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tu Ottawa
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PETITS SERMONS
OU L'ON NE DORT PAS
DU MEME AUTEUR
Petits sermons ou l'on ne dort pas :
Tome II. Avent et Carême. 4* édit 2 »
Tome III. Nourriture du vrai chrétien. 3e édit. 2 »
Tome IV. Questions qui devraient être à l'ordre
du jour 2 »
CAUSERIES DU DIMANCHE.— Catéchisme des
petits et des grands. 6 forts vol.in-18 jésus.2e éd. 12 »
Garo et son curé, ou prônes interrompus par un
impie et défendus par un troupier. Très fort
vol. in-18 jésus. 6e édit 2 »
PROPRIÉTÉ DE L'ÉDITEUR.
5854. — ABLKVILLE, TTP. ET STÉR. A. RETAUX. — 1890.
«X
PETITS SEMONS
OU L'ON NE DORT PAS
PAR
M. l'Abbé Victorien BERTRAND
Auteur de Garo et son Curé
- 1^
TOME Ier "^tfîK
FONDEMENTS DE LA FOI
CINQUIÈME ÉDITIOJ
PARIS
*lt\7 W"*
ANCIENNE MAISON C. DILLET
LOUIS CARRÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
15, RUE DE SÈVRE3, 15
1890
. ..'
AU LECTEUR
SUR L'INTITULE DE CET OUVRAGE.
L'ennemi le plus à craindre pour un écrivain, c'est
l'indifférence et l'ennui du lecteur.
Pour les combattre, il n'est pas do détours qu'il
ne prenne, d'évolutions savantes qu'il ne fasse,
d'habiles manœuvres qu'il ne pratique ; il s'exerce à
toute la stratégie d'un général et met en train les
plus puissantes pièces de son artillerie.
Il est, pour le prédicateur de nos jours, un ennemi
plus terrible encore que ne l'est pour l'écrivain,
l'indifférence du lecteur : il y a cinquante ans, c'était
la politique, vingt ans plus tard, ce fut le rationalisme
et l'impiété : aujourd'hui, c'est un ennemi bien plus
redoutable.., le sommeil.
Oui, le sommeil I et je ne crains pas de l'appeler
le plus terrible ennemi de la chaire chrétienne: car
enfin, la politique, on peut à la rigueur l'aborder
dans un prône, en se souvenant toutefois que la
matière est épineuse et que l'on marche sur des
charbons ardents ; on peut désarçonner un impie,
en lui opposant quelqu'un plus impie que lui, et te
t
II AU LECTEUR
combattre ayec ses propres armes.». Que dis-jeî
Pour faire déraisonner un rationaliste et le jeter
dans l'absurde, il suffit bien souvent de le mettre
aux prises avec le dernier des paysans qui sait son
catéchisme.
Mais le moyen, s'il vous plaît, d'instruire et de
convaincre des gens qui dorment % Le moyen même
de se fâcher lorsqu'on vous approuve sans cesse, à
temps, à contre temps t
N'importe ; je plains le prêtre qui s'attire, à tort
ou à raison, de pareilles marques d'assentiment de
la part de son auditoire, surtout lorsqu'elles sont
générales et bruyantes. J'aimerais autant exciter sa
colère et ses menaces en fustigeant ses vices fa-
voris.
Pour éviter un pareil obstacle, le plus sérieux
peut-être que le prédicateur ait à redouter, aujour-
d'hui que le peuple n'est plus impie, et n'a plus
guère besoin que de s'instruire, nous avons cru devoir
adopter un genre à part, le seul qui convînt, du reste,
à notre caractère et à notre insuffisance : aux grands
orateurs le sublime et ls sérieux des grandes ques-
tions : ils ont le secret de captiver longtemps un
auditoire par l'éclat du talent et les charmes de l'é-
loquence : à nous, les derniers venus, les humbles
pionniers de cette vaste tranchée où les grands gé-
néraux nous précèdent avec tant de gloire, à nous
sun l'intitulé de crt ouvrage. îii
les petits moyens, les armes à notre taille pour mar-
cher à l'assaut 1
Et puis, s'il faut le dire, on nous demandait de-
puis bien longtemps des prônes sur le ton de Garo,
du Coup de Sabre et de nos autres ouvrages : le
genre quç nous y avons adopté a généralement plu,
nous dit-on, et le bienveillant accueil du public est
notre plus douce récompense sur la terre : on nous
a presque indiqué le titre de ce livre : — « Ne pour-
- riez-vous, monsieur l'abbé, » nous écrivait, il y a
douze ou quinze mois, un bon curé Breton, « ne
« pourriez-vous nous donner un livre de sermons
• bien courts, bien saisissants, où l'on ne dorme
« past C'est la spirituelle épigraphe de votre Garo,
.< de votre Coup de Sabre et de votre Roman contre
« les Romans qui m'a inspiré cette idée originale. »
Cette lettre a été pour nous un jet de lumière :
nous avons pris la plume et nous avons arrêté le
plan, la forme et jusqu'au titre de ce livre.
Est-ce à dire pour cela qu'il ne puisse point avoir
le sort de tant d'autres livres faits pour amuser et
qui n'amusent plus 1 Est-ce à dire que nos petits
sermons ne sont pas, en dépit de leur titre, exposés à
endormir quelquefois l'auditoire et le lecteur?
Loin de nous cette folle présomption ; qu'on ne
se trompe pas sur le vrai sens de notre titre : c'est
une promesse et une prière plutôt qu'une orgueil-
tf kV LECTEUR
leuse annonce : ce sont des sermons sans doute, et
vous n'avez pas encore entendu notre voix ; mais de
grâce, n'y dormez pas, sinon pour le prédicateur,
qui n'est qu'un humble prêtre c!e province, du moins
pour les questions sérieuses et redoutables qu'il va
traiter : — ce sont des sermons, et, le dirai- je 1 des
sermons qui pourront, au premier abord, vous pa-
raître monotones, à raison de la simplicité de mon
plan qui m'obligera de parler plusieurs fois sur le
même sujet: mais ne craignez rien, ils seront si
courts, si variés, si émaiilés d'histoires que vous n'y
dormirez pas.
Pour vous, ne prêtez pas main-forte à l'ennemi ;
gardez-vous du sommeil, je vous en prie ! Défendez
cette porte tandis que nous attaquerons d'un autre
côté : ou plutôt faites mieux, luttez avec nous, sou-
tenez nos efforts, et surtout ne les paralysez pas en
disant : Que m'importe ? — Il vous importe au moins
autant qu'au prédicateur que sa voix ne se perde
pas dans le désert, et que chacune de ses paroles
soit un coup de feu dans les rangs ennemis ; car si
c'est un devoir que je remplis en vous animant au
combat, vous serez les premiers à profiter de la vic-
toire,
AVANT-PROPOS
CUi N'EST PAS TOUT A FAIT UN PRONE, MAIS OU LA
MORALE COMMENCE.
Pour le coup, je ne m'en défends plus, ami lec-
teur, ce sont bien des sermons que je vous présente;
de vrais sermons, avec texte latin, exorde, corps de
discours, confirmation, péroraison \... J'avoue qu'il
faut avoir du courage pour méconnaître ainsi son
siècle, qui n'aime guère que les riants mensonges,
les livres à effet, j'allais dire les livres qui font scan-
dale... ; et certes, sans la résolution que nous avons
prise d'être aussi piquant, aussi court, aussi fami-
lier que possible, et surtout de larder la morale
d'une foule de traits, de comparaisons et d'apolo-
gues qui l'assaisonnent, jamais nous n'aurions eu la
témérité de grossir le flot toujours montant des ser-
monnaires et des moralistes qu'on ne lit plus.
Mais en vous donnant un livre de sermons, en éle-
vant la voix pour faire de la morale, nous nous som-
mes bien promis d'être de notre siècle et de ne pas
VI AVANT-PROPOS.
trop nous assombrir... même en traitant les sujets les
plus graves et les plus sérieux.
Et pour entrer de suite en matière, je vous dirai
tout d'abord que, bien que cet ouvrage ne soit pas
un cours complet et suivi de religion, mais une série
d'instructions sur divers points de dogme et de mo-
rale, nous avons cru bien faire en consacrant le
premier volume à l'exposé clair et succinct des fon-
dements de la foi ; on conçoit que nous n'y par-
lerons qu'à la raison, au bon sens le plus élémentaire:
écrivant un peu pour tous, pour les forts comme pour
les faibles dans la foi, et principalement pour ceux
qui trouvent dans les livres à un sou des arguments
tout faits contre la religion, ne devons-nous pas leur
montrer qu'elle est loin d'être aussi déraisonnable
et aussi absurde que le prétendent ces petits oracles
de l'atelier, du carrefour et du cabaret ?
Voilà pourquoi nous appuierons d'abord sur les
principaux motifs de notre foi : c'est que nous sa-
vons devant qui nous parlons ; la célèbre sentence :
magister dixit, le maître l'a dit, a son mérite assuré-
ment; elle a même longtemps régné dans le do-
maine des sciences et de la religion ; mais c'était le
bon vieux temps, le temps de l'ignorance et des ténè-
bres, et nous avons marché. . . Le moyen, s'il vous plaît,
de s'accommoder de ce vieil aphorisme de la sagesse
de nos aïeux, quand on a les ballons, le gaz et Té-
AVANT-PROPOS. VII
lectricité 1 Nous voulons voir, nous, avant de croire j
nous voulons toucher, nous; et pourquoi non t Le
progrès des lumières a fait un rationaliste de tout
homme qui sait signer, et transformé nos laboureurs
en autant de saints Thomas.
Et bien i c'est à ceux-là de préférence que s'a»
dresse ce premier volume ; aussi les sermons qu'il
renferme devraient-ils plutôt s'appeler entretiens et
conférences ; car, outre le ton familier que nous y
avons pris, nous laissons de côté l'éloquence et les
grands arguments pour ne nous adresser qu'à la
simple raison de Jacques Bonhomme.
Et, comme avant de raisonner sur une chose, il
faut tout d'abord la connaître, il convient de nous
bien pénétrer de la nécessité d'étudier la religion ;
et nous en avons tous grand besoin, tous, ceux-là
mêmes qui croient la mieux savoir.
On l'a dit bien souvent et on le répète sur tous les
tons depuis une quinzaine d'années, le siècle n'est
plus impie ; ce n'est que pour mémoire qu'on parle
encore des esprits forts qui étaient la queue de Vol-
taire, et qui nous ont transmis les indifférents, qui
étaient la queue des esprits forts ; les indifférents, à
leur tour, nous ont laissé leur queue . ce sont les
ignorants...
Mon Dieu oui, les ignorants ! Et ce mot-là, vous le
voyez bien, je le prononce sans sourciller ; vous avez
VIII AVANT- PROPOS.
d'ailleurs la bonne grâce d'en convenir, et ne vous
faites guère illusion là-dessus. Si éclairés, si ins-
truits que nous soyons sur tout le reste, nous sommes
en général d'une ignorance déplorable en fait de
religion.
Et sans parler ici de ceux qui ne l'ont jamais ap-
prise et dont tout le christianisme se borne à porter
incognito sur leur front l'auguste caractère de leur
baptême; sans parler de ceux qui, n'en ayant reçu
que de très-légères notions dans leur jeune âge,
non-seulement n'ont plus ouvert un livre de piété,
mais ont passé leur vie à désapprendre... que dis- je,
désapprendre? à fausser leurs principes religieux
dans la lecture des romans et des livres impies, à
ne nous occuper que de ces rares chrétiens qui, suf-
fisamment instruits dans leur enfance, n'ont jamais
rien lu, rien entendu de contraire aux enseignements
de leur catéchisme, n'est-il pas vrai que tout nous
distrait dans la vie, que tout nous emporte hors de
nous-mêmes, que nous avons tous à passer par une
interminable filière d'événements, de préoccupations,
d'affaires plus ou moins sérieuses qui nous font
oublier la seule capitale 1
Ah l quand même les passions, ces avocates du
diable, ne seraient pas sans cesse à répéter à nos
oreilles: — Bah I le plaisir, l'amusement, le positif
avant tout ; 1© reste est accessoire, et pour les imbé-
AVANT-PROPOS. IX
ciles J — la sainte voix de la religion serait étouffée
par cent voix étrangères et profanes qui trouvent
toujours un écho dans nos cœurs.
On ignore donc en général ou pour n'avoir pas
appris, ou pour avoir mal appris, ou pour avoir ou-
blié; tout le monde convient de cela, et sent le
besoin de remonter un peu l'édiGce de ses connais-
sances religieuses, autant pour remplir un devoir
sacré que pour ne pas s'exposer à de honteuses bé-
vues*
Croiriez-vous qu'il y a des gens en France, et des
gens instruits, que vous embarrasseriez en leur de-
mandant seulement combien de sacrements ils ont
reçus, et qui savent juste assez de religion pour ne
pas confondre une église avec une mosquée, une
synagogue ou un temple protestant î
Tenez, laissez moi vous raconter un fait arrivé
naguère en pleine mer, et qui prouve que si nos
braves marins se trompent quelquefois dans les céré-
monies religieuses qui se font à bord, c'est sans
malice, et que le cœur n'y est en rien.
Un vieux matelot venait de mourir sur un navire
de commerce qui retournait d'Amérique ; on était
encore trop loin de la terre pour espérer que son
corps y arriverait sans se corrompre. Force fut donc
de le jeter à la mer; c'est ce qui se fait du reste en
pareille conjoncture.
t.
X AVANT- PROPOS.
Tout l'équipage se rassembla donc autour du ca-
davre, qu'on avait enveloppé de toile, et, faute de
prêtre, car il n'y en avait point à bord, les marins se
mirent en devoir de réciter quelques prières avant de
l'ensevelir dans les flots.
Comme ils étaient à genoux devant leur vieux ca-
marade et paraissaient prier avec ferveur, mais tout
bas, le capitaine qui, probablement, ne trouvait rien
dans sa mémoire, s'adressant au plus intelligent de
la troupe :
— Prie donc tout haut, Lanti, lui dit-il, pour que
tout le monde y participe.
— Très-volontiers, capitaine, mais quelle prière
vais- je faire î
— Et parbleu 1 quelle 'prière... quelle prière... celle
que tu faisais !
Lanti se mit à réciter dévotement le Pater noster i
mais, dès les premiers mots, il fut interrompu par les
murmures de l'équipage :
— Ah bah ! disait -on de toutes parts, allons donc 1
c'est trop commun, le Pater î
— Et puis ce n'est pas pour les morts, je crois, fît
observer le contre-maître, qui avait su servir la messe
dans son enfance.
— Indique-moi donc une autre prière, toi qui de«
vais chanter aux enterrements.
àrANY'PROPOâi tt
— Ou plutôt qu'il fasse mieux, qu'il chante lui-
même, dit le capitaine.
Le contre- maître réfléchit, se gratta la tête dans un
embarras visible, puis se mit à entonner le Libéra
d'une voix de stentor ; malheureusement il resta
court à la troisième parole, c'est-à-dire à Domine;
le vieux marin n'en savait pas davantage.
— Si nous lui chantions le Miserere mei, dit un
jeune mousse, ancien élève des Frères, je l'ai copié
tant de fois à l'école que je le sais par cœur.
— Le Miserere ? Non, c'est trop long, s'écrièrent
les marins qui se tenaient toujours à genoux durant
ce débat ; chantons-lui plutôt le Tantum ergo, tout
le monde sait cela.
— Va pour le Tanium ergo, répondit le capi-
taine.
Et ces bons matelots se mirent à chanter devant le
cadavre, en guise de De profundis, l'hymne qui ne se
chante que devant le Saint-Sacrement.
L'enterrement, dira-t-on, n'en fut pas moins va-
lide, d'accord ; mais il n'est guère possible de pous-
ser plus loin l'ignorance, avouez-le franchement, et
l'ancien clerc aurait pu laisser un peu moins de sa
mémoire au-delà de l'équateur.
Soyons justes pourtant, des matelots ne sont pas
des théologiens, et Ton peut sans trop de honte
ignorer les prières des morts ; en fait de bévues sur
XI! AVANT-PROPOS.
îa religion, il y a mieux que cela, et nous ferions dés
volumes si nous voulions énumérer ici les méprises
dans lesquelles tombent tous les jours, je ne dis pas
des paysans, des gens sans instruction, mais des
hommes que leur position sociale met en évidence
et dont l'éducation soignée sur tout le reste rend
plus apparentes les fautes qui leur échappent sur la
religion.
Nous devons donc étudier cette science céleste
non-seulement pour apprendre à bien croire, bien
vivre, et à bien vivre pour bien mourir; nous le devons
par prudence et pour éviter le ridicule.
Que Ton fasse des solécismes en français, des bar-
barismes en latin, que l'on raisonne en vrai la Bé-
doliière, quand on est assuré de son million de lec-
teurs, à la bonne heure ! les épiciers de MM. Havin,
Jourdan, Delord et Lucas n'y regardent pas de si
près ; mais il n'est vraiment plus permis aujourd'hui
défaire naître Jésus-Christ à Nazareth avec M. Lher-
minier, ni à Jérusalem avec M. Roux-Ferrand, ni
d'écrire sur une feuille de papier, fût -on professeur de
calligraphie, que « Dieu est le plus juste des hommes
qui habitent la terre *,.. *» On ne peut même plus
dire, s'appelât-on M. Comte, que « la religion ne sera
1 Pendant une demi-beure, dit le Catéchisme de l'Uni*
versité, qui raconte ce fait, tous les élèves ont rempli
leur page de celte ébouriffante phrase.
AVANT-PROPOS. XIII
bientôt 'plus bonne que pour les chiens,.. » ce serait
commettre un anachronisme pyramidal et nous trans-
porter d'un trait de plume, nous chrétiens de Pie IX,
et Fiançais de Napoléon III, au siècle de Julien l'A-
postat, ou tout au moins à celui de Voltaire. Vous
ccncevez que celui qui oserait nier l'atmosphère
catholique qui nous environne, et parler de la reli-
gion, seulement comme on en parlait il y a une cin-
quantaine d'années, ferait rire aux larmes le bon
Ainsi nous étudierons notre religion pour ne pas
êtia ridicules, mais nous l'étudierons surtout pour
devenir conséquents. Chrétiens par le nom et le ca-
ractère, la religion nous enseigne à l'être par la
conduite ; elle nous enseigne à si bien régler nos ac-
tions, nos paroles, nos sentiments, toute notre vie,
que nous n'ayons à rougir ni devant Dieu, ni devant
leb hommes.
Un dernier mot, qui sera comme le bouquet spiri-
tuel de cet entretien préliminaire : traitons toujours
avec un saint respect la religion et la science céleste
qui l'enseigne ; n'affectons pas une incrédulité men-
teuse et ne nous posons jamais en esprits forts ; ils
ne sont plus de notre siècle ; et puis, c'est un vernis
qui va mal à la franche et loyale rondeur de notre
caractère. Soyons un peu de notre pays : fi donc !
un masque sur un visage français* i croire et dissi-
XIV AVANT-PROPOS.
muler sa foi comme si l'on avait peur \ Allons donc l
ce serait lâche, ce serait indigne, et, tout en vous
applaudissant, le monde lui-même voas mépriserait
dans son cœur.
Oh ! raisonnons tant qu'il vous plaira sur Dieu,
l'immortalité de l'âme et la divinité de la religion ;
étudions -en les preuves, examinons à loisir les fon-
dements de notre foi, rien de plus légitime et de
plus louable assurément ; car, de cet examen sé-
rieux, jaillira pour nous comme une éclatante lu-
mière, la vérité du catholicisme ; mais cette vérité
une fois connue, humilions notre orgueilleuse rai-
son devant la raison de Dieu, et, dociles désormais
aux saintes inspirations de la foi, marchons avec
confiance à la lueur de ce flambeau céleste, en disant
avec Samuel à celui qui est la Voie, la Vérité et
la Vie :
Parlez, Seigneur, car votre serviteur écoute 1
PETITS SERMONS
OU L'ON NE DORT PAS
PREMIER SERMON
nécessité d'étudier la religion,
Non est scicntia Dei in terra.
La science de Dieu est généralement ignorée sur la terre.
(Osée iv, 1.)
Mes frères, c'est une triste vérité qui! faut bien re-
connaître, si le siècle est en progrès, si les arts, l'in-
dustrie et les sciences humaines sont à leur apogée, au
plus haut point de leur splendeur, si l'homme, dévo-
rant l'espace sur les ailes de la vapeur comprimée,
ou planant dans les airs sur une légère nacelle, ou
bien envoyant en un clin d'oeil sa parole aux extré-
mités de l'univers, peut, aujourd'hui plus que ja-
mais, se dire et se croire en toute vérité le roi de la
création, il a singulièrement négligé les rapports
qui l'unissent au Créateur... Que dis-je, négligé?
ah ! il vit dans une lamentable ignorance de ces rap-
ports sacrés; et cette activité merveilleuse qui lui
avait été donnée pour les étudier, pour s'étudier
lui-même et connaître ses devoirs envers Dieu et
envers ses semblables, cette noble intelligence qu'il
devait appliquer ayant tout à l'étude ^e la religion.
2 PETITS SERMONS
il Ta appliquée à tout excepté à la religion : Dieu,
son âme, son origine et ses éternelles destinées,
toutes les vérités de la foi ont été pour lui des ques-
tions oiseuses ou tout au moins indifférentes ; en un
mot la créature est devenue l'objet exclusif de ses
études et de ses soins laborieux ; quant au Créateur,
il ne s'en est pas plus occupé que s'il n'existait
pas.
Et pourtant, du berceau à la tombe, quelle plus
importante affaire devait exciter notre sollicitude,
je vous le demande, n'est-ce pas là-dessus que pè-
seront un jour pour nous les jugements de Dieu 1
Ah ! laissez- moi donc ici, mes frères, dans une sé-
rie d'instructions bien courtes, bien familières, vous
rappeler les principales vérités de cette religion que
vous connaissiez si bien dans votre enfance, mais
que les passions de la jeunesse, les préoccupations
de l'âge mur, les infirmités de la vieillesse vous ont
peut être fait oublier : je vous dirai qu'il existe un
Dieu créateur de l'univers ; que l'homme se compose
de deux substances, l'âme et le corps ; que notre âme
est immortelle ; que nous avons des dogmes à croire
et des vertus à pratiquer ; en un mot, qu'il existe une
religion révélée qui résume tous nos devoirs envers
Dieu, envers nos frères, envers nous mêmes, et que
cette religion est la religion chrétienne dont l'Eglise
catholique est seule dépositaire.
Mais avant tout, comme l'ignorance religieuse est
la grande plaie de notre siècle, nous consacrerons trois
instructions préliminaires à l'étude de la religion.
Dans la première, nous tâcherons de vous faire bien
00 L'ON NE DORT PAS. 3
sentir la nécessité de vous en occuper sérieusement :
dans la seconde, nous vous indiquerons les moyens,
la marche et le but de cette étude, et dans la troi-
sième, nous répondrons aux principales objections
qu'ont faites de tout temps là- dessus l'impiété, l'indif-
férence et la paresse ; parlons tout d'abord de la né-
cessité pour nous d'étudier la religion.
— Mes Frères, êtes-vous chrétiens!
Cette simple question, la première qu'on adresse
à l'enfant du catéchisme et qui, posée en ce mo-
oient du haut de cette chaire, vous fait peut être
sourire et hausser les épaules de pitié, cette ques-
tion primordiale et décisive pourtant, quel est l'homme
sensé qui se l'est adressée, mais là, sérieusement,
et avec le désir bien arrêté d'y répondre quelque
chose de raisonnable ?
Et ici je ne parle pas de la nécessité où sont tous
les chrétiens de vivre en harmonie avec leur
croyance, et de ne pas renier par leur conduite les
engagements sacrés de leur baptême. Il est de toute
évidence qu'à moins d'être insensé, d'être un hypo-
crite et un scélérat, un homme doit vivre en chré-
tien, lorsqu'il en porte sur le front l'auguste carac-
tère. Mais je parle de la nécessité de vous compren-
dre vous-même, de vous définir et de vous expliquer
une bonne fois : je parle de la nécessité de trouver
enfin une réponse avouable à certaines questions
que tout homme qui a le sens commun a dû se poser
bien souvent dans sa vie, et dont celle du catéchisme
n'est que le résumé: — Qui suis-jel un homme ou
« un animal sans raison 1 et si j'ai quelque chose de
4 PETITS SERMONS
« pïus que le cheval qui me porte et que le bœuf
« qui rumine dans mon étable, qu'est-ce qui constitue
« cette différence 1
— « D'où viens-je? y a*t-il un Dieu créateur, ou
« bien tout ce qui existe est il éternel, ou l'œuvre
• d'un aveugle hasard ?
-— « Pourquoi suis-je sur la terre? Ai-je une
« âme immortelle, et, par de là la tombe, est- il un
« châtiment pour le crime, une récompense pour la
« vertu ? Lorsqu'on déposera mon corps dans la fosse,
« tout sera t-il fini pour moi comme pour l'animal
« qu'on jette à la voierie !
— « Et pour tout dire en un mot, dois-je être chré-
« tien, juif, mahométan, païen ou athée t »
Questions sérieuses, mes frères, questions pro-
fondes qui ont épuisé la science de tous les âges, de
tous les pays, et dont la solution a une portée im-
mense pour la société, la famille et l'individu.
Or, c'est dans la religion, et dans la religion seule
que se trouve la réponse à ces questions capitales,
et toute notre vie devrait être employée à l'étude de
cette science céleste qui nous éclaire sur nos plus
chers intérêts, en nous expliquant le mystère de notre
origine et de nos éternelles destinées.
Aussi je soutiens avec Pascal, que c'est être in-
sensé que de ne pas chercher la solution de ces ter-
ribles problèmes, et de vivre dans une indifférence
complète pour des vérités qui peuvent avoir pour
notre avenir, les plus redoutables conséquences 1
Est-il en effet une folie comparable à celle d'un
homme, d'un être intelligent et raisonnable qui vit
ou l'on ne dort pas» 5
au jour le jour, en philosophe, tranquille sur son
passé qui peut n'être pas sans crime, jouissant du
présent en véritable épicurien, sans souci de l'avenir
où il n'entend pas gronder l'orage parce qu'il se
ferme les oreilles, uniquement occupé à boire, manger,
dormir comme une bête de somme, sans savoir s'il ne
se réveillera pas entre les mains d'un Dieu vengeur 1
Mais la bête de somme, si elle pouvait raisonner,
réfléchir, prévoir, comme nous ; si, d'avance, elle se
voyait en face de la mort avec la liberté de l'éviter en
s'élançant vers un riant pâturage, serait-elle si tran-
quille en attendant le coup fatal ? et quand même elle
pourrait se croire le jouet d'un mirage trompeur,
quand même elle ne devrait être heureuse qu'en espé-
rance, toute vaine qu'on la suppose, ne lui semble-
rait-elle pas cent fois préférable aux terreurs de la
mort?
Ah ! n'en doutons pas, sa prévoyance nous prêche-
rait la sagesse, et cet instinct qui l'arrête tremblante
au bord d'un précipice, nous en dit plus que tous les
raisonnements.
Rien de plus insensé, mes frères, ajoutons rien de
plus ridicule et de plus honteux que d'ignorer sa
religion.
Il est des arts et des sciences qui ne sont pas du
domaine de tout le monde ; mais il y a de la honte
à ignorer ce que tout homme doit savoir. Tout le
monde ne peut pas être mathématicien, littérateur,
astronome, historien, poëte, mais nous sommes tous
obligés de connaître notre religion, sous peine d'être
ridicules.
6 PETITS SERMONS
Ne vous est-il jamais arrivé de voir entrer dans
l'église un homme qui, depuis longtemps, en avait
perdu le chemin ? — [1 avance d'un air distrait ; à sa
contenance embarrassée, on le dirait égaré dans quel-
que édifice inconnu... il est parmi les fidèles comme
un étranger : tout rétonne ; il ne comprend rien aux
plus augustes cérémonies ; ses genoux ne savent plus
fléchir ; sa main a oublié le signe de la croix : et fort
heureux encore quand il ne s'épouvante pas des
bénédictions du prêtre et ne tourne pas le dos à l'au-
tel 1 Mon Dieu, je sais bien qu'il n'en sera jamais
là, mais supposez-lui un degré de plus d'ignorance,
et on le prendra pour un sauvage!
Le mal du siècle, je le répète, mes frères, la plaie
générale de notre époque, c'est l'ignorance, mais une
ignorance fabuleuse en matière de religion. Il n'est
pas rare de voir des personnages, même haut placés
dans l'estime publique, tomber, sur la religion, dans
les plus étranges méprises.
Sortis, pour la plupart au moins, de ces établisse-
ments où la religion joue, dans l'éducation, un rôle à
peine secondaire, et lancés à toute vapeur dans le
tourbillon des affaires, du plaisir et des préoccupations
de la vie, est-il étonnant qu'arrivés à un certain âge,
ils aient perdu jusqu'aux plus simples vestiges de leur
éducation religieuse ?
Mais ce qu'il y a de plus triste, mes frères, c'est
que cette ignorance se trahit quelquefois chez les
hommes les plus instruits sur tout le reste, et les es-
prits les mieux cultivés. Les bévues de plusieurs phi-
losophes modernes, et de Voltaire lui-même, sur la
OU L*ON NE DORT i»AS, 1
religion, sont devenues proverbiales; il serait difficile
de se faire une idée de l'ignorance religieuse de la
plupart de nos lycéens et de nos bacheliers ; permet-
tez-moi d'en citer une preuve entre mille; c'est un
fait que vous avez pu lire naguère dans plusieurs jour-
naux de Paris et de la province.
— Parlons un peu religion, disait en pleine séance,
un examinateur d'aspirants au baccalauréat, à un
jeune élève qui avait eu des succès et faisait l'orgueil
de ses maîtres; voyons, monami, qu'était-ce que saint
Paul?
— Saint Paul, répond l'élève visiblement troublé
par une question si simple, saint Paul était... je
crois... un apôtre.
— Sans doute : mais qu'a-t-il fait, n'a-t-iî pas
écrit ?
— Ah ! oui, monsieur, il a écrit.,, il a fait des ou-
vrages très-estimés.
— Des ouvrages... ? des lettres, voulez-vous dire :
très-bien ; parlez-nous un peu de sa vier de sa con-
version ; que savez -vous de lui?
L'élève continuant de se gratter la tête et de regar-
der le plafond :
— Eh bien, saint Paul... l'apôtre saint Paul... ah !
j'y suis maintenant ; il faisait partie de la synagogue,
et gardait les vêtements des Juifs pendant qu'ils la-
pidaient Jésus-Christ.
... Le malheureux t La chronique ne dit pas s'il
faisait crucifier saint Etienne ; mais il est à croire pour
l'honneur de ses examinateurs que son diplôme fut
ajourné.
$ PEÎtTS SRïlMONâ
Ignorance grossière, ignorance colossale sans doute
et qui rend un homme ridicule, même aux yeux du
monde ; mais ignorance coupable qui prête encore
moins à rire qu'à £émir.
Car enfin, mes frères, si Dieu existe, s'il nous a
donné une religion à suivre et des devoirs à remplir,
n'est-ce pas un crime que de les dédaigner et de né-
gliger de s'en instruire ?
De même que nul n'est censé ignorer les lois de
l'Etat, nul n'est admis à ignorer sa religion. Je dis
plus : les intérêts de Dieu étant supérieurs aux in-
térêts de l'Etat et la loi divine étant la base des lois
humaines, la religion qui nous l'enseigne doit passer
avant elle: nous sommes enfants de Dieu avant d'être
citoyens.
Or, si l'ignorance affectée de la loi civile, en rend
les violateurs plus coupables, que dire de celui qui
néglige volontairement de s'instruire de sa religion ?
Son ignorance, au jour de la justice, pourra-t-elle
servir d'excuse aux iniquités dont elle aura été la
source, et n'en doublera-t-elle point au contraire la
malice ?
Ah ! n'en doutons pas, mes frères, le Dieu qui saura
pardonner les fautes échappées à. la faiblesse, à la
fragilité du malheureux Adam, sera sans pitié pour
l'aveugle volontaire tombé dans l'abîme ; il aura des
vengeances spéciales pour le criminel qui s'est obsti-
né dans son ignorance pour faire le mal plus à l'aise î
Oh ! pour que Dieu nous préserve de ce sort fatal,
nous étudierons notre religion, et nous l'étudierons
avec la conviction bien ferme et bien arrêtée que, de
OU ï/ON NE DOHT PAS, 0
notre diligence à nous instruire de nos devoirs envers
Dieu, envers nos frères et envers nous-mêmes, dépend
notre éternel avenir.
Comme on creuse une mine dont les riches filons
produisent beaucoup d'or, nous creuserons cette
science sacrée où s'ouvrent sans cesse devant nous
des horizons nouveaux ; et s'il ne nous est pas donné
d'y atteindre la perfection des grands docteurs, nous
y apprendrons au moins à aller de vertus en vertus
jusqu'à la sainte montagne où nous attend la couronne
promise au serviteur fidèle. Ainsi soit-il.
DEUXIÈME SERMON
OU, COMMENT, ET DANS QUEL BUT FAUT -IL ÉTUDIER
LA RELIGION.
Disce ubi sit prudenlia, ubi sit virtus, ubi sit intellectus.
Apprenez où se trouve la prudence, la vertu, l'intelligence.
(Baïuch, m, 14.)
Mes frères, vous avez tous, j'aime à le croire, pris
au sérieux votre religion, et il n'en est certainement
aucun parmi vous qui ne sente la nécessité de l'étu-
dier s'il l'ignore, ou de s'en rafraîchir la mémoire s'il
l'avait oubliée : et cela, non-seulement pour apprendre
la science salutaire qui enseigne à bien vivre et à bien
mourir, mais encore pour échapper au ridicule dont se
couvrent trop souvent hélas ! des gens instruits dans
les sciences profanes, et qui ignorent les vérités les
plus simples et les plus élémentaires du catéchisme.
Il est donc bien entendu, mes frères, que nous étu-
10 PÈfïTS SBHMONS
dierons notre religion : mais, où, comment et dans
quel but devons-nous l'étudier î c'est ce que nous al-
lons examiner en peu de mots.
Si nous avions à parler ici à ces petits docteurs
dont l'orgueilleuse suffisance affecte de raisonner et
de déraisonner sur les choses de Dieu, et qui trai-
tent la religion par dessus l'épaule ; si nous avions
à convaincre ces menus philosophes qui ne discutent
plus, n'examinent plus, car ils ont leur idée ins-
pirée par les passions ou puisée dans quelque livre
impie ; si nous nous adressions à cette classe d'in-
différents aujourd'hui peu nombreux qui, à toutes
vos raisons, à tous vos arguments, haussent les
épaules et répondent avec un superbe dédain :
Qu'est-ce que cela méfait? nous nous bornerions à
les renvoyer à Pascal, à Euler, à Léibnitz ou mieux
encore, au patriarche de l'incrédulité, qui excelle à
prouver le pour et le contre, mais qui n'est jamais
plus éloquent que lorsqu'il parle en chrétien,., et
tenez, mes frères, voici comment il s'exprime à l'adresse
des indifférents : le sophisme les égara, c'est bien le
moins que le sophiste les ramène.
« Je n'ai pu encore m'habituer, à mon âge, à l'in-
« différence et à la légèreté avec laquelle des per-
« sonnes d'esprit traitent la seule chose essentielle,
« la vérité de la religion Au bout du compte, quoi
« qu'on dise, la chose vaut bien la peine d'être exa-
« minée : et pourtant je ne crois pas qu'il y ait dans
« une grande ville deux cents personnes qui s'en
h soient réellement occupées : presque tous disent :
* Que m'importe ? Et après avoir ainsi parlé, ils vont
OU L'ON NE DÔKT PAS. Il
« compter leur argent et courent au spectacle... La
« religion exige absolument l'attention de tout hon-
« nête homme : on est un sot et indigne de vivre
* quand on passe son temps dans de vains plaisirs
* et que l'on traite avec tant d'indifférence et de légé-
« reté l'objet qui nous intéresse le plus *. »
Voilà ce que nous dirions aux petits philosophes
qui se croient encore au siècle de l'Encyclopédie et
s'obstinent à méconnaître l'atmosphère de catholi-
cisme qui nous environne: mais, encore une fois,
nous ne devons nous occuper ici que de l'igncrance,
de l'ignorance qui, de bonne foi, cherche la lumière ;
et nous voyon3 avec bonheur que le peuple ouvre les
yeux sur ses vrais intérêts, et ne prend plus la ca-
lomnie pour de l'histoire, ni des blasphèmes pour
des raisons. Il a fini par comprendre que ce n'est pas
dans les livres impies ni dans les romans grivois que
l'on doit aller étudier la religion. Prendre pour guides
dans cette divine science les incrédules qui la com-
battent ou les libertins qui la calomnient, c'est évi-
demment vouloir s'égarer.
— Règle générale, mes frères, des ouvrages des
sliilosophes du dernier siècle et des écrivains de nos
murs, romanciers, historiens ou poètes, on ne doit
prendre au sérieux, passez-moi l'expression, que ce
qu'ils ont écrit à jeun, c'est-à-dire lorsqu'ils étaient
calmes, réfléchis ou malades..... Il est des moments
-ïans la vie où les passions se taisent, où l'on est seul
in face de sa conscience, de cette conscience sévère
i foltaire.
12 PETITS SERMONS
dont le cri peut être un instant étouffé, mais qui ne
perd jamais ses droits.,. Alors, à la voix d'une raison
naturellement chrétienne qui prêche malgré vous au
fond du cœur, on change de ton, le masque tombe%
V homme reste, le comédien s'évanouit.
C'est alors qu'il faut les saisir, ces caméléons per-
fides qui changent de couleur à toutes les heures du
jour, alors qu'ils prêtent le flanc, ces protées insaisis-
sables, après qu'ils ont dîué. C'est surtout à l'heure
de la mort que les impies voient autrement les choses;
leur langage et leur conduite à cette heure solennelle
sont la meilleure pierre de touche pour juger leurs
écrits .
Ainsi, l'homme qui veut sérieusement s'instruire
de sa religion, doit, après avoir tout d'abord imposé
silence à ses passions et banni de son esprit toute
espèce de préjugés, l'étudier dans des auteurs
graves, pieux et qui l'aient eux-mêmes pratiquée. Un
libertin ne saurait parler avec onction de la chasteté,
un malhonnête homme de la probité, un avare de la
bienfaisance; et il serait aussi imprudent d'étudier
la religion ailleurs que dans les auteurs religieux que
ridicule d'étudier le droit dans un livre de médecine,
l'histoire dans un code et la géométrie dans un
roman. Loisqu'on part pour une contrée lointaine,
inconnue et d'un accès difficile, on prend un guide
prudent, éclairé, d'une probité connue ; voilà juste-
ment la règle à suivre dans l'étude de la reli-
gion ; celui qui l'étudié dans de mauvais livres est un
malheureux qui s'engage dans un bois avec l'assassin
auquel il a confié sa défense.
ou l'on ne dort pas. 13
Comment faut-il étudier? La réponse est aisée,
mes frères. La religion étant la science du salut, la
clef de notre bonheur dans ce monde et dans
l'autre *, elle doit donc être l'objet de nos soins
constants, l'âme de nos pensées, Il faut étudier la
religion, creuser, approfondir ses divins enseigne*
ments comme on creuse une mine dont les riches
filons produisent beaucoup d'or... Celui qui viendrait
d'apprendre qu'un trésor est caché dans son champ,
avec quelle ardeur, quelle anxiété, quelle infatigable
énergie ne le fouillerait-il pas ? — Eh bien ! la reli-
gion est la mine la plus féconde, elle renferme le plus
riche trésor qu'il nous soit donné de posséder
sur la terre : mieux encore, les biens que nous y pui-
serons sont d'un prix inestimable et nul ne pourra
nous les ravir ; ils nous suivront au-delà du tombeau,,
puisqu'en étudiant la religion, l'homme apprend à
bien vivre et que d'ordinaire, on meurt comme l'on a
vécu.
Ainsi devons-nous étudfer cette divine science'
mes frères : l'étudier sans relâche, car fussions-nous
montés aussi haut que Tertullien, saint Thomas et
Bossuet, à nos yeux s'ouvriraient toujours des ho-
rizons nouveaux : l'étudier avec méthode, avec suite,
car dans la religion tout s'enchaîne, tout est admi-
rablement coordonné ; l'étudier avec crainte et trem-
blement, car de cette étude dépend pour beaucoup
d'entre nous l'avenir éternel ; nous devons surtout
l'étudier avec confiance, une confiance toute filiale
1 Pietas ad omnia utilis esty promissionem habens vite
qux nunc est, et futur w. I Tirnoth. iv, v. 8,
14 PETITS SERMONS
sous l'oeil de Dieu qui bénira notre ardeur et sera lui-
même notre guide : mais il faut pour cela qu'il soit
l'objet et le but Gnal de nos constants efforts.
Ne nous y trompons pas, mes frères, c'est uni-
quement pour Dieu que nous devons entreprendre
cette étude salutaire, c'est pour le chercher dans la
simplicité de notre cœur ; tout autre but serait frivole
et indigne d'un chrétien.
La religion n'est pas une science purement spécu-
lative que l'on approfondisse par curiosité, par dé-
sœuvrement, pour se donner un vernis d'érudition :
une de ces sciences que l'on étudie un moment sans
conséquences pour sa conduite, de même que cet in-
sensé dont parle l'Évangile, qui contemple son visage
dans un miroir et qui l'oublie l'instant d'après. La
science religieuse est essentiellement pratique : on ne
doit chercher la vérité qu'avec le désir bien arrêté de
marcher à sa lumière, et d'en montrer l'application
dans sa conduite et sa vie. Le nom seul de la reli-
gion, religio, de reliyare, qui signifie unir, en in-
dique le but. C'est le lien sacré qui unit l'homme au
Créateur, le code et le résumé de ses devoirs envers
Dieu, envers ses frères et envers lui-même.
— Envers Dieu, dont elle lui révèle l'existence, les
incommunicables attributs, les bienfaits, et par suite,
les droits inflnis à notre adoration et à notre
amour ;
— Envers nos frères, auxquels elle nous unit par
les liens d'une sainte charité, comme enfants d'une
mcîme famille, compagnons des mêmes travaux, des
mêmes combats et héritiers des mêmes espérances.
ou l'on ne dort pas. 15
— Enfin envers nous-mêmes, en nous prescrivant
des lois de tempérance et de modestie, en nous péné-
trant d'une sainte vénération pour la vivante image
de Dieu, les membres de Jésus-Christ, le temple de
l'Esprit- Saint.
C'est dans l'unique but de bien remplir ces devoirs
que l'homme doit étudier sa religion ; c'est pour en
devenir meilleur et puiser, dans cette science céleste,
l'amour du bien, l'horreur du vice et le courage de la
vertu. Volontiers Dieu se découvre à l'homme qui le
cherche avec un cœur pur ; il éclaire de sa lumière
celui dont l'âme est simple, la volonté droite, et qui
lui dit avec saint Augustin: Que je vous connaisse,
mon Dieu, et que je me connaisse moi-même ! Nove-
rim te, noverim me!
.... Que je vous connaisse, pour vous adorer, vous
chérir et chanter vos louanges ; mais que je me con*
naisse aussi, Seigneur, pour sentir ma faiblesse, mon
néant et tout ce que je vous dois de reconnaissance et
d'amour, pour avoir comblé tant d'abîmes qui me sé-
paraient de vous ! Noverim te, noverim me !
Cette profonde parole, mes frères, cet ardent sou-
pir du plus grand docteur de l'Église sera la règle
constante et invariable de notre étude, le bon ange
qui vous tiendra par la main dans le mystérieux la-
byrinthe où nous nous engageons, l'étoile bénie qui
nous guidera sur ces océans inconnus, et, si notre
barque chancelle, l'ancre salutaire qui nous fixera au
portl Ainsi soil-ill
%
16 PETITS SERMONS
TROISIÈME SERMON
RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS.
Vidcte ne seducamini. (Luc. xxt, 4.)
Gardez-vous de vous laisser séduire.
Mes frères, s'il y a de la honte à ignorer sa religion,
si c'est une folie de négliger de s'en instruire, une im-
prudence criminelle de 1 étudier dans de mauvais livres
ou de ne s'en occuper que comme une de ces sciences
futiles qui ornent l'esprit sans nous rendre meilleurs,
que dire de celui qui cherche à se tranquilliser dans
son indolence par mille raisons plus ou moins dérai-
sonnables, qui s'étudie à trouver des prétextes, des
excuses pour autoriser son apathie et son ignorance
des vérités les plus élémentaires de la foi? Quel nom
donner à ces sourds qui ne veulent pas entendre, à
ces aveugles obstinés qui se plaisent dans leurs té-
nèbres, comme s'ils espéraient, en fermant les yeux,
anéantir les rayons du soleil?
Ah ! disons-le en gémissant, chrétiens, ce sont des
misérables que Dieu jugera sans miséricorde, car ils
commettent, en s'obstinant dans leur ignorance et
leur aveuglement, le péché contre le Saint-Esprit, ce
crime effrayant qui n'est remis ni dans ce monde ni
dans l'autre !
Pour mieux nous prémunir contre ce crime fatal
et vous en dévoiler ici toute la malice, examinons,
en essayant d'y répondre, les principales difficultés
que l'on oppose à l'étude de la science religieuse-
OU l'ON VE DORT PÀ& 17
vous verrez que ceux qui font ces objections pour
autoriser leur ignorance et leur paresse, sur quelque
ton qu'ils parlent, sérieusement ou pour se donne*
du jabot, vous verrez que ces chrétiens qui posent
ainsi en esprits forts, n'ont du chrétien que le nom et
sont généralement pervers, à moins qu'un petit grain
de folie ne les excuse.
— Mais laissez-moi donc tranquille, dit-on, et ne
me parlez pas de religion.
— Et pourquoi ne vous en parlerai s -je pas? Est-il
pour vous une question plus pressante, plus capitale
et plus décisive : mon silence et vos dédains lui feront-
ils perdre de son importance. Espérez-vous peut-être
anéantir Dieu, votre âme et l'autre vie en ne vous en
occupant pas 1 Ah ! s'il est vrai que tout cela existe,
tous vos dédains, toutes vos répugnances ne sauraient
le détruire : et ce n'est pas le moyen de vous rendre
le Ciel favorable que d'en chasser la pensée comme un
souvenir importun. — Que je vous laisse tranquille!
nuis ne l'êtes- vous pas depuis assez longtemps!
Voyons, quel âge avez-vous et depuis quand sommeil-
lez-vous ainsi] — Quoi 1 voilà vingt, voilà trente ans,
voilà quarante ans peut-être que vous vivez plonge,
dans le perûde repos des sens et vous n'êtes pas encore
fatigué de cet état de torpeur et de léthargie, et vous
voulez rester ainsi jusqu'à votre heure dernière;
et vous ne tremblez pas qu'il y ait quelque chose
au-delà du tombeau ? Ah ! vous oubliez que vous
n'avez pas été placé sur la terre uniquement pour y
vivre riche, puissant, honoré, pour y nager dans les
plaisirs : tout cela peut être excellent pour le bon-
18 PETITS SERMONS
beur du corps qui vous est commun avec la brute,
mais vous me permettrez sans doute d'établir entre
vous et la brute une différence à votre avantage ;
pour un moment du moins, vous admettrez que nous
avons une âme immortelle qui vit, s'alimente et jouit
autrement que le corps... A l'âme, à cette céleste
émanation du souffle créateur, il faut une nourriture
céleste, le pain sacré de la parole de Dieu, la médita-
tion des vérités éternelles, la religion ; et cet aliment
divin lui est si nécessaire qu'elle languit et meurt
lorsqu'elle en est privée...
— Que je ne vous parle pas de la religion ! Mais
de quoi voulez-vous que je vous parle 1 De vos
champs, de vos vignes, de vos prés, de vos bois ?
Mais ils sont l'objet de vos soins continuels, de votre
constante sollicitude. — De votre commerce, de vos
affaires ? A quoi bon ? vous en êtes préoccupé nuit
et jour, vous vous épuisez en expédients pour les
faire réussir. — De vos richesses, de votre or, de votre
argent ! Mais vous en avez fait votre idole, et ne
vous en cachez pas ! De quoi faut-il que je vous en-
tretienne ? De vos talents, de votre naissance, des
honneurs qu'on vous rend ? Je le ferais volontiers, si
le diable ne l'avait fait avant moi. — De vos espé-
rance, de vos projets d'avenir sur la terre ? Mais
supposé qu'ils soient sérieux, êtes-vous sûr de les
voir se réaliser ? En un mot, vous parlerai-je des in-
térêts du temps ? Mais ils parlent déjà si haut dans
votre âme, qu'ils y étouilent la voix de ceux de
l'éternité !
AU 1 laissez moi plutôt faire appel à la raison, au
OU Lu-S SE DORT tk§l 19
bon sens, à l'instinct de la conservation, îe dernier
qu'on abdiqur ; laissez-moi vous parler au nom de
votre âme qui se meurt d'inanition 1 Si vous n'avez
pas entendu ses gémissements de détresse, c'est
qu'absorbé par la terre et les soins du corps, vous
n'avez pas même songé à vous demander si vous
avez une âme, et s'il y a réellement une autre vie !
Voici donc le moment de se réveiller de cette apathie
indigne ; commencez enûn à vivre en homme, à relié-
chir sérieusement, à méditer su? votre origine et votre
avenir, à étudier votre religion.
— Ma religion ? je la connais, je la sais depuis mon
enfance !
— Vous savez votre religion ! et si je prouvais moi,
que vous êtes dans l'erreur ? — Je veux pour un mo-
ment que, dans votre jeune âge, aux jours fortu-
nés de votre première communion, vous ayez parfai-
tement possédé votre catéchisme et les éléments de la
doctrine chrétienne ï mais depuis cette aimable aurore
de votre vie, tant de nuages ont passé sur votre
horizon, tant d orages se sont déchaînés sur votre
nnocence que le frêle édiiiee de votre éducation pre-
mière doit avoir été, sinon détruit, au moius forte-
ment ébranlé. — Puis sont venus les passions de
l'âge mûr, les affaires, l'ambition, les soucis, les
projets, les préoccupations d'avenir, de famille, que
aais-je ? Ah ! vous seriez un prodige, mon frère, si,
absorbé comme vous l'êtes, et depuis si longtemps,
vous n'aviez pas complètement perdu de vue les pre-
miers éléments de votre éducation religieuse, à
moins que fidèle à quelque forte et généreuse résolu-
20 PETITS SEMIONS
tion de vos jours de ferveur, vous n'ayez de temps en
temps rafraîchi vos souvenirs dans les livres de la
jeunesse: mais laissez-moi vous le dire, il n'en est
pas ainsi ; comme tant d'autres, vous avez oublié lea
grandes vérités de la foi et seriez peut-être embarrassé
pour répondre aux questions les plus simples du
catéchisme.
Il n'y a pas longtemps, on donnait une retraite dans
un couvent de religieux dominicains.
Parmi les prêtres qui s'y étaient rendus en grand
nombre, on remarquait plusieurs hommes du monde
et des premiers rangs de la société. Un jeune homme
fort distingué qui venait d'arriver et qui se sentait peu
fait à la méditation, alla trouver le supérieur et lui
demanda un livre pour suivre les exercices de la re-
traite, et fixer la mobilité de son esprit.
Le bon religieux lui en remit quelques-uns, et lui
recommanda de les lire avec attention,
— Merci, mon Père, répondit le jeune homme ; je
vais les lire et les méditer à l'aise.
Tout en se rendant à son appartement, il jeta les
yeux sur les livres qu'il emportait, et fut surpris d'y
voir un catéchisme.
— Ah ! ça, dit-il en lui-même, vivement piqué dans
son amour-propre, on me prend donc ici pour un igno-
rant ou pour un imbécile?
Là dessus, il revient sur ses pas et va frapper de
nouveau à la porte du supérieur.
— - Mais, mon Père, lui dit-il avec un léger sourire
qui laissait percer le dépit, quel livre m'avez -vous
donné là ?
OU L*ON NE DORT PAS. 2i
— Mon Dieu, mon ami, répond le bupérieur avec
bonté, ce livre n'a rien de blessant pour vous : la règle
de la maison le veut ainsi ; nous donnons toujours un
catéchisme aux personnes qui viennent ici faire leur
retraite...
— Eh î bien, mon Père, vous pouvez le reprendre,
je n'ai pas de temps à perdre et vous me ferez Thon»
neur de croire que je n'ai pas besoin de catéchisme...
Est-ce que je n'ai pas su tout ce livre-là par cœur à
l'âge de dix ans, et n'est-ce pas se moquer de moi
que de me mettre aujourd'hui à l'A, B, C, D, de ma
religion ?
— Ah ! vous le prenez sur ce ton, monsieur, dit
alors en riant le supérieur qui n'était pas fâché de
donner à ce jeune homme une leçon profitable, eh
bien, puisque vous avez su votre catéchisme à dix
ans, voyons si à trente-cinq vous ne l'avez pas un peu
oublié...
Alors commença un petit examen, fort simple tout
d'abord et fort in offensif, auquel pourtant le jeune
homme répondit assez maL Ce fut bien pis quand
aux questions innocentes succédèrent de plus sérieuses;
il balbutiait quelques mots de réponse sans suite et
tout en se frappant le front ; il ne se serait jamais cru
si arriéré.
Se trouvant enfin cerné de plus près, notre jeune
docteur finit par rester court.
Le bon religieux, qui souffrait de son embarras,
allait mettre un terme à ce pénible interrogatoire,
quand le jeune homme, visiblement ému et pénétré
d'une confusion salutaire, s'écria ;
22 PET TS SERMONS
— Oh ! donnez-moi ce livre admirable, mon Père !
je sens plus que jamais le besoin de le revoir: et
puisse-t-il me rendre la paix de l'âme en me rendant
la science du salut î
Hélas ! mes frères, combien parmi vous, peut-être,
seraient dans le même embarras, s'ils avaient à soute-
nir un examen tant soit peu sérieux sur les vérités
les plus élémentaires de la religion ! que dis-je ? e'.
sur les obligations de notre état et sur l'ensemble de
nos devoirs envers Dieu, envers le prochain, envers
nous-mêmes. Je dis ces devoirs ordinaires et journa-
liers qui doivent faire la matière de notre jugement !
Àh ! je vous en prie, étudiez-les avec soin, ne
cherchez plus des prétextes, des faux-fuyants pour
vous en dispenser; vous porteriez à votre âme un pré-
judice réel en la privant de l'aliment céleste qui de-
vait la soutenir dans te pèlerinage de la vie, lui
donner des armes contre les passions et l'aider à con-
quérir la palme de la vertu I
QUATRIÈME SERMON
SUITE DES OBJECTIONS.
Non est m ore eorum veritas, cor corum vanum est,
La vérité n'est point dans leur bouchej leur cœur est plein
de vanité. (lJs. v, 10./
Mes frères, c'est une étrange chose que la répu-
gnance des libertins, des impies et des mauvais chré-
tiens à s'occuper de religion : avez vous jamais cher-
ché à en deviner la cause î
Pour moi je la trouve dans la haine du devoir et là
ou l'on ne doivt pas 23
peur de l'avenir... aussi voyez comme ces malheu-
reux se battent les flancs, comme ils se fouettent
l'imagination pour inventer des raisons, des prétextes
qui excusent leur antipathie, ou tout au moins leur in-
différence pour tout ce qui, de près ou de loin, touche
à la religion... ne nous lassons pas de les entendre
rabâcher leurs vieilles rengaines : — Bah ! disent-ils
avec une feinte bonhomie, Dieu nous défend de scru-
ter ses mystères ; d'ailleurs il suffit de la bonne foi du
charbonnier.
— Entendons-nous d'abord : S'il nous est défendu
de scruter les mystères divins, il nous est ordonné
de les apprendre : Fapôtre saint Paul veut que
notre foi soit raisonnable. Or, comment le serait- elle
si elle n'était précédée de l'examen sérieux de son
objet, c'est-à-dire de l'ensemble des vérités nue nous
devons admettre ainsi que des moti(s qui nous portent
à croire, et rendent notre foi intelligente î
Nous devons, il est vrai, savoir humilier notre
raison devant l'impénétrable profondeur de nos
mystères ; et ne point oublier que l'insensé qui
plcnge dans la majesté divine un regard téméraire-
ment scrutateur sera écrasé par la gloire du Tout-
Puissant. Mais il y a tout un abîme- entre l'orgueil-
leux qui scrute Dieu pour le comprendre, ne voulant
croire qu'à ce prix, et le fidèle, qui étudie humblement
pour s'instruire et recueillir, s'il le peut, un rayon de
cette majesté adorable pour en repaître son amour...
En matière de foi, ce n'est pas l'étude et l'examen qui
nous sont interdits, c'est cette obstination curieuse
qui cherche l'évidence sur a terre et veut déchirer,
24 PETITS SERMONS
en dépit de Dieu, le voile sacré qui nous dérobe îe
Saint des saints. Loin de condamner tout examen de
ses mystères, la religion nous fait au contraire un
devoir de les étudier, nous permet de les interroger,
de chercher à nous en rendre raison, pourvu toutefois
que nous sachions nous arrêter dans cet océan sans
rivage sitôt que notre œil ne peut, par lui-même,
pénétrer plus avant, et nous tourner alors vers le
phare auguste de la foi qui doit y diriger nos pas...
Mais, encore une fois, nous devons étudier, nous
sommes dans un siècleoù la bonne foi du charbon-
nier ne suffit pas : louable et méritoire dans l'homme
des champs, dans celui dont l'existence s'écoule
dans l'innocence et la simplicité d'un autre âge, elle
n'est plus permise à ces hommes altérés d'instruc-
tion et de progrès qui se font gloire d'être supérieurs
en toute autre matière et consument leur vie à l'étude
des sciences profanes.
Mais, que dis-je, mes frères 1 Ah ! cette bonne foi
du charbonnier est-elle même possible de nos jours î
Il y a dans l'atmosphère je ne sais quelle influencé
tristement civilisatrice qui, de la ville, rayonne dans
les campagnes, et jusqu'au fond des hameaux les
plus ignorés. Est-ce que tout le monde aujourd'hui
n'est pas un peu docteur]... Est-ce que le dernier
des paysans ne se croit pas un personnage, pourvu
qu'il sache lire et qu'il ait contemplé, une seule fois,
les fils du télégraphe ou les rails d'un chemin de fer 1
Non, non, la bonne foi du charbonnier n'est plus
de notre temps ; et, puisque nous nous éloignons de
plus en plus des mœurs patriarchales de nos pères,
ou l'on ine dort pas. 25
puisque la vapeur nous lance à toute vitesse dans la
voie de la civilisation et du progrès, la prudence nori;
fait un devoir de ne plus nous contenter de la bon
foi du charbonnier, mais d'étudier la religion, e,
d'emporter avec nous ce frein puissant qui nous ar-
rêterait en cas de sinistre, et serait notre bon ange
gardien.
v~- Mais c'est si ennuyeux d étudier la religion !
— Voilà, certes, une difficulté sérieuse ! Et quelle
idée auriez-vous d'un gentilhomme dont on conteste
les titres, s'il s'endormait dans une lâche indolence,
à la veille peut-être d'être privé d'un beau nom et
chassé d'un magnifique domaine, et cela, parcequ'il
trouve ennuyeux d'étudier son arbre généalogique,
et ne veut pas se donner la peine de rechercher, dans
les archives de sa fami!!e, les titres qui consacrent
ses droits à l'héritage de ses aïeux î Ne diriez-vous
pas qu'il a perdu la raison, ne le jugeriez-vous pas
indigne de porter un nom que sa lâche insouciance
déshonore ?
Eh bien, voilà justement la folie et le malheur du
chrétien qui dédaigne de rechercher ses titres de
noblesse en négligeant d'étudier sa religion... Q.ue
dis- jet Ah ! il est cent fois plus à plaindre que l'insensé
qui dégénère d'une manière si honteuse ; la figure
du monde passe, dit l'Ecriture ; nobles et roturiers,
riches et pauvres, il nous faut tous mourir, et nous
n'emportons dans la tombe ni titres ni fortune :
vient un jour suprême où nous sommes tous con-
fondus dans la triste égalité du cercueil. Mais mai-
heur à celui qui aura, par sa faute, ignoré ses titres
26 PETITS SERMONS
à l'héritage et à l'immortalité des deux! malheur
au chrétien lâche et indolent, dont la vie se sera
écoulée oisive et stérile, entre le berceau et la tombe,
sans qu'il se soit donné la peine d'y plonger le
regard et de les interroger sur son origine et son
avenir !
Car enfin, de deux choses l'une : ou l'homme seter<
mine à la tombe, ou bien il y a une autre vie.
Si tout finit avec le corps, si la religion est une
chimère, à la bonne heure ! on peut alors sans
crainte passer sa vie à chanter, rire, boire, manger
et dormir ; mais si l'homme ne meurt pas tout entier
comme son cheval, son bœuf et son chien, si, quand
tout pour nous sera consommé sur la terre, nous de-
vons tomber dans les mains d'un juge suprême qui
nous attend à cette heure solennelle pour nous
récompenser ou nous punir, je soutiens avec Voltaire
que la question change d'une manière effrayante et
que la chose vaut bien la peine d'être examinée,, si
ennuyeux que puisse être cet examen.
Oh ! s'il n'y avait qu'à fermer les yeux pour dé-
truire la lumière, à se boucher les oreilles pour ren-
dre la foudre muette; s'il suffisait de vivre sans
souci, en sybarite et tout entier dans ce monde pour
n'avoir rien à craindre dans l'autre ; si, pour anéan-
tir l'éternité nous n'avions qu'à nous étourdir dans
le temps, et, pour tout dire en un mot, si l'existenbe
de Dieu, de notre âme et de l'autre vie dépendait
de nos affirmations, de nos négations ou même de
nos répugnances, on concevrait cette obstination à
$'aveugler, à ignorer, à due: Que m'importe! mais
ou l'on ne dort pas. '27
le malheur, mon frère, c'est que tout cela est hors
de nous, loin de nous et indépendant de notre vo-
lonté ; le malheur, c'est que tout cela nous gou-
verne et que nous ne le gouvernons pas. Qu'il soit
ennuyeux de s'occuper de religion, lorsque l'on a
surtout quelque raison de la regarder du mauvais
côté, j'en conviens ; mais il sera plus pénible encore
et plus ennuyeux si, faute d'ouvrir les yeux pom
voir l'abîme, on vient à s'y précipiter. Concluons
donc, chrétiens, qu'un homme raisonnable ne doit
pas avoir de plus sérieuse occupation sur la terre
que l'étude de la religion, puisque cette science au-
guste élève l'âme, la pénètre de l'amour de la vertu,
et, nous enseignant à bien vivre, nous enseigne à
bien mourir.
— Tout cela est bel et bon, mais je n'ai pas le
temps.
— Je le crois bien 1 Celui que vous laissent vos
affaires et les préoccupations de la vie, vous cher-
cherez tous les moyens de le tuer, suivant l'expres-
sion qui vous est familière, et vous regardez comme
perdu tout celui que vous ne passez pas à vos inté-
rêts ou à vgs plaisirs. — Vous n'avez pas le temps !
eh bien 1 à la bonne heure I il vous en faut tant pour
la promenade, les visites inutiles, les conversations
frivoles, les amusements dangersux, quelquefois pour
le crime, qu'il ne vous en reste plus pour étudier la
religion... Le moyen, s'il vous plaît, de trouver une
heure à employer utilement, quand on s'est fait une
nécessité de la bagatelle î
Reste à examiner si l'amusement doit faire oublier
28 PETITS SERMONS
e devoir, et si les plaisirs d'un jour doivent passer
avant la conquête d'une gloire et d'une félicité per-
manentes ; reste à savoir si le soin du corps doit avoir
le pas sur le soin de l'âme, et les intérêts du temps
l'emporter sur ceux de l'éternité. — Vous n'avez pas
le temps! Mai. à qui donc parlez-vous ? quoi ! c'est à
Dieu lui-même que vous osez donner cette excuse 1
Soyez franc, avouez que vous n'y songiez pas. On
peut abuser les hommes avec de vaines paroles,
mais on ne trompe pas Dieu. Ne dites donc plus que
vous n'avez pas le temps, dites que vous ne voulez
pas l'avoir, que vous voulez profiter de la santé, de
la jeunesse, et que, pour la religion, vous l'étudie-
rez plus tard, quand l'âge aura refroidi le sang dans
vos veines, engourdi vos membres et blanchi vos
cheveux ; dites que vous vous occuperez de religion
à votre dernière maladie, quand le prêtre viendra
remplir auprès de vous sa triste mission et vous pré-
parer au passage du temps à l'éternité... Voilà com-
ment vous parleriez avec un peu plus de franchise et
ce qu'en ce moment peut-être vous vous dites au fond
du cœur...
Eh bien, je n'ajoute qu'un mot, chrétiens, car
vous sentez vous-mêmes la folie d'un tel raisonne-
ment. — Oui, si Dieu vous en laisse le temps et la
force, vous réfléchirez sérieusement à cette heure
suprême -, à l'approche de la mort, le souvenir d'un
passé coupable, l'attente d'un jugement sans pitié
vous feront changer de langage, et votre âme sé-
chera de terreur; oui, sans doute, à l'heure de la
mort, pourvu que vous ne soyez pas emporté comme
ou l'on ne DcrvT pas. 29
par un coup de foudre et que vous ayez le bonheur
de vous reconnaître, il faudra bien vous occuper de
religion, fussiez-vous plus impie que Voltaire et Rous-
seau ; sans doute, cetie religion céleste que l'on re-
pousse et dont on ne veut pas, tandis que Ton se
trouve plein de vigueur et de jeunesse, il faut bien
bon gré mal gré compter avec elle à l'heure terrible
où tout vous abandonne ; mais malheur à celui qui
attend à ce moment fatal ! Malheur à l'imprudent
qui se laisse tout à coup précipiter dans l'abîme au
lieu d'en descendre lentement les degrés ! Il est tard
d'apprendre à vivre lorsqu'on va mourir, a dit un
pieux auteur, et insensé de ne s'enquérir du chemin
que quand la route est terminée !
Oh! nous étudierons donc notre religion, mes
frères 1 nous demanderons à cette science céleste le
secret de notre origine et de nos éternelles desti-
nées ; et cette mine féconde que nous creuserons
avec ardeur ouvrira devant nous des horizons nou-
veaux, une sublime perspective qui triplera notre
courage pour marcher, pour courir dans la voie des
préceptes divins : comme l'athlète dans l'arène com-
bat avec plus de vigueur, s'il regarde la couronne
qui l'attend, ainsi, pour mieux remplir nos devoirs
et pratiquer la vertu, nous étudierons notre religion,
nous l'étudierons sans cesse, et cette application
constante de notre esprit aux choses de Dieu, nous
détachant de la terre, attirera souvent nos regards
vers le ciel où est la récompense promise au serviteur
fidèle ! je vous la souhaite, mes frères, au nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
30 PETITS SERMONS
CINQUIÈME SERMON
LA FOI.
Vosmelipsos tentate si estis in fide; ipsi vos probate.
(II Cor. xiv, 5 }
Examinez si vous êtes dans la foi ; éprouvez-vous vous nièmeP
Mes frères, ces paroles de l'apôtre saint Paul aux\
fidèles de l'Église de Corintbe, je viens vous les adres-
ser en ce jour, où nous posons, en quelque sorte, la
première pierre d'un édifice bien autrement impor-
tant que les plus splendides constructions d'ici bas,
l'édifice de votre éducation religieuse : laissez-moi
donc creuser la terre et la creuser jusqu'au solide
car cet édifice doit reposer sur un fondement sable
pour résister aux orages et aux vents déchaînés : vos
affaires, vos passions, vos plaisirs, l'enchantement de
la bagatelle, ainsi que s'exprime l'Écriture ; laissez-
moi vous parler de la foi : aussi bien, à chaque pas
dans la vie, que l'on soit savant ou ignorant, c'est
toujours là qu'il faut en revenir.
Or, si dans les arts et les sciences d'ici-bas l'homme
ne voit le tout de rien, suivant l'énergique expression
d'un profond pbilosophe, si nous devons souvent faire
acte de foi sur la parole d'un homme pour les choses
de la terre, il nous en coûtera peu, sans doute, pour
les cboses du ciel, de faire acte de foi sur la parole de
Dieu.
— Or, qu'est-ce que la foi, mes frères î
— La foi, nous dit le Catéchisme, est la ferme
ou l'on ne dont pas. 31
adhésion de notre esprit à une vérité révélée d'En
,(*aut et proposée à notre croyance par l'Eglise qui la
rient de Dieu lui-même, de Dieu, la vérité par essence,
qui ne peut se tromper ni nous tromper.
Sans nous arrêter ici au développement de cha-
cun des termes de cette définition, que tout le monde
comprend, attachons-nous un moment à considérer
l'objet, le motif et les principales conditions de la
foi.
— Une pieuse et constante tradition rapporte qu'a-
vant de se séparer pour voler à la conquête du monde
par l'Évangile et la Croix, les apôtres réunirent en un
corps de doctrine les enseignements du Sauveur, et,
dans une formule courte, simple, à la portée de tous
les fidèles, rédigèrent la profession de foi qui porte
leur nom ; cette formule était à la fois le signe carac-
téristique par lequel les chrétiens se distinguaient des
infidèles et le drapeau glorieux qui devait les réunir
tous, pasleurs et brebis, au milieu des tourmentes
qu'allaient bientôt soulever dans l'Eglise la persécu-
tion et l'hérésie.
Les douze articles du Symbole sont le résumé suc-
tinctet Adèle des vérités* de la foi, le sommaire et
l'abrégé de la religion chrétienne ; il se divise en trois
parties distinctes qui correspondent aux trois person-
nes de la Sainte Trinité, et renferment en détail les
diverses opérations qui leur sont attribuées dans le
grand œuvre de la création, de la rédemption et de la
propagation de l'Évangile et des moyens de salut par
les sacrements de l'Eglise.
Ainsi, Dieu le Père, créateur de l'univers ; Dieu
3.
32 PETITS SKRM0S3
le Fils, par son incarnation, ses souffrances et sa
mort, réparateur de l'humanité tombée; Dieu lej
Saint-Esprit, source vivifiante de la grâce, étendant à
toute créature les mérites de Jésus-Christ par la pré-
dication de la bonne nouvelle et l'établissement de
l'Église catholique, héritière et dispensa" rice des
trésors de la rédemption : dans l'Église, la commu-
nion des saints, c'est-à-dire l'existence d une admira-
ble solidarité de priés C3 et do mérites entre les fidèles
vivants et les morts; la rémission des péchés, la ré-
surrection des corps, une seconde vie à jamais heu-
reuse ou malheureuse, voilà en substance le résumé
des vérités qui font l'objet de notre foi.
Credo, je crois, disons nous tous les jours, mes
frères, en récitant le symbole ; je crois sur la parole
de Dieu qui ne peut se tromper ni me tromper sans
se détruire; je crois sur l'autorité de l'Église, son in-
terprète fidèle, qui, avant de s'imposer à moi, s'est
adressée à ma raison, lui a montré ses titres en lui
prouvant sa divine mission ; voilà pourquoi je crois
fermement à sa parole, et ma foi, désormais humble
et confiante, parce qu'elle repose tranquille sur l'in-
faillibilité de l'Église, est en même temps réfléchie et
éclairée, car ma raison a d'avance pesé, apprécié ses
motifs de croire, et ne s'est rendue qu'à leur évidence;
aussi l'autorité de l'Eglise m'est si sacrée, elle a sur
ma volonté des droits si exclusifs, que je ne croirais
pas même à l'Evangile, si sa parole n'était le garant
de ma foi. — Mais Dieu a parlé, l'Eglise l'atteste, je
dis cette Eglise visiblement revêtue des caractères
de sa mission divine, et plus visiblement encore que
ou l'ois ne dort pas. 33
Moïse au haut du Sinaï ne rayonnait de la majesté
de 1 Eternel qu'il avait contemplé face à face ; elle
me transmet les ordres du Tout-Puissant : douter de
sa parole serait un crime, je me soumets, je m'in-
cline, j'adore.
Ici, mes frères, j'entends l'orgueilleuse raison de
l'homme qui murmure et s'indigne s comment admettn
des dogmes étranges, incroyables, des mystères qui
répugnent: un Dieu en trois personnes, un Dieu
incarné, soutirant et mourant sur un gibet ; comment
croire qu'à la voix d'un simple mortel un Dieu
s'anéantit dans un morceau de pain ?
— Et pourquoi ne l'admettriez -vous pas? parce
que vous n'avez pas vu, entendu, touché par vous-
même ?mais exigez-vous toujours d'avoir vu, entendu
et touché lorsqu'il s'agit du témoignage des hommes?
n'êtes -vous pas le plus souvent pour leur parole
d'une crédulité déplorable? qu'a donc cette parole de
plus véridique et de plus certain que la parole de
Dieu?
— Vous n'avez pas vu, ni entendu, ni touché] Mais
quand même vos désirs là- dessus auraient été satis-
faits, qui vous assure que vous n'êtes pas le jouet
d'un rêve, d'une illusion des sens ? Les sens ne vous
ont-ils jamais induit en erreur ? pouvez-vous compter
sur leur témoignage, et, dans les choses les plus
simples et les plus naturelles, n'êtes-vouspas souvent
forcé de réformer leurs jugements ? Pourquoi ne
croiriez -vous pas? Est-ce parce que vous ne pouvez
comprendre? Eh bien, alors, à la bonne heure ! Si
notre intelligence est la mesure de notre foi, si Ton
34 PETITS SEMIONS
ne doit croire que ce que l'on comprend, notre sym-
bole ne sera pas long, et bien des gens qui raisonnent
et déraisonnent sur la religion ne doivent pas croire
à grand'chose.
Mais parlons sérieusement, mon frère. Est-ce qu'à
chaque pas dans la nature l'homme ne se heurte pas
contre quelque mystère ? Si subtil, si pénétrant que
soit son esprit, a-t-il jamais pu expliquer un grain
de sable, un cheveu de sa tête ? Toute sa science ne
vient elle pas se briser sur une plante, un bourgeon
qui crève, un atome de poussière qui scintille au
soleil ? Vous ne croyez que ce que vous comprenez !
Mais comprenez vous la maladie, la mort ? Vous êtes
pourtant forcé d'y croire ; vous en avez assez sou-
vent le triste tableau sous les yeux. — Comprenez-
vous la vie ? Vous comprenez-vous bien vous-mê-
me ? Quelle est la fibre qui lie votre âme à votre
corps ? Expliquez d'une manière raisonnable votre
regard, votre parole, le mouvement de votre doigt.
Eussiez-vous étudié toute votre vie, vous serez réduit
à bégayer comme tant d'autres, et tous vos raisonne-
ments pourront se traduire par cette parole qui de-
vrait, ce me semble, humilier pour toujours notre
orgueilleuse raison sous la raison de Dieu : Je n'en
mis rien.
Or, si la nature a ses secrets et ses mystères, s'il
est impossible de comprendre la créature, n'est-il
pas insensé de vouloir comprendre le Créateur ? Est-ce
que notre intelligence n'est pas essentiellement
bornée, et Dieu serait il Dieu, s'il pouvait entrer dans
cette étroite prison qu'on appelle raison humaine ?
OU L'ON NE DÛ11T PAS. 35
Autant espérer loger l'Océan dans une de ces frôles
coquilles qui flottent sur le rivage.
Et pourtant le croirez vous, mes frères ? il y a des
gens assez primitifs pour vouloiï tout comprendre en
matière religieuse avant de croire, et qui, de plus, ont
l'aplomb de l'avouer...,.
11 n'y a pas longtemps, dans une diligence qu
allaitde Lunéville à Nancy, unjeune avocat, nouvelle
ment établi dans la Meurthe, assommait ses voisins
de son intarissable verbiage : il savait par cœur tous
les plus beaux produits de la littérature contemporaine
en fait de romans, drames et feuilletons ; il portait
même avec lui une douzaine de numéros d'un journal
impie; c'est dire assez clairement sur quel ton péro-
rait l'orateur. Dieu, la religion, les prêtres, le ciel,
l'enfer, tout était persiflé, bafoué à grand renfort de
blasphèmes et de pointes d'esprit.
Dans son malheureux auditoire se trouvait un en-
fant qui l'écoutait bouche béante, surtout lorsqu'il
parlait contre la religion et le ciel ; seulement alors
l'enfant secouait tristement la tête et regardait sa mère
assise à ses côtés.
Tout à coup la voiture passa devant une modeste
église de village : la mère fit le signe de la croix et
l'enfant ôta son chapeau pour saluer le Saint Sacre-
ment.
— Tiens! fit l'avocat qui lui frappa légèrement sur
l'épaule avec un sourire narquois, je suis sûr, mon
petit ami, que tu es enfant de chœur et que tu vas au
catéchisme.
— Mais... oui, monsieur, répond l'enfant sans
36 PETITS SERMONS
sourciller et fixant carrément son interlocuteur ; de
plus, je me prépare à faire ma première communion...
M. le curé nous a choisis depuis huit jours.
— Ah ! tu dois être alors un petit docieur ! Et que
t'enseigne-t-il, ton curé ?
— Maintenant que nous savons la lettre du caté-
chisme, il nous explique les principaux mystères de
la foi.
— Fort bien, mon ami ; et quels sont- ils ces mys-
tères? rappelle-moi cela, car je l'ai singulièrement
oublié... ainsi tu feras toi-même quand tu auras
voyagé comme moi.
— Non, monsieur, non, s'écria l'enfant d'une voix
assurée, quand même j'irais au bout du monde, ja-
mais je n'oublierais les mystères de la Trinité, de
l'Incarnation et de la Rédemption.
— Oh! oh ! te voilà bien savant ! lui dit le philo-
sophe en souriant de pitié; pourrais-tu me dire ca
que c'est que ta Trinité ?
— La sainte Trinité, répond l'enfant qui se découvre
avec respect, c'est le mystère d'un Dieu en trois
personnes égales et distinctes : le Père, le Fils et le
Saint-Esprit.
— Certes, mon petit ami, tu parles comme un
livre; mais sais-tu bien ce que tu dis ?
— Et sans doute, monsieur,, que je le sais ; il n'y a
que les fous et les perroquets qui parlent sans savoir-
ce qu'ils disent.
— Va pour savoir ; mais comprends tu bien ce
qu'on t'explique ?
— Oh ! monsieur, en fait de mystères, il y a de la
ou l'on ne dort pas, 37
différence entre savoir et croire et entre croire et
comprendre... Tenez, je sais les mystères de la reli-
gion et les crois, mais je ne les comprends pas ; il
n'y a que le bon Dieu qui puisse se comprendre lui-
même... et encore, on nous disait hier au catéchisme
qu'il y a comprendre et comprendre.
— Je ne te saisis pas, mon garçon, que veux tu
dire ?
— Oh ! M. le curé vous expliquerait cela mieux
que moi ; il y a comprendre comme on comprend sur
la terre et comprendre comme les anges comprennent
au ciel. Ainsi, d'une certaine manière, nous pouvons
découvrir le sens du mystère, celui de la Sainte
Trinité par exemple, qui est le plus grand et le plus
profond : et même on nous a fait de fort belles com-
paraisons pour nous en donner une idée... Nous pou-
vons jusqu'à un certain point nous rendre raison de
ces choses sublimes, mais bien faiblement tant que
nous sommes sur la terre ; ce n'est qu'au ciel que
nous les comprendrons tout à fait, au moins autant
que c'est possible, car nous verrons Dieu tel qu'il
est... Ainsi, monsieur, comme on nous disait au caté-
chisme, nous devons apprendre les mystères de la re-
ligion pour les savoir et les savoir pour les croire :
comprendre viendra plus tard.
— A merveille, mon petit docteur 1 Tu crois donc
aux mystères, toi î
— Si j'y crois ! mais sans doute! Etvousn'y croyez
pas, vous, monsieur î
— Allons donc ! ce sont des contes, vois-tu, mon
petit ami, on t'en fart accroire ; il n'j a pas plus de
38 PETITS SERMONS
mystères que de loups-garous... Quand tu auras vingt-
cinq ans, tu sentiras qu'un homme d'esprit ne doit
croire que ce qu'il comprend.
— Ab ! par exemple 1 s'écria l'enfant qui croisa se ;
bras sur sa poitrine avec un sérieux dont les voys
geurs étaient ravis, est-ce que vous ne croyez que <
que vous comprenez 1
— Oui, mon ami, répond le philosophe en se ren-
gorgeant, et ce n'est pas à moi que ton curé ferait
avaler ses sornettes.
L'enfant fit un geste d'impatience et leva les yeux
sur sa mère qui l'encouragea du regard ; jamais elle
ne s'était trouvée à pareille fête.
— Eh bien, monsieur, insista l'enfant, comprenez-
vous pourquoi votre doigt remue quand vous voulez
le remuer ?
— Eh ! sans doute, fit l'avocat qui remua le doigt
devant tout le monde ; voyez, messieurs, c'est tout
simple: ma volonté imprime un mouvement au nerf
qui correspond à mon doigt et il remue
— Mais comment cela se fait- il ? demanda l'enfant
que ne satisfaisait pas cette explication.
— Et mais., répond le philosophe un peu embar-
rassé, cela se fait.... cela se fait.... parce que je le
veux!
— Et vous comprenez cela, vous!
— Mais oui, je le comprends, mon petit incrédule,
tu en doutes t
L'enfant réfléchit en se passant la main au front ;
tout à coup un éclair brilla dans ses yeux.
— Monsieur, dit-il avec un léger sourire au philo -
ou l'on ne dort pas. 39
sophe qui se croyait vainqueur, puisque vous savez si
bien pourquoi vous remuez le doigt, vous devez aussi
comprendre sans doute pourquoi vous ne pouvez re-
muer l'oreille !
— Oh ! vraiment, mon brave, s'écria son interlo-
cuteur à bout de patience, car il voyait tout le inonde
rire à ses dépens, vous m'en demandez trop à la fois,
et vous êtes bien jeune pour me donner des leçons....
je vous prie de me laisser tranquille.
Mes frères, la conversation finit là; notre avocat
perdit la parole en perdant sa première cause et chan-
gea de corps de voiture, au seul relai qui restât avant
d'arriver à Nancy.
Nous devons donc, en étudiant les dogmes de notre
foi, en interrogeant les mystères de notre origine et
de notre avenir, soumettre humblement notre raison à
la parole de Dieu, adorer ses saints enseignements,
quelque incompréhensibles qu'ils nous paraissent, et
ne pas les déclarer incroyables parce qu'ils seront su-
périeurs à notre intelligence, ni contraires à la raison
parce qu'elle ne peut les pénétrer,
A cette humilité de la foi, mes frères, joignons une
docilité qui exclue toute hésitation, toute investiga-
tion curieuse, puisqu'il nous est prouvé, à nous chré«
tiens, que l'Église catholique est l'héritière infaillible
et la dispensatrice de la doctrine et des promesses de
son divin fondateur.
Quant à l'infidèle qui doute, à l'incrédule qui
cherche la vérité, oh! qu'il examine, celui-là, qu'il
étudie ; l'Église ne redoute pas la lumière : elle l'ap-
pelle au contraire, et, loin de proscrire la raison,
40 PETITS SERMONS
c'est à la raison 'qu'elle s'adresse tout d'abord ; elle
n'exige sa soumission que lorsqu'à force d'arguments
et d évidence, la rebelle s'est rendue en criant
merci ! Alors seulement l'Eglise parle d'autorité, im-
pose sa parole au nom de Dieu ; et la raison, désor-
mais vaincue, anéantie, laissera le champ libre à la
foi, mais à une foi généreuse, constante, dorile :
nous en lisons un bel exemple dans l'histoire de
^-ance.
Saint Louis, sentant sa fin prochaine, se fit ap-
porter le viatique ; au moment de lui donner la sainte
hostie, le prêtre lui demanda s'il croyait à la pré-
sence réelle. Alors le mourant recueillant un reste de
vigueur :
— Si j'y crois ! s'écria-t-il en l~~-nt les yeux au
ciel, si j'y crois, mon Dieu ! ah! bic.i plus fermement
que si je le voyais de ces yeux de chair et de sang, et
si, comme les apôtres, j'avais entendu et touché de
mes mains le Fils de Dieu conversant sur la terre !
Heureux sentiments, fervente et généreuse foi, mes
frères ! Mais le saint monarque en avait donné des
preuves bien plus sensibles encore dans d'autres cir-
constances de sa vie. Un jour, durant la messe qui se
célébrait dans son palais, un de ses officiers vint lui
annoncer que, dans la chapelle, s'était opéré un pro-
dige nouveau : Jésus-Christ, sous la figure d'un bel
enfant, se montrait sur l'autel.
— On accourt de tous côtés [ our admirer cette
merveille, ajouta l'officier d'une voix émue, et vous
pouvez, seigneur, ci vous le désirez, en être témoin
vous-même,.,..
ou l'on ne dort pas. 41
— due trouvez vous là d'étonnant! répond le
prince sans s'émouvoir ; que les incrédules et ceux qui
doutent aillent se convaincre de la vérité, quant à moi
je n'ai pas besoin de prodiges pour croire : je vois
tous les jours mon Dieu des yeux de la foi, et je croi-
rais lui faire injure en allant à la chapelle.
Quel bonheur pour nous, mes frères, s'il nous était
donné de la posséder, cette foi docile et généreuse,
cette foi humble qui fait des prodiges, mais sans la-
quelle il est impossible de plaire à Dieu 1 Ah ! n'ou-
blions jamais qu'en matière religieuse, le domaine
de notre raison est nécessairement restreint, et que,
pour s'être abandonnés sans réserve à leur libre pen-
sée, une infinité d'esprits présomptueux ont fait un
triste naufrage.
Qu'il n'en soit pas ainsi de nous, ô mon Dieu !
Faites -nous bien sentir la faiblesse de notre intelli-
gence essentiellement bornée, afin que, loin d'appro-
fondir, loin de scruter orgueilleusement la majesté
redoutable de vos mystères, notre raison s'humilie,
s'abîme dans son néant et comprenne qu'il est un
sanctuaire où la foi seule a le droit de pénétrer.
La foi donc, Seigneur ! oh ! de grâce, accordez-nous
e don de la foi, d'une foi humble, constante et docile,
ifîn qu'après avoir, aux accents de votre sainte
parole, adoré l'image et l'ombre sur la terre, nous
allions un jour contempler et bénir l'ineffable réalité
dans le ciel ! Amen»
42 PETITS SERMONS
SIXIÈME SERMON
SUR L'EXISTENCE DE DIEU. — LÀ CRÉATION.
Ipse dixit et facia sunt, ipse mandavil eï
crcata sunt.
Il a dit, et tout a < 'té fait, il a commandé ei
la création sV.st opérée. [Psaume ex lviiiJ
Mes frères, il est de ces vérités primitives, saisis-
santes et tellement palpables, que les meilleurs argu-
ments ne feraient que les obscurcir.
On ne prouve pas l'existence du soleil à un homme
sain de corps et d'esprit. N'eût-il jamais suivi sur
l'horizon sa marche triomphale, à sa douce et vivi-
fiante influence, il eût pressenti le roi de la nature.
On ne prouve pas l'existence de l'univers, des ob-
jets extérieurs, de nos semblables, de notre pensée;
un homme qui jouit de tout son bon sens n'en doute
pas plus que de sa propre existence.
Telle est, mes frères, la vérité primordiale, la vérité
par excellence, et, si je puis ainsi m'exprimer, la vé-
rité des vérités, l'existence de Dieu. Pour la nier, pour
en douter, il ne suffirait pas d'être aveugle et sourd, il
faudrait avoir totalement perdu la raison.
Tout, en effet, au dehors et au dedans de nous,
atteste une cause créatrice, un être nécessaire,
source et principe de tous les êtres, un souverain
ordonnateur de l'univers, dont la providence gou-
verne et conserve l'ouvrage admirable qu'elle a tiré
du. néant.
Pour démontrer cette vérité «wtitale. même en
ou l'on ne dort pas. 4&
dehors de la révélation qui l'établit sur un fonde-
ment inébranlable, les arguments accourent en foule :
la création ; l'ordre et l'harmonie qui régnent dans
l'univers et depuis tant de siècles ; la nécessité d'un
premier Être pour expliquer tous les autres; l'homme,
cet immortel chef-d'œuvre; le cri de la nature; l'idée
que nous avons de l'Infini, impuissants et bornés que
nous sommes ; la notion du bien et du mal, cette loi
naturelle que l'homme apporte en naissant et qui
ne peut lui venir que de Dieu ; enfin le consentement
unanime des peuples qui, de tout temps et dans tous
les pays du monde, ont cru, sous des noms divers, h
l'existence de Dieu ; que de preuves à étudier, de
témoins à entendre, et quel vaste champ s'ouvre
devant nous ! Tâchons, mes frères, d'y glaner après
tant d'autres, et, pour aujourd'hui, bornons-nous au
premier témoignage, la création de l'univers.
Je ne sais si jamais il y a eu des hommes qui, sé-
rieusement et de sangfroid, aient nié ou seulement
révoqué en doute l'existence de Dieu. Quelquefois
pourtant la terre produit des monstres au moral
comme au physique ; il n'est donc pas absolument
irrationnel de croire à la possibilité d'un athée de
bonne loi ; ch bien, le genre de preuves que nous
allons invoquer serait, avec les calmants et l'ellé-
bore, un remède efficace à sa maladie ; et nous di^
rions à cet infortuné plds à plaindre encore qu'à
blâmer: Si vous n'avez pas la foi, vous avez au moins
des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, des
èens en un mot par lesquels la foi peut entrer dans
votre âme; est-ce. que le spectacle de l'univers ne
Ak PETITS SERMONS
ait rien? est-ce que vous n'entendez pas un nom
que toute langue prononce, un nom écrit sur le Gr-
rnament comme sur la goutte de rosée qui se balance
au calice d'une fleuri Est- ce qu'au ciel et sur la
terre tout ne vous parle pas de Dieu, ne chante pas
sa gloire? Àh! regardez donc ! touchez de vos mains,
prêtez l'oreille, et vous mêlerez votre voix à ce concert
de iouanges î
En effet, mes frères, quel est celui qui, se prome-
nant par une belle nuit, dans la campagne, à l'aspect
de ces myriades d'étoiles qui brillent au dessus O.e sa
tête et roulent silencieuses, à des distances incom-
mensurables, sans s'égarer ni se confondre, à l'aspect
de l'aimable reine des nuits qui le baigne dç sa
lumière argentée, ne s'est pas écrié dans un transport
d'admiration :
« Que vous êtes grand, Seigneur, et que vos œuvres
« sont belles ! »
Où est l'incrédule qui, en voyant, au matin, le so-
leil s'élancer au dessus de l'horizon comme un géant
pi et à franchir sa carrière, n'a pas adoré malgré lui,
dans sa grandeur, son éclat et son imposante beauté,
la main toute-puissante qui l'a formé, l'infinie sagesse
qui l'a suspendu au centre de l'univers î
Le jour, la nuit, les tempêtes, les saisons, tous les
éléments rendent hommage au Créateur et le ré-
vèlent à leur manière : n'est-ce pas sa voix qui gronde
dans la foudre, son ineffable sourire qui brille dans
l'arc- en-ciel, un reflet de sa gloire qui rayonne dans
l'aurore î
Abaissons nos regards vers la terre, et considé-
ou l'on ne dort pas, 45
rons cette nature si féconde et si varice, ces trois
règnes de la création, vaste domaine de l'homme,
que toute la science de Buffon, de Cuvier, de Jussieu
n'a pu qu'efileurer ; quel Lymne de louanges à chan-
ter au Seigneur ! Qui Jonc a élevé jusqu'aux nues
ces imposantes montagnes, dont les orgueilleux
sommets semblent une menace au ciel ? Quelle pro-
vidence a caché dans les entrailles du globe tant de
riches métaux: l'or, l'argent, le fer, plus précieux
encore, puisqu'il est plus utile ; quel génie a planté
ces antiques forêts, creusé ces frais vallons et dé-
ployé devant nous ces riantes campagnes, dont l'ai-
mable verdure forme un bi doux contraste avec l'azur
des deux 1
S; vous doutez de l'existence d'un Dieu créateur,
venez contempler un tableau, grandiose qui porte son
nom : voyez vous ce majestueux océan î Quelle main
a creusé cet abîme et déroulé rjmmensité de ses
flots comme une plaine infinie 1 Quelle puissance
soulève ses ondes, les gonîie comme des montagnes
et brise sa fureur contre le grain de sable du rivage î
— Ah ! mes frères, le Dieu qui inarche sur Vaile des
vents et appelle du couchant à l'aurore les astres qui
répondent: nous voici, adsumus ! C'est lui qui en-
chaîne le courroux des flots et dit à la mer irritée «?
Tu viendras jusque-là. j
Voulez-vous d'autres témoignages? Jetez les yeux
ti.i i .. lure vivante, animée ; suivez, anneau par
anneau, lu Ion y; lc chtîrie des êtres qui respirent et
s'agitent sur la terre : quelle incroyable variété d'es-
pèces, que de ramifications et p»*^ immense
46 PETITS SKRMONS
échelle à parcourir depuis l'aigle altier qui plane dans
la nue, jusqu'à l'insecte microscopique perdu dans 1»
poussière du chemin !
Voyez ce gigantesque éléphant que l'antiquité
chargeait de tours et de guerriers ; quel architecte a
dressé les colonnes qui portent cette forteresse vi-
vante 1 Qui a donné au lion le courage et la fierté, la
patience et la force au dromadaire du désert, la vi-
tesse et la légèreté au coursier qui bondit dans la
plaine?
Mais que dis-je, et pourquoi nous arrêter aux chefs
de cet immense troupeau î Ah ! rien n'est petit dans
la nature, et cette montagne qui fend les mers, cette
monstrueuse baleine qui, d un coup de sa queue,
lance en l'air un navire comme un enfant son jouet,
n'est pas un plus puissant argument de l'existence
de Dieu que l'imperceptible animalcule attaché à la
plante qui tapisse le fond de l'abîme !
Non, non, mes frères, à celui qui a des yeux pour
voir et des oreilles pour entendre, il ne faut pas faire
de longs raisonnements pour le convaincre : tout in-
visible qu'il est, Dieu lui apparaît dans ses ouvrages ;
tout dans la nature lui parle de Dieu, redit ce nom
céleste à sa manière : le lion le rugit dans ses dé-
serts, le rossignol le chante dans ses bocages, l'in-
secte le bourdonne en voltigeant de fleur en llcur ; le
ruisseau le murmure en fuyant à travers la prairie ;
l'homme trouve le nom de Dieu mêlé à l'air qu'il
respire, il en est tout pénétré; il le palpe en quelque
sorte dans la pierre, dans la plante, dans le pain qui
le nourrit, dans la terre qui le soutient, il le sent
ou l'on ne dort pas. 47
surtout dans ce grain qu'il lui confie, et que fera ger-
mer, grandir, produire la bénédiction de Dieu.
On demandait un jour à saint Antoine, patriarche
des cénobites, comment il pouvait vivre sans livres
dans une retraite si absolue, au fond d'un désert.
— « Quoi ! répondit le saint anachorète, fort sur-
« pris dijne pareille question, n'ai-je pas sous les
« yeux ie plus grand, le plus beau des livres? Ce
« livre-là, je n'ai jamais fini de le lire, car c'est la
** création tout entière : j'y lis la magnificence de
« Dieu. Là, le Créateur s'est peint lui-n ême en ca-
« ractères vivants ei en quelque sorte parlants. ><
Écoutons maintenant le plus grand docteur de
l'Église, saint Augustin, nous expliquant par quel
chemin il est sorti de l'erreur pour arriver à la vé-
rité.
« Lorsque je vous cherchais, ô mon Dieu, dit-il,
u je demandai à la terre si elle était mon Dieu, et
« elle me répondit: Non! Tout ce qu'elle porte, tout
« ce qu'elle cache dans son sein me tenait le même
« langage.
a J'interrogeai les abîmes des mers et tous les
« êtres vivants qu'elles renferment, et tous me ré-
« pondirent :
— .< Nous ne sommes pas votre Dieu, cherchez-]**
« au dessus de nous.
« J'interrogeai l'air, et il me répondit avec tour
« ses habitants : Le vieux Anaximède se trompait :
* Je ne suis point ton Dieu !
« Je portai alors mes regards vers le Ciel et j'in-
« terrogeai le soleil, la lune et les étoiles ; mais ils
4
43 î>;;tîts mormons
« répondirent eus aùsri : Nous ne sommes pas ton
« Dieu.
— « Et je leur dis à tous: Puisque tous vous me
« dites que vous n'êtes pas mon Dieu, eh bien, dites-
« moi donc quel est celui qui l'est!
« Et ils s'écrièrent d'une voix puissante :
« C'est celui qui nous a faits ! »
Oui, mes frères, le nom de Dieu se trouve écrit à
toutes les pages du grand livre de la nature, et les
ignorants l'y peuvent lire comme les savants. Aussi
celui qui ose nier l'existence du Créateur à la face
du Ciel et de la terre, qui se lèvent en masse pour
lui dire : Tu mens ! est un misérable qui excite la
pitié de ceux qui l'entendent, ou plutôt, comme l'a
dit Montesquieu, une bête féroce qui s'efforce de
briser sa chaîne pour se jeter sur les passants.
Dans une brillante réunion du dernier siècle, un
philosophe célèbre, après bien des discours, des
bons mots, de fines plaisanteries où l'impiété jouait
le plus grand rôle, voulut en venir à l'application,
et se mit en devoir de convertir à l'athéisme la dame
qui faisait les honneurs de la soirée.
Par bienséance, on l'avait supporté tant qu'on
n'avait pas pris sa parole au sérieux. Mais l'orateur
s'animait, il devenait pressant et faisait, comme on
dit, jouer les grandes eaux.
La néophyte, qui joignait à un esprit pénétrant des
principes solides, le pria poliment de cesser d'inutiles
efforts.
Vivement piqué d'avoir fait de l'éloquence en
pure perle, de s'être peut-être r?Mu ridicule, car il
ou l'on ne dop.t pas. 40
voyait errer sur certaines lèvres un malicieux sourire:
— Non, s'écria -t-il, en promenant ses regards sur
tous les convives, jamais je n'aurais cru, dans une
réunion de gens d'esprit, être le seul à ne pas croire
en Dieu!
— Pardon, Monsieur, répliqua la dame sur le
même ton, vous n'êtes pas le seul, mes chevaux,
mon épagneul et mon ebat ont aussi cet honneur ;
seulement les pauvres bêtes ont assez d'esprit pour
ne pas s'en vanter.
C'est donc, je le répète, chrétiens, faire appel aux
plus simples notions du bon sens et de la raison que
d'interroger l'univers et de lui demander la preuve de
l'existence de Dieu ; c'est recourir à l'argument de
l'enfant qui bégaie au berceau... Nos missionnaires
sont souvent forcés de l'employer pour ouvrir les
yeux aux peuplades idolâtres qu'ils évangélisent ;
mais aussi cet argument est presque toujours victo-
rieux. Voici comment s'en servit un religieux de
Gaëte, le R. P. Antoine Laudati, pour convertir la
reine de Sanga, princesse puissante qui gouvernait un
grand royaume d'Afrique.
Après mille instances inutiles, un jour qu'il était
à s'entretenir avec elle, il lui tint ce discours :
Daignez, Madame, écouter ce petit raisonnement :
Quand je vois des vallées si belles et si fertiles, or-
nées d'un si grand nombre de rivières et défendues
contre les injures de l'air par des montagnes si hautes
et si agréables, je ne puis m'empêcher de demander
respectueusement à Votre Majesté :
— Qui est l'auteur de tant de merveilles t Qui rend
50 ÎETÎTS SERMONS
la terre si féconde T Qui donne ]a maturité aux fruits ?
— Et mais... fU la reine avec embarras, car elle
était loin de s'attendre à cette question, ce sont mes
ancêtres.., les fondateurs de ma dynastie, qui étaient
au moins... des demi-dieux.
— Fort bien, reprit le missionnaire : Votre Ma-
/sté jouit sans doute de tous les pouvoirs de ses
incêtres ?
— Oui, dit-elle fièrement, et ma puissance sur-
passe même la leur, car je suis maîtresse absolue
du royaume de Matamba.
Le P. Laudati prit alors un brin de paille que la
reine venait de fouler aux pieds.
— Tenez, Madame, lui dit-il, faites-moi la grâce
d'ordonner à cette paille de se soutenir en l'air.
La reine détourna la tête et accueillit cette propo-
sition avec un sourire de dédain.
— Pardon, Madame, insista le bon religieux, c'est
bien sérieusement que je vous parle, daignez exaucer
ma prière !
Et il lui mit dans la main cette paille, mais elle la
laissa tomber aussitôt.
Comme il se baissait pour la relever, la reine le
prévint et s'en saisit, en lui disant: Voyez, elle est
tombée parce que je l'ai voulu.
— Oh ! Madame, répliqua le missionnaire en sou-
riant, la raison pour laquelle cette paille est tombée
n'est pas précisément que Votre Majesté lui ait or-
donné de tomber, mais je l'accorde ; allons plus loin;
peut-être se soutiendra-t-elle en l'air si Votre Majesté
lui eu donne l'ordre ?
OU L'ON NE &0RT PAS. 51
— Eh! sans doute ! s'écria la reine en jetant au
dessus de sa tête cette paille qui retomba aussitôt à
ses pieds.
Elle renouvela plusieurs fois la même tentative en
t
essayant de lancer plus haut ce misérable fétu, mais
toujours en vain, il retombait sans cesse; pas le
moindre souffle pour le soutenir, ne fut-ce qu'un
, instant dans l'air, et donner une contenance à la
>eine, qui commençait à douter de sa toute-puissance.
] A la fin le bon religieux lui dit :
— Que Votre Majesfé, Madame, cesse d'inutiles
efforts, mais surtout qu'elle apprenne que ses ancê-
tres n'ont pas été plus capables de produire ces
rivières et ces belles campagnes qu'elle ne l'est elle-
même d'obliger cette paille à se soutenir en l'air !
Inutile d'ajouter que la reine frappée de la jus-
tesse de ce raisonnement fît de sérieuses réflexions
qui portèrent la lumière dans son esprit. Elle re-
nonça à ses idoles, se fit instruire des vérités du
christianisme et reçut le baptême.
Concluons donc, mes frères, que nier le Créateur
en face de la création, c'est nier l'architecte devant
l'édifice, le peintre devant le tableau, le sculpteur
devant la statue, le père devant son fils : c'est vou-
loir attirer sur sa tête un immense ridicule et se pré-
parer, passez-moi l'expression qui rend mon idée, une
cellule à Bicêtre ou à Charenton !
Oh ! donnez-nous, Seigneur, de vous reconnaître
dans vos œuvres, de ne jamais fermer l'oreille à
l'hymne de louanges qui monte de la création jus-
qu'au pied de votre trône immortel 1 Donnez-nous de
4.
52 PETITS SERMONS
mêler avec transport notre voix a ce magnifique
concert, que l'homme est appelé à vous transmettre
en vous rendant soir et matin ses hommages d'ado-
ration et de filiale tendresse. Mais surtout pénétrez
nos cœurs à votre égard d'un si vif sentiment de re-
connaissance et d'amour pour la formation de ce bel
univers dont vous avez fait notre domaine, que toute
créature nous soit une lyre pour chanter vos bienfaits
sur la terre, en attendant l'heureux jour où non ■
irons là-haut célébrer votre gloire avec les anges et
les élus 1 Ainsi soit AL
SEPTIÈME SERMON
BEAUTÉ DE LUNIYERS.
Magna et mirabilia sunt opéra tua, Do-
mine, Deus omnipotent!
Grandes et admirables sont vos œuvres,
Seigneur, Dieu tout-puissant! CÀpoc. \v, 5.)
Mes frères, nous lisons dans la vie de saint Fran-
çois de Borgia, ce prince espagnol qui renonça aux
grandeurs pour embrasser la sainte folie de la
croix, dans la compagnie de Jésus, dont il devint le
troisième général, qu'il s'était fait, du spectacle de
l'univers, un mémorial continuel de la présence et des
bienfaits du Créateur.
Lorsqu'il se trouvait au milieu de la campagne, il
se sentait tellement pénétré de la grandeur, de la
sagesse et de la puissance souveraine de l'auteur de
tant de merveilles, que, bien souvent, on le vit s'ar-
rêter en extase devant v»« «ierre, une plante, une
ou l'on ne dort pas. 53
Ceur, un insecte, comme pour écouter son langage,
car il lui semblait que tout, dans la nature, lui par-
lait du Créateur et le louait à sa manière. Que
dis-je? Il allait jusqu'à s'accuser d'être moins jaloux
de sa gloire et moins ardent que les plus infimes
créatures à chanter la grandeur de son Dieu : alors,
dans une sainte impatience, il frappait avec son bâton
sur les arbres, sur les buissons de la route en s'c-
criant d'une voix énergique: « Quelle honte! Faut il
« que de viles créatures l'emportent sur moi ! Oh !
« ne parlez donc pas si haut, ne criez pas si fort que
« Dieu seul est grand, tout-puissant, admirable. Je
« suis presque étourdi de vos clameurs ! >*
Quelle foi. mes frères ? Quelle ardente et généreuse
charité ! Et n'allez pas croire au moins qu'elle ait été
le privilège exclusif des saints et des âmes pieuses :
on a vu des savants, des observateurs qui étudiaient
simplement pour s'instruire, reconnaître la main de
Dieu dans l'œuvre sublime de la création et devenir
plus chrétiens à mesure qu'ils avançaient dans la
science inépuisable de la nature.
« J'ai vu Dieu en passant et par derrière, disait
* un savant naturaliste suédois, Linnée, je l'ai vu
« et suis resté muet d'admiration et d etonnement.
« J'ai su découvrir la trace de ses pas dans les oeu-
« vres de la création ; dans ces œuvres, même les
« plus petites, même celles qui paraissent nulles, j'ai
« découvert une force, une sagesse, une perfection
* inexplicables... »
Et en effet, mes frères, si la formation de l'uni-
vers atteste un Dieu créateur. \a beauté, l'ordre et
54 PETITS SJ3KM0NS
l'harmonie qui régnent dans ce merveilleux ouvrage,
les lois constantes qui les régissent avec tant de
sagesse et depuis tant de siècles ne sont pas aux
yeux de tout homme qui raisonne, de moindres argu-
ments de l'existence de Dieu.
— Et d'abord quelle beauté ! Venez dans cette prai-
rie un matin du mois de mai : comptez, si vous pou-
vez, les Oeurs dont elle est émaillée. Quelle richesse,
quelle variété, quelle étonnante profusion ! Mais
surtout quelle douceur de tons, quelle aimable gra-
dation de nuances, quel velouté de coloris !... L'œil
sa promène sur cette charmante mosaïque avec le
ravissement de l'oreille qui savoure une délicieuse
mélodie... Où est le peintre, et nous tomberons à ses
genoux ?
— Le peintre, mes frères, vous l'avez nommé:
les astres du firmament chantent la gloire du Créa-
teur, dit le Psalmiste ; eh bien, comme le ciel, la terre
a ses étoiles, et le lis des champs, les fleurs de. la
prairie ont des accents qui dominent dans ce magni-
fique concert.
Cueillez une de ces fleurs, la plus humble, la plus
ignorée, celle qu'a touchée à peine un rayon du
soleil : examinez-en l'éclat, respirez-en le parfum,
essayez d'en retracer au crayon l'élégante struc-
ture et d'en imiter les riantes couleurs... Vains ef-
forts 1 le pinceau vous tombera des mains et vous
vous écrierez avec le découragement de l'impuis-
sance :
Grand Dieu! que dut être le modèle puisque la
copie est si ardue ! Ah ! cet ouvrage-là n'est pas
OU L'ON NE DORT PAS. 55
d'un mortel, j'y vois empreint le doigt de Dieu!
diglius Dei est hic i !
Api es la beauté de l'œuvre, parlons de la sagesse
et de l'intelligence qui en ont réglé les moindres dé-
tails.
Voyez-vous ce flocon soyeux qui se balance dans
les airs? C'est le tombeau d'une chenille. Elle est
montée en rampant sur cette branche, s'y est ense-
velie dans le fin tissu qui l'attache au centre d'une
feuille. Revenez demain, et, de cette grossière
enveloppe où se cachait la chrysalide, vous verrez
s'élancer un beau papillon dont les ravissantes cou-
leurs réjouiront la nature et seront un hymne à
l'Eternel.
Et maintenant, mes frères, dites- moi, quel souille
a répandu dans le sein de la terre la vie et la fécon-
dité? Qui la pare au printemps comme une fiancée
et la couvre tour à tour de (leurs et de fruits, de ver-
dure et d'or?
Quelle providence a donné aux animaux l'admi-
/able instinct qui les dirige? Cette hutte qu'a bâtie
un castor, ce pont qu'il a jeté sur le torrent qui
''arrête; le ciment qui arrondit et fixe au rocher le
nid de l'hirondelle, et jusqu'à ce réseau déiicat tissé
par l'araignée pour saisir sa proie, tout n'at-
teste-t-il pas un Dieu souverainement intelligent et
sage ?
Suivez le vol pénible et lourd de l'abeille, chargée
de sa cueillette matinale; elle entre dans la ruc'e
* Ëxod. vin, 19.
56 PETITS SEP,?,îUi\S
où l'atten&énl ses compagnes ; quelle activité, quel
murmure, mais quel ordre et quelle harmonie dans
cette apparente confusion ! que de finesse et de par-
fum dans le miel ! que de symétrie et de régularité
dans les cellules ! quel maître a formé ces indus-
trieuses ouvrières ? quel sage a policé cette innocente
république et lui a donné la charte admirable qui la
régit ?
Plus bas, dans l'échelle des êtres, — et nous y
descendons avec bonheur, car les plus petites choses
nous parlent plus éloquemment encore de la grandeur
de Dieu, — plus bas, nous trouvons la fourmi, et
cette infatigable travailleuse, la leçon vivante du
paresseux, comme s'exprime l'Écriture â, nous sera^
par sa prudence, son activité, sa sage prévoyance de
l'avenir, une éclatante preuve de l'existence de
Dieu.
Que vous dirai- je maintenant, mes frères, de la
grandeur, de l'immensité de ce magnifique ouvrage?
Parcourez le globe, de la Sénégambie aux Caro-
lines, et du Spitzberg au détroit de Magellan ; visitez
les peuplades, les cités, les royaumes, les empires
qui couvrent la terre; promenez vos regards sur la
vaste étendue des mers qui occupent les trois quarts
du globe : quelle grandeur, quelle immensité encore
une fois, mais que cette grandeur va diminuer, com-
parée à l'immensité des deux! que la terre sera
petite, mise en balance avec le soleil, ce vaste foyer
de lumière près duquel la grosseur de la terre est à
1 ProY. vi, 6,
ou l'on ne doay vas. 51
peine ce qu'est un grain de sable près d'une mon-
tagne!
Car enfin, tout le monde sait que le soleil est us
million trois cent mille fois plus £*&s*d $^ ^ mT$,
et que nous en sommes à une distance de trente-
cinq millions de lieues... que sera-ce si nous la com-
parons à Jupiter, la plus grosse des planètes, qui a
un million quatre cent soixante et dix mille fois le
diamètre de la terre, et dont la distance au soleil est
de cent quatre-vingt millions de lieues ! -~ que sera-
ce si nous la comparons à Saturne, dont la distance
au soleil est de trois cent soixante- quatre millions de
lieues, et le diamètre neuf cent quatre-vingt quinze
fois plus grand que celui de la terre!... à Uranus,
quatre-vingts fois plus gros que la terre, et éloigné du
soleil de sept cent vingt-deux millions de lieues !...
Quelle grandeur, quelle effrayante étendue! et
nous n'avons considéré que trois planètes, dont le so-
leil est le centre, et dont la circonférence, qui a plu-
sieurs milliards de lieues, n'est qu'une faible portion
de l'espace; et nous n'avons pas parlé des étoiles fixes,
qui sont autant de soleils indépendants de notre sys-
tème, ayant leur lumière propre, leurs planètes, leurs
révolutions, leur circonférence, et l'on en compte
plus de quatre-vingts millions !... et nous n'avons pas
dit que notre soleil, cet œil immense du Créateur,
ouvert sur notre monde, n'est qu'une nébuleuse, une
de ces étoiles de minime grandeur !... Ali! l'esprit se
perd dans cet infini, mes frères, l'imagination s'ar-
rête humiliée, confondue : elle demande, pour com-
prendre que l'idée soit rendue palpable en quelque
53 PETITS SERMONS
sorte et revêtue d'une forme corporelle... et quand on
pense que l'étoile fixe, la plus voisine de la terre, en
est pourtant à plus de vingt-deux milliards de lieues...
qu'elle met dix ans à nous envoyer sa lumière, et
qu'un boulet de canon, d'une vitesse de sept lieues
à la minute, mettrait deux millions d'années à fran-
chir cet espace... Anéanti devant tant de grandeur,
et cette étendue incommensurable, on tombe à ge-
noux en s'écriant avec saint Paul : ô abîme, ô alti-
tudo ! ou. bien avec le prophète : ô Israël, que la niai-
son de Dieu eht grande, et combien est étendu son do-
maineï Ah! il est immense, il est sans bornes1 ; mais
par sa grandeur même, il me révèle l'immensité de
son auteur ! A niagnitudine creaturœ, cognoscibiliter
poterit creator horum videri 2.
Et puis quel ordre, quelle symétrie parfaite dans
ce vaste univers, comme tout y est admirablement
disposé ! Tout s'y lie, s'y enchaîne, y concourt au
bien-être et à l'harmonie générale; le ciel, la terre,
les mers, les éléments, les saisons, tout y obéit à des
lois constantes et immuables, et de même que rien
dans l'univers n'est inutile, pas même le plus chétif
insecte, rien aussi n'y est désordonné. Chaque être
a sow rôle à jouer ici-bas, sa lin particulière et srJ
destinée; et dans la distribution des moyens pou A
l'atteindre, la Providence ne s'est pas montrée moins
généreuse pour l'humble graminée que pour le cèdre
du Liban.
Le soleil a été formé pour éclairer, vivifier et fé-
* Bar. m, 24. — 2 Saû. x*" &.
ou l'on ne doivt pas. 59
conder la nature ; s'il était plus près de nous, ses
rayons dévorants consumeraient la terre ; elle serait
inhabitable, s'il en était plus éloigné- Si la terre était
plus dure, elle arrêterait la sève et les plantes ne
pourraient germer ; si sa surface était moins ferme,
elle ne pourrait nous soutenir. Attentive à satisfaire,
à prévenir tous ses besoins, le ciel lui dispense tour à
tour la pluie et le vent, la rosée et les rayons du so-
leil; puis, quand les frimas l'ont engourdie, quand
son sein flétri, concentrant la sève et les sucs nour-
riciers, les a reposés trois mois d'un sommeil répa-
rateur, le zéphyr du printemps la réveille de sa tiède
haleine, et la prépare à s'ouvrir à de nouveaux tré-
sors... Viendront des jours où le ciel est de feu et la
terre altérée, entr'ouverte ; les fleuves, les sources
ont tari : une nuée pompera l'eau des mers, ou, pour
mieux dire, évaporée sous un soleil ardent, cette
eau se condensera dans les airs et retombera sur
la terre en ondée salutaire, véritable bénédiction du
ciel.
Et maintenant, mes frères, s'il nous était donné
de considérer la marche constante et régulière des
astres, marche si strictement tracée, si mathémati
quement prévue que l'homme, plusieurs mois, plu-
sieurs années à l'avance, peut annoncer qu'un tel
jour, à telle heure, un astre passera devant le soleil,
et qu'un moment, la terre entière sera dans l'anxiété
de l'attente ; s'il nous était possible d'étudier la suc-
cession continuelle du jour et de la nuit, la marche
régulière des saisons, la structure intérieure et exté-
rieure des plantes et des arbres, l'organisation des
5
CO PETITS SEKMOXS
animaux ; si, dans le plus chétif animal, nous exa-
minions la circulation du sang à travers une immense
ramification d'artères et de veines, cette infinité de
tendons et de fibres délicates, ces mille articulations
savamment combinées , sans marne parler des ani-
maux dont la charpente osseuse est presque aussi
compliquée que celle de l'homme, quel abîme de
merveilles, quel univers à parcourir : et tout cela vit,
tout cela s'agite, pullule, produit son semblable, et
depuis six mille ans? Et nous n'avons pas encore
parlé de l'admirable structure du corps humain, ce
chef-d'œuvre de la création!,.. Ah! quelle effrayante
série de problèmes et de mystères pour l'incrédule !
Quelle montagne d'absurdités à dévorer quand on
veut expliquer sans Dieu la création du monde et
la beauté de l'univers !
« Tenez, disait un jour Bonaparte à Monge, celui
des savants de cette époque qu'il aimait le plus et
qu'il avait sans cesse auprès de lui, « tenez, mareli-
« gion à moi est bien simple ; je regarde cet univers
« si vaste, si compliqué, si magnifique, et je me dis
« qu'il ne peut être le produit du hasard, mais l'œa-
« vre d'un être inconnu, tout-puissant, supérieur à
« l'homme autant que l'univers est supérieur à nos
*< plus belles machines... Cherchez, Monge, aidez-
« voua de vos amis les mathématiciens et les philo-
« sophes, vous ne trouverez pas une raison plus forte
«« et plus décisive, et, quoique vous fassiez poi
« combattre, vous ne l'infirmerez pas 4. »
a Thiers. Histoire du consulat et de l'empire, ni, u;.
ou l'on ne dort pas. 61
Le célèbre Newton ne connaissait pas d'argument
plus solide en faveur du dogme de l'existence de
Dieu que ce raisonnement d'un philosophe païen, le
divin Platon, comme il l'appelle, qui, dans ses Dia-
logues, fait dire à l'un de ses interlocuteurs :
« Vous jugez que j'ai une âme intelligente parceque
•< vous apercevez de Tordre dans mes paroles et mes
* a tions : jugez donc en voyant l'ordre et la beauté
« du monde qu'il y a une âme souverainement in-
« telligente et sage. »
— Comment vous êtes vous assuré qu'il y a un
Dieu? demandait-on un jour à un pauvre Arabe du
désert.
— De la même façon, répondit-il, que je connais,
par les traces marquées sur le sable, s'il a passé un
homme ou une bête \
Mes frères, cette judicieuse réponse vaut toute
une démonstration ; elle est de nature à fermer la
bouche aux plus profonds philosophes, aux savants
les plus consommés qui dissertent, épiloguent, bâtis-
sent des systèmes et sont en définitive obligés de
s'écrier, avec les sages de Pharaon, à l'aspect des
merveilles de la terre et du ciel : Digilus Dei est hic,
le doigt de Dieu est là ï
Oh ! nous les redirons donc, Seigneur, nous les
répéterons sans cesse dans les transports d'un saint
enthousiasme et d'une sainte admiration, ces belles
paroles du roi prophète : Il est grand, le Seigneur,
il est tout-puissant, muni, et toute créature doit
1 Voyage en Arabie.
62 PETITS SERMONS
publier ses louanges : Magnus Dominas et laudabi*
lis nimis 1, il est grand, magnifique dans ses œu-
vres, mais que doit il être lui-même î Et, puisqu'ici-
bas, sur cette triste terre d'exii, sa sagesse et sa
majesté brillent avec tant de splendeur, de quel éclat
ne doit-il pas rayonner là-haut, dans ce beau para-
dis, dont il a fait notre patrie! Oh ! puissions nous,
mes frères, mériter, par la sainteté de notre vie,
qu'il s'y montre un jour à nous comme à ses élus
dans toute la magnificence de sa gloire et de ses
perfections infinies, dont la contemplation sera notre
éternelle félicité ! Ainsi soit il !
HUITIÈME SERMON
ïiU LA. NÉCESSITÉ D'UN PIIEMÏER ÊTRE
Ego sum alpha et oméga, princi*
pium et finis.
J;> suis l'alpha et l'oméga, le prin*
cipe et lafin.fApoc. î, 8J
Ries frères, que répondriez vous à celui qui, devant
un beau palais, vous soutiendrait sérieusement qu'il
s'est fait tout seul, que les pierres se sont taillées
d'elles-mêmes et mises en place par hasard ; que le
hasard seul a préparé le ciment qui les unit, char-
penté les bois, ménagé la distribution des diverses
pièces, revêtu les murs de tentures richement colo-
riées, peint les tableaux, sculpté les charmantes sta-
tuettes qui embellissent les appartements, en un mot,
« tfsaLxLYii, 2.
OU l/ON NE DOUT PAS. 63
que cet admirable édifice s'est élevé sans architecte,
orné sans décorateur, et que ses délicieux détails ne
go-nt ni plus ni moins que des effets sans cause?
A celui qui oserait vous soutenir une énormité pa-
reille, mes frères, pour toute réponse, si toutefois
vous lui faisiez l'honneur de ne pas supposer son
cerveau malade, vous vous contenteriez de citer un
fait qui s'est passé au milieu du siècle dernier, sous
'le règne de Voltaire et de l'Encyclopédie»
Dans un cercle philosophique où se trouvaient les
principaux rédacteurs de cette impie élucubration,
vraie tour de Babel élevée contre le christianisme,
après avoir longuement épilogue, discuté, remis à
neuf les arguments vermoulus de Celse et d'Epicure
en faveur de l'athéisme, on conclut à l'unanimité
que Dieu n'était qu'un fantôme, un être de raison,
un épouvantai), ridicule inventé par l'ignorance et le
fanatisme.
Un homme d'esprit qui les écoutait sans prendre
part à la discussion, — c'était un des leurs, même
le principal, seulement il se trouvait alors dans un
de ses bons moments, — se tenait à l'écart dans la
salle et suivait attentivement, sur le cadran d'une
pendule, la marche lente de l'aiguille.
Son silence intrigua tout le monde et parut singu-
lier.
-— Vous ne dites rien, monsieur, lui demanda-t-on
de toutes parts, est-ce que vous n'êtes pas de notre
avis et voudriez-vous, par hasard, vous faire parmi
nous l'avocat de Dieu?
— Ma foi, messieurs, répondit-il tranquillement
64 PETITS SEHMONS
en montrant du doigt la pendule qui sonnait juste-
ment alors, que voulez-vous :
« L'univers m'embarrasse et ne puis songer
« Que cette horloge marche et n'ait pas ci horloger I »
Cette fine et spirituelle sentence de Voltaire, — -
car c'était lui, — vint comme un coup de vent dis-
perser cet échafaudage de sopbismes et d'impiétés.
Disons mieux, ce fut un éclatant sifflet, qui coupa
court à l'enthousiasme impie et rendit tous les phi-
losophes soucieux...
C'est que, devant eux s'ouvrait tout un abîme, et
que, pour le combler, il fallait autre chose que des
blasphèmes et des paroles en l'air. C'était être poussé
au pied d'un mur qui ne cède pas, la nécessité d'un
premier Être pour expliquer tous les autres, c'était,
en d'autres termes et pour parler avec le gros bon
sens populaire, se voir en face de l'argument de la
poule.
Car enfin, mes frères, l'univers existe, un fou seul
peut le nier. Or, tout ouvrage suppose un ouvrier,
tout mouvement un moteur, tout ordre un régula-
teur, à moins qu'on n'aime mieux dire que ce sont
des effets sans cause, que tout cela s'est fait tout
seul ou que le hasard en est l'auteur, ou que la ma-
tière est éternelle.
Prétendre que l'univers n'a point eu de créateur
et s'est fait tout seul, c'est évidemment extra vaguer
et se moquer du ' bon sens. Un vieil axiome dit que
nul ne se donne à lui-même V existence. On ne peut tout
à la fois être et ne pas être ; être, d'abord, puisqu'on
se suppose agissant, se donnant l'existence, et ne
ou l'on ne dort pas. 65
pas être, puisqu'on n'est pas encore devenu, qu'on
ne s'est pas encore fait. Or, comment l'univers se
serait-il fait tout seul s'il n'avait pas l'existence?
Avant d'agir il faut être : cette première hypothèse
est donc absurde.
— Dira-t-on que le hasard a tout fait ? c'est reéu»
1er la difficulté sans la résoudre. Et d'abord, mes
frères, qu'est ce que le hasard ? qu'on en donne une
définition raisonnable 1 — Et quand même ce ne se-
rait pas un mot vide de sens et qui n'explique rien,
quand même Je hasard serait un être sérieux et l'au-
teur de tout ce qui existe, comment cette cause
aveugle, inconstante et bizarre a-t-elië pu donner la
stabilité à son œuvre et la créer avec tant d'intelli-
gence et de sagesse? Comment n'a-t-elle pas détruit
le lendemain ce qu'elle avait formé la veille 1 Pour-
quoi surtout le hasard s'est il arrêté tout à coup
après un essai si sublime et ne produit-il plus rien
de nos jours ? Évidemment c'est parce qu'il n'a ja-
mais rien produit et que l'univers aune autre origine.
J'ai lu dans mon jeune âge un trait qui vient ici
fort à propos, mes frères, et qui vous intéressera,
j'en suis sûr.
Un savant jésuite allemand, n'ayant pu convaincre
par la logique et le raisonnement un de ses amis qui
doutait de l'existence de Dieu et attribuait au hasard
la création de l'univers, recourut à un stratagème
assez singulier pour le guérir de sa folie.
Possesseur d'une sphère magnifique, car il s'oc-
cupait beaucoup d'astronomie, il alla la prendre dans
son cabinet d'étude où personne n'entrait jamais, et
G6 PETiTS SiillMONS
la déposa sur la table de son salon, un jour qu'il
attendait la visite de son ami.
A peine la sphère était-elle en place, que ce der-
nier vint frapper à sa porte et fut introduit dans son
appartement,
. — Oh 1 la belle sphère ! s'écrie-t-il ravi d'admira-
tion et s'arrêtant sur le seuil à la contempler, la belle
sphère ! mais c'est un vrai monument que vous avez
là, révérend Père, je ne vous l'avais jamais vue ; est-
elle à vous ?
— Mais... non, fit le prêtre avec quelque hésita-
tion, tout en se mordant les lèvres pour se donner
ïe courage de son rôle ; elle ne m'appartient pas...
Elle n'est à personne.
— A personne I allons donc ! vous voulez rire !
— En aucune façon ; je vous assure qu'elle n'a
point de maître, et que, de plus, elle est venue là
toute seule.
— - De mieux en mieux! Franchement mon Père,
avouez que vous êtes aujourd'hui d'humeur réjouis-
sante et que vous voulez m'en faire accroire ;
mais vous comptez un peu trop sur ma bonne vo-
lonté.
— Oh ! vous en croirez ce qu'il vous plaira mon
cher ; il n'en reste pas moins vrai que cette sphère
n'est à personne, que personne ne l'a mise sur cette
table, qu'elle y est venue toute seule, je le répète,
et j'ajoute, par-dessus le marché, qu'elle s'est faite
d'elle-même.
— Et moi, répliqua le visiteur avec une impatience
mal contenue, je vous répèle à mon tour que vous
OU ï/ON NE DOKT PAS. 67
Voulez rire et que vous vous moquez des gens assez
hors de saison.
— Vous savez bien, monsieur, que je ne plaisante
jamais.
Le bon religieux prononça ces paroles d'un ton
6i naturel, il regarda son interlocuteur avec tant de
calme et une assurance si bien jouée, que ce dernier
se tâta, porta la main à son front et devant ses yeux,
pour s'assurer qu'il n'était pas le jouet d'un rêve.
— Je suis bien éveillé, se dit-il, je sens parfaite-
ment que je parle et que celte étonnante merveille
est là, bien réelle devant mes yeux... Allons donc,
ajouta- t-il en souriant, encore une fois, mon Père,
c'est une mauvaise plaisanterie, mais vous avez trop
d'esprit décidément pour me croire votre dupe !
— C'est pourtant l'exacte vérité que je vous dis là.
— Comment ! s'écria le visiteur à bout de patience,
en déchargeant sur la table un si grand coup de
poing, qu'il mit en mouvement le soleil, la lune, la
terre et tout le système du monde, vous me croyez
assez niais pour admettre que cette magnifique
sphère n'est h personne, pas même à celui qui l'a
faite 1 qu'elle est venue d'elle-même se placer sur
cette table, ou qu'elle y a poussé comme un champi-
gnon ] Vous voulez que j'avale une absurdité dix
fois plus énorme encore que les deux autres, à sa-
voir, que cet étonnant prodige de sagesse et de pré-
cision, l'univers en miniature a pu se faire tout seul
sans qu'un habile artiste y ait mis la main 1... Allons
donc, révérend Père I faites-moi l'honneur de me
suppose? au moins un peu de bon sens, et convenez
».
68 PETITS SKRMONS
franchement que votre langage n'est pas sérieux ! —
Car enfin, ou je ne suis qu'un imbécile, ou cette
belle sphère, ce trésor doit avoir un maître, ne fût-ce
que celui qui en a conçu et exécuté l'ingénieux mé-
canisme : une si raie merveille n'est pas venue d'elle-
même sur votre table; il faut nécessairement que
quelqu'un l'y ait mise, sans quoi il n'y aurait pas de
raison pour qu'elle ne s'en aille pas en ce moment
toute seule, comme elle est venue ; enfin vous ne
persuaderez jamais à quiconque a le sens commun
que cet admirable chef-d'œuvre, cette charmante
copie de l'univers s'est faite d'elie-même, et qu'un
habile ouvrier... un homme de génie...
— Arrêtez ! interrompit le religieux d'une voix
énergique ; devant l'œuvre, vous saluez l'ouvrier,
c'est bien ; vous trouvez la copie admirable, elle vous
révèle un homme de génie, j'y consens ; mais cette
copie si belle, oh ! quelle est pâle devant le riche et
splendide original que nous voyons là-bas!...
Et en parlant ainsi, le bon religieux prit par le bras
son ami et l'entraîna vers la croisée, pour lui montrer la
campagne toute parfumée de riantes fleurs du prin-
temps, et, au bout de ce magnifique tableau, le soleil,
qui, descendu à l'horizon, se couchait en ce moment der-
rière une éblouissante tenture de pourpre et d'or...
— Que c'est beau 1 que c'est beau ! s'écria le visi-
teur transporté d'admiration.
— Et bien, monsieur, reprit le religieux qui sen-
tait le moment venu de frapper le dernier coup, vous,
qui savez si bien de l'eiïet remonter à la cause, et
reconnaître à l'œuvre la main de l'ouvrier, croyez
ou l'ox ne doivf pas. 69
vous toujours qu'un aveugle hasard est l'auteur de
toutes ces merveilles ? Non sans doute, je vous sup-
pose réellement trop dy esprit et de bon sens.,. Oui,
admirez tant qu'il vous plaira la copie et l'image,
ajouta t -il en tombant à genoux et en entraînant son
ami, mais adorez avec moi ie Créateur de la réalité !
L'argument était sans réplique, mes frères ; aussi
l'incrédule se reieva-t-il convaincu, transfiguré : le
jour s'était fait dans son âme.
Il se jeta dans les bras du prêtre en s'écriant d'une
voix attendrie :
— Merci, mon Père, vous m'avez fait du bien !
Après le hasard invoqué pour expliquer la création
du monde et qui n'explique rien, est venue l'éternité
de la matière : autre solution lumineuse qui fait le
pli; 3 grand honneur à celui qui l'a le premier mise
en avant.
Quelques rêveurs du dernier siècle ont osé l'affir-
mer sur la foi de je ne sais quels livres indiens et
chinois qui donnaient modestement au Célesle-Em ■
pire une antiquité de quatre-vingt à cent mille ans !
Mais le simple bon sens a fait justice de ces ridicules
théories ; de récentes découvertes sont venues confir-
mer le récit de Moïse sur l'âge véritable du monde.
« Ce qui est bien certain, dit un célèbre natura-
« liste, c'est que la vie n'a pas toujours existé sur le
« globe, et il est facile à l'observation de reconnaître
« le point où la nature a commencé à déposer ses
« produits1... »
1 davier, Discours sur U:. révolutions du globe.
70 PETITS SERMONS
« — Rien n'est éternel sur la terre, dit un autre
« géologue, et tout, dans les entrailles du globe
« comme à la surface extérieure, atteste un com-
« mencement et indique une fin i. »
D'ailleurs, mes frères, de tous les systèmes ima-
ginées par *a raison humaine pour expliquer le
monde en dehors de la révélation, le plus absurde
est sans contredit l'éternité de la matière... Car enfin
attribuer à la matière l'Éternité, cet attribut divin,
n'est-ce pas en faire l'Etre nécessaire, l'Être im-
muable, indépendant, souverainement parfait, n'est-ce
pas en faire un Dieu ? — Mais alors ce Dieu-matière
devra donc aussi être contingent, périssable, limité,
corruptible, imparfait comme elle ; or n'est ce pas le
comble de la folie que de faire de ce qui est essen-
tiellement inerte le moteur suprême, de ce qui est
évidemment borné, l'Etre infini, de ce qui change et
se modifie tous les jours, l'Etre immuable, et d'at-
tribuer l'intelligence et la sagesse souveraine à ce
qui est incapable de penser : peut-on, je vous le de-
mande, mes frères, se contredire plus ouvertement ?
Si la matière est éternelle, elle l'est dans toutes
ses parties, et l'on ne pourrait sans contradiction en
supposer une seule non existante... Ainsi, dans ce
système, il n'y aura pas une feuille d'arbre, un
grain de sable, un atome de poussière dont l'exis-
tence ne soit aussi essentielle que trois angles à un
triangle ; l'idée du triangle et l'idée de ses trois
angles sont tellement corrélatives et nécessaires l'une
t Kéréc-Boubée, Manutl de Géologis.
ou l'on ne dort pas. 71
à l'autre, qu'il est impossible de les séparer sans se
contredire; or, je demande s'il en est de même
de l'idée d'un atome et de l'idée de son existence,
et en quoi je tomberai dans l'absurde en supposant
que cet atome n'existe pas. Donc il n'existe pas né-
cessairement ; et ce que je dis d'un alome de l'uni-
vers, je le dirai de l'univers lui-même, donc il n'est
pas éternel, donc il a été créé.
De plus, ce Dieu-matière étant divisible à l'infini^
et chaque molécule de matière étant l'Etre néces-
saire, il y aura autant de dieux que d'atomes dam
l'univers, et nous sommes bien coupables de n'êtn
pas, comme en Egypte, à genoux devant les légumes
de nos jardins...
Enfin, mes frères, la matière ne peut se concevoir
sans ses attributs naturels, la couleur, l'étendue, la
forme, la pesanteur spéciGque, etc ; donc eUe a dû
avoir de toute éternité ses modifications détermi-
nées, immuables, indestructibles, éternelles comme
elle ; et pourtant nos ouvriers, nos mécaniciens, nos
industriels font-ils autre chose tous les jours que
modifier et changer la matière? — Mais ne perdons
pas un temps trop précieux à réfuter ces chimères,
et terminons, par une dernière réflexion, ce sujet qui
a pu vous paraître abstrait, mais dont j'ai dû vous
entretenir, à raison de son importance.
Naturellement inerte, la matière nous apparaît
pourtant dans un mouvement continuel ; mouvement
au ciel, mouvement sur la terre, mouvement des
eaux, mouvement de la sève dans les plantes, mou-
vement du sang dans les animaux, mouvement par-
72 PiiïlTS SERÎiOlSS
tout. D'où vient-il 1 Ce n'est pas l'univers qui se Test
donné : nul ne se donne ce qu'il n'a pas. D'ailleurs, si
la matière pouvait s'imprimer un mouvement quel-
conque, elle pourrait aussi l'accélérer, le suspendre,
en changer la direction, ce qui est contraire à l'expé-
rience.
Dire que le mouvement est essentiel à la matière,
est une absurdité : ce mouvement serait constant,
uniforme, universel, éternel comme elle, et nous ne
pourrions la concevoir en repos ; et pourtant tous
les jours nous voyons le contraire : ceux qui con-
duisent des chariots et les malheureux qui tournent
la meule en savent quelque chose !
Quel a donc été le premier moteur de l'univers î
Est-ce la terre qui s'est lancée elle-même dans l'es-
pace avec le double mouvement de rotation sur elle-
même et de translation autour du soleil 1
Quelle puissance a suspendu là haut ces milliers
de mondes qui nous éclairent ? Qui les pousse avec
tant d'harmonie et d'ensemble de l'Orient vers l'Oc-
cident 7 Est-ce l'homme, est-ce le hasard, ou bien
sont-ce les atomes crochus d'Épicure et de Lucrèce,
qui, après avoir, de toute éternité, tourbillonné
dans le vide et s'être pris, un beau matin, pour for-
mer une plante, un animal, un homme, puis le ciel
et toutes les merveilles de la nature, ont lancé ce
chef-d'œuvre comme l'artificier lance son bouquet
dans les airs ?
Qui sait même si le jour, la nuit, les saisons, les
révolutions du ciel, le flux et le reflux de la mer et
tout cet harmonieux ensemble de mouvements di-
OU fc*ON NE DORT PAS 73
vers ne sont pas encore le mouvement éternel des
atomes crochus se continuant dans l'univers accro-
ché!...—Que l'homme est à plaindie, mes frères,
que ses raisonnements font pitié, quand, pour expli-
quer le monde, il veut se passer de Dieu ! Toute sa
science, tout son esprit, tout son génie viennent se
briser contre cette simple question d'un enfant de
douze ans à un jeune philosophe à l'eau de rose :
— Monsieur, puisqu'il n'y a pas de bon Dieu,
dites-moi d'où vient un œuf?
Comme lui, on réplique, on ferraille, on ext^avague
à droite, à gauche ; mais la raison voulant toujours
avoir raison, le docteur s'embarasse, il hésite, il
bégaie et finalement reste court.
Oh ! nesoyons pas philosophes, mesfrères ! N'allons
pas comme ces petits raisonneurs de la rue, idolâtres
de nos pensées et dédaignant le flambeau de la foi,
nous enfoncer laborieusement dans le labyrinthe
des secrets du Créateur, tandis qu'au-dessus de nos
têles brille l'éclatant flambeau de sa parole révélée;
laissons ces menus docteurs de carrefour se fouetter
l'imagination pour se démontrer par la seule voie
du raisonnement une vérité que le chrétien trouve
écrite en tête de son symbole et qui lui donne la clé
des plus redoutables mystères :
— Au commencement, Dieu créa le ciel et la
terre... Tout ce qui existe est son ouvrage, et rien
de ce qui est n'a été fait sans lui. Omniaper ipsum...
ei sine ipsefactnm est nihil quod factura est (Joan. i, 3.)
Oui, Seigneur, vous êtes vraiment l'alpha et
l'oméga le principe et la fin de toutes choses j vquj
74 PETITS SERMONS
avez dit et tout a été fait, vous avez ordonné et la
création s'est opérée ; oh ! puisque c'est de vous que
nous venons et à vous que nous devons retourner
comme à notre fin suprême, faites que nous ne per-
dions jamais de vue la noblesse de notre origine en
cherchant dans la créature un repos, un bonheur
que vous seul pouvez donner ! Attirez en haut nos
cœurs, vous qui êtes notre trésor, et fermez-les aux
charmes perfides de la terre, afin que les tristes joies
de l'exil n'aient plus le fatal pouvoir de nous faire
oublier les saintes et immortelles délices de la pa-
trie ! Amen%
NEUVIÈME SERMON
KXISTJÏNCE DE DIEU, — L'HOMME.
Etait: Vaciamus komtnem ad im a g in cm
cl similitudtnem nostram
Et il iiil : F;'.ism])> riiumnie h notre image et
h notre ressemblance. (Gen. i, 26.)
Mes Frères, l'Univers était sorti du néant par la
volonté toute puissante du Créateur; sa féconde
parole avait fait le Ciel avec ses étonnantes mer-
veilles, la terre avec ses riches trésors ; des my-
riades d'animaux peuplaient cet immense domaine,
et pourtant cet ouvrage si beau, si splendide était
loin d être complet : c'était un corps sans âme, un
vaisseau sans pilote, une armée sans général ;
l'homme n'avait pas encore paru !
Mais sitôt que Dieu, pareil à un artiste qui médite
une œuvre grandiose, rentre en lui-même et se dit ;
OU L'ON NE DORT PAS. 75
— Maintenant que voilà le domaine, donnons-lui
un maître: « dans ce vaste et magnifique palais,
« sous ce dôme d'azur, plaçons un favori : pour tant
o. de trésors et d'hommages, créons un seigneur; à
« tant de sujets qui rampent sur la terre, donnons
« un roi qui regarde le Ciel, Jaisons l'homme à noire
« image et à notre ressemblance ! » Mes frères, sitôt
que le grand ouvrier eut souillé sur la boue pétrie
de ses divines mains, que le roi du Ciel eut fait un
roi de la terre, et que l'homme marcha le front
haut, pensant et priant, dominateur de la création
pour la faire remonter au Créateur, dès lors cet
immense ouvrage, fut complet et digne de la sa-
gesse éternelle; alors il eut un sens ; avant l'homme
il n'en avait point.
L'homme est donc en définitive le lien vivant qui
unit la terre au Ciel et la créature au Créateur :
aussi s'élève-t-il au-dessus d'elle comme le cèdre
du Liban s'élève au-dessus des arbrisseaux d'alen-
tour, comme l'aigle s'élève au-dessus du vermisseau
qui rampe dans la poussière. Oh ! soyons donc fiers
d'une si noble origine, mes frères! Bénissons-en le
Ciel et qu'un saint orgueil nous anime : il nous sera
permis. <^iMà, car c'est dans le Seigneur que nous
nous glorifions !
Et pourtant le croirez -vous? Il s'est trouvé des
gens, et l'on en voit tous les jours, qui ne pouvant
se résoudre à prononcer le nom de Dieu, cherchent
à l'homme une autre origine et veulent absolument
ou que non s ayons toujours existé sur la terre, ou
que nous y soyons venus de nous-mêmes. Exami-
7G PLTîTS SERMONS
nous en peu de mots leurs prétentions ridicules et
voyons si Ton peut assigner h l'homme une origine
raisonnable en dehors des données de la foi.
Nous voici à la seconde moitié du dix-neu-
vième siècle : Près de douze cent millions d'hom-
mes couvrent la surface de la terre : Il n'est guère
plus de contrée habitable où un être humain n'ait
porté ses pas, plus de ligne sur l'Océan que n'ait
explorée la rame de nos navigateurs ; s'il reste encore
quelques écueils à doubler, quelques glaces à par-
courir aux extrémités du globe, tous les jours quel-
que hardi capitaine y dirige sa course aventureuse.
L'homme a creusé le sein de la terre, a pénétré
bien avant dans ses entrailles ; il en a fait comme
un vaste labyrinthe, et en extrait tous les jours des
richesses nouvelles... Sous la cloche du plongeur, il
est descendu au fond des mers, y a séjourné de lon-
gues heures à la recherche du corail et de la perle
cachée dans un coquillage. Que dis je? Il a dompté
la foudre ; il s'est fait un serviteur du souffle du ton-
nerre, qui porte en un clin d'œil sa parole aux extré-
mités du monde ; il s'est élancé dans les airçj le
voilà qui plane au-dessus des nuages, et le jour n'est
pas loin sans doute où il marchera lui aussi sur l'aile
des vents, comme pour voler vers son Dieu qui, du
haut du Ciel, l'encourage et l'appelle; en un mot,
l'homme s'est emparé de son vaste domaine, en jouit
en maître, et jamais il n'avait été plus vrai de rap-
peler le roi de la création.
Mais mes frères, remontez par la pensée le cours
des âges ; suivez, siècle par siècle et dans toutes
ou l'on ne dort pas, 77
les régions du globe, l'immense série des généra-
tions écoulées ; le parcours sera long, sans doute,
mais enfin des feuilles aux rameaux, des rameaux
aux branches et des branches au tronc, vous arri-
verez à la racine de l'arbre géant dont les antiques
bras s'étendent sur tout l'univers.
Il fut un temps où, sur cette terre, aujourd'hui si
peuplée, n'existaient que des plantes et des ani-
maux ; la science est d'accord là-dessus avec nos
Saints Livres. Les premières couches de la terre où
la Géologie ait trouvé des ossements humains ne
font pas remonter cette époque à plus de six
mille ans.
D'où donc, quand, et comment le premier homme
est-il venu sur la terre t Par quelle main a été planté
l'arbre généalogique de l'humanité ? A-t-il toujours
été gigantesque et vigoureux comme nous le voyons ?
A t-il poussé de lui-même et graduellement par
mille transformations, ou bien est- il tout à coup sorti
de la terre comme un météore ?
La première hypothèse répugne; on ne la sou-
tiendra plus, j'espère, après tant de spirituelles ré-
futations. La meilleure preuve que l'homme n'est
pas éternel ici-bas, et qu'il doit y finir, c'est que les
races dégénèrent, le sang s'appauvrit, l'âge décroît,
les tempéraments déclinent ; nous sommes à cent
lieux de nos pères qui étaient eux-mêmes déjà fort
loin de leurs aïeux : la génération nouvelle vit à
la vapeur et vieil ira de même : de plus en plus,
l'espèce s'abâtardit et l'on peut presque prévoir
quand elle finira ; donc elle a commencé, sans qudi
18 PETITS SERMONS
nous serions toujours au même point de vigueur et
de longévité ; rien d'éternel ne change.
De plus, si le genre humain avait toujours existé
— et ce ne serait pas sur la terre, puisqu'elle n'est
pas éternelle, — il serait donc l'Etre nécessaire, il
serait donc Dieu et ne pourrait mourir, pas plus col-
lectivement que dans le dernier de ses membres :
et alors que sont devenues tant de générations dont
nous foulons la poussière? Dira-t on qu'elles doivent
renaître et revivre pour mourir encore et ainsi de
suite à l'infini ? En vérité, pour un Dieu, voilà bien
des vicissitudes et des migrations ; si ce n'est pas là
se jeter dans Scylla pour éviter Charybde et expli-
quer un mystère par cent autres plus inexplicables
encore, j'en appelle au bon sens et à la same raison,
puisque c'est devant eux que nous plaidons en ce
moment la cause de la foi.
Ne nous arrêtons pas davantage, mes frères, au
second système qui nous prend à l'état de végétal,
et, nous assimilant à la grenouille de nos marais ou
à la chenille qui se transforme en papillon, nous fait
successivement, plante, poisson, quadrupède, orang-
outang et nous élève enfin à la dignité humaine.
C'est, comme on le voit, faire son chemin à fond de
train. Il est vrai que les docteurs ne poussent pas
plus loin la gradation, et qu'on ignore, en fin de
compte, dans ce système, si l'homme est autr3 chose
qu'un animal sans plumes...
Ceux qui seront jaloux d'une si noble origine peu-
vent à leur choix hériter de la dépouille d'un ver * ou
* E. Quinet.
OU l/or* NE DORT PAS. 79
contempler leur patte d'animal devenant la main
d'un homme l ou descendre d'un marsouin qui se
fend la queue 2, ou bien d'un singe dont le nez s'al-
longe par un rhume de cerveau 3 ; pour nous, qui nous
croyons sortis des mains de Dieu, nous avons une
autre ambition et surtout une foi moins robuste.
Peut-être est-ce parce que nous n'avons jamais été
témoins de ces transformations merveilleuses... Elles
s'opéraient, dit-on, au temps où les arbres parlaient,
dans ce pays où, au son d'une lyre, les tigres se
changeaient en agneaux et les murs des villes se bâ-
tissaient d'eux-mêmes... Il est vraiment à regretter
pour nos philosophes que nous soyons si loin de
ces siècles d'or et de cette contrée de la bonhomie
où il suffisait de semer les dents d'un dragon pour
qu'à l'instant se levât à la place un peuple de guer-
riers tout armés... 0 l'heureux temps 1 l'heureux
pays? Et faut il s'étonner qu'en fait de religion,
comme en fait de politique et d'économie sociale,
ces messieurs soient toujours enEéotie î
Enfin, mes frères, veut-on que l'homme soit sorti
tout à coup du sein de la terre 1
— A la bonne heure! voilà au moins une solu-
tion sérieuse ! — Et d'abord, à quel âge sera né le
chef de notre race 1 Le voulez-vous au berceau î —
Prenez garde, il va mourir de faim 1 Vous avez sup-
primé la mère, vite une nourrice pour l'allaiter, le
bercer sur son sein et lui prodiguer les soins vigi-
lants qu'exige son enfance 1
* Ferrari. — 2 Lamctirie. — 3 Chevalier de Lamarck.
fO PETITS SERMONS
Mais on y a songé, chrétiens ; il aura la terre
pour nourrice, pour vêtement une vapeur légère, un
tendre gazon pour berceau. Nous ne l'avons pas vu,
mais un poète l'assure 4, et si la chose est peu croya-
ble, on ne contestera pas du moins la gracieuseté du
tableau.
Allons, vous aimez mieux que l'homme soit sorti
à la fleur de l'âge du sein de la nature 2. — Expli-
quons nous tout d'abord. Qu'entendez-vous par ce
mot sonore t Le Ciel et la terre, c'est-à-dire la col-
lection des êtres qui composent l'univers? Ce se-
ront donc les astres, les montagnes, le^ plantes, les
mers, les animaux, les reptiles, les oiseaux, les
poissons, y compris les huîtres, qui auront tous en-
semble formé le premier homme en corps et en
âme? Le plus courageux sophiste n'oserait tenir un
tel langage. — Mais le hasard, mais la nature, voilà
des mots pompeux, qui, tout en ne disant rien, peu-
vent tenir lieu de raison, s'ils sont bien accentués...
— Plaisante solution, la nature? comme si ce mot
là, pris autrement que pour Dieu lui-même, pour la
providence des lois qui régissent l'Univers, pouvait
avoir un sens raisonnable ?
« La nature n'est point une chose, dit Bùfibh, car
« cette chose serait tout; la nature n'est point un
« être, car cet être serait Dieu. Mais on peut la
« considérer comme une puissance vive, immense,
« qui embrasse tout, qui anime tout et qui, subor-
* Terra cibum pueris, veslem vapor, herba cubile
Prœbebat.muliâ et molli lanugineabundans.. .(Lucrèce),
2 Michelct,
ôtt l'on ne dort pas, 8l
* donnée à celle du premier être n'a commencé que
« par son ordre et n'agit encore que par son con-
« cours ou son consentement. Cette puissance est,
« de la puissance divine, la partie qui se manifeste
« dans toutes les œuvres ; elle présente le sceau de
« TÉternel *. «
Qu'a donc voulu dire, mes frères, le célèbre pro-
fesseur déjà nommé2, par ces paroles amphigouri-
ques où rie perce que trop le matérialisme : « Nous ne
« nous représentons pas aisément aujourd'hui l'a-
« mour de l'homme pour la nature dans le premier
» âge où il était encore à peine dégagé de son sein.
« Dans les âges les plus voisins de la création,
« l'homme était moins séparé des bêtes... Dans cha-
« que création, il voyait une sœur, une amie... »
Tout cela est fort tendre, sans doute, mais ne nous
dit point comment s'est opéré notre dégagement du
sein de la nature et ce qui constituait cette con-
fraternité, cette union platonique de l'homme avec
les animaux, . .
Etrange aveuglement, mes frères, fatale obstina-
tion de la philosophie à méconnaître la main de
Dieu, si visible pourtant darss ses ouvrages, et dans
celui-là surtout qui en est l'admirable couronne-
ment ! Plutôt que de prononcer le nom de Dieu et
de la providence, on se condamnera, s'il le faut, à
radoter six cents pages durant, et de façon à déses-
pérer un échappé de Bicêtre...
— C'est le soleil, dardant ses rayons sur un ma-
« BuffoD. t. XII. p. 34. - 2 Michelet.
82 PETITS SERMONS
rais, qui a fait éclore l'homme, dira l'un. **• C'est la
nature, dira crûment un antre, qui a planté nos
pères, çà et là comme des champignons. — Un troi-
sième est plus poli : — « Notre intelligence se dé-
fi veloppa, dit-il, et l'industrie naquit dans l'instant
« organique où la patte de l'animal devenait la
« main d'un homme, et la 'pen?ée commença sa
u carrière indéfinie, quand les cris inarticulés des
« bêtes se transformèrent dans la parole humaine l.»
— Un quatrième enfin, plus modeste et plus franc
cette fois que ses confrères, lance courageusement
le mot fatal, le mot qui se trouve au fond de toutes
ces ridicules et extravagantes théories ; je n'en sais
rien ; la création de l'homme est le secret de Dieu g.
Silence donc , orgueilleuse philosophie , silence
quand Dieu parle, quand le bon sens réclame, quand
la voix discordante est un audacieux défi jeté à la
reconnaissance de toute la nature ! silence, et n'in-
terromps plus par tes blasphèmes l'hymne de louan-
ges qui monte de toutes parts vers le Tout-Puissant!
Son secret, nous l'avons pénétré, son amour nous l'a
découvert : il est un livre divin qui date des premiers
âges du monde, un livre qui prend l'homme au sor-
tir des mains du Créateur, et renferme ses titres de
noblesse ; il nous montre Jéhovah pétrissant un peu
d'argile, l'animant de son souffle immortel et lui com-
muniquant un rayon de sa gloire. ,. Vous qui doutez
encore, ô profonds penseurs, ô sages de la terre,
vous qui traitez avec dédain ce livre sublime, dont la
* Ferrari. ~ * Gaticn Avnoult,
OU l/ON NE PORT PAS. 83
lecture sérieuse vous eût épargné tant de bévues,
libre à vous d'appeler encore !a nature votre mère,
les chenilles vos sœurs, un marais votre berceau, les
poissons vos aïeux; pour nous, saintement fiers de
porter l'empreinte sacrée de Celui qui nous fit à son
image, nous continuerons de l'adorer et de le bénir
en répétant avec l'heureuse simplicité de l'enfant du
catéchisme :
— C'est Dieu qui nous a crées et mis au monde!
Il n'y a pas longtemps, un jeune étourdi, quelque
peu lettré, qui prenait à tâche de contredire tout bas
les saintes vérités qu'il entendait au prône, accusant
le prédicateur défaire son métier, rencontra ce der-
nier devant l'église , un dimanche qu'il avait, en
expliquant le premier article du. Symbole, assez lon-
guement parlé de la création de l'homme et de la
puissance de Dieu.
Il l'aborde d'un air dégagé, comme il était à cau-
ser avec quelques personnes — c'était assez son ha-
bitude après les ofïices — et lui demanda cavalière-
ment s'il était bien sûr de ce qu'il a dit au prône.
— Eh 1 sans doute, mon ami, lui répond le prêtre,
fort étonné d'une telle question ; vous savez bien
qu'un prédicateur n'avance rien en chaire dont il ne
soit parfaitement certain, rien qu'il ne soit prêt à
soutenir devant les plus effrayantes menaces, et qu'il
mourrait sans hésiter pour la dernière des vérités de
son Symbole.
— Bah ! Monsieur le curé, tout cela est bon à dire ;
entre nous, votre histoire de la création n'est ni plus
ni moins qu'une fable.
G
84 PETITS SERMONS
— Une fable i ah ! ça mais songez-vous, jeune
homme, à ce que vous dites ?
— Parfaitement : je soutiens que la formation
d'Adam et Eve est une pure légende, un conte à
dormir debout.
— Et pourriez- vous nous indiquer la date de cette
légende, l'origine de cette fable, de ce conte, en con-
naissez-vous Fauteur ?
— Mon Dieu, peu nous importe la date de l'inven-
tion ë% moins encore le nom de l'inventeur ; il nous
suffît de savoir que cette histoire est imaginaire et
sans fondement.
— Quoi, Monsieur I vous traitez d'imaginaire une
histoire qui fait la base de toutes les traditions hu-
maines I Vous appelez une fable, un conte ridicule,
un récit que tous les peuples de ta terre ont trouvé dans
leurs archives, plus ou moins dénaturé sans doute,
mais au fond toujours et partout le même, qu'ils se
sont transmis dage en âge avec bonheur, parce qu'il
fait de l'espèce humaine une immense génération de
frères I — peu vous importe, dites-vous et la date et
l'auteur d'une pareille légende ! Mais pardon, Mon-
sieur, il nous importe infiniment, à nous, que vous
l'indiquiez, cet auteur, car vous pourriez nommer
Moïse î il nous importe que vous assigniez une ori-
gine, à cette légende, qui sait? vous remonterez
peut-être à six mille ans î — mais non, vous êtes plus
rond que cela : il vous suffit de savoir que V histoire
est imaginaire et sans fondement : nous direz-vous
au moins, Monsieur, d'où vous vient cette assurance?
— De la raison et du bon sens I
OU L'ON NE DORT PAS. 85
Le jeune docteur prononça ces deux ronflantes
paroles avec tant d'emphase et d'aplomb que les
paysans ébahis ouvrirent démesurément les yeux, ne
sachant trop s'ils devaient admirer ou sourire.
Oh! respect à votre bon sens, à votre raison,
s'écria le prêtre étonné de cet accent de fierté dans
un jeune ouvrier qu'il avait vu naître, mais qui s'é-
tait profondément gâté dans son tour de France, res-
pect à votre raison, surtout si vous nous dites com-
ment elle vous explique l'origine du monde et la
création de nos premiers parents.
— Mou Dieu, rien de plus simple, répond froide-
ment notre philopohe en prenant un ton doctoral :
d'abord le monde a toujours existé tel que nous le
voyons, et les premiers humains naquirent en vertu
de la génération spontanée... Après tout, pourquoi
n'en serait-il pas de nous, par exemple, comme de
ces animaux microscopiques dont on parle tant de-
puis quelques mois, et qui, venus on ne sait d'cù ni
comment, produisent et pullulent d'une effrayante
manière t. .. Mais non, Monsieur, je veux être géné-
reux, répondit le petit maître en se souriant à lui-même,
comme il n'est pas raisonnable d'établir une parité
entre nous et ces insectes dégoûtants qui empoison-
nent nos viandes les plus savoureuses, j'admettrai
que les fondateurs de notre race ont eu une autre
origine et que le premier homme fut un orang-ou-
tang... un singe perfectionné...
— Oh ! Monsieur ! fit le prêtre en joignant les
mains d'un ton suppliant, restons en là, je vous
en prie ! vous avez trop d'esprit en vérité pour
86 PETITS SEUMONS
vouloir nous faire croire que vous n'êtes qu'une
bête !
Les villageois partirent d'un immense éclat de rire
y, la cause fut eu tendue.
Quelle pitié, mes frères, et que de pareils raison-
jnents font mal ! Encore une fois, revenons au ca-
téchisme 1 au catéchisme qui renferme la clef de no3
plus redoutables mystères ! Craignons moins le ridi-
cule qui s'attache à de si tristes rêveries, moins la
flétrissure dont souille l'image de Dieu l'insensé qui
descend au niveau de la brute, que le sanglant ou-
trage que de tels blasphèmes font au Créateur !
Oh ! ils ne sortiront jamais de notre bouche, Sei-
gneur ! jamais notre langue n'articulera un son qui
vienne troubler l'harmonie du concert de louanges
que la création reconnaissante fait monter tous les
jours jusqu'au pied de votre trône! Oui, nous
sommes vos enfants, l'œuvre de vos admirables mains:
Soyez béni pour F existence que vous nous avez
donnée ; béni pour la providence paternelle qui nous
la conserve, béni pour les bienfaits dont vous nous
comblez tous les jours; rendez-nous-y de plus en
plus sensibles, et daignez y ajouter le plus grand de
tous : c'est de nous en faire si tendrement chérir
l'auteur, que nous méritions, par la sainteté de notre
vie, de le posséder ù jamais dans les splendeurs de
l'éternelle Sionl Ainsi soit- il I
ou l'on NE DOÎIT PAS, 87
DIXIÈME SERMON.
EXISTENCE DE DIEU- — LÏIOMME. — SA NÀTUUE,
Minui&ti cum paulo minus ab angelis* fPs, wu.€.)
Vous l'avez fait presque l'égal des anges.
Iles frères, de tous les ouvrages du Créateur, ce-
lui qui proclame le plus hautement sou existence,
celui qui suffirait à lui seul pour ruiner tous les sys-
tèmes des philosophes, c'est sans contredit le corps
humain,
A celui qui s'engage dans les replis et les contours
induis de ce vaste labyrinthe pour en étudier les mys-
térieux trésors, à celui qui, le scalpel à la main, suit
cet admirable système d'artères, de veines, d'articu-
lations, de muscles qui relient et couvrent la char-
pente osseuse; à celui qui examine l'ingénieux
mécanisme de la nutrition et les mille organes du mou-
vement et de la vie ; à celui-là le cachet du Créateur
apparaît dans tout son jour: il adore sa sagesse infî.
nie dans le plus léger tissu, la fibre la plus délicate;
une goutte de sang qui sort du cœur et qui, poussée
de proche en proche, jusqu'aux extrémités du corps,
revient, par une autre voie, se retremper aux sources
de la vie, lui en dit plus que l'univers ensemble,
Or, mes frères, pour me servir d'une comparaison
profane, que penseriez-vous d'un homme qui, à l'as-
pect de l'Apollon du Belvédère ou de tout autre chef-
d'œuvre de l'art, oserait nommer le hasard, ou vous
<*'ra ; ment; voilà un singulier jeu de la na-
0.
88 PETITS SERMONS
tare ! — Vous dlncz : voilà un singulier bipède, nn
parfait imbécile !
Eh bien ! celui qui attribuerait notre existence au
hasard le serait cent fois davantage : il y a incompa-
rablement plus d'intelligence dans la formation, je
ne dis pas de notre corps, mais d'un seul cheveu de
notre tête que dans l'Apollon et les autres sculptures
du Belvédère : nous avons cent artistes en Europe
capables de nous transformer plus ou moins heureu-
sement un bloc de marbre en Apollon : mais qui
nous ferait un cheveu 1
Ah ! nous avons donc autant de preuves de l'exis-
tence du Créateur qu'il y a de cheveux sur notre
tête ! — « Donnez-moi un chien mort, disait un ancien
« anatomistë et je le ferai hurler contre Épicure! »
Qu'eût-il dit, mes frères, si le microscope lui eue fait
découvrir dans une seule fibre autant de sagesse que
dans la structure de notre corps !
Il n'entre pas dans mon dessein de décrire cette
vivante merveille, un volume in-folio n'y suffirait pas:
d'ailleurs que dire après Bossuet et Fénelon, que
dire surtout après Galien, ce second patriarche de la
médecine, qui, ayant terminé l'anatomie et la des-
cription du corps humain, s'écria dans un transport
d'admiration : — O toi qui nous as faits, quel bel
hymne je viens de chanter à ta gloire1. Sans doute,
nous trouverions comme lui le sceau de la divinité
dan > chaque organe, chaque vaisseau, chaque batte-
ment de notre cœur ; sans doute nous verrions le
1 Gai. fisiisu pari, m, x,
ou i/ov ne dort pas. td
nom de Dieu écrit en caractères éclatants dans la
structure de cet œil où s'opèrent tant de prodiges, dans
l'ingénieux mécanisme de l'oreille, de la voix, de la
parole, dans le jeu d'une machine si parfaite ; mais
définissant l'homme avec un profond philosophe :
une intelligence servie par des organes, persuadés sur-
tout qu'il y a en lui pour chanter son auteur une
voix plus énergique encore que celle de la chair et
du sang, c'est cette voix intime que nous interroge"
rons ; c'est à cette noble intelligence que nous allons
demander une preuve nouvelle de l'existence de
Dieu.
Vous le savez, mes frères, c'est un principe uni-
versellement admis, une vérité de sentiment et d'ex-
périence que l'homme se compose de deux éléments
parfaitement distincts : le corps, qui le met en rap-
port avec le monde matériel, et l'esprit par lequel il
communique avec le monde moral et intellectuel : il
n'y a que des insensés ou des scélérats qui aient osé
nier ou mettre en doute une vérité qui fait à l'homme
une si noble part dans la création, et dont nous por-
tons tous la preuve au fond de nos cœurs.
Il est évident, en effet, pour quiconque jouit de
toutes ses facultés mentales, et ne vit pas en mal-
honnête homme, qu'un principe intelligent et spiri-
tuel nous anime, que ce qui sent en nous, ce qui
pense, raisonne, veut et se détermine d'après un
choix libre et spontané ne saurait être notre corps:
,1a matière est divisible et modifiable à l'infini, tan-
dis que l'être pensant est essentiellement simple et
indivisible. Qui oserait, aujourd'hui, attribuer la
90 PETITS SERMONS
pensée à la matière, et donner les modifications de
la matière à la pensée ? Depuis une centaine d'an-
Inées il s'est dit autour de nous bien des énormités
!
en religion comme en philosophie ; mais je ne crois
pas qu'il y ait eu de matérialiste assez hardi pour
dire : une moitié, un quart de négation ou d'affir-
mation; un pied, un mètre de volonté; la forme
ronde ou cariée d'un désir ; la couleur bleue ou blan-
che d'une idée,
On sait, de plus, que la matière est naturellement
inerte et passive, tandis que noire esprit est essen-
tiellement doué d'activité. Aussi, quand, pour faire
le moindre mouvement, notre corps a besoin que la
volonté mette en oranle tout un système de leviers,
de muscles et de tendons, notre esprit, par sa pro-
pre énergie, et avec une célérité devenue prover-
biale, non-seulement embrasse des espaces immen-
ses par l'imagination et s'élance dans l'infini, mais
revient sur le passé par la mémoire, se transporte
par la prévoyance dans un avenir lointain, rentre en
lui-même par le sentiment et la réflexion, se voit
penser, pour ainsi dire, et médite sa pensée, comme
il raisonne l'impression qu'il reçoit des objets exté-
rieurs, par l'intermédiaire des sens.
Un philosophe célèbre, Gassendi, croyait que rien
ne montre mieux la spiritualité de l'âme et la sagesse
de son Créateur, que cette admirable faculté qu'elle
a de se replier sur elle-même, pour connaître ses
idées, examiner les impressions reçues et juger ses
propres opérations.
* Il n'y a, disait -il, qu'un esprit qui go.it capable
ou l'on ne dort pas. 91
« de si grandes choses : en effet l'œil ne voit pas qu'il
« voit, l'oreille n'entend pas qu'elle entend, mais
« l'âme humaine juge ses jugements mêmes. »
Or, mes frères, qui oserait attribuer à la matière
cette sublime puissance, et méconnaître dans les opé-
rations de notre âme, cette souveraine sagesse déjà si
visible dans le jeu de nos organes corporels !
La spiritualité de notre âme nous est encore dé-
montrée par la sensation.
« Qu'est-ce qui sent du plaisir en nous? demande
Pascal ; est-ce la main ? est-ce le bras ? est-ce la chair?
« est-ce le sang? on verra qu'il faut que ce soit quel-
« que close d'immatériel. »
Personne, en effet, n'ignore que, pour sentir réelle-
ment une impression quelconque, il faut en avoir la
conscience et s'apercevoir qu'on la sent. Un corps
étranger me touche légèrement ; je m'en aperçois
sans peine ; le même corps me heurtera durant mon
sommeil ou dans un moment de distraction, je ne le
sentirai pas ; c'est que, dans l'impression qu'ils re-
çoivent, les organes de l'homme sont purement pas-
sifs ; il faut, pour qu'il y ait sensation réelle, que
l'âme agisse, se replie sur elle-même et partage en
quelque sorte l'impression que le corps a reçue.
« Sans être maître de sentir ou de ne pas sentir, dit
« J.-J. Rousseau, je le suis d'examiner plus ou moins»
« ce que je sens; je ne suis donc pas un être pure-
« ment sensitif et passif, mais un être actif et intel-
« ligent, et, quoiqu'on dise la philosophie, j'oserai
« prétendre à l'honneur de penser K »
* Emile.
8~ PirtTfS SBAH0N3
Ainsi, mes frères, la nature même de la sensation
prouve la spiritualité de l'âme, sans laquelle il serait
impossible de sentir.
Et non-seulement cette substance simple et imma-
térielle est seule agissante en nous dans la sensation,
mais elle peut en percevoir plusieurs à la fois par
tous nos sens et nos organes, les étudier, les com-
parer entr elles; par exemple, elle considère en
même temps un riant paysage, aspire le souffle em-
baumé du zéphyr, entend une douce mélodie, cueille,
goûte des fruits savoureux dont le parfum la séduit :
je discerne ces sensations diverses, je les compare
je juge quelle est celle qui me frappe le plus agréa-
blement... et ce juge, ce moi serait mon corps! ce
moi, cet être ineffable et mystérieux serait la matière
un peu d'argile organisée I
Oh ! non, non, ce moi, c'est mon âme ! mon âme
unique, simple, spirituelle comme le Dieu dont elle
est l'image !
C'est par son âme que l'homme est vraiment
l'homme et à la hauteur de sa destinée ! Sa grandeur
n'est pas dans cette partie de lui même qui passe
et qui meurt : sous ce point de vue, il ne ressemble
que trop à la brute, vivant et périssant comme elle ;
sa grandeur véritable est dans sa pensée : par son
intelligence, il communique avec l'intelligence su-
prême qui l'a formé, comme il communique, par
son corps, avec les êtres corporels.
— Qu'on me montre, dit encore Jean-Jacques
* Rousseau, un autre animal sur la terre qui sache
•< faire usage du feu, qui sache admirer le soleil!
ou l'on ne dort pas. 93
« Quoi ! Je puis connaître, observer les êtres et
« leurs rapports, je puis sentir ce que c'est qu'ordre,
« vertu, je puis contempler l'Univers, m'élever à là
« main qui le gouverne; je puis aimer le bien, le
« faire, et je me comparerais aux bêtes ! Ame ab-
« jecte ! C'est la triste philosophie qui te rend sem-
« blable à elle, ou plutôt tu veux en vain t'avilir1. »
Un bateau à vapeur côtoyait gaîment les bords
enchantés de la Loire. De nombreux passagers se
pressaient sur le pont, admirant les riants paysages
qu'animaient les rayons d'un beau soleil de mai.
L'attention générale n'était distraite que par l'in-
tarissable verve d'un commis-voyageur. Peu content
d'avoir posé plusieurs heures durant en petit maître,
il voulut enfin poser en imp'e : il se mit en consé-
quence à débiter des tirades de Voltaire et de d'Alem-
bert contre la religion, nia Dieu, l'âme humaine et
se fit fort de prouver qu'entre l'homme et son chien
la seule différence est dans l'habit,
Grande rumeur parmi les passagers ; les uns ap-
plaudissaient, d'autres écoutaient avec assez d'indif-
férence, mais la plupart souffraient de ces impru-
dents propos, sans oser toutefois prendre la parole
et se mesurer avec ce formidable spadassin.
Lui, toujours maître de la place, mais sentant qu'il
y avait dans son auditoire des incrédules que sa lo-
gique n'avait pas convaincus :
— Ma foi, Messieurs, rcprit-il en s'adressant à ces
derniers, vous avez beau secouer la tête et sourire
Emile.
O'J PETITS SERMONS
de pitié, je maintiens mon dire, nous n'avons pas
dame. Et d'abord quel est celui d'entre vous qui
en a vu la couleur ?
— Ni vous ni moi, répliqua une jeune dame im-
patientée ; mais est-ce une raison pour soutenir que
nous ne sommes qu'une masse de chair? Vous ser?z
ce que vous voudrez, Monsieur ; mais on ne me
persuadera jamais, eût-on votre éloquence et vos
poumons, qu'une pure masse de chair puisse pen-
ser, juger, raisonner, souffrir, éprouver des sen*
sations agréables, aimer, haïr, espérer, craindre,
prévoir, désirer...
Le jeune fat restait anéanti sons cette avalanche
de verbes ; l'équipage trépignait et s'apprêtait à ap-
plaudir, quand le patron, qu'avait assommé tant de
babil, que contrariait surtout un vent subit qui pa-
ralysai l'effet de la vapeur, s'approcha du philoso-
phe un bâton à la main, et, lui en déchargeant un
grand coup sur l'épaule:
— Ah çà ! l'ami lui dit-il avec humeur, puisque
tu n'as pas d'âme, toi, attendu que tu ne l'as jamais
vue, diras-tu qu'il n'y a pas de vent... car tu ne le
vois pas davantage !
— Quoiqu'il sou file en conscience ! ajouta un jeu rie
mousse en manière de parenthèse, puis désignant
du doigt le voyageur et grossissant sa voix : — Eh.
bien, s'écria-t-il, vive le commerce, mes amis ! puis-
que monsieur tient si fort à passer pour une bête, et
nous a si supérieurement prouvé qu'il l'est en effet,
laissons-lui cet honneur, que personne ici ne lui
envie !
OU L*OX NE DORT PAS. 05
Un immense éclat de rire accueillit cette saillie
originale, et le malencontreux orateur, qui l'avait
provoquée, perdant contenance, alla cacher sa honte
dans l'intérieur du bateau.
Oh ! oui, mes frères, honte à l'insensé, honte au
misérable qui nie son plus beau titre de noblesse et
sa céleste origine, en niant son âme ! Il descend réel-
lement au niveau des brutes 1 S'il était des argu-
ments, des remèdes pour guérir une si triste folie,
nous employerions le langage d'un puissant génie qui
fait ainsi parler 1 ame humaine à l'insensé qui vou-
drait la méconnaître :
« Cesse de t'avilir, de te flétrir en croyant te trou*-
* ver tout entier dans cet assemblage muet de par-
m ties, de corpuscules, d'atomes, de boue et de
« fange... C'est dans moi que résident ta grandeur et
m ton intelligence. Si j'ai pu être unie à la vile ma-
* tière, c'est pour lui donner la vie et non pour la
« recevoir : ton corps est devenu ma chaîne, mais il
« me fut donné de la mouvoir et de la diriger. Ne
« me demande point à tes yeux, ils ne me verront
« pas : ne me demande point à ta droite, elle n'est
« pas faite pour me saisir : mon essence est comme '
«* ma voix ; tu l'entends et elle n'a point frappé ton
- oreille, je suis comme le Dieu que tu adores ; tu
« épiouves sa puissance et tu ne la vois pas ; je suis
« toi, mais l'instant où tu ne seras plus que moi% sera
« celui de toute ta grandeur ! »
Et maintenant, mes frères, je le demande à tout
homme qui raisonne et n'a pas juré de nier l'évi-
dence, ne portons-nous pas en nous-mêmes, indé-
96 PETITS SERMONS
pendamment du corps, une preuve saisissante et pal-
pable de l'existence de Dieu î Notre âme, ce principe
céleste qui nous fait rois de la création, n'est- elle pas
dans les merveilles de ce bel univers, un univers cent
fois plus merveilleux encore?
Oh ! ne renions donc pas notre noble origine,
chrétiens, et reconnaissons enfin que nous descen-
dons des cieux ! V homme est un roseau pensant, a dit
Pascal dans son énergique langage ; or, savez-vous
ce que cela signifie î c'est que nous sommes des
enfants sublimes; par le corps, nous touchons à la
terre, mais en la foulant aux pieds ; par notre âme,
cette exilée qui se souvient de la patrie, nous pos-
sédons des ailes de colombe pour remonter à notre
source, converser avec les esprits célestes et vivre,
comme Dieu, d'intelligence et de vérité !
Oh! vous nous avez fait un magnifique don, Sei-
gneur, soyez-en mille fois béni, et puissions-nous ne
jamais l'oublier ! Puissions-nous bien sentir que notre
âme est un trésor sans prix, un bon ange qui nous
élève jusqu'à vous ! Faites que nous ne la salissions
pas aux fanges de la terre, mais que nous la» conser-
vions blanche et pure comme vous nous l'avez don-
née, afin qu'à l'heure de la mort, un ineffable sou-
rire d'amour l'accueille, quand elle remontera vers
vous dans notre dernier soupir! Ainsi soit-il l
ou l'on ne port pas. 97
ONZIÈME SERMON
EXISTENCE DE DIEU. — SENS INTIME ET CRI
DE LA NATURE-
Dixit insipiens in corde stw : non c .'
ficus (9s. xm, 4 )
L'insensé p «lit dans son cœur : Dkn
n'exisie pas.
Mes frères, ce que nous voyons, ce que nous som-
mes, tout, en nous et hors de nous, révèle l'existence
d'un Dieu créateur. Four ne pas convenir d'une vé-
rité si constante et si palpable, il faudrait ou avoir
complètement perdu la raison, ou être intéressé à
la nier ; il n'y a que l'insensé qui puisse dire sans
conséquence : Dieu n'existe pas. car il n'est respon-
sable de ses paroles ni devant Dieu ni devant les
hommes ; il n'y a que le pervers, le méchant qui ose
proférer un tel blasphème, encore ce blasphème est-
il plutôt dans la volonté que dans la pensée : il sait
trop bien, le misérable, que Dieu existe, et que toutes
ses négations ne sauraient le détruire ; mais il vit
trop mal pour ne point désirer qu'il n'existe pas, ce
Dieu vengeur, qui doit un jour le punir. Aussi est-ce
dans son cœur qu'il prononce cette parole crimi-
nelle t il n'y a point de Dieu 1 Dixit insipiens in corde
suo : non est Dcus !
Oui, mes frères, nous portons au dedans de nous
une preuve nouvelle de l'existence de Dieu dans le
gens intime et le cri delà nature.
Lorsque, sérieusement et sans préjugés, l'humai*
98 PETITS SÈïUfÔNS
rentre en îuî-nlême, à quelque religion qu'il appar-
tienne, et sous quelque climat que le ciel l'ait fait
naître, il trouve le nom de Dieu gravé dans son
cœur, et, tout naturellement il monte du cœur à ses
lèvres, presque à son insu. Que ce soit le sentiment
ou la raison, ou le spectacle de la nature, ou toutes
ces choses ensemble fortifiées par l'éducation, nous
ne le discutons pas encore, mais le fait existe, il est
réel, éclatant comme le soleil.
« Je sens qu'il y a un Dieu, dit un profond mora-
* liste, et je ne sens pas qu'il n'y en ait point, cela
« me suffit ; tous les raisonnements du monde me
« sont inutiles, je conclus que Dieu existe. Cette con-
« clusion est dans ma nature ; j'en ai reçu les prin-
u cipes trop aisément dans mon enfance, et je les ai
« conservés depuis trop aisément dans un âge plus
« avancé pour les soupçonner de fausseté... Mais il
.< y a des esprits qui se défont de ces principes :
« c'est une grande question s'il s'en trouve de tels ;
« et quand cela serait ainsi, cela prouve seulement
u qu'il y a des monstres *. n
Ainsi, chrétiens, nous trouvons au fond de notre
être, dans l'idée de Dieu, la première preuve de son
existence : c'est la plus vivante et la plus tenace, elle
résiste à tous les raisonnements, elle domine le tu-
multe des passions qui peuvent bien un moment étouf-
fer sa voix, mais l'anéantir, jamais. C'est aussi la plus
gênante pour le philosophe qui veut tout expliquer
sans Dieu.
*Labruyere. — Les esprits forts,
ou l'on ne dort pas. ÔD
Car enfin, mes frères, si Dieu n'existait pas, com-
ment en aurions-nous l'idée ? d'où serait-elle venueî
du monde 1 Mais le monde étant contingent, borné,
imparfait, il ne saurait communiquer l'idée de l'Être
nécessaire, infini, souverainement parfait.
— De nous-mêmes ? Eh bien, à la bonne heure !
alors, pauvres vermisseaux, êtres d'un jour, nous
avons donc créé l'Éternel, celui qui est, et par qui
tout le reste existe ; car avoir l'idée d'une chose qui
n'existerait pas, la concevoir, ce serait lui donner
l'être, au moins dans son esprit. — Or, le néant
créer l'Etre ; le fini, l'Infini ; l'éphémère, l'Éternel :
peut-on rien dire de plus absurde t
Ce n'est point assez, mes frères, Dieu est impos-
sible, même en idée, s'il n'existait pas : on ne saurait
concevoir le néant. Aussi, quand le poète a dit :
« Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer »
a-t-il énoncé tout simplement une énormité. Sa pro-
position, d'une portée immense en morale et prise
spéculativement, serait chimérique dans l'applica-
tion. L'homme, eût-il cent fois plus de génie, se
creuserait en vain la tête un million de siècles : il
ne pourrait inventer Dieu. C'est donc Dieu lui-même
qui s'est imprimé dans nos âmes, avec le premier
rayon de cette ineffable lumière qui éclaire tout
homme venant au monde.
Allons plus loin, mes frères, et considérons l'idée
de Dieu dans ses conséquences, relativement à nos
sentiments et à notre conduite.
Sans l'idée de Dieu,- si réellement Dieu n'existe
pas, qu'on explique la notion du bien et du mal, ces
100 PETITS SîîBMONS
premiers principes de la loi naturelle que chacun de
nous apporte en naissant. D'où vient que ni les pré
jugés, ni les sophismes, ni les passions, ni les su-
perstitions les plus grossières n'ont pu éteindre dans
l'ême humaine cette étincelle sacrée, ce salutaire
flambeau de la conscience qui nous montre tout un
abîme entre le vice et la vertu 1
Ah ! c'est parce que Dieu lui-même l'a allumé en
nous, Dieu qui parle dans le remords comme dans
cette paix, cette joie ineffable qui est ici-bas l'apa-
nage d'une bonne conscience !
Si Dieu n'existait pas, encore une fois, nous n'en
aurions pas l'idée; et alors où serait la différence
entre le bien et le mal 1 où serait la raison de ce
bien être intérieur qui suit toujours une bonne ac-
tion et l'accomplissement d'un devoir ! Posséder et
jouir à n'importe quel prix et n'importe comment
serait alors la devise du sage. Mais il n'en est point
ainsi, mes frères ; nous sentons qu'un œif est cons-
tamment ouvert sur nos actions comme sur nos sen-
timents, et qu'à mesure que nous marchons à droite
ou à gauche, un juge compte nos pas, entend nos
paroles, voit nos désirs et scrute nos pensées pour
les rémunérer ou les punir. — Ce sentiment, d'où
nous vient-il, je le répète, qui nous l'a inspiré? les
hommes ? Mais quand même un être borné pourrait
avoir conçu et inspiré l'idée de l'Infini, cette idée
serait elle si constante , si universelle , aurait-elle
tenu contre le tumulte et le vent des passions 1 Mais
alors qu'on explique le trouble de cet assassin qui
vient de consommer son crime au milieu des té-
ou l'on ne dort a>as. 101
nèbres. Que craint -il ? le bagne, réchafaud ? Mais nul
ne Ta vu ; il a fui, l'Océan le sépare de sa victime et
la loi des hommes ne saurait l'atteindre. Pourquoi
donc ces nuits sans sommeil, ces soudaines frayeurs,
ces tressaillements convulsifs 1 Pourquoi, dans des
songes horribles, voit-il avec épouvante se dresser
un pâle fantôme? Pourquoi cette sueur tour à tour
brûlante et glacée, ces gémissements étouffés, ce
cri d'effroi quand, de ses bras de squelette, le fan-
tôme, entr'ouvrant son voile, lui montre une blessure
encore saignante et le marque au front du signe de
Caïn?
Ah! c'est le jugement de Dieu qui commence pour
ce misérable, c'est la justice éternelle qui a saisi sa
victime dès cette vie ; il le sent, il frémit, il se roidit
contre le remords, il voudrait l'anéantir, mais en
vain ; ce que sa bouche nie et blasphème, sa cons-
cience le proclame, et, malgré lui, comme le démon,
il croit et frissonne de terreur !
Non, non, mes frères, si l'idée d'un Dieu vengeur
nous était venue des hommes, elle n'aurait pas ré-
sisté au choc des passions, ni soutenu l'examen
rigoureux auquel l'a cent fois soumise la nature cor<
rompue: l'homme ne serait pas resté longtemps es-
clave d'une chimère, — et quelle chimère! — De-
venu religieux par force ou par hypocrisie, il eût
saisi la première occasion de reconquérir sa liberté.
Mais non, l'idée de Dieu est là, toujours là dans son
âme en dépit des préjugés, des passions, en dépit
de lui-même : il efïacerait plutôt le nom de Dieu des
astres du firmament qu'il ne l'effacerait de son âme ;
102 PETITS SERMONS
il aurait fermé la bouche à ces millions de créatures
qui chantent le Créateur, avant d'étouffer en lui le
cri de la nature qui domine cet admirable concert.
Et ce sentiment delà divinité, mes frères, ce besoin
de lever de temps en temps les yeux au ciel nous est
si naturel, qu'il fait en quelque sorte partie de notre
organisation physique, et semble inséparable de
l'instinct de la conservation.
Malgré nous, au moindre péril, à la moindre
affliction, que Ton soit savant ou ignorant, incrédule
ou fidèle, un soupir du cœur, un cri soudain nous
échappe : 0 mon Dieu ! et nos regards se tournent
vers le ciel comme pour y chercher un abri contre
l'orage, un baume à notre douleur. Il s'élève alors
du fond de notre âme je ne sais quelles vagues as-
pirations, une soif ardente de consolation et de
bien-être que l'Infini peut seul assouvir.
Les plus impies, ceux qui ont le plus longtemps
fait les braves, sont souvent les plus religieux dans
ces moments solennels, comme l'a si bien dit le
sceptique Montaigne : « S'ils sont assez fous, ils ne
« sont pas assez forts; ils ne laisseront pas de joindre
« les mains vers le ciel, si vous leur attachez un bon
« coup d'épée dans la poitrine ou quand la maladie
« aura appesanti cette licencieuse ferveur d'humeur
« volage a. »»
— Grand Dieu ! s'écria Vanini le matérialiste à
l'aspect du bûcher qui allait le consumer à Toulouse
en punition de son athéisme et de ses mœurs in-
* Mont. Essais-
ou l'on ne dort pas. 103
fâmes. Et Voîney, l'auteur des Ruines, ce réquisi-
toire acharné contre la vraie religion, se voyant en
danger de périr sur les côtes d'Amérique, saisit un
chapelet et se mit à io réciter dévotement pendant
l'orage.
On connaît les frayeurs de la plupart de nos phi-
losophes et surtout de Voltaire à l'heure de la mort.
L'auteur du Comte de Valmont parle ainsi de quelques
philosophes qu'il a vu mourir: « Ils ont fait apporter
« des reliques de toute espèce sur leur lit ; ils ont
« commandé qu'on fit toucher leur linge à la châsse
« de sainte Geneviève : ils se sont plu à être envi-
« ronncs de ces moines qu'ils avaient autrefois bon-
« nis et méprisés ; ils ont voulu mourir entre les bras
« d'un capucin, et c'est ainsi qu'est mort un de mes
« amis qui s'était fait un nom parmi les gens de let-
« très par ses talents, et, comme c'est aujourd'hui
« l'usage, par son incrédulité... C'est ainsi qu'au
• moindre nul se disposaient à mourir les plus dé-
« terminés de nos incrédules.,. Et que de faits in-
<« téressants je pourrais citer à ce sujet, s'ils ne pré-
« taient trop au ridicule! »»
Mes frères, je ne vous en rapporterais qu'un, mai-3
il est frappant, il est terrible : c'est la mort de Jac-
ques Roux, Tun de ces prêtres apostats, chargés par
l'exécrable Commune de conduire Louis XVI à l'écha-
faud.
Ce malheureux, après s'être souillé des plus hon-
teux excès de la Révolution, avait fini par devenir un
objet d'horreur pour les révolutionnaires eux-mê-
mes; jugez-en par ce seul fait, qu'il n'a jamais pu
7.
lOi PETITS SEKMONS
pardonner à Robespierre le décret par lequel l'exis-
tence de l'Etre suprême était officiellement reconnue 1
Or, mes frères, pour ce scélérat comme pour les
autres monstres qui désolaient la France, sonna
bientôt l'heure des vengeances de Dieu. Jacque3
Roux fut jeté en prison pour aller à la guillotine.
Le jour marqué pour son supplice, les bourreaux
vinrent de grand matin pour le prendre dans son
cachot et l'y trouvèrent expirant, mais dans quel
état, grand Dieu!... Bourrelé de remords, l'âme en
proie aux transports d'une violente rage et écumant
de désespoir, dans l'horrible attente des jugements
de Dieu, de ce Dieu qu'il avait nié jusqu'au dernier
moment, le misérable avait couronné ses forfaits par
le crime de Judas... Il s'était ouvert le ventre, et au
rapport des témoins oculaires, l'enfer tout entier
semblait s'exhaler de ses entrailles !
Telle est la puissance du remords, mes frères, voilà
jusqu'où la terreur inspirée par la vengeance de Dieu
peut conduire l'impie ! D'où peuvent donc venir de
pareils sentiments aux hommes qui en sont le moins
susceptibles? Ils sont étranges, ils sont inexplicables,
si Dieu n'existe pas et s'il ne nous les a lui-même
inspirés. Si c'est le hasard qui les a fait naître dans
nos cœurs, comment n'ont-ils pas disparu le lende.
main, au premier combat delà chair contre l'esprit?
D'où vient que nous les emportons dans la tombe,
et qu'à l'heure de la mort, ils se réveillent d'autant
plus vivants et plus impérieux que nous les avons
plus longtemps comprimés dans la vie ?
Ah! c'est qu'un mystérieux pressentiment nous
OU L'ON NE DORT PAS. 105
révèle alors notre noble origine et obstinément mé-
connue, et nous force à nous souvenir de Dieu!
C'est que le Créateur, en pétrissant notre argile, en
l'animant de son soude divin, a établi entre lui et
son ouvrage d'intimes, d'ineffables communications
qui se raniment et redoublent à mesure que l'étin-
celle s'approche du foyer... Alors, mes frères, la
voix de Dieu se fait entendre dans le calme et le si-
lence des passions ; le corps n'est plus intéressé à
étouffer le cri de Famé qui soupire avec l'ardeur du
cerf altéré ; alors, l'abandon des créatures nous lais-
sant seuls avec le Créateur, l'unique ami qui nous
reste fidèle, nos yeux s'ouvrent sur le néant des
choses d'ici-bas ; et, tandis que la terre s'éloigne,
n'est plus qu'un point, le Créateur s'approche, gran-
dit, devient un océan de gloire et de félicité dans
lequel nous voudrions nous plonger. Vient le mo-
ment suprême : Dieu fait un signe, l'ange de la
mort déchire le voile, et l'image que le vice n'a pas
ternie s'unit avec transport à la réalité 1
Heureuse destinée, mes frères! oh! de grâce, ne
la perdons jamais de vue! Souvenons -nous que nous
venons de Dieu, que nous sommes pour Dieu, qu'un
rayon de sa face adorable imprimé en nous est
le précieux gage de l'éternelle félicité qui nous at-
tend !
Et vous, Seigneur, vous, notre premier besoin, ne
sortez jamais de notre mémoire ! Faites que votre
pensée, aliment continuel de notre piété, de notre
amour, noua soutienne dans les périls et les traverses
de la vie, nous console à. l'heure de la mort et nous
106 PETITS SERMONS
mérite rinsigne faveur de vous contempler sans voile
au delà de la tombe ! Ainsi s oit-il i
DOUZIÈME SERMON
EXISTENCE DE DIEU. — CONSENTEMENT DES PEUPLES.
Spiriius Domini rcplevit orbem terrarum fSap. i, TJ
L'esprit du Seigneur a rempli l'univers,
Mes frères, si jamais vous avez parcouru les an-
nales de l'histoire du monde depuis les temps les
plus reculés jusqu'à nos jours, s'il vous a été donné
d'explorer, sur les pas des voyageurs anciens et mo-
dernes, les diverses contrées du globe et d'étudier
la nature, les climats, les mœurs, les institutions et
les formes de gouvernement des nations qui cou-
vrent la face de la terre, au milieu des choses
étranges, bizarres et disparates que vous avez vue?
dans des pays si divers, vous avez dû néanmoins
être frappés d'un fait grave, éclatant, et qui tient du
prodige: c'est le consentement de tous les peuples
du monde à croire à l'existence d'un Dieu, créateur,
ordonnateur et conservateur de l'univers.
Or, un tel accord n'est pas dans la nature et na
peut reposer sur une erreur. On ne saurait admettre
la possibilité d'une erreur aussi constante, aussi uni-
verselle ; il faut donc que Dieu existe, s'il est vrai
que l'univers l'ait cru dans tous les temps. Suivez-
moi dans le développement de cette pensée, c'est
encore à la froide raison, au simple bon sens que je
vais faire appel.
ou l'on ne dort pas. 107
En effet, mes frères, remontez dans les âges les
plus éloignés de nous, parcourez la terre en tous
sens ; des contrées civilisées, des nations savantes,
passez au fond des bois, chez ces hordes sauvages
qui dansent autour du bûcher qui consume un pri-
sonnier ; que pas une tribu, pas une famille n'échappe
à vos investigations ; entrez dans la tente de l'Arabe,
dans la cabane du Nègre, dans la hutte du Cafre et
du Lapon, partout vous trouverez la croyance d'un
premier Pitre, auteur de tous les êtres ; partout, chez
ces nations étrangères et inconnues les unes des
autres, vous entendrez prononcer le nom de Dieu.
« Jetez les yeux sur la terre, disait il y a dix-huit
« cents ans un moraliste païen, vous pourrez trouver
« des villes sans fortifications, sans lettres, sans ma-
« gistrature régulière ; des peuples sans habitations
« distinctes, sans professions rixes, sans propriété
« des biens, sans l'usage des monnaies et dans l'igno-
# rance universelle des beaux- arts ; mais nulle part
a vous ne trouverez une ville sans la connaissance
« de la Divinité1. »
« — Il n'y a point, dit Cicéron, de peuple si sau-
ce vage et si barbare, qui, tout en ignorant ce qu'il
« faut penser de Dieu, ne sache pas qu'on doit croire
« à son existence2. »
On sait que Sénèque, le précepteur de Néron, a
parlé dans le même sens.
L'histoire de l'antiquité païenne est une longue
protestation contre l'athéisme. Phéniciens, Chal-
1 Plufarq. Advers. Calot. -~ 2 Cic. de Legibus,
108 PETITS SERMONS
déens, Égyptiens, Perses, Indiens, Grecs, Romains,
tout est ici d'accord. Les temps héroïques et fabu-
leux sont remplis de l'histoire des dieux et des demi-
i dieux : dans les philosophes, les historiens, les poètes
I de Rome et de la Grèce, qu'on nous a mis entre les
mains dès nos plus jeunes années, que voit-on autre
chose que la foi religieuse de toutes les nations ? La
littérature païenne ne parle que de mystères, de sa-
crifices , d'expiations, de cérémonies ; elle nous
montre des rois, des armées, des populations entières
à genoux devant les autels fumants de leurs divini-
tés ; en un mot, la croyance d'un Dieu était si ré-
pandue et si universelle chez les anciens, qu'un
demi-siècle avant Jésus-Christ, l'impie Lucrèce féli-
citait Épicure, son maître en matérialisme, d'avoir
été le premier qui eût osé lutter contre le genre hu-
main et lever la tête au milieu des peuples, courbés,
disait- il, sous le joug du fanatisme et de la supersli-
(ion1.
Si, de ces siècles reculés, nous revenons à des
temps plus modernes, cette croyance à la divinité
nous apparaîtra plus générale encore, plus univer-
selle, et surtout plus conforme aux lumières d'une
raison naturellement chrétienne et qui pressent déjà
le rayonnement de l'Évangile.
On connaît l'antique profession de foi des brah-
manes indiens :
* J'adore cet Etre qui n'est sujet ni au change-
« ment ni à l'inquiétude, cet Etre dont la nature est
1 Luc. De rerum nalura. Lib. v, v. C3 et seq.
ou l'on ne dort pas, 109
« indivisible, cet Être dont la spiritualité n'admet
« aucune composition de qualités, cet Etre qui est
« l'origine et la cause de tous les êtres et qui les sur-
a passe en excellence, cet Être qui est le soutien de
« l'univers, et la source de la triple puissance *. »
Quand le Lapon, ce paisible habitant des glaces et
des frimas du pôle, entend le tonnerre gronder dans
le lointain, il se recueille et il dit : C'est Dieu qui vit
sur la montagne
Plusieurs voyageurs nous ont rapporté la prière
des sauvages de Madagascar : un Père de l'Église ne
dirait pas mieux ; en voici la traduction, telle que
nous l'avons trouvée dans un historien cité par
Guillois:
« 0 Eternel, ayez pitié de moi, car je suis passa-
* ger !
« O Infini, parce que je ne suis qu'un point !
a O Fort, parce que je suis faible !
• O source de la vie, parce que je touche à la
« mort î
« O vérité suprême, car je suis dans l'erreur !
« O bienfaisant, parce que je suis pauvre!
« O Tout-Puissant, parce que je ne suis rien !... 2 w
Et nous-mêmes, mes frères, nous, enfants d'une
génération si philosophe, hélas ! et si sceptique, nous
qui, même après le ridicule décret de Kobespierre,
avons entendu Cabanis jurer en plein Institut qu'il
n'y a pas de Dieu, et se faire fort de le soutenir
l'épée à la main, si nous reculons de quelques siècles,
* Lettres édifiantes x, 15. — * Flac. HuL deMadag.
1 10 PETITS SERMONS
ou trouverons- nous les vieux Gaulois, nos aïeux ? Au
fond de leurs bois sacrés, prosternés au pied d'un
chêne, devant le javelot de Teutatès, ou bien entou-
rant la pierre sanglante où le druide égorgeait des
victimes humaines !
Et n'en soyons pas surpris, chrétiens ; l'histoire
des nations est pleine de récits qui font frémir. Ici,
ce sont des hécatombes entières de prisonniers que
de farouches vainqueurs immolent au dieu de la
guerre ; là, de tendres enfants que l'on jette vivants
dans une idole embrasée; plus loin, une jeune épouse,
victime d'un préjugé fatal1, s'élance au milieu des
flammes qui consument les restes de son époux, ou
s'ensevelit vivante dans son tombeau ; en un mot il
n'est pas une contrée, un siècle, une nation qui n'ait
eu ses temples, ses autels, ses prêtres et son Dieu ;
les noms seuls, les symboles ont varié, mais le prin-
cipe fut toujours et partout le même.
Or, je le demande, mes frères, un tel accord, un
consentement si universel et si unanime, quand tout
le reste diffère, climats, intérêts, caractères, lois,
mœurs, gouvernements: un tel accord est-il pos-
sible, s'il n'est pas fondé sur le cri de la nature et si
Dieu lui-même ne l'inspire? Non, non, on n'admet
point universellement et constamment une opinion
fausse : c'est ainsi que l'humanité est faite, et tôt ou
tard on se désabuse d'une chimère, alors surtout
que celte chimère contrarie les passions. — Et puis,
chrétiens, l'erreur porte toujours en elle-même un
caractère d'étrangeté qui la fait découvrir.
1 Dans riudc ; sur les côtes de Coromandel.
OU L'ON iNE DORT PAS, 11 1
Le sentiment de la divinité, nous l'avons dit, le
genre humain Fa trouvé au fond de son cœur : il y a
lu le nom de Dieu, comme il a vu le soleil rayonner
au firmament : faut-il s'étonner que dans tous les
siècles et sur tous les points du globe, il ait admis
son existence et considéré comme des insensés ceux
qui osaient en douter?
Et quel autre fondement que Dieu lui-même attri-
buer à une croyance, à une persuasion si constante et
si intime qu'elle résiste à tous les raisonnements,
triomphe des sophismes les plus captieux, et sort
victorieuse des assauts continuels que lui livrent les
passions? Quel autre sentiment nous impose d'aussi
pénibles sacrifices? que dis-je? on a vu déjeunes
mères, égarées par une superstition barbare, non-
seulement livrer leur enfant au sacrificateur pour
apaiser une idole, mais l'exposer aux bêtes, mais
l'enterrer vivant ou l'étouffer de leurs propres mains,
s'il était né à une heure ou dans un jour malheu-
reux 4. Il faut donc que ce sentiment soit bien puis-
sant et bien incarné dans la nature humaine, puis-
que, même dans le paganisme, il a pu étouffer à ce
point l'amour maternel.
Ce sentiment si profond, si constant, si universel,
ce sentiment que rien en nous ne peut détruire si
Dieu n'exisie pas, c'est donc un rêve, une illusion
mensongère ; ainsi, de siècle en siècle et de géné-
ration en génération, l'homme transmet à l'homme
sur tous les points du globe une superstition ridi-
* Dans l'île de Madagascar,
112 PETITS SERMONS
cuîe et l'univers est fatalement condamné h rester >
jamais la dupe et le jouet de cette gênante folie !...
Certes, si spécieux que soient les sophismes par les-
quels la raison humaine parvient à s'étourdir, il me
semble que l'incrédule doit être effrayé de se voir
seul contre le genre humain, et dans la nécessité
périlleuse de décider si c'est lui ou le genre humain
qui se trompe... En vérité, n'est-ce pas le cas ou ja-
mais de s'écrier avec Pascal * 0 incrédules, les plus
crédules !
Quoi ! dans tous les âges et sous toutes les latitu-
des, un nom mystérieux aura fait vibrer tous les
cœurs, on ne pourra trouver de contrée si sauvage,
de naturels si pervers, d'âme si corrompue où le
même nom ne réveille le même écho, n'inspire les
mêmes sentiments, et l'on ne verra pas enfin que
dans ce nom doit se cacher un prodige!
Si Dieu n'existe pas, comment se trouve-t-il dans
la pensée et les préoccupations de tous les siècles et
de tous les pays ; comment est-il et dans le cœur du
fidèle qui le prié, et dans la mémoire de l'indifférent
qui voudrait l'en bannir, et dans le remords du cou-
pable qui l'outrage, et dans la malice de l'impie qui
le blasphème, et jusque dans l'aveugle obstination
de l'athée qui le nie t
Si Dieu n'existait pas ou n'était qu'un être de rai-
son, si le mot Dieu était un non-sens, pourrait il être
l'objet de tant d'amour et de tant de haine? Est-ce
pour un fantôme, pour le néant que l'on s'agiterait
ainsi dans tout l'univers? Si Dieu n'existe pas, d'où
peut venir un préjugé si constant, une erreur si uni-
OU l'on ne dort pas. 113
verselîe, une si cruelle rêverie ? Ah ! disons-le har-
diment, mes frères, si l'idée de Dieu nous venait de
la terre, il y a longtemps que la terre l'aurait ou-
bliée : on le sait : aujourd'hui elle encense une idole,
demain elle la brise ; l'œuvre des hommes est fra-
gile, inconstante et passagère comme eux; quelle
institution humaine est à l'épreuve du temps, des
événements, des préjugés, des passions] « Un jour
suffit pour détruire les ouvrages de l'homme, » a dit
le prince des orateurs romains, « tandis que l'œuvre
u de la nature (et pour parler un langage chrétien,
a l'œuvre de Dieu), les siècles l'éternisent. »
Oui, mes frères, que les mœurs changent, que les
lois soient abolies, que les trônes s'écroulent, la foi
à la divinité demeure immobile au milieu des ruines
et des vicissitudes humaines ; que les passions se
soulèvent contre elle, que l'ignorance l'obscurcisse,
que l'impie l'attaque par des sophismes, rien n'a-
néantira son empire ; elle le fera même sentir d'au-
tant plus qu'on l'outragera davantage... Malheur h
la nation qui la perdrait de vue ! tous les fléaux con-
jurés fondraient sur elle; les peuples peuvent bien
être opposés de mœurs et de langage, séparés par
des mers immenses, divisés par des rivalités san-
glantes; mais il est un point sur lequel ils se réu-
nissent tous, la croyance d'un Dieu : ils peuvent bien,
nous l'avons dit, varier sur l'idée qu'ils s'en forment,
les hommages qu'ils lui rendent, les rites sacrés du
culte qu'ils pratiquent, mais sous ces formes diverses,
le fond de la doctrine reste toujours.
Encore une fois, je le demande, mes frères, d'où
11 4 PETITS SERMONS
vient cette unité, cette antiquité, cette universalité
de croyance parmi tant de peuples divisés sur tout
le reste t Quelle puissance a ainsi enchaîné les na-
tions à la mêm.e doctrine, et comment se fait-il que
l'homme soit aussi naturellement religieux qu'il est
naturellement raisonnable 1 Un effet constant et uni-
versel demande une cause constante et universelle.
Et comment ne pas reconnaître ici cette voix de la
nature et de la vérité dont parlait Cicéron, qui a re-
tenti dans l'univers et s'est fait entendre à tous les
cœurs !
J'en ai lu naguère un exemple bien touchant qui
prouve que Dieu n'a pas besoin d'un organe étran-
ger pour se communiquer à sa nature et qu'il sait,
quand il lui plaît, s'insinuer dans son cœur alors
surtout qu'il est innocent et pur : le fait s'est passé
en Allemagne.
Un père de famille, M. de S***, riche propriétaire,
aux environs de Bade, voulut faire à ce sujet, sur
son fils, une expérience décisive. Il prit soin lui-
même de son éducation, lui enseigna la lecture, l'é-
criture, le calcul, lui donna des notions de géogra-
phie et d'histoire naturelle, en affectant toutefois de
ne jamais lui parler de Dieu ni de religion, ne lui
laissant aucun livre où il pût lire le nom de Dieu et
ordonnant à ses gens la plus grande réserve à cet
égard.
Retiré h la campagne, assez loin d'une église et
d'un clocher, il lui était facile d'élever ainsi cet en-
fant, son seul espoir, et de le soumettre au régime de
cette éducation toute naturelle et sans Dieu, pour
ou L'ON ne dort pas. 115
voir si l'idée ne lui en viendrait pas toute seule :
disposé, d'ailleurs, car il avait des principes solides,
à l'instruire, si, contre son attente, son fils menaçait
de grandir sans foi et sans religion.
L'enfant vécut ainsi jusqu'à l'âge de dix ans. Vers
cette époque, M. de S*** remarqua que son fils sor-
tait tous les matins à peu près à la même heure
et ne rentrait que pour déjeûner.
Vivement intrigué de cette découverte, il ne vou-
lut pourtant pas interroger son fils, mais le suivit sur
la pointe des pieds, un jour qu'il sortait plus matin
qu'à l'ordinaire, et fut fort étonné de le voir s'age-
nouiller à quelque distance de la maison, tourné vers
la campagne , en face d'un beau soleil printanier,
devant lequel il semblait en adoration...
M. de S*** s'approche :
— Que fais-tu là, mon petit ami ? lui dit-il en lui
frappant légèrement sur l'épaule.
L'enfant se retourne :
— Oh ! rien, mon père, lui répondit-il un peu
troublé de cette brusque apparition, je prie.
— Ah ! tu pries, c'est fort bien ; mais à qui donc
fais -tu ta prière ?
— A qui?... mais à ce magnifique soleil ! N'est-ce
pas lui qui a tout fait, qui nous éclaire et nous ré-
chaude de sa vivifiante chaleur?
— Bah ! mon enfant, tu te trompes : ce n'est pas
au soleil que tu dois adresser tes hommages; le so-
leil, vois tu, n'est qu'une simple créature, comme
toi et moi, sans compter que nous avons, nous, cent
fois plus de valeur.
1,6 PETITS SEMIONS
- Ohl fît l'enfant, dont les bras tombèrent de
stupeur. Et qui donc faut-il que je prie, mon père?
- Qui, mon enfant? s'écria M. de S"' d'une voix
attendrie, ab I c'est celui qui a fait le soleil, la cam-
pagne, tes parents, c'est le créateur de ce vaste et
bel univers! c'est le bon Dieu! ajouta-t-il en pres-
sant son fils avec effusion sur son cœur, 0>m le bon
D.eul celui qui s'est lui-même imprimé dans ton
cœur, et qui t'a inspiré la pensée de le prier, de le
bénir et qui doit un jour couronner ton innocence!
Pnons-le ensemble , mon enfant , et demande-lui
pardon pour ton père qui t'a si longtemps laissé
ignorer ce que dans son amour il s'est chargé lui-
même de t'apprendre t...
Et pleurant de joie, il se prosterna près de son
fils, dont la prière devint cette fois plus fervente car
il priait avec l'aimable sécurité d'un cœur qui vient
de trouver son trésor.
Ob! disons-le hardiment, mes frères, Dieu existe
puisque tout l'univers l'a cru : Dieu existe, puisque
sa pensée ne nous est pas venue de la terre, et que
nous avons trouvé son nom si profondément gravé
dans nos cœurs! Gardons-nous bien de chanceler,
de douter, mais proclamons hautement notre foi, ne
fût-ce que par prudence et de peur d'être confondus
avec ces incrédules que Cuvier stigmatisait en ces
termes en pleine Académie :
- Messieurs, pour nier l'Être suprême, il faut être
un fou ou un fripon !
Nous préserve le ciel de mériter jamais une si
deshonorante flétrissure, et de prétendre avoir rai-
ou l'on ne dort pas. 1 1 7
son, seuls, contre le genre humain I Nous croirons,
mes frères, et nous affirmerons notre croyance autant
par notre conduite que par nos paroles ; nous vivrons
sans cesse sous l'œil de Dieu, de ce Dieu dont le nom
céleste a. fait vibrer tant de coeurs ; dans toutes nos
peines, nos alarmes, nos tentations, nous invoque-
rons sa sainte présence, et la seule pensée de sentir
si près de nous ce Dieu de miséricorde et d'amour
soutiendra nos efforts , doublera notre courage et
nous donnera la victoire ! Je vous la souhaite, mes
frères, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit !
Amen.
TREIZIÈME SERMON
EXISTENCE DE DIEU. — RÉPONSE A QUELQUES
OBJECTiOxNS.
Non confradicas verba verilatis uîlo
modo.
Gm\)'-.z vous de contredire en rien la
parole de vérité [Eccl, iv, 30 .
Lies frères, il existe un Dieu : c'est une vérité pri-
mordiale, élémentaire, que seul, l'insensé ou le mé-
chant peut nier en face des mille témoignages qui
l'établissent ; à tant d'êtres produits, il faut une
cause originelle ; le monde est une machine admi-
rable, un Dieu en a donc formé le plan, combiné les
lois, arrangé les ressorts. — Douze cents millions
d'hommes couvrent la face de la terre ; en remon-
tant au berceau de l'humanité , nous trouvons un
premier homme et une première femme dont rien
118 PETITS SERMONS
n'explique l'origine, ils ont donc eu un créateur ; —
en étudiant le corps humain, cette vivante merveille
où chaque fibre est un mystère, on tombe à genoux
avec Gallien, et l'on admire, on adore : il est donc
l'œuvre d'une sagesse infinie. — Enfants d'un jour,
nous avons l'idée de l'Éternel ; êtres bornés, nous
rêvons de l'Infini ; imparfaits, de la perfection sou-
veraine ; le nom de Dieu s'élève à notre insu de no-
tre cœur, et se fixe à nos lèvres : une main divine
Ta donc imprimé dans notre âme. — Enfin, dans
tous les âges et sur tous les points du globe, un con-
cert de louanges célèbre un Dieu créateur ; tant de
voix ne sauraient chanter une chimère, nous devons
donc admettre son existence sous peine d'être seuls
contre tout le genre humain.
Et pourtant, le croirez-vous, mes frères? il n'est
pas rare de rencontrer sur son chemin des gens qui
cherchent à s'étourdir et se fouettent l'imagination
pour trouver des arguments contre l'existence de
Dieu. Ils ont de puissantes raisons pour cela, croyez-
le bien : c'est que, si Dieu existe, ils ont tout à crain-
dre de sa justice et peu d'espoir dans sa miséricorde;
voilà le grand secret de leur incrédulité prétendue.
Aussi, pour se tranquilliser dans leur vie criminelle
et étoulïer, s'il se peut, le remords qui se réveille
sans cesse au fond de leur âme, ont-ils recours à
cinq ou six arguments plus vermoulus les uns que les
autres : bien que le simple bon sens en fasse prompte
justice, nous y répondrons ici dans l'intérêt des fai-
bles qui pou iraient se laisser éblouir par la faconde
et la morgue de ces petits raisonneurs.
OU i/ON NE DORT PAS. 110
— Bah ! dit-on avec un air capable, surtout si l'on
a vu Paris, Dieu est un mot inventé par l'ignorance
et les préjugés.
•— Vraiment î en ce cas, plus on est savant, plus
on doit être impie. J'en suis fâché pour ces demi-
docteurs, mes frères, mais c'est justement le con-
traire qui arrive. On se rappelle cette parole de Ba-
con : •< Peu de science éloigne de la religion; mais
»< une science plus complète y ramène. >• Si, poui
répondre à ces petits esprits- forts de ruelle, je ne
craignais de fatiguer mon auditoire par une sèche
nomenclature de noms illustres, il me serait facile de
montrer que le nom de Dieu, loin d'être la ressource
suprême de l'ignorance et une vaine formule dont
on se sert pour expliquer ce qu'on ne comprend pas,
jette au contraire un rayon de lumière sur rensemble
des connaissances humaines, qu'il se trouve au fond
de toutes les sciences, en est le dernier mot, et que
la religion fut toujours la compagne du vrai génie.
Qu'on nous permette au moins de citer Descartes,
Pascal, Bacon, Leibnitz, Malebranche et de Bonald,
en philosophie ;
— Saint Bonaventure, Érasme, Grenade, Nicole
et La Bruyère, en morale ;
— En littérature, Barthélémy, Fénelon, Chateau-
briand, Lamennais, avant que l'orgueil l'eût ravi h
l'Église ;
— Eusèbe, Charlevoix, Lingard, Vertot, Beausset,
Henrion, en histoire;
— Dupenon, Bellarmin, Bergicr, La Luzerne, en
dialectique ;
8
J20 PETITS SERMONS
— Dante, le Tasse, Santeuii, Corneille, Racine,
en poésie ;
— Saint Chrysoslcme, saint Bernard, Massillon,
Bourdaîoue, Ravignan, Lacordaire, en éloquence;
— Suger, Sixte-Quint, les cardinaux d'Amboise et
de Lorraine, en administration ;
— Ximenès, Richelieu, Mazarin, Fleury, en poli
tique ;
— Montfaucon, le P. Fétau, Moréri, Rollandus, en
érudition ;
— Suarez, Billuart, Liguori, toute la pléïade de
Salamanque et la Sorbonne, en théologie et en droit
canon ;
— Albert, Bossut, Mariotte, ITauy, Franklin, en
physique ;
— Copernic, Haliey, Kepler, Gassendi, Euler, en
astronomie ;
— Mozart, Haydn, Vogler, Martini, Lambillotle,
en musique ;
— Van Dyck, le Titien, Murillp, Raphaël, Rubens,
Michel -Auge, Fianrîrin pour les beaux-arts ;
Et au dessus de tous ces noms, Origène, saint
Augustin, saint Thomas et Bossuet !... Quel éclatant
démenti, mes frères, quelle victorieuse réfutation !...
Et nous n'avons pu énumérer ici que les principaux
officiers de cette imposante armée, à la tête de la-
quelle marchent fièrement Cbarlcmagne, saint Louis,
Henri IV, Bayard, Turenne, Crillon, Du Guesclin,
Condé, Louis XIV et Napoléon le Grand!
Aussi est-ce plutôt l'ignorance et le demi-savoir
qui, de nos jours, osent encore, je ne dis pas nier,
ou l'on ne dort pas. 121
mais révoquer en doute une vérité plus éclatante
que le soleil. Rien de plus pitoyable que le ton tran'
chant, le rire niais, les hochements de tête de m%
paladins du sophisme, qui, tout fiers de quelques
bribes de science, font les entendus, troublent le
monde, et jugent de tout plus mal que les autres *.
— Mais ce n'est pas le demi-savoir, dit-on, c'est
Yignorance qui a inventé Dieu.
— Eh bien, à la bonne heure! on avouera du
moins que ce fut là une ignorance heureuse, et l'in-
venteur méritait bien quelque célébrité, ne fût- ce que
pour obtenir des âges futurs un brevet d'intelli-
gence ! Sans doute l'histoire aura conservé le nom
de l'illustre ignorant qui prononça pour la première
fois le nom de Dieu... En quel siècle, dans quel
pays, par quel mortel fut découverte une si sublime
merveille? Lorsqu'un savant découvre une étoile
nouvelle, l'univers applaudit, admire, célèbre l'in-
venteur ; son nom est répété d'âge en âge, et, fût*il
roturier, la reconnaissance des siècles l'anoblit. Un
pauvre ignorant aura, sans télescope, inventé Dieu,
cet astre tutélaire si essentiel à notre bien-être et à
notre sécurité, au dire même des impies, que, s'il
n'existait pas, il faudrait V inventer, il aura, d'une
seule parole, expliqué le ciel et la terre, l'origine et
l'avenir de l'espèce humaine, épouvanté le vice, en-
couragé la vertu, consolé la douleur, et l'on ne verra
pas le nom de cet ignorant rayonner d'une auréole
de génie? Et l'on ne comprendra pas que cet igno-
1 Pascal.
\11 PETITS SERMONS
rant est le sage et le savant par excellence î Que dis-
je, mes frères? et l'histoire sera muette; et, au mi-
lieu de tant de statues qui s'élèvent de toutes parts,
il n'y en aura pas une pour celui qui vous dit le pre-
mier : Mortels, courbez vos fronts, adorez, priez, ai-
mez espérez ! En vérité l'objection n'est pas sérieuse :
eile révolte le bon sens et se réfute d'elle-même!
— Passe pour Y ignorance^ dit- on, mais les p?x-
jugés ?
— Eh bien ! les préjugés ont pu altérer, obscurcir,
fausser l'idée de la divinité, la peindre en rapport
avec notre faiblesse et les penchants de la nature
corrompue; mais les préjugés ne sont pas plus ca-
pables de nous donner ce sentiment céleste, que les
passions de l'entretenir : « Ainsi, dirons-nous avec
« un savant prélat, que l'homme ait aussement ima-
« giné des dieux corporels, je le conçois, c'est une
« erreur des sens ; nous ne sommes entourés que
« d'objets matériels, et l'imagination ne saisit pas
« la nature des esprits ; et si nous, chrétiens, qui
« avons des idées plus pures sur cet esprit immortel,
« nous ne pouvons nous défendre de le peindre sous
« des images sensibles, faut-il donc s'étonner que
« les païens aient attribué à la divinité les formes
« et l'appareil des puissances de la terre? — Que
« l'homme ait faussement multiplié la divinité, je le
« conçois, c'est l'erreur de la faiblesse ; soit qu'on
.< se figuiât que l'auteur de tous les êtres serait
« comme accablé du gouvernement de cet univers,
« s'il en portait seul le poids, et qu'on se le repré-
♦< sentat comme un grand monarque qui, pour se
ou l'on né do ht pas. 123
« soulager, a soin de répartir sur plusieurs têtes la
u dignité de son empire; soit que, le voyant à une
« distance immense, on se soit plu à se forger des
«< divinités plus rapprochées, et plus familières,
« en sorte que chaque nation, chaque ville, chaque
« famille eut son Dieu, et que le monde ne fut plus
« qu'un temple d idoles. — Que l'homme se soit
«< faussement imaginé des dieux corrompus, je le
« conçois encore, c'est l'erreur, c'est l'intérêt dos
« passions; il étfit si doux pour la nature de trouver
« la religion dans la volupté, dans les désirs de son
« cœur, que chaque passion devint un Dieu... Ainsi,
« le polythéisme s'explique aisément par la faiblesse,
« les passions de l'homme; mais Vidée primitive qui
« perce à travers les superstitions, comme un rayon
« para travers le nuage, d'où vient -elle? Le mé-
« lange impur qui l'avilit et la dégrade vient, de la
« perversité du cœur humain ; le fond même no
« peut venir que de la raison et de la nature *. »
— Dites plutôt de l'éducation!
— Très-volontiers, répondrons -nous, mes frères,
pourvu qu'on nous explique un point qui nous gêne.
Pourquoi l'idée de Dieu est-elle si générale et si
uniforme? Pourquoi les sauvages l'ont-ils comme les
peuples civilisés, et l'enfant élevé dans les principes
de V Emile, comme le nourrisson de nos crèches chré-
tiennes? Pourquoi surtout, quand les plus fortes im-
pressions de l'enfance tombent et s'évanouissent au
milieu des amusements de la jeunesse et des préoo
J Fiayssiûous.
124 PETITS SERMONS
cupaiions de l'âge mûr, cette idée de Dieu est-elle à
peu près la seule qui demeure ? Pourquoi résiste-
t-elle aux examens de la froide raison, à la réflexion,
et à des réflexions telles qu'en font faire les passions
à un cœur de vingt ans? Ali ! c'est que c'est Dieu lui-
même qui parle par la bouche d'une mère vertueuse,
et que le cœur de l'enfant bat à l'unisson du sien !
C'est que cette voix chérie va réveiller au fond de
son âme un mystérieux écho dont la main du Créa-
teur a préparé l'harmonie ! L'éducation ne donne pas
plus l'idée de Dieu qu'elle ne communique l'intelli-
gence et le talent: elle la développe, l'agrandit,
étend devant nous de nouveaux horizons, mais si
Dieu lui nie me n'avait pas mis dans cette âme le
germe sacré de la foi, la parole humaine serait aussi
impuissante à le produire que la rosée et les rayons
du soleil à féconder un bloc de granit. Ah ! c'est
vous-même, Seigneur qui vous êtes gravé dans nos
âmes ! c'est votre main créatrice qui, en nous don-
nant un cœur capable d'aimer, et de répondre aux
bienfaits par la reconnaissance, a signé d'un nom
divin cette étonnante merveille... Ne souffrez pas. ô
mon Dieu, que nous soyons assez malheureux pour
vous méconnaître, assez ingrats pour ne pas corres-
pondre à vos paternelles faveurs ! Faites au contraire
que nous y soyions si sensibles et y répondions par
une vie si chrétienne qu'elle soit un démenti conti-
nuel aux blasphèmes de l'impie et nous mérite au
grand jour vos éternelles bénédictions. Ainsi soit- il !
ou l'on ne dort pas. |?5
QUATORZIÈME SERMON
SUITE DES OBJECTIONS.
Inimici domini mentili sunt et.
Les ennemis du Seigneur ont menti eu sa
présente fPs. lxxx, 14.)
Mes frères, avez-vous jamais vu un homme atteint
de la jaunisse et dont le foie est en train de se dé-
composer! Ses yeux s'injectent de bile et il voit tout
en jaune; en sorte que son aspect nous attriste et
que, malgré vous, même à la saison des fleurs, vous
songez à la chute des feuilles et aux glaces de l'hi-
ver.
Mes frères, je ne sais si l'impie a le foie gâté comme
le cœur, mais il est atteint d'une terrible jaunisse
qui donne aux objets la couleur de ses passions, pour
lui les choses changent de nom à volonté, le bien
devient le mal, et réciproquement: et, comme Dieu le
gêne, il s'en débarrasse par une pirouette et une sim-
ple négation... Je me trompe, quand je dis qu'il s'en
débarrasse : il enchercheles moyens, mais il est rare
qu'il les trouve: on ne se défait pas du bon Dieu
comme d'un fardeau: Dieu est un soleil qui vous fu-
sille les yeux : on a beau les fermer, leur éclat pénètre
vos paupières, alors on se détourne, on biaise, on
cherche à s'expliquer naturellement la croyance du
genre humain..! comme si Dieu pouvait s'expliquer
autrement que par lui-même !
Les niais ! ils insistent et recourent à des argu-
ments aussi vieux que le monde et cent fois mis en
t^G PETITS SERMONS
poudre: c'est la peur qui a fait les dieux, dit-on avec
Lucrèce : Primus in orbe de os fecit tlmor ; effrayés
par les grands phénomènes de la nature, par l'éclair,
le tonnerre, les ouragans, les trombes, les tremble-
ments de terre et mille catastrophes soudaines, les
hommes les ont attribués à un Etre mystérieux et
tout puissant qu'il faut apaiser par des prières et
des sacrifices.
— A la bonne heure ! voilà Dieu et la religion su-
périeurement expliqués ! Et pourquoi alors dans tous
les siècles et les pays de l'univers, la pensée de Dieu
n'est-elle pas accompagnée du sentiment de terreur
et d'épouvante qui l'inspira? Pourquoi tous les
peuples de la terre, loin de se représenter Dieu
comme un maître inexorable , un tyran sombre et
farouche, en ont-ils fait au contraire un Roi bien-
faisant, juste, pacifique, un père tendre et débon-
naire? — La terreur a fait les dieux \ Mais quelle
épouvante, quels malheurs inspirèrent aux Sabéens
le culte du soleil, de la lune et des étoiles ; aux
Égyptiens, celui des plantes, du bœuf Apis et du
fleuve qui féconde leurs campagnes ? — Aux Parsis,
celui du B .n-Principe, à l'exclusion du Mauvais ? —
Pourquoi les nègres, au lieu d'adorer le soleil qui
les brûle de ses rayons dévorants, le maudissent-ils
avec fureur ? Est-ce la terreur qui donnait aux Grecs
et aux Romains l'idée des fêtes de Cérès, de Bac-
chus, de Pomone et de Flore? Ce mot : die s je s lus
jour de fête, n'a-t-il pas toujours été une annonce
de réjouissance et d'allégresse? En un mot, este*
l'épouvante qui a inspiré ce nom si tendre et si
ou i/o:; ke dout pas. 127
consolant : le bon Dieu, que répète à sa manière toute
tribu, toute langue, toute nation ? Que dis-je? L'idée
de Dieu a surtout ce caractère chez les peuplades
les plus barbares.
Il est rapporté dans l'histoire d'Alexandre le Grand
qu'après la conquête de la Lydie, de la Syrie, de la
Perse et de l'Inde, il était parvenu chez les Scythes,
peuple encore primitif et sauvage. Ses fiers batail-
lons avançaient toujours, le fer et le feu à la main,
dépeuplant les tribus, pillant les chaumières, rava-
geant les campagnes et laissant après eux, sur un
vaste rayon, la désolation, la ruine et la mort.
Étonnés de tant d'audace, effrayés de tant de suc-
cès qu'ils jugeaient au-dessus des forces humaines,
tremblant de se voir eux-mêmes emportés par ce
terrible ouragan, les principaux chefs de ces tribus
nomades envoient des députés vers Alexandre avec
ordre de lui dire :
« — Guerrier, tu es un homme ou tu es un Dieu.
m Si tu es un homme, souviens-toi de ton origine et
« n'égorge pas tes frères ; et si tu es un Dieu, ta
m bonté doit combler de biens les mortels et non
« point les dépouiller de ceux qui leur appar-
•< tiennent. »
Et cette idée de bonté, de bienfaisance, mes frères,
fut de tout temps si inséparable de l'idée de Dieu,
que, ne pouvant s'expliquer, sous le règne d'un
Dieu souverainement bon, les maux qui affligent la
terre, les hommes imaginèrent un principe mauvais.
Ah! si l'épouvante eût créé les dieux, si l'idolâtrie
eut inspiré la tristesse, les regrets, la frayeur, au-
Î28 PETITS SEMIONS
rait^ll été si difficile d'en retirer les hommes et de
les amener à la vraie religion? Non, non, ce n'est
pas la terreur qui a donné aux hommes l'idée de la
divinité; ce sentiment sacré peut bien être entretenu,
réveillé au fond de nos cœurs par les catastrophes
et les bouleversements qui , de temps à autre ,
affligent la terre; les fléaux, les calamités dont nous
sommes les témoins et trop souvent les victimes,
peuvent bien nous humilier sous la main de Dieu et
nous frapper de cette crainte salutaire qui est le
commencement de la sagesse ; mais voir là le motif
déterminant, la cause première et fondamentale de la
croyance du genre humain, c'est une dérision : il
faut être aussi crédule qu'un incrédule pour admettre
une aussi choquante absurdité.
— Eh bien, dit-on encore, supposez qu'on ait rai-
son là-dessus, ne pourrait-on pas assigner à cette
croyance une autre origine... une origine politique,
par exemple ; et Dieu ne serait-il pas un épouvantai!
imaginé de concert par les souverains pour mieux
contenir leurs sujets 1
— Mes frères, soyons généreux, accordons-leur
encore cette énormité, mais à condition qu'on vou-
dra bien nous dire en quel siècle, dans quels pays,
par quels princes a été tenu ce congrès mystérieux
qui devait asservir les nations et les courber devant
une si étonnante chimère. D'où vient que l'histoire
est encore muette là-dessus? Le fait était pourtant
assez grave pour qu'on nous en dit quelque chose !
Et quand même tous les législateurs, anciens et
modernes, auraient pu s'entendre pour un complot
ou l'on ne dort pas. 129
si finement ourdi, quand même un projet aussi pé-
rilleux aurait été possible dans le cours des âges,
eût-il pu rester longtemps caché? Les princes eux-
mêmes auraient-ils toujours eu un égal intérêt à dis*
simuler la fraude? Je ne sais si je m'abuse, chrétiens
qui m'écoutez, mais il me semble que quelque faux
frère eût éventé la mine.., quelque tyran détrôné, par
exemple, et rentré dans la plèbe.
Mais je veux que rien n'ait transpiré. Ou ces prin-
ces croyaient à un Dieu, à une religion, à une autre
vie, ou ils n'y croyaient pas. — S'ils y croyaient, qui
leur avait donné la foi ? Comment la même persua-
sion est-elle venue à l'esprit de tous, dans des temps,
dans des lieux, dans des climats si différents? Com-
ment tous ont- ils jugé cette croyance utile au peu-
ple tandis que les athées la supposent pernicieuse?
— Qu'une même vérité ait subjugué tous les sages,
cela se conçoit, car c'est dans la nature : mais qu'ils
se soient tous laissé aveugler par la même erreur,
c'est une prétention ridicule. — S'ils n'y croyaient
pas, tous ont donc été fourbes, imposteurs, hypo-
crites, nul n'a eu le courage de se montrer de bonne
foi, mais tous ont joué un rôle pour en imposer à la
foule et l'exploiter plus sûrement ; David, Charte-
magne, saint Louis, Henri IV, Louis XIV, Louis XVI,
Napoléon Bonaparte étaient donc des comédiens !...
mes frères, je vous le demande, si vous avez deux
gouttes de sang français, ne le sentez-vous pas bouil-
lonner dans vos veines ?
Autre diflîcuîté : tenez, soyons encore généreux;
supposons, pour un moment, que l'homme peut in-
130 PETITS SERMONS
venter Dieu, et le ciron loger leléphant dans sa tête.
Comment les peuples se sont-ils soumis sans mur-
mure ? Comment ont-ils laissé ainsi museler leurs
penchants les plus doux? Quel charme les a fascinés
au point de ne pas s'apercevoir qu'ils étaient dupes
d'une perfide jonglerie? Allons donc l asservis cor-
porellemeht, ils eussent compris tôt ou tard que
c'est déjà bien assez du sacrifice de l'impôt, de la
conscription, de l'indépendance et du bien-être, sans
y ajouter encore celui de leur intelligence et de leur
cœur !
— Mais, dit-on enOn, car il en coûte de se rendre
quand on est si savant, n'a-ton pas vu, dans l'anti-
quité, les premiers législateurs des nations faire in-
tervenir la divinité dans rétablissement de leurs lois?
Numa, chez les Romains, Lycurgue à Sparte, Solon
à Athènes, Zalenucus à Locres, Minos en Crète n'ont-
ils pas joué un rôle et simulé des entretiens avec les
dieux pour rendre leurs lois plus vénérables?
— D'accord, pouvons-nous répondre, mes frères ;
mais cette prétendue difficulté vient à l'appui de
notre thèse, et nous dirons à nos petits docteurs :
puisque ces souverains établissaient sur ce fonde-
ment l'édifice de leurs lois, ce fondement existait
donc déjà, ils le jugeaient donc assez solide pour
porter l'ensemble des devoirs de l'état social.
En effet, chrétiens, nous ne voyons nulle part,
dans ces codes antiques, le nom de Dieu prononcé
pour la première fois; le législateur suppose tou-
jours la croyance à l'Etre suprême, et part de là
comme d'un principe universellement admis ; il
ou l'on ne dort pas. 131
parle, il règle, il ordonne au nom des dieux: le peuple
comprend, le peuple s'incline, adore, et tout est dit.
Ce n'est donc pas le prince qui a mis dans lame
de ses sujets cette foi confiante et docile ; il l'y a
trouvée et s'en est servi pour dompter plus à l'aise
les instincts pervers et les caractères indisciplinés ;
il en a fait à dessein jouer les ressorts, persuadé
qu'on ne saurait rien. établir de solide, même pour le
bonheur de l'humanité, si l'idée religieuse ne sert de
fondement.,. C'est qu'avant d'appuyer sa parole sur
l'autorité de Dieu, le législateur lui-même avait lu
son nom céleste au fond de son âme, avait senti les
conséquences salutaires qui en découlent pour le
bien-être et la sécurité des États. Il savait que
l'homme, en dehors de toute idée religieuse, ne verra
jamais dans la loi que l'expression d'une volonté
étrangère, et dans le souverain, qu'un homme comme
*ui : tant il est vrai que le sentiment de la divinité est
antérieur à toute convention humaine, et que l'homme
s'est senti enfant de Dieu avant de se croire sujet d'un
roi, citoyen d'une ville et membre du corps social.
Non, non, encore une fois, mes frères, quoi qu'en
pense le demi-savoir que nous laisserons déraison-
ner à l'aise, la croyance à la divinité ne vient pas de
la terre : notre Créateur a laissé sur son œuvre une
empreinte trop profonde pour qu'on puisse la mé-
connaître, et trop noble pour qu'on l'attribue à d'au-
tres mains : nos menus philosophes peuvent disser-
ter, épiloguer, entasser les raisonnements et les
sophismes, la vérité n'en rayonnera que plus éclatante
lus victorieuse,
9
132 PETITS SERMONS
Il est dans la nature un être sombre et chagrin qui
se pli ît dans les ruines et ne chante que la nuit.
Oiseau de triste aspect et de sinistre augure, il in-
tenompt de son cri funèbre le paisible silence de la
création, et nous fait frissonner malgré nous. Lui
aussi, tandis que tout l'univers célèbre l'astre du
jour et bénit sa bienfaisante lumière, lui aussi pro-
teste à sa façon contre le soleil, parce qu'il aime
l'obscurité...
Entendez-le, vous qui niez Dieu, parce que vous
seriez intéressés peut-être à ce qu'il n'existât pas,
enttndez-le, il n'y a que le hibou qui se roidit con-
tre Téclat du jour et chante les ténèbres... Mais que
peut contre l'astre radieux son cri monotone et lu-
gubre ? — qu'il reste dans sa hideuse retraite, ce
paria de la création : le soleil qui l'aveuglerait de sa
foudroyante splendeur n'en continuera pas moins de
féconder et de réjouir la nature 1
Mes frères, 1 incrédule passe, ses blasphèmes se
perdent dans le vide ou retombent sur sa tête en
ilèches pénétrantes ; mais l'éternelle vérité demeure
ainsi qu'une colonne monumentale restée debout au
milieu d'un champ de ruines 1
Oh ! personne ici, Seigneur, n'aura le triste cou-
rage de contredire la sainte parole et de nier votre
existence !... Vous mer, ô mon Dieu! mais le sim-
ple doute serait un crime, une honteuse folie ! Vous
nier 1 mais ne serait ce pas de plus une monstrueuse
ingratitude quand vous vous êtes affirmé par tant de
bienfaits! — Non, non, nous le jurons tous, Sei-
gneur, vous vivrez désormais dans notre âme, et le
ou l'on ne dort pas. 133
monde, témoin de notre conduite, s'apercevra que
vous y régnez en souverain ! recevez l'hommage de
nos actions, de nos paroles, de nos sentiments, de
tout notre être ; que notre vie soit cachée en vous
comme celle de l'Apôtre, et donnez-nous d'être si
complètement, si inviolablement à vous sur la terre,
que nous vous restions à jamais unis dans le ciel !
Ainsi soit-il!
QUINZIÈME SERMON
lMàlOIlTALlïÉ DE L'A&iE . — SA NATURE ET SES SENTIMENTS.
Faciamus hominem ad imaginent et
tint Ht i u dinem nosiram
raisons l'homme à notre image et k
nuire ressemblance. QGeu.1, 26.)
Mes Frères, disons-le hardiment, l'homme est une
*
étrange créature, s'il doit se terminer à la terre :
c'est l'être le plus bizarre et le plus inexplicable qui
soit sorti des mains du Créateur.
Moins favorisé que les animaux, qui, livrés aux
inspirations toujours sûres de l'instinct, n'éprouvent,
ni la contrainte du devoir, ni les préoccupations du
lendemain, ni les terreurs de la mort, et jouissent
du présent sans excès, comme sans remords, l'hom-
me porte en lui-même le germe d'un immense ma-
laise ; le principe immatériel qui l'anime lui inspire
des désirs, des besoins que rien ici- bas ne saurait
satisfaire Tout le heurte, et le contrarie, au dedans,
au dehors; il ne peut s'expliquer, sous un Dieu juste
et bon, les chagrins et les maux qui l'accablent :
Î34 PETITS SERMONS
Le vice triomphant, la vertu malheureuse le feraient
presque douter de la Providence... En un mot. l'hom-
me, s'il finit à la tombe et n'a que la terre à envisa-
ger dans son avenir, est un non-sens dans la nature ;
un être errant sans boussole et sans but, comme un
astre égaré des phalanges des cieux.
Mais à cette créature étrange, isolée, si vous lui
dites une parole, à cette intelligence qui a soif, si
vous lui annoncez qu'elle doit un jour se plonger
dans un océan d'éternellesvérités,si vous ditesà cette
âme altérée de vie et de bonheur, qu'elle est immor-
telle, vous avez débrouillé ce chaos, le jour s'est fait
dans cette nuit obscure. L'homme s'est compris,
cette seule parole a tout expliqué: Dieu au ciel,
l'homme sur la terre ; l'esprit pour communiquer
avec l'intelligence suprême; l'immortel pour s'unir
à l'Éternel.
Mes Frères, l'immortalité de l'âme est, après
l'existence de Dieu, le dogme le plus élémentaire
et le plus fondamental que l'homme puisse méditer
sur la terre ; et telle est son importance, que, non-
seulement la religion, mais tout ordre et toute société
crouleraient si ce fondement venait à manquer.
« L'immortalité de l'âme, dit Pascal, est une chose
« qui nous importe si fort et qui nous touche si
« profondément qu'il faut avoir perdu tout senti-
« ment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui
« en est. Toutes nos actions, toutes nos paroles
« doivent prendre des routes si différentes, suivant
« qu'il y aura des biens éternels à espérer ou non,
« qu'il est impossible de faire une démarche avec
ou l'on ne dort pas. 135
'• sens et jugement, qu'en se réglant par la vue de
». ce plan, qui doit être notre premier objet l. »
Or, mes frères, il en est de l'immortalité de l'âme
comme de l'existence de Dieu ; nous en portons la
preuve en nous-mêmes dans l'idée que nous en
avons ; idée qui ne peut nous venir que de Dieu et
ne saurait reposer sur une chimère. Il suffit de réflé-
chir un instant dans le calme et le silence des pas-
sions pour demeurer convaincu que tout ne finit
pas avec le corps : la nature de notre âme, ses
besoins, ses sentiments démontrent son immortalité.
— Etd'abord, vous ne l'ignorez pas, chrétiens, notre
âme étant spirituelle, et ne se composant pas, comme
notre corps, de parties et d'éléments divers, elle est
simple et indivisible comme le Dieu dont elle est l'ima-
ge. Aussi, quand tout tombe et dépérit autour de nous,
tandis que nous avons tous les jours sous les yeux
le spectacle delà mort, que le corps humain se dis-
sout dans la tombe et que chaque élément s'empare
de ce qui lui appartient dans cet édiGce ruiné, l'âme,
cette substance céleste, échappe à l'action corrosive
du sépulcre, et n'entre pas dans ce partage. Pure et
sans mélange, elle ne voit pas la corruption et n'a rien
de commun avec les éléments qui se disputent notre
I dépouille mortelle ; le coup suprême qui la sépare
l du corps la soustrait à leur empire. Ce que nous
appelons mort n'est autre chose qu'une décomposi-
tion, une séparation de parties, et ne saurait atteindre
une substance spirituelle qui n'en a pas.
* Pensées.
136 PETITS SERMONS
Cette doctrine, mes frères, n'est pas nouvelle, et
particulière au christianisme ; les païens la profes-
saient hautement.
— u Nous devons comprendre, à moi-js d'être de3
« physiciens stupides, dit Cicéron, que l'esprit hu-
« main n'est ni composé, ni mélangé, ni double,
« mais simple et indivisible. Il ne peut être ni
« séparé, ni décomposé ; donc il ne peut périr ni
« cesser d'être. »
Et la conséquence est rigoureuse, mes frères :
L'âme ne peut donc mourir; et, tandis que l'élément
matériel et terrestre retourne à la terre, l'esprit
revient à Dieu, son principe et sa fin.
— Mais, dira-t on, l'âme étant faite pour le corps,
elle cesse d'être en cessant de l'animer, et rentre
dans le néant en même temps que lui.
— Non, chrétiens, c'est une étrange erreur; la
corps se décompose dans la terre, mais n'y périt
pas tout entier. Sous l'action dévorante des vers du
sépulcre, il devient sans doute ce je ne sais quoi qui
n'a plus de nom dans aucune langue, dont parle
Bossuet ; mais si ce cadavre est décomposé, si ces
ossements volent en poussière, ils ne sont pas anéan-
tis ; divisée à l'infini, cette poussière existe toujours:
l'imagination suit chaque atome dans le souffle qui
l'emporte, et, fussent-ils dispersés par l'ouragan jus-
qu'aux extrémités de l'univers* le Dieu qui les unit
pour en former le corps humain saura bien, quand
il voudra, les retrouver pour le reconstruire.
Ainsi rien ne périt dans la nature ; il n'est pas un
seul être que Dieu se repente d'avoir créé, et dont
ou l'on NE OOttT PAS. 137
l'anéantissement l'accuse d'inconstance* Que dis je,
mes frères 1 Anéantir un être serait un plus grand
miracle que de le créer ; et ce miracle serait s*
étrange qu'on n'en conçoit pas même la possibilité.
Et ce qui répugne pour un atome de matière se-
rait possible pour l'esprit! et l'on veut que notre
âme, cette 011e du ciel et la plus noble portion de
nous-même, soit de pire condition que le corps 1 on
veut que cette âme, si supérieure au corps par ses
facultés et ses opérations, soit anéantie à la mort!
Non, non, mes frères, c'est alors surtout qu'elle
commence à être elle même, alors qu'elle commence
à vivre de sa véritable vie ! enchaînée jusque-là
dans l'obscure prison du corps, tiraillée par les sens
en lutte continuelle avec leurs exigences tyranniques,
elle ne vivait pour ainsi dire qu'à demi; elle soupi-
rait nuit et jour après la fin de cet état violent, et il
n'avait fallu rien moins que la toute-puissance d'un
Dieu pour unir deux êtres si différents de nature et
de tendances si opposées... Aussi, à peine affranchie
de ces liens de chair et de sang, à peine en posses-
sion de ces sphères sublimes vers lesquelles elle s'é-
lançait de toute l'énergie de sa misère, avec quels
transports ne s'envole-t-elle pas vers son centre
éternel I
— Et qu'on ne dise pas non plus que, séparée du
corps, l'âme doit être sans vie et privée de sentiment.
Sans nous engager ici dans une controverse qui a
longtemps divisé les philosophes, nous avouerons que
l'âme dépend, en général, pour l'exercice de ses fa-
cultés, du service et du jeu des organes, par lesquels
133 PETITS SERMONS
elle rCqolt mille sensations diverses. Biais on nous
accordera, sans doute, que ce n'est pas l'œil qui a le
sentiment de la lumière, ni l'oreille celui des sons;
que nos organes sont le véhicule et non le siège de
nos sensations, les instruments et non le principe de
nos connaissances.
Est-ce que notre âme n'a pas une action, une vie
propre, indépendante du corps? Est-ce qu'elle a be-
soin des organes pour réfléchir à sa pensée et avoir
îe sentiment de son existence, qui est inséparable
de son être/ Est-ce quelle ne s'élève pas, sans le
secours des organes, jusqu'aux plus sublimes con-
templations d'ordre, de beauté, de justice, de vérité?
Eh bien, mes frères, l'âme est alors distraite du corps
en quelque sorte, et l'on peut dire qu'elle agit seule
et par sa propre énergie, tandis que le corps a be-
soin de la présence de l'âme, non-seulement pour
agir, mais pour subsister.
« C'est l'âme, a dit un matérialiste moderne, Caba-
« nis, et l'aveu est précieux, c'est l'âme qui ins-
* pire aux organes tous les mouvements dont se com-
* posent leurs fonctions, qui retient liés entre eux
« les divers éléments employés par la nature dans
« leur composition régulière, et les laisse livrés à la
« décomposition, du moment qu'elle s'en est séparée
« définitivement et sans retour. »
— « Or, ajoute un estimable écrivain, chaque chose
»< conservant sa nature, le corps laissé à lui-même se
« dissout, l'âme restant elle-même ou plutôt se trou-
« vant plus complètement elle-même, se dégage et
« survit. Dans cette association de l'âme et du corps
OU t/ON NE DOftT PAS. S 39
« les deux natures sont unies dans des conditions
.« inverses ; l'âme y est rabaissée et la matière y est
' > relevée, et c'est précisément ce qui fait le mystère
, j de leur union, ce qui fait que leur désunion se corn-
- prend d'autant mieux que les tendances de leur
,« nature diverse les y portent davantage; ce qui fait
« enfin que cette désunion est tout au préjudice du
** corps et à l'avantage de l'âme, et qu'ainsi, l'im-
« mortalité de 1 ame est plus compréhensible que son
« association avec le corps et surtout que son ahéan-
* tissement *, »
Ainsi, mes frères, la spiritualité de notre âme en
démontre l'immortalité : nous en avons une preuve
nouvelle dans ses besoins, disons mieux, dans la na-
ture des aliments dont elle se nourrit ; redoublez
d'attention, je vous en prie, le sujet est un peu ab-
strait : mais nous tacherons de le rendre aussi fami-
lier que possible.
Tout être a en lui-même un principe d'existence
analogue à ce qui lui sert d'aliment ; il participe de
la substance qu'il s'assimile et qui entre dans son
développement. Or, participant à la nature de son
aliment, il doit évidemment en partager la destinée.
Ainsi, à la partie matérielle de notre être, au corps,
il faut la matière et des aliments grossiers, périssa-
bles comme lui ; mais l'homme ne vivant pas seule-
ment de pain, suivant l'énergique expression du Sau-
veur, il faut à l'âme une nourriture plus solide et
plus saine, le pain des intelligences, la vérité qui ne
1 À. Nicolas,
140 PETITS SERMONS
saurait périr, car elle est éternelle. Notre âme a faim,
a soif de vérité : c'est la vérité qu'il lui faut, la vérité
sous toutes les formes et dans toutes ses applications^
3a vérité dans les sciences morales, la vérité dan?
les sciences physiques, la vérité dans les arts, le
vrai, le bon, le beau, voilà son domaine, son élé-
ment, sa vie.
« L'âme ne se sent elle-même, dit encore l'auteur
« cité plus haut, que lorsqu'elle s'occupe de la vérité :
« son développement est en rapport direct avec son
» application à cette grande source delà vie. Comme
« une flamme légère qui voltige à la surface de ce
« monde matériel, on dirait qu'elle tend sans cesse,
u au travers de tout, à rejoindre le foyer de la vérité
« d'où elle émane et qu'elle gravite autour de sa lu-
« mière. Il semble qu'elle reconquiert son patri-
« moine à mesure qu'elle la découvre, et qu'elle res-
« pire son air natal lorsqu'elle y a pénétré, qu'elle
« en jouit. Rien n'égale alors sa joie et son orgueil,
« elle en est dans le délire... C'est Archmède cou-
« rant dans les rues de Syracuse et s'écriant : je l'ai
« trouvé!... C'est Pythagore immolant une héca-
« tombe aux dieux en reconnaissance de la solution
* d'un problème difficile; c'est Galilée retraçant son
** système astronomique jusque sur les murs de sa
« prison et disant à cette figure animée par la vé-
a rite : El pourtant tu tournes ! C'est Socrate, c'est
« Régulus, c'est Mathieu Moié s'immolant à la vérité
« morale, au devoir : c'est l'artiste, sous la figure de
« Pygmalion, échauffant le marbre de toutes les ins-
n pirations de la vérité dans le beau ! — Le commun
ou l'on NE POÎIT PAS. 141
« des hommes, même dans tous les dérèglements de
» leur esprit et de leur cœur, ne peut rester sciem-
« ment dans l'erreur : ils se la déguisent à eux mêmes,
« ils la systématisent, ils se la font vérité, et ce n'est
- que pour mieux se donner le change qu'ils persé-
♦• cutent la vérité même en l'appelant erreur. La
« vérité, voilà donc le principe nourricier de l'âme;
« cette viande des esprits, comme dit excellemment
« Malebranche, est si délicieuse et donne à 1 ame tant
a d'ardeur lorsqu'on en a goûté que, même en se
vt lassant de la rechercher, on ne se lasse jamais de
« la désirer et de recommencer ses recherches car
« c'est pour elle qwe nous sommes faits. Or. la vé-
« rite, je le répète, est immortelle ; elle Subsiste fm-
ii muable, et, suivant l'expression d'un ancien, est
« coéttrnelle à Deu *. »>
Oui , mes fièrcs, comme notre corps puise le
germe de sa mort et de sa corruption dans ( et te nour-
riture terrestre dont il se repaît dans sa faim, notre
Tune, en savourant l'aliment immatériel des esprits,
la vérité, s'assimile le principe et le gage de son im-
mortalité.
« Et l'on veut, conclut le même écrivain, que ce
* qui se repaît d'immortalité soit mortel, et l'on veut
i pe l'âme qui ne vivrait qu'un jour, qui ne ferait
' que passer du néant au néant, s'éprît d'amour,
« dans ce court passage, pour ce qui est éternel, que
« toutes ses puissances fussent employées à s'assi-
« miler ce qui serait contre sa nature, et que la pen-
* À. Nicolas. — Éludes phiL sur le christ.
142 PETITS SERMONS
« sée humaine tendue , absorbée dans le sein de
« l'Etre, y trouvât le néant et s'éteignît aux sources
a mêmes de la vie ! Non, non, toute notre raison se
« révolte contre cette contradiction, et je m'écrie
« avec La Bruyère: Je ne conçois pas qu'une âme que
« Dieu a voulu remplir de l'idée de son être infini
« et souverainement parfait doive être anéantie â. »
Outre l'idée de notre immortalité qui ne peut nous
venir que de Dieu et de la réalité de son objet, outre
la spiritualité de notre âme et son aliment divin qui
lui assure un éternel avenir, nous portons tous au
fond de notre être dans nos sentiments le présage et
l'annonce d'une vie future.
Qui que nous soyons, mes frères, jeunes ou vieux,
riches ou pauvres, ignorants ou savants, une im-
mense ambition nous dévore, nous formons tous des
projets d'avenir, et visons, chacun dans notre sphère,
à l'immortalité,
Demandez à ce conquérant qui vole à travers tant
de sang et de périls de victoire en victoire, à ce phi-
lanthrope qui se ruine à exécuter ses creuses théo-
ries, à cet écrivain qui passe des nuits entières à
polir son ouvrage, demandez à. ce navigateur qui
s'engage dans les glaces du pôle, à cet artiste qui
s'épuise à peindre, à sculpter un chef-d'œuvre, de-
mandez à tous ces hommes de génie quelle espérance
les soutient et les anime au milieu de leurs travaux ?
Pourquoi tant d'ardeur et de sacrifices pour immor-
taliser leur nom ?
* Id. ibid.
OU ï/ON NE DORT PAS. 143
Ah J c'est qu'ils ont la douce confiance qu'ils ne
mourront pas tout entiers, que l'admiration de leurs
contemporains les suivra dans la tombe et qu'ils
jouiront de la reconnaissance des générations à
venir.
Et cette persuasion que l'homme ne se termine
pas à la tombe, cette espérance dans l'avenir, le
pauvre, encore une fois, la partage avec le riche, le
plus simple artisan la nourrit au fond de son cœur
comme le plus illustre génie : on voit le laboureur
se consumer de travail pour laisser à ses enfants un
plus vaste héritage et vivre plus longtemps dans leur
souvenir ; il tremble à la seule pensée d'en être un
jour oublié ; il voudrait attacher son nom à l'arbre
qu'il a planté, à la maison qu'il a bâtie, au sol qu'il
a défriché... Or, mes frères, ce sentiment si profond,
si constant, cette espérance unanime de se survivre
est inexplicable sans la croyance à l'immortalité
de l'âme,
N'est-ce pas le même sentiment qui inspire l'en*
thousiasme patriotique des populations entières ,
lorsque, de concert, elles élèvent des statues, des
monuments aux grands hommes, lorsqu'elles s'im-
posent tant de sacrifices pour éterniser la mémoire
des bienfaiteurs de l'humanité 1
Et l'amour de la patrie, le dévouement des héros
qui versèrent leur sang pour la sauver, n'atteste t-il
pas hautement cette foi constante et générale à une
autre vie? Oh ! sans doute l'honneur, le prestige de
la gloire et lc3 lauriers du triomphe ont de quoi sé-
duire une âme généreuse et peuvent l'enflammer
144 PETITS SERMONS
d'une noble ardeur ; mais qu'on ne s'y trompe pas,
mes frères, le matérialisme rend égoïste, et, pour
celui qui n'espère plus rien au delà du tombeau,
l'existence actuelle est le bien suprême ; la vie d'un
prix inGni, comparée au néant. Dans ce système
étrange, vivre serait la loi souveraine et mourir pour
ses semblables, mourir pour prévenir, pour retarder
d'un jour la ruine de l'un>vers, serait une foiie. N'en
doute/ donc pas, l'homme n'affronte la mort que
pane qu'il y voit le passage à une vie nouvelle.
Qu'importerait la gloire à celui dont toutes les es-
pérances se borneraient au tombeau? Si après la
mort de l'homme le plus illustre, le héros le plus
vanté n'est pas plus que le marbre ou la peinture
qui le représente, si, tandis qu'une froide copie, un
vil morceau de. toile subsiste, l'original est anéanti,
que lui font les chants du poète, les éloges de l'ora-
teur eu les pompeux récits de l'histoire?
« Non, non disait Caton, jamais je n'eusse entre-
« pris tant de travaux civils et militaires, si j'avais
« cru que ma gloire devait finir avec ma vie ; mais
* je ne sais comment mon esprit, en s élevant au
« dessus de lui-même, semblait croire que c'était
« en sortant de cette vie qu'il allait commencer à
« vivre... »
Il est donc vrai, mes frères, que cette ardente soif
de survivance et d'immortalité sur la terre a sa
source et sa racine dans l'espoir secret d'une vie qui
doit commencer au tombeau. Et maintenant, cet es-
poir d'où nous vient-il ? qui nous Ta inspiré, si ce
n'est Dieu? Et s'il nous vient de Dieu, peut-il être
ou l'ox ne dort pas. 145
menteur? Le penser serait impie, oser le dire une
extravagance sans nom.
Espérance donc, mes frères , nous ne mourrons
pas tout entiers, nous sommes destinés à un autre
avenir que celui de la brute! Espérance, car Dieu
nous fit à son image, en nous donnant une âme im-
mortelle qui doit un jour remonter à son auteur!
Espérance, car il est une autre vie ! Oh ! tout en
nous la pressent, la désire, l'appelle avec ardeur,
cette vie nouvelle ; où est l'homme si riche, si grand^
si honoré sur la terre qu'il ne s'y soit jamais, senti
en exil7 Et si les heureux y sont souvent à plaindre,
que dire de ces pauvres victimes de l'infortune et do
la douleur '' Oh ! espérons donc, chrétiens, espérons
et surtout prions! L'espérance adoucira pour nous
les amertumes de la vie, et la prière, cet ardent sou-
pir de notre âme vers les collines étemelles, fera
au Seigneur une sainte violence, afin qu'il abrège
notre pèlerinage et nous ouvre bientôt les portes de
la patiie ! Amen.
SEIZIÈME SERMON
sua l'immortalité DR LAN-,. — iNOS ouvrages,
NOS UÉoIUS.
Kon moriar, sed vira m l
Je ne mourrai pas, je vivrai ! Ts. cxv:', 27./
Mes frères, dans un moment de mélancolie et de
tristesse, un de ces moments où l'on sent plus que
jamais le besoin de songer au ciel pour supporter
146 PETITS SERMONS
les peines de la terre, vous est 41 arrivé de vous iso-
ler de la foule et de porter vos pas dans la demeure
silencieuse des morts î
En parcourant ces allées solitaires bordées de
tombeaux, vous vous serez sans doute arrêtés de-
vant quelqu'un de ces mausolées couverts de fleurs,
fraîchement arrosés de larmes, et, penché sur l'in-
scription qui retrace les exemples, les travaux, les
vertus du défunt, vous avez écouté ce langage muet
sorti de la tombe, qui vous prêche la sagesse et Tes-
pérance mieux que les plus éloquents discours.
Eh bien ! ce monde, mes frères, permettez-moi
cette application qui rend ma pensée, ce monde est
comme un vaste Père-Lachaise où tout nous révèle
notre immortalité.
Oui, notre immortalité ! vous attendiez-vous à cela?
Non, sans doute, et pourtant rien de plus certain :
les générations ensevelies nous instruisent par l'éner-
gique langage des monuments, des sciences, des
lois des œuvres du génie ; elles nous disent sur tous
les tons que l'intelligence qui enfanta tant de mer-
veilles ne saurait être anéantie.
— Voyez-vous ces riches campagnes, ces luxuriants
coteaux, ces vertes prairies, ces frais bocages, toute
cette nature riante et féconde ? Tout cela était aride,
inculte, en friche, il y a quelques siècles ; stériles et
sans eau, ces plages désolées étaient un repaire de
bêtes sauvages.
L'bomme a paru. A son aspect les déserts se sont
animés, la terre s'est chargée de fleurs et de fruits ;
les villes ont remplacé les forêts. L'océan s'est cou-
ou l'on ne dobt pas. 14?
vert de navires; nouveau Moïse, l'homme a fait jail-
lir l'eau du rocher, il a creusé des canaux, con-
struit des ports, élevé de gigantesques pyramides,
percé des montagnes, éternisé par de magnifiques
travaux ses victoires sur la nature inerte ; la terre
renouvelée, embellie et devenue comme un autre
paradis s'est chargée de temples, de monuments,
de palais qui perpétueront à jamais le souvenir du
roi de la création... Franchement, mes frères, dites-
le moi, ce roi, ce conquérant, ce génie peut-il être
moins durable que son œuvre? La matière subsiste-
rait et l'artiste qui la taille et la façonne à son gré
devrait périr !
Allons plus loin. Tous les jours la science enfante
de nouveaux prodiges : l'esprit humain pénètre de
plus en plus avant dans le sanctuaire de la vérité :
le ciel n'aura bientôt plus de lois, la terre plus de
secrets, l'océan plus d'abîmes que l'homme ne sonde
et ne découvre; il a décomposé la lumière, interrogé
l'essence du soleil, dompté la foudre, enlacé l'uni-
vers dans un vaste réseau où sa pensée circule avec
la rapidité de l'éclair ; il cherche le dernier mot de
la navigation aérienne ; il achève le percement d'un
isthme de 115 kilomètres pour joindre deux mers;
la vapeur a tellement rapproché les distances, que,
d'un bout du monde à l'autre, les nations frater-
nisent avec des nations dont elles ignoraient l'exis-
tence : une politique juste et loyale régit les desti-
nées des provinces et des empires ; chaque peuple a,
dans son code et ses lois, la plus ferme garantie
d'ordre et de stabilité ; le législateur a disparu de la
148 PETITS SERIONS
scène du monde, mais sa pensée, son œuvre subsistent
plus durables que le marbre et l'airain... la pensée
subsiste, et l'être pensant ne serait plus ! et l'ouvrier
vaudrait moins que son ouvrage!... mais où est
donc l'homme sensé qui osera soutenir une si palpa-
ble et si choquante absurdité?
Et notez bien, mes frères, que nous n'avons parlé
ftue des monuments matériels, de ces ouvrages gran-
dioses qui résistent longtemps sans doute à l'action
sourdement dévorante des éléments, et finissent tou-
jours par succomber: que serait-ce si nous invo-
quions le témoignage de l'esprit humain, de ces im-
périssables monuments de génie et d'imagination
qui, loin de décroître en s'éloignant de leur source,
grandissent au contraire avec le temps, et, transmis
d'âge en âge, arrivent à la postérité la plus reculée
avec la triple consécration des siècles, des attaques
de l'envie et de l'enthousiasme des populations. Voilà
près de trois mille ans que l'Iliade et l'Odyssée d'Ho-
mère font l'admiration de l'univers ; près de trois
mille ans que la pensée du pcëte est là, vivante,
actuelle dans ces pages sublimes, et Homère lui-
même ne vivrait plus qu'en souvenir ! Homère serait
anéanti sans retour ! et l'homme ne laisserait après
lui des œuvres immortelles que comme un éclatant
témoignage de sa misère et de son néant ! En vérité,
chrétiens, il déshonore l'espèce humaine celui que
ne révolte pas une aussi étrange pensée.
Mais ce ne sont pas seulement nos œuvres, ce sont
nos désirs, nos aspirations vers le souverain bien qui
démontrent clairement notre immortalité.
ou l'on ne dort pas. Î49
Que l'homme s'interroge, mes frères, qu'il s'exa-
mine aux simples lumières de la raison ; il convien-
dra sans peine qu'il manque quelque chose à son
être, que la nature n'a fait que l'ébaucher et l'a
laissé incomplet. Nous éprouvons tous au fond du
cœur un vide immense qui nous rend tristes au mi-
lieu de nos joies, pauvres au sein de l'abondance et
soucieux jusque dans nos plaisirs. Nous nous sen
tons appelés à je ne sais quelle félicite sans mélange
qui nous attire ainsi qu'un séduisant mirage et semble
fuir devant nous ; une insatiable soif de vie et d'im-
mortalité nous dévore, et tous nos efforts pour l'as-
souvir ne font que creuser dans notre âme un plus
profond abîme. Nous voudrions un plaisir pur, fixe,
permanent, oh I permanent surtout î le plaisir que
doit éprouver un cœur dont tous les désirs sont satis-
faits.
Or ce bonheur, où le trouver? ce repos, quel mortel
Ta goûté sur la terre? Quel est l'homme dont l'œil
ne s'est jamais rassasié de voir, l'oreille d'entendre,
le cœur de soupirer, dont les sens ne se lassent pas
de jouir?
— Au milieu de ses somptueux palais, de la ri-
chesse de ses trésors, de l'enivrement de ses plaisirs,
de l'éclat de sa gloire, Salomon s'écrie: Tout est va-
nité sous le soleil!
— Alexandre a dompté l'univers, la terre s'est tue
devant lui, comme s'exprime l'Écriture, et pourtant
Alexandre, fatigué plutôt que rassasié de gloire, trouve
la terre trop petite pour son ambition ; il soupire, il
pleure au milieu des trophées du monde vaincu |
150 PBT'ITS SEr.'KON$
— Est-ce tout ? s écrie César monté sur îe trône de
l'univers ; et Tibère, dégoûté de la puissance et de la
splendeur du diadème, se retire dans l'île de Caprée
pour y chercher, dans la mollesse et la débauche, un
repos qu'il n'a pu trouver dans la grandeur... Vains
efforts, mes frères! le bonheur n'habite pas dans le
séjour de l'infamie ; Tibère sent qu'il se déshonore, il
a horreur de lui-même et confesse sa honte à la face
du monde étonné.
Et maintenant qu'on nous dise d'où viennent ces
désirs inassouvis, cette immense aspiration vers un
bien suprême ; quelle en est la source ? Ce n'est pas
l'homme, puisqu'il ne dépend pas de lui de s'en dé-
pouiller ; c'est donc Dieu qui nous inspire ces désirs
en nous donnant l'être et la vie.
Or si ces désirs viennent de Dieu, peuvent-ils avoir
un but imaginaire ? et si ce but existe, ne faut-il pas
que tôt ou tard il nous y fasse parvenir ? Dieu serait-
il Dieu, je vous le demande, mes frères, s'il nous
trompait ainsi toute la vie en nous berçant jusqu'au
tombeau d'une illusion cruelle ? Non, non, l'homme ne
soupire pas après une chimère; il existe, cet astre béni
que toute créature cherche sur son horizon, cet astre
tant désiré qui s'appelle le bonheur ; et, puisqu'il ne se
trouve pas sur cette terre infortunée, il doit donc nous
attendre au delà du tombeau !
Quoi ! serions-nous les seuls êtres dans la nature
qui ne puissions remplir notre destinée et parvenir à
notre fin ! Mes frères, jetez les yeux autour de vous
dans ce vaste univers ; tout y paraît heureux, content,
à sa place ; chaque créature s'applaudit de la situation
OU t'OxX NE DORT PAS. 151
que lui marqua le Créateur. Tranquilles dans le firma-
ment, les astres n'aspirent pas à quitter leur séjour
pour aller éclairer d'autres mondes ; la terre, réglée
dans ses mouvements, ne s'élance pas en haut pour
aller prendre leur place ; sa seule ambition se borne i
réaliser les desseins de son auteur...
Voyez le cheval bondissant dans la plaine, l'agneau
suspendu à la mamelle de sa mère, l'oiseau chantant
dans le feuillage, le papillon voltigeant de fleur en
fleur ; vous ne les entendez pas se plaindre, ils sont
satisfaits, contents de leur sort : paître, bondir, respi-
rer au soleil, voilà pour eux le bonheur.
Et la paix dont ils jouissent serait refusée à l'hom-
me ! Et la nature, si bienfaisante et si libérale pour
l'animal et la plante, n'aurait été marâtre que pour
moi ' 11 aurait laissé son chef-d'œuvre imparfait, ce
Dieu si jaloux de mettre la dernière main, d'ajouter
le dernier trait à ses moindres ouvrages? Que dis-je?
abusé toute ma vie, souffrant jusqu'au sein des déli-
ces et, dans cet insurmontable malaise, traînant jus-
qu'au tombeau la longue chaîne de mes espérances
trompées *, faut-il encore que j'envie à ma dernière
heure le bien-être et l'insoucieuse tranquillité de la
brute, et que je meure dans les terreurs ?..
« O homme ! s'écrie un poëte anglais rêvant à l'im-
« mortalité sur le cercueil de sa fille morte à la fleur
« de l'âge, ô homme, si c'est là ton sort, si tu n'at-
« tends pas au delà de la tombe un adoucissement
* à tes maux, va donc chercher tes maîtres dans les
1 Bossuet,
152 PETITS SEKMONS
« étables, dépose à leurs pieds ton sceptre fnmpfairifra
« et ta royauté ridicule; tu es esclave, ils sont les
« rois: ils te sont supérieurs dans tout ce qui àppar-
« tient aux sens. Le gazon croît sous leur, pas ; ils
« le broutent sans avoir besoin de le cultiver- leur
« boisson est apprêtée par la main de la nature;
« Je ruisseau ne cesse point de couler et d'offrir son
« onde à leur soif; leur vêtement croît et grandit
« avec eux : ils ne vont point avec fatigue le cher-
« cher dans les climats étrangers ; ils ne portent
« point la guerre dans les mondes lointains pour en
« ravir les trésors : leur fortune et leurs biens sont
« sous la garde de la nature ; ils n'ont pas besoin,
« pour les conserver, du tribunal de la chicane ; une
« prairie féconde est pour eux le jardin de la félicité;
« dès qu'ils y sont entrés, ils en goûtent les fruits
« dans une douce ivresse; aucun n'est interdit à
» leurs désir, ; leurs plaisirs sont purs et ne laissent
« point d'amertume: plus vifs que les nôtres, ils
« sont aussi sûrs: le doute, la crainte, l'espérance
« vaine, les regrets, le désespoir ne viennent point
* empoisonner leurs tranquilles jouissances. . Nos
« sages cherchent en vain la paix qu'ils goûtent:
« eux seuls ont la vraie philosophie de la vie sen-
« suelle... L'homme seul a reçu le triste privilège de
a répandre des larmes, et les occasions de l'exercer
« naissent en foule. Les animaux, plus heureux, ne
« sont pas tourmentés le long de la vie : leurs maux
« sont bornés à la douleur : la plainte cesse avec la
« sensation ; ils ne continuent pas de souffrir d'un
« mal passé ; une prévoyance funeste ne les fait
OU l/CKNf .NE DORT PAS. 153
« point frémir dans l'avenir, la mort vient à eux
« sans les effrayer ; ils ne la sentent qu'à l'instant
« où elle frappe ; un même coup commence et finit
a leurs maux... Tous les jours l'homme si fier, lui
« qui gouverne une planète, lui qui pèse les astres,
« héros et philosophes, tous soupirent en vain après
a ce paisible trépas!... Si cruellement distingués des.
a animaux pendant la vie, serions-nous encore à la
« mort confondus dans une même masse de pous-
« sière1 ?... »
Oui, sans doute, il est bien à plaindre, mes frères,
celui qui borne à la terre toutes ses espérances;
sans doute le sort des animaux doit lui paraître digne
d'envie et V existence un fardeau ! Mais l'homme dont
ie regard éclairé par la foi plonge dans la tombe et
cherche à en pénétrer les mystères, celui qui n'étouffe
pas dans son âme la pensée d'une seconde vie, cet
ineilable cri du nautonnier qui découvre la terre, celui-
là trouve dans les maux du présent le gage d'un
heureux avenir, et reconnaît le sentiment de son
immortalité dans ce malaise indéfinissable qui fait
gémir la nature. Pour lui, c'est le cri de l'instinct
appelant l'objet qui manque à son bonheur. Il se sent
incomplet; il sait que l'homme, noblement tourmenté
par sa grandeur, doit soupirer sur le trône comme
dans une chaumière; mais ses dégoûts lui révèlent
sa noblesse, et sa misère lui crie qu'il est né pour être
heureux.
Oh! redisons-la donc avec une douce confiance,
1 Y OU 11 g, Xe 11 uit.
154 PBTITS SERMONS
mes frères, cette consolante parole du Roi prophète :
Je ne mourrai pas tout entier, je vivrai ! non moriar,
sed vivant : Je vivrai de la véritable vie, de la vie
des vrais enfants de Dieu : et tandis que mon corps,
cette poignée de cendre et de poussière, ira dormir
dans la tombe jusqu'à ce que l'ange de la résurrection
la réveille, mon âme, libre enfin de ses entraves de
chair et de sang, et purifiée de ses souillures par le
repentir, prendra son essor vers le Dieu de son
amour, elle ira se plonger à jamais dans ce mysté-
rieux océan de chastes délices î heureuse espérance,
mes frères ! invoquons-la souvent : elle consolera nos
peines dans la vie, dissipera les terreurs de la mort
et réjouira notre dernier soupir 1 C'est la grâce que
e vous souhaite !
DIX-SEPTIÈME SERMON.
IMMORTALITÉ DE L'àME. — FOi DÛ GENRE HUMAIN.
Crcavit tilts scientiam spïrïlûs.
11 a créé en eux la science de l'esprit (Ecel . xyii, 6.)
Mes Frères, quelle est cette science de l'Esprit,
dont il est parlé dans nos saints Livres, cette science
mystérieuse que le Créateur a donnée à nos premiers
parents, et par eux, à leur grande famille, à tous
les peuples de l'univers î
Ah î sans doute la science de Dieu, la foi à l'Es-
prit par excellence et nous l'avons vue chez tous
les peuples et dans tous les pays du monde qui ont
de tout temps rendu hommage à leur manière à la
Oivinité.
ou L'on ne dort pas. 155
Mais il est une autre science non moins pratique et
non moins sérieuse qui nous est venue avec la pre-
mière et dont tout homme apporte au moins le germe
en naissant, c'est la science de notre âme, la foi
à son immortalité : Creavit Mis scientiam spiritûs :
foi constante, foi générale que nous trouverons, à
quelques variations près, chez toutes les nations du
globe, et cette croyance universelle est, à notre avis,
une nouvelle preuve de la vérité d'une vie à venir.
Ainsi, mes frères, pour résumer en deux mots ce
que nous avons dit jusqu'ici, plus nous pénétrons
dans la nature de l'âme, soit que nous analysions ses
penchants, soit que nous interrogions ses facultés,
ses aspirations, les œuvres admirables qu'elle ins-
pire, nous reconnaissons sur elle le cachet de son
immortalité. Mais à tous ces arguments déjà si con-
cluants, nous devons en ajouter un plus saisissant
encore, c'est la foi du genre humain.
Dans tous les temps et chez toutes les nations de
l'univers, la croyance à l'immortalité de l'âme fut le
corollaire rigoureux de l'existence de Dieu. Partout,
au sentiment de Montesquieu, on entendit l'honnête
homme s'en entretenir aussi bien que le scélérat,
l'un comme d'un objet d'amour et l'autre en fré-
missant d'épouvante. Sans doute la superstition, les
préjugés ont pu l'altérer, l'ignorance l'obscurcir, les
passions la combattre, mais elle est restée la croyance
dominante de tous les siècles et de tous les pays.
Et sans parler ici, mes frères, des Égyptiens dont
la foi à l'immortalité de 1 ame, nécessairement liée
avec l'idée d'une cause intaui^opfce qui agit sur i'uni-
10
158 ^gïiTS SERMONS
vers, n'a jamais été incertaine ni ^uivoque l ; des
Chaldéens, dont les oracles engageaient les peuples à
s* acheminer en faute hâte vers la gloire et les rayons
du Père de qui l'homme a reçu une âme pénétrée de
la splendeur divine 2 ; sans parler des Perses qui re-
connaissaient, comme tous les anciens peuples, une
vie future, non en vertu des raisonnements philosophi-
que* t mais guidés par le sentiment interne et la tra-
dition générale 3 ; sans parler des Scythes, des Sar-
mates, des Germains dont la croyance à l'immortalité
de l'âme se perd dans les ténèbres de leur antique ori-
gine 4 ; sans parler en un mot de la foi constante et
unanime de tous les peuples de l'antiquité, qui n'a lu,
mes frères, dans quelque auteur païen, la description
du Tartare et des Champs-Elysées ? Qui n'a frissonné
devant ces trois juges au front austère qui pronon-
çaient sans appel sur le sort des âmes qui venaient de
fi anchir sans retour le fleuve des enfers ? Qui n'a vu
la croyance des nations se manifester jusque dans
les pratiques les plus superstitieuses et les plus ridi-
cules : dans leurs apothéoses, dans les rêveries de la
métempsycose, l'évocation des ombres et les libations
offertes à la cendre des morts?
Cette doctrine était si universelle chez les Grecs et
les Romains, que Cicéron ne craint pas, dans son
traité de l'Amitié, de faire dire à Lélius : « — Je ne
« puis goûter ces novateurs qui avancent de nos jours
« que tout finit au tombeau : je suis bien plus frappé
« de l'autorité des anciens, de celle de nos ancêtres et
1 Hérodote, n, 122. - «Orac. Ghald., x. - 3 Pausan.
in Messen., xxxu. - iBruck, HUtor, crit., lib.n, c. il.
ou l'on ne dort pas. Î57
m de celle des personnages illustres qui ont été îa
« gloire et l'ornement de la Grèce et surtout de celui
« qui fut déclaré le plus sage de tous. »
Les anciens Gaulois professaient la même croyance,
et César nous apprend dans ses Comment air es que
les druides enflammaient le courage des guerriers
par l'appât des récompenses éternelles, et les ani-
maient au combat en leur promettant l'immortalité
dans le sein de Tentâtes *.
« C'est encore dans ce sentiment, dit Lucain, que
« les Celtes, les Germains, les Ibères, les Bretons
<♦ puisent l'ardeur impétueuse qui les fait courir à
« la mortj persuadés que rien n'est plus lâche et plus
« honteux que d'épargner une vie qu'on ne perd pas
« sans retour. »
Cette croyance générale de tous les peuples de
l'antiquité, les voyageurs qui ont visité les diverses
contrées du globe dans les temps modernes l'ont
trouvée jusqu'au fond des déserts et des forêts, chez
ces peuplades errantes et sauvages que n'avait pas
encore éclairées l'Évangile. La foi à l'immortalité de
l'âme régnait dans le Nouveau Monde avant que Chris-
tophe Colomb en ouvrit les portes aux missionnaires
européens.
« Nous la trouvons établie, dit un historien anglais,
« d'un bout de l'Amérique à l'autre, dans certaines
« régions, plus vague et plus obscure, en d'autres,
u plus développée et plus parfaite, mais nulle part
« inconnue 3. »
1 César, de Bello-Gall, vi.-« Lucan., lib, i — «Roberts,
Hist. of Amer., iv, 12t.
158 PETITS SERMONS
Tout le monde connaît le culte superstitieux des
Chinois pour leurs ancêtres, et leurs ridicules sacri-
fices de papier doré devant les tablettes où sont ins-
crits les noms des aïeux et dans lesquelles sont cen-
sées résider leurs âmes *.
Les habitants du Tonquin, de l'île Formôse et du
, Japon eurent toujours à peu près le même ciel et le
même enfer, tout comme les chrétiens 2. — Et main-
tenant je vous le demande, mes frères, d'où peut
donc venir à tous les peuples du globe cette croyance
à l'immortalité de l'âme? Une persuasion si cons-
tante et si universelle peut-elle avoir un autre fonde-
ment que le cri de la nature et consacrer une erreur !
Si Dieu lui-même ne nous l'a inspirée , si cette
croyance est sans objet réel, comment lui donner
une explication raisonnable ? Rien sur la terre eût-il
pu faire soupçonner à l'homme qu'il y a une autre
vie? — Non, sans doute : dans ce monde éphémère
tout meurt et disparaît : les espèces seules subsis-
tent, les individus périssent sans retour. Qu'on nous
Dite dans le monde végétal et animal un seul être qui
iit échappé à la destruction, un seul exemple (hors
ie cas d'un miracle) où la mort ait lâché sa proie !
Et encore, s'il était une exception naturelle à cette
loi générale, serait-elle tout à l'avantage exclusif de
la matière. Nous voyons au printemps la terre se
renouveler et les plantes renaître : tout se fane pour
refleurir ; nous avons tous les ans sous les yeux le
spectacle de la vie reproduite de la mort.
Mais dans l'homme, rien de pareil : tout semble
* Lett- édiftf xxi-xxn. — *Àlnet, xxïv, 2.
ou l'on ne dort pas. 159
au contraire lui annoncer une destruction sans re-
tour. Que reste- 1- il d'un homme après que le sépul-
cre s'est refermé sur sa froide dépouille? Tout ne
nous dit-il pas extérieurement qu'il est bien mort,
mort à jamais, mort comme la bête et la plante, et
qu'il a passé comme une ombre légère, une feuille
qu'emporte le vent ?
Cette idée d'une autre vie est donc en opposition
manifeste avec ce qui se passe tous les jours sous
nos yeux, et, loin de nous bercer de l'espérance
d'une vie mortelle, nous ne devrions avoir, au con-
traire, que des idées de mort, et d'une mort sans re-
tour, puisque tout ici-bas semble nous l'annoncer...
Et pourtant, mes frères, cette confiance est si pro-
fonde, si constante et si intimement liée à la nature
humaine que rien ne peut l'y détruire, ni le souve-
nir des générations dont nous foulons la poussière,
et qui ont disparu pour jamais ; ni le spectacle de la
mort, saisissant et actuel, dans les victimes qui suc-
combent sous nos yeux ; ni le silence lugubre de la
tombe et l'oubli soudain qui enveloppe ceux qui ne
sont plus, rien ne nous désabuse ! Au moment même
où une main de fer le précipite dans la fosse, où la
pierre funéraire va peser sur son cadavre, l'homme
tressaille d'espérance, et s'écrie avec le juste de
l'Écriture :
« Oh l je sais que mon Rédempteur est vivant, et
<« que la terre n'arrêtera point mon âme : je meurs,
« mais pour renaître ; je reviendrai à la vie, et mes
« yeux, ces yeux de chair et de sang, contempleront
m mon Dieu !,. • »
10,
IGO PETITS SEUMONS
Oui, l'homme espère, mes frères, contre tonte ap-
parence extérieure, en dépit de la mort qui, de tou-
tes parts, l'environne; et l'univers croulerait sur lui,
l'écraserait sous ses ruines, qu'il espérerait encore !
C'est que la croyance à une vie future est un tré-
sor si cher à son cœur, le sentiment de son immor-
talité le pénètre d'un si noble orgueil, qu'il en a fait
comme la mesure de sa grandeur et la raison d'une
espèce de culte qu'il se rend à lui-même. Aussi, de
peur de pousser trop loin la contemplation de sa di-
gnité, de peur qu'il n'allât jusqu'à se croire immor-
tel dans toutes les parties de son être, il s'est donné
le titre de mortel, de préférence à tant d'autres créa-
tures qui périssent sans retour. Il sentait le besoin
de se rappeler qu'il est un point par lequel il touche
la terre, et que si, par son âme, il ne doit pas mourir,
par son corps, ce corps d'argile, il doit retourner
à la terre d'où il est sorti.
Ainsi, dans l'antiquité, lorsqu'un triomphateur re-
cevait sur son char les applaudissements d'une mul-
titude frémissante, un esclave lui criait de temps à
autre, de peur qu'il ne se crût un Dieu : « Souviens-
toi que tu es mortel ! »
Et qu'on ne dise pas, mes frères, que l'homme a
imaginé une seconde vie pour se ménager une con-
solation pour le présent et des espérances pour l'a-
venir. Quand même cette persuasion ne serait pas
indépendante de notre volonté, quand même l'homme
serait le maître de se la donner ou de s'en dépouil-
ler, serait-elle si uniforme, si constante, si univer-
selle
OU l/ON NE RO'.iT PAS. "ï'
Car enfin, ce qui console les uns épouvante les
autres : terrible pour le méchant, cette pensée ne
rassure même pas toujours l'homme vertueux; il
reste au fond des consciences les plus pures un ef-
frayant peut être qui les fait trembler à l'aspect du
tombeau. D'ailleurs, comment se serait-il donné
l'espérance d'un bien dont il n'avait pas même l'idée?
Et comment aurait-il eu l'idée d'une chose dont
tout, dans ce monde éphémère et périssable, lui
démontrait en quelque sorte 1' mpossibilité ? I! faut
donc encore une fois, mes Hères, que cette idée
nous vienne de Dieu lui-même, et puise dans la réa-
lité de son objet la cause de son existence.
Un témoignoge non moins éclatant de la foi des
nations à l'immortalité de l'âme, c'est le respect des
tombeaux
Nul a'entre vous n'ignore, j'aime à le croire, que
de tout temps et chez les tribus même les plus sau-
vages et les plus barbares, la cendre des morts fut
une chose sainte, et, violer une sépulture, un sacri-
lège aussi criminel que de violer le sanctuaire des
dieux.
Il suffit en effet d'ouvrir l'histoire générale des
peuples anciens et modernes, pour demeurer con-
vaincu que le respect des morts a toujours été le
pendant obligé de la divinité. Or, je vous le de-
mande, mes frères, que signifie cette vénération
constante et universelle des tombeaux, si rien n'a
survécu à la vile poussièie qu'ils renferment 1 Ces
honneurs, ces chants funèbres, ces riches^ mo-
numents ne s'adressent-ils qu'à cette poignée de
162 PETITS SERMONS
boue et de pourriture que se disputent les vers ?
Ah ! nous y voyons plutôt l'éclatante preuve de la
foi du genre humain et la manifestation de cette
pensée secrète, que les morts ne sont pas indiffé-
rents à l'expression de notre affectueuse douleur;
qu'ils sont comme les témoins de nos larmes, de nos
regrets, et que nous pouvons entretenir un tendre
commerce avec cette partie d'eux-mêmes qui vit
encore.
II est aux extrémités de l'Orient, un peuple qui
place sur les tombeaux différents mets pour la nour-
riture des morts. Chez les Péruviens idolâtres, les
femmes et les enfants des Incas s'offraient à la mort
pour honorer leurs funérailles et les accompagner
dans l'autre vie. On a vu le même usage dans
l'Inde.
Est-il possible, encore une fois, mes frères, de
méconnaître dans ces pratiques superstitieuses, la
croyance de tous les peuples à la vie future ? Et cette
croyance universelle n'est-elle pas, au sentiment de
Cicéron, la preuve évidente que le dogme qu'elle
consacre est l'expression de la vérité?
Oui, chrétiens, la religion des tombeaux, cette
>ci de tous les âges et de tous les pays, tient au sen-
timent de l'immortalité.
Dans une époque, héïas * encore trop près de
nous, le monde eut le triste spectacle d'une nation
civilisée foulant aux pieds cette loi protectrice et
fondamentale de tout ordre et de toute société. Un
peuple en délire osa profaner à la face du soleil les
tombeaux de ses aïeux... mais ce peuple était sans
ou l'on ne dort pas. 163
roi, sans prêtres, sans autels.. ; je me trompe, mes
Frères ! il avait des rois : Danton, Robespierre et
Ma rat ; des prêtres : la guillotine et le bourreau ;
des autels enfin, où Dieu était remplacé par des
courtisanes que l'antre de la débauche avait vomies
de son sein !.. absolument comme dans ces temps
dissolus dont parle Tacite : eas altaria receperunt
quas lupanar ejecerat. Ah ! c'en était fait de cette
pauvre nation si ce régime satanique eut duré quel-
ques mois de plus ; tant il est vrai que tout s'enchaî-
ne dans le monde moral comme dans le monde
physique, et qu'on ne saurait toucher à la religion
sans mettre la société en péril, ni attenter au res-
pect des morts sans que le contrecoup n'en retombe
sur les vivants.
Ainsi, mes Frères, tous les peuples du monde ont
admis l'existence d'une autre vie et trouvé dans
leur cœur le sentiment de leur immortalité. Où est
maintenant l'impie, ouest l'insensé qui oserait pré-
tendre que la foi du genre humain peut être sans
objet réel et ce sentiment profond, constant, inébran-
lable, inspiré par une chimère? Celui qui pourrait
méconnaître dans cet instinct universel la voix de
la nature et de la vérité se verrait seul contre le
genre humain et forcé de nier Dieu. j
Or on ne conteste pas avec des gens qui sont de ]
taille à lutter contre l'évidence ; le gros bon sens
en fait justice et le ridicule les tue.
Étrange aveuglement, qui pourra le définir, le
comprendre, mes Frères! Quoi! nier son âme, sa
consolation dans le malbeur, le motif de son espé-
164
PET
rance, nier son plus beau titre de gloire, envier T9
sort de la brute 1 et tout cela, dans l'intérêt des nlus
viles passions !..
Ah ! nous préserve le ciel d'un si honteux esclavage
d'une si criminelle folie! soyons fiers au contraire'
soyons heureux du sentiment de notre immortalité'
mêlons avec transport notre voix à la voix de nos frère*'*
l la voix de tout le genre humain ; et puisse le
venir de notre âme et de sa destinée éternelle en
calmant ici-bas nos chagrins et nos douleurs nous
animer à la pratique du bien et nous mériter après
la mort l'immortelle couronne de la vertu t Ainsi-
soit-il !
DIX-HUITIÈME SERMON
IMMORTALITÉ DE ,'AME. - LA CONSCIENCE ET L'0UD„E
MORAL.
Etdixi in corde meo: Justum et mpiurn
Et j ai dit dans mon coour: Dieu jugera le
juste et l'impie. (Ecclés. ni, 27.)
Mes Frères, nous lisons, dans l'histoire de l'infortuné
Loujs XVI, qu'un brigand de la révolution s'étant un
jour approebé du Roi, et lui ayant appuyé la pointe de
sa lance sur la poitrine, un garde national s'élança et
détourna l'arme de ce misérable en disant au prince •
Sire, ne craignez rien !
Aussitôt Louis XVI lui prit la main, et, l'appli-
quant sur sa poitrine: Mon ami, lui dit-il sans s'é-
mouvoir, la conscience d'un honnête bomme est
ou l'on ne dout pas. 1G5
tranquille: sentez si mon cœur bat plus vite qu'à
l'ordinaire !
Mes Frères, je vous le demande, n'est-ce pointlà
une saisissante application de cette profonde maxime
du poète païen qui disait : « Rien ne rassure au milieu
« des plus grands dangers comme ie témoignage
« d'une conscience pure : l'univers croulerait sur
« l'homme juste qu'il resterait impassible, inébranlable
« sous ses ruines. »
Mais le méchant, celui dont l'âme est agitée par le
remords, oh 1 quel contraste, mes Frères, et qu'il est
frappant! au- sein des plaisirs, quand tout lui sourit,
lui prospère, il est sombre, il gémit, il est en enfer 1
Lh bien, je ne connais pas de plus évidente preuve de
notre immortalité !
En effet, chrétiens, si vous descendez au fond de
votre âme, vous y trouverez un témoin secret, mais
irrécusable, de ce principe sacré, la conscience.
N'est- il pas vrai qu'après une action bonne ou
mauvaise, un juge intérieur vous approuve ou vous
condamne? N'est-il pas vrai qu'en dépit de tous ves
.raisonnements et de votre philosophie, il vous impose
: ses arrêts, commande en maître au nom du ciel, et
vous juge en dernier ressort, payant l'obéissance par
un témoignage llatteur, mais vous agitant de toutes
les tortures du remords, si vous avez méconnu sa
voix?
« Chaque homme, dit Chateaubriand, a au milieu
9 du cœur un tribunal où il commence à se juger lui-
i même en attendant que l'arbitre souverain confirme
n la sentence.
tG6 PETITS SERMONS
a Si le vice n'est qu'une conséquence physique
« de notre organisation d'où vient cette frayeur qui
<« trouble les jours d'une prospérité coupable? Pour-
« quoi le remords est-il si terrible qu'on préfère sou-
« vent se soumettre à la pauvreté et à toutes les
« rigueurs de la vertu plutôt que d'acquérir des
u biens illégitimes ? Pourquoi y a-t-il une voix dans
« le sang, une parole dans la pierre? Le tigre dé-
« chire sa proie et dort ; l'homme devient homicide et
« veille : il cherche les lieux déserts, et cependant la
« solitude l'effraie ; il se traîne autour des tombeaux,
« et cependant il a peur des tombeaux. Son regard
« est inquiet et mobile ; il n'ose fixer le mur de la
« salle du festin, dans la crainte d'y voir des carac-
« tères funestes : tous ses sens semblent devenir
« meilleurs pour le tourmenter : il voit au milieu de
a la nuit des lueurs menaçantes ; il est toujours
« environné de l'odeur du carnage ; il découvre le
« goût du poison jusque dans les mets qu'il a lui-
k même apprêtés. Son oreille, douée d'une étrange
« subtilité, trouve le bruit où tout le monde trouve
« le silence, et en embrassant son ami, il croit sentir
«v sous ses vêtements un poignard caché... O cons-
« cience, ne serais-tu qu'un fantôme de l'imagination
« ou la peur du châtiment des hommes i ? »
, Non, non, mes frères, car l'homme abandonne
sans peine le fantôme que son imagination s'est
créé, et le remords le déchire, son crime fût-il
ignoré de toute la terre, se sentît-il assuré de l'im-
1 Chat , Génie du cluislian.
ou l'on ne dort pas. 167
punité. Or, si l'âme périt avec le corps, si tout finit
avec la tombe, qu'on nous explique d'une manière
raisonnable ce sentiment profond que ne peut étouf-
fer entièrement le plus intrépide scélérat : qu'on lui
donne une autre origine que l'assurance d'une seconde
vie, qu'on l'appelle autrement qu'une annonce du
jugement de Dieu !
Allons plus loin, chrétiens. Nous avons admiré la
beauté de l'univers ; pénétrés d'un saint enthou-
siasme à l'aspect de tant de merveilles, nous sommes
tombés à genoux pour adorer l'auteur d'un ensemble
si parfait, et la providence qui règle avec tant d'or-
dre et d'harmonie le monde physique : Mais en est-
il de même du monde moral ? — A n'en juger que
par ce que nous voyons tous les jours, et si nous
faisons abstraction de la vie future, où sont la sa-
gesse, la beauté, la justice du Dieu dont la provi-
dence gouverne le monde ?
Est-il sage, le Dieu qui laisse subsister tant de
désordres sur la terre où nul n'est à sa place, où rè
gnent sans contrôle l'égoïsme , le caprice , les pas-
sions, et qui semble avoir abandonné son œuvre à la
merci d'un ave^c-le hasard ?
Où est la bonté ûv. Dieu qui permet que le monde
soit inondé de ta "\t de fléaux, de calamités, qu'on
dirait qu'il n'a crév l'homme que pour se rendre
malheureux?
Enfin est-il juste, K Dieu qui laisse ainsi le mal
dominer le bien sur la \erre où l'impie jouit en paix
du prix de la vertu, où VI <)imête homme a le plus
souvent pour partage l'abjection et les peines du
11
ÎÔ8 PETITS SERMONS
vice ; où Fambition et l'intrigue heureuse obtiennent
îa première place que redoute le mérite modeste, et >
qu'on lui refuse d'ailleurs presque toujours ?
Non, non, mes frères, Dieu ne serait pas Dieu, s'il
ne venait pas un temps où chacun reprît sa place et
où la providence apparût dans tout son jour : mieux
vaudrait nier Dieu que de le supposer indifférent à
tant de désordres...
« — Quand je n'aurais sur la terre, dit Jean-Jac-
ques Rousseau, d'autres preuves de l'immortalité
<* de lame que le triomphe du méchant et l'oppression
« du juste en ce monde, cela seul m'empêcherait
« d'en douter. Une contradiction si manifeste, une
« si choquante dissonance dans l'harmonie univer-
« selle me ferait chercher à la résoudre et je me
« dirais : Tout ne finit pas avec la vie, tout rentre
« dans l'ordre à la mort... »
Otez l'immortalité de l'âme et la vérité d'un éter-
nel avenir ; plus de différence entre le vice et la
vertu; tout est bouleversé, confondu, le bien, le mal,
tout change de nom.
En effet, mes frères, si, comme on l'a vu plus
haut, tout finit avec le corps, vivre est le souverain
bien, mourir le souverain mal : jouir de la vie doit
donc être l'unique occupation de l'homme : éviter la
souffrance, son devoir le plus sacré.
Or, le vice flatte la nature, tandis que la vertu lu
impose de pénibles sacrifices. Où en sera la récom
pense, si tout se termine à la tombe 1 — Dans cette
vie ? Mais nous y voyons le plus souvent la vertu
misérable, humiliée. — Où sera le châtiment du
ou l'on ne dort pas 169
crime? I! y est presque toujours honoré, triomphant.
Et pourtant, mes frères, l'illusion n'est pas possible,
il faut une sanction à la loi naturelle comme à la loi
civile, et le simple bon sens nous dit qu'il doit exis-
ter une différence entre un voleur et un honnête
homme, entre l'enfant qui nourrit son père et celui
qui le tue, entre Lacenaire et Vincent- de«Paul...
Encore une fois, chrétiens, où sera cette différence
si tous les deux doivent être anéantis ? Qui l'éta-
blira? Les tribunaux, la loi humaine, le bourreau 1
— A la bonne heure, si je suis pris ; mais si j'ai pu
faire le mal sans témoins? Établie pour punir le
crime, la loi, par le fait, ne punit que la maladresse
qui s'y laisse prendre.
Et puis, quand le vice recevrait toujours son châ-
timent sur la terre, où serait la récompense de la
vertu 1 La loi des hommes punit, mais ne récom-
pense pas.
— Sans doute, dira-t-on» mais la vertu trouve sa
récompense dans la paix du cœur et le orime son
châtiment dans les remords.
— Quand même on accorderait que l'espérance
d'un bien et le pressentiment d'un mal en sont la
réalité plutôt que l'annonce, quand même il serait
vrai que la vertu se contente d'un si mince salaire
de ses pénibles sacrifices, et ne le considère pas tout
au plus comme un asile contre le désespoir ; quand
même les grands criminels, à force de lutter contre
le remords, n'y deviendraient pas d'autant plus in-
sensibles qu'ils enfoncent plus wmt dans l'abîme,
qu'on nous dise, mes frères, C serait la cens-
17Ô PETITS SERMONS
cience sans l'espoir d'une autre vie? Est-ce que vous
en concevez même la possibilité ?
Car enfin la conscience n'est autre chose que le
sentiment de notre immortalité ; l'immortaiité seule
en donne la raison et lui sert de fondement. L'homme
ne s'applaudit d'avoir fait le bien et ne tremble d'a-
voir fait le mal qu'à cause du pressentiment de
l'arrêt qui l'attend au jour de toute justice : sans
cette pensée, le remords serait une folie et nous de-
vrions repousser comme un leurre cruel le conten-
tement que donne la vertu.
— u Otez la justice éternelle et l'espérance d'une
a autre vie, dit encore Jean- Jacques Rousseau, je ne
« vois plus dans la vertu qu'une folie à laquelle on
« donne un beau nom... »
Et le suicide, mes frères, le suicide, cette plaie
hideuse de notrs siècle, ce crime de lèse- société, de
lèse-humanité, cet attentat contre lequel la loi di-
vine est impuissante comme la loi humaine, si le
coupable, en se donnant la mort, se précipite dans
le néant, qui l'arrêtera? Qui le punira?
— Mais que dis je, le puni?' ? Ah î il n'est plus
blâmable, il devient glorieux et mérite noire admi-
ration, car c'est la plus belle victoire qu'un mortel
puisse remporter : c'est le triomphe du néant sur
l'êlie, de la matière sur l'esprit, de l'homme sur
Dieu lui-même, puisqu'il peut le braver en lui échap-
pant sans retour... — Quel blasphème ! Ah! disons
plutôt, chrétiens, que cet acte insensé, loin de ravir
au créateur sa victime, la jette au contraire avant
l'heure entre ses mains irritées ; disons plutôt que
ou l'on ne dort pas. 171
ce triomphe coupable de l'âme sur le corps est la
plus forte preuve de la spiritualité de notre âme, et
partant, de son immortalité; vit-on jamais l'animal
se donner la mort ? — Et d'ailleurs, est-ce qu'il ne
répugne pas que la puissance qui tue soit la même
qui est tuée ? Est-ce que l'acte suprême qui révèle,
en un sens, à cette heure fatale, une si formidable
puissance, peut être en même temps l'acte de son
anéantissement?
Enfin, mes frères, il est dans la vie de certains
hommes un moment solennel où cette vérité se
palpe en quelque sorte et nous apparaît de la der-
nière évidence.
Avez-vous jamais vu mourir un vieillard ? — Je
parle de ces natures privilégiées qui arrivent pour
ainsi dire insensiblement à l'heure dernière, de ces
hommes qui conservent jusqu'à l'agonie toute leur
connaissance et une lucidité d'esprit qui nous fait
comprendre qu'ils se sentent mourir.
Le corps, depuis m longtemps miné par l'âge et la
maladie, est mort d'avance en quelque sorte ; Pâme
seule rayonne encore sur ce front serein, et jette,
pour ainsi dire, ses dernières lueurs avant de s'en-
voler sans retour : ainsi, avant de s'éteindre, l'étin-
celle brille d'un plus vif éclat.
On a vu des médecins, au lit de la mort, étu-
dier , le doigt sur l'artère , les progrès du mal
qui les consumait, et s'en rendre raison jusqu'à
la fin.
Cuvier parvient à l'agonie avec toute la plénitude
de son esprit. Sa haute intelligence suivait, consta-
172 PETITS SERMONS
tait les pas cle la mort et -soumettait à ses calculs les
dernières pulsations de son cœur.
On rapporte de Guillaume de Humboldt qu'il à
donné la meilleure preuve de la puissance calme de
la pensée sur les infirmités de notre nature, et,
qu'au moment de mourir , il a montré toute l'in-
fluence que le génie peut exercer sur une vie longue
et méditative. — En effet, depuis longtemps il avait
promis à ses amis de composer, comme son dernier
rodicille, un traité très-concis sur la philosophie
du langage ; et, dans les derniers jours de sa vie,
réduit par la maladie à un si grand état de faiblesse
qu'il ne pouvait plus tenir à la main ni livre, ni
plume, penché sur la table, comme un homme
courbé sous le poids des années, il semblait concen-
trer à l'intérieur ces facultés énergiques si variées,
qui, dans de meilleurs jours, le rendaient égale-
ment propre aux méditations du philosophe et aux
travaux de l'homme d'État.
« C'est ainsi » ajoute le savant prélat qui rapporte
ce fait, « c'est ainsi qu'il a dicté un ouvrage profond
« sur un des sujets les plus difficiles, ouvrage qui,
« lorsqu'il sera publié, donnera au monde un noble
« exemple, non de la passion qui domine la mort,
« mais d'une intelligence directrice qui y puise sa
« force l. »
Or, je vous le demande, mes frçres, est-il possible
que l'âme, qui devient de plus en plus visible en
quelque sorte sur ces traits inanimés, qui hâte de
1 Le card. Wiseman.
OU l/ON NE DORT PAS. 173
tout son pouvoir la rupture de ses liens et redouble
d'énergie à mesure que la mort redouble ses rava-
ges, est-il possible que cette âme s'éteigne en ren-
trant dans son domaine et soit, pour ainsi dire,
écrasée sous les ruines de sa prison? Non, non, la
mort du corps, c'est pour elle la délivrance et la plé-
nitude de la vie ; elle redevient reine et recouvre sa
puissance en recouvrant sa liberté.
Et maintenant, chrétiens, je le demande à tout
homme qui n'a pas fait divorce avec le sens commun,
puisque l'arbre se reconnaît à ses fruits, est-il quel-
que frein sur la terre, y a-t il rien de noble, de vrai-
ment grand, de solidement vertueux qui n'ait sa
source dans le sentiment de l'immortalité 1 Si la
pensée d'une vie future était bien ancrée dans nos
âmes, la terre ne serait-elle pas un paradis ?
Et que deviendrait au contraire la société, si la
doctrine impie du matérialiste venait à prévaloir, s'il
était bien établi, bien arrêté que tout meurt avec le
corps, et que l'on peut, par exemple, du même
coup, échapper à la justice humaine, en finir avec
la souffrance et braver le courroux d'un Dieu ven-
geur? Quel désordre, mes frères, quel chaos dans
l'univers ! — « Dès lors, dit un éloquent orateur,
« tout est confondu sur la terre ; et toutes les idées
« du vice et de la vertu disparaissent ; et les lois les
« plus inviolables de la société s'évanouissent ; et
« la discipline des mœurs périt; et le gouverne-
« ment des états et des empires n'a plus de règle ; et
« toute l'harmonie du corps politique s'écroule ; et
« le genre humain n'est plus qu'un assemblage d'in-
174 PETITS SEMIONS
«sensés, de barbares, d'impudiques, de furieux, de
« fourbes, de dénaturés, qui n'ont plus d'autre loi
« que la force, plus d'autre frein que leurs passions
« plus d'autre bien que l'inaépendance et l'irréli-
« g.on, plus d'autre Dieu qu'eux-mêmes... Voilà le
« monde des impies ; si ce plan affreux de républi-
« que vous plaît, formez, si yous le pouvez, une so-
«cietédecesbommes monstrueux; tout ce qu'il
« me reste à dire, c'est que vous êtes digne d'y
« occuper une place * !...
Concluons donc, mes frères, que notre âme est
immortelle et qu'il y a une autre vie ; tout en nous
et hors de nous démordre cette grande vérité. Pour
oser la nier, je ne cesserai de le répéter, pour oser
la mettre en doute, il faut avoir perdu tout senti-
ment et vouloir avoir raison contre tout l'univers, je
me trompe, c'est afficher une âme dépravée et tra-
hir un secret intérêt à ce que tout finisse avec le
corps.
« Dès qu'on a sujet de redouter l'avenir, a
« dit un profond penseur, on ne le souhaite plus,
« et dès qu'on cesse de le souhaiter, on cher-
« che bientôt à n'y pas croire; c'est ainsi que l'in-
« crédulité démontre une conscience coupable.
« Quand la pensée de l'avenir vient visiter les incré-
« dules, et qu'elle entre de force dans leur âme, ils
« rampent, ils tremblent, ils croient... Quoi I être
« incrédule et craindre l'avenir ! craindre un rêve,
« une fable I Ah! leurs terreurs démontrent l'évi-
1 Massillou
otr l'on ne dort pas. 175
« dence de la cause que je défends ; l'incrédulité se
« dément elle-même, elle avoue sans le vouloir
« qu'il est une vie immortelle * ! »
N'oublions donc pas, mes frères, que nous avons
trop de raisons de croire à la vérité d'un avenir pour
douter un instant de notre immortalité ; mais qu'il
est des hommes si pervers qu'ils ont besoin de se
faire une croyance en harmonie avec leurs instincts
grossiers : plaignons-les de toute notre âme, ces mi-
sérables assez dégénérés pour nier leurs titres de
noblesse, et souvenons nous qu'il faut avoir vécu de
la vie de la brute pour être réduit à en souhaiter la
mort.
Ah ! qu'il n'en soit pas ainsi de nous, ô mon
Dieu 1 Préservez-nous du malheur de nier notre
âme et ses éternelles destinées ! Faites, nous vous
en conjurons, que notre vie soit si pure, si solide-
ment chrétienne que, loin d'avoir besoin, pour notre
bien-être et notre repos, de nier l'existence de la
vie future, nous aimions au contraire à en invoquer
le souvenir comme l'annonce bénie de la gloire qui
nous attend! Rendez -nous heureux, saintement
fiers d'être immortels ; et cette pensée salutaire,
après nous avoir donné l'amour du devoir et le cou-
rage de la vertu sur la terre, nous en fera mériter la
récompense éternelle dans le ciel ! Amen !
1 Young,
\U
178 PETITS SERMONS
DIX-NEUVIÈME SERMON
RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS.
Expectatio justorum lœtilia : spes autcm
impiorum perîbil.
L'attente du juste ost pleine de joie : mais
l'espoir des méchants périra. VProv-x> -8-)
Mrs Frères, il y a dans l'Écriture une page pro-
fonde, sérieuse et bien de nature à faire réfléchir
tout le monde, mais que les méchants ne sauraient
lire sans terreur ; c'est le deuxième chapitre du livre
de la Sagesse.
Après avoir rapporté assez en détail les illusions
des impies au sujet de la vie future, leurs sophismes
et leurs vains raisonnements pour s'enhardir au
crime et étouffer dans leur cœur la sainte voix du
remords, l'écrivain sacré renverse tout cet échafau-
dage de subtilités et d'insolents propos par cette sen-
tence solennelle à la fois si consolante pour les
justes, mais si terrible pour les méchants : » Ils se
« sont trompés: leur malice les a aveuglés, n'ayant
<• rien à espérer, mais tout h craindre dans l'autre
« vie i car Dieu a créé l'homme impérissable, im-
« mortel : CreavH enim Deus kominem inextermina-
« bilem * , »
Si vous avez lu ce chapitre > mes frères, vous avez
pu vous convaincre une fois de plus de la vérité de
cette parole du sage : Nihil sub sole novum 2, rien de
nouveau sous le soleil.
i Sap. n, 37. — a Ecclé. ï, 10,
ou l'on ne dort pas. 171
En effet, ce que nous voyons aujourd'hui, Salo-
mon le voyait il y a trois mille ans : c'est que l'impie
est toujours le même ; que s'il nie la vie future, c'est
pour être plus libre dans la vie présente ; c'est que
la conclusion de ses sophismes et de ses blasphèmes
fut de tout temps, celle-ci, à quelques variantes
près :
♦« Couronnons-nous de roses avant qu'elles se flé-
« trissent; mangeons et buvons aujourd'hui, puis-
u qu'il faudra mourir demain ! »
Quant aux variantes, vous les connaissez, mes
frères : depuis que le père de nos modernes épicu-
riens a mis ce ricanement impie en gaudriole il se
redit sur tous les tons, se montre sous toutes les for-
mes : vignettes, drames, romans, couplets d'opéra,
c'est à peu près partout le même refrain :
« Vive le présent! qu'importe l'avenir? L'avenir
est un vain mot : Nous n'avons qu'un temps à
vivre!... »
Voilà où nous en sommes, chrétiens ! Toujours
au même point après trois mille ans... Vantons-nous
de nos progrès, quand nous ne sommes que de mi-
sérables plagiaires I — Et dire que cela se répète,
que ce refrain de taverne a pu devenir une objec-
tion... une objection contre l'immortalité de lame,
une objection que se permettent des gens qui ne
sont pas ivres!... Dire que, même des chrétiens
osent mêler leur voix à la voix de ces insensés et
soulever des questions qui font douter de leur foi,
sinon de leur bon sens et de leur raison !...
En vérité, n'est-ce pas peine perdue que de pren-
478 PETITS SERMONS
dre au sérieux des difficultés dont îé sens commun
fait justice, et qu'on ne répète du reste qu'en ma-
nière de passe-temps ?
Oui sans doute ; et pourtant, comme la morgue et
l'aplomb, avec lesquels certains petits raisonneurs
iisent : Bah ! il n'y a pas d'autre vie! et répètent
des objections cent fois mises en poudre, pourraient
séduire les simples, permettez-moi d'y répondre un
moment dans cet entretien familier.
— On nous en conte, disent-ils, on veut nous ef-
frayer, quand on est mort tout est mort.
— Comment! tout est mort? tout? bien sûr t Et
cette énormité, vous la prononcez sans hésiter, sans
dire au moins : Peut-cire, comme Rousseau et tant
d'autres impies, qui répondaient à la même ques-
tion : Je n'en sais rien? Et vous pouvez soutenir la
pensée d'un anéantissement sans retour? — Allons
donc! vous ne parlez pas sérieusement, laissez-moi
vous le dire; vous mettez sans doute une différence
entre vous et votre chien, sans quoi il n'y aurait
pas plus de mal à vous tuer qu'à écraser l'insecte
qui bourdonne à mes oreilles ?
— Quand on est mort, tout est mort! Certes, comme
vous dites cela! Et vous ne redoutez pas les consé-
quences de cette parole, et vous osez la répéter tout
haut? c'est avoir du courage! Vous êtes plus brave
que Voltaire lui-même !
Il soupait un soir avec Condorcet, d'Alembert et
quelques autres philosophes; et, comme à l'ordi-
naire, Dieu, la religion, les prêtres, l'âme humaine
et l'existence d'une autre vie formaient le menu de
ou l'on ne dort pas. 179
la conversation : ces messieurs coupaient , tran-
chaient, sifflaient, ricanaient et s'en donnaient à
cœur joie : c'était une bénédiction de les entendre.
Tout à coup, vers le milieu du repas, les amis de
Voltaire le voyant pâlir et jeter ça et là des regards
inquiets lui demandent la cause de son trouble. D'un
signe, le patriarche de l'incrédulité leur montre ses
domestiques écoutant en silence la discussion, et pa-
raissant y prendre un vif intérêt.
Aussitôt il les renvoie et fait fermer les portes de
la salle.
— A présent, messieurs, dit-il à ses convives, libre
à vous de continuer vos propos contre Dieu et la vie
future ; mais comme je ne veux pas être assassiné ni
volé cette nuit par mes domestiques, il est bon qu'ils
ne vous entendent pas... — « Philosophes entre vous
« tant qu'il vous plaira, disait-il dans une autre cir-
** constance; mais si vous avez une bourgade à gou-
« verner, il faut qu'elle ait une religion : la loi veille
« sur les crimes publics, la religion sur les crimes
« secrets... Il faut une vie future, un Dieu vengeur
« aux rois, aux ministres, à nos procureurs; il faut
« un Dieu vengeur à l'homme d'État, à l'homme de
« cabinet, à nos ouvriers; il en faut un au peuple;
« il faut un Dieu vengeur à tous ceux qui, sans la
« crainte de ce Dieu, nous pileraient dans un mor-
« tier dès qu'ils y trouveraient leur intérêt!... * »
Je vous le demande, mes frères, vous qui n'avez
jamais répété les blasphèmes des impies, est-ce que
1 Voltaire» œuvres diverses.
l°® PETITS SERMONS
la terre ne Serait pas un enfer sans la foi à l'immor-
talité de l'âme, et si l'espérance d'une autre vie n'y
enchaînait pas les passions frémissantes ? - On leur
en conte ! et dans quel but, s'il vous plaît ? Quel inté-
rêt peut-on avoir à les tromper? — Que dis-je? et
d'où vient que le genre humain s'est ainsi laissé sé-
duire? Comment une erreur, un conte peut-il être
l'ange gardien de la société? Certes, chrétiens, si
l'immortalité de l'âme est un conte, avouez du moins
que c'est un conte sublime et salutaire; si c'est une
erreur, avouez qu'elle est si ancienne, si universelle
et si enracinée dans le cœur humain, qu'il y aurait
de la honte à ne pas la partager.
On veut les effrayer, disent-ils ; et, sans doute, s'ils
vivent en épicuriens, sans autre religion que celle
du ventre et des sens, ni d'autres espérances que
celles de l'animal qu'on engraisse !
Vous-mêmes, mes frères, auriez-vous le courage
de laisser sommeiller un homme au bord d'un gouffre'
ou quand une bête féroce s'avance pour le dévorer
craindriez-vous de lui déplaire en le réveillant, et
pour ne pas l'effrayer, le laisseriez-vous périr? Non,
sans doute. Eh bien, celui qui s'étourdit pour ne'
point penser à une autre vie est un malheureux cent
fois plus en péril, et l'humanité vous fait un devoir
de lui crier: prenez garde!... S'il s'en épouvante,
tant mieux ! l'instinct de la conservation lui inspirera
des résolutions fortes, généreuses, et la crainte de
Dieu sera pour lui le commencement de la sagesse.
Mais, pour l'homme vertueux qui vit tranquille
dans le calme et la paix d'une bonne conscience, mes
ou l'on ne doivt pas. 181
frères, pour celui qui n'abuse pas du présent, il ne
redoute pas Fâvenïr, il rappelle au contraire de tous
ses vœux. S'il fit le bien, s'il se soumit à la con
trainte du devoir, le sentiment de son immortalité
soutenait son courage... Allez, croyez bien que sans
la crainte de Dieu et de ses jugements, il eût mené
lui aussi, la vie grand train : il y avait en lui, comme
dans tout homme qui a des passions, l'étoffe d'un
scélérat.
— Très-bien jusque-là, nous dit-on; mais c'est à
tort que vous fondez l'immortalité de l'âme sur sa
spiritualité ; ne lavoit-on pas en quelque sorte éprou-
ver tontes les vicissitudes et les modifications du corps;
végéter avec l'enfance, bouillonner avec la jeunesse,
aspirer au bien-être, au repos dans 1 âge mûr, bais-
ser et défaillir chez les vieillards 1 Notre âme est
donc matérielle comme le corps et doit périr avec
lui.
— A merveille ! leur répondrons nous, mes frères,
en ce cas, plus on sera frais, vigoureux, fortement
constitué, plus on aura de génie : c'eût à la taille, à
l'embonpoint qu'il faudra mesurer la valeur person-
nelle ; nos gros bonnets à poil, nos tambours-ma-
jors seront les plus spirituels des hommes, tous nos
hercules devront avoir un fauteuil à l'Académie?
Allons donc 1 et depuis quand, s'il vous plaît, les facul-
tés mentales d'un homme sont-elles justes en raison
directe de ses facultés physiques? Est-ce qu'un en-
fant, et un enfant de nos jours surtout, sans même
être de la classe des enfants terribles ou des prodiges,
ne désoriente pas souvent son père et sa mère par
182 PETITS SERMONS
son intelligence précoce, son aplomb et ses fines ré-
parties ? Est-ce que le talent ne se cache pas d ordi-
naire sous les dehors les moins apparents, sous une
enveloppe malingre et chétive? La plaisante préten-
tion, que de vouloir peser la matière et la pensée à
la même bascule, de vouloir que le corps le plus
vigoureux rerve toujours d'instrument à l'esprit le
plus fort!
Mon Dieu, mes frères, je conviens sans doute que
l'âme et le corps sont faits l'un pour l'autre, avec
cette différence toutefois que l'esprit est le maître et
la matière l'esclave : qu'avec une nature essentielle-
ment distincte et des facultés diamétralement oppo-
sées, ces deux substances ont l'une sur l'autre une
influence réelle ; j'avoue qu'en vertu de leur union
mystérieuse, il • Me entre elles une correspondance
si intime que, quand lune éprouve quelque altéra-
tion, l'autre en est naturellement affectée .. Ainsi,
dans les maladies du corps, il est tout simple que
l'âme ressente une certaine langueur comme elle
éprouve de la jouissance quand le corps jouit.
Mais est-ce à dire pour cela que ces deux subs-
tances soient également corporelles, qu'elles soient
une seule et même chose? Non, sans doute : presque
tous nos membres ont avec notre estomac une telle
relation, qu'ils souffrent quand notre estomac souffre,
et que lorsqu'il est rentré dans son état naturel, le
sentiment de son bien-être se communique à tout le
corps. Direz-vous pour cela qu'il n'y ait pas de diffé-
ence entre notre estomac et nos membres, et que
nos membres soient notre estomac?
OU L'ON NE DORT PA3, 183
Que dans l'enfance, noire âme ne soit pas plus que
notre corps dans l'état de développement où elle par-
vient plus tard, cela prouve tout au plus, mes frères,
qu'elle n'a pas acquis toutes les idées que donnent
les sensations et l'expérience, qu'elle n'a pas exercé
son jugement, agrandi ses facultés. De même chez
les vieillards, si, lorsque les organes s'affaiblissent,
l'âme perd aussi de sa vigueur, c'est que les sensa-
tions se sont émoussées comme les organes qui les
transmettaient. Donnez à un centenaire sa verdeur et
ses jambes de quinze ans, et vous le verrez folâtrer
et bondir comme un jeune homme.
D'ailleurs, chrétiens, nous sommes loin d'admettre
que dans le cours de la vie, notre âme éprouve toutes
les modifications du corps : combien d'enfants dé-
biles, malsains, rachitiques, montrent de bonne
heure plus d'esprit, de jugement, de maturité que
les enfants les mieux venus ! Que de vieillards dont
la pénétration, la mémoire, la volonté redoublent
d'énergie à mesure que le corps s'affaiblit et penche
vers la tombe ! Ne voit-on pas souvent des hommes
qui, par sentiment d'honneur, par vertu morale et
surtout par religion, maîtrisent leur tempérament,
triomphent des passions les plus fougueuses et do-
minent les plus violentes inclinations corporelles !
Et pour en venir à un exemple plus familier dont
vous me permettrez de me servir, si l'âme subit né-
cessairement toutes les vicissitudes et les modifica-
tions du corps, d'où vient qu'un borgne, un boiteux,
un muet, un aveugle, un sourd, ont d'ordinaire plus
de malice et d'esprit que les gens les mieux partagés
ÎS4 T3TITS SERMONS
du côté de fe figure? Pourquoi le vice physique est-
il sbuvérit si largement compensé au moral? N'est-il
pas vrai que dans ce système, un aveugle devrait
être sans idées, un sourd sans entendement, un bor-
gne ne voir qu'un côté des questions, un boiteux
raisonner de travers ? Mais nous déraisonnons nous-
même en réfutant ces puérilités. Concluons donc sé-
rieusement, mes frères, que l'esprit est parfaitement
distinct de la matière et qu'ils ont des tendances
o •. que si, en vertu de son union avec le corps,
notre âme semble végéter ici-bas, vient un jour su-
prême où la chrysalide transformée s'élance loin de
l'enveloppe grossière qui fut sa prison et s'envole
vers son Dieu qui l'attend à cette heure solennelle
peur la maudire ou la bénir.
—- Allons donc! nous dit-on enfin, l'immortalité
de l'âme est une brillante rêverie, et la vie future un
fantôme dont la pensée empoisonnerait la vie pré-
sente!
— ■ Eh bien, mes frères, voilà au moins de la fran-
chise et ce raisonnement fait grand honneur à la sa-
gesse, à la prudence et surtout à la vertu de celui
qui ose le répéter. L'immortalité de l'âme une rê-
verie ! Âh ça, faut-il prendre au sérieux cette objec-
tion ou se contenter d'en rire ? En rire ! oh ! oui sans
doute, si le sujet pouvait devenir frivole; mais de
trop grands intérêts sont en jeu : se sente qui vou-
dra, chrétiens, le courage de rire quand l'univers a
tremblé.
— La vie future un rêve i Mais ce rêve... il a épou-
vanté Luther 1 J.-J. Rousseau n'y songeait qu'en
OU L'ON NE DOftT PAS. 135
frissonnant, et Voltaire qui avait un sarcasme pour
tout ce qu'il y a de plus sacré, Voltaire qui persi-
flait Dieu, n'a pas toujours ri de son sort à venir.
S'il joua sept ou huit fois, dans sa trop longue car-
rière, la triste comédie que tout le monde connaît.
cette comédie s'assombrit à son heure dernière, et le
dénouement fut horriblement tragique !
Non, la vie future n'est pas un rêve, mes frères ; il
y a trop longtemps que ce rêve dure, trop de gens
le partagent, trop de passions sont Intéressées à le
voir finir... Il faut donc que ce rêve soit la réalité.
Oh ! que le souvenir de l'autre vie empoisonne les
jouissances de la vie actuelle, quand ces jouissances
sont de celles que la conscience réprouve ; que l'on
tremble à la pensée de son immortalité, lorsqu'on a
vécu sans Dieu et sans religion, je le conçois; mais
c'est une assez mince considération pour le Créateur,
qui a voulu que ce qui épouvante les uns rassure et
console les autres : il ne changera probablement
rien à son plan divin, ni à l'ordre de sa Providence
pour rassurer le méchant contre la voix salutaire du
remords. On a beau souhaiter le néant, mes frères,
le néant est une absurdité; Dieu lui-même, enten-
dez-le bien, Dieu lui-même ne saurait en faire à
l'impie un asile contre sa justice. Tremblez ou ne
tremblez pas, vous ne changerez rien à l'essence des
choses ; et, pour que le crime soit sans terreurs, Dieu
ne laissera pas le malheur sans adoucissement et la
vertu sans espérance.
Il faut donc que tout le monde en prenne son
parti, mes frères, notre âme est immortelle, et la
*86 PETITS SERMONS
mort le vestibule (Tune seconde vie... Cette vie, je
le répète, on ne la détruit pas pour en chasser le
souvenir, mais il est un moyen d'y songer sans
alarmes, d'en invoquer même la pensée avec amour ;
et ce moyen, la religion l'indique : c'est de s'y pré-
parer par l'horreur du vice et la pratique de la
vertu.
Oh ! écrions-nous donc, chrétiens, dans les trans-
ports et avec la noble assurance du juste de l'Écri-
ture : « Je sais que mon Rédempteur est vivant et
« que la terre n'arrêtera point mon âme ! Je sais que
« je ne mourrai pas sans retour, que je reviendrai
» à la vie et que mes yeux, ces yeux de chair et de
« sang, contempleront mcn Dieu ! » Heureuse espé-
rance ! douce messagère de paix, je te bénis, car tu
me viens du ciel pour consoler ma misère en m'an-
nonçant une éternelle félicité ! — Que celui-là tremble
qui se sent fait pour haïr son Dieu, parce qu il
s'est habitué de bonne heure à le braver, à le mau-
dire, qu'il souhaite le sort de la brute, celui-hà, qu'il
appelle le néant, car il vaudrait infiniment mieux
pour lui qu'il ne fût jamais né !
Pour nous, Seigneur, oh ! vous chanter, vous bé-
nir, vous posséder à jamais, voilà l'unique vœu,
l'ardente aspiration de toute notre vie ; aussi notre
attente est heureuse, pleine d'une sainte joie et vous
la bénirez, et vous la couronnerez en souriant à notre
âme quand elle montera vers vous dans notre der-
nier soupir ! dm en*
ou l'on ne dort pas. 187
VINGTIÈME SERMON
RELIGION. — SA NÉCESSITÉ PAU RAPPORT A DIEU.
Dominum Dsum tuum adorabis, et illi
soit servies.
Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et ne
serviras que lui seul. (Math, iv, 10,1.
Mes frères, il y a un Dieu créateur, nous avons
une âme immortelle : nier ces deux vérités capitales,
élémentaires ou seulement les révoquer en doute,
c'est nier, c'est contester l'évidence et vouloir passer
pour un malhonnête homme : examinons mainte-
nant quelles conséquences découlent pour nous de
ce double principe.
Puisque Dieu existe, que le monde est son ouvrage
et que nous sommes ses créatures intelligentes et
raisonnables, il y a donc entre lui et nous des rela-
tions intimes, imprescriptibles, sacrées : les relations
de l'œuvre à son auteur, du roi à son sujet, du père
à son enfant ; nous sommes donc liés à notre Dieu
par un ensemble de devoirs que Ton ne saurait mé-
connaître sans nier ou mettre en doute l'existence
de Dieu.
Ce n'est point assez dire, mes frères, il serait moins
criminel peut-être de nier Dieu que de nier la né-
cessité d'une religion. Celui qui nie Dieu ou seule-
ment doute de son existence, devant tant de preuves
qui l'établissent, peut n'être regardé que comme un
extravagant; mais admettre l'existence de Dieu et
nier la nécessité d'une religion, c'est trahir un na-
188 PETITS SERMONS
turel pervers et afficher une ingratitude sans nom.
Aussi l'athéisme lui-même convient que, s'il y
avait réellement un Dieu, une religion serait néces-
saire.
« S'il existe un Dieu », dit l'auteur du Système de
la nature, — un livre qui a fait beaucoup d'incré-
dules, — « s'il existe un Dieu, pourquoi ne lui ren-
« drions-nous pas un culte? »»
Et, en effet, mes frères, quel est l'homme qui, à
l'aspect de ce vaste univers, de ce beau ciel que la
main de Dieu a, comme en se jouant, déroulé devant
nos yeux comme un spiendide pavillon, au souvenir
des bienfaits dont l'a comblé sa munificence infinie»
tout pénétré de sa grandeur, de sa puissance, de
sa sagesse et de sa bonté, ne s'est pas prosterné mal-
gré lui pour l'adorer, le bénir et lui exprimer son
amoureuse gratitude ?
S'il est le Tout-Puissant, l'InGni, notre souverain,
fci nous sommes sous sa dépendance absolue, il a
donc droit à notre obéissance, à nos hommages et
lui-même, tout Dieu qu'il est, il ne saurait détruire
cette relation première et les devoirs qu'elle nous
impose sans introduire le désordre dans son ouvrage.
S'il est notre Créateur, notre bienfaiteur, notre
Père, si chaque moment de notre vie est une faveur
nouvelle, il a donc des droits infinis à notre amour
et à notre reconnaissance, et ces droits sacrés, il ne
peut, le voulût -il, y renoncer, la justice éternelle s'y
oppose.
D'un autre côté, mes frères, nous avons été créés
pour Dieu. Car un Dieu souverainement sage n'a pu,
ou l'on ne doî\t pas. 180
en nous créant, se proposer d'autre fin que luï-mê
nous devons donc tout rapporter à lui, tout employer
à sa gloire, notre intelligence à le connaître, notre
volonté aie chérir, notre liberté à exécuter ses ordres
et ses lois... Ainsi adoration, reconnaissance, amour,
ardente prière, voilà la religion et l'ensemble des
devoirs que nous avons à rendre au Créateur, Et ce
culte et ces devoirs sont si rigoureux, je le répète,
que Dieu lui-même ne pourrait nous en dispenser
sans se détruire, car ils sont fondés sur Tordre et la
justice. « La piété, disait le plus grand des orateurs
païens, c'est la justice envers Dieu : Estautempietas
justitia adversum Deos. »
Et si nous voulions ici, mes frères, pousser plus
loin le développement de cette pensée, il nous serait
facile d'apercevoir la raison fondamentale de nos
devoirs envers Dieu,
A n'en juger que par les apparences, Dieu, dans la
création, n'aurait eu d'autre fin que l'homme ; tout
semble fait pour lui : le ciel pour l'éclairer, la terre
pour le nourrir, les saisons pour embellir sa demeure,
les animaux pour être ses esclaves ; il a visiblement
Été constitué roi de la nature.
Mais si nous considérons que l'homme ne se ter-
mine pas à la terre, qu'il a une âme immortelle ; si
Von réfléchit à sa sublime destinée qui l'appelle à
revenir à Dieu, son principe et sa fin suprême, on
entrevoit alors l'enchaînement et l'économie du plan
du Créateur, et, ce qui pouvait paraître presque une
anomalie, devient au contraire le chef-d'œuvre de la
souveraine sagesse.
19Ô PETITS SERMONS
— Dieu a tout fait pour l'homme sans doute ; mais
en lui donnant l'immense domaine de la création, il
s'en est réservé l'hommage ; il a voulu, par l'organe
de l'homme, être mis en communication avec son
œuvre ; en sorte que cette création muette, insen-
sible, se termine à l'homme et que l'homme, la seule
créature intelligente et raisonnable sur la terre, se
termine à Dieu.
L'homme est donc comme le premier anneau de
cette longue chaîne des êtres qui descend du ciel à
la terre, et qu'il unit au Créateur, en lui transmettant
l'hommage de toute la création. Ainsi est atteint le
but de la sagesse éternelle, ainsi s'explique ce grand
ouvrage : l'univers, pour l'homme et l'homme pour
Dieu ; uni à Dieu, communiquant sans cesse avec
Dieu, Phomme donne au monde un sens qu'il n'avait
pas avant lui.
Et voilà pourquoi, mes frères, par ses rapports
continuels avec son créateur, le roi de la nature doit
entretenir et perpétuer en sa personne l'union et
l'harmonie entre Dieu et son ouvrage : il n'a même
été établi roi qu'à la condition de remplir de cette
manière ses devoirs de créature intelligente et libre ;
c'est son sacerdoce à lui ; autrement le Seigneur, en
créant l'homme, aurait produit un être inexplicable
et sans signification.
Il faut donc que l'homme reste uni à son Dieu et
n'interrompe jamais entre l'univers et son auteur
en Cessant de communiquer avec lui, cette admi
rable chaîne de mystérieux rapports qui doivent
durer autant que le monde, autant que l'humanité,
OU I/Oo && DORT PAS. 191
c'est-à-dire à jamais ; un bienfait qui se perpétue, une
création de tous les instants mérite un amour, une
reconnaissance éternelle.
Et cet hommage du cœur, ce culte inférieur que
la créature raisonnable doit à son Dieu, ce sacrifice
généreux de toutes les facultés de notre âme, il doit
se traduire au dehors par des témoignages éclatants,
car Dieu a droit à l'hommage de tout ce qu'il nous a
donné : de notre corps, de nos sens, comme à celui
de notre âme et de notre cœur ; si Dieu, qui est
l'Esprit, l'Intelligence suprême, veut être servi en
esprit et en vérité, l'homme, cette intelligence sur la-
quelle les sens ont tant d'empire, ne saurait long-
temps conserver une dévotion purement sentimentale,
qui, privée de tonte marque extérieure et sensible
qui l'alimente, finirait par s'évanouir en un pur idéa-
lisme sans expression et sans but.
La raison en est bien simple, mes frères. De même
que la dévotion extérieure ne serait qu'hypocrisie ou
tout au moins comédie et grimace sans la dévotion
du cœur, ainsi la dévotion purement sentimen-
tale, ce prétendu culte de la pensée, se réduirait
à quelques idées métaphysiques sur la divinité qui
ne régleraient ni les affections ni la conduite. On doit
prendre l'homme tel qu'il est et non tel que l'ont
rêvé quelques utopistes qui For* transporté dans les
nuages. Notie esprit est si faible, notre imagination
si mobile, notre cœur si prompt à s'égarer, que nous
perdrions bientôt, avec toute idée religieuse, le sou-
venir de Dieu lui-même, sans les pratiques d'un
culte extérieur qui fixe notre inconstance, éveille
i'2
102
PETITS SERMONS
notre attention et nourrisse dans notre âme de pieux
sentiments.
D'ailleurs, chrétiens, vivant en société avec nos
semblables, unis par les liens de la même religion,
ne leur devons-nous pas, avec le bon exemple, cette
preuve extérieure que nous sommes en communica-
tion avec nos frères comme nous sommes en com-
munication avec Dieu ?
Et voilà pourquoi l'homme doit aussi à Dieu un
culte public, c'est-à-dire le culte intérieur et le culte
extérieur rendu par la famille, par la tribu, la na-
tion, la société tout entière: Dieu est l'auteur le
bienfaiteur et le maître du genre humain, qui n'est
qu'une grande famille dont il est le père.
C'est même ce culte public qui forme la religion
proprement dite, mes frères, et qui consiste princi-
palement dans les sacrifices, les cérémonies, les
chants, les prières, les fêtes solennelles, sans les-
quelles toute religion disparaîtrait de la société,
comme la pensée de Dieu s'évanouirait dans l'esprit
de chacun d'entre nous sans le culte extérieur qui
l'alimente.
— Mais, dira~t-on, quel besoin Dieu a-t-il de nos
hommages ? Heureux de se contempler dans l'ineffable
rayonnement de son essence infinie, il se suffit à
lui-même et ne sera ni plus glorieux de nos louanges,
ni plus riche de nos dons ,• toutes nos prières ne sau-
raient ajoutera sa grandeur ni les blasphèmes de
l'impie troubler son éternelle félicité.
— Non sans doute, chrétiens, Dieu n'a pas plus
besoin de nos hommages qu'il n'avait besoin de
OU L'ON NE DOilT Pà3. 103
nous créer ; mais s'il peut se passer de &$* prières, il
ne saurait, encore une fois, détruire les rapports sa.
crés qui nous attachent à lui, et nous dispenser des
devoirs que nous imposent la reconnaissance et la
justice... Dieu n'a pas besoin de nos hommages,
mais nous avons besoin, nous, de les lui rendre, pour
mériter de nouvelles faveurs ; nous en avons besoin
pour ne pas nous rendre indignes des premières et
conserver le noble caractère d'enfants de Dieu...
Nous en avons besoin, en un mot, pour n'être pas
les seules créatures insensibles aux bienfaits du
Créateur, les seules qui lui refusent le juste tribut de
louanges que le ciel et la terre font tous les jours
monter vers le trône de l'Éternel !
Or ce devoir sacré, ce culte est une dette de jus-
tice et d'honneur que nous avons tous à payer au
Créateur, et cela sous peine, je ne dis pas encore de
s'exposer aux châtiments éternels qui attendent
l'impie, mais d'être la honte et l'exécration de toute
la nature.
Et ne vous y trompez pas, mes frères, cet hom-
mage sacré de l'homme à son Dieu, ce n'est pas tou-
jours impunément qu'on le lui refuse ; on peut faire
le brave durant la vie, tandis qu'une bouillante
jeunesse, une santé prospère vous montrent un
avenir toujours riant et serein ; mais vient un jour
suprême où la froide raison reprend ses droits, une
heure solennelle où les passions n'étouffent plus le
cri de ]a conscience alarmée. — On se sent chrétien
alors, on sent qu'il y a un Dieu, qu'il est une reli-
gion, et l'avenir vous apparaît gros de tempêtes,
194 PKTixs scnisoxs
menaçant comme la vague qui va vous engloutir...
Il est difficile de se rappeler sans terreur les der-
niers moments de la plupart des impies du dernier
siècle : on dirait que la Providence a pris à tâche dcf
les mettre comme sous le pressoir, pour leur arra-
cher une amende honorable et leur faire rétracter
avec éclat, dans les contorsions d'une agonie déses-
pérée, les sarcasmes et les blasphèmes qu'ils avaient
vomis contre la religion et contre Dieu.
Un des plus ardents révolutionnaires qu'ait en-
fantés la Terreur, Collot d'Herbois, 1 'âme damnée de
Robespierre, en est un exemple frappant. Il fut,
comme on le sait, le principal auteur des massacres
de Lyon, ou il n'épargna pas plus les autels que les
aristocrates, les religieuses et les prêtres.
Envoyé en 93 dans cette ville infortunée, il y fît
périr plus de seize cents victimes par la guillotine, la
fusillade et la mitraille. Pourtant, mes frères, tant
de forfaits devaient avoir un terme. Le peuple, indi-
gné contre ce monstre, allait se soulever, quand la
Convention le fit arrêter et le déporta dans l'île de
Cayenne.
Il y fut suivi de l'horreur qu'inspirait son passé.
En butte à la haine des blancs et au mépris des
noirs qui singeaient devant lui des pièces de théâtre
et lui rappelaient son ancienne profession de comé-
dien ambulant, il entrait en fureur lorsqu'ils l'appe-
laient en ricanant bourreau de la religion et des
hommes.
— Ah ! s'écriait-il avec désespoir, je suis bien puni !
l'abandon où je me vois réduit est un enfer !
ou l'on ne dort pas. 195
Bientôt une fièvre inflammatoire le saisit : ses dents
se mirent à claquer, tout son corps à frissonner, et
son sang à bouillonner dans ses veines. Alors on
l'entendit appeler Dieu à son secours.
— Comment, lui dit un soldat qu'il avait souvent,
depuis son exil, essayé de gagner à l'athéisme, est-ce
que vous croyez en Dieu maintenant 1 Vous m'avez
pourtant dit bien des fois que Dieu n'est qu'un fan-
tôme, un épouvantail, une superstition ridicule, et la
religion une soflise !
— Ah ! mon ami, répond le malade avec un pro-
fond soupir, j'étais fou, j'étais un misérable et ma
bouche mentait à mon cœur.
Après quelques instants d'un silence terrible, il
reprenait en se tordant les bras de désespoir :
— Mon Dieu, mon Dieu ! Dieu que j'ai tant blas-
phémé, tant haï, puis-je espérer le pardon de mes
crimes ? Oh ! envoyez-moi donc un consolateur ! un
de ces prêtres que j'assassinais et qui me pardon-
naient en tombant sous la hache ! Envoyez-moi quel-
qu'un qui détourne mes yeux de ces flammes ardentes
qui m'environnent I... Mon Dieu, mon Dieu' donnez-
moi la paix !
Puis il ajoutait, dans les transports du délire, en
grinçant les dents de désespoir : La paix !... oh ! mal-
heur, malheur !... la paix... il n'en est pas pour V im-
pie !
Les derniers moments de Collot d'Herbois furent
si épouvantables qu'on dut le transporter dans une
chambre éloignée, car ses hurlements faisaient fré-
mir le voisinage. Le prêtre qu'il appelait à grands
12,
m
cris, quand il sg
le trouva
poings ci '
bouche hideuseï
d'écume et de se
Par un
jet de l'exécratic
nt ouverts, ses
te ciel : de sa
contournée, sortaient des flots
it du ciel, ce misérable, ob-
ne put recevoir les hon-
neurs de la se?; > ne voulurent l'en-.
wdM*à » son cadavre devint
la proie des vautour
Que vos
que votre
dément, même ici-
arracher à la mort
3 (I nrant la vie
ce double m
nous qui serve i
d'un
foi, une foi
nous vous
devoirs sacrés que
s que nous soyons
tablés, Seigneur!
antit quelquefois iour-
hants, pour leur
r;es qu'ils vous ont re-
itié, préservez-nous de
y eu ait aucun parmi
autres ! pénétrez-nous
donnez-nous la
le et faites que
mr, avec bonheur, les
nous impose;
vous adorer, à
vous servir, à vous prier dans Je temps, que nous
méritions de vous chanter et de vous bénir dans
l'éternité! Amen,
OU L'ON NE DORT PAS, 107
VINGT-UNIÈME SERMON
UKMG10N. — SA NÉCESSITÉ POUR L'HOMME.
Non estpax impiis, dicil Dominus,
Point de paix pour l'impia, dit le Seigneur.
(Is. xlvhi.)
Mes frères, c'était en 1829, deux hommes célè-
bres, tous deux membres de la Chambre des dépu-
tés, et, disons-le aussi, tous les deux un peu philo-
sophes, causaient un soir de fort près ; la conversation
roulait sur un sujet des plus intimes, sur des affaires
de famille.
A la fin l'un des deux s'écria en poussant un pro-
fond soupir : — Dieu, que je suis malheureux ! que
je suis à plaindre de ne croire à rien, âe ne pas avoir
de religion 1 ah ! si j avais des enfants, je me garde-
rais bien de leur donner l'éducation voltairienne que
m'a fait donner mon père ! je les mettrais, bien eûrt
dans un collège de jésuites : ils y seraient élevé*
chrétiennement ; car je vois aujourd'hui que sans re-
ligion, il n'y a point de bonheur ici-bas I
— Oh ! vraiment, lui répond son ami en lui ten-
dant la main avec tristesse, que c'est singulier ! vous
venez de traduire à la lettre la situation dans laquelle
je me trouve moi-même ! je suis absolument comme
vous, je ne crois à rien, et je vous assure que cela
me fatigue... L'absence de toute foi religieuse est un
vrai supplice pour moi. Oh ! celui qui me donnerait
de pouvoir prier avec la dévotion naïve et recueillie
*98 PETITS SERMONS
d'une bonne villageoise, quel vide immense il com-
blerait dans mon cœur 1
! L'un de ces deux hommes était Benjamin Constant:
nous nous abstenons de nommer l'autre, parce qu'il
est encore plein de vie.
Oui, mes frères, il faut à l'homme un Dieu, une
religion non-seulement pour se comprendre, se défi-
nir et s'expliquer à soi-même le mystère de son ori-
gine et de ses destinées, comme nous le disions en
commençant ces entretiens, mais encore pour rem-
plir le vide de son âme ; sa nature et ses besoins lui
font de la religion une nécessité de tous les jours, de
toutes les heures et de tous les instants.
Et d'abord nous avons besoin de religion parce
que nous sommes faibles pour le bien et d une ter-
rible puissance pour le mal ; parce que nous sen-
tons au fond de notre être des instincts pervers qui
se dressent comme autant de serpents, qu'il faut
écraser à mesure qu'ils lèvent la tête, si l'on ne veut
en être dévoré : ce sont les passions et les tyranni-
ques exigences de la nature corrompue, qui domine
en nous depuis la chute originelle.
Mes frères, descendez au fond de votre âme : esf-ce
que vous n'y trouvez pas deux hommes en lutte per-
pétuelle, dont l'un, comme un ange du ciel, veut
le bien, vous l'inspire et vous en montre la beauté,
la douceur, les charmes ineffables, tandis que l'au-
tre, avec la persistance et l'acharnement d'un mau-
vais génie, vous sollicite au mal : et, pour vous dé-
goûter de la vertu, vous peint le vice plus aimable,
plus enivrant, plus flatteur, et finit presque toujours
ou l'on ne dout pas. U'3
par triompher du bon ange et des généreuses résolu-
tions qu'il vous avait inspirées 1
Il vous faut donc une défense contre cet ennemi
perfide, un secours puissant pour résister à ses fata-
les suggestions, une arme enfin pour le terrasser à
vos pieds.
Or, cette arme, cette défense, ce secours surnatu-
rel, d'où vous viendront-ils ? delà terre? mais tout y
est orgueil, volupté, froid égoïsme: tout y conspire
votre ruine et vous n'y pouvez faire un pas sans
rencontrer un écueii I — de vous-même ? mais vous
portez au fond de votre cœur, dans une complicité
coupable avec vos ennemis, le gage et l'assurance de
votre défaite !
C'est donc vers les hauteurs que vous devez tour-
ner les yeux dans ces moments critiques, des hau-
teurs que vous descendront l'espérance et le salut :
c'est au ciel que vous devez chercher un asile contre
la chair et le sang, dans le sein de Dieu que vous
puiserez l'amour du devoir et le courage de la vertu...
il faut donc de temps en temps lever les yeux vers
celui qui est votre soutien, votre espoir, vers le Dieu
qui inspire le bien et donne la force de le faire.
Si nous avons un si pressant besoin de religion
pour pratiquer la vertu, elle ne nous est pas moins
nécessaire pour supporter les misères de la vie.
Qui que nous soyons, mes frères, à quelque degré
de l'échelle sociale que le ciel nous ait fait naître,
nous avons tous bien des peines à endurer, bien des
jours à rayer du nombre de nos beaux jours, bien
des chagrins qui nous font de l'existence un fardeau.
200 swrs sEïtMOîis
Ce serait un curieux calcul à faire, que de mettre
dans une même balance nos plaisirs et nos peines,
nos larmes de joie et nos larmes de douleur... quelle
triste révélation de nos infortunes, ah ! je ne crains
pas de le dire, tel qui nous paraît le plus riche, le
plus honoré, le plus heureux des hommes, nous ferait
pitié si nous pouvions lire dans son cœur.
Et d'abord , sur douze cents millions d'habi-
tants qui couvrent le globe, plus de 3a moitié se de-
mandent la veille : Qui nous donnera le pain de
sain?
Ceux-là, mes frères, n'ont que la faim à endurer
et nous les appelons malheureux : croyez-vous qu'il
n'y ait pas d'autres souffrances sur la terre, et que la
somme des tortures. physiques égale celle des tortu-
res morales qui nous sont cachées et que la pauvre
humanité dévore sans se plaindre! Oui, je le répète,
chez ceux-là mêmes dont îe sort nous fait îe plus
d'envie, nous trouverions souvent de terribles mys-
tères de désolation et de désespoir !
Or celui qui a faim, un morceau de pain le con-
tente et le console : s'il souffre, il se résigne en je-
tant un regard sur la croix : mais le riche impie et
malheureux, qui îe soutiendra? qui îe consolera? sur
quel horizon jettera- 1 il les yeux pour y chercher
l'étoile bénie de l'espérance H...
Oh ! l'athéisme peut être une douce chose, mes
frères, il peut être un oreiller tort commode, pour y
dormir en paix lorsque tout nous sourit, santé, jeu-
nesse, fortune, honneurs, plaisirs ; mais vienne une
maladie, un chagrin, un malheur subit et l'on verra
ou l'on ne dort pas, 201
tomber ce grand courage, et le suicide viendra le
plus souvent terminer une vie de pi
Ah I c'est que La douleur est d'ordinaire une leçon,
une épreuve que Dieu nous ménage dans sa miséri-
corde : et lorsqu'on la reçoit le murmure sur les lè-
vres, cette douleur salutaire, lorsqu'on blasphème la
main céleste qui nous l'envoie, Dieu nous refuse le
baume qui radoucit.., Dieu seul est le maître de l'ad-
versité comme de la fortune, et si nous succombons
sous le fardeau, c'est pour n'avoir pas imploré son
assistance, ne fût ce que par une prière, un regard
vers le ciel !.. Oui, un regard, un soupir du cœur,
mes fi ères, vous eût obtenu, sinon le baume qui
console et guérit, au moins la résignation qui calme,
la paix qui fortifie, l'espérance qui encourage.
Air î si on savait tout ce qu'une prière, une pensée
religieuse renferme de trésors d'espérance et de pure
félicité I
« Quand vous ave^ prié », disait un homme de gé-
nie qui a bien tristement fini sa carrière, « ne sentez-
« vous pas votre cœur plus léger et votre âme plus
« contente ? La prière rend l'adiction moins doulou-
« reuse et la joie plus pure : elle môle à l'une je ne
« sais quoi de fortifiant et de. doux, et à l'autre un
»< parfum céleste.
« Que faites-vous sur la terre, et n'avez-vous rien
« à demander à celui qui vous y a
« Vous êtes un voyageur qui cherche la patrie : il
« faut lever les yeux pour reconnaître sa route. Vo-
« tre patrie, c'e^t le ciel : et quand vous regardez le
« ciel, est-ce que, dans votre âme, il ne se remue
202 PETITS SERMONS
« rien? est-ce que nul désir ne vous presse, ou ce
« désir est-il muet ?
a Quand les animaux souffrent, quand ils crai-
« gnent ou quand ils ont faim, ils jettent des cris
« plaintifs : ces cris sont la prière qu'ils adressent à
« Dieu, et Dieu l'écoute,
« L'homme serait-il donc dans la création le seul
« être dont la voix ne dût jamais monter à l'oreille
« du créateur?
« Il passe quelquefois sur les campagnes un vent
« qui dessèche les plantes ; et alors on voit leurs ti-
« ges flétries pencher vers la terre: mais humec-
a tées par la rosée, elles reprennent leur fraîcheur
« et relèvent leurs têtes languissantes.
« Il y a toujours des vents brûlants qui passent sur
« l'âme de l'homme et la dessèchent : la prière est
« la rosée qui la rafraîchit *. »
— Nécessaire pour l'individu, mes frères, la reli-
gion ne l'est pas moins pour la société.
Vous le savez, mes frères, la religion est un lien
salutaire qui nous unit à nos semblables en nous
unissant à Dieu. Otez ce lien, la société se dissout.
— Il serait plus facile, a dit un moraliste païen, de
concevoir une ville bâtie en Tair qu'une société sans
religion; et Cicéron ajoute qu'attaquer la religion,
c'est saper les bases de toute société humaine.
Sans religion, en effet, plus de lois : Dieu seul
leur donne un caractère auguste, une sanction suffi-
santé ; même dans l'antiquité païenne, le légiiia*
1 Lamennais.
ou l'on ne dort pas. 503
teur, pour les rendre plus vénérables, les disait des-
cendues du Ciel.
Sans religion plus de rois qui ne fussent tyrans ;
le caprice, l'intérêt, les passions seraient leur unique
frein et la raison d'État devant laquelle tout devrait
plier. — Ouvrez l'histoire ; les plus cruels despotes
. ont généralement été des hypocrites et des impies.
Néron, ce monstre de férocité qui fît périr sa mère,
sa femme, son gouverneur, son précepteur et qui
brûla sa patrie, méprisait assez les dieux pour souiller
leurs statues de ses ordures. — Caligula, qui étouffa
son père mourant et souhaitait que l'iimpire romain
n'eût qu'une tête pour l'abattre d'un coup, se fît
rendre les honneurs divins et investit son cheval de
la dignité consulaire et sacerdotale.
Sans religion, plus de sujets qui ne fussent re~
belles; et ce serait justice, mes frères! car enfin
l'obéissance, en dehors de toute idée religieuse, et s
la croyance à la divinité ne l'ennoblit, serait un in-
digne et honteux esclavage. L'homme n'a, par lui-
même, rien à commander à l'homme ; il est son égai
de par les langes qui nous ont tous enveloppés au
berceau, de par le suaire qui, dans la tombe, enve-
loppe le roi comme son sujet ; et, sans la crainte de
Dieu, il serait insensé, l'esclave qui ne saisirait pas
la première occasion de s'affranchir, fallût-il pour
cela se jeter sur son maître !
Sans religion, plus de vertu sur la terre. La vertu
souffre violence, vous le savez, chrétiens, elle exige
des sacrifices continuels. Or Dieu seul les connaît et
les couronne,
13.
ÏOÏ PETITS SERMONS
r uîs religion, plus de probité, plus de justice : où
en serait le motif 1 La raison du plus fort serait l'uni-
que loi sociale, ou plutôt, il n'y aurait plus de so-
ciété : si quelques loups à face humaine venaient à
s'assembler sans Dieu, sans culte, sans religion, le
lendemain, sous le plus vain prétexte, ils s'entre-
dé voreraient.
r — Le plus grand service que j'ai rendu à la
« France, disait l'illustre exilé de Sainte Hélène,
« c'est d'y rétablir la religion catholique. Sans la
« religion, où en seraient les hommes ? Us s'éger-
« géraient pour la plus belle femme ou la plus
« grosse poire ! »
Un philosophe appelle la religion « le foyer de
« toutes les vertus, la philosophie de tous les âges,
c< la base des mœurs publiques, Je ressort le pljs
it puissant qui soit dans la main du législateur : plus
« fort que l'intérêt, plus universel que l'honneur,
« plus actif que l'amour de la patrie, le garant le
« plus sûr que les rois puissent avoir de la fidélité
g de leurs peuples, et les peuples de la justice de
« leurs rois : la consolation des malheureux, le
n pacte de Dieu avec les hommes, et, pour employer
« une image d'Homère, la chaîne d'or qui suspend la
* ferre au trône de V Eternel. »
Eh bien, mes frères, n'avions-nous pas raison ds
dire que celui qui vit sans religion fr
teur dans son attente, et que n'avoir pas de religion
c'est être, en un sens, aussi coupable que si l'on re-
plongeait dans le chaos l'œuvre du Tout-Puissant?
N'avions-nous pas raison de dire qu une société sans
OU L'OxN NE DOItT PAS. 505
religion, si elle était poss;ble, ne serait pas moins
monstrueuse que l'Univers sans Dieu ?
Oh ! qu'on ne répète donc plus : la religion est d'in-
vention humaine ! Elle est née avec le premier
homme ; en nous donnant une âme immortelle en
nous faisant à son image, le Créateur a voulu qu'à
ce nom céleste une fibre intime se remuât dans notro
cœur ; son souffle divin a établi entre lui et nous des
rapports mystérieux, d'ineffables communications ;
il a voulu que l'homme, ce chef-d'œuvre sublime
qui couronne son ouvrage, lui transmît dans sa prière
l'encens et les hommages de toute la nature ; voilà
pourquoi il a fait de la religion une loi de notre être,
une condition essentielle de notre existence et de
notre conservation.
Oui, Seigneur, nous comprenons aujourd'hui la
raison de cette terrible sentence de l'Esprit Saint :
Il n'y a point de paix pour l'impie : non est pax vm*
plis, dicit Dominas ; nous comprenons pourquoi,
sans religion, le bonheur est impossible, même sur
la terre, et puissions-nous ne jamais l'oublier î Puis-
sions-nous nous estimer heureux de la sentir si près de
nous cette fille du Ciel, et de marcher à l'ombre de son
aîîe protectrice! Nous voulons toujours vénérer, tou-
jours chérir ce mystérieux compagnon de notre pè-
lerinage aGn que sa voix amie nous soutienne dans le
péril, nous anime au fort du combat et nous con-
sole dans le malheur, en attendant que sa main
nous ouvre les portes de 1 éternelle Jérusalem ! Ainsi-
soit-il!
208 PETITS SEIÎMON9
VINGT-DEUXIÈME SERMON
RELIGION. — TOUTES LES RELIGIONS SONT ELLES BONNES ?
Servite Domino in veritate.
Servez le Seigneur selon la vérilè. (Tob. nv, 10.)
Mes frères, lorsqu'on examine la multitude éton-
nante des religions qui ont tour à tour régné sur le
globe, depuis le culte des astres et des plantes, jus-
qu'aux ridicules pratiques des Fakirs, des Taiapoins
et des Bonzes ; quand on voit le genre humain em-
brasser de la meilleure foi du monde les dogmes les
plus bizarres et les plus absurdes, les croyances les
plus contradictoires et se livrer avec une aveugle
frénésie aux plus barbares superstitions, on est tenté
de se demander si Dieu n'a pas abandonné son œuvre,
puisqu'il semble écouter avec une égale indifiérence
et nos blasphèmes et nos prières.
Il est impossible de lire, dans les annales religieu-
ses des peuples, le relevé des égarements de l'esprit
humain, sans prendre en pitié cette pauvre raison
de l'homme, si impuissante pour le bien par elle-
même et d'une si fatale énergie pour le mal Je défie
le plus optimiste, l'homme le plus lier, le plus vain de
ses talents, de sa science et de sa philosophie, je le
défie de parcourir un instant, sans se sentir profon-
dément humilié, l'histoire de l'idolâtrie ancienne et
moderne : s'il veut être de bonne foi, il bénira comme
nous l'astre radieux de la révélation qui a dissipé
ou l'on ne dort pas. 207
ces ténèbres, et s'empressera de saisir la mnin amie
qu'un guide céleste est venu nous tendre au milieu de
cet inextricable labyrinthe où tant de générations se
sont égarées.
Avant d'examiner si, parmi tant de cultes divers
qui régnent sur la terre, il en existe un de certain,
et s'il est permis à un homme raisonnable de rester
indifférent entre l'erreur et la vérité, constatons d'a-
bord un fait précieux, capital, qui va nous servir
d'une manière admirable à discerner la vraie reli-
gion : c'est que le sentiment religieux fut de tout
temps comme répandu dans l'atmosphère où l'homme,
dès son origine, Ta respiré à pleins poumons:
c'est que la croyance à la divinité fut sa préoccupa-
tion constante, et la religion le premier besoin de
l'humanité.
« Au travers de toutes les altérations que l'égare-
« ment de l'esprit humain lui a fait subir, dit un sa-
u vant écrivain, l'hommage à la divinité a toujours et
« partout l'ait le fond de notre nature. La première
« pierre de toute société a été un autel : et quand
« cette pierre a été renversée, toute !-ociéié l'a été
« aussi. 11 n'a jamais été donné à l'homme de se
« conserver sans cet élément indélébile et primordial
« de son espèce. Ce n'est pus seulement l'homme
a civilisé, mais l'homme perdu aux derniers confins
« de la vie sociale, l'homme sauvage, l'homme
« enfin, par cela seul qu'il est homme, qui a toujours
« porté dans son sein ce feu du ciel. Souvent il n'a
« eu que cela de la nature humaine, mais il a
* toujours eu cela : c'est l'instinct le ulus profond,
203 Î>L?>TS SESSIONS
« le plus radical, le plus universel qui scit en
a lui l. »
Ainsi, mes frères, jusque dans les cultes les plus
étranges, et les plus disparates, jusque dans les
pratiques les plus cruelles et les plus indignes des
divinités qu'on prétendait honorer, le dirai-je?
jusque dans ces infâmes sacrifices offerts sur des
autels plus infâmes encore, la vérité d'un Dieu trouve
des armes contre l'incrédule. Car, bien que tout
fut Dieu, sur la terre, tout, excepté Dieu lui-même,
suivant l'énergique expression de Bossuet, bien que
le genre humain se trompât en faisant la divinité
méchante et corrompue, il possédait néanmoins la
vérité en admettant universellement son existence :
tant il est vrai qu'un Dieu souverainement sage sait
tirer le bien du mal et arracher à l'erreur, en faveur
de la vérité, le plus éloquent, le plus irrécusable
témoignage.
Or, mes frères, de même que la diversité des
croyances prouve un dogme réel, la multiplicité des
faussés religions en atteste une de véritable : Le
mensonge est toujours fondé sur quelque vérité dont
on abuse, dit encore excellemment Bossuet ; toutes ces
religions absu des, dégradantes, abominables, corn»
ment se seraient-elles accréditées parmi les hommes,
s'ils n'avaient été convaincus qu'il en existe une
de vraie et si chaque peuple n'avait cru que la sienne
était la bonne? Un consentement si général et si
universel à rendre un cuite à la divinité est donc
1 A. Nicolas. — Éludes pJtil. sur le Christ.
ou l'on ne dort pas. 209
fondé sur le cri de la nature, et le même argument qui
prouve l'existence de Dieu établit aussi qu'il y a une
manière certaine de l'honorer.
Il existe donc une vraie religion, une religion
conforme aux lumières de la raison naturelle et dont
toutes les autres ne sont que l'image et l'ombre, ou,
pour mieux dire, la parodie : on ne fabrique de fausses
pièces de monnaie que parce qu'il en existe de bon-
nes, et dans l'espoir de les confondre ; toute imitation
suppose un modèle, et l'erreur n'est autre chose que
l'absence de la vérité.
Et maintenant, chrétiens, quelle doit être la con-
duite d'un homme sensé, d'un homme raisonnable en
face de tant de religions opposées, dont Tune blas-
phème ce que l'autre adore ; peut-on rester indifférent
et dire avec les petits philosophes de nos jours : Bah !
toutes les religions sont bonnes !
11 n'y aurait pas moins d'extravagance que d'im-
piété à le prétendre : autant dire que le oui et le non
sont une même chose, et qu'après avoir gravé la
loi naturelle dans nos âmes, le créateur nous a sans
retour abandonnés à nous-mêmes, sans plus s'occu-
per de nos sentiments et de nos actions que si
l'homme n'était qu'un animal sans raison, une vi-
vante machine.
Or qui oserait tenir un semblable langage? —
Quoi ! Toutes les religions sent bonnes ! dirons-nous à
ces menus docteurs, mais alors Dieu est également
honoré par toutes les rêveries, les cruautés, les abo-
minations que l'on a de tout temps et dans tous les
pays décorées du nom de religion : Dieu flotte donc
210 PETITS SERMONS
iiidiiïerentj lui aussi, entre la vérité et l'erreur, écoute
aussi volontiers la voix qui le maudit que celle qui
l'implore ? Toutes les religions sont bonnes ! c'est-à-
dire qu'il est indifférent au Seigneur d'être seul adoré
dans l'univers comme l'Éternel, le Tout-Puissant,
l'Infini, ou de partager les honneurs suprêmes avec
Jupiter et les Cinquante mille dieux auxquels le Sé-
nat romain donnait le droit de bourgeoisie î — Tou-
tes les religions sont bonnes ! c'est-à-dire qu'il est
égal au Dieu de toute sainteté, de toute pureté, qu'on
encense les autels de Priape et de Vénus ou qu'on
vénère la Vierge immaculée? qu'il est indiffèrent
d'égorger son vieux père ou de le servir avec amour?
d'élever son enfant ou de l'étouffer à sa naissance?
— Toutes les religions sont bonnes! c'est -à dire que
Dieu contemple avec une égale complaisance le juif
entêté qui maudit Jésus-Christ, et le fidèle qui l'im-
plore : le protestant qui parodie orgueilleusement sa
parole et le catholique qui la révère ; le musulman
féroce et sensuel qui, lui associant un fanatique, un
charlatan, vient nous dire, le cimeterre à la main :
« Au nom d'Allah et de Mahomet, crois ou meurs ! »»
et l'ardent missionnaire qui verse son sang pour la
défense de la foi ! — Toutes les religions sont bonnes!
c'est-à-dire que Dieu se tient aussi honoré par les
sacrifices offerts à Saturne le parricide et à Mercure
le voleur que par la fidélité à cette maxime si pro-
fondément chrétienne : ce que tu ne voudrais pas
qu'on te fît ne le fais pas aux autres. — Toutes les
religions sont bonnes! ainsi les grimaces du Trem-
bieur, les ridicules expiations du Bonze, les boni-
ou l'on ne dort pas. 2tt
blés festins du cannibale sont donc aussi agréables à
Dieu que l'auguste sacrifice de nos autels! En vérité,
chrétiens, ces monstruosités font rougir et nous ne
parlons pas français en y répondant !
* — Comment ! disait en serrant les poings un vieux
sergent à un petit raisonneur de village, qui venait
de répéter en public la même platitude, comment.
Dieu du ciel ! toutes les religions sont bonnes ! mais
quand l'une affirme, l'autre nie; celle-ci blasphème
ce qu'adore celle-là; vous êtes encore un diôle de
citoyen ! et depuis quand, s'il vous plaît, n'y a-t il
plus de différence entre le bien et le mal, entre le
vice et la vertu? J'avais toujours cru qu'il n'y avait
rien de commun entre Mahomet et le Pape et que le
diable était aux antipodes de Dieu! Allons, allons,
mon brave, parlons sérieusement et n'extravagons
plus... Voulez-vous savoir ce que signifie en bon
français cette belle maxime : Toutes les religions sont
bonnes? c'est qu'il vaut infiniment mieux être païen,
juif ou musulman que de vivre sans religion : c'e>t
"un profond scélérat qui Ta dit, et vous êtes trop
honnête. Monsieur, pour donner sur ce chapitre un
démenti à Voltaire * !
Ainsi donc, mes frères, parmi tant de religions
contradictoires, la plupart bizarres, dégradantes,
cruelles, une seule est la vraie, une seule esl descen-
due du ciel et porte visiblement le sceau de la divi-
nité. Or, je le demande encore, un homme raison-
nable peut-il rester indifférent devant cette religion
* Garo et son cuve, 3c édition.
13
212 PETITS SEUMONS
salutaire et ne pas l'embrasser avec transport, sitôt
qu'à ses yeux brillent les caractèies sacrés qui la
démontrent véritable? évidemment non! car ce se-
rait s'obstiner à croupir dans les ténèbres, tandis
qu'un soleil splendide illumine la nature : ce serait
rester en prison lorsque la liberté nous est rendue et
vouloir mourir en exil quand on nous ouvre les portes
de la patrie!
— Mais dira-t-on, pourquoi changer de religion ?
un enfant bien né doit vivre et mourir dans la foi de
ses pères.
— Pourquoi changer, chrétiens? la belle question !
mais par la même raison qu'on abandonne un sen-
tier qui conduit à un précipice! ouest la lai qui
m'ordonne de suivre mon père jusque dans ses er-
reurs? Je veux bien l'imiter dans ce qu'il a d'imita-
ble et lorsqu'il sera dans le vrai : mais, quel que *>oit
mon bonheur de marcher sur ses traces et mon res-
pect pour les vieilles traditions des aïeux, je respecte
encore plus le bon sens et l'instinct de la conserva-
tion qui me crient : prends garde ! et m'ordonnent
de m'anêter sur la pente fatale où m'entraînait leur
exemple.
Oh ! il serait doux, je l'avoue, il serait glorieux de
vivre et de mourir dans la religion de nos pères :
mais si cette religion est rajeunie, habillée à la mo-
derne, si nos pères en ont fabriqué une nouvelle et
nous ont transmis cette religion bâtarde, ni Dieu ni
les hommes ne nous feront un crime d'abandonner
la religion des pères pour celle des grands-pères ;
elle est plus près de l'origine, celle-là, et plus voi-
OU ï/ON NE DGUT PAS. 8|J
sine de Dieu. C'est ainsi que pensaient les païens
; eux-mêmes.
Cicéïon rapporte que les Athéniens ayant consulté
l'oracle d'Apollon pour savoir à quelle religion ils
devaient s'attacher, il leur répondit : — à celle de vos
ancêtres.
— - Mais, dirent-ils, nos ancêtres ont tant de fois
changé de culte, quel est celui que nous choisirons?
— Le meilleur, répondit l'oracle. — Et certes,
ajoute aussitôt l'illustre orateur, le meilleur ne pou-
vait s'entendre que du plus ancien et du plus près c7o
Dieu.
— N'auriez-vous pas été fâché, demandaient en
riant quelques seigneurs de la cour d'Angleterre à
im amhassadeur français qui relevait d'une maladif
assez sérieuse, n'auriez-vous pas été lâché d'être
enseveli dans une terre hérétique ?
— Mon Dieu non, répondit-il sans s'émouvoir,
seulement j'aurais recommandé qu'on creusât ma
tombe un peu plus bas, et je me serais trouvé parmi
les catholiques.
On sait que le comte de Stolberg, qui était né cal-
viniste, remplissait, depuis sa conversion, ses devoirs
religieux avec une rigidité toute militaire. Un haut
personnage, qui l'avait vu avec chagrin abjurer le
protestantisme, lui dit un jour sèchement et tout en le
regardant de travers :
— Je n'aime pas les gens qui changent de reli-
gion.
— Ni moi non plus, milord, répliqua le comte sur
le même ton, car si mes pères n'en avaient pas
2t4 PETITS SERMONS
changé, je n'aurais pas été forcé de revenir à celle
qu'ils avaient abandonnée.
Oui, chrétiens, et nous allons bientôt le voir, il est
une manière certaine d'honorer le Seigneur, une
façon de le servir que lui-même a consacrée, il existe
une vraie religion, le catholicisme, la religion de
l'Évangile, et, plus heureux que tant de nations loin-
taines, encore assises à l'ombre de la mort, il nous
est donné de marcher à la lueur de son céleste flam-
beau ! Qu'il soit loué, mille fois béni, le Dieu d'amour
qui l'a fait briller à nos yeux ! Ne cessons de le prier,
de le chérir, afin qu'il daigne achever son œuvre et
nous rendre dociles à ses saintes inspirations puisque
une éternité de gloire et de bonheur doit être le
prix de notre correspondance à la giâce! Ainsi
soii-il ï
VINGT-TROISIÈME SERMON
RÉVÉLATION. — EX1STE-T-ELLE, ET PEUT-ON LA. DISCERNER?
Audi te, cœh', auribus percipe, terra,
quia l)o>i ivus loculus ist
Cit'iix, écoutez, terre, prête l'oreille, ca
le Seigneur a parlé (,1s. ï, 20.)
Mes frères, j'en ai la douce confiance, il n'en est
aucun parmi vous qui ait jamais osé nier ou seule-
ment mettre en doute les saintes vérités de la foi,
grâce à Dieu, vous êtes tous raisonnables, tous sin-
cèrement chrétiens; si nous agitons ici, comme en
amille, certaines questions capitales, élémentaires,
c'est moins pour vous convaincre que pour vous pré-
ou l'on ne dort pas. 215
munir contre les vains raisonnements de ces petits
discoureurs qui, pleins deux-mêmes et gonflés de
quelques bribes de science dont ils font étalage,
se sont donné la triste mission de pervertir Je peuple
et de lui ravir le trésor de la foi : voilà pourquoi,
mes frères, nous avons cru devoir vous parler de
l'existence de Dieu, de l'immortalité de 1 âme et de
la nécessité d'une religion. Reste à nous occuper de
l'existence d'une religion révélée et des moyens de la
discerner.
Et d'abord, n'examinons pas ici avec certains ra-
tionalistes modernes si la révélation est possible, et si
Dieu, qui est essentiellement esprit, peut communi-
quer avec la créature, lui dicter des lois positives et
lui presciire la manière dont il veut être honoré \ le
temps des excentricités est passé, Dieu merci, ou
peu s'en faut, et, avec lui, le goût des questions
oiseuses... On ne recherche plus de quels moyens
Dieu s'est servi pour nous manifester ses volontés
adorables, pas plus qu'on ne conteste à celui qui a
fait notre œil la vertu d'apparaître ; à l'auteur de la
langue, la faculté d'articuler des sons; à celui qui
forma notre oreille, le pouvoir de se faire entendre.
Que dis- je? on est même devenu de nos jours si
accommodant avec le Créateur, qu'on ne jette plus,
comme autrefois, de hauts cris au seul mot de révé-
lation, et qu'on n'y trouve plus la même répugnance
avec les attributs divins. Si quelque menu docteur
ose encore, à propos de religion révélée, hocher la
tête et nous opposer la grandeur de l'EIre supiêmet
sa sagesse, sa sainteté, sa justice, sa bonté, ce ne
216 **I1*S SERMONS
peut être que pour faire la roue et se donner du ja-
bot. De tels contradicteurs sont généralement inoflen-
sifs, et leurs fions- fions, leurs pirouettes d'ergoteur
ne tirent pas à conséquence.
De même, on convient assez généralement, grâce
aux aberrations, aux bévues des philosophes anciens
et modernes, que l'homme était, par lui-même, im-
puissant à découvrir sur Dieu, sur son âme et son
avenir éternel, d'autres vérités que celles dont il
apporte en naissant le sentiment et la connaissance
dans les principes de la loi naturelle; en sorte que
la raison qui lui apprend l'existence d'un premier
Etre, la spiritualité de rame, la distinction du bien
et du mal, la vérité d'une seconde vie et l'obliga-
tion où nous sommes de rendre un culte à Dieu, ne
nous dit rien de positif sur la nature de ce culte, sur
notre origine et notre avenir, sur l'essence et les
attributs de Dieu, ne précise rien sur nos rapports
avec nos semblables ; en un mot, cette loi natu-
relle, suffisante, absolument parlant, pour diriger
l'homme, s'il était sans préjugés, sans passions, ne
renferme guère, sur le dogme et sur la morale, que
des principes généraux dont l'application facultative
et arbitraire serait la source des plus grands dé-
sordres et des plus funestes erreurs : l'expérience
des siècles en est une preuve sensible.
Ouvrez l'histoire, mes frères, et vous demeurerez
convaincus de l'insuffisance de la raison humaine pour
former un corps de doctrine des vérités naturelles
dont nous portons le sentiment dans nos cœurs.
La morale du paganisme était la consécration du vol,
OU i/ON NE DORT PAS. 517
du meurtre et (3e la luxure la plus éhontée. Le rouge
monte au front lorsqu'on se rappelle toutes les infa-
mies qui se commettaient à la lace du soleil au nom
des dieux ; nos mœurs chrétiennes n'en pourraient
soutenir l'abominable tableau. L'avilissement de la
femme, l'exploitation de l'homme par l'homme, les
jeux sanglants du cirque, les réjouissances du tigre,
c'est à-dire, dans la même fête, des cris de plaisir,
et des râles d'agonie; l'enfance sans respect, des
filles sans pudeur, des mères sans entrailles ; la tra-
hison, le parjure, la vengeance divinisés, voilà pour
la morale ; je ne parle pas de la théodicée ; le paga-
nisme, en prosternant l'homme devant les astres, les
animaux, les plantes, en lui faisant adorer le bois,
la pierre et les plus vils insectes, avait chas.-é Dieu
de son domaine : chaque passion, chaque vice avait
des autels : tout était confondu, bouleversé, le gé-
nie du mal régnait en souverain sur la terre.
Et ne croyez pas, mes frères, que ce fut seulement
le peuple, stupide troupeau, comme l'appelle un de
leurs poètes, c'étaient les savants, les sages, les
éclairés qui marchaient ainsi à tâtons dans les ténè-
bres de cet abîme, où luisait pourtant le flambeau
de la loi naturelle, mais pâle, mais obscurci par les
passions : on connaît les aveux des Socrate, des Pla-
ton, des Épictète, et ceite énergique parole du prince
des orateurs romains : « Il n'est point d'opinion si
« absurde qu'elle n'ait été soutenue par quelque phi-
« losophe. »
— « Ce serait un détail bien flétrissant pour la phi-
« losophie, dit J.-J. Rousseau, que l'exposition des
ÎJ8 PETITS SERMONS
« maximes pernicieuses et des dogmes impies de ces
« diverses sectes l. — A entendre les philosophes,
« ne les prendrait-on pas pour une troupe de char-
« latans qui crient chacun de leur côté : Venez à
« moi, c'est moi seul qui ne me trompe point! —
'« L'un prétend qu'il n'y a point de corps et que tout
« est en représentation ; l'autre, qu'il n'y a d'autre
« substance que la matière : celui ci avoue qu'il n'y
« a ni vice ni vertu, et que le bien et le mal sont des
« chimères ; celui-là que les hommes sont des loups,
« et qu'ils peuvent se manger en sûreté de cons-
* cience. . 2 a
IJ fallait donc, mes frères, que la sagesse nous
ce en 3ît des hauteurs et que Dieu lui-même nous
l'expliquât, cette loi naturelle dont il avait déposé
d.iiis nos âmes les premiers éléments ; il fallait donc
qu'il vînt la développer, la compléter, lui donner en
quelque sorte une forme extérieure, sensible et per-
manente. Il était né* essaire que Dieu se révélât à
l'homme et lui manifestât d'une manière plus expli-
cite ses devoirs envers son Créateur, envers soi-
même et envers ses semblables ; il était nécessaire,
en un mot, qu'il lui donnât une religion positive, dé-
terminée et lui indiquât une voie certaine pour reve-
nir à lui. à travers l'inextricable dédale d'erreurs et
d'iniquités enfantées par la raison humaine
— « Il faut, dit le marquis d'Argens, à qui l'on ne
« saurait reprocher de s'être montré trop favorable
« à la religion, il faut nécessairement que Dieu ait
! J^an-Jacqucs Rousseau, Repense au roi de Pologne.
* Id. Discours sur les sciences et les arts.
ou l'on ne dort pas. 219
« ordonné un culte à l'homme.. Quel chaos affreux
« ne s'ensuivrait-il pas si chacun avait une pensée
« différente sur le culte qu'on doit à la divinité!
« L'esprit de l'homme, sujet à s'égarer, retomberait
« bientôt dans l'idolâtrie. »
Pourtant, chrétiens, quand je dis nécessaire, je
parle de convenance et n'entends pas une nécessité
absolue ; il n'en est point pour le Tout Puissant :
d'ailleurs, l'ignorance de la religion naturelle où
l'homme a vécu pendant tant de siècles n'était ni
totale ni invincible, puisque l'apôtre saint Paul l'ap-
pelle inexcusable. Dieu ne nous devait donc pas la
révélation ; mais elle nous était nécessaire en ce
sens que jamais sans elle les hommes ne se seraient
élevés jusqu'à la méditation des vérités d'un ordre
supérieur ni même dégagés des ténèbres de l'idolâ-
trie et de la corruption où ils étaient plongés : c'est
une présomption qui tient de la certitude, et, là- des-
sus, le passé répondait de l'avenir.
Or, cette révélation existe, mes frères, le plus lé-
ger doute n'est plus possible à cet égard ; on en rap-
pellera les principales preuves : Dieu a parlé à sa
créature ; mais comment distinguer sa voix au mi-
lieu de tant de voix qui nous sollicitent ? Eu nous
ordonnant de marcher dans Tunique chemin qui con-
duit à la vie, Dieu nous a-t-il donné les moyens de
le discerner des sentiers de la mort? Ou bien, par
des volontés contradictoires, par une haine inexpli-
cable pour 1 ouvrage de ses divines mains, le
Ciéateur lui a-t-il montré la vie comme un appât
trompeur, et ne lui en a-t-il inspiré le désir que
220 PETITS SERMONS
pour le torturer à jamais du supplice de Tantale?
— a Ne blasphémons point la divinité, dirons nous
a avec un profond écrivain, elle veut le bonheur de
a ses créatures, car la gloire d'un Être bon est de ma-
« nifester sa bonté ; il se doit à lui-même cstte haute
a justice : ou Dieu n'existe pas, ou il veut le salut de
<* tous les hommes ; or qui oserait dire, qui oserait
|« penser qu'en nous imposant des lois dont l'infrac-
« tlon a des eflets si terribles, il les ait couvertes d'un
a voile impénétrable à nos yeux ; qu'il ait jeté dé-
c daigneusement tant de millions d'intelligences
« entre la vérité et l'erreur, entre le bien et le mal,
« sans moyen de les discerner; qu'il se dérobe à ce-
ce lui qui le cherche, qu'il étende à ses pieds un
« océan de ténèbres et repousse loin du rivage l'in-
« fortuné qui s'efforce d'aborder?
« D'ailleurs l'idée de devoirs ou d'obligation mo-
« raie est renfermée nécessairement dans l'idée de
« religion. Et voilà ponrquoi la souffrance qui suit
« tôt ou tard l'infraction de ces lois, quand la faute
« n'est pas effacée par le repentir, a toujours été
« conçue sous la notion de peine ou de châtiment.
« Or comment existerait-il de véritables devoirs pour
« celui qui les ignorerait invinciblement ? Comment
g serait-il coupable de n'avoir pas obéi s'il ne pou-
« vait pas savoir ce qui était commandé? Le punir
« de son ignorance, d'une ignorance insurmontable,
« ne serait-ce pas le comble de l'iniquité ?
— « Qu'on se figure un législateur, un roi près-
* crivant en lui-même ou défendant certaines choses
u sous peine de mort, sans manifester ses volontés,
ou l'on ne i>onr ï>m. 221
« sanspnblier ses ordonnances, et envoyant ensuite
c ses sujets à l'échafaud pour ne s'être pas confor-
« niés à cette loi secrète qu'il s'était plu à leur ca-
« cher : pourrait on concevoir une injustice phi3
« énorme, un plus abominable tyran? — L/Etre sou-
« veraincment juste et bon, Dieu serait ce tyran, s'il
« avait refusé aux hommes le moyen de discerner la
« vraie religion.
« Au reste, il suffit d'en appeler au témoignage du
h genre humain. Tous le^ pépies ont eu une reli-
« gion qu'ils croyaient vraie; donc tous les peuples
« ont cru qu'on pouvait connaître la vraie religion.
« Aucune religion, même fausse, ne se serait établie
« sans cette croyance. Or, les croyances universelles
« sont des décisions delà raison générale; les rejeter
« ou les contester, c'est détruire la raison même :
• donc, quelle que soit la vraie religion, il est pos-
a sible de la reconnaître. Si l'on prétend que les
« peuples ont pu se tromper sur ce point, ils ont pu
a se tromper également sur l'existence du premier
« Etre, ils ont pu se tromper sur tout, et dès lors,
« plus de certitude, plus de vérité, plus d'erreur,
« mais un doute si profond qu'il n'aurait plus d'autre
« expression que le silence '. »
Oui, mes frères, en nous révélant sa volonté sainte,
en nous donnant sa religion, Dieu nous a aussi donné
les moyens de la découvrir ; sa loi rayonne d'un si
majestueux éclat que lame en est toute ravie et sa
parole est revêtue d'un caractère si sublime et si
i Lamennais, Essai sur l'indifférence*
222 PETSTS SKBMONS
éminemment divin qu'il est impossible de !â mécon-
naître dès quelle se l'ait entendre.
Et d'abord, chrétiens, la révélation, pour remplir
le but de la sagesse éternelle, a dû être extérieure,
car il s'agissait de confirmer, de promulguer la loi
naturelle, de la fixer, de lui donner un corps, une
fo:me visible : et voilà pourquoi il était nécessaire
ou que Dieu se révélât aux hommes pour les ins-
truire par lui-même, ou qu'il leur transmît sa vo-
lonté par des envoyés qui pussent prouver authenti-
quement leur mission.
Elle a dû être manifeste et tellement frapper les „
hommes qu'ils ne puissent la méconnaître ni en perdre
le souvenir.
Elle a dû être évidente, c'est-à-dire montrer à
l'homme ce qu'il doit croire et ce qu'il doit prati-
quer, mais le lui montrer d'une manière si claire
et si distincte qu'il reste sans excuse, si sa croyance
et sa conduite ne sont pas en harmonie avec cette
sainte loi.
Or, mes frères, la révélation existe, je le répète,
et avec ces caractères lumineux, éclatants comme le
soleil. 11 est un livre auguste et vénéré qui a précédé
tous les autres livres, un livre divinement inspiré
qui renferme le précieux dépôt de la parole révélée.
Il établit d'une manière incontestable que Dieu a
parlé aux hommes à trois époques différentes qui
correspondent aux différents âges du genre humain ;
et chose remarquable ! dit un judicieux auteur « en
« instruisant les hommes, Dieu a toujours propor-
«« tionné son enseignement et ^° leçons à leur ca-
ou l'on ne dort pas. $23
« parité présente et à leurs besoins actuels : aussi
« distingue t-on trois révélations successives qui
** s'expliquent et se complètent l'une par l'autre :
« la révélation primitive, la révélation mosaïque et
« la révélation chrétienne *. •
La première, qui fut faite à Adam et aux patriar-
ches , nous montre le Seigneur conversant avec
l'homme dès l'origine du monde, lui prescrivant des
devoirs à remplir et la manière dont il veut être ho-
noré ; lui faisant des défenses dont la violation sera
punie de mort, puis, après la chute et l'annonce du
châtiment, lui promettant un réparateur et renou-
velant sa promesse à Noé, à Abraham, à Jacob ; en
un mot, Dieu apparaît au berceau de l'humanité se
révélant à nos pères et leur dictant des lois qu'ils
doivent transmettre à leurs enfants. C'est ce que
nous rappelle l'auteur de Y Ecclésiastique lorsqu'il dit
que nos premiers parents » ont reçu de Dieu, avec
« l'intelligence et. le sentiment du bien et du mal,
«■ des leçons et une règle de vie : qu'il leur a ensei-
« gnésa loi, qu'ils ont vu la majesté de Dieu, etc.*. *
Dieu enseigna une deuxième fois les hommes en-
viron trois mille ans après la création par le minis-
tère de Moïse, et plus tard, par celui des prophètes
par les majestueux développements du Sinaï, les
chan's de David, les leçons du Sage et les sublimes
méditations des prophètes.
Enfin Dieu a instruit les hommes dans ces der-
niers temps par Jésus-Christ, son fils, qui n'est pas
* Bergier. - 2 Ecole., xxvii, 5, G, 7, 9, IL
224 PETITS SERMONS
venu abolir la loi antique, ainsi qu'il s'exprime
lui-même, mais la remplir, la compléter, la perfec-
tionner *. C'est ainsi, chrétiens, que le Ciel s'est
plusieurs fois manifesté à la terre, et que la religion
positive est venue couronner la religion naturelle.
L'apôtre saint Paul en rappelant cette triple révélation
nous en indique les principales preuves :
— Dieu, dit il, parla souvent à nos aïeux et de
plusieurs manières, par lui-même et par l'organe de
ses prophètes, et naguère encore par son propre
fils * ; et il a manifesté la divinité de ses oracles par
les prodiges, les miracles et la distribution des dons
du Saint-Esprit 3.
Voilà donc bien indiqués, mes frères, les princi-
paux caractères de la religion révélée et les victo-
rieux arguments sur lesquels elle repose : les pro-
phéties, les miracles et l'établissement visiblement
prodigieux du christianisme dans le monde.
— Biais, dira-t-on, puisque les livres des juifs et
des chrétiens renferment seuls le dépôt sacré de la
révélation, et que ce fait miraculeux n'a d'autre fon-
dement que l'Écriture, qui nous en garantit l'auto-
rité î Ne faut-il pas que cette Ecriture soit bien cer-
taine et ces livres authentiques pour mériter notre
croyance ?
— Eh 1 sans doute, mes frères ! on n'entend impo-
ser tyranniquement à personne l'autorité du maître;
nous ne parlons ici qu'à la raison depuis le com-
mencement de ces entretiens ; viendra le tour de la
* Math., v, 17.
> Hœbr., î, l. - * Haîbr.,n, 4*
OtT L'ON NE DOïlT PAS. 225
foi, car maintenant c'est celui de ïa bonne foi. Aussi,
après avoir répondu à quelques difficultés qui se ré-
pètent encore, bien qu'elles aient été cent fois réso-
lues, nous allons interroger la Bible et examiner ses
titres à notre croyance...
Mais de grâce, mes frères, qu'on ne demande pas
à la parole de Dieu plus qu'on ne demande à la pa-
role de l'homme ; il y aurait au moins de l'injustice
à être plus exigeant pour nos saints Livres que pour
une mince chronique, et nous prions la raison de
vouloir bien se montrer raisonnable.
Pardon, religion sainte, religion chérie, pardon, si
nous osons creuser jusqu'à vos fondements pour vous
demander vos titres à la croyance et à la vénération
du genre humain ! Ce n'est pas pour nous chrétiens,
que nous vous interrogeons, c'est pour puiser dans
cet examen sérieux des armes contre les insensés qui
vous attaquent dans l'espoir d'ébranler notre foi !
mais cet espoir sera vain, car elle vit en nous, cette
foi consolante et salutaire, elle y vit, y règne en sou-
veraine et nous nous sentirions le courage de mourir
pour sa défense ! Daigne le Dieu qui nous l'inspira
dissiper un jour au ciel le nuage qui le cache à notre
amour et s'y montrer à nos yeux dans tout l'éclat de
sa gloire immortelle ! Amen,
223 PETITS SERMON»
VINGT-QUATRIÈME SERMON.
ÀELIG10N. — RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS.
Nolite confîdere in verbis mcndncii.
Méfiez-vous des paroles du mensougc,
fJc-rémie, vu, K.)
C'est une étrange chose, mes frères, que l'obsti-
nation de certaines gens à déblatérer contre la reli-
gion, à nier sa céleste origine, ses bienfaits, son in-
fluence salutaire et surtout sa nécessité pour tout le
monde. A les entendre, les prêtres font un métier,
ne débitent que des contes, et ceux qui les écoutent
sont des niais Vous n'êtes pas sans avoir rencontré
bien des fois sur votre chemin de ces menus docteurs
en sabots, qui vous disaient en branlant la tête et
d'un ton suffisant qui trahissait l'esprit supérieur :
Allons donc 1 Dieu, l'Église, la religion, c'est des bê-
tises.
Sans doute ils changent de langage à la première
maladie qui les frappe, et lorsqu'il leur arrive une
perte, un malheur, ils réiléchissent alors, ils revien-
nent tremblants et soumis à la religion qu'ils avaient
abandonnée, que dis je? on les voit alors prier avec
plus d'instance et de ferveur que ces dévots qu'ils
avaient tant raillés ; mais en attendant, ils triomphent
et, sûrs que leur règne va bientôt passer, ils veulent
du moins s'en donner à cœur joie : aussi est-ce mer-
veille de les entendre ricaner, persifler, calomnier ;
Dieu, la religion, les prêtres, les lois de l'Église, rien
n'est sacré pour ces rudes spadassins, si peu qu'ils
ou l'on ne dout pas* 22?
aient fait leur tour de France et sachent signer leur
nom : c'est triste, encore une fois, mes frères, c'est
déplorable, et, ce qu'il y a de bien plus désolant en-
core, c'est que ces blasphèmes et ces impiétés qui
devraient soulever une indignation générale se ré-
pètent souvent avec complaisance et trouvent écho
dans bien des cœurs !
Je ne sais s'il en est aucun parmi vous qui ait ja-
mais osé mêler sa voix à ces voix criminelles, mais
dans le doute, et pour vous prémunir, mes frères,
contre certaines difficultés que soulèvent sans cesse
des esprits mal faits, nous allons y répondre dans
deux entretiens que nous rendrons aussi familiers que
possible.
— Bah ! disent ils. la religion est une invention des
prêtres.
— Vraiment, mes amis î et pourriez vous nous en
fournir un petit brin de preuve? Voyons, dites nous
un peu dans quel siècle et par quel prêtre fut faite
cette sublime découverte. — Est-ce dans les temps
modernes? Certes, vous n'oseriez le soutenir en face
de tant de monuments, d'édifices religieux, de tem-
ples grandioses qui couvrent la terre; vous avez sans
doute assez d'esprit pour comprendre qu'ils n'ont pas
poussé tout à coup comme des champignons. Ces
antiques cathédrales, ces immenses basiliques noir- j
cies par les siècles vous disent de la manière la plus
énergique et la plus solennelle que la religion re-
monte plus haut que la génération actuelle, et que
les temps modernes l'ont trouvée en possession de
l'univers.
14
5?3 PETITS SEBMOMS
— Est ce dans le moyen âge? — fort bien : Seule-
ment avant de soutenir une énormité pareille, ayez
soin de détruire l'histoire des moines et des ordres
religieux d'Orient et d'Occident, ainsi que les chefs-
d'œuvre de l'antiquité qu'ils nous ont conservés \
brûlez tous les écrits des Pères qui forment la chaîne
de la Tradition, depuis saint Justin et Origène, jus-
qu'à Bossuet. Brisez les peintures et les bas reliefs
qui retracent les scènes des catacombes ; anéantissez
les Actes des martyrs ; ce n'est point assez ; avant de
placer dans le moyen âge la découverte de la reli-
gion, détruisez tous les écrits dis hérésiarques et
des philosophes païens; effacez de l'histoire des
Empereurs romains trois cents ans de persécutions
contre l'Eglise naissante. — Mois c'est impossible!
me dites-vous : Et moi je réponds : il faut donc que
la religion vienne de plus haut.
— Est ce dans l'antiquité?... Ah ! ouï, sans doute,
mes frères, et plus loin que nos demi-savants ne
voudraient le dire, dans l'antiquité la plus obscure
et la plus reculée ! Remontez de siècle en siècle, jus-
qu'à l'origine du monde : vous trouverez partout la
religion, plus ou moins claire, il est vrai, plus ou
moins altérée par les préjugés et les passions, mais
nulle part inconnue ; depuis que l'univers existe,
l'univers a prié, béni, adoré à sa manière, et rendu
à l'Etre suprême un culte religieux.
Mais ce n'est pas le jtidaîsrnè, dit on, ce n'est
pas l'idolâtrie, qu'ont inventé les prêtres, ce n'est
niême pas la religion de Mahomet, c'est le christia-
nisme 1 — Eh bien à la bonne heure î qu'on nous in-
ou l'on ne dort pas. 229
dique alors une date, un pays, tin nom J oui, qu'on
nomme le prêtre qui inventa la religion î était-il évo-
que, cardinal ou Pape ? à quel ordre appartenait-il?
était-il séculier ou régulier 1 gris ou marron î blanc
ou noir î — quel qu'il fut, il dut nécessairement obte-
nir un brevet d'invention. D'où vient que nous igno-
rons son nom et sa patrie ? — Avouons, mes frères,
qu'il faut du courage pour réfuter ces sornettes : au
moins autant que pour les proposer.— La religion, une
invention des prêtres ! Et quel intérêt, je vous prie,
dans quel but une invention pareille \ ne pouvaient-
ils, les malheureux ! en mettant les peuples sous un
tel joug, s'en affranchir, ou du moins l'alléger un
peu pour eux-mêmes 1 À tout prendre, et pendant
qu'ils y étaient, ils pouvaient se faire, comme on dit,
la part du lion, diminuer les charges et doubler les
avantages. Il est vraiment à regretter pour le prêtre,
que ses détracteurs ne puissent pas prendre sa place,
ne lût ce qu'un carême, une mission, la veille des
grandes fêtes, au chevet des mourants ou dans une
ép d ■•mie contagieuse : ils changeniient probablement
de langage, et conviendraient que si le prêtre a in-
venté la religion, il ne l'a pas au moins inventée pour
son plaisir.
Autre difficulté, mes frères. Si la religion n'a pns
Dieu lui-même pour auteur, si ce sont les pi êtres qui
l'ont établie, comment ont-ils pu mener à bon port
une aussi audacieuse entreprise? par quel mirac'e
les peuples ont-ils déserté les autels voluptueux de
l'idolâtrie, pour embrasser la sainte folie He la croix?
Qui nous expliquera ce fait éclatant, palpable, ac
230 PETITS SERMONS
tnel, ce fait qui est à lui seul la preuve la plus
victorieuse de la divinité de la religion ? Ce
fait, chrétiens ! il est humainement inexplicable, di-
sons mie' x, il serait impossible si le ciel ne s'en était
mêlé! Car de deux choses Tune : — ou les peuples
ont résisté au prêtre qui, sans mission, voulait les
(asservir, ou bien ils se sont soumis sans murmure.
S'ils ont résisté, comme tout les y portait, où en
est, la preuve, où sont les monuments, les détails,
l'histoire de cette lutte entre les passions et le devoir,
entre la chair et l'esprit, entre l'homme et Dieu ?
Et, si l'univers s'est soumis, sans murmure, par
quel charme un prêtre, un simple mortel, a-t-il pu
conquérir le monde et le tenir ainsi enchaîné à sa
parole depuis d x-ouit cents ans? Ne voilà-t-il pas le
plus grand prodige dont la terre puisse être le théâ-
tre, et n'est-ce pas le cas où jamais de s écrier avec
les magiciens de Pharaon : Digilus Dci eut hic, le
doigt de Dieu est ià !
— Nos esprits forts insistent, mes frères : — Eh
bien ! disent-ils, que la religion vienne du ciel ou de
la terre, elle a fait son temps, etle christianisme com-
mence à vieil iir.
— Ah ' il commence! il y a bien longtemps qu'on
le dis en tout cas l'impiété se démène tant, se donne
tant de peine à sonner l'enterrement du christianisme,
que nous avons fini par nous habituer au carillon...
allez, allez, nos bons amis, soyez sans crainte, il se
porte mieux que jamais. — Le christianisme vieillir ! et
ombien d'années, s'il vous plaît, lui piGleriez-vous
çucurél en a-t-il pour deux siècles, un siècle et demi,
ou l'on ne doïvt pas. 231
par exemple? pour quatre-vingts ans ? voulez-vous
cinquante ans ? — il est donc à peu près certain qu'il
vous enterrera ; et dès lors, que lui importe ? - et
pour vous quel avantage! L'essentiel est donc de
vous mettre en règle, supposé que le christianisme
ne soit pas une chimère, et celui qui l'a fondé, un
imposteur. — La religion vieilli?*! mais est-ce qu'elle
ne descend pas du ciel i est-ce qu'elle ne vient pas
de Dieu en droite ligne, par Adam, par Noé, par
Moïse par Jésus-Christ, par les Apôtres et l'Église i
est ce qu'elle n'est pas éternelle ? — la religion
vieillir ! mais est-ce qu'elle ne pousse pas de jour en
jour plus avant ses racines dans l'âme du peuple î
Est-ce que la science ne redevient pas aujourd'hui
franchement, ouvertement chrétienne? Quand vit-on
les questions religieuses plus à l'ordre du jour ] —
qu'ils sont primitifs, qu'ils sont niais, ces petits phi
losophes, mes frères 1 la religion vieillir! mais in-
terrogez donc les aumôniers de nos armées : deman-
dez-leur s'ils ne versent pas quelquefois des larmes
d'attendrissement et de bonheur à l'aspect de la foi,
du recueillement de nos soldats durant le saint sa-
criOce, ou lorsqu'ils viennent, humblement, déposer
à leurs pieds, le triste fardeau d'une conscience cou-
pable ! — la religion vieillir ! mais vous n'avez donc
jamais assisté un jour de fête au sermon, aux offices
d'une grande ville î Vous n'avez donc jamais, été té-
moin d'une communion pascale dans quelque église
de Paris ? Vous n'êtes donc jamais entré le dimanche,
v°rs neuf heures du soir, dans l'église de Notre-
ijame-des- Victoires ? — Allez-y, croyez -moi, et vous
14.
232 PETITS SEIUIONS
changerez de langage ; et le christianisme ne voua
semblera plus aussi décrépit : allcz-y et vous sentirez
circuler la sève et la vie dans ce vaste corps dont la
tête est à Rome et les membres dispersés aux quatre
coins de l'univers 1 — Le voyez-vous s'agiter, ce grand
corps, le voyez-vous remuer, cet immense géant, de-
puis que son chef vénérable est menacé dans son in-
dépendance? les voyez-vous, du couchant à l'aurore,
ces deux cents millions d'hommes s'épuiser en pro-
testations ardentes pour consoler leur père, et s'im-
poser les plus pénibles sacrifices pour le secourir?
Non, non, il ne vieillit pas, le corps qu'anime une
ardeur si généreuse ; il n'est pas près de périr, le
vaisseau que dix-huit cents ans de tempêtes n'ont
pu couler à fond 1 S'il vieilli*, c'est de la vieillesse de
Dieu même, et si, par impossible il venait à périr, à
l'instant la création rentrerait dans le chaos'
— Allons donc, continuent nos esprits forts, c'est
une duperie, et nous voyons clair... Entre nous, la
religion n'est bonne que pour le peuple et pour les
femmes.
— Oh !oh! répondrons-nous à ces fortes têtes, voies
voyez clair l ce que c'est que le progrès des lumières!...
Est-ce à la lueur du gaz ou de l'électricité que vous
avez découvert, vous, que la religion est une duperie?
Grand Dieu, alors, que de dupes dans l'univers ! Siè-
cles écoulés ! vous avez bien sujet d'accuser la nature
qui nous a refusé la lumière pour découvrir la dupe-
rie en question!...
Mais est- il bien sûr que vous voyiez si clair? Ne
craignez-vous pas d'avoir seuls raison contre tout le
ou l'on ne dgat pas. 233
monde? A votre place, je redouterais cette clair-
voyance, ce bon sens dont vous avez le monopole et
qui n'est pas le sens commun. La religion pour le
peuple! y songez- vous ? Est ce que nous ne sommes
pas tous peuple? Où est, je vous prie, la ligne de dé-
marcation qui nous sépare les uns des aulres? Est-ce
la naissance, est-ce le talent, est-ce la fortune, est-
ce l'emplci ? — Vous-même, qui que vous soyez ri-
che ou pauvre, savant ou ignorant, noble ou rotu-
rier, prince ou sujet, est-ce que vous ne vous faites
pas gloire d'être du peuple! Alors les programmes
politiques, les professions de foi de tous les candi-
dats de haut et de bas étage seraient donc une san-
glante dérision?
Non, non, à quelque degré de l'échelle que nous
ait placés la nature, le sang du peuple circule dans
nos veines ! Honte à qui ne le sent pas, mes frètes !
il a renié son pays! Nous sommes tous du peuple,
et tous, à ce titre, nous avons besoin de religion,
— Et quand même nous ne serions pas enfants
d'une même famille et d'une même patrie, quand
môme nous serions divisés réellement d'intéiêts,
àe devoirs, d'espérances, quand même le peuple,
au dix-neuvième siècle, serait encore le projanum
vulgus, la vile plèbe des païens, serait -il assez im-
bécile pour se soumettre au joug humiliant et péni-
ble que lui jettent avec dédain les classes patri<
ciennes? En voudrait-il, je vous le demande, mes
frères, s'il s'apercevait qu'il est dupe d'une perfide
jonglerie 1 Et si bas qu'il fût placé dans l'échelle so-
ciale, ne verrait-il pas au-dessous de lui d'autres
234 PETITS SERMONS
êtres humains qu'il appellerait le peuple et auxquels
à son tour il passerait sa défroque religieuse?
— Comment, malheureux ! disait un ouvrier ma-
çon h un tailleur de pierres qui travaillait un diman-
che, est ce que tu n'as pas assez bûché toute la se-
maine, que tu reprennes aujourd'hui ta besogne de
forçat V Allons, tu es un vrai sacripant, car tu ne res-
pectes pas le jour du bon Dieu : ça te portera mal-
heur!
— Bah ! répond le tailleur, qui toise fièrement son
homme des pieds à la tête en secouant les cendres
de sa pipe : moi, faire le dimanche! fi donc! les
messieurs ne vont pas à la messe... c'est mauvais
genre.
Eh bien, mes frères, un peu de patience, et que le
bon genre vienne un jour remplacer le mauvais et
nous en verrons de belles : on n'a pas sans doute
oublié cette sentence de Voltaire : « Il faut une reli-
ft gion, un Dieu vengeur à l'homme d'Etat, à nos
« ouvriers, il faut un Dieu vengeur au peuple et à
a tous ceux qui sans la crainte de ce Dieu nous pile-
« raient dans un mortier dès qu'ils y trouveraient
« leur intérêt... » La religion est donc bonne pour le
j peuple et pour ceux qui sont d'un rang élevé : néces-
saire aux uns comme chaîne et frein puissant, elle
ne l'est pas moins aux autres comme garantie et sau-
vegarde. Après Voltaire écoutez Montesquieu :
« Un prince qui aime la religion et qui la craint,
« est un lion qui cède à la main qui le flatte ou à la
« voix qui l'apaise : celui qui craint la religion et
m qui la hait, est comme ces bêles sauvages qui mur-
ou l'on ne do?,t pas. 235
« dent la chaîne qui les empêche de se jeter sur les
u passants : celai qui n'a pas du tout de religion, eit
<* cet animal terrible qui ne sent sa liberté que lors-
« qu'il déchire et qu'il dévore 1 »
1 Qu'on ne dise donc plus, mes frères, que la religion
n'est bonne que pour le peuple : nous sommes tous
peuple à i'égard de nos frères, peuple à l'égard
de Dieu qui nous a faits, peuple à i'égard des lois
qu'il a données ! Ne dites pas surtout que ia religion
n'est bonne que pour les femmes / L'absurdité serait
trop manifeste. Est-ce que la vérité peut être rela-
tive, vraie pour les uns, fausse pour les autres ? Si
la religion est bonne pour les femmes, pourquoi ne
le serait-elle pas pour les hommes? Est-ce qu'un
homme est d'une autre pâte qu'une femme? Est ce
que nous n'avons pas tous les mêmes devoirs à rem-
plir, les mêmes passions à combattre, le même Dieu
à honorer, le même ciel à conquérir?
Et de quel droit l'homme s'arrogorait-il le privi-
lège exclusif des jeux, des amusements, des jouis-
sances du crime, ne laissant à sa compagne que la
prière, la souffrance et les privations de la vertu?
Comment ce qui est le mal pour elle deviendrait-il
le bien pour vous? Allons donc! un peu plus de
franchise s'il vous plaît, égoïstes que vous êtes !
Avouez une arrière pensée qui se cache au fond de
cette belle maxime. Dites que la religion est bonne
pour tout le monde, et surtout pour les femmes ; car
une femme sans religion est une triste créature,
un êlre dégradé qui fait mal à la vue : dites que
vous n'en voudriez pas pour voire îiiie, pour votre
238 PETITS SERMONS
épouse, pour la mère de vos enfants! Quels que
soient d'ailleurs vos principes, fussiez-vous aussi
impie que Diderot qui enseignait pourtant le caté-
chisme à sa fille, vous comprenez que la femme, à
quelque époque de la vie qu'on l'envisage, a trop
d'influence sur le bien être et la tranquillité de la fa-
mille, pour être abandonnée à sa faiblesse, qu'il lui
faut un ange gardien, la religion : que la religion
est son plus bel ornement, son plus riche diadème
et que si, par malheur, il vient à tomber de son
front, tout est perdu pour elle : honneur, vertu, mo-
destie et jusqu'à ses entrailles de mère !
Oui, la religion est bonne pour les femmes comme
elle est bonne pour tout le monde; Dieu nous l'a
donnée à tous comme un soutien, une espérance,
une consolation... Quel est celui qui peut se passer
de tout cela sur la terre ? Où. est l'homme qui n'a
pas besoin d'appui, n'a rien à souffrir, et dont les
yeux ne se lèvent jamais suppliants vers le ciel, pour
y chercher tour à tour l'espoir qui soulage et le
bannie qui fortifie ?
Oh ! convenons donc, mes frères, que nous avons
tous besoin de religion 1 Convenons que ce besoin,
cet instinct profond, qui, dès l'origine du monde,
attire l'homme vers son Dieu, est devenu plus près-
gant encore et plus irrésistible, en quelque sorte,
depuis que le Ciel a parlé à la terre et que la reli-
gion naturelle a reçu les sublimes développements
de la révélation !
— La révélation ! disent encore nos petits docteurs,
tenez, ne m'en parlez pas; l'homme est une trop
ou l'on ne dort pas. 237
chétive créature et Dieu trop grand pour s'occuper
de nous.
— Oh ! oui sans doute, mes frères, l'homme est
bien peu de chose devant Dieu, et nos philosophes
au petit pied disent plus vrai qu'ils ne pensent peut-
être ; en effet, savant ou ignorant, riche ou pauvre,
barbare ou policé, son importance est à peu près la
même ; il serait sur le plus beau trône de l'univers
qu'il ne pèserait pas beaucoup pour cela dans la
main du Créateur... Et même, le dirai je? Tl a beau
se grandir et profiter de toute sa taille, voler avec la
vapeur, étaler fièrement avec le gaz et l'électricité
le progrès de ses lumières et s'élancer en ballon dans
les nuages : progressât- il jusqu'à monter au soleil,
il serait toujours bieu petit, bien misérable, moins
qu'un atome en face de l'Infini.
Mais, mes frères, dire que Dieu est trop grand
pour s'occuper de cette chétive créature, dire qu'il
est indigne de son adorable majesté de con-
templer cet humble vermisseau qui le bénit, de se
pencher vers lui, de lui faire entendre sa voix, ne
fût ce que pour le consoler de sa misère, quel blas-
; phêrne ! Et qui donc l'a formée, cette créature si
| chétive? Qui l'anime et la conserve, si ce n'est Dieu?
Qui renouvelle à chaque instant pour elle le miracle
de la création? — Et si Dieu n'a pas été trop grand
pour nous créer, s'il ne juge pas indigne de sa ma-
jesté de nous conserver, de veiller sur nous par sa
providence, comme une tendre mère, que dis-je?
s'il a bien pu nous donner des lois générales et gra-
•ver dans nos cœurs, les précieux éléments de la loi
238 PETITS SERM0N3
naturelle, comment sa grandeur s'opposerait-elle à
ce qu'il eu développât le germe en nous donnant des
lois positives? Comment blesserait il sa majesté sou-
veraine en faisant pour nos âmes ce qu'à l'extérieur
la providence a fait pour nos corps. ?
Pourquoi Dieu aurait-il créé l'homme avec cet
immense besoin de connaître et d'aimer ? Pourquoi
lui donner le sentiment de la vie, s'il devait à l'ins-
tant l'abandonner à lui-même et le rejeter loin de
lui ? Qu'on essuie, mes frères, de nous donner de
l'homme une explication raisonnable en dehors de
ses rapports avec son Créateur. Qu'on fasse abstrac-
tion de ces rapports, et puis qu'on nous dise ce que
c'est que l'homme, d'où il vient, où il va, et ce qu'il
fait sur la terre : on retombera dans le dédale des
trois cents opinions philosophiques énumérées déjà
par Varron près d'un siècle avant Jésus-Christ, et les
extravagants systèmes de nos rêveurs modernes ne
nous aideront guère à voir plus clair... C'est que
l'homme ne peut pas plus se concevoir sans rapports
avec Dieu que Ton ne conçoit la branche séparée du
tronc qui l'alimente de sa sève.
Dieu est trop grand et la créature trop chélive \ ,
Quoi! mes frères, si l'homme était plus grand e/
plus élevé dans l'échelle des êtres, la distance qui |.i
sépare du Créateur en serait-elle moins infinie, en\
serions-nous plus dignes d'attirer ses regards di-
vins? — Et puis n'est-ce pas un axiome de la sagesse
de tous les temps que le Seigneur est p lus grand et
plus admirable encore dans les plus petites choses ?
Non, non, chrétiens, le Dieu, qui n'a pas dédai-
ou l'OxN ne dort pas. 239
gné de façonner un peu d'argile et de l'animer de
,son souffle adorable, le Dieu qui n'a pas cru indigne
de sa majesté de la former à son image, cette créa-
ture chétive, de lui donner une intelligence pour le
connaître et un cœur pour l'aimer, a pu sans dé-
croître achever son œuvre et lui prescrire les moyens
de remonter à son auteur.
Oh! oui, vous nous l'avez donnée, Dieu d'amour,
celte loi cainte et salutaire ; vous nous l'avez montré,
cet ineffable sentier qui mène droit à vous ! Grâces
éternelles vous soient rendues pour cet inestimable
bienfait! Il ne nous reste plus qu'à vous supplier de
ï.;ous y rendre si sensibles que votre loi sainte gravée
dans nos cœurs soit notre unique trésor sur la terre,
en attendant que le bonheur du Ciel récompense
notre fidélité à l'accomplir ! Ainsi soit il I
VINGT-CINQUIÈME SERMON
RÉVÉLATION, — SUITE DES OBJECTIONS.
Et mata loculi sunC de Deo.
Et iis ont mal parlé de Dieu. (Ps. lxxvh, 82.Ï
Mes Frères, il s'était formé, il y a près de doux
cents ans, dans les Pays-Bas et en France, une secte
des plus dangereuses, qui enseignait, entre autres
erreur:;, que Dieu était trop saint et l'homme trop
né beiii pour ne pas s'en tenir à distance, condam-
)\(o\ï la communion fréquente, professait sur le
libre arbitre et la prédestination les plus désespp*
15
240 PETITS SERMONS
rantes doctrines et damnait les 999 millièmes du
genre humain.
Cette désolante secte, aujourd'hui fort heureuse-
ment éteinte, ou peu s'en faut, c'était le jansénisme,
et je puis vous assurer qu'elle a fait beaucoup de mal,
surtout en France.
— Eh bien I mes frères, toutes les fois qu'à propos
de la révélation, j'entends nos petits raisonneurs
parler de la grandeur, de l'infinie majesté de Y Être
suprême, qui ne saurait, sans s'avilir, s'abaisser jus-
qu'à nous pour nous manifester ses volontés adora-
bles, je pense malgré moi à cette secte perfide qui
avait fini, à force de méditer la grandeur de Dieu et
la misère de l'homme, par désespérer tout le monde
et faire déserter les sacrements. C'est ainsi que nos
esprits forts, en niant la révélation comme indigne de
la majesté du Tout Puissant, se font, de la grandeur
de Dieu, une arme contre Dieu même.
Et pourquoi mes frères, Dieu rougirait-il d'ins-
truire celui qu'il n'a pas rougi de créer? Pourquoi ne
pourrait- il, sans s'avilir, compléter son œuvre, pres-
crire au Roi de la nature les hommages qu'il attend
de lui et lui indiquer la manière de les lui rendre?
— Et de quel droit l'homme voudrait il limiter la
puissance divine ? Dieu n'est il pas seul juge dans sa
prupre cause, et n'est-ce pas lui faire outrage que
de lui prescrire ce qui convient ou ne convient pas à
sa grandeur ?
— - Eh bien 1 passe pour la grandeur, nous dit-on ;
mais la sainteié ? Comment un Dieu, qui doit, avant
tout abhonei le crime, a-t-il pu donner à l'homme
OU L'OxN Nfî DOUT PAS, 241
une religion et des lois positives qui sont tout autant
de moyens de pécher?
— Eh mais, par la même raison qu'il lui a donné
l'intelligence et la liberté, par la même raison qu'il
lui a donné la religion et la loi naturelle ! est-ce que
l'obligation en est moins rigoureuse et moins sacrée ?
Et &i l'une est le complément et la promulgation de
l'autre, la dernière n'a-t elle pas dans la primitive
un premier point d'appui, j'allais dire sa raison
d'être? — Oui, sans doute, Dieu abhorre le crime :
ainsi, pour peu qu'on veuille réOéchir, on convien-
dra sans peine que la religion révélée, loin d'être
un excitant, une amorce au crime, en est au contraire
le remède et un puissant préservatif ; on conviendra
que la Ici positive vient au secours de la loi natu-
relle et la sanctionne, qu'elle élève nos sentiments et
nous fait concevoir, de la sainteté de Dieu, l'idée la
plus sublime
N'est-ce point cette loi, mes frères, qui révèle notre
grandeur et donne du prix à nos moindres actions?
Quoi ! fallait il donc que le Créateur nous nécessitât
au bien pour rendre le mal impossible, et Dieu vous
paraîtrait-il plus saint, s'il nous eût refusé les moyens
de nous s; n lifier nous-mêmes ?
— Avouez du moins, ajoute- t-on, qu'il répugne à
ia bonté de Dieu de nous imposer la contrainte et le
frein de ses lois. Pourquoi en effet nous créer libres,
s'il devait ainsi gêner notre liberté ?
— A la bonne heure, mes frères! c'est à-d.re que
ia bonté de Dieu 1 ubiigtMtfl a nom livrer à l'aveugle
faitinct de la brute, g |aae de i' homme une pure
542 PETITS SERMONS
machine, ou bien à laisser sans objet, sans action, les
nobles facultés dont il avait doté sa créature, c'est-
à-dire, en d'autres termes, que le créateur devait,
pour mieux manifester sa bonté, nous abandonner aux
caprices d'une licence monstrueuse, effacer en nous
son image et détruire la source de nos mérites en
détruisant toute différence entre le vice et la vertu?
Mais n'était-ce pas renoncer à des droits éternels,
n'était ce pas anéantir les rapports sacrés qui l'unis-
sent à l'homme et l'anéantir lui-même.
Que serait, je vous le demande, mes frères, que
serait un Dieu sans rapports avec son ouvrage ? Que
serait un homme sans règle, sans devoirs, sans li-
berté? La bonté de Dieu pouvait elle l'obliger à tron-
quer son œuvre ; et n'était-ce pas la tronquer que de
créer un homme avec l'intelligence du bien, sans
l'obliger à l'aimer, à le vouloir, aie faire? — Mais
la loi gêne la liberté ! dites plutôt la licence, l'abus de
la liberté ; on est toujours assez libre pour faire le
bien ; et la loi positive ne nous fut donnée, comme
la loi naturelle, que pour empêcher le mal ; aussi
n'y a t il que le vice qui réclame et qui cherche à s'y
soustraire.
Or, murmurer contre ce frein salutaire qui vous
affranchit de l'esclavage des passions, se roidir contre
ce joug si doux qui forme notre diadème d'enfants
de Dieu et de rois de la création, n'est-ce pas abju-
rer notre auguste ressemblance avec le créateur, qui
n'est pas libre, lui non plus, de faire le mal ? n'est ce
pas renier Dieu pour adorer la chair, et vouloir être
libre comme la bête de somme, n'est-ce pas aspirer
ou l'on ne dort pas. 243
à l'humiliante, à la sinistre liberté des enfants de
Satan?
— Eh bien ! reprennent nos esprits forts, car ils
ne se tiennent pas pour battus, puisque ia loi révé-
lée oblige tout le monde, que faites -vous de tant de
peuplades qui sont encore plongées dans l'ignorance,
et comment concilier la justice éternelle avec cette
maxime sanguinaire : Hors de l'Eglise point de sa-
lut?
— - Comment les concilier? par un moyen bien
simple : d'abord en indiquant la sagesse et la raison
de cette intolérance, et puis en expliquant cette
maxime sanguinaire qui donne le vertige à nos petits
philosophes et devant laquelle tant de braves ont crié
comme l'anguille de Melun.
On ne devrait jamais perdre de vue, mes frères,
même en ce siècle, où certains îêveurs prétendent
ériger en principe l'identité des contraires, que le
oui et le non sont essentiellement opposés, que la
vérité est une et invariable comme Dieu, et qu'à ce
titre elle ne saurait transiger avec l'erreur. — Qu'est-
ce en effet que transiger, si ce n'est reconnaître les
droits de son bdversaire ? Et l'erreur n'étant qu'une
pure abstraction, la négation de la vérité, n'étant rien
par elle-même, comment pourrait-elle avoir des droits
}ur la terre ?
Or, pour toute puissance intruse, usurpatrice, être
tolérée, c'est avoir fait valoir ses droits, et être re-
connue, en quelque sorte, c'est avoir triomphé. Aussi
l'erreur ne parle-telle que de tolérance, de transac-
tions, d'accommodements avec la vérité : c'est qu'elle
2 44 ràrrs SEBMo?re
n'ignore pas qu'on ne transige qu'entre puissances
égales, et que, pour elle, un accord, une capitulation
quelconque, serait une reconnaissance de droits, une
garantie d'existence.
Mais aussi laissez-la respirer, laissez la grandir et
s'établir sur son trône, vous la verrez bientôt chan-
ger d'attitude et de langage, elle saura se venger
d'avoir rampé. L'histoire d'Elisabeth et d'Henri VIÎI
est une large tache de sang dans les annales du pro-
testantisme : rien de plus tyran que l'erreur, rien de
plus dominateur et de plus absolu. L'essentiel pour
Terreur, c'est de se faire accepter : elle ne demande
que cela pour établir son règne sur les ruines de la
vérité.
Et voilà justement pourquoi, mes frères, la reli-
gion véritable ne saurait tolérer l'erreur doctrinale ;
elle sait que transiger avec elle ce serait l'élever jus-
qu'à soi, et que négocier, faire le sacrifice d'un seul
de ses droits, ce serait les abandonner tous.
« La religion, dit un pieux auteur, est essentielle-
« ment militante : elle poursuit l'erreur, car elle est
« la gardienne de la vérité. Sa condition est celle de
« tout ce qui existe sur la terre : car vivre, c'est se
« défendre, et tolérer tout, c'est mourir. C'est pour-
« quoi, demander à l'Église la tolérance, c'est lui
- demander le blasphème et l'absurdité : c'est lui
« demander en même temps deux suicides, le sui-
« cide de sa foi et le suicide de sa raison ; et le jour
« où elle accepterait la honte de cette tolérance, elle
« expirerait à la fois et sous les anathèmes du ciel et
« sous les mépiis de la terre. *»
ou l'on ne dort pas. 245
Donc, mes frères, l'intolérance doctrinale n'est pas
un abus de pouvoir, une tyrannie de l'Église, mais
un droit inaliénable, un devoir sacré, une condition
essentielle de son existence : tel est le caractère de
la vérité : c'est le bien, qui ne peut fraterniser avec
le mal, la vertu avec le vice, Dieu avec Bélial, voilà
tout le mystère ; est-il donc si étrange et si révoltant?
Et maintenant venons à la formidable et sangui-
naire maxime qu'on nous oppose. Vous le savez,
chrétiens, et la mauvaise foi seule, l'impiété systé-
matique ose encore le nier, si la religion révélée
condamne les fausses doctrines, elle est pleine de
condescendance et de charité pour les malheureux
égarés qui les professent de bonne foi. L'erreur invo-
lontaire, l'erreur invincible n'a jamais constitué
personne en état de damnation : et Dieu ferait un
miracle plutôt que de laisser périr celui qui, toute sa
vie, se serait trompé de bonne foi. Quiconque évite
le mal et fait le bien, même en dehors de la religion
révélée, est naturellement chrétien, suivant l'expres-
sion d un Père de l'Église * ; car s'il n'a point en-
tendu la voix de Moïse et des prophètes, s'il n'a
point été éclairé de l'auguste soleil de l'Évangile, il
en a vu dans son cœur l'annonce et l'aurore, en a
fidèlement suivi les premiers rayons dans l'immortc/
flambeau de la loi naturelle : aussi n'est-ce point tr
lui que s'adresse la sentence : Hors de l Eglise poinl
de salut : il ne périra pas : la miséricorde divine ira
le trouver, s'il le faut, par le ministère d'un ange,
* Tertullien,
246 PETITS SERMONS
dans une mosquée, une pagode, un temple protes-
tant, une synagogue juive ; elle ira le sauver jusque
devant les autels de l'idolâtrie : c'est la doctrine la
plus conforme à la foi de l'Église, à l'enseignement
des Pères et la croyance la plus en harmonie avec la
justice et la clémence de Dieu. .
« Il n'est pas de crime sans volonté, dit un savant,
« prélat, et, devant Dieu, nous ne sommes pas cou-
« pables si le cœur est innocent. Il faut le dire, in
« faut le proclamer bien haut, l'homme, au juge*
« ment de Dieu, ne sera responsable, dans ses opi-
« nions, que de la mauvaise foi, et dans sa conduite,
« que des transgressions volontaires de ses de-
« voirs 4. »
Ainsi s'explique, mes frères, cette maxime sangui-
naire dont s'épouvante la philosophie; ainsi se con-
cilie la justice divine avec l'intolérance de l'Église :
guerre implacable aux erreurs, aux erreurs systé-
matiques surtout, mais tolérance, mais débonnai-
reté pour les personnes ; car, alors même que les
doctrines divisent les esprits, la charité doit confon-
dre les cœurs. Celui qui enseigne que hors de
l'Église il n'y a 'point de salut ^ enseigne aussi qu'en
Jésus Christ il n'y a ni juif, ni gentil, ni grec, ni
barbare, ni maître, ni esclave; que, dans le sein de
la religion révélée comme dans celui de la religion
primitive, tous les hommes sont frères : voilà com-
ment tout se concilie et ce qu'il faut penser de cette
1 Frayssinous, Maximes de l'Église catholique sur le
salut des hommes.
ou l'on ne dort pas, 247
maxime sanguinaire. Y a-t-il tant à crier contro le
plan divin?
1 Que la religion révélée oblige tout le monde, c'est
un fait constant qui n'a pas besoin de preuves :
quand Dieu commande l'homme doit obéir ; seule-
ment, comme la loi positive ne peut être obligatoire-
que pour ceux qui la connaissent, l'homme qui
l'ignore invinciblement n'est tenu d'obéir qu'à la
voix de sa raison et de sa conscience, qui lui parle
au fond de l'âme dans le remords, et sanctionne
d'une manière éclatante la loi naturelle.
« La révélation chrétienne, dit encore Frayssi-
« nous, est une loi positive, et il est de la nature
« d'une loi de n'être obligatoire que lorsqu'elle est
« publiée et connue Donc si l'infidélité se trouve
« condamnée au tribunal du souverain juge, ce ne
« sera que pour avoir violé ce qu'il pouvait et de-
« vait connaître de cette loi intérieure qui se mani-
« feste par la conscience. »
Donc, mes frères, celui qui se fait de la révélation
une arme contre la justice divine et s'irrite de l'in-
tolérance de l'Église, montre évidemment ou qu il
ne comprend pas cette maxime qu'il attaque ou
qu'il explique en homme qui a perdu la raison.
Dans le dictionnaire du bon sens, la maxime : Hors
de l'Eglise point de salut est moins terrible, moins
révoltante et se concilie un peu mieux avec la jus-
tice divine : elle signifie tout simplement, point
d'héritage pour quiconque renie sa famille ; point
de lumière pour celui qui cherche les ténèbres ;
point de Ciel pour qui n'en veut pas suivre la
15.
248 PETITS SERMONS
route, point de salut enfin, pour qui s'obstine à
périr.
— Tenez, ne me parlez plus de révélation, disent
encore nos esprits forts, vous me feriez douter de la
sagesse de Dieu... Car de deux choses l'une : ou il
voulait être compris de l'homme, ou il ne le voulait
pas. S'il voulait se faire comprendre, qui l'empê-
chait de parler plus clairement? Et s'il ne le vou-
lait pas, à quoi bon révéler9 Donc la révélation était
au moins inutile et la sagesse éternelle est ici en
défaut.
— A merveille, mes frères! le syllogisme de nos
philosophes est irréprochable, et le blasphème trop
en forme pour que Dieu ait le droit de s'en offenser...
Et moi je leur réponds avec Pascal et Bacon : De
deux choses l'une : Ou vous voulez entendre ou
vous ne voulez pas. Si vous voulez, Dieu parle assez
clairement pour que les plus sourds puissent l'en-
tendre; et si vous ne voulez pas, de quoi vous plai-
gnez-vous? — Sans doute, mes frères, la religion
étant la science des choses surnaturelles, des choses
de Dieu, il n'est pas surprenant que l'esprit de
l'homme n'en puisse sonder toute la profondeur : |
un être borné ne saurait embrasser l'infini et Dieu i
ne serait pas Dieu si la créature pouvait le compren- 1
dre. Est-ce que toutes les religions de la terre n'ont
pas eu leurs secrets et leurs mystères ? L'idolâtrie,
ce culte grossier de la matière et des sens, était
mille fois plus obscure que la religion révélée ; elle
demandait à ses adeptes une foi, une bonne volonté
capable, je ne dis pas de transporter des collines,
ou l'on ne doîvT pas. 249
I rrnîs d'avaler des montagnes, mais de digérer les
plus étranges, les plus phénoménales absurdités.
Lisez l'histoire générale et particulière des nations ;
vous y verrez que de tout temps, le mystère, le mer-
veilleux, l'incompréhensible furent le fondement de
toute opinion religieuse : tant il est vrai que l'homme,
quelle qu'ait été sa religion, n'a jamais conçu la divi-
nité qu'environnée d'un voile impénétrable à sa faible
intelligence, et s'est toujours tenu respectueusement
éloigné du redoutable et mystérieux sanctuaire où il
plaçait ses immortels.
Or, mes frères, si tels étaient les sentiments des
nations qui ne connaissaient pas le vrai Dieu, si la
saine raison nous dit à tous qu'il est de l'essence de
la divinité d'être incompréhensible, est-il donc si
étrange qu'en se révélant à sa créature, en lui dic-
tant ses lois, le Tout-Puissant soit toujours resté le
Dieu caché et ne lui ait révélé qu'un pâle reflet de
sa gloire î Dieu parlant à l'homme, pouvait-il telle*
ment se communiquer à lui, le faire pénétrer si
avant dans la connaissance de ses mystères et de
son essence adorable, qu'il cessât d'être pour nous
l'Ineffable, l'Éternel, l'InOni]
Non sans doute, car c'eut été diviniser la créature
et se donner un rival. Or, ceux qui se plaignent de
l'obscurité de la révélation, ceux qui voudraient que
Dieu se fit comprendre, n'exigent pas de sa sagesse
cet effort suprême, et n'aspirent pas sans doute à
• monter si haut; il serait, je crois, assez naturel
qu'avant de comprendre Dieu, ils commençassent
par se comprendre eux mêmes,.. — Et quand même
250 PETITS SERMONS
nous pourrions comprendre Dieu sans que Dieu ces-
sât d'être, n'est-il pas de sa sagesse d'exercer notre
foi par l'obscurité de ses mystères t — En nous ré-
vélant le cuite qui lui était dû et la manière de le
lui rende, en nous demandant l'hommage de notre
cœur par la reconnaissance et l'amour, l'hommage
de nos sens par l'adoration et la prière, l'hommage
de notre volonté par l'obéissance à ses lois, ne se
devait-il pas à lui-même d'exiger encore l'hommage
de notre intelligence et de notre raison par l'humi-
lité de notre foi ? Et cet anéantissement des plus no-
bles facultés de notre âme devant l'obscurité, l'im-
pénétrable profondeur de ses mystères, n'était-il pas
le sacrifice le plus agréable qu'il pût recevoir d'une
créature intelligente9
Et pourtant ne vous y trompez pas, mes frères,
cette obscurité n'est pas si complète qu'on veut bien
le dire : Dieu se manifeste suffisamment à l'âme
droite ; il y a dans la parole révélée assez de lumière
pour ceux qui cherchent la vérité dans la simplicité
de leur cœur; mais il n'y en a pas, que dis-je? il y
en a trop pour l'orgueilleux qui scrute téméraire-
ment la majesté divine, il en est ébloui, aveuglé.
— « Tant d'hommes, dit Pascal, tentent Dieu et se
« rendent indignes de sa clémence, qu'il a voulu les
« laisser dans la privation des biens qu'ils ne veu-
« lent pas. 11 n'était donc pas juste qu'il parût d'un<3
« manière manifestement divine et absolument ca-
« pable de convaincre tous les hommes ; mais il n'é-
« tait pas juste aussi qu'il vînt d'une manière si ca-
« chée qu'il ne pût être reconnu de ceux qui le
ou l'on nu dort pas. 251
* chercheraient sincèrement II a voulu se rendre par-
« faitement reconnaissabie à ceux-là; et ainsi voulant
u paraître à découvert à ceux qui le cherchent de
« tout leur cœur et caché à ceux qui le fuient de
« tout leur cœur, il tempère sa copnaîssance en
« sorte qu'il a donné des marques de foi visibles à
•« ceux qui le cherchent, et obscures à ceux qui ne
« le cherchent pas 4. »
Voulez-vous donc trouver Dieu plus accessible et
sa parole moins obscure ? Voulez- vous être inondé
de la lumière révélée, autant du moins qu'on peut
Têtre ici-bas, où tout est mystère, non-seulement
dans la religion, mais dans la loi naturelle, mais
dans le monde physique et matériel 1 Voulez-vous
comprendre assez les oracles divins pour n'être plus
tenté de douter de la sagesse éternelle?
Souvenez- vous qu'en toute chose, avant de déci-
der, la raison, d'ordinaire, prend conseil de l'intérêt,
et que l'esprit penche toujours du côté du cœur.
Étudiez les oracles divins et ils vous paraîtront moins
obscurs, moins incroyables. Pour les étudier avec
fruit, aimez les : si vous les aimez, vous serez inté-
ressé à les trouver véritables, et vous y serez inté-
ressé, si vous êtes vertueux !
Oui, mes frères, c'est le plus souvent l'intérêt qui
décide en matière religieuse : le dogme le plus
simple, la doctrine la plus claire, la plus évidem-
ment rationnelle, aura toujours des contradic-
teurs, si peu que les passions y soient intéressées.
1 Pascal, Pensées, xvm.
552 PETITS SERMONS
Quoi de plus surhumain, de plus visiblement prodi-
gieux que la résurrection d'un mort ? Et pourtant
des hommes ont écrit, ont publié sur tous les tons
que, quand tout Paris aurait été témoin de ce miracle,
ils n'y croiraient pas. Que dire à des gens assez obsti-
nés pour résister à l'évidence, assez orgueilleux pour
vouloir avoir raison contre le genre humain, assez
méchants pour défier Dveu de les ramener à lui?
Que peuvent, pour les toucher, pour les gagner, et
les inspirations de la grâce, et l'adorable simplicité
de l'Évangile, et le parfait accord de la raison et de
la foi?
Ah 1 disons-le en frémissant, chrétiens, pour
les convaincre, il n'est qu'un argument, un seul,
mais c'est la justice divine qui l'emploie... La
foudre !
Mes frères, j'en ai la douce confiance, il n'y en a
aucun parmi vous qui ait osé, je ne dis point nier,
ce serait folie, je ne dis point douter, il y aurait de
l'impiété, — mais parler légèrement sur Dieu et la
religion : tous nous avons la foi; tous nous rêvé*
rons, nous chérissons la parole révélée et nous
considérerions comme un crime, un sacrilège, ce que
le monde appelle un joyeux propos : c'est beaucoup,
mais cela ne suffît pas. Au respect, à l'amour, joi-
gnons encore l'obéissance; pratiquons fidèlement
le bien qui nous a été montré du haut du Ciel ; atta-
chons-nous à imiter le divin modèle qui nous pré-
cède à la sainte montagne ; et fortifiés par sa grâce,
montant sur ses pas de degrés en degrés et de vertus
en vertus, nous arriverons au glorieux terme où sa
ou l'on ne dort pas. 553
moin bénie déposera sur notre front l'éternelle cou-
ronne des élus I Ainsi soil-il!
VINGT-SIXIÈME SERMON
DIVINITÉ DE LA RFLïGïON CHRETIENNE. — ANCIEN
TESTAMENT, LES PROPHÉTIES*,
Tettimonia tua credibilia factçt mnt nimii.
Y'j& oracles, Seigneur, sont très-fidèles
iPs Vùii,$.)
Mes frères, les esprits forts, s'il y en avait dans
cette enceinte, voudront bien, j'espère, être justes
à notre égard ; en déroulant, dans ces courts entre-
tiens, les sujets les plus sublimes, les plus augustes
enseignements de la foi, nous n'avons fait appel
qu'à la raison, au bon sens le plus élémentaire, it
nous nous sommes constamment abstenu jusqu'ici
d'invoquer le secours de la parole révélée ; si pré-
venu que l'on soit d'ordinaire contre une disserta-
tion religieuse qui vient après tant d'adm-rables
chefs-d'œuvre sur la matière, personne ne nous
aura s? ns doute accusé de prouver Dieu par l'Écri-
ture sainte, et l'âme humaine par les Pères ; nous
ne prouverons pas davantage la religion par la reli-
gion. Autant et plus que vous, mes frères, nous dé-
testons le cercle vicieux, surtout celui qui j eut de-
venir une aime entre Ie^> mains de l'impie et faire
croire que le christianisme repose sur un sable mou-
vant.
Aussi > bien que la révélation soit un fait aujor.r-
254 PETITS SERMONS
d'bui si palpable, si impérieusement prouvé, si uni-
versellement admis qu'il s'affirme et ne se démontre
plus, bien que vous sachiez tous à quoi vous en te-
nir au sujet de l'incrédulité, de la mauvaise foi qui
conteste à l'Évangile ses titres à la reconnaissance
et aux hommages du genre humain, nous allons ra-
pidement les étudier dans trois entretiens sommaires
qui termineront ce qu'il nous reste à dire sur les
fondements de la foi.
Et d'abord, mes frères, le christianisme est la
seule religion qui ait des preuves, a dit un profond
penseur.
Lui seul en effet donne de Dieu, de Thomme et du
monde une explication raisonnable ; en lui le passé,
le présent, l'avenir, tout s'enchaîne, est admirable-
ment coordonné. Lorsqu'on étudie la religion ré-
vélée, mais froidement, sans passion et avec le désir
bien sincère et bien arrêté de ne point fermer les
yeux à la lumière, on est frappé de la multitude et
de l'évidence des preuves qui l'établissent. L'auto-
rité des livres saints, la sublimité des enseigne-
ments, la pureté de la morale qu'ils renferment, la
mission visiblement divine de leurs auteurs ; le ca-
ractère personnel de Jésus- Christ, sa divinité hau-
tement attestée par les prophéties et les miracles;
les bienfaits sans nombre dont l'Evangile a comblé
l'Univers ; les hommages forcés rendus à la religion
par les plus grands impies ; et, au dessus de tout cela,
un fuit palpitant, victorieux, évidemment divin,
l'établissement du christianisme dans le monde, ce
miracle permanent de deux cents millions d'hommes
ou l'on ne dort pas. 255
arrachés au culte voluptueux de l'idolâtrie et ame-
nés sans effort, sans secousse, au pied des autels du
Dieu crucifié... que de témoignages à entendre,
mes frères, quel vaste arsenal de preuves à déve-
lopper! Mais les savants travaux des Bossuet, des.
Pascal, des Bergier, des Leibnitz et de tant d'autres
apologistes qui sont entre les mains de tout le monde
nous dispensent de nous étendre sur cet immense
sujet : bornons nous donc à un simple exposé qui
nous rappelle les principaux motifs de notre croyance,
et parlons d'abord de l'autorité des livres saints, de
leur authenticité, de leur certitude, en appuyant
aujourd'hui sur l'Ancien Testament.
Vous connaissez tous, mes frères, le sujet de
l'Ecriture sainte : elle contient l'histoire des pre-
miers temps, l'origine du monde, de l'homme, l'his-
toire du peuple juif, le plus ancien des peuples, sa
religion, ses lois, ses mœurs, les prophéties dont le
dépôt lui était confié; la vie de Jésus-Christ, ses di-
vers enseignements recueillis par les apôtres et
enfin l'histoire prophétique de la société chrétienne
dont il est le fondateur. De ces deux parties, appelées
l'Ancien et le Nouveau Testament, se compose la
Bible, livre admirable, divin, qui, comme on l'a dit de
nos jours, « renfermant l'histoire de tous les temps,
commence et finit dans l'éternité ! ».
— Nier l'authenticité, la vérilé des divines Ecri-
tures, c'est vouloir anéantir toute certitude : autant
vaudrait nier l'existence des Juifs qui nous ont trans-
1 Lamennais.
^56 PETITS SERMONS
mis l'Ancien Testament et celle des chrétiens leurs
ennemis qui en invoquent le témoignage en nous
transmettant le Nouveau.
D'ailleurs il est hors de doute, mes frères, que ces
livres sont des auteurs dont ils portent les noms,
qu'ils ont été conservés avec une vénération reli-
gieuse et nous sont parvenus sans altération essen-
tielle. Le premier de ces livres, appelé Pentaleuque,
et le plus ancien des livres, au dire même des im-
pies, fut toujours attribué à Moïse, législateur des
Hébreux, par un peuple entier qui vénère ce livre
comme le fondement de sa religion, de ses lois, de
ses mœurs et de sa constitution politique : en sorte
qu'on ne pourrait l'attribuer à un autre sans nier
l'existence de ce peuple.
— Mais, demandent nos petits docteurs, qui nous en
garantit l'intégrité? Comment s'assurer qu'il est venu
à nous par une tradition constante et fidèle ?
— Comment s'en assurer? Mais par les mômes
moyens qu'on emploie pour tout autre livre ; on vous
permettrait même, au besoin, d'être plus sévère pour
la Bible que pour le livre le plus authentique., elle
est sortie victorieuse de tant d'assauts qu'elle n'a plus
h redouter votre examen.
Depuis la sortie d'Egypte et le séjour dans le dé-
sert, le peuple juif eut entre ses mains les livres de
Moïse : on les lisait tous les jours ; les pères en trans-
mettaient la connaissance à leurs enfants comme
leur plus précieux héritage; l'oiiginal en était reli-
gieusement conservé dans le tabernacle; tous les
mots, les lettres mêmes étaient comptés. La moindre
ou l'on ne dort pas. 557
altération, le plus léger changement eût fait crier au
sacrilège, car toute la nation regardait ce livre
comme divin.
Le même raisonnement s'applique aux autres livres
de l'Ancien Testament, qui tous sont fondés sur celui
de Moïse, le citent à chaque instant, lui sont visible-
ment unis et forment, les uns après les autres, comme
une gradation continuelle qui prépare à l'Évangile.
Tout en effet y est tellement lié que les faits rapportés
dans les derniers livres supposent toujours les faits
écrits dans les précédents. On ne peut donc pas plus
douter de leur authenticité, de leur intégrité, qu'on ne
doute de celle des Commentaires de César, des An*
nales de Tacite et des Discours de Cicéron.
— Mais, dit- on encore, les faits rapportés dans
l'Écriture sont-ils bien certains, bien avérés ? Les
auteurs bibliques n1ont-ils pas pu se tromper et nous
induire en erreur, par exemple, sur les miracles, les
prophéties, et surtout sur les faits antérieurs au dé-
luge ? Car enfln le papier, dit le proverbe, est un pa-
tient animal et a beau mentir qui vient de loin.
— Oui, sans doute, mais on sait comment nous
sont venues les Écritures : elles nous ont été trans-
mises de proche en proche et ne nous sont pas tom-
bées des nues; donc, avant d'aller mentir au loin, il a
fallu mentir sur place et trouver des gens assez niais
pour avaler des bourdes aussi pyramidales que le se-
raient les prodiges de l'Ancien Testament si Dieu ne
s'en était un peu mêlé.
Soyons de bon compte, mes frères, si patient que
soit le papier, il hurle quand on lui fait porter des
258 Pi<TiTS SERMONS
sottises et des absurdités trop choquantes : parlez
sérieusement de la guérison subite d'un sourd -muet,
d'un aveugle-né, impossibilité manifeste, osez affirmer
une énormué pareille à la résurrection d'un mort —
sans miracle — elle déchirera les oreilles qui l'enten-
dent ; ayez le courage de l'écrire, elle vous sera comme
un cautère sur les yeux.
Or il faut croire, chrétiens, que si notre siècle a le
glorieux monopole du progrès, de la vapeur et des
lumières, il n'a pas tout à fait celui du bon sens : les
anciens Juifs, quoiqu'en dise Renan, n'étaient pas des
imbéciles ; accordons-leur au moins assez de juge-
ment pour comprendre qu'une prophétie est une pro-
phétie et un miracle un miracle.
Était- il d'ailleurs si facile d'y être trompé? Les faits
rapportés dans l'Ancien Testament ne sont pas des
faits obscurs, ils n'ont pas eu lieu dans un galetas,
pour user de l'expression ricaneuse de Voltaire : ils
ont été opérés en plein soleil, devant tout un peuple
qui est pris à témoin de ces faits miraculeux sur les-
quels on fonde une loi dure et pénible dont les vio-
lateurs seront punis de mort. Us devaient dune être
saisissants, actuels, ces prodiges que le législateur
invoque sans cesse en adressant au peuple les répri-
mandes les plus vives, les plus humiliantes, en lui
reprochant son opiniâtreté, son ingratitude et ses
crimes ; et le peuple, accablé par l'évidence de
ces faits surnaturels où la voix de Dieu parle si
hautement , s'assujettit sans murmure à cette loi
sévère , se soumet à ces châtiments et conserve
comme un trésor les livres qui consacrent à jamais
OU L ON NE DORT PAS. 25§
le triste souvenir de sa honte et de ses iniquités.
Ah ! il fallait que ce peuple obstiné, que ce peuple
à la tête dure fût convaincu, il fallait qu'il eût vu, en-
tendu et touché, croyez-le bien, pour accepter un joug
pareil ; lisez certains chapitres du Lévitique et du Deu-
téronome et vous m'en direz des nouvelles.
Et comment, en effet, tromper tout un peuple sur
des événements aussi palpables que les plaies d'Egypte,
le passage d'une mer à pied sec, la nuée qui brlle
dans la nuit et protège dans le jour contre les ardeurs
du soleil, la manne du désert, le torrent qui jaillit du
rocher, les foudres du Sinaï, le serpent d'airain le
cours du Jourdain suspendu, le soleil arrêté par
Josué, une armée entière de cenl quatre -vingt mille
hommes exterminée dans une nuit sous les murs de
Jérusalem ? Tous ces prodiges et cent autres de ce
genre, dont plusieurs étaient attestés par des monu-
ments, des fêtes solennelles qui devaient en perpé-
tuer la mémoire, ne pouvaient, je le répète, être igno-
rés que des imbéciles, et les plus incrédules devaient
les admettre ; il suffisait d'avoir des yeux pour voir et
des oreilles pour entendre.
h Comment, dit Lamennais, Moïse aurait-il contenu
« dans le devoir et soumis aux lois les plus sévères,
« aux pratiques les plus gênantes un peuple violent,
« opiniâtre et toujours prêt à la révolte en lui per«
« suadant qu'il était journellement témoin de prodio
« gcs dont pas un n'aurait frappé ses regards ? Choi-
« sissons pour exemple le passage de la mer Eouge.
« Pense -t-on qu'il y ait un peuple au monde à qui
« l'on pût faire croire, contre le témoignage de ses
260 PETITS SERMONS
a sens et de sa mémoire, qu'il a traversé à pied sec
o un bras de mer dont les eaux, pendant son passnge,
« sont restées miraculeusement suspendues, pour
« engloutir ensuite en retombant, les ennemis qui la
« poursuivaient?
« Voilà ce que rapporte Moïse, voilà ce qu'il rap-
« pelle aux Juifs pour les ramener au culte du vrai
« Dieu qu'ils abandonnent Or si ce fait eût été faux,
« conçoit on rien de plus extravagant que de l'allé-
« guer à un peuple emporté par les passions pour le
« détourner de l'idolâtrie et le ramener à l'obéis-
« San ce ?
« L'Angleterre, en se séparant de l'Église de Jé-
• susChiist, a renoncé depuis plusieurs siècles au
» véritable culte de Dieu Supposons que, pour rame-
« ner les habitants de Londres à ce culte saint, un
• catholique leur tînt ce langage :
« - Eh quoi ' avez- vous donc oublié si vite les
« miracles opérés en votre faveur, la Tamise suspen-
« da'nt son cours, son lit desséché pour vous offrir
« un libre passage ; les flots arrêtés sans aucune
* digue et recommençant à couler quand vous eûtes
« atteint l'autre bord? — Se trouverait-il un homme,
« un seul, que ce discours persuadât ? Quel autre
<« effet produirait-il que d'exciter la risée des enfants
* mêmes, ei que pourrait at endre l'auteur sinon d'être
« aussitôt enfermé comme fou ? »
Ainsi, mes frères, rien de plus certain que les mi-
racles rapportés dans l'Ancien Testament, mais en
est il de même des prophéties?
En douter serait mettre en question l'histoire tout
ou l'on ne dort pas. 26i
entière de la nation juive et s'inscrire en faux contre
son existence. A chaque pas, dans les livres de l'An-
cien Testament nous rencontrons des hommes inspi-
rés annonçant, plusieurs siècles à l'avance, des évé-
nements qui se sont accomplis dans le temps, dans
le lieu et avec les circonstances indiquées par le pro-
phète : et ces événements ne sont pas de ceux qu'on
peut rencontrer au hasard ou qui passent inaperçus,
mais les plus précis, les plus intéressants pour une
nation et tout à la fois les plus éloignés de toute
vraisemblance au moment de la prophétie.
Ainsi la prise et la ruine de Jérusalem alors floris-
sante ; la conduite des Juifs à Babylone ; le terme
précis de 10 ans fixé pour la durée de la captivité ; le
retour glorieux de ce peuple dans sa patrie; Cyrus,
son libérateur désigné, appelé par son nom plus de
deux cents ans avant sa naissance ; aiiibi les prophéties
qui concernent le Sauveur, depuis celle de Jacob
mourant, jusqu'à celle des soixante-dix semaines de
Daniel : prophétie si claire, si détaillée et si affirma-
tive que les impies, Celse en tête , ont prétendu
qu'elle avait été faite après coup... Quel concert,
quel puissant argument en faveur de la vérité, nous
pourrions dire de l'inspiration des Livres saints !
Mais tenez, mes frères, je ne veux pas qu'il soit
encore question d'inspiration, ne parions ici qu'à la
simple raison, au bon sens le plus élémentaire : pre-
nez en main les Écritures : pour un moment oubliez
qu'elles sont divines, inspirées d'en haut, ne les con-
sidérez que comme purement historiques : vous v
veircz le Messie promis à chaque page : sa naissance»
rd PETITS SEÎIMONS
sa pauvreté, sa vie, sa doctrine, ses miracles, sa
passion, sa mort, tout est prévu, tout est annoncé
avec une précision de détails si surprenants qu'elle
ï fait dire à saint Jérôme que l'Ancien Testament est
un Évangile anticipé, et qu'en lisant les prophètes,
on croit moins lire une prophétie qu'une histoire. Or,
comment ces saints personnages pouvaient-ils ainsi
pénétrer dans 1 avenir, et dans un avenir si lointain ?
N'est ce pas le Maître des temps et des événements
qui leur donnait la sagesse e; les éclairait de sa cé-
leste lumière ? N'est-ce pas lui qui révélait aux pro
phètes l'économie et les mystérieux ressorts de sa
providence comme il révéla à Moïse l'histoire primi-
tive du monde et de l'humanité ?
Mais que dis je? oublions encore une fois l'inspi-
ration, même pojr Moïse, et ne parlons toujours qu'à
la raison.
Avez-vous jamais fait, mes frères, au sujet de la
Bible, une remarque importante : c'est quil était
facile à Moïse de connaître l'histoire des premiers
temps, et le détail des traditions de sa famille : ajou-
tons qu'il lui eût été impossible de tromper les Hé-
breux qui les connaissaient comme lui et qui tous
étaient intéressés à la sincérité de son récit, puisqu'il
fixait à jamais par l'Écriture leurs traditions orales.
Bien que les faits antérieurs au déluge fussent
déjà fort anciens, et qu'il se fût écoulé trois mille ans
depuis la création du monde, la longue vie des pa-
triarches rapprochaient les distances et les événements
les plus lointains en mêlant pour ainsi dire les siècles
les uns avec les autres.
ou l'on ne dort pas. 263
Il n'y a que trois générations de Moïse à Abraham,
dont le père avait vécu 63 ans avec Noé : Noé tou-
chait au premier homme par Mathusalem avec lequel
il avait vécu plusieurs siècles, et Malhusalem avait
vu Adam ! Moïse n'était donc séparé de la création
du monde que par très peu de générations et le sou-
venir des grands événements qu'il rapporte devait
être encore vivant dans 1 immense famille de Jacob.
S'il se fût trompé dans la narration des faits anté-
rieurs au déluge, tout un peuple eût crié à l'impos-
ture, au sacrilège : quant aux événements posté-
rieurs, ils étaient pour ainsi dire de son temps ; il
n'avait qu'à rapporter ce qu'avait vu son père et ce
qu'il voyait lui même : il n'avait donc pu tromper
les Hébreux ; et quant à nous, il y a, Dieu merci, as-
sez longtemps que nous discutons, que nous étudions,
que nous épluchons son histoire avec tous les com-
pas de la critique et les télescopes de la science ; et
si nous n'y avons pas découvert la plus petite erreur,
ce n'est pas au moins faute de bonne volonté.
Un autre fait que l'on ne devrait jamais perdre de
vue et qui vaut à lui seul tout une démonstration,
c'est l'acharnement et la persévérance avec laquelle
les impies de tous les temps et les philosophes du
dernier siècle ont attaqué les divines Écritures, et
principalement les récits de Moïse. — Chronologie,
histoire, astronomie et zodiaques, géologie, mé-
dailles, chimie, monuments, littérature, épigram
mes, calomnies, on s'est fait une arme de tout pour
attaquer Vin/âme par les fondements. Le pa; iarche
de l'incrédulité poussait même le cynisme jus-
16
2ê4 PETITS SEUMONS
qu'à dire sur tous les tons en excitant ses molosses :
— « Allons dune ! consolez ma vieillesse ; tkavail-
« lez a la vigne du Seigneur ! Mentez, mes amis,
« mentez toujours, il en restera quelque chose!... »
Vains efforts mes frères ! toute cette Babel s'est
écroulée devant la sainte majesté des Écritures,
et, de Celse à Voltaire, le serpent philosophique est
constamment venu briser ses dents et sa fureur sur
cette lime d'acier.
Oh! écrions-nous donc avec le psalmiste : Vos
oracles sont fidèles, Seigneur, et votre parole mé-
rite l'hommage de notre foi, de nos adorations, lesh-
monia tua credibilia farta sunt nimis *. Oui, nous
les adorons, ces oracles sacrés, nous la chérissons
cette parole bénie qui retentit à l'oreille de notre
âme comme un mélodieux écho des chants du Ciel!
Oh ! nous vous en conjurons, faites que nous la re-
cevions dans un cœur humble et docile, cette parole
salutaire, faites qu'elle y germe comme une divine
semence, qu'elle s'y développe sous l'heureuse in-
fluence de la grâce et y produise ces fruits précieux
de sanctification et de salut qui sont couronnés dans
le Ciel d'une éternité de gloire et de félicité ! Ainsi
soit -il !
1 Fs. ex v ai. 5.
ou l'on ne dort pas 265
VINGT-SEPTIÈME SERMON
DIVINITÉ DU CHRISTIANISME. —NOUVEAU TESTAMENT.
Novissimè, diebus isiis loculus e$t nobii
in fdio.
Enfin, dans ces derniers temps il nous a
parlé dans son Fils fHaen., i, i.J
Mes frères, nous lisons dans le deuxième livre
d'Esdras qu'après le retour de la captivité de Baby-
lone et le dénombrement des Juifs qui étaient reve-
nus de la terre d'exil dans la patrie, le peuple vou-
lut entendre la lecture des livres de la loi de Moïse
dont l'original était religieusement conservé dans le
temple.
Rien de touchant et de solennel comme la manière
dont cette imposante cérémonie est racontée ; et
nous y voyons bien clairement la vénération, l'amour
tendre, j'allais dire la sainte idolâtrie des enfants
d'Israël pour la parole de Dieu. Voici comment s'ex-
prime l'écrivain sacré :
« Ils te réunirent comme un seul homme dans la
« plaine qui s'étend devant la Porte des Eaux : et ils
« prièrent Esdras, docîeur de la loi, d'apporter la loi
« de Moïse que le Seigneur avait prescrite à Israël.
« Esdras, prêtre, apporta donc la loi devant l'as-
« semblée des hommes et des femmes et de tous ceux
y <pti pouvaient l'entendre, le premier jour du tep-
« tième mois • et tout le peuple avait les oreilles atten-
« tires à. la lecture de ce livre. Or Esdras, docteur de
266 PETITS SERMONS
« la loi, étant monté sur une estrade élevée et ayant
« à sa droite et à sa gauche, un nombre considérable
« de lévites, ouvrit le livre et l'éleva au-dessus du
« peuple qui se tenait debout avec respect.
u Et Esdras bénit le Seigneur, le Dieu Tout-
« Puissant : et tout le peuple levant les mains en
« haut répondit • amen, amen! et, s'étant prosternés
« la face contre terre, ils adorèrent Dieu.
« Et pendantqu'Esdras, Josué et les lévites lisaient
« et interprétaient la loi d'une voix claire et dis-
» tincte, la foule attendrie éclatait en sanglots et fon-
« dait en pleuis.
« Or, Esdras et les lévites leur dirent • Ne vous
« affligez point et séchez vos larmes, car ce jour est
« un jour de fête, un jour saint et consacié au Sei-
« gneur votre Dieu.
« Et ils trouvèrent dans la loi de Moïse : Le Sei-
« gneur veut que les enfants d'Israël demeurent
» sous des tentes durant la fête solennelle du sep-
« tième mois; et qu'ils fassent publier ceci dans
« toutes les villes et dans Jérusalem : Allez sur les
« montagnes et apportez des branches d'olivier, et
« des plus beaux aibres, des branches de myrte,
« des rameaux, tant de palmiers que des arbres les
« plus touffus pour en faire des couverts de bran-
«« chages selon qu'il est écrit.
« Tout le peuple alla donc cueillir des branches,
* et en ayant apporté, ils se firent des couverts
« en forme de tentes, chacun sur le haut de sa mai-
« son, dans le vestibule, dans le parvis de la mai-
« son de Dieu, dans la place de la porte des Eaux
OU L'ON NE DORT PA3. 267
ci et dans la place de la porte d'Epbraïm : Et toute
« l'assemblée de ceux qui étaient revenus delà capti-
« vite se fît des tentes et des couverts, et ils y de-
« meurèrent durant la fête.
» « Et les fils d'Israël n'avaient point célébré aim*c
« cette fête depuis le temps de Josué, fils de Nun,
« jusqu'à ce jour, qui fut un jour d'allégresse et de
<j grande réjouissance... »
Quelle simplicité, mes frères ! Quel accent de vé-
rité ! Mais surtout quel ardent amour et quelle sainte
vénéiaiion pour les livres sacrés! Oh! n'eussions-
nous d'autre preuve de l'authenticité, de la vérité
des livres de lAncien Testament que ce respect pro-
fond des Hébreux, et leur crainte continuelle d'y
changer un iota, nous n'en demanderions pas da-
vantage pour conclure à leur divinité !
Et maintenant vous parlerai-je de l'Évangile et des
livres du Nouveau Testament 1 A quoi bon, mes
frères : Vous savez tous que leur autorité repose sur
les mêmes preuves que l'Ancien. Du reste la philoso-
phie, vaincue cette fois par l'évidence des arguments
qui l'établissent, a rendu à la révélation le plus solen-
nel hommage par l'organe de Jean Jacques Rousseau;
j et tout le monde connaît son éloquente apologie de
l'Évangile.
Le Nouveau Testament renferme l'histoire de la
vie, des miracles et des enseignements du Sauveur,
écrite par ses disciples, tous contemporains, qui rap-
poitent ce qu'ils ont oui de leurs oreilles, louché de
leurs mains et va de leurs yeux, ce sont leurs ex-
pressions.
16.
268 PETITS SERMONS
— On peut croire à leur parole, mes frères, car
ils ont prêché Jésus Christ dans les synagogues de la
Galilée, à l'époque de sa passion et de sa mort : à
Jérusalem qui venait d'en être le théâtre ; devant
les juifs, ses ennemis jurés qui l'avaient crucifié ; ils
l'ont prêché ressuscité tandis que sur le Calvaire se
dressait encore le gibet où il était mort comme un
scélérat ; ressuscité, quand la synagogue qui s'y
attendait avait entouré de gardes sou sépulcre et
scellé la pierre du sceau de l'État 1 Oui, nous pou-
vons les en croire, ces pauvres bateliers, car ils ont
tout quitté pour évangéliser le monde et versé leur
sang pour appuyer leur témoignage !
Or, suivant l'énergique parole de Pascal, il n'est
pas seulement impie, il n'est pas simple incrédule,
il a perdu la raison celui qui ne croit pas des témoins
qui se font égorger.
Quant à ces illuminés d'outre-Rhin, et à ces rê-
veurs français, — le renégat en tête — qui, sur les pas
du docteur Strauss, habillent la Bible à l'orientale et
ne veulent voir dans nos livres saints que des my-
thes et de pures allégories, ce n'est ici ni le lieu
ni le moment de vous dire, mes frères, ce qu'il faut
penser de leur ridicule façon d'expliquer les faits
évangéliques; vous hausseriez les épaules de pitié,
si de pareils blasphèmes ne prêtaient encore moins
à rire qu'à gémir...
On convient, du reste, assez généralement que
c'est sans doute dans un accès de joyeuse humeur
que ces bons exégètes allemands, et leurs facétieux
émules de France, pour expliquer naturellement les
ou l'on NE DOÏlT PAS. 269
faits consignés dans l'Évangile, ont représenté nos
saints livres comme un tissu de rêveries et de contes
en l'air. A les entendre, le croiriez- vous, mes frères?
Jésus Christ lui-même serait un mythe, un être allé-
gorique, et n'aurait pas existé 1
Que répondre à des gens assez primitifs pour oser
Soutenir, en plein dix-neuvième siècle, que l'arbre de la
science, par exemple, n'élait autre chose qu'un mance-
nillier dont l'ombre fut fatale à nos premiers parents ;
Que le buisson ardent était une éruption vol-
canique, ou le brasier auquel Moïse réchauffait ses
doigts en écrivant le Deutéronome ; et la foudre
du Sinaï, la voix du prophète parlant au peuple avec
accompagnement de fifres et de cymbales ;
Que les Rois Mages étaient tout simplement des
marchands forains qui apportaient des joujoux au fils
de Marie, et l'étoile venue d'Orient, la lanterne de
leur guide.
Que- Jésus Christ marchait sur les flots, mais en
s'aidant des rames et du gouvernail ;
Que, lorsqu'avec cinq pains et cinq poissons, il
nourrit cinq mille personnes dans le désert, il y
avait préparé en secret des magasins de vivres, ou
qu'il invita ces bonnes gens à manger le pain qu'ils
avaient dans leurs poches ;
Que le jour de l'Ascension, Jésus-Christ profita
d'un épais nuage pour s'esquiver d'un autre côté,
laissant là ses disciples mystifiés ;
Que Lazare était un compère, et sa prétendue ré-
surrection une comédie adroitement jouée et sotte-
ment crue.
270 PETITS SERMONS
Enfin, que, si le jour de la Pentecôte, les disciples
1 crurent avoir reçu le Saint Esprit et le don des lan-
I gués, c'est qu'un coup de vent ayant ébranlé le Cé-
nacle, la frayeur leur fit voir les étoiles et perdre la
tête...
... En vérité, mes frères, ces bourdes là ne de-
vraient pas s'écrire, qu'on l'avoue franchement ; tout
au plus les passerait-on à table, entre la poire et le
fromage à un brave homme qui voit les étoiles et ne
sait plus ce qu'il dit... — Et pourtant cela s'est dit
et de sang froid, cela s'est écrit, s'est enseigné pu-
bliquement, et les auditeurs de cet ineffable pro-
fesseur ont écouté patiemment et n'ont pas répondu
avec des pommes cuites!.. — Mais ne rions pas
dans un sujet si grave et si sérieux ; déplorons plutôt
l'étrange aveuglement dans lequel peut tomber la rai-
son humaine, lorsque, dédaignant les lumières de la
foi, elle pousseà l'extrême limite la liberté d'examen.
Et maintenant, mes frères, du haut de la sainte
montagne où se sont révélés tant de mystères,
abaissons nos regards vers la plaine de la création
qui fut notre point de départ : du pied de cette
croix où les Écritures viennent de se consommer, du
isein du christianisme, examinons les degrés de I e-
chelle que nous avons dû parcourir depuis la Ge-
nèse jusqu'à l'Évangile et à l'Apocalypse... Quel'e
union dans les parties de ce grand corps! Quelle
harmonie parfaite dans des éléments si variés ! Ah !
c'est à bon droit qu'on a comparé la collection des
divines Écritures au corps humain. Tout en eflet
s'y lie et s'y enchaîne ; toutes les parties dépendent
ou l'on ne dout pas. 271
l'une de l'autre, et les plus essentielles de celles qui
paraissent les plus indiiïérentes ; les dogmes, les
laits, les prophéties, les leçons de morale y forment
un ensemble admirable qui ne laisse ni vide ni su-
perflu i té ..
« Des hommes séparés par des siècles, des hommes
« très -différents par le goût, le génie, le caractère
« concourent à écrire un seul et même livre ; partout
« le même but, la même conséquence. Je commence
a à la renaissance du monde, et suivant le même fil
« je me trouve sans m'en apercevoir, en plein chris-
a tianisme... qu'en me montre un livre où la Divinité
« m'ait mieux instruit et je quitterai rattachement
a que j'ai à celui-ci l !
Nul d'entre vous n'ignore, mes frères, que le dépôt
des saints livres a été confié à 1 Église, société divi-
nement instituée pour nous les transmettre et nous
les expliquer.
Dès les premiers temps du christianisme, la Bible
entière, objet de vénération pour les chrétiens,
comme l'Ancien Testament pour les juifs, a été non-
seulement citée, mais commentée, mais traduite en
plusieurs langues par les Origène, les Jérôme et les
plus illustres docteurs ; et jamais les philosophes
païens ni les ennemis de l'église — et des ennemis tels
que Porphyre, Celse et Julien l'apostat n'ont douté de
l'authenticité, de l'intégrité, de la vérité des Écri-
tures ; jamais ils n'ont nié les prophéties et les mi-
racles qu'elles renferment ; seulement ils les attri-
1 Felier.
272 PETITS SE USIONS
buaient à la magie, au sortilège, à Béelzêbuth...
Les hérétiques eux-mêmes, qui avaient un si grand
intérêt à contester l'autorité de ce livre divin, l'ont
hautement reconnue, ils en invoquaient le témoignage
contre les anathèmes de l'Église, et s'efforçaient pour
cela d'en détourner le sens ; mais hérétiques et
fidèles, tous étaient unanimes sur ce point capital,
qu'y ajouter un mot, en retrancher un iota eût été un
sacrilège, et des millions de martyrs sont morts pour
la défense de ces livres vénérés.
Le Nouveau Testament est donc authentique et
véritable comme l'Ancien, divin comme lui. Or, mes
frères, si l'Écriture est divine, il existe donc une reli-
gion révélée, et cette religion n'est autre que la reli-
gion de Jésus-Christ.
Oh ! que ne nous est-il permis de nous arrêter un
peu sur la sublimité de la doctrine, sur la sainteté, la
pureté de la morale, dont nos livres sacrés renferment
l'inestimable trésor ! Si ces livres bénis pouvaient
devenir l'unique code du genre humain, et la doctrine
révélée régner en souveraine sur la terre ! Si l'idéal
du vrai chrétien pouvait s'y réaliser un jour ! Purifiée
de tout désordre, enrichie de toutes les vertus, la terre
deviendrait un paradis!
« C'est qu'il ne parut jamais dans le monde a dit
« un impie célèbre, de religion dont la tendance ne.
u turelle ait été plus propre à augmenter la paix et
« le bonheur des hommes. Le système de religion
m renfermé dans l'Evangile est un système complet
« remplissant tout ce que se propose la religion na-
« turelle et révélée. La religion de Jésus-Christ est
ou l'on ne dort pas, 273
« une leçon continuelle de la morale la plus pure,
a de la plus stricte justice, de la bienveillance et de
a la charité universelle *.
* — Les titres de la divinité du christianisme, dit
« un autre impie, sont contenus dans les livres de
<i l'Ancien et du Nouveau Testament ; la critique la
v plus sévère reconnaît l'authenticité de ce livre, la
<j raison la plus fière respecte la vérité des faits qu'il
« rapporte, et la saine philosophie, s'appuyant sur
« leur authenticité, sur leur vérité, conclut de l'une et
a de l'autre que ces livres sont divinement inspirés.
— « Il faut avoir un front d'airain, dit Bayle, pour
« nier les miracles rapportés dans les livres saints,
« et pour s'inscrire en faux contre des faits de cette
« nature. »
On ferait un gros volume des hommages qu'un
seul sophiste, J.-J. Rousseau, a rendus à l'Écriture
Sainte et principalement à l'Évangile : qu'on nous
permette, avant de finir, d'en citer un petit ex-
trait :
« Ce divin livre, dit il, le seul nécessaire à un chré-
u tien et le plus utile à tous, à quiconque même ne 1g
a serait pas, n'a besoin que d'être médité pour port< r
« clans l'âme l'amour de son auteur, et la volonté
« d'accomplir ses préceptes. Jamais la vertu n'a parié
* un si doux langage ; jamais la plus profonde sa-
u gesse ne s'est exprimée avec tant d'énergie et de
« simplicité : on n'en quitte point la lecture sans se
* sentir meilleur qu'auparavant... Direz-vous que
1 Annal, de BolingbT;
274 PETITS SERMONS
« l'histoire de l'Evangile est inventée à plaisir? Non,
« non, ce n'est pas ainsi qu'on invente ; et les faits
« de Socrate dont personne ne doute sont moins at-
» testés que ceux de Jésus Christ. — Au fond, c'est
a reculer la difficulté sans la détruire : il serait plus
« inconcevable que plusieurs hommes d'accord eus-
« sent fabriqué ce livre qu'il ne l'est qu'un seul en
« ait fourni le sujet. Jamais les auteurs juifs n'au-
« raient trouvé ni ce ton ni cette morale ; et l'Évan-
« gile a des caractères de vérité si grands, si frap-
« pants, si parfaitement inimitables que l'inventeur
« en serait plus étonnant que le héros ! »
Qu'ajouter, mes frères, à ce magniGque témoi-
gnage que nous abrégeons à notre grand regret?
Rien autre chose que ces quelques lignes d'un grand
écrivain qui a tristement abusé de son génie, elles
étaient écrites sur la marge de sa Bible :
« Dans ce redoutable volume repose le mystère
« des mystères : heureux parmi la race humaine,
« celui à qui Dieu a fait la grâce d'entendre, de lire,
de craindre, de prier, de toucher la serrure et de
« s'ouvrir un chemin vers la vérité ! Mais il eût mieux
« valu qu'ils ne fussent pas nés ceux qui lisent pour
« douter ou ceux qui lisent pour railler l ! »
| Frédéric de Prusse, le roi bel esprit^ l'ami, le pro-
tecteur et l'émule de tant de philosophes, s'entrete-
nait pourtant assez volontiers de religion, mais avec
un très-petit nombre de favoris.
Or, un jour que la conversation était tombée sur
* Lord Byron.
ôtr l'on ne dort pas. 27S
les saintes Écritures, le roi prit machinalement un
volume sur une étagère et se mit à le feuilleter dans
une préoccupation qu'il avait toutes les peines du
monde à dissimuler. C'était une Bible où Voltaire
avait laissé des notes.
Tout à coup, sortant comme d'une profonde rê-
î verie :
— Hélas! s'écriât- il en soupirant, combien sont
[ heureuses les personnes qui croient les vérités con-
tenues dans ce livre et qui ont de la religion !... Pour
moi, je n'hésiterais pas d'aller maintenant à l'église :
mais mes sujets me tourneraient en ridicule.
— Non, sire ! répond une dame de la cour d'une
voix attendrie ; on les verrait bénir le ciel et verser
des larmes de bonheur !
Et dire, mes frères, qu'il est des gens que de pa-
reils hommages n'ont pas le don de convaincre ; des
gens que le respect humain tient encore éloignés des
saintes pratiques de la religion ! Dire qu'il est des
gens qui ont peur de se montrer chrétiens ! Mais ils
ne voient donc pas, les malheureux ! que le respect
humain n'est plus de mise, ils ne sentent donc pas
que le règne des esprits forts est passé !
Oh ! ayez pitié, Seigneur, nous vous en conjurons,
ayez pitié de ces pauvres aveugles qui vous mécon-
naissent, ne répondez pas avec la foudre aux blas-
phèmes de l'impie ! Daignez les éclairer, les toucher,
les ramener à vous ! Qui sait, peut-être y en a-t il
quelqu'un ici dont la foi chancelle et qui écoute vo-
tre parole adorable avec indifférence 1 Oh ! pénétrez-
le d'une sainte terreur pour vos jugements, au sou-
17
276 PETITS SKftMONS
venir de cette redoutable sentence de l'Esprit- Saint î
Verbum meum non revertetur ad me vacuum : Ma pa-
role ne reviendra pas à moi stérile, il faut qu'elle opère
des fruits de salut ou de damnation : prions pour eux,
mes frères, mais prions aussi pour nous-mêmes afin
d'obtenir cette crainte du Seigneur qui est le commen-
cement de la sagesse sur la terre, et qui nous mérite
de l'aimer et de le posséder à jamais dans le ciel !
C'est la grâce que je vous souhaite! Amen!
VINGT-HUITIÈME SERMON
CHRISTIANISME, SON ÉTABLISSEMENT DANS LE MONDE.
A domino factum est istud, et es! mira-
bile in ocuîis nostrïs.
C'est le Seigneur qui a fait ce prodige, et II
est admirable à nos yeux. (Psal.cxvn, 22.)
Mes frères, transportez-vous en esprit à Jérusa-
lem, devant cette arcade où Jésus -Christ, une cou-
ronne d'épines sur la tête, un roseau à la main,
flagellé, conspué, couvert d'un lambeau de pour-
pre, fut montré au peuple par Pilate qui lui dit s
• Voilà l'homme! »
« Le voilà ce rebelle, ce perturbateur du repos
« public, cet ambitieux qui se fait roi, ce blasphéma-
« teur qui se dit Dieu le voilà ! Ecce homo. »
Voyez comme cette populace le raille, comme
Pilate le méprise ; entendez ces clameurs qui de-
mandent sa mort!... Il est là, seul, sans ami, sans
défenseur ; ses disciples eux-mêmes l'ont abandonné :
ou l'on ne dort pas. 277
Je me trompe, il en est un qui se cache dans la foule,
qui suit de loin 'pour voir V événement et qui reniera
s on maître à la voix d'une femme !
Mes frères, si quelqu'un était venu dire à ce peu-
ple mutiné : — « Oui, voilà l'homme, ecce homo ! Le
« voilà ce Messie annoncé par tant d'oracles, figuré
« par tant de symboles, et que la terre attend de-
« puis quatre mille ans ! Le voilà, cet innocent
« agneau qui efface les péchés du monde ! Sous ce
« manteau de la folie, il est le Sage par excellence ;
a avec cette couronne sanglante et ce sceptre de
« roseau, il est le Roi des rois ; et Dieu reconnaît
« son fils bien aimé jusque sous les crachats qui
« souillent sa face adorable : ecce homo ! En vérité je
• vous le dis, le jour n'est pas loin où cet homme des
« douleurs, victorieux de la mort, dispersera la syna-
« gogue et renversera les autels de l'idolâtrie. Hâtez-
« vous de l'élever dans les airs, achevez votre œuvre
a déicide, et, du haut de ce gibet où vous allez le
« clouer, ce Dieu crucifié attirera tout à lui... tout,
« jusqu'à ses bourreaux!... »
Un tel discours n'eût-il pas été accueilli par un
immense éclat de rire, et les Juifs y eussent-ils autre-
ment répondu qu'en enfermant comme fou l'imprudent
qui venait de le leur adresser ?
Et pourtant, mes frères, jetez les yeux autour de
vous . Depuis la catastrophe suprême qui déchira en
deux le voile du temple de Salomon, que sont
devenus et la synagogue, et le grand prêtre, et la
tribu de Lévi, et la Pâque juive, et la fête des
Tabernacles, et l'antique splen^ur de Jérusalem?
278 t%f ITS SERMONS
Qu'est devenu le paganisme avec ses cinquante mille
divinités différentes ? Où sont les mœurs infâmes qui
souillaient Rome, Athènes et Corinthe ?
Comment l'esclavage a-t il cessé de faire partie du
droit des nations ? D'où vient que l'homme ne traite
plus son semblable comme sa chose, et sa bête de
somme? Par quel miracle 3a femme s'est-elle relevée
de l'abjection et de l'ignominieuse servitude où la
tenait la civilisation païenne 1 Comment est -elle re-
montée sur son trône de reine et redevenue la
compagne de son époux, l'os de ses os et la chair de
sa chair ?
Quel soleil a rendu au vice sa laideur, à la vertu
son rayonnement divin, au bien et au mal leur diffé-
rence et leur vrai nom ? Quel souffle a balayé de
l'olympe cette tourbe d'impures divinités qui avaient
mis à la mode, que dis-je, à la mode ? sur l'autel le
meurtre, le parjure, le vol, l'orgueil, la débauche, la
haine et la vengeance?
Qui a donné à la fille de la pudeur, à la mère des
entrailles, à l'enfance du respect, au riche un cœur, au
pauvre de la résignation, à celui qui pleure un conso-
lateur, aux heureux du monde, le besoin de faire des
heureux, à la jeunesse la modération et ia tempérance,
au vieillard la véritable sagesse, à tous une douceur
de caractère et de mœurs inconnue, avant le Messie,
l'union, la bienveillance et la charité; en un mot qui
a renouvelé la face de la terre ?
C'est l'Évangile, mes frères, c'est la croix !
Oui, l'Évangile qui a purgé l'univers de tant d'abo-
minations et remplacé dans les bois, les infâmes mys-
ou l'on ne dort pas. 279
tères de l'idolâtrie, par la vie angélique et péni-
tente des solitaires ; la croix qui a ravivé l'instinct
du devoir, redonné à l'esprit l'empire sur la chair et
fait germer les vierges dans les lieux où la luxure
était adorée !
A l'aspect du Dieu de la crèche et du calvaire, de
ce modèle élevé comme un phare au haut d'une
montagne, le riche s'est dépouillé de ses biens, le
voluptueux, renonçant à ses idoles de chair et de
gang, s'est couvert de cendre et revêtu d'un cilice ;
les ennemis se sont réconciliés ; d'innocentes jeunes
filles à qui tout souriait, santé, plaisirs, fortune, ont
dit adieu au monde et se sont ensevelies dans un
cloître . On a vu des princesses, des seigneurs aban-
donner la Cour, des reines descendre du trône
pour se revêtir des livrées de la souffrance et de la
pauvreté....
Or, mes frères, un tel triomphe de l'âme sur le
corps, de la vertu sur le vice, du sentiment religieux
sur les passions les plus fougueuses, est-il dans la na-
ture, je vous le demande, et peut-il s'expliquer en
dehors de toute intervention divine.
Et remarquez bien que nous ne faisons pas ici de
l'enthousiasme et du mysticisme, c'est de l'histoire !
Nos annales religieuses , les premiers siècles de
l'Église surtout, sont remplies de traits sublimes d'hu-
milité, d'abnégation, de courage et de dévouement
qui faisaient l'admiration des païens eux-mêmes.
L'Évangile a fait de l'héroïsme un devoir et de la
vertu, l'état normal du chrétien. Voilà un fait sai-
sissant actuel qui s'affirme, je le répète, et ne se
-80 PETITS SERMONS
démontre plus : un fait miraculeux qui prouverait '
à lui seul avec la dernière évidence, la divinité du
christianisme.
Le prodige devient plus palpitant encore si nous
considérons la faiblesse des moyens dont Dieu s'est
servi pour opérer cette transformation salutaire de
l'univers.
De pauvres bateliers, sans appui, sans savoir, sans
fortune, qui ont fui au jour de la Passion, et dont le
plus intrépide a tremblé à la voix d'une servante,
quels vaillants soldats pour conquérir le monde,
quels zélateurs pour une morale si sublime, une
doctrine si ardue ! Les dignes sectateurs d un Dieu
crucifié ! Ah ! si de tels apôtres font un seul pro-
sélyte dans Jérusalem, s'ils n'y sont pas poursuivis
par les huées de la foule, il faudra, certes, que cette
doctrine vienne du Ciel et que la main de Dieu soit
avec eux!
— Laissez-les faire, disait Gamaliel aux docteurs
assemblés pour c'opposer aux prédications des apô-
tres : « Laissez les en paix; car ou cette nouveauté
« vient des hommes, ou elle vient de Dieu.
« Si elle vient des hommes, elle tombera d'elle-
« même : rappelez-vous Théodas, Judas le Galiléen
« et leurs partisans que nous avons vu misérablement
« périr avec leurs erreurs.
« Mais si cette doctrine vient du Ciel, c'est en vain
« que vous voudriez vous y opposer ; laissez donc en
« paix ces hommes, croyez-moi, de peur que vous
« ne luttiez contre Dieu lui-même. »
Les avis étaient partagés, la séance animée, on
ou l'on ne dort pas, 281
voulait étoufter l'erreur au berceau ; néanmoins cette
observation judicieuse prévalut ; on se contenta de
battre de verges les apôtres en leur défendant de
prêcher Jésus-Christ 4.
Aveugle cruauté , mes frères , ridicule défense
après un tel avis ! — Et que craignaient-ils donc ces
docteurs, ces pharisiens, ces éclairés, que craignaient*
ils de douze pauvres pêcheurs î N'avaient ils pas
assez de science pour les confondre, assez de malice
pour les surprendre, assez de pouvoir pour les écra-
ser à volonté? ne se jetaient-ils pas eux-mêmes dans
la gueule du loup, en prêchant dans Jérusalem si
peu de jours après le drame du Calvaire, en accu-
sant les juifs de déicide, en publiant la résurrection
de ce Jésus qui avait prédit la ruine de la ville et du
temple de Salomon ? Avouez au moins que le temps,
le lieu, les personnages étaient assez mal choisis
pour jouer une pareille comédie, et que la synagogue
avait tort d'en redouter ainsi le dénouement.
« Et où allez-vous, s'écrie un Père de l'Église, qui
a interpelle les apôtres au sortir du Cénacle, où
« allez-vous donc ainsi , et que prétendez- vous
« faire?
« — Convertir l'univers.
a — - Le convertir à qui ?
a — A Jésus-Christ.
« — Quoi ! vous allez arracher le monde à ses
« idoles, à ses plaisirs, à ses passions chéries pour
« le convertir à cet homme abhorré qui vient de
4 Àct. ap. v.
2S2 PETITS SERMONS
« mourir sur une croix ! mais ne voyez-vous pas le
a bouleversement général que vont exciter vos dis-
*< cours ? La dépravation des mœurs, la superstition
« héréditaire, l'orgueil des philosophes, le liberti-
« nage des impies, la puissance des Césars , la
« cruauté des tyrans, la fureur des bourreaux; ne
« voyez -vous pas la terre et l'enfer conjurés se dé-
« chaîner contre vous î
« — Sans doute, on nous a prédit tout cela ; mais
« Dieu nous envoie et nous devons obéir.
« — Mais pour résister dans une entreprise si har-
« die, où sont vos ressources ? êtes-vous riches pour
« attirer les nations par l'appât de l'or?
« —Nous n'avons ni or ni argent ; nous avons tout
« quitté pour Jésus-Christ, tout jusqu'à notre barque
« et nos filets.
« — Êtes- vous puissants, avez- vous des soldats
« pour subjuguer l'univers par la force des armes ?
« — Nous sommes douze et nous allons nous dis-
« perser dans le monde ; nos armes sont la résigna-
« tion, la patience et la prière.
« — Avez-vous de l'adresse, de la politique, pour
« en faire jouer les ressorts ?
« — Notre politique est la simplicité de I;i co-
« lombe.
« — Avez-vous au moins de la science, êtes-vous
« philosophes pour confondre les docteurs dc3 na-
« tions ?
« — Notre science, notre sagesse est la folie de la
« croix.
ou l'on ne dort pas. 283
« — Et avec cela vous persistez dans vos desseins ?
a Hélas ! pauvres agneaux, vous vous livrez à la fu-
« reur des loups ; innocentes victimes, vous allez a
« l'autel!...
, « Prudence humaine, voilà ta pensée, conclue le
a même Père : mais oublies-tu que Dieu est le maî-
« tre de la nature et des prodiges, qu'il se sert des
« ignorants pour confondre la science du sage, et
« du faible pour terrasser le fort *?... »
Rappelez-vous en effet, mes frères, ce qu'étaient
les apôtres aux jours de la Passion ; leur pusillani-
mité, leurs hésitations, leur infidélité, leurs doutes ;
l'anxiété des deux disciples d'Emmaus, quand Jésus-
Christ, sous la figure d'un voyageur, leur reprocha
leur incrédulité ; l'obstination de Thomas à ne croire
qu'après avoir vu de ses yeux et touché de ses
mains; quel ardeur, quel enthousiasme et quelle
intrépidité pour entreprendre la conquête du
monde ?
Encore, si au bout d'une si pénible carrière, ces
combattants d'une nouvelle espèce avaient entrevu,
pour prix de leurs efforts, la gloire, la fortune et les
jouissances de la terre ! Si, avec de la puissance, des
talents et des richesses, ils avaient prêché une doc-
trine plus facile, une morale moins sévère, on pour-
rait, à la rigueur, s'expliquer jusqu'à un certain point
et leur dévouement et leur réussite.
Ainsi, qu'un farouche et audacieux sectaire, que
îrlahomet ait établi au loin sa ridicule parodie de
i l1 Jean Ghrysostôs».
H.
284 PETITS SEUM0N5
l'Évangile, on le conçoit sans peine ; il publiait un
Code sensuel, faisait appel à toutes les passions et
prêchait le glaive à la main. Tout le monde sait que
le Coran est une longue préparation des croyants au
paradis de la volupté ; d'ailleurs, le moyen, s'il vous
plaît, *de résister à l'argument du cimeterre, à cette
éloquente et persuasive exhortation : Crois, ou je te
tue?
Ah ! ne soyons pas surpris des progrès de l'isla-
misme par de tels moyens et sur de tels fondements ;
si quelque chose doit nous étonner, mes frères, c'est
que tout l'univers ne soit pas musulman.
Mais qu'une religion qui brise la nature et force
l'homme à un combat continuel contre lui-même ait
pu s'établir dans le monde ; que le Dieu du Calvaire
ait rencontré un seul partisan sur le sol corrompu de
l'idolâtrie ; qu'il ait trouvé des hommes pour prê-
cher sa doctrine sans autre espérance que les tor-
tures et la mort, voilà qui dépasse toutes les idées
reçues, voilà un fait humainement inexplicable, un
prodige tellement étrange qu'avec la meilleure vo-
lonté du monde, on ne l'admettrait point s'il n'était là,
palpitant sous nos mains, étincelant sous nos yeux.
Que serait-ce, mes frères, si à la hardiesse de
l'entreprise et à la faiblesse des moyens, nous ajou-
tions la multiplicité des obstacles I si nous montrions
l'Evangile poursuivant sa marche victorieuse dans
l'univers malgré les édits des Césars, les persécu-
tions des tyrans, la fureur des bourreaux, le sang
des martyrs devenant une semence de chrétiens, et
la religion proscrite, après avoir lassé la rage de dix
ou l'on ne dort pas. 285
empereurs, sortir des catacombes et s'asseoir triom-
phante sur leur trône !
Que serait-ce si, étudiant la divine mission de l'É-
glise catholique, héritière et dispensatrice des trésors
de la rédemption, dépositaire de la parole révélée
et juge infaillible en matière religieuse, nous sui-
vions ses combats, ses victoires, ses progrès sur tous
les points du globe ; si nous la voyions tour à tour
en butte aux sophismes des philosophes, à la haine
des apostats, aux blasphèmes de l'hérésie, à la tra-
hison des faux frères, le dirai-je ? au libertinage de
«es propres enfants ; que serait-ce, en un mot, si
nous voyions la barque de Pierre franchir les écueils,
se jouer des vents, résister aux tempêtes, et, sur
cette mer orageuse, où l'a placée Jésus-Christ, vo-
guer tranquille, son gouvernail se trouvât-il en d'in-
dignes mains!... Quel argument, mes frères! quelle
puissante preuve de la vérité de cette promesse faite
au prince des apôtres :
« Tu es Pierre, et sur cette 'pierre, je bâtirai mon
Eglise, et les 'portes de Venjer ne prévaudront point
contre elle! »
Vous le voyez, encore une fois, nous ne faisons
pas ici de l'enthousiasme et du sentiment ; c'est à la
j raison, c'est aux yeux que nous en appelons. La re-
ligion chrétienne est un fait, ce fait est là, il est sans
précédent, il est unique dans l'histoire. Comment
s'est-il produit? Comment le christianisme s'est-ii
établi dans le monde ? Est-ce à l'homme, est-ce à
Diea qu'il faut en attribuer la gloire? Si c'est à Dieu,
le christianisme est évidemment divin ; et si c'est à
288 PETITS SERMONS
l'homme, il est encore plus divin, pour user de l'ex-
pression d'un saint docteur *; car une telle révolu-
tion dans l'univers était visiblement au-dessus des
forces humaines. Une religion qui contredit le té-
moignage des sens, qui combat les plus douces incli-
nations de îa nature, qui s'impose à notre orgueil-
leuse raison et la subjugue au nom du ciel; une
religion qui avait tant d'obstacles à franchir, de pas-
sions à terrasser, d'ennemis à vaincre, de supersti-
tions à détrôner, tant de vertus à faire germer sur
la terre, une telle religion n'a pu s'établir que par le
plus grand des prodiges ; et celui qui doute aujour-
d'hui de l'Evangile, celui qui demande encore des
preuves, des témoignages, des miracles pour croire,
est lui-même un gros et grand miracle, un être d'ex-
ception, et, comme autrefois le Père Oudin pour ce
jeune fat, ce philosophe au petit pied qui se vantait
devant lui de ne croire ni à Dieu ni à diable, le
genre humain devrait s'armer d'une lunette pour
examiner comment est fait cet animal curieux de
nouvelle espèce, cet individu qui se pose en incrédule
en plein dix-neuvième siècle 1
J'ai lu dans mon jeune âge qu'un prêtre catho-
lique et un ministre protestant se promenaient un
jour ensemble, et, comme on le pense bien, la dis-
cussion roulait sur la religion...
Par le plus grand des hasards, un rabbin juif qui
passait par là les accosta et se mêla à l'entretien. Il
était assez difficile de s'entendre, bien que tous les
ou l'on ne dort pas. 287
trois, le protestant surtout, criassent en conscience.
La controverse durait déjà depuis plusieurs heu-
res et ne semblait pas près de fmir, quand ce der-
nier, plus pressé que les autres d'en rester là, car il
était menacé d'une extinction de voix, leur dit en
riant :
— Tenez, Messieurs, mon avis est qu'on laisse
chacun tranquille dans sa religion, car elles sont
toutes bonnes, et nous savons que Christ veut le
salut de tout le monde...
— Bah ! il y aurait beaucoup à dire là-dessus,
mon brave, interrompit le rabbin, et vous nous re-
lancez en plein dans la discussion.
— Quand je vous dis qu'il est indifférent d'être
juif, protestant ou catholique! est-ce que chacun ne
se croit pas dans le vrai ? Allez, allez, la foi nous
sauvera.., Voyez, nous représentons ici trois reli-
gions différentes : qui peut nous dire quelle est la
bonne t
— - Eh ! moi, monsieur 1 répliqua le rabbin avec
énergie; c'est la juive si le Messie est encore à ve-
nir ; c'est le catholicisme s'il est venu, et monsieur
seul, en ce cas, serait dans le vrai ; pour vous, qu'il
soit venu ou à venir, protestez ou ne protestez pas,
vous êtes dans l'erreur.
Vous le voyez donc, mes frères, le christianisme
est divin; et cette grande vérité, c'est par les seules
données de la raison que nous vous lavons démon-
trée ; c'est ainsi, du reste, que nous espérons vous"
démontrer ia divinité de l'Eglise catholique. Quelle^
notions de gr&ces m deYOflt-nwi dsn? pm rendra
288 PETITS SERMONS
au ciel qui a daigné nous appeler à l'ineffable lumière
de l'Evangile, et cela de préférence à tant de nations
encore assises à l'ombre de la mort !
Oh ! oui, Seigneur, vous dirons nous avec la sœur
de Lazare, oui, nous croyons que vous êtes le Christ,
fils du Dieu vivant, qui êtes venu du ciel sur la terre
pour nous instruire de votre loi sainte, et nous mon-
trer le vrai chemin qui conduit à la vie ! Hélas ! nous
y chancelons, pauvres héritiers des misères d'Adam,
nous y tombons à chaque pas ! Prenez pitié de notre
faiblesse; étendez sur nous votre main tutélaire,
afin qu'animés d'une ardeur nouvelle, nous mar-
chions, nous volions dans ce sentier béni qui nous
conduira dans l'immortel séjour de la gloire et de la
félicité ! Ainsi soit-il l
VINGT-NEUVIÈME SERMON
DIVINITÉ DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE
Et unam sanctam catholicam et apost*-
licam Ecclesiam.
Je crois à l'Église une, sainte, catholique et
apostolique. (Symbole des apôtres.)
Mes frères, le grand œuvre de la rédemption du
monde était accompli; la chute de l'homme réparée,
et la justice divine pleinement satisfaite : restait
maintenant d'appliquer à toute créature les mérites
infinis de la Passion du Sauveur : et cette mission
céleste, l'Esprit-Saint allait la remplir par le ministère
de l'Eglise et des apôtres.
ou l'on ne dort pas 289
Vous savez tous comment ftrt établi le sacerdoce
chrétien et de quelle manière furent institués les
premiers évêques. Déjà quelque temps avant sa
mort, l'Homme-Dieu avait établi l'apôtre saint Pierre
chef suprême de son Eglise en lui donnant les clefs
du ciel, symbole de sa puissance souveraine, et en
le chargeant du soin de paître, non-seulement les
agneaux, mais encore les brebis, c'est-à-dire les pas-
teurs et les fidèles.
Bien de plus énergique et de plus solennel que les
paroles du Sauveur : Pierre venait de confesser hau-
tement sa divinité : — « Vous êtes heureux, Simon,
« fils de Jean, lui répondit Jésus, car ce n'est ni la
« chair ni le sang qui vous l'a révélé, mais mon
« Père qui est dans les cieux. Et moi je vous le dis,
* vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon
« Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront
« point contre elle : et je vous donnerai les clefs du
a royaume du ciel, et tout ce que vous lierez sur la
« terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez
« sur la terre sera délié au ciel 4. u
Voilà pour le chef, mes frères : le tour des mem-
bres va venir.
Avant de remonter vers son Père, le divin maître,
apparaissant à ses apôtres réunis dans le cénacle,
leur dit comme toujours : « La paix soit avec vous :
« Puis, soufflant sur eux, il ajouta : Recevez le
« Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui
« vous les remettrez, et retenus à ceux à qui vous
1 Math, xvi, 18, 19.
200 PETITS SERMONS
« les retiendrez1... Allez, instruisez les nations les
« baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Es-
« prit... Voici que je suis avec vous jusqu'à la con-
« sommation des siècles *... »
De plus, mes frères, vous n'avez pas sans doute
oublié les ineffables épanchements du Sauveur à
la dernière cène, lorsqu'il dit à ses apôtres pour les
consoler de son départ prochain :
« Je retourne vers mon Père qui est aussi le
« vôtre : mais je ne vous laisserai pas orphelins, je
« viendrai à vous... Je prierai mon Père, et il vous
« enverra l'Esprit consolateur qui vous enseignera
« toute vérité 3. . . »
Or, mes frères, cette promesse ne tarda pas à se
réaliser, et dans les circonstances merveilleuses que
tout le monde connaît. Dix jours après son ascension
glorieuse dans le ciel, les apôtres, assemblés dans le
cénacle, reçurent le Saint-Esprit avec le don des lan-
gues et le pouvoir de faire des miracles : mais le
plus grand de tous venait de s'opérer en eux; le
plus grand de tous, convenez-en, c'était l'ardeur et
l'énergie surnaturelle avec laquelle ces douze lions,
hier encore timides agneaux , se répandent dans
Jérusalem pour y prêcher dans les synagogues, les
places publiques et annoncer à toute créature Jésus
ressuscité.
Je ne vous rapporte pas ici, mes frères, le magni-
fique discours de saint Pierre, qui convertit pour la
première fois trois mille personnes, ni celui qui sui-
» km mi Mi-'ltetfc, wvwi \%^hm kïy* 18, 86.
ou l'on ne dort pas. 29Î
vit la guérison du paralytique à la porte du temple,
et qui en convertit cinq mille : c'est dans les Actes
des apôtres qu'il faut lire ces détails pour voir, en
quelque sorte, le Saint-Esprit à l'œuvre par l'organe
des pauvres pêcheurs que nous connaissons. La sy-
nagogue est consternée, anéantie ; elle a beau me-
nacer, beau imposer silence aux apôtres, beau les
battre de verges et les jeter en prison ; les anges les
délivrent et ils se proclament heureux Savoir été ju-
gés dignes de souffrir pour Jésus -Christ l.
Mes frères, le moment est venu pour eux de se
disperser dans le monde et d'aller annoncer l'Evan-
gile à toutes les nations. Pourtant avant de se sépa-
rer ils rédigent un symbole qui résume les ensei-
gnements du divin Maître, en formant un corps de
doctrine qu'ils proposeront à la croyance des fidèles
de tout pays, de toute langue, de toute tribu ; et si
plus tard la parole divine a besoin de développement,
d'explications, si le gouvernement de l'Eglise appelle
de nouvelles lois, s'il s'élève surtout quelque nuage
autour du soleil de la vérité, au moindre doute, à la
plus légère contestation doctrinale, tous les yeux se
tourneront vers Pierre, dont la parole infaillible ju-
gera sans appel.
C'en est fait, chrétiens, l'Eglise est fondée et les
portes de Venfer ne prévaudront point contre elle,
car elle repose sur le roc immuable des promesses de
Jésus -Christ qui doit être avec elle jusqu a la fin des
siècles.
1 Act. Ap. v, 4L
292 PETITS SERMONS
— Très-bien jusque-là, nous dit on : mais il y a
sur la terre tant de sociétés religieuses qui se don-
nent pour la véritable Eglise, comment discerner
l'Eglise de Jésus-Christ et des apôtres?
— Rien de plus simple, mes frères : les caractères'
de la véritable Église nous sont clairement indiqués
dans ces paroles du Credo que vous chantez le di-
manche avec nous à la messe : et unam sanctam ca~
tholicam et apostolicam Ecclesiam : l'Église de Jésus-
Christ est Une, Sainte, Catholique et Apostolique ;
vous la reconnaîtrez à ces signes que nous ne faisons
qu'indiquer, et qui ne conviennent qu'à elle.
Et d'abord la vérité ne pouvant être opposée à
elle-même, c'est-à-dire être le oui et le non, la véri-
table Église est une, et c'est par excellence le carac-
tère de la nôtre qui est une dans sa foi, dans ses sa-
crements, dans son chef et dans ses membres.
— Une dans sa foi : tous ses enfants ont la rême
croyance, les mêmes mystères, le même ciel, le
même enfer... et je dis tous ses enfants, remarquez
le bien, tous, sans distinction de climat, de couleur,
de pays, de gouvernement, de langage. Ainsi ce
qu'on vous enseigne en France, en Europe, nos mis-
sionnaires le prêchent en Afrique, en Chine, en
Amérique et dans les îles les plus lointaines de l'O-
céanie. — Ainsi, ce que l'Église croit aujourd'hui,
elle l'a toujours cru et le croira toujours : certains
points secondaires et de pure discipline ont pu va-
rier, parce que i'Église est la maîtresse des lois
qu'elle a faites, et peut les modifier, les abolir même
si elle le juge convenable, mais le symbole, le dog-
ou l'on ne dort pas. 293
me, le fond de la doctrine reste sacré, invariable,
comme Dieu lui-même.
Une dans ses sacrements qui sont partout et tou-
jours également administrés aux fidèles comme autant
de moyens de salut.
Une dans son chef invisible qui est Jésus-Christ, et
son chef visible qui est le Pape, héritier du prince des
apôtres et dernier anneau de cette longue chaîne
de Pontifes qui descend directement de saint Pierre à
Pie IX.
Une enfin dans ses membres, tous enfants d'une
même famille, participant aux mêmes combats, as-
pirant à la même couronne, et unis entr'eux par les
liens d'une même charité .. de sorte qu'en vertu de
la sainte solidarité qui nous lie à nos frères, leurs
biens, leurs maux, leurs besoins, leurs intérêts,
leurs joies sont les nôtres et que nous prions pour
eux tout en priant pour nous. C'est cette noble fusion
des âmes et des cœurs dans un même sentiment de
foi, d'espérance et d'amour qui excitait l'envie des
païens et des juifs, lorsqu'ils s'écriaient à l'aspect
de l'union des premiers chrétiens : voyez donc comme
ils s'aiment!
La véritable Église, disons-nous encore, est sainte :
non sans doute que tous ses membres soient des
anges de vertu, des modèles de sainteté ; tant que
nous serons sur la terre, nous participerons tous aux
misères et à la triste fragilité des enfants d'Adam ;
mais je dis sainte dans sa doctrine, pure dans sa
morale, et, par sa discipline et ses préceptes, aidant
puissamment à la vertu ; je dis sainte en ce sens
294 PETITS SERMONS
qu'elle seule enfante des saints, des saints à mira-
cles, parce que seule, elle possède dans la Pénitence,
l'Eucharistie et les autres sacrements, les moyens de
perfection que Jésus-Christ nous a donnés pour le
devenir.
Elle est catholique ou universelle : c'est-à-dire
qu'elle n'est limitée ni par les lieux, ni par les
temps ; et en cela, elle se distingue des autres socié-
tés religieuses qui sont circonscrites dans les limites
de certains pays, et portent dans leur date, et pour
ainsi dire sur leur front, le caractère évident de leur
nouveauté. L'Église au contraire a toujours subsisté
sans interruption, et subsistera /iwgn'à la consomma»
don des siècles, fondée qu'elle est sur la pierre et sur
la parole qui ne passe point.
Universelle, elle est incomparablement plus ré-
pandue qu'aucune des autres sociétés qui se disent
chrétiennes, puisque, sur un milliard d'hommes ou
à peu près qui couvrent la terre, deux cents millions
sont catholiques. Aussi l'Église est-elle seule en pos-
session de porter le titre glorieux de catholique y et
cela, si exclusivement à toute autre société religieuse,
que les hérétiques eux-mêmes ne la désignent pas
autrement et sont forcés de lui donner le nom tout en
lui refusant la chose.
Enfin, mes frères, l'Église est apostolique, et c'est
là peut-être la marque la plus sensible de sa divinité :
je dis apostolique dans sa doctrine, dans son sacer-
doce et la succession continue de ses pontifes. Elle
descend directement des apôtres, qui l'ont fondée et
la gouvernent depuis dix-huit cents ans par leurs
OU L'ON NE DORT λAS. 595
Successeurs : ce sont leurs enseignements qu'elle
nous transmet, leur pouvoir qu'elle exerce, leur
œuvre qu'elle continue à travers les siècles...
Les autres sociétés qui se sont séparées de la vé-
ritable Église ont perdu cette succession, et s'arrê-
tent forcément à leurs fondateurs, de quelque nom
qu'ils s'appellent ; seule, la véritable Église remonte
sans interruption ni léviation, aux apôtres, et par
eux, à Jésus-Christ....
Voilà je crois, mes frères, bien dessinés, bien
tranchés les principaux caractères auxquels vous
connaîtrez cette Église établie par Jésus-Christ la
gardienne du ciel et la colonne de la vérité : c'est à
cette marque infaillible que chacun de vous peut
décider s'il en fait partie, et s'il est sur le chemin qui
conduit au salut.
L'Eglise est essentiellement visible] il suffit d'avoir
des yeux et de les ouvrir pour l'apercevoir. Partout,
en effet, vous verrez une société qui professe la
même foi, croit au même Dieu et aux mêmes mystères,
reçoit les mêmes sacrements, obéit aux mêmes
ministres et reconnaît la divinité de leur mission ;
une société, en un mot, dont tous les membres
n'ont qu'un cœur et qu'une âme ; et cette société,
mes frères, c'est l'Église romaine, car c'est à Rome
que réside notre saint père le Pape, le successeur
du prince des apôtres et le représentant de Jésus-
Christ sur la terre ; à Rome qu'est le chef de cet
immense corps dont les membres sont répandus sur
toute la face du globe ; à Rome enfin qu'est le pi-
lote de cette barque, en apparence si fragile, et qui
296 PETITS SERMONS
néanmoins porte les destinées du monde... Ce pilote
est un vieillard, mes frères, mais la main de Dieu
soutient sa main : c'est un vieillard, mais soyez sans
crainte, sa vieillesse est vigoureuse, puisqu'elle dure
depuis plus de dix-huit siècles. Le Pape ne meurt
pas, c'est Dieu qui l'a dit, et félicitons-nous en, car
le Pape mort, l'humanité tout entière le suivrait
dans la tombe, et la dernière heure de la nature au-
rait sonné.
Ici se présente, mes frères, une distinction que
vous avez bien des fois entendu faire entre le chris-
tianisme et le catholicisme, deux mots qui signifient
également l'Église fondée par Jésus-Christ et les apô-
tres : et vous avez dû vous demander le motif de cette
distinction, vous, qui appelez tout naturellement les
choses par leur nom, et pour qui les mêmes noms
ont toujours désigné les mêmes choses : eh bien, la
raison, la voici en substance.
Sans doute, qui dit catholique dit chrétien, dit en-
fant de l'Eglise, c'est la réponse à la première ques-
tion du catéchisme. Un chrétien est celui qui, étant
baptisé, croit et professe la doctrine de Jésus-Christ;
mais si les catholiques sont chrétiens, tous ceux qui
se disent chrétiens ne sont pas catholiques, car il y
en a qui vont jusqu'à nier la divinité de Jésus-
Christ.
Or, vous savez tous, mes frères, comment cette
distinction s'est établie : elle date du jour où il y
eût dans la grande famille chrétienne des schismes
et des hérésies ; l'Église, qui avait porté jusqu'alors
le titre de chréti^aie, du nom de Jésus-Christ son
oc l'on NE DOttT PAS. 297
fondateur, s'appela désormais l'Eglise catholique,
pour ne pas être confondue avec les sociétés héré-
tiques et les églises particulières qui l'avaient reniée
en se séparant d'elle, et qui continuaient de s'appe-
ler chrétiennes, parce qu'elles avaient conservé quel-
ques lambeaux de vérité ; mais il est facile de voir
quelles n'ont de chrétien que le nom ; il n'y a qu'un
seul moyen d'être chrétien, c'est d'être catholique,
et d'appartenir, non-seulement par la sympathie et
les croyances, mais encore par la pratique ouverte
et publique de la foi, à ce « gouvernement spirituel,
« à cette monarchie religieuse et spirituelle qui fait
« de tous les chrétiens dispersés une société, une
« église, un corps, que l'on appelle TÉglise catho-
« lique. C'est à Jésus-Christ lui-même qui a institué
« dans cette Eglise la Papauté ; autour de la Papauté
*t l'Épiscopat, et, comme auxiliaire de TÈpiscopat,
«* le sacerdoce chrétien... Le Pape, successeur de
** Pierre, est de droit divin Souverain Pontife de la
« religion chrétienne, pasteur de tous les évêques
« et de tous les fidèles, juge suprême de toutes les
« questions religieuses, et docteur de la vraie
« foi *... »
C'est surtout contre le protestantisme, que l'Église
est forte de son glorieux titre de catholique ainsi que
des autres caractères qui démontrent sa divinité.
Les protestants, en effet, tout protestants qu'ils sont,
se proclament chrétiens avec une persistance et une
obstination qui feraient douter, sinon de leur bon sens,
Mgr de Ségur,
£98 PETITS SERMONS
au moins de leur bonne foi... — Oui, de leur bonne
foi ! Croyez- vous, mes frères, que ces pauvres éga-
rés puissent se faire illusion au point de ne pas voir
que leur prétendue religion pèche par la base, et n'a
aucun des caractères qui distinguent la religion de
Jésus Christ ? Croyez- vous qu'ils ne sentent pas que
leur religion n'est ni une ni apostolique, ni catholique,
ni sainte ?
Pour l'unité, je crois qu'on nous l'abandonne, et
pour cause : aucun protestant, du moins que je sa-
cje, n'a jusqu'ici eu l'aplomb de nier l'effrayante
fécondité de livrée semée par Luther et Calvin dans
le champ du Père de famille. « Depuis trois cents
« ans, a dit encore Mgr de Ségur, dans ses piquantes
« Causeries sur le 'protestantisme, depuis trois cents
« ans que la révolution protestante a éclaté, elle a
« suivi , probablement par esprit de contradiction
« pour l'unité romaine, une voie absolument oppo-
« sée... Ce serait une chose matériellement impos-
* sible de donner le chiffre exact des sectes protes-
« tantes ; la statistique d'hier ne serait plus vraie
« aujourd'hui ; elles naissent et meurent comme des
« mouches. » — Aussi, mes frères, jamais hérésie
n'avait été mieux nommée : dans cette Babel de
doctrines ou plutôt de négations, dans ce tohu-bohu
de croyances qui 'protestent contre l'Église, le minis-
tre proteste contre son confrère, le fidèle proies te
contre son voisin ; autant de religions que de sectes,
autant de sectes que de têtes, et, dans chacune de
ces têtes autant de croyances que de caprices...
« Hélas ! disait en gémissant un de leurs plus ar-
ou l'on ne dort pas. 290
« dents zélateurs, depuis le lendemain delà réforme,
« il y a des protestants, mais il n'y a plus de pro-
« testantisme ', »
Voilà pour Y unité de la réforme, mes frères, en
est-il ainsi de Y apostolicitê ? Certes, la réponse à
cette question sera facile à quiconque se rappelle
que le protestantisme ne date guère que de trois
siècles et demi. Soyons juste pourtant : quand les
enfants de Luther et de Calvin fouillent dans le passé
pour y découvrir leurs titres de noblesse, ils se re-
connaissent sans doute un peu dans les gnostiques
et les anciens manichéens ; beaucoup dans les Albi-
geois, les iconoclastes ou briseurs d'images, dans les
hérésiarques et les hérétiques les plus scandaleux
de l'histoire ; sans doute ils peuvent remonter plus
haut qu'à Martin Luther et à Jean Calvin, et appeler
ces vieux protestants leurs pères dans la foi, ou plutôt
dans la négation, car à l'un, la réforme a pris un
marteau pour démolir, à l'autre, un argument, un
blasphème pour insulter, à tous un lambeau rouge
ou gris pour en fabriquer sa vieille défroque ; mais
ils se garderont certes de revendiquer les apôtres
pour leurs pères, et de se dire descendants d'eux...
au moins autrement que le démon ne descend de
Dieu. \
Il y avait même entre les apôtres du Sauveur et
les deux bons apôtres qui ont fondé le protestantisme ' .
cette différence capitale, que les derniers ont eu sur
les premiers une incontestable supériorité ; car en-
* Le pasteur Vinet.
1S
300 PETITS SERMONS
fin, si les douze pauvres pêcheurs de Galilée avaient
tout contre eux, Luther et Calvin n'avaient-ils
pas pour eux des armes, de l'argent, de la fa-
veur, de la science, une ardente parole, et des
passions plus ardentes encore ; n'avaient -ils pas sur-
tout la complicité du peuple et des grands,
dont ils flattaient l'orgueil et servaient les pas-
sions?
Et maintenant, mes frères, examinons si cette re-
ligion si commode, si puissamment appuyée de
toutes manières, est devenue catholique et univer-
selle ; mais convenons avant tout d'une chose, c'est
que, comme il y a dans le protestantisme à peu près
autant de sectes que de ministres, et de croyances
que d'individus; comme chacun, en vertu du libre
examen, y explique la Bible à sa manière, admet ce
que bon lui semble, peut même au besoin rejeter la
divinité de Jésus-Christ, et, par le fait, n'être plus
chrétien, il est assez diiïiciie d'asseoir une statistique
à cet égard ; néanmoins la réforme, avec ses vieilles
sectes et ses ramifications infinies, est loin d'être
aussi répandue qu'aurait pu le faire supposer l'ef-
frayante nomenclature qu'en ont donné naguère une
foule de journaux ; et nous ne croyons pas être con-
tredit quand nous affirmerons que l'hérésie de Lu-
ther et de Calvin, malgré son intolérance originelle^
son ardent prosélytisme, ses sociétés bibliques, la
vie si commode et si confortable de ses ministres et
les millions qui lui permettent d'acheter les cons-
ciences, reste bien au dessous de l'Église romaine ;
que l'Eglise romaine est seule catholique cl açn-
ou l'on ne dort pas. 301
richitde toutes les désertions qu'on signale tous les
jours dans les rangs du protestantisme.
Enfin, mes frères, si le protestantisme n'a ni
l'unité, ni l'apostolicité, ni l'universalité de l'E-
glise de Jésus Christ, en a-t-il au moins la sain-
teté ?
Le prétendre serait mentir à la raison et à l'his-
toire ! A la raison d'abord : Qu'est-ce en effet que le
protestantisme, sinon la religion de l'orgueil, de la
révolte, de l'entêtement de la paresse : et la foi
sans les œuvres, un oreiller pour dormir tranquille
dans le crime? Dans cette religion commode, le
plus grand scélérat devient innocent dès qu'il peut
se dire : « Je crois... Je sais que Christ a satisfait
« pour moi ! »
A Dieu ne plaise pourtant que nous mettions ici
sur le même pied le protestantisme et les protes-
tants. Nous convenons qu'en général, les protes-
tants valent mieux que leur religion, et que, s'ils
vivent bien, ce n'est pas à cause, mais en dépit d'elle;
aussi n'est-ce pas aux protestants individuellement
que nous refusons la vertu et même la sainteté, si
vous y tenez, pourvu, cependant, qu'ils soient
dans la bonne foi. Nous soutenons seulement
que le protestantisme ne vaut rien pour faire des
saints, et que les saints de la réforme, s'il y en a,
doivent nécessairement aller contre leurs principes;
personne d'entre vc-us p'içnore, chrétiens, que
l'abus des saintes Ecriture et leur interpréta-
tion arbitraire ont de tout temps favorisé les plus
grands désordres, car chacun peut lire dans la Bible
302 PETITS SEUMONS
ce que son caprice ou sa passion lui a tout d'abord
fait lire dans son cœur.
Du reste, mes frères, s'il faut juger de la sainteté
de la Réforme par celle de ses plus ardents apôtres,
il nous suffira de nommer Henri VIII et Carlostadt,
avec leur cynisme impie : Elisabeth et Crammer
avec leur férocité : Luther et son hideux langage,
que son historien n'osait traduire, de peur de la
police correctionnelle ; Calvin, l'orgueilleux sectaire,
cette grande peste, suivant l'expression d'Erasme,
qui avait besoin de. haïr comme notre Vincent de
Paul d aimer, et dont le fanatisme sauvage a fait
dire à un écrivain anglais : Il fallait du sang à cette
âme de boue , et inspiré ce proverbe genevois :
t Mieux vaut V enfer avec Bèze que le paradis avec
Calvin ! »
Voilà les saints de l'Église protestante, j'entends
ceux qui lui ont servi de fondement : Avouez, mes
frères, que si ce sont là des chrétiens, ce sont tout
au plus des chrétiens de contrebande.
Et maintenant, jugez de l'arbre par ses fruits, ou
plutôt, comprenez la valeur et la sainteté d'une reli-
gion que de pareils apôtres ont fondée !
Non, non, l'histoire est là qui parle aussi haut que
la raison, et les plus sourds doivent l'entendre : on
j ne saurait être chrétien sans être catholique. Celui
qui se détache de Rome, de quelque nom qu'il se
' décore , s'excommunie , il se retranche lui-même
de l'Eglise fondée par Jésus-Christ, et hors de la-
quelle il n'y a point de salut : on peut alors être
luthérien ? calviniste , mabométan , mormon , libre-
OU L'ON NE DOÎIT PAS. 303
penseur ou bien simple honnête homme, mais on
n'est pas, on ne peut pas se dire chrétien. Si l'on
continue à se donner le titre de protestant, c'est
qu'on proteste à la manière de Bayle.
Un grand personnage lui demandait un jour ;
— Vous êtes protestant, monsieur Bayle, mais à
quelle secte appartenez-vous? Êtes-vous luthérien,
calviniste, ztfinglien, anabaptiste?
— Je ne suis rien de tout cela, répondit impudem-
ment ce protestant trop logique : Je suis protestant,
c'est à-dire que je proteste... contre toute espèce de
religion 1
Ce qui signifie en bon français, que le sceptique
protestait contre la raison et le bon sens du genre
humain!
Oh ! bénissons le Seigneur, mes frères ! que toute
notre vie soit consacrée à le chanter, à le chérir
pour les bienfaits sans nombre que nous avons reçus
de sa bonté souveraine, mais surtout de ce qu'il
nous a fait naître au sein de la véritable Eglise ! De
toutes ses faveurs c'est la plus grande et la plus pré-
cieuse, car en nous faisant chrétiens et catholiques,
il nous a placés comme sur le vestibule du paradis ;
pour y entrer, nous n'avons qu'à vouloir, et à ne
pas nous rendre indignes des grâces que le Seigneur
prodigue à tous les membres de la société sainte
que son divin Fils a fondée.
Oh ! oui, nous serons les fidèles enfants de l'Eglise:
nous écouterons cette bonne mère : heureux et fiers
de notre titre de catholiques nous obéirons rigoureu-
sement h i£s lois ! noup aimerons %$% touchantes
304 PETITS SERMONS
fêtes, la pompe de ses cérémonies ; nous mêlerons
avec transport notre voix à ses chants sacrés, à ses
tendres prières, et, après nous être unis de cœur et
d'âme à cette Eglise militante sur la terre, nous se-
rons un jour associés à sa gloire et à ses triomphes
dans le ciel ! Ainsi soit-ill
f IN DU PREMIER V0LUM8.
TABLE
DU PREMIER VOLUME,
Pagei
Au lecteur. — Sur l'utilité de cet ouvrage • . • • i
Avant propos. —Qui n'est pas tout à fait un prône mais
où la morale commence. . . . • y
Ier Sermon. —Nécessité d'étudier la religion. . . 1
IIe — Où, comment et dans quel but faut-il
étudier la religion S
III* — Réponse à quelques objections. . . 16
IVe — Suite des objections 22
V* — Sur laFoi 30
VI* — Existence de Dieu. — La création. 42
VII* — — Beauté de
l'univers 52
VIII* — Existence de Dieu. — Nécessité d'un
premier être ......... C2
IX* — Existence de Dieu. — L'homme, son
origine , 74
X* — L'homme, sa nature *•«••• 87
XI» — — sens intime. ..... 97
XIIe — Consentement des peuples .... 106
XIII* — Réponse à quelques objections . . 117
XIV — Suite des objections 125
XV* — Immortalilé de l'âme. — Sa nature et
ses sentiments 133
XVI* — Immortalité de l'âme. — Nos ou-
vrages, nos désirs 145
XVII* — Immortalité de l'âme. — Foi du
genre humain ... e .... 154
306
XVIII* —
XIXe —
XXe -
XXI" -
XXII» -
XXI 11° -
XXIVe -
XXV» —
XXVIe -
XXVIIe -
XXVIIIe —
XXIX« -
TABLE.
Pages.
Immortalité de l'âme. — La cous
cience et Tordre moral 164
Immortalité de l'âme. — Réponse à
quelques objections 176
Religion. — • Sa nécessité par rapport
à Dieu 187
Religion. — Sa nécessité par rapport
àj'homme 197
Religion. — Toutes les religions sont-
bonnes 206
Religion. — Y a-t-il une religion
révélée 214
Religion — Réponse à quelques
objections 226
Religion. - Suite des objections . . 239
Divinité du Christianisme. —Ancien
Testament 253
Divinité du Christianisme.— Nouveau
Testament 265
Divinité du Christianisme. — Son
établissement dans le monde. . . 276
Divinité de l'Église catholique. . . 288
f#IN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUMB.
La Rlbtloth&ciuuL
Université d'Ottawa
Echéance
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Uni vers ity of Ottawa
Date Due
i
a 3900 3 0002 *.'*» 151b
, y 9J.9J OTTAWA
COU ROW MODULE SHELF BOX POS C
333 02 03 05 01 05 1
.
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