus  d'affectation  ni  plus  d'of- 

tentation  de  l'apparence  de  la  vérité  Se 

de  fon  nom ,  que  les  docteurs  du  men~ 

fonge  &  les  partifans  de  l'héréfie.  Il  cite 

la -demis  en  particulier  l'exemple  des 

Manichéens.  Sans  celle  ,  dit  -  il,  ils 

Et  ai-  avoient  ce  mot  dans  la  bouche  ,  vérité  y 

venu»!  \  vérité.  Sans  ceffe  ils  me  le  rebattoient  I 

veritas  ,  mais  en  le  répétant  fi  fouvent ,  &  en  le 

tum^  "  prononçant  avec  emphafe  >  ils  ne  l'a- 

eam  ai-  voient    pas   pour    cela    dans    le  cœur» 

Zihi  6»  Ainfi  dans  tous  les  difeours  5c  tous  les 

àuf-       écrits  de  certaines  gens  3  on  n'entend 

quant  •  •  /* 

irai  in  encore  ,  ni  on  ne  volt  preique  autre 
'"•  ehofe  que  le  terme  de  vérité.  C'e.ft, 
conf. g*  ce  femble  5  le  figne  pour  fe  reconnoî- 
i.  ?•  tre  les  uns  les  autres.  C'eft  leur  cri  de 
guerre. 

|  Les  libertins  qui  n'ont  point  de  re- 
ligion ,  font  ravis  de  voir  des  divifions 
dans  la  religion.  Et  parce  que  le  moyen 
d'entretenir  ces  divifions  ,  eft  d'ap- 
puyer le  parti  de  l'héréfie  &c  de  la  ré- 
volte ,  voilà  pourquoi  ils  le  favorifent 
toujours.  D'où  il  arrive  aiïez  fouvent  > 
par  Paffemblage  le  plus  bizarre  &  le 
plus  monftreux  3  qu'un   homme    qui 


s  v  r  la  Foi.  27J 
fre  croit  pas  en  Dieu  ,  fe  porte  pour 
défenfeur  du  pouvoir  du  libre  arbitre 
•Se  devient  à  toute  outrance  le  pané- 
gyrifte  d'un  prétendu  équilibre  ,  qui ,  fé- 
lon Saint  Auguftin  ,  ne  montre  que  du 
délire  dans  la  tête  de  ceux  qui  le  fou* 
tiennent. 


DU  RETOUR  ADIEU, 

ET 

DE   LA   PÉNITENCE. 

Bonté  infinie  de  Dieu  >  à  rappetter 
le  pécheur  &  aie  recevoir. 

o  u  s  quittons  Dieu  avec 
joie  ,  nous  ne  retournons  à 
Dieu  qu'avec  peine  3  &  Dieu 
néanmoins  eft  toujours  dit- 
Lé  à  nous  recevoir  :  en  trois  mots , 
voilà  ce  qui  nous  donne  la  plus  haute 
idée  de  la  divine  miféricorde  \  voilà  ce 
qui  doit ,  dans  notre  pénitence  ,  nous 
toucher  de  la  plus  amère  contrition  y 
de  la  reconnoiffance  la  plus  vive ,  de 
l'amour  le  plus  ardent. 

I.  Nous  quittons  Dieu  avec  joie  3  8t 
eela  dès  la  première  jeunelFe.  A  peine 


ÎKVERS    LE    PÉCHEUR.     277 

commençous-nous  à  ouvrir  les  yeux  de 
l'efprit  ,  ôc  à  faire  quelque  uiage  de  no- 
tre raifon  ,  que  le  charme  du  plaifir 
nous  entraîne.  On  le  fuir  ,  on  s'y  aban- 
donne. Vene\  j  divertijfons-nous  j&  jouif-  SuV* 
fons  des  biens  préfens.  Enivrons-nous  des 
'vins  les  plus  exquis  j  couronnons-nous  de 
rofes  j  &  ne  refufons  rien  à  nos  fens  de 
tout  ce  qui  les  peut  flatter,  C'eft  avec 
de  pareilles  difpoiltions  qu'on  entre  dans 
le  monde,  &  qu'on  y  mené  la  vie  du 
monde ,  une  vie  diilipée ,  une  vie  molle  , 
une  vie  libertine  &  toute  corrompue.  La 
confeience  a  beau  fe  récrier ,  Dieu  a  beau 
parler  :  on  fe  rend  infenfible  aux  cris  de 
la  confeience  ,  Se  fourd  à  la  voix  de 
Dieu.  On  fe  retire  de  lui ,  &  pour  com- 
bien d'années  ?  quelquefois  ,  hélas  ! 
jufques  à  l'extrême  vieillefîe.  Tandis 
que  le  monde  a  de  quoi  nous  plaire; 
tandis  qu'il  a  de  quoi  fatisfaire  nos  par- 
tions 3  foit  paillon  de  l'honneur  ?  foit 
paillon  de  l'intérêt  ,  foit  pailîon  plus 
groillère  &  plus  animale ,  on  ne  veut 
point  d'autre  maître ,  &  on  y  met  toute 
ion  efpérance  &  tout  fon  bonheur. 

Bonheur  traverfé  de  bien  des  cha- 
grins :  je  l'avoue.  Car  le  mondain  fé- 
duit  &  aveuglé  par  les  fens ,  cherche 
en  vain  dans  les  plairfis  du  monde  ua 


%y%       Bonté    de    Dieu 
repos  durable  8c  une  félicité  -parfaite  i  i 
c'eft  ce  que  nul  homme  n'y  trouva  ja- 
mais 5  8c  ce  que  nul  homme  n'y  trouvera , , 
puifque  rien  de  pé affable  8c  de  mor-  • 
tel   ne  fuffit  à  notre   cœur  ni   ne  lui  i 
peut  fuffire  5  8c  que  la  vie  eft  d'ailleurs  i 
fujette  à  tant  de  viciiîitudes  8c  d'événe-*  » 
mens  imprévus  ,  qui  en  troublent  mal- 
gré nous  les  prétendues  douceurs.  Mais 
après  tout   ,    quelque  faux   que  puiiîe 
être  ce  bonheur  humain  ,  8c  quelque 
épreuve  qu'on  en  puiffe  faire  ,  il  a  ton-  • 
jours  je  ne  fçais  quelle  apparence  qui 
nous  attire  8c  qui  nous  attache.  On  en 
reconnoît  à  certains  momens  la  vanité 
8c  i'illulion  •  on    s'en  déclare ,  8c  on 
éclate  :  mais  ce  ne  font  que  des   mo- 
mens ,  où  l'on  a  eu  quelque  déboire  8c 
quelque  contrariété  à  effuyer.  Le  nuage 
fe  dilîlpe  bien-tôt  :  on  rentre  dans  fes 
premiers  fentimèns  ,    on  reprend  fon 
premier  goût  pour  le  monde  j  il  plaît 
plus  que  jamais  ,  8c  il  a  pour  nous  dQs 
agrémens  tout  nouveaux  :  tant  l'inclina- 
tion  qui   nous  y    porte   ,    eft  profon- 
dément enracinée  dans  notre  ame,  8c 
tant  elle  a  de  pouvoir  pous  nous  enga- 

gerl 

Tel  eft  l'enchantement  où  vivent  îa 

plupart  àqs  gens  du  monde ,  homme? 


ENVERS     LE     PÉCHEUR.    279 

&  femmes.  Après  avoir  cent  fois  déclamé 
contre  le  monde  ,  ils  en  font  toujours 
j  épris  3  ôc  ils  ne  comprennent  pas  même 
qu'ils  piaffent  jamais  s'en  paffer.  Que 
;  le    monde  fur  mille  fujets   ,    ôc  dans 
|  une   infinité   d'occafions   fe   trouve   en 
compromis  avec  Dieu  j  qu'il  foit  ques- 
tion d'une  fortune  humaine  qu'ils  ont 
en  vue  ,  d'un  degré  d'élévation  où  ils 
afpirent ,  d'un  avantage  temporel  qu'ils 
cherchent  à  fe  procurer  ,  d'une  intri- 
gue   qu'ils    ont  formée  ôc  qu'ils   font 
jouer  ,    d'un    engagement    criminel  , 
d'une  fale  volupté  ,  avec  quel  ernpreffe- 
ment  ne  s'y  portent-ils  pas  ?  avec  quelle 
ardeur  ,   ôc  fouvent ,  fi  je  lofe   dire  , 
avec  quelle  efpèce  de  fureur  ?  Exami- 
nent-ils fi  Dieu  condamne  tout  cela  ? 
font-ils  en  peine  de  le  fçavoir  ;  ou  s'ils 
le  fçavent  Ôc  qu'on  leur  repréfente  la 
loi  divine  qui  s'effc  expliquée  fur  tous 
ces  articles  de  fur  bien  d'autres ,  en  font- 
ils  touchés  ?  Que  Dieu  y  foit  offenfé  , 
c'eft  à  quoi  ils  n'ont  guères  d'égard , 
Se  c'eft  par-là  même  une  foible  raifon 
pour  les  arrêter,  ils  fe  livrent  au  pen- 
chant naturel ,  ils  fuivent  l'attrait ,  ils 
entreprennent ,  ils  agiffent  ;  ôc  fi  au  pé- 
ril d'encourir  la  haine  de  Dieu  3  ils  peu- 
vent obtenir  ce  qu'ils  fe  font  propofé, 


zîo      Bonté     de     Dieu 

ils  fe  tiennent  heureux  &  fe  félicitent  du 
fuccès. 

1 1.  Nous  ne  retournons  à  Dieu  qu'a- 
vec peine.  Après  de  longs  égatemens ,  il 
vient  enfin  pour  quelques-uns  un  tems 
de  falut  &  de  converfion,  c'eft-à-dire, 
un  tems  où  l'on  fe  fent  preffé  de  fe  re- 
mettre dans  le  devoir  &  de  fe  rappro- 
cher de  Dieu.  Et  quel  eft-ce  tems  ?  une 
conjoncture  favorable  que  Dieu  mé- 
nage ;  un  âge  plus  avancé  Se  plus  mûr , 
où  le  feu  de  la  palîîon  commence  à  s'a- 
mortir •  une  humiliation  Se  un  renver- 
fement  de  fortune  ,  un  état  d'infirmité 
3c  de  langueur. 

Saint  Auguftin  ne  fe  convertit  point 
autrement.  Ce  fut  un  des  plus  fameux 
pénitens  de  l'Eglife  de  Dieu ,  Se  nous 
ne  pouvons  avoir  de  témoignage  plus 
convaincant  ni  plus  irréprochable  que 
le  fien  ,  pour  apprendre  combien  de 
tems  ,  &  avec  quelles  incertitudes  il 
demeura  flottant  Se  irréfolu  ,  entre  la 
divine  miféricorde  qui  le  pourfuivoit 
fans  relâche  ,  Se  les  engagemens  du 
monde  qui  le  retenaient.  Il  vouloit  ou 
il  croyoit  vouloir ,  mais  dans  peu  il  ne 
vouloit  plus.  Il  demandoit  à  Dieu  d'ê- 
tre affranchi  de  l'efclavage  où  le  vice  le 

tenoit 


Envers  le  Pêcheur.  28 1 
Viioit  captif  &  comme  enchaîné  }  mais 
en  même  tems ,  il  craignoit  que  Dieu 
ne  l'écoutât ,  ëc  que  fa  prière  ne  fût 
exaucée.     Inceffamment    agité    de    re- 
mords intérieurs ,  il  difoit  pour  les  cal- 
mer en  quelque  manière ,  tantôt,  tantôt  -y 
mais  ce  tantôt  ne  venoit  point ,  &  il  le 
remettoit  toujours  au  lendemain.  Dans 
ces  cruelles  perplexités  dont  il  nous  a  fait 
lui  -  même  le  récit   en  ces  termes  il 
forts  Se  fi  énergiques  ,  je  foupirois  ,  dit- 
il  ,  je    gémiiîois  fous  le  poids  de  ma 
chaîne  ;  mais  j'étois  lié  par  ma  propre 
volonté  ?  plus  dure  que  le  fer  ;  8c  fans 
un  dernier  effort  de  la  vertu  d'en-haut , 
je  n'aurois  jamais  conclu  une  affaire  que 
je  defirois  5  mais  qui  devoit  coûter   fi 
cher  à  mon  cœur.  Ainfi  parloir   Saint 
Auguftin  ;  &  combien  de  pécheurs  ont 
été  aufli  violemment  combattus   dans 
:  leur  retour  ;  combien  d'autres  le  font 
i  encore  ? 

Ceft  de  quoi  ils  pourroient  rendre 
|  témoignage  ,    s'ils   vouloient    produire 
.au  -  dehors  ce  qu'ils  éprouvent  intérieu- 
I  rement ,  &  ce  qu'ils  cachent  avec  tant 
de  foin.  La  grâce  les  prefTe ,  elle  les  fuit 
par- tout,  elle  fe  fait  fentir  à  eux  jufques 
dans  les  aifemblées  les  plus  nombreufes- 
de  les  plus  profanes.  En  vain  tâchent-ils 
Tome  L  A  a 


z%%      Bonté    de     Diei/ 
de  fe  diiïiper  3  de  fe  rafïurer  ,  d'effa^ 
cer  de  leur  efprit  certaines  idées  qui  les 
troublent  :  Dieu  demeure  toujours  à  la  i 
porte  de  leur  cœur,  &  ne  cefte  point  de: 
frapper.  Ils  le  laiftent  attendre ,  ôc  il  at- 
tend }  ils  ne  répondent  rien  ,  3c  bien 
loin  de  fe  taire  ôc  de  fe  retirer  ,  il  élevé 
la  voix  tout  de  nouveau  8c  parle  encore 
plus  haut.  Affiduité   qui  leur    devient; 
auiîi  falutaire ,  qu'elle  leur  eft  impor*- 
tune.    Car  Dieu   par   une  providence'; 
fpéciale  eft  plus  confiant  à  les  fauver  ■;. 
qu'ils  ne  le  font  à  fe  perdre.  Malgré  tant; 
d'oppofitions  &c  de  révoltes  le  moment1 
arrive  ,  un  bon  moment  3  où  la  grâce. 
prend  le  defltis  &  triomphe.  Onfe  rend, 
on  cède  enfin  au  faint  attrait  qui  l'em- 
porte fur  la  cupidité  :  heureux  fi  un  long, 
règne  des  pallions  ne  les  eût  pas  rendues 
fi  difficiles  à  vaincre. 

1 1  î.  Dieu  par  fa  bonté  eft  toujours 
difpofé  à  nous  recevoir.  Il  feroit  naturel 
que  dans  une  j  Lifte  indignation  il  nous 
traitât  ,  comme  nous  l'avons  traité  lui-t 
même  ;  qu'autant  que  nous  avons  té- 
moigné de  répugnances  6c  de  difficul- 
tés à  retourner  vers  lui  ,  autant  il  fe 
rendît  difficile  a  nous  admettre  auprès 
-de  lui  3  &  à  f e  réconcilier  avec  nous  j 


ENVERS     L  E      P  É  C  HE  U  R.    2  S  J 

qu'il  nous  fît  attendre  auiîi  long-tems 
qu'il  nous  a  attendus ,  Se  que  pour  pu- 
nir nos  incertitudes  &  nos  retardemens 
il  fut  auiîi  lent  à  nous  pardonner  y  que 
no  ifs  l'avons  été  à  reconnoitre   devant 
lui  nos  iniquités  &  à  lui  demander  grâce. 
Mais  que  dis -je  ?  Seigneur  :  ah!  mon 
Dieu  ,  je  parle  félon  les  fentimens  de 
l'homme  ,  8c   vos  fentimens  ,  comme 
vos  penfées  5   font  bien  au-deflus  des 
nôtres.  Ce  font  des  penfées  5  des  fenti-    Jmmt 
mens ,  non  de  colère  8-c  de  vengeance  ,  y^f" 
mais  de  rémilîlon  &  de  paix.  Â  quelque  Cogita 
eure  donc  y  a  quelque  jour  que  le  pe-  pacis  y 
cheur  contrit  &  pénitent  s'humilie  de-  &*  noî* 
vant  vous  5  vous  oubliez  que  vous  êtes  tùni^ 
Juge  ,  pour  vous  fouvenir  que  vous  êtes 
père.   Il  efl  vrai ,  pendant  une  longue 
fuite  d'années  ce  pécheur  étoit  un  re- 
belle ;  mille  fois  il  s'eft  obftiné  contre 
Dieu.  Il  efl  encore  vrai,  que  pour  le 
fléchir  ,  le  gagner ,  il  a  fallu  tout  récem- 
ment de  plus  fortes  inftances  que  ja- 
mais ,  &  des  avances  toutes  nouvelles 
de  la  part  de  Dieu  \  mais  Dieu  met  le 
voile  fur  tout  cela ,  il  n'a  égard  qu'à  la 
difpofltion    préfente    d.e    cet    homme. 
Dès  qu'une  fois  il  fe  repent  &c  qu'il  fe- 
foumet ,  c'eft  aiTez.  Les  entrailles  de  la 
charité  de  Dieu  en  font  émues  ;  il  étend 

Aaij 


zB4       Bonté      de    D  i  e  tf 
les  bras  pour  l'embrailer  3  il  ouvre  (on. 
feîn   pour  l'y  recueillir  :  fût-ce  un  pé- 
cheur tout  noirci  de  crimes ,  il  celle 
d'être  criminel  aux  yeux  du  Seigneur ,,  J 
&z  Dieu  lui  donne  place  parmi  fes  en-  J 
fans, 

Je  dis ,  mon  Dieu,  parmi  vos  enfans, . 
êz  non  point  parmi  vos  efclaves.  Ce  pro-  h 
digue  qui  s'étoit  féparé  de  fon  père  ,  fcj 
lui  avoit  marqué  tant  d'indifférence  &Ci 
même  tant  de  mépris  en  l'abandonnant XJ 
comptoit  pour  beaucoup  ,  lorfqu'il  fe» 
roit  revenu  à  la  maifon  paternelle ,  d'y  J 
pouvoir  être  mis  au  rang  des  mercenai-  j 
res  y  &c  f e  croyoit  déformais  indigne  d'y/ 
être  regardé  ôc  traité  comme  un  fils  :  iif 
fe  faifoit  en  cela  juftice  :  maisdurefte. 
il  ne  connoiiïoit  pas  toute  la  tendreife. 
du  père  qui  le  recevoit  3   Se  qui  étoit  i 
même  allé  au-devant  de  lui.  Bien  loin 
d'être  dégradé  de  la  qualité  de  fils ,  & 
d'être  condamné  aux  traitemens  rigou-: 
reux  qui  lui  étoient  dûs ,  il  éprouva  tout  ( 
le  contraire.   Jamais  fon  père  ne  l'ac- 
cueillit avec  plus   de  douceur  ni  plus 
d'afFedion  ^  jamais  il  ne  parut  plus  fen-i 
fible  pour  lui. 

C'eft  vous  -  même ,  mon  Dieu  3  qui 
nous  tracez  cette  figure  dans  votre  di-: 
vin  Evangile  j  c'eft  par  cette  parabole 


ï>    E       PÉNITENCE.    2^5 

que  votre  Fils  adorable  excitoit  la  con- 
fiance des  pécheurs  pénitens  ,  &  je  puis 
dire  ,  tout  coupable  que  je  fuis  ,  qu'elle 
ne  m'annonce  rien  de  fi  confolant  que 
je  ne  fois  en  droit  d'efpérer  ,  &:  à  quoi 
l'effet  ne  doive  répondre. 

Voilà ,  dis-je  3  ô  mon  Dieu ,  ce  que 
j'ai  lieu  de  me  promettre  3  aufïî  -  bien 
que  tant  d'autres ,  dès  que  je  retourne- 
rai à  vous ,  &  que  j'y  retournerai  de 
bonne  foi.  Or  n'eft  -  ce  pas  un  motif 
affez  puiiïant  pour  m'infpirer  là-deflus 
une  fainte  réfolution  3  ci  pour  me  la 
faire  exécuter  ?  Mais  que  feroit-ce  ,  3c 
quel  défordre ,  quelle  injuftice  *  quand 
vous  m'appeliez  de  la  forte ,  fi  je  déli- 
berois  encore  5  fi  je  me  défendois  en- 
core ,  fi  je  refufois  encore  de  me  ren^ 
dre  î  Hé ,  qu'y  auroit-il  alors  de  plus 
inconcevable  ,  ou  d'une  telle  condef- 
cendance  de  votre  amour  ,  ou  d'une 
telle  réfiftance  de  mon  cœur  ? 

L'heure  eft  venue  ,  Seigneur  :  il  n'y 
a  plus  de  difficultés  ni  de  répugnances 
à  écouter.  Un  amour  tel  que  le  vôtre 
doit  amollir  lame  le  plus  endurcie.  Je 
fuis  à  vous  j  ou  j'y  veux  être.  BénifTez 
le  defTein  que  je  forme,  &  le  premier 
pas  que  je  vais  faire  ,  pour  F  accomplir* 
En  votre  nom  j'agirai ,  &  vous  fupplérez 


■%%ê        Sacre  ment 
par  votre  miféricorde  à  ce. qui  pourra  ma 
manquer  par  la  fragilité  de  la  nature  &£ 
par  Finconftance  de  ma  volonté. 


Sacrement  de  Pénitence.    Difpofi* 

-lions  qu  il  y  faut  apporter  ^  ù  le 

fruit  qu'on  en  doit  retirer. 

ON  exhorte  afTez  les  fidèles  à  fré- 
quenter le  Sacrement  de  Péniten- 
ce \  mais  peut-être  ne  s'applique-t-on 
point  allez  à  les  initruire  des  difpofi- 
tions  elfentielles  qu'il  demande ,  ni  à. 
leur  en  donner  toute  la  connoifîance 
qu'ils  en  doivent  avoir.  La  plupart 
n'en  ont  entendu  parler  que  dans  ces 
premières  leçons  qu'on  a  fait  à  de  jeunes, 
enfans  ,  qui  malgré  le  foin  qu'on  prend 
de  leur  expliquer  les  éiéniens  de  la  doc- 
trine chrétienne  5  ne  font  guères  en  état 
de  bien  comprendre  ce  qu'on  leur  dit , 
ôc  n'en  confervent  qu'un  fouvenir  con- 
fus &  très-fuperficiel.  C'elt  dans  un  âge 
plus  avancé  ,  où  lé  jugement  eft  plus 
mûr ,  &  où  l'on  voit  mieux  les  chofes  , 
qu'il  faudroit  fe  retracer  fur  cela  les  en- 
feignemens  qu'on  a  reçus  ^  Se  s'en,  former 


ENVERS    LE    PÉCHEUR.       l%j 

une  idée  jnfte.  Car  il  s'agit  d'un  Sacre- 
ment qui ,  félon  le  bon  oc  le  mauvais 
ufage  que  nous  en  faifons  ,  doit  fervir 
ou  à  notre  juftiiication  ,  ou  à  notre 
condamnation.  Mais  par  une  erreur  des 
plus  pernicieufes  ,  on  regarde ,  je  lofe 
dire  ,  ces  fortes  de  confidérations  au- 
1  deiïous  de  foi ,  &  Ton  fe  perfuade  qu'el- 
I;  les  ne  conviennent  qu'au  tems  de  l'en- 
fance. Les  Prédicateurs  ,  s'ils  n'y 
;  prennent  garde  y  contribuent  eux-mê- 
;  mes  à  entretenir  cette  dang-ereufe  il- 
lufion ,  ayant  pour  maxime  de  ne  traiter 
dans  la  chaire  que-  certains  fujets  rele- 
vés ,  Se  s'imaginant  que  ceux  -  ci  ne. 
font  propres  que  pour  le  menu  peuple 
&  pour  les  campagnes.  En  quoi  certai- 
nement ils  fe  trompent,  foit  en  man- 
quant à  l'une  des  plus  importantes  obli- 
gations de  leur  m-iniftère  ,  qui  eft  d'ap- 
prendre à  toutes  les  conditions  les  prin- 
cipaux devoirs  de  la  religion  ;  foit  en 
-s' élevant  quelquefois  au-delà  des  bornes  5 
&  prenant  un  vain  eiïor  où  fouvent 
on  les  perd  de  vue  ,  &  où  ils  fe  perdent 
eux-mêmes. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  tout  ce  qui  con- 
cerne le  Sacrement  de  pénitence  ,  peut 
fe  réduire  ,  félon  la  notion  ordimaire  , 
à  quatre  articles  capitaux  j  fçavoir  ±  la 


%  8  8       Bonté    de    Dieïï 
contrition  ,  la  réfolution  ,  la  confemon  2  , 
ôc  la  fatisfaction.  Je  n'ai  rien  à  dire  là- 
demis  de  fingulier  &  de  nouveau  j  mais  . 
ce  que  je  dirai  néanmoins ,   n'eft  que 
trop  inconnu  à  bien  des  gens  qui  l'igno- 
rent ou  abfolument  ou  en  partie  ,  tout 
éclairés  qu'ils  font  d'ailleurs  3  &  qu'ils  fe 
piquent  de  l'être, 

I.  Contrition  :  c'eft-à-dire  ?  douleur 
du  péché  ,  mais  une  douleur  conçue 
en  vue  de  Dieu  ,  par  le  mouvement 
de  la  grâce,  &  fupérieure  à  toute  autre 
douleur.  Voilà  en  trois  mots  déjà  bien 
des  chofes  d'un  devoir  indifpenfable  y 
ôc  d'une  telle  ncceiîité  ,  que  de-là  dé- 
pend toute  l'efficace  &  tout  le  fruit  du 
facrement  dont  il  eft  préfentement 
quedion. 

C'eft  3  dis-je  ,  une  douleur ,  Se  par- 
conféquent  un  a&e  de  la  volonté ,  qui 
s'afflige  5  qui  hait ,  qui  détefte  :  car  qui 
dit  douleur  ,  ne  dit  pas  une  iimple  con- 
noiffance  ni  une  fimple  vue  de  la  lai- 
deur &  de  la  difformité  du  péché.  Ce 
n'eft  pas  même  ,  fi  j'ofe  ufer  de  ce  ter- 
me 7  une  fimple  déplaifance  de  la  rai- 
fon  ,  qui  naturellement  droite ,  ne  peut 
s'empêcher  d'appercevoir  le  défordre 
du  péché  &  de  le  condamner,  On  peut 

avoir 


DE        PÉNITENCE.  289 

avoir  tout  cela  fans  être  contrit ,  parce 
que  tout  cela  n'eft  que  dans  l'entende- 
ment ,  6c  non  point  dans  la  volonté. 
On  peut  avec  tout  cela  aimer  toujours 
fon  péché  ,  fe  plaire  toujours  dans  fon 

:,  péché ,  conferver  toujours  le  même 
attachement  à  fon  péché  :  on  le  peut , 
de  c'eft  ce  qui  n'arrive  que  trop  fou- 
vent.  Il  faut  donc  que  ce  foit  la  vo- 
lonté qui  aghTe  par  un  repentir  vérita- 
ble. Il  faut  que  la  douleur ,  félon  l'ex- 
prellion  du  Prophète ,  nous  brife  le 
cœur  j  8c  c'eft  de-là  même  qu'elle  eft 
appellée  contrition.  Autrement ,  la  vo- 

<:  Ionté  n'étant  point  à  Dieu  ,  tout  le  refte 

t  ne  peut  être, de  quelque   prix  devant 

'.  Dieu ,  ni  le  toucher. 

Encore  une  fimple  douleur  en  géné- 
ral ne  fuffit-elle  pas  ;  &  n*  ce  n'eft  en 

-  particulier  le  mouvement  de  la  grâce 
qui  l'excite  ,  Se  qui  élevé  l'âme  à  Dieu  , 
ce  n'eft  plus  qu'une  douleur  infrucrueufe 
êc  fans  effet.  C'eft  pour  cela  que  les 
Prophètes  prêchant  aux  pécheurs  la  pé- 
nitence &  les  y  exhortant ,  ne  fe  con- 
tenaient pas  de  leur  dire  ,  cohvertiffez- 
vous  ;  mais  qu'ils  ajoutoient  ,  conver- 

I  tiffez-vous  au  Seigneur  votre  Dieu.  Par     Jce 
où  ils  leur  faifoient  entendre,  que  II  CtZtï 
ce  rapport  à  Dieu  manquoit  ,   que  fi 
Tome  /,  B  b 


%<)o  Sacrement 

dans  leur  retour  ils  n'envifageoient  pas 
Dieu ,  que  s'ils  fe  propofoient  tout  au- 
tre objet  que  Dieu  ,  ils  ne  dévoient 
plus  être,  dans  l'eftime  de  Dieu,  cenfés 
pénitens ,  puifqu'ils  ne  l'étoient  pas  fé- 
lon Dieu  ,  ni  pour  Dieu.  Et  parce  que 
cette  vue  de  Dieu  3c  cette  douleur  fur- 
naturelle  fuppofe  nécefTairement  la 
grâce  comme  principe  ,  ôc  un  com- 
mencement d'amour  de  Dieu  comme 
fource  de  toute  juftice,  les  Prophètes 
parlant  au  nom  des  pécheurs  ,  difoient  : 
gkren.  Seigneur  convertiiTez  -  nous  ,  8c  nous 
nous  convertirons.  C'eft  qu'ils  étoient 
perfuadés  que  pour  rendre  nos  cœurs 
dociles  ,  pour  en  amollir  la  dureté 
Se  fléchir  î'obftination ,  il  eft  néceiTai- 
re  que  nous  foyons  prévenus  de.l'inf- 
piration  divine  8c  aidés  du  fecours. 
d'en  haut,  ôc  que  pour  nous  récon- 
cilier avec  Dieu  ,  nous  devons  com- 
mencer à  l'aimer  par-deffus  toutes  cho- 
fes. 

Ce  n'eft  pas  tout  ;  cette  douleur 
formée  dans  la  volonté  ,  infpirée  par 
l'Efprit  de  Dieu  ,  ôc  conçue  par  amour 
pour  Dieu ,  doit  être  au-delfus  de  toute 
autre  douleur.  C'eft-à-dire  ,  qu'il  n'y  a 
point  de  revers ,  point  d'accident  fa- 


SE       PÉNITENCE.  2^1 

cheux  ni  de  malheur  dans  la  vie  ,  de 
quelque  nature  qu'il  foit ,  dont  il  puiife 
m'être  permis  de  concevoir  une  dou- 
leur fupérieure ,  ou  même  égale  à  celle 
que  doit  me  caufer  l'offenfe  de  Dieu 
ôc  la  perte  de  fa  grâce.  Il  faut  que  je  fois 
plus  touché  de  cette  ofrenfe  de  Dieu  &C 
de  cette  perte  de  la  grâce  de  Dieu  ,  que 
je  ne  le  ferois  de  la  ruine  entière  de  ma 
fortune ,  eût-elle  été  la  plus  flo  allante 
ôc  la  plus  abondante.  Il  faut  que  cette 
offenfe  de  Dieu ,  que  cette  perte  de  la 
grâce  de  Dieu  me  tienne  plus  au  cœur  , 
que  l'affront  le  plus  fanglant  qui  me 
couvriroit  de  confuiion  ,  que  l'aban- 
donnement  le  plus  général  qui  me  ré- 
duiroit  dans  la  dernière  mifere ,  que  le 
mal  le  plus  fenfible  &:  le  plus  aigu  qui 
me  tourmenteroit  uns  relâche  ;  que  la 
mort  d'un  patron  ,  d'un  ami ,  d'un  pa- 
rent ,  d'un  fils  ,  d'un  époux  3  d'un  père  5 
d'une  mère  ,  de  tout  ce  que  je  puis 
avoir  fur  la  terre  de  plus  cher  5  enfin  , 
que  le  danger  même  le  plus  évident 
d'une  mort  prochaine  par  rapport  à  moi. 
Si  mon  regret  né  va  pas  jafques-là  ,  il  ne 
peut  être  iuffifant ,  de  dès-lors  je  ne  fuis 
point  dans  l'état  d'une  vraie  contrition  s 
ni  même  dans  cette  attrition  parfaite 
nécenaire  au  Sacrement  de  pénitence. 

Bbij 


2^i  Sacrement 

On  me  dira  que  cela  feroit  capable  de 
troubler  les  confciences  &  de  les  jetter  i 
dans  le  défefpoir.  Il  eft  vrai  :  cela  peut  I 
défefpérer ,  mais  qui  ?  des  âmes  mon- 
daines   qui  n'ont   jamais    bien   connu,  i 
Dieu ,  &c  qui  ne  s'appliquent  jamais  à  le 
bien  connoître.  Des  âmes  toutes  plon- 
gées dans  les  fens ,  ôc  d'autant  plus  in- 
{enfibles  pour  Dieu  qu'elles  font  plus 
fenfibles  pour  elles-mêmes ,  &  pour  tout 
ce  qui   flatte  leur  amour  propre.  Des 
âmes  volages ,  diiîipées  ,  accoutumées 
à  n'envifager  tout  ce  qui  regarde  la  re- 
ligion que  très  -  fuperficiellement ,   8c 
fans  cefife  diftraites  par  les  objets  exté- 
rieurs qui  leur  frappent  la  vue ,  &  qui 
emportent  toute  leur  attention.  Voila 
ceux  qui  doivent  être  étonnés  des  le-; 
çons  que  je  trace  ici  j  voilà  ceux  qui  en; 
doivent  être  découragés  Se  rebutés. 

Mais  pour  appliquer  à  mon  fujet  ce 
que  difoit  Saint  Auguftin  fur  une  ma-, 
tière  à  peu  près  femblable  :  donnez-moi 
une  ame  qui  aime  Dieu ,  une  ame  rem- 
plie de  l'efprit  du  chriftianifme  ,  une 
ame  telle  que  nous  devons  tous  être; 
ik  fuppofons  que  par  un  effet  de  la  fra- 
gilité humaine  ,  ou  par  la  furprife  de 
quelque  paillon  ,  cette  ame  ait  eu  le 
malheur  d'oublier  Dieu  ôc  de  s  oublier 


DE    PÉNITENCE,  29$ 

elle-même,  jufqua  fuccomber  dans  une 
rencontre  à  la  tentation  Se  à  fe  laiifer  en- 
gager dans  le  défordre  du  péché  j  je  de- 
mande fi  lorfqu'elle  viendra  à  fe  recon- 
noître  ,  &  qu'aidée  de  la  grâce  elle  fe 
mettra  en  devoir  de  retourner  à  Dieu , 
elle  aura  de  la  peine  à  porter  fon  re- 
gret de  fa  douleur  au  degré  que  je  mar- 
que ,  &  que  je  prétends  être  abfolument 
requis  ?  Quand  nous  voyons  David 
couché  fur  la  cendre  &  humilié  devant 
Dieu  ;  quand  nous  voyons  Saint  Pierre 
couvert  de  confudon  &  pleurant  avec 
amertume  }  quand  nous  voyons  Made- 
laine  profternée  aux  pieds  de  Jefus- 
Chrift  6c  les  arrofant  de  {es  larmes ,  con- 
cevons-nous qu'il  y  eût  alors  quelque 
chofe  au  monde  dont  ils  fuiTent  plus 
affligés ,  ni  même  aufïi  affligés  ,  qu'ils 
l'étoient  de  leurs  égaremens  j  Ôc  pou- 
vons-nous imaginer  quelque  intérêt 
qu'ils  eufTent  voulu  faire  entrer  en 
compromis  avec  les  intérêts  du  fouve- 
rain  maître  ,  dont  ils  avoient  encouru 
la  j  ufte  indignation  ,  &  auprès*  de  qui 
ils  cherchoient  par  -  de  (Tus  tout  &  aux 
dépens  de  tout  à  fe  remettre  en  grâce  ? 
Or  nous  ne  fommes  pas  moins  pécheurs 
que  ces  fameux  pénitens  ;  nous  n'avons 
pas  pour  -exciter  notre  repentir  ,   des 

Bbiij 


2,^4        Sacrement 
motifs  moins  folides  ni  moins  touchant 
que  nous  manque-t-il  ?  plus  de  iincé- 
nté  6c  plus  de  zèle  dans  notre  conver- 
sion à  Dieu. 

Cependant  il  ne  faut  rien  exagérer  jj 
&  je  dois  convenir  que  plufieurs  pour- 
roient  être  en  efret  découragés  &  avec 
fujet ,  fi  cette  douleur  que  ia  pénitence 
exige  de  nous  3  confiftoit  dans  le  fenti- 
ment.  Car  le  fentiment  ne  nous  eft  pas 
toujours  libre  5  &  fouvent  il  peut  être 
beaucoup  plus  vif  à  l'égard  de  certains 
maux  de  la  vie  &  de  certains  événe- 
mens  que  nous  craignons  3  ou  que 
nous  déplorons ,  qu'il  ne  l'eft  à  l'égard 
des  péchés  que  nous  dételions  ,  &  dont 
nous  avons  un  regret  véritable.  Ce  n'eft 
donc' point  par  ce  fentiment  que  notre 
contrition  doit  l'emporter  far  toute  au- 
tre douleur ,  mais  par  la  détermination 
de  la  volonté  ,  mais  par  la  préparation 
de  Fefprit  &  de  la  partie  fupérieure  de 
l'ame  m9  mais  par  la  difpofition  intérieure 
ëc  réelle  où  fe  trouve  le  pénitent  de 
fubir  toutes  fortes  de  peines ,  ôc  d'ac- 
cepter toutes  fortes  d5adver£tés  tempo- 
relles &:  de  calamités ,  plutôt  que  de 
confentir  à  un  feul  péché  :  fi  bien  qu'il 
hait  ainiî  le  péché  plus  que  tout  le  refte  , 
de  qu'il  voudroitr  au  prix  de  tout  le  reft$- 


DE       PÉNITENCE.  I95 

pouvoir  eftacex  tous  les  péchés  qu'il  re- 
connoît  avoir  commis  ,  ëc  par  où  il  a 
déplu  à  Dieu.  Il  n'eft  point  néceflfaire 
pour  cela  de  relïentir  les  mêmes  ferre- 
mens  de  cœur,  d'entrer  dans  les  mêmes 
agitations ,  de  s'abandonner  aux  mêmes 
gémiffemens  ,  ni  de  tomber  au  dehors 
dans  la  même  défolation  ,  que  fi  l'on 
venoit  nous  annoncer  quelque  infortu- 
ne humaine  &  quelque  défaftre  où  nous 
fulîîons  intéreiTés.  Il  fuffit  d'avoir  cette 
haine  du  péché  que  j'ai  fpéciiié  ,  Se 
que  les  Théologiens  ,  félon  leur  langage 
ordinaire,  nomment  apprétiative  ,  parce 
qu'elle  maintient  tous  les  droits  de 
Dieu ,  8c  qu'elle  lui  donne  dans  notre 
cœur  une  préférence  entière  <k  abfolue. 
Or  voilà  ce  qui  ne  doit  défefpérer 
perfonne  ,  puifqu'il  n'y  a  perfonne  qui 
ne  puilTe  avec  l'alliftance  divine  former 
au  fond  de  fon  ame  une  telle  douleur. 
Ce  n'eft  pas  au  refte  qu'il  n'y  ait  pour 
ce-la  même  des  foins  à  prendre  Se  des 
efforts  à  faire.  Car  comme  difoit  faint 
Auguftin  ,  iî  vous  n'êtes  pas  encore  at- 
tiré de  Dieu  ,  agiffez  ,  priez ,  prefTez  5 
afin  qu'il  vous  attire.  On  fe  trouve  aiTez 
fouvent  dans  une  féchereffe  de  cœur, 
où  il  eft  fort  à  craindre  ,  qu'on  ait 
pas  cette  contrition  fans  laquelle  on  ne 

Bbiiij 


•  zc}6  Sacrement 

peut  efpérer  le  pardon  de  fes  péchés; 
même  avec  le  Sacrement  de  pénitence. 
Hé  1  le  moyen  qu'on  pût  l'avoir  ,  de  la 
manière  dont  on  approche  du  faint 
Tribunal  ?  On  y  vient  quelquefois  avec 
une  précipitation  qui  ne  donne  prefque 
pas  le  loifir  de  penfer  à  ce  que  l'on  fait , 
ni  de  réfléchir  fur  aucun  des  motifs 
dont  notre  douleur  doit  être  animée  de 
fandifiée.  On  s'y  préfente  avec  une 
froideur  &  une  efpèce  d'indolence  qui 
fait  tout  négliger  dans  un  des  exercices 
du  Chriftianifme  le  plus  important  &  le 
plus  férié  ux.  Et  parce  qu'on  n'a  nul  ufage 
du  recueillement  intérieur  Se  de  ces 
actes  que  le  cœur  prévenu  de  la  grâce 
produit  en  lui-même  5  ôc  de  lui-même , 
on  fe  contente  de  certaines  formules  tra- 
cées fur  le  papier  ;  on  les  lit  dans  un  livre , 
ou  on  les  récite  par  mémoire  ,  fans  s'y 
arTe&ionner ,  &  peut-être  fans  les  bien 
comprendre.  Souvent  même  par  une 
ignorance  inexcufable  ,  ou  par  un  oubli 
non  moins  criminel ,  après  une  revue 
aiTez  légère  de  fes  fautes  ,  on  les  déclare 
au  Miniftre  de  la  pénitence ,  fans  avoir 
eu  foin  de  s'élever  un  moment  à  Dieu , 
ni  d'en  faire  en  fa  préfence  aucun  défa- 
veu.  Car  voilà  ce  que  nous  voyons  dans 
une  infinité  de  gens  du  monde  de  fur-tout 


DE    PÉNITENCE.  297 

du  grand  monde  ,  lorfqu'à  des  tems 
fort  éloignés  les  uns  des  autres  ,  ils  s'a- 
dreffent  à  nous  ,  bien  moins  par  un 
mouvement  de  piété  Se  par  un  vrai  defir 
de  converfion  ,  que  par  une  coutume  8c 
une  certaine  bienféance  chrétienne  à 
laquelle  ils  ne  veulent  pas  manquer. 
Nous  leur  demandons  s'ils  font  pré- 
parés ;  c'eft  -  à-  dire  avant  toute  chofe , 
s'ils  font  véritablement  contrits  8c  re- 
pentans  ,  s'ils  ont  une  douleur  fincere 
de  leur  conduite  pallée  dont  ils  s'accu- 
fent }  8c  fans  hériter  ils  nous  répondent 
qu'ils  le  croyent  ainfi  :  mais  de  bonne 
foi ,  ont-ils  lieu  de  le  croire ,  8c  comment 
peuvent  -  ils  fe  les  perfuader  ? 

Car  qu'eft-ce  que  cette  douleur  rince- 
re  ?  C'eft  un  plein  changement  du  cœur  : 
enforte  que  le  cœur  foit  réellement  déta- 
ché des  objets  auxquels  il  s'étoit  livré 
avec  plus  de  paiïion.  Il  faut  que  par  la 
force  8c  la  fupériorité  de  cette  douleur  , 
le  cœur  haiffe  ce  qu'il  aimoit ,  8c  qu'il 
aime  ce  qu'il  haiffoit  :  il  faut  que  ce  foit 
un  cœur  tout  nouveau.  Quel  effort  de 
l'ame  fuppofe  un  changement  de  cette 
nature  !  quel  facririce  de  foi-même!  quelle 
victoire  !  Or  une  telle  victoire  peut-elle 
être  le  fruit  d'une  réflexion  vague  8c 
courte ,  ou  de  quelques  paroles  pronon- 


zy%  Sacrement 

cées  a  la  hâte  Se  comme  jettées  au  ha- 
sard ?  Il  eft  vrai  que  les  opérations  de 
la  grâce  dans  un  cœur  ne  dépendent 
point  du  tems  :  mais  dans  les  régies  or- 
dinaires la  grâce  n'opère  qu'avec  poids  i 
êc  avec  mefure.  Elle  a  fes  voies  pour 
s'infinuer  ,  &  fes  degrés  pour  avancer» 
Elle  prévient,  elle  foutient,  elle  aide 
à  conîbrnmer  l'ouvrage  :  mais  elle  exige 
aufli  du  pénitent  qu'il  agifTe  lui-même  , 
qu'il  rentre  en  lui-mêxne  ,  qu'il  s'excite 
lui  -  même ,  qu'il  fe  fdiCe  à  lui  -  même 
d'utiles  reproches  Se  de Salutaires  leçons  5 
qu'il  fe  trace  tontes  les  vues  Se  toutes 
les  considérations  les  plus  propres  à  le 
détacher  de  fon  péché  ,  Se  àpui  en  irxfpi- 
rerde  l'horreur  }  qu'il  s'applique  à  les 
pénétrer  Se  à  les  approfondir ,  fur-tout 
qu'il  les  rapporte  toutes  à  Dieu  ,  ôç  qu'il 
inlifle  fur  celles  qui  peuvent  lui  repré- 
fenter  ce  fouverain  Maître  plus  digne 
d'un  attachement  inviolable  8c  d'un 
dévouement  parfait  ;  enfin  qu'il  ait  re- 
cours à  Dieu  même ,  qu'il  lui  ouvre  fon 
cœur  3  Se  qu'il  le  conjure  d'en  amollir 
la  dureté  :  voilà,  dis-je ,  ce  que  la  grâce 
attend  de  notre  coopération.  Or  tout 
cela  ,  félon  l'ordre  commun  ,  n'eft  point 
l'affaire  d'un  mitant.,  Et  ce  l'eft  encore 
finement  moins  pour  tant  de  pécheurs 


DE       PÉNITENCE.  299 

te  de  pécherelTes  ,  qui  dans  le  cours 
d'une  année  s'acquittent  à  peine  une  fois 
du  devoir  de  la  pénitence  ,  que  pour  des 
âmes  pieufes  &  timorées  qui  fréquentent 
le  Sacrement. 

Ivïais  ceci  pofé  ,  il  y  a  donc  bien  des 
confeffion  nulles  j  j'en  conviens ,  &  là- 
deftus  je  n'oferois  prefque  déclarer  ce 
que  je  penfe.  Cependant  un  ConfeiTeur 
qui  ne  peut  lire  dans  le  fond  des  cœurs, 
doit  éprouver  la  ïincérité  de  laperfonne 
qui  lui  parle  ,  8c  fon  regret  &  de  fa 
bonne  difpoiition.  Après  une  épreuve 
fuffifante ,  il  abfout  le  pénitent  :  mais 
il  fçait  qu'il  n'y  a  que  Dieu  qui  puifTe 
juger  de  la  validité  de  cette  ablolution  ; 
&  d'ailleurs  ,  fans  déroger  en  aucune 
forte  à  la  puifTance  des  Miniftres  de 
-Jefus-Chrïft  ,  ni  à  la  promefTe  que  ce 
divin  Maître  leur  a  faite ,  il  n'ignore  pas 
que  ce  qu'ils  délient,  ou  femblent  dé- 
lier fur  la  terre ,  n'eft  pas  toujours  délié 
dans  le  Ciel. 

Mais  il  faudra  donc  des  têrhs  infinis 
pour  fe  difpofer  à  la  confeiïion  ?  Ma 
réponfe  eft-  qu'il  y  faudra  tout  le  tems 
néceiTaire  pour  s'atfurer  d'abord  de  fa 
contrition  y  autant  qu'il  eft  raifonna- 
fclement  £c  moralement  poffible.  Je  dis 


30o  Sacrement 

autant  qu'il  eft  pofîible  raifonnable- 
ment  &  moralement  :  car  en  condam- 
nant une  extrémité ,  qui  eft  une  tr  op 
grande  négligence,  je  ne  prétends  pas 
me  porter  à  un.  autre  excès  ,  qui  eft  une 
inquiétude  fcrupuleufe.  La  prudence 
chrétienne  tient  le  milieu  entre  l'un  & 
l'autre  :  elle  ne  va  point  au-delà  de  cer- 
taines bornes  j  oc  quand  eu  égard  aux 
circonftances  Se  aux  moyens  qu'on  a. 
pris ,  on  peut  juger  fagement  de  l'état 
de  fon  cœur  ,  on  doit  alors  fe  confier 
en  Dieu ,  &  demeurer  en  repos ,  fans  fe 
tourmenter  inutilement  par  Aqs  retours 
perpétuels  &  des  défiances  exceiîives  de 
foi-même. 

Concluons  cet  article  en  déplorant 
notre  mifere.  N'eft-il  pas  étrange  qu'a- 
vec tant  de  raifons  dont  une  feule  de- 
vroit  fuffire  5  pour  nous  percer  l'ame  de 
douleur  au  fouvenir  de  Dieu  ,  &  de 
toutes  les  offenfes  que  nous  commet- 
tons contre  lui ,  nous  foyons  fi  diffici- 
les à  prendre  le  moindre  fentiment  de 
componction  ?  N'eft-il  pas  étrange  que 
nous  ayons  befoin  de  tant  d'exhorta- 
tions 3  d'inftrudions ,  de  méditations  5 
pour  nous  retracer  là-deiTus  des  idées 
qui  ne  devroient  jamais  s'effacer  de 
notre  efprit,  &  qu'il  nous  faille  tant 


DE    PÉN   ITENCL  $OI 

-d'efforts  pour  en  relfentir  l'imprefïïon  ? 
Comment  oublions-nous  il  aiiément  & 
fi  vite  un  Dieu  Créateur ,  un  Dieu  Con- 
fervateur ,  un  Dieu  Rédempteur ,  un 
Maître  li  grand  5  un  Père  fi  tendre  ;  fa 
libéralité ,  fa  fainteté  ,  fa  juftice  ,  fes 
innombrables  perfections  ?  Et  comment 
à  la  fimple  penfée  de  tant  de  titres  les 
plus  engageans  pour  nous  &  les  plus 
capables  de  nous  affe&ionner  ,  ne 
voyons-nous  pas  d'un  premier  coup 
d'oeil  l'énormité  de  nos  péchés  qui 
bleffent  ce  fouverain  Etre ,  &c  qui  nous 
féparent  de  lui  ?  Comment  ne  fondons- 
nous  pas  en  larmes  3  &  n'éclatons-nous 
pas  en  gémilTemens  &  en  fanglots  ? 
Que  manque-t-il  donc  à  notre  Dieu 
pour  nous  devenir  aimable  ?  n'a-t-il  pas 
des  droits  alTez  légitimement  acquis 
fur  notre  cœur  ?  n'eft-il  pas  affez  bon  ? 
ne  nous  a-t-il  pas  fait  affez  de  bien? 
ne  nous  en  fait-il  pas  affez  chaque  jour? 
ne  fe  difpofe-t-il  pas  encore  à  nous  en 
faire  affez  dans  l'avenir  &c  même  dans 
toute  l'éternité  ?  Notre  indifférence 
pour  lui  n'eft  guéres  moins  incompré- 
henfibie  que  fes  miféricordes  envers 
nous. 

II.  Réfolutioru    C'eft  félon  la  plus 


3ox  Sacrement 

ordinaire  façon  de  parler ,  ce  que  nousr 
appelions  bons  propos.  Ce  bon  propos 
coniifte  dans  une  ferme  détermination 
de  fuir  déformais  le  péché ,  de  n'y  pins 
retomber ,  &  de  fe  maintenir  dans  la 
grâce  de  Dieu  ,  en  fe  corrigeant  de  fes 
vices  ,  ôc  renonçant  à  fes  habitudes  cri- 
minelles.  Difpoiition  il  effentielle ,  que 
fans  cela  notre  contrition  ne  peut  plus 
être  qu'une  contradiction  manifefte  & 
une  chimère.  Car  le  moyen  d'accorder 
ces  deux  chofes  enfemble  ,  je  veux  di- 
re ,  une  volonté  qui  détefte  les  péchés 
commis ,  &  cette  même  volonté  toute 
prête  encore  à  les  commettre  ;  une  vo- 
lonté qui  hait  le  péché  iincérement  de 
fouverainement ,  &  qui  néanmoins  l'ai- 
me toujours  affez  pour  y  retournera  la 
première  occafion  Se  pour  y  donner  le* 
même  confentement  ?  Ce  feroit  tout  à. 
la  fois  &  à  l'égard  du  même  objet  3  vou- 
loir &c  ne  pas  vouloir  ;  ce  feroit  ac- 
complir dans  fa  perfonne  cette  parole 
du  Prophète  ,  l'iniquité  s'ejl  démentie 
Vf,  2.6.  elle-même  ;  enfin  ce  feroit  faire  à  la  Ma- 
jefté  divine  la  même  infulte  3  que  feroit 
un  fujet  rebelle ,  qui  viendroit  fe  jetter 
aux  pieds  du  Prince  Se  implorer  fa  clé- 
mence y  mais  qui  lui  donneroit  en  même 
temps  à  entendre ,  que  malgré  toutes 


12. 


DE      PÉNITENCE.  303 

t  s  foumiflions  qu'il  lui  fait ,  il  n'en  eft 
pas  moins  difpofé  à  former  dans  la  fuite 
de  nouveaux  partis  ?  ôc  à  prendre  Îe3  ar- 
mes contre  lui. 

Afin  donc  que  la  douleur  du  pafTé  foit 
véritable  &  recevable  devant  Dieu,  il 
eft  d'une  nécefiité  abfolue  que  le  bon 
propos  pour  l'avenir  l'accompagne  , 
puiique  l'un  renferme  l'autre  ,  ôc  qu'on 
ne  les  peut  féparer.  Voilà  pourquoi  le 
Concile  de  Trente  définit  la  contrition , 
en  difant  ,  que  c'eft  une  douleur  Se  une 
déteftation  des  péchés  commis  ,  jointe 
à  la  volonté  de  n'en  plus  commettre. 
De  fçavoir  fi  cette  réfolution  doit  être 
expreffe  ôc  formelle ,  ou  s'il  fuffit  qu'elle 
foit  comprife  virtuellement  dans  l'acte 
de  déteftation  ôc  de  douleur  ,  c'eft  une 
queftion  quepropofent  les  Maîtres  de 
la  Morale  ,  ôc  fur  laquelle  ils  raifonnent 
Ôc  penfent  différemment  :  mais  fans  exa- 
miner ces  diverfes  opinions ,  ni  pefer  la 
force  des  raifonnemens  de  part  ôc  d'au- 
tre ,  quand  il  s'agit  d'une  affaire  aulîî  im- 
portante que  notre  réconciliation  avec 
Dieu ,  le  mieux  eft  de  prendre  le  plus 
fur ,  Ôc  de  dire  à  Dieu  comme  le  Pro- 
phète Roi  :  je  l'aï  juré .,  Seigneur ,  &  j'en  pj-c  j  l  g# 
jais  encore  le  ferment  j  de  garder  à  jamais  lQO* 
vos  divins  préceptes  ^  &  de  ne  me  plus 


304  Sacrement 

départir  _,  en  quoi  que  cefok^  de  Vobélf* 
fance  due  à  votre  Loi.  Et  parce  que  c'eft 
en  telle  &  telle  manière  que  j'ai  eu  le 
malheur  d'enfreindre  vos  ordres ,  &  de 
m' écarter  de  mes  devoirs ,  c'eft  à  quoi 
je  me  propofe  de  faire  particulièrement 
attention  ,  Se  de  quoi  je  veux  me  pré- 
ferver  avec  plus  de  foin.  Oui ,  je  le 
veux  ,  mon  Dieu  ,  je  le  veux  \  vous  en 
êtes  témoin  ,  vous  qui  fondez  le  fond 
des  cœurs  ,  8c  vous  voyez  toute  l'éten- 
due &  toute  la  fermeté  de  ma  réfolu- 
tion. 

Dans  cette  proteftation  ainfi  faite  à 
Dieu  ,  il  y  a  deux  chofes  à  diftinguer  j 
un  propos  général , .  &  un  propos  parti- 
culier. Propos  général ,  qui  s'étend  fans 
exception  à  tous  les  péchés  capables  de 
donner  la  mort  à  notre  ame ,  &  de  nous 
priver  de  la  grâce  de  Dieu.  Car  s'il  y 
avoit  un  feul  péché  (  j'entends  péché 
mortel  )  que  le  pénitent  ne  fût  pas  réfo- 
lu  d'éviter  ,  dès-là  fon  a&e  de  réfolution 
au  regard  des  autres  péchés  ,  feroit  in- 
valide :  pourquoi  ?  parce  qu'il  ne  pour- 
ront avoir  pour  principe  le  vrai  motif 
qui  en  fait  tout  le  mérite ,  &  qui  eft  que 
le  péché  dcplait  à  Dieu ,  qu'il  bletfe 
l'honneur  de  Dieu  ,  que  c'eft  une  ingra- 
titude fouveraine  8c  une  injuftice  en- 
vers 


DE      PÉNITENCE.  305 

vers  Dieu.  En  effet  3  comme  ce  motif 
convient  également  à  tous  les  péchés  , 
il  s'enfuit  par  une  conféquence  nécelfai- 
re  ,  que  dès  qu'il  nous  détermine  à  nous 
abftenir  d'un  péché  ,  il  nous  détermine 
pareillement  à  nous  abftenir  de  l'autre. 
Si  donc  nous  faifons  là-deiTus  quelque 
diftinction  ,  c'eft  une  preuve  évidente 
que  ce  n'eft  point  ce  motif  qui  nous 
conduit ,  &  que  notre  prétendu  bon 
propos  n'eft  qu'iîlufîon.  Propos  parti- 
culier :  c'eft-à-dire  que  notre  réfo- 
lution  doit  fur-tout  tomber  fur  les 
péchés  dont  nous  fommes  actuellement 
coupables  ,  Se  que  nous  venons  dépo- 
fer  au  Tribunal  de  la  pénitence.  Car 
nous  étant  plus  propres  ,  puifqu'ils  nous 
font  perfonnels  ,  la  raifon  veut  que  nous 
y  apportions  plus  de  vigilance  ,  Se  que 
nous  y  faiîions  plus  de  réflexion.  Non 
pas  qu'il  foit  néceffaire  de  les  parcourir 
tous  féparément,&  de  s'arrêter  fur  chacun 
par  autant  d'ades  diftingués  les  uns  des 
autres  :  fans  ce  détail  le  même  a<5te  fuffit. 
Il  n'eft  queftion  que  de  le  rendre  efficace 
ôc  de  ne  lui  point  preferire  de  bornes. 
Mais  on  me  demandera  par  où  l'on 
pourra  juger  que  cet  acte  eft  efficace  3 
ôc  s'il  faut  pour  cela  pouvoir  fe  répon- 
dre quon  ne  tombera  plus.  Car  corn- 
Tome  L  Ce 


5  06  Sacrement 

ment  avoir  cette  aflurance  de  l'avenir , 
ôc  quel  eft  l'homme  qui  peut  prévoir 
toutes  les  conjonctures  où  il  fe  trouve- 
ra,  &  ce  qu'il  y  fera  ou  ce  qu'il  n'y  fera 
pas  ?   Il  en  eft  même  dont  le  penchant 
eft  fi  fort  3c  l'habitude  il  enracinée  f , 
qu'il  leur  femble  qu'ils  n'auront  jamais 
afTez  de  confiance  pour  y  réfifler,    Ôçc 
que  dès  la  première  attaque  ils  fuccom- 
beront.  Cette  difficulté  fe  réfout  aifé? 
ment  par  la  différence  de  deux  Àdies , 
qu'on  ne  doit  pas  confondre  l'un  avec 
l'autre.  Le  premier  eft  dans  l'entende- 
ment ôc  l'autre  dans  la  volonté.  De  fe 
défier  de  foi-même ,  ôc  d'entrevoir  aiy  i 
milieu  même  des  promeffes  qu'on  fait  : 
à  Dieu  ôc  à  fon  Miniflre  ,  qu'appareil**  < 
ment   on  ne    perfévérera    pas  ;    qu'a-* 
près  avoir  foutenu  quelque  temps,  ou  . 
fe  lafTera  j  que  la  paiîion  fe  réveillera , 
ôc  qu'il  y  aura  des  rencontres  où  l'on 
ne  peut  guéres  s'attendre  de  tenir  ferme 
ôc  de  ne  fe  laifTer  pas  entraîner.  Tout 
cela  ôc  cent  autres  idées  femblables ,  ce 
font  des  penfées ,  ce  font  des  conjec- 
tures 3  ce  font  des  vues  de  l'efprit ,  où 
la  volonté  n'a  point  de  part ,   ôc  dont 
elle  eft  indépendante.  Malgré  ces  dé-, 
fiances  ,  ces  craintes  ,  ôc  toutes  les  ex- 
périences qu'elle  a  de  fes  inconftancet 


DE    PÉNITENCE.  30^ 

naturelles ,  elle  peut  néanmoins  avec 
laide  de  Dieu  s'établir  dans  une  réfo- 
lution  a&ueile  Se  véritable  de  s'éloi- 
gner pour  jamais  du  péché ,  &  de  re- 
noncer à  tout  engagement  criminel. 
Mais  l'efprit  lui  repréfente  là-defïus  fes 
foiblefTes ,  fes  légèretés ,  la  violence  de 
fes  inclinations,  mille  combats ,  mille 
ccueils ,  Se  le  peu  de  fonds  qu'il  y  a  à 
faire  fur  la  difpofîtion  préfente  où  elle 
fe  trouve.  Il  n'importe  :  parmi  toutes 
ces  allarmes  elle  eft,  ou  elle  peut  être 
réellement  déterminée  &réfolue. 

Le  pénitent  ne  doit  donc  point  s'é- 
tonner ,  quelque  difficulté ,  Se  même  ,  fi 
je  l'ofe  dire  ,  quelque  impoiîibilité  qu'il 
fe  figure  dans  fon  changement  Se  fa  per- 
févérance.  Cette  impoifibilité  prétendue 
n'eft  que  dans  fon  imagination,  laquelle 
s'effarouche  ,  Se  dont  le  démon  fe  fert 
allez  ordinairement  pour  le  décourager 
Se  l'arrêter.  Car  c'eft  un  des  artifices  les 
plus  communs  Se  les  plus  dangereux  de 
l'efprit  tentateur  ,  pour  refroidir  les  pé- 
cheurs pénitens  ,  Se  pour  renverfer  les 
deffeins  de  converfion  que  la  grâce  leur 
infpire  ,  de  leur  en  mettre  devant  les 
yeux  les  conféquences  par  rapport  à 
toute  1  a  fuite  de  leur  vie  ,  Se  de  les 
embar  afier  de  mille  réflexions ,  telles 

Ccij 


$0%  Sacrement 

que  celles-ci  ,  qu'il  leur  fuggere  inté- 
rieurement Se  incefTamment.  Mais  à 
quoi  eft-ce  que  je  m'engage  ?  Mais 
pourrai-je  vivre  ainfi  pendant  un  long 
cours  d'années  qui  peut  être'  me  refte 
encore  à  fournir  ?  Mais  fi  dans  l'ardeur 
dont  je  me  fens  préfentement  animé, 
rien  ne  me  coûte  ,  ce  premier  feu  ne  fe" 
ralentira-t-il  point  \  Se  fi  cette  ferveur 
qui  maintenant  m'adoucit  tout  ,  vient  à. 
tomber,  comme  il  n'arrive  que  trop , 
à  quels  dégoûts  ,  à  quels  ennuis  ferai-je 
expofé  \  Se  aurai-je  la  force  de  les  por- 
ter ?  Mais  eft-il  à  croire  que  je  puifle 
pafTer  mes  jours  dans  une  retraite  à  la- 
quelle je  ne  fuis  point  fait  ;  que  je  puifTe 
me  dégager  de  cet  attachement  Se  ne 
plus  voir  cette  perfonne  ,  dont  mon 
cœur  efl  épris  ;  que  je  puifTe  me  défen- 
dre de  £qs  reproches ,  de  fes  larmes ,  de 
les  pourfuites  ,  ou  plutôt  que  je  puifTe 
m'interdire  fans  retour  ces  fociétés ,  ces 
entretiens,  ces  entrevues  ,  ces  jeux, 
ces  parties  de  plaifirs,  ces  fpectaclesj 
que  jefurmonte  mille  refpects  humains  y 
mille  confi dérations  ,  mille  tentations 
Se  du  dedans  Se  du  dehors,  qui  ne  man- 
queront pas  fur  cela  de  m'affaillir ,  Se 
fouvent  lorfque  j'y  penferai  le  moins, 
&  que  je  ferai  moins  préparé  à    défi 


DE    PÉNITENCE.  309 

violens  aflauts  ?  Vains  raifonnemens 
d'un  efprit  intimidé  &  troublé  par  la 
paillon  qui  le  domine  ,  par  la  nature 
corrompue  qui  fe  révolte  ,  par  l'ennemi 
de  notre  falut  qui  cherche  à  nous  fur- 
prendre  ,  Se  qui  employé  toutes  (es  ru- 
fes  à  déconcerter  l'ouvrage  de  notre 
converfion. 

Mais  la  paillon  ,  la  nature  ,  l'ennemi 
commun  des  hommes  ont  beau  par- 
ler ,  exagérer  les  chofes  3  groiîîr  les 
objets  ,  il  n'en  eft  pas  moins  au  pouvoir 
du  pénitent  éclairé  &  touché  de  Dieu  3 
que  fa  volonté  n'en  foit  pas  ébranlée. 
11  eft  toujours  maître  de  dire  je  veux, 
ëc  maître  en  effet  de  vouloir  avec  la 
grâce.  îl  n'eft  pas  befbin  qu'il  ait  une 
connoifTance  anticipée  de  ce  qui  arri- 
vera ,  ni  qu'il  puirîe  compter  avec  cer- 
titude que  jamais  il  ne  fe  départira 
de  la  réfolution  où  il  eft  de  ne  plus 
pécher  j  mais  il  furEt  qu'il  foit  dans  cet- 
te réfolution ,  ou  qu'il  croye  prudem- 
ment y  être.  Il  y  auroit  même  de  la  pré- 
fomption  à  fe  tenir  allure  contre  toutes 
les  rechûtes ,  &  c'eft  en  quoi  pécha  S. 
Pierre  ,  lorfqu'il  dit  avec  tant  de  con- 
fiance au  Fils  de  Dieu  :  quand  il  y  iroit 
de  ma  vie  ,  &  que  tous  les  autres  pren- 
draient la  fuite  ,  pour  moi  je  ne  vous 


3io  Sacrement 

abandonnerai  point.  Car  notre  péni- 
tence ne  nous  rend  pas  impecca- 
bles j  Se  notre  volonté  étant  une  vo- 
lonté humaine,  elle  eft  naturellement 
changeante.  D'où  il  s'enfuit  que  fans 
une  révélation  expreffe  de  Dieu,  nul 
homme  ne  peut  fçavoir  comment 
il  fe  comportera  en  telles  &  telles 
circonstances ,  ii  quelquefois  il  s'y  ren- 
contre. 

C'eft  donc  afTez  d'être  certain ,  au- 
tant qu'on  peut  l'être-  moralement  & 
fagement ,  qu'on  veut  fe  corriger ,  & 
qu'on  le  veut  à  quelque  prix  que  ce 
foit  ;  3c  qu'on  le  veut  par  le  même  mo- 
tif qui  a  excité  notre  repentir  &  notre 
douleur  ;  &  qu'on  le  veut  pour  tous  les 
temps  qui  fuivront ,  quelque  fujet  qu'il  y 
ait  de  craindre  que  cette  volonté  ne 
vienne  quelquefois  à  fe  relâcher  &  à  fe 
démentir.  Dès  qu'on  eft  dans  cette 
préparation  de  cœur  ,  on  doit  du  relie 
le  confier  en  Dieu  pour  l'avenir.  On 
doit  dire  comme  l'Apôtre  :  Si  le  Sei- 
gneur eft  avec  moi  Se  pour  moi ,  qui 
fera  contre  moi  ?  Or  j'efpere  qu'il  ne 
m'abandonnera  pas  ,  &  qu'il  m'aidera  à 
confommer  l'ouvrage  que  je  commen- 
ce par  fa  grâce.  On  doit  fe  foutenir  &c 
s'affermir  par  ce  confolant  témoignage 


de  Pénitence.        311 
qu'on  penie  avoir  lieu  de  fe  rendre  à 
foi-même  :  il  eft  vrai ,  je  ferai  expofé  à 
bien  des  attaques  ,  &  que  ferai-je  alors  ? 
je  n'en  fçais  rien  ;  mais  ce  que  je  fçais , 
c'eft  ce  que  je   fuis  actuellement  ré- 
folu  de  faire  ,  qui  eft  de  ne  me  détacher 
jamais    de  mon  Dieu  8c  de  fes  divins 
Commandemens.    Ce    que    je    fçais  9 
c'eft  qu'autant  que  cette  réfôlution  fub- 
fiftera  (  &  pourquoi  ne  fubfifteroit-elle 
pas  toujours  ?  )  rien  ne  me  fera  violer 
]a  foi  que  j'ai  donnée  à  mon  Dieu,  ôc 
que  je  lui  donne.  Enfin  ,  ce  que  je  fçais , 
t    c'eft  que  pour  témoigner  à  Dieu  la  fin- 
cérité  de  cette  réfôlution  3  je  vais  dès 
maintenant  ufer  de  tous  les  préfervatifs. 
néceftaires  ,   prendre  tous  les    moyens 
que  la  religion  me  fournit ,  me  retirer 
de  toute  occafion  dangereufe,    Se  ap- 
porter de  ma  part  toute  la  vigilance  qui 
dépend  de  moi. 

Voilà  dans  ce  dernier  article  comme 
la  pierre  de  touche  ,  qui  nous  fera  con- 
noît  re  fi  notre  propos  eft  tel  que  nous 
nous  le  perfuadons  ,  6c  que  nous  le  di- 
fons.  Car  en  vain  ferons-nous  mille  pro- 
menées à  Dieu  ôc  aux  Miniftres  de  Dieus 
&  en  vain  nous  dirons-nous  mille  fois  à 
nous-mêmes  que  nous  voulons  vivre 
déformais  avec  plus  de  régie  de  faire  un 


|-i2  Sacrement 

divorce  éternel  avec  le  péché  :  û  nou£ 
ne  prenons  pour  cela  nulles  mefuresj  n 
nous  refufons  même  celles  qu'on  nous 
prefcritj  fi  nous  prétendons  être  tou- 
jours de  certaines  fociétés ,  voir  tou- 
jours certaines  compagnies ,  8c  fréquen- 
ter certains  lieux  ,  avoir  toujours  avec 
certaines  perfonnes  des  entrevues  &  des 
liaifons  particulières  ;  en  un  mot ,  nous 
jetrer  toujours,  dans  le  péril,  &  y  de- 
meurer :  fi  malgré  les  avis  que  nous 
donne  un  Confeffeur,  nous  ne  vou- 
ions rien  facrifier  3  ni  rien  entreprendre 
pour  afTurer  notre  perfévérance  ,  ce 
n'eii  point  alors  un  jugement  mal  fondé 
de  conclure  que  nous  ne  fommes  réfo- 
lus  qu'à  demi  3  ou  même  que  nous  ne 
îe  fommes  point  du  tout.  La  preuve  en 
eil  fenfibîe  :  car  vouloir  une  fin  ,  je  dis 
îa  vouloir  folidement  8c  efficacement , 
c'eft  par  une  conféquence  néceffaire , 
vouloir  lever  ,  félon  qu'il  efl  en  nous  , 
tous  les  obftacîes  qui  pourroient  nous 
éloigner  de  cette  fin  ,  &  c'eft  en  même 
temps  vouloir  faire  de  notre  part  cous 
les  efforts  ôc  embraiTer  toutes  les  voies 
qui  peuvent  nous  y  conduire.  Autre- 
ment toute  la  bonne  volonté  que  nous 
penfons  avoir ,  ne  peut  être  qu'une  illu- 
fion  de  une  chimère. 

De-lâ 


de    Pénitence.        31$ 
De-là  vient  qu'on  remarque    fi  peu 
d'amandement  dans  la  plupart  des  per- 
fonnes   qui   approchent  du  Sacrement 
de   Pénitence.   Ils  voudroient  accorder 
enfemble   deux  chofes    tout-a-fait  in- 
compatibles :   c'eft-à-dire ,    qu'ils   vou- 
droient ne  plus  pécher  ,  &  néanmoins 
demeurer  toujours  dans  une  difpoiition 
prochaine  de  pécher.  Que  le  Miniftre 
de  la  pénitence  leur  faife  la  même  quef- 
tion  que  fit  Jefus-Chrift  au  Paralitique 
de  l'Evangile  ,  Se  qu'il  leur  demande  ,      v 
voulez-vous  être  guens  :  ils  répondent  c.  6,  y, 
fans  délibérer ,   qu'ils   le  veulent.  Mais 
que  ce  même  Miniftre ,  fage  &  inif  mit , 
faifant  peu  de  fonds  fur  cette  réponfe 
générale  &  indéterminée  ,  palTe    plus 
avant ,  &  qu'il  en  vienne  à  un  détail  où  il 
lui  convient  de  defeendre  félon  la  con- 
noiffance  qu'il  a  de  leur  état.  Qu'il  leur 
demande   en    particulier    s'ils   veulent 
s'abftenir  de  telles  vifites  ;  s'ils  veulent 
s'interdire  tels  entretiens  &  telles  fami- 
liarités y  s'ils  veulent  renoncer  à  telles 
parties    de  plaifir ,  &  fe  retirer  de  ces 
affemblées    ce  de  ces  fpectacles  ;  s'ils 
veulent   interrompre   tels  négoces ,   8c 
ne    plus    s'engager  en   telles    affaires  j 
s'ils   veulent   réparer    tels    dommages 
qu'ils  ont  caufés ,  ÔC  fe  défaifir  de  tels 
Tome  I,  D  d 


314         Sacrement 
profits  injuftes  &  mal  acquis  :  fi  pour 
vaincre  l'animofité  qu'ils    ont  dans  le  :| 
cœur  ,  &  pour  témoignage  d'une  plei* 
ne  réconciliation  ,  ils  confentent  à  faire  :i 
quelques  démarches    de    leur   part  ôc  :| 
quelques   avances  j    fi   pour    s'affermir 
dans  le  bien  ,  pour  fe  fortifier  contre  les 
nouvelles  attaques  dont  ils  auront  à  fe  : 
défendre,  pour  racheter  le  temps  qu'ils 
ont  perdu  ,  pour  édifier  le  public  qu'ils 
ont  fcandalifé  ,  ils  font  dans  le  deifein  il  t 
de  fe  rendre  plus  allidus  aux  pratiques  ■ 
chrétiennes,    de  s'acquitter  régulière- 1! 
ment  de  telles  prières  &  de  tels  exerce  <  I 
ces  de  piété  ,   d'approcher   des   Sacre-  • I 
mens  à  tels  jours  dans  l'année  Se  à  telles 
Fêtes  ,  de  faire  chaque    jour   quelque 
bonne  lecture  ,  quelque  retour  fur  eux-  - 
mêmes  ;  enfin  de  ne  rien   omettre  de  : 
tout  ce  qu'on  leur  marquera ,  Se  qu'on  ! 
jugera  leur  être  falutaire  :  que  tout  cela , , 
dis-je,  leConfeiTeur  l'exige  d'eux  &:  le 
leur  propofe  ,  c'eft  alors  qu'ils  corn-- 
mencent  à  héiiter  &  à  fe  mettre  en  gar-  - 
de  contre   lui  comme   s'il  les   traitok; 
avec  trop  de  rigueur.  Cependant  ils  ont  1 
beau  fe  plaindre  ,  &  aceufer  d'une  févé- 
rité  outrée  le  Miniftre  qui  leur  impofe 
de  pareilles  conditions  ;  il  n'eftque  trop  ; 
bien  fondé  à  fe  défier  de  leurs  paroi 


D  E    P  E    N    I  T  E   N  C   E.  3IJ 

les ,  &  à  les  renvoyer  fans  abfolution. 
Cherchons  le  Seigneur,  8c  cherchons- 
le  dans  route  la  droirure  de  notre  ame. 
Nous  pouvons  nous  tromper  nous-mê- 
mes •  nous  pouvons  tromper  le  Prêtre 
qui  nous  écoute  ;  mais  nous  ne  trom- 
perons jamais  Dieu.  Nous    nous  éton- 
nons quelquefois  de  nos  rechûtes  pref- 
que  continuelles  ;  mais  il  n'eft  pas  diffici- 
le d'en  découvrir  la  caufe.  Ce  n'eft  pas 
que  nous  ne  nous  foyons  préfentés ,  8c 
que  nous  ne  nous  préfentions  encore  de 
temps  en  temps  au  faint  Tribunal ,  pour 
-y  dépofer  nos  péchés  :  mais  c'eft  que 
nous  n'y  avons  peut-être  jamais  appor- 
té une  volonté  bien  formée  de  changer 
de  vie  ,  8c  de  travailler  férieufemenr 
à  la  réformation  de  nos  mœurs.  Nous 
avons  pris  pour  volonté  quelques  vel- 
léités ,  quelques  defirs  imparfaits ,  quel- 
ques reproches  de  la  confeience  ,  qui 
nous  condamnoit   intérieurement ,    8c 
qui  nous  dictoit  ce  que  nous  devions 
faire.  Nous  l'avons  vu  ,   mais  l'avons- 
tio us  fait  ?  8c  pourquoi  ne  l'avons-nous 
pas  fait  ?  Encore  une  fois ,    c'eft  que 
nous  ne  l'avons  pas  voulu  :  car  on  ne 
manque  guéres  à  ce   que  Ton   veut , 
quand  on  le  veut  bien  réfolument  8c 
que  la  chofe  eft  en  notre  pouvoir.  Je 

Ddij 


3 1 6  Sacrement 

Voulois  ,  difoit  Saint  Auguftin  parlant* 
de  lui-même  ,  je  voulois  me  convertir  •   :i; 
mais  je  le  voulois  comme  un  hommeJr6 
plongé  dans  un  profond  alïbupiifement , 
lequel  voudrait  fe   réveiller  5    &    qui 
retombe  toujours  dans    fon  fommeil. 
Ayons  recours   à  Dieu  :   c'eft  lui  qui , 
félon  le  fens  de  l'Apôtre  ,  nous  fait  voua 
loir  &  exécuter, 

III.  Confeilion.  Dans  hifagè  com- 
mun on   comprend  fous  le  terme  de 
confeilion  tout  ce  qui  a  rapport  au  Sa- 
crement de  Pénitence  ,  mais  dans  une 
lignification  plus  étroite  &  plus  propre , 
nous  appelions  ici  confeflion  cette  fé- 
conde partie  du  Sacrement  ,   qui  con«i 
fille  à  s'accufer  de  fes  péchés  ,  &  à  les 
déclarer  fecrettement  au  Miniftre  établi; 
de  Dieu  pour  les  connoitre  &  pour  nous 
les  remettre  en  vertu  du  pouvoir  qu'il  a. 
reçu  de  Jefus-Chrift.  Or  nous  ne  pou-i 
vons  nous  former  une  idée  plus  jufte 
de  cette  confeilion  ,  que  de  la  regarder 
comme  une   anticipation  du  jugement 
de  Dieu.  Que  fera  Dieu  dans  fon  der- 
nier jugement  ?  il  ouvrira  le  grand  livre 
~$e  nos  eonfciences.  Il  produira  au  jour, 
non-feulement  nos  actions  qui  pendant 
la  vie   ont  pu   paroître  aux  yeux  des 


DE      PÉNITENCE.  317 

1  hommes ,  mais  les  fec rets  les  plus  ca- 
chés de  nos  cœurs  ,  nos  penfées  ,    nos 
fentimens  ,  nos  defirs ,  nos  vues ,  nos 
intentions  ,    nos  projets.  Il  prendra  ce 
?  glaive  dont  parle  Saint  Paul ,  ce  glaive 
de  fa  vérité  6c  de  fa  fageffe,  avec  lequel 
il  démêlera  tous  les  plis  6c  tous  les  replis 
|  de  nos  âmes.  De    forte  que  rien  n'é- 
chappera à  fa  connoirTance  ,   &  que  de 
tous  les  péchés  du    monde ,  il  n'y  en 
\  aura  pas    un   qu'il  ne  découvre   félon 
;  toute  ta  malice  ,  c'eft-à-dire  ,  félon  (on 
\  efpéce  &  toutes  fes  circonftances.  Voi- 
là par  proportion  &  à  l'égard  de  nous-- 
|  mêmes ,  ce  que  nous  devons  faire  dans 
.  le  Tribunal  de  la  pénitence  ;  mais  avec 
i\  cette  différence  eiTentielle  ,  que  la  ma- 
i  nifefiation  que  Dieu  fera  de  nos  péchés 
î  dans  fon  jugement  général  ,  fera  publi- 
i  que  de  univerfelle ,  au  lieu  que  nous  ne 
I  femmes  préfentement  obligés  qu'à  une 
|  révélation    particulière   3    où  le  Prêtre 
;  feul ,  lieutenant  de  Dieu  ,  nous  entend , 
&  qu'il  doit  tenir  fecrette  fous  le  fceau 
le    plus  inviolable.  Ce   n'eft  pas  après 
i  tout  que  le  pénitent  par  toutes  fes  re- 
|  cherches  puiife  parvenir  à  fe  connoître 
I  auiTi  parfaitement  que  Dieu  le  connoî- 
\  tra  &  qu'il  le  connoît  dès  maintenant  ; 
\  ni  qu'il  puiffe  par  conféquent  mettre  fa 

Ddiij 


3  iB  Sacrement 

confcience  aux  yeux  du  Confefïei 
dans  la  même  évidence  que  Dieu 
mettra  aux  yeux  de  l'univers.  Nos  vue 
pour  cela  font  trop  foibles  j  &  il  n'ei 
pas  moralement  polîible  que  toutes  1( 
fautes  dont  nous  fommes  coupable 
devant  Dieu  ,  nous  foient  toujours  pr< 
fentes  à  l'efprit ,  &  que  nul  oubli  n'ei 
efface  aucune  de  notre  fouvenir  :  mai 
par  où  nous  devons  au  moins  fuppléei 
autant  que  nous  le  pouvons  5  à  ce  dé- 
faut 3  c'eft  par  un.  examen  raifonnabh 
ôc  par  toute  la  réflexion  qu'exige  de  noi 
la  prudence  chrétienne  pour  nous  dil 
pofer  à  rendre  compte  de  nous=mêm( 
êc  de  notre  état. 

Quand  on  veut  juger  un  criminel,  01 
commence  par  l'information  5   on 
pelle  les  témoins  ,  on  reçoit  les  dépc 
fitions  ,  on  n'omet  rien  de  tout  ce  qi 
peut  fervir  à  inftruire  le  procès  ,  & 
convaincre  Paccufé  des  faits  qui  lui  font' 
imputés.  Or  quel  eft  ce  criminel  à  qui 
l'on  doit  prononcer  fa  fentence  ?  N'eft- 
ce  pas  moi-même  ,  lorfque  je  vais  en 
qualité  de  pécheur  me  jetter  aux  pieds 
du  Prêtre  &  me  foumettre  à  fon  juge- 
ment ?  Ce  qu'il  y  a  dans  ce  jugement 
de  iingulier  ,  c'eil  que  j'y  fuis  tout  à  la 
fois  3  ôc  l'accufé ,  de  Paccufateur.  Corn-; 


de  Pénitence.  319 
me  accufé  j'y  dois  venir  dans  un  efprit 
d'humilité  j  mais  fur-tout  comme  accu- 
fateur ,  j'y  dois  procéder  avec  toute  la 
circonfpe&ion  ,  &  touted'attention  re~ 
quife  pour  développer  devant  moi  ma 
confcience  ,  &  pour  être  prêt  l  Fexpofer 
dans  la  confellion  nuement  ôc  fans  dé- 
guifement. 

De-la  donc  la  néceiîîté  de  l'examen"; 
Examen  d'une  obligation  indifpenfab  le  : 
car  la  même  loi  qui  m'oblige  à  confeffer 
mes  péchés  ,  m'oblige  à  les  rechercher  , 
à  me  les  rappeller  ,  à  les  retracer  dans 
ma  mémoire,  puifque  fans  cela  je  n'en 
puis  faire  la  déclaration  exacte  &  fidèle. 
Examen  folide  &  conforme  à  l'impor- 
tance du  devoir  dont  j'ai  à  m'acquitter  : 
car  il  eft  queftion  de  me  préparer  à  rece- 
voir la  grâce  d'un  Sacrement ,  &  de  ne 
me  pas  mettre  par  ma  négligence' en 
danger  de  le  profaner.  Examen  fem- 
blable  à  celui  que  David  faifoit  de  lui- 
même  ,  lorfqu'il  paffoit ,  ainfî  qu'il  le 
témoigne ,  les  nuits  entières  à  méditer , 
à  réfléchir ,  à  creufer  dans  le  fond  de 
fon  cœur  ,  ne  voulant  pas  y  lahTer  une 
feule  tache ,  quelque  légère  qu'elle  pût 
être,  dont  il  ne  s'apperçût,  &  dont  il 
ne  prît  foin  de  fe  purifier.  Examen  pro- 
portionné à  la  durée  du  temps  qui  s'eft 

D  d  W 


3io  Sacrement 

écoulé  depuis  la  confelîion  précédente,' . 
Et  en  effet ,  la  raifon  di&e  qu'une  re 
vue  ,  par  exemple  ,  de  pluiîeurs  mois  s 
ou  d'une  année  ,  demande  une  plus 
ample  ôc  plus  longue  difcuiïion ,  que  la 
revue  feulement  de  quelques  jours  ou 
de  quelques  femaines ,  8c  que  ce  qui 
peut  fufÏÏre  pour  l'une  ,  ne  fuffit  pas 
pour  l'autre.  Du .  refte  _,  examen  renfer- 
mé en  certaines  bornes  que  doit  régler 
la  prudence  ,  afin  de  ne  fe  point  porter  : 
aux  extrémités  où  vont  quelquefois  des 
âmes  timides  à  l'excès  &  trop  inquiètes , 
qui  ne  font  jamais  contentes  d'elles- 
mêmes  ,  ôc  en  reviennent  fans  ceife  à 
de  nouvelles  perquifitions  dont  elles 
s'embarraflent  ôc  fe  tourmentent  fort 
inutilement.  Dieu  qui  eft  la  fagefîe  ôc 
l'équité  même  ,  n'exige  rien  de  nous 
au-delà  d'une  diligence  raifonnable  ôc 
mefurée  j  ôc  il  malgré  nous  ôc  par  un 
effet  de  la  fragilité  humaine  ,  quelque 
péché  alors  ,  même  grief ,  fe  dérobe  à 
nos  lumières ,  le  Seigneur  infiniment 
jufle  &  miféricordieux  aura  égard  à  no- 
tre foibleffe  ,  ôc  ne  nous  fera  pas  un  ci|l 
me  d'une  omifïion  involontaire.  Mais 
auiîl  ne  comptons  pas  que  ce  foit  une 
exeufe  légitime  devant  Dieu  ,  qu'un 
oubli  caufe  par  notre  légèreté  ôc  notre 


DE    PÉNITENCE.  $2. 1 

inconfidération.  Nous  ferions  les  pre- 
miers à  nous  le  reprocher  dans  une 
affaire  temporelle  :  comment  nous  fe- 
roit-il  pardonnable  ,  dans  un  des  plus 
faints  <Sc  des  plus  importans  exercice  du 
Chriftianifme. 

Tel  eft  néanmoins  le  défordre.  S'a- 
git-il des  affaires  du  monde  ,  il  n'y  a 
point  d'étude  ,  point  de  contention 
d'efprit  qu'on  ne  faffe  pour  les  examiner 
à  fond.  C'eft  peu  que  d'y  avoir  penfé 
une  fois  j  on  les  porte  par- tout ,  vive- 
ment imprimées  dans  l'imagination  j  on 
les  tourne  &  retourne  en  mille  maniè- 
res ,  &  il  n'y  a  pas  un  jour  ,  fous  lequel 
on  ne  les  envifage  :  pourquoi  ?  c'eft 
qu'on  craint  d'y  être  trompé  ;  &  pour- 
quoi le  craint-on  ?  c'eft  qu'il  y  va  d'un 
intérêt  à  quoi  l'on  eft  fenflble  &  très- 
fenfible  ,  bien  que  ce  ne  foit  qu'un  in- 
térêt périffable  :  c'eft  qu'il  y  va  de  la 
fortune  ;  c'eft  qu'il  y  va  d'un  gain  qu'on 
veut  fe  procurer  ,  ou  d'une  perte  dont 
on  veut  fe  garantir.  Mais  s'agit-il  ce  la 
confcience  5  on  n'y  regarde  pas  de  fi 
près  ,  Se  il  femble  que  ce  foit  une  de 
ces  affaires  qu'on  doit  expédier  dans 
l'efpace  de  quelques  momens.  Y  eut-il 
une  année  &c  plus ,  qu'on  ne  fût  ren- 
tré en  foi-même  pour  fçavoir  où  l'on 


^%%  Sacrement 
en  eft  avec  Dieu  &  de  quoi  l'on  peur 
être  refponfable  à  fa  juftice  ,  on  fe  per- 
fuade  avoir  fatisfait  là-deiïus  à  fon  de- 
voir ,  en  jettant  un  coup  d'oeil  fur  la 
conduite  qu'on  a  tenue  ,  Ôc  Rattachant 
à  quelques  articles  plus  marqués.  On 
pafïe  tout  le  refte ,  &c  on  ne  va  pas  plus 
avant.  Bien  loin  de  craindre  quelque 
furprife  dans  une  révifîon  fî  prompte  & 
ii  précipitée  ,  on  contribue  fouvent 
foi-même  à  fe  tromper  :  c'eft-à-dire , 
que  fur  certains  doutes  qui  naiftent ,  fur 
certains  fcrupules  ,  on  difpute  avec  foi- 
même  &  contre  foi-même ,  pour  les  re- 
jetter  3  pour  les  étouffer ,  pour  les  traiter 
de  craintes  frivoles  ,  &  pour  fe  difpen- 
fer  de  les  mettre  au  nombre  des  aceufa- 
rions  qu'on  fe  tient  obligé  de  faire.  Car 
c'eft  ainfi  qu'en  ufent  une  multitude 
prefque  infinie  de  prétendus  pénitens , 
d'autant  plus  dangereufement  féduits 
par  leurs  fauifes  maximes  ,  qu'ils  en 
voient  moins  l'erreur ,  Se  qu'ils  appro- 
chent du  Sacrement  avec  plus  de  fecu- 
rité. 

Quoi  qu'il  en  foit  ,  ce  n'eft  qu'après 
tout  l'examen  convenable  ,  que  le  pé- 
cheur ,  comme  témoin  éclairé  ,  doit 
comparoître  en  préfence  de  fon  Juge  5 
qui  eft  le   Miniftre  de  Jefus-Chrift  î 


D  E    P  É  N  I  T  E  N  C  E.  $1$ 

mais  cette  précaution  prife  ,  c'eft  alors 
le  temps  de  s'énoncer  ,  de  découvrir  les 
plaies  de  fon  ame ,  de  révéler  aux  oreil- 
les du  Prêtre  toutes  fes  miferes ,  &  de 
lui  en  faire  un  aveu  iimple  &  précis. 
Confeiîion  entière  ,  &  pour  cela  con- 
felîîon  non-feulement  qui  déclare  le  pé- 
ché ,  mais  qui  s'étende  à  toutes  les  cir- 
confiances  capables  ou  de  changer  l'ef» 
péce  du  péché  ,  ou  d'en  augmenter  la 
malice  ;  circonftances  du  nombre  ,  de 
l'habitude  ,  du  lieu  ,  de  la  perfonne , 
des  vues ,  des  motifs  ,  des  fuites ,  des 
moyens ,  Se  autres.  Car  je  dois  me  faire 
connoître  auilî  criminel  que  je  le  fuis  : 
or  je  le  fuis  plus  ou  moins  y  félon  le 
nombre  de  mes  péchés  ,  félon  l'habi- 
tude de  mes  péchés ,  félon  la  fainteté 
du  lieu  où  j'ai  péché,  félon  le  cara&ère 
de  ma  perfonne  ,  ou  celui  de  la  per- 
fonne à  l'égard  de  qui  j'ai  péché ,  félon 
la  connoiûance  de  la  volonté  délibérée 
avec  laquelle  j'ai  péché  ;  félon  les  mo- 
tifs que  je  me  fuis  propofé  en  péchant , 
intérêt ,  ambition  ,  envie  ,  haine  ,  ven- 
geance; félon  les  fuites  &  les  perni- 
cieux effets  que  j'ai  caufés  ,  fcandales  , 
mauvais  exemples  5  dommages  ;  félon 
les  voies  dont  je  me  fuis  lervi  &  les 
moyens  que  j'ai  employés ,   menfon- 


"32,4         Sacrement 
ges  ,   calomnies ,  fraudes ,     trahifons  } 
violences  :  voilà  ,  dis-je  ,     furquoi  je. 
dois  m'expliquer  ,  ne  retenant  rien  ,  ne 
celant  rien  ,  8c  m'appliquant  ce  que  le 
Prophète  difoit  de  lui-même ,  quoique 
dans    une    matière    toute    différente  il 
1/aï.  c.  Malheur  a  moi  fi  je  me  tais  y  8c  fi  je  me  j 
^4  '      tais  far  un  feul   point,  puifqu'un  feui 
point    volontairement   omis  ,    fufïiroit 
pour  rendre  inutile  8c  même  facrilége 
la  confelïion  que  je  ferois  de  tous  les- 
autres. 

Confeilîon  nue  8c  fans  ambiguïté  i 
fans  embarras  ,  fans  détour.  Car  voici 
quel  eft  l'artifice  8c  comme  la  dernière 
reiTource  de  notre  amour  propre.  Il'en 
eft  peu  qui  de  deffein  formé  cachent 
un  péché  mortel ,  &  qui  ofent ,  aux  dé- 
pens de  leur  confcience ,  porter  jufques- 
là  le  déguifement  8c  la  diiîimulation  : 
mais  à  quoi  a-t-on  recours ,  8c  quelle 
forte  de  milieu  prend-on  ?  Ce  péché 
qu'on  a  tant  de  peine  à  tirer  des  ténè-, 
bres ,  8c  qu'on  y  voudrait  tenir  enfe  ■ 
veli  du  moins  en  le  produifant ,  on  le 
colore,  on  l'enveloppe  ,  on  l'adoucit, 
on  le  repréfente  fous  des  images ,  8c  on 
l'exprime  en  à^s  termes  qui  le  rendent 
moins  odieux  ,  8c  qui  en  diminuent  la 
difformité  :  de  forte  que  le  ConfelTeur  % 


d'e    P  É  N    I    T   E    N    C    E.  325 

pour  peu  qu'il  manque  de  pénétration 
Se  de  vigilance  ,  ne  le  connoît  qu'à  de- 
mi ,  &  n'en  peut  difeerner  toute  la  grié- 
veté.   Quand   la    femme  de  Jéroboam 
vint  trouver  Abias  pour  apprendre  de 
lui ,  quelle  feroit  Filme  d'une  dange- 
reufe  maladie  dont  fon   fils  étoit  atta- 
qué ,  ne  voulant  pas  être  connue ,  elle 
fe  déguifa  j    mais  le   Prophète  infpiré 
d'en-haut  &  inftruit  de  ce  qu'elle  étoit , 
lui    cria    d'auili  loin  qu'il    l'apperçut  : 
Entrer  y  Femme  de  Jéroboam  ;  pourquoi  ?.  ntgi 
voulez-vous  paraître  autre  que  vous  n'êtes}  c'»14* 6m 
C'eft  ce  qu'un  Confeffeur  ne  peut  dire  , 
parce  qu'il  n'a  pas  pour  l'éclairer  la  mê- 
me infpiration  ni  la  même  lumière  :  il 
ne  voit  les  çhofes  que  félon  qu'on  les 
lui  dépeint ,  6c  il  eft  aifé  de  lui  en  im- 
pofer  fur  des  faits  qu'il  ne  peut  fçavoir, 
que  par  le  récit  de  la  perfonne  qui  les 
lui    déclare.  Conduite   pitoyable    dans 
un  pénitent  Se  une  pénitente.  Qu'arri- 
ve-t-il  de-là  ?  double  mal  :  fçavoir  _,  que 
d'uvne  part  on  a  la  peine  d'une  révéla- 
tion toujours  fâcheufe  quant  au  fond , 
quelque   imparfaite  &  quelque  fardée 
qu'elle  foit  ;  &  que  d'ailleurs  on  n'en 
retire  aucun  fruit ,  puifqu'elle  n'eft  fuf- 
fifante,  ni  pour  nous  reconcilier  avec 
Dieu ,  ni  pour  calmer  la  conicience  ôC 
nous  donner  la  paix. 


mm 


■jitf  Sacrement 

Confeffion  abrégée  autant  quelle  le 
doit  être ,  retenue ,  difcrete.  Point  de 
ces  longues  narrations  >  où  le  temps  s'é- 
coule en  de  vains  difcours ,  ôc  qui  bien 
loin  d'éclaircir  les  fujets,  ne  fervent 
qu  a  les  obfcurcir.  Point  de  ces  expref- 
fions  peu  féantes  ôc  qui  blefTent  une 
certaine  modeftie.  Point  de  ces  aceufa- 
tions  qui  intérefTent  la  réputation  d'au- 
trui ,  ôc  qui  retombent  fur  le  prochain 
en  le  déiignant.  C'eft  là  que  la  belle 
maxime  du  Fils  de  Dieu  convient  par- 
faitement :  Soye\  prudent  comme  le  fer- 
££•  pent  jy  &  fimple  comme  la  colombe.  Avec 
cette  prudence  5  on  prend  garde  à  ce 
qu'on  dit  &  à  la  manière  dont  on  le  dit  : 
ôc  avec  cette  fimplicité.,  on  parle  ingé- 
nuement  j  on  n'ajoute ,  ni  ne  retranche  : 
ce  qui  eft  certain ,  on  l'accufe  comme 
certain  my  ôc  ce  qui  eft  douteux  ,  on  le 
confeiTe  comme  douteux. 

Enfin ,  confeiîion  humble.  La  raifon 
eft ,  que  fans  cette  humilité  on  n'aura 
pas  la  force  de  furmonter  le  plus  grand 
obftacle  à  l'intégrité  &  à  la  fincérité 
fie  la  confeffion.  Car  voilà  Pécueil  où 
échouent  une  infinité  de  chrétiens» 
Comme  il  y  a  5  dit  le  Sage ,  une  pudeur 
falutaire  qui  mené  à  la  gloire ,  il  y  a 
aufli  une  mauvaife  honte  qui  conduit 


DE    PÉNITENCI,  317 

au  péché  &  à  la  mort.  Elle  conduit  au 
péché,  piùfqu'elle  lie  la  langue  Se  qu'elle 
ferme  la  bouche  fur  certaines  fautes  qui 
coûtent  plus  à  déclarer ,  parce  qu'elles 
marquent  plus  de  foiblefle  &  qu'elles 
caufent  plus  de  confufion.  Et  condui- 
fant  de  la  forte  au  péché  ,  elle  conduit 
à  la  mort ,  puifqu' alors  ,  bien  loin  de 
recouvrer  la  vie  de  l'ame  par  la  rémif- 
fion  de  fes  péchés ,  on  devient  plus  cri- 
minel ,  8c  l'on  ajoute  aux  péchés  paiTés 
I  un  nouveau  péché ,  plus  grief  encore  de 
plus  mortel ,  qui  efl:  l'abus  du  Sacre- 
ment, 

Comment  donc  fe  préferver  de  ces 
défordres  ,  fi  ce  n'eft  par  l'humilité  de 
la  pénitence  j  de  eft-il  une  difpoiition 
plus  nécefTaire  ?  Qu'eft-ce  qu'un  péni- 
tent ?  C'eft  un  coupable  qui  fe  reconnoît 
coupable  ,  qui  fe  dénonce  lui-même 
;  comme  coupable  ;  qui  vient ,  en  qua- 
lité de  coupable  ,  réclamer  la  miférkor- 
de  de  fon  Juge  de  demander  grâce.  Aulîi 
eft-ce  pour  cela  qu'il  paroît  devant  le 
Prêtre  en  pofture  de  fuppliant ,  la  tête 
découverte  ,  les  genoux  en  terre ,  de 
tel  que  le  Publicain  qui  fe  tenoit  à  la 
porte  du  Temple  ,  fans  ofer  lever  les 
yeux  de  fe  frappant  la  poitrine  :  exté- 
rieur qui  témoigne  afTez  quels  font  on 


318  Sacrement 

quels  doivent  être  les  fecrets  fentimens 
du  cœur.  Je  dis  quels  doivent  être  fes 
fentimens   intérieurs  ,  &  ce  font  ceux 
d'une  véritable  pénitence.  Plus  elle  nous 
fait  voir  l'injuftice  &  la  laideur  du  péché, 
plus  elle  nous  porte  à  nous  haïr  nous-mê- 
mes ,  à  nous  renoncer  nous-mêmes ,  & , 
par  conféquent  à  nous  confondre  nous- 
mêmes.  Car  il  n'eft  rien  qui  foit  attaché , 
plus   naturellement  3c  plus  eiTentielle- 
ment  au  péché  ,  que  la  confuiion.  Ainiî 
David  dans  la  penfée  de  fon  péché  qu'il  ! 
ne  perdoit  jamais  de  vue ,  que  difoit-il  à  i 
Dieu,  &  comment  fe  regardoit-il  en  la  i 
^/•37«  préfence  de  Dieu  ?  Ah  !  Seigneur,  s'é- 

**  crioit  ce  Roi  pénitent,  mes  crimes  font  en\ 
plus  grand  nombre  que  les  cheveux  de  ma  i 

îbid.  7 .  ^te  >  &  Ie  P°ids  de  mes  offenfes  m'acca-  ■ 
ble.  Témoin  &  confus  de  ma  mifere^jô: 

ïbid*i$.  marche  la  tête  penchée  j  &  je  me  fuis  à  \ 
moi-même  unfujet  d'horreur.  Mes  amis 
même  j  pourfuivoit  le  même  Prophète,  & 
mes  proches  fe  font  élevés  contre  moi;  ils 
m3  ont  méprifé  i  ils  m' ont  abandonné  à  mes 
ennemis  &  à  leurs  infultes  :  mais  je  n'ai 

l  bid.iu  Pas  cu  une  Par°le  à  répondre  ;  car  ma  con-  - 
fcience  m'a  bien  fait  fentir ,  qu'il  n'y  à  i 
point  d'humiliations  ni  d' opprobres  qui  ne  i 
mefoient  dus  ,  &  dans  ce  fentimentje  ri  ai  \ 
point  cherché  à  cacher  mes  iniquités. 

Mai§ 


de   Pénitence.  319 

Mais ,  me  dira-t-on ,  c'eil  une  nécef- 
fitc  bien  dure  de  révéler  des  chofes  à 
quoi  l'on  ne  peut  penfer  foi-même  fans 
rougir ,  3c  il  faut ,  pour  s'y  déterminer , 
une  étrange  réfolution.  J'en  conviens; 
I  mais  là-deifus  je  réponds,   1.  Que  c'eft 
|  une  obligation  étroite  ôc  rigouteufe.  Il 
•  n'y  a  ni  état ,  ni  caractère ,  ni  âge ,  ni 
prééminence  ,  qui  en  exempte.  Le  Prin- 
[  ce  ïiQn  eft  pas  plus  difpenfé  que  l'Arti- 
fan ,  ni  le  Prêtre  pas  plus  que  le  Laïque. 
Nous    fommes  tous    pécheurs ,   &    en 
conféquence  de  nos  péchés  ,  nous  fouî- 
mes tous ,  fans  exception  de  perfonne  , 
aiiujettis  à  la  même  loi.    Ou  foumet- 
j  tons-nous-y  ,   ôc    obfervons-Jà     autant 
;  qu'il  eft  en  nous ,  ou  n'efpérons  jamais 
(  de   pardon.  2.  C'eft  une   peine  ;  mais 
[  cette   peine  eft  un  des  premiers  châti- 
mens  du  péché.  Vous  avez  commis  le 
péché  fans  honte ,  ou  la  honte  ne  vous 
I  a  pas  empêché  de  le  commettre  :  il  eft 
juite  qu'une  fainte  honte    commence  à 
le  réparer.  Or  c'eft  ce  qu'elle  fait  :  car 
elle  eft  expiatoire  ôc  méritoire.  La  ré- 
million que    vous  obtenez   par-là ,    ne 
vaut-elle   pas  bien  le  peu  d'efforts  que 
vous  avez  à  faire ,  3c  pouvez-vous  l'ache- 
ter trop  cher  ?  Honte  pour  honte  ,  il  n'y 
a  pas  à    délibérer ,  ni  à  balancer  fur  le 
Tome  I*  E  e 


33©        Sachembh* 
choix  d'une  honte  paffagere  3c  parties* 
liere  ,  pour  éviter  à  la  fin  des  fiécles  3c 
dans  railemblée  générale  de  tous  les  i 
hommes  une  ignominie  univerfelle  &  i 
éternelle.  3 .  Si  la  confufion  que  nous 
avons  à  fubir  ,  fait  tant  d'imprefiion  fur 
nous  3  8c  s'il  nous  paroît  fi  difficile  de  1 
s'y  foumettre  ,  c'eft  que  nous  ne  fom-  • 
mes  point  afTez  animés  de  l'efprit  de  pé- 
nitence. Avec  une  contrition  plus  vive , , 
nous  aurions  beaucoup  moins  de  répu- 
gnance à  nous   humilier.  Que  dis-je  ? ; 
faintement  indignés    contre   nous-mê- 
mes 5  nous  ne  nous  croirions  jamais  au- 
tant humiliés  que  nous  le  méritons  ;  3c 
fur  les  termes  que  nous  employerions  &  î 
nous    accufer  ,  il  faudrait  plutôt  nous  l 
retenir ,  qu'il  ne  feroit  befoin  de  nous  s 
exciter.  Car  voilà  ce  qu'on  a  vu  plus 
d'une  fois ,  3c  ce  qu'on  voit  encore  en 
quelques   pénitens  vraiment   convertis 
3c  fenfiblement   touchés.  Ufent-ils   de  1 
vaines  excufes  3c  de  prétendues  justifi- 
cations ?  Au  contraire  ,  comment  dans  ( 
leurs  accufations  fe  traitent-ils ,  3c  quel- 
les idées  donnent-ils  d'eux-mêmes  ?  Que 
n'imputent-ils  point  à  la  perverfité  de  ; 
leur  cœur  ,  à  la  malignité  de  leur  efprit,  , 
à  la  corruption  de  leurs  fens  5  à*  la  vio- 
lence 3c  au  débordement  de  leurs  pa£ 


De  Pénitence,  $$i 

fions  ?  Craignent-ils  la  confufion  qui 
leur  en  doit  revenir  ,  ôc  la  comptent-ils 
pour  quelque  chofe  ?  Souvent  le  Con- 
felTeur  eft  obligé  de  les  arrêter  ,  de  mo- 
dérer leur  zèle ,  de  les  confoler  ,  de  leur 
faire  entrevoir  jufques  dans  leurs  défor- 
dres  un  fonds  d'efpérance  Ôc  d'heureu- 
fes  difpofitions  à  un  parfait  retour  ;  de 
relever  ainfi  leur  courage  ,  ôc  de  les  re- 
mettre du  trouble  ôc  de  l'abattement 
où  ils  font.  Quand  on  eft  contrit  de  la 
forte  ,  toutes  les  difficultés  difparoif- 
fent ,  ôc  l'on  fe  réfout  aifément  à  la 
:  confelSon  la  plus  humiliante. 

Et  de  quoi  aurions-nous  lieu  de 
nous  plaindre  ,  lorfque  le  Fils  même 
;  de  Dieu ,  notre  Sauveur  ôc  notre  mo- 
dèle ,  s'eft  expofé  aux  plus  prodigieux 
abaifTemens  &  aux  humiliations  les 
plus  profondes ,  pour  la  réparation  de 
ces  mêmes  péchés  dont  il  nous  femble 
fi  pénible  de  porter  la  honte ,  après  que 

■  nous  en  avons  goûté  le  plaifir  criminel  ? 
t  A  quelles  indignités  ôc  à  quels   mépris 

a-t-il  été  livré ,  ce  Saint  des  Saints ,  ôc 
«  comment  a-t-il  paru  fur  la  terre  ?  corn- 

■  me  le  dernier  des  hommes  ,  comme 
l'opprobre  du  monde  ôc  le  rebut  du 
peuple.  Mais  fur-tout  dans  ^ette  dou- 
loureufe  paûlon  où  il  corrfomma  fou 

E  eij 


%$i        Sacrement 
facrifice  5  de  quels  outrages  fut-il  com* 
blé  s  &  feîon  le  langage  du  Prophète  s 
fut-il  raffaiié ?  Il  foutint  le  fupplice  de i 
la  croix  3  dit  l'Apôtre  ,   èc  il  accepta 
toute  la  confufion  de  la  mort  la  plus 
infâme.  Ce  ne  fut  point  une  confuïion  i 
fecrette  3  mais  publique  ôc  découverte. 
Toute  fa  gloire  y  fut  cachée  3  fapuiffan-j 
ce  3  fa  fagefTe  5  fa  fainteté  ;  ôc  pourquoi  i 
cela  ?  C'eft  que  fon  Père  l'avoit  chargé 
de  toutes  nos  iniquités  j  c'eft  que  lui-- 
même il  avoit  bien  voulu  les  prendre, 
fur  lui ,  &  que  fe  couvrant  de  la  tache 
de  tous  les  péchés  des  hommes  ,  il  s'é- 
toit    engagé  à  en  efîuyer    devant   les] 
hommes  toute   la  honte.   Eft-ce  là  de] 
quoi  il  s'agit  pour  nous?  Eft-ce  là  ce  a 
que   PEglife  autorifée    &    infpirée    deJ 
Dieu  ^  nous  demande  ?  Le  précepte  de  îj 
la  confeilîon  s'étend-il   jufques-là  j    ôcv 
pour  y  fatisfaire  ,  faut-il  fe  perdre  ainfî  i| 
d'honneur  ôc  facrifier  toute  fa  réputa-- 
tion? 

De  quelque  nature  que  foit  la  con-  • 
fuiion  que  doit  nous  caufer  l'aveu  de  : 
nos  fautes ,  elle  ne  fera  pas  fans  fruit 
par  rapport  même  à  cette  vie  ôc  à  notre  : 
tranquillité.  Il  eft  certain ,  ôc  l'expérien-  ■ 
ce  nous  Fa  appris  5  comme  elle  nous 
l'apprend  tous  les  jours  3  qu'on  eft  bien  i 


de  Pénitence.  $ 3 $ 

dédommagé  du  peu  de  violence  'qu'on 
s'eft  fait  en  fe  déclarant  au  Miniftre  de 
la  pénitence.  Dès  qu'on  a  percé  l'abcès 
ôc  qu'on  l'a  jette  dehors ,  on  font  tout 
à  coup  la  férénité  fe  répandre  dans  l'a- 
me,  On  fe  trouve  comme  déchargé  d'un 
pefant  fardeau.  Dieu  verfe  fes  consola- 
tions ,  ôc  l'on  reconnoît  qu'il  n'y  a  dans 
la  confeiîion  que  des  rigueurs  apparen- 
tes ,  mais  que  dans  le  fonds  c'eft  une 
fource  de  douceurs  intérieures  ôc  toutes 
pures.  Profitons  d'un  moyen  fi  faint  ôc  Ci 
puifTant,  pour  nous  remettre  en  grâce 
auprès  de  Dieu,  ôc  pour  appaifer  les 
troubles  de  notre  confeience.  Moins 
nous  en  avons  fait  d'ufage  jufques  àpré- 
fent,  plus  nous  devons  réparer  nos  pertes 
pafTées.  C'eft  en  nous  confefîant  crimi- 
nels ,  que  nous  rentrerons  dans  les  voies 
de  la  juftice  chrétienne  ,  ôc  que  nous  flé- 
chirons en  notre  faveur  le  Père  des  mi- 
féricordes. 

IV.  Satisfaction.  C'eft  une  vérité  de 
foi ,  que  l'abfolution  du  Prêtre  en  nous 
remettant ,  quant  à  la  coulpe ,  les  pé- 
chés que  nous  avons  confeffés ,  ne  nous 
en  remet  pas  pour  cela  toute  la  peine , 
je  veux  dire  toute  la  peine  temporelle , 
dont  nous  demeurons  redevables  à  la 


•|34  Sacrement 

juftice  de  Dieu.  En  vertu  de  cette  ab-' 
ïblution  la  peiiie  éternelle  nous  eft  re- 
mife ,  puifqu'étant  alors  juftifiés  par  la  . 
grâce  ,  nous  fommes  conféquemment  ; 
rétablis  dans  nos  droits  à  l'héritage  cé- 
lefte  8c  au  falut.  Mais  parce  qu'il  faut 
d'une  manière  ou  de  l'autre  ,  que  la  , 
juftice  divine  foit  fatisfaite ,  en  même  I 
temps  que  nous  recevons  la  rémiiïion  de  • 
la  peine  éternelle,  il  nous  refte  dans  les 
régies  ordinaires  une  peine  temporelle 
à  fubir  ;  8c  telle  eft ,  contre  les  Héréti-  j 
ques  des  derniers  fiécles ,  l'expreffe  dé-  • 
cifton  du  Concile  de  Trente.  Car  il  n'en  i 
eft  pas,  remarque  le  faint  Concile,  du  Sa-  J 
crement  de  pénitence  comme  du  Baptê- 
me. Par  le  Baptême  la  rémiiïion  eft  corn-  • 
plette,  rémiiïion  de  la  coulpe  &  rémiiïion  i 
de  toute  la  peine  :  au  lieu  que  dans  le  - 
Sacrement  de  pénitence,  Dieu  ne  remet  t 
pas  toujours ,  avec  la  coulpe  &  la  peine 
éternelle  ,  ce  que  nous  appelions  peine . 
temporelle.  D'où  vient  cela,  8c  pour- 
quoi cette  différence  ?  (Le  même  Concile  s 
nous  l'apprend  :  c'eft  que  l'équité  8c  la  i 
raifon  veut  que  des  pécheurs ,  qui  de- 
puis le  Baptême    ont  perdu  la   grâce, 
qu'ils  avoient   reçue  ,  8c  ont  violé   le  - 
Temple  du  Saint-Lfprit ,  foient  traités 
avec  plus  de  févérité  ,  que  d'autres  qui 


DE     PÉNITENCE,  $£j 

Vivant  cette  grâce  du  Baptême  ont  péché 
avec  moins  de  connoiiTance  &  moin? 
de  fecours  a  &  n'ont  pas  abufé  des  mê- 
mes dons. 

Delà  cette  troifiéme  partie  du  Sa- 
crement de  pénitence  ,  laquelle  confifte 
en  des  œuvres  pénales  que  le  Confeffeur 
impofe  au  pénitent ,  pour  lui  tenir  lieu 
de  fatisfaction.  Ce  n'eft  pas  ,  félon  la 
penfée  3c  le  langage  des  Théologiens  , 
une  partie  eifentielle  du  Sacrement, 
mais  intégrante  :  c'eft-à-dire ,  qu'elle 
n'en  eft  que  le  complément ,  &  que  le 
Sacrement  fans  cela  pourroit  fubflfteiv 
Non  pas  toutefois  que  ce  ne  foit  une 
partie  nécelTaire  ,  de  d'une  double  né- 
cefïîté  :  l'une  par  rapport  au  Prêtre  ,  qui 
eft  le  Miniftre  de  la  pénitence  ;  Se  l'au- 
tre par  rapport  au  pénitent ,  qui  en  eft 
le  fujet.  J'explique  ceci. 

Nécelîïté  par  rapport  au  Miniftre  de  la 
pénitence  \  je  veux  dire  qu'avant ,  ou  au 
moins  en  même  temps  qu'il  abfoutun  pé- 
cheur^ qu'il  lui  confère  la  grâce  du  Sa- 
cre mentj,  après  avoir  reçu  fa  confelïîon  , 
il  doit  lui  enjoindre  une  peine  :  car  c'eft 
ainfî  que  l'Églife  l'ordonne.  Et  comme 
cette  peine  eft  une  fatisfadtion  pour  les 
péchés  commis  ,  il  s'enfuit  qu'elle  y  doit 
être  proportionnée  j  en  forte  que  plus 


|3<>         Sacrement 
les  péchés  ont  été  griefs  dans  leur  ma- 
lice ,   ou  multipliés  dans  leur  nombre , 
la  peine  foit  plus  rigoureufe  ,  puifqu'il  ! 
eft   raifonnable  que  celui-là  foit   puni  i 
plus  févérement  ,    lequel  a  péché   oUj 
plus  mortellement  ou  plus  habituelle- 
ment. Àuili  eil-ce  dans  cet  efprit  que 
la  primitive  Eglife  avoit  tant  de  peines 
différentes  marquées  pour  chaque  efpé- 
ce  dépêché,   ôc  que  les  Chrétiens s'y^ 
foumettoient  en  vue  de  prévenir  les  ju- 
gemens  de  Dieu,  ôc  de  fe  foufhraire  ai 
fes  vengeances.  Si  la  difcipline  a  chan- 
gé ,  l'efprit  eit  toujours  le  même ,  ôc  le. | 
zèle  des  Prêtres  pour  les  intérêts  du  Sei- 
gneur ne  doit  pas  être  moins  vif  préfen- 
tement  ni  moins  ferme  3   qu'il  l'étoit 
dans  les  premiers  fiécles.  Ils  n5ont  quai 
entendre  là-delfus  ce  que  leur  déclare  le . 
Concile  de  Trente ,  ôc  la  terrible  mena- 
ce qu'il  leur  fait.  Voici  fes  paroles ,  di- 1 
gnes  de  toute  leur  attention ,  puifque 
Setf.  14.  ce&  FEglife  elle-même  qui  parle  &  qui 
prononce.  Les  Prêtres  du  Seigneur ^  co/z-  h 
duits  par  l3 Efprit  de  Dieu  &  fuivant  les  il 
régies  de  la  prudence  j  doivent  enjoindre 
des  fat is factions  falut  aires  &  convenables^  !  : 
eu  égard  à  la  nature  des  péchés  &  à  la  foi- 
bleffe  des  pénitens  :  pourquoi  ?  de  peur , 
ajoutent  les  Pères  du  Concile ,  que  s'ils 

fi 


c,  -80, 


de  Pénitence.  337 

Jl  montrent  trop  indu/gens  *  en  nïmpofant 

pour  des  fautes grièves  que  de  légères  pei- 
nes _,  ils  ne  fe  rendent  coupables  _,  &  ne  par- 
ticipent aux  péchés  de  -ceux  qu'ils  auront 
ainjî  ménagés. 

Malheur  donc  à  ces  Mimftres  faciles 
Se  complaifans  ,  qui  portant  la  balance  ' 
du  fanctuaire  que  le  Seigneur  leur  a 
confiée  ,  au  lieu  de  la  tenir  droite  ,  la 
font  pencher  du  côté  où  les  entraîne 
une  condefeendance  naturelle  Se  toute 
humaine  !  Malheur  à  ces  Miniftres  ti- 
mides Se  lâches  qui  fe  lahTent. dominer 

■  par  l'autorité  Se  la  grandeur  >  Se  n'ont 
pas  la  force  d'ufer  de  leur  pouvoir  ni 

'  de  garder  dans,  leurs  jugemens  toute  la 
fupériorité  que  leur  donne  leur  miniftè- 
re  i  Malheur  à  ces  Miniftres  aveugles 
&  inconfidérés  ,.  qui  faute  d'applica- 
tion ,  ou  faute  de  connoifTance  5  ne 
font  pas  le  difeernement  néceïTaire  en- 

jtxe  les  divers  états  des  malades  qu'ils 
;  ont  à  guérir  ,  Se  ordonnent  au  hazard 

|  les  remèdes  ,  fans  examiner  quels  font 
'  les  plus  efficaces  !  Malheur  à  ces  Mi- 
nières intérefles  Se  vains  ,  qui  pour  ne 
pas  rebuter  ni  éloigner  d'eux  des  per- 
sonnes d'une  certaine  chftinction  ,  dont 
il  leur  eft ,  ou  utile  ,  ou  honorable  d'a- 

^voir  la  confiance,  les  déchargent ,  au- 
Tome  L  F  f 


333  Sacrement 

tant  qu'ils  peuvent ,  des  rigueurs  de  la 
pénitence  ,  &:  facriâent  la  caufe  de  Dieu 
à  des  vues  politiques  Se  mercenaires  ! 
Mais  d'ailleurs  ,  il  doit  être  aufli  pet  mis 
d'ajouter ,  malheur  à  ces  Miniftres  ou- 
trés &  rigides  à  l'excès  ,  parce  qu'ils  le 
font  par  naturel  Se  par  inclination  }  par- . 
ce  qu'ils  le  font  par  entêtement  Se  par 
prévention  j  parce  qu'ils  le  font  par  une 
affectation  de  Pharifien  Se  par  orienta- 
tion j  en  un  mot ,  parce  qu'ils  ne  le  font 
ni  par  raifon ,  ni  par  religion  !  Malheur, 
dis-je  ,  à  eux  ,  quand  ils  défefpérent  les 
pécheurs,  en  les  accablant  de  fardeaux 
infoutenables ,  &  qu'ils  oublient  cette 
régie  fi  fage  que  leur  preferit  le  Concile , 
de  compatir  à  l'infirmité  de  l'homme , 
Se  d'y  conformer  la  févérité  de  leurs  ar- 
rêts. N'allons  pas  fur  cela  plus  loin  :  car 
ces  rigoriftes  font  bien  rares  -y  ce  n'eft 
point  tant  des  Miniftres  de  la  pénitence 
qu'il  s'agit  ici ,  que  des  pénitens. 

NéceiUté  par  rapport  au  pénitent. 
L'obligation  eft  mutuelle  ,  &  la  même 
loi  lie  également  l'un  &:  l'autre ,  j'en- 
tends le  Prêtre  Se  le  pénitent.  Ainfi ,  , 
comme  le  Prêtre  eft  obligé  d'impofer 
au  pénitent  une  peine ,  le  pénitent  de 
fa  part  eft  obligé  de  l'accepter.  Obliga- 
tion même  encore  plus  raifonnabie  Se 
plus    étroite    à   l'égard  du    pénitent  » 


I?  £      PÉNITENCE.  $  j  $ 

puifqu'il  eft  le  coupable ,  ôc  qu'il  ne 
peut,  fans  une  injuftice  ouverte  ,  refufer 
a  Dieu  ,  après  l'avoir  offenfé ,  la  fatif- 
fa&ion  que  mérite  l'injure  qu'il  a  faite  à 
ce  fouverain  Maître. 

Mais  on  demande  en  quel  tems  cette 
pénitence  doit  être  accomplie  j  fi  c'eft 
avant  l'abfolution  ,  ou    il    l'abfolution 
peut  précéder  ?  Cette  queftion  eft  aifée 
à  réfoudre,  puifque  c'eft  une  erreur  con- 
damnée de  dire  ,  que  le  Prêtre  ne  peut 
ni  ne  doit  point  abfoudre  le  pénitent , 
à  moins  que  celui-ci  n'ait  pleinement 
fatisfait  à  toutes  les  œuvres  qui  lui  ont 
été  ordonnées.  Et  nous  voyons  en  effet 
que  l'ufage  contraire  eft  établi  &  prati- 
qué   communément   dans  FEglife ,  au 
moins  à  l'égard  des  pénitens  qui  ne  font 
dans   aucun  des    cas    qui   exigent  que 
l'abfolution  foit  différée.  Le  Confefteur 
écoute  le  pénitent  :  s'afïure  ,  autant  qu'il 
eft  poilible  ,  de  fes  bonnes  difpofitions , 
I  &  fur-tout  de  fa   contrition  &:  de  fa 
réfolution  ;   lui  donne   enfuite  les  avis 
qu'il    juge  propres  ,   lui  enjoint  la  fa- 
tisfaclion    qu'il  croit  convenir  ;    après 
quoi  il  labfout  &  le   réconcilie.  Telle 
eft,  dis-je,  la  pratique  ordinaire.  Mais  il 
des  habitudes  obligent  de  prendre  du 
temps  pour   s'aflurer  de  la  converiion 

Ffij 


340  Sacrement 
du  cœur  :  comme  les  oeuvres  fatisfactoires 
font  en  même  temps  des  remèdes  pour 
guérir  les  maladies  de  l'aine ,  le  Confef- 
feur  doit  en  prefcrire  qui  foient  propres 
à  opérer  cet  effet  ,  -jufqu'à  ce  qu'un 
changement  bien  marqué  lui  fafFe  juger 
que  fon  pénitent  peut  être  réconcilié 
avec  Dieu.  Il  eft  encore  des  rencontres  8c. 
des  circonftances ,  où  il  eft  bon  &  fage  de 
remettre  Pabfolution  après  l'accompliffe- 
ment  de  certaines  œuvres ,  par  exemple , 
de  certaines  reftitutions ,  de  certaines  ré- 
parations ,  de  certaines  réconciliations , 
d'autres  exercices  préliminaires ,  fi  j'ofe 
parler  de  la  forte ,  qui  fervent  à  mieux 
difpofer  le  pécheur ,  &  qui  font  pour  le 
Prêtre  de  plus  fùrs  garans  des  promeifes 
que  le  pénitent  lui  a  faites  ou  plutôt  qu'il 
a  faites  à  Dieu.  Ces  précautions  peuvent 
avoir  lieu  dans  d'autres  occafions  particu- 
lières,dont  l'Eglife  laifîe  le  jugement  à  la 
fageffe  &  à  la  difcrétion  du  ConfefTeur. 

On  demande  encore  fi.  c'eft  un  âeM 
voir  tellement  indifpenfable  d'ace  ep-  , 
ter  la  peine  que  le  Miniftre  de  la  pé- 
tence  a  impofée ,  qu'on  ne  puiffe  ,  pour" 
quelque  raifon  légitime  ,  la  refufer  & 
s'en  exempter  ?  Sur  quoi  il  eft  à  obfer- 
ver  j  que  fouvent  le  ConfefTeur  n'étant 
pas  inftruit  de  l'état  d'une  perfonne,. 
de  fes  engagemens ,  de  fes  facultés,  de  : 


de  Pénitence.  34Î 

fa  complexion  naturelle ,  &  de  la  déli- 
eatelfe  de  fon  tempérament ,  il  peut  ar- 
river que  par  ignorance  ,  ou  quelque- 
rois  même  par  indifcrétion  ,  il  lui  or- 
donne des  chofes  moralement  imprati- 
cables. Or  jamais  Dieu  ne  nous  com- 
mande rimpoiîîble  ,  ni  jamais  l'Eglife 
n'exige  de  nous  ce  qui  eft  au-deflus  de 
nos  forces.  D'où  il  réfulte  ,  que  le  pé- 
nitent alors  eft  en  droit  de  repréfenter 
8c  de  s'exeufer  ,  non  pas.  pour  être  dé- 
chargé de  toute  peine  ,  mais  pour  ob- 
tenir que  telle  peine  qui  lui  eft  enjointe 
8c  à  laquelle  il  n'eft  pas  en  pouvoir  de 
fatisfaire  ,  lui  foit  commuée  félon  la 
plus  jufte  compenfation  ,  dans  une  au- 
tre à  peu  près  égale.  Il  n'y  a  rien  en  cela 
que  d'équitable  ,  ni  rien  qui  ne  s'accor- 
de parfaitement  avec  la  prudence  évan- 
gélique  8c  l'efprît  de  la  pénitence  chré- 
tienne. 

Mais  quelle  eft  la  grande  illufion  8c 
le  grand  abus  ?  illufion  prefque  univers 
felle  ,  8c  répandue  parmi  une  multitu- 
de infinie  d'hommes  8c  de  femmes  du 
monde:  illufion  qui  croît  tous  les  jours  , 
à  mefure  que  la  piété  s'éteint ,  &  que 
la  molleiTe  du  fiécle  étend  plus  loin 
l'empire  des  fens  :  illufion  que  les  Mi- 
niftres  de  Jefas-Chrift  ont  tant  de  peine 

Ffiij 


34*  Sacrement 
a  combattre  ,  &  qu'ils  ne  peuvent  dé- 
truire à  moins  qu'ils  ne  s'arment  de 
toute  la  fermeté  du  zèle  Apoftolique  : 
illuilon  ,  dis-je  ,  qui  confifte  en  de  pré- 
tendues impoffibilités  qu'on  imagine  > 
ôc  dont  on  fe  prévaut  contre  tout  ce 
qui  peut  captiver  l'efprit  ou  mortifier  la 
chair,  c'eft-à-dire  contre  les  œuvres 
les  plus  fatisfactoires  &  les  plus  méritoi- 
res. Il  eft  bon  d'éclaircir  ce  'point ,  & 
d'en  donner  une  pleine  intelligence, 

Le  Miniftre  de  la  pénitence  exerce 
tout  à  la  fois  deux  fondions ,  celle  de 
juge  &  celle  de  médecin  des  âmes» 
Comme  juge  ,  il  doit  punir  :,  3c  comme 
médecin  des  âmes  3  il  doit  travailler  à 
guérir.  Delà  les  pénitences  qu'il  impo- 
£e  doivent  être  tout  enfemble  >  comme 
bous  venons  de  i'infinuer ,  &  expia- 
toires, &  médicinales.  Expiatoires  par 
rapport  au  paiTé  3  pour  acquitter  le  pé- 
nitent des  dettes  qu'il  a  contractées  de- 
vant Dieu*  médicinales  par  rapport  a 
l'avenir  ,  pour  déraciner  les  mauvaifes 
habitudes  du  pénitent ,  &  pour  le  pré- 
cautionner contre  les  rechutes.  Voilà 
les  deux  fins  que  fe  propofe  un  Con- 
fefTeur  habile  &  fidèle  ,  fans  les  perdre 
jamais  de  vue  dans  les  pratiques  &  les 
fatisfaétions  qu'il  ordonne.  Et  parce  que 
tes  contraires  fe  guériileiit  par  les  coa- 


DE      PÉNITENCE,  343 

traires ,  ôc  qu'on  ne  peut  mieux  ni  ex- 
pier le  paire  ,  ni  fe  mettre  en  garde  con- 
tre l'avenir  ,  que  par  des  œuvres  direc- 
tement oppofées  aux  fautes  qu'on  a 
commifes ,  ou  qu'on  feroit  en  danger 
de  commettre  ;  que  fait-il  ?  Afin  de  ren- 
dre les  pénitences  qu'il  enjoint  plus  fa-* 
lutaires ,  il  ordonne  ,  par  exemple  ,  pour 
des  péchés  d'avarice ,  des  charités  &  des 
aumônes }  pour  des  péchés  de  reirenti- 
ment  ôc  de  vengeance ,  des  témoignages 
d'affection  ôc  de  bons  omçes  envers  les 
perfonnes  orTenfées  \  pour  des  péchés  de 
icandale  ôc  de  libertinage ,  les  actions  de 
piété  ôc  l'afîiduité  aux  exercices  publics 
de  la  Religion  ;  pour  des  intempérances 
ou  des  impudicités  ,  les  macérations  du 
corps  ,  les  abftinences  ôc  les  jeûnes  5  pour 
un  attachement  défordormé  au  monde 
ôc  à  fes  divertiifemens  ,  des  jours  de  re- 
traite Se  des  tems  de  filence  ôc  de  priè- 
re :  ainfî  du  refte. 

Or  tout  cela  devient  impofïible  ou 
plutôt  le  paroît ,  pourquoi?  parce  que 
tout  cela  gêne ,  ôc  qu'on  eft  ennemi  de 
la  gêne  ôc  de  toute  contrainte  ;  parce 
que  tout  cela  contredit  les  inclinations 
&:  les  pallions  y  Ôc  qu'on  ne  veut  les 
contrarier  fur  rien  ni  leur  faire  aucune 
violence  ,  parce  que  tout  cela  afflige 

Ffiv 


244         Sacrement 
les  (cns ,  &  qu'on  ne  prétend  rien  lent 
retrancher  de  leurs  commodités  de  de 
leurs  aifes.  Parler  à  un  mondain  ,  à  une 
mondaine  ,  de  modérer  leur  jeu  ,   ou 
même  de  fe  l'interdire  abfolument,  de 
-fe  retirer  des  fpe&acles .  &  de  certaines 
•afïemblées  :  parler  à  un   homme  inté- 
refTé  de  faire  des  largefles  aux  pauvres  > 
à  un  vindicatif  de  pardonner  &de  pré- 
venir par  quelques   avances ,  à  un  amr 
bitieux  de  s'exercer  en  des  actes   d'hu- 
milité ,  à  un  fenfuel  de  réprimer  fes  ap- 
pétits ,  à  un  pareffeux  de  s'appliquer  au 
travail  j  à  un  libertin  tout  répandu  au 
dehors  ,  de  vivre  avec  moins  de  diiïipa- 
tion  ,    de    s'acquitter  des    devoirs    du 
Chriflianifme  ,  d'entendre  la  parole  de 
Dieu  ?  de  lire  de  bons  livres ,  d'aiîifter 
au  Service  divin  :  leur  marquer  là-defïus 
des  régies  &  leur  impofer  des  loix ,  c'eft 
leur  tenir  un  langage  étranger;  c'eft3  à 
les  en  croire  ,  leur  demander  plus  qu'ils 
ne  peuvent  ;  c-eft  ne   les  pas  connoître 
&  ne  fçavoir  pas  les  conduire.  Si  le  Con- 
i enreur3exac~t  &  ferme  3  infifte  néanmoins 
fur  cela  ,  &  ne  veut  rien  relâcher  de  la 
fentence  qu'il  a  portée  j  on  s'élève  con- 
tre lui ,  on  fe  récrie  fur  fon  extrême  ri- 
gueur ,  on  le  traite  d'homme  fauvage  , 
qui  n'a  nul  ufage  du  monde  ,  &c  qui  m'en. 
-fçait  pas  diftinguer  les  conditions.  Erreur 


*E-    PÉNITENCE.  345 

pitoyable  ,  uniquement  fondée  fur  un 
amour  déréglé  de  foi-même  ,  8c  fur  les 
faux  principes  d'une  aveugle  nature  qui 
nous  iéduit. 

Tout  ce  que  nous  ordonne  ce*  Con- 
felfeur ,  eft  plein  d'une  raifon  de  d'une 
fagefTe  toute  chrétienne.  Mais  cela 
m'eft  bien  onéreux  :  auiîi  eft-ce  une 
pénitence  ,  8c  il  n'y  a  point  de  péni- 
tence qui  n'ait  fon  auftérité  8c  fa  peine. 
Mais  je  ne  fuis  point  fait  à  toutes  ces 
pratiques.  11  eft  bon  de  vous  y  faire, 
.8c  c'eft  juftement  afin  que  vous  appre- 
niez à  vous  y  faire  qu'on  vous  les  en- 
joint. Mais  j'accepterois  plus  volon- 
tiers toute  autre  chofe.  Toute  autre 
chofe  vous  conviendroit  moins  que 
celle-ci ,  parce  qu'il  eft  jufte  que  vous 
foyez  puni  par  où  vous  avez  péché,  8c 
que  d'ailleurs  c'eft  un  remède  plus  fpé- 
ciflque  8c  plus  certain  contre  le  pen- 
chant habituel  qui  vous  porteroit  en- 
core à  pécher.  Mais  il  faut  donc  chan- 
ger le  plan  de  ma  vie.  En  doutez-vous , 
8c  n'eft-ce  pas  pour  vous  réformer  8c 
pour  changer  de  conduite  ,  que  vous 
avez  dû  venir  au  faint  Tribunal  ?  Mais 
je  fuis  d'un  tempérament  foible.  Eprou- 
vez-vous ,  8c  peut-être  vous  verrez  que 
vous  n'êtes  pas  à  beaucoup  près  fi  foi- 
bk  que  vous,  le  penfez  j  de  plus  a  cène 


24^  Sacrement 
foiblefTe  que  vous  faites  tant  valoir, 
peut  bien  être  une  raifon  pour  vous 
ménager  ,  fans  que  ce  foit  une  difpen- 
fe  abfolue  de  tout  exercice  pénible  & 
mortifiant.  Mais  enfin,  je  ne  pourrai 
jamais  m'afïujettirà  ce  qu'on  me  pro- 
pofe.  Vous  ne  le  pourrez  pas ,  parce  que 
vous  ne  le  voulez  pas  :  or  vous  devez  le 
vouloir  ,  puifque  Dieu  le  veut  ,  &  qu'il 
ne  vous  jugera  pas  félon  les  vains  pré- 
textes que  vous  alléguez ,  mais  félon  fes 
ordres  de  fes  volontés» 

Chofe  étrange ,  qu'ayant  un  aufîi 
grand  intérêt  que  nous  l'avons  à  dé- 
tourner les  coups  de  la  juftice  de  Dieu, 
£ç  pouvant  l'appaifer  à  n"  peu  de  frais , 
nous  héritions  encore  &  nous  nous  ren- 
dions fi  difficiles  à  prendre  les  moyens 
qu'on  nous  préfente  !  Il  n'y  a  point  de 
péché  qui  ne  méritât  des  larmes  éter- 
nelles ,  fi  la  divine  miféricorde  n'a- 
giftoit  en  notre  faveur  ^  &  il  n'y  a  point 
de  fatisfa&ions  qui  pufTent  être  fuffi- 
fantes  ',  fi  Dieu  ufoit  à  notre  égard  de 
tous  fes  droits.  Avons-nous  après  cela 
bonne  grâce  de  nous  plaindre  ,  &c  que 
veut-on  de  nous  qui  foit  équivalent  à 
ce  qu'on  en  pourroit  attendre  félon  les 
loix  de  la  plus  droite  Juftice?  Ne  comp- 
tons point  avec  Dieu ,  afin  que  Dieu 
ne  compte  point  avec  nous  j    car  dans 


de  Pénitence.  347 
ce  compte  nous  nous  trouverions  bien 
en  arrière.  Si  l'homme  entreprend  de  dif-  j0i,  c* 
puter  contre  le  Seigneur  _>  difoit  le  faint  9*  h 
homme  Job,  de  mille  fujets  d'aceufation 
il  ne  pourra  pas  fatis faire  fur  un  feuL,  Le 
mal  eft.  ,  que  nous  ne  nous  attachons 
point  allez  à  comprendre  la  griéveté  du 
péché ,  &  les  dommages  extrêmes  qu'il 
nous  caufe.  Quand  nous  aurons  mûre- 
ment confidéré  ,  d'une  part  la  grandeur 
infinie  de  Dieu  ,  la  multitude  de  fes 
bienfaits  _,  la  févérité  de  fes  jugemens  -y 
d'autre  part  notre  propre  baffe  ffe  &  no- 
tre néant  devant  cette  fuprême  Ma- 
jette  ,  notre  ingratitude  envers  cette 
bonté  fouveraine ,  ce  que  nous  avons  à 
efpérer  de  fon  amour,  ce  que  nous 
avons  à  craindre  cle  fa  juftice  :  nous 
apprendrons  de-là  :  i.  quelles  actions 
de  grâces  lui  font  dues  de  nous  avoir 
fourni ,  dans  î'inrtitution  du  Sacrement 
de  Pénitence,  une  reiîburce  pour  nous 
relever  de  nos  chûtes ,  &  une  planche 
pour  nous  tirer  du  naufrage  après  le  pé- 
ché. 2.  De  quelle  conféquence  il  eft  de 
ne  lailTer  point  le  péché  s'établir  dans 
nous ,  &  y  prendre  racine  }  mais  d'avoir 
promptement  recours  à  la  pénitence  & 
à"  fon  Sacrement ,  dès  que  nous  nous 
{entons  atteints  de  quelque  bleffure 
mortelle  dans  Famé  >  éc  que  nous  fom« 


34^  Sacrement 

mes  tombés  dans  la  difgrace  de  Dieo;  J 
3.  De  quel  avantage    doit  êtte    pour  | 
nous  la  fréquente  confeiîion,  puifqu'el-  ! 
le  fert  à  purifier  de  plus  en  plus  notre 
cœur ,  à  nous  fortifier  contre  les  atta- 
ques où  nous  fommes  continuellement 
expofés ,   à  nous  maintenir  dans  un  état 
de  grâce  &  à  nous  y  faire  croître.  4.  Avec 
quelle  fourmilion  nous  devons  écouter 
le  ConfefTeur ,  qui  nous  parle  au  nom 
de  Dieu  5   foit   lorfquil  nous  reprend , 
foit  îorfqu'il  nous  exhorte  >  ou  lorfquil 
nous  inftruit  &  qu'il- nous  donne  des  con- 
feils  pour  le  règlement  de  notre  vie.  5, 
Avec  quelle  fidélité  &  quelle  confiance 
nous  devons  entreprendre  tout  ce  qu'il 
nous  prefcrit  de  plus  mortifiant  :  forte- 
ment perfuadés  ,  félon  la  maxime  de 
faint  Bernard ,  que  moins  il  nous  épar- 
gne en  ce  monde,  plus  il  ménage  nos 
véritables  intérêts  pour  l'autre  ,  &  que 
bien  loin  que  fa  fermeté  foit  une  raifon 
de  nous  éloigner  de  lui ,  ce   feroit   au 
contraire  un  jufte  fujet  de  nous  en  dé- 
tacher &   de  le  quitter ,  s'il  nous  trai- 
toit  avec  plus  d'indulgence  ôc  qu'il  nous 
fît  marcher  par  un  chemin  plus  com- 
mode. 6.  Enfin  ,  combien  il   eft  doux  5 
en  fe  retirant  des  pieds  du  Miniftre  de 
J.efus-Chrift  ,  d'entendre ,  comme  de  la 
bouche  de  Jefus-Ch'rift  même  >  cetje 


des     Sens,  349 

confolante  parole  :  Vous  êtes  rentré  en 
grâce  j  alle%  &  ne  péche^plus. 


Pénitence  extérieure ,  ou  mortifia 
cation  desfens. 

NOtre  fiécle,  tout  perverti  qu'il  eft, 
ne  laiife  pas  d'avoir  des  pénitens  Se 
des  pénitentes.  Il  en  a  jufques  dans  le 
grand  monde  ,  jufques  à  la  Cour.  Mais 
quelles  pénitentes  &  quels  pénitens! 
Des  pénitens  &  des  pénitentes  de  notre 
fiécle  ,  &  non  des  premiers  fiécles.  Ex- 
pliquons-nous. 

Abftinences  rigoureufes ,  jeûnes  fré- 
quens  &  même  perpétuels  ,  longues 
veilles ,  travail  pénible  ,  folide  &  pro- 
fond .  lilence  *,  le  pain  &  l'eau  pour  fe 
nourrir  ,  le  fac  Se  le  cilice  pour  fe  vêtir  , 
une  fimple  natte  ,  ou  la  terre  nue  ,  pour 
repofer  }  rochers  ,  cavernes  ,  grottes 
obfcures  3c  ténébreufes  ,  pour  fe  reti- 
rer y  injures  de  toutes  les  faifons  ,  cha- 
leurs de  l'Eté  ,  froids  de  l'Hiver,  inrir- 
mités  du  corps ,  mort  a  foi-même  &  à 
tous  les  fens  ;  tout  cela  accompagné  de 
ferventes  prières ,  &  tout  cela  foutenu 


350  Mortification 
fans  interruption  ,  fans  relâche  ,  jufqiies 
au  dernier  foupir  de  la  vie  :  telle  étoit 
la  pénitence  des  premiers  fiécles.  Mais 
ces  fiécles  font  pâlies  ,  &  la  pénitence 
de  ces  heureux  fiécles  eft  paffée  avec 
eux. 

Car  quelle  eft  la  pénitence  du  flécle 
préfent ,  8c  pour  ne  me  point  engager 
dans  une  difcuiîion  trop  générale  de 
trop  vague  ,  j'ofe  vous  demander  en 
particulier  quelle  .eft  la  pénitence  que 
vous  faites  >  vous  à  qui  je  parie  &  de 
qui  il  s'agit  actuellement  entre  vous  Se 
moi  ?  Après  avoir  été  du  monde ,  Ôc  y 
avoir  paru  fans  y  donner  l'édification 
que  le  monde  devoit  attendre  de  vous } 
que  dis- je  !  après  y  avoir  peut-être  don- 
né bien  des  fcandales  dans  le  cours 
d.'une  vie  libertine  &  déréglée  ,  vous 
regardez  la  retraite  où  vous  vivez  pré- 
fentement ,  comme  un  état  de  péniten- 
ce :  mais  cette  pénitence  à  quoi  fe  ré- 
duit-elle ?  je  ne  prétends  rien  lui  ôter 
de  fon  mérite,  Se  je  vous  rends  volon- 
tiers toute  lajuftice  qui  vous  eft  due. 
Vous  n'êtes  plus ,  grâce  au  Seigneur , 
ce  que  vous  avez  été  ,  &  vous  tenez 
maintenant  une  conduite  beaucoup 
plus  régulière  &  plus  chrétienne.  Il  en 
faut  bénir  Dieu  3  puifque  c'eft  un  don 


dis     Sens.  351 

de  fa  miféricorde.  Je  l'en  bénis  en  effet , 
ôc  je  le  prie  d'achever  en  vous  fon  ou- 
vrage ,  ôc  de  vous  le  faire  confommer 
par  une  fainte  perfévérance. 

Mais  revenons  ,    s'il  vous  plaît ,   ôc 
voyons  donc  où  fe  termine  votre  péni- 
tence. Car  vous  comptez  bien  que  vo- 
tre état  eft  un  état  pénitent  ,  îk  vous 
efpérez  bien  que  Dieu  l'acceptera  com- 
me tel  3  &  qu'il  vous  en  récompenfera. 
Orquel^ft-il  cet  état?  trouvez  bon  que 
j'entre  là-deffus  en  quelque  détail.  Un 
équipage  modefte  ,    il  eft  vrai  ;  mais 
propre  ôc  fur-tout  fort  commode.  Mê- 
me modeftie  ,  mais  aufli  même  propre- 
té ,  &c  fur-tout  même  commodité,  dans 
le  logement ,  dans   l'habillement  3  une 
table  frugale ,  mais  bien  fervie  _>  ôc  peut- 
être  plus  délicate  dans  fa  frugalité ,  que 
des  repas    beaucoup    plus    fomptueux. 
Point  de  jeux  ,    point    de   fpeâacles , 
point   d'afïembiées  profanes  j   mais  du 
refte  ,   une  fociété  agréable    ,   vifites  , 
promenades ,   campagnes  ,    récréations 
où  l'on  prend  goût  3   quoiqu'honnêtes 
d'ailleurs  ôc  innocentes  \  en  un  mot ,  vie 
douce  ôc  paifible ,  fans  bruit ,  fans  em- 
barras d'affaires  ,  fans  inquiétude  ,  fans 
foin. 

Je  fçais  qu'avec   cela  vous  avez  vos 


3  5  "2.  Mortification 
exercices  de  piété  &:  de  charité.  Vous 
récitez  de  faints  offices  ,  vous  faites  de 
bonnes  lectures  ,  vous  vous  adonnez 
même  à  l'oraifon  ,  vous  approchez  des 
Sacremens  ,  vous  vifitez  quelquefois 
les  pauvres  &  les  foulagez.  Tout  cela-' 
eft  louable }  &  le  monde  en  doit  être  j 
édifié.  Mais  après  tout  ,  ces  mêmes' 
exercices  où  confifte  tout  le  fonds  de 
votre  vertu  ,  comment  les  pratiquez-  ' 
vous  ,  ëc  à  quelles  conditions  ?  Pourvu 
qu'ils  ne  vous  gênent  en  rien  j  pourvu 
qu'ils  vous  laifTent  une  pleine  liberté 
de  les  quitter  &  de  les  reprendre  ,  félon 
qu'il  vous  plaira  ;  pourvu  qu'ils  foient 
de  votre  choix  ,  ou  à  votre  gré  ,  8c 
qu'ils  s'accommodent  à  votre  inclina- 
tion ;  pourvu  que  votre  repos  n'en  foit 
aucunement  troublé  ;  pourvu  qu'ils 
s'accordent  avec  l'extrême  attention 
que  vous  avez  à  votre  fanté  &  à  toute 
votre  perfonne*  Car  voilà  tous  les 
adoucmemens  8c  toutes  les  facilités 
que  vous  y  voulez  trouver.  Or  eft-ce 
là  ce  que  vous  appeliez  pénitence  ? 
Quoi  que  vous  en  puilïiez  dire ,  pour- 
rai-je  5  moi  ,  fans  vous  bleifer ,  vous  dé- 
clarer ingénuement  ma  penfée  ?  Votre 
pénitence ,  c'efb  de  quoi  les  vrais  péni- 
zms ,  les  pénitens  d'autrefois,  auroient 

eu 


des     Sens.  353 

eu  horreur  comme  d'une  vie  fenfuelle 
Se  délicieufe  •  c'eft  ce  qu'ils  fe  feraient 
reproché  comme  un  des  plus  grands 
relâchemens.  Si  vous  en  jugez  autre- 
ment qu'ils  en  jugeoient ,  prenez  garde 
d'en  juger  autrement  que  Dieu  en  juge 
lui-même. 

Et  en  effet ,  je  vous  renvoyé  à  l'E- 
vangile de  Jefus-Chrift.  Quelles  idées 
nous  donne-t-il  de  la  pénitence  chré- 
tienne ,  &  fous  quelles  figures  nous  l'a- 
t-il  repréfentée  ?  comme  une  guerre 
contre  la  nature  corrompue ,  8c  toutes 
fes  fenfualités  :  je  ne  fuis  point  venu  fur  la   Matt*' 

J  ;  •  ■     %■  CI  0.3 4.' 

terre  pour  y  apporter  la  paix;  mais  la  guer- 
re ;  comme  une  croix  dont  nous  devons 
nous  charger  ,  8c  que  nous  devons  porter 
tous  les  jours:  Quiconque  veut  être  mon  Tbifo 
difciple  j  qu'il  renonce  à  foi-même  _,  qu'il  ç%1  ,24" 
prenne  fa  croix  &  quilmefuive  ;  comme 
une  violence  que  chacun  doit  fe  faire  : 
.  depuis  les  jours  de  Jean-Baptijle ,  depuis 
que  ce  faint  Précurfeur  a  paru  dans  le 
monde  ,  qu'il  y  a  prêché  la  pénitence 
8c  la  rémiflion  des  péchés,  pratiquant 
lui-même  ce  qu'il  enfeignoit  ,  vivant 
dans  le  defert ,  ne  fe  nourrifïant  que 
de  fauterelles  8c  de  miel  fauvage  _,  ouv 
pour  mieux  dire ,  ne  mangeant  ni  ne 
buvant  ;  depuis  ce  tems-là ,  le  Royaume  M&tu 
Tome  L  G  g  r.n.ift. 


|  J4       Mortification 
^  Ciel  fc  prend  par  force  j  &  on  ne  rem- 
porte que  par  violence.  Comme  une  voie 
étroite  \  il  faut  marcher  au  milieu  des 
Siïatu  c  ronces  &  des  épines  :  O  que  le  chemin  qui , 
7°   I4'   mené  à  la  vie  efi  étroit  j  &  quily  en  apeu  i 
qui  y  entre  !  La  vérité  de  tous  ces  Tex- 
tes eft  inconteftable  :  ce  font  des  points 
de  Foi. 

Je  vous  renvoyé  au  grand  Apôtre  ,  8c , 
aux  divines  leçons  qu'il  nous  a  lailfées 
dans  fes  Epîtres.Car  s'expliquant  enco- 
re plus  clairement  fur  le  fujet  dont  il  I 

Cal.   c.    >     >     ■    •  o  •     r~ 

%.  24,  s  agit  ici  entre  vous  &  moi  :  i  ous  ceux  y 
dit-il ,  qui  appartiennent  à  Jefus-Chrijl  y  , 
ont  crucifié  leur  chair  avec  fes  vices  &fes 
convoitifes.  Il  ne  dit  pas  feulement  qu'ils 
ont  crucifié  leur  cœur ,  mais  leur  chair  , 
cette  chair  criminelle,  qui,  par  une  con- 
féquence  bien  jufte  ,  doit  avoir  part  à  la 
peine ,  après  avoir  eu  tant  de  part  au  pé- 
ché. Delà  cette  régie  que  le  même  Apô- 

£em.  c.  tre  cbnnoit  aux  Romains  :  Autant  que 
vous  ave^fait  fervir  vos  corps  à  V  iniquité y 
&  que  par-là  vous  êtes  devenus  pécheurs  : 
autant  faites-les  fervir  à  la  jujlice  pour 
devenir  faints  par  la  pénitence.  Cette 
proportion  eft  remarquable  ,  ôc  peut 
étonner  notre  délicateffe  ;  mais  fainr 
Paul  la  trouvoit  encore  trop  foible,  & 

rVM*  ç'çfc  pour  cela  qu'il  ajoutoit  1  Je  parle 


des     Sens.  $55 

en  homme  _,  &  j'ai  égard  à  Vinfinnité  de 
votre  chair,  Aulli  difoit-il  de  lui-même , 
Se  des  autres  difciples  du  Sauveur  :  Par-  u  Coe* 
tout&  en  tout  tems nous  portons  dans  nos  c,4,IOt 
corps  la  mortification  de  Jefus  .,  afin  que 
la  vie  de  Jefus  fefaffe  voir  dans  nos  corps. 
Je  laide  cent  autres  témoignages  :  ceci 
fufrlt  3  ôc  il  n'eft  queftion  que  de  vous, 
l'appliquer  à  vous-même. 

Car  Voilà  dans  la  morale  évangélique 
des  maximes  fondamentales.  Elles  re- 
gardent généralement  tous  les  états  du 
Chriftianifme ,  Se  nous  ne  voyons  point 
que  Jefus-Chrift  ni  les  Apôtres  les  aient 
reftraintes  à  quelques  conditions  fans  y 
comprendre  les  autres.  Voilà  comment 
on  eft  Chrétien  ,  ou  comment  on  doit 
1  être.  Les  Juftes  mêmes  nen.  font  pas. 
difpenfés  ,  que  faut-il  conclure  des  pé- 
cheurs ?  Or  fans  vous  flatter  ni  chercher 
vous-même  à  vous  tromper  ,  faites ,  je 
vous  prie  ,  l'application  de  ces  princi- 
pes à  votre  vie ,  telle  que  je  l'ai  décri- 
te  Se  telle  qu'elle  eft.  De  bonne  foi  cet- 
te vie  prétendue  pénitente  ,  eft-ce  une 
guerre  où  vous  foyez  fans  ceife  à  com- 
battre vos  fens ,  Se  où  vous  les  teniez 
dans  une  fujettion  dure  Se  pénible  ? 
Eft-ce  une  croix  pefante  Se  capable  de 
vous  accabler,  3  fi  vous  ne  faifîez  chaque 


15^"  M  ,e  r  r  i  r  i  c  a  t  r  o  Kr 
jour  êc  à  chaque  pas  de  violens  effort* 
pour  en  foutenir  le  poids  ?  Eft-ce  un 
renoncement  à  vous-même  de  à  toutes 
vos  aifes  ?  Eft-ce  un  chemin  rude  - 
ctroit  ,  raboteux  ?  De  quelles  auftérib 
tés  affligez-vous  votre  corps  ?  Quels 
foulagemens  y  <k  même  quelles  dou- 
ceurs lui  refufez-vous  ?  Quelles  abfti- 
nences  ,  quels  jeûnes,  pratiquez-vous  ? 
En  quelles  occafions  avezr-vous  facrifié 
par  un  efprit  de  pénitence  ,  votre  goût, 
votre  repos  ,.  votre  fanté  ?  Quand  ave&* 
vous  éprouvé  la  rigueur  des  faifons  r 
les  froids  de  l'Hiver ,  les  ardeurs  de 
l'Eté  ,  Ôc  peut-on  dire  enfin  que  vous 
êtes  revêtus  de  la  mortification  de  Je- 
fus-Chrift  ?  Où  la  faites-vous  voir  ?  &c 
à  quels  traits  la  reconnoît-on.dans  toute 
votre  perfonne  ? 

Je  vois  ce  que  vous  pourrez  me  ré.- 
pondre  :  que  la  mortification  Chré- 
tienne confifte  particulièrement,  dans 
i'efprit ,  c'eft-à-dire  qu'elle  confifte'  à 
rompre  fa  volonté  ,  à  modérer  fes  viva- 
cités ,  à  réprimer  fes  defirs  trop  natUr 
.  rels  ;  à  fe  rendre  maître  de  fon  cœur  & 
de  tous  fes  mouvemens*  J'en  conviens 
avec  vous ,,  &  je  veux  bien  même  en- 
core convenir  qu'à  l'égard  de  cette 
mortification  de  I'efprit  x  les  fujets  d& 


fc    £     S       S    E    N    Sr  5  57 

la  pratiquer  ne  vous  manquent  pas 
dans  la  retraite  où  vous  vivez  ,  que  cet- 
te féparation  3c  cet  éloignement  d'un 
certain  monde  ,  n'eft  pas  peu  oppofé  à 
votre  tempérament  3c  à  vos  inclina- 
tions ;  que  cette  exactitude  à  remplir 
certains  devoirs  ,  3c  à  vous  acquitter  de 
vos  exercices  de  piété  ,  vous  donne  lieu 
en  bien  des  rencontres  de  furmonter 
vos  répugnances  ,  vos  dégoûts  ,  vos 
ennuis  j  qu'il  y  a  des  momens  où  la 
tentation  eft  forte  >  où  le  fouvenir  â.Q^ 
plaifirs  paflés  fait  de  vives  imprelîions 
dans  Famé  'y  où  la  folitude  ,  la  prière  , 
la  ledfcure  ,  toutes  les  obfervances  de  la 
religion  deviennent  très-iniipidês  y  3c 
par-là  même  très  -  onéreufes  j  enfin  > 
qu'on  ne  peut  alors  prendre  l'empire 
fur  foi-même  ,  3c  fe  vaincre  fans  beau- 
coup de  violence.  Tout  cela  eft  in- 
contestable ,  mais  il  n'eft  pas  moins 
vrai ,  que  ,  félon  la  loi  de  Jefus-Chrift  y 
il  faut  que  la  mortification  des  fens  ac- 
compagne tout  cela  ,  foutienne  tout 
cela ,  foit  le  complément  de  tout  cela. 
Il  n'eft  pas  moins  vrai  que  de  tous  les 
points  de  la  loi  de  Jefus-Chrift ,  il  n'y 
en  a  pas  im  que  faint  Paul  ,  fidèle  in- 
terprète des  fentimens  de  fon  maître  , 
nous  ait  plus  fouvent  3c  plus  exprefté- 


3  5$  Mortification 
ment  recommandé  que  la  mortifica- 
tion des  fens.  A  qui  parloit-il  ?  à  des 
Solitaires  ?  à  des  Religieux  ?  Mais  du 
tems  de  faint  Paul ,  il  n'y  avoit  ni  Reli- 
gieux ,  ni  Solitaires.  Il  parloit  donc  à 
des  hommes  y  à  des  femmes  ,  à  de 
jeunes  perfonnes  du  monde ,  fans  dif- 
tindtion  de  qualités  ,  ni  de  rangs.  Si 
dans  la  fuite  il  y  a  eu  des  Solitaires  8c 
des  Religieux ,  c'eft  que  les  plus  éclai- 
rés &  les  plus  zélés  d'entre  les  Chré- 
tiens ,  comprenant  d'une  part  l'obliga- 
tion où  ils  étoient ,  comme  Chrétiens , 
fur-tout  comme  pénitens ,  de  mener 
une  vie  au  (1ère  8c  mortifiée ,  8c  crai- 
gnant d'ailleurs  de  fe  laitier  furprendre  3. 
même  dans  leur  pénitence  ,  aux  illu- 
sions 8c  à  la  molleife  du  fiécle  ,  ils  ont 
pris  le  parti ,  pour  fe  prémunir  contre 
ce  danger ,  de  renoncer  à  tous  leurs 
biens ,  d'embraifer  la  pauvreté  ,  de  fe 
confiner  dans  les  deferts  >  de  s'enfermer 
dans  les  Cloîtres ,  8c  de  fe  réduire  par-là 
dans  un  dénuement  entier  de  tout  ce 
qui  peut  fervir  à  flatter  le  corps. 

Delà  l'établilTement  de  tant  de  faints 
Ordres ,  où,  les  fens  font  traités  avec 
toutes  les  rigueurs  que  les  forces  de  la 
nature  peuvent  fupporter  }  où  l'on  eft 
nourri  pauvrement  3  vêtu  grofïierement 


des    Sens.  359 

couché  durement  j  où  le  fommeil  eft 
court  de  interrompu  ,  le  travail  conf- 
tant  &  aiîidn  ,  le  joug  de  la  régie  pe- 
fant  j  où  ,  fuivant  la  parole  de  l'Apôtre, 
le  corps  par  de  fréquentes  macérations 
eft  immolé  comme  une  hoftie  vivante 
3c  une  victime  d'expiation.  Car  tel  eft , 
ajoute  le  Maître  des  Gentils  ,  tel  eft  le 
culte  raifonnable  que  nous  devons  à 
Dieu.  Après  quoi  il  fait  beau  entendre 
dire  aux  gens  du  monde  que  tant  de 
mortifications  ne  font  bonnes  que 
pour  les  Monafteres.  Langage  mer- 
veilleux !  J'avoue  qu'il  peut  y  avoir  en 
particulier  des  exercices  de  pénitence  , 
qui  conviennent  moins  aux  uns  qu'aux 
autres  /  félon  la  diverflté  des  occupa- 
tions ,  des  iituations  ,  des  engagemens  y 
des  tempéramens  :  mais  de  prétendre 
en  général  ,  comme  le  monde  le  pré- 
tend ,  que  la  mortification  de  la  chair 
n'eft  propre  qu'aux  perfonnes  confa- 
crées  à  Dieu  dans  la  profeilion  Reli- 
gieufe  ,  c'eft  une  erreur  des  plus  grolîié- 
res  ,  &:  une  maxime  des  plus  fcandaleu- 
Tes  &  des  plus  pernicieufes.  J'aimerois 
autant  qu'on  me  dît  qu'il  n'y  a  que  les 
Religieux  qui  foient  coupables  devant 
Dieu,  de  par  conféquent  qui  foient  re- 
devables a  la  Juftice  de  Dieu  j  qu'il  n'y 


3  £o        Mortification 
a  que  les  Religieux  qui  foient  expofés 
aux  révoltes  des  fens ,  ôc  par  conféquent 
qui  foient  obligés  de  les  réprimer  3c  de 
les  dompter  :  ou  autant  vaudroit-il  dire 
qu'il  n'y  a  que   les  Religieux  à  qui   le 
Royaume  de  Dieu  doive  être    chère- 
ment  vendu  ,    tandis  que   les    autres 
peuvent  l'acheter  à  vil  prix  >  3c  qu'ils  y 
peuvent  atteindre  par-  une   voie  large 
ôc  fpacieufe  ,  où   rien  ne  les  incommo- 
de. Abus  intolérable  !  Il  n'y  a  pas  deux 
Evangiles  }  c'eft  le  même  pour  le  Sécu- 
lier 3c  le  Religieux.  Ce  qu'il  eft  pour 
l'un,  ili'eft  aulîi  pour  l'autre:  car  Jefus- 
Chrift  n'eft  point  divifé.  Raifonnez  tant 
qu'il  vous   plaira ,   3c   comme  il  vous 
plaira  :  malgré  tous  vos  raifonnemens  , 
malgré   même   la  régularité   apparente 
de  votre  vie  afifez  réformée  d'ailleurs  8c 
aifez  exemplaire  ,   n'ayant  pas  toujours 
vécu  dans  l'innocence ,  ainfi  que  vous 
,  le  reconnoiffez  3  3c  que  vous  ne  pouvez 
vous  le  cacher  à  vous-même  ,  il  ne  vous 
refte  pour  aller  au  Ciel  que  la  voie  de 
la  pénitence ,  3c  malheur  à  vous  fi  vous 
vous  perfuadez.  que  vous  puiffiez  traiter 
délicatement  votre  corps ,  3c  être  péni- 
tent. Je  ne  vois  guères  comment  alors 
vous  feriez  à  couvert  de  ces  anathêmes 
du  Fils  de  Dieu  :  malheur  à  vous  qui 

ne 


de  s      Sens.  361 

ne  manquez  de  rien  ,  &  qui  ave\  en  ce 
monde  votre  confolation;  malheurs  à  vous  6LuCt1e' 
qui   êtes  rajjafies  5c  bien  nourris  j  mal- 
heur à  vous  qui  pafTez  vos  jours  agréable- 
ment &  dans  la  joie. 

Au  refte  ,  ne  penfez  pas  que  les  pra- 
tiques 5c  les  œuvres  de  pénitence  dont 
je  vous  parle  ,  aient  été  inconnues  aux 
perfonnes  de  votre  naiifance  5c  de  votre 
rang  j  ni  que  je  veuille  ,  par  un  efprit 
de  ïingularité  ,  vous  faire  tenir  une  con- 
duite extraordinaire  ,  dans  l'état  de 
grandeur  &  de  diftinction  où  vous  êtes. 
Je  ne  fuis  point  fait  à  exagérer  3  fur- 
tout  en  matière  de  morale  5c  de  de- 
voir. Hé  !  ne  fçait-on  pas  quelles  ont 
été  jufques  fur  le  Trône  les  auftérités 
de  faint  Louis  ?  quelles  ont  été  celles  de 
bien  d'autres  Princes  5c  PrincefTes?  Et 
pourquoi  chercher  fi  loin  des  exem- 
ples ,  lorfque  nous  en  avons  de  nos 
jours  ?  Car  fur  les  connoiiïances  que 
je  puis  avoir ,  j'ofe  vous  témoigner 
avec  quelque»  certitude ,  que  la  morti- 
fication chrérienne  5c  fes  exercices  ne 
font  point  entièrement  bannis  du  mon- 
de ni  de  la  Cour.  Les  apparences  font 
trompeufes  de  plus  d'une  manière  :  c'eft 
à-dire  ,  que  comme  fous  les  apparences 
d'une  vie  innocente  ôc  pure ,  on  cache 

Tome  L  H  h 


$6i  Mortification 
ïonvenz  bien  .des  déréglemens  &  des 
défordres  ;  de  même  auiîi  ions  les  ap- 
parences dune  pompe  humaine  &  d'une 
vie  aifée  ,  on  cache  quelquefois  des 
pratiques  bien  rigoureufes  ,  &  des  pé- 
nitences qui  ne  font  connues  que  de 
Dieu.  L'un  eft  une  damnable  hypocri- 
£e  ,  ôc  l'autre  une  falutaire  oc  fainte  hu- 
milité. 

Mais  peut-être  encore  me  répondrez- 
vous ,  qu'on  a  dans  le  monde  aifez  de 
mortifications  &  de  chagrins  ,  Se  oue 
c'eit  même  aux  Grands  du  monde  &à 
ceux  qui  vivent  -avec  plus  d'éclat  dans 
les  Cours  des  Rois ,  que  font  réfervées 
les  grandes  peines  ;  qu'il  n'eil  donc  pas 
befoin  d'en  chercher  d'autres ,  &  que 
celles  qui  fe.  préfentent  chaque  jour 
peuvent  furrlre.  Si  vous  le  jugez  ainïi , 
je  veux  bien  entrer  pour  quelque  tems 
dans  votre  penfée.,  &  y  condefeendre. 
Oui ,  j'y  confens  :  tenez-vous-en  aux 
peines  de  votre  état  j  c'eft-à-dire  ,  fai- 
tes-vous des  peines  de  votre  état  une 
vertu  ;  faites-vous-en  une  pénitence  j 
regardez-les  comme  un  châtiment  dû  à 
vos  péchés  ,  comme  un  moyen  de  les- 
expier ,  &  dans  cette  vue  acceptez-les 
avec  foumiiîion  ,  Se  fan&ifiez-les  pari 
une  patience-inaltérable.  Je  me  borne- 


des     Sens.  363 

là  pour  vous  préfentement ,  pourquoi  ? 
Parce  que  je  fuis  certain  que  vous  ne 
vous  y  bornerez  pas  vous-même  ,  & 
que  dès  qu'une  fois  vous  en  ferez  venu 
là  ,  vous  voudrez  aller  plus  loin.  Com- 
ment cela  ?  Comprenez  ce  myftère  :  il 
eft  à  remarquer.  C'eft  qu'alors  vous  fe- 
rez animé  de  l'efprit  de  pénitence ,  &c 
que  le  même  efprit  de  pénitence  qui 
vous  fera  porter  faintement  les  peines 
de  votre  état ,  vous  infpirera  d'y  en 
ajouter  encore  de  nouvelles.  Car  il  en 
eft  de  cet  efprit  de  pénitence  ,  comme 
de  l'amour  de  Dieu.  Quand  il  eft  véri- 
table de  bien  formé  dans  un  cœur ,  il  eft 
infatigable  :  mais  parce  qu'il  vous  man- 
que ,  8c  que  vous  êtes  pofTédé  d'un  efprit 
tout  contraire  ,  qui  eft  votre  amour 
propre ,  de-là  s'enfuivent  deux  grands 
maux  j  l'un,  que  vous  ne  fçavez  pas 
profiter  des  mortifications  de  votre  état, 
comme  vous  le  pourriez  ,  tout  invo- 
lontaires qu'elles  font ,  &  que  vous  en 
perdez  par  vos  révoltes  &  vos  impa- 
tiences tout  le  fruit  :  l'autre  que  ne 
voulant  vous  impofer  vous-même  ,  au- 
delà  des  peines  de  votre  état ,  nulles 
mortifications  volontaires ,  vous  vivez 
fans  pénitence  ,  de  vous  vous  privez 
dans  l'affaire  de  votre  falut  du  moyen 

H  h  ij 


3  £4         Mortification 
le  plus  nécefTaire  &c  le  plus  piaffant. 

Chofe  admirable  !  On  aime  la  févéri- 
té  de  la  pénitence  par-tout  ôc  en  tout, 
hors  en  foi-même.  On  i'aime  dans  au- 
trui ,  on  l'aime  dans  les  livres  3  on  l'ai- 
me dans  les  difcours  publics  ,  on  l'aime 
clans  les  entretiens  familiers  j  mais  de 
l'aimer  dans  la  pratique  ,  je  dis  dans 
une  pratique  propre  ôc  personnelle  ,  ce 
n'eft  guères  là   le  goût  du  monde ,  ôc 
du  monde  même  en  apparence  le  plus 
réglé  ôc  le  plus  dévot.  On  l'aime  dans 
autrui  j  on  vante  les  auftérités  de  celui- 
ci  ôc  de  celle-là  ,  ôc   Ton  devient  d  au- 
tant plus  éloquent  à  les  exalter ,  que  ce 
font  gens  avec  qui  l'on  eft  plus   étroite- 
ment uni  de  fentimens  Ôc  de  doctrine. 
On  l'aime  dans  les  livres  :  on  1k  avec 
affîduité   ôc  avec  une  efpece  d'avidité 
certains  ouvrages  qui  en  traitent,  on 
les  a  continuellement  dans  les  mains , 
on  les   dévore  ,  ôc   l'on  n'eftime  que 
ceux-là.  On  l'aime  dans  les  difcours  pu- 
blics :  un  Prédicateur  qui  la  prêche  ôc 
qui  la  porte  au  plus  haut  point  de  per- 
fection ,  pour  ne  pas  dire ,  à  des  extré- 
mités fans    mefure   ôc  fans  difcrétion  , 
eft  regardé  comme  un  Apôtre }  on  le 
fuit  avec  emprerTement ,  ôc  l'on  y  traîne 
arec  foi  la  multitude.  On  l'aime  dans 


des     Sens.  365 

les  entretiens  familiers  :  on  en  parle  > 
on  en  fait  le  fujet  des  converfations  les 
plus  vives  Se  les  plus  ferieufes  ,  on  dé- 
bite fur  cette  pénitence  auftère  les  plus 
belles  maximes ,  &  l'on  ne  peut  aiTez 
gémir  des  relâchemens  qui  s'y  font 
glilïes.  Refte  de  l'aimer  dans  la  prati- 
que Se  par  rapport  à  foi  :  mais  en  eft-il 
queftion  ?  C'eft  alors  que  chacun  fe  re- 
tire ,  Se  fe  met  en  garde.  On  ne  l'aime 
plus ,  Se  cependant  elle  ne  nous  peut 
être  utile  Se  méritoire  que  dans  la  prati^ 
que. 

Pénitence  intérieure  _,  ou  mortificai 
tion  des  pqffîons. 

OUtre  la  pénitence  du  corps  Se  la 
mortification  des  feus ,  faint  Paul 
Ôc  après  lui  tous  les  maîtres  de  la  vie 
fpirituelle,  nous  apprennent  qu'il  y  a 
encore  une  mortification  beaucoup  plus 
excellente  ,  qui  eft.  la  mortification  in- 
térieure ou  la  mortification  de  nos 
pafïions.  Cette  mortification  du  cœur 
a  trois  grands  avantages,  ôenous  pro- 
cure trois  grands  biens  :  l'un  eft  l'inno- 

Hiij 


^66  Mortification 
cenco  chrétienne  j  l'autre  eft  la  faintetè 
chrétienne  ,  8c  le  troifiéme  la  paix  chré- 
tienne. Car  nos  pallions  nous  corrom- 
pent ,  du  moins  elles  nous  arrêtent  8c 
nous  relâchent  clans  le  foin  de  notre 
perfection  j  enfin  elles  nous  troublent* 
Dès-là  donc  que  nous  travaillerons  fé- 
rieufement  à  les  mortifier ,  nous  pren- 
drons le  moyen  le  plus  infaillible  de 
nous  maintenir  dans  l'innocence  de  l'â- 
me par  l'exemption  du  péché,  de  nous 
élever  à  une  haute  faintetè  par  la  prati- 
que de  la  vertu ,  8c  de  nous  établir  dans 
la  paix  par  le  repos  dont  nous  jouirons. 
Expliquons  chaque  article ,  &c  faifons-y 
toute  la  réflexion  convenable. 

I.  Mortification  des  paillons  3  moyen 
de  fe  maintenir  dans  l'innocence ,  3c 
moyen  nécefïaire.  Car  il  n'eft  pas  pof- 
fible  de  conferver  l'innocence  dans  un 
cœur ,  tandis  que  les  pallions  y  régnent» 
Comme  la  fource  en  eft  empoifo nnée  % 
8c  qu'elles  ont  pour  principe  cette  mal- 
heureufe  concupifcence  qui  nous  por- 
te vers  les  objets  fenfibles ,  8c  qui  n'a 
point  d'autre  fin  que  de  fe  contenter  à. 
quelque  prix  que  ce  punTe  être  ;  pour 
peu  que  nous  les  écoutions  8c  que  nous 
en  fuivions  les  mouvemens ,  elles  nous 


des     Passions.  3  ô  7 

font  en  mille  rencontres  violer  là  loi 
de  Dieu  ,  8c  nous  précipitent  en  toutes 
fortes  de  péchés.  C'en:  ce  que  nous 
éprouvons  tous  les  jours;  &:  il  dans  ces 
derniers  ïîécles  l'iniquité  ,  félon  l'ex- 
preiîion  de  l'Ecriture ,  eft  devenue  plus 
abondante  que  jamais  ,  ce  déborde- 
ment de  mœurs  que  nous  voyons  dans 
tous  les  états ,  ne  vient  que  des  paillons 
qui  fe  font  acquis  un  nouvel  empire  ,  8c 
ont  pris  fur  les  hommes  un  aicendanc 
plus  abfolu.  Car  à  mefure  qu'elles  croif- 
lent  8c  qu'elles  s'enflamment,  elles  vont, 
ou  elles  nous  font  aller  aux  plus  grands 
excès.  Tant  de  riches  intérefles  ne  corn- 
mettraient  pas  des  injuftices  fî  criantes  , 
fans  l'infatiable  avarice  qui  les  dévore. 
Tant  de  mondains  ambitieux  ne  forme- 
roient  pas  de  iî  déteftables  entreprifes , 
fans  l'envie  démefurée  de  s'élever  qui 
les  poifede.  Tant  de  voluptueux  8c  de 
libertins  ne  fe  plongeraient  pas  en  de  il 
honteufes  débauches,  fans  l'amour  du 
piaiiir  qui  les  enchante.  Ainii  des  au- 
tres. La  pailion  eft  la  racine  de  tout 
cela  j  8c  plus  elle  s'eft  fortifiée ,  plus  elle 
a  de  pouvoir  pour  réfifter  aux  remords 
de  la  confeience  8c  pour  les  furrnon- 
ter. 

Il  eft  vrai  néanmoins  que  nos  parlions 
I,  •  H-hiv 


368  MORTIHCATION 

n'attaquent  pas  toujours  fi  ouvertement 
notre  innocence  :    mais   c'eft   en  cela 
même  qu'elles  font  encore  plus  dange- 
reufes }  Se  on  peut  bien  leur  appliquer 
ce  que  faint  Léon  Pape  difoit  de  1'efprit 
tentateur  Se  de  fes  artifices  pour  nous 
furprendre  y   qu'un    ennemi  caché  eft 
d'autant    plus    à  craindre    qu'il  porte 
plus  fecrettement   fes  coups ,   Ôc  qu'on 
eft  moins  en  garde  contre  lui.  En  mille 
fujets  c'eft  la  pafîion  qui  nous  infpire, 
lorfque  nous  penfons  être  conduits  par 
le  motif  le  plus  pur  Se  le  plus  faint.  Elle 
entre  dans    toutes   nos   délibérations  ; 
elle  a  la  .meilleure  part  dans  toutes  nos 
xéfolutions  j  comme  l'Ange  de  fatan , 
elle  fe  transforme  en  Ange  de  lumière , 
Se  à  moins  que  le  crime  ne  foit  évident , 
il  n'y  a  rien   qu'elle   ne  nous  juftifie , 
dès  qu'elle  s'y  trouve  intérefTée.  D'où 
il  arrive  qu'on  tombe  dans  une  infinité 
de  péchés,  fans  prefque  les  appercevoir , 
Se  qu'on  demeure  fans  inquiétude  dans 
des    difpofitions    Se    des    engagement 
d'affaires  qui  devroient  nous  faire  trem- 
bler. 

Delà  donc  il  faut  conclure  que  le 
préfervatif  le  plus  falutaire ,  Se  même  le 
plus  néceifaire  pour  mettre  à  couvert 
l'innocence  de  notre  cœur,  eft  de  le 


des  Passions.  3.69 
circoncire  fpirituellement ,  c'eft-à-dire , 
d'obferver  avec  foin  les  pallions  dont  il 
eft  plus  fufceptible  ,  8c  de  nous  appli- 
quer fans  relâche  à  les  détruire.  Pre- 
nons ce  glaive  évangélique  dont  parloit 
Jefus-Chrift  ,  8c  qu'il  eft  venu  nous 
apporter.  Avec  ce  glaive  tranchant  8c 
confacré  par  la  grâce  du  Seigneur  ,  at- 
taquons ces  pallions  fi  vives  8c  fi  impé- 
tueufes  qui  nous  entraînent  ,  ces  paf~ 
lions  fi  îubtiles  8c  fi  artihxieufes  qui 
nous  féduifent ,  ces  pallions  fi  terreftres 
8c  fi  matérielles  qui  nous  tiennent  dans 
Tefclavage  des  fens.  Faifons  ,  autant 
qu'il  nous  eft  pollible ,  la  même  direc- 
tion de  notre  ame  ,  que  Dieu  en  fera 
dans  fon  jugement  dernier  ,  félon  le 
témoignage  de  l'Apôtre.  Pénétrons 
jufques  dans  les  jointures  ,  jufques 
dans  les  replis  les  plus  fecrets  ,  où 
nos  pallions  fe  cachent  \  8c  fans  les 
ménager ,  fans  leur  accorder  aucune 
trêve ,  quelque  part  que  nous  les  trou- 
vions ,  donnons -leur  le  coup  de  la  mort. 
Dès  que  nous  aurons  purgé  notre  cœur 
de  ce  mauvais  levain  ,  il  nous  fera  faci- 
le avec  le  fecours  du  Ciel ,  d'en  fer- 
mer l'entrée  au  péché  8c  de  nous  ga- 
rantir de  fa  contagion. 

En  effet ,  fuppofons  un  homme  bien. 


5  70  Mortification 
maître  de  fes  pallions ,  ou  pour  mieux 
dire ,  en  qui  les  pallions  foient  bien 
éteintes  >  fans  être  impeccable ,  ce  fera 
un  homme  irrépréheniible.  Comme  ii 
ne  fera  ni  aveuglé  3  ni  animé  par  la 
paillon  5  il  fuivra  en  toutes  chofes  la 
droite  raifon  ôc  la  religion.  Et  piiifque 
nous  ne  péchons  qu'en  nous  écartant 
de  ces  deux  principes ,  ii  efl  aifé  de 
voir  en  quelle  pureté  de  cœur  il  vivra, 

6  combien  de  chiites  il  évitera.  îl  fera 
fidèle  à  Dieu,  charitable  envers  le  pro- 
chain ,  jufte  ôc  réglé  dans  toutes  fes 
actions.  Il  jugera  bien  de  tout ,  il  en 
pariera  bien.  Il  n'y  aura  ni  efpérance 
qui  l'attire  ,  ni  crainte  qui  le  retienne 
aux  dépens  de  fon  devoir.  Point  de 
colère  qui  l'emporte ,  point  de  reflfen- 
timent  qui  l'envenime  ,  point  de  plaifîr 
qui  le  tente ,  point  de  grandeur  qui  l'é- 
Mouille ,  point  de  prétentions  3  d'intri- 
gues ,  de  retours  vers  foi-même  ni  vers 
fes  propres  avantages  ;  Ôc  de-là  quelle 
candeur  d'ame  !  Bienheureux  ceux  qui 
ont  ainfi  le  cœur  net  de  toute  tache  ôc 
de  tout  delir  mal  ordonné  :  car  ils  feront 
en  état  de  voir  Dieu ,  Ôc  de  goûter  fes 
plus  intimes  communications. 

Mais  au  contraire  qu'une  pailîon  de- 
meure enracinée  dans  le  fond  de  1  aie  • 


des  Passions.  571 
&  qu'elle  y  ait  toujours  le  même  empi- 
re ,  en  vain  vous  pratiquerez  d'ailleurs 
les  plus  faintes  œuvres ,  en  vain  même 
vous  aurez  à  certains  jours  les  meil- 
leurs fentimens ,  &:  vous  patoîtrez  être 
dans  les  meilleures  difpoiitions  j  tandis 
que  ce  ferpent  vous  infectera  de  fon  ve- 
nin ,  tandis  qu'il  vous  fera  entendre  fa 
voix  ,  comme  à  la  première  femme  ,  de 
que  vous  lui  prêterez  l'oreille  ,  il  n'y 
aura  point  d'abîme  où  vous  ne  vous 
précipitiez  en  peu  de  temps ,  ni  d'é- 
cueil  où  vous  n'alliez  malheureufement 
échouer.  Et  voilà  ce  qui  trompe  ,  au 
Tribunal  de  la  pénitence  ,  tant  de  pé- 
cheurs qui  donnent  quelquefois  toutes 
les  marques  de  la  plus  imeere  conver- 
sion ,  ÔC  qu'on  voit  néanmoins  prefque 
auili-tôt  rentrer  dans  leurs  premières 
voies,  &  retourner  à  leurs- mêmes  ha- 
bitudes. Eft-ce  qu'ils  ne  font  pas  tou- 
chés de  la  grâce  ,  de  qu'ils  ne  veulent 
pas  de  bonne  foi  changer  de  conduite. 
8c  réformer  leur  vie  ?  Il  faut  convenir 
qu'il  y  en  a  plufîeurs  dont  les  réfolu- 
tions  fur  cela  font  actuellement  telles 
qu'ils  le  témoignent.  D'où  vient  donc 
qu'ils  retombent  lî  vite  ?  c'eft  que  pour 
rendre  dans  la  faite  leurs  réfolutions 
efficaces,  il  falloit  deux  fortes  de  re- 


172.  Mortification 
tranchemens  :  l'un  extérieur  ,  3c  l'autre 
intérieur.  Le  premier  étoit  d'arrêter  les 
effets  de  la  paillon  ,  &  d'en  retrancher 
les  actes  criminels ,  &  c'eft  ce  qu'ils  fe 
font  propofé.  Mais  afin  d'y  réuilir ,  il 
étoit  néceifaire  de  faire  en  même  tems , 
pour  ainfi  parler, -une  autre  circonfion 
plus  importante  ,  c'eft-à-dire  ,  de  re- 
trancher la  paillon  elle-même  comme 
le  principe  du  mal ,  êc  de  la  bannir  du 
cœur.  Or  voilà  à  quoi  ils  n'ont  pas  pen- 
fé ,  ôc  fur  quoi  ilsfe  font  flattés  Se  ména- 
gés ,  dans  la  fauffe  perfuafion  où  ils 
étoient,  que  fans  fe  défaire  de  cette 
paillon  qui  leur  plaît ,  ils  fçauroient  la 
modérer  de  la  retenir.  Erreur  qu'ils  ont 
bientôt  eu  lieu  de  reconnoitre  par  les 
promptes  3c  déplorables  rechûtes  ,  qui 
les  ont  replongés  dans  les  mêmes  pré- 
cipices ,  &  rengagés  dans  les  mêmes 
défordres. 

De  tout  ceci ,  apprenons  de  quelle 
ëonféquence  il  eft  pour  nous  5  félon  Pa- 
vertifTement  du  Prophète  ,  de  nous  faire 
un  cœur  nouveau  *  n  nous  voulons  nous 
rétablir  &  nous  maintenir  devant  Dieu 
dans  la  fainte  innocence  que  nous  avons 
tant  de  fois  perdue.  Plût  au  Ciel, 
que  dès  l'âge  le  plus  tendre  5  &  dès  les 
premières  années  de  la  vie  ,  on  travail- 


des     Passions.       373 
lât  à  fe  purifier  de  la  forte  ,   &  à  fe 
dégager  de  tout  ce  qui  pourroit   nous 
corrompre.   Plus  nous   différons  ,   plus 
nos  pallions  croifTent  &  prennent  Pat 
cendant    fur   nous.    On    eût    pu    aftez 
aifément  dans  la  jeunefie  couper  cours 
à  cette  paiTion ,   dont  on  n'eft  prefque 
plus  le  maître  ,  depuis  qu'elle  s'eft  in- 
vétérée &  comme    changée   dans   une 
féconde  nature.    Cela  ne  regarde  pas 
ieulement  les  jeunes  perfonnes  j    mais 
il  n'eft  pas  moins  vrai  des  autres  3  que 
dès  qu'ils  découvrent  dans  eux  quelque 
vice   naturel  ,    quelque    inclination   & 
quelque  penchant  vers  un  péché ,   ils  ne 
doivent  pas  tarder  d'un  moment  à  pren- 
dre les  armes  3   ôc  à  chafïer  ce  démon 
qui  s'eft  emparé  de  leur  cœur.  Et  qu'on 
ne  prétende  point  fe  ralïurer  fur  ce  que 
j  la  pafl?on   ne  paroît  pas    encore    bien 
1  forte.  Prévenons  le  mal  de  bonne  heu- 
re }  prévenons-le  jufques   dans  les  plus 
petites  chofes.  C'eft  par  une  telle  pré- 
caution   qu'on   évite   les   plus   grandes 
maladies  du  corps ,  Se  c'eft  par-là  même 
qu'on  fe  garantit  d'une  ruine  totale  de 
l'ame. 

Maximes  dont  on  n'a  pas  de  peine  à 
convenir  en  général  ;  car  elles  font  fen- 
fibles  ,  &  confirmées  par  l'expérience 


574  Mortification 
ia  plus  commune  :  mais  d'en  venir  à 
l'effet ,  c'eft  ce  qui  étonne  j  &  les  diffi- 
cultés qu'on  y  trouve .,  font  Couvent  une 
ïi  vive  impreiiion ,  qu'on  défefpere  de 
les  vaincre  ,  &:  qu'on  n'ofe  pas  même 
l'entreprendre.  Auiîi  eft-il  confiant, 
pour  ne  rien  diiîimuler  ,  que  d'arracher 
du  cœur  une  pafïîon  ,  c'eft  de  toutes 
les  entreprifes  la  plus  grande  &c  celle  où 
l'homme  éprouve  plus  de  combats  êc 
plus  de  contradictions.  C'eft  s'arracher 
en  quelque  manière  à  foi-même  ,  c'eft 
mourir  à  foi-même  ,  &  y  mourir  autant 
de  fois  ,  qu'il  y  a  d'efforts  à  faire  & 
d'obftacles  a  furmonter.  Or  le  moyen  , 
dit-on  ,  d'être  ainfi  continuellement 
aux  prifes  avec  foi-même  ,  &  feroit-ce 
vivre  que  d'en  être  réduit-là  ?  Non  ,  ce 
ne  feroit  pas  vivre  félon  la  chair  3  mais 
ce  feroit  vivre  félon  l'Efprit  de  Dieu. 
En  .  quoi  nous  devons  remarquer  un 
nouvel  avantage  de  cette  mortification 
des  pallions  :  car  elle  ne  nous  fert  pas  - 
feulement  à  conferver  l'innocence  du 
cœur  ,  mais  à  nous  élever  &  à  nous 
faire  parvenir  au  plus  haut  point  de  la 
fainteté  Chrétienne. 

ÎI.  Mortification  des  paffions  ,  moyen 
de  s'élever  à  une  haute  fainteté  par  la 


des  Passions.  375 
pratique  des  plus  excellences  vertus. 
Pour  bien  entendre  cette  féconde  véri- 
té ,  il  n'y  a  qu'à  développer  &  à  com- 
prendre le  vrai  feiis  de  ces  adorables  3c 
divines  leçons ,  que  nous  fait  le  Sauveur 
du  monde  dans  fon  Evangile,  3c  que 
nous  font  les  Apôtres  dans  leurs  Epî- 
tres  :  fçavoir  ,  qu'il  faut  fe  dépouiller 
de  foi-même  }  qu'il  faut  haïr  fon  ame 
3c  la  perdre  en  cette  vie,  afin  de  la  fau- 
ver  dans  l'autre  }  qu'il  faut  rompre  les 
liaifons  les  plus  étroites,  3c  fe  féparer  mê- 
me de  fon  père  ,  de  fa  mère  \  que  pour 
être  à  Dieu ,  il  faut  crucifier  la  chair , 
3c  toutes  les  concupifcences  de  la  chair  j 
que  le  Royaume  du  Ciel  ne  s'emporte 
que  par  violence  ,  3c  qu'il  faut  s'efforcer 
ôc  prendre  infiniment  fur  foi  pour  y  arri- 
ver. Voilà  fans  contredit  ce  qu'il  y  a  de 
plus  fublime  dans  la  pratique  de'  la  fain- 
teté.  Or  qui  ne  voit  que  tout  cela 
eft  contenu  dans  la  mortification  des  paf- 
fions  ?  Car  cui'y  a-t-il  dans  nous  de  plus 
naturel  3c  de  plus  intime  que  nos  paf- 
fions  j  3c  n'efi.-ce  pas  en  les  détruifant  , 
que  nous  nous  dépouillons  de  nous- 
mêmes  ?  Qu'eu>ce  que  haïr  notre  ame 
&'  la  perdre  ,  félon  la  penfée  du  Fils  de 
Dieu ,  n'eft-ce  pas  refufer  à  notre  cœur 
tout  ce  qu'il  délire  ,  3c  qu'il  recherche 


■376  Mortification 
par  le  mouvement  des  parlions ,  &  lui 
interdire  tout  ce  qui  flatte  fes  inclina- 
tions fenfuelles  Se  qui  contribue  à  les 
entretenir  ?  Avons-nous  des  liaifons  plus 
étroites  ,  que  celles  qui  font  formées 
par  nos  pallions  ?  Avons-nous  de  plus 
vives  &  de  plus  ardentes  convoitifes, 
que  celles  qui  font  excitées  par  nos 
pallions  ?  Eft-il  rien  où  nous  fentions 
plus  de  réfiftance  ,  Se  où  nous  ayons 
plus  de  violence  à  nous  faire  ,  que  lors- 
qu'il s'agit  de  dompter  nos  pallions  Se 
de  les  amortir  ?  D'où  il  s'enfuit ,  que 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  parfait  dans  la 
loi  que  nous  proférions ,  fe  rapporte  à 
la  mortification  du  cœur  Se  des  par- 
lions 3  Se  que  c'elt  par-là  que  nous  vi- 
vons en  chrétiens  3  &  en  parfaits  chré- 
tiens. 

Aulli  le  premier  foin ,  Se  même ,  à 
proprement  parler ,  l'unique  foin  de 
tous  les  Saints  a  été  de  régler  leur  cœur , 
&:  de  mortifier  toutes  leurs  pallions.  Ce 
n'eft  pas  qu'ils  aient  négligé  le  refte  5 
I  affiduité  à  la  prière ,  les  macérations 
du  corps  :  au  contraire ,  nous  fçavons 
combien  ces  exercices  leur  étoient  fa- 
miliers Se  ordinaires  ,  jufqu'à  palTer  les 
nuits  entières  dans  la  contemplation  des 
chofes  divines  s  jufqu'à  s'exténuer  Se  fe 

ruiner 


des     Passions.         $77 

ruiner  le  corps  par  leurs  fréquentes  8c 
fanglantes  auftérités.-  Mais  ces  prières , 
ces  mortifications  de  la  chair ,  ils  ne  les 
envifageoient  que  comme  des  moyens 
pour  atteindre  à  la  fin  qu'ils  fe  propo- 
ibient ,  &:  qui  étoit  de  purifier  leur  cœur 
de  tout  ce  qu'il  y  avoit  encore  de  ter- 
reftre  8c  d'humain. 

C'eft  donc  par-là  qu'ils  eftimoient 
toutes  les  pratiques  extérieures  ou  de 
piété  ou  de  pénitence  ;  8c  fans  cela  on 
peut  dite  qu'elles  perdent  extrêmement 
de  leur  prix.  C'eft-ià  ce  qui  diftingue  la 
vraie  8c  folide  dévotion  ,  d'une  dévotion 
fuperficielle  8c  apparente.  Malgré  la 
perveriité  du  fiécle >  on  trouve  encore 
affez  de  perforines  ,  qui  veulent ,  ce 
femble,  pratiquer  la  vertu:  mais  quelle 
eft  communément  l'illiifîon  où  don^- 
nent  ces  âmes  prétendues  vertueufes  ? 
C'eft  qu'elles  bornent  tous  leurs  foins 
à  régler  8c  à  fan&ifier  le  dehors  ,  à 
quitter  certains  ornemens  mondains  ,  à 
s'interdire  certaines  compagnies  8c  cer- 
tains divertiffemens ,  à  viiiter  les  pri~ 
fons  ,  les  Hôpitaux  %  à  fréquenter  les 
Autels  y  8c  à  f e  rendre  aiîidue&aux  pré- 
dications ,  aux  cérémonies  de  Reli- 
gion ;  à  faire  de  bonnes  lectures ,  à  mé- 
diter 8c  à  prier,  Tout  cela  fans  doute.  a. 
Tome  L  Xi 


37$  Mortification 
{on  mérite ,  mais  fouvent  un  mérite 
bien  au-de(lous  de  l'idée  qu'elles  s'en 
font.  Car  ce  n'eil  point  là  précifément 
ni  particulièrement  ce  que  Dieu  de- 
mande d'elles.  Il  veut ,  avant  toutes 
chofes,  qu'elles  s'adonnent  à  la  réfor- 
mation de  leur  cœur  ,  parce  que  ce 
qu'il  y  a  de  plus  précieux  en  nous  ,  c'eft 
le  cœur;  parce  que  ce  qui  nous  coûte 
le  plus  ,  c'eil  la  circoncilion  du  cœur  ^. , 
parce  qu'avec  le  fecours  d'en -haut ,  c'eft 
du  cœur  que  dépend  toute  notre  fancti- 
fication. 

Or  voilà  ce  que  tant  d'ames  pieufes  ^ 
ou  qui  pailent  pour  pieufes ,  &  ne  le  font, 
que  de  nom  ,  ne  comprennent  point 
aiTez.  Sous  cette  belle  montre  de  piété 
qui  frappe  la  vue  ,  elles  ont  leurs  paf- 
iîons ,  qu'elles  tiennent  cachées  ,  ôc 
qu'elles  nourriffent  au  fond  de  leur 
eœur.  Quoique  ce  ne  foit  pas  de  cqs 
pallions  groilières  qui  portent  au  crime: 
&  au  libertinage  y  ce  font  néanmoins 
des  pallions,  qui  pour  être  plus  fpiri- 
tuelies ,  n'en  font  pas  moins  vives  dans- 
les  rencontres  ,  &  dont  les  effets  ne  fe 
font  que  trop  appercevoir.  Un  Direc- 
teur fage  &  habile  ,  qui  voudroit  entre- 
prendre la  guérifon  d'un  mal  d'autant 
plus   dangereux   qu'il  eft  interne  3    8c 


des  Passions.  37a 
qu'il  attaque  de  plus  près  le  cœur,  a  le 
déplaiiir  de  trouver  ces  âmes ,  d'ailleurs 
fi  dociles  ,  tellement  aveu  lées  là- 
demis  Se  fi  délicates,  qu'el  ,  rou- 
tent rien  de  tout  ce  qu'il  leur  dit.  Qu'il 
leur  parie  d'Oraifons ,  de  Communions 
ôc  même  de  quelques  œuvres  de  péni- 
tence ,  elles  ne  le  laiTeront  point  de 
l'entendre  :  mais  qu'il  vienne  à  leur 
propofer  des  moyens  pour  humilier 
leur  efp rit -hautain  ,  pour  adoucir  leur 
humeur  aigre  ,  pour  modérer  leurs  fail- 
lies trop  promptes  ,  pour  combattre 
leurs  antipathies  ,  leurs  animofités  , 
leurs  envies  fecrettes ,  c'eft  là  qu'elles 
ceOfent  de  lui  donner  la  même  atten- 
tion. Doiï  il  arrive  que  ces  pallions  fo- 
mentées de  entretenues  dans  le  cœur, 
les  font  tomber  en  mille  foiblefïes  qui 
fcandalifent  le  prochain  ,  &  en  des  fau- 
tes prefque  journalières  avec  lefquelles 
elles  fe  promettent  en  vain  d'accorder 
une  piété  véritable  &  parfaite. 

Ainfi ,  l'un  des  plus  puiiFans  motifs 
pour  nous  engager  à  la  mortification  de 
notre  cœur  ,  eft  de  la  confidérer  comme 
un  moyen  de  perfection  ,  &  comme  le 
moyen  le  plus  efficace.  Je  dis  le  plus 
effi  ace  ,  &  c'efr  l'avis  important  que 
nous  donne  Saint  Jérôme  :  vous  ferez  ? 

u  ij 


380  Mortification 
dit  ce  faint  Do&eur  ,  autant  de  pro- 
grès dans  ies  voies  de  Dieu  ,  que  vous 
remporterez  de  victoires  fur  vous-mê- 
mes. Car  chacune  de  ces  victoires  de- 
mandera de  vous  bien  des  combats  ,  8c 
chacun  de  ces  combats  bien  des  facrifi- 
ces  plus  agréables  à  Dieu  ,  que  tous  les 
facririces  de  l'ancienne  LoL  Pourquoi 
plus  agréables  à  Dieu  ?  Saint  Bernard 
en  apporte  la  raifon  ,  8c  elle  eft  incontef- 
table  :  c'eft  que  dans  les  facririces  de  la 
Loi  Judaïque  on  n'immoloit  qu'une 
chair  étrangère ,  que  la  chair  des  ani- 
maux -y  au  lieu  qu  ici  l'homme  s'immo- 
le lui-même  en  immolant  fon  propre 
cœur  &  fa  propre  volonté.  Pour  peu 
que  nous  foyons  touchés  du  defir  de 
notre  avancement ,  félon  l'efprit  ôc  fé- 
lon Dieu ,  nous  ne  devons  rien  eftimer 
davantage  que  ce  qui  peut  tant  y  contri- 
buer ,  ni  rien  embraîTer  avec  plus  d'ar- 
deur. 

Dans  cette  guerre  fainte  que  nous 
aurons  à  foutenir,  nous  avons  befoin 
d'aide  Se  d'appui  \  mais  en  eft-il  un  plus 
préfent  &  plus  allure ,  que  la  grâce  du 
Seigneur  &  fa  divine  aiîiftance  ?  C'eft 
lui-même  qui  nous  appelle  ,  lui  qui 
nous  invite  &  qui  nous  met  les  armes 
à  la  main  :  eft-ce  pour  nous  manquer 


des  Passions»  $%i 
dans  1  occahon  ,  &  pour  ne  pas  fécon- 
der nos  efforts  ?  C'eft  fa  caufe  que  nous 
avons  à  défendre  ,  ce  font  fes  ennemis 
que  nous  avons  à  combattre  \  car  nos 
pallions  font  dans  nous  les  ennemis  de 
Dieu  les  plus  déclarés ,  les  plus  animés  , 
les  plus  obftinés.  Elles  ne  cherchent 
qu'à  nous  détacher  de  lui ,  &  à  nous 
foule  ver  contre  lui  :  8c  parce  quelles 
ne  font  pas  toujours  affez  fortes  pour 
nous  porter  à  une  révolte  8c  à  une  fé- 
paration  entière  ,  du  moins  s'oppofent- 
elles  aux  mouvemens  de  notre  ferveur , 
8c  à  toutes  les  vues  de  perfection  qu'il 
lui  plaît  de  nous  infpirer»  Or  y  encore 
une  fois ,  quand  il  nous  verra  agir  con- 
tre fes  ennemis  8c  pour  fes  intérêts  s 
nous  abandonnera-t-il  ?  Allons  donc  à 
lui  avec  confiance ,  8c  comptons  fur  fa 
protection.  LailFons  murmurer  la  natu- 
re y  laiiîons-la  s'effrayer,  fe  récrier  ,  for- 
mer mille  obftacles  :  revêtus  de  la  vertu 
célefte ,  nous  deviendrons  infenfibles  à 
fes  cris ,  inacceilibles  a.  fes  traits ,  in- 
vincibles à  toutes  fes  attaques.  Que  dis- 
je  ?  plus  même  fes  cris  fe  feront  enten- 
dre à  nous ,  plus  fes  traits  fe  feront  fett- 
tir  ,  plus  fes  attaques  feront  violentes  ; 
8c  plus ,  en  y  réiiftant  8c  les  furmontant , 
nous  nous  enrichirons  de  mérites ,  nous 


3S2  Mortification 
monterons  de  degrés  3  nous  nous  pesf~ 
£et~tionnerons  ôc  nous  nous  lanoline- 
rons.  Car  le  mérite  devant  Dieu  le  plus 
relevé  &  la  fainteté  la  plus  émtnente  , 
c'eft  de  fçavoir  fe  renoncer  &  fe  vain- 
cre. Heureux  triomphe  d'où  fuit  un 
troifième  avantage  de  la  mortification 
des  paillons  ,  qui  eft  le  repos  de  l'anie 
&  la  paix* 

III.  Mortification  des  paillons ,.  moyen 
de  nous   établir  dans  la  paix  ,    8c  de 
jouir  d'un  parfait  repos.  C'eft  un  tré- 
for3  mais  un  tréfor  femblable  à  celui 
de    l'Evangile  ,  c'eft-à-dire  ,   un  tréfor 
qu'on  ne  peut  payer  trop  cher  ,   &  qui 
mérite  d'être  acheté  au  prix  de  toutes 
chofes  ,   que    de  trouver  la  paix  dans 
foi-même  ,  d'être  bien  avec  foi-même , 
de   fe  poiTéder  foi -même  ,  noii-feule- 
ïn  fa-  ment  3  comme  difoit  Jefus-Chrift ,  par' 
Mettra     ^a  p^ûque   d'une  humble  patience  de 
•pojp.ie-    d'une  pleine  réllgnation  aux  ordres  de" 
mimas    Diei1 5  ma*s  par  ^a  tranquillité  &  le  cal- 
vefiras,   me    de    tous    les    mouvemens  de    fon 
iz^'i/."  cœur.  Etre  clans  cette  fituation  qu'il  eft 
plus  aifé  d'imaginer  &  d'exprimer,  que: 
de  feutir  &  d'éprouver ,  c'eft  un  avant- 
goût  de  la  béatitude  du  Ciel  ;  c'eft   ce 
que  nous  concevons  dans  le  féjour  des 


DES        PASSIOKÎ,  585 

Bienheureux  de  plus  cligne  de  nos  fou- 
haits  après  la  vue  de  Dieu  ,  ce  ce  qui 
doit  être  un  jour  pour  nous  le  comble 
même  de  la  gloire.  Cette  paix  éternelle 
dont  jouiifent  les  Saints  ^  cette  paix  qui 
ne  fera  jamais  troublée  ni  interrom- 
pue ;  cette  paix  qui  réconciliant  l'hom- 
me avec  lui-même  ,  fera  cefler  dans  lui 
toutes  les  révoltes  intérieures  j  cette 
paix  qui  nous  rétablira  dans  l'état  d'in- 
nocence où  Dieu  nous  avoit  créés  : 
voilà  ce  que  Dieu  promet  à  fes  Elus  5 
3c  voilà  à  quoi  nous  afpirons.  Mais  il 
ne  furrit  pas ,  dit  Saint  Auguftin  ,  d'y 
afpirer  3c  d'y  prétendre  1  voilà  à  quoi 
nous  devons  nous  dilpofer  ,  3c  de  quoi 
il  faut  dès  cette  vie  que  nous  commen- 
cions à  faire  l'erTai ,  nous  efforçant  au 
moins  d'en  approcher  ,.&  nous  élevant 
au-deflfus  de  cette  ba(ïe  région ,  où  fe 
forment  les  orages  8c  les  tempêtes  my  au- 
dellus  de  ce  petit  monde  qui  eft  en 
nous  y  8c  qui  n'eft  pas  moins  tumul- 
tueux ,  ni  moins  difficile  à  pacifier  ,  que 
le  grand  monde  qui  eft  autour  de 
nous.  Or  il  eft  certain  que  jamais  nous 
n'y  pourrons  établir  une  paix  folide 
fans  la  mortification  du  cœur  3c  de  fes 
pallions. 


3'$4         Mortification 

Car  pour  en  être  fenfiblement  per- 
fuadé  ,  il  n'y  a  qu'à  voir  quels  font  les 
principes  ordinaires  de  toutes  les  in- 
quiétudes 8c  de  tous  les  troubles  de  no- 
tre ame.  Ne  font-ce  pas  nos  defirs  8c 
nos  paillons  ?  nos  defirs  trop  vifs  3  trop 
emprefTés,  8c  nos  pallions  trop  impé- 
Êueufes  Se  trop  ardentes  :  nos  defirs  qui 
fe  multiplient  fans  cefTe  ,  qui  fe  com- 
battent les  uns  les  autres ,  qui  fepropo- 
fent  des  objets  tout  contraires ,  qui 
fouvent  fe  portent  à  des  chofes  inca- 
pables de  nous  contenter  ,  à  des  chofes 
dont  la  pofTeiîion  nous  devient  plus 
onéreufe  qu'avantage ufe  ;  8c  nos  paf- 
fîons ,  qui  font  vaines ,  qui  font  in j lif- 
tes ,  qui  font  extrêmes ,  qui  font  fans 
bornes  ?  N'eft-ce  pas  là  ,  dis-je  5  ce  qui 
nous  empê-cke  de  pouvoir  être  en  paix 
avec  nous-mêmes,  8c  ce  qui  excite  au 
milieu  de  nous  cette  guerre  inteftine  , 
que  Saint  Paul  refïentoit,  comme  nous , 
8c  dont  il  fe  plaignoit  fi  amèrement  ?  Il 
faut  donc  pofléder  notre  ame  dans  la 
paix  ,  la  dégager  de  ces  defirs  inquiets 
8c  de  ces  pallions  déréglées.  Il  faut 
éteindre  le  feu  de  cette  cupidité  qui 
nous  brûle  >  il  faut  réprimer  cette  am- 
bition qui  nous  agite ,  il  faut  rompre 
ces    attackes   qui  nous  captivent,  qui 

nous 


des  Passions.  385 
nous  tourmentent,  qui  nous  déchi- 
rent le  cœur  ,  de  nous  caufent  mille 
douleurs. 

Or  il  n'y  a  que  la  mortification  de 
l'efprit ,  qui  puiffe  nous  rendre  ce  bon 
office.  Délirer  peu  de  choies  ;  &  celles 
que  l'on  délire ,  les  délirer  peu,  voilà  les 
falutaires  effets  de  cette  mortification 
chrétienne.  Voilà  ce  que  les  Payens 
eux-mêmes  ont  enfeigné ,  ont  exalté , 
ont  envié  &  ambitionné  j  mais  ce  qu'ils 
n'ont  jamais  bien  pratiqué.  C'eft.  l'a- 
vantage des  vrais  Chrétiens ,  &  le  fruit 
propre  de  fa  fageffe  évangélique. 

Oui ,  fi  nous  voulons  vivre  contents  , 
délirons  peu  de  chofes ,  non-feulement , 
dit  Saint  Chryfoftôme ,  parce  qu'il  y  a 
peu  de  chofes  qui  foient  defirables , 
mais  parce  qu'il  eft  impoflible  d'en  dé- 
lirer beaucoup  fans  perdre  le  repos  , 
qui  vaut  mieux  que  tout  ce  que  l'on 
defire.  Et  les  chofes  que  nous  délirons  , 
defirons-les  peu ,  non-feulement ,  ajou- 
te ce  Père,  parce  qu'elles  ne  méritent 
pas  d'être  autrement  delirées ,  mais  par- 
ce que  les  délirant  beaucoup ,  elles  de- 
viennent immanquablement  le  fujet  de 
mille  peines.  Délirer  peu  de  chofes  hors 
de  Dieu  ,  c'eft  ce  que  Saint  Auguftin 

Tome  L  K  k 


|86        Mortification 
appelle  la  mort  des  defirs  j  8c  cette  morr 
des  defirs ,  n'eft-ce  pas  la  mortification 
dont  nous  parlons  ?  Et  ce  qu'on  defire  , 
le   defirer  peu ,  c'eft  en  quoi   confifte 
cette  fainte  indifférence  ,  qui  tient  l'âme 
dans   une  aiïiette    toujours    égale  ,  ôC 
qui  la  met  au-deffus  de  toutes  les  con-  s 
trariétés  &  de   tous   les  accidens.    Ce 
n'eft  pas  une  indifférence   de  naturel , 
ni    une  indifférence    de   Philofophe  > 
mais  une  fainte  indifférence  ,     c'eft-à- 
dire  3  une  indifférence  fondée  fur  les 
principes    de    la  religion   ,   qui    nous 
fait  méprifer  tous  les  objets  créés,  8c 
qui  tourne  vers  des  biens  réels  toutes 
nos  affections.   Soyons    en  ce    fens    8t 
félon  l'efprit  du  Chriftianifme  ,  indiffè- 
re ns  à  tout  fur  la  terre ,  ou  du  moins 
ne  nous  entêtons   de  rien.  Outre  que 
l'entêtement  eft  par-tout  vicieux  ,  il  ne 
laiffe  jamais'  le  cœur  dans  une   difpo- 
fition  paifible ,  parce  qu'il  eft  toujours 
impatient  Se  violent. 

Ceci  convient  à  toutes  les  pâmons  8c 
à  tous  les  defirs  qu'elles  nous  infpirent  : 
mais  la  voie  la  plus  sûre  8c  la  plus  courte 
pour  pacifier  notre  cœur ,  c'eft  d'atta- 
quer d'abord  la  pafîion  qui  domine  le 
plus  en  nous,  8c  de  mortifier  les  de- 


des     Passions.        387 
firs  où  nous   remarquons  plus  de  viva- 
cité 8c  plus  de  feniibilité.  Car  c'eft-là 
comme   le  premier  mobile  de    Pâme  '> 
c'eft  la  fource  de  tous  les  chagrins  qui 
l'affligent.    Souvent    une  feule  paillon 
eft  plus  difficile  à  foumettre  ,  8c  fait  plus 
de  ravage   dans  un  cœur  ,  que  toutes 
les  autres  enfemble.    Souvent  il  eft  aifé 
de  retrancher  toutes  les  autres  ,  &  de  fe 
mortifier  fur  toutes  les  autres  :  mais  du 
moment  qu'il  s'agit  de  la  paiîion   do- 
minante ,  8c  qu'on  veut  la  contredire  y 
ce  n'eft  plus  à  beaucoup  près  la  même 
facilité  ,  8c  l'on  n'en  éprouve  que  trop 
les  retours  fâcheux  8c  les  foulevemens. 
Cependant  il  n'y  a  point  de  paix  à  efpé- 
rer ,  tant  que  cette  pafîion  ne  fera  pas 
détruite.  Fulliez-vous  dans  tout  le  refte 
l'homme  le  plus  modéré ,  le  plus  rai- 
\  fonnable ,  le  plus  fage  -,  c'eft  aiTez  de 
cette  paflion  pour  vous  agiter  ,  8c  pour 
faire  votre  fupplice.  Elle  vous  remplira 
1  l'efprit  de  mille  idées ,  de  mille  vues , 
;de    mille    réflexions  défagréables.  Elle 
j  excitera  dans  votre  cœur  mille  regrets  , 
mille  jalouftes ,    mille  dépits  ,    mille 
.  rerTentimens    pleins   d'aigreur  8c    d'a- 
mertume. Elle  vous  mettra  dans  la  tête 
mille  deffeins }  mille  projets ,  mille  en- 

Kkij 


2  88  Mortification 
treprifes  auili  embarrairantes  que  vaines 
§c  chimériques.  Elle  vous  engagera  dans 
des  partis ,  dans  des  intrigues ,  où  peut- 
être  vous  aurez  autant  de  déboires  , 
de  dégoûts,  d'ennuis  ,  de  traverfes  à 
effuyer ,  que  de  pas  à  faire.  Elle  remue- 
ra même  en  fa  faveur  toutes  les  autres 
parlions  ,  qui  d'ailleurs  demeuroient 
dans  le  filence  ,  ôc  vous  laifFoient  dans 
le  calme.  Elle  les  allumera  j  &  comme 
il  ne  faut  quelquefois  qu'un  féditieux 
pour  foulever  tout  un  pays ,  il  ne  faudra 
que  cette  pafïion  pour  caufer  dans  vo- 
tre ame  un  bouleverfement  général. 
Souvent  encore  ce  fera  dans  les  moin- 
dres occalions  ôc  fur  les  plus  petits  fujets* 
Une  étincelle  produit  le  plus  vafte  incen- 
die  y  ôc  une  bagatelle  qu'on  n'obferve- 
roit  pas  en  toute  autre  rencontre,  ôc 
qui  ne  feroit  nulle  fenfation ,  eft  capa- 
ble ,  dès  qu'elle  intérelTe  la  paflîon  do- 
minante ,  de  porter  aux  plus  grandes 
extrémités. 

On  le  voit  tous  les  jours ,  3c  on  le 
connoît  par  foi-même.  O  que  vous 
vous  feriez  épargné  de  mouvemens  ôc 
d'agitations  ,  foit  dans  vous  -  même , 
foit  hors  de  vous-même  ,  fi  de  bonne 
heure  vous  aviez  écrafé  ce  ver  qui  vous 


des  Passions.  389 
pique  &:  qui  vous  ronge  !  De  quelle 
paix  vous  jouiriez  &:  de  quelle  heuren- 
îe  liberté!  Tel  étoit  dès  ce  monde  le 
bonheur  des  Saints  :  ils  étoient  contens- 
de  tout  y  Se  à  n'avoir  même  égard  qu'à 
la  vie  préfenre  ,  on  peut  dire  dans  un 
vrai  fens ,  que  jufques  au  milieu  de  leurs 
plus  auftères  pénitences  y  ils  menoient 
la  vie  la  plus  douce  >  parce  qu'ils  ne 
eraignoient  rien  de  tout  ce  que  nous 
craignons  fur  la  terre ,  qu'ils  ne  deïi- 
roient  rien ,  Se  que  par  l'extinction  de 
toutes  les  pallions  humaines ,  ils  avoient 
trouvé  le  fecret  de  s'élever  au-defïus  de 
tous  les  événemens ,  Se  de  pafTer  leurs 
jours  dans  une  indépendance  Se  une 
tranquillité  que  rien  n'étoit  capable 
d'altérer. 

C'eft  ce  qui  a  fait  dire  à  Saint  Bafî- 
le  ,  qu'il  y  a  beaucoup  moins  de  peine 
à  mortifier  fes  pafîions ,  qu'à  ne  les 
mortifier  pas.  Cette  proposition  a  de 
quoi  nous  furprendre  ,  Se  peut  nous 
paroître  un  paradoxe  ;  mais  c'eft  une 
verité  très-conftante*  Car  autant  qu'on 
fait  de  violence  à  fes  paiîions  Se  qu'on 
les  mortifie  3  autant  on  fe  difpofe  à 
goûter  la  paix  ;  au  lieu  qu'on  la  perd  en 
ne  les  mortifiant  pas  ,    Se  en  fuivant 

Kk  iij 


3^0  M  ORTIFICATÎON 

leurs  aveugles  convoitifes.  La  fanté  du 
corps  confiite  dans  le  tempérament 
des  humeurs  :  qu'une  humeur  vien- 
ne à  prédominer  ,  8c  que  ce  tempé- 
rament fe  dérange ,  delà  les  infirmi- 
tés &  les  douleurs  les  plus  cuifantes. 
Il  en  eft  de  même  par  rapport  à  la  paix 
de  l'efprit  :  elle  confifte  dans  la  modé- 
ration de  nos  defirs  &  de  nos  par- 
lions ,  qui  en  font  comme  les  humeurs. 
Tant  que  ces  defirs  ne  feront  pas  me- 
surés ,  que  ces  parlions  ne  feront  pas 
réglées ,  l'efprit  fera  toujours  ou  abattu 
par  la  triftefTe  ?  ou  tranfporté  par  la 
colère  ,  ou  envenimé  par  la  haine  ,  ou 
refTerré  par  la  crainte.  Il  y  aura  tou- 
jours quelque  chofe  qui  le  Méfiera  : 
car  il  aura  beau  vouloir  fe  contenter  & 
^n  chercher  les  moyens  ;  fes  defirs  étant 
fans  mefure ,  ils  ne  feront  jamais  fatif- 
faits ,  &  fes  paillons  étant  fans  règle , 
elles  demanderont  toujours  davantage. 
Or  pour  en  revenir  à  la  penfée  de  S. 
Bafile ,  dès-là  qu'on  fe  procure  la  paix 
en  détruifant  fes  parlions ,  Se  qu'on  îie 
peut  l'avoir  en  les  flattant  &  les  nour- 
rifTant ,  il  y  a  par  conféquent  moins  à 
fouffrir  dans  la  pratique  de  la  mortifi- 
cation Chrétienne  a    qui  nous  les  fait 


des     Passions.         591 
combattre  8c  qui  les  tient   foumifes , 
que  dans  les  vains  ménagemens  de  l'a- 
mour-propre  ,  qui  prend  leur  défenfe 
8c  fe  met  de  leur  parti  pour  les  féconder. 
Car  ce  qui  doit  faire  la  félicité  d'un  état 
en  cette  vie  comme  en  l'autre  ,  c'eft  la 
paix  qu'on  y  pofféde.  Soyons  abandon- 
nés du  monde  8c  dépourvus  de  tous  les 
biens  du  monde ,  mais  ayons  la  paix  au- 
dedans  de  nous ,  avec  cela  nous  fom- 
mes  heureux.  Vivons  au  contraire  dans 
l'opulence  ,  dans  la  fplendeur ,    parmi 
routes  les  aifes  Se  toutes  les  douceurs 
du  monde  ,  mais  n'ayons  pas  la  paix  ; 
tout  dès-lors  nous  eft  infipide  ,  richef- 
fes  ,  grandeurs ,  fortune  5  8c  nous  deve- 
nons malheureux.   Pouvons-nous  donc 
en  trop  faire  pour  l'avoir  ,  8c  y  a-t-il 
rien  que  nous  ne  devions  pour  cela  fa- 
crifier  ?  C'eft  le  fruit  de  la  mortification 
intérieure ,  8c  c'eft  le  partage  des  âmes 
qui  fe  détachant  d'elles-mêmes ,  s'atta- 
chent à  vous ,  Seigneur  ,  8c  ne  veulent 
fe  repofer    qu'en  vous.  Vous   êtes    le 
Dieu  de  la  paix,  8c  vous  fçavez  bien 
dédommager  un  cœur  des  vains  plaifirs 
<lont  il  fe  prive  en  renonçant  à  fes  paf- 
fions ,   8c    à  leurs  objets   corrupteurs. 
Vous  nous  l'avez  apportée  ,  cette  paix  , 

Kk  iv 


39*  Pensées  diverses 
8c  vous  nous  lavez  fait  annoncer  par 
vos  Anges.  Vous  nous  avez  en  même 
tems  apporté  l'épée  8c  la  guerre  :  mais 
c'eft  juftement  par  cette  épée  ,  par  cette 
guerre  fpirituelle  8c  domeftique  contre 
nos  vices  8c  nos  inclinations  perverfes , 
que  nous  devons  obtenir  la  fainte  paix 
dont  vous  êtes  l'Auteur.  Soutenez-nous 
dans  la  réfolution  où  nous  fommes  de 
la  mériter  ,  à  quelque  prix  que  ce  puiiTe 
être  y  8c  de  nous  y  affermir  de  telle  for- 
te par  votre  grâce,  que  rien  ne  nous 
l'enlevé  jamais  >  ni  dans  le  tems,  ni  dans 
l'éternité, 

Penfées  diverfes  fur  la  pénitence  j 
&  le  retour  à  Dieu. 

J  T  E%  mondain  dit  :  il  faut  que  Dieu 
JLfoit  un  Maître  bien  exaét  8c  bien 
rigoureux ,  puifqu'il  ne  pardonne  rien 
fans  pénitence.  Et  moi  je  dis  :  il  faut 
que  Dieu  foit  un  Maître  bien  indulgent 
3c  bien  miféricordieux ,  puifquon  ob- 
tient de  lui  le  pardon  de  tout  par  la 
pénitence. 

f  Pourquoi  railler  de  la  converfîoi^ 


SUR     LA      PÉNITENCE.         $9} 

!de  cet  homme  ?  Ce  qu'il  fait ,  c'eft  ce 
qu'il  faudra  que  vous  faiiiez  vous-même 
un  jour  j  8c  c'eft  même  ,  fi  vous  n'avez 
pas  renoncé  entièrement  à  votre  falut , 
ce  que  vous  vous  propofez  de  faire. 
Car  voulez-vous  vivre  jufques  au  der- 
nier moment  dans  votre  péché  ?  Y  vour 
lez-vous  mourir  ?  J'ofe  dire  qu'il  n'y  a 
point  de  pécheur  fi  abandonné,  qui 
porte  jufques-là  le  défefpoir. 

f  II  y  a  certains  fentimens  du  cœur 
dont  on  ne  fe  fait  pas  beaucoup  de  pei- 
ne 8c  où  l'on  s'entretient  même  avec 
plaifir ,  parce  que  d'un  côté  ils  flattent  la 
palîion ,  8c  que  de  l'autre  on  ne  les 
pénètre  point  alTez  pour  fe  les  bien  déve- 
lopper à  foi-même.  Si  dans  une  réfle- 
xion férieufe  on  s'attachoit  à  les  appro- 
fondir ,  on  en  découvriroit  tout  d'un 
coup  le  défordre  8c  l'énorme  abfurdité. 
Tel  eft  le  fentiment  d'un  homme  qui  vit 
impénitent  dans  l'efpérance  de  mourir 
pénitent  :  je  veux  dire,  qui  mené  une 
vie  criminelle ,  8c  qui  s'y  autorife  par 
la  penfée  qu'un  jour  il  fera  pénitence , 
8c  qu'il  ne  mourra  point  avant  que  de 
s'être  remis  en  grâce  auprès  de  Dieu.  Je 
prétends  ,  que  c'eft  là  de  toutes  les  con- 
tradictions la  plus  infenfée  8c  la  plus 


394  Pensées  diverses 
monftrueufe.  Pour  mieux  comprendre 
l'extrême  folie  de  l'affreux  dérèglement, 
de  raifon  où  tombe  ce  pécheur ,  il  n'y 
a  qu'à  confidérer  la  nature  de  la  péni- 
tence. Car  qu'eft-ce  que  la  pénitence  ? 
c'eft  un  repentir  ,  mais  un  vrai  repentir  7 
c'eft  une  douleur ,  mais  une  vraie  dou- 
leur des  offenfes  commifes  contre  Dieu. 
Il  faut  que  cette  douleur  mette  le  péni- 
tent dans  une  telle  difpofition ,  qu'au 
prix  de  toutes  chofes  il  voudroit  n'avoir 
jamais  déplu  à  Dieu ,  ni  jamais  offenfç 
Dieu. 

Or  cela  pofé ,  voyons  •  donc  à  quoi 
fe  réduit  le  raifonnement  d'un  pécheur 
qui  fe  dit  à  lui-même  :  je  n'ai  qu'à  vi- 
vre de  la  manière  que  j'ai  vécu  jnf- 
qu'à  préfent;  je  n'ai  qu'à  demeurer 
dans  mes  habitudes  :  j'en  ferai  quelque 
jour  pénitence.  C'eft  comme  s'il  difoit  : 
je  n'ai  qu'à  vivre  de  la  manière  que  j'ai 
vécu  jufqu'à  préfent ,  Se  pourquoi  ? 
parce  que  je  compte  de  me  repentir 
quelque  jour ,  &  de  me  repentir  vérita- 
blement d'avoir  ainii  vécu.  C'eft  com- 
me s'il  difoit  :  je  n'ai  qu'à  demeurer 
dans  mes  habitudes ,  de  pourquoi  ?  par-  . 
ce  que  je  compte  d'être  quelque  jour 
touché  d'une  véritable  douleur  de  my 


sur  la  Pénitence.  395 
être  engagé  ,  ou  de  ne  les  avoir  pas 
quittées  de  bonne  heure.  C'eft  comme 
s'il  difoit  :  rien  ne  me  prefTe  de  retour- 
ner à  Dieu  ,  Se  pourquoi  ?  parce  que  je 
compte  de  reffentir  quelque  jour  une 
telle  peine  de  m'être  féparé  de  lui ,  & 
de  n'être  pas  retourné  à  lui  dès-à-pré- 
fent ,  que  dans  la  force  de  mon  regret , 
je  ferois  prêt  de  facrifier  tout  pour  n'a- 
voir jamais  eu  le  malheur  de  le  perdre 
&  n'avoir  pas  été  un  moment  hors  de  fa 
grâce.  Eft-ce  là  raifonner  ;  ou  n'eft-ce 
pas  fe  jouer  &de  Dieu  ,  &  de  foi-même  ? 
Sans  la  paiîion  qui  l'aveugle  ,  &  fans  la 
forte  impreiîion  que  fait  fur  lui  l'objet 
préfent  qui  Pentraîne ,  le  pécheur  raifon- 
neroit  tout  autrement,  ck  du  même  prin- 
cipe il  tireroit  des  conféquences  toutes 
contraires.  Car  la  maxime  générale  ôc 
univerfellement  fuivie  de  tout  homme 
fage ,  c'eft  de  ne  rien  faire  dont  on 
prévoie  devoir  un  jour  fe  repentir.  De 
îbrte  qu'un  des  motifs  les  plus  puiffans 
que  nous  apportons  à  un  ami ,  pour  le 
détourner  d'une  chofe  qu'il  entreprend  5 
&  fur  quoi  il  nous  confulte  ,  eft  de  lui 
dire  :  vous  en  ferez  fâché  dans  la  fuite  3 
vous  en  aurez  du  chagrin,  vous  vous 
en  repentirez.  S'il  voit  en  effet  qu'il  j 


2,  *I» 


$96  Pensées  Diverses 
ait  là-deiîus  un  jufte  fujet  de  craindre 
Se  s'il  fe  laiiîe  perfuader  ,  que  ce  qu'on 
prédit ,  arrivera ,  bien  loin  de  pourfui- 
vre  l'entreprife ,  il  n'héfite  pas  à  l'aban- 
donner. Ainii  l'Apôtre  écrivant  aux  Ro- 
mains ,  leur  difoit  en  ce  même  fens , 
Rom,  e.  Quel  avantage  y  mes  Frères  j  ave^-vous 
trouvé  dans  des  chofes  .,  dont  vous  rougif- 
fe\  maintenant  ;  Se  fi  vous  avez  connu 
que  vous  en  deviez  rougir ,  falloit~il 
vous  y  porter ,  Se  vous  y  obftiher  ? 

$Un  faux  pénitent  cherche  à  fe  me 
nager  lui-même  dans  fa  pénitence  ;  mai 
en  fe  ménageant  pour  l'heure  préfente  | 
c'eft  juftement  par-là  qu'il  s'expofe  à  de 
cruelles  peines  dans  la  fuite  ,  Ôc  à  de  fâ 
cheux  retours.  Car  pour  peu  qu'il  foit 
inftruit  des  devoirs  dé  la  pénitence  , 
qu'il  ait  delà  religion,  il  eft  difficile  qui 
ne  lui  vienne  pas    dans  la  fuite    bie 
des    remords   Se    des   reproches   inté 
rieurs,  dont  fa  confeience eft  étrange 
ment  Se  continuellement  troublée. 

Cependant  ,  me  direz-vous ,  com 
bien  dans  le  monde ,  voyons-nous  d< 
gens  tranquilles  fur  leurs  pénitences 
pafTées  ,  quelque  lâches  Se  quelque  im 
parfaites  qu  elles  ayent  été  ?  J'avou 
qu'on  ne  voit  que  trop  de  ces  demi 


lS 


SUR     LA      PÉNITENCE.        397 

pénitens ,  fans  trouble  &  fans  fcrupu- 
îe  :  mais  ce  que  je  regarde  comme  le 
fouverain  malheur  pour  eux ,  c'eft  cette 
paix  même  où  ils  vivent.  La  paix  dans 
le  péché  eft  un  grand  mal;  mais  un 
mal  encore  infiniment  plus  à  craindre  , 
c'eft  la  paix  dans  la  faufte  pénitence. 
Car  du  moins  la  paix  dans  le  péché  ne 
nous  ôte  pas  la  connoiffance  du  péché. 
Un  pécheur ,  tout  endurci  qu'il  eft ,  ne 
peut  ignorer  après  tout  qu'il  a  perdu  la 
grâce  de  Dieu  ,  qu'il  eft  hors  des  voies 
de  Dieu ,  ôc  dans  la  haine  de  Dieu  ; 
qu'à  chaque  moment  qu'il  pafte  dans 
cet  état ,  il  peut  mourir  ôc  être  réprou- 
vé de  Dieu.  Or  cette  feule  connoiftan- 
ce  eft  toujours  une  reftource  pour  lui , 
quoiqu'éloignée  ,  &  peut  fervir  à  le  ré- 
veiller de  fon  afïbupiffement  :  au  lieu 
que  la  paix  dans  la  faufte  pénitence  > 
par  la  plus  dangereufe  de  toutes  les  illu- 
îions ,  nous  cache  le  péché  ;  nous  per- 
fuade  que  le  péché  eft  détruit ,  lorf- 
qu'il  vit  en  nous  plus  que  jamais  ,  lorf- 
qu'il  y  agit  Se  qu'il  y  domine  avec  plus 
d'empire  ,  lorfqu'il  nous  entraîne  ,  lans 
que  nous  l'appercevions ,  dans  l'affreux 
abîme  d'une  éternelle  damnation.  Car 
quelle  efpérance  y  a-t-il  alors  de  rame- 


39^  Pensées  diverses 
ner  une  ame  égarée  ?  Si  c'eft  la  vue  de 
fes  offenfes  Se  le  fouvenir  des  défordres 
de  fa  vie  qui  fe  retracent  •  quelquefois 
dans  l'efprit  de  ce  prétendu  pénitent, 
il  fe  dira  à  lui-même  :  j'ai  péché ,  j'en 
conviens  Se  je  m'en  confonds  devant 
Dieu  :  mais  enfin  la  pénitence  efface 
tout  ;  j'ai  demandé  pardon  à  Dieu  ,  je 
me  fuis  confeiTé  5  on  m'a  ordonné  des 
prières  ,  des  aumônes ,  Se  je  m'en  fuis 
acquitté  :  que  faut  -il  davantage  ?  Si 
l'on  vient  à  lui  repréfenter  les  jugemens 
de  Dieu  Se  leur  extrême  rigueur ,  il  ré- 
pondra qu'il  a  pris  fes  mefures ,  qu'il  a 
eu  recours  aux  Prêtres  Se  qu'il  en  a  reçu 
i'abfolution ,  que  Dieu  ne  juge  pas 
deux  fois  ,  3c  par  conféquent  qu'il  ne 
nous  jugera  point  ,  après  que  nous 
nous  ferons  jugés  nous-mêmes.  De  cette 
forte ,  fa  pénitence  apparente  n'a  d'au- 
tre effet  que  de  le  confirmer  dans  une 
impénitence  réelle  Se  véritable.  Or  pou- 
vons-nous rien  concevoir  de  plus  fu- 
nefte  en  cette  vie  Se  de  plus  terrible  , 
que  de  trouver  la  mort  où  l'on  devoit 
trouver  le  falut  >  &  de  fe  damner  par 
la  pénitence  même. 

§  Du  plus  grand  mal  nous  pouvons 
tirer  le  plus  grand  bien  j  Se  ce  qui  nous 


SUR    LA    PÉNITENCE.         $£9 

damne  ,  peut  fervir  à  nous  fauver.  Cet- 
te habitude  vicieufe  ,  voilà  ce  qui  fait 
le  dérèglement  de  votre  vie  ,  &  ce  qui 
vous  mené  plus  directement  à  la  perdi- 
tion j  cette  même  habitude  facririée  à 
Dieu  ,  voilà  ce  qui  peut  faire  votre  pré- 
deftination  ,  &  vous  élever  au  plus  haut 
point  de  la  gloire.  Mais  c'eft  une  habi- 
tude honteufe.  Il  n'importe  :  toute  hon- 
teufe  qu  elle  eft  ,  le  facrifice  en  eft  di- 
gne de  Dieu  8c  digne  de  vous. 

|  Rien  ne  nous  donne  une  idée  plus 
jufte  de  la  conduite  que  doit  tenir  un 
pécheur,  &  des  précautions  qu'il  doit 
prendre  après  fa  converfion  pour  fe  pré- 
server des  rechûtes ,  que  le  régime  de 
vie  qu'obferve  un  malade  dans  l'état  de 
la  convalefcence.  Car  qu'eft-ce ,  à  pro- 
prement parler,  qu'un  pécheur  péni- 
tent? C'eft  un  malade  qui  fort  d'une 
maladie  très-dangereufe  ,  &  qui  revient 
des  portes  de  la  mort,  ou  pour  mieux 
dire  ,  des  portes  de  l'enfer.  Quoique 
fauve  du  coup  mortel  dont  il  avoit  été 
atteint ,  il  eft  encore  dans  une  extrême 
foibleffe,  ôc  il  fe  refifentira  long-tems 
des  mauvaifes  impreffions  de  fes  habi- 
tudes criminelles.  Elles  ont  altéré  tou- 
tes les  puifTances  de  fon  ame ,  de  il  ne 


400  x Pensé  es    diverses 
peut  faire  un  pas  fans  être  en  danger  de 
tomber.    Or  que  fait  un  malade   qui 
penfe  à  fe  rétablir ,  ôc  qui  veut  repren- 
dre fes  forces  ?  Nous  voyons  avec  quel- 
le exactitude  il  obéit  à  toutes  les  ordon- 
nances du  Médecin  qui   le  gouverne- 
avec  quelle    attention  il  prend   garde 
aux  tems  3  aux  heures  ,  aux  manières , 
à    tout  ce   qui    lui  eft    marqué  ;    avec 
quelle  confiance  ôc  quelle  réfolution  il 
furmonte  fes  inclinations  ou  ks  répu- 
gnances naturelles  ,    il  règle  fes  appé- 
tits ,  il  mortifie  fon  goût ,  il  s'abftient 
de  ce  qui  lui  plairoit  le  plus ,  il  fe  prive 
de  tout   ce  qui  lui  peut  être  nuifible. 
C'étoit  un  homme  de  bonne  chère  ,  ôc 
il  devient  fobre  ôc  tempérant  ;    c'étoit 
un  homme  du  monde ,  répandu  dans 
le  monde ,  Ôc  il  devient  retiré  ôc  foli- 
taire.  C'étoit  un  homme  de  plaifir ,  ôc 
il  renonce  à  tous  fes  excès  ôc  à  toutes 
fes  débauches.  Qu'on  vienne  lui  parler 
là-deûus ,  le  railler ,  le  traiter  d'efprit 
foible ,  le  tenter   tout  de   nouveau  :  il 
n'y  a  ni  difcours  ,    ni   refpeét  humain 
qui  le  touchent.  Il  y  va  de  la  vie  ,  dit-il , 
éc  par  cette  feule  réponfe  ,  il  croit  avoir 
pleinement  j  unifié  fes  foins  &  toute  la 
circonfpeétion  dont  il  ufe.  Appliquons 

cela 


sur  la  Pénitence.  401 
cela  à  un  pécheur  converti  :  car  il  n'y 
a  pas  un  trait  qui  ne  lui  convienne. 
Voilà  fon  modèle,  &  la  comparaifon 
doit  être  entière;  mais  la  pratique  eft 
bien  différente  ,  &  c'eft  notre  confia- 
fion.  Le  convalefcent  facrirle  tout  à 
l'intérêt  de  fa  fanté  ,  &c  combien  de 
prétendus  pénitens  ne  veulent  rien  facri- 
fier  à  l'intérêt  de  leur  falut  ? 

f  A  confulter  l'Evangile  ,  &  à  s'en 
tenir  précifément  au  texte  &  à  la  lettre  , 
on  diroit   que    Dieu  réferve    (qs  plus 
grandes  faveurs  aux  pécheurs  pénitens  y 
8c  qu'il   leur  donne  l'avantage   fur  les 
Juftes ,  qui  néanmoins  fidèles  à  toutes 
fes  ordonnances  ont  toujours  vécu  dans 
la  règle  &  dans  le  devoir.  Parmi  les  An-   Lut,  ti 
ges  de  Dieu  j  félon  l'exprès  témoignage  I**7* 
du  Sauveur  des  hommes  ,  on  fe  réjouit 
plus  de  la  pénitence  d'un  pécheur .,  que  de 
la  perfévérance  de  .  quatre  vingt-dix-neuf 
Jufles.   En  quelque   fens  que  les  inter-     , 
prêtes  expliquent  ces  paroles  ,  elles  nous 
repréfentent  une  vérité  très  -  certaine  , 
fçavoir ,  que  Dieu  dans  tous  les  tems  a 
favorifé   les   pécheurs    même   les    plus 
fcandaleux  des  grâces  les  plus  finguliè- 
res ,  quand  ils  fe  font  retirés  de  leurs 
voies  criminelles ,  de  qu'ils  ont  embrâfle 
fon  fervice. 

Tome  L  hî 


402.       Pensées     diverses 

Conduite  de  Dieu,  que  nous  devons 
adorer.  Conduite  fondée  fur  plus  d'une 
raifon  5  3c  en  voici  quelques-unes  :  i  °, 
Parce  que  Dieu  fe  plaît  à  faire  éclater 
les  richefTes  de  fa  grâce  :  or  il  ne  les 
fait  jamais  paraître  avec  plus  d'éclat  y 
que  dans  ces  fortes  de  pécheurs  qui 
s'en  font  rendus  plus  indignes  :  2°,  Parce 
que  les  grâces  de  Dieu ,  fur-tout  cer- 
taines grâces  particulières  5  font  beau- 
coup plus  à  couvert  des  atteintes  de 
l'orgueil  dans  les  mains  de  ces  pécheurs 
que  dans  les  mains  des  Juiles.  Que 
veux  -  je  dire  ?  Un  Jufte  enrichi  des 
dons  céleftes ,  Se  fur-tout  de  certains 
dons ,  peut  plus  aifément  les  attribuer 
en  quelque  manière  à  fes  mérites ,  Se 
comme  l'Ange  fuperbe  ,  fe  lailfer 
éblouir  de  fa  iplendeur  8c  de  fa  gloire  i 
mais  à  quelque  rang  Se  à  quelque 
degré  qu'un  pécheur  foit  élevé  ,  il  a  , 
dans  la  vue  de  fes  égaremens  paiTés | 
•  un  contre-poids  qui  le  rabaifle  3  Se  qui 
lui  fert  de  préfervatif  contre  toutes  les 
attaques  d'une  vaine  eftime  de  lui-mê- 
me. 3  °,  Parce  que  Dieu  veut  s'attacher 
ces  pécheurs ,  Se  leur  adoucir  ,  par  les 
grâces  qu'il  leur  communique  ,  la  pe- 
fahteur  de  fou  joug  5  auquel  ils  ne  fonr 


SUR    LA    PÉKIT£N"CE.»         405 

point  accoutumés ,    &:  fous  lequel  il  fe- 
roit  à  craindre  que  leur  foiblefle  ne  vînt 
à  fuccomber.  4°,  Parce  que  Dieu  pré- 
tend enfin  récompenfer  ces  pécheurs  du 
courage  qu'ils  ont  eu  de  rompre  les  liens 
où  ils  étoient  engagés,    &  des  efforts 
qu'il  leur  en  a  coûté  :  car  Dieu  fçait 
bien  payer  les  facrifices  qu'on  lui  fait. 
Tout  ceci  au  refte  ne  va  point  à  dépri- 
mer les  Juftes  ,  ni  à  leur  rien  ôter  de  la 
louange  qui  leur  eft  due  ;   à  Dieu  ne 
plaife  :  mais  il  eft  bon  d'exciter  par-là 
les  pécheurs  &  d'animer  leur  confian- 
ce. Le  péché  commence  par  le  plaiiîr  5  ■ 
mais  la  peine  le  fuit  de  près }  la  péni- 
tence au  contraire  commence  par  les 
larmes  ,  mais  elle  eft  bientôt  fuivie  des 
délices   de  l'ame  les  plus  vives  de  les 
plus  fenfibles. 

f  II  faut  qu'un  pécheur  converti  loue 
Dieu  ,  &  qu'il  ait  du  zèle  pour  la  gloire 
de  Dieu  ,  mais  un  zèle  modefte  &  hum- 
ble. C'eft-à-dire  ,  qu'il  ne  faut  pas ,  dès 
le  lendemain  de    fa  converfion  ,  qu'il 
I   s'érige  en  réformateur  ,  qu'il  devienne 
le  cenfeur  de  tout  le  genre  humain  ,  ni 
que  tout  à  coup  il  levé  l'étendard  de  la 
févérité   avec  empire  Se   avec  orienta- 
tion; mais  qu'il  édifie  par  fon  humilité, 
par  fa  chanté  ,  par  fa  douceur  3  par  fa 

Ll  iï 


404  Pensées  diverses 
patience ,  par  tous  les  exercices  d'une 
vraie  &:  fonde  piété.  Car  comment  ofe- 
roit-il  entreprendre  de  guérir  le  pro- 
chain ,  tandis  que  (es  plaies  faignent 
encore  ,  ôc  qu'elles  ne  font  pas  bien 
fermées  ?  Il  a  affez  à  faire  de  pleurer  £es 
péchés ,  de  détruire  £qs  mauvaifes  habi- 
tudes ,  de  réparer  >  devant  Dieu  ôc 
devant  le  monde  3  la  vie  fcandaleufe 
qu'il  a  menée  ;  ôc  il  doit  fe  fouvenir  que 
le  public  n'attend  pas  ii-tôt  de  lui  des 
prédications  ,  mais  des  exemples. 

f  Après  vous  être  11  fouvent  ôc  fi  long- 
tems  écarté  de  votre  devoir  j  après 
avoir  fait  parler  de  vous  ôc  de  votre  con- 
duite dans  tout  un  quartier  y  toute  une 
ville ,  tout  un  pays  :  (  car  vous  ne  le 
fçavez  que  trop  ,  ôc  il  n'y  a  point  à  vous 
le  dillimuler  ),  vous  vous  êtes  enfin  recon- 
nu ;  ôc  déformais  par  une  pénitence  exem- 
plaire ,  par  une  vie  pieufe  ôc  remplie  de 
bonnes  œuvres ,  vous  expiez  le  paflé , 
autant  quevvous  croyez  le  pouvoir  5  Ôc 
tâchez  de  fatisfaire  à  la  juftice  de  Dieu. 
Voilà  de  quoi  l'on  ne  peut  affez  bénir  le 
Ciel ,  ni  affez  vous  féliciter  vous-même. 
Mais  j'apprends  d'ailleurs  qu'en  deve- 
nant plus  régulier  par  rapport  à  vous ,' 
vous  devenez  en  même  tems  d'une  ri- 
gueur   outrée    à  l'égard  du  prochain; 


SUR     LA      PÉNITENCE.      405 

qu'au  foupçon   le  plus  léger  qui  vous 
palTe   dans  l'efprit ,    vous    éclatez  fans 
ménagement,  8c  vous  traitez  fans  pitié 
les  perfonnes  qui  dépendent  de  vous  j 
qu'une  ombre  dans  eux  vous  fait  peur  , 
de  que  vous  prenez  tout  en  mauvaife 
part.  Quoi  donc ,  vous  ne  pouvez  une 
fois  pardonner  aux  autres  la  moindre 
faute  ?  Hé  !  tant  de  fois  il  a  fallu  vous 
pardonner  les  plus  grands  fcandalese 


DE  LA  VRAIE 

ET    DE   LA 

FAUSSE  DÉVOTION, 
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx 

Règle  fondamentale  &  ejjentielh 
de  la  vraie  dévotion. 


Aire  de  fou  devoir ,  fon  mé- 
rite par  rapport  à  Dieu  3  fon 
plaifir  par  rapport  à  foi-mê- 
me ,  &  fon  honneur  par  rap- 
port au  monde ,  voilà  en  quoi  confifte 
la  vraie  vertu  de  l'homme  y  &  la  folide 
dévotion  du  chrétien, 

I.  Son  mérite  par  rapport  à  Dieu  : 
car  ce  que  Dieu  demande  finguliére- 
ment  de  nous  &  par-demis  toute  autre 
chofe,  c'eft  Faccompliflement  de  nos 
devoirs.  Dès-là  que  ce  font  des  devoirs , 
ils  font  ordonnés  de  Dieu3  ils  font  de 


Solide  Dévotion.  407 
la  volonté  de  Dieu  ,  mais  d'une  volon- 
té abfolue  ,  dune  volonté  fpéciale.  Par 
conféquent  ,  c'eft  en  les  rempliffant  &c 
en  les  obfervant  ,  que  nous  plaifons 
fpécialement  à  Dieu  }  &  plus  notre  fi- 
délité en  cela  eft  parfaite  ,  plus  nous 
devenons  parfaits  devant  Dieu,  de  agréa- 
bles aux  yeux  de  Dieu. 
•  Aulli  eft -ce  par -là  que  nous  nous 
conformons  aux  delïeins  de  fa  fagefTe 
dans  le  gouvernement  du  monde  ,  &: 
que  nous  fécondons  les  vues  de  fa  pro- 
vidence. Qu'eft-ce  qui  fait  fubfifter  la 
fociété  humaine ,  fi  ce  n'eft  le  bon  ordre 
qui  y  règne  }  Se.  qu'eft  -  ce  qui  établit 
ce  bon  ordre  Se  qui  le  conferve .,  fi  ce 
n'eft  lorfque  chacun  félon  fon  rang ,  fa 
profelîion ,  s'acquitte  exactement  de 
l'emploi  où  il  eft  deftiné,  &  des  fonc- 
tions qui  lui  font  marquées  ?  Et  com- 
me il  y  a  autant  de  différence  entre  ces- 
fondions  &  ces  emplois  ,  qu'il  y  en  a 
entre  les  rangs  Se  les  profellions ,  il  s'en- 
fuit que  les  devoirs  ne  font  pas  par-tout 
les  mêmes  j  ôc  que  n'étant  pas  les  mê- 
mes par-tout ,  il  y  a  une  égale  diverfi- 
té  dans  la  dévotion.  Tellement  que  la 
dévotion  d'un  Roi  n'eft  pas  la  dévo- 
tion d'un  fujet  ;  ni  la  dévotion  d'un  fé- 
culier ,  la  dévotion  d'un  religieux  j  ni 


4ôS  S   o  l   I  t>  l 

la  dévotion  d'un   laïque ,    la  dévotîoiï 

d'un  Eccléfiaftique.  Ainfi  des  autres. 

Pour  bien  entendre  ceci ,  il  faut  dif- 
tinguer  l'efprit  de  la  dévotion  3c  la  pra- 
tique de  la  dévotion  j  ou  la  dévotion 
dans  l'efprit  3c  le  fentiment ,  3c  la  dé- 
votion dans  l'exercice  3c  la  pratique. 
Dans  le  fentiment  3c  dans  l'efprit  , 
par- tout  ce  doit  être  la  même  dé- 
votion ,  parce  que  par  -  tout  ce  doit 
être  le  même  defir  d'honorer  Dieu , 
d'obéir  à  Dieu  ,  de  vivre  félon  le 
gré  3c  le  bon  plailîr  de  Dieu.  Mais 
dans  la  pratique  3c  l'exercice,  la  dé- 
votion eft  auiîî  différente ,  que  les 
obligations  3c  les  miniftères  font  dirfé- 
rens.  Ce  qui  eft  donc  dévotion  dans 
l'un ,  ne  l'eft  pas  dans  l'autre ,  car  ce 
qui  eft  du  devoir  3c  du  miniftère  de 
l'un ,  n'eft  pas  du  devoir  3c  du  miniftè- 
re de  l'autre. 

Règle  excellente!  juger  de  fa  dévo- 
tion par  fon  devoir  ,  mefurer  fa  dévo- 
tion fur  fon  devoir  5  établir  fa  dévotion 
dans  fon  devoir.  Règle  sûre ,  règle  géné- 
rale 3c  de  toutes  les  conditions  :  mais 
règle  dont  il  n'eft  que  trop  ordinaire 
de  s'écarter.  Où  voit-on  en  effet  ce  que 
j'appelle  dévotion  de  devoir  ?  Cette 
idée  de  devoir  nous  bielle  ,  nous  gène , 

nous 


D    É    V    O    T    I     O    H.  Jr0£ 

nous  rebute  ,  nous  paroît  trop  commu- 
ne ,  &  n'a  rien  qui  nous  flatte  8c  qui 
nous  pique.  C'eft  néanmoins  la  vérita- 
ble idée  de  la  dévotion.  Toute  autre 
-dévotion  fans  celle-là  ,  n'-eft  qu'une  dé- 
votion imaginaire  j  8c  celle-là  feule  , 
indépendamment  de  toutes  les  autres , 
peut  nous  faire  acquérir  les  plus  grands 
mérites  8c  parvenir  à  la  plus  haute  fain- 
teté.  Car  on  ne  doit  point  croire  que 
d'obferver  religieufement  fes  devoirs, 
8c  de  s'y  tenir  inviolablement  attaché 
dans  fa  condition  ,  ce  foit  en  foi  peu 
de  chofe,  8c  qu'on  n'aif  befoin  pour 
cela  que  d'une  vertu  médiocre.  Parcou- 
rons tous  les  états  de  la  vie ,  8c  confl- 
dérons-en  bien  toutes  les  obligations, 
je  prétends  que  nous  n'en  trouverons 
aucun  ,  <jui ,  félon  les  événemens  &c  les 
conjectures ,  ne  nous  fournifTe  mille 
fujets  de  pratiquer  ce  qu'il  y  a  de  plus 
excellent  dans  la  perfection  évangéli- 
que. 

Que  faut-il ,  par  exemple  ,  ou  que  ne 
faut-il  pas  à  un  Juge  qui  veut  difpenfer 
fidèlement  la  juftice  3  8c  fatisfaire  à  tout 
ce  qu'il  fçait  être  de  fa  charge  ?  Quelle 
alïiduité  au  travail  ;  8c  dans  ce  long  &: 
pénible  travail  où  le  devoir .  l'alHijettiti 
que  de  victoires  à  remporter  fur  foi-mê- 
Tome  I%  M  m 


'4*o  Solide 

me ,  que  d'ennuis  à  effuyer  Se  de  dé- 
goûts à  dévorer  ï  Quel  dégagement 
de  cœur ,  quelle  équité  inflexible  & 
quelle  droiture,  quelle  fermeté  contre 
les  follicitations ,  contre  les  promeffes, 
contre  les  menaces  ,  contre  le  crédit 
&  la  puiflànce  ,  contre  les  intérêts  de 
fortune  ,  d'amitié ,  de  parenté ,  contre 
toutes  les  confidérations  de  la  chair  &: 
du  fang  !  Suppofons  la  dévotion  la  plus 
fervente  :  porte-t-elle  à  de  plus  grands 
facrifices ,  de  demande-t-elle  des  efforts 
plus  héroïques? 

Que  faut-il  à  un  homme  d'affaires  % 
ou  que  ne  lui  faut-il  pas  ,  pour  vaquei 
dignement  ôc  en  chrétien,  foit  au  fervice 
du  Prince ,  dont  il  eft  le  Miniftre ,  foii 
au  fervice  du  public  dont  il  a  les  inté- 
rêts à  ménager  ?  Quelle  étendue  de 
foins  ,  8c  quelle  contention  d'efprit  ? 
A  combien  de  gens  eft-il  obligé  de  ré- 
pondre, ôc  en  combien  dé  rencontres 
a-t-il  befoin  d'une  modération  &  d'une 
patience  inaltérable  ?  Toujours  dans  le 
mouvement  &  toujours  dans  les  occu- 
pations ,  qui  le  fatiguent  ,  ou  qui 
l'importunent  :  à  peine  eft-il  maître  de 
quelques  momens  dans  toute  une  jour- 
,née  ,  Se  à  peine  peut-il  jouir  de  quel- 
que repos.  Imaginons   la  dévotion  la 


Dévotion,  41  ip 

plus  auftère  :  dans  fes  exercices  les  plus 
morcirîans  exige-t-elle  une  abnégation 
plus  entière  de  foi-mème*,  &  un  renon- 
cement plus  parfait  a  fes  volontés  <k  à 
fes  inclinations  naturelles  ,  aux  dou- 
ceurs &  à  la  tranquillité  de  la  vie  ?  Que 
faut-il  a  un  père  de  à  une  mère  ,"  ou  que 
ne  leur  faut-il  pas ,  pour  veiller  fur  une 
famille  &  pour  la  régler  ?  Que  11 en  coû- 
te-t-il  point  à  l'un  Ôe  à  l'autre  pour  éle- 
ver des  enfans  ,  pour  corriger  leurs  dé- 
fauts ,  pour  fupporter  leurs  foibleffes , 
pour  les  éloigner  du  vice  &  les  dreffer 
à  la  vertu ,  pour  fléchir  leur  indocilité  , 
pour  pardonner  leurs  ingratitudes  & 
leurs  écarts ,  pour  les  remettre  dans  le 
bon  chemin  Se  les  y  maintenir ,  pour  les 
former  félon  le  monde ,  &  plus  encore 
pour  les  former  félon  Dieu  ?  Concevons 
la  dévotion  la  plus  vigilante  ,  &  tout 
enfemble  la  plus  agnTante  :  a-t-elle  plus 
d'attention  à  donner ,  plus  de  réflexions 
à  faire  ,  plus  de  précaution  à  prendre 
fur  divers  fentimens  que  les  contrariétés 
Se  les  chagrins  excitent  dans  le  cœur? 
Tel  chargé  du  détail  d'un  ménage  Se 
de  la  conduite  d'une  maiion  n'éprou- 
ve que  trop  tous  les  jours  combien  ce 
fardeau  eft  pefant  ,  Se  combien  c'eft 
«ne  rude  croix.  Or  tout  cela  ce  font  de 
M  m  ij 


4ii  Solide 

iimples  devoirs  3  mais  dira-t-on  que  l'ac^ 
compiifïement  de  ces  devoirs  devant 
Dieu  n'ait  pas  fon  mérite  ôc  un  mérite 
très-relevé  ?  Je  fçais  que  le  Sauveur  du 
monde  nous  ordonne  alors  de  nous  re- 
garder comme  des  ferviteurs  inutiles  , 
parce  que  nous  ne  faifons  que  ce  cpe 
nous  devons  :  mais  tout  inutiles  que 
nous  fommes  à  l'égard  de  Dieu  qui  n'a 
que  faire  de  nos  fervices }  il  eft  certain 
d'ailleurs  que  notre  fidélité  eft  d'un 
très-grand  prix  auprès  de  Dieu-même , 
qui  juge  des  chofes ,  non  par  le  fruit 
qu'il  en  retire ,  mais  par  l'obéiflance  & 
la  fourmilion  que  nous  lui  témoignons. 

II.  Son  plaifir  par  rapport  à  fbi-même. 
Je  n'ignore  pas  que  l'Evangile  nous  en- 
gage à  une  mortification  continuelle  j 
mais  je  fçais  aulîi  qu'il  y  a  un  certain  re- 
pos d^  lame 3  un  certain  goût  intérieur 
que  la  vraie  dévotion  ne  nous  défend 
pas ,  ou  pour  mieux  dire  ,  qu  elle  nous 
donne  elle-même ,  Se  qu'elle  nous  fait 
trouver  dans  la  pratique  de  nos  devoirs. 
Car  quoi  qu'en  penfe  le  libertin  r  il 
y  a  toujours  un  avantage  infini  à  faire 
fon  devoir.  De  quelque  manière  alors 
que  les  chofes  tournent ,  il  eft  toujours 
Yrai  qu'on  a  fait  fon  devoir  y  de  avoir 


Dévotion.  41 5 
fait  fon  devoir  ,  j'ofe  avancer  que  dans 
toutes  les  viciiTitudes  où  nous  expo- 
fent  les  différentes  occafîons  &  les  ac- 
cidens  de  la  vie  ,  cela  feul  eft  pour  une 
ame  pieufe  8c  droite  la  reffource  la  plus 
aifurée  8c  le  plus  ferme  foutien.  Si  l'on 
ne  réufîit  pas ,  c'eft  au  moins  dans  fa 
difgrace  une  confolation ,  8c  une  con- 
foiation  très-folide ,  de  pouvoir  fe  dira 
à  foi-même ,  j'ai  fait  mon  devoir.  On 
s'élève  contre  moi ,  8c  je  me  fuis  at- 
tiré tels  8c  tels  ennemis  ;  mais  j'ai 
fait  mon  devoir.  On  condamne  ma 
conduit,  8c  quelques  gens  s'en  tien- 
nent offenfés  j  mais  j'ai  fait  mon  de- 
voir. Je  fuis  devenu  pour  d'autres  un 
fujet  de  raillerie ,  ils  triomphent  du 
mauvais  tour  qu'a  pris  cette  affaire  que 
j'avois  entamée ,  &  ils  s'en  réjouiffent  ; 
mais  en  l'entreprenant  j'ai  fait  mon  de- 
voir. 

Cette  penfée  fuffit  à  l'homme  de 
bien,  pour  l'affermir  contre  tous  les 
difeours  Se  toutes  les  traverfes.  Quoi 
qu'il  lui  arrive  de  fâcheux,  il  en  re- 
vient toujours  à  cette  grande  vue  qui 
ne  s'efface  jamais  de  fon  fouvenir  9 
Se  qui  lui  donne  une  force  Se  une  conf- 
iance inébranlable  ,  j'ai  fait  mon  de- 
yoir.  D'ailleurs  >  fi  l'on  réulîit,  on  goû- 
Mm  iij 


414  Soli-d.e: 

te  dans  fon  {accès  un  plaifîr  d'autant? 
plus  pur  ôc  plus  fenflble ,  qu'on  fe  rend 
témoignage  de  n'y  être  parvenu  qu'en 
faifant  fon  devoir ,  Ôc  que  par  la  bonne 
voie  j  témoignage  plus  doux  que  le 
iuecès  même*  Un  homme  rend  gloire  à 
Dieu  de  toit  le  bien  qu'il  en  reçoit, 
il    en    bénit  le  Seigneur  „  il   reconnoît 


avec  actions  de  grâces  que  c'eft  un  don 
du  Ciel  :  mais  quoiqu'il  ne  s'attribue 
rien  à  lui-même  comme  étant  de  lui- 
même  ,  il  fçait  du  refte  qu'il  ne  lui  eft 
pas  défendu  de  reffentir  une  fecrette 
joie  d'avoir  toujours  marché  droit  dans 
la  route  'qu'il  a  tenue  j  de  ne  s'être  pas 
écarté  un  moment  des  règles  les  plus 
exactes  de  la  probité  ôc  de  la  juftice , 
Se  de  n'être  redevable  de  fon  élévation 
Se  de  fa  fortune ,  ni  à  la  fraude  3  ni  à 
l'intrigue  :  au  lieu  qu'il  en  eft  tout  au- 
trement d'une  ame  baffe  Ôc  fervile  ,  qui 
trahit  fon  devoir  pour  fatisfaire  fa  paf- 
iion.  Si  c$ç  homme  profpere  dans  fes 
entreprifes ,  au  milieu  de  fa  profpérité  ôc 
jufques  dans  le  plus  agréable  fentiment 
de  ce  bonheur  humain  dont  il  jouit , 
il  y  a  toujours  un  ver  de  la  confeience 
qui  le  ronge  malgré  lui  3  ôc  un  fecret 
remords  qui  lui  reproche  fa  mauvaife 
foi  &  fes  honteuies  menées.  Mais  c'eij 


Dévotion.  415 
encore  bien  pis ,  fi  fes  defleins  échouent 
puifqu'il  a  tout  à  la  fois  le  défefpoir ,  & 
de  fe  voit  privé  du  fruit  de  fes  fourbe- 
ries ,  d'en  porter  le  ctime  dans  le 
cœur  ,  &  d'en  être  relponfable  à  la 
juftice  du  Ciel  ,  quand  même  il  peut 
échapper  à  la  juftice  des  hommes. 

III.    Son    honneur  par  rapport   au 
monde.  Car  s'il  eft  de  l'humilité  chré- 
tienne de  fuir  l'éclat ,  &  de  ne  chercher 
jamais  l'eftime  des  hommes  par  un  fen- 
timent  d'orgueil  8c  par  une  vaine  orien- 
tation 5    le  Chriftianifme  après  tout  ne 
condamne  point  un  foin  raifonnable  de 
notre  réputation  ,    fur  ce  qui  regarde 
l'intégrité  8c  la  droiture  dans  la  condui- 
te. Or  ce  qui  nous  fait  cette  bonne  ré-  5 
putation  qu'il  nous   eft.  permis  jufqu'à 
certain  point  de  ménager ,  c'eft  d'être 
régulier  dans  l'obfervation  de  nos  de- 
voirs. Le  monde  eft  bien  corrompu  j  il 
eft  plein  de  gens  fans  foi  5  fans  religion  , 
fans  raifon ,  8c  pour  m'exprimer  en  des 
termes  plus  exprès  ,  je  veux  dire  que 
le  monde  eft  rempli  de  fourbes  ,  d'im- 
pies ,  de  fcélérats  :  mais  du  refte  j'ofe 
avancer,   qu'il  n'y  a  perfonne  dans  le 
monde ,  ou  prefque  perfonne  ,  fî    dé- 
pourvu de  fens  3  ni  ii  perdu  de  vie  8c 
Mm  iv 


4i$  Solide 

de  mœurs  5  qui  n'eftime  au  fond  de 
Famé  Se  ne  refpecte  un  homme  qu'il 
fçait  être  fidèle  à  fon  devoir  >  inflexi- 
ble à  l'égard  de  fon  devoir,  dirigé  en 
tout  Se  déterminé  par  fon  devoir.  Ce 
cara&ère  5  malgré  qu'on  en  ait  3  impri- 
me de  la  vénération  ,  Se  l'on  ne  peut 
fe  défendre  de  l'honorer. 

Ce  n'eft  pas  néanmoins  qu'on  ne  s'é- 
lève quelquefois  contre  cette  régularité 
Se  cette  exa&itude  ,  quand  elle  nous 
eft  contraire  Se  qu'elle  s'oppofe  à  nos 
prétentions  Se  à  nos  vues.  Il  y  a  des 
conjonctures  où  l'on  voudroit  que  cet 
homme  ne  fut  point  ii  rigide  obferva- 
teur  des  règles  qui  lui  font  preferites  , 
Se  qu'en  notre  faveur  il  relâchât  quel- 
que chofe  de  ce  devoir  fi  auftère  dont 
il  refufe  de  fe  départir.  On  fe  plaint ,  - 
on  murmure  >  on  s'emporte  y  on  raille  % 
on  traite  de  fuperftition  ou  d'obftina- 
tion  une  telle  févérité  :  mais  on  a  beau 
parler  &  déclamer  ;  tous  les  gens  fages 
font  édifiés  de  cette  réfolution  ferme 
Se  courageufe.  On  en  eft  édifié  foi-mê- 
me après  que  le  feu  de  la  pafiion  s'eft 
xallenti ,  Se  que  l'on  eft  revenu  du  trou--» 
ble  Se  de  l'émotion  où  l'on  étoit.  Yoi^ 
là  un  honnête  homme ,  dit-on  ;  voilà 
tui  puis  homme  de  bien  que  moi*  On 


Dévotion.        417 

Î>rend  confiance  en  lui ,  on  compte  fur 
a  vertit ,  ôc  c'eft  là  ce  qui  accrédite  la 
piété  ,  patce  que  c'eft-là  ce  qui  en  fait 
la  vérité  &  la  fainteté.  Au  contraire  , 
iî  c'étoit  un  homme  capable  de  mollir 
quelquefois  fur  l'article  du  devoir  ,  & 
qu'il  fut  fufceptible  de  certains  égards 
au  préjudice  d'une  fidélité  inviolable, 
pour  peu  qu'on  vînt  à  s'en  appercevoir 
ïon  crédit  tomberoit  tout  à  coup  ,  "  & 
Ton  perdroit  infiniment  de  l'eftime 
qu'on  avoit  conçue  de  lui.  En  vain  dans 
fes  paroles  tiendroit-il  les  difeours  les 
plus  édifians  j  en  vain  dans  la  prati- 
que s'employeroit-il  aux  exercices  de 
la  plus  haute  perfection  :  on  n'écoute- 
rpit  rien  de  tous  fes  difeours  ;  &  toutes 
fes  vertus  deviendraient  fufpe&es.  Il 
feroit  des  miracles  ,  qu'on  mépriferoit 
également,  &  fes  miracles  ,  ôc  fa  per- 
fonne  :  car  on  en  reviendroît  toujours 
à  ce  devoir,  dont  il  fê  feroit  écarté ,  8c 
on  jugeroit  par-là  de  tout  le  refte. 

Ce  qu'il  y  a  encore  de  plus  remarqua- 
ble ,  c'eft  qu'il  ne  faut  fouvent  qu'une 
omiiïion  ou  qu'une  tranfgrefïion  afTez 
légère  en  matière  de  devoir ,  pour  dé- 
créditer ainii  un  homme  ,  quelque  pro- 
fefïion  de  vertu  qu'il  fafTe  &  quelque  té- 
moignage qu'il  en  donne.  Le  monde  e& 


41 8  Saints  désirs  d'une  vie 
là-derTus  d'une  délicatefTe  extrême ,  &;  le 
monde  même  le  plus  libertin.  Tant  la 
perfuafîon  eft  générale ,  5c  le  fentiment 
unanime  ,  que  la  bafe  fur  quoi  doit 
porter  une  yraie  dévotion,  c'eft  rattache- 
ment à  fon  devoir.  Je  ne  veux  pas  dire 
que  toute  la  piété  confifte  en  cela  :  mais 
je  dis  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  vraie  piété 
fans  cela  :  &  que  cela  manquant  5  nous 
ne  pouvons  plus  faire  aucun  fonds  fur 
notre  prétendue  dévotion.  PuhTent  bien 
comprendre  cette  maxime  certaines 
âmes  dévotes ,  ou  réputées  telles.  Elles 
font  fi  curieufes  de  pratiques  &  de  mé- 
thodes extraordinaires ,  &  je  ne  blâ- 
me ni  leurs  méthodes  ,  ni  leurs  prati- 
ques :  mais  la  grande  pratique  ,  la 
première  &  la  plus  grande  méthode  3 
eft  celle  que  je  viens  de  leur  tracer. 

Saints  defirs  d*une  ame  qui  afpire-^- 
à  une  vie  plus  parfaite  „  &  qui 
veut  s'avancer  dans  les  voies  de 
la  piété. 

QUand  ferai-je  à  vous ,  Seigneur  ; 
comme  j'y  puis    être ,  comme  j'y 
dois  être  ,  comme  il  m'importe  Jouve- 


BEVOTE    ET    PARFAITE.     4I9 

ràinement  d'y  être  j  puifque  c'eft  de-là 
que  dépend  mon  vrai  bonheur  en  ce 
monde,  &  fur  cela  que  font  fondées 
toutes  mes  efpérances  dans  l'éternité? 

Il  eft  vrai ,  mon  Dieu  ,  que  par  votre 
miféricorde  ,  je  tâche  de  me  conser- 
ver dans  votre  grâce.  J'ai  horreur  de 
certains  vices  qui  perdent  tant  d'ames  , 
&  qui  pourroient  m'éloigner  de  vous. 
Je  refpecte  votre  Loi ,  3c  j'en  obferve , 
à  ce  qu'il  me  femble ,  les  points  effen- 
tiels ,  ou  je  la  veux  obferver.  Que  toute 
la  gloire  vous  en  foit  rendue  ;  car  c'eft 
à  vous  féal  qu'elle  appartient ,  3c  fi  je 
ne  vis  pas  dans  les  mêmes  déréglemens 
8c  les  mêmes  défordres  qu'une  infinité 
d'autres  ,  c'eft  ce  que  je  dois  compter 
parmi  vos  bienfaits ,  fans  me  l'attribuer, 
à  moi-même. 

Mais ,  mon  Dieu,  d'en  demeurer-là , 
de  borner-là  toute  ma  fidélité  -y  de  m'ab- 
(tenir  preciiement  de  ces  œuvres  crimi- 
nelles ,  dont  la  feule  raifon  ôc  le  feuî 
fentiment  de  la  nature  me  font  con- 
noitre  la  difformité  ôc  la  honte  j  de  n'a- 
voir devant  vous  d'autre  mérite  ,  que 
de  ne  me  point  élever  contre  vous  , 
que  de  ne  point  commettre  d'offenfe 
capable  de  me  féparer  de  vous  ,  que 
de  ne  vous  point  refufer^  un  culte  in- 


41 0       SAIKTS    DESIRS    r/tJNE    VIE 

difpenfablement  requis  5  ni  une  obéif- 
fance  abfolument  néceiFaire  ,  eft-ce  là 
tout  ce  que  vous  attendez  de  moi  ? 
Eft-ce  là,  dis-je,  Souverain  auteur  de 
mon  être ,  tout  ce  que  vous  avez  droit 
d'attendre  d'une  ame  uniquement  créée 
pour  vous  aimer  ,  pour  vous  fervir  3c 
vous  glorifier  ?  Cet  amour  qui  vous  eft 
dû  par  tant  de  titres ,  cet  amour  de  tout 
le  cœur  ,  de  tout  l'efprit ,  de  toutes  les 
forces  ,  ce  fervice  ,  cette  gloire  ,  fe  ré- 
duifent-ils  à  fi  peu  de  chofe  ? 

Qu  ai  -  je  donc  à  faire  ,  Seigneur  ? 
Hélas  !  je  le  vois  allez  •  vous  me  le 
donnez  afïez  à  entendre  dans  le  fond 
de  mon  cœur  7  je  me  le  dis  alfez  à  moi- 
même  ,  ôc  je  me  reproche  alfez  là-defTus 
à  certains  tems  mon  peu  de  réfolution 
&:  ma  foiblefte.  Car  ce  ne  font  pas  les 
connoiffances  qui  me  manquent  ,  ni 
même  les  bons  defîrs  ;  mais  le  courage 
èc  l'exécution.  Quoi  qu'il  en  foit ,  ce 
qu'il  y  auroit  à  faire  pour  moi ,  ce  fe- 
roit  de  me  détacher  pleinement  du 
monde  ,  &  de  m'attacher  déformais  à 
vous  uniquement  &  inviolablement  y 
ce  feroit  de  me  conformer ,  à  ces  âmes 
ferventes ,  qu'une  fainte  ardeur  porte  à 
toutes  les  pratiques  de  piété  que  vous 
leur  infpirez,  de  qui  peuvent  dans  leur 


DEV-OTE     ET     PARFAITE.    41 1 

ctat  leur  convenir  ;  ce  feroit ,  en  re- 
nonçant aux  vains  amufemens  du  mon- 
de., de  nVadonner  ,  félon  ma  condi- 
tion &  la  difpolîtion  de  mes  affaires  à 
de  bonnes  œuvres  ,  à  la  prière  ,  à  la 
confidération  de  vos  vérités  éternelles  y 
à  la  vifite  de  vos  autels,  au  fréquent 
ufage  de  vos  Sacremens  ,  au  foin  de 
vos  pauvres  ,  à  tout  ce  qui  s'appelle 
vie  dévote  de  parfaite  j  ce  feroit  de 
vaincre  fur  cela  ma  lâcheté  &  mes  ré- 
pugnances ,  de  prendre  une  fois  fur  cela 
mon  parti  ,  de  me  déterminer  enfin  fur 
cela  à  fuivre  l'attrait  de  votre  divin 
*  Efprit ,  qui  depuis  fi  long-tems  me  fblli- 
cite  ,  mais  à  qui  j'oppofe  toujours  de 
nouvelles  difficultés  &  de  nouveaux  re- 
tardera ens. 

Hé  quoi ,  Seigneur  ,  faut-il  tant  de 
délibérations  pour  fe  ranger  au  nom- 
bre de  vos  ferviteurs  les  plus  fidèles ,  &, 
fi  je  lofe  dire  ,  au  nombre  de  vos  amis  : 
tout  ne  m'y  engage-t-il  pas  ?  N'êtes- 
vous  pas  mon  Dieu  :  c'eft-à-dire  ,  n'ê- 
tes-vous  pas  le  principe  ,  le  foutien , 
la  fin  de  mon  être  ?  Ne  m'êtes -vous 
pas  tout  en  toutes  chofes  ?  Que  d'idées 
je  me  trace  en  ce  peu  de  paroles  !  plus 
je  veux  les  pénétrer  ,  &  plus  j'y  décou- 
vre de  fujets  d'un  dévouement  entier  5c 
fans  réferve. 


4*2.  Saints  désirs  d'une  vie 
"  Dieu  Créateur  Se  Scrutateur  des 
cœurs ,  voilà  ce  que  je  reconnois  in- 
térieurement Se  en  votre  préfence }  mais 
pourquoi  ne  m'en  déclarerais  -  je  pas 
hautement  Se  en  la  préfence  des  hom- 
mes ?  Pourquoi  n'en  ferois-je  pas  de- 
vant eux  une  profelïion  ouverte  ?  Qa'ai- 
je  à  craindre  de  leur  part  ?  En  voyant 
mon  affiduité  Se  ma  ferveur  dans  votre 
fervice ,  après  avoir  été  témoins  de  mes 
dilîipations  Se  de  mes  mondanités  ,  ils 
feront  furpris  de  mon  changement.  On 
parlera  de  ma  dévotion  ,  on  en  rira , 
on  la  cenfurera  j  mais  cette  cenfure  , 
ou  tombera  fur  des  défauts  réels  ,  Se  je 
les  corrigerai  ;  ou  tombera  fur  des  dé- 
fauts imaginaires ,  Se  je  la  mépriferai. 
Du  refte  j'avancerai  dans  vos  voies  , 
je  m'y  affermirai  ;  &  quoi  qu'en  penfeht 
Iqs  hommes  ,  j'eicimerai  comme  le  plus 
grand  de  tous  lés  biens  d'y  perfévérer , 
d'y  vivre  ,  de  d'y  mourir. 

Oui,  Seigneur,  c'eft  .mon  bien,  Se 
mon  plus  stand  bien.  Mon  bien  par 
rapport  a  1  avenir ,  Se  mon  bien  même  s 
pour  cette  vie  préfente  Se  mortelle, 
Que  ne  l'ai -je  mieux  connu  jufqu'à 
préfent  ,  ce  bien  ii  précieux  ,  ce  vrai 
bien  !  Que  n'ai-je  fçu  plutôt  l'apperce-  * 
voit  à  ttavets  les- charmes  trompeurs, 


DEVOTE    ET    PARFAITE.    42$ 

ôc  les  frivoles  enchantemens  qui  me 
fafcinoient  les  yeux  !  Tant  que  ce  fera 
cet  efprit  de  religion  ôc  de  piété  qui  me 
conduira  ,  quels  avantages  n'en  dois- 
je  pas  attendre  ?  il  amortira  le  feu  de 
mes  pallions ,  il  arrêtera  mes  vivacités 
Se  mes  précipitations  ?  il  purifiera  mes 
vues  de  mes  intentions  ,  il  réglera  mes 
humeurs ,  il  redrefTera  mes  caprices ,  il 
fixera  mes  inconftanceî»  :  car  une  vraie 
dévotion  s'étend  à  tout  cela  3  8c  de  cette 
forte  elle  me  préfervera  même  de  mille 
mauvaife  démarches  3  Se  de  mille  écueiis 
dans  le  commerce  du  monde.  Et  en  effet , 
dans  toutes  mes  réfolutions ,  &  toutes 
mes  a&ions ,  cet  efprit  religieux  &  pieux 
me  fervira  de  guide ,  de  confeil  :  il  me 
fera  toujours  réfourdre  ,  toujours  agir 
çlvqc  maturité  ,  avec  modération  Se  re- 
tenue .,  avec  droitute  de  cœur ,  avec  ré- 
flexion 3c  avec  fageffe.  Mais  fur-tout  dans 
mes  amiclions ,  dans  toutes  mes  traver- 
fes  ôc  tous  les  chagrins  inféparables  de 
la  mifère  humaine  ,  c'eft  ce  même  efprit 
qui  fera  ma  reiîource  ,  mon  appui  9  ma 
confolation.  ïl  me  fortifiera ,  il  réveil- 
lera ma  confiance ,  il  me  tiendra  dans 
une  humble  foumiffion  à  vos  ordres  ;  Ôc 
ces  fentimens  calmeront  toutes  mes  in- 
quiétudes ?  de  adouciront  toutes  mes 
peines^ 


424    Saints  désirs  d'uks  vik 

Oeft  ainfi  ,  mon  Dieu  ,  que  fe  véri- 
fie l'oracle  de  votre  Apôtre  :  c'eft  ainfi 
que  la  piété  eft  utile  à  tout.  Mais  que 
fais-je  ?  En  me  dévouant  à  vous,  Sei- 
gneur ,  ce  n'eft  point  moi  que  je  dois 
envifager  j  je  ne  dois  avoir  en  vue 
que  vous-même.  Il  me  îuffit  de  vous 
obéir  ôc  de  vous  plaire  j  il  me  fuflit  de 
glorifier ,  autant  que  je  le  puis  ,  votre 
laint  nom ,  de  rendre  hommage  à  vo- 
tre fuprême  pouvoir  ,  d'ufer  de  retour 
envers  vous ,  ôc  de  reconnoître  vos 
bontés  infinies  j  de  vous  témoigner  ma 
dépendance  ,  mon  zèle  ,  mon  amour. 
Voilà  les  motifs  qui  doivent  me  tou- 
cher ,  ôc  que  je  dois  me  propofer.  De 
tout  le  refte  ,  je  m'en  remets  aux  foins 
paternels  de  votre  providence  :  car  elle 
ne  me  manquera  pas  ;  ôc  m'a  - 1  -  elle 
manqué  jufqu'à  ce  jour  ,  m'a  -  t  -  elle 
manqué  dans  le  cours  même  d'une  vie 
tiède  ,  négligente  ,  d'une  vie  fans  fruit 
ôc  fans  mérite  ,  où  vous  n'avez  point 
ceiTé  de  m'appeller  ôc  de  me  repréfenter 
mes  devoirs  ?  Or  il  eft  tems  de  vous 
répondre  ,  ôc  ce  feroit  une  obftination 
bien  indigne  ,  de  réfifter  encore  à  de 
ii  favorables  pourfuites.  Je  me  rends, 
Seigneur  ,  je  viens  à  vous  ,  je  me  con- 
fie en  votre  fecours  tout-puàTant,   ôc 

comme 


DÉVOTE    £T    PARFAITE.     425 

comme  ceft  par  vous  que  je  commence, 
ou  que  je  veux  commencer  l'ouvrage 
de  ma  fanctification ,  c'eft  par  vous  que 
je  le  confommerau 

Ah  !  Seigneur  5  il  ce  n'étoit  par  vous , 
par  quel  autre  le  pourrois-je  ?  Seroit-ce 
par  moi-même,  lorfque  dans  moi  je  ne 
Trouve  que  des  obftacles  ?  Toute  la  na- 
ture en  eft  allarmée  ,  8c  y  forme  des 
oppofitions  au-delîus  de  mes  forces ,  à 
moins  qu'il  ne  vous  plaife  de  me  fe- 
courir.  Une  vie  plus  réglée ,  plus  reti- 
rée ,  plus  appliquée  aux  exercices  in- 
térieurs Se  toute  contraire  à  mes    an- 
ciennes  habitudes  ,   trouble   mes  paf- 
fions  3  étonne    mon    amour   propre   , 
ébranle  mon  courage  ,  &  me  remplit 
d'idées    triftes   &   déplaifantes.    Grand 
Dieu  ,  levez-vous  j  prenez  ma  défenfe. 
Prenez-la  contre  moi-même ,  quoique 
pour  moi  -même.C'eft  contre  moi-même 
que  vous  la  prendrez ,  en  me  défendant 
de    ces  ennemis   domeftiques  qui  font 
nés  avec  moi  6c  dans  moi ,  &  qui  cons- 
pirent à  me  détourner  de  la  fainte  réfo- 
lution  que   j'ai  formée  ;  mais  ce  fera 
en  même  tems  pour  moi-même,  puif- 
que  ce  fera, pour  le  progrès  de  mon  ame 
ôc  pour  mon  fahuv 

Tome L  Nn 


416  Injustice    du   Monde 

Jnjujiice  du  monde  _,  dans  le  mépris 
qu  il  fait  des  pratiques  de 
dévotion. 


A 


Quoi  bon  tant  de  pratiques  de  dé- 
votion Ôc  tant  de  menues  obfer- 
vances  ?  La  piété  ne  confifté  point  en 
tout  cela  }  mais  dans  le  cœur.  Ainfî 
parlent  un  homme  ,  une  femme  du 
monde  >  qu'on  voudrait  engager  à  une 
vie  plus  religieufe ,  Ôc  à  certains  exer- 
cices qu'on  içait  leur  être  très-conve- 
nables ôc  très  -  falutaires.  Le,  principe 
qu'ils  avancent  eft  inconteftable  ,  fça- 
voir ,  que  la  piété  coniifte  dans  le  cœur  : 
mais  fur  ce  principe  dont  nous  conve- 
nons également  de  part  ôc  d'autre  3  nous 
raifonnons  du  refte  bien  différemment. 
Car  ,  difent-ils,  pourquoi  ne  s'en  pas 
tenir  là  ôc  qu'eft-il  nécefîaire  de  s'amV 
jettir  à  tous  ces  exercices  &  à  toutes 
ces  régies  qu'on  veut  nous  prefcrire  ? 
voilà  ce  qu'ils  concluent.  Et  moi  par 
un  raifonnement  tout  oppofé ,  voici  ce 
que  je  leur  réponds,  ôc  ce  que  je  leur 
dis  :  Il  eft  vrai  ,Veft  dans  zle  cœur  que 
la  piété  confiée  :  mais  dès  qu'elle  eft 


a  l'égard  m  la  Dévotion.  427 
vraiemenr  dans  le  cœur  ,  elle  porte 
par  une  fuite  naturelle  à  tout  ce  que  je 
vous  prefcris  ;  Se  dès  qu'elle  ne  porte 
pas  à  tout  ce  que  je  vous  prefcris ,  c'en: 
une  marque  évidente  qu'elle  n'eft  pas 
vraiement  dans  le  cœur. 

En  effet  ,  du  moment  qu'elle  eft 
dans  le  cœur ,  elle  veut  s'y  conferver  ; . 
or  c'eft  par  toutes  ces  pratiques  qu'elle 
s'y  maintient.  Du  moment  qu'elle  eft 
dans  le  cœur  ,  elle  y  veut  croître  Se 
augmenter  ;  or  c'eft  par  tous  ces  exer- 
cices qu'elle  y  fait  fans  cefte  de  nou- 
veaux progrès.  Du  moment  qu'elle  eft 
dans  le  cœur  5  elle  veut  fe  produire^au 
dehors  Se  palfer  aux  œuvres  ;  Se  ceflf 
félon  toutes  ces  régies  qu'elle  doit  agir. 
Du  moment  qu'elle  eft  dans  le  cœur, 
elle  veut  glorifier  Dieu  ,  édifier  le  pro- 
chain ,  faire  honneur  à  la  religion  •  Se 
c'eft  dans  toutes  cesyobfervations  qu'elle 
trouve  la  gloire  de  Dieu  ,  l'honneur  de 
la  religion  ,  l'édification  du  prochain. 
Enfin  ,  du  moment  qu'elle  eft  dans  le 
cœur  ,  elle  veut  acquérir  "dés  mérites  Se 
s'enrichir  pour  l'éternité  ;  Se  tout  ce 
qu'une  fainte  ferveur  nous  infpire  , 
ce  font  autant  de  fonds  qui  doivent 
profiter  au  centuple ,  Se  autant  de  ga- 
ges   d'une    éternelle    béatitude.    Auifi 

Nnij 


%it  IVr  xr  s  1 1  c  e  du  Monde 
i'Eglife  éclairée  3c  conduite  par  I'efprit 
de  Dieu ,  outre  ce  culte  intérieur  qu'elle 
nous  recommande,  3c  qu'elle  fuppofe 
comme  le  principe  3c  la  bafe  de  toute 
vraie  piété,  a-t-elle  cru  devoir  encore 
établir  un  culte  extérieur  ,  où  la  dévo- 
tion des  fidèles  put  s'exercer  3c  fe  nour- 
rir. Voila  pourquoi  elle  a  inftitué  {qs 
fêtes  ,  fes  cérémonies ,  les  aifemblées  , 
fes  offices ,  fes  prières  publiques ,  fes  ab- 
ftinences ,  fes  jeûnes  :  pratiques  dont  elle 
a  tellement  compris  l'utilité  8c  même  la 
néceffité ,  que  de  plulieurs  elle  nous  a 
fait  des  commandemens  exprès  y  en 
nous  exhortant  à  ne  pas  négliger  les 
autres  ,  quoiqu'elle  ait  bien  voulu  ne 
lès  pas  ordonner  avec  la  même  rigueur. 
Rien  donc  n'eft  plus  conforme  à  I'efprit 
de  I'Eglife ,  ni  par  conféquent  au  divin 
efprit  qui  la  guide  en  tout ,  qu'une  dévo- 
tion agiiTante  3c  appliquée  fans  relâche 
a  de  pieufes  obfervances  ,  ou  qu'une 
longue  tradition  autorife  ,  ou  que  le 
zèle  fuggère  félon  les  tems  3c  les  con- 
jonctures. 

Le  monde  eft  merveilleux  dans  fes 
idées ,  &  prend  bien  plaifir  à  fe  trom- 
per :  je  dis  même  le  monde  le  moins 
profane  3c  en  apparence  le  plus 
chrétien.  On  veut  une  dévotion  folide , 


A  l'égard  de  la  Dévotion.   429 
&  en  cela  l'on  a  raifon  :  mais  cette  dé- 
votion folide ,  on  voudroit  la  renfermer 
toute  dans  le  cœur  ,  pourquoi  ?   parce 
qu'on  voudroit  être  dévot  ,  fk  ne    fe 
contraindre  en  rien ,  ni  fe  faire  aucune 
violence  }    parce   qu'on   voudroit   être 
dévot ,  &  confommer  inutilement  les 
journées  dans    une    molle   oifiveté  & 
dans    une   indolence  pareifeufe  ;  parce 
qu'on  voudroit  être  dévot ,  3c  vivre  en 
toutes  chofes  félon  fon  gré  ,  &  dans 
une  entière  liberté.  Car  ces  exercices 
propres  d'une  vie  fpirituelle  &;  dévote 
ont  leurs  difficultés  &  leur  fujettion.  Il 
y  en  a  qui  mortifient  la  chair  &  qui  fou- 
mettent  les  fens  à  des  œuvres  de  péni- 
tence ,  dont  ils  ont  un  éloignemerit  na- 
turel. Il  y  en  a  qui  attachent  l'efprit  5 
qui  l'appliquent  à  d'utiles  réflexions ,  ôc 
l'empêchent  de  fe  diftraire  en  de  vaines 
penfées  où  il  aime  à  fe  diffiper.  D'au- 
tres  captivent   la  volonté  ,    repriment 
{qs  defirs  trop  vifs  «Se  trop  précipités  ;  & 
toute  indocile  qu'elle  eft  ,  la  tiennent 
fous  le  joug   &    dans  la    dépendance. 
D'autres  règlent  les  actions  de  chaque 
jour ,  les   fixent  à  des  tems  précis ,  3c 
leur  donnent  un  arrangement  auffi  in- 
variable qu'il  le  peut  être  dans  la  litua- 
tion  préfente.  Chacun  porte  avec  foi  fa 


43©     Injustice- du  Monde 
gêne  ,   fa  peine  ,  fon  dégoût.  Or  voila 
ce  qui  rebute ,  Se  à  quoi  l'on  répugne. 

Mais  dans  le  fond  qu'eft-ce  que  toutes 
ces  méthodes ,  que  toutes  ces  pratiques  ? 
Ne  font-ce  par  des  minuties?  Des  minu- 
ties !  mais  ces  prétendues  minuties  plai- 
fent  à  Dieu  3  &  entretiennent  dans  une 
fainte  union  avec  Dieu.  Des  minuties  î 
mais  ces  prétendues  minuties,  les  plus 
habiles  maîtres  &  les  plus  grands  faints 
î  es  ont  regardées  comme  les  remparts  8c 
les  appuis  de  la  piété.  Des  minuties  ! 
mais  ce  font  ces  prétendues  minuties,qui 
font:  le  bon  ordre  d'une  vie  &  la  bonne 
conduite  d'une  ame.  Des  minuties  !  mais 
c'eft  dans  ces  prétendues  minuties  que 
toutes  les  vertus  ,  par  des  actes  réité- 
rés ôc  réglés  ,  s'accroifTent  §c  fe  perfec- 
tionnent. Des  minuties  !  mais  c'eft  à 
ces  prétendues  minuties  que  Dieu  a  pro- 
mis fon  royaume  ,  puifqu'il  l'a  promis 
pour  un  verre  d'eau  donné  en  fon  nom. 

En  vérité  les  mondains  ont  bonne 
grâce  de  rejetter  avec  tant  de  mépris 
ce  qu'ils  appellent  en  matière  de  dévo- 
tion minuties  &:  petitefTes  ,  lorfqu'on 
les  voit  eux  -  mêmes  dans  l'ufage  du 
monde  defeendre  à  tant  d'autres  petits 
foins  Se  d'autres  minuties  ,  pour  fe  ren- 
dre agréables  à  un  Prince ,  à  un  Grand  3 


A  l'égard  de  la  Dévotion.  43 1 
à  toutes  les  perfonnes  qu'ils  veulent 
gagner.  Ils  ont  bonne  grâce  de  traiter 
de  bagatelle  ce  qui  concerne  le  fervice 
de  Dieu ,  lorfque  les  moindres  chofes 
leur  paroifTent  importantes  à.  l'égard 
d'un  Souverain  ,  d'un  Roi  de  la  terre  a 
dont  ils  recherchent  la  faveur  ,  8c  à  qui 
ils  font  fi  ailiduement  leur  cour.  Qu'ils 
en  jugent  comme  il  leur  plaira:  dès  qu'il 
fera  cpeftion  du  Dieu  que  j'adore  8c 
des  hommages  que  je  luis  dois  y  je  ne. 
tiendrai  rien  au-deffous  de  moi  y  mais 
tout  me  deviendra  refpectable  8c  vé- 
nérable. Us  riront  de  ma  foibleife ,  8c 
J'aurai  pitié  de  leur  aveuglement. 

Simplicité  Evangélique^  préférable 

dans  la  dévotion  à  toutes  le  con- 

noijjances  humaines. 

J'Entends  une  bonne  ame  qui  me 
parle  de  Dieu  ,  8c  qui  m'expofe  les 
fentimens  que  Dieu  lui  donne  à  la 
communion  ,  à.  l'oraifon  ,  dans  fon 
travail  8c  fes  occupations  ordinaires. 
Je  fuis  furpris  ,  en  l'écoutant  ,  de  la 
manière  dont  elle  s'explique.  Quel  feu 
anime  fes  paroles  !  qu'elle  onction  les 


452.  Simplicité  Evangeliqué 
accompagne  !  Elle  s'énonce  avec  unO- 
facilité  que  rien  n'arrête  j  elle  s'exprime 
en  des  termes  ,  qui  fans  être  étudiés 
ni  arTe&és  ,  me  font  concevoir  les  plus 
hautes  idées  de  l'Etre  divin  ,  des  gran- 
deurs de  Dieu ,  des  myftères  de  Dieu, 
de  fes  miféricordes  &c  de  fes  jugemens, 
des  voies  de  fa  providence  ,  de  fa  con- 
duite à  Fégard  des  élus  ,  de  fes  com- 
munications intérieures.  J'admire  tout 
-cela.j  8c  je  l'admire  d'autant  plus ,  que 
la  perfonne  qui  me  tient  ce  langage  il 
relevé  &  fi  fublime  ?  n'eft  quelquefois 
qu'une  fimple  fille ,  qu'une  domeftique  , 
qu'une  villageoife.  A  quelle  école  s'eft- 
elle  fait  inftruire  ?  quels  maîtres  a-t-elle 
confultés  ?  quels  livres  a-t-elle  lus  ?  "Et 
ne  pourrois-je  pas  avec  toute  la  pro- 
portion convenable  lui  appliquer  ce 
'Mâtth,  qu'on  difoit  de  Jefus  -  Chrift  :  Ou  cet 
*• l  ?  '  homme  a-t-il  appris  tout  ce  qu'il  nous  dit  ? 
nefl-ce  pas  le  fils  d'un  art  if  an  ? 

Ah  !  mon  Dieu ,  il  n'y  a  point  eu  pour 
cette  ame  d'autre  maître  que  vous- 
.même  ,  3c  que  votre  efprit.  Il  n'y  a 
point  eu  pour  elle  d'autre  école  que  la 
prière  ,  où  elle  vous  a  ouvert  fon  cœur 
avec  iimplicité  ,  &  avec  humilité.  Il  ne 
lui  a  point  fallu  d'autres  livres  ni  d'au- 
tres leçons,  qu'une  vue  amoureufe  du 

crucifix  9 


DANS    LA    DÉVOTION.     455 

crucifix  ,  qu'une  continuelle  attention 
à  votre  préfence  ,  qu'une  dévote  fréquen- 
tation de  vos  facrés  rnyftères  ,  qu'une 
pratique  ridelle  de  fes  devoirs ,  qu'une 
pleine  conformité  à  toutes  vos  volontés  , 
Ôc  qu'un  deiir  lincère  de  les  accomplir. 
Voilà  par  où  elle  s'eft  formée ,  ou  plutôt , 
voilà  ,  mon  Dieu  ,  par  où  elle  a  mérité  , 
autant  qu'il  eft  poiîible  à  la  foiblelTe  hu- 
maine ,  que  votre  grâce  la  formât ,  l'é- 
clairât ,  rélevât. 

Auiîi  eft-ce  à  ces  âmes  iîmples  com- 
me la  colombe  ,  &  humbles  comme 
les  enfans  ,  à  ces  âmes  pures ,  droites 
ôc  ingénues  ,  que  Dieu  communique 
avec  plus  d'abondance  fes  lumières.  C'eft 
avec  elles  qu'il  aime  à  converfer.  Il  leur 
parle  au  cœur ,  &  cette  feience  du  cœur , 
cette  feience  de  fentiment ,  cette  feience 
d'épreuve  &  d'expérience  qu'il  leur  fair 
acquérir ,  eft  infiniment  au-defiTus  de 
tout  ce  que  peuvent  nous  découvrir  tou- 
tes nos  fpéculations  ôc  toute  notre 
théologie. 

Que  je  m'adrelTe  à  quelqu'un  de  nos 
fçavans ,  &  que  je  le  faife  raifonner  fur 
ce  que  nous  appelions  vie  fpirituelle  , 
vie  de,  l'ame  ,  vie  cachée  en  Jefus- 
Chrift  &  en  Dieu.  Que  me  dira-t-il  ? 
peut  -  être  avec  toute ,  fon  habileté  le 
Tome  I.  O  o 


434    Simplicité  Ev Angélique 
verrai-j  e  tarir  au  bout  de  quelques  pa- 
roles j  ôc  fera-t-il  obligé  de  confelTer  , 
que  là-defïus  il  n'en  fçait  pas    davan- 
tage :  ou  s'il  veut  s'étendre  fur  cette 
matière }  il  m'étalera  de  beaux  principes 
&:  de  belles  maximes  ,  mais  dont  je  m'ap- 
perceverai  bien-tot  qu'il  n'a  qu'une  con- 
nohTance  vague  &  fuperrlcielle.  Dans  fes 
raifonnemens  je  pourrai  remarquer  beau- 
coup de  doctrine ,  beaucoup  d'efprit ,  &: 
cependant  j'en  ferai  peu  touché,  parce 
que  le  cœur  n'y  aura  point  de  part.  Deux 
ou  trois  mots  qui  partiroient  du  cœur  , 
m'en  feroient  plus  comprendre  &  plus 
fentir  que  tous  fes  difcours.  Je  conclurai 
r   9,   donc  avec  le  faint  Roi    David  :   Heu- 
u.        reux  ceux  à  qui  vous  enfeigne^  vous-même 
vos  voies  j  S  mon  Dieu.  Tout  dépourvus 
qu'ils  peuvent  être  d'ailleurs  des  talens  & 
des  dons  de  la  nature ,  vous  rendre1^  leurs 
Sa?,  t.  langues  difertes  &  éloquentes.  A  quoi  j'a- 
10»        jouterai  comme  faint  Auguftin  :  Hélas  ! 
les  ignorans  s3  avancent  >  fe  fanclifient  j 
emportent  le  Ciel  j  &  nous  avec  toute  no- 
tre étude  &  tout  notre  fc avoir  jy  nous  refions 
aux  derniers  rangs  du  royaume  de  Dieu  y 
&fouvent  même  nous  nous  mettons  en  dan- 
ger de  tomber  dans  V abîme  éternel. 

Mais  n'y  a-t-il  pas  eu  des  faints  &  de 
très-grands  faints  parmi  les  fçavans  ?  Je 


DANS    LA    DÉVOTION.        435 

fçais  qu'il  y  en  a  eu  ,  &  c'eft  faint  Paul 
lui  -  même  qui  nous  apprend  que  Dieu 
a  établi  dans  fon  Eglife  ,  non-feulement 
des  Apôtres  &  des  Prophètes  ,  mais 
des  Do&eurs  ,  qui  l'ont  éclairée  ,  &c 
qui  en  l'éclairant  font  parvenus  à  la  plus 
haute  fainteté.  Donnons  à  leur  vafte  & 
profonde  érudition  toute  la  louange  qui 
lui  eft  due  \  mais  du  refte  gardons-nous 
de  croire  que  ce  fut-là  ce  qui  les  entre- 
tenoit  dans  une  union  il  intime  avec 
Dieu.  Quand  il  s'agiiïbit  de  traiter  avec 
ce  fouverain  maître  8c  d'aller  à  lui ,  ils 
dépofoient ,  pour  ainfi  dire ,  toute  leur 
fcience  ±  &  bien  loin  de  l'appeller  à 
leur  fecours  ,  ils  en  éloignoient  toute 
idée ,  &  craignoient  que  par  un  fouve- 
nir  même  involontaire  elle  ne  troublât 
les  divines  opérations  de  la  grâce.  Tout 
ce  qu'ils  fçavoient  alors ,  c'étoit  d'adorer 
avec  tremblement ,  de  s'abaifTer  fous  la 
main-toute  puiflante  du  Seigneur  ,  de 
s'anéantir  en  préfence  de  cette  redou- 
table Majefté,  de  contempler,  d'admi- 
rer ,  de  s'affectionner ,  d'aimer.  Ils  n'a- 
voient  befoin  pour  cela ,  ni  d'un  génie 
fublime  ,  ni  d'un  travail  aflîdu ,  ni  de 
curieufes  recherches ,  ni  de  penfées  ingé- 
nieufes  &  fubtiles  j  mais  il  ne  leur  falloit 
qu'une  fimple  confidération ,  qu'une  foi 

Ooij 


Jtrzrrt. 
p.i.   6. 


436     Simplicité  -Evangélique 
vive  ,  qu'un  cœur  droit.  Ainfî  tout  fca- 
vans  qu'ils    étoient  ,    ils    confervoient 
'devant  Dieu  Se  dans  les  chofes  de  Dieu 
toute  la  {implicite  evangélique.  Quoique 
fçavans,  ils  n'étoient  point  de  ces  prudens 
Se  de  ces  fages  3  à  qui  le  Père  céleite ,  fui- 
vanc  la  parole  du  Fils  de  Dieu  ,  a  caché 
fes  adorables  myftères  ;  mais  ils  étoient 
du  nombre  de  ces  petits ,  à  qui  Jefits- 
Chrift  donnoit  un  accès  fi  facile  auprès 
de  fa  perfonne  ,  Se  qu'il  a  fpécialement 
déclarés  héritiers  du  royaume  de  Dieu. 
Voilà  comment  ils  approchoient  de 
Dieu  ,  remplis  du  même  fentiment  que 
le  Prophète  Jérémie  ,  lorfqu'il  s'écrioit  : 
Dequoifuis-je  capable  j  Seigneur _,  &  que 
puis-je  !  Je  ne  fuis  qu'un  enfant  _,  &  à  peine 
feais-je  prononcer  unefyllabie?  Mais  il  me 
fembie  que  Dieu  leur  répondoit  inté- 
rieurement à  chacun  ,  comme  à  fon  Pro- 
phète :  Non  _,  ne  dites  point  que  vous  ne 
feave^  rien  y  &  que  vous  n'êtes  qu'un  en- 
fant :  parce  que  vous  ne  vous  regardez 
point  autrement  devant  moi ,  c'eft  pour 
cela  que    je    vous  comblerai  de  mes 
dons   céleftes  \  que   je  vous  attacherai 
à  moi ,  Se  que  je  m'attacherai  à  vous  ; 
que  je  vous  admettrai  à  mes  entretiens 
les  plus  familiers  j  que  je  vous  révélerai 
Ifs-fecrets  de  ma  fageife  ,  &  que  je  Se 


dans  la  Dévotion.  437 
vous  mettrai  dans  la  bouche  de  dignes 
e.xpreiîiqns  pour  les  annoncer.  Car  c'eft 
aux  petits  ,  &  aux  plus  petits ,  que  ces 
faveurs  font  refervées. 

Soyons  de  ce  nombre  favori ,  &  con- 
folons-nous  iî  nous  fommes  privés  de 
certains  mérites  perfonnels  ,  Se  de  cer- 
taines qualités  qui  brillent  aux  yeux  des 
hommes.  La  feience  fans  la  charité  peut 
être  plus  nuiilble  qu'utile  à  un  fçavant , 
parce  qu'elle  enfle  j  mais  la  charité  fans 
la  feience  peut  feule  nous  fûffire  pour 
notre  propre  fanflification ,  parce  que 
de  fon  fonds  Se  par  elle-même ,  elle  édi- 
fie. Or  cette  charité  fi  fainte  &  fi  fandi- 
fiante ,  nous  pouvons  l'avoir  fans  être 
pourvus  de  grands  talens  naturels  ,  ni  de 
grandes  connoiiTances.  Nous  pouvons 
.même  dans  l'état  de  cette  enfance  fpiri— 
tuelle  ,  l'avoir  plus  aifément  &  la  confer- 
ver  plus  fûrement ,  puifque  nous  fommes 
moins  expofés  à  la  préfomption  de  l'or- 
gueil ,  &  moins  fujets  à  nous  évanouir 
dans  nos  penfées.  Voye-^  _,  mes  f ères .,  difoit  lm  c 
l'Apôtre  aux  Corinthiens ,  quelU  efi yo~  ci.  16. 
tre  vocation  :  il  n'y  en  a  pas  eu  beaucoup 
parmi  vous  qui  fuffent J âges félon  la  chair  > 
oupuiffans  ,  ou  nobles  ;  mais  ce  qui  paffe 
pour  infenfé  devant  le  monde  _,  Dieu  l'a 
choijîpour  confondre  les  j âges  ;  &  ce  qui 

O  o  iij 


4  3  8  Simplicité  Ev Angélique 
eji  foibk  &  méprifable  devant  le  inonde , 
Dieu  l'a  chofipour  confondre  ce  qu'il  y  a 
déplus  fort  &  déplus  grand  >  afin  j  con- 
clut le  Docteur  des  Gentils  ,  que  nul 
homme  neût  de  quoi  fe  glorifier .,  s'attri- 
buant  à  foi-même  ce  qui  ne  vient  que  de 
Dieu  y  8c  qui  n'appartient  qu'à  Dieu.  Un 
homme  verfé  dans  les  fciences  ou  divines 
ou  humaines  ,  a  plus  lieu  de  craindre 
qu'une  fecrette  complaifance  ne  lui  fafTe 
dérober  à  Dieu  la  gloire  de  certaines  lu- 
mières ,  de  certaines  vues ,  de  certaines 
difpoiitions  de  l'ame ,  dont  la  grâce  eft 
l'unique  principe.  Quoi  qu'il  en  foit,  fui- 
Sap»  c .  vons  l'avis  du  fage  j  cherchons  Dieu  dans 
la  Jimplicité  de  notre  cœur.  Apprenons 
à  l'aimer  ,  à  lui  obéir ,  à  le  fervir ,  à  nous 
fauver  ,  voilà  ce  qu'il  nous  importe 
fouverainement  de  fçavoir.  Voilà  tout 
V homme .,  félon  le  terme  de  l'écriture ,  3c 
par  conféquent  voilà  la  grande  fcience 
de  l'homme ,  Se  où  toute  autre  fcience 
doit  fe  réduire. 


a.  12. 


DANS    LA    DÉVOTION.       43  £ 

Défaut  à  éviter  dans  la  dévotion  _,  & 

faujjes  conféquences  que  le  liberté 

nage  en  prétend  tirer. 

QUe  la  nature  eft  adroite ,  &  quelle 
fçait  bien  ménager  fes  intérêts! 
Jille  les  trouve  par  -  tout,  &  jufques 
dans  les  chofes  qui  paroifTent  plus  oppo- 
fées.  Nous  penfons  à  nous  défaire  d'une 
pailion  :  que  fait  la  nature  ?  En  la  place 
de  cette  pafïion ,  elle  en  fubftitue  une 
autre  toute  contraire  ,  mais  qui  eft  tou- 
jours paffion  ,  &  par  conféquent  qui 
lui  plaît  Se  qui  la  flatte.  On  donne  à  l'or- 
gueil ,  à  l'envie  de  dominer  &  d'intri- 
guer ,  à  l'impétuofité  naturelle  ,  à  la  ma- 
lignité ,  à  l'indolence  &  à  l'oinVeté  ,  ce 
qu'on  ôte  aux  autres  vices  j  &  de  -  là 
divers  caractères  de  dévotion ,  plus  ai- 
fés  à  remarquer  qu'à  corriger.  Dévotion 
faftueufe  &  d'éclat  ,  dévotion  intri- 
guante &c  dominante ,  dévotion  inquiète 
&  emprelfée ,  dévotion  zélée  pour  autrui 
fans  l'être  pour  foi  3  dévotion  de  natu- 
relle &  d'intérêt  ,  dévotion  douce  & 
commode. 

1.  Dévotion  faftueufe  &  d'éclat  :  cai 
O  o  iv 


'44°       DÉFAUTS      A     ÉVITER 

on  aime  l'éclat  jufques  dans  la  retraite  , 
jufques  dans  la  pénitence  ,  jufques  clans 
les  plus  faints  exercices  ,  &c  dans  les 
œuvres  même  les  plus  humiliantes. 
Celle-ci  peut-être  ni  celle-là  ne  fe  fe- 
roient  pas  retirées  du  monde ,  fi  elles  ne 
l'avoient  fait  avec  éclat ,  &  fi  cet  éclat 
ne  les  eût  foutenues.  Et  depuis  qu'elles 
ont  renoncé  au  monde  &  embraffé  la 
dévotion ,  peut  -  être  ne  fe  rendroient- 
elles  pas  il  afîidues  au  foin  des  pauvres 
ou  au  foin  des  prifonniers ,  fi  elles  ne  le 
faifoient  avec  le  même  éclat ,  &  il  dans 
ce  même  éclat  elles  n'avoient  le  même 
foutien.  Bien  d'autres  exemples  pour- 
raient vérifier  ce  que  je  dis.  On  s'em- 
ploye  à  des  établiilemens  nouveaux  , 
qui  paroifTent  &  qui  font  bruit  dans  le 
monde.  On  y  contribue  de  tout  fon-pou- 
voir  ,  &  l'on  fournit  amplement  à  la 
dépenfe.  De  relever  les  anciens  qui  tom- 
bent ,  &  d'y  travailler  avec  la  même 
ardeur  £c  la  même  libéralité  ,  ce  ne  fe- 
rait pas  peut-être  une  œuvre  moins  mé- 
ritoire devant  Dieu  ni  moins  agréable  à 
fes  yeux  :  mais  elle  ferait  plus  obfcure , 
êc  l'on  aurait  point  le  nom  d'infHtùteur 
ou  d'inftitutrice.  Or  cet  attrait  man- 
quant ,  il  n'eft  que  trop  naturel  ôc  que 
trop  ordinaire  qu'on  porte   ailleurs  fes 


DANS    LA    DÉVOTION.       44 1 

gratifications  ,  &:  qu'on  fe  laiife  attirer 
par  l'éclat  de  la  nouveauté,  Mais  ,  dit- 
on  ,  cet  éclat  fert  à  édifier  le  prochain. 
Sur  cela  je  conviens  que  l'éclat  alors  fe- 
roit  bon  >  fi  l'on  n'y  recherchoit  que  l'é- 
dification publique  j  mais  il  eft  fort  à 
craindre  qu'on  ne  s'y  cherche  encore  plus 
foi-même.  Ké  quoi  !  faut-il  donc  quitter 
toutes  ces  bonnes  œuvres  ?  Non  ,  rete- 
nez-les toutes  quant  à  l'action  j  mais  étu- 
diez-vous à  en  rectifier  l'intention. 

2.  Dévotion  intriguante  ôc  domi- 
nante. En  ceflant  d'intriguer  dans  le 
monde  &  d'y  vouloir  dominer  ,  on  veut 
intriguer  Se  dominer  dans  le  parti  de  la 
dévotion.  Car  il  y  a  dans  la  dévotion 
même  différents  partis  j  &  s'il  n'y  en 
avoit  point  ,  &  que  l'uniformité  des 
fentimens  fut  entière  ,  fans  difpute  , 
fans  conteitation ,  fans  occafion  de  re- 
muer ,  de  s'ingérer  en  mille  affaires  ck: 
mille  menées ,  il  eft  à  croire  que  bien 
des  perfonnes ,  fur  -  tout  parmi  le  fexe  , 
ii'auroient  jamais  été  dévotes  ni  voulu 
l'être.  Le  crédit  qu'on  a  dans  une  fecte 
dont  on  devient ,  oa-lecerf ,  ou  l'un  des 
principaux  agents  j  l'empire  qu'on  exerce 
fur  les  efprits  qu'on  a  fçu  prévenir  en  fa 
faveur  5  Se  qui  prennent  aveuglément 
les  impreflions  qu'on  leur  donne  j  Tau- 


442-     Défauts  a  éviter 
torité"  avec  laquelle  on    les  gouverne 
de  on  les  fait  entrer   dans   toutes  fes 
vues  &  toutes  fes  pratiques }  le  plaifir 
flatteur  d'être  lame  des  afTemblées  ,  des 
délibérations  ,  de  tous  les  confeils  &  de 
toutes   les  réfolutions  j  le   feul    plaifir 
même  d'avoir  quelque  part  à  tout  cela  3 
&:  d'y  être  compté  pour  quelque  chofe , 
voilà  ce  qui  touche  un  cœur  vain  &  ama- 
teur de  la  domination.  Voilà  fon  objet , 
tout  le  refte  n'eft  proprement  que  l'ac- 
cefToire  &  qu'une  fpécieufe  apparence. 
3.  Dévotion  inquiète  &   emprefTée. 
Lue.  r.  Marthe  j  Marthe  j  vous  vous  inquiète^ 
'  &  vous  vous  mette\  en  peine  de  bien  des 
chofes  9  difoit  le  Sauveur  du  monde  à 
cette  fœur  de  Marie  ,    voyant  qu'elle 
s'embarrafToit  de    trop  de  foins   pour 
le  recevoir  dans  fa  maifon  >  &  pour,  lui 
témoigner    fon    refpect.    C'étoit    fans 
doute  une  bonne  œuvre  qu'elle  faifoit , 
puifqu'il  s'agiiïoit  du  Fils  de  Dieu j  mais 
dans  toutes  nos  œuvres  &  particulière- 
ment dans  nos  œuvres ,  de  piété  ,  Dieu 
veut  toujours  que  nous  confervions  le 
recueillement  intérieur  ,   qui  ne   peut 
guères  s'accorder  avec  une  ardeur  (i  vive 
&  fi  précipitée.  Car  dans  les  chofes  de 
Dieu  ,   comme    par -tout  ailleurs   ,  il 
y  a  de  ces  vivacités  ôc  de  ces  empref- 


DANS    LA    DÉVOTION.       44$ 

femens  qu'il  faut  modérer.  Ceft  le  ca- 
ractère de  certains  efprits  qui  n'entre- 
prennent ni  ne  font  prefque  jamais  rien 
d'un  fens  raifis  3c  avec  tranquillité  :  de 
forte  qu'on  les  voit  dans  un  mouve- 
ment perpétuel ,  ôc  que  pour  quelques 
démarches  qui  fuffiroient ,  ils  en  font 
cent  d'inutiles.  Ils  croient  agir  en  cela 
avec  plus  de  mérite  devant  Dieu  j  mais 
fouvent ,  fans  qu'ils  l'apperçoivent ,  s'y 
mêle-t-il  beaucoup  de  tempérament  ,  & 
quelquefois  même  une  fecrette  corn- 
plaifance  au  fond  de  l'ame.  Car  toutes 
ces  manières  ôc  toutes  ces  agitations 
extérieures  ont,  je  ne  fçais,  quel  air  d'im- 
portance ,  dont  le  cœur  fe  laifTe  aifé-* 
ment  flatter.  C'eft  .l'œuvre  de  Dieu, 
difent-ils  ,  ôc  malheur  à  celui  qui  fait  Jtrtm* 
V œuvre  de  Dieu  négligemment»  Je  l'a-j'0t 
voue ,  &  je  le  dis  auffi  -  bien  qu'eux  : 
mais  fans  négliger  l'œuvre  de  Dieu  ,  on 
peut  s'y  comporter  avec  plus  d'attention 
à  Dieu  même  \  avec  plus  de  récollec- 
tion, avec  moins  de  dillipation.  Hé,  pour- 
rois-je  leur  demander ,  que  prétendez- 
vous  ,  en  vous  laiflfant  ainfi  diftraire  ,  ôc 
perdant  par  toutes  vos  précipitations  ôc 
tous  vos  troubles  la  préfence  de  Dieu  ? 
Vous  le   cherchez  hors  de   vous  ,    de 


444        DÉFAUTS     A     ÉVITER 

vous  le  quittez' au  dedans -3e  vous-mê- 
jnes. 

4.  DéVotion  zélée ,  niais  fort  zélée 
pour  autrui  &  très-peu  pour  foi.  Depuis 
que  telle  femme  a  levé  l'étendard  de  la 
dévotion,  il.femble  quelle  foit  deve- 
nue impeccable  ,  &  que  tous  les  autres 
foient  des  pécheurs  remplis  de  défauts. 
Elle  donnera  dans  un  jour  cent  avis  ,  & 
dans  toute  une  année  elle  n'en  voudra 
pas  recevoir  un  feul.  Quoi  qu'il  en  foit , 
nous  avons  du  zèle ,  de  le  zèle  le  plus  ar- 
dent ,  mais  fur  quoi  ?  fur  quelques  abus 
affez  légers  que  nous  remarquons ,  ou 
que  nous  nous  figurons  dans  des  fubal- 
ternes,  ck  dans  des  états  qui  dépendent 
de  nous.  Voilà  ce  qui  nous  occupe  , 
fans  que  jamais  nous  nous  occupions 
des  véritables  abus  de  notre  état ,  dont 
nous  ne  fommes  pas  exempts ,  &  qui 
quelquefois  font  énormes.  Cependant 
on  inquiète  des  gens ,  on  les  fatigue , 
on  va  même  jufqu'à  les  accabler.    Le 

p/.  68.  Prophète  difoit ,  mon  %è/e  me   dévore  ., 

l0'        mais  combien  de   prétendus  Zélateurs 

ou  Zélatrices  pourroient  dire  :  Mon  \ele  y 

au  lieu  de  me  dévorer  moi-même  j  dévore 

les  autres, 

5.  Dévotion  de  naturel,  d'inclina- 
tion', d'intérêt.  Le  vrai  caractère  de  la 


DANS    LA    DÉVOTION.        445 

piété  eft  d'accommoder  nos  inclinations 
8c  nos  cleiirs  a  la  dévotion-,  mais  i'illuiion 
la  plus  commune  8c  le  défordre  prefque 
univerfel ,  eft  de  vouloir  au  contraire 
accommoder    la    dévotion   à  tous    nos 
de(irs  81  à  toutes  nos  inclinations.  De- 
là vient  que  la  dévotion  fe  transfigure 
en  toutes  fortes  de  formes  :  mais  fur- 
tout  à  la  Cour  elle  prend  toutes  les  qua- 
lités de  la  Cour.  La  Cour  (  ce  que  je  ne 
prétends  pas  néanmoins  être  une  règle 
générale  )   la  Cour  eft  le  féjour  de  l'am- 
bition ;  la  dévotion  y  devient  ambitieu- 
fe.  La  Cour  eft  le  féjour  de  la  politi- 
que :  la  dévotion  y  devient  artificieufe 
8c  politique.  La  Cour  eft  le  féjour  de 
l'hypocrifie  8c  de  la  diiîîmulation  :  la 
dévotion  y  devient  dilïîmulée   8c    ca- 
chée. La  Cour  eft  le  féjour  de  la  médi- 
•fance  :  la  dévotion  y  devient  critique  à 
l'excès  8c  médifante.    Airifi  du  refte.  La 
raifon  de  ceci  eft,  que  dans  la   dévo- 
-tion  même  ,    il  y   a   toujours ,  fi  l'on 
n'ufe  d'une  extrême  vigilance  ,  quelque 
chofe  d'humain  8c  un  fonds  de  notre 
nature  corrompue ,  qui  s'y  glilie  &  qui 
agit  imperceptiblement.  On  eft  pieux, 
ou  l'on  croit  l'être  ;  mais  on  l'eft  félon 
fes  vues  ,  mais  on  l'eft  félon  fes  avan- 
-  tages  perfonnels  8c  temporels  ,  mais  on 


446  Défauts  a  éviter. 
l'eft  félon  l'air  contagieux  du  monde  , 
que  l'on  refpire  fans  cefTe.  C'eft-à-dire , 
qu'on  l'eft  alfez  pour  pouvoir  en  quel- 
que manière  fe  porter  témoignage  à 
foi-même  de  l'être  ,  ôc  pour  en  avoir 
devant  le  monde  la  réputation  ;  mais 
qu'on  l'eft  trop  peu  pour  avoir  devant 
Dieu  le  mérite  de  l'être  véritablement. 
Sainteté  de  Cour  5  fainteté  la  plus  émi- 
nente  quand  elle  eft  véritable  ,  parce 
qu'elle  a  plus  d'obftacles  à  furmonter  , 
&c  plus  de  facrifices  à  faire  :  mais  que 
ces  facrifices  font  rares  !  Se  comme  il 
faut  pour  cela  s'immoler  foi-même  ,  que 
Fefprit  de  la  Cour  trouve  d'accommo- 
demens  èc  de  raifons  pour  épargner  la 
vi&ime  ! 

6.  Dévotion  douce  ,  oifîve ,  com- 
mode. On  dit  en  fe  retirant  des  affai- 
res du  monde ,  ôc  fe  donnant  à  Dieu  : 
pourquoi  tant  de  mouvemens  8c  tant 
de  foins  ?  Tout  cela  me  lafte  &  m'im- 
portune. Je  veux  vivre  déformais  en 
repos.  Erreur  :  ce  n'eft  point  là  l'efprit 
de  la  piété }  mais  c'eft  un  artifice  de 
l'amour  propre ,  qui  fe  cherche  foi- 
même  jufques  dans  les  meilleurs  def- 
feins.  Il  veut  par-tout  avoir  fon  comp- 
te ,  ôc  être  à  ion  aife  :  en  quoi  il  nous 
trompe.  La  fainteté    de  cette  vie  eft 


DANS    LA    DÉVOTION.        447 

dans  le  travail  ôc  dans  la  peine ,  comme 
celle  de  l'autre  eft  dans  la  béatitude 
8c  dans  la  paix. 

Que  le  libertinage  ,  inftruit  auiîl  bien 
que   nous  de   ces   égaremens    dans    la 
dévotion  ,  <k  des  autres ,  les  condamne  , 
nous  ne  nous  en  plaindrons  point,  & 
nous  ne  l'aceuferons  point  en  cela  d'in- 
juftice.  Mais  de  quoi  nous   nous  plai- 
gnons ,  &  avec  raifon  ,  c'eft  que  le  liber- 
tin abufe  de  quelques  exemples  parti- 
culiers ,   pour  en  tirer  des  conféquences 
générales  au  défavantage  de  toutes  les 
perfonnes  vertueufes ,  &  adonnées  aux 
œuvres    de  piété.    De  quoi  nous  nous 
plaignons,  c'eft  que  le  libertin  prenne 
de-là  fujet  de  décrier  la  dévotion ,  de 
la  traiter  avec  mépris ,  de  l'expofer  à 
la  rifée  publique  par  de  fades  &  de  fean- 
daleufes    plaifanteries.    De   quoi    nous 
nous  plaignons  ,    c'eft  que  le  libertin 
veuille  de-là  fe  perfuader  qu'il  n'y  a  de 
vraie  dévotion  qu'en  idée ,   ôc  que  ce 
n'eft    dans    la   pratique   qu'un   dehors 
trompeur  &  un  faux  nom.  De  quoi  nous 
nous  plaignons  ,   c'eft   que  le   libertin 
exagère  tant  les  devoirs  de  la   dévo- 
tion, &  qu'il  affecte  de  les  porter  au 
degré  de  perfection  le  plus  éminent , 
afin    que  ne  voyant  prefque  perfonne 


44 8  DÉFAUTS    A    ÉVITER 

qui  s'y  élevé ,  il  puiife  s'autorifer  à 
conclure  ,  que  tout  ce  qu'on  appelle 
gens  de  bien ,  ne  valent  pas  mieux  la 
plupart  que  le  commun  des  hommes. 
De  quoi  nous  nous  plaignons ,  c'eft 
que  par-là  le  libertin  ôte  en  quelque 
forte  aux  Prédicateurs  8c  à  tous  les  Mi- 
niftres  chargés  de  l'inrcruclrion  des  fi- 
dèles, la  liberté  de  s'expliquer  publi- 
quement fur  la  dévotion,  d'en  prefcri- 
re  les  régies  ,  d'en  découvrir  les  illu- 
lions ,  de  peur  que  les  mondains  n'em- 
poifonnent  ce  qu'ils  entendent  fur  cette 
matière  ,  &  que  leur  malignité  ne  s'en 
prévale. 

Cependant  le  monde  penfera  tout  ce 
qu'il  lui  plaira ,  &  il  raillera  tant  qu'il 
voudra  ;  nous  parlerons  avec  difcrétion  , 
mais    avec  force  ,  &  nous  ne  déguife- 
rons  point  la  vérité  dont  nous  fommes 
les  dépofitaires  &  les  interprètes.  Nous 
imiterons  notre  divin  Maître  ,  qui  n'ufa 
de  nul  ménagement  à  l'égard  des  Scri- 
bes &  des  Pharifiens ,  &  qui  tant  de  fois 
publia    leur   hypocrilie    &    leurs   vices 
les  plus  fecrets.   Nous  exalterons  la  ver- 
tu ,  nous  lui  donnerons  toute  la  louan- 
ge qu'elle  mérite  ,  nous  reconnoîtrons 
qu'elle   n'eu:  point  bannie  de  la  terre  , 
&  qu'elle  règne  encore  dans  l'Eglife  de 

Dieu  .* 


DANS    LA    DÉVOTION.       449 

Dieu  :  mais  en  même  tems  ,  pour  fon 
honneur  ,  Ôc  pour  la  réformation  de 
ceux  mêmes  qui  la  profelfent ,  nous  ne 
craindrons  point  de  marquer  les  alté- 
rations qu'on  y  fait.  Nous  démêlerons 
dans  cet  or  ce  qu'il  y  a  de  pur,  &  tout 
ce  qu'on  y  met  d'alliage.  Plaife  au  Ciel 
que  nos  leçons  foient  bien  reçues  6c 
qu'on  en  profite  !  c'eft  notre  intention  : 
mais  quiconque  en  fera  fcandalifé ,  qu'il 
s'impute  à  lui-même  fon  fcandale. 


« 


Alliance  de  la  Piété  à  &  de  la 

Grandeur. 

QUelque  oppofé  que  femble  être  au 
Chriftianifme  l'état  des  Grands  , 
il  y  a  une  merveilleufe  alliance  entre  la 
piété  &  la  grandeur.  Bien  loin  qu'elles 
foient  incompatibles  ,  elies  fe  foutien- 
nent  mutuellement  l'une  &  l'autre.  De 
forte  que  la  piété  fert  à  relever  la  gran- 
deur ,  Se  que  la  grandeur  fert  à  relever 
la  piété. 

I.   La  piété  relevé  tout  à  la  fois  la 
grandeur ,  ôc  devant  Dieu  >  ôc  devant 
les  hommes  :  devant  Dieu ,  parce  que 
Tome  I.  Pp 


45©       Alliance  de  la  Piété 
la  piété  rend  la  grandeur  chrétienne  ôc 
fainte  :  devant  les  hommes ,  parce  que 
la  piété  nous  rend  la  grandeur  fingu- 
liérement  aimable  &  vénérable. 

Grandeur  Chrétienne  3c  fainte  de- 
vant Dieu ,  par  où  ?  par  la  piété  ,  ainli 
que  je  viens  de  le  dire.  Car  que  fait  la 
piété  dans  un  Grand ,  ôc  comment  le 
lanctifie-t-eile  ?  Eft-ce  en  le  dépouil- 
lant de  fa  grandeur  même  ?  Eft-ce  en 
le  faifant  renoncer  à  tous  les  titres 
d'honneur  dont  il  eft  revêtu  ?  L'oblige- 
t-elle  à  céder  fes  droits ,  à  fe  démettre 
de  fon  autorité  6c  de  fon  pouvoir ,  à 
defcendre  de  fon  rang  de  à  f e  dégrader , 
à  mener  une  vie  privée  ,  ôc  à  fe  ré- 
duire dans  une  retraite  obfcure ,  fans 
pompe ,  fans  éclat ,  fans  nom  ?  Il  eft 
vrai  qu'il  y  a  eu  des  Grands  du  monde  y 
ôc  même  des  Princes  &  des  Rois ,  que 
l'Efprit  de  Dieu  a  portés  jufques  -  là. 
Ils  fe  font  retirés  dans  les  Solitudes  &c 
dans  les  Cloîtres  ;  3c  pour  fe  mettre 
plus  sûrement  en  garde  contre  la  con- 
tagion du  fiécle  ,  ou  pour -acquérir  une 
reftemblance  plus  parfaite  avec  Jefus- 
Chrift  humilié  ôc  anéanti ,  ils  fe  font 
cachés  ôc  enfevelis  dans'  les  ténèbres. 
Mais  fi  ces  exemples  font  dignes  de 
notre    admiration  ,  ce  n'eft  pas  une 


et  ©ï  la  Grandeur.  451 
conféquence  que  tous  les  Grands  les 
doivent  fuivre ,  ôc  qu'ils  ne  puifTent 
autrement  fe  fanctifier  que  par  cette 
abdication  volontaire ,  Se  ce  renonce- 
ment à  l'état  de  diftinétion  où  la  Pro- 
vidence les  a  élevés.  S'il  en  étoitainii, 
il  faudroit  donc  qu'il  n'y  eût  dans  le 
monde  Chrétien  ,  ni  puiflance  féculie- 
re  ,  ni  dignité ,  ni  magiftrature  3  ni  prin- 
cipauté ,  ni  monarchie ,  puifqu'il  feroit 
néceiïaire  de  quitter  tout  cela  ôc  de  fe 
défaire  de  tout  cela  ,  pour  pratiquer 
le  chriftianifme  &c  pour  s'y  perfection- 
ner. Syftême  qui  dérangeroit  tout  le 
plan  de  la  SagelTe  divine ,  Se  qui  ren- 
verferoit  tout  l'ordre  qu'elle  a  établi, 
A  ne  point  parler  des  faints  Législateurs 
Se  des  faints  Rois ,  qui  ont  vécu  dans 
l'ancienne  Loi  Se  gouverné  le  peuple 
de  Dieu,  combien  de  Grands  dans  la 
Loi  nouvelle ,  combien  de  Rois ,  fans 
déroger  en  rien  de  leur  grandeur  ,  font 
parvenus ,  au  milieu  de  la  Cour ,  à  la 
plus  fublime  fainteté  ,  Se  ont  mérité 
d'être  honorés  d'un  culte  public  par 
toute  l'Eglife  ? 

Delà  il  s'enfuit  qu'on  peut  être  Grand 
félon  le  Monde  ,  demeurer  dans  la  con- 
dition de  Grand ,  vivre  en  Grand ,  Se 
cependant  marcher  Se  s'avancer  dans 

ppij 


451  Alliance  de  la  Pieté 
les  voies  de    la  perfection   chrétienne. 
Or  voilà  l'ouvrage ,  ou  plutôt  le  chef- 
d'œuvre  de  la  piété.  Elle  fait  remonter 
un  Grand  jufqu  au  principe  de  fa  gran- 
deur &  de  toute  grandeur  humaine  , 
qui  eft  Dieu.  Elle  lui  fait  reconnoître 
avec  l'Apôtre  >  ôc  félon  la  maxime  fon- 
damentale de  la  Foi ,   que  toute  puif- 
fance  vient  de  Dieu  y  ôc  par  conféqueîit 
que  tout  ce  qu'il  eft ,  il  ne  l'eft  que  par 
la  grâce  de  Dieu.  D'où  il  conclut  par 
le  raifonnement  le  plus  jufte  &  le  plus 
feniible  ,   que  toute  fa  grandeur  n'eft 
donc, qu'une  grandeur  fubordonnée  au 
fouverain  Maître  de    qui  il  l'a  reçue. 
Que  c'eft  une   grandeur  dépendante  ; 
&:  que  bien  loin  qu'elle   l'affranchirTe 
des  loix  divines ,  elle  lui  impofe    une 
obligation  particulière    d'honorer  d'un 
culte  plus  religieux  ,  plus  aiîidu,  plus 
fervent ,  le  fuprême  Auteur  à  qui  il  eft 
redevable    de  fon  état  &  de   tous  les 
avantages    temporels  qui   y  font   atta- 
chés. Que  ce  n'eft  pas  pour  lui  quelle 
lui  a  été    donnée,  cette   grandeur,  Se 
qu'il  nen   eft  que  le  dépofîtaire>  mais 
que  chaqite  chofe  devant  retourner   à 
fa  fource  ,  c'eft  à  Dieu  que  l'honneur  en 
eft  dû  y  &  a  ce  Seigneur  des  Seigneurs  , 
qu'elle  doit  être  référée  par  un  ufage 


et  de  la  Grandeur.  455 
tel  qu'il  le  demande  &  tel  qu'il  le 
mérite. 

Toutes  ces  penfées  ôc  d'autres  que  la 
piété  ne  manque  point  de  fuggérer, 
tiennent  un  Grand  dans  une  attention 
continuelle  fur  foi-même ,  pour  ne  fe 
laiiTer  point  éblouir  de  l'éclat  qui  l'en- 
vironne ,  &  ne  fe  point  évanouir  dans 
fes  idées }  pour  fe  maintenir  toujours  de- 
vant Dieu,  ôc  à  l'égard  de  Dieu  dans  des 
fentimens  humbles  &  fournis ,  dans  une 
dépendance  volontaire  ôc  entière  , 
dans  une  obéiffance  pleine  ôc  parfaite  ^ 
pour  n'ufer  jamais  de  fa  puifTance  con- 
tre Dieu  ,  en  la  faifant  fervir  à  fatis- 
faire  fes  pallions  ,  fon  intérêt ,  fon  am- 
bition ,  fes  reifentimens  ôc  fes  vengean- 
ces j  mais  au  contraire ,  pour  l'em- 
ployer toujours  félon  les  vues  ôc  le 
gré  de  Dieu  ,  confultant  Dieu  dans 
tout  ce  qu'il  entreprend  3  n'y  envifa- 
geant  que  Dieu  ,  ôc  ne  s'y  propofant 
autre  chofe  que  d'être  l'exécuteur  de 
fes  ordres ,  ôc  le  Miniftre  de  fes  éternel- 
les volontés  j  pour  s'attacher  avec  d'au- 
tant plus  de  fidélité  ôc  plus  de  zèle  au 
fervice  de  Dieu  ,  qu'il  fe  voit  comblé 
plus  libéralement  Ôc  plus  abondamment 
de  fes  dons  ;  pour  lui  rendre  tous  les 
devoirs  de  religion  ,  d'adoration,  de  re-> 


454  Alliance  de  la  Pieté 
connoifTance  8c  de  dévotion,  que  l'E- 
glife  de  Dieu  exige  de  chaque  fidèle; 
ne  manquant  à  nulle  obfervance  ,  ne  fe 
difpenfant    d'aucune    pratique  ,  y    en 
ajoutant  même  de  propres  8c  de  perfon- 
nelles  j  en  un  mot ,  remplifTant  toute 
juftice  ,  8c  n'écoutant  là-delîus  ni  ref- 
pe6l  du  monde  ,  ni  inclination  ou  ré- 
pugnance de  la  nature.  Qui  peut  dou- 
ter qu'un  Grand  de  ce  caractère  ne  foit 
fpécialement  agréable  à  Dieu  ?  c'eft-à- 
dire  ,  qui  peut  douter  qu'il  ne  foit  vrai- 
ment grand  aux  yeux  de  Dieu ,  puis- 
que la  vraie  grandeur  eft  de  plaire  à 
Dieu  ,  8c  que  rien  ne  doit  plaire  da- 
vantage à  Dieu  que  la  grandeur  même 
temporelle  ,  ainfi  appliquée  à  le  glori- 
fier 8c  toute  dévouée  à   fon  honneur? 
Voilà  par  où  David  devint  un  objet  de 
complaifance  pour  Dieu ,  8c  un  Prince 
félon  le   cœur  de  Dieu.    C'eft  ce  qui 
confacra  toutes  ks  entreprifes  8c  toutes 
fes  victoires.    C'eft  ce  qui  en  fit  tout 
le  mérite  ôc  tout  le  prix. 

Grandeur  finguliérement  aimable  8c 
vénérable  devant  les  hommes  :  autre 
effet  de  la  piété  dans  un  Grand.  Il  eft 
certain  que  la  vertu  ,  en  quelque  fujet 
qu'elle  fe  rencontre  ,  eft  toujours  digne 
de  notré^eftime  8c  de  nos  refpects  j  mais 


et  de  la  Grandeur,  455 
il  faut  convenir  ,  dit  faint  Bernard , 
que  par  une  grâce  ôc  un  don  particu- 
lier elle  plaît  fur-tout  dans  les  nobles. 
D'où  vient  cela?  on  pourroit  dire  qu'é- 
tant beaucoup  plus  rare  dans  les  Grands, 
elle  paroît  par-là  même  beaucoup  plus 
eftimable.  On  pourroit  ajouter  qu'ayant 
dans  les  Grands  beaucoup  plus  d'efforts 
à  faire  pour  fe  foutenir  ,  ôc  plus  de 
difficultés  à  vaincre  ,  elle  les  rend  aufîî 
beaucoup  plus  recommandables  par 
les  obftacles  mêmes  qu'ils  furmontent , 
&  par  les  victoires  qu'ils  remportent. 
Mais  fans  m'arrêter  à  ces  raifons  ni  a 
toutes  les  autres ,  voici ,  ce  me  fembie  , 
la  plus  effentielle  :  c'eft  que  la  piété 
corrige  dans  un  Grand  les  défauts  les 
plus  ordinaires ,  par  où  la  grandeur  de- 
vient communément  odieufe  ôc  mépri- 
fable  ;  ôc  qu'au  contraire  elle  lui  donne 
les  qualités  les  plus  capables  de  gagner 
les  cœurs  &  de  les  prévenir  en  fa  fa- 
veur. 

En  effet,  ce  qui  nous  indifpofe  à 
l'égard  des  Grands  ,  ôc  ce  qui  nous 
porte  le  plus  fouvent  contre  eux  aux 
murmures  &  aux  mépris,  ce  font  leurs 
hauteurs  ôc  leurs  fiertés ,  ce  font  leurs 
airs  dédaigneux  ôc  méprifans  ,  ce  font 
leurs  façons  de  parler ,  leurs  termes  3 


45<£  Alliance  de  là  Piété 
leurs  geftes ,  leurs  regards ,  toutes  leurs 
manières ,  ou  brufques  &  rebutantes  5 
ou  trop  impérieufes  &  trop  dominan- 
tes. Ce  font  encore  bien  plus  leurs  ty- 
rannies &  leurs  duretés  5  quand  par  Fa- 
bus  le  plus  énorme  du  pouvoir  dont  ils 
ont  été  revêtus  ,  ils  tiennent  dans  Top- 
preiïion  des  hommes  comme  eux ,  Se 
leur  font  fentir  fans  ménagement  tout 
le  poids  de  leur  grandeur  ;  quand  par 
l'indifférence  la  plus  mortelle  ,  unique- 
ment attentifs  à  ce  qui  les  touche ,  ôc 
renonçant  à  tons  les  fentimens  de  la 
charité,  ils  voient  d'un  ceil  tranquille 
&  fans  nulle  compaiîion ,  des  miferes 
dont  allez  ordinairement  ils  font  eux- 
mêmes  auteurs  }  quand  par  une  mon- 
ftrueufe  ingratitude  ils  lailfent  fans  ré- 
compenfe  les  fervices  les  plus  impor- 
tans,  &  oublient  des  gens  qui  fe  font 
immolés  &  qui  s'immolent  fans  celle 
pour  leurs  intérêts.  Ce  font  leurs  injufli- 
ces ,  leurs  violences  ,  leurs  concuilions  , 
<k ,  fi  je  puis  ufer  de  ce  terme  ,  leurs 
brigandages ,  foit  connus  &  publics  (  car 
fouvent  même  ils  ne  s'en  cachent  pas  ) 
foit  particuliers  &  plus  fecrets  ,  mais  qui 
ne  caufent  pas  moins  de  dommage', 
êc  ne  donnent  pas  moins  à  fouffrir.  Ce 
font  les  défordres  de  leur  vie  ,  leurs  dé- 
bauches j 


et  de  la  Grandeur.  457 
tauches ,  leurs  excès ,  leur  irréligion , 
tous  les  vices  où  ils  s'abandonnent  avec 
d'autant  plus  de  liberté  ,  que  c'eft  avec 
plus  d'impunité.  Voilà ,  tout  Grands 
qu'ils  font ,  ou  parla  naiffance  ,  ou  par 
la  faveur  ,  ce  qui  les  rabailTe  infini- 
ment dans  les  efprits,  &  ce  qui  les  avilit. 
On  refpe&e  dans  eux  leur  caractère. 
On  redoute  leur  puiflance.  On  leur 
rend  les  hommages  qu'on  ne  peut  leur 
uefufer,  ni  félon  les  loix  du  monde  ,  ni 
félon  la  loi  de  Dieu  :  mais  leurs  per- 
fonnes ,  comment  les  regarde-t-on  ? 
ôc  tandis  qu'au  dehors  on  les  honore , 
quelle  eftime  en  fait-on  dans  le  cœur , 
ôc  quelles  idées  en  conçoit-on  ?  S'ils 
en  étoient  inftruits  ,  il  faudroir  qu'ils 
fuilent  bien  infenfibles,  pour  n'en  être 
pas  pénétrés  jufques  dans  le  fond  de 
î'ame. 

Or  la  piété  retranche  tout  cela  ,  ré- 
forme tout  cela ,  change  tout  cela.  En 
faifant  de  la  grandeur  une  grandeur 
Chrétienne  ,  elle  en  fait  une  grandeur 
aimable  &  vénérable ,  comment  ?  parce 
qu'elle  en  fait  une  grandeur  modefte  ôc 
humble  ,  qui  fans  abandonner  fes  droits 
ni  oublier  les  prérogatives ,  du  refte  ne 
s'enorgueillit  point ,  ne  s'enfle  point , 
ne  fe  lairTe  point  infatuer  d'elle-même  j 

Tome  L  Qq 


45§   Alliance  de  la  Piété 
qui  n'offenfe  perfonne ,  ne  choque  per- 
fonne ,  ne  s'éloigne  de  perfonne  ]  qui 
tout  au  contraire  fe  rend  affable  à  l'é- 
gard de  tout  le  monde ,    prévenante , 
honnête  ,  douce  ,  condefcendante.  Par- 
ce qu'elle  en  fait  une  grandeur  officieu- 
fe  ôc  charitable,  qui  fe  plaît  à  obliger  ;  qui 
volontiers    s'emploie  pour    les   petits, 
pour  les  pauvres ,  pour  les  affligés  j   qui 
compatit  à  leurs  maux  ,  ôc  prend  foin , 
autant  qu'il  lui  eft  poflible ,  de  les  fou- 
lage r  5  qui  fe  communique  ,  fe  familia- 
rife  ,  pardonne  aifément  ,   récompenfe 
abondamment ,  répand  libéralement  fes 
dons ,  Ôc  penfe  plus  en  quelque  maniè- 
re aux  autres    qu'à    foi-méme.    Parce 
qu'elle  en  fait  une  grandeur  fage ,   droi- 
te ôc  jufte  j  vraie  dans  fes  paroles ,  fi- 
dèle   dans    fes    promeuves  ,     équitable 
dans  fes  jugemens  :  n'écoutant   que  la 
raifon,  ôc  la  fuivant  en   tout  fans  nul 
égard  ,  prenant  le  parti  de  l'innocence  , 
foutenant  la  veuve  Se  l'orphelin  ,  ren-r 
dant  à  chacun  ce  qui  lui  appartient ,  ôc 
aimant  mieux  en  bien  des  rencontres  fe 
relâcher  de  certains  intérêts  Ôc  de  cer- 
taines prétentions ,  que  de  fe  mettre  au 
hazard  de  faire  tort  à  qui  que  ce  foit  ôc 
de   profiter    de    fes    dépouilles.   Parce 
qu'elle  en  fait  une  grandeur  réglée  dans 


st  pe  la  Grandeur,  45 j 
toute  fa  conduite  &  irréprochable  dans 
fes  mœurs  \  tellement  adonnée  aux  de- 
voirs de  la  Religion  ,  qu'elle  ne  manque 
à  aucun  devoir  du  monde  •  ennemie 
du  libertinage ,  zélée  pour  le  bon  or- 
dre ,  commençant  par  s'y  foumettre 
elle-même  ;  ôc  donne  l'exemple  à  ceux 
qu'elle  y^veut  réduire,  ou  qu'elle  tra- 
vaille à  y  maintenir. 

Suppofons  un  Grand  en  de  telles 
difpoikions  ,  &  agilTant  de  telle  forte 
en  toutes  chofes  :  eft-il  un  homme  plus 
refpecté  ?  Du  moins ,  efb-il  un  homme 
plus  refpectable  ?  Peut-on  fe  défendre 
de  l'eilimer ,  de  l'admirer ,  de  l'aimer  ? 
Qu'il  ait  quelques  ennemis  fecrets ,  qu'il 
ait  des  concurrens  &  des  envieux  : 
fes  ennemis  mêmes ,  fes  envieux  de  fes 
concurrens  feront  forcés  dans  le  coeur 
de  lui  rendre  la  juftice  qui  lui  eft  due. 
Quoi  qu'il  en  foit ,  &  quoiqu'ils  en  pen- 
fent  )  tout  le  public  fe  déclarera  en  fa 
faveur ,  Se  c'eil:  à  fon  égard  que  fe  vé- 
rifiera ce  que  le  Saint-Efprit  a  dit  en 
particulier  d'un  homme  déiintéceiTé  : 
Quel  eji  celui-là  ?  Nous  le  comblerons  ^ccl.  et 
d'éloges  :  car  fa  vie  ejl  un  perpétuel  mira-  Il*9* 
cle.  Mais ,  dira-t-on ,  ne  voit-on  pas  quel- 
quefois de  ces  Grands  que  la  piété  rend 
importuns ,  difficiles,  chagrins ,  bizarres, 


4<jo  Alliance  de  la  Pieté 
farouches  3  &c  par-là  même  infupporta- 
bles  8c  méprifables?  Erreur.  Je  dis  erreur; 
non  pas  que  je  convienne  de  toutes 
leurs  bizarreries  3  8c  de  tous  les  travers 
où  ils  donnent  }  mais  erreur ,  fi  Ton  at- 
tribue tout  cela  à  la  piété.  Car  il  faut 
bien  diftinguer  ce  qui  vient  d'eux-mê- 
mes ,  8c  ce  qui  vient  de  la  piété  qu'ils 
profeiTent.  Une  parfaite  piété  ,  bien 
loin  de  nous  porter  à  tous  ces  écarts , 
nous  en  garantit ,  ou  nous  en  retire  :  8c 
delà  il  faut  conclure  ,  que  le  principe 
du  mal ,  c'eft  qu'ils  n'ont  encore  qu'une 
piété  très-défectueufe.  Autant  qu'ils  la 
perfectionneront ,  autant  elle  les  per- 
fectionnera eux-mêmes '7  8c  plus  elle  les 
perfectionnera  en  corrigeant  les  défauts 
perfonnels  qu'on  leur  reproche ,  8c  leur 
faifant  acquérir  les  vertus  contraires  , 
plus  elle  donnera  de  luftre  à  leur  gran- 
deur 8c  les  rendra  recommandables. 

1 1.  Comme  la  piété  relevé  la  gran- 
deur ,  on  peut  dire  auffi  que  la  gran- 
deur ,  par  un  heureux  retour >  fert  infi- 
niment à  relever  la  piété  _>  8c  cela  en 
plus  d'une  manière  : ,  Parce  que  la  gran- 
deur met  en  crédit  la  piété  ;  parce  que 
la  grandeur  a  plus  de  pouvoir  pour  ban- 
nir Iç  vice ,  8c  que  par  la  force  de  fes 


et  de  la  Grandeur.  461 
exemples  elle  engage  plus  de  monde 
dans  le  parti  de  la  piété  ;  parce  que  la 
grandeur  par  l'édiiication  qu'elle  don- 
ne ,  détruit  le  plus  puiifant  obftacle  que 
la  piété  ait  à  combattre ,  qui  eft  le  refpeck 
humain  ;  parce  que  la  grandeur  fournit 
à  la  piété  de  plus  importans  fujets ,  ôc 
des  occafions  plus  éclatantes  de  s'exer- 
cer ,  &  de  fignaler  fa  religion  &c  fou 
zèle. 

La  grandeur  met  en  crédit  la  piété  ; 
êc  la  raifon  eft  ,  qu'étant  prévenus  natu- 
rellement ,  comme  nous  le  fommes  5 
d'un  certain  refped  pour  les  Grands  , 
nous  fommes  par-là  naturellement  por- 
tés à  juger  des  chofes  félon  qu'ils  en 
jugent  ;  fur-tout  fi  ce  font  d'ailleurs  de 
bonnes  chofes  en  elles-mêmes ,  ou  des 
chofes  au  moins  qui  ne  paroifTent  pas 
évidemment  mauvaifes.  Ainfi ,  quand 
on  voit  pratiquer  les  exercices  du  Chrif- 
tianifme  à  un  Grand  ,  quand  on  le  voie 
fréquenter  les  Sacremens ,  affilier  régu- 
lièrement &  dévotement  au  Sacrifice 
de  l'Autel ,  fanctifler  les  Fêtes  par  fon 
aiîlduité  aux  prières  8c  aux  ORices  ordi- 
naires de  l'Eglife  ,  obferver  les  abfti- 
nences ,  les  jeûnes ,  écouter  la  parole 
divine ,  ne  manquer  à  rien  de  tout  ce 
qui  concerne  le  culte  de  Dieu  ,  on  n'en 

Qq   iij 


%êi  Alliance  de  la  Piété 
a  que  plus  d'eftime  pour  ces  mêmes 
exercices.  On  ne  les  compte  plus  feu- 
lement pour  des  pratiques  du  peuple  Se 
d'un  petit  nombre  dames  pieufes  ,.mais 
on  les  regarde  comme  des  devoirs  con- 
venables à  tous  les  états  &  aux  plus 
hauts  rangs.  Les  Payens ,  félon  le  té- 
moignage de  Saint  Cyprien  ,  refpec- 
toient  jufqu'aux  vices  mêmes  de  leurs 
prétendues  divinités,  &  il  leur  fem- 
bloit  que  ces  vices  étoient  confacrés, 
dès  que  c'étaient  les  vices  des  dieux. 
De-là  nous  devons  juger  à  combien 
plus  forte  raifon ,  la  vertu  reçoit  des 
Grands  un  éclat  particulier ,  ôc  quel  prix 
dans  l'opinion  commune  y  ajoute  leur 
grandeur. 

De  ce  premier  avantage  en  fait  tin 
autre  :  c'eft  que  Pexemple  des  Grands 
ayant  autant  d'efficace  qu'il  en  a ,  pour 
toucher  les  cœurs  Se  pour  les  engager  , 
il  eft  par-là  même  d'un  fecours  infini  a 
la  piété ,  pour  s'établir  Se  pour  fe  ré- 
pandre. Ce  font  des  modèles  fur  lefquels 
on  fe  forme  beaucoup  plus  volontiers 
que  fur  le  refte  des  hommes.  Ce  font 
des  lumières ,  fuivant  la  figure  de  l'E- 
vangile ;  Se  des  lumières ,  non  point 
Uatth*  cachées  fous  le  boiffeau  j  mais  placées  fur 
$•  5*       U  chandelier^  dont  les  rayons  éclairent 


et  6e  la  Grandeur.    463 
toute  la  mai/on  _,  &  dont  la  fplendeur 
frappe  vivement  les  yeux.  L'édification 
que  donne  un  particulier  eft  renfermée 
dans  un  petit  nombre  de  perfonnes  qui 
le  voyent,  &  qui  font  témoins  de  fes 
actions  :  mais  il  n'en  eft  pas  de  même 
d'un  Grand.    Plus  il  eft  élevé  ,  plus  il 
eft   connu  &  remarqué  :  d'où  il  arrive 
que  la  bonne  odeur  de  fa  piété  s'étend 
bien  plus  loin  ,  &  que  fa  vie  exemplair 
re  devient  bien  plus  édifiante.  Editica^ 
tion  auiïi  efficace  ,  qu'elle  eft  générale  ; 
car  les  exemples  d'un  homme  au-deflus 
de  nouss ,  font  contre  nous  les  titres  les 
plus  convaincans ,  &  les  plus  prefTans  re- 
proches ,  quand  nous  refufons  de  faire 
ce  qu'il  fait ,    &  que  nous  ne  voulons 
pas  tenir  la  même  conduite  que  lui  ,  ni 
nous  affujettir  aux  mêmes  obfervances* 
Notre  cœur  nous  applique  à  nous-mê- 
mes ce  témoignage  ,  3c  le  tourne  à  no- 
tre confufion.  Tous  les  prétextes  dont 
nos    paillons  tâchent    de  fe  prévaloir  ^ 
s'évanouiifent  ,  parce  qu'on  fe  trouve 
forcé  de  reconnoître ,    que  ce  ne  font 
en  effet  que  des  prétextes  &:  que  de 
fauffes  exeufes.  On  eft  intérieurement 
excité  ,  follicité  ,  attiré  j  &  plufieurs  en- 
fin fuivent  l'attrait  dont  ils  reiTentent 
l'impreffion.  Voilà  comment  dans  une 

Qq  iv 


464  Alliance  delà  Piété 
Ville  ,  dans  une  Cour ,  il  ne  tiendrait 
fouvent  qu'à  quelques  perfonnes  distin- 
guées par  leur  naiiîance  8c  par  leur  digni- 
té ,  de  bannir  des  abus  ,  des  coutumes  5 
des  modes  ,  des  fcandales ,  mille  déf- 
ordres  qui  ruinent  toute  la  piété  ,  8c 
qui  deshonorent  la  Religion.  Si  leur 
exemple  n'y  fuffifoit  pas  ,  ils  y  employe- 
roient  le  pouvoir  qu'ils  ont  en  main  ; 
8c  le  mettant  en  œuvre  à  propos  3  félon 
les  befoins  8c  les  rencontres ,  ils  fçau- 
roient  bien  réprimer  la  licence ,  8c 
maintenir  l'honneur  de  Dieu  8c  de  fou 
Service. 

De  tout  ceci,  par  une  conféquence 
naturelle ,  qu'arriveroit-il  encore  en  fa- 
veur de  la  piété  ?  C'eft  qu'elle  pren droit 
l'afcendant  fur  l'ennemi  le  plus  dange- 
reux ,  qui  l'attaque  8c  qui  s'oppofe  à  fes 
progrès ,  je  veux  dire  fur  le  refpect.  hu- 
main. Car  il  n'y  aurait  plus  de  honte  à 
vivre  félon  les  maximes  de  l'Evangile  8c 
félon  les  régies  de  la  Foi ,  fi  les  Grands 
fe  déclaraient  hautement  pour  la  piété» 
Les  mondains  8c  les  libertins  auraient 
beau  parler  8c  railler  :  cet  exemple  5 
fans  de  longs  raifonnemens ,  ferait  une 
réponfe  courte  8c  toujours  préfente  à 
toutes  leurs  railleries  8ci  à  tous  leurs 
difcours,  S'il  y  avoit  même  alors  quel- 


ït  de  la  Grandeur.  4^5 
<que  chofe  à  craindre ,  ce  n'eft  pas  que 
le  refped  du  monde  perverti  Ôc  cor- 
rompu nous  arrêtât  :  mais  c'eft  qu'une 
autre  forte  de  refpedt  humain  tout  con- 
traire ,  6c  que  la  feule  envie  de  plaire  à 
un  Grand  ,  ne  nous  portât  à  une  piété 
hypocrite,  de  ne  nous  fît  affecter  de 
faux  dehors.  Tant  il  eft  certain  que 
tout  cède  à  l'exemple  des  Grands  ;  ôc 
tant  ils  font  coupables  3  quand  ils  ne 
font  pas  fervir  l'empire  qu'ils  ont  fur 
les  efprits ,  à  confondre  le  libertinage  , 
Ôc  à  mettre  la  pieté  en  état  d'agir  ou- 
i  vertement  ôc  de  fe  montrer  avec  affii- 
rance. 

Enfin  par  une  dernière  prérogative 
Ôc  un  privilège  qui  lui  eft  propre ,  c'eft 
la  grandeur  qui  fournit  à  la  piété  plus 
d'occafions  ôc  plus  de  moyens  d'entre- 
prendre de  grandes  chofes  ,  ôc  de  les 
exécuter  pour  la  gloire  de  Dieu  ,  pour 
le  bien  du  prochain  ,  &  pour  l'avance- 
ment de  la  Religion.  Car  plus  un  hom- 
me eft  élevé  félon  le  monde ,.  plus  iî 
peut  s'employer  utilement  félon  Dieu 
ôc  faire  de  bonnes  œuvres.  Par  exem- 
ple ,  que  ne  peut  point  faire  un  Sei- 
gneur dans  toutes  fes  terres  ?  Que  ne 
peut  point  faire  un  chef  de  Juftice  dans 
tout  fon  reifort,  ou  un  Commandant 


\é6  Alliance  de  la  Piété 
dans  toute  une  Province  ?  Que  ne  peitt 
point  faire  un  Roi  dans  toute  l'étendue 
de  (es  Etats  ?  Comment  Saint  Louis  fit- 
il  de  fi  beaux  établifTemens ,  porta-t-il 
des  loix  il  falutaires  >  donna-t-il  de  il 
faints  Edits,  forma-t-il  des  armées  &  les 
conduiiit-il  contre  les  ennemis  de  la 
Foi  ?  C'eft  que  dans  fa  perfonne  la  pié- 
té fe  trouvoit  foutenue  de  la  grandeur. 
S'il  eût  été  moins  puhTànt,  &  qu'il  fe  fût 
trouvé  réduit  à  une  condition  médio- 
cre 3  il  neiit  pu  dans  la  pratique  Ôc 
dans  les  effets  porter  fi  loin  fa  charité  , 
fon  zèle ,  fon  détachement ,  fon  équi- 
té inviolable  j  fa  générofité  toute  Chré- 
tienne ,  fa  patience ,  fon  humilité , 
bien  d'autres  vertus.  Heureux  d'avoir 
fçu  dans  fa  grandeur  de  par  fa  grandeur 
même  s'élever  à  un  ïî  haut  point  de 
fainteté. 

Voilà  par  proportion  quel  feroit  le 
bonheur  de  tous  les  Grands ,  s'ils  fça- 
voient  ufer  ,  comme  ils  le  doivent ,  de 
leur  grandeur.  Mais  leur  malheur  eft  de 
ne  vouloir  être  Grands  que  pour  leur 
élévation  temporelle,  &  de  fe  perfua- 
der  prefque  que  la  grandeur  eft  un  titre 
qui  les  affranchit  des  loix  du  Chriftia- 
"EccU  c.  nifme.  La  louange  que  donne  l'Ecriture 
3I'  IO*  à  un  Grand ,  c'eft  d'avoir  pu  faire  le  mal 


et  de  la  Grandeur.  467 
&  de  ne  l'avoir  pas  fait  ;  mais  par  une 
régie  à  peu  près  femblable  ,  ce  qui  con- 
damne la  plupart  des  Grands ,  8c  ce  qui 
leur  fera  reproché  au  Jugement  de 
Dieu ,  c'eft  d'avoir  pu  faire  le  bien  8c  le 
plus  grand  bien  ,  &  d'avoir  omis  de  le 
faire. 

Penfées  diverfesfur  la  Dévotion. 

J  Y)  Ourquoi  la  vraie  dévotion  eft-elle 
J7  fi  peu  connue  ,  8c  pourquoi  au  con- 
traire connoît-on  fi  bien  la  faulfe  ?  C'eft 
que  la  vraie  dévotion  fe  cache  ,  parce 
qu'elle  eft  humble  ;  au  lieu  que  Ta  fauiïe 
aime  à  fe  montrer  8c  à  f e  distinguer.  Je 
ne  dis  pas  qu'elle  aime  à  fe  montrer  ni  à 
fe  faire  connoître  comme  faillie.  Bien 
loin  de  cela,  elle  prend  tous  les  de- 
hors de  la  vraie  :  mais  elle  a  beau  faire  5 
plus  elle  fe  montre  ,  plus  on  en  décou- 
vre la  faulTeté.  Voilà  d'où  vient  que  le 
monde  juge  communément  très-mal  de 
la  dévotion.  Car  il  n'en  juge  que  par 
ceux  qui  en  ont  l'éclat  ,  qui  en  ont  le 
nom  ,  la  réputation  :  or  ce  n'eft  pas 
toujours  par  ceux-là  qu'on  en  peut  for- 
mer un  jugement  favorable  Se  avanta- 
geux. Pour  mettre  la  dévotion  en  cré- 


468       Pensées  diverses 
dit ,  il  faudroit  que  la  FaufTe  demeurât 
dans  les  ténèbres  ,  ôc  que  la  vraie ,  per- 
çant le  voile  de  ion  humilité  parût  au 
grand  jour. 

J  Si  les  libertins  pouvoient  être  té- 
moins de  ce  qui  fe  pafle  en  certaines 
âmes  folidement  chrétiennes  &  pieu- 
fes  ;  s'ils  voyoient  la  droiture  de  leurs 
intentions,  la  pureté  de  leurs  fentimens, 
la  délicatefte  de  leur  confcience  ;  s'ils 
fçavoient  quelle  eft  leur  charité  ,  leur 
humilité ,  leur  patience  ,  leur  mortifi- 
cation ,  leur  défintéreiTement ,  ils  au- 
îoient  peine  à  le  comprendre  :  ils  en 
feraient  étonnés  ,  touchés  ,  charmés  \ 
&  bien  loin  de  s'attacher,  comme  ils 
font ,  à  tourner  la  piété  en  ridicule  ,  Us 
en  refpecleroient  même  jufques  dans  la 
faïuTe,  les  apparences,  de  peur  de  fç 
tromper  dans  la  vraie. 

f  Nous  cherchons  en  tout  le  plaiiir  , 
3z  nous  le  voulons  trouver  jufques  dans 
le  fervice  de  Dieu  &  dans  la  piété.  Ce 
fentiment ,  dit  faint  Chryfoftôme  ,  eft 
bien  indigne  d'un  Chrétien  :  mais  tout 
indigne  qu'il  eft  ,  Dieu,  par  une  admi- 
rable condefcendance  ,  n'a  point  re- 
fufé  de  s'accommoder  à  notre  foiblef- 
fe  ,  &  e'eft  ce  que  nous  montre  l'exem- 
ple des  Saints.  Dès  cette  vie,  quelles 


SUR     LA     DÉVOTION.       469 

douceurs ,   quelles   délices  intérieures  , 
les  Saints  n'ont-ils  pas   goûtées  ?.  Peut- 
être  ne  les    concevons-nous   pas  ,   par- 
ce que  nous  ne   nous  fommes    jamais 
mis  en  état  de  les  goûter  comme  eux  : 
mais   les  fréquentes  épreuves  qu'ils  en 
ont  faites ,  &  que  nous  ne  pouvons  déf- 
avouer  ,   font  fur   cela  des  témoigna- 
ges irréprochables  ôc  convaincans.  Pen- 
dant que    les   réprouvés    dans  l'enfer, 
ainfi  que  l'Ecriture  nous  l'apprend  ,  pro- 
teftent    &    protégeront    éternellement 
emails  fe  font  laffés  dans  le  chemin  de  Vini-    Sap.  r. 
quité  -y    pendant  que  tant  de  mondains  6*  7* 
fur  la  terre  nous    affurent  encore  tous 
les  jours  ,  &  nous  prennent  à  témoin  , 
qu'il    n'y  a    pour  eux  dans  le  monde 
qu'amertume  ,  que   trouble  ôc  affliction 
d'efprit  :  que  nous  ont  dit  au  contraire 
mille  fois  les  Serviteurs  de  Dieu?  Que 
nous  difent-ils  fans  ceffe  de  leur  état? 
Ils    n'ont    tous    là-deiïus    qu'une   voix 
commune    &:    qu'un    même    langage  , 
pour    nous   faire    entendre    qu'ils  ont 
trouvé    dans  Dieu  une  fource  inépui- 
fable  de  confolations ,  êc  des  confola- 
tions  les  plus  fenfibles  j  que  Dieu  leur 
tient  lieu  de  toutes  chofes  ,   &  qu'un 
moment  qu'ils  parlent  auprès   de  lui, 
.  leur  eft  incomparablement  plus  doux  , 


'47©  Pensées  diverses 
que  des  années  entières  au  milieu  dé 
tous  les  divertifïemens ,  3c  de  toutes  les 
joies  apparentes  du  monde.  Veulent-ils 
nous  tromper?  mais  quel  intérêt  les  y  por- 
teroit  ?  Se  trompent-ils  eux-mêmes?  mais 
on  ne  fe  trompe  pas  aifément  fur  ce 
qu'on  fent.  Pourquoi  donc  nous  obfti- 
nons-nous  à  vouloir  être  malheureux 
avec  le  monde  ,  plutôt  que  de  chercher 
en  Dieu  notre  véritable  bonheur  ? 

f  Dès  que  les  Juifs  commencèrent  à 
manger  des  fruits  de  cette  terre  abon- 
dante où  ils  entrèrent  en  fortant  du 
défert  ,  la  manne  qui  les  avoit  jufques^ 
là  nourris  ,  ne  tomba  plus  du  Ciel  :  3c 
tant  qu'une  ame  eft  attachée  aux  plai- 
firs  des  fens  8c  aux  douceurs  de  la  vie 
préfente  ,  en  vain  efpere-t-elle  goûter 
jamais  les  douceurs  8c  les  confolations 
divines.  C'eft  une  nécelïité  de  renon- 
cer à  l'un  ou  à  l'autre.  Voulons-nous 
que  Dieu  nous  foit  comme  une  manne , 
où  nous  trouvions  toutes  fortes  de 
goûts?  il  faut  que  le  monde  nous  foit 
comme  un  defert. 

$  Trois  ou  quatre  communions  par 
femaine  ,  8c  pas  un  poiat  retranché  ni 
de  fon  extrême  délicatefTe  &  de  l'a- 
mour de  foi-même ,  ni  de  fon  intérêt 
propre  3  de  fon  aigreur  ou  de  fa  hau- 


SUR     LA     DÉVOTION.        47 1 

f  eur  d'efprit  \  deux  heures  d'oraifon  par 
jour ,    Se  pas  un  moment  de  réflexion 
fur  fes  défauts  les  plus  groiîiers  \  enfin 
beaucoup   d'oeuvres  faintes  &  de  pure 
dévotion ,    mais    en    même  tems  une 
négligence  affreufe  de  mille  articles  ef- 
fentiels  ,   ou  par  rapport  à  la  Religion 
Se  à  la  fourmilion  qu'elle  demande ,  ou 
par  rapport  à  la  juftice  &  aux  obliga- 
tions quelle  impofe  ;  ou  par  rapport  à 
la  charité  &  a  (es  devoirs  les  plus  in- 
difpenfables  :  voilà  ce  que  je  ne  puis 
approuver  ,  &  ce  que  jamais  nul  hom- 
me 5  comme   moi,  n'approuvera.    Mais 
les  prières ,  les  oraifons ,  les  fréquentes 
communions  ne  font-elles  pas  bonnes  ? 
Oui  fans  doute  ,   elles  le  font  ;  <k  c'en: 
juftement  ce  qui  nous  condamne ,  qu'é- 
tant fi  bonnes  en  elles-mêmes ,  elles  ne 
nous  rendent  pas  meilleurs. 

§  Gardez  toutes  vos  pratiques  de  dé- 
votion, j'y  confens ,  8c  je  vous  y  exhorte 
même  très-fortement  :  mais  avant  que 
d'être  dévot ,  je  veux  que  vous  foyez 
Chrétien.  Du  chriftianifme  à  la  dévo- 
tion ,  c'eft  l'ordre  naturel  :  mais  le  ren*- 
verfement  &  l'abus  le  plus  monftrueux  ^ 
c'eft  la  dévotion  fans  le  chriftianifme» 
Pour  en  donner  un  exemple  :  en  ma- 
tière d'inimitié  ,    de    vengeance  ,    de 


47^  Pensées  diverses 
médifance  ,  fi  l'on  n'y  prend  garde  ,  on 
fait  fouvent  par  dévotion,  tout  ce  que 
les  libertins  8c  les  plus  mondains  font 
par  paiïîon.  Dans  le  cours  d'une  affai- 
re ou  dans  la  chaleur  d'une  difpute  , 
on  décrie  des  perfonnes ,  on  les  com- 
ble d'outrages  ,  on  les  calomnie  ,  8c 
l'on  croit  rendre  par-là  fervice  à  Dieu  : 
fi  dans  la  fuite  il  en  vient  quelque  fcru- 
pule ,  on  fe  contente  pour  toute  répara- 
tion, de  dire  dévotement  :  n'y  penfons 
plus  ,  &  n'en  parlons  plus  j  je  mets 
tout  cela  au  pied  du  Crucifix.  Mais  il 
y  faudrait  penfer ,  mais  il  en  faudrait 
parler ,  mais  il  y  faudrait  remédier  -y  8c 
ce  feroit4a  ,  non-feulement  la  perfec- 
tion ,  mais  le  fonds  du  chriftianimie  8c 
la  religion. 

f  Vouloir  accorder  tout  le  luxe  8c 
tout  le  badinage  du  monde  avec  la  dé- 
votion ,  cela  n'eil  pas  fans  exemple , 
mais  c'eft  l'aveuglement  le  plus  déplo- 
rable. Hé  !  ces  parures  peu  modeftes , 
ces  manières  fi  libres  ,  fi  enjouées ,  fi 
familières ,  les  peut-on  même  accor- 
der avec  la  réputation  ? 

f  Beaucoup  de  Directeurs  des  con- 
fciences ,  mais  peu  de  perfonnes  qui  fe 
iaiiTent  diriger.  Ce  n'efl  pas  que  toutes 
les  âmes  dévotes ,  -  ou  prefque  toutes , 

ne 


R&n,  c* 


SUR     LA     DÉVOTION.        473 

ne  veuillent  avoir  un  Directeur;,  mais 
un  Directeur  à  leur  mode  ,  &  qui  les 
conduife  félon  leur  fens  :  c'eft-à-dire  , 
un  Directeur  dont  elles  foient  d'abord 
elles  -  mêmes  comme  les  directrices  , 
touchant  la  manière  dont  il  doit  les  di- 
riger. Cela  s'appelle  ,  à  bien  parler ,  non 
pas  vouloir  être  dirigé ,  mais  vouloir  , 
par  un  Directeur ,  fe  diriger  foi-même. 

y  La  dévotion  doit  être  prudente, 
3c  on  peut  bien  lui  appliquer  ce  que 
faint  Pierre  a  dit  de  la  Foi  :  Que  votre 
fervïce  /oit  rai/onnable.  Ce  n'eit  donc  n.  1 
point  Pefprit  de  l'Evangile  3  que  par  une 
dévotion  outrée  nous  nous  portions  à  des 
extrémités  qui  choquent  le  bon  fens  , 
ou  à  des  imgularités  qui  ne  font  pro- 
pres qu'a  faire  parler  le  monde.  Mais 
le  mal  eft ,  que  cette  prudence  qui  efb 
un  des  caractères  de  la  dévotion ,  n'ert 
pas  toujours  le  caractère  des  perfonnes 
dévotes.  Elles  ont ,  il  eft  vrai  y  leurs 
Directeurs  ;  mais  ces  Directeurs  ,  elles 
ne  les  écoutent  pas  toujours ,  &  je  puis 
dire  avec  quelque  connohTance  j  que 
ce  n'eit  pas  pour  ces  Directeurs  une 
petite  peine ,  de  voir  fouvent  qu'on 
leur  attribue  des  imprudences  auxquel- 
les ils  n'ont  nulle  part  3  &  fur  quoi  néan- 
moins ils  ne  peuvent  guères  fe  jurtiher  , 
Tome ,  L  R  r 


474      Pensées   diverses 

parce  qu'il   ne  leur  eft  pas  permis  Je? 

s'expliquer. 

f  Aller  fans  ceffe  Je  Directeur  en 
Directeur ,  &  tour  à  tour  vouloir  tous 
les  éprouver,  c'eft  Jans  les  uns  inquic- 
tuJe ,  8c  Jans  les  autres  curiofité.  Quoi 
que  ce  foit  rdans  ces  divers  circuits  on 
court  beaucoup  ,.  mais  on  n'avance 
guères. 

$  Etes-vous  Je  la  morale  étroite  ^ 
ou  êtes-vous  Je  la  morale  relâchée  ? 
Bifarre  queftion  ,  qu'on  fait  quelque- 
fois à  un  Directeur  ,  avant  que  Je  s'en- 
gager fous  fa  conduite.  Je  dis  queftion 
ridicule  de  bifarre ,  dans  le  fens  qu'on 
entend  communément  la  chofe.  Car 
quand  on  demande  à  ce  Directeur  s'il 
eft  de  la  morale  étroite  ,  on  veut  lui  de- 
mander ,  s'il  eft  de  ces  Directeurs  févé^ 
res  par  profeillon  ,.  c'eft- à -dire  de  ces 
Directeurs  déterminés  à  prendre  ton* 
jours  &  en  tout  le  parti  le  plus  rigou- 
reux ,  fans  examiner  fi  c'eft  le  plus  rai- 
fonnable,  &  le  plus  conforme  à  l'efpric 
Je  l'Evangile ,  qui  eft  la  fouveraine 
raifon.  Et  quand  au  contraire  on  de- 
mande à  ce  même  Directeur,  s'il  eft 
de  la  morale  relâchée  ,  on  préten J  lui 
demander  ,  s'il  eft  du  nombre  Je  ces 
autres  Directeurs  qu'on  aceufe  d'altérer 


sur  la  Dévotion.  475 
la  morale  Chrétienne ,  Se  d'en  adoucir 
toute  la  rigueur  par  des  tempérament 
qui  accommodent  la  nature  corrom- 
pue ,  &  qui  flattent  les  fens  &  la  cupi- 
dité. A  de"  pareilles  demandes  que  puis- 
je  répondre  ,  linon  que  je  ne  luis  par 
état  ni  de  l'une  ni  de  l'autre  morale , 
ainfi  qu'on  le  conçoit  -y  mais  que  je  fuis 
de  la  morale  de  Jefus-Chrirt  ;  fk  que 
Jefus-Chrift  étant  venu  nous  enfeigner 
dans  fa  morale  la  vérité  ,  je  m'en  tiens 
dans  toutes  mes  dédiions  a  ce  que  je  ju- 
ge de  plus  vrai,  de  plus  jufte  >  de  plus 
convenable  félon  les  conjonctures  ,  &c 
félon  les  maximes  de  ce  divin  Légiila- 
teur.  Tellement  que  je  ne  fais  point 
une  obligation  indifpenfable  de  ce  qui 
n'eft  qu'une  perfection  :  comme  aufïi , 
en  ne  faifant  point  un  précepte  de  la 
pure  perfection  s  j'exhorte  du  refte  , 
autant  qu'il  m'elt  poilible  ,  à  ne  fe 
borner  pas  dans  la  pratique  à  la  fimple 
obligation.  Voilà  ma  parole.  Qu'on 
m'en  enfeigne  une  meilleure  y  ôc  je  la 
fuivrai. 

f  II  y  a  dans  faint  Paul  une  expreiîioa 
bien  forte.  C'eft  au  fujet  de  certains 
Séducteurs  qui  prêchoient  le  Judaïfme  $, 
&  portoient  les  fidèles  à  fe  faire  circon- 
cire. Pourquoi  veulent-ils  que  vous  foye%  Cat/  t\ 

Rr  ij.  6--  îz-* 


47<*  Pensées  diverses  sur  la  Dév. 
circoncis  y  difoit  fur  cela  le  grand  Apôtre  ^ 
écrivant  aux  Galates  ?  ceft  afin  de  fe  glo- 
rifier dans  votre  chair.  Comme  s'il  leur 
eût  dit  :  ce  n'eft  pas  le  zèle  de  la  Loi  de 
Moïfe  qui  touche  ces  gens-là,  &  qui 
les  intérefTe.  Ils  s'en  fondent  fort  peu  5 
puifqu  eux-mêmes  ils  la  violent  en  mille 
points.  Que  prétendent-ils  donc  ?  Ils 
voudroient  pouvoir  fe  vanter  de  vous, 
avoir  engagés  dans  leur  parti.  Ils  vou- 
droient pouvoir  vous  compter  au  nom- 
bre de  leurs  difciples.  Ils  voudroient 
s'en  faire  honneur  ,  8c  c'eft  pour  cela 
qu  a  quelque  prix  que  ce  foit ,  &  quoi- 
qu'il vous  en  puifTe  coûter ,  ils  exigent 
de  mous  que  vous  vous  foumettiez  à  la 
circoncision.  Voilà ,  félon  le  Maître  des 
Gentils ,  quel  étoit  i'efprit  de  ces  faux 
Docteurs  &  de  ces  dévots  de  la  Syna- 
gogue O  !  qu'il  eft  aifé  de  fe  faire  dans 
le  monde  la  réputation  d'homme  févè- 
re ,  Se  de  la.  foutenir  aux  dépens  d'au- 
truL 

Fin  du  premier  Tome* 


mwm% 

SUJETS  ET  ARTICLES 


CONTENUS 
DANS    CE    FOL  U ME, 

DU  SALUT. 

*&  TÉceJjïté  du  Salut  ^  &  l'ufage  que 

J^  V  nous  en  devons  faire  contre  les 
plus  dangereufes  tentations  de  la  vie» 

Pag.   î 

EJlime  du  Salut  _,  &  de  la  gloire  du  Ciel  ^ 
par  la  vue  des  grandeurs  humaines.  1 7 

Defir  du  Salut  _,  &  la  préférence  que  nous 
lui  devons  donner  au-dejfus  de  tous  les 
autres   biens.  3  1 

Incertitude  du  Salut  y  &  les  fentimens 
quelle  doit  nous  infpirer  oppofés  à  une 
fauffe  fécurité.     ,  46 

ToJJlbilité  du  Salut  dans  toutes  les  condi- 
tions du  monde.  5  7 

Voie  étroite  du  Salut  _,  &  ce  qui  peut  nous 
engager  plus  fortement  à  la  prendre»  7 1 

Soin  du  Salut j&  V extrême  négligence  avec 
laquelle  on  y  travaille  dans  le  monde.  8  5 

Subjlitution  des  grâces  du  Salut  5  les  vues 
que  Dieu  s'y  propofe  j  &  comment  il 


exerce  fa  jujllce  &fa  miférlcorde*     %f 

Petit  nombre  des  Elus  j  de  quelle  manière 

il  faut  l'entendre  &  le  fruit  qu'on  peut 

retirer  de  cette  vérité,  112, 

Penfées  diverf es  furie  Salut*  13,0 

DE    LA    FOI, 

Et  des  vices  qui  lui  font  oppofés. 

A  Ccord  de  la  raifon  &  de  la  Foi.  1-42 
^fjL  La  Foi  fans  les  Œuvres  j  Foiftérile 
&  fans  fruit.  166 

Les  Œuvres  fans  la  Foi  ^  Œuvres  infruc- 
tueufes  &  fans  mérite  pour  la  vie  éter- 
nelle. 192 
La  Foi  victorieufe  du  monde.               2, 1 1 
L'Incrédule  convaincu  par  lui-même.  228 
Naijfancede$Héréfiess&  leur  progrès.  245 
Penfées  diverfes  fur  la  Foi  j  &  fur  les 
vices  oppofés.                                 26a 


DU  RETOUR  A  DIEU, 

Et  de  la  Pénitence. 

73  Onté  infinie  de  Dieu  à  rappeller  h 

JLJ    Pécheur  &  à  le  recevoir.  zj6 

Sacrement   de    Pénitence,    Difpofitioœs 

qu  il  y  faut  apporter  j  &  le-  fruit  qu'on 


en  doit  retirer.  1 8  6 

Pénitence  extérieure  >    ou  mortification 

des  fens.  349 

Pénitence  intérieure  j  ou  mortification  des 

pafjtons.  ^  365 

Penfées  diverfes  fur  la  pénitence  &  h 

retour  à  Dieu.  392 

DE  LA  VRAIE, 

Et  de  la  faufïè  dévotion. 

jy  Égle  fondamentale  j  &  effèntielle  de 
x\     la  vraie  dévotion,  406 

Saints  defirs  d'une  ame  qui  afpire  à  une 

vie  plus  parfaite ,  &  qui  veut  s'avancer 

dans  les  voies  de  la  piété.  4 1  & 

Injujlice  du  mande  dans  le  mépris  qu'il 

fait  des  pratiques  de  dévotion.  416 
Simplicité  Évangélique  _,  préférable  dans 

la  dévotion  à  toutes  les  connoiffances 

humaines.  43 1 

Défauts  à    éviter  dans  la  dévotion  y  & 

fauffes  conféquences  que  le  libertinage. 

en  prétend  tirer.  439 

Alliance  delaPiété&  delà  Grandeur.  449 
Penfées  diverfes  fur  la  Dévotion.       46 7 

Fin  de  la  Table, 


APPROBATION. 

'Ai  îuj  par  ordre  de  Monfeignsur  le  Garde 
des  Sceaux,  un  Ecrit  intitulé  :  Penfées  du 
Père  Bourdaloue ,  de  la  Compagnie  de  Jefus  ,  fur 
divers  fujets  de  Religion  &  de  Morale.  Quelque 
riches  &  abondantes  qu'elles  fuiTent  par  elles- 
mêmes  ,  elles  avoient  befoin  pour  être  rédigées 
&  former  un  Corps  d'ouvrage,  de  toute  l'appli- 
cation &  de  l'habileté  du  laborieux  Editeur  qui 
les  a  fçu  difpofer  &  mettre  en  œuvre  Au  moyen 
de  quoi ,  outre  quantité  de  belles  Penfées ,-  de 
pieufes  Méditations ,  de  deffeins  même  de  Ser- 
mons à  i'ufage  des  Prédicateurs,  dont  ce  Recueil 
eft  enrichi;  l'on  y  trouvera  fur  plusieurs  grandes 
matières  &  fujets  importans  des  difcours  finis  &c 
achevés,  dignes  du  grand  Prédicateur  fous  le 
nom  duquel  on  les  annonce  ;  &  quoique  ce  Coiî 
fous  le  titre  /Impie  &  modelée  de  Penfées  ,  il  y  a 
lieu  de  croire  qu'elles  n'en  feront  pas  moins 
favorablement  reçues  du  Public  ,  &  le  Le&eur 
trouvera  qu'on  lui  donne  en  effet  beaucoup  plus 
qu'on  ne  lui  a  promis. 

A  Paris,  ce  6 Février  1733. 

LEROUGE. 

PERMISSION 

Du  Révérend  Père  Provincial, 

JE  foufiigné  Provincial  de  la  Compagnie  de 
Jefus  en  la  Province  de  France  ,  fuivantla 
pouvoir  que  j'ai  reçu  de  notre  Révérend  Père 
Général,  permet  au  Père  François  Bretonneau 
de  la  même  Compagnie  ,  de  faire  imprimer  un 
Livre  qu'il  a  revu  ,  &  qui  a  pour  titre  :  penfées 
du  Père  Bourdaloue  de  la  Compagnie  de  Jefus , 


fur  divers  fujets  de  Religion  &  de  Morale, 
Lequel  livre  a  été  vu  &  approuvé  par  trois  Théo- 
logiens de  notre  Compagnie  ;  en  foi  &  témoi- 
gnage de  quoi  j'ai  (igné  la  prélente.  À  Breft,  le 
3  Août  173*» 

P.   FROGERAIS. 


PRIVILÈGE    DU   R  0  L 

LOUIS,  PAR  LA  GRACE  DE  DlEU  J 
Roi  de  France  et  de  Navarre: 
À  nos  amés  Se  féaux  Confeiliers  les  gens  tenans 
îios  Cours  de  Parlement ,  Maîtres  des  Requêtes 
ordinaires  de  notre  Hôtel ,  Grand-Confeil  s 
Prévôt  de  Paris  ,  Eaillifs ,  Sénéchaux  ,  leurs 
Lieutenants  Civils  &  autres  nos  jufticiers  qu'il 
appartiendra  :  Salut.  Notre  amé le  fieur  Louis 
François  D*latour  ,  Imprimeur-Libraire  , 
Nous  a  fait  expofer  qu'il  defireroit  faire  impri- 
mer &  donner  au  Public  les  Sermons  &  Venféet 
de  Bourdalque  ,  &c.  s'il  Nous  plaifoit  lui 
accorder  nos  Lettres  de  renouvellement  &  Pri- 
vilège pour  ce  néceflaires.  A  ces  Causes,  vou- 
lant favorablement  traiter  TExpofant,  Nous 
lui  avons  permis  &  permettons  par  ces  préfen- 
tes }  de  faire  imprimer  ledit  Ouvrage  ,  autant 
de  fois  que  bon  lui  femblera  ,  &  de  le  vendre, 
faire  vendre  &  débiter  par  tout  notre  Royaux 
me  ,  pendant  le  temps  de  quinze  années  con- 
fécutives,  à  compter  du  jour  de  la  date  des 
Préfentes  :  Faifons  défenfes  à  tous  Imprimeurs, 
Libraires  &  autres  perfonnes  ,  de  quelque  qua- 
lité &  condition  quelles  (oient,  d'en  introduire 
«TimprefTion  étrangère  dans  aucun  lieu  de  notre 
ebéiffance  ;  comme  auffi  d'imprimer ,  ou  faire 
Tome  L  Sf 


imprimer  ,  vendre ,  faire  vendre  >  débiter ,  ni 
contrefaire  ledit  Ouvrage,  ni  d'en  faire  aucun 
extrait,  fous  quelque  prétexte  que  ce  puiffe 
être ,  (ans  la  permiflion  exprefTe  &  par  écrit 
dudit  Expofant,   ou  de  ceux  qui  auront  droit 
de  lui ,  à  peine  deconfifcation  des  Exemplaires 
contrefaits,  de  trois  mille  livres  d'amende  con- 
tre chacun  des  contrevenans ,  dont  un  tiers  à 
Nous ,  un  tiers  à  l'Hôtel-Dieu  de  Paris,  &  l'au- 
tre tiers  audit  Expofant ,  ou  à  celui  qui  aura 
droit  de  lui  ,  &  de  tous  dépens ,  dommages  8c 
Intérêts  ;  à  la  charge  que  ces  Préfentes  feront 
enregistrées  tout   au  long  fur  le  Regiftre  de 
la  Communauté   des  Imprimeurs  &  Libraires 
de  Paris,   dans  trois  mois  de  la  date  d'icelles; 
que  TimprefTion  dudit  Ouvrage  fera  faite  dans 
notre  Royaume  &  non  ailleurs,  en  beau  pa- 
pier &  beaux  caractères,  conformément  aux 
Réglemens  de  la  Librairie ,  &  notamment  à 
celui  du  dix  Avril  mil  fept  cent  vingt-cinq,  à 
peine  de  déchéance  du  préfent  Privilège;  qu'a- 
vant de  l'expofer  en  vente,  le  manufcrit  qui 
aura  fervi  de  copie  à  l'impreffion  dudit  Ouvra- 
ge ,  fera  remis  dans  le  même  état  où  l'Appro- 
bation y  aura  été  donnée,  es  mains  de  notre 
très-cher  &  féal  Chevalier,  Chancelier,  Gar- 
de des  Sceaux  de  France,  le  Sieur  de  Maupeou; 
qu'il   en  fera  enfuite  remis  deux  Exemplaires 
dans  notre  Bibliothèque   publique  ,   un    dans 
celle  de  notre  Château  du  Louvre  ,  &  un  dans 
celle  dudit  fleur  de  Maupeou  ;  le  tout  à  peine 
de  nullité  des  Préfentes  ;  du  contenu  defqueiles 
vous  mandons  &    enjoignons  de   faire    jouir 
ledit  Expofant  &  fes  ayant  caufes ,  pleinement 
Se  paifiblement,  fans  foutTrir  qu'il  leur  foit  fait 
aucun  trouble  ou  empêchement.  Voulons  que 
ia  copie  des  Préfentes,  qui  fera  imprimée  tout 
au  long,  au  commencement  ou  à  la  fin  dudù 


Ouvrage,  foit  tenue  pour  dîiement  tignïfiêe , 
&  qu'aux  copies  collationnées  par  l'un  de  nos 
amés  &  féaux  Confeillers-Secrétaires,  foi  foit 
ajoutée  comme  à  l'original.  Commandons  au 
premier  notre  Huilïier  ou  Sergent  fur  ce  requis, 
de  faire  pour  l'exécution  d'icelles ,  tous  actes 
requis  &  néceiïaires,  fans  demander  autre  per- 
miflion  ,  &nonob(hnt  clameur  de  Haro,  Char- 
te Normande  ,  &  Lettres  à  ce  contraires.  Car 
tel  eft  notre  plaiiîr.  Donné  à  Paris,  le  dixième 
jour  du  mois  d'Avril  l'an  de  grâce  mil  fept 
cent  foixante-onze  ,  &  de  notre.Régne  le  cin- 
quante-iîxieme.    Par    le  Roi  en  fon  Confeil. 

Signé,  LE    BEGUE. 

Regiflré  fur  le  Regiftre  JCVIll  de  la  Chambre 
Royale  &  Syndicale  des  Libraires  &  Impri- 
meurs de  Paris,  N°.  1^7.  fol.  472.  confor- 
mément au  Règlement  de  1723.  A  Taris,  ce 
%Q  Avril  1771* 

J.  Hérissant,  Syndic, 


De  l'Imprimerie  de  L.  F.  Delatour  5 

1774- 


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