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PHILOLOGIE
ET
LINGUISTIQUE
PHILOLOGIE
ET
LINGUISTIQUE
MÉLANGES OFFERTS
A
LOUIS HAVET
PAR SES ANCIENS ÉLÈVES ET SES AMIS
A Voccasion du 60" Anniversaire de sa Naissance
le 6 Janvier igog.
yV. 0^
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+ 1
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C"
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1909
Droit» de traduction et da reproduction réservés.
2.4»
H 38
LISTE DES SOUSCRIPTEURS
AuDOLLENT (Aug.), professeuF à l'Université de Ciermont-Ferrand.
AuDOUiN (E.), professeur à l'Université de Poitiers.
Barbelenet (D.), professeur au Lycée de Rouen.
Bédier (J.), professeur au Collège de France.
Bellanger, professeur au Lycée d'Auch.
Bonnet (Max), correspondant de l'Institut, professeur à l'Université de
Montpellier.
BoRNECQUE (Henri), professeur à l'Université de Lille.
BoYER (P.), administrateur de l'École des langues orientales vivantes.
Breton (G.), docteur es lettres.
Gagnât (R.), de l'Institut, professeur au Gollège de France.
Gartault (A.), professeur à l'Université de Paris.
Ghatelain (E.), de l'Institut, conservateur de la Bibliothèque de l'Uni-
versité.
Gha vannes (E.), de l'Institut, professeur au Gollège de France.
Gumont (Franz), professeur à l'Université de Gand.
GuNY (A.), maître de conférences à l'Université de Bordeaux.
Delaruelle (L.), maître de conférences à l'Université de Toulouse.
Derenbourg (Hartwig feu), de l'Institut.
Durand (René), chargé de cours à l'Université de Paris.
Dottin (G.), professeur à l'Université de Bennes.
Emmanuel (Maurice), docteur es lettres.
Ernout (A.), docteur es lettres, professeur au Lycée de Troyes.
Fossey (G.), professeur au Gollège de France.
Gaffiot (F.), docteur es lettres, professeur au Lycée de Glermont-Fcrrand.
Gasg-Desfossés, professeur au Lycée d'Évreux.
Gilles (P.), professeur au Lycée de Beauvais.
Grammont (M.), professeur à l'Université de Montpellier.
Haussoullier (B.), de l'Institut, directeur d'études à l'École des Hautes
Études.
HoLLEAUX (M.), directeur de l'École française d'Athènes.
Jacob (A.), directeur d'études à l'École des Hautes Études.
JuLLiAN (C), correspondant de l'Institut, professeur au Collège de France.
Lacôte (F.), professeur au Lycée de Montluçon.
Lebègue (H.), chef des travaux paléographiques à l'École des Hautes
Études.
Le Breton (Paul), chef de bureau de la Compagnie «Le Secours ».
Lefranc (Abel), professeur au Collège de France.
Lejay (P.), professeur à l'Institut catholique de Paris.
Lévi (S.), professeur au Collège de France.
LoTH (J.), doyen de la Faculté des lettres de Rennes.
Loubat (duc de), associé étranger de l'Institut.
Macé (A.), professeur à l'Université de Rennes.
Marouzeau (J.), agrégé de l'Université.
Meillet (A.), professeur au Collège de France.
Mellon (Paul).
Meylan-Faure (H.), professeur à l'Université de Lausanne.
Michel (Ch.), professeur à l'Université de Liège.
MoNOD (G.), de l'Institut, professeur au Collège de France.
Morel-Fatio, professeur au Collège de France.
Monceaux (P.), professeur au Collège de France.
NoLHAC (P. de), conservateur du Musée de Versailles.
Nougaret (F.), professeur au Collège de Perpignan.
Parmentier (L.), professeur à l'Université de Liège.
Passy (P.), directeur d'études adjoint à l'École des Hautes Études.
PiCHON (R.), professeur au Lycée Henri IV.
Plessis (Fr.), professeur à l'Université dd Paris.
Psighari (J.), professeur à l'École des langues orientales.
Ramain (G.), maître de conférences à l'Université de Lyon.
Rebeillé, professeur au Lycée de Douai.
REiNACH(Th.), docteur es lettres, député de la Savoie.
Robert (Florian), professeur au gymnase de Morges (Vaud).
Saussure (Ferdinand de), professeur à l'Université de Genève.
Serruys (D.), directeur d'études adjoint à l'École des Hautes Études.
Tailliart, professeur au Lycée d'Alger.
Thomas (A.), de l'Institut, professeur à l'Université de Paris.
Thomas (P.), professeur à l'Université de Gand.
Vandaele (H.), professeur à l'Université de Besançon.
Vendryes (J.), chargé de cours à l'Université de Paris.
Ville de Mirmont (H. de la), professeur à l'Université de Bordeaux.
E. AUDOUIN
DE LA COMPOSITION MÉTRIQUE
DES CANTICA DE PLAUTE
DE LA COMPOSITION METRIQUE
DES CANTICA DE PLAUTE
Par E. AuDouiN.
La composition métrique des cantica de Plaute semble,
au premier abord, compliquée et confuse. Cependant on
remarque un certain ordre dans les groupements des mètres
et ces groupements correspondent aux divisions du sens^
Quelques cantica se divisent, à la fois d'après le sens et
d'après le mètre, en deux parties, d'autres — et c'est le plus
grand nombre — en trois parties, d'autres en quatre, très
peu en cinq-.
A . — Cantica divisés en deux parties.
1. Amph. 5H-584. — I -574 série de tétr. bacch. termi-
née par un parœmiaque. — II troch.
2. Asin. 127-138. — I -133 crét. an. — II crét. troch.
1. Cf. F. Léo, Die Plautinischen Cantica und die hellenistiche Lyrik,
p. 83 et suiv.
2. Nous laissons de côté les cantica qui offrent d'un bout à l'autre le
même mètre (comme Aul. 415-446, 713-726, Cist. 203-228, Mil 1041-
1093, Most. 783-803, Pcrsa 168-182, Pseud. 595-603, Trin. 820-842,
1115-1119) et ceux qui présentent trop de lacunes (comme Cas. 855-874).
4 AUDOUIN
3. Bacch. 612-639. — 1-624 monologue subdivisé en trois
périodes: a) -616 troch. an.; b) -619 an. iamb. bacch.;
c) troch. crét. — II dialogue subdivisé aussi en trois pério-
des; a) -627 an. iamb. ; b) -634 troch. ; c)an.
4. Bacch. 925-978. — 1-952 iamb. — II iamb. alternant
avec des troch.
5. Capt. 516-532. — I -524 iamb. — II iamb. alternant
avec des troch.
6. Capt. 781-790. — I -787 iamb. entre deux groupes
symétriques de tétr. bacch. — II tétr. bacch. entre deux
vers formés d'un dim. bacch. et d'un reizianum.
7. Epid. 320-336. — I -328 crét. iamb. troch. — II troch.
crét. iamb.
8. Most. 690-746. — I -71 7 monologue de Simon avec apar-
tés de Tranion, subdivisé en trois périodes, toutes les trois
en crét. troch. — II Dialogue subdivisé aussi en trois pério-
des : a) -728 crét. troch. iamb. ; b) -737 crét. troch. ;
c) crét. troch. iamb.
9. Rud. 664-681. — I -675 crét. troch. bacch. iamb. —
II iamb. crét. troch.
10. Truc. 448-464. — I -453 an. — II bacch.
Dans deux de ces cantica (1 et 10), dont la composition
est des plus simples, les deux parties que comprend chacun
d'eux offrent un mètre différent. Dans les huit autres, elles
ont un ou plusieurs éléments communs: 2 crét., 3 troch.
an. iamb., 4 et 5 iamb., 6 bacch. iamb., 7 et 9 crét. troch.
iamb., 8 crét. troch. Cette analogie plus ou moins grande
entre les deux moitiés contribue à donner de l'unité à
l'ensemble.
Mais la ressemblance n'est jamais complète : quand le
mètre dominant est le même, la clausule diffère (2); quand
les mêmes éléments sont associés (6, 7), ils sont groupés de
manières diverses; le plus souvent (3, 4, 5, 8, 9), il se joint
GANTICA DE PLAUTE 5
aux éléments semblables quelques éléments différents qui
introduisent de la variété et marquent l'opposition entre les
deux parties.
On remarque ordinairement une certaine symétrie dans
la manière dont ces éléments divers sont groupés, en parti-
culier Capt. 781-790 (6): les deux parties ont une forme
mésodique ; dans la première, c'est l'élément iambique qui
occupe le milieu (schéma a b à); dans la seconde c'est l'élé-
ment purement bacchiaque qui est encadré entre deux vers
bacch. iamb. (schéma b a b). Most. 690-746 (8), si l'on
désigne par a les périodes en crét. troch. et par 6 celles qui
comprennent en outre un élément iamb. à la fin, le schéma
est a a a — bab\ si, d'autre part, pour analyser de plus
près la composition de la première partie, on désigne par a
les vers formés d'un dim. crét. et d'une trip. troch. cat.,
par 6 ceux dans lesquels un dim. crét. est suivi du côlon
-^^^-, par c les tétr. crét., par d les vers troch., on obtient
le schéma suivant pour les trois périodes del: a b a b a —
b a d b a — a c a c a.
B. — Cantica divisés en trois parties.
1. Amph. 159-179. — I -165 an. alternant avec des troch.,
puis iamb. bacch. an. — 11-175 an. iamb. bacch. — III bacch.
alternant avec des an.
2. Amph. 219-247. — 1-222 crét. troch. — II -237 deux
groupes de tétr. crét. précédés chacun d'un dim. crét. joint
à un dim. troch. cat. et suivis d'une dip. troch. — III tétr.
crét. alternant avec un dim. crét. joint à une dip. troch.
La troisième partie est terminée, comme la seconde, par une
dip. troch.
3. Amph. 1053-1075. — 1-1060 iamb. — 11-1071 trois
6 AUDOUIN
groupes d'iamb. séparés l'un de l'autre par un an. et des
troch. — III troch. iamb.
4. Bacch. 640-670. — I -648 an. troch. crét. — II -661 crét.
troch. iamb. — III crét. troch. iamb. an.
5. Bacch. 978-996. —1-986 troch. — II -990 iamb. troc.
— III troch. iamb.
6. Bacch. 1076-1116. — I -1086 an. — II -1103 an. — III
an. crét.
7. Bacch. 1120-1206. —1-1140 16 tétr. bacch. entre deux
groupes symétriques de bacch. alternant avec des dim. iamb.
cat. — II -1148 troch. — III an.
8. Capt. 195-241.— I a) -200 iamb. ; b)-202 troch. iamb.
— II a) -209 iamb. alternant avec des crét., puis crét. an. ;
b) -217 crét. troch. an. iamb. crét. — III a) -230 5 crét. sui-
vis d'iamb. et de bacch. ; b) -239 5 crét. précédés d'an, alter-
nant avec des iamb. ; c) 2 octon. troch. servant de transition
aux sept, troch. qui suivent.
9. Capt. 498-513. — I -504 an. bacch. troch. — II -508
bacch. iamb. — III an. bacch. iamb.
10. Ca^. 144-164.— 1-146 bacch. —II-160a)crét. troch.;
b) iamb. bacch. ; c) crét. troch. an. — III an.
11. Cas. 165-216. — I -183 a) an. crét. troch. ; b) an.
iamb. — 11-202 a) bacch. crét. ; b) troch. crét. — III a) an. ;
b) crét.
12. Cas. 217-251. — 1-228 an. — 11-238 iamb. crét. iamb.
an. — III an. troch. iamb.
13. Cas. 621-719. — I -629 crét. troch. an. — II a) -640
troch. an. iamb. ; b) -645 crét. an. — III a) -659 an. bacch.;
b) -674 an. et série de bacch. entre deux groupes symétri-
ques de dim. bacch. joints à un reizianum ; c) -703 bacch.
troch. bacch. reizianus ; d) bacch. troch. iamb. an.
14. Cas. 815-846. — I -824 chant d'hyménée, an. alter-
nant avec un ithyphallique. — II a) -828 iamb. bacch. ; b)
GANTIGA DE PLAUTE 7
-836 distique semblable à ceux du chant d'hyménée, puis
bacch. alternant avec desdim. iamb. cat. — Illbacch. iamb.,
bacch. an. iamb.
15. Cas. 875-893. — 1-878 an. — 11-886 an. crét. — III
an. crét. an.
16. Cas. 937-962. — 1-942 an. troch. — 11-950 an. crét.
- III an. troch.
17. Cist. 1-37. — I -13 a) bacch. an. troch. ; b) an. alter-
nant avec des bacch. — II a) -19 troch. ; b) -24 bacch. alter-
nant avec des troch. — III a) -32 an. iamb. bacch. troch. ;
b) troch. bacch. an. bacch.
18. Cist. 671-703. — I -677 bacch. encadrés entre deux
groupes d'an. — II a) -687 an. bacch. ; b) -694 an. crét.
troch. bacch. — III iamb. an.
19. Cure. 96-157. — I Monologue de Leaena, subdivisé
en trois périodes : a) -98 dactyl. an. ; b)-104 iamb. crét.
dact. ; c) -109 crét. — II Dialogue entre Leaena, Palinurus,
Phaedromus, subdivisé en trois périodes : a) -121 iamb. troch.
crét. bacch. ; b) -133 dact. an. iamb. an. ; c) -139 crét. an.
crét. an. — ■ III Dialogue entre Palinurus et Phaedromus,
subdivisé en trois périodes : a) -146 an. ; b) -154 crét. ;
c) an.
20. Epid. 1-80. — 1-24 troch. iamb. — II -60 iamb. troch.
— III iamb. troch.
21. Epid. 81-103. — I -90 4 septén. troch. et 3 distiques
formés d'un dim. crét. et d'un septén. troch. — II -95 dim.
troch. cat., septén. troch. et 2 distiques semblables à ceux
de I. — III 2 distiques formés le premier d'un dim. crét. et
de 2 dim. troch. cat., le second d'un dim. crét. et d'un
septén. troch., enfin 4 septén. troch. correspondant à ceux
par lesquels commence I.
22. Epid. 166-189. — 1-172 troch. crét. an. —11-180 crét.
iamb. — III iamb.
8 AUDOUIN
23. Epid. 526-547. — I -532 troch. crét. bacch. iamb. — 1
II -537 iamb. troch. — III crét. an. troch.
24. Men. 110-134. — I -118 an. crét. — II -125 troch.
iamb. — III troch. iamb.
25. Men. 351-368. — I -355 an. iamb. — II -360 troch.
crét. an. — III an.
26. Men. 571-603. — 1-585 a) -579 bacch. ; b)crét. bacch.
iamb. troch. — II -595 a) -589 an. ; b) troch. — III a) -601
iamb. ; b) an.
27. Men. 753-774. — 1-760 bacch. iamb. — II -763 bacch.
iamb. crét. troch. an. — III bacch. iamb.
28. Men. 966-985. — I -971 bacch. — II -976 deux grou-
pes de bacch. encadrant un septén. troch. — III iamb. troch. ,
iamb. an., iamb. an. troch.
29. Merc. 111-140. — 1-119 iamb. troch. — 11-131 iamb.
troch. — III iamb.
30. Merc. 335-363. — I -340 bacch. an. — II -356 bacch.
encadrés entre 2 troch. — III bacch. alternant avec des
troch.
31. Most. 312-347. — I -319 deux groupes symétriques de
bacch. séparés par 2 trip. troch. cat. et suivis d'un trim.
bacch. — II -335 a) -323 crét. an. ; b) -330 crét. troch. rei-
zianus; c) an. — III crét. troch. iamb.
32. Most. 885-903. — 1-889 troch. an. — II -896 bacch.
iamb. an. — IIÏ troch. iamb. an.
33. Persa. 1-52. — I -12 iamb. — II -32 a) -18 troch. crét. ;
b) -25 iamb. ; c) troch. — III a) -38 iamb. troch. ; b) -42
troch. ; c) iamb.
34. Persa. 183 203. — I -191 troch. septén. — II -197
troch. octon. septén. et dim. cat. — III troch. sept, et
octon.
35. Persa. 470-500. — I -479 troch. — II -490 troch.
iamb. an, — III an.
C A NTIC A DE PLAUTE 9
36. Persa. 7o3-777. — I -762 an. crét. an. — II -769 an.
III an. iamb. an.
37. Pœn. 210-260. — I -232 série de bacch. terminée par
un octon. troch. — 11-249 a) -239 bacch. an. iamb. ; b)-247
an. bacch. iamb. ; c) bacch. — III bacch. an.
38. Pœn. 1174-1200. — I -1186 an. — II -1191 an. — III
iamb. an.
39. Pseud. 90o-9o0. — I -918 a) -912 an. ; b) an. troch.
iamb. an. — 11-935 a) -922 iamb. crét. iamb. ; b)-931 iamb.
crét. an. ; c) crét. an. — III an.
40. P5eurf.ll03-113o.— 1-1123 a)-1110an. bacch. troch.
crét. an. ; b) -lllS crét. an. troch. ; c) crét. an. crét.
troch. — II -1130 troch. bacch. — III an. iamb. troch.
41. Pseud. 1246-1284. — I -1258 bacch. crét. an. iamb.
— II -1269 troch. an. bacch. — III bacch. ioniques crét.
troch.
42. Pseud. 1285-1335. — I -1314 a) -1295 crét. troch.
iamb. an. ; b) crét. troch. iamb. an. — II -1329 an. — III crét.
bacch.
43. Rud. 220-257. — 1-228 an. — II -252 troch. crét. —
III crét. iamb. troch.
44. Rud. 258-289. — I -265 bacch. crét. iamb. — II crét.
bacch. — III bacch. iamb.
45. Rud. 906-937. — I -918 bacch. alternant avec des an.
11-924 an. encadrés entre un iamb. et des troch. — III an.
46. Rud. 938-962. — I -943 iamb. — II -953 crét. iamb.
troch. an. — III an.
47. Stich. 1-47. — I -9 an. iamb. — 11-19 an. — III an.
48. Stich. 274-329. —1-314 troch. iamb. — II -325 an. —
III an.
49. Trin. 223-275. — I -236 a) -232 bacch. ; b) iamb. an.
II -256 a) -241 an. troch. iamb. ; b) an. troch. iamb. — III
a) -260 an. iamb. ; b) an.
10 AUDOUIN
50. Trin. 276-300. — I -286 a) -278 an. ; b) crét. iamb.
— II -292 an. — III crét. tétr. cat. alternant trois fois avec
des an.
51. Truc. 95-129. — I -112 a) -98 an.; b) an. iamb. —
11 -114 an. — III a) -123 an. troch. crét. ; b) an. iamb.
52. Truc. 577-630. — I -602 a) -587 troch. iamb. crét. ;
b) crét. alternant avec des troch. — II -618 an. — III crét.
entre deux séries de troch.
53. Truc. 711-728. — 1-718 an. bacch. — II -722 iamb.
bacch. — III crét. troch. iamb.
Dans 39 cantica sur 53, les trois parties ont un ou plusieurs
éléments communs : 1 (an. bacch.), 2 (crét. troch.), 3 (iamb.),
4 (troch. crét.), 5 (troch.), 6 (an.), 8 (iamb. troch.), 9
(bacch.), 11 (crét.), 12 (an.), 13 (troch. an.), 15 (an.), 16
(an.), 17 (bacch. troch.), 18 (an.), 19 (an. crét.), 20 (troch.
iamb.), 21 (troch. crét.), 23 (troch.), 25 (an.), 27 (bacch.
iamb.), 29 (iamb.), 30 (bacch.), 31 (troch.), 32 (an.), 33
(iamb.), 34 (troch.), 36 (an.), 37 (bacch.), 38 (an.), 39
(an.), 40 (troch.), 41 (bacch.), 44 (bacch.), 45 (an.), 47 (an),
49 (an., iamb.), 50 (an.), 51 (an.).
Dans 13 autres cantica, un ou plusieurs éléments sont
communs à deux parties : 10 (bacch. dans la l*"^ et la 2% an.
dans la 2** et la 3^), 14 (an. dans la l'^* et la 3% troch. dans
la {'' et la 2% iamb. bacch. dans la 2' et la 3«), 22 (crét. dans
la i'^ et la 2% iamb. dans la 2« et la 3«), 24 (troch. iamb.
dans la 2*" et la 3"), 26 (iamb. dans la 1'* et la 3% troch. dans
la l--^ et la 2% an. dans la2« et la 3«), 28 (bacch. dans la l-""
et la 2% iamb. troch. dans la 2' et la 3"), 35 (troch. dans la
l'« et la 2% an. dans la 2« et la 3«), 42 (crét. dans la l"-^ et la
3«), 43 (crét. troch. dans la 2^ et la 3«), 46 (iamb. dans la
l--^ et la 2% an. dans la 2« et la 3«), 48 (an. dans la 2« et la
3«), 52 (troch. crét. dans la l'« et la 3^), 53 (bacch. dans la
1" et la 2% iamb. dansla 2« et la 3«).
GANTIGA DE PLAUTE H
Un seul canticum (7) offre des mètres différents dans les
trois parties.
Le plus souvent, deux des parties se correspondent, sans
se ressembler complètement, ou du moins offrent dans leur
composition métrique une certaine analogie. Tantôt ce sont
les deux premières (schéma a a 6: 1, 6, 10, 13, 18, 19, 21,
22, 28, 29, 35, 38, 39, 45, 46, 53); tantôt ce senties deux
dernières (schéma a 6 6 : 2, 3, 5, 8, 12, 14, 15, 20, 24, 26,
30, 31, 33, 34, 37, 40, 43, 47, 48, 49) ; tantôt la troisième
fait pendant à la première (schéma ah a: 4, 9, 11, 16, 17,
23, 25, 27, 32, 35, 36, 41, 42, 44, 50, 51, 52).
C — Cantica divisés en quatre parties.
1. Amph. 633-653. — I -636 bacch. iamb. bacch. —II -641
bacch. iamb. bacch. iamb. bacch. iamb. bacch. — III -647
bacch. iamb. bacch. iamb. — IV bacch. iamb. bacch.
iamb.
2. Aul. 120-160. — 1-134 série de bacch. dont le dernier
est précédé d'un an. — II -142 troch. iamb. — III -152 a)
•145 an. bacch. crét. an. ; b) an. bacch. an. — IV iamb. an.
reiz.
3. Cas. 720-758. — I -729 an. — II -739 a) -732 crét.
troch. an.; b) iamb. an. bacch. — III -749 an. — IV crét.
an.
4. Most. 85-156. — Chaque partie se divise en trois pé-
riodes : I -100 a) -90 bacch. an. bacch. iamb. ; b)-98 bacch.
an. bacch. iamb. ; c) bacch. — II -117 a) -104 bacch. iamb.;
b) -113 crét. iamb. crét. troch. ; c) crét. troch. — III -132
a) -119 iamb. ; b) -128 bacch. an. bacch. iamb. ; c) troch.
iamb. — IV a) -141 crét. troch. ; b) -148 iamb. crét. troch^
iamb. ; c) crét. troch.
12 AUDOUIN
5. Most. 858-884. — I -865 iamb. an. — II -871 iamb.
bacch. — III -878 an. bacch. iamb. — IV crét. troch.
6. Persa. 251-278. — I -256 troch. bacch. iamb. — II -265
troch. — III -271 troch. iamb. — IV troch. iamb.
7. Pseud. 133-264. — I -172 a) 141 an. troch. ; b) -160
troch. iamb. ; c) troch. an. iamb. — II -230 a) -184 troch.
an. ; b) -195 iamb. troch. ; c) -208 troch. iamb. ; d) -224
troch. iamb. ; e) -230 troch. — III -240 an. — IV a) -242 an.;
b) -258 trois groupes symétriques de troch. bacch. ; c) crét.
troch.
8. Pseud. 574-603. — I -575 2 an. — II -583 deux grou-
pes symétriques d'an, et de troch. et 2 an. encadrant 2
bacch. — III deux groupes d'an, et de troch. encadrant un
reizianus. — IV 2 an. M
9. Rud. 185-219. — I -197 a) -169 octon. an. et parœm. entre
deux groupes symétriques de reiz. et de parœm. ; b) bacch.
alternant avec des iamb. — II -203 an. crét. troch. — III
-215 a) -206 bacch. iamb. ; b) tétr. crét. alternant trois fois
avec un dim. crét. joint au côlon -^w^-. — IV crét. an. troch.
an. iamb.
10. Truc. 210-255. — I. -212 iamb. bacch. — II -226 iamb.
— III -245 iamb. troch. iamb. — IV troch. iamb.
Dans sept de ces cantica, les quatre parties ont un ou plu-
sieurs éléments communs: 1 (bacch. iamb.), 3 (an.), 4
(iamb.), 6 (troch.), 7 (an.), 8 (an.), 10 (iamb.). Dans les
trois autres, un élément est commun à trois parties : 2 (an.
dans la 1"^% la 3*^ et la 4®), 5 (iamb. dans les trois premières),
9 (an. dans la 1^% la 2' et la 4").
La symétrie est particulièrement remarquable. Most. 85-
156 (4): les quatre parties se correspondent deux à deux ; le
mètre bacchiaque domine dans I et III, comme les crétiques
et les trochaïques dans II et IV (schéma a b a b). La 3*' par-
tie fait aussi pendant à la 1'% ainsi que la 4° à la 2^ dans 2,
GANTIGA DE PLAUTE 13
3, 9. Le schéma esta ab b dans 1 , a bb a dans S, a b b c dans
5, a b c c dans 6 et 10, a a 6 c dans 7.
D. — Cantica divisés en cinq parties.
1. Persa. 778-856. — I -787 an. — Il -802 an. —III -818
crét. bacch. an. — IV -842 troch. — V an. iamb. troch.
bacch.
Les anapestes, dont sont composées les deux premières
parties, se retrouvent à la fin de la 3^ et au commencement
de la 5^ ; les bacchiaques sont de plus communs à la 3^ et à
la 5®. Le schéma est donc a ab c b.
2. Truc. 551-574.-1-552 bacch.— 11-558 an. bacch. an.
— III -567 troch. an. — IV -571 an. bacch. troch. — V an.
bacch.
Les anapestes sont communs à toutes les parties à l'excep-
tion de la première. Mais ce qui caractérise surtout les deux
premières et les deux dernières, ce sont les bacchiaques
qu'elles renferment. Le schéma est donc a ab a a.
Ainsi, malgré l'absence d'une régularité antistrophique
rigoureuse, on remarque dans la composition des cantica de
Plante, une certaine symétrie, un agencement harmonieux
des mètres.
Max bonnet
MIKRINÈS-EUCLION-HARPAGON
SMIKRINES-EUCLION-HARPAGON
Par Max Bonnet.
On a cent fois comparé l'Aululaire et l'Avare sans relever
entre les deux pièces une différence capitale, c'est que le
principal personnage de l'une, Harpagon, est un avare, et
non celui de l'autre, Euclion. « Tout se passe » du moins
« comme si » rien de tel n'avait été dit. En 1907 comme au
temps du premier Argument, Euclion est le vieil avare, se-
7iex auaruSy « der alte Geizhals* ». Comme le rénovateur de
la critique plautinienne^, un helléniste estimé admirait ré-
cemment encore la merveilleuse unité de ce caractère ; que
dis-je? il exaltait l'art avec lequel toute l'action en serait
déduite 3. Pourtant, on a beaucoup approché de la vérité
quand on a vu que le sujet de l'Aululaire était bien moins
celui de l'Avare de Molière que celui du Savetier et du Fi-
nancier de La Fontaine^. L'Aululaire, en effet, malgré toute
1. Voy. M. Schanz, Gesch. d. rôm. Litt., l, V (4907), p. 74 ; J. Vah-
ien, Sitzungsberichte de l'Académie de Berlin, 1907 (25 juillet), p. 715.
. Ritschl, Opuscula,ll, p. 732.
. J. Geffcken, Studien zu Menander, Hamburg, 1898, p. 6.
4. J. F. La Harpe, Lycée, Paris, 1821, II, p. 114; Plautus, Aulula-
rià, p. p. E. Benoist, p. xi. Rien d'étonnant si ce sujet a tenté un poète
de l'antiquité. La fable de La Fontaine n'est-elle pas contenue en sub-
stance dans cette anecdote conservée par Stobée (Floril. 93, 25) : 'Avaxp^tov
^ Stopsàv rapà noXuxpâxou; Xa6wv tîÉvxc xàXavxa, u)ç eçpovxtaev ÈTc'aùxoîç Suotv
Iotv, à7:£Ocox5v aùxà, e'!;:wv où xitxaaôat aùxà xtjç è;;'aùxoîç cppovx^Ôo; ?
■
18 MAX BONNET
la finesse psychologique qui s'y révèle, n'est nullement une
comédie de caractère. Plaute, ou du moins son devancier
grec, n'a pas voulu étudier le caractère de l'avare sur un
personnage qui n'est pas avare, et qui, étant donné le sujet
de la pièce, ne devait pas l'être. 11 s'est amusé à décrire
l'effet produit sur l'humeur d'un pauvre par la possession
soudaine d'un trésor, et les embarras qu'elle lui cause.
Aussi c'est autour de la marmite, logis de ce trésor, que
tourne toute l'action : sans elle, la pièce n'existerait pas ;
tandis que la cassette d'Harpagon ne remplit qu'un office
très secondaire : sans elle la comédie de Molière subsisterait
tout entière, sauf un petit nombre de scènes amusantes,
mais faciles à remplacer par quelque autre fantaisie. Ce
n'est pas tout. Il y a plus d'un quart de siècle que le mot
décisif : « Euclion n'est pas avare », a été prononcé nette-
ment, clairement^ Il a été crié dans le désert. Mais voici
tout dernièrement que ce cri a été repris par une voix trop
autorisée pour n'être pas entendue-. Le moment est donc
propice pour extirper une très ancienne erreur. Non, Eu-
clion n'est pas avare. Il ne l'est nullement dans 800 vers sur
830 qui nous restent; il ne paraît atteint de ce vice que
i. W. Klingelhoeffer, Plante imité par Molière, etc. Darmstadt, 4873.
Cette brochure ne m'est parvenue qu'à la dernière heure. D'autres décla-
rations semblables m'ont peut-être échappé ; car il m'a été impossible de
voir tout ce qui a été écrit sur le sujet, malgré l'extrême obligeance de
MM. les Bibliothécaires de Montpellier, Paris et Bonn, à laquelle je me
plais à rendre hommage ici.
2. H. Weil, Journal des Savants, 1906, p. 546: «Ménandre n'entendait
donc pas mettre sur la scène un avare... Euclio se comporte comme un
avare, sans l'être néanmoins. » « Euclio », d'après le contexte, paraît être
le personnage de Ménandre. Mais M. Weil, ayant à parler de l'Euclion
de Plaute, n'en aurait-il pas dit autant? Je le pense, et je suis singulière-
ment flatté de cette rencontre. Car à l'époque oîi parut l'article de
M. Weil, mon opinion sur l'Aululaire était faite depuis des années ;
j'avais eu l'occasion de l'exposer à mes élèves et à quelques-uns de mes
collègues j enfin une partie de ce qu'on va lire était écrite.
