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Full text of "Petits sermons où l'on ne dort pas"

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in  2012  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://archive.org/details/petitssermonsolo01bert 


PETITS  SERMONS 

OU  L'ON  NE  DORT  PAS 


DU  MEME  AUTEUR 


Petits  sermons  ou  l'on  ne  dort  pas  : 

Tome  II.  Avent  et  Carême.  4*  édit 2  » 

Tome  III.  Nourriture  du  vrai  chrétien.  3e  édit.  2  » 
Tome  IV.  Questions  qui  devraient  être  à  l'ordre 

du  jour 2  » 

CAUSERIES  DU  DIMANCHE.—  Catéchisme  des 
petits  et  des  grands. 6  forts  vol.in-18  jésus.2e  éd.     12    » 

Garo  et  son  curé,  ou  prônes  interrompus  par  un 
impie  et  défendus  par  un  troupier.  Très  fort 
vol.  in-18  jésus.  6e   édit 2    » 

PROPRIÉTÉ  DE  L'ÉDITEUR. 


5854.   —    ABLKVILLE,  TTP.    ET    STÉR.   A.  RETAUX.    —    1890. 


«X 


PETITS  SEMONS 


OU   L'ON  NE   DORT   PAS 


PAR 


M.  l'Abbé  Victorien  BERTRAND 

Auteur  de  Garo   et  son  Curé 

-      1^ 

TOME  Ier  "^tfîK 

FONDEMENTS  DE  LA  FOI 


CINQUIÈME  ÉDITIOJ 


PARIS 


*lt\7  W"* 


ANCIENNE   MAISON  C.  DILLET 

LOUIS  CARRÉ,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

15,   RUE   DE  SÈVRE3,    15 


1890 


.    ..' 


AU  LECTEUR 


SUR  L'INTITULE  DE  CET   OUVRAGE. 


L'ennemi  le  plus  à  craindre  pour  un  écrivain,  c'est 
l'indifférence  et  l'ennui  du  lecteur. 

Pour  les  combattre,  il  n'est  pas  do  détours  qu'il 
ne  prenne,  d'évolutions  savantes  qu'il  ne  fasse, 
d'habiles  manœuvres  qu'il  ne  pratique  ;  il  s'exerce  à 
toute  la  stratégie  d'un  général  et  met  en  train  les 
plus  puissantes  pièces  de  son  artillerie. 

Il  est,  pour  le  prédicateur  de  nos  jours,  un  ennemi 
plus  terrible  encore  que  ne  l'est  pour  l'écrivain, 
l'indifférence  du  lecteur  :  il  y  a  cinquante  ans,  c'était 
la  politique,  vingt  ans  plus  tard,  ce  fut  le  rationalisme 
et  l'impiété  :  aujourd'hui,  c'est  un  ennemi  bien  plus 
redoutable..,  le  sommeil. 

Oui,  le  sommeil  I  et  je  ne  crains  pas  de  l'appeler 
le  plus  terrible  ennemi  de  la  chaire  chrétienne:  car 
enfin,  la  politique,  on  peut  à  la  rigueur  l'aborder 
dans  un  prône,  en  se  souvenant  toutefois  que  la 
matière  est  épineuse  et  que  l'on  marche  sur  des 
charbons  ardents  ;  on  peut  désarçonner  un  impie, 
en  lui  opposant  quelqu'un  plus  impie  que  lui,  et  te 

t 


II  AU  LECTEUR 

combattre  ayec  ses  propres  armes.».  Que  dis-jeî 
Pour  faire  déraisonner  un  rationaliste  et  le  jeter 
dans  l'absurde,  il  suffit  bien  souvent  de  le  mettre 
aux  prises  avec  le  dernier  des  paysans  qui  sait  son 
catéchisme. 

Mais  le  moyen,  s'il  vous  plaît,  d'instruire  et  de 
convaincre  des  gens  qui  dorment  %  Le  moyen  même 
de  se  fâcher  lorsqu'on  vous  approuve  sans  cesse,  à 
temps,  à  contre  temps  t 

N'importe  ;  je  plains  le  prêtre  qui  s'attire,  à  tort 
ou  à  raison,  de  pareilles  marques  d'assentiment  de 
la  part  de  son  auditoire,  surtout  lorsqu'elles  sont 
générales  et  bruyantes.  J'aimerais  autant  exciter  sa 
colère  et  ses  menaces  en  fustigeant  ses  vices  fa- 
voris. 

Pour  éviter  un  pareil  obstacle,  le  plus  sérieux 
peut-être  que  le  prédicateur  ait  à  redouter,  aujour- 
d'hui que  le  peuple  n'est  plus  impie,  et  n'a  plus 
guère  besoin  que  de  s'instruire,  nous  avons  cru  devoir 
adopter  un  genre  à  part,  le  seul  qui  convînt,  du  reste, 
à  notre  caractère  et  à  notre  insuffisance  :  aux  grands 
orateurs  le  sublime  et  ls  sérieux  des  grandes  ques- 
tions :  ils  ont  le  secret  de  captiver  longtemps  un 
auditoire  par  l'éclat  du  talent  et  les  charmes  de  l'é- 
loquence :  à  nous,  les  derniers  venus,  les  humbles 
pionniers  de  cette  vaste  tranchée  où  les  grands  gé- 
néraux nous  précèdent  avec  tant  de  gloire,   à  nous 


sun  l'intitulé  de  crt  ouvrage.  îii 

les  petits  moyens,  les  armes  à  notre  taille  pour  mar- 
cher à  l'assaut  1 

Et  puis,  s'il  faut  le  dire,  on  nous  demandait  de- 
puis bien  longtemps  des  prônes  sur  le  ton  de  Garo, 
du  Coup  de  Sabre  et  de  nos  autres  ouvrages  :  le 
genre  quç  nous  y  avons  adopté  a  généralement  plu, 
nous  dit-on,  et  le  bienveillant  accueil  du  public  est 
notre  plus  douce  récompense  sur  la  terre  :  on  nous 
a  presque  indiqué  le  titre  de  ce  livre  :  —  «  Ne  pour- 
-  riez-vous,  monsieur  l'abbé,  »  nous  écrivait,  il  y  a 
douze  ou  quinze  mois,  un  bon  curé  Breton,  «  ne 
«  pourriez-vous  nous  donner  un  livre  de  sermons 
•  bien  courts,  bien  saisissants,  où  l'on  ne  dorme 
«  past  C'est  la  spirituelle  épigraphe  de  votre  Garo, 
.<  de  votre  Coup  de  Sabre  et  de  votre  Roman  contre 
«  les  Romans  qui  m'a  inspiré  cette  idée  originale.  » 

Cette  lettre  a  été  pour  nous  un  jet  de  lumière  : 
nous  avons  pris  la  plume  et  nous  avons  arrêté  le 
plan,  la  forme  et  jusqu'au  titre  de  ce  livre. 

Est-ce  à  dire  pour  cela  qu'il  ne  puisse  point  avoir 
le  sort  de  tant  d'autres  livres  faits  pour  amuser  et 
qui  n'amusent  plus  1  Est-ce  à  dire  que  nos  petits 
sermons  ne  sont  pas,  en  dépit  de  leur  titre,  exposés  à 
endormir  quelquefois  l'auditoire  et  le  lecteur? 

Loin  de  nous  cette  folle  présomption  ;  qu'on  ne 
se  trompe  pas  sur  le  vrai  sens  de  notre  titre  :  c'est 
une  promesse  et  une  prière  plutôt  qu'une  orgueil- 


tf  kV  LECTEUR 

leuse  annonce  :  ce  sont  des  sermons  sans  doute,  et 
vous  n'avez  pas  encore  entendu  notre  voix  ;  mais  de 
grâce,  n'y  dormez  pas,  sinon  pour  le  prédicateur, 
qui  n'est  qu'un  humble  prêtre  c!e  province,  du  moins 
pour  les  questions  sérieuses  et  redoutables  qu'il  va 
traiter  :  —  ce  sont  des  sermons,  et,  le  dirai- je  1  des 
sermons  qui  pourront,  au  premier  abord,  vous  pa- 
raître monotones,  à  raison  de  la  simplicité  de  mon 
plan  qui  m'obligera  de  parler  plusieurs  fois  sur  le 
même  sujet:  mais  ne  craignez  rien,  ils  seront  si 
courts,  si  variés,  si  émaiilés  d'histoires  que  vous  n'y 
dormirez  pas. 

Pour  vous,  ne  prêtez  pas  main-forte  à  l'ennemi  ; 
gardez-vous  du  sommeil,  je  vous  en  prie  !  Défendez 
cette  porte  tandis  que  nous  attaquerons  d'un  autre 
côté  :  ou  plutôt  faites  mieux,  luttez  avec  nous,  sou- 
tenez nos  efforts,  et  surtout  ne  les  paralysez  pas  en 
disant  :  Que  m'importe  ?  —  Il  vous  importe  au  moins 
autant  qu'au  prédicateur  que  sa  voix  ne  se  perde 
pas  dans  le  désert,  et  que  chacune  de  ses  paroles 
soit  un  coup  de  feu  dans  les  rangs  ennemis  ;  car  si 
c'est  un  devoir  que  je  remplis  en  vous  animant  au 
combat,  vous  serez  les  premiers  à  profiter  de  la  vic- 
toire, 


AVANT-PROPOS 


CUi   N'EST  PAS  TOUT  A  FAIT  UN  PRONE,  MAIS  OU  LA 
MORALE   COMMENCE. 


Pour  le  coup,  je  ne  m'en  défends  plus,  ami  lec- 
teur, ce  sont  bien  des  sermons  que  je  vous  présente; 
de  vrais  sermons,  avec  texte  latin,  exorde,  corps  de 
discours,  confirmation,  péroraison  \...  J'avoue  qu'il 
faut  avoir  du  courage  pour  méconnaître  ainsi  son 
siècle,  qui  n'aime  guère  que  les  riants  mensonges, 
les  livres  à  effet,  j'allais  dire  les  livres  qui  font  scan- 
dale... ;  et  certes,  sans  la  résolution  que  nous  avons 
prise  d'être  aussi  piquant,  aussi  court,  aussi  fami- 
lier que  possible,  et  surtout  de  larder  la  morale 
d'une  foule  de  traits,  de  comparaisons  et  d'apolo- 
gues qui  l'assaisonnent,  jamais  nous  n'aurions  eu  la 
témérité  de  grossir  le  flot  toujours  montant  des  ser- 
monnaires  et  des  moralistes  qu'on  ne  lit  plus. 

Mais  en  vous  donnant  un  livre  de  sermons,  en  éle- 
vant la  voix  pour  faire  de  la  morale,  nous  nous  som- 
mes bien  promis  d'être  de  notre  siècle  et  de  ne  pas 


VI  AVANT-PROPOS. 

trop  nous  assombrir...  même  en  traitant  les  sujets  les 
plus  graves  et  les  plus  sérieux. 

Et  pour  entrer  de  suite  en  matière,  je  vous  dirai 
tout  d'abord  que,  bien  que  cet  ouvrage  ne  soit  pas 
un  cours  complet  et  suivi  de  religion,  mais  une  série 
d'instructions  sur  divers  points  de  dogme  et  de  mo- 
rale, nous  avons  cru  bien  faire  en  consacrant  le 
premier  volume  à  l'exposé  clair  et  succinct  des  fon- 
dements de  la  foi  ;  on  conçoit  que  nous  n'y  par- 
lerons qu'à  la  raison,  au  bon  sens  le  plus  élémentaire: 
écrivant  un  peu  pour  tous,  pour  les  forts  comme  pour 
les  faibles  dans  la  foi,  et  principalement  pour  ceux 
qui  trouvent  dans  les  livres  à  un  sou  des  arguments 
tout  faits  contre  la  religion,  ne  devons-nous  pas  leur 
montrer  qu'elle  est  loin  d'être  aussi  déraisonnable 
et  aussi  absurde  que  le  prétendent  ces  petits  oracles 
de  l'atelier,  du  carrefour  et  du  cabaret  ? 

Voilà  pourquoi  nous  appuierons  d'abord  sur  les 
principaux  motifs  de  notre  foi  :  c'est  que  nous  sa- 
vons devant  qui  nous  parlons  ;  la  célèbre  sentence  : 
magister  dixit,  le  maître  l'a  dit,  a  son  mérite  assuré- 
ment; elle  a  même  longtemps  régné  dans  le  do- 
maine des  sciences  et  de  la  religion  ;  mais  c'était  le 
bon  vieux  temps,  le  temps  de  l'ignorance  et  des  ténè- 
bres, et  nous  avons  marché. . .  Le  moyen,  s'il  vous  plaît, 
de  s'accommoder  de  ce  vieil  aphorisme  de  la  sagesse 
de  nos  aïeux,  quand  on  a  les  ballons,  le  gaz  et  Té- 


AVANT-PROPOS.  VII 

lectricité  1  Nous  voulons  voir,  nous,  avant  de  croire  j 
nous  voulons  toucher,  nous;  et  pourquoi  non t  Le 
progrès  des  lumières  a  fait  un  rationaliste  de  tout 
homme  qui  sait  signer,  et  transformé  nos  laboureurs 
en  autant  de  saints  Thomas. 

Et  bien  i  c'est  à  ceux-là  de  préférence  que  s'a» 
dresse  ce  premier  volume  ;  aussi  les  sermons  qu'il 
renferme  devraient-ils  plutôt  s'appeler  entretiens  et 
conférences  ;  car,  outre  le  ton  familier  que  nous  y 
avons  pris,  nous  laissons  de  côté  l'éloquence  et  les 
grands  arguments  pour  ne  nous  adresser  qu'à  la 
simple  raison  de  Jacques  Bonhomme. 

Et,  comme  avant  de  raisonner  sur  une  chose,  il 
faut  tout  d'abord  la  connaître,  il  convient  de  nous 
bien  pénétrer  de  la  nécessité  d'étudier  la  religion  ; 
et  nous  en  avons  tous  grand  besoin,  tous,  ceux-là 
mêmes  qui  croient  la  mieux  savoir. 

On  l'a  dit  bien  souvent  et  on  le  répète  sur  tous  les 
tons  depuis  une  quinzaine  d'années,  le  siècle  n'est 
plus  impie  ;  ce  n'est  que  pour  mémoire  qu'on  parle 
encore  des  esprits  forts  qui  étaient  la  queue  de  Vol- 
taire, et  qui  nous  ont  transmis  les  indifférents,  qui 
étaient  la  queue  des  esprits  forts  ;  les  indifférents,  à 
leur  tour,  nous  ont  laissé  leur  queue .  ce  sont  les 
ignorants... 

Mon  Dieu  oui,  les  ignorants  !  Et  ce  mot-là,  vous  le 
voyez  bien,  je  le  prononce  sans  sourciller  ;  vous  avez 


VIII  AVANT- PROPOS. 

d'ailleurs  la  bonne  grâce  d'en  convenir,  et  ne  vous 
faites  guère  illusion  là-dessus.  Si  éclairés,  si  ins- 
truits que  nous  soyons  sur  tout  le  reste,  nous  sommes 
en  général  d'une  ignorance  déplorable  en  fait  de 
religion. 

Et  sans  parler  ici  de  ceux  qui  ne  l'ont  jamais  ap- 
prise et  dont  tout  le  christianisme  se  borne  à  porter 
incognito  sur  leur  front  l'auguste  caractère  de  leur 
baptême;  sans  parler  de  ceux  qui,  n'en  ayant  reçu 
que  de  très-légères  notions  dans  leur  jeune  âge, 
non-seulement  n'ont  plus  ouvert  un  livre  de  piété, 
mais  ont  passé  leur  vie  à  désapprendre...  que  dis- je, 
désapprendre?  à  fausser  leurs  principes  religieux 
dans  la  lecture  des  romans  et  des  livres  impies,  à 
ne  nous  occuper  que  de  ces  rares  chrétiens  qui,  suf- 
fisamment instruits  dans  leur  enfance,  n'ont  jamais 
rien  lu,  rien  entendu  de  contraire  aux  enseignements 
de  leur  catéchisme,  n'est-il  pas  vrai  que  tout  nous 
distrait  dans  la  vie,  que  tout  nous  emporte  hors  de 
nous-mêmes,  que  nous  avons  tous  à  passer  par  une 
interminable  filière  d'événements,  de  préoccupations, 
d'affaires  plus  ou  moins  sérieuses  qui  nous  font 
oublier  la  seule  capitale  1 

Ah  l  quand  même  les  passions,  ces  avocates  du 
diable,  ne  seraient  pas  sans  cesse  à  répéter  à  nos 
oreilles:  — Bah  I  le  plaisir,  l'amusement,  le  positif 
avant  tout  ;  1©  reste  est  accessoire,  et  pour  les  imbé- 


AVANT-PROPOS.  IX 

ciles  J  —  la  sainte  voix  de  la  religion  serait  étouffée 
par  cent  voix  étrangères  et  profanes  qui  trouvent 
toujours  un  écho  dans  nos  cœurs. 

On  ignore  donc  en  général  ou  pour  n'avoir  pas 
appris,  ou  pour  avoir  mal  appris,  ou  pour  avoir  ou- 
blié; tout  le  monde  convient  de  cela,  et  sent  le 
besoin  de  remonter  un  peu  l'édiGce  de  ses  connais- 
sances religieuses,  autant  pour  remplir  un  devoir 
sacré  que  pour  ne  pas  s'exposer  à  de  honteuses  bé- 
vues* 

Croiriez-vous  qu'il  y  a  des  gens  en  France,  et  des 
gens  instruits,  que  vous  embarrasseriez  en  leur  de- 
mandant seulement  combien  de  sacrements  ils  ont 
reçus,  et  qui  savent  juste  assez  de  religion  pour  ne 
pas  confondre  une  église  avec  une  mosquée,  une 
synagogue  ou  un  temple  protestant  î 

Tenez,  laissez  moi  vous  raconter  un  fait  arrivé 
naguère  en  pleine  mer,  et  qui  prouve  que  si  nos 
braves  marins  se  trompent  quelquefois  dans  les  céré- 
monies religieuses  qui  se  font  à  bord,  c'est  sans 
malice,  et  que  le  cœur  n'y  est  en  rien. 

Un  vieux  matelot  venait  de  mourir  sur  un  navire 
de  commerce  qui  retournait  d'Amérique  ;  on  était 
encore  trop  loin  de  la  terre  pour  espérer  que  son 
corps  y  arriverait  sans  se  corrompre.  Force  fut  donc 
de  le  jeter  à  la  mer;  c'est  ce  qui  se  fait  du  reste  en 
pareille  conjoncture. 

t. 


X  AVANT- PROPOS. 

Tout  l'équipage  se  rassembla  donc  autour  du  ca- 
davre, qu'on  avait  enveloppé  de  toile,  et,  faute  de 
prêtre,  car  il  n'y  en  avait  point  à  bord,  les  marins  se 
mirent  en  devoir  de  réciter  quelques  prières  avant  de 
l'ensevelir  dans  les  flots. 

Comme  ils  étaient  à  genoux  devant  leur  vieux  ca- 
marade et  paraissaient  prier  avec  ferveur,  mais  tout 
bas,  le  capitaine  qui,  probablement,  ne  trouvait  rien 
dans  sa  mémoire,  s'adressant  au  plus  intelligent  de 
la  troupe  : 

—  Prie  donc  tout  haut,  Lanti,  lui  dit-il,  pour  que 
tout  le  monde  y  participe. 

—  Très-volontiers,  capitaine,  mais  quelle  prière 
vais- je  faire  î 

—  Et  parbleu  1  quelle  'prière...  quelle  prière...  celle 
que  tu  faisais  ! 

Lanti  se  mit  à  réciter  dévotement  le  Pater  noster  i 
mais,  dès  les  premiers  mots,  il  fut  interrompu  par  les 
murmures  de  l'équipage  : 

—  Ah  bah  !  disait -on  de  toutes  parts,  allons  donc  1 
c'est  trop  commun,  le  Pater  î 

—  Et  puis  ce  n'est  pas  pour  les  morts,  je  crois,  fît 
observer  le  contre-maître,  qui  avait  su  servir  la  messe 
dans  son  enfance. 

—  Indique-moi  donc  une  autre  prière,  toi  qui  de« 
vais  chanter  aux  enterrements. 


àrANY'PROPOâi  tt 

—  Ou  plutôt  qu'il  fasse  mieux,  qu'il  chante  lui- 
même,  dit  le  capitaine. 

Le  contre- maître  réfléchit,  se  gratta  la  tête  dans  un 
embarras  visible,  puis  se  mit  à  entonner  le  Libéra 
d'une  voix  de  stentor  ;  malheureusement  il  resta 
court  à  la  troisième  parole,  c'est-à-dire  à  Domine; 
le  vieux  marin  n'en  savait  pas  davantage. 

—  Si  nous  lui  chantions  le  Miserere  mei,  dit  un 
jeune  mousse,  ancien  élève  des  Frères,  je  l'ai  copié 
tant  de  fois  à  l'école  que  je  le  sais  par  cœur. 

—  Le  Miserere  ?  Non,  c'est  trop  long,  s'écrièrent 
les  marins  qui  se  tenaient  toujours  à  genoux  durant 
ce  débat  ;  chantons-lui  plutôt  le  Tantum  ergo,  tout 
le  monde  sait  cela. 

—  Va  pour  le  Tanium  ergo,  répondit  le  capi- 
taine. 

Et  ces  bons  matelots  se  mirent  à  chanter  devant  le 
cadavre,  en  guise  de  De  profundis,  l'hymne  qui  ne  se 
chante  que  devant  le  Saint-Sacrement. 

L'enterrement,  dira-t-on,  n'en  fut  pas  moins  va- 
lide, d'accord  ;  mais  il  n'est  guère  possible  de  pous- 
ser plus  loin  l'ignorance,  avouez-le  franchement,  et 
l'ancien  clerc  aurait  pu  laisser  un  peu  moins  de  sa 
mémoire  au-delà  de  l'équateur. 

Soyons  justes  pourtant,  des  matelots  ne  sont  pas 
des  théologiens,  et  Ton  peut  sans  trop  de  honte 
ignorer  les  prières  des  morts  ;  en  fait  de  bévues  sur 


XI!  AVANT-PROPOS. 

îa  religion,  il  y  a  mieux  que  cela,  et  nous  ferions  dés 
volumes  si  nous  voulions  énumérer  ici  les  méprises 
dans  lesquelles  tombent  tous  les  jours,  je  ne  dis  pas 
des  paysans,  des  gens  sans  instruction,  mais  des 
hommes  que  leur  position  sociale  met  en  évidence 
et  dont  l'éducation  soignée  sur  tout  le  reste  rend 
plus  apparentes  les  fautes  qui  leur  échappent  sur  la 
religion. 

Nous  devons  donc  étudier  cette  science  céleste 
non-seulement  pour  apprendre  à  bien  croire,  bien 
vivre,  et  à  bien  vivre  pour  bien  mourir;  nous  le  devons 
par  prudence  et  pour  éviter  le  ridicule. 

Que  Ton  fasse  des  solécismes  en  français,  des  bar- 
barismes en  latin,  que  l'on  raisonne  en  vrai  la  Bé- 
doliière,  quand  on  est  assuré  de  son  million  de  lec- 
teurs, à  la  bonne  heure  !  les  épiciers  de  MM.  Havin, 
Jourdan,  Delord  et  Lucas  n'y  regardent  pas  de  si 
près  ;  mais  il  n'est  vraiment  plus  permis  aujourd'hui 
défaire  naître  Jésus-Christ  à  Nazareth  avec  M.  Lher- 
minier,  ni  à  Jérusalem  avec  M.  Roux-Ferrand,  ni 
d'écrire  sur  une  feuille  de  papier,  fût -on  professeur  de 
calligraphie,  que  «  Dieu  est  le  plus  juste  des  hommes 
qui  habitent  la  terre  *,..  *»  On  ne  peut  même  plus 
dire,  s'appelât-on  M.  Comte,  que  «  la  religion  ne  sera 

1  Pendant  une  demi-beure,  dit  le  Catéchisme  de  l'Uni* 
versité,  qui  raconte  ce  fait,  tous  les  élèves  ont  rempli 
leur  page  de  celte  ébouriffante  phrase. 


AVANT-PROPOS.  XIII 

bientôt  'plus  bonne  que  pour  les  chiens,..  »  ce  serait 
commettre  un  anachronisme  pyramidal  et  nous  trans- 
porter d'un  trait  de  plume,  nous  chrétiens  de  Pie  IX, 
et  Fiançais  de  Napoléon  III,  au  siècle  de  Julien  l'A- 
postat, ou  tout  au  moins  à  celui  de  Voltaire.  Vous 
ccncevez  que  celui  qui  oserait  nier  l'atmosphère 
catholique  qui  nous  environne,  et  parler  de  la  reli- 
gion, seulement  comme  on  en  parlait  il  y  a  une  cin- 
quantaine d'années,  ferait  rire  aux  larmes  le  bon 

Ainsi  nous  étudierons  notre  religion  pour  ne  pas 
êtia  ridicules,  mais  nous  l'étudierons  surtout  pour 
devenir  conséquents.  Chrétiens  par  le  nom  et  le  ca- 
ractère, la  religion  nous  enseigne  à  l'être  par  la 
conduite  ;  elle  nous  enseigne  à  si  bien  régler  nos  ac- 
tions, nos  paroles,  nos  sentiments,  toute  notre  vie, 
que  nous  n'ayons  à  rougir  ni  devant  Dieu,  ni  devant 
leb  hommes. 

Un  dernier  mot,  qui  sera  comme  le  bouquet  spiri- 
tuel de  cet  entretien  préliminaire  :  traitons  toujours 
avec  un  saint  respect  la  religion  et  la  science  céleste 
qui  l'enseigne  ;  n'affectons  pas  une  incrédulité  men- 
teuse et  ne  nous  posons  jamais  en  esprits  forts  ;  ils 
ne  sont  plus  de  notre  siècle  ;  et  puis,  c'est  un  vernis 
qui  va  mal  à  la  franche  et  loyale  rondeur  de  notre 
caractère.  Soyons  un  peu  de  notre  pays  :  fi  donc  ! 
un  masque  sur  un  visage  français*  i  croire  et  dissi- 


XIV  AVANT-PROPOS. 

muler  sa  foi  comme  si  l'on  avait  peur  \  Allons  donc  l 
ce  serait  lâche,  ce  serait  indigne,  et,  tout  en  vous 
applaudissant,  le  monde  lui-même  voas  mépriserait 
dans  son  cœur. 

Oh  !  raisonnons  tant  qu'il  vous  plaira  sur  Dieu, 
l'immortalité  de  l'âme  et  la  divinité  de  la  religion  ; 
étudions -en  les  preuves,  examinons  à  loisir  les  fon- 
dements de  notre  foi,  rien  de  plus  légitime  et  de 
plus  louable  assurément  ;  car,  de  cet  examen  sé- 
rieux, jaillira  pour  nous  comme  une  éclatante  lu- 
mière, la  vérité  du  catholicisme  ;  mais  cette  vérité 
une  fois  connue,  humilions  notre  orgueilleuse  rai- 
son devant  la  raison  de  Dieu,  et,  dociles  désormais 
aux  saintes  inspirations  de  la  foi,  marchons  avec 
confiance  à  la  lueur  de  ce  flambeau  céleste,  en  disant 
avec  Samuel  à  celui  qui  est  la  Voie,  la  Vérité  et 
la  Vie  : 

Parlez,  Seigneur,  car  votre  serviteur  écoute  1 


PETITS  SERMONS 

OU    L'ON    NE    DORT    PAS 
PREMIER  SERMON 

nécessité  d'étudier  la  religion, 

Non  est  scicntia  Dei  in  terra. 

La  science  de  Dieu  est  généralement  ignorée  sur  la  terre. 
(Osée  iv,  1.) 

Mes  frères,  c'est  une  triste  vérité  qui!  faut  bien  re- 
connaître, si  le  siècle  est  en  progrès,  si  les  arts,  l'in- 
dustrie et  les  sciences  humaines  sont  à  leur  apogée,  au 
plus  haut  point  de  leur  splendeur,  si  l'homme,  dévo- 
rant l'espace  sur  les  ailes  de  la  vapeur  comprimée, 
ou  planant  dans  les  airs  sur  une  légère  nacelle,  ou 
bien  envoyant  en  un  clin  d'oeil  sa  parole  aux  extré- 
mités de  l'univers,  peut,  aujourd'hui  plus  que  ja- 
mais, se  dire  et  se  croire  en  toute  vérité  le  roi  de  la 
création,  il  a  singulièrement  négligé  les  rapports 
qui  l'unissent  au  Créateur...  Que  dis-je,  négligé? 
ah  !  il  vit  dans  une  lamentable  ignorance  de  ces  rap- 
ports sacrés;  et  cette  activité  merveilleuse  qui  lui 
avait  été  donnée  pour  les  étudier,  pour  s'étudier 
lui-même  et  connaître  ses  devoirs  envers  Dieu  et 
envers  ses  semblables,  cette  noble  intelligence  qu'il 
devait  appliquer  ayant  tout  à  l'étude  ^e  la  religion. 


2  PETITS  SERMONS 

il  Ta  appliquée  à  tout  excepté  à  la  religion  :  Dieu, 
son  âme,  son  origine  et  ses  éternelles  destinées, 
toutes  les  vérités  de  la  foi  ont  été  pour  lui  des  ques- 
tions oiseuses  ou  tout  au  moins  indifférentes  ;  en  un 
mot  la  créature  est  devenue  l'objet  exclusif  de  ses 
études  et  de  ses  soins  laborieux  ;  quant  au  Créateur, 
il  ne  s'en  est  pas  plus  occupé  que  s'il  n'existait 
pas. 

Et  pourtant,  du  berceau  à  la  tombe,  quelle  plus 
importante  affaire  devait  exciter  notre  sollicitude, 
je  vous  le  demande,  n'est-ce  pas  là-dessus  que  pè- 
seront un  jour  pour  nous  les  jugements  de  Dieu  1 

Ah  !  laissez- moi  donc  ici,  mes  frères,  dans  une  sé- 
rie d'instructions  bien  courtes,  bien  familières,  vous 
rappeler  les  principales  vérités  de  cette  religion  que 
vous  connaissiez  si  bien  dans  votre  enfance,  mais 
que  les  passions  de  la  jeunesse,  les  préoccupations 
de  l'âge  mur,  les  infirmités  de  la  vieillesse  vous  ont 
peut  être  fait  oublier  :  je  vous  dirai  qu'il  existe  un 
Dieu  créateur  de  l'univers  ;  que  l'homme  se  compose 
de  deux  substances,  l'âme  et  le  corps  ;  que  notre  âme 
est  immortelle  ;  que  nous  avons  des  dogmes  à  croire 
et  des  vertus  à  pratiquer  ;  en  un  mot,  qu'il  existe  une 
religion  révélée  qui  résume  tous  nos  devoirs  envers 
Dieu,  envers  nos  frères,  envers  nous  mêmes,  et  que 
cette  religion  est  la  religion  chrétienne  dont  l'Eglise 
catholique  est  seule  dépositaire. 

Mais  avant  tout,  comme  l'ignorance  religieuse  est 
la  grande  plaie  de  notre  siècle,  nous  consacrerons  trois 
instructions  préliminaires  à  l'étude  de  la  religion. 
Dans  la  première,  nous  tâcherons  de  vous  faire  bien 


00  L'ON  NE  DORT  PAS.  3 

sentir  la  nécessité  de  vous  en  occuper  sérieusement  : 
dans  la  seconde,  nous  vous  indiquerons  les  moyens, 
la  marche  et  le  but  de  cette  étude,  et  dans  la  troi- 
sième, nous  répondrons  aux  principales  objections 
qu'ont  faites  de  tout  temps  là- dessus  l'impiété,  l'indif- 
férence et  la  paresse  ;  parlons  tout  d'abord  de  la  né- 
cessité pour  nous  d'étudier  la  religion. 

—  Mes  Frères,  êtes-vous  chrétiens! 

Cette  simple  question,  la  première  qu'on  adresse 
à  l'enfant  du  catéchisme  et  qui,  posée  en  ce  mo- 
oient  du  haut  de  cette  chaire,  vous  fait  peut  être 
sourire  et  hausser  les  épaules  de  pitié,  cette  ques- 
tion primordiale  et  décisive  pourtant,  quel  est  l'homme 
sensé  qui  se  l'est  adressée,  mais  là,  sérieusement, 
et  avec  le  désir  bien  arrêté  d'y  répondre  quelque 
chose  de  raisonnable  ? 

Et  ici  je  ne  parle  pas  de  la  nécessité  où  sont  tous 
les  chrétiens  de  vivre  en  harmonie  avec  leur 
croyance,  et  de  ne  pas  renier  par  leur  conduite  les 
engagements  sacrés  de  leur  baptême.  Il  est  de  toute 
évidence  qu'à  moins  d'être  insensé,  d'être  un  hypo- 
crite et  un  scélérat,  un  homme  doit  vivre  en  chré- 
tien, lorsqu'il  en  porte  sur  le  front  l'auguste  carac- 
tère. Mais  je  parle  de  la  nécessité  de  vous  compren- 
dre vous-même,  de  vous  définir  et  de  vous  expliquer 
une  bonne  fois  :  je  parle  de  la  nécessité  de  trouver 
enfin  une  réponse  avouable  à  certaines  questions 
que  tout  homme  qui  a  le  sens  commun  a  dû  se  poser 
bien  souvent  dans  sa  vie,  et  dont  celle  du  catéchisme 
n'est  que  le  résumé:  —  Qui  suis-jel  un  homme  ou 
«  un  animal  sans  raison  1  et  si  j'ai  quelque  chose  de 


4  PETITS  SERMONS 

«  pïus  que  le  cheval  qui  me  porte  et  que  le  bœuf 
«  qui  rumine  dans  mon  étable,  qu'est-ce  qui  constitue 
«  cette  différence  1 

—  «  D'où  viens-je?  y  a*t-il  un  Dieu  créateur,  ou 
«  bien  tout  ce  qui  existe  est  il  éternel,  ou  l'œuvre 
•  d'un  aveugle  hasard  ? 

-—  «  Pourquoi  suis-je  sur  la  terre?  Ai-je  une 
«  âme  immortelle,  et,  par  de  là  la  tombe,  est- il  un 
«  châtiment  pour  le  crime,  une  récompense  pour  la 
«  vertu  ?  Lorsqu'on  déposera  mon  corps  dans  la  fosse, 
«  tout  sera  t-il  fini  pour  moi  comme  pour  l'animal 
«  qu'on  jette  à  la  voierie  ! 

—  «  Et  pour  tout  dire  en  un  mot,  dois-je  être  chré- 
«  tien,  juif,  mahométan,  païen  ou  athée  t  » 

Questions  sérieuses,  mes  frères,  questions  pro- 
fondes qui  ont  épuisé  la  science  de  tous  les  âges,  de 
tous  les  pays,  et  dont  la  solution  a  une  portée  im- 
mense pour  la  société,  la  famille  et  l'individu. 

Or,  c'est  dans  la  religion,  et  dans  la  religion  seule 
que  se  trouve  la  réponse  à  ces  questions  capitales, 
et  toute  notre  vie  devrait  être  employée  à  l'étude  de 
cette  science  céleste  qui  nous  éclaire  sur  nos  plus 
chers  intérêts,  en  nous  expliquant  le  mystère  de  notre 
origine  et  de  nos  éternelles  destinées. 

Aussi  je  soutiens  avec  Pascal,  que  c'est  être  in- 
sensé que  de  ne  pas  chercher  la  solution  de  ces  ter- 
ribles problèmes,  et  de  vivre  dans  une  indifférence 
complète  pour  des  vérités  qui  peuvent  avoir  pour 
notre  avenir,  les  plus  redoutables  conséquences  1 

Est-il  en  effet  une  folie  comparable  à  celle  d'un 
homme,  d'un  être  intelligent  et  raisonnable  qui  vit 


ou  l'on  ne  dort  pas»  5 

au  jour  le  jour,  en  philosophe,  tranquille  sur  son 
passé  qui  peut  n'être  pas  sans  crime,  jouissant  du 
présent  en  véritable  épicurien,  sans  souci  de  l'avenir 
où  il  n'entend  pas  gronder  l'orage  parce  qu'il  se 
ferme  les  oreilles,  uniquement  occupé  à  boire,  manger, 
dormir  comme  une  bête  de  somme,  sans  savoir  s'il  ne 
se  réveillera  pas  entre  les  mains  d'un  Dieu  vengeur  1 

Mais  la  bête  de  somme,  si  elle  pouvait  raisonner, 
réfléchir,  prévoir,  comme  nous  ;  si,  d'avance,  elle  se 
voyait  en  face  de  la  mort  avec  la  liberté  de  l'éviter  en 
s'élançant  vers  un  riant  pâturage,  serait-elle  si  tran- 
quille en  attendant  le  coup  fatal  ?  et  quand  même  elle 
pourrait  se  croire  le  jouet  d'un  mirage  trompeur, 
quand  même  elle  ne  devrait  être  heureuse  qu'en  espé- 
rance, toute  vaine  qu'on  la  suppose,  ne  lui  semble- 
rait-elle pas  cent  fois  préférable  aux  terreurs  de  la 
mort? 

Ah  !  n'en  doutons  pas,  sa  prévoyance  nous  prêche- 
rait la  sagesse,  et  cet  instinct  qui  l'arrête  tremblante 
au  bord  d'un  précipice,  nous  en  dit  plus  que  tous  les 
raisonnements. 

Rien  de  plus  insensé,  mes  frères,  ajoutons  rien  de 
plus  ridicule  et  de  plus  honteux  que  d'ignorer  sa 
religion. 

Il  est  des  arts  et  des  sciences  qui  ne  sont  pas  du 
domaine  de  tout  le  monde  ;  mais  il  y  a  de  la  honte 
à  ignorer  ce  que  tout  homme  doit  savoir.  Tout  le 
monde  ne  peut  pas  être  mathématicien,  littérateur, 
astronome,  historien,  poëte,  mais  nous  sommes  tous 
obligés  de  connaître  notre  religion,  sous  peine  d'être 
ridicules. 


6  PETITS  SERMONS 

Ne  vous  est-il  jamais  arrivé  de  voir  entrer  dans 
l'église  un  homme  qui,  depuis  longtemps,  en  avait 
perdu  le  chemin  ?  —  [1  avance  d'un  air  distrait  ;  à  sa 
contenance  embarrassée,  on  le  dirait  égaré  dans  quel- 
que édifice  inconnu...  il  est  parmi  les  fidèles  comme 
un  étranger  :  tout  rétonne  ;  il  ne  comprend  rien  aux 
plus  augustes  cérémonies  ;  ses  genoux  ne  savent  plus 
fléchir  ;  sa  main  a  oublié  le  signe  de  la  croix  :  et  fort 
heureux  encore  quand  il  ne  s'épouvante  pas  des 
bénédictions  du  prêtre  et  ne  tourne  pas  le  dos  à  l'au- 
tel 1  Mon  Dieu,  je  sais  bien  qu'il  n'en  sera  jamais 
là,  mais  supposez-lui  un  degré  de  plus  d'ignorance, 
et  on  le  prendra  pour  un  sauvage! 

Le  mal  du  siècle,  je  le  répète,  mes  frères,  la  plaie 
générale  de  notre  époque,  c'est  l'ignorance,  mais  une 
ignorance  fabuleuse  en  matière  de  religion.  Il  n'est 
pas  rare  de  voir  des  personnages,  même  haut  placés 
dans  l'estime  publique,  tomber,  sur  la  religion,  dans 
les  plus  étranges  méprises. 

Sortis,  pour  la  plupart  au  moins,  de  ces  établisse- 
ments où  la  religion  joue,  dans  l'éducation,  un  rôle  à 
peine  secondaire,  et  lancés  à  toute  vapeur  dans  le 
tourbillon  des  affaires,  du  plaisir  et  des  préoccupations 
de  la  vie,  est-il  étonnant  qu'arrivés  à  un  certain  âge, 
ils  aient  perdu  jusqu'aux  plus  simples  vestiges  de  leur 
éducation  religieuse  ? 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  triste,  mes  frères,  c'est 
que  cette  ignorance  se  trahit  quelquefois  chez  les 
hommes  les  plus  instruits  sur  tout  le  reste,  et  les  es- 
prits les  mieux  cultivés.  Les  bévues  de  plusieurs  phi- 
losophes modernes,  et  de  Voltaire  lui-même,  sur  la 


OU  L*ON  NE  DORT  i»AS,  1 

religion,  sont  devenues  proverbiales;  il  serait  difficile 
de  se  faire  une  idée  de  l'ignorance  religieuse  de  la 
plupart  de  nos  lycéens  et  de  nos  bacheliers  ;  permet- 
tez-moi d'en  citer  une  preuve  entre  mille;  c'est  un 
fait  que  vous  avez  pu  lire  naguère  dans  plusieurs  jour- 
naux de  Paris  et  de  la  province. 

—  Parlons  un  peu  religion,  disait  en  pleine  séance, 
un  examinateur  d'aspirants  au  baccalauréat,  à  un 
jeune  élève  qui  avait  eu  des  succès  et  faisait  l'orgueil 
de  ses  maîtres;  voyons,  monami,  qu'était-ce  que  saint 
Paul? 

—  Saint  Paul,  répond  l'élève  visiblement  troublé 
par  une  question  si  simple,  saint  Paul  était...  je 
crois...  un  apôtre. 

—  Sans  doute  :  mais  qu'a-t-il  fait,  n'a-t-iî  pas 
écrit  ? 

—  Ah  !  oui,  monsieur,  il  a  écrit.,,  il  a  fait  des  ou- 
vrages très-estimés. 

—  Des  ouvrages...  ?  des  lettres,  voulez-vous  dire  : 
très-bien  ;  parlez-nous  un  peu  de  sa  vier  de  sa  con- 
version ;  que  savez -vous  de  lui? 

L'élève  continuant  de  se  gratter  la  tête  et  de  regar- 
der le  plafond  : 

—  Eh  bien,  saint  Paul...  l'apôtre  saint  Paul...  ah  ! 
j'y  suis  maintenant  ;  il  faisait  partie  de  la  synagogue, 
et  gardait  les  vêtements  des  Juifs  pendant  qu'ils  la- 
pidaient Jésus-Christ. 

...  Le  malheureux  t  La  chronique  ne  dit  pas  s'il 
faisait  crucifier  saint  Etienne  ;  mais  il  est  à  croire  pour 
l'honneur  de  ses  examinateurs  que  son  diplôme  fut 
ajourné. 


$  PEÎtTS  SRïlMONâ 

Ignorance  grossière,  ignorance  colossale  sans  doute 
et  qui  rend  un  homme  ridicule,  même  aux  yeux  du 
monde  ;  mais  ignorance  coupable  qui  prête  encore 
moins  à  rire  qu'à  £émir. 

Car  enfin,  mes  frères,  si  Dieu  existe,  s'il  nous  a 
donné  une  religion  à  suivre  et  des  devoirs  à  remplir, 
n'est-ce  pas  un  crime  que  de  les  dédaigner  et  de  né- 
gliger de  s'en  instruire  ? 

De  même  que  nul  n'est  censé  ignorer  les  lois  de 
l'Etat,  nul  n'est  admis  à  ignorer  sa  religion.  Je  dis 
plus  :  les  intérêts  de  Dieu  étant  supérieurs  aux  in- 
térêts de  l'Etat  et  la  loi  divine  étant  la  base  des  lois 
humaines,  la  religion  qui  nous  l'enseigne  doit  passer 
avant  elle:  nous  sommes  enfants  de  Dieu  avant  d'être 
citoyens. 

Or,  si  l'ignorance  affectée  de  la  loi  civile,  en  rend 
les  violateurs  plus  coupables,  que  dire  de  celui  qui 
néglige  volontairement  de  s'instruire  de  sa  religion  ? 
Son  ignorance,  au  jour  de  la  justice,  pourra-t-elle 
servir  d'excuse  aux  iniquités  dont  elle  aura  été  la 
source,  et  n'en  doublera-t-elle  point  au  contraire  la 
malice  ? 

Ah  !  n'en  doutons  pas,  mes  frères,  le  Dieu  qui  saura 
pardonner  les  fautes  échappées  à.  la  faiblesse,  à  la 
fragilité  du  malheureux  Adam,  sera  sans  pitié  pour 
l'aveugle  volontaire  tombé  dans  l'abîme  ;  il  aura  des 
vengeances  spéciales  pour  le  criminel  qui  s'est  obsti- 
né dans  son  ignorance  pour  faire  le  mal  plus  à  l'aise  î 

Oh  !  pour  que  Dieu  nous  préserve  de  ce  sort  fatal, 
nous  étudierons  notre  religion,  et  nous  l'étudierons 
avec  la  conviction  bien  ferme  et  bien  arrêtée  que,  de 


OU  ï/ON  NE  DOHT  PAS,  0 

notre  diligence  à  nous  instruire  de  nos  devoirs  envers 
Dieu,  envers  nos  frères  et  envers  nous-mêmes,  dépend 
notre  éternel  avenir. 

Comme  on  creuse  une  mine  dont  les  riches  filons 
produisent  beaucoup  d'or,  nous  creuserons  cette 
science  sacrée  où  s'ouvrent  sans  cesse  devant  nous 
des  horizons  nouveaux  ;  et  s'il  ne  nous  est  pas  donné 
d'y  atteindre  la  perfection  des  grands  docteurs,  nous 
y  apprendrons  au  moins  à  aller  de  vertus  en  vertus 
jusqu'à  la  sainte  montagne  où  nous  attend  la  couronne 
promise  au  serviteur  fidèle.  Ainsi  soit-il. 


DEUXIÈME  SERMON 

OU,  COMMENT,  ET  DANS  QUEL  BUT  FAUT -IL  ÉTUDIER 
LA  RELIGION. 

Disce  ubi  sit  prudenlia,  ubi  sit  virtus,  ubi  sit  intellectus. 
Apprenez  où  se  trouve  la  prudence,  la  vertu,  l'intelligence. 
(Baïuch,  m,  14.) 

Mes  frères,  vous  avez  tous,  j'aime  à  le  croire,  pris 
au  sérieux  votre  religion,  et  il  n'en  est  certainement 
aucun  parmi  vous  qui  ne  sente  la  nécessité  de  l'étu- 
dier s'il  l'ignore,  ou  de  s'en  rafraîchir  la  mémoire  s'il 
l'avait  oubliée  :  et  cela,  non-seulement  pour  apprendre 
la  science  salutaire  qui  enseigne  à  bien  vivre  et  à  bien 
mourir,  mais  encore  pour  échapper  au  ridicule  dont  se 
couvrent  trop  souvent  hélas  !  des  gens  instruits  dans 
les  sciences  profanes,  et  qui  ignorent  les  vérités  les 
plus  simples  et  les  plus  élémentaires  du  catéchisme. 

Il  est  donc  bien  entendu,  mes  frères,  que  nous  étu- 


10  PÈfïTS  SBHMONS 

dierons  notre  religion  :  mais,  où,  comment  et  dans 
quel  but  devons-nous  l'étudier  î  c'est  ce  que  nous  al- 
lons examiner  en  peu  de  mots. 

Si  nous  avions  à  parler  ici  à  ces  petits  docteurs 
dont  l'orgueilleuse  suffisance  affecte  de  raisonner  et 
de  déraisonner  sur  les  choses  de  Dieu,  et  qui  trai- 
tent la  religion  par  dessus  l'épaule  ;  si  nous  avions 
à  convaincre  ces  menus  philosophes  qui  ne  discutent 
plus,  n'examinent  plus,  car  ils  ont  leur  idée  ins- 
pirée par  les  passions  ou  puisée  dans  quelque  livre 
impie  ;  si  nous  nous  adressions  à  cette  classe  d'in- 
différents aujourd'hui  peu  nombreux  qui,  à  toutes 
vos  raisons,  à  tous  vos  arguments,  haussent  les 
épaules  et  répondent  avec  un  superbe  dédain  : 
Qu'est-ce  que  cela  méfait?  nous  nous  bornerions  à 
les  renvoyer  à  Pascal,  à  Euler,  à  Léibnitz  ou  mieux 
encore,  au  patriarche  de  l'incrédulité,  qui  excelle  à 
prouver  le  pour  et  le  contre,  mais  qui  n'est  jamais 
plus  éloquent  que  lorsqu'il  parle  en  chrétien,.,  et 
tenez, mes  frères,  voici  comment  il  s'exprime  à  l'adresse 
des  indifférents  :  le  sophisme  les  égara,  c'est  bien  le 
moins  que  le  sophiste  les  ramène. 

«  Je  n'ai  pu  encore  m'habituer,  à  mon  âge,  à  l'in- 
«  différence  et  à  la  légèreté  avec  laquelle  des  per- 
«  sonnes  d'esprit  traitent  la  seule  chose  essentielle, 
«  la  vérité  de  la  religion  Au  bout  du  compte,  quoi 
«  qu'on  dise,  la  chose  vaut  bien  la  peine  d'être  exa- 
«  minée  :  et  pourtant  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  dans 
«  une  grande  ville  deux  cents  personnes  qui  s'en 
h  soient  réellement  occupées  :  presque  tous  disent  : 
*  Que  m'importe  ?  Et  après  avoir  ainsi  parlé,  ils  vont 


OU  L'ON  NE  DÔKT  PAS.  Il 

«  compter  leur  argent  et  courent  au  spectacle...  La 
«  religion  exige  absolument  l'attention  de  tout  hon- 
«  nête  homme  :   on  est  un  sot  et  indigne  de  vivre 

*  quand  on  passe  son  temps  dans   de  vains  plaisirs 

*  et  que  l'on  traite  avec  tant  d'indifférence  et  de  légé- 
«  reté  l'objet  qui  nous  intéresse  le  plus  *.  » 

Voilà  ce  que  nous  dirions  aux  petits  philosophes 
qui  se  croient  encore  au  siècle  de  l'Encyclopédie  et 
s'obstinent  à  méconnaître  l'atmosphère  de  catholi- 
cisme qui  nous  environne:  mais,  encore  une  fois, 
nous  ne  devons  nous  occuper  ici  que  de  l'igncrance, 
de  l'ignorance  qui,  de  bonne  foi,  cherche  la  lumière  ; 
et  nous  voyon3  avec  bonheur  que  le  peuple  ouvre  les 
yeux  sur  ses  vrais  intérêts,  et  ne  prend  plus  la  ca- 
lomnie pour  de  l'histoire,  ni  des  blasphèmes  pour 
des  raisons.  Il  a  fini  par  comprendre  que  ce  n'est  pas 
dans  les  livres  impies  ni  dans  les  romans  grivois  que 
l'on  doit  aller  étudier  la  religion.  Prendre  pour  guides 
dans  cette  divine  science  les  incrédules  qui  la  com- 
battent ou  les  libertins  qui  la  calomnient,  c'est  évi- 
demment vouloir  s'égarer. 

—  Règle  générale,  mes  frères,  des  ouvrages  des 
sliilosophes  du  dernier  siècle  et  des  écrivains  de  nos 
murs,  romanciers,  historiens  ou  poètes,  on  ne  doit 
prendre  au  sérieux,  passez-moi  l'expression,  que  ce 
qu'ils  ont  écrit  à  jeun,  c'est-à-dire  lorsqu'ils  étaient 
calmes,  réfléchis  ou  malades.....  Il  est  des  moments 
-ïans  la  vie  où  les  passions  se  taisent,  où  l'on  est  seul 
in  face  de  sa  conscience,  de  cette  conscience  sévère 

i  foltaire. 


12  PETITS  SERMONS 

dont  le  cri  peut  être  un  instant  étouffé,  mais  qui  ne 
perd  jamais  ses  droits.,.  Alors,  à  la  voix  d'une  raison 
naturellement  chrétienne  qui  prêche  malgré  vous  au 
fond  du  cœur,  on  change  de  ton,  le  masque  tombe% 
V homme  reste,  le  comédien  s'évanouit. 

C'est  alors  qu'il  faut  les  saisir,  ces  caméléons  per- 
fides qui  changent  de  couleur  à  toutes  les  heures  du 
jour,  alors  qu'ils  prêtent  le  flanc,  ces  protées  insaisis- 
sables, après  qu'ils  ont  dîué.  C'est  surtout  à  l'heure 
de  la  mort  que  les  impies  voient  autrement  les  choses; 
leur  langage  et  leur  conduite  à  cette  heure  solennelle 
sont  la  meilleure  pierre  de  touche  pour  juger  leurs 
écrits . 

Ainsi,  l'homme  qui  veut  sérieusement  s'instruire 
de  sa  religion,  doit,  après  avoir  tout  d'abord  imposé 
silence  à  ses  passions  et  banni  de  son  esprit  toute 
espèce  de  préjugés,  l'étudier  dans  des  auteurs 
graves,  pieux  et  qui  l'aient  eux-mêmes  pratiquée.  Un 
libertin  ne  saurait  parler  avec  onction  de  la  chasteté, 
un  malhonnête  homme  de  la  probité,  un  avare  de  la 
bienfaisance;  et  il  serait  aussi  imprudent  d'étudier 
la  religion  ailleurs  que  dans  les  auteurs  religieux  que 
ridicule  d'étudier  le  droit  dans  un  livre  de  médecine, 
l'histoire  dans  un  code  et  la  géométrie  dans  un 
roman.  Loisqu'on  part  pour  une  contrée  lointaine, 
inconnue  et  d'un  accès  difficile,  on  prend  un  guide 
prudent,  éclairé,  d'une  probité  connue  ;  voilà  juste- 
ment la  règle  à  suivre  dans  l'étude  de  la  reli- 
gion ;  celui  qui  l'étudié  dans  de  mauvais  livres  est  un 
malheureux  qui  s'engage  dans  un  bois  avec  l'assassin 
auquel  il  a  confié  sa  défense. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  13 

Comment  faut-il  étudier?  La  réponse  est  aisée, 

mes  frères.  La  religion  étant  la  science  du  salut,  la 
clef  de  notre  bonheur  dans  ce  monde  et  dans 
l'autre  *,  elle  doit  donc  être  l'objet  de  nos  soins 
constants,  l'âme  de  nos  pensées,  Il  faut  étudier  la 
religion,  creuser,  approfondir  ses  divins  enseigne* 
ments  comme  on  creuse  une  mine  dont  les  riches 
filons  produisent  beaucoup  d'or...  Celui  qui  viendrait 
d'apprendre  qu'un  trésor  est  caché  dans  son  champ, 
avec  quelle  ardeur,  quelle  anxiété,  quelle  infatigable 
énergie  ne  le  fouillerait-il  pas  ?  —  Eh  bien  !  la  reli- 
gion est  la  mine  la  plus  féconde,  elle  renferme  le  plus 
riche  trésor  qu'il  nous  soit  donné  de  posséder 
sur  la  terre  :  mieux  encore,  les  biens  que  nous  y  pui- 
serons sont  d'un  prix  inestimable  et  nul  ne  pourra 
nous  les  ravir  ;  ils  nous  suivront  au-delà  du  tombeau,, 
puisqu'en  étudiant  la  religion,  l'homme  apprend  à 
bien  vivre  et  que  d'ordinaire,  on  meurt  comme  l'on  a 
vécu. 

Ainsi  devons-nous  étudfer  cette  divine  science' 
mes  frères  :  l'étudier  sans  relâche,  car  fussions-nous 
montés  aussi  haut  que  Tertullien,  saint  Thomas  et 
Bossuet,  à  nos  yeux  s'ouvriraient  toujours  des  ho- 
rizons nouveaux  :  l'étudier  avec  méthode,  avec  suite, 
car  dans  la  religion  tout  s'enchaîne,  tout  est  admi- 
rablement coordonné  ;  l'étudier  avec  crainte  et  trem- 
blement, car  de  cette  étude  dépend  pour  beaucoup 
d'entre  nous  l'avenir  éternel  ;  nous  devons  surtout 
l'étudier  avec  confiance,  une  confiance  toute  filiale 

1  Pietas  ad  omnia  utilis  esty  promissionem  habens  vite 
qux  nunc  est,  et  futur w.  I  Tirnoth.  iv,  v.  8, 


14  PETITS  SERMONS 

sous  l'oeil  de  Dieu  qui  bénira  notre  ardeur  et  sera  lui- 
même  notre  guide  :  mais  il  faut  pour  cela  qu'il  soit 
l'objet  et  le  but  Gnal  de  nos  constants  efforts. 

Ne  nous  y  trompons  pas,  mes  frères,  c'est  uni- 
quement pour  Dieu  que  nous  devons  entreprendre 
cette  étude  salutaire,  c'est  pour  le  chercher  dans  la 
simplicité  de  notre  cœur  ;  tout  autre  but  serait  frivole 
et  indigne  d'un  chrétien. 

La  religion  n'est  pas  une  science  purement  spécu- 
lative que  l'on  approfondisse  par  curiosité,  par  dé- 
sœuvrement, pour  se  donner  un  vernis  d'érudition  : 
une  de  ces  sciences  que  l'on  étudie  un  moment  sans 
conséquences  pour  sa  conduite,  de  même  que  cet  in- 
sensé dont  parle  l'Évangile,  qui  contemple  son  visage 
dans  un  miroir  et  qui  l'oublie  l'instant  d'après.  La 
science  religieuse  est  essentiellement  pratique  :  on  ne 
doit  chercher  la  vérité  qu'avec  le  désir  bien  arrêté  de 
marcher  à  sa  lumière,  et  d'en  montrer  l'application 
dans  sa  conduite  et  sa  vie.  Le  nom  seul  de  la  reli- 
gion, religio,  de  reliyare,  qui  signifie  unir,  en  in- 
dique le  but.  C'est  le  lien  sacré  qui  unit  l'homme  au 
Créateur,  le  code  et  le  résumé  de  ses  devoirs  envers 
Dieu,  envers  ses  frères  et  envers  lui-même. 

—  Envers  Dieu,  dont  elle  lui  révèle  l'existence,  les 
incommunicables  attributs,  les  bienfaits,  et  par  suite, 
les  droits  inflnis  à  notre  adoration  et  à  notre 
amour  ; 

—  Envers  nos  frères,  auxquels  elle  nous  unit  par 
les  liens  d'une  sainte  charité,  comme  enfants  d'une 
mcîme  famille,  compagnons  des  mêmes  travaux,  des 
mêmes  combats  et  héritiers  des  mêmes  espérances. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  15 

—  Enfin  envers  nous-mêmes,  en  nous  prescrivant 
des  lois  de  tempérance  et  de  modestie,  en  nous  péné- 
trant d'une  sainte  vénération  pour  la  vivante  image 
de  Dieu,  les  membres  de  Jésus-Christ,  le  temple  de 
l'Esprit-  Saint. 

C'est  dans  l'unique  but  de  bien  remplir  ces  devoirs 
que  l'homme  doit  étudier  sa  religion  ;  c'est  pour  en 
devenir  meilleur  et  puiser,  dans  cette  science  céleste, 
l'amour  du  bien,  l'horreur  du  vice  et  le  courage  de  la 
vertu.  Volontiers  Dieu  se  découvre  à  l'homme  qui  le 
cherche  avec  un  cœur  pur  ;  il  éclaire  de  sa  lumière 
celui  dont  l'âme  est  simple,  la  volonté  droite,  et  qui 
lui  dit  avec  saint  Augustin:  Que  je  vous  connaisse, 
mon  Dieu,  et  que  je  me  connaisse  moi-même  !  Nove- 
rim te,  noverim  me! 

....  Que  je  vous  connaisse,  pour  vous  adorer,  vous 
chérir  et  chanter  vos  louanges  ;  mais  que  je  me  con* 
naisse  aussi,  Seigneur,  pour  sentir  ma  faiblesse,  mon 
néant  et  tout  ce  que  je  vous  dois  de  reconnaissance  et 
d'amour,  pour  avoir  comblé  tant  d'abîmes  qui  me  sé- 
paraient de  vous  !  Noverim  te,  noverim  me  ! 

Cette  profonde  parole,  mes  frères,  cet  ardent  sou- 
pir du  plus  grand  docteur  de  l'Église  sera  la  règle 
constante  et  invariable  de  notre  étude,  le  bon  ange 
qui  vous  tiendra  par  la  main  dans  le  mystérieux  la- 
byrinthe où  nous  nous  engageons,  l'étoile  bénie  qui 
nous  guidera  sur  ces  océans  inconnus,  et,  si  notre 
barque  chancelle,  l'ancre  salutaire  qui  nous  fixera  au 
portl  Ainsi  soil-ill 


% 


16  PETITS  SERMONS 


TROISIÈME   SERMON 

RÉPONSE  A  QUELQUES  OBJECTIONS. 

Vidcte  ne  seducamini.  (Luc.  xxt,  4.) 
Gardez-vous  de  vous  laisser  séduire. 

Mes  frères,  s'il  y  a  de  la  honte  à  ignorer  sa  religion, 
si  c'est  une  folie  de  négliger  de  s'en  instruire,  une  im- 
prudence criminelle  de  1  étudier  dans  de  mauvais  livres 
ou  de  ne  s'en  occuper  que  comme  une  de  ces  sciences 
futiles  qui  ornent  l'esprit  sans  nous  rendre  meilleurs, 
que  dire  de  celui  qui  cherche  à  se  tranquilliser  dans 
son  indolence  par  mille  raisons  plus  ou  moins  dérai- 
sonnables, qui  s'étudie  à  trouver  des  prétextes,  des 
excuses  pour  autoriser  son  apathie  et  son  ignorance 
des  vérités  les  plus  élémentaires  de  la  foi?  Quel  nom 
donner  à  ces  sourds  qui  ne  veulent  pas  entendre,  à 
ces  aveugles  obstinés  qui  se  plaisent  dans  leurs  té- 
nèbres, comme  s'ils  espéraient,  en  fermant  les  yeux, 
anéantir  les  rayons  du  soleil? 

Ah  !  disons-le  en  gémissant,  chrétiens,  ce  sont  des 
misérables  que  Dieu  jugera  sans  miséricorde,  car  ils 
commettent,  en  s'obstinant  dans  leur  ignorance  et 
leur  aveuglement,  le  péché  contre  le  Saint-Esprit,  ce 
crime  effrayant  qui  n'est  remis  ni  dans  ce  monde  ni 
dans  l'autre  ! 

Pour  mieux  nous  prémunir  contre  ce  crime  fatal 
et  vous  en  dévoiler  ici  toute  la  malice,  examinons, 
en  essayant  d'y  répondre,  les  principales  difficultés 
que  l'on  oppose  à  l'étude  de  la  science  religieuse- 


OU  l'ON  VE  DORT  PÀ&  17 

vous  verrez  que  ceux  qui  font  ces  objections  pour 
autoriser  leur  ignorance  et  leur  paresse,  sur  quelque 
ton  qu'ils  parlent,  sérieusement  ou  pour  se  donne* 
du  jabot,  vous  verrez  que  ces  chrétiens  qui  posent 
ainsi  en  esprits  forts,  n'ont  du  chrétien  que  le  nom  et 
sont  généralement  pervers,  à  moins  qu'un  petit  grain 
de  folie  ne  les  excuse. 

—  Mais  laissez-moi  donc  tranquille,  dit-on,  et  ne 
me  parlez  pas  de  religion. 

—  Et  pourquoi  ne  vous  en  parlerai  s -je  pas?  Est-il 
pour  vous  une  question  plus  pressante,  plus  capitale 
et  plus  décisive  :  mon  silence  et  vos  dédains  lui  feront- 
ils  perdre  de  son  importance.  Espérez-vous  peut-être 
anéantir  Dieu,  votre  âme  et  l'autre  vie  en  ne  vous  en 
occupant  pas  1  Ah  !  s'il  est  vrai  que  tout  cela  existe, 
tous  vos  dédains,  toutes  vos  répugnances  ne  sauraient 
le  détruire  :  et  ce  n'est  pas  le  moyen  de  vous  rendre 
le  Ciel  favorable  que  d'en  chasser  la  pensée  comme  un 
souvenir  importun.  —  Que  je  vous  laisse  tranquille! 
nuis  ne  l'êtes- vous  pas  depuis  assez  longtemps! 
Voyons,  quel  âge  avez-vous  et  depuis  quand  sommeil- 
lez-vous ainsi]  —  Quoi  1  voilà  vingt,  voilà  trente  ans, 
voilà  quarante  ans  peut-être  que  vous  vivez  plonge, 
dans  le  perûde  repos  des  sens  et  vous  n'êtes  pas  encore 
fatigué  de  cet  état  de  torpeur  et  de  léthargie,  et  vous 
voulez  rester  ainsi  jusqu'à  votre  heure  dernière; 
et  vous  ne  tremblez  pas  qu'il  y  ait  quelque  chose 
au-delà  du  tombeau  ?  Ah  !  vous  oubliez  que  vous 
n'avez  pas  été  placé  sur  la  terre  uniquement  pour  y 
vivre  riche,  puissant,  honoré,  pour  y  nager  dans  les 
plaisirs  :  tout  cela  peut  être  excellent  pour  le  bon- 


18  PETITS  SERMONS 

beur  du  corps  qui  vous  est  commun  avec  la  brute, 
mais  vous  me  permettrez  sans  doute  d'établir  entre 
vous  et  la  brute  une  différence  à  votre  avantage  ; 
pour  un  moment  du  moins,  vous  admettrez  que  nous 
avons  une  âme  immortelle  qui  vit,  s'alimente  et  jouit 
autrement  que  le  corps...  A  l'âme,  à  cette  céleste 
émanation  du  souffle  créateur,  il  faut  une  nourriture 
céleste,  le  pain  sacré  de  la  parole  de  Dieu,  la  médita- 
tion des  vérités  éternelles,  la  religion  ;  et  cet  aliment 
divin  lui  est  si  nécessaire  qu'elle  languit  et  meurt 
lorsqu'elle  en  est  privée... 

—  Que  je  ne  vous  parle  pas  de  la  religion  !  Mais 
de  quoi  voulez-vous  que  je  vous  parle  1  De  vos 
champs,  de  vos  vignes,  de  vos  prés,  de  vos  bois  ? 
Mais  ils  sont  l'objet  de  vos  soins  continuels,  de  votre 
constante  sollicitude.  —  De  votre  commerce,  de  vos 
affaires  ?  A  quoi  bon  ?  vous  en  êtes  préoccupé  nuit 
et  jour,  vous  vous  épuisez  en  expédients  pour  les 
faire  réussir. — De  vos  richesses,  de  votre  or,  de  votre 
argent  !  Mais  vous  en  avez  fait  votre  idole,  et  ne 
vous  en  cachez  pas  !  De  quoi  faut-il  que  je  vous  en- 
tretienne ?  De  vos  talents,  de  votre  naissance,  des 
honneurs  qu'on  vous  rend  ?  Je  le  ferais  volontiers,  si 
le  diable  ne  l'avait  fait  avant  moi.  —  De  vos  espé- 
rance, de  vos  projets  d'avenir  sur  la  terre  ?  Mais 
supposé  qu'ils  soient  sérieux,  êtes-vous  sûr  de  les 
voir  se  réaliser  ?  En  un  mot,  vous  parlerai-je  des  in- 
térêts du  temps  ?  Mais  ils  parlent  déjà  si  haut  dans 
votre  âme,  qu'ils  y  étouilent  la  voix  de  ceux  de 
l'éternité  ! 

AU  1  laissez  moi  plutôt  faire  appel  à  la  raison,  au 


OU  Lu-S    SE   DORT  tk§l  19 

bon  sens,  à  l'instinct  de  la  conservation,  îe  dernier 
qu'on  abdiqur  ;  laissez-moi  vous  parler  au  nom  de 
votre  âme  qui  se  meurt  d'inanition  1  Si  vous  n'avez 
pas  entendu  ses  gémissements  de  détresse,  c'est 
qu'absorbé  par  la  terre  et  les  soins  du  corps,  vous 
n'avez  pas  même  songé  à  vous  demander  si  vous 
avez  une  âme,  et  s'il  y  a  réellement  une  autre  vie  ! 
Voici  donc  le  moment  de  se  réveiller  de  cette  apathie 
indigne  ;  commencez  enûn  à  vivre  en  homme,  à  relié- 
chir  sérieusement,  à  méditer  su?  votre  origine  et  votre 
avenir,  à  étudier  votre  religion. 

—  Ma  religion  ?  je  la  connais,  je  la  sais  depuis  mon 
enfance  ! 

—  Vous  savez  votre  religion  !  et  si  je  prouvais  moi, 
que  vous  êtes  dans  l'erreur  ?  —  Je  veux  pour  un  mo- 
ment que,  dans  votre  jeune  âge,  aux  jours  fortu- 
nés de  votre  première  communion,  vous  ayez  parfai- 
tement possédé  votre  catéchisme  et  les  éléments  de  la 
doctrine  chrétienne  ï  mais  depuis  cette  aimable  aurore 
de  votre  vie,  tant  de  nuages  ont  passé  sur  votre 
horizon,   tant  d  orages  se  sont  déchaînés  sur  votre 

nnocence  que  le  frêle  édiiiee  de  votre  éducation  pre- 
mière doit  avoir  été,  sinon  détruit,  au  moius  forte- 
ment ébranlé.  —  Puis  sont  venus  les  passions  de 
l'âge  mûr,  les  affaires,  l'ambition,  les  soucis,  les 
projets,  les  préoccupations  d'avenir,  de  famille,  que 
aais-je  ?  Ah  !  vous  seriez  un  prodige,  mon  frère,  si, 
absorbé  comme  vous  l'êtes,  et  depuis  si  longtemps, 
vous  n'aviez  pas  complètement  perdu  de  vue  les  pre- 
miers éléments  de  votre  éducation  religieuse,  à 
moins  que  fidèle  à  quelque  forte  et  généreuse  résolu- 


20  PETITS  SEMIONS 

tion  de  vos  jours  de  ferveur,  vous  n'ayez  de  temps  en 
temps  rafraîchi  vos  souvenirs  dans  les  livres  de  la 
jeunesse:  mais  laissez-moi  vous  le  dire,  il  n'en  est 
pas  ainsi  ;  comme  tant  d'autres,  vous  avez  oublié  lea 
grandes  vérités  de  la  foi  et  seriez  peut-être  embarrassé 
pour  répondre  aux  questions  les  plus  simples  du 
catéchisme. 

Il  n'y  a  pas  longtemps,  on  donnait  une  retraite  dans 
un  couvent  de  religieux  dominicains. 

Parmi  les  prêtres  qui  s'y  étaient  rendus  en  grand 
nombre,  on  remarquait  plusieurs  hommes  du  monde 
et  des  premiers  rangs  de  la  société.  Un  jeune  homme 
fort  distingué  qui  venait  d'arriver  et  qui  se  sentait  peu 
fait  à  la  méditation,  alla  trouver  le  supérieur  et  lui 
demanda  un  livre  pour  suivre  les  exercices  de  la  re- 
traite, et  fixer  la  mobilité  de  son  esprit. 

Le  bon  religieux  lui  en  remit  quelques-uns,  et  lui 
recommanda  de  les  lire  avec  attention, 

—  Merci,  mon  Père,  répondit  le  jeune  homme  ;  je 
vais  les  lire  et  les  méditer  à  l'aise. 

Tout  en  se  rendant  à  son  appartement,  il  jeta  les 
yeux  sur  les  livres  qu'il  emportait,  et  fut  surpris  d'y 
voir  un  catéchisme. 

—  Ah  !  ça,  dit-il  en  lui-même,  vivement  piqué  dans 
son  amour-propre,  on  me  prend  donc  ici  pour  un  igno- 
rant ou  pour  un  imbécile? 

Là  dessus,  il  revient  sur  ses  pas  et  va  frapper  de 
nouveau  à  la  porte  du  supérieur. 

— -  Mais,  mon  Père,  lui  dit-il  avec  un  léger  sourire 
qui  laissait  percer  le  dépit,  quel  livre  m'avez -vous 
donné  là  ? 


OU  L*ON  NE  DORT  PAS.  2i 

—  Mon  Dieu,  mon  ami,  répond  le  bupérieur  avec 
bonté,  ce  livre  n'a  rien  de  blessant  pour  vous  :  la  règle 
de  la  maison  le  veut  ainsi  ;  nous  donnons  toujours  un 
catéchisme  aux  personnes  qui  viennent  ici  faire  leur 
retraite... 

—  Eh  î  bien,  mon  Père,  vous  pouvez  le  reprendre, 
je  n'ai  pas  de  temps  à  perdre  et  vous  me  ferez  Thon» 
neur  de  croire  que  je  n'ai  pas  besoin  de  catéchisme... 
Est-ce  que  je  n'ai  pas  su  tout  ce  livre-là  par  cœur  à 
l'âge  de  dix  ans,  et  n'est-ce  pas  se  moquer  de  moi 
que  de  me  mettre  aujourd'hui  à  l'A,  B,  C,  D,  de  ma 
religion  ? 

—  Ah  !  vous  le  prenez  sur  ce  ton,  monsieur,  dit 
alors  en  riant  le  supérieur  qui  n'était  pas  fâché  de 
donner  à  ce  jeune  homme  une  leçon  profitable,  eh 
bien,  puisque  vous  avez  su  votre  catéchisme  à  dix 
ans,  voyons  si  à  trente-cinq  vous  ne  l'avez  pas  un  peu 
oublié... 

Alors  commença  un  petit  examen,  fort  simple  tout 
d'abord  et  fort  in  offensif,  auquel  pourtant  le  jeune 
homme  répondit  assez  maL  Ce  fut  bien  pis  quand 
aux  questions  innocentes  succédèrent  de  plus  sérieuses; 
il  balbutiait  quelques  mots  de  réponse  sans  suite  et 
tout  en  se  frappant  le  front  ;  il  ne  se  serait  jamais  cru 
si  arriéré. 

Se  trouvant  enfin  cerné  de  plus  près,  notre  jeune 
docteur  finit  par  rester  court. 

Le  bon  religieux,  qui  souffrait  de  son  embarras, 
allait  mettre  un  terme  à  ce  pénible  interrogatoire, 
quand  le  jeune  homme,  visiblement  ému  et  pénétré 
d'une  confusion  salutaire,  s'écria  ; 


22  PET  TS  SERMONS 

—  Oh  !  donnez-moi  ce  livre  admirable,  mon  Père  ! 
je  sens  plus  que  jamais  le  besoin  de  le  revoir:  et 
puisse-t-il  me  rendre  la  paix  de  l'âme  en  me  rendant 
la  science  du  salut  î 

Hélas  !  mes  frères,  combien  parmi  vous,  peut-être, 
seraient  dans  le  même  embarras,  s'ils  avaient  à  soute- 
nir un  examen  tant  soit  peu  sérieux  sur  les  vérités 
les  plus  élémentaires  de  la  religion  !  que  dis-je  ?  e'. 
sur  les  obligations  de  notre  état  et  sur  l'ensemble  de 
nos  devoirs  envers  Dieu,  envers  le  prochain,  envers 
nous-mêmes.  Je  dis  ces  devoirs  ordinaires  et  journa- 
liers qui  doivent  faire  la  matière  de  notre  jugement  ! 

Àh  !  je  vous  en  prie,  étudiez-les  avec  soin,  ne 
cherchez  plus  des  prétextes,  des  faux-fuyants  pour 
vous  en  dispenser;  vous  porteriez  à  votre  âme  un  pré- 
judice réel  en  la  privant  de  l'aliment  céleste  qui  de- 
vait la  soutenir  dans  te  pèlerinage  de  la  vie,  lui 
donner  des  armes  contre  les  passions  et  l'aider  à  con- 
quérir la  palme  de  la  vertu  I 


QUATRIÈME  SERMON 

SUITE  DES  OBJECTIONS. 

Non  est  m  ore  eorum  veritas,  cor  corum  vanum  est, 
La  vérité  n'est  point  dans  leur  bouchej  leur  cœur  est  plein 
de  vanité.  (lJs.  v,  10./ 

Mes  frères,  c'est  une  étrange  chose  que  la  répu- 
gnance des  libertins,  des  impies  et  des  mauvais  chré- 
tiens à  s'occuper  de  religion  :  avez  vous  jamais  cher- 
ché à  en  deviner  la  cause  î 

Pour  moi  je  la  trouve  dans  la  haine  du  devoir  et  là 


ou  l'on  ne  doivt  pas  23 

peur  de  l'avenir...  aussi  voyez  comme  ces  malheu- 
reux se  battent  les  flancs,  comme  ils  se  fouettent 
l'imagination  pour  inventer  des  raisons,  des  prétextes 
qui  excusent  leur  antipathie,  ou  tout  au  moins  leur  in- 
différence pour  tout  ce  qui,  de  près  ou  de  loin,  touche 
à  la  religion...  ne  nous  lassons  pas  de  les  entendre 
rabâcher  leurs  vieilles  rengaines  :  —  Bah  !  disent-ils 
avec  une  feinte  bonhomie,  Dieu  nous  défend  de  scru- 
ter ses  mystères  ;  d'ailleurs  il  suffit  de  la  bonne  foi  du 
charbonnier. 

—  Entendons-nous  d'abord  :  S'il  nous  est  défendu 
de  scruter  les  mystères  divins,  il  nous  est  ordonné 
de  les  apprendre  :  Fapôtre  saint  Paul  veut  que 
notre  foi  soit  raisonnable.  Or,  comment  le  serait- elle 
si  elle  n'était  précédée  de  l'examen  sérieux  de  son 
objet,  c'est-à-dire  de  l'ensemble  des  vérités  nue  nous 
devons  admettre  ainsi  que  des  moti(s  qui  nous  portent 
à  croire,  et  rendent  notre  foi  intelligente  î 

Nous  devons,  il  est  vrai,  savoir  humilier  notre 
raison  devant  l'impénétrable  profondeur  de  nos 
mystères  ;  et  ne  point  oublier  que  l'insensé  qui 
plcnge  dans  la  majesté  divine  un  regard  téméraire- 
ment scrutateur  sera  écrasé  par  la  gloire  du  Tout- 
Puissant.  Mais  il  y  a  tout  un  abîme- entre  l'orgueil- 
leux qui  scrute  Dieu  pour  le  comprendre,  ne  voulant 
croire  qu'à  ce  prix,  et  le  fidèle,  qui  étudie  humblement 
pour  s'instruire  et  recueillir,  s'il  le  peut,  un  rayon  de 
cette  majesté  adorable  pour  en  repaître  son  amour... 
En  matière  de  foi,  ce  n'est  pas  l'étude  et  l'examen  qui 
nous  sont  interdits,  c'est  cette  obstination  curieuse 
qui  cherche  l'évidence  sur   a  terre  et  veut  déchirer, 


24  PETITS  SERMONS 

en  dépit  de  Dieu,  le  voile  sacré  qui  nous  dérobe  îe 
Saint  des  saints.  Loin  de  condamner  tout  examen  de 
ses  mystères,  la  religion  nous  fait  au  contraire  un 
devoir  de  les  étudier,  nous  permet  de  les  interroger, 
de  chercher  à  nous  en  rendre  raison,  pourvu  toutefois 
que  nous  sachions  nous  arrêter  dans  cet  océan  sans 
rivage  sitôt  que  notre  œil  ne  peut,  par  lui-même, 
pénétrer  plus  avant,  et  nous  tourner  alors  vers  le 
phare  auguste  de  la  foi  qui  doit  y  diriger  nos  pas... 

Mais,  encore  une  fois,  nous  devons  étudier,  nous 
sommes  dans  un  siècleoù  la  bonne  foi  du  charbon- 
nier  ne  suffit  pas  :  louable  et  méritoire  dans  l'homme 
des  champs,  dans  celui  dont  l'existence  s'écoule 
dans  l'innocence  et  la  simplicité  d'un  autre  âge,  elle 
n'est  plus  permise  à  ces  hommes  altérés  d'instruc- 
tion et  de  progrès  qui  se  font  gloire  d'être  supérieurs 
en  toute  autre  matière  et  consument  leur  vie  à  l'étude 
des  sciences  profanes. 

Mais,  que  dis-je,  mes  frères  1  Ah  !  cette  bonne  foi 
du  charbonnier  est-elle  même  possible  de  nos  jours  î 
Il  y  a  dans  l'atmosphère  je  ne  sais  quelle  influencé 
tristement  civilisatrice  qui,  de  la  ville,  rayonne  dans 
les  campagnes,  et  jusqu'au  fond  des  hameaux  les 
plus  ignorés.  Est-ce  que  tout  le  monde  aujourd'hui 
n'est  pas  un  peu  docteur]...  Est-ce  que  le  dernier 
des  paysans  ne  se  croit  pas  un  personnage,  pourvu 
qu'il  sache  lire  et  qu'il  ait  contemplé,  une  seule  fois, 
les  fils  du  télégraphe  ou  les  rails  d'un  chemin  de  fer  1 
Non,  non,  la  bonne  foi  du  charbonnier  n'est  plus 
de  notre  temps  ;  et,  puisque  nous  nous  éloignons  de 
plus  en  plus  des  mœurs  patriarchales  de  nos  pères, 


ou  l'on  ine  dort  pas.  25 

puisque  la  vapeur  nous  lance  à  toute  vitesse  dans  la 
voie  de  la  civilisation  et  du  progrès,  la  prudence  nori; 
fait  un  devoir  de  ne  plus  nous  contenter  de  la  bon 
foi  du  charbonnier,  mais  d'étudier  la  religion,  e, 
d'emporter  avec  nous  ce  frein  puissant  qui  nous  ar- 
rêterait en  cas  de  sinistre,  et  serait  notre  bon  ange 
gardien. 

v~-  Mais  c'est  si  ennuyeux  d  étudier  la  religion  ! 

—  Voilà,  certes,  une  difficulté  sérieuse  !  Et  quelle 
idée  auriez-vous  d'un  gentilhomme  dont  on  conteste 
les  titres,  s'il  s'endormait  dans  une  lâche  indolence, 
à  la  veille  peut-être  d'être  privé  d'un  beau  nom  et 
chassé  d'un  magnifique  domaine,  et  cela,  parcequ'il 
trouve  ennuyeux  d'étudier  son  arbre  généalogique, 
et  ne  veut  pas  se  donner  la  peine  de  rechercher,  dans 
les  archives  de  sa  fami!!e,  les  titres  qui  consacrent 
ses  droits  à  l'héritage  de  ses  aïeux  î  Ne  diriez-vous 
pas  qu'il  a  perdu  la  raison,  ne  le  jugeriez-vous  pas 
indigne  de  porter  un  nom  que  sa  lâche  insouciance 
déshonore  ? 

Eh  bien,  voilà  justement  la  folie  et  le  malheur  du 
chrétien  qui  dédaigne  de  rechercher  ses  titres  de 
noblesse  en  négligeant  d'étudier  sa  religion...  Q.ue 
dis- jet  Ah  !  il  est  cent  fois  plus  à  plaindre  que  l'insensé 
qui  dégénère  d'une  manière  si  honteuse  ;  la  figure 
du  monde  passe,  dit  l'Ecriture  ;  nobles  et  roturiers, 
riches  et  pauvres,  il  nous  faut  tous  mourir,  et  nous 
n'emportons  dans  la  tombe  ni  titres  ni  fortune  : 
vient  un  jour  suprême  où  nous  sommes  tous  con- 
fondus dans  la  triste  égalité  du  cercueil.  Mais  mai- 
heur  à  celui  qui  aura,  par  sa  faute,  ignoré  ses  titres 


26  PETITS  SERMONS 

à  l'héritage  et  à  l'immortalité  des  deux!  malheur 
au  chrétien  lâche  et  indolent,  dont  la  vie  se  sera 
écoulée  oisive  et  stérile,  entre  le  berceau  et  la  tombe, 
sans  qu'il  se  soit  donné  la  peine  d'y  plonger  le 
regard  et  de  les  interroger  sur  son  origine  et  son 
avenir  ! 

Car  enfin,  de  deux  choses  l'une  :  ou  l'homme  seter< 
mine  à  la  tombe,  ou  bien  il  y  a  une  autre  vie. 

Si  tout  finit  avec  le  corps,  si  la  religion  est  une 
chimère,  à  la  bonne  heure  !  on  peut  alors  sans 
crainte  passer  sa  vie  à  chanter,  rire,  boire,  manger 
et  dormir  ;  mais  si  l'homme  ne  meurt  pas  tout  entier 
comme  son  cheval,  son  bœuf  et  son  chien,  si,  quand 
tout  pour  nous  sera  consommé  sur  la  terre,  nous  de- 
vons tomber  dans  les  mains  d'un  juge  suprême  qui 
nous  attend  à  cette  heure  solennelle  pour  nous 
récompenser  ou  nous  punir,  je  soutiens  avec  Voltaire 
que  la  question  change  d'une  manière  effrayante  et 
que  la  chose  vaut  bien  la  peine  d'être  examinée,,  si 
ennuyeux  que  puisse  être  cet  examen. 

Oh  !  s'il  n'y  avait  qu'à  fermer  les  yeux  pour  dé- 
truire la  lumière,  à  se  boucher  les  oreilles  pour  ren- 
dre la  foudre  muette;  s'il  suffisait  de  vivre  sans 
souci,  en  sybarite  et  tout  entier  dans  ce  monde  pour 
n'avoir  rien  à  craindre  dans  l'autre  ;  si,  pour  anéan- 
tir l'éternité  nous  n'avions  qu'à  nous  étourdir  dans 
le  temps,  et,  pour  tout  dire  en  un  mot,  si  l'existenbe 
de  Dieu,  de  notre  âme  et  de  l'autre  vie  dépendait 
de  nos  affirmations,  de  nos  négations  ou  même  de 
nos  répugnances,  on  concevrait  cette  obstination  à 
$'aveugler,    à  ignorer,  à  due:    Que  m'importe!  mais 


ou  l'on  ne  dort  pas.  '27 

le  malheur,  mon  frère,  c'est  que  tout  cela  est  hors 
de  nous,  loin  de  nous  et  indépendant  de  notre  vo- 
lonté ;  le  malheur,  c'est  que  tout  cela  nous  gou- 
verne et  que  nous  ne  le  gouvernons  pas.  Qu'il  soit 
ennuyeux  de  s'occuper  de  religion,  lorsque  l'on  a 
surtout  quelque  raison  de  la  regarder  du  mauvais 
côté,  j'en  conviens  ;  mais  il  sera  plus  pénible  encore 
et  plus  ennuyeux  si,  faute  d'ouvrir  les  yeux  pom 
voir  l'abîme,  on  vient  à  s'y  précipiter.  Concluons 
donc,  chrétiens,  qu'un  homme  raisonnable  ne  doit 
pas  avoir  de  plus  sérieuse  occupation  sur  la  terre 
que  l'étude  de  la  religion,  puisque  cette  science  au- 
guste élève  l'âme,  la  pénètre  de  l'amour  de  la  vertu, 
et,  nous  enseignant  à  bien  vivre,  nous  enseigne  à 
bien  mourir. 

—  Tout  cela  est  bel  et  bon,  mais  je  n'ai  pas  le 
temps. 

—  Je  le  crois  bien  1  Celui  que  vous  laissent  vos 
affaires  et  les  préoccupations  de  la  vie,  vous  cher- 
cherez tous  les  moyens  de  le  tuer,  suivant  l'expres- 
sion qui  vous  est  familière,  et  vous  regardez  comme 
perdu  tout  celui  que  vous  ne  passez  pas  à  vos  inté- 
rêts ou  à  vgs  plaisirs.  —  Vous  n'avez  pas  le  temps  ! 
eh  bien  1  à  la  bonne  heure  I  il  vous  en  faut  tant  pour 
la  promenade,  les  visites  inutiles,  les  conversations 
frivoles,  les  amusements  dangersux,  quelquefois  pour 
le  crime,  qu'il  ne  vous  en  reste  plus  pour  étudier  la 
religion...  Le  moyen,  s'il  vous  plaît,  de  trouver  une 
heure  à  employer  utilement,  quand  on  s'est  fait  une 
nécessité  de  la  bagatelle  î 

Reste  à  examiner  si  l'amusement  doit  faire  oublier 


28  PETITS  SERMONS 

e  devoir,  et  si  les  plaisirs  d'un  jour  doivent  passer 
avant  la  conquête  d'une  gloire  et  d'une  félicité  per- 
manentes ;  reste  à  savoir  si  le  soin  du  corps  doit  avoir 
le  pas  sur  le  soin  de  l'âme,  et  les  intérêts  du  temps 
l'emporter  sur  ceux  de  l'éternité.  —  Vous  n'avez  pas 
le  temps!  Mai.  à  qui  donc  parlez-vous  ?  quoi  !  c'est  à 
Dieu  lui-même  que  vous  osez  donner  cette  excuse  1 
Soyez  franc,  avouez  que  vous   n'y  songiez  pas.    On 
peut  abuser   les   hommes  avec   de  vaines   paroles, 
mais  on  ne  trompe  pas  Dieu.    Ne  dites  donc  plus  que 
vous  n'avez  pas  le  temps,  dites  que  vous  ne  voulez 
pas  l'avoir,   que  vous  voulez  profiter  de  la  santé,  de 
la  jeunesse,  et  que,  pour  la  religion,   vous  l'étudie- 
rez  plus  tard,  quand  l'âge  aura  refroidi  le  sang  dans 
vos  veines,   engourdi  vos   membres  et  blanchi  vos 
cheveux  ;   dites   que  vous  vous  occuperez  de  religion 
à  votre  dernière  maladie,   quand  le  prêtre  viendra 
remplir  auprès  de  vous  sa  triste  mission  et  vous  pré- 
parer au  passage  du  temps  à  l'éternité...  Voilà  com- 
ment vous  parleriez  avec  un  peu  plus  de  franchise  et 
ce  qu'en  ce  moment  peut-être  vous  vous  dites  au  fond 
du  cœur... 

