i
MM
I
PENSÉES
DU PERE
BOURDALOUE.
PE NSÉE S
DU PERE
BOURDALOUE,
De la Compagnie de Jésus ,
SUR DIVERS SUJETS
DE RELIGION ET DE MORALE*
TOME PREMIER.
*_ — : . — , — — , — i— %
Septième Edition.
A PARIS,
Chez la Veuve Desaint, Libraire ;
rue du Foin Saint - Jacques.
st»iy*i!na!awwwWi*B^afe-^- ; -■■-.: ~~-
M. DCC. LXXIV.
'Avec Approbation & Privilège du Ro'u
J
ADâMSi
A VER TISSEMENT.
E m'acquitte de la parole
que je donnai il y a quel-
ques années , lorfque je
fis paraître les Exhortations & les
Inftru&ions du Père Bourdaloue.
Dans rAvertiflement qui eft à la
tëtQ de ces deux Volumes d'Inf-
truâions & d'Exhortations , je
m'engageai à un nouveau travail 5
fans fçavoir bien où il me condui-
roit ^ ni fi j'aurois de quoi remplir
le deffein que je m'étois propofé»
Quoi qu'il en foit , je promis de
faire une nouvelle révifion des
Manùfcrits du Père Bourdaloue,
& de recueillir tout ce que j'y trou-
verais de Penfées détachées ^ de
Réflexions , de Fragmens qui fe-
roient demeurés imparfaits 3 &
vj AVERTISSEMENT.
qu'il n'auroit point employé clans
fes Sermons.
Car avant que de compofer un
Sermon j le Père Bourdaloue fai-
foit ce que font communément les
Prédicateurs. Il jettoit d'abord fur
le papier les différentes idées qui fe
préfentoiènt à lui touchant la ma-
tière qu'il avoit en vue de traiter.
Il marquoit tout confufément , &
fans aucune liaifon.%Mais s'étant
enfuite tracé le plan de fon dif
cours , il choififlbit ce qui lui pou-
voit convenir , & laiffoit le reïte.
Ce refte néanmoins qu'il laiffoit
comme fuperflu , avoit fon prix 5
& c'efl de quoi il m'a paru que je
pouvois former un recueil j fous
le titre général de Penfées fur di-
vers fujets de Religion & de Morale,
Cependant , il y falloit mettre
quelque ordre , & tellement diïtri-
înier ces penfées, que celles qui
ont rapport à un même fujet , fut
fent toutes réunies fous un titre
particulier. Cela même ne fuffifoit
AVERTISSEMENT, vij
point encore*: mais de ces Penfées
les unes étant bien plus étendues
que les autres , il a fallu faire des
premières comme autant d'articles
ou de paragraphes , & ranger les
autres indifféremment ôcfans fuite,
fous le fimple titre de Penfées di~*
verfes. Tout cela, comme on le
juge affez , demandoit que l'Edi-
teur mît un peu la main à l'œuvre,
pour difpofer fes matières,, pour
les lier ou les déyelopper y pour
les finir & leur donner une certai-
ne forme : mais je n'ai rien fait à
l'égard de ce recueil de Penfées ,
que je n'eufle déjà fait à l'égard
des Sermons, Exhortations, Inf
truâions y & de la Retraite fpiri-*
tuelle du même Auteur.
Voilà tout le compte que j'ai à
rendre de ces Opufcules, qui com-
mencent à voir le jour. Car ce ne
font ici proprement que des Opuf
cules ; mais où il me femble que
l'illuftre Auteur dont ils portent le
nom ne fera point méconnoiffable*
vlîj AVERTISSEMENT.
Les hommes d'un génie fupérieur
fe font par-tout connoître 5 & juf-
ques dans les moindres chofes ils
gardent toujours leur caradère. Le
Public en jugera % & peut-être me
fçaura-t-il gré de la confiance avec
laquelle je me fuis appliqué depuis
près de trente ans à lui donner une
Edition complette des Œuvres du
Père Bourdaloue. Il n y avoit rien
à perdre d'un fi riche fonds; & c'ëft
beaucoup pour moi , fi je puis
penfer qu'il n ait point dépéri dans
mes mains.
PENSÉES
PENSEES
SUR DIVERS SUJETS
DE RELIGION,
ETDEMORALE.
DU SALUT.
NéceJJîté du Salut & Vufage que nous
en devons faire contre les plus
danger euf es tentations de la vie.
N parle du Salut comme
d'une affaire fouverainement
importante 5 & on a raifon
d'en parler de la forte. Mais
c'eft trop peu dire : il faut ajouter que
c'eft une affaire abfolument néceffaire \
&c ce fut l'idée que le Sauveur des hom-
mes en voulut donner à Marthe . dans
Tome L A
% Nécessite
jLue» $p cette grande leçon qu'il lui fit : Marthe A
^Q* vous vous inqidéte^ & vous vous émbarraf-
fe% de bien des chofes ;mais une feule chofc
ejl néceffaire.
Ce n'eft donc point feulement une
affaire d'une importance extrême que le
Salut , mais une affaire d'une abfolue
nécelîité. Entre l'un ôc l'autre la diffé-
rence eft effentielle. Qu'on me faffe en-
tendre qu'une affaire m'eft importante
Ôc très-importante , je conçois précifé-
ment par-là que je perdrai beaucoup
en la perdant, fans qu'il s'enfuive néan-
moins que dès-lors tout fera perdu pour
moi , ôc qu'il ne me reftera plus rien.
Mais que ce foit une affaire abfolument
néceffaire , ôc feule néceffaire, je conclus
ôc je dois conclure , que fi je venois
à la perdre , tout me feroit enlevé , ÔC
que ma perte feroit entière ôc fans ref-
fource. Or tel eft le Salut.
Affaire néceffaire , Ôc feule néceffaire :
néceifaire, puifque je ne puis me paffer
du Salut : feule néceffaire , puifque ,
hors le Salut , il n'y a rien dont je ne
puiffe me paffer. Je dis , néceffaire , puif-
que je ne puis me paffer du Salut : car
c'eft dans le Salut que Dieu a renfermé
toutes mes efpérances , en me le propo-
fant comme fin dernière , ôc c'eft de-là
D U S A L U T. $
que dépend, mon bonheur pendant toute
l'éternité. Je dis feule nécelfaire , puis-
qu'il n'y a rien, hors le Salut , dont je ne
puifle me pafTer. Car je puis nie paifer
de tout ce que je vois dans le monde j
je puis me palier des richeifes du monde ,
je puis me pafïer des honneurs & des
grandeurs du monde ; je puis me paiTer
des aifes & des récréations du monde.
Tout cela , il eft vrai , ou une partie
de tout cela peut m'être utile , par
rapport à la vie préfente , fuivant l'état
& la condition où je me trouve ; mais
enfin je puis me paiTer de cette vie
préfente fe mortelle , êc il faudra bien ,
tôt ou tard , que je la perde. Par consé-
quent je n'ai de fonds à faire que far le
Salut : c'eft-là que je dois tendre incef-
famment , uniquement , nécefTairement ,
à moins que par un affreux défefpoir je
ne confente à être immanquablement ,
pleinement , éternellement malheureux.
Terrible alternative , ou un malheur
éternel , qui eft la damnation j ou une
éternelle béatitude , qui eft le Salut ..
Voilà fur quoi je fuis obligé de me dé-
terminer , fans qu'il y ait aucun tempé-
rament à prendre. Le Ciel ou l'Enfer,
point d'autre deftinée. Si je me fauve,
le Ciel eft à moi ôc il ne me fera jamais
Ai;
"4 NÉCESSITE
ravi. Si je me damne , l'Enfer devient
irrémiiliblement mon partage > ôc jamais
je ne cefTerai d'y fournir. Car la mort
n'eft point pour nous un anéantnTement y
ce n'eft point , comme pour la bête ,
une deftru&ion totale. Au contraire ,
l'homme en mourant , ne fait que chan-
ger de vie j d'une vie courte ôc fragile ,
il pafTe à une vie immortelle ôc perma-
nente. Vie qui doit être pour les élus
le comble de la félicité ôc le fouverain
bien ; vie qui fera , pour les réprouvés ,
la fouveraine mifére ôc l'afTemblage de
tous les maux. Ainfi Dieu dans le confeil
de fa fagefTe l'a-t-il arrêté, ôc fes décrets
font irrévocables. Voilà ma créance ,
voilà ma Religion.
De-là même , affaire tellement né-
celïaire , qu'il ne m'eft jamais permis
en quelque rencontre que ce foit, ni
pour qui que ce foit , de l'abandonner.
Un père peut facrifier fon repos & fa
fante pour fes enfans. Un ami peut re-
noncer à fa fortune , ôc fe dépouiller de
tous fes biens pour fon ami. Bien plus ,
il peut , en faveur de cet ami y facrifier
jufqu'à fa vie. Mais s'agit-il du Salut , il
n'y a ni lien du fang ôc de la nature , ni
tendrefle paternelle , ni amitié iî étroite
qui puiffe nous autorifer à faire le facrifîce
D U S A L U T. 5
«l'un bien fupérieur à toute liaifon hu-
maine , de à toute confidération.
Plutôt que de confentir à la perte de
mon ame , je devrois , s'il dépendoit de
moi , laifTer tomber les Royaumes 8c les
Empires , je devrois laifTer périr le mon-
de entier. Et ce n'eft point encore aflez :
car, félon les principes de la morale évan-
gélique , 3c félon la loi de la charité que
je me dois indifpenfablement à moi-
même , non-feulement ii ne m'eft pas
libre de facrifier en quelque manière
que ce puifTe être , mon Salut j mais il
ne m'eft pas même permis de le hazar-
der & de l'expofer. Le feul danger vo-
lontaire , ii c'eft un danger prochain ,'
eft un crime pour moi j éV quoiqu'il
m'en pût coûter 5 ou pour le prévenir 9
ou pour en for tir , je ne devrois rien
ménager ni rien épargner : fallût-il en
venir à toutes les extrémités ; fallût-il
quitter père , mère , frères , fœurs ; fal-
lût-il m'arracher l'œil ou me couper le
bras : pourquoi cela ? toujours par cette
grande raifon de la nécefîîté du Salut ,
qui prévaut à tout , & l'emporte fur tout*
Allons plus loin ; & pour nous faire
mieux entendre , réduifons ceci à quel-
ques points plus marqués & plus ordi-
naires dans la pratique. Je prétens donc
A iij
6 NÉ C ! S S ï T i
que cette néceffité du Salut bien mécu%
tée ôc bien comprife , eft * avec le fe-
cours de la grâce , le plus prompt & le
plus puiffant préfervatif centre toutes
les tentations dont nous pouvons être
afïaiilis , chacun dans notre état. Mais
fa/is enibraffer trop de chofes , & fans
nous engager dans un détail infini 3 bor-
nons - nous à certaines tentations par-
ticulières y plus communes 5 pins fpé-
cieufes , plus violentes , qui naifTent de
la néceilité de du befoin où l'on peut fe
trouver en mille occaiîons , par rapport
aux biens temporels & aux avantages
du fiécle. Je m'explique.
Il y a des extrémités fâcheufes où fe
trouvent réduits une infinité de perfon-
nes ; Se que fait alors l'ennemi de notre
Salut , ou , pour mieux dire , que fait la
tiature corrompue , que fait la paillon
Se l'amour ptopre , plus à craindre mille
fois pour nous que tous les démons?
G'eft dans des conjonctures fi critiques
Bc fi périlleufes , que tout concourt à
nous féduire & à nous corrompre. Le
prétexte de la néceilité nous devient
une prétendue raifon dont il eft difficile
de fe défendre , 8c la confeience n'a
point de barrières fi fortes, que cette
néceilité ne puiffe nous faire franchir*
duSalut, 7
Par exemple , on manque de toutes chp-
fes , Se pourvu qu'on voulût s'écarter
des voies de l'équité Se de la bonne foi ,
on ne rrtanqueroit de rien, on auroit
non-feulement le néceiTaire , mais le
commode , & on l'auroit abondamment»
On voit décheoir fa famille de jour en
jour -, elle eft fur le point de fa ruine ; Se
pourvu qu'on voulût entrer dans les in-
trigues criminelles d'un Grand , Se fé-
conder fes injuftes defTeins, on en fe-
roit un patron qui la foutiendroit Se l'é-*
leveroit. On eft embarqué dans une
affaire de conféquence 5 c'eft un procès
dont la perte doit caufer un dommage
irréparable : il eft entre les mains d'un
Juge accrédité dans fa compagnie j Se
au lieu de folliciter ce Juge affez inuti-
lement , fi l'on vouloit aux dépens de la
vertu , écouter de fa part d autres foîK-
citations , Se y condefeendre , .on pour-
roit ainfi fe procurer un arrêt favorable
Se un gain allure. On a un ennemi dont
on reçoit mille chagrins j c'eft un hom-
me fans raifon &fans modération, qui
îious butte en tout , qui nous perfécute j
Se ii l'on vouloit ufer contre lui de cer-
tains moyens qu'on a en main, on feroit
bien-tôt à couvert de {es atteintes. Quel
empire ne faut-il pas prendre fur foi S&
Aiiij
S Nécessité
fur les mouvemens de fon cœur, pouf
ne pas fuccomber à de pareilles tenta-
tions , & pour demeurer ferme dans fou
devoir ?
Car encore uno fois de quoi n'eft-on
pas capable , quand la néceiîité prerTe ,
8c a quoi n'a-t-elle pas porté des millions
de gens , qui du relie avoient d'affez
bonnes difpoiitions , 8c n'étoient de leur
fonds ni vicieux , ni méchans ? De com-
bien d'iniquités la pauvreté 8c l'indi-
gence n'eft-elle pas tous les jours le prin-
cipe ? Combien a-t-elle fait de fcélé-
fats , de traîtres , de parjures, d'impies y
d'impudiques , de raviffeurs du bien d'au*
trui , 8c de meurtriers , qui fans cela ne
l'auraient jamais été j qui ne l'ont été en
quelque manière que malgré eux 8c qu'a-
vec toutes les répugnances poflibles j
mais enfin qui l'ont été , parce qu'ils ont
cru y être forcés ? Non - feulement ils
Font cru , mais de-'là fouvent ils fe font
periuadés que jufques dans leurs crimes
ils étoient excufables y 8c voilà ce qui
rend encore la néceiîité plus dangereufe.
On fe fait aifément de faufTes confcien-
ces , on étouffe tous les remords du pé-
ché j on fe dit à foi - même que dans
la foliation où l'on eft 8c dans toutes
fes circonilances qui l'accompagnen
©uSalut. 9
il n'y a point de loi , & que tout eft
permis : on exagère cet état , dont on
veut fe prévaloir ; & l'on prend pour
dernière extrémité & pour néceilité ab-
folue , ce qui n'eft que difficulté , qu'in-
commodité , que l'effet d'une imagina-
tion vive & d'une exceiîive timidité. Quoi
qu'il en foit , tout cela mené à d'étranges
conféquences , & les fuites en font af-
freufes.
Or quel eft pour nous , en de fembla-
bles attaques , le plus folide appui & le
foutien le plus inébranlable ? le voici.
C'eft de fe retracer fortement le fouve-
nir de cette maxime fondamentale , il Luc, e.
n'y a qu'une chofe nécejfaire ; c'eft de I0, *
s'armer de cette penfée 5 félon la figure de
l'Apôtre , comme d'une cuirajje 3 comme %vM*
d'un cafque , comme d'un bouclier qui ré-*
(ifle aux traits les plus enflammés de l'ef-
prit tentateur , & que rien ne peut péné-
trer. C'eft a dis-je , d'oppofer néceilité à
néceilité ) la néceilité de fauver fon ame 5
qui eft une néceilité capitale & fouve-
raine , à la néceflité de fauver fa fortune,
de fauver fes biens , de fauver fa vie.
Car je dois ainfi raifonner : il eft vrai ,
je pourrais rétablir mes affaires , fi je vou-
lois relâcher quelque chofe de cette in-
tégrité fi.exa&e ci fi févére , qui n'eft
ÎO N É C £ S g I T I
guéres de faifon dans le tems où nous
lommes , Se qui m'empêche de faire les
mêmes profits que tant d'autres : mais en
me rétablifïant ainil félon le monde 3 je
me perdrois félon Dieu , je perdrois mon
ame : or il la faut fauver. 11 eft, vrai , iî
je ne me rends pas à telle propofition
qu'on me fait , je choquerai le maître
qui m'employe ; j'aliénerai de moi le pro-
tecteur qui rn'a placé , & qui peut dans
la fuite me faire encore monter plus
haut , je ferai obligé de me retirer ; Se
n'ayant plus perfonne qui s'intéreife pour
moi , ni qui m'avance 5 je relierai en
arrière , Se que deviendrai-je ? Il n'im-
porte : en acquiefçant à ce qu'on me de-
mande , j'offenferois un Maître bien
plus puifïànt que tous les maîtres Se
tous les Potentats de la terre 3 Se pour
conferver de vaines efperances, je facri-
fierois un héritage éternel , je facrifierois
mon ame Se je la damne rois : or il la
faut fauver. Il eft vrai, l'occafion eft belle
de me tirer de l'oppreffion où je fuis ,
Se d'abattre cet homme qui ne cefTe de
me nuire Se de me traverfer } mais en
me délivrant des pourfuites d'un ennemi 3
qui 3 malgré toutes fes violences 3 Se
quoiqu'il entreprenne contre moi , ne
peut après tout me faire quun mal
du Salut» ii
pafTager , je me ferois un autre ennemi
bien plus redoutable , qui eft mon Dieu ,
& qui de fon bras vengeur peut égale-
ment & pour toujours porter fes coups
fur les âmes comme fur les corps. A quoi
donc expoferois-je mon ame ? or il la
faut fauver. Il eft vrai , ma condition
eft dure , Se je mené une vie bien trifte ;
je n'ai rien , 3c je ne vois point pour
moi de refTource. On me fait les offres
les plus engageantes 3 & fi je les rejette,
me voilà dans le dernier abandon nement,
& dans la dernière mifére : mais d'ail-
leurs je ne les puis accepter qu'au préju-
dice de l'honneur , &c fur - tout qu'au
préjudice de mon ame ; or il la faut
fauver. Oui , il le faut , & à quelque prix
que ce foit , & quelque peine qu'il y ait
à fubir. Il le faut , oc quelque infortune,
quelque décadence , quelque malheur
qui en doive fuivre par rapport aux inté-
rêts humains. Il le faut ; car c'eft là
le feul nécefTaire , le pur nécelfaire. En-
core une fois je dis le pur 5 le feul né-
cefTaire , parce que en comparaifon de ce
nécefTaire rien n'eft proprement , ni ne
doit être cenfé nécefïaire ; parce que dès
qu'il s'agit de ce nécefTaire , toute autre
chofe qui s'y trouve en quelque forte op-
pofée > cefTe dès-lors d'être nécefTaire ^
îi Nécessite
parce que ceft à ce néceifaire que doi-
vent fe rapporter , comme à la régie pri-
mitive & invariable , toutes mes délibé-
rations , toutes mes réfolutions 5 toutes
mes aérions.
Daniel. Ce fut ainfi que raifonna la chafte Su*
ax/3' fanne , lorfqu' elle fe vit attaquée de ces
deux vieillards qui voulurent la féduire ,
& qui la menaçoiént de la faire périr , fi
elle ne confentoit à leur paillon. Que
ferai-je, dit-elle 5 dans le cruel embarras
où je fuis ? quelque parti que je prenne 5
je ne puis éviter la mort : mais il vaut
mieux que je pèrirTe par vos mains , que
de pécher en la préfence de mon Dieu 5
de de périr éternellement par l'arrêt de fa
*L&M<I" juftice. Ce fut ainfi que raifonna le gêné-
£• z6, reux Eléazar , lorfoue de faux amis le
follicitoient de manger des viandes dé-
fendues félon la Loi , & de fe garantir
par-là de la colère du Prince. Ah ! ré-
pondit ce zélé défenfeur de la religion
de fes pères , en obéiffant au Prince Se
en fuivant le confeil que vous me don-
nez, je pourrais pour le tems préfent me
fauver du fupplice où je fuis condamné 3
ëc prolonger ma vie de quelques années ;
mais vif ou mort , je ne me fauverai pas
des jugemens formidables du Tout-puif
fant j & qu'y a-t-il de fi rigoureux , qu§
du Salut. i$
je ne doive endurer , plutôt que d'en-
courir fa haine , Se de renoncer à fes
promefTes ? C'eft ainfi que raifonnoit Saint ?om,c,X
Paul , ce vaifTeau d'élection , Se ce Doc-
teur des nations. Il fe repréfentoit tout
ce qu'il y a de plus effrayant , de plus
affligeant , de plus défolant. Il fuppofoit
que la tribulation vînt fondre fur lui de
toutes parts } qu'il fut accablé d'ennuis ,
prefTé de la faim , tourmenté de la
lbif , environné de périls ; qu'il fût
abandonné aux perfécutions , aux
croix , aux glaives tranchans j que
dans un déchaînement général , tout
l'univers fe foulevât contre lui , la terre ,
la mer , ôc toutes les puilTances célefles ,
toutes les puiiTances infernales , toutes
les puilTances humaines : il le fuppofoit ,
Se à la vue de tout cela , il s'écrioit :
Qui me féparera de la charité de Jefus-
Chrift ? Il alloit plus loin ; Se par la force
de la grâce qui le tranfportoit , s'élevant
au-defïus de tous les événemens 3 il ofoit
fe répondre de lui-même , Se ajoûtoit : Je
le feai _, & j'en fuis certain j que ni la
mort j ni la vie j ni les Anges ., ni les
principautés y ni le préfent j ni V avenir _,
ni ce qu'il y a de plus haut j ni ce qu'il y
a de plus bas ^ ni quelque créature que ce
foitj ne pourra me détacher de l'amour de
!4 Nécessité
Dieu j mon Seigneur & mon Sauveur.
Voilà comment parloir ce grand Apôtre.
Et d'où lui venoit cette confiance êc cette
fermeté infurmontable ? c'eft qu'il conce-
voit de quel intérêt , de de quelle néceflité
il étoit pour lui de fauver fon ame, en fe
tenant toujours étroitement de infépara-
blement attaché au Dieu de fon Salut.
Ce font là, dit -on, de beaux fenti-
mens , ce font de belles réflexions : mais
après tout , on ne vit pas de ces fenti-
mens ni de ces réflexions , de cependant
il faut vivre. Avec ces réflexions on ne
fait rien , on n'amaffe rien , on ne par-
vient à rien ; 3c toutefois il faut avoir
quelque choie , il faut faire quelque
chofe , il faut parvenir à quelque chofe.
J'en conviens , on ne vit pas de ces ré-
flexions ; mais de ces réflexions on ap-
prend à mourir fi l'on ne peut vivre fans
rifquer le falut de fon ame. Je l'avoue ,
avec ces réflexions on ne fait rien dans
le monde , on n'amaffe rien , on ne par-
vient à rien ; mais de cqs réflexions on
apprend à fe paffer de tout, fi l'on ne
peut rien faire , ni rien amaffer , ni par-
venir à rien , fans expofer le falut de
fon ame. Difons mieux , on apprend de
ces réflexions , que c'eft tout faire que de
faire fon falut , que c'eft tout gagner que
du Salut. 15
tTamaffer un tréfor de mérites pour le
falut , que c'eft parvenir à tout que de
parvenir au terme du falut. Voilà ce que
ces réflexions ont appris à tant de Chré-
tiens de l'un & de l'autre fexe : car mal-
gré la corruption , dont tous les états du
monde ont été infe&és , il y a toujours
eu dans chaque état des fidèles de ce
.caractère , prêts à quitter toutes chofes
pour mettre en fureté leur falut j il y en
a eu , dis-je , & plaife au Ciel qu'il y en
ait toujours ! La néceffité du falut étoit-
elle autre chofe pour eux que pour
nous ? y étoient-ils plus intéreiTés que
nous ? Non , fans doute : c'étoit pour
eux & pour nous la même néceffité ;
mais ils y penfoient beaucoup plus que
nous j & en y penfant plus que nous ,
ils la comprenoientauiîi beaucoup mieux
que nous. Penfons-y comme eux , médi-
tons-là comme eux , nous la compren-
drons comme eux ; Se en la comprenant
comme ils l'ont comprife 5 nous en fe-
rons comme eux notre affaire eiTentielle ,
& nous y adrelTerons toutes nos préten-
tions & toutes nos vues.
Mais , hélas ! où les portons - nous ?
Quand je vois les divers mouvemens
dont le monde eft agité , de qui font ce
<ju on appelle 1# commerce du monde \
j6 Nécessite
quand je vois cette multitude confufe de
gens qui vont ôc qui viennent 7 qui s'em.
preiTent ôc qui fe tourmentent 3 toujours
occupés de leurs deffeins , ôc toujours
en action pour y réuiîîr ôc les conduire
à bout , n'ayant que cela dans l'efprit ,
n'afpirant qu'à cela , ne travaillant que
pour cela , au milieu de ce tumulte j'irois
volontiers leur crier avec le Sage : Hom-
mes dépourvus defens 3 & aujji peu rai-
'Sap. c. Jonnables que des enfans à peine formés &
' fortis dufein de leur mere^ à quoi penfez
vous ? que faites -vous ? Hors une feule
Eccl. c,ck0fe> tout k re&e nefi que vanité ^ ôc
$• *. par une efpéce d'enforcellement , cette
vanité vous charme , cette vanité vous
entraîne , cette vanité vous polfede aux
dépens de l'unique nécefTaire ! Je le di-
ïois aux grands ôc aux petits , aux riches
ôc aux pauvres 5 aux fçavans ôc aux igno-
rans. Malheur à quiconque ne m'écou-
teroit pas , ôc dès-à-préfent , malheur à
quiconque demeure là-deffus dans une
indifférence ôc un oubli qu'on ne peut
affez déplorer.
4
Eftimt
bu Salut. 17
Eftinie du Salut > & delà gloire du
Ciel, par la vue des grandeurs
humaines.
C'eft une morale ordinaire aux Pré-
dicateurs 5 d'infpirer du mépris pour
toutes les pompes ôc toutes les gran-
deurs du monde. Us en font les peintu-
res les plus propres à les rabanTer dans
notre eftime ôc à les dégrader. De la ma-
nière qu'ils en parlent ôc dans les termes
qu'ils s'en expliquent 5 ce ne font que de
vaines apparences , que des fantômes ôc
des illufions qui nous féduifent 5 ôc dont
nous devons 3 autant qu'il eft pofïible ,
détourner nos regards. A Dieu ne plaife
que je prétende en aucune forte déroger
à la vérité & à la fainteté de cette Mo-
rale. Je l'ai prêchée comme les autres ,
en plus d'une rencontre j ôc je fuis bien
éloigné de la contredire , puifque ce fe-
roit me contredire moi - même : mais
après tout , quoique nous en puifïîons
dire , il faut toujours convenir que ces
grandeurs ôc ces pompes humaines , iî
méprifables d'ailleurs , ne laifTent pas
d'avoir quelque chofe en effet de pom-
Tome L B
I g E 5 T I M'!,"
peux & de brillant, quelque chofe de
grand & de magnifique 'y 8e c'eft par où
il me femble , non-feulement qu'il eft
permis y mais qu'il peut être très-utile i
un Chrétien de les envifager ? pourvu
qu'on les envifage chrétiennement. Don-
nons jour à cette penfée.
?/. iS. Les Cieux 5 dit le Prophète Royale
nous annoncent la gloire de Dieu , le
Firmament dont il eft l'Auteur y nous
fait connoître l'excellence de l'Ouvrier
qui l'a formé. Auiîi eft-ce en conféquence
de ce principe , 8c conformément à cette
parole du Prophète , que l' Apôtre Saine
Paul reprochoit aux Sages de l'antiquité ,.
de n'avoir pas glorifié Dieu félon la con-
nohTance qu'ils en avoient par fes ou-
vrages. Car toutes les chofes viiibles 9
ajoûtoit ce Do&eur des Gentils , tous les
êtres dont nos fens font frappés , & qui
fe préf entent à nos yeux avec leurs per-
fections , nous découvrent les perfections
invifibles du fouverain Maître qui les a
créés : tellement que les Philofophes
mêmes du Paganifme ont été inexeufa-
blés de ne pas rendre à ces perfections
divines , qu'ils ne pouvoient ignorer , le
jufte tribut de louanges qui leur étoit dû.
Or voilà par proportion & fuivant la
même régie à quoi nous peut fervir la
du Salut. 19
vue de ce que nous appelions grandeurs
I Ôc pompes du monde. Ce font des ima-
ges , quoiqu'imparfaites > des grandeurs
céleftes , ôc de cette gloire qui nous eft
promife fous le terme de Salut. Ce font
des ébauches , où nous eft préfenté , quoi-
que très-légérement , ce que Dieu pré*
pare à fes Elus dans le féjour de la
Béatitude. Ce font , pour ainfi parler ,
' comme des erTais de la magnificence du
Seigneur , qui nous donnent à juger pfm ffi
quelles richefïes immenfes il verfera dans
| le fein de fes prédeitinés ,. de quel éclat
| il les couronnera , de quelles délices , ôc
de quels torrens de joie il les enyvrera ^
quand il . lui^plai-ra de les retirer de cette
région des morts où nous fommes 3 ôc
de les introduire dans la terre des vivans :•
quand il les fera fortir de ce defert où>
nouspafTons, ôc quilles recevra dans la
bienheureufe Jérufalem j quand il fera
finir pour eux cet exil où nous languif-*
fons , ■& qu'il les établira dans leur glo-
rieufe patrie ; quand, il leur ouvrira fes
tabernacles éternels , qu'il en étalera à
leurs yeux toutes les beautés , tous les
tréfors , qu'il les revêtira de fa divine
clarté ôc les élèvera dans les fplendeurs
; des Saints ; enfin quand il les mettra en
poffeffion de ce Salut, qu'ils ne voyoient
Bij
20 I S T I M 1
i. Cor, auparavant que fous des figures énigmati*
dj.ias '<jjugS fe comme dans un miroir ; mais dont
ils connoîcront alors tout le prix , parce
qu'ils le verront , 8c qu'ils commenceront
à en jou
Voilà , dis-je , de quoi les pompes 8c
les grandeurs du fiécle nous tracent quel-
que idée , 8c une idée affez forte pour ex-
citer tout notre zélé à la pourfuite du
Salut , 8c à la conquête du Royaume de
Dieu. Car d'une part considérant ces
grandeurs mortelles 5 8c y en ajoutant
même encore de nouvelles , autant que
c j'en puis imaginer ; 8c d'autre part con-
«• 2. p. fuit ait la Foi , & méditant ces paroles
du grand Apôtre 5 ^#e l'œil n'a jamais rien
vu _, <pe V oreille n a jamais rien entendu y
que le cœur de V homme na jamais rien
penfeni rien compris qui égale ce que Dieu
dejiine à ceux qui l'aiment j 8c dont il fera
éternellement aimé : quelle conféquence
dois-je retirer de l'un & de l'autre ? Je
Chry- m'attache au raifonnement de S. Chry-
foftôme , 8c je dis : quelque mépris que
je fafTe de la terre '8c que j'en doive faire ,
il m'eft toutefois évident que j'y vois des
chofes merveilleufes j il ne m'eft pas
moins évident qu'on m'en rapporte en-
core d'autres plus furprenantes 8c plus
admirables -} 8c fi je veux laiffer agir mon
fifi
BU S A L tJ T. Il
imagination Se lui donner l'eifor , que
n'eft-elle pas capable de fe figurer au-
delïus même , & de tour ce que je vois ,
de de tout ce que j'entends ? Cependant
ni tout ce que je vois , ni tout ce que
j'entends , ni tout ce que je puis me fi-
gurer 5 non - feulement félon les idées
naturelles & raifonnables , mais par les
fictions les plus exceiïîves ôc les plus ou-
trées , n'approche point de ce que j'ef-
pere après cette vie j & de ce que Dieu
a fait pour moi dans un aurre monde
que celui-ci. Quand je vois tout cela,,
quand je l'entends 3 que je me le figure 5
j'en fuis ravi , j'en fuis charmé ; mais
tout cela néanmoins n'eft point la gloire
que j'attends , tout cela ne peut être mis
en comparaifon avec la gloire que j'at-
tends , tout cela n'eft rien auprès de la
gloire que j'attends ; 3c fi je multipliois
tout cela , fi je le redoublois , fi je l'accu-
mulois fans mefure , après y avoir épuifé
toutes les puhTances de mon ame , &c
toutes les forces de mon efprit , tout cela
feroit toujours infiniment au-deiîous de
la gloire que j'attends. Qu'eft - ce donc 3
mon Dieu,, que cette gloire ! Qu'eft-ce
que ce Salut ! mais en même tems ,
Seigneur , qu'eft-ce que l'homme , & à
qui appartient - il qu'à un Dieu aufiî
%% - Ë S T î M' & ■-
libéral & auffi bon r auffi puiflaftt &
auffi grand que vous l'êtes , de nous*
récompenfer de la forte , Ôc de nous-
glorifier , non - feulement au - delà de
tous nos mérites , mais au - delà de
toutes nos connoifiances de de toutes nos
vues ?
C'eft ainfi que raifonnoit Saint Chry--
foftôme , ôc c'eft ainfi que par la vue des
pompes humaines & des grandeurs du
monde , j'acquiers la connoiflànce la
plus fenfible & la plus parfaite que je
puiffe maintenant avoir , du falut où
j'afpire , & de la gloire qui m'eft réfer-
vée dans le Ciel, fi je fuis aflez heureux
pour y parvenir. Ne pouvant connoître
préfentement cette gloire par ce qu elle
'eft , je la connoîs , par ce qu'elle n'eft
pas y &la connoiffance que j'en ai 5 par
ce qu'elle n'eft pas , me difpofe mieux
que toute autre , à la connoiflance de ce
qu'elle eft.
ïl ne s'agit donc point ici de déployer
fon éloquence en de vagues 3c de lon-
gues déclamations fur le néant de tout
ce que nous voyons en ce monde , §ç de
toutes les grandeurs dont nos yeux font
frappés. Avouons que ces grandeurs ,
quoique paffagéres 5 ont du refte en
elles - mêmes ilequoi toucher nos fens ,
du Salut. 23
dequoi attirer nos regards , dequoi pi-
quer notre envie , dequoi exciter nos
defirs , dequoi allumer nos pafïions r
avouons - le encore une fois & recon-
noilfons - le } mais pourquoi ? afin qu'en
fuite montant plus haut & nous difant
à nous-mêmes , ce n'erV point encore-là
le bonheur qui m'eft propofé , ce n'eft
point encore le faint héritage où je pré-
tends ; nous concevions de cet héritage
célefte & de ce bonheur fouverain , une
idée plus noble & plus excellente. Quand
Saint Auguftin voyoit la Cour des Em-
pereurs de Rome , fi fuperbe 3c fi Ronf-
lante ; quand il ailiftoit à certaines cé-
rémonies où ils fe montroient avec plus
d'appareil & plus de fplendeur , il ne di-
foit pas avec dédain ni d'un air de mé-
pris : Qu'eft-ce que fafte & cette abon-
dance ? Qu'eft - ce que ce luxe & cette
fomptuofité ? -Qu'eft -ce que cet amas
prodigieux de biens <k de richelTes ? A
s'en tenir au premier afpecl:, ce fpecta-
cle lui rempliîïbit l'efprit 3 le furprenoit 5
f atrachoit ; mais delà bien - tôt paffant
plus avant 8c s'élevant à Dieu : Si tout
ceci , mon Dieu , s'écrioit-il , eft fi au-
gufte 3 qu'eft-ce de vous - même ? ôc
û toute cette pompe fe voit hors d&
vous 3 que verra-t-on dans vous ? Telle
24 I S T I M B
devroit être la méditation des Grands;
Il n'y a perfonne à qui elle ne convienne
mais c'eft aux Grands que ce fujet eftt
fpécialement propre , parce qu'il leur eft
plus préfent. Ils font beaucoup plus fou-
vent témoins & fpe&ateurs de la gran-
deur êc de la Majefté royale. Us la
voyent de plus près que les autres , 8c ils ;
la voyent dans tout fon luftre. Or il
leur feroit fi utile & fi facile tout enfem-
ble , de faire ce que faifoit Moïfe au
milieu de la Cour de Pharaon. Le tu-
multe & le bruit du monde , les grandes
&: différentes fcénes qui lui paffoient
continuellement devant les yeux ? ne lui
firent jamais perdre de vue l'Invifible,
félon l'exprefïïon de Saint Paul ; mais il
en conferva toujours l'image auffi vive-
ment empreinte dans fon efprit , que s'il
l'eût vu en effet , ce Dieu dlfraël qu'il
adoroit au fond de fon cœur 3 & vers
qui il tournait tous fes defirs comme
vers la fource de tous les biens 5 Se le
difpenfateur de tous les dons.
O qu'un Grand , inftruit des vérités
du Chriftianifme , & jugeant des chofes
félon les principes de la Religion y feroit
defalutaires &de folides rérlexions,quand
dans une Cour , comme fur un Théâtre
©uvert de toutes parts P il voit paroître
tant
du Salut. 25
tant de perfonnages Se de toutes les for-
tes ! Quand il voit tant de mondains , Se
de mondaines que l'ambition raifemble
Se qui tous à l'envi cherchent à fe mon-
trer , à fe diftinguer , à fe fignaler par la
fomptuofité Se la dépenfe , à tenir les
plus hauts rangs , à jouer les plus beaux
rôles. Quand il voit certaines fortunes ,
Se tout ce qui les accompagne , tout ce
qui les décore : fur- tout , quand après
mille intrigues dont il ne lui eft pas dïni-
cile de fuivre les traces , & dont les ref-
forts ne peuvent être fi fecrets qu'il ne
les apperçoive bien 3 il voit l'iniquité
dominante , l'iniquité triomphante , l'i-
niquité honorée , accréditée , toute-
puiffante ! S'il avoit alors une étincelle
de Foi , ou s'il la confultoit , cette Foi
ou il a été élevé, & qu'il n'a peut-être
pas perdue , que penferoit-il ? que di-
roit-il ? Il entreroit dans le fentiment de
Saint Auguftin : il admireroit la libéralité
de Dieu jufques envers fes ennemis les
plus déclarés. Mais , mon Dieu , con-
clûroit-il , fi c'eft là fur la terre le par-
tage des pécheurs , lors même qu'ils fe
tournent contre vous , qu'avez - vous
donc. préparé dans votre Royaume pour
ces bons Se fidèles ferviteurs qui ne s'at-
tachent qu'à vous ? Cette afïluence , ce
Tome I. C
%G Estime
crédit , cette autorité , ces titres , ces di-*
gnités , ces tréfors j voilà ce que vous
abandonnez indifféremment au vice Se
au libertinage ; voilà ce que vous accor-
dez plus fouvent qu'aux autres , &: plus
abondamment , à des réprouvés Se à des
vafes de colère \ voilà , pour m'exprimer
ainfi , ce que vous livrez en proie à tou-
tes leurs convoitifes , à toutes leurs in-
juftices : ah î mon Dieu 5 que refte-t-U
donc pour la vertu ? que refte-t-il , ou
plutôt 3 Seigneur , que ne refte - 1 - il
point pour ces prédeftinés en qui vous
avez mis vos complaifances , ôc que vous
avez choilis comme des vafes de miféri-
corde ?
Heureux qui fçait envifager de la forte
les grandeurs du fiécle préfent, Se qui
delà apprend à eftimer les efpérances Se
la gloire du fiécle futur. Il n'eft point à,
craindre que ce préfent l'attache , puif*
que c'eft même de ce préfent qu'il tire
de puilTans motifs pour porter tous {qs
vœux vers l'avenir. Quelque fenfation
que ce préfent fa(fe d'abord fur fon cœur ,
elle ne lui peut être nuifible , puifqu'au
contraire elle ne fert qu'à lui donner
une plus grande idée de l'avenir où il
afpire , Se où il ne peut arriver que par
lin détachement véritable Se volontaire
du Salut. ly
de ce préfent. Ainfi tout ce que ce pré-
fent étale à fa vue d'éclat , de charmes ,
d'attraits , bien loin de le détourner du
falut , ne contribue qu'à raffermir da-
vantage dans cette maxime capitale : Que Man^4
fert-il à l'homme de gagner tout le monde c. 16.
yil\ vient à Je perdre lui-même j & quel 2 *
échange pourra le dédommager de la perte
de/on ame ?
Maxime fortie de la bouche de Jefus-
Chrift même , qui eft la vérité éternelle :
maxime affez connue dans une certaine
fpéculation , mais bien peu fuivie dans la
pratique. Car voici l'énorme renverfe-
ment dont nous n'avons que trop d'exem-
ples devant les yeux , 8>c qui croît de jour
en jour dans tous les états du Chriftia-
niime. Parce que les fens nous dominent ,
ôc que nos fens , tout matériels ôc tout
gromers, ne font fufceptibles que des ob-
jets qu'ils apperçoivent de qui leur font
préfens ; c'eft à ce préfent que nous nous
arrêtons. Au lieu de dire comme S. Paul , He£, c
nous n'avons point ici une demeure Jlab le ^ **
& permanente _, mais noustn attendons une
autre dans l'avenir y à peine concevons-
nous qu'il y ait un avenir au-delà de ce
cours d'années que nous paffons fur la
terre, & dont la mort eft le terme. A peine
nous laiffons-nous perfuader qu'il y ait un
Cij
2.8 Estime
autre bonheur , qu'il y ait d'autres biens
8c d'autres grandeurs que ces grandeurs
8c ces biens vifibles dont nous pouvons
jouir <lans le tems. D'où il arrive que
nous avons il peu de goût pour les chofes
du Ciel , 8c pour tout ce qui a rapport au
falut. On nous en parle , nous en parlons
nous - mêmes j mais ce qu'on nous en
dit , comment l'écoutons-nous , 8c nous-
mêmes comment en parlons-nous ? avec
le même froid que fi nous n'y prenions
nul intérêt. Et il n'y a rien en cela de
l. Cor. Surprenant , puifque l'homme fenfuel &
c. 2,14. an\mal ne peut s'élever au - dejjus de lui*
même _, ni pénétrer avec les yeux de chair
dans les myjleres de Dieu.
C'eft pour cela que la vue du monde
nous devient fi dangereufe 8c fi perni-
cieufe. Non-feulement elle pourroit nous
être falutaire , mais elle devroit l'être
dans la manière que je l'ai fait entendre.
Elle l'a été , 8c elle l'eft encore pour un
petit nombre de Chrétiens , accoutumés
à juger de tout par les pures lumières de
la Foi , 8c non par l'aveugle penchant de
la nature, Ils voient la - figure de ce
monde , ils la confidérent , mais comme
une figure & non point autrement. Car
ce n'eft dans leur eftime qu'une figure :
mais de cette figure ils panent à la vérité
D U S A L U T. ly
quelle leur annonce , au bien réel Se fo-
lide qu'elle leur découvre , à la fuprême
béatitude dont elle leur trace comme un
léger crayon. Que ne regardons-nous ainfî
le monde : que ne nous attachons-nous
à contempler dans ce miroir ce qu'il
nous repréfente des beautés ineftima-
bles , Se ineffables d'un autre monde où
font renfermées toutes nos efpérances.
C'eft l'occupation la plus ordinaire de
ces âmes ridelles & intérieures , que l'Ef-
prit de Dieu conduit > Se qui , fans fe
lailfer prendre à des dehors trompeurs ,
tournent à bien pour leur perfection Se
leur fatisfadtion , ce qui pervertit le com-
mun des hommes. Car voilà quel eft le
principe de ce mortel affotipifTement ,
Se fi je l'ofe dire , de cette ftupide in-
fenfibilité Wi nous vivons à l'égard du
falut.
Le Prophète reprochoit aux Juifs 5
qu'ils n'avoient tenu nul compte de cette
Terre promife que le Seigneur leur def-
tinoit ? parce que dans le defert où ils
marchoient , ils n'étoient attentifs qu'à
ce qu'ils rencontroient fur leur route , ôc
à ce qui pouvoit fatisfaire leur fenfualité,
N'eft - ce pas là notre état > Se fur - tout
n'eft - ce pas là l'état d'une infinité de
Grands Se d'opulens y qui femblent , à
, Ciij
30 Estime
les voir agir , n'avoir été faits que pour
cette vie 3 Se y avoir établi leur dernière
fin ? Ce qui les occupe , ce n'eft guéres
leur deftinée éternelle ? Se pourvu que
dans la voie qui leur eft ouverte , rien ne
leur manque de tout ce qu'ils y fourni-
rent , foit richeffes , foit honneurs , foit
douceurs Se commodités ; ils fe mettent
peu en peine du terme où ils doivent
adrelfer tous leurs pas. Mais quel eft - il
donc 3 ce terme 3 Se fomrnes-nous excufa-
bles de ne le pas fçavoir , quand nous le
pouvons apprendre de tout ce qui fe
préfente à nous , Se qui nous environne ?
11 ne faudrait que quelque réflexion ;
mais l'enchantement de la bagatelle dif-
fipe tellement nos penfées , que dans une
diftradion habituelle Se perpétuelle ?
nous oublions fans ceife le*feul bien
digne de notre fouvenir. L'heure vien-
dra , prenons - y garde , l'heure viendra
où nous en connoîtrons l'excellence Se
la valeur infinie > non plus par des con-
jectures ni des comparaifons , mais par
une connoiffance expreffe Se dire&e.
Cette connoiffance claire Se dégagée
des illulions qui nous trompoient , ré-
formera dans un moment toutes nos
idées ; mais peut - être , hélas ! pour ex-
citer en même tems tous nos regrets :
du Salut, 31
regrets d'autant plus vifs , que nous
commencerons à concevoir une plus
haute eftime du Salut , & que cette ef~,
time n'aura d'autre effet que de nous en
faire reffentir plus vivement la perte.
^^^^^^^^^^^^^^^^^^
JDefir du Salut 3 & la préférence que
nous lui devons donner au-dej/us
de tous les autre biens.
DE l'eftime naît le de/ir , & ce defir
doit croître félon le prix du bien
qui nous eft propofé , & félon la mefure
de l'eftime que nous en devons faire.
Je dois donc par proportion délirer le
Salut , comme je dois aimer Dieu. Parce
que Dieu eft le fouverain bien , je dois
l'aimer fouverainement , & parce que
le falut eft la fouveraine béatitude , je
le dois fouverainement délirer. Si dans
toute l'étendue de l'univers , il y a quel-
que chofe que j'aime plus que Dieu , dès-
là je fuis coupable devant Dieu , parce
que je déroge à la fouveraineté de fon
Etre , en lui préférant un être créé : 8c
ii dans tous les biens de la terre il y a
quelque chofe que je délire plus que
le falut > dès-là je manque à la chanté
C iiij
j% Désir
que je me dois , & je me rends coupa-
ble envers moi-même , parce que je me
dégrade moi - même , & que je préfère
au fouverain bonheur de mon ame une
félicité trompeufe & paftagere. Ce n'eft
pas affez : fi dans tout l'univers il y a même
quelque chofe que j'aime autant que
Dieu, je l'offenfe 3 je lui fais outrage , de
je n'accomplis pas le précepte de l'a-
mour de Dieu , parce que Dieu étant
par fa nature au - deftus de tout 3 rien
ne peut être mis dans un degré d'égalité
avec ce premier Etre , cet Etre fuprême :
8c fi dans toute la terre , il y a quelque
chofe que je defire autant que le falut ,
c'eftun renverfement , c'eft un défordre ,
parce que dans mon eftime & dans mon
cœur , j'ôte au plus grand de tous les
biens ce caractère de fupériorité 8c d'ex-
cellence qui lui eft eifentiel , 8c qui ne fe
trouve , ni ne peut fe trouver dans aucun
bien mortel & périffable.
Ce n'eft pas tout encore \ 8c quand je
n'aimerois rien plus que Dieu , rien au-
tant que Dieu , û j'aime avec Dieu quel-
que chofe que je n'aime pas pour Dieu ,
je n'ai pas cette plénitude d'amour qui
eft due à Dieu , puifque mon amour eft
partagé ; 8c d'ailleurs en ce que j'aime
avec Dieu fans l'aimer pour Dieu 3 je
du Salut. 33
a honore pas Dieu comme fin dernière ,
à qui tout doit être rapporté. De même ,
quand je ne defirerois rien plus que le
falut , rien autant que le falut , fi je
defire avec le falut quelque chofe que
je ne defire pas pour le falut & en vue
du falut , je n'ai pas ce defir pur , ce
plein defîr que mérite un bien tel que
le falut j c'eft - à - dire , un bien que
je dois proprement regarder comme mon
unique bien , puifque tout autre bien
que je pourrois prétendre en ce monde ,
n'eft un vrai bien pour moi , que félon
qu'il pourroit m'aide r à parvenir au fa-
lut , comme au feul terme de mon
efpérance & au feul comble de tous les
biens.
Mais quoi ! n'eft-ce pas un bien que la
fanté , les forces ? n'eft - ce pas un bien
qu'un établifTement honnête , ôc une for-
tune convenable à ma condition ? n'eft-
ce pas un bien que tout ce qui eft nécef-
faire à l'entretien de la vie , ôc ne puis-
je pas defirer tout cela ? Oui , ce font là
des biens , & je puis les defirer : mais ce
ne font que des biens fubordonnés au
premier bien , qui eft le falut ; d'où il
s'enfuit que je ne dois les defirer qu'avec
cette fubordination y & que faivant le
rapport qu'ils peuvent avoir à ce bien
34 D es i s.
fupérieur. Or en les délirant de la forte ;
ce ne font point abfolument ces biens
que je délire , mais c'eft le falut que je
délire dans ces biens 8c par ces biens ,
conformément au bon ufage que je fuisfi
réfolu d'en faire : tellement qu'il eft tou-
jours vrai de dire alors , que je ne délire
que le falut , & que je ne veux rien que
le falut.
Ainfî il n'y a que le falut que je doive
délirer directement , que je doive délirer
formellement 8c exprelTement , que je
doive defirer en lui-même & pour lui-
même. Quand je demande à Dieu tout
le relie , je ne dois le lui demander que
fous condition , 8c qu'avec une véritable
indifférence fur ce qu'il lui plaira d'en
ordonner } lui témoignant mon delir ,
mais du relie me foumettant à fa fagelfe
& à fa Providence pour juger li c'eft un
bon defir , li c'eft un delir félon {qs in-
tentions 8c félon fes vues , s'il m'eft utile
que ce delir s'accomplifte 8c s'il en tirera
fa gloire } renonçant à ce delir , li tout
cela ne s'y rencontre pas , le défavouant
de cœur 5 8c même priant Dieu , que
bien loin de l'exaucer , il falTe tout le
contraire , fuppofé que fa gloire 8c mon
avantage fpirituel y foient intérelTés.
Mais quand je lui demande mon falut ?
du Salut. 35
je le lui demande , ou je dois le lui de-
mander de toute une autre manière. Car
je le dois demander déterminément ,
nommément , fans toutes ces conditions ,
puifqu elles s'y trouvent déjà , 8c fans
nulle indifférence fur le fuccès de ma
prière. Expliquons-nous.
Quand je demande à Dieu mon falut 5
je ne lui dis pas (amplement , ni ne dois
pas lui dire : Seigneur , donnez-moi vo-
tre Royaume , 8c daignez écouter là-def-
fus mon defir , û c'eft un bon defir * mais
je lui dis , 8c je lui dois dire : donnez-
moi , Seigneur , votre Royaume , 8c
rendez-vous là-deffus favorable à mon
defir , parce que je fçais que c'eft un bon
defir. Je ne lui dis pas , ni ne dois pas lui
dire , Seigneur , donnez - moi votre
Royaume , 8c daignez écouter là-deifus-
mon defir , fi c'eft un delir félon vos in-
tentions 8c félon vos vues j mais je lui
dis 8c je dois lui dire : donnez - moi ,
Seigneur, votre Royaume, 8c rendez-vous
là-deffus favorable à mon defir , parce
que je fçais que c'eft un defir félon vos
vues 8c félon vos intentions. Je ne lui dis
pas , ni ne dois pas' lui dire : Seigneur ,
donnez-moi votre Royaume , 8c daignez
écouter là-deffus mon defir, s'il m'eft
Utile que ce defir s'accompliiTe 3 8c &
$6 Désir
vous en devez tirer votre gloire : mais )€'
lui dis & je dois lui dire : donnez-moi *
Seigneur , votre Royaume , & rendez-
vous la-deiTus favorable à mon deftV,
parce que je fçais qu'il m'eft fouveraine-
ment utile qne ce defîr s'accomplifte j
que c'eft dans PaccompliiTement de ce
deiir qu'eft renfermée toute mon efpé-
rance j que fans l'accomplnTement de ce
deiir , il n'y a point pour moi d'autre
bonheur ; Se parce que je fçais encore
que vous y trouverez votre gloire , puif-
que c'eft dans le falut de l'homme que
vous la faites particulièrement coniifter*
Enfin , je ne lui dis pas , ni ne dois'pas
lui dire feulement *. Seigneur ? fauvez-
moi , ii c'eft votre volonté : mais je lui
dis , êc je dois lui dire : fauvez - moi ,
Seigneur , & je vous conjure , 6 mon
Dieu , que ce foit là votre volonté , une
volonté fpéciale 5 une volonté efficace.
Si bien qu'il ne m'eft jamais permis de
renoncer à ce deiir du falut , comme il
ne m'eft jamais permis de renoncer au
falut même ; mais bien loin de laiffer ce
deiir s'éteindre dans mon cœur , je dois
fans cefte l'y entretenir ôc l'y rallumer.
Conféquemment à ce deiir , Dieu
veut donc que j'aie recours à lui. Il veut
que je frappe continuellement à la porte >
du Salut. 37
ic que par des vœux redoublés , je lui
fafTe une efpéce de violence pour l'en-
gager à m'ouvrir & à me recevoir. Il
veut que ce foit là le fujet de mes priè-
res les plus fréquentes & les plus arden-
tes. Il ne me défend pas de lui deman-
der d'autres biens ; mais il veut que je
ne les lui demande qu'autant qu'ils ne
peuvent préjudicier à mon falut , qu'au-
tant qu'ils peuvent concourir avec mon
falut , qu'autant que ce font des moyens
pour opérer mon falut. Sans cela il re-
jette toutes mes demandes, parce qu'elles
ne font ni clignes de lui qui a tout fait
pour le falut de fes Elus , ni dignes de
moi qu'il n'a créé & placé dans cette
région des morts , que pour tendre à
la terre des vivans Ôc pour obtenir le
falut.
C'eft par le fentiment Se l'impreflîon
de ce defir du falut , que le Saint Roi
David s'écrioit fi fouvent Ôc difoit fi
affe&ueufement à Dieu , Hé! Seigneur j Pf» i4*<
quand fera-ce ! Quand viendra le moment
que j'irai à vous _, que je vous verrai ., je
vous pojféderai j & je goûterai dans votre
fein les pures délices de la béatitude cé-
lefie ? Tout Roi quil étoit , aiîîs fur le
Trône de Juda , comblé de gloire ôc ne
manquant d'aucun des avantages qui
3S D E S I K
peuvent le plus contribuer au bonheur
humain , il fe regardoit en ce monde
comme dans un lieu d'exil. Il n'en pou-
voit foutenir l'ennui , & il en témoignoit
*!/"•"?• à Dieu fa peine : Hélas ! que cet exil ejl
long ! ne finir a-t Al point ^ Seigneur ; &
combien de tems languirai-je encore _, avant
que mon attente & mes fouhaits foient
rem-plis ! Et de-là aulîî ces tranfports de
joie qui le raviiïbient dans la penfée que
fon heure approchoit , & que bien-tot il
fortiroit des miféres de cette vie pour
pafler à l'heureux féjour après lequel il
pf. m. foupiroit. On me l'a annoncé ■> & ma
l* joie en ejl extrême : j'irai dans la mai/on
de mon Seigneur & de mon Dieu,
C'eft de la même impreflion Se du
même fentiment de ce delir du Salut ,
qu'étoient fi vivement touchés ces anciens
èc fameux Patriarches que Saint Paul
nous repréfente plutôt comme des Anges
habitans du Ciel , que des hommes vi-
vans fur la terre. Ils y étoient comme
s'ils n'y euffent point été j ils y étoient
comme des étrangers & des voyageurs :
tous leurs regards fe portoient vers leur
patrie & leur éternelle demeure j ils la fa-
luoient de loin , ils s'y élançoient par tous
les mouvemens de leur cœur 5 Se rien n'en
détournoient leurs yeuxnileur attentioa?
du Salut. 39
Defir du falut qui dans les Saints de la
Loi nouvelle n'a pas été moins vif ni
moins empreffé que dans ceux de l'an-
cienne Loi. Le grand Apôtre en eft un
exemple bien mémorable Se bien tou-
chant : la vie n'étoit pour lui qu'un ef-
clavage Se une trifte captivité ; Se fans en
accufer la Providence ni s'en plaindre ,
il ne laiiToit pas de déplorer fon fort , Se
d'en gémir : Malheureux que je fuis !
Quel étoit le fujet de ces gémilTemens fi
aaiers & tant de fois réitérés ? c'eft que fon
ame retenue dans un corps mortel , ne
pouvoit jouir encore de fa béatitude.
Qui me délivrera de ce corps de mort ? Qui Rom*
détruira cette prifon Se qui brifera mes 7* 24"
liens , afin que je prenne mon vol vers
l'objet de tous mes vœux Se le centre de
mon repos ? Dans une femblable difpofî-
tion il n'avoit garde de s'abandonner aux
horreurs naturelles de la mort ; mais par
la force du deiîr dont il étoit tranfporté ,
il fçavoit bien les réprimer Se les fur-
monter. Bien loin que la mort rétonnât ,
il l'envifageoit avec une forte de complais
fance ; Se bien loin de la fuir , il s'y pré-
fentoit lui-même Se la demandoit. Mou- Philip.
tir ç'étoit un gain félon fon eftime , parce ' 2I*
que c'étoit paffer dans le fein de Dieu Se
arriver au terme du Salut,
4o Désir
Si nous comprenions , comme ce Doc-
teur des Nations de comme tant d'autres
après lui , ce que c'eft que le Salut ; fi
Dieu), pour un moment 9 daignoit faire
luire à nos yeux un rayon de fa gloire -%
8c de cette gloire qu'il nous prépare à
nous-mêmes 3 qui peut exprimer quelle
fainte ardeur , quel feu s'aÛumeroit dans
nos cœurs ? Du refte fans avoir encore
cette vue claire 8c immédiate qui n'eft
réfervée qu'aux Bienheureux dans le
Ciel , nous avons la foi pour y fuppléer. '
Il ne tient qu'à moi de me rendre , avec
cette lumière divine qui m'éclaire , plus
attentif aux grandes efpérances que la
Religion me donne & dont je devrois
uniquement m'occuper.
Je le devrois , mais comment eft-ce
que je fatisfais à ce devoir ? Comment
eft-ce qu'on y fatisfait dans tous les états
du monde , Se du monde même chré-
tien ? Rien de plus rare que ce defir du
falut : pourquoi ? parce que ce defir eft
étouffé prefque dans tous les cœurs par
mille autres defirs qui n'ont pour fin que
la vie préfente &c que fes biens. Non-
feulement on defire les biens de la vie
avec le falut fans les délirer pour le falut %
non-feulement on les defire autant que
le falut ^ non-feulement même on les
defire
© u Salut. 4ï
defire plus que le falut \ mais le dernier
degré de l'aveuglement & du défordre ,
c'eft que la plupart ne défirent que les
biens de la vie , ne foupirent qu'aptes
les biens de la vie , & ne penfent pas
plus au Salut que s'ils n'en ctoyoient
point, ou n'en efpéroient point. Eft-ce
en effet par un libertinage de créance
qu'ils vivent dans une telle infeniibilité
à l'égard du Salut ? Eft-ce par une efpéce
d'enchantement Se d'enforcellernent ?
Quoi qu'il en foit, fi je confidere toute la
face du Chriftianifme , qu'eft-ce que j'y
apperçois ? J'y vois des gens affamés de
richeiîes , des gens affamés d'honneurs 9
des gens affamés de plaifirs, 8c des plai-
firs les plus grofliers. Voilà où s'étend
toute la fphére de leurs defirs j voilà les
bornes où ils les tiennent renfermés fans
les porter plus loin ni les élever plus
haut.
Ce n'eft pas que quelquefois dans les
difeours on ne reconnoiffe l'importance
du Salut.Ce n'eft pas qu'on ne s'en explique
en certains termes, & qu'on ne convienne
qu'il n'eft rien de plus defirable ni même
de fi defirable. Les plus mondains fçavent
en parler comme les autres , & fouvent
mieux que les autres. Mais qu'eft-ce que
cela ? un langage , des paroles affectées >
Tome L D
4i Désir
èc rien de plus. Car fans nous en tenir
aux paroles de aux expreftions, mais exa-
minant la chofe dans la vérité , peut-on
dire que nous defirons le Salut , lorfque
de tous les fentimens &: de tous les mou-
vemens de notre cœur , il n'y en a pas
un qui tende vers le Salut? Nous aimons ,
mais quoi ? eft-ce ce qui nous conduit
au Salut ? Nous haïrions, mais quoi ? eft-
ce ce qui nous détourne du Salut ? Nous
nous réjouirions , mais de quoi? eft-ce
des mérites que nous acquérons pour
le Salut ? Nous nous affligeons , mais
pourquoi ? eft-ce parce que nous avons
îbuffert quelque dommage & fait quel-
que perte qui intéreiTe le Salut ? Par-
courons ainfi de l'un à l'autre toutes nos
parlions & toutes nos affections ; laquelle
pourrons-nous marquer , quelle qu'elle
îbit , qui ait pour terme le Salut , & où
il ait aucune part ? Je ne veux pas faire
entendre par-là , que nous vivions dans
une indolence qui ne s'affe&ionne à rien
& que rien n'émeut : au contraire , toute
notre vie fe paiTe en defirs , & en deiîrs
qui nous agitent , qui nous troublent',
qui nous dévorent , qui nous confirment.
Car telle eft la vie de l'homme dans le
monde, telle eft fouvent même la vie
de bien des hommes jufques dans la re-
D U S A L U T.' 43
traite. Vie de deiirs , mais de quels
deiirs ? de deiirs hïvoles , de deiirs teK-
reitres , de deiirs infenfés , de deiirs per-
nicieux , de ces deiirs. que formoient
ies Juifs ? & que Dieu fembloit écouter ,
quand il vouloit punir cette Nation in-
docile , en les abandonnant à eux-mêmes
Se à la perveriité de leur coeur.
Puiiîions-nou* amortir tous ces defirs
qui nous entraînent dans la voie de per-
dition ! Car voilà , dit l'Apôtre , où ils
nous conduifent , & à quoi ils fe termi-
nent. Il nous amufent pendant la vie, ils
nous tourmentent , ils nous trompent ,
Se par une fuite immanquable , ils nous
damnent. Effets trop ordinaires , & que
mille gens éprouvent , fans apprendre
de-là à fe détromper. Deiirs qui nous ï. Timt
amufent par les vains objets auxquels *' 9a
nous nous attac lions , Se les vaines efpé-
tances dont nous nous flattons. Ou ce
font des biens qui nous font refufés , 6c
que nous n'obtenons jamais , malgré tous
les foins que nous y apportons } ou
fi nous fommes plus favorifés de la for-
tune , ce font des biens dont nous dé-
couvrons bientôt , comme Salcœon 5 la
fauiîeté & la vanité. Deiirs qui nous tour*
mentent par les inquiétudes , les crain-
tes , les foupeons 3 les impatiences , les
44 D E S ï R
dépits , les mélancolies & les chagrains
où ils nous expofent. Interrogeons ià-def-
fus une multitude innombrable de mon-
dains ambitieux , de mondains intéref-
réiîes , de mondains voluptueux ; s'ils
font de bonne foi , ils conviendront que
ce qui leur ronge plus cruellement i'ame
8c ce qui fait leur plus grand fupplice
dans la vie, ce font l^s violens defirs
que leur infpirent l'ambition , la cupi-
dité , l'amour du plaifir qui les dominent.
Delirs qui nous corrompent par les cri-
mes où ils nous précipitent & qu'ils nous
font commettre. Car on veut les con-
tenter, ces defirs déréglés, & Il l'on ne îe
peut par les voies droites , on prend les
voies détournées qui font les voies de
l'iniquité & de l'injuflice. De-là même
enfin , delirs qui nous damnent : au lieu
que par des avantages tout oppofés , un
vrai defir du Salut , fert à nous occuper
folidement, à nous tranquillifer dans les
événemens les plus fâcheux & dans tou-
tes les adversités humaines , à nous fanc-
tifier & à nous fauver.
Ce defir du Salut eft pour une ame ri-
delle l'occupation la plus folide. Elle
s'entretient de fa fin dernière ; elle y fixe
toutes fes penfées comme à fon unique
bien 3 elle en goûte par avance les dou-
d u a a l u t. 45
ceurs toutes pures : & c'eft comme un
pain de chaque jour qui la nourrit. Ce
même delir dufalut, en dégageant l'ame
de tous les defirs du fiécle , l'établit
dans un repos prefqu'inaltérable. A peine
s'appercoit-elle de tout ce qui fe paiTe
dans le monde , tant elle y prend peu
d'intérêt , ■& tant elle eft au-deffus de
tous les accidens & de toutes les révo-
lutions. Elle n'a qu'un point de vue qui
eft le Ciel , hors de-là rien ne l'inquiète ,
parce que hors de-là elle ne tieiit à rien ,
ni ne veut rien. Par une conféquence
très-naturelle , autant que ce defir du
Salut contribue au repos de l'ame chré-
tienne , autant contribue-t-il à fa fan&i-
iication : car fi c'eft un defir véritable ,
de tel qu'il doit être, c'eft un defir effi-
cace , qui dans la pratique nous fait évi-
ter avec un foin extrême tout ce qui
peut nuire en quelque forte que ce foit
à notre Salut , & nous applique fans re-
lâche à toutes les œuvres capables de
l'aflurer Se de le confommer. Or ces
œuvres ce font des œuvres faintes &
fandirlantes , & voilà comment le defir
du Salut nous fauve.
Renouvellons-le dans nous, ce. defir fi
falutaire ; ne cefTons point de le réveil-
ler 3 de le ranimer par la fréquente
4 6 Desïr
méditation de l'impôt tance infinie du
falut. Que defirons-nous autre chofe , 6c
où devons-nous afpirer avec plus d'em-
prefement & plus de zélé , qua un bien
qui feul nous fuffit , ôc fans quoi nul
autre bien ne nous peut fufrlre ?
©®®®®®®$#®®®®®$®®©
Incertitude du Salut, & desfentimens
quelle doit nous infpirer _, oppofés
à une faujje fécurité.
AFfreufe incertitude , Seigneur , où
vous me laiffez fur mon affaire ca-
pitale , fur la plus effentielle ôc même la
feule affaire qui doive , m'intéreffer fur
l'affaire de mon Salut î Je fuis certain que
vous voulez me fauver \ je fuis certain
que je puis me fauver : mais me fauve-
rai-je en effet, mais ferai-je un jour dans
votre Royaume au nombre de vos Pré-
définies , mais parviendrai-] e à cette éter-
nité bienheureufe , pour laquelle vous
m'avez créé , & qui eft mon unique fin ?
Voilà, mon Dieu, ce qui paffe mon
intelligence ; voilà ce que toute la fub-
tilité de l'efprit humain , ce que tous
•mes raifonnemens ne peuvent décou-
vrir, Car de tous les hommes vivans fur
du Salut. 47
la terre 5 en eft - il un qui fçache s'il eft
digne de haine ou d'amour } de par con-
féquent en eft-il un qui fçache s'il eft
dans une voie de falut ou dans une
voie de damnation ?
Je ne puis douter , Seigneur , que je
n'aie péché contre vous , ôc péché bien
des fois , & péché en bien des manières ,
de péché jufqu'à perdre votre grâce: mais
puis-je me répondre qui j'y fuis rentré.,
dans cette grâce , que j'ai fait une vraie
pénitence & que vous m'avez pardonné?
En fuis - je allure ? Quand même il en
feroit ainfi que je le délire , &: quand je
pourrois me flatter de l'avantage d'être
-actuellement Se parfaitement réconcilié
avec vous , fais-je aiïiiré de perfévérer
dans cet état : Et ii je m'y foutiens quel-
que tems , fuis-je afTuré d'y perfévérer
jufquau dernier moment de ma vie ?
Suis- je affiiré d'y mourir ?
Tout cela , mon Dieu , ce font pour
moi d'épaiiTes ténèbres , ce font des
abîmes impénétrables. Dès que je veux
entreprendre de les fonder , l'horreur
me faifit & je demeure fans parole. Et
crui n'en feroit pas effrayé comme moi y
pour peu qu'on vienne à confidérer l'im-
portance de cette affaire dont le fuccès
eft fi incertain ? Car de quoi s'agit-il ? de
4§ Incertitude
tout Phomme , c'eft-à-dire y du fouveraïit
bonheur de l'homme ou de fou fouve-
rain malheur. Il s'agit par rapport à moi
d'être mis un jour en pofîeiîion d'une fé-
licité éternelle , ou d'être condamné à
un tourment éternel. Quelle fera la dé-
cifion de ce jugement formidable? Quel
fera le terme de ma courfe ? Sera-ce une
gloire fans mefure , ou une réprobation
fans relTource ? Sera-ce le Ciel ou l'En-
fer ? Encore une fois , dans ces penfées
mon efprit fe trouble , mon cœur fe
refferre , toute ma force m'abandonne >
ôc je refte interdit & confterné.
Ce n'eft point là , Seigneur , de ces
craintes fcrupuleufes , dont les âmes ti-
morées fe tourmentent fans raifon ; ce
ne font point de vaines terreurs : com-
bien y a-t-il de réprouvés , qui pendant
un long efpace de tems avoient mieux
vécu que moi de paroiffoient être plus en
fureté que moi? Qui l'eût cru > qu'éloi-
gnés du monde , & retirés dans les cloî-
tres & dans les deferts , ils y dulTent ja-
mais faire ces chûtes déplorables qui les
ont damnés ? Suis-je moins en danger
qu'ils n'y étoient , & ne feroit-ce pas la
plus aveugle préfomption , fi j'ofois me
promettre que ce qui leur eft arrivé , ne
m'arnver-a
D U S A L U T. 49
m'arrivera pas à moi-même ? Une telle
témérité furïiroit pour arrêter le cours
de vos grâces , & mon falut alors fe
trouve roit d'autant plus expofé , que
j'en ferois moins en peine & que je le
croirois plus à couvert.
Je ne vous demande point , ô mon
Dieu , qu'il vous plaife de me révéler
l'avenir -y je ne vous prie point de me
faire voir quel doit être mon fort, & de
tirer le voile qui me cache cet adora-
ble , mais redoutable myftere de votre
Providence. C'en: un fecret où il ne
m'appartient pas de m'ingérer, de qui
n'eft réfervé qu'à votre Sageife. En le
dérobant à ma connoiifance , & le te-
nant enfeveli dans une fi profonde ob-
feurité , vous avez vos vues toujours
faintes 8c toujours falutaires , il j'ap-
prends à en profiter. Vous voulez me
préferver de la négligence où je tom-
berais 3 fi j'avois une certitude abfoluc
de ma prédeftination ou de ma répro-
bation. Car l'un & l'autre , ou plutôt
l'afTurance de l'un Se de l'autre me por-
terait à un relâchement entier. Que dis-
je : l'afTurance même de ma réprobation
nie précipiterait dans le défefpoir &
dans les plus grands défordres. Vous i. Pet.
voulez que par de bonnes œuvres j fuivant Ul°'
Tome I. E
^o Incertitude
l'avis dû Prince des Apôtres, j em'étudh
de -plus en plus à rendre sûre ma vocation &
mon élection ; de forte que je fois pourvu
abondamment de ce qui peut me donnèrent
trie auRoyaume de Jefus-Ckrijl. Vous vou-
lez que je m3 humilie fans cejje fous votre
main toutepiïijfante > comme un criminel
qui attend une Sentence d'abfolution ou
de mort j 8c qui , profterné aux pieds de
fon Juge , n'omet rien pour le toucher
en la faveur Ôc pour obtenir grâce. Vous
voulez que je vive dans un tremblement
continuel , 8c dans une défiance de moi-
même , qui m'accompagne par-tout, 8c
qui me falTe prendre garde à tout. Vous
le voulez , Seigneur , 8c c'eft cela même
auili que je vous demande. Par-la l'incer-
titude où je fuis , toute effrayante qu'elle
eft , bien loin de m'être nuifibie ôc dom-
mageable , me deviendra utile & pro-
fitable.
Pf> 17'' Cependant , mon Dieu , je ne per-
drai rien de ma confiance , 8c je n'ou-
blierai jamais que vous êtes le Dieu démon
falut: Dieu de monfalut, parce que je
ne puis me fauver fans vous 8c que par
vous : Dieu de mon falut , parce que
vous voulez que je me fauve , 8c que
vous-même vous voulez me fauver : Dieu
de mon falut , parce que pour me fauver
yous ne me refufez aucun des fecours
16.
D U S A L U T. ^t
nécefïaires ôc que vous me mettez dans
un plein pouvoir d'en ufer. Voilà , Sei-
gneur , ce qui me rafture , 6c ce qui
calme mes inquiétudes. Vous m'ordon-
nez de les jetter toutes dans votre fein s
ôc de m'y retirer moi-même comme
dans un alyle toujours ouvert pour me
recevoir. De-là , fans, préfumer de vos
miféricordes , je défierai tous les enne-
mis de mon ame , & je ne ceffe rai point Pfii.
de dire , avec votre Prophète : Le Sei-
gneur eji ma lumière ^ il efi ma défenfe ,
de quoi dois-je m'ailarmer ? Quand je
marcherois au milieu des ombres de la
mort , mon cœur riQïi feroit point
ébranlé , parce que mon efpérance étant
dans le Seigneur 5 il eft auprès de moi.
Je ne veux de lui qu'une feule chofe , ôc
je la chercherai , je tâcherai de la méri-
ter : c'eft d'être avec lui pendant tous
les fiécles â.QS liécles dans la fainte mai-
fon Se dans le féjour de fa gloire. C'eft-
là que fe portent tous mes defirs : tout
le refte ne m'eft rien.
Confiance chrétienne : mais qui , pour
être chrétienne , doit avok fes régies ,
Se n'aller point au-delà des bornes. Car
il eft certain d'ailleurs qu'il y a des gens
d une fécurité merveilleufe , ou plutôt
d'une préfomption énorme touchant le
Eij
5'x Incertitude
Salut. Ce ne font point 5 il eft vrai , des
libertins & des impies ; ce ne font point
d.es pécheurs fcandaleux 8c plongés dans
ia débauche j ils n'enlèvent point le
bien d'autrui 5 8c ne font tort à perfon-
ne j enfin, je le veux , ce font de fort •
honnêtes gens félon le monde. Mais
font-ce des Apôtres ? bien loin de s'em-
ployer au falut & à la fanclification du
prochain en qualité d'Apôtres , à peine
penfent-iis à leur propre fandification 5
Se à leur propre falut en qualité de chré-
tiens. Sont-ce des hommes d'oraifon ,
accoutumés aux raviflemens 6c aux ex-
tâfes ? jamais ils n'eurent nulle con-
noiflance ni le moindre ufage de ces
exercices intérieurs , où l'ame s'élève à
Dieu , 8c s'entretient affedueufement
avec Dieu. Quelques pratiques com-
munes dont ils s'acquittent avec beau-
coup de négligence 8c de tiédeur ; voi-
là où fe réduit tout leur chriftianifme.
Sont-ce des pénitens ennemis de leur
chair 8c exténués d'auftérités 8c de jeû-
nes ? ils ont toutes leurs commodités ou
du moins ils les cherchent ; ils mènent
une vie douce , tranquille 8c agréable j
ils écartent tout ce qui pourroit leur
être pénible 8c onéreux , 8c ils ne fe re-
fufent aucun des divertiffemens qui fe
bu Saluî. ^3
préfentent ôc qui leur femblent propres
de leur état. Avec cela ils vivent en paix ,■
fans crainte , fans inquiétude fur l'affaire
du Salut } ôc parce qu'ils ne s'abandon-
nent pas à certains défordres , ils ne dou-
tent point que Dieu , félon leur expref-
fion , ne leur faife miféricorde. Or qu'ils-
écoutent un Apôtre , ôc un des plus
grands Apôtres , un Prédicateur de l'E-
vangile , ôc le Docteur des Nations.
Qu'ils écoutent un Saint ravi jufqu'au
troifiéme Ciel , ôc qui dans la plus fu-
biime contemplation avoit appris des
fecrets dont il neft permis à nul hom-
me déparier. Qu'ils écoutent un pénitent
confumé de travaux , crucifié au monde
ôc à qui le monde étoit crucifié : c'eft ç** ^S
Saint Paul. Que dit-il de lui-même ? Je
châtie mon corps j je le réduis en fervitu-
de : Pourquoi de peur qu'après avoir prêché
aux autres ^je ne fois réprouvé moi-même.
J'avoue que je ne lis point., ou n'en-
tends point ces paroles fans frayeur.
Quel langage \ quel fentiment ! Cet
Apôtre , ce maître des Gentils , ce vaif-
feau d'élection > ce pénitent , Paul trem-
ble ; ôc mille gens dans le monde , tout
au plus chrétiens , ôc chrétiens encore
très-imparfaits , fe tiennent en aifuran-
ce 1 II tremble , ôc que craint-il ? Eft-
E iij
54 Incerti t uî> e
ce feulement de décheoir en quelque'
chofe de la perfection apofëolique , Ôc
de ne parvenir pas dans le Ciel à toute
la gloire où il afpire ? Ce n'eft point là
de quoi il eft queftion : mais il craint
pour fon falut , il craint pour fon ame ,
il craint d'être condamné & rejette par-
mi les réprouvés j ôc tant de gens dans
le monde îfobfervant qu'à demi les
commandemens de la Loi , bien loin de
tendre à fa perfection , n'ont pas le
moindre trouble fur leur difpoiition
devant Dieu, ôc fe mettent comme de
plein droit au rang des prédeftinés. Il
tremble , Ôc où ? ôc en quelles conjonctu-
res y en quel miniftere ? Oeil en prê-
chant la parole de Dieu j c'en: en ré-
pandant la foi dans les Provinces Ôc
dans les Empires ; c'eft en s'expofant a
toutes fortes de périls ôc de fouffrances
pour le nom de Jefus-Chrift. Au mi-
lieu de tout cela, ôc malgré tout cela
il eft en peine de fon fort éternel : Ôc
une infinité de gens dans le monde y
tout occupés des affaires du monde ,
engagés dans toutes les occasions du
monde , jouiffant de toutes les dou-
ceurs du monde , font au regard de leur
éternité dans un repos que rien n'altère !
Il faut ou que Saint Paul ait été dans
du Salut. 55
Terreur , ou que nous y foyons : c'eft-à-
dire , il faut que Saint Paul par une ti-
midité fcrupuleufe , par l'effet d'une
imagination trop vive , portât la crainte
à un excès hors de mefure , ou que par
une aveugle témérité nous nous laiflions
flatter d'une efpérance ruineufe Se mal
fondée. Or de foupçonner le grand
Apôtre , infpiré de i'efprit de Dieu ,
d'avoir donné dans une pareille illu-
fion , ce feroit un crime. C'eft donc
nous-mêmes qui nous abufons ; Se
qu'eft-ce de fe tromper dans une affaire
d'une telle conféquence.
A Dieu ne plaife que je tombe dans
un fi terrible égarement ! Pour m'en ga-
rantir , il n'y a point de vigilance que je
ne doive apporter , ni de précaution que
je ne doive prendre. Car ce n'eft point
là de ces erreurs qu'on peut aifément
réparer, ou dont les fuites ne peuvent
caufer qu'un léger dommage. La perte
pour moi feroit fans reffource ; Se pen-
dant l'éternité toute entière , il ne me
refleroit nul moyen de m'en relever.
C'eft donc à moi d'être incefTamment
fur mes gardes , Se d'obferver tous mes
pas , comme un homme qui dans une
nuit obfcure marcheroit à travers les
ccueils Se les précipices 5 Se fe trouve-
Eiv
5 6 Incertitude du Salut.
roit à chaque moment en danger de
faire une chute mortelle & fans retour.
Toute mon attention ne fiiffira pas
pour me mettre dans une pleine affû-
rance^ Se quoique je faffe, j'aurai tou-
jours fujet de craindre : car il fera tou-
jours vrai , mon Dieu , que vos voies
font incompréhensibles , & vos juge-
mens impénétrables. Mais après tout
vous aurez égard aux mefures que je
prendrai , aux vœux que je vous pré-
senterai , aux œuvres que je pratique-
rai , à tout ce que pourra me fuggérer
ie zèle de mon Salut, que vous avez
confié à mes foins Se que vous avez fait
dépendre , après votre grâce , de ma fidé-
lité. Si ce n'eft pas affez pour m'ôter
toute défiance de moi-même , c'eft afTez
pour affermir mon efpérance en votre
miféricorde 5 Se pour "la foutenir. Ce
fage tempérament de défiance & d' ef-
pérance me fervira de fauve-garde , de
me préfervera de deux extrémités que je
dois également éviter j l'une eft une dé-
fiance pufillanime , Se l'autre une efpé-
rance préfomprueufe. Par-là j'attirerai
fur moi la double bénédiction que le
Prophète a promis au Jufte , qui tout
enfemble craint le Seigneur 5 & fe con-
fie dans le Seigneur,
Possibité du Salut. 57
Poffibilité du falut dans toutes les
conditions du monde.
OU and un homme du mondé dit
qu'il ne peut fe fauver dans fon
état , c'eft une mauvaife marque : car un
des premiers principes pour s'y fauver ,
eft de croire qu'on le peut. Mais c'eft
encore pis, quand perfuadé , quoique
fauifement , que dans fa condition il ne
peut faire fon falut , il y demeure néan-
moins : car un autre principe non moins
inconteftable 3 c'eft que dès qu'on ne
croit pas pouvoir fe fauver dans un état ,
il le faut quitter. J'ai , dites-vous , des
engagemens indifpenfables qui m'y re-
tiennent. Et moi je réponds que fi ce
font des engagemens indifpenfables ,
ils peuvent dès-lors s'accorder avec le
falut y puifqu'étant indifpenfables pour
vous , ils font pour vous de la volonté
de Dieu; & que Dieu qui vous veut
fauver , n'a point prétendu vous en-
gager dans une condition où votre
falut vous devînt impoilible. Dévelop-
pons cette penfée : elle eftfolide.