SMIKRINÊS-EUGLION- HARPAGON 49
dans deux ou trois passages qui ne sont pour rien dans l'ac-
tion et qui vicient le dénouement. C'est ce qu'on va d'abord
montrer par la simple analyse de l'Aululaire. Puis l'on exa-
minera rapidement les conclusions à tirer de ce fait.
I
^■Euclion, devant sa maison, invective sa vieille esclave, la
frappe, et l'oblige à se tenir, le dos tourné, dans la rue,
pour qu'elle ne puisse l'observer pendant qu'il va voir sous
son foyer si l'or qu'il y a trouvé dans une marmite est tou-
jours en place (vers 40 à 66). La première scène nous mon-
tre un homme troublé et rendu nerveux, irritable, méchant,
par la possession d'un trésor. Dans la seconde, la vieille se
creuse la tête pour savoir ce qui a pu arriver à son maître
pour lui donner cette humeur inquiète, qui est donc de
fraîche date (67-73). D'avarice, pas question.
Euclion revient. Il ordonne à sa servante de rentrer et de
faire bonne garde (79-81). « Que garder? » demande-t-elle ;
« il n'y a rien à voler chez nous ; on n'y trouve que des
toiles d'araignée » (81-84). « Ehl bien, je veux qu'on les
garde », répond-il furieux (83-87). C'est un vrai contresens
de voir dans cette réplique une preuve d'avarice. Euclion
ne s'inquiète, en ce moment, ni des toiles d'araignée ni
d'aucun autre objet que peut renfermer sa maison. Il tremble
que Staphyla ne vienne à savoir ce qu'il y a maintenant à
garder, le trésor. Il sait bien qu'il n'y a rien autre qui
puisse tenter les voleurs, non pas, comme Harpagon, parce
qu'il « renferme toutes choses » — il ne « renferme » que sa
marmite — mais parce que vraiment il ne possède rien qui
vaille d'être volé. Il s'empare donc avec une ironie rageuse
de ces « toiles d'araignée », pour signifier à sa servante
20 MAX BONNET
que, quand il lui enjoint de veiller, elle n'a qu'à obéir,
sans se mêler de connaître les motifs de ses ordres.
Euclion avoue qu'il est pauvre (85; 86; 88; 184; 190;
196; 227; 461; 583), il ne le feint pas, comme font les
avares ; l'objection même de Staphyla le prouve, et plu-
sieurs déclarations de son voisin Mégadore le confirment
(171; 173; 206; 227; 247; 248; 423; 479; 603; voir
aussi 349 et 357). S'il recommande de ne laisser entrer per-
sonne sous prétexte d'emprunter de l'eau, du feu (il le fait
éteindre, pour plus de sûreté, 91), ou quelque ustensile
(90-97), ce n'est pas pour ménager son bien, c'est pour ne
pas laisser approcher de son trésor. « Que personne n'entre,
fût-ce la Fortune », voilà la consigne (98-100). De même,
s'il va réclamer sa part dans une distribution d'argent pu-
blique (106-108), ce n'est pas une cupidité sordide qui le
pousse ; c'est la crainte de laisser soupçonner qu'il a chez
lui un magot (109-110). Déjà son imagination montée lui
fait croire qu'on s'en doute, et qu'on est plus aimable envers
lui pour cette raison (111-119).
Euclion jouit dans la ville d'une honorable réputation, ce
qui n'est pas le cas d'Harpagon, à en croire maître Jacques.
Mégadore, en faisant part à sa sœur Eunomia de son projet
de mariage avec la fille d'Euclion, ne prévoit qu'une seule
objection, leur pauvreté (173 ; 174) ; et Eunomia n'en fait
aucune ; pas question du vice dégradant dont il est parlé dans
la suite. « Je le connais », dit-elle ; « c'est, ma foi, un brave
homme » (172). De même quand Mégadore annonce ses
fiançailles à plusieurs amis, aucun ne s'étonne, au contraire ;
« sapienter factum », disent-ils, « et consilio bono^ » (477).
Mais voici Mégadore qui aborde Euclion en le saluant po-
liment. Aussitôt ses soupçons renaissent (184 ; 185). Il en
est obsédé tout le temps de leur entretien (188 ; 194-198 ;
200-202; 216; 240; 265-267). Il n'a pas une pensée de
SMIKRINÈS-EUGLION- HARPAGON 21
reste pour cette bonne aubaine d'une alliance à contracter
avec un gros bourgeois cossu tel que Mégadore (166 ; 184 ;
214 ; 226; 247), qui ne pourrait manquer de réjouir un
avare, même possesseur d'une marmite pleine d'or. Quand
il se plaint de ce que sa fille n'aura pas de dot (191), quand
il en avertit Mégadore par deux fois (238 ; 257 ; 258), ce
n'est pas qu'il veuille faire l'économie d'une dot, c'est que
vraiment il n'est pas à même d'en constituer une. Déjà avant
la demande en mariage, et, par conséquent, avant qu'il
puisse être question de dot, il craint de livrer son secret
(184 ; 185 ; 211). « Eo dico », explique-t-il naïvement, « ne
me thensauros repperisse censeas » (240). Après coup seule-
ment l'idée semble lui venir que Mégadore voudrait s'appro-
prier le trésor sous prétexte de dot (257) ; et c'est alors qu'il
reproche à Staphyla d'avoir répandu le bruit que sa fille en
aurait une (269).
Mais, dira-t-on, pourquoi Euclion ne songe-t-il pas à faire
usage du trésor pour doter sa fille, pourquoi le tient-il ca-
ché? N'est-ce pas là une preuve d'avarice? Nullement. Pas
plus qu'Euclion, le savetier de La Fontaine n'est avare, et
pourtant, tout comme Euclion, « dans la cave il enserre
l'argent, et sa joie à la fois ». Chez l'un comme chez l'au-
tre, cette conduite s'explique par le manque d'habitude de
posséder, par une sorte d'étourdissement que leur cause
leur fortune subite. Ils n'ont jamais rien eu à garder, et
tout à coup ils ont le souci de préserver des accidents et
des voleurs une somme qui leur paraît énorme. Dès lors ce
souci seul les obsède, sans que l'idée leur vienne de jouir
de leur richesse. Une seule fois Euclion y pense, c'est quand
il est trop tard, quand il vient de perdre son trésor (722 et
suiv.). A ce moment il voit clair tout à coup. N'est-ce pas ce
qui arrive à tant d'hommes, quand ils ont perdu leur santé,
leur fortune, ou même un de leurs proches?
22 MAX BONNET
Après les fiançailles, Euclion et Mégadore vont faire leurs
préparatifs de noce chacun de son côté et chacun selon ses
moyens. Mégadore fait de belles provisions et loue plusieurs
cuisiniers, qui se répandent dans les deux maisons (280-
282). Euclion revient bredouille ; il a vu beaucoup de bon-
nes choses, mais si chères 1 et il n'avait pas d'argent, ou pas
assez (371-376). Il s'est donc décidé à faire de nécessité
vertu et à dépenser le moins possible (379-384) ; il n'a
acheté que de l'encens et des fleurs pour le dieu Lare. Ce-
lui-ci, espère- t-il, se laissera fléchir par l'offrande du pauvre
et donnera du bonheur à la mariée (385-387). Voilà qui est
touchant ; cela rappelle les offrandes de la rustica Phidyle
d'Horace. En tout cas, ce n'est pas d'un avare. Un véritable
avare ou aurait acheté si peu que ce fût de plus substantiel,
ou n'aurait rien acheté du tout, comme le [jLixpoXÔYoç de Théo-
phraste : otj^wvwv {jLï]Bàv izpnxihvioq elaeXÔetv*.
Euclion rentre, et trouve chez lui les cuisiniers. Enten-
dant l'un d'eux demander une marmite plus grande, il croit
qu'il s'agit de celle qui renferme son or, et se met à crier au
voleur (388-397), puis chasse tout le monde à coups de bâ-
ton (406-414). Dans une explication qu'il a à ce sujet avec
Congrion (415-448), on voit que sa crainte n'est pas que les
cuisiniers fassent trop de dépense ; il tremble uniquement
que l'on découvre et emporte son trésor (432 ; 437-440).
Une fois sa marmite en sûreté (449 ; 450), on introduira
chez lui tous les étrangers qu'on voudra (451-453). Puis,
ruminant l'incident, il se persuade que Mégadore a envoyé
les cuisiniers pour voler la marmite (460-464) ; et, voyant
son coq gratter la terre, il égorge le malheureux volatile
comme étant leur complice (465-471). Dans tout cela encore,
c'est en vain qu'on cherche Harpagon (celui-ci se fût con-
1. Characteres, iO (McxpoXoy^aç).
SMIKRINÈS - EUGLION - HARPAGON 23
tenté d'éloigner le coq, son coq !) : il n'y a qu'un malheu-
reux sire Grégoire affolé par un souci obsédant.
Le monologue suivant de Mégadore sur les avantages des
mariages entre riches et pauvres (475-535) est particulière-
ment instructif. Euclion est à ses yeux un pauvre (479), et
ce sont les oligarches (486), les riches, que seuls il accuse
d'amour de l'argent, lequel s'allie chez eux au luxe et à la
prodigalité (486 ; 487). Euclion écoute avec un vif plaisir ce
discours favorable à l'économie (497) ; ce qui ne suppose
pas plus d'avarice chez lui que le discours n'en révèle chez
le désintéressé Mégadore.
La crainte de voir son trésor découvert (547 ; 548) et le
trouble qui en résulte font commettre à Euclion de grosses
incivilités. Il se plaint à Mégadore des cuisiniers que celui-ci
a envoyés chez lui (551-557). Et une fois lancé, il accuse
la musicienne de trop boire (557-558 ; mihi, quoique le vin
vienne de chez Mégadore, 356). Bien mieux, il reproche au
rôti, donné par Mégadore, d'être trop maigre (560-568) : un
avare qui se plaint qu'on ne fasse pas assez bonne chère !
Enfin quand Mégadore l'invite à boire, il déclare ne vouloir
prendre que de l'eau (569-574), non pas assurément comme
Harpagon quand il recommande à Cléante d'aller boire dans
la cuisine un verre d'eau claire, parce que l'eau ne coûte
rien : le vin, étant fourni par Mégadore (356), ne serait pas
plus dispendieux à Euclion ; mais il craint que Mégadore ne
veuille l'enivrer, afin de lui ravir son trésor (575-579). Pour
le mettre à l'abri de toute attaque de ses ennemis — ede-
pol ne tu aida miiltos inimicos habes^ s'écrie-t-il (580),
tant la marmite est devenue à ses yeux un être vivant, une
personne, dont la sécurité l'intéresse pour elle-même — il
va le confier à la déesse Fides (580-586 ; 608-623), puis le
cacher dans le bois de Silvain (624 et suiv.). Quand il s'aper-
çoit que Strobile le lui a volé, il se livre à un désespoir
24 MAX BONNET
comique (713-726), mais qu'il ne faut pas attribuer à l'ava-
rice : il est peu d'hommes, même détachés des biens de ce
monde, qui ne s'affligeraient en pareille occurrence ; et le
chagrin d'Euclion s'accroît naturellement du fait que son
attention a été, depuis quelque temps, concentrée sur le pré-
cieux objet. Il ne sort de là que pour apprendre, par la
confession amphibologique de Lyconide, le malheur arrivé
à sa fille — elle vient d'accoucher d'un enfant dont Lyco-
nide est le père (731-800). Après quoi, Euclion ne reparaît
pas, la fin de la pièce étant perdue.
Nous connaissons néanmoins le dénouement. Il est claire-
ment indiqué par les Arguments, le second surtout. Euclion
donne à Lyconide sa fille avec l'enfant, et, comme dot, son
trésor, l'or de la marmite, qui lui a été restituée. C'est le
dénouement que prévoit le prologue (26 et 37). Enfin deux
fragments de scènes perdues (3 et 4), appuyés par un vers
du premier Argument (laetus, 15), montrent que cette solu-
tion fait éprouver à Euclion une vive satisfaction. Il se rend
compte que la marmite lui gâtait la vie ; il se réjouit d'être
débarrassé d'un souci dévorant.
On critique ce dénouement*, et l'on aurait assurément
raison, s'il était vrai qu'Euclion fût avare. Il n'est pas con-
forme à la nature de dépouiller si subitement un vice invé-
téré ; on ne se figure pas Harpagon livrant sa cassette une
fois retrouvée. Mais Euclion, dès la première fois qu'il parle
de son trésor, se plaint des tracas et des soucis qu'il lui
donne : aurum... quod me sollicitât plurumis miserum nio-
\. Naudet en parle excellemment, Théâtre de Plante, Paris, 4845, I,
p. 258. Bien avant lui, La Harpe, Lycée, Paris, 4824, I, p. 448, avait
protesté. Le Lycée est de 4799. Langen, Plautinische Studien (4886),
p. 405, trouve la conversion d'Euclion psychologiquement bien possible,
et se persuade que Plaute avait dû la motiver suffisamment. On voudrait
savoir comment 1
SMIKRINÉS-EUGLION- HARPAGON 25
dis(&&). Conçoit-on Harpagon parlant en ces termes de sa
cassette ? Quand son or lui est ravi, Euclion est singulière-
ment prompt à entrer en composition avec le voleur : il en
offre la moitié, à condition de ravoir le reste (767). Harpa-
gon n'est pas si généreux. C'est que la possession d'un tré-
r n'est qu'une phase de la vie d'Euclion ; il l'a trouvé peu
ivant l'ouverture de la pièce. Il est naturel que l'effet pro-
iuit sur son caractère soit passager aussi. Tout autre est la
ssette d'Harpagon. C'est le coffre où il tient son argent en
ut temps ; elle est aussi ancienne que son vice. Il ne sau-
it se séparer de l'une, parce qu'il lui est impossible de se
rriger de l'autre.
Il reste à voir les quelques passages qui ont suffi à faire
'Euclion, dans l'opinion générale, le prototype d'Harpagon.
s sont très rares, et n'auraient pu produire un tel effet,
i. l'un n'était particulièrement frappant et propre à exciter
gros rire.
Le dieu Lare, dans le prologue, n'accuse Euclion d'ava-
ice nulle part directement. Le fait-il indirectement ? Son
iscours est assez obscur sur ce point. Le grand-père d'Eu-
ion a voulu, si grande était son avarice (sic auido ingenio
it, 9), cacher son trésor, même à son fils. Mais c'est au
ieu Lare qu'il s'est adressé, obsecrans, lœnerans, pour en
rder le dépôt. Chez le fils, il n'est plus parlé d'avarice ;
ais le dieu lui reproche de négliger son culte. Enfin Eu-
clion est dit pariter moratus : il ressemble — auquel des
^^■ieux? A son père, dirait-on, car sa fille est aussitôt déclarée
^^Blus dévote que lui. Pourtant, si elle fait plus de dons au
{■Hlieu, sa générosité ne peut s'exercer qu'à peu de frais ; le
dieu regarde donc à l'intention. D'un autre côté, on voit
plus tard Euclion apporter une modeste offrande au dieu,
Ilors que l'argent lui manque, dit-il, pour régaler ses hôtes.
26 MAX BONNET
s'agit de l'amour de l'argent ; et cela n'est point inadmis-
sible. Mais ce n'est nullement certain.
Il n'y a pas lieu de taxer Euclion d'avarice parce qu'il est
économe (par eus, 314 ; 315 ; 333 ; 385) et fait cas de cette
vertu (497 et suiv.). Son économie est dès le premier mo-
ment expliquée par sa pauvreté : neqiie illo quisquam est...
ex paupertate parcior (206). Cette pauvreté est d'ailleurs
rappelée, comme on l'a vu, mainte fois et ne peut faire de
doute. Elle était exigée par le sujet ; la découverte d'une
marmite pleine d'or n'aurait pas troublé l'esprit d'un homme
qui en eut possédé déjà autant et plus. L'économie aussi, et
une habitude ancienne de stricte économie, était évidem-
ment voulue par le poète soucieux de vraisemblance psycho-
logique. Elle était aussi conforme à son dessein que l'ava-
rice y eût été contraire. Elle répondait à cette question de
tout spectateur attentif qui se posait aussi à nous, tout à
l'heure : pourquoi Euclion ne dispose-t-il pas de son or ?
Seul un homme que sa pauvreté a obligé pendant une lon-
gue vie à retourner deux fois dans sa main chaque sou avant
de l'en laisser échapper, et qui n'a peut-être jamais dé-
boursé un louis à la fois, pourra n'avoir pas l'idée d'en dé-
penser des milliers, tombés subitement en sa possession.
La pauvreté peut expliquer aussi la mise pitoyable que
Mégadore reproche à Euclion (540). Mais ici intervient en
outre un autre motif. Euclion ne veut pas que des habits
plus élégants fassent soupçonner qu'il possède maintenant de
quoi s'en procurer (541-544).
Reste la scène où décidément la parcimonie d'Euclion est
tournée en ridicule, a Quoi? » dit Anthrax, « le maître de
céans ne pouvait-il pas fournir lui-même le souper de noce
de sa fille ?» — « Bah I » répond Strobile ^ : « on tirerait de
\. Ou Pythodicus ? Il n'y a pas lieu de traiter ici cette question.
SMIKRINÈS - EUGLIO^ - HARPAGON 27
l'huile d'un vieux mur plutôt que de l'argent de ce pin-
gre-là I II invoque dieux et hommes dès qu'il voit un peu
de fumée s'échapper de chez lui. Quand il va se coucher, il
s'attache un ballon au nez, pour que son haleine ne se perde
pas pendant son sommeil. Quand il se baigne, il pleure
I'eau qu'il répand. Jamais il ne te prêtera rien, fût-ce la
aminé. Un jour que le coiffeur lui avait coupé les ongles,
1 en ramassa toutes les rognures et les emporta. Un milan
||ii avait volé un morceau de viande : il se présenta devant le
fréteur en pleurant, demandant qu'il lui fût permis d'assi-
gner le milan. »
On sera peut-être tenté, après tout ce qui précède, et pour
mettre le poète d'accord avec lui-même, d'interpréter ce
passage de façon à en diminuer la portée. Strobile n'est
qu'un esclave, parlant à d'autres personnes de bas étage. En
cette qualité, le poète n'aurait-il pas cru pouvoir, sans pren-
dre ses médisances à son propre compte, le laisser railler
un voisin pauvre et exagérer démesurément son économie ?
Une telle interprétation n'est pas soutenable. Il n'y avait au-
cun sel à railler l'économie d'Euclion, qui inspire plutôt la
^ pitié, puisqu'elle lui est imposée par la pauvreté. On ne voit
^^fcas pourquoi Strobile s'y laisserait aller, ni pourquoi l'au-
^Heur le laisserait faire ; car enfin, l'auteur d'un drame est
^Responsable de ce qui s'y passe. De plus, la charge serait
excessive. Ce que Strobile décrit n'est ni l'économie ni la
caricature de l'économie. C'est l'avarice poussée jusqu'à la
démence. Comment le spectateur croirait-il que de telles
H^hoses se disent d'un homme qui ne serait même pas avare ?
^^^A.ussi jamais spectateurs ni lecteurs ne s'y sont-ils trompés,
^^Huisque c'est cette scène presque seule qui, dès l'antiquité
et jusqu'à nos jours, a fait passer Euclion pour avare.
IUn passage encore peut et sans doute doit s'entendre dans
28 MAX BONNET
trésor était en péril. Il souhaite de rencontrer ce corbeau
pour lui témoigner sa reconnaissance : nimis hercle ego il-
lum coruum ad me ueniat uelhn qui indicium fecit, ut ego
un aliquid boni — dicam, nam quod edit tam daim quam
perduim (670). Cela n'a de sel que si dicam est destiné à
faire rire par surprise l'auditeur qui s'attend à donem. Il y
a là un repentir semblable à celui d'Harpagon qui, après
avoir mis la main à la poche pour récompenser maître Jac-
ques, se contente d'une bonne promesse : « Va, je m'en sou-
viendrai, je t'assure. »
On voit à quoi se réduit, dans l'Aululaire, la peinture de
l'avare : une trentaine de vers, presque tous contenus dans
une seule scène, et qu'on retrancherait sans nuire le moins
du monde à l'action. Bien au contraire. Ce trait nouveau
imprimé au caractère d'Euclion y fait tache et disqualifie
doublement le personnage pour le rôle qu'il est appelé à
jouer. D'une part, en effet, il n'y avait pas grand intérêt à
faire découvrir un trésor par un homme déjà habitué à vivre
pour son argent. Le résultat était trop facile à prévoir : re-
doublement d'avarice, et non brusque changement d'hu-
meur, comme chez ce pauvre hère d'Euclion, d'ailleurs
brave homme. Et d'autre part, à qui fera-t-on croire qu'au-
cun poète, si habile qu'il fût, eût réussi à rendre le dénoue-
ment de l'Aululaire, je ne dis pas vraisemblable, mais seule-
ment acceptable, si Euclion était un avare tel que le décrit
Strobile ? « Ménandre », dit M. WeiP, « dont les comédies
passaient pour le miroir de la vie humaine, n'aurait jamais
imaginé une conversion aussi absurde. »
4. Journal des Savants, 1906, p. olG.Voy. ci-dessus, p. 24. On a objecté
(W. Wagner, De Plauti Aulularia, p. 6), que la conversion de Déméa dans
les Adelphes, qui sont aussi de Ménandre, ne paraît pas beaucoup moins
miraculeuse. Mais aussi, dès l'époque de Donat (au vers 986), on a vu là
un problème à résoudre. Il n'est peut-être pas plus insoluble que celui-ci.
SMIKRINES - EUCLION - HARPAGON 29
II
Quel est le coupable? Qui, pour le plaisir de placer quel-
ques drôleries, a détourné l'attention du véritable sujet de
la pièce et en a rendu le dénouement intolérable? Mais
d'abord, quel est le poète grec dont Plante a cette fois suivi
la trace ?
Parmi tant de titres de comédies grecques, il en est peu
qui conviennent au sujet de la pièce latine. Celui qui la
désignerait le mieux serait Bï^aaupcç. Mais le ©Yj-aupsç de
Philémon a trouvé son emploi dans le Trinummus, et celui
de Ménandre dans une comédie de Luscius, qui n'a pas de
rapport avec l'Aululaire^ Le reste ne contient aucun in-
dice. Il a donc fallu recourir à d'autres hypothèses. Celle
qui a eu le plus de succès^ fait dériver l'Aululaire du Aijff-
y.oAc; de Ménandre^. Aux objections qu'elle a soulevées* j'en
ajouterai deux.
Le titre, à première vue, semble convenir. Euclion est un
homme qui a perdu sa bonne humeur, qui est devenu om-
brageux, querelleur ; et le mot SJjxoXo? serait assez propre à
ijsigner un tel personnage ^ Mais Euclion, ne l'oublions pas,
a pris cette humeur que tout récemment, et retrouve le
mtentement avant la fin de la pièce. Ce n'est donc pas lui
4. Voy. Térence, Eunuque, 9.
2. Puisqu'elle a rallié les suffrages de MM. von Wilamowitz, N. Jahr-
cher f. d. kl. Altert., III (4899), p. 517, et H. Weil, J. des Sav., 4906,
p. 545.
3. Geffcken, Studien zu Menander, p. 8 et suiv.
4. F. Léo, Deutsche Litt. Zeitung, XIX (4898), p. 348; Ph. E. Le-
grand, Revue des Études grecques, XV (490-2), p. 357.
5. On traduirait assez bien hùa/.okoç, par querulus ; voy. L. Havet, Le
Querolus, p. 44 ; 495; 267; etc. ; et l'on sait que des rapports existent
entre le Querolus et VAululaire.
30 MAX BONNET
que devait prendre pour type un moraliste qui voulait pein-
dre le véritable ouaxoXoç. Le Malade imaginaire ne se croit
pas malade un jour ; le Misanthrope n'est pas en brouille
passagère avec le genre humain ; le Pseudolus ne joue de-
vant nous ni son premier ni son dernier tour à son maître ; le
Miles gloinosus n'est pas un vantard de circonstance ^ Le lù<s-
xoXoç de la pièce de même nom devait être un atrabilaire de
naissance et pour la vie.
Le fragment du AùaxoXoç de beaucoup le plus étendu et le
plus clair^ est le discours adressé à un père (ou à quelque
vieillard, Tcàiep) pour lui conseiller un généreux emploi de
sa fortune, et qui se termine par ces mots: luoXXw lï xpsîx-
Tov ècTTiv è|JL<pavY3ç <pi'^^5ç Yj xXouTOç à^avi^ç, 6v (TÙ xaTop'jJaç e'x^iç.
Cet homme qui a enfoui son argent ne peut être Euclion
(ou son modèle grec), puisque la marmite d'Euclion a été
cachée par son grand-père. Elle est ignorée de tous, jusqu'à
ce que Euclion la découvre ; et après, quand il la replace
dans sa cachette, quand il la transporte ailleurs, il le fait en
secret ; son futur gendre n'en a connaissance que quand
Strobile lui raconte qu'il a volé l'or. Il n'est pas admissible,
d'autre part, que chez Ménandre le trésor eût été primitive-
ment enfoui par le héros de la pièce : la donnée essentielle
de celle ci, c'est justement un trésor trouvé inopinément.
Enfin, est-il besoin de le dire? il n'y a pas place, à côté
d'Euclion qui a trouvé un trésor, pour un autre personnage
qui a enfoui le sien.
On a tenté de sauver cette première hypothèse en la cor-
rigeant. Ménandre aurait remanié son AûaxoXoç et en aurait
fait les 'ETciTpéTTovTeç, lesquels seraient le modèle de l'Aulu-
1. Si le Truculentus s'amadoue à la fin, il pose, comme les Adelphes,
un problème qui a occupé les critiques depuis l'antiquité jusqu'à nos
jours ; voy. Schanz, I, V, p. 93.
2. Fr. 2 (IV, p. 107), M. ; 128 (III, p. 38), K.
SMIKRINÈS - EUGLION - HARPAGON 31
laire*. Cette position n'est plus tenable depuis la récente dé-
couverte de fragments très étendus des 'ETcixpéTuovTsç^. Un épi-
sode cependant, qui pourrait bien être commun aux 'ExiTps-
:ovT£ç et à l'AuluIaire, doit retenir notre attention. On lit
lans un discours de Ghoricius ^: xwv Tuapà MevavBpw TceitoiY)-
lévwv TUpoawirwv... SjxapiVYjç... çtXapyupojç -^/ixaç èxoivjasv slvai, 6
ïe8io)ç [JL*^ Ti Twv IvBcv 6 xaTT/oç oi/oiTo çcpwv. Et dans l'Aulu-
lire (300) : quin diuom atque hominiim clamât contimio
Idem, de suo tigillo fumus si qua exit foras. A ceux qui
roient dans ces vers une traduction libre du mot de Ménan-
Ire*, on objecte que l'idée n'est pas tout à fait la même,
[ais la différence n'est pas telle que le poète latin dût se
lire scrupule de la liberté prise, au contraire : la plaisan-
îrie est meilleure chez lui que dans le grec. On ne se
igure pas aisément la fumée emportant un meuble, un us-
insile ou une pièce de monnaie ; et regretter la perte d'une
>ouffée de fumée est plus ridicule que de craindre celle
'un objet qui pourrait avoir du prix. On a dit encore que
js traits d'esprit de ce genre passaient souvent, chez les Grecs,
l'un poète à l'autre. C'est possible ; aussi bien ne s'agit-il
joint de certitude. On sait trop qu'en pareille matière il faut
contenter de probabilité relative. Mais dans l'espèce, le-
[uel est plus probable, que le vers latin soit imité d'un vers
expressément attribué à Ménandre, ou d'un emprunt qu'il
^st permis de croire qu'un autre Grec aurait pu en faire ?
En même temps nous apprenons de Ghoricius qu'un avare
le Ménandre s'appelait S|jiap{vrjç. Ce nom se trouve dans
1. Ph. E. Legrand, Rev. des Et. gr., XV, p. 368.
2. Fragments d'un manuscrit de Ménandre, découverts et publiés par
. Lefèbvre, Le Caire, 1907 ; M. Croiset, J. des Sav., 4907, p. 543 ;
•h. E. Legrand, Revue des Études Anciennes, IX (4907), page 344, note.
3. Publié par Graux, Revue de Philologie, I (1877), p. 228.
4. C'est à Ussing qu'on doit le rapprochement, Plauti Comoediae, II,
,587.
32 MAX BONNET
deux pièces, T'Actci; et les 'EmipéTcovieç*. Mais le trait cité
par Ghoricius ne convient qu'à la seconde. Tandis que dans
les fragments de VA^izlç il n'est guère question que de sol-
dats et de batailles, Athénée- rapporte que parmi les person-
nages des 'Emipéirovieç il y avait des cuisiniers — ce que
confirment les nouveaux fragments^ — , et des cuisiniers
railleurs, tout comme ceux de l'Aululaire, qui ne cessent de
se lancer des lazzi entre eux et de se moquer d'Euclion. Un
scoliaste d'Homère* affirme en outre que le Smikrinès des
'ExixpéTcovTsç était avare (çiXapyupoç), et qu'il manifestait cette
passion en faisant passer les questions d'argent avant ses
affections de famille. C'est en effet ce que fait Smikrinès dans
les fragments nouvellement découverts : il ne songe qu'à
sauver la dot de sa fille, au détriment même de son bonheur^
La concordance de ces divers indices ne doit-elle pas faire
penser que c'est ce ladre-là qui a posé pour la caricature
dont Strobile a conservé certains traits dans l'Aululaire ?
On a pensé encore que des vers comiques grecs, trouvés
en 1902 à El-Hibeh^ auraient fait partie d'une pièce de Phi-
lémon d'où Plante aurait tiré son Aululaire. Mais cette con-
jecture est suspendue à un fil si ténu, qu'elle n'a guère ins-
piré de confiance". S'il paraît excessif de dire que l'identité
4. On a cru, d'après Julien, Misopogon, p. 349 c, que le héros du
AuaxoXo; également s'appelait Smikrinès. Mais le Smikrinès des 'Er.upé-
TîovTEç étant lui aussi d'humeur très irritable, voy . vers 10 ; 31 ; 448 et suiv. ,
on peut laisser au SuaxoXo; de la pièce ainsi intitulée le nom de Kvrjfxwv,
que lui assigne Ghoricius, p. 228, appuyé parElien, epist. rwsf.,13 à 16.
2. Deipnosoph., 14, 77, p. 659 b.
3. Vers 165 et 530.
4. Schol. Ambros. ad Hom., ri' 225. Le nom de Smikrinès est même
employé comme synonyme d'avare par Julien, Caesares, p. 311 a, et par
Themistius, or. 34, 17.
5. Vers 450 et suiv. ; 465.
6. The Hibeh Papyri, p. p. Grenfell et Hunt, I (1906), p. 24 ; comp.
Blass, Rhein. Mus., LXII (1907), p. 102.
7. Voy. F. Léo, Hermès, XLI (1906), p. 629; H. Weil, J. des Sav.,
SMIKRINÊS - EUGLION - HARPAGON 33
du nom de Strobile, dans un de ces fragments et dans l'Au-
lulaire, s'oppose à l'identification des deux pièces, elle ne
Kffit pas à la justifier ; et s'il est facile de se figurer, de part
d'autre, le porteur de ce nom dans une situation sembla-
e, on en peut imaginer, pour le fragment, cent autres
aussi bien. Le nom de Crésus (xpoia) ne se trouve, dit-on,
l^^ue chez Philémon. Mais pour quelques milliers de vers que
I^Bfous- possédons de la comédie nouvelle, on paraît oublier les
centaines de mille qui sont perdus.