Eh  bien,  je  n'ajoute  qu'un  mot,  chrétiens,  car 
vous  sentez  vous-mêmes  la  folie  d'un  tel  raisonne- 
ment. —  Oui,  si  Dieu  vous  en  laisse  le  temps  et  la 
force,  vous  réfléchirez  sérieusement  à  cette  heure 
suprême  -,  à  l'approche  de  la  mort,  le  souvenir  d'un 
passé  coupable,  l'attente  d'un  jugement  sans  pitié 
vous  feront  changer  de  langage,  et  votre  âme  sé- 
chera de  terreur;  oui,  sans  doute,  à  l'heure  de  la 
mort,  pourvu  que  vous  ne  soyez  pas  emporté  comme 


ou  l'on  ne  DcrvT  pas.  29 

par  un  coup  de  foudre  et  que  vous  ayez  le  bonheur 
de  vous  reconnaître,  il  faudra  bien  vous  occuper  de 
religion,  fussiez-vous  plus  impie  que  Voltaire  et  Rous- 
seau ;  sans  doute,  cetie  religion  céleste  que  l'on  re- 
pousse  et  dont  on  ne  veut  pas,  tandis  que  Ton  se 
trouve  plein  de  vigueur  et  de  jeunesse,  il  faut  bien 
bon  gré  mal  gré  compter  avec  elle  à  l'heure  terrible 
où  tout  vous  abandonne  ;  mais  malheur  à  celui  qui 
attend  à  ce  moment  fatal  !  Malheur  à  l'imprudent 
qui  se  laisse  tout  à  coup  précipiter  dans  l'abîme  au 
lieu  d'en  descendre  lentement  les  degrés  !  Il  est  tard 
d'apprendre  à  vivre  lorsqu'on  va  mourir,  a  dit  un 
pieux  auteur,  et  insensé  de  ne  s'enquérir  du  chemin 
que  quand  la  route  est  terminée  ! 

Oh!  nous  étudierons  donc  notre  religion,  mes 
frères  1  nous  demanderons  à  cette  science  céleste  le 
secret  de  notre  origine  et  de  nos  éternelles  desti- 
nées ;  et  cette  mine  féconde  que  nous  creuserons 
avec  ardeur  ouvrira  devant  nous  des  horizons  nou- 
veaux, une  sublime  perspective  qui  triplera  notre 
courage  pour  marcher,  pour  courir  dans  la  voie  des 
préceptes  divins  :  comme  l'athlète  dans  l'arène  com- 
bat avec  plus  de  vigueur,  s'il  regarde  la  couronne 
qui  l'attend,  ainsi,  pour  mieux  remplir  nos  devoirs 
et  pratiquer  la  vertu,  nous  étudierons  notre  religion, 
nous  l'étudierons  sans  cesse,  et  cette  application 
constante  de  notre  esprit  aux  choses  de  Dieu,  nous 
détachant  de  la  terre,  attirera  souvent  nos  regards 
vers  le  ciel  où  est  la  récompense  promise  au  serviteur 
fidèle  !  je  vous  la  souhaite,  mes  frères,  au  nom  du 
Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Amen. 


30  PETITS  SERMONS 


CINQUIÈME  SERMON 

LA  FOI. 

Vosmelipsos  tentate  si  estis  in  fide;  ipsi  vos  probate. 

(II  Cor.  xiv,  5  } 
Examinez  si  vous  êtes  dans  la  foi  ;  éprouvez-vous  vous  nièmeP 

Mes  frères,  ces  paroles  de  l'apôtre  saint  Paul  aux\ 
fidèles  de  l'Église  de  Corintbe,  je  viens  vous  les  adres- 
ser en  ce  jour,  où  nous  posons,  en  quelque  sorte,  la 
première  pierre  d'un  édifice  bien  autrement  impor- 
tant que  les  plus  splendides  constructions  d'ici  bas, 
l'édifice  de  votre  éducation  religieuse  :  laissez-moi 
donc  creuser  la  terre  et  la  creuser  jusqu'au  solide 
car  cet  édifice  doit  reposer  sur  un  fondement  sable 
pour  résister  aux  orages  et  aux  vents  déchaînés  :  vos 
affaires,  vos  passions,  vos  plaisirs,  l'enchantement  de 
la  bagatelle,  ainsi  que  s'exprime  l'Écriture  ;  laissez- 
moi  vous  parler  de  la  foi  :  aussi  bien,  à  chaque  pas 
dans  la  vie,  que  l'on  soit  savant  ou  ignorant,  c'est 
toujours  là  qu'il  faut  en  revenir. 

Or,  si  dans  les  arts  et  les  sciences  d'ici-bas  l'homme 
ne  voit  le  tout  de  rien,  suivant  l'énergique  expression 
d'un  profond  pbilosophe,  si  nous  devons  souvent  faire 
acte  de  foi  sur  la  parole  d'un  homme  pour  les  choses 
de  la  terre,  il  nous  en  coûtera  peu,  sans  doute,  pour 
les  cboses  du  ciel,  de  faire  acte  de  foi  sur  la  parole  de 
Dieu. 

—  Or,  qu'est-ce  que  la  foi,  mes  frères  î 

—  La  foi,   nous   dit  le   Catéchisme,  est  la  ferme 


ou  l'on  ne  dont  pas.  31 

adhésion  de  notre  esprit  à  une  vérité  révélée  d'En 
,(*aut  et  proposée  à  notre  croyance  par  l'Eglise  qui  la 
rient  de  Dieu  lui-même,  de  Dieu,  la  vérité  par  essence, 
qui  ne  peut  se  tromper  ni  nous  tromper. 

Sans  nous  arrêter  ici  au  développement  de  cha- 
cun des  termes  de  cette  définition,  que  tout  le  monde 
comprend,  attachons-nous  un  moment  à  considérer 
l'objet,  le  motif  et  les  principales  conditions  de  la 
foi. 

—  Une  pieuse  et  constante  tradition  rapporte  qu'a- 
vant de  se  séparer  pour  voler  à  la  conquête  du  monde 
par  l'Évangile  et  la  Croix,  les  apôtres  réunirent  en  un 
corps  de  doctrine  les  enseignements  du  Sauveur,  et, 
dans  une  formule  courte,  simple,  à  la  portée  de  tous 
les  fidèles,  rédigèrent  la  profession  de  foi  qui  porte 
leur  nom  ;  cette  formule  était  à  la  fois  le  signe  carac- 
téristique par  lequel  les  chrétiens  se  distinguaient  des 
infidèles  et  le  drapeau  glorieux  qui  devait  les  réunir 
tous,  pasleurs  et  brebis,  au  milieu  des  tourmentes 
qu'allaient  bientôt  soulever  dans  l'Eglise  la  persécu- 
tion et  l'hérésie. 

Les  douze  articles  du  Symbole  sont  le  résumé  suc- 
tinctet  Adèle  des  vérités*  de  la  foi,  le  sommaire  et 
l'abrégé  de  la  religion  chrétienne  ;  il  se  divise  en  trois 
parties  distinctes  qui  correspondent  aux  trois  person- 
nes de  la  Sainte  Trinité,  et  renferment  en  détail  les 
diverses  opérations  qui  leur  sont  attribuées  dans  le 
grand  œuvre  de  la  création,  de  la  rédemption  et  de  la 
propagation  de  l'Évangile  et  des  moyens  de  salut  par 
les  sacrements  de  l'Eglise. 

Ainsi,   Dieu    le  Père,  créateur  de  l'univers  ;  Dieu 

3. 


32  PETITS  SKRM0S3 

le  Fils,  par  son  incarnation,  ses  souffrances  et  sa 
mort,  réparateur  de  l'humanité  tombée;  Dieu  lej 
Saint-Esprit,  source  vivifiante  de  la  grâce, étendant  à 
toute  créature  les  mérites  de  Jésus-Christ  par  la  pré- 
dication de  la  bonne  nouvelle  et  l'établissement  de 
l'Église  catholique,  héritière  et  dispensa"  rice  des 
trésors  de  la  rédemption  :  dans  l'Église,  la  commu- 
nion des  saints,  c'est-à-dire  l'existence  d  une  admira- 
ble solidarité  de  priés  C3  et  do  mérites  entre  les  fidèles 
vivants  et  les  morts;  la  rémission  des  péchés,  la  ré- 
surrection des  corps,  une  seconde  vie  à  jamais  heu- 
reuse ou  malheureuse,  voilà  en  substance  le  résumé 
des  vérités  qui  font  l'objet  de  notre  foi. 

Credo,  je  crois,  disons  nous  tous  les  jours,  mes 
frères,  en  récitant  le  symbole  ;  je  crois  sur  la  parole 
de  Dieu  qui  ne  peut  se  tromper  ni  me  tromper  sans 
se  détruire;  je  crois  sur  l'autorité  de  l'Église,  son  in- 
terprète fidèle,  qui,  avant  de  s'imposer  à  moi,  s'est 
adressée  à  ma  raison,  lui  a  montré  ses  titres  en  lui 
prouvant  sa  divine  mission  ;  voilà  pourquoi  je  crois 
fermement  à  sa  parole,  et  ma  foi,  désormais  humble 
et  confiante,  parce  qu'elle  repose  tranquille  sur  l'in- 
faillibilité de  l'Église,  est  en  même  temps  réfléchie  et 
éclairée,  car  ma  raison  a  d'avance  pesé,  apprécié  ses 
motifs  de  croire,  et  ne  s'est  rendue  qu'à  leur  évidence; 
aussi  l'autorité  de  l'Eglise  m'est  si  sacrée,  elle  a  sur 
ma  volonté  des  droits  si  exclusifs,  que  je  ne  croirais 
pas  même  à  l'Evangile,  si  sa  parole  n'était  le  garant 
de  ma  foi.  —  Mais  Dieu  a  parlé,  l'Eglise  l'atteste,  je 
dis  cette  Eglise  visiblement  revêtue  des  caractères 
de  sa  mission  divine,  et  plus  visiblement  encore  que 


ou  l'ois  ne  dort  pas.  33 

Moïse  au  haut  du  Sinaï  ne  rayonnait  de  la  majesté 
de  1  Eternel  qu'il  avait  contemplé  face  à  face  ;  elle 
me  transmet  les  ordres  du  Tout-Puissant  :  douter  de 
sa  parole  serait  un  crime,  je  me  soumets,  je  m'in- 
cline, j'adore. 

Ici,  mes  frères,  j'entends  l'orgueilleuse  raison  de 
l'homme  qui  murmure  et  s'indigne  s  comment  admettn 
des  dogmes  étranges,  incroyables,  des  mystères  qui 
répugnent:  un  Dieu  en  trois  personnes,  un  Dieu 
incarné,  soutirant  et  mourant  sur  un  gibet  ;  comment 
croire  qu'à  la  voix  d'un  simple  mortel  un  Dieu 
s'anéantit  dans  un  morceau  de  pain  ? 

—  Et  pourquoi  ne  l'admettriez -vous  pas?  parce 
que  vous  n'avez  pas  vu,  entendu,  touché  par  vous- 
même  ?mais  exigez-vous  toujours  d'avoir  vu,  entendu 
et  touché  lorsqu'il  s'agit  du  témoignage  des  hommes? 
n'êtes -vous  pas  le  plus  souvent  pour  leur  parole 
d'une  crédulité  déplorable?  qu'a  donc  cette  parole  de 
plus  véridique  et  de  plus  certain  que  la  parole  de 
Dieu? 

—  Vous  n'avez  pas  vu,  ni  entendu,  ni  touché]  Mais 
quand  même  vos  désirs  là- dessus  auraient  été  satis- 
faits, qui  vous  assure  que  vous  n'êtes  pas  le  jouet 
d'un  rêve,  d'une  illusion  des  sens  ?  Les  sens  ne  vous 
ont-ils  jamais  induit  en  erreur  ?  pouvez-vous  compter 
sur  leur  témoignage,  et,  dans  les  choses  les  plus 
simples  et  les  plus  naturelles,  n'êtes-vouspas  souvent 
forcé  de  réformer  leurs  jugements  ?  Pourquoi  ne 
croiriez -vous  pas?  Est-ce  parce  que  vous  ne  pouvez 
comprendre?  Eh  bien,  alors,  à  la  bonne  heure  !  Si 
notre  intelligence  est  la  mesure  de  notre  foi,  si  Ton 


34  PETITS  SEMIONS 

ne  doit  croire  que  ce  que  l'on  comprend,  notre  sym- 
bole ne  sera  pas  long,  et  bien  des  gens  qui  raisonnent 
et  déraisonnent  sur  la  religion  ne  doivent  pas  croire 
à  grand'chose. 

Mais  parlons  sérieusement,  mon  frère.  Est-ce  qu'à 
chaque  pas  dans  la  nature  l'homme  ne  se  heurte  pas 
contre  quelque  mystère  ?  Si  subtil,  si  pénétrant  que 
soit  son  esprit,  a-t-il  jamais  pu  expliquer  un  grain 
de  sable,  un  cheveu  de  sa  tête  ?  Toute  sa  science  ne 
vient  elle  pas  se  briser  sur  une  plante,  un  bourgeon 
qui  crève,  un  atome  de  poussière  qui  scintille  au 
soleil  ?  Vous  ne  croyez  que  ce  que  vous  comprenez  ! 
Mais  comprenez  vous  la  maladie,  la  mort  ?  Vous  êtes 
pourtant  forcé  d'y  croire  ;  vous  en  avez  assez  sou- 
vent le  triste  tableau  sous  les  yeux.  —  Comprenez- 
vous  la  vie  ?  Vous  comprenez-vous  bien  vous-mê- 
me ?  Quelle  est  la  fibre  qui  lie  votre  âme  à  votre 
corps  ?  Expliquez  d'une  manière  raisonnable  votre 
regard,  votre  parole,  le  mouvement  de  votre  doigt. 
Eussiez-vous  étudié  toute  votre  vie,  vous  serez  réduit 
à  bégayer  comme  tant  d'autres,  et  tous  vos  raisonne- 
ments pourront  se  traduire  par  cette  parole  qui  de- 
vrait, ce  me  semble,  humilier  pour  toujours  notre 
orgueilleuse  raison  sous  la  raison  de  Dieu  :  Je  n'en 
mis  rien. 

Or,  si  la  nature  a  ses  secrets  et  ses  mystères,  s'il 
est  impossible  de  comprendre  la  créature,  n'est-il 
pas  insensé  de  vouloir  comprendre  le  Créateur  ?  Est-ce 
que  notre  intelligence  n'est  pas  essentiellement 
bornée,  et  Dieu  serait  il  Dieu,  s'il  pouvait  entrer  dans 
cette  étroite  prison  qu'on  appelle  raison  humaine  ? 


OU  L'ON  NE  DÛ11T  PAS.  35 

Autant  espérer  loger  l'Océan  dans  une  de  ces  frôles 
coquilles  qui  flottent  sur  le  rivage. 

Et  pourtant  le  croirez  vous,  mes  frères  ?  il  y  a  des 
gens  assez  primitifs  pour  vouloiï  tout  comprendre  en 
matière  religieuse  avant  de  croire,  et  qui,  de  plus,  ont 
l'aplomb  de  l'avouer...,. 

11  n'y  a  pas  longtemps,  dans  une  diligence  qu 
allaitde  Lunéville  à  Nancy,  unjeune  avocat,  nouvelle 
ment  établi  dans  la  Meurthe,  assommait  ses  voisins 
de  son  intarissable  verbiage  :  il  savait  par  cœur  tous 
les  plus  beaux  produits  de  la  littérature  contemporaine 
en  fait  de  romans,  drames  et  feuilletons  ;  il  portait 
même  avec  lui  une  douzaine  de  numéros  d'un  journal 
impie;  c'est  dire  assez  clairement  sur  quel  ton  péro- 
rait l'orateur.  Dieu,  la  religion,  les  prêtres,  le  ciel, 
l'enfer,  tout  était  persiflé,  bafoué  à  grand  renfort  de 
blasphèmes  et  de  pointes  d'esprit. 

Dans  son  malheureux  auditoire  se  trouvait  un  en- 
fant qui  l'écoutait  bouche  béante,  surtout  lorsqu'il 
parlait  contre  la  religion  et  le  ciel  ;  seulement  alors 
l'enfant  secouait  tristement  la  tête  et  regardait  sa  mère 
assise  à  ses  côtés. 

Tout  à  coup  la  voiture  passa  devant  une  modeste 
église  de  village  :  la  mère  fit  le  signe  de  la  croix  et 
l'enfant  ôta  son  chapeau  pour  saluer  le  Saint  Sacre- 
ment. 

—  Tiens!  fit  l'avocat  qui  lui  frappa  légèrement  sur 
l'épaule  avec  un  sourire  narquois,  je  suis  sûr,  mon 
petit  ami,  que  tu  es  enfant  de  chœur  et  que  tu  vas  au 
catéchisme. 

—  Mais...    oui,   monsieur,    répond  l'enfant   sans 


36  PETITS  SERMONS 

sourciller  et  fixant  carrément  son  interlocuteur  ;  de 
plus,  je  me  prépare  à  faire  ma  première  communion... 
M.  le  curé  nous  a  choisis  depuis  huit  jours. 

—  Ah  !  tu  dois  être  alors  un  petit  docieur  !  Et  que 
t'enseigne-t-il,  ton  curé  ? 

—  Maintenant  que  nous  savons  la  lettre  du  caté- 
chisme, il  nous  explique  les  principaux  mystères  de 
la  foi. 

—  Fort  bien,  mon  ami  ;  et  quels  sont- ils  ces  mys- 
tères? rappelle-moi  cela,  car  je  l'ai  singulièrement 
oublié...  ainsi  tu  feras  toi-même  quand  tu  auras 
voyagé  comme  moi. 

—  Non,  monsieur,  non,  s'écria  l'enfant  d'une  voix 
assurée,  quand  même  j'irais  au  bout  du  monde,  ja- 
mais je  n'oublierais  les  mystères  de  la  Trinité,  de 
l'Incarnation  et  de  la  Rédemption. 

—  Oh!  oh  !  te  voilà  bien  savant  !  lui  dit  le  philo- 
sophe en  souriant  de  pitié;  pourrais-tu  me  dire  ca 
que  c'est  que  ta  Trinité  ? 

—  La  sainte  Trinité,  répond  l'enfant  qui  se  découvre 
avec  respect,  c'est  le  mystère  d'un  Dieu  en  trois 
personnes  égales  et  distinctes  :  le  Père,  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit. 

—  Certes,  mon  petit  ami,  tu  parles  comme  un 
livre;  mais  sais-tu  bien  ce  que  tu  dis  ? 

—  Et  sans  doute,  monsieur,,  que  je  le  sais  ;  il  n'y  a 
que  les  fous  et  les  perroquets  qui  parlent  sans  savoir- 
ce  qu'ils  disent. 

—  Va  pour  savoir  ;  mais  comprends  tu  bien  ce 
qu'on  t'explique  ? 

—  Oh  !  monsieur,  en  fait  de  mystères,  il  y  a  de  la 


ou  l'on  ne  dort  pas,  37 

différence  entre  savoir  et  croire  et  entre  croire  et 
comprendre...  Tenez,  je  sais  les  mystères  de  la  reli- 
gion et  les  crois,  mais  je  ne  les  comprends  pas  ;  il 
n'y  a  que  le  bon  Dieu  qui  puisse  se  comprendre  lui- 
même...  et  encore,  on  nous  disait  hier  au  catéchisme 
qu'il  y  a  comprendre  et  comprendre. 

—  Je  ne  te  saisis  pas,  mon  garçon,  que  veux  tu 
dire  ? 

—  Oh  !  M.  le  curé  vous  expliquerait  cela  mieux 
que  moi  ;  il  y  a  comprendre  comme  on  comprend  sur 
la  terre  et  comprendre  comme  les  anges  comprennent 
au  ciel.  Ainsi,  d'une  certaine  manière,  nous  pouvons 
découvrir  le  sens  du  mystère,  celui  de  la  Sainte 
Trinité  par  exemple,  qui  est  le  plus  grand  et  le  plus 
profond  :  et  même  on  nous  a  fait  de  fort  belles  com- 
paraisons pour  nous  en  donner  une  idée...  Nous  pou- 
vons jusqu'à  un  certain  point  nous  rendre  raison  de 
ces  choses  sublimes,  mais  bien  faiblement  tant  que 
nous  sommes  sur  la  terre  ;  ce  n'est  qu'au  ciel  que 
nous  les  comprendrons  tout  à  fait,  au  moins  autant 
que  c'est  possible,  car  nous  verrons  Dieu  tel  qu'il 
est...  Ainsi,  monsieur,  comme  on  nous  disait  au  caté- 
chisme, nous  devons  apprendre  les  mystères  de  la  re- 
ligion pour  les  savoir  et  les  savoir  pour  les  croire  : 
comprendre  viendra  plus  tard. 

—  A  merveille,  mon  petit  docteur  1  Tu  crois  donc 
aux  mystères,  toi  î 

—  Si  j'y  crois  !  mais  sans  doute!  Etvousn'y  croyez 
pas,  vous,  monsieur  î 

—  Allons  donc  !  ce  sont  des  contes,  vois-tu,  mon 
petit  ami,  on  t'en  fart  accroire  ;  il  n'j  a  pas  plus  de 


38  PETITS  SERMONS 

mystères  que  de  loups-garous...  Quand  tu  auras  vingt- 
cinq  ans,  tu  sentiras  qu'un  homme  d'esprit  ne  doit 
croire  que  ce  qu'il  comprend. 

—  Ab  !  par  exemple  1  s'écria  l'enfant  qui  croisa  se  ; 
bras  sur  sa  poitrine  avec  un  sérieux  dont  les  voys 
geurs  étaient  ravis,  est-ce  que  vous  ne  croyez  que  < 
que  vous  comprenez  1 

—  Oui,  mon  ami,  répond  le  philosophe  en  se  ren- 
gorgeant, et  ce  n'est  pas  à  moi  que  ton  curé  ferait 
avaler  ses  sornettes. 

L'enfant  fit  un  geste  d'impatience  et  leva  les  yeux 
sur  sa  mère  qui  l'encouragea  du  regard  ;  jamais  elle 
ne  s'était  trouvée  à  pareille  fête. 

—  Eh  bien,  monsieur,  insista  l'enfant,  comprenez- 
vous  pourquoi  votre  doigt  remue  quand  vous  voulez 
le  remuer  ? 

—  Eh  !  sans  doute,  fit  l'avocat  qui  remua  le  doigt 
devant  tout  le  monde  ;  voyez,  messieurs,  c'est  tout 
simple:  ma  volonté  imprime  un  mouvement  au  nerf 
qui  correspond  à  mon  doigt  et  il  remue 

—  Mais  comment  cela  se  fait- il  ?  demanda  l'enfant 
que  ne  satisfaisait  pas  cette  explication. 

—  Et  mais.,  répond  le  philosophe  un  peu  embar- 
rassé, cela  se  fait....  cela  se  fait....  parce  que  je  le 
veux! 

—  Et  vous  comprenez  cela,  vous! 

—  Mais  oui,  je  le  comprends,  mon  petit  incrédule, 
tu  en  doutes  t 

L'enfant  réfléchit  en  se  passant  la  main  au  front  ; 
tout  à  coup  un  éclair  brilla  dans  ses  yeux. 

—  Monsieur,   dit-il  avec  un  léger  sourire  au  philo  - 


ou  l'on  ne  dort  pas.  39 

sophe  qui  se  croyait  vainqueur,  puisque  vous  savez  si 
bien  pourquoi  vous  remuez  le  doigt,  vous  devez  aussi 
comprendre  sans  doute  pourquoi  vous  ne  pouvez  re- 
muer l'oreille  ! 

—  Oh  !  vraiment,  mon  brave,  s'écria  son  interlo- 
cuteur à  bout  de  patience,  car  il  voyait  tout  le  inonde 
rire  à  ses  dépens,  vous  m'en  demandez  trop  à  la  fois, 
et  vous  êtes  bien  jeune  pour  me  donner  des  leçons.... 
je  vous  prie  de  me  laisser  tranquille. 

Mes  frères,  la  conversation  finit  là;  notre  avocat 
perdit  la  parole  en  perdant  sa  première  cause  et  chan- 
gea de  corps  de  voiture,  au  seul  relai  qui  restât  avant 
d'arriver  à  Nancy. 

Nous  devons  donc,  en  étudiant  les  dogmes  de  notre 
foi,  en  interrogeant  les  mystères  de  notre  origine  et 
de  notre  avenir,  soumettre  humblement  notre  raison  à 
la  parole  de  Dieu,  adorer  ses  saints  enseignements, 
quelque  incompréhensibles  qu'ils  nous  paraissent,  et 
ne  pas  les  déclarer  incroyables  parce  qu'ils  seront  su- 
périeurs à  notre  intelligence,  ni  contraires  à  la  raison 
parce  qu'elle  ne  peut  les  pénétrer, 

A  cette  humilité  de  la  foi,  mes  frères,  joignons  une 
docilité  qui  exclue  toute  hésitation,  toute  investiga- 
tion curieuse,  puisqu'il  nous  est  prouvé,  à  nous  chré« 
tiens,  que  l'Église  catholique  est  l'héritière  infaillible 
et  la  dispensatrice  de  la  doctrine  et  des  promesses  de 
son  divin  fondateur. 

Quant  à  l'infidèle  qui  doute,  à  l'incrédule  qui 
cherche  la  vérité,  oh!  qu'il  examine,  celui-là,  qu'il 
étudie  ;  l'Église  ne  redoute  pas  la  lumière  :  elle  l'ap- 
pelle au  contraire,    et,  loin  de  proscrire   la  raison, 


40  PETITS  SERMONS 

c'est  à  la  raison  'qu'elle  s'adresse  tout  d'abord  ;  elle 
n'exige  sa  soumission  que  lorsqu'à  force  d'arguments 
et  d évidence,  la  rebelle  s'est  rendue  en  criant 
merci  !  Alors  seulement  l'Eglise  parle  d'autorité,  im- 
pose sa  parole  au  nom  de  Dieu  ;  et  la  raison,  désor- 
mais vaincue,  anéantie,  laissera  le  champ  libre  à  la 
foi,  mais  à  une  foi  généreuse,  constante,  dorile  : 
nous  en  lisons  un  bel  exemple  dans  l'histoire  de 
^-ance. 

Saint  Louis,  sentant  sa  fin  prochaine,  se  fit  ap- 
porter le  viatique  ;  au  moment  de  lui  donner  la  sainte 
hostie,  le  prêtre  lui  demanda  s'il  croyait  à  la  pré- 
sence réelle.  Alors  le  mourant  recueillant  un  reste  de 
vigueur  : 

—  Si  j'y  crois  !  s'écria-t-il  en  l~~-nt  les  yeux  au 
ciel,  si  j'y  crois,  mon  Dieu  !  ah!  bic.i  plus  fermement 
que  si  je  le  voyais  de  ces  yeux  de  chair  et  de  sang,  et 
si,  comme  les  apôtres,  j'avais  entendu  et  touché  de 
mes  mains  le  Fils  de  Dieu  conversant  sur  la  terre  ! 

Heureux  sentiments,  fervente  et  généreuse  foi,  mes 
frères  !  Mais  le  saint  monarque  en  avait  donné  des 
preuves  bien  plus  sensibles  encore  dans  d'autres  cir- 
constances de  sa  vie.  Un  jour,  durant  la  messe  qui  se 
célébrait  dans  son  palais,  un  de  ses  officiers  vint  lui 
annoncer  que,  dans  la  chapelle,  s'était  opéré  un  pro- 
dige nouveau  :  Jésus-Christ,  sous  la  figure  d'un  bel 
enfant,  se  montrait  sur  l'autel. 

—  On  accourt  de  tous  côtés  [  our  admirer  cette 
merveille,  ajouta  l'officier  d'une  voix  émue,  et  vous 
pouvez,  seigneur,  ci  vous  le  désirez,  en  être  témoin 
vous-même,.,.. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  41 

—  due  trouvez  vous  là  d'étonnant!  répond  le 
prince  sans  s'émouvoir  ;  que  les  incrédules  et  ceux  qui 
doutent  aillent  se  convaincre  de  la  vérité,  quant  à  moi 
je  n'ai  pas  besoin  de  prodiges  pour  croire  :  je  vois 
tous  les  jours  mon  Dieu  des  yeux  de  la  foi,  et  je  croi- 
rais lui  faire  injure  en  allant  à  la  chapelle. 

Quel  bonheur  pour  nous,  mes  frères,  s'il  nous  était 
donné  de  la  posséder,  cette  foi  docile  et  généreuse, 
cette  foi  humble  qui  fait  des  prodiges,  mais  sans  la- 
quelle il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu  1  Ah  !  n'ou- 
blions jamais  qu'en  matière  religieuse,  le  domaine 
de  notre  raison  est  nécessairement  restreint,  et  que, 
pour  s'être  abandonnés  sans  réserve  à  leur  libre  pen- 
sée, une  infinité  d'esprits  présomptueux  ont  fait  un 
triste  naufrage. 

Qu'il  n'en  soit  pas  ainsi  de  nous,  ô  mon  Dieu  ! 
Faites -nous  bien  sentir  la  faiblesse  de  notre  intelli- 
gence essentiellement  bornée,  afin  que,  loin  d'appro- 
fondir, loin  de  scruter  orgueilleusement  la  majesté 
redoutable  de  vos  mystères,  notre  raison  s'humilie, 
s'abîme  dans  son  néant  et  comprenne  qu'il  est  un 
sanctuaire  où  la  foi  seule  a  le  droit  de  pénétrer. 

La  foi  donc,  Seigneur  !  oh  !  de  grâce,  accordez-nous 
e  don  de  la  foi,  d'une  foi  humble,  constante  et  docile, 
ifîn  qu'après  avoir,  aux  accents  de  votre  sainte 
parole,  adoré  l'image  et  l'ombre  sur  la  terre,  nous 
allions  un  jour  contempler  et  bénir  l'ineffable  réalité 
dans  le  ciel  !  Amen» 


42  PETITS  SERMONS 


SIXIÈME  SERMON 

SUR  L'EXISTENCE  DE  DIEU.   —   LÀ    CRÉATION. 

Ipse  dixit  et  facia  sunt,   ipse  mandavil  eï 
crcata  sunt. 

Il  a  dit,  et  tout  a  < 'té  fait,  il  a  commandé  ei 
la  création  sV.st  opérée.  [Psaume  ex lviiiJ 

Mes  frères,  il  est  de  ces  vérités  primitives,  saisis- 
santes et  tellement  palpables,  que  les  meilleurs  argu- 
ments ne  feraient  que  les  obscurcir. 

On  ne  prouve  pas  l'existence  du  soleil  à  un  homme 
sain  de  corps  et  d'esprit.  N'eût-il  jamais  suivi  sur 
l'horizon  sa  marche  triomphale,  à  sa  douce  et  vivi- 
fiante influence,  il  eût  pressenti  le  roi  de  la  nature. 

On  ne  prouve  pas  l'existence  de  l'univers,  des  ob- 
jets extérieurs,  de  nos  semblables,  de  notre  pensée; 
un  homme  qui  jouit  de  tout  son  bon  sens  n'en  doute 
pas  plus  que  de  sa  propre  existence. 

Telle  est,  mes  frères,  la  vérité  primordiale,  la  vérité 
par  excellence,  et,  si  je  puis  ainsi  m'exprimer,  la  vé- 
rité des  vérités,  l'existence  de  Dieu.  Pour  la  nier,  pour 
en  douter,  il  ne  suffirait  pas  d'être  aveugle  et  sourd,  il 
faudrait  avoir  totalement  perdu  la  raison. 

Tout,  en  effet,  au  dehors  et  au  dedans  de  nous, 
atteste  une  cause  créatrice,  un  être  nécessaire, 
source  et  principe  de  tous  les  êtres,  un  souverain 
ordonnateur  de  l'univers,  dont  la  providence  gou- 
verne et  conserve  l'ouvrage  admirable  qu'elle  a  tiré 
du.  néant. 

Pour  démontrer  cette  vérité  «wtitale.  même   en 


ou  l'on  ne  dort  pas.  4& 

dehors  de  la  révélation  qui  l'établit  sur  un  fonde- 
ment inébranlable,  les  arguments  accourent  en  foule  : 
la  création  ;  l'ordre  et  l'harmonie  qui  régnent  dans 
l'univers  et  depuis  tant  de  siècles  ;  la  nécessité  d'un 
premier  Être  pour  expliquer  tous  les  autres;  l'homme, 
cet  immortel  chef-d'œuvre;  le  cri  de  la  nature;  l'idée 
que  nous  avons  de  l'Infini,  impuissants  et  bornés  que 
nous  sommes  ;  la  notion  du  bien  et  du  mal,  cette  loi 
naturelle  que  l'homme  apporte  en  naissant  et  qui 
ne  peut  lui  venir  que  de  Dieu  ;  enfin  le  consentement 
unanime  des  peuples  qui,  de  tout  temps  et  dans  tous 
les  pays  du  monde,  ont  cru,  sous  des  noms  divers,  h 
l'existence  de  Dieu  ;  que  de  preuves  à  étudier,  de 
témoins  à  entendre,  et  quel  vaste  champ  s'ouvre 
devant  nous  !  Tâchons,  mes  frères,  d'y  glaner  après 
tant  d'autres,  et,  pour  aujourd'hui,  bornons-nous  au 
premier  témoignage,  la  création  de  l'univers. 

Je  ne  sais  si  jamais  il  y  a  eu  des  hommes  qui,  sé- 
rieusement et  de  sangfroid,  aient  nié  ou  seulement 
révoqué  en  doute  l'existence  de  Dieu.  Quelquefois 
pourtant  la  terre  produit  des  monstres  au  moral 
comme  au  physique  ;  il  n'est  donc  pas  absolument 
irrationnel  de  croire  à  la  possibilité  d'un  athée  de 
bonne  loi  ;  ch  bien,  le  genre  de  preuves  que  nous 
allons  invoquer  serait,  avec  les  calmants  et  l'ellé- 
bore, un  remède  efficace  à  sa  maladie  ;  et  nous  di^ 
rions  à  cet  infortuné  plds  à  plaindre  encore  qu'à 
blâmer:  Si  vous  n'avez  pas  la  foi,  vous  avez  au  moins 
des  yeux  pour  voir,  des  oreilles  pour  entendre,  des 
èens  en  un  mot  par  lesquels  la  foi  peut  entrer  dans 
votre   âme;    est-ce.  que  le  spectacle  de  l'univers  ne 


Ak  PETITS  SERMONS 

ait  rien?  est-ce  que  vous  n'entendez  pas  un  nom 
que  toute  langue  prononce,  un  nom  écrit  sur  le  Gr- 
rnament  comme  sur  la  goutte  de  rosée  qui  se  balance 
au  calice  d'une  fleuri  Est- ce  qu'au  ciel  et  sur  la 
terre  tout  ne  vous  parle  pas  de  Dieu,  ne  chante  pas 
sa  gloire?  Àh!  regardez  donc  !  touchez  de  vos  mains, 
prêtez  l'oreille,  et  vous  mêlerez  votre  voix  à  ce  concert 
de  iouanges  î 

En  effet,  mes  frères,  quel  est  celui  qui,  se  prome- 
nant par  une  belle  nuit,  dans  la  campagne,  à  l'aspect 
de  ces  myriades  d'étoiles  qui  brillent  au  dessus  O.e  sa 
tête  et  roulent  silencieuses,  à  des  distances  incom- 
mensurables, sans  s'égarer  ni  se  confondre,  à  l'aspect 
de  l'aimable  reine  des  nuits  qui  le  baigne  dç  sa 
lumière  argentée,  ne  s'est  pas  écrié  dans  un  transport 
d'admiration  : 

«  Que  vous  êtes  grand,  Seigneur,  et  que  vos  œuvres 
«  sont  belles  !  » 

Où  est  l'incrédule  qui,  en  voyant,  au  matin,  le  so- 
leil s'élancer  au  dessus  de  l'horizon  comme  un  géant 
pi  et  à  franchir  sa  carrière,  n'a  pas  adoré  malgré  lui, 
dans  sa  grandeur,  son  éclat  et  son  imposante  beauté, 
la  main  toute-puissante  qui  l'a  formé,  l'infinie  sagesse 
qui  l'a  suspendu  au  centre  de  l'univers  î 

Le  jour,  la  nuit,  les  tempêtes,  les  saisons,  tous  les 
éléments  rendent  hommage  au  Créateur  et  le  ré- 
vèlent à  leur  manière  :  n'est-ce  pas  sa  voix  qui  gronde 
dans  la  foudre,  son  ineffable  sourire  qui  brille  dans 
l'arc- en-ciel,  un  reflet  de  sa  gloire  qui  rayonne  dans 
l'aurore  î 

Abaissons  nos  regards  vers  la  terre,  et  considé- 


ou  l'on  ne  dort  pas,  45 

rons  cette  nature  si  féconde  et  si  varice,  ces  trois 
règnes  de  la  création,  vaste  domaine  de  l'homme, 
que  toute  la  science  de  Buffon,  de  Cuvier,  de  Jussieu 
n'a  pu  qu'efileurer  ;  quel  Lymne  de  louanges  à  chan- 
ter au  Seigneur  !  Qui  Jonc  a  élevé  jusqu'aux  nues 
ces  imposantes  montagnes,  dont  les  orgueilleux 
sommets  semblent  une  menace  au  ciel  ?  Quelle  pro- 
vidence a  caché  dans  les  entrailles  du  globe  tant  de 
riches  métaux:  l'or,  l'argent,  le  fer,  plus  précieux 
encore,  puisqu'il  est  plus  utile  ;  quel  génie  a  planté 
ces  antiques  forêts,  creusé  ces  frais  vallons  et  dé- 
ployé devant  nous  ces  riantes  campagnes,  dont  l'ai- 
mable verdure  forme  un  bi  doux  contraste  avec  l'azur 
des  deux  1 

S;  vous  doutez  de  l'existence  d'un  Dieu  créateur, 
venez  contempler  un  tableau,  grandiose  qui  porte  son 
nom  :  voyez  vous  ce  majestueux  océan  î  Quelle  main 
a  creusé  cet  abîme  et  déroulé  rjmmensité  de  ses 
flots  comme  une  plaine  infinie  1  Quelle  puissance 
soulève  ses  ondes,  les  gonîie  comme  des  montagnes 
et  brise  sa  fureur  contre  le  grain  de  sable  du  rivage  î 
—  Ah  !  mes  frères,  le  Dieu  qui  inarche  sur  Vaile  des 
vents  et  appelle  du  couchant  à  l'aurore  les  astres  qui 
répondent:  nous  voici,  adsumus !  C'est  lui  qui  en- 
chaîne le  courroux  des  flots  et  dit  à  la  mer  irritée  «? 
Tu  viendras  jusque-là.  j 

Voulez-vous  d'autres  témoignages?  Jetez  les  yeux 
ti.i  i  ..  lure  vivante,  animée  ;  suivez,  anneau  par 
anneau,  lu  Ion  y;  lc  chtîrie  des  êtres  qui  respirent  et 
s'agitent  sur  la  terre  :  quelle  incroyable  variété  d'es- 
pèces,  que   de  ramifications     et    p»*^    immense 


46  PETITS  SKRMONS 

échelle  à  parcourir  depuis  l'aigle  altier  qui  plane  dans 
la  nue,  jusqu'à  l'insecte  microscopique  perdu  dans  1» 
poussière  du  chemin  ! 

Voyez  ce  gigantesque  éléphant  que  l'antiquité 
chargeait  de  tours  et  de  guerriers  ;  quel  architecte  a 
dressé  les  colonnes  qui  portent  cette  forteresse  vi- 
vante 1  Qui  a  donné  au  lion  le  courage  et  la  fierté,  la 
patience  et  la  force  au  dromadaire  du  désert,  la  vi- 
tesse et  la  légèreté  au  coursier  qui  bondit  dans  la 
plaine? 

Mais  que  dis-je,  et  pourquoi  nous  arrêter  aux  chefs 
de  cet  immense  troupeau  î  Ah  !  rien  n'est  petit  dans 
la  nature,  et  cette  montagne  qui  fend  les  mers,  cette 
monstrueuse  baleine  qui,  d  un  coup  de  sa  queue, 
lance  en  l'air  un  navire  comme  un  enfant  son  jouet, 
n'est  pas  un  plus  puissant  argument  de  l'existence 
de  Dieu  que  l'imperceptible  animalcule  attaché  à  la 
plante  qui  tapisse  le  fond  de  l'abîme  ! 

Non,  non,  mes  frères,  à  celui  qui  a  des  yeux  pour 
voir  et  des  oreilles  pour  entendre,  il  ne  faut  pas  faire 
de  longs  raisonnements  pour  le  convaincre  :  tout  in- 
visible qu'il  est,  Dieu  lui  apparaît  dans  ses  ouvrages  ; 
tout  dans  la  nature  lui  parle  de  Dieu,  redit  ce  nom 
céleste  à  sa  manière  :  le  lion  le  rugit  dans  ses  dé- 
serts, le  rossignol  le  chante  dans  ses  bocages,  l'in- 
secte le  bourdonne  en  voltigeant  de  fleur  en  llcur  ;  le 
ruisseau  le  murmure  en  fuyant  à  travers  la  prairie  ; 
l'homme  trouve  le  nom  de  Dieu  mêlé  à  l'air  qu'il 
respire,  il  en  est  tout  pénétré;  il  le  palpe  en  quelque 
sorte  dans  la  pierre,  dans  la  plante,  dans  le  pain  qui 
le  nourrit,  dans  la  terre  qui  le  soutient,  il  le  sent 


ou  l'on  ne  dort  pas.  47 

surtout  dans  ce  grain  qu'il  lui  confie,  et  que  fera  ger- 
mer, grandir,  produire  la  bénédiction  de  Dieu. 

On  demandait  un  jour  à  saint  Antoine,  patriarche 
des  cénobites,  comment  il  pouvait  vivre  sans  livres 
dans  une  retraite  si  absolue,  au  fond  d'un  désert. 

—  «  Quoi  !  répondit  le  saint  anachorète,  fort  sur- 
«  pris  dijne  pareille  question,  n'ai-je  pas  sous  les 
«  yeux  ie  plus  grand,  le  plus  beau  des  livres?  Ce 
«  livre-là,  je  n'ai  jamais  fini  de  le  lire,  car  c'est  la 
**  création  tout  entière  :  j'y  lis  la  magnificence  de 
«  Dieu.  Là,  le  Créateur  s'est  peint  lui-n  ême  en  ca- 
«  ractères  vivants  ei  en  quelque  sorte  parlants.  >< 

Écoutons  maintenant  le  plus  grand  docteur  de 
l'Église,  saint  Augustin,  nous  expliquant  par  quel 
chemin  il  est  sorti  de  l'erreur  pour  arriver  à  la  vé- 
rité. 

«  Lorsque  je  vous  cherchais,  ô  mon  Dieu,  dit-il, 
u  je  demandai  à  la  terre  si  elle  était  mon  Dieu,  et 
«  elle  me  répondit:  Non!  Tout  ce  qu'elle  porte,  tout 
«  ce  qu'elle  cache  dans  son  sein  me  tenait  le  même 
«  langage. 

a  J'interrogeai  les  abîmes  des  mers  et  tous  les 
«  êtres  vivants  qu'elles  renferment,  et  tous  me  ré- 
«  pondirent  : 

—  .<  Nous  ne  sommes  pas  votre  Dieu,  cherchez-]** 
«  au  dessus  de  nous. 

«  J'interrogeai  l'air,  et  il  me  répondit  avec  tour 
«  ses  habitants  :  Le  vieux  Anaximède  se  trompait  : 
*  Je  ne  suis  point  ton  Dieu  ! 

«  Je  portai  alors  mes  regards  vers  le  Ciel  et  j'in- 
«  terrogeai  le  soleil,  la  lune  et  les  étoiles  ;  mais  ils 

4 


43  î>;;tîts  mormons 

«  répondirent  eus  aùsri  :   Nous  ne  sommes  pas  ton 

«  Dieu. 

—  «  Et  je  leur  dis  à  tous:  Puisque  tous  vous  me 
«  dites  que  vous  n'êtes  pas  mon  Dieu,  eh  bien,  dites- 
«  moi  donc  quel  est  celui  qui  l'est! 

«  Et  ils  s'écrièrent  d'une  voix  puissante  : 

«  C'est  celui  qui  nous  a  faits  !  » 

Oui,  mes  frères,  le  nom  de  Dieu  se  trouve  écrit  à 
toutes  les  pages  du  grand  livre  de  la  nature,  et  les 
ignorants  l'y  peuvent  lire  comme  les  savants.  Aussi 
celui  qui  ose  nier  l'existence  du  Créateur  à  la  face 
du  Ciel  et  de  la  terre,  qui  se  lèvent  en  masse  pour 
lui  dire  :  Tu  mens  !  est  un  misérable  qui  excite  la 
pitié  de  ceux  qui  l'entendent,  ou  plutôt,  comme  l'a 
dit  Montesquieu,  une  bête  féroce  qui  s'efforce  de 
briser  sa  chaîne  pour  se  jeter  sur  les  passants. 

Dans  une  brillante  réunion  du  dernier  siècle,  un 
philosophe  célèbre,  après  bien  des  discours,  des 
bons  mots,  de  fines  plaisanteries  où  l'impiété  jouait 
le  plus  grand  rôle,  voulut  en  venir  à  l'application, 
et  se  mit  en  devoir  de  convertir  à  l'athéisme  la  dame 
qui  faisait  les  honneurs  de  la  soirée. 

Par  bienséance,  on  l'avait  supporté  tant  qu'on 
n'avait  pas  pris  sa  parole  au  sérieux.  Mais  l'orateur 
s'animait,  il  devenait  pressant  et  faisait,  comme  on 
dit,  jouer  les  grandes  eaux. 

La  néophyte,  qui  joignait  à  un  esprit  pénétrant  des 
principes  solides,  le  pria  poliment  de  cesser  d'inutiles 
efforts. 

Vivement  piqué  d'avoir  fait  de  l'éloquence  en 
pure  perle,  de  s'être  peut-être  r?Mu  ridicule,  car  il 


ou  l'on  ne  dop.t  pas.  40 

voyait  errer  sur  certaines  lèvres  un  malicieux  sourire: 

—  Non,  s'écria -t-il,  en  promenant  ses  regards  sur 
tous  les  convives,  jamais  je  n'aurais  cru,  dans  une 
réunion  de  gens  d'esprit,  être  le  seul  à  ne  pas  croire 
en  Dieu! 

—  Pardon,  Monsieur,  répliqua  la  dame  sur  le 
même  ton,  vous  n'êtes  pas  le  seul,  mes  chevaux, 
mon  épagneul  et  mon  ebat  ont  aussi  cet  honneur  ; 
seulement  les  pauvres  bêtes  ont  assez  d'esprit  pour 
ne  pas  s'en  vanter. 

C'est  donc,  je  le  répète,  chrétiens,  faire  appel  aux 
plus  simples  notions  du  bon  sens  et  de  la  raison  que 
d'interroger  l'univers  et  de  lui  demander  la  preuve  de 
l'existence  de  Dieu  ;  c'est  recourir  à  l'argument  de 
l'enfant  qui  bégaie  au  berceau...  Nos  missionnaires 
sont  souvent  forcés  de  l'employer  pour  ouvrir  les 
yeux  aux  peuplades  idolâtres  qu'ils  évangélisent  ; 
mais  aussi  cet  argument  est  presque  toujours  victo- 
rieux. Voici  comment  s'en  servit  un  religieux  de 
Gaëte,  le  R.  P.  Antoine  Laudati,  pour  convertir  la 
reine  de  Sanga,  princesse  puissante  qui  gouvernait  un 
grand  royaume  d'Afrique. 

Après  mille  instances  inutiles,  un  jour  qu'il  était 
à  s'entretenir  avec  elle,  il  lui  tint  ce  discours  : 

Daignez,  Madame,  écouter  ce  petit  raisonnement  : 
Quand  je  vois  des  vallées  si  belles  et  si  fertiles,  or- 
nées d'un  si  grand  nombre  de  rivières  et  défendues 
contre  les  injures  de  l'air  par  des  montagnes  si  hautes 
et  si  agréables,  je  ne  puis  m'empêcher  de  demander 
respectueusement  à  Votre  Majesté  : 

—  Qui  est  l'auteur  de  tant  de  merveilles  t  Qui  rend 


50  ÎETÎTS  SERMONS 

la  terre  si  féconde T  Qui  donne  ]a  maturité  aux  fruits  ? 

—  Et  mais...  fU  la  reine  avec  embarras,  car  elle 
était  loin  de  s'attendre  à  cette  question,  ce  sont  mes 
ancêtres..,  les  fondateurs  de  ma  dynastie,  qui  étaient 
au  moins...  des  demi-dieux. 

—  Fort  bien,  reprit  le  missionnaire  :  Votre  Ma- 
/sté  jouit  sans  doute  de  tous  les  pouvoirs  de  ses 
incêtres  ? 

—  Oui,  dit-elle  fièrement,  et  ma  puissance  sur- 
passe même  la  leur,  car  je  suis  maîtresse  absolue 
du  royaume  de  Matamba. 

Le  P.  Laudati  prit  alors  un  brin  de  paille  que  la 
reine  venait  de  fouler  aux  pieds. 

—  Tenez,  Madame,  lui  dit-il,  faites-moi  la  grâce 
d'ordonner  à  cette  paille  de  se  soutenir  en  l'air. 

La  reine  détourna  la  tête  et  accueillit  cette  propo- 
sition avec  un  sourire  de  dédain. 

—  Pardon,  Madame,  insista  le  bon  religieux,  c'est 
bien  sérieusement  que  je  vous  parle,  daignez  exaucer 
ma  prière  ! 

Et  il  lui  mit  dans  la  main  cette  paille,  mais  elle  la 
laissa  tomber  aussitôt. 

Comme  il  se  baissait  pour  la  relever,  la  reine  le 
prévint  et  s'en  saisit,  en  lui  disant:  Voyez,  elle  est 
tombée  parce  que  je  l'ai  voulu. 

—  Oh  !  Madame,  répliqua  le  missionnaire  en  sou- 
riant, la  raison  pour  laquelle  cette  paille  est  tombée 
n'est  pas  précisément  que  Votre  Majesté  lui  ait  or- 
donné de  tomber,  mais  je  l'accorde  ;  allons  plus  loin; 
peut-être  se  soutiendra-t-elle  en  l'air  si  Votre  Majesté 
lui  eu  donne  l'ordre  ? 


OU  L'ON  NE  &0RT  PAS.  51 

—  Eh!    sans  doute  !   s'écria  la  reine  en  jetant  au 

dessus  de  sa  tête  cette  paille  qui  retomba  aussitôt  à 

ses  pieds. 

Elle  renouvela  plusieurs  fois  la  même  tentative  en 
t 

essayant  de  lancer  plus  haut  ce  misérable  fétu,  mais 
toujours  en  vain,  il  retombait  sans  cesse;  pas  le 
moindre  souffle  pour  le  soutenir,  ne  fut-ce  qu'un 
, instant  dans  l'air,  et  donner  une  contenance  à  la 
>eine,  qui  commençait  à  douter  de  sa  toute-puissance. 
]     A  la  fin  le  bon  religieux  lui  dit  : 

—  Que  Votre  Majesfé,  Madame,  cesse  d'inutiles 
efforts,  mais  surtout  qu'elle  apprenne  que  ses  ancê- 
tres n'ont  pas  été  plus  capables  de  produire  ces 
rivières  et  ces  belles  campagnes  qu'elle  ne  l'est  elle- 
même  d'obliger  cette  paille  à  se  soutenir  en  l'air  ! 

Inutile  d'ajouter  que  la  reine  frappée  de  la  jus- 
tesse de  ce  raisonnement  fît  de  sérieuses  réflexions 
qui  portèrent  la  lumière  dans  son  esprit.  Elle  re- 
nonça à  ses  idoles,  se  fit  instruire  des  vérités  du 
christianisme  et  reçut  le  baptême. 

Concluons  donc,  mes  frères,  que  nier  le  Créateur 
en  face  de  la  création,  c'est  nier  l'architecte  devant 
l'édifice,  le  peintre  devant  le  tableau,  le  sculpteur 
devant  la  statue,  le  père  devant  son  fils  :  c'est  vou- 
loir attirer  sur  sa  tête  un  immense  ridicule  et  se  pré- 
parer, passez-moi  l'expression  qui  rend  mon  idée,  une 
cellule  à  Bicêtre  ou  à  Charenton  ! 

Oh  !  donnez-nous,  Seigneur,  de  vous  reconnaître 
dans  vos  œuvres,  de  ne  jamais  fermer  l'oreille  à 
l'hymne  de  louanges  qui  monte  de  la  création  jus- 
qu'au pied  de  votre  trône  immortel  1  Donnez-nous  de 

4. 


52  PETITS  SERMONS 

mêler  avec  transport  notre  voix  a  ce  magnifique 
concert,  que  l'homme  est  appelé  à  vous  transmettre 
en  vous  rendant  soir  et  matin  ses  hommages  d'ado- 
ration et  de  filiale  tendresse.  Mais  surtout  pénétrez 
nos  cœurs  à  votre  égard  d'un  si  vif  sentiment  de  re- 
connaissance et  d'amour  pour  la  formation  de  ce  bel 
univers  dont  vous  avez  fait  notre  domaine,  que  toute 
créature  nous  soit  une  lyre  pour  chanter  vos  bienfaits 
sur  la  terre,  en  attendant  l'heureux  jour  où  non  ■ 
irons  là-haut  célébrer  votre  gloire  avec  les  anges  et 
les  élus  1  Ainsi  soit  AL 


SEPTIÈME   SERMON 

BEAUTÉ  DE  LUNIYERS. 

Magna  et  mirabilia  sunt  opéra  tua,  Do- 
mine, Deus  omnipotent! 

Grandes  et  admirables  sont  vos  œuvres, 
Seigneur,  Dieu  tout-puissant!  CÀpoc.  \v,  5.) 

Mes  frères,  nous  lisons  dans  la  vie  de  saint  Fran- 
çois de  Borgia,  ce  prince  espagnol  qui  renonça  aux 
grandeurs  pour  embrasser  la  sainte  folie  de  la 
croix,  dans  la  compagnie  de  Jésus,  dont  il  devint  le 
troisième  général,  qu'il  s'était  fait,  du  spectacle  de 
l'univers,  un  mémorial  continuel  de  la  présence  et  des 
bienfaits  du  Créateur. 

Lorsqu'il  se  trouvait  au  milieu  de  la  campagne,  il 
se  sentait  tellement  pénétré  de  la  grandeur,  de  la 
sagesse  et  de  la  puissance  souveraine  de  l'auteur  de 
tant  de  merveilles,  que,  bien  souvent,  on  le  vit  s'ar- 
rêter en  extase  devant  v»«  «ierre,  une  plante,  une 


ou  l'on  ne  dort  pas.  53 

Ceur,  un  insecte,  comme  pour  écouter  son  langage, 
car  il  lui  semblait  que  tout,  dans  la  nature,  lui  par- 
lait du  Créateur  et  le  louait  à  sa  manière.  Que 
dis-je?  Il  allait  jusqu'à  s'accuser  d'être  moins  jaloux 
de  sa  gloire  et  moins  ardent  que  les  plus  infimes 
créatures  à  chanter  la  grandeur  de  son  Dieu  :  alors, 
dans  une  sainte  impatience,  il  frappait  avec  son  bâton 
sur  les  arbres,  sur  les  buissons  de  la  route  en  s'c- 
criant  d'une  voix  énergique:  «  Quelle  honte!  Faut  il 
«  que  de  viles  créatures  l'emportent  sur  moi  !  Oh  ! 
«  ne  parlez  donc  pas  si  haut,  ne  criez  pas  si  fort  que 
«  Dieu  seul  est  grand,  tout-puissant,  admirable.  Je 
«  suis  presque  étourdi  de  vos  clameurs  !  >* 

Quelle  foi.  mes  frères  ?  Quelle  ardente  et  généreuse 
charité  !  Et  n'allez  pas  croire  au  moins  qu'elle  ait  été 
le  privilège  exclusif  des  saints  et  des  âmes  pieuses  : 
on  a  vu  des  savants,  des  observateurs  qui  étudiaient 
simplement  pour  s'instruire,  reconnaître  la  main  de 
Dieu  dans  l'œuvre  sublime  de  la  création  et  devenir 
plus  chrétiens  à  mesure  qu'ils  avançaient  dans  la 
science  inépuisable  de  la  nature. 

«  J'ai  vu  Dieu  en  passant  et  par  derrière,    disait 

*  un  savant  naturaliste  suédois,  Linnée,  je  l'ai  vu 
«  et  suis  resté  muet  d'admiration  et  d  etonnement. 
«  J'ai  su  découvrir  la  trace  de  ses  pas  dans  les  oeu- 
«  vres  de  la  création  ;  dans  ces  œuvres,  même  les 
«  plus  petites,  même  celles  qui  paraissent  nulles,  j'ai 
«  découvert  une  force,   une  sagesse,  une  perfection 

*  inexplicables...  » 

Et  en  effet,  mes  frères,  si  la  formation  de  l'uni- 
vers atteste  un  Dieu  créateur.    \a  beauté,  l'ordre  et 


54  PETITS  SJ3KM0NS 

l'harmonie  qui  régnent  dans  ce  merveilleux  ouvrage, 
les  lois  constantes  qui  les  régissent  avec  tant  de 
sagesse  et  depuis  tant  de  siècles  ne  sont  pas  aux 
yeux  de  tout  homme  qui  raisonne,  de  moindres  argu- 
ments de  l'existence  de  Dieu. 

—  Et  d'abord  quelle  beauté  !  Venez  dans  cette  prai- 
rie un  matin  du  mois  de  mai  :  comptez,  si  vous  pou- 
vez, les  Oeurs  dont  elle  est  émaillée.  Quelle  richesse, 
quelle  variété,  quelle  étonnante  profusion  !  Mais 
surtout  quelle  douceur  de  tons,  quelle  aimable  gra- 
dation de  nuances,  quel  velouté  de  coloris  !...  L'œil 
sa  promène  sur  cette  charmante  mosaïque  avec  le 
ravissement  de  l'oreille  qui  savoure  une  délicieuse 
mélodie...  Où  est  le  peintre,  et  nous  tomberons  à  ses 
genoux  ? 

—  Le  peintre,  mes  frères,  vous  l'avez  nommé: 
les  astres  du  firmament  chantent  la  gloire  du  Créa- 
teur, dit  le  Psalmiste  ;  eh  bien,  comme  le  ciel,  la  terre 
a  ses  étoiles,  et  le  lis  des  champs,  les  fleurs  de. la 
prairie  ont  des  accents  qui  dominent  dans  ce  magni- 
fique concert. 

Cueillez  une  de  ces  fleurs,  la  plus  humble,  la  plus 
ignorée,  celle  qu'a  touchée  à  peine  un  rayon  du 
soleil  :  examinez-en  l'éclat,  respirez-en  le  parfum, 
essayez  d'en  retracer  au  crayon  l'élégante  struc- 
ture et  d'en  imiter  les  riantes  couleurs...  Vains  ef- 
forts 1  le  pinceau  vous  tombera  des  mains  et  vous 
vous  écrierez  avec  le  découragement  de  l'impuis- 
sance : 

Grand  Dieu!  que  dut  être  le  modèle  puisque  la 
copie  est  si  ardue  !  Ah  !   cet    ouvrage-là  n'est  pas 


OU  L'ON  NE  DORT  PAS.  55 

d'un  mortel,  j'y  vois  empreint  le  doigt  de  Dieu! 
diglius  Dei  est  hic  i  ! 

Api  es  la  beauté  de  l'œuvre,  parlons  de  la  sagesse 
et  de  l'intelligence  qui  en  ont  réglé  les  moindres  dé- 
tails. 

Voyez-vous  ce  flocon  soyeux  qui  se  balance  dans 
les  airs?  C'est  le  tombeau  d'une  chenille.  Elle  est 
montée  en  rampant  sur  cette  branche,  s'y  est  ense- 
velie dans  le  fin  tissu  qui  l'attache  au  centre  d'une 
feuille.  Revenez  demain,  et,  de  cette  grossière 
enveloppe  où  se  cachait  la  chrysalide,  vous  verrez 
s'élancer  un  beau  papillon  dont  les  ravissantes  cou- 
leurs réjouiront  la  nature  et  seront  un  hymne  à 
l'Eternel. 

Et  maintenant,  mes  frères,  dites- moi,  quel  souille 
a  répandu  dans  le  sein  de  la  terre  la  vie  et  la  fécon- 
dité? Qui  la  pare  au  printemps  comme  une  fiancée 
et  la  couvre  tour  à  tour  de  (leurs  et  de  fruits,  de  ver- 
dure et  d'or? 

Quelle  providence  a  donné  aux  animaux  l'admi- 
/able  instinct  qui  les  dirige?  Cette  hutte  qu'a  bâtie 
un  castor,  ce  pont  qu'il  a  jeté  sur  le  torrent  qui 
''arrête;  le  ciment  qui  arrondit  et  fixe  au  rocher  le 
nid  de  l'hirondelle,  et  jusqu'à  ce  réseau  déiicat  tissé 
par  l'araignée  pour  saisir  sa  proie,  tout  n'at- 
teste-t-il  pas  un  Dieu  souverainement  intelligent  et 
sage  ? 

Suivez  le  vol  pénible  et  lourd  de  l'abeille,  chargée 
de  sa  cueillette  matinale;   elle  entre  dans  la  ruc'e 

*  Ëxod.  vin,  19. 


56  PETITS  SEP,?,îUi\S 

où  l'atten&énl  ses  compagnes  ;  quelle  activité,  quel 
murmure,  mais  quel  ordre  et  quelle  harmonie  dans 
cette  apparente  confusion  !  que  de  finesse  et  de  par- 
fum dans  le  miel  !  que  de  symétrie  et  de  régularité 
dans  les  cellules  !  quel  maître  a  formé  ces  indus- 
trieuses ouvrières  ?  quel  sage  a  policé  cette  innocente 
république  et  lui  a  donné  la  charte  admirable  qui  la 
régit  ? 

Plus  bas,  dans  l'échelle  des  êtres,  —  et  nous  y 
descendons  avec  bonheur,  car  les  plus  petites  choses 
nous  parlent  plus  éloquemment  encore  de  la  grandeur 
de  Dieu,  —  plus  bas,  nous  trouvons  la  fourmi,  et 
cette  infatigable  travailleuse,  la  leçon  vivante  du 
paresseux,  comme  s'exprime  l'Écriture  â,  nous  sera^ 
par  sa  prudence,  son  activité,  sa  sage  prévoyance  de 
l'avenir,  une  éclatante  preuve  de  l'existence  de 
Dieu. 

Que  vous  dirai- je  maintenant,  mes  frères,  de  la 
grandeur,  de  l'immensité  de  ce  magnifique  ouvrage? 

Parcourez  le  globe,  de  la  Sénégambie  aux  Caro- 
lines,  et  du  Spitzberg  au  détroit  de  Magellan  ;  visitez 
les  peuplades,  les  cités,  les  royaumes,  les  empires 
qui  couvrent  la  terre;  promenez  vos  regards  sur  la 
vaste  étendue  des  mers  qui  occupent  les  trois  quarts 
du  globe  :  quelle  grandeur,  quelle  immensité  encore 
une  fois,  mais  que  cette  grandeur  va  diminuer,  com- 
parée à  l'immensité  des  deux!  que  la  terre  sera 
petite,  mise  en  balance  avec  le  soleil,  ce  vaste  foyer 
de  lumière  près  duquel  la  grosseur  de  la  terre  est  à 

1  ProY.  vi,  6, 


ou  l'on  ne  doay  vas.  51 

peine  ce  qu'est  un  grain  de  sable  près  d'une  mon- 
tagne! 

Car  enfin,  tout  le  monde  sait  que  le  soleil  est  us 
million  trois  cent  mille  fois  plus  £*&s*d  $^  ^  mT$, 
et  que  nous  en  sommes  à  une  distance  de  trente- 
cinq  millions  de  lieues...  que  sera-ce  si  nous  la  com- 
parons à  Jupiter,  la  plus  grosse  des  planètes,  qui  a 
un  million  quatre  cent  soixante  et  dix  mille  fois  le 
diamètre  de  la  terre,  et  dont  la  distance  au  soleil  est 
de  cent  quatre-vingt  millions  de  lieues  !  -~  que  sera- 
ce  si  nous  la  comparons  à  Saturne,  dont  la  distance 
au  soleil  est  de  trois  cent  soixante- quatre  millions  de 
lieues,  et  le  diamètre  neuf  cent  quatre-vingt  quinze 
fois  plus  grand  que  celui  de  la  terre!...  à  Uranus, 
quatre-vingts  fois  plus  gros  que  la  terre,  et  éloigné  du 
soleil  de  sept  cent  vingt-deux  millions  de  lieues  !... 

Quelle  grandeur,  quelle  effrayante  étendue!  et 
nous  n'avons  considéré  que  trois  planètes,  dont  le  so- 
leil est  le  centre,  et  dont  la  circonférence,  qui  a  plu- 
sieurs milliards  de  lieues,  n'est  qu'une  faible  portion 
de  l'espace;  et  nous  n'avons  pas  parlé  des  étoiles  fixes, 
qui  sont  autant  de  soleils  indépendants  de  notre  sys- 
tème, ayant  leur  lumière  propre,  leurs  planètes,  leurs 
révolutions,  leur  circonférence,  et  l'on  en  compte 
plus  de  quatre-vingts  millions  !...  et  nous  n'avons  pas 
dit  que  notre  soleil,  cet  œil  immense  du  Créateur, 
ouvert  sur  notre  monde,  n'est  qu'une  nébuleuse,  une 
de  ces  étoiles  de  minime  grandeur  !...  Ali!  l'esprit  se 
perd  dans  cet  infini,  mes  frères,  l'imagination  s'ar- 
rête humiliée,  confondue  :  elle  demande,  pour  com- 
prendre que  l'idée  soit  rendue   palpable  en  quelque 


53  PETITS  SERMONS 

sorte  et  revêtue  d'une  forme  corporelle...  et  quand  on 
pense  que  l'étoile  fixe,  la  plus  voisine  de  la  terre,  en 
est  pourtant  à  plus  de  vingt-deux  milliards  de  lieues... 
qu'elle  met  dix  ans  à  nous  envoyer  sa  lumière,  et 
qu'un  boulet  de  canon,  d'une  vitesse  de  sept  lieues 
à  la  minute,  mettrait  deux  millions  d'années  à  fran- 
chir cet  espace...  Anéanti  devant  tant  de  grandeur, 
et  cette  étendue  incommensurable,  on  tombe  à  ge- 
noux en  s'écriant  avec  saint  Paul  :  ô  abîme,  ô  alti- 
tudo  !  ou.  bien  avec  le  prophète  :  ô  Israël,  que  la  niai- 
son  de  Dieu  eht  grande,  et  combien  est  étendu  son  do- 
maineï  Ah!  il  est  immense,  il  est  sans  bornes1  ;  mais 
par  sa  grandeur  même,  il  me  révèle  l'immensité  de 
son  auteur  !  A  niagnitudine  creaturœ,  cognoscibiliter 
poterit  creator  horum  videri  2. 

Et  puis  quel  ordre,  quelle  symétrie  parfaite  dans 
ce  vaste  univers,  comme  tout  y  est  admirablement 
disposé  !  Tout  s'y  lie,  s'y  enchaîne,  y  concourt  au 
bien-être  et  à  l'harmonie  générale;  le  ciel,  la  terre, 
les  mers,  les  éléments,  les  saisons,  tout  y  obéit  à  des 
lois  constantes  et  immuables,  et  de  même  que  rien 
dans  l'univers  n'est  inutile,  pas  même  le  plus  chétif 
insecte,  rien  aussi  n'y  est  désordonné.  Chaque  être 
a  sow  rôle  à  jouer  ici-bas,  sa  lin  particulière  et  srJ 
destinée;  et  dans  la  distribution  des  moyens  pou  A 
l'atteindre,  la  Providence  ne  s'est  pas  montrée  moins 
généreuse  pour  l'humble  graminée  que  pour  le  cèdre 
du  Liban. 

Le  soleil  a  été  formé  pour  éclairer,  vivifier  et  fé- 

*  Bar.  m,  24.  —  2  Saû.  x*"  &. 


ou  l'on  ne  doivt  pas.  59 

conder  la  nature  ;  s'il  était  plus  près  de  nous,  ses 
rayons  dévorants  consumeraient  la  terre  ;  elle  serait 
inhabitable,  s'il  en  était  plus  éloigné-  Si  la  terre  était 
plus  dure,  elle  arrêterait  la  sève  et  les  plantes  ne 
pourraient  germer  ;  si  sa  surface  était  moins  ferme, 
elle  ne  pourrait  nous  soutenir.  Attentive  à  satisfaire, 
à  prévenir  tous  ses  besoins,  le  ciel  lui  dispense  tour  à 
tour  la  pluie  et  le  vent,  la  rosée  et  les  rayons  du  so- 
leil; puis,  quand  les  frimas  l'ont  engourdie,  quand 
son  sein  flétri,  concentrant  la  sève  et  les  sucs  nour- 
riciers, les  a  reposés  trois  mois  d'un  sommeil  répa- 
rateur, le  zéphyr  du  printemps  la  réveille  de  sa  tiède 
haleine,  et  la  prépare  à  s'ouvrir  à  de  nouveaux  tré- 
sors... Viendront  des  jours  où  le  ciel  est  de  feu  et  la 
terre  altérée,  entr'ouverte  ;  les  fleuves,  les  sources 
ont  tari  :  une  nuée  pompera  l'eau  des  mers,  ou,  pour 
mieux  dire,  évaporée  sous  un  soleil  ardent,  cette 
eau  se  condensera  dans  les  airs  et  retombera  sur 
la  terre  en  ondée  salutaire,  véritable  bénédiction  du 
ciel. 

Et  maintenant,  mes  frères,  s'il  nous  était  donné 
de  considérer  la  marche  constante  et  régulière  des 
astres,  marche  si  strictement  tracée,  si  mathémati 
quement  prévue  que  l'homme,  plusieurs  mois,  plu- 
sieurs années  à  l'avance,  peut  annoncer  qu'un  tel 
jour,  à  telle  heure,  un  astre  passera  devant  le  soleil, 
et  qu'un  moment,  la  terre  entière  sera  dans  l'anxiété 
de  l'attente  ;  s'il  nous  était  possible  d'étudier  la  suc- 
cession continuelle  du  jour  et  de  la  nuit,  la  marche 
régulière  des  saisons,  la  structure  intérieure  et  exté- 
rieure  des  plantes  et  des  arbres,  l'organisation  des 

5 


CO  PETITS  SEKMOXS 

animaux  ;  si,  dans  le  plus  chétif  animal,  nous  exa- 
minions la  circulation  du  sang  à  travers  une  immense 
ramification  d'artères  et  de  veines,  cette  infinité  de 
tendons  et  de  fibres  délicates,  ces  mille  articulations 
savamment  combinées ,  sans  marne  parler  des  ani- 
maux dont  la  charpente  osseuse  est  presque  aussi 
compliquée  que  celle  de  l'homme,  quel  abîme  de 
merveilles,  quel  univers  à  parcourir  :  et  tout  cela  vit, 
tout  cela  s'agite,  pullule,  produit  son  semblable,  et 
depuis  six  mille  ans?  Et  nous  n'avons  pas  encore 
parlé  de  l'admirable  structure  du  corps  humain,  ce 
chef-d'œuvre  de  la  création!,..  Ah!  quelle  effrayante 
série  de  problèmes  et  de  mystères  pour  l'incrédule  ! 
Quelle  montagne  d'absurdités  à  dévorer  quand  on 
veut  expliquer  sans  Dieu  la  création  du  monde  et 
la  beauté  de  l'univers  ! 

«  Tenez,  disait  un  jour  Bonaparte  à  Monge,  celui 
des  savants  de  cette  époque  qu'il  aimait  le  plus  et 
qu'il  avait  sans  cesse  auprès  de  lui,  «  tenez,  mareli- 
«  gion  à  moi  est  bien  simple  ;  je  regarde  cet  univers 
«  si  vaste,  si  compliqué,  si  magnifique,  et  je  me  dis 
«  qu'il  ne  peut  être  le  produit  du  hasard,  mais  l'œa- 
«  vre  d'un  être  inconnu,  tout-puissant,  supérieur  à 
«  l'homme  autant  que  l'univers  est  supérieur  à  nos 
*<  plus  belles  machines...  Cherchez,  Monge,  aidez- 
«  voua  de  vos  amis  les  mathématiciens  et  les  philo- 
«  sophes,  vous  ne  trouverez  pas  une  raison  plus  forte 
««  et  plus  décisive,  et,  quoique  vous  fassiez  poi 
«  combattre,  vous  ne  l'infirmerez  pas  4.  » 

a  Thiers.  Histoire  du  consulat  et  de  l'empire,  ni,  u;. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  61 

Le  célèbre  Newton  ne  connaissait  pas  d'argument 
plus  solide  en  faveur  du  dogme  de  l'existence  de 
Dieu  que  ce  raisonnement  d'un  philosophe  païen,  le 
divin  Platon,  comme  il  l'appelle,  qui,  dans  ses  Dia- 
logues, fait  dire  à  l'un  de  ses  interlocuteurs  : 

«  Vous  jugez  que  j'ai  une  âme  intelligente  parceque 
•<  vous  apercevez  de  Tordre  dans  mes  paroles  et  mes 
*  a  tions  :  jugez  donc  en  voyant  l'ordre  et  la  beauté 
«  du  monde  qu'il  y  a  une  âme  souverainement  in- 
«  telligente  et  sage.  » 

—  Comment  vous  êtes  vous  assuré  qu'il  y  a  un 
Dieu?  demandait-on  un  jour  à  un  pauvre  Arabe  du 
désert. 

—  De  la  même  façon,  répondit-il,  que  je  connais, 
par  les  traces  marquées  sur  le  sable,  s'il  a  passé  un 
homme  ou  une  bête  \ 

Mes  frères,  cette  judicieuse  réponse  vaut  toute 
une  démonstration  ;  elle  est  de  nature  à  fermer  la 
bouche  aux  plus  profonds  philosophes,  aux  savants 
les  plus  consommés  qui  dissertent,  épiloguent,  bâtis- 
sent des  systèmes  et  sont  en  définitive  obligés  de 
s'écrier,  avec  les  sages  de  Pharaon,  à  l'aspect  des 
merveilles  de  la  terre  et  du  ciel  :  Digilus  Dei  est  hic, 
le  doigt  de  Dieu  est  là  ï 

Oh  !  nous  les  redirons  donc,  Seigneur,  nous  les 
répéterons  sans  cesse  dans  les  transports  d'un  saint 
enthousiasme  et  d'une  sainte  admiration,  ces  belles 
paroles  du  roi  prophète  :  Il  est  grand,  le  Seigneur, 
il  est  tout-puissant,    muni,    et  toute   créature   doit 

1  Voyage  en  Arabie. 


62  PETITS  SERMONS 

publier  ses  louanges  :  Magnus  Dominas  et  laudabi* 
lis  nimis  1,  il  est  grand,  magnifique  dans  ses  œu- 
vres, mais  que  doit  il  être  lui-même  î  Et,  puisqu'ici- 
bas,  sur  cette  triste  terre  d'exii,  sa  sagesse  et  sa 
majesté  brillent  avec  tant  de  splendeur,  de  quel  éclat 
ne  doit-il  pas  rayonner  là-haut,  dans  ce  beau  para- 
dis, dont  il  a  fait  notre  patrie!  Oh  !  puissions  nous, 
mes  frères,  mériter,  par  la  sainteté  de  notre  vie, 
qu'il  s'y  montre  un  jour  à  nous  comme  à  ses  élus 
dans  toute  la  magnificence  de  sa  gloire  et  de  ses 
perfections  infinies,  dont  la  contemplation  sera  notre 
éternelle  félicité  !  Ainsi  soit  il  ! 


HUITIÈME  SERMON 

ïiU  LA.  NÉCESSITÉ  D'UN  PIIEMÏER  ÊTRE 

Ego  sum  alpha  et  oméga,  princi* 
pium  et  finis. 

J;>  suis  l'alpha  et  l'oméga,  le  prin* 
cipe  et  lafin.fApoc.  î,  8J 

Ries  frères,  que  répondriez  vous  à  celui  qui,  devant 
un  beau  palais,  vous  soutiendrait  sérieusement  qu'il 
s'est  fait  tout  seul,  que  les  pierres  se  sont  taillées 
d'elles-mêmes  et  mises  en  place  par  hasard  ;  que  le 
hasard  seul  a  préparé  le  ciment  qui  les  unit,  char- 
penté les  bois,  ménagé  la  distribution  des  diverses 
pièces,  revêtu  les  murs  de  tentures  richement  colo- 
riées, peint  les  tableaux,  sculpté  les  charmantes  sta- 
tuettes qui  embellissent  les  appartements,  en  un  mot, 


«  tfsaLxLYii,  2. 


OU  l/ON  NE  DOUT  PAS.  63 

que  cet  admirable  édifice  s'est  élevé  sans  architecte, 
orné  sans  décorateur,  et  que  ses  délicieux  détails  ne 
go-nt  ni  plus  ni  moins  que  des  effets  sans  cause? 

A  celui  qui  oserait  vous  soutenir  une  énormité  pa- 
reille, mes  frères,  pour  toute  réponse,  si  toutefois 
vous  lui  faisiez  l'honneur  de  ne  pas  supposer  son 
cerveau  malade,  vous  vous  contenteriez  de  citer  un 
fait  qui  s'est  passé  au  milieu  du  siècle  dernier,  sous 
'le  règne  de  Voltaire  et  de  l'Encyclopédie» 

Dans  un  cercle  philosophique  où  se  trouvaient  les 
principaux  rédacteurs  de  cette  impie  élucubration, 
vraie  tour  de  Babel  élevée  contre  le  christianisme, 
après  avoir  longuement  épilogue,  discuté,  remis  à 
neuf  les  arguments  vermoulus  de  Celse  et  d'Epicure 
en  faveur  de  l'athéisme,  on  conclut  à  l'unanimité 
que  Dieu  n'était  qu'un  fantôme,  un  être  de  raison, 
un  épouvantai),  ridicule  inventé  par  l'ignorance  et  le 
fanatisme. 

Un  homme  d'esprit  qui  les  écoutait  sans  prendre 
part  à  la  discussion,  —  c'était  un  des  leurs,  même 
le  principal,  seulement  il  se  trouvait  alors  dans  un 
de  ses  bons  moments,  —  se  tenait  à  l'écart  dans  la 
salle  et  suivait  attentivement,  sur  le  cadran  d'une 
pendule,  la  marche  lente  de  l'aiguille. 

Son  silence  intrigua  tout  le  monde  et  parut  singu- 
lier. 

-—  Vous  ne  dites  rien,  monsieur,  lui  demanda-t-on 
de  toutes  parts,  est-ce  que  vous  n'êtes  pas  de  notre 
avis  et  voudriez-vous,  par  hasard,  vous  faire  parmi 
nous  l'avocat  de  Dieu? 

—  Ma  foi,   messieurs,    répondit-il  tranquillement 


64  PETITS  SEHMONS 

en  montrant  du  doigt  la  pendule  qui  sonnait  juste- 
ment alors,  que  voulez-vous  : 

«  L'univers  m'embarrasse  et  ne  puis  songer 

«  Que  cette  horloge  marche  et  n'ait  pas  ci  horloger  I  » 

Cette  fine  et  spirituelle  sentence  de  Voltaire,  — - 
car  c'était  lui,  —  vint  comme  un  coup  de  vent  dis- 
perser cet  échafaudage  de  sopbismes  et  d'impiétés. 
Disons  mieux,  ce  fut  un  éclatant  sifflet,  qui  coupa 
court  à  l'enthousiasme  impie  et  rendit  tous  les  phi- 
losophes soucieux... 

C'est  que,  devant  eux  s'ouvrait  tout  un  abîme,  et 
que,  pour  le  combler,  il  fallait  autre  chose  que  des 
blasphèmes  et  des  paroles  en  l'air.  C'était  être  poussé 
au  pied  d'un  mur  qui  ne  cède  pas,  la  nécessité  d'un 
premier  Être  pour  expliquer  tous  les  autres,  c'était, 
en  d'autres  termes  et  pour  parler  avec  le  gros  bon 
sens  populaire,  se  voir  en  face  de  l'argument  de  la 
poule. 

Car  enfin,  mes  frères,  l'univers  existe,  un  fou  seul 
peut  le  nier.  Or,  tout  ouvrage  suppose  un  ouvrier, 
tout  mouvement  un  moteur,  tout  ordre  un  régula- 
teur, à  moins  qu'on  n'aime  mieux  dire  que  ce  sont 
des  effets  sans  cause,  que  tout  cela  s'est  fait  tout 
seul  ou  que  le  hasard  en  est  l'auteur,  ou  que  la  ma- 
tière est  éternelle. 

Prétendre  que  l'univers  n'a  point  eu  de  créateur 
et  s'est  fait  tout  seul,  c'est  évidemment  extra  vaguer 
et  se  moquer  du  '  bon  sens.  Un  vieil  axiome  dit  que 
nul  ne  se  donne  à  lui-même  V existence.  On  ne  peut  tout 
à  la  fois  être  et  ne  pas  être  ;  être,  d'abord,  puisqu'on 
se  suppose  agissant,  se  donnant  l'existence,  et  ne 


ou  l'on  ne  dort  pas.  65 

pas  être,  puisqu'on  n'est  pas  encore  devenu,  qu'on 
ne  s'est  pas  encore  fait.  Or,  comment  l'univers  se 
serait-il  fait  tout  seul  s'il  n'avait  pas  l'existence? 
Avant  d'agir  il  faut  être  :  cette  première  hypothèse 
est  donc  absurde. 

—  Dira-t-on  que  le  hasard  a  tout  fait  ?  c'est  reéu» 
1er  la  difficulté  sans  la  résoudre.  Et  d'abord,  mes 
frères,  qu'est  ce  que  le  hasard  ?  qu'on  en  donne  une 
définition  raisonnable  1  —  Et  quand  même  ce  ne  se- 
rait pas  un  mot  vide  de  sens  et  qui  n'explique  rien, 
quand  même  Je  hasard  serait  un  être  sérieux  et  l'au- 
teur de  tout  ce  qui  existe,  comment  cette  cause 
aveugle,  inconstante  et  bizarre  a-t-elië  pu  donner  la 
stabilité  à  son  œuvre  et  la  créer  avec  tant  d'intelli- 
gence et  de  sagesse?  Comment  n'a-t-elle  pas  détruit 
le  lendemain  ce  qu'elle  avait  formé  la  veille  1  Pour- 
quoi surtout  le  hasard  s'est  il  arrêté  tout  à  coup 
après  un  essai  si  sublime  et  ne  produit-il  plus  rien 
de  nos  jours  ?  Évidemment  c'est  parce  qu'il  n'a  ja- 
mais rien  produit  et  que  l'univers  aune  autre  origine. 

J'ai  lu  dans  mon  jeune  âge  un  trait  qui  vient  ici 
fort  à  propos,  mes  frères,  et  qui  vous  intéressera, 
j'en  suis  sûr. 

Un  savant  jésuite  allemand,  n'ayant  pu  convaincre 
par  la  logique  et  le  raisonnement  un  de  ses  amis  qui 
doutait  de  l'existence  de  Dieu  et  attribuait  au  hasard 
la  création  de  l'univers,  recourut  à  un  stratagème 
assez  singulier  pour  le  guérir  de  sa  folie. 

Possesseur  d'une  sphère  magnifique,  car  il  s'oc- 
cupait beaucoup  d'astronomie,  il  alla  la  prendre  dans 
son  cabinet  d'étude  où  personne  n'entrait  jamais,  et 


G6  PETiTS  SiillMONS 

la  déposa  sur  la  table  de  son  salon,  un  jour  qu'il 
attendait  la  visite  de  son  ami. 

A  peine  la  sphère  était-elle  en  place,  que  ce  der- 
nier vint  frapper  à  sa  porte  et  fut  introduit  dans  son 
appartement, 

.  —  Oh  1  la  belle  sphère  !  s'écrie-t-il  ravi  d'admira- 
tion et  s'arrêtant  sur  le  seuil  à  la  contempler,  la  belle 
sphère  !  mais  c'est  un  vrai  monument  que  vous  avez 
là,  révérend  Père,  je  ne  vous  l'avais  jamais  vue  ;  est- 
elle  à  vous  ? 

—  Mais...  non,  fit  le  prêtre  avec  quelque  hésita- 
tion, tout  en  se  mordant  les  lèvres  pour  se  donner 
ïe  courage  de  son  rôle  ;  elle  ne  m'appartient  pas... 
Elle  n'est  à  personne. 

—  A  personne  I  allons  donc  !  vous  voulez  rire  ! 

—  En  aucune  façon  ;  je  vous  assure  qu'elle  n'a 
point  de  maître,  et  que,  de  plus,  elle  est  venue  là 
toute  seule. 

— -  De  mieux  en  mieux!  Franchement  mon  Père, 
avouez  que  vous  êtes  aujourd'hui  d'humeur  réjouis- 
sante et  que  vous  voulez  m'en  faire  accroire  ; 
mais  vous  comptez  un  peu  trop  sur  ma  bonne  vo- 
lonté. 

—  Oh  !  vous  en  croirez  ce  qu'il  vous  plaira  mon 
cher  ;  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que  cette  sphère 
n'est  à  personne,  que  personne  ne  l'a  mise  sur  cette 
table,  qu'elle  y  est  venue  toute  seule,  je  le  répète, 
et  j'ajoute,  par-dessus  le  marché,  qu'elle  s'est  faite 
d'elle-même. 

—  Et  moi,  répliqua  le  visiteur  avec  une  impatience 
mal  contenue,  je  vous  répèle  à  mon  tour  que  vous 


OU  ï/ON  NE  DOKT  PAS.  67 

Voulez  rire  et  que  vous  vous  moquez  des  gens  assez 
hors  de  saison. 

—  Vous  savez  bien,  monsieur,  que  je  ne  plaisante 
jamais. 

Le  bon  religieux  prononça  ces  paroles  d'un  ton 
6i  naturel,  il  regarda  son  interlocuteur  avec  tant  de 
calme  et  une  assurance  si  bien  jouée,  que  ce  dernier 
se  tâta,  porta  la  main  à  son  front  et  devant  ses  yeux, 
pour  s'assurer  qu'il  n'était  pas  le  jouet  d'un  rêve. 

—  Je  suis  bien  éveillé,  se  dit-il,  je  sens  parfaite- 
ment que  je  parle  et  que  celte  étonnante  merveille 
est  là,  bien  réelle  devant  mes  yeux...  Allons  donc, 
ajouta- t-il  en  souriant,  encore  une  fois,  mon  Père, 
c'est  une  mauvaise  plaisanterie,  mais  vous  avez  trop 
d'esprit  décidément  pour  me  croire  votre  dupe  ! 

—  C'est  pourtant  l'exacte  vérité  que  je  vous  dis  là. 

—  Comment  !  s'écria  le  visiteur  à  bout  de  patience, 
en  déchargeant  sur  la  table  un  si  grand  coup  de 
poing,  qu'il  mit  en  mouvement  le  soleil,  la  lune,  la 
terre  et  tout  le  système  du  monde,  vous  me  croyez 
assez  niais  pour  admettre  que  cette  magnifique 
sphère  n'est  h  personne,  pas  même  à  celui  qui  l'a 
faite  1  qu'elle  est  venue  d'elle-même  se  placer  sur 
cette  table,  ou  qu'elle  y  a  poussé  comme  un  champi- 
gnon ]  Vous  voulez  que  j'avale  une  absurdité  dix 
fois  plus  énorme  encore  que  les  deux  autres,  à  sa- 
voir, que  cet  étonnant  prodige  de  sagesse  et  de  pré- 
cision, l'univers  en  miniature  a  pu  se  faire  tout  seul 
sans  qu'un  habile  artiste  y  ait  mis  la  main  1...  Allons 
donc,  révérend  Père  I  faites-moi  l'honneur  de  me 
suppose?  au  moins  un  peu  de  bon  sens,  et  convenez 

». 


68  PETITS  SKRMONS 

franchement  que  votre  langage  n'est  pas  sérieux  !  — 
Car  enfin,  ou  je  ne  suis  qu'un  imbécile,  ou  cette 
belle  sphère,  ce  trésor  doit  avoir  un  maître,  ne  fût-ce 
que  celui  qui  en  a  conçu  et  exécuté  l'ingénieux  mé- 
canisme :  une  si  raie  merveille  n'est  pas  venue  d'elle- 
même  sur  votre  table;  il  faut  nécessairement  que 
quelqu'un  l'y  ait  mise,  sans  quoi  il  n'y  aurait  pas  de 
raison  pour  qu'elle  ne  s'en  aille  pas  en  ce  moment 
toute  seule,  comme  elle  est  venue  ;  enfin  vous  ne 
persuaderez  jamais  à  quiconque  a  le  sens  commun 
que  cet  admirable  chef-d'œuvre,  cette  charmante 
copie  de  l'univers  s'est  faite  d'elie-même,  et  qu'un 
habile  ouvrier...  un  homme  de  génie... 

—  Arrêtez  !  interrompit  le  religieux  d'une  voix 
énergique  ;  devant  l'œuvre,  vous  saluez  l'ouvrier, 
c'est  bien  ;  vous  trouvez  la  copie  admirable,  elle  vous 
révèle  un  homme  de  génie,  j'y  consens  ;  mais  cette 
copie  si  belle,  oh  !  quelle  est  pâle  devant  le  riche  et 
splendide  original  que  nous  voyons  là-bas!... 

Et  en  parlant  ainsi,  le  bon  religieux  prit  par  le  bras 
son  ami  et  l'entraîna  vers  la  croisée,  pour  lui  montrer  la 
campagne  toute  parfumée  de  riantes  fleurs  du  prin- 
temps, et,  au  bout  de  ce  magnifique  tableau,  le  soleil, 
qui,  descendu  à  l'horizon,  se  couchait  en  ce  moment  der- 
rière une  éblouissante  tenture  de  pourpre  et  d'or... 

—  Que  c'est  beau  1  que  c'est  beau  !  s'écria  le  visi- 
teur transporté  d'admiration. 

—  Et  bien,  monsieur,  reprit  le  religieux  qui  sen- 
tait le  moment  venu  de  frapper  le  dernier  coup,  vous, 
qui  savez  si  bien  de  l'eiïet  remonter  à  la  cause,  et 
reconnaître  à  l'œuvre  la  main  de  l'ouvrier,  croyez 


ou  l'ox  ne  doivf  pas.  69 

vous  toujours  qu'un  aveugle  hasard  est  l'auteur  de 

toutes  ces  merveilles  ?  Non  sans  doute,  je  vous  sup- 
pose réellement  trop  dy esprit  et  de  bon  sens.,.  Oui, 
admirez  tant  qu'il  vous  plaira  la  copie  et  l'image, 
ajouta  t  -il  en  tombant  à  genoux  et  en  entraînant  son 
ami,  mais  adorez  avec  moi  ie  Créateur  de  la  réalité  ! 

L'argument  était  sans  réplique,  mes  frères  ;  aussi 
l'incrédule  se  reieva-t-il  convaincu,  transfiguré  :  le 
jour  s'était  fait  dans  son  âme. 

Il  se  jeta  dans  les  bras  du  prêtre  en  s'écriant  d'une 
voix  attendrie  : 

—  Merci,  mon  Père,  vous  m'avez  fait  du  bien  ! 

Après  le  hasard  invoqué  pour  expliquer  la  création 
du  monde  et  qui  n'explique  rien,  est  venue  l'éternité 
de  la  matière  :  autre  solution  lumineuse  qui  fait  le 
pli; 3  grand  honneur  à  celui  qui  l'a  le  premier  mise 
en  avant. 

Quelques  rêveurs  du  dernier  siècle  ont  osé  l'affir- 
mer sur  la  foi  de  je  ne  sais  quels  livres  indiens  et 
chinois  qui  donnaient  modestement  au  Célesle-Em  ■ 
pire  une  antiquité  de  quatre-vingt  à  cent  mille  ans  ! 
Mais  le  simple  bon  sens  a  fait  justice  de  ces  ridicules 
théories  ;  de  récentes  découvertes  sont  venues  confir- 
mer le  récit  de  Moïse  sur  l'âge  véritable  du  monde. 

«  Ce  qui  est  bien  certain,  dit  un  célèbre  natura- 
«  liste,  c'est  que  la  vie  n'a  pas  toujours  existé  sur  le 
«  globe,  et  il  est  facile  à  l'observation  de  reconnaître 
«  le  point  où  la  nature  a  commencé  à  déposer  ses 
«  produits1...  » 

1  davier,  Discours  sur  U:.  révolutions  du  globe. 


70  PETITS  SERMONS 

«  —  Rien  n'est  éternel  sur  la  terre,  dit  un  autre 
«  géologue,  et  tout,  dans  les  entrailles  du  globe 
«  comme  à  la  surface  extérieure,  atteste  un  com- 
«  mencement  et  indique  une  fin  i.  » 

D'ailleurs,  mes  frères,  de  tous  les  systèmes  ima- 
ginées par  *a  raison  humaine  pour  expliquer  le 
monde  en  dehors  de  la  révélation,  le  plus  absurde 
est  sans  contredit  l'éternité  de  la  matière...  Car  enfin 
attribuer  à  la  matière  l'Éternité,  cet  attribut  divin, 
n'est-ce  pas  en  faire  l'Etre  nécessaire,  l'Être  im- 
muable, indépendant,  souverainement  parfait,  n'est-ce 
pas  en  faire  un  Dieu  ?  —  Mais  alors  ce  Dieu-matière 
devra  donc  aussi  être  contingent,  périssable,  limité, 
corruptible,  imparfait  comme  elle  ;  or  n'est  ce  pas  le 
comble  de  la  folie  que  de  faire  de  ce  qui  est  essen- 
tiellement inerte  le  moteur  suprême,  de  ce  qui  est 
évidemment  borné,  l'Etre  infini,  de  ce  qui  change  et 
se  modifie  tous  les  jours,  l'Etre  immuable,  et  d'at- 
tribuer l'intelligence  et  la  sagesse  souveraine  à  ce 
qui  est  incapable  de  penser  :  peut-on,  je  vous  le  de- 
mande, mes  frères,  se  contredire  plus  ouvertement  ? 

Si  la  matière  est  éternelle,  elle  l'est  dans  toutes 
ses  parties,  et  l'on  ne  pourrait  sans  contradiction  en 
supposer  une  seule  non  existante...  Ainsi,  dans  ce 
système,  il  n'y  aura  pas  une  feuille  d'arbre,  un 
grain  de  sable,  un  atome  de  poussière  dont  l'exis- 
tence ne  soit  aussi  essentielle  que  trois  angles  à  un 
triangle  ;  l'idée  du  triangle  et  l'idée  de  ses  trois 
angles  sont  tellement  corrélatives  et  nécessaires  l'une 

t  Kéréc-Boubée,  Manutl  de  Géologis. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  71 

à  l'autre,  qu'il  est  impossible  de  les  séparer  sans  se 
contredire;  or,  je  demande  s'il  en  est  de  même 
de  l'idée  d'un  atome  et  de  l'idée  de  son  existence, 
et  en  quoi  je  tomberai  dans  l'absurde  en  supposant 
que  cet  atome  n'existe  pas.  Donc  il  n'existe  pas  né- 
cessairement ;  et  ce  que  je  dis  d'un  alome  de  l'uni- 
vers, je  le  dirai  de  l'univers  lui-même,  donc  il  n'est 
pas  éternel,  donc  il  a  été  créé. 

De  plus,  ce  Dieu-matière  étant  divisible  à  l'infini^ 
et  chaque  molécule  de  matière  étant  l'Etre  néces- 
saire, il  y  aura  autant  de  dieux  que  d'atomes  dam 
l'univers,  et  nous  sommes  bien  coupables  de  n'êtn 
pas,  comme  en  Egypte,  à  genoux  devant  les  légumes 
de  nos  jardins... 

Enfin,  mes  frères,  la  matière  ne  peut  se  concevoir 
sans  ses  attributs  naturels,  la  couleur,  l'étendue,  la 
forme,  la  pesanteur  spéciGque,  etc  ;  donc  eUe  a  dû 
avoir  de  toute  éternité  ses  modifications  détermi- 
nées, immuables,  indestructibles,  éternelles  comme 
elle  ;  et  pourtant  nos  ouvriers,  nos  mécaniciens,  nos 
industriels  font-ils  autre  chose  tous  les  jours  que 
modifier  et  changer  la  matière?  —  Mais  ne  perdons 
pas  un  temps  trop  précieux  à  réfuter  ces  chimères, 
et  terminons,  par  une  dernière  réflexion,  ce  sujet  qui 
a  pu  vous  paraître  abstrait,  mais  dont  j'ai  dû  vous 
entretenir,  à  raison  de  son  importance. 

Naturellement  inerte,  la  matière  nous  apparaît 
pourtant  dans  un  mouvement  continuel  ;  mouvement 
au  ciel,  mouvement  sur  la  terre,  mouvement  des 
eaux,  mouvement  de  la  sève  dans  les  plantes,  mou- 
vement du  sang  dans  les  animaux,   mouvement  par- 


72  PiiïlTS  SERÎiOlSS 

tout.  D'où  vient-il  1  Ce  n'est  pas  l'univers  qui  se  Test 
donné  :  nul  ne  se  donne  ce  qu'il  n'a  pas.  D'ailleurs,  si 
la  matière  pouvait  s'imprimer  un  mouvement  quel- 
conque, elle  pourrait  aussi  l'accélérer,  le  suspendre, 
en  changer  la  direction,  ce  qui  est  contraire  à  l'expé- 
rience. 

Dire  que  le  mouvement  est  essentiel  à  la  matière, 
est  une  absurdité  :  ce  mouvement  serait  constant, 
uniforme,  universel,  éternel  comme  elle,  et  nous  ne 
pourrions  la  concevoir  en  repos  ;  et  pourtant  tous 
les  jours  nous  voyons  le  contraire  :  ceux  qui  con- 
duisent des  chariots  et  les  malheureux  qui  tournent 
la  meule  en  savent  quelque  chose  ! 

Quel  a  donc  été  le  premier  moteur  de  l'univers  î 
Est-ce  la  terre  qui  s'est  lancée  elle-même  dans  l'es- 
pace avec  le  double  mouvement  de  rotation  sur  elle- 
même  et  de  translation  autour  du  soleil  1 

Quelle  puissance  a  suspendu  là  haut  ces  milliers 
de  mondes  qui  nous  éclairent  ?  Qui  les  pousse  avec 
tant  d'harmonie  et  d'ensemble  de  l'Orient  vers  l'Oc- 
cident 7  Est-ce  l'homme,  est-ce  le  hasard,  ou  bien 
sont-ce  les  atomes  crochus  d'Épicure  et  de  Lucrèce, 
qui,  après  avoir,  de  toute  éternité,  tourbillonné 
dans  le  vide  et  s'être  pris,  un  beau  matin,  pour  for- 
mer une  plante,  un  animal,  un  homme,  puis  le  ciel 
et  toutes  les  merveilles  de  la  nature,  ont  lancé  ce 
chef-d'œuvre  comme  l'artificier  lance  son  bouquet 
dans  les  airs  ? 

Qui  sait  même  si  le  jour,  la  nuit,  les  saisons,  les 
révolutions  du  ciel,  le  flux  et  le  reflux  de  la  mer  et 
tout  cet  harmonieux  ensemble  de  mouvements    di- 


OU  fc*ON  NE  DORT  PAS  73 

vers  ne  sont  pas  encore  le  mouvement  éternel  des 
atomes  crochus  se  continuant  dans  l'univers  accro- 
ché!...—Que  l'homme  est  à  plaindie,  mes  frères, 
que  ses  raisonnements  font  pitié,  quand,  pour  expli- 
quer le  monde,  il  veut  se  passer  de  Dieu  !  Toute  sa 
science,  tout  son  esprit,  tout  son  génie  viennent  se 
briser  contre  cette  simple  question  d'un  enfant  de 
douze  ans  à  un  jeune  philosophe  à  l'eau  de  rose  : 

—  Monsieur,  puisqu'il  n'y  a  pas  de  bon  Dieu, 
dites-moi  d'où  vient  un  œuf? 

Comme  lui,  on  réplique,  on  ferraille,  on  ext^avague 
à  droite,  à  gauche  ;  mais  la  raison  voulant  toujours 
avoir  raison,  le  docteur  s'embarasse,  il  hésite,  il 
bégaie  et  finalement  reste  court. 

Oh  !  nesoyons  pas  philosophes,  mesfrères  !  N'allons 
pas  comme  ces  petits  raisonneurs  de  la  rue,  idolâtres 
de  nos  pensées  et  dédaignant  le  flambeau  de  la  foi, 
nous  enfoncer  laborieusement  dans  le  labyrinthe 
des  secrets  du  Créateur,  tandis  qu'au-dessus  de  nos 
têles  brille  l'éclatant  flambeau  de  sa  parole  révélée; 
laissons  ces  menus  docteurs  de  carrefour  se  fouetter 
l'imagination  pour  se  démontrer  par  la  seule  voie 
du  raisonnement  une  vérité  que  le  chrétien  trouve 
écrite  en  tête  de  son  symbole  et  qui  lui  donne  la  clé 
des  plus  redoutables  mystères  : 

—  Au  commencement,  Dieu  créa  le  ciel  et  la 
terre...  Tout  ce  qui  existe  est  son  ouvrage,  et  rien 
de  ce  qui  est  n'a  été  fait  sans  lui.  Omniaper  ipsum... 
ei  sine  ipsefactnm  est  nihil  quod  factura  est  (Joan.  i,  3.) 

Oui,  Seigneur,  vous  êtes  vraiment  l'alpha  et 
l'oméga  le  principe  et  la  fin  de  toutes  choses  j  vquj 


74  PETITS  SERMONS 

avez  dit  et  tout  a  été  fait,  vous  avez  ordonné  et  la 
création  s'est  opérée  ;  oh  !  puisque  c'est  de  vous  que 
nous  venons  et  à  vous  que  nous  devons  retourner 
comme  à  notre  fin  suprême,  faites  que  nous  ne  per- 
dions jamais  de  vue  la  noblesse  de  notre  origine  en 
cherchant  dans  la  créature  un  repos,  un  bonheur 
que  vous  seul  pouvez  donner  !  Attirez  en  haut  nos 
cœurs,  vous  qui  êtes  notre  trésor,  et  fermez-les  aux 
charmes  perfides  de  la  terre,  afin  que  les  tristes  joies 
de  l'exil  n'aient  plus  le  fatal  pouvoir  de  nous  faire 
oublier  les  saintes  et  immortelles  délices  de  la  pa- 
trie !  Amen% 


NEUVIÈME  SERMON 

KXISTJÏNCE  DE    DIEU,   —    L'HOMME. 

Etait:  Vaciamus  komtnem  ad  im  a  g  in  cm 
cl  similitudtnem  nostram 

Et  il  iiil  :  F;'.ism])>  riiumnie  h  notre  image  et 
h  notre  ressemblance.  (Gen.  i,  26.) 

Mes  Frères,  l'Univers  était  sorti  du  néant  par  la 
volonté  toute  puissante  du  Créateur;  sa  féconde 
parole  avait  fait  le  Ciel  avec  ses  étonnantes  mer- 
veilles, la  terre  avec  ses  riches  trésors  ;  des  my- 
riades d'animaux  peuplaient  cet  immense  domaine, 
et  pourtant  cet  ouvrage  si  beau,  si  splendide  était 
loin  d  être  complet  :  c'était  un  corps  sans  âme,  un 
vaisseau  sans  pilote,  une  armée  sans  général  ; 
l'homme  n'avait  pas  encore  paru  ! 

Mais  sitôt  que  Dieu,  pareil  à  un  artiste  qui  médite 
une  œuvre  grandiose,  rentre  en  lui-même  et  se  dit  ; 


OU   L'ON  NE  DORT  PAS.  75 

—  Maintenant  que  voilà  le  domaine,  donnons-lui 
un  maître:  «  dans  ce  vaste  et  magnifique  palais, 
«  sous  ce  dôme  d'azur,  plaçons  un  favori  :  pour  tant 
o.  de  trésors  et  d'hommages,  créons  un  seigneur;  à 
«  tant  de  sujets  qui  rampent  sur  la  terre,  donnons 
«  un  roi  qui  regarde  le  Ciel,  Jaisons  l'homme  à  noire 
«  image  et  à  notre  ressemblance  !  »  Mes  frères,  sitôt 
que  le  grand  ouvrier  eut  souillé  sur  la  boue  pétrie 
de  ses  divines  mains,  que  le  roi  du  Ciel  eut  fait  un 
roi  de  la  terre,  et  que  l'homme  marcha  le  front 
haut,  pensant  et  priant,  dominateur  de  la  création 
pour  la  faire  remonter  au  Créateur,  dès  lors  cet 
immense  ouvrage,  fut  complet  et  digne  de  la  sa- 
gesse éternelle;  alors  il  eut  un  sens  ;  avant  l'homme 
il  n'en  avait  point. 

L'homme  est  donc  en  définitive  le  lien  vivant  qui 
unit  la  terre  au  Ciel  et  la  créature  au  Créateur  : 
aussi  s'élève-t-il  au-dessus  d'elle  comme  le  cèdre 
du  Liban  s'élève  au-dessus  des  arbrisseaux  d'alen- 
tour, comme  l'aigle  s'élève  au-dessus  du  vermisseau 
qui  rampe  dans  la  poussière.  Oh  !  soyons  donc  fiers 
d'une  si  noble  origine,  mes  frères!  Bénissons-en  le 
Ciel  et  qu'un  saint  orgueil  nous  anime  :  il  nous  sera 
permis.  <^iMà,  car  c'est  dans  le  Seigneur  que  nous 
nous  glorifions  ! 

Et  pourtant  le  croirez -vous?  Il  s'est  trouvé  des 
gens,  et  l'on  en  voit  tous  les  jours,  qui  ne  pouvant 
se  résoudre  à  prononcer  le  nom  de  Dieu,  cherchent 
à  l'homme  une  autre  origine  et  veulent  absolument 
ou  que  non  s  ayons  toujours  existé  sur  la  terre,  ou 
que  nous  y  soyons  venus  de  nous-mêmes.   Exami- 


7G  PLTîTS  SERMONS 

nous  en  peu  de  mots  leurs  prétentions  ridicules  et 
voyons  si  Ton  peut  assigner  h  l'homme  une  origine 
raisonnable  en  dehors  des  données  de  la  foi. 

Nous   voici   à  la    seconde     moitié    du     dix-neu- 
vième siècle  :  Près   de  douze  cent  millions  d'hom- 
mes couvrent  la  surface  de  la  terre  :  Il  n'est   guère 
plus  de  contrée   habitable  où   un  être  humain  n'ait 
porté  ses  pas,  plus   de  ligne    sur  l'Océan  que   n'ait 
explorée  la  rame  de  nos  navigateurs  ;  s'il  reste  encore 
quelques  écueils  à  doubler,  quelques    glaces   à  par- 
courir aux  extrémités  du  globe,  tous  les  jours   quel- 
que hardi  capitaine  y  dirige  sa  course  aventureuse. 
L'homme  a  creusé  le  sein   de   la  terre,  a  pénétré 
bien  avant  dans  ses  entrailles  ;    il  en  a  fait  comme 
un  vaste  labyrinthe,  et  en  extrait  tous  les  jours  des 
richesses  nouvelles...  Sous  la  cloche  du  plongeur,  il 
est  descendu  au  fond  des  mers,  y  a  séjourné  de  lon- 
gues heures  à  la  recherche  du  corail  et   de  la  perle 
cachée  dans  un  coquillage.  Que  dis  je?  Il  a  dompté 
la  foudre  ;  il  s'est  fait  un  serviteur  du  souffle  du  ton- 
nerre, qui  porte  en  un  clin  d'œil  sa  parole  aux  extré- 
mités du  monde  ;  il    s'est   élancé   dans   les    airçj  le 
voilà  qui  plane  au-dessus  des  nuages,  et  le  jour  n'est 
pas  loin  sans  doute  où  il  marchera  lui  aussi  sur  l'aile 
des  vents,  comme  pour  voler  vers  son  Dieu  qui,  du 
haut  du  Ciel,   l'encourage   et  l'appelle;  en    un  mot, 
l'homme  s'est  emparé  de  son  vaste  domaine,  en  jouit 
en  maître,  et  jamais  il  n'avait  été  plus  vrai  de   rap- 
peler le  roi  de  la  création. 

Mais  mes  frères,  remontez  par  la   pensée  le  cours 
des  âges  ;  suivez,   siècle   par  siècle  et  dans  toutes 


ou  l'on  ne  dort  pas,  77 

les  régions  du  globe,  l'immense  série  des  généra- 
tions écoulées  ;  le  parcours  sera  long,  sans  doute, 
mais  enfin  des  feuilles  aux  rameaux,  des  rameaux 
aux  branches  et  des  branches  au  tronc,  vous  arri- 
verez à  la  racine  de  l'arbre  géant  dont  les  antiques 
bras  s'étendent  sur  tout  l'univers. 

Il  fut  un  temps  où,  sur  cette  terre,  aujourd'hui  si 
peuplée,  n'existaient  que  des  plantes  et  des  ani- 
maux ;  la  science  est  d'accord  là-dessus  avec  nos 
Saints  Livres.  Les  premières  couches  de  la  terre  où 
la  Géologie  ait  trouvé  des  ossements  humains  ne 
font  pas  remonter  cette  époque  à  plus  de  six 
mille  ans. 

D'où  donc,  quand,  et  comment  le  premier  homme 
est-il  venu  sur  la  terre  t  Par  quelle  main  a  été  planté 
l'arbre  généalogique  de  l'humanité  ?  A-t-il  toujours 
été  gigantesque  et  vigoureux  comme  nous  le  voyons  ? 
A  t-il  poussé  de  lui-même  et  graduellement  par 
mille  transformations,  ou  bien  est- il  tout  à  coup  sorti 
de  la  terre  comme  un  météore  ? 

La  première  hypothèse  répugne;  on  ne  la  sou- 
tiendra plus,  j'espère,  après  tant  de  spirituelles  ré- 
futations. La  meilleure  preuve  que  l'homme  n'est 
pas  éternel  ici-bas,  et  qu'il  doit  y  finir,  c'est  que  les 
races  dégénèrent,  le  sang  s'appauvrit,  l'âge  décroît, 
les  tempéraments  déclinent  ;  nous  sommes  à  cent 
lieux  de  nos  pères  qui  étaient  eux-mêmes  déjà  fort 
loin  de  leurs  aïeux  :  la  génération  nouvelle  vit  à 
la  vapeur  et  vieil  ira  de  même  :  de  plus  en  plus, 
l'espèce  s'abâtardit  et  l'on  peut  presque  prévoir 
quand  elle  finira  ;  donc  elle  a  commencé,  sans  qudi 


18  PETITS  SERMONS 

nous  serions  toujours  au  même  point  de  vigueur  et 
de  longévité  ;  rien  d'éternel  ne  change. 

De  plus,  si  le  genre  humain  avait  toujours  existé 
—  et  ce  ne  serait  pas  sur  la  terre,  puisqu'elle  n'est 
pas  éternelle,  —  il  serait  donc  l'Etre  nécessaire,  il 
serait  donc  Dieu  et  ne  pourrait  mourir,  pas  plus  col- 
lectivement que  dans  le  dernier  de  ses  membres  : 
et  alors  que  sont  devenues  tant  de  générations  dont 
nous  foulons  la  poussière?  Dira-t  on  qu'elles  doivent 
renaître  et  revivre  pour  mourir  encore  et  ainsi  de 
suite  à  l'infini  ?  En  vérité,  pour  un  Dieu,  voilà  bien 
des  vicissitudes  et  des  migrations  ;  si  ce  n'est  pas  là 
se  jeter  dans  Scylla  pour  éviter  Charybde  et  expli- 
quer un  mystère  par  cent  autres  plus  inexplicables 
encore,  j'en  appelle  au  bon  sens  et  à  la  same  raison, 
puisque  c'est  devant  eux  que  nous  plaidons  en  ce 
moment  la  cause  de  la  foi. 

Ne  nous  arrêtons  pas  davantage,  mes  frères,  au 
second  système  qui  nous  prend  à  l'état  de  végétal, 
et,  nous  assimilant  à  la  grenouille  de  nos  marais  ou 
à  la  chenille  qui  se  transforme  en  papillon,  nous  fait 
successivement,  plante,  poisson,  quadrupède,  orang- 
outang  et  nous  élève  enfin  à  la  dignité  humaine. 
C'est,  comme  on  le  voit,  faire  son  chemin  à  fond  de 
train.  Il  est  vrai  que  les  docteurs  ne  poussent  pas 
plus  loin  la  gradation,  et  qu'on  ignore,  en  fin  de 
compte,  dans  ce  système,  si  l'homme  est  autr3  chose 
qu'un  animal  sans  plumes... 

Ceux  qui  seront  jaloux  d'une  si  noble  origine  peu- 
vent à  leur  choix  hériter  de  la  dépouille  d'un  ver  *  ou 

*  E.  Quinet. 


OU  l/or*  NE  DORT  PAS.  79 

contempler  leur  patte  d'animal  devenant  la  main 
d'un  homme  l  ou  descendre  d'un  marsouin  qui  se 
fend  la  queue  2,  ou  bien  d'un  singe  dont  le  nez  s'al- 
longe par  un  rhume  de  cerveau  3  ;  pour  nous,  qui  nous 
croyons  sortis  des  mains  de  Dieu,  nous  avons  une 
autre  ambition  et  surtout  une  foi  moins  robuste. 
Peut-être  est-ce  parce  que  nous  n'avons  jamais  été 
témoins  de  ces  transformations  merveilleuses...  Elles 
s'opéraient,  dit-on,  au  temps  où  les  arbres  parlaient, 
dans  ce  pays  où,  au  son  d'une  lyre,  les  tigres  se 
changeaient  en  agneaux  et  les  murs  des  villes  se  bâ- 
tissaient d'eux-mêmes...  Il  est  vraiment  à  regretter 
pour  nos  philosophes  que  nous  soyons  si  loin  de 
ces  siècles  d'or  et  de  cette  contrée  de  la  bonhomie 
où  il  suffisait  de  semer  les  dents  d'un  dragon  pour 
qu'à  l'instant  se  levât  à  la  place  un  peuple  de  guer- 
riers tout  armés...  0  l'heureux  temps  1  l'heureux 
pays?  Et  faut  il  s'étonner  qu'en  fait  de  religion, 
comme  en  fait  de  politique  et  d'économie  sociale, 
ces  messieurs  soient  toujours  enEéotie  î 

Enfin,  mes  frères,  veut-on  que  l'homme  soit  sorti 
tout  à  coup  du  sein  de  la  terre  1 

—  A  la  bonne  heure!  voilà  au  moins  une  solu- 
tion sérieuse  !  —  Et  d'abord,  à  quel  âge  sera  né  le 
chef  de  notre  race  1  Le  voulez-vous  au  berceau  î  — 
Prenez  garde,  il  va  mourir  de  faim  1  Vous  avez  sup- 
primé la  mère,  vite  une  nourrice  pour  l'allaiter,  le 
bercer  sur  son  sein  et  lui  prodiguer  les  soins  vigi- 
lants qu'exige  son  enfance  1 

*  Ferrari.  —  2  Lamctirie.  —  3  Chevalier  de  Lamarck. 


fO  PETITS  SERMONS 

Mais  on  y  a  songé,  chrétiens  ;  il  aura  la  terre 
pour  nourrice,  pour  vêtement  une  vapeur  légère,  un 
tendre  gazon  pour  berceau.  Nous  ne  l'avons  pas  vu, 
mais  un  poète  l'assure  4,  et  si  la  chose  est  peu  croya- 
ble, on  ne  contestera  pas  du  moins  la  gracieuseté  du 
tableau. 

Allons,  vous  aimez  mieux  que  l'homme  soit  sorti 
à  la  fleur  de  l'âge  du  sein  de  la  nature  2.  —  Expli- 
quons nous  tout  d'abord.  Qu'entendez-vous  par  ce 
mot  sonore  t  Le  Ciel  et  la  terre,  c'est-à-dire  la  col- 
lection des  êtres  qui  composent  l'univers?  Ce  se- 
ront donc  les  astres,  les  montagnes,  le^  plantes,  les 
mers,  les  animaux,  les  reptiles,  les  oiseaux,  les 
poissons,  y  compris  les  huîtres,  qui  auront  tous  en- 
semble formé  le  premier  homme  en  corps  et  en 
âme?  Le  plus  courageux  sophiste  n'oserait  tenir  un 
tel  langage.  —  Mais  le  hasard,  mais  la  nature,  voilà 
des  mots  pompeux,  qui,  tout  en  ne  disant  rien,  peu- 
vent tenir  lieu  de  raison,  s'ils  sont  bien  accentués... 
—  Plaisante  solution,  la  nature?  comme  si  ce  mot 
là,  pris  autrement  que  pour  Dieu  lui-même,  pour  la 
providence  des  lois  qui  régissent  l'Univers,  pouvait 
avoir  un  sens  raisonnable  ? 

«  La  nature  n'est  point  une  chose,  dit  Bùfibh,  car 
«  cette  chose  serait  tout;  la  nature  n'est  point  un 
«  être,  car  cet  être  serait  Dieu.  Mais  on  peut  la 
«  considérer  comme  une  puissance  vive,  immense, 
«  qui  embrasse  tout,  qui  anime  tout  et  qui,  subor- 

*  Terra  cibum  pueris,  veslem  vapor,  herba  cubile 
Prœbebat.muliâ et  molli lanugineabundans.. .(Lucrèce), 
2  Michelct, 


ôtt  l'on  ne  dort  pas,  8l 

*  donnée  à  celle  du  premier  être  n'a  commencé  que 
«  par  son  ordre  et  n'agit  encore  que  par  son  con- 
«  cours  ou  son  consentement.  Cette  puissance  est, 
«  de  la  puissance  divine,  la  partie  qui  se  manifeste 
«  dans  toutes  les  œuvres  ;  elle  présente  le  sceau  de 
«  TÉternel  *.  « 

Qu'a  donc  voulu  dire,  mes  frères,  le  célèbre  pro- 
fesseur déjà  nommé2,  par  ces  paroles  amphigouri- 
ques où  rie  perce  que  trop  le  matérialisme  :  «  Nous  ne 
«  nous  représentons  pas  aisément  aujourd'hui  l'a- 
«  mour  de  l'homme  pour  la  nature  dans  le  premier 
»  âge  où  il  était  encore  à  peine  dégagé  de  son  sein. 
«  Dans  les  âges  les  plus  voisins  de  la  création, 
«  l'homme  était  moins  séparé  des  bêtes...  Dans  cha- 
«  que  création,  il  voyait  une  sœur,  une  amie...  » 
Tout  cela  est  fort  tendre,  sans  doute,  mais  ne  nous 
dit  point  comment  s'est  opéré  notre  dégagement  du 
sein  de  la  nature  et  ce  qui  constituait  cette  con- 
fraternité, cette  union  platonique  de  l'homme  avec 
les  animaux, . . 

Etrange  aveuglement,  mes  frères,  fatale  obstina- 
tion de  la  philosophie  à  méconnaître  la  main  de 
Dieu,  si  visible  pourtant  darss  ses  ouvrages,  et  dans 
celui-là  surtout  qui  en  est  l'admirable  couronne- 
ment !  Plutôt  que  de  prononcer  le  nom  de  Dieu  et 
de  la  providence,  on  se  condamnera,  s'il  le  faut,  à 
radoter  six  cents  pages  durant,  et  de  façon  à  déses- 
pérer un  échappé  de  Bicêtre... 

—  C'est  le  soleil,  dardant  ses  rayons  sur  un  ma- 

«  BuffoD.  t.  XII.  p.  34.  -  2  Michelet. 


82  PETITS  SERMONS 

rais,  qui  a  fait  éclore  l'homme,  dira  l'un.  **•  C'est  la 
nature,  dira  crûment  un  antre,  qui  a  planté  nos 
pères,  çà  et  là  comme  des  champignons.  —  Un  troi- 
sième est  plus  poli  :  —  «  Notre  intelligence  se  dé- 
fi veloppa,  dit-il,  et  l'industrie  naquit  dans  l'instant 
«  organique  où  la  patte  de  l'animal  devenait  la 
«  main  d'un  homme,  et  la  'pen?ée  commença  sa 
u  carrière  indéfinie,  quand  les  cris  inarticulés  des 
«  bêtes  se  transformèrent  dans  la  parole  humaine  l.» 
—  Un  quatrième  enfin,  plus  modeste  et  plus  franc 
cette  fois  que  ses  confrères,  lance  courageusement 
le  mot  fatal,  le  mot  qui  se  trouve  au  fond  de  toutes 
ces  ridicules  et  extravagantes  théories  ;  je  n'en  sais 
rien  ;  la  création  de  l'homme  est  le  secret  de  Dieu  g. 
Silence  donc  ,  orgueilleuse  philosophie ,  silence 
quand  Dieu  parle,  quand  le  bon  sens  réclame,  quand 
la  voix  discordante  est  un  audacieux  défi  jeté  à  la 
reconnaissance  de  toute  la  nature  !  silence,  et  n'in- 
terromps plus  par  tes  blasphèmes  l'hymne  de  louan- 
ges qui  monte  de  toutes  parts  vers  le  Tout-Puissant! 
Son  secret,  nous  l'avons  pénétré,  son  amour  nous  l'a 
découvert  :  il  est  un  livre  divin  qui  date  des  premiers 
âges  du  monde,  un  livre  qui  prend  l'homme  au  sor- 
tir des  mains  du  Créateur,  et  renferme  ses  titres  de 
noblesse  ;  il  nous  montre  Jéhovah  pétrissant  un  peu 
d'argile,  l'animant  de  son  souffle  immortel  et  lui  com- 
muniquant un  rayon  de  sa  gloire. ,.  Vous  qui  doutez 
encore,  ô  profonds  penseurs,  ô  sages  de  la  terre, 
vous  qui  traitez  avec  dédain  ce  livre  sublime,  dont  la 

*  Ferrari.  ~  *  Gaticn  Avnoult, 


OU  l/ON  NE  PORT  PAS.  83 

lecture  sérieuse  vous  eût  épargné  tant  de  bévues, 
libre  à  vous  d'appeler  encore  !a  nature  votre  mère, 
les  chenilles  vos  sœurs,  un  marais  votre  berceau,  les 
poissons  vos  aïeux;  pour  nous,  saintement  fiers  de 
porter  l'empreinte  sacrée  de  Celui  qui  nous  fit  à  son 
image,  nous  continuerons  de  l'adorer  et  de  le  bénir 
en  répétant  avec  l'heureuse  simplicité  de  l'enfant  du 
catéchisme  : 

—  C'est  Dieu  qui  nous  a  crées  et  mis  au  monde! 

Il  n'y  a  pas  longtemps,  un  jeune  étourdi,  quelque 
peu  lettré,  qui  prenait  à  tâche  de  contredire  tout  bas 
les  saintes  vérités  qu'il  entendait  au  prône,  accusant 
le  prédicateur  défaire  son  métier,  rencontra  ce  der- 
nier devant  l'église  ,  un  dimanche  qu'il  avait,  en 
expliquant  le  premier  article  du.  Symbole,  assez  lon- 
guement parlé  de  la  création  de  l'homme  et  de  la 
puissance  de  Dieu. 

Il  l'aborde  d'un  air  dégagé,  comme  il  était  à  cau- 
ser avec  quelques  personnes  —  c'était  assez  son  ha- 
bitude après  les  ofïices  —  et  lui  demanda  cavalière- 
ment s'il  était  bien  sûr  de  ce  qu'il  a  dit  au  prône. 

—  Eh  1  sans  doute,  mon  ami,  lui  répond  le  prêtre, 
fort  étonné  d'une  telle  question  ;  vous  savez  bien 
qu'un  prédicateur  n'avance  rien  en  chaire  dont  il  ne 
soit  parfaitement  certain,  rien  qu'il  ne  soit  prêt  à 
soutenir  devant  les  plus  effrayantes  menaces,  et  qu'il 
mourrait  sans  hésiter  pour  la  dernière  des  vérités  de 
son  Symbole. 

—  Bah  !  Monsieur  le  curé,  tout  cela  est  bon  à  dire  ; 
entre  nous,  votre  histoire  de  la  création  n'est  ni  plus 
ni  moins  qu'une  fable. 

G 


84  PETITS  SERMONS 

—  Une  fable  i  ah  !  ça  mais  songez-vous,  jeune 
homme,  à  ce  que  vous  dites  ? 

—  Parfaitement  :  je  soutiens  que  la  formation 
d'Adam  et  Eve  est  une  pure  légende,  un  conte  à 
dormir  debout. 

—  Et  pourriez- vous  nous  indiquer  la  date  de  cette 
légende,  l'origine  de  cette  fable,  de  ce  conte,  en  con- 
naissez-vous Fauteur  ? 

—  Mon  Dieu,  peu  nous  importe  la  date  de  l'inven- 
tion ë%  moins  encore  le  nom  de  l'inventeur  ;  il  nous 
suffît  de  savoir  que  cette  histoire  est  imaginaire  et 
sans  fondement. 

—  Quoi,  Monsieur  I  vous  traitez  d'imaginaire  une 
histoire  qui  fait  la  base  de  toutes  les  traditions  hu- 
maines I  Vous  appelez  une  fable,  un  conte  ridicule, 
un  récit  que  tous  les  peuples  de  ta  terre  ont  trouvé  dans 
leurs  archives,  plus  ou  moins  dénaturé  sans  doute, 
mais  au  fond  toujours  et  partout  le  même,  qu'ils  se 
sont  transmis  dage  en  âge  avec  bonheur,  parce  qu'il 
fait  de  l'espèce  humaine  une  immense  génération  de 
frères  I  —  peu  vous  importe,  dites-vous  et  la  date  et 
l'auteur  d'une  pareille  légende  !  Mais  pardon,  Mon- 
sieur, il  nous  importe  infiniment,  à  nous,  que  vous 
l'indiquiez,  cet  auteur,  car  vous  pourriez  nommer 
Moïse  î  il  nous  importe  que  vous  assigniez  une  ori- 
gine, à  cette  légende,  qui  sait?  vous  remonterez 
peut-être  à  six  mille  ans  î  —  mais  non,  vous  êtes  plus 
rond  que  cela  :  il  vous  suffit  de  savoir  que  V histoire 
est  imaginaire  et  sans  fondement  :  nous  direz-vous 
au  moins,  Monsieur,  d'où  vous  vient  cette  assurance? 

—  De  la  raison  et  du  bon  sens  I 


OU   L'ON  NE  DORT  PAS.  85 

Le  jeune  docteur  prononça  ces  deux  ronflantes 
paroles  avec  tant  d'emphase  et  d'aplomb  que  les 
paysans  ébahis  ouvrirent  démesurément  les  yeux,  ne 
sachant  trop  s'ils  devaient  admirer  ou  sourire. 

Oh!  respect  à  votre  bon  sens,  à  votre  raison, 
s'écria  le  prêtre  étonné  de  cet  accent  de  fierté  dans 
un  jeune  ouvrier  qu'il  avait  vu  naître,  mais  qui  s'é- 
tait profondément  gâté  dans  son  tour  de  France,  res- 
pect à  votre  raison,  surtout  si  vous  nous  dites  com- 
ment elle  vous  explique  l'origine  du  monde  et  la 
création  de  nos  premiers  parents. 

—  Mou  Dieu,  rien  de  plus  simple,  répond  froide- 
ment notre  philopohe  en  prenant  un  ton  doctoral  : 
d'abord  le  monde  a  toujours  existé  tel  que  nous  le 
voyons,  et  les  premiers  humains  naquirent  en  vertu 
de  la  génération  spontanée...  Après  tout,  pourquoi 
n'en  serait-il  pas  de  nous,  par  exemple,  comme  de 
ces  animaux  microscopiques  dont  on  parle  tant  de- 
puis quelques  mois,  et  qui,  venus  on  ne  sait  d'cù  ni 
comment,  produisent  et  pullulent  d'une  effrayante 
manière  t. ..  Mais  non,  Monsieur,  je  veux  être  géné- 
reux, répondit  le  petit  maître  en  se  souriant  à  lui-même, 
comme  il  n'est  pas  raisonnable  d'établir  une  parité 
entre  nous  et  ces  insectes  dégoûtants  qui  empoison- 
nent nos  viandes  les  plus  savoureuses,  j'admettrai 
que  les  fondateurs  de  notre  race  ont  eu  une  autre 
origine  et  que  le  premier  homme  fut  un  orang-ou- 
tang... un  singe  perfectionné... 

—  Oh  !  Monsieur  !  fit  le  prêtre  en  joignant  les 
mains  d'un  ton  suppliant,  restons  en  là,  je  vous 
en  prie  !   vous   avez   trop  d'esprit  en  vérité  pour 


86  PETITS  SEUMONS 

vouloir  nous  faire  croire  que  vous  n'êtes  qu'une 
bête  ! 

Les  villageois  partirent  d'un  immense  éclat  de  rire 
y,  la  cause  fut  eu  tendue. 

Quelle  pitié,  mes  frères,  et  que  de  pareils  raison- 
jnents  font  mal  !  Encore  une  fois,  revenons  au  ca- 
téchisme 1  au  catéchisme  qui  renferme  la  clef  de  no3 
plus  redoutables  mystères  !  Craignons  moins  le  ridi- 
cule qui  s'attache  à  de  si  tristes  rêveries,  moins  la 
flétrissure  dont  souille  l'image  de  Dieu  l'insensé  qui 
descend  au  niveau  de  la  brute,  que  le  sanglant  ou- 
trage que  de  tels  blasphèmes  font  au  Créateur  ! 

Oh  !  ils  ne  sortiront  jamais  de  notre  bouche,  Sei- 
gneur !  jamais  notre  langue  n'articulera  un  son  qui 
vienne  troubler  l'harmonie  du  concert  de  louanges 
que  la  création  reconnaissante  fait  monter  tous  les 
jours  jusqu'au  pied  de  votre  trône!  Oui,  nous 
sommes  vos  enfants,  l'œuvre  de  vos  admirables  mains: 
Soyez  béni  pour  F  existence  que  vous  nous  avez 
donnée  ;  béni  pour  la  providence  paternelle  qui  nous 
la  conserve,  béni  pour  les  bienfaits  dont  vous  nous 
comblez  tous  les  jours;  rendez-nous-y  de  plus  en 
plus  sensibles,  et  daignez  y  ajouter  le  plus  grand  de 
tous  :  c'est  de  nous  en  faire  si  tendrement  chérir 
l'auteur,  que  nous  méritions,  par  la  sainteté  de  notre 
vie,  de  le  posséder  ù  jamais  dans  les  splendeurs  de 
l'éternelle  Sionl  Ainsi  soit- il I 


ou  l'on  NE  DOÎIT  PAS,  87 


DIXIÈME  SERMON. 

EXISTENCE  DE  DIEU-    —   LÏIOMME.  —  SA  NÀTUUE, 

Minui&ti  cum  paulo minus  ab  angelis*  fPs,  wu.€.) 
Vous  l'avez  fait  presque  l'égal  des  anges. 

Iles  frères,  de  tous  les  ouvrages  du  Créateur,  ce- 
lui qui  proclame  le  plus  hautement  sou  existence, 
celui  qui  suffirait  à  lui  seul  pour  ruiner  tous  les  sys- 
tèmes des  philosophes,  c'est  sans  contredit  le  corps 
humain, 

A  celui  qui  s'engage  dans  les  replis  et  les  contours 
induis  de  ce  vaste  labyrinthe  pour  en  étudier  les  mys- 
térieux trésors,  à  celui  qui,  le  scalpel  à  la  main,  suit 
cet  admirable  système  d'artères,  de  veines,  d'articu- 
lations, de  muscles  qui  relient  et  couvrent  la  char- 
pente osseuse;  à  celui  qui  examine  l'ingénieux 
mécanisme  de  la  nutrition  et  les  mille  organes  du  mou- 
vement et  de  la  vie  ;  à  celui-là  le  cachet  du  Créateur 
apparaît  dans  tout  son  jour:  il  adore  sa  sagesse  infî. 
nie  dans  le  plus  léger  tissu,  la  fibre  la  plus  délicate; 
une  goutte  de  sang  qui  sort  du  cœur  et  qui,  poussée 
de  proche  en  proche,  jusqu'aux  extrémités  du  corps, 
revient,  par  une  autre  voie,  se  retremper  aux  sources 
de  la  vie,  lui  en  dit  plus  que  l'univers  ensemble, 

Or,  mes  frères,  pour  me  servir  d'une  comparaison 
profane,  que  penseriez-vous  d'un  homme  qui,  à  l'as- 
pect de  l'Apollon  du  Belvédère  ou  de  tout  autre  chef- 
d'œuvre  de  l'art,  oserait  nommer  le  hasard,  ou  vous 
<*'ra  ;  ment;  voilà  un  singulier  jeu  de  la  na- 

0. 


88  PETITS  SERMONS 

tare  !  —  Vous  dlncz  :  voilà  un  singulier  bipède,  nn 
parfait  imbécile  ! 

Eh  bien  !  celui  qui  attribuerait  notre  existence  au 
hasard  le  serait  cent  fois  davantage  :  il  y  a  incompa- 
rablement plus  d'intelligence  dans  la  formation,  je 
ne  dis  pas  de  notre  corps,  mais  d'un  seul  cheveu  de 
notre  tête  que  dans  l'Apollon  et  les  autres  sculptures 
du  Belvédère  :  nous  avons  cent  artistes  en  Europe 
capables  de  nous  transformer  plus  ou  moins  heureu- 
sement un  bloc  de  marbre  en  Apollon  :  mais  qui 
nous  ferait  un  cheveu  1 

Ah  !  nous  avons  donc  autant  de  preuves  de  l'exis- 
tence du  Créateur  qu'il  y  a  de  cheveux  sur  notre 
tête  !  —  «  Donnez-moi  un  chien  mort,  disait  un  ancien 
«  anatomistë  et  je  le  ferai  hurler  contre  Épicure!  » 
Qu'eût-il  dit,  mes  frères,  si  le  microscope  lui  eue  fait 
découvrir  dans  une  seule  fibre  autant  de  sagesse  que 
dans  la  structure  de  notre  corps  ! 

Il  n'entre  pas  dans  mon  dessein  de  décrire  cette 
vivante  merveille,  un  volume  in-folio  n'y  suffirait  pas: 
d'ailleurs  que  dire  après  Bossuet  et  Fénelon,  que 
dire  surtout  après  Galien,  ce  second  patriarche  de  la 
médecine,  qui,  ayant  terminé  l'anatomie  et  la  des- 
cription du  corps  humain,  s'écria  dans  un  transport 
d'admiration  :  —  O  toi  qui  nous  as  faits,  quel  bel 
hymne  je  viens  de  chanter  à  ta  gloire1.  Sans  doute, 
nous  trouverions  comme  lui  le  sceau  de  la  divinité 
dan  >  chaque  organe,  chaque  vaisseau,  chaque  batte- 
ment de  notre  cœur  ;  sans  doute  nous  verrions   le 

1  Gai.  fisiisu  pari,  m,  x, 


ou  i/ov  ne  dort  pas.  td 

nom  de  Dieu  écrit  en  caractères  éclatants  dans  la 
structure  de  cet  œil  où  s'opèrent  tant  de  prodiges,  dans 
l'ingénieux  mécanisme  de  l'oreille,  de  la  voix,  de  la 
parole,  dans  le  jeu  d'une  machine  si  parfaite  ;  mais 
définissant  l'homme  avec  un  profond  philosophe  : 
une  intelligence  servie  par  des  organes,  persuadés  sur- 
tout qu'il  y  a  en  lui  pour  chanter  son  auteur  une 
voix  plus  énergique  encore  que  celle  de  la  chair  et 
du  sang,  c'est  cette  voix  intime  que  nous  interroge" 
rons  ;  c'est  à  cette  noble  intelligence  que  nous  allons 
demander  une  preuve  nouvelle  de  l'existence  de 
Dieu. 

Vous  le  savez,  mes  frères,  c'est  un  principe  uni- 
versellement admis,  une  vérité  de  sentiment  et  d'ex- 
périence que  l'homme  se  compose  de  deux  éléments 
parfaitement  distincts  :  le  corps,  qui  le  met  en  rap- 
port avec  le  monde  matériel,  et  l'esprit  par  lequel  il 
communique  avec  le  monde  moral  et  intellectuel  :  il 
n'y  a  que  des  insensés  ou  des  scélérats  qui  aient  osé 
nier  ou  mettre  en  doute  une  vérité  qui  fait  à  l'homme 
une  si  noble  part  dans  la  création,  et  dont  nous  por- 
tons tous  la  preuve  au  fond  de  nos  cœurs. 

Il  est  évident,  en  effet,  pour  quiconque  jouit  de 
toutes  ses  facultés  mentales,  et  ne  vit  pas  en  mal- 
honnête homme,  qu'un  principe  intelligent  et  spiri- 
tuel nous  anime,  que  ce  qui  sent  en  nous,  ce  qui 
pense,  raisonne,  veut  et  se  détermine  d'après  un 
choix  libre  et  spontané  ne  saurait  être  notre  corps: 
,1a  matière  est  divisible  et  modifiable  à  l'infini,  tan- 
dis que  l'être  pensant  est  essentiellement  simple  et 
indivisible.    Qui  oserait,  aujourd'hui,     attribuer   la 


90  PETITS  SERMONS 

pensée  à  la  matière,  et  donner  les  modifications  de 
la  matière  à  la  pensée  ?  Depuis  une  centaine  d'an- 
Inées  il  s'est  dit  autour  de  nous  bien  des  énormités 

! 

en  religion  comme  en  philosophie  ;  mais  je  ne  crois 
pas  qu'il  y  ait  eu  de  matérialiste  assez  hardi  pour 
dire  :  une  moitié,  un  quart  de  négation  ou  d'affir- 
mation; un  pied,  un  mètre  de  volonté;  la  forme 
ronde  ou  cariée  d'un  désir  ;  la  couleur  bleue  ou  blan- 
che d'une  idée, 

On  sait,  de  plus,  que  la  matière  est  naturellement 
inerte  et  passive,  tandis  que  noire  esprit  est  essen- 
tiellement doué  d'activité.  Aussi,  quand,  pour  faire 
le  moindre  mouvement,  notre  corps  a  besoin  que  la 
volonté  mette  en  oranle  tout  un  système  de  leviers, 
de  muscles  et  de  tendons,  notre  esprit,  par  sa  pro- 
pre énergie,  et  avec  une  célérité  devenue  prover- 
biale, non-seulement  embrasse  des  espaces  immen- 
ses par  l'imagination  et  s'élance  dans  l'infini,  mais 
revient  sur  le  passé  par  la  mémoire,  se  transporte 
par  la  prévoyance  dans  un  avenir  lointain,  rentre  en 
lui-même  par  le  sentiment  et  la  réflexion,  se  voit 
penser,  pour  ainsi  dire,  et  médite  sa  pensée,  comme 
il  raisonne  l'impression  qu'il  reçoit  des  objets  exté- 
rieurs, par  l'intermédiaire  des  sens. 

Un  philosophe  célèbre,  Gassendi,  croyait  que  rien 
ne  montre  mieux  la  spiritualité  de  l'âme  et  la  sagesse 
de  son  Créateur,  que  cette  admirable  faculté  qu'elle 
a  de  se  replier  sur  elle-même,  pour  connaître  ses 
idées,  examiner  les  impressions  reçues  et  juger  ses 
propres  opérations. 

*  Il  n'y  a,  disait -il,  qu'un  esprit  qui  go.it  capable 


ou  l'on  ne  dort  pas.  91 

«  de  si  grandes  choses  :  en  effet  l'œil  ne  voit  pas  qu'il 
«  voit,  l'oreille  n'entend  pas  qu'elle  entend,  mais 
«  l'âme  humaine  juge  ses  jugements  mêmes.  » 

Or,  mes  frères,  qui  oserait  attribuer  à  la  matière 
cette  sublime  puissance,  et  méconnaître  dans  les  opé- 
rations de  notre  âme,  cette  souveraine  sagesse  déjà  si 
visible  dans  le  jeu  de  nos  organes  corporels  ! 

La  spiritualité  de  notre  âme  nous  est  encore  dé- 
montrée par  la  sensation. 

«  Qu'est-ce  qui  sent  du  plaisir  en  nous?  demande 
Pascal  ;  est-ce  la  main  ?  est-ce  le  bras  ?  est-ce  la  chair? 
«  est-ce  le  sang?  on  verra  qu'il  faut  que  ce  soit  quel- 
«  que  close  d'immatériel.  » 

Personne,  en  effet,  n'ignore  que,  pour  sentir  réelle- 
ment une  impression  quelconque,  il  faut  en  avoir  la 
conscience  et  s'apercevoir  qu'on  la  sent.  Un  corps 
étranger  me  touche  légèrement  ;  je  m'en  aperçois 
sans  peine  ;  le  même  corps  me  heurtera  durant  mon 
sommeil  ou  dans  un  moment  de  distraction,  je  ne  le 
sentirai  pas  ;  c'est  que,  dans  l'impression  qu'ils  re- 
çoivent, les  organes  de  l'homme  sont  purement  pas- 
sifs ;  il  faut,  pour  qu'il  y  ait  sensation  réelle,  que 
l'âme  agisse,  se  replie  sur  elle-même  et  partage  en 
quelque  sorte  l'impression  que  le  corps  a  reçue. 

«  Sans  être  maître  de  sentir  ou  de  ne  pas  sentir,  dit 
«  J.-J.  Rousseau,  je  le  suis  d'examiner  plus  ou  moins» 
«  ce  que  je  sens;  je  ne  suis  donc  pas  un  être  pure- 
«  ment  sensitif  et  passif,  mais  un  être  actif  et  intel- 
«  ligent,  et,  quoiqu'on  dise  la  philosophie,  j'oserai 
«  prétendre  à  l'honneur  de  penser  K  » 

*  Emile. 


8~  PirtTfS  SBAH0N3 

Ainsi,  mes  frères,  la  nature  même  de  la  sensation 
prouve  la  spiritualité  de  l'âme,  sans  laquelle  il  serait 
impossible  de  sentir. 

Et  non-seulement  cette  substance  simple  et  imma- 
térielle est  seule  agissante  en  nous  dans  la  sensation, 
mais  elle  peut  en  percevoir  plusieurs  à  la  fois  par 
tous  nos  sens  et  nos  organes,  les  étudier,  les  com- 
parer entr  elles;  par  exemple,  elle  considère  en 
même  temps  un  riant  paysage,  aspire  le  souffle  em- 
baumé du  zéphyr,  entend  une  douce  mélodie,  cueille, 
goûte  des  fruits  savoureux  dont  le  parfum  la  séduit  : 
je  discerne  ces  sensations  diverses,  je  les  compare 
je  juge  quelle  est  celle  qui  me  frappe  le  plus  agréa- 
blement... et  ce  juge,  ce  moi  serait  mon  corps!  ce 
moi,  cet  être  ineffable  et  mystérieux  serait  la  matière 
un  peu  d'argile  organisée  I 

Oh  !  non,  non,  ce  moi,  c'est  mon  âme  !  mon  âme 
unique,  simple,  spirituelle  comme  le  Dieu  dont  elle 
est  l'image  ! 

C'est  par  son  âme  que  l'homme  est  vraiment 
l'homme  et  à  la  hauteur  de  sa  destinée  !  Sa  grandeur 
n'est  pas  dans  cette  partie  de  lui  même  qui  passe 
et  qui  meurt  :  sous  ce  point  de  vue,  il  ne  ressemble 
que  trop  à  la  brute,  vivant  et  périssant  comme  elle  ; 
sa  grandeur  véritable  est  dans  sa  pensée  :  par  son 
intelligence,  il  communique  avec  l'intelligence  su- 
prême qui  l'a  formé,  comme  il  communique,  par 
son  corps,  avec  les  êtres  corporels. 

—  Qu'on  me  montre,  dit  encore  Jean-Jacques 
*  Rousseau,  un  autre  animal  sur  la  terre  qui  sache 
•<  faire  usage  du  feu,  qui  sache  admirer  le  soleil! 


ou  l'on  ne  dort  pas.  93 

«  Quoi  !  Je  puis  connaître,  observer  les  êtres  et 
«  leurs  rapports,  je  puis  sentir  ce  que  c'est  qu'ordre, 
«  vertu,  je  puis  contempler  l'Univers,  m'élever  à  là 
«  main  qui  le  gouverne;  je  puis  aimer  le  bien,  le 
«  faire,  et  je  me  comparerais  aux  bêtes  !  Ame  ab- 
«  jecte  !  C'est  la  triste  philosophie  qui  te  rend  sem- 
«  blable  à  elle,  ou  plutôt  tu  veux  en  vain  t'avilir1.  » 

Un  bateau  à  vapeur  côtoyait  gaîment  les  bords 
enchantés  de  la  Loire.  De  nombreux  passagers  se 
pressaient  sur  le  pont,  admirant  les  riants  paysages 
qu'animaient  les  rayons  d'un  beau  soleil  de  mai. 

L'attention  générale  n'était  distraite  que  par  l'in- 
tarissable verve  d'un  commis-voyageur.  Peu  content 
d'avoir  posé  plusieurs  heures  durant  en  petit  maître, 
il  voulut  enfin  poser  en  imp'e  :  il  se  mit  en  consé- 
quence à  débiter  des  tirades  de  Voltaire  et  de  d'Alem- 
bert  contre  la  religion,  nia  Dieu,  l'âme  humaine  et 
se  fit  fort  de  prouver  qu'entre  l'homme  et  son  chien 
la  seule  différence  est  dans  l'habit, 

Grande  rumeur  parmi  les  passagers  ;  les  uns  ap- 
plaudissaient, d'autres  écoutaient  avec  assez  d'indif- 
férence, mais  la  plupart  souffraient  de  ces  impru- 
dents propos,  sans  oser  toutefois  prendre  la  parole 
et  se  mesurer  avec  ce  formidable  spadassin. 

Lui,  toujours  maître  de  la  place,  mais  sentant  qu'il 
y  avait  dans  son  auditoire  des  incrédules  que  sa  lo- 
gique n'avait  pas  convaincus  : 

—  Ma  foi,  Messieurs,  rcprit-il  en  s'adressant  à  ces 
derniers,  vous  avez  beau   secouer  la  tête  et  sourire 

Emile. 


O'J  PETITS  SERMONS 

de  pitié,  je  maintiens  mon  dire,  nous  n'avons  pas 
dame.  Et  d'abord  quel  est  celui  d'entre  vous  qui 
en  a  vu  la  couleur  ? 

—  Ni  vous  ni  moi,  répliqua  une  jeune  dame  im- 
patientée ;  mais  est-ce  une  raison  pour  soutenir  que 
nous  ne  sommes  qu'une  masse  de  chair?  Vous  ser?z 
ce  que  vous  voudrez,  Monsieur  ;  mais  on  ne  me 
persuadera  jamais,  eût-on  votre  éloquence  et  vos 
poumons,  qu'une  pure  masse  de  chair  puisse  pen- 
ser, juger,  raisonner,  souffrir,  éprouver  des  sen* 
sations  agréables,  aimer,  haïr,  espérer,  craindre, 
prévoir,  désirer... 

Le  jeune  fat  restait  anéanti  sons  cette  avalanche 
de  verbes  ;  l'équipage  trépignait  et  s'apprêtait  à  ap- 
plaudir, quand  le  patron,  qu'avait  assommé  tant  de 
babil,  que  contrariait  surtout  un  vent  subit  qui  pa- 
ralysai l'effet  de  la  vapeur,  s'approcha  du  philoso- 
phe un  bâton  à  la  main,  et,  lui  en  déchargeant  un 
grand  coup  sur  l'épaule: 

—  Ah  çà  !  l'ami  lui  dit-il  avec  humeur,  puisque 
tu  n'as  pas  d'âme,  toi,  attendu  que  tu  ne  l'as  jamais 
vue,  diras-tu  qu'il  n'y  a  pas  de  vent...  car  tu  ne  le 
vois  pas  davantage  ! 

—  Quoiqu'il  sou  file  en  conscience  !  ajouta  un  jeu  rie 
mousse  en  manière  de  parenthèse,  puis  désignant 
du  doigt  le  voyageur  et  grossissant  sa  voix  :  —  Eh. 
bien,  s'écria-t-il,  vive  le  commerce,  mes  amis  !  puis- 
que monsieur  tient  si  fort  à  passer  pour  une  bête,  et 
nous  a  si  supérieurement  prouvé  qu'il  l'est  en  effet, 
laissons-lui  cet  honneur,  que  personne  ici  ne  lui 
envie  ! 


OU  L*OX  NE  DORT  PAS.  05 

Un  immense  éclat  de  rire  accueillit  cette  saillie 
originale,  et  le  malencontreux  orateur,  qui  l'avait 
provoquée,  perdant  contenance,  alla  cacher  sa  honte 
dans  l'intérieur  du  bateau. 

Oh  !  oui,  mes  frères,  honte  à  l'insensé,  honte  au 
misérable  qui  nie  son  plus  beau  titre  de  noblesse  et 
sa  céleste  origine,  en  niant  son  âme  !  Il  descend  réel- 
lement au  niveau  des  brutes  1  S'il  était  des  argu- 
ments, des  remèdes  pour  guérir  une  si  triste  folie, 
nous  employerions  le  langage  d'un  puissant  génie  qui 
fait  ainsi  parler  1  ame  humaine  à  l'insensé  qui  vou- 
drait la  méconnaître  : 

«  Cesse  de  t'avilir,  de  te  flétrir  en  croyant  te  trou*- 

*  ver  tout  entier  dans  cet  assemblage  muet  de  par- 
m  ties,  de  corpuscules,  d'atomes,  de  boue  et  de 
«  fange...  C'est  dans  moi  que  résident  ta  grandeur  et 
m  ton  intelligence.  Si  j'ai  pu  être  unie  à  la  vile  ma- 

*  tière,  c'est  pour  lui  donner  la  vie  et  non  pour  la 
«  recevoir  :  ton  corps  est  devenu  ma  chaîne,  mais  il 
«  me  fut  donné  de  la  mouvoir  et  de  la  diriger.  Ne 
«  me  demande  point  à  tes  yeux,  ils  ne  me  verront 
«  pas  :  ne  me  demande  point  à  ta  droite,  elle  n'est 

«  pas  faite  pour  me  saisir  :  mon  essence  est  comme  ' 
«*  ma  voix  ;  tu  l'entends  et  elle  n'a  point  frappé  ton 
-  oreille,  je  suis  comme  le  Dieu  que  tu  adores  ;  tu 
«  épiouves  sa  puissance  et  tu  ne  la  vois  pas  ;  je  suis 
«  toi,  mais  l'instant  où  tu  ne  seras  plus  que  moi%  sera 
«  celui  de  toute  ta  grandeur  !  » 

Et  maintenant,  mes  frères,  je  le  demande  à  tout 
homme  qui  raisonne  et  n'a  pas  juré  de  nier  l'évi- 
dence, ne  portons-nous  pas    en  nous-mêmes,  indé- 


96  PETITS  SERMONS 

pendamment  du  corps,  une  preuve  saisissante  et  pal- 
pable de  l'existence  de  Dieu  î  Notre  âme,  ce  principe 
céleste  qui  nous  fait  rois  de  la  création,  n'est- elle  pas 
dans  les  merveilles  de  ce  bel  univers,  un  univers  cent 
fois  plus  merveilleux  encore? 

Oh  !  ne  renions  donc  pas  notre  noble  origine, 
chrétiens,  et  reconnaissons  enfin  que  nous  descen- 
dons des  cieux  !  V homme  est  un  roseau  pensant,  a  dit 
Pascal  dans  son  énergique  langage  ;  or,  savez-vous 
ce  que  cela  signifie  î  c'est  que  nous  sommes  des 
enfants  sublimes;  par  le  corps,  nous  touchons  à  la 
terre,  mais  en  la  foulant  aux  pieds  ;  par  notre  âme, 
cette  exilée  qui  se  souvient  de  la  patrie,  nous  pos- 
sédons des  ailes  de  colombe  pour  remonter  à  notre 
source,  converser  avec  les  esprits  célestes  et  vivre, 
comme  Dieu,  d'intelligence  et  de  vérité  ! 

Oh!  vous  nous  avez  fait  un  magnifique  don,  Sei- 
gneur, soyez-en  mille  fois  béni,  et  puissions-nous  ne 
jamais  l'oublier  !  Puissions-nous  bien  sentir  que  notre 
âme  est  un  trésor  sans  prix,  un  bon  ange  qui  nous 
élève  jusqu'à  vous  !  Faites  que  nous  ne  la  salissions 
pas  aux  fanges  de  la  terre,  mais  que  nous  la»  conser- 
vions blanche  et  pure  comme  vous  nous  l'avez  don- 
née, afin  qu'à  l'heure  de  la  mort,  un  ineffable  sou- 
rire d'amour  l'accueille,  quand  elle  remontera  vers 
vous  dans  notre  dernier  soupir!  Ainsi  soit-il  l 


ou  l'on  ne  port  pas.  97 


ONZIÈME  SERMON 

EXISTENCE  DE  DIEU.  —  SENS  INTIME  ET  CRI 
DE  LA  NATURE- 

Dixit  insipiens  in  corde  stw  :  non  c  .' 
ficus  (9s.  xm,  4  ) 

L'insensé  p  «lit  dans  son  cœur  :  Dkn 
n'exisie  pas. 

Mes  frères,  ce  que  nous  voyons,  ce  que  nous  som- 
mes, tout,  en  nous  et  hors  de  nous,  révèle  l'existence 
d'un  Dieu  créateur.  Four  ne  pas  convenir  d'une  vé- 
rité si  constante  et  si  palpable,  il  faudrait  ou  avoir 
complètement  perdu  la  raison,  ou  être  intéressé  à 
la  nier  ;  il  n'y  a  que  l'insensé  qui  puisse  dire  sans 
conséquence  :  Dieu  n'existe  pas.  car  il  n'est  respon- 
sable de  ses  paroles  ni  devant  Dieu  ni  devant  les 
hommes  ;  il  n'y  a  que  le  pervers,  le  méchant  qui  ose 
proférer  un  tel  blasphème,  encore  ce  blasphème  est- 
il  plutôt  dans  la  volonté  que  dans  la  pensée  :  il  sait 
trop  bien,  le  misérable,  que  Dieu  existe,  et  que  toutes 
ses  négations  ne  sauraient  le  détruire  ;  mais  il  vit 
trop  mal  pour  ne  point  désirer  qu'il  n'existe  pas,  ce 
Dieu  vengeur,  qui  doit  un  jour  le  punir.  Aussi  est-ce 
dans  son  cœur  qu'il  prononce  cette  parole  crimi- 
nelle t  il  n'y  a  point  de  Dieu  1  Dixit  insipiens  in  corde 
suo  :  non  est  Dcus  ! 

Oui,  mes  frères,  nous  portons  au  dedans  de  nous 
une  preuve  nouvelle  de  l'existence  de  Dieu  dans  le 
gens  intime  et  le  cri  delà  nature. 

Lorsque,  sérieusement  et  sans  préjugés,  l'humai* 


98  PETITS  SÈïUfÔNS 

rentre  en  îuî-nlême,  à  quelque  religion  qu'il  appar- 
tienne, et  sous  quelque  climat  que  le  ciel  l'ait  fait 
naître,  il  trouve  le  nom  de  Dieu  gravé  dans  son 
cœur,  et,  tout  naturellement  il  monte  du  cœur  à  ses 
lèvres,  presque  à  son  insu.  Que  ce  soit  le  sentiment 
ou  la  raison,  ou  le  spectacle  de  la  nature,  ou  toutes 
ces  choses  ensemble  fortifiées  par  l'éducation,  nous 
ne  le  discutons  pas  encore,  mais  le  fait  existe,  il  est 
réel,  éclatant  comme  le  soleil. 

«  Je  sens  qu'il  y  a  un  Dieu,  dit  un  profond  mora- 
*  liste,  et  je  ne  sens  pas  qu'il  n'y  en  ait  point,  cela 
«  me  suffit  ;  tous  les  raisonnements  du  monde  me 
«  sont  inutiles,  je  conclus  que  Dieu  existe.  Cette  con- 
«  clusion  est  dans  ma  nature  ;  j'en  ai  reçu  les  prin- 
u  cipes  trop  aisément  dans  mon  enfance,  et  je  les  ai 
«  conservés  depuis  trop  aisément  dans  un  âge  plus 
«  avancé  pour  les  soupçonner  de  fausseté...  Mais  il 
.<  y  a  des  esprits  qui  se  défont  de  ces  principes  : 
«  c'est  une  grande  question  s'il  s'en  trouve  de  tels  ; 
«  et  quand  cela  serait  ainsi,  cela  prouve  seulement 
u  qu'il  y  a  des  monstres  *.  n 

Ainsi,  chrétiens,  nous  trouvons  au  fond  de  notre 
être,  dans  l'idée  de  Dieu,  la  première  preuve  de  son 
existence  :  c'est  la  plus  vivante  et  la  plus  tenace,  elle 
résiste  à  tous  les  raisonnements,  elle  domine  le  tu- 
multe des  passions  qui  peuvent  bien  un  moment  étouf- 
fer sa  voix,  mais  l'anéantir,  jamais.  C'est  aussi  la  plus 
gênante  pour  le  philosophe  qui  veut  tout  expliquer 
sans  Dieu. 

*Labruyere.  —  Les  esprits  forts, 


ou  l'on  ne  dort  pas.  ÔD 

Car  enfin,  mes  frères,  si  Dieu  n'existait  pas,  com- 
ment en  aurions-nous  l'idée  ?  d'où  serait-elle  venueî 
du  monde  1  Mais  le  monde  étant  contingent,  borné, 
imparfait,  il  ne  saurait  communiquer  l'idée  de  l'Être 
nécessaire,  infini,  souverainement  parfait. 

—  De  nous-mêmes  ?  Eh  bien,  à  la  bonne  heure  ! 
alors,  pauvres  vermisseaux,  êtres  d'un  jour,  nous 
avons  donc  créé  l'Éternel,  celui  qui  est,  et  par  qui 
tout  le  reste  existe  ;  car  avoir  l'idée  d'une  chose  qui 
n'existerait  pas,  la  concevoir,  ce  serait  lui  donner 
l'être,  au  moins  dans  son  esprit.  —  Or,  le  néant 
créer  l'Etre  ;  le  fini,  l'Infini  ;  l'éphémère,  l'Éternel  : 
peut-on  rien  dire  de  plus  absurde  t 

Ce  n'est  point  assez,  mes  frères,  Dieu  est  impos- 
sible, même  en  idée,  s'il  n'existait  pas  :  on  ne  saurait 
concevoir  le  néant.  Aussi,  quand  le  poète  a  dit  : 

«  Si  Dieu  n'existait  pas,  il  faudrait  l'inventer  » 
a-t-il  énoncé  tout  simplement  une  énormité.  Sa  pro- 
position, d'une  portée  immense  en  morale  et  prise 
spéculativement,  serait  chimérique  dans  l'applica- 
tion. L'homme,  eût-il  cent  fois  plus  de  génie,  se 
creuserait  en  vain  la  tête  un  million  de  siècles  :  il 
ne  pourrait  inventer  Dieu.  C'est  donc  Dieu  lui-même 
qui  s'est  imprimé  dans  nos  âmes,  avec  le  premier 
rayon  de  cette  ineffable  lumière  qui  éclaire  tout 
homme  venant  au  monde. 

Allons  plus  loin,  mes  frères,  et  considérons  l'idée 
de  Dieu  dans  ses  conséquences,  relativement  à  nos 
sentiments  et  à  notre  conduite. 

Sans  l'idée  de  Dieu,-  si  réellement  Dieu  n'existe 
pas,  qu'on  explique  la  notion  du  bien  et  du  mal,  ces 


100  PETITS  SîîBMONS 

premiers  principes  de  la  loi  naturelle  que  chacun  de 
nous  apporte  en  naissant.  D'où  vient  que  ni  les  pré 
jugés,  ni  les  sophismes,  ni  les  passions,  ni  les  su- 
perstitions les  plus  grossières  n'ont  pu  éteindre  dans 
l'ême  humaine  cette  étincelle  sacrée,  ce  salutaire 
flambeau  de  la  conscience  qui  nous  montre  tout  un 
abîme  entre  le  vice  et  la  vertu  1 

Ah  !  c'est  parce  que  Dieu  lui-même  l'a  allumé  en 
nous,  Dieu  qui  parle  dans  le  remords  comme  dans 
cette  paix,  cette  joie  ineffable  qui  est  ici-bas  l'apa- 
nage d'une  bonne  conscience  ! 

Si  Dieu  n'existait  pas,  encore  une  fois,  nous  n'en 
aurions  pas  l'idée;  et  alors  où  serait  la  différence 
entre  le  bien  et  le  mal  1  où  serait  la  raison  de  ce 
bien  être  intérieur  qui  suit  toujours  une  bonne  ac- 
tion et  l'accomplissement  d'un  devoir  !  Posséder  et 
jouir  à  n'importe  quel  prix  et  n'importe  comment 
serait  alors  la  devise  du  sage.  Mais  il  n'en  est  point 
ainsi,  mes  frères  ;  nous  sentons  qu'un  œif  est  cons- 
tamment ouvert  sur  nos  actions  comme  sur  nos  sen- 
timents, et  qu'à  mesure  que  nous  marchons  à  droite 
ou  à  gauche,  un  juge  compte  nos  pas,  entend  nos 
paroles,  voit  nos  désirs  et  scrute  nos  pensées  pour 
les  rémunérer  ou  les  punir.  —  Ce  sentiment,  d'où 
nous  vient-il,  je  le  répète,  qui  nous  l'a  inspiré?  les 
hommes  ?  Mais  quand  même  un  être  borné  pourrait 
avoir  conçu  et  inspiré  l'idée  de  l'Infini,  cette  idée 
serait  elle  si  constante ,  si  universelle  ,  aurait-elle 
tenu  contre  le  tumulte  et  le  vent  des  passions  1  Mais 
alors  qu'on  explique  le  trouble  de  cet  assassin  qui 
vient  de  consommer  son  crime  au  milieu   des  té- 


ou  l'on  ne  dort  a>as.  101 

nèbres.  Que  craint -il  ?  le  bagne,  réchafaud  ?  Mais  nul 
ne  Ta  vu  ;  il  a  fui,  l'Océan  le  sépare  de  sa  victime  et 
la  loi  des  hommes  ne  saurait  l'atteindre.  Pourquoi 
donc  ces  nuits  sans  sommeil,  ces  soudaines  frayeurs, 
ces  tressaillements  convulsifs  1  Pourquoi,  dans  des 
songes  horribles,  voit-il  avec  épouvante  se  dresser 
un  pâle  fantôme?  Pourquoi  cette  sueur  tour  à  tour 
brûlante  et  glacée,  ces  gémissements  étouffés,  ce 
cri  d'effroi  quand,  de  ses  bras  de  squelette,  le  fan- 
tôme, entr'ouvrant  son  voile,  lui  montre  une  blessure 
encore  saignante  et  le  marque  au  front  du  signe  de 
Caïn? 

Ah!  c'est  le  jugement  de  Dieu  qui  commence  pour 
ce  misérable,  c'est  la  justice  éternelle  qui  a  saisi  sa 
victime  dès  cette  vie  ;  il  le  sent,  il  frémit,  il  se  roidit 
contre  le  remords,  il  voudrait  l'anéantir,  mais  en 
vain  ;  ce  que  sa  bouche  nie  et  blasphème,  sa  cons- 
cience le  proclame,  et,  malgré  lui,  comme  le  démon, 
il  croit  et  frissonne  de  terreur  ! 

Non,  non,  mes  frères,  si  l'idée  d'un  Dieu  vengeur 
nous  était  venue  des  hommes,  elle  n'aurait  pas  ré- 
sisté au  choc  des  passions,  ni  soutenu  l'examen 
rigoureux  auquel  l'a  cent  fois  soumise  la  nature  cor< 
rompue:  l'homme  ne  serait  pas  resté  longtemps  es- 
clave d'une  chimère, —  et  quelle  chimère!  —  De- 
venu religieux  par  force  ou  par  hypocrisie,  il  eût 
saisi  la  première  occasion  de  reconquérir  sa  liberté. 
Mais  non,  l'idée  de  Dieu  est  là,  toujours  là  dans  son 
âme  en  dépit  des  préjugés,  des  passions,  en  dépit 
de  lui-même  :  il  efïacerait  plutôt  le  nom  de  Dieu  des 
astres  du  firmament  qu'il  ne  l'effacerait  de  son  âme  ; 


102  PETITS  SERMONS 

il  aurait  fermé  la  bouche  à  ces  millions  de  créatures 
qui  chantent  le  Créateur,  avant  d'étouffer  en  lui  le 
cri  de  la  nature  qui  domine  cet  admirable  concert. 

Et  ce  sentiment  delà  divinité,  mes  frères,  ce  besoin 
de  lever  de  temps  en  temps  les  yeux  au  ciel  nous  est 
si  naturel,  qu'il  fait  en  quelque  sorte  partie  de  notre 
organisation  physique,  et  semble  inséparable  de 
l'instinct  de  la  conservation. 

Malgré  nous,  au  moindre  péril,  à  la  moindre 
affliction,  que  Ton  soit  savant  ou  ignorant,  incrédule 
ou  fidèle,  un  soupir  du  cœur,  un  cri  soudain  nous 
échappe  :  0  mon  Dieu  !  et  nos  regards  se  tournent 
vers  le  ciel  comme  pour  y  chercher  un  abri  contre 
l'orage,  un  baume  à  notre  douleur.  Il  s'élève  alors 
du  fond  de  notre  âme  je  ne  sais  quelles  vagues  as- 
pirations, une  soif  ardente  de  consolation  et  de 
bien-être  que  l'Infini  peut  seul  assouvir. 

Les  plus  impies,  ceux  qui  ont  le  plus  longtemps 
fait  les  braves,  sont  souvent  les  plus  religieux  dans 
ces  moments  solennels,  comme  l'a  si  bien  dit  le 
sceptique  Montaigne  :  «  S'ils  sont  assez  fous,  ils  ne 
«  sont  pas  assez  forts;  ils  ne  laisseront  pas  de  joindre 
«  les  mains  vers  le  ciel,  si  vous  leur  attachez  un  bon 
«  coup  d'épée  dans  la  poitrine  ou  quand  la  maladie 
«  aura  appesanti  cette  licencieuse  ferveur  d'humeur 
«  volage  a.  »» 

—  Grand  Dieu  !  s'écria  Vanini  le  matérialiste  à 
l'aspect  du  bûcher  qui  allait  le  consumer  à  Toulouse 
en  punition  de  son  athéisme  et  de  ses  mœurs  in- 

*  Mont.  Essais- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  103 

fâmes.  Et  Voîney,  l'auteur  des  Ruines,  ce  réquisi- 
toire acharné  contre  la  vraie  religion,  se  voyant  en 
danger  de  périr  sur  les  côtes  d'Amérique,  saisit  un 
chapelet  et  se  mit  à  io  réciter  dévotement  pendant 
l'orage. 

On  connaît  les  frayeurs  de  la  plupart  de  nos  phi- 
losophes et  surtout  de  Voltaire  à  l'heure  de  la  mort. 
L'auteur  du  Comte  de  Valmont  parle  ainsi  de  quelques 
philosophes  qu'il  a  vu  mourir:  «  Ils  ont  fait  apporter 
«  des  reliques  de  toute  espèce  sur  leur  lit  ;  ils  ont 
«  commandé  qu'on  fit  toucher  leur  linge  à  la  châsse 
«  de  sainte  Geneviève  :  ils  se  sont  plu  à  être  envi- 
«  ronncs  de  ces  moines  qu'ils  avaient  autrefois  bon- 
«  nis  et  méprisés  ;  ils  ont  voulu  mourir  entre  les  bras 
«  d'un  capucin,  et  c'est  ainsi  qu'est  mort  un  de  mes 
«  amis  qui  s'était  fait  un  nom  parmi  les  gens  de  let- 
«  très  par  ses  talents,  et,  comme  c'est  aujourd'hui 
«  l'usage,  par  son  incrédulité...  C'est  ainsi  qu'au 
•  moindre  nul  se  disposaient  à  mourir  les  plus  dé- 
«  terminés  de  nos  incrédules.,.  Et  que  de  faits  in- 
<«  téressants  je  pourrais  citer  à  ce  sujet,  s'ils  ne  pré- 
«  taient  trop  au  ridicule!  »» 

Mes  frères,  je  ne  vous  en  rapporterais  qu'un,  mai-3 
il  est  frappant,  il  est  terrible  :  c'est  la  mort  de  Jac- 
ques Roux,  Tun  de  ces  prêtres  apostats,  chargés  par 
l'exécrable  Commune  de  conduire  Louis  XVI  à  l'écha- 
faud. 

Ce  malheureux,  après  s'être  souillé  des  plus  hon- 
teux excès  de  la  Révolution,  avait  fini  par  devenir  un 
objet  d'horreur  pour  les  révolutionnaires  eux-mê- 
mes; jugez-en  par  ce  seul  fait,  qu'il  n'a  jamais  pu 

7. 


lOi  PETITS  SEKMONS 

pardonner  à  Robespierre  le  décret  par  lequel  l'exis- 
tence de  l'Etre  suprême  était  officiellement  reconnue  1 

Or,  mes  frères,  pour  ce  scélérat  comme  pour  les 
autres  monstres  qui  désolaient  la  France,  sonna 
bientôt  l'heure  des  vengeances  de  Dieu.  Jacque3 
Roux  fut  jeté  en  prison  pour  aller  à  la  guillotine. 

Le  jour  marqué  pour  son  supplice,  les  bourreaux 
vinrent  de  grand  matin  pour  le  prendre  dans  son 
cachot  et  l'y  trouvèrent  expirant,  mais  dans  quel 
état,  grand  Dieu!...  Bourrelé  de  remords,  l'âme  en 
proie  aux  transports  d'une  violente  rage  et  écumant 
de  désespoir,  dans  l'horrible  attente  des  jugements 
de  Dieu,  de  ce  Dieu  qu'il  avait  nié  jusqu'au  dernier 
moment,  le  misérable  avait  couronné  ses  forfaits  par 
le  crime  de  Judas...  Il  s'était  ouvert  le  ventre,  et  au 
rapport  des  témoins  oculaires,  l'enfer  tout  entier 
semblait  s'exhaler  de  ses  entrailles  ! 

Telle  est  la  puissance  du  remords,  mes  frères,  voilà 
jusqu'où  la  terreur  inspirée  par  la  vengeance  de  Dieu 
peut  conduire  l'impie  !  D'où  peuvent  donc  venir  de 
pareils  sentiments  aux  hommes  qui  en  sont  le  moins 
susceptibles?  Ils  sont  étranges,  ils  sont  inexplicables, 
si  Dieu  n'existe  pas  et  s'il  ne  nous  les  a  lui-même 
inspirés.  Si  c'est  le  hasard  qui  les  a  fait  naître  dans 
nos  cœurs,  comment  n'ont-ils  pas  disparu  le  lende. 
main,  au  premier  combat  delà  chair  contre  l'esprit? 
D'où  vient  que  nous  les  emportons  dans  la  tombe, 
et  qu'à  l'heure  de  la  mort,  ils  se  réveillent  d'autant 
plus  vivants  et  plus  impérieux  que  nous  les  avons 
plus  longtemps  comprimés  dans  la  vie  ? 

Ah!  c'est  qu'un  mystérieux  pressentiment  nous 


OU  L'ON  NE  DORT  PAS.  105 

révèle  alors  notre  noble  origine  et  obstinément  mé- 
connue, et  nous  force  à  nous  souvenir  de  Dieu! 
C'est  que  le  Créateur,  en  pétrissant  notre  argile,  en 
l'animant  de  son  soude  divin,  a  établi  entre  lui  et 
son  ouvrage  d'intimes,  d'ineffables  communications 
qui  se  raniment  et  redoublent  à  mesure  que  l'étin- 
celle s'approche  du  foyer...  Alors,  mes  frères,  la 
voix  de  Dieu  se  fait  entendre  dans  le  calme  et  le  si- 
lence des  passions  ;  le  corps  n'est  plus  intéressé  à 
étouffer  le  cri  de  Famé  qui  soupire  avec  l'ardeur  du 
cerf  altéré  ;  alors,  l'abandon  des  créatures  nous  lais- 
sant seuls  avec  le  Créateur,  l'unique  ami  qui  nous 
reste  fidèle,  nos  yeux  s'ouvrent  sur  le  néant  des 
choses  d'ici-bas  ;  et,  tandis  que  la  terre  s'éloigne, 
n'est  plus  qu'un  point,  le  Créateur  s'approche,  gran- 
dit, devient  un  océan  de  gloire  et  de  félicité  dans 
lequel  nous  voudrions  nous  plonger.  Vient  le  mo- 
ment suprême  :  Dieu  fait  un  signe,  l'ange  de  la 
mort  déchire  le  voile,  et  l'image  que  le  vice  n'a  pas 
ternie  s'unit  avec  transport  à  la  réalité  1 

Heureuse  destinée,  mes  frères!  oh!  de  grâce,  ne 
la  perdons  jamais  de  vue!  Souvenons -nous  que  nous 
venons  de  Dieu,  que  nous  sommes  pour  Dieu,  qu'un 
rayon  de  sa  face  adorable  imprimé  en  nous  est 
le  précieux  gage  de  l'éternelle  félicité  qui  nous  at- 
tend ! 

Et  vous,  Seigneur,  vous,  notre  premier  besoin,  ne 
sortez  jamais  de  notre  mémoire  !  Faites  que  votre 
pensée,  aliment  continuel  de  notre  piété,  de  notre 
amour,  noua  soutienne  dans  les  périls  et  les  traverses 
de  la  vie,  nous  console  à.  l'heure  de  la  mort  et  nous 


106  PETITS  SERMONS 

mérite  rinsigne  faveur  de  vous  contempler  sans  voile 
au  delà  de  la  tombe  !  Ainsi  s  oit-il  i 


DOUZIÈME  SERMON 

EXISTENCE  DE    DIEU.   —  CONSENTEMENT     DES    PEUPLES. 

Spiriius  Domini  rcplevit  orbem  terrarum  fSap.  i,  TJ 
L'esprit  du  Seigneur  a  rempli  l'univers, 

Mes  frères,  si  jamais  vous  avez  parcouru  les  an- 
nales de  l'histoire  du  monde  depuis  les  temps  les 
plus  reculés  jusqu'à  nos  jours,  s'il  vous  a  été  donné 
d'explorer,  sur  les  pas  des  voyageurs  anciens  et  mo- 
dernes, les  diverses  contrées  du  globe  et  d'étudier 
la  nature,  les  climats,  les  mœurs,  les  institutions  et 
les  formes  de  gouvernement  des  nations  qui  cou- 
vrent la  face  de  la  terre,  au  milieu  des  choses 
étranges,  bizarres  et  disparates  que  vous  avez  vue? 
dans  des  pays  si  divers,  vous  avez  dû  néanmoins 
être  frappés  d'un  fait  grave,  éclatant,  et  qui  tient  du 
prodige:  c'est  le  consentement  de  tous  les  peuples 
du  monde  à  croire  à  l'existence  d'un  Dieu,  créateur, 
ordonnateur  et  conservateur  de  l'univers. 

Or,  un  tel  accord  n'est  pas  dans  la  nature  et  na 
peut  reposer  sur  une  erreur.  On  ne  saurait  admettre 
la  possibilité  d'une  erreur  aussi  constante,  aussi  uni- 
verselle ;  il  faut  donc  que  Dieu  existe,  s'il  est  vrai 
que  l'univers  l'ait  cru  dans  tous  les  temps.  Suivez- 
moi  dans  le  développement  de  cette  pensée,  c'est 
encore  à  la  froide  raison,  au  simple  bon  sens  que  je 
vais  faire  appel. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  107 

En  effet,  mes  frères,  remontez  dans  les  âges  les 
plus  éloignés  de  nous,  parcourez  la  terre  en  tous 
sens  ;  des  contrées  civilisées,  des  nations  savantes, 
passez  au  fond  des  bois,  chez  ces  hordes  sauvages 
qui  dansent  autour  du  bûcher  qui  consume  un  pri- 
sonnier ;  que  pas  une  tribu,  pas  une  famille  n'échappe 
à  vos  investigations  ;  entrez  dans  la  tente  de  l'Arabe, 
dans  la  cabane  du  Nègre,  dans  la  hutte  du  Cafre  et 
du  Lapon,  partout  vous  trouverez  la  croyance  d'un 
premier  Pitre,  auteur  de  tous  les  êtres  ;  partout,  chez 
ces  nations  étrangères  et  inconnues  les  unes  des 
autres,  vous  entendrez  prononcer  le  nom  de  Dieu. 

«  Jetez  les  yeux  sur  la  terre,  disait  il  y  a  dix-huit 
«  cents  ans  un  moraliste  païen,  vous  pourrez  trouver 
«  des  villes  sans  fortifications,  sans  lettres,  sans  ma- 
«  gistrature  régulière  ;  des  peuples  sans  habitations 
«  distinctes,  sans  professions  rixes,  sans  propriété 
«  des  biens,  sans  l'usage  des  monnaies  et  dans  l'igno- 
#  rance  universelle  des  beaux- arts  ;  mais  nulle  part 
a  vous  ne  trouverez  une  ville  sans  la  connaissance 


«  de  la  Divinité1.  » 


«  —  Il  n'y  a  point,  dit  Cicéron,  de  peuple  si  sau- 
ce vage  et  si  barbare,  qui,  tout  en  ignorant  ce  qu'il 
«  faut  penser  de  Dieu,  ne  sache  pas  qu'on  doit  croire 
«  à  son  existence2.  » 

On  sait  que  Sénèque,  le  précepteur  de  Néron,  a 
parlé  dans  le  même  sens. 

L'histoire  de  l'antiquité  païenne  est  une  longue 
protestation    contre    l'athéisme.    Phéniciens,    Chal- 

1  Plufarq.  Advers.  Calot.  -~  2  Cic.  de  Legibus, 


108  PETITS  SERMONS 

déens,  Égyptiens,  Perses,  Indiens,  Grecs,  Romains, 
tout  est  ici  d'accord.  Les  temps  héroïques  et  fabu- 
leux sont  remplis  de  l'histoire  des  dieux  et  des  demi- 
i  dieux  :  dans  les  philosophes,  les  historiens,  les  poètes 
I  de  Rome  et  de  la  Grèce,  qu'on  nous  a  mis  entre  les 
mains  dès  nos  plus  jeunes  années,  que  voit-on  autre 
chose  que  la  foi  religieuse  de  toutes  les  nations  ?  La 
littérature  païenne  ne  parle  que  de  mystères,  de  sa- 
crifices ,  d'expiations,  de  cérémonies  ;  elle  nous 
montre  des  rois,  des  armées,  des  populations  entières 
à  genoux  devant  les  autels  fumants  de  leurs  divini- 
tés ;  en  un  mot,  la  croyance  d'un  Dieu  était  si  ré- 
pandue et  si  universelle  chez  les  anciens,  qu'un 
demi-siècle  avant  Jésus-Christ,  l'impie  Lucrèce  féli- 
citait Épicure,  son  maître  en  matérialisme,  d'avoir 
été  le  premier  qui  eût  osé  lutter  contre  le  genre  hu- 
main et  lever  la  tête  au  milieu  des  peuples,  courbés, 
disait- il,  sous  le  joug  du  fanatisme  et  de  la  supersli- 
(ion1. 

Si,  de  ces  siècles  reculés,  nous  revenons  à  des 
temps  plus  modernes,  cette  croyance  à  la  divinité 
nous  apparaîtra  plus  générale  encore,  plus  univer- 
selle, et  surtout  plus  conforme  aux  lumières  d'une 
raison  naturellement  chrétienne  et  qui  pressent  déjà 
le  rayonnement  de  l'Évangile. 

On  connaît  l'antique  profession  de  foi  des  brah- 
manes indiens  : 

*  J'adore  cet  Etre  qui  n'est  sujet  ni  au  change- 
«  ment  ni  à  l'inquiétude,  cet  Etre  dont  la  nature  est 

1  Luc.  De  rerum  nalura.  Lib.  v,  v.  C3  et  seq. 


ou  l'on  ne  dort  pas,  109 

«  indivisible,  cet  Être  dont  la  spiritualité  n'admet 
«  aucune  composition  de  qualités,  cet  Etre  qui  est 
«  l'origine  et  la  cause  de  tous  les  êtres  et  qui  les  sur- 
a  passe  en  excellence,  cet  Être  qui  est  le  soutien  de 
«  l'univers,  et  la  source  de  la  triple  puissance  *.  » 

Quand  le  Lapon,  ce  paisible  habitant  des  glaces  et 
des  frimas  du  pôle,  entend  le  tonnerre  gronder  dans 
le  lointain,  il  se  recueille  et  il  dit  :  C'est  Dieu  qui  vit 
sur  la  montagne 

Plusieurs  voyageurs  nous  ont  rapporté  la  prière 
des  sauvages  de  Madagascar  :  un  Père  de  l'Église  ne 
dirait  pas  mieux  ;  en  voici  la  traduction,  telle  que 
nous  l'avons  trouvée  dans  un  historien  cité  par 
Guillois: 

«  0  Eternel,  ayez  pitié  de  moi,  car  je  suis  passa- 
*  ger  ! 

«  O  Infini,   parce  que  je  ne  suis  qu'un  point  ! 

a  O  Fort,  parce  que  je  suis  faible  ! 

•  O  source  de  la  vie,  parce  que  je  touche  à  la 
«  mort  î 

«  O  vérité  suprême,  car  je  suis  dans  l'erreur  ! 

«  O  bienfaisant,  parce  que  je  suis  pauvre! 

«  O  Tout-Puissant,  parce  que  je  ne  suis  rien  !...  2  w 

Et  nous-mêmes,  mes  frères,  nous,  enfants  d'une 
génération  si  philosophe,  hélas  !  et  si  sceptique,  nous 
qui,  même  après  le  ridicule  décret  de  Kobespierre, 
avons  entendu  Cabanis  jurer  en  plein  Institut  qu'il 
n'y  a  pas  de  Dieu,  et  se  faire  fort  de  le  soutenir 
l'épée  à  la  main,  si  nous  reculons  de  quelques  siècles, 

*  Lettres  édifiantes  x,  15.  —  *  Flac.  HuL  deMadag. 


1 10  PETITS  SERMONS 

ou  trouverons- nous  les  vieux  Gaulois,  nos  aïeux  ?  Au 
fond  de  leurs  bois  sacrés,  prosternés  au  pied  d'un 
chêne,  devant  le  javelot  de  Teutatès,  ou  bien  entou- 
rant la  pierre  sanglante  où  le  druide  égorgeait  des 
victimes  humaines  ! 

Et  n'en  soyons  pas  surpris,  chrétiens  ;  l'histoire 
des  nations  est  pleine  de  récits  qui  font  frémir.  Ici, 
ce  sont  des  hécatombes  entières  de  prisonniers  que 
de  farouches  vainqueurs  immolent  au  dieu  de  la 
guerre  ;  là,  de  tendres  enfants  que  l'on  jette  vivants 
dans  une  idole  embrasée;  plus  loin,  une  jeune  épouse, 
victime  d'un  préjugé  fatal1,  s'élance  au  milieu  des 
flammes  qui  consument  les  restes  de  son  époux,  ou 
s'ensevelit  vivante  dans  son  tombeau  ;  en  un  mot  il 
n'est  pas  une  contrée,  un  siècle,  une  nation  qui  n'ait 
eu  ses  temples,  ses  autels,  ses  prêtres  et  son  Dieu  ; 
les  noms  seuls,  les  symboles  ont  varié,  mais  le  prin- 
cipe fut  toujours  et  partout  le  même. 

Or,  je  le  demande,  mes  frères,  un  tel  accord,  un 
consentement  si  universel  et  si  unanime,  quand  tout 
le  reste  diffère,  climats,  intérêts,  caractères,  lois, 
mœurs,  gouvernements:  un  tel  accord  est-il  pos- 
sible, s'il  n'est  pas  fondé  sur  le  cri  de  la  nature  et  si 
Dieu  lui-même  ne  l'inspire?  Non,  non,  on  n'admet 
point  universellement  et  constamment  une  opinion 
fausse  :  c'est  ainsi  que  l'humanité  est  faite,  et  tôt  ou 
tard  on  se  désabuse  d'une  chimère,  alors  surtout 
que  celte  chimère  contrarie  les  passions.  —  Et  puis, 
chrétiens,  l'erreur  porte  toujours  en  elle-même  un 
caractère  d'étrangeté  qui  la  fait  découvrir. 

1  Dans  riudc  ;  sur  les  côtes  de  Coromandel. 


OU  L'ON  iNE  DORT  PAS,  11 1 

Le  sentiment  de  la  divinité,  nous  l'avons  dit,  le 
genre  humain  Fa  trouvé  au  fond  de  son  cœur  :  il  y  a 
lu  le  nom  de  Dieu,  comme  il  a  vu  le  soleil  rayonner 
au  firmament  :  faut-il  s'étonner  que  dans  tous  les 
siècles  et  sur  tous  les  points  du  globe,  il  ait  admis 
son  existence  et  considéré  comme  des  insensés  ceux 
qui  osaient  en  douter? 

Et  quel  autre  fondement  que  Dieu  lui-même  attri- 
buer à  une  croyance,  à  une  persuasion  si  constante  et 
si  intime  qu'elle  résiste  à  tous  les  raisonnements, 
triomphe  des  sophismes  les  plus  captieux,  et  sort 
victorieuse  des  assauts  continuels  que  lui  livrent  les 
passions?  Quel  autre  sentiment  nous  impose  d'aussi 
pénibles  sacrifices?  que  dis-je?  on  a  vu  déjeunes 
mères,  égarées  par  une  superstition  barbare,  non- 
seulement  livrer  leur  enfant  au  sacrificateur  pour 
apaiser  une  idole,  mais  l'exposer  aux  bêtes,  mais 
l'enterrer  vivant  ou  l'étouffer  de  leurs  propres  mains, 
s'il  était  né  à  une  heure  ou  dans  un  jour  malheu- 
reux 4.  Il  faut  donc  que  ce  sentiment  soit  bien  puis- 
sant et  bien  incarné  dans  la  nature  humaine,  puis- 
que, même  dans  le  paganisme,  il  a  pu  étouffer  à  ce 
point  l'amour  maternel. 

Ce  sentiment  si  profond,  si  constant,  si  universel, 
ce  sentiment  que  rien  en  nous  ne  peut  détruire  si 
Dieu  n'exisie  pas,  c'est  donc  un  rêve,  une  illusion 
mensongère  ;  ainsi,  de  siècle  en  siècle  et  de  géné- 
ration en  génération,  l'homme  transmet  à  l'homme 
sur  tous  les  points  du  globe  une  superstition  ridi- 

*  Dans  l'île  de  Madagascar, 


112  PETITS  SERMONS 

cuîe  et  l'univers  est  fatalement  condamné  h  rester  > 
jamais  la  dupe  et  le  jouet  de  cette  gênante  folie  !... 
Certes,  si  spécieux  que  soient  les  sophismes  par  les- 
quels la  raison  humaine  parvient  à  s'étourdir,  il  me 
semble  que  l'incrédule  doit  être  effrayé  de  se  voir 
seul  contre  le  genre  humain,  et  dans  la  nécessité 
périlleuse  de  décider  si  c'est  lui  ou  le  genre  humain 
qui  se  trompe...  En  vérité,  n'est-ce  pas  le  cas  ou  ja- 
mais de  s'écrier  avec  Pascal  *  0  incrédules,  les  plus 
crédules  ! 

Quoi  !  dans  tous  les  âges  et  sous  toutes  les  latitu- 
des, un  nom  mystérieux  aura  fait  vibrer  tous  les 
cœurs,  on  ne  pourra  trouver  de  contrée  si  sauvage, 
de  naturels  si  pervers,  d'âme  si  corrompue  où  le 
même  nom  ne  réveille  le  même  écho,  n'inspire  les 
mêmes  sentiments,  et  l'on  ne  verra  pas  enfin  que 
dans  ce  nom  doit  se  cacher  un  prodige! 

Si  Dieu  n'existe  pas,  comment  se  trouve-t-il  dans 
la  pensée  et  les  préoccupations  de  tous  les  siècles  et 
de  tous  les  pays  ;  comment  est-il  et  dans  le  cœur  du 
fidèle  qui  le  prié,  et  dans  la  mémoire  de  l'indifférent 
qui  voudrait  l'en  bannir,  et  dans  le  remords  du  cou- 
pable qui  l'outrage,  et  dans  la  malice  de  l'impie  qui 
le  blasphème,  et  jusque  dans  l'aveugle  obstination 
de  l'athée  qui  le  nie  t 

Si  Dieu  n'existait  pas  ou  n'était  qu'un  être  de  rai- 
son, si  le  mot  Dieu  était  un  non-sens,  pourrait  il  être 
l'objet  de  tant  d'amour  et  de  tant  de  haine?  Est-ce 
pour  un  fantôme,  pour  le  néant  que  l'on  s'agiterait 
ainsi  dans  tout  l'univers?  Si  Dieu  n'existe  pas,  d'où 
peut  venir  un  préjugé  si  constant,  une  erreur  si  uni- 


OU  l'on  ne  dort  pas.  113 

verselîe,  une  si  cruelle  rêverie  ?  Ah  !  disons-le  har- 
diment, mes  frères,  si  l'idée  de  Dieu  nous  venait  de 
la  terre,  il  y  a  longtemps  que  la  terre  l'aurait  ou- 
bliée :  on  le  sait  :  aujourd'hui  elle  encense  une  idole, 
demain  elle  la  brise  ;  l'œuvre  des  hommes  est  fra- 
gile, inconstante  et  passagère  comme  eux;  quelle 
institution  humaine  est  à  l'épreuve  du  temps,  des 
événements,  des  préjugés,  des  passions]  «  Un  jour 
suffit  pour  détruire  les  ouvrages  de  l'homme,  »  a  dit 
le  prince  des  orateurs  romains,  «  tandis  que  l'œuvre 
u  de  la  nature  (et  pour  parler  un  langage  chrétien, 
a  l'œuvre  de  Dieu),  les  siècles  l'éternisent.  » 

Oui,  mes  frères,  que  les  mœurs  changent,  que  les 
lois  soient  abolies,  que  les  trônes  s'écroulent,  la  foi 
à  la  divinité  demeure  immobile  au  milieu  des  ruines 
et  des  vicissitudes  humaines  ;  que  les  passions  se 
soulèvent  contre  elle,  que  l'ignorance  l'obscurcisse, 
que  l'impie  l'attaque  par  des  sophismes,  rien  n'a- 
néantira son  empire  ;  elle  le  fera  même  sentir  d'au- 
tant plus  qu'on  l'outragera  davantage...  Malheur  h 
la  nation  qui  la  perdrait  de  vue  !  tous  les  fléaux  con- 
jurés fondraient  sur  elle;  les  peuples  peuvent  bien 
être  opposés  de  mœurs  et  de  langage,  séparés  par 
des  mers  immenses,  divisés  par  des  rivalités  san- 
glantes; mais  il  est  un  point  sur  lequel  ils  se  réu- 
nissent tous,  la  croyance  d'un  Dieu  :  ils  peuvent  bien, 
nous  l'avons  dit,  varier  sur  l'idée  qu'ils  s'en  forment, 
les  hommages  qu'ils  lui  rendent,  les  rites  sacrés  du 
culte  qu'ils  pratiquent,  mais  sous  ces  formes  diverses, 
le  fond  de  la  doctrine  reste  toujours. 

Encore  une  fois,  je  le  demande,  mes  frères,  d'où 


11 4  PETITS  SERMONS 

vient  cette  unité,  cette  antiquité,  cette  universalité 
de  croyance  parmi  tant  de  peuples  divisés  sur  tout 
le  reste  t  Quelle  puissance  a  ainsi  enchaîné  les  na- 
tions à  la  mêm.e  doctrine,  et  comment  se  fait-il  que 
l'homme  soit  aussi  naturellement  religieux  qu'il  est 
naturellement  raisonnable  1  Un  effet  constant  et  uni- 
versel demande  une  cause  constante  et  universelle. 
Et  comment  ne  pas  reconnaître  ici  cette  voix  de  la 
nature  et  de  la  vérité  dont  parlait  Cicéron,  qui  a  re- 
tenti dans  l'univers  et  s'est  fait  entendre  à  tous  les 
cœurs  ! 

J'en  ai  lu  naguère  un  exemple  bien  touchant  qui 
prouve  que  Dieu  n'a  pas  besoin  d'un  organe  étran- 
ger pour  se  communiquer  à  sa  nature  et  qu'il  sait, 
quand  il  lui  plaît,  s'insinuer  dans  son  cœur  alors 
surtout  qu'il  est  innocent  et  pur  :  le  fait  s'est  passé 
en  Allemagne. 

Un  père  de  famille,  M.  de  S***,  riche  propriétaire, 
aux  environs  de  Bade,  voulut  faire  à  ce  sujet,  sur 
son  fils,  une  expérience  décisive.  Il  prit  soin  lui- 
même  de  son  éducation,  lui  enseigna  la  lecture,  l'é- 
criture, le  calcul,  lui  donna  des  notions  de  géogra- 
phie et  d'histoire  naturelle,  en  affectant  toutefois  de 
ne  jamais  lui  parler  de  Dieu  ni  de  religion,  ne  lui 
laissant  aucun  livre  où  il  pût  lire  le  nom  de  Dieu  et 
ordonnant  à  ses  gens  la  plus  grande  réserve  à  cet 
égard. 

Retiré  h  la  campagne,  assez  loin  d'une  église  et 
d'un  clocher,  il  lui  était  facile  d'élever  ainsi  cet  en- 
fant, son  seul  espoir,  et  de  le  soumettre  au  régime  de 
cette  éducation  toute  naturelle  et  sans  Dieu,  pour 


ou  L'ON  ne  dort  pas.  115 

voir  si  l'idée  ne  lui  en  viendrait  pas  toute  seule  : 
disposé,  d'ailleurs,  car  il  avait  des  principes  solides, 
à  l'instruire,  si,  contre  son  attente,  son  fils  menaçait 
de  grandir  sans  foi  et  sans  religion. 

L'enfant  vécut  ainsi  jusqu'à  l'âge  de  dix  ans.  Vers 
cette  époque,  M.  de  S***  remarqua  que  son  fils  sor- 
tait tous  les  matins  à  peu  près  à  la  même  heure 
et  ne  rentrait  que  pour  déjeûner. 

Vivement  intrigué  de  cette  découverte,  il  ne  vou- 
lut pourtant  pas  interroger  son  fils,  mais  le  suivit  sur 
la  pointe  des  pieds,  un  jour  qu'il  sortait  plus  matin 
qu'à  l'ordinaire,  et  fut  fort  étonné  de  le  voir  s'age- 
nouiller à  quelque  distance  de  la  maison,  tourné  vers 
la  campagne  ,  en  face  d'un  beau  soleil  printanier, 
devant  lequel  il  semblait  en  adoration... 

M.  de  S***  s'approche  : 

—  Que  fais-tu  là,  mon  petit  ami  ?  lui  dit-il  en  lui 
frappant  légèrement  sur  l'épaule. 

L'enfant  se  retourne  : 

—  Oh  !  rien,  mon  père,  lui  répondit-il  un  peu 
troublé  de  cette  brusque  apparition,  je  prie. 

—  Ah  !  tu  pries,  c'est  fort  bien  ;  mais  à  qui  donc 
fais -tu  ta  prière  ? 

—  A  qui?...  mais  à  ce  magnifique  soleil  !  N'est-ce 
pas  lui  qui  a  tout  fait,  qui  nous  éclaire  et  nous  ré- 
chaude  de  sa  vivifiante  chaleur? 

—  Bah  !  mon  enfant,  tu  te  trompes  :  ce  n'est  pas 
au  soleil  que  tu  dois  adresser  tes  hommages;  le  so- 
leil, vois  tu,  n'est  qu'une  simple  créature,  comme 
toi  et  moi,  sans  compter  que  nous  avons,  nous,  cent 
fois  plus  de  valeur. 


1,6  PETITS  SEMIONS 

-  Ohl  fît  l'enfant,    dont  les  bras  tombèrent  de 
stupeur.  Et  qui  donc  faut-il  que  je  prie,  mon  père? 

-  Qui,  mon  enfant?  s'écria  M.  de  S"'  d'une  voix 
attendrie,  ab  I  c'est  celui  qui  a  fait  le  soleil,  la  cam- 
pagne, tes  parents,  c'est  le  créateur  de  ce  vaste  et 
bel  univers!  c'est  le  bon  Dieu!  ajouta-t-il  en  pres- 
sant son  fils  avec  effusion  sur  son  cœur,  0>m  le  bon 
D.eul  celui    qui   s'est  lui-même  imprimé  dans  ton 
cœur,  et  qui  t'a  inspiré  la  pensée  de  le  prier,  de  le 
bénir  et  qui  doit  un  jour   couronner   ton  innocence! 
Pnons-le  ensemble  ,  mon  enfant  ,    et   demande-lui 
pardon    pour  ton    père  qui  t'a  si  longtemps  laissé 
ignorer  ce  que  dans   son  amour  il  s'est  chargé  lui- 
même  de  t'apprendre  t... 

Et  pleurant  de  joie,  il  se  prosterna  près  de  son 
fils,  dont  la  prière  devint  cette  fois  plus  fervente  car 
il  priait  avec  l'aimable  sécurité  d'un  cœur  qui  vient 
de  trouver  son  trésor. 

Ob!  disons-le  hardiment,  mes  frères,  Dieu  existe 
puisque  tout  l'univers  l'a  cru  :  Dieu  existe,  puisque 
sa  pensée  ne  nous  est  pas  venue  de  la  terre,  et  que 
nous  avons  trouvé  son  nom  si  profondément  gravé 
dans  nos  cœurs!  Gardons-nous  bien  de  chanceler, 
de  douter,  mais  proclamons  hautement  notre  foi,  ne 
fût-ce  que  par  prudence  et  de  peur  d'être  confondus 
avec  ces  incrédules  que  Cuvier  stigmatisait  en  ces 
termes  en  pleine  Académie  : 

-  Messieurs,  pour  nier  l'Être  suprême,  il  faut  être 
un  fou  ou  un  fripon  ! 

Nous  préserve  le  ciel   de  mériter  jamais  une  si 
deshonorante  flétrissure,   et  de  prétendre  avoir  rai- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  1 1  7 

son,  seuls,  contre  le  genre  humain  I  Nous  croirons, 
mes  frères,  et  nous  affirmerons  notre  croyance  autant 
par  notre  conduite  que  par  nos  paroles  ;  nous  vivrons 
sans  cesse  sous  l'œil  de  Dieu,  de  ce  Dieu  dont  le  nom 
céleste  a.  fait  vibrer  tant  de  coeurs  ;  dans  toutes  nos 
peines,  nos  alarmes,  nos  tentations,  nous  invoque- 
rons sa  sainte  présence,  et  la  seule  pensée  de  sentir 
si  près  de  nous  ce  Dieu  de  miséricorde  et  d'amour 
soutiendra  nos  efforts  ,  doublera  notre  courage  et 
nous  donnera  la  victoire  !  Je  vous  la  souhaite,  mes 
frères,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  ! 
Amen. 


TREIZIÈME  SERMON 

EXISTENCE  DE  DIEU.  —  RÉPONSE  A  QUELQUES 
OBJECTiOxNS. 


Non  confradicas  verba  verilatis  uîlo 
modo. 

Gm\)'-.z  vous  de  contredire  en  rien  la 
parole  de  vérité  [Eccl,  iv,  30  . 

Lies  frères,  il  existe  un  Dieu  :  c'est  une  vérité  pri- 
mordiale, élémentaire,  que  seul,  l'insensé  ou  le  mé- 
chant peut  nier  en  face  des  mille  témoignages  qui 
l'établissent  ;  à  tant  d'êtres  produits,  il  faut  une 
cause  originelle  ;  le  monde  est  une  machine  admi- 
rable, un  Dieu  en  a  donc  formé  le  plan,  combiné  les 
lois,  arrangé  les  ressorts.  —  Douze  cents  millions 
d'hommes  couvrent  la  face  de  la  terre  ;  en  remon- 
tant au  berceau  de  l'humanité  ,  nous  trouvons  un 
premier  homme  et  une  première  femme  dont  rien 


118  PETITS  SERMONS 

n'explique  l'origine,  ils  ont  donc  eu  un  créateur  ;  — 
en  étudiant  le  corps  humain,  cette  vivante  merveille 
où  chaque  fibre  est  un  mystère,  on  tombe  à  genoux 
avec  Gallien,  et  l'on  admire,  on  adore  :  il  est  donc 
l'œuvre  d'une  sagesse  infinie.  —  Enfants  d'un  jour, 
nous  avons  l'idée  de  l'Éternel  ;  êtres  bornés,  nous 
rêvons  de  l'Infini  ;  imparfaits,  de  la  perfection  sou- 
veraine ;  le  nom  de  Dieu  s'élève  à  notre  insu  de  no- 
tre cœur,  et  se  fixe  à  nos  lèvres  :  une  main  divine 
Ta  donc  imprimé  dans  notre  âme.  —  Enfin,  dans 
tous  les  âges  et  sur  tous  les  points  du  globe,  un  con- 
cert de  louanges  célèbre  un  Dieu  créateur  ;  tant  de 
voix  ne  sauraient  chanter  une  chimère,  nous  devons 
donc  admettre  son  existence  sous  peine  d'être  seuls 
contre  tout  le  genre  humain. 

Et  pourtant,  le  croirez-vous,  mes  frères?  il  n'est 
pas  rare  de  rencontrer  sur  son  chemin  des  gens  qui 
cherchent  à  s'étourdir  et  se  fouettent  l'imagination 
pour  trouver  des  arguments  contre  l'existence  de 
Dieu.  Ils  ont  de  puissantes  raisons  pour  cela,  croyez- 
le  bien  :  c'est  que,  si  Dieu  existe,  ils  ont  tout  à  crain- 
dre de  sa  justice  et  peu  d'espoir  dans  sa  miséricorde; 
voilà  le  grand  secret  de  leur  incrédulité  prétendue. 
Aussi,  pour  se  tranquilliser  dans  leur  vie  criminelle 
et  étoulïer,  s'il  se  peut,  le  remords  qui  se  réveille 
sans  cesse  au  fond  de  leur  âme,  ont-ils  recours  à 
cinq  ou  six  arguments  plus  vermoulus  les  uns  que  les 
autres  :  bien  que  le  simple  bon  sens  en  fasse  prompte 
justice,  nous  y  répondrons  ici  dans  l'intérêt  des  fai- 
bles qui  pou  iraient  se  laisser  éblouir  par  la  faconde 
et  la  morgue  de  ces  petits  raisonneurs. 


OU  i/ON  NE  DORT  PAS.  110 

—  Bah  !  dit-on  avec  un  air  capable,  surtout  si  l'on 
a  vu  Paris,  Dieu  est  un  mot  inventé  par  l'ignorance 
et  les  préjugés. 

•—  Vraiment  î  en  ce  cas,  plus  on  est  savant,  plus 
on  doit  être  impie.  J'en  suis  fâché  pour  ces  demi- 
docteurs,  mes  frères,  mais  c'est  justement  le  con- 
traire qui  arrive.  On  se  rappelle  cette  parole  de  Ba- 
con :  •<  Peu  de  science  éloigne  de  la  religion;  mais 
»<  une  science  plus  complète  y  ramène.  >•  Si,  poui 
répondre  à  ces  petits  esprits- forts  de  ruelle,  je  ne 
craignais  de  fatiguer  mon  auditoire  par  une  sèche 
nomenclature  de  noms  illustres,  il  me  serait  facile  de 
montrer  que  le  nom  de  Dieu,  loin  d'être  la  ressource 
suprême  de  l'ignorance  et  une  vaine  formule  dont 
on  se  sert  pour  expliquer  ce  qu'on  ne  comprend  pas, 
jette  au  contraire  un  rayon  de  lumière  sur  rensemble 
des  connaissances  humaines,  qu'il  se  trouve  au  fond 
de  toutes  les  sciences,  en  est  le  dernier  mot,  et  que 
la  religion  fut  toujours  la  compagne  du  vrai  génie. 

Qu'on  nous  permette  au  moins  de  citer  Descartes, 
Pascal,  Bacon,  Leibnitz,  Malebranche  et  de  Bonald, 
en  philosophie  ; 

—  Saint  Bonaventure,  Érasme,  Grenade,  Nicole 
et  La  Bruyère,  en  morale  ; 

—  En  littérature,  Barthélémy,  Fénelon,  Chateau- 
briand, Lamennais,  avant  que  l'orgueil  l'eût  ravi  h 
l'Église  ; 

—  Eusèbe,  Charlevoix,  Lingard,  Vertot,  Beausset, 
Henrion,  en  histoire; 

—  Dupenon,  Bellarmin,  Bergicr,  La  Luzerne,  en 
dialectique  ; 

8 


J20  PETITS  SERMONS 

—  Dante,  le  Tasse,  Santeuii,  Corneille,  Racine, 
en  poésie  ; 

—  Saint  Chrysoslcme,  saint  Bernard,  Massillon, 
Bourdaîoue,   Ravignan,    Lacordaire,    en   éloquence; 

—  Suger,  Sixte-Quint,  les  cardinaux  d'Amboise  et 
de  Lorraine,  en  administration  ; 

—  Ximenès,  Richelieu,  Mazarin,  Fleury,  en  poli 
tique  ; 

—  Montfaucon,  le  P.  Fétau,  Moréri,  Rollandus,  en 
érudition  ; 

—  Suarez,  Billuart,  Liguori,  toute  la  pléïade  de 
Salamanque  et  la  Sorbonne,  en  théologie  et  en  droit 
canon  ; 

—  Albert,  Bossut,  Mariotte,  ITauy,  Franklin,  en 
physique  ; 

—  Copernic,  Haliey,  Kepler,  Gassendi,  Euler,  en 
astronomie  ; 

—  Mozart,  Haydn,  Vogler,  Martini,  Lambillotle, 
en  musique  ; 

—  Van  Dyck,  le  Titien,  Murillp,  Raphaël,  Rubens, 
Michel -Auge,  Fianrîrin  pour  les  beaux-arts  ; 

Et  au  dessus  de  tous  ces  noms,  Origène,  saint 
Augustin,  saint  Thomas  et  Bossuet  !...  Quel  éclatant 
démenti,  mes  frères,  quelle  victorieuse  réfutation  !... 
Et  nous  n'avons  pu  énumérer  ici  que  les  principaux 
officiers  de  cette  imposante  armée,  à  la  tête  de  la- 
quelle marchent  fièrement  Cbarlcmagne,  saint  Louis, 
Henri  IV,  Bayard,  Turenne,  Crillon,  Du  Guesclin, 
Condé,  Louis  XIV  et  Napoléon  le  Grand! 

Aussi  est-ce  plutôt  l'ignorance  et  le  demi-savoir 
qui,  de  nos  jours,  osent  encore,  je  ne  dis  pas  nier, 


ou  l'on  ne  dort  pas.  121 

mais  révoquer  en  doute  une  vérité  plus  éclatante 
que  le  soleil.  Rien  de  plus  pitoyable  que  le  ton  tran' 
chant,  le  rire  niais,  les  hochements  de  tête  de  m% 
paladins  du  sophisme,  qui,  tout  fiers  de  quelques 
bribes  de  science,  font  les  entendus,  troublent  le 
monde,  et  jugent  de  tout  plus  mal  que  les  autres  *. 

—  Mais  ce  n'est  pas  le  demi-savoir,  dit-on,  c'est 
Yignorance  qui  a  inventé  Dieu. 

—  Eh  bien,  à  la  bonne  heure!  on  avouera  du 
moins  que  ce  fut  là  une  ignorance  heureuse,  et  l'in- 
venteur méritait  bien  quelque  célébrité,  ne  fût- ce  que 
pour  obtenir  des  âges  futurs  un  brevet  d'intelli- 
gence !  Sans  doute  l'histoire  aura  conservé  le  nom 
de  l'illustre  ignorant  qui  prononça  pour  la  première 
fois  le  nom  de  Dieu...  En  quel  siècle,  dans  quel 
pays,  par  quel  mortel  fut  découverte  une  si  sublime 
merveille?  Lorsqu'un  savant  découvre  une  étoile 
nouvelle,  l'univers  applaudit,  admire,  célèbre  l'in- 
venteur ;  son  nom  est  répété  d'âge  en  âge,  et,  fût*il 
roturier,  la  reconnaissance  des  siècles  l'anoblit.  Un 
pauvre  ignorant  aura,  sans  télescope,  inventé  Dieu, 
cet  astre  tutélaire  si  essentiel  à  notre  bien-être  et  à 
notre  sécurité,  au  dire  même  des  impies,  que,  s'il 
n'existait  pas,  il  faudrait  V  inventer,  il  aura,  d'une 
seule  parole,  expliqué  le  ciel  et  la  terre,  l'origine  et 
l'avenir  de  l'espèce  humaine,  épouvanté  le  vice,  en- 
couragé la  vertu,  consolé  la  douleur,  et  l'on  ne  verra 
pas  le  nom  de  cet  ignorant  rayonner  d'une  auréole 
de  génie?  Et  l'on  ne  comprendra  pas  que  cet  igno- 

1  Pascal. 


\11  PETITS  SERMONS 

rant  est  le  sage  et  le  savant  par  excellence  î  Que  dis- 
je,  mes  frères?  et  l'histoire  sera  muette;  et,  au  mi- 
lieu de  tant  de  statues  qui  s'élèvent  de  toutes  parts, 
il  n'y  en  aura  pas  une  pour  celui  qui  vous  dit  le  pre- 
mier :  Mortels,  courbez  vos  fronts,  adorez,  priez,  ai- 
mez espérez  !  En  vérité  l'objection  n'est  pas  sérieuse  : 
eile  révolte  le  bon  sens  et  se  réfute  d'elle-même! 

—  Passe  pour  Y  ignorance^  dit- on,  mais  les  p?x- 
jugés  ? 

—  Eh  bien  !  les  préjugés  ont  pu  altérer,  obscurcir, 
fausser  l'idée  de  la  divinité,  la  peindre  en  rapport 
avec  notre  faiblesse  et  les  penchants  de  la  nature 
corrompue;  mais  les  préjugés  ne  sont  pas  plus  ca- 
pables de  nous  donner  ce  sentiment  céleste,  que  les 
passions  de  l'entretenir  :  «  Ainsi,  dirons-nous  avec 
«  un  savant  prélat,  que  l'homme  ait  aussement  ima- 
«  giné  des  dieux  corporels,  je  le  conçois,  c'est  une 
«  erreur  des  sens  ;  nous  ne  sommes  entourés  que 
«  d'objets  matériels,  et  l'imagination  ne  saisit  pas 
«  la  nature  des  esprits  ;  et  si  nous,  chrétiens,  qui 
«  avons  des  idées  plus  pures  sur  cet  esprit  immortel, 
«  nous  ne  pouvons  nous  défendre  de  le  peindre  sous 
«  des  images  sensibles,  faut-il  donc  s'étonner  que 
«  les  païens  aient  attribué  à  la  divinité  les  formes 
«  et  l'appareil  des  puissances  de  la  terre?  —  Que 
«  l'homme  ait  faussement  multiplié  la  divinité,  je  le 
«  conçois,  c'est  l'erreur  de  la  faiblesse  ;  soit  qu'on 
.<  se  figuiât  que  l'auteur  de  tous  les  êtres  serait 
«  comme  accablé  du  gouvernement  de  cet  univers, 
«  s'il  en  portait  seul  le  poids,  et  qu'on  se  le  repré- 
♦<  sentat  comme  un  grand  monarque  qui,   pour  se 


ou  l'on  né  do  ht  pas.  123 

«  soulager,  a  soin  de  répartir  sur  plusieurs  têtes  la 
u  dignité  de  son  empire;  soit  que,  le  voyant  à  une 
«  distance  immense,  on  se  soit  plu  à  se  forger  des 
«<  divinités  plus  rapprochées,  et  plus  familières, 
«  en  sorte  que  chaque  nation,  chaque  ville,  chaque 
«  famille  eut  son  Dieu,  et  que  le  monde  ne  fut  plus 
«  qu'un  temple  d  idoles.  —  Que  l'homme  se  soit 
«<  faussement  imaginé  des  dieux  corrompus,  je  le 
«  conçois  encore,  c'est  l'erreur,  c'est  l'intérêt  dos 
«  passions;  il  étfit  si  doux  pour  la  nature  de  trouver 
«  la  religion  dans  la  volupté,  dans  les  désirs  de  son 
«  cœur,  que  chaque  passion  devint  un  Dieu...  Ainsi, 
«  le  polythéisme  s'explique  aisément  par  la  faiblesse, 
«  les  passions  de  l'homme;  mais  Vidée  primitive  qui 
«  perce  à  travers  les  superstitions,  comme  un  rayon 
«  para  travers  le  nuage,  d'où  vient -elle?  Le  mé- 
«  lange  impur  qui  l'avilit  et  la  dégrade  vient,  de  la 
«  perversité  du  cœur  humain  ;  le  fond  même  no 
«  peut  venir  que  de  la  raison  et  de  la  nature  *.  » 

—  Dites  plutôt  de  l'éducation! 

—  Très-volontiers,  répondrons -nous,  mes  frères, 
pourvu  qu'on  nous  explique  un  point  qui  nous  gêne. 
Pourquoi  l'idée  de  Dieu  est-elle  si  générale  et  si 
uniforme?  Pourquoi  les  sauvages  l'ont-ils  comme  les 
peuples  civilisés,  et  l'enfant  élevé  dans  les  principes 
de  V Emile,  comme  le  nourrisson  de  nos  crèches  chré- 
tiennes? Pourquoi  surtout,  quand  les  plus  fortes  im- 
pressions de  l'enfance  tombent  et  s'évanouissent  au 
milieu  des  amusements  de  la  jeunesse  et  des   préoo 

J  Fiayssiûous. 


124  PETITS  SERMONS 

cupaiions  de  l'âge  mûr,  cette  idée  de  Dieu  est-elle  à 
peu  près  la  seule  qui  demeure  ?  Pourquoi  résiste- 
t-elle  aux  examens  de  la  froide  raison,  à  la  réflexion, 
et  à  des  réflexions  telles  qu'en  font  faire  les  passions 
à  un  cœur  de  vingt  ans?  Ali  !  c'est  que  c'est  Dieu  lui- 
même  qui  parle  par  la  bouche  d'une  mère  vertueuse, 
et  que  le  cœur  de  l'enfant  bat  à  l'unisson  du  sien  ! 
C'est  que  cette  voix  chérie  va  réveiller  au  fond  de 
son  âme  un  mystérieux  écho  dont  la  main  du  Créa- 
teur a  préparé  l'harmonie  !  L'éducation  ne  donne  pas 
plus  l'idée  de  Dieu  qu'elle  ne  communique  l'intelli- 
gence et  le  talent:  elle  la  développe,  l'agrandit, 
étend  devant  nous  de  nouveaux  horizons,  mais  si 
Dieu  lui  nie  me  n'avait  pas  mis  dans  cette  âme  le 
germe  sacré  de  la  foi,  la  parole  humaine  serait  aussi 
impuissante  à  le  produire  que  la  rosée  et  les  rayons 
du  soleil  à  féconder  un  bloc  de  granit.  Ah  !  c'est 
vous-même,  Seigneur  qui  vous  êtes  gravé  dans  nos 
âmes  !  c'est  votre  main  créatrice  qui,  en  nous  don- 
nant un  cœur  capable  d'aimer,  et  de  répondre  aux 
bienfaits  par  la  reconnaissance,  a  signé  d'un  nom 
divin  cette  étonnante  merveille...  Ne  souffrez  pas.  ô 
mon  Dieu,  que  nous  soyons  assez  malheureux  pour 
vous  méconnaître,  assez  ingrats  pour  ne  pas  corres- 
pondre à  vos  paternelles  faveurs  !  Faites  au  contraire 
que  nous  y  soyions  si  sensibles  et  y  répondions  par 
une  vie  si  chrétienne  qu'elle  soit  un  démenti  conti- 
nuel aux  blasphèmes  de  l'impie  et  nous  mérite  au 
grand  jour  vos  éternelles  bénédictions.  Ainsi  soit- il  ! 


ou  l'on  ne  dort  pas.  |?5 


QUATORZIÈME  SERMON 

SUITE  DES    OBJECTIONS. 

Inimici domini  mentili  sunt  et. 

Les  ennemis  du   Seigneur  ont  menti    eu    sa 

présente    fPs.  lxxx,  14.) 

Mes  frères,  avez-vous  jamais  vu  un  homme  atteint 
de  la  jaunisse  et  dont  le  foie  est  en  train  de  se  dé- 
composer! Ses  yeux  s'injectent  de  bile  et  il  voit  tout 
en  jaune;  en  sorte  que  son  aspect  nous  attriste  et 
que,  malgré  vous,  même  à  la  saison  des  fleurs,  vous 
songez  à  la  chute  des  feuilles  et  aux  glaces  de  l'hi- 
ver. 

Mes  frères,  je  ne  sais  si  l'impie  a  le  foie  gâté  comme 
le  cœur,  mais  il  est  atteint  d'une  terrible  jaunisse 
qui  donne  aux  objets  la  couleur  de  ses  passions,  pour 
lui  les  choses  changent  de  nom  à  volonté,  le  bien 
devient  le  mal,  et  réciproquement:  et,  comme  Dieu  le 
gêne,  il  s'en  débarrasse  par  une  pirouette  et  une  sim- 
ple négation...  Je  me  trompe,  quand  je  dis  qu'il  s'en 
débarrasse  :  il  enchercheles  moyens,  mais  il  est  rare 
qu'il  les  trouve:  on  ne  se  défait  pas  du  bon  Dieu 
comme  d'un  fardeau:  Dieu  est  un  soleil  qui  vous  fu- 
sille les  yeux  :  on  a  beau  les  fermer,  leur  éclat  pénètre 
vos  paupières,  alors  on  se  détourne,  on  biaise,  on 
cherche  à  s'expliquer  naturellement  la  croyance  du 
genre  humain..!  comme  si  Dieu  pouvait  s'expliquer 
autrement  que  par  lui-même  ! 

Les  niais  !  ils  insistent  et  recourent  à  des  argu- 
ments aussi  vieux  que  le  monde  et  cent  fois    mis  en 


t^G  PETITS  SERMONS 

poudre:  c'est  la  peur  qui  a  fait  les  dieux,  dit-on  avec 
Lucrèce  :  Primus  in  orbe  de  os  fecit  tlmor  ;  effrayés 
par  les  grands  phénomènes  de  la  nature,  par  l'éclair, 
le  tonnerre,  les  ouragans,  les  trombes,  les  tremble- 
ments de  terre  et  mille  catastrophes  soudaines,  les 
hommes  les  ont  attribués  à  un  Etre  mystérieux  et 
tout  puissant  qu'il  faut  apaiser  par  des  prières  et 
des  sacrifices. 

—  A  la  bonne  heure  !  voilà  Dieu  et  la  religion  su- 
périeurement expliqués  !  Et  pourquoi  alors  dans  tous 
les  siècles  et  les  pays  de  l'univers,  la  pensée  de  Dieu 
n'est-elle  pas  accompagnée  du  sentiment  de  terreur 
et  d'épouvante  qui  l'inspira?  Pourquoi  tous  les 
peuples  de  la  terre,  loin  de  se  représenter  Dieu 
comme  un  maître  inexorable ,  un  tyran  sombre  et 
farouche,  en  ont-ils  fait  au  contraire  un  Roi  bien- 
faisant, juste,  pacifique,  un  père  tendre  et  débon- 
naire? —  La  terreur  a  fait  les  dieux  \  Mais  quelle 
épouvante,  quels  malheurs  inspirèrent  aux  Sabéens 
le  culte  du  soleil,  de  la  lune  et  des  étoiles  ;  aux 
Égyptiens,  celui  des  plantes,  du  bœuf  Apis  et  du 
fleuve  qui  féconde  leurs  campagnes  ?  —  Aux  Parsis, 
celui  du  B  .n-Principe,  à  l'exclusion  du  Mauvais  ?  — 
Pourquoi  les  nègres,  au  lieu  d'adorer  le  soleil  qui 
les  brûle  de  ses  rayons  dévorants,  le  maudissent-ils 
avec  fureur  ?  Est-ce  la  terreur  qui  donnait  aux  Grecs 
et  aux  Romains  l'idée  des  fêtes  de  Cérès,  de  Bac- 
chus,  de  Pomone  et  de  Flore?  Ce  mot  :  die  s  je  s  lus 
jour  de  fête,  n'a-t-il  pas  toujours  été  une  annonce 
de  réjouissance  et  d'allégresse?  En  un  mot,  este* 
l'épouvante    qui    a  inspiré   ce   nom  si  tendre  et  si 


ou  i/o:;  ke  dout  pas.  127 

consolant  :  le  bon  Dieu,  que  répète  à  sa  manière  toute 
tribu,  toute  langue,  toute  nation  ?  Que  dis-je?  L'idée 
de  Dieu  a  surtout  ce  caractère  chez  les  peuplades 
les  plus  barbares. 

Il  est  rapporté  dans  l'histoire  d'Alexandre  le  Grand 
qu'après  la  conquête  de  la  Lydie,  de  la  Syrie,  de  la 
Perse  et  de  l'Inde,  il  était  parvenu  chez  les  Scythes, 
peuple  encore  primitif  et  sauvage.  Ses  fiers  batail- 
lons avançaient  toujours,  le  fer  et  le  feu  à  la  main, 
dépeuplant  les  tribus,  pillant  les  chaumières,  rava- 
geant les  campagnes  et  laissant  après  eux,  sur  un 
vaste  rayon,  la  désolation,  la  ruine  et  la  mort. 

Étonnés  de  tant  d'audace,  effrayés  de  tant  de  suc- 
cès qu'ils  jugeaient  au-dessus  des  forces  humaines, 
tremblant  de  se  voir  eux-mêmes  emportés  par  ce 
terrible  ouragan,  les  principaux  chefs  de  ces  tribus 
nomades  envoient  des  députés  vers  Alexandre  avec 
ordre  de  lui  dire  : 

«  —  Guerrier,  tu  es  un  homme  ou  tu  es  un  Dieu. 
m  Si  tu  es  un  homme,  souviens-toi  de  ton  origine  et 
«  n'égorge  pas  tes  frères  ;  et  si  tu  es  un  Dieu,  ta 
m  bonté  doit  combler  de  biens  les  mortels  et  non 
«  point  les  dépouiller  de  ceux  qui  leur  appar- 
•<  tiennent.  » 

Et  cette  idée  de  bonté,  de  bienfaisance,  mes  frères, 
fut  de  tout  temps  si  inséparable  de  l'idée  de  Dieu, 
que,  ne  pouvant  s'expliquer,  sous  le  règne  d'un 
Dieu  souverainement  bon,  les  maux  qui  affligent  la 
terre,  les  hommes  imaginèrent  un  principe  mauvais. 

Ah!  si  l'épouvante  eût  créé  les  dieux,  si  l'idolâtrie 
eut  inspiré  la  tristesse,  les  regrets,  la  frayeur,  au- 


Î28  PETITS  SEMIONS 

rait^ll  été  si  difficile  d'en  retirer  les  hommes  et  de 
les  amener  à  la  vraie  religion?  Non,  non,  ce  n'est 
pas  la  terreur  qui  a  donné  aux  hommes  l'idée  de  la 
divinité;  ce  sentiment  sacré  peut  bien  être  entretenu, 
réveillé  au  fond  de  nos  cœurs  par  les  catastrophes 
et  les  bouleversements  qui ,  de  temps  à  autre  , 
affligent  la  terre;  les  fléaux,  les  calamités  dont  nous 
sommes  les  témoins  et  trop  souvent  les  victimes, 
peuvent  bien  nous  humilier  sous  la  main  de  Dieu  et 
nous  frapper  de  cette  crainte  salutaire  qui  est  le 
commencement  de  la  sagesse  ;  mais  voir  là  le  motif 
déterminant,  la  cause  première  et  fondamentale  de  la 
croyance  du  genre  humain,  c'est  une  dérision  :  il 
faut  être  aussi  crédule  qu'un  incrédule  pour  admettre 
une  aussi  choquante  absurdité. 

—  Eh  bien,  dit-on  encore,  supposez  qu'on  ait  rai- 
son là-dessus,  ne  pourrait-on  pas  assigner  à  cette 
croyance  une  autre  origine...  une  origine  politique, 
par  exemple  ;  et  Dieu  ne  serait-il  pas  un  épouvantai! 
imaginé  de  concert  par  les  souverains  pour  mieux 
contenir  leurs  sujets  1 

—  Mes  frères,  soyons  généreux,  accordons-leur 
encore  cette  énormité,  mais  à  condition  qu'on  vou- 
dra bien  nous  dire  en  quel  siècle,  dans  quels  pays, 
par  quels  princes  a  été  tenu  ce  congrès  mystérieux 
qui  devait  asservir  les  nations  et  les  courber  devant 
une  si  étonnante  chimère.  D'où  vient  que  l'histoire 
est  encore  muette  là-dessus?  Le  fait  était  pourtant 
assez  grave  pour  qu'on  nous  en  dit  quelque  chose  ! 

Et  quand  même  tous  les  législateurs,  anciens  et 
modernes,  auraient  pu  s'entendre  pour  un  complot 


ou  l'on  ne  dort  pas.  129 

si  finement  ourdi,  quand  même  un  projet  aussi  pé- 
rilleux aurait  été  possible  dans  le  cours  des  âges, 
eût-il  pu  rester  longtemps  caché?  Les  princes  eux- 
mêmes  auraient-ils  toujours  eu  un  égal  intérêt  à  dis* 
simuler  la  fraude?  Je  ne  sais  si  je  m'abuse,  chrétiens 
qui  m'écoutez,  mais  il  me  semble  que  quelque  faux 
frère  eût  éventé  la  mine..,  quelque  tyran  détrôné,  par 
exemple,  et  rentré  dans  la  plèbe. 

Mais  je  veux  que  rien  n'ait  transpiré.  Ou  ces  prin- 
ces croyaient  à  un  Dieu,  à  une  religion,  à  une  autre 
vie,  ou  ils  n'y  croyaient  pas.  — S'ils  y  croyaient,  qui 
leur  avait  donné  la  foi  ?  Comment  la  même  persua- 
sion est-elle  venue  à  l'esprit  de  tous,  dans  des  temps, 
dans  des  lieux,  dans  des  climats  si  différents?  Com- 
ment tous  ont- ils  jugé  cette  croyance  utile  au  peu- 
ple tandis  que  les  athées  la  supposent  pernicieuse? 
—  Qu'une  même  vérité  ait  subjugué  tous  les  sages, 
cela  se  conçoit,  car  c'est  dans  la  nature  :  mais  qu'ils 
se  soient  tous  laissé  aveugler  par  la  même  erreur, 
c'est  une  prétention  ridicule.  —  S'ils  n'y  croyaient 
pas,  tous  ont  donc  été  fourbes,  imposteurs,  hypo- 
crites, nul  n'a  eu  le  courage  de  se  montrer  de  bonne 
foi,  mais  tous  ont  joué  un  rôle  pour  en  imposer  à  la 
foule  et  l'exploiter  plus  sûrement  ;  David,  Charte- 
magne,  saint  Louis,  Henri  IV,  Louis  XIV,  Louis  XVI, 
Napoléon  Bonaparte  étaient  donc  des  comédiens  !... 
mes  frères,  je  vous  le  demande,  si  vous  avez  deux 
gouttes  de  sang  français,  ne  le  sentez-vous  pas  bouil- 
lonner dans  vos  veines  ? 

Autre  diflîcuîté  :  tenez,  soyons  encore  généreux; 
supposons,  pour  un  moment,  que  l'homme  peut  in- 


130  PETITS  SERMONS 

venter  Dieu,  et  le  ciron  loger  leléphant  dans  sa  tête. 
Comment  les  peuples  se  sont-ils  soumis  sans  mur- 
mure ?  Comment  ont-ils  laissé  ainsi  museler  leurs 
penchants  les  plus  doux?  Quel  charme  les  a  fascinés 
au  point  de  ne  pas  s'apercevoir  qu'ils  étaient  dupes 
d'une  perfide  jonglerie?  Allons  donc  l  asservis  cor- 
porellemeht,  ils  eussent  compris  tôt  ou  tard  que 
c'est  déjà  bien  assez  du  sacrifice  de  l'impôt,  de  la 
conscription,  de  l'indépendance  et  du  bien-être,  sans 
y  ajouter  encore  celui  de  leur  intelligence  et  de  leur 
cœur  ! 

—  Mais,  dit-on  enOn,  car  il  en  coûte  de  se  rendre 
quand  on  est  si  savant,  n'a-ton  pas  vu,  dans  l'anti- 
quité, les  premiers  législateurs  des  nations  faire  in- 
tervenir la  divinité  dans  rétablissement  de  leurs  lois? 
Numa,  chez  les  Romains,  Lycurgue  à  Sparte,  Solon 
à  Athènes,  Zalenucus  à  Locres,  Minos  en  Crète  n'ont- 
ils  pas  joué  un  rôle  et  simulé  des  entretiens  avec  les 
dieux  pour  rendre  leurs  lois  plus  vénérables? 

—  D'accord,  pouvons-nous  répondre,  mes  frères  ; 
mais  cette  prétendue  difficulté  vient  à  l'appui  de 
notre  thèse,  et  nous  dirons  à  nos  petits  docteurs  : 
puisque  ces  souverains  établissaient  sur  ce  fonde- 
ment l'édifice  de  leurs  lois,  ce  fondement  existait 
donc  déjà,  ils  le  jugeaient  donc  assez  solide  pour 
porter  l'ensemble  des  devoirs  de  l'état  social. 

En  effet,  chrétiens,  nous  ne  voyons  nulle  part, 
dans  ces  codes  antiques,  le  nom  de  Dieu  prononcé 
pour  la  première  fois;  le  législateur  suppose  tou- 
jours la  croyance  à  l'Etre  suprême,  et  part  de  là 
comme    d'un    principe    universellement    admis  ;   il 


ou  l'on  ne  dort  pas.  131 

parle,  il  règle,  il  ordonne  au  nom  des  dieux:  le  peuple 
comprend,  le  peuple  s'incline,  adore,  et  tout  est  dit. 
Ce  n'est  donc  pas  le  prince  qui  a  mis  dans  lame 
de  ses  sujets  cette  foi  confiante  et  docile  ;  il  l'y  a 
trouvée  et  s'en  est  servi  pour  dompter  plus  à  l'aise 
les  instincts  pervers  et  les  caractères  indisciplinés  ; 
il  en  a  fait  à  dessein  jouer  les  ressorts,  persuadé 
qu'on  ne  saurait  rien. établir  de  solide,  même  pour  le 
bonheur  de  l'humanité,  si  l'idée  religieuse  ne  sert  de 
fondement.,.  C'est  qu'avant  d'appuyer  sa  parole  sur 
l'autorité  de  Dieu,  le  législateur  lui-même  avait  lu 
son  nom  céleste  au  fond  de  son  âme,  avait  senti  les 
conséquences  salutaires  qui  en  découlent  pour  le 
bien-être  et  la  sécurité  des  États.  Il  savait  que 
l'homme,  en  dehors  de  toute  idée  religieuse,  ne  verra 
jamais  dans  la  loi  que  l'expression  d'une  volonté 
étrangère,  et  dans  le  souverain,  qu'un  homme  comme 
*ui  :  tant  il  est  vrai  que  le  sentiment  de  la  divinité  est 
antérieur  à  toute  convention  humaine,  et  que  l'homme 
s'est  senti  enfant  de  Dieu  avant  de  se  croire  sujet  d'un 
roi,  citoyen  d'une  ville  et  membre  du  corps  social. 

Non,  non,  encore  une  fois,  mes  frères,  quoi  qu'en 
pense  le  demi-savoir  que  nous  laisserons  déraison- 
ner à  l'aise,  la  croyance  à  la  divinité  ne  vient  pas  de 
la  terre  :  notre  Créateur  a  laissé  sur  son  œuvre  une 
empreinte  trop  profonde  pour  qu'on  puisse  la  mé- 
connaître, et  trop  noble  pour  qu'on  l'attribue  à  d'au- 
tres mains  :  nos  menus  philosophes  peuvent  disser- 
ter, épiloguer,  entasser  les  raisonnements  et  les 
sophismes,  la  vérité  n'en  rayonnera  que  plus  éclatante 
lus  victorieuse, 

9 


132  PETITS  SERMONS 

Il  est  dans  la  nature  un  être  sombre  et  chagrin  qui 
se  pli  ît  dans  les  ruines  et  ne  chante  que  la  nuit. 

Oiseau  de  triste  aspect  et  de  sinistre  augure,  il  in- 
tenompt  de  son  cri  funèbre  le  paisible  silence  de  la 
création,  et  nous  fait  frissonner  malgré  nous.  Lui 
aussi,  tandis  que  tout  l'univers  célèbre  l'astre  du 
jour  et  bénit  sa  bienfaisante  lumière,  lui  aussi  pro- 
teste à  sa  façon  contre  le  soleil,  parce  qu'il  aime 
l'obscurité... 

Entendez-le,  vous  qui  niez  Dieu,  parce  que  vous 
seriez  intéressés  peut-être  à  ce  qu'il  n'existât  pas, 
enttndez-le,  il  n'y  a  que  le  hibou  qui  se  roidit  con- 
tre Téclat  du  jour  et  chante  les  ténèbres...  Mais  que 
peut  contre  l'astre  radieux  son  cri  monotone  et  lu- 
gubre ?  —  qu'il  reste  dans  sa  hideuse  retraite,  ce 
paria  de  la  création  :  le  soleil  qui  l'aveuglerait  de  sa 
foudroyante  splendeur  n'en  continuera  pas  moins  de 
féconder  et  de  réjouir  la  nature  1 

Mes  frères,  1  incrédule  passe,  ses  blasphèmes  se 
perdent  dans  le  vide  ou  retombent  sur  sa  tête  en 
ilèches  pénétrantes  ;  mais  l'éternelle  vérité  demeure 
ainsi  qu'une  colonne  monumentale  restée  debout  au 
milieu  d'un  champ  de  ruines  1 

Oh  !  personne  ici,  Seigneur,  n'aura  le  triste  cou- 
rage de  contredire  la  sainte  parole  et  de  nier  votre 
existence  !...  Vous  mer,  ô  mon  Dieu!  mais  le  sim- 
ple doute  serait  un  crime,  une  honteuse  folie  !  Vous 
nier  1  mais  ne  serait  ce  pas  de  plus  une  monstrueuse 
ingratitude  quand  vous  vous  êtes  affirmé  par  tant  de 
bienfaits!  —  Non,  non,  nous  le  jurons  tous,  Sei- 
gneur, vous  vivrez  désormais  dans  notre  âme,  et  le 


ou  l'on  ne  dort  pas.  133 

monde,  témoin  de  notre  conduite,  s'apercevra  que 
vous  y  régnez  en  souverain  !  recevez  l'hommage  de 
nos  actions,  de  nos  paroles,  de  nos  sentiments,  de 
tout  notre  être  ;  que  notre  vie  soit  cachée  en  vous 
comme  celle  de  l'Apôtre,  et  donnez-nous  d'être  si 
complètement,  si  inviolablement  à  vous  sur  la  terre, 
que  nous  vous  restions  à  jamais  unis  dans  le  ciel  ! 
Ainsi  soit-il! 


QUINZIÈME  SERMON 

lMàlOIlTALlïÉ  DE  L'A&iE .  —  SA  NATURE  ET  SES  SENTIMENTS. 

Faciamus  hominem  ad  imaginent  et 
tint  Ht  i u dinem  nosiram 

raisons  l'homme  à  notre  image  et  k 
nuire  ressemblance.  QGeu.1,  26.) 

Mes  Frères,  disons-le  hardiment,  l'homme  est  une 

* 

étrange  créature,  s'il  doit  se  terminer  à  la  terre  : 
c'est  l'être  le  plus  bizarre  et  le  plus  inexplicable  qui 
soit  sorti  des  mains  du  Créateur. 

Moins  favorisé  que  les  animaux,  qui,  livrés  aux 
inspirations  toujours  sûres  de  l'instinct,  n'éprouvent, 
ni  la  contrainte  du  devoir,  ni  les  préoccupations  du 
lendemain,  ni  les  terreurs  de  la  mort,  et  jouissent 
du  présent  sans  excès,  comme  sans  remords,  l'hom- 
me porte  en  lui-même  le  germe  d'un  immense  ma- 
laise ;  le  principe  immatériel  qui  l'anime  lui  inspire 
des  désirs,  des  besoins  que  rien  ici- bas  ne  saurait 
satisfaire  Tout  le  heurte,  et  le  contrarie,  au  dedans, 
au  dehors;  il  ne  peut  s'expliquer,  sous  un  Dieu  juste 
et   bon,  les   chagrins   et   les  maux  qui  l'accablent  : 


Î34  PETITS  SERMONS 

Le  vice  triomphant,  la  vertu  malheureuse  le  feraient 
presque  douter  de  la  Providence...  En  un  mot.  l'hom- 
me, s'il  finit  à  la  tombe  et  n'a  que  la  terre  à  envisa- 
ger dans  son  avenir,  est  un  non-sens  dans  la  nature  ; 
un  être  errant  sans  boussole  et  sans  but,  comme  un 
astre  égaré  des  phalanges  des  cieux. 

Mais  à  cette  créature  étrange,  isolée,  si  vous  lui 
dites  une  parole,  à  cette  intelligence  qui  a  soif,  si 
vous  lui  annoncez  qu'elle  doit  un  jour  se  plonger 
dans  un  océan  d'éternellesvérités,si  vous  ditesà  cette 
âme  altérée  de  vie  et  de  bonheur,  qu'elle  est  immor- 
telle, vous  avez  débrouillé  ce  chaos,  le  jour  s'est  fait 
dans  cette  nuit  obscure.  L'homme  s'est  compris, 
cette  seule  parole  a  tout  expliqué:  Dieu  au  ciel, 
l'homme  sur  la  terre  ;  l'esprit  pour  communiquer 
avec  l'intelligence  suprême;  l'immortel  pour  s'unir 
à  l'Éternel. 

Mes  Frères,  l'immortalité  de  l'âme  est,  après 
l'existence  de  Dieu,  le  dogme  le  plus  élémentaire 
et  le  plus  fondamental  que  l'homme  puisse  méditer 
sur  la  terre  ;  et  telle  est  son  importance,  que,  non- 
seulement  la  religion,  mais  tout  ordre  et  toute  société 
crouleraient  si  ce  fondement  venait  à  manquer. 

«  L'immortalité  de  l'âme,  dit  Pascal,  est  une  chose 
«  qui  nous  importe  si  fort  et  qui  nous  touche  si 
«  profondément  qu'il  faut  avoir  perdu  tout  senti- 
«  ment  pour  être  dans  l'indifférence  de  savoir  ce  qui 
«  en  est.  Toutes  nos  actions,  toutes  nos  paroles 
«  doivent  prendre  des  routes  si  différentes,  suivant 
«  qu'il  y  aura  des  biens  éternels  à  espérer  ou  non, 
«  qu'il  est  impossible  de   faire  une    démarche  avec 


ou  l'on  ne  dort  pas.  135 

'•  sens  et  jugement,  qu'en  se  réglant  par  la  vue  de 
».  ce  plan,  qui  doit  être  notre  premier  objet  l.  » 

Or,  mes  frères,  il  en  est  de  l'immortalité  de  l'âme 
comme  de  l'existence  de  Dieu  ;  nous  en  portons  la 
preuve  en  nous-mêmes  dans  l'idée  que  nous  en 
avons  ;  idée  qui  ne  peut  nous  venir  que  de  Dieu  et 
ne  saurait  reposer  sur  une  chimère.  Il  suffit  de  réflé- 
chir un  instant  dans  le  calme  et  le  silence  des  pas- 
sions pour  demeurer  convaincu  que  tout  ne  finit 
pas  avec  le  corps  :  la  nature  de  notre  âme,  ses 
besoins,  ses  sentiments  démontrent  son  immortalité. 
—  Etd'abord,  vous  ne  l'ignorez  pas,  chrétiens,  notre 
âme  étant  spirituelle,  et  ne  se  composant  pas,  comme 
notre  corps,  de  parties  et  d'éléments  divers,  elle  est 
simple  et  indivisible  comme  le  Dieu  dont  elle  est  l'ima- 
ge. Aussi,  quand  tout  tombe  et  dépérit  autour  de  nous, 
tandis  que  nous  avons  tous  les  jours  sous  les  yeux 
le  spectacle  delà  mort,  que  le  corps  humain  se  dis- 
sout dans  la  tombe  et  que  chaque  élément  s'empare 
de  ce  qui  lui  appartient  dans  cet  édiGce  ruiné,  l'âme, 
cette  substance  céleste,  échappe  à  l'action  corrosive 
du  sépulcre,  et  n'entre  pas  dans  ce  partage.  Pure  et 
sans  mélange,  elle  ne  voit  pas  la  corruption  et  n'a  rien 
de  commun  avec  les  éléments  qui  se  disputent  notre 
I  dépouille  mortelle  ;  le  coup  suprême  qui  la  sépare 
l  du  corps  la  soustrait  à  leur  empire.  Ce  que  nous 
appelons  mort  n'est  autre  chose  qu'une  décomposi- 
tion, une  séparation  de  parties,  et  ne  saurait  atteindre 
une  substance  spirituelle  qui  n'en  a  pas. 

*  Pensées. 


136  PETITS  SERMONS 

Cette  doctrine,  mes  frères,  n'est  pas  nouvelle,  et 
particulière  au  christianisme  ;  les  païens  la  profes- 
saient hautement. 

—  u  Nous  devons  comprendre,  à  moi-js  d'être  de3 
«  physiciens  stupides,  dit  Cicéron,  que  l'esprit  hu- 
«  main  n'est  ni  composé,  ni  mélangé,  ni  double, 
«  mais  simple  et  indivisible.  Il  ne  peut  être  ni 
«  séparé,  ni  décomposé  ;  donc  il  ne  peut  périr  ni 
«  cesser  d'être.  » 

Et  la  conséquence  est  rigoureuse,  mes  frères  : 
L'âme  ne  peut  donc  mourir;  et,  tandis  que  l'élément 
matériel  et  terrestre  retourne  à  la  terre,  l'esprit 
revient  à  Dieu,  son  principe  et  sa  fin. 

—  Mais,  dira-t  on,  l'âme  étant  faite  pour  le  corps, 
elle  cesse  d'être  en  cessant  de  l'animer,  et  rentre 
dans  le  néant  en  même  temps  que  lui. 

—  Non,  chrétiens,  c'est  une  étrange  erreur;  la 
corps  se  décompose  dans  la  terre,  mais  n'y  périt 
pas  tout  entier.  Sous  l'action  dévorante  des  vers  du 
sépulcre,  il  devient  sans  doute  ce  je  ne  sais  quoi  qui 
n'a  plus  de  nom  dans  aucune  langue,  dont  parle 
Bossuet  ;  mais  si  ce  cadavre  est  décomposé,  si  ces 
ossements  volent  en  poussière,  ils  ne  sont  pas  anéan- 
tis ;  divisée  à  l'infini,  cette  poussière  existe  toujours: 
l'imagination  suit  chaque  atome  dans  le  souffle  qui 
l'emporte,  et,  fussent-ils  dispersés  par  l'ouragan  jus- 
qu'aux extrémités  de  l'univers*  le  Dieu  qui  les  unit 
pour  en  former  le  corps  humain  saura  bien,  quand 
il  voudra,  les  retrouver  pour  le  reconstruire. 

Ainsi  rien  ne  périt  dans  la  nature  ;  il  n'est  pas  un 
seul  être  que  Dieu  se  repente  d'avoir  créé,  et  dont 


ou  l'on  NE  OOttT  PAS.  137 

l'anéantissement  l'accuse  d'inconstance*  Que  dis  je, 
mes  frères  1  Anéantir  un  être  serait  un  plus  grand 
miracle  que  de  le  créer  ;  et  ce  miracle  serait  s* 
étrange  qu'on  n'en  conçoit  pas  même  la  possibilité. 

Et  ce  qui  répugne  pour  un  atome  de  matière  se- 
rait possible  pour  l'esprit!  et  l'on  veut  que  notre 
âme,  cette  011e  du  ciel  et  la  plus  noble  portion  de 
nous-même,  soit  de  pire  condition  que  le  corps  1  on 
veut  que  cette  âme,  si  supérieure  au  corps  par  ses 
facultés  et  ses  opérations,  soit  anéantie  à  la  mort! 

Non,  non,  mes  frères,  c'est  alors  surtout  qu'elle 
commence  à  être  elle  même,  alors  qu'elle  commence 
à  vivre  de  sa  véritable  vie  !  enchaînée  jusque-là 
dans  l'obscure  prison  du  corps,  tiraillée  par  les  sens 
en  lutte  continuelle  avec  leurs  exigences  tyranniques, 
elle  ne  vivait  pour  ainsi  dire  qu'à  demi;  elle  soupi- 
rait nuit  et  jour  après  la  fin  de  cet  état  violent,  et  il 
n'avait  fallu  rien  moins  que  la  toute-puissance  d'un 
Dieu  pour  unir  deux  êtres  si  différents  de  nature  et 
de  tendances  si  opposées...  Aussi,  à  peine  affranchie 
de  ces  liens  de  chair  et  de  sang,  à  peine  en  posses- 
sion de  ces  sphères  sublimes  vers  lesquelles  elle  s'é- 
lançait de  toute  l'énergie  de  sa  misère,  avec  quels 
transports  ne  s'envole-t-elle  pas  vers  son  centre 
éternel  I 

—  Et  qu'on  ne  dise  pas  non  plus  que,  séparée  du 
corps,  l'âme  doit  être  sans  vie  et  privée  de  sentiment. 
Sans  nous  engager  ici  dans  une  controverse  qui  a 
longtemps  divisé  les  philosophes,  nous  avouerons  que 
l'âme  dépend,  en  général,  pour  l'exercice  de  ses  fa- 
cultés, du  service  et  du  jeu  des  organes,  par  lesquels 


133  PETITS  SERMONS 

elle  rCqolt  mille  sensations  diverses.  Biais  on  nous 
accordera,  sans  doute,  que  ce  n'est  pas  l'œil  qui  a  le 
sentiment  de  la  lumière,  ni  l'oreille  celui  des  sons; 
que  nos  organes  sont  le  véhicule  et  non  le  siège  de 
nos  sensations,  les  instruments  et  non  le  principe  de 
nos  connaissances. 

Est-ce  que  notre  âme  n'a  pas  une  action,  une  vie 
propre,  indépendante  du  corps?  Est-ce  qu'elle  a  be- 
soin des  organes  pour  réfléchir  à  sa  pensée  et  avoir 
îe  sentiment  de  son  existence,  qui  est  inséparable 
de  son  être/  Est-ce  quelle  ne  s'élève  pas,  sans  le 
secours  des  organes,  jusqu'aux  plus  sublimes  con- 
templations d'ordre,  de  beauté,  de  justice,  de  vérité? 
Eh  bien,  mes  frères,  l'âme  est  alors  distraite  du  corps 
en  quelque  sorte,  et  l'on  peut  dire  qu'elle  agit  seule 
et  par  sa  propre  énergie,  tandis  que  le  corps  a  be- 
soin de  la  présence  de  l'âme,  non-seulement  pour 
agir,  mais  pour  subsister. 

«  C'est  l'âme,  a  dit  un  matérialiste  moderne,  Caba- 
«  nis,  et  l'aveu  est  précieux,    c'est  l'âme  qui  ins- 

*  pire  aux  organes  tous  les  mouvements  dont  se  com- 

*  posent  leurs  fonctions,  qui  retient  liés  entre  eux 
«  les  divers  éléments  employés  par  la  nature  dans 
«  leur  composition  régulière,  et  les  laisse  livrés  à  la 
«  décomposition,  du  moment  qu'elle  s'en  est  séparée 
«  définitivement  et  sans  retour.  » 

—  «  Or,  ajoute  un  estimable  écrivain,  chaque  chose 
»<  conservant  sa  nature,  le  corps  laissé  à  lui-même  se 
«  dissout,  l'âme  restant  elle-même  ou  plutôt  se  trou- 
«  vant  plus  complètement  elle-même,  se  dégage  et 
«  survit.  Dans  cette  association  de  l'âme  et  du  corps 


OU  t/ON  NE  DOftT  PAS.  S  39 

«  les  deux  natures  sont  unies  dans  des  conditions 
.«  inverses  ;  l'âme  y  est  rabaissée  et  la  matière  y  est 
'  >  relevée,  et  c'est  précisément  ce  qui  fait  le  mystère 
,  j  de  leur  union,  ce  qui  fait  que  leur  désunion  se  corn- 
-  prend  d'autant  mieux  que  les  tendances  de  leur 
,«  nature  diverse  les  y  portent  davantage;  ce  qui  fait 
«  enfin  que  cette  désunion  est  tout  au  préjudice  du 
**  corps  et  à  l'avantage  de  l'âme,  et  qu'ainsi,  l'im- 
«  mortalité  de  1  ame  est  plus  compréhensible  que  son 
«  association  avec  le  corps  et  surtout  que  son  ahéan- 
*  tissement  *,  » 

Ainsi,  mes  frères,  la  spiritualité  de  notre  âme  en 
démontre  l'immortalité  :  nous  en  avons  une  preuve 
nouvelle  dans  ses  besoins,  disons  mieux,  dans  la  na- 
ture des  aliments  dont  elle  se  nourrit  ;  redoublez 
d'attention,  je  vous  en  prie,  le  sujet  est  un  peu  ab- 
strait :  mais  nous  tacherons  de  le  rendre  aussi  fami- 
lier que  possible. 

Tout  être  a  en  lui-même  un  principe  d'existence 
analogue  à  ce  qui  lui  sert  d'aliment  ;  il  participe  de 
la  substance  qu'il  s'assimile  et  qui  entre  dans  son 
développement.  Or,  participant  à  la  nature  de  son 
aliment,  il  doit  évidemment  en  partager  la  destinée. 
Ainsi,  à  la  partie  matérielle  de  notre  être,  au  corps, 
il  faut  la  matière  et  des  aliments  grossiers,  périssa- 
bles comme  lui  ;  mais  l'homme  ne  vivant  pas  seule- 
ment de  pain,  suivant  l'énergique  expression  du  Sau- 
veur, il  faut  à  l'âme  une  nourriture  plus  solide  et 
plus  saine,  le  pain  des  intelligences,  la  vérité  qui  ne 

1  À.  Nicolas, 


140  PETITS  SERMONS 

saurait  périr,  car  elle  est  éternelle.  Notre  âme  a  faim, 
a  soif  de  vérité  :  c'est  la  vérité  qu'il  lui  faut,  la  vérité 
sous  toutes  les  formes  et  dans  toutes  ses  applications^ 
3a  vérité  dans  les  sciences  morales,  la  vérité  dan? 
les  sciences  physiques,  la  vérité  dans  les  arts,  le 
vrai,  le  bon,  le  beau,  voilà  son  domaine,  son  élé- 
ment, sa  vie. 

«  L'âme  ne  se  sent  elle-même,  dit  encore  l'auteur 
«  cité  plus  haut,  que  lorsqu'elle  s'occupe  de  la  vérité  : 
«  son  développement  est  en  rapport  direct  avec  son 
»  application  à  cette  grande  source  delà  vie.  Comme 
«  une  flamme  légère  qui  voltige  à  la  surface  de  ce 
«  monde  matériel,  on  dirait  qu'elle  tend  sans  cesse, 
u  au  travers  de  tout,  à  rejoindre  le  foyer  de  la  vérité 
«  d'où  elle  émane  et  qu'elle  gravite  autour  de  sa  lu- 
«  mière.  Il  semble  qu'elle  reconquiert  son  patri- 
«  moine  à  mesure  qu'elle  la  découvre,  et  qu'elle  res- 
«  pire  son  air  natal  lorsqu'elle  y  a  pénétré,  qu'elle 
«  en  jouit.  Rien  n'égale  alors  sa  joie  et  son  orgueil, 
«  elle  en  est  dans  le  délire...  C'est  Archmède  cou- 
«  rant  dans  les  rues  de  Syracuse  et  s'écriant  :  je  l'ai 
«  trouvé!...  C'est  Pythagore  immolant  une  héca- 
«  tombe  aux  dieux  en  reconnaissance  de  la  solution 
*  d'un  problème  difficile;  c'est  Galilée  retraçant  son 
**  système  astronomique  jusque  sur  les  murs  de  sa 
«  prison  et  disant  à  cette  figure  animée  par  la  vé- 
a  rite  :  El  pourtant  tu  tournes  !  C'est  Socrate,  c'est 
«  Régulus,  c'est  Mathieu  Moié  s'immolant  à  la  vérité 
«  morale,  au  devoir  :  c'est  l'artiste,  sous  la  figure  de 
«  Pygmalion,  échauffant  le  marbre  de  toutes  les  ins- 
n  pirations  de  la  vérité  dans  le  beau  !  —  Le  commun 


ou  l'on  NE  POÎIT  PAS.  141 

«  des  hommes,  même  dans  tous  les  dérèglements  de 
»  leur  esprit  et  de  leur  cœur,  ne  peut  rester  sciem- 
«  ment  dans  l'erreur  :  ils  se  la  déguisent  à  eux  mêmes, 
«  ils  la  systématisent,  ils  se  la  font  vérité,  et  ce  n'est 
-  que  pour  mieux  se  donner  le  change  qu'ils  persé- 
♦•  cutent  la  vérité  même  en  l'appelant  erreur.  La 
«  vérité,  voilà  donc  le  principe  nourricier  de  l'âme; 
«  cette  viande  des  esprits,  comme  dit  excellemment 
«  Malebranche,  est  si  délicieuse  et  donne  à  1  ame  tant 
a  d'ardeur  lorsqu'on  en  a  goûté  que,  même  en  se 
vt  lassant  de  la  rechercher,  on  ne  se  lasse  jamais  de 
«  la  désirer  et  de  recommencer  ses  recherches  car 
«  c'est  pour  elle  qwe  nous  sommes  faits.  Or.  la  vé- 
«  rite,  je  le  répète,  est  immortelle  ;  elle  Subsiste  fm- 
ii  muable,  et,  suivant  l'expression  d'un  ancien,  est 
«  coéttrnelle  à  Deu  *.  »> 

Oui  ,  mes  fièrcs,  comme  notre  corps  puise  le 
germe  de  sa  mort  et  de  sa  corruption  dans  (  et  te  nour- 
riture terrestre  dont  il  se  repaît  dans  sa  faim,  notre 
Tune,  en  savourant  l'aliment  immatériel  des  esprits, 
la  vérité,  s'assimile  le  principe  et  le  gage  de  son  im- 
mortalité. 

«  Et  l'on  veut,  conclut  le  même  écrivain,  que  ce 
*  qui  se  repaît  d'immortalité  soit  mortel,  et  l'on  veut 
i  pe  l'âme  qui  ne  vivrait  qu'un  jour,  qui  ne  ferait 
'  que  passer  du  néant  au  néant,  s'éprît  d'amour, 
«  dans  ce  court  passage,  pour  ce  qui  est  éternel,  que 
«  toutes  ses  puissances  fussent  employées  à  s'assi- 
«  miler  ce  qui  serait  contre  sa  nature,  et  que  la  pen- 

*  À.  Nicolas.  —  Éludes  phiL  sur  le  christ. 


142  PETITS  SERMONS 

«  sée  humaine  tendue  ,  absorbée  dans  le  sein  de 
«  l'Etre,  y  trouvât  le  néant  et  s'éteignît  aux  sources 
a  mêmes  de  la  vie  !  Non,  non,  toute  notre  raison  se 
«  révolte  contre  cette  contradiction,  et  je  m'écrie 
«  avec  La  Bruyère:  Je  ne  conçois  pas  qu'une  âme  que 
«  Dieu  a  voulu  remplir  de  l'idée  de  son  être  infini 
«  et  souverainement  parfait  doive  être  anéantie  â.  » 

Outre  l'idée  de  notre  immortalité  qui  ne  peut  nous 
venir  que  de  Dieu  et  de  la  réalité  de  son  objet,  outre 
la  spiritualité  de  notre  âme  et  son  aliment  divin  qui 
lui  assure  un  éternel  avenir,  nous  portons  tous  au 
fond  de  notre  être  dans  nos  sentiments  le  présage  et 
l'annonce  d'une  vie  future. 

Qui  que  nous  soyons,  mes  frères,  jeunes  ou  vieux, 
riches  ou  pauvres,  ignorants  ou  savants,  une  im- 
mense ambition  nous  dévore,  nous  formons  tous  des 
projets  d'avenir,  et  visons,  chacun  dans  notre  sphère, 
à  l'immortalité, 

Demandez  à  ce  conquérant  qui  vole  à  travers  tant 
de  sang  et  de  périls  de  victoire  en  victoire,  à  ce  phi- 
lanthrope qui  se  ruine  à  exécuter  ses  creuses  théo- 
ries, à  cet  écrivain  qui  passe  des  nuits  entières  à 
polir  son  ouvrage,  demandez  à.  ce  navigateur  qui 
s'engage  dans  les  glaces  du  pôle,  à  cet  artiste  qui 
s'épuise  à  peindre,  à  sculpter  un  chef-d'œuvre,  de- 
mandez à  tous  ces  hommes  de  génie  quelle  espérance 
les  soutient  et  les  anime  au  milieu  de  leurs  travaux  ? 
Pourquoi  tant  d'ardeur  et  de  sacrifices  pour  immor- 
taliser leur  nom  ? 

*  Id.  ibid. 


OU  ï/ON  NE  DORT  PAS.  143 

Ah  J  c'est  qu'ils  ont  la  douce  confiance  qu'ils  ne 
mourront  pas  tout  entiers,  que  l'admiration  de  leurs 
contemporains  les  suivra  dans  la  tombe  et  qu'ils 
jouiront  de  la  reconnaissance  des  générations  à 
venir. 

Et  cette  persuasion  que  l'homme  ne  se  termine 
pas  à  la  tombe,  cette  espérance  dans  l'avenir,  le 
pauvre,  encore  une  fois,  la  partage  avec  le  riche,  le 
plus  simple  artisan  la  nourrit  au  fond  de  son  cœur 
comme  le  plus  illustre  génie  :  on  voit  le  laboureur 
se  consumer  de  travail  pour  laisser  à  ses  enfants  un 
plus  vaste  héritage  et  vivre  plus  longtemps  dans  leur 
souvenir  ;  il  tremble  à  la  seule  pensée  d'en  être  un 
jour  oublié  ;  il  voudrait  attacher  son  nom  à  l'arbre 
qu'il  a  planté,  à  la  maison  qu'il  a  bâtie,  au  sol  qu'il 
a  défriché...  Or,  mes  frères,  ce  sentiment  si  profond, 
si  constant,  cette  espérance  unanime  de  se  survivre 
est  inexplicable  sans  la  croyance  à  l'immortalité 
de  l'âme, 

N'est-ce  pas  le  même  sentiment  qui  inspire  l'en* 
thousiasme  patriotique  des  populations  entières  , 
lorsque,  de  concert,  elles  élèvent  des  statues,  des 
monuments  aux  grands  hommes,  lorsqu'elles  s'im- 
posent tant  de  sacrifices  pour  éterniser  la  mémoire 
des  bienfaiteurs  de  l'humanité  1 

Et  l'amour  de  la  patrie,  le  dévouement  des  héros 
qui  versèrent  leur  sang  pour  la  sauver,  n'atteste  t-il 
pas  hautement  cette  foi  constante  et  générale  à  une 
autre  vie?  Oh  !  sans  doute  l'honneur,  le  prestige  de 
la  gloire  et  lc3  lauriers  du  triomphe  ont  de  quoi  sé- 
duire une  âme  généreuse    et    peuvent  l'enflammer 


144  PETITS  SERMONS 

d'une  noble  ardeur  ;  mais  qu'on  ne  s'y  trompe  pas, 
mes  frères,  le  matérialisme  rend  égoïste,  et,  pour 
celui  qui  n'espère  plus  rien  au  delà  du  tombeau, 
l'existence  actuelle  est  le  bien  suprême  ;  la  vie  d'un 
prix  inGni,  comparée  au  néant.  Dans  ce  système 
étrange,  vivre  serait  la  loi  souveraine  et  mourir  pour 
ses  semblables,  mourir  pour  prévenir,  pour  retarder 
d'un  jour  la  ruine  de  l'un>vers,  serait  une  foiie.  N'en 
doute/  donc  pas,  l'homme  n'affronte  la  mort  que 
pane  qu'il  y  voit  le  passage  à  une  vie  nouvelle. 
Qu'importerait  la  gloire  à  celui  dont  toutes  les  es- 
pérances se  borneraient  au  tombeau?  Si  après  la 
mort  de  l'homme  le  plus  illustre,  le  héros  le  plus 
vanté  n'est  pas  plus  que  le  marbre  ou  la  peinture 
qui  le  représente,  si,  tandis  qu'une  froide  copie,  un 
vil  morceau  de. toile  subsiste,  l'original  est  anéanti, 
que  lui  font  les  chants  du  poète,  les  éloges  de  l'ora- 
teur eu  les  pompeux  récits  de  l'histoire? 

«  Non,  non  disait  Caton,  jamais  je  n'eusse  entre- 
«  pris  tant  de  travaux  civils  et  militaires,  si  j'avais 
«  cru  que  ma  gloire  devait  finir  avec  ma  vie  ;  mais 
*  je  ne  sais  comment  mon  esprit,  en  s  élevant  au 
«  dessus  de  lui-même,  semblait  croire  que  c'était 
«  en  sortant  de  cette  vie  qu'il  allait  commencer  à 
«  vivre...  » 

Il  est  donc  vrai,  mes  frères,  que  cette  ardente  soif 
de  survivance  et  d'immortalité  sur  la  terre  a  sa 
source  et  sa  racine  dans  l'espoir  secret  d'une  vie  qui 
doit  commencer  au  tombeau.  Et  maintenant,  cet  es- 
poir d'où  nous  vient-il  ?  qui  nous  Ta  inspiré,  si  ce 
n'est  Dieu?  Et  s'il  nous  vient  de  Dieu,  peut-il  être 


ou  l'ox  ne  dort  pas.  145 

menteur?   Le  penser  serait  impie,  oser  le  dire  une 
extravagance  sans  nom. 

Espérance  donc,  mes  frères  ,  nous  ne  mourrons 
pas  tout  entiers,  nous  sommes  destinés  à  un  autre 
avenir  que  celui  de  la  brute!  Espérance,  car  Dieu 
nous  fit  à  son  image,  en  nous  donnant  une  âme  im- 
mortelle qui  doit  un  jour  remonter  à  son  auteur! 
Espérance,  car  il  est  une  autre  vie  !  Oh  !  tout  en 
nous  la  pressent,  la  désire,  l'appelle  avec  ardeur, 
cette  vie  nouvelle  ;  où  est  l'homme  si  riche,  si  grand^ 
si  honoré  sur  la  terre  qu'il  ne  s'y  soit  jamais,  senti 
en  exil7  Et  si  les  heureux  y  sont  souvent  à  plaindre, 
que  dire  de  ces  pauvres  victimes  de  l'infortune  et  do 
la  douleur  ''  Oh  !  espérons  donc,  chrétiens,  espérons 
et  surtout  prions!  L'espérance  adoucira  pour  nous 
les  amertumes  de  la  vie,  et  la  prière,  cet  ardent  sou- 
pir de  notre  âme  vers  les  collines  étemelles,  fera 
au  Seigneur  une  sainte  violence,  afin  qu'il  abrège 
notre  pèlerinage  et  nous  ouvre  bientôt  les  portes  de 
la  patiie  !  Amen. 


SEIZIÈME  SERMON 

sua  l'immortalité  DR  LAN-,.  —  iNOS  ouvrages, 

NOS   UÉoIUS. 

Kon  moriar,  sed  vira  m  l 

Je  ne  mourrai  pas,  je  vivrai  !  Ts.  cxv:',  27./ 

Mes  frères,  dans  un  moment  de  mélancolie  et  de 
tristesse,  un  de  ces  moments  où  l'on  sent  plus  que 
jamais  le  besoin   de  songer  au  ciel   pour  supporter 


146  PETITS  SERMONS 

les  peines  de  la  terre,  vous  est 41  arrivé  de  vous  iso- 
ler de  la  foule  et  de  porter  vos  pas  dans  la  demeure 
silencieuse  des  morts  î 

En  parcourant  ces  allées  solitaires  bordées  de 
tombeaux,  vous  vous  serez  sans  doute  arrêtés  de- 
vant quelqu'un  de  ces  mausolées  couverts  de  fleurs, 
fraîchement  arrosés  de  larmes,  et,  penché  sur  l'in- 
scription qui  retrace  les  exemples,  les  travaux,  les 
vertus  du  défunt,  vous  avez  écouté  ce  langage  muet 
sorti  de  la  tombe,  qui  vous  prêche  la  sagesse  et  Tes- 
pérance  mieux  que  les  plus  éloquents  discours. 

Eh  bien  !  ce  monde,  mes  frères,  permettez-moi 
cette  application  qui  rend  ma  pensée,  ce  monde  est 
comme  un  vaste  Père-Lachaise  où  tout  nous  révèle 
notre  immortalité. 

Oui,  notre  immortalité  !  vous  attendiez-vous  à  cela? 
Non,  sans  doute,  et  pourtant  rien  de  plus  certain  : 
les  générations  ensevelies  nous  instruisent  par  l'éner- 
gique langage  des  monuments,  des  sciences,  des 
lois  des  œuvres  du  génie  ;  elles  nous  disent  sur  tous 
les  tons  que  l'intelligence  qui  enfanta  tant  de  mer- 
veilles ne  saurait  être  anéantie. 

—  Voyez-vous  ces  riches  campagnes,  ces  luxuriants 
coteaux,  ces  vertes  prairies,  ces  frais  bocages,  toute 
cette  nature  riante  et  féconde  ?  Tout  cela  était  aride, 
inculte,  en  friche,  il  y  a  quelques  siècles  ;  stériles  et 
sans  eau,  ces  plages  désolées  étaient  un  repaire  de 
bêtes  sauvages. 

L'bomme  a  paru.  A  son  aspect  les  déserts  se  sont 
animés,  la  terre  s'est  chargée  de  fleurs  et  de  fruits  ; 
les  villes  ont  remplacé  les  forêts.  L'océan  s'est  cou- 


ou  l'on  ne  dobt  pas.  14? 

vert  de  navires;  nouveau  Moïse,  l'homme  a  fait  jail- 
lir l'eau  du  rocher,  il  a  creusé  des  canaux,  con- 
struit des  ports,  élevé  de  gigantesques  pyramides, 
percé  des  montagnes,  éternisé  par  de  magnifiques 
travaux  ses  victoires  sur  la  nature  inerte  ;  la  terre 
renouvelée,  embellie  et  devenue  comme  un  autre 
paradis  s'est  chargée  de  temples,  de  monuments, 
de  palais  qui  perpétueront  à  jamais  le  souvenir  du 
roi  de  la  création...  Franchement,  mes  frères,  dites- 
le  moi,  ce  roi,  ce  conquérant,  ce  génie  peut-il  être 
moins  durable  que  son  œuvre?  La  matière  subsiste- 
rait et  l'artiste  qui  la  taille  et  la  façonne  à  son  gré 
devrait  périr  ! 

Allons  plus  loin.  Tous  les  jours  la  science  enfante 
de  nouveaux  prodiges  :  l'esprit  humain  pénètre  de 
plus  en  plus  avant  dans  le  sanctuaire  de  la  vérité  : 
le  ciel  n'aura  bientôt  plus  de  lois,  la  terre  plus  de 
secrets,  l'océan  plus  d'abîmes  que  l'homme  ne  sonde 
et  ne  découvre;  il  a  décomposé  la  lumière,  interrogé 
l'essence  du  soleil,  dompté  la  foudre,  enlacé  l'uni- 
vers dans  un  vaste  réseau  où  sa  pensée  circule  avec 
la  rapidité  de  l'éclair  ;  il  cherche  le  dernier  mot  de 
la  navigation  aérienne  ;  il  achève  le  percement  d'un 
isthme  de  115  kilomètres  pour  joindre  deux  mers; 
la  vapeur  a  tellement  rapproché  les  distances,  que, 
d'un  bout  du  monde  à  l'autre,  les  nations  frater- 
nisent avec  des  nations  dont  elles  ignoraient  l'exis- 
tence :  une  politique  juste  et  loyale  régit  les  desti- 
nées des  provinces  et  des  empires  ;  chaque  peuple  a, 
dans  son  code  et  ses  lois,  la  plus  ferme  garantie 
d'ordre  et  de  stabilité  ;  le  législateur  a  disparu  de  la 


148  PETITS  SERIONS 

scène  du  monde,  mais  sa  pensée,  son  œuvre  subsistent 
plus  durables  que  le  marbre  et  l'airain...  la  pensée 
subsiste,  et  l'être  pensant  ne  serait  plus  !  et  l'ouvrier 
vaudrait  moins  que  son  ouvrage!...  mais  où  est 
donc  l'homme  sensé  qui  osera  soutenir  une  si  palpa- 
ble et  si  choquante  absurdité? 

Et  notez  bien,  mes  frères,  que  nous  n'avons  parlé 
ftue  des  monuments  matériels,  de  ces  ouvrages  gran- 
dioses qui  résistent  longtemps  sans  doute  à  l'action 
sourdement  dévorante  des  éléments,  et  finissent  tou- 
jours par  succomber:  que  serait-ce  si  nous  invo- 
quions le  témoignage  de  l'esprit  humain,  de  ces  im- 
périssables monuments  de  génie  et  d'imagination 
qui,  loin  de  décroître  en  s'éloignant  de  leur  source, 
grandissent  au  contraire  avec  le  temps,  et,  transmis 
d'âge  en  âge,  arrivent  à  la  postérité  la  plus  reculée 
avec  la  triple  consécration  des  siècles,  des  attaques 
de  l'envie  et  de  l'enthousiasme  des  populations.  Voilà 
près  de  trois  mille  ans  que  l'Iliade  et  l'Odyssée  d'Ho- 
mère font  l'admiration  de  l'univers  ;  près  de  trois 
mille  ans  que  la  pensée  du  pcëte  est  là,  vivante, 
actuelle  dans  ces  pages  sublimes,  et  Homère  lui- 
même  ne  vivrait  plus  qu'en  souvenir  !  Homère  serait 
anéanti  sans  retour  !  et  l'homme  ne  laisserait  après 
lui  des  œuvres  immortelles  que  comme  un  éclatant 
témoignage  de  sa  misère  et  de  son  néant  !  En  vérité, 
chrétiens,  il  déshonore  l'espèce  humaine  celui  que 
ne  révolte  pas  une  aussi  étrange  pensée. 

Mais  ce  ne  sont  pas  seulement  nos  œuvres,  ce  sont 
nos  désirs,  nos  aspirations  vers  le  souverain  bien  qui 
démontrent  clairement  notre  immortalité. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  Î49 

Que  l'homme  s'interroge,  mes  frères,  qu'il  s'exa- 
mine aux  simples  lumières  de  la  raison  ;  il  convien- 
dra sans  peine  qu'il  manque  quelque  chose  à  son 
être,  que  la  nature  n'a  fait  que  l'ébaucher  et  l'a 
laissé  incomplet.  Nous  éprouvons  tous  au  fond  du 
cœur  un  vide  immense  qui  nous  rend  tristes  au  mi- 
lieu de  nos  joies,  pauvres  au  sein  de  l'abondance  et 
soucieux  jusque  dans  nos  plaisirs.  Nous  nous  sen 
tons  appelés  à  je  ne  sais  quelle  félicite  sans  mélange 
qui  nous  attire  ainsi  qu'un  séduisant  mirage  et  semble 
fuir  devant  nous  ;  une  insatiable  soif  de  vie  et  d'im- 
mortalité nous  dévore,  et  tous  nos  efforts  pour  l'as- 
souvir ne  font  que  creuser  dans  notre  âme  un  plus 
profond  abîme.  Nous  voudrions  un  plaisir  pur,  fixe, 
permanent,  oh  I  permanent  surtout  î  le  plaisir  que 
doit  éprouver  un  cœur  dont  tous  les  désirs  sont  satis- 
faits. 

Or  ce  bonheur,  où  le  trouver?  ce  repos,  quel  mortel 
Ta  goûté  sur  la  terre?  Quel  est  l'homme  dont  l'œil 
ne  s'est  jamais  rassasié  de  voir,  l'oreille  d'entendre, 
le  cœur  de  soupirer,  dont  les  sens  ne  se  lassent  pas 
de  jouir? 

—  Au  milieu  de  ses  somptueux  palais,  de  la  ri- 
chesse de  ses  trésors,  de  l'enivrement  de  ses  plaisirs, 
de  l'éclat  de  sa  gloire,  Salomon  s'écrie:  Tout  est  va- 
nité sous  le  soleil! 

—  Alexandre  a  dompté  l'univers,  la  terre  s'est  tue 
devant  lui,  comme  s'exprime  l'Écriture,  et  pourtant 
Alexandre,  fatigué  plutôt  que  rassasié  de  gloire,  trouve 
la  terre  trop  petite  pour  son  ambition  ;  il  soupire,  il 
pleure  au  milieu  des  trophées  du  monde  vaincu  | 


150  PBT'ITS  SEr.'KON$ 

—  Est-ce  tout  ?  s  écrie  César  monté  sur  îe  trône  de 
l'univers  ;  et  Tibère,  dégoûté  de  la  puissance  et  de  la 
splendeur  du  diadème,  se  retire  dans  l'île  de  Caprée 
pour  y  chercher,  dans  la  mollesse  et  la  débauche,  un 
repos  qu'il  n'a  pu  trouver  dans  la  grandeur...  Vains 
efforts,  mes  frères!  le  bonheur  n'habite  pas  dans  le 
séjour  de  l'infamie  ;  Tibère  sent  qu'il  se  déshonore,  il 
a  horreur  de  lui-même  et  confesse  sa  honte  à  la  face 
du  monde  étonné. 

Et  maintenant  qu'on  nous  dise  d'où  viennent  ces 
désirs  inassouvis,  cette  immense  aspiration  vers  un 
bien  suprême  ;  quelle  en  est  la  source  ?  Ce  n'est  pas 
l'homme,  puisqu'il  ne  dépend  pas  de  lui  de  s'en  dé- 
pouiller ;  c'est  donc  Dieu  qui  nous  inspire  ces  désirs 
en  nous  donnant  l'être  et  la  vie. 

Or  si  ces  désirs  viennent  de  Dieu,  peuvent-ils  avoir 
un  but  imaginaire  ?  et  si  ce  but  existe,  ne  faut-il  pas 
que  tôt  ou  tard  il  nous  y  fasse  parvenir  ?  Dieu  serait- 
il  Dieu,  je  vous  le  demande,  mes  frères,  s'il  nous 
trompait  ainsi  toute  la  vie  en  nous  berçant  jusqu'au 
tombeau  d'une  illusion  cruelle  ?  Non,  non,  l'homme  ne 
soupire  pas  après  une  chimère;  il  existe,  cet  astre  béni 
que  toute  créature  cherche  sur  son  horizon,  cet  astre 
tant  désiré  qui  s'appelle  le  bonheur  ;  et,  puisqu'il  ne  se 
trouve  pas  sur  cette  terre  infortunée,  il  doit  donc  nous 
attendre  au  delà  du  tombeau  ! 

Quoi  !  serions-nous  les  seuls  êtres  dans  la  nature 
qui  ne  puissions  remplir  notre  destinée  et  parvenir  à 
notre  fin  !  Mes  frères,  jetez  les  yeux  autour  de  vous 
dans  ce  vaste  univers  ;  tout  y  paraît  heureux,  content, 
à  sa  place  ;  chaque  créature  s'applaudit  de  la  situation 


OU  t'OxX  NE  DORT  PAS.  151 

que  lui  marqua  le  Créateur.  Tranquilles  dans  le  firma- 
ment, les  astres  n'aspirent  pas  à  quitter  leur  séjour 
pour  aller  éclairer  d'autres  mondes  ;  la  terre,  réglée 
dans  ses  mouvements,  ne  s'élance  pas  en  haut  pour 
aller  prendre  leur  place  ;  sa  seule  ambition  se  borne  i 
réaliser  les  desseins  de  son  auteur... 

Voyez  le  cheval  bondissant  dans  la  plaine,  l'agneau 
suspendu  à  la  mamelle  de  sa  mère,  l'oiseau  chantant 
dans  le  feuillage,  le  papillon  voltigeant  de  fleur  en 
fleur  ;  vous  ne  les  entendez  pas  se  plaindre,  ils  sont 
satisfaits,  contents  de  leur  sort  :  paître,  bondir,  respi- 
rer au  soleil,  voilà  pour  eux  le  bonheur. 

Et  la  paix  dont  ils  jouissent  serait  refusée  à  l'hom- 
me !  Et  la  nature,  si  bienfaisante  et  si  libérale  pour 
l'animal  et  la  plante,  n'aurait  été  marâtre  que  pour 
moi  '  11  aurait  laissé  son  chef-d'œuvre  imparfait,  ce 
Dieu  si  jaloux  de  mettre  la  dernière  main,  d'ajouter 
le  dernier  trait  à  ses  moindres  ouvrages?  Que  dis-je? 
abusé  toute  ma  vie,  souffrant  jusqu'au  sein  des  déli- 
ces et,  dans  cet  insurmontable  malaise,  traînant  jus- 
qu'au tombeau  la  longue  chaîne  de  mes  espérances 
trompées  *,  faut-il  encore  que  j'envie  à  ma  dernière 
heure  le  bien-être  et  l'insoucieuse  tranquillité  de  la 
brute,  et  que  je  meure  dans  les  terreurs  ?.. 

«  O  homme  !  s'écrie  un  poëte  anglais  rêvant  à  l'im- 
«  mortalité  sur  le  cercueil  de  sa  fille  morte  à  la  fleur 
«  de  l'âge,  ô  homme,  si  c'est  là  ton  sort,  si  tu  n'at- 
«  tends  pas  au  delà  de  la  tombe  un  adoucissement 
*  à  tes  maux,  va  donc  chercher  tes  maîtres  dans  les 

1  Bossuet, 


152  PETITS  SEKMONS 

«  étables,  dépose  à  leurs  pieds  ton  sceptre  fnmpfairifra 
«  et  ta  royauté  ridicule;   tu   es  esclave,   ils  sont  les 
«  rois:  ils  te  sont  supérieurs  dans  tout  ce  qui  àppar- 
«  tient  aux  sens.   Le  gazon  croît  sous  leur,  pas  ;  ils 
«  le  broutent   sans  avoir  besoin  de  le  cultiver-  leur 
«  boisson   est  apprêtée  par    la  main  de  la    nature; 
«  Je  ruisseau  ne  cesse  point  de  couler  et  d'offrir  son 
«  onde  à  leur  soif;    leur   vêtement  croît  et  grandit 
«  avec  eux  :   ils  ne  vont  point  avec  fatigue  le  cher- 
«  cher   dans    les  climats  étrangers  ;   ils    ne  portent 
«  point  la  guerre  dans  les  mondes  lointains  pour  en 
«  ravir  les  trésors  :  leur  fortune  et  leurs  biens  sont 
«  sous  la  garde  de  la  nature  ;   ils  n'ont  pas  besoin, 
«  pour  les  conserver,  du  tribunal  de  la  chicane  ;  une 
«  prairie  féconde  est  pour  eux  le  jardin  de  la  félicité; 
«  dès   qu'ils  y   sont  entrés,  ils  en  goûtent  les  fruits 
«  dans  une  douce   ivresse;    aucun  n'est  interdit  à 
»  leurs  désir,  ;  leurs  plaisirs  sont  purs  et  ne  laissent 
«  point  d'amertume:   plus   vifs  que  les   nôtres,  ils 
«  sont  aussi  sûrs:   le  doute,  la  crainte,  l'espérance 
«  vaine,  les  regrets,  le  désespoir  ne  viennent  point 
*  empoisonner  leurs  tranquilles  jouissances.  .    Nos 
«  sages  cherchent   en  vain  la  paix  qu'ils  goûtent: 
«  eux  seuls  ont  la  vraie  philosophie  de  la  vie  sen- 
«  suelle...    L'homme  seul  a  reçu  le  triste  privilège  de 
a  répandre  des  larmes,  et  les  occasions  de  l'exercer 
«  naissent  en  foule.  Les  animaux,  plus  heureux,  ne 
«  sont  pas  tourmentés  le  long  de  la  vie  :  leurs   maux 
«  sont  bornés  à  la  douleur  :   la  plainte  cesse  avec  la 
«  sensation  ;  ils   ne  continuent  pas  de  souffrir  d'un 
«  mal  passé  ;   une  prévoyance    funeste  ne  les  fait 


OU   l/CKNf   .NE   DORT  PAS.  153 

«  point  frémir  dans  l'avenir,  la  mort  vient  à  eux 
«  sans  les  effrayer  ;  ils  ne  la  sentent  qu'à  l'instant 
«  où  elle  frappe  ;  un  même  coup  commence  et  finit 
a  leurs  maux...  Tous  les  jours  l'homme  si  fier,  lui 
«  qui  gouverne  une  planète,  lui  qui  pèse  les  astres, 
«  héros  et  philosophes,  tous  soupirent  en  vain  après 
a  ce  paisible  trépas!...  Si  cruellement  distingués  des. 
a  animaux  pendant  la  vie,  serions-nous  encore  à  la 
«  mort  confondus  dans  une  même  masse  de  pous- 
«  sière1  ?...  » 

Oui,  sans  doute,  il  est  bien  à  plaindre,  mes  frères, 
celui  qui  borne  à  la  terre  toutes  ses  espérances; 
sans  doute  le  sort  des  animaux  doit  lui  paraître  digne 
d'envie  et  V existence  un  fardeau  !  Mais  l'homme  dont 
ie  regard  éclairé  par  la  foi  plonge  dans  la  tombe  et 
cherche  à  en  pénétrer  les  mystères,  celui  qui  n'étouffe 
pas  dans  son  âme  la  pensée  d'une  seconde  vie,  cet 
ineilable  cri  du  nautonnier  qui  découvre  la  terre,  celui- 
là  trouve  dans  les  maux  du  présent  le  gage  d'un 
heureux  avenir,  et  reconnaît  le  sentiment  de  son 
immortalité  dans  ce  malaise  indéfinissable  qui  fait 
gémir  la  nature.  Pour  lui,  c'est  le  cri  de  l'instinct 
appelant  l'objet  qui  manque  à  son  bonheur.  Il  se  sent 
incomplet;  il  sait  que  l'homme,  noblement  tourmenté 
par  sa  grandeur,  doit  soupirer  sur  le  trône  comme 
dans  une  chaumière;  mais  ses  dégoûts  lui  révèlent 
sa  noblesse,  et  sa  misère  lui  crie  qu'il  est  né  pour  être 
heureux. 

Oh!   redisons-la  donc  avec  une  douce  confiance, 

1  Y  OU  11  g,  Xe  11  uit. 


154  PBTITS  SERMONS 

mes  frères,  cette  consolante  parole  du  Roi  prophète  : 
Je  ne  mourrai  pas  tout  entier,  je  vivrai  !  non  moriar, 
sed  vivant  :  Je  vivrai  de  la  véritable  vie,  de  la  vie 
des  vrais  enfants  de  Dieu  :  et  tandis  que  mon  corps, 
cette  poignée  de  cendre  et  de  poussière,  ira  dormir 
dans  la  tombe  jusqu'à  ce  que  l'ange  de  la  résurrection 
la  réveille,  mon  âme,  libre  enfin  de  ses  entraves  de 
chair  et  de  sang,  et  purifiée  de  ses  souillures  par  le 
repentir,  prendra  son  essor  vers  le  Dieu  de  son 
amour,  elle  ira  se  plonger  à  jamais  dans  ce  mysté- 
rieux océan  de  chastes  délices  î  heureuse  espérance, 
mes  frères  !  invoquons-la  souvent  :  elle  consolera  nos 
peines  dans  la  vie,  dissipera  les  terreurs  de  la  mort 
et  réjouira  notre  dernier  soupir  1  C'est  la  grâce  que 
e  vous  souhaite  ! 

DIX-SEPTIÈME  SERMON. 

IMMORTALITÉ  DE  L'àME.  —  FOi  DÛ  GENRE  HUMAIN. 

Crcavit  tilts  scientiam  spïrïlûs. 
11  a  créé  en  eux  la  science  de  l'esprit  (Ecel . xyii, 6.) 

Mes  Frères,  quelle  est  cette  science  de  l'Esprit, 
dont  il  est  parlé  dans  nos  saints  Livres,  cette  science 
mystérieuse  que  le  Créateur  a  donnée  à  nos  premiers 
parents,  et  par  eux,  à  leur  grande  famille,  à  tous 
les  peuples  de  l'univers  î 

Ah  î  sans  doute  la  science  de  Dieu,  la  foi  à  l'Es- 
prit par  excellence  et  nous  l'avons  vue  chez  tous 
les  peuples  et  dans  tous  les  pays  du  monde  qui  ont 
de  tout  temps  rendu  hommage  à  leur  manière  à  la 
Oivinité. 


ou  L'on  ne  dort  pas.  155 

Mais  il  est  une  autre  science  non  moins  pratique  et 
non  moins  sérieuse  qui  nous  est  venue  avec  la  pre- 
mière et  dont  tout  homme  apporte  au  moins  le  germe 
en  naissant,  c'est  la  science  de  notre  âme,  la  foi 
à  son  immortalité  :  Creavit  Mis  scientiam  spiritûs  : 
foi  constante,  foi  générale  que  nous  trouverons,  à 
quelques  variations  près,  chez  toutes  les  nations  du 
globe,  et  cette  croyance  universelle  est,  à  notre  avis, 
une  nouvelle  preuve  de  la  vérité  d'une  vie  à  venir. 

Ainsi,  mes  frères,  pour  résumer  en  deux  mots  ce 
que  nous  avons  dit  jusqu'ici,  plus  nous  pénétrons 
dans  la  nature  de  l'âme,  soit  que  nous  analysions  ses 
penchants,  soit  que  nous  interrogions  ses  facultés, 
ses  aspirations,  les  œuvres  admirables  qu'elle  ins- 
pire, nous  reconnaissons  sur  elle  le  cachet  de  son 
immortalité.  Mais  à  tous  ces  arguments  déjà  si  con- 
cluants, nous  devons  en  ajouter  un  plus  saisissant 
encore,  c'est  la  foi  du  genre  humain. 

Dans  tous  les  temps  et  chez  toutes  les  nations  de 
l'univers,  la  croyance  à  l'immortalité  de  l'âme  fut  le 
corollaire  rigoureux  de  l'existence  de  Dieu.  Partout, 
au  sentiment  de  Montesquieu,  on  entendit  l'honnête 
homme  s'en  entretenir  aussi  bien  que  le  scélérat, 
l'un  comme  d'un  objet  d'amour  et  l'autre  en  fré- 
missant d'épouvante.  Sans  doute  la  superstition,  les 
préjugés  ont  pu  l'altérer,  l'ignorance  l'obscurcir,  les 
passions  la  combattre,  mais  elle  est  restée  la  croyance 
dominante  de  tous  les  siècles  et  de  tous  les  pays. 

Et  sans  parler  ici,  mes  frères,  des  Égyptiens  dont 
la  foi  à  l'immortalité  de  1  ame,  nécessairement  liée 
avec  l'idée  d'une  cause  intaui^opfce  qui  agit  sur  i'uni- 

10 


158  ^gïiTS  SERMONS 

vers,  n'a  jamais  été  incertaine  ni  ^uivoque  l  ;  des 
Chaldéens,  dont  les  oracles  engageaient  les  peuples  à 
s* acheminer  en  faute  hâte  vers  la  gloire  et  les  rayons 
du  Père  de  qui  l'homme  a  reçu  une  âme  pénétrée  de 
la  splendeur  divine  2  ;  sans  parler  des  Perses  qui  re- 
connaissaient, comme  tous  les  anciens  peuples,  une 
vie  future,  non  en  vertu  des  raisonnements  philosophi- 
que* t  mais  guidés  par  le  sentiment  interne  et  la  tra- 
dition générale  3  ;  sans  parler  des  Scythes,  des  Sar- 
mates,  des  Germains  dont  la  croyance  à  l'immortalité 
de  l'âme  se  perd  dans  les  ténèbres  de  leur  antique  ori- 
gine 4  ;  sans  parler  en  un  mot  de  la  foi  constante  et 
unanime  de  tous  les  peuples  de  l'antiquité,  qui  n'a  lu, 
mes  frères,  dans  quelque  auteur  païen,  la  description 
du  Tartare  et  des  Champs-Elysées  ?  Qui  n'a  frissonné 
devant  ces  trois  juges  au  front  austère  qui  pronon- 
çaient sans  appel  sur  le  sort  des  âmes  qui  venaient  de 
fi  anchir  sans  retour  le  fleuve  des  enfers  ?  Qui  n'a  vu 
la  croyance  des  nations  se  manifester  jusque  dans 
les  pratiques  les  plus  superstitieuses  et  les  plus  ridi- 
cules :  dans  leurs  apothéoses,  dans  les  rêveries  de  la 
métempsycose,  l'évocation  des  ombres  et  les  libations 
offertes  à  la  cendre  des  morts? 

Cette  doctrine  était  si  universelle  chez  les  Grecs  et 
les  Romains,  que  Cicéron  ne  craint  pas,  dans  son 
traité  de  l'Amitié,  de  faire  dire  à  Lélius  :  «  —  Je  ne 
«  puis  goûter  ces  novateurs  qui  avancent  de  nos  jours 
«  que  tout  finit  au  tombeau  :  je  suis  bien  plus  frappé 
«  de  l'autorité  des  anciens,  de  celle  de  nos  ancêtres  et 

1  Hérodote,  n,  122.  -  «Orac.  Ghald.,  x.  -  3  Pausan. 
in  Messen.,  xxxu.  -  iBruck,  HUtor,  crit.,  lib.n,  c.  il. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  Î57 

m  de  celle  des  personnages  illustres  qui  ont  été  îa 
«  gloire  et  l'ornement  de  la  Grèce  et  surtout  de  celui 
«  qui  fut  déclaré  le  plus  sage  de  tous.  » 

Les  anciens  Gaulois  professaient  la  même  croyance, 
et  César  nous  apprend  dans  ses  Comment  air  es  que 
les  druides  enflammaient  le  courage  des  guerriers 
par  l'appât  des  récompenses  éternelles,  et  les  ani- 
maient au  combat  en  leur  promettant  l'immortalité 
dans  le  sein  de  Tentâtes  *. 

«  C'est  encore  dans  ce  sentiment,  dit  Lucain,  que 
«  les  Celtes,  les  Germains,  les  Ibères,  les  Bretons 
<♦  puisent  l'ardeur  impétueuse  qui  les  fait  courir  à 
«  la  mortj  persuadés  que  rien  n'est  plus  lâche  et  plus 
«  honteux  que  d'épargner  une  vie  qu'on  ne  perd  pas 
«  sans  retour.  » 

Cette  croyance  générale  de  tous  les  peuples  de 
l'antiquité,  les  voyageurs  qui  ont  visité  les  diverses 
contrées  du  globe  dans  les  temps  modernes  l'ont 
trouvée  jusqu'au  fond  des  déserts  et  des  forêts,  chez 
ces  peuplades  errantes  et  sauvages  que  n'avait  pas 
encore  éclairées  l'Évangile.  La  foi  à  l'immortalité  de 
l'âme  régnait  dans  le  Nouveau  Monde  avant  que  Chris- 
tophe Colomb  en  ouvrit  les  portes  aux  missionnaires 
européens. 

«  Nous  la  trouvons  établie,  dit  un  historien  anglais, 
«  d'un  bout  de  l'Amérique  à  l'autre,  dans  certaines 
«  régions,  plus  vague  et  plus  obscure,  en  d'autres, 
u  plus  développée  et  plus  parfaite,  mais  nulle  part 
«  inconnue  3.  » 

1  César,  de  Bello-Gall,  vi.-«  Lucan.,  lib,  i  —  «Roberts, 
Hist.  of  Amer.,  iv,  12t. 


158  PETITS  SERMONS 

Tout  le  monde  connaît  le  culte  superstitieux  des 
Chinois  pour  leurs  ancêtres,  et  leurs  ridicules  sacri- 
fices de  papier  doré  devant  les  tablettes  où  sont  ins- 
crits les  noms  des  aïeux  et  dans  lesquelles  sont  cen- 
sées résider  leurs  âmes  *. 

Les  habitants  du  Tonquin,  de  l'île  Formôse  et  du 
,  Japon  eurent  toujours  à  peu  près  le  même  ciel  et  le 
même  enfer,  tout  comme  les  chrétiens  2.  —  Et  main- 
tenant je  vous  le  demande,  mes  frères,  d'où  peut 
donc  venir  à  tous  les  peuples  du  globe  cette  croyance 
à  l'immortalité  de  l'âme?  Une  persuasion  si  cons- 
tante et  si  universelle  peut-elle  avoir  un  autre  fonde- 
ment que  le  cri  de  la  nature  et  consacrer  une  erreur  ! 
Si  Dieu  lui-même  ne  nous  l'a  inspirée  ,  si  cette 
croyance  est  sans  objet  réel,  comment  lui  donner 
une  explication  raisonnable  ?  Rien  sur  la  terre  eût-il 
pu  faire  soupçonner  à  l'homme  qu'il  y  a  une  autre 
vie? — Non,  sans  doute  :  dans  ce  monde  éphémère 
tout  meurt  et  disparaît  :  les  espèces  seules  subsis- 
tent, les  individus  périssent  sans  retour.  Qu'on  nous 
Dite  dans  le  monde  végétal  et  animal  un  seul  être  qui 
iit  échappé  à  la  destruction,  un  seul  exemple  (hors 
ie  cas  d'un  miracle)  où  la  mort  ait  lâché  sa  proie  ! 

Et  encore,  s'il  était  une  exception  naturelle  à  cette 
loi  générale,  serait-elle  tout  à  l'avantage  exclusif  de 
la  matière.  Nous  voyons  au  printemps  la  terre  se 
renouveler  et  les  plantes  renaître  :  tout  se  fane  pour 
refleurir  ;  nous  avons  tous  les  ans  sous  les  yeux  le 
spectacle  de  la  vie  reproduite  de  la  mort. 

Mais    dans  l'homme,  rien  de  pareil  :  tout  semble 

*  Lett-  édiftf  xxi-xxn.  —  *Àlnet,  xxïv,  2. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  159 

au  contraire  lui  annoncer  une  destruction  sans  re- 
tour. Que  reste- 1- il  d'un  homme  après  que  le  sépul- 
cre s'est  refermé  sur  sa  froide  dépouille?  Tout  ne 
nous  dit-il  pas  extérieurement  qu'il  est  bien  mort, 
mort  à  jamais,  mort  comme  la  bête  et  la  plante,  et 
qu'il  a  passé  comme  une  ombre  légère,  une  feuille 
qu'emporte  le  vent  ? 

Cette  idée  d'une  autre  vie  est  donc  en  opposition 
manifeste  avec  ce  qui  se  passe  tous  les  jours  sous 
nos  yeux,  et,  loin  de  nous  bercer  de  l'espérance 
d'une  vie  mortelle,  nous  ne  devrions  avoir,  au  con- 
traire, que  des  idées  de  mort,  et  d'une  mort  sans  re- 
tour, puisque  tout  ici-bas  semble  nous  l'annoncer... 
Et  pourtant,  mes  frères,  cette  confiance  est  si  pro- 
fonde, si  constante  et  si  intimement  liée  à  la  nature 
humaine  que  rien  ne  peut  l'y  détruire,  ni  le  souve- 
nir des  générations  dont  nous  foulons  la  poussière, 
et  qui  ont  disparu  pour  jamais  ;  ni  le  spectacle  de  la 
mort,  saisissant  et  actuel,  dans  les  victimes  qui  suc- 
combent sous  nos  yeux  ;  ni  le  silence  lugubre  de  la 
tombe  et  l'oubli  soudain  qui  enveloppe  ceux  qui  ne 
sont  plus,  rien  ne  nous  désabuse  !  Au  moment  même 
où  une  main  de  fer  le  précipite  dans  la  fosse,  où  la 
pierre  funéraire  va  peser  sur  son  cadavre,  l'homme 
tressaille  d'espérance,  et  s'écrie  avec  le  juste  de 
l'Écriture  : 

«  Oh  l  je  sais  que  mon  Rédempteur  est  vivant,  et 
<«  que  la  terre  n'arrêtera  point  mon  âme  :  je  meurs, 
«  mais  pour  renaître  ;  je  reviendrai  à  la  vie,  et  mes 
«  yeux,  ces  yeux  de  chair  et  de  sang,  contempleront 
m  mon  Dieu  !,. •  » 

10, 


IGO  PETITS  SEUMONS 

Oui,  l'homme  espère,  mes  frères,  contre  tonte  ap- 
parence extérieure,  en  dépit  de  la  mort  qui,  de  tou- 
tes parts,  l'environne;  et  l'univers  croulerait  sur  lui, 
l'écraserait  sous  ses  ruines,  qu'il  espérerait  encore  ! 

C'est  que  la  croyance  à  une  vie  future  est  un  tré- 
sor si  cher  à  son  cœur,  le  sentiment  de  son  immor- 
talité le  pénètre  d'un  si  noble  orgueil,  qu'il  en  a  fait 
comme  la  mesure  de  sa  grandeur  et  la  raison  d'une 
espèce  de  culte  qu'il  se  rend  à  lui-même.  Aussi,  de 
peur  de  pousser  trop  loin  la  contemplation  de  sa  di- 
gnité, de  peur  qu'il  n'allât  jusqu'à  se  croire  immor- 
tel dans  toutes  les  parties  de  son  être,  il  s'est  donné 
le  titre  de  mortel,  de  préférence  à  tant  d'autres  créa- 
tures qui  périssent  sans  retour.  Il  sentait  le  besoin 
de  se  rappeler  qu'il  est  un  point  par  lequel  il  touche 
la  terre,  et  que  si,  par  son  âme,  il  ne  doit  pas  mourir, 
par  son  corps,  ce  corps  d'argile,  il  doit  retourner 
à  la  terre  d'où  il  est  sorti. 

Ainsi,  dans  l'antiquité,  lorsqu'un  triomphateur  re- 
cevait sur  son  char  les  applaudissements  d'une  mul- 
titude frémissante,  un  esclave  lui  criait  de  temps  à 
autre,  de  peur  qu'il  ne  se  crût  un  Dieu  :  «  Souviens- 
toi  que  tu  es  mortel  !  » 

Et  qu'on  ne  dise  pas,  mes  frères,  que  l'homme  a 
imaginé  une  seconde  vie  pour  se  ménager  une  con- 
solation pour  le  présent  et  des  espérances  pour  l'a- 
venir. Quand  même  cette  persuasion  ne  serait  pas 
indépendante  de  notre  volonté,  quand  même  l'homme 
serait  le  maître  de  se  la  donner  ou  de  s'en  dépouil- 
ler, serait-elle  si  uniforme,  si  constante,  si  univer- 
selle 


OU  l/ON  NE  RO'.iT  PAS.  "ï' 

Car  enfin,  ce  qui  console  les  uns  épouvante  les 
autres  :  terrible  pour  le  méchant,  cette  pensée  ne 
rassure  même  pas  toujours  l'homme  vertueux;  il 
reste  au  fond  des  consciences  les  plus  pures  un  ef- 
frayant peut  être  qui  les  fait  trembler  à  l'aspect  du 
tombeau.  D'ailleurs,  comment  se  serait-il  donné 
l'espérance  d'un  bien  dont  il  n'avait  pas  même  l'idée? 
Et  comment  aurait-il  eu  l'idée  d'une  chose  dont 
tout,  dans  ce  monde  éphémère  et  périssable,  lui 
démontrait  en  quelque  sorte  1'  mpossibilité  ?  I!  faut 
donc  encore  une  fois,  mes  Hères,  que  cette  idée 
nous  vienne  de  Dieu  lui-même,  et  puise  dans  la  réa- 
lité de  son  objet  la  cause  de  son  existence. 

Un  témoignoge  non  moins  éclatant  de  la  foi  des 
nations  à  l'immortalité  de  l'âme,  c'est  le  respect  des 

tombeaux 

Nul  a'entre  vous  n'ignore,  j'aime  à  le  croire,  que 
de  tout  temps  et  chez  les  tribus  même  les  plus  sau- 
vages et  les  plus  barbares,  la  cendre  des  morts  fut 
une  chose  sainte,  et,  violer  une  sépulture,  un  sacri- 
lège aussi  criminel  que  de  violer  le  sanctuaire  des 

dieux. 

Il  suffit  en  effet  d'ouvrir  l'histoire  générale  des 
peuples  anciens  et  modernes,  pour  demeurer  con- 
vaincu que  le  respect  des  morts  a  toujours  été  le 
pendant  obligé  de  la  divinité.  Or,  je  vous  le  de- 
mande, mes  frères,  que  signifie  cette  vénération 
constante  et  universelle  des  tombeaux,  si  rien  n'a 
survécu  à  la  vile  poussièie  qu'ils  renferment  1  Ces 
honneurs,  ces  chants  funèbres,  ces  riches^  mo- 
numents   ne  s'adressent-ils  qu'à  cette   poignée  de 


162  PETITS  SERMONS 

boue  et  de  pourriture  que  se  disputent  les  vers  ? 
Ah  !  nous  y  voyons  plutôt  l'éclatante  preuve  de  la 
foi  du  genre  humain  et  la  manifestation  de  cette 
pensée  secrète,  que  les  morts  ne  sont  pas  indiffé- 
rents à  l'expression  de  notre  affectueuse  douleur; 
qu'ils  sont  comme  les  témoins  de  nos  larmes,  de  nos 
regrets,  et  que  nous  pouvons  entretenir  un  tendre 
commerce  avec  cette  partie  d'eux-mêmes  qui  vit 
encore. 

II  est  aux  extrémités  de  l'Orient,  un  peuple  qui 
place  sur  les  tombeaux  différents  mets  pour  la  nour- 
riture des  morts.  Chez  les  Péruviens  idolâtres,  les 
femmes  et  les  enfants  des  Incas  s'offraient  à  la  mort 
pour  honorer  leurs  funérailles  et  les  accompagner 
dans  l'autre  vie.  On  a  vu  le  même  usage  dans 
l'Inde. 

Est-il  possible,  encore  une  fois,  mes  frères,  de 
méconnaître  dans  ces  pratiques  superstitieuses,  la 
croyance  de  tous  les  peuples  à  la  vie  future  ?  Et  cette 
croyance  universelle  n'est-elle  pas,  au  sentiment  de 
Cicéron,  la  preuve  évidente  que  le  dogme  qu'elle 
consacre  est  l'expression  de  la  vérité? 

Oui,  chrétiens,  la  religion  des  tombeaux,  cette 
>ci  de  tous  les  âges  et  de  tous  les  pays,  tient  au  sen- 
timent de  l'immortalité. 

Dans  une  époque,  héïas  *  encore  trop  près  de 
nous,  le  monde  eut  le  triste  spectacle  d'une  nation 
civilisée  foulant  aux  pieds  cette  loi  protectrice  et 
fondamentale  de  tout  ordre  et  de  toute  société.  Un 
peuple  en  délire  osa  profaner  à  la  face  du  soleil  les 
tombeaux  de  ses  aïeux...  mais  ce  peuple  était  sans 


ou  l'on  ne  dort  pas.  163 

roi,  sans  prêtres,  sans  autels..  ;  je  me  trompe,  mes 
Frères  !  il  avait  des  rois  :  Danton,  Robespierre  et 
Ma  rat  ;  des  prêtres  :  la  guillotine  et  le  bourreau  ; 
des  autels  enfin,  où  Dieu  était  remplacé  par  des 
courtisanes  que  l'antre  de  la  débauche  avait  vomies 
de  son  sein  !..  absolument  comme  dans  ces  temps 
dissolus  dont  parle  Tacite  :  eas  altaria  receperunt 
quas  lupanar  ejecerat.  Ah  !  c'en  était  fait  de  cette 
pauvre  nation  si  ce  régime  satanique  eut  duré  quel- 
ques mois  de  plus  ;  tant  il  est  vrai  que  tout  s'enchaî- 
ne dans  le  monde  moral  comme  dans  le  monde 
physique,  et  qu'on  ne  saurait  toucher  à  la  religion 
sans  mettre  la  société  en  péril,  ni  attenter  au  res- 
pect des  morts  sans  que  le  contrecoup  n'en  retombe 
sur  les  vivants. 

Ainsi,  mes  Frères,  tous  les  peuples  du  monde  ont 
admis  l'existence  d'une  autre  vie  et  trouvé  dans 
leur  cœur  le  sentiment  de  leur  immortalité.  Où  est 
maintenant  l'impie,  ouest  l'insensé  qui  oserait  pré- 
tendre que  la  foi  du  genre  humain  peut  être  sans 
objet  réel  et  ce  sentiment  profond,  constant,  inébran- 
lable, inspiré  par  une  chimère?  Celui  qui  pourrait 
méconnaître  dans  cet  instinct  universel  la  voix  de 
la  nature  et  de  la  vérité  se  verrait  seul  contre  le 
genre  humain  et  forcé  de  nier  Dieu.  j 

Or  on  ne  conteste  pas  avec  des  gens  qui  sont  de  ] 
taille  à  lutter  contre  l'évidence  ;    le  gros   bon  sens 
en  fait  justice  et  le  ridicule  les  tue. 

Étrange  aveuglement,  qui  pourra  le  définir,  le 
comprendre,  mes  Frères!  Quoi!  nier  son  âme,  sa 
consolation   dans  le  malbeur,  le  motif  de  son   espé- 


164 


PET 


rance,  nier  son  plus  beau  titre  de  gloire,  envier  T9 
sort  de  la  brute  1  et  tout  cela,  dans  l'intérêt  des  nlus 
viles  passions  !.. 

Ah  !  nous  préserve  le  ciel  d'un  si  honteux  esclavage 
d'une  si  criminelle  folie!  soyons  fiers  au  contraire' 
soyons  heureux  du  sentiment  de  notre  immortalité' 
mêlons  avec  transport  notre  voix  à  la  voix  de  nos  frère*'* 
l  la  voix  de  tout  le  genre  humain  ;  et  puisse  le 
venir  de  notre  âme  et  de  sa  destinée  éternelle  en 
calmant  ici-bas  nos  chagrins  et  nos  douleurs  nous 
animer  à  la  pratique  du  bien  et  nous  mériter  après 
la  mort  l'immortelle  couronne  de  la  vertu  t  Ainsi- 
soit-il  ! 


DIX-HUITIÈME  SERMON 

IMMORTALITÉ  DE  ,'AME.    -    LA   CONSCIENCE    ET   L'0UD„E 
MORAL. 

Etdixi  in  corde  meo:  Justum  et  mpiurn 

Et  j  ai  dit  dans  mon  coour:  Dieu  jugera  le 
juste  et  l'impie.  (Ecclés.  ni,  27.) 

Mes  Frères,  nous  lisons,  dans  l'histoire  de  l'infortuné 
Loujs  XVI,  qu'un  brigand  de  la  révolution  s'étant  un 
jour  approebé  du  Roi,  et  lui  ayant  appuyé  la  pointe  de 
sa  lance  sur  la  poitrine,  un  garde  national  s'élança  et 
détourna  l'arme  de  ce  misérable  en  disant  au  prince  • 
Sire,  ne  craignez  rien  ! 

Aussitôt  Louis  XVI  lui  prit  la  main,  et,  l'appli- 
quant sur  sa  poitrine:  Mon  ami,  lui  dit-il  sans  s'é- 
mouvoir,  la  conscience   d'un   honnête  bomme  est 


ou  l'on  ne  dout  pas.  1G5 

tranquille:   sentez  si  mon  cœur  bat  plus  vite  qu'à 
l'ordinaire  ! 

Mes  Frères,  je  vous  le  demande,  n'est-ce  pointlà 
une  saisissante  application  de  cette  profonde  maxime 
du  poète  païen  qui  disait  :  «  Rien  ne  rassure  au  milieu 
«  des  plus  grands  dangers  comme  ie  témoignage 
«  d'une  conscience  pure  :  l'univers  croulerait  sur 
«  l'homme  juste  qu'il  resterait  impassible,  inébranlable 
«  sous  ses  ruines.  » 

Mais  le  méchant,  celui  dont  l'âme  est  agitée  par  le 
remords,  oh  1  quel  contraste,  mes  Frères,  et  qu'il  est 
frappant!  au- sein  des  plaisirs,  quand  tout  lui  sourit, 
lui  prospère,  il  est  sombre,  il  gémit,  il  est  en  enfer  1 
Lh  bien,  je  ne  connais  pas  de  plus  évidente  preuve  de 
notre  immortalité  ! 

En  effet,  chrétiens,  si  vous  descendez  au  fond  de 
votre  âme,  vous  y  trouverez  un  témoin  secret,  mais 
irrécusable,  de  ce  principe  sacré,  la  conscience. 

N'est- il  pas  vrai  qu'après  une  action  bonne  ou 
mauvaise,  un  juge  intérieur  vous  approuve  ou  vous 
condamne?  N'est-il  pas  vrai  qu'en  dépit  de  tous  ves 
.raisonnements  et  de  votre  philosophie,  il  vous  impose 
:  ses  arrêts,  commande  en   maître  au  nom  du  ciel,  et 

vous  juge  en  dernier  ressort,  payant  l'obéissance  par 
un  témoignage  llatteur,  mais  vous  agitant  de  toutes 
les   tortures  du  remords,  si  vous  avez  méconnu  sa 

voix? 

«  Chaque  homme,  dit  Chateaubriand,  a  au   milieu 

9  du  cœur  un  tribunal  où  il  commence  à  se  juger  lui- 

i  même  en  attendant  que  l'arbitre  souverain  confirme 

n  la  sentence. 


tG6  PETITS  SERMONS 

a  Si  le  vice  n'est  qu'une  conséquence  physique 
«  de  notre  organisation  d'où  vient  cette  frayeur  qui 
<«  trouble  les  jours  d'une  prospérité  coupable?  Pour- 
«  quoi  le  remords  est-il  si  terrible  qu'on  préfère  sou- 
«  vent  se  soumettre  à  la  pauvreté  et  à  toutes  les 
«  rigueurs   de  la    vertu   plutôt   que  d'acquérir  des 
u  biens  illégitimes  ?  Pourquoi  y  a-t-il  une  voix  dans 
«  le  sang,  une  parole  dans  la  pierre?  Le  tigre  dé- 
«  chire  sa  proie  et  dort  ;  l'homme  devient  homicide  et 
«  veille  :  il  cherche  les  lieux  déserts,  et  cependant  la 
«  solitude  l'effraie  ;  il  se  traîne  autour  des  tombeaux, 
«  et  cependant  il  a  peur  des  tombeaux.  Son  regard 
«  est  inquiet  et  mobile  ;  il  n'ose  fixer  le  mur  de  la 
«  salle  du  festin,   dans  la  crainte  d'y  voir  des  carac- 
«  tères   funestes  :    tous   ses  sens  semblent  devenir 
«  meilleurs  pour  le  tourmenter  :  il  voit  au  milieu  de 
a  la   nuit  des  lueurs  menaçantes  ;   il   est  toujours 
«  environné  de  l'odeur  du  carnage  ;  il  découvre  le 
«  goût   du   poison  jusque  dans  les  mets  qu'il  a  lui- 
k  même   apprêtés.    Son   oreille,  douée  d'une  étrange 
«  subtilité,  trouve  le  bruit  où  tout  le  monde  trouve 
«  le  silence,  et  en  embrassant  son  ami,  il  croit  sentir 
«v  sous  ses  vêtements   un  poignard  caché...  O  cons- 
«  cience,  ne  serais-tu  qu'un  fantôme  de  l'imagination 
«  ou  la  peur  du  châtiment  des  hommes  i  ?  » 
,     Non,    non,    mes   frères,   car  l'homme   abandonne 
sans   peine   le  fantôme    que  son  imagination   s'est 
créé,    et    le  remords    le     déchire,    son  crime   fût-il 
ignoré   de   toute  la  terre,  se  sentît-il  assuré  de  l'im- 

1  Chat  ,  Génie  du  cluislian. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  167 

punité.  Or,  si  l'âme  périt  avec  le  corps,  si  tout  finit 
avec  la  tombe,  qu'on  nous  explique  d'une  manière 
raisonnable  ce  sentiment  profond  que  ne  peut  étouf- 
fer entièrement  le  plus  intrépide  scélérat  :  qu'on  lui 
donne  une  autre  origine  que  l'assurance  d'une  seconde 
vie,  qu'on  l'appelle  autrement  qu'une  annonce  du 
jugement  de  Dieu  ! 

Allons  plus  loin,  chrétiens.  Nous  avons  admiré  la 
beauté  de  l'univers  ;  pénétrés  d'un  saint  enthou- 
siasme à  l'aspect  de  tant  de  merveilles,  nous  sommes 
tombés  à  genoux  pour  adorer  l'auteur  d'un  ensemble 
si  parfait,  et  la  providence  qui  règle  avec  tant  d'or- 
dre et  d'harmonie  le  monde  physique  :  Mais  en  est- 
il  de  même  du  monde  moral  ?  —  A  n'en  juger  que 
par  ce  que  nous  voyons  tous  les  jours,  et  si  nous 
faisons  abstraction  de  la  vie  future,  où  sont  la  sa- 
gesse, la  beauté,  la  justice  du  Dieu  dont  la  provi- 
dence gouverne  le  monde  ? 

Est-il  sage,   le  Dieu  qui  laisse  subsister  tant  de 
désordres  sur  la  terre  où  nul  n'est  à  sa  place,  où  rè 
gnent  sans  contrôle  l'égoïsme  ,  le  caprice ,   les  pas- 
sions, et  qui  semble  avoir  abandonné  son  œuvre  à  la 
merci  d'un  ave^c-le  hasard  ? 

Où  est  la  bonté  ûv.  Dieu  qui  permet  que  le  monde 
soit  inondé  de  ta  "\t  de  fléaux,  de  calamités,  qu'on 
dirait  qu'il  n'a  crév  l'homme  que  pour  se  rendre 
malheureux? 

Enfin  est-il  juste,  K  Dieu  qui  laisse  ainsi  le  mal 
dominer  le  bien  sur  la  \erre  où  l'impie  jouit  en  paix 
du  prix  de  la  vertu,  où  VI  <)imête  homme  a  le  plus 
souvent  pour  partage  l'abjection  et  les  peines   du 

11 


ÎÔ8  PETITS  SERMONS 

vice  ;  où  Fambition  et  l'intrigue  heureuse  obtiennent 
îa  première  place  que  redoute  le  mérite  modeste,  et  > 
qu'on  lui  refuse  d'ailleurs  presque  toujours  ? 

Non,  non,  mes  frères,  Dieu  ne  serait  pas  Dieu,  s'il 
ne  venait  pas  un  temps  où  chacun  reprît  sa  place  et 
où  la  providence  apparût  dans  tout  son  jour  :  mieux 
vaudrait  nier  Dieu  que  de  le  supposer  indifférent  à 
tant  de  désordres... 

«  —  Quand  je  n'aurais  sur  la  terre,  dit  Jean-Jac- 
ques Rousseau,  d'autres  preuves  de  l'immortalité 
<*  de  lame  que  le  triomphe  du  méchant  et  l'oppression 
«  du  juste  en  ce  monde,  cela  seul  m'empêcherait 
«  d'en  douter.  Une  contradiction  si  manifeste,  une 
«  si  choquante  dissonance  dans  l'harmonie  univer- 
«  selle  me  ferait  chercher  à  la  résoudre  et  je  me 
«  dirais  :  Tout  ne  finit  pas  avec  la  vie,  tout  rentre 
«  dans  l'ordre  à  la  mort...  » 

Otez  l'immortalité  de  l'âme  et  la  vérité  d'un  éter- 
nel avenir  ;  plus  de  différence  entre  le  vice  et  la 
vertu;  tout  est  bouleversé,  confondu,  le  bien,  le  mal, 
tout  change  de  nom. 

En  effet,  mes  frères,  si,  comme  on  l'a  vu  plus 
haut,  tout  finit  avec  le  corps,  vivre  est  le  souverain 
bien,  mourir  le  souverain  mal  :  jouir  de  la  vie  doit 
donc  être  l'unique  occupation  de  l'homme  :  éviter  la 
souffrance,  son  devoir  le  plus  sacré. 

Or,  le  vice  flatte  la  nature,  tandis  que  la  vertu  lu 
impose  de  pénibles  sacrifices.  Où  en  sera  la  récom 
pense,  si  tout  se  termine  à  la  tombe  1  —  Dans  cette 
vie  ?  Mais  nous  y  voyons  le  plus  souvent  la  vertu 
misérable,  humiliée.  —  Où  sera  le  châtiment   du 


ou  l'on  ne  dort  pas  169 

crime?  I!  y  est  presque  toujours  honoré,  triomphant. 
Et  pourtant,  mes  frères,  l'illusion  n'est  pas  possible, 
il  faut  une  sanction  à  la  loi  naturelle  comme  à  la  loi 
civile,  et  le  simple  bon  sens  nous  dit  qu'il  doit  exis- 
ter une  différence  entre  un  voleur  et  un  honnête 
homme,  entre  l'enfant  qui  nourrit  son  père  et  celui 
qui  le  tue,  entre  Lacenaire  et  Vincent-  de«Paul... 
Encore  une  fois,  chrétiens,  où  sera  cette  différence 
si  tous  les  deux  doivent  être  anéantis  ?  Qui  l'éta- 
blira? Les  tribunaux,  la  loi  humaine,  le  bourreau  1 
—  A  la  bonne  heure,  si  je  suis  pris  ;  mais  si  j'ai  pu 
faire  le  mal  sans  témoins?  Établie  pour  punir  le 
crime,  la  loi,  par  le  fait,  ne  punit  que  la  maladresse 
qui  s'y  laisse  prendre. 

Et  puis,  quand  le  vice  recevrait  toujours  son  châ- 
timent sur  la  terre,  où  serait  la  récompense  de  la 
vertu  1  La  loi  des  hommes  punit,  mais  ne  récom- 
pense pas. 

—  Sans  doute,  dira-t-on»  mais  la  vertu  trouve  sa 
récompense  dans  la  paix  du  cœur  et  le  orime  son 
châtiment  dans  les  remords. 

—  Quand  même  on  accorderait  que  l'espérance 
d'un  bien  et  le  pressentiment  d'un  mal  en  sont  la 
réalité  plutôt  que  l'annonce,  quand  même  il  serait 
vrai  que  la  vertu  se  contente  d'un  si  mince  salaire 
de  ses  pénibles  sacrifices,  et  ne  le  considère  pas  tout 
au  plus  comme  un  asile  contre  le  désespoir  ;  quand 
même  les  grands  criminels,  à  force  de  lutter  contre 
le  remords,  n'y  deviendraient  pas  d'autant  plus  in- 
sensibles qu'ils  enfoncent  plus  wmt  dans  l'abîme, 
qu'on  nous  dise,  mes  frères,  C  serait  la  cens- 


17Ô  PETITS  SERMONS 

cience  sans  l'espoir  d'une  autre  vie?  Est-ce  que  vous 
en  concevez  même  la  possibilité  ? 

Car  enfin  la  conscience  n'est  autre  chose  que  le 
sentiment  de  notre  immortalité  ;  l'immortaiité  seule 
en  donne  la  raison  et  lui  sert  de  fondement.  L'homme 
ne  s'applaudit  d'avoir  fait  le  bien  et  ne  tremble  d'a- 
voir fait  le  mal  qu'à  cause  du  pressentiment  de 
l'arrêt  qui  l'attend  au  jour  de  toute  justice  :  sans 
cette  pensée,  le  remords  serait  une  folie  et  nous  de- 
vrions repousser  comme  un  leurre  cruel  le  conten- 
tement que  donne  la  vertu. 

—  u  Otez  la  justice  éternelle  et  l'espérance  d'une 
a  autre  vie,  dit  encore  Jean- Jacques  Rousseau,  je  ne 
«  vois  plus  dans  la  vertu  qu'une  folie  à  laquelle  on 
«  donne  un  beau  nom...  » 

Et  le  suicide,  mes  frères,  le  suicide,  cette  plaie 
hideuse  de  notrs  siècle,  ce  crime  de  lèse- société,  de 
lèse-humanité,  cet  attentat  contre  lequel  la  loi  di- 
vine est  impuissante  comme  la  loi  humaine,  si  le 
coupable,  en  se  donnant  la  mort,  se  précipite  dans 
le  néant,  qui  l'arrêtera?  Qui  le  punira? 

—  Mais  que  dis  je,  le  puni?'  ?  Ah  î  il  n'est  plus 
blâmable,  il  devient  glorieux  et  mérite  noire  admi- 
ration, car  c'est  la  plus  belle  victoire  qu'un  mortel 
puisse  remporter  :  c'est  le  triomphe  du  néant  sur 
l'êlie,  de  la  matière  sur  l'esprit,  de  l'homme  sur 
Dieu  lui-même,  puisqu'il  peut  le  braver  en  lui  échap- 
pant sans  retour...  —  Quel  blasphème  !  Ah!  disons 
plutôt,  chrétiens,  que  cet  acte  insensé,  loin  de  ravir 
au  créateur  sa  victime,  la  jette  au  contraire  avant 
l'heure  entre  ses  mains  irritées  ;  disons  plutôt  que 


ou  l'on  ne  dort  pas.  171 

ce  triomphe  coupable  de  l'âme  sur  le  corps  est  la 
plus  forte  preuve  de  la  spiritualité  de  notre  âme,  et 
partant,  de  son  immortalité;  vit-on  jamais  l'animal 
se  donner  la  mort  ?  —  Et  d'ailleurs,  est-ce  qu'il  ne 
répugne  pas  que  la  puissance  qui  tue  soit  la  même 
qui  est  tuée  ?  Est-ce  que  l'acte  suprême  qui  révèle, 
en  un  sens,  à  cette  heure  fatale,  une  si  formidable 
puissance,  peut  être  en  même  temps  l'acte  de  son 
anéantissement? 

Enfin,  mes  frères,  il  est  dans  la  vie  de  certains 
hommes  un  moment  solennel  où  cette  vérité  se 
palpe  en  quelque  sorte  et  nous  apparaît  de  la  der- 
nière évidence. 

Avez-vous  jamais  vu  mourir  un  vieillard  ?  —  Je 
parle  de  ces  natures  privilégiées  qui  arrivent  pour 
ainsi  dire  insensiblement  à  l'heure  dernière,  de  ces 
hommes  qui  conservent  jusqu'à  l'agonie  toute  leur 
connaissance  et  une  lucidité  d'esprit  qui  nous  fait 
comprendre  qu'ils  se  sentent  mourir. 

Le  corps,  depuis m longtemps  miné  par  l'âge  et  la 
maladie,  est  mort  d'avance  en  quelque  sorte  ;  Pâme 
seule  rayonne  encore  sur  ce  front  serein,  et  jette, 
pour  ainsi  dire,  ses  dernières  lueurs  avant  de  s'en- 
voler sans  retour  :  ainsi,  avant  de  s'éteindre,  l'étin- 
celle brille  d'un  plus  vif  éclat. 

On  a  vu  des  médecins,  au  lit  de  la  mort,  étu- 
dier ,  le  doigt  sur  l'artère  ,  les  progrès  du  mal 
qui  les  consumait,  et  s'en  rendre  raison  jusqu'à 
la  fin. 

Cuvier  parvient  à  l'agonie  avec  toute  la  plénitude 
de  son  esprit.  Sa  haute  intelligence  suivait,  consta- 


172  PETITS  SERMONS 

tait  les  pas  cle  la  mort  et -soumettait  à  ses  calculs  les 
dernières  pulsations  de  son  cœur. 

On  rapporte  de  Guillaume  de  Humboldt  qu'il  à 
donné  la  meilleure  preuve  de  la  puissance  calme  de 
la  pensée  sur  les  infirmités  de  notre  nature,  et, 
qu'au  moment  de  mourir ,  il  a  montré  toute  l'in- 
fluence que  le  génie  peut  exercer  sur  une  vie  longue 
et  méditative.  —  En  effet,  depuis  longtemps  il  avait 
promis  à  ses  amis  de  composer,  comme  son  dernier 
rodicille,  un  traité  très-concis  sur  la  philosophie 
du  langage  ;  et,  dans  les  derniers  jours  de  sa  vie, 
réduit  par  la  maladie  à  un  si  grand  état  de  faiblesse 
qu'il  ne  pouvait  plus  tenir  à  la  main  ni  livre,  ni 
plume,  penché  sur  la  table,  comme  un  homme 
courbé  sous  le  poids  des  années,  il  semblait  concen- 
trer à  l'intérieur  ces  facultés  énergiques  si  variées, 
qui,  dans  de  meilleurs  jours,  le  rendaient  égale- 
ment propre  aux  méditations  du  philosophe  et  aux 
travaux  de  l'homme  d'État. 

«  C'est  ainsi  »  ajoute  le  savant  prélat  qui  rapporte 
ce  fait,  «  c'est  ainsi  qu'il  a  dicté  un  ouvrage  profond 
«  sur  un  des  sujets  les  plus  difficiles,  ouvrage  qui, 
«  lorsqu'il  sera  publié,  donnera  au  monde  un  noble 
«  exemple,  non  de  la  passion  qui  domine  la  mort, 
«  mais  d'une  intelligence  directrice  qui  y  puise  sa 
«  force  l.  » 

Or,  je  vous  le  demande,  mes  frçres,  est-il  possible 
que  l'âme,  qui  devient  de  plus  en  plus  visible  en 
quelque  sorte  sur   ces  traits  inanimés,  qui  hâte  de 

1  Le  card.  Wiseman. 


OU  l/ON  NE  DORT  PAS.  173 

tout  son  pouvoir  la  rupture  de  ses  liens  et  redouble 
d'énergie  à  mesure  que  la  mort  redouble  ses  rava- 
ges, est-il  possible  que  cette  âme  s'éteigne  en  ren- 
trant dans  son  domaine  et  soit,  pour  ainsi  dire, 
écrasée  sous  les  ruines  de  sa  prison?  Non,  non,  la 
mort  du  corps,  c'est  pour  elle  la  délivrance  et  la  plé- 
nitude de  la  vie  ;  elle  redevient  reine  et  recouvre  sa 
puissance  en  recouvrant  sa  liberté. 

Et  maintenant,  chrétiens,  je  le  demande  à  tout 
homme  qui  n'a  pas  fait  divorce  avec  le  sens  commun, 
puisque  l'arbre  se  reconnaît  à  ses  fruits,  est-il  quel- 
que frein  sur  la  terre,  y  a-t  il  rien  de  noble,  de  vrai- 
ment grand,  de  solidement  vertueux  qui  n'ait  sa 
source  dans  le  sentiment  de  l'immortalité  1  Si  la 
pensée  d'une  vie  future  était  bien  ancrée  dans  nos 
âmes,  la  terre  ne  serait-elle  pas  un  paradis  ? 

Et  que  deviendrait  au  contraire  la  société,  si  la 
doctrine  impie  du  matérialiste  venait  à  prévaloir,  s'il 
était  bien  établi,  bien  arrêté  que  tout  meurt  avec  le 
corps,  et  que  l'on  peut,  par  exemple,  du  même 
coup,  échapper  à  la  justice  humaine,  en  finir  avec 
la  souffrance  et  braver  le  courroux  d'un  Dieu  ven- 
geur? Quel  désordre,  mes  frères,  quel  chaos  dans 
l'univers  !  —  «  Dès  lors,  dit  un  éloquent  orateur, 
«  tout  est  confondu  sur  la  terre  ;  et  toutes  les  idées 
«  du  vice  et  de  la  vertu  disparaissent  ;  et  les  lois  les 
«  plus  inviolables  de  la  société  s'évanouissent  ;  et 
«  la  discipline  des  mœurs  périt;  et  le  gouverne- 
«  ment  des  états  et  des  empires  n'a  plus  de  règle  ;  et 
«  toute  l'harmonie  du  corps  politique  s'écroule  ;  et 
«  le  genre  humain  n'est  plus  qu'un  assemblage  d'in- 


174  PETITS  SEMIONS 

«sensés,  de  barbares,  d'impudiques,  de  furieux,  de 
«  fourbes,  de  dénaturés,  qui  n'ont  plus  d'autre  loi 
«  que  la  force,  plus  d'autre  frein  que  leurs  passions 
«  plus  d'autre  bien  que  l'inaépendance  et  l'irréli- 
«  g.on,  plus  d'autre  Dieu  qu'eux-mêmes...  Voilà  le 
«  monde  des  impies  ;  si  ce  plan  affreux  de  républi- 
«  que  vous  plaît,  formez,  si  yous  le  pouvez,  une  so- 
«cietédecesbommes  monstrueux;  tout  ce  qu'il 
«  me  reste  à  dire,  c'est  que  vous  êtes  digne  d'y 
«  occuper  une  place  *  !... 

Concluons  donc,  mes  frères,  que  notre  âme  est 
immortelle  et  qu'il  y  a  une  autre  vie  ;  tout  en  nous 
et  hors  de  nous  démordre  cette  grande  vérité.  Pour 
oser  la  nier,  je  ne  cesserai  de  le  répéter,  pour  oser 
la  mettre  en  doute,  il  faut  avoir  perdu  tout  senti- 
ment et  vouloir  avoir  raison  contre  tout  l'univers,  je 
me  trompe,  c'est  afficher  une  âme  dépravée  et  tra- 
hir un  secret  intérêt  à  ce  que  tout  finisse  avec  le 
corps. 

«  Dès  qu'on  a  sujet  de  redouter  l'avenir,  a 
«  dit  un  profond  penseur,  on  ne  le  souhaite  plus, 
«  et  dès  qu'on  cesse  de  le  souhaiter,  on  cher- 
«  che  bientôt  à  n'y  pas  croire;  c'est  ainsi  que  l'in- 
«  crédulité  démontre  une  conscience  coupable. 
«  Quand  la  pensée  de  l'avenir  vient  visiter  les  incré- 
«  dules,  et  qu'elle  entre  de  force  dans  leur  âme,  ils 
«  rampent,  ils  tremblent,  ils  croient...  Quoi  I  être 
«  incrédule  et  craindre  l'avenir  !  craindre  un  rêve, 
«  une  fable I  Ah!  leurs  terreurs  démontrent  l'évi- 

1  Massillou 


otr  l'on  ne  dort  pas.  175 

«  dence  de  la  cause  que  je  défends  ;  l'incrédulité  se 
«  dément  elle-même,  elle  avoue  sans  le  vouloir 
«  qu'il  est  une  vie  immortelle  *  !  » 

N'oublions  donc  pas,  mes  frères,  que  nous  avons 
trop  de  raisons  de  croire  à  la  vérité  d'un  avenir  pour 
douter  un  instant  de  notre  immortalité  ;  mais  qu'il 
est  des  hommes  si  pervers  qu'ils  ont  besoin  de  se 
faire  une  croyance  en  harmonie  avec  leurs  instincts 
grossiers  :  plaignons-les  de  toute  notre  âme,  ces  mi- 
sérables assez  dégénérés  pour  nier  leurs  titres  de 
noblesse,  et  souvenons  nous  qu'il  faut  avoir  vécu  de 
la  vie  de  la  brute  pour  être  réduit  à  en  souhaiter  la 
mort. 

Ah  !  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi  de  nous,  ô  mon 
Dieu  1  Préservez-nous  du  malheur  de  nier  notre 
âme  et  ses  éternelles  destinées  !  Faites,  nous  vous 
en  conjurons,  que  notre  vie  soit  si  pure,  si  solide- 
ment chrétienne  que,  loin  d'avoir  besoin,  pour  notre 
bien-être  et  notre  repos,  de  nier  l'existence  de  la 
vie  future,  nous  aimions  au  contraire  à  en  invoquer 
le  souvenir  comme  l'annonce  bénie  de  la  gloire  qui 
nous  attend!  Rendez -nous  heureux,  saintement 
fiers  d'être  immortels  ;  et  cette  pensée  salutaire, 
après  nous  avoir  donné  l'amour  du  devoir  et  le  cou- 
rage de  la  vertu  sur  la  terre,  nous  en  fera  mériter  la 
récompense  éternelle  dans  le  ciel  !  Amen  ! 


1  Young, 


\U 


178  PETITS  SERMONS 


DIX-NEUVIÈME   SERMON 

RÉPONSE   A   QUELQUES  OBJECTIONS. 

Expectatio  justorum  lœtilia  :  spes  autcm 
impiorum  perîbil. 

L'attente  du  juste  ost  pleine  de  joie  :  mais 
l'espoir  des  méchants  périra.   VProv-x>  -8-) 

Mrs  Frères,  il  y  a  dans  l'Écriture  une  page  pro- 
fonde, sérieuse  et  bien  de  nature  à  faire  réfléchir 
tout  le  monde,  mais  que  les  méchants  ne  sauraient 
lire  sans  terreur  ;  c'est  le  deuxième  chapitre  du  livre 
de  la  Sagesse. 

Après  avoir  rapporté  assez  en  détail  les  illusions 
des  impies  au  sujet  de  la  vie  future,  leurs  sophismes 
et  leurs  vains  raisonnements  pour  s'enhardir  au 
crime  et  étouffer  dans  leur  cœur  la  sainte  voix  du 
remords,  l'écrivain  sacré  renverse  tout  cet  échafau- 
dage de  subtilités  et  d'insolents  propos  par  cette  sen- 
tence solennelle  à  la  fois  si  consolante  pour  les 
justes,  mais  si  terrible  pour  les  méchants  :  »  Ils  se 
«  sont  trompés:  leur  malice  les  a  aveuglés,  n'ayant 
<•  rien  à  espérer,  mais  tout  h  craindre  dans  l'autre 
«  vie  i  car  Dieu  a  créé  l'homme  impérissable,  im- 
«  mortel  :  CreavH  enim  Deus  kominem  inextermina- 
«  bilem  * ,  » 

Si  vous  avez  lu  ce  chapitre >  mes  frères,  vous  avez 
pu  vous  convaincre  une  fois  de  plus  de  la  vérité  de 
cette  parole  du  sage  :  Nihil  sub  sole  novum  2,  rien  de 
nouveau  sous  le  soleil. 

i  Sap.  n,  37.  —  a  Ecclé.  ï,  10, 


ou  l'on  ne  dort  pas.  171 

En  effet,  ce  que  nous  voyons  aujourd'hui,  Salo- 
mon  le  voyait  il  y  a  trois  mille  ans  :  c'est  que  l'impie 
est  toujours  le  même  ;  que  s'il  nie  la  vie  future,  c'est 
pour  être  plus  libre  dans  la  vie  présente  ;  c'est  que 
la  conclusion  de  ses  sophismes  et  de  ses  blasphèmes 
fut  de  tout  temps,  celle-ci,  à  quelques  variantes 
près  : 

♦«  Couronnons-nous  de  roses  avant  qu'elles  se  flé- 
«  trissent;  mangeons  et  buvons  aujourd'hui,  puis- 
u  qu'il  faudra  mourir  demain  !  » 

Quant  aux  variantes,  vous  les  connaissez,  mes 
frères  :  depuis  que  le  père  de  nos  modernes  épicu- 
riens a  mis  ce  ricanement  impie  en  gaudriole  il  se 
redit  sur  tous  les  tons,  se  montre  sous  toutes  les  for- 
mes :  vignettes,  drames,  romans,  couplets  d'opéra, 
c'est  à  peu  près  partout  le  même  refrain  : 

«  Vive  le  présent!  qu'importe  l'avenir?  L'avenir 
est  un  vain  mot  :  Nous  n'avons  qu'un  temps  à 
vivre!...  » 

Voilà  où  nous  en  sommes,  chrétiens  !  Toujours 
au  même  point  après  trois  mille  ans...  Vantons-nous 
de  nos  progrès,  quand  nous  ne  sommes  que  de  mi- 
sérables plagiaires  I  —  Et  dire  que  cela  se  répète, 
que  ce  refrain  de  taverne  a  pu  devenir  une  objec- 
tion... une  objection  contre  l'immortalité  de  lame, 
une  objection  que  se  permettent  des  gens  qui  ne 
sont  pas  ivres!...  Dire  que,  même  des  chrétiens 
osent  mêler  leur  voix  à  la  voix  de  ces  insensés  et 
soulever  des  questions  qui  font  douter  de  leur  foi, 
sinon  de  leur  bon  sens  et  de  leur  raison  !... 

En  vérité,  n'est-ce  pas  peine  perdue  que  de  pren- 


478  PETITS  SERMONS 

dre  au  sérieux  des  difficultés  dont  îé  sens  commun 
fait  justice,  et  qu'on  ne  répète  du  reste  qu'en  ma- 
nière de  passe-temps  ? 

Oui  sans  doute  ;  et  pourtant,  comme  la  morgue  et 
l'aplomb,  avec  lesquels  certains  petits  raisonneurs 
iisent  :  Bah  !  il  n'y  a  pas  d'autre  vie!  et  répètent 
des  objections  cent  fois  mises  en  poudre,  pourraient 
séduire  les  simples,  permettez-moi  d'y  répondre  un 
moment  dans  cet  entretien  familier. 

—  On  nous  en  conte,  disent-ils,  on  veut  nous  ef- 
frayer, quand  on  est  mort  tout  est  mort. 

—  Comment!  tout  est  mort?  tout?  bien  sûr  t  Et 
cette  énormité,  vous  la  prononcez  sans  hésiter,  sans 
dire  au  moins  :  Peut-cire,  comme  Rousseau  et  tant 
d'autres  impies,  qui  répondaient  à  la  même  ques- 
tion :  Je  n'en  sais  rien?  Et  vous  pouvez  soutenir  la 
pensée  d'un  anéantissement  sans  retour?  — Allons 
donc!  vous  ne  parlez  pas  sérieusement,  laissez-moi 
vous  le  dire;  vous  mettez  sans  doute  une  différence 
entre  vous  et  votre  chien,  sans  quoi  il  n'y  aurait 
pas  plus  de  mal  à  vous  tuer  qu'à  écraser  l'insecte 
qui  bourdonne  à  mes  oreilles  ? 

—  Quand  on  est  mort,  tout  est  mort!  Certes,  comme 
vous  dites  cela!  Et  vous  ne  redoutez  pas  les  consé- 
quences de  cette  parole,  et  vous  osez  la  répéter  tout 
haut?  c'est  avoir  du  courage!  Vous  êtes  plus  brave 
que  Voltaire  lui-même  ! 

Il  soupait  un  soir  avec  Condorcet,  d'Alembert  et 
quelques  autres  philosophes;  et,  comme  à  l'ordi- 
naire, Dieu,  la  religion,  les  prêtres,  l'âme  humaine 
et  l'existence  d'une  autre  vie  formaient  le  menu  de 


ou  l'on  ne  dort  pas.  179 

la  conversation  :  ces  messieurs  coupaient ,  tran- 
chaient, sifflaient,  ricanaient  et  s'en  donnaient  à 
cœur  joie  :  c'était  une  bénédiction  de  les  entendre. 

Tout  à  coup,  vers  le  milieu  du  repas,  les  amis  de 
Voltaire  le  voyant  pâlir  et  jeter  ça  et  là  des  regards 
inquiets  lui  demandent  la  cause  de  son  trouble.  D'un 
signe,  le  patriarche  de  l'incrédulité  leur  montre  ses 
domestiques  écoutant  en  silence  la  discussion,  et  pa- 
raissant y  prendre  un  vif  intérêt. 

Aussitôt  il  les  renvoie  et  fait  fermer  les  portes  de 
la  salle. 

—  A  présent,  messieurs,  dit-il  à  ses  convives,  libre 
à  vous  de  continuer  vos  propos  contre  Dieu  et  la  vie 
future  ;  mais  comme  je  ne  veux  pas  être  assassiné  ni 
volé  cette  nuit  par  mes  domestiques,  il  est  bon  qu'ils 
ne  vous  entendent  pas...  —  «  Philosophes  entre  vous 
«  tant  qu'il  vous  plaira,  disait-il  dans  une  autre  cir- 
**  constance;  mais  si  vous  avez  une  bourgade  à  gou- 
«  verner,  il  faut  qu'elle  ait  une  religion  :  la  loi  veille 
«  sur  les  crimes  publics,  la  religion  sur  les  crimes 
«  secrets...  Il  faut  une  vie  future,  un  Dieu  vengeur 
«  aux  rois,  aux  ministres,  à  nos  procureurs;  il  faut 
«  un  Dieu  vengeur  à  l'homme  d'État,  à  l'homme  de 
«  cabinet,  à  nos  ouvriers;  il  en  faut  un  au  peuple; 
«  il  faut  un  Dieu  vengeur  à  tous  ceux  qui,  sans  la 
«  crainte  de  ce  Dieu,  nous  pileraient  dans  un  mor- 
«  tier  dès  qu'ils  y  trouveraient  leur  intérêt!...  *  » 

Je  vous  le  demande,  mes  frères,  vous  qui  n'avez 
jamais  répété  les  blasphèmes  des  impies,  est-ce  que 

1  Voltaire»  œuvres  diverses. 


l°®  PETITS  SERMONS 

la  terre  ne  Serait  pas  un  enfer  sans  la  foi  à  l'immor- 
talité  de  l'âme,  et  si  l'espérance  d'une  autre  vie  n'y 
enchaînait  pas  les  passions  frémissantes  ?  -  On  leur 
en  conte  !  et  dans  quel  but,  s'il  vous  plaît  ?  Quel  inté- 
rêt peut-on  avoir  à  les  tromper?  —  Que  dis-je?  et 
d'où  vient  que  le  genre  humain  s'est  ainsi  laissé  sé- 
duire? Comment  une  erreur,  un  conte  peut-il  être 
l'ange  gardien  de  la  société?  Certes,  chrétiens,  si 
l'immortalité  de  l'âme  est  un  conte,  avouez  du  moins 
que  c'est  un  conte  sublime  et  salutaire;  si  c'est  une 
erreur,  avouez  qu'elle  est  si  ancienne,  si  universelle 
et  si  enracinée  dans  le  cœur  humain,  qu'il  y  aurait 
de  la  honte  à  ne  pas  la  partager. 

On  veut  les  effrayer,  disent-ils  ;  et,  sans  doute,  s'ils 
vivent  en  épicuriens,  sans  autre  religion  que  celle 
du  ventre  et  des  sens,  ni  d'autres  espérances  que 
celles  de  l'animal  qu'on  engraisse  ! 

Vous-mêmes,   mes  frères,   auriez-vous  le  courage 
de  laisser  sommeiller  un  homme  au  bord  d'un  gouffre' 
ou  quand  une  bête  féroce  s'avance  pour  le  dévorer 
craindriez-vous    de  lui  déplaire  en  le  réveillant,  et 
pour  ne  pas  l'effrayer,  le  laisseriez-vous  périr?  Non, 
sans  doute.    Eh  bien,  celui  qui  s'étourdit  pour  ne' 
point  penser  à  une  autre  vie  est  un  malheureux  cent 
fois  plus  en  péril,  et  l'humanité  vous  fait  un  devoir 
de  lui  crier:  prenez  garde!...  S'il  s'en  épouvante, 
tant  mieux  !  l'instinct  de  la  conservation  lui  inspirera 
des  résolutions  fortes,  généreuses,  et  la  crainte  de 
Dieu  sera  pour  lui  le  commencement  de  la  sagesse. 

Mais,   pour  l'homme  vertueux  qui  vit  tranquille 
dans  le  calme  et  la  paix  d'une  bonne  conscience,  mes 


ou  l'on  ne  doivt  pas.  181 

frères,  pour  celui  qui  n'abuse  pas  du  présent,  il  ne 
redoute  pas  Fâvenïr,  il  rappelle  au  contraire  de  tous 
ses  vœux.  S'il  fit  le  bien,  s'il  se  soumit  à  la  con 
trainte  du  devoir,  le  sentiment  de  son  immortalité 
soutenait  son  courage...  Allez,  croyez  bien  que  sans 
la  crainte  de  Dieu  et  de  ses  jugements,  il  eût  mené 
lui  aussi,  la  vie  grand  train  :  il  y  avait  en  lui,  comme 
dans  tout  homme  qui  a  des  passions,  l'étoffe  d'un 

scélérat. 

—  Très-bien  jusque-là,  nous  dit-on;  mais  c'est  à 
tort  que  vous  fondez  l'immortalité  de  l'âme  sur  sa 
spiritualité  ;  ne  lavoit-on  pas  en  quelque  sorte  éprou- 
ver tontes  les  vicissitudes  et  les  modifications  du  corps; 
végéter  avec  l'enfance,  bouillonner  avec  la  jeunesse, 
aspirer  au  bien-être,  au  repos  dans  1  âge  mûr,  bais- 
ser et  défaillir  chez  les  vieillards  1  Notre  âme  est 
donc  matérielle  comme  le  corps  et  doit  périr  avec 

lui. 

—  A  merveille  !  leur  répondrons  nous,  mes  frères, 
en  ce  cas,  plus  on  sera  frais,  vigoureux,  fortement 
constitué,  plus  on  aura  de  génie  :  c'eût  à  la  taille,  à 
l'embonpoint  qu'il  faudra  mesurer  la  valeur  person- 
nelle ;  nos  gros  bonnets  à  poil,   nos  tambours-ma- 
jors seront  les  plus  spirituels  des  hommes,  tous  nos 
hercules    devront  avoir  un  fauteuil  à  l'Académie? 
Allons  donc  1  et  depuis  quand,  s'il  vous  plaît,  les  facul- 
tés mentales  d'un  homme  sont-elles  justes  en  raison 
directe  de  ses  facultés  physiques?  Est-ce  qu'un  en- 
fant, et  un  enfant  de  nos  jours  surtout,  sans  même 
être  de  la  classe  des  enfants  terribles  ou  des  prodiges, 
ne  désoriente  pas  souvent  son  père  et  sa  mère  par 


182  PETITS  SERMONS 

son  intelligence  précoce,  son  aplomb  et  ses  fines  ré- 
parties ?  Est-ce  que  le  talent  ne  se  cache  pas  d  ordi- 
naire sous  les  dehors  les  moins  apparents,  sous  une 
enveloppe  malingre  et  chétive?  La  plaisante  préten- 
tion, que  de  vouloir  peser  la  matière  et  la  pensée  à 
la  même  bascule,  de  vouloir  que  le  corps  le  plus 
vigoureux  rerve  toujours  d'instrument  à  l'esprit  le 
plus  fort! 

Mon  Dieu,  mes  frères,  je  conviens  sans  doute  que 
l'âme  et  le  corps  sont  faits  l'un  pour  l'autre,  avec 
cette  différence  toutefois  que  l'esprit  est  le  maître  et 
la  matière  l'esclave  :  qu'avec  une  nature  essentielle- 
ment distincte  et  des  facultés  diamétralement  oppo- 
sées, ces  deux  substances  ont  l'une  sur  l'autre  une 
influence  réelle  ;  j'avoue  qu'en  vertu  de  leur  union 
mystérieuse,  il  •  Me  entre  elles  une  correspondance 
si  intime  que,  quand  lune  éprouve  quelque  altéra- 
tion, l'autre  en  est  naturellement  affectée  ..  Ainsi, 
dans  les  maladies  du  corps,  il  est  tout  simple  que 
l'âme  ressente  une  certaine  langueur  comme  elle 
éprouve  de  la  jouissance  quand  le  corps  jouit. 

Mais  est-ce  à  dire  pour  cela  que  ces  deux  subs- 
tances soient  également  corporelles,  qu'elles  soient 
une  seule  et  même  chose?  Non,  sans  doute  :  presque 
tous  nos  membres  ont  avec  notre  estomac  une  telle 
relation,  qu'ils  souffrent  quand  notre  estomac  souffre, 
et  que  lorsqu'il  est  rentré  dans  son  état  naturel,  le 
sentiment  de  son  bien-être  se  communique  à  tout  le 
corps.  Direz-vous  pour  cela  qu'il  n'y  ait  pas  de  diffé- 
ence  entre  notre  estomac  et  nos  membres,  et  que 
nos  membres  soient  notre  estomac? 


OU  L'ON  NE  DORT  PA3,  183 

Que  dans  l'enfance,  noire  âme  ne  soit  pas  plus  que 
notre  corps  dans  l'état  de  développement  où  elle  par- 
vient plus  tard,  cela  prouve  tout  au  plus,  mes  frères, 
qu'elle  n'a  pas  acquis  toutes  les  idées  que  donnent 
les  sensations  et  l'expérience,  qu'elle  n'a  pas  exercé 
son  jugement,  agrandi  ses  facultés.  De  même  chez 
les  vieillards,  si,  lorsque  les  organes  s'affaiblissent, 
l'âme  perd  aussi  de  sa  vigueur,  c'est  que  les  sensa- 
tions se  sont  émoussées  comme  les  organes  qui  les 
transmettaient.  Donnez  à  un  centenaire  sa  verdeur  et 
ses  jambes  de  quinze  ans,  et  vous  le  verrez  folâtrer 
et  bondir  comme  un  jeune  homme. 

D'ailleurs,  chrétiens,  nous  sommes  loin  d'admettre 
que  dans  le  cours  de  la  vie,  notre  âme  éprouve  toutes 
les  modifications  du  corps  :  combien  d'enfants  dé- 
biles, malsains,  rachitiques,  montrent  de  bonne 
heure  plus  d'esprit,  de  jugement,  de  maturité  que 
les  enfants  les  mieux  venus  !  Que  de  vieillards  dont 
la  pénétration,  la  mémoire,  la  volonté  redoublent 
d'énergie  à  mesure  que  le  corps  s'affaiblit  et  penche 
vers  la  tombe  !  Ne  voit-on  pas  souvent  des  hommes 
qui,  par  sentiment  d'honneur,  par  vertu  morale  et 
surtout  par  religion,  maîtrisent  leur  tempérament, 
triomphent  des  passions  les  plus  fougueuses  et  do- 
minent les  plus  violentes  inclinations  corporelles  ! 

Et  pour  en  venir  à  un  exemple  plus  familier  dont 
vous  me  permettrez  de  me  servir,  si  l'âme  subit  né- 
cessairement toutes  les  vicissitudes  et  les  modifica- 
tions du  corps,  d'où  vient  qu'un  borgne,  un  boiteux, 
un  muet,  un  aveugle,  un  sourd,  ont  d'ordinaire  plus 
de  malice  et  d'esprit  que  les  gens  les  mieux  partagés 


ÎS4  T3TITS  SERMONS 

du  côté  de  fe  figure?  Pourquoi  le  vice  physique  est- 
il  sbuvérit  si  largement  compensé  au  moral?  N'est-il 
pas  vrai  que  dans  ce  système,  un  aveugle  devrait 
être  sans  idées,  un  sourd  sans  entendement,  un  bor- 
gne ne  voir  qu'un  côté  des  questions,  un  boiteux 
raisonner  de  travers  ?  Mais  nous  déraisonnons  nous- 
même  en  réfutant  ces  puérilités.  Concluons  donc  sé- 
rieusement, mes  frères,  que  l'esprit  est  parfaitement 
distinct  de  la  matière  et  qu'ils  ont  des  tendances 
o  •.  que  si,  en  vertu  de  son  union  avec  le  corps, 

notre  âme  semble  végéter  ici-bas,  vient  un  jour  su- 
prême où  la  chrysalide  transformée  s'élance  loin  de 
l'enveloppe  grossière  qui  fut  sa  prison  et  s'envole 
vers  son  Dieu  qui  l'attend  à  cette  heure  solennelle 
peur  la  maudire  ou  la  bénir. 

—-  Allons  donc!  nous  dit-on  enfin,  l'immortalité 
de  l'âme  est  une  brillante  rêverie,  et  la  vie  future  un 
fantôme  dont  la  pensée  empoisonnerait  la  vie  pré- 
sente! 

— ■  Eh  bien,  mes  frères,  voilà  au  moins  de  la  fran- 
chise et  ce  raisonnement  fait  grand  honneur  à  la  sa- 
gesse, à  la  prudence  et  surtout  à  la  vertu  de  celui 
qui  ose  le  répéter.  L'immortalité  de  l'âme  une  rê- 
verie !  Âh  ça,  faut-il  prendre  au  sérieux  cette  objec- 
tion ou  se  contenter  d'en  rire  ?  En  rire  !  oh  !  oui  sans 
doute,  si  le  sujet  pouvait  devenir  frivole;  mais  de 
trop  grands  intérêts  sont  en  jeu  :  se  sente  qui  vou- 
dra, chrétiens,  le  courage  de  rire  quand  l'univers  a 
tremblé. 

—  La  vie  future  un  rêve  i  Mais  ce  rêve...  il  a  épou- 
vanté Luther  1   J.-J.    Rousseau  n'y  songeait  qu'en 


OU  L'ON  NE  DOftT  PAS.  135 

frissonnant,  et  Voltaire  qui  avait  un  sarcasme  pour 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré,  Voltaire  qui  persi- 
flait Dieu,  n'a  pas  toujours  ri  de  son  sort  à  venir. 
S'il  joua  sept  ou  huit  fois,  dans  sa  trop  longue  car- 
rière, la  triste  comédie  que  tout  le  monde  connaît. 
cette  comédie  s'assombrit  à  son  heure  dernière,  et  le 
dénouement  fut  horriblement  tragique  ! 

Non,  la  vie  future  n'est  pas  un  rêve,  mes  frères  ;  il 
y  a  trop  longtemps  que  ce  rêve  dure,  trop  de  gens 
le  partagent,  trop  de  passions  sont  Intéressées  à  le 
voir  finir...  Il  faut  donc  que  ce  rêve  soit  la  réalité. 

Oh  !  que  le  souvenir  de  l'autre  vie  empoisonne  les 
jouissances  de  la  vie  actuelle,  quand  ces  jouissances 
sont  de  celles  que  la  conscience  réprouve  ;  que  l'on 
tremble  à  la  pensée  de  son  immortalité,  lorsqu'on  a 
vécu  sans  Dieu  et  sans  religion,  je  le  conçois;  mais 
c'est  une  assez  mince  considération  pour  le  Créateur, 
qui  a  voulu  que  ce  qui  épouvante  les  uns  rassure  et 
console  les  autres  :  il  ne  changera  probablement 
rien  à  son  plan  divin,  ni  à  l'ordre  de  sa  Providence 
pour  rassurer  le  méchant  contre  la  voix  salutaire  du 
remords.  On  a  beau  souhaiter  le  néant,  mes  frères, 
le  néant  est  une  absurdité;  Dieu  lui-même,  enten- 
dez-le bien,  Dieu  lui-même  ne  saurait  en  faire  à 
l'impie  un  asile  contre  sa  justice.  Tremblez  ou  ne 
tremblez  pas,  vous  ne  changerez  rien  à  l'essence  des 
choses  ;  et,  pour  que  le  crime  soit  sans  terreurs,  Dieu 
ne  laissera  pas  le  malheur  sans  adoucissement  et  la 
vertu  sans  espérance. 

Il   faut  donc   que  tout   le  monde  en  prenne  son 
parti,   mes   frères,  notre  âme  est  immortelle,  et  la 


*86  PETITS  SERMONS 

mort  le  vestibule  (Tune  seconde  vie...  Cette  vie,  je 
le  répète,  on  ne  la  détruit  pas  pour  en  chasser  le 
souvenir,  mais  il  est  un  moyen  d'y  songer  sans 
alarmes,  d'en  invoquer  même  la  pensée  avec  amour  ; 
et  ce  moyen,  la  religion  l'indique  :  c'est  de  s'y  pré- 
parer par  l'horreur  du  vice  et  la  pratique  de  la 
vertu. 

Oh  !  écrions-nous  donc,  chrétiens,  dans  les  trans- 
ports et  avec  la  noble  assurance  du  juste  de  l'Écri- 
ture :  «  Je  sais  que  mon  Rédempteur  est  vivant  et 
«  que  la  terre  n'arrêtera  point  mon  âme  !  Je  sais  que 
«  je  ne  mourrai  pas  sans  retour,  que  je  reviendrai 
»  à  la  vie  et  que  mes  yeux,  ces  yeux  de  chair  et  de 
«  sang,  contempleront  mcn  Dieu  !  »  Heureuse  espé- 
rance !  douce  messagère  de  paix,  je  te  bénis,  car  tu 
me  viens  du  ciel  pour  consoler  ma  misère  en  m'an- 
nonçant  une  éternelle  félicité  !  —  Que  celui-là  tremble 
qui  se  sent  fait  pour  haïr  son  Dieu,  parce  qu  il 
s'est  habitué  de  bonne  heure  à  le  braver,  à  le  mau- 
dire, qu'il  souhaite  le  sort  de  la  brute,  celui-hà,  qu'il 
appelle  le  néant,  car  il  vaudrait  infiniment  mieux 
pour  lui  qu'il  ne  fût  jamais  né  ! 

Pour  nous,  Seigneur,  oh  !  vous  chanter,  vous  bé- 
nir, vous  posséder  à  jamais,  voilà  l'unique  vœu, 
l'ardente  aspiration  de  toute  notre  vie  ;  aussi  notre 
attente  est  heureuse,  pleine  d'une  sainte  joie  et  vous 
la  bénirez,  et  vous  la  couronnerez  en  souriant  à  notre 
âme  quand  elle  montera  vers  vous  dans  notre  der- 
nier soupir  !  dm  en* 


ou  l'on  ne  dort  pas.  187 


VINGTIÈME  SERMON 

RELIGION.  —  SA  NÉCESSITÉ  PAU  RAPPORT  A  DIEU. 

Dominum  Dsum  tuum  adorabis,  et  illi 
soit  servies. 

Tu  adoreras  le  Seigneur  ton  Dieu  et  ne 
serviras  que  lui  seul.  (Math,  iv,  10,1. 

Mes  frères,  il  y  a  un  Dieu  créateur,  nous  avons 
une  âme  immortelle  :  nier  ces  deux  vérités  capitales, 
élémentaires  ou  seulement  les  révoquer  en  doute, 
c'est  nier,  c'est  contester  l'évidence  et  vouloir  passer 
pour  un  malhonnête  homme  :  examinons  mainte- 
nant quelles  conséquences  découlent  pour  nous  de 
ce  double  principe. 

Puisque  Dieu  existe,  que  le  monde  est  son  ouvrage 
et  que  nous  sommes  ses  créatures  intelligentes  et 
raisonnables,  il  y  a  donc  entre  lui  et  nous  des  rela- 
tions intimes,  imprescriptibles,  sacrées  :  les  relations 
de  l'œuvre  à  son  auteur,  du  roi  à  son  sujet,  du  père 
à  son  enfant  ;  nous  sommes  donc  liés  à  notre  Dieu 
par  un  ensemble  de  devoirs  que  Ton  ne  saurait  mé- 
connaître sans  nier  ou  mettre  en  doute  l'existence 
de  Dieu. 

Ce  n'est  point  assez  dire,  mes  frères,  il  serait  moins 
criminel  peut-être  de  nier  Dieu  que  de  nier  la  né- 
cessité d'une  religion.  Celui  qui  nie  Dieu  ou  seule- 
ment doute  de  son  existence,  devant  tant  de  preuves 
qui  l'établissent,  peut  n'être  regardé  que  comme  un 
extravagant;  mais  admettre  l'existence  de  Dieu  et 
nier  la  nécessité  d'une   religion,  c'est  trahir  un  na- 


188  PETITS  SERMONS 

turel  pervers   et  afficher  une  ingratitude  sans  nom. 

Aussi  l'athéisme  lui-même  convient  que,  s'il  y 
avait  réellement  un  Dieu,  une  religion  serait  néces- 
saire. 

«  S'il  existe  un  Dieu  »,  dit  l'auteur  du  Système  de 
la  nature,  —  un  livre  qui  a  fait  beaucoup  d'incré- 
dules, —  «  s'il  existe  un  Dieu,  pourquoi  ne  lui  ren- 
«  drions-nous  pas  un  culte?  »» 

Et,  en  effet,  mes  frères,  quel  est  l'homme  qui,  à 
l'aspect  de  ce  vaste  univers,  de  ce  beau  ciel  que  la 
main  de  Dieu  a,  comme  en  se  jouant,  déroulé  devant 
nos  yeux  comme  un  spiendide  pavillon,  au  souvenir 
des  bienfaits  dont  l'a  comblé  sa  munificence  infinie» 
tout  pénétré  de  sa  grandeur,  de  sa  puissance,  de 
sa  sagesse  et  de  sa  bonté,  ne  s'est  pas  prosterné  mal- 
gré lui  pour  l'adorer,  le  bénir  et  lui  exprimer  son 
amoureuse  gratitude  ? 

S'il  est  le  Tout-Puissant,  l'InGni,  notre  souverain, 
fci  nous  sommes  sous  sa  dépendance  absolue,  il  a 
donc  droit  à  notre  obéissance,  à  nos  hommages  et 
lui-même,  tout  Dieu  qu'il  est,  il  ne  saurait  détruire 
cette  relation  première  et  les  devoirs  qu'elle  nous 
impose  sans  introduire  le  désordre  dans  son  ouvrage. 

S'il  est  notre  Créateur,  notre  bienfaiteur,  notre 
Père,  si  chaque  moment  de  notre  vie  est  une  faveur 
nouvelle,  il  a  donc  des  droits  infinis  à  notre  amour 
et  à  notre  reconnaissance,  et  ces  droits  sacrés,  il  ne 
peut,  le  voulût -il,  y  renoncer,  la  justice  éternelle  s'y 
oppose. 

D'un  autre  côté,  mes  frères,  nous  avons  été  créés 
pour  Dieu.  Car  un  Dieu  souverainement  sage  n'a  pu, 


ou  l'on  ne  doî\t  pas.  180 

en  nous  créant,  se  proposer  d'autre  fin  que  luï-mê 
nous  devons  donc  tout  rapporter  à  lui,  tout  employer 
à  sa  gloire,  notre  intelligence  à  le  connaître,  notre 
volonté  aie  chérir,  notre  liberté  à  exécuter  ses  ordres 
et  ses  lois...  Ainsi  adoration,  reconnaissance,  amour, 
ardente  prière,  voilà  la  religion  et  l'ensemble  des 
devoirs  que  nous  avons  à  rendre  au  Créateur,  Et  ce 
culte  et  ces  devoirs  sont  si  rigoureux,  je  le  répète, 
que  Dieu  lui-même  ne  pourrait  nous  en  dispenser 
sans  se  détruire,  car  ils  sont  fondés  sur  Tordre  et  la 
justice.  «  La  piété,  disait  le  plus  grand  des  orateurs 
païens,  c'est  la  justice  envers  Dieu  :  Estautempietas 
justitia  adversum  Deos.  » 

Et  si  nous  voulions  ici,  mes  frères,  pousser  plus 
loin  le  développement  de  cette  pensée,  il  nous  serait 
facile  d'apercevoir  la  raison  fondamentale  de  nos 
devoirs  envers  Dieu, 

A  n'en  juger  que  par  les  apparences,  Dieu,  dans  la 
création,  n'aurait  eu  d'autre  fin  que  l'homme  ;  tout 
semble  fait  pour  lui  :  le  ciel  pour  l'éclairer,  la  terre 
pour  le  nourrir,  les  saisons  pour  embellir  sa  demeure, 
les  animaux  pour  être  ses  esclaves  ;  il  a  visiblement 
Été  constitué  roi  de  la  nature. 

Mais  si  nous  considérons  que  l'homme  ne  se  ter- 
mine pas  à  la  terre,  qu'il  a  une  âme  immortelle  ;  si 
Von  réfléchit  à  sa  sublime  destinée  qui  l'appelle  à 
revenir  à  Dieu,  son  principe  et  sa  fin  suprême,  on 
entrevoit  alors  l'enchaînement  et  l'économie  du  plan 
du  Créateur,  et,  ce  qui  pouvait  paraître  presque  une 
anomalie,  devient  au  contraire  le  chef-d'œuvre  de  la 
souveraine  sagesse. 


19Ô  PETITS  SERMONS 

—  Dieu  a  tout  fait  pour  l'homme  sans  doute  ;  mais 
en  lui  donnant  l'immense  domaine  de  la  création,  il 
s'en  est  réservé  l'hommage  ;  il  a  voulu,  par  l'organe 
de  l'homme,  être  mis  en  communication  avec  son 
œuvre  ;  en  sorte  que  cette  création  muette,  insen- 
sible, se  termine  à  l'homme  et  que  l'homme,  la  seule 
créature  intelligente  et  raisonnable  sur  la  terre,  se 
termine  à  Dieu. 

L'homme  est  donc  comme  le  premier  anneau  de 
cette  longue  chaîne  des  êtres  qui  descend  du  ciel  à 
la  terre,  et  qu'il  unit  au  Créateur,  en  lui  transmettant 
l'hommage  de  toute  la  création.  Ainsi  est  atteint  le 
but  de  la  sagesse  éternelle,  ainsi  s'explique  ce  grand 
ouvrage  :  l'univers,  pour  l'homme  et  l'homme  pour 
Dieu  ;  uni  à  Dieu,  communiquant  sans  cesse  avec 
Dieu,  Phomme  donne  au  monde  un  sens  qu'il  n'avait 
pas  avant  lui. 

Et  voilà  pourquoi,  mes  frères,  par  ses  rapports 
continuels  avec  son  créateur,  le  roi  de  la  nature  doit 
entretenir  et  perpétuer  en  sa  personne  l'union  et 
l'harmonie  entre  Dieu  et  son  ouvrage  :  il  n'a  même 
été  établi  roi  qu'à  la  condition  de  remplir  de  cette 
manière  ses  devoirs  de  créature  intelligente  et  libre  ; 
c'est  son  sacerdoce  à  lui  ;  autrement  le  Seigneur,  en 
créant  l'homme,  aurait  produit  un  être  inexplicable 
et  sans  signification. 

Il  faut  donc  que  l'homme  reste  uni  à  son  Dieu  et 
n'interrompe  jamais   entre  l'univers   et  son  auteur 
en    Cessant  de  communiquer   avec  lui,    cette  admi 
rable  chaîne    de  mystérieux   rapports    qui    doivent 
durer  autant  que  le  monde,  autant  que  l'humanité, 


OU  I/Oo  &&  DORT  PAS.  191 

c'est-à-dire  à  jamais  ;  un  bienfait  qui  se  perpétue,  une 
création  de  tous  les  instants  mérite  un  amour,  une 
reconnaissance  éternelle. 

Et  cet  hommage  du  cœur,  ce  culte  inférieur  que 
la  créature  raisonnable  doit  à  son  Dieu,  ce  sacrifice 
généreux  de  toutes  les  facultés  de  notre  âme,  il  doit 
se  traduire  au  dehors  par  des  témoignages  éclatants, 
car  Dieu  a  droit  à  l'hommage  de  tout  ce  qu'il  nous  a 
donné  :  de  notre  corps,  de  nos  sens,  comme  à  celui 
de  notre  âme  et  de  notre  cœur  ;  si  Dieu,  qui  est 
l'Esprit,  l'Intelligence  suprême,  veut  être  servi  en 
esprit  et  en  vérité,  l'homme,  cette  intelligence  sur  la- 
quelle les  sens  ont  tant  d'empire,  ne  saurait  long- 
temps conserver  une  dévotion  purement  sentimentale, 
qui,  privée  de  tonte  marque  extérieure  et  sensible 
qui  l'alimente,  finirait  par  s'évanouir  en  un  pur  idéa- 
lisme sans  expression  et  sans  but. 

La  raison  en  est  bien  simple,  mes  frères.  De  même 
que  la  dévotion  extérieure  ne  serait  qu'hypocrisie  ou 
tout  au  moins  comédie  et  grimace  sans  la  dévotion 
du  cœur,  ainsi  la  dévotion  purement  sentimen- 
tale, ce  prétendu  culte  de  la  pensée,  se  réduirait 
à  quelques  idées  métaphysiques  sur  la  divinité  qui 
ne  régleraient  ni  les  affections  ni  la  conduite.  On  doit 
prendre  l'homme  tel  qu'il  est  et  non  tel  que  l'ont 
rêvé  quelques  utopistes  qui  For*  transporté  dans  les 
nuages.  Notie  esprit  est  si  faible,  notre  imagination 
si  mobile,  notre  cœur  si  prompt  à  s'égarer,  que  nous 
perdrions  bientôt,  avec  toute  idée  religieuse,  le  sou- 
venir  de  Dieu  lui-même,    sans   les    pratiques   d'un 

culte   extérieur  qui  fixe  notre   inconstance,    éveille 

i'2 


102 


PETITS  SERMONS 


notre  attention  et  nourrisse  dans  notre  âme  de  pieux 
sentiments. 

D'ailleurs,  chrétiens,  vivant  en  société  avec  nos 
semblables,  unis  par  les  liens  de  la  même  religion, 
ne  leur  devons-nous  pas,  avec  le  bon  exemple,  cette 
preuve  extérieure  que  nous  sommes  en  communica- 
tion avec  nos  frères  comme  nous  sommes  en  com- 
munication avec  Dieu  ? 

Et  voilà  pourquoi  l'homme  doit  aussi  à  Dieu  un 
culte  public,  c'est-à-dire  le  culte  intérieur  et  le  culte 
extérieur  rendu  par  la  famille,  par  la  tribu,  la  na- 
tion, la  société  tout  entière:  Dieu  est  l'auteur  le 
bienfaiteur  et  le  maître  du  genre  humain,  qui  n'est 
qu'une  grande  famille  dont  il  est  le  père. 

C'est  même  ce  culte  public  qui  forme  la  religion 
proprement  dite,  mes  frères,  et  qui  consiste  princi- 
palement dans  les  sacrifices,  les  cérémonies,  les 
chants,  les  prières,  les  fêtes  solennelles,  sans  les- 
quelles toute  religion  disparaîtrait  de  la  société, 
comme  la  pensée  de  Dieu  s'évanouirait  dans  l'esprit 
de  chacun  d'entre  nous  sans  le  culte  extérieur  qui 
l'alimente. 

—  Mais,  dira~t-on,  quel  besoin  Dieu  a-t-il  de  nos 
hommages  ?  Heureux  de  se  contempler  dans  l'ineffable 
rayonnement  de  son  essence  infinie,  il  se  suffit  à 
lui-même  et  ne  sera  ni  plus  glorieux  de  nos  louanges, 
ni  plus  riche  de  nos  dons  ,•  toutes  nos  prières  ne  sau- 
raient ajoutera  sa  grandeur  ni  les  blasphèmes  de 
l'impie  troubler  son  éternelle  félicité. 

—  Non  sans  doute,  chrétiens,  Dieu  n'a  pas  plus 
besoin  de  nos  hommages    qu'il    n'avait   besoin  de 


OU  L'ON  NE  DOilT  Pà3.  103 

nous  créer  ;  mais  s'il  peut  se  passer  de  &$*  prières,  il 
ne  saurait,  encore  une  fois,  détruire  les  rapports  sa. 
crés  qui  nous  attachent  à  lui,  et  nous  dispenser  des 
devoirs  que  nous  imposent  la  reconnaissance  et  la 
justice...  Dieu  n'a  pas  besoin  de  nos  hommages, 
mais  nous  avons  besoin,  nous,  de  les  lui  rendre,  pour 
mériter  de  nouvelles  faveurs  ;  nous  en  avons  besoin 
pour  ne  pas  nous  rendre  indignes  des  premières  et 
conserver  le  noble  caractère  d'enfants  de  Dieu... 
Nous  en  avons  besoin,  en  un  mot,  pour  n'être  pas 
les  seules  créatures  insensibles  aux  bienfaits  du 
Créateur,  les  seules  qui  lui  refusent  le  juste  tribut  de 
louanges  que  le  ciel  et  la  terre  font  tous  les  jours 
monter  vers  le  trône  de  l'Éternel  ! 

Or  ce  devoir  sacré,  ce  culte  est  une  dette  de  jus- 
tice et  d'honneur  que  nous  avons  tous  à  payer  au 
Créateur,  et  cela  sous  peine,  je  ne  dis  pas  encore  de 
s'exposer  aux  châtiments  éternels  qui  attendent 
l'impie,  mais  d'être  la  honte  et  l'exécration  de  toute 
la  nature. 

Et  ne  vous  y  trompez  pas,  mes  frères,  cet  hom- 
mage sacré  de  l'homme  à  son  Dieu,  ce  n'est  pas  tou- 
jours impunément  qu'on  le  lui  refuse  ;  on  peut  faire 
le  brave  durant  la  vie,  tandis  qu'une  bouillante 
jeunesse,  une  santé  prospère  vous  montrent  un 
avenir  toujours  riant  et  serein  ;  mais  vient  un  jour 
suprême  où  la  froide  raison  reprend  ses  droits,  une 
heure  solennelle  où  les  passions  n'étouffent  plus  le 
cri  de  ]a  conscience  alarmée.  —  On  se  sent  chrétien 
alors,  on  sent  qu'il  y  a  un  Dieu,  qu'il  est  une  reli- 
gion,   et  l'avenir  vous  apparaît  gros  de  tempêtes, 


194  PKTixs  scnisoxs 

menaçant  comme  la  vague  qui  va  vous  engloutir... 

Il  est  difficile  de  se  rappeler  sans  terreur  les  der- 
niers moments  de  la  plupart  des  impies  du  dernier 
siècle  :  on  dirait  que  la  Providence  a  pris  à  tâche  dcf 
les  mettre  comme  sous  le  pressoir,  pour  leur  arra- 
cher une  amende  honorable  et  leur  faire  rétracter 
avec  éclat,  dans  les  contorsions  d'une  agonie  déses- 
pérée, les  sarcasmes  et  les  blasphèmes  qu'ils  avaient 
vomis  contre  la  religion  et  contre  Dieu. 

Un  des  plus  ardents  révolutionnaires  qu'ait  en- 
fantés la  Terreur,  Collot  d'Herbois,  1  'âme  damnée  de 
Robespierre,  en  est  un  exemple  frappant.  Il  fut, 
comme  on  le  sait,  le  principal  auteur  des  massacres 
de  Lyon,  ou  il  n'épargna  pas  plus  les  autels  que  les 
aristocrates,  les  religieuses  et  les  prêtres. 

Envoyé  en  93  dans  cette  ville  infortunée,  il  y  fît 
périr  plus  de  seize  cents  victimes  par  la  guillotine,  la 
fusillade  et  la  mitraille.  Pourtant,  mes  frères,  tant 
de  forfaits  devaient  avoir  un  terme.  Le  peuple,  indi- 
gné contre  ce  monstre,  allait  se  soulever,  quand  la 
Convention  le  fit  arrêter  et  le  déporta  dans  l'île  de 
Cayenne. 

Il  y  fut  suivi  de  l'horreur  qu'inspirait  son  passé. 

En  butte  à  la  haine  des  blancs  et  au  mépris  des 
noirs  qui  singeaient  devant  lui  des  pièces  de  théâtre 
et  lui  rappelaient  son  ancienne  profession  de  comé- 
dien ambulant,  il  entrait  en  fureur  lorsqu'ils  l'appe- 
laient en  ricanant  bourreau  de  la  religion  et  des 
hommes. 

—  Ah  !  s'écriait-il  avec  désespoir,  je  suis  bien  puni  ! 
l'abandon  où  je  me  vois  réduit  est  un  enfer  ! 


ou  l'on  ne  dort  pas.  195 

Bientôt  une  fièvre  inflammatoire  le  saisit  :  ses  dents 
se  mirent  à  claquer,  tout  son  corps  à  frissonner,  et 
son  sang  à  bouillonner  dans  ses  veines.  Alors  on 
l'entendit  appeler  Dieu  à  son  secours. 

—  Comment,  lui  dit  un  soldat  qu'il  avait  souvent, 
depuis  son  exil,  essayé  de  gagner  à  l'athéisme,  est-ce 
que  vous  croyez  en  Dieu  maintenant  1  Vous  m'avez 
pourtant  dit  bien  des  fois  que  Dieu  n'est  qu'un  fan- 
tôme, un  épouvantail,  une  superstition  ridicule,  et  la 
religion  une  soflise  ! 

—  Ah  !  mon  ami,  répond  le  malade  avec  un  pro- 
fond soupir,  j'étais  fou,  j'étais  un  misérable  et  ma 
bouche  mentait  à  mon  cœur. 

Après  quelques  instants  d'un  silence  terrible,  il 
reprenait  en  se  tordant  les  bras  de  désespoir  : 

—  Mon  Dieu,  mon  Dieu  !  Dieu  que  j'ai  tant  blas- 
phémé, tant  haï,  puis-je  espérer  le  pardon  de  mes 
crimes  ?  Oh  !  envoyez-moi  donc  un  consolateur  !  un 
de  ces  prêtres  que  j'assassinais  et  qui  me  pardon- 
naient en  tombant  sous  la  hache  !  Envoyez-moi  quel- 
qu'un qui  détourne  mes  yeux  de  ces  flammes  ardentes 
qui  m'environnent  I...  Mon  Dieu,  mon  Dieu'  donnez- 
moi  la  paix  ! 

Puis  il  ajoutait,  dans  les  transports  du  délire,  en 
grinçant  les  dents  de  désespoir  :  La  paix  !...  oh  !  mal- 
heur, malheur  !...  la  paix...  il  n'en  est  pas  pour  V im- 
pie ! 

Les  derniers  moments  de  Collot  d'Herbois  furent 
si  épouvantables  qu'on  dut  le  transporter  dans  une 
chambre  éloignée,  car  ses  hurlements  faisaient  fré- 
mir le  voisinage.    Le  prêtre  qu'il  appelait  à  grands 

12, 


m 

cris,  quand  il  sg 
le  trouva 
poings    ci  ' 
bouche  hideuseï 
d'écume  et  de  se 

Par  un 
jet  de  l'exécratic 


nt  ouverts,  ses 

te  ciel  :  de  sa 

contournée,  sortaient  des  flots 


it  du  ciel,  ce  misérable,  ob- 
ne  put  recevoir  les  hon- 
neurs de  la  se?;  >  ne  voulurent  l'en-. 

wdM*à  »  son  cadavre  devint 

la  proie  des  vautour 


Que  vos 
que  votre 

dément,  même  ici- 
arracher  à  la  mort 

3  (I nrant  la  vie 
ce  double  m 
nous  qui  serve  i 
d'un 

foi,  une  foi 
nous  vous 
devoirs  sacrés  que 
s  que  nous  soyons 


tablés,  Seigneur! 
antit  quelquefois  iour- 
hants,  pour  leur 
r;es  qu'ils  vous  ont  re- 
itié,  préservez-nous  de 
y  eu  ait   aucun  parmi 
autres  !  pénétrez-nous 
donnez-nous  la 
le  et  faites  que 
mr,  avec  bonheur,  les 
nous  impose; 
vous  adorer,  à 


vous  servir,  à  vous  prier  dans  Je  temps,  que  nous 
méritions  de  vous  chanter  et  de  vous  bénir  dans 
l'éternité!  Amen, 


OU  L'ON  NE  DORT  PAS,  107 


VINGT-UNIÈME  SERMON 

UKMG10N.  —  SA  NÉCESSITÉ  POUR  L'HOMME. 

Non  estpax  impiis,  dicil  Dominus, 
Point  de  paix  pour  l'impia,  dit  le  Seigneur. 
(Is.  xlvhi.) 

Mes  frères,  c'était  en  1829,  deux  hommes  célè- 
bres, tous  deux  membres  de  la  Chambre  des  dépu- 
tés, et,  disons-le  aussi,  tous  les  deux  un  peu  philo- 
sophes, causaient  un  soir  de  fort  près  ;  la  conversation 
roulait  sur  un  sujet  des  plus  intimes,  sur  des  affaires 
de  famille. 

A  la  fin  l'un  des  deux  s'écria  en  poussant  un  pro- 
fond soupir  :  —  Dieu,  que  je  suis  malheureux  !  que 
je  suis  à  plaindre  de  ne  croire  à  rien,  âe  ne  pas  avoir 
de  religion  1  ah  !  si  j  avais  des  enfants,  je  me  garde- 
rais bien  de  leur  donner  l'éducation  voltairienne  que 
m'a  fait  donner  mon  père  !  je  les  mettrais,  bien  eûrt 
dans  un  collège  de  jésuites  :  ils  y  seraient  élevé* 
chrétiennement  ;  car  je  vois  aujourd'hui  que  sans  re- 
ligion, il  n'y  a  point  de  bonheur  ici-bas  I 

—  Oh  !  vraiment,  lui  répond  son  ami  en  lui  ten- 
dant la  main  avec  tristesse,  que  c'est  singulier  !  vous 
venez  de  traduire  à  la  lettre  la  situation  dans  laquelle 
je  me  trouve  moi-même  !  je  suis  absolument  comme 
vous,  je  ne  crois  à  rien,  et  je  vous  assure  que  cela 
me  fatigue...  L'absence  de  toute  foi  religieuse  est  un 
vrai  supplice  pour  moi.  Oh  !  celui  qui  me  donnerait 
de  pouvoir  prier  avec  la  dévotion  naïve  et  recueillie 


*98  PETITS  SERMONS 

d'une  bonne  villageoise,  quel  vide  immense  il  com- 
blerait dans  mon  cœur  1 

!  L'un  de  ces  deux  hommes  était  Benjamin  Constant: 
nous  nous  abstenons  de  nommer  l'autre,  parce  qu'il 
est  encore  plein  de  vie. 

Oui,  mes  frères,  il  faut  à  l'homme  un  Dieu,  une 
religion  non-seulement  pour  se  comprendre,  se  défi- 
nir et  s'expliquer  à  soi-même  le  mystère  de  son  ori- 
gine et  de  ses  destinées,  comme  nous  le  disions  en 
commençant  ces  entretiens,  mais  encore  pour  rem- 
plir le  vide  de  son  âme  ;  sa  nature  et  ses  besoins  lui 
font  de  la  religion  une  nécessité  de  tous  les  jours,  de 
toutes  les  heures  et  de  tous  les  instants. 

Et  d'abord  nous  avons  besoin  de  religion  parce 
que  nous  sommes  faibles  pour  le  bien  et  d  une  ter- 
rible puissance  pour  le  mal  ;  parce  que  nous  sen- 
tons au  fond  de  notre  être  des  instincts  pervers  qui 
se  dressent  comme  autant  de  serpents,  qu'il  faut 
écraser  à  mesure  qu'ils  lèvent  la  tête,  si  l'on  ne  veut 
en  être  dévoré  :  ce  sont  les  passions  et  les  tyranni- 
ques  exigences  de  la  nature  corrompue,  qui  domine 
en  nous  depuis  la  chute  originelle. 

Mes  frères,  descendez  au  fond  de  votre  âme  :  esf-ce 
que  vous  n'y  trouvez  pas  deux  hommes  en  lutte  per- 
pétuelle, dont  l'un,  comme  un  ange  du  ciel,  veut 
le  bien,  vous  l'inspire  et  vous  en  montre  la  beauté, 
la  douceur,  les  charmes  ineffables,  tandis  que  l'au- 
tre, avec  la  persistance  et  l'acharnement  d'un  mau- 
vais génie,  vous  sollicite  au  mal  :  et,  pour  vous  dé- 
goûter de  la  vertu,  vous  peint  le  vice  plus  aimable, 
plus  enivrant,  plus  flatteur,  et  finit  presque  toujours 


ou  l'on  ne  dout  pas.  U'3 

par  triompher  du  bon  ange  et  des  généreuses  résolu- 
tions qu'il  vous  avait  inspirées  1 

Il  vous  faut  donc  une  défense  contre  cet  ennemi 
perfide,  un  secours  puissant  pour  résister  à  ses  fata- 
les suggestions,  une  arme  enfin  pour  le  terrasser  à 
vos  pieds. 

Or,  cette  arme,  cette  défense,  ce  secours  surnatu- 
rel, d'où  vous  viendront-ils  ?  delà  terre?  mais  tout  y 
est  orgueil,  volupté,  froid  égoïsme:  tout  y  conspire 
votre  ruine  et  vous  n'y  pouvez  faire  un  pas  sans 
rencontrer  un  écueii  I  —  de  vous-même  ?  mais  vous 
portez  au  fond  de  votre  cœur,  dans  une  complicité 
coupable  avec  vos  ennemis,  le  gage  et  l'assurance  de 
votre  défaite  ! 

C'est  donc  vers  les  hauteurs  que  vous  devez  tour- 
ner les  yeux  dans  ces  moments  critiques,  des  hau- 
teurs que  vous  descendront  l'espérance  et  le  salut  : 
c'est  au  ciel  que  vous  devez  chercher  un  asile  contre 
la  chair  et  le  sang,  dans  le  sein  de  Dieu  que  vous 
puiserez  l'amour  du  devoir  et  le  courage  de  la  vertu... 
il  faut  donc  de  temps  en  temps  lever  les  yeux  vers 
celui  qui  est  votre  soutien,  votre  espoir,  vers  le  Dieu 
qui  inspire  le  bien  et  donne  la  force  de  le  faire. 

Si  nous  avons  un  si  pressant  besoin  de  religion 
pour  pratiquer  la  vertu,  elle  ne  nous  est  pas  moins 
nécessaire  pour  supporter  les  misères  de  la  vie. 

Qui  que  nous  soyons,  mes  frères,  à  quelque  degré 
de  l'échelle  sociale  que  le  ciel  nous  ait  fait  naître, 
nous  avons  tous  bien  des  peines  à  endurer,  bien  des 
jours  à  rayer  du  nombre  de  nos  beaux  jours,  bien 
des  chagrins  qui  nous  font  de  l'existence  un  fardeau. 


200  swrs  sEïtMOîis 

Ce  serait  un  curieux  calcul  à  faire,  que  de  mettre 
dans  une  même  balance  nos  plaisirs  et  nos  peines, 
nos  larmes  de  joie  et  nos  larmes  de  douleur...  quelle 
triste  révélation  de  nos  infortunes,  ah  !  je  ne  crains 
pas  de  le  dire,  tel  qui  nous  paraît  le  plus  riche,  le 
plus  honoré,  le  plus  heureux  des  hommes,  nous  ferait 
pitié  si  nous  pouvions  lire  dans  son  cœur. 

Et   d'abord ,    sur    douze    cents    millions  d'habi- 
tants qui  couvrent  le  globe,  plus  de  3a  moitié  se  de- 
mandent la   veille  :  Qui  nous  donnera  le  pain  de 
sain? 

Ceux-là,  mes  frères,  n'ont  que  la  faim  à  endurer 
et  nous  les  appelons  malheureux  :  croyez-vous  qu'il 
n'y  ait  pas  d'autres  souffrances  sur  la  terre,  et  que  la 
somme  des  tortures. physiques  égale  celle  des  tortu- 
res morales  qui  nous  sont  cachées  et  que  la  pauvre 
humanité  dévore  sans  se  plaindre!  Oui,  je  le  répète, 
chez  ceux-là  mêmes  dont  îe  sort  nous  fait  îe  plus 
d'envie,  nous  trouverions  souvent  de  terribles  mys- 
tères de  désolation  et  de  désespoir  ! 

Or  celui  qui  a  faim,  un  morceau  de  pain  le  con- 
tente et  le  console  :  s'il  souffre,  il  se  résigne  en  je- 
tant un  regard  sur  la  croix  :  mais  le  riche  impie  et 
malheureux,  qui  îe  soutiendra?  qui  îe  consolera?  sur 
quel  horizon  jettera- 1  il  les  yeux  pour  y  chercher 
l'étoile  bénie  de  l'espérance  H... 

Oh  !  l'athéisme  peut  être  une  douce  chose,  mes 
frères,  il  peut  être  un  oreiller  tort  commode,  pour  y 
dormir  en  paix  lorsque  tout  nous  sourit,  santé,  jeu- 
nesse, fortune,  honneurs,  plaisirs  ;  mais  vienne  une 
maladie,  un  chagrin,  un  malheur  subit  et  l'on  verra 


ou  l'on  ne  dort  pas,  201 

tomber  ce  grand  courage,  et  le  suicide  viendra  le 
plus  souvent  terminer  une  vie  de  pi 

Ah  I  c'est  que  La  douleur  est  d'ordinaire  une  leçon, 
une  épreuve  que  Dieu  nous  ménage  dans  sa  miséri- 
corde :  et  lorsqu'on  la  reçoit  le  murmure  sur  les  lè- 
vres, cette  douleur  salutaire,  lorsqu'on  blasphème  la 
main  céleste  qui  nous  l'envoie,  Dieu  nous  refuse  le 
baume  qui  radoucit..,  Dieu  seul  est  le  maître  de  l'ad- 
versité comme  de  la  fortune,  et  si  nous  succombons 
sous  le  fardeau,  c'est  pour  n'avoir  pas  imploré  son 
assistance,  ne  fût  ce  que  par  une  prière,  un  regard 
vers  le  ciel  !..  Oui,  un  regard,  un  soupir  du  cœur, 
mes  fi  ères,  vous  eût  obtenu,  sinon  le  baume  qui 
console  et  guérit,  au  moins  la  résignation  qui  calme, 
la  paix  qui  fortifie,  l'espérance  qui  encourage. 

Air  î  si  on  savait  tout  ce  qu'une  prière,  une  pensée 
religieuse  renferme  de  trésors  d'espérance  et  de  pure 
félicité  I 

«  Quand  vous  ave^  prié  »,  disait  un  homme  de  gé- 
nie qui  a  bien  tristement  fini  sa  carrière,  «  ne  sentez- 
«  vous  pas  votre  cœur  plus  léger  et  votre  âme  plus 
«  contente  ?  La  prière  rend  l'adiction  moins  doulou- 
«  reuse  et  la  joie  plus  pure  :  elle  môle  à  l'une  je  ne 
«  sais  quoi  de  fortifiant  et  de.  doux,  et  à  l'autre  un 
»<  parfum  céleste. 

«  Que  faites-vous  sur  la  terre,  et  n'avez-vous  rien 
«  à  demander  à  celui  qui  vous  y  a 

«  Vous  êtes  un  voyageur  qui  cherche  la  patrie  :  il 
«  faut  lever  les  yeux  pour  reconnaître  sa  route.  Vo- 
«  tre  patrie,  c'e^t  le  ciel  :  et  quand  vous  regardez  le 
«  ciel,  est-ce  que,  dans  votre  âme,  il  ne  se  remue 


202  PETITS  SERMONS 

«  rien?  est-ce  que  nul  désir  ne  vous  presse,  ou  ce 
«  désir  est-il  muet  ? 

a  Quand  les  animaux  souffrent,  quand  ils  crai- 
«  gnent  ou  quand  ils  ont  faim,  ils  jettent  des  cris 
«  plaintifs  :  ces  cris  sont  la  prière  qu'ils  adressent  à 
«  Dieu,  et  Dieu  l'écoute, 

«  L'homme  serait-il  donc  dans  la  création  le  seul 
«  être  dont  la  voix  ne  dût  jamais  monter  à  l'oreille 
«  du  créateur? 

«  Il  passe  quelquefois  sur  les  campagnes  un  vent 
«  qui  dessèche  les  plantes  ;  et  alors  on  voit  leurs  ti- 
«  ges  flétries  pencher  vers  la  terre:  mais  humec- 
a  tées  par  la  rosée,  elles  reprennent  leur  fraîcheur 
«  et  relèvent  leurs  têtes  languissantes. 

«  Il  y  a  toujours  des  vents  brûlants  qui  passent  sur 
«  l'âme  de  l'homme  et  la  dessèchent  :  la  prière  est 
«  la  rosée  qui  la  rafraîchit  *.  » 

—  Nécessaire  pour  l'individu,  mes  frères,  la  reli- 
gion ne  l'est  pas  moins  pour  la  société. 

Vous  le  savez,  mes  frères,  la  religion  est  un  lien 
salutaire  qui  nous  unit  à  nos  semblables  en  nous 
unissant  à  Dieu.  Otez  ce  lien,  la  société  se  dissout. 

—  Il  serait  plus  facile,  a  dit  un  moraliste  païen,  de 
concevoir  une  ville  bâtie  en  Tair  qu'une  société  sans 
religion;  et  Cicéron  ajoute  qu'attaquer  la  religion, 
c'est  saper  les  bases  de  toute  société  humaine. 

Sans  religion,  en  effet,  plus  de  lois  :  Dieu  seul 
leur  donne  un  caractère  auguste,  une  sanction  suffi- 
santé  ;    même  dans   l'antiquité   païenne,  le   légiiia* 

1  Lamennais. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  503 

teur,  pour  les  rendre  plus  vénérables,  les   disait  des- 
cendues du  Ciel. 

Sans  religion  plus  de  rois  qui  ne  fussent  tyrans  ; 
le  caprice,  l'intérêt,  les  passions  seraient  leur  unique 
frein  et  la  raison  d'État  devant  laquelle  tout  devrait 
plier.  —  Ouvrez  l'histoire  ;  les  plus  cruels  despotes 
.  ont  généralement  été  des  hypocrites  et  des  impies. 
Néron,  ce  monstre  de  férocité  qui  fît  périr  sa  mère, 
sa  femme,  son  gouverneur,  son  précepteur  et  qui 
brûla  sa  patrie,  méprisait  assez  les  dieux  pour  souiller 
leurs  statues  de  ses  ordures.  —  Caligula,  qui  étouffa 
son  père  mourant  et  souhaitait  que  l'iimpire  romain 
n'eût  qu'une  tête  pour  l'abattre  d'un  coup,  se  fît 
rendre  les  honneurs  divins  et  investit  son  cheval  de 
la  dignité  consulaire  et  sacerdotale. 

Sans  religion,  plus  de  sujets  qui  ne  fussent  re~ 
belles;  et  ce  serait  justice,  mes  frères!  car  enfin 
l'obéissance,  en  dehors  de  toute  idée  religieuse,  et  s 
la  croyance  à  la  divinité  ne  l'ennoblit,  serait  un  in- 
digne et  honteux  esclavage.  L'homme  n'a,  par  lui- 
même,  rien  à  commander  à  l'homme  ;  il  est  son  égai 
de  par  les  langes  qui  nous  ont  tous  enveloppés  au 
berceau,  de  par  le  suaire  qui,  dans  la  tombe,  enve- 
loppe le  roi  comme  son  sujet  ;  et,  sans  la  crainte  de 
Dieu,  il  serait  insensé,  l'esclave  qui  ne  saisirait  pas 
la  première  occasion  de  s'affranchir,  fallût-il  pour 
cela  se  jeter  sur  son  maître  ! 

Sans  religion,  plus  de  vertu  sur  la  terre.  La  vertu 
souffre  violence,  vous  le  savez,  chrétiens,  elle  exige 
des  sacrifices  continuels.  Or  Dieu  seul  les  connaît  et 
les  couronne, 

13. 


ÏOÏ  PETITS  SERMONS 

r  uîs  religion,  plus  de  probité,  plus  de  justice  :  où 
en  serait  le  motif  1  La  raison  du  plus  fort  serait  l'uni- 
que loi  sociale,  ou  plutôt,  il  n'y  aurait  plus  de  so- 
ciété :  si  quelques  loups  à  face  humaine  venaient  à 
s'assembler  sans  Dieu,  sans  culte,  sans  religion,  le 
lendemain,  sous  le  plus  vain  prétexte,  ils  s'entre- 
dé  voreraient. 

r  —  Le  plus  grand  service  que  j'ai  rendu  à  la 
«  France,  disait  l'illustre  exilé  de  Sainte  Hélène, 
«  c'est  d'y  rétablir  la  religion  catholique.  Sans  la 
«  religion,  où  en  seraient  les  hommes  ?  Us  s'éger- 
«  géraient  pour  la  plus  belle  femme  ou  la  plus 
«  grosse  poire  !  » 

Un  philosophe  appelle  la  religion  «  le  foyer  de 
«  toutes  les  vertus,  la  philosophie  de  tous  les  âges, 
c<  la  base  des  mœurs  publiques,  Je  ressort  le  pljs 
it  puissant  qui  soit  dans  la  main  du  législateur  :  plus 
«  fort  que  l'intérêt,  plus  universel  que  l'honneur, 
«  plus  actif  que  l'amour  de  la  patrie,  le  garant  le 
«  plus  sûr  que  les  rois  puissent  avoir  de  la  fidélité 
g  de  leurs  peuples,  et  les  peuples  de  la  justice  de 
«  leurs  rois  :  la  consolation  des  malheureux,  le 
n  pacte  de  Dieu  avec  les  hommes,  et,  pour  employer 
«  une  image  d'Homère,  la  chaîne  d'or  qui  suspend  la 
*    ferre  au  trône  de  V Eternel.  » 

Eh  bien,  mes  frères,  n'avions-nous  pas  raison  ds 
dire  que  celui  qui  vit  sans  religion  fr 
teur  dans  son  attente,  et  que  n'avoir  pas  de  religion 
c'est  être,  en  un  sens,  aussi  coupable  que  si  l'on  re- 
plongeait dans  le  chaos  l'œuvre  du  Tout-Puissant? 
N'avions-nous  pas  raison  de  dire  qu  une  société  sans 


OU  L'OxN  NE  DOItT  PAS.  505 

religion,  si  elle  était  poss;ble,  ne  serait  pas  moins 
monstrueuse  que  l'Univers  sans  Dieu  ? 

Oh  !  qu'on  ne  répète  donc  plus  :  la  religion  est  d'in- 
vention humaine  !  Elle  est  née  avec  le  premier 
homme  ;  en  nous  donnant  une  âme  immortelle  en 
nous  faisant  à  son  image,  le  Créateur  a  voulu  qu'à 
ce  nom  céleste  une  fibre  intime  se  remuât  dans  notro 
cœur  ;  son  souffle  divin  a  établi  entre  lui  et  nous  des 
rapports  mystérieux,  d'ineffables  communications  ; 
il  a  voulu  que  l'homme,  ce  chef-d'œuvre  sublime 
qui  couronne  son  ouvrage,  lui  transmît  dans  sa  prière 
l'encens  et  les  hommages  de  toute  la  nature  ;  voilà 
pourquoi  il  a  fait  de  la  religion  une  loi  de  notre  être, 
une  condition  essentielle  de  notre  existence  et  de 
notre  conservation. 

Oui,  Seigneur,  nous  comprenons  aujourd'hui  la 
raison  de  cette  terrible  sentence  de  l'Esprit  Saint  : 
Il  n'y  a  point  de  paix  pour  l'impie  :  non  est  pax  vm* 
plis,  dicit  Dominas  ;  nous  comprenons  pourquoi, 
sans  religion,  le  bonheur  est  impossible,  même  sur 
la  terre,  et  puissions-nous  ne  jamais  l'oublier  î  Puis- 
sions-nous nous  estimer  heureux  de  la  sentir  si  près  de 
nous  cette  fille  du  Ciel,  et  de  marcher  à  l'ombre  de  son 
aîîe  protectrice!  Nous  voulons  toujours  vénérer,  tou- 
jours chérir  ce  mystérieux  compagnon  de  notre  pè- 
lerinage aGn  que  sa  voix  amie  nous  soutienne  dans  le 
péril,  nous  anime  au  fort  du  combat  et  nous  con- 
sole dans  le  malheur,  en  attendant  que  sa  main 
nous  ouvre  les  portes  de  1  éternelle  Jérusalem  !  Ainsi- 
soit-il! 


208  PETITS  SEIÎMON9 


VINGT-DEUXIÈME  SERMON 

RELIGION.  —  TOUTES  LES  RELIGIONS  SONT  ELLES  BONNES  ? 

Servite   Domino  in  veritate. 
Servez  le  Seigneur  selon  la  vérilè.  (Tob.  nv,  10.) 

Mes  frères,  lorsqu'on  examine  la  multitude  éton- 
nante des  religions  qui  ont  tour  à  tour  régné  sur  le 
globe,  depuis  le  culte  des  astres  et  des  plantes,  jus- 
qu'aux ridicules  pratiques  des  Fakirs,  des  Taiapoins 
et  des  Bonzes  ;  quand  on  voit  le  genre  humain  em- 
brasser de  la  meilleure  foi  du  monde  les  dogmes  les 
plus  bizarres  et  les  plus  absurdes,  les  croyances  les 
plus  contradictoires  et  se  livrer  avec  une  aveugle 
frénésie  aux  plus  barbares  superstitions,  on  est  tenté 
de  se  demander  si  Dieu  n'a  pas  abandonné  son  œuvre, 
puisqu'il  semble  écouter  avec  une  égale  indifiérence 
et  nos  blasphèmes  et  nos  prières. 

Il  est  impossible  de  lire,  dans  les  annales  religieu- 
ses des  peuples,  le  relevé  des  égarements  de  l'esprit 
humain,  sans  prendre  en  pitié  cette  pauvre  raison 
de  l'homme,  si  impuissante  pour  le  bien  par  elle- 
même  et  d'une  si  fatale  énergie  pour  le  mal  Je  défie 
le  plus  optimiste,  l'homme  le  plus  lier,  le  plus  vain  de 
ses  talents,  de  sa  science  et  de  sa  philosophie,  je  le 
défie  de  parcourir  un  instant,  sans  se  sentir  profon- 
dément  humilié,  l'histoire  de  l'idolâtrie  ancienne  et 
moderne  :  s'il  veut  être  de  bonne  foi,  il  bénira  comme 
nous  l'astre  radieux  de  la  révélation  qui  a  dissipé 


ou  l'on  ne  dort  pas.  207 

ces  ténèbres,  et  s'empressera  de  saisir  la  mnin  amie 
qu'un  guide  céleste  est  venu  nous  tendre  au  milieu  de 
cet  inextricable  labyrinthe  où  tant  de  générations  se 
sont  égarées. 

Avant  d'examiner  si,  parmi  tant  de  cultes  divers 
qui  régnent  sur  la  terre,  il  en  existe  un  de  certain, 
et  s'il  est  permis  à  un  homme  raisonnable  de  rester 
indifférent  entre  l'erreur  et  la  vérité,  constatons  d'a- 
bord un  fait  précieux,  capital,  qui  va  nous  servir 
d'une  manière  admirable  à  discerner  la  vraie  reli- 
gion :  c'est  que  le  sentiment  religieux  fut  de  tout 
temps  comme  répandu  dans  l'atmosphère  où  l'homme, 
dès  son  origine,  Ta  respiré  à  pleins  poumons: 
c'est  que  la  croyance  à  la  divinité  fut  sa  préoccupa- 
tion constante,  et  la  religion  le  premier  besoin  de 
l'humanité. 

«  Au  travers  de  toutes  les  altérations  que  l'égare- 
«  ment  de  l'esprit  humain  lui  a  fait  subir,  dit  un  sa- 
u  vant  écrivain,  l'hommage  à  la  divinité  a  toujours  et 
«  partout  l'ait  le  fond  de  notre  nature.  La  première 
«  pierre  de  toute  société  a  été  un  autel  :  et  quand 
«  cette  pierre  a  été  renversée,  toute  !-ociéié  l'a  été 
«  aussi.  11  n'a  jamais  été  donné  à  l'homme  de  se 
«  conserver  sans  cet  élément  indélébile  et  primordial 
«  de  son  espèce.  Ce  n'est  pus  seulement  l'homme 
a  civilisé,  mais  l'homme  perdu  aux  derniers  confins 
«  de  la  vie  sociale,  l'homme  sauvage,  l'homme 
«  enfin,  par  cela  seul  qu'il  est  homme,  qui  a  toujours 
«  porté  dans  son  sein  ce  feu  du  ciel.  Souvent  il  n'a 
«  eu  que  cela  de  la  nature  humaine,  mais  il  a 
*  toujours  eu   cela  :   c'est   l'instinct  le  ulus  profond, 


203  Î>L?>TS  SESSIONS 

«  le  plus  radical,   le  plus    universel    qui   scit  en 
a  lui l.  » 

Ainsi,  mes  frères,  jusque  dans  les  cultes  les  plus 
étranges,  et  les  plus  disparates,  jusque  dans  les 
pratiques  les  plus  cruelles  et  les  plus  indignes  des 
divinités  qu'on  prétendait  honorer,  le  dirai-je? 
jusque  dans  ces  infâmes  sacrifices  offerts  sur  des 
autels  plus  infâmes  encore,  la  vérité  d'un  Dieu  trouve 
des  armes  contre  l'incrédule.  Car,  bien  que  tout 
fut  Dieu,  sur  la  terre,  tout,  excepté  Dieu  lui-même, 
suivant  l'énergique  expression  de  Bossuet,  bien  que 
le  genre  humain  se  trompât  en  faisant  la  divinité 
méchante  et  corrompue,  il  possédait  néanmoins  la 
vérité  en  admettant  universellement  son  existence  : 
tant  il  est  vrai  qu'un  Dieu  souverainement  sage  sait 
tirer  le  bien  du  mal  et  arracher  à  l'erreur,  en  faveur 
de  la  vérité,  le  plus  éloquent,  le  plus  irrécusable 
témoignage. 

Or,  mes  frères,  de  même  que  la  diversité  des 
croyances  prouve  un  dogme  réel,  la  multiplicité  des 
faussés  religions  en  atteste  une  de  véritable  :  Le 
mensonge  est  toujours  fondé  sur  quelque  vérité  dont 
on  abuse,  dit  encore  excellemment  Bossuet  ;  toutes  ces 
religions  absu  des,  dégradantes,  abominables,  corn» 
ment  se  seraient-elles  accréditées  parmi  les  hommes, 
s'ils  n'avaient  été  convaincus  qu'il  en  existe  une 
de  vraie  et  si  chaque  peuple  n'avait  cru  que  la  sienne 
était  la  bonne?  Un  consentement  si  général  et  si 
universel  à  rendre   un  cuite  à  la   divinité  est   donc 

1  A.  Nicolas.  —  Éludes  pJtil.  sur  le  Christ. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  209 

fondé  sur  le  cri  de  la  nature,  et  le  même  argument  qui 
prouve  l'existence  de  Dieu  établit  aussi  qu'il  y  a  une 
manière  certaine  de  l'honorer. 

Il  existe  donc  une  vraie  religion,  une  religion 
conforme  aux  lumières  de  la  raison  naturelle  et  dont 
toutes  les  autres  ne  sont  que  l'image  et  l'ombre,  ou, 
pour  mieux  dire,  la  parodie  :  on  ne  fabrique  de  fausses 
pièces  de  monnaie  que  parce  qu'il  en  existe  de  bon- 
nes, et  dans  l'espoir  de  les  confondre  ;  toute  imitation 
suppose  un  modèle,  et  l'erreur  n'est  autre  chose  que 
l'absence  de  la  vérité. 

Et  maintenant,  chrétiens,  quelle  doit  être  la  con- 
duite d'un  homme  sensé,  d'un  homme  raisonnable  en 
face  de  tant  de  religions  opposées,  dont  Tune  blas- 
phème ce  que  l'autre  adore  ;  peut-on  rester  indifférent 
et  dire  avec  les  petits  philosophes  de  nos  jours  :  Bah  ! 
toutes  les  religions  sont  bonnes  ! 

11  n'y  aurait  pas  moins  d'extravagance  que  d'im- 
piété à  le  prétendre  :  autant  dire  que  le  oui  et  le  non 
sont  une  même  chose,  et  qu'après  avoir  gravé  la 
loi  naturelle  dans  nos  âmes,  le  créateur  nous  a  sans 
retour  abandonnés  à  nous-mêmes,  sans  plus  s'occu- 
per de  nos  sentiments  et  de  nos  actions  que  si 
l'homme  n'était  qu'un  animal  sans  raison,  une  vi- 
vante machine. 

Or  qui  oserait  tenir  un  semblable  langage?  — 
Quoi  !  Toutes  les  religions  sent  bonnes  !  dirons-nous  à 
ces  menus  docteurs,  mais  alors  Dieu  est  également 
honoré  par  toutes  les  rêveries,  les  cruautés,  les  abo- 
minations que  l'on  a  de  tout  temps  et  dans  tous  les 
pays  décorées  du  nom  de  religion  :  Dieu  flotte  donc 


210  PETITS  SERMONS 

iiidiiïerentj  lui  aussi,  entre  la  vérité  et  l'erreur,  écoute 
aussi  volontiers  la  voix  qui  le  maudit  que  celle  qui 
l'implore  ?  Toutes  les  religions  sont  bonnes  !  c'est-à- 
dire  qu'il  est  indifférent  au  Seigneur  d'être  seul  adoré 
dans  l'univers  comme  l'Éternel,  le  Tout-Puissant, 
l'Infini,  ou  de  partager  les  honneurs  suprêmes  avec 
Jupiter  et  les  Cinquante  mille  dieux  auxquels  le  Sé- 
nat romain  donnait  le  droit  de  bourgeoisie  î  —  Tou- 
tes les  religions  sont  bonnes  !  c'est-à-dire  qu'il  est 
égal  au  Dieu  de  toute  sainteté,  de  toute  pureté,  qu'on 
encense  les  autels  de  Priape  et  de  Vénus  ou  qu'on 
vénère  la  Vierge  immaculée?  qu'il  est  indiffèrent 
d'égorger  son  vieux  père  ou  de  le  servir  avec  amour? 
d'élever  son  enfant  ou  de  l'étouffer  à  sa  naissance? 
—  Toutes  les  religions  sont  bonnes!  c'est -à  dire  que 
Dieu  contemple  avec  une  égale  complaisance  le  juif 
entêté  qui  maudit  Jésus-Christ,  et  le  fidèle  qui  l'im- 
plore :  le  protestant  qui  parodie  orgueilleusement  sa 
parole  et  le  catholique  qui  la  révère  ;  le  musulman 
féroce  et  sensuel  qui,  lui  associant  un  fanatique,  un 
charlatan,  vient  nous  dire,  le  cimeterre  à  la  main  : 
«  Au  nom  d'Allah  et  de  Mahomet,  crois  ou  meurs  !  »» 
et  l'ardent  missionnaire  qui  verse  son  sang  pour  la 
défense  de  la  foi  !  —  Toutes  les  religions  sont  bonnes! 
c'est-à-dire  que  Dieu  se  tient  aussi  honoré  par  les 
sacrifices  offerts  à  Saturne  le  parricide  et  à  Mercure 
le  voleur  que  par  la  fidélité  à  cette  maxime  si  pro- 
fondément chrétienne  :  ce  que  tu  ne  voudrais  pas 
qu'on  te  fît  ne  le  fais  pas  aux  autres.  —  Toutes  les 
religions  sont  bonnes!  ainsi  les  grimaces  du  Trem- 
bieur,  les  ridicules  expiations  du  Bonze,  les  boni- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  2tt 

blés  festins  du  cannibale  sont  donc  aussi  agréables  à 
Dieu  que  l'auguste  sacrifice  de  nos  autels!  En  vérité, 
chrétiens,  ces  monstruosités  font  rougir  et  nous  ne 
parlons  pas  français  en  y  répondant  ! 
*  —  Comment  !  disait  en  serrant  les  poings  un  vieux 
sergent  à  un  petit  raisonneur  de  village,  qui  venait 
de  répéter  en  public  la  même  platitude,  comment. 
Dieu  du  ciel  !  toutes  les  religions  sont  bonnes  !  mais 
quand  l'une  affirme,  l'autre  nie;  celle-ci  blasphème 
ce  qu'adore  celle-là;  vous  êtes  encore  un  diôle  de 
citoyen  !  et  depuis  quand,  s'il  vous  plaît,  n'y  a-t  il 
plus  de  différence  entre  le  bien  et  le  mal,  entre  le 
vice  et  la  vertu?  J'avais  toujours  cru  qu'il  n'y  avait 
rien  de  commun  entre  Mahomet  et  le  Pape  et  que  le 
diable  était  aux  antipodes  de  Dieu!  Allons,  allons, 
mon  brave,  parlons  sérieusement  et  n'extravagons 
plus...  Voulez-vous  savoir  ce  que  signifie  en  bon 
français  cette  belle  maxime  :  Toutes  les  religions  sont 
bonnes?  c'est  qu'il  vaut  infiniment  mieux  être  païen, 
juif  ou  musulman  que  de  vivre  sans  religion  :  c'e>t 
"un  profond  scélérat  qui  Ta  dit,  et  vous  êtes  trop 
honnête.  Monsieur,  pour  donner  sur  ce  chapitre  un 
démenti  à  Voltaire  *  ! 

Ainsi  donc,  mes  frères,  parmi  tant  de  religions 
contradictoires,  la  plupart  bizarres,  dégradantes, 
cruelles,  une  seule  est  la  vraie,  une  seule  esl  descen- 
due du  ciel  et  porte  visiblement  le  sceau  de  la  divi- 
nité. Or,  je  le  demande  encore,  un  homme  raison- 
nable peut-il  rester  indifférent  devant  cette  religion 

*  Garo  et  son  cuve,  3c  édition. 

13 


212  PETITS  SEUMONS 

salutaire  et  ne  pas  l'embrasser  avec  transport,  sitôt 
qu'à  ses  yeux  brillent  les  caractèies  sacrés  qui  la 
démontrent  véritable?  évidemment  non!  car  ce  se- 
rait s'obstiner  à  croupir  dans  les  ténèbres,  tandis 
qu'un  soleil  splendide  illumine  la  nature  :  ce  serait 
rester  en  prison  lorsque  la  liberté  nous  est  rendue  et 
vouloir  mourir  en  exil  quand  on  nous  ouvre  les  portes 
de  la  patrie! 

—  Mais  dira-t-on,  pourquoi  changer  de  religion  ? 
un  enfant  bien  né  doit  vivre  et  mourir  dans  la  foi  de 
ses  pères. 

—  Pourquoi  changer,  chrétiens?  la  belle  question  ! 
mais  par  la  même  raison  qu'on  abandonne  un  sen- 
tier qui  conduit  à  un  précipice!  ouest  la  lai  qui 
m'ordonne  de  suivre  mon  père  jusque  dans  ses  er- 
reurs? Je  veux  bien  l'imiter  dans  ce  qu'il  a  d'imita- 
ble et  lorsqu'il  sera  dans  le  vrai  :  mais,  quel  que  *>oit 
mon  bonheur  de  marcher  sur  ses  traces  et  mon  res- 
pect pour  les  vieilles  traditions  des  aïeux,  je  respecte 
encore  plus  le  bon  sens  et  l'instinct  de  la  conserva- 
tion qui  me  crient  :  prends  garde  !  et  m'ordonnent 
de  m'anêter  sur  la  pente  fatale  où  m'entraînait  leur 
exemple. 

Oh  !  il  serait  doux,  je  l'avoue,  il  serait  glorieux  de 
vivre  et  de  mourir  dans  la  religion  de  nos  pères  : 
mais  si  cette  religion  est  rajeunie,  habillée  à  la  mo- 
derne, si  nos  pères  en  ont  fabriqué  une  nouvelle  et 
nous  ont  transmis  cette  religion  bâtarde,  ni  Dieu  ni 
les  hommes  ne  nous  feront  un  crime  d'abandonner 
la  religion  des  pères  pour  celle  des  grands-pères  ; 
elle  est  plus  près  de  l'origine,  celle-là,  et  plus  voi- 


OU  ï/ON  NE   DGUT  PAS.  8|J 

sine  de  Dieu.  C'est  ainsi  que  pensaient  les  païens 
;  eux-mêmes. 

Cicéïon  rapporte  que  les  Athéniens  ayant  consulté 
l'oracle  d'Apollon  pour  savoir  à  quelle  religion  ils 
devaient  s'attacher,  il  leur  répondit  :  —  à  celle  de  vos 
ancêtres. 

— -  Mais,  dirent-ils,  nos  ancêtres  ont  tant  de  fois 
changé  de  culte,  quel  est  celui  que  nous  choisirons? 

—  Le  meilleur,  répondit  l'oracle.  —  Et  certes, 
ajoute  aussitôt  l'illustre  orateur,  le  meilleur  ne  pou- 
vait s'entendre  que  du  plus  ancien  et  du  plus  près  c7o 
Dieu. 

—  N'auriez-vous  pas  été  fâché,  demandaient  en 
riant  quelques  seigneurs  de  la  cour  d'Angleterre  à 
im  amhassadeur  français  qui  relevait  d'une  maladif 
assez  sérieuse,  n'auriez-vous  pas  été  lâché  d'être 
enseveli  dans  une  terre  hérétique  ? 

—  Mon  Dieu  non,  répondit-il  sans  s'émouvoir, 
seulement  j'aurais  recommandé  qu'on  creusât  ma 
tombe  un  peu  plus  bas,  et  je  me  serais  trouvé  parmi 
les  catholiques. 

On  sait  que  le  comte  de  Stolberg,  qui  était  né  cal- 
viniste, remplissait,  depuis  sa  conversion,  ses  devoirs 
religieux  avec  une  rigidité  toute  militaire.  Un  haut 
personnage,  qui  l'avait  vu  avec  chagrin  abjurer  le 
protestantisme,  lui  dit  un  jour  sèchement  et  tout  en  le 
regardant  de  travers  : 

—  Je  n'aime  pas  les  gens  qui  changent  de  reli- 
gion. 

—  Ni  moi  non  plus,  milord,  répliqua  le  comte  sur 
le  même  ton,  car  si    mes  pères   n'en  avaient  pas 


2t4  PETITS  SERMONS 

changé,  je  n'aurais  pas  été  forcé  de  revenir  à  celle 
qu'ils  avaient  abandonnée. 

Oui,  chrétiens,  et  nous  allons  bientôt  le  voir,  il  est 
une  manière  certaine  d'honorer  le  Seigneur,  une 
façon  de  le  servir  que  lui-même  a  consacrée,  il  existe 
une  vraie  religion,  le  catholicisme,  la  religion  de 
l'Évangile,  et,  plus  heureux  que  tant  de  nations  loin- 
taines, encore  assises  à  l'ombre  de  la  mort,  il  nous 
est  donné  de  marcher  à  la  lueur  de  son  céleste  flam- 
beau !  Qu'il  soit  loué,  mille  fois  béni,  le  Dieu  d'amour 
qui  l'a  fait  briller  à  nos  yeux  !  Ne  cessons  de  le  prier, 
de  le  chérir,  afin  qu'il  daigne  achever  son  œuvre  et 
nous  rendre  dociles  à  ses  saintes  inspirations  puisque 
une  éternité  de  gloire  et  de  bonheur  doit  être  le 
prix  de  notre  correspondance  à  la  giâce!  Ainsi 
soii-il  ï 


VINGT-TROISIÈME  SERMON 

RÉVÉLATION.  —  EX1STE-T-ELLE,  ET  PEUT-ON  LA.  DISCERNER? 

Audi  te,  cœh',  auribus  percipe,  terra, 
quia  l)o>i  ivus  loculus  ist 

Cit'iix,  écoutez,  terre,  prête  l'oreille, ca 
le  Seigneur  a  parlé  (,1s.  ï, 20.) 

Mes  frères,  j'en  ai  la  douce  confiance,  il  n'en  est 
aucun  parmi  vous  qui  ait  jamais  osé  nier  ou  seule- 
ment mettre  en  doute  les  saintes  vérités  de  la  foi, 
grâce  à  Dieu,  vous  êtes  tous  raisonnables,  tous  sin- 
cèrement chrétiens;  si  nous  agitons  ici,  comme  en 
amille,  certaines  questions  capitales,  élémentaires, 
c'est  moins  pour  vous  convaincre  que  pour  vous  pré- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  215 

munir  contre  les  vains  raisonnements  de  ces  petits 
discoureurs  qui,  pleins  deux-mêmes  et  gonflés  de 
quelques  bribes  de  science  dont  ils  font  étalage, 
se  sont  donné  la  triste  mission  de  pervertir  Je  peuple 
et  de  lui  ravir  le  trésor  de  la  foi  :  voilà  pourquoi, 
mes  frères,  nous  avons  cru  devoir  vous  parler  de 
l'existence  de  Dieu,  de  l'immortalité  de  1  âme  et  de 
la  nécessité  d'une  religion.  Reste  à  nous  occuper  de 
l'existence  d'une  religion  révélée  et  des  moyens  de  la 
discerner. 

Et  d'abord,  n'examinons  pas  ici  avec  certains  ra- 
tionalistes modernes  si  la  révélation  est  possible,  et  si 
Dieu,  qui  est  essentiellement  esprit,  peut  communi- 
quer avec  la  créature,  lui  dicter  des  lois  positives  et 
lui  presciire  la  manière  dont  il  veut  être  honoré  \  le 
temps  des  excentricités  est  passé,  Dieu  merci,  ou 
peu  s'en  faut,  et,  avec  lui,  le  goût  des  questions 
oiseuses...  On  ne  recherche  plus  de  quels  moyens 
Dieu  s'est  servi  pour  nous  manifester  ses  volontés 
adorables,  pas  plus  qu'on  ne  conteste  à  celui  qui  a 
fait  notre  œil  la  vertu  d'apparaître  ;  à  l'auteur  de  la 
langue,  la  faculté  d'articuler  des  sons;  à  celui  qui 
forma  notre  oreille,  le  pouvoir  de  se  faire  entendre. 

Que  dis- je?  on  est  même  devenu  de  nos  jours  si 
accommodant  avec  le  Créateur,  qu'on  ne  jette  plus, 
comme  autrefois,  de  hauts  cris  au  seul  mot  de  révé- 
lation, et  qu'on  n'y  trouve  plus  la  même  répugnance 
avec  les  attributs  divins.  Si  quelque  menu  docteur 
ose  encore,  à  propos  de  religion  révélée,  hocher  la 
tête  et  nous  opposer  la  grandeur  de  l'EIre  supiêmet 
sa  sagesse,  sa  sainteté,  sa  justice,  sa  bonté,  ce  ne 


216  **I1*S  SERMONS 

peut  être  que  pour  faire  la  roue  et  se  donner  du  ja- 
bot. De  tels  contradicteurs  sont  généralement  inoflen- 
sifs,  et  leurs  fions- fions,  leurs  pirouettes  d'ergoteur 
ne  tirent  pas  à  conséquence. 

De  même,  on  convient  assez  généralement,  grâce 
aux  aberrations,  aux  bévues  des  philosophes  anciens 
et  modernes,  que  l'homme  était,  par  lui-même,  im- 
puissant à  découvrir  sur  Dieu,  sur  son  âme  et  son 
avenir  éternel,  d'autres  vérités  que  celles  dont  il 
apporte  en  naissant  le  sentiment  et  la  connaissance 
dans  les  principes  de  la  loi  naturelle;  en  sorte  que 
la  raison  qui  lui  apprend  l'existence  d'un  premier 
Etre,  la  spiritualité  de  rame,  la  distinction  du  bien 
et  du  mal,  la  vérité  d'une  seconde  vie  et  l'obliga- 
tion où  nous  sommes  de  rendre  un  culte  à  Dieu,  ne 
nous  dit  rien  de  positif  sur  la  nature  de  ce  culte,  sur 
notre  origine  et  notre  avenir,  sur  l'essence  et  les 
attributs  de  Dieu,  ne  précise  rien  sur  nos  rapports 
avec  nos  semblables  ;  en  un  mot,  cette  loi  natu- 
relle, suffisante,  absolument  parlant,  pour  diriger 
l'homme,  s'il  était  sans  préjugés,  sans  passions,  ne 
renferme  guère,  sur  le  dogme  et  sur  la  morale,  que 
des  principes  généraux  dont  l'application  facultative 
et  arbitraire  serait  la  source  des  plus  grands  dé- 
sordres et  des  plus  funestes  erreurs  :  l'expérience 
des  siècles  en  est  une  preuve  sensible. 

Ouvrez  l'histoire,  mes  frères,  et  vous  demeurerez 
convaincus  de  l'insuffisance  de  la  raison  humaine  pour 
former  un  corps  de  doctrine  des  vérités  naturelles 
dont  nous  portons  le  sentiment  dans  nos  cœurs. 

La  morale  du  paganisme  était  la  consécration  du  vol, 


OU  i/ON  NE  DORT  PAS.  517 

du  meurtre  et  (3e  la  luxure  la  plus  éhontée.  Le  rouge 
monte  au  front  lorsqu'on  se  rappelle  toutes  les  infa- 
mies qui  se  commettaient  à  la  lace  du  soleil  au  nom 
des  dieux  ;  nos  mœurs  chrétiennes  n'en  pourraient 
soutenir  l'abominable  tableau.  L'avilissement  de  la 
femme,  l'exploitation  de  l'homme  par  l'homme,  les 
jeux  sanglants  du  cirque,  les  réjouissances  du  tigre, 
c'est  à-dire,  dans  la  même  fête,  des  cris  de  plaisir, 
et  des  râles  d'agonie;  l'enfance  sans  respect,  des 
filles  sans  pudeur,  des  mères  sans  entrailles  ;  la  tra- 
hison, le  parjure,  la  vengeance  divinisés,  voilà  pour 
la  morale  ;  je  ne  parle  pas  de  la  théodicée  ;  le  paga- 
nisme, en  prosternant  l'homme  devant  les  astres,  les 
animaux,  les  plantes,  en  lui  faisant  adorer  le  bois, 
la  pierre  et  les  plus  vils  insectes,  avait  chas.-é  Dieu 
de  son  domaine  :  chaque  passion,  chaque  vice  avait 
des  autels  :  tout  était  confondu,  bouleversé,  le  gé- 
nie du  mal  régnait  en  souverain  sur  la  terre. 

Et  ne  croyez  pas,  mes  frères,  que  ce  fut  seulement 
le  peuple,  stupide  troupeau,  comme  l'appelle  un  de 
leurs  poètes,  c'étaient  les  savants,  les  sages,  les 
éclairés  qui  marchaient  ainsi  à  tâtons  dans  les  ténè- 
bres de  cet  abîme,  où  luisait  pourtant  le  flambeau 
de  la  loi  naturelle,  mais  pâle,  mais  obscurci  par  les 
passions  :  on  connaît  les  aveux  des  Socrate,  des  Pla- 
ton, des  Épictète,  et  ceite  énergique  parole  du  prince 
des  orateurs  romains  :  «  Il  n'est  point  d'opinion  si 
«  absurde  qu'elle  n'ait  été  soutenue  par  quelque  phi- 
«  losophe.  » 

—  «  Ce  serait  un  détail  bien  flétrissant  pour  la  phi- 
«  losophie,  dit  J.-J.  Rousseau,  que  l'exposition  des 


ÎJ8  PETITS  SERMONS 

«  maximes  pernicieuses  et  des  dogmes  impies  de  ces 
«  diverses  sectes  l.  —  A  entendre  les  philosophes, 
«  ne  les  prendrait-on  pas  pour  une  troupe  de  char- 
«  latans  qui  crient  chacun  de  leur  côté  :  Venez  à 
«  moi,  c'est  moi  seul  qui  ne  me  trompe  point!  — 
'«  L'un  prétend  qu'il  n'y  a  point  de  corps  et  que  tout 
«  est  en  représentation  ;  l'autre,  qu'il  n'y  a  d'autre 
«  substance  que  la  matière  :  celui  ci  avoue  qu'il  n'y 
«  a  ni  vice  ni  vertu,  et  que  le  bien  et  le  mal  sont  des 
«  chimères  ;  celui-là  que  les  hommes  sont  des  loups, 
«  et  qu'ils  peuvent  se  manger  en  sûreté  de  cons- 
*  cience.  .  2  a 

IJ  fallait  donc,  mes  frères,  que  la  sagesse  nous 
ce  en  3ît  des  hauteurs  et  que  Dieu  lui-même  nous 
l'expliquât,  cette  loi  naturelle  dont  il  avait  déposé 
d.iiis  nos  âmes  les  premiers  éléments  ;  il  fallait  donc 
qu'il  vînt  la  développer,  la  compléter,  lui  donner  en 
quelque  sorte  une  forme  extérieure,  sensible  et  per- 
manente. Il  était  né*  essaire  que  Dieu  se  révélât  à 
l'homme  et  lui  manifestât  d'une  manière  plus  expli- 
cite ses  devoirs  envers  son  Créateur,  envers  soi- 
même  et  envers  ses  semblables  ;  il  était  nécessaire, 
en  un  mot,  qu'il  lui  donnât  une  religion  positive,  dé- 
terminée  et  lui  indiquât  une  voie  certaine  pour  reve- 
nir  à  lui.  à  travers  l'inextricable  dédale  d'erreurs  et 
d'iniquités  enfantées  par  la  raison  humaine 

—  «  Il  faut,  dit  le  marquis  d'Argens,  à  qui  l'on  ne 
«  saurait  reprocher  de  s'être  montré  trop  favorable 
«  à   la   religion,  il   faut  nécessairement  que  Dieu  ait 

!  J^an-Jacqucs  Rousseau,  Repense  au  roi  de  Pologne. 
*  Id.  Discours  sur  les  sciences  et  les  arts. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  219 

«  ordonné  un  culte  à  l'homme..  Quel  chaos  affreux 
«  ne  s'ensuivrait-il  pas  si  chacun  avait  une  pensée 
«  différente  sur  le  culte  qu'on  doit  à  la  divinité! 
«  L'esprit  de  l'homme,  sujet  à  s'égarer,  retomberait 
«  bientôt  dans  l'idolâtrie.  » 

Pourtant,  chrétiens,  quand  je  dis  nécessaire,  je 
parle  de  convenance  et  n'entends  pas  une  nécessité 
absolue  ;  il  n'en  est  point  pour  le  Tout  Puissant  : 
d'ailleurs,  l'ignorance  de  la  religion  naturelle  où 
l'homme  a  vécu  pendant  tant  de  siècles  n'était  ni 
totale  ni  invincible,  puisque  l'apôtre  saint  Paul  l'ap- 
pelle inexcusable.  Dieu  ne  nous  devait  donc  pas  la 
révélation  ;  mais  elle  nous  était  nécessaire  en  ce 
sens  que  jamais  sans  elle  les  hommes  ne  se  seraient 
élevés  jusqu'à  la  méditation  des  vérités  d'un  ordre 
supérieur  ni  même  dégagés  des  ténèbres  de  l'idolâ- 
trie et  de  la  corruption  où  ils  étaient  plongés  :  c'est 
une  présomption  qui  tient  de  la  certitude,  et,  là- des- 
sus, le  passé  répondait  de  l'avenir. 

Or,  cette  révélation  existe,  mes  frères,  le  plus  lé- 
ger doute  n'est  plus  possible  à  cet  égard  ;  on  en  rap- 
pellera les  principales  preuves  :  Dieu  a  parlé  à  sa 
créature  ;  mais  comment  distinguer  sa  voix  au  mi- 
lieu de  tant  de  voix  qui  nous  sollicitent  ?  Eu  nous 
ordonnant  de  marcher  dans  Tunique  chemin  qui  con- 
duit à  la  vie,  Dieu  nous  a-t-il  donné  les  moyens  de 
le  discerner  des  sentiers  de  la  mort?  Ou  bien,  par 
des  volontés  contradictoires,  par  une  haine  inexpli- 
cable pour  1  ouvrage  de  ses  divines  mains,  le 
Ciéateur  lui  a-t-il  montré  la  vie  comme  un  appât 
trompeur,   et  ne  lui  en    a-t-il   inspiré  le  désir  que 


220  PETITS  SERMONS 

pour  le  torturer  à  jamais  du  supplice  de  Tantale? 

—  a  Ne  blasphémons  point  la  divinité,  dirons  nous 
a  avec  un  profond  écrivain,  elle  veut  le  bonheur  de 
a  ses  créatures,  car  la  gloire  d'un  Être  bon  est  de  ma- 
«  nifester  sa  bonté  ;  il  se  doit  à  lui-même  cstte  haute 
a  justice  :  ou  Dieu  n'existe  pas,  ou  il  veut  le  salut  de 
<*  tous  les  hommes  ;  or  qui  oserait  dire,  qui  oserait 
|«  penser  qu'en  nous  imposant  des  lois  dont  l'infrac- 
«  tlon  a  des  eflets  si  terribles,  il  les  ait  couvertes  d'un 
a  voile  impénétrable  à  nos  yeux  ;  qu'il  ait  jeté  dé- 
c  daigneusement  tant  de  millions  d'intelligences 
«  entre  la  vérité  et  l'erreur,  entre  le  bien  et  le  mal, 
«  sans  moyen  de  les  discerner;  qu'il  se  dérobe  à  ce- 
ce  lui  qui  le  cherche,  qu'il  étende  à  ses  pieds  un 
«  océan  de  ténèbres  et  repousse  loin  du  rivage  l'in- 
«  fortuné  qui  s'efforce  d'aborder? 

«  D'ailleurs  l'idée  de  devoirs  ou  d'obligation  mo- 

«  raie  est   renfermée   nécessairement   dans  l'idée  de 

«  religion.  Et  voilà  ponrquoi   la  souffrance   qui    suit 

«  tôt  ou  tard   l'infraction  de  ces  lois,  quand  la  faute 

«  n'est  pas   effacée  par  le  repentir,   a   toujours   été 

«  conçue  sous  la  notion  de  peine   ou  de  châtiment. 

«  Or  comment  existerait-il  de  véritables  devoirs  pour 

«  celui  qui  les  ignorerait   invinciblement  ?  Comment 

g  serait-il  coupable  de  n'avoir  pas  obéi  s'il  ne  pou- 

«  vait  pas  savoir  ce  qui  était  commandé?  Le  punir 

«  de  son  ignorance,  d'une  ignorance  insurmontable, 

«  ne  serait-ce  pas  le  comble  de  l'iniquité  ? 

—  «  Qu'on  se  figure  un  législateur,  un  roi  près- 
*  crivant  en  lui-même  ou  défendant  certaines  choses 
u  sous  peine  de  mort,  sans  manifester  ses  volontés, 


ou  l'on  ne  i>onr  ï>m.  221 

«  sanspnblier  ses  ordonnances,  et  envoyant  ensuite 
c  ses  sujets  à  l'échafaud  pour  ne  s'être  pas  confor- 
«  niés  à  cette  loi  secrète  qu'il  s'était  plu  à  leur  ca- 
«  cher  :  pourrait  on  concevoir  une  injustice  phi3 
«  énorme,  un  plus  abominable  tyran?  —  L/Etre  sou- 
«  veraincment  juste  et  bon,  Dieu  serait  ce  tyran,  s'il 
«  avait  refusé  aux  hommes  le  moyen  de  discerner  la 
«  vraie  religion. 

«  Au  reste,  il  suffit  d'en  appeler  au  témoignage  du 
h  genre  humain.  Tous  le^  pépies  ont  eu  une  reli- 
«  gion  qu'ils  croyaient  vraie;  donc  tous  les  peuples 
«  ont  cru  qu'on  pouvait  connaître  la  vraie  religion. 
«  Aucune  religion,  même  fausse,  ne  se  serait  établie 
«  sans  cette  croyance.  Or,  les  croyances  universelles 
«  sont  des  décisions  delà  raison  générale;  les  rejeter 
«  ou  les  contester,  c'est  détruire  la  raison  même  : 
•  donc,  quelle  que  soit  la  vraie  religion,  il  est  pos- 
a  sible  de  la  reconnaître.  Si  l'on  prétend  que  les 
«  peuples  ont  pu  se  tromper  sur  ce  point,  ils  ont  pu 
a  se  tromper  également  sur  l'existence  du  premier 
«  Etre,  ils  ont  pu  se  tromper  sur  tout,  et  dès  lors, 
«  plus  de  certitude,  plus  de  vérité,  plus  d'erreur, 
«  mais  un  doute  si  profond  qu'il  n'aurait  plus  d'autre 
«  expression  que  le  silence  '.  » 

Oui,  mes  frères,  en  nous  révélant  sa  volonté  sainte, 
en  nous  donnant  sa  religion,  Dieu  nous  a  aussi  donné 
les  moyens  de  la  découvrir  ;  sa  loi  rayonne  d'un  si 
majestueux  éclat  que  lame  en  est  toute  ravie  et  sa 
parole  est   revêtue   d'un  caractère  si   sublime  et  si 

i  Lamennais,  Essai  sur  l'indifférence* 


222  PETSTS  SKBMONS 

éminemment  divin  qu'il  est   impossible  de  !â  mécon- 
naître dès  quelle  se  l'ait  entendre. 

Et  d'abord,  chrétiens,  la  révélation,  pour  remplir 
le  but  de  la  sagesse  éternelle,  a  dû  être  extérieure, 
car  il  s'agissait  de  confirmer,  de  promulguer  la  loi 
naturelle,  de  la  fixer,  de  lui  donner  un  corps,  une 
fo:me  visible  :  et  voilà  pourquoi  il  était  nécessaire 
ou  que  Dieu  se  révélât  aux  hommes  pour  les  ins- 
truire par  lui-même,  ou  qu'il  leur  transmît  sa  vo- 
lonté par  des  envoyés  qui  pussent  prouver  authenti- 
quement  leur  mission. 

Elle   a  dû  être  manifeste  et  tellement  frapper  les   „ 
hommes  qu'ils  ne  puissent  la  méconnaître  ni  en  perdre 
le  souvenir. 

Elle  a  dû  être  évidente,  c'est-à-dire  montrer  à 
l'homme  ce  qu'il  doit  croire  et  ce  qu'il  doit  prati- 
quer, mais  le  lui  montrer  d'une  manière  si  claire 
et  si  distincte  qu'il  reste  sans  excuse,  si  sa  croyance 
et  sa  conduite  ne  sont  pas  en  harmonie  avec  cette 
sainte  loi. 

Or,  mes  frères,  la  révélation  existe,  je  le  répète, 
et  avec  ces  caractères  lumineux,  éclatants  comme  le 
soleil.  11  est  un  livre  auguste  et  vénéré  qui  a  précédé 
tous  les  autres  livres,  un  livre  divinement  inspiré 
qui  renferme  le  précieux  dépôt  de  la  parole   révélée. 

Il  établit  d'une  manière  incontestable  que  Dieu  a 
parlé  aux  hommes  à  trois  époques  différentes  qui 
correspondent  aux  différents  âges  du  genre  humain  ; 
et  chose  remarquable  !  dit  un  judicieux  auteur  «  en 
«  instruisant  les  hommes,  Dieu  a  toujours  propor- 
««  tionné  son  enseignement  et  ^°  leçons  à  leur  ca- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  $23 

«  parité  présente  et  à  leurs  besoins  actuels  :  aussi 
«  distingue  t-on  trois  révélations  successives  qui 
**  s'expliquent  et  se  complètent  l'une  par  l'autre  : 
«  la  révélation  primitive,  la  révélation  mosaïque  et 
«  la  révélation  chrétienne  *.  • 

La  première,  qui  fut  faite  à  Adam  et  aux  patriar- 
ches ,  nous  montre  le  Seigneur  conversant  avec 
l'homme  dès  l'origine  du  monde,  lui  prescrivant  des 
devoirs  à  remplir  et  la  manière  dont  il  veut  être  ho- 
noré ;  lui  faisant  des  défenses  dont  la  violation  sera 
punie  de  mort,  puis,  après  la  chute  et  l'annonce  du 
châtiment,  lui  promettant  un  réparateur  et  renou- 
velant sa  promesse  à  Noé,  à  Abraham,  à  Jacob  ;  en 
un  mot,  Dieu  apparaît  au  berceau  de  l'humanité  se 
révélant  à  nos  pères  et  leur  dictant  des  lois  qu'ils 
doivent  transmettre  à  leurs  enfants.  C'est  ce  que 
nous  rappelle  l'auteur  de  Y  Ecclésiastique  lorsqu'il  dit 
que  nos  premiers  parents  »  ont  reçu  de  Dieu,  avec 
«  l'intelligence  et.  le  sentiment  du  bien  et  du  mal, 
«■  des  leçons  et  une  règle  de  vie  :  qu'il  leur  a  ensei- 
«  gnésa  loi,  qu'ils  ont  vu  la  majesté  de  Dieu,  etc.*.  * 

Dieu  enseigna  une  deuxième  fois  les  hommes  en- 
viron trois  mille  ans  après  la  création  par  le  minis- 
tère de  Moïse,  et  plus  tard,  par  celui  des  prophètes 
par  les  majestueux  développements  du  Sinaï,  les 
chan's  de  David,  les  leçons  du  Sage  et  les  sublimes 
méditations  des  prophètes. 

Enfin  Dieu  a  instruit  les  hommes  dans  ces  der- 
niers temps  par  Jésus-Christ,  son  fils,  qui  n'est  pas 

*  Bergier.  -  2  Ecole.,  xxvii,  5,  G,  7,  9,  IL 


224  PETITS  SERMONS 

venu  abolir  la  loi  antique,  ainsi  qu'il  s'exprime 
lui-même,  mais  la  remplir,  la  compléter,  la  perfec- 
tionner *.  C'est  ainsi,  chrétiens,  que  le  Ciel  s'est 
plusieurs  fois  manifesté  à  la  terre,  et  que  la  religion 
positive  est  venue  couronner  la  religion  naturelle. 
L'apôtre  saint  Paul  en  rappelant  cette  triple  révélation 
nous  en  indique  les  principales  preuves  : 

—  Dieu,  dit  il,  parla  souvent  à  nos  aïeux  et  de 
plusieurs  manières,  par  lui-même  et  par  l'organe  de 
ses  prophètes,  et  naguère  encore  par  son  propre 
fils  *  ;  et  il  a  manifesté  la  divinité  de  ses  oracles  par 
les  prodiges,  les  miracles  et  la  distribution  des  dons 
du  Saint-Esprit  3. 

Voilà  donc  bien  indiqués,  mes  frères,  les  princi- 
paux caractères  de  la  religion  révélée  et  les  victo- 
rieux arguments  sur  lesquels  elle  repose  :  les  pro- 
phéties, les  miracles  et  l'établissement  visiblement 
prodigieux  du  christianisme  dans  le  monde. 

—  Biais,  dira-t-on,  puisque  les  livres  des  juifs  et 
des  chrétiens  renferment  seuls  le  dépôt  sacré  de  la 
révélation,  et  que  ce  fait  miraculeux  n'a  d'autre  fon- 
dement que  l'Écriture,  qui  nous  en  garantit  l'auto- 
rité î  Ne  faut-il  pas  que  cette  Ecriture  soit  bien  cer- 
taine et  ces  livres  authentiques  pour  mériter  notre 
croyance  ? 

—  Eh  1  sans  doute,  mes  frères  !  on  n'entend  impo- 
ser tyranniquement  à  personne  l'autorité  du  maître; 
nous  ne  parlons  ici  qu'à  la  raison  depuis  le  com- 
mencement de  ces  entretiens  ;  viendra  le  tour  de  la 

*  Math.,  v,  17. 

>  Hœbr.,  î,  l.  -  *  Haîbr.,n,  4* 


OtT  L'ON  NE  DOïlT  PAS.  225 

foi,  car  maintenant  c'est  celui  de  ïa  bonne  foi.  Aussi, 
après  avoir  répondu  à  quelques  difficultés  qui  se  ré- 
pètent encore,  bien  qu'elles  aient  été  cent  fois  réso- 
lues, nous  allons  interroger  la  Bible  et  examiner  ses 
titres  à  notre  croyance... 

Mais  de  grâce,  mes  frères,  qu'on  ne  demande  pas 
à  la  parole  de  Dieu  plus  qu'on  ne  demande  à  la  pa- 
role de  l'homme  ;  il  y  aurait  au  moins  de  l'injustice 
à  être  plus  exigeant  pour  nos  saints  Livres  que  pour 
une  mince  chronique,  et  nous  prions  la  raison  de 
vouloir  bien  se  montrer  raisonnable. 

Pardon,  religion  sainte,  religion  chérie,  pardon,  si 
nous  osons  creuser  jusqu'à  vos  fondements  pour  vous 
demander  vos  titres  à  la  croyance  et  à  la  vénération 
du  genre  humain  !  Ce  n'est  pas  pour  nous  chrétiens, 
que  nous  vous  interrogeons,  c'est  pour  puiser  dans 
cet  examen  sérieux  des  armes  contre  les  insensés  qui 
vous  attaquent  dans  l'espoir  d'ébranler  notre  foi  ! 
mais  cet  espoir  sera  vain,  car  elle  vit  en  nous,  cette 
foi  consolante  et  salutaire,  elle  y  vit,  y  règne  en  sou- 
veraine et  nous  nous  sentirions  le  courage  de  mourir 
pour  sa  défense  !  Daigne  le  Dieu  qui  nous  l'inspira 
dissiper  un  jour  au  ciel  le  nuage  qui  le  cache  à  notre 
amour  et  s'y  montrer  à  nos  yeux  dans  tout  l'éclat  de 
sa  gloire  immortelle  !  Amen, 


223  PETITS  SERMON» 


VINGT-QUATRIÈME   SERMON. 

ÀELIG10N.  —  RÉPONSE  A  QUELQUES  OBJECTIONS. 

Nolite  confîdere  in  verbis  mcndncii. 
Méfiez-vous  des  paroles  du  mensougc, 
fJc-rémie,  vu,  K.) 

C'est  une  étrange  chose,  mes  frères,  que  l'obsti- 
nation de  certaines  gens  à  déblatérer  contre  la  reli- 
gion, à  nier  sa  céleste  origine,  ses  bienfaits,  son  in- 
fluence salutaire  et  surtout  sa  nécessité  pour  tout  le 
monde.  A  les  entendre,  les  prêtres  font  un  métier, 
ne  débitent  que  des  contes,  et  ceux  qui  les  écoutent 
sont  des  niais  Vous  n'êtes  pas  sans  avoir  rencontré 
bien  des  fois  sur  votre  chemin  de  ces  menus  docteurs 
en  sabots,  qui  vous  disaient  en  branlant  la  tête  et 
d'un  ton  suffisant  qui  trahissait  l'esprit  supérieur  : 
Allons  donc  1  Dieu,  l'Église,  la  religion,  c'est  des  bê- 
tises. 

Sans  doute  ils  changent  de  langage  à  la  première 
maladie  qui  les  frappe,  et  lorsqu'il  leur  arrive  une 
perte,  un  malheur,  ils  réiléchissent  alors,  ils  revien- 
nent tremblants  et  soumis  à  la  religion  qu'ils  avaient 
abandonnée,  que  dis  je?  on  les  voit  alors  prier  avec 
plus  d'instance  et  de  ferveur  que  ces  dévots  qu'ils 
avaient  tant  raillés  ;  mais  en  attendant,  ils  triomphent 
et,  sûrs  que  leur  règne  va  bientôt  passer,  ils  veulent 
du  moins  s'en  donner  à  cœur  joie  :  aussi  est-ce  mer- 
veille de  les  entendre  ricaner,  persifler,  calomnier  ; 
Dieu,  la  religion,  les  prêtres,  les  lois  de  l'Église,  rien 
n'est  sacré  pour  ces  rudes  spadassins,  si  peu  qu'ils 


ou  l'on  ne  dout  pas*  22? 

aient  fait  leur  tour  de  France  et  sachent  signer  leur 
nom  :  c'est  triste,  encore  une  fois,  mes  frères,  c'est 
déplorable,  et,  ce  qu'il  y  a  de  bien  plus  désolant  en- 
core, c'est  que  ces  blasphèmes  et  ces  impiétés  qui 
devraient  soulever  une  indignation  générale  se  ré- 
pètent souvent  avec  complaisance  et  trouvent  écho 
dans  bien  des  cœurs  ! 

Je  ne  sais  s'il  en  est  aucun  parmi  vous  qui  ait  ja- 
mais osé  mêler  sa  voix  à  ces  voix  criminelles,  mais 
dans  le  doute,  et  pour  vous  prémunir,  mes  frères, 
contre  certaines  difficultés  que  soulèvent  sans  cesse 
des  esprits  mal  faits,  nous  allons  y  répondre  dans 
deux  entretiens  que  nous  rendrons  aussi  familiers  que 
possible. 

—  Bah  !  disent  ils.  la  religion  est  une  invention  des 
prêtres. 

—  Vraiment,  mes  amis  î  et  pourriez  vous  nous  en 
fournir  un  petit  brin  de  preuve?  Voyons,  dites  nous 
un  peu  dans  quel  siècle  et  par  quel  prêtre  fut  faite 
cette  sublime  découverte.  —  Est-ce  dans  les  temps 
modernes?  Certes,  vous  n'oseriez  le  soutenir  en  face 
de  tant  de  monuments,  d'édifices  religieux,  de  tem- 
ples grandioses  qui  couvrent  la  terre;  vous  avez  sans 
doute  assez  d'esprit  pour  comprendre  qu'ils  n'ont  pas 
poussé  tout  à  coup  comme  des  champignons.  Ces 
antiques  cathédrales,  ces  immenses  basiliques  noir-  j 
cies  par  les  siècles  vous  disent  de  la  manière  la  plus 
énergique  et  la  plus  solennelle  que  la  religion  re- 
monte plus  haut  que  la  génération  actuelle,  et  que 
les  temps  modernes  l'ont  trouvée  en  possession  de 
l'univers. 

14 


5?3  PETITS  SEBMOMS 

—  Est  ce  dans  le  moyen  âge?  —  fort  bien  :  Seule- 
ment avant  de  soutenir   une  énormité  pareille,  ayez 
soin  de   détruire   l'histoire   des  moines  et  des  ordres 
religieux  d'Orient  et  d'Occident,  ainsi  que  les  chefs- 
d'œuvre    de   l'antiquité  qu'ils   nous   ont  conservés  \ 
brûlez  tous  les  écrits  des  Pères  qui  forment  la  chaîne 
de   la  Tradition,  depuis  saint  Justin  et  Origène,  jus- 
qu'à Bossuet.    Brisez  les   peintures  et  les  bas  reliefs 
qui  retracent  les  scènes  des  catacombes  ;  anéantissez 
les  Actes  des  martyrs  ;  ce  n'est  point  assez  ;  avant  de 
placer  dans  le  moyen  âge  la   découverte  de  la  reli- 
gion,   détruisez   tous  les  écrits  dis   hérésiarques   et 
des   philosophes   païens;    effacez    de    l'histoire    des 
Empereurs  romains  trois  cents  ans  de  persécutions 
contre   l'Eglise   naissante.  —  Mois  c'est  impossible! 
me  dites-vous  :  Et  moi  je  réponds  :  il  faut  donc  que 
la  religion  vienne  de  plus  haut. 

—  Est  ce  dans  l'antiquité?...  Ah  !  ouï,  sans  doute, 
mes  frères,  et  plus  loin  que  nos  demi-savants  ne 
voudraient  le  dire,  dans  l'antiquité  la  plus  obscure 
et  la  plus  reculée  !  Remontez  de  siècle  en  siècle,  jus- 
qu'à l'origine  du  monde  :  vous  trouverez  partout  la 
religion,  plus  ou  moins  claire,  il  est  vrai,  plus  ou 
moins  altérée  par  les  préjugés  et  les  passions,  mais 
nulle  part  inconnue  ;  depuis  que  l'univers  existe, 
l'univers  a  prié,  béni,  adoré  à  sa  manière,  et  rendu 
à  l'Etre  suprême  un  culte  religieux. 

Mais  ce  n'est  pas  le  jtidaîsrnè,  dit  on,  ce  n'est 

pas  l'idolâtrie,  qu'ont  inventé  les  prêtres,  ce  n'est 
niême  pas  la  religion  de  Mahomet,  c'est  le  christia- 
nisme 1  —  Eh  bien  à  la  bonne  heure  î  qu'on  nous  in- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  229 

dique  alors  une  date,  un  pays,  tin  nom  J  oui,  qu'on 
nomme  le  prêtre  qui  inventa  la  religion  î  était-il  évo- 
que, cardinal  ou  Pape  ?  à  quel  ordre  appartenait-il? 
était-il  séculier  ou  régulier  1  gris  ou  marron  î  blanc 
ou  noir  î  —  quel  qu'il  fut,  il  dut  nécessairement  obte- 
nir un  brevet  d'invention.  D'où  vient  que  nous  igno- 
rons son  nom  et  sa  patrie  ?  —  Avouons,  mes  frères, 
qu'il  faut  du  courage  pour  réfuter  ces  sornettes  :  au 
moins  autant  que  pour  les  proposer.—  La  religion,  une 
invention  des  prêtres  !  Et  quel  intérêt,  je  vous  prie, 
dans  quel  but  une  invention  pareille  \  ne  pouvaient- 
ils,  les  malheureux  !  en  mettant  les  peuples  sous  un 
tel  joug,  s'en  affranchir,  ou  du  moins  l'alléger  un 
peu  pour  eux-mêmes  1  À  tout  prendre,  et  pendant 
qu'ils  y  étaient,  ils  pouvaient  se  faire,  comme  on  dit, 
la  part  du  lion,  diminuer  les  charges  et  doubler  les 
avantages.  Il  est  vraiment  à  regretter  pour  le  prêtre, 
que  ses  détracteurs  ne  puissent  pas  prendre  sa  place, 
ne  lût  ce  qu'un  carême,  une  mission,  la  veille  des 
grandes  fêtes,  au  chevet  des  mourants  ou  dans  une 
ép  d ■•mie  contagieuse  :  ils  changeniient  probablement 
de  langage,  et  conviendraient  que  si  le  prêtre  a  in- 
venté la  religion,  il  ne  l'a  pas  au  moins  inventée  pour 
son  plaisir. 

Autre  difficulté,  mes  frères.  Si  la  religion  n'a  pns 
Dieu  lui-même  pour  auteur,  si  ce  sont  les  pi  êtres  qui 
l'ont  établie,  comment  ont-ils  pu  mener  à  bon  port 
une  aussi  audacieuse  entreprise?  par  quel  mirac'e 
les  peuples  ont-ils  déserté  les  autels  voluptueux  de 
l'idolâtrie,  pour  embrasser  la  sainte  folie  He  la  croix? 
Qui  nous  expliquera  ce  fait  éclatant,  palpable,  ac 


230  PETITS  SERMONS 

tnel,  ce  fait  qui  est  à  lui  seul  la  preuve  la  plus 
victorieuse  de  la  divinité  de  la  religion  ?  Ce 
fait,  chrétiens  !  il  est  humainement  inexplicable,  di- 
sons mie'  x,  il  serait  impossible  si  le  ciel  ne  s'en  était 
mêlé!  Car  de  deux  choses  Tune  :  —  ou  les  peuples 
ont  résisté  au  prêtre  qui,  sans  mission,  voulait  les 
(asservir,  ou  bien  ils  se  sont  soumis  sans  murmure. 

S'ils  ont  résisté,  comme  tout  les  y  portait,  où  en 
est,  la  preuve,  où  sont  les  monuments,  les  détails, 
l'histoire  de  cette  lutte  entre  les  passions  et  le  devoir, 
entre  la  chair  et  l'esprit,  entre  l'homme  et  Dieu  ? 

Et,  si  l'univers  s'est  soumis,  sans  murmure,  par 
quel  charme  un  prêtre,  un  simple  mortel,  a-t-il  pu 
conquérir  le  monde  et  le  tenir  ainsi  enchaîné  à  sa 
parole  depuis  d  x-ouit  cents  ans?  Ne  voilà-t-il  pas  le 
plus  grand  prodige  dont  la  terre  puisse  être  le  théâ- 
tre, et  n'est-ce  pas  le  cas  où  jamais  de  s  écrier  avec 
les  magiciens  de  Pharaon  :  Digilus  Dci  eut  hic,  le 
doigt  de  Dieu  est  ià  ! 

—  Nos  esprits  forts  insistent,  mes  frères  :  —  Eh 
bien  !  disent-ils,  que  la  religion  vienne  du  ciel  ou  de 
la  terre,  elle  a  fait  son  temps,  etle  christianisme  com- 
mence à  vieil iir. 

—  Ah  '  il  commence!  il  y  a  bien  longtemps  qu'on 
le  dis  en  tout  cas  l'impiété  se  démène  tant,  se  donne 
tant  de  peine  à  sonner  l'enterrement  du  christianisme, 
que  nous  avons  fini  par  nous  habituer  au  carillon... 
allez,  allez,  nos  bons  amis,  soyez  sans  crainte,  il  se 
porte  mieux  que  jamais.  —  Le  christianisme  vieillir  !  et 

ombien  d'années,  s'il  vous  plaît,  lui  piGleriez-vous 
çucurél  en  a-t-il  pour  deux  siècles,  un  siècle  et  demi, 


ou  l'on  ne  doïvt  pas.  231 

par  exemple?  pour  quatre-vingts  ans  ?  voulez-vous 
cinquante  ans  ?  —  il  est  donc  à  peu  près  certain  qu'il 
vous  enterrera  ;  et  dès  lors,  que  lui  importe  ?  -  et 
pour  vous  quel  avantage!  L'essentiel  est  donc  de 
vous  mettre  en  règle,  supposé  que  le  christianisme 
ne  soit  pas  une  chimère,  et  celui  qui  l'a  fondé,  un 
imposteur.  —  La  religion  vieilli?*!  mais  est-ce  qu'elle 
ne  descend  pas  du  ciel  i  est-ce  qu'elle  ne  vient  pas 
de  Dieu  en  droite  ligne,  par  Adam,  par  Noé,  par 
Moïse  par  Jésus-Christ,  par  les  Apôtres  et  l'Église  i 
est  ce  qu'elle  n'est  pas  éternelle  ?  —  la  religion 
vieillir  !  mais  est-ce  qu'elle  ne  pousse  pas  de  jour  en 
jour  plus  avant  ses  racines  dans  l'âme  du  peuple  î 
Est-ce  que  la  science  ne  redevient  pas  aujourd'hui 
franchement,  ouvertement  chrétienne?  Quand  vit-on 
les  questions  religieuses  plus  à  l'ordre  du  jour  ]  — 
qu'ils  sont  primitifs,  qu'ils  sont  niais,  ces  petits  phi 
losophes,  mes  frères  1  la  religion  vieillir!  mais  in- 
terrogez donc  les  aumôniers  de  nos  armées  :  deman- 
dez-leur s'ils  ne  versent  pas  quelquefois  des  larmes 
d'attendrissement  et  de  bonheur  à  l'aspect  de  la  foi, 
du  recueillement  de  nos  soldats  durant  le  saint  sa- 
criOce,  ou  lorsqu'ils  viennent,  humblement,  déposer 
à  leurs  pieds,  le  triste  fardeau  d'une  conscience  cou- 
pable !  —  la  religion  vieillir  !  mais  vous  n'avez  donc 
jamais  assisté  un  jour  de  fête  au  sermon,  aux  offices 
d'une  grande  ville  î  Vous  n'avez  donc  jamais,  été  té- 
moin d'une  communion  pascale  dans  quelque  église 
de  Paris  ?  Vous  n'êtes  donc  jamais  entré  le  dimanche, 
v°rs  neuf  heures  du  soir,  dans  l'église  de  Notre- 
ijame-des- Victoires  ?  —  Allez-y,  croyez -moi,  et  vous 

14. 


232  PETITS  SEIUIONS 

changerez  de  langage  ;  et  le  christianisme  ne  voua 
semblera  plus  aussi  décrépit  :  allcz-y  et  vous  sentirez 
circuler  la  sève  et  la  vie  dans  ce  vaste  corps  dont  la 
tête  est  à  Rome  et  les  membres  dispersés  aux  quatre 
coins  de  l'univers  1 — Le  voyez-vous  s'agiter,  ce  grand 
corps,  le  voyez-vous  remuer,  cet  immense  géant,  de- 
puis que  son  chef  vénérable  est  menacé  dans  son  in- 
dépendance? les  voyez-vous,  du  couchant  à  l'aurore, 
ces  deux  cents  millions  d'hommes  s'épuiser  en  pro- 
testations ardentes  pour  consoler  leur  père,  et  s'im- 
poser les  plus  pénibles  sacrifices  pour  le  secourir? 
Non,  non,  il  ne  vieillit  pas,  le  corps  qu'anime  une 
ardeur  si  généreuse  ;  il  n'est  pas  près  de  périr,  le 
vaisseau  que  dix-huit  cents  ans  de  tempêtes  n'ont 
pu  couler  à  fond  1  S'il  vieilli*,  c'est  de  la  vieillesse  de 
Dieu  même,  et  si,  par  impossible  il  venait  à  périr,  à 
l'instant  la  création  rentrerait  dans  le  chaos' 

—  Allons  donc,  continuent  nos  esprits  forts,  c'est 
une  duperie,  et  nous  voyons  clair...  Entre  nous,  la 
religion  n'est  bonne  que  pour  le  peuple  et  pour  les 
femmes. 

—  Oh  !oh!  répondrons-nous  à  ces  fortes  têtes,  voies 
voyez  clair  l  ce  que  c'est  que  le  progrès  des  lumières!... 
Est-ce  à  la  lueur  du  gaz  ou  de  l'électricité  que  vous 
avez  découvert,  vous,  que  la  religion  est  une  duperie? 
Grand  Dieu,  alors,  que  de  dupes  dans  l'univers  !  Siè- 
cles écoulés  !  vous  avez  bien  sujet  d'accuser  la  nature 
qui  nous  a  refusé  la  lumière  pour  découvrir  la  dupe- 
rie en  question!... 

Mais  est- il  bien  sûr  que  vous  voyiez  si  clair?  Ne 
craignez-vous  pas  d'avoir  seuls  raison  contre  tout  le 


ou  l'on  ne  dgat  pas.  233 

monde?  A  votre  place,  je  redouterais  cette  clair- 
voyance, ce  bon  sens  dont  vous  avez  le  monopole  et 
qui  n'est  pas  le  sens  commun.  La  religion  pour  le 
peuple!  y  songez- vous  ?  Est  ce  que  nous  ne  sommes 
pas  tous  peuple?  Où  est,  je  vous  prie,  la  ligne  de  dé- 
marcation qui  nous  sépare  les  uns  des  aulres?  Est-ce 
la  naissance,  est-ce  le  talent,  est-ce  la  fortune,  est- 
ce  l'emplci  ?  —  Vous-même,  qui  que  vous  soyez  ri- 
che ou  pauvre,  savant  ou  ignorant,  noble  ou  rotu- 
rier, prince  ou  sujet,  est-ce  que  vous  ne  vous  faites 
pas  gloire  d'être  du  peuple!  Alors  les  programmes 
politiques,  les  professions  de  foi  de  tous  les  candi- 
dats de  haut  et  de  bas  étage  seraient  donc  une  san- 
glante dérision? 

Non,  non,  à  quelque  degré  de  l'échelle  que  nous 
ait  placés  la  nature,  le  sang  du  peuple  circule  dans 
nos  veines  !  Honte  à  qui  ne  le  sent  pas,  mes  frètes  ! 
il  a  renié  son  pays!  Nous  sommes  tous  du  peuple, 
et  tous,  à  ce  titre,  nous  avons  besoin  de  religion, 
—  Et  quand  même  nous  ne  serions  pas  enfants 
d'une  même  famille  et  d'une  même  patrie,  quand 
môme  nous  serions  divisés  réellement  d'intéiêts, 
àe  devoirs,  d'espérances,  quand  même  le  peuple, 
au  dix-neuvième  siècle,  serait  encore  le  projanum 
vulgus,  la  vile  plèbe  des  païens,  serait -il  assez  im- 
bécile pour  se  soumettre  au  joug  humiliant  et  péni- 
ble que  lui  jettent  avec  dédain  les  classes  patri< 
ciennes?  En  voudrait-il,  je  vous  le  demande,  mes 
frères,  s'il  s'apercevait  qu'il  est  dupe  d'une  perfide 
jonglerie  1  Et  si  bas  qu'il  fût  placé  dans  l'échelle  so- 
ciale,  ne   verrait-il  pas  au-dessous  de  lui  d'autres 


234  PETITS  SERMONS 

êtres  humains  qu'il  appellerait  le  peuple  et  auxquels 
à  son  tour  il  passerait  sa  défroque  religieuse? 

—  Comment,  malheureux  !  disait  un  ouvrier  ma- 
çon h  un  tailleur  de  pierres  qui  travaillait  un  diman- 
che, est  ce  que  tu  n'as  pas  assez  bûché  toute  la  se- 
maine, que  tu  reprennes  aujourd'hui  ta  besogne  de 
forçat  V  Allons,  tu  es  un  vrai  sacripant,  car  tu  ne  res- 
pectes pas  le  jour  du  bon  Dieu  :  ça  te  portera  mal- 
heur! 

—  Bah  !  répond  le  tailleur,  qui  toise  fièrement  son 
homme  des  pieds  à  la  tête  en  secouant  les  cendres 
de  sa  pipe  :  moi,  faire  le  dimanche!  fi  donc!  les 
messieurs  ne  vont  pas  à  la  messe...  c'est  mauvais 
genre. 

Eh  bien,  mes  frères,  un  peu  de  patience,  et  que  le 
bon  genre  vienne  un  jour  remplacer  le  mauvais  et 
nous  en  verrons  de  belles  :  on  n'a  pas  sans  doute 
oublié  cette  sentence  de  Voltaire  :  «  Il  faut  une  reli- 
ft gion,  un  Dieu  vengeur  à  l'homme  d'Etat,  à  nos 
«  ouvriers,  il  faut  un  Dieu  vengeur  au  peuple  et  à 
a  tous  ceux  qui  sans  la  crainte  de  ce  Dieu  nous  pile- 
«  raient  dans  un  mortier  dès  qu'ils  y  trouveraient 
«  leur  intérêt...  »  La  religion  est  donc  bonne  pour  le 
j  peuple  et  pour  ceux  qui  sont  d'un  rang  élevé  :  néces- 
saire aux  uns  comme  chaîne  et  frein  puissant,  elle 
ne  l'est  pas  moins  aux  autres  comme  garantie  et  sau- 
vegarde. Après  Voltaire  écoutez  Montesquieu  : 

«  Un  prince  qui  aime  la  religion  et  qui  la  craint, 
«  est  un  lion  qui  cède  à  la  main  qui  le  flatte  ou  à  la 
«  voix  qui  l'apaise  :  celui  qui  craint  la  religion  et 
m  qui  la  hait,  est  comme  ces  bêles  sauvages  qui  mur- 


ou  l'on  ne  do?,t  pas.  235 

«  dent  la  chaîne  qui  les  empêche  de  se  jeter  sur  les 
u  passants  :  celai  qui  n'a  pas  du  tout  de  religion,  eit 
<*  cet  animal  terrible  qui  ne  sent  sa  liberté  que  lors- 
«  qu'il  déchire  et  qu'il  dévore  1  » 
1  Qu'on  ne  dise  donc  plus,  mes  frères,  que  la  religion 
n'est  bonne  que  pour  le  peuple  :  nous  sommes  tous 
peuple  à  i'égard  de  nos  frères,  peuple  à  l'égard 
de  Dieu  qui  nous  a  faits,  peuple  à  i'égard  des  lois 
qu'il  a  données  !  Ne  dites  pas  surtout  que  ia  religion 
n'est  bonne  que  pour  les  femmes  /  L'absurdité  serait 
trop  manifeste.  Est-ce  que  la  vérité  peut  être  rela- 
tive, vraie  pour  les  uns,  fausse  pour  les  autres ?  Si 
la  religion  est  bonne  pour  les  femmes,  pourquoi  ne 
le  serait-elle  pas  pour  les  hommes?  Est-ce  qu'un 
homme  est  d'une  autre  pâte  qu'une  femme?  Est  ce 
que  nous  n'avons  pas  tous  les  mêmes  devoirs  à  rem- 
plir, les  mêmes  passions  à  combattre,  le  même  Dieu 
à  honorer,  le  même  ciel  à  conquérir? 

Et  de  quel  droit  l'homme  s'arrogorait-il  le  privi- 
lège exclusif  des  jeux,  des  amusements,  des  jouis- 
sances du  crime,  ne  laissant  à  sa  compagne  que  la 
prière,  la  souffrance  et  les  privations  de  la  vertu? 
Comment  ce  qui  est  le  mal  pour  elle  deviendrait-il 
le  bien  pour  vous?  Allons  donc!  un  peu  plus  de 
franchise  s'il  vous  plaît,  égoïstes  que  vous  êtes  ! 
Avouez  une  arrière  pensée  qui  se  cache  au  fond  de 
cette  belle  maxime.  Dites  que  la  religion  est  bonne 
pour  tout  le  monde,  et  surtout  pour  les  femmes  ;  car 
une  femme  sans  religion  est  une  triste  créature, 
un  êlre  dégradé  qui  fait  mal  à  la  vue  :  dites  que 
vous  n'en  voudriez  pas  pour  voire  îiiie,  pour  votre 


238  PETITS  SERMONS 

épouse,  pour  la  mère  de  vos  enfants!  Quels  que 
soient  d'ailleurs  vos  principes,  fussiez-vous  aussi 
impie  que  Diderot  qui  enseignait  pourtant  le  caté- 
chisme à  sa  fille,  vous  comprenez  que  la  femme,  à 
quelque  époque  de  la  vie  qu'on  l'envisage,  a  trop 
d'influence  sur  le  bien  être  et  la  tranquillité  de  la  fa- 
mille, pour  être  abandonnée  à  sa  faiblesse,  qu'il  lui 
faut  un  ange  gardien,  la  religion  :  que  la  religion 
est  son  plus  bel  ornement,  son  plus  riche  diadème 
et  que  si,  par  malheur,  il  vient  à  tomber  de  son 
front,  tout  est  perdu  pour  elle  :  honneur,  vertu,  mo- 
destie et  jusqu'à  ses  entrailles  de  mère  ! 

Oui,  la  religion  est  bonne  pour  les  femmes  comme 
elle  est  bonne  pour  tout  le  monde;  Dieu  nous  l'a 
donnée  à  tous  comme  un  soutien,  une  espérance, 
une  consolation...  Quel  est  celui  qui  peut  se  passer 
de  tout  cela  sur  la  terre  ?  Où.  est  l'homme  qui  n'a 
pas  besoin  d'appui,  n'a  rien  à  souffrir,  et  dont  les 
yeux  ne  se  lèvent  jamais  suppliants  vers  le  ciel,  pour 
y  chercher  tour  à  tour  l'espoir   qui  soulage  et  le 

bannie  qui  fortifie  ? 

Oh  !  convenons  donc,  mes  frères,  que  nous  avons 
tous  besoin  de  religion  1  Convenons  que  ce  besoin, 
cet  instinct  profond,  qui,  dès  l'origine  du  monde, 
attire  l'homme  vers  son  Dieu,  est  devenu  plus  près- 
gant  encore  et  plus  irrésistible,  en  quelque  sorte, 
depuis  que  le  Ciel  a  parlé  à  la  terre  et  que  la  reli- 
gion naturelle  a  reçu  les  sublimes  développements 
de  la  révélation  ! 

—  La  révélation  !  disent  encore  nos  petits  docteurs, 
tenez,  ne  m'en  parlez  pas;  l'homme  est  une  trop 


ou  l'on  ne  dort  pas.  237 

chétive  créature  et  Dieu  trop  grand  pour  s'occuper 
de  nous. 

—  Oh  !  oui  sans  doute,  mes  frères,  l'homme  est 
bien  peu  de  chose  devant  Dieu,  et  nos  philosophes 
au  petit  pied  disent  plus  vrai  qu'ils  ne  pensent  peut- 
être  ;  en  effet,  savant  ou  ignorant,  riche  ou  pauvre, 
barbare  ou  policé,  son  importance  est  à  peu  près  la 
même  ;  il  serait  sur  le  plus  beau  trône  de  l'univers 
qu'il  ne  pèserait  pas  beaucoup  pour  cela  dans  la 
main  du  Créateur...  Et  même,  le  dirai  je?  Tl  a  beau 
se  grandir  et  profiter  de  toute  sa  taille,  voler  avec  la 
vapeur,  étaler  fièrement  avec  le  gaz  et  l'électricité 
le  progrès  de  ses  lumières  et  s'élancer  en  ballon  dans 
les  nuages  :  progressât- il  jusqu'à  monter  au  soleil, 
il  serait  toujours  bieu  petit,  bien  misérable,  moins 
qu'un  atome  en  face  de  l'Infini. 

Mais,  mes  frères,  dire  que  Dieu  est  trop  grand 
pour  s'occuper  de  cette  chétive  créature,  dire  qu'il 
est  indigne  de  son  adorable  majesté  de  con- 
templer cet  humble  vermisseau  qui  le  bénit,  de  se 
pencher  vers  lui,  de  lui  faire  entendre  sa  voix,  ne 
fût  ce  que  pour  le  consoler  de  sa  misère,  quel  blas- 
;  phêrne  !  Et  qui  donc  l'a  formée,  cette  créature  si 
|  chétive?  Qui  l'anime  et  la  conserve,  si  ce  n'est  Dieu? 
Qui  renouvelle  à  chaque  instant  pour  elle  le  miracle 
de  la  création?  —  Et  si  Dieu  n'a  pas  été  trop  grand 
pour  nous  créer,  s'il  ne  juge  pas  indigne  de  sa  ma- 
jesté de  nous  conserver,  de  veiller  sur  nous  par  sa 
providence,  comme  une  tendre  mère,  que  dis-je? 
s'il  a  bien  pu  nous  donner  des  lois  générales  et  gra- 
•ver  dans  nos  cœurs,   les  précieux  éléments  de  la  loi 


238  PETITS  SERM0N3 

naturelle,  comment  sa  grandeur  s'opposerait-elle  à 
ce  qu'il  eu  développât  le  germe  en  nous  donnant  des 
lois  positives?  Comment  blesserait  il  sa  majesté  sou- 
veraine en  faisant  pour  nos  âmes  ce  qu'à  l'extérieur 
la  providence  a  fait  pour  nos  corps.  ? 

Pourquoi  Dieu  aurait-il  créé  l'homme  avec  cet 
immense  besoin  de  connaître  et  d'aimer  ?  Pourquoi 
lui  donner  le  sentiment  de  la  vie,  s'il  devait  à  l'ins- 
tant l'abandonner  à  lui-même  et  le  rejeter  loin  de 
lui  ?  Qu'on  essuie,  mes  frères,  de  nous  donner  de 
l'homme  une  explication  raisonnable  en  dehors  de 
ses  rapports  avec  son  Créateur.  Qu'on  fasse  abstrac- 
tion de  ces  rapports,  et  puis  qu'on  nous  dise  ce  que 
c'est  que  l'homme,  d'où  il  vient,  où  il  va,  et  ce  qu'il 
fait  sur  la  terre  :  on  retombera  dans  le  dédale  des 
trois  cents  opinions  philosophiques  énumérées  déjà 
par  Varron  près  d'un  siècle  avant  Jésus-Christ,  et  les 
extravagants  systèmes  de  nos  rêveurs  modernes  ne 
nous  aideront  guère  à  voir  plus  clair...  C'est  que 
l'homme  ne  peut  pas  plus  se  concevoir  sans  rapports 
avec  Dieu  que  Ton  ne  conçoit  la  branche  séparée  du 
tronc  qui  l'alimente  de  sa  sève. 

Dieu  est  trop  grand  et  la  créature  trop  chélive  \ , 
Quoi!  mes  frères,  si  l'homme  était  plus  grand  e/ 
plus  élevé  dans  l'échelle  des  êtres,  la  distance  qui  |.i 
sépare  du  Créateur  en  serait-elle  moins  infinie,  en\ 
serions-nous  plus  dignes  d'attirer  ses  regards  di- 
vins? —  Et  puis  n'est-ce  pas  un  axiome  de  la  sagesse 
de  tous  les  temps  que  le  Seigneur  est  p lus  grand  et 
plus  admirable  encore  dans  les  plus  petites  choses  ? 

Non,  non,  chrétiens,   le  Dieu,  qui  n'a  pas  dédai- 


ou  l'OxN  ne  dort  pas.  239 

gné  de  façonner  un  peu  d'argile  et  de  l'animer  de 
,son  souffle  adorable,  le  Dieu  qui  n'a  pas  cru  indigne 
de  sa  majesté  de  la  former  à  son  image,  cette  créa- 
ture chétive,  de  lui  donner  une  intelligence  pour  le 
connaître  et  un  cœur  pour  l'aimer,  a  pu  sans  dé- 
croître achever  son  œuvre  et  lui  prescrire  les  moyens 
de  remonter  à  son  auteur. 

Oh!  oui,  vous  nous  l'avez  donnée,  Dieu  d'amour, 
celte  loi  cainte  et  salutaire  ;  vous  nous  l'avez  montré, 
cet  ineffable  sentier  qui  mène  droit  à  vous  !  Grâces 
éternelles  vous  soient  rendues  pour  cet  inestimable 
bienfait!  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  vous  supplier  de 
ï.;ous  y  rendre  si  sensibles  que  votre  loi  sainte  gravée 
dans  nos  cœurs  soit  notre  unique  trésor  sur  la  terre, 
en  attendant  que  le  bonheur  du  Ciel  récompense 
notre  fidélité  à  l'accomplir  !  Ainsi  soit  il  I 


VINGT-CINQUIÈME   SERMON 

RÉVÉLATION,   —  SUITE  DES   OBJECTIONS. 

Et  mata   loculi  sunC    de  Deo. 

Et  iis  ont    mal  parlé  de  Dieu.  (Ps.  lxxvh,  82.Ï 

Mes  Frères,  il  s'était  formé,  il  y  a  près  de  doux 
cents  ans,  dans  les  Pays-Bas  et  en  France,  une  secte 
des  plus  dangereuses,  qui  enseignait,  entre  autres 
erreur:;,  que  Dieu  était  trop  saint  et  l'homme  trop 
né  beiii  pour  ne  pas  s'en  tenir  à  distance,  condam- 
)\(o\ï  la  communion  fréquente,  professait  sur  le 
libre  arbitre  et  la  prédestination   les  plus   désespp* 

15 


240  PETITS  SERMONS 

rantes  doctrines  et  damnait  les  999  millièmes  du 
genre  humain. 

Cette  désolante  secte,  aujourd'hui  fort  heureuse- 
ment éteinte,  ou  peu  s'en  faut,  c'était  le  jansénisme, 
et  je  puis  vous  assurer  qu'elle  a  fait  beaucoup  de  mal, 
surtout  en  France. 

—  Eh  bien  I  mes  frères,  toutes  les  fois  qu'à  propos 
de  la  révélation,  j'entends  nos  petits  raisonneurs 
parler  de  la  grandeur,  de  l'infinie  majesté  de  Y  Être 
suprême,  qui  ne  saurait,  sans  s'avilir,  s'abaisser  jus- 
qu'à nous  pour  nous  manifester  ses  volontés  adora- 
bles, je  pense  malgré  moi  à  cette  secte  perfide  qui 
avait  fini,  à  force  de  méditer  la  grandeur  de  Dieu  et 
la  misère  de  l'homme,  par  désespérer  tout  le  monde 
et  faire  déserter  les  sacrements.  C'est  ainsi  que  nos 
esprits  forts,  en  niant  la  révélation  comme  indigne  de 
la  majesté  du  Tout  Puissant,  se  font,  de  la  grandeur 
de  Dieu,  une  arme  contre  Dieu  même. 

Et  pourquoi  mes  frères,  Dieu  rougirait-il  d'ins- 
truire celui  qu'il  n'a  pas  rougi  de  créer?  Pourquoi  ne 
pourrait- il,  sans  s'avilir,  compléter  son  œuvre,  pres- 
crire au  Roi  de  la  nature  les  hommages  qu'il  attend 
de  lui  et  lui  indiquer  la  manière  de  les  lui  rendre? 
—  Et  de  quel  droit  l'homme  voudrait  il  limiter  la 
puissance  divine  ?  Dieu  n'est  il  pas  seul  juge  dans  sa 
prupre  cause,  et  n'est-ce  pas  lui  faire  outrage  que 
de  lui  prescrire  ce  qui  convient  ou  ne  convient  pas  à 
sa  grandeur  ? 

— -  Eh  bien  1  passe  pour  la  grandeur,  nous  dit-on  ; 
mais  la  sainteié  ?  Comment  un  Dieu,  qui  doit,  avant 
tout  abhonei  le  crime,  a-t-il  pu  donner  à  l'homme 


OU  L'OxN  Nfî  DOUT  PAS,  241 

une  religion  et  des  lois  positives  qui  sont  tout  autant 
de  moyens  de  pécher? 

—  Eh  mais,  par  la  même  raison  qu'il  lui  a  donné 
l'intelligence  et  la  liberté,  par  la  même  raison  qu'il 
lui  a  donné  la  religion  et  la  loi  naturelle  !  est-ce  que 
l'obligation  en  est  moins  rigoureuse  et  moins  sacrée  ? 
Et  &i  l'une  est  le  complément  et  la  promulgation  de 
l'autre,  la  dernière  n'a-t  elle  pas  dans  la  primitive 
un  premier  point  d'appui,  j'allais  dire  sa  raison 
d'être?  —  Oui,  sans  doute,  Dieu  abhorre  le  crime  : 
ainsi,  pour  peu  qu'on  veuille  réOéchir,  on  convien- 
dra sans  peine  que  la  religion  révélée,  loin  d'être 
un  excitant,  une  amorce  au  crime,  en  est  au  contraire 
le  remède  et  un  puissant  préservatif  ;  on  conviendra 
que  la  Ici  positive  vient  au  secours  de  la  loi  natu- 
relle et  la  sanctionne,  qu'elle  élève  nos  sentiments  et 
nous  fait  concevoir,  de  la  sainteté  de  Dieu,  l'idée  la 
plus  sublime 

N'est-ce  point  cette  loi,  mes  frères,  qui  révèle  notre 
grandeur  et  donne  du  prix  à  nos  moindres  actions? 
Quoi  !  fallait  il  donc  que  le  Créateur  nous  nécessitât 
au  bien  pour  rendre  le  mal  impossible,  et  Dieu  vous 
paraîtrait-il  plus  saint,  s'il  nous  eût  refusé  les  moyens 
de  nous  s;  n  lifier  nous-mêmes  ? 

—  Avouez  du  moins,  ajoute- t-on,  qu'il  répugne  à 
ia  bonté  de  Dieu  de  nous  imposer  la  contrainte  et  le 
frein  de  ses  lois.  Pourquoi  en  effet  nous  créer  libres, 
s'il  devait  ainsi  gêner  notre  liberté  ? 

—  A  la  bonne  heure,  mes  frères!  c'est  à-d.re  que 
ia  bonté  de  Dieu  1  ubiigtMtfl  a  nom  livrer  à  l'aveugle 
faitinct  de  la  brute,   g  |aae  de  i' homme  une  pure 


542  PETITS  SERMONS 

machine,  ou  bien  à  laisser  sans  objet,  sans  action,  les 
nobles  facultés  dont  il  avait  doté  sa  créature,  c'est- 
à-dire,  en  d'autres  termes,  que  le  créateur  devait, 
pour  mieux  manifester  sa  bonté,  nous  abandonner  aux 
caprices  d'une  licence  monstrueuse,  effacer  en  nous 
son  image  et  détruire  la  source  de  nos  mérites  en 
détruisant  toute  différence  entre  le  vice  et  la  vertu? 
Mais  n'était-ce  pas  renoncer  à  des  droits  éternels, 
n'était  ce  pas  anéantir  les  rapports  sacrés  qui  l'unis- 
sent à  l'homme  et  l'anéantir  lui-même. 

Que  serait,  je  vous  le  demande,  mes  frères,  que 
serait  un  Dieu  sans  rapports  avec  son  ouvrage  ?  Que 
serait  un  homme  sans  règle,  sans  devoirs,  sans  li- 
berté? La  bonté  de  Dieu  pouvait  elle  l'obliger  à  tron- 
quer son  œuvre  ;  et  n'était-ce  pas  la  tronquer  que  de 
créer  un  homme  avec  l'intelligence  du  bien,  sans 
l'obliger  à  l'aimer,  à  le  vouloir,  aie  faire?  —  Mais 
la  loi  gêne  la  liberté  !  dites  plutôt  la  licence,  l'abus  de 
la  liberté  ;  on  est  toujours  assez  libre  pour  faire  le 
bien  ;  et  la  loi  positive  ne  nous  fut  donnée,  comme 
la  loi  naturelle,  que  pour  empêcher  le  mal  ;  aussi 
n'y  a  t  il  que  le  vice  qui  réclame  et  qui  cherche  à  s'y 
soustraire. 

Or,  murmurer  contre  ce  frein  salutaire  qui  vous 
affranchit  de  l'esclavage  des  passions,  se  roidir  contre 
ce  joug  si  doux  qui  forme  notre  diadème  d'enfants 
de  Dieu  et  de  rois  de  la  création,  n'est-ce  pas  abju- 
rer notre  auguste  ressemblance  avec  le  créateur,  qui 
n'est  pas  libre,  lui  non  plus,  de  faire  le  mal  ?  n'est  ce 
pas  renier  Dieu  pour  adorer  la  chair,  et  vouloir  être 
libre  comme  la  bête  de  somme,  n'est-ce  pas  aspirer 


ou  l'on  ne  dort  pas.  243 

à  l'humiliante,  à  la  sinistre  liberté  des  enfants  de 
Satan? 

—  Eh  bien  !  reprennent  nos  esprits  forts,  car  ils 
ne  se  tiennent  pas  pour  battus,  puisque  ia  loi  révé- 
lée oblige  tout  le  monde,  que  faites -vous  de  tant  de 
peuplades  qui  sont  encore  plongées  dans  l'ignorance, 
et  comment  concilier  la  justice  éternelle  avec  cette 
maxime  sanguinaire  :  Hors  de  l'Eglise  point  de  sa- 
lut? 

— -  Comment  les  concilier?  par  un  moyen  bien 
simple  :  d'abord  en  indiquant  la  sagesse  et  la  raison 
de  cette  intolérance,  et  puis  en  expliquant  cette 
maxime  sanguinaire  qui  donne  le  vertige  à  nos  petits 
philosophes  et  devant  laquelle  tant  de  braves  ont  crié 
comme  l'anguille  de  Melun. 

On  ne  devrait  jamais  perdre  de  vue,  mes  frères, 
même  en  ce  siècle,  où  certains  îêveurs  prétendent 
ériger  en  principe  l'identité  des  contraires,  que  le 
oui  et  le  non  sont  essentiellement  opposés,  que  la 
vérité  est  une  et  invariable  comme  Dieu,  et  qu'à  ce 
titre  elle  ne  saurait  transiger  avec  l'erreur.  —  Qu'est- 
ce  en  effet  que  transiger,  si  ce  n'est  reconnaître  les 
droits  de  son  bdversaire  ?  Et  l'erreur  n'étant  qu'une 
pure  abstraction,  la  négation  de  la  vérité,  n'étant  rien 
par  elle-même,  comment  pourrait-elle  avoir  des  droits 
}ur  la  terre  ? 

Or,  pour  toute  puissance  intruse,  usurpatrice,  être 
tolérée,  c'est  avoir  fait  valoir  ses  droits,  et  être  re- 
connue, en  quelque  sorte,  c'est  avoir  triomphé.  Aussi 
l'erreur  ne  parle-telle  que  de  tolérance,  de  transac- 
tions, d'accommodements  avec  la  vérité  :  c'est  qu'elle 


2  44  ràrrs  SEBMo?re 

n'ignore  pas  qu'on  ne  transige  qu'entre  puissances 
égales,  et  que,  pour  elle,  un  accord,  une  capitulation 
quelconque,  serait  une  reconnaissance  de  droits,  une 
garantie  d'existence. 

Mais  aussi  laissez-la  respirer,  laissez  la  grandir  et 
s'établir  sur  son  trône,  vous  la  verrez  bientôt  chan- 
ger d'attitude  et  de  langage,  elle  saura  se  venger 
d'avoir  rampé.  L'histoire  d'Elisabeth  et  d'Henri  VIÎI 
est  une  large  tache  de  sang  dans  les  annales  du  pro- 
testantisme :  rien  de  plus  tyran  que  l'erreur,  rien  de 
plus  dominateur  et  de  plus  absolu.  L'essentiel  pour 
Terreur,  c'est  de  se  faire  accepter  :  elle  ne  demande 
que  cela  pour  établir  son  règne  sur  les  ruines  de  la 
vérité. 

Et  voilà  justement  pourquoi,  mes  frères,  la  reli- 
gion véritable  ne  saurait  tolérer  l'erreur  doctrinale  ; 
elle  sait  que  transiger  avec  elle  ce  serait  l'élever  jus- 
qu'à soi,  et  que  négocier,  faire  le  sacrifice  d'un  seul 
de  ses  droits,  ce  serait  les  abandonner  tous. 

«  La  religion,  dit  un  pieux  auteur,  est  essentielle- 
«  ment  militante  :  elle  poursuit  l'erreur,  car  elle  est 
«  la  gardienne  de  la  vérité.  Sa  condition  est  celle  de 
«  tout  ce  qui  existe  sur  la  terre  :  car  vivre,  c'est  se 
«  défendre,  et  tolérer  tout,  c'est  mourir.  C'est  pour- 
«  quoi,  demander  à  l'Église  la  tolérance,  c'est  lui 
-  demander  le  blasphème  et  l'absurdité  :  c'est  lui 
«  demander  en  même  temps  deux  suicides,  le  sui- 
«  cide  de  sa  foi  et  le  suicide  de  sa  raison  ;  et  le  jour 
«  où  elle  accepterait  la  honte  de  cette  tolérance,  elle 
«  expirerait  à  la  fois  et  sous  les  anathèmes  du  ciel  et 
«  sous  les  mépiis  de  la  terre.  *» 


ou  l'on  ne  dort  pas.  245 

Donc,  mes  frères,  l'intolérance  doctrinale  n'est  pas 
un  abus  de  pouvoir,  une  tyrannie  de  l'Église,  mais 
un  droit  inaliénable,  un  devoir  sacré,  une  condition 
essentielle  de  son  existence  :  tel  est  le  caractère  de 
la  vérité  :  c'est  le  bien,  qui  ne  peut  fraterniser  avec 
le  mal,  la  vertu  avec  le  vice,  Dieu  avec  Bélial,  voilà 
tout  le  mystère  ;  est-il  donc  si  étrange  et  si  révoltant? 
Et  maintenant  venons  à  la  formidable  et  sangui- 
naire maxime  qu'on  nous  oppose.  Vous  le  savez, 
chrétiens,  et  la  mauvaise  foi  seule,  l'impiété  systé- 
matique ose  encore  le  nier,  si  la  religion  révélée 
condamne  les  fausses  doctrines,  elle  est  pleine  de 
condescendance  et  de  charité  pour  les  malheureux 
égarés  qui  les  professent  de  bonne  foi.  L'erreur  invo- 
lontaire, l'erreur  invincible  n'a  jamais  constitué 
personne  en  état  de  damnation  :  et  Dieu  ferait  un 
miracle  plutôt  que  de  laisser  périr  celui  qui,  toute  sa 
vie,  se  serait  trompé  de  bonne  foi.  Quiconque  évite 
le  mal  et  fait  le  bien,  même  en  dehors  de  la  religion 
révélée,  est  naturellement  chrétien,  suivant  l'expres- 
sion d  un  Père  de  l'Église  *  ;  car  s'il  n'a  point  en- 
tendu la  voix  de  Moïse  et  des  prophètes,  s'il  n'a 
point  été  éclairé  de  l'auguste  soleil  de  l'Évangile,  il 
en  a  vu  dans  son  cœur  l'annonce  et  l'aurore,  en  a 
fidèlement  suivi  les  premiers  rayons  dans  l'immortc/ 
flambeau  de  la  loi  naturelle  :  aussi  n'est-ce  point  tr 
lui  que  s'adresse  la  sentence  :  Hors  de  l  Eglise  poinl 
de  salut  :  il  ne  périra  pas  :  la  miséricorde  divine  ira 
le  trouver,  s'il  le  faut,  par  le  ministère  d'un  ange, 

*  Tertullien, 


246  PETITS  SERMONS 

dans  une  mosquée,  une  pagode,  un  temple  protes- 
tant, une  synagogue  juive  ;  elle  ira  le  sauver  jusque 
devant  les  autels  de  l'idolâtrie  :  c'est  la  doctrine  la 
plus  conforme  à  la  foi  de  l'Église,  à  l'enseignement 
des  Pères  et  la  croyance  la  plus  en  harmonie  avec  la 
justice  et  la  clémence  de  Dieu.  . 

«  Il  n'est  pas  de  crime  sans  volonté,  dit  un  savant, 
«  prélat,  et,  devant  Dieu,  nous  ne  sommes  pas  cou- 
«  pables  si  le  cœur  est  innocent.  Il  faut  le  dire,  in 
«  faut  le  proclamer  bien  haut,  l'homme,  au  juge* 
«  ment  de  Dieu,  ne  sera  responsable,  dans  ses  opi- 
«  nions,  que  de  la  mauvaise  foi,  et  dans  sa  conduite, 
«  que  des  transgressions  volontaires  de  ses  de- 
«  voirs  4.  » 

Ainsi  s'explique,  mes  frères,  cette  maxime  sangui- 
naire dont  s'épouvante  la  philosophie;  ainsi  se  con- 
cilie la  justice  divine  avec  l'intolérance  de  l'Église  : 
guerre  implacable  aux  erreurs,  aux  erreurs  systé- 
matiques surtout,  mais  tolérance,  mais  débonnai- 
reté  pour  les  personnes  ;  car,  alors  même  que  les 
doctrines  divisent  les  esprits,  la  charité  doit  confon- 
dre les  cœurs.  Celui  qui  enseigne  que  hors  de 
l'Église  il  n'y  a  'point  de  salut ^  enseigne  aussi  qu'en 
Jésus  Christ  il  n'y  a  ni  juif,  ni  gentil,  ni  grec,  ni 
barbare,  ni  maître,  ni  esclave;  que,  dans  le  sein  de 
la  religion  révélée  comme  dans  celui  de  la  religion 
primitive,  tous  les  hommes  sont  frères  :  voilà  com- 
ment tout  se  concilie  et  ce  qu'il  faut  penser  de  cette 


1  Frayssinous,  Maximes  de  l'Église  catholique  sur  le 
salut  des  hommes. 


ou  l'on  ne  dort  pas,  247 

maxime  sanguinaire.  Y  a-t-il  tant  à  crier  contro  le 
plan  divin? 

1  Que  la  religion  révélée  oblige  tout  le  monde,  c'est 
un  fait  constant  qui  n'a  pas  besoin  de  preuves  : 
quand  Dieu  commande  l'homme  doit  obéir  ;  seule- 
ment, comme  la  loi  positive  ne  peut  être  obligatoire- 
que  pour  ceux  qui  la  connaissent,  l'homme  qui 
l'ignore  invinciblement  n'est  tenu  d'obéir  qu'à  la 
voix  de  sa  raison  et  de  sa  conscience,  qui  lui  parle 
au  fond  de  l'âme  dans  le  remords,  et  sanctionne 
d'une  manière  éclatante  la  loi  naturelle. 

«  La  révélation  chrétienne,  dit  encore  Frayssi- 
«  nous,  est  une  loi  positive,  et  il  est  de  la  nature 
«  d'une  loi  de  n'être  obligatoire  que  lorsqu'elle  est 
«  publiée  et  connue  Donc  si  l'infidélité  se  trouve 
«  condamnée  au  tribunal  du  souverain  juge,  ce  ne 
«  sera  que  pour  avoir  violé  ce  qu'il  pouvait  et  de- 
«  vait  connaître  de  cette  loi  intérieure  qui  se  mani- 
«  feste  par  la  conscience.  » 

Donc,  mes  frères,  celui  qui  se  fait  de  la  révélation 
une  arme  contre  la  justice  divine  et  s'irrite  de  l'in- 
tolérance de  l'Église,  montre  évidemment  ou  qu  il 
ne  comprend  pas  cette  maxime  qu'il  attaque  ou 
qu'il  explique  en  homme  qui  a  perdu  la  raison. 
Dans  le  dictionnaire  du  bon  sens,  la  maxime  :  Hors 
de  l'Eglise  point  de  salut  est  moins  terrible,  moins 
révoltante  et  se  concilie  un  peu  mieux  avec  la  jus- 
tice divine  :  elle  signifie  tout  simplement,  point 
d'héritage  pour  quiconque  renie  sa  famille  ;  point 
de  lumière  pour  celui  qui  cherche  les  ténèbres  ; 
point  de   Ciel   pour   qui  n'en   veut    pas   suivre   la 

15. 


248  PETITS  SERMONS 

route,  point  de  salut   enfin,    pour   qui   s'obstine   à 
périr. 

—  Tenez,  ne  me  parlez  plus  de  révélation,  disent 
encore  nos  esprits  forts,  vous  me  feriez  douter  de  la 
sagesse  de  Dieu...  Car  de  deux  choses  l'une  :  ou  il 
voulait  être  compris  de  l'homme,  ou  il  ne  le  voulait 
pas.  S'il  voulait  se  faire  comprendre,  qui  l'empê- 
chait de  parler  plus  clairement?  Et  s'il  ne  le  vou- 
lait pas,  à  quoi  bon  révéler9  Donc  la  révélation  était 
au  moins  inutile  et  la  sagesse  éternelle  est  ici  en 
défaut. 

—  A  merveille,  mes  frères!  le  syllogisme  de  nos 
philosophes  est  irréprochable,  et  le  blasphème  trop 
en  forme  pour  que  Dieu  ait  le  droit  de  s'en  offenser... 
Et  moi  je  leur  réponds  avec  Pascal  et  Bacon  :  De 
deux  choses  l'une  :  Ou  vous  voulez  entendre  ou 
vous  ne  voulez  pas.  Si  vous  voulez,  Dieu  parle  assez 
clairement  pour  que  les  plus  sourds  puissent  l'en- 
tendre; et  si  vous  ne  voulez  pas,  de  quoi  vous  plai- 
gnez-vous? —  Sans  doute,  mes  frères,  la  religion 
étant  la  science  des  choses  surnaturelles,  des  choses 
de  Dieu,  il  n'est  pas  surprenant  que  l'esprit  de 
l'homme  n'en  puisse  sonder  toute  la  profondeur  :  | 
un  être  borné  ne  saurait  embrasser  l'infini  et  Dieu  i 
ne  serait  pas  Dieu  si  la  créature  pouvait  le  compren-  1 
dre.  Est-ce  que  toutes  les  religions  de  la  terre  n'ont 
pas  eu  leurs  secrets  et  leurs  mystères  ?  L'idolâtrie, 
ce  culte  grossier  de  la  matière  et  des  sens,  était 
mille  fois  plus  obscure  que  la  religion  révélée  ;  elle 
demandait  à  ses  adeptes  une  foi,  une  bonne  volonté 
capable,  je   ne  dis  pas  de  transporter  des  collines, 


ou  l'on  ne  doîvT  pas.  249 

I  rrnîs  d'avaler  des  montagnes,  mais  de  digérer  les 
plus  étranges,  les  plus  phénoménales  absurdités. 
Lisez  l'histoire  générale  et  particulière  des  nations  ; 
vous  y  verrez  que  de  tout  temps,  le  mystère,  le  mer- 
veilleux, l'incompréhensible  furent  le  fondement  de 
toute  opinion  religieuse  :  tant  il  est  vrai  que  l'homme, 
quelle  qu'ait  été  sa  religion,  n'a  jamais  conçu  la  divi- 
nité qu'environnée  d'un  voile  impénétrable  à  sa  faible 
intelligence,  et  s'est  toujours  tenu  respectueusement 
éloigné  du  redoutable  et  mystérieux  sanctuaire  où  il 
plaçait  ses  immortels. 

Or,  mes  frères,  si  tels  étaient  les  sentiments  des 
nations  qui  ne  connaissaient  pas  le  vrai  Dieu,  si  la 
saine  raison  nous  dit  à  tous  qu'il  est  de  l'essence  de 
la  divinité  d'être  incompréhensible,  est-il  donc  si 
étrange  qu'en  se  révélant  à  sa  créature,  en  lui  dic- 
tant ses  lois,  le  Tout-Puissant  soit  toujours  resté  le 
Dieu  caché  et  ne  lui  ait  révélé  qu'un  pâle  reflet  de 
sa  gloire  î  Dieu  parlant  à  l'homme,  pouvait-il  telle* 
ment  se  communiquer  à  lui,  le  faire  pénétrer  si 
avant  dans  la  connaissance  de  ses  mystères  et  de 
son  essence  adorable,  qu'il  cessât  d'être  pour  nous 
l'Ineffable,  l'Éternel,  l'InOni] 

Non  sans  doute,  car  c'eut  été  diviniser  la  créature 
et  se  donner  un  rival.  Or,  ceux  qui  se  plaignent  de 
l'obscurité  de  la  révélation,  ceux  qui  voudraient  que 
Dieu  se  fit  comprendre,  n'exigent  pas  de  sa  sagesse 
cet  effort  suprême,  et  n'aspirent  pas  sans  doute  à 
•  monter  si  haut;  il  serait,  je  crois,  assez  naturel 
qu'avant  de  comprendre  Dieu,  ils  commençassent 
par  se  comprendre  eux  mêmes,..  —  Et  quand  même 


250  PETITS  SERMONS 

nous  pourrions  comprendre  Dieu  sans  que  Dieu  ces- 
sât d'être,  n'est-il  pas  de  sa  sagesse  d'exercer  notre 
foi  par  l'obscurité  de  ses  mystères  t  —  En  nous  ré- 
vélant le  cuite  qui  lui  était  dû  et  la  manière  de  le 
lui  rende,  en  nous  demandant  l'hommage  de  notre 
cœur  par  la  reconnaissance  et  l'amour,  l'hommage 
de  nos  sens  par  l'adoration  et  la  prière,  l'hommage 
de  notre  volonté  par  l'obéissance  à  ses  lois,  ne  se 
devait-il  pas  à  lui-même  d'exiger  encore  l'hommage 
de  notre  intelligence  et  de  notre  raison  par  l'humi- 
lité de  notre  foi  ?  Et  cet  anéantissement  des  plus  no- 
bles facultés  de  notre  âme  devant  l'obscurité,  l'im- 
pénétrable profondeur  de  ses  mystères,  n'était-il  pas 
le  sacrifice  le  plus  agréable  qu'il  pût  recevoir  d'une 
créature  intelligente9 

Et  pourtant  ne  vous  y  trompez  pas,  mes  frères, 
cette  obscurité  n'est  pas  si  complète  qu'on  veut  bien 
le  dire  :  Dieu  se  manifeste  suffisamment  à  l'âme 
droite  ;  il  y  a  dans  la  parole  révélée  assez  de  lumière 
pour  ceux  qui  cherchent  la  vérité  dans  la  simplicité 
de  leur  cœur;  mais  il  n'y  en  a  pas,  que  dis-je?  il  y 
en  a  trop  pour  l'orgueilleux  qui  scrute  téméraire- 
ment la  majesté  divine,  il  en  est  ébloui,  aveuglé. 
—  «  Tant  d'hommes,  dit  Pascal,  tentent  Dieu  et  se 
«  rendent  indignes  de  sa  clémence,  qu'il  a  voulu  les 
«  laisser  dans  la  privation  des  biens  qu'ils  ne  veu- 
«  lent  pas.  11  n'était  donc  pas  juste  qu'il  parût  d'un<3 
«  manière  manifestement  divine  et  absolument  ca- 
«  pable  de  convaincre  tous  les  hommes  ;  mais  il  n'é- 
«  tait  pas  juste  aussi  qu'il  vînt  d'une  manière  si  ca- 
«  chée  qu'il  ne  pût   être    reconnu   de   ceux  qui  le 


ou  l'on  nu  dort  pas.  251 

*  chercheraient  sincèrement  II  a  voulu  se  rendre  par- 
«  faitement  reconnaissabie  à  ceux-là;  et  ainsi  voulant 
u  paraître  à  découvert  à  ceux  qui  le  cherchent  de 
«  tout  leur  cœur  et  caché  à  ceux  qui  le  fuient  de 
«  tout  leur  cœur,  il  tempère  sa  copnaîssance  en 
«  sorte  qu'il  a  donné  des  marques  de  foi  visibles  à 
•«  ceux  qui  le  cherchent,  et  obscures  à  ceux  qui  ne 
«  le  cherchent  pas  4.  » 

Voulez-vous  donc  trouver  Dieu  plus  accessible  et 
sa  parole  moins  obscure  ?  Voulez- vous  être  inondé 
de  la  lumière  révélée,  autant  du  moins  qu'on  peut 
Têtre  ici-bas,  où  tout  est  mystère,  non-seulement 
dans  la  religion,  mais  dans  la  loi  naturelle,  mais 
dans  le  monde  physique  et  matériel  1  Voulez-vous 
comprendre  assez  les  oracles  divins  pour  n'être  plus 
tenté  de  douter  de  la  sagesse  éternelle? 

Souvenez- vous  qu'en  toute  chose,  avant  de  déci- 
der, la  raison,  d'ordinaire,  prend  conseil  de  l'intérêt, 
et  que  l'esprit  penche  toujours  du  côté  du  cœur. 
Étudiez  les  oracles  divins  et  ils  vous  paraîtront  moins 
obscurs,  moins  incroyables.  Pour  les  étudier  avec 
fruit,  aimez  les  :  si  vous  les  aimez,  vous  serez  inté- 
ressé à  les  trouver  véritables,  et  vous  y  serez  inté- 
ressé, si  vous  êtes  vertueux  ! 

Oui,  mes  frères,  c'est  le  plus  souvent  l'intérêt  qui 
décide  en  matière  religieuse  :  le  dogme  le  plus 
simple,  la  doctrine  la  plus  claire,  la  plus  évidem- 
ment rationnelle,  aura  toujours  des  contradic- 
teurs,  si  peu  que  les  passions  y  soient  intéressées. 

1  Pascal,  Pensées,  xvm. 


552  PETITS  SERMONS 

Quoi  de  plus  surhumain,  de  plus  visiblement  prodi- 
gieux que  la  résurrection  d'un  mort  ?  Et  pourtant 
des  hommes  ont  écrit,  ont  publié  sur  tous  les  tons 
que,  quand  tout  Paris  aurait  été  témoin  de  ce  miracle, 
ils  n'y  croiraient  pas.  Que  dire  à  des  gens  assez  obsti- 
nés pour  résister  à  l'évidence,  assez  orgueilleux  pour 
vouloir  avoir  raison  contre  le  genre  humain,  assez 
méchants  pour  défier  Dveu  de  les  ramener  à  lui? 
Que  peuvent,  pour  les  toucher,  pour  les  gagner,  et 
les  inspirations  de  la  grâce,  et  l'adorable  simplicité 
de  l'Évangile,  et  le  parfait  accord  de  la  raison  et  de 
la  foi? 

Ah  1  disons-le  en  frémissant,  chrétiens,  pour 
les  convaincre,  il  n'est  qu'un  argument,  un  seul, 
mais  c'est  la  justice  divine  qui  l'emploie...  La 
foudre  ! 

Mes  frères,  j'en  ai  la  douce  confiance,  il  n'y  en  a 
aucun  parmi  vous  qui  ait  osé,  je  ne  dis  point  nier, 
ce  serait  folie,  je  ne  dis  point  douter,  il  y  aurait  de 
l'impiété,  —  mais  parler  légèrement  sur  Dieu  et  la 
religion  :  tous  nous  avons  la  foi;  tous  nous  rêvé* 
rons,  nous  chérissons  la  parole  révélée  et  nous 
considérerions  comme  un  crime,  un  sacrilège,  ce  que 
le  monde  appelle  un  joyeux  propos  :  c'est  beaucoup, 
mais  cela  ne  suffît  pas.  Au  respect,  à  l'amour,  joi- 
gnons encore  l'obéissance;  pratiquons  fidèlement 
le  bien  qui  nous  a  été  montré  du  haut  du  Ciel  ;  atta- 
chons-nous à  imiter  le  divin  modèle  qui  nous  pré- 
cède à  la  sainte  montagne  ;  et  fortifiés  par  sa  grâce, 
montant  sur  ses  pas  de  degrés  en  degrés  et  de  vertus 
en  vertus,  nous  arriverons  au  glorieux  terme  où  sa 


ou  l'on  ne  dort  pas.  553 

moin  bénie  déposera  sur  notre  front   l'éternelle  cou- 
ronne des  élus  I  Ainsi  soil-il! 


VINGT-SIXIÈME  SERMON 

DIVINITÉ    DE    LA     RFLïGïON  CHRETIENNE.  —  ANCIEN 
TESTAMENT,  LES  PROPHÉTIES*, 

Tettimonia  tua  credibilia  factçt  mnt  nimii. 
Y'j&  oracles,  Seigneur,  sont  très-fidèles 

iPs  Vùii,$.) 

Mes  frères,  les  esprits  forts,  s'il  y  en  avait  dans 
cette  enceinte,  voudront  bien,  j'espère,  être  justes 
à  notre  égard  ;  en  déroulant,  dans  ces  courts  entre- 
tiens, les  sujets  les  plus  sublimes,  les  plus  augustes 
enseignements  de  la  foi,  nous  n'avons  fait  appel 
qu'à  la  raison,  au  bon  sens  le  plus  élémentaire,  it 
nous  nous  sommes  constamment  abstenu  jusqu'ici 
d'invoquer  le  secours  de  la  parole  révélée  ;  si  pré- 
venu que  l'on  soit  d'ordinaire  contre  une  disserta- 
tion religieuse  qui  vient  après  tant  d'adm-rables 
chefs-d'œuvre  sur  la  matière,  personne  ne  nous 
aura  s?  ns  doute  accusé  de  prouver  Dieu  par  l'Écri- 
ture sainte,  et  l'âme  humaine  par  les  Pères  ;  nous 
ne  prouverons  pas  davantage  la  religion  par  la  reli- 
gion. Autant  et  plus  que  vous,  mes  frères,  nous  dé- 
testons le  cercle  vicieux,  surtout  celui  qui  j  eut  de- 
venir une  aime  entre  Ie^>  mains  de  l'impie  et  faire 
croire  que  le  christianisme  repose  sur  un  sable  mou- 
vant. 

Aussi >  bien  que  la  révélation  soit  un   fait  aujor.r- 


254  PETITS  SERMONS 

d'bui  si  palpable,  si  impérieusement  prouvé,  si  uni- 
versellement admis  qu'il  s'affirme  et  ne  se  démontre 
plus,  bien  que  vous  sachiez  tous  à  quoi  vous  en  te- 
nir au  sujet  de  l'incrédulité,  de  la  mauvaise  foi  qui 
conteste  à  l'Évangile  ses  titres  à  la  reconnaissance 
et  aux  hommages  du  genre  humain,  nous  allons  ra- 
pidement les  étudier  dans  trois  entretiens  sommaires 
qui  termineront  ce  qu'il  nous  reste  à  dire  sur  les 
fondements  de  la  foi. 

Et  d'abord,  mes  frères,  le  christianisme  est  la 
seule  religion  qui  ait  des  preuves,  a  dit  un  profond 
penseur. 

Lui  seul  en  effet  donne  de  Dieu,  de  Thomme  et  du 
monde  une  explication  raisonnable  ;  en  lui  le  passé, 
le  présent,  l'avenir,  tout  s'enchaîne,  est   admirable- 
ment coordonné.    Lorsqu'on   étudie   la  religion  ré- 
vélée, mais  froidement,  sans  passion  et  avec  le  désir 
bien  sincère   et  bien  arrêté  de  ne  point  fermer  les 
yeux  à  la  lumière,  on  est  frappé  de  la  multitude   et 
de  l'évidence  des   preuves  qui   l'établissent.  L'auto- 
rité des    livres   saints,  la  sublimité    des   enseigne- 
ments, la  pureté  de  la  morale  qu'ils  renferment,  la 
mission  visiblement  divine  de  leurs   auteurs  ;  le   ca- 
ractère personnel  de   Jésus- Christ,  sa  divinité   hau- 
tement attestée  par  les   prophéties  et  les  miracles; 
les   bienfaits  sans   nombre  dont  l'Evangile  a  comblé 
l'Univers  ;  les  hommages  forcés  rendus  à  la  religion 
par  les  plus  grands  impies  ;  et,  au  dessus  de  tout  cela, 
un     fuit   palpitant,     victorieux,    évidemment    divin, 
l'établissement  du   christianisme  dans  le  monde,  ce 
miracle  permanent  de  deux  cents  millions  d'hommes 


ou  l'on  ne  dort  pas.  255 

arrachés  au  culte  voluptueux  de  l'idolâtrie  et  ame- 
nés sans  effort,  sans  secousse,  au  pied  des  autels  du 
Dieu  crucifié...  que  de  témoignages  à  entendre, 
mes  frères,  quel  vaste  arsenal  de  preuves  à  déve- 
lopper! Mais  les  savants  travaux  des  Bossuet,  des. 
Pascal,  des  Bergier,  des  Leibnitz  et  de  tant  d'autres 
apologistes  qui  sont  entre  les  mains  de  tout  le  monde 
nous  dispensent  de  nous  étendre  sur  cet  immense 
sujet  :  bornons  nous  donc  à  un  simple  exposé  qui 
nous  rappelle  les  principaux  motifs  de  notre  croyance, 
et  parlons  d'abord  de  l'autorité  des  livres  saints,  de 
leur  authenticité,  de  leur  certitude,  en  appuyant 
aujourd'hui  sur  l'Ancien  Testament. 

Vous  connaissez  tous,  mes  frères,  le  sujet  de 
l'Ecriture  sainte  :  elle  contient  l'histoire  des  pre- 
miers temps,  l'origine  du  monde,  de  l'homme,  l'his- 
toire du  peuple  juif,  le  plus  ancien  des  peuples,  sa 
religion,  ses  lois,  ses  mœurs,  les  prophéties  dont  le 
dépôt  lui  était  confié;  la  vie  de  Jésus-Christ,  ses  di- 
vers enseignements  recueillis  par  les  apôtres  et 
enfin  l'histoire  prophétique  de  la  société  chrétienne 
dont  il  est  le  fondateur.  De  ces  deux  parties,  appelées 
l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament,  se  compose  la 
Bible,  livre  admirable,  divin,  qui,  comme  on  l'a  dit  de 
nos  jours,  «  renfermant  l'histoire  de  tous  les  temps, 
commence  et  finit  dans  l'éternité  !  ». 

—  Nier  l'authenticité,  la  vérilé  des  divines  Ecri- 
tures, c'est  vouloir  anéantir  toute  certitude  :  autant 
vaudrait  nier  l'existence  des  Juifs  qui  nous  ont  trans- 

1  Lamennais. 


^56  PETITS  SERMONS 

mis  l'Ancien  Testament  et  celle  des  chrétiens  leurs 
ennemis  qui  en  invoquent  le  témoignage  en  nous 
transmettant  le  Nouveau. 

D'ailleurs  il  est  hors  de  doute,  mes  frères,  que  ces 
livres  sont  des  auteurs  dont  ils  portent  les  noms, 
qu'ils  ont  été  conservés  avec  une  vénération  reli- 
gieuse et  nous  sont  parvenus  sans  altération  essen- 
tielle. Le  premier  de  ces  livres,  appelé  Pentaleuque, 
et  le  plus  ancien  des  livres,  au  dire  même  des  im- 
pies, fut  toujours  attribué  à  Moïse,  législateur  des 
Hébreux,  par  un  peuple  entier  qui  vénère  ce  livre 
comme  le  fondement  de  sa  religion,  de  ses  lois,  de 
ses  mœurs  et  de  sa  constitution  politique  :  en  sorte 
qu'on  ne  pourrait  l'attribuer  à  un  autre  sans  nier 
l'existence  de  ce  peuple. 

—  Mais,  demandent  nos  petits  docteurs,  qui  nous  en 
garantit  l'intégrité?  Comment  s'assurer  qu'il  est  venu 
à  nous  par  une  tradition  constante  et  fidèle  ? 

—  Comment  s'en  assurer?  Mais  par  les  mômes 
moyens  qu'on  emploie  pour  tout  autre  livre  ;  on  vous 
permettrait  même,  au  besoin,  d'être  plus  sévère  pour 
la  Bible  que  pour  le  livre  le  plus  authentique.,  elle 
est  sortie  victorieuse  de  tant  d'assauts  qu'elle  n'a  plus 
h  redouter  votre  examen. 

Depuis  la  sortie  d'Egypte  et  le  séjour  dans  le  dé- 
sert, le  peuple  juif  eut  entre  ses  mains  les  livres  de 
Moïse  :  on  les  lisait  tous  les  jours  ;  les  pères  en  trans- 
mettaient la  connaissance  à  leurs  enfants  comme 
leur  plus  précieux  héritage;  l'oiiginal  en  était  reli- 
gieusement conservé  dans  le  tabernacle;  tous  les 
mots,  les  lettres  mêmes  étaient  comptés.  La  moindre 


ou  l'on  ne  dort  pas.  557 

altération,  le  plus  léger  changement  eût  fait  crier  au 
sacrilège,  car  toute  la  nation  regardait  ce  livre 
comme  divin. 

Le  même  raisonnement  s'applique  aux  autres  livres 
de  l'Ancien  Testament,  qui  tous  sont  fondés  sur  celui 
de  Moïse,  le  citent  à  chaque  instant,  lui  sont  visible- 
ment unis  et  forment,  les  uns  après  les  autres,  comme 
une  gradation  continuelle  qui  prépare  à  l'Évangile. 
Tout  en  effet  y  est  tellement  lié  que  les  faits  rapportés 
dans  les  derniers  livres  supposent  toujours  les  faits 
écrits  dans  les  précédents.  On  ne  peut  donc  pas  plus 
douter  de  leur  authenticité,  de  leur  intégrité,  qu'on  ne 
doute  de  celle  des  Commentaires  de  César,  des  An* 
nales  de  Tacite  et  des  Discours  de  Cicéron. 

—  Mais,  dit- on  encore,  les  faits  rapportés  dans 
l'Écriture  sont-ils  bien  certains,  bien  avérés  ?  Les 
auteurs  bibliques  n1ont-ils  pas  pu  se  tromper  et  nous 
induire  en  erreur,  par  exemple,  sur  les  miracles,  les 
prophéties,  et  surtout  sur  les  faits  antérieurs  au  dé- 
luge ?  Car  enfln  le  papier,  dit  le  proverbe,  est  un  pa- 
tient animal  et  a  beau  mentir  qui  vient  de  loin. 

—  Oui,  sans  doute,  mais  on  sait  comment  nous 
sont  venues  les  Écritures  :  elles  nous  ont  été  trans- 
mises de  proche  en  proche  et  ne  nous  sont  pas  tom- 
bées des  nues;  donc,  avant  d'aller  mentir  au  loin,  il  a 
fallu  mentir  sur  place  et  trouver  des  gens  assez  niais 
pour  avaler  des  bourdes  aussi  pyramidales  que  le  se- 
raient les  prodiges  de  l'Ancien  Testament  si  Dieu  ne 
s'en  était  un  peu  mêlé. 

Soyons  de  bon  compte,  mes  frères,  si  patient  que 
soit  le  papier,  il  hurle  quand  on  lui  fait  porter  des 


258  Pi<TiTS  SERMONS 

sottises  et  des  absurdités  trop  choquantes  :  parlez 
sérieusement  de  la  guérison  subite  d'un  sourd -muet, 
d'un  aveugle-né,  impossibilité  manifeste,  osez  affirmer 
une  énormué  pareille  à  la  résurrection  d'un  mort  — 
sans  miracle  —  elle  déchirera  les  oreilles  qui  l'enten- 
dent ;  ayez  le  courage  de  l'écrire,  elle  vous  sera  comme 
un  cautère  sur  les  yeux. 

Or  il  faut  croire,  chrétiens,  que  si  notre  siècle  a  le 
glorieux  monopole  du  progrès,  de  la  vapeur  et  des 
lumières,  il  n'a  pas  tout  à  fait  celui  du  bon  sens  :  les 
anciens  Juifs,  quoiqu'en  dise  Renan,  n'étaient  pas  des 
imbéciles  ;  accordons-leur  au  moins  assez  de  juge- 
ment pour  comprendre  qu'une  prophétie  est  une  pro- 
phétie et  un  miracle  un  miracle. 

Était- il  d'ailleurs  si  facile  d'y  être  trompé?  Les  faits 
rapportés  dans  l'Ancien  Testament  ne  sont  pas  des 
faits  obscurs,  ils  n'ont  pas  eu  lieu  dans  un  galetas, 
pour  user  de  l'expression  ricaneuse  de  Voltaire  :  ils 
ont  été  opérés  en  plein  soleil,  devant  tout  un  peuple 
qui  est  pris  à  témoin  de  ces  faits  miraculeux  sur  les- 
quels on  fonde  une  loi  dure  et  pénible  dont  les  vio- 
lateurs seront  punis  de  mort.  Us  devaient  dune  être 
saisissants,  actuels,  ces  prodiges  que  le  législateur 
invoque  sans  cesse  en  adressant  au  peuple  les  répri- 
mandes les  plus  vives,  les  plus  humiliantes,  en  lui 
reprochant  son  opiniâtreté,  son  ingratitude  et  ses 
crimes  ;  et  le  peuple,  accablé  par  l'évidence  de 
ces  faits  surnaturels  où  la  voix  de  Dieu  parle  si 
hautement ,  s'assujettit  sans  murmure  à  cette  loi 
sévère ,  se  soumet  à  ces  châtiments  et  conserve 
comme  un  trésor  les  livres  qui  consacrent  à  jamais 


OU  L  ON  NE  DORT  PAS.  25§ 

le    triste    souvenir    de   sa  honte  et  de  ses  iniquités. 

Ah  !  il  fallait  que  ce  peuple  obstiné,  que  ce  peuple 
à  la  tête  dure  fût  convaincu,  il  fallait  qu'il  eût  vu,  en- 
tendu et  touché,  croyez-le  bien,  pour  accepter  un  joug 
pareil  ;  lisez  certains  chapitres  du  Lévitique  et  du  Deu- 
téronome  et  vous  m'en  direz  des  nouvelles. 

Et  comment,  en  effet,  tromper  tout  un  peuple  sur 
des  événements  aussi  palpables  que  les  plaies  d'Egypte, 
le  passage  d'une  mer  à  pied  sec,  la  nuée  qui  brlle 
dans  la  nuit  et  protège  dans  le  jour  contre  les  ardeurs 
du  soleil,  la  manne  du  désert,  le  torrent  qui  jaillit  du 
rocher,  les  foudres  du  Sinaï,  le  serpent  d'airain  le 
cours  du  Jourdain  suspendu,  le  soleil  arrêté  par 
Josué,  une  armée  entière  de  cenl  quatre -vingt  mille 
hommes  exterminée  dans  une  nuit  sous  les  murs  de 
Jérusalem  ?  Tous  ces  prodiges  et  cent  autres  de  ce 
genre,  dont  plusieurs  étaient  attestés  par  des  monu- 
ments, des  fêtes  solennelles  qui  devaient  en  perpé- 
tuer la  mémoire,  ne  pouvaient,  je  le  répète,  être  igno- 
rés que  des  imbéciles,  et  les  plus  incrédules  devaient 
les  admettre  ;  il  suffisait  d'avoir  des  yeux  pour  voir  et 
des  oreilles  pour  entendre. 

h  Comment,  dit  Lamennais,  Moïse  aurait-il  contenu 
«  dans  le  devoir  et  soumis  aux  lois  les  plus  sévères, 
«  aux  pratiques  les  plus  gênantes  un  peuple  violent, 
«  opiniâtre  et  toujours  prêt  à  la  révolte  en  lui  per« 
«  suadant  qu'il  était  journellement  témoin  de  prodio 
«  gcs  dont  pas  un  n'aurait  frappé  ses  regards  ?  Choi- 
«  sissons  pour  exemple  le  passage  de  la  mer  Eouge. 
«  Pense -t-on  qu'il  y  ait  un  peuple  au  monde  à  qui 
«  l'on  pût  faire  croire,  contre  le  témoignage  de  ses 


260  PETITS  SERMONS 

a  sens  et  de  sa  mémoire,  qu'il  a  traversé  à  pied  sec 
o  un  bras  de  mer  dont  les  eaux,  pendant  son  passnge, 
«  sont  restées  miraculeusement  suspendues,  pour 
«  engloutir  ensuite  en  retombant,  les  ennemis  qui  la 
«  poursuivaient? 

«  Voilà  ce  que  rapporte  Moïse,  voilà  ce  qu'il  rap- 
«  pelle  aux  Juifs  pour  les  ramener  au  culte  du  vrai 
«  Dieu  qu'ils  abandonnent  Or  si  ce  fait  eût  été  faux, 
«  conçoit  on  rien  de  plus  extravagant  que  de  l'allé- 
«  guer  à  un  peuple  emporté  par  les  passions  pour  le 
«  détourner  de  l'idolâtrie  et  le  ramener  à  l'obéis- 
«  San ce  ? 

«  L'Angleterre,  en  se  séparant  de  l'Église  de  Jé- 

•  susChiist,  a  renoncé  depuis  plusieurs  siècles  au 
»  véritable  culte  de  Dieu  Supposons  que,  pour  rame- 
«  ner  les   habitants  de  Londres  à  ce  culte  saint,  un 

•  catholique  leur  tînt  ce  langage  : 

«  -  Eh  quoi  '  avez- vous  donc  oublié  si  vite  les 
«  miracles  opérés  en  votre  faveur,  la  Tamise  suspen- 
«  da'nt  son  cours,  son  lit  desséché  pour  vous  offrir 
«  un    libre    passage  ;   les  flots  arrêtés   sans  aucune 

*  digue  et  recommençant  à  couler  quand  vous  eûtes 
«  atteint  l'autre  bord?  —  Se  trouverait-il  un  homme, 
«  un  seul,  que  ce  discours  persuadât  ?  Quel  autre 
<«  effet  produirait-il  que  d'exciter  la  risée  des  enfants 

*  mêmes,  ei  que  pourrait  at  endre  l'auteur  sinon  d'être 
«  aussitôt  enfermé  comme  fou  ?  » 

Ainsi,  mes  frères,  rien  de  plus  certain  que  les  mi- 
racles rapportés  dans  l'Ancien  Testament,  mais  en 
est  il  de  même  des  prophéties? 

En  douter  serait  mettre  en  question  l'histoire  tout 


ou  l'on  ne  dort  pas.  26i 

entière  de  la  nation  juive  et  s'inscrire  en  faux  contre 
son  existence.  A  chaque  pas,  dans  les  livres  de  l'An- 
cien Testament  nous  rencontrons  des  hommes  inspi- 
rés annonçant,  plusieurs  siècles  à  l'avance,  des  évé- 
nements qui  se  sont  accomplis  dans  le  temps,  dans 
le  lieu  et  avec  les  circonstances  indiquées  par  le  pro- 
phète :  et  ces  événements  ne  sont  pas  de  ceux  qu'on 
peut  rencontrer  au  hasard  ou  qui  passent  inaperçus, 
mais  les  plus  précis,  les  plus  intéressants  pour  une 
nation  et  tout  à  la  fois  les  plus  éloignés  de  toute 
vraisemblance  au  moment  de  la  prophétie. 

Ainsi  la  prise  et  la  ruine  de  Jérusalem  alors  floris- 
sante ;  la  conduite  des  Juifs  à  Babylone  ;  le  terme 
précis  de  10  ans  fixé  pour  la  durée  de  la  captivité  ;  le 
retour  glorieux  de  ce  peuple  dans  sa  patrie;  Cyrus, 
son  libérateur  désigné,  appelé  par  son  nom  plus  de 
deux  cents  ans  avant  sa  naissance  ;  aiiibi  les  prophéties 
qui  concernent  le  Sauveur,  depuis  celle  de  Jacob 
mourant,  jusqu'à  celle  des  soixante-dix  semaines  de 
Daniel  :  prophétie  si  claire,  si  détaillée  et  si  affirma- 
tive que  les  impies,  Celse  en  tête ,  ont  prétendu 
qu'elle  avait  été  faite  après  coup...  Quel  concert, 
quel  puissant  argument  en  faveur  de  la  vérité,  nous 
pourrions  dire  de  l'inspiration  des  Livres  saints  ! 

Mais  tenez,  mes  frères,  je  ne  veux  pas  qu'il  soit 
encore  question  d'inspiration,  ne  parions  ici  qu'à  la 
simple  raison,  au  bon  sens  le  plus  élémentaire  :  pre- 
nez en  main  les  Écritures  :  pour  un  moment  oubliez 
qu'elles  sont  divines,  inspirées  d'en  haut,  ne  les  con- 
sidérez que  comme  purement  historiques  :  vous  v 
veircz  le  Messie  promis  à  chaque  page  :  sa  naissance» 


rd  PETITS  SEÎIMONS 

sa  pauvreté,  sa  vie,  sa  doctrine,  ses  miracles,  sa 
passion,  sa  mort,  tout  est  prévu,  tout  est  annoncé 
avec  une  précision  de  détails  si  surprenants  qu'elle 
ï  fait  dire  à  saint  Jérôme  que  l'Ancien  Testament  est 
un  Évangile  anticipé,  et  qu'en  lisant  les  prophètes, 
on  croit  moins  lire  une  prophétie  qu'une  histoire.  Or, 
comment  ces  saints  personnages  pouvaient-ils  ainsi 
pénétrer  dans  1  avenir,  et  dans  un  avenir  si  lointain  ? 
N'est  ce  pas  le  Maître  des  temps  et  des  événements 
qui  leur  donnait  la  sagesse  e;  les  éclairait  de  sa  cé- 
leste lumière  ?  N'est-ce  pas  lui  qui  révélait  aux  pro 
phètes  l'économie  et  les  mystérieux  ressorts  de  sa 
providence  comme  il  révéla  à  Moïse  l'histoire  primi- 
tive du  monde  et  de  l'humanité  ? 

Mais  que  dis  je?  oublions  encore  une  fois  l'inspi- 
ration, même  pojr  Moïse,  et  ne  parlons  toujours  qu'à 
la  raison. 

Avez-vous  jamais  fait,  mes  frères,  au  sujet  de  la 
Bible,  une  remarque  importante  :  c'est  quil  était 
facile  à  Moïse  de  connaître  l'histoire  des  premiers 
temps,  et  le  détail  des  traditions  de  sa  famille  :  ajou- 
tons qu'il  lui  eût  été  impossible  de  tromper  les  Hé- 
breux qui  les  connaissaient  comme  lui  et  qui  tous 
étaient  intéressés  à  la  sincérité  de  son  récit,  puisqu'il 
fixait  à  jamais  par  l'Écriture  leurs  traditions  orales. 

Bien  que  les  faits  antérieurs  au  déluge  fussent 
déjà  fort  anciens,  et  qu'il  se  fût  écoulé  trois  mille  ans 
depuis  la  création  du  monde,  la  longue  vie  des  pa- 
triarches rapprochaient  les  distances  et  les  événements 
les  plus  lointains  en  mêlant  pour  ainsi  dire  les  siècles 
les  uns  avec  les  autres. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  263 

Il  n'y  a  que  trois  générations  de  Moïse  à  Abraham, 
dont  le  père  avait  vécu  63  ans  avec  Noé  :  Noé  tou- 
chait au  premier  homme  par  Mathusalem  avec  lequel 
il  avait  vécu  plusieurs  siècles,  et  Malhusalem  avait 
vu  Adam  !  Moïse  n'était  donc  séparé  de  la  création 
du  monde  que  par  très  peu  de  générations  et  le  sou- 
venir des  grands  événements  qu'il  rapporte  devait 
être  encore  vivant  dans  1  immense  famille  de  Jacob. 
S'il  se  fût  trompé  dans  la  narration  des  faits  anté- 
rieurs au  déluge,  tout  un  peuple  eût  crié  à  l'impos- 
ture, au  sacrilège  :  quant  aux  événements  posté- 
rieurs, ils  étaient  pour  ainsi  dire  de  son  temps  ;  il 
n'avait  qu'à  rapporter  ce  qu'avait  vu  son  père  et  ce 
qu'il  voyait  lui  même  :  il  n'avait  donc  pu  tromper 
les  Hébreux  ;  et  quant  à  nous,  il  y  a,  Dieu  merci,  as- 
sez longtemps  que  nous  discutons,  que  nous  étudions, 
que  nous  épluchons  son  histoire  avec  tous  les  com- 
pas de  la  critique  et  les  télescopes  de  la  science  ;  et 
si  nous  n'y  avons  pas  découvert  la  plus  petite  erreur, 
ce  n'est  pas  au  moins  faute  de  bonne  volonté. 

Un  autre  fait  que  l'on  ne  devrait  jamais  perdre  de 
vue  et  qui  vaut  à  lui  seul  tout  une  démonstration, 
c'est  l'acharnement  et  la  persévérance  avec  laquelle 
les  impies  de  tous  les  temps  et  les  philosophes  du 
dernier  siècle  ont  attaqué  les  divines  Écritures,  et 
principalement  les  récits  de  Moïse.  —  Chronologie, 
histoire,  astronomie  et  zodiaques,  géologie,  mé- 
dailles, chimie,  monuments,  littérature,  épigram 
mes,  calomnies,  on  s'est  fait  une  arme  de  tout  pour 
attaquer  Vin/âme  par  les  fondements.  Le  pa;  iarche 
de    l'incrédulité    poussait    même    le  cynisme  jus- 

16 


2ê4  PETITS  SEUMONS 

qu'à  dire  sur  tous  les  tons  en  excitant  ses  molosses  : 
—  «  Allons  dune  !  consolez  ma  vieillesse  ;  tkavail- 
«  lez  a  la  vigne  du  Seigneur  !  Mentez,  mes  amis, 
«  mentez  toujours,  il  en  restera  quelque  chose!...  » 
Vains  efforts  mes  frères  !  toute  cette  Babel  s'est 
écroulée  devant  la  sainte  majesté  des  Écritures, 
et,  de  Celse  à  Voltaire,  le  serpent  philosophique  est 
constamment  venu  briser  ses  dents  et  sa  fureur  sur 
cette  lime  d'acier. 

Oh!  écrions-nous  donc  avec  le  psalmiste  :  Vos 
oracles  sont  fidèles,  Seigneur,  et  votre  parole  mé- 
rite l'hommage  de  notre  foi,  de  nos  adorations,  lesh- 
monia  tua  credibilia  farta  sunt  nimis  *.  Oui,  nous 
les  adorons,  ces  oracles  sacrés,  nous  la  chérissons 
cette  parole  bénie  qui  retentit  à  l'oreille  de  notre 
âme  comme  un  mélodieux  écho  des  chants  du  Ciel! 
Oh  !  nous  vous  en  conjurons,  faites  que  nous  la  re- 
cevions dans  un  cœur  humble  et  docile,  cette  parole 
salutaire,  faites  qu'elle  y  germe  comme  une  divine 
semence,  qu'elle  s'y  développe  sous  l'heureuse  in- 
fluence de  la  grâce  et  y  produise  ces  fruits  précieux 
de  sanctification  et  de  salut  qui  sont  couronnés  dans 
le  Ciel  d'une  éternité  de  gloire  et  de  félicité  !  Ainsi 
soit -il  ! 

1  Fs.  ex v ai.  5. 


ou  l'on  ne  dort  pas  265 


VINGT-SEPTIÈME  SERMON 

DIVINITÉ  DU  CHRISTIANISME.  —NOUVEAU  TESTAMENT. 

Novissimè,  diebus  isiis  loculus  e$t  nobii 
in  fdio. 

Enfin,  dans  ces  derniers  temps  il  nous  a 
parlé  dans  son  Fils  fHaen.,  i,  i.J 

Mes  frères,  nous  lisons  dans  le  deuxième  livre 
d'Esdras  qu'après  le  retour  de  la  captivité  de  Baby- 
lone  et  le  dénombrement  des  Juifs  qui  étaient  reve- 
nus de  la  terre  d'exil  dans  la  patrie,  le  peuple  vou- 
lut entendre  la  lecture  des  livres  de  la  loi  de  Moïse 
dont  l'original  était  religieusement  conservé  dans  le 
temple. 

Rien  de  touchant  et  de  solennel  comme  la  manière 
dont  cette  imposante  cérémonie  est  racontée  ;  et 
nous  y  voyons  bien  clairement  la  vénération,  l'amour 
tendre,  j'allais  dire  la  sainte  idolâtrie  des  enfants 
d'Israël  pour  la  parole  de  Dieu.  Voici  comment  s'ex- 
prime l'écrivain  sacré  : 

«  Ils  te  réunirent  comme  un  seul  homme  dans  la 
«  plaine  qui  s'étend  devant  la  Porte  des  Eaux  :  et  ils 
«  prièrent  Esdras,  docîeur  de  la  loi,  d'apporter  la  loi 
«  de  Moïse  que  le  Seigneur  avait  prescrite  à  Israël. 

«  Esdras,  prêtre,  apporta  donc  la  loi  devant  l'as- 
«  semblée  des  hommes  et  des  femmes  et  de  tous  ceux 
y  <pti  pouvaient  l'entendre,  le  premier  jour  du  tep- 
«  tième  mois  •  et  tout  le  peuple  avait  les  oreilles  atten- 
«  tires  à.  la  lecture  de  ce  livre.  Or  Esdras,  docteur  de 


266  PETITS  SERMONS 

«  la  loi,  étant  monté  sur  une  estrade  élevée  et  ayant 
«  à  sa  droite  et  à  sa  gauche,  un  nombre  considérable 
«  de  lévites,  ouvrit  le  livre  et  l'éleva  au-dessus  du 
«  peuple  qui  se  tenait  debout  avec  respect. 

u  Et  Esdras  bénit  le  Seigneur,  le  Dieu  Tout- 
«  Puissant  :  et  tout  le  peuple  levant  les  mains  en 
«  haut  répondit  •  amen,  amen!  et,  s'étant  prosternés 
«  la  face  contre  terre,  ils  adorèrent  Dieu. 

«  Et  pendantqu'Esdras,  Josué  et  les  lévites  lisaient 
«  et  interprétaient  la  loi  d'une  voix  claire  et  dis- 
»  tincte,  la  foule  attendrie  éclatait  en  sanglots  et  fon- 
«  dait  en  pleuis. 

«  Or,  Esdras  et  les  lévites  leur  dirent  •  Ne  vous 
«  affligez  point  et  séchez  vos  larmes,  car  ce  jour  est 
«  un  jour  de  fête,  un  jour  saint  et  consacié  au  Sei- 
«  gneur  votre  Dieu. 

«  Et  ils  trouvèrent  dans  la  loi  de  Moïse  :  Le  Sei- 
«  gneur  veut  que  les  enfants  d'Israël  demeurent 
»  sous  des  tentes  durant  la  fête  solennelle  du  sep- 
«  tième  mois;  et  qu'ils  fassent  publier  ceci  dans 
«  toutes  les  villes  et  dans  Jérusalem  :  Allez  sur  les 
«  montagnes  et  apportez  des  branches  d'olivier,  et 
«  des  plus  beaux  aibres,  des  branches  de  myrte, 
«  des  rameaux,  tant  de  palmiers  que  des  arbres  les 
«  plus  touffus  pour  en  faire  des  couverts  de  bran- 
««  chages  selon  qu'il  est  écrit. 

«  Tout  le  peuple  alla  donc  cueillir  des  branches, 
*  et  en  ayant  apporté,  ils  se  firent  des  couverts 
«  en  forme  de  tentes,  chacun  sur  le  haut  de  sa  mai- 
«  son,  dans  le  vestibule,  dans  le  parvis  de  la  mai- 
«  son  de  Dieu,   dans  la  place  de  la  porte  des  Eaux 


OU  L'ON  NE  DORT  PA3.  267 

ci  et  dans  la  place  de  la  porte  d'Epbraïm  :  Et  toute 
«  l'assemblée  de  ceux  qui  étaient  revenus  delà  capti- 
«  vite  se  fît  des  tentes  et  des  couverts,  et  ils  y  de- 
«  meurèrent  durant  la  fête. 

»  «  Et  les  fils  d'Israël  n'avaient  point  célébré  aim*c 
«  cette  fête  depuis  le  temps  de  Josué,  fils  de  Nun, 
«  jusqu'à  ce  jour,  qui  fut  un  jour  d'allégresse  et  de 
<j  grande  réjouissance...  » 

Quelle  simplicité,  mes  frères  !  Quel  accent  de  vé- 
rité !  Mais  surtout  quel  ardent  amour  et  quelle  sainte 
vénéiaiion  pour  les  livres  sacrés!  Oh!  n'eussions- 
nous  d'autre  preuve  de  l'authenticité,  de  la  vérité 
des  livres  de  lAncien  Testament  que  ce  respect  pro- 
fond des  Hébreux,  et  leur  crainte  continuelle  d'y 
changer  un  iota,  nous  n'en  demanderions  pas  da- 
vantage pour  conclure  à  leur  divinité  ! 

Et  maintenant  vous  parlerai-je  de  l'Évangile  et  des 
livres  du  Nouveau  Testament  1  A  quoi  bon,  mes 
frères  :  Vous  savez  tous  que  leur  autorité  repose  sur 
les  mêmes  preuves  que  l'Ancien.  Du  reste  la  philoso- 
phie, vaincue  cette  fois  par  l'évidence  des  arguments 
qui  l'établissent,  a  rendu  à  la  révélation  le  plus  solen- 
nel hommage  par  l'organe  de  Jean  Jacques  Rousseau; 
j  et  tout  le  monde  connaît  son  éloquente  apologie  de 
l'Évangile. 

Le  Nouveau  Testament  renferme  l'histoire  de  la 
vie,  des  miracles  et  des  enseignements  du  Sauveur, 
écrite  par  ses  disciples,  tous  contemporains,  qui  rap- 
poitent  ce  qu'ils  ont  oui  de  leurs  oreilles,  louché  de 
leurs  mains  et  va  de  leurs  yeux,  ce  sont  leurs  ex- 
pressions. 

16. 


268  PETITS  SERMONS 

—  On  peut  croire  à  leur  parole,  mes  frères,  car 
ils  ont  prêché  Jésus  Christ  dans  les  synagogues  de  la 
Galilée,  à  l'époque  de  sa  passion  et  de  sa  mort  :  à 
Jérusalem  qui  venait  d'en  être  le  théâtre  ;  devant 
les  juifs,  ses  ennemis  jurés  qui  l'avaient  crucifié  ;  ils 
l'ont  prêché  ressuscité  tandis  que  sur  le  Calvaire  se 
dressait  encore  le  gibet  où  il  était  mort  comme  un 
scélérat  ;  ressuscité,  quand  la  synagogue  qui  s'y 
attendait  avait  entouré  de  gardes  sou  sépulcre  et 
scellé  la  pierre  du  sceau  de  l'État  1  Oui,  nous  pou- 
vons les  en  croire,  ces  pauvres  bateliers,  car  ils  ont 
tout  quitté  pour  évangéliser  le  monde  et  versé  leur 
sang  pour  appuyer  leur  témoignage  ! 

Or,  suivant  l'énergique  parole  de  Pascal,  il  n'est 
pas  seulement  impie,  il  n'est  pas  simple  incrédule, 
il  a  perdu  la  raison  celui  qui  ne  croit  pas  des  témoins 
qui  se  font  égorger. 

Quant  à  ces  illuminés  d'outre-Rhin,  et  à  ces  rê- 
veurs français, —  le  renégat  en  tête  —  qui,  sur  les  pas 
du  docteur  Strauss,  habillent  la  Bible  à  l'orientale  et 
ne  veulent  voir  dans  nos  livres  saints  que  des  my- 
thes et  de  pures  allégories,  ce  n'est  ici  ni  le  lieu 
ni  le  moment  de  vous  dire,  mes  frères,  ce  qu'il  faut 
penser  de  leur  ridicule  façon  d'expliquer  les  faits 
évangéliques;  vous  hausseriez  les  épaules  de  pitié, 
si  de  pareils  blasphèmes  ne  prêtaient  encore  moins 
à  rire  qu'à  gémir... 

On  convient,  du  reste,  assez  généralement  que 
c'est  sans  doute  dans  un  accès  de  joyeuse  humeur 
que  ces  bons  exégètes  allemands,  et  leurs  facétieux 
émules  de  France,  pour  expliquer  naturellement  les 


ou  l'on  NE  DOÏlT  PAS.  269 

faits  consignés  dans  l'Évangile,  ont  représenté  nos 
saints  livres  comme  un  tissu  de  rêveries  et  de  contes 
en  l'air.  A  les  entendre,  le  croiriez- vous,  mes  frères? 
Jésus  Christ  lui-même  serait  un  mythe,  un  être  allé- 
gorique, et  n'aurait  pas  existé  1 

Que  répondre  à  des  gens  assez  primitifs  pour  oser 
Soutenir,  en  plein  dix-neuvième  siècle,  que  l'arbre  de  la 
science,  par  exemple, n'élait  autre  chose  qu'un  mance- 
nillier  dont  l'ombre  fut  fatale  à  nos  premiers  parents  ; 

Que  le  buisson  ardent  était  une  éruption  vol- 
canique, ou  le  brasier  auquel  Moïse  réchauffait  ses 
doigts  en  écrivant  le  Deutéronome  ;  et  la  foudre 
du  Sinaï,  la  voix  du  prophète  parlant  au  peuple  avec 
accompagnement  de  fifres  et  de  cymbales  ; 

Que  les  Rois  Mages  étaient  tout  simplement  des 
marchands  forains  qui  apportaient  des  joujoux  au  fils 
de  Marie,  et  l'étoile  venue  d'Orient,  la  lanterne  de 
leur  guide. 

Que- Jésus  Christ  marchait  sur  les  flots,  mais  en 
s'aidant  des  rames  et  du  gouvernail  ; 

Que,  lorsqu'avec  cinq  pains  et  cinq  poissons,  il 
nourrit  cinq  mille  personnes  dans  le  désert,  il  y 
avait  préparé  en  secret  des  magasins  de  vivres,  ou 
qu'il  invita  ces  bonnes  gens  à  manger  le  pain  qu'ils 
avaient  dans  leurs  poches  ; 

Que  le  jour  de  l'Ascension,  Jésus-Christ  profita 
d'un  épais  nuage  pour  s'esquiver  d'un  autre  côté, 
laissant  là  ses  disciples  mystifiés  ; 

Que  Lazare  était  un  compère,  et  sa  prétendue  ré- 
surrection une  comédie  adroitement  jouée  et  sotte- 
ment crue. 


270  PETITS  SERMONS 

Enfin,  que,  si  le  jour  de  la  Pentecôte,  les  disciples 
1  crurent  avoir  reçu  le  Saint  Esprit  et  le  don  des  lan- 
I  gués,  c'est  qu'un  coup  de  vent  ayant  ébranlé  le  Cé- 
nacle, la  frayeur  leur  fit  voir  les  étoiles  et  perdre  la 
tête... 

...  En  vérité,  mes  frères,  ces  bourdes  là  ne  de- 
vraient pas  s'écrire,  qu'on  l'avoue  franchement  ;  tout 
au  plus  les  passerait-on  à  table,  entre  la  poire  et  le 
fromage  à  un  brave  homme  qui  voit  les  étoiles  et  ne 
sait  plus  ce  qu'il  dit... —  Et  pourtant  cela  s'est  dit 
et  de  sang  froid,  cela  s'est  écrit,  s'est  enseigné  pu- 
bliquement, et  les  auditeurs  de  cet  ineffable  pro- 
fesseur ont  écouté  patiemment  et  n'ont  pas  répondu 
avec  des  pommes  cuites!..  —  Mais  ne  rions  pas 
dans  un  sujet  si  grave  et  si  sérieux  ;  déplorons  plutôt 
l'étrange  aveuglement  dans  lequel  peut  tomber  la  rai- 
son humaine,  lorsque,  dédaignant  les  lumières  de  la 
foi,  elle  pousseà  l'extrême  limite  la  liberté  d'examen. 
Et  maintenant,  mes  frères,  du  haut  de  la  sainte 
montagne  où  se  sont  révélés  tant  de  mystères, 
abaissons  nos  regards  vers  la  plaine  de  la  création 
qui  fut  notre  point  de  départ  :  du  pied  de  cette 
croix  où  les  Écritures  viennent  de  se  consommer,  du 
isein  du  christianisme,  examinons  les  degrés  de  I  e- 
chelle  que  nous  avons  dû  parcourir  depuis  la  Ge- 
nèse jusqu'à  l'Évangile  et  à  l'Apocalypse...  Quel'e 
union  dans  les  parties  de  ce  grand  corps!  Quelle 
harmonie  parfaite  dans  des  éléments  si  variés  !  Ah  ! 
c'est  à  bon  droit  qu'on  a  comparé  la  collection  des 
divines  Écritures  au  corps  humain.  Tout  en  eflet 
s'y  lie  et  s'y  enchaîne  ;  toutes  les  parties  dépendent 


ou  l'on  ne  dout  pas.  271 

l'une  de  l'autre,  et  les  plus  essentielles  de  celles  qui 
paraissent  les  plus  indiiïérentes  ;  les  dogmes,  les 
laits,  les  prophéties,  les  leçons  de  morale  y  forment 
un  ensemble  admirable  qui  ne  laisse  ni  vide  ni  su- 
perflu i  té  .. 

«  Des  hommes  séparés  par  des  siècles,  des  hommes 
«  très -différents  par  le  goût,  le  génie,  le  caractère 
«  concourent  à  écrire  un  seul  et  même  livre  ;  partout 
«  le  même  but,  la  même  conséquence.  Je  commence 
a  à  la  renaissance  du  monde,  et  suivant  le  même  fil 
«  je  me  trouve  sans  m'en  apercevoir,  en  plein  chris- 
a  tianisme...  qu'en  me  montre  un  livre  où  la  Divinité 
«  m'ait  mieux  instruit  et  je  quitterai  rattachement 
a  que  j'ai  à  celui-ci l  ! 

Nul  d'entre  vous  n'ignore,  mes  frères,  que  le  dépôt 
des  saints  livres  a  été  confié  à  1  Église,  société  divi- 
nement instituée  pour  nous  les  transmettre  et  nous 
les  expliquer. 

Dès  les  premiers  temps  du  christianisme,  la  Bible 
entière,  objet  de  vénération  pour  les  chrétiens, 
comme  l'Ancien  Testament  pour  les  juifs,  a  été  non- 
seulement  citée,  mais  commentée,  mais  traduite  en 
plusieurs  langues  par  les  Origène,  les  Jérôme  et  les 
plus  illustres  docteurs  ;  et  jamais  les  philosophes 
païens  ni  les  ennemis  de  l'église  —  et  des  ennemis  tels 
que  Porphyre,  Celse  et  Julien  l'apostat  n'ont  douté  de 
l'authenticité,  de  l'intégrité,  de  la  vérité  des  Écri- 
tures ;  jamais  ils  n'ont  nié  les  prophéties  et  les  mi- 
racles  qu'elles   renferment  ;    seulement  ils  les  attri- 

1  Felier. 


272  PETITS  SE  USIONS 

buaient  à   la  magie,  au  sortilège,   à  Béelzêbuth... 

Les  hérétiques  eux-mêmes,  qui  avaient  un  si  grand 
intérêt  à  contester  l'autorité  de  ce  livre  divin,  l'ont 
hautement  reconnue,  ils  en  invoquaient  le  témoignage 
contre  les  anathèmes  de  l'Église,  et  s'efforçaient  pour 
cela  d'en  détourner  le  sens  ;  mais  hérétiques  et 
fidèles,  tous  étaient  unanimes  sur  ce  point  capital, 
qu'y  ajouter  un  mot,  en  retrancher  un  iota  eût  été  un 
sacrilège,  et  des  millions  de  martyrs  sont  morts  pour 
la  défense  de  ces  livres  vénérés. 

Le  Nouveau  Testament  est  donc  authentique  et 
véritable  comme  l'Ancien,  divin  comme  lui.  Or,  mes 
frères,  si  l'Écriture  est  divine,  il  existe  donc  une  reli- 
gion révélée,  et  cette  religion  n'est  autre  que  la  reli- 
gion de  Jésus-Christ. 

Oh  !  que  ne  nous  est-il  permis  de  nous  arrêter  un 
peu  sur  la  sublimité  de  la  doctrine,  sur  la  sainteté,  la 
pureté  de  la  morale,  dont  nos  livres  sacrés  renferment 
l'inestimable  trésor  !  Si  ces  livres  bénis  pouvaient 
devenir  l'unique  code  du  genre  humain,  et  la  doctrine 
révélée  régner  en  souveraine  sur  la  terre  !  Si  l'idéal 
du  vrai  chrétien  pouvait  s'y  réaliser  un  jour  !  Purifiée 
de  tout  désordre,  enrichie  de  toutes  les  vertus,  la  terre 
deviendrait  un  paradis! 

«  C'est  qu'il  ne  parut  jamais  dans  le  monde  a  dit 
«  un  impie  célèbre,  de  religion  dont  la  tendance  ne. 
u  turelle  ait  été  plus  propre  à  augmenter  la  paix  et 
«  le  bonheur  des  hommes.  Le  système  de  religion 
m  renfermé  dans  l'Evangile  est  un  système  complet 
«  remplissant  tout  ce  que  se  propose  la  religion  na- 
«  turelle  et  révélée.  La  religion  de  Jésus-Christ   est 


ou  l'on  ne  dort  pas,  273 

«  une  leçon  continuelle  de  la  morale  la  plus  pure, 
a  de  la  plus  stricte  justice,  de  la  bienveillance  et  de 
a  la  charité  universelle  *. 

*  —  Les  titres  de  la  divinité  du  christianisme,  dit 
«  un  autre  impie,  sont  contenus  dans  les  livres  de 
<i  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  ;  la  critique  la 
v  plus  sévère  reconnaît  l'authenticité  de  ce  livre,  la 
<j  raison  la  plus  fière  respecte  la  vérité  des  faits  qu'il 
«  rapporte,  et  la  saine  philosophie,  s'appuyant  sur 
«  leur  authenticité,  sur  leur  vérité,  conclut  de  l'une  et 
a  de  l'autre  que  ces  livres  sont  divinement  inspirés. 

—  «  Il  faut  avoir  un  front  d'airain,  dit  Bayle,  pour 
«  nier  les  miracles  rapportés  dans  les  livres  saints, 
«  et  pour  s'inscrire  en  faux  contre  des  faits  de  cette 
«  nature.  » 

On  ferait  un  gros  volume  des  hommages  qu'un 
seul  sophiste,  J.-J.  Rousseau,  a  rendus  à  l'Écriture 
Sainte  et  principalement  à  l'Évangile  :  qu'on  nous 
permette,  avant  de  finir,  d'en  citer  un  petit  ex- 
trait : 

«  Ce  divin  livre,  dit  il,  le  seul  nécessaire  à  un  chré- 
u  tien  et  le  plus  utile  à  tous,  à  quiconque  même  ne  1g 
a  serait  pas,  n'a  besoin  que  d'être  médité  pour  port<  r 
«  clans  l'âme  l'amour  de  son  auteur,  et  la  volonté 
«  d'accomplir  ses  préceptes.  Jamais  la  vertu  n'a  parié 

*  un  si  doux  langage  ;  jamais  la  plus  profonde  sa- 
u  gesse  ne  s'est  exprimée  avec  tant  d'énergie  et  de 
«  simplicité  :  on  n'en  quitte  point  la  lecture  sans  se 

*  sentir    meilleur   qu'auparavant...    Direz-vous   que 

1  Annal,  de  BolingbT; 


274  PETITS  SERMONS 

«  l'histoire  de  l'Evangile  est  inventée  à  plaisir?  Non, 
«  non,  ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  invente  ;  et  les  faits 
«  de  Socrate  dont  personne  ne  doute  sont  moins  at- 
»  testés  que  ceux  de  Jésus  Christ.  —  Au  fond,  c'est 
a  reculer  la  difficulté  sans  la  détruire  :  il  serait  plus 
«  inconcevable  que  plusieurs  hommes  d'accord  eus- 
«  sent  fabriqué  ce  livre  qu'il  ne  l'est  qu'un  seul  en 
«  ait  fourni  le  sujet.  Jamais  les  auteurs  juifs  n'au- 
«  raient  trouvé  ni  ce  ton  ni  cette  morale  ;  et  l'Évan- 
«  gile  a  des  caractères  de  vérité  si  grands,  si  frap- 
«  pants,  si  parfaitement  inimitables  que  l'inventeur 
«  en  serait  plus  étonnant  que  le  héros  !  » 

Qu'ajouter,  mes  frères,  à  ce  magniGque  témoi- 
gnage que  nous  abrégeons  à  notre  grand  regret? 
Rien  autre  chose  que  ces  quelques  lignes  d'un  grand 
écrivain  qui  a  tristement  abusé  de  son  génie,  elles 
étaient  écrites  sur  la  marge  de  sa  Bible  : 

«  Dans  ce  redoutable  volume  repose  le  mystère 
«  des  mystères  :  heureux  parmi  la  race  humaine, 
«  celui  à  qui  Dieu  a  fait  la  grâce  d'entendre,  de  lire, 

de  craindre,  de  prier,  de  toucher  la  serrure  et  de 
«  s'ouvrir  un  chemin  vers  la  vérité  !  Mais  il  eût  mieux 
«  valu  qu'ils  ne  fussent  pas  nés  ceux  qui  lisent  pour 
«  douter  ou  ceux  qui  lisent  pour  railler  l  !  » 
|  Frédéric  de  Prusse,  le  roi  bel  esprit^  l'ami,  le  pro- 
tecteur et  l'émule  de  tant  de  philosophes,  s'entrete- 
nait pourtant  assez  volontiers  de  religion,  mais  avec 
un  très-petit  nombre  de  favoris. 

Or,  un  jour  que  la  conversation  était  tombée  sur 

*  Lord  Byron. 


ôtr  l'on  ne  dort  pas.  27S 

les  saintes  Écritures,  le  roi  prit  machinalement  un 
volume  sur  une  étagère  et  se  mit  à  le  feuilleter  dans 
une  préoccupation  qu'il  avait  toutes  les  peines  du 
monde  à  dissimuler.  C'était  une  Bible  où  Voltaire 
avait  laissé  des  notes. 

Tout  à  coup,  sortant  comme  d'une  profonde  rê- 
î  verie  : 

—  Hélas!    s'écriât- il  en  soupirant,  combien  sont 
[  heureuses  les  personnes  qui  croient  les  vérités  con- 
tenues dans  ce  livre  et  qui  ont  de  la  religion  !...  Pour 
moi,  je  n'hésiterais  pas  d'aller  maintenant  à  l'église  : 
mais  mes  sujets  me  tourneraient  en  ridicule. 

—  Non,  sire  !  répond  une  dame  de  la  cour  d'une 
voix  attendrie  ;  on  les  verrait  bénir  le  ciel  et  verser 
des  larmes  de  bonheur  ! 

Et  dire,  mes  frères,  qu'il  est  des  gens  que  de  pa- 
reils hommages  n'ont  pas  le  don  de  convaincre  ;  des 
gens  que  le  respect  humain  tient  encore  éloignés  des 
saintes  pratiques  de  la  religion  !  Dire  qu'il  est  des 
gens  qui  ont  peur  de  se  montrer  chrétiens  !  Mais  ils 
ne  voient  donc  pas,  les  malheureux  !  que  le  respect 
humain  n'est  plus  de  mise,  ils  ne  sentent  donc  pas 
que  le  règne  des  esprits  forts  est  passé  ! 

Oh  !  ayez  pitié,  Seigneur,  nous  vous  en  conjurons, 
ayez  pitié  de  ces  pauvres  aveugles  qui  vous  mécon- 
naissent, ne  répondez  pas  avec  la  foudre  aux  blas- 
phèmes de  l'impie  !  Daignez  les  éclairer,  les  toucher, 
les  ramener  à  vous  !  Qui  sait,  peut-être  y  en  a-t  il 
quelqu'un  ici  dont  la  foi  chancelle  et  qui  écoute  vo- 
tre parole  adorable  avec  indifférence  1  Oh  !  pénétrez- 
le  d'une  sainte  terreur  pour  vos  jugements,  au  sou- 

17 


276  PETITS  SKftMONS 

venir  de  cette  redoutable  sentence  de  l'Esprit- Saint  î 
Verbum  meum  non  revertetur  ad  me  vacuum  :  Ma  pa- 
role ne  reviendra  pas  à  moi  stérile,  il  faut  qu'elle  opère 
des  fruits  de  salut  ou  de  damnation  :  prions  pour  eux, 
mes  frères,  mais  prions  aussi  pour  nous-mêmes  afin 
d'obtenir  cette  crainte  du  Seigneur  qui  est  le  commen- 
cement de  la  sagesse  sur  la  terre,  et  qui  nous  mérite 
de  l'aimer  et  de  le  posséder  à  jamais  dans  le  ciel  ! 
C'est  la  grâce  que  je  vous  souhaite!  Amen! 


VINGT-HUITIÈME  SERMON 

CHRISTIANISME,  SON  ÉTABLISSEMENT  DANS  LE  MONDE. 

A  domino  factum  est  istud,  et  es!  mira- 
bile  in  ocuîis  nostrïs. 

C'est  le  Seigneur  qui  a  fait  ce  prodige,  et  II 
est  admirable  à  nos  yeux.  (Psal.cxvn,  22.) 

Mes  frères,  transportez-vous  en  esprit  à  Jérusa- 
lem, devant  cette  arcade  où  Jésus -Christ,  une  cou- 
ronne d'épines  sur  la  tête,  un  roseau  à  la  main, 
flagellé,  conspué,  couvert  d'un  lambeau  de  pour- 
pre, fut  montré  au  peuple  par  Pilate  qui  lui  dit  s 
•  Voilà  l'homme!  » 

«  Le  voilà  ce  rebelle,  ce  perturbateur  du  repos 
«  public,  cet  ambitieux  qui  se  fait  roi,  ce  blasphéma- 
«  teur  qui  se  dit  Dieu  le  voilà  !  Ecce  homo.  » 

Voyez  comme  cette  populace  le  raille,  comme 
Pilate  le  méprise  ;  entendez  ces  clameurs  qui  de- 
mandent sa  mort!...  Il  est  là,  seul,  sans  ami,  sans 
défenseur  ;  ses  disciples  eux-mêmes  l'ont  abandonné  : 


ou  l'on  ne  dort  pas.  277 

Je  me  trompe,  il  en  est  un  qui  se  cache  dans  la  foule, 
qui  suit  de  loin  'pour  voir  V événement  et  qui  reniera 
s  on  maître  à  la  voix  d'une  femme  ! 

Mes  frères,  si  quelqu'un  était  venu  dire  à  ce  peu- 
ple mutiné  :  —  «  Oui,  voilà  l'homme,  ecce  homo  !  Le 
«  voilà  ce  Messie  annoncé  par  tant  d'oracles,  figuré 
«  par  tant  de  symboles,  et  que  la  terre  attend  de- 
«  puis  quatre  mille  ans  !  Le  voilà,  cet  innocent 
«  agneau  qui  efface  les  péchés  du  monde  !  Sous  ce 
«  manteau  de  la  folie,  il  est  le  Sage  par  excellence  ; 
a  avec  cette  couronne  sanglante  et  ce  sceptre  de 
«  roseau,  il  est  le  Roi  des  rois  ;  et  Dieu  reconnaît 
«  son  fils  bien  aimé  jusque  sous  les  crachats  qui 
«  souillent  sa  face  adorable  :  ecce  homo  !  En  vérité  je 
•  vous  le  dis,  le  jour  n'est  pas  loin  où  cet  homme  des 
«  douleurs,  victorieux  de  la  mort,  dispersera  la  syna- 
«  gogue  et  renversera  les  autels  de  l'idolâtrie.  Hâtez- 
«  vous  de  l'élever  dans  les  airs,  achevez  votre  œuvre 
a  déicide,  et,  du  haut  de  ce  gibet  où  vous  allez  le 
«  clouer,  ce  Dieu  crucifié  attirera  tout  à  lui...  tout, 
«  jusqu'à  ses  bourreaux!...  » 

Un  tel  discours  n'eût-il  pas  été  accueilli  par  un 
immense  éclat  de  rire,  et  les  Juifs  y  eussent-ils  autre- 
ment répondu  qu'en  enfermant  comme  fou  l'imprudent 
qui  venait  de  le  leur  adresser  ? 

Et  pourtant,  mes  frères,  jetez  les  yeux  autour  de 
vous  .  Depuis  la  catastrophe  suprême  qui  déchira  en 
deux  le  voile  du  temple  de  Salomon,  que  sont 
devenus  et  la  synagogue,  et  le  grand  prêtre,  et  la 
tribu  de  Lévi,  et  la  Pâque  juive,  et  la  fête  des 
Tabernacles,   et  l'antique  splen^ur  de  Jérusalem? 


278  t%f  ITS  SERMONS 

Qu'est  devenu  le  paganisme  avec  ses  cinquante  mille 
divinités  différentes  ?  Où  sont  les  mœurs  infâmes  qui 
souillaient  Rome,  Athènes  et  Corinthe  ? 

Comment  l'esclavage  a-t  il  cessé  de  faire  partie  du 
droit  des  nations  ?  D'où  vient  que  l'homme  ne  traite 
plus  son  semblable  comme  sa  chose,  et  sa  bête  de 
somme?  Par  quel  miracle  3a  femme  s'est-elle  relevée 
de  l'abjection  et  de  l'ignominieuse  servitude  où  la 
tenait  la  civilisation  païenne  1  Comment  est -elle  re- 
montée sur  son  trône  de  reine  et  redevenue  la 
compagne  de  son  époux,  l'os  de  ses  os  et  la  chair  de 
sa  chair  ? 

Quel  soleil  a  rendu  au  vice  sa  laideur,  à  la  vertu 
son  rayonnement  divin,  au  bien  et  au  mal  leur  diffé- 
rence et  leur  vrai  nom  ?  Quel  souffle  a  balayé  de 
l'olympe  cette  tourbe  d'impures  divinités  qui  avaient 
mis  à  la  mode,  que  dis-je,  à  la  mode  ?  sur  l'autel  le 
meurtre,  le  parjure,  le  vol,  l'orgueil,  la  débauche,  la 
haine  et  la  vengeance? 

Qui  a  donné  à  la  fille  de  la  pudeur,  à  la  mère  des 
entrailles,  à  l'enfance  du  respect,  au  riche  un  cœur,  au 
pauvre  de  la  résignation,  à  celui  qui  pleure  un  conso- 
lateur, aux  heureux  du  monde,  le  besoin  de  faire  des 
heureux,  à  la  jeunesse  la  modération  et  ia  tempérance, 
au  vieillard  la  véritable  sagesse,  à  tous  une  douceur 
de  caractère  et  de  mœurs  inconnue,  avant  le  Messie, 
l'union,  la  bienveillance  et  la  charité;  en  un  mot  qui 
a  renouvelé  la  face  de  la  terre  ? 

C'est  l'Évangile,  mes  frères,  c'est  la  croix  ! 

Oui,  l'Évangile  qui  a  purgé  l'univers  de  tant  d'abo- 
minations et  remplacé  dans  les  bois,  les  infâmes  mys- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  279 

tères  de  l'idolâtrie,  par  la  vie  angélique  et  péni- 
tente des  solitaires  ;  la  croix  qui  a  ravivé  l'instinct 
du  devoir,  redonné  à  l'esprit  l'empire  sur  la  chair  et 
fait  germer  les  vierges  dans  les  lieux  où  la  luxure 
était  adorée  ! 

A  l'aspect  du  Dieu  de  la  crèche  et  du  calvaire,  de 
ce  modèle  élevé  comme  un  phare  au  haut  d'une 
montagne,  le  riche  s'est  dépouillé  de  ses  biens,  le 
voluptueux,  renonçant  à  ses  idoles  de  chair  et  de 
gang,  s'est  couvert  de  cendre  et  revêtu  d'un  cilice  ; 
les  ennemis  se  sont  réconciliés  ;  d'innocentes  jeunes 
filles  à  qui  tout  souriait,  santé,  plaisirs,  fortune,  ont 
dit  adieu  au  monde  et  se  sont  ensevelies  dans  un 
cloître  .  On  a  vu  des  princesses,  des  seigneurs  aban- 
donner la  Cour,  des  reines  descendre  du  trône 
pour  se  revêtir  des  livrées  de  la  souffrance  et  de  la 
pauvreté.... 

Or,  mes  frères,  un  tel  triomphe  de  l'âme  sur  le 
corps,  de  la  vertu  sur  le  vice,  du  sentiment  religieux 
sur  les  passions  les  plus  fougueuses,  est-il  dans  la  na- 
ture, je  vous  le  demande,  et  peut-il  s'expliquer  en 
dehors  de  toute  intervention  divine. 

Et  remarquez  bien  que  nous  ne  faisons  pas  ici  de 
l'enthousiasme  et  du  mysticisme,  c'est  de  l'histoire  ! 
Nos  annales  religieuses  ,  les  premiers  siècles  de 
l'Église  surtout,  sont  remplies  de  traits  sublimes  d'hu- 
milité, d'abnégation,  de  courage  et  de  dévouement 
qui  faisaient  l'admiration  des  païens  eux-mêmes. 
L'Évangile  a  fait  de  l'héroïsme  un  devoir  et  de  la 
vertu,  l'état  normal  du  chrétien.  Voilà  un  fait  sai- 
sissant actuel  qui  s'affirme,   je  le  répète,   et  ne  se 


-80  PETITS  SERMONS 

démontre  plus  :  un  fait  miraculeux  qui  prouverait    ' 
à   lui  seul  avec  la  dernière  évidence,  la  divinité  du 
christianisme. 

Le  prodige  devient  plus  palpitant  encore  si  nous 
considérons  la  faiblesse  des  moyens  dont  Dieu  s'est 
servi  pour  opérer  cette  transformation  salutaire  de 
l'univers. 

De  pauvres  bateliers,  sans  appui,  sans  savoir,  sans 
fortune,  qui  ont  fui  au  jour  de  la  Passion,  et  dont  le 
plus  intrépide  a  tremblé  à  la  voix  d'une  servante, 
quels  vaillants  soldats  pour  conquérir  le  monde, 
quels  zélateurs  pour  une  morale  si  sublime,  une 
doctrine  si  ardue  !  Les  dignes  sectateurs  d  un  Dieu 
crucifié  !  Ah  !  si  de  tels  apôtres  font  un  seul  pro- 
sélyte dans  Jérusalem,  s'ils  n'y  sont  pas  poursuivis 
par  les  huées  de  la  foule,  il  faudra,  certes,  que  cette 
doctrine  vienne  du  Ciel  et  que  la  main  de  Dieu  soit 
avec  eux! 

—  Laissez-les  faire,  disait  Gamaliel  aux  docteurs 
assemblés  pour  c'opposer  aux  prédications  des  apô- 
tres :  «  Laissez  les  en  paix;  car  ou  cette  nouveauté 
«  vient  des  hommes,  ou  elle  vient  de  Dieu. 

«  Si  elle  vient  des  hommes,  elle  tombera  d'elle- 
«  même  :  rappelez-vous  Théodas,  Judas  le  Galiléen 
«  et  leurs  partisans  que  nous  avons  vu  misérablement 
«  périr  avec  leurs  erreurs. 

«  Mais  si  cette  doctrine  vient  du  Ciel,  c'est  en  vain 
«  que  vous  voudriez  vous  y  opposer  ;  laissez  donc  en 
«  paix  ces  hommes,  croyez-moi,  de  peur  que  vous 
«  ne  luttiez  contre  Dieu  lui-même.  » 

Les   avis  étaient  partagés,  la  séance  animée,  on 


ou  l'on  ne  dort  pas,  281 

voulait  étoufter  l'erreur  au  berceau  ;  néanmoins  cette 
observation  judicieuse  prévalut  ;  on  se  contenta  de 
battre  de  verges  les  apôtres  en  leur  défendant  de 
prêcher  Jésus-Christ 4. 

Aveugle  cruauté ,  mes  frères ,  ridicule  défense 
après  un  tel  avis  !  —  Et  que  craignaient-ils  donc  ces 
docteurs,  ces  pharisiens,  ces  éclairés,  que  craignaient* 
ils  de  douze  pauvres  pêcheurs  î  N'avaient  ils  pas 
assez  de  science  pour  les  confondre,  assez  de  malice 
pour  les  surprendre,  assez  de  pouvoir  pour  les  écra- 
ser à  volonté?  ne  se  jetaient-ils  pas  eux-mêmes  dans 
la  gueule  du  loup,  en  prêchant  dans  Jérusalem  si 
peu  de  jours  après  le  drame  du  Calvaire,  en  accu- 
sant les  juifs  de  déicide,  en  publiant  la  résurrection 
de  ce  Jésus  qui  avait  prédit  la  ruine  de  la  ville  et  du 
temple  de  Salomon  ?  Avouez  au  moins  que  le  temps, 
le  lieu,  les  personnages  étaient  assez  mal  choisis 
pour  jouer  une  pareille  comédie,  et  que  la  synagogue 
avait  tort  d'en  redouter  ainsi  le  dénouement. 

«  Et  où  allez-vous,  s'écrie  un  Père  de  l'Église,  qui 
a  interpelle  les  apôtres  au  sortir  du  Cénacle,  où 
«  allez-vous  donc  ainsi ,  et  que  prétendez- vous 
«  faire? 

«  —  Convertir  l'univers. 

a  — -  Le  convertir  à  qui  ? 

a  —  A  Jésus-Christ. 

«  —  Quoi  !  vous  allez  arracher  le  monde  à  ses 
«  idoles,  à  ses  plaisirs,  à  ses  passions  chéries  pour 
«  le  convertir   à  cet  homme  abhorré  qui  vient  de 

4  Àct.  ap.  v. 


2S2  PETITS  SERMONS 

«  mourir  sur  une  croix  !  mais  ne  voyez-vous  pas  le 
a  bouleversement  général  que  vont  exciter  vos  dis- 
*<  cours  ?  La  dépravation  des  mœurs,  la  superstition 
«  héréditaire,  l'orgueil  des  philosophes,  le  liberti- 
«  nage  des  impies,  la  puissance  des  Césars ,  la 
«  cruauté  des  tyrans,  la  fureur  des  bourreaux;  ne 
«  voyez -vous  pas  la  terre  et  l'enfer  conjurés  se  dé- 
«  chaîner  contre  vous  î 

«  —  Sans  doute,  on  nous  a  prédit  tout  cela  ;  mais 
«  Dieu  nous  envoie  et  nous  devons  obéir. 

«  —  Mais  pour  résister  dans  une  entreprise  si  har- 
«  die,  où  sont  vos  ressources  ?  êtes-vous  riches  pour 
«  attirer  les  nations  par  l'appât  de  l'or? 

«  —Nous  n'avons  ni  or  ni  argent  ;  nous  avons  tout 
«  quitté  pour  Jésus-Christ,  tout  jusqu'à  notre  barque 
«  et  nos  filets. 

«  —  Êtes- vous  puissants,  avez- vous  des  soldats 
«  pour  subjuguer  l'univers  par  la  force  des  armes  ? 

«  —  Nous  sommes  douze  et  nous  allons  nous  dis- 
«  perser  dans  le  monde  ;  nos  armes  sont  la  résigna- 
«  tion,  la  patience  et  la  prière. 

«  —  Avez-vous  de  l'adresse,  de  la  politique,  pour 
«  en  faire  jouer  les  ressorts  ? 

«  —  Notre  politique  est  la  simplicité  de  I;i  co- 
«  lombe. 

«  —  Avez-vous  au  moins  de  la  science,  êtes-vous 
«  philosophes  pour  confondre  les  docteurs  dc3  na- 
«  tions  ? 

«  —  Notre  science,  notre  sagesse  est  la  folie  de  la 
«  croix. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  283 

«  —  Et  avec  cela  vous  persistez  dans  vos  desseins  ? 
a  Hélas  !  pauvres  agneaux,  vous  vous  livrez  à  la  fu- 
«  reur  des  loups  ;  innocentes  victimes,  vous  allez  a 
«  l'autel!... 

,  «  Prudence  humaine,  voilà  ta  pensée,  conclue  le 
a  même  Père  :  mais  oublies-tu  que  Dieu  est  le  maî- 
«  tre  de  la  nature  et  des  prodiges,  qu'il  se  sert  des 
«  ignorants  pour  confondre  la  science  du  sage,  et 
«  du  faible  pour  terrasser  le  fort  *?...  » 

Rappelez-vous  en  effet,  mes  frères,  ce  qu'étaient 
les  apôtres  aux  jours  de  la  Passion  ;  leur  pusillani- 
mité, leurs  hésitations,  leur  infidélité,  leurs  doutes  ; 
l'anxiété  des  deux  disciples  d'Emmaus,  quand  Jésus- 
Christ,  sous  la  figure  d'un  voyageur,  leur  reprocha 
leur  incrédulité  ;  l'obstination  de  Thomas  à  ne  croire 
qu'après  avoir  vu  de  ses  yeux  et  touché  de  ses 
mains;  quel  ardeur,  quel  enthousiasme  et  quelle 
intrépidité  pour  entreprendre  la  conquête  du 
monde  ? 

Encore,  si  au  bout  d'une  si  pénible  carrière,  ces 
combattants  d'une  nouvelle  espèce  avaient  entrevu, 
pour  prix  de  leurs  efforts,  la  gloire,  la  fortune  et  les 
jouissances  de  la  terre  !  Si,  avec  de  la  puissance,  des 
talents  et  des  richesses,  ils  avaient  prêché  une  doc- 
trine plus  facile,  une  morale  moins  sévère,  on  pour- 
rait, à  la  rigueur,  s'expliquer  jusqu'à  un  certain  point 
et  leur  dévouement  et  leur  réussite. 

Ainsi,  qu'un  farouche  et  audacieux  sectaire,  que 
îrlahomet  ait  établi  au  loin  sa  ridicule  parodie  de 

i  l1  Jean  Ghrysostôs». 

H. 


284  PETITS  SEUM0N5 

l'Évangile,  on  le  conçoit  sans  peine  ;  il  publiait  un 
Code  sensuel,  faisait  appel  à  toutes  les  passions  et 
prêchait  le  glaive  à  la  main.  Tout  le  monde  sait  que 
le  Coran  est  une  longue  préparation  des  croyants  au 
paradis  de  la  volupté  ;  d'ailleurs,  le  moyen,  s'il  vous 
plaît,  *de  résister  à  l'argument  du  cimeterre,  à  cette 
éloquente  et  persuasive  exhortation  :  Crois,  ou  je  te 
tue? 

Ah  !  ne  soyons  pas  surpris  des  progrès  de  l'isla- 
misme par  de  tels  moyens  et  sur  de  tels  fondements  ; 
si  quelque  chose  doit  nous  étonner,  mes  frères,  c'est 
que  tout  l'univers  ne  soit  pas  musulman. 

Mais  qu'une  religion  qui  brise  la  nature  et  force 
l'homme  à  un  combat  continuel  contre  lui-même  ait 
pu  s'établir  dans  le  monde  ;  que  le  Dieu  du  Calvaire 
ait  rencontré  un  seul  partisan  sur  le  sol  corrompu  de 
l'idolâtrie  ;  qu'il  ait  trouvé  des  hommes  pour  prê- 
cher sa  doctrine  sans  autre  espérance  que  les  tor- 
tures et  la  mort,  voilà  qui  dépasse  toutes  les  idées 
reçues,  voilà  un  fait  humainement  inexplicable,  un 
prodige  tellement  étrange  qu'avec  la  meilleure  vo- 
lonté du  monde,  on  ne  l'admettrait  point  s'il  n'était  là, 
palpitant  sous  nos  mains,  étincelant  sous  nos  yeux. 

Que  serait-ce,  mes  frères,  si  à  la  hardiesse  de 
l'entreprise  et  à  la  faiblesse  des  moyens,  nous  ajou- 
tions la  multiplicité  des  obstacles  I  si  nous  montrions 
l'Evangile  poursuivant  sa  marche  victorieuse  dans 
l'univers  malgré  les  édits  des  Césars,  les  persécu- 
tions des  tyrans,  la  fureur  des  bourreaux,  le  sang 
des  martyrs  devenant  une  semence  de  chrétiens,  et 
la  religion  proscrite,  après  avoir  lassé  la  rage  de  dix 


ou  l'on  ne  dort  pas.  285 

empereurs,  sortir  des  catacombes  et  s'asseoir  triom- 
phante sur  leur  trône  ! 

Que  serait-ce  si,  étudiant  la  divine  mission  de  l'É- 
glise catholique,  héritière  et  dispensatrice  des  trésors 
de  la  rédemption,  dépositaire  de  la  parole  révélée 
et  juge  infaillible  en  matière  religieuse,  nous  sui- 
vions ses  combats,  ses  victoires,  ses  progrès  sur  tous 
les  points  du  globe  ;  si  nous  la  voyions  tour  à  tour 
en  butte  aux  sophismes  des  philosophes,  à  la  haine 
des  apostats,  aux  blasphèmes  de  l'hérésie,  à  la  tra- 
hison des  faux  frères,  le  dirai-je  ?  au  libertinage  de 
«es  propres  enfants  ;  que  serait-ce,  en  un  mot,  si 
nous  voyions  la  barque  de  Pierre  franchir  les  écueils, 
se  jouer  des  vents,  résister  aux  tempêtes,  et,  sur 
cette  mer  orageuse,  où  l'a  placée  Jésus-Christ,  vo- 
guer tranquille,  son  gouvernail  se  trouvât-il  en  d'in- 
dignes mains!...  Quel  argument,  mes  frères!  quelle 
puissante  preuve  de  la  vérité  de  cette  promesse  faite 
au  prince  des  apôtres  : 

«  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette  'pierre,  je  bâtirai  mon 
Eglise,  et  les  'portes  de  Venjer  ne  prévaudront  point 
contre  elle!  » 

Vous  le  voyez,  encore  une  fois,  nous  ne  faisons 
pas  ici  de  l'enthousiasme  et  du  sentiment  ;  c'est  à  la 
j  raison,  c'est  aux  yeux  que  nous  en  appelons.  La  re- 
ligion chrétienne  est  un  fait,  ce  fait  est  là,  il  est  sans 
précédent,  il  est  unique  dans  l'histoire.  Comment 
s'est-il  produit?  Comment  le  christianisme  s'est-ii 
établi  dans  le  monde  ?  Est-ce  à  l'homme,  est-ce  à 
Diea  qu'il  faut  en  attribuer  la  gloire?  Si  c'est  à  Dieu, 
le  christianisme  est  évidemment  divin  ;  et  si  c'est  à 


288  PETITS  SERMONS 

l'homme,  il  est  encore  plus  divin,  pour  user  de  l'ex- 
pression d'un  saint  docteur  *;  car  une  telle  révolu- 
tion dans  l'univers  était  visiblement  au-dessus  des 
forces  humaines.  Une  religion  qui  contredit  le  té- 
moignage des  sens,  qui  combat  les  plus  douces  incli- 
nations de  îa  nature,  qui  s'impose  à  notre  orgueil- 
leuse raison  et  la  subjugue  au  nom  du  ciel;  une 
religion  qui  avait  tant  d'obstacles  à  franchir,  de  pas- 
sions à  terrasser,  d'ennemis  à  vaincre,  de  supersti- 
tions à  détrôner,  tant  de  vertus  à  faire  germer  sur 
la  terre,  une  telle  religion  n'a  pu  s'établir  que  par  le 
plus  grand  des  prodiges  ;  et  celui  qui  doute  aujour- 
d'hui de  l'Evangile,  celui  qui  demande  encore  des 
preuves,  des  témoignages,  des  miracles  pour  croire, 
est  lui-même  un  gros  et  grand  miracle,  un  être  d'ex- 
ception, et,  comme  autrefois  le  Père  Oudin  pour  ce 
jeune  fat,  ce  philosophe  au  petit  pied  qui  se  vantait 
devant  lui  de  ne  croire  ni  à  Dieu  ni  à  diable,  le 
genre  humain  devrait  s'armer  d'une  lunette  pour 
examiner  comment  est  fait  cet  animal  curieux  de 
nouvelle  espèce,  cet  individu  qui  se  pose  en  incrédule 
en  plein  dix-neuvième  siècle  1 

J'ai  lu  dans  mon  jeune  âge  qu'un  prêtre  catho- 
lique et  un  ministre  protestant  se  promenaient  un 
jour  ensemble,  et,  comme  on  le  pense  bien,  la  dis- 
cussion roulait  sur  la  religion... 

Par  le  plus  grand  des  hasards,  un  rabbin  juif  qui 
passait  par  là  les  accosta  et  se  mêla  à  l'entretien.  Il 
était  assez  difficile  de  s'entendre,  bien  que  tous  les 


ou  l'on  ne  dort  pas.  287 

trois,  le  protestant  surtout,  criassent  en  conscience. 
La  controverse  durait  déjà  depuis  plusieurs  heu- 
res et  ne  semblait  pas  près  de  fmir,  quand  ce  der- 
nier, plus  pressé  que  les  autres  d'en  rester  là,  car  il 
était  menacé  d'une  extinction  de  voix,  leur  dit  en 
riant  : 

—  Tenez,  Messieurs,  mon  avis  est  qu'on  laisse 
chacun  tranquille  dans  sa  religion,  car  elles  sont 
toutes  bonnes,  et  nous  savons  que  Christ  veut  le 
salut  de  tout  le  monde... 

—  Bah  !  il  y  aurait  beaucoup  à  dire  là-dessus, 
mon  brave,  interrompit  le  rabbin,  et  vous  nous  re- 
lancez en  plein  dans  la  discussion. 

—  Quand  je  vous  dis  qu'il  est  indifférent  d'être 
juif,  protestant  ou  catholique!  est-ce  que  chacun  ne 
se  croit  pas  dans  le  vrai  ?  Allez,  allez,  la  foi  nous 
sauvera..,  Voyez,  nous  représentons  ici  trois  reli- 
gions différentes  :  qui  peut  nous  dire  quelle  est  la 
bonne  t 

— -  Eh  !  moi,  monsieur  1  répliqua  le  rabbin  avec 
énergie;  c'est  la  juive  si  le  Messie  est  encore  à  ve- 
nir ;  c'est  le  catholicisme  s'il  est  venu,  et  monsieur 
seul,  en  ce  cas,  serait  dans  le  vrai  ;  pour  vous,  qu'il 
soit  venu  ou  à  venir,  protestez  ou  ne  protestez  pas, 
vous  êtes  dans  l'erreur. 

Vous  le  voyez  donc,  mes  frères,  le  christianisme 
est  divin;  et  cette  grande  vérité,  c'est  par  les  seules 
données  de  la  raison  que  nous  vous  lavons  démon- 
trée ;  c'est  ainsi,  du  reste,  que  nous  espérons  vous" 
démontrer  ia  divinité  de  l'Eglise  catholique.  Quelle^ 

notions  de  gr&ces  m  deYOflt-nwi  dsn?  pm  rendra 


288  PETITS  SERMONS 

au  ciel  qui  a  daigné  nous  appeler  à  l'ineffable  lumière 
de  l'Evangile,  et  cela  de  préférence  à  tant  de  nations 
encore  assises  à  l'ombre  de  la  mort  ! 

Oh  !  oui,  Seigneur,  vous  dirons  nous  avec  la  sœur 
de  Lazare,  oui,  nous  croyons  que  vous  êtes  le  Christ, 
fils  du  Dieu  vivant,  qui  êtes  venu  du  ciel  sur  la  terre 
pour  nous  instruire  de  votre  loi  sainte,  et  nous  mon- 
trer le  vrai  chemin  qui  conduit  à  la  vie  !  Hélas  !  nous 
y  chancelons,  pauvres  héritiers  des  misères  d'Adam, 
nous  y  tombons  à  chaque  pas  !  Prenez  pitié  de  notre 
faiblesse;  étendez  sur  nous  votre  main  tutélaire, 
afin  qu'animés  d'une  ardeur  nouvelle,  nous  mar- 
chions, nous  volions  dans  ce  sentier  béni  qui  nous 
conduira  dans  l'immortel  séjour  de  la  gloire  et  de  la 
félicité  !  Ainsi  soit-il  l 


VINGT-NEUVIÈME  SERMON 

DIVINITÉ  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE 

Et  unam  sanctam  catholicam  et  apost*- 
licam  Ecclesiam. 

Je  crois  à  l'Église  une,  sainte,  catholique  et 
apostolique.  (Symbole  des  apôtres.) 

Mes  frères,  le  grand  œuvre  de  la  rédemption  du 
monde  était  accompli;  la  chute  de  l'homme  réparée, 
et  la  justice  divine  pleinement  satisfaite  :  restait 
maintenant  d'appliquer  à  toute  créature  les  mérites 
infinis  de  la  Passion  du  Sauveur  :  et  cette  mission 
céleste,  l'Esprit-Saint  allait  la  remplir  par  le  ministère 
de  l'Eglise  et  des  apôtres. 


ou  l'on  ne  dort  pas  289 

Vous  savez  tous  comment  ftrt  établi  le  sacerdoce 
chrétien  et  de  quelle  manière  furent  institués  les 
premiers  évêques.  Déjà  quelque  temps  avant  sa 
mort,  l'Homme-Dieu  avait  établi  l'apôtre  saint  Pierre 
chef  suprême  de  son  Eglise  en  lui  donnant  les  clefs 
du  ciel,  symbole  de  sa  puissance  souveraine,  et  en 
le  chargeant  du  soin  de  paître,  non-seulement  les 
agneaux,  mais  encore  les  brebis,  c'est-à-dire  les  pas- 
teurs et  les  fidèles. 

Bien  de  plus  énergique  et  de  plus  solennel  que  les 
paroles  du  Sauveur  :  Pierre  venait  de  confesser  hau- 
tement sa  divinité  :  —  «  Vous  êtes  heureux,  Simon, 
«  fils  de  Jean,  lui  répondit  Jésus,  car  ce  n'est  ni  la 
«  chair  ni  le  sang  qui  vous  l'a  révélé,  mais  mon 
«  Père  qui  est  dans  les  cieux.  Et  moi  je  vous  le  dis, 
*  vous  êtes  Pierre,  et  sur  cette  pierre  je  bâtirai  mon 
«  Eglise,  et  les  portes  de  l'enfer  ne  prévaudront 
«  point  contre  elle  :  et  je  vous  donnerai  les  clefs  du 
a  royaume  du  ciel,  et  tout  ce  que  vous  lierez  sur  la 
«  terre  sera  lié  au  ciel,  et  tout  ce  que  vous  délierez 
«  sur  la  terre  sera  délié  au  ciel 4.  u 

Voilà  pour  le  chef,  mes  frères  :  le  tour  des  mem- 
bres va  venir. 

Avant  de  remonter  vers  son  Père,  le  divin  maître, 
apparaissant  à  ses  apôtres  réunis  dans  le  cénacle, 
leur  dit  comme  toujours  :  «  La  paix  soit  avec  vous  : 
«  Puis,  soufflant  sur  eux,  il  ajouta  :  Recevez  le 
«  Saint-Esprit  ;  les  péchés  seront  remis  à  ceux  à  qui 
«  vous  les  remettrez,  et  retenus  à  ceux  à  qui  vous 

1  Math,  xvi,  18,  19. 


200  PETITS  SERMONS 

«  les  retiendrez1...  Allez,  instruisez  les  nations  les 
«  baptisant  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Es- 
«  prit...  Voici  que  je  suis  avec  vous  jusqu'à  la  con- 
«  sommation  des  siècles  *...  » 

De  plus,  mes  frères,  vous  n'avez  pas  sans  doute 
oublié  les  ineffables  épanchements  du  Sauveur  à 
la  dernière  cène,  lorsqu'il  dit  à  ses  apôtres  pour  les 
consoler  de  son  départ  prochain  : 

«  Je  retourne  vers  mon  Père  qui  est  aussi  le 
«  vôtre  :  mais  je  ne  vous  laisserai  pas  orphelins,  je 
«  viendrai  à  vous...  Je  prierai  mon  Père,  et  il  vous 
«  enverra  l'Esprit  consolateur  qui  vous  enseignera 
«  toute  vérité  3. . .  » 

Or,  mes  frères,  cette  promesse  ne  tarda  pas  à  se 
réaliser,  et  dans  les  circonstances  merveilleuses  que 
tout  le  monde  connaît.  Dix  jours  après  son  ascension 
glorieuse  dans  le  ciel,  les  apôtres,  assemblés  dans  le 
cénacle,  reçurent  le  Saint-Esprit  avec  le  don  des  lan- 
gues et  le  pouvoir  de  faire  des  miracles  :  mais  le 
plus  grand  de  tous  venait  de  s'opérer  en  eux;  le 
plus  grand  de  tous,  convenez-en,  c'était  l'ardeur  et 
l'énergie  surnaturelle  avec  laquelle  ces  douze  lions, 
hier  encore  timides  agneaux ,  se  répandent  dans 
Jérusalem  pour  y  prêcher  dans  les  synagogues,  les 
places  publiques  et  annoncer  à  toute  créature  Jésus 
ressuscité. 

Je  ne  vous  rapporte  pas  ici,  mes  frères,  le  magni- 
fique discours  de  saint  Pierre,  qui  convertit  pour  la 
première  fois  trois  mille  personnes,  ni  celui  qui  sui- 

»  km  mi  Mi-'ltetfc,  wvwi  \%^hm  kïy*  18, 86. 


ou  l'on  ne  dort  pas.  29Î 

vit  la  guérison  du  paralytique  à  la  porte  du  temple, 
et  qui  en  convertit  cinq  mille  :  c'est  dans  les  Actes 
des  apôtres  qu'il  faut  lire  ces  détails  pour  voir,  en 
quelque  sorte,  le  Saint-Esprit  à  l'œuvre  par  l'organe 
des  pauvres  pêcheurs  que  nous  connaissons.  La  sy- 
nagogue est  consternée,  anéantie  ;  elle  a  beau  me- 
nacer, beau  imposer  silence  aux  apôtres,  beau  les 
battre  de  verges  et  les  jeter  en  prison  ;  les  anges  les 
délivrent  et  ils  se  proclament  heureux  Savoir  été  ju- 
gés dignes  de  souffrir  pour  Jésus -Christ  l. 

Mes  frères,  le  moment  est  venu  pour  eux  de  se 
disperser  dans  le  monde  et  d'aller  annoncer  l'Evan- 
gile à  toutes  les  nations.  Pourtant  avant  de  se  sépa- 
rer ils  rédigent  un  symbole  qui  résume  les  ensei- 
gnements du  divin  Maître,  en  formant  un  corps  de 
doctrine  qu'ils  proposeront  à  la  croyance  des  fidèles 
de  tout  pays,  de  toute  langue,  de  toute  tribu  ;  et  si 
plus  tard  la  parole  divine  a  besoin  de  développement, 
d'explications,  si  le  gouvernement  de  l'Eglise  appelle 
de  nouvelles  lois,  s'il  s'élève  surtout  quelque  nuage 
autour  du  soleil  de  la  vérité,  au  moindre  doute,  à  la 
plus  légère  contestation  doctrinale,  tous  les  yeux  se 
tourneront  vers  Pierre,  dont  la  parole  infaillible  ju- 
gera sans  appel. 

C'en  est  fait,  chrétiens,  l'Eglise  est  fondée  et  les 
portes  de  Venfer  ne  prévaudront  point  contre  elle, 
car  elle  repose  sur  le  roc  immuable  des  promesses  de 
Jésus -Christ  qui  doit  être  avec  elle  jusqu  a  la  fin  des 
siècles. 

1  Act.  Ap.  v,  4L 


292  PETITS  SERMONS 

—  Très-bien  jusque-là,  nous  dit  on  :  mais  il  y  a 
sur  la  terre  tant  de  sociétés  religieuses  qui  se  don- 
nent pour  la  véritable  Eglise,  comment  discerner 
l'Eglise  de  Jésus-Christ  et  des  apôtres? 

—  Rien  de  plus  simple,  mes  frères  :  les  caractères' 
de  la  véritable  Église  nous  sont  clairement  indiqués 
dans  ces  paroles  du  Credo  que  vous  chantez  le  di- 
manche avec  nous  à  la  messe  :  et  unam  sanctam  ca~ 
tholicam  et  apostolicam  Ecclesiam  :  l'Église  de  Jésus- 
Christ  est  Une,  Sainte,  Catholique  et  Apostolique  ; 
vous  la  reconnaîtrez  à  ces  signes  que  nous  ne  faisons 
qu'indiquer,  et  qui  ne  conviennent  qu'à  elle. 

Et  d'abord  la  vérité  ne  pouvant  être  opposée  à 
elle-même,  c'est-à-dire  être  le  oui  et  le  non,  la  véri- 
table Église  est  une,  et  c'est  par  excellence  le  carac- 
tère de  la  nôtre  qui  est  une  dans  sa  foi,  dans  ses  sa- 
crements, dans  son  chef  et  dans  ses  membres. 

—  Une  dans  sa  foi  :  tous  ses  enfants  ont  la  rême 
croyance,   les  mêmes   mystères,    le   même    ciel,    le 
même  enfer...  et  je  dis  tous  ses  enfants,  remarquez 
le  bien,  tous,  sans  distinction  de  climat,  de  couleur, 
de  pays,  de  gouvernement,    de  langage.   Ainsi  ce 
qu'on  vous  enseigne  en  France,  en  Europe,  nos  mis- 
sionnaires le  prêchent    en   Afrique,   en   Chine,    en 
Amérique  et  dans  les  îles  les  plus  lointaines  de  l'O- 
céanie.  —  Ainsi,   ce  que  l'Église  croit   aujourd'hui, 
elle  l'a  toujours   cru  et   le  croira  toujours  :  certains 
points  secondaires  et  de  pure  discipline  ont  pu  va- 
rier,   parce  que  i'Église   est  la  maîtresse  des  lois 
qu'elle  a  faites,  et  peut  les  modifier,  les  abolir  même 
si  elle  le  juge  convenable,  mais  le  symbole,  le  dog- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  293 

me,  le  fond  de  la  doctrine  reste  sacré,  invariable, 
comme  Dieu  lui-même. 

Une  dans  ses  sacrements  qui  sont  partout  et  tou- 
jours également  administrés  aux  fidèles  comme  autant 
de  moyens  de  salut. 

Une  dans  son  chef  invisible  qui  est  Jésus-Christ,  et 
son  chef  visible  qui  est  le  Pape,  héritier  du  prince  des 
apôtres  et  dernier  anneau  de  cette  longue  chaîne 
de  Pontifes  qui  descend  directement  de  saint  Pierre  à 
Pie  IX. 

Une  enfin  dans  ses  membres,  tous  enfants  d'une 
même  famille,  participant  aux  mêmes  combats,  as- 
pirant à  la  même  couronne,  et  unis  entr'eux  par  les 
liens  d'une  même  charité  ..  de  sorte  qu'en  vertu  de 
la  sainte  solidarité  qui  nous  lie  à  nos  frères,  leurs 
biens,  leurs  maux,  leurs  besoins,  leurs  intérêts, 
leurs  joies  sont  les  nôtres  et  que  nous  prions  pour 
eux  tout  en  priant  pour  nous.  C'est  cette  noble  fusion 
des  âmes  et  des  cœurs  dans  un  même  sentiment  de 
foi,  d'espérance  et  d'amour  qui  excitait  l'envie  des 
païens  et  des  juifs,  lorsqu'ils  s'écriaient  à  l'aspect 
de  l'union  des  premiers  chrétiens  :  voyez  donc  comme 
ils  s'aiment! 

La  véritable  Église,  disons-nous  encore,  est  sainte  : 
non  sans  doute  que  tous  ses  membres  soient  des 
anges  de  vertu,  des  modèles  de  sainteté  ;  tant  que 
nous  serons  sur  la  terre,  nous  participerons  tous  aux 
misères  et  à  la  triste  fragilité  des  enfants  d'Adam  ; 
mais  je  dis  sainte  dans  sa  doctrine,  pure  dans  sa 
morale,  et,  par  sa  discipline  et  ses  préceptes,  aidant 
puissamment  à  la  vertu  ;  je  dis  sainte  en  ce   sens 


294  PETITS  SERMONS 

qu'elle  seule  enfante  des  saints,  des  saints  à  mira- 
cles, parce  que  seule,  elle  possède  dans  la  Pénitence, 
l'Eucharistie  et  les  autres  sacrements,  les  moyens  de 
perfection  que  Jésus-Christ  nous  a  donnés  pour  le 
devenir. 

Elle  est  catholique  ou  universelle  :  c'est-à-dire 
qu'elle  n'est  limitée  ni  par  les  lieux,  ni  par  les 
temps  ;  et  en  cela,  elle  se  distingue  des  autres  socié- 
tés religieuses  qui  sont  circonscrites  dans  les  limites 
de  certains  pays,  et  portent  dans  leur  date,  et  pour 
ainsi  dire  sur  leur  front,  le  caractère  évident  de  leur 
nouveauté.  L'Église  au  contraire  a  toujours  subsisté 
sans  interruption,  et  subsistera /iwgn'à  la  consomma» 
don  des  siècles,  fondée  qu'elle  est  sur  la  pierre  et  sur 
la  parole  qui  ne  passe  point. 

Universelle,  elle  est  incomparablement  plus  ré- 
pandue qu'aucune  des  autres  sociétés  qui  se  disent 
chrétiennes,  puisque,  sur  un  milliard  d'hommes  ou 
à  peu  près  qui  couvrent  la  terre,  deux  cents  millions 
sont  catholiques.  Aussi  l'Église  est-elle  seule  en  pos- 
session de  porter  le  titre  glorieux  de  catholique y  et 
cela,  si  exclusivement  à  toute  autre  société  religieuse, 
que  les  hérétiques  eux-mêmes  ne  la  désignent  pas 
autrement  et  sont  forcés  de  lui  donner  le  nom  tout  en 
lui  refusant  la  chose. 

Enfin,  mes  frères,  l'Église  est  apostolique,  et  c'est 
là  peut-être  la  marque  la  plus  sensible  de  sa  divinité  : 
je  dis  apostolique  dans  sa  doctrine,  dans  son  sacer- 
doce et  la  succession  continue  de  ses  pontifes.  Elle 
descend  directement  des  apôtres,  qui  l'ont  fondée  et 
la  gouvernent  depuis  dix-huit  cents  ans  par  leurs 


OU  L'ON  NE  DORT  λAS.  595 

Successeurs  :  ce  sont  leurs  enseignements  qu'elle 
nous  transmet,  leur  pouvoir  qu'elle  exerce,  leur 
œuvre  qu'elle  continue  à  travers  les  siècles... 

Les  autres  sociétés  qui  se  sont  séparées  de  la  vé- 
ritable Église  ont  perdu  cette  succession,  et  s'arrê- 
tent forcément  à  leurs  fondateurs,  de  quelque  nom 
qu'ils  s'appellent  ;  seule,  la  véritable  Église  remonte 
sans  interruption  ni  léviation,  aux  apôtres,  et  par 
eux,  à  Jésus-Christ.... 

Voilà  je  crois,  mes  frères,  bien  dessinés,  bien 
tranchés  les  principaux  caractères  auxquels  vous 
connaîtrez  cette  Église  établie  par  Jésus-Christ  la 
gardienne  du  ciel  et  la  colonne  de  la  vérité  :  c'est  à 
cette  marque  infaillible  que  chacun  de  vous  peut 
décider  s'il  en  fait  partie,  et  s'il  est  sur  le  chemin  qui 
conduit  au  salut. 

L'Eglise  est  essentiellement  visible]  il  suffit  d'avoir 
des  yeux  et  de  les  ouvrir  pour  l'apercevoir.  Partout, 
en  effet,  vous  verrez  une  société  qui  professe  la 
même  foi,  croit  au  même  Dieu  et  aux  mêmes  mystères, 
reçoit  les  mêmes  sacrements,  obéit  aux  mêmes 
ministres  et  reconnaît  la  divinité  de  leur  mission  ; 
une  société,  en  un  mot,  dont  tous  les  membres 
n'ont  qu'un  cœur  et  qu'une  âme  ;  et  cette  société, 
mes  frères,  c'est  l'Église  romaine,  car  c'est  à  Rome 
que  réside  notre  saint  père  le  Pape,  le  successeur 
du  prince  des  apôtres  et  le  représentant  de  Jésus- 
Christ  sur  la  terre  ;  à  Rome  qu'est  le  chef  de  cet 
immense  corps  dont  les  membres  sont  répandus  sur 
toute  la  face  du  globe  ;  à  Rome  enfin  qu'est  le  pi- 
lote de  cette  barque,  en  apparence  si  fragile,  et  qui 


296  PETITS  SERMONS 

néanmoins  porte  les  destinées  du  monde...  Ce  pilote 
est  un  vieillard,  mes  frères,  mais  la  main  de  Dieu 
soutient  sa  main  :  c'est  un  vieillard,  mais  soyez  sans 
crainte,  sa  vieillesse  est  vigoureuse,  puisqu'elle  dure 
depuis  plus  de  dix-huit  siècles.  Le  Pape  ne  meurt 
pas,  c'est  Dieu  qui  l'a  dit,  et  félicitons-nous  en,  car 
le  Pape  mort,  l'humanité  tout  entière  le  suivrait 
dans  la  tombe,  et  la  dernière  heure  de  la  nature  au- 
rait sonné. 

Ici  se  présente,  mes  frères,  une  distinction  que 
vous  avez  bien  des  fois  entendu  faire  entre  le  chris- 
tianisme et  le  catholicisme,  deux  mots  qui  signifient 
également  l'Église  fondée  par  Jésus-Christ  et  les  apô- 
tres :  et  vous  avez  dû  vous  demander  le  motif  de  cette 
distinction,  vous,  qui  appelez  tout  naturellement  les 
choses  par  leur  nom,  et  pour  qui  les  mêmes  noms 
ont  toujours  désigné  les  mêmes  choses  :  eh  bien,  la 
raison,  la  voici  en  substance. 

Sans  doute,  qui  dit  catholique  dit  chrétien,  dit  en- 
fant de  l'Eglise,  c'est  la  réponse  à  la  première  ques- 
tion du  catéchisme.  Un  chrétien  est  celui  qui,  étant 
baptisé,  croit  et  professe  la  doctrine  de  Jésus-Christ; 
mais  si  les  catholiques  sont  chrétiens,  tous  ceux  qui 
se  disent  chrétiens  ne  sont  pas  catholiques,  car  il  y 
en  a  qui  vont  jusqu'à  nier  la  divinité  de  Jésus- 
Christ. 

Or,  vous  savez  tous,  mes  frères,  comment  cette 
distinction  s'est  établie  :  elle  date  du  jour  où  il  y 
eût  dans  la  grande  famille  chrétienne  des  schismes 
et  des  hérésies  ;  l'Église,  qui  avait  porté  jusqu'alors 
le  titre  de  chréti^aie,  du  nom  de  Jésus-Christ  son 


oc  l'on  NE  DOttT  PAS.  297 

fondateur,  s'appela  désormais  l'Eglise  catholique, 
pour  ne  pas  être  confondue  avec  les  sociétés  héré- 
tiques et  les  églises  particulières  qui  l'avaient  reniée 
en  se  séparant  d'elle,  et  qui  continuaient  de  s'appe- 
ler chrétiennes,  parce  qu'elles  avaient  conservé  quel- 
ques lambeaux  de  vérité  ;  mais  il  est  facile  de  voir 
quelles  n'ont  de  chrétien  que  le  nom  ;  il  n'y  a  qu'un 
seul  moyen  d'être  chrétien,  c'est  d'être  catholique, 
et  d'appartenir,  non-seulement  par  la  sympathie  et 
les  croyances,  mais  encore  par  la  pratique  ouverte 
et  publique  de  la  foi,  à  ce  «  gouvernement  spirituel, 
«  à  cette  monarchie  religieuse  et  spirituelle  qui  fait 
«  de  tous  les  chrétiens  dispersés  une  société,  une 
«  église,  un  corps,  que  l'on  appelle  TÉglise  catho- 
«  lique.  C'est  à  Jésus-Christ  lui-même  qui  a  institué 
«  dans  cette  Eglise  la  Papauté  ;  autour  de  la  Papauté 
*t  l'Épiscopat,  et,  comme  auxiliaire  de  TÈpiscopat, 
«*  le  sacerdoce  chrétien...  Le  Pape,  successeur  de 
**  Pierre,  est  de  droit  divin  Souverain  Pontife  de  la 
«  religion  chrétienne,  pasteur  de  tous  les  évêques 
«  et  de  tous  les  fidèles,  juge  suprême  de  toutes  les 
«  questions  religieuses,  et  docteur  de  la  vraie 
«  foi  *...  » 

C'est  surtout  contre  le  protestantisme,  que  l'Église 
est  forte  de  son  glorieux  titre  de  catholique  ainsi  que 
des  autres  caractères  qui  démontrent  sa  divinité. 
Les  protestants,  en  effet,  tout  protestants  qu'ils  sont, 
se  proclament  chrétiens  avec  une  persistance  et  une 
obstination  qui  feraient  douter,  sinon  de  leur  bon  sens, 

Mgr  de  Ségur, 


£98  PETITS  SERMONS 

au  moins  de  leur  bonne  foi...  —  Oui,  de  leur  bonne 
foi  !  Croyez- vous,  mes  frères,  que  ces  pauvres  éga- 
rés puissent  se  faire  illusion  au  point  de  ne  pas  voir 
que  leur  prétendue  religion  pèche  par  la  base,  et  n'a 
aucun  des  caractères  qui  distinguent  la  religion  de 
Jésus  Christ  ?  Croyez- vous  qu'ils  ne  sentent  pas  que 
leur  religion  n'est  ni  une  ni  apostolique,  ni  catholique, 
ni  sainte  ? 

Pour  l'unité,  je  crois  qu'on  nous  l'abandonne,  et 
pour  cause  :  aucun  protestant,  du  moins  que  je  sa- 
cje,  n'a  jusqu'ici  eu  l'aplomb  de  nier  l'effrayante 
fécondité  de  livrée  semée  par  Luther  et  Calvin  dans 
le  champ  du  Père  de  famille.  «  Depuis  trois  cents 
«  ans,  a  dit  encore  Mgr  de  Ségur,  dans  ses  piquantes 
«  Causeries  sur  le  'protestantisme,  depuis  trois  cents 
«  ans  que  la  révolution  protestante  a  éclaté,  elle  a 
«  suivi ,  probablement  par  esprit  de  contradiction 
«  pour  l'unité  romaine,  une  voie  absolument  oppo- 
«  sée...  Ce  serait  une  chose  matériellement  impos- 
*  sible  de  donner  le  chiffre  exact  des  sectes  protes- 
«  tantes  ;  la  statistique  d'hier  ne  serait  plus  vraie 
«  aujourd'hui  ;  elles  naissent  et  meurent  comme  des 
«  mouches.  »  —  Aussi,  mes  frères,  jamais  hérésie 
n'avait  été  mieux  nommée  :  dans  cette  Babel  de 
doctrines  ou  plutôt  de  négations,  dans  ce  tohu-bohu 
de  croyances  qui  'protestent  contre  l'Église,  le  minis- 
tre proteste  contre  son  confrère,  le  fidèle  proies  te 
contre  son  voisin  ;  autant  de  religions  que  de  sectes, 
autant  de  sectes  que  de  têtes,  et,  dans  chacune  de 
ces  têtes  autant  de  croyances  que  de  caprices... 
«  Hélas  !  disait  en  gémissant  un  de  leurs  plus  ar- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  290 

«  dents  zélateurs,  depuis  le  lendemain  delà  réforme, 
«  il  y  a  des  protestants,  mais  il  n'y  a  plus  de  pro- 
«  testantisme  ',  » 

Voilà  pour  Y  unité  de  la  réforme,  mes  frères,  en 
est-il  ainsi  de  Y  apostolicitê  ?  Certes,  la  réponse  à 
cette  question  sera  facile  à  quiconque  se  rappelle 
que  le  protestantisme  ne  date  guère  que  de  trois 
siècles  et  demi.  Soyons  juste  pourtant  :  quand  les 
enfants  de  Luther  et  de  Calvin  fouillent  dans  le  passé 
pour  y  découvrir  leurs  titres  de  noblesse,  ils  se  re- 
connaissent sans  doute  un  peu  dans  les  gnostiques 
et  les  anciens  manichéens  ;  beaucoup  dans  les  Albi- 
geois, les  iconoclastes  ou  briseurs  d'images,  dans  les 
hérésiarques  et  les  hérétiques  les  plus  scandaleux 
de  l'histoire  ;  sans  doute  ils  peuvent  remonter  plus 
haut  qu'à  Martin  Luther  et  à  Jean  Calvin,  et  appeler 
ces  vieux  protestants  leurs  pères  dans  la  foi,  ou  plutôt 
dans  la  négation,  car  à  l'un,  la  réforme  a  pris  un 
marteau  pour  démolir,  à  l'autre,  un  argument,  un 
blasphème  pour  insulter,  à  tous  un  lambeau  rouge 
ou  gris  pour  en  fabriquer  sa  vieille  défroque  ;  mais 
ils  se  garderont  certes  de  revendiquer  les  apôtres 
pour  leurs  pères,  et  de  se  dire  descendants  d'eux... 
au  moins  autrement  que  le  démon  ne  descend  de 
Dieu.  \ 

Il  y  avait  même  entre  les  apôtres  du  Sauveur  et 
les  deux  bons  apôtres  qui  ont  fondé  le  protestantisme  ' . 
cette  différence  capitale,  que  les  derniers  ont  eu  sur 
les  premiers  une  incontestable  supériorité  ;  car  en- 

*  Le  pasteur  Vinet. 

1S 


300  PETITS  SERMONS 

fin,  si  les  douze  pauvres  pêcheurs  de  Galilée  avaient 
tout  contre  eux,  Luther  et  Calvin  n'avaient-ils 
pas  pour  eux  des  armes,  de  l'argent,  de  la  fa- 
veur, de  la  science,  une  ardente  parole,  et  des 
passions  plus  ardentes  encore  ;  n'avaient -ils  pas  sur- 
tout la  complicité  du  peuple  et  des  grands, 
dont  ils  flattaient  l'orgueil  et  servaient  les  pas- 
sions? 

Et  maintenant,  mes  frères,  examinons  si  cette  re- 
ligion si  commode,  si  puissamment  appuyée  de 
toutes  manières,  est  devenue  catholique  et  univer- 
selle ;  mais  convenons  avant  tout  d'une  chose,  c'est 
que,  comme  il  y  a  dans  le  protestantisme  à  peu  près 
autant  de  sectes  que  de  ministres,  et  de  croyances 
que  d'individus;  comme  chacun,  en  vertu  du  libre 
examen,  y  explique  la  Bible  à  sa  manière,  admet  ce 
que  bon  lui  semble,  peut  même  au  besoin  rejeter  la 
divinité  de  Jésus-Christ,  et,  par  le  fait,  n'être  plus 
chrétien,  il  est  assez  diiïiciie  d'asseoir  une  statistique 
à  cet  égard  ;  néanmoins  la  réforme,  avec  ses  vieilles 
sectes  et  ses  ramifications  infinies,  est  loin  d'être 
aussi  répandue  qu'aurait  pu  le  faire  supposer  l'ef- 
frayante nomenclature  qu'en  ont  donné  naguère  une 
foule  de  journaux  ;  et  nous  ne  croyons  pas  être  con- 
tredit quand  nous  affirmerons  que  l'hérésie  de  Lu- 
ther et  de  Calvin,  malgré  son  intolérance  originelle^ 
son  ardent  prosélytisme,  ses  sociétés  bibliques,  la 
vie  si  commode  et  si  confortable  de  ses  ministres  et 
les  millions  qui  lui  permettent  d'acheter  les  cons- 
ciences, reste  bien  au  dessous  de  l'Église  romaine  ; 
que  l'Eglise   romaine  est  seule   catholique  cl  açn- 


ou  l'on  ne  dort  pas.  301 

richitde  toutes  les  désertions  qu'on  signale  tous   les 
jours  dans  les  rangs  du  protestantisme. 

Enfin,  mes  frères,  si  le  protestantisme  n'a  ni 
l'unité,  ni  l'apostolicité,  ni  l'universalité  de  l'E- 
glise de  Jésus  Christ,  en  a-t-il  au  moins  la  sain- 
teté ? 

Le  prétendre  serait  mentir  à  la  raison  et  à  l'his- 
toire !  A  la  raison  d'abord  :  Qu'est-ce  en  effet  que  le 
protestantisme,  sinon  la  religion  de  l'orgueil,  de  la 
révolte,  de  l'entêtement  de  la  paresse  :  et  la  foi 
sans  les  œuvres,  un  oreiller  pour  dormir  tranquille 
dans  le  crime?  Dans  cette  religion  commode,  le 
plus  grand  scélérat  devient  innocent  dès  qu'il  peut 
se  dire  :  «  Je  crois...  Je  sais  que  Christ  a  satisfait 
«  pour  moi  !  » 

A  Dieu  ne  plaise  pourtant  que  nous  mettions  ici 
sur  le  même  pied  le  protestantisme  et  les  protes- 
tants. Nous  convenons  qu'en  général,  les  protes- 
tants valent  mieux  que  leur  religion,  et  que,  s'ils 
vivent  bien,  ce  n'est  pas  à  cause,  mais  en  dépit  d'elle; 
aussi  n'est-ce  pas  aux  protestants  individuellement 
que  nous  refusons  la  vertu  et  même  la  sainteté,  si 
vous  y  tenez,  pourvu,  cependant,  qu'ils  soient 
dans  la  bonne  foi.  Nous  soutenons  seulement 
que  le  protestantisme  ne  vaut  rien  pour  faire  des 
saints,  et  que  les  saints  de  la  réforme,  s'il  y  en  a, 
doivent  nécessairement  aller  contre  leurs  principes; 
personne  d'entre  vc-us  p'içnore,  chrétiens,  que 
l'abus  des  saintes  Ecriture  et  leur  interpréta- 
tion arbitraire  ont  de  tout  temps  favorisé  les  plus 
grands  désordres,  car  chacun  peut  lire  dans  la  Bible 


302  PETITS  SEUMONS 

ce  que  son  caprice  ou  sa  passion  lui  a  tout  d'abord 
fait  lire  dans  son  cœur. 

Du  reste,  mes  frères,  s'il  faut  juger  de  la  sainteté 
de  la  Réforme  par  celle  de  ses  plus  ardents  apôtres, 
il  nous  suffira  de  nommer  Henri  VIII  et  Carlostadt, 
avec  leur  cynisme  impie  :  Elisabeth  et  Crammer 
avec  leur  férocité  :  Luther  et  son  hideux  langage, 
que  son  historien  n'osait  traduire,  de  peur  de  la 
police  correctionnelle  ;  Calvin,  l'orgueilleux  sectaire, 
cette  grande  peste,  suivant  l'expression  d'Erasme, 
qui  avait  besoin  de.  haïr  comme  notre  Vincent  de 
Paul  d  aimer,  et  dont  le  fanatisme  sauvage  a  fait 
dire  à  un  écrivain  anglais  :  Il  fallait  du  sang  à  cette 
âme  de  boue ,  et  inspiré  ce  proverbe  genevois  : 
t  Mieux  vaut  V enfer  avec  Bèze  que  le  paradis  avec 
Calvin  !  » 

Voilà  les  saints  de  l'Église  protestante,  j'entends 
ceux  qui  lui  ont  servi  de  fondement  :  Avouez,  mes 
frères,  que  si  ce  sont  là  des  chrétiens,  ce  sont  tout 
au  plus  des  chrétiens  de  contrebande. 

Et  maintenant,  jugez  de  l'arbre  par  ses  fruits,  ou 
plutôt,  comprenez  la  valeur  et  la  sainteté  d'une  reli- 
gion que  de  pareils  apôtres  ont  fondée  ! 

Non,  non,  l'histoire  est  là  qui  parle  aussi  haut  que 
la  raison,  et  les  plus  sourds  doivent  l'entendre  :  on 
j  ne  saurait  être  chrétien  sans  être  catholique.  Celui 
qui  se  détache  de  Rome,  de  quelque  nom  qu'il  se 
'  décore  ,  s'excommunie ,  il  se  retranche  lui-même 
de  l'Eglise  fondée  par  Jésus-Christ,  et  hors  de  la- 
quelle il  n'y  a  point  de  salut  :  on  peut  alors  être 
luthérien  ?  calviniste  ,   mabométan ,  mormon  ,  libre- 


OU  L'ON  NE  DOÎIT  PAS.  303 

penseur   ou  bien  simple  honnête  homme,  mais  on 
n'est  pas,   on  ne   peut  pas  se  dire  chrétien.  Si  l'on 
continue   à  se   donner  le  titre  de   protestant,  c'est 
qu'on  proteste  à  la  manière  de  Bayle. 
Un  grand  personnage  lui  demandait  un  jour  ; 

—  Vous  êtes  protestant,  monsieur  Bayle,  mais  à 
quelle  secte  appartenez-vous?  Êtes-vous  luthérien, 
calviniste,  ztfinglien,  anabaptiste? 

—  Je  ne  suis  rien  de  tout  cela,  répondit  impudem- 
ment ce  protestant  trop  logique  :  Je  suis  protestant, 
c'est  à-dire  que  je  proteste...  contre  toute  espèce  de 
religion  1 

Ce  qui  signifie  en  bon  français,  que  le  sceptique 
protestait  contre  la  raison  et  le  bon  sens  du  genre 
humain! 

Oh  !  bénissons  le  Seigneur,  mes  frères  !  que  toute 
notre  vie  soit  consacrée  à  le  chanter,  à  le  chérir 
pour  les  bienfaits  sans  nombre  que  nous  avons  reçus 
de  sa  bonté  souveraine,  mais  surtout  de  ce  qu'il 
nous  a  fait  naître  au  sein  de  la  véritable  Eglise  !  De 
toutes  ses  faveurs  c'est  la  plus  grande  et  la  plus  pré- 
cieuse, car  en  nous  faisant  chrétiens  et  catholiques, 
il  nous  a  placés  comme  sur  le  vestibule  du  paradis  ; 
pour  y  entrer,  nous  n'avons  qu'à  vouloir,  et  à  ne 
pas  nous  rendre  indignes  des  grâces  que  le  Seigneur 
prodigue  à  tous  les  membres  de  la  société  sainte 
que  son  divin  Fils  a  fondée. 

Oh  !  oui,  nous  serons  les  fidèles  enfants  de  l'Eglise: 
nous  écouterons  cette  bonne  mère  :  heureux  et  fiers 
de  notre  titre  de  catholiques  nous  obéirons  rigoureu- 
sement h  i£s  lois  !  noup  aimerons  %$%  touchantes 


304  PETITS  SERMONS 

fêtes,  la  pompe  de  ses  cérémonies  ;  nous  mêlerons 
avec  transport  notre  voix  à  ses  chants  sacrés,  à  ses 
tendres  prières,  et,  après  nous  être  unis  de  cœur  et 
d'âme  à  cette  Eglise  militante  sur  la  terre,  nous  se- 
rons un  jour  associés  à  sa  gloire  et  à  ses  triomphes 
dans  le  ciel  !  Ainsi  soit-ill 


f  IN  DU  PREMIER  V0LUM8. 


TABLE 


DU  PREMIER  VOLUME, 


Pagei 

Au  lecteur.  —  Sur  l'utilité  de  cet  ouvrage      •    .    •    •  i 
Avant  propos.  —Qui  n'est  pas  tout  à  fait  un  prône  mais 

où  la  morale  commence.    .    .    .    • y 

Ier  Sermon.  —Nécessité  d'étudier  la  religion.    .    .  1 
IIe      —          Où,  comment  et  dans  quel  but  faut-il 

étudier  la  religion S 

III*      —          Réponse  à  quelques  objections.    .    .  16 

IVe      —          Suite  des  objections 22 

V*       —          Sur  laFoi 30 

VI*      —          Existence  de  Dieu.  —  La  création.  42 
VII*      —                        —                     Beauté     de 

l'univers 52 

VIII*      —  Existence  de  Dieu.  —  Nécessité  d'un 

premier  être .........  C2 

IX*      —  Existence  de  Dieu.  —  L'homme,  son 

origine , 74 

X*      —          L'homme,  sa  nature    *•«•••  87 

XI»      —                —         sens  intime.    .....  97 

XIIe      —          Consentement  des  peuples  ....  106 

XIII*      —          Réponse  à  quelques  objections    .    .  117 

XIV       —          Suite  des  objections 125 

XV*      —  Immortalilé  de  l'âme.  —  Sa  nature  et 

ses  sentiments 133 

XVI*      —          Immortalité  de    l'âme.  —  Nos  ou- 
vrages, nos  désirs 145 

XVII*      —         Immortalité  de  l'âme.   —   Foi   du 

genre  humain    ...    e    ....  154 


306 


XVIII*  — 

XIXe  — 

XXe  - 

XXI"  - 

XXII»  - 

XXI 11°  - 

XXIVe  - 

XXV»  — 

XXVIe  - 

XXVIIe  - 

XXVIIIe  — 

XXIX«  - 


TABLE. 

Pages. 

Immortalité  de  l'âme.  —  La  cous 

cience  et  Tordre  moral 164 

Immortalité  de  l'âme.  —  Réponse  à 

quelques  objections 176 

Religion.  — •  Sa  nécessité  par  rapport 

à  Dieu 187 

Religion.  —  Sa  nécessité  par  rapport 

àj'homme 197 

Religion.  —  Toutes  les  religions  sont- 
bonnes  206 

Religion.   —    Y  a-t-il  une  religion 

révélée 214 

Religion    —  Réponse    à    quelques 

objections 226 

Religion.  -  Suite  des  objections  .  .  239 
Divinité  du  Christianisme.  —Ancien 

Testament 253 

Divinité  du  Christianisme.— Nouveau 

Testament 265 

Divinité  du  Christianisme.  —  Son 

établissement  dans  le  monde.  .  .  276 
Divinité  de  l'Église  catholique.    .    .   288 


f#IN   DE  LA  TABLE  DU  PREMIER  VOLUMB. 


La  Rlbtloth&ciuuL 
Université  d'Ottawa 
Echéance 


Tkd  Llbncoiy 
Uni  vers ity  of  Ottawa 
Date  Due 


i 


a  3900  3  0002  *.'*»  151b 


,  y  9J.9J  OTTAWA 


COU  ROW  MODULE  SHELF  BOX  POS   C 
333    02      03       05      01    05    1 


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