C'eft un langage mille fois rebattu
58 Possibilité
dans le monde , de dire qu'on ne s'y
peut fauver : & pourquoi ? parce qu'on
eft , dit-on , dans un état qui détourne
abfolument du falut. Mais comment
en détourne-t-il ? Eft-ce par lui-même ?
Cela ne peut être ; puifque c'eft un état
établi de Dieu ; puifque c'eft un état de la
vocation de Dieu -y puifque c'eft un état
où Dieu veut qu'on fe fanctifie • puif-
que c'eft un état où Dieu par une fuite
immanquable donne à chacun des grâ-
ces de falut Se de fan&ification • & non-
feulement des grâces communes , mais
des grâces propres & particulières , que
nous appelions pour cela grâces de l'é-
tat j enfin , puifque c'eft un état , où un
nombre infini d'autres avant nous ont
vécu très-réguliérement , très-chrétien-
nement , très-faintement , & où ils ont
confommé par une heureufe fin leur
prédeftination éternelle. Reprenons, 8c
de tous ces points , comme d'autant de
vérités connues 3 tirons pour notre con-
viction les preuves les plus certaines , de
les plus fenfibles.
Un état que Dieu a établi : car le
premier Inftituteur de tous les états qui
partagent le monde & qui compofent
la fociété humaine , c'eft Dieu même «,
c'eft fa Providence, Il a été de la divi-
du Salut. 59
ne Sageife , en les inftituant , d'y atta-
cher des fondions toutes différentes j
&c de-là vient cette diverfité de condi-
tions , qui fert à entretenir parmi les
hommes la fubordination. > lamftance
mutuelle , la régie & le bon ordre. Or
Dieu qui dans toutes (es œuvres envi-
fage fa gloire , n'a point apurement été
ni voulu être Fauteur d'une condition ,
où l'on ne pût garder fa Loi , où l'on
ne pût s'acquitter envers lui des de-
voirs de la Religion , où l'on ne pût lui
rendre 3 par une pratique fldelle de tou-
tes (es volontés , l'hommage & le culte
qu'il mérite. Et comme c'eft par-là
qu'on opère fon faiut , il faut donc con-
clure , qu'il n'y a point d'état qui de lui-
même y foit oppofé , ni qui empêche
d'y travailler efficacement.
Un état qui eft établi de Dieu , eft de la
vocation de Dieu. C'eft-à-dire , qu'il y
en a plufieurs que Dieu deftine à cet
état \ puifqu'il veut & qu'il eft du bien
public que chaque état foit rempli. Que
ferviroit-il en effet d'avoir mftitué des
profeilions , des miniflères , des em-
plois , s'ils dévoient demeurer vu'ides,
& qu'il ne fe trouvât perfonne pour y
vaquer ? Mais , d'ailleurs , comment
pourrions-nous accorder avec l'infinie
6o Possibilité
bonté de Dieu , notre Créateur &c notre
Père , de nous avoir appelle à un état
où il ne nous fût pas poiîible d'obtenir
la fouveraine béatitude pour laquelle il
nous a formés , ni de mettre notre ame
à couvert d'une éternelle damnation ?
Un état où Dieu veut qu'on fe-fanc-
tifie Se qu'on fe fauve. C'eft le même
commandement pour toutes les conditi-
ons, Se c'étoit à des Chrétiens de toutes
les conditions que faint Paul difoit fans
i.Theff. exception : La volonté dcDieueft que vous
f* 4* 3' deveniez faims. Voilà pourquoi il leur
recommandait à tous d'acquérir la per-
fection de leur état , & leur promettait
au nom de Dieu le falut comme la. ré-
compenfe de leur fidélité. D'où il eft
évident que Dieu nous ordonnant ainfi
de nous fanctiiier dans notre état , quel
qu'il foit 5 Se voulant que par la fainteté
de nos œuvres nous nous y fauvions ,
la chofe eft en notre pouvoir, fuivant
cette grande maxime , que Dieu ne
nous ordonne jamais rien qui foit au-
delîlis de nos forces.
Un Etat aum* où Dieu ne manque
point de nous donner des grâces de fa-
lut Se de fandification : Grâces commu-
nes , Se grâces particulières. Grâces
communes à tous les états j grâces par-
du Salut. 61
riculieres Se conformes-à l'état que Dieu
par fa vocation nous a fpécialement
deftiné : les unes 3c les autres capables
de nous foutenir dans une pratique
confiante des obligations de notre état ;
capables de nous afïurer contre toutes
les occafions , toutes les tentations ,
tous les dangers où peut nous expofer
notre état ; capables de nous avancer ,
de nous élever , de nous perfectionner
félon notre état. De forte que par-
tout , de en toutes conjonctures , nous
pouvons dire avec l'humble ôc ferme
confiance de l'Apôtre. Je puis tout par Philip,
le f cœur s de celui qui me fortifie. c'*'lï*
Un Etat enfin où mille autres avant
nous fe font fanctifiés & fe font fauves.
Les Hiftoires faintes nous l'apprennent :
nous en avons encore des témoignages
préfens ; ôc quoique dans ces derniers
fiécles le dérèglement des mœurs foit
plus général que jamais , ôc qu'il croiiïe
tous les jours , il eft certain néanmoins
que fi Dieu nous faifoit connoître tout
ce qu'il y a de perfonnes qui vivent
actuellement dans la même condition
que nous > nous y trouverions un afTez
grand nombre de gens de bien , dont la
vie nous confondroit. Il eft difficile
que nous n'en connoiflîons pas quel-
6i Possibilité
ques-uns , ou que nous n'en ayons pas
entendu parler. Que ne faifons r nous
ce qu'ils font ? qîie n'agilfons •- nous
comme ils agifTent ? que ne nous fau-
vons-nous comme ils fe fauvent ? Som-
mes-nous d'autres hommes qu'eux , ou
font - ils d'autres hommes que nous ?
Avons-nous plus d'obftacles à vaincre ,
ou les moyens de falut nous manquent-
ils ? Reconnoifïbns - le de bonne foi :
l'efTentielle <k la plus grande différence
qu'il y a entre eux Se nous , n'eu: ni
dans l'état , ni dans les obftacles , ni
dans les moyens , mais dans la volonté.
Ils veulent fe fauver , 3c nous ne le vou-
lons pas.
De-là qu'arrive-t-il ? parce qu'ils veu-
lent fe fauver , & qu'ils le veulent bien ,
ils fe font , des peines ôc des engagemens
de leur état , autant de fujets de mérite
pour le falut j & parce que nous ne
voulons pas nous fauver , ou que nous
ne le voulons qu'imparfaitement 3 nous
nous faifons , de ces mêmes engagemens
&c de ces mêmes peines a autant de
prétextes pour abandonner le foin du
falut. Je fçais que pour fe conduire en
chrétien dans fon état , que pour n'y
pas échouer , & pour fe préferver de
certains écueils qui s'y rencontrent par
D U S A L U T. 63
rapport au falut , on a befoin de réfle-
xion , d'attention fur foi - même 5 de
fermeté ôc de confiance : or c'eft ce qui
gêne , &c ce qu'on voudroit s'épargner.
Au lieu donc de tout cela , on penfe
avoir plutôt fait de dire qu'on ne peut
fe fauver dans fon état ; on tâche de fe
le perfuader , & peut-être en vient-on
à bout. Maii, trompe -t -on Dieu ? 3c
quand un jour nous paroîtrons devant
fon Tribunal , de nous lui rendrons
compte de notre ame , que lui répon-
drons-nous , lorfqu'il nous fera voir que
cette prétendue impollibilité qui nous
arrêtoit , n'étoit qu'une impoiîîbilité
fuppofée , qu'une impoiîîbilité volon-
taire , qu'une lâcheté criminelle de notre
part , qu'une foiblefîe qui dès le pre-
mier choc fe laifloit abattre , 8c qui bien
loin de nous juftifier en ce jugement
redoutable , ne doit fervir qu'à nous
condamner ?
Mais pour mieux pénétrer le fonds
de la chofe, je demande pourquoi] nous
ne pourrions pas allier enfemble les de-
voirs de notre état & ceux de la reli-
gion ? Notre état 5 je le veux , nous
engage au fervice du monde ; mais ce
fervice du monde , autant qu'il con-
vient à notre condition , n'eft point
'(5*4 Possibilité
contraire aufervice de Dieu. Car, quoi-
que nous puifiions alléguer , trois véri-
tés font indubitables, i . Que les devoirs
du monde Ôc ceux de la religion ne
font point incompatibles. 2. Qu'on ne
s'acquitte jamais mieux des devoirs du
monde , qu'en s'acquittant bien des
devoirs de la religion. 3 . Qu'on ne peut
même fatisfaire à ceux de la religion
fans s'acquitter des devoirs du monde :
ôc voilà de quelle manière nous pou-
vons & nous devons pratiquer cette
excellente leçon du Sauveur des hom-
Mdtf. 6. mes. Rende^ à Céfar , c'eft-à-dire 5 au
f.22,.21. monde : ce qUi ejl à Céfar j & rende% à
Dieu ce qui appartient àDieu:l\in n'eft pas
ici féparé de l'autre. Par où nous voyons ,
félon la penfée ôc l'oracle de notre di-
vin Maître , qu'il n'eft donc point im-
poffible de fervir tout à la fois ôc con-
formément à notre état , Dieu ôc le
monde : Dieu pour lui-même , ôc le
monde en vue de Dieu.
J'ai ajouté , de c'eft une vérité fon-
dée fur la raifon ôc fur l'expérience ,
qu'on ne s'acquitte jamais mieux de ce
qu'on doit à fon état ÔC au monde ,
qu'en s'acquittant bien de ce qu'on doit
à Dieu , parce qu'alors tout ce qu'on
fait pour ion état ôc pour le monde ,
on
D U S A L U T. 65
on le fait pour Dieu , Se dans l'efprit de
Dieu : or le faifant dans l'efprit de Dieu
Se pour Dieu , on le fait avec une con-
feience beaucoup plus droite , avec un
zèle plus pur Se plus ardent , avec plus
d'aiïïduité , de régularité , de probité. Un
troisième Se dernier principe , non moins
vrai que les deux autres , c'eft qu'on
ne peut même s'acquitter pleinement
de ce qu'on doit à Dieu 5 fi l'on ne
s'acquitte de ce qu'on doit à fon état
Se au monde , puifque, dès qu'on le
doit au monde Se à fon état 3 Dieu veut
qu'on y fatisfaffe , Se que c'eft-là une
partie de la religion. *
De tout ceci concluons , que fi
notre état nous détourne du falut , ce
n'eft point par lui-même , mais par no-
tre faute : car bien loin que de lui-
même ce foit un obftable au falur, c'eft
au contraire la voie du falut que Diev*
nous a marquée. Nous devons tous afpi-
rer au même terme , mais nous n'y de-
vons pas tous arriver par la même voie.
Chacun a la fienne : or la nôtre c'eft
l'état que Dieu nous a choifi } Se en
nous y appellant , il nous dit : voilà
votre chemin j c'eft par-là que vous mar~
chere% : tout autre ne feroit point fi fur
pour nous 9 dès qu'il feroit de notre
Tome L E
&é Possibilité.
choix, fans être du choix de Dieu.
Comment donc & en quel fens eft-
ii vrai qu'on ne peut fe fauver dans fou
état ? C'eft par la vie qu'on y mené de
qu'on y veut mener , laquelle ne peut
compatir avec le falut } mais on y peut
vivre autrement ; mais on y doit vivre
autrement : mais on peut & on doit
autrement s'y comporter.
Cet état expofe à une grande diffi-
pation par la multitude d'affaires qu'il
attire , 8c cette diffipation fait aifément
oublier les vérités éternelles, les pratiques
du Chriftianifme , le foin du falut.
Le remède , ce feroit de ménager
chaque année , chaque mois , chaque
femaine , & même chaque jour , quel-
que tems pour fe recueillir & pour ren-
trer en foi-même. Ce tems ne manque-
rait pas , & on fçauroit affez le trou-
ver fi l'on y étoit bien réfolu ; mais
pour cela il faudrait prendre un peu
fur foi , Se c'eft à quoi on ne s'eft ja-
mais formé. On fe livre à des occupa-
tions tout humaines j on s'en laiffe
obféder & poiTéder j on en a fans cefïe
la tête remplie : le fouvenir de Dieu
s'efface , Ôc on penfe à tout , hors à fe
fauver.
Cet état donne des rapports qui obli-
du S A l u % 6y
gent de voir le monde , de cônverfer
avec le monde , d'entretenir certaines
habitudes , certaines liaifons parmi le
monde : 8c perfonne n'ignore combien
pour le falut il y a de rifques à courir
dans le commerce du monde. Le pré-
fervatif néceiTaire , ce feroit d'abord de
retrancher de ces liaifons 8c du com-
merce du monde ce qui eft de trop ;
enfuite > de fe renouveller fouvent , 8c
de fe fortifier par l'ufage de la prière ,
de la confeiîîon , de la communion ,
de la le&ure des bons livres j mais on
ne veut point de toutes ces précautions ,
8c on ne s'en accommode point. On fe
porte par-tout indifféremment 8c fans
difeernement j tout foible 3 8c tout àé£-
armé , pour ainfi dire 3 qu'on eft , on
va affronter l'ennemi le plus puiffant 8c
le plus artificieux. On fuit le train du
monde , on eft de toutes fes compa-
gnies , on en prend toutes les manières,
Eft -il furprenant alors7 5 que dans un
air fi corrompu l'on s'empoifonne , 8c
qu'au milieu de tant de fcandales , on
faife des chûtes griéves 8c mortelles.
Je parle bien d'autres exemples , 8c }a-
voue qu'en fe conduifant de la forte
dans fon état , il eft împomble de s'y
fauver : mais confultons-nous nous me-
Fij
ê% P 0 S S I B ï L î ï E
mes 3 Se tendons-nous juftice. Qui nôii$
empêche d'ufer des moyens que nous
avons en main , pour mieux régler nos
démarches ôc mieux allure r notre falut ?
ne le pouvons-nous pas ? Or de ne l'avoir
f>as fait lorfqu'on le pouvoit 5 lorfqu'on
e devoit, lorfqu' il s'agifïbit d'un fi grand
intérêt que le falut 3 quel titre de répro-
bation !
Il n'eft donc point queftion pour
nous fauver , de changer d'état ; & fou-
vent même > comme nous l'avons déjà
obfervé > ce changement pourroit pré-
judicier au falut , parce que le nouvel
état qu'on embrafïeroit ne ferait point
proprement , ni félon JDieu , notre état s
c'eft-à-dire , que ce ne ferait point l'é-
tat qu'il auroit plu à Dieu de nous aiîi-
gner dans le confeil de fa fagefle.
Il n'eft point queftion de renoncer
abfolument au monde , & de nous enfe-
veiir tout vivans dans des folitudes ,
pour n'être occupés que des chofes éter-
nelles , & pour ne vaquer qu'aux exer-
cices intérieurs de l'âme. Cela eft bon
pour un petit nombre à qui Dieu infpire
cette réfolution , & à qui il donne la
force de l'exécuter : mais après tout , que
feroit-ce de la raciété humaine fi cha-
cun prenoit ce parti ? A quoi fe rédui-
D tj Salut. '€$
foit le commerce des hommes entre
eux ; 8c fans ce commerce, comment
pourroit fubfifter l'ordre 8c la fubordina-
tion du monde ?Ainfi rien de plus fage,
ni de plus raifonnable que la régie de
Saint Paul , lorfqu'écrivant aux premiers
fidèles nouvellement convertis , il leur
difoit : Mes Frères * demeure^ dans les r. Cor,
mêmes conditions ou vous etie% quand il c%1% zo*
a plu à Dieu de vous appeller ; comme
s'il leur eût dit : dans ces conditions ,
vous pouvez être chrétiens , 8c vivre en
chrétiens ; car ce n eft point précifément
à la condition que la qualité de chrétien
éft attachée. Or vivant en chrétiens 8c
pratiquant dans vos conditions l'Evangile
de Jefus - Chrift 3 vous vous fauverez ;
puifque c'eft de cette vie chrétienne 6c
de cette fldelle obfervation de la loi 5
que le falut dépend»
Voilà ce qu'une infinité de mon-
dains ne veulent point entendre , parce
qu'ils veulent avoir toujours de quoi
s'autorifer dans leur vie mondaine 9 8c
que pour cela ils ne veulent jamais fe
perfuader qu'ils puifient vivre chrétien-
nement dans leurs conditions. Ils font
merveilleux dans les idées qu'ils fe for-
menu , 8c dans les dïfcours qu'il tien-
nent en certaines rencontres. Il femble
fQ FOSSIBILïTË
qu'ils ayent leur falut extrêmement; à
cœur , &c qu'ils foient dans la meilleure
volonté de s'y employer j mais bien
entendu que ce fera toujours dans un
autre état que celui où ils fe trouvent.
O ii je vivois , difent-ils , dans la retrai-
te, 8c que je n'euiTe à penfer qu'à moi-
même ! O ii je ne voyois plus tant le
monde 3 & que je puiTe ne m'occuper
que de Dieu ! Mais le moyen d'être ,
au milieu même du monde , continuel-
lement en guerre avec le monde , pour
fe défendre de fes attraits 3 pour agir
contre {qs maximes , pour fe foutenir
contre fes exemples 3 pour ne fe laifTer
pas furprendre à fes illuiîons , ni em-
porter par le torrent qui en entraîne
tant d'autres. Quel moyen ? ii l'on me
le demande,, je répondrai que la chofe
eft difficile ; mais j'ajouterai qu'en ma-
tière de falut 5 à raifon de fon impor-
tance , il n'y a point de difficulté qui
puiife nous fervir de légitime excufe.
Je dirai plus : car ces difficultés à vain-
cre & ces efforts à faire , ce font les
moyens de falut propres de notre état.
Chaque condition a fes peines , 8c la
Providence l'a ainfi réglé , afin que dans
notre condition nous euiîions chacun
dQs fujets de mérite , par la pratique
du Salut. 71
de cette abnégation évangélique en
quoi confifte le vrai Chriftianifme , de
par conféquent le falut.
Voie étroite du Salut y & ce qui peut
nous engager plus fortement
à la prendre,
L'Evangile de Jefus - Chrift eft au-
deiïus de la raifon • mais on peut
dire en même tems qu'il n'eft rien de
plus raifonnable : c'eft la droiture & la
vérité même. Il ne déguife point , il ne
flatte point. Ce qui peut fe faire fans
peine , il le repréfente tout auffi aifé
qu'il l'eft -y Se ce qui porte avec foi quel-
que difficulté , il le propofe comme dif-
ficile , & ne cherche point à l'adoucir
par de faux tempéramens.
C'eft ce que nous voyons au re-
gard du falut. Car au lieu que dans îa
conduite ordinaire , on ne découvre pas
d'abord à un homme tous les obftacles
qui pourroient le détourner d une entre-
prife , Se qu'au contraire on lui en ca-
che une partie , afin de ne le pas éton-
ner dès l'entrée de la carrière , 8c de
ne lui pas abattre le cœur y l'Evangile
yi VûïË ÉTROITE
nïife point de ces réferves touchant le
falut j il s'explique fans ménagement , 8c
tout d'un coup il nous déclare que c'eft
une affaire qui demande les plus grands
efforts.
Le Sauveur des nommes n'a rien
omis pour nous le faire entendre. Il a
mille fois infifté fur ce point ; 8c de
toutes les vérités évangéliques , il fem-
ble que ce foit là celle dont il ait eu
plus à cœur que nous fumons inftruits y
tant il Ta fouvent répétée , 8c tant il a
employé de termes , de figures , de
tours différens à l'exprimer dans toute
fa force. S'il parle de la voie du falut ,
il ne fe contente pas de dire qu'elle eft.
étroite , mais par une exclamation qui
marque jufques dans ce Dieu-homme
une efpéce d'étonnement , il s'écrie :
Que cette voie eft étroite ! S'il parle du
Royaume que £on Père nous a préparé ,
8c dont la poifemon n'eft autre chofe
que le falut , il nous avertit qu'on ne l'em-
porte que par violence.
Si pour nous donner de ce falut des
idées fenfibles , il ufe de comparaifons ,
il nous le fait concevoir comme un
fomptueux édifice 5 mais qui coûte dos
frais immenfes à bâtir ; comme un tré-
for caché 5 mais qu'on ne trouve qu'à
force
d y S a l u t. 75
force de remuer la terre , Se de creufer ;
comme une pierre précieufe , mais
qu'on n'acheté qu'en fe défaifant de
tout le refte 8c le vendant ; comme une
moifïbn abondante , mais qu'on ne re-
cueille que dans la faifon des fruits , 8c
lorfque par un travail alîîdu on a cultivé
le champ du père de famille j comme
un riche falaire , mais qu'on ne reçoit
que le foir , 8c qu'après avoir porté tout
le poids de la chaleur Se du jour ; comme
une ample récompenfe , mais de quoi ?
d'une ferveur dans ■ la pratique de la
juftice chrétienne , 8c d'un zèle fem-
blable à une foif 8c à une faim dévo-
rante y d'un détachement au-defïus de
coût intérêt temporel 8c humain j d'une
pureté d'ame 8c d'une innocence do
mœurs , exemte des moindres taches j
d'une pénitence auftère , 8c d'une mor-
tification ennemie de toutes les corn-»
modités 5 8c de tous les plaifîrs des
fens ; d'une douceur que rien n'émeut
ni n'aigrit , dont rien ne trouble la paix ,
& qui s'applique par-tout à la mainte-
nir ; d'une charité bienfaifante 8c toute
miféricordieufe , toujours prête à pré-
venir le prochain > à le foulager 8c a
l'aider j d'une patience inaltérable dans
les maux de la vie , 8c même au milieu
Tome L G
*74 Voie étroite
des perfécutions .& des .malédictions J
car voilà le précis des enfeignemens
que'Jefas-Chrift ,. notre guide '& notre
maître , nous a tracés , autant par fes.
exemples que par fes paroles , fur l'af-*
faire du falut : voilà le chemin qu'il nous
a ouvert. Il n'y en a point d'autre , ni
jamais il n'y en aura
Or nous ne fentons que trop de com-
bien d'épines ce chemin eft. femé , ôc
combien il eft rude à tenir , fur-tout
dans l'extrême foiblefïe où nous fom-
mes. C'eft pourquoi le même .Fils de
Dieu ne nous a pas dit iimplement , en-
trez dans ce chemin , mais efforcez-
vous d'y entrer , mais excitez-vous , ani-
mez-vous, &: prenez à chaque pas un
courage tout nouveau pour y avancer
de y perfévérer. Les Apôtres r\Qn ont
point autrement parlé. Dans toutes leurs
Epîtres ils ne nous prêchent que la
fuite du monde , que la retraite , que
le recueillement intérieur , que la dé-
fiance de nous-mêmes , que la péniten-
ce , que l'abnégation , qu'une guerre
continuelle de l'efprit contre la chair ,
que la mort de tous les appétits déré-
glés 3 Se de tous les defirs du fiecle. La
nature a beau fe plaindre & murmurer ,
les élus de Dieu ne fe font jamais
T> XJ S A L U T. JC
Battes là - defTus , 3c n'ont point ima-
giné de voie plus douce par où ils
crufTent pouvoir atteindre au port dtt
falut.
On me dira que cette morale eft bien
févère : hé î qui en doute ? nous en
convenons ; nous ne prenons point , en
l'annonçant , de circuit , ni de détour ,
nous fommes prêts , ainii qu'il nous
eft ordonné , de la publier fur les toits.
Mais du refte,, avec toute fa févérité ,
cette morale fubfifte toujours telle que
nous l'avons reçue , Se toujours elle
fubfiftera. Tout cela eft rigoureux , il
eft vrai ; mais il n eft pas moins vrai ,
quelque rigoureux que tout cela foit ,
qu'il ne nous eft pas permis d'en rien
retrancher : il n'eft pas moins vrai que
quiconque refufe de s'affujettir à tout
cela , eft dans la voie de perdition , Se
qu'il n'y a point de falut pour lui : il
n'eft pas moins vrai que de prétendre
modérer tout cela , expliquer tout cela
par des interprétations favorables à la
cupidité de l'homme Se à nos inclina-
tions fenfaelles , c'eft fe tromper foi- .
même , 8c tromper ceux qu'on entraîne
dans la même erreur ; Se qu'en fe trom-
pant ainfi foi - même Se trompant les
autres , on fe damne Se on les damne.
Gij
j& Voie étroite
avec foi. Voilà ce qui ne peut être con-
tefté , dès qu'on a quelque teinture de
la morale chrétienne • ôc comme les
portes de l'enfer ne prévaudront jamais
contre l'Eglife de Jefus-Chrift , je puis
ajouter que jamais tous les artifices ni
tous les prétextes de notre amour pro-
pre ne prévaudront contre ces princi-
pes évangéliques , & contre les obliga-
tions étroites qu'ils nous impofent. Le
ciel ôc la terre palferont , mais la pa-
role du Seigneur ne paiTera point. Or
il nous a dit en venant parmi noiiî:
Mat.e. ce n>eft point & pàïx ni un repos oijlf
*°« 34» que je vous apporte ; mais je viens vous
mettre le glaive à la main : je viens vous
apprendre à vaincre tous les ennemis de
votre falut , ôc fur-tout à vous vaincre
vous-même. N'efpérons pas de changer
cet ordre de la divine Sageffe j mais ne
penfons , pour nous y conformer , qu'à
nous changer nous-mêmes.
On me demandera , qui pourra donc
fe fauver ? Qui le pourra ? ceux qui pra-
tiqueront l'Evangile. On ira plus loin,
ëC on me demandera qui le pourra pra-
tiquer, cet Evangile , dont la morale eft
fi pure , & la perfection fi relevée ? Qui
le pourra ? ceux qui par une volonté
ferme ôc inébranlable 3 aidée de la grâce 3
D U S A L U T. 77
s'y feront fortement déterminés. Mais
on ne s'en tiendra pas encore-là , & l'on
me demandera enfin qui pourra fe dé-
terminer à une vie auiîi régulière , 8c
auffi laborieufe , que l'Evangile nous la
prefcrit ? Qui le pourra ? ceux qui par
une folide & fréquente réflexion fe fe-
ront bien remplis l'efprit & bien con<-
vaincus de l'importance du falut. Car
quoique je l'aie déjà remarqué plus
d'une fois, je le redis & je ne puis trop
le redire , c'eft de-là que tout dépend -y
c'eft-à-dire , de cette vive perfuafion ,
de cette vue toujours préfente , de cette
idée du falut comme de l'affaire capi-
tale , comme de l'unique affaire , comme
d'une affaire qui feule , oii par fon
fuccès doit faire notre bonheur fouve-
rain , ou p?' fa perte notre fouverain
malheur. V oilà le reffort qui remuera
toutes les puiffances de notre ame :
voilà 3 après la grâce du Seigneur , le
premier mobile , d'où nous recevrons
ces grandes. imprelîions auxquelles rien
ne réfiffce. Tellement que quelques com-
bats qu'il y ait à foutenir , &c quelques
nœuds qu'il y ait à rompre , quelques
charmes que le monde préfente à nos
yeux pour nous attirer & nous attacher ,
rien déformais ne nous touchera , ne
G iij
78 Voie étroite
nous ébranlera , ne nous retiendra :
pourquoi ? parce que dans notre eftime y
nous ne mettrons rien en parallèle avec
le falut.
Expliquons ceci par un exemple fami-
lier : la comparaifon eft très - naturelle»
Le feu prend dans une maifon , il
s'allume de toutes parts , il fe com-
munique , il croît , l'embrafement eft
général : chacun penfe à foi 3 tous pren-
nent la fuite 3 on fe fauve par où Ton
peut j de comme l'on peut. Cependant
un homme profondément endormi , ne
fent pas le péril où il eft d'être confumé
par les flammes & d y périr ; on court à
lui , on l'éveille , il ouvre les yeux 5
il voit tout en feu. A ce moment que
fait-il ? délibere-t-il à fe fauver ? prend-
il garde s'il lui fera facile de s'échap-
per ? un premier mouvement l'emporte >
Ôc ne lui donne pas le loifir de rien
examiner. S'il faut grimper fur un mur >
s'il faut fe précipiter d'un lieu élevé ,
s'il faut paffer à travers la flamme 5
point de moyen qu'il ne tente. Pour
éviter un danger 3 il fe jette dans un
autre 3 6c pour fe garantir de la mort
qui le menace , il s'expofe 3 fans héri-
ter , à mille morts. D'où lui vient cette
ardeur 3 cette agitation a cette réfolu-
D U S A L U T. 7^
tion ? c'eft qu'il y va de la vie , Se que
de tous les biens de ce monde nul né
lui eft fi cher que la vie , parce qu'il
fçait que le fondement de tous les biens
de cette vie, c'eft la vie même.
Belle image d'un chrétien qui revient
de ralïbupifTement où il étoit à l'égard
du falut , & qui commence à bien con-
noître la conféquence infinie d'une telle
affaire , après en avoir mûrement con-
sidéré le fonds , le danger , les obfta-
cles , toutes les fuites. U fe voit au mi-
lieu du monde comme au milieu du
feu : parlions ardentes , .qui dévorent
les cœurs } fauffes maximes , qui cor-*
rompent les efprks ; objets flatteurs a
qui fafeinent les yeux } fales plaifirs ,-
qui amolliifent les fens } exemples qui
entraînent, occafions qui furprennent,
difeours libertins , fcandales publics 5
intérêts fordides , injuftices criantes ,
engagemens de la coutume , efclavage
du refpect humain , excès de la dé-
bauche , profanation des plus faints
lieux , abus , facriléges & impiétés , que
dirai-je ? ôc peut-on avoir aifez peu de
connoilfance pour ne fçavoir pas com-
bien le monde eft perverti , &c combien
il eft capable de nous pervertir nous-
mêmes ?
Giiij
g© V O ï I ÉTROITE
Comment fe défendre de cette con-
tagion répandue par-tout , 8c comment
fe mettre à couvert de fes atteintes ?
Comment afTailli de tous côtés, 8c affiégé
de tant d'ennemis , leur faire face 8c
en triompher ? Comment repouiîer leurs
attaques , éviter leurs furprifes , parer à
tous leurs traits ? En un mot , fur le pen-
chant d'une ruine toujours prochaine,
comment afïurer tous fes pas 8c fauver
£on ame ? Comment ? laiffez agir ce
chrétien éclairé de la lumière de Dieu
ëc fortifié de fa grâce. C'eft alfez qu'il
fe foit bien imprimé dans fon fouvenir 5
l'excellence du falut , c'eft allez qu'il en
ait connu le prix ; tant que cette penfée
l'occupera , qu'elle le frappera , 8c que
pour la conferver il la renouvellera fou-
vent , 8c la rappellera, j'ofe dire qu'alors
il fera comme invulnérable 8c comme
invincible. Il réprimera les pallions les
plus violentes , il détruira les habitudes
les plus enracinées , il fe roidira contre
toute considération humaine , contre
le torrent de la coutume , contre la
chair 8c le fang5 contre les objets les
plus corrupteurs , 8c les attraits des plai-
firs les plus féduifans. Il s'adonnera aux
exercices de la religion 3 fans en négli-
ger aucun 3 ni par, mépris 3 ni par déli-
d v Salut. Sr
tàtefle , ni par une vaine crainte des
raifonnemens du public. Il les pratiquera
iidellement , exactement , conftamment my
& parce que cette afîiduité eft un joug ,
& pour plufieurs même en mille con-
jonctures un joug très-pefant , il fe cap-
tivera , il fe fiwrmontera , il s'élèvera
au-defïus de lui-même , jamais la peine
ne l'étonnera.
A-t-elle étonné tant de Solitaires >
quand ils fe font confinés dans les dé-
ferts 3 3c retirés dans les plus fombres ca-
vernes ? A-t-elle étonné tant de Religieux
quand ils fe font cachés dans l'obfcurité
du cloître 5 & fournis à toutes fes aufté-
rites ? A-t-elle étonné tant de Vierges
chrétiennes , quand elles ont facrifié
tous les agrémens de leur fexe , 3c
qu elles ont porté fur leurs corps toute
la mortification de Jefus-Chrift ? A-t-elle
étonné tant de Martyrs , quand ils fe
font immolés comme àes victimes , ôc
livrés aux plus cruels tourmens ? Il s'agit
pour nous du même falut , dont l'efpé-
rance leur donnoit cette force fupérieure
& vi&orieufe. Fallût - il donc l'acheter
par les mêmes fuppHces , par les mêmes
facrifices , nous y devons être difpofés.
Mais le fommes - nous en effet , ÔC
quoique nous en difions > peut - on
ïi Voie étroite
nous en croire , lorfqu'on nous vole
céder honteufement Se iî vire aux moin-
dres difficultés ? Car le Chriftianifrne
aufli - bien que le monde , eft pleir*
de ces faux braves , qui loin du péril
témoignent une afiiirance merveilleu-
fe , & à qui tout fait peur dans Toc-
cafion.
Bifarre contradiction de notre fiécle !
jamais dans les entretiens , dans les pa-
roles , dans les leçons de morale , on
n'a plus rétréci le chemin du falut ,
parce que les leçons & les paroles n'en-
gagent à rien } Se jamais en même tems
on ne l'a plus élargi dans la pratique Se
dans les œuvres , parce que ce font les
oeuvres qui coûtent 3 Se que c'eft la pra-
tique qui mortifie. Ne cherchons , ni
par une rigueur outrée, à le rétrécir,
jufqu'à le rendre impraticable \ ni par
un relâchement trop facile , à i'applanir
Se l'élargir, jufqu'à lui ôter toute fa févé-
rité Se tout fon mérite. L'un nous con-
duirait au défefpoir , Se l'autre nous per-
drait par une trompeufe confiance.
Prenons le jufte milieu de l'Evangile ,
Se fans donner dans aucune extrémité ,
fouvenons - nous que la voie du Ciel
n'eft point fi étroite qu'on n'y puiffe
marcher j mais auffi qu'elle l'eft affez
du Salut, 8|
pour demander toute notre confiance,
8c pour exercer toute notre vertu.
Cependant, pour la confolation de
ceux à qui le zèle de leur falut infpire
de fuivre cette voie 8c d'y avancer 5
voici ce que j'ajoute , ôc ce que je puis
appeller le miracle de la grâce. Car
une expérience de tous les fîécles de-
puis Jefus - Chrift , l'auteur 8c le con-
îbmmateur de notre foi 3 a fait con-
noître que cette voie , toute épineufe
qu'elle eft , devient d'autant plus douce
qu'on y cherche moins de douceurs >
8c qu'on s'afïujettit avec moins de
ménagemens 8c moins de réferve à fes
auftérités les plus mortifiantes. Com-
ment cela fe fait-il ? C'eft aux âmes qui
l'éprouvent à nous en inftruire • ou plu-
tôt , c'eft un de ces fecrets dont Saint
Paul difoit , qu'il n'eft permis à nul
homme de les expliquer. Mais tout
impénétrable qu'eft ce myftère , il n'en
eft pas moins réel ni moins véritable,
Car de quelque manière que ce puiffe
être , 8c en quelque fens que nous puif-
fions l'entendre , il faut que la parole
de Jefus - Chrift s'accompliffe : c'eft une
parole divine 3 8c par conféquent infail-
lible. Or cet adorable Maître nous a
4it que fon joug eft doux 8c fon fardeau
$4 Voie étroite
léger • & en nous invitant à le prendre ;
il nous a promis que nous y trouve-
rons la paix. Ces termes de joug Se de
fardeau marquent de la difficulté Se de
la pefanteur : mais avec toute fa pefan-
teur 5 ce fardeau devient léger, Se ce
joug devient doux , dès que c'eft le
joug Se le fardeau du Seigneur ; pour-
quoi ? parce que la grâce y répand
toute fon on&ion , &" qu'il n'eft rien de
ii pefant ou de fi amer , dont cette onc-
tion célefte n'adouciffe l'amertume >
Se qu'elle ne faffe porter avec une fainte
allégreffe.
On en efl furpris , Se , pour ainfî di-
re , on ne fe comprend pas foi-même ,
tant on fe trouve différent de foi-mê-
me. Au premier afpecl de la voie étroite
du falut , tous les fens s'étoient^ révoltés ,
Se à peine fe perfuadoit-on qu'on y pût
faire quelques pas : mais du moment
qu'on y eft entré avec ,une ferme con-
fiance 3 les épines 5 fi j'ofe ufer de ces
figures , fe changent en rieurs , Se les
chemins les plus raboteux s'applanif-
fent. Ah ! Seigneur , s'écrioit un grand
Saint , vous rnave\ heureufement trompé.
En m'enrollant dans votre milice , je
m'attendois , félon les principes de vo-
tre Evangle^ à des affauts Se à une guer-
D U S A I U T. ^ $ 5
te , où je craignois que ma foiblefTe ne
fuccombât. Je me figurois une vie trif-
te , pénible 5 ennuyeufe , fans repos ,
fans goût j & jamais mon cœur ne fut
plus content, ni mon efprit plus calme ÔC
plus libre. Combien d'autres ont rendu
le même témoignage ? mais le mil eft
qu'on ne les en croit pas , qu'on ne veut
pas fe convaincre par une épreuve per-
fonnelle & par fon propre feiitiment-
Soin duSalut& V extrême négligence
avec laquelle on y travaille
dans le monde.
CHerchei premièrement le Royaume tut* c*
de & fa juftice. En ce peu de pa- «»3W
rôles , le Sauveur du monde nous don-
ne une jufte idée de la conduite que
nous devons tenir à l'égard du falut. Ce
falut , ce Royaume de Dieu , c'eft dans
l'éternité que nous le devons pofTéder >
c'eft à la mort que nous le devons trou-
ver } mais c'eft dans la vie que nous le
devons chercher. Si donc je ne le cher-
che pas dans la vie , je ne le trouverai
pas à la mort j Se fi j'ai le malheur den^
le pas trouver à la mort , je ne le trour
86 Soin
verai jamais , 3c dans l'éternité j'aurai
l'affreux défefpoir d'avoir pu le poffé-
der , & de ne le pouvoir plus.
C'eft , dis-je , dans la vie qu'il le faut
chercher y car l'unique voie pour y
arriver Se pour le trouver , ce font les
bonnes oeuvres , c'eft la fainteté. Or
ces bonnes œuvres , où les peut-on
pratiquer ? en cette vie 5 Se non en
l'autre. Cette fainteté , où la peut-on
acquérir ? dans le temps préfent , Se non
dans l'éternité ; fur la terre 5 Se non dans
le Ciel. En effet , il y a cette différence
à remarquer entre le Ciel Se la Terre :
la terre fait les Saints , mais elle ne fait
pas les bienheureux : Se au contraire le
Ciel fait les bienheureux , mais il ne
fait pas les Saints. Suppofez de tous les
Saints celui que Dieu aura élevé au plus
haut point de gloire dans le Ciel , tout
l'éclat de fa gloire n'ajoutera pas un
feul degré à. fa fainteté. Cet état de
gloire couronnera fa fainteté , confir-
mera fa fainteté , confommera fa fainte-
té j mais il ne l'augmentera pas. Il la
rendra plus durable , puifqu'il la rendra
éternelle } mais il ne la rendra ni plus
méritoire , ni plus parfaite.
C'eïl donc dès maintenant Se fans
différer 3 que nous devons donner nog
duSalvt. $7
{oins à chercher le Royaume de Dieu.
Mais encore comment le faut-il cher-
cher ? Premièrement : c'eft-à-dire que £«*« ei
nous devons faire du falut notre pre- 2* 3
iniere affaire , pourquoi ? parce que
c'eft notre plus grande affaire. Régie
divine , puifque c'eft le Fils même de
Dieu qui nous l'a tracée. Régie la plus
droite , la plus équitable , puifqu'elle
eft fondée mr la nature des chofes , Se
qu'il eft bien jufte que le principal
l'emporte fur l'acceffoire. Régie fixe de
inviolable , puifque c'eft une loi éma-
née d'en haut 3 êc un ordre que Dieu a
établi 8c qu'il ne changera jamais. Mais
nous toutefois 5 nous prétendons ren-
verfer cet ordre , nous entreprenons de
contredire cette loi , nous voulons
fubftituer à cette Régie une Régie toute
oppofée. Car Jefus - Chrift nous dit :
cherchez d'abord le Royaume de Dieu ,
8c pour ce qui eft du vêtement , de la
nourriture , des biens de la vie , n'en
foyez .point en peine. Vous pouvez
vous en repofer fur votre Père célefte ,
qui vous aime , 8c qui vous donnera toutes im,
ces chofes par fur croît. Mais nous au con-
traire nous difons : cherchons d'abord
les biens de la vie : 8c pour ce qui re-
garde les biens de l'Eternité , le Royau-
S8 S o i n
me de Dieu , le falut , ne foyons point ;
en peine , mais confions-nous en la mi-
féricorde du Seigneur : il eft bon , il ne
nous abandonnera pas.
Nous le difons , finon de bouche , du
moins en pratique , ôc c'eft ainfi que
raifonnerent les sConviés de l'Evangile.
Ils étoient invités à un grand repas : il
falloit pour y aftifter , certains habits
de cérémonie , ■ certains préparatifs ;
tue, c. mais eux , tout occupés de leurs affai-
■Ï4*I7» res temporelles , il crurent qu'ils y dé-
voient vaquer préférablement à l'invi-
tation qu'on leur avoit faite. Ils ne dou-
tèrent point qu'ils n'euifent fur cela
de bonnes raiforis pour s'excufer ; Se
pleins de confiance , l'un dit , je me
marie , & il faut que j'aille célébrer les
noces : l'autre dit 3 j'ai acheté une ter-
re , Se je ne puis me difpenfer de l'aller
voir j un autre dit , j'ai à faire l'efTai de
cinq paires de bœufs qu'on m'a vendus.
Tous conclurent enfin qu'ils avoient
des chofes plus preffées , que ce repas
dont il s'agiiïbit , ôc répondirent que ce
feroit pour une autre fois. Or qu eft-ce
que ce grand repas ? dans le langage de
l'Ecriture , c'eft le falut. Dieu nous y
appelle , & nous y appelle tous. Il ne fe
contente pas , pour nous y convier , de
nous
D U S A L U* T. $$
nous envoyer fes Miniftres & Tes S ervi-
teurs : mais il nous a même envoyé fon
Fils unique. On nous avertit que de la
part du Maître tout eft prêt , & qu'il ne
refte plus que de nous préparer nous-
mêmes , & de nous mettre en état d'ê-
tre reçus au Feftin. Mais que répon-
dons-nous ? J'ai d'autres affaires préfen-
tement , dit un mondain j &c quelles
font-elles ces autres affaires ? l'affaire de
mon établir! ement , ajoute-t-il , l'affai-
re de mon aggrandiffement , les affaires
de ma maifon j en un mot , tout ce qui
regarde ma fortune temporelle.
Pour ces affaires humaines que ne
fait-on pas , & cette fortune temporelle
à quel prix ne l'achete-t-on pas ? Eft-
il moyen qu'on n'imagine , & eft-il
moyen > quelque pénible & quelque
fatiguant qu'il foit , qu'on ne mette en
œuvre pour fe pouffer , pour s'avan-
cer , pour fe diftinguer , pour s'enri-
chir y pour fe maintenir , foit à la Cour
foit à la Ville ? Il femble que le monde
ait alors la vertu de faire des miracles ?
&c de rendre pofïible ce qui de foi-mê-
me paroîtroit avoir des difficultés in^
furmontables , de être au-deffus des for-
ces de l'homme. Il donne de la fanté
aux foibles y 8c leur fait foutenir des tra,-
Tome jL li
cjo S o r *r
vaux , des veilles , des contention^
d'efprit , capables de ruiner les tempé-
rament les plus robuftes. Il donne de
l'activité aux pareffeux 3 & leur infpire
un feu Se une vivacité qui les porte
par-tout , 8c que rien ne ralentit. Il don-
ne du courage aux lâches > 8c malgré les
horreurs naturelles de la mort, il les
expofe à tous les orages de la mer , 8c à
tous les périls de la guerre. Il donne de
rinduftrie aux iimples , 8c leur fuggére
les tours 5 les artifices , les intrigues 5
les mefures les plus efficaces pour par-
venir à leurs fins 8c pour rcuïïir dans
leurs entreprifes, Voilà comment ou
cherche les biens du monde , 8c com-
ment on croit les devoir chercher. De
forte que fi l'on vient à bout de fes def-
feins , quoiqu'il en ait coûté on s'efti-
me heureux , 8c l'on ne penfe point à
fe plaindre de tous les pas qu'il a fallu
faire : 8c que 11 les defTeins qu'on avoit
formés , échouent , ce n'eft point de
toutes les fatigues qu'on a effuyées 3
que l'on gémit , mais du mauvais fuccès
où elles fe font terminées. Tant on eft
perfuadé de cette fauffe 8c dangereufe
maxime , que pour les affaires du mon-
de on ne doit rien épargner , 8c qu'el-
les demandent toute notre application.
du Salut. 91
Cependant que fait-on pour le faiut -y
& quand il s'agit du Royaume de Dieu ,
a quoi fe tient-on obligé , quelle dili-
gence y apporte-t-on ? Les uns en laif-
fent tout-à-fait le foin j 8c tout le foin
que les autres en prennent , fe . réduit à
quelque extérieur de religion , prati-
qué fort à la hâte , 8c très-imparfaite-
ment. On ne s'en inquiète pas davan-
tage : comme fi cela fuffifoit , 8c que
Dieu dut fuppléer au refte. En vérité
efë-ce ainfi que le Sauveur des hommes
nous a avertis de chercher ce Royaume
fermé depuis tant de fiécles , 8c dont il
eft venu nous tracer le chemin 8c nous
ouvrir l'entrée ? Il veut que nous le Mat. as
cherchions comme un tréfor : or avec 13* ***
quelle ardeur agit un homme qui fe
propofe d'amaifer un tréfor ? On. eft at-
tentif à la moindre efpérance du gain ,
fenfible à la plus petite perte 5 prudent
pour difeerner tout ce qui peut nous
Servir , ou nous nuire : courageux pour
fupporter tout le travail qui fe préfente ;
tempérant pour s'interdire tout diver-
tiifement , toute dépenfe qui pourroic
arrêter nos projets , 8c diminuer nos
profits. Il veut que nous le cherchions
comme une perle précieufe 1 or cet
homme de l'Evangile qui a découvert
Hij-
9 2. Soin
une belle perle , ne perd point de rems Jj
court dans fa maifon , vend tout ce qu'il
a , fe défait de tout pour acheter cette
perle dont il connoît tout le prix , 8c
qu'il craint de manquer» Il veut que
nous le cherchions comme notre con-
quête : or à. quels frais , à quels hazards ,
à quels efforts n'engage pas la pourfuite
8c la conquête d'un Royaume l II veut
que nous, le cherchions comme notre
fin 8c notre dernière fin : or en toutes
chofes la fin., & fur-tout la fin dernière y
doit toujours être la première dans l'in-
tention • on ne doit vifer que là , n'afpi-
rer que là ,. n'agir que pour arriver là.
Et voilà pourquoi notre adorable
Maître ne nous a pas feulement dit t
Luc, c, cherche^ le Royaume de Dieu ; mais il
S2§ 31* ajoute, & farjuJUce., Qu'efl-ce que cette
Juftice ? finon ces œuvres chrétiennes £
cette fainteté de vie fans quoi l'on ne
peut prétendre au Royaume éterneL
Car je viens de le dire y 8c je ne puis
trop le répéter , ce Royaume n'eft que
pour les Saints. Il n'eft ni pour les
grands , ni pour les nobles , ni pour les
riches , ni pour les fçavans : difons
mieux , il eft , 8c pour les grands , 8ç
pour les nobles , 8c pour les riches , 8c
pour les fçavans 3 6c pour tous les au-
du Salut. 95
très 9 pourvu qu'à la grandeur , qu'à la
noblefïe , qu'à l'opulence , qu a la fcien-
ce , qu'à tous les avantages qu'ils polie-
dent , ils joignent la fainteté. Tous ces
avantages fans la fainteté feront réprou-
vés de Dieu j & la fainteté fans aucun
de ces avantages fera couronnée de
Dieu.
Mais cette Juftice , cette fainteté de
vie , ce mérite des œuvres , c'eft ce qui
ne nous accommode pas, Se ce que nous
mettons , dans le plan de notre condui-
te , au dernier rang. Du moment qu'on
veut nous en parler , une foule de pré-
textes fe préfente pour nous tenir lieu
d'exeufes ?. ou de prétendues excu-
ks : on eft trop occupé , on n'a pas le
tems , on a des engagemens. indifpenfa-
blés ôc à quoi l'on peut à peine fufrl-
re j on eft incommodé , on eft d'une
complexion délicate , on. eft dans le feu
de la jeunefTe , on eft dans le déclin de
l'âge , en un mot on a mille raifons y tou-
tes aulîi fpécieufes , mais en même tems
toutes aulli fauffes les unes que les. autres*
Ce qu'il y a de plus déplorable , c'eft
qu'on fe croit par-là bien juftifié devant
Dieu, lorfquon ne l'eft pas. Ces con-
viés qui s'exeuferent , ne doutèrent point
que le Maître qui les avoir invités , ne
^4 Soin du Salut,
fut très-content d'eux, &/de ce qu'ils
lui alléguoient pour ne pas fe trouver:
à fon repas. Mais il en jugea tout autre-*
ment , il en fut indigné , 8c déclara fur
l'heure, que jamais aucun de ces gens-là ne
I«f. eparoîtroit à fa table. Tel eft- de la part de I
^4.24, Y)içu le jugement qui nous attend»,
Dès que nous refufons de travailler à
notre falut , 8c d'y travailler folidement ,
il nous rejette par une réprobation an-
ticipée, 8c nous exclut de fon Royaume.
Quel arrêt ' quelle condamnation ! mal-
heur à l'homme qui s'y expofe. Ah i
nous avons des affaires : mais du moins,
pour ne rien dire de plus , comptons le
falut au nombre de ces affaires , 8c re-
gardonsrle comme une occupation di-
gne de nous.
Non-feulement elle en eft digne, mais
par comparaifon avec celle-là nulle ne.
mérite nos foins , 8c tout ce que nous
donnons de tems à toute autre affaire T
au préjudice de celle-là, ou indépen-
damment de celle-là , ne peut être
qu'un temps perdu. Je ne dis pas que
c'eft toujours un tems perdu pour le mon-
de , mais pour le falut : or étant perdu
pour le falut , tout autre emploi que
nous en faifons , n'eft plus qu'un amufe-
ment frivole , 8c tout autre fruit que nous
en retirons n'eft que vanité 8c illufion.
Substitution des Grâces y8cc. 95
Subftitution des grâces du Salut; les
vues que Dieu s'y propofe _, 6*
comment il y exerce fajuftice &
fa miféricorde.
P\ Ans l'ordre du Salut il y a de la
JL/part de Dieu des fubftitutions ter-
ribles : c'eft-à-dire que Dieu abandonne
[ les uns , & qu'il appelle les autres ; que
Dieu dépouille les uns , &: qu'il enri-
chit les autres ; que Dieu ôte aux uns
les grâces du falut , 8c qu'il les tranfpor-
te aux autres. Myftère de prédeftina-
tion certain & inconteftable, Myftère
qui , tout rigoureux qu'il paroît & qu'il
eft en effet , ne s'accomplit néanmoins
que félon les loix de la plus droite Juf~
tice 3 3c que par le Jugement de Dieu le
plus équitable. Enfin Myftère où Dieu
fait tellement éclater la fevérité de fa
juftice , qu'il nous découvre en même
tems , tous les tréfors de fa miféricorde ,
ôc les reiTources inépuifables de fa provi-
dence : de forte qu'à la vue de ce grand
Myftère , je puis bien dire comme le
Prophète : Le Seigneur a parlé j & voici pfai.
' 16. I£f
*9<£ Substitution des Grâces
deux chofes que j'ai entendues tout à la
fois :fcavoirj que le Dieu que j'adore eft
également redoutable par fon infinie
puifTance , 8c aimable par fa fouveraine
bonté.
I. Myftère certain & inconteftabk ;
myftère de Foi. Toute l'Ecriture , fur-
tout l'Evangile , les Epîtres des Apô-
tres nous annoncent cette vérité , 8c
les exemples les plus mémorables l'ont
confirmée jufques dans ces derniers
'Matt. c, fiécles. Le Royaume de Dieu vous fera en-
ai* 43* levé j difoit le Sauveur du monde aux
Juifs , & il fera donné à un peuple qui en
produira les fruits. Le même Sauveur 8c
au même endroit , en propofant la pa~
fbih rabole de la vigne , ajoutoit : Que fera
^0# le Maure à ces vignerons qui fe font révol-
tés contre lui? Il fera périr miférablement
ces mif érables s & il louera fa vigne à d'au-
tres â qui la cultiveront & prendront foin de
la faire valoir. N'eft-ce pas aufïi félon cette
conduite de Dieu , que Saint Paul 8c
Saint Barnabe eurent ordre d'aller prê-
cher l'Evangile aux Gentils, 8c qu'ils fe
retirèrent de la Judée en prononçant
rAû, c. cette efpece de malédiction; Puifque vous
{* 3 • 46» rejette^ laparole du Salut ^ que vous vous
juge^ indignes de la vie éternelle j voilà que
nous
D U S A L T7 T. 97
nous nous tournons vers les Nations ; car
le Seigneur nous l'a ainfi ordonné.
Il y auroit cent autres témoignages à
produire , les plus évidens , 8c qui nous
marquent deux fortes de fubftitutions ;
fubftitutions générales , 8c fubftitutions :
particulières. Subftitutions générales
d'une nation à une autre nation. Les
Gentils ont pris la place des Juifs : Ceux jfdt Ci
quïétoient enveloppés des plus épaljfesté- ?• 2»
nebres & ajjls à l'ombre de la mort _, ont vu
s' élever fur eux le plus grand jour \> & ont été
éclairés de la plus brillante lumière ? tandis
que le peuple choiii de Dieu , que les
enfans de la promefle font tombés dans
Paveuglement le plus profond , 8c dans
un abandonnement qui s'eft perpétué
de génération en génération , 3c d'où
ils ne font jamais revenus : Vengeance
divine , dont nous n'avons pas feule-
ment la preuve dans cette nation ré-
prouvée , mais ailleurs. On a va des
Provinces , des Royaumes , des Empi-
res , où la vraie Eglife de Jefus-Chxift
dominoit , 3c où la plus pure 8c la plus
fervente Catholicité formoit des mil-
liers de Saints , perdre tout-à-coup la foi
de leurs pères , 8c fe précipiter dans
tous les abîmes où l'efpdt de menfonge
les a conduits , pendant que cette mê-
Tome I. I
cj% Substitution des Grâces
me foi j profcrite & bannie , palïbit au-
delà des mers 3 ■& portoit le falut à des
fauvages & à des infidèles. Voilà , dis-
je 5 ce que l'on a vu , &c de quoi nous
-avons encore devant les yeux les trilles
monumens. Plaife au Ciel de ne nous
pas enlever un fi riche talent , & que
nous ne fervions pas d'exemple à ceux
qui viendront après nous , comme nous
en fervent ceux qui nous ont précédés.
Le danger eft plus à craindre & plus
prefîant que nous ne le croyons : puif-
lions-nous y prendre garde. Subftitu-
tions particulières , d'un homme à un
autre homme. Dans l'ancienne Loi ,
Jacob eut la bénédiction , qui , par le
droit d'aineffe , appartenoit à fon frère
Efaii : figure fi familière à l'Apôtre Saint
Paul , & qu'il met iî fouvent en œuvre.
Dans la Loi nouvelle., Saint Matthias
fuccéda à Judas déchu de l'Aportolat.
Entre quarante Martyrs fur le point de
çonfommer leur facririce , un fut vaincu
&: manqua de confiance j mais dans le
moment même un autre fit le quaran-
tième , 3c emporta la couronne. Ce
n^fl pas pour une fois que des Solitai-
res , que des Pénitens , que des Juftes
fe font pervertis , & qu'en même tems
4es mondains ? des pécheurs feanda-
D U S A L U T. 9£
leux , des impies ont été touchés , ont
ouvert les yeux ; non-feulement font
revenus à Dieu , mais Te font élevés à
la plus haute fainteté. On eft encore
quelquefois témoins de certaines chûtes
qui étonnent , & d'autre part on entend
aulîi parler de certaines converfions qui
ne paroiffent pas moins furprenantes.
Chacun en juge félon fa penfée , 8c
chacun prétend en connoître les vérita-
bles caufes j mais fi nous pouvions ap-
profondir les fecrets de Dieu , nous
trouverions fouvent que cela s'eft fait
par un tranfport de grâces que celui-là
a rejettées , 8c dont celui-ci a profité.
Quoi qu'il en foit , n'oublions jamais
l'avis que donnoit Saint Paul aux Ro-
mains , de ne fe laifiTei point enfler des
dons qu'ils avoient reçus , mais de fe
tenir toujours dans une crainte humble
8c falutaire. Si nous pouvons croire avec
quelque confiance que nous marchons
dans le chemin du falut & de la perfec-
tion chrétienne , humilions-nous à la
vue de tant d'autres , qui après y avoir
paffi de longues années , 8c y avoir
fait incomparablement plus de progrés
que nous , ont eu le malheur d'en for-
tir , & de s'en^aeer dans la voie de
perdition 3 où ils ont péri. Et fi nous
iôo Substitution des Grâces
voyons un pécheur plongé dans toutes
les abominations du vice & du liberti-
nage , ne penfons point avoir droit de
le méprifer j mais humilions-nous en-
core à la vue de tant d'autres auiîi cor-
rompus , & , pour ainlî dire , auiîi per-
dus que lui , qui ont eu le bonheur de
fe reconnoître , de fe relever , d'acqué-
rir par la ferveur de leur pénitence un
fond de mérites que nous n'avons pas ,
Ôc de parvenir dans le Ciel à un point
de gloire , où nous ne pouvons guéres
efpérer d'atteindre. Voilà le grand fen-
timent que nous avons à prendre , &
dont nous ne devons point nous dépar-
tir. Mais avançons.
II. Myftère , qui , tout rigoureux qu'il
paroît de qu'il eft en effet 3 ne s'accomplit
néanmoins que félon les loix de la plus
droite Juftice , & que par le Jugement
de Dieu le plus équitable. Quand dans
une Cour on voit la décadence d'un
Grand que le Prince éloigne de fa
perfonne , qu'il bannit de fa préfence,
qu'il dégrade de tous les titres d'hon-
neur qui l'illuftroient & le diftinguoient ,
ce renverfement de fortune , cette dif-
grace répand dans les cœurs une ter-
reur fecrette : on fe regarde l'un l'au^
du Salut. ioi
tre ; dans la fuprife où Ton fe trouve ,
on mefure toutes fes paroles , & l'on
n'ofe d'abord s'expliquer. Mais fi l'on
apprend enfuite les juftes fujets qu'a eu
le Maître de frapper de fon indignation
ce favori , ce courtifan , & de retirer
de lui fes dons , on revient alors de 1 e-
tonnement où l'on étoit , on impute à
la perfonne fon propre malheur , Se
l'on traite la conduite du Prince , non
point de févérité , mais de punition lé-
gitime ôc raifonnable.
Image parfaite de ce qui fe paffe en-
tre Dieu & l'homme. Quand on nous
dit que Dieu délaifTe une ame , qu'il ne
lui donne plus , comme autrefois 3 fes
foins paternels , qu'il ne fait plus def-
cendre fur cette terre ilérile & déferte ,
ni la rofée du Ciel pour l'amollir , ni les
rayons du foleil pour l'éclairer ; qu'il n'y
croît plus que des ronces &: des épines :
quand nous entendons cette affreufe
malédiction que Dieu lance contre fon
peuple', Vous nefere^plus mon peuple _, & Cf?e. ci
je ne ferai plus votre Dieu .-quand nous li- J'7*
£ons au Livre des Rois cette trifte paro-
le de Samuel à Saùl 5 le Seigneur vous a i- Reg*
rejette ; & que là même nous voyons jô*5*
comment Pefprit de Dieu fort de ce
Prince malheureux , 8c va fufeiter Da-
lui
io2 Substitution ©es Grâces
vid pour occuper le Trône d'Ifraeî ;
quand nous penfons à cette menacé
'■M&t.c, prononcée par le Fils de Dieu , Plujîeurs
t. ii» viendront de l'Orient & de l'Occident j Se
tout étrangers qu'ils font , ils auront place,
au Fejlin avec Abraham j Ifaac3 & Jacob
dans le Royaume des deux ; mais les En-
fans du Royaume feront jettes dehors
dans les ténèbres : Et quand enfin tout cela
fe vérifie à nos yeux , c'eft-à-dire y quand
nous fommes témoins de la corruption
Se du débordement des mœurs où fe
font précipités des gens , dont la vie >
il y a quelques années , étoit très-régu-
liere , très-chrétienne , très-édifiante ; Se
que nous faifons cette réflexion, qu'il a
fallu pour en venir à de telles extrémités,
qu'ils aient été étrangement abandon-
nés de Dieu ; ces idées nous effrayent,
bous nous figurons Dieu , comme un
Juge formidable ? nous tremblons fous
fa main toute-puiflante , nous adorons
fes Jugemens j mais autant que nous
les révérons , autant nous les redoutons.
On ne peut difeon venir qu'ils ne foient
à craindre , Se il eft bon même que nous
foyons touchés de cette crainte falutai-
re dont le Prophète Royal fouhaitoit
d'être pénétré jufques dans la moelle
de fes os. Mais après tout 3 nous avons
du Salut. 103
d'ailleurs de quoi nous raffiner • &:
voici comment. Suivant les principes
de la Religion , cette fouftraction de
grâces ne vient pas de Dieu primitive-
ment , pour m'exprimer de la forte y
mais de nous-mêmes. Que veut dire
cela ? C'eft que Dieu ne fondrait à
l'homme la grâce 3 qu'après que l'hom-
me par fa réfiftance s'en eft rendu for-
mellement indigne ; c'eft que Dieu ne
ceffe de communiquer à l'homme fou
Efprit , qu'après que l'homme 5 par une
obftination volontaire & libre , lui a
fermé l'entrée de fon cœur • c'eft que
Dieu n'abandonne l'homme 3c ne le
retranche du nombre des Juftes , qu'a-
près que l'homme lui-même a aban^
donné Dieu , & qu'il s'eft livré à fon
fens réprouvé & aux ennemis de fon
falut.
Il ne tenoit qu'à cet homme d'écou-
ter la voix de Dieu , de fuivre la grâce
de Dieu 5 d'être fidèle aux infpirations
de PEfprit de Dieu, de demeurer , avec
l'aftiftance d'enhaut , inviolablement at-
taché à Dieu j & Dieu alors l'eût tou-
jours foutenu , lui eût toujours été
préfent par une protection confiante ,
lui eût toujours fourni de nouveaux fe-
cours : car ne plaife au Ciel que jamais
I iiij
ïo4 Substitution des Grâces
nous donnions dans cette erreur fi hau-
tement condamnée par l'Eglife , fça-
voir qu'il y ait des Juftes que Dieu
îaiffe manquer des grâces néceffaires y
lors même qu'ils veulent agir , & qu'ils
s'efforcent d'obéir à fes divines volon-
tés félon l'état & le pouvoir actuel où
ils fe trouvent ! Si donc Dieu inter-
rompt à notre égard le cours de fa pro-
vidence fpirituelle , ôc Iaiffe tarir pour
nous les fources du falut , nous n'en
pouvons accufer que nous-mêmes. Il a
abandonné les Juifs ; mais n'avoit-il pas
auparavant recherché mille fois cette
ingrate nation , & n'avoit-il pas em-
ployé mille moyens pour vaincre leur
opiniâtreté , Se pour amollir la dureté
Zvc. c de leur cœur ? Jérufalem j Jérufalem j toi
:*$ ' 34» qui verfes lefang des Prophètes _> & qui lapi-
des ceux qui te font envoyés^ combien de
fois ai- je voulu raffembler tes enfans com-
me fous mes ailes j& tu ne F as pas voulu?
Voilà que votre maifon va être déferte.
Sans infifter fur bien d'autres exemples
affez connus, quoiqu'éloignés de nous, il
abandonne tous les jours une infinité
de pécheurs y mais fi nous pouvions
pénétrer dans le fecret de leurs âmes ,
nous verrions combien de fois , avant que
d'en venir là , il a voulu les attire*
du Salut. i o 5
à lui Se les gagner : Je vous ai appelles > Prou, a
& vous vous êtes rendus fourds à ma pa- '• I4*
rôle :je vous ai tendu les bras j & vous ave%
négligé de vous rendre à mes invitations >
vous ave\ méprifé mes confeils _, vous na-
ve% tenu nul compte de mes avertijfemens _,
ni de mes menaces. C'ejl pourquoi je vous
méprife moi-même. Or qu'y a-t-il en cela
de la part de Dieu que de raifonnable ?
La conféquence que nous en devons tirer,
c'eft de prendre bien garde à nous , de
redoubler chaque jour notre attention y
de conferver chèrement le don de Dieu
iî nous l'avons } de ne nous mettre ja-
mais au hazard de perdre un talent fi
précieux : de nous ïouvenir que nous
le portons dans des vafes très-fragiles ,
& que c'eft néanmoins toute notre ri-
chefle & tout notre falut. Allons encore
plus loin , & achevons.
III. Myftère 011 Dieu fait tellement
éclater la févérité de fa Juftice _> qu'il
nous découvre en même tems tous les
tréfors de fa miféricorde , & les ref four-
ces inépuifables de fa providence. Car
je l'ai déjà dit > & c'eft à quoi nous de-
vons faire préfentement une réflexion
toute nouvelle : il n'en eft pas de notre
Dieu 3 comme de ces maîtres intéreffés ,
lôo Substitution des Ghàcës
qui reprennent ieurs dons pour les a voit -
8c pour les garder. Ce qu'il enlevé d'une '
part , il le rend de l'autre j mais à qui
Je rend-il ? à ceux que fa miféricorde i
choira pour faire valoir ce que d'autres ;
poilédoient inutilement 8c ce qu'ils dif-
îipoient. De forte que les dons de Dieu,
fi je l'ofe dire ainii , ne font que chan-
ger de mains. Subftitutions où noiTs ne
pouvons anez admirer 3 ni les adorables
confeils de fa fageife , ni les foins pa-
ternels de fon amour. Et d'abord , c'eft
par de telles fubftkutions qu'il remplit
le nombre de fes Elus. Car il veut que
Rom, c. ce nombre foit complet \ & faudra-t-it
donc, difoit l' Apôtre ^ parce que quelques-
uns ont été incrédules , que par leur objli-
nation la promejfe de Dieu demeure fans
effet ? Faudra-t-il que les favorables def»
feins qu'il a plu à fon infinie bonté de
former fur le falut des hommes , foient
arrêtés 8c renverfés ? Non ? fans doute ;
mais au défaut de l'un il appellera l'au-
tre ) l'étranger deviendra l'héritier , 8c
l'efclave fuccédera au fils lequel étoit
né libre. Quand le Père de famille ap-
prend que ceux qu'il avoit invités à fon
ferlin , ont refnfé d'y venir , il ne veut
pas pour cela que tous les apprêts qu'il
a faits 3 foient perdus ; mais il ordonné
3. 3
d u Salut. 107
fur l'heure à fon ferviteur , d'aller dans
toutes les- rues de la Ville , 8c de lui
amener les pauvres , les paralytiques ,
les aveugles , les boiteux y 8c quand
I malgré tout ce qu'on a pu ramafler de
monde , on liû rapporte encore qu'il y
a des places qui relient , il donne un
nouvel ordre , qu'on cherche hors la
Ville 3 dans les chemins 8c le long des
haies , 8c qu'on prefle les gens d'en-
trer : pourquoi ? Afin , dit-il , que ma Luc* g,
maifonfe remplïjfe. C'eit ainfi que les *' I4é
Anges rebelles ayant laifïe par leur chu-
te comme un grand vuide dans le Ciel ,
Dieu leur a fubftitué les hommes j ne
voulant pas que la damnation de ces
Efprits réprouvés interrompît le cours
de fes largefTes , ni qu'elle mît des bor-
nes à fa miféricorde. Or ce qui eft vrai
des Anges à l'égard des hommes , i'eft
pareillement d'un homme à l'égard d'un
autre homme.
-JDe plus : c'eit par ces mêmes îubfti-
mtions que Dieu tourne le mal en bien 5
8c que le péché fert ail falut des pé-
cheurs 8c à leur fanctification. Ce pé-
cheur abufoit de telle grâce , 8c Dieu
l'a tranfportée à cet autre , auiîi pé-
cheur , peut-être même plus pécheur
que lui j mais qui , dans l'heureux mo-
'ïo8 Substitution des Grâces
ment où la grâce vient tout de nouveau
le folliciter , cède enfin à l'attrait & le
fuit , fe reconnoît 5 fe convertit , com-
ble de confolation toutes les perfonnes
qui s'intéreffent à fon faîut. Cet olivier
fauvage 3 enté fur l'olivier franc dont
les branches ont été rompues , produit
des fruits au centuple , ôc d'excellens
fruits. Ce pénitent efface tout le paiTé
par la ferveur de fa pénitence , il s'a-
vance , il fe perfectionne , il devient un
Saint : voilà l'œuvre du Seigneur , voi-
là le miracle de fa droite , voilà ce qui
répand l'édification fur la terre , & la
joie dans toute la Cour célefte. Ajou-
tez que fouvent dans ces fubftitutions
la perte d'un petit nombre de pécheurs
eft plus que fuffifamment , & même
plus qu'abondamment compenfée par
le grand nombre des autres que Dieu
prend delà occafion de fauver. Qu'é-
toit-ce que le peuple Juif en compa-
raifon de toutes les nations du monde ?
Or parce que cette petite contrée n'a
pas reçu la Loi évangélique , à quelles
nations & en quels lieux les Apôtres ne
l'ont-ils pas prêchée? Ils fe font difper-
£és dans le monde entier j ils y ont fait
retentir le nom de Jefus-Chrift j ils y
ont procuré le falut d'une multitude in-
du Salut. 109
nombrable d'Elus. Maifon d'Ifraël ,
ouvre les yeux , 8c vois en quelle folitu-
de tu es reftée ; il n'y a plus pour toi ,
ni temple , ni autel , ni Prophètes j mais
du levant au couchant , du midi au
feptentrion, que de Prédicateurs ont
été envoyés , que de Miniftres ont été
confacrés , que d'Autel ont été érigés ,
que de Temples ont été confiants en
l'honneur du Dieu immortel !- Quelle
moifïbn ! quelle récolte , que tant d'a-
mes qui l'ont connu , qui l'ont glorifié ,
qui fe font dévouées à lui & à fon Fils
unique , leur Meilie Ôc leur Sauveur!
Tant il eft vrai , & tant le Prophète a
eu fujet de dire , que les miféricordes du
Seigneur font au-deffus de f es jugements.
Mais ce n'eft pas encore tout ; & il
me femble que dans les fubftitutions
dont je parle , & dont je tâche , autant
qu'il m'eft permis , de développer le
profond Myftére , je découvre quel-
ques traits de la miféricorde divine , à
l'égard même du pécheur que Dieu pri-
ve de certaines grâces pour les répandre
ailleurs. Car ces grâces , par l'abus que
ce pécheur en faifoit , ne ferviroient
qu'à le rendre plus criminel ôc plus re-
devable à la Juftice de Dieu : fi bien
cjue dans un fens > il vaut mieux pour
îio Substitution des Grâces
lui de ne les point avoir , que de les
tourner à fa ruine & à fa condamnation.
Donnons à Dieu la gloire qui lui eu:
due j reconnoiflons en toutes chofes la
droiture & la fainteté de (es voies. Si
dans la vue des déréglemens de notre
vie, nous craignons qu'il ne nous ait
abandonnés , ne nous abandonnons
point nous-mèrnes , c'eft-à-dire , ne
nous perfuadons point qu'il n'y ait plus
de retour à efpérer , ni de Dieu à nous ,
ni de nous à Dieu. Tant que nous vi-
vons en ce monde , il y a toujours un
fonds de grâces dont nous pouvons
ufer. Avec ce fonds de grâces , tout
petit qu'il eft , nous pouvons gémir ,
prier , reclamer la bonté divine ; 6c
pourquoi le Seigneur ne nous écoute-
roit-il pas ? Heureux le fidèle qui met 1
toute fon étude & toute fon applica-
tion à fe pourvoir pour le falut : qui ne
peut fouffrir fur cela le moindre déchet ;
qui bien loin de fe lailîer ravir ce qu'il
pofTede , le fait croître chaque jour,
6c ajoute mérites fur mérites. 11 doit
fouhaiter le falut de tous les hommes ,
il le doit demander à Dieu , 6c c'efi:
ce que la charité nous infpire j mais
avant le falut des autres , il doit deman-
der le lien 8c le fouhaiter par préférence j
du Salut. iii
car en matière de falut 5 voila le pre-
mier objet de notre éharité.
Ah ! quel fera le mortel dépit , quelle
fera la confternation de tant de réprou-
vés au Jugement de Dieu , quand il
leur montrera les places qu'il leur defti-
noit 5 & dont ils feront éternellement
exclus! Quand, dis-je , un Eccléfiafti-
que verra en fa place un Laïque ; quand
i un Religieux verra en fa place un hom-
me du £écle j quand un Chrétien verra
en fa place un infidèle. Nous fommes
fi jaloux de garder chacun nos droits
& nos rangs dans le monde } foyons-le
mille fois plus encore de les pouvoir
garder un jour dans le Ciel.
ni Petit nombre
■8©0©©© © © © ®©@©@@
Petit nombre des Elus ; de quelle
manière il faut F entendre y & le
fruit quon peut retirer de cette
vérité.
i
L eft confiant que le nombre des
Elus fera le plus petit , Se qu'il y au-
ra incomparablement plus de réprou-
vés. Or c'eft une queftion que font les
Prédicateurs, fçavoir s'il eft à propos
d'expliquer aux peuples cette vérité , Ôc
de la traiter dans la Chaire , parce
qu'elle eft capable de troubler les âmes ,
Ôc de les jetter dans le découragement.
J'aimerois autant qu'on me demandât
s'il eft bon d'expliquer aux peuples l'E-
vangile , & de le prêcher dans la Chai-
re. Hé ! qu'y a-t-il en effet de plus mar-
qué dans l'Evangile , que ce petit nom-
bre des Elus ? Qu'y-a-t-il que le Sau-
veur du monde dans fes divines inftruc-
tions nous ait déclaré plus authentique-
ment 3 nous ait répété plus fouvent ,
nous ait fait plus formellement & plus
'Mat. c. clairement entendre ? Beaucoup font ap-
pelles j mais peu font élus: c'eft ainfl qu'il
conclut
20. 16
des Elus. î i $
tonclut quelques-unes de fes paraboles.
Le chpmin qui mené à la perdition 3 eji Mm. c,
large &fpacieux _, dit-il ailleurs} legrand?'1!-1**
nombre va là. Mais que la voie qui conduit
I à la vieejl étroite ! il y en a peu qui y mar~
] chent. Faites effort pour y entrer. Eft-il rien
de plus précis que ces paroles ? Voilà ce
que le Fils de Dieu enfeignoit publique-
' ment ; voilà ce qu'il inculquoit à fes
i Difciples , ce qu'il repréfentoit fous
: différentes ligures qu'il leroit trop long
de rapporter. Sommes-nous mieux inf-
j truits que lui de ce qu'il convient ou ne
; convient pas d'annoncer aux fidèles?
! Prêchons l'Evangile , 3c prêchons-le
fans en rien retrancher 5 ni en rien
adoucir • prêchons-le dans toute fon
étendue , dans toute fa pureté , dans
toute fa févérité _> dans toute fa force.
Malheur à quiconque s'en fcandaîifera 5
il portera lui-même , 3c luifeul, la peine
de fon fcandale.
On dit : ce petit nombre d'Elus ,
cette vérité fait trembler. Mais auiîî
l'Apôtre veut-il que nous opérions no-
tre faiut avec crainte 3c avec tremble--
ment. On dit : c'eft Une matière qui
trouble les confciences. Mais aulîi eft-
il bon de les troubler quelquefois , & il
vaut mieux les réveiller en les troublant,
Tome L K
1*4 .Petit nombre
que de les laiffer s!endormir dans un tem-
pos oifif & trompeur. Enfin , dit-on ,
l'idée d'un fi petit nombre d'Elus dé-
courage 8c défefpere. Oui , cette idée
peut décourager 8c peut même défefpé-
rer , quand elle eft mal conçue , quand
elle eft mal propofée 3 quand elle eft
portée trop loin 3 8c fur-tout quand elle
eft établie fur de faux principes 3c fur
des opinions erronées. Mais qu'on la
conçoive félon la vérité de la chofe y
qu'on la propofe telle qu'elle eft dans
fon fonds , 8c non point telle que nous
l'imaginons } qu'on la renferme en de
juftes bornes , hors defquelles un zèle
outré 8c une févérité mal réglée peu-
vent la porter • qu'on Fétablifie fur de
bons principes , fur des maximes conf-
iantes , fur des vérités connues dans le
Chriftianifme : bien loin alors qu'elle
jette dans le découragement , rien n'eft
plus capable de nous émouvoir > de
nous exciter , d'allumer toute notre ar-
deur , 8c de nous engager a faire les der-
niers efforts pour afîurer notre falut , 8c
pour avoir place parmi la troupe bien-
heureufe des prédeftinés. Il s'agit donc
présentement de voir comment ce fuj et
doit être touché .5 quels écueils il y faut
éviter > 8c félon qgels principes il y faut
des Elus. i i £
raifonner , afin de le rendre utile 8c pro-
fitable.
Je l'avoue d'abord , & je m'en fuis
affez expliqué ailleurs , il y a certaines
méthodes , fuivant lefquelles on ne peut
prêcher le petit nombre des Elus ? fans
ruiner l'efpérance chrétienne , 8c fans
mettre fes Auditeurs au défefpoir. Par
exemple , prêcher qu'il y aura peu d'Elus,
patee que Dieu ne veut pas le falut de
tous les hommes , parce que Jefus-
Chrift Fils de Dieu n'a pas répandu
fon fang ni offert fa mort pour le fa-
lut de tous les hommes , parce qu'il ne
! donne pas fa grâce ni ne fournit pas les
moyens de falut à tous les hommes ,
parce qu'il réferve à quelques-uns ùs
bénédictions , qu'il épanche fur eux
avec profuflon toutes fes richeifes 8c
toutes fes miféricordes , tandis qu'il
lairTe tomber fur les autres toute la ma-
lédiction attachée à ce péché d'origine
qu'ils ont apporté en naiffant : je le
fçais , encore une fois , 8c j'en con-
viens , débiter dans la Chaire de
pareilles propolirions , 8c s'appuyer fur
de femblables preuves , pour conclure
précifément de-là , que très-peu entre-
ront dans l'héritage célefte , 8c parvien-
dront à la vie éternelle 3 c'eft fcandali-
Ki]
ï 1 6 Petit nombre
fer" un Auditoire , & ralientir tonte»
fa ferveur en tenverfant toutes fes pré-
tentions au Royaume de Dieu. Chacun
dira ce que les Apôtres dirent au Sau-
Mat. ç. veiu* du monde. : Si cela ejl de la forte J
tl$* zî' qui ejl- ce qui -pourra être fauve ? Mais
quel £eroit le Prédicateur allez peu inf-
trait , pour ignorer que comme notre
Ofée c. falut vient de Dieu , notre perte ne vient
que de nous-mêmes ; de qu'ainfi c'eft dans
l'homme , & non pas en Dieu , qu'il faut ,
toujours en chercher la caufe.
Afin donc de prendre le point jufte
où l'on doit s'en tenir,, fi j'entreprenois
de faire un difeours fur le petit nombre
des Elus y voici , ce me femble , quel
en devroit être le fonds. Je poferois
avant toutes chofes. les principes fui-
vans,
i . Que nous avons tous droit d'efpé-
rer que nous ferons du nombre des
Elus : droit fondé fur la bonté &c fur la
miféricorde de Dieu qui. nous aime
tous comme fon ouvrage , & dont la
providence prend foin de tous les Etres
que fa puiflance a créés : droit fondé fui
les promeuves de Dieu qui nous regar-
dent tous, fur-tout comme chrétiens:
car c'eft à nous aiiiH-bien qu'aux fidèles
de Corinthe , que Saint Paul difok
D E S E L U S, 117
Ayant donc _, mes très-chers Frères j de
telles promeffes de la part du Seigneur j
purifions-nous de toute fouillure 3 & ache-
vons de nous fanclifier dans la crainte de
Dieu : droit fondé fur les mérites infinis
de J. C. auxquels nous participons tous ,
ôc en vertu defquels nous pouvons ôc nous
devons tous le reconnoître comme notre
Sauveur : croit fondé fur la grâce de no-
tre adoption^ puifque nous tous qui avons
été baptifés en Jefus-Chrift ,. nous avons
acquis un pouvoir fpecial de devenir en-
fans de Dieu, Or tous les enfans ont droit
à l'héritage du père , ôc par conféquent
en qualité d' enfans de Dieu nous avons
tous droit à l'héritage de Dieu.
2. Que non-feulement nous fommes
tous en droit , mais dans une obliga-
tion indifpenfable , d'efpérer que nous
ferons du nombre des Elus. Comment
cela ? C'eft que Dieu nous commande à
tous d'efpérer en lui , de même qu'il
nous commande a tous de croire en lui
ôc de l'aimer. L'efpérance en Dieu eft
donc pour nous cîune obligation auiîi
étroite , que la Foi Ôc que l'Amour de
Dieu. Or être obligé d'efpérer en Dieu,
c'eft être obligé d'efpérer le Royaume
de Dieu , la pofTeffion éternelle de Dieu,
la gloire ôc le bonheur des Elus de
ïiB Petit nombre
Dieu : de forte qu'il ne nous eft jamais
permis , tant que nous vivons fur la ter-
re 3 de nous entretenir volontairement
dans la penfée Se la créance formelle ,
que nous ferons du nombre des réprou-
vés' : pourquoi ? parce que dès-lors nous
ne pourrions plus pratiquer la vertu
d'efpérance , ni en accomplir le com-
mandement.
3 . Qu'il n'y a point même de pécheur
qui ne doive conferver cette efpérance >
qui ne commette un nouveau péché
quand il vient à" perdre cette efpérance y
qui ne fe rende coupable du péché le
plus énorme , ou plutôt qui ne mette
le comble à tous fes péchés , quand il
renonce tout-a-fait à cette efpérance,
de qu'il l'abandonne. Car comme je l'ai
déjà fait remarquer , on peut être ac-
tuellement pécheur &c être un jour au
nombre des Elus : témoin Saint Pierre ,.
témoin Saint Paul , témoin Magdelaine.
Ce n'eft pas , à Dieu ne plaife y en de-
meurant toujours pécheur , mais en fe
convertiiTant. Or il n'y a point de pé-
cheur, dont Dieu ne veuille la conver-
Ezech. (ion : Ce nefl point la mort des pécheurs
j'j^' que je' demande ; mais je veux quilsfe
convertirent & qu'ils vivent. Ce ne font
que les pécheurs que Jefus-Chrifl eft venu
desElus. 119
thercher & racheter: Lorfque nous étions Rom.c*
encore pécheurs _, & ennemis de Dieu j 5*
nous avons été réconciliés par f on Fils. Il
' n'y a point de pécheur qui ne doive ré-
parer fes péchés par une vie pénitente :
Si vous ne faites pénitence _, vous périr 'qr Luc»
tous. Donc tout cela étant efïentielle- 1i*U
ment lié avec l'efpérance en Dieu , il
n'y" a point de pécheur qui ne la doive
toujours garder dans fon cœur quelque
•pécheur qu'il foit du refte , de en quelque
abîme qu'il fe trouve plongé.
Ces principes fuppofés comme autant
de maximes incontestables , j'examine-
rois enfuit e , non point s'il y aura peu
d'Elus , puifque Jefus-Chrift nous l'a
liîi-même marqué exprefïement dans
fon Evangile : mais pourquoi il y en
aura peu ; & il ne me feroit pas difficile
d'en. donner la raifon, fçavoir , qu'il y
en a peu Se fort peu qui marchent dans
la voie du falut y &c qui veuillent y
marcher. Je ne dis pas qu'il y en a peu
qui puiflent y marcher : car une au-
tre vérité fondamentale que j 'établi-
rois , c'eft que nous le pouvons tous
avec la grâce divine , qui ne nous eft
point pour cela refufée j que tous , dis-
je , nous pouvons , chacun dans notre
état , accomplir ce qui nous eft preferk
no Petit nombre
de la parc de Dieu pour mériter la cou-
ronne , 8c pour affurer notre falut. Sur
quoi je reprendrois 8c je conclurois 3
que fi le nombre des Elus fera petit ,
même dans le Chrirtianifuie 3 c'eft par
la faute 8c la négligence du grand nom-
bre des chrétiens ; que c'eft par leur
conduite toute mondaine , toute payen-
ne , toute contraire à la Loi qu'ils ont
embraflfée , 8c à la Religion qu'ils pro-
feffent.
De-là prenant l'Evangile 8c entrant
dans le détail , je dirois : A qui eft-ce
* que le falut eft promis ? à ceux qui fe
Matu c. font violence : ï)epuïs le tems de Jean?*
l' ' Baptijle j uf qu'à préfent y le Royaume des
deux fe prend par force^ & ceux quuy
employent la force _, le ravijfent : A ceux
qui fe renoncent eux-mêmes , qui por-
tent leur croix, qui la portent chaque
jour , 8c qui confentent à la porter : Si {
Mat\ c. quelqu'un veut venir après moi , qu'il re~\
■xô. 24 nonce à foi-même _, qu'il prenne fa croix > \
qu'il la porte tousles jours , & qu'il me
Juive : A ceux qui obfervent les comman-
démens , fur-tout les deux commande-
mens les plus effentiels qui font l'amour
de Dieu 8c la charité du prochain : Tous
Lucc. aimere^ te Seigneur votre Dieu de tout
xo. 27» votrc cœurj & votre prochain comme vous*
même ;
des Elus, rir
prime ; faites cela , & vous vivre^ : A
Ceux qui travaillent pour Dieu , qui
agirent félon Dieu , qui pratiquent les
bonnes œuvres , 8c font en toutes chofes
la volonté de Dieu : Ceux qui me difent j Mattk*
Seigneur 3 Seigneur ^ n'entreront pas tous
dans le Royaume des deux : mais celui
C.7.2-!'
qui fera la volonté de mon Père célejl
celui-là entrera dans le Royaume des
deux : A ceux qui mortifient leurs pai-
fions , qui furmontent les tenta-
tions , qui s'éloignent des voies du
monde 8c de les fcandales 3 qui fe
préfervent du péché , qui fe maintien-
nent dans l'ordre , dans la règle , dans
l'innocence , ou qui fe relèvent au moins
par la pénitence , 8c y perféverent juf-
qu'à la mort. Voilà le caractère des
JÊlus \ mais £ms cela ce feroient im-
manquablement des réprouvés. Or y en
a-t-il beaucoup parmi les Chrétiens
mêmes , à qui ces caractères convien-
nent? Là-deïfus je renvoyerois à l'ex-
périence : c'eft la preuve la plus fenfible
6c la plus convaincante. Sans juger mal
de perfonne en particulier , ni damner
perfonne , il fuffit de jetter les yeux au-
tour de nous 3 8c de parcourir toutes les
conditions du monde 5 pour voir com-
bien il y en a peu qui faifent quelque
Tome. L L
j%i Petit nombre
chofe pour gagner le Ciel ; peu qui fca-»
client profiter des croix de la vie , ë£
qui les reçoivent avec foumiffion j peu
qui donnent à Dieu ce qui lui eft dû , qui
l'aiment véritablement , qui le fervent
fidèlement , qui cherchent à lui plaire
en accompliffant fes faintes volontés j
peu qui s'acquittent envers le prochain
des devoirs de la charité , qui en aient
dans le cœur les fentimens , & qui dans
la pratique en exercent les œuvres \
peu qui veillent fur eux-mêmes , qui
fuient les occafions dangereufes , qui
combattent leurs pallions , qui réfiilentf
a la tentation de i intérêt 5 à la tentation
de l'ambition 3 à la' tentation du plaifir
3
à la tentation de la vengeance , à la ten-
tation de l'envie , à tontes les autres ,
& qui ne tombent , en y fuccombant ,
dans milles péchés j peu qui reviennent
de leurs égaremens , qui fe dégagent de
leurs habitudes vicieufes , qui £z£fent : J
après leurs défordres paiTés ,. une péni-
tence folide 3 efficace , durable. Et quel
eft aulli le langage ordinaire fur la cor-
ruption des mœurs ?■ Ce ne font point
feulement les gens de bien , mais les plus
libertins qui en parlent hautement.
N'entend-on pas dire fans ceiTe que
lout eft renverfé dans le monde : qu@
des Elus. 113
le dérèglement y eft général j qu'il n'y
a ni âge ni fexe , ni état , qui en foit
exempt , qu'on ne trouve prefque nulle
part ni religion, ni crainte de Dieu ,
ni probité , ni droiture , ni bonne foi ,
ni juflice, ni charité, ni honnêteté, ni
• pudeur • que ce n'eft par-tout ou prefque
par-tout , que libertinage , que diifo-
lution , que menfonge , que trompe-
ries , qu'envie de s'agrandir & de do-
miner , qu'avarice , qu ufure , que con-
cuiîions , que médifances , qu'un mont
mieux aifemblage de toutes les iniqui-
tés. Voila comment on nous repréfente
le monde \ voilà quelle peinture on en
fait , &: comment on s'en explique. Or
parler de la forte , n'eft-ce pas rendre
un témoignage évident du petit nom-
bre des Elus ?
Et fi l'on fe retranchoit à me dire que
c eft la mort après tout qui décide dir
fort éternel des hommes ; que ce n'eil
ni du commencement , ni même du
cours de la vie , que dépend abfolu-
ment le falut , mais de la fin ; & que
tout conhfte à mourir dans des difpofi-
tions chrétiennes : il eft vrai, répondrais-
je, mais on ne peut gueres efpérer de
mourir dans ces difpoiïtions chrétien-
nes , qu'après y avoir vécu } puifqu il
124 Petit nombre
y en a très-peu qui y vivent , je conclu-;
rois qu'il y en a très-peu qui y meurent.
Car il me feroit aifé de détruire la fauffe
opinion des mondains , qui fe persua-
dent que pour bien finir & pour mourir
chrétiennement , il n'eft queftion que
de recevoir , dans l'extrémité de la ma-
ladie , les derniers Sacremens de FEglifç
8c de donner certains fignes de repen-
tir. Ah ! qu'il y a là-deifus d'iliunon ,
A peine oferois-je déclarer tout ce que
j'en penfe.
Non certes , il ne s'agit point feule-
ment de les recevoir , ces Sacremens fi
faints en eux-mêmes , ôc fi falutaires ,
mais il faut les recevoir faintementj
c'efl-a-dire , qu'il faut les recevoir avec
une véritable converfion de cœur , &
voilà le point de la difficulté. Je n'en-
treprendrois pas d'approfondir ce terri-
ble myftère , & j'en laifferois à Dieu le
jugement. Mais du relie n'ignorant pas
à quoi fe rédurfent la plupart de ces
converfions à la mort 5 de ces conver-
fions précipitées , de ces converfions
commencées , exécutées 9 confommées
dans l'efpace de quelques momens , où
Ton ne connoît plus guères ce que l'on
fait} de ces converfions qui feroient
autant de miracles , û c'étoient de bon-
des Elus. 125
tees Se de vraies converfions : 8c fça-
chant combien il y entre fouvent de
politique , de fageffe mondaine , de cé-
rémonies , de refpect. humain , de corn-
! plaifance pour des amis ou des parens 5
de crainte fer vile 8c toute naturelle, de
demi-Chriftianifme , je m'en tiendrois
! au fentiment de Saint Auguftin , ou
plutôt à celui de tous les Pères , 3c je
dirois en général , qu'il efi bien à craindre
que la pénitence d'un mourant j qui nefi.
pénitent quà la mort j ne meure avec lui ,
& que ce ne foit une pénitence réprouvée,
A ce nombre prefque infini de faux pé-
nitens à la mort , j'ajouterois encore le
nombre très-confidérable de tant d'au-
tres que la mortfurprend, qu'elle enlevé
tout d'un coup , qui meurent fans Sa-
cremens , fans fecours , fans connoiflan-
ce , fans aucune vue ni aucun fenti-
ment de Dieu \ 8c de tout cela je vien-
drois fans hériter , après le Sauveur du
monde, à cette affreufe conféquence: Màttfa
Beaucoup d' appelles & peu d'élus. • c. zz.
Cette importante matière traitée de *4*
la forte ne doit produire aucun mauvais
effet , 8c en peut produire de très-bons.
Elle ne doit défefpérer perfonne , puif-
qu'il n'y a perfonne qui ne puiffe être
du petit nombre des Elus. Je dis plus ,
L il)
'lie Petit nombre
Ôc quand il y en auroit quelques-uns
que ce fujet défefpérât , qui font-ils ?
ceux qui ne veulent pas bien leur falut j'
ceux qui ne font pas déterminés 3 corn -
me il le faut être , à tout entreprendre
3c atout faire pour le falut j ceux qui
prétendent concilier enfemble ôc accor-
der une vie molle , fenfuelle , commo-
de , avec le falut \ une vie fans œuvres ,
fans gêne , fans pénitence 3 avec le falut ;
l'amour du monde , avec le falut j les paf-
ïïons , les inclinations naturelles , avec le
falut y ceux qui cherchent à élargir ,
autant qu'ils peuvent , le chemin du fa-
lut , ôc qui ne fçauroient foufFrir qu'on
le leur propofe auffi étroit qu'il l'eft,
parce qu'ils ne fçauroient fe réfoudre à
tenir une route ii difficile. Ceux-là , j'en
conviens , à l'exemple de ce jeune
homme qui vint confulter le Fils de
Dieu , s'en retourneront tout triftes ôc
tout abbatus : mais cette triftelfe , cet
abattement , ils ne pourront l'attribuer
qu'à eux-mêmes , qu'à leur foiblerTe
volontaire , qu'à leur lâcheté ; Se tout
bien examiné , il vaudroit mieux , Il je
l'ofe dire , les défefpérer ainfî pour
quelque temps , que de les lailfer dans
leur aveuglement ôc leurs fauffes pré-
ventions fur l'affaire la plus elFentielle 5
qui eft le falut.
t es Elus. ïïj
Quoiqu'il en foit , tout Auditeur fage
& chrétien profitera de cette penfée du
petit nombre des Elus , & faifi d'une
j iifte frayeur, il apprendra, i.^à redou-
bler fa vigilance , & à f e prémunir plus
que jamais contre tous les dangers, où
peut l'expofer le commerce de la vie :
2. à ne pas demeurer un feul jour dans
l'état .du péché mortel , s'il lui arrive
quelquefois d'y tomber j mais à courir
inceiïamment au remède , 6c à fe rele-^
ver par un prompt retour : 3 , à fe fépa-
rer de la multitude , & par conféquent
du monde j à s'en éparer , dis-je 5 fî-
noii d'effet ( car tous ne le" peuvent pas)
au moins d'efp rit , de cœur, de maxi-
mes , de fentimens , de pratiques : 4. à
fuivre le petit nombre des chrétiens
vraiment chrétiens ; c'eft-à-dire , de
chrétiens réglés dans toute leur con-
duite , fidèles à tous leurs devoirs ,
aiîidus au fervice de Dieu , charitables
envers le prochain , foigneux de fe per-
fectionner & de s'avancer par un con-
tinuel exercice des vertus , dégagés de
tout intérêt humain , de toute ambition,
de tout attachement profane , de tout
reflentiment , de toute fraude, de toute
injuftice , de tout ce qui peut blefler la
confeience & la corrompre : 5 . à pren-
Liv
& à 8 Petit nombre
dre réfolument &; généralement là
voie étroite , puifque c'eft l'unique
voie que Jefus-Chrift eft venu nous
enfeigner my à s'efforcer , félon la parole
du même Sauveur , & à fe roidir contre
tous les obftacles , foit du dedans , foit
du dehors , contre le penchant de la
nature , contre l'empire des fens , contre
le torrent de la coutume , contre l'at-
trait des compagnies 3 contre les im-
prefPons de l'exemple , contre les dif-
couu Hc les jugemens du public j
n'ayant en vue que de fe fauyer , ne
voulant que .cela , ne cherchant que
cela , n'étant en peine que de cela : 6.
«nfin , à réclamer fans celfe la grâce du
Ciel , à recommander fans ceffe fon
ame à Dieu , & à lui faire chaque jour
Sa?, c. l'excellente prière de Salomon , Dieu
de miféricorde ^ Seigneur ^ donneytnoi la
yraiefagejfe , qui eft la fcience dufalut,
■& ne me rejette-^ jamais du nombre de vos
enfans,qm font vos Elus. Oui,mon Dieu,
fouvenez-vous de mon ame ; fouvenez-
vous du fang qu'elle a coûté : elle vous
doit être précieufe par-là. Sauvez-la,
Seigneur , ne la perdez pas , ou ne per-
mettez pas que je la perde moi-même j
car ii jamais elle étoit perdue , c'eft de
moi-même que viendront fa perte. Je la
des Elus. 115)
mets , mon Dieu , fous votre protection
toute-pui (Tante ; mais en même temps 5
je veux , à- quelque prix que ce foit , la
conferver : je redoublerai pour cela
tous mes efforts; je n'y épargnerai rien.
Telle eft ma réfolution , Seigneur } ôc
puifque c'eft vous qui me l'infpirez ,
c'eftpar vous que je l'accomplirai*
Heureux le Prédicateur qui renvoyé
fes Auditeurs en de fi faintes difpofi-
tions ! . Son travail eft bien employé ,
6c tout fujet qui fait naître de pareils
fentimens > ne peut être que très-folide
&: très-utile.
î|o Pensées diverses
xxxxxxxxx--X'XX--xxxxxxx^
Penfées diverfes fur le Salut*
J'Entends dire afTez communément
dans le monde, au fujet d'un hom-
me qui après avoir paffé toute fa vie
dans les affaires humaines , quitte une
charge , fe démet d'un emploi , & f e
retire : II na plus rien maintenant qui
l'occupe j il vapenfer à fonfalut. Il y va
penfer ? Hé quoi ! il n'y a donc point en-
core penfé ? Il a donc attendu jufqua
préfent a y penfer ? Il a donc vécu de-
puis tant d'années dans un danger con-
tinuel de mourir fans avoir pris foin d'y
penfer ? Le falut étoit donc pour lui une
de ces affaires , auxquelles on ne penfe
que lorfqu'il ne refte plus rien autre
chofe à quoi penfer ? Quel aveugle-
ment ! Quel renverfement.
Il fera bien néanmoins d'y penfer ,
car il vaut mieux , après tout , y penfer
tard , que de n'y penfer jamais : mais en
y penfant qu'il commence par fe con-
fondre devant Dieu , de n'y avoir pas
penfé plutôt. Qu'il tienne pour perdu
le temps où il n'y a pas penfé , l'eût-il
employé dans les plus grands miniftè-
sur le Salut, 131
tes y 8c eût-il para dans le plus grand
! éclat. Qu'il comprenne que li les au-
tres affaires ont leur temps particulier ,
; l'affaire du falut eft de tous les temps ,
j ôc que tout âge eft mûr pour le Ciel.
Qu'il admire la patience de Dieu, qui
ne s'eft point lalTé de fes retardemens.
Sur-tout qu'il agiffe déformais , qu'il
i redouble le pas , & qu'il fe fouvienne ,
i que la nuit approche , & que plus le jour joant K
; baiffe , plus il doit hâter fa marche. Ce 9> 4»
i ne fera pas en vain : le jufle dont parle
! le Sage , dans l'étroit efpace d'une pre-
I miere jeuneffe, fournit une ample carrière sap. s:
I & anticipe un long avenir : pourquoi le 4« 1h
mondain revenu du monde , en repre-
nant la voie du falut 3 quoique dans
une* vieilleife déjà avancée , ne pour-
roit-il pas , félon le même fens , rappeller
tout le chemin qu'il n'a pas fait ?
f II e(t de foi 'que nous ne ferons
jamais damnés que pour n'avoir pas
voulu notre falut , ôc que pour ne l'a-
voir pas voulu de la manière dont nous
pouvions le vouloir. Tellement que
Dieu aura le plus juile fujet de nous
reprocher ce défaut de volonté 3 & d'en
faire contre nous un titre de condam-
nation. N'eft-ce pas en effet fe rendre-
digne de toutes Ïqs vengeances divi-
Î32. Pensées diverses
nés , que de perdre un fi grand bien" ;
lorfqu'il n'y a qu'à le vouloir pour fe'
l'afîurer ? Mais efl-il donc poiTible qu'il
y ait un homme alTez ennemi de lui-*
même & affez perdu de fens , pour ne
vouloir pas être fauve ? Il eft vrai 5 nous
voulons être fauves 3 mais nous ne vou-
lons pas nous fauver. Or Dieu qui veut
notre falut , de qui nous ordonne de le
vouloir , ne veut pas fimplement que
par fa grâce nous fuyons fauves 3 mais
qu'avec fa grâce nous nous fauvions,
J Faillie relTource du mondain : Dieu
ne m3 a pas fait pour me damner. Non fans
doute , mais aufîi Dieu ne vous a pas fait
pour l'offenfer. Vous renverfez toutes
les vues : de quoi vous plaignez -vous
s'il change à votre égard tout l'ordre de
fa , Providence. Quoiqu'il ne vous ait
pas fait pour l'offenfer 5 vous l'offen-
fez ; ne vous étonnez plus que quoiqu'il
ne vous ait pas fait pour vous damner 3
il vous damne.
f Ce n'eft point un paradoxe , mais
une vérité certaine , que nous n'avons
point, après Dieu , d'ennemi plus à
craindre que nous - même : comment
cela ? Parce que nul ennemi , quel
qu'il foit , ne nous peut faire autant de
mal 9 ni caufer autant de dommage ,
sur *le Salut," 153
que nous le pouvons nous-mêmes. Que
toutes les puiifances des ténèbres fe li^
guent contre moi : que tous les poten^
tats de la terre conjurent ma ruine ; ils
pourront me ravir mes biens , ils pour-
ront tourmenter mon corps , ils pour-
ront m'enlever la vie , ôc là-defïus je ne
ferai pas en état de leur réfuter j mais
jamais ils ne m'enlèveront malgré moi
ce que j'ai de plus précieux , qui eft
mon ame. Ils auront beau s'armer ,
m'attaquer , fondre fur moi de toutes
parrs ôc m'accabler : je la conferverai y
û je veux : indépendamment de tou-
tes leurs violences , aidé du fecours
de Dieu , je la fauverai j car il n'y a
que moi qui puifle la perdre. D'où il
s'enfuit que je fuis donc plus redouta-
ble pour moi que tout le relie du mon-
de , puifqu il ne tient qu'à moi de don-
ner la mort à mon ame , fk de l'exclure
du Royaume de Dieu.
D'autant plus redoutable , que je mç
fuis toujours préfent à moi-même , parce
que je me porte par-tout moi - même
Ôc avec moi toutes mes pallions 5 tou-
tes mes convoitjfes , toutes mes habi-
tudes ôc mes mauvaifes inclinations.
Aufîi quand je demande à Pieu qu'il
me défende de me§ ennemis , je lui de-
ï^ P 1 ^ S i E S DIVERSES
mande, ou je dois fur-tout lui deman-*
der, qu'il me défende de moi-même.
Et de ma part , pour me' mettre moi-
même en défeufe , autant qu'il m'eft
poffible j je dois me comporter envers
moi , comme je me comporterais en^-
vers un ennemi que j'aurois fans ceffe
à mes côtés , & dont je ne détourne^
rois jamais la vue j dont j'obferverois
jufqu'aux moindres monvemens , fur
qui je tâcherois de prendre toujours»
l'avantage , fçachant qu'il n'attend que
le moment de me frapper d'un coup
'Jozti* c* mortel. Celui qui kaitfon ame dans la vie
£2, ZS> préf€nte , difoit en ce fens le Fils de
Dieu , la gardera pour la vie éternelle.-
Trille , mais falutaire condition de
l'homme 3 d'être ainii obligé de fe tour-
ner contre foi-même , 3c de ne pouvoir
fe fauver que par une guerre perpétuelle
avec foi -même 3 que par la haine de
foi-même !
f ' Nous difons quelquefois à Dieu
dans l'ardeur de la prière : Seigneur j
aye^ pitié de mon ame. Les plus grands-
pécheurs le difent à certains momens , 1
où les penfées & les fentimens de la re-
ligion fe réveillent dans eux , 8c où ils
voyent le danger 8c l'horreur de leur j
état : ah ! Seigneur > ayez pitié de moi|
sur le Salut* 135
ame. Mais Dieu , par la parole du Saint-
Eiprit , ôc par la bouche du Sage , nous
répond. Ayey^en pitié vous-même de cette Mift*
Mme que j'ai confiée à vos foins , & qui eji r£* ïï£~
votre ame. Je l'ai formée à mon ima- EccL c*
ge , je l'ai rachetée de mon fang , je Z**
l'ai enrichie des dons de ma grâce 3 je
l'ai appellée à ma gloire , je veux la
fauver j &: il elle s'écarte de mes voies ,
des voies de ce falut éternel que je lui
ai propofé comme fa fin dernière Ôc le
terme de fes efpérances 5 je l'excite
pour la ramener de {qs égaremens , pour
la relever de fes chûtes , pour la purifier
de fes taches 5 pour la guérir de fes blef-
fures , pour la reiTufciter par la péni-
tence , ôc pour lui rendre la vie. N'eil-
ce pas - la l'aimer ? n'eil - ce pas en
avoir pitié ? Mais vous ? vous la défigu-
rez , vous la profanez , vous la facri-
fiez à vos pallions , vous la perdez , &
tout cela par le péché. N'eft-ce donc
pas à vous - mêmes qu'on doit dire :
Aye\ pitié de votre ame. Ayez-en pitié :
d'autant plus que c'eft la vôtre. Quand
ce feroit famé d'un étranger , lame
d'un infidèle & d'un payen , l'ame de
votre ennemi ? vous devriez être iqh-
fible à fa perte , 3c vous fouvenir que
ç eft une ame pour qui Jefus-Chrift eil
12,6 Pensées diverses
mort. Mais outre cette raifon générale i
il y en a une beaucoup plus particu-
lière à votre égard , dès que c'eft de votre !
ame , que c'eft de vous-même qu'il s'agit.
. Qu.ld Efl-il rien de plus mïférable au un mi fera-*
mifero ^ ble qui n ejt pas touche de Ja mijere , &
SJ1LT/Î 1ul n'a nu^c PltLé de lui-même.
ipfum. ^ Un courtifan veut s'avancer , faire
ugt fon chemin , s?élever à une fortune
après laquelle il court de où il a porté
fes vues j il ne s'embarraife gueres 3 fi les
autres fe pouffent & s'ils réuiliffent dans
leurs projets. C'eft leur affaire , dit-il ,
ôc non la mienne : chacun y ejl pour foi.
Voilà comment on parle , au regard de
mille affaires , comment on penfe 3 & ce
n'eft pas toujours fans raifon : car dans
une infinité de chofes , c'eft à chacun
en effet de penfer à foi , &: les intérêts
font perfonnels. Or fi cela eft vrai dans
les affaires humaines , combien l'eft-il
plus dans l'affaire du falut ? Chacun y eft
pour foi. C'eft-à-dire, qu'à l'égard du
falut chacun gagne ou perd pour foi-
même , 8c ne gagne ou ne perd que pour
foi-même, indépendamment de tous les
autres. Si je me fauve , quand tout le mon-
de , hors moi , fe damneroit , je n'en
ferois pas moins heureux ;. & fi je me
damne , quand tout le monde ? hors
moi,
sur le Salut. 137
moi , fé fativeroit , je n'en ferois pas
moins malheureux. Non pas que nous
ne puiflions 8c que nous ne devions
par une charité 8c des fecours mu-
tuels , contribuer au falut les uns des
autres \ mais dans le fond ce qui nous
fauve ra , cène font , ni les foins , ni les
prières , ni les mérites d'autrui , mais
nos propres mérites unis aux mérites de
Jefus - Chrift. Qu'on m'oppofe donc
tant qu'on -voudra , la multitude , la
j coutume , Fexemrfle j qu'on me dife y
\ c'eit-là l'ufage du monde , c'eft ainii
: que le monde vit 8c qu'il agit : ne pou-
vant réformer le monde , je le laifTerai
vivre comme il vit , 8c agir comme il
agit y mais moi j'agirai , Se je vivrai
comme il me femblera plus convenable
au falut de mon ame j 8c fans égard à
tous les difeours, je me contenterai de
répondre en deux mots : Chacun y eji
pour foi.
f Nous femmes admirables , quand
nous prétendons rendre un grand fer-
vice à Dieu, de nous appliquer à l'affaire
de notre falut , 8c d'y donner nos foins.
Il femble que Dieu nous en foit bien
redevable : comme fi c'étoit fon inté-
rêt , 8c non pas le nôtre. Hé ! mon
Dieu, pour qui donc eft-ce que je tra-
Tome L M
-138' Pensées diverses
vaille 3 en travaillant à me fauver ? n'efi>
ce pas pour moi-même ? & à qui en re-«
vient tout l'avantage , n'eft-ce pas à. moi--
même ? Car qu'eft - ce devant vous>(
Seigneur ,| de pour vous , qu'une aulli i
vile créature que moi ? qu'eit-ce que
tout' l'univers avec moi ? Depuis que-
vous avez précipité du Ciel des légions
d'Anges , ôc qu'ils font devenus des- dé-
mons j depuis que vous avez frappé de
vos anathêrnes tant de pécheurs qui
brûlent actuellement dans l'Enfer , ôc
qui doivent y briller éternellement , en
êtes-vous moins grand , 6 mon Dieu j
en êtes-vous moins glorieux ôc moins
puiiîant ? Et quand le monde entier fe-
roit détruit , ôc que je me trouverais
enfeveli dans fes ruines j quand par un
jufle jugement, vous lanceriez fur tout-
ce qu'il y a d'hommes , 3c fur moi com-
me fur les autres , toutes vos malédk>
rions , l'éclat qui vous environne en re-
cevrait - il la plus légère atteinte 3 de
en feriez - vous moins riche , moins
heureux ? O bonté fouveraine ! fans
avoir nul befoin de moi , vous ne vou-
lez pas que je me perde 'y Se vous me
faites j de la charité que je me dois à
moi-même 5 un commandement ex-
près j vous m'en faites un mérite > ôc-
un fujet de récompenfe.
sur le Salut. 139
5 On eft ii jaloux dans la vie , far-
tout à la Cour, de certaines diitincHons :
on veut être du petit nombre > du nom-
bre des favoris , du nombre des élus du
monde ; & moins il y a de gens qui s'é-
lèvent à certains rangs tk à certaines
places , plus on ambitionne ces degrés
d'élévation , 8c plus on fait d'efforts
pour y atteindre. Si le grand nombre y
parvenoit , on n'y trouveroit plus rien
qui diftinguât.} & cet attrait manquant y
on n'auroit plus tant d'ardeur pour les
obtenir , &c l'on rabattroit infiniment de
l'idée qu'on en avoit conçue. Il faut du
choix , de la fingularité ? pour attirer
notre eilime , 8c pour exciter notre
envie. Chofe étrange ! Il n'y a que
l'affaire du falut où nous penfions , ce
où nous agirions tout autrement, Car à
l'égard du falut , il y a le grand nombre
3c le petit nombre : le grand -nombre
exprimé par ces paroles du Fils de
Dieu 5 plufieurs font appelles } le petit
nombre marqué dans ces autres paroles
du même Sauveur , peu font élus. Le
grand nombre , c'eil-à - dire , au
moins tous les fidèles , que Dieu ap-
pelle au falut , 8c à qui il fournit pour
cela les moyens néceffaires , mais dont la
plupart ne répondent pas à cette vocation
M ij
140 Pensées diverses
divine , & ne cherchent que les biens
vifibles & préfens. Le petit nombre j
c'eft - à - dire , en particulier les vrais
chrétiens 6c les gens de bien , qui fe
féparent de la multitude 3 renoncent
aux pompes de aux vanités du fîécle , 8c
par l'innocence de leurs mœurs , par la
îainteté de leur vie , tendent fans cefTe
vers le iouverain bonheur & travaillent
à le mériter. En deux mots , le grand
nombre , qui font les pécheurs & les ré-
prouvés j le petit nombre , qui font les
juftes Se les prédeftinés. Mais voici le
défordfre : au lieu d'afpirer continuel-
lement à être de ce petit nombre des
amis de Dieu , de fes élus & de fes
faints , nous vivons fans peine , & nous
demeurons d'un plein gré parmi le
grand nombre des pécheurs tk des ré-
prouvés de Dieu. Nous penfons comme
le grand nombre , nous parlons comme
le grand nombre , nous agifïbns
comme le grand nombre ; & la feule
chofe où il nous eft non - feulement
permis , mais expreiïement enjoint de
travailler à nous diftinguer ? eft jufte-
ment celle où nous voulons être con-
fondus dans la troupe & fuivre le train
ordinaire.
O homme fi jaloux des vains hon-
sur le Salut. 14?'
ïieurs du fiécle , apprenez à mieux con-
noître le véritable honneur , & à cher-
cher une diftindfcion digne de vous :
le falut , le rang de prédéfinie , voilà
pour vous le ieul objet d'une folide Ôc
îainte ambition.
E LA FOI,
ET DES VICES
QUI LUI SONT OPPOSÉ!
Accord de la Raifort & de la FoL
î. jj|^~||S|l N homme du monde qui
jj§ ËBifï kit ptofellion du chriftia-
îpkByil nifme , & à qui l'on deman-
fcea^rfiï de compte de fa foi , dit :
je ne raifonne point , mais je veux
croire. Ce langage bien entendu peut
être bon ^ mais dans un fens affez ordi-
naire , il marque peu de foi , ôc même
une fecrette difpofition à l'incrédulité.
Car qu'eft-ce à dire , je ne raifonne
point ? Si ce prétendu chrétien fçavoit
bien là - demis démêler les véritables
fentimens de fon cœur 5 ou s'il les vou-
loir nettement-declarer , ii reconnoîtroit
Accord de la Raison ., &c. 14^'
que fouvent cela fignifïe : je ne raifonne
point , parce que ii je raifonnois , je ne
croirois rien j je ne raifonne point , par-
ce que fi je raifonnois , ma raifon ne
trouveroit rien qui la déterminât à croi-
re y je ne raifonne point , parce que fi
je raifonnois, ma raifon même m'oppo-
feroit des difficultés qui me détourne^
roient abfolument de croire. Or penfer
de la forte 8c être ainfl difpofé , c'eft
manquer de foi : car la foi , je dis la
foi chrétienne , n'eft point un pur ac-
quiefcement à croire , ni une (impie
f oumiîîion de l'efprit , mais un acquies-
cement & une fourmilion raifonnable ;
& fi cette foumiiîion , fi cet acquiefce-
ment n'étoit pas raifonnable , ce ne feroit
plus une vertu. Mais comment fera-ce un RttioA
acquiefcement , une foumiiîion raifon- 0hfe-
nable , fi la raifon n'y a point de part ? 9ui?m
-irtr 1 -r ■ • V *»\ vejrruTi
Il faut donc raiionner 5 mais julqu a Roma
certain point, &c non au-delà. 11 faut^12"1*
examiner , mais fans paffer les bornes
que l'Apôtre marquoit aux premiers
fidèles , quand il leur difoit : Mes frères 3 Romi
tn vertu delà grâce qui m'a été donnée ^je c* I?,93*
vous avertis tous fans exception j de ne
porter point trop loin vos recherches dans
les matières de la foi 3 mais d'uferfur cela-
d'une grande retenue j & de n'y toucher
'*44 Accord de la Raison
que très-fobrement. Quelles preuves^
quels motifs me rendent la Religion que
je proferTe , & conféquemment tous les
myftères qu'elle m'enfeigne , évidem-
ment croyables ? voilà ce que je dois
tâcher d'approfondir j voila ce que je
dois étudier avec foin & bien pénétrer j
voilà où je dois faire ufage de ma raifon à
& fur quoi il ne m'eft pas permis de dire ,
je ne ràifonne point. Car fans cet examen
ôc cette difcuilion exacte , je ne puis avoir
qu'une foi incertaine Se chancelante ,
qu'une foi vague , fans principes & fans
confiftance. Aulli eft - ce pourquoi le
*1 K€^ Prince des Apôtres , S. Pierre , nous or-
donne de nous tenir toujours prêts ajatiy
faire ceux qui nous demanderont raifon de
ce que nous croyons & de ce que nous efpé~
rons. Il veut que nous foyons toujours là-
demis en état de répondre , de juftifier
le fage parti que nous fuivons , de faire
voir qu'il n'en eft point de mieux éta-
bli , & de produire les titres légitimes
qui nous y autorifent & nous y attachent
inviolablement.
Mais quel eft le fonds de ces grands
myftères, que la religion me révèle , &
qui nous font annoncés dans l'Evangile ;
en quoi confïftent-ils ? comment s'ac-
compliifent-iis ? c'eft-là que la raifon
doit
et de la Foi. 145
doit s'arrêter , qu'elle doit réprimer fa
curiofitc naturelle , & qu'il ne m'eft
plus feulement permis , .mais expref-
fément enjoint de dir-e : je ne raifonue
point , je crois. En effet , il me fiiflit de
lçavoir que je dois croire tout cela ,
que je crois prudemment tout cela ,
que je ferois déraifonnable & criminel
de ne pas croire tout cela , m'étant en-
feigne par une Religion , dont les plus
forts raifonnemens & les argumens les
plus fenfibles me font connoître l'iiicon-
teftable vérité. C'eft-là, dis-j€, tout ce
qu'il me faut : <k fi je voulois aller plus
avant : ii par une préfomption femblable
à celle de Saint Thomas dans le tems de
fon incrédulité, je difois comme lui,
A moins que je ne VGie _, je ne croï- Joan, ci
rai point i dès -lors je perdrois la foi, zo% "^
je l'anéantirois , & j'en détruirois tout
le mérite. Je l'anéantirois , pourquoi ?
parce qu'il eft êiîentiel a la foi de ne pas
voir , &c de croire ce qu'on ne voit pas.
J'en détruirois tout le mérite , pour-
quoi ? parce qu'il n'y a point de mérite
a. croire ce qu'on a fous les yeux , ce
qui nous eft préfent & qui nous frappe
les fens , ce qu'on volt clairement ôc
diftin clément. On n'efl point libre fur
cela j on n'eft point maître de fa créance
Tome L N
:
146 Accord de la Raison
pour la donner , ou pour la refufer :
on eft p.erfuadé malgré foi : on eft con-
vaincu ians qu'il en coûte ni effort 5 ni
facrifice. Et c'eft en ce fens que le San-
z5>« veur des hommes a dit : Heureux ceux
qui. n'ont point vu ^ & qui ont cru.
Tel eft donc l'accord que nous de-
vons faire de la raifon & de la reli-
gion. La raifon éclairée d'en-haut , fait
comme les premiers pas , ou met comme
les préliminaires , en nous convainquant il
que la religion vient de Dieu ; que [
de tous les articles qu'elle contient ,
il n'y en a pas un qui n'ait été révélé
de Dieu , foit dans l'Ecriture , foit
dans la tradition ? expliquée & pro-
pofée par FEglife ; que Dieu étant ab-
folument incapable d'erreur ou de men-
fonge , il s'enfuit que tout ce qu'il a
prononcé , eft fouverainenient vrai 1
enfin , que la religion ne nous annon-
çant que la parole de Dieu , & ne nous
l'annonçant qu'au nom de Dieu , elle
eft par conséquent également vraie 2
de demande une adhéiion parfaite ddj
notre efprit & de notre cœur. Voilà où-
la raifon agit , &ce que nous découvrons
à la faveur de fes lumières. Mais ce
principe pofé en général , la religion
prend enfuite le demis > elle propofé
ET DE la Foi. Ï47
fes vérités particulières , & toutes ca-
chées qu'elles font , elle y foumet la
raifon , fans lui laifter la liberté d'en
percer les ombres myftérieufes. Si par
fon indocilité naturelle & par fon or-
gueil la raifon y répugne , la religion ,
par le poids de fon autorité & par un
commandement exprès , la réduit fous
le joug ôc la tient captive. Si la rai-
fon ofe dire , comment ceci , ou com-
ment cela ? c'eft aftez 5 lui répond la
religion , d'être inftruit que ceci ou
cela eft , &c de nmi pouvoir douter fé-
lon les régies de la prudence» Or on
n'en peut douter prudemment , puifque
félon les régies de la prudence , on ne
peut douter que Dieu ne l'ait ainfi dé-
claré. Cette réponfe, ce filence impofé
à la raifon l'humilie j mais c'eft une
humiliation falutaire , qui empêche
la raifon de s'égarer, de s'émanciper ,
de tourner, fuivant l'expreiTion de Saint
Paul , à tout vent de doctrine , & qui
la contient dans les juftes limites , où
elle doit être reiTerrée , & d'où elle ne
ne doit jamais fortir. De cette forte ,
notre foi eft ferme , fans rien perdre
néanmoins de fon obfcurité ; & elle eft
obfcure fans rien perdre non plus de fa
fermeté.
Nij
148 Accord de la Raison
II. Développons encore la chofe $j
êc pour la rendre plus intelligible & lui
donner un nouveau jour , mettons-
la dans une efpéce de pratique. Je
fuppofe un Chrétien fur pris d'une de
ces tentations qui attaquent la foi ,
& dont les âmes les plus religieufes
ôc les plus ridelles ne font pas exemp-
tes elles - mêmes à certains momens.
Car il y a des momens où une ame 5
quoique- chrétienne , eft intérieures
ment auiîi agitée par rapport à la foi ,
que le fut Saint Pierre fur les eaux de
la mer , quand Jefus - Chrift lui dit :
Matth, Homme de peu de foi j pourquoi aye^-vous
«•i4»3T- douté? Cependant on ne doute pas : on
croit , mais d'une foi prefque chance-
lante , & rimprefïion eft fi vive en
quelques rencontres, qu'il fenible qu'on
ne croit rien , & qu'on ne tient à rien.
Epreuve difficile à foutenir j mais que
Dieu permet pour épurer notre foi
même Se pour la perfectionner. Il a fes
vues en cela ; & bien qu'il paroifîe nous
délailfer , ce font pour nous des vues
de feint , parce qu'il fçait que tout con-
tribue à la fanétiflcation de fes élus , 8c
qu'au lieu de dégénérer & de tomber 9
gçû dm$ une foibleffe apparente que
E T D E L A F O I. 1 4?
la vertu fe déploie avec plus de force
ôc qu'elle s'avance.
Or en de pareilles conjonctures ^
dans lefquelles je puis me trouver auili-
bien que les autres , que fais-je ou .que
dois -je faire ? Après avoir imploré faf-
fiftance divine ; après m'être écrié comme
le Prince des Apôtres en levant les mains
au Ciel : Seigneur _, fauve^-nous j autre- -^ii,
ment nous allons périr : je fais un re-
tour fur moi-même , & pour me fortifier
j'appelle tout enfemble à mon fe-
cours 3 & ma raifon , de ma religion.
L'une 8c l'autre me prêtent , pour
ainri dire , la main , &c concourent à
calmer mes inquiétudes , de à me raiïu-
rer.
Ma raifon me rappelle ces grands
motifs qui m'ont toujours déterminé
à croire 5 & m'ont paru jufqu'à pré-»
fent les plus propres à m'affermir dans la
foi où j'ai été élevé. Par exemple 3 elle
me repréfente ce vafte Univers , & cette
multitude innombrable d'êtres vifibles
qui le compofent. Elle m'en fait admi-
rer la diverfité , la beauté , l'immenfe
étendue , l'arrangement , l'ordre 5 la
liaifon , la dépendance mutuelle , l'u-
tilité 5 la durée depuis tant de fiècles
&; leur perpétuité. Elle me fait contera-
Niij
150 Accord de la Raison
pler les cieux qui roulent fur nos têtes ±
ôc dont les mouvemens fi rapides font
toujours ri réglés : ces aftres qui nous
éclairent 3 ce nombre prodigieux d'étoi-
les qui brillent dans le firmament , cette
variété de faifons qui par des révolu-
tions Ci conftantes ôc fi. merveiileufes
fe fuccédent tour-à-tour, ôc partagent,
le cours des tems. Elle me fait par-
courir de la penfée plutôt que de la
vue 3 ces longs efpaces de terres ôc de
mers , oui font comme le monde infé-
rieur au - deffous du monde célefte*
Que de richefles j'y apperçois ! que de
productions différentes 3 ôc de toutes
les efpeces ! quelle fécondité ! quelle
abondance ! Y manque-t-il rien de tout
ce qui peut fervir , non - feulement à
l'entretien nécefïaire ou commode s
mais à la fplendeur ôc à l'éclat, mais a
la fbmptuofité & à la magnificence ,"
mais aux douceurs Ôc aux délices de la
vie ? Sans égard à bien d'autres preuves
que je paffe , & fur lefquelles ma raifon
pourroit infifter, en voilà d'abord au-
tant qu il faut , pour m'attacher à la foi
d'un Dieu toujours exiftant ôc toujours
vivant , l'être fouverain , le principe de
toutes chofes , & l'Auteur de tant de
merveilles. Car difcourant en moi-më-
ET DE la Foi, tft
me, Se jugeant félon les règles d'une
droite raifon ôc félon le fens ordinaire &
le plus univerfel, j'ohferve d'un premier
coup d'oeil , qu'un ouvrage li bien en-
tendu , ii bien aiïorti dans toutes fes par-
ties , êc d'une ftru&ure au-delïus de tout
l'artifice humain , ne peut être le pur eflet
du hazard. Que ce firmament , ces cieux ,
ces aftres , cette terre 3 ces mers , que
tout cela & tout ce que nous voyons 5
ne s'eft point fait de foi -même , ne
s'eft point arrangé de foi-même 3 ne fe
remue point de foi-même , ne fubfifte
point par foi - même , fans qu'aucune
intelligence fupérieure y préfide 5 ni ja-
mais y ait préfide. Le fentiment qui me
vient donc là-deffus & qui me touche ,
pour peu que j'y farTe d'attention , eft
de reconnoître une première caufe $c
un premier moteur , un ouvrier par ex-
cellence , une puiffance fuprême , de
qui tout eft émané , de qui ordonne
tout , qui difpofe tout , qui donne à
tout Fimpreffion, qui anime &foutie'nt
tout. Or cet excellent ouvrier , cette
puiflance primitive , effentielle 3 indé-
pendante , toujours fubfiftante 5 c'eft
ce que nous appelions Dieu j Se ce que
nous devons honorer comme Dieu,
Je dis honorer comme Dieu • & d@
N iiij
152. Accord de la Raison.
degré en degré >. la même raifon qui
me guide , me porte plus avant , '&. me
fait paifer de la connohTance de Dieu ,
à la connoifTance du culte que je lui
dois rendre , & qui! a droit d'exiger
de moi. Culte religieux : 8c qu'y a-t-iî
de plus raifonnable ? fait dans le Créa-
teur , que d'attendre de fes créatures
les j uftes hommages qui lui appartien-
nent , & de les leur demander ; foit
dans les créatures , que de glorifier j
félon qu'elles en font capables , le Créa-
teur de qui elles ont reçu l'être j que
d'ajouter foi à fes oracles 3 de fe con-
former à fes volontés , de pratiquer fa
loi , de lui offrir leur encens , Se de fe
dévouer pleinement à fon fervice ? En
cela confifte la religion. Mais parce
que dans la multiplicité des religions 3
qui par l'égarement des efprits , fe font
introduites parmi les hommes , il y en
a nécefTairement de fauifes & que
Dieu réprouve 5 puisqu'elles fe contre-
difent les unes les autres ; il eft queftioa
d'en chercher une véiitable , & d'exa-
miner de plus fi celle-là même n'eft pas
l'unique véritable. Or entre celles qui
régnent actuellement dans le monde 5
je trouve la religion chrétienne j & à
la lueur de ma feule raifon ,. j'y décou-
I T DELA Foi. 153
: vre des cara&ères de vérité iî marqués ,
; qu'ils doivent convaincre tout efprit
fenfé , folide , docile , qui ne s'obftine
point à imaginer des difficultés , ni à
faire naître de vaines difputes.
Quand il n'y auroit point d'autre
témoignage que celui des miracles de
Jefus-Chrift , ce feroit une preuve plus
que fuffifante. Ce nouveau Légiilateur
paroît fur la terre } il y prêche (on Evan-
gile , qui eft la loi chrétienne , 3c pour
i autorifer fa prédication , il fe dit en-
j voyé de Dieu. Il eft évident que fi c'eft
Dieu qui l'envoyé , & que ce foit au
| nom de Dieu qu'il parle , tout ce qu'il
enfeigne eft vrai ,~& que nous fommes
obligés de foufcrire à fa doctrine. Car
il faudrait ne pas avoir la plus légère
; notion de Dieu , pour fe perfeader qu'il
, pût attefter le menfonge ,- & le confir-
i mer. Ce qui refte donc à Jefus-Chrift ,
! c'eft dé prouver fa million. Mais com-
| ment l'entreprend-il ? par les miracles
qu'il opère : Les chofes que je fais 3 dit-il , joan. e»
rendent témoignage de moi; fi vous ne m3 en l *■ z *9
croyez-pas fur ma parole ■, croye^àmes œu- .
vres. Et il eft encore certain que ces
œuvres miraculeufes étant au-deiîus des
forces de la nature , & ne pouvant
procéder que de la vertu d'en-haut , fi
154 Accord de la Raison
Jefus-Chrifl a fait réellement des mira?- •!
clés 3 far-tout certains miracles , & qu'il
les ait faits pour affirmer qu'il eit le.
Meflie , on ne peut lui contefter cette;
qualité , ni douter qu'il ne foit venu de la i
part de Dieu. Autrement Dieu feroit
l'auteur de Pimpofture ,' en lui commu-
niquant un pouvoir dont il fe feroit
prévalu pour tromper les peuples 5c
abufer de leur crédulité.
Or que Jefus-Chrifl: ait fait des mi-.
racles 3 <k des miracles du premier or-
dre , & des miracles en très-grand nom-
bre , & des miracles des plus éclatans > ,
Se des miracles dont la fin principale
étoit de fe faire connoître comme l'en-
voyé de Dieu \ qu'il ait chafle des corps
les démons & délivré les poiTédés j qu'il
ait exercé fur les élémens un. empire
abfolu 5 & qu'ils oient obéi à fa voix ;
qu'il ait commandé à la mer 3 ap'paifé
fes flots , calmé les tempêtes j qu'il ait
guéri toutes fortes de maladies , rendu
la vue aux aveugles y Fouie aux fourds 5
f ufage de la langue aux muets , le fen~
timent & le mouvement aux paraliti-
ques , la vie aux morts j enfin que par
le prodige le plus fingulier & le plus
inoui , il fe foit reffufeité lui - même
après avoir été mis à mort ôc enfermé
et de la Foi. 155
dans le tombeau 5 c'eft de quoi une
raifon éclairée Se dégagée de tout pré-
jugé ne peut refufer de convenir. Il n'y
a qua confidérer mûrement Se par or-
dre toutes les circonftanceî dont ces
faits fe trouvent revêtus , leur variété ,
leur éclat , le tems , les occafions , les
lieux > les campagnes , les places publi-
ques où ils fe font pafTés , la multitude
de gens qui en ont été fpectateurs , ou
qui fur le récit qu'ils en entendoient
comme des miracles avérés Se tout ré-
cens , embrafïbient la foi Se formoient
ces troupes de chrétiens ii célèbres par
leur zèle Se leur fainteté ; les qualités
irréprochables des témoins qui les ont
vus , qui les ont rapportés 9 qui les ont
publiés jufqu'aux extrémités de la terre ,
qui les ont tranfmis à la poflérité dans
leurs Evangiles , qui les ont foutenus
fans fe démentir jamais ,_& en ont dé-
fendu la vérité aux dépens de leur for-
tune , de leur repos , de leur vie. XI n'y
a , dis - je 5 qu'à faire mie difcuiïloii
exacte de chacun de ces points , ôc
d'autres que je n'ajoute pas j il n'y a
qu'à les bien pefer , Se on avouera que
de tous les faits hiftoriques , nuls ne
font plus folidèment appuyés 3 ni plus
à couvert de la cenfure. Mais encore
i$6 Accord de la Raison
une fois , cette perquifition , à qui dcùxÀ
elle appartenir , de du l'effort de qui eft- j
elle , il ce n'eft du refïbrt de la raifon ?
C'eft à la raifon d'éclaircir d'abord.]
tout cela , de le vérifier , & d'en tireJ
des preuves authentiques en faveur dqji
la Religion.
III. Cependant après rnètre con^
vaincu par-là, ôc par cent autres mo-I
tifs , que je dois m'en tenir à la Loi de
Jefus-Chrift , après m'ètre , pour ainfïl
dire , démontré à moi-même , par la
voie du raifonnement , que c'eft une,!
loi divine, une loi que PEfprit de véri-
té , qui eft l'Efprit de Dieu , a di&ée- j
après avoir conclu en générai ôc par
une conféquence néceffaire , que cette;
loi ne peut donc me tromper, ôc que,
je ne puis m'égarer en la fuivant; que]
tout ce que cette loi m'enfeigne , eft
donc tel en effet qu'elle me l'enfei-
gne , ôc que tout ce qu'elle me propofe
de dogmes à.croire , font autant d'arti-
cles de foi auxquels je fuis indifpeni'a-
blement oblige d'adhérer ; que de va-
ciller là-deifus , ôc de demeurer un
moment dans une fiifpenrion volon-
taire , ce ferait donc un crime ôc une
infidélité digne de la damnation éter-
£T DE LA For. 157
uelle : enfin après avoir bien compris
le grand oracle du Prince des Apôtres ,
que cette loi ayant été donnée aux hom-
mes pour être la feule règle de de notre
créance & de nos mœurs , il neft point AEi • Ct
fous le Ciel d autre nom _, en vertu duquel
nous puijjions être fauves _, que le nom de
Jefus-Chrifi : du refte , fi ma raifon veut
aller plus loin , & qu'elle prétende percer
l'abyfme des impénétrables myftères que
la Religion nous a révélés , mais dont elle
nous a caché le fonds , c'eft-là que la foi
prend le deifus , qu'elle s'élève , qu'elle
défend {es droits , qu'elle me met un
voile fur les yeux , & me condamne à
ne plus marcher que dans les ténèbres.
La raifon a beau fe recrier , cette
raifon également curieufe & préfomp-
tueufe. Elle a beau demander : mais
qu'eft-ce que le myftère d'un Dieu en
trois perfonnes , & de trois perfonnes
dans un feul Dieu ? Mais qu'eft-ce que
le myftère d'un Dieu fait homme fans
ceifer d'être Dieu ; mortel & immortel
tout enfemble , paliible & impaftible ,
& réunifiant dans une même perfonne
toute la gloire de la divinité , & toutes
les mifères de notre humanité ? Mais
qu'eft-ce que le myftère d'un Dieu
homme réellement préfent fous les efpè-
i; | 8 ACCORD DE LA R A I S 0 N
ces du pain & du vin dans le Sacre-
ment de nos Autels ? Qu'eft-ce que tout
le refte ? La-deffas la foi lui dit ce que
7ob. c Dieu dit à la mer : Tu viendras jufques-
5° • là j mais c3efi-là même que tu t'arrêteras ;ï
cefi-là que tu briferas tes flots j & que tul
abaijjeras les enflures de ton orgueil. Arrêt
abfolu , contre lequel une raifon chré-| i
tienne n'a rien à oppofer ni à répliquer.
Elle y trouve même des avantages infi-
nis : car c'eft ainfi que l'homme , en
faiiant à Dieu le facrifice de fou corps
par la pénitence ? le facrifice de fon
cœur par l'amour , lui fait encore Wr
facrifice de fon efprit par la foi. En fa-J
crinant à Dieu fon corps par la péni^ ^
tence , il honore Dieu comme fouve-
rainement équitable'} en facrifiant à
Dieu fon cœur par l'amour , il honore I
Dieu comme fouverainement aimable ;
ôc en facrifiant a Dieu fon efprit par la i
foi , il honore Dieu comme fouveraine-
ment infaillible & véritable.
Avantages par rapport à Dieu : mais I
de plus , à prendre la chofe par rap-
port à l'homme & fa tranquillité , il
ne lui doit pas être moins avantageux
d'avoir une règle qui feule arrête les I
viciffitudes perpétuelles de fa raifon i
lorfqu'elle eft abandonnée à elle-mê- [
n de la Foi, 159
me. Or cette règle , c'eft la foi. En
effet, fans une foi foumife , toutes les
fermières de ma raifon , au lieu de me
•raiTurer dans le choix d'un parti , & de
me mettre l'efprit en repos , ne fervi-
ïtoiit au contraire , qu'à me jetter cha^
que jour dans de nouveaux embarras ,
éc à me caufer de nouvelles agitations.
Car on fçait combien la raifon humai-
ne , dès qu'on lui donne Ténor , eft
; variable dans les vues , 3c combien elle
eft féconde en idées toujours nouvelles
ique l'imagination lui fuggere. De forte ,
qu'aujourd'hui nous penfons d'une fa-
■ çon &: demain d'une autre ; qu'au] our-
• d'hui un fentiment nous plaît , & que
demain nous le rejettons j qu'aujour-
d'hui une difficulté nous fait de la pei-
ne , &c qu'elle n'eft pas plutôt réfolue
qu'un autre doute vient bientôt après
nous troubler : ce qui eft fur-tout vrai
en matière de Religion , & ce qui eft
encore plus commun aux efprits vifs &
pénétrans , aux prétendus fages & aux
îçavans du fiècie , qu a des efprits 11m-
pies & bornés. D'où il arrive , que nous
demeurons dans une perplexité où l'on
fe prête à tout ce qui fe préfente , ôc
l'on ne tient à rien. Saint Auguftin
nous le témoigne aftez en parlant de
ï^o Accord de la Raison
lui-même. Il cherchoit la vérité , il eiî.i
faifoit fon étude , il y employoit toute
fa philofophie : mais après bien des re-
cherches Se après être tombé dans les:»
erreurs les plus groiîieres , il étoit tou-
jours flottant & incertain 5 & il ne trou-
vait rien où il crût pouvoir fe repofer :
pourquoi ? parce qu'il ne prenojt point :
d'autre guide que fa raifon , 8c qu'elle
ne lui fuffifoit pas pour tenir fon efprit
en arrêt , & pour le guérir de les inquié-
tudes. Delà tant de changemens , tant"
de mouvemens inutiles , tant de fyftê-
mes différens dont il fe laifïa préoccu-
per , & dont il ne revint que lorfqu il
penfa férieufement à fe convertir & à*,
embrafler la foi. En quels termes s'ex-
plique-t-il là -deflus dans fes Confef-
iions , 3c déplore-t-il l'aveuglement où.
il avoit vécu pendant plufieurs années !
Quelles actions de grâces rend-il à Dieu ,
d'avoir rompu le charme d'une feience
profane qui lui fafeinoit les yeux , &c
de l'avoir réduit à la fainte ignorance
d'une foi fouple 6c docile !
Car fi la raifon fe foumet à la foi • il
dans une parfaite intelligence elles fe
donnent mutuellement le fecours qu'el-
les doivent recevoir l'une de l'autre :
voilà le moyen prompt ôc immanqua-
ble
£T DE la Foi, l6ï
\>le de pacifier mon ame > & de nie pré-
munir contre toutes les attaques dont je
puis être aiTailli au iujet de la Religion,
De quelque doute que je fois combattu
malgré moi , foit par la malice de l'Ef-
i prit tentateur , foit par les difcours
j d'une troupe de libertins , foit par les
I révoltes involontaires de ma raifon 8c
fon indocilité naturelle , je n'ai point
de réplique plus courte ni plus déciftve
à faire que celle de Jefus-Chrift même
au démon qui le vint tenter dans le de-
fert : II eft écrit. Oui y il eft écrit qu'il y
a un premier Etre , 8c qu'il n'y en a
qu'un , éternel , invifible , tout-puiffant ,
par qui le monde a été créé 3 8c par qui
il eft confervé & gouverné. Il eft écrit ,,
que dans cet Erre adorable & cette
fuprême divinité , il y a tout à la fois
8c fans confuilon ,. une unité de fub-
ftance , 8c une trinité de perfonnes. Il
eft écrit , que de cette trinité de perfon-
nes, Père , Fils .., 8c Saint-Efprit , le Fils
égal à fon Père 8c envoyé de fon Père %
eft venu fur la terre pour la rédemption
des hommes j que tout Dieu qu'il eft"
8c qu'il n'a jamais ceifé d'être , il s'eft
Fait homme lui-même , il a vécu parmi
nous , il eft mort fur une croix , il eft:
rellufcité & monté . au Ciel. Il eft écriv
Tome. L. O
tlG% Accord de la Raison-
que ce nouveau Législateur & ce Sait--
veur , voulant demeurer avec nous ju£*-i
qu'à la confommation des iiècles-, nous ai:
iaiiTé fa chair facrée. & fon précieux fang,.,
fous les. apparences du pain & du vin j que :
nous offrons l'un & l'autre en. facrifice ï\
& que l'un & l'autre , pour le foutien de a
nos âmes 3 nous fert , comme Sacrement % J
de nourriture & de breuvage, 11 eft. écrit :
qu'il y aura un jugement où nous ferons ;!
tous appelles y & que dès maintenant il
y a une béatitude célefte , où les bons;'
feront à jamais récompenfés, & un enfer ■
où les pécheurs feront condamnés à un
tourment fans mefure & fans fin. Ainfî
des autres articles qui me" font propo-* •
fés comme des points de créance. Or
du moment que tout cela eft écrit 5 c'eft-
à-dire que tout cela m'efl révélé de.
Dieu ou delà part de Dieu 5 & que cette
révélation m'eft tellement notifiée par
des motifs de crédibilité, qu'il feroit con-
tre le bon fens de n'en vouloir pas con-
venir , je ne demande rien de plus. Je
rends à la foi par mon obéiiTance
l'hommage qui lui eft dû \ je lui laifîe
prendre Tafcendant , & exercer fou
empire. Dès qu'elle parle , je l'écoute ,
je me tais , je crois , parce que je me
fens aiîuré de tout ce qu'elle me dit.
D E L A F O I. ï6$
Autant qu'il me vient à Pefprit de quef-
. rions , d'obje&ions , 3c de raifonnemens
où. je me perds & que je ne puis démê-
ler , autant de fois j'ai recours au fenti-
ment de l'Apôtre, & je me contente avec
: lui dem'écrâer : O profondeur de la fageffe Rom.c*
I & de la fcience de Uieu ! que f es juge- ' **
: mens font incompréhenfibles _, & que Jes
voies font au-deffus de ce quon en peut
< découvrir! car qui a pénétré dans les pen-
Jées du Seigneur ■> & qui ejt entré dans fon
confeil ! Suivant ces principes & y de--
me virant ferme , je réfous dans un mot
toutes les difiicultés j je diiïipe tous les
doutes, je me débarra(Te de mille ré-
I flexions dangéreuies & pernicieufes , du
| moins très-impormnes 8c inutiles } j'agis
en paix , & n'ai d'autre foin que de vivre
chrétiennement félon les maximes ôc
fous la direction de la foi.
Mais comment croire ce que l'on ne
comprend pas ? Efprit humain , ne te
feras<u point juftice ? ne comioitras-ta
point ta foibleife } &c pour la connaî-
tre ne te consulteras - tu point toi-
même & ta propre raiion ? Car à ne-
confu.lt er même que la raiion , qui ne
voit pas , à moins qu'on ne foit dépour-
vu de toute lumière , combien il e(t dé-
raifonnable 8c peu foutenable de ne-
Ôi|
id'4 Accord de la Rais air -
vouloir pas croire une chofe y parce
qu'elle e(l au-deifus. de nos connoiflan^
ces , & qu'on, ne la peut comprendre ?
Hé ! combien de chofes exiftent dans.s
toute l'étendue de l'univers , combien ■
fe pafTent fous nos yeux & nous font!
certaines 3 fans que nous les compre-
nions ? Parce que nous ne. les compre-
nons pas , en font-elles moins vraies??
Parce qu'on n'a pas compris jufqu'à
préfent comment fe fait le flux Se 1§|
reflux de la mer , eft-il un homme afles
infenfé pour douter de ce mouvement-
des eaux fi régulier & fi confiant ? Com-
prenons-nous bien les ouvrages de la
nature 3 & combien y en a-t-il qui
échappent à nos prétendues découver-
tes & à toute notre pénétration ? Ju-
geons de-là il nous devons être furpris
que les myflères de Dieu foient hors de
notre portée r & que nous ne puiffions
y atteindre y & jugeons encore delà»
même (i c'eft une jufte conséquence de.
dire , je ne dois point croire que cela;
fait , puifque je n'y conçois rien.
A Dieu ne plaife que je penfe de la
forte , ni que j'ofe , Seigneur , m'in-
gérer dans des fecrets qui me font pré-
fentement inconnus. Ce feroit une pré-
emption j 3c. félon la menace de votre
ET DE LA Foi. 1 6 f
"Saint Efprit , en voulant contempler de
I trop près votre Majeflé , je m'expofe-
rois à être accablé de votre gloire. Le Prov.ci
jour viendra , je Pefpere ainn de votre '
;, miféricorde , il viendra cet heureux
jour , où j'entrerai dans votre Sanctuai-
re éternel , où vous vous montrerez à
moi dans tout votre éclat r où je vous
: verrai face à face. D'une foi ténébreu-
se , vous me ferez palier à une clarté
fans nuage 8c toute lumineufe.- Mais-
j|ufqiies-là , jufqiies à ce jour de la
j grande révélation , vous me mettez à
: l'épreuve , 8c vous voulez que je vous
[cherche dans la nuit 8c par des voies
.fombres. Ce n'eft pas , Seigneur, que"
vous réprouviez les lumières de ma rai-
|fon } au contraire , vous me l'avez
^donnée comme un flambeau pour me
Iguider : mais après en avoir fait l'ufage
i convenable , vous m'ordonnez de lui
fermer les yeux , de la réprimer , de
;rafïujettir , & de l'accorder par cette:
ifujettion même, avec la foi qui doit
lavoir toujours la Supériorité fur elle 8c
la dominer. Vous l'avez ainfi réglé ,
Seigeur , 8c pour l'honneur de votre
parole , 8c pour mon faiut. De bon
cœur j'y confens. Je crois ce qu'il vous
a plu de me faire annoncer, 6c je le
\66 Accord de la Ra r s oh
crois précifémenr , parce que vous l'avez'/
'Marc, c, fctm je crois , mon Dieu > mais en même '
terns j'ajoute , comme ce Père del'Evan-4
gile, fortifiez^ mon peu de foi i car il meJ
femble en certaines conjectures qu'elle'
eft bien faible, cette foi -, pour laquelle. i
néanmoins , je dois être en difpohtioai:
de répandre mon fang. Vous la fou— |
tiendrez , ou vous me -foutiendrez moi--
même contre les plus violents allants ,J
8c vous ne permettrez pas qu'un fondai
fi néceifaire &c il précieux me foit enlevé*
La Foi fans les Œuvres : Foijlérile
& fans fruit..
LçOmmes-nous Chrétiens? ne le
v3 fommes-nous pas? Si nous ne le:
fonimes pas 5 pourquoi afFectons-nous >
de le paraître ? Pourquoi en portons-
nous le nom ? C'eft une hypocrifie 8c
un menfonge. Mais fi nous le fournies > j
que n'en pratiquons-nous les œuvres 'r\
3c n'eft-ce pas une contradiction énor-r
me , d'être chrétien dans la créance , ,
&c payen ou plus que payen dans les
mœurs ?
Voila le trifte état du Chriftianifrne M
La For sans les Œuvres, \Cy
en voilà le défordre le plus univerfeL
Je dis le plus imiverfel , 8c pour en ve-
nir à la preuve , toute fondée fur l'ex-
périence , nous devons diftinguer trois
: fortes de chrétiens : des chrétiens feu-
; lement de nom , des chrétiens de pure
spéculation , des chrétiens tout à la
• fois de créance 8c d'action. Chrétiens
' feulement de nom , 8c rien de plus i
■ c'eil: un certain nombre de libertins >
'■ qui dans le iein même de la religion ?
;" vivent fms religion, j renonçant au bap-
tême y où ils ont été régénérés 3 & à la
foi qu'ils y ont reçue. Non pas qu'ils
-s'en déclarent hautement , ni qu'ils faf-
' ,fent une profefïion ouverte d'impiété t
ils gardent toujours quelques, dehors y
ils ne produifent leurs fentimens , qu'en
termes équivoques y ou qu'en préfence
|de quelques libertins comme eux } leur
apoftaiie eft fecrette : mais enfin par la
corruption de leur cceur , ils en font
venus à douter de tout 8c à ne rien
icroire : ils ont encore l'apparence d3hom- ^pocah
\tnes vivans _, & ils font morts. Chrétiens de
pure fpéculation , autre caracbère : c'eft-
à-dire qu'ils non pas perdu l'habitude -
8c le don de la foi -y ils ne conteftent
aucune de fes vérités , 8c ils les refpec-
tent toutes ; ils penfent bien : mais s'il
io8 La For
faut pafler à la pratique , c'eft-là quel
leur foi fe dément , ou qu'ils la dé- I
mentent eux-mêmes , par l'inutilité de.J
leur vie 3 & fouvent même par les plus'
honteux déréglemens. Eniin chrétiens \
de créance & d'action : ce font les vrais
chrétiens ; d'autant plus, chrétiens queJ
l'efprit de la foi dont ils font remplis y.
les porte à une pratique plus excellente.
&" plus confiante de tous leurs devoirs j
& par un heureux retour, d'autant plus;
animés & plus touchés de cet efprit de:
foi 5 qu'ils le mettent plus conftammentji
& plus excellemment en œuvre , 3c
qu'ils s'adonnent avec plus de foin ai
tous les exercices dune piété agiffante.
Se fervente : car de même que la fol
vivifie les œuvres , on peut dire que les*
œuvres vivifient la foi. Ils croient , M
pour cela ils agiffent ;. & parce qu'ils
agiffent , .leur foi croît à me f ure , &c
devient toujours plus ferme & plus vi-
ve.
Or de ces trois efpéces de chrétiens I
il eft évident que le plus grand nombre,
eft de ceux que j'ai appelles chrétiens;:
de fpéculation y & qui tiennent le ma
lieu entre les premiers 8c les derniers^
Il eft vrai qu'il y a dans le monde 8é
parmi nous des impies en qui la foi eifc'l
absolument
sans les Œuvres. 169
absolument éteinte. Bien loin d'avoir
aucun fentiment de Dieu , ils ne re-
connoiffent ni Dieu ni loi -y ou il l'a-
veuglement dans lequel ils font plon-
gés , n'a pu effacer de leur efprit toute
! idée d'un Dieu premier moteur de l'u-
nivers, du moins, à l'exemple de ces
Philofophes dont parle Saint Paul , ne
" le glorifient - ils pas comme Dieu , &
traitent-ils de fupetftition populaire l'o-
:- béiffance de le facré culte que nous lui
rendons félon l'Evangile & les enfei-
gnemens de Jefus-Chrift. Mais il faut
•après tout convenir que ce n'eft point-
là l'état le plus commun. Il n'y en a
toujours que trop, je le fçais , hélas!
6c j'en gémis : mais du refte ce liberti-
nage entier Se complet n'eft répandu
: que dans une petite troupe de gens ,
qui n'ofent même le découvrir , ou qui
tombent dans le mépris , Se fe diffament
[en le laiflfant appercevoir. Il eft vrai
d'ailleurs que la foi n'eft point non plus
tellement affoiblie , ni altérée dans tout
le chriftianifme , qu'il n'y ait encore
jufques au milieu du fîécle de parfaits
chtétiens , qui par la divine miféricor-
de Se le fecours de la grâce , foutien-
nent dignement la fainteté de leur pro-
feifion : auffi fidèles Se aufli religieux
Tome l P
Xfa La F o ï
dans la conduite , qu'ils le font dans fa J
doctrine; rempliffant avec une régula-
rité édifiante toutes leurs obligations ,
de confefîant Jefus-Chrift par leur bon-
ne vie de leurs exemples , comme ils le
confeifent de cœur par leurs fentimens ,
de de bouche par leurs paroles. Nous ;
en devons bénir Dieu ; mais ce qu'on J
ne fçauroit en même tems afTez déplo-^ •
rer , c'eft que les Chrétiens de ce ca-
ractère foient il rares , de qu a peine a
nous en puimons compter un entre]
mille. Ce n'eft pas d'aujourd'hui que;
cette décadence a commencé dans PE--
glife } mais pour peu qu'on ait de zélé 9 .
on ne peut voir fans une amère dou-
leur combien le mal augmente tous1
les jours ? & combien la charité de ces1
derniers fiécles fe refroidit d'un tems a.
l'autre.
Refte donc de conclure , que la foi'
de la plus grande partie des Chrétiens
fe réduit toute à un ilmple acquiefee-
ment de l'efprit , fans effets , fans fruits ,
de que c'eft là le renverfement le plus:
général. Car quelques plaintes que forv
ment , au fujet de la foi ,,les perfonnes
zélées , de de quelque manière que s'é-
noncent les Prédicateurs dans leurs
difeours , quand ils s'écrient qu'il n'y m
sans les Œuvres. 171
plus de foi fur la terre , & qu'elle y eft
abolie j quand ils s'adreflent à Dieu
comme le Prophète , & qu'ils lui de-
mandent : Seigneur, qui eft-ce qui croit
à la parole que nous annonçons , &c où
i trouve-t-on de la foi ? quand à là vue
de ce déluge de vices quife font débor-
dés de toutes parts , qui infectent tant
d'ames } du moins à la vue de l'extrême
tiédeur , 3c de l'affreufe inutilité où s'é-
coulent jufques à la mort toutes nos
; années , ils en attribuent la caufe à un
défaut abfolu de foi : cqs expre liions
qu'une fainte ardeur infpire 3 ne doi-
ivent point être prifes à la lettre ni dans
'toute la rigueur de leur fens. Ce feroit
ioutrer la chofe ; & pour ne rien exagé-
rer , il me femble que tout ce qu'il y a
Ide réel en tout cela , c'eft que la foi
fubfiftant encore dans le fond , ce n'eft
[plus , par la dépravation & le malheur
;des terns , qu'une racine infructueufe ;
|& que ce facré germe dont les pro-
ductions autrefois étoient h* merveilleu-
tfes , ii promptes , ri abondantes , n'o-
père plus ou prefque plus. Pourquoi ?
parce que ce n'eft plus qu'une foi lan-
guiiTante ou comme endormie j parce
que nous ne la faifons entrer , ni dans
nos délibérations , ni dans nos réfolu-
pij
ïji L a F o i.
dons j ni dans nos a&ions j parce que
fans l'effacer de notre cœur , nous l'ef-
façons de notre fouvenir j & que ces
vérités , quelque importantes de quel-
que touchantes qu'elles foient , ne nouss
étant jamais préfentes à la penfée , elles
ne doivent faire fur nous nulle ini—
preilion. D'où il arrive , que dans le
plan de notre vie elles ne fervent ni ai
nous détourner du mal , ni à nous por-
ter au bien , quoiqu'elles nous ayentt
été fur-tout révélées pour l'un & pour;
l'autre.
IL Je dis que c'eft pour nous détour- •'
ner du mal & pour nous porter au bien , ,,
que nous ont été révélées les vérités de.'!
la foi. Car fi Dieu nous a donné la foi , ,
ce n'eft point feulement afin que notre
foi foit pour nous une régie de créance „
Ephef. mais une régie de conduite. Avant même:
*« l • 4» la création du monde j dit l'Apôtre , Dieu I
nous a choifis en Jefus-Chrijl _> & il nous a |
appelles j afin que nous fujjtons faints & '
fans tache devantfesyeux. Voilà ce peuple ■
parfait ^que le divin Précurfeur vint d'a--
bord 5 félon la parole de Zacharie ,prépa- ■
parer au Seigneur _> & à qui le Seigneur i
lui-même a voulu mettre enfuite les ;
ierniers traits. De-là ces grandes ma-;-
sans les Œuvres. tyf
xlmes &: ces principes de morale dont
foute la loi évangélique eft compofée.
Notre adorable Maître ne s'eft pas con-
tenté de les enfeigner aux hommes &:
de nous les expliquer ; mais il . a voulu
pour notre exemple les pratiquer. Que
dis-je ? il a plus fait ; êc pour nous
montrer combien il avoit à cœur cette
pratique , de combien il la jugeoit efTen-
tielle dans la religion j avant que d'en-
feigner , il a commencé par pratiquer.
De-là même , ces leçons fi fréquentes ,
ces exhortations des Apôtres 3 lorfqu'ils
inftruifoient les fidèles , & qu'ils les
formoient au chriftianifme. De quoi
leur parloient-ils plus fouvent ? des
bonnes œuvres. Que leur recomman-
doient-ils plus fortement ? les bonnes
œuvres. Que leur reprochoient-ils plus
vivement ? leurs négligences Ôc leurs
relâchemens dans les bonnes œuvres j
c'étoit-là prefque l'unique fujet de leurs
épîtres & de leurs prédications. Car
fans rapporter en particulier tous les
points dont ils leur enjoignoient une
pratique journalière & aiUdue , voilà
dans une vue générale ce qu'ils préten-
doient leur marquer , en les conjurant
de fe comporter toujours d'une manière
digne de leur vocation , de chercher
Piij
174 L A F o î
en toutes chofes. le bon plaifir de Dieu ;
d'achever l'ouvrage que la grâce avoit
commencé dans eux , Se de faire enfer-
re que rien ne manquât à leur perfection
Se à leur fandification , afin que rien ne
manquât à leur falut éternel 9 Se à leur
gloire. Tels étoient les enfeignemens
de ces premiers Prédicateurs de la foi ,
pleinement inftruits des intentions du
Fils de Dieu , Se fuivant le même Efprit ,
ils réprouvoient une foi lâche Se non-
chalante , Se ne connoifîoient qu'une
foi vigilante , entreprenante 3 édifiante.
Et certes, comment l'entendons-nous,
fi nous nous flattons d'obtenir la vie
bienheureufe par la foi , fans les œu-
vres de la foi ? Eft-ce à la foi feule que
Jefus - Chrift a promis fon Royaume ?
Eft-ce la foi feule qui nous juftifie ? La
foi efb le fondement de la fainteté chré-
tienne , Se les œuvres en doivent être
le complément : ôtez donc les œuvres ,
je fuis en droit de vous dire comme
Jac» e, l'Apôtre Saint Jacques , fi quelqu'un a laj
%* foi & qu il n ait point les œuvres _, de quoi
cela lui fervira-t-il ? efi-ce que la foi le
pourra fauver ?
On m'oppofera la parole de Saint
* Paul , Se l'exemple d'Abraham tiré du
cinquième Chapitre de la Genéfe , où
sans les Œuvres. 175
il eft dit qu'Abraham crut , Se que fa foi
lui fut imputée à jufrice. Il eft vrai ,
Abraham 8c tant d'autres , foit Patriar-
ches , foit Prophètes de l'ancienne Loi >
fe font rendus par la foi recommanda-
bles auprès de Dieu} mais par quelle
foi ? consultons le même Saint Paul ,
8c il nous l'apprendra. C'eft au Chapi-
tre onzième de fon Epître aux Hébreux ,
où il décrit avec une éloquence toute
divine , ce que la foi infpira de plus
héroïque 8c de plus grand à ces hom-
mes incomparables.
En effet , fans vouloir ici les nom-
mer tous , 8c fans en faire un dénom-
brement trop étendu , quelle fat la foi
d'Abraham ? Il crut , mais II ne fe bor-
na pas à croire j ou plutôt , parce qu'il
crut &: qu'il crut efficacement 8c d'une
foi parfaite , il quitta fa patrie , ainfi
qu'il lui étoit ordonné , il s'éloigna
de fes proches , il offrit fon Fils uni-
que , il fe mit en .devoir de l'immoler ,
8c ne ménagea rien pour rendre hom-
mage à Dieu , 8c lui témoigner fon
obéiffance. Quelle fut la foi de Moïfe ?
Il crut , mais il ne fe contenta pas de
croire ; ou plutôt , parce qu'il crut 8c
qu'il crut vivement 8c d'une foi prati-
que , il renonça à toutes les efpérances
P iiij
i7^ La Foi
humaines , il facriiia dans une Cour étran-
gère les titres les plus pompeux Se la
plus riche fortune 3 il fe réduiiit dans une
condition humble , Se dans un état de
fourTrance , s'eflimant plus heureux
d'être amigé avec le peuple de Dieu ,
que de goûter les fauffes douceurs du
péché parmi les Idolâtres. Quelle fut
la foi d'un Gédéon y d'un Jephté 3 d'un
David , de tant de glorieux combattans
Se de zélés Ifraëlites ? Ils crurent -y mais
ils ne s'eftimerent pas quittes de tout en
croyant , ou plutôt , parce qu'ils cru-
rent , Se qu'ils crurent bien & d'une
foi courageufe , les uns s'expoferent à
mille périls pour la caufe du Seigneur 9
lui fournirent les nations ennemies , Se
fubjuguérent les Royaumes } les autres
panèrent par les plus rudes épreuves y
endurèrent pour le Dieu de leurs Pères
Se pour la loi les plus rigoureux traite-
mens , & périrent par le tranchant de
l'épée ; d'autres féparés du monde ,
confinés dans les deferts , cachés dans
de fombres cavernes , menèrent la vie
la plus auftère 3 Se reffentirent toutes les
miféres de la pauvreté Se de l'indigen-
ce : tous fe regardant fur la terre com-
me des étrangers , Se n'ayant nulle pré-
tention, nul intérêt temporel qui les
sans les Œuvres. 177
attachât , ne s'employèrent qu'à cher-
cher fans cefTe , Se par les vœux de leur
cœur y Se par le mérite de leurs œu-
vres , cette Cité célefte que la foi leur
faifoit entrevoir de loin , Se où elle les
appelloit. Car telle eft en abrégé la
peinture que l' Apôtre nous a tracée de
ces Saints de la première alliance. C'eft
ainfi que la foi agiiïbit dans eux , ou
qu'ils agifïoient par la foi , perfuadés
qu'ils ne pouvoient fans cela efpérer l'ac-
complhTement des promefTes qui leur
avoient été faites , ni entrer en pofTef-
fion de l'héritage qui leur étoit deftiné.
Les Saints de la loi nouvelle en ont-
ils jugé autrement à l'égard d'eux-mê-
mes ? ont-ils penfé que cette loi de grâce
leur donnât un privilège particulier,
Se qu'indépendamment des œuvres la
qualité de chrétien leur fût un titre fufH-
fant pour être admis au rang des Elus }
Si c'étoit-là leur morale , Se s'ils ne
comptoient que fur la foi , pourquoi fe
confumoient-ils de veilles Se de tra-
vaux ? Pourquoi s'exténuoient-ils d'ab-
ftinences , de jeûnes , de mortifica-
tions ? Pourquoi fe refufoient-ils tous
les plaiiirs <1qs fens , Se faifoient-ils a leur
corps une guerre fi cruelle ? Qu'étoit-il
nécefTaire qu'ils s'exerçaflent continuel-
I7S L A F O I
lement en des pratiques d'humilité , de
patience , de charité ? Que leur impor-
toit-il d'être h* alïidus à la prière & à;
l'oraifon ? Se d'y paiTer prefque les jour-;
nées entières Se les nuits ? Que ne for-
toient-ils de leurs retraites ? Que ne fe
répandoient-ils dans le monde ? Que
ne fe donnoient-ils plus de relâche 8d<
plus de repos ? Mais encore après tant
d'oeuvres faintes , après s'être épuifés
pour la gloire de Dieu , pour le fervice
du prochain , pour leur propre fane-
tification Se leur progrès perfonnel
après avoir amaiie ci îmmenies treiors ,
comment ne fe qualifioient-ils que de ;
ferviteurs inutiles ? Comment 3 à les eni
croire , fe trouvoient-ils les mains vui- -
des , Se déploroient-ils avec autant de 2
confufion que d'amertume de cœur,,
leurs befoins fpirituels Se leur dénué--
ment extrême ? D'où leur venoit ce ;
tremblement dont ils étoient faifis au i|
fujet de leur falut , Se au fouvenir des
arrêts du Ciel ? ils avoient tout entre-
pris , tout exécuté , tout foutenu , Se il
iembloit néanmoins qu'ils n'eufTent rien
fait. Ne nous en étonnons pas : c'eft
qu'ils étoient convaincus de l'indifpen-
fable néceilité des œuvres pour rendre
leur foi falutaire j qu'ils craignoient de
sans les Œuvres. 179
ne pas remplir fur cela toute la mefure
qui leur étoit prefcrite.
Avons-nous moins à craindre qu'eux ,
Se ferons-nous moins expofés à cette
^ malédi&ion dont le Fils de Dieu frap-
pa le figuier ftérile ? Il s'approcha de ce
figuier , il y chercha des fruits , mais
; n'y voyant que des feuilles , Que jamais j Matth.
dit-il , tu ne portes de fruits & queperfonne
jamais ne mange rien qui vienne de toi.
L'effet fuivit de près l'anathême ; le fi-
[ guier dans l'inftant même perdit tout
1 fon fuc , Se fécha jufques dans fes raci-
• nés. Ce ne fut plus qu'un bois mort &
; propre à brûler, figure terrible ! Quand
le fouverain Juge viendra , ou qu'il
nous appellera à lui , pour décider de
notre éternité , ce qu'il examinera dans
nous , ce qu'il y cherchera 3 ce ne fera
pas feulement la foi que nous aurons
confervée , mais les œuvres qui l'au-
ront accompagnée. Ainfi nous le dé-
clare le grand Apôtre dans les termes
les plus exprès : Nous par vitrons tous de- 1. Cbr*
vant le Tribunal de jefus-Chrift ^ afin que ** I0*
chacun reçoive félon le bien qu il aura prati-
qué ^ou félon le mal qu il aura commis, .L'A-
pôtre ne dit pas précifément , que nous
recevrons félon que nous aurons cru
ou que nous n'aurons pas cru j mais fe-
i8o La Foi
Ion que nous aurons agi , ou que nous
n'aurons pas agi conformément à notre
croyance.
Et n'eft - ce pas aufli ce que nous1
voyons clairement exprimé dans la £en- ■
tence , ou de falut , ou de damnation , ,
que prononcera le Fils de Dieu , foit à i
l'avantage des juftes en les glorifiant y\
foit à la ruine des pécheurs en les ré--
iMatth. prouvant ? Que dira-t-il aux uns ? Vene\ s ,
c.z
34," vous qui êtes bénis de mon père j pojféde^ le
Royaume qui vous a été -préparé des le com- -,
mène ement du monde : car f ai eu faim j &A
vous m'ave-^ donné à manger _, & le refte» .
Que dira-t-il aux autres ? Retire^ - vou$<
maudits y & alle^au feu éternel _, parce que ■
j'ai étéprejféde la faim _, & vous nave^pas ■
eu foin de me nourrir, U n eft point la .
parlé de la foi ; non pas qu'elle ne foit
îuppofée , & que dans le jugement qui
fera porté , ou en notre faveur , ou
contre nous , elle ne doive avoir toute
la part qu'elle mérite : mais enfin il n'en
eft point fait mention. Il n'eft point dit
aux prédeftinés _, vous êtes bénis de mon
père , parce que vous avez été fournis
aux vérités de mon Evangile \ comme
il n'eft point dit aux réprouvés _, Alleç, 3
maudits au feu éternel _, parce que vous
avez été incrédules : mais il femble que
sans les Œuvres. 181
tous les motifs de~ce double jugement
ne foient pris que de la pratique , ou de
i'omillion des œuvres chrétiennes. J'ai 4I^
eufoifj & vous rnave\donné _, ou vous ne
m'ave^pas donné à boire ;je navois point
Ide logement y & vous rnave^ recueiUi _, ou
ne m'ave^pas recueilli cke^ vous ; j'étois
malade j & vousm3ave\^ ounem'ave^pas
ajjijlé. 'Tout cela ne regarde en appa-
rence que les œuvres de miféricorde ,
mais comprend en général toutes les
autres qui y font fous-entendues.
En vain donc je pourrai dire alors à
Dieu : Seigneur, j'étois chrétien , &
, j'avois la foi': fi je ne puis ajouter que
j'ai mis en œuvre cette foi , que j'ai
' profité de cette foi , que cette foi m'a
fervi à exciter &: a entretenir ma fer-
veur dans l'exercice de toutes les ver-
I tus j qu'avec cette foi , Se par les gran-
, àcs considérations que cette foi préfen-
toit continuellement à mon efprit , je
; me fuis détaché du monde , j'ai com-
battu mes pallions , j'ai mortifié mes
fens , j'ai jeûné , j'ai prié , j'ai fait l'au-
' mône , je n'ai rien omis de tous mes
devoirs j li, dis-je, ces mérites de l'ac-
tion me manquent , Dieu produifant
contre moi cette foi même , que j'ai
reçue fur les facrés fonts , Se que j'ai
1 8 z La Foi
profefTée , n'aura de fa part point:
d'autre réponfe a me faire , que celle
de ce maître de l'Evangile au fervi-j
teur parefTeux : méchant ferviteur J
pourquoi n'avez - vous pas employé
votre talent ? pourquoi l'avez - vous;
gardé inutilement dans vos mains %i
au lieu de le mettre à profit , afin qu'à i
mon retour j'en retirafle quelque inté--j
ret?
Qu'eft-ce que ce talent 3 finon la foi M
8c qu'eft-ce que ce ferviteur parefTeux , J
finon un de ces chrétiens oififs 8c négli-
gens , qui tiennent leur foi comme en- •
fevelie , 8c en qui elle paroît morte ? ' I
Ce ferviteur parefTeux, quoique feule-
ment pareiTeux 8c fans avoir diiîipé
fon talent , fut traité de méchant fer-
viteur , 8c par cette raifon feule il fut
condamné 8c rejette du maître j 8c ce
chrétien négligent 8c oifif , quoique
feulement oifif 8c négligent , fans s'être
écarté de la foi , fera traité de mauvais
chrétien 5 8c par ce titre feul Dieu le
jugera coupable 8c le renoncera. Cou-
pable , parce que la foi , dans les vé- i
rites qu'elle nous révèle , lui fournifTant
les plus puiflans motifs , pour allumer
tout fon zèle , 8c pour l'engager à une
vie toute fainte 3 il y aura été infenfible
sans les Œuvres. 18$
Se n'y aura pas fait l'attention la plus
légère. Coupable , parce que la foi lui
di&ant elle - même qu'exclufivement
,aux œuvres , elle n'étoit pas fuffîfante
pour lui aiïurer un droit à l'héritage cé-
îefte , il ne l'aura point éco.itéefur un
article auflî important que celui-là 3c
n'en aura tenu nul compte. Coupable ,
parce que la foi étant une grâce 5 3c
l'une des grâces les plus précieufes , il
en falloit ufer , puifque les grâces divi-
ines ne nous font point données à d'autre
ifin j & que n'en ayant fait aucun em-
ploi , il ne fe fera pas conformé aux
jvues de Dieu fur lui , 3c n'aura pas
rempli fes defTeins. Coupable , parce
1 qu'ayant eu la foi dans le cœur , 3c
l'ayant même confeiTée de bouche , il
l'aura démentie dans la pratique ; qu'il
l'aura contredite 3c tenue dans une
efpéce de fervitude ; qu'il aura rélifté
à les connohTances 3c à fes lumières ;
-qu'il l'aura deshonorée , en la dé-
; pouillant de fa plus belle gloire , qui
heft la fainteté des œuvres ; qu'il l'aura
[j feandalifée devant les libertins , en leur
faifant dire 3 que pour être chrétien ,
on n'en eft pas plus hommes de bien.
Enfin coupable par comparaifon avec
tout ce qu'il y aura eu avant lui 3c après
ï84 La Foi
lui de chrétiens fervens , appliqués;
laborieux , qui n'avoient pas pourtant
une autre foi que la fienne j & même
coupable par comparaifon avec une
multitude innombrable d'infidèles &
d'idolâtres , en qui la foi eût fructi-
fié au centuple de dont elle eût fait au- [
tant de faints , s'ils eulTent été éclai-
rés comme lui de l'Evangile.
Voilà pourquoi Dieu le réprouvera,
Ôc lui fera entendre cette défolante pa-
role : je ne vous connois point. Non pas:
qu'à l'égard des chrétiens il en foit tout-a-
fait de même , qu'à l'égard du ferviteur :
pareffeux. Le maître en condamnant ce .
ferviteur inutile, lui fit enlever le talent:
qu'il lui avoit confié ; mais en réprou- J
vant ce lâche chrétien , Dieu lui laiiTera
l'excellent caractère dont il i'avoit ho-
noré. Jufques dans l'enfer , ce fera tou-
jours un chrétien j mais il ne le fera i
plus que pour fa honte , que pour:'
ion fupplice , que pour fon défefpoir. J
Cette glorieufe qualité de chrétien J
qu'il aura fi long - tems oubliée , quand I
il étoit pour lui d'un fouverain intérêt :
d'y penfer , il ne l'oubliera jamais , ,
lorfqu'il en voudroit perdre l'idée , ôc
que le fouvenir qu'il en confervera , ne
pourra plus fervir qu'à le tourmenter.
Quels
sans les Œuvres 18$
Quels regrets fera-t-elle naître dans
fon cœur , quand elle lui remettra
les prétentions qu'elle lui donnoit au
royaume de Dieu , & que par une in-
. dolence molle où il fe fera endormi , il
fe verra déchu de toutes les efpérances.
. A quels reproches l'expofera-t-elle , de
la part de tant de Gentils réprouvés
comme lui ; mais fans avoir été revê-
i tus du même caractère , ni avoir eu le
même avantage que lui ? Hé quoi !
, vous êtes devenu femblable à nous !
vous avez encouru le même fort ! Que
. vous demandoit - on de ïi difficile ^ 8c
\ comment avez-vous perdu un bien dont
, votre foi vous découvroit le prix inefti-
mable , Se que vous pouviez acquérir à
. fi peu de frais ?
III. Que peuvent dire à cela ces
honnêtes gens du liécle , qui paiTent
pour chrétiens , & qui le font en effet 5
| mais dont la foi toute renfermée au-^
; dedans ne fe produit prefque jamais
au - dehors par aucun acte de chriftia-
nifme , ni aucune des œuvres les plus
| ordinaires dans la religion ? Car voilà
I où la foi en eft réduite , même parmi
ceux qui dans le monde ont une repu-
i tation mieux établie y & font voir dans
Tome L Q
iî6 L a F o ï
leur conduite plus de régularité 8c plus
de probité. Telle eft la vie de tant de
femmes , en qui je conviens qu'il n'y ai'
rien à reprendre par rapport à la fagefTe
8c à Fhonneur de leur fexe. Telle eft la i
vie de tant d'hommes , qui dans l'efti- |
me publique font réputés hommes d'or-|
dre 8c de raifon, droits , intégres , enne-
mis du vice , 8c ne fe portant à nul ex- |
ces. Je veux bien là-defïus leur rendre
toute la juftice qu'ils méritent j je ne •
formerai point contre eux des accufa- |
tions faruTes 8c mal-fondées j je ne leur |
imputerai , ni libertinage , ni débau-
ches , ni pallions honteufes , ni com-
merces défendus , ni colères , ni em- '
portemens , ni fraudes , ni ufurpations , ,
ni concuilion. Que fur tous ces fu-
jets 8c fur d'autres ils foient hors d'at-
teinte , j'y confens ; mais je ne les ;
riens pas dès-lors afliirés de leur falut.
Si d'une part j'ai de quoi efpérer pour j
eux , je ne vois d'ailleurs que trop à
craindre ; 8c en voici la raifon. Car ne
nous laifTons point abufer d'une erreur
d'autant plus dangereufe , qu'elle eft
plus apparente 8c plus fpécieufe j 8c ne
penfons point que tout le mérite abfo-
lument requis pour le falut , confifte à
éviter certains péchés. Dieu dans fa loi
sans les Œuvres.' 187
ne nous a pas dit feulement , abftenez-
vous de ceci &c de cela ; mais il nous a
dit de plus , faites ceci &: faites cela. Le
père de famille ne reprit d'aucune ac-
tion mouvaife ces ouvriers qu'il trouva
dans la place publique ; mais il les blâma
de perdre leur tems , & de demeurer là Matt'-.
fans occupation. Àllc\3 leur dit-il, dans c«~0»^
ma vigne > de travaillez-y ] car fans tra-
vail vous ne gagnerez rien , 8c vous ne
I devez être récompenfés que félon la
! mefure de votre ouvrage. Tellement
que nous ne ferons pas moins refpon-
; fables à Dieu du bien que nous^ aurons
I omis , que du mal que nous aurons
commis.
Or qu'on me dife quel bien prati-
quent la plupart des chrétiens , ôc même
de ces chrétiens que je reconnois vo-
lontiers pour gens d'honneur , &c à qui
j'accorde fans peine la louange qui leur
appartient. Ils font de bonnes moeurs ,
ils s'en félicitent , ils en font gloire ;
mais ces bonnes mœurs a quoi vont-
elles , & où fe réduifent-elles ? Sont-
ce des gens pieux &: religieux , qui
s'adonnent , autant que leur état leur
permet , à la prière , qui ailiftent aux
offices divins 3 qui fe rendent aiîidus au
facrifice de nos autels ? qui fréquentent
i88 L a F o ï
les Sacremens , qui fe nourrhTent de
faintes lectures , qui écoutent la parole
de Dieu , qui chaque jour fe rendent
compte à eux-mêmes de la difpofition
de leur confcience^ & qui après cer-
taines diffractions indifpenfables , de:
certaines affaires où leur condition les*
engage , aient leur tems marqué pour
fe recueillir de pour vaquer au foin de
leur ame ? Sont- ce des gens charita-
bles , qui par un efprit de religion s'in-
téreffent aux miféres 8c aux befoins
d'autrui y &c foient même pour cela
difpofés à relâcher tout ce qu'ils peu-
vent de leurs intérêts propres -y qui ,
Rom» e. fuivant la maxime de l'Apôtre , pieu-.
17,9 '*• rent avec Ceux qui pleurent ^ & fans fe pi-
quer d'une maligne jalouiie , fe réjouif-
fent avec ceux qui ontfujet defe réjouir'
qui félon leurs facultés contribuent au
foulagement des pauvres & à la confola-
tion des affligés , s'appliquant à les
connoître , fe faifant inftruire de ce
qu'ils foiuTrent , & de ce qui leur man-
que } les viiîtant eux-mêmes , autant
qu'il convient j Se ne dédaignant pas
dans les rencontres de leur porter les
fecours nécefïaires ; qui dans toutes
leurs paroles & dans toutes leurs manières
d'agir, prennent foigneufement garde
sans les Œuvres. i $9
à noffenfer perfonne , 6c du refte
ne penfent aux injures qu'on leur fait
que pour les pardonner -y doux , hum-
bles , patiens , affables à tout le monde ,
de ne cherchant à l'égard de tout le
monde , que les fujets de faire plaifir
&: d'obliger ? Sont - ce des gens mor-
tifiés & détachés d'eux - mêmes 5 qai
répriment leurs defirs , qui captivent
leurs fens 5 qui crucifient leur chair ,
qui par un fentiment de pénitence Se
en vue de cette abnégation évangéli-
que , dont le Fils de Dieu a fait le
point capital de comme le fondement
de fa loi , renoncent aux commodités
& aux aifes de la vie , fe retranchent
tout fuperflu , Se f e bornent précifément
au néceffaire ?
Hé ! que dis-je ? connoiffent - ils cette
morale ? la comprennent-ils ? en ont-ils
même quelque teinture ? Que je la leur
propofe, Se que j'entreprenne de les y
affujettir , ils me prendront pour un
homme outré , pour un zélé indiferet 9
pour un fauvage venu du defert. C'eft
néanmoins la morale de Jefus-Chrift 9
de c'eft à cette morale que le falut eft
promis. Il n'eft point promis à une vie Matth
douce & toute humaine , quelqu'inno- Cf 7#I3*
cente au-dehors qu'elle paroiffe. Je cou-
190 La Foi
md. fuite l'Evangile . & voici ce que je lis ;
II. xi. r f y . r- ' rr
Joan. c. £>ntre-{ par la porte étroite j faites effort.
JZ> 35* Le royaume de Dieu ne s'emporte que pari
c. 13" violence : Un y a que ceux qui emploient 1
l°'lu la force qui le raviffent. Marche-^ _, c'ejl-à-
14. \l dire^ cigijfe^ tandis que le jour vous éclaire.
17 * L'arbre qui ne produit point de bons fruits y
fera coupé & jette au feu : enfin celui qui ne
porte pas fa croix > & ne la porte pas tous ;
les jours j ne peut être mon difciple ni digne
de moi : tout cela eft court , précis , déci-
fif. C'eft Jefus-Chrift qui parle , & qui
nous donne des règles infaillibles pour
juger fi nous ferons fauves ou réprouves.
Toute vie conforme à ces principes ,
eft une vie de falut } mais toute vie:
auili qui leur eft oppofée , doit être,
une vie de réprobation.
Et qu'on ne me demande point en
quoi cette vie eft criminelle , & pour-
quoi fans être une vie licencieufe &
vicieufe , c'eft toutefois une vie ré-
prouvée de Dieu. Je ne m'engagerai
point ici dans un long détail , ni en des
queftions fubtiles ôc abftraites j je n'ai
en général autre chofe a répondre , fi-
non que cette vie dont on fait confif-
ter la prétendue innocence à s'abftenir
de certains excès & de certains défordres -
fcandaleux > n'a point précifément par-
SANS LES (EuVRES. Ipî
là les cara&ères de prédeftination mar-
qués dans les textes inconteftables ôc
irréprochables que je viens de rappor-
ter. Vivre de la forte , ce n'eft certaine-
ment point entrer par la porte étroite ,
ni tenir un chemin rude <Sc difficile.
Ce n'eu: point avoir de grands efforts
à faire pour gagner le Ciel , ni à ufer
de grandes violences. Ce n'eft point
profiter du tems que Dieu nous donne ,
ni faire de nos années un emploi tel
que Dieu le veut , pour notre avance-
ment dans fes voies & notre perfection.
Ce n'eft point être de ces bons arbres
qui s'enrichifTent de fruits de remplif-
fent par leur fertilité les efpérances du
maître. En un mot , ce n'eft point
vivre félon l'Evangile , puifque ce n'eft
ni fe renoncer foi - même , ni por-
ter fa croix , ni fuivre Jefus - Chrift.
Or quiconque ne vit pas félon l'Evan-
gile , ne peut arriver au terme où l'E-
vangile nous appelle ; &c je conclus
fans héfiter , qu'il eft hors de la route ,
qu'il s'égare , qu'il fe damne. Ce rai-
sonnement me fufïit , & je n'en dis pas
davantage. Malgré toutes les juftifica-
tions qu'on peut imaginer , je ne me
départirai jamais de ce principe fonda-
mental & inébranlable. Si tant de chré-
i$% Les Œuvres
tiens du fiécle 6c de chrétiennes , n5efl
font point troublés , leur faillie con*
fiance ne m'empêche point de trembler
pour eux , & de trembler pour moi-mê-
me. Qu'ils raifonnent comme ils leur
plaira : s'ils n'ouvrent pas les yeux , &
qu'ils s'obftinent à ne vouloir pas re-
connoître la fatale illulion qui les fé-
duit, j'aurai pitié de leur aveuglement,
mais je ne céderai point de prier em'ô
même tems le Seigneur qu'il me garde-
bien d'y tomber.
Les Œuvres fans la Foi _, Œuvres
infruâueufes & fans mérite
pour la vie éternelle.
I.T 'Apôtre S. Jacques a dit : faites* ,:
J a moi voir vos œuvres , & je ju--|
gérai par - là de votre foi ; & fans1
blefTer le refpedt dû à la parole du Saint l
Apôtre , ne pourroit-on pas en quel-
que manière renverfer la proposition , J
Ôc dire aufïi : faites-moi voir votre foi ^
de je jugerai par - là de vos œuvres } !
c'eft-à-dire , que je connoîtrai par le
caractère de votre foi 3 fi les œuvres
que vous pratiquez font véritablement
de<
SANS LAFoI. I95
de bonnes œuvres , fi ce font des œu-
vres chrétiennes , des œuvres faintes de-
vant Dieu , des œuvres que vous puif-
fiez préfenter à Dieu , de qui vous
tiennent lieu de mérites auprès de
Dieu,
Car il ne faut point confidérer no*
œuvres précifément en elles - mêmes ,
pour fçavoir {1 elles font bonnes ou
mauv ifes , {1 elles font utiles ou infruc-
tueufes , fi Dieu les accepte , ou s'il les
méprife 8c les rejette ; mais pour cette
diftindion , on en doit examiner le
principe. Or le principe de toutes bon-
nes œuvres , de toutes œuvres méri-
toires 8c recevables au tribunal de Dieu
c'eft la foi , puiique la foi , félon l'ex-
prefife dédiion du Concile de Trente ,
eft la racine de toute juftice ; d'où il
s'enfuit que cette racine étant altérée 8c
gâtée , les fruits qu'elle produit doivent
s'en refTentir , 8c que ce ne peuvent être
4e bons fruits.
Gardons - nous toutefois de donner
dans une erreur très - condamnable ,
qui feroit de traiter de péché tout ce
qui ne vient pas de la foi parfaite 8c
vertu théologale. Ce feroit outrer la
matière , 8c s'engager dans des confç-«
Tome L R
î94 Les Œuvres
quences hors de raifon. Corneille con*
uoifïbit le vrai Dieu <Sç çroyoit en lui j
mais il n'ayoit aucune connoilTance de
Jefus-Chrift : cependant fes aumônes Ôç
fes prières font fi agréables à Dieu ,
qu'il lui envoie un ange , pour lui ap-
prendre le moyen de connoître le myftère
de notre rédemption , de recevoir 1$
Baptême , èc de devenir Chrétien.
On peur donc , avec un commence^
ment de cette foi qui opère par la cha-? ■
rite , faire des oeuvres moralement
bonnes , qui nous attirent de plus ;
grandes grâces j la foi parfaite , ôc
formée par la chanté juftifiante , avec :
laquelle nous faifons des œuvres méritoi-
res de la vie éternelle. Or c'eft de ce :
genre de mérite que je parle , quand je
dis que fans la foi il n'y a point de bon^
nés œuvres,
Ainfi comme les œuvres font , d'une: :
part 5 les preuves les plus fenfibles de la
foi, de même eft-il vrai , d'autre part,,
que c'eft la foi qui fait le difcernement
des œuvres ; tellement que toutes bon*
nés qu elles peuvent être de leurs fonds
6c devant les hommes 3 elles ne le font? :
auprès de Dieu & par rapport à la vie 3
éternelle qu'il nous a promue a qu'autan^ :
s4 ans la Foi. 195
quelles procèdent d'une foi pure , {im-
pie & entière» Car , félon le témoignage
de l'Apôtre , il n'eft pas poftibie de
plaire à Dieu fans la foi : & la difpo-
îition nécelfaire pour approcher de
Dieu , eft , avant toutes chofes , de
Croire qu'il y a un Dieu , &: de fe fou-
înettre à tout ce qu'il nous a révélé ou
par lui-même , ou par fon Eglife.
Delà il eft aifé de juger iî c'eft tou->
jours raifonner jufte , que de dire : cqs
gens-là font gens de bonnes œuvres,
réglés dans leurs mœurs , irréprochables
dans leur conduite , d'une morale
exa&e , n'ayant autre chofe dans la
bouche & ne prêchant autre chofe :
par conféquent ce font des hommes de
Dieu, ce font des gens parfaits félon
Dieu. Tout cela eft beau, ou plutôt,
tout cela eft fpécieux 8c apparent : mais
après tout , les hérétiques ont été tout
cela , ou ont affe&é de le paraître.
Témoin un Arius , témoin un Pelage ÔC
tant d'autres : on relevoit leur fainteté ,
on canonifoit leurs a&ions , on les pro-
pofoit comme de grands modèles j mais
avec tout cela ce n'étoit certainement
pas des hommes de Dieu , parce
qu'avec tout cela c'étoient des gens ré-
voltés contre l'Eglife, attachés à leuj;
ï^ Les <E u v bi g s
fens , entêtés de leurs opinions : en un
mot > des gens corrompus dans leur foit
Qn a néanmoins de la peine a fe per^- •
fuader 3 que des hommes qui vivent
bien , ne penfent pas bien 3 ôc qu'étant
ii réguliers dans toute leur manière d'a-
gir , ils s'égarent dans leur créance :
mais voilà juflement un des pièges les
plus ordinaires , ôc les plus dangereux
dont les héréfiarques Se leurs fauteurs fe
(oient fends pour infpirer le venin de
leurs héréfies & pour s'attirer des fe&a-
teurs y piège que Saint Bernard , fans re-
monter plus haut, nous a fi naturelle-
ment & iî vivement repréfenté dans la
perfonne de quelques hérétiques de fon
%ernt tems. Que difoit-il d'Abaillard ? Ç'eji un
tpifi. ad homme tout ambigu , & dont la vie efi une,
rr^m. contradiction perpétuelle. Au dehors c ejt.
Hem A un Jean-Baptijle j mais au-dedans c'e/luç;
Epfco- Hérode. Que difoit-il d'Arnaud de Breffe ? .
^■mn Plut â Dieu que fa doctrine fût aufïl faine y
Confiait- r . S as , tt •
tienjèm» queja vie ejt aujtere ! Il ne mange j ni ne
boit j& ' ilejl de ces gens que l'Apôtre nous
a marqués j lef quels ont tout V extérieur de
la piété \ mais qui n'en ont pas le fonds ni
les fentimens. Ses paroles j ajoutpit le.
même faint Ûo&eur, en parlant du même
Arnaud 3 fes paroles coulent comme l'hui-.
IÇj & ShQnt j cefcmbU} l'onction ; mail
"Sansla Foi. 15^
té font traits empoïfonnés. Car ce qu'il
prétend par des difcours fi polis j & de fi
belles apparences de vertu _, c'efi de s'infi-
-huer dans les efprits & de les gagner àfoà
parti. Que difoit-il de Henri , écrivant à
un homme de qualité ? Ne vous étonne^
pas qu'il vous aitfurpris. C'efi unferpent %ernt
adroit & fubtil. À le voir > il ne paroît cpi/?; oâ
tien en lui que d'édifiant j mais ce n'efi là onr^
qu'une vaine montre j & dans l'intérieur il
n'y a point de religion.
Ces exemples furEfent pour nous faire
comprendre , combien on doit peu
compter fur certaines œuvres d'éclat &c
fur certaine réputation de fainteté , qui
fouvent ne font que des lignes équivo-
ques , & d'où l'on ne peut conclure avec
aifurance qu'un homme marche dans la
voie droite , ni que ce foit un bon guide
en matière de foi. Âulîi eft-ce encore
l'avis que donnoit Saint Bernard au
peuple de Toulonfe. C'étoit un tem's
de ténèbres , où l'héréfie chef choit à fe
répandre j mais pour les préfervèr d'une
pefte fî contagieufe , il leur enjoignoit
de ne pas recevoir indifféremment tou-
tes fortes de Prédicateurs > & de nen
admettre chez eux aucuns qu'ils ne
cpnnufTent. Car ne vous y fiez pas ; „;J*jJ
Ne vous en tene^préciférnentj ni à ce qu'ils Tokfv-
R iij *
fypî Les Œuvrer
yous diront ^ ni au %èle qu'ils vous témoU
gnerontjy ni à la haute perfection de la mo-
rale qu'ils vous prêcheront. Ils vous tien-
dront un langage tout divin^ & ils vous par- ■
leront comme des Anges venus du Ciel i ■
mais de même qu'on mile fecrétement le
poifon dans les plus douces liqueurs j avec
les exprejjions les plus chrétiennes ^ ils fe-
ront couler leurs nouveautés _, & ils vous les
préfenter ont fous des termes enveloppés &
pleins d'artifices. Faux Prophètes j loups
raviffans déguifts en brebis !
Cependant les fimples fe laiffent fur-
prendre. Ils voyent des hommes quant
à l'extérieur recueillis y modeftes , zélés ,
laborieux , charitables , fidèles à leurs
devoirs , 3c rigides obfervateurs de la
difcipline la plus étroite. Cette régula-
rité les charme , & ils feroient icrupule
d'entrer là - defïus en quelque dé-
fiance , ôc de former le moindre foup-
çons défavantageux. On a beau leur
dire que ce n'eft pas là l'efTentiel ;
que c'effc la foi qui en doit décider ,
que ii la foi manque , ou qu'elle ne foit.
pas telle qu'elle doit être , tout le refte
n'eft rien : ils prennent ce qu'on leur
dit pour des calomnies , pour des ja-
loufies de parti , pour des préventions ,
& de faux jugemens. Ain fi le Sauveur
s À tf s la Foi. 199
in monde s'élevoit contre les Phari-
iiens & démafquoit leur hypocrifie ;
mais en vain : le peuple touché de leur
air pénitent Ôc dévot , de leur longues
prières , de leurs abftinences , de leur
exactitude aux plus légères pratiques de
la loi , s'attachoit à eux , les âdmiroit ,
les révéroit , les combloit d'éloges , ôc
malgré tous les avertiflemens du Fils
de Dieu 5 ne vouloit point d'autres maî-
tres ni d'autres conducteurs*
Mais après tout > cette vie exemplaire
ne fait-elle pas honneur à la religion , ôc
ce zèle dQs bonnes oeuvres n'efï-il pas
utile à l'Eglife ? A cela je fais une ré-
ponfe qui paroîtra d'abord avoir quelque
chofe du paradoxe , mais dont on recon-
noîtra bien-tôt la folidité ôc l'incontefta-
ble vérité , pour peu qu'on entende ma
penfée. Car je Soutiens qu'il y a des per-
fonnes , & en aiTez grand nombre , qui
dans un fens feraient beaucoup moins de
mal à la religion , ôc s'en feraient beau-
coup moins à eux-mêmes par une vie li~
cencieufe Ôc fcandaleufe , que par leur
fainteté prétendue ôc par l'éclat de leur
zèle. Beaucoup moins de mal a la reli-
gion , pourquoi ? parce que dès qu'on
les verrait fujets à des défordres gref-
fiers , on perdrait en eux toute confiance
R iiij
ioo Les Œuvres
Se qu'ils fe trouve roient par-là moins eïïi
état de féduire les efprits , & d'établir t
leurs dogmes erronés. Au lieu de les fui--!
vre , on s'-éloigneroit d'eux ; Se le mépris .
où. ils tomberoient 3 les déxréditeroit ab- -
folument , Se leur ôteroit toute autorité
pour appuyer le menfonge. Beaucoup »
moins de mal à eux-mêmes , comment ? ' '
parce que tôt ou tard , l'horreur de leurs .
défordres pourroit les toucher , les réveil-
ler, leur infpirer des fentimens de re-
pentir Se les ramener. Les exemples en
font aiTez communs. De grands pécheurs
ouvrent les yeux , écoutent les remon-
trances qu'on leur fait , reviennent de
leurs égaremens j Se plus même ils font
grands pécheurs , plus il eft quelquefois
aifé de les émouvoir , en leur repréfen-
tant les excès où ils fe font abandonnés ,
Se les abîmes où la paflion les a emportés.
Mais des gens au contraire dont la
vie eft exempte de certains vices , Se
qui d'ailleurs s'adonnent à mille prati-
ques très - chrétiennes en elles-mêmes ,
Ôe très-pieufes ; voilà ceux auxquels il
eft plus difficile de fe détromper Se
d'appercevoir Pillufion qui les aveugle
Se qui les perd. A force de s'entendre
canonifer , ils fe perfuadent fans peine
qu'ils font tels en effet qu'on les vante
sans i a For. loi
de tous cotés. Cette bonne idée qu'ils
conçoivent d'eux - mêmes , les entre-
tient dans la faillie idée doiit ils fe font
lailîes prévenir , que fur la doctrine ils
: 'ont les vues les plus juftes , & qu'ils fonr
| les défenfeurs de la vérité. Ils fe regar-
dent comme les appuis de la foi, 6: ils
croyent rendre fer vice à Dieu , en te-
nant ferme dans leur nouveau corps de
religion , contre toute autorité Se toute
puifëmce fupérieure , foit Laïque 5 foit
Eccléfiaftique. De cette forte ils s'oblti-
nent dans un fchifrne dont ils font Iqs
principaux agens. Us y vivent en paix,
êc ils meurent dans une opiniâtreté in-
surmontable. D'autant plus malheureux
qu'il leur en coûte plus pour fe perdre
6c qu'ils fe damnent à plus grand frais.
Ce qui leur manque , c'eil principale-
ment la foi. Quand ils feraient tout
ce qu'il faut faire pour fe fanétifier ,
n'ayant pas le fondement de toute
fainteté , qui eft la foi , je*5 veux dire
l'obéifTance , la docilité , îa pureté de
la foi y avec tout ce qu'ils font , ils ne
fe fanctifient pas. Ils né bâtiiïent que
fur le fable ; Ou félon la figure de faine
Paul, l'édifice qu'ils conftruifent , n'eft.
qu'un édifice de paille. De forte qu'au
four du Seigneur ils feront de ces Pro-
£o£ Les Œuvres
phèces dont il eft parlé dans l'Evangile
ôc qui fe préfentant à- Dieu pour être ju
tUtth. gés3 lui diront? Seigneur^ n avons-nom.
e' 7* %z' pas prophétifé en votre nom? n avons-nom
pas en votre nom chaffe les démons ? n'a-,
yons-nous pas fait des miracles ? mais à
qui Dieu répondra : je ne vous eonnois
point ; retirez-vous de moi _, mauvais ou-
vriers d'iniquité.
II. Il y a encore d'autres œuvres faites]
fans la foi j quoique faites avec la foi. Jeu
m'explique. Œuvres faites avec la foi j;!
car dans le fond on eft chrétien , on eft I
catholique, on eft uni de croyance avec.
l'Eglife , on ne rejette aucune de fes dé-
diions , & on les reçoit toutes frncére-
ment & fans détours. Mais d'ailleurs ,
ceuvres faites fans la foi , parce que la foi
n'y a point de part i que la foi n'y entre
point , que ce n'eft point la foi qui les
infpire , qui les dirige , qui les anime*
Tout chrétien qu'on eft, on agit en payen;
je ne dis pas en payenfujet aux vices & au
dérèglement des mœurs , où conduifoit
de lui - même le paganifme ; mais je dis ,
en honnête <St lage payen* C'eft-à-dire ,
qu'on agit, non point par la foi, ni par des
vues de religion , mais par la feule rai-
fona mais par une probité naturelle, mais
fc a k s i a F 6 t: lof
par un refped tout humain , mais paf
la coutume , l'habitude , l'éducation ^
mais par le tempérament 5 l'inclination ,
le penchant.
On rend la juftice , parce quon éft
droit naturellement 8c équitable j on
fert le prochain , parce qu'on eft natu-
tellement officieux 3c bienfaifant j on
alîifte les pauvres , parce que naturel-
lement on eft fenlihle aux miferes d'au-
trui , ôc qu'on a le cœur tendre êc affec-
tueux ; on prend foin d'un ménage 3c
on s'applique à bien conduire une mai-
fon , parce que naturellement on eft
rangé ôc qu'on aime l'ordre j on remplit
toutes les fonctions de fon miniftère ,
de fon emploi , de fa charge > parce que
l'honneur le demande , parce que la ré-
putation y eft engagée , parce qu'on veut
toujours fe maintenir en crédit 3c fur un
certain pied ; on s'occupe d'une étude ,
on parle les journées & fouvent même
les nuits dans un travail continuel , parce
qu'on veut s'inftruire ôc fçavoir i qu'on
veut réuffir de paroître , qu'on veut s'a-
vancer & parvenir : ainfi du refte, dont le
détail feroit infini,
Tout cela eft bon en foi ; mais dans
le motif tout cela eft défectueux. Il eft
bon de rendre à chacun ce qui lui eft
io4 Les (Ë u v R e Si
dû , de protéger l'innocence & de gar-?
der en toutes chofes une parfaite équitéi
Il eft Bon de ie prêter là main lès uns"
aux autres , de fe prévenir par des offi-*
tes mutuels, & d'obliger, autant qu'on
peut, tout le monde. Il eft bon dé
conloler les affligés , de compatir à
leurs peines & de les fecourir dans leurs
befoins. Il eft bon de veiller fur £qs en-
fans , fur des dorrieftiques , fur toute
une famille, d'en adminiftrer les biens 6é
d'en ménager les intérêts. Il efttbon dans
une dignité , dans une magiftratiire ^
dans un négoce , de vaquer à fes de-»
voirs , Se de s'y adonner avec une afîî-
diiité infatigable. Que dirai-je de plus ?
Il eft bon de cultiver fes talens , de de-
venir habile dans fa profeftion , de tra-
vailler à enrichir {on efprit de nouvelles
connoifFances : encore une fois , il n'y
a rien là que de louable ; mais voici le
défaut capital. C'eft qu'il n'y a rien là
qui foit marqué du fceau de la Foi , ni
par conféquent du fceau de Dieu. Or le
fceau de Dieu, le fceau de la Foi ne s'y
trouvant point , ce ne peut être , pour:
m'exprimer ainfî , qu'une moniioié
faufTe dans l'eftime de Dieu , Se de
nulle valeur par rapport à l'éternité. Car
on peut nous dire alors 3 ce que difok
c S-47«
sans la Foi. ±05
le Sauveur des hommes : Qu'attendez-
vous dans le Royaume du Ciel , 8c
quelle récompenfe méritez-vous? Utiles Manh*
payens ne faïfoïen't-il pas tout ce que vous
faites ? & qu'avez-vous au-deiîlis d'eux ,
puiique vous ri agiriez point autrement
qu'eux ni par des principes plus relevés ?
En effet , il y a eu dans le paganifme ,
comme .parmi nous des Juges intégres,
déclarés , fans acception de perfonne 9
en faveur du bon droit , & aifez géné-
reux pour le défendre aux dépens de
leur fortune 8c même au péril de leur
vie. Il y a eu d'heureux naturels , tou-
jours difpofés à faire plaifir , 8c ne refu-
fant jamais leurs fervices. Il y a eu des
âmes compatiflantes , qui par un fenti-
ment de miféricorde s'attendriiïoient
fur toutes les calamités , ou publiques
ou particulières , 8c pour y fub venir ,
répandoient leurs dons avec abondan-
ce. Il y a eu des hommes d une droiture
inflexible , d'une fermeté inébranlable ,
d'un déimtéreiiement à toute épreuve ,
d'un courage que rien n'étonnoit, d'une
patience que rien n'altéroit , d'une ap-
plication que rien ne lafToit , d'une at-
tention 8c d\me vigilance à quoi rien
n'échappoit. Il y a eu des femmes d'une
régularité parfaite & d'une conduite
jg,o£ Les Œuvres
irrépréhenfible. Que de vertus ! mais
quelles vertus ! vertus morales , & rien
au-delà. Elles méritoient les louanges;
du public , elles pouyoient mériter
même de la part de Dieu quelques,
récompenfes temporelles ; elles étoienç
bonnes pour cette vie > mais fans être :
d'aucun prix pour l'autre , parce que h, .
foi , en les rapportant à Dieu , ne les
lanétifioit pas , ne les confacroit pas.
Telles font les vertus d'une infinité
de chrétiens , telles font leurs œuvres.
Leur voix eft la voix de Jacob \ mais
leurs mains font les mains d'Efaii : c'eft-àv
dire qu'ils ont la foi , mais comme s'ils
ne l'avoient point , puifque dans toutes
leurs actions ils ne font nul ufagede leur
foi. A considérer dans la fubftance les
œuvres qu'ils pratiquent , ce font des
œuvrer dignes de la foi qu'ils profefTent ,
£c ce feraient des oeuvres dignes de
Dieu , ii la foi les rapportoit a Dieu \
mais c'eft à quoi ils ne penfent en au* _
cune forte. Ils confultent 3 ils délibè-
rent , ils forment des deffeins 5 ils pren-*
nent des réfolutions , ils les exécutent;
dans le plan de vie où leur condition
les engage , ils fe trouvent chargés d'une
multitude d'affaires 3 Se pour y fuffire
ilsfe donnent mille mouvemens ? mill§
sansla Foi, icj
foins , mille peines } ils ont , félon le
cours des chofes humaines ôc félon les
conjonctures , leurs contradictions ,
Jeurs traverfes à eiFuyer , ils ont leurs
chagrins , leurs ennuis , leurs dégoûts ,
leurs adverfités? leurs fouffrances à por-
ter : ample matière , riche fonds de mé-
rites auprès de Dieu , fi la foi comme
un bon levain y répandoit fa vertu j fi ,
dis-je , toutes ces délibérations ôc tous
ces deileins étoient dirigés par des ma-
ximes de foi y fi toutes ces fatigues Se
tous ces mouvemens étoient foutenus
par des coniidérations divines &" de foi ;
\\ toutes ces fouffrances ôc toutes ces,
affli&ions étoient prifes , acceptées ?
offertes en facriiiee , ôc préfentées par
un efprit de foi. Tout prorlteroit alors
pour la vie éternelle, ôc rien ne feroit
perdu.
Je dis rien , quelque peu de chofe
que ce foit : car voilà quel eft le pro-
pre ôc l'efficace de la Foi , quand elle
opère par la charité ôc par une inten-
tion pure ôc chrétienne. On ne peut
mieux la comparer qu'à ce grain évan-
gélique , qui de tous les légumes eft le
plus petit, mais qui femé dans une bon-
ne terre , croît, s'élève , pouife des
branches , fe couvre de feuilles ôc
£o? L* s Œuvres
devient arbre. Par- tout où la fpi fe
c omm unique , étant accompagnée de la
grâce, <k par-tout où elle agit, elle y
imprime un cara&ère de fainteté , Ô€
attache aux moindres effets qu'elle pro?>
«luit un droit fpécial a l'héritage célefle.
Ne fut-ce qu'un verre d'eau donné au
nom de Jefus- Çhrift , c'eit affez pour
obtenir dans l'éternité une couronne,
de gloire. Les Apôtres paiferent toute
une nuit à pêcher & ils ne prirent rien,,
pourquoi? parce que Jefus-Chrifl n'é-
toit pas avec eux ; mais du moment :
£]ue cet Homme-Dieu parut furie riva-
ge ., de que par fon ordre §ç en fa pré-
fence , ils fe remirent au travail , la pér
che qu'ils tirent fut fi abondante , que
leurs filets fe rompirent de toutes parts >
&■ qu'ils eurent beaucoup de peine à la
recueillir. Image fenfible , où nous de^
vons également reconnoître , & i'inutirH
lité de toutes nos ceuvres pour le far '
lut , fi la foi animée de la charité & de
la grâce n'en-eft pas le principe & com-
me le premier moteur ; Se leur excel-
lence , fi ce font les fruits d'une foi vi^
ve 8c agiffante , & fi c'efl: par Fimprefïion-
de la foi que nous fommes excités à les
pratiquer.
Etrange aveuglement , que le notre 9
) quand
sans la Foi. 209
■'quand nous fuivons d'autres régies en
agilfant , ëc que nous nous conduifons
uniquement par la politique du fiècle ,
*k par la prudence de la chair ! Com-
bien vois-je tous les jours de perfonnes
de l'un ÔC de l'autre fexe , de tout âge , ,
Se de tout état , qui dans les occupa-
tions Se les embarras dont ils font fans
cefle agités , ne Te donnent ni repos , ni
relâche j qui du matin au foir obligés
d'aller , de venir , de parler , d'écouter ,
de répondre, de veiller à tout ce qui eft
de leur intérêt propre ou de leur de-
voir, mènent une vie très-fatiguante ;
iqui dans le commerce du monde font
ifcxpofés à des déboires très-amers , à
[des contre-temps très-défagréables, à des
; revers très-fâcheux , a des coups Se à
des événemens capables de déconcer-
ter toute la fermeté de leur ame ; qui
: par la délicate tTe de leur compléxion ,
.-ou le dérangement de leur fanté , font
affligés de fréquentes maladies , d'infir-
1 mités habituelles , fouvent même de
I douleurs très-aiguës ? Or en quoi ils me
paroiflfoient tous rlus à plaindre , & ce
qu'il y a pour eux ians contredit de plus
"déplorable , c'eft que tant de pas, de
-courfes , de veilles , d'inquiétudes , de
tourmens d'efprit, que tant d'exercices
Tome L S
2iû Les GEuvrs sans la For;
du corps très-pénibles , & quelque-*
fois accablans , que tant d'accidens^. ,
d'infortunes , de mauvais fuccès , de
pertes , de contrariétés , de tribulations * ,
d'humiliations , de défolations , de foi-
blefFes 8c de langueurs y que tout cela j
dis- je , ôc mille autres chofes , qui leur
deviendroient falutaires avec le fecours
de la foi , ne leur foient , au regard du
falut 5 d'aucun profit , parce que tout
abîmés dans les fens 3 ils ne fçavent poinr
ufer de leur foi } & qu'ils ne la mettent
jamais en œuvre. Sans rien faire de
plus qu'ils ne font , & fans rien fourfric
au-delà de ce qu'ils fouffrent , ils pour- •
roient , par le moyen de cette foi bien
épurée & bien employée , amafîer d'im-
menfes richeffes pour un autre monde
que celui-ci , & groiîîr chaque jour leur ;
tréfor y au lieu que fe bornant aux vues i
profanes d'une nature aveugle , & aux :
vains raifonnemens d'une féche philo- ■
fophie , toutes leurs années s'écoulent :
fans fruit y Se qu'à la fin de leurs jours
ils n'ont rien dans les mains dont ils !
puiflent tirer devant Dieu quelque :
avantage. Heureux donc le chrétien;
qui fait toujours la fainte alliance , ôc
des œuvres avec la foi P de de la foi avec
les œuvres.
du Monde, 211
La Fol vlâorkufc du monde,
^'JE craigne^pointj difoit Jefus-Chrift Joan. a
k à fes Apôtres : j'ai vaincu le monde. 6% 53«
Il l'a en effet vaincu , 3c par où ? par la.
Foi qu'il efl venu nous enfeigner , de
{>ar la fainte Religion qu'il a établie fur
a terre. Aulli , écrivoit faint Jean aux
premiers Fidèles, Quelle eji 3 mes Frères ■>
cette victoire qui nous a fait triompher du
Monde ? c'ejl notre Foi. Pour bien enten-
dre ceci , il faut , félon la belle obferva-
tion de S. Auguftin , diftinguer dans le
monde trois chofes qui nous perdent : fes
erreurs, fes douceurs & fes rigueurs. Les
erreurs du monde nous féduifent , £qs
douceurs nous corrompent , & fes ri-
gueurs ou fes perf éditions nous inf-
pirent une crainte lâche , Se nous tyran-
nifent par un refped humain, dont nous
ne pouvons prefque nous défendre. Ot
la Religion , je dis la vraie Religion ,
qui eft la Religion chrétienne , nous
élevé au-de(Tus de tout cela, & nous en
rend victorieux. Elle nous détrompe
des erreurs du monde 5 elle nous de-
Si]
%\i La Foi victorieuse
goûte des douceurs du monde, elle nou^
fortifie contre les rigueurs du monde.
I. Le monde efl rempli d'erreurs ,&
même d'erreurs les plus fenfibles ôc les;
plus grolîieres. Ce font mille fatuTes
maximes dont il fe fait autant de véri- -
tés prétendues , ôc autant de principes i
incontestables. Quelles font , par exem- •
pie y les maximes de tant de mondains ;
ambitieux , qui mettent la fortune à la i
Ûîq de tout , ôc qui fe la propofanc
comme leur fin , concluent qu'il y faut
parvenir à quelque prix que ce puiffe
être ? Quelles font les maximes de tant:
de mondains intérefTés , qui fe font de
leurs richeiTes une divinité , ôc qui pen-
fant ne valoir dans la vie qu'à propor-
tion de ce qu'ils poffédent , regar-
dent le foin d'amaffer ôc de groiîir leurs :
revenus , comme une affaire capitale ft
à laquelle toutes les autres doivent ce-;?
der ? Quelles font les maximes de tant
de mondains abandonnés à leurs plai-
sirs , qui s'imaginent n'être fur la terre
que pour fe divertir ôc pour flatter leur
fens , ôc qui livrés à des pallions hon-
teufes , ne connoiffent point de plus
grand bonheur que de les contenter en>
toutes les manières, ôc de vivre au gré
î> û Mond ê. 2î5
'de leurs defirs ? Mais fur- tout à quelles
maximes la prudence humaine &c la po-
litique n'a-t-elle pas donné cours ? Voilà
les règles de conduite que fuit le mon-
de , ik où il fe croit bien fonde. Qui
voudroit en appeller ôc les contredire ,
paiferoit pour un efprit fcible, fans con-
noiffance, &, fi je l'ofe dire, pour un
imbécile qui n'eft bon à rien , pour
un infenfé. Ce font néanmoins des re-
: gles , ce font des maximes où l'on ne
t voit , à les bien examiner , ni faine
I raifon , ni humanité , ni charité , ni
\ honnêteté 5 ni probité , ni bonne foi ,
1 ni jufrice > ni équité. Or la Religion
nous détrompe de toutes ces erreurs ;
comment cela ? parce que raifonnant
fur des principes tout oppofés à ceux
dont le monde fe laiiTe prévenir Se aveu-
gler , elle en tire dos conféquences ôc
! des maximes toutes contraires.
Car fur quels principes font établies
tant de maximes erronées & abfolu-
ment fau(Tes 5 dont le monde eft infa-
■: tué ? fur l'amour de foi-même , fur l'at-
j tachemênt aux plaifirs , fur la cupidité ,
la fenfnalité , fur l'intérêt ,. l'ambition ,
la politique , fur toutes les inclinations
de la nature corrompue & toutes les
paillons du cœur. De telles racines , il
âî4 LaÏôi yîctôAîêûsé
n'eft pas furprenant qu'il vienne dei
fruits infe&és 8c gâtés j & du menfon-*
ge 3 que peut-il naître autre chofe que
le menfenge ? Mais la Religion a des
vues bien différentes , 3c appuie {qs rai-
fbnnemens 3c fes décirions fur des prin-
cipes bien plus relevés , qui font , un at^
tachement inviolable à Dieu 3c à" la loi
de Dieu , l'amour du prochain 3c mê-
me des ennemis, le renoncement à foi-
même 8c au monde 5 le défintéreife-
ment , la fidélité , la droiture de cœur y
la mortification des fens , la fandrifica-
tion de (on ame 3c le zèle de fon falut*
De cette oppoiition de principes fuit
une oppofition entière de maximes 3C
de régies de vie. Ainfi un Chrétien ,
c'eft un homme qui juge des chofes 3c
qui en penfe tout autrement que le
monde ; 3c voilà la première victoire que
la Religion a remportée , & qu elle
remporte tous les jours 5 en faifant re-
venir une infinité de mondains des opi-
nions du monde , 3c leur en décou-
vrant Fillufion 8c le danger. Le monde
fe récrie contre ces vérités , 3c les re-
jette comme de vaines imaginations:
mais un Chrétien inftruit de fa Reli-
gion , s'en tient à l'oracle de faint Paul, v
qu'il a plu à Dieu de fauyer les hQmrc.es
du M o *--- f, ' u f
par cela même quiparor1}^ monde égare
ment & folie.
Je dis par cela même qui paroît éga-
rement d'efprit, mais qui bien loin de
l'être , eft plutôt la fouveraine fageffe.
Car , à bien examiner tous les princi-
pes & toutes les maximes de l'Evangi-
le , on n'y trouvera rien que de confor-
me à la raifonla plus jufte dans {es vues.
Aulli voyons-nous que dès que le feu
de la palîion commence à s'amortir
dans un homme , Se qu'il eft plus en état
de difeerner le bien & le mal , le vrai
de le faux 5 parce qu'il a les yeux plus
ouverts , de qu'il confidère les objets
d'un fens plus raiîis , t c'eft alors que ces
maximes 3c ces principes évangéliques
contre lefquels il fe récrioit tant, lui
femblent beaucoup mieux fondés qu'il
ne vouloit fe le perfuader. La foi qui fe
réveille dans fon cœur 5 les lui repré-
sente dans un jour tout nouveau pour
lui. Plus il s'applique à en rechercher
les motifs , à enfuivre les conféquen-
ces , à en obferver les falutaires effets ,
plus il y découvre de folidité Ôc de vé-
rité. 11 eft furpris de l'aveuglement où
il étoit; du moins il commence à fe
délier de fes anciens préjugés j & la lu-
mière dont il appercoit les premiers
i t & La foi ?rctoruÊusI
rayons, pk, ^'en peu-a-peu aa travers
des nuages qu/ iVofcurchToient , & fe
répandant avec plus de clarté } cet
homme enfin par un changement qu'on
ne peut attribuer qu'à la vertu de la foi
êc de la grâce qui l'accompagne 3 fe
déclare , comme Saint Paul , un des
plus zélés défenfeurs des vérités mêmes
qu'il attaquoit auparavant , & qu'il conv
battoit avec plus d'obftination. Triom-
phe qui honore la Religion , &c dont
elle profite pour faire d'autres conque-»'
tes Èé pour convaincre les plus incré->
dules , & les foumettre. Ainfî l'exemple
de Saul élevé dans le Judaïfme , & l'un
des plus ardens persécuteurs de l'Eglife*
mais devenu par une converiion éclatan-
te Apôtre de Jefus-Chrifë , & le Docteur'
des Gentils , étoit un, argument fenfi-
ble contre les Juifs , & leur faifoit ad-
mirer , malgré eux , l'efficace & le pou-
voir de la Foi chrétienne.
I ï. Comme le monde par fes erreurs
aveugle l'efprit , c'eft par fes douceurs
qu'il gagne &c qu'il pervertit le cœur.
Dans l'un il agit par voie de féduction ,
& dans l'autre par voie d'attrait & de
corruption. Ce que nous appelions
douceurs du monde 3 c'eft ce que faint
Jean
du Monde. 217
Jean appelle concupifcence des yeux ,
concupifcence de la chair , ik orgueil
de la vie j c'eft-à-dire , que fous ce ter-
me nous comprenons tout ce qu'il y a
dans le monde , qui peut éblouir les
yeux , charmer les fens , piquer la cu-
riofité , nourrir l'amour propre , rendre
la vie aifée , commode 3 agréable ,
molle 8c délicieufe. Voilà par où le
monde , dans tous les temps , s'eft ac-
quis un empire fi abfolu fur les cœurs
des hommes. Voilà par où il nous atti-
re , ou plutôt par où il nous enchante
&'nous entraîne. Ce n'eft pas que fou-
vent on ne connoiffe la bagatelle & le
néant de tout cela : on en eft détrom-
pé félon les vues de Fefprit j mais par
une efpéce d'enforcellement, tout dé-
trompé qu'on eft de cqs fauffes dou-
ceurs du monde , on y trouve toujours
un certain goût dont on a toutes les
peines imaginables à fe déprendre. En
vain la raifon veut-elle venir au fecours :
nous avons beau raifonner & faire les
plus belles réflexions ; toutes nos réfle-
xions & tous nos raifonnemens n'em-
pêchent pas que ce goût ne fe faife
fentir 5 & qu'il ne nous emporte par une
efpéce de violence.
11 n'y a que la Religion à qui il foit
Tome L T
1 I 8 LaFoI VICTORIEUSE
réfervé de le bannir de notre cœur , oir
de l'y étouffer. Comment cela? i. Par
Fefprit de pénitence qu'elle nous infpi-
re. Car elle nous fait fouvenir fans celfe
eiue nous fommes pécheurs , & cette
vue fréquente de nos pèches , & des
juftes châtimens qui leur font dûs , nous
remplit d'une fainte haine de nous-mê-
mes , ôc nous donne ainii du dégoût
pour tout ce qui flatte notre fenfualité ,
comme étant peu convenable à des pé-
nitens. 2. Par l'eftime des biens éter-
nels , où elle nous fait porter toutes nos
prétentions &c tous nos deiirs. Le cœuf
occupé de la haute idée que nous con-.|
cevons de cette béatitude qui nous eft
promife , fe dégage peu-à-peu de tous .'
les objets mortels , & devient comme :
infenfible à tout ce que le monde peut :
lSn* lui offrir de plus attrayant. Que tout cei
que je vois fur la terre me paroît méprifa-*
ble& injïpide , s'écrioit un grand Saint,,
quand je levé les yeux au Ciel! Bien d'au-
tres avant lui l'avoient penfé de même , ,
de bien d'autres l'ont penfé après lui. ,
3. Par les confolations divines que
l'efprit de religion répand dans les
âmes vraiment chrétiennes. Confola-
tions cachées aux mondains , parce
xpie l'homme fenfuel , dit le grand Apo-
du Monde. 2.19
tre , ne peut comprendre ce qui eft de
Dieu. Confolations fpiritnelles d'au-
tant plus relevées au-defïus de tous les
plaifirs des fens , que l'efprit eft plus
noble que le corps. Confolations fî
douces ôc il abondantes , que le cœur
en eft quelquefois comme innondé Ôc
enyvré. A peine les Saints les pou-
voient-ils foutenir , tant ils en étoient
comblés ôc tranfportés. Saint François
Xavier s'écrioit en s'adreftant à Dieu ,
c'eft affe^ _> Seigneur j c'eft aj[e%. Sainte
Thérèfe tenoic le même langage , ôc
demandoit que Dieu interrompît pour
quelque temps le cours de ces douceurs
céleftes dont elle étoit toute pénétrée.
D'autres en tomboient dans des exta-
fes ôc des défaillances où ils demeu-
roient des heures entières, ôc qui les
raviftoient hors d'eux-mêmes. Le mon-
de en jugera tout ce qu'il lui plaira. Ce
qui eft de certain , c'eft qu'avec tous
fes a<?rémens ôc tous fes charmes , il n'a
rien de comparable à ces faintes déli-
ces ôc à ces joies fecrettes , que la Reli-
gion nous fait goûter. Une ame qui les
a une fois reftenties , ne fent plus rien
de tout le refte.
C'eft la merveille qu'on a vue dans
tous les temps 5 ôc dont nous fommes
% 1 0 LAFOI VICTORIEUSE
encore témoins. On a vu "une multÎH
mde innombrable cle perfonnes de tout;
fexe , de tout âge, de tout état, 1 énon-
cer aux plaiiirs du monce les plus en-
gageais & les plus touchant. C é-
toient de jeunes vierges , à qui le mon->
de préfentoit dans un long cours d'an-
nées la fortune la plus riante. C'étoient
des riches du iiécle , des hommes opu-
lens , des grands , qui dans leur gran-
deur & leur opulence jouiiïoient ou
pouvoient jouir de toutes les aifes de
la vie. Mais par quel prodige ont-ils
méprifé tout cela , ont-ils quitté tout
cela , fe font - ils volontairement dé-
pouillés de tout cela ? A ces richelles
dont le monde eft 11 avide , & où il fait
prefque confifter tout fon bonheur ,
parce qu'il y trouve de quoi fatisfaire
toutes fes convoitifes , ils ont préféré
une pauvreté qui leur accordoit à peine
le nécefTaire , ou pour la nourriture ,
ou pour le vêtement , ou pour la de-
meure. A cet éclat &c à ces honneurs
dont le monde eft iî jaloux, &c dont il
cherche à repaître iî agréablement fon
orgueil , ils ont préféré Fobfcurité de la
retraite , fi oppofée à l'ambition natu-
relle , Se fe font condamnés à vivre in-
connus éc dans l'oubli. A toutes les dé-
du. Monde, ni
licateiïes & toutes les commodités du
monde , ils ont préféré la pénitence du
cloître ôc les plus dures pratiques delà
mortification religieuie : auili ennemis
d'eux-mêmes & de leur chair , qu'on en
eft communément efciave & idolâtre.
Qui leur a infpiré ce renoncement , ce
détachement , 8c qui les a Contenus dans
un genre de vie il contraire au pen-
chant de la nature 8c à l'efprit du mon-
de ? c'eft la foi dont ils étoient remplis,
de dont ils fuivoient les divines impref-
fions.-En vain le monde étaloit-il de-
vant eux fes pompes les-plus brillantes;
8c en vain pour les attirer leur faifoit-il
voir une carrière femée de rieurs : la foi
dillîpoit tous ces preitiges, 8c rien ne
les touchoit que le grand fentiment de
l'Apôtre ; Pour moi j Dieu me garde de Galat.
me glorifier jamais en aucune autre chofe j c' 6' I4'
que dans la Croix de notre Seigneur Jejus-
Chrijl _, par qui le monde rnefl crucifié &
je fuis crucifié au monde.
III. Outre fes erreurs 8c fes dou-
ceurs , le monde a encore fes rigueurs.
Ce font ces perfécutions qu'il fufeite à
la vertu , 8c où elle a befoin d'une for-
ce fupérieure. Car l'Apôtre a bien eu
raifon de dire , que ceux qui veulent
Tiij
il % La For victorieuse
vivre faintement , félon J. C. doivent
s'attendre à de rudes combats. On a i
des railleries à effuyer , Se mille refpects ;
humains à furmonter. On refroidit un i
ami Se on l'indifpofe , en refufant d'en-
trer dans fes intrigues , Se de s'engager
dans fes entreprifes criminelles. On de-
vient un objet de contradiction pour
toute une famille , pour toute une fo-
ciété , pour tout un pays ? parce qu'on
veut y établir la régie , y maintenir Tor-
dre , y rendre la juftice. Ainfî de tant
d'autres fujets. Voilà ce qui fait un des
"plus grands dangers du monde , Se ce
qui caufk dans la vie humaine tant de
défordres. Car il eft difficile de tenir
ferme en de pareilles rencontres , Se
nous voyons auiîi qu'on y fuccombe
tous les jours Se prefque malgré foi. Un
homme gémit de l'efclavage où il eft ,
Se un fonds d'équité , de droiture , de
confeience qu'il a dans l'ame , lui fait
délirer cent fois de fecouer le joug
Se de s'affranchir d'une telle tyrannie :
mais le courage lui manque , Se quand
il faut venir à l'exécution , toutes fes
réfolutions l'abandonnent. Or qui peut
le déterminer , l'affermir , le mettre à
toute épreuve ? c'eft la Religion. Avec
les armes de la Foi , il pare à tous les
du Monde. 21$
coups , il réfifte à toutes les attaques ,
il eft invincible. Il n'y a ni amitié qu'il
ne rompe , ni fociété dont il ne s'éloi-
gne , ni menaces qu'il ne méprife , ni
efpérances, ni intérêts , ni avantages
qu'il ne facrifie à Dieu 8c à ion devoir.
Telles font , dis-je , les difpofitions
d'un homme animé de l'Efprit du Chrif-
tianifme 8c foutenu de la foi qu'il pro-
felfe. C'eft ainfi qu'il penfe , 8c c'eft
ainfi qu'il agit. La raifon eft , qu'étant
chrétien , il ne reconnoît point , à pro-
prement parler , d'autre Maître que
Dieu ; ou que reconnoiifant d'autres
puiffances , il ne les regarde que com-
me des puiffances fubordonnées au
Tout-Puiffant , lequel doit être mis au-
deffus de tous fans exception. Ce fenti-
ment fans doute eft généreux , mais il
ne faut pas fe perfuader que ce foit un
pur fentiment , ni une fpéculation fans
conféquence 8c fans effet. Il n'y a rien
là à quoi la pratique n'ait répondu , 8c
dont elle n'ait confirmé mille fois la vé-
rité. Combien de difcours 8c de juge-
mens ? combien de mépris 8c d'outrages
ont effuyés tant de vrais Serviteurs 8c
de vraies Servantes de Dieu , plutôt
que de fe départir de la vie régulière
qu'ils avoient embralïee , 8c des faintes
Tiv
'32.4 La Foi victorieuse
obfervances qu'ils s'y étoient prefcrites ?
Combien d'efforts , de reproches, d'op-
pofitions ont furmonté de tendres en-
Fans , & avec quelle confiance ont-ils ;
réfîfté à des pères & à des mères qui 1
leur tendoient les bras pour les retenir
dans le monde , & les détourner de l'é-
tat Religieux ? A combien de dilgraces ,
de haines , d'animofités , de revers , fe
font expoies , ou de fages Vierges qu'on
n'a pu gagner par les plus puiffantes fol-
licitations , ou de Juges intégres qu'on
n'a pu refondre par les plus fortes inf-
tances à vendre le bon droit , ou de ver-
tueux Officiers , des fubalternes , des
domeftiques , que nulle autorité n'a
pu corrompre , ni retirer des voies
d'une exacte probité ? Quels tour mens
ont enduré des millions de Martyrs ?
Rien ne les a étonnés , ni les arrêts Aqs
Magiflrats , ni la fureur des tyrans , ni la
rage des bourreaux , ni l'obfciu'ité des
prifons, ni les roues, ni les chevalets,
ni le fer , ni le feu. Que l'antiquité
nous vante fes héros ; jamais ces héros
que le paganifme a tant exaltés , &:
dont il a confacré la mémoire , firent-
ils voir une telle force ? Or d'où ve-
noit , dis-je , à ces glorieux Soldats de
Jefus-Chrift cette fermeté inébranlable,
du Monde. 2,15
{\ ce n'eft de la religion qu'ils portoient
vivement empreinte dans le cœur ? Elle
les accompagnoit par-tout ; par- tout
elle leur fervoit de bouclier & de fau-
vegarde : miracle dont les ennemis mê-
mes de la foi chrétienne & fes perfécu-
teurs étoient frappés. Mais nous , de
rout ceci que devons-nous conclure à
notre confufion ? La conféquence , hé-
las ! n'eft que trop évidente , & que
trop aifée à tirer. C'efl qu'étant h* pré-
occupés des erreurs du monde , h* épris
des douceurs du monde , h* timides &
ii foibles contre les refpe&s & les con-
iidérations du monde , il faut y ou que
nous ayons bien peu de foi , ou que
notre foi même foit tout- à-fait morte.
Car le moyen d'allier enfemble dans
un même fujet deux chofes auffi peu
compatibles entre elles 3 que le font
une foi vive qui nous détrompe de tou-
tes les erreurs du monde \ & cepen-
dant ces mêmes erreurs tellement im-
primées dans nos efprits , qu'elles de-
viennent la règle de tous nos jugemens 5
& de toute notre conduite ? Comment 5
avec une foi qui dans fa morale ne
tend qu'au crucifiement de la chair 5
& à l'abnégation de foi-même , accor-
der une recherche perpétuelle des dour
iiG La Foi victorieuse
ceurs du monde , de fes faillies joies
ôc de fes voluptés , même les plus cri-
minelles ? Enfin par quel aifemblage
une foi qui nous apprend à tenir ferme
pour la caiife de Dieu , contre tous les
raifonnemens du monde , contre tous
fes mépris ôc tous fes~ efforts , peut-elle
convenir avec une crainte pulillanime ,
qui cède à la moindre parole , ôc qui
aifervit la confeience à de vains égards
ôcà des intérêts tout profanes? Sont-^i
ce là ces victoires que la foi a rempor-
tées avec tant d'éclat dans les premiers
fiécles de l'Eglife ? A-t-elle changé dans
la fuite des temps ; ôc fi elle eft toujours
la même , pourquoi n'opère - t - elle
pas les mêmes miracles ? Car au lieu
que la foi étoit alors victorieufe du
monde , il n'eft maintenant que trop
ordinaire au monde de l'emporter furu
la foi , d'impofer filence à la foi , de
triompher de la foi. Nous n'en pouvons
imaginer d'autre caufe , finon que lai;
foi s'eft affoiblie à mefure que l'iniqui-
té s'eft fortifiée } Ôc parce que Finiquiri
té jamais ne fut plus abondante qu'elle
Feft , ni plus dominante, de-là vient,
aufîî que la foi jamais ne fut plus lan-
"guifTante, ni moins aghTante. Encore y
combien y en a-t-il chez qui elle eft ab-
du Monde. 227
folument éteinte ; Se doit-on s'étonner
après cela , que cette foi qui produi-
sit autrefois de fi beaux fruits de fain-
reté , foit 11 ftérile parmi nous ? Prions
le Seigneur qu'il la ranime , qu'il la
reffufcite , & qu'il lui falfe reprendre
dans nous fa première vertu. Travail-
lons nous-mêmes à la réveiller par de
fréquentes ôc de folides réflexions. Con-
fondons-nous de toutes nos foiblefTes,
ôc reprochons-nous amèrement devant
Dieu l'afcendant que nous avons laifTé
prendre fur nous au monde , lorfqu'avec
une étincelle de foi nous pouvions ré-
futer à fes plus violens alfauts , ôc re-
; pouifer tous fes attraits. Le Fils de Dieu
' rendant raifon à fes Difciples pourquoi
ils n'avoient pu chafTer un démon , ni
guérir un enfant qui» en étoit poiTédé,
leur difoit, c'eft à caufe de votre incré- ^rrfe
dulité : puis ufant d'une comparaifon c. 1 7.
affez lînguliere , fi votre foi , ajoutoit
le même Sauveur , é g aloit feulement un
grain de fenevé _, quelque petite quelle
fût j elle vous fuffiroit pour tranfporter
les montagnes d'un lieu à un autre _, &
tout vous deviendroit pojfible. Que fe-
roit-ce donc , fi nous avions une foi par-
faite; ôc de quoi ne viendroit-on pas à.
bout ?
%%
L 'Incrédule convaincupar lui-même,
L'Impie ne peut fe réfoudre à croire
les vérités de l'Evangile , tant elles
lui femblent choquer le bon fens ôc la
raifon. Il les rejette avec le dernier mé-
pris & ne craint point de les traiter
d'inventions humaines & de pures ima-
ginations : car fon impiété va jufques-
là y & s'il garde au dehors certaines me-
fures , & que dans les compagnies il
n'ofe pas s'expliquer fi ouvertement ni
en des termes fi forts , il fçait bien dans
les entretiens particuliers fe dédomma-
ger de fon fiîence ; & l'on n'eft pas
affez peu inftruit , pour ignorer quels
font fes difcours devant d'autres liber-
tins comme lui , dont la préfence l'ex-»
cite , bien loin de l'arrêter. A l'enten-
dre, toute la Religion n'eft que chime--
re 'y & tout ce qu elle nous révèle , ne
font que des vifions. Il y trouve , à ce :
qu'il prétend , des difficultés invinci-
bles , des contradictions évidentes, des
impofiibilités abfolues. En un mot , dit-
il d'un ton décifif , tous ces myftères
font incroyables. Il le dit j mais en le
PAR LUI-MESME. 2 2 5>
difant , il ne remarque pas , cet efprit
rare que par-là il fournit des armes
contre lui-même , &c que de-là il doit
tirer pour fa conviction propre un ar-
gument perfonnel & des plus feniibles.
Plus nos myftères lui femblent hors de
toute croyance , plus il doit concevoir
quel étonnant prodige c'a été dans le
monde , que des myftères félon lui il
incroyables , aient été crus néanmoins
ii univerfellement & qu'ils le foient en-
core.
Ceci ne funit pas ; mais pour mieux
convaincre l'impie par fes fentimens
mêmes , & pour lui faire mieux fentir
l'avantage qu'il me donne & l'embarras
où il s'engage , lorfqu'il parle fi indi-
gnement des plus faints myftères de
notre foi , comme s'ils étoient oppofés
à toute la lumière naturelle ; je veux rai-
fonner quelque temps avec lui , & entrer
• dans le détail de certaines circonftan-
' ces , qui ferviront à fortifier la preuve
qu'il me préfente pour, le combattre.
Car encore une fois je ne veuxlecom-
■ battre que par lui-même , & peut-être
apprendra-t-il à devenir plus réfervé
dans fes paroles, & à en craindre, plus
qu'il ne fait , les conféquences.
Je lui permets donc d'abord de for*
2 5° L'Incrédule convaincu
mer fur les myftères de la Religion, tou*
tes les difficultés qu'il lui plaira , & de
les grolîîr, de les exagérer. J'irai mê-
me , s'il eft befoin , jusqu'à tolérer {qs
mauvaifes plaifanteries j je les laillerai i
pafTer , & là-delïus je n'entreprendrai
point de lui fermer la bouche. Je con-
fens qu'avec fes grandes exclamations , ,
ou avec fes airs moqueurs , il me redife
ce qu'il a dit cent fois : Hé qu'eft-ce
qu'un feul Dieu en trois perfonnes , de
que ces trois perfonnes dans un feuL
Dieu ? Hé ! qui peut s'imaginer un Dieu
tout Efprit de fa nature & comme Dieu,
mais revêtu de notre chair &c homme
comme nous ? Quoi ! ce Dieu qu'on
me dit être d'une puifïance , d'une
grandeur , d'une Majefté infinies , je
me figurerai qu'il eft defeendu fur la
terre , qu'il y a pris une nature fembla-
ble à la notre , qu'il eft né dans une éta-
ble , qu'il a vécu dans la mifére & dans j
la fouffrance , enfin qu'il eft mort dans
l'opprobre &c dans l'ignominie de la
Croix ? Tout cela eft-ii digne de lui ?
tout cela eft-il croyable ? Tel eft le lan-
gage de l'impie , & je ne rapporterai
point tout ce que lui fuggere fon li-
bertinage fur la morale chrétienne , fur
la providence divine , fur l'immortalité
PAR L U I - M E S ME. 23 I
de lame , far la réfurre&ion future , fur
le jugement général , fur les peines éter-
nelles de l'enter. Car il n'épargne rien ,
& il ne veut convenir de rien. Le
moyen , à fon avis , de fe mettre ces
phantômes dans l'efprit , ôc peuvent-ils
entrer dans la penfée d'un homme rai-
fonnable ?
Il me feroit aifé, en lui accordant
que les myftères de la Religion font au-
deiiiis cle la raifon , de lui répondre en
même temps 8c de lui faire voir, que
bien loin d'être contre la raifon , ils y
font au contraire très-conformes. Je dis
très-conformes à une raifon faine , à
une raifon épurée de la corruption du
vice , à une raifon dégagée de l'empire
des fens Ôc des pallions , à une droite
raifon. Mais ce n'eft point là préfente-
ment le fujet dont iKs'agit entre lui ôc
moi. Je me fuis feulement propofé de
lui montrer comment , en attaquant la
vérité de nos myftères , ôc nous les re-
préfentant comme des myftères Ci rebu-
tans ôc fi difficiles à croire , il en affer-
mit par-là même la foi , ôc que l'idée
qu'il s'en fait pour les méprifer Ôc pour
en railler , c'eft juftement ce qui le doit
difpofer à y reconnoître quelque chofe
de furnaturel ôc de divin.
i.32, L'Incrédule convaincu
Voici donc ma réponfe , & à quoi i
je m'en tiens. Je prends ce beau paiTa-
ge de faint Paul dans la première Epître
1 . Tim. 4 Timothée : C'eji un grand myjière de :
^c u 16, piété j qui a été manifefté dans la chair yx\
autorifé par Vefprit _, vu des Anges j prê-
ché aux Gentils j cru dans le monde j &:\
élevé à la gloire. Ce grand myftère , c'eft
le myftère de J. C. , Dieu 8c homme
tout enfemble ôc l'Auteur de la Loi nou-
velle. Que ce myftère ait été réellement ,
3c véritablement manifejlé dans la chair, :
qu'il ait été autorifé par Vefprit célejle > :
qui eft l'Efprit de Dieu ; que les Anges ,
Vayent vu, & qu'enfin il ait été élevé à la
gloire : voilà fur quoi l'impie fe récriera
contre moi , 3c s'inferira en faux. Mais
que ce même myftère , & que tous les |
myftères particuliers qui y ont rapport &
qui font le corps de la Religion , aient
été prêches aux Gentils , & fur-tout
qu'en vertu de cette prédication , ils
aient été crus dans le monde , je nepen-
fe pas que ni lui , ni tout autre libertin
comme lui , foit afTez aveugle & afTez
dépourvu de connoiffances , pour former
fur cela le moindre doute. Ainfi j'avan-
ce 3 & pour mettre ma preuve dans tout
fon jour & toute fa force, je lui fais faire
avec moi les obfervations fuivantes ,
dont
PAR LUI- M ES M E. 2J3
dont je le detie de me contefter. en au-
cune forte la certitude & F évidence.
i . Que ces myftères - qu'il prétend
incroyables , ont été crus néanmoins
dans le monde. On les y a prêches > en
y prêchant la Loi chrétienne. On les
a expliqués aux peuples , Se on les en
a inftruits. Les peuples dociles & fou-
rnis, ont reçu ces inllrudions 3 ont
embraifé cette doihïne. La même foi
les a unis entre eux dans une même
Eglife , & telle a été l'origine ôc la
naiiTance du Chriftianifme.
2. Que ces myftères qu'il prétend
incroyables , n'ont point feulement
été crus dans un coin de la terre obfcur
&: inconnu , ni par un petit nombre
d'hommes ramaiFés au hazard 5 &c plus
crédules que les autres ; mais qu'ils ont
été crus dans toutes les parties du mon-
.de. Les Prédicateurs qui furent chargés
d'annoncer l'Evangile , le portèrent , fé-
lon l'ordre exprès de leur Maître , à tou-
tes les Nations. Dans l'Orient , l'Occi-
dent , le Midi , le Septentrion , on en-
tendit par-tout la parole du Seigneur ,
dont ils étoient les interprètes. Des trou-
pes de Profélytes vinrent en foule y pour
être aggrégés dans l'Ecole de Jefus-
Chrift. Les difciplcs fe multiplièrent, fe
Tome L Y
234 L'Incrédule convaincu
répandirent de tous côtés : les Villes,
les Provinces , les Royaumes en furent
remplis , & c'eft ainfi qu'en très-peu de
temps s'élevèrent de nombreufes de de1
florilTantes Chrétientés.
3. Que ces Myftères qu'il prétend
incroyables , n'ont point non plus été
crus feulement par le iimple peuple,
par des fauvages & des barbares , par
des efprits grofÏÏers & ignorans; mais
par les plus grands génies , par les efprits
du premier ordre , par des hommes
d'une profonde érudition 8c d'une pru-
dence confommée. Il n'y a qu'à lire les
ouvrages que les Pères nous ont laiffés
comme de fenfibles monumens de la
Religion. A conlidérer précifément ces
faints Docteurs , en qualité de fçavans , ,
en qualité d'Ecrivains & d'Auteurs , il I
faut n'avoir ni goût, ni difeernement i>
pour ne point admirer l'étendue de leur 1
do&rine , la pénétration de leurs vues,!
la fublimité de leurs penfées, la force \
de leurs raifonnemens , la fagefle & lai
fainteté de leur morale , la beauté & i
l'énergie de leurs exprelTTons , leurs ^
tours même éloquens Ôc pathétiques ,
ou ingénieux & fpirituels. Certaine-
ment ce n'étoit pas là de petits efprits ,
des efprits fuperftitieux , capables de
BARLUI-MESME. 235
donner fans examen dans nilufion , ni
à qui il fat aifé de faire accroire cour ce
qu'on vouloit.
4. Que ces myftères qu'il prétend in-
croyables , ont été crus , non plus fur
des préjugés de la naiifance & de l'édu-
cation , mais plutôt contre tous les pré-
jugés de l'éducation Se de la naiifance.
Pendant une longue fuite d'années,
qu étoit-ce que le grand nombre des
Chrétiens ? des Gentils nés dans le
paganifme , élevés dans l'idolâtrie. Afin
de les foumettre à la foi , il avoit fallu
détruire toutes leurs préventions , Se
leur arracher du cœur des erreurs Se des
principes de Religion directement op-
pofés aux myftères qu'on leur enfei-
gnoit. Or qui ne voit pas combien ce
. changement étoit difficile , ôc quelle
: peine il devoit y avoir à détromper des
gens préoccupés en faveur de leurs
fautes divinités , Se attachés à leurs an-
; ciennes obfervances , Se à leurs prati-
• ques ? C'eft cependant ce qui eft arri-
\ vé. Les payens ie font convertis , les
idolâtres ont renoncé au culte de leurs
i idoles ; leurs prêtres Se leurs fages ont
eu beau fe récrier , raifonner , difputer ,
la Loi nouvelle a prévalu , Se comme le
jour dilfipe les ténèbres , elle a effacé
Vij
2,36 L'Incrédule convaincu
des efprits toutes les idées dont iîs
croient prévenus.
5 . Que ces myftères qull prérend in-
croyables ont été crus malgré toutes les- ;
répugnances de la nature , malgré rou-
tes les révoltes & de la raifon & des 1
fens. Révoltes de la raifon ; car quel-
que raifonnables en eux-mêmes & quel-
que certains que foient ces myftères,
il faut après tout convenir que ce font
des myftères obfcurs j des myftères tel-
lement cachés fous le voile , que notre
raifon n'y pénétre qu'avec des peines
extrêmes \ & que fouvent même toute
fubtile qu'elle peut-être, elle fe trou-
ve obligée de reconnoître fon infufri-
fance & la foiblefte de fes lumières. Or
nous fentons allez qu'il n'eft rien à quoi
elle répugne davantage , qu'à s'humi-
lier alors & à fe foumettre 3 en croyant
ce qu'elle ne voit ni ne connoît pas.
Révoltes des fens : car fur ces myftères
qui humilient & qui captivent la rai-
fon , eft fondée une morale qui mortifie
étrangement la chair. On croit avec
moins de réfiftance des vérités qui s'ac-
commodent à nos inclinations & à nos
pallions ; des vérités au moins indiffé-
rentes , & qui dans leurs conféquences
îi ont rien de pénible 3 ni de gênant 3
PAR tUI-MESML 2^7
mais des vérités , en vertu defqnelles on
doit fe haïr foi-même , réprimer fes de-
firs les plus naturels , embralTer la Croix,,
la porter chaque jour fur fon corps., 8c
fe revêtir de toute la mortification évan*
gélique ; c'eft à quoi l'on ne fe rend pas
volontiers , & fur quoi l'on ne fe lailfe
perfuader qu'après avoir bien examiné
les chofes , & en avoir eu des preuves
bien convaincantes.
6. Que ces myftères qu'il prétend in-
croyables , ont été crus d'une foi fi vi-
ve , d'une foi fi ferme & il efficace , que
pour pratiquer fes maximes, pour vivre
félon fes régies 8c fon efprit , ou pour la
défendre 8c la foutenir , on a tout fa-
crifié , biens , fortune , grandeurs , plai-
fîrs , repos, fanté, vie. On fçait les ru-
des combats que les Chrétiens ont eu
à efluyer dès la nailfance de PEglife.
On fcait combien de farte ils ont verfé ,
ôc comment ils ont été exilés , profcrits,
enfermés dans des cachots , produits
devant les Juges > condamnés , livrés
aux bourreaux pour les tourmenter en
mille manières ,par le glaive, les flam-
mes , les croix , les roues > les cheva-
lets , les bêtes féroces , les huiles bouil-
lantes , par-tout ce que la barbarie a pa
imaginer de fupplices ôc de tortures*
H 5 ^ L'Incrédule convaincu
Pourquoi fe laiifoient-ils ainfi opprimer ,' ,
accufer , emprifonner , déchirer 3 brû-
ler , immoler comme des victimes ? '
Pourquoi enduroient-ils tant d'oppro-
bres de d'ignominies , tant de calamités
Se de miféres ? Pourquoi au milieu de
tout cela s'eftimoient-ils heureux , Se
rendoient-ils à Dieu des adions de grâ-
ces? Qui leur infpiroit ce courage Se
cette patience inaltérable ? c'eft qu'ils
avoient les myftères de notre foi fi pro-
fondément gravés dans lame , ôc qu'ils
en étoient tellement touchés , que rien
ne leur coûtoit , foit pour y conformer
leur conduite , foit pour en attefter la
vérité par une généreufe confeilion.
7. Que ces myftères qu'il prétend in-
croyables , ont été crus d'une foi fi con-
fiante , que malgré tous les obftacles
qu'elle a eu à furmonter , elle fubfifte
toujours depuis plus de feize cens ans ,
comme nous ne doutons point , félon
la promefTe de Jefus-Chrift , qu'elle ne
doive fubfifter jufqu'à la dernière con--
fommation des fîécles. Toutes les puif-
fances infernales fe font foulevces con-
tre elle ; toutes les puiffances humaines
fe font liguées Se ont conjuré fa ruine ;
la fuperftition Se le libertinage l'ont
combattue de toutes leurs forces : mais
PAR 1UI-MESM!, 239
de même que nous voyons les flots de
la mer furieux & courroucés , fe brifer
a un rocher où ils viennent fondre de
toutes parts , tout ce qu'on a fait d'ef-
forts pour la détruire , n'a pu l'ébranler
de l'a plutôt affermie : de forte qu'après
d'immenfes révolutions d'âges Se de
temps , qui auroient dû l'affoiblir , elle
eft toujours la même , qu'elle conferve
Toujours fur les efprits le même empire ,
•qu'elle leur propofe toujours la même
doctrine Se les trouve toujours égale-
ment difpofés à la recevoir. Je ne parle
point de la manière dont cette foi s'eft
établie , Se la foibleife de ceux qui en
furent les premiers Apôtres , de Faban-
donnement total où ils étoient des fe-
cours ordinaires Se néceifaires pour faire
réuflir les grandes entreprifes , de cent
autres particularités très- remarquables.
Car ce n'eft point par le fer , comme
d'autres religions , ce n'eft ni par la
violence des armes , ni par les amorces
de l'intérêt ou du plailir _, que la foi de
nos myftères s'eft répandue dans toute la
terre. Mais fans infifter là-deifus Se fans
rien ajouter , j'en reviens à mon raifon-
nement contre l'impie.
Je dis : s'il eft vrai que nos myftères
foient aulîi incroyables qu'il l'avance >
I.40 LIncredule convaincu
ôc que d'ailleurs il ne puiffe nier , coi
nie il ne le peut en effet , qu'on les
crus dans le monde , & qu'on les a en
fi unanimement , fi généralement
promptement , fi fortement , fi coi
ftamment , chez toutes les Nations
dans tous les Etats & toutes les Pro-
ferlions ; parmi les Sages , les Philofo-
phes , les Sçavans , parmi les Payens f
les Idolâtres, les Sauvages, les Barba-
res j dans les Cours des Princes , dansa
les Villes, dans*les Campagnes , par- !
tout : il faut donc qu'il m'apprenne pan
quelle vertu a pu fe faire l'union & l'ac-j
cord ii parfait de ces deux chofes ; ]e\
veux dire , de ces myftères 5 félon lui ,
abfplumerit incroyables , & de ces myf- ]
téres toutefois, félon la notoriété duJ
fait la plus évidente & la plus incon.--
teftable , reçus & crus avec toutes les?
circonftances que je viens de rapporter.
Il faut donc qu'il avoue malgré lui I
qu'il y a eu en tout cela de la merveille. .
11 faut donc qu'il confeffe qu'il y a au*--
deffus de la nature un agent fupérieur,.
qui a conduit tout cela comme fon ou-.'
vrage , & qui ne celle point de le con~~<
duire par les refïorts invifibles de fâ.
providence. Il faut donc , s'il eft capa-
ble de quelque réflexion P qu il con-
çoive
!AR LUI -MESME, 2 4 I
çoive une bonne fois comment fes traits
de raillerie au fujet de la Religion , re-
tournent contre lui , 8c comment fes
exagérations 8c fes difcours emphati-
ques fur 1 înfurmontable difficulté d'a-
jouter foi à des myftères tels que les
nôtres retombent fur lui pour le con-
fondre 8c pour l'accabler, Car plus il la
relevé Se il l'augmente , cette difficulté ,
plus il relevé la fouveraine fageife 8c la
toute-puiifance de ce Maître a qui rien
• n'eft impoflible , & qui a bien fçu la
vaincre 8c la furmonter.
Oui , on les a crus , ces adorables 8c
incompréheniibles myftéres 3 8c voilà
le grand miracle dout l'incrédule eft
forcé de convenir. Miracle d'autant
plus grand pour lui , que ces myftéres
i lui paroiiTent moins croyables. Ou les
I croit encore , 8c par la miféricorde infi-
nie de mon Dieu , je les crois. C'effc
. dans cette foi que je veux mourir ,
comme j'ai le bonheur d'y vivre. Car
\ je la conferverai dans mon cœur , 8c
, qui l'en arrachera ? Je connois mes im-
• perfeclions 8c mes fragilités fans nombre.
■ A comparer la fainteté de la Foi que
je profeife , avec mes lâchetés 8c la mul-
titude des ofFenfes que je commets , je
fens combien j'ai de quoi rougir devant
Tome L X
%4r% L'Incrédule convaincu
Dieu ôc de quoi m'humilier : mais du
refte , tout imparfait 8c tout fragile que
je fuis ? ne préfumant point de mes
forces , ne comptant point fur moi-mê-
me , foutenu de ma feule confiance
dans la grâce du fouverain Seigneur en
qui je crois ôc en qui j'efpere , il me
femble que pour cette foi que je chéris
ôc que je regarde comme mon plus ri-
che tréfor , je ne craindrais point de
donner mon fang ni de facrifier ma vie.
Il me femble que béniifant la divine
providence -, qui dans le Chriftianiime
a fait heureufement fuccéder la tran-
quillité ôc la paix, aux perfécutions ôc
aux combats , j'envie après tout le fort
de ces chrétiens , à qui la conjon&ure
des temps fourniiloit des occaiions fi
précieufes de fignaler leur foi en pré-
lence des perfécuteurs Se des tyrans.
Telles font _, à ce qu'il me paraît , mes
difpofkions , ô mon Dieu ; tels font mes
fentimens , ou tels ils doivent être.
Mais ce n'eft pas tout : ce que je crois
de cœur , je le confefTerai de bouche ,
félon l'enfeignement de l'Apôtre ; Ôc en
cela même je fuivrai l'exemple du Pro-
*■*• phète , ôc je dirai comme lui : J'ai cru> &
voilà pourquoi j'ai parlé. Tout chrétien
doit faire une profeflion publique de fa
V Ail LUI* M 1 S M l. I45
foi , &: malheur à quiconque auroit
honte de reconnoître Jefus-Chrift de-
vant les hommes , parce que dans le ju-
gement de Dieu Jefus-Chrift le renon-
ceroit devant fon Père. Mais outre cette
obligation commune , un devoir par-
ticulier m'engage ,, comme Miniftre du
Dieu vivant & Prédicateur de fon Evan-
gile , à prendre la parole. Cette foi que
l'impie attaque , & ces myftères qu'il
blafphême, parce qu'il les ignore, je
les prêcherai, Se à qui ? aux Grands Se
aux petits, aux Princes & aux peuples ,
aux fages ôc aux limples , aux forts Ôc
aux foibles , à tous : car dans la Chaire
fainte , c'eft à tous que je fuis redeva-
ble. Si je me taifois , mon filence me
condamnerait , & je me tiendrais cou-
pable de la plus criminelle prévarica-
tion 'y fur-tout dans un temps où l'im-
piété ofe lever la tête plus que jamais
ôc avec plus d'audace. Au nom du Sei-
gneur qui m'envoye , je la combattrai,
& je la combattrai par-tout , quelque
part que m'appelle mon miniftere. L'im-
. pie m'écoutera fans s'étonner , il s'élè-
vera intérieurement contre moi , ou
dans le fecret de fon ame il me regar-
dera en pitié ; mais moi , touché d'une
bien plus jufte compamon, j'aurai pi-
Xij
ï. Cor.
a. 44 LIncredule convaincu
tiède fonavenglement, de fon entête-
ment , de fa témérité , de fon ignoran-
ce fur des points dont à peine il peut
avoir la plus légère teinture , 8c dont!
néanmoins il prétend avoir droit de jiir
ger avec plus dfailurance que les Doc-
teurs les plus confommés. Il tournera
en rifée tout ce que je dirai , & il ne let
comptera que pour des idées populai-
res, que pour des rêveries ; mais moi
dans le même efprit que S. Paul Se dans
les mêmes termes, je lui répondrai:
Nous prêchons Jefus-Chrift crucifié _, qui
H • eft un fujet de feandak aux Juifs j qui pa~
roît une folie aux Gentils j & qui eft la
force de Dieu & la fagejfe de Dieu, Mais
moi je lui répondrai avec le même Doc-
- teur des Nations , que c' eft par la folie de1,
«. i. 21. la prédication évangélique ^ qu'il a plu El
Dieu de fauver ceux qui croyent en lui &-
en fon Fils Jefus-Chrift. Mais moi je lui
répondrai , que la folie de la Croix neft
folie que pour ceux qui périjfent. Terrible-
Mi* 1 8» parole , pour ceux qui périffent , pour
ceux qui fe damnent , pour ceux qui par
la dureté de leur coeur & par leur fens;
réprouvé fe précipitent , comme l'impie ,
dans un malheur éternel ! Il y fera telle
attention qu'il lui plaira ; 6c pourquoi
A^fpérerois-je pas que le Père des mifé-
PAR LUI-MESME. 1\$
ricordes éclairera enfin cet aveugle , 8c
que fa grâce triomphera de cette anie
rebelle , 8c la foumettra ! Qu'il en foit
ainfi que je le deiire , 8c que je le de-
mande j c'eft un de mes voeux les plus
fincères 8c les plus ardens.
Naijfance des Héréfies y & leur
progrès,
CE qui fait l'Hérétique , ce n'efi pas
feulement l'erreur , mais l'entête-
ment & l'obftination dans l'erreur. Tout
homme , dès-là qu'il eft homme , eft
capable de fe tromper y 8c de donner
dans une erreur, dont lesfaïuTes appa-
rences le furprennent 8c le féduifent :
mais on ne peut pour cela le traiter
d'hérétique , & il ne l'eft point précifé-
nient par-là. On peut bien dire que ce
; qu'il avance eft une hérélie ; que telle
proportion , telle doctrine eft contrai-
f re aux principes de la foi : mais s'il ne
s'y attache pas opiniâtrement , &c qu'il
foit chfpofé à fe rétrader 8c à fe fou-'
mettre, dès que le Tribunal eccléfiafti-
Xiij
1^6 Nais s ance
que & fupérieur aura donné un juge-
ment définitif qui décide la queftion ;
alors * pour parler ainfi , Fhéréfie n'eft t
que dans la proportion avancée , que
dans la dodrine , fans être dans la per-
fonne. Auili neïï-ce pas communément r
fur la perfonne que tombent les cenfu- J
res de FEglife } mais fur les fentimens
erronnés qu elle condamne & qu'elle
profcrit. On n'eft donc proprement hé- |
rétique , qu'autant qu'on eft opiniâtre , ,
parce qu'on n'eft rebelle à FEglife que
par cette opiniâtreté , qui réfifte a l'o-
bénTance , & que nulle autorité ne peut i
fléchir.
Dans la fociété même civile 8c dans
f ufage ordinaire de la vie ? ce caractè-
re d'entêtement a des effets très-perni-
cieux. Il caufe des maux infinis , foit par i
rapport au bien public , foit par rapport :
au bien particulier. Par rapport au bien
public , on a vu arriver les plus triftes «
malheurs dans un Etat par l'entêtement i
d'un Grand , dans une ville par l'entê---]
tement d'un Magiftrat , dans une mai- 1
fon par l'entêtement d'un père ou d'une
mère , dans une communauté par l'en- ■
têtement d'un fupérieur. Rien de plus
dangereux que l'entêtement en qui que
£e (bit y mais qu'eft-ce fur-tout dans
DES HÉRÉSIES. 247
un homme revêtu de quelque pouvoir
8c conftitué en quelque dignité? Par
rapport au bien particulier : il y a mille
gens qui fe font ruinés de fortune , de
i crédit , d'honneur , de réputation ; par
\ où ? par un malheureux entêtement dont
les plus fages confeils ne les ont pu gué-
rir. Aulîi , qu'avons-nous entendu dire
en bien des rencontres , 8c qu'avons-nous
dit nous-mêmes de certaines perfonnes ?
I Ce font des entêtés : leur entêtement les
perdra. L'événement l'a vérifié , & c'eft
dequoi l'on pourroit produire plus d'un
exemple.
Mais il ne s'agit point ici de ces fortes
d'entêtemens. Dès qu'ils ne regardent
que les chofes humaines, 8c que notre
| conduite félon le monde , les confé-
quences , quoique très - fâcheufes du
refte , & très-rdéplorables , en font tou-
tefois beaucoup moins à craindre. L'en-
têtement le plus funefte & dont on
doit plus appréhender les fuites , c'eit
en matière de Religion. Car voilà d'où
! font venues toutes les héréfies 8c toutes
i les fe&es. Un homme fe prévient de
quelque penfée nouvelle 8c en fait fa
doctrine , à laquelle il s'attache d'au-
: tarit plus fortement, qu'elle lui eft pro-
pre. Cependant , c'eft une mauvaife
Xiv
%4$ Naissanc E •
do&rine , & la foi s'y trouve intérefTée,
S'il étoir afFez, docile pour écouter là-
denais les avis qu'on lui donne r & pour
entrer dans les raifons qu'on lui oppo-
fe , on le feroit bientôt revenir de Ion
égarement. Sa foumiiîion le remettroit
dans le chemin y arrêteroit le feu prêt à
s'allumer , 8c l'affaire en très-peu de
temps feroit affoupie -y mais il s'en faut
bien que la chofe ne prenne un fi bon
tour» C'eft un efprit opiniâtre ; on aura
beau lui parler , il ne fera jamais poffi-
ble de le réduire. Il s'élève , il s'enfle ,
il s'entête. Soit paillon qui le pique ,.
foit préfomption qui l'aveugle , foit in-
docilité naturelle qui le roidit , tout
tela fouvent à la fois , le rend intraita-
ble. Quoiqu'on lui objecte , il a fes ré-
ponfes , qui lui paroiffent évidentes
8c fans, réplique. Quiconque ne s'y rend
pas , eft , félon lui , dépourvu de toute
raifon. Plus donc on l'attaque vive-
ment , plus il devient ardent à fe dé-
fendte } plus on multiplie les difficultés ,
plus de fa part il multiplie les fubtilités
8c les faux-fuyans. Pourquoi cela ? C'efl
qu'il eft déterminé , quelque chofe
qu'on lui dife , à ne pas reculer. Àinfi
toute fon attention va , non point* à
examiner la force 8: la folidité des
desHérés-ies. 249
preuves qu'on lui apporte pour le con-
vaincre j mais à trouver de nouveaux
moyens & de nouveaux tours pour les'
éluder & pour fe confirmer dans fes
idées. Car Voilà ce que fait l'entête-
ment.
Du moins fi ce Novateur s'en tenoit
a fon entêtement perfonnel , fans le
communiquer à d'autres j mais il veut
s'appuyer d'un parti, il veutfe faire une
école , il veut avoir des difciples 8c des
fectateurs. L'envie de dogmatifer , d'en-
feigner, d'être l'Auteur 8c le Chef d'une
fe&e , eft une efpéce de démangeaifon
fi naturelle , qu'on s'y laiffe aifément
aller \ 8c d'autre part la nouveauté & la
fmgularité en fait de doctrine , a pour
une inimité d'efpiïts des charmes fi en-
gageais , qu'ils en font d'abord infatués
8c qu'ils s'y portent comme d'eux-mê-
mes. C'en: une choie furprenante 3 de
voir combien il faut peu de temps pour
y attirer toutes fortes de perfonnes,
hommes , femmes , grands , petits , Ec-
ciéfiaftiques , Laïques , Réguliers , Sé-
culiers , dévots , mondains. Il n'eft point
de gangrène fi contagieufe que l'héré-
lie. Elle gagne fans cefTe 8c fe répand.
Ses progrès font auili prompts , qu'ils
font imperceptibles j elle n'a «pas plutôt
i$o Naissance
pris naiffance, que toutes profeiïions ,
toutes conditions , tous états s'en laifTent
infecter.
De-là qu arrive-t-il ? C'eft que ce qui
n'étoit dans fon origine , que l'entête-
ment d'un homme , qu'un entêtement
particulier , devient déformais un en-
têtement commun, un entêtement de
cabale. Or on peut dire que c'eft alors
qu'il eft comme insurmontable , Se l'ex-
périence nous le fait afTez connoître.
Tant d'efprits préoccupés & unis en-
femble fe foutiennent par leur union
même. C'eft une fociété formée f il
n'eft plus moralement poffible de la
rompre. Si quelqu'un chancelle > il eft
bientôt obfédé de toute la troupe , qui
s'emprefife autour de lui &: n'oublient rien
pour l'affermir & le retenir. Que ne lui
repréfente-t-on pas ? la prétendue jufti-
ce de la caufe qu'il a embraiTée , l'inté-
rêt du parti où il s' eft engagé j le triom-
phe qu'il donnerait à fes ennemis en
l'abandonnant , Se l'avantage qu'ils en
tireroient ; l'éclat d'une défertion qui
le couvrirait de honte 9 Se qui i'expofe-
roit à de mauvais retours ; enfin pro-
meffes , efpérances , reproches 5 mena-
ces 5 faux honneur , tout eft mis en
œuvre* Ainfi s'anime-t-on les uns les
DE S HÉRÉSIE S. 25I
autres 5 & fe fcrtirie-t-on } c'eft a qui
s'entêtera davantage , &c qui marquera
plus de zèle , c'eft-a-dire plus d'aheur-
tement. Les morts remifciteroient Se fe
feroient entendre , qu'on ne les croiroic
pas j ou un Ange defcendroit exprès
du Ciel , Se emploveroit les plus puhTans
moyens pour défabufer des gens que
l'erreur a liés de la forte , Se ligués pour
fa défenfe , qu'ils ne fe rendroient pas ,
Se ne reviendroient jamais de leurs pré-
jugés.
Cependant quelque foin que prenne
de fe cacher la feâe nailfante , on la
découvre. C'eft im feu fecret , mais qui
croit j Se plus il s'allume 5 plus la flamme
éclate. Les fidèles en font allarmés y les
Pafteurs de l'Eglife dépofitaires de la
vraie doctrine , réveillent leur zèle
contre le menfonge qui cherche à s'é-
tablir : l'erreur eft dénoncée , citée au
fouverain Tribunal ; Se fes partifans
obligés de comparoître , ne peuvent
éviter le jugement qui fe prépare , ou
pour leur juftirication , s'ils font aulîî
orthodoxes qu'ils le prétendent , ou
pour leur condamnation , fi les dépor-
tions de leurs adverfaires fe vérifient
Se fe trouvent bien fondées. Or en des
conjonctures fi critiques Se dans une
252. Naissance
néceiîité il prenante , que faire ? De
vouloir décliner , ce feroit fe déclarer
coupable , ce feroit fe juger foi-même
de fe condamner.. Il faut donc affecter
d'abord une contenance affurée , accep-
ter la difpute 8c s'y préfenter , deman-
der à être écouté Ôc à produire fes
raifons , du refle témoigner par avance
une foumilîion feinte à ce qui fera dé-
cidé & prononcé. Mais tour cela , dans
quelles vues ? ou dans l'efpérance de
conduire iî habilement l'affaire , de lui
donner par mille déguifemens , mille
explications & mille modifications , un
fi bon tour, qu'on obtiendra peut-être
une décifion favorable } ou dans la ré-
folution , fi le jugement n'eft pas tel
qu'on le veut , de l'interpréter néan-
moins à fa manière } Se s'il ne fonffre
abfoîument nulle interprétation , de le
rejetter.
C'eft ce que montre en effet l'événe-
ment. L'Eglife éclairée du Saint-Efprit ,
ne fe trompe point ni ne fe laiffe point
tromper. Au travers de tous les artifices
Se parmi tous les détours , elle fçait ap-
percevoir l'erreur & la démêler. Elle la
proferit , elle la frappe de fes anathê-
mes , elle publie fa définition comme
une loi émanée du centre de la vérité 3
DES HÉRÉSIES. 253
& comme une régie que chaque fidèle
doit fuivre. Qui ne croiroit pas alors
que toutes les queftions font finies , 8c
que tous les efprits vont fe réunir dans
une heureufe paix , 8c dans une même
croyance ? Mais qu'eft-ce que l'entête-
ment , 8c de quoi n eft-il pas capable !
c'eft là tout au contraire que recom-
mence une guerre , d'autant plus vive
de part 8c d'autre, que les uns font
plus piqués du mauvais fuccès , qui
fans les réduire en aucune forte , ni les
abattre , les humilie toutefois 8c les
chagrine ; & les autres plus indignés de
la mauvaife foi avec laquelle on refufe
d'obéir purement 8c fimplement à une
fentence , qui pouvoit , 8c qui de voit
terminer tous les différends.
Bien loin donc que toutes les quef-
tions ceifent 5 on les multiplie à l'infini.
On veut perfuader au public que le
jugement de l'Eglife ne tombe point
fur la doctrine qui lui a été déférée.
On veut perfuader à l'Eglife même ,
qu'on entend mieux quel eft le fens de
fes paroles , 8c qu'on fçait mieux ce
qu'elle a dit ou ce qu'elle a eu en vue de
dire. On veut lui faire accoire qu'elle
n'a pas vu ce qu'elle a vu, 8c qu'elle a
cru voir ce qu'elle ae voyoit pas. Si
^54 Naissance
pour réprimer une audace , ou pour
confondre une obfUnation qui i'outrage ,
elle entreprend, de s'expliquer tout de
nouveau, elle a beau ufer des termes
les plus formels , les plus précis , les
plus clairs , on y trouve toujours de
l'ambiguïté , parce qu'on trouve tou-
jours une lignification étrangère & for-
cée à y donner. D'ailleurs même on
difpute a l'Eglife fes droits , comme fi
elle excédoit fon pouvoir -y comme ri
les matières préfentes n'étoient pas de
fon r effort ; car il n'y a point de retran-
chement où l'on ne tâche de fe fauver.
Il ne refte plus , fuppofé que l'Eglife
redouble fes efforts & qu'elle porte les
derniers coups , qu'à lever enfin le
mafque , qu'à lui faire tête , & qu'à fe
féparer. Trifle dénouement de tant d'in-
trigues, de conteftations , d'agitations,
qui ne manquent pas d'aboutir avec le
tems à une divifion entière & à un
fchifme déclaré.
Telle a été la fource de toutes les
héréfies , & tel en a été le progrès. Il
n'y a qu'à lire l'hiftoire de l'Eglife , &c
l'on verra depuis les premiers iiécles
jufqu'aux moins éloignés de nous , que
les hérétiques & leurs fauteurs , ayant
cous été animés du même efprit &c
DES HÉRÉSIES. 255
poffédés du même entêtement , ils ont
tenu tous la même conduite j qu'ils ont
tous eu les mêmes procédés , tous em-
ployé les mêmes moyens , & mis en
œuvre les mêmes artifices pour infînuer
leurs pernicieufes nouveautés , pour les
couvrir des plus belles apparences &
des couleurs les plus fpécieufes , pour
leur donner des noms empruntés , Se
les retenir fous un faux femblant de les
abandonner j pour les perpétuer dans
le monde Chrétien , indépendamment
de toutes les puilTances , foit Eccléfiaf-
tiques , foit temporelles. On diroit
qu'ils fe font copiés les uns les autres ,
ôc que fans fe connoitre , ils font con-
venus entr'eux : tant la conformité eft
parfaite. Enforte que de voir agir les
hérétiques d'un fiécle , c'en: voir agir
ceux de tous les fiécles palfés ^ & ceux
de tous les fiécles à venir , car là même
caufe produit toujours les mêmes effets,
Quoi qu'il en foit, il eft aifé de juger
à quels mouvemens , 6c à quelles con-
tentions tout cela engage : écrits fur
écrits , mémoires fur mémoires , répli-
ques fur répliques , erreurs fur erreurs.
Pour foutenir Tune , on eft fouvent
obligé d'en avancer une autre. A me-
fure qu'on fe fent prefle , on vient à
ij-6 Naissance
dire ce qu'on n'eût jamais dit ^ &c ce
qu'on ne diroit pas encore , ii ce n'é-
îoit la feule voie qui fe préfente pour
fe tirer de l'embarras où l'on eft j & tel ,
quelques années auparavant , eût eu
horreur de la proportion qu'on lui eût
faite de franchir certaines barrières ,
qui dans la fuite les a franchies, ôc de
degrés en degrés eft defcendu jufques
au fond de l'abîme. De-là milk varia-
tions , mille contradictions. On tient
un langage aujourd'hui , & demain on
en tient un tout oppofé } on change
félon les conjonctures & félon les be~
foins. Que le public le remarque , il
n'importe ; on le laiffe parler , & l'on
feint de ne le pas entendre. En un mot ,
pour fe confirmer dans fon entêtement
& pour y periifter , il n'y a rien qu'on né
furmonte , ni rien qu'on ne dévore.
Oh ! qu'on s'épargneroit de défagé-
mens , de ferremens de cœur , d'in-
quiétude ôc de tourmens d'efprit , Il
l'on avoit appris à être plus fouple 6c
plus flexible ! Sur-tout qu'on épargne-
roit à l'Eglife de fcandales qui la défo-
lent , Se qui font pour elles de rudes
coups I Mais c'eft une chofe terrible
que de s'être endurci contre la vérité.
Plutôt que de la reconnoître > lorfque
le
î> î S HÉRÉSIES. 257
le Miniftre du Seigneur la lui repréfen-
toit , Pharaon fourTrit le défordre de
fon Empire , la ruine de fes Provinces ,
le murmure de fes peuples. Si tout cela
fit de tems en tems quelque imprefïion
fur lui , ce ne fut qu'une impreiîion
paifagère , & il en revint toujours à fes
premières préventions j enfin il s'expofa
à fe perdre lui-même , 3c en effet il fe
perdit. Affreux exemple d'un entête-
ment indomptable , 8c que nulle confé-
dération ne peut faire plier. On verroit
tout l'ordre de FEglife fe renveffer ,
qu'on n'en feroit point ému. Le parti
cft pris , tous les pas font faits j il n'y a
plus de retour.
Ce n'eft pas que ce retour foit impolîï*
ble , mais qu'il eft difficile 8c qu'il eft
rare , particulièrement en ceux qui con-
duifent toute la le&e 8c qui en font l'ap-
pui ! Il faudroit pour les changer , une
grâce bien forte } 8c Dieu fouvent par
une jufte punition , permet au contraire
qu'ils s'obftinent de plus en plus 3 6c
qu'ils reftent jufques à la mort dans le
même entêtement. Il femble qu'il y ait
une malédiction particulière fur eux.
On a vu incomparablement plus de
pécheurs 8c plus d'impies, que d'héré-
fiarques , ou des fauteurs d'héréfîes ? fe
Tome L Y
ï$% Naissance
convertir , quand ils font au lit de la
mort. D'où vient cela , fi ce n'ed pas
un châtiment du Ciel ? Us vivent tran-
quilles dans leurs erreurs , & ils y meu-,
rent dans une afïurance qui faifit de
frayeur , lorfqu'on penfe au compte
qu'ils doivent rendre à Dieu de tant
crames qu'ils ont féduites 5 8c de tant de •
maux dont ils font devenus refponfa- •
blés.
Mais 5 dit-on , ils font perfuadés de
îa vérité de leur doctrine , & ils agirent .
fuivant cette perfuafion. Ce n'eft pas
bien parler , que de dire qu'ils en font
perfuadés j mais il faut dire qu'ils en
font entêtés. A prendre les termes dans .
toute leur juftefle , il y a une grande
différence entre la perfuafion 8c Y entê-
tement. La perfuafion eft dans l'efprit 3
qui raifonne 8c qui juge fans être préoc-
cupé ni pafïionné ; mais l'entêtement
eft dans l'imagination , qui fe frappe ,
qui fe révolte , qui s'échauffe & ne fuit
que l'opiniâtreté du naturel , ou que
le mouvement de quelque paillon du
cœur. Or voila par où ils font inexcu-
fables devant Dieu , de ne s'être pas
fait plus de violence pour rompre ce
naturel , & de n'avoir pas mieux appris
à reprimer cette pafïion. Quelles en ont
DES HÉRÉSIES, 25^
été les fuites ? Quelle charge pour' eux ,
& à quel jugement font-ils réfervés?
Faifons fouvent la prière de Salo-
mon , de demandons a Dieu un efprit
docile. C'eft. le cara&ère des efprits
fermes & folides. Comme ils compren-
nent mieux que les autres de quelle
néceiîité il eft de fe foumettre dans les
matières de la religion à une première
autorité , ils n'ont point honte 3 fup-
pofé qu'elle fe déclare contre eux , de
défavouer leurs propres penfées & de fe
rétracter. Docilité qui leur eft égale-
ment méritoire , glorieufe , 8c falutaire.
Méritoire auprès de Dieu , à qui ils
obéirent en obéilTant à fon Eglife. Glo-
rieufe dans l'eftime de tout le peuple
fidèle , par l'édification qu'ils lui don-
nent. Enfin , falutaire pour eux-mêmes ,
parce qu'ils mettent ainfi leur foi à cou-
vert , & qu'ils fe préfervent de tous les
écueils où elle pourroit échouer.
&#
Yij
160 Pensées diverses
Penfées diverfes fur la Foi * & fur
les vices oppofés.
Ï/~YN efl fî zélé pour l'intégrité des
V /mœurs -y quand le fera-t-on pour
l'intégrité de la foi ? On fe récrie aves
tant de chaleur contre de prétendus re-
îâchemens dans la manière de vivre j;
quand s'élevera-t-on avec la même force
contre d'affreux égaremens dans la ma-
nière de croire ?
$ Où en fommes - nous , 6c où eft
cette foi des premiers fiécles , cette
foi qui a converti tout le monde B
Alors des athées devenoient chrétiens^ :
maintenant des chrétiens deviennent
athées-
f Bizarrerie de notre fîécle , foit à
l'égard de la difcipline Eccléfiaftique ,
foit à l'égard de la doctrine ! Jamais
tant de zèle en apparence pour l'anti-
quité , Se jamais tant de nouveautés.
$ Le jufte profite de tout & tourne
tout à bien : mais au contraire , il n'y a
rien que l'impie ne profane , & dont
il n'abufe. La Religion Chrétienne éta-
blit dans la fociété humaine ôc dans la
s v k la For. l£l
vie civile un ordre admirable. Elle tient
chacun dans le devoir : elle régie toutes
les conditions , & y entretient une par-
faite fubordination. Elle apprend aux
petits à refpe&er les grands , & à leur
rendre l'obéiflance qui leur eft due , Se
elle apprend aux grands à ne point mé-
prifer les petits , & à ne point les op-
primer , mais à les ioutenir , à les aider,
à les conduire avec modération > avec
prudence , avec équité. Elle réprime
les méchans par la crainte des châti-
mens éternels ; & elle anime les bons
par Pefpérance d'une gloire fans mefure
&: fans fin. De forte que bannifTant
ainli tous les vices , fraudes, injuftices ,
violences , colères , animofités , vengean-
ces , médifances , impudicités , débao-
ches y & engageant à la pratique de
toutes les vertus , de la charité , de
l'humilité , de la patience , de la mor-
tification desfens , d'undéfintéreflement
parfait , d'une fidélité inviolable , d'une
juftice inaltérable > Se des autres ; il n'eft
rien de plus falutaire pour le bien pu-
blic , ni rien de plus propre à maintenir
par-tout la paix , l'union , le commerce,
l'arrangement le plus merveilleux.
$ Delà quelle conféquence tire le
juile ? Dans une Religion qui ordoime
161 Pensées diverses
fi bien toutes chofes , il découvre là
fageiTe de Dieu , & il reconnoît que
c'eft l'ouvrage d'une providence fupé-
rieure. Mais par le plus groiîier aveu-
glement , & l'abus le plus étrange , l'im-
pie forme un raifonnement tout oppofé ;
ôc parce que cette Religion^eft ïi utile à
tous les états de la vie , & qu'elle eft
feule capable d'en, faire le bonheur , il
prétend que c'eft une invention de la
politique des hommes. N'eft - ce pas
là prendre plaifir à s'aveugler 5 & vou-
loir s'égarer de gaieté de cœur? Hé quoi!
afin que la religion ait le cara&ère & la
marque de vraie religion , faudra-t-il
que ce foit une loi qui mette le trouble
dans le monde Se qui en renverfe toute
l'économie ?
f Cette diverfité de religions qu'il
y a dans le monde 3 eft un fujet de
fcandale pour l'incrédule. A quoi s'en
tenir , dit-il ? l'un croit d'une façon 3
l'autre d'une autre. Là-deiïus il fe dé-
termine à les rejetter toutes , & à ne-
rien croire. On pourrait , ce me fem^
bîe , lui faire voir , que ce qui le con-
firme dans fon incrédulité, c'eft jufte-
ment ce qui devroit l'engager à en for-
tir , & à prendre pour cela tous les foins
néceffaires. Car s'il raifonnoit bien , il
sur la Foi. 16$
feroit les réflexions fuivantes : que ce
grand nombre de religions , quoique
faufTes ? eft une preuve qu'il y en a une
vraie : que cette idée générale de re-
ligion , gravée dans Pefprit de tous les
peuples , & répandue par toute la terre ,
eft trop univerfelle , pour être une idée
chimérique : que il c'étoit une pure
imagination , tous les hommes d'un
confentement fi unanime , ne feroient
pas convenus à fe la former , de même
qu'ils ne fe font , par exemple , jamais
imaginé qu'ils ne doivent point mourir :
quec'eft donc comme un de ces premiers
principes qui font imprimés dans le
fond de notre ame , & qui portent
avec eux leur évidente & inconteftable
vérité,
Delà il iroit plus avant -, & perfuadé
de la vérité d'une religion en général 5
il chercherait où elle eft , cette vraie
religion. Il examineroit ? il confulte-
roit , il écouterait ce qu'on aurait à lui
dire j & alors , dans le choix qu'il fe
propoferoit de faire entre toutes les
religions , il ne feroit pas difficile de
lui montrer l'excellence , la fupériorité
de la Religion Chrétienne , 3c les ca-
ractères vilibles de divinité qui la diftin-
guent. Mais il ne veut point entrer en
i ^4 Pensées diverses
toutes ces recherches , ôc d'abord il
prend fon parti , de vivre fans reli-
gion au milieu de tant de religions,
Eft-ce là agir fagement ? Soyez éternel-
lement béni , Seigneur , de la miféri-
corde qu'il vous a plu exercer envers
moi. Ce qui fcandaîife l'incrédule , ôc
ce qui l'éloigné de vous , c'eft. ce qui
m'y attache inviolablement 6c par la
plus vive reconnonTance. Je coniidère
cette multitude innombrable de peu-
ples plongés dans les ténèbres de l'infi-
délité , ôc adonnés à des cultes fuperfti-
tieux. Plus il y en a , plus je feus la
grâce de ma vocation à l'Evangile & a
votre fainte loi. C'eft une diftinction
que je ne puis aflfez eftimer>& dont je
ne fiiis redevable qu'à un amour fpécial
Tf. de votre part. Le Seigneur nen a pas ainfi
347# ufé à l'égard de toutes les Nations ; il ne
leur a pas découvert comme à moi [es ad-
mirables myCteres.
f II eft bien glorieux à la Religion
chrétienne , que tout ce qu'il y a de
libertins qui l'attaquent , foient des gens
corrompus dans le cœur ôc déréglés
dans leurs mœurs. Tandis qu'ils ont
vécu dans Tordre , fans attachemens
criminels , fans habitudes vicieufes ,
fans débauches, ils n'avoienr point de
peine
SUR L A F O I. l6$
peine à fe foumettre au joug de la foi,
ils la refpeclroient , ils la profeiïoient :
tout ce qu'elle leur propofoit leur pa-
roiiïoit raifonnable & croyable. Quand
ont-ils changé ce fentiment ? c'eft lorf-
qu'ils ont changé de vie Se de conduite.
Leurs parlions fe font allumées , leurs
fens fe font rendus maîtres de leur rai-
fon , leurs aveugles Se honteufes con-
; voitifes les ont plongés en toute forte
: de défordres , Se alors cette même foi ,
' où ils avoient été élevés , a perdu dans
leur efprit toute créance. Ils ont com-
mencé à la contredire , & à la com-
battre. Or encore une fois , voilà fa
gloire , de n'avoir pour ennemis que
des hommes aind dérangés , paflion-
nés , efclaves de leur chair , idolâtres
; de leur fortune 9 Se de ne pouvoir s'ac-
commoder avec eux. Car voilà Févi-
; dent témoignage de fa fainteté , de fa
droiture inflexible , & de fon inviolable
équité. Si , en leur faveur , elle fe relâ-
choit de cette intégrité Se de cette fé-
:| vérité , qui lu» font efTentielles j 11 elle
étoit plus complaifante pour le vice , Se
qu'elle s'ajuftât à leurs cupidités Se à
leurs fales deiirs 5 à leurs vues intérefïees
ou ambitieufes , à leurs injuftices Se à
Tome L Z
2. 66 Pensées diverses
leurs pratiques 3 ils la laifTeroient domi-i
ner en paix fur la terre , Se ils cefTeroient
de l'attaquer.
Je fçais bien qu'ils ne fe déclarent
pas fi ouvertement contre fa morale
que contre fes myflères , où ils ne com-
prennent rien , difent-ils , Se qui rèn-
verfent toutes les idées humaines : mais
c'eft un artifice , Se s'ils vouloient de
bonne foi le reconnoître , ils avoue-
raient qu'ils ne fe tournent contre les
myftères , qu'afin de porter , au travers
des myftères , le coup mortel à la morale
qui y eft jointe , Se de détruire une
loi qui s'oppofe à leurs entreprifes y Se
qui les trouble dans la jouiiTance de
leurs plaifirs. Ces myftères ne leur feront
plus de peine , Se ne leur coûteront rien
à croire , dès que cette loi pourra s'ac-
corder avec le myftère d'iniquité qu'ils
recèlent dans leurs cœurs. Mais quelle
alliance peut-il jamais y avoir entre la
lumière Se les ténèbres , entre Jefus-
Chrift Se Belial , entre la corruption du
iiècle & la pureté de l'Evangile ?
^ L'incrédulité de l'impie Se du liber-
tin s'accorde avec le défordre Se la cor-
ruption de fa vie : donc elle ne vauti
rien, En deux mots,, voilà (a condam-
nation,
s u r la Foi. 167
f Sappofons que dans le monde il
s'élève une fociété de gens , qui par
profelîion & par une déclaration ou-
. verte , s'attachent à décrier le fervice du
Prince ; qui s'émancipent a raifonner
fur fes ordres comme il leur plaît , 6c
qui les rejettent avec mépris j qui par-
lent de fa perfonne fans reipect , Se trai-
tent de foiblelï e 5 de petite(Te d'efprit ,
tous les devoirs qu'on lui rend ; qui
tournent en ridicule le zèle qu'on té-
moigne pour fes intérêts , 6c la difpoii-
tion où l'on paroît être de mourir , s'il
étoit nécefïàire , pour fa caufe ; enfin ,
; qui débitent a toute occaiion des maxi-
i mes injurieufes à la Majefté Royale ,
: 6c capables de renverfer les fondemens
| de la Monarchie : je . demande fi l'on
, fouffriroit des hommes de ce caractère ,
I 6c li l'on ne travailleroit pas à les exter- .
: miner ? Il s'élève tous les jours dans le
; Çhriftianifme des fociétés de libertins ,
: qui par leurs impiétés 6c leurs railleries ,
t profanent les chofes les plus faintes ,
8c décréditent , autant qu'ils peuvent ,
le fervice de Dieu ; qui s'attaquent k
Dieu même , à ce Dieu que nous ado-
rons , 6c voudroient en effacer toute
idée de notre efprit ; qui lui difputent
jufques à fon être > 6c s'efforcent de le
Zij
%6§ Pensées diverses
faire paffer pour une divinité imaginai-
re ; qui ne tiennent nul compte ,. ni de
fes commandemens , ni de fon culte , \
&: regardent comme des fuperftitions-'
tous les hommages dont on l'honore j;
qui cherchent à lui enlever fes plus
fidèles ferviteurs 8c à les retirer de fé$l
autels , fe jouant de leurs pieufes prati-
ques , 8c les accufant ou d'hypocrifie oui
de fimplicité : Il y a , dis-je, des impies s
de cette forte , il y en a plus que jamais,]
leur nombre croît fans ce(fe j 8c parmi»
des Chrétiens , parmi des Catholiques £,
parmi même des âmes dévotes, on les1,
écoute , on les fouffre î Mais ce font
du refte d'honnêtes gens. D'honnêtes *
gens ! j'avoue que je n'ai jamais pûi
digérer ce langage 8c qu'il m'a tou-
jours choqué. Car j'y trouve la qualité:
d'honnête homme étrangement avilie.
A la religion près , dit-on , cet homme
eft un fort honnête homme. Quelle ex-
ception , à la religion près ! C'eft-à-dire ,
que c'eft un fort honnête hommef, à cela,
près qu'il manque au devoir le plus ef-
fentiel de l'homme,qui eft de reconnoitre
fon Créateur, 8c de s'y foumettre. C'eft..
à-dire , que c'eft un fort honnête hom-
me , à cela près qu'il a des principes qui
vont à ruiner tout commerce , toute
sur la Foi. 169
confiance entre les hommes , &: félon
lefquels il doit être déterminé à toutes
choies , dès qu'il s'agira de Ion intérêt ,
. de fon plaiiir , de fa paiîîon. En un mot ,
ç'eft-à-dire que c'eft un fort honnête
homme 3 à cela près qu'il n'a ni foi , ni
loi. Mettez-le à certaines épreuves ,. &
fiez vous-y : vous verrez ce que c'eft que
, cet. honnête homme.
f On propofe à un libertin les rêvé -
lations de la foi , c'eft-à-dire , des révé-
lations fondées fur la tradition la plus
ancienne & la plus confiante , confir-
mées par un nombre infini de miracles ,
! de de miracles éclatans , fignécs du fang
d'un million de martyrs , autorifées
pas les témoignages des plus fçavans
; hommes , & par la créance de tous les
peuples : mais tout cela ne fait fur lui
aucune impreiîion , 3c il nen tient nui
i compte. On lui propofe d'ailleurs les
: rêveries & les vaines imaginations d'un
nouveau philofophe 3 qui veut régler le
monde félon fon gré ; qui raifonne fur
: toutes les parties de ce grand univers 3
fur la nature &; l'arrangement de tous
les êtres qui le compofent avec autant
d'afïurance que fi c'étoit l'ouvrage de
fes mains ; qui les fait naître , agir ,
Zhj
z-jo Pensées diveisis
mouvoir , comme il lui plaît : & voilà
ce que ce grand génie admire , ce qu'il
médite profondément , ce qu'il fondent J
opiniâtrement , à quoi il s'attache 8c dé:;
quoi il fe feroit prefque le martyr. Cer-J
tes la parole de Saint Paul eft bien vraie :
&om. Dieu les a livrés à un fins réprouvé. Ils i
* fi font perdus dans leurs penfées frivoles
& chimériques j & eux qui fi difint figes <\
font devenus des infenfés.
f Que fera - ce qu'un Etat où il ny J
aura ni Roi , ni puiffance fouveraine ?
Dans une pleine impunité chacun fera
le maître d'entreprendre pour fes pro-
pres intérêts ce qu'il lui plaira j 8c coin- •
me nos intérêts s'accordent rarement i
avec les intérêts d'autrui , que s'enfui-
vra-t-il ? des guerres perpétuelles , des
diffenfîons éternelles , un brigandage
urùverfel : tellement qu'il faudra tou-
jours avoir les armes à la main pour la
défenfe de fes biens 8c de fa vie. Le
pauvre pillera le riche , le voifin oppri-
mera {on voifin , le fort accablera le
foible. On vengera £qs querelles parti-
culières par les meurtres 8c les aiTailî-
nats. Confuiion générale , bouleverfe-
ment total. Je ne parle que d'un royau-
me j mais voilà ce que l'Athée voudrait
sur la Foi. 27 t
faire du monde entier , lorfqu'il combat
l'exiftence d'un Dieu.
f Quand j'entends des libertins rail-
ler de la religion , Se prétendre l'avoir
bien combattue , lorfqu'ils ont ri de
quelques pratiques particulières ? ôc de
quelques dévotions populaires , qu'ils
traitent d'abus Se de fuperftitions : ou
leur ignorance me fait pitié , ou leur
malignité me donne de l'indignation.
Car la religion que nous proférions , ne
coniifte point en cela. Ce ne font point,
ces fortes de dévotions ni ces pratiques
qui en font le capital. Si dans ces pra-
tiques Se ces dévotions , il fe glirTe quel-
que chofe de fuperititieux , PEglile le
condamne elle - même , Se le défend
fous des peines très-griéves. Si elle ny
trouve rien de mauvais en foi ; Se qu'au
contraire remontant au principe , elle
voie que ce font de pieufes inftitutions ,
qu'un bon zèle a infpiré aux âmes dé-
votes pour l'honneur de Dieu Se des
Saints , elle les tolère , elle les permet ,
elle les approuve même , mais fans les
regarder comme le fonds de fa créance ,
Se de fon culte. Voilà ce que nos liber-
tins doivent fçavoir 5 Se à quoi ils de-
vroient faire attention. S'ils ne le fçavens
Z iiij
tyi Pensées bi ver s es.
pas , c'eft dans ces grands génies 8c
ces efprits forts du fiècle une ignorance
pitoyable. S'ils le fçavent c'eft dans eux
une malignité encore moins fupporta-
ble , de s'attaquer vainement 8c li opi-
niâtrement à Faccefîoire de la religion ,
8c de n'en vouloir pas confidérer l'ef-
fentiel 8c le principal.
Qu'ils aghTent de bonne foi , & que
fans prévention , fans paiîion 5 ils exa-
minent la religion chrétienne en elle-
même j je m'aiïure qu'ils ne pourront
fe défendre d^en admirer la fublimité ,
la figeiïe , la fainteté. Ils reconnoîtront
qu'elle a de quoi contenter les efprits du
premier ordre , tels qu'ont été les Pères
de l'Eglife j 8c malgré eux ils y décou-
vriront un cara&ère de divinité qui les
frappera. Mais c'eft juflement ce qu'ils
ne veulent pas *, 8c que font-ils ? Ils
laifTent , pour ainfi dire , le corps de
la religion qu'ils ne peuvent entamer, 8c
ils s'attachent au-dehors. Un point qui
n'eft de nulle conféquence , 8c où la re-
ligion ne fe tient aucunement inté-
reifée , un petit exercice de piété , une
cérémonie ? une coutume qui les cho-
que , 8c qu'une louable Simplicité des
peuples a introduite , c'eil là - deilus,
sur. la Foi. 273'
qu'ils lancent tous leurs traits , ôc qu'ils
déployent toute leur éloquence. En vé-
rité , il faut que notre Religion foit bien
affermie fur fes fondemens , ôc bien
cimentée de toutes parts , puifqu'on eft
réduit à ne l'attaquer que de h* loin , ôc
par de telles minuties.
Ç Les hérétiques ont 'toujours eu
pour principe de fe faire craindre , ôc
cela communément leur a réuffi. Ils en
ont tiré deux avantages. L'un , d'arrêter
les efprits timides , Ôc l'autre d'engager
les efprits intéreifés. Mille efprits timi-
des qui ne manquent pas d'habileté , Ôc
qui pourraient leur faire tête , n'ofent
néanmoins les attaquer , parce qu'ils ne
veulent pas irriter un puiffant parti , ni
fe l'attirer fur les bras -y ôc mille efprits
intéreifés , qui ont leurs vues Ôc leurs
prétentions , fe joignent même à eux ,
dans l'efpérance que le parti les fou-
tiendra ôc qu'il les mettra en vogue :
efpérance qui n'eft point mai fon-
dée. Avec cet appui , un auteur voit
fes ouvrages recherchés de tout le monde
comme des chefs - d'œuvres , toutes
les paroles d'un Directeur font reçues
comme des paroles de vie , ôc un Pré-
dicateur eft écouté comme un oracle,
f 74 Pensées diverses
J La réflexion de Saint Auguftin eft
bien vraie 5 qu'il n'y a perfonne qui fe
pare avec plus d'affectation ni plus d'of-
tentation de l'apparence de la vérité Se
de fon nom , que les docteurs du men~
fonge & les partifans de l'héréfie. Il cite
la -demis en particulier l'exemple des
Manichéens. Sans celle , dit - il, ils
Et ai- avoient ce mot dans la bouche , vérité y
venu»! \ vérité. Sans ceffe ils me le rebattoient I
veritas , mais en le répétant fi fouvent , & en le
tum^ " prononçant avec emphafe > ils ne l'a-
eam ai- voient pas pour cela dans le cœur»
Zihi 6» Ainfi dans tous les difeours 5c tous les
àuf- écrits de certaines gens 3 on n'entend
quant • • /*
irai in encore , ni on ne volt preique autre
'"• ehofe que le terme de vérité. C'e.ft,
conf. g* ce femble 5 le figne pour fe reconnoî-
i. ?• tre les uns les autres. C'eft leur cri de
guerre.
| Les libertins qui n'ont point de re-
ligion , font ravis de voir des divifions
dans la religion. Et parce que le moyen
d'entretenir ces divifions , eft d'ap-
puyer le parti de l'héréfie &c de la ré-
volte , voilà pourquoi ils le favorifent
toujours. D'où il arrive aiïez fouvent >
par Paffemblage le plus bizarre & le
plus monftreux 3 qu'un homme qui
s v r la Foi. 27J
fre croit pas en Dieu , fe porte pour
défenfeur du pouvoir du libre arbitre
•Se devient à toute outrance le pané-
gyrifte d'un prétendu équilibre , qui , fé-
lon Saint Auguftin , ne montre que du
délire dans la tête de ceux qui le fou*
tiennent.
DU RETOUR ADIEU,
ET
DE LA PÉNITENCE.
Bonté infinie de Dieu > à rappetter
le pécheur & aie recevoir.
o u s quittons Dieu avec
joie , nous ne retournons à
Dieu qu'avec peine 3 & Dieu
néanmoins eft toujours dit-
Lé à nous recevoir : en trois mots ,
voilà ce qui nous donne la plus haute
idée de la divine miféricorde \ voilà ce
qui doit , dans notre pénitence , nous
toucher de la plus amère contrition y
de la reconnoiffance la plus vive , de
l'amour le plus ardent.
I. Nous quittons Dieu avec joie 3 8t
eela dès la première jeunelFe. A peine
ÎKVERS LE PÉCHEUR. 277
commençous-nous à ouvrir les yeux de
l'efprit , ôc à faire quelque uiage de no-
tre raifon , que le charme du plaifir
nous entraîne. On le fuir , on s'y aban-
donne. Vene\ j divertijfons-nous j& jouif- SuV*
fons des biens préfens. Enivrons-nous des
'vins les plus exquis j couronnons-nous de
rofes j & ne refufons rien à nos fens de
tout ce qui les peut flatter, C'eft avec
de pareilles difpoiltions qu'on entre dans
le monde, & qu'on y mené la vie du
monde , une vie diilipée , une vie molle ,
une vie libertine & toute corrompue. La
confeience a beau fe récrier , Dieu a beau
parler : on fe rend infenfible aux cris de
la confeience , Se fourd à la voix de
Dieu. On fe retire de lui , & pour com-
bien d'années ? quelquefois , hélas !
jufques à l'extrême vieillefîe. Tandis
que le monde a de quoi nous plaire;
tandis qu'il a de quoi fatisfaire nos par-
tions 3 foit paillon de l'honneur ? foit
paillon de l'intérêt , foit pailîon plus
groillère & plus animale , on ne veut
point d'autre maître , & on y met toute
ion efpérance & tout fon bonheur.
Bonheur traverfé de bien des cha-
grins : je l'avoue. Car le mondain fé-
duit & aveuglé par les fens , cherche
en vain dans les plairfis du monde ua
%y% Bonté de Dieu
repos durable 8c une félicité -parfaite i i
c'eft ce que nul homme n'y trouva ja-
mais 5 8c ce que nul homme n'y trouvera , ,
puifque rien de pé affable 8c de mor- •
tel ne fuffit à notre cœur ni ne lui i
peut fuffire 5 8c que la vie eft d'ailleurs i
fujette à tant de viciiîitudes 8c d'événe-* »
mens imprévus , qui en troublent mal-
gré nous les prétendues douceurs. Mais
après tout , quelque faux que puiiîe
être ce bonheur humain , 8c quelque
épreuve qu'on en puiffe faire , il a ton- •
jours je ne fçais quelle apparence qui
nous attire 8c qui nous attache. On en
reconnoît à certains momens la vanité
8c i'illulion • on s'en déclare , 8c on
éclate : mais ce ne font que des mo-
mens , où l'on a eu quelque déboire 8c
quelque contrariété à effuyer. Le nuage
fe dilîlpe bien-tôt : on rentre dans fes
premiers fentimèns , on reprend fon
premier goût pour le monde j il plaît
plus que jamais , 8c il a pour nous dQs
agrémens tout nouveaux : tant l'inclina-
tion qui nous y porte , eft profon-
dément enracinée dans notre ame, 8c
tant elle a de pouvoir pous nous enga-
gerl
Tel eft l'enchantement où vivent îa
plupart àqs gens du monde , homme?
ENVERS LE PÉCHEUR. 279
& femmes. Après avoir cent fois déclamé
contre le monde , ils en font toujours
j épris 3 ôc ils ne comprennent pas même
qu'ils piaffent jamais s'en paffer. Que
; le monde fur mille fujets , ôc dans
| une infinité d'occafions fe trouve en
compromis avec Dieu j qu'il foit ques-
tion d'une fortune humaine qu'ils ont
en vue , d'un degré d'élévation où ils
afpirent , d'un avantage temporel qu'ils
cherchent à fe procurer , d'une intri-
gue qu'ils ont formée ôc qu'ils font
jouer , d'un engagement criminel ,
d'une fale volupté , avec quel ernpreffe-
ment ne s'y portent-ils pas ? avec quelle
ardeur , ôc fouvent , fi je lofe dire ,
avec quelle efpèce de fureur ? Exami-
nent-ils fi Dieu condamne tout cela ?
font-ils en peine de le fçavoir ; ou s'ils
le fçavent Ôc qu'on leur repréfente la
loi divine qui s'effc expliquée fur tous
ces articles de fur bien d'autres , en font-
ils touchés ? Que Dieu y foit offenfé ,
c'eft à quoi ils n'ont guères d'égard ,
Se c'eft par-là même une foible raifon
pour les arrêter, ils fe livrent au pen-
chant naturel , ils fuivent l'attrait , ils
entreprennent , ils agiffent ; ôc fi au pé-
ril d'encourir la haine de Dieu 3 ils peu-
vent obtenir ce qu'ils fe font propofé,
zîo Bonté de Dieu
ils fe tiennent heureux & fe félicitent du
fuccès.
1 1. Nous ne retournons à Dieu qu'a-
vec peine. Après de longs égatemens , il
vient enfin pour quelques-uns un tems
de falut & de converfion, c'eft-à-dire,
un tems où l'on fe fent preffé de fe re-
mettre dans le devoir & de fe rappro-
cher de Dieu. Et quel eft-ce tems ? une
conjoncture favorable que Dieu mé-
nage ; un âge plus avancé Se plus mûr ,
où le feu de la palîîon commence à s'a-
mortir • une humiliation Se un renver-
fement de fortune , un état d'infirmité
3c de langueur.
Saint Auguftin ne fe convertit point
autrement. Ce fut un des plus fameux
pénitens de l'Eglife de Dieu , Se nous
ne pouvons avoir de témoignage plus
convaincant ni plus irréprochable que
le fien , pour apprendre combien de
tems , & avec quelles incertitudes il
demeura flottant Se irréfolu , entre la
divine miféricorde qui le pourfuivoit
fans relâche , Se les engagemens du
monde qui le retenaient. Il vouloit ou
il croyoit vouloir , mais dans peu il ne
vouloit plus. Il demandoit à Dieu d'ê-
tre affranchi de l'efclavage où le vice le
tenoit
Envers le Pêcheur. 28 1
Viioit captif & comme enchaîné } mais
en même tems , il craignoit que Dieu
ne l'écoutât , ëc que fa prière ne fût
exaucée. Inceffamment agité de re-
mords intérieurs , il difoit pour les cal-
mer en quelque manière , tantôt, tantôt -y
mais ce tantôt ne venoit point , & il le
remettoit toujours au lendemain. Dans
ces cruelles perplexités dont il nous a fait
lui - même le récit en ces termes il
forts Se fi énergiques , je foupirois , dit-
il , je gémiiîois fous le poids de ma
chaîne ; mais j'étois lié par ma propre
volonté ? plus dure que le fer ; 8c fans
un dernier effort de la vertu d'en-haut ,
je n'aurois jamais conclu une affaire que
je defirois 5 mais qui devoit coûter fi
cher à mon cœur. Ainfi parloir Saint
Auguftin ; & combien de pécheurs ont
été aufli violemment combattus dans
: leur retour ; combien d'autres le font
i encore ?
Ceft de quoi ils pourroient rendre
| témoignage , s'ils vouloient produire
.au - dehors ce qu'ils éprouvent intérieu-
I rement , & ce qu'ils cachent avec tant
de foin. La grâce les prefTe , elle les fuit
par- tout, elle fe fait fentir à eux jufques
dans les aifemblées les plus nombreufes-
de les plus profanes. En vain tâchent-ils
Tome L A a
z%% Bonté de Diei/
de fe diiïiper 3 de fe rafïurer , d'effa^
cer de leur efprit certaines idées qui les
troublent : Dieu demeure toujours à la i
porte de leur cœur, & ne cefte point de:
frapper. Ils le laiftent attendre , ôc il at-
tend } ils ne répondent rien , 3c bien
loin de fe taire ôc de fe retirer , il élevé
la voix tout de nouveau 8c parle encore
plus haut. Affiduité qui leur devient;
auiîi falutaire , qu'elle leur eft impor*-
tune. Car Dieu par une providence';
fpéciale eft plus confiant à les fauver ■;.
qu'ils ne le font à fe perdre. Malgré tant;
d'oppofitions &c de révoltes le moment1
arrive , un bon moment 3 où la grâce.
prend le defltis & triomphe. Onfe rend,
on cède enfin au faint attrait qui l'em-
porte fur la cupidité : heureux fi un long,
règne des pallions ne les eût pas rendues
fi difficiles à vaincre.
1 1 î. Dieu par fa bonté eft toujours
difpofé à nous recevoir. Il feroit naturel
que dans une j Lifte indignation il nous
traitât , comme nous l'avons traité lui-t
même ; qu'autant que nous avons té-
moigné de répugnances 6c de difficul-
tés à retourner vers lui , autant il fe
rendît difficile a nous admettre auprès
-de lui 3 & à f e réconcilier avec nous j
ENVERS L E P É C HE U R. 2 S J
qu'il nous fît attendre auiîi long-tems
qu'il nous a attendus , Se que pour pu-
nir nos incertitudes & nos retardemens
il fut auiîi lent à nous pardonner y que
no ifs l'avons été à reconnoitre devant
lui nos iniquités & à lui demander grâce.
Mais que dis -je ? Seigneur : ah! mon
Dieu , je parle félon les fentimens de
l'homme , 8c vos fentimens , comme
vos penfées 5 font bien au-deflus des
nôtres. Ce font des penfées 5 des fenti- Jmmt
mens , non de colère 8-c de vengeance , y^f"
mais de rémilîlon & de paix. Â quelque Cogita
eure donc y a quelque jour que le pe- pacis y
cheur contrit & pénitent s'humilie de- &* noî*
vant vous 5 vous oubliez que vous êtes tùni^
Juge , pour vous fouvenir que vous êtes
père. Il efl vrai , pendant une longue
fuite d'années ce pécheur étoit un re-
belle ; mille fois il s'eft obftiné contre
Dieu. Il efl encore vrai, que pour le
fléchir , le gagner , il a fallu tout récem-
ment de plus fortes inftances que ja-
mais , & des avances toutes nouvelles
de la part de Dieu \ mais Dieu met le
voile fur tout cela , il n'a égard qu'à la
difpofltion préfente d.e cet homme.
Dès qu'une fois il fe repent &c qu'il fe-
foumet , c'eft aiTez. Les entrailles de la
charité de Dieu en font émues ; il étend
Aaij
zB4 Bonté de D i e tf
les bras pour l'embrailer 3 il ouvre (on.
feîn pour l'y recueillir : fût-ce un pé-
cheur tout noirci de crimes , il celle
d'être criminel aux yeux du Seigneur ,, J
&z Dieu lui donne place parmi fes en- J
fans,
Je dis , mon Dieu, parmi vos enfans, .
êz non point parmi vos efclaves. Ce pro- h
digue qui s'étoit féparé de fon père , fcj
lui avoit marqué tant d'indifférence &Ci
même tant de mépris en l'abandonnant XJ
comptoit pour beaucoup , lorfqu'il fe»
roit revenu à la maifon paternelle , d'y J
pouvoir être mis au rang des mercenai- j
res y &c f e croyoit déformais indigne d'y/
être regardé ôc traité comme un fils : iif
fe faifoit en cela juftice : maisdurefte.
il ne connoiiïoit pas toute la tendreife.
du père qui le recevoit 3 Se qui étoit i
même allé au-devant de lui. Bien loin
d'être dégradé de la qualité de fils , &
d'être condamné aux traitemens rigou-:
reux qui lui étoient dûs , il éprouva tout (
le contraire. Jamais fon père ne l'ac-
cueillit avec plus de douceur ni plus
d'afFedion ^ jamais il ne parut plus fen-i
fible pour lui.
C'eft vous - même , mon Dieu 3 qui
nous tracez cette figure dans votre di-:
vin Evangile j c'eft par cette parabole
ï> E PÉNITENCE. 2^5
que votre Fils adorable excitoit la con-
fiance des pécheurs pénitens , & je puis
dire , tout coupable que je fuis , qu'elle
ne m'annonce rien de fi confolant que
je ne fois en droit d'efpérer , &: à quoi
l'effet ne doive répondre.
Voilà , dis-je 3 ô mon Dieu , ce que
j'ai lieu de me promettre 3 aufïî - bien
que tant d'autres , dès que je retourne-
rai à vous , & que j'y retournerai de
bonne foi. Or n'eft - ce pas un motif
affez puiiïant pour m'infpirer là-deflus
une fainte réfolution 3 ci pour me la
faire exécuter ? Mais que feroit-ce , 3c
quel défordre , quelle injuftice * quand
vous m'appeliez de la forte , fi je déli-
berois encore 5 fi je me défendois en-
core , fi je refufois encore de me ren^
dre î Hé , qu'y auroit-il alors de plus
inconcevable , ou d'une telle condef-
cendance de votre amour , ou d'une
telle réfiftance de mon cœur ?
L'heure eft venue , Seigneur : il n'y
a plus de difficultés ni de répugnances
à écouter. Un amour tel que le vôtre
doit amollir lame le plus endurcie. Je
fuis à vous j ou j'y veux être. BénifTez
le defTein que je forme, & le premier
pas que je vais faire , pour F accomplir*
En votre nom j'agirai , & vous fupplérez
■%%ê Sacre ment
par votre miféricorde à ce. qui pourra ma
manquer par la fragilité de la nature &£
par Finconftance de ma volonté.
Sacrement de Pénitence. Difpofi*
-lions qu il y faut apporter ^ ù le
fruit qu'on en doit retirer.
ON exhorte afTez les fidèles à fré-
quenter le Sacrement de Péniten-
ce \ mais peut-être ne s'applique-t-on
point allez à les initruire des difpofi-
tions elfentielles qu'il demande , ni à.
leur en donner toute la connoifîance
qu'ils en doivent avoir. La plupart
n'en ont entendu parler que dans ces
premières leçons qu'on a fait à de jeunes,
enfans , qui malgré le foin qu'on prend
de leur expliquer les éiéniens de la doc-
trine chrétienne 5 ne font guères en état
de bien comprendre ce qu'on leur dit ,
ôc n'en confervent qu'un fouvenir con-
fus & très-fuperficiel. C'elt dans un âge
plus avancé , où lé jugement eft plus
mûr , & où l'on voit mieux les chofes ,
qu'il faudroit fe retracer fur cela les en-
feignemens qu'on a reçus ^ Se s'en, former
ENVERS LE PÉCHEUR. l%j
une idée jnfte. Car il s'agit d'un Sacre-
ment qui , félon le bon oc le mauvais
ufage que nous en faifons , doit fervir
ou à notre juftiiication , ou à notre
condamnation. Mais par une erreur des
plus pernicieufes , on regarde , je lofe
dire , ces fortes de confidérations au-
1 deiïous de foi , & Ton fe perfuade qu'el-
I; les ne conviennent qu'au tems de l'en-
fance. Les Prédicateurs , s'ils n'y
; prennent garde y contribuent eux-mê-
; mes à entretenir cette dang-ereufe il-
lufion , ayant pour maxime de ne traiter
dans la chaire que- certains fujets rele-
vés , Se s'imaginant que ceux - ci ne.
font propres que pour le menu peuple
& pour les campagnes. En quoi certai-
nement ils fe trompent, foit en man-
quant à l'une des plus importantes obli-
gations de leur m-iniftère , qui eft d'ap-
prendre à toutes les conditions les prin-
cipaux devoirs de la religion ; foit en
-s' élevant quelquefois au-delà des bornes 5
& prenant un vain eiïor où fouvent
on les perd de vue , & où ils fe perdent
eux-mêmes.
Quoi qu'il en foit , tout ce qui con-
cerne le Sacrement de pénitence , peut
fe réduire , félon la notion ordimaire ,
à quatre articles capitaux j fçavoir ± la
% 8 8 Bonté de Dieïï
contrition , la réfolution , la confemon 2 ,
ôc la fatisfaction. Je n'ai rien à dire là-
demis de fingulier & de nouveau j mais .
ce que je dirai néanmoins , n'eft que
trop inconnu à bien des gens qui l'igno-
rent ou abfolument ou en partie , tout
éclairés qu'ils font d'ailleurs 3 & qu'ils fe
piquent de l'être,
I. Contrition : c'eft-à-dire ? douleur
du péché , mais une douleur conçue
en vue de Dieu , par le mouvement
de la grâce, & fupérieure à toute autre
douleur. Voilà en trois mots déjà bien
des chofes d'un devoir indifpenfable y
ôc d'une telle ncceiîité , que de-là dé-
pend toute l'efficace & tout le fruit du
facrement dont il eft préfentement
quedion.
C'eft 3 dis-je , une douleur , Se par-
conféquent un a&e de la volonté , qui
s'afflige 5 qui hait , qui détefte : car qui
dit douleur , ne dit pas une iimple con-
noiffance ni une fimple vue de la lai-
deur & de la difformité du péché. Ce
n'eft pas même , fi j'ofe ufer de ce ter-
me 7 une fimple déplaifance de la rai-
fon , qui naturellement droite , ne peut
s'empêcher d'appercevoir le défordre
du péché & de le condamner, On peut
avoir
DE PÉNITENCE. 289
avoir tout cela fans être contrit , parce
que tout cela n'eft que dans l'entende-
ment , 6c non point dans la volonté.
On peut avec tout cela aimer toujours
fon péché , fe plaire toujours dans fon
:, péché , conferver toujours le même
attachement à fon péché : on le peut ,
de c'eft ce qui n'arrive que trop fou-
vent. Il faut donc que ce foit la vo-
lonté qui aghTe par un repentir vérita-
ble. Il faut que la douleur , félon l'ex-
prellion du Prophète , nous brife le
cœur j 8c c'eft de-là même qu'elle eft
appellée contrition. Autrement , la vo-
<: Ionté n'étant point à Dieu , tout le refte
t ne peut être, de quelque prix devant
'. Dieu , ni le toucher.
Encore une fimple douleur en géné-
ral ne fuffit-elle pas ; & n* ce n'eft en
- particulier le mouvement de la grâce
qui l'excite , Se qui élevé l'âme à Dieu ,
ce n'eft plus qu'une douleur infrucrueufe
êc fans effet. C'eft pour cela que les
Prophètes prêchant aux pécheurs la pé-
nitence & les y exhortant , ne fe con-
tenaient pas de leur dire , cohvertiffez-
vous ; mais qu'ils ajoutoient , conver-
I tiffez-vous au Seigneur votre Dieu. Par Jce
où ils leur faifoient entendre, que II CtZtï
ce rapport à Dieu manquoit , que fi
Tome /, B b
%<)o Sacrement
dans leur retour ils n'envifageoient pas
Dieu , que s'ils fe propofoient tout au-
tre objet que Dieu , ils ne dévoient
plus être, dans l'eftime de Dieu, cenfés
pénitens , puifqu'ils ne l'étoient pas fé-
lon Dieu , ni pour Dieu. Et parce que
cette vue de Dieu 3c cette douleur fur-
naturelle fuppofe nécefTairement la
grâce comme principe , ôc un com-
mencement d'amour de Dieu comme
fource de toute juftice, les Prophètes
parlant au nom des pécheurs , difoient :
gkren. Seigneur convertiiTez - nous , 8c nous
nous convertirons. C'eft qu'ils étoient
perfuadés que pour rendre nos cœurs
dociles , pour en amollir la dureté
Se fléchir î'obftination , il eft néceiTai-
re que nous foyons prévenus de.l'inf-
piration divine 8c aidés du fecours.
d'en haut, ôc que pour nous récon-
cilier avec Dieu , nous devons com-
mencer à l'aimer par-deffus toutes cho-
fes.
Ce n'eft pas tout ; cette douleur
formée dans la volonté , infpirée par
l'Efprit de Dieu , ôc conçue par amour
pour Dieu , doit être au-delfus de toute
autre douleur. C'eft-à-dire , qu'il n'y a
point de revers , point d'accident fa-
SE PÉNITENCE. 2^1
cheux ni de malheur dans la vie , de
quelque nature qu'il foit , dont il puiife
m'être permis de concevoir une dou-
leur fupérieure , ou même égale à celle
que doit me caufer l'offenfe de Dieu
ôc la perte de fa grâce. Il faut que je fois
plus touché de cette ofrenfe de Dieu &C
de cette perte de la grâce de Dieu , que
je ne le ferois de la ruine entière de ma
fortune , eût-elle été la plus flo allante
ôc la plus abondante. Il faut que cette
offenfe de Dieu , que cette perte de la
grâce de Dieu me tienne plus au cœur ,
que l'affront le plus fanglant qui me
couvriroit de confuiion , que l'aban-
donnement le plus général qui me ré-
duiroit dans la dernière mifere , que le
mal le plus fenfible &: le plus aigu qui
me tourmenteroit uns relâche ; que la
mort d'un patron , d'un ami , d'un pa-
rent , d'un fils , d'un époux 3 d'un père 5
d'une mère , de tout ce que je puis
avoir fur la terre de plus cher 5 enfin ,
que le danger même le plus évident
d'une mort prochaine par rapport à moi.
Si mon regret né va pas jafques-là , il ne
peut être iuffifant , de dès-lors je ne fuis
point dans l'état d'une vraie contrition s
ni même dans cette attrition parfaite
nécenaire au Sacrement de pénitence.
Bbij
2^i Sacrement
On me dira que cela feroit capable de
troubler les confciences & de les jetter i
dans le défefpoir. Il eft vrai : cela peut I
défefpérer , mais qui ? des âmes mon-
daines qui n'ont jamais bien connu, i
Dieu , &c qui ne s'appliquent jamais à le
bien connoître. Des âmes toutes plon-
gées dans les fens , ôc d'autant plus in-
{enfibles pour Dieu qu'elles font plus
fenfibles pour elles-mêmes , & pour tout
ce qui flatte leur amour propre. Des
âmes volages , diiîipées , accoutumées
à n'envifager tout ce qui regarde la re-
ligion que très - fuperficiellement , 8c
fans cefife diftraites par les objets exté-
rieurs qui leur frappent la vue , & qui
emportent toute leur attention. Voila
ceux qui doivent être étonnés des le-;
çons que je trace ici j voilà ceux qui en;
doivent être découragés Se rebutés.
Mais pour appliquer à mon fujet ce
que difoit Saint Auguftin fur une ma-,
tière à peu près femblable : donnez-moi
une ame qui aime Dieu , une ame rem-
plie de l'efprit du chriftianifme , une
ame telle que nous devons tous être;
ik fuppofons que par un effet de la fra-
gilité humaine , ou par la furprife de
quelque paillon , cette ame ait eu le
malheur d'oublier Dieu ôc de s oublier
DE PÉNITENCE, 29$
elle-même, jufqua fuccomber dans une
rencontre à la tentation Se à fe laiifer en-
gager dans le défordre du péché j je de-
mande fi lorfqu'elle viendra à fe recon-
noître , & qu'aidée de la grâce elle fe
mettra en devoir de retourner à Dieu ,
elle aura de la peine à porter fon re-
gret de fa douleur au degré que je mar-
que , & que je prétends être abfolument
requis ? Quand nous voyons David
couché fur la cendre & humilié devant
Dieu ; quand nous voyons Saint Pierre
couvert de confudon & pleurant avec
amertume } quand nous voyons Made-
laine profternée aux pieds de Jefus-
Chrift 6c les arrofant de {es larmes , con-
cevons-nous qu'il y eût alors quelque
chofe au monde dont ils fuiTent plus
affligés , ni même aufïi affligés , qu'ils
l'étoient de leurs égaremens j Ôc pou-
vons-nous imaginer quelque intérêt
qu'ils eufTent voulu faire entrer en
compromis avec les intérêts du fouve-
rain maître , dont ils avoient encouru
la j ufte indignation , & auprès* de qui
ils cherchoient par - de (Tus tout & aux
dépens de tout à fe remettre en grâce ?
Or nous ne fommes pas moins pécheurs
que ces fameux pénitens ; nous n'avons
pas pour -exciter notre repentir , des
Bbiij
2,^4 Sacrement
motifs moins folides ni moins touchant
que nous manque-t-il ? plus de iincé-
nté 6c plus de zèle dans notre conver-
sion à Dieu.
Cependant il ne faut rien exagérer jj
& je dois convenir que plufieurs pour-
roient être en efret découragés & avec
fujet , fi cette douleur que ia pénitence
exige de nous 3 confiftoit dans le fenti-
ment. Car le fentiment ne nous eft pas
toujours libre 5 & fouvent il peut être
beaucoup plus vif à l'égard de certains
maux de la vie & de certains événe-
mens que nous craignons 3 ou que
nous déplorons , qu'il ne l'eft à l'égard
des péchés que nous dételions , & dont
nous avons un regret véritable. Ce n'eft
donc' point par ce fentiment que notre
contrition doit l'emporter far toute au-
tre douleur , mais par la détermination
de la volonté , mais par la préparation
de Fefprit & de la partie fupérieure de
l'ame m9 mais par la difpofition intérieure
ëc réelle où fe trouve le pénitent de
fubir toutes fortes de peines , ôc d'ac-
cepter toutes fortes d5adver£tés tempo-
relles &: de calamités , plutôt que de
confentir à un feul péché : fi bien qu'il
hait ainiî le péché plus que tout le refte ,
de qu'il voudroitr au prix de tout le reft$-
DE PÉNITENCE. I95
pouvoir eftacex tous les péchés qu'il re-
connoît avoir commis , ëc par où il a
déplu à Dieu. Il n'eft point néceflfaire
pour cela de relïentir les mêmes ferre-
mens de cœur, d'entrer dans les mêmes
agitations , de s'abandonner aux mêmes
gémiffemens , ni de tomber au dehors
dans la même défolation , que fi l'on
venoit nous annoncer quelque infortu-
ne humaine & quelque défaftre où nous
fulîîons intéreiTés. Il fuffit d'avoir cette
haine du péché que j'ai fpéciiié , Se
que les Théologiens , félon leur langage
ordinaire, nomment apprétiative , parce
qu'elle maintient tous les droits de
Dieu , 8c qu'elle lui donne dans notre
cœur une préférence entière <k abfolue.
Or voilà ce qui ne doit défefpérer
perfonne , puifqu'il n'y a perfonne qui
ne puilTe avec l'alliftance divine former
au fond de fon ame une telle douleur.
Ce n'eft pas au refte qu'il n'y ait pour
ce-la même des foins à prendre Se des
efforts à faire. Car comme difoit faint
Auguftin , iî vous n'êtes pas encore at-
tiré de Dieu , agiffez , priez , prefTez 5
afin qu'il vous attire. On fe trouve aiTez
fouvent dans une féchereffe de cœur,
où il eft fort à craindre , qu'on ait
pas cette contrition fans laquelle on ne
Bbiiij
• zc}6 Sacrement
peut efpérer le pardon de fes péchés;
même avec le Sacrement de pénitence.
Hé 1 le moyen qu'on pût l'avoir , de la
manière dont on approche du faint
Tribunal ? On y vient quelquefois avec
une précipitation qui ne donne prefque
pas le loifir de penfer à ce que l'on fait ,
ni de réfléchir fur aucun des motifs
dont notre douleur doit être animée de
fandifiée. On s'y préfente avec une
froideur & une efpèce d'indolence qui
fait tout négliger dans un des exercices
du Chriftianifme le plus important & le
plus férié ux. Et parce qu'on n'a nul ufage
du recueillement intérieur Se de ces
actes que le cœur prévenu de la grâce
produit en lui-même 5 ôc de lui-même ,
on fe contente de certaines formules tra-
cées fur le papier ; on les lit dans un livre ,
ou on les récite par mémoire , fans s'y
arTe&ionner , & peut-être fans les bien
comprendre. Souvent même par une
ignorance inexcufable , ou par un oubli
non moins criminel , après une revue
aiTez légère de fes fautes , on les déclare
au Miniftre de la pénitence , fans avoir
eu foin de s'élever un moment à Dieu ,
ni d'en faire en fa préfence aucun défa-
veu. Car voilà ce que nous voyons dans
une infinité de gens du monde de fur-tout
DE PÉNITENCE. 297
du grand monde , lorfqu'à des tems
fort éloignés les uns des autres , ils s'a-
dreffent à nous , bien moins par un
mouvement de piété Se par un vrai defir
de converfion , que par une coutume 8c
une certaine bienféance chrétienne à
laquelle ils ne veulent pas manquer.
Nous leur demandons s'ils font pré-
parés ; c'eft - à- dire avant toute chofe ,
s'ils font véritablement contrits 8c re-
pentans , s'ils ont une douleur fincere
de leur conduite pallée dont ils s'accu-
fent } 8c fans hériter ils nous répondent
qu'ils le croyent ainfi : mais de bonne
foi , ont-ils lieu de le croire , 8c comment
peuvent - ils fe les perfuader ?
Car qu'eft-ce que cette douleur rince-
re ? C'eft un plein changement du cœur :
enforte que le cœur foit réellement déta-
ché des objets auxquels il s'étoit livré
avec plus de paiïion. Il faut que par la
force 8c la fupériorité de cette douleur ,
le cœur haiffe ce qu'il aimoit , 8c qu'il
aime ce qu'il haiffoit : il faut que ce foit
un cœur tout nouveau. Quel effort de
l'ame fuppofe un changement de cette
nature ! quel facririce de foi-même! quelle
victoire ! Or une telle victoire peut-elle
être le fruit d'une réflexion vague 8c
courte , ou de quelques paroles pronon-
zy% Sacrement
cées a la hâte Se comme jettées au ha-
sard ? Il eft vrai que les opérations de
la grâce dans un cœur ne dépendent
point du tems : mais dans les régies or-
dinaires la grâce n'opère qu'avec poids i
êc avec mefure. Elle a fes voies pour
s'infinuer , & fes degrés pour avancer»
Elle prévient, elle foutient, elle aide
à conîbrnmer l'ouvrage : mais elle exige
aufli du pénitent qu'il agifTe lui-même ,
qu'il rentre en lui-mêxne , qu'il s'excite
lui - même , qu'il fe fdiCe à lui - même
d'utiles reproches Se de Salutaires leçons 5
qu'il fe trace tontes les vues Se toutes
les considérations les plus propres à le
détacher de fon péché , Se àpui en irxfpi-
rerde l'horreur } qu'il s'applique à les
pénétrer Se à les approfondir , fur-tout
qu'il les rapporte toutes à Dieu , ôç qu'il
inlifle fur celles qui peuvent lui repré-
fenter ce fouverain Maître plus digne
d'un attachement inviolable 8c d'un
dévouement parfait ; enfin qu'il ait re-
cours à Dieu même , qu'il lui ouvre fon
cœur 3 Se qu'il le conjure d'en amollir
la dureté : voilà, dis-je , ce que la grâce
attend de notre coopération. Or tout
cela , félon l'ordre commun , n'eft point
l'affaire d'un mitant., Et ce l'eft encore
finement moins pour tant de pécheurs
DE PÉNITENCE. 299
te de pécherelTes , qui dans le cours
d'une année s'acquittent à peine une fois
du devoir de la pénitence , que pour des
âmes pieufes & timorées qui fréquentent
le Sacrement.
Ivïais ceci pofé , il y a donc bien des
confeffion nulles j j'en conviens , & là-
deftus je n'oferois prefque déclarer ce
que je penfe. Cependant un ConfeiTeur
qui ne peut lire dans le fond des cœurs,
doit éprouver la ïincérité de laperfonne
qui lui parle , 8c fon regret & de fa
bonne difpoiition. Après une épreuve
fuffifante , il abfout le pénitent : mais
il fçait qu'il n'y a que Dieu qui puifTe
juger de la validité de cette ablolution ;
& d'ailleurs , fans déroger en aucune
forte à la puifTance des Miniftres de
-Jefus-Chrïft , ni à la promefTe que ce
divin Maître leur a faite , il n'ignore pas
que ce qu'ils délient, ou femblent dé-
lier fur la terre , n'eft pas toujours délié
dans le Ciel.
Mais il faudra donc des têrhs infinis
pour fe difpofer à la confeiïion ? Ma
réponfe eft- qu'il y faudra tout le tems
néceiTaire pour s'atfurer d'abord de fa
contrition y autant qu'il eft raifonna-
fclement £c moralement poffible. Je dis
30o Sacrement
autant qu'il eft pofîible raifonnable-
ment & moralement : car en condam-
nant une extrémité , qui eft une tr op
grande négligence, je ne prétends pas
me porter à un. autre excès , qui eft une
inquiétude fcrupuleufe. La prudence
chrétienne tient le milieu entre l'un &
l'autre : elle ne va point au-delà de cer-
taines bornes j oc quand eu égard aux
circonftances Se aux moyens qu'on a.
pris , on peut juger fagement de l'état
de fon cœur , on doit alors fe confier
en Dieu , & demeurer en repos , fans fe
tourmenter inutilement par Aqs retours
perpétuels & des défiances exceiîives de
foi-même.
Concluons cet article en déplorant
notre mifere. N'eft-il pas étrange qu'a-
vec tant de raifons dont une feule de-
vroit fuffire 5 pour nous percer l'ame de
douleur au fouvenir de Dieu , & de
toutes les offenfes que nous commet-
tons contre lui , nous foyons fi diffici-
les à prendre le moindre fentiment de
componction ? N'eft-il pas étrange que
nous ayons befoin de tant d'exhorta-
tions 3 d'inftrudions , de méditations 5
pour nous retracer là-deiTus des idées
qui ne devroient jamais s'effacer de
notre efprit, & qu'il nous faille tant
DE PÉN ITENCL $OI
-d'efforts pour en relfentir l'imprefïïon ?
Comment oublions-nous il aiiément &
fi vite un Dieu Créateur , un Dieu Con-
fervateur , un Dieu Rédempteur , un
Maître li grand 5 un Père fi tendre ; fa
libéralité , fa fainteté , fa juftice , fes
innombrables perfections ? Et comment
à la fimple penfée de tant de titres les
plus engageans pour nous & les plus
capables de nous affe&ionner , ne
voyons-nous pas d'un premier coup
d'oeil l'énormité de nos péchés qui
bleffent ce fouverain Etre , &c qui nous
féparent de lui ? Comment ne fondons-
nous pas en larmes 3 & n'éclatons-nous
pas en gémilTemens & en fanglots ?
Que manque-t-il donc à notre Dieu
pour nous devenir aimable ? n'a-t-il pas
des droits alTez légitimement acquis
fur notre cœur ? n'eft-il pas affez bon ?
ne nous a-t-il pas fait affez de bien?
ne nous en fait-il pas affez chaque jour?
ne fe difpofe-t-il pas encore à nous en
faire affez dans l'avenir &c même dans
toute l'éternité ? Notre indifférence
pour lui n'eft guéres moins incompré-
henfibie que fes miféricordes envers
nous.
II. Réfolutioru C'eft félon la plus
3ox Sacrement
ordinaire façon de parler , ce que nousr
appelions bons propos. Ce bon propos
coniifte dans une ferme détermination
de fuir déformais le péché , de n'y pins
retomber , & de fe maintenir dans la
grâce de Dieu , en fe corrigeant de fes
vices , ôc renonçant à fes habitudes cri-
minelles. Difpoiition il effentielle , que
fans cela notre contrition ne peut plus
être qu'une contradiction manifefte &
une chimère. Car le moyen d'accorder
ces deux chofes enfemble , je veux di-
re , une volonté qui détefte les péchés
commis , & cette même volonté toute
prête encore à les commettre ; une vo-
lonté qui hait le péché iincérement de
fouverainement , & qui néanmoins l'ai-
me toujours affez pour y retournera la
première occafion Se pour y donner le*
même confentement ? Ce feroit tout à.
la fois & à l'égard du même objet 3 vou-
loir &c ne pas vouloir ; ce feroit ac-
complir dans fa perfonne cette parole
du Prophète , l'iniquité s'ejl démentie
Vf, 2.6. elle-même ; enfin ce feroit faire à la Ma-
jefté divine la même infulte 3 que feroit
un fujet rebelle , qui viendroit fe jetter
aux pieds du Prince Se implorer fa clé-
mence y mais qui lui donneroit en même
temps à entendre , que malgré toutes
12.
DE PÉNITENCE. 303
t s foumiflions qu'il lui fait , il n'en eft
pas moins difpofé à former dans la fuite
de nouveaux partis ? ôc à prendre Îe3 ar-
mes contre lui.
Afin donc que la douleur du pafTé foit
véritable & recevable devant Dieu, il
eft d'une nécefiité abfolue que le bon
propos pour l'avenir l'accompagne ,
puiique l'un renferme l'autre , ôc qu'on
ne les peut féparer. Voilà pourquoi le
Concile de Trente définit la contrition ,
en difant , que c'eft une douleur Se une
déteftation des péchés commis , jointe
à la volonté de n'en plus commettre.
De fçavoir fi cette réfolution doit être
expreffe ôc formelle , ou s'il fuffit qu'elle
foit comprife virtuellement dans l'acte
de déteftation ôc de douleur , c'eft une
queftion quepropofent les Maîtres de
la Morale , ôc fur laquelle ils raifonnent
Ôc penfent différemment : mais fans exa-
miner ces diverfes opinions , ni pefer la
force des raifonnemens de part ôc d'au-
tre , quand il s'agit d'une affaire aulîî im-
portante que notre réconciliation avec
Dieu , le mieux eft de prendre le plus
fur , Ôc de dire à Dieu comme le Pro-
phète Roi : je l'aï juré ., Seigneur , & j'en pj-c j l g#
jais encore le ferment j de garder à jamais lQO*
vos divins préceptes ^ & de ne me plus
304 Sacrement
départir _, en quoi que cefok^ de Vobélf*
fance due à votre Loi. Et parce que c'eft
en telle & telle manière que j'ai eu le
malheur d'enfreindre vos ordres , & de
m' écarter de mes devoirs , c'eft à quoi
je me propofe de faire particulièrement
attention , Se de quoi je veux me pré-
ferver avec plus de foin. Oui , je le
veux , mon Dieu , je le veux \ vous en
êtes témoin , vous qui fondez le fond
des cœurs , 8c vous voyez toute l'éten-
due & toute la fermeté de ma réfolu-
tion.
Dans cette proteftation ainfi faite à
Dieu , il y a deux chofes à diftinguer j
un propos général , . & un propos parti-
culier. Propos général , qui s'étend fans
exception à tous les péchés capables de
donner la mort à notre ame , & de nous
priver de la grâce de Dieu. Car s'il y
avoit un feul péché ( j'entends péché
mortel ) que le pénitent ne fût pas réfo-
lu d'éviter , dès-là fon a&e de réfolution
au regard des autres péchés , feroit in-
valide : pourquoi ? parce qu'il ne pour-
ront avoir pour principe le vrai motif
qui en fait tout le mérite , & qui eft que
le péché dcplait à Dieu , qu'il bletfe
l'honneur de Dieu , que c'eft une ingra-
titude fouveraine 8c une injuftice en-
vers
DE PÉNITENCE. 305
vers Dieu. En effet 3 comme ce motif
convient également à tous les péchés ,
il s'enfuit par une conféquence nécelfai-
re , que dès qu'il nous détermine à nous
abftenir d'un péché , il nous détermine
pareillement à nous abftenir de l'autre.
Si donc nous faifons là-deiTus quelque
diftinction , c'eft une preuve évidente
que ce n'eft point ce motif qui nous
conduit , & que notre prétendu bon
propos n'eft qu'iîlufîon. Propos parti-
culier : c'eft-à-dire que notre réfo-
lution doit fur-tout tomber fur les
péchés dont nous fommes actuellement
coupables , Se que nous venons dépo-
fer au Tribunal de la pénitence. Car
nous étant plus propres , puifqu'ils nous
font perfonnels , la raifon veut que nous
y apportions plus de vigilance , Se que
nous y faiîions plus de réflexion. Non
pas qu'il foit néceffaire de les parcourir
tous féparément,& de s'arrêter fur chacun
par autant d'ades diftingués les uns des
autres : fans ce détail le même a<5te fuffit.
Il n'eft queftion que de le rendre efficace
ôc de ne lui point preferire de bornes.
Mais on me demandera par où l'on
pourra juger que cet acte eft efficace 3
ôc s'il faut pour cela pouvoir fe répon-
dre quon ne tombera plus. Car corn-
Tome L Ce
5 06 Sacrement
ment avoir cette aflurance de l'avenir ,
ôc quel eft l'homme qui peut prévoir
toutes les conjonctures où il fe trouve-
ra, & ce qu'il y fera ou ce qu'il n'y fera
pas ? Il en eft même dont le penchant
eft fi fort 3c l'habitude il enracinée f ,
qu'il leur femble qu'ils n'auront jamais
afTez de confiance pour y réfifler, Ôçc
que dès la première attaque ils fuccom-
beront. Cette difficulté fe réfout aifé?
ment par la différence de deux Àdies ,
qu'on ne doit pas confondre l'un avec
l'autre. Le premier eft dans l'entende-
ment ôc l'autre dans la volonté. De fe
défier de foi-même , ôc d'entrevoir aiy i
milieu même des promeffes qu'on fait :
à Dieu ôc à fon Miniflre , qu'appareil** <
ment on ne perfévérera pas ; qu'a-*
près avoir foutenu quelque temps, ou .
fe lafTera j que la paiîion fe réveillera ,
ôc qu'il y aura des rencontres où l'on
ne peut guéres s'attendre de tenir ferme
ôc de ne fe laifTer pas entraîner. Tout
cela ôc cent autres idées femblables , ce
font des penfées , ce font des conjec-
tures 3 ce font des vues de l'efprit , où
la volonté n'a point de part , ôc dont
elle eft indépendante. Malgré ces dé-,
fiances , ces craintes , ôc toutes les ex-
périences qu'elle a de fes inconftancet
DE PÉNITENCE. 30^
naturelles , elle peut néanmoins avec
laide de Dieu s'établir dans une réfo-
lution a&ueile Se véritable de s'éloi-
gner pour jamais du péché , & de re-
noncer à tout engagement criminel.
Mais l'efprit lui repréfente là-defïus fes
foiblefTes , fes légèretés , la violence de
fes inclinations, mille combats , mille
ccueils , Se le peu de fonds qu'il y a à
faire fur la difpofîtion préfente où elle
fe trouve. Il n'importe : parmi toutes
ces allarmes elle eft, ou elle peut être
réellement déterminée &réfolue.
Le pénitent ne doit donc point s'é-
tonner , quelque difficulté , Se même , fi
je l'ofe dire , quelque impoiîibilité qu'il
fe figure dans fon changement Se fa per-
févérance. Cette impoifibilité prétendue
n'eft que dans fon imagination, laquelle
s'effarouche , Se dont le démon fe fert
allez ordinairement pour le décourager
Se l'arrêter. Car c'eft un des artifices les
plus communs Se les plus dangereux de
l'efprit tentateur , pour refroidir les pé-
cheurs pénitens , Se pour renverfer les
deffeins de converfion que la grâce leur
infpire , de leur en mettre devant les
yeux les conféquences par rapport à
toute 1 a fuite de leur vie , Se de les
embar afier de mille réflexions , telles
Ccij
$0% Sacrement
que celles-ci , qu'il leur fuggere inté-
rieurement Se incefTamment. Mais à
quoi eft-ce que je m'engage ? Mais
pourrai-je vivre ainfi pendant un long
cours d'années qui peut être' me refte
encore à fournir ? Mais fi dans l'ardeur
dont je me fens préfentement animé,
rien ne me coûte , ce premier feu ne fe"
ralentira-t-il point \ Se fi cette ferveur
qui maintenant m'adoucit tout , vient à.
tomber, comme il n'arrive que trop ,
à quels dégoûts , à quels ennuis ferai-je
expofé \ Se aurai-je la force de les por-
ter ? Mais eft-il à croire que je puifle
pafTer mes jours dans une retraite à la-
quelle je ne fuis point fait ; que je puifTe
me dégager de cet attachement Se ne
plus voir cette perfonne , dont mon
cœur efl épris ; que je puifTe me défen-
dre de £qs reproches , de fes larmes , de
les pourfuites , ou plutôt que je puifTe
m'interdire fans retour ces fociétés , ces
entretiens, ces entrevues , ces jeux,
ces parties de plaifirs, ces fpectaclesj
que jefurmonte mille refpects humains y
mille confi dérations , mille tentations
Se du dedans Se du dehors, qui ne man-
queront pas fur cela de m'affaillir , Se
fouvent lorfque j'y penferai le moins,
& que je ferai moins préparé à défi
DE PÉNITENCE. 309
violens aflauts ? Vains raifonnemens
d'un efprit intimidé & troublé par la
paillon qui le domine , par la nature
corrompue qui fe révolte , par l'ennemi
de notre falut qui cherche à nous fur-
prendre , Se qui employé toutes (es ru-
fes à déconcerter l'ouvrage de notre
converfion.
Mais la paillon , la nature , l'ennemi
commun des hommes ont beau par-
ler , exagérer les chofes 3 groiîîr les
objets , il n'en eft pas moins au pouvoir
du pénitent éclairé & touché de Dieu 3
que fa volonté n'en foit pas ébranlée.
11 eft toujours maître de dire je veux,
ëc maître en effet de vouloir avec la
grâce. îl n'eft pas befbin qu'il ait une
connoifTance anticipée de ce qui arri-
vera , ni qu'il puirîe compter avec cer-
titude que jamais il ne fe départira
de la réfolution où il eft de ne plus
pécher j mais il furEt qu'il foit dans cet-
te réfolution , ou qu'il croye prudem-
ment y être. Il y auroit même de la pré-
fomption à fe tenir allure contre toutes
les rechûtes , & c'eft en quoi pécha S.
Pierre , lorfqu'il dit avec tant de con-
fiance au Fils de Dieu : quand il y iroit
de ma vie , & que tous les autres pren-
draient la fuite , pour moi je ne vous
3io Sacrement
abandonnerai point. Car notre péni-
tence ne nous rend pas impecca-
bles j Se notre volonté étant une vo-
lonté humaine, elle eft naturellement
changeante. D'où il s'enfuit que fans
une révélation expreffe de Dieu, nul
homme ne peut fçavoir comment
il fe comportera en telles & telles
circonstances , ii quelquefois il s'y ren-
contre.
C'eft donc afTez d'être certain , au-
tant qu'on peut l'être- moralement &
fagement , qu'on veut fe corriger , &
qu'on le veut à quelque prix que ce
foit ; 3c qu'on le veut par le même mo-
tif qui a excité notre repentir & notre
douleur ; & qu'on le veut pour tous les
temps qui fuivront , quelque fujet qu'il y
ait de craindre que cette volonté ne
vienne quelquefois à fe relâcher & à fe
démentir. Dès qu'on eft dans cette
préparation de cœur , on doit du relie
le confier en Dieu pour l'avenir. On
doit dire comme l'Apôtre : Si le Sei-
gneur eft avec moi Se pour moi , qui
fera contre moi ? Or j'efpere qu'il ne
m'abandonnera pas , & qu'il m'aidera à
confommer l'ouvrage que je commen-
ce par fa grâce. On doit fe foutenir &c
s'affermir par ce confolant témoignage
de Pénitence. 311
qu'on penie avoir lieu de fe rendre à
foi-même : il eft vrai , je ferai expofé à
bien des attaques , & que ferai-je alors ?
je n'en fçais rien ; mais ce que je fçais ,
c'eft ce que je fuis actuellement ré-
folu de faire , qui eft de ne me détacher
jamais de mon Dieu 8c de fes divins
Commandemens. Ce que je fçais 9
c'eft qu'autant que cette réfôlution fub-
fiftera ( & pourquoi ne fubfifteroit-elle
pas toujours ? ) rien ne me fera violer
]a foi que j'ai donnée à mon Dieu, ôc
que je lui donne. Enfin , ce que je fçais ,
t c'eft que pour témoigner à Dieu la fin-
cérité de cette réfôlution 3 je vais dès
maintenant ufer de tous les préfervatifs.
néceftaires , prendre tous les moyens
que la religion me fournit , me retirer
de toute occafion dangereufe, Se ap-
porter de ma part toute la vigilance qui
dépend de moi.
Voilà dans ce dernier article comme
la pierre de touche , qui nous fera con-
noît re fi notre propos eft tel que nous
nous le perfuadons , 6c que nous le di-
fons. Car en vain ferons-nous mille pro-
menées à Dieu ôc aux Miniftres de Dieus
& en vain nous dirons-nous mille fois à
nous-mêmes que nous voulons vivre
déformais avec plus de régie de faire un
|-i2 Sacrement
divorce éternel avec le péché : û nou£
ne prenons pour cela nulles mefuresj n
nous refufons même celles qu'on nous
prefcritj fi nous prétendons être tou-
jours de certaines fociétés , voir tou-
jours certaines compagnies , 8c fréquen-
ter certains lieux , avoir toujours avec
certaines perfonnes des entrevues & des
liaifons particulières ; en un mot , nous
jetrer toujours, dans le péril, & y de-
meurer : fi malgré les avis que nous
donne un Confeffeur, nous ne vou-
ions rien facrifier 3 ni rien entreprendre
pour afTurer notre perfévérance , ce
n'eii point alors un jugement mal fondé
de conclure que nous ne fommes réfo-
lus qu'à demi 3 ou même que nous ne
îe fommes point du tout. La preuve en
eil fenfibîe : car vouloir une fin , je dis
îa vouloir folidement 8c efficacement ,
c'eft par une conféquence néceffaire ,
vouloir lever , félon qu'il efl en nous ,
tous les obftacîes qui pourroient nous
éloigner de cette fin , & c'eft en même
temps vouloir faire de notre part cous
les efforts ôc embraiTer toutes les voies
qui peuvent nous y conduire. Autre-
ment toute la bonne volonté que nous
penfons avoir , ne peut être qu'une illu-
fion de une chimère.
De-lâ
de Pénitence. 31$
De-là vient qu'on remarque fi peu
d'amandement dans la plupart des per-
fonnes qui approchent du Sacrement
de Pénitence. Ils voudroient accorder
enfemble deux chofes tout-a-fait in-
compatibles : c'eft-à-dire , qu'ils vou-
droient ne plus pécher , & néanmoins
demeurer toujours dans une difpoiition
prochaine de pécher. Que le Miniftre
de la pénitence leur faife la même quef-
tion que fit Jefus-Chrift au Paralitique
de l'Evangile , Se qu'il leur demande , v
voulez-vous être guens : ils répondent c. 6, y,
fans délibérer , qu'ils le veulent. Mais
que ce même Miniftre , fage & inif mit ,
faifant peu de fonds fur cette réponfe
générale & indéterminée , palTe plus
avant , & qu'il en vienne à un détail où il
lui convient de defeendre félon la con-
noiffance qu'il a de leur état. Qu'il leur
demande en particulier s'ils veulent
s'abftenir de telles vifites ; s'ils veulent
s'interdire tels entretiens & telles fami-
liarités y s'ils veulent renoncer à telles
parties de plaifir , & fe retirer de ces
affemblées ce de ces fpectacles ; s'ils
veulent interrompre tels négoces , 8c
ne plus s'engager en telles affaires j
s'ils veulent réparer tels dommages
qu'ils ont caufés , ÔC fe défaifir de tels
Tome I, D d
314 Sacrement
profits injuftes & mal acquis : fi pour
vaincre l'animofité qu'ils ont dans le :|
cœur , & pour témoignage d'une plei*
ne réconciliation , ils confentent à faire :i
quelques démarches de leur part ôc :|
quelques avances j fi pour s'affermir
dans le bien , pour fe fortifier contre les
nouvelles attaques dont ils auront à fe :
défendre, pour racheter le temps qu'ils
ont perdu , pour édifier le public qu'ils
ont fcandalifé , ils font dans le deifein il t
de fe rendre plus allidus aux pratiques ■
chrétiennes, de s'acquitter régulière- 1!
ment de telles prières & de tels exerce < I
ces de piété , d'approcher des Sacre- • I
mens à tels jours dans l'année Se à telles
Fêtes , de faire chaque jour quelque
bonne lecture , quelque retour fur eux- -
mêmes ; enfin de ne rien omettre de :
tout ce qu'on leur marquera , Se qu'on !
jugera leur être falutaire : que tout cela , ,
dis-je, leConfeiTeur l'exige d'eux &: le
leur propofe , c'eft alors qu'ils corn--
mencent à héiiter & à fe mettre en gar- -
de contre lui comme s'il les traitok;
avec trop de rigueur. Cependant ils ont 1
beau fe plaindre , & aceufer d'une févé-
rité outrée le Miniftre qui leur impofe
de pareilles conditions ; il n'eftque trop ;
bien fondé à fe défier de leurs paroi
D E P E N I T E N C E. 3IJ
les , & à les renvoyer fans abfolution.
Cherchons le Seigneur, 8c cherchons-
le dans route la droirure de notre ame.
Nous pouvons nous tromper nous-mê-
mes • nous pouvons tromper le Prêtre
qui nous écoute ; mais nous ne trom-
perons jamais Dieu. Nous nous éton-
nons quelquefois de nos rechûtes pref-
que continuelles ; mais il n'eft pas diffici-
le d'en découvrir la caufe. Ce n'eft pas
que nous ne nous foyons préfentés , 8c
que nous ne nous préfentions encore de
temps en temps au faint Tribunal , pour
-y dépofer nos péchés : mais c'eft que
nous n'y avons peut-être jamais appor-
té une volonté bien formée de changer
de vie , 8c de travailler férieufemenr
à la réformation de nos mœurs. Nous
avons pris pour volonté quelques vel-
léités , quelques defirs imparfaits , quel-
ques reproches de la confeience , qui
nous condamnoit intérieurement , 8c
qui nous dictoit ce que nous devions
faire. Nous l'avons vu , mais l'avons-
tio us fait ? 8c pourquoi ne l'avons-nous
pas fait ? Encore une fois , c'eft que
nous ne l'avons pas voulu : car on ne
manque guéres à ce que Ton veut ,
quand on le veut bien réfolument 8c
que la chofe eft en notre pouvoir. Je
Ddij
3 1 6 Sacrement
Voulois , difoit Saint Auguftin parlant*
de lui-même , je voulois me convertir • :i;
mais je le voulois comme un hommeJr6
plongé dans un profond alïbupiifement ,
lequel voudrait fe réveiller 5 & qui
retombe toujours dans fon fommeil.
Ayons recours à Dieu : c'eft lui qui ,
félon le fens de l'Apôtre , nous fait voua
loir & exécuter,
III. Confeilion. Dans hifagè com-
mun on comprend fous le terme de
confeilion tout ce qui a rapport au Sa-
crement de Pénitence , mais dans une
lignification plus étroite & plus propre ,
nous appelions ici confeflion cette fé-
conde partie du Sacrement , qui con«i
fille à s'accufer de fes péchés , & à les
déclarer fecrettement au Miniftre établi;
de Dieu pour les connoitre & pour nous
les remettre en vertu du pouvoir qu'il a.
reçu de Jefus-Chrift. Or nous ne pou-i
vons nous former une idée plus jufte
de cette confeilion , que de la regarder
comme une anticipation du jugement
de Dieu. Que fera Dieu dans fon der-
nier jugement ? il ouvrira le grand livre
~$e nos eonfciences. Il produira au jour,
non-feulement nos actions qui pendant
la vie ont pu paroître aux yeux des
DE PÉNITENCE. 317
1 hommes , mais les fec rets les plus ca-
chés de nos cœurs , nos penfées , nos
fentimens , nos defirs , nos vues , nos
intentions , nos projets. Il prendra ce
? glaive dont parle Saint Paul , ce glaive
de fa vérité 6c de fa fageffe, avec lequel
il démêlera tous les plis 6c tous les replis
| de nos âmes. De forte que rien n'é-
chappera à fa connoirTance , & que de
tous les péchés du monde , il n'y en
\ aura pas un qu'il ne découvre félon
; toute ta malice , c'eft-à-dire , félon (on
\ efpéce & toutes fes circonftances. Voi-
là par proportion & à l'égard de nous--
| mêmes , ce que nous devons faire dans
. le Tribunal de la pénitence ; mais avec
i\ cette différence eiTentielle , que la ma-
i nifefiation que Dieu fera de nos péchés
î dans fon jugement général , fera publi-
i que de univerfelle , au lieu que nous ne
I femmes préfentement obligés qu'à une
| révélation particulière 3 où le Prêtre
; feul , lieutenant de Dieu , nous entend ,
& qu'il doit tenir fecrette fous le fceau
le plus inviolable. Ce n'eft pas après
i tout que le pénitent par toutes fes re-
| cherches puiife parvenir à fe connoître
I auiTi parfaitement que Dieu le connoî-
\ tra & qu'il le connoît dès maintenant ;
\ ni qu'il puiffe par conféquent mettre fa
Ddiij
3 iB Sacrement
confcience aux yeux du Confefïei
dans la même évidence que Dieu
mettra aux yeux de l'univers. Nos vue
pour cela font trop foibles j & il n'ei
pas moralement polîible que toutes 1(
fautes dont nous fommes coupable
devant Dieu , nous foient toujours pr<
fentes à l'efprit , & que nul oubli n'ei
efface aucune de notre fouvenir : mai
par où nous devons au moins fuppléei
autant que nous le pouvons 5 à ce dé-
faut 3 c'eft par un. examen raifonnabh
ôc par toute la réflexion qu'exige de noi
la prudence chrétienne pour nous dil
pofer à rendre compte de nous=mêm(
êc de notre état.
Quand on veut juger un criminel, 01
commence par l'information 5 on
pelle les témoins , on reçoit les dépc
fitions , on n'omet rien de tout ce qi
peut fervir à inftruire le procès , &
convaincre Paccufé des faits qui lui font'
imputés. Or quel eft ce criminel à qui
l'on doit prononcer fa fentence ? N'eft-
ce pas moi-même , lorfque je vais en
qualité de pécheur me jetter aux pieds
du Prêtre & me foumettre à fon juge-
ment ? Ce qu'il y a dans ce jugement
de iingulier , c'eil que j'y fuis tout à la
fois 3 ôc l'accufé , de Paccufateur. Corn-;
de Pénitence. 319
me accufé j'y dois venir dans un efprit
d'humilité j mais fur-tout comme accu-
fateur , j'y dois procéder avec toute la
circonfpe&ion , & touted'attention re~
quife pour développer devant moi ma
confcience , & pour être prêt l Fexpofer
dans la confellion nuement ôc fans dé-
guifement.
De-la donc la néceiîîté de l'examen";
Examen d'une obligation indifpenfab le :
car la même loi qui m'oblige à confeffer
mes péchés , m'oblige à les rechercher ,
à me les rappeller , à les retracer dans
ma mémoire, puifque fans cela je n'en
puis faire la déclaration exacte & fidèle.
Examen folide & conforme à l'impor-
tance du devoir dont j'ai à m'acquitter :
car il eft queftion de me préparer à rece-
voir la grâce d'un Sacrement , & de ne
me pas mettre par ma négligence' en
danger de le profaner. Examen fem-
blable à celui que David faifoit de lui-
même , lorfqu'il paffoit , ainfî qu'il le
témoigne , les nuits entières à méditer ,
à réfléchir , à creufer dans le fond de
fon cœur , ne voulant pas y lahTer une
feule tache , quelque légère qu'elle pût
être, dont il ne s'apperçût, & dont il
ne prît foin de fe purifier. Examen pro-
portionné à la durée du temps qui s'eft
D d W
3io Sacrement
écoulé depuis la confelîion précédente,' .
Et en effet , la raifon di&e qu'une re
vue , par exemple , de pluiîeurs mois s
ou d'une année , demande une plus
ample ôc plus longue difcuiïion , que la
revue feulement de quelques jours ou
de quelques femaines , 8c que ce qui
peut fufÏÏre pour l'une , ne fuffit pas
pour l'autre. Du . refte _, examen renfer-
mé en certaines bornes que doit régler
la prudence , afin de ne fe point porter :
aux extrémités où vont quelquefois des
âmes timides à l'excès & trop inquiètes ,
qui ne font jamais contentes d'elles-
mêmes , ôc en reviennent fans ceife à
de nouvelles perquifitions dont elles
s'embarraflent ôc fe tourmentent fort
inutilement. Dieu qui eft la fagefîe ôc
l'équité même , n'exige rien de nous
au-delà d'une diligence raifonnable ôc
mefurée j ôc il malgré nous ôc par un
effet de la fragilité humaine , quelque
péché alors , même grief , fe dérobe à
nos lumières , le Seigneur infiniment
jufle & miféricordieux aura égard à no-
tre foibleffe , ôc ne nous fera pas un ci|l
me d'une omifïion involontaire. Mais
auiîl ne comptons pas que ce foit une
exeufe légitime devant Dieu , qu'un
oubli caufe par notre légèreté ôc notre
DE PÉNITENCE. $2. 1
inconfidération. Nous ferions les pre-
miers à nous le reprocher dans une
affaire temporelle : comment nous fe-
roit-il pardonnable , dans un des plus
faints <Sc des plus importans exercice du
Chriftianifme.
Tel eft néanmoins le défordre. S'a-
git-il des affaires du monde , il n'y a
point d'étude , point de contention
d'efprit qu'on ne faffe pour les examiner
à fond. C'eft peu que d'y avoir penfé
une fois j on les porte par- tout , vive-
ment imprimées dans l'imagination j on
les tourne & retourne en mille maniè-
res , & il n'y a pas un jour , fous lequel
on ne les envifage : pourquoi ? c'eft
qu'on craint d'y être trompé ; & pour-
quoi le craint-on ? c'eft qu'il y va d'un
intérêt à quoi l'on eft fenflble & très-
fenfible , bien que ce ne foit qu'un in-
térêt périffable : c'eft qu'il y va de la
fortune ; c'eft qu'il y va d'un gain qu'on
veut fe procurer , ou d'une perte dont
on veut fe garantir. Mais s'agit-il ce la
confcience 5 on n'y regarde pas de fi
près , Se il femble que ce foit une de
ces affaires qu'on doit expédier dans
l'efpace de quelques momens. Y eut-il
une année &c plus , qu'on ne fût ren-
tré en foi-même pour fçavoir où l'on
^%% Sacrement
en eft avec Dieu & de quoi l'on peur
être refponfable à fa juftice , on fe per-
fuade avoir fatisfait là-deiïus à fon de-
voir , en jettant un coup d'oeil fur la
conduite qu'on a tenue , Ôc Rattachant
à quelques articles plus marqués. On
pafïe tout le refte , &c on ne va pas plus
avant. Bien loin de craindre quelque
furprife dans une révifîon fî prompte &
ii précipitée , on contribue fouvent
foi-même à fe tromper : c'eft-à-dire ,
que fur certains doutes qui naiftent , fur
certains fcrupules , on difpute avec foi-
même & contre foi-même , pour les re-
jetter 3 pour les étouffer , pour les traiter
de craintes frivoles , & pour fe difpen-
fer de les mettre au nombre des aceufa-
rions qu'on fe tient obligé de faire. Car
c'eft ainfi qu'en ufent une multitude
prefque infinie de prétendus pénitens ,
d'autant plus dangereufement féduits
par leurs fauifes maximes , qu'ils en
voient moins l'erreur , Se qu'ils appro-
chent du Sacrement avec plus de fecu-
rité.
Quoi qu'il en foit , ce n'eft qu'après
tout l'examen convenable , que le pé-
cheur , comme témoin éclairé , doit
comparoître en préfence de fon Juge 5
qui eft le Miniftre de Jefus-Chrift î
D E P É N I T E N C E. $1$
mais cette précaution prife , c'eft alors
le temps de s'énoncer , de découvrir les
plaies de fon ame , de révéler aux oreil-
les du Prêtre toutes fes miferes , & de
lui en faire un aveu iimple & précis.
Confeiîion entière , & pour cela con-
felîîon non-feulement qui déclare le pé-
ché , mais qui s'étende à toutes les cir-
confiances capables ou de changer l'ef»
péce du péché , ou d'en augmenter la
malice ; circonftances du nombre , de
l'habitude , du lieu , de la perfonne ,
des vues , des motifs , des fuites , des
moyens , Se autres. Car je dois me faire
connoître auilî criminel que je le fuis :
or je le fuis plus ou moins y félon le
nombre de mes péchés , félon l'habi-
tude de mes péchés , félon la fainteté
du lieu où j'ai péché, félon le cara&ère
de ma perfonne , ou celui de la per-
fonne à l'égard de qui j'ai péché , félon
la connoiûance de la volonté délibérée
avec laquelle j'ai péché ; félon les mo-
tifs que je me fuis propofé en péchant ,
intérêt , ambition , envie , haine , ven-
geance; félon les fuites & les perni-
cieux effets que j'ai caufés , fcandales ,
mauvais exemples 5 dommages ; félon
les voies dont je me fuis lervi & les
moyens que j'ai employés , menfon-
"32,4 Sacrement
ges , calomnies , fraudes , trahifons }
violences : voilà , dis-je , furquoi je.
dois m'expliquer , ne retenant rien , ne
celant rien , 8c m'appliquant ce que le
Prophète difoit de lui-même , quoique
dans une matière toute différente il
1/aï. c. Malheur a moi fi je me tais y 8c fi je me j
^4 ' tais far un feul point, puifqu'un feui
point volontairement omis , fufïiroit
pour rendre inutile 8c même facrilége
la confelïion que je ferois de tous les-
autres.
Confeilîon nue 8c fans ambiguïté i
fans embarras , fans détour. Car voici
quel eft l'artifice 8c comme la dernière
reiTource de notre amour propre. Il'en
eft peu qui de deffein formé cachent
un péché mortel , & qui ofent , aux dé-
pens de leur confcience , porter jufques-
là le déguifement 8c la diiîimulation :
mais à quoi a-t-on recours , 8c quelle
forte de milieu prend-on ? Ce péché
qu'on a tant de peine à tirer des ténè-,
bres , 8c qu'on y voudrait tenir enfe ■
veli du moins en le produifant , on le
colore, on l'enveloppe , on l'adoucit,
on le repréfente fous des images , 8c on
l'exprime en à^s termes qui le rendent
moins odieux , 8c qui en diminuent la
difformité : de forte que le ConfelTeur %
d'e P É N I T E N C E. 325
pour peu qu'il manque de pénétration
Se de vigilance , ne le connoît qu'à de-
mi , & n'en peut difeerner toute la grié-
veté. Quand la femme de Jéroboam
vint trouver Abias pour apprendre de
lui , quelle feroit Filme d'une dange-
reufe maladie dont fon fils étoit atta-
qué , ne voulant pas être connue , elle
fe déguifa j mais le Prophète infpiré
d'en-haut & inftruit de ce qu'elle étoit ,
lui cria d'auili loin qu'il l'apperçut :
Entrer y Femme de Jéroboam ; pourquoi ?. ntgi
voulez-vous paraître autre que vous n'êtes} c'»14* 6m
C'eft ce qu'un Confeffeur ne peut dire ,
parce qu'il n'a pas pour l'éclairer la mê-
me infpiration ni la même lumière : il
ne voit les çhofes que félon qu'on les
lui dépeint , 6c il eft aifé de lui en im-
pofer fur des faits qu'il ne peut fçavoir,
que par le récit de la perfonne qui les
lui déclare. Conduite pitoyable dans
un pénitent Se une pénitente. Qu'arri-
ve-t-il de-là ? double mal : fçavoir _, que
d'uvne part on a la peine d'une révéla-
tion toujours fâcheufe quant au fond ,
quelque imparfaite & quelque fardée
qu'elle foit ; & que d'ailleurs on n'en
retire aucun fruit , puifqu'elle n'eft fuf-
fifante, ni pour nous reconcilier avec
Dieu , ni pour calmer la conicience ôC
nous donner la paix.
mm
■jitf Sacrement
Confeffion abrégée autant quelle le
doit être , retenue , difcrete. Point de
ces longues narrations > où le temps s'é-
coule en de vains difcours , ôc qui bien
loin d'éclaircir les fujets, ne fervent
qu a les obfcurcir. Point de ces expref-
fions peu féantes ôc qui blefTent une
certaine modeftie. Point de ces aceufa-
tions qui intérefTent la réputation d'au-
trui , ôc qui retombent fur le prochain
en le déiignant. C'eft là que la belle
maxime du Fils de Dieu convient par-
faitement : Soye\ prudent comme le fer-
££• pent jy & fimple comme la colombe. Avec
cette prudence 5 on prend garde à ce
qu'on dit & à la manière dont on le dit :
ôc avec cette fimplicité., on parle ingé-
nuement j on n'ajoute , ni ne retranche :
ce qui eft certain , on l'accufe comme
certain my ôc ce qui eft douteux , on le
confeiTe comme douteux.
Enfin , confeiîion humble. La raifon
eft , que fans cette humilité on n'aura
pas la force de furmonter le plus grand
obftacle à l'intégrité & à la fincérité
fie la confeffion. Car voilà Pécueil où
échouent une infinité de chrétiens»
Comme il y a 5 dit le Sage , une pudeur
falutaire qui mené à la gloire , il y a
aufli une mauvaife honte qui conduit
DE PÉNITENCI, 317
au péché & à la mort. Elle conduit au
péché, piùfqu'elle lie la langue Se qu'elle
ferme la bouche fur certaines fautes qui
coûtent plus à déclarer , parce qu'elles
marquent plus de foiblefle & qu'elles
caufent plus de confufion. Et condui-
fant de la forte au péché , elle conduit
à la mort , puifqu' alors , bien loin de
recouvrer la vie de l'ame par la rémif-
fion de fes péchés , on devient plus cri-
minel , 8c l'on ajoute aux péchés paiTés
I un nouveau péché , plus grief encore de
plus mortel , qui efl: l'abus du Sacre-
ment,
Comment donc fe préferver de ces
défordres , fi ce n'eft par l'humilité de
la pénitence j de eft-il une difpoiition
plus nécefTaire ? Qu'eft-ce qu'un péni-
tent ? C'eft un coupable qui fe reconnoît
coupable , qui fe dénonce lui-même
; comme coupable ; qui vient , en qua-
lité de coupable , réclamer la miférkor-
de de fon Juge de demander grâce. Aulîi
eft-ce pour cela qu'il paroît devant le
Prêtre en pofture de fuppliant , la tête
découverte , les genoux en terre , de
tel que le Publicain qui fe tenoit à la
porte du Temple , fans ofer lever les
yeux de fe frappant la poitrine : exté-
rieur qui témoigne afTez quels font on
318 Sacrement
quels doivent être les fecrets fentimens
du cœur. Je dis quels doivent être fes
fentimens intérieurs , & ce font ceux
d'une véritable pénitence. Plus elle nous
fait voir l'injuftice & la laideur du péché,
plus elle nous porte à nous haïr nous-mê-
mes , à nous renoncer nous-mêmes , & ,
par conféquent à nous confondre nous-
mêmes. Car il n'eft rien qui foit attaché ,
plus naturellement 3c plus eiTentielle-
ment au péché , que la confuiion. Ainiî
David dans la penfée de fon péché qu'il !
ne perdoit jamais de vue , que difoit-il à i
Dieu, & comment fe regardoit-il en la i
^/•37« préfence de Dieu ? Ah ! Seigneur, s'é-
** crioit ce Roi pénitent, mes crimes font en\
plus grand nombre que les cheveux de ma i
îbid. 7 . ^te > & Ie P°ids de mes offenfes m'acca- ■
ble. Témoin & confus de ma mifere^jô:
ïbid*i$. marche la tête penchée j & je me fuis à \
moi-même unfujet d'horreur. Mes amis
même j pourfuivoit le même Prophète, &
mes proches fe font élevés contre moi; ils
m3 ont méprifé i ils m' ont abandonné à mes
ennemis & à leurs infultes : mais je n'ai
l bid.iu Pas cu une Par°le à répondre ; car ma con- -
fcience m'a bien fait fentir , qu'il n'y à i
point d'humiliations ni d' opprobres qui ne i
mefoient dus , & dans ce fentimentje ri ai \
point cherché à cacher mes iniquités.
Mai§
de Pénitence. 319
Mais , me dira-t-on , c'eil une nécef-
fitc bien dure de révéler des chofes à
quoi l'on ne peut penfer foi-même fans
rougir , 3c il faut , pour s'y déterminer ,
une étrange réfolution. J'en conviens;
I mais là-deifus je réponds, 1. Que c'eft
| une obligation étroite ôc rigouteufe. Il
• n'y a ni état , ni caractère , ni âge , ni
prééminence , qui en exempte. Le Prin-
[ ce ïiQn eft pas plus difpenfé que l'Arti-
fan , ni le Prêtre pas plus que le Laïque.
Nous fommes tous pécheurs , & en
conféquence de nos péchés , nous fouî-
mes tous , fans exception de perfonne ,
aiiujettis à la même loi. Ou foumet-
j tons-nous-y , ôc obfervons-Jà autant
; qu'il eft en nous , ou n'efpérons jamais
( de pardon. 2. C'eft une peine ; mais
[ cette peine eft un des premiers châti-
mens du péché. Vous avez commis le
péché fans honte , ou la honte ne vous
I a pas empêché de le commettre : il eft
juite qu'une fainte honte commence à
le réparer. Or c'eft ce qu'elle fait : car
elle eft expiatoire ôc méritoire. La ré-
million que vous obtenez par-là , ne
vaut-elle pas bien le peu d'efforts que
vous avez à faire , 3c pouvez-vous l'ache-
ter trop cher ? Honte pour honte , il n'y
a pas à délibérer , ni à balancer fur le
Tome I* E e
33© Sachembh*
choix d'une honte paffagere 3c parties*
liere , pour éviter à la fin des fiécles 3c
dans railemblée générale de tous les i
hommes une ignominie univerfelle & i
éternelle. 3 . Si la confufion que nous
avons à fubir , fait tant d'imprefiion fur
nous 3 8c s'il nous paroît fi difficile de 1
s'y foumettre , c'eft que nous ne fom- •
mes point afTez animés de l'efprit de pé-
nitence. Avec une contrition plus vive , ,
nous aurions beaucoup moins de répu-
gnance à nous humilier. Que dis-je ? ;
faintement indignés contre nous-mê-
mes 5 nous ne nous croirions jamais au-
tant humiliés que nous le méritons ; 3c
fur les termes que nous employerions & î
nous accufer , il faudrait plutôt nous l
retenir , qu'il ne feroit befoin de nous s
exciter. Car voilà ce qu'on a vu plus
d'une fois , 3c ce qu'on voit encore en
quelques pénitens vraiment convertis
3c fenfiblement touchés. Ufent-ils de 1
vaines excufes 3c de prétendues justifi-
cations ? Au contraire , comment dans (
leurs accufations fe traitent-ils , 3c quel-
les idées donnent-ils d'eux-mêmes ? Que
n'imputent-ils point à la perverfité de ;
leur cœur , à la malignité de leur efprit, ,
à la corruption de leurs fens 5 à* la vio-
lence 3c au débordement de leurs pa£
De Pénitence, $$i
fions ? Craignent-ils la confufion qui
leur en doit revenir , ôc la comptent-ils
pour quelque chofe ? Souvent le Con-
felTeur eft obligé de les arrêter , de mo-
dérer leur zèle , de les confoler , de leur
faire entrevoir jufques dans leurs défor-
dres un fonds d'efpérance Ôc d'heureu-
fes difpofitions à un parfait retour ; de
relever ainfi leur courage , ôc de les re-
mettre du trouble ôc de l'abattement
où ils font. Quand on eft contrit de la
forte , toutes les difficultés difparoif-
fent , ôc l'on fe réfout aifément à la
: confelSon la plus humiliante.
Et de quoi aurions-nous lieu de
nous plaindre , lorfque le Fils même
; de Dieu , notre Sauveur ôc notre mo-
dèle , s'eft expofé aux plus prodigieux
abaifTemens & aux humiliations les
plus profondes , pour la réparation de
ces mêmes péchés dont il nous femble
fi pénible de porter la honte , après que
■ nous en avons goûté le plaifir criminel ?
t A quelles indignités ôc à quels mépris
a-t-il été livré , ce Saint des Saints , ôc
« comment a-t-il paru fur la terre ? corn-
■ me le dernier des hommes , comme
l'opprobre du monde ôc le rebut du
peuple. Mais fur-tout dans ^ette dou-
loureufe paûlon où il corrfomma fou
E eij
%$i Sacrement
facrifice 5 de quels outrages fut-il com*
blé s & feîon le langage du Prophète s
fut-il raffaiié ? Il foutint le fupplice de i
la croix 3 dit l'Apôtre , èc il accepta
toute la confufion de la mort la plus
infâme. Ce ne fut point une confuïion i
fecrette 3 mais publique ôc découverte.
Toute fa gloire y fut cachée 3 fapuiffan-j
ce 3 fa fagefTe 5 fa fainteté ; ôc pourquoi i
cela ? C'eft que fon Père l'avoit chargé
de toutes nos iniquités j c'eft que lui--
même il avoit bien voulu les prendre,
fur lui , & que fe couvrant de la tache
de tous les péchés des hommes , il s'é-
toit engagé à en efîuyer devant les]
hommes toute la honte. Eft-ce là de]
quoi il s'agit pour nous? Eft-ce là ce a
que PEglife autorifée & infpirée deJ
Dieu ^ nous demande ? Le précepte de îj
la confeilîon s'étend-il jufques-là j ôcv
pour y fatisfaire , faut-il fe perdre ainfî i|
d'honneur ôc facrifier toute fa réputa--
tion?
De quelque nature que foit la con- •
fuiion que doit nous caufer l'aveu de :
nos fautes , elle ne fera pas fans fruit
par rapport même à cette vie ôc à notre :
tranquillité. Il eft certain , ôc l'expérien- ■
ce nous Fa appris 5 comme elle nous
l'apprend tous les jours 3 qu'on eft bien i
de Pénitence. $ 3 $
dédommagé du peu de violence 'qu'on
s'eft fait en fe déclarant au Miniftre de
la pénitence. Dès qu'on a percé l'abcès
ôc qu'on l'a jette dehors , on font tout
à coup la férénité fe répandre dans l'a-
me, On fe trouve comme déchargé d'un
pefant fardeau. Dieu verfe fes consola-
tions , ôc l'on reconnoît qu'il n'y a dans
la confeiîion que des rigueurs apparen-
tes , mais que dans le fonds c'eft une
fource de douceurs intérieures ôc toutes
pures. Profitons d'un moyen fi faint ôc Ci
puifTant, pour nous remettre en grâce
auprès de Dieu, ôc pour appaifer les
troubles de notre confeience. Moins
nous en avons fait d'ufage jufques àpré-
fent, plus nous devons réparer nos pertes
pafTées. C'eft en nous confefîant crimi-
nels , que nous rentrerons dans les voies
de la juftice chrétienne , ôc que nous flé-
chirons en notre faveur le Père des mi-
féricordes.
IV. Satisfaction. C'eft une vérité de
foi , que l'abfolution du Prêtre en nous
remettant , quant à la coulpe , les pé-
chés que nous avons confeffés , ne nous
en remet pas pour cela toute la peine ,
je veux dire toute la peine temporelle ,
dont nous demeurons redevables à la
•|34 Sacrement
juftice de Dieu. En vertu de cette ab-'
ïblution la peiiie éternelle nous eft re-
mife , puifqu'étant alors juftifiés par la .
grâce , nous fommes conféquemment ;
rétablis dans nos droits à l'héritage cé-
lefte 8c au falut. Mais parce qu'il faut
d'une manière ou de l'autre , que la ,
juftice divine foit fatisfaite , en même I
temps que nous recevons la rémiiïion de •
la peine éternelle, il nous refte dans les
régies ordinaires une peine temporelle
à fubir ; 8c telle eft , contre les Héréti- j
ques des derniers fiécles , l'expreffe dé- •
cifton du Concile de Trente. Car il n'en i
eft pas, remarque le faint Concile, du Sa- J
crement de pénitence comme du Baptê-
me. Par le Baptême la rémiiïion eft corn- •
plette, rémiiïion de la coulpe & rémiiïion i
de toute la peine : au lieu que dans le -
Sacrement de pénitence, Dieu ne remet t
pas toujours , avec la coulpe & la peine
éternelle , ce que nous appelions peine .
temporelle. D'où vient cela, 8c pour-
quoi cette différence ? (Le même Concile s
nous l'apprend : c'eft que l'équité 8c la i
raifon veut que des pécheurs , qui de-
puis le Baptême ont perdu la grâce,
qu'ils avoient reçue , 8c ont violé le -
Temple du Saint-Lfprit , foient traités
avec plus de févérité , que d'autres qui
DE PÉNITENCE, $£j
Vivant cette grâce du Baptême ont péché
avec moins de connoiiTance & moin?
de fecours a & n'ont pas abufé des mê-
mes dons.
Delà cette troifiéme partie du Sa-
crement de pénitence , laquelle confifte
en des œuvres pénales que le Confeffeur
impofe au pénitent , pour lui tenir lieu
de fatisfaction. Ce n'eft pas , félon la
penfée 3c le langage des Théologiens ,
une partie eifentielle du Sacrement,
mais intégrante : c'eft-à-dire , qu'elle
n'en eft que le complément , & que le
Sacrement fans cela pourroit fubflfteiv
Non pas toutefois que ce ne foit une
partie nécelTaire , de d'une double né-
cefïîté : l'une par rapport au Prêtre , qui
eft le Miniftre de la pénitence ; Se l'au-
tre par rapport au pénitent , qui en eft
le fujet. J'explique ceci.
Nécelîïté par rapport au Miniftre de la
pénitence \ je veux dire qu'avant , ou au
moins en même temps qu'il abfoutun pé-
cheur^ qu'il lui confère la grâce du Sa-
cre mentj, après avoir reçu fa confelïîon ,
il doit lui enjoindre une peine : car c'eft
ainfî que l'Églife l'ordonne. Et comme
cette peine eft une fatisfadtion pour les
péchés commis , il s'enfuit qu'elle y doit
être proportionnée j en forte que plus
|3<> Sacrement
les péchés ont été griefs dans leur ma-
lice , ou multipliés dans leur nombre ,
la peine foit plus rigoureufe , puifqu'il !
eft raifonnable que celui-là foit puni i
plus févérement , lequel a péché oUj
plus mortellement ou plus habituelle-
ment. Àuili eil-ce dans cet efprit que
la primitive Eglife avoit tant de peines
différentes marquées pour chaque efpé-
ce dépêché, ôc que les Chrétiens s'y^
foumettoient en vue de prévenir les ju-
gemens de Dieu, ôc de fe foufhraire ai
fes vengeances. Si la difcipline a chan-
gé , l'efprit eit toujours le même , ôc le. |
zèle des Prêtres pour les intérêts du Sei-
gneur ne doit pas être moins vif préfen-
tement ni moins ferme 3 qu'il l'étoit
dans les premiers fiécles. Ils n5ont quai
entendre là-delfus ce que leur déclare le .
Concile de Trente , ôc la terrible mena-
ce qu'il leur fait. Voici fes paroles , di- 1
gnes de toute leur attention , puifque
Setf. 14. ce& FEglife elle-même qui parle & qui
prononce. Les Prêtres du Seigneur ^ co/z- h
duits par l3 Efprit de Dieu & fuivant les il
régies de la prudence j doivent enjoindre
des fat is factions falut aires & convenables^ ! :
eu égard à la nature des péchés & à la foi-
bleffe des pénitens : pourquoi ? de peur ,
ajoutent les Pères du Concile , que s'ils
fi
c, -80,
de Pénitence. 337
Jl montrent trop indu/gens * en nïmpofant
pour des fautes grièves que de légères pei-
nes _, ils ne fe rendent coupables _, & ne par-
ticipent aux péchés de -ceux qu'ils auront
ainjî ménagés.
Malheur donc à ces Mimftres faciles
Se complaifans , qui portant la balance '
du fanctuaire que le Seigneur leur a
confiée , au lieu de la tenir droite , la
font pencher du côté où les entraîne
une condefeendance naturelle Se toute
humaine ! Malheur à ces Miniftres ti-
mides Se lâches qui fe lahTent. dominer
■ par l'autorité Se la grandeur > Se n'ont
pas la force d'ufer de leur pouvoir ni
' de garder dans, leurs jugemens toute la
fupériorité que leur donne leur miniftè-
re i Malheur à ces Miniftres aveugles
& inconfidérés ,. qui faute d'applica-
tion , ou faute de connoifTance 5 ne
font pas le difeernement néceïTaire en-
jtxe les divers états des malades qu'ils
; ont à guérir , Se ordonnent au hazard
| les remèdes , fans examiner quels font
' les plus efficaces ! Malheur à ces Mi-
nières intérefles Se vains , qui pour ne
pas rebuter ni éloigner d'eux des per-
sonnes d'une certaine chftinction , dont
il leur eft , ou utile , ou honorable d'a-
^voir la confiance, les déchargent , au-
Tome L F f
333 Sacrement
tant qu'ils peuvent , des rigueurs de la
pénitence , &: facriâent la caufe de Dieu
à des vues politiques Se mercenaires !
Mais d'ailleurs , il doit être aufli pet mis
d'ajouter , malheur à ces Miniftres ou-
trés & rigides à l'excès , parce qu'ils le
font par naturel Se par inclination } par- .
ce qu'ils le font par entêtement Se par
prévention j parce qu'ils le font par une
affectation de Pharifien Se par orienta-
tion j en un mot , parce qu'ils ne le font
ni par raifon , ni par religion ! Malheur,
dis-je , à eux , quand ils défefpérent les
pécheurs, en les accablant de fardeaux
infoutenables , & qu'ils oublient cette
régie fi fage que leur preferit le Concile ,
de compatir à l'infirmité de l'homme ,
Se d'y conformer la févérité de leurs ar-
rêts. N'allons pas fur cela plus loin : car
ces rigoriftes font bien rares -y ce n'eft
point tant des Miniftres de la pénitence
qu'il s'agit ici , que des pénitens.
NéceiUté par rapport au pénitent.
L'obligation eft mutuelle , & la même
loi lie également l'un &: l'autre , j'en-
tends le Prêtre Se le pénitent. Ainfi , ,
comme le Prêtre eft obligé d'impofer
au pénitent une peine , le pénitent de
fa part eft obligé de l'accepter. Obliga-
tion même encore plus raifonnabie Se
plus étroite à l'égard du pénitent »
I? £ PÉNITENCE. $ j $
puifqu'il eft le coupable , ôc qu'il ne
peut, fans une injuftice ouverte , refufer
a Dieu , après l'avoir offenfé , la fatif-
fa&ion que mérite l'injure qu'il a faite à
ce fouverain Maître.
Mais on demande en quel tems cette
pénitence doit être accomplie j fi c'eft
avant l'abfolution , ou il l'abfolution
peut précéder ? Cette queftion eft aifée
à réfoudre, puifque c'eft une erreur con-
damnée de dire , que le Prêtre ne peut
ni ne doit point abfoudre le pénitent ,
à moins que celui-ci n'ait pleinement
fatisfait à toutes les œuvres qui lui ont
été ordonnées. Et nous voyons en effet
que l'ufage contraire eft établi & prati-
qué communément dans FEglife , au
moins à l'égard des pénitens qui ne font
dans aucun des cas qui exigent que
l'abfolution foit différée. Le Confefteur
écoute le pénitent : s'afïure , autant qu'il
eft poilible , de fes bonnes difpofitions ,
I & fur-tout de fa contrition &: de fa
réfolution ; lui donne enfuite les avis
qu'il juge propres , lui enjoint la fa-
tisfaclion qu'il croit convenir ; après
quoi il labfout & le réconcilie. Telle
eft, dis-je, la pratique ordinaire. Mais il
des habitudes obligent de prendre du
temps pour s'aflurer de la converiion
Ffij
340 Sacrement
du cœur : comme les oeuvres fatisfactoires
font en même temps des remèdes pour
guérir les maladies de l'aine , le Confef-
feur doit en prefcrire qui foient propres
à opérer cet effet , -jufqu'à ce qu'un
changement bien marqué lui fafFe juger
que fon pénitent peut être réconcilié
avec Dieu. Il eft encore des rencontres 8c.
des circonftances , où il eft bon & fage de
remettre Pabfolution après l'accompliffe-
ment de certaines œuvres , par exemple ,
de certaines reftitutions , de certaines ré-
parations , de certaines réconciliations ,
d'autres exercices préliminaires , fi j'ofe
parler de la forte , qui fervent à mieux
difpofer le pécheur , & qui font pour le
Prêtre de plus fùrs garans des promeifes
que le pénitent lui a faites ou plutôt qu'il
a faites à Dieu. Ces précautions peuvent
avoir lieu dans d'autres occafions particu-
lières,dont l'Eglife laifîe le jugement à la
fageffe & à la difcrétion du ConfefTeur.
On demande encore fi. c'eft un âeM
voir tellement indifpenfable d'ace ep- ,
ter la peine que le Miniftre de la pé-
tence a impofée , qu'on ne puiffe , pour"
quelque raifon légitime , la refufer &
s'en exempter ? Sur quoi il eft à obfer-
ver j que fouvent le ConfefTeur n'étant
pas inftruit de l'état d'une perfonne,.
de fes engagemens , de fes facultés, de :
de Pénitence. 34Î
fa complexion naturelle , & de la déli-
eatelfe de fon tempérament , il peut ar-
river que par ignorance , ou quelque-
rois même par indifcrétion , il lui or-
donne des chofes moralement imprati-
cables. Or jamais Dieu ne nous com-
mande rimpoiîîble , ni jamais l'Eglife
n'exige de nous ce qui eft au-deflus de
nos forces. D'où il réfulte , que le pé-
nitent alors eft en droit de repréfenter
8c de s'exeufer , non pas. pour être dé-
chargé de toute peine , mais pour ob-
tenir que telle peine qui lui eft enjointe
8c à laquelle il n'eft pas en pouvoir de
fatisfaire , lui foit commuée félon la
plus jufte compenfation , dans une au-
tre à peu près égale. Il n'y a rien en cela
que d'équitable , ni rien qui ne s'accor-
de parfaitement avec la prudence évan-
gélique 8c l'efprît de la pénitence chré-
tienne.
Mais quelle eft la grande illufion 8c
le grand abus ? illufion prefque univers
felle , 8c répandue parmi une multitu-
de infinie d'hommes 8c de femmes du
monde: illufion qui croît tous les jours ,
à mefure que la piété s'éteint , & que
la molleiTe du fiécle étend plus loin
l'empire des fens : illufion que les Mi-
niftres de Jefas-Chrift ont tant de peine
Ffiij
34* Sacrement
a combattre , & qu'ils ne peuvent dé-
truire à moins qu'ils ne s'arment de
toute la fermeté du zèle Apoftolique :
illuilon , dis-je , qui confifte en de pré-
tendues impoffibilités qu'on imagine >
ôc dont on fe prévaut contre tout ce
qui peut captiver l'efprit ou mortifier la
chair, c'eft-à-dire contre les œuvres
les plus fatisfactoires & les plus méritoi-
res. Il eft bon d'éclaircir ce 'point , &
d'en donner une pleine intelligence,
Le Miniftre de la pénitence exerce
tout à la fois deux fondions , celle de
juge & celle de médecin des âmes»
Comme juge , il doit punir :, 3c comme
médecin des âmes 3 il doit travailler à
guérir. Delà les pénitences qu'il impo-
£e doivent être tout enfemble > comme
bous venons de i'infinuer , & expia-
toires, & médicinales. Expiatoires par
rapport au paiTé 3 pour acquitter le pé-
nitent des dettes qu'il a contractées de-
vant Dieu* médicinales par rapport a
l'avenir , pour déraciner les mauvaifes
habitudes du pénitent , & pour le pré-
cautionner contre les rechutes. Voilà
les deux fins que fe propofe un Con-
fefTeur habile & fidèle , fans les perdre
jamais de vue dans les pratiques & les
fatisfaétions qu'il ordonne. Et parce que
tes contraires fe guériileiit par les coa-
DE PÉNITENCE, 343
traires , ôc qu'on ne peut mieux ni ex-
pier le paire , ni fe mettre en garde con-
tre l'avenir , que par des œuvres direc-
tement oppofées aux fautes qu'on a
commifes , ou qu'on feroit en danger
de commettre ; que fait-il ? Afin de ren-
dre les pénitences qu'il enjoint plus fa-*
lutaires , il ordonne , par exemple , pour
des péchés d'avarice , des charités & des
aumônes } pour des péchés de reirenti-
ment ôc de vengeance , des témoignages
d'affection ôc de bons omçes envers les
perfonnes orTenfées \ pour des péchés de
icandale ôc de libertinage , les actions de
piété ôc l'afîiduité aux exercices publics
de la Religion ; pour des intempérances
ou des impudicités , les macérations du
corps , les abftinences ôc les jeûnes 5 pour
un attachement défordormé au monde
ôc à fes divertiifemens , des jours de re-
traite Se des tems de filence ôc de priè-
re : ainfî du refte.
Or tout cela devient impofïible ou
plutôt le paroît , pourquoi? parce que
tout cela gêne , ôc qu'on eft ennemi de
la gêne ôc de toute contrainte ; parce
que tout cela contredit les inclinations
&: les pallions y Ôc qu'on ne veut les
contrarier fur rien ni leur faire aucune
violence , parce que tout cela afflige
Ffiv
244 Sacrement
les (cns , & qu'on ne prétend rien lent
retrancher de leurs commodités de de
leurs aifes. Parler à un mondain , à une
mondaine , de modérer leur jeu , ou
même de fe l'interdire abfolument, de
-fe retirer des fpe&acles . & de certaines
•afïemblées : parler à un homme inté-
refTé de faire des largefles aux pauvres >
à un vindicatif de pardonner &de pré-
venir par quelques avances , à un amr
bitieux de s'exercer en des actes d'hu-
milité , à un fenfuel de réprimer fes ap-
pétits , à un pareffeux de s'appliquer au
travail j à un libertin tout répandu au
dehors , de vivre avec moins de diiïipa-
tion , de s'acquitter des devoirs du
Chriflianifme , d'entendre la parole de
Dieu ? de lire de bons livres , d'aiîifter
au Service divin : leur marquer là-defïus
des régies & leur impofer des loix , c'eft
leur tenir un langage étranger; c'eft3 à
les en croire , leur demander plus qu'ils
ne peuvent ; c-eft ne les pas connoître
& ne fçavoir pas les conduire. Si le Con-
i enreur3exac~t & ferme 3 infifte néanmoins
fur cela , & ne veut rien relâcher de la
fentence qu'il a portée j on s'élève con-
tre lui , on fe récrie fur fon extrême ri-
gueur , on le traite d'homme fauvage ,
qui n'a nul ufage du monde , &c qui m'en.
-fçait pas diftinguer les conditions. Erreur
*E- PÉNITENCE. 345
pitoyable , uniquement fondée fur un
amour déréglé de foi-même , 8c fur les
faux principes d'une aveugle nature qui
nous iéduit.
Tout ce que nous ordonne ce* Con-
felfeur , eft plein d'une raifon de d'une
fagefTe toute chrétienne. Mais cela
m'eft bien onéreux : auiîi eft-ce une
pénitence , 8c il n'y a point de péni-
tence qui n'ait fon auftérité 8c fa peine.
Mais je ne fuis point fait à toutes ces
pratiques. 11 eft bon de vous y faire,
.8c c'eft juftement afin que vous appre-
niez à vous y faire qu'on vous les en-
joint. Mais j'accepterois plus volon-
tiers toute autre chofe. Toute autre
chofe vous conviendroit moins que
celle-ci , parce qu'il eft jufte que vous
foyez puni par où vous avez péché, 8c
que d'ailleurs c'eft un remède plus fpé-
ciflque 8c plus certain contre le pen-
chant habituel qui vous porteroit en-
core à pécher. Mais il faut donc chan-
ger le plan de ma vie. En doutez-vous ,
8c n'eft-ce pas pour vous réformer 8c
pour changer de conduite , que vous
avez dû venir au faint Tribunal ? Mais
je fuis d'un tempérament foible. Eprou-
vez-vous , 8c peut-être vous verrez que
vous n'êtes pas à beaucoup près fi foi-
bk que vous, le penfez j de plus a cène
24^ Sacrement
foiblefTe que vous faites tant valoir,
peut bien être une raifon pour vous
ménager , fans que ce foit une difpen-
fe abfolue de tout exercice pénible &
mortifiant. Mais enfin, je ne pourrai
jamais m'afïujettirà ce qu'on me pro-
pofe. Vous ne le pourrez pas , parce que
vous ne le voulez pas : or vous devez le
vouloir , puifque Dieu le veut , & qu'il
ne vous jugera pas félon les vains pré-
textes que vous alléguez , mais félon fes
ordres de fes volontés»
Chofe étrange , qu'ayant un aufîi
grand intérêt que nous l'avons à dé-
tourner les coups de la juftice de Dieu,
£ç pouvant l'appaifer à n" peu de frais ,
nous héritions encore & nous nous ren-
dions fi difficiles à prendre les moyens
qu'on nous préfente ! Il n'y a point de
péché qui ne méritât des larmes éter-
nelles , fi la divine miféricorde n'a-
giftoit en notre faveur ^ & il n'y a point
de fatisfa&ions qui pufTent être fuffi-
fantes ', fi Dieu ufoit à notre égard de
tous fes droits. Avons-nous après cela
bonne grâce de nous plaindre , &c que
veut-on de nous qui foit équivalent à
ce qu'on en pourroit attendre félon les
loix de la plus droite Juftice? Ne comp-
tons point avec Dieu , afin que Dieu
ne compte point avec nous j car dans
de Pénitence. 347
ce compte nous nous trouverions bien
en arrière. Si l'homme entreprend de dif- j0i, c*
puter contre le Seigneur _> difoit le faint 9* h
homme Job, de mille fujets d'aceufation
il ne pourra pas fatis faire fur un feuL, Le
mal eft. , que nous ne nous attachons
point allez à comprendre la griéveté du
péché , & les dommages extrêmes qu'il
nous caufe. Quand nous aurons mûre-
ment confidéré , d'une part la grandeur
infinie de Dieu , la multitude de fes
bienfaits _, la févérité de fes jugemens -y
d'autre part notre propre baffe ffe & no-
tre néant devant cette fuprême Ma-
jette , notre ingratitude envers cette
bonté fouveraine , ce que nous avons à
efpérer de fon amour, ce que nous
avons à craindre cle fa juftice : nous
apprendrons de-là : i. quelles actions
de grâces lui font dues de nous avoir
fourni , dans î'inrtitution du Sacrement
de Pénitence, une reiîburce pour nous
relever de nos chûtes , & une planche
pour nous tirer du naufrage après le pé-
ché. 2. De quelle conféquence il eft de
ne lailTer point le péché s'établir dans
nous , & y prendre racine } mais d'avoir
promptement recours à la pénitence &
à" fon Sacrement , dès que nous nous
{entons atteints de quelque bleffure
mortelle dans Famé > éc que nous fom«
34^ Sacrement
mes tombés dans la difgrace de Dieo; J
3. De quel avantage doit êtte pour |
nous la fréquente confeiîion, puifqu'el- !
le fert à purifier de plus en plus notre
cœur , à nous fortifier contre les atta-
ques où nous fommes continuellement
expofés , à nous maintenir dans un état
de grâce & à nous y faire croître. 4. Avec
quelle fourmilion nous devons écouter
le ConfefTeur , qui nous parle au nom
de Dieu 5 foit lorfquil nous reprend ,
foit îorfqu'il nous exhorte > ou lorfquil
nous inftruit & qu'il- nous donne des con-
feils pour le règlement de notre vie. 5,
Avec quelle fidélité & quelle confiance
nous devons entreprendre tout ce qu'il
nous prefcrit de plus mortifiant : forte-
ment perfuadés , félon la maxime de
faint Bernard , que moins il nous épar-
gne en ce monde, plus il ménage nos
véritables intérêts pour l'autre , & que
bien loin que fa fermeté foit une raifon
de nous éloigner de lui , ce feroit au
contraire un jufte fujet de nous en dé-
tacher & de le quitter , s'il nous trai-
toit avec plus d'indulgence ôc qu'il nous
fît marcher par un chemin plus com-
mode. 6. Enfin , combien il eft doux 5
en fe retirant des pieds du Miniftre de
J.efus-Chrift , d'entendre , comme de la
bouche de Jefus-Ch'rift même > cetje
des Sens, 349
confolante parole : Vous êtes rentré en
grâce j alle% & ne péche^plus.
Pénitence extérieure , ou mortifia
cation desfens.
NOtre fiécle, tout perverti qu'il eft,
ne laiife pas d'avoir des pénitens Se
des pénitentes. Il en a jufques dans le
grand monde , jufques à la Cour. Mais
quelles pénitentes & quels pénitens!
Des pénitens & des pénitentes de notre
fiécle , & non des premiers fiécles. Ex-
pliquons-nous.
Abftinences rigoureufes , jeûnes fré-
quens & même perpétuels , longues
veilles , travail pénible , folide & pro-
fond . lilence *, le pain & l'eau pour fe
nourrir , le fac Se le cilice pour fe vêtir ,
une fimple natte , ou la terre nue , pour
repofer } rochers , cavernes , grottes
obfcures 3c ténébreufes , pour fe reti-
rer y injures de toutes les faifons , cha-
leurs de l'Eté , froids de l'Hiver, inrir-
mités du corps , mort a foi-même & à
tous les fens ; tout cela accompagné de
ferventes prières , & tout cela foutenu
350 Mortification
fans interruption , fans relâche , jufqiies
au dernier foupir de la vie : telle étoit
la pénitence des premiers fiécles. Mais
ces fiécles font pâlies , & la pénitence
de ces heureux fiécles eft paffée avec
eux.
Car quelle eft la pénitence du flécle
préfent , 8c pour ne me point engager
dans une difcuiîion trop générale de
trop vague , j'ofe vous demander en
particulier quelle .eft la pénitence que
vous faites > vous à qui je parie & de
qui il s'agit actuellement entre vous Se
moi ? Après avoir été du monde , Ôc y
avoir paru fans y donner l'édification
que le monde devoit attendre de vous }
que dis- je ! après y avoir peut-être don-
né bien des fcandales dans le cours
d.'une vie libertine & déréglée , vous
regardez la retraite où vous vivez pré-
fentement , comme un état de péniten-
ce : mais cette pénitence à quoi fe ré-
duit-elle ? je ne prétends rien lui ôter
de fon mérite, Se je vous rends volon-
tiers toute lajuftice qui vous eft due.
Vous n'êtes plus , grâce au Seigneur ,
ce que vous avez été , & vous tenez
maintenant une conduite beaucoup
plus régulière & plus chrétienne. Il en
faut bénir Dieu 3 puifque c'eft un don
dis Sens. 351
de fa miféricorde. Je l'en bénis en effet ,
ôc je le prie d'achever en vous fon ou-
vrage , ôc de vous le faire confommer
par une fainte perfévérance.
Mais revenons , s'il vous plaît , ôc
voyons donc où fe termine votre péni-
tence. Car vous comptez bien que vo-
tre état eft un état pénitent , îk vous
efpérez bien que Dieu l'acceptera com-
me tel 3 & qu'il vous en récompenfera.
Orquel^ft-il cet état? trouvez bon que
j'entre là-deffus en quelque détail. Un
équipage modefte , il eft vrai ; mais
propre ôc fur-tout fort commode. Mê-
me modeftie , mais aufli même propre-
té , &c fur-tout même commodité, dans
le logement , dans l'habillement 3 une
table frugale , mais bien fervie _> ôc peut-
être plus délicate dans fa frugalité , que
des repas beaucoup plus fomptueux.
Point de jeux , point de fpeâacles ,
point d'afïembiées profanes j mais du
refte , une fociété agréable , vifites ,
promenades , campagnes , récréations
où l'on prend goût 3 quoiqu'honnêtes
d'ailleurs ôc innocentes \ en un mot , vie
douce ôc paifible , fans bruit , fans em-
barras d'affaires , fans inquiétude , fans
foin.
Je fçais qu'avec cela vous avez vos
3 5 "2. Mortification
exercices de piété &: de charité. Vous
récitez de faints offices , vous faites de
bonnes lectures , vous vous adonnez
même à l'oraifon , vous approchez des
Sacremens , vous vifitez quelquefois
les pauvres & les foulagez. Tout cela-'
eft louable } & le monde en doit être j
édifié. Mais après tout , ces mêmes'
exercices où confifte tout le fonds de
votre vertu , comment les pratiquez- '
vous , ëc à quelles conditions ? Pourvu
qu'ils ne vous gênent en rien j pourvu
qu'ils vous laifTent une pleine liberté
de les quitter & de les reprendre , félon
qu'il vous plaira ; pourvu qu'ils foient
de votre choix , ou à votre gré , 8c
qu'ils s'accommodent à votre inclina-
tion ; pourvu que votre repos n'en foit
aucunement troublé ; pourvu qu'ils
s'accordent avec l'extrême attention
que vous avez à votre fanté & à toute
votre perfonne* Car voilà tous les
adoucmemens 8c toutes les facilités
que vous y voulez trouver. Or eft-ce
là ce que vous appeliez pénitence ?
Quoi que vous en puilïiez dire , pour-
rai-je 5 moi , fans vous bleifer , vous dé-
clarer ingénuement ma penfée ? Votre
pénitence , c'efb de quoi les vrais péni-
zms , les pénitens d'autrefois, auroient
eu
des Sens. 353
eu horreur comme d'une vie fenfuelle
Se délicieufe • c'eft ce qu'ils fe feraient
reproché comme un des plus grands
relâchemens. Si vous en jugez autre-
ment qu'ils en jugeoient , prenez garde
d'en juger autrement que Dieu en juge
lui-même.
Et en effet , je vous renvoyé à l'E-
vangile de Jefus-Chrift. Quelles idées
nous donne-t-il de la pénitence chré-
tienne , & fous quelles figures nous l'a-
t-il repréfentée ? comme une guerre
contre la nature corrompue , 8c toutes
fes fenfualités : je ne fuis point venu fur la Matt*'
J ; • ■ %■ CI 0.3 4.'
terre pour y apporter la paix; mais la guer-
re ; comme une croix dont nous devons
nous charger , 8c que nous devons porter
tous les jours: Quiconque veut être mon Tbifo
difciple j qu'il renonce à foi-même _, qu'il ç%1 ,24"
prenne fa croix & quilmefuive ; comme
une violence que chacun doit fe faire :
. depuis les jours de Jean-Baptijle , depuis
que ce faint Précurfeur a paru dans le
monde , qu'il y a prêché la pénitence
8c la rémiflion des péchés, pratiquant
lui-même ce qu'il enfeignoit , vivant
dans le defert , ne fe nourrifïant que
de fauterelles 8c de miel fauvage _, ouv
pour mieux dire , ne mangeant ni ne
buvant ; depuis ce tems-là , le Royaume M&tu
Tome L G g r.n.ift.
| J4 Mortification
^ Ciel fc prend par force j & on ne rem-
porte que par violence. Comme une voie
étroite \ il faut marcher au milieu des
Siïatu c ronces & des épines : O que le chemin qui ,
7° I4' mené à la vie efi étroit j & quily en apeu i
qui y entre ! La vérité de tous ces Tex-
tes eft inconteftable : ce font des points
de Foi.
Je vous renvoyé au grand Apôtre , 8c ,
aux divines leçons qu'il nous a lailfées
dans fes Epîtres.Car s'expliquant enco-
re plus clairement fur le fujet dont il I
Cal. c. > > ■ • o • r~
%. 24, s agit ici entre vous & moi : i ous ceux y
dit-il , qui appartiennent à Jefus-Chrijl y ,
ont crucifié leur chair avec fes vices &fes
convoitifes. Il ne dit pas feulement qu'ils
ont crucifié leur cœur , mais leur chair ,
cette chair criminelle, qui, par une con-
féquence bien jufte , doit avoir part à la
peine , après avoir eu tant de part au pé-
ché. Delà cette régie que le même Apô-
£em. c. tre cbnnoit aux Romains : Autant que
vous ave^fait fervir vos corps à V iniquité y
& que par-là vous êtes devenus pécheurs :
autant faites-les fervir à la jujlice pour
devenir faints par la pénitence. Cette
proportion eft remarquable , ôc peut
étonner notre délicateffe ; mais fainr
Paul la trouvoit encore trop foible, &
rVM* ç'çfc pour cela qu'il ajoutoit 1 Je parle
des Sens. $55
en homme _, & j'ai égard à Vinfinnité de
votre chair, Aulli difoit-il de lui-même ,
Se des autres difciples du Sauveur : Par- u Coe*
tout& en tout tems nous portons dans nos c,4,IOt
corps la mortification de Jefus ., afin que
la vie de Jefus fefaffe voir dans nos corps.
Je laide cent autres témoignages : ceci
fufrlt 3 ôc il n'eft queftion que de vous,
l'appliquer à vous-même.
Car Voilà dans la morale évangélique
des maximes fondamentales. Elles re-
gardent généralement tous les états du
Chriftianifme , Se nous ne voyons point
que Jefus-Chrift ni les Apôtres les aient
reftraintes à quelques conditions fans y
comprendre les autres. Voilà comment
on eft Chrétien , ou comment on doit
1 être. Les Juftes mêmes nen. font pas.
difpenfés , que faut-il conclure des pé-
cheurs ? Or fans vous flatter ni chercher
vous-même à vous tromper , faites , je
vous prie , l'application de ces princi-
pes à votre vie , telle que je l'ai décri-
te Se telle qu'elle eft. De bonne foi cet-
te vie prétendue pénitente , eft-ce une
guerre où vous foyez fans ceife à com-
battre vos fens , Se où vous les teniez
dans une fujettion dure Se pénible ?
Eft-ce une croix pefante Se capable de
vous accabler, 3 fi vous ne faifîez chaque
15^" M ,e r r i r i c a t r o Kr
jour êc à chaque pas de violens effort*
pour en foutenir le poids ? Eft-ce un
renoncement à vous-même de à toutes
vos aifes ? Eft-ce un chemin rude -
ctroit , raboteux ? De quelles auftérib
tés affligez-vous votre corps ? Quels
foulagemens y <k même quelles dou-
ceurs lui refufez-vous ? Quelles abfti-
nences , quels jeûnes, pratiquez-vous ?
En quelles occafions avezr-vous facrifié
par un efprit de pénitence , votre goût,
votre repos ,. votre fanté ? Quand ave&*
vous éprouvé la rigueur des faifons r
les froids de l'Hiver , les ardeurs de
l'Eté , Ôc peut-on dire enfin que vous
êtes revêtus de la mortification de Je-
fus-Chrift ? Où la faites-vous voir ? &c
à quels traits la reconnoît-on.dans toute
votre perfonne ?
Je vois ce que vous pourrez me ré.-
pondre : que la mortification Chré-
tienne confifte particulièrement, dans
i'efprit , c'eft-à-dire qu'elle confifte' à
rompre fa volonté , à modérer fes viva-
cités , à réprimer fes defirs trop natUr
. rels ; à fe rendre maître de fon cœur &
de tous fes mouvemens* J'en conviens
avec vous ,, & je veux bien même en-
core convenir qu'à l'égard de cette
mortification de I'efprit x les fujets d&
fc £ S S E N Sr 5 57
la pratiquer ne vous manquent pas
dans la retraite où vous vivez , que cet-
te féparation 3c cet éloignement d'un
certain monde , n'eft pas peu oppofé à
votre tempérament 3c à vos inclina-
tions ; que cette exactitude à remplir
certains devoirs , 3c à vous acquitter de
vos exercices de piété , vous donne lieu
en bien des rencontres de furmonter
vos répugnances , vos dégoûts , vos
ennuis j qu'il y a des momens où la
tentation eft forte > où le fouvenir â.Q^
plaifirs paflés fait de vives imprelîions
dans Famé 'y où la folitude , la prière ,
la ledfcure , toutes les obfervances de la
religion deviennent très-iniipidês y 3c
par-là même très - onéreufes j enfin >
qu'on ne peut alors prendre l'empire
fur foi-même , 3c fe vaincre fans beau-
coup de violence. Tout cela eft in-
contestable , mais il n'eft pas moins
vrai , que , félon la loi de Jefus-Chrift y
il faut que la mortification des fens ac-
compagne tout cela , foutienne tout
cela , foit le complément de tout cela.
Il n'eft pas moins vrai que de tous les
points de la loi de Jefus-Chrift , il n'y
en a pas im que faint Paul , fidèle in-
terprète des fentimens de fon maître ,
nous ait plus fouvent 3c plus exprefté-
3 5$ Mortification
ment recommandé que la mortifica-
tion des fens. A qui parloit-il ? à des
Solitaires ? à des Religieux ? Mais du
tems de faint Paul , il n'y avoit ni Reli-
gieux , ni Solitaires. Il parloit donc à
des hommes y à des femmes , à de
jeunes perfonnes du monde , fans dif-
tindtion de qualités , ni de rangs. Si
dans la fuite il y a eu des Solitaires 8c
des Religieux , c'eft que les plus éclai-
rés & les plus zélés d'entre les Chré-
tiens , comprenant d'une part l'obliga-
tion où ils étoient , comme Chrétiens ,
fur-tout comme pénitens , de mener
une vie au (1ère 8c mortifiée , 8c crai-
gnant d'ailleurs de fe laitier furprendre 3.
même dans leur pénitence , aux illu-
sions 8c à la molleife du fiécle , ils ont
pris le parti , pour fe prémunir contre
ce danger , de renoncer à tous leurs
biens , d'embraifer la pauvreté , de fe
confiner dans les deferts > de s'enfermer
dans les Cloîtres , 8c de fe réduire par-là
dans un dénuement entier de tout ce
qui peut fervir à flatter le corps.
Delà l'établilTement de tant de faints
Ordres , où, les fens font traités avec
toutes les rigueurs que les forces de la
nature peuvent fupporter } où l'on eft
nourri pauvrement 3 vêtu grofïierement
des Sens. 359
couché durement j où le fommeil eft
court de interrompu , le travail conf-
tant & aiîidn , le joug de la régie pe-
fant j où , fuivant la parole de l'Apôtre,
le corps par de fréquentes macérations
eft immolé comme une hoftie vivante
3c une victime d'expiation. Car tel eft ,
ajoute le Maître des Gentils , tel eft le
culte raifonnable que nous devons à
Dieu. Après quoi il fait beau entendre
dire aux gens du monde que tant de
mortifications ne font bonnes que
pour les Monafteres. Langage mer-
veilleux ! J'avoue qu'il peut y avoir en
particulier des exercices de pénitence ,
qui conviennent moins aux uns qu'aux
autres / félon la diverflté des occupa-
tions , des iituations , des engagemens y
des tempéramens : mais de prétendre
en général , comme le monde le pré-
tend , que la mortification de la chair
n'eft propre qu'aux perfonnes confa-
crées à Dieu dans la profeilion Reli-
gieufe , c'eft une erreur des plus grolîié-
res , &: une maxime des plus fcandaleu-
Tes & des plus pernicieufes. J'aimerois
autant qu'on me dît qu'il n'y a que les
Religieux qui foient coupables devant
Dieu, de par conféquent qui foient re-
devables a la Juftice de Dieu j qu'il n'y
3 £o Mortification
a que les Religieux qui foient expofés
aux révoltes des fens , ôc par conféquent
qui foient obligés de les réprimer 3c de
les dompter : ou autant vaudroit-il dire
qu'il n'y a que les Religieux à qui le
Royaume de Dieu doive être chère-
ment vendu , tandis que les autres
peuvent l'acheter à vil prix > 3c qu'ils y
peuvent atteindre par- une voie large
ôc fpacieufe , où rien ne les incommo-
de. Abus intolérable ! Il n'y a pas deux
Evangiles } c'eft le même pour le Sécu-
lier 3c le Religieux. Ce qu'il eft pour
l'un, ili'eft aulîi pour l'autre: car Jefus-
Chrift n'eft point divifé. Raifonnez tant
qu'il vous plaira , 3c comme il vous
plaira : malgré tous vos raifonnemens ,
malgré même la régularité apparente
de votre vie afifez réformée d'ailleurs 8c
aifez exemplaire , n'ayant pas toujours
vécu dans l'innocence , ainfi que vous
, le reconnoiffez 3 3c que vous ne pouvez
vous le cacher à vous-même , il ne vous
refte pour aller au Ciel que la voie de
la pénitence , 3c malheur à vous fi vous
vous perfuadez. que vous puiffiez traiter
délicatement votre corps , 3c être péni-
tent. Je ne vois guères comment alors
vous feriez à couvert de ces anathêmes
du Fils de Dieu : malheur à vous qui
ne
de s Sens. 361
ne manquez de rien , & qui ave\ en ce
monde votre confolation; malheurs à vous 6LuCt1e'
qui êtes rajjafies 5c bien nourris j mal-
heur à vous qui pafTez vos jours agréable-
ment & dans la joie.
Au refte , ne penfez pas que les pra-
tiques 5c les œuvres de pénitence dont
je vous parle , aient été inconnues aux
perfonnes de votre naiifance 5c de votre
rang j ni que je veuille , par un efprit
de ïingularité , vous faire tenir une con-
duite extraordinaire , dans l'état de
grandeur & de diftinction où vous êtes.
Je ne fuis point fait à exagérer 3 fur-
tout en matière de morale 5c de de-
voir. Hé ! ne fçait-on pas quelles ont
été jufques fur le Trône les auftérités
de faint Louis ? quelles ont été celles de
bien d'autres Princes 5c PrincefTes? Et
pourquoi chercher fi loin des exem-
ples , lorfque nous en avons de nos
jours ? Car fur les connoiiïances que
je puis avoir , j'ofe vous témoigner
avec quelque» certitude , que la morti-
fication chrérienne 5c fes exercices ne
font point entièrement bannis du mon-
de ni de la Cour. Les apparences font
trompeufes de plus d'une manière : c'eft
à-dire , que comme fous les apparences
d'une vie innocente ôc pure , on cache
Tome L H h
$6i Mortification
ïonvenz bien .des déréglemens & des
défordres ; de même auiîi ions les ap-
parences dune pompe humaine & d'une
vie aifée , on cache quelquefois des
pratiques bien rigoureufes , & des pé-
nitences qui ne font connues que de
Dieu. L'un eft une damnable hypocri-
£e , ôc l'autre une falutaire oc fainte hu-
milité.
Mais peut-être encore me répondrez-
vous , qu'on a dans le monde aifez de
mortifications & de chagrins , Se oue
c'eit même aux Grands du monde &à
ceux qui vivent -avec plus d'éclat dans
les Cours des Rois , que font réfervées
les grandes peines ; qu'il n'eil donc pas
befoin d'en chercher d'autres , & que
celles qui fe. préfentent chaque jour
peuvent furrlre. Si vous le jugez ainïi ,
je veux bien entrer pour quelque tems
dans votre penfée., & y condefeendre.
Oui , j'y confens : tenez-vous-en aux
peines de votre état j c'eft-à-dire , fai-
tes-vous des peines de votre état une
vertu ; faites-vous-en une pénitence j
regardez-les comme un châtiment dû à
vos péchés , comme un moyen de les-
expier , & dans cette vue acceptez-les
avec foumiiîion , Se fan&ifiez-les pari
une patience-inaltérable. Je me borne-
des Sens. 363
là pour vous préfentement , pourquoi ?
Parce que je fuis certain que vous ne
vous y bornerez pas vous-même , &
que dès qu'une fois vous en ferez venu
là , vous voudrez aller plus loin. Com-
ment cela ? Comprenez ce myftère : il
eft à remarquer. C'eft qu'alors vous fe-
rez animé de l'efprit de pénitence , &c
que le même efprit de pénitence qui
vous fera porter faintement les peines
de votre état , vous infpirera d'y en
ajouter encore de nouvelles. Car il en
eft de cet efprit de pénitence , comme
de l'amour de Dieu. Quand il eft véri-
table de bien formé dans un cœur , il eft
infatigable : mais parce qu'il vous man-
que , 8c que vous êtes pofTédé d'un efprit
tout contraire , qui eft votre amour
propre , de-là s'enfuivent deux grands
maux j l'un, que vous ne fçavez pas
profiter des mortifications de votre état,
comme vous le pourriez , tout invo-
lontaires qu'elles font , & que vous en
perdez par vos révoltes & vos impa-
tiences tout le fruit : l'autre que ne
voulant vous impofer vous-même , au-
delà des peines de votre état , nulles
mortifications volontaires , vous vivez
fans pénitence , de vous vous privez
dans l'affaire de votre falut du moyen
H h ij
3 £4 Mortification
le plus nécefTaire &c le plus piaffant.
Chofe admirable ! On aime la févéri-
té de la pénitence par-tout ôc en tout,
hors en foi-même. On i'aime dans au-
trui , on l'aime dans les livres 3 on l'ai-
me dans les difcours publics , on l'aime
clans les entretiens familiers j mais de
l'aimer dans la pratique , je dis dans
une pratique propre ôc personnelle , ce
n'eft guères là le goût du monde , ôc
du monde même en apparence le plus
réglé ôc le plus dévot. On l'aime dans
autrui j on vante les auftérités de celui-
ci ôc de celle-là , ôc Ton devient d au-
tant plus éloquent à les exalter , que ce
font gens avec qui l'on eft plus étroite-
ment uni de fentimens Ôc de doctrine.
On l'aime dans les livres : on 1k avec
affîduité ôc avec une efpece d'avidité
certains ouvrages qui en traitent, on
les a continuellement dans les mains ,
on les dévore , ôc l'on n'eftime que
ceux-là. On l'aime dans les difcours pu-
blics : un Prédicateur qui la prêche ôc
qui la porte au plus haut point de per-
fection , pour ne pas dire , à des extré-
mités fans mefure ôc fans difcrétion ,
eft regardé comme un Apôtre } on le
fuit avec emprerTement , ôc l'on y traîne
arec foi la multitude. On l'aime dans
des Sens. 365
les entretiens familiers : on en parle >
on en fait le fujet des converfations les
plus vives Se les plus ferieufes , on dé-
bite fur cette pénitence auftère les plus
belles maximes , & l'on ne peut aiTez
gémir des relâchemens qui s'y font
glilïes. Refte de l'aimer dans la prati-
que Se par rapport à foi : mais en eft-il
queftion ? C'eft alors que chacun fe re-
tire , Se fe met en garde. On ne l'aime
plus , Se cependant elle ne nous peut
être utile Se méritoire que dans la prati^
que.
Pénitence intérieure _, ou mortificai
tion des pqffîons.
OUtre la pénitence du corps Se la
mortification des feus , faint Paul
Ôc après lui tous les maîtres de la vie
fpirituelle, nous apprennent qu'il y a
encore une mortification beaucoup plus
excellente , qui eft. la mortification in-
térieure ou la mortification de nos
pafïions. Cette mortification du cœur
a trois grands avantages, ôenous pro-
cure trois grands biens : l'un eft l'inno-
Hiij
^66 Mortification
cenco chrétienne j l'autre eft la faintetè
chrétienne , 8c le troifiéme la paix chré-
tienne. Car nos pallions nous corrom-
pent , du moins elles nous arrêtent 8c
nous relâchent clans le foin de notre
perfection j enfin elles nous troublent*
Dès-là donc que nous travaillerons fé-
rieufement à les mortifier , nous pren-
drons le moyen le plus infaillible de
nous maintenir dans l'innocence de l'â-
me par l'exemption du péché, de nous
élever à une haute faintetè par la prati-
que de la vertu , 8c de nous établir dans
la paix par le repos dont nous jouirons.
Expliquons chaque article , &c faifons-y
toute la réflexion convenable.
I. Mortification des paillons 3 moyen
de fe maintenir dans l'innocence , 3c
moyen nécefïaire. Car il n'eft pas pof-
fible de conferver l'innocence dans un
cœur , tandis que les pallions y régnent»
Comme la fource en eft empoifo nnée %
8c qu'elles ont pour principe cette mal-
heureufe concupifcence qui nous por-
te vers les objets fenfibles , 8c qui n'a
point d'autre fin que de fe contenter à.
quelque prix que ce punTe être ; pour
peu que nous les écoutions 8c que nous
en fuivions les mouvemens , elles nous
des Passions. 3 ô 7
font en mille rencontres violer là loi
de Dieu , 8c nous précipitent en toutes
fortes de péchés. C'en: ce que nous
éprouvons tous les jours; &: il dans ces
derniers ïîécles l'iniquité , félon l'ex-
preiîion de l'Ecriture , eft devenue plus
abondante que jamais , ce déborde-
ment de mœurs que nous voyons dans
tous les états , ne vient que des paillons
qui fe font acquis un nouvel empire , 8c
ont pris fur les hommes un aicendanc
plus abfolu. Car à mefure qu'elles croif-
lent 8c qu'elles s'enflamment, elles vont,
ou elles nous font aller aux plus grands
excès. Tant de riches intérefles ne corn-
mettraient pas des injuftices fî criantes ,
fans l'infatiable avarice qui les dévore.
Tant de mondains ambitieux ne forme-
roient pas de iî déteftables entreprifes ,
fans l'envie démefurée de s'élever qui
les poifede. Tant de voluptueux 8c de
libertins ne fe plongeraient pas en de il
honteufes débauches, fans l'amour du
piaiiir qui les enchante. Ainii des au-
tres. La pailion eft la racine de tout
cela j 8c plus elle s'eft fortifiée , plus elle
a de pouvoir pour réfifter aux remords
de la confeience 8c pour les furrnon-
ter.
Il eft vrai néanmoins que nos parlions
I, • H-hiv
368 MORTIHCATION
n'attaquent pas toujours fi ouvertement
notre innocence : mais c'eft en cela
même qu'elles font encore plus dange-
reufes } Se on peut bien leur appliquer
ce que faint Léon Pape difoit de 1'efprit
tentateur Se de fes artifices pour nous
furprendre y qu'un ennemi caché eft
d'autant plus à craindre qu'il porte
plus fecrettement fes coups , Ôc qu'on
eft moins en garde contre lui. En mille
fujets c'eft la pafîion qui nous infpire,
lorfque nous penfons être conduits par
le motif le plus pur Se le plus faint. Elle
entre dans toutes nos délibérations ;
elle a la .meilleure part dans toutes nos
xéfolutions j comme l'Ange de fatan ,
elle fe transforme en Ange de lumière ,
Se à moins que le crime ne foit évident ,
il n'y a rien qu'elle ne nous juftifie ,
dès qu'elle s'y trouve intérefTée. D'où
il arrive qu'on tombe dans une infinité
de péchés, fans prefque les appercevoir ,
Se qu'on demeure fans inquiétude dans
des difpofitions Se des engagement
d'affaires qui devroient nous faire trem-
bler.
Delà donc il faut conclure que le
préfervatif le plus falutaire , Se même le
plus néceifaire pour mettre à couvert
l'innocence de notre cœur, eft de le
des Passions. 3.69
circoncire fpirituellement , c'eft-à-dire ,
d'obferver avec foin les pallions dont il
eft plus fufceptible , 8c de nous appli-
quer fans relâche à les détruire. Pre-
nons ce glaive évangélique dont parloit
Jefus-Chrift , 8c qu'il eft venu nous
apporter. Avec ce glaive tranchant 8c
confacré par la grâce du Seigneur , at-
taquons ces pallions fi vives 8c fi impé-
tueufes qui nous entraînent , ces paf~
lions fi îubtiles 8c fi artihxieufes qui
nous féduifent , ces pallions fi terreftres
8c fi matérielles qui nous tiennent dans
Tefclavage des fens. Faifons , autant
qu'il nous eft pollible , la même direc-
tion de notre ame , que Dieu en fera
dans fon jugement dernier , félon le
témoignage de l'Apôtre. Pénétrons
jufques dans les jointures , jufques
dans les replis les plus fecrets , où
nos pallions fe cachent \ 8c fans les
ménager , fans leur accorder aucune
trêve , quelque part que nous les trou-
vions , donnons -leur le coup de la mort.
Dès que nous aurons purgé notre cœur
de ce mauvais levain , il nous fera faci-
le avec le fecours du Ciel , d'en fer-
mer l'entrée au péché 8c de nous ga-
rantir de fa contagion.
En effet , fuppofons un homme bien.
5 70 Mortification
maître de fes pallions , ou pour mieux
dire , en qui les pallions foient bien
éteintes > fans être impeccable , ce fera
un homme irrépréheniible. Comme ii
ne fera ni aveuglé 3 ni animé par la
paillon 5 il fuivra en toutes chofes la
droite raifon ôc la religion. Et piiifque
nous ne péchons qu'en nous écartant
de ces deux principes , ii efl aifé de
voir en quelle pureté de cœur il vivra,
6 combien de chiites il évitera. îl fera
fidèle à Dieu, charitable envers le pro-
chain , jufte ôc réglé dans toutes fes
actions. Il jugera bien de tout , il en
pariera bien. Il n'y aura ni efpérance
qui l'attire , ni crainte qui le retienne
aux dépens de fon devoir. Point de
colère qui l'emporte , point de reflfen-
timent qui l'envenime , point de plaifîr
qui le tente , point de grandeur qui l'é-
Mouille , point de prétentions 3 d'intri-
gues , de retours vers foi-même ni vers
fes propres avantages ; Ôc de-là quelle
candeur d'ame ! Bienheureux ceux qui
ont ainfi le cœur net de toute tache ôc
de tout delir mal ordonné : car ils feront
en état de voir Dieu , Ôc de goûter fes
plus intimes communications.
Mais au contraire qu'une pailîon de-
meure enracinée dans le fond de 1 aie •
des Passions. 571
& qu'elle y ait toujours le même empi-
re , en vain vous pratiquerez d'ailleurs
les plus faintes œuvres , en vain même
vous aurez à certains jours les meil-
leurs fentimens , &: vous patoîtrez être
dans les meilleures difpoiitions j tandis
que ce ferpent vous infectera de fon ve-
nin , tandis qu'il vous fera entendre fa
voix , comme à la première femme , de
que vous lui prêterez l'oreille , il n'y
aura point d'abîme où vous ne vous
précipitiez en peu de temps , ni d'é-
cueil où vous n'alliez malheureufement
échouer. Et voilà ce qui trompe , au
Tribunal de la pénitence , tant de pé-
cheurs qui donnent quelquefois toutes
les marques de la plus imeere conver-
sion , ÔC qu'on voit néanmoins prefque
auili-tôt rentrer dans leurs premières
voies, & retourner à leurs- mêmes ha-
bitudes. Eft-ce qu'ils ne font pas tou-
chés de la grâce , de qu'ils ne veulent
pas de bonne foi changer de conduite.
8c réformer leur vie ? Il faut convenir
qu'il y en a plufîeurs dont les réfolu-
tions fur cela font actuellement telles
qu'ils le témoignent. D'où vient donc
qu'ils retombent lî vite ? c'eft que pour
rendre dans la faite leurs réfolutions
efficaces, il falloit deux fortes de re-
172. Mortification
tranchemens : l'un extérieur , 3c l'autre
intérieur. Le premier étoit d'arrêter les
effets de la paillon , & d'en retrancher
les actes criminels , & c'eft ce qu'ils fe
font propofé. Mais afin d'y réuilir , il
étoit néceifaire de faire en même tems ,
pour ainfi parler, -une autre circonfion
plus importante , c'eft-à-dire , de re-
trancher la paillon elle-même comme
le principe du mal , êc de la bannir du
cœur. Or voilà à quoi ils n'ont pas pen-
fé , ôc fur quoi ilsfe font flattés Se ména-
gés , dans la fauffe perfuafion où ils
étoient, que fans fe défaire de cette
paillon qui leur plaît , ils fçauroient la
modérer de la retenir. Erreur qu'ils ont
bientôt eu lieu de reconnoitre par les
promptes 3c déplorables rechûtes , qui
les ont replongés dans les mêmes pré-
cipices , & rengagés dans les mêmes
défordres.
De tout ceci , apprenons de quelle
ëonféquence il eft pour nous 5 félon Pa-
vertifTement du Prophète , de nous faire
un cœur nouveau * n nous voulons nous
rétablir & nous maintenir devant Dieu
dans la fainte innocence que nous avons
tant de fois perdue. Plût au Ciel,
que dès l'âge le plus tendre 5 & dès les
premières années de la vie , on travail-
des Passions. 373
lât à fe purifier de la forte , & à fe
dégager de tout ce qui pourroit nous
corrompre. Plus nous différons , plus
nos pallions croifTent & prennent Pat
cendant fur nous. On eût pu aftez
aifément dans la jeunefie couper cours
à cette paiTion , dont on n'eft prefque
plus le maître , depuis qu'elle s'eft in-
vétérée & comme changée dans une
féconde nature. Cela ne regarde pas
ieulement les jeunes perfonnes j mais
il n'eft pas moins vrai des autres 3 que
dès qu'ils découvrent dans eux quelque
vice naturel , quelque inclination &
quelque penchant vers un péché , ils ne
doivent pas tarder d'un moment à pren-
dre les armes 3 ôc à chafïer ce démon
qui s'eft emparé de leur cœur. Et qu'on
ne prétende point fe ralïurer fur ce que
j la pafl?on ne paroît pas encore bien
1 forte. Prévenons le mal de bonne heu-
re } prévenons-le jufques dans les plus
petites chofes. C'eft par une telle pré-
caution qu'on évite les plus grandes
maladies du corps , Se c'eft par-là même
qu'on fe garantit d'une ruine totale de
l'ame.
Maximes dont on n'a pas de peine à
convenir en général ; car elles font fen-
fibles , & confirmées par l'expérience
574 Mortification
ia plus commune : mais d'en venir à
l'effet , c'eft ce qui étonne j & les diffi-
cultés qu'on y trouve ., font Couvent une
ïi vive impreiiion , qu'on défefpere de
les vaincre , &: qu'on n'ofe pas même
l'entreprendre. Auiîi eft-il confiant,
pour ne rien diiîimuler , que d'arracher
du cœur une pafïîon , c'eft de toutes
les entreprifes la plus grande &c celle où
l'homme éprouve plus de combats êc
plus de contradictions. C'eft s'arracher
en quelque manière à foi-même , c'eft
mourir à foi-même , & y mourir autant
de fois , qu'il y a d'efforts à faire &
d'obftacles a furmonter. Or le moyen ,
dit-on , d'être ainfi continuellement
aux prifes avec foi-même , & feroit-ce
vivre que d'en être réduit-là ? Non , ce
ne feroit pas vivre félon la chair 3 mais
ce feroit vivre félon l'Efprit de Dieu.
En . quoi nous devons remarquer un
nouvel avantage de cette mortification
des pallions : car elle ne nous fert pas -
feulement à conferver l'innocence du
cœur , mais à nous élever & à nous
faire parvenir au plus haut point de la
fainteté Chrétienne.
ÎI. Mortification des paffions , moyen
de s'élever à une haute fainteté par la
des Passions. 375
pratique des plus excellences vertus.
Pour bien entendre cette féconde véri-
té , il n'y a qu'à développer & à com-
prendre le vrai feiis de ces adorables 3c
divines leçons , que nous fait le Sauveur
du monde dans fon Evangile, 3c que
nous font les Apôtres dans leurs Epî-
tres : fçavoir , qu'il faut fe dépouiller
de foi-même } qu'il faut haïr fon ame
3c la perdre en cette vie, afin de la fau-
ver dans l'autre } qu'il faut rompre les
liaifons les plus étroites, 3c fe féparer mê-
me de fon père , de fa mère \ que pour
être à Dieu , il faut crucifier la chair ,
3c toutes les concupifcences de la chair j
que le Royaume du Ciel ne s'emporte
que par violence , 3c qu'il faut s'efforcer
ôc prendre infiniment fur foi pour y arri-
ver. Voilà fans contredit ce qu'il y a de
plus fublime dans la pratique de' la fain-
teté. Or qui ne voit que tout cela
eft contenu dans la mortification des paf-
fions ? Car cui'y a-t-il dans nous de plus
naturel 3c de plus intime que nos paf-
fions j 3c n'efi.-ce pas en les détruifant ,
que nous nous dépouillons de nous-
mêmes ? Qu'eu>ce que haïr notre ame
&' la perdre , félon la penfée du Fils de
Dieu , n'eft-ce pas refufer à notre cœur
tout ce qu'il délire , 3c qu'il recherche
■376 Mortification
par le mouvement des parlions , & lui
interdire tout ce qui flatte fes inclina-
tions fenfuelles Se qui contribue à les
entretenir ? Avons-nous des liaifons plus
étroites , que celles qui font formées
par nos pallions ? Avons-nous de plus
vives & de plus ardentes convoitifes,
que celles qui font excitées par nos
pallions ? Eft-il rien où nous fentions
plus de réfiftance , Se où nous ayons
plus de violence à nous faire , que lors-
qu'il s'agit de dompter nos pallions Se
de les amortir ? D'où il s'enfuit , que
tout ce qu'il y a de plus parfait dans la
loi que nous proférions , fe rapporte à
la mortification du cœur Se des par-
lions 3 Se que c'elt par-là que nous vi-
vons en chrétiens 3 & en parfaits chré-
tiens.
Aulli le premier foin , Se même , à
proprement parler , l'unique foin de
tous les Saints a été de régler leur cœur ,
&: de mortifier toutes leurs pallions. Ce
n'eft pas qu'ils aient négligé le refte 5
I affiduité à la prière , les macérations
du corps : au contraire , nous fçavons
combien ces exercices leur étoient fa-
miliers Se ordinaires , jufqu'à palTer les
nuits entières dans la contemplation des
chofes divines s jufqu'à s'exténuer Se fe
ruiner
des Passions. $77
ruiner le corps par leurs fréquentes 8c
fanglantes auftérités.- Mais ces prières ,
ces mortifications de la chair , ils ne les
envifageoient que comme des moyens
pour atteindre à la fin qu'ils fe propo-
ibient , &: qui étoit de purifier leur cœur
de tout ce qu'il y avoit encore de ter-
reftre 8c d'humain.
C'eft donc par-là qu'ils eftimoient
toutes les pratiques extérieures ou de
piété ou de pénitence ; 8c fans cela on
peut dite qu'elles perdent extrêmement
de leur prix. C'eft-ià ce qui diftingue la
vraie 8c folide dévotion , d'une dévotion
fuperficielle 8c apparente. Malgré la
perveriité du fiécle > on trouve encore
affez de perforines , qui veulent , ce
femble, pratiquer la vertu: mais quelle
eft communément l'illiifîon où don^-
nent ces âmes prétendues vertueufes ?
C'eft qu'elles bornent tous leurs foins
à régler 8c à fan&ifier le dehors , à
quitter certains ornemens mondains , à
s'interdire certaines compagnies 8c cer-
tains divertiffemens , à viiiter les pri~
fons , les Hôpitaux % à fréquenter les
Autels y 8c à f e rendre aiîidue&aux pré-
dications , aux cérémonies de Reli-
gion ; à faire de bonnes lectures , à mé-
diter 8c à prier, Tout cela fans doute. a.
Tome L Xi
37$ Mortification
{on mérite , mais fouvent un mérite
bien au-de(lous de l'idée qu'elles s'en
font. Car ce n'eil point là précifément
ni particulièrement ce que Dieu de-
mande d'elles. Il veut , avant toutes
chofes, qu'elles s'adonnent à la réfor-
mation de leur cœur , parce que ce
qu'il y a de plus précieux en nous , c'eft
le cœur; parce que ce qui nous coûte
le plus , c'eil la circoncilion du cœur ^. ,
parce qu'avec le fecours d'en -haut , c'eft
du cœur que dépend toute notre fancti-
fication.
Or voilà ce que tant d'ames pieufes ^
ou qui pailent pour pieufes , & ne le font,
que de nom , ne comprennent point
aiTez. Sous cette belle montre de piété
qui frappe la vue , elles ont leurs paf-
iîons , qu'elles tiennent cachées , ôc
qu'elles nourriffent au fond de leur
eœur. Quoique ce ne foit pas de cqs
pallions groilières qui portent au crime:
& au libertinage y ce font néanmoins
des pallions, qui pour être plus fpiri-
tuelies , n'en font pas moins vives dans-
les rencontres , & dont les effets ne fe
font que trop appercevoir. Un Direc-
teur fage & habile , qui voudroit entre-
prendre la guérifon d'un mal d'autant
plus dangereux qu'il eft interne 3 8c
des Passions. 37a
qu'il attaque de plus près le cœur, a le
déplaiiir de trouver ces âmes , d'ailleurs
fi dociles , tellement aveu lées là-
demis Se fi délicates, qu'el , rou-
tent rien de tout ce qu'il leur dit. Qu'il
leur parie d'Oraifons , de Communions
ôc même de quelques œuvres de péni-
tence , elles ne le laiTeront point de
l'entendre : mais qu'il vienne à leur
propofer des moyens pour humilier
leur efp rit -hautain , pour adoucir leur
humeur aigre , pour modérer leurs fail-
lies trop promptes , pour combattre
leurs antipathies , leurs animofités ,
leurs envies fecrettes , c'eft là qu'elles
ceOfent de lui donner la même atten-
tion. Doiï il arrive que ces pallions fo-
mentées de entretenues dans le cœur,
les font tomber en mille foiblefïes qui
fcandalifent le prochain , & en des fau-
tes prefque journalières avec lefquelles
elles fe promettent en vain d'accorder
une piété véritable & parfaite.
Ainfi , l'un des plus puiiFans motifs
pour nous engager à la mortification de
notre cœur , eft de la confidérer comme
un moyen de perfection , & comme le
moyen le plus efficace. Je dis le plus
effi ace , & c'efr l'avis important que
nous donne Saint Jérôme : vous ferez ?
u ij
380 Mortification
dit ce faint Do&eur , autant de pro-
grès dans ies voies de Dieu , que vous
remporterez de victoires fur vous-mê-
mes. Car chacune de ces victoires de-
mandera de vous bien des combats , 8c
chacun de ces combats bien des facrifi-
ces plus agréables à Dieu , que tous les
facririces de l'ancienne LoL Pourquoi
plus agréables à Dieu ? Saint Bernard
en apporte la raifon , 8c elle eft incontef-
table : c'eft que dans les facririces de la
Loi Judaïque on n'immoloit qu'une
chair étrangère , que la chair des ani-
maux -y au lieu qu ici l'homme s'immo-
le lui-même en immolant fon propre
cœur & fa propre volonté. Pour peu
que nous foyons touchés du defir de
notre avancement , félon l'efprit ôc fé-
lon Dieu , nous ne devons rien eftimer
davantage que ce qui peut tant y contri-
buer , ni rien embraîTer avec plus d'ar-
deur.
Dans cette guerre fainte que nous
aurons à foutenir, nous avons befoin
d'aide Se d'appui \ mais en eft-il un plus
préfent & plus allure , que la grâce du
Seigneur & fa divine aiîiftance ? C'eft
lui-même qui nous appelle , lui qui
nous invite & qui nous met les armes
à la main : eft-ce pour nous manquer
des Passions» $%i
dans 1 occahon , & pour ne pas fécon-
der nos efforts ? C'eft fa caufe que nous
avons à défendre , ce font fes ennemis
que nous avons à combattre \ car nos
pallions font dans nous les ennemis de
Dieu les plus déclarés , les plus animés ,
les plus obftinés. Elles ne cherchent
qu'à nous détacher de lui , & à nous
foule ver contre lui : 8c parce quelles
ne font pas toujours affez fortes pour
nous porter à une révolte 8c à une fé-
paration entière , du moins s'oppofent-
elles aux mouvemens de notre ferveur ,
8c à toutes les vues de perfection qu'il
lui plaît de nous infpirer» Or y encore
une fois , quand il nous verra agir con-
tre fes ennemis 8c pour fes intérêts s
nous abandonnera-t-il ? Allons donc à
lui avec confiance , 8c comptons fur fa
protection. LailFons murmurer la natu-
re y laiiîons-la s'effrayer, fe récrier , for-
mer mille obftacles : revêtus de la vertu
célefte , nous deviendrons infenfibles à
fes cris , inacceilibles a. fes traits , in-
vincibles à toutes fes attaques. Que dis-
je ? plus même fes cris fe feront enten-
dre à nous , plus fes traits fe feront fett-
tir , plus fes attaques feront violentes ;
8c plus , en y réiiftant 8c les furmontant ,
nous nous enrichirons de mérites , nous
3S2 Mortification
monterons de degrés 3 nous nous pesf~
£et~tionnerons ôc nous nous lanoline-
rons. Car le mérite devant Dieu le plus
relevé & la fainteté la plus émtnente ,
c'eft de fçavoir fe renoncer & fe vain-
cre. Heureux triomphe d'où fuit un
troifième avantage de la mortification
des paillons , qui eft le repos de l'anie
& la paix*
III. Mortification des paillons ,. moyen
de nous établir dans la paix , 8c de
jouir d'un parfait repos. C'eft un tré-
for3 mais un tréfor femblable à celui
de l'Evangile , c'eft-à-dire , un tréfor
qu'on ne peut payer trop cher , & qui
mérite d'être acheté au prix de toutes
chofes , que de trouver la paix dans
foi-même , d'être bien avec foi-même ,
de fe poiTéder foi -même , noii-feule-
ïn fa- ment 3 comme difoit Jefus-Chrift , par'
Mettra ^a p^ûque d'une humble patience de
•pojp.ie- d'une pleine réllgnation aux ordres de"
mimas Diei1 5 ma*s par ^a tranquillité & le cal-
vefiras, me de tous les mouvemens de fon
iz^'i/." cœur. Etre clans cette fituation qu'il eft
plus aifé d'imaginer & d'exprimer, que:
de feutir & d'éprouver , c'eft un avant-
goût de la béatitude du Ciel ; c'eft ce
que nous concevons dans le féjour des
DES PASSIOKÎ, 585
Bienheureux de plus cligne de nos fou-
haits après la vue de Dieu , ce ce qui
doit être un jour pour nous le comble
même de la gloire. Cette paix éternelle
dont jouiifent les Saints ^ cette paix qui
ne fera jamais troublée ni interrom-
pue ; cette paix qui réconciliant l'hom-
me avec lui-même , fera cefler dans lui
toutes les révoltes intérieures j cette
paix qui nous rétablira dans l'état d'in-
nocence où Dieu nous avoit créés :
voilà ce que Dieu promet à fes Elus 5
3c voilà à quoi nous afpirons. Mais il
ne furrit pas , dit Saint Auguftin , d'y
afpirer 3c d'y prétendre 1 voilà à quoi
nous devons nous dilpofer , 3c de quoi
il faut dès cette vie que nous commen-
cions à faire l'erTai , nous efforçant au
moins d'en approcher ,.& nous élevant
au-deflfus de cette ba(ïe région , où fe
forment les orages 8c les tempêtes my au-
dellus de ce petit monde qui eft en
nous y 8c qui n'eft pas moins tumul-
tueux , ni moins difficile à pacifier , que
le grand monde qui eft autour de
nous. Or il eft certain que jamais nous
n'y pourrons établir une paix folide
fans la mortification du cœur 3c de fes
pallions.
3'$4 Mortification
Car pour en être fenfiblement per-
fuadé , il n'y a qu'à voir quels font les
principes ordinaires de toutes les in-
quiétudes 8c de tous les troubles de no-
tre ame. Ne font-ce pas nos defirs 8c
nos paillons ? nos defirs trop vifs 3 trop
emprefTés, 8c nos pallions trop impé-
Êueufes Se trop ardentes : nos defirs qui
fe multiplient fans cefTe , qui fe com-
battent les uns les autres , qui fepropo-
fent des objets tout contraires , qui
fouvent fe portent à des chofes inca-
pables de nous contenter , à des chofes
dont la pofTeiîion nous devient plus
onéreufe qu'avantage ufe ; 8c nos paf-
fîons , qui font vaines , qui font in j lif-
tes , qui font extrêmes , qui font fans
bornes ? N'eft-ce pas là , dis-je 5 ce qui
nous empê-cke de pouvoir être en paix
avec nous-mêmes, 8c ce qui excite au
milieu de nous cette guerre inteftine ,
que Saint Paul refïentoit, comme nous ,
8c dont il fe plaignoit fi amèrement ? Il
faut donc pofléder notre ame dans la
paix , la dégager de ces defirs inquiets
8c de ces pallions déréglées. Il faut
éteindre le feu de cette cupidité qui
nous brûle > il faut réprimer cette am-
bition qui nous agite , il faut rompre
ces attackes qui nous captivent, qui
nous
des Passions. 385
nous tourmentent, qui nous déchi-
rent le cœur , de nous caufent mille
douleurs.
Or il n'y a que la mortification de
l'efprit , qui puiffe nous rendre ce bon
office. Délirer peu de choies ; & celles
que l'on délire , les délirer peu, voilà les
falutaires effets de cette mortification
chrétienne. Voilà ce que les Payens
eux-mêmes ont enfeigné , ont exalté ,
ont envié & ambitionné j mais ce qu'ils
n'ont jamais bien pratiqué. C'eft. l'a-
vantage des vrais Chrétiens , & le fruit
propre de fa fageffe évangélique.
Oui , fi nous voulons vivre contents ,
délirons peu de chofes , non-feulement ,
dit Saint Chryfoftôme , parce qu'il y a
peu de chofes qui foient defirables ,
mais parce qu'il eft impoflible d'en dé-
lirer beaucoup fans perdre le repos ,
qui vaut mieux que tout ce que l'on
defire. Et les chofes que nous délirons ,
defirons-les peu , non-feulement , ajou-
te ce Père, parce qu'elles ne méritent
pas d'être autrement delirées , mais par-
ce que les délirant beaucoup , elles de-
viennent immanquablement le fujet de
mille peines. Délirer peu de chofes hors
de Dieu , c'eft ce que Saint Auguftin
Tome L K k
|86 Mortification
appelle la mort des defirs j 8c cette morr
des defirs , n'eft-ce pas la mortification
dont nous parlons ? Et ce qu'on defire ,
le defirer peu , c'eft en quoi confifte
cette fainte indifférence , qui tient l'âme
dans une aiïiette toujours égale , ôC
qui la met au-deffus de toutes les con- s
trariétés & de tous les accidens. Ce
n'eft pas une indifférence de naturel ,
ni une indifférence de Philofophe >
mais une fainte indifférence , c'eft-à-
dire 3 une indifférence fondée fur les
principes de la religion , qui nous
fait méprifer tous les objets créés, 8c
qui tourne vers des biens réels toutes
nos affections. Soyons en ce fens 8t
félon l'efprit du Chriftianifme , indiffè-
re ns à tout fur la terre , ou du moins
ne nous entêtons de rien. Outre que
l'entêtement eft par-tout vicieux , il ne
laiffe jamais' le cœur dans une difpo-
fition paifible , parce qu'il eft toujours
impatient Se violent.
Ceci convient à toutes les pâmons 8c
à tous les defirs qu'elles nous infpirent :
mais la voie la plus sûre 8c la plus courte
pour pacifier notre cœur , c'eft d'atta-
quer d'abord la pafîion qui domine le
plus en nous, 8c de mortifier les de-
des Passions. 387
firs où nous remarquons plus de viva-
cité 8c plus de feniibilité. Car c'eft-là
comme le premier mobile de Pâme '>
c'eft la fource de tous les chagrins qui
l'affligent. Souvent une feule paillon
eft plus difficile à foumettre , 8c fait plus
de ravage dans un cœur , que toutes
les autres enfemble. Souvent il eft aifé
de retrancher toutes les autres , & de fe
mortifier fur toutes les autres : mais du
moment qu'il s'agit de la paiîion do-
minante , 8c qu'on veut la contredire y
ce n'eft plus à beaucoup près la même
facilité , 8c l'on n'en éprouve que trop
les retours fâcheux 8c les foulevemens.
Cependant il n'y a point de paix à efpé-
rer , tant que cette pafîion ne fera pas
détruite. Fulliez-vous dans tout le refte
l'homme le plus modéré , le plus rai-
\ fonnable , le plus fage -, c'eft aiTez de
cette paflion pour vous agiter , 8c pour
faire votre fupplice. Elle vous remplira
1 l'efprit de mille idées , de mille vues ,
;de mille réflexions défagréables. Elle
j excitera dans votre cœur mille regrets ,
mille jalouftes , mille dépits , mille
. rerTentimens pleins d'aigreur 8c d'a-
mertume. Elle vous mettra dans la tête
mille deffeins } mille projets , mille en-
Kkij
2 88 Mortification
treprifes auili embarrairantes que vaines
§c chimériques. Elle vous engagera dans
des partis , dans des intrigues , où peut-
être vous aurez autant de déboires ,
de dégoûts, d'ennuis , de traverfes à
effuyer , que de pas à faire. Elle remue-
ra même en fa faveur toutes les autres
parlions , qui d'ailleurs demeuroient
dans le filence , ôc vous laifFoient dans
le calme. Elle les allumera j & comme
il ne faut quelquefois qu'un féditieux
pour foulever tout un pays , il ne faudra
que cette pafïion pour caufer dans vo-
tre ame un bouleverfement général.
Souvent encore ce fera dans les moin-
dres occalions ôc fur les plus petits fujets*
Une étincelle produit le plus vafte incen-
die y ôc une bagatelle qu'on n'obferve-
roit pas en toute autre rencontre, ôc
qui ne feroit nulle fenfation , eft capa-
ble , dès qu'elle intérelTe la paflîon do-
minante , de porter aux plus grandes
extrémités.
On le voit tous les jours , 3c on le
connoît par foi-même. O que vous
vous feriez épargné de mouvemens ôc
d'agitations , foit dans vous - même ,
foit hors de vous-même , fi de bonne
heure vous aviez écrafé ce ver qui vous
des Passions. 389
pique &: qui vous ronge ! De quelle
paix vous jouiriez &: de quelle heuren-
îe liberté! Tel étoit dès ce monde le
bonheur des Saints : ils étoient contens-
de tout y Se à n'avoir même égard qu'à
la vie préfenre , on peut dire dans un
vrai fens , que jufques au milieu de leurs
plus auftères pénitences y ils menoient
la vie la plus douce > parce qu'ils ne
eraignoient rien de tout ce que nous
craignons fur la terre , qu'ils ne deïi-
roient rien , Se que par l'extinction de
toutes les pallions humaines , ils avoient
trouvé le fecret de s'élever au-defïus de
tous les événemens , Se de pafTer leurs
jours dans une indépendance Se une
tranquillité que rien n'étoit capable
d'altérer.
C'eft ce qui a fait dire à Saint Bafî-
le , qu'il y a beaucoup moins de peine
à mortifier fes pafîions , qu'à ne les
mortifier pas. Cette proposition a de
quoi nous furprendre , Se peut nous
paroître un paradoxe ; mais c'eft une
verité très-conftante* Car autant qu'on
fait de violence à fes paiîions Se qu'on
les mortifie 3 autant on fe difpofe à
goûter la paix ; au lieu qu'on la perd en
ne les mortifiant pas , Se en fuivant
Kk iij
3^0 M ORTIFICATÎON
leurs aveugles convoitifes. La fanté du
corps confiite dans le tempérament
des humeurs : qu'une humeur vien-
ne à prédominer , 8c que ce tempé-
rament fe dérange , delà les infirmi-
tés & les douleurs les plus cuifantes.
Il en eft de même par rapport à la paix
de l'efprit : elle confifte dans la modé-
ration de nos defirs & de nos par-
lions , qui en font comme les humeurs.
Tant que ces defirs ne feront pas me-
surés , que ces parlions ne feront pas
réglées , l'efprit fera toujours ou abattu
par la triftefTe ? ou tranfporté par la
colère , ou envenimé par la haine , ou
refTerré par la crainte. Il y aura tou-
jours quelque chofe qui le Méfiera :
car il aura beau vouloir fe contenter &
^n chercher les moyens ; fes defirs étant
fans mefure , ils ne feront jamais fatif-
faits , & fes paillons étant fans règle ,
elles demanderont toujours davantage.
Or pour en revenir à la penfée de S.
Bafile , dès-là qu'on fe procure la paix
en détruifant fes parlions , Se qu'on îie
peut l'avoir en les flattant & les nour-
rifTant , il y a par conféquent moins à
fouffrir dans la pratique de la mortifi-
cation Chrétienne a qui nous les fait
des Passions. 591
combattre 8c qui les tient foumifes ,
que dans les vains ménagemens de l'a-
mour-propre , qui prend leur défenfe
8c fe met de leur parti pour les féconder.
Car ce qui doit faire la félicité d'un état
en cette vie comme en l'autre , c'eft la
paix qu'on y pofféde. Soyons abandon-
nés du monde 8c dépourvus de tous les
biens du monde , mais ayons la paix au-
dedans de nous , avec cela nous fom-
mes heureux. Vivons au contraire dans
l'opulence , dans la fplendeur , parmi
routes les aifes Se toutes les douceurs
du monde , mais n'ayons pas la paix ;
tout dès-lors nous eft infipide , richef-
fes , grandeurs , fortune 5 8c nous deve-
nons malheureux. Pouvons-nous donc
en trop faire pour l'avoir , 8c y a-t-il
rien que nous ne devions pour cela fa-
crifier ? C'eft le fruit de la mortification
intérieure , 8c c'eft le partage des âmes
qui fe détachant d'elles-mêmes , s'atta-
chent à vous , Seigneur , 8c ne veulent
fe repofer qu'en vous. Vous êtes le
Dieu de la paix, 8c vous fçavez bien
dédommager un cœur des vains plaifirs
<lont il fe prive en renonçant à fes paf-
fions , 8c à leurs objets corrupteurs.
Vous nous l'avez apportée , cette paix ,
Kk iv
39* Pensées diverses
8c vous nous lavez fait annoncer par
vos Anges. Vous nous avez en même
tems apporté l'épée 8c la guerre : mais
c'eft juftement par cette épée , par cette
guerre fpirituelle 8c domeftique contre
nos vices 8c nos inclinations perverfes ,
que nous devons obtenir la fainte paix
dont vous êtes l'Auteur. Soutenez-nous
dans la réfolution où nous fommes de
la mériter , à quelque prix que ce puiiTe
être y 8c de nous y affermir de telle for-
te par votre grâce, que rien ne nous
l'enlevé jamais > ni dans le tems, ni dans
l'éternité,
Penfées diverfes fur la pénitence j
& le retour à Dieu.
J T E% mondain dit : il faut que Dieu
JLfoit un Maître bien exaét 8c bien
rigoureux , puifqu'il ne pardonne rien
fans pénitence. Et moi je dis : il faut
que Dieu foit un Maître bien indulgent
3c bien miféricordieux , puifquon ob-
tient de lui le pardon de tout par la
pénitence.
f Pourquoi railler de la converfîoi^
SUR LA PÉNITENCE. $9}
!de cet homme ? Ce qu'il fait , c'eft ce
qu'il faudra que vous faiiiez vous-même
un jour j 8c c'eft même , fi vous n'avez
pas renoncé entièrement à votre falut ,
ce que vous vous propofez de faire.
Car voulez-vous vivre jufques au der-
nier moment dans votre péché ? Y vour
lez-vous mourir ? J'ofe dire qu'il n'y a
point de pécheur fi abandonné, qui
porte jufques-là le défefpoir.
f II y a certains fentimens du cœur
dont on ne fe fait pas beaucoup de pei-
ne 8c où l'on s'entretient même avec
plaifir , parce que d'un côté ils flattent la
palîion , 8c que de l'autre on ne les
pénètre point alTez pour fe les bien déve-
lopper à foi-même. Si dans une réfle-
xion férieufe on s'attachoit à les appro-
fondir , on en découvriroit tout d'un
coup le défordre 8c l'énorme abfurdité.
Tel eft le fentiment d'un homme qui vit
impénitent dans l'efpérance de mourir
pénitent : je veux dire, qui mené une
vie criminelle , 8c qui s'y autorife par
la penfée qu'un jour il fera pénitence ,
8c qu'il ne mourra point avant que de
s'être remis en grâce auprès de Dieu. Je
prétends , que c'eft là de toutes les con-
tradictions la plus infenfée 8c la plus
394 Pensées diverses
monftrueufe. Pour mieux comprendre
l'extrême folie de l'affreux dérèglement,
de raifon où tombe ce pécheur , il n'y
a qu'à confidérer la nature de la péni-
tence. Car qu'eft-ce que la pénitence ?
c'eft un repentir , mais un vrai repentir 7
c'eft une douleur , mais une vraie dou-
leur des offenfes commifes contre Dieu.
Il faut que cette douleur mette le péni-
tent dans une telle difpofition , qu'au
prix de toutes chofes il voudroit n'avoir
jamais déplu à Dieu , ni jamais offenfç
Dieu.
Or cela pofé , voyons • donc à quoi
fe réduit le raifonnement d'un pécheur
qui fe dit à lui-même : je n'ai qu'à vi-
vre de la manière que j'ai vécu jnf-
qu'à préfent; je n'ai qu'à demeurer
dans mes habitudes : j'en ferai quelque
jour pénitence. C'eft comme s'il difoit :
je n'ai qu'à vivre de la manière que j'ai
vécu jufqu'à préfent , Se pourquoi ?
parce que je compte de me repentir
quelque jour , & de me repentir vérita-
blement d'avoir ainii vécu. C'eft com-
me s'il difoit : je n'ai qu'à demeurer
dans mes habitudes , de pourquoi ? par- .
ce que je compte d'être quelque jour
touché d'une véritable douleur de my
sur la Pénitence. 395
être engagé , ou de ne les avoir pas
quittées de bonne heure. C'eft comme
s'il difoit : rien ne me prefTe de retour-
ner à Dieu , Se pourquoi ? parce que je
compte de reffentir quelque jour une
telle peine de m'être féparé de lui , &
de n'être pas retourné à lui dès-à-pré-
fent , que dans la force de mon regret ,
je ferois prêt de facrifier tout pour n'a-
voir jamais eu le malheur de le perdre
& n'avoir pas été un moment hors de fa
grâce. Eft-ce là raifonner ; ou n'eft-ce
pas fe jouer &de Dieu , & de foi-même ?
Sans la paiîion qui l'aveugle , & fans la
forte impreiîion que fait fur lui l'objet
préfent qui Pentraîne , le pécheur raifon-
neroit tout autrement, ck du même prin-
cipe il tireroit des conféquences toutes
contraires. Car la maxime générale ôc
univerfellement fuivie de tout homme
fage , c'eft de ne rien faire dont on
prévoie devoir un jour fe repentir. De
îbrte qu'un des motifs les plus puiffans
que nous apportons à un ami , pour le
détourner d'une chofe qu'il entreprend 5
& fur quoi il nous confulte , eft de lui
dire : vous en ferez fâché dans la fuite 3
vous en aurez du chagrin, vous vous
en repentirez. S'il voit en effet qu'il j
2, *I»
$96 Pensées Diverses
ait là-deiîus un jufte fujet de craindre
Se s'il fe laiiîe perfuader , que ce qu'on
prédit , arrivera , bien loin de pourfui-
vre l'entreprife , il n'héfite pas à l'aban-
donner. Ainii l'Apôtre écrivant aux Ro-
mains , leur difoit en ce même fens ,
Rom, e. Quel avantage y mes Frères j ave^-vous
trouvé dans des chofes ., dont vous rougif-
fe\ maintenant ; Se fi vous avez connu
que vous en deviez rougir , falloit~il
vous y porter , Se vous y obftiher ?
$Un faux pénitent cherche à fe me
nager lui-même dans fa pénitence ; mai
en fe ménageant pour l'heure préfente |
c'eft juftement par-là qu'il s'expofe à de
cruelles peines dans la fuite , Ôc à de fâ
cheux retours. Car pour peu qu'il foit
inftruit des devoirs dé la pénitence ,
qu'il ait delà religion, il eft difficile qui
ne lui vienne pas dans la fuite bie
des remords Se des reproches inté
rieurs, dont fa confeience eft étrange
ment Se continuellement troublée.
Cependant , me direz-vous , com
bien dans le monde , voyons-nous d<
gens tranquilles fur leurs pénitences
pafTées , quelque lâches Se quelque im
parfaites qu elles ayent été ? J'avou
qu'on ne voit que trop de ces demi
lS
SUR LA PÉNITENCE. 397
pénitens , fans trouble & fans fcrupu-
îe : mais ce que je regarde comme le
fouverain malheur pour eux , c'eft cette
paix même où ils vivent. La paix dans
le péché eft un grand mal; mais un
mal encore infiniment plus à craindre ,
c'eft la paix dans la faufte pénitence.
Car du moins la paix dans le péché ne
nous ôte pas la connoiffance du péché.
Un pécheur , tout endurci qu'il eft , ne
peut ignorer après tout qu'il a perdu la
grâce de Dieu , qu'il eft hors des voies
de Dieu , ôc dans la haine de Dieu ;
qu'à chaque moment qu'il pafte dans
cet état , il peut mourir ôc être réprou-
vé de Dieu. Or cette feule connoiftan-
ce eft toujours une reftource pour lui ,
quoiqu'éloignée , & peut fervir à le ré-
veiller de fon afïbupiffement : au lieu
que la paix dans la faufte pénitence >
par la plus dangereufe de toutes les illu-
îions , nous cache le péché ; nous per-
fuade que le péché eft détruit , lorf-
qu'il vit en nous plus que jamais , lorf-
qu'il y agit Se qu'il y domine avec plus
d'empire , lorfqu'il nous entraîne , lans
que nous l'appercevions , dans l'affreux
abîme d'une éternelle damnation. Car
quelle efpérance y a-t-il alors de rame-
39^ Pensées diverses
ner une ame égarée ? Si c'eft la vue de
fes offenfes Se le fouvenir des défordres
de fa vie qui fe retracent • quelquefois
dans l'efprit de ce prétendu pénitent,
il fe dira à lui-même : j'ai péché , j'en
conviens Se je m'en confonds devant
Dieu : mais enfin la pénitence efface
tout ; j'ai demandé pardon à Dieu , je
me fuis confeiTé 5 on m'a ordonné des
prières , des aumônes , Se je m'en fuis
acquitté : que faut -il davantage ? Si
l'on vient à lui repréfenter les jugemens
de Dieu Se leur extrême rigueur , il ré-
pondra qu'il a pris fes mefures , qu'il a
eu recours aux Prêtres Se qu'il en a reçu
i'abfolution , que Dieu ne juge pas
deux fois , 3c par conféquent qu'il ne
nous jugera point , après que nous
nous ferons jugés nous-mêmes. De cette
forte , fa pénitence apparente n'a d'au-
tre effet que de le confirmer dans une
impénitence réelle Se véritable. Or pou-
vons-nous rien concevoir de plus fu-
nefte en cette vie Se de plus terrible ,
que de trouver la mort où l'on devoit
trouver le falut > & de fe damner par
la pénitence même.
§ Du plus grand mal nous pouvons
tirer le plus grand bien j Se ce qui nous
SUR LA PÉNITENCE. $£9
damne , peut fervir à nous fauver. Cet-
te habitude vicieufe , voilà ce qui fait
le dérèglement de votre vie , & ce qui
vous mené plus directement à la perdi-
tion j cette même habitude facririée à
Dieu , voilà ce qui peut faire votre pré-
deftination , & vous élever au plus haut
point de la gloire. Mais c'eft une habi-
tude honteufe. Il n'importe : toute hon-
teufe qu elle eft , le facrifice en eft di-
gne de Dieu 8c digne de vous.
| Rien ne nous donne une idée plus
jufte de la conduite que doit tenir un
pécheur, & des précautions qu'il doit
prendre après fa converfion pour fe pré-
server des rechûtes , que le régime de
vie qu'obferve un malade dans l'état de
la convalefcence. Car qu'eft-ce , à pro-
prement parler, qu'un pécheur péni-
tent? C'eft un malade qui fort d'une
maladie très-dangereufe , & qui revient
des portes de la mort, ou pour mieux
dire , des portes de l'enfer. Quoique
fauve du coup mortel dont il avoit été
atteint , il eft encore dans une extrême
foibleffe, ôc il fe refifentira long-tems
des mauvaifes impreffions de fes habi-
tudes criminelles. Elles ont altéré tou-
tes les puifTances de fon ame , de il ne
400 x Pensé es diverses
peut faire un pas fans être en danger de
tomber. Or que fait un malade qui
penfe à fe rétablir , ôc qui veut repren-
dre fes forces ? Nous voyons avec quel-
le exactitude il obéit à toutes les ordon-
nances du Médecin qui le gouverne-
avec quelle attention il prend garde
aux tems 3 aux heures , aux manières ,
à tout ce qui lui eft marqué ; avec
quelle confiance ôc quelle réfolution il
furmonte fes inclinations ou ks répu-
gnances naturelles , il règle fes appé-
tits , il mortifie fon goût , il s'abftient
de ce qui lui plairoit le plus , il fe prive
de tout ce qui lui peut être nuifible.
C'étoit un homme de bonne chère , ôc
il devient fobre ôc tempérant ; c'étoit
un homme du monde , répandu dans
le monde , Ôc il devient retiré ôc foli-
taire. C'étoit un homme de plaifir , ôc
il renonce à tous fes excès ôc à toutes
fes débauches. Qu'on vienne lui parler
là-deûus , le railler , le traiter d'efprit
foible , le tenter tout de nouveau : il
n'y a ni difcours , ni refpeét humain
qui le touchent. Il y va de la vie , dit-il ,
éc par cette feule réponfe , il croit avoir
pleinement j unifié fes foins & toute la
circonfpeétion dont il ufe. Appliquons
cela
sur la Pénitence. 401
cela à un pécheur converti : car il n'y
a pas un trait qui ne lui convienne.
Voilà fon modèle, & la comparaifon
doit être entière; mais la pratique eft
bien différente , & c'eft notre confia-
fion. Le convalefcent facrirle tout à
l'intérêt de fa fanté , &c combien de
prétendus pénitens ne veulent rien facri-
fier à l'intérêt de leur falut ?
f A confulter l'Evangile , & à s'en
tenir précifément au texte & à la lettre ,
on diroit que Dieu réferve (qs plus
grandes faveurs aux pécheurs pénitens y
8c qu'il leur donne l'avantage fur les
Juftes , qui néanmoins fidèles à toutes
fes ordonnances ont toujours vécu dans
la règle & dans le devoir. Parmi les An- Lut, ti
ges de Dieu j félon l'exprès témoignage I**7*
du Sauveur des hommes , on fe réjouit
plus de la pénitence d'un pécheur ., que de
la perfévérance de . quatre vingt-dix-neuf
Jufles. En quelque fens que les inter- ,
prêtes expliquent ces paroles , elles nous
repréfentent une vérité très - certaine ,
fçavoir , que Dieu dans tous les tems a
favorifé les pécheurs même les plus
fcandaleux des grâces les plus finguliè-
res , quand ils fe font retirés de leurs
voies criminelles , de qu'ils ont embrâfle
fon fervice.
Tome L hî
402. Pensées diverses
Conduite de Dieu, que nous devons
adorer. Conduite fondée fur plus d'une
raifon 5 3c en voici quelques-unes : i °,
Parce que Dieu fe plaît à faire éclater
les richefTes de fa grâce : or il ne les
fait jamais paraître avec plus d'éclat y
que dans ces fortes de pécheurs qui
s'en font rendus plus indignes : 2°, Parce
que les grâces de Dieu , fur-tout cer-
taines grâces particulières 5 font beau-
coup plus à couvert des atteintes de
l'orgueil dans les mains de ces pécheurs
que dans les mains des Juiles. Que
veux - je dire ? Un Jufte enrichi des
dons céleftes , Se fur-tout de certains
dons , peut plus aifément les attribuer
en quelque manière à fes mérites , Se
comme l'Ange fuperbe , fe lailfer
éblouir de fa iplendeur 8c de fa gloire i
mais à quelque rang Se à quelque
degré qu'un pécheur foit élevé , il a ,
dans la vue de fes égaremens paiTés |
• un contre-poids qui le rabaifle 3 Se qui
lui fert de préfervatif contre toutes les
attaques d'une vaine eftime de lui-mê-
me. 3 °, Parce que Dieu veut s'attacher
ces pécheurs , Se leur adoucir , par les
grâces qu'il leur communique , la pe-
fahteur de fou joug 5 auquel ils ne fonr
SUR LA PÉKIT£N"CE.» 405
point accoutumés , &: fous lequel il fe-
roit à craindre que leur foiblefle ne vînt
à fuccomber. 4°, Parce que Dieu pré-
tend enfin récompenfer ces pécheurs du
courage qu'ils ont eu de rompre les liens
où ils étoient engagés, & des efforts
qu'il leur en a coûté : car Dieu fçait
bien payer les facrifices qu'on lui fait.
Tout ceci au refte ne va point à dépri-
mer les Juftes , ni à leur rien ôter de la
louange qui leur eft due ; à Dieu ne
plaife : mais il eft bon d'exciter par-là
les pécheurs & d'animer leur confian-
ce. Le péché commence par le plaiiîr 5 ■
mais la peine le fuit de près } la péni-
tence au contraire commence par les
larmes , mais elle eft bientôt fuivie des
délices de l'ame les plus vives de les
plus fenfibles.
f II faut qu'un pécheur converti loue
Dieu , & qu'il ait du zèle pour la gloire
de Dieu , mais un zèle modefte & hum-
ble. C'eft-à-dire , qu'il ne faut pas , dès
le lendemain de fa converfion , qu'il
I s'érige en réformateur , qu'il devienne
le cenfeur de tout le genre humain , ni
que tout à coup il levé l'étendard de la
févérité avec empire Se avec orienta-
tion; mais qu'il édifie par fon humilité,
par fa chanté , par fa douceur 3 par fa
Ll iï
404 Pensées diverses
patience , par tous les exercices d'une
vraie &: fonde piété. Car comment ofe-
roit-il entreprendre de guérir le pro-
chain , tandis que (es plaies faignent
encore , ôc qu'elles ne font pas bien
fermées ? Il a affez à faire de pleurer £es
péchés , de détruire £qs mauvaifes habi-
tudes , de réparer > devant Dieu ôc
devant le monde 3 la vie fcandaleufe
qu'il a menée ; ôc il doit fe fouvenir que
le public n'attend pas ii-tôt de lui des
prédications , mais des exemples.
f Après vous être 11 fouvent ôc fi long-
tems écarté de votre devoir j après
avoir fait parler de vous ôc de votre con-
duite dans tout un quartier y toute une
ville , tout un pays : ( car vous ne le
fçavez que trop , ôc il n'y a point à vous
le dillimuler ), vous vous êtes enfin recon-
nu ; ôc déformais par une pénitence exem-
plaire , par une vie pieufe ôc remplie de
bonnes œuvres , vous expiez le paflé ,
autant quevvous croyez le pouvoir 5 Ôc
tâchez de fatisfaire à la juftice de Dieu.
Voilà de quoi l'on ne peut affez bénir le
Ciel , ni affez vous féliciter vous-même.
Mais j'apprends d'ailleurs qu'en deve-
nant plus régulier par rapport à vous ,'
vous devenez en même tems d'une ri-
gueur outrée à l'égard du prochain;
SUR LA PÉNITENCE. 405
qu'au foupçon le plus léger qui vous
palTe dans l'efprit , vous éclatez fans
ménagement, 8c vous traitez fans pitié
les perfonnes qui dépendent de vous j
qu'une ombre dans eux vous fait peur ,
de que vous prenez tout en mauvaife
part. Quoi donc , vous ne pouvez une
fois pardonner aux autres la moindre
faute ? Hé ! tant de fois il a fallu vous
pardonner les plus grands fcandalese
DE LA VRAIE
ET DE LA
FAUSSE DÉVOTION,
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Règle fondamentale & ejjentielh
de la vraie dévotion.
Aire de fou devoir , fon mé-
rite par rapport à Dieu 3 fon
plaifir par rapport à foi-mê-
me , & fon honneur par rap-
port au monde , voilà en quoi confifte
la vraie vertu de l'homme y & la folide
dévotion du chrétien,
I. Son mérite par rapport à Dieu :
car ce que Dieu demande finguliére-
ment de nous & par-demis toute autre
chofe, c'eft Faccompliflement de nos
devoirs. Dès-là que ce font des devoirs ,
ils font ordonnés de Dieu3 ils font de
Solide Dévotion. 407
la volonté de Dieu , mais d'une volon-
té abfolue , dune volonté fpéciale. Par
conféquent , c'eft en les rempliffant &c
en les obfervant , que nous plaifons
fpécialement à Dieu } & plus notre fi-
délité en cela eft parfaite , plus nous
devenons parfaits devant Dieu, de agréa-
bles aux yeux de Dieu.
• Aulli eft -ce par -là que nous nous
conformons aux delïeins de fa fagefTe
dans le gouvernement du monde , &:
que nous fécondons les vues de fa pro-
vidence. Qu'eft-ce qui fait fubfifter la
fociété humaine , fi ce n'eft le bon ordre
qui y règne } Se. qu'eft - ce qui établit
ce bon ordre Se qui le conferve ., fi ce
n'eft lorfque chacun félon fon rang , fa
profelîion , s'acquitte exactement de
l'emploi où il eft deftiné, & des fonc-
tions qui lui font marquées ? Et com-
me il y a autant de différence entre ces-
fondions & ces emplois , qu'il y en a
entre les rangs Se les profellions , il s'en-
fuit que les devoirs ne font pas par-tout
les mêmes j ôc que n'étant pas les mê-
mes par-tout , il y a une égale diverfi-
té dans la dévotion. Tellement que la
dévotion d'un Roi n'eft pas la dévo-
tion d'un fujet ; ni la dévotion d'un fé-
culier , la dévotion d'un religieux j ni
4ôS S o l I t> l
la dévotion d'un laïque , la dévotîoiï
d'un Eccléfiaftique. Ainfi des autres.
Pour bien entendre ceci , il faut dif-
tinguer l'efprit de la dévotion 3c la pra-
tique de la dévotion j ou la dévotion
dans l'efprit 3c le fentiment , 3c la dé-
votion dans l'exercice 3c la pratique.
Dans le fentiment 3c dans l'efprit ,
par- tout ce doit être la même dé-
votion , parce que par - tout ce doit
être le même defir d'honorer Dieu ,
d'obéir à Dieu , de vivre félon le
gré 3c le bon plailîr de Dieu. Mais
dans la pratique 3c l'exercice, la dé-
votion eft auiîî différente , que les
obligations 3c les miniftères font dirfé-
rens. Ce qui eft donc dévotion dans
l'un , ne l'eft pas dans l'autre , car ce
qui eft du devoir 3c du miniftère de
l'un , n'eft pas du devoir 3c du miniftè-
re de l'autre.
Règle excellente! juger de fa dévo-
tion par fon devoir , mefurer fa dévo-
tion fur fon devoir 5 établir fa dévotion
dans fon devoir. Règle sûre , règle géné-
rale 3c de toutes les conditions : mais
règle dont il n'eft que trop ordinaire
de s'écarter. Où voit-on en effet ce que
j'appelle dévotion de devoir ? Cette
idée de devoir nous bielle , nous gène ,
nous
D É V O T I O H. Jr0£
nous rebute , nous paroît trop commu-
ne , & n'a rien qui nous flatte 8c qui
nous pique. C'eft néanmoins la vérita-
ble idée de la dévotion. Toute autre
-dévotion fans celle-là , n'-eft qu'une dé-
votion imaginaire j 8c celle-là feule ,
indépendamment de toutes les autres ,
peut nous faire acquérir les plus grands
mérites 8c parvenir à la plus haute fain-
teté. Car on ne doit point croire que
d'obferver religieufement fes devoirs,
8c de s'y tenir inviolablement attaché
dans fa condition , ce foit en foi peu
de chofe, 8c qu'on n'aif befoin pour
cela que d'une vertu médiocre. Parcou-
rons tous les états de la vie , 8c confl-
dérons-en bien toutes les obligations,
je prétends que nous n'en trouverons
aucun , <jui , félon les événemens &c les
conjectures , ne nous fournifTe mille
fujets de pratiquer ce qu'il y a de plus
excellent dans la perfection évangéli-
que.
Que faut-il , par exemple , ou que ne
faut-il pas à un Juge qui veut difpenfer
fidèlement la juftice 3 8c fatisfaire à tout
ce qu'il fçait être de fa charge ? Quelle
alïiduité au travail ; 8c dans ce long &:
pénible travail où le devoir . l'alHijettiti
que de victoires à remporter fur foi-mê-
Tome I% M m
'4*o Solide
me , que d'ennuis à effuyer Se de dé-
goûts à dévorer ï Quel dégagement
de cœur , quelle équité inflexible &
quelle droiture, quelle fermeté contre
les follicitations , contre les promeffes,
contre les menaces , contre le crédit
& la puiflànce , contre les intérêts de
fortune , d'amitié , de parenté , contre
toutes les confidérations de la chair &:
du fang ! Suppofons la dévotion la plus
fervente : porte-t-elle à de plus grands
facrifices , de demande-t-elle des efforts
plus héroïques?
Que faut-il à un homme d'affaires %
ou que ne lui faut-il pas , pour vaquei
dignement ôc en chrétien, foit au fervice
du Prince , dont il eft le Miniftre , foii
au fervice du public dont il a les inté-
rêts à ménager ? Quelle étendue de
foins , 8c quelle contention d'efprit ?
A combien de gens eft-il obligé de ré-
pondre, ôc en combien dé rencontres
a-t-il befoin d'une modération & d'une
patience inaltérable ? Toujours dans le
mouvement & toujours dans les occu-
pations , qui le fatiguent , ou qui
l'importunent : à peine eft-il maître de
quelques momens dans toute une jour-
,née , Se à peine peut-il jouir de quel-
que repos. Imaginons la dévotion la
Dévotion, 41 ip
plus auftère : dans fes exercices les plus
morcirîans exige-t-elle une abnégation
plus entière de foi-mème*, & un renon-
cement plus parfait a fes volontés <k à
fes inclinations naturelles , aux dou-
ceurs & à la tranquillité de la vie ? Que
faut-il a un père de à une mère ," ou que
ne leur faut-il pas , pour veiller fur une
famille & pour la régler ? Que 11 en coû-
te-t-il point à l'un Ôe à l'autre pour éle-
ver des enfans , pour corriger leurs dé-
fauts , pour fupporter leurs foibleffes ,
pour les éloigner du vice & les dreffer
à la vertu , pour fléchir leur indocilité ,
pour pardonner leurs ingratitudes &
leurs écarts , pour les remettre dans le
bon chemin Se les y maintenir , pour les
former félon le monde , & plus encore
pour les former félon Dieu ? Concevons
la dévotion la plus vigilante , & tout
enfemble la plus agnTante : a-t-elle plus
d'attention à donner , plus de réflexions
à faire , plus de précaution à prendre
fur divers fentimens que les contrariétés
Se les chagrins excitent dans le cœur?
Tel chargé du détail d'un ménage Se
de la conduite d'une maiion n'éprou-
ve que trop tous les jours combien ce
fardeau eft pefant , Se combien c'eft
«ne rude croix. Or tout cela ce font de
M m ij
4ii Solide
iimples devoirs 3 mais dira-t-on que l'ac^
compiifïement de ces devoirs devant
Dieu n'ait pas fon mérite ôc un mérite
très-relevé ? Je fçais que le Sauveur du
monde nous ordonne alors de nous re-
garder comme des ferviteurs inutiles ,
parce que nous ne faifons que ce cpe
nous devons : mais tout inutiles que
nous fommes à l'égard de Dieu qui n'a
que faire de nos fervices } il eft certain
d'ailleurs que notre fidélité eft d'un
très-grand prix auprès de Dieu-même ,
qui juge des chofes , non par le fruit
qu'il en retire , mais par l'obéiflance &
la fourmilion que nous lui témoignons.
II. Son plaifir par rapport à fbi-même.
Je n'ignore pas que l'Evangile nous en-
gage à une mortification continuelle j
mais je fçais aulîi qu'il y a un certain re-
pos d^ lame 3 un certain goût intérieur
que la vraie dévotion ne nous défend
pas , ou pour mieux dire , qu elle nous
donne elle-même , Se qu'elle nous fait
trouver dans la pratique de nos devoirs.
Car quoi qu'en penfe le libertin r il
y a toujours un avantage infini à faire
fon devoir. De quelque manière alors
que les chofes tournent , il eft toujours
Yrai qu'on a fait fon devoir y de avoir
Dévotion. 41 5
fait fon devoir , j'ofe avancer que dans
toutes les viciiTitudes où nous expo-
fent les différentes occafîons & les ac-
cidens de la vie , cela feul eft pour une
ame pieufe 8c droite la reffource la plus
aifurée 8c le plus ferme foutien. Si l'on
ne réufîit pas , c'eft au moins dans fa
difgrace une confolation , 8c une con-
foiation très-folide , de pouvoir fe dira
à foi-même , j'ai fait mon devoir. On
s'élève contre moi , 8c je me fuis at-
tiré tels 8c tels ennemis ; mais j'ai
fait mon devoir. On condamne ma
conduit, 8c quelques gens s'en tien-
nent offenfés j mais j'ai fait mon de-
voir. Je fuis devenu pour d'autres un
fujet de raillerie , ils triomphent du
mauvais tour qu'a pris cette affaire que
j'avois entamée , & ils s'en réjouiffent ;
mais en l'entreprenant j'ai fait mon de-
voir.
Cette penfée fuffit à l'homme de
bien, pour l'affermir contre tous les
difeours Se toutes les traverfes. Quoi
qu'il lui arrive de fâcheux, il en re-
vient toujours à cette grande vue qui
ne s'efface jamais de fon fouvenir 9
Se qui lui donne une force Se une conf-
iance inébranlable , j'ai fait mon de-
yoir. D'ailleurs > fi l'on réulîit, on goû-
Mm iij
414 Soli-d.e:
te dans fon {accès un plaifîr d'autant?
plus pur ôc plus fenflble , qu'on fe rend
témoignage de n'y être parvenu qu'en
faifant fon devoir , Ôc que par la bonne
voie j témoignage plus doux que le
iuecès même* Un homme rend gloire à
Dieu de toit le bien qu'il en reçoit,
il en bénit le Seigneur „ il reconnoît
avec actions de grâces que c'eft un don
du Ciel : mais quoiqu'il ne s'attribue
rien à lui-même comme étant de lui-
même , il fçait du refte qu'il ne lui eft
pas défendu de reffentir une fecrette
joie d'avoir toujours marché droit dans
la route 'qu'il a tenue j de ne s'être pas
écarté un moment des règles les plus
exactes de la probité ôc de la juftice ,
Se de n'être redevable de fon élévation
Se de fa fortune , ni à la fraude 3 ni à
l'intrigue : au lieu qu'il en eft tout au-
trement d'une ame baffe Ôc fervile , qui
trahit fon devoir pour fatisfaire fa paf-
iion. Si c$ç homme profpere dans fes
entreprifes , au milieu de fa profpérité ôc
jufques dans le plus agréable fentiment
de ce bonheur humain dont il jouit ,
il y a toujours un ver de la confeience
qui le ronge malgré lui 3 ôc un fecret
remords qui lui reproche fa mauvaife
foi & fes honteuies menées. Mais c'eij
Dévotion. 415
encore bien pis , fi fes defleins échouent
puifqu'il a tout à la fois le défefpoir , &
de fe voit privé du fruit de fes fourbe-
ries , d'en porter le ctime dans le
cœur , & d'en être relponfable à la
juftice du Ciel , quand même il peut
échapper à la juftice des hommes.
III. Son honneur par rapport au
monde. Car s'il eft de l'humilité chré-
tienne de fuir l'éclat , & de ne chercher
jamais l'eftime des hommes par un fen-
timent d'orgueil 8c par une vaine orien-
tation 5 le Chriftianifme après tout ne
condamne point un foin raifonnable de
notre réputation , fur ce qui regarde
l'intégrité 8c la droiture dans la condui-
te. Or ce qui nous fait cette bonne ré- 5
putation qu'il nous eft. permis jufqu'à
certain point de ménager , c'eft d'être
régulier dans l'obfervation de nos de-
voirs. Le monde eft bien corrompu j il
eft plein de gens fans foi 5 fans religion ,
fans raifon , 8c pour m'exprimer en des
termes plus exprès , je veux dire que
le monde eft rempli de fourbes , d'im-
pies , de fcélérats : mais du refte j'ofe
avancer, qu'il n'y a perfonne dans le
monde , ou prefque perfonne , fî dé-
pourvu de fens 3 ni ii perdu de vie 8c
Mm iv
4i$ Solide
de mœurs 5 qui n'eftime au fond de
Famé Se ne refpecte un homme qu'il
fçait être fidèle à fon devoir > inflexi-
ble à l'égard de fon devoir, dirigé en
tout Se déterminé par fon devoir. Ce
cara&ère 5 malgré qu'on en ait 3 impri-
me de la vénération , Se l'on ne peut
fe défendre de l'honorer.
Ce n'eft pas néanmoins qu'on ne s'é-
lève quelquefois contre cette régularité
Se cette exa&itude , quand elle nous
eft contraire Se qu'elle s'oppofe à nos
prétentions Se à nos vues. Il y a des
conjonctures où l'on voudroit que cet
homme ne fut point ii rigide obferva-
teur des règles qui lui font preferites ,
Se qu'en notre faveur il relâchât quel-
que chofe de ce devoir fi auftère dont
il refufe de fe départir. On fe plaint , -
on murmure > on s'emporte y on raille %
on traite de fuperftition ou d'obftina-
tion une telle févérité : mais on a beau
parler & déclamer ; tous les gens fages
font édifiés de cette réfolution ferme
Se courageufe. On en eft édifié foi-mê-
me après que le feu de la pafiion s'eft
xallenti , Se que l'on eft revenu du trou--»
ble Se de l'émotion où l'on étoit. Yoi^
là un honnête homme , dit-on ; voilà
tui puis homme de bien que moi* On
Dévotion. 417
Î>rend confiance en lui , on compte fur
a vertit , ôc c'eft là ce qui accrédite la
piété , patce que c'eft-là ce qui en fait
la vérité & la fainteté. Au contraire ,
iî c'étoit un homme capable de mollir
quelquefois fur l'article du devoir , &
qu'il fut fufceptible de certains égards
au préjudice d'une fidélité inviolable,
pour peu qu'on vînt à s'en appercevoir
ïon crédit tomberoit tout à coup , " &
Ton perdroit infiniment de l'eftime
qu'on avoit conçue de lui. En vain dans
fes paroles tiendroit-il les difeours les
plus édifians j en vain dans la prati-
que s'employeroit-il aux exercices de
la plus haute perfection : on n'écoute-
rpit rien de tous fes difeours ; & toutes
fes vertus deviendraient fufpe&es. Il
feroit des miracles , qu'on mépriferoit
également, & fes miracles , ôc fa per-
fonne : car on en reviendroît toujours
à ce devoir, dont il fê feroit écarté , 8c
on jugeroit par-là de tout le refte.
Ce qu'il y a encore de plus remarqua-
ble , c'eft qu'il ne faut fouvent qu'une
omiiïion ou qu'une tranfgrefïion afTez
légère en matière de devoir , pour dé-
créditer ainii un homme , quelque pro-
fefïion de vertu qu'il fafTe & quelque té-
moignage qu'il en donne. Le monde e&
41 8 Saints désirs d'une vie
là-derTus d'une délicatefTe extrême , &; le
monde même le plus libertin. Tant la
perfuafîon eft générale , 5c le fentiment
unanime , que la bafe fur quoi doit
porter une yraie dévotion, c'eft rattache-
ment à fon devoir. Je ne veux pas dire
que toute la piété confifte en cela : mais
je dis qu'il ne peut y avoir de vraie piété
fans cela : & que cela manquant 5 nous
ne pouvons plus faire aucun fonds fur
notre prétendue dévotion. PuhTent bien
comprendre cette maxime certaines
âmes dévotes , ou réputées telles. Elles
font fi curieufes de pratiques & de mé-
thodes extraordinaires , & je ne blâ-
me ni leurs méthodes , ni leurs prati-
ques : mais la grande pratique , la
première & la plus grande méthode 3
eft celle que je viens de leur tracer.
Saints defirs d*une ame qui afpire-^-
à une vie plus parfaite „ & qui
veut s'avancer dans les voies de
la piété.
QUand ferai-je à vous , Seigneur ;
comme j'y puis être , comme j'y
dois être , comme il m'importe Jouve-
BEVOTE ET PARFAITE. 4I9
ràinement d'y être j puifque c'eft de-là
que dépend mon vrai bonheur en ce
monde, & fur cela que font fondées
toutes mes efpérances dans l'éternité?
Il eft vrai , mon Dieu , que par votre
miféricorde , je tâche de me conser-
ver dans votre grâce. J'ai horreur de
certains vices qui perdent tant d'ames ,
& qui pourroient m'éloigner de vous.
Je refpecte votre Loi , 3c j'en obferve ,
à ce qu'il me femble , les points effen-
tiels , ou je la veux obferver. Que toute
la gloire vous en foit rendue ; car c'eft
à vous féal qu'elle appartient , 3c fi je
ne vis pas dans les mêmes déréglemens
8c les mêmes défordres qu'une infinité
d'autres , c'eft ce que je dois compter
parmi vos bienfaits , fans me l'attribuer,
à moi-même.
Mais , mon Dieu, d'en demeurer-là ,
de borner-là toute ma fidélité -y de m'ab-
(tenir preciiement de ces œuvres crimi-
nelles , dont la feule raifon ôc le feuî
fentiment de la nature me font con-
noitre la difformité ôc la honte j de n'a-
voir devant vous d'autre mérite , que
de ne me point élever contre vous ,
que de ne point commettre d'offenfe
capable de me féparer de vous , que
de ne vous point refufer^ un culte in-
41 0 SAIKTS DESIRS r/tJNE VIE
difpenfablement requis 5 ni une obéif-
fance abfolument néceiFaire , eft-ce là
tout ce que vous attendez de moi ?
Eft-ce là, dis-je, Souverain auteur de
mon être , tout ce que vous avez droit
d'attendre d'une ame uniquement créée
pour vous aimer , pour vous fervir 3c
vous glorifier ? Cet amour qui vous eft
dû par tant de titres , cet amour de tout
le cœur , de tout l'efprit , de toutes les
forces , ce fervice , cette gloire , fe ré-
duifent-ils à fi peu de chofe ?
Qu ai - je donc à faire , Seigneur ?
Hélas ! je le vois allez • vous me le
donnez afïez à entendre dans le fond
de mon cœur 7 je me le dis alfez à moi-
même , ôc je me reproche alfez là-defTus
à certains tems mon peu de réfolution
&: ma foiblefte. Car ce ne font pas les
connoiffances qui me manquent , ni
même les bons defîrs ; mais le courage
èc l'exécution. Quoi qu'il en foit , ce
qu'il y auroit à faire pour moi , ce fe-
roit de me détacher pleinement du
monde , & de m'attacher déformais à
vous uniquement & inviolablement y
ce feroit de me conformer , à ces âmes
ferventes , qu'une fainte ardeur porte à
toutes les pratiques de piété que vous
leur infpirez, de qui peuvent dans leur
DEV-OTE ET PARFAITE. 41 1
ctat leur convenir ; ce feroit , en re-
nonçant aux vains amufemens du mon-
de., de nVadonner , félon ma condi-
tion & la difpolîtion de mes affaires à
de bonnes œuvres , à la prière , à la
confidération de vos vérités éternelles y
à la vifite de vos autels, au fréquent
ufage de vos Sacremens , au foin de
vos pauvres , à tout ce qui s'appelle
vie dévote de parfaite j ce feroit de
vaincre fur cela ma lâcheté & mes ré-
pugnances , de prendre une fois fur cela
mon parti , de me déterminer enfin fur
cela à fuivre l'attrait de votre divin
* Efprit , qui depuis fi long-tems me fblli-
cite , mais à qui j'oppofe toujours de
nouvelles difficultés & de nouveaux re-
tardera ens.
Hé quoi , Seigneur , faut-il tant de
délibérations pour fe ranger au nom-
bre de vos ferviteurs les plus fidèles , &,
fi je lofe dire , au nombre de vos amis :
tout ne m'y engage-t-il pas ? N'êtes-
vous pas mon Dieu : c'eft-à-dire , n'ê-
tes-vous pas le principe , le foutien ,
la fin de mon être ? Ne m'êtes -vous
pas tout en toutes chofes ? Que d'idées
je me trace en ce peu de paroles ! plus
je veux les pénétrer , & plus j'y décou-
vre de fujets d'un dévouement entier 5c
fans réferve.
4*2. Saints désirs d'une vie
" Dieu Créateur Se Scrutateur des
cœurs , voilà ce que je reconnois in-
térieurement Se en votre préfence } mais
pourquoi ne m'en déclarerais - je pas
hautement Se en la préfence des hom-
mes ? Pourquoi n'en ferois-je pas de-
vant eux une profelïion ouverte ? Qa'ai-
je à craindre de leur part ? En voyant
mon affiduité Se ma ferveur dans votre
fervice , après avoir été témoins de mes
dilîipations Se de mes mondanités , ils
feront furpris de mon changement. On
parlera de ma dévotion , on en rira ,
on la cenfurera j mais cette cenfure ,
ou tombera fur des défauts réels , Se je
les corrigerai ; ou tombera fur des dé-
fauts imaginaires , Se je la mépriferai.
Du refte j'avancerai dans vos voies ,
je m'y affermirai ; & quoi qu'en penfeht
Iqs hommes , j'eicimerai comme le plus
grand de tous lés biens d'y perfévérer ,
d'y vivre , de d'y mourir.
Oui, Seigneur, c'eft .mon bien, Se
mon plus stand bien. Mon bien par
rapport a 1 avenir , Se mon bien même s
pour cette vie préfente Se mortelle,
Que ne l'ai -je mieux connu jufqu'à
préfent , ce bien ii précieux , ce vrai
bien ! Que n'ai-je fçu plutôt l'apperce- *
voit à ttavets les- charmes trompeurs,
DEVOTE ET PARFAITE. 42$
ôc les frivoles enchantemens qui me
fafcinoient les yeux ! Tant que ce fera
cet efprit de religion ôc de piété qui me
conduira , quels avantages n'en dois-
je pas attendre ? il amortira le feu de
mes pallions , il arrêtera mes vivacités
Se mes précipitations ? il purifiera mes
vues de mes intentions , il réglera mes
humeurs , il redrefTera mes caprices , il
fixera mes inconftanceî» : car une vraie
dévotion s'étend à tout cela 3 8c de cette
forte elle me préfervera même de mille
mauvaife démarches 3 Se de mille écueiis
dans le commerce du monde. Et en effet ,
dans toutes mes réfolutions , & toutes
mes a&ions , cet efprit religieux & pieux
me fervira de guide , de confeil : il me
fera toujours réfourdre , toujours agir
çlvqc maturité , avec modération Se re-
tenue ., avec droitute de cœur , avec ré-
flexion 3c avec fageffe. Mais fur-tout dans
mes amiclions , dans toutes mes traver-
fes ôc tous les chagrins inféparables de
la mifère humaine , c'eft ce même efprit
qui fera ma reiîource , mon appui 9 ma
confolation. ïl me fortifiera , il réveil-
lera ma confiance , il me tiendra dans
une humble foumiffion à vos ordres ; Ôc
ces fentimens calmeront toutes mes in-
quiétudes ? de adouciront toutes mes
peines^
424 Saints désirs d'uks vik
Oeft ainfi , mon Dieu , que fe véri-
fie l'oracle de votre Apôtre : c'eft ainfi
que la piété eft utile à tout. Mais que
fais-je ? En me dévouant à vous, Sei-
gneur , ce n'eft point moi que je dois
envifager j je ne dois avoir en vue
que vous-même. Il me îuffit de vous
obéir ôc de vous plaire j il me fuflit de
glorifier , autant que je le puis , votre
laint nom , de rendre hommage à vo-
tre fuprême pouvoir , d'ufer de retour
envers vous , ôc de reconnoître vos
bontés infinies j de vous témoigner ma
dépendance , mon zèle , mon amour.
Voilà les motifs qui doivent me tou-
cher , ôc que je dois me propofer. De
tout le refte , je m'en remets aux foins
paternels de votre providence : car elle
ne me manquera pas ; ôc m'a - 1 - elle
manqué jufqu'à ce jour , m'a - t - elle
manqué dans le cours même d'une vie
tiède , négligente , d'une vie fans fruit
ôc fans mérite , où vous n'avez point
ceiTé de m'appeller ôc de me repréfenter
mes devoirs ? Or il eft tems de vous
répondre , ôc ce feroit une obftination
bien indigne , de réfifter encore à de
ii favorables pourfuites. Je me rends,
Seigneur , je viens à vous , je me con-
fie en votre fecours tout-puàTant, ôc
comme
DÉVOTE £T PARFAITE. 425
comme ceft par vous que je commence,
ou que je veux commencer l'ouvrage
de ma fanctification , c'eft par vous que
je le confommerau
Ah ! Seigneur 5 il ce n'étoit par vous ,
par quel autre le pourrois-je ? Seroit-ce
par moi-même, lorfque dans moi je ne
Trouve que des obftacles ? Toute la na-
ture en eft allarmée , 8c y forme des
oppofitions au-delîus de mes forces , à
moins qu'il ne vous plaife de me fe-
courir. Une vie plus réglée , plus reti-
rée , plus appliquée aux exercices in-
térieurs Se toute contraire à mes an-
ciennes habitudes , trouble mes paf-
fions 3 étonne mon amour propre ,
ébranle mon courage , & me remplit
d'idées triftes & déplaifantes. Grand
Dieu , levez-vous j prenez ma défenfe.
Prenez-la contre moi-même , quoique
pour moi -même.C'eft contre moi-même
que vous la prendrez , en me défendant
de ces ennemis domeftiques qui font
nés avec moi 6c dans moi , & qui cons-
pirent à me détourner de la fainte réfo-
lution que j'ai formée ; mais ce fera
en même tems pour moi-même, puif-
que ce fera, pour le progrès de mon ame
ôc pour mon fahuv
Tome L Nn
416 Injustice du Monde
Jnjujiice du monde _, dans le mépris
qu il fait des pratiques de
dévotion.
A
Quoi bon tant de pratiques de dé-
votion Ôc tant de menues obfer-
vances ? La piété ne confifté point en
tout cela } mais dans le cœur. Ainfî
parlent un homme , une femme du
monde > qu'on voudrait engager à une
vie plus religieufe , Ôc à certains exer-
cices qu'on içait leur être très-conve-
nables ôc très - falutaires. Le, principe
qu'ils avancent eft inconteftable , fça-
voir , que la piété coniifte dans le cœur :
mais fur ce principe dont nous conve-
nons également de part ôc d'autre 3 nous
raifonnons du refte bien différemment.
Car , difent-ils, pourquoi ne s'en pas
tenir là ôc qu'eft-il nécefîaire de s'amV
jettir à tous ces exercices & à toutes
ces régies qu'on veut nous prefcrire ?
voilà ce qu'ils concluent. Et moi par
un raifonnement tout oppofé , voici ce
que je leur réponds, ôc ce que je leur
dis : Il eft vrai ,Veft dans zle cœur que
la piété confiée : mais dès qu'elle eft
a l'égard m la Dévotion. 427
vraiemenr dans le cœur , elle porte
par une fuite naturelle à tout ce que je
vous prefcris ; Se dès qu'elle ne porte
pas à tout ce que je vous prefcris , c'en:
une marque évidente qu'elle n'eft pas
vraiement dans le cœur.
En effet , du moment qu'elle eft
dans le cœur , elle veut s'y conferver ; .
or c'eft par toutes ces pratiques qu'elle
s'y maintient. Du moment qu'elle eft
dans le cœur , elle y veut croître Se
augmenter ; or c'eft par tous ces exer-
cices qu'elle y fait fans cefte de nou-
veaux progrès. Du moment qu'elle eft
dans le cœur 5 elle veut fe produire^au
dehors Se palfer aux œuvres ; Se ceflf
félon toutes ces régies qu'elle doit agir.
Du moment qu'elle eft dans le cœur,
elle veut glorifier Dieu , édifier le pro-
chain , faire honneur à la religion • Se
c'eft dans toutes cesyobfervations qu'elle
trouve la gloire de Dieu , l'honneur de
la religion , l'édification du prochain.
Enfin , du moment qu'elle eft dans le
cœur , elle veut acquérir "dés mérites Se
s'enrichir pour l'éternité ; Se tout ce
qu'une fainte ferveur nous infpire ,
ce font autant de fonds qui doivent
profiter au centuple , Se autant de ga-
ges d'une éternelle béatitude. Auifi
Nnij
%it IVr xr s 1 1 c e du Monde
i'Eglife éclairée 3c conduite par I'efprit
de Dieu , outre ce culte intérieur qu'elle
nous recommande, 3c qu'elle fuppofe
comme le principe 3c la bafe de toute
vraie piété, a-t-elle cru devoir encore
établir un culte extérieur , où la dévo-
tion des fidèles put s'exercer 3c fe nour-
rir. Voila pourquoi elle a inftitué {qs
fêtes , fes cérémonies , les aifemblées ,
fes offices , fes prières publiques , fes ab-
ftinences , fes jeûnes : pratiques dont elle
a tellement compris l'utilité 8c même la
néceffité , que de plulieurs elle nous a
fait des commandemens exprès y en
nous exhortant à ne pas négliger les
autres , quoiqu'elle ait bien voulu ne
lès pas ordonner avec la même rigueur.
Rien donc n'eft plus conforme à I'efprit
de I'Eglife , ni par conféquent au divin
efprit qui la guide en tout , qu'une dévo-
tion agiiTante 3c appliquée fans relâche
a de pieufes obfervances , ou qu'une
longue tradition autorife , ou que le
zèle fuggère félon les tems 3c les con-
jonctures.
Le monde eft merveilleux dans fes
idées , & prend bien plaifir à fe trom-
per : je dis même le monde le moins
profane 3c en apparence le plus
chrétien. On veut une dévotion folide ,
A l'égard de la Dévotion. 429
& en cela l'on a raifon : mais cette dé-
votion folide , on voudroit la renfermer
toute dans le cœur , pourquoi ? parce
qu'on voudroit être dévot , fk ne fe
contraindre en rien , ni fe faire aucune
violence } parce qu'on voudroit être
dévot , & confommer inutilement les
journées dans une molle oifiveté &
dans une indolence pareifeufe ; parce
qu'on voudroit être dévot , 3c vivre en
toutes chofes félon fon gré , & dans
une entière liberté. Car ces exercices
propres d'une vie fpirituelle &; dévote
ont leurs difficultés & leur fujettion. Il
y en a qui mortifient la chair & qui fou-
mettent les fens à des œuvres de péni-
tence , dont ils ont un éloignemerit na-
turel. Il y en a qui attachent l'efprit 5
qui l'appliquent à d'utiles réflexions , ôc
l'empêchent de fe diftraire en de vaines
penfées où il aime à fe diffiper. D'au-
tres captivent la volonté , repriment
{qs defirs trop vifs «Se trop précipités ; &
toute indocile qu'elle eft , la tiennent
fous le joug & dans la dépendance.
D'autres règlent les actions de chaque
jour , les fixent à des tems précis , 3c
leur donnent un arrangement auffi in-
variable qu'il le peut être dans la litua-
tion préfente. Chacun porte avec foi fa
43© Injustice- du Monde
gêne , fa peine , fon dégoût. Or voila
ce qui rebute , Se à quoi l'on répugne.
Mais dans le fond qu'eft-ce que toutes
ces méthodes , que toutes ces pratiques ?
Ne font-ce par des minuties? Des minu-
ties ! mais ces prétendues minuties plai-
fent à Dieu 3 & entretiennent dans une
fainte union avec Dieu. Des minuties î
mais ces prétendues minuties, les plus
habiles maîtres & les plus grands faints
î es ont regardées comme les remparts 8c
les appuis de la piété. Des minuties !
mais ce font ces prétendues minuties,qui
font: le bon ordre d'une vie & la bonne
conduite d'une ame. Des minuties ! mais
c'eft dans ces prétendues minuties que
toutes les vertus , par des actes réité-
rés ôc réglés , s'accroifTent §c fe perfec-
tionnent. Des minuties ! mais c'eft à
ces prétendues minuties que Dieu a pro-
mis fon royaume , puifqu'il l'a promis
pour un verre d'eau donné en fon nom.
En vérité les mondains ont bonne
grâce de rejetter avec tant de mépris
ce qu'ils appellent en matière de dévo-
tion minuties &: petitefTes , lorfqu'on
les voit eux - mêmes dans l'ufage du
monde defeendre à tant d'autres petits
foins Se d'autres minuties , pour fe ren-
dre agréables à un Prince , à un Grand 3
A l'égard de la Dévotion. 43 1
à toutes les perfonnes qu'ils veulent
gagner. Ils ont bonne grâce de traiter
de bagatelle ce qui concerne le fervice
de Dieu , lorfque les moindres chofes
leur paroifTent importantes à. l'égard
d'un Souverain , d'un Roi de la terre a
dont ils recherchent la faveur , 8c à qui
ils font fi ailiduement leur cour. Qu'ils
en jugent comme il leur plaira: dès qu'il
fera cpeftion du Dieu que j'adore 8c
des hommages que je luis dois y je ne.
tiendrai rien au-deffous de moi y mais
tout me deviendra refpectable 8c vé-
nérable. Us riront de ma foibleife , 8c
J'aurai pitié de leur aveuglement.
Simplicité Evangélique^ préférable
dans la dévotion à toutes le con-
noijjances humaines.
J'Entends une bonne ame qui me
parle de Dieu , 8c qui m'expofe les
fentimens que Dieu lui donne à la
communion , à. l'oraifon , dans fon
travail 8c fes occupations ordinaires.
Je fuis furpris , en l'écoutant , de la
manière dont elle s'explique. Quel feu
anime fes paroles ! qu'elle onction les
452. Simplicité Evangeliqué
accompagne ! Elle s'énonce avec unO-
facilité que rien n'arrête j elle s'exprime
en des termes , qui fans être étudiés
ni arTe&és , me font concevoir les plus
hautes idées de l'Etre divin , des gran-
deurs de Dieu , des myftères de Dieu,
de fes miféricordes &c de fes jugemens,
des voies de fa providence , de fa con-
duite à Fégard des élus , de fes com-
munications intérieures. J'admire tout
-cela.j 8c je l'admire d'autant plus , que
la perfonne qui me tient ce langage il
relevé & fi fublime ? n'eft quelquefois
qu'une fimple fille , qu'une domeftique ,
qu'une villageoife. A quelle école s'eft-
elle fait inftruire ? quels maîtres a-t-elle
confultés ? quels livres a-t-elle lus ? "Et
ne pourrois-je pas avec toute la pro-
portion convenable lui appliquer ce
'Mâtth, qu'on difoit de Jefus - Chrift : Ou cet
*• l ? ' homme a-t-il appris tout ce qu'il nous dit ?
nefl-ce pas le fils d'un art if an ?
Ah ! mon Dieu , il n'y a point eu pour
cette ame d'autre maître que vous-
.même , 3c que votre efprit. Il n'y a
point eu pour elle d'autre école que la
prière , où elle vous a ouvert fon cœur
avec iimplicité , & avec humilité. Il ne
lui a point fallu d'autres livres ni d'au-
tres leçons, qu'une vue amoureufe du
crucifix 9
DANS LA DÉVOTION. 455
crucifix , qu'une continuelle attention
à votre préfence , qu'une dévote fréquen-
tation de vos facrés rnyftères , qu'une
pratique ridelle de fes devoirs , qu'une
pleine conformité à toutes vos volontés ,
Ôc qu'un deiir lincère de les accomplir.
Voilà par où elle s'eft formée , ou plutôt ,
voilà , mon Dieu , par où elle a mérité ,
autant qu'il eft poiîible à la foiblelTe hu-
maine , que votre grâce la formât , l'é-
clairât , rélevât.
Auiîi eft-ce à ces âmes iîmples com-
me la colombe , & humbles comme
les enfans , à ces âmes pures , droites
ôc ingénues , que Dieu communique
avec plus d'abondance fes lumières. C'eft
avec elles qu'il aime à converfer. Il leur
parle au cœur , & cette feience du cœur ,
cette feience de fentiment , cette feience
d'épreuve & d'expérience qu'il leur fair
acquérir , eft infiniment au-defiTus de
tout ce que peuvent nous découvrir tou-
tes nos fpéculations ôc toute notre
théologie.
Que je m'adrelTe à quelqu'un de nos
fçavans , & que je le faife raifonner fur
ce que nous appelions vie fpirituelle ,
vie de, l'ame , vie cachée en Jefus-
Chrift & en Dieu. Que me dira-t-il ?
peut - être avec toute , fon habileté le
Tome I. O o
434 Simplicité Ev Angélique
verrai-j e tarir au bout de quelques pa-
roles j ôc fera-t-il obligé de confelTer ,
que là-defïus il n'en fçait pas davan-
tage : ou s'il veut s'étendre fur cette
matière } il m'étalera de beaux principes
&: de belles maximes , mais dont je m'ap-
perceverai bien-tot qu'il n'a qu'une con-
nohTance vague & fuperrlcielle. Dans fes
raifonnemens je pourrai remarquer beau-
coup de doctrine , beaucoup d'efprit , &:
cependant j'en ferai peu touché, parce
que le cœur n'y aura point de part. Deux
ou trois mots qui partiroient du cœur ,
m'en feroient plus comprendre & plus
fentir que tous fes difcours. Je conclurai
r 9, donc avec le faint Roi David : Heu-
u. reux ceux à qui vous enfeigne^ vous-même
vos voies j S mon Dieu. Tout dépourvus
qu'ils peuvent être d'ailleurs des talens &
des dons de la nature , vous rendre1^ leurs
Sa?, t. langues difertes & éloquentes. A quoi j'a-
10» jouterai comme faint Auguftin : Hélas !
les ignorans s3 avancent > fe fanclifient j
emportent le Ciel j & nous avec toute no-
tre étude & tout notre fc avoir jy nous refions
aux derniers rangs du royaume de Dieu y
&fouvent même nous nous mettons en dan-
ger de tomber dans V abîme éternel.
Mais n'y a-t-il pas eu des faints & de
très-grands faints parmi les fçavans ? Je
DANS LA DÉVOTION. 435
fçais qu'il y en a eu , & c'eft faint Paul
lui - même qui nous apprend que Dieu
a établi dans fon Eglife , non-feulement
des Apôtres & des Prophètes , mais
des Do&eurs , qui l'ont éclairée , &c
qui en l'éclairant font parvenus à la plus
haute fainteté. Donnons à leur vafte &
profonde érudition toute la louange qui
lui eft due \ mais du refte gardons-nous
de croire que ce fut-là ce qui les entre-
tenoit dans une union il intime avec
Dieu. Quand il s'agiiïbit de traiter avec
ce fouverain maître 8c d'aller à lui , ils
dépofoient , pour ainfi dire , toute leur
fcience ± & bien loin de l'appeller à
leur fecours , ils en éloignoient toute
idée , & craignoient que par un fouve-
nir même involontaire elle ne troublât
les divines opérations de la grâce. Tout
ce qu'ils fçavoient alors , c'étoit d'adorer
avec tremblement , de s'abaifTer fous la
main-toute puiflante du Seigneur , de
s'anéantir en préfence de cette redou-
table Majefté, de contempler, d'admi-
rer , de s'affectionner , d'aimer. Ils n'a-
voient befoin pour cela , ni d'un génie
fublime , ni d'un travail aflîdu , ni de
curieufes recherches , ni de penfées ingé-
nieufes & fubtiles j mais il ne leur falloit
qu'une fimple confidération , qu'une foi
Ooij
Jtrzrrt.
p.i. 6.
436 Simplicité -Evangélique
vive , qu'un cœur droit. Ainfî tout fca-
vans qu'ils étoient , ils confervoient
'devant Dieu Se dans les chofes de Dieu
toute la {implicite evangélique. Quoique
fçavans, ils n'étoient point de ces prudens
Se de ces fages 3 à qui le Père céleite , fui-
vanc la parole du Fils de Dieu , a caché
fes adorables myftères ; mais ils étoient
du nombre de ces petits , à qui Jefits-
Chrift donnoit un accès fi facile auprès
de fa perfonne , Se qu'il a fpécialement
déclarés héritiers du royaume de Dieu.
Voilà comment ils approchoient de
Dieu , remplis du même fentiment que
le Prophète Jérémie , lorfqu'il s'écrioit :
Dequoifuis-je capable j Seigneur _, & que
puis-je ! Je ne fuis qu'un enfant _, & à peine
feais-je prononcer unefyllabie? Mais il me
fembie que Dieu leur répondoit inté-
rieurement à chacun , comme à fon Pro-
phète : Non _, ne dites point que vous ne
feave^ rien y & que vous n'êtes qu'un en-
fant : parce que vous ne vous regardez
point autrement devant moi , c'eft pour
cela que je vous comblerai de mes
dons céleftes \ que je vous attacherai
à moi , Se que je m'attacherai à vous ;
que je vous admettrai à mes entretiens
les plus familiers j que je vous révélerai
Ifs-fecrets de ma fageife , & que je Se
dans la Dévotion. 437
vous mettrai dans la bouche de dignes
e.xpreiîiqns pour les annoncer. Car c'eft
aux petits , & aux plus petits , que ces
faveurs font refervées.
Soyons de ce nombre favori , & con-
folons-nous iî nous fommes privés de
certains mérites perfonnels , Se de cer-
taines qualités qui brillent aux yeux des
hommes. La feience fans la charité peut
être plus nuiilble qu'utile à un fçavant ,
parce qu'elle enfle j mais la charité fans
la feience peut feule nous fûffire pour
notre propre fanflification , parce que
de fon fonds Se par elle-même , elle édi-
fie. Or cette charité fi fainte & fi fandi-
fiante , nous pouvons l'avoir fans être
pourvus de grands talens naturels , ni de
grandes connoiiTances. Nous pouvons
.même dans l'état de cette enfance fpiri—
tuelle , l'avoir plus aifément & la confer-
ver plus fûrement , puifque nous fommes
moins expofés à la préfomption de l'or-
gueil , & moins fujets à nous évanouir
dans nos penfées. Voye-^ _, mes f ères ., difoit lm c
l'Apôtre aux Corinthiens , quelU efi yo~ ci. 16.
tre vocation : il n'y en a pas eu beaucoup
parmi vous qui fuffent J âges félon la chair >
oupuiffans , ou nobles ; mais ce qui paffe
pour infenfé devant le monde _, Dieu l'a
choijîpour confondre les j âges ; & ce qui
O o iij
4 3 8 Simplicité Ev Angélique
eji foibk & méprifable devant le inonde ,
Dieu l'a chofipour confondre ce qu'il y a
déplus fort & déplus grand > afin j con-
clut le Docteur des Gentils , que nul
homme neût de quoi fe glorifier ., s'attri-
buant à foi-même ce qui ne vient que de
Dieu y 8c qui n'appartient qu'à Dieu. Un
homme verfé dans les fciences ou divines
ou humaines , a plus lieu de craindre
qu'une fecrette complaifance ne lui fafTe
dérober à Dieu la gloire de certaines lu-
mières , de certaines vues , de certaines
difpoiitions de l'ame , dont la grâce eft
l'unique principe. Quoi qu'il en foit, fui-
Sap» c . vons l'avis du fage j cherchons Dieu dans
la Jimplicité de notre cœur. Apprenons
à l'aimer , à lui obéir , à le fervir , à nous
fauver , voilà ce qu'il nous importe
fouverainement de fçavoir. Voilà tout
V homme ., félon le terme de l'écriture , 3c
par conféquent voilà la grande fcience
de l'homme , Se où toute autre fcience
doit fe réduire.
a. 12.
DANS LA DÉVOTION. 43 £
Défaut à éviter dans la dévotion _, &
faujjes conféquences que le liberté
nage en prétend tirer.
QUe la nature eft adroite , & quelle
fçait bien ménager fes intérêts!
Jille les trouve par - tout, & jufques
dans les chofes qui paroifTent plus oppo-
fées. Nous penfons à nous défaire d'une
pailion : que fait la nature ? En la place
de cette pafïion , elle en fubftitue une
autre toute contraire , mais qui eft tou-
jours paffion , & par conféquent qui
lui plaît Se qui la flatte. On donne à l'or-
gueil , à l'envie de dominer & d'intri-
guer , à l'impétuofité naturelle , à la ma-
lignité , à l'indolence & à l'oinVeté , ce
qu'on ôte aux autres vices j & de - là
divers caractères de dévotion , plus ai-
fés à remarquer qu'à corriger. Dévotion
faftueufe & d'éclat , dévotion intri-
guante &c dominante , dévotion inquiète
& emprelfée , dévotion zélée pour autrui
fans l'être pour foi 3 dévotion de natu-
relle & d'intérêt , dévotion douce &
commode.
1. Dévotion faftueufe & d'éclat : cai
O o iv
'44° DÉFAUTS A ÉVITER
on aime l'éclat jufques dans la retraite ,
jufques dans la pénitence , jufques clans
les plus faints exercices , &c dans les
œuvres même les plus humiliantes.
Celle-ci peut-être ni celle-là ne fe fe-
roient pas retirées du monde , fi elles ne
l'avoient fait avec éclat , & fi cet éclat
ne les eût foutenues. Et depuis qu'elles
ont renoncé au monde & embraffé la
dévotion , peut - être ne fe rendroient-
elles pas il afîidues au foin des pauvres
ou au foin des prifonniers , fi elles ne le
faifoient avec le même éclat , & il dans
ce même éclat elles n'avoient le même
foutien. Bien d'autres exemples pour-
raient vérifier ce que je dis. On s'em-
ploye à des établiilemens nouveaux ,
qui paroifTent & qui font bruit dans le
monde. On y contribue de tout fon-pou-
voir , & l'on fournit amplement à la
dépenfe. De relever les anciens qui tom-
bent , & d'y travailler avec la même
ardeur £c la même libéralité , ce ne fe-
rait pas peut-être une œuvre moins mé-
ritoire devant Dieu ni moins agréable à
fes yeux : mais elle ferait plus obfcure ,
êc l'on aurait point le nom d'infHtùteur
ou d'inftitutrice. Or cet attrait man-
quant , il n'eft que trop naturel ôc que
trop ordinaire qu'on porte ailleurs fes
DANS LA DÉVOTION. 44 1
gratifications , &: qu'on fe laiife attirer
par l'éclat de la nouveauté, Mais , dit-
on , cet éclat fert à édifier le prochain.
Sur cela je conviens que l'éclat alors fe-
roit bon > fi l'on n'y recherchoit que l'é-
dification publique j mais il eft fort à
craindre qu'on ne s'y cherche encore plus
foi-même. Ké quoi ! faut-il donc quitter
toutes ces bonnes œuvres ? Non , rete-
nez-les toutes quant à l'action j mais étu-
diez-vous à en rectifier l'intention.
2. Dévotion intriguante ôc domi-
nante. En ceflant d'intriguer dans le
monde & d'y vouloir dominer , on veut
intriguer Se dominer dans le parti de la
dévotion. Car il y a dans la dévotion
même différents partis j & s'il n'y en
avoit point , & que l'uniformité des
fentimens fut entière , fans difpute ,
fans conteitation , fans occafion de re-
muer , de s'ingérer en mille affaires ck:
mille menées , il eft à croire que bien
des perfonnes , fur - tout parmi le fexe ,
ii'auroient jamais été dévotes ni voulu
l'être. Le crédit qu'on a dans une fecte
dont on devient , oa-lecerf , ou l'un des
principaux agents j l'empire qu'on exerce
fur les efprits qu'on a fçu prévenir en fa
faveur 5 Se qui prennent aveuglément
les impreflions qu'on leur donne j Tau-
442- Défauts a éviter
torité" avec laquelle on les gouverne
de on les fait entrer dans toutes fes
vues & toutes fes pratiques } le plaifir
flatteur d'être lame des afTemblées , des
délibérations , de tous les confeils & de
toutes les réfolutions j le feul plaifir
même d'avoir quelque part à tout cela 3
&: d'y être compté pour quelque chofe ,
voilà ce qui touche un cœur vain & ama-
teur de la domination. Voilà fon objet ,
tout le refte n'eft proprement que l'ac-
cefToire & qu'une fpécieufe apparence.
3. Dévotion inquiète & emprefTée.
Lue. r. Marthe j Marthe j vous vous inquiète^
' & vous vous mette\ en peine de bien des
chofes 9 difoit le Sauveur du monde à
cette fœur de Marie , voyant qu'elle
s'embarrafToit de trop de foins pour
le recevoir dans fa maifon > & pour, lui
témoigner fon refpect. C'étoit fans
doute une bonne œuvre qu'elle faifoit ,
puifqu'il s'agiiïoit du Fils de Dieu j mais
dans toutes nos œuvres & particulière-
ment dans nos œuvres , de piété , Dieu
veut toujours que nous confervions le
recueillement intérieur , qui ne peut
guères s'accorder avec une ardeur (i vive
& fi précipitée. Car dans les chofes de
Dieu , comme par -tout ailleurs , il
y a de ces vivacités ôc de ces empref-
DANS LA DÉVOTION. 44$
femens qu'il faut modérer. Ceft le ca-
ractère de certains efprits qui n'entre-
prennent ni ne font prefque jamais rien
d'un fens raifis 3c avec tranquillité : de
forte qu'on les voit dans un mouve-
ment perpétuel , ôc que pour quelques
démarches qui fuffiroient , ils en font
cent d'inutiles. Ils croient agir en cela
avec plus de mérite devant Dieu j mais
fouvent , fans qu'ils l'apperçoivent , s'y
mêle-t-il beaucoup de tempérament , &
quelquefois même une fecrette corn-
plaifance au fond de l'ame. Car toutes
ces manières ôc toutes ces agitations
extérieures ont, je ne fçais, quel air d'im-
portance , dont le cœur fe laifTe aifé-*
ment flatter. C'eft .l'œuvre de Dieu,
difent-ils , ôc malheur à celui qui fait Jtrtm*
V œuvre de Dieu négligemment» Je l'a-j'0t
voue , & je le dis auffi - bien qu'eux :
mais fans négliger l'œuvre de Dieu , on
peut s'y comporter avec plus d'attention
à Dieu même \ avec plus de récollec-
tion, avec moins de dillipation. Hé, pour-
rois-je leur demander , que prétendez-
vous , en vous laiflfant ainfi diftraire , ôc
perdant par toutes vos précipitations ôc
tous vos troubles la préfence de Dieu ?
Vous le cherchez hors de vous , de
444 DÉFAUTS A ÉVITER
vous le quittez' au dedans -3e vous-mê-
jnes.
4. DéVotion zélée , niais fort zélée
pour autrui & très-peu pour foi. Depuis
que telle femme a levé l'étendard de la
dévotion, il.femble quelle foit deve-
nue impeccable , & que tous les autres
foient des pécheurs remplis de défauts.
Elle donnera dans un jour cent avis , &
dans toute une année elle n'en voudra
pas recevoir un feul. Quoi qu'il en foit ,
nous avons du zèle , de le zèle le plus ar-
dent , mais fur quoi ? fur quelques abus
affez légers que nous remarquons , ou
que nous nous figurons dans des fubal-
ternes, ck dans des états qui dépendent
de nous. Voilà ce qui nous occupe ,
fans que jamais nous nous occupions
des véritables abus de notre état , dont
nous ne fommes pas exempts , & qui
quelquefois font énormes. Cependant
on inquiète des gens , on les fatigue ,
on va même jufqu'à les accabler. Le
p/. 68. Prophète difoit , mon %è/e me dévore .,
l0' mais combien de prétendus Zélateurs
ou Zélatrices pourroient dire : Mon \ele y
au lieu de me dévorer moi-même j dévore
les autres,
5. Dévotion de naturel, d'inclina-
tion', d'intérêt. Le vrai caractère de la
DANS LA DÉVOTION. 445
piété eft d'accommoder nos inclinations
8c nos cleiirs a la dévotion-, mais i'illuiion
la plus commune 8c le défordre prefque
univerfel , eft de vouloir au contraire
accommoder la dévotion à tous nos
de(irs 81 à toutes nos inclinations. De-
là vient que la dévotion fe transfigure
en toutes fortes de formes : mais fur-
tout à la Cour elle prend toutes les qua-
lités de la Cour. La Cour ( ce que je ne
prétends pas néanmoins être une règle
générale ) la Cour eft le féjour de l'am-
bition ; la dévotion y devient ambitieu-
fe. La Cour eft le féjour de la politi-
que : la dévotion y devient artificieufe
8c politique. La Cour eft le féjour de
l'hypocrifie 8c de la diiîîmulation : la
dévotion y devient dilïîmulée 8c ca-
chée. La Cour eft le féjour de la médi-
•fance : la dévotion y devient critique à
l'excès 8c médifante. Airifi du refte. La
raifon de ceci eft, que dans la dévo-
-tion même , il y a toujours , fi l'on
n'ufe d'une extrême vigilance , quelque
chofe d'humain 8c un fonds de notre
nature corrompue , qui s'y glilie & qui
agit imperceptiblement. On eft pieux,
ou l'on croit l'être ; mais on l'eft félon
fes vues , mais on l'eft félon fes avan-
- tages perfonnels 8c temporels , mais on
446 Défauts a éviter.
l'eft félon l'air contagieux du monde ,
que l'on refpire fans cefTe. C'eft-à-dire ,
qu'on l'eft alfez pour pouvoir en quel-
que manière fe porter témoignage à
foi-même de l'être , ôc pour en avoir
devant le monde la réputation ; mais
qu'on l'eft trop peu pour avoir devant
Dieu le mérite de l'être véritablement.
Sainteté de Cour 5 fainteté la plus émi-
nente quand elle eft véritable , parce
qu'elle a plus d'obftacles à furmonter ,
&c plus de facrifices à faire : mais que
ces facrifices font rares ! Se comme il
faut pour cela s'immoler foi-même , que
Fefprit de la Cour trouve d'accommo-
demens èc de raifons pour épargner la
vi&ime !
6. Dévotion douce , oifîve , com-
mode. On dit en fe retirant des affai-
res du monde , ôc fe donnant à Dieu :
pourquoi tant de mouvemens 8c tant
de foins ? Tout cela me lafte & m'im-
portune. Je veux vivre déformais en
repos. Erreur : ce n'eft point là l'efprit
de la piété } mais c'eft un artifice de
l'amour propre , qui fe cherche foi-
même jufques dans les meilleurs def-
feins. Il veut par-tout avoir fon comp-
te , ôc être à ion aife : en quoi il nous
trompe. La fainteté de cette vie eft
DANS LA DÉVOTION. 447
dans le travail ôc dans la peine , comme
celle de l'autre eft dans la béatitude
8c dans la paix.
Que le libertinage , inftruit auiîl bien
que nous de ces égaremens dans la
dévotion , <k des autres , les condamne ,
nous ne nous en plaindrons point, &
nous ne l'aceuferons point en cela d'in-
juftice. Mais de quoi nous nous plai-
gnons , & avec raifon , c'eft que le liber-
tin abufe de quelques exemples parti-
culiers , pour en tirer des conféquences
générales au défavantage de toutes les
perfonnes vertueufes , & adonnées aux
œuvres de piété. De quoi nous nous
plaignons, c'eft que le libertin prenne
de-là fujet de décrier la dévotion , de
la traiter avec mépris , de l'expofer à
la rifée publique par de fades & de fean-
daleufes plaifanteries. De quoi nous
nous plaignons , c'eft que le libertin
veuille de-là fe perfuader qu'il n'y a de
vraie dévotion qu'en idée , ôc que ce
n'eft dans la pratique qu'un dehors
trompeur & un faux nom. De quoi nous
nous plaignons , c'eft que le libertin
exagère tant les devoirs de la dévo-
tion, & qu'il affecte de les porter au
degré de perfection le plus éminent ,
afin que ne voyant prefque perfonne
44 8 DÉFAUTS A ÉVITER
qui s'y élevé , il puiife s'autorifer à
conclure , que tout ce qu'on appelle
gens de bien , ne valent pas mieux la
plupart que le commun des hommes.
De quoi nous nous plaignons , c'eft
que par-là le libertin ôte en quelque
forte aux Prédicateurs 8c à tous les Mi-
niftres chargés de l'inrcruclrion des fi-
dèles, la liberté de s'expliquer publi-
quement fur la dévotion, d'en prefcri-
re les régies , d'en découvrir les illu-
lions , de peur que les mondains n'em-
poifonnent ce qu'ils entendent fur cette
matière , & que leur malignité ne s'en
prévale.
Cependant le monde penfera tout ce
qu'il lui plaira , & il raillera tant qu'il
voudra ; nous parlerons avec difcrétion ,
mais avec force , & nous ne déguife-
rons point la vérité dont nous fommes
les dépofitaires & les interprètes. Nous
imiterons notre divin Maître , qui n'ufa
de nul ménagement à l'égard des Scri-
bes & des Pharifiens , & qui tant de fois
publia leur hypocrilie & leurs vices
les plus fecrets. Nous exalterons la ver-
tu , nous lui donnerons toute la louan-
ge qu'elle mérite , nous reconnoîtrons
qu'elle n'eu: point bannie de la terre ,
& qu'elle règne encore dans l'Eglife de
Dieu .*
DANS LA DÉVOTION. 449
Dieu : mais en même tems , pour fon
honneur , Ôc pour la réformation de
ceux mêmes qui la profelfent , nous ne
craindrons point de marquer les alté-
rations qu'on y fait. Nous démêlerons
dans cet or ce qu'il y a de pur, & tout
ce qu'on y met d'alliage. Plaife au Ciel
que nos leçons foient bien reçues 6c
qu'on en profite ! c'eft notre intention :
mais quiconque en fera fcandalifé , qu'il
s'impute à lui-même fon fcandale.
«
Alliance de la Piété à & de la
Grandeur.
QUelque oppofé que femble être au
Chriftianifme l'état des Grands ,
il y a une merveilleufe alliance entre la
piété & la grandeur. Bien loin qu'elles
foient incompatibles , elies fe foutien-
nent mutuellement l'une & l'autre. De
forte que la piété fert à relever la gran-
deur , Se que la grandeur fert à relever
la piété.
I. La piété relevé tout à la fois la
grandeur , ôc devant Dieu > ôc devant
les hommes : devant Dieu , parce que
Tome I. Pp
45© Alliance de la Piété
la piété rend la grandeur chrétienne ôc
fainte : devant les hommes , parce que
la piété nous rend la grandeur fingu-
liérement aimable & vénérable.
Grandeur Chrétienne 3c fainte de-
vant Dieu , par où ? par la piété , ainli
que je viens de le dire. Car que fait la
piété dans un Grand , ôc comment le
lanctifie-t-eile ? Eft-ce en le dépouil-
lant de fa grandeur même ? Eft-ce en
le faifant renoncer à tous les titres
d'honneur dont il eft revêtu ? L'oblige-
t-elle à céder fes droits , à fe démettre
de fon autorité 6c de fon pouvoir , à
defcendre de fon rang de à f e dégrader ,
à mener une vie privée , ôc à fe ré-
duire dans une retraite obfcure , fans
pompe , fans éclat , fans nom ? Il eft
vrai qu'il y a eu des Grands du monde y
ôc même des Princes & des Rois , que
l'Efprit de Dieu a portés jufques - là.
Ils fe font retirés dans les Solitudes &c
dans les Cloîtres ; 3c pour fe mettre
plus sûrement en garde contre la con-
tagion du fiécle , ou pour -acquérir une
reftemblance plus parfaite avec Jefus-
Chrift humilié ôc anéanti , ils fe font
cachés ôc enfevelis dans' les ténèbres.
Mais fi ces exemples font dignes de
notre admiration , ce n'eft pas une
et ©ï la Grandeur. 451
conféquence que tous les Grands les
doivent fuivre , ôc qu'ils ne puifTent
autrement fe fanctifier que par cette
abdication volontaire , Se ce renonce-
ment à l'état de diftinétion où la Pro-
vidence les a élevés. S'il en étoitainii,
il faudroit donc qu'il n'y eût dans le
monde Chrétien , ni puiflance féculie-
re , ni dignité , ni magiftrature 3 ni prin-
cipauté , ni monarchie , puifqu'il feroit
néceiïaire de quitter tout cela ôc de fe
défaire de tout cela , pour pratiquer
le chriftianifme &c pour s'y perfection-
ner. Syftême qui dérangeroit tout le
plan de la SagelTe divine , Se qui ren-
verferoit tout l'ordre qu'elle a établi,
A ne point parler des faints Législateurs
Se des faints Rois , qui ont vécu dans
l'ancienne Loi Se gouverné le peuple
de Dieu, combien de Grands dans la
Loi nouvelle , combien de Rois , fans
déroger en rien de leur grandeur , font
parvenus , au milieu de la Cour , à la
plus fublime fainteté , Se ont mérité
d'être honorés d'un culte public par
toute l'Eglife ?
Delà il s'enfuit qu'on peut être Grand
félon le Monde , demeurer dans la con-
dition de Grand , vivre en Grand , Se
cependant marcher Se s'avancer dans
ppij
451 Alliance de la Pieté
les voies de la perfection chrétienne.
Or voilà l'ouvrage , ou plutôt le chef-
d'œuvre de la piété. Elle fait remonter
un Grand jufqu au principe de fa gran-
deur & de toute grandeur humaine ,
qui eft Dieu. Elle lui fait reconnoître
avec l'Apôtre > ôc félon la maxime fon-
damentale de la Foi , que toute puif-
fance vient de Dieu y ôc par conféqueîit
que tout ce qu'il eft , il ne l'eft que par
la grâce de Dieu. D'où il conclut par
le raifonnement le plus jufte & le plus
feniible , que toute fa grandeur n'eft
donc, qu'une grandeur fubordonnée au
fouverain Maître de qui il l'a reçue.
Que c'eft une grandeur dépendante ;
&: que bien loin qu'elle l'affranchirTe
des loix divines , elle lui impofe une
obligation particulière d'honorer d'un
culte plus religieux , plus aiîidu, plus
fervent , le fuprême Auteur à qui il eft
redevable de fon état & de tous les
avantages temporels qui y font atta-
chés. Que ce n'eft pas pour lui quelle
lui a été donnée, cette grandeur, Se
qu'il nen eft que le dépofîtaire> mais
que chaqite chofe devant retourner à
fa fource , c'eft à Dieu que l'honneur en
eft dû y & a ce Seigneur des Seigneurs ,
qu'elle doit être référée par un ufage
et de la Grandeur. 455
tel qu'il le demande & tel qu'il le
mérite.
Toutes ces penfées ôc d'autres que la
piété ne manque point de fuggérer,
tiennent un Grand dans une attention
continuelle fur foi-même , pour ne fe
laiiTer point éblouir de l'éclat qui l'en-
vironne , & ne fe point évanouir dans
fes idées } pour fe maintenir toujours de-
vant Dieu, ôc à l'égard de Dieu dans des
fentimens humbles & fournis , dans une
dépendance volontaire ôc entière ,
dans une obéiffance pleine ôc parfaite ^
pour n'ufer jamais de fa puifTance con-
tre Dieu , en la faifant fervir à fatis-
faire fes pallions , fon intérêt , fon am-
bition , fes reifentimens ôc fes vengean-
ces j mais au contraire , pour l'em-
ployer toujours félon les vues ôc le
gré de Dieu , confultant Dieu dans
tout ce qu'il entreprend 3 n'y envifa-
geant que Dieu , ôc ne s'y propofant
autre chofe que d'être l'exécuteur de
fes ordres , ôc le Miniftre de fes éternel-
les volontés j pour s'attacher avec d'au-
tant plus de fidélité ôc plus de zèle au
fervice de Dieu , qu'il fe voit comblé
plus libéralement Ôc plus abondamment
de fes dons ; pour lui rendre tous les
devoirs de religion , d'adoration, de re->
454 Alliance de la Pieté
connoifTance 8c de dévotion, que l'E-
glife de Dieu exige de chaque fidèle;
ne manquant à nulle obfervance , ne fe
difpenfant d'aucune pratique , y en
ajoutant même de propres 8c de perfon-
nelles j en un mot , remplifTant toute
juftice , 8c n'écoutant là-delîus ni ref-
pe6l du monde , ni inclination ou ré-
pugnance de la nature. Qui peut dou-
ter qu'un Grand de ce caractère ne foit
fpécialement agréable à Dieu ? c'eft-à-
dire , qui peut douter qu'il ne foit vrai-
ment grand aux yeux de Dieu , puis-
que la vraie grandeur eft de plaire à
Dieu , 8c que rien ne doit plaire da-
vantage à Dieu que la grandeur même
temporelle , ainfi appliquée à le glori-
fier 8c toute dévouée à fon honneur?
Voilà par où David devint un objet de
complaifance pour Dieu , 8c un Prince
félon le cœur de Dieu. C'eft ce qui
confacra toutes ks entreprifes 8c toutes
fes victoires. C'eft ce qui en fit tout
le mérite ôc tout le prix.
Grandeur finguliérement aimable 8c
vénérable devant les hommes : autre
effet de la piété dans un Grand. Il eft
certain que la vertu , en quelque fujet
qu'elle fe rencontre , eft toujours digne
de notré^eftime 8c de nos refpects j mais
et de la Grandeur, 455
il faut convenir , dit faint Bernard ,
que par une grâce ôc un don particu-
lier elle plaît fur-tout dans les nobles.
D'où vient cela? on pourroit dire qu'é-
tant beaucoup plus rare dans les Grands,
elle paroît par-là même beaucoup plus
eftimable. On pourroit ajouter qu'ayant
dans les Grands beaucoup plus d'efforts
à faire pour fe foutenir , ôc plus de
difficultés à vaincre , elle les rend aufîî
beaucoup plus recommandables par
les obftacles mêmes qu'ils furmontent ,
& par les victoires qu'ils remportent.
Mais fans m'arrêter à ces raifons ni a
toutes les autres , voici , ce me fembie ,
la plus effentielle : c'eft que la piété
corrige dans un Grand les défauts les
plus ordinaires , par où la grandeur de-
vient communément odieufe ôc mépri-
fable ; ôc qu'au contraire elle lui donne
les qualités les plus capables de gagner
les cœurs & de les prévenir en fa fa-
veur.
En effet, ce qui nous indifpofe à
l'égard des Grands , ôc ce qui nous
porte le plus fouvent contre eux aux
murmures & aux mépris, ce font leurs
hauteurs ôc leurs fiertés , ce font leurs
airs dédaigneux ôc méprifans , ce font
leurs façons de parler , leurs termes 3
45<£ Alliance de là Piété
leurs geftes , leurs regards , toutes leurs
manières , ou brufques & rebutantes 5
ou trop impérieufes & trop dominan-
tes. Ce font encore bien plus leurs ty-
rannies & leurs duretés 5 quand par Fa-
bus le plus énorme du pouvoir dont ils
ont été revêtus , ils tiennent dans Top-
preiïion des hommes comme eux , Se
leur font fentir fans ménagement tout
le poids de leur grandeur ; quand par
l'indifférence la plus mortelle , unique-
ment attentifs à ce qui les touche , ôc
renonçant à tons les fentimens de la
charité, ils voient d'un ceil tranquille
& fans nulle compaiîion , des miferes
dont allez ordinairement ils font eux-
mêmes auteurs } quand par une mon-
ftrueufe ingratitude ils lailfent fans ré-
compenfe les fervices les plus impor-
tans, & oublient des gens qui fe font
immolés & qui s'immolent fans celle
pour leurs intérêts. Ce font leurs injufli-
ces , leurs violences , leurs concuilions ,
<k , fi je puis ufer de ce terme , leurs
brigandages , foit connus & publics ( car
fouvent même ils ne s'en cachent pas )
foit particuliers & plus fecrets , mais qui
ne caufent pas moins de dommage',
êc ne donnent pas moins à fouffrir. Ce
font les défordres de leur vie , leurs dé-
bauches j
et de la Grandeur. 457
tauches , leurs excès , leur irréligion ,
tous les vices où ils s'abandonnent avec
d'autant plus de liberté , que c'eft avec
plus d'impunité. Voilà , tout Grands
qu'ils font , ou parla naiffance , ou par
la faveur , ce qui les rabailTe infini-
ment dans les efprits, & ce qui les avilit.
On refpe&e dans eux leur caractère.
On redoute leur puiflance. On leur
rend les hommages qu'on ne peut leur
uefufer, ni félon les loix du monde , ni
félon la loi de Dieu : mais leurs per-
fonnes , comment les regarde-t-on ?
ôc tandis qu'au dehors on les honore ,
quelle eftime en fait-on dans le cœur ,
ôc quelles idées en conçoit-on ? S'ils
en étoient inftruits , il faudroir qu'ils
fuilent bien infenfibles, pour n'en être
pas pénétrés jufques dans le fond de
î'ame.
Or la piété retranche tout cela , ré-
forme tout cela , change tout cela. En
faifant de la grandeur une grandeur
Chrétienne , elle en fait une grandeur
aimable & vénérable , comment ? parce
qu'elle en fait une grandeur modefte ôc
humble , qui fans abandonner fes droits
ni oublier les prérogatives , du refte ne
s'enorgueillit point , ne s'enfle point ,
ne fe lairTe point infatuer d'elle-même j
Tome L Qq
45§ Alliance de la Piété
qui n'offenfe perfonne , ne choque per-
fonne , ne s'éloigne de perfonne ] qui
tout au contraire fe rend affable à l'é-
gard de tout le monde , prévenante ,
honnête , douce , condefcendante. Par-
ce qu'elle en fait une grandeur officieu-
fe ôc charitable, qui fe plaît à obliger ; qui
volontiers s'emploie pour les petits,
pour les pauvres , pour les affligés j qui
compatit à leurs maux , ôc prend foin ,
autant qu'il lui eft poflible , de les fou-
lage r 5 qui fe communique , fe familia-
rife , pardonne aifément , récompenfe
abondamment , répand libéralement fes
dons , Ôc penfe plus en quelque maniè-
re aux autres qu'à foi-méme. Parce
qu'elle en fait une grandeur fage , droi-
te ôc jufte j vraie dans fes paroles , fi-
dèle dans fes promeuves , équitable
dans fes jugemens : n'écoutant que la
raifon, ôc la fuivant en tout fans nul
égard , prenant le parti de l'innocence ,
foutenant la veuve Se l'orphelin , ren-r
dant à chacun ce qui lui appartient , ôc
aimant mieux en bien des rencontres fe
relâcher de certains intérêts Ôc de cer-
taines prétentions , que de fe mettre au
hazard de faire tort à qui que ce foit ôc
de profiter de fes dépouilles. Parce
qu'elle en fait une grandeur réglée dans
st pe la Grandeur, 45 j
toute fa conduite & irréprochable dans
fes mœurs \ tellement adonnée aux de-
voirs de la Religion , qu'elle ne manque
à aucun devoir du monde • ennemie
du libertinage , zélée pour le bon or-
dre , commençant par s'y foumettre
elle-même ; ôc donne l'exemple à ceux
qu'elle y^veut réduire, ou qu'elle tra-
vaille à y maintenir.
Suppofons un Grand en de telles
difpoikions , & agilTant de telle forte
en toutes chofes : eft-il un homme plus
refpecté ? Du moins , efb-il un homme
plus refpectable ? Peut-on fe défendre
de l'eilimer , de l'admirer , de l'aimer ?
Qu'il ait quelques ennemis fecrets , qu'il
ait des concurrens & des envieux :
fes ennemis mêmes , fes envieux de fes
concurrens feront forcés dans le coeur
de lui rendre la juftice qui lui eft due.
Quoi qu'il en foit , & quoiqu'ils en pen-
fent ) tout le public fe déclarera en fa
faveur , Se c'eil: à fon égard que fe vé-
rifiera ce que le Saint-Efprit a dit en
particulier d'un homme déiintéceiTé :
Quel eji celui-là ? Nous le comblerons ^ccl. et
d'éloges : car fa vie ejl un perpétuel mira- Il*9*
cle. Mais , dira-t-on , ne voit-on pas quel-
quefois de ces Grands que la piété rend
importuns , difficiles, chagrins , bizarres,
4<jo Alliance de la Pieté
farouches 3 &c par-là même infupporta-
bles 8c méprifables? Erreur. Je dis erreur;
non pas que je convienne de toutes
leurs bizarreries 3 8c de tous les travers
où ils donnent } mais erreur , fi Ton at-
tribue tout cela à la piété. Car il faut
bien diftinguer ce qui vient d'eux-mê-
mes , 8c ce qui vient de la piété qu'ils
profeiTent. Une parfaite piété , bien
loin de nous porter à tous ces écarts ,
nous en garantit , ou nous en retire : 8c
delà il faut conclure , que le principe
du mal , c'eft qu'ils n'ont encore qu'une
piété très-défectueufe. Autant qu'ils la
perfectionneront , autant elle les per-
fectionnera eux-mêmes '7 8c plus elle les
perfectionnera en corrigeant les défauts
perfonnels qu'on leur reproche , 8c leur
faifant acquérir les vertus contraires ,
plus elle donnera de luftre à leur gran-
deur 8c les rendra recommandables.
1 1. Comme la piété relevé la gran-
deur , on peut dire auffi que la gran-
deur , par un heureux retour > fert infi-
niment à relever la piété _> 8c cela en
plus d'une manière : , Parce que la gran-
deur met en crédit la piété ; parce que
la grandeur a plus de pouvoir pour ban-
nir Iç vice , 8c que par la force de fes
et de la Grandeur. 461
exemples elle engage plus de monde
dans le parti de la piété ; parce que la
grandeur par l'édiiication qu'elle don-
ne , détruit le plus puiifant obftacle que
la piété ait à combattre , qui eft le refpeck
humain ; parce que la grandeur fournit
à la piété de plus importans fujets , ôc
des occafions plus éclatantes de s'exer-
cer , & de fignaler fa religion &c fou
zèle.
La grandeur met en crédit la piété ;
êc la raifon eft , qu'étant prévenus natu-
rellement , comme nous le fommes 5
d'un certain refped pour les Grands ,
nous fommes par-là naturellement por-
tés à juger des chofes félon qu'ils en
jugent ; fur-tout fi ce font d'ailleurs de
bonnes chofes en elles-mêmes , ou des
chofes au moins qui ne paroifTent pas
évidemment mauvaifes. Ainfi , quand
on voit pratiquer les exercices du Chrif-
tianifme à un Grand , quand on le voie
fréquenter les Sacremens , affilier régu-
lièrement & dévotement au Sacrifice
de l'Autel , fanctifler les Fêtes par fon
aiîlduité aux prières 8c aux ORices ordi-
naires de l'Eglife , obferver les abfti-
nences , les jeûnes , écouter la parole
divine , ne manquer à rien de tout ce
qui concerne le culte de Dieu , on n'en
Qq iij
%êi Alliance de la Piété
a que plus d'eftime pour ces mêmes
exercices. On ne les compte plus feu-
lement pour des pratiques du peuple Se
d'un petit nombre dames pieufes ,.mais
on les regarde comme des devoirs con-
venables à tous les états & aux plus
hauts rangs. Les Payens , félon le té-
moignage de Saint Cyprien , refpec-
toient jufqu'aux vices mêmes de leurs
prétendues divinités, & il leur fem-
bloit que ces vices étoient confacrés,
dès que c'étaient les vices des dieux.
De-là nous devons juger à combien
plus forte raifon , la vertu reçoit des
Grands un éclat particulier , ôc quel prix
dans l'opinion commune y ajoute leur
grandeur.
De ce premier avantage en fait tin
autre : c'eft que Pexemple des Grands
ayant autant d'efficace qu'il en a , pour
toucher les cœurs Se pour les engager ,
il eft par-là même d'un fecours infini a
la piété , pour s'établir Se pour fe ré-
pandre. Ce font des modèles fur lefquels
on fe forme beaucoup plus volontiers
que fur le refte des hommes. Ce font
des lumières , fuivant la figure de l'E-
vangile ; Se des lumières , non point
Uatth* cachées fous le boiffeau j mais placées fur
$• 5* U chandelier^ dont les rayons éclairent
et 6e la Grandeur. 463
toute la mai/on _, & dont la fplendeur
frappe vivement les yeux. L'édification
que donne un particulier eft renfermée
dans un petit nombre de perfonnes qui
le voyent, & qui font témoins de fes
actions : mais il n'en eft pas de même
d'un Grand. Plus il eft élevé , plus il
eft connu & remarqué : d'où il arrive
que la bonne odeur de fa piété s'étend
bien plus loin , & que fa vie exemplair
re devient bien plus édifiante. Editica^
tion auiïi efficace , qu'elle eft générale ;
car les exemples d'un homme au-deflus
de nouss , font contre nous les titres les
plus convaincans , & les plus prefTans re-
proches , quand nous refufons de faire
ce qu'il fait , & que nous ne voulons
pas tenir la même conduite que lui , ni
nous affujettir aux mêmes obfervances*
Notre cœur nous applique à nous-mê-
mes ce témoignage , 3c le tourne à no-
tre confufion. Tous les prétextes dont
nos paillons tâchent de fe prévaloir ^
s'évanouiifent , parce qu'on fe trouve
forcé de reconnoître , que ce ne font
en effet que des prétextes &: que de
fauffes exeufes. On eft intérieurement
excité , follicité , attiré j & plufieurs en-
fin fuivent l'attrait dont ils reiTentent
l'impreffion. Voilà comment dans une
Qq iv
464 Alliance delà Piété
Ville , dans une Cour , il ne tiendrait
fouvent qu'à quelques perfonnes distin-
guées par leur naiiîance 8c par leur digni-
té , de bannir des abus , des coutumes 5
des modes , des fcandales , mille déf-
ordres qui ruinent toute la piété , 8c
qui deshonorent la Religion. Si leur
exemple n'y fuffifoit pas , ils y employe-
roient le pouvoir qu'ils ont en main ;
8c le mettant en œuvre à propos 3 félon
les befoins 8c les rencontres , ils fçau-
roient bien réprimer la licence , 8c
maintenir l'honneur de Dieu 8c de fou
Service.
De tout ceci, par une conféquence
naturelle , qu'arriveroit-il encore en fa-
veur de la piété ? C'eft qu'elle pren droit
l'afcendant fur l'ennemi le plus dange-
reux , qui l'attaque 8c qui s'oppofe à fes
progrès , je veux dire fur le refpect. hu-
main. Car il n'y aurait plus de honte à
vivre félon les maximes de l'Evangile 8c
félon les régies de la Foi , fi les Grands
fe déclaraient hautement pour la piété»
Les mondains 8c les libertins auraient
beau parler 8c railler : cet exemple 5
fans de longs raifonnemens , ferait une
réponfe courte 8c toujours préfente à
toutes leurs railleries 8ci à tous leurs
difcours, S'il y avoit même alors quel-
ït de la Grandeur. 4^5
<que chofe à craindre , ce n'eft pas que
le refped du monde perverti Ôc cor-
rompu nous arrêtât : mais c'eft qu'une
autre forte de refpedt humain tout con-
traire , 6c que la feule envie de plaire à
un Grand , ne nous portât à une piété
hypocrite, de ne nous fît affecter de
faux dehors. Tant il eft certain que
tout cède à l'exemple des Grands ; ôc
tant ils font coupables 3 quand ils ne
font pas fervir l'empire qu'ils ont fur
les efprits , à confondre le libertinage ,
Ôc à mettre la pieté en état d'agir ou-
i vertement ôc de fe montrer avec affii-
rance.
Enfin par une dernière prérogative
Ôc un privilège qui lui eft propre , c'eft
la grandeur qui fournit à la piété plus
d'occafions ôc plus de moyens d'entre-
prendre de grandes chofes , ôc de les
exécuter pour la gloire de Dieu , pour
le bien du prochain , & pour l'avance-
ment de la Religion. Car plus un hom-
me eft élevé félon le monde ,. plus iî
peut s'employer utilement félon Dieu
ôc faire de bonnes œuvres. Par exem-
ple , que ne peut point faire un Sei-
gneur dans toutes fes terres ? Que ne
peut point faire un chef de Juftice dans
tout fon reifort, ou un Commandant
\é6 Alliance de la Piété
dans toute une Province ? Que ne peitt
point faire un Roi dans toute l'étendue
de (es Etats ? Comment Saint Louis fit-
il de fi beaux établifTemens , porta-t-il
des loix il falutaires > donna-t-il de il
faints Edits, forma-t-il des armées & les
conduiiit-il contre les ennemis de la
Foi ? C'eft que dans fa perfonne la pié-
té fe trouvoit foutenue de la grandeur.
S'il eût été moins puhTànt, & qu'il fe fût
trouvé réduit à une condition médio-
cre 3 il neiit pu dans la pratique Ôc
dans les effets porter fi loin fa charité ,
fon zèle , fon détachement , fon équi-
té inviolable j fa générofité toute Chré-
tienne , fa patience , fon humilité ,
bien d'autres vertus. Heureux d'avoir
fçu dans fa grandeur de par fa grandeur
même s'élever à un ïî haut point de
fainteté.
Voilà par proportion quel feroit le
bonheur de tous les Grands , s'ils fça-
voient ufer , comme ils le doivent , de
leur grandeur. Mais leur malheur eft de
ne vouloir être Grands que pour leur
élévation temporelle, & de fe perfua-
der prefque que la grandeur eft un titre
qui les affranchit des loix du Chriftia-
"EccU c. nifme. La louange que donne l'Ecriture
3I' IO* à un Grand , c'eft d'avoir pu faire le mal
et de la Grandeur. 467
& de ne l'avoir pas fait ; mais par une
régie à peu près femblable , ce qui con-
damne la plupart des Grands , 8c ce qui
leur fera reproché au Jugement de
Dieu , c'eft d'avoir pu faire le bien 8c le
plus grand bien , & d'avoir omis de le
faire.
Penfées diverfesfur la Dévotion.
J Y) Ourquoi la vraie dévotion eft-elle
J7 fi peu connue , 8c pourquoi au con-
traire connoît-on fi bien la faulfe ? C'eft
que la vraie dévotion fe cache , parce
qu'elle eft humble ; au lieu que Ta fauiïe
aime à fe montrer 8c à f e distinguer. Je
ne dis pas qu'elle aime à fe montrer ni à
fe faire connoître comme faillie. Bien
loin de cela, elle prend tous les de-
hors de la vraie : mais elle a beau faire 5
plus elle fe montre , plus on en décou-
vre la faulTeté. Voilà d'où vient que le
monde juge communément très-mal de
la dévotion. Car il n'en juge que par
ceux qui en ont l'éclat , qui en ont le
nom , la réputation : or ce n'eft pas
toujours par ceux-là qu'on en peut for-
mer un jugement favorable Se avanta-
geux. Pour mettre la dévotion en cré-
468 Pensées diverses
dit , il faudroit que la FaufTe demeurât
dans les ténèbres , ôc que la vraie , per-
çant le voile de ion humilité parût au
grand jour.
J Si les libertins pouvoient être té-
moins de ce qui fe pafle en certaines
âmes folidement chrétiennes & pieu-
fes ; s'ils voyoient la droiture de leurs
intentions, la pureté de leurs fentimens,
la délicatefte de leur confcience ; s'ils
fçavoient quelle eft leur charité , leur
humilité , leur patience , leur mortifi-
cation , leur défintéreiTement , ils au-
îoient peine à le comprendre : ils en
feraient étonnés , touchés , charmés \
& bien loin de s'attacher, comme ils
font , à tourner la piété en ridicule , Us
en refpecleroient même jufques dans la
faïuTe, les apparences, de peur de fç
tromper dans la vraie.
f Nous cherchons en tout le plaiiir ,
3z nous le voulons trouver jufques dans
le fervice de Dieu & dans la piété. Ce
fentiment , dit faint Chryfoftôme , eft
bien indigne d'un Chrétien : mais tout
indigne qu'il eft , Dieu, par une admi-
rable condefcendance , n'a point re-
fufé de s'accommoder à notre foiblef-
fe , & e'eft ce que nous montre l'exem-
ple des Saints. Dès cette vie, quelles
SUR LA DÉVOTION. 469
douceurs , quelles délices intérieures ,
les Saints n'ont-ils pas goûtées ?. Peut-
être ne les concevons-nous pas , par-
ce que nous ne nous fommes jamais
mis en état de les goûter comme eux :
mais les fréquentes épreuves qu'ils en
ont faites , & que nous ne pouvons déf-
avouer , font fur cela des témoigna-
ges irréprochables ôc convaincans. Pen-
dant que les réprouvés dans l'enfer,
ainfi que l'Ecriture nous l'apprend , pro-
teftent & protégeront éternellement
emails fe font laffés dans le chemin de Vini- Sap. r.
quité -y pendant que tant de mondains 6* 7*
fur la terre nous affurent encore tous
les jours , & nous prennent à témoin ,
qu'il n'y a pour eux dans le monde
qu'amertume , que trouble ôc affliction
d'efprit : que nous ont dit au contraire
mille fois les Serviteurs de Dieu? Que
nous difent-ils fans ceffe de leur état?
Ils n'ont tous là-deiïus qu'une voix
commune &: qu'un même langage ,
pour nous faire entendre qu'ils ont
trouvé dans Dieu une fource inépui-
fable de confolations , êc des confola-
tions les plus fenfibles j que Dieu leur
tient lieu de toutes chofes , & qu'un
moment qu'ils parlent auprès de lui,
. leur eft incomparablement plus doux ,
'47© Pensées diverses
que des années entières au milieu dé
tous les divertifïemens , 3c de toutes les
joies apparentes du monde. Veulent-ils
nous tromper? mais quel intérêt les y por-
teroit ? Se trompent-ils eux-mêmes? mais
on ne fe trompe pas aifément fur ce
qu'on fent. Pourquoi donc nous obfti-
nons-nous à vouloir être malheureux
avec le monde , plutôt que de chercher
en Dieu notre véritable bonheur ?
f Dès que les Juifs commencèrent à
manger des fruits de cette terre abon-
dante où ils entrèrent en fortant du
défert , la manne qui les avoit jufques^
là nourris , ne tomba plus du Ciel : 3c
tant qu'une ame eft attachée aux plai-
firs des fens 8c aux douceurs de la vie
préfente , en vain efpere-t-elle goûter
jamais les douceurs 8c les confolations
divines. C'eft une nécelïité de renon-
cer à l'un ou à l'autre. Voulons-nous
que Dieu nous foit comme une manne ,
où nous trouvions toutes fortes de
goûts? il faut que le monde nous foit
comme un defert.
$ Trois ou quatre communions par
femaine , 8c pas un poiat retranché ni
de fon extrême délicatefTe & de l'a-
mour de foi-même , ni de fon intérêt
propre 3 de fon aigreur ou de fa hau-
SUR LA DÉVOTION. 47 1
f eur d'efprit \ deux heures d'oraifon par
jour , Se pas un moment de réflexion
fur fes défauts les plus groiîiers \ enfin
beaucoup d'oeuvres faintes & de pure
dévotion , mais en même tems une
négligence affreufe de mille articles ef-
fentiels , ou par rapport à la Religion
Se à la fourmilion qu'elle demande , ou
par rapport à la juftice & aux obliga-
tions quelle impofe ; ou par rapport à
la charité & a (es devoirs les plus in-
difpenfables : voilà ce que je ne puis
approuver , & ce que jamais nul hom-
me 5 comme moi, n'approuvera. Mais
les prières , les oraifons , les fréquentes
communions ne font-elles pas bonnes ?
Oui fans doute , elles le font ; <k c'en:
juftement ce qui nous condamne , qu'é-
tant fi bonnes en elles-mêmes , elles ne
nous rendent pas meilleurs.
§ Gardez toutes vos pratiques de dé-
votion, j'y confens , 8c je vous y exhorte
même très-fortement : mais avant que
d'être dévot , je veux que vous foyez
Chrétien. Du chriftianifme à la dévo-
tion , c'eft l'ordre naturel : mais le ren*-
verfement & l'abus le plus monftrueux ^
c'eft la dévotion fans le chriftianifme»
Pour en donner un exemple : en ma-
tière d'inimitié , de vengeance , de
47^ Pensées diverses
médifance , fi l'on n'y prend garde , on
fait fouvent par dévotion, tout ce que
les libertins 8c les plus mondains font
par paiïîon. Dans le cours d'une affai-
re ou dans la chaleur d'une difpute ,
on décrie des perfonnes , on les com-
ble d'outrages , on les calomnie , 8c
l'on croit rendre par-là fervice à Dieu :
fi dans la fuite il en vient quelque fcru-
pule , on fe contente pour toute répara-
tion, de dire dévotement : n'y penfons
plus , & n'en parlons plus j je mets
tout cela au pied du Crucifix. Mais il
y faudrait penfer , mais il en faudrait
parler , mais il y faudrait remédier -y 8c
ce feroit4a , non-feulement la perfec-
tion , mais le fonds du chriftianimie 8c
la religion.
f Vouloir accorder tout le luxe 8c
tout le badinage du monde avec la dé-
votion , cela n'eil pas fans exemple ,
mais c'eft l'aveuglement le plus déplo-
rable. Hé ! ces parures peu modeftes ,
ces manières fi libres , fi enjouées , fi
familières , les peut-on même accor-
der avec la réputation ?
f Beaucoup de Directeurs des con-
fciences , mais peu de perfonnes qui fe
iaiiTent diriger. Ce n'efl pas que toutes
les âmes dévotes , - ou prefque toutes ,
ne
R&n, c*
SUR LA DÉVOTION. 473
ne veuillent avoir un Directeur;, mais
un Directeur à leur mode , & qui les
conduife félon leur fens : c'eft-à-dire ,
un Directeur dont elles foient d'abord
elles - mêmes comme les directrices ,
touchant la manière dont il doit les di-
riger. Cela s'appelle , à bien parler , non
pas vouloir être dirigé , mais vouloir ,
par un Directeur , fe diriger foi-même.
y La dévotion doit être prudente,
3c on peut bien lui appliquer ce que
faint Pierre a dit de la Foi : Que votre
fervïce /oit rai/onnable. Ce n'eit donc n. 1
point Pefprit de l'Evangile 3 que par une
dévotion outrée nous nous portions à des
extrémités qui choquent le bon fens ,
ou à des imgularités qui ne font pro-
pres qu'a faire parler le monde. Mais
le mal eft , que cette prudence qui efb
un des caractères de la dévotion , n'ert
pas toujours le caractère des perfonnes
dévotes. Elles ont , il eft vrai y leurs
Directeurs ; mais ces Directeurs , elles
ne les écoutent pas toujours , & je puis
dire avec quelque connohTance j que
ce n'eit pas pour ces Directeurs une
petite peine , de voir fouvent qu'on
leur attribue des imprudences auxquel-
les ils n'ont nulle part 3 & fur quoi néan-
moins ils ne peuvent guères fe jurtiher ,
Tome , L R r
474 Pensées diverses
parce qu'il ne leur eft pas permis Je?
s'expliquer.
f Aller fans ceffe Je Directeur en
Directeur , & tour à tour vouloir tous
les éprouver, c'eft Jans les uns inquic-
tuJe , 8c Jans les autres curiofité. Quoi
que ce foit rdans ces divers circuits on
court beaucoup ,. mais on n'avance
guères.
$ Etes-vous Je la morale étroite ^
ou êtes-vous Je la morale relâchée ?
Bifarre queftion , qu'on fait quelque-
fois à un Directeur , avant que Je s'en-
gager fous fa conduite. Je dis queftion
ridicule de bifarre , dans le fens qu'on
entend communément la chofe. Car
quand on demande à ce Directeur s'il
eft de la morale étroite , on veut lui de-
mander , s'il eft de ces Directeurs févé^
res par profeillon ,. c'eft- à -dire de ces
Directeurs déterminés à prendre ton*
jours & en tout le parti le plus rigou-
reux , fans examiner fi c'eft le plus rai-
fonnable, & le plus conforme à l'efpric
Je l'Evangile , qui eft la fouveraine
raifon. Et quand au contraire on de-
mande à ce même Directeur, s'il eft
de la morale relâchée , on préten J lui
demander , s'il eft du nombre Je ces
autres Directeurs qu'on aceufe d'altérer
sur la Dévotion. 475
la morale Chrétienne , Se d'en adoucir
toute la rigueur par des tempérament
qui accommodent la nature corrom-
pue , & qui flattent les fens & la cupi-
dité. A de" pareilles demandes que puis-
je répondre , linon que je ne luis par
état ni de l'une ni de l'autre morale ,
ainfi qu'on le conçoit -y mais que je fuis
de la morale de Jefus-Chrirt ; fk que
Jefus-Chrift étant venu nous enfeigner
dans fa morale la vérité , je m'en tiens
dans toutes mes dédiions a ce que je ju-
ge de plus vrai, de plus jufte > de plus
convenable félon les conjonctures , &c
félon les maximes de ce divin Légiila-
teur. Tellement que je ne fais point
une obligation indifpenfable de ce qui
n'eft qu'une perfection : comme aufïi ,
en ne faifant point un précepte de la
pure perfection s j'exhorte du refte ,
autant qu'il m'elt poilible , à ne fe
borner pas dans la pratique à la fimple
obligation. Voilà ma parole. Qu'on
m'en enfeigne une meilleure y ôc je la
fuivrai.
f II y a dans faint Paul une expreiîioa
bien forte. C'eft au fujet de certains
Séducteurs qui prêchoient le Judaïfme $,
& portoient les fidèles à fe faire circon-
cire. Pourquoi veulent-ils que vous foye% Cat/ t\
Rr ij. 6-- îz-*
47<* Pensées diverses sur la Dév.
circoncis y difoit fur cela le grand Apôtre ^
écrivant aux Galates ? ceft afin de fe glo-
rifier dans votre chair. Comme s'il leur
eût dit : ce n'eft pas le zèle de la Loi de
Moïfe qui touche ces gens-là, & qui
les intérefTe. Ils s'en fondent fort peu 5
puifqu eux-mêmes ils la violent en mille
points. Que prétendent-ils donc ? Ils
voudroient pouvoir fe vanter de vous,
avoir engagés dans leur parti. Ils vou-
droient pouvoir vous compter au nom-
bre de leurs difciples. Ils voudroient
s'en faire honneur , 8c c'eft pour cela
qu a quelque prix que ce foit , & quoi-
qu'il vous en puifTe coûter , ils exigent
de mous que vous vous foumettiez à la
circoncision. Voilà , félon le Maître des
Gentils , quel étoit i'efprit de ces faux
Docteurs & de ces dévots de la Syna-
gogue O ! qu'il eft aifé de fe faire dans
le monde la réputation d'homme févè-
re , Se de la. foutenir aux dépens d'au-
truL
Fin du premier Tome*
mwm%
SUJETS ET ARTICLES
CONTENUS
DANS CE FOL U ME,
DU SALUT.
*& TÉceJjïté du Salut ^ & l'ufage que
J^ V nous en devons faire contre les
plus dangereufes tentations de la vie»
Pag. î
EJlime du Salut _, & de la gloire du Ciel ^
par la vue des grandeurs humaines. 1 7
Defir du Salut _, & la préférence que nous
lui devons donner au-dejfus de tous les
autres biens. 3 1
Incertitude du Salut y & les fentimens
quelle doit nous infpirer oppofés à une
fauffe fécurité. , 46
ToJJlbilité du Salut dans toutes les condi-
tions du monde. 5 7
Voie étroite du Salut _, & ce qui peut nous
engager plus fortement à la prendre» 7 1
Soin du Salut j& V extrême négligence avec
laquelle on y travaille dans le monde. 8 5
Subjlitution des grâces du Salut 5 les vues
que Dieu s'y propofe j & comment il
exerce fa jujllce &fa miférlcorde* %f
Petit nombre des Elus j de quelle manière
il faut l'entendre & le fruit qu'on peut
retirer de cette vérité, 112,
Penfées diverf es furie Salut* 13,0
DE LA FOI,
Et des vices qui lui font oppofés.
A Ccord de la raifon & de la Foi. 1-42
^fjL La Foi fans les Œuvres j Foiftérile
& fans fruit. 166
Les Œuvres fans la Foi ^ Œuvres infruc-
tueufes & fans mérite pour la vie éter-
nelle. 192
La Foi victorieufe du monde. 2, 1 1
L'Incrédule convaincu par lui-même. 228
Naijfancede$Héréfiess& leur progrès. 245
Penfées diverfes fur la Foi j & fur les
vices oppofés. 26a
DU RETOUR A DIEU,
Et de la Pénitence.
73 Onté infinie de Dieu à rappeller h
JLJ Pécheur & à le recevoir. zj6
Sacrement de Pénitence, Difpofitioœs
qu il y faut apporter j & le- fruit qu'on
en doit retirer. 1 8 6
Pénitence extérieure > ou mortification
des fens. 349
Pénitence intérieure j ou mortification des
pafjtons. ^ 365
Penfées diverfes fur la pénitence & h
retour à Dieu. 392
DE LA VRAIE,
Et de la faufïè dévotion.
jy Égle fondamentale j & effèntielle de
x\ la vraie dévotion, 406
Saints defirs d'une ame qui afpire à une
vie plus parfaite , & qui veut s'avancer
dans les voies de la piété. 4 1 &
Injujlice du mande dans le mépris qu'il
fait des pratiques de dévotion. 416
Simplicité Évangélique _, préférable dans
la dévotion à toutes les connoiffances
humaines. 43 1
Défauts à éviter dans la dévotion y &
fauffes conféquences que le libertinage.
en prétend tirer. 439
Alliance delaPiété& delà Grandeur. 449
Penfées diverfes fur la Dévotion. 46 7
Fin de la Table,
APPROBATION.
'Ai îuj par ordre de Monfeignsur le Garde
des Sceaux, un Ecrit intitulé : Penfées du
Père Bourdaloue , de la Compagnie de Jefus , fur
divers fujets de Religion & de Morale. Quelque
riches & abondantes qu'elles fuiTent par elles-
mêmes , elles avoient befoin pour être rédigées
& former un Corps d'ouvrage, de toute l'appli-
cation & de l'habileté du laborieux Editeur qui
les a fçu difpofer & mettre en œuvre Au moyen
de quoi , outre quantité de belles Penfées ,- de
pieufes Méditations , de deffeins même de Ser-
mons à i'ufage des Prédicateurs, dont ce Recueil
eft enrichi; l'on y trouvera fur plusieurs grandes
matières & fujets importans des difcours finis &c
achevés, dignes du grand Prédicateur fous le
nom duquel on les annonce ; & quoique ce Coiî
fous le titre /Impie & modelée de Penfées , il y a
lieu de croire qu'elles n'en feront pas moins
favorablement reçues du Public , & le Le&eur
trouvera qu'on lui donne en effet beaucoup plus
qu'on ne lui a promis.
A Paris, ce 6 Février 1733.
LEROUGE.
PERMISSION
Du Révérend Père Provincial,
JE foufiigné Provincial de la Compagnie de
Jefus en la Province de France , fuivantla
pouvoir que j'ai reçu de notre Révérend Père
Général, permet au Père François Bretonneau
de la même Compagnie , de faire imprimer un
Livre qu'il a revu , & qui a pour titre : penfées
du Père Bourdaloue de la Compagnie de Jefus ,
fur divers fujets de Religion & de Morale,
Lequel livre a été vu & approuvé par trois Théo-
logiens de notre Compagnie ; en foi & témoi-
gnage de quoi j'ai (igné la prélente. À Breft, le
3 Août 173*»
P. FROGERAIS.
PRIVILÈGE DU R 0 L
LOUIS, PAR LA GRACE DE DlEU J
Roi de France et de Navarre:
À nos amés Se féaux Confeiliers les gens tenans
îios Cours de Parlement , Maîtres des Requêtes
ordinaires de notre Hôtel , Grand-Confeil s
Prévôt de Paris , Eaillifs , Sénéchaux , leurs
Lieutenants Civils & autres nos jufticiers qu'il
appartiendra : Salut. Notre amé le fieur Louis
François D*latour , Imprimeur-Libraire ,
Nous a fait expofer qu'il defireroit faire impri-
mer & donner au Public les Sermons & Venféet
de Bourdalque , &c. s'il Nous plaifoit lui
accorder nos Lettres de renouvellement & Pri-
vilège pour ce néceflaires. A ces Causes, vou-
lant favorablement traiter TExpofant, Nous
lui avons permis & permettons par ces préfen-
tes } de faire imprimer ledit Ouvrage , autant
de fois que bon lui femblera , & de le vendre,
faire vendre & débiter par tout notre Royaux
me , pendant le temps de quinze années con-
fécutives, à compter du jour de la date des
Préfentes : Faifons défenfes à tous Imprimeurs,
Libraires & autres perfonnes , de quelque qua-
lité & condition quelles (oient, d'en introduire
«TimprefTion étrangère dans aucun lieu de notre
ebéiffance ; comme auffi d'imprimer , ou faire
Tome L Sf
imprimer , vendre , faire vendre > débiter , ni
contrefaire ledit Ouvrage, ni d'en faire aucun
extrait, fous quelque prétexte que ce puiffe
être , (ans la permiflion exprefTe & par écrit
dudit Expofant, ou de ceux qui auront droit
de lui , à peine deconfifcation des Exemplaires
contrefaits, de trois mille livres d'amende con-
tre chacun des contrevenans , dont un tiers à
Nous , un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris, & l'au-
tre tiers audit Expofant , ou à celui qui aura
droit de lui , & de tous dépens , dommages 8c
Intérêts ; à la charge que ces Préfentes feront
enregistrées tout au long fur le Regiftre de
la Communauté des Imprimeurs & Libraires
de Paris, dans trois mois de la date d'icelles;
que TimprefTion dudit Ouvrage fera faite dans
notre Royaume & non ailleurs, en beau pa-
pier & beaux caractères, conformément aux
Réglemens de la Librairie , & notamment à
celui du dix Avril mil fept cent vingt-cinq, à
peine de déchéance du préfent Privilège; qu'a-
vant de l'expofer en vente, le manufcrit qui
aura fervi de copie à l'impreffion dudit Ouvra-
ge , fera remis dans le même état où l'Appro-
bation y aura été donnée, es mains de notre
très-cher & féal Chevalier, Chancelier, Gar-
de des Sceaux de France, le Sieur de Maupeou;
qu'il en fera enfuite remis deux Exemplaires
dans notre Bibliothèque publique , un dans
celle de notre Château du Louvre , & un dans
celle dudit fleur de Maupeou ; le tout à peine
de nullité des Préfentes ; du contenu defqueiles
vous mandons & enjoignons de faire jouir
ledit Expofant & fes ayant caufes , pleinement
Se paifiblement, fans foutTrir qu'il leur foit fait
aucun trouble ou empêchement. Voulons que
ia copie des Préfentes, qui fera imprimée tout
au long, au commencement ou à la fin dudù
Ouvrage, foit tenue pour dîiement tignïfiêe ,
& qu'aux copies collationnées par l'un de nos
amés & féaux Confeillers-Secrétaires, foi foit
ajoutée comme à l'original. Commandons au
premier notre Huilïier ou Sergent fur ce requis,
de faire pour l'exécution d'icelles , tous actes
requis & néceiïaires, fans demander autre per-
miflion , &nonob(hnt clameur de Haro, Char-
te Normande , & Lettres à ce contraires. Car
tel eft notre plaiiîr. Donné à Paris, le dixième
jour du mois d'Avril l'an de grâce mil fept
cent foixante-onze , & de notre.Régne le cin-
quante-iîxieme. Par le Roi en fon Confeil.
Signé, LE BEGUE.
Regiflré fur le Regiftre JCVIll de la Chambre
Royale & Syndicale des Libraires & Impri-
meurs de Paris, N°. 1^7. fol. 472. confor-
mément au Règlement de 1723. A Taris, ce
%Q Avril 1771*
J. Hérissant, Syndic,
De l'Imprimerie de L. F. Delatour 5
1774-
J
**
*#
*ï
m
%1 K
'
- . •
Mi
wBSÊ
;■*•.■'•'■■
ËlI
ffîË