Reste une dernière hypothèse qui a été émise sans y at-
tacher d'importance* et accueillie assez froidement^. C'est
pourtant celle qui me paraît avoir le plus de chances d'être
la bonne. C'est que l'Aululaire serait imitée de l'TSpia de
Ménandre. Le titre convient fort bien ; èv u5p(aiç yàp è'xsivTo
o! 6r<aaupc{, dit un scoliaste d'Aristophane ^ Aucune comédie
grecque, à notre connaissance, n'était appelée Xùxpa; et ùSpia,
l'aiguière, pouvait d'autant mieux devenir sur la scène la-
tine aida, la marmite, que urna se prêtait moins bien à
telle plaisanterie de Plante (390). 'TSpia pouvait, comme
aula, donner lieu aux équivoques de la première rencontre
entre Euclion et Lyconide (744 ; 7oo et suiv.). Enfin les
iagments de l'TBpia se laissent assez facilement encadrer
ms les scènes de l'Aululaire. Rien ne prouve que les vers
tés par Stobée'^ fussent mis dans la bouche du principal per-
>nnage ; et quand cela serait, et que, par conséquent, ce
106, p. ol5 ; K. Fuhr, Berliner phil. Wochenschrift, XXVI (1906),
1411.
A. G. Gœtz, Plauti Comoediae, éd. Ritschl, IP, 1 (1881), p. viii.
2. G. M. Franckcn, \erslagen en Mededeel. d. k. Akad. van We-
1 temch. (d'Amsterdam), "2« série, t. XI (1882), p. 216 ; Mnemosyne, XIX
1891), p. 341.
3. Schol. ad Arist. Aues, 602 (xal xi; uBpt'aç àvopuxxtu).
4. Florileg., 58, 8 = fg. 1 (IV, p. 207), M. ; 466 (III, p. 133), K.
jmp. Francken, p. 216.
I
34 MAX BONNET
personnage aurait vécu à la campagne dans la comédie grec
que, pourquoi Plante, surtout s'il empruntait en même
temps à quelque autre pièce, n'aurait-il pu lui faire habiter
la ville ? Pourquoi aussi le prologue n'aurait-il pas été pro-
noncé par un jeune homme en grec, par le dieu Lare en latin?
Plante n'était pas si esclave de ses modèles. Les fragments du
Kapx^86vwç de Ménandre ne ressemblent guère au texte du
Poeniilu.% qui cependant en est probablement la reproduction.
Il est temps de revenir à la question : Qui a fait d'Euclion
un avare ? Est-ce le poète grec qui a altéré sa propre con-
ception ? Est-ce un acteur ou un éditeur de la pièce latine
qui s'est permis de substituer ou d'ajouter des vers de sa
façon à ceux de Plante ? Est-ce Plante lui-même qui, repro-
duisant une œuvre mieux conçue que l'Aululaire, l'a faus-
sée, soit par des inventions libres, soit par le procédé connu
sous le nom de contaminatio ?
Ne possédant plus aucun original complet de la comédie
nouvelle, nous ne pouvons affirmer que les nombreux poètes
qui ont cultivé ce genre aient tous été impeccables, ni même
que les meilleurs l'aient été toujours. Cependant, in comoe-
dia maxime claudicamus, dit Quintilien, qui n'est pas sus-
pect de partialité pour les Grecs. Jusqu'à preuve du con-
traire, dans un débat tel que celui-ci, on doit soupçonner
de fautes graves le Romain plutôt que le Grec. Plante en par-
ticulier n'était loué spécialement ni comme dramaturge ni
comme peintre de caractères ^ D'ailleurs n'est-il pas pro-
bable que l'inventeur saura mieux que l'imitateur figurer un
caractère avec suite, l'adapter au sujet et y conformer l'ac-
tion ? Un poète même médiocre, s' appliquant à représenter
un avare, n'aurait-il pas trouvé mieux que les quelques
4. Voy. Varron dans Nonius, p. 374 ; Cicéron, de off., 1, 29, 404; de
or., 3, 12, 45 ; etc.
SMIKRINÈS - EUGLION - HARPAGON 35
facéties dont Strobile régale les cuisiniers ? Et si fé person-
nage, dans son idée, n'était pas un avare, pourquoi lui au-
rait-il fait reprocher à un certain moment ce vice-là plutôt
que tout autre ? Notez que c'est Strobile, le valet de Méga-
dore, qui parle : le créateur de la pièce ne se serait-il pas
rappelé que Mégadore lui-même, ni sa sœur, ne savent rien
de la prétendue avarice d'Euclion ?
La question se pose donc entre Plante et des interpola-
teurs de son œuvre. Ce qui peut faire incliner de ce dernier
côté, c'est que déjà pour d'autres raisons on a pensé que
l'Aululaire avait subi un remaniement ou des retouches*.
Justement, c'est aux environs de l'entretien entre Strobile et
les cuisiniers que se trouvent les incohérences qui ont prin-
cipalement donné lieu à ce soupçon. Il serait naturel de
penser que les passages 29o et suiv., 363 et suiv., et 587 et
suiv., ont été altérés en même temps et de la même main. Et
cette solution n'est pas absolument inacceptable. Cependant,
si la comédie de Plante a subi des altérations après la mort
du poète, est-ce une raison pour que celui-ci n'ait pas aupa-
ravant pris des libertés avec son modèle ? Le nom de Stro-
bile donné à deux esclaves différents, quelques autres diffi-
dtés semblables, ne décèlent qu'une altération superficielle
de tout autre nature que celle qui nous occupe. L'une
l'entraînait nullement l'autre. On est généralement peu dis-
)sé aujourd'hui à admettre la contamination du moins dans
laque cas particulier ; car, en principe, s'il est un fait sûre-
ment attesté dans la plus ancienne histoire des lettres latines,
'est que Plante a usé de ce procédé^. Dans le cas présent^,
1. Gœtz, Acta Soc. philoL Lips., VI (4876), p. 310 ; Plauti Com., IP,
|, p. VIII ; Tartara, Riv. di Filol, XXVII (1899), p. 193 ; etc.
2. Térence, Andrienne, 18.
3. M. Gœtz, p. 314 et suiv., n'a réfuté que les arguments de W.Wagner,
Dziatzko, Rhein. Mus., XXXVII (1882), p. 265, ne vise pas autre
36 MAX BONNET
on ne voudra pas objecter que la contamiiiatio serait moins
étendue qu'on ne se représente en général les opérations de
cette sorte. Plante ne s'était pas sans doute imposé de règle
à cet égard. Une scène, une tirade, un vers pouvaient être
empruntés à un second modèle aussi bien que la moitié de
l'intrigue, et l'ont été sans doute souvent sans que personne
s'en aperçût^ Pourtant les traits d'avarice rapportés par
Strobile sont si maladroitement plaqués sur le caractère
d'Euclion, qu'on peut hésiter à en rendre responsable un
vrai poète, si inhabile dramaturge soit-il. Un acteur quel-
conque a pu les emprunter aux 'ExiTpéicovTeç, soit d'après
l'original, soit d'après quelque adaptation latine. Mais cet
acteur aurait-il songé à continuer son interpolation un peu
plus loin, au vers 672 ? et surtout à accuser Euclion d'ava-
rice dès le prologue, si c'est ainsi qu'il faut entendre les
mots panier moratiim ? Ne serait-ce pas plutôt Plante lui-
même qui se serait mépris, tout comme les plus savants
commentateurs modernes, sur les intentions de son confrère
grec dans les passages concernant les toiles d'araignée, les
vêtements minables d'Euclion, etc., et qui, en conséquence,
aurait cru bien faire d'appuyer davantage, tout en égayant
la pièce par quelques plaisanteries conformes à son goût
et à celui de son public? N'est-ce pas un fait au moins
significatif que l'un des quolibets de Strobile sur Euclion,
ou un trait tout semblable, se soit trouvé selon toute
probabilité dans une pièce grecque qui n'a pu servir de
modèle pour le reste de l'Aululaire, alors qu'on peut ad-
mettre avec quelque vraisemblance qu'une autre pièce du
même auteur a rempli cet emploi? L'Aululaire, ne serait-ce
t
chose. Ni l'un ni l'autre ne s'est occupé du problème qui se pose ici.
Blass, Rh. M., LXII, p. 107, admet qu'il faut compter avec la contamina-
tio comme étant « fort possible ».
1. Léo, Gesch. d. r. Litt.'^ (Kultur der Gegenwart, I, 8), p. 334.
SMIKRINÊS - EUGLION - HARPAGON 37
point rTSpu, « contaminée » au moyen des 'ETU'.ipéTuovieç ?
Restons sur cette interrogation. Ce sera plus sage et plus
honnête que d'affecter une fausse assurance en l'absence de
tout témoignage positif. Ce qui d'ailleurs importe plus que
d'identifier deux pièces, c'est de rectifier une erreur d'his-
toire littéraire ; c'est de remplacer l'étrange illusion expri-
mée en ces mots : « Grâce à l'Aululaire et à l'Avare, un per-
sonnage au moins de Ménandre vit encore aujourd'hui, peu
changé, sur nos scènes^ )>, par l'aveu que voici : « De l'avare
de Ménandre, Smikrinès, il ne survit en Euclion qu'une
part infime, et dans Harpagon à peine quelques bribes. »
Ce qui importe, c'est de reconnaître franchement l'incohé-
rence du caractère d'Euclion à partir du troisième acte, et
l'invraisemblance du dénouement ; c'est enfin de juger
comme il le mérite, et quelque nom qu'il porte, l'auteur
responsable de si grosses fautes de psychologie dramatique.
Si l'on persiste à croire que cet auteur est Ménandre, qu'on
renonce à voir en Ménandre un grand moraliste et le plus
parfait des comiques. Si c'est Plante, n'essayons plus de jus-
tifier Plante du reproche de légèreté que lui adresse Ho-
race. Enfin, quel que soit le coupable, que nul ne songe plus
à placer Euclion, tel qu'il est, au même rang qu'Harpagon,
et à plus forte raison au-dessus. Quant au véritable Euclion,
celui du poète grec et de Plante lui-même dans la plupart
des scènes, ne le comparons même plus à Harpagon, avec
qui il n'a, pour ainsi dire, rien de commun. Sachons voir
en lui, non plus ce que nous y mettons, mais ce qu'y a mis
rinventeur, et qui est bien assez intéressant.
I Montpellier, décembre 1907.
4. Kœrte, Deutsche Rundschau, XXX (1904), p. 383.
!
Henri BORNECQUE
LE POST REDITUM AD QUIRITES
LE POST REDITUM AD QUIRITES
TEXTE COMMENTÉ AU POINT DE VUE
DES CLAUSULES MÉTRIQUES
Par Henri Bornecque.
De tous les domaines qui composent l'empire du latin,
grammaire, prosodie, métrique, sémantique, interprétation,
littérature, il n'en est aucun où le maître, en l'honneur
duquel sont écrits ces mémoires, n'ait porté ses pas et fait
des découvertes. Il en est un qu'il a ouvert aux chercheurs,
c'est celui de la prose métrique : avant le Symmaque, chez
les modernes, sur les clausules latines, deux thèses (de
Millier et de Wuest)% que personne n'avait remarquées;
depuis, des travaux qui remplissent plusieurs pages serrées
d'une bibliographie^. Aussi m'a-t-il paru que ce recueil
1. Voir p. 43, n. 1 et 3. '
2. On me permettra de renvoyer à mon ouvrage sur les clausules, pp.
ix-xvi ; encore y ai-je relevé des omissions. Je saisis l'occasion d'en ré-
parer quelques-unes.
Albert G. Clark, C. R. de l'édition des Tusculanes de Dougan, Classi-
cal Review, 1906, p. 122.
Alfred Klotz, Philologus, 1906, pp. 113-114, absence de clausules dans
Vexpositio totius mundi. Cf. Sinko, Archiv, t. 13, p. 536.
J. May, sur le rythme des discours de Cicéron, Jahresbericht de
Bursian, t. 134, pp. 123-167 et 186-195.
R. NovÂK, sur les clausules de Velleius Paterculus, Wiener Studien,
1906, pp. 283-305, et 1907, pp. 130-149.
W. Peterson, a propos de transpositions de mots amenées dans les
42 HENRI BORNEGQUE
serait incomplet, si l'on n'y rencontrait pas un spécimen du
genre d'études que M. Louis Havet a ressuscitées et renou-
velées, et auxquelles il a formé, depuis douze ans, les géné-
rations qui viennent, au Collège de France, écouter ses
leçons.
Mais on ne trouvera pas ici une discussion théorique ou
l'exposé didactique des règles suivies par Cicéron pour les
clausules du Post Reditum ad Quirites, objet du présent
travail : j'ai suivi la même méthode et appliqué les mêmes
lois que dans mon livre sur les clausules, auquel je m'excuse
de renvoyer plus d'une fois. Dans cet article, le dernier que
j'aie l'intention de publier sur cette matière, d'ici à quel-
que temps, à moins d'y être obligé par les circonstances, je
me propose, à l'imitation de M. Ceci S de publier le texte
d'un discours de Cicéron, en indiquant la nature des clausu-
les, en expliquant ou corrigeant celles qui sont irrégulières,
en faisant les remarques prosodiques nécessaires, enfin, en
examinant, à la lumière des lois, métriques suivies par l'ora-
teur, les variantes ou conjectures relatives aux clausules ;
toutefois, ici, pour ne pas être trop long, je laisserai de côté,
sauf exception, les variantes ou conjectures, qui, au point de
vue de la prosodie et de la répartition des syllabes entre les
mots, ne diiïèrent pas du texte pris pour base, celui de
CF. W. Mueller (Bibliotheca Teubneriana), dont j'ai con-
fronté l'édition avec celle d'Orelli-Halm. On m'objectera
mss. latins par la préoccupation des clausules, American Journal of Philo-
logy, 4907, p. 125.
J. E. Sandys, Rhythm in Greek and Latin Prose, Classical Review,
1907, pp. 85-88.
Vinc. UssANi, Studi italiani di filologia classica, 14, pp. 295-300.
Th. ZiELiNSKi, sur le rythme à l'intérieur des phrases des discours
de Cicéron, Philologus, 1906, pp. 604-629.
1. Il ritmo délie orazioni di Cicérone. ILa Prima Catilinaria, testo con
la scansione délie clausule metriche. La scansion du Pro Archia et du
Pro Milone est annoncée.
LE « POST REDITUM » 43
qu'il aurait mieux valu choisir un discours publié par
Clark ; mais cette harangue m'oifraitles avantages précieux de
n'être pas trop longue, et de n'avoir donné lieu, sur le point
qui nous occupe, à aucun travail approfondi : Wuest* la laisse
de côté ; Zielinski ^ en dit quelques mots à peine ; seul
Ernest Millier ^ donne la liste des 68 fins de phrase suivies
d'un point dans Orelli et tente de les ramener à quelques
types.
Mon étude porte, au contraire, sur 270 clausules environ :
en effet j'ai considéré non seulement les fins de phrase sui-
vies d'une ponctuation forte, mais encore les fins d'incise,
lorsque le sens j ordonne un arrêt, et que, de plus, au
commencement de l'incise suivante, le rythme est rompu
après un, deux ou trois pieds ; l'examen de l'œuvre m'a
prouvé, en effet, que Cicéron applique aussi des lois métri-
ques au début des phrases. J'ai tenu à signaler, avant tout,
les clausules irrégulières, considérant comme irrégulières
celles qui ne sont pas admises par l'orateur dans ce que j'ai
appelé ailleurs la troisième période de ses discours *, à
laquelle le Post Reditum ad Quirites appartient par la
date: elles sont imprimées en caractères gras. De plus, j'ai
essayé de bien marquer aux yeux les règles fondamentales
des clausules, à savoir :
a) Lorsque le mot ou groupe final ne comprend pas deux
ou plusieurs pieds de même genre (égal ou double), le pied
pénultième est du genre égal, si le dernier est du genre
double.
b) Lorsque le mot ou groupe final ne comprend pas deux
1. G. Wuest, De clausula rhetorica quae praecepit Cicero quatenus in
orationibus secutus sit.
2. Das Clauselgesetz in Ciceros Reden, p. 203.
3. De numéro ciceroniano, pp. 26, 27, 28, et des remarques, pp. 30-
33, 39.
4. Celle qui va du retour d'exil au Pro Milone inclusivement.
44 HENRI BORNEGQUE
OU plusieurs pieds de même genre (égal ou double), le pied
pénultième, ou, à la rigueur, le pied antépénultième est du
genre double, si le dernier est du genre égal.
c) Lorsque le mot ou groupe final comprend deux ou plu-
sieurs pieds de même genre (égal ou double), il est précédé
d'un pied du genre égal, s'il est formé de pieds de genre
double, ou inversement.
Pour les règles secondaires (interdiction d'un iambe
devant un mot final de type videatur ou mendacium, d'un
trochée devant un mot final de type differantur, etc.) je me
suis réservé de signaler les infractions dans les notes.
Afin démettre en lumière ce que j'appelle la rupture de
rythme, j'ai indiqué entre parenthèses, après chaque clau-
sule, les noms abrégés des pieds qui la composent : A signi-
fie anapeste^ D = dactyle, i=iambé, S = spondée, t = tro-
chée, trib = tribraque. Les lettres désignant les pieds qui
forment la clausule sont les seuls signes abréviatifs imprimés
en italique. Donc tribS indique une clausule de type esse
videatur, tS une clausule esse nobis, etc. Lorsque le mot
final comprend deux pieds appartenant au même genre,
l'abréviation qui les concerne est séparée de l'abréviation du
pied qui les précède par le signe -|-. Esse perdiixerunt sera
résumé par t-{-2S. Dans les cas de clausules plus rares, je
renvoie à la note. On a remarqué que tous les pieds de
genre égal sont représentés par des majuscules, tous ceux
de genre double par des minuscules ; la rupture de rythme
apparaîtra donc immédiatement, en comparant les caractères
représentant soit les deux derniers pieds, soit le groupe des
deux derniers pieds et le pied qui le précède.
Abréviations : Caractères gras = Clausules irrégulières. —
Pour toutes les autres, v. l'alinéa qui précède cette observa-
tion.
LE « POST REDITUM » 48
M. TULLI CICERONIS ORATIO, CUM POPULO GRATIAS EGIT (iS)
1 , 1 Quod precatus a love Optimo Maximo ceterisque dis im-
mortalibus sum, Quirites (tS)^ eo tempore, cum me fortu-
nasque meas pro vestra incolumitate, otio concordiaque de-
vovi (iS), ut, si meas rationes umquam vestrae saluti
anteposuissem (tribS), sempiternam poenam sustinerem
mea voluntate susceptam {iS), sin et ea, quae ante gesse-
ram, conservandae civitatis causa gessissem et illam miseram
profectionem vestrae salutis gratia suscepissem (i-\-2S), ut,
quod odium scelerati homines et audaces in rem publicam
et in omnes bonos conceptum iam * diu continerent (/S),
id in me uno potius quam in optimo quoque et universa
civitate deficeret (lA) — hoc si animo in vos liberosque ves-
tros fuissem, ut aliquando vos patresque conscriptos Italiam-
que universam memoria mei, misericordia desideriumque
teneret (DD-S)^, eius devotionis me esse convictum iudicio
deorum immortalium, testimonio senatus, consensu Italiae,
confessione inimicorum, beneficio divino immortahque ves-
tro (/*S) maxime laetor (iS^. 2 Quare, etsi nihil est homini
magis optandum quam prospéra, aequabilis perpetuaque for-
tuna secundo vitae sine uUa offensione cursu {tS\ tamen, si
mihi tranquilla et placata omnia fuissent (jinbS), incredibili
i. On voit que ce texte est parfaitement admissible au point de vue
métrique ; de même pour toutes les variantes ou conjectures proposées :
deflecterent (Si) Lag. 46 ; déferrent (iS) Lag. 4, 6 et 65 ; defigerent (Si)
Hotom. et Lambin. Par contre, on ne rencontre jamais, comme licite,
Ins les discours de C. la clausule publicam deflecterent admise par l'éd.
nt. et par celle de Lambin de 1566.
2. La clausule, donnée par G et les cod. dett. est incorrecte. De même
ns le texte de Halm et de Kayser : misericordiaque [desideriiim] tene-
t. Il faut, semble-t-il, admettre le texte de PEVW : misericordiaque
46 HENRI BORNEGQUE 1
quadam et paene divina, qua nunc vestro beneficio fruor, i
laetitiae voluptate caruissem QribS). Quid dulcius hominum ■
generi ab natura datum est quam sui cuique liberi (Szï)? :
Mihi vero et propter indulgentiam meam et propter excellens
eorum ingenium vita sunt mea cariores (tS). Tamen non :
tantae voluptati erant suscepti, quantae nunc sunt resti- ^
tuti QS). 3 Nihil cuiquam fuit umquam iucundius quam \
mihi meus frater (25) ; non tam id sentiebam, cum fruebar \
QS)\ quam tum, cum carebam (^5)*, et posteaquam vos j
me illi et mihi eum reddidistis (iS). Res familiaris sua quem- -\
que delectat- ; reliquae meae fortunae reciperatae plus mihi i
nunc voluptatis adferunt, quam tum m incolumitate adfere- j
bant (^5)^ Amicitiae, consuetudines, vicinitates, clientelae, |
ludi denique et dies festi quid haberent voluptatis (iS)^ ca-
rendo magis intellexi quam fruendo (tS). 4 lam vero honos,
dignitas, locus, ordo, bénéficia vestra (tribS) quamquam
mihi semper clarissima visa sunt {voir la noté)'', tamen ea
nunc renovata inlustriora videntur, quam si obscurata non
essent {iS). Ipsa autem patria, di immortales, dici vix potest
quid caritatis, quid voluptatis habeat (/yl) ; quae species Ita-
liae, quae celebritas oppidorum, quae forma regionum, qui
agri, quae fruges, quae pulchritudo urbis, quae humanitas
4. C'est à dessein, semble-t-il, que ces deux clausules sont identiques (Sf S).
2. Courte incise.
3. Zielinski écrit, à propos de cette clausule {d. Clauselgesetz in Cice-
ros Reden, p. 205) : « Métriquement elle n'est pas mauvaise ; incôlûmes
Klotz et Lag. vaudrait mieux ; iucundidatis serait mauvais. » Sur le der-
nier point, il n'y a pas de doute ; mais, dans tous ses discours, devant un
mot final de forme adferebant, C. préfère l'iambe, qu'il recherche, à
l'anapeste, qu'il tolère seulement.
4. Devant un mot ou groupe final ayant la forme d'un crétique, C.
évite toujours le dactyle. Il est vraisemblable qu'il y a eu, dans les mss.,
permutation des deux mots commençant par un s, semper et sunt, et qu'il
faut écrire : sunt clarissima visa semper, clausule parfaite métriquement.
Dans le membre de phrase suivant, quelques manuscrits (Lag. 4, 65)
n'écrivent-ils pas revocata nunc ?
LE « POST REDITUM » 47
civium, quae rei publicae dignitas, quae vestra maiestas
(iS) I Quibus ego omnibus antea rébus sic fruebar, ut nemo
magis (Si)^ ; sed tamquam bona valetudo iucundior est iis,
qui e gravi morbo recreati sunt, quam qui numquam aegro
corpore fuerunt (jribS), sic haec omnia desiderata magis
quam adsidue percepta délectant {iS). 2, 5 Quorsum igitur
haec disputo ? Quorsum ^ ? Ut intellegere possitis neminem
umquam tanta eloquentia fuisse neque tam divino atque
incredibili génère dicendi (J-S)^ qui vestram magnitudinem
multitudinemque beneficiorum, quam in me fratremque
meum et liberos nostros contulistis (jS^, non modo augere
aut ornare oratione, sed enumerare aut consequi possit (iS).
A parentibus, id quod necesse erat, parvus sum procreatus
(tS)^^ a vobis natus sum consularis (/^)^. lUi mihi fratrem
incognitum, qualis futurus esset, dederunt (tS), vos specta-
tum et incredibili pietate cognitum reddidistis (^'S'). Rem
publicam illis accepi temporibus eam, quae paene amissa
est (v. la note)^, a vobis eam reciperavi, quam aliquando
omnes unius opéra servatam iudicaverunt (iS). Di immor-
tales mihi liberos dederunt, vos reddidistis (/5). Multa prae-
terea a dis immortalibus optata consecuti sumus (Si) ; nisi
vestra voluntas fuisset, omnibus divinis muneribus carere-
mus (^*S)^ Vestros denique honores, quos eramus gradatim
singulos adsecuti (tS), nunc a vobis universos habemus {tS),
ut, quantum antea parentibus, quantum dis immortalibus,
1. L'o de nemo est ici long.
2. Courtes incises.
3. Cf. p. 46, n. 1.
4. Quae paene amissa est forme un groupe ; or, devant les mots ou
groupes tinaux de cinq longues, l'iambe est toléré (Bornecque, les clau-
suies, § 440). La conjecture esset d'Orelli (au lieu de est) donnerait une
clausule non métrique.
5. Les mss. donnent les variantes caruerîmus (pour Vi long, cf. Bor-
necque, ib. § 19), carueramus et caruissemus. Les deux premières four-
niraient une fin métrique (tribS), non la dernière (A -\- AS).
48 HENRI BORxNEGQUE
quantum vobismet ipsis (^tSy, tantum hoc tempore univer-
sum cuncto populo Romano debeamus (tS)^.
6 Nam cum in ipso beneficio vestro tanta magnitudo est,
ut eam complecti oratione non possim (iS), tum in studiis
vestris tanta animorum declarata est voluntas (î-S), ut non
solum calamitatem mihi detraxisse, sed etiam dignitatem
auxisse videamini (^«). 3 Non enim pro meo reditu ut pro
P. Popili, nobilissimi hominis, adulescentes filii et multi
praeterea cognati atque adfines deprecati sunt (i5), non ut
pro Q. Metello, clarissirao viro, iam spectata aetate filius
(Sii), non L. Diadematus consularis, summa auctoritate vir
ÇSii)y non G. Metellus censorius, non eorum liberi (^St), non
Q. Metellus Nepos, qui tum consulatum petebat (tS), non
sororum filii, Luculli, Servilii, Scipiones QS)\ permulti
enim tum Metelli [aut Metellarum liberi] pro Q. Metelli re-
ditu Yobis ac patribus vestris supplicaverunt (iS). Quodsi
ipsius summa dignitas maximaeque res gestae non satis va-
lerent {tSy, tamen filii pietas, propinquorum preces, adu-
lescentium squalor, maiorum natu lacrimae populum Roma-
num movere potuerunt (tribS). 7 Nam G. Mari, qui post
illos veteres clarissimos consulares (/5) hac vestra patrumque
memoria tertius ante me consularis (jS) subiit indignissi-
mam fortunam praestantissima sua gloria (5z), dissimilis fuit
ratio {lA). Non enim ille deprecatione rediit (/^), sed in
discessu civium exercitu se armisque revocavit (jtribS). At
1. Il semble bien que la forme vobismet ait été amenée en partie par
des raisons métriques ; la clausule vohis ipsis (SS) est évitée,
2. La variante debemus de PGVE et de plusieurs Lag. donnerait une
mauvaise clausule (SS).
3. Chez aucun des auteurs latins étudiés au point de vue des clausules,
exception faite pour Salvien, un mot final de type valerent n'est précédé
d'un iambe : il faut donc renoncer à cette leçon, donnée par S et 3 Lag.
et adopter la leçon valent des autres manuscrits, qui donne la clausule
sa. La conjecture valebant de Halm équivaut, métriquement, à la leçon
valerent.
LE « POST RÉDITÛM » 49
me nudum a propinquis (tS), nulla cognatione munitum
(iS), nullo armorum ac tumultus metu (Si) C. Pisonis, ge-
neri mei, divina quaedam et inaudita auctoritas atque virtus
(tS) fratrisque miserrimi atque optimi cotidianae lacrimae
sordesque lugubres (voir la noteY a vobis deprecatae sunt
(iS). 8 Frater erat unus, qui suo squalore vestros oculos in-
flecteret (Si), qui suo fletu desiderium mei memoriamque
renovaret (tribS) ; qui statuerai, Quirites, si vos me sibi non
reddidissetis, eandem subire fortunam (iS) ; tanto in me
amore extitit (Si), ut negaret fas esse non modo domicilio,
sed ne sepulchro quidem se a me esse seiunctum (iS). Pro
me praesente senatus hominumque praeterea viginti milia
vestem mutaverunt (voir la note)-, pro eodem me absente
unius squalorem sordesque vidistis (iS). Unus hic, qui qui-
dem in foro posset esse (tSy, mihi pietate filius inventus est,
beneficio parens, amore idem, qui semper fuit, frater (iS).
Nam coniugis miserae squalor et luctus (iS) atque optimae
filiae maeror adsiduus (iA) filiique parvi desiderium mei
lacrimaeque puériles (tribS) aut itineribus necessariis aut
magnam partem tectis ac tenebris continebantur (iS). 4 Quare
hoc maius est vestrum in nos promeritum, quod non mul-
titudini propinquorum, sed nobismetipsisnosreddidistis (tS).
9 Sed, quem ad modum propinqui, quos ego parare non
potui(2^), mihi addeprecandam calamitatem meamnonfue-
runt (tS), sic illud, quod mea virtus praestare debuit(*S'w),
adiutores, auctores hortatoresque ad me restituendum ita
multi fuerunt (tS), ut longe superiores omnes hac dignitate
4. On peut scander indifféremment lugubres (clausule iS) ou lugubres
(clausule SU).
2. Scander mutaverunt (cf. Bornecque, les clausules, § 52) ; la clau-
sule est de la forme Si.
3. On ne saurait écrire, avec Halm et Kayser : adesse mihi, pietate
sqq., un mot final de forme iambique n'étant jamais précédé d'un tro*
chée.
50 HENRI BORNEGQUE
copiaque superarem(;rïô5). Numquam de P. Popilio, claris-
simo ac fortissimo viro (Sn), numquam de QMetello, nobi-
lissimo et constantissimo cive (z\S), numquam de C. Mario,
custode civitatis atque imperii vestri (SAS)^ in senatu
mentio facta est (iS)-. 10 Tribuniciis superiores illi rogatio-
nibus nulla auctoritate senatus sunt restituti (IS), Marins
vero non modo non a senatu, sed etiam oppresso senatu est
restitutus (/^S), nec rerum gestarum memoria in reditu C.
Mari, sed exercitus atque arma valuerunt QribS) ; at de me
ut valeret, semper senatus flagitavit {tS), utaliquando profi-
ceret, cum primum licuit, frequentia atque auctoritate per-
fecit (iS). Nullus in eorum reditu motus municipiorum et
coloniarum factus est (^Si), at me in patriam ter suisdecretis
Italia cuncta revocavit ÇtribS). Illi inimicis interfectis, magna
civium caede facta reducti sunt (tS), ego iis, a quibus eiec-
tus sum, provincias optinentibus (6'u), inimico autem,
optimo viro etmitissimo,consule(S2), alteroconsulerefe rente
reductus sum (voir la notey^, cum is inimicus, qui ad meam
perniciem vocem suam communibus hostibus praebuisset,
spiritu dumtaxat viveret (Sî),re quidem infra omnes mortuos
amandatus esset (tS). 5. 11 Numquam de P. Popilio L. Opi-
mius, fortissimus consul (zS), numquam de Q. Metello non
modo C. Marins, qui erat inimicus, sed ne is quidem, qui
secutus est, M. Antonius, homo eloquentissimus (^Si), cum
A. Albino collega senatum aut populum est cohortatus (iS) ;
at pro me superiores consules semper, ut referrent, flagitati
sunt(2iS) ; sed veriti sunt, negratiae causa facere viderentur,
quod alter mihi adfinis erat, alterius causam capitis recepe-
1. Ecrire imperi vestri ; on obtient ainsi la elausule correcte iS.
2. L'o final de mentio est long.
3. Cicéron se sert, tantôt de la forme reduco (cf. supra), tantôt de la
forme archaïque redduco (cf. Zielinski, op. cit., p. 179, d'après lequel C.
emploie toujours la forme archaïque). Nous avons donc ici une elausule
de forme t-f-2S.
LE « POST REDITUM » SI
ram (.4 + 2i) ; qui provinciarum foedere infrenati Q + 2Sy.
totum illum annum querellas senatus, luctum bonorum, Ita-
liae gemitum pertulerunt (^tS). Kalendis vero lanuariis pos-
teaquam orba res publica consulis fidem tamquam legitimi
tutoris imploravit (t + 26^,P.Lentulusconsul, parens, deus,
salus nostrae vitae, fortunae, memoriae, nominis(5'2), simulac
de sollemni deorum religions rettulit (^^^)^ nihil humana-
rum rerum sibi prius quam de me agendum iudicavit ÇtS).
12 Atque eo die confecta res esset (iS)^, nisi is tribunus pi.,
quem ego maximis beneficiis quaestorem consul ornaram
(iS), cum et cunctus ordo et multi eum summi viri orarent
(iS)^ et Cn. Oppius socer, optimus vir, ad pedes flens iace-
ret (tS), noctem sibi ad deliberandum postulasset (tS) ; quae
deliberatio non in reddenda, quem ad modum non nulli ar-
bitrabantur(z5), sed, utpatefactum est, in augenda mercede
consumpta est (^S). Postea res acta est in senatu alia nulla,
cum variis rationibus impediretur (iSy ; sed voluntate tamen
perspecta senatus (tS) causa ad vos mense lanuario defere-
batur (iS). 13 Hic tantum interfuit inter me etinimicos meos
(^Si) : ego, cum homines in tribunali Aurelio palam con-
scribi centuriarique vidissem (iS), cum intellegerem veteres
1. Toutes les variantes ou conjectures proposées conviennent pour la
clausule, sauf inligati de Halm. Jamais, en effet, C. ne fait précéder d'un
trochée un mot final de forme ditrochaïque.
2. Adopter, avec Orelli, la graphie retulit, qui donne la clausule cor-
recte tA.
3. Le texte de GEV : res confecta esset donnerait la clausule incorrecte
sss.
4. Le texte de EV : viri summi orarent donnerait la clausule incor-
recte SS.
5. On voit que ce texte est métriquement très correct. Si l'on met une
ponctuation forte après nulla, en supprimant celle qui suit impediretur,
on obtient une clausule correcte (alia nulla = trib S), qui, d'ailleurs,
termine une courte incise ; mais l'on est obligé de supprimer le et que les
mss donnent après impediretur, et qui cache set, comme Orelli le soup-
çonnait déjà.
52 HENRI BORNEGQUE
ad spem caedis Catilinae copias esse revocatas QribS)^ cum
viderem ex-ea parte homines, cuius partis nos vel principes
numerabamur, partim quod mihi inviderent, partim quod
sibi timerent, aut proditores esse aut desertores salutis meae
(^Si), cum duo consules empti pactione provinciarum aucto-
res se inimicis rei publicae tradidissent (tS), cum egestatem,
avaritiam, libidines suas vidèrent expleri non posse, nisi me
constrictum domesticis hostibus dedidissent(/5')S cum sena-
tus equitesque Romani flere pro me ac mutata veste vobis
supplicare edictis atque imperiis vetarentur (iS)^ cum om-
nium provinciarum pactiones, cum omnia cum omnibus
foedera reconciliationesque gratiarum sanguine meo sanci-
rentur (i-{-2S), cum omnes boni non recusarent, quin vel pro
me vel mecum périrent (tS), armis decertare pro mea salute
nolui (iii)-y quodetvincereetvinciluctuosumrei publicae fore
putavi (^triôSy 14 At inimici'mei, mense lanuario cum de
me Si^ereiuv (voir la notey^ corporibus civium trucidatis flu-
mine sanguinis meum reditum intercludendum putaverunt
{iS). 6 Itaque, dum ego absum, eam rem publicam habuis-
tis (jribS)^ ut aeque me atque illam restituendam putaretis
(iS). Ego autem, in qua civitate nihil valeret senatus (tS)^
omnis esset impunitas (Sz), nulla iudicia {lA), vis et ferrum
in foro versaretur (^ -{- 25), cum privati parietum se prae-
sidio, non legum tuerentur (eS), tribuni pi. vobis inspectan-
tibus vulnerarentur (iS)^ ad magistratuum domos cum ferro
et facibus iretur (iS), consulis fasces frangerentur (/5), deo-
rum immortalium templa incenderentur (^5), rem publicam
i. Un certain norabre de manuscrits secondaires écrivent dédissent :
on doit écarter cette leçon pour la raison donnée p. 48 n. 3.
2. Glausule irrégulière, sans doute pour attirer l'attention sur l'idée,
La conjecture d'Orelli : nolui, quod potui donne également une clausule
incorrecte.
3. De-me-ageretur forme un groupe, correctement précédé d'un iambe
(Bornecque, les clausules, § 434).
LE « POST REDITUM » 53
esse nullam putavi (iS)\ Itaque neque re publica extermi-
nata mihi locum in hac urbe esse duxi (tS), nec, si illa resti-
tueretur, dubitavi quin me secum ipsa reduceret (voir la
note)-, lo An ego, cum mihi esset exploratissimum P. Len-
tulum proximo anno consulem futurum (/S)^ qui iliis ipsis
rei publicae periculossissimis temporibus aedilis curulis me
consule omnium meorum consiliorum particeps periculo-
rumque socius fuisset (tS), dubitarem, quin isme confectum
consularibus vulneribus consulari medicina ad salutem redu-
ceret (voir la note)^"^ Hoc duce,collega autem eius, clemen-
tissimo atque optimo viro, primo non ad versante, post etiam
adiuvante (tS), reliqui magistratus paene omnes fuerunt
defensores salutis meae (Si) ; ex quibus excellenti animo,
virtute, auctoritate, praesidio, copiis (Si) T. Annius et P.
Sestius praestanti in me benivolentia et divino studio extite-
runt(/S); eodemque P. Lentulo auctore et pariter referente
collega (iS) frequentissimus senatus, uno dissentiente, nullo
intercedente (voir la note ) ^ dignitatem meam, quibus po-
tuit, verbis amplissimis ornavit, salutem vobis, municipiis,
coloniis omnibus commendavit {i -\-2S). 16 Ita me nudum
a propinquis (tS), nulla cognatione munitum (iS), consules,
praetores, tribuni pi., senatus, Italia cuncta semper a vobis
deprecata est {tS), denique omnes, qui vestris maximis bene-
1. La leçon de EV : nullam esse putavi donnerait une clausule incor-
recte (tin d'hexamètre). On notera que, dans cette phrase, par les pieds
employés, ou par la répartition des pieds entre les mots, C. a su éviter
que deux clausules fussent identiquement semblables.
2. Scander reduceret (cf. p. 50 n. 3), G. n'admettant que dans ses
premiers discours le trochée devant un diiambe final.
3. La clausule est incorrecte, pour la raison donnée dans la n. 3 de
la p. 48.
4. On peut scander indifféremment reduceret (cf. n. 2) et reduceret-,
les mots finaux de type mendacium ou ferentibus pouvant être précédés
d'un spondée. ' ^ '
5. Nullo-intercedente (SSS) forme un groupe, équivalant 'à" Wsétil
l)icd, et, par suite, correctement précédé d'un trochée. ^''' '' ''"''"'
54 HENRI BORNEGQUE
ficiis honoribusque suntornati {t -]- 2S), producti ad vos ab
eodem non solum ad me conservandum vos-cohortati-sunt
(/-h 25), sedetiam rerum mearum gestarum auctores, testes,
laudatores fuerunt(^S). 7 Quorum princeps ad cohortandos
vos et ad rogandos fuit Cn. Pompeius (voir la notey, vir
omnium, qui sunt, fuerunt, erunt, virtute, sapientia, gloria
princeps (iS) ; qui mihi unus uni privato amico eadem omnia
dédit, quae universae rei publicae (Si), salutem, otium, di-
gnitatem (tS). Cuius oratio fuit, quem ad modum accepi,
tripertita (iS) ; primum vos docuit meis consiliis rem publi-
cam esse servatam causamque meam cum communi sainte
coniunxit (iS) hortatusque est, ut auctoritatem senatus, sta-
tum civitatis, fortunas civis bene meriti defenderetis (/S),
tum [me] in perorando posuit vos rogari a senatu, rogari ab
equitibus Romanis, rogari ab Italia cuncta(^S)^ deinde ipse
ad extremum pro mea vos salute non rogavit solum, verum
etiam obsecravit ((S)'\ Huic ego homini, Quirites, tantum
debeo, quantum hominem homini debere vix fas est (iS).
Huius consilia, P. Lentuli sententiam, senatus auctoritem
vos secuti (tS) in eo me loco, in quo vestris beneficiis fue-
ram (AA)^, isdem centuriis, quibus conlocaratis, reposuistis
(tribS). Eodem tempore audistis eodem ex loco summos
viros (Si), ornatissimos atque amplissimos homines (^A),
principes civitatis (/S), omnes consulares (tS), omnes prae-
torios eadem dicere (Si), ut omnium testimonio per me
unum rem publicam conservatam esse constaret (iS). Ita-
que, cum P. Servilius, gravissimus vir et ornatissimus civis
4. Cf. la n. 2 de la p. suiv., mutatis mutandis.
2. Italia forme un péon IV ; sinon l'on aurait une clausule incorrecte
AS.
3. Dans obsecravit, noter l'e bref.
4. Pour rendre la clausule correcte, écrire beneficis (cf. n. suiv.) ;
nous avons ainsi une clausule iA. Dans tous les cas, on ne saurait ad-
mettre le texte proposé par Lambin : beneficiis collocatus fueram {SA).
LE « POST REDITUM » 5o
(«S), dixisset opéra mea rem publicam incolumem magistra-
tibus deinceps traditam (Sz), dixerunt in eandem sententiam
ceteri (Si). Sedaudistis eo tempore clarissimi viri non solum
auctoritatem, sed etiam testimonium, L. Gelli (z-(-2S);
qui quia suam classem adtemptatam magno cum suo peri-
culo paene sensit (^S), dixit in contionevestrum, si ego con-
sul, cum fui, non fuissem ÇtS), rem publicam funditus
interituram fuisse ÇtS).
8, 18 En ego tôt testimoniis,Quirites (/S)%hac auctoritate
senatus, tanta consensione Italiae, tanto studio bonorum
omnium (Si), agente P. Lentulo, consentientibus ceteris
magistratibus, deprecante Cn. Pompeio (voir la notey,
omnibus hominibus faventibus, dis denique immortalibus
frugum ubertate, copia, vilitate reditum meum comproban-
tibus(?;oiV la notey mihi, meis, rei publicae restitutus (^6)
tantum vobis, quantum facere possum, Quirites, pollice-
bor (^S),primum, qua sanctissimi homines pietate erga deos
immortalis esse soleant, eadem me erga populum Romanum
semper fore (St) numenque vestrum aeque mihi grave et
sanctum ac deorum immortalium in omni vita futurum (tS)^
deinde, quoniam me in civitatem res publica ipsa reduxit
(voir lanoté)^^ nullo me loco rei publicae defuturum(^»S).
19 Quodsi quis existimat me aut voluntate esse mutata aut
debilitata virtute aut animo fracto, vehementer errât (tS).
Mihi quod potuit vis et iniuria et sceleratorum hominum
furor detrahere, eripuit, abstulit, dissipavit (^*S) ; quod viro
1. La clausule est incorrecte pour la raison donnée p. 48, n. 3. On
corrigera la faute en écrivant testimonis (cf. p. préc. n. 4).
2. Cnaeo-Pompeio forme un groupe, correctement précédé d'un tro-
chée (cf. Bornecque, les clausules, § 440).
3. Devant un mot final de type comprobantibus, l'iambe est recherché
(cf. ib. § 43o).
4. Scander rêduxit, ce qui donne la clausule correcte iS ; cf. p. 53,
56 HENRI BORNECQUE
forti adimi non potest, f ideo manet et permanebit (tS). Vidi
ego fortissimum virum, municipemmeum, G. Marium (fozV
la noté) * (quoniam nobis quasi aliqua fatali necessitate non
solum cum iis, qui haec delere voluissent (tribS), sed etiam
cum fortuna belligerandum fuit) (Si) — eum tamen vidi ,
cum esset summa senectute, non modo non infracto animo
propter magnitudinem calamitatis (tribS), sed confirmato
atque renovato (jtrnbS). 20 Quem egomet dicere audivi tum
se fuisse miserum (M), cum careret patria, quam obsidione
liberavisset (ï5), cum sua bona possideri ab inimicis ac
diripi audiret («S), cum adulescentem filium videret eius-
dem socium calamitatis (tribS), cum in palubibus demersus
concursu ac misericordia Minturnensium corpus ac vitam
suam conservaret(z-|-25), cum parva navicula pervectus in
Africam, quibus régna ipse dederat, ad eos inops supplexque
venisset(25)-; reciperata vero sua dignitate se non commis-
surum, ut, cum ea, quae amiserat, sibi restituta essent (iS),
virtutem animi non haberet, quam numquam perdidisset
ÇtS). Sed hoc inter me atque illum interest (Si), quod ille,
qua re plurimum potuit, ea ipsa re inimicos suos ultus est,
armis (iS), ego, qua consuevi, utar arte (tS)^, quoniam illi
arti in bello ac seditione locus est, huic in pace atque otio
(S^). 21 Quamquam ille animo irato nihil nisi de inimicis
ulciscendis agebat (tS), ego de ipsis inimicis tantum, quan-
tum mihi res publica permittit, cogitabo (tS). 9 Denique,
Quirites, quoniam me quattuor omnino hominum gênera
4. Caium-Mariûm forme un groupe, précédé correctement d'un tro-
chée (Bornecque, les clausules, § 437).
2. Cf. p. 53, deuxième partie de la n. i.
3. Donnent une clausule incorrecte les leçons des mss. : consuevi
Mfar (SS), à moins d'admettre une diérèse de consilêvi ; pietate utar
{AS)^ à moins d'admettre un hiatus, et utar pietate (DS) ; la conjecture
de Mommsen : consueui ui, utar (SS). Au contraire la conjecture de
Lambin : utar lenitate donne une clausule correcte.
LE « POST REDITUM « 57
violarunt (//7*^S)S unum eorum, qui odio rei publicae,
quod eam ipsis invitis conservaram, inimicissimi mihi
fuerunt (voir lanoté)^, alterum qui per simulationem ami-
citiae nefarie me prodiderunt (^^S*), tertium, qui cum
propter inertiam suam eadem adsequi non possent, invide-
runt laudi et dignitati meae(5'i), quartum, qui cum custo-
des rei publicae esse deberent (iS^ % saiutem meam, statum
civitatis, dignitatem eius imperii, quod erat pênes ipsos,
vendiderunt (jS), sic ulciscar singulorum facinora, quem
ad modum a quibusque sum provocatus (jtS), malos civis re
puBlica bene gerenda (tribS), perfides amicos nihil cre-
dendo atque omnia cavendo QribS), invidos virtuti et
gloriae serviendo QS), mercatores provinciarum revocando
domum atque ab iis provinciarum ratione repetenda (^tribS) *.
22 Quamquam mihi, Quirites, maiori curae est, quem ad
modum vobis, qui de me estis optime meriti, gratiam
referam (lA)^ quam quem ad modum inimicorum iniurias
crudelitatemque persequar ÇSii). Etenim ulciscendae iniu-
riae facilior ratio est quam beneficii remunerandi (tS),
propterea quod superiorem esse contra improbos minus est
negotii quam bonis exaequari (i-\-2S). Tum etiam ne tam
necessarium quidem est maie meritis quam optime meritis
1. On ne peut admettre le texte d'Orelli : gênera hominum violarunt,
qui donne une clausule incorrecte (DS).
2. L'iambe n'étant pas admis devant un mot final de type fuêrunt,
scander mihi, qui donne une clausule de forme trib S. On voit que le
texte d'Orelli : mihi inimicissimi fuerunt donne une clausule incorrecte.
3. Deberent est une conjecture d'Ernesti, pour le debuerunt des mss.,
qui donne une clausule incorrecte, un mot final de forme ditrochaïque
n'étant jamais précédé d'un trochée ; toutefois on peut scander debuerunt
(cf. p. 49, n. *2), ce qui donne la clausule correcte iA. C'est elle aussi
qu'amènent les conjectures d'Heumann : debuerint et d'Ernesti : debuerant.
4. Alors que le texte de EV : ratione eœpetenda donne une clausule
correcte, on doit rejeter, pour des raisons métriques (clausule DS), la
leçon de G* : rationem repetenda et celle de P et G corr. SW et 18 Lag. :
rationem repetendo.
38 HENRI BORNECQUE
referre, quod debeas (Si). 23 Odium vel precibus mitigari
potest ÇSi) vel temporibus rei publicae communique utili-
tate deponi (iS) vel difficultate ulciscendi leniri vel vetus-
tate sedari (iS) ; bene meritosne colas, nec exorari fas est,
neque id rei publicae remittere verum neque necesse est
(/reô5) ; neque est excusatio difficultatis, neque aequum
est tempore et die memoriam beneficii definire(^H-25)^
Postremo, qui in u'ciscendo remissior fuit, in eo morum
asperitas certe non reprehenditur (voir lanoté)^\ at gravis-
sime vituperatur, qui in tantis beneficiis, quanta vos in me
contulistis, remunerandis est tardior (-S'i), neque solum
ingratus, quod ipsum grave est, verum etiam impius appel-
letur necesse est (tS). [Atque in offîcio persolvendo dissimi-
lis est ratio pecuniae debitae (Si), propterea quod pecu-
niam, qui retinet, non dissolvit, qui reddidit, non habet
(Si) ; gratiam et, qui rettulit, habet, et qui habet, dissol-
vit (85)^]
10, 24 Quapropter memoriam vestri beneficii colam beni-
volentia sempiterna (tS), nec ea cum anima expirabit mea
(Si), sed etiam, cum me vita defecerit (6*2) S multa moni-
menta vestri in me beneficii permanebunt (tS). In referenda
autem gratia hoc vobis repromitto semperque praestabo
(eS), mihi neque in consiliis de re publica capiendis diligen-
4. Écrire benefici d., ce qui rend la clausule correcte (z-f-^S).
2. Le premier e de reprehenditur peut être considéré indifféremment
comme bref ou long ; s'il est bref, la clausule est de forme Ai ; s'il est
long, de forme SU. — Le lexte des mss. est métriquement correct {aperte
utitur= Si) ; de même la conjecture de Koch : venia certe utitur, mais
non celles de Lambin (partim laudatur= SS) ou d'Orelli (aperte lauda-
tur = SS).
3. La clausule seule indiquerait que le passage est interpolé. La con-
jecture de Halm : et retinet et di&solvit donne une clausule correcte (trib.
4. On pourrait conserver la leçon des mss. : anima defecerit mea
iSii).
LE « POST REDITUM » S9
tiam (voir la noté)\ neque in periculis a re publica propul-
indis animum {SAy, neque in sententia simpliciter f erenda
idem (Si), neque in hominum voluntatibus pro re publica
ledendis libertatem {S-\-2S)^, nec in perferendo labore
idustriam (Sï)'\ nec in vestris commodis augendis grati
inimi benivolentiam defuturam (tS). 25 Atque haec cura,
(uirites, erit infixa animo meo sempiterna (^5), ut cum
vobis, qui apud me deorum immortalium vim et numen
tenetis (jS), tum posteris vestris cunctisque gentibus dignissi-
mus ea civitate videar (M), quae suam dignitatem non posse
se tenere, nisi me reciperasset (tribS), cunctis suffragiis
iudicavit {tS).
Cette scansion va nous permettre de vérifier si les clausu-
les étudiées ici rentrent dans les différents types qui, d'après
le système admis en Allemagne, constituent les clausules
fondamentales, et, suivant M. Dupuis% résument toutes les
clausules. Naturellement on a dû faire entrer en ligne de
compte les seules clausules où le mot ou groupe final forme
moins de deux pieds : des autres, la liste allemande en
laisserait de côté un bon nombre ; quant à M. Dupuis,
comme il admet indifféremment, en place antépénultième,
1. Diligentiam est correctement précédé d'un spondée (Bornecque, les
clausules, § 435).
2. La correction qui rendra la clausule correcte est suggérée par le
texte de Mamertinus (Gratiarum Actio Juliano 32, Baehr., p. 270, 13
sqq.), qui a imité de très près cette péroraison. Il suffit de faire permuter,
à son exemple, periculis et propulsandis ; la nouvelle clausule (lA) est
correcte.
3. Mamertinus a le même texte que Cicéron. Je propose de faire, ici
encore, permuter laedendis et voluntatibus ; la clausule prend la forme
correcte i-\- 2S.
4. Jamais, chez Cicéron, un mot tinal de ïovme indust riain n'est pré-
cédé d'un iambe. Écrire, avec Mamertinus : in laboribus perferendis in-
lustriam.
5. Id. Dupuis, Le nombre oratoire, pp. 266 et 267.
60 HENRI «ORNEGQUE
les huit pieds reçus en place pénultième, il nous conduirait
à tracer un tableau interminable (2o6 lignes).
La liste donnée ici est celle que propose M. Dupuis ; les
clausules imprimées en capitales sont celles qui sont regar-
dées également comme fondamentales dans le système alle-
mand. Les astérisques placées après le nom du pied final
indiquent les clausules qui, d'après mes recherches, sont
admises par Cicéron dans un quelconque de ses ouvrages.
Nombre de clausules du Post Reditum ad Quirites
AVANT
CORRECTION.
APRÈS CORRECTION.
Trochée + Spondée *
31
33
Crétiqle*
7
6
Anapeste *
4
5
Péon IV
Spondée - -f- Spondée
1
Crétique *
12
12
Anapeste
1
Péon IV 3
Dactyle -|- Spondée
1
Crétique *
1
Anapeste
Péon IV
Crétique -\- Spondée *
30
31
Crétique*
14
14
Anapeste*
6
7
Péon IV ^
4. Sur les 7 exemples, dans 5 cas le trochée est précédé d'une longue ;
dans 2 cas seulement, on trouve une brève devant lui ; encore une cor-
rection élimine-t-elle une des deux exceptions.
2. Le système allemand parle de molosse -j- crétique.
3. Admis avec les césures — | ^^^- ; --^ | ^^-, mais non — ^^ | ^-.
4. Admis avec la césure -^^- | ->^-, mais non -^^ | -^-.
5. Admis dans les deux premières périodes des discours seulement.
^RIBRAQUE -}- SpOiSDÉE *
20
Crétique ^
Anapeste
Péon IV
Anapeste -\- Spo^idée *
1
Crétique - *
4
Anapeste
1
Péon .IV 3
Iambe^ + Spondée
Crétique
Anapeste
Péon IV
Péon IV + Spondée*
3
Crétique *
1
Anapeste*
1
Péon IV ^
LE « POST REDITUM » 61
20
Que de cases vides dans la liste de M. Dupuis, même si
par la pensée, on remplit celles qui pourraient l'être I La
liste allemande n'aurait-elle pas besoin d'être élaguée à cer-
tains endroits, à d'autres complétée? Si l'on veut bien se
rappeler que nous n'avons envisagé qu'un certain nombre
de clausules, on verra, croyons-nous, dans ce tableau, la
preuve concrète de la difficulté, pour ne pas dire de l'impossi-
bilité, à laquelle se heurteront toujours ceux qui voudront
faire rentrer dans quelques types fondamentaux toutes les
clausules métriques latines, ou seulement les plus employées.
1. Dans le système allemand, péon 1 + crétique.
2. Dans le système allemand, choriambe H- spondée ou -+- crétique.
3. Cf. n. 5 de la p. préc.
4. Ce groupe de clausules pourrait être supprimé. Si l'iambe est pré-
cédé d'une longue, il devient un crétique, qui figure plus haut comme
pied pénultième ; de même si, précédé d'une brève, il forme un anapeste;
précédé do deux brèves, il peut être considéré comme un péon IV, qui
ligure plus loin comme pied pénultième.
R. GAGNAT
LA RÉORGANISATION DE L'AFRIQUE
SOUS DIOCLÉTIEN
LA RÉORGANISATION DE L'AFRIQUE
SOUS DIOCLÉTIEN
Par R. Gagnât
On sait que parmi les réformes de l'empereur Dioclétien
figure la réorganisation des provinces de l'Empire. « Les
empereurs avaient reconnu, écrit Duruy % que des comman-
dements qui s'étendaient à des régions aussi vastes que des
royaumes donnaient d'ambitieux désirs et des tentations
mauvaises. Plus qu'aucun de ses prédécesseurs, Dioclétien
eut le sentiment de ce péril et, comme il avait divisé l'em-
pire pour le mieux défendre, il augmenta les divisions pro-
vinciales pour les mieux gouverner. » On sait aussi que la
liste des nouvelles provinces dioclétiennes nous a été con-
servée par plusieurs documents dont le plus important est
celui qui a reçu le nom de Laterculus Veronensis^ .
Mommsen qui a fait du texte une étude toute spéciale a
fixé la date où il fut rédigé. Il fait remarquer qu'on y voit
figurer l'Egypte, qui ne fut soumise par Dioclétien qu'en 296,
i. Eist. des Romains, VI, p. 564.
2. Le texte a été publié plusieurs fois. Les éditions qui font autorité
sont celles de Mommsen, Verzeichniss der rôm. Provinzen aufgesetz um
W7 (Phil. Abhandl. der Berlin. Akad., 4862, p. 489 et suiv.) ; Otto
Seeck, Notitia Dignitatum, p. 247 et suiv. ; Riese, Geogr. lat. min.,
p. 127.
5
66 R. GAGNAT
et la province de Bretagne, qui fut réintégrée la même an-
née à l'Empire à la suite de la défaite d'Allectus; donc le docu-
ment n'est pas antérieur à 296. « La liste de Vérone fut dressée
immédiatement après l'érection des nouveaux diocèses, en
297 ou peu après ; elle n'est autre que le tableau des diocè-
ses et des provinces qui fut mis officiellement en circulation
après cette importante transformation administrative et qui
présente en beaucoup d'endroits des dénominations alors usi-
tées et tombées plus tard en désuétude. »
Mais si le tableau a été établi en une fois, les modifications
qu'il constate ne furent assurément pas l'œuvre d'un jour ;
elles ont été introduites successivement, au fur et à mesure
des circonstances. C'est ce que montrera pour l'Afrique, la
présente note ; je voudrais y rechercher, autant qu'il peut se
faire, la date exacte où se sont constituées les nouvelles di-
visions administratives du pays.
Je rappellerai d'abord brièvement que le passage de la
liste de Vérone consacré à l'Afrique est fort corrompu ^ et a
donné lieu à différentes opinions, qu'il sera facile de résumer
en deux mots-. Il y a, dans ce passage, opposition entre le
chiffre des provinces annoncées, VII, et leur énumération qui
les réduit à six. Les uns admettent donc que le chiffre VII
est exact et qu'une province a été omise par le copiste, la
Tripolitaine ; les autres pensent que la Numidia militiana
ou, en corrigeant cette épithète étrange, limitanea, est la
même chose que la Tripolitaine, située sur le limes mili-
taire de la Numidie, à l'est, et qu'en conséquence le chiffre
VII est erroné et doit être remplacé par VI.
1. Diocensis Africae habet prouincias numéro vu : proconsularis zeu-
gitana, bizacina, numidia cirtensis, numidia miliciana, mauritania caesa-
riensis, mauritania tabia insidiana.
2. Cf. sur ces discussions Tissot, Géogr.de V Afrique, II, p. 37 ; Goyau,
Mél. de Rome, XIII, p. 251 et suiv. ; R. Gagnât, Armée d'Afrique, p. 704
et suiv.
L'AFRIQUE SOUS DIOGLÉTIEN 67
Depuis que M. Goyau* et moi^ avons démontré que des
inscriptions africaines, du début du iv^ siècle, trouvées à
Timgad, en pleine Numidie, portent bien réellement la men-
tion d'une N(iimidia) M , ce qui vient d'être confirmé
par une découverte récente^, la question a fait un pas ; on ne
peut plus dire qu'il faut changer sur la liste de Vérone Mi-
litiana en limitanea et il devient difficile de faire de cette
province énigmatique la Tripolitaine. Il faut donc ou admet-
tre une omission du copiste, ou chercher le mot Tripolitana
dans le mot insidiana qui termine le texte. Est-il beau-
coup plus difficile de l'y trouver que de trouver, comme
l'a faitMommsen,* dans le groupe tabia insidiana la Siti-
fensis, épithète qui cependant s'impose? En résumé, il sem-
ble admis qu'il faut attribuer à Dioclétien la création de sept
provinces : Proconsularis ou Zeugitana, Byzacena, Tripoli-
tana, Numidia Cirtensis, t^umidia Militiana 7, Mauretania
Caesariensis, Mauretania Sitifensis.
Peut-on savoir en quelle année chacune de ces provinces
a pris naissance ?
\° Proconsidaire et Byzacène. La Byzacène est un fragment
de l'ancienne Afrique proconsulaire. On admet que pour
opérer ce démembrement on procéda comme suit^ La partie
septentrionale du pays jusqu'à une certaine ligne que j'ai
4. Loc. cit., p. 254.
2. Op. cit., p. 706 et suiv.
3. Bull. arch. du Comité, 4907, p. 274:... Augg. et Constanti et
Maximiani nobb. Caess. templum dei Mercuri ... iussione u. p. Valeri
Florip. p. N. M. at pristinum statum... La lecture p(raesidis) pfrouin-
ciae) N(umidiae) M. est absolument certaine comme dans les inscrip-
tions relatives au même personnage déjà connues.
4. Il fait de tabia une répétition erronée et fautive de la fin du mot
Mauretania qui précède ; M. Jullian (Mél. de Rome, II, p. 86 et suiv.), y
voit un adjectif formé de Zabi, ville connue de Sitifienne. Tous deux cor-
rigent Insidiana en Sitifensis.
5. C. I. L., VIII, praef. p. xvii et xviii ; cf. p. 4576.
I
68 R. GAGNAT
essayé d'établir ailleurs % constitua, sous la dépendance du |
proconsul d'Afrique, la Zeugitane ; au-dessous ce fut la Byza- I
cène. Mais pour compenser ce qu'on lui enlevait au Sud, on i
attribua à ce gouverneur en partie dépossédé de son an- j
cienne puissance, aux dépens de la Numidie, une large ^
bande de terrain, à l'Ouest, comprenant le territoire de
Theveste et une partie de la région qui s'étendait au Nord, i
en particulier les environs de la ville de Madaure ; des trou- j
vailles épigraphiques récentes viennent à l'appui de cette i
théorie *. l
La nouvelle frontière créée entre la Zeugitane et Byzacène, j
courant entre Zama et Ammaedara, passait au Nord de la \
ville de Mididi, qu'un contrat de patronat bien connu ^ nous \
montre positivement comme rattachée à la Byzacène au iv^
siècle. Or en l'année 294, Mididi faisait encore partie de la
Proconsulaire puisqu'à cette date, sur l'inscription destinée
à commémorer la réfection du forum, le proconsul, Aurelius
Aristobulus, figure comme dédicant*. j
Felicissimo saeculo dominorum nostrorum C. Aureli \
Valeri (Dio)cletiani PU Fel(icis) Imi(icti) Aug(iisti)[et M. |
Aureli Valeri Maximiani PU Fel(icis) Inu(icti) Aug(usti\et [
M. FI. Valeri ConstantietC.Galeri Valeri Maximiani nobi- i
lissimorum Caes(arum) et consulum porticum cura arcu \
suo quae foro ambiendo deerat Aur. Aristobulus u(ir) \
c(larissimus) procos Africae dedicauit. \
L'année suivante se place un fait important pour la ques-
1. Beitrâge zur alten Geschichte, II (1902), p. 73 et suiv.
2. Rec. de Constantine, XL (1906), p. 422 et 424, n^s 408, 411 et 449,
Tous ces textes trouvés à Madaure font mention du proconsul ou de son
légat.
3. C. L L., VI, 1689.
4. C. L L., VIII, 608. L'inscription est datée par la mention du con-
sulat des Césars. Cf. Fallu de Lessert, Fastes des provinces africaines,
II, p. 2.
L'AFRIQUE SOUS DIOGLÉTIEN 69
tion qui nous occupe, le martyre de saint Maximilien^ Cet
homme était appelé sous les drapeaux. Croyant, s'il obéis-
sait, exposer sa foi de chrétien, il se refusa au recrutement.
D'où citation devant le magistrat, mise en demeure de se
soumettre à la loi, nouveau refus solennel du conscrit et
condamnation à mort. Ceci se passait le IV des Ides de
Mars, sous le consulat de Tuscus et d'AnuUinus, Theveste,
in foro ^ Donc au début de 295, le proconsul juge à ïheveste
un déserteur et un chrétien, mission qui revenait, si la ville
avait été alors comme précédemment en Numidie, soit au
commandant de la légion résidant à Lambèse, soit au gouver-
neur civil de la province, suivant que le refus était consi-
déré comme un crime militaire ou comme une profession de
christianisme. L'explication la plus naturelle est évidemment
d'admettre qu'à ce moment Theveste était réuni à la Pro-
consulaire et que la séparation en deux parties de l'ancienne
Africa était un fait accompli.
La naissance de la Byzacène remonterait donc à l'année
294/295.
2"" Numidie. — Pour la séparation de la Numidie en deux
parties, nous ne pouvons pas arriver à un résultat aussi
précis.
En 289/293 S le gouverneur du pays porte le titre àeprae-
1. Ruinart, Acta sincera, p. 309 et suiv.
2. ¥. L'indication de Theveste, écrit Dom Leclerq {Les Martyrs, II,
p. 152) doit être une faute de copiste ; car cette ville était en Numidie où
le proconsul n'avait pas juridiction. Il résulte d'un autre endroit des actes
que le lieu de la scène était proche de Carthage, puis que la matrone
Pompeiana transporta en litière dans cette dernière ville le corps du mar-
tyr. » Les deux objections sont loin d'être convaincantes. Theveste n'était
plus en Numidie après les réformes de Dioclétien ; quant à l'acte pieux de
la matrone qui rapporta le saint à Carthage, pour l'enterrer auprès du
tombeau de saint Cyprien, il ne prouve rien, cela est évident, sur la dis-
tance qui séparait de la capitale la ville où le martyre eut lieu.
3. C. I. L., VIII, 2572, 2660 (Lambèse) ; 7003 (Gonstantine).
70 R. GAGNAT
ses provinciae Numidiae sur des inscriptions trouvées au 1
Nord comme au Sud de ladite province. A cette date, il n'y
avait encore qu'une Numidie. Le gouverneur de 295, Con- ;
cordius, est appelé par le Code Justinien, au milieu de ■
l'année : praeses Numidiae ^ ; mais au temps où le Code Jus- i
tinien fut publié on était loin de Dioclétien et de ses réfor- i
mes, et l'on ne se croyait pas tenu de transcrire avec une j
exactitude scientifique des indications qui, ne répondant |
plus à la réalité, n'avaient aucune importance pour les con- \
temporains^. D'autre part, la première mention d'une Niimi- \
dia M remonte au gouvernement de Valerius Florus, qui j
est de 303 ^. Entre 295 et 303 les documents nous font dé- i
faut. Heureusement la liste de Vérone nous fournit une date i
moins reculée : 297. A ne considérer que les textes, ladivi- ;
sion de la Numidie se placerait donc entre 295 et 297. Mais |
il est permis de se demander si cette division ne s'est point \
opérée en même temps qu'on détachait la partie orientale de ■
la province pour la réunir à la Proconsulaire, c'est-à-dire \
en 294/295. ;
3" Tripolitaine . M. Fallu de Lessert, dans son excellent '
livre intitulé Fastes des provinces africaines *, avait cru !
pouvoir avancer, avec quelques doutes, qu'en l'année 295, j
la Tripolitaine existait comme province propre ; il se fon- \
dait, pour émettre cette proposition, sur l'inscription sui- I
vanter
1. Cod. Just., IX, 9, 28: IdemAA. et CC. Concordio praesîdi Numi-
diae... P(ro)p(osita) K(alendis) lun(iis) Tusco et Anullino conss.
2. Cf. sur la liberté prise par les rédacteurs du Code, Kriiger, Hist. des
sources du droit romain, p. 434 et 460.
3. Fallu de Lessert, Fastes, II, p. 314 et suiv. ; cf. plus haut, p. 67
note 3.
4. Ibid., p. 299.
5. Comptes rendus de VAcad. des Inscr., 4894, p. 472.
L'AFRIQUE SOUS DIOGLÉTIEN 71
I M P ■ C A E S ^ '^""'\ — - —^ PIVS FELIX INVICTVS
AVG • GERMANÏCVS PERSICVS MAXIMVS PONTIFEX
MAXIMVS TRIB ■ P • XII • COS • V P ■ P ■ PROCOS • CASTRA ■ COH
VIII FIDAE OPPORTVNO LOCOASOLOINSTITVIT
OPERANTIBVS FORTISSIMIS MILITIBVS SVIS EX LIMI
TE TRIPOLITANO
Nous avions tous pensé avec lui que dans l'espace martelé
il convenait, à cause des surnoms qui suivent, de restituer
le nom de Dioclétien. Dès lors le texte se serait placé en
l'année 295. Mais, depuis lors, l'inscription a été revue et
l'on a pu lire avant les mots Pius Félix, les lettres IVS
GALLIENVS insuffisamment eflPacées par le lapicide *. Le
texte remonte par suite à l'année 263 ; il ne peut plus être
utilisé pour étudier les réformes dioclétiennes : le limes
Tripolitanus qui y est cité est la frontière militaire de Tri-
politaine, dépendant du commandant en chef de la Numidie,
telle qu'elle existait avant la tétrarchie.
Le document le plus voisin de 297 par sa date est une
inscription provenant d'un fortin de cette frontière, sis au
lieu appelé jadis Tibubuci^ ; par malheur elle ne porte pas
de mention chronologique :
Centenarium Tibiibuci quod Valerius Vibianus u(ir)
p(erfectissimus) initiari, Aurelius Quintianiis u(ir) p(er-
fectissimus) praeses prouinciae Tnpolitanae, perfici cu-
rauit.
M. Gauckler a supposé que cet Aurelius Quintianus était
le même que le personnage qui en 303 était à la tête de la
Numidie^; supposition fort acceptable. Mais cette consta-
1. Bull. arch. du Comité, 1901, p. 430.
2. Gauckler, Mél. Perrot, p. 125.
3. Fallu de Lessert, op. cit., II, p. 313.
72 R. GAGNAT
tation ne nous fixe aucunement sur la date où il gouvernait
la Tripolitaine, non plus que sur celle qu'il faut assigner à son
prédécesseur Valerius Vibianus. De tout cela il n'y a rien à
tirer de certain.
4° Mauretanie. Les documents sont plus nombreux et plus
précis pour la Mauretanie. La Sitifienne est mentionnée pour
la première fois sur l'inscription suivante, découverte à Bou-
gie, qui faisait précisément partie de cette dernière province ^ :
lunoni ceterisque diis immortalibus gratiam referens
quod coadiinatis secum militibus dd. nn. inuictissimorum
Augg. tam ex p(romncia) Maur(etania) Caes(ariensi) quant
etiam de Sitifensi adgressiis Quinquegentianos rebelles
[post\ caesos multos etiam et uiiios adprehensos sed et prae-
das actas repressa desperatione eorum uictoriam reportà-
uerit Aurel. Litiia ii(ir) p(erfectissimus) p(raeses)
M(auretaniae) Caes(ariensis) .
Les deux Césars Galère et Constance Chlore dont l'avène-
ment remonte au 1" mars 293^, ne figurant pas sur cette
pierre, il semble qu'elle soit antérieure à 293 et que, à cette
date, la Sitifienne existait déjà.
Mais M. Poulie, auquel on doit un article excellent sur la
question^, a fait observer combien est « étrange de voir un
gouverneur se faire dresser un monument dans une ville
qu'il n'administre pas, qui ne relève pas de sa juridiction.
Les Salditains (habitants de Bougie), pouvaient-ils, bien
qu'ayant été délivrés pour un instant des incursions des
Quinquégentiens, leurs voisins, s'associer à la glorification du
praeses de Mauretanie Césarienne, sans encourir la disgrâce
1. CI. L., VIII, 8924.
2. Sur cette date voir Goyau, Chronol. de VEmpire romain, p. 346 et
les sources qu'il cite note 6. On croyait autrefois que le fait s'était passé
en 292.
3. Rec. de Constantine, VI (1862), p. 169 et suiv.
L'AFRIQUE SOUS DIOGLÉTIEN 73
de celui de la Sitifienne, quelque peu jaloux, sans doute,
de voir, sur la place publique de Saldae un monument élevé
en l'honneur d'un collègue en possession d'une partie des
attributions qui auraient dû être dans ses mains, sous peine
de le mettre dans un état d'infériorité aux yeux des admi-
nistrés?... Supposons, au contraire, qu'Aurélius Litua a fait
son expédition avant la division de la Maurétanie Césarienne
en deux provinces, et que cette division était effectuée lors-
qu'on élevait son monument sur la place de Saldae ; alors
toute contradiction, toute anomalie disparaît de notre ins-
cription ».
Donc au printemps de 293 la campagne d'Aurelius Litua
aurait été terminée et la séparation de la Maurétanie en
deux parties effectuée, peut-être déjà depuis quelque temps.
Mais un document nouveau est venu compliquer la question.
Au col de Kafrida en Kabylie, c'est-à-dire en Sitifienne, on
a découvert en 1880 la dédicace d'un fortin* :
Imp(eratoribuii) Caes(aribiis) C. Aur. Val. Diocletiano
et M. Aurel. Val. Maximiano Invictis Piis Felicibiis Augg.
et Constan[tio] et Maximiano nobilissimis Caesaribus T.
Aurel. Litua u(ir) p(erfectissimus) p(raeses) M(auretaniae)
Caes(ariensis) centenariiim Aqua Frigida restituit a[tqu]e
ad meliorem faciem reforma[int salvis dd. nn. multis an-
nis\feliciter !
Cette fois nous sommes à une époque postérieure au
1" mars 293. Aurelius Litua, gouverneur de Césarienne,
fait relever un fortin en Sitifienne. Ce n'est possible que si
la province n'est pas encore divisée ou si, dans cette pro-
vince divisée, il a gardé le pouvoir militaire. M. Poulie,
dans un second article ^, a reconnu tout de suite que ce der-
1. C. LL., VIII, 20-215.
2. Reç, de Çonstantine, XX (1879-1880), p. 263.
74 R. GAGNAT
nier texte a dû être gravé, avant le précédent, alors que la
guerre n'était pas finie, ou venait de l'être ; et comme il est, lui,
de la seconde partie de 293 au plus tôt, celui de Bougie doit
être placé, au plus tôt aussi, à cette époque. Les choses étant
ainsi réglées, on comprend la rédaction de l'un et de l'autre.
La campagne avait été entreprise avec les soldats des deux
empereurs, puisqu'il n'y avait pas encore de Césars à ce mo-
ment ; le fortin fut bâti ensuite sous le règne des mêmes
empereurs mais, cette fois, accompagnés de leurs Césars,
qui avaient été créés au cours de la campagne ; à cette même
date, la Maure tanie avait été divisée, et les troupes qui au
début de l'expédition appartenaient toutes à la Césarienne
se trouvaient, à la fin, faire partie les unes de la Césarienne,
les autres de la Sitifienne. Cela revient à dire que la sépa-
ration en deux de la province est contemporaine de la créa-
tion des Césars et que les deux mesures se produisirent au
cours de l'expédition d'Aurelius Litua contre les Quinque-
gentanei. On comprend que celui qui avait organisé et com-
mencé la campagne comme chef de l'armée de Maurétanie
ait gardé jusqu'à la fin le titre et les pouvoirs qu'il avait
reçus précédemment pour combattre le soulèvement des in-
digènes. Pendant quelques mois après leur séparation théo-
rique, les deux provinces restèrent encore réunies sous un
même commandant militaire, l'administration civile de cha-
cune étant déjà distincte.
Ceci est d'ailleurs entièrement d'accord avec les textes d'Eu-
trope et d'Orose, son compilateur, qui font allusion à ces
événements :
Eutrope, IX, 22 : Ita cum per omnem orbem terrarum
res turbatae essent, Carausius in Britanniis rebellaret, Achil-
leus in Aegypto, Africam Quinquegentiani infestarent...
Diocletianiis Maximianus Herculium ex Caesare fecit Au^
gustum, Constantium et Maximianum Caesares.
L'AFRIQUE SOUS DIOGLÉTIEN 75
Orose, VII, 25, 4 : Igitur per omnes romani imperii fines
subitariim turbationum fragores concrepuerunt, Carausio
in Britanniis rebellante^ Achilleo in Aegypto, cum et Afri-
cam Qidnquegentiani infestarent... Hoc periculo Diocle-
tianus permotiis Maximianum Rerculium ex Caesare fecit
Aiigustum, Constantium uero et Maximianum Galerium
Caesare s legit.
Il semble donc bien que la province de Sitifienne fut
constituée en 293. C'est par l'Ouest que Dioclétien com-
mença le démembrement des provinces Africaines. La réor-
ganisation était achevée en 295 ou 296.
Franz CUMONT
ADAMAS
GÉNIE MANICHÉEN
I
ADAMAS
GÉNIE MANICHÉEN
Par Franz Gumont
Les philologues ont souvent pris le Pirée pour un homme
en prétendant expliquer comme un mot du vocabulaire
commun quelque nom propre inconnu. C'est ainsi qu'on a
mal compris et corrigé à tort un passage de saint Augustin
sur les héros fabuleux que Mâni faisait intervenir dans sa cos-
mogonie fantastique. Au cours de sa polémique véhémente
contre la secte, dont il avait lui-même été un adepte, l'évêque
pour prouver l'extravagance de la mythologie manichéenne,
résume le contenu d'un cantique* traduit en latin. Je repro-
duis le texte du Contra Faustum d'après l'édition critique
qu'en a donnée récemment M. Zycha^ :
« Itane tu facie ad faciem vidisti regnantem regem
sceptrigerum floreis coronis cinctum et deorum agmina
et Splenditenentem magnum, sex vultus et ora ferentem,
micantem lumine, et alterum regem honoris angelorum
exercitibus circumdatum et alterum adamantem heroam
belligerum dextra hastam tenentem et sinistra clipeum
4. Contra Faustum, XV, 5 « canticum amatorium » (p. 425, 1. 4 ss.
Zycha); cf. 423, 15 : « per ora deceptorum cantat ».
' 2. Contra Faustum, XV, 6 j p. 428, 9 ss.
80 FRANZ GUMONT
et alterum gloriosum regem très rotas inpellentem ignis
aquae et venti, et maximum Atlantem mundum ferentem
humeris et eum genu flexo brachiis utrimque secus fulcien-
tem ? »
Beausobre, à qui il faut toujours remonter quand on parle
du manichéisme, commente en ces termes la phrase relative
au « héros belliqueux^»: Le troisième Éon dont il est parlé
dans ce cantique est un vaillant guerrier, qui tient une lance
dans la main droite et un bouclier dans la main gauche et
qui a pour titre le « héros de diamant », c'est-à-dire sans
doute l'invulnérable et l'invincible-. Le vieil historien sem-
ble donc avoir regardé adamantem, comme une apposition
à heroam. La construction serait insolite, et l'on s'atten-
drait à trouver un adjectif. Aussi, celui-ci a-t-il été intro-
duit dans le texte par Fliigel, qui adoptant l'opinion de
Beausobre, parle d'un adamanteus héros belliger'^. Je ne
sache pas que personne s'en soit occupé depuis.
L'erreur commise par les exégètes de saint Augustin ap-
paraîtra immédiatement si Ton rapproche du morceau que
nous citions un passage d'un auteur syriaque récemment
publié*. Théodore bar Khôni, évêque de Kashkar, qui écri-
vait au vii^ siècle, a inséré dans son livre des Scholies, un
chapitre sur 1' « enseignement impur de Manès » qui est
l'exposé le plus précieux que nous possédions de la cos-
mogonie manichéenne. Racontant la lutte des puissances
célestes contre les Ténèbres, le compilateur syrien dit que
l'Esprit Vivant créa cinq fils pour le soutenir dans le
1. Histoire du Manichéisme, t. II, p. 647.
2. La suite de l'explication de Beausobre est inexacte. Le héros de
diamant, n'est pas ainsi qu'il le croît, 1' « Esprit vivant », comme on le
verra par le passage de Théodore bar Khôni cité plus bas.
3. Flugel, Mâni, 4862, p. 244.
4. Pognon, Inscriptions mandaïtes des coupes de Khouabir, Paris,
4898, p. 484 sqq.
ADAMAS GÉNIE MANICHÉEN 81
combat * : « Il fit sortir l'Ornement de Lumière de son intelli-
gence, le grand Roi d'Honneur de sa science, Adamos-
Lumière de son raisonnement, le Roi de Gloire de sa pensée
et le Porteur de sa réflexion. »
Qui ne voit immédiatement que ces cinq personnages my-
thiques sont précisément ceux dont saint Augustin énumère
les noms latins à la suite du premier roi, couronné de fleurs,
— le Stéphanophore des sources grecques? L'Ornement de
Lumière est le Splenditenens^ qui sera chargé de tenir sus-
pendus les cieux, le Roi d'honneur d'une part (malkâ cTiqârâ)
et le Rex honoris de l'autre sont des équivalents exacts, de
même que le Roi de Gloire (melek subha) et le gloriosus
Rex, qui fait mouvoir les trois roues du feu, de l'eau et du
vent, et le Porteur qui, Théodore nous l'apprend plus loin (p.
188-189), « agenouillé sur un de ses genoux soutiendra les
terres », est celui que saint Augustin appelle Atlas, grécisant
ainsi son nom^
Enfin le troisième fils de l'Esprit Vivant n'est plus, com-
me dans les éditions du Contra Faustum, un vague « héros
diamant », mais, ainsi que ses frères, un personnage qui a un
état civil et porte un nom : « Adamos-Lumière » . Nous voyons
ce héros, intervenir dans la lutte primitive pour détruire
une « bête horrible », née du péché, à peu près comme
saint Georges tue le dragon : « Adamos-Lumière fut envoyé
contre elle... il la renversa sur le dos, la frappa au cœur de sa
lance, poussa son bouclier sur sa bouche, plaça un de ses
pieds sur ses cuisses et l'autre sur sa poitrine^ » . C'est bien, on
i. Texte p. 428 ; trad. Pognon, p. 487. Cf. mes Recherches sur le mani-
chéisme, I (Bruxelles, 4908), p. 22, où j'ai modifié quelque peu cette tra-
duction.
2. J'ai parlé de cet Atlas Manichéen, Revue d'hist. et litt. rclig., XII,
4907, p. 443 ss.= Recherches, p. 69 ss.
3. Sur cette traduction, cf. Recherches, p. 39 n. 3.
6
82 FRANZ GUMONT
le voit, le héros helliger dextra hastam tenentem et sinis-
tra clipeum, que dépeint saint Augustin.
La concordance parfaite qui rapproche les récits de l'évê-
que oriental et de l'évêque africain, si éloignés l'un de l'au-
tre, garantit leur fidélité à l'égard de la source commune où
ils ont puisé. Ils diffèrent cependant par un détail. Le syria-
que donne la forme « Adamos », où le latin porte « Ada-
mas ». Il est possible que Théodore, se servant de l'idiome
où Mâni lui-même avait écrit \ ait conservé l'orthographe
de celui-ci. Les Grecs, comme ils l'ont fait souvent,
auraient alors altéré légèrement le nom du génie barbare
pour lui donner un sens dans leur langue. Mais, d'autre part,
Adamos n'est pas un nom d'apparence syriaque et il semble
que Mâni l'ait emprunté, comme d'autres, aux gnostiques,
mais en le déformant. Les Barbélo-gnostiques appelaient
r « homme parfait et véritable » Adamas {Adamantem ,
'ASa(jLavTa) parce qu'il n'a pas été dompté, ni lui ni aucun
de ceux dont il est issu^ Nous trouvons ici le nom sémitique
de l'homme interprété par le àBaixacioç^ Les Naasséniens
aussi, tout comme le faisaient les Manichéens, chantaient
dans leurs hymnes Adamas, qui était pour eux l'Homme cé-
leste, être androgyne, premier principe de toutes choses*.
Quelle que soit son origine, le guerrier que décrit saint
Augustin d'après les livres de Mâni, n'est certainement pas,
nous pouvons maintenant l'affirmer, un « héros de diamant »,
et il faudra imprimer désormais dans les éditions du Con-
tra Faustum « Adamantem » avec une majuscule
1. Titus Bostr., Contra Manich., l, il : Tf) Supwv cpwv^ x^poj[i.£vo;.
2. Iren., Adv. Haeres., I, 29.
3. Hilgenfeld, Ketzergesch. des Vrchristentums, p. 232, 238.
4. Hippolyte, Philosoph., V, 1. — La forme du nom est 'ASaaaç,
[JLavTo;.
A. CUNY
LATIN « EXPLORARE »
LATIN « EXPLORARE »
Par A. GuNY.
On a souvent signalé l'intérêt que présente dans chaque
langue l'étude des termes techniques empruntés aux diffé-
rents métiers et des évolutions que subissent ces termes en
passant du cercle étroit où ils sont nés aux autres profes-
sions ou dans le vocabulaire général de la langue. (A ce sujet
voir en dernier lieu, A. Meillet, Comment les mots chan-
gent de sens, Année sociologique, 1906, p. 1 et suiv., et
M. Grammont, dans le programme qu'il a tracé pour la
section de linguistique au Congrès des Sociétés Savantes à
Montpellier. 1907)^
C'est une étude de ce genre que l'on voudrait tenter ici
pour le latin « explôrâre » et les mots qui en sont dérivés.
I
La seule étymologie qui ait été proposée pour expliquer
explôrâre » est celle de M. Bréal dans son « Essai de se-
1. Quatrième sujet proposé : Étude sur les changements sémantiques
des mots empruntés par un métier à un autre, par un milieu social à
un autre, par un village à un autre, par une langue aune autre.
86 A. CUNY
mantique ». L'auteur y voit un composé de plôrâre « être
dans les larmes », et pour lui, « explôrâre » aurait eu
d'abord le sens de l'allemand erweinen « obtenir par ses
larmes », puis celui « d'obtenir des renseignements de cette
manière ou d'une autre », enfin celui « de se renseigner»
d'une façon générale. On voit que cette explication ^ suppose
une très longue évolution sémantique que n'a du reste pas
accomplie le vrai composé de plôrâre, explôrâre, car
dans le seul texte où il soit attesté, il a nettement
le sens de « éclater en sanglots, en larmes, en gémisse-
ments ».
gémit, explorât, turbam omnem concitat.
Ce passage, où le contexte établit le sens de façon indubi-
table, est rapporté par Festus, et les lexicographes l'attribuent
généralement à Yarron. Du reste ce mot de la langue archaï-
que n'a pas vécu, et les anciens le confondaient avec l'au-
tre « explôrâre » comme le prouve la glose de Festus
(Festus, éd. ïhewrewk de Ponor, Budapest 1889, s. v. ex-
plôrâre, p. 56): (c Explôrâre antiquos pro exclamare usos,
sed postea prospicere et certum cognoscere coepit signifî-
care. Itaque speculatur ab exploratore hoc differt, quod
speculator hostilia silentio perspicit, explorator pacata cla-
more cognoscit. » La distinction est puérile et inventée pour
les besoins de la cause ainsi qu'on le verra par les citations
qui suivent, car explôrâtor, bien plus souvent encore que
i. On la trouve déjà presque sous la même forme dans la 3^ édition du
Dictionnaire étymologique latin (1891) de MM. Bréal et Bailly (v. p.
272). Là il est cité un texte où plôrâre a un sens judiciaire, et il est af-
firmé que explôrâre est un mot de la langue judiciaire où il aurait le sens de
faire une enquête. Mais c'est une affirmation purement gratuite, car on
ne trouve pas un seul texte où explôrâre ait ce sens, ni chez Forcellini,
ni chez Freund, ni dans le Wôrterbuch de Georges (le Thésaurus n'existe
pas encore pour ce mot). Aucun de ces dictionnaires ne signale même
la possibilité d'un tel sens pour le mot explôrâre.
LATIN « EXPLORARE » 87
speculâtor (qui signifie plutôt « espion,, mouchard »), désigne
le soldat que l'on envoie en éclaireiir pour reconnaître la
position, les forces et les plans de l'ennemi. C'est qu'en effet
explôrâre, explôrâtor, etc., sont avant tout des termes
techniques eva^T\xï\ié?>k la langue militaire. Pour le prouver,
il suffira de montrer le sens qu'ont ces mots dans les auteurs
du genre, ou dans les ouvrages plus spécialement militaires
des auteurs qui ont écrit dans des genres différents.
Explôrâre, explôrâtor, etc.. se rencontrent malheureu-
sement très peu chez les plus vieux auteurs. Pourtant ils
y existent, et leur emploi est encore très significatif. Ennius
qui, dans les Annales, peut à bon droit être regardé comme un
auteur militaire, le présente une fois (A. 224, éd. Vahlen) :
Explorant Numidae totum : qicatit iingula terram.
Il n'y a pas de doute ici: il s'agit bien d'une reconnaissance
de cavalerie. Cf. l'imitation de Virgile (^jEn. VIII, 596) :
Qiiadrupedante putrem sonitu quatit ungulâ campum.
Au contraire. Plante ne présente le mot qu'au figuré, ce
qui n'a pas lieu d'étonner étant donné le genre qu'il cultive :
Pseiidolus V. 1167 :
Exploratorem hune faciamus ludo suppositiciiim.
On traduit: « Amusons-nous aux dépens de cet émis-
saire (?) de contrebande ». — Le verbe explôrâre se rencon-
tre dans un autre passage de Plante :
Captiui V. 643 :
Quin exploratum dico et promissum hoc tibi,
passage dans lequel le participe explôrâtus a déjà le
sens abstrait de « certain, assuré » qu'il affecte le plus
souvent chez Cicéron.
88 A. CUNY
Dans Lucilius {ap. Non. 366, 31), « explorât o?' » a encore
un sens très voisin du sens technique :
Reriim explôrâtoremmittam...
Du reste, voici quel est l'emploi de ces mots chez César
et chez Gicéron.
Dans l'œuvre de César, on trouve 25 exemples deexplo-
ratores au sens de « soldats envoyés en reconnaissance »,
(v. le Lexicon Caesarianum de Menge-Preuss, Leipzig
1890). Ce sont: de B. C. III, 79, 6 ; conspicati in itinere
exploratores (ace.) Domitii ; B. G. VII, 35, 1 : dispositis
exploratoribus ; VIT, 61, 1 : exploratores hostium oppri-
muntiir ; VI, 10, 3 : lit crebros exploratores in Suebos mit-
tant ; II, 17, 1 : exploratores centitrionesqiie prae3Iittit qui
locuni idoneum castris deligant (passage caractéristique) ;
I, 12, 2 : ubi per exploratores Caesar certior factus est ;
III, 2, 1 : subito per exploratores certior factus est \ IV, 4,
* ^'. de Germanorum discessu per exploratores certiores facti
{Menapiî) ; B. C. III, 41, 4 : postea per exploratores certior
factus ; B. G. VII, 44, 3 : per exploratores cognouerat ;
. IV, 19, 2 : posteaquam per exploratores.., comperissent;
VI, 7, 9, haec quoque per exploratores... ad hostes deferun-
tur ; VII, 11,8: qua re per exploratores nuntiata ; I, 21,
\\ ab exploratoribus certior factus \ I, 41, 5: ab explorato-
ribus certior factus es^ ; II, 5, 4 : aô exploratoribus quos
miserai .... ., cognouit ; II, 11, 3: confirmatà re ab explorato-
ribus \ I, 21, 4: P. CoTisidius..., cum exploratoinbus prae-
MiTTiTUR (à la tête d'une reconnaissance) ; VI, 29, 1 : per
Vbios exploratores ; B. C. III, 66, 1 : animaduersum est a
speculatoribus^ Caesaris cohortes quasdam... esse post sil-
uam ; B. G. II, 17, 1 exploratores Çdeligere), etc..
i. On verra plus loin que César se sert très rarement de spccuLîtor.
LATIN « EXPLORARE » 89
Chez Cicéron au contraire, le mot explôràtor ne se ren-
contre pas, même au sens figuré (d'après les lexiques de Mer-
guet).
Quant au verbe explôrâre chez César, la moitié au moins
des exemples le présente au sens de l'allemand rekognoszie-
ren « faire une reconnaissance militaire » .
Voici ces exemples : 5. C II, 24, 2 : ipse cvm eqvitatv
ANTECEDiT ad ccistra exploranda (très voisin du sens originel) ;
B. G. V, 50, 3: exploratis itineribus (sens propre) ; B. C.
III, 38, 2; EQViTYM magîiam partem ad explorandum iter
Domitii et cognoscendum praemisit (sens propre) ; I, 66, 3 :
postera die Petreius cvm pavcis eqvitibvs occulte ad explo-
randa loca proficiscitur (sens propre) ; I, 81, 1 : neque ad
explorandum locum idoneum castris... data facultate (très
voisin) ; II, 2o, 1 : hoc explorato loco (sens technique) ; B.
G. VI, 33, 5 : exploratisque hostium rationihus (ayant pé-
nétré, grâce à ses éclaireurs, les plans de l'ennemi) ; B. C.
I, 68, 1 : exploratis regionihus (sens originel) ; B. G. IV,
21, 2 : exploratis omnibus rébus (ici le sens figuré est pos-
sible). — En effet, exploratus au sens figuré de « certain,
assuré » se rencontre quelquefois : z6. VI, 5, 3 : quod pro
explorato habebat \ III, 18, 8 : ut explorata uictoria ; V,
43, 3 : sicuti parta iam atque explorata uictoria ; VII, 15,
2 : prope explorata uictoria ; VII, 20, 7 : quae (uictoria^ iam
esset sibi atque omnibus Gallis explorata ; VII, 52, 2 : cum
sine duce et sine equitatu exploratam uictoriam dimisisset.
De même B. C. II, 31, 5 : quod si iam... haec explorata
habeamus quae de exercitus alienatione dicuntur ; B. G.
II, 4, 4 : de numéro eorum omnia se habere explorata
Bemi dicebant (pourtant ici on est encore tout près du sens
technique, car c'est évidemment par des éclaireurs que
les Bemi avaient leurs renseignements). Cf. encore VI, 32,
2 : explorata re. Enfin, le sens figuré est complètement dé-
90 A. CUNY
veloppé dans le fr. 143, 7 : de explorato et uitae meae
testimonio et amicitiae iiidicio. — Au contraire, c'est encore
nettement le sens technique que l'on lit sous V, 49, 8 : inté-
rim speculatoribiis in omnes partes dimissis explorât quo
commodissime itinere ualles transireposset, tandis que le sens
figuré perce seulement dans les passages :
V, 53, 4 : omnes fer e Galliae ciuitates.... quid reliqui
consilii caperent atqiie unde initiion belli foret explora-
bant\ YII, 45, 4: neque, tanto spatio, certi quid esset
explorari poterat ; en effet, l'idée de « reconnaissances mi-
litaires » n'est pas étrangère à l'esprit de ces passages.
Chez César donc, le verbe explôrâre et son dérivé ex-
plôrâtor présentent la plupart du temps le sens technique
de « faire une reconnaissance militaire » ou de « soldat en-
voyé en éclaireur » (Les lexiques ne signalent pas d'autres
dérivés chez César. Le participe en -tus seul manifeste une
assez forte tendance vers un sens général et abstrait).
Opposons encore une fois Cicéron à César.
Chez le premier, explôrâre et les mots de la famille ne sont
usités qu'au figuré. Tel est l'adverbe explôrâtè «pertinem-
ment, sûrement » , qui ne se rencontre guère que chez Cicéron ,
p. ex. ad G. fr. 2, 15, b : Haec ita sentio, iudico, ad te
explorate scribo ;de N. D. i, i : res satis explorate percepta
et cognita ; ad Fam. i 6, 8 : Neue nauiges nisi explorate (ici
pourtant on est encore tout près du sens primitif : explorate
supplée à "^percontatef^m semble ne pas avoir existé) ; Plane,
ad Coss. {ad Fam. 10, 8) : non solum bene sperare... sed
explorate (en toute connaissance de cause) iudicare uolumus ;
ad Fam. 6, 1 : cum... exploratius possem promittere, etc. . .
(en tout 10 exemples dans les discours).
De même le participe explôrâtus. Ainsi Tusc, V, 9 : sum-
mum bonum firma corporis affectione explorataque spe
contineri ; de N. D. I, 19 : Deus habet exploratum (est tout
LATIN « EXPLORARE » 9!
à fait certain) fore se semper in aeternis uoluptatibus ;
ad Fam. 2, 16: de quo ?nihi exploratum est ita esse ut scri-
bis ; ad Quirit. 6 ; cum mihi esset exploratissimum (absolu-
ment certain) ; Acad. 2, 17: cui possit exploratum esse de
sua sanitute? ; ad Att. 3, 15 : fac ut omnia ad me perspecta
et explorata perscribas {perspecta assure pour explorata un
sens encore peu éloigné de la signification primitive); pro
Murena 24 : ut ei iam exploratus et domi conditus consu-
latus uideretur (ici au contraire le sens est purement abs-
trait) ; ad Brut. 1, 17 : quid mihi exploratius esse potest
quam illius animus in rempublicam? ; ad Att. 3, 17 : lite-
ras... exploratas a timoré c'est-à-dire « lettres qui donnent
la sécurité ».
Pour le verbe proprement dit voici quelques exemples :
ad Att. 6, 8 : Explora rem. totam ut... consiliiim capere
possimus ; in Verrem II, 5, 17: prospectare exsilium atqiie
explorare fugam domini uidebatur (sens encore voisin de
l'origine : « préparer sa fuite de manière à écarter tout dan-
ger » . pro Manilio 1 2 : Nondum tempestiuo ad nauigan-
dum mari Sicilium adiit, Africam explorauit (sans doute
= per exploratores tentauit). On voit que même chez Cicé-
ron (comme c'est le cas chez César), c'est le verbe fini qui
conserve le mieux le sens technique et concret. Ceci tient
probablement à ce que la dérivation en général est un che-
min qui mène insensiblement à l'abstraction. Cf. acceptus
(( agréable » et autres exemples connus ^
L'opposition qui se manifeste ainsi, pour les sens de explo-
rare et de ses dérivés, entre César et Cicéron, est tout aussi
apparente entre les deux ouvrages de Salluste dont l'un, le
Jugurtha, traite essentiellement de sujets militaires, tandis
4. Cette idée a déjà été exprimée, en particulier par A. Darmesteter
dans la Yie des mots.
I
92 A. CUNY
que l'autre roule avant tout sur des questions de poli-
tique intérieure. Voici en effet les résultats qu'a donnés un
dépouillement complet du Jiigiirtha et du Catilina à ce point
de vue. Dans le Jugiirtha il y a 11 exemples de explôràre,
etc., et 2 seulement dans le Catilina. Ces exemples sont :
De B. Iiig. XXXV, 5 : Bomilcar mature régis mandata
exsequitur et per uomines talts negoti artifices itinera
egressusqiie eiiis, postremo loca atqiie tempora cuncta ex-
plorât (on ne saurait donner une meilleure définition du
sens de exploràré) ; XLVI, 6 : Neque Metellus idcirco minus,
sed PARiTER AC SI HOSTES ADESSENT, muuito agmine incedere,
late explôrâre omnia ; aussi, résultat constaté par les Nu-
mides eux-mêmes (XLVIII, 1 : ager hostibus cognitus); ib. 2 :
igitur explorato hostium itinere ; LUI, 7: (les deux frac-
tions des Romains en seraient venues aux mains) ni utrim-
que PRAEMissi EQviTEs rem explorauissent (ici on peut dire
que le sens est à mi-chemin entre le propre et le figuré) ;
LIV, 2: Tamen eVi^mm transfvgas et alios opportvnos...
lugurtha uhi gentium aut quid agitaret, cum paucisne
esset an exercitum haberet, ut sese uictus gérer et... explo-
RATVM misit (les détails énumérés montrent nettement le
sens technique du verbe : tout cela ne pouvait se savoir que
par des espions, des éclaireurs. Remarquer l'emploi absolu
du mot) ; LXXXVIII, 2 : Marins impigre prudent er que suo-
rum et hostium res pariter attendere, cognoscere quid boni
utrisque aut contra esset, explorare itinera regum ...(il
faisait épier leurs allées et venues par ses éclaireurs) ; ib. 6 :
Id simulaueritne {Bocchus), quo improuisus grauior acci-
deret, an mobilitate ingeni pacem atque bellum mutare
solitus, parum exploratum est (emploi absolu, mais en un
sens déjà figuré grâce au participe en -tus = parum comperi-
mus de XGIII, 1) ; XG, 1 : Igitur consul omnibus explora-
tis... satis prouid enter exornat {^paraf)., sens technique;
LATIN « EXPLORA RE » 93
GXIII, 5 ; exploratis omnibus quae mox usuifore ducebat...
(il s'agit ici du Ligure grâce auquel Marius prit la forteresse
de la Moulouïa); G, 3: Perfugae miniime cari et REGio^yyi
sciENTissvMi hostium iter explorabant (passage significatif) ;
GV, 5 : Intérim eqvites exploratum praemissi rem uti erat
qiiietam nuntiant (excellent exemple à cause de l'emploi
absolu de exploratunî).
Quatre fois seulement dans le Jugurtha, Salluste s'est servi
de speculâtor ou speculâri: cf. GI, 1 et GVI, 2 où on lit: ex
speculatoribus ; G VII, 3 : lugurthae, cui videlicet speculanti,
iter siiom (celui de Volux) cognitum esset (on voit par là que
specidârl est péjoratif par rapport à explôrâre ; il veut dire :
espionner, moucharder). De même dans le passage G VIII,
i : Ibi cum BoccJio Nmnida quidam, Aspar no?nine, mul-
tum et familiariter agebat, praemissvs ab lugurtha, post-
quam Sullam accitum audierat, oratoret subdole specvlatvm
Bocchi consilia (l'adverbe subdole souligne l'indignité du
rôle que joue le speculâtor de Jugurtha). Une fois égale-
ment chez Gésar, on rencontre speculârl et il a le même sens
de « moucharder ». G'est: de B. G. I, 47, 6 : an speculandi
causa {iienirent). Quant à speculâtor, Gésar l'emploie lui
aussi très peu, mais le mot n'a pas chez cet auteur de nuance
de sens appréciable. Les 3 exemples sont : de B. C. III, 67,
1 : speculatores Caesari renuntiarwit ; B. G. V, 49, 8 : specu-
latoribus in omnes partes dimissis (^déjk cité); et II, 11, 2 :
hac re statim Caesar per speculatores cognita. De plus
Gésar présente une fois l'adjectif speculatorius {explorato-
rius ne pouvait sans doute encore, pas s'écrire). G'est : de
B. G. IV, 26, 4 : speculatoria nauigia militibus compleri
îiissit. Gf. Végèce Mil. IV, 3, 7 : scaphae.... exploratoriae.
En regard des 11 exemples du Jugurtha on ne trouve, on
l'a dit, que 2 fois explôrâre dans le Catilina, une fois dans
un sens qui est encore pour ainsi dire le sens- technique.
94 A. CUNY
Les passages sont : Cat. XVII, 2 : Vbi salis explorata sunt
quae iioluit, in iiniim omnes conuocat (sens déjà abstrait,
mais remarquer le participe), et LX, 1 : sed ithi, omnibus
rébus exploratis, Petreius tuba signiim dat (il s'agit ici d'o-
pérations militaires). — La plupart du temps Salluste se
sert, dans le Catilina, d'expressions plus abstraites encore :
II, 2 compertum est; XIV, 7: compertum foret ; XXII, 1...
ea res... parum comperta est ; XXIX, 1 : (Cicero) quod
neque... neqiie exercitus Manli quantus esset aut quo con-
silio foret satis compertum habebat\\Wy \, 2: haec ubi
Romae comperta ; LVIII, 1 : compertum ego habeo, mili-
tes... Il en ressort que pour Salluste, à la différence de Gicé-
ron, expioratus n'est pas encore assez dépouillé de son sens
technique pour être un simple synonyme de compertus,
certe cognitus, etc.. Une fois seulement dans le Ca-
tilina (jamais dans le Jugiirthci) l'auteur a employé y:)^rco7Z-
târl. C'est dans le passage XL, 2 : percontatus paiica de
statu ciuitatis... Il est à remarquer dans le même ordre d'i-
dées que percontâri n'existe pas du tout chez César. En
revanche ce dernier a 2 exemples de percontâtio. Ce sont :
de B. G. V, 13, 4 : nihil de eo percontationibus reperie-
bamus, eti, 39, 1 : ex percontatione nostrorum uocibusque
Gallorum tantus timor... exercitum occupauit...
C'est que percontàrl était un terme certainement moins
ancien et sans doute moins populaire que explôràre et que
speculâri. Il était au contraire plus goûté peut-être des
lettrés à cause de son origine grecque * : percontàrl = son-
der à la gaffe le fond d'une rivière, etc.. de contus
emprunté au grec v.o^-ziq. D'autre part, les termes de la
profession des bateliers étaient moins en vogue que ceux du
1. Cf. ce que dit Horace dans l'Épître aux Pisons, vv. 52-53 :
Et noua fictaque nuper hahehunt uerha, fîdem si \ Graeco fonte cadant,
parce detorta.
LATIN « EXPLORARE » 95
métier militaire chez un peuple de soldats tel que les Ro-
mains. En revanche, Gicéron, auteur du « cédant arma
togae, » pensait sans doute qu'un terme tel que explôrâre
était vulgaire et sentait « son collet monté » . On sait qu'il
était l'ennemi de l'archaïsme (v. le Brut us) aussi bien que
du militarisme. — Il est donc bien établi par tout cela que
le sens propre de explôrâre et des mots de sa famille est
un sens technique emprunté à la vie des camps.
Voici à l'appui quelques exemples tirés d'autres auteurs :
Corn. Nep. Annib., 2: ad guem cum legati uenissent Ro-
mani qui de eius uoluntate explorarent (comme l'auteur
est romain et qu'il parle de compatriotes, il emploie en leur
faveur un terme noble et se garde d'écrire specularentur),
Yerg. JEn. IX, 169-170 :
Alta tenent, nec non trepidi formidine portas \ Explo-
rant (sens déjà évolué), mais dans ^En. XI, 512 :
... ut fama fidem missique reportant \ Exploratores...,\\
est clair qu'il s'agit à^éclairew^s envoyés en reconnaissance.
Cf. encore Georg. III, 537 : Nec lupus insidias explorât oui-
lia circum, où le sens est encore très voisin de l'origine :
« le loup pousse autour du bercail une reconnaissance dan-
gereuse pour les moutons qui y sont enfermés ». Au con-
traire, dans Georg. I, 175 : Et suspensa focis explorât
robora fumus, le sens abstrait (= tentât, probat) est com-
plètement développé.
I^k De même chez Ovide : Met. X, 455 :
^^H Nutricisque mauum laeuâ tenet : altéra motu
'^" Caecum iter explorât (sens propre), mais ^r^ Am. I, 456 :
IExploretque animos (sens, figuré), cf. en français a sonder
5s reins et les cœurs, sonder quelqu'un. »
Silius Italicus présente un exemple tout à fait net du sens
ncien :
96 A. CUNY
Explorator eqiies (la cavalerie envoyée en reconnaissance).
D'autres exemples de cet auteur présentent plutôt un sens
figuré: XI, 216. pateatne... urbs... explôrâre (ici le sens
propre peut très bien se défendre, mais sous V, 60. ...men-
tesque deorum \ Explorant super eiientu (ils scrutent la
pensée des dieux), et sous XI, 356 : hoc iugulo dextram
explora, le sens général et abstrait est indéniable.
Le continuateur de César, Hirtius écrit explôrâre en lui
donnant un sens très voisin du sens premier : de B. G. VIII,
18 : explorato hostium consilio (ayant sondé les intentions
de l'ennemi).
Quant à Tite-Live, et bien qu'il ait très souvent à relater
des événements militaires, on sait qu'en fait de style il
avait les mêmes idées que Gicéron. Aussi emploie-t-il peu
explôrâre et les mots de la famille ou les emploie-t-il sur-
tout au sens abstrait. Ainsi 42, 13 : non... incertis iactata
rumoribus... sed comperta et explorata (le contexte montre
à l'évidence le sens abstrait) ; 22, 8, 4 et 38, 18, 7 : inexplo-
rato, explorato (les deux sens peuvent ici se défendre).
Mais sous 23, 42, 9 : ante explorato et siibsidiis positis et
sub signis ad populandum ducebant, le mot explorato est
bien un terme technique qui signifie « après s'être éclairé
par des reconnaissances ». Sous 37, 7 : animiim explorari est
figuré, mais les passages 37, 28 : inde ex propinquo explorans
quid hostes agerent et 22, 55 : haec exploranda noscenda-
que per impigros iuuenes esse (= équités expeditos, ib.),
rappellent assez vivement l'emploi du même mot chez
César.
Au rebours de Tite-Live, Tacite, on le sait, se rapproche
de Salluste pour le style et, par conséquent, au point de vue
qui nous occupe, de César.
D'après le Lexicon Taciteum de Gerber (Leipzig, 1903),
explôrâtor entendu au sens militaire se rencontre une dou-
LATIN «EXPLORARE» 97
zaine de fois chez Tacite, p. ex. Agricola 26 : Agricola iter
stium ah exploratoribus edoctus.
Quant au verbe explôrâi^e, le même auteur en présente 7
exemples dont 2 où le mot est employé absolument. De ces
7 exemples, 5 ont le sens technique de « sonder le terrain,
battre la contrée, faire une reconnaissance », 2 seulement
celui de tentâre^. Le participe exploratiis au sens abs-
trait de /)ro6«/w5 se rencontre naturellement ; p. ex. Agr. 29 :
fortissimos et longa pace exploratos addiderat (exercitui).
Le dérivé exploratio accompagné de l'épithète occulta et
équivalant ainsi à speculatio (espionnage) se lit Hist. 3, 54 :
nec exploralione occulta fallere Antonium tentaint, sed
mandata imper atoris... professas, lUcuncta uiseret, postu-
lat. « Il n'essaya pas de prendre Antoine en défaut par un
espionnage clandestin, mais il exposa ouvertement ses ordres
et demanda à tout inspecter. » L'image est naturellement ef-
facée ici. Le passage: Hist. 2, 49 : et explorato (= certe co-
gnito^iam profectos amicos noctem qiiietam... agit atteste
encore inieux le sens purement abstrait.
Une fois Tacite emploie speculalor dans le sens de explo-
rator : A. 2, 12 : suggressi propiiis speculatores aiidiui fre-
mitum equorum... altulere. De même il a une fois specu-
lâri au sens de explôrâre : Hist. III, 46, 6 : prima rerum
quieti speculahantur (Daci) et dans la suite : ubi flagrare
Italiam bello... accepere. Une îois Siussi spe eu labundus: ib.
4, 50, 13: Festus Adrumeto, ubi specidabundus substiterat,
ad legionem contendit. En somme, l'usage de Tacite est bien
celui de Salluste et de César, et le sens technique de explo-
rare prédomine chez lui.
Quinte-Curce emploie naturellement le mot explorator
i. Ex. Hist., I, i^ : scùundae rês acrîoribus sitmuUs animos êxplO'
Tant (i. e. tentant, probant).
98 A. CUNY
dans le même sens que les autres auteurs militaires, p. ex.
3, 13 : forte in exploratores ah eo praemissos incidit.
De même chez Suétone, Tib. 60 : in quodam itinere lec-
tica... vepribus impedita exploratorem uiae... paene ad
necem uerberauit (son guide, son « Pfadfinder », son
« scout » traduirait-on volontiers — sens tout à fait primitif) ;
Calig. 45 : (coronas) distinctas solis ac lunae siderumque
specie exploratorias appellavit (i. e. ad explorandum per-
tinentes), couronnes décernées par Caligula à ceux qui
l'avaient accompagné dans la battue {Erforschung rendrait
bien l'idée) d'une forêt ; Tib, 18 : explorasset uehiculorum
onera offre déjà un sens moins précis. Cf. encore Pline 6,
29, 35 : exploratores Neronis renuntiauere his modis...
et 5, 1, 1 : explorare ambitum Africae iussi (ayant
reçu l'ordre de reconnaître le pourtour de l'Afrique).
On a déjà mentionné les scaphae exploratoriae de Végèce
{Mil. 4, 3, 7). Il faut enfin signaler exploratio au sens tech-
nique de (c reconnaissance militaire » chez Modestinus in
Dig. 49, 16, 3, 4 : is qui exploratione (lors d'une reconnais-
sance) emanet, hostibus insistentibus, capite puniendus
est. Les autres auteurs ne présentent guère ces mots qu'au
figuré. Ainsi Columelle, 3, 9: quidquid morae est, in explo-
ratione surculi absumitur\ \, 8: panis potionisque boni-
tatem gustu sito exploret. De même Gaïus in Dig. 17, 1,
2, 6 : quia liherum est cuique apud se explorare an expé-
diât sibi consilium\ Martial 8, 51, 3-4.
nec odit \
Exploratores nubila massa focos ;
et, probablement à son imitation, Glaudien {praef. ad IJI
cous. Honorii) (il s'agit des petits d'un aigle) :
1 1 Exploratores oculis qui pertulit ignés , ....
13 Nutritur uolucrumque potens et fulminis hères.
LATIN « EXPLORARE » 99
Cf. encore pour le sens abstrait, Yelleius Paterculus 2,
84 : Longe antequam dimicaretur, exploratissima. . . fuit
uictoria ; StaceSz^. 3, 5, 44... fides tôt explorata per iisiis ;
Pétrone Sat. 116: Cum diligentius.... exploraremus qui
homines inhabitarent ; Lucain 8, 582 : Exploratefidem. Pal-
ladius VIII, 3, 1 : Pirus... locis umidisnunc insitame explo-
rante (= experienté) procesdt \ Pall. I, 9: (solum) régula
exploraveris aequale etc.. Mais les exemples cités plus haut
de Végèce et de Modestinus suffisent à montrer que jusqu'à la
fin de la latinité proprement dite, on n'a jamais perdu le sou-
venir du sens technique et militaire des mots dont il s'agit ici.
II
Ce sens étant : pour explôràre celui de « faire une re-
connaissance, aller à la découverte, battre la contrée, fouil-
ler, sonder le terrain », et pour explôrâtor, celui de « Kund-
schafter » , « éclaireur » et aussi de v guide » , a Pfadfinder » ,
« scout », comme on l'a vu par le passage cité de Suétone,
toute étymologie, pour être agréée, devra tenir compte de
ce sens premier. Si l'explication proposée par M. Bréal n'a
pas été en général acceptée, c'est évidemment pour des rai-
sons de sens; M. Walde, dans son récent Lateinisches ety-
mologisches Worterbuch (Heidelberg, 1906), ne la signale
même pas. Du reste, M. Walde considère sans doute explô-
ràre comme un cas désespéré, car il n'y a pas chez lui d'ar-
ticle pour ce mot. Voici pourtant une étymologie qui, après
les explications données, paraîtra, on l'espère, assez vrai-
semblable.
Pour le sens, lat. explôràre correspond à ail. er-fahren
(cf. explorante =-. experiente), à er-forschen (cf. explôràre
ambitum Africae, explôràre siluam impliqué par les coro-
nae exploraioriae de Caligula, etc.), à er-'àrtern (dont le
100 A. CUNY
sens premier est « examiner à fond ») ; ou mieux encore à
er-grûnden « sonder, approfondir » (au propre et au figuré).
La seule différence qu'il y ait ici entre l'allemand et le la-
tin, c'est que les mots allemands ont passé bien plus vite au
figuré que explôrâre. Mais de même que er-ôrtern a été
formé en allemand du préverbe perfectif er- et du substan-
tif Ort et que er-grilnden l'a été du même préverbe et du
substantif Grund « fundus {terraé)^ solum », de même en
latin explôrâre a été fait avec le préverbe ex- (qui corres-
pond très bien j:>our le sens à germ. *W2- > ail. er-), et avec
un ancien substantif ^plôro- qui devait avoir à peu près la
même valeur que l'allemand Grund. Dans cette explication
la question de sens est tout à fait simplifiée. Explôrâre si-
gnifie bien de par les éléments qui le composent : « sonder,
fouiller, battre le terrain », et comme on le trouve encore
employé absolument chez les auteurs latins, il suffit d'ac-
corder que par un pléonasme très fréquent (cf. p. ex. ex-
torrem palriâ Sali, de B, lug, XIV, 11), après avoir dit ex-
plôrâre tout court, on s'est mis à dire explôrâre regione7n,
uiam, itinera etc.. Les sens proprement abstraits de explo-
ratus, exploratio et du verbe lui-même dérivent naturelle-
ment de ce sens originel. Il n'y a qu'à rappeler encore une
fois ici l'histoire sémantique de^erôrtern et de ergrûnden^.
Mais ce qui importe davantage,- c'est de justifier l'hypothèse
d'un substantif *plôro- « sol, terrain » pour le latin préhis-
torique.
Ici on a comme garantie, non seulement comme dans le
cas de aprïlis {cî. aprllis dans les MSL., t. XIV, pp. 286-
d. Et à signaler que les mots techniques d'une profession, quand ils
passent dans la langue de tout le monde, acquièrent de nouveaux sens,
mais manifestent aussi une tendance vers un sens général et abstrait qui,
comme dans le cas des verbes allemands cités, peut faire oublier presque
complètement le sens premier.
LATIN « EXPLORARE » iOl
7-8), le témoignage du germanique : vieil-islandais flôf
(c.-à-d. *flôruR), vieil anglais flôr, m. h. a. vluor « Saatfeld,
Weideflàche^ » (le gotique et le vieux-haut-allemand font
défaut par hasard) d'un germanique commun *fldrn-z cf.
lat. *plôro-\ mais encore, ce qui est bien plus précieux, le
secours du celtique : le vieil irlandais avait en effet un mot
lâr = gall. llawr « solum, pauimentum », soit un celtique
commun ^làro-, lequel par suite de la chute régulière de
p-, cf. (^Medi6)-lânum et pldnus, Litana (sihid) et gr. lùS-
Tavoç, et du changement tout aussi régulier de ô tonique en
â celtique (cf. vieil irl. ddn gall. daivn^=:dônum), se trouve
être lui aussi le correspondant exact du ^plôro- supposé par
le latin explôrâre. Et comme de plus en plus on est disposé
à admettre une unité italo-celtique de langue, cet accord est
probant. Du reste ^plôro- n'est pas isolé en latin même. Il y
a avant tout l'adjectif plânus"- (v. le Wb. de Walde s. v.)
et tous les mots qu'à tort ou à raison on rattache à celui-ci :
palam ? palma, planais, planca, planta ? plôdo ? plaudo ?
plangol (v. Walde ibid.). En somme l'italo-celtique possé-
dait le couple : ^plô-ro- subst. | ^plci-no- adj.
Seul le celtique ancien a conservé les deux : gaul. Medio-
lânum, irl. Idr etc., tandis que le latin n'a gardé que plâ-
nus comme mot vivant et indépendant. Au contraire, le cor-
respondant du grec Tu^axavo-, gaul. Litano-, irl. lethan a vécu
en celtique où *lâno- devenait un luxe, tandis qu'en latin,
c'est le correspondant de ^litano- qui a disparu au profit de
plânus. En germanique ^plôru- seul est attesté (sous la forme
1. C'est l'allemand moderne F^wr (plaine, campagne, champs), aujour-
d'hui fortement concurrencé par Boden. En latin aussi c'est sans doute
funclus qui a fait oublier *plôro- de même que le correspondant du v. si.
duno, gaul. dubno- substantif, dans Dubno-rïx, etc. V. Meillet MSL,
t. XII, p. 430 (sur l'arménien andundkh).
2. Il résulte de là que ce n'est pas un simple hasard si certains sens ab-
straits de explôrâre sont presque contigus à des sens de explanâre.
102 A. CUNY
*flôru-) ; mais ce qui montre que ce n'est pas dans cette lan-
gue un simple emprunt au celtique, c'est qu'il existe un au-
tre substantif: m. h. a. vlarre, ail. mod. Flarre « breites
Stiick, breite Wunde », ce qui suppose un germ. */?<^r-
(Walde renvoie à Fick Wb. P, 477), soit une forme très ré-
duite de la racine dissyllabique dont la forme simplement
réduite était en italo-celtique *plà-. Pour les langues autres
que les plus occidentales, M. Walde cite encore gr. xéXa-
voç « gâteau de sacrifice » (cf. aussi ail. Fladen^), et, ce qui
concorde admirablement pour le sens avec plànus, — là-
num: v. pr. plonis, lett. plans « Tenne », c.-à-d. « aire,
ârea ». Mais les deux derniers sont sans doute des emprunts
au celtique ou même à l'italo-celtique^, car ils ne pourraient
avoir, on le verra, que la forme v. pr. *pylnis, lett. *pilns,
lit. *pilnisy s'ils étaient venus directement du fonds letto-slave.
En effet, passons sur les autres rapprochements que fait
M. Walde et dont plusieurs sont douteux (on ne discutera
que planas lit.), et occupons-nous de la forme qu'a dû avoir
la racine de *plô-ro- c^*plâ-no- etc.; c'est une racine dis-
syllabique. Comme il n'y a pas en indo-européen d'alter-
nance à : 6 y et que personne ne se résoudra à séparer
*plô-ro- « plaine » de ^plâ-no- « plan, plat », la forme nor-
male monosyllabique de la racine de ces mots est non pas ^plâ-
1. mha. vlade, vha. vlado, cf. aussi Flôtz (Erzlager), mha. vlette, aha.
flezzi (ebener Boden, Hausflur) ; cf. vha. flaz, anglais flat (plat) (Detter,
Deutsches Wôrterbuch, 4897. Sammlung Gôschen, n» 64).
2. Du moins au celtique d'avant la chute des p- initiaux. En tout cas
le germanique lui-même est ici exclu, non seulement à cause de l'absence
d'un terme équivalant formellement à plânus, mais à cause du traitement
-ul- en germanique de la liquide sonante longue -J- qui ne diffère pas de
celui de -/-, cf. got. kaûrn, ail. korn, angl. corn en face d'italo-celtique
*grâno- de i.-e. *gfno-, tout comme v. h. a. vurt, m. h. a. vurt, mod.
Furt, lat. portus, gaul. Ritu-, zd pdsus de i.-e. *prtus. Pour la proba-
bilité d'emprunts très anciens d'une langue indo-européenne à l'autre,
cf. Brugmann, Abrégé de grammaire comparée, p. 3 et p. 24,
1
LATIN « EXPLORARE » 103
mais ^plé-. Ainsi nous avons affaire à une racine dissylla-
bique (« être large, étendu ») de la forme *peld-c>^*plë-o^
*poh- (cf. slave poljé) c^ *plô- (formes à degrés e ou o)
c^^pb- c^^pl- c^*pl- (formes à degré zéro). Peu importe
qu'elle soit homophone de la racine qui signifie « emplir » .
Il y avait certainement en indo-européen un grand nombre
d'homophones parfaits, et il y en a dans toutes les langues.
La forme *peb- est sans doute représentée en germanique
par l'allemand Feld, anglais field (avec chute régulière du
-d- intérieur). Si l'on rapporte encore à la même racine avec
MM. Walde {loc. cit.) et Fick (Wb. IP, 236) les mots cel-
tiques : irl. Idthar « expositio », « dispositio », Idthrach
« large », lâthair « Ausdehnung », il faut y voir un celtique
commun *làtro- < ^plôtro- ou > *pltro-y mais non de l'im-
possible i.-e. ^plâtro-. Il y a en efiPet pour le traitement
italo-celtique de i.-e. -f-, -[-, etc., un excellent exemple
qui prouve qu'ils ont donné sans doute dès cette époque
-rà-y -là- etc.. C'est le latin grànum, irl. gràriy gall. grawn
(( grain », cf. lit. {ïrnis, lett. Jîrns « pois », v. pr. S7/rne
« grain », v. si. zrûno, serbe zrno^ d'un thème indo-euro-
péen *g^fno-K Quant au lituanien plônas, si l'on tient abso-
lument à le ranger ici, on pourrait à la rigueur y voir la
continuation d'un i.-e. *plôno-. Mais dans ce cas on attendrait
régulièrement ^ plunas et il est peu vraisemblable que
*plôno- ait existé à côté de *pTno-, forme qui seule explique
le latin pldnus, et le celtique -làno- {Medio-lànum). Du
reste, le sens n'oblige en aucune façon à identifier plônas à
plâmis. Bien au contraire : d'après le Dictionnaire de Kur-
schat (W'ôrtcrbuch der litauischen Sprache), plônas ne
1. Cf. encore pour -n-, lat. gnâtus, nâtus, ce\i. Sinc. gnâto- dams Cintu-
gnâtus, etc., pour T, skr. pûrnâh, irl. lân «plein». V. Me'ûlet, Introduc-
tion^ pp. 96-97.
104 A. CUNY
signifie pas « plat », mais « dûnn (mince) (von der Lein-
wandj Faden, S trie k, Brett, NadeP) nicht von den Fins-
sigkeiten ». Ce n'est qu'à dater du livre de M. Berneker
Die pr. Sprache (voc. Elbing. 233) que l'on voit attri-
buer au lit. planas le sens de « flach » sans plus. Mais
ceci ne constitue pas une preuve, et malgré la facilité du
glissement du sens de « mince » à celui de « plat », on sé-
parera sans doute le mot lituanien du mot latin, à moins
que l'on n'y voie comme dans le v. pr. plonis (qui serait
"^ plans dans l'autre dialecte du vieux prussien, lette plans)
un très ancien emprunt celtique ou même italo-celtique.
Kurschat fournit bien encore le substantif f. plônè, -es, mais
ce n'est que par conjecture qu'il lui attribue le sens de
« gâteau plat » en interprétant le nom de fête plôniû Dienà
par les mots : der Fladentag. Enfin chez Donalitius il y a le
masculin ^/oVi25_, -io qui signifie: « Erntekranz », mais ce
mot s'accommode bien plutôt du sens de « mince » que de
celui de « plat » et, moins encore que plbnè, il est en rap-
port avec le latin plânus^ etc.
Outre les remarques citées de M. Brugmann, pour ce qui
est de la vraisemblance d'anciens emprunts entre les langues
indo-européennes de l'Europe appartenant à des groupe-
ments dialectaux différents (au groupe oriental, le slave et le
lituanien, au groupe occidental, l'italo-celtique et le germa-
nique), il faut rappeler qu'on a remarqué, grâce à de nom-
breuses et spéciales concordances dans le vocabulaire, qu'il
a dû y avoir dans l'Europe septentrionale, à date très an-
cienne, un état commun de civilisation qu'on est convenu
d'appeler civilisation du Nord par opposition à la culture
méditerranéenne. Le v. pr. plonis, lett. plans serait une
illustration de ces anciens contacts. Cf. en dernier lieu à ce
sujet A. Meillet. Les dialectes indo-européens (1908)
chap. 1 {Le vocabulaire du Nord- Ouest) p. 17 suiv.
{
LATIN « EXPLORARE » 105
A Tépoque où les Indo-Européens ont occupé par des mi-
grations successives les parties de l'Europe qui n'étaient pas
leur domaine originel, la situation pour eux n'a pas du être
très différente de celle des Européens dans la conquête
lente et pénible des deux Amériques. De même que les
armées et les colons ont toujours, dans cette conquête, été pré-
cédés et accompagnés de « chercheurs de pistes », {Pfadfin-
der)^ scouts dans l'Amérique du Nord, sendadores (^sëmita-
tores) dans le continent du Sud, éclaireurs chargés à la fois
de sonder et de préparer le terrain occupé par des popula-
tions défiantes et hostiles, de même les Indo-Européens ont
été secondés par des hommes aussi courageux, aussi endu-
rants, aussi habiles, par leurs explôrâtores.
Devenus plus tard une institution régulière de l'armée ro-
maine, (( ces guides et éclaireurs » sont, comme tant d'au-
tres institutions de l'époque historique, comme les uestales
(Ihering Les Indo-Européens avant r histoire, trad. fr. par
0. de Meulenaere, Paris, 1895, v. p. 325 et suiv., § 38),
comme les fètiales^ {ih., p. 397, § 47), comme les ponti fi-
ées (Jb., p. 368 et suiv., § 49), comme les auspices et les au-
gures (ib.y p. 409 et suiv., § 49), un héritage de l'époque
de la migration ou plutôt des nombreuses migrations qui ont
amené les « Italiotes » à passer en Italie et à occuper enfin
presque toute la péninsule. Il n'est pas douteux que, si
Ihering avait songé au sens technique du mot, il eût mis
les « explôrâtores » dans la catégorie de ce qu'il nomme les
« personnes expertes- » au même titre que les autres corps
4. « Les féciaux font tout naturellement songer aux interprètes de
l'époque primitive qui étaient également des experts, et dont le peuple,
pendant sa migration, ne pouvait se passer». Note de l'éditeur de l'ouvrage
posthume de Ihering, v. Ehrenberg, p. 397.
2. On n'a pas non plus retrouvé la classe des « guides et éclaireurs »
dans l'énumération des experts que fait M. d'Arbois de Jubainville (La
civilisation des Celtes, Paris, 1899), chap. II.
106 A. CUNY
par lui énumérés. Il est peut-être permis d'espérer que l'éty-
mologie proposée pour explôrâre, explôrâtor sera une nou-
velle pierre ajoutée à l'édifice de la préhistoire européenne
parfois génialement reconstruit par un homme qui, pour
n'être pas personnellement linguiste, partait toujours des
grands faits révélés par la linguistique moderne et qui du
moins a eu le mérite d'appliquer rigoureusement à l'étude
du passé la méthode « réaliste » qu'il avait lui-même imagi-
née et fait connaître au public savante
1. L'existence de speculdrî à côté de explôrâre ne doit pas étonner.
Explôrâre verbe essentiellement perfectif avait à l'origine speculârT comme
imperfectif, de même que inuentre et comperïre servaient de perfectifs à
reperîve (chercher à trouver). Cf. experiri', got. faran, gr. rrstpa, etc. —
Il faut encore citer comme décisif pour le sens militaire de explôrâre le
passage suivant de Virgile (^En. XI, 511 suiv.). A la suite d^exploratores
nom. rapporté plus haut, on lit aux vers 512-513 :
equitum levia improhus arma
praemisit, quaterent campos (Enée envoie de la
cavalerie légère pour qu'elle batte la contrée.)
L. DELARUELLE
NOTES CRITIQUES
SUR QUELQUES PASSAGES DAUTEURS LATINS
NOTES CRITIQUES
SUR QUELQUES PASSAGES d'aUTEURS LATINS
Par L. Delaruelle.
Plaute, Most., 543.
Accedam atque adpellabo. Ei, quam limeo miser.
L'ensemble dont ce vers fait partie est considéré, par cer-
tains éditeurs, comme le siège d'une interpolation. Nous
nous contenterons, ici, d'examiner le vers en lui-même,
sans discuter la question de l'interpolation. Dans le texte
qu'on a lu plus haut, Ei est déjà le résultat d'une correction ;
les manuscrits donnent : Et. Cette correction, dont les édi-
teurs se sont contentés, ne suffit pas, semble-t-il, à nous
rendre le texte authentique. Il me paraît évident qu'il faut
lire qiiom au lieu de quam. La locution employée ici se
rencontre souvent dans la langue des comiques : plus sou-
vent, il est vrai, sous la forme ei mihi quom (Cf. Men., 304,
And., 622), mais cependant, dans les Capliiii (993), on
rencontre Elieu, quom. C'est, autant dire, la même tour-
nure : Ei quom, que nous proposons de reconnaître ici.
Ibid., 675.
... Pultadum foris,
Atque euoca aliquem intus ad te, Tranio.
Tel est le texte des manuscrits. Pour être complet, il man-
110 L. DELARUELLE
que au vers un demi-pied ; Ritschl l'a suppléé en ajoutant
hue devant intus. Cette addition est tout à fait conforme à
l'usage de Plante qui, dans de semblables phrases, précise
toujours, par des pléonasmes, l'action qui est ordonnée.
Mais cette addition n'explique pas encore la faute commise
par les copistes. Pour en rendre compte, il suffit d'admettre
que le manuscrit archétype présentait, au lieu de hue, la
forme archaïque de l'adverbe, c'est-à-dire : hoe. On sait que
cette forme se lit encore dans les manuscrits en certains
endroits de Plante (p. e. Mère., 321) et qu'on la trouve
encore dans Virgile {Aen., 8, 423). Dans le vers de la
Mostellaria, c'est hoc qu'il faut, selon nous, restituer.
Ibid., 1093.
Quid si igitur ego accersam homines ? TR. Factum esse iam oportuit.
Ce vers, dans les manuscrits, n'est précédé d'aucun sigle
de personnage. Si l'on examine la suite du dialogue, il
apparaît tout de suite que toute la phrase Quid... homines?
est dite par Theopropides. Une première correction consiste
à rétablir ce nom en tête de notre vers ; les éditeurs n'y ont
pas manqué. En revanche il est moins aisé de trouver les
conjectures qui i^endraient le vers correct. Depuis Camera-
rius, on s'accorde à transposer esse et iam : cela suffit
à remettre le second hémistiche sur ses pieds. Mais le pre-
mier reste toujours boiteux, trop court d'un demi-pied, et
dès lors on doit se demander s'il n'y a pas une connexité
entre les fautes que les copistes ont pu laisser dans le pre-
mier et le second hémistiche. Pour moi, je croirais volontiers
que, dans le texte original, iam se trouvait placé après
igitur. D'autre part, il serait assez naturel que le verbe
aecersam fût précisé par un adverbe de lieu ; ici c'est hue,
que l'on attend, comme dans Cap t., 950 : « Tyndarum hue
QUELQUES PASSAGES D'AUTEURS t^ATINS 111
arcessite ». En faisant cette double correction, on remette
vers sur ses pieds, la coupe étant maintenant après 4 pieds
et demi. On peut même, au lieu de hue, rétablir la forme
hoc, archaïque, dont la chute s'explique mieux, devant
homines. Le vrai texte serait celui-ci :
< TH. > Quid si igitur iam ego accersam hoc homines ? tr. Factum esse
oportuit.
J'ai déjà expliqué pourquoi hoc, devant homines, pouvait
facilement tomber. Quant à iam, ce mot, d'abord omis,
aurait été récrit dans la marge, puis replacé dans le texte,
mais hors de son rang.
Térence, Hec., 845-847.
Par. Maneo. Pam. Sic te dixe opinor, inuenisse Myrrinam
Bacchidem anulum suom habere. Par. Factum. Pam. Eum quem olim ei
dedi :
Eaque hoc te mihi nuntiare iussit: itane est factum ? Par. Ita, inquam.
Tel est, pour ces quatre vers, le texte d'Umpfenbach et de
l'édition de Tauchnitz (donnée par Dziatsko) ; dixe est le
résultat d'une correction due à Bentley : les manuscrits ont
dixisse, qui donne un vers impossible à scander. Cette
mauvaise leçon est la seule chose qui, dans ce passage, ait
attiré l'attention des critiques.
Et cependant on ne voit pas que les premiers vers pré-
sentent un sens satisfaisant. « Myrrina, dirait Pamphile, a
découvert que Bacchis avait sa bague. » Or c'est de la
bague de Philumena qu'il est ici question : Pamphile, on
s'en souvient, la lui avait arrachée en lui faisant violence et
il l'avait ensuite donnée à sa maîtresse Bacchis. D'ailleurs,
reportons-nous aux autres vers où il est question de cette
reconnaissance par le moyen de la bague. Aux vers 811-812,
quand Bacchis fait prévenir Pamphile par Parménon,
112 L. DELARUELLE
l'esclave demande : « N'aurai-je rien d'autre à dire? )), et
Bacchis de répondre :
Etiam : cognosse anulum illum Myrrinam
Gnatae suae fuisse, quem ipsus olim mi dederat.
De même, au vers 830, dans le monologue où elle
raconte la scène de la reconnaissance {Eum représente
anulum, exprimé dans le vers précédent) :
Eum haec cognouit Myrrina in digito modo me habente.
C'est Myrrina qui reconnaît la bague ; mais elle ne peut
en parler comme d'une chose sienne; il s'agit de la bague
de sa fille et il semble indispensable que l'idée de Philu-
mena soit exprimée dans le vers 846. Je proposerais de
lire :
Bacchidem anulum suae habere gnatae, eum quem olim ei dedi :...
On voit en quoi consiste l'essentiel de la correction : à
remplacer Factum par gnatae, qui préciserait anulum. Il
faut, du même coup, barrer dans ce vers les deux sigles de
personnages et changer suom en suae : on a une phrase
continue qui présente un sens satisfaisant.
Mais comment s'explique cette faute, qui devait passer
dans tous les manuscrits? Je suppose que, dans le vers 846,
Factum (au lieu de gnatae) vient du vers 847 {itane est fac-
tum?) : en copiant le 846, le scribe, distrait, aura pendant
un instant laissé errer son regard sur le vers suivant. Une
fois commise cette première faute, il fallait bien donner un
sens à ce Factum. On le considéra comme une réplique de
Parménon : d'où introduction de deux sigles de personnages,
devant Factum et devant Eum. De plus suae n'avait
plus de sens : on fit rapporter ce possessif à anulum^ en
changeant la terminaison.
Dira-t-on que nous n'avons pas le droit d'expulser Fac-
QUELQUES PASSAGES D'AUTEURS LATINS H3
tum de ce vers ? Cependant le mot, à cette place, ne laisse
pas d'être suspect. Pamphile a commencé par poser à Par-
ménon une série de questions très brèves et, chaque fois,
Parménon y a répondu. Mais, à présent, le ton du dialogue
a changé. Dans une longue phrase, Pamphile reprend, en
précisant bien chaque circonstance, le récit que lui a fait
Parménon, et celui-ci n'a aucune raison de couper la phrase
de son maître avant le moment où une question nouvelle
(itane est factumT) lui est expressément adressée. S'il
interrompt avant Eum quem olim... (846) il doit interrom-
pre aussi avant Eaqiie hoc te mihi... (847). Il semble donc
qu'en lui-même Factiim soit suspect. Si on le supprime du
vers 846, le comique vient du contraste entre la volubilité
joyeuse de Pamphile et l'ébahissement de Parménon, qui
n'a plus un mot à placer.
Cicéron, Att., I, 14, 3.
Proximus Pompeium sedebam. Intellexi hominem moueri, utrum Gras-
sum inire eam gratiam, qiiam ipse praetermisisset, an esse tantas res nos-
tras, quae tam libenti senatu laudarentur, ab eo praesertim, qui mihi
laudem illam eo minus deberet, quod meis omnibus literis in Pompeiana
laude perstrictus esset.
Tel est le texte de C. F. W. Mueller (édit. Teubner, 1905).
Je laisserai de côté, dans cette phrase, la difficulté que sou-
lèvent ces deux infinitifs : utrum Crassum inire... an esse
tantas res nostras ; renonçant à la résoudre, j'examinerai
seulement le dernier membre de la phrase : « quod meis
omnibus literis in Pompeiana laude perstrictus esset». Il ren-
ferme deux difficultés, l'une sur meis omnibus literis, l'au-
tre sur perstrictus esset, et dont chacune veut être considé-
rée isolément.
Il semble bien difficile, pour rneis omnibus litteris, de
garder tel quel le texte des manuscrits. Watson, il est vrai,
8
114 L. DELARUELLE
explique ainsi l'expression : « dans tous mes efforts littérai-
res ». En admettant qu'il soit latin, ce serait là un tour bien
inattendu et bien contourné : il ne s'agit pas ici de l'acti-
vité littéraire de Gicéron, mais bien de son activité politi-
que. Ce qu'on attendrait, c'est une mention de ses discours;
au lieu de litteris, c'est orationibus qu'on voudrait lire.
Ce mot orationibus, Tyrrell le rétablit dans son texte,
d'après l'édition princeps de Rome, et il lit : quod meis
orationibus, omnibus litteris... Avec cette leçon, litteris ne
fait plus que renforcer orationibus et il faudrait traduire :
« dans mes discours, à chaque lettre (!) de ces discours ».
L'hyperbole est bien singulière ; si Gicéron en avait eu
l'idée, il aurait, semble-t-il, entre oratiojiibus et litteris,
glissé un second terme qui aurait ménagé la transition ; il
aurait écrit, par exemple, quod meis orationibus, omnibus
uerbis, omnibus litteris. Mais, au fait, est-il vraisemblable
qu'il y ait eu ici un redoublement d'expression ? Nous ne
le pensons pas : litteris, tout seul, ne se comprend pas ; ora-
tionibus va très bien pour le sens ; mais, si on l'introduit
dans le texte, il faut en expulser litteris.
Pour moi, je croirais volontiers qu'il y avait, dans le texte
primitif : quod in meis orationibus. Ges mots, écrits avec
des abréviations, ne furent pas lus correctement : in fut
sauté devant meis et le substantif orationibus fut pris pour
l'adjectif omnibus. La phrase n'avait plus de sens et c'est
pour lui en donner un qu'un copiste maladroit aurait ajouté
litteris (au sens de epistulis). Ges hypothèses ne sembleront
pas trop arbitraires si l'on étudie le caractère des fautes que
présente le Mediceus : le manuscrit d'où dérive celui-ci
contenait évidemment de nombreuses abréviations et il est
souvent arrivé que le copiste n'ait pas su les résoudre.
J'avoue qu'à la fin du membre de phrase le texte ne me
semble pas mieux établi. On explique (voir le Choix de let-
QUELQUES PASSAGES D'AUTEURS LATINS il5
très, publié par Hild chez A. Colin, pp. 64-6o) : « parce que
Grassus se sentait atteint par les éloges que Cicéron ne ces-
sait de décerner à Pompée » . Mais ce n'est pas là ce que
signifie la littéralité du texte latin ; ici le passif perstrictiis
esset ne peut, selon moi, signifier qu'une chose : que Grassus
avait été « attaqué », directement, par des mots blessants
de Gicéron. Ge n'est pas attaquer une personne que faire
l'éloge de son rival, et je ne pense pas qu'on puisse, mettre
au compte de Cicéron pareille manière de s'exprimer. En
somme, que veut-il dire? que ses continuels éloges de Pom-
pée avaient porté ombrage à Grassus. C'est une idée sembla-
ble à celle qu'il exprime dans le Brutus (323), quand il
parle de sa rivalité avec Hortensius : consulatiisque meus . . .
illum primo leuiter perstrinxerat. Ici, voici comment je
lirais tout le membre de phrase : « quod in meis oratiomhxx^
eum pompeiana lau5 perstrmxisset » .
Certaines de ces corrections ont déjà été expliquées ; pour
les autres, voici ce qu'on peut dire. L'origine des corruptions
qu'elles supposent aurait été une faute commise sur eum,
écrit eu et lu in. Cette première faute aurait amené à corri-
ger laus en laude. Dès lors, le sens de ce qui précédait
devait suggérer au copiste la forme perstrictus esset au lieu
de perstrinxisset. Peut-être les chances d'erreur se trou-
vaient-elles encore augmentées par ce fait que dans les mots
comme perstrictus, le manuscrit archétype figurait la finale
-us au moyen d'une abréviation.
G. DOTTIN
ARGUTE LOQUI? ou AGRICULTURAM ?
LES GAULOIS ORATEURS? OU AGRICULTEURS?
ARGUTE LOQUl? ou AGRICULTURAM?
LES GAULOIS ORATEURS? ou AGRICULTEURS?
Par G. DoTTiN.
Le grammairien latin Flavius Sosipater Charisius, qui
composa vers le quatrième siècle une Ars grammatica en
cinq livres, nous a conservé, à propos du superlatif
industriosissime , un curieux fragment de Caton sur les
occupations des Gaulois.
]ndustriosissime M. Cato Originum II : pleraque Gallia
duas res industriosissime persequitur : rem militarem et
argute loqui ^
Cette phrase de Caton, appliquée par les historiens de nos
origines nationales à l'ensemble de la race celtique, a eu un
succès singulier. Il est depuis longtemps convenu que les
Gaulois — nos ancêtres — avaient pour caractéristiques à la
fois la valeur guerrière et l'habileté oratoire. En réalité, si
l'on examine de près le texte transmis par Charisius, on se
convainc bientôt qu'il n'a pas la portée qu'on lui a attribuée,
et qu'il s'écarte sans doute, sur un point, du texte primitif
des Origines.
Caton voulait-il parler des Gaulois transalpins? C'est très
1. Grammatici latini ex recensione H. Keilii, vol. I, p. 202, 1. 20-22.
H. Peter, Veterum Historicorum romanorum reUiquiae, p. 61, 11° 34.
i20 G. DOTTIN
peu probable ; car la province de Gaule transalpine ne fut
créée qu'en 121 avant J.-G. ; et le second livre des Origines
aurait été publié, avec le premier et le troisième, vers l'an
166 avant J.-G. ^ La seule Gaule que connaît Gaton est la
Gaule cisalpine. Pline ^ nous a d'ailleurs conservé quelques
fragments des Origines relatifs à divers peuples celtiques de
la Gisalpine, les Cenomani, les Boii. On ne peut donc guère
douter que la phrase de Gaton s'applique aux Gaulois d'Italie.
Essayons maintenant d'en préciser le sens en la compa-
rant aux textes analogues.
La réputation de valeur guerrière que les Gaulois avaient
dans l'Antiquité est incontestable^. Les peuplades gauloises
rivalisaient de bravoure entre elles. Gésar nous apprend que
les Belges étaient les plus braves des peuples de la Gaule,
que les Helvètes l'emportaient en courage sur les autres
Gaulois*. Les Bellovaques surpassaient en gloire militaire
tous les Gaulois et les Belges^ L'assertion de Gaton est donc
sur ce point confirmée par les historiens grecs et latins.
Il n'en est pas tout à fait de même de l'habileté oratoire,
sur laquelle les témoignages des anciens sont assez confus.
Diodore de Sicile, qui, vraisemblablement, nous conserve
l'opinion de Poseidônios, lequel avait voyagé dans la Gaule
transalpine, nous dit que les Gaulois, dans les conversations,
sont laconiques et s'expriment le plus souvent par allusions
et sous-entendus ; ils emploient beaucoup l'hyperbole pour
se vanter eux-mêmes et pour abaisser les autres ; ils sont
i. Teuffel, Geschichte der rômischen Literatur, 3® éd., § 120, 2,
p. 196. Cf. d'Arbois de Jubainville, Cours de littérature celtique, t. XII,
p. 190-191.
2. Histoire naturelle, III, 20, 116; 23, 130.
3. Polybe, II, 14; 30; Tite Live, V, 44 ; Florus, II, 4 ; Elien, Histoire
variée, XII, 23 ; Ammien Marcellin, XV, 12, 3.
4. Guerre de Gaule, I, 1.
5. Guerre de Gaule, VIII, 6, 2,
LES GAULOIS ORATEURS ? OU AGRICULTEURS ? 12!
menaçants, hautains, portés au tragique ; ils ont l'esprit
pénétrant et ne manquent pas de disposition naturelle à
s'instruire ^
Strabon leur attribue un esprit simple, pas méchant, que
l'on peut persuader de s'adonner aux études pratiques
comme la science et l'éloquence ; à la simplicité et à l'em-
portement il faut ajouter souvent la sottise et la jac-
tance^
Mêla leur accorde un talent de parole qui leur est pro-
pret
Tacite rapporte que les Romains d'Agricola disaient préfé-
rer les dispositions naturelles des Bretons à l'instruction des
Gaulois et avaient ainsi amené les habitants de la Grande-
Bretagne, qui peu avant refusaient d'apprendre le latin, à
désirer se former à l'éloquence *^.
Enfin, outre ces érudits, deux poètes latins font allusion à
la facilité de parole des Gaulois. Silius Italiens, à propos
des Gaulois d'Annibal, mentionne la faiblesse de caractère
et la vantardise de la race celtique % et Ju vénal dit que l'élo-
quente Gaule a formé les avocats bretons*.
Quelles que soient les contradictions et les obscurités de
i. Karà Ssxà; ô[i.'.Xt'aç (Spa/uXo'YOïxai aîv.yjjLaTtai [xal xà ;ioXXà atvtxidfxevoi]
auvexSo/^awç, TïoXXà 5a Xe'yovxs; ev 'JTcsp^oXaîç Itz' aùÇrjasi [i.£v aùxwv, [xetojos'.
àz xwv àXXtov, ar£iXr]xac x£ xal âvaxaxixôi xal xsxpaycoSrjfxevot uTcàpyouat, zoùç,
0£ oiavo^'at; 6Ç£Î; xai Tipoç (jLàOTja'.v oùx â-fusî;, Diodore, V, 31, 4.
2. xô oà a'j(jL7cav où'Xov... âp£'.p.av[OV ia-!:>. xai 6u{xixov X£ xat "Ztxyy T:p6ç
{xay r]v,àXXoj; X£ à;:Xouv xx\ où xaxor]9£i;... 7iapa:i£'.a6£yx£ç 81 £Ù{xapwç Ivôtôdaat
r.poç xô y pT[(jt[xov, wtc£ xal TcatBsi'aç a;:xs(jGat xaî Xdywv. Géographie, IV, 4, 2.
TwS' aTîXàJ xal Ôujjlixw :z6X'j x6 àvoqxo^ xal âXa^ovtxov Tipdae^jxt. Ibid., IV,
4/5.
3. Chorographie, III, 2.
4. Jam vero principum fîlios liberalibus artibus erudire et ingénia Bri-
tannorum studiis Gallorum anteferre, ut, qui modo linguam romanam
abnuobant, eloquentiam concupiscerent. Agricola, 21.
o. Ingenio fluxi... vaniloquum Celtae genus. Puniques, VIII, 16-17.
6. Gallia causidicos docuit facunda Britannos. Satires, XV, 111.
122 G. DOTTIN
ces textes, il serait néanmoins possible à un historien ingé-
nieux d'en tirer une confirmation du texte de Gaton, quoi-
que les écrivains que nous venons de citer aient eu en vue,
non pas les Gaulois de la Cisalpine, mais les Transalpins,
et quoique les temps où ils ont écrit soient singulièrement
divers et éloignés de Gaton. Malheureusement, nous avons,
précisément sur la question qui nous intéresse, un témoi-
gnage de premier ordre d'un contemporain de Gaton,
Polybe, et ce témoignage est loin de concorder avec celui
de Gaton.
« Parce qu'ils [les Gisalpins] couchaient sur la paille et
mangeaient de la viande et que de plus ils ne pratiquaient
que Vart de la guerre et l'agriculture {Ixi oï [jir^Bàv o^kXo
t:Xy;v xi xoXsjJiixà xal xi xarà -^etùp^ioci àaxetv), ils avaient un
genre de vie simple sans qu'une autre science ou un autre
art existât du tout chez eux (ojx * ïizr.Qxr^^.r^q xk^Ti^ ouïe Tr/vY;ç
Polybe ayant composé les trente premiers livres de ses
Histoires pendant son exil à Rome, de 166 à loO, la phrase
de Polybe est à peine postérieure de quelques années à la
phrase de Gaton dont les Origines (livres I-III) parurent en
166. On ne peut donc admettre qu'entre la date des Origines
et celle des Histoires, les occupations et le caractère des
Gisalpins eussent changé au point que, de beaux parleurs,
ils fussent devenus agriculteurs. 11 serait excessif, d'autre
part, d'exiger que Polybe ait vu les Gisalpins du même
point de vue que Gaton, et il est possible, quoique peu vrai-
semblable, que l'historien Polybe ait remarqué leurs talents
d'agriculteurs et que Gaton, qui a composé un traité d'ex-
ploitation agricole, ait été surtout frappé par leur habileté
d'orateurs. Il reste toutefois que deux écrivains contempo-
1. Polybe, Histoires, II, 17.
LES GAULOIS ORATEURS ? OU AGRICULTEURS ? 123
rains, voulant désigner les Cisalpins par deux caractéristi-
ques importantes, se sont trouvés d'accord lorsqu'il s'est agi
de la première et sont en contradiction sur la seconde. Cela
peut suffire pour que nous mettions en doute la seconde par-
tie de l'un ou de l'autre des deux textes.
Tandis qu'il n'est question de l'éloquence des Cisalpins
que dans le fragment de Caton, Polybe s'étend longuement
sur la fertilité de la vallée du Pô et le développement de
l'agriculture en Cisalpine : « Les expressions manquent, »
écrit-il, « pour dire la fertilité de ce pays. L'abondance du blé
y est telle que l'on a vu plus d'une fois le médimne sicilien
de froment ne valoir que quatre oboles, celui d'orge, deux,
et le métrète de vin ne pas coûter plus qu'une mesure
d'orge. Le millet et le panic y poussent à foison ; les chênes
fournissent tant de glands que la plupart des porcs consom-
més en Italie ont été nourris en Cisalpine. Les voyageurs
qui s'arrêtent dans les auberges ne conviennent pas du prix
de chaque objet séparément, mais ils demandent combien
on prend par tête et le plus souvent l'hôte s'engage à fournir
tout ce qui est nécessaire pour un quart d'obole et le prix
est rarement dépassé » ^ De plus, il est probable que Caton,
dans le livre II des Origines, parlait en quelque endroit des
productions de la Cisalpine ; nous avons, en tout cas, grâce
à Varron, un fragment des Origines sur les quartiers de porc
salé provenant de Gaule ^. On ne pourrait opposer à ces
témoignages précis que la vague assertion de Cicéron
d'après laquelle les Gaulois trouveraient honteux de pro-
duire du blé par le travail de leurs mains et c'est pourquoi
i. Histoires, II, 14. Cf. Strabon, V, 4, 42.
2. De magnitudine Gallicarum succidiarum Cato scribit his verbis : In
Italia in scrobes terna atque quaterna milia aulia succidiavere. Sus usque
adeo pinguitudine crescere solet ut se ipsa stans sustinere non possit ne-
que progredi usquam. Varron, De Vagriculture, II, 4, il.
124 G. DOTTIN
ils vont en armes moissonner les champs des autres*. Stra-
bon s'en est visiblement inspiré lorsqu'il nous représente
les Celtes comme étant plutôt des guerriers que des agricul-
teurs ; « ils sont », dit-il, « forcés de cultiver la terre main-
tenant qu'ils ont déposé les armes » ^. Gicéron qui écrivait
cette phrase en 54-53, à l'époque de la campagne de César
contre les Éburons, entend désigner sans doute plutôt les
Transalpins que les Cisalpins par le nom général de Galli.
En tout cas, le texte de Cicéron ne peut infirmer celui de
Polybe.
Comme on ne peut mettre en doute les textes de Polybe
sur la fertilité de la Cisalpine, d'où il résulte que l'agricul-
ture était une des deux occupations principales des Cisal-
pins, la seconde étant la guerre, s'il faut corriger soit le là
xaii YswpYtav de Polybe, soit le argute loqui de Caton, le
bon sens nous conduit à suspecter plutôt le texte de Caton
que celui de Polybe. Il nous faut donc décider si le texte de
Caton a pu être altéré.
Ce texte ne nous est parvenu que dans un manuscrit du
commencement du vm* siècle ou de la fin du vii% conservé à
la Biblioteca Borbonica de Naples (IV A. 8) et provenant de
Bobbio. Ce manuscrit est en mauvais état et plein d'abrévia-
tions. Les trois autres manuscrits de Charisius (Yindobonen-
sis 16, Parisinus 7560, Parisinus 7 530), incomplets, ne ren-
ferment pas le passage qui nous intéresse^. Le manuscrit de
Naples, ainsi que les deux copies qui en ont été faites au
xvi^ siècle et qui sont conservées à la même bibliothèque, ne
contient, si l'on s'en rapporte à l'apparat critique de Keil,
i. Galli turpe esse ducunt frumentum manu quaerere, itaque armati
aliènes agros demetunt. République, III, 9, 15.
2. ol ô'àvBpsç [xayrjTat {xàXXov^ yzwpyoi- vuv Ô' âvayxài^ovTai YcCopyeTv, xax«-
Ge'fxEvoi Ta oTîXa. Géographie, IV, i, 2.
3. Cf. Keil, Grammatici latini, t. I, préface.
LES GAULOIS ORATEURS ? OU AGRICULTEURS ? 12S
aucune particularité pour les mots argute loqui\ Cette
leçon n'est donc garantie que par un seul manuscrit posté-
rieur à Gaton de plus de huit siècles.
On peut se demander si la leçon argute loqui est correcte
et conforme aux habitudes des anciens Latins. La phrase de
Caton, telle qu'elle nous est donnée par Charisius, présente
la construction singulière d'un infinitif complément direct
coordonné à un nom et traité comme un substantif. Une
telle construction est très rare, sinon unique, en latin. La
lecture attentive que j'ai faite tant du De re rustica que des
fragments de Caton ne m'a point fourni d'exemple analo-
gue. Parmi les exemples que les grammairiens^ rapprochent
de ce texte de Caton, il n'y en a point qui lui soient exacte-
ment comparables. L'exemple de Plante, Poeniihis, I, 2,
100 (103) répartit un substantif représenté par un pronom
et un infinitif entre deux personnages
— Ego amo hanc
— At ego esse et bibere.
C'est chez Virgile, Enéide^ VI, 620, que l'on trouve la
construction le mieux comparable à celle de Caton ^ :
Discite justitiam moniti et non temnere divos.
Mais ce qui différencie essentiellement encore le texte de
Caton, c'est que le substantif et l'infinitif y sont introduits
i. C'est ce qu'a confirmé par une lettre M. E. Martini, préfet de la
Bibliothèque de Naples, à qui M. H. Teulié, bibliothécaire de l'Université
de Rennes, avait bien voulu demander si argute loqui présentait sur le
manuscrit quelque particularité.
2. Holtze, Syntaxis priscorum scriptorum latinorum usque ad Teren-
tium, t. II, p. 25 ; Kûhner, Ausfûhrliche Grammatik cler lateinischen
Sprachc, t. II, p. 490 ; Dràger, Historische Syntax der lateinischen
Sprache, t. I, p. 334.
3. Cf. Horace, Odes, I, 1, 20 : nec.pocula... nec.demere... spernit;
II, 16, 37: spiritum... dédit... et spernere j III, 14, 45: nec tumultum,
nec mori... metuam.
126 G. DOTTIN
par duas res ; or duas res ne peut guère annoncer que deux
substantifs ; et on ne trouve point ailleurs di/as res ainsi
construit.
D'autre part, les philologues anciens et modernes s'accor-
dent à regarder l'emploi de l'infinitif latin pris substantive-
ment, comme un emprunt à la syntaxe grecque K Or Gaton
n'est pas précisément un des auteurs latins dont le style
serait le plus pénétré d'hellénisme. On sait que Caton fut un
adversaire résolu de la culture grecque et on ne peut guère
révoquer en doute les nombreux témoignages d'après les-
quels il était déjà vieux quand il apprit le grec pour la pre-
mière fois-.
Pour la même raison, il est difficile d'admettre, avec
M. d'Arbois de Jubainville^, que la phrase de Caton n'est
qu'une adaptation latine du vers bien connu de V Odys-
sée, K, 272 :
Oioç èxEivoç Iy;v xsXÉaat spycv te è'xs; ts.
On peut donc conclure que, du point de vue grammatical,
argute loqui est une leçon très contestable.
Il resterait à démontrer que argute loqui, mauvaise leçon
contredite parPolybe, conservée par un seul manuscrit, peu
conforme à la syntaxe latine, peut être la corruption
paléographique d'une bonne leçon perdue. Cette bonne
leçon doit être constituée par un substantif accompagné ou
non d'une détermination.
4. Servius, chez Keil, Grammatici latini, t. IV, p. 441 ; Sergius, ibid.,
p. 502. Wœlfflin, Archiv fur lateinische Lexikographie uncl Grammatik,
t. III (4886), p. 74. Brenous, Étude sur les héllénismes dans la syntaxe
latine, p. 341-345.
*2. Gicéron, De senectute, I, 8 ; Académiques, II, 2 ; Cornélius Nepos,
Caton, 3 ; Quintilien, XII, 44 ; cf. Plutarque, Caton, 42. C'est pourtant
ce qu'essaie de faire Berger, dans son Histoire de Véloquence latine, t. II,
p. 45-46.
3. Cours de littérature celtique, t. VI, p. 393-394.
LES GAULOIS ORATEURS ? OU AGRICULTEURS ? 127
Le texte de Polybe suggère tout d'abord agricxdturam.
On peut remarquer que, si Ton suppose que m était repré-
senté par l'abréviation ordinaire, les deux leçons argute
loqin et agriculturà contiennent le même nombre de lettres :
agriculturâ
argute loqui*
De plus, les lettres qui entrent dans la composition des
deux mots sont les mêmes, à l'exception de trois : e, o, q
dans argute loqui, a, c, r dans agriculturà. Puis, le groupe
de lettres initial arg est, avec interversion, identique à agr.
Enfin la place de / est la même dans les deux mots.
Quelle était l'écriture du manuscrit dans lequel un scribe
mal avisé aurait lu argute loqui au lieu de agriculturâ ? Ce
n'est certainement pas un manuscrit en capitales :
AGRIGVLTVRÂ
ARGVTELOQVI
Le manuscrit de Charisius est en écriture anglo-saxonne.
Dans cette écriture VI est la lettre la plus caractéristique,
parce que seule elle dépasse le niveau supérieur des autres
lettres. La correspondance singulière de / dans les deux
mots argute loqui et agriculturam pourrait amener à penser
que la faute aurait été commise sur un manuscrit anglo-
saxon ou irlandais. La provenance de Bobbio, où il y avait
des scribes irlandais % n'est pas pour contredire cette hypo-
thèse. Mais l'écriture irlandaise, si, à la rigueur, elle peut
rendre compte d'une confusion de ra avec qui (la barre ver-
ticale de Vr aurait été prise pour celle du q et la seconde
partie de Vr aurait été confondue avec Va suivant) ne saurait
expliquer d'une façon satisfaisante, il faut en convenir, la
4. Cf. Zimmer, Ueber die Bedeutung des irischen Eléments fur die
mittèlàlterliche Cultur {Preussische Jahrbucher, t. LIX, p. 27-39).
128 G. DOTTIN
substitution de argute loqui à agriciilturam. Est-ce une
aberration de copiste ou une correction fautive due à quel-
que demi-savant qui se rappelait et les textes de Gicéron sur
l'inaptitude des Gaulois à l'agriculture et le texte de Juvénal
sur l'éloquence gauloise, mais qui ignorait le texte de
Polybe?
En résumé, quelques difficultés de détail que présente la
discussion paléographique, nous n'en avons pas moins, sem-
ble-t-il, un certain nombre de raisons, et de divers ordres,
pour tenir comme suspecte la leçon argute loqui. Et si
notre conjecture n'était pas trop hardie, Gaton et Polybe
seraient d'accord pour reconnaître aux Gaulois de la Gisal-
pine deux sortes d'occupations, la guerre et l'agriculture, et
les Geltes de la vallée du Pô n'auraient aucun droit à l'ha-
bile faconde que, sur la foi d'une leçon douteuse de Ghari-
sius, nous leur attribuons depuis plusieurs siècles.
A. ERNOUT
DE L'EMPLOI DU PASSIF
DANS LA MULOMEDICINA CHIRONIS
DE L'EMPLOI DU PASSIF
DANS LA MULOMEDIGINA CHIRONIS
Par A. Ernout.
C'est un grand service que M. Oder a rendu aux latinis-
tes qu'intéresse l'histoire du développement des langues
romanes, en éditant le recueil de prescriptions vétérinaires
intitulé Mulomedicina ChironisK Outre qu'il peut être daté
avec assez de précision et situé aux environs de l'an 400
après J.-G. (voir Oder, préf. XIII), il est écrit par un
homme peu lettré, mal informé des règles de la grammaire
classique, dont le style offre une image assez exacte de la
langue vulgaire de son époque :
« Chiron vero et Aspyrtus diligentius cuncta rimati elo-
quentiae inopia ac sermonis ipsius vilitate sordescunt » , dit
Végèce (praef. § 1) qui d'ailleurs l'a pillé impudemment. Mais
en dépit du grand intérêt linguistique du livre, il n'a sus-
cité que peu de travaux : on ne peut guère citer que les
index excellents que M. Oder a joints à son édition, et deux
articles peu importants de MM. Lommatzch et Heraeus dans
VArchiv de Wôlfflin XII, 401 et suiv. ; XIV, 119 et suiv.
On s'est proposé ici d'étudier dans ce texte l'usage syn-
1. Claudii Hermeri Mulomedicina Chironis edidit Eugenius Oder, Leip-
zig, Teubner, XXXVII, 467 pp.
132 A. ERNOUT
taxique du passif. Le style et la langue de la Mulomedicina
étant remarquablement monotones, comme on peut s'y atten-
dre dans un livre composé uniquement de diagnostics et de
formules, il n'a pas été nécessaire de porter l'enquête sur
tout l'ouvrage ; seules les formes du livre III (p. 36-89) ont
été examinées. Mais une lecture attentive des autres chapi-
tres n'a apporté aucun résultat nouveau ou discordant :
si l'on poussait plus loin l'étude, le nombre des exem-
ples serait modifié : les conclusions générales subsisteraient
toutes.
Formes passives de l'infectum.
Indicatif présent. — Seules sont attestées les 3*^ per-
sonnes du singulier et du pluriel. Dans la plupart des cas,
l'indicatif présent passif s'emploie pour exprimer un fait
d'une manière générale et indéterminée, sans qu'il s'y joigne
aucune idée temporelle d'actualité opposée au futur ou au
passé. Le sens est, exactement semblable à celui du françaii
on :
cura autem paene omnium similis adhibetur 262 ; quod*
emorigia appellatur 142 ; huiusmorbi, qui appellatur maleos
162 : cf. 142, 164, 165, 179, 204, 211, 247, 209 (2 fois);
catulum lactantem vivum... conditur eodem modo 199 ; om-
nis esca... difficiliter coquitur 116;quod vitium difficiliter
curatur 228 ; curatur autem hoc modo : solve illius iugulares
venas291 (noter la valeur égale de curatur et de sohe que
pourraient très bien remplacer solvuntur « on lui ouvre »
ou solvantur « qu'on lui ouvre ») ; curantur autem sic, san-
guinis detractione 293; titymallum radicem... datur mor-
bidis 201 ; deinde datur ei fenum et tertia die infunditur
anacallidis tritae 293 ; cura et potiones singulis capitulis suis
inf erius demonstrantur 262; sic tamen detrahitur et abstineto,
LE PASSIF DANS LA MULOMEDICINA 133
proiit corpus habuerit 144; hoc est maleos, quod dicitur,
subcutem 125 (2 exemples semblables); quae passio coactio
dicitur 149; quae passio doloris enfragma dicitur, quae la-
tine obturationem vocatur 210 ; qui morbus graece cephalo-
ponia dicitur 266 ; donec hic humor coagulatus, colare
dissolvitur stercoris redundationem, intestina maiora laxa-
verit 212 ; quod si educitur in ambulandum 115 ; quotiens
ei sanguis emittitur 247 ; fumigatur farina infusa in vinum
aut galbanum, et infunditur intra cucumeris agrestis reliqua
pars tusarum ; miscentur galbani, nitri obolum, deinde sol-
vituraqua, exsextario infunditur per quatriduum tantumdem
cottidie, aut stercore sicco humano, quod commiscetur post
sanguinis detractionem 282-283 ; intelligitur ergo et curabi-
tur sic 133; intelligitur hoc modo 134; unde intelligitur
sanguinis corruptio esse 180 (la construction de la phrase
prouve que l'emploi de l'impersonnel passif a cessé d'être
vivant, et qu'il n'est plus maintenu que par la tradition sco-
laire) ; si quod iumentum sincopaverit, sic intelligitur 239 ;
intelligitur autem passio ex eo, quod 290 ; cuius et tergus du-
rum etcontractum invenitur 170, cf. 171, 183, 184 (2 fois)
192 ; diflficilis ratio intelligendi aput prudentes veterinarios
invenitur 182 ; vel nunc tardius aliqua liberatur 207 ; in
quibus praecipitur suifumigari ea iumenta 167 ; maisideoque
praecipitur fumigare 193, cf. 181 ; quae et ipsa plures coin-
quinat et tardius sanatur 172 ; morbus verissime vocatur
maleos 164; unde haec valitudo ilion vocatur 215 (mais
unde et contagium ab eo dictum est 165).
Ailleurs le présent passif a la valeur médio-passive du
moyen grec, et se traduit en français par le verbe accompa-
gné du réfléchi. Dans la plupart des cas, il est assez délicat
de saisir la nuance de sens qui distingue ce présent de la
forme périphrastique composée du participe en -to- joint à
siim, et de fait l'auteur de la Mulomedicina emploie indiffé-
13i A. ERNOUT
remment les deux types, usant même du présent là où le
perfectum est attendu.
propter quod comprehenditur caput similiter et pulmo,
ubi primum morbus se abscondit 174 ; hic autem strophus
concipitur... quibus ex coactione sudor totius corporis, sicut
fieri solet, humorem excludatur (?) foris extra eûtes 220 ;
(excludatur est incompréhensible) ;... auriculas demissas
habuerit, et in ambulationem conquassatur, toto corpore
feritur 273 ; spasmus nervorum in corde constringitur 260 ;
ab hoc quia totum caput febri continetur 120 ; cum enim
sanguis evagatur... et corrumpitur 180 ; et cum procubuit...
dilatatur 1 18 ; qui febricitant, sic cognosces: quorum caputdu-
citur usque ad terram 247, cf. 162 (on attendrait iciductum
est « dont la tête est penchée vers la terre ») ; contigit ut
iumentum evirietur 163 (sens moyen « perdre ses forces »);
ex qua ratione omnis spurcitia humoris relaxata excluditur
217 ; quod cum magis in eis ventus maior nutritur 215, cf.
222; ex qua similitudine... praecluditur stercoris vadum
211 ; tabescit a renibus, id est ab articulis lumborum, unde
regitur 176 ; ex qua praeclusione tenditur ipse colus 212.
Troisième personne du pluriel. — Mêmes emplois qu'au
singulier :
I. — hi autem, qui hoc vitium doloris patiuntur, strophus
(= strophosi) appellantur 219 ; si quando appellantur 225 ;
non enim similiter iumentaatque homines... curantur 153;
curationes inferius demonstrantur 151 (cf. sunt autem haec
potiones infra scriptae 190, l'infectum et le perfectum sont
employés indistinctement avec des valeurs égales) ; vix qui-
dem evelluntur, et ipsa hora tibi in manu similiter (= si-
mul) cohaerentur 236 (evelluntur a entraîné la formation
barbare cohaerentur) ; prima enim doloris vitia ex praesenti
nata inveniuntur 206, cf. multae valitudines nasci manifeste
LE PASSIF DANS LA MULOMEDICINA 135
inveniuntur 191 ; humores in ano inveniuntur 225 ; raren-
ter ex his duabus passionibus iumenta liberantur 211, cf.
172, 216, 259 ; si per plures dies potionentur 227 ; accepta
sanantur 278 ; ures ei temporales venas... sicut sidoratici
uruntur 296.
II. — tempora eius colligantur (= collecta sunt) et maie
escatur 270 ; nervi totius corporis constringuntur 148 ; quo-
tiens enim venae caldae locis suis continentur 161 ; et in
impetu eius convertentur 139 ; separata per totum organum
interius distribuuntur 208 ; de his venis, quae in extremo
aurium finiuntur 141 ; in his stercora conspissata formantur
in rotunditatem 213 ; quod ad medullas eorum, qui maleos
prenduntur, nihil ex cibo pervenit (prenduntur = prensi
sunt) 174; huic membrana tenduntur 275 (ici tenduntur
équivaut à tensa sunt) ; haec enim valitudines accepte vino
in peiora vertuntur 278.
Futur. — Les formes de futur sont les suivantes et n'ap-
pellent pas de remarques.
curabitur sic 271 ; necesse erit sanguis detrahetur de his
venis 120 (futur employé pour le subjonctif); liberabitur
periculo, de quo difficiliter liberari soient 235 ; si contige-
rit ei post curationem ut aliqua pars cerebri minuabitur (au
lieu de minuta sit ou fuerit) vel plus intumuerit 260 ; san-
guis mittetur eis de temporibus 271 .
Emploi médio-passif : torquebitur, gemet et tendit se
228.
3^ p. pi : qui cognoscentur sic 226.
Impersonnel : observabitur, non prius in agro prodeant
194.
Subjonctifs. — Ficus duplices IX decoquantur, 157;
valde facit, si ex eadem radice minutim concisa in cibaria
136 A. ERNOUT
eis admiscatur, et si nitrum contusum... in cibaria miscea-
tur 202 ; et hic si non velocius separetur longinqua regione
165; quamvis difficiliter puUamina ex ea causa liberentur
196 ; quousque morbi vincantur 199.
Oleo calido totum perfrigare, ita ut in corpore digeratur
241 ; et ne intercludatur (= intercluso spiritu pereat) eicies
eum 251 ; et infundes per os, ut venter ei solvatur 285.
On trouve l'impersonnel employé trois fois dans une mê-
me formule « cui tamen si celerius succurratur, 216, 232;
et 222 cui sic celeriter succurratur. Mais l'auteur se sert d'ail-
leurs de formes d'actif, cui si tardius aliqui succurrat, dif-
ficiliter liberantur 216; et sic eis succurres et percuras 226.
Dans une même phrase on trouve deux formes d'impératif
actif en -/o, puis une 3® pers. d'indicatif présent passif qui
tient lieu soit d'un subjonctif, soit d'un impératif passif:
cooperito caput illius de vestimentis, vel quadrupedem deli-
gato, et opertoriis operitur bene ut sudet 288 ; (operitur =i
openatm\ operitor avec la même valeur que cooperito et
deligato^.
Il n'y a pas d'exemple d'indicatif imparfait ; on en trouve
un seul d'imparfait du subjonctif « nomen huic morbo impo-
suerunt, ut quo facilius et ab aliis hic morbusintelligeretur,
et aggregare (?) secerneretur 166.
Formes >omi>ales du passif.
Infinitif. — L'infinitif passif sert uniquement de complé-
ment aux verbes auxiliaires marquant la possibilité (possé),
la nécessité {oportere ,necesse e55e!,^eô^r^),l 'habitude (50/^r^),
employés avec une valeur personnelle ou impersonnelle.
L'infinitif avec contingit qui est une rareté dans la prose
classique est devenu tout à fait courant, tandis que la
LE PASSIF DANS LA MVLOMEDICINA 137
construction avec ut suivi d'un verbe au subjonctif
n'est plus connue.
quo modo etquibuseis subveniri possit 187 (impersonnel),
-}- subveniri possit 153 (id.); ut possit a corporibus eorum
illa coinquinatio morbi...in sanguine abstrahi 168; sanguine
emittere etiam de capite debes, quibus facile potest auferri
iusta emissionne 133 ; ut caligo eius auferri possit 281 ; qui
non solum curari non potuit 166; plerique... sani fîeri
possunt 281, cf. 20o, 206; ut... ceterorum corpora ab hoc
morbo liberari possint 198 ; qui putant... remediis dolorem
ventris posse sanari 205.
claudicanti etiam de pede sanguinem auferri oportet et
venas adaperire 142 (auferri mais adaperire) ; huic sanguis
non oportebit detrahi 161 (contamination de deux construc-
tions : huic sanguis non detrahendus est ou huic sanguis non
débet detrahi 247 et huic sanguinem non oportebit
detrahi) ; quibus tamen subveniri oportet... sanguinis
detractione 178; quos sic curari oportet 180 (mais, dans le
même paragraphe, huic sanguinem detrahere oportet); san-
guinis detractionem fieri oportet 187 ;... fomentis quoque
calidis renibus pro multidine adhiberi oportet, deinde exter-
gere eum diligenter 216 ; quascunque valitudines atera-
peutae sunt et croniae cura sua curari oportet. eas ciclo
curari oportet 249. Quibus necesse erit de coronis sangui-
nem detrahi 248 (8 exemples) ; quod vitium hac ratione
débet curari H7; unde fieri debeat sanguinis detractio.
...morbidis detractio débet fieri 245; eorum autem débet
superior vena aut duo... sanguinis laxari 246; his ergo...
débet sanguis detrahi 247 (5 exemples) ; quod si coeperint
ipsa membrana cerebri gravari ex eadem corruptione san-
guinis 257. et hoc circa boves fieri solet 278 ; soient alii
... in farcimen converti 145 ; morbidi liberari soient 200 ;
saepissime refrigerari soient 219, 221 ; eius labra soient
t
138 A. ERNOUT
acrovaricia fieri 294 ; soient religari et stercore obrui, ut
insudent et obdormiant296.
ex qua re contigit eviriari 180 ; contingit enim eos evi-
riari 181 ; quibus contingit et in ventre tumorem fieri 184;
sic contingit vitae periclum eis fieri 119 ; saepissime contingit
eos liberari 180
En dehors de ces cas, il n'y a qu'une proposition infini-
tive au passif : quare iubemus eos in agrum proici 188.
Reverti qu'on lit 282 « fervor facit membrana capitis alienata
ad sanam mentem... reverti » n'est pas autre chose qu'un
moyen.
Le participe en -nous, -nda, -ndum marquant l'obligation
est employé concurremment avec oportere, dehere, necesse
esse, et avec le futur ou l'infinitif actif tenant lieu d'impéra-
tif, l'emploi des auxiliaires ou du futur étant d'ailleurs
beaucoup plus fréquent que celui du participe :
ad unamquamque rem simul quaestione vel lectione
veniendum est 153; neque hoc utique credendum est posse
fieri 205 ; eas (valitudines) ciclo curari oportet. cui autem
ciclus curae adhibendus erit, sic curabis 249 « Il faut les soi-
gner par le changement périodique de remèdes (cyclus gr.
xijxXoç). L'animal à qui il faudra appliquer ce traitement,
tu le soigneras ainsi » . oportet — adhibendus erit — cura-
bis ont des valeurs égales, huic sanguinem detrahere non
oportet in novissimo, sed in initio deplendus erit 180. « Il
ne faut pas faire de saignée à la fin du traitement, mais
c'est au début qu'il faudra le saigner » (oportet — deplen-
dus erit) ; emissiones sanguinis non sunt faciendae 130 cf.
huic sanguinem detrahere non oportet 180 ; et 245unde fieri
debeat sanguinis detractio. morbidis sive valitudinariis san-
guinis detractio débet fieri, ex quibus morborum vitia evin-
çenda sunt ; coactionis enim ratio et cura demonstranda est
LE PASSIF DANS LA MULOMEDICINA 139
ISl ; humorem ergo per naribus profluentem intelligere
oportet cuique iumento propter imminentes coactionem
(coactionum) valitudines intelligendas et curandas profluere
loi. « Il faut donc étudier l'humeur qui s'écoule par les
narines de chaque animal, pour comprendre les maladies
résultant de la coactio et pour soigner cet écoulement » ;
ex qua re sollicite intelligendus est (se. morbus) 165 « C'est
pourquoi il est nécessaire de bien se rendre compte de la
maladie » ; et eorum tamen cadavera obruenda sunt 194;
haec potio praeparanda erit 196; vitii ratio... cum signis
intelligendi reddenda est 219 ; ex quibus morborum vitia
evincenda sunt 245.
calidis quoque locis ad continendam curationem gurabis
eum 117 ; propter ceterorum magis corpora salvanda 167 ;
propter effugandum taetrum odorem 167; ita ut vires
ampliandi huius morbi minuuntur 194; pro motum ali-
cuius humoris interius excludendum 214 ; deinde et calda
ad curandum eum fomentabis 268.
Au lieu du pcp. en -ndus on a le gérondif 230 ad sanandum
omnem passionem doloris a ventre quae nascitur ; 290 ..,
exilit ad mordendum homines 290.
Mais la plupart du temps l'idée de nécessité s'exprime par
oporterey debere suivi de l'infmitif actif ou passif. Les
formes d'infinitif passif ayant été étudiées, il suffit de citer
ici :
abstinere oportet ab omni esca 117 ; claudicanti... sangui-
nem auferri oportet et venas adaperire 142 ; alias quoque
passiones... ex quibus causis eveniant scire oportet 150 ;
signa et curationes scire oportet 152 ; urere oportebit eum
153; banc doctrinam intelligere oportet 154 ; hanc doctrinam
s. s. diligenter tenere oportet 156 ; et hoc quidem docere
oportet de iumento lasso 171 ; oportebit... genua... oleo ad-
fricare et manibus percatapsare totum iumentum et non
140 A. ERNOUT
duro loco statuere 161 ; huic sanguinem non oportet detra-
here 180 ; quas collectiones... erumpere oportet 181 ; quos
oportet sub divo in agro mittere 181 ; eosque oportet et
fumigare rébus austeris 190; alii dixerunt... ex eos potio-
nare morbidos oportere 200; potionare oportet 201 ; potio-
nem dare oportet 201 ; hoc potionare oportet 205; oporte-
deinde extergere eum... et perungere... in auriculas ex hoc
oleo calido suflFundere oportet 216; saciliones... imponere
oportet 218; sic istis vitiis in ventre s. s. subvenire oportet
238 ; tergus perfricare oportet 238 ; sic eum curare oportet
241 ; valitudines quas cicio curare oportet 255 ; scire opor-
tet... ut 256 ; sed oportet flebotomare eumdesuboculis 269.
(24 exemples)
item inambulationibus levibus uti debebit 117 ; hoc quo-
que non debes : eorum qui a labore signa adferunt, eis san-
guinem mittere 120; sanguine emittere etiam de capite
debes 133 ; curare autem debemus emissione sanguinis 137 ;
debes autem os aperire cotidie 140; rationem huius morbi,
unde nascitur, inquirere debemus 191 ; quas expurgare de
longaone eas debebis 237 ; praeterea quam solam observare
debemus 245 ; dare debebis furfurem et paleam 250 ; fenum
adponere et furfure et paleas debes 269. (10 exemples)
adaperire etiam... venas necesse est 142 ; quibus necesse
erit de coronis sanguinem detrahere 163; quare necesse
habebimus nihil intermittere 182; vel itinere laborantem
calore totius corporis necesse est velocius refrigescat 220
(au lieu de refrigescere). (4 exemples)
Si l'on compte en outre les futurs et les infinitifs exprimant
un ordre ou une obligation, on voit mieux encore à quelle
existence précaire est réduit le participe futur d'obligation.
Remplacé par des formes périphrastiques qui se dévelop-
pent de plus en plus, ou suppléé par des temps de l'actif, il
ne se maintient que par l'enseignement des grammairiens,
LE PASSIF DANS LA MULOMEDICINA 441
et a cessé de faire partie de la langue vivante. Ici encore
apparaissent les tendances nouvelles qui transforment
insensiblement le latin, et font prévoir les langues romanes.
Participe en -to-. — Une étude de l'emploi du participe
en -to- devrait figurer ici. Mais les emplois les plus intéres-
sants du participe seront signalés à propos des temps du per-
fectum, ou de l'emploi des auxiliaires. Il suffit d'indiquer
que le participe a conservé la plupart des fonctions qu'il
remplit à l'époque classique, mais qu'il tend à n'être plus
qu'un simple adjectif. Un seul exemple illustrera cette thèse :
fixus immobilis tristis stat deiecto capite labiis demissis,
oculis adopertis vel tensis auribus immobilibus 146.
Emploi des formes du perfectum.
Dans la langue archaïque, les formes de perfectum dépo-
nent ou médio-passif avec fuero, fuerim sont employées
pour projeter dans le passé le résultat d'une action accom-
plie. M. Blase Histor. Gramm., III, p. 208 cite l'exemple
suivant pris dans le Phormion v. 970 sqq. Ain tu? ubi
quae lubitum fuerit, peregre feceris Neque huius sis ueritus
feminae primariae Quin nouo modo ei faceres contumeliam
Venias nunc precibus lautum peccatum tuom? « Tu dis ? Tu
serais allé autrefois faire des tiennes en pays étranger,
témoigner si peu d'égards pour une femme distinguée comme
celle-ci, l'outrager d'une manière inouïe, et tu en serais
quitte maintenant pour venir laver ta faute par des
prières? )>
On peut rapprocher v. 560. Idem hic tibi, quod boni
promeritus fueris, conduplicauerit. « Il aura bientôt fait
de te rendre au double le bien que tu lui auras fait. » Ici
142 A. ERNOUT
promeritus fueris est une sorte de futur antérieur « se-
cond » correspondant au futur antérieur « premier »
conduplicauerit, cf. Cicéron Tusc. 4, 35 « si quando adepta
erit id quod ei fuerit concupitum ». Mais très rapidement
la subtile distinction de sens qui séparait les formes avec
sim, ero, de celles avec fuerim, fiiero, cessa d'être per-
çue, et on en vint à employer l'une pour l'autre. Enfin
l'adjectif verbal en -to- s'étant confondu avec les autres caté-
gories d'adjectifs, et l'idée du futur antérieur semblant
résider uniquement dans l'auxiliaire fuero, c'est le type
amatus fuero qui prévalut. On le trouve déjà chez les écri-
vains peu châtiés comme Scribonius Largus ou Vitruve ; et
a partir du m*' siècle après J. G., il a complètement supplanté
le type amatus ero.
C'est lui qu'on trouve naturellement dans notre auteur :
qui non réfrigérât, nisi multum stercoris adsellatus
fuerit 234 ; quod magis plus agitatus fuerit spiritus 215 ; si
coactus fuerit 115; quidquid... intra corpus conceptum fuerit
181 ; si in rabiem con versus fuerit 280 ; evenit autem haec
valitudo, quando in venis cibus corruptus fuerit 270 ; si hoc enim
in initio curatum non fuerit 276 ; si quod iumentum a bile
sicca insanius fuerit factum 284 ; si insanus factus fuerit 126 ;
si nec sanus factus fuerit 159. L'emploi de factus fuerit est
remarquable, puisque l'auteur sait que le verbe servant de
passif à facio est fio dont le futur simple est fiam, et le per-
fectum factus sum. Et si inflatus non fuerit 231 ; qui... las-
satus nimis labori fuerit 161 ; cum prensus fuerit, cona-
tus... expellet 288; si tardius rectus fuerit 159; si quod
iumentum insania temptatum fuerit 288 ; cum tibis satis
visum fuerit exisse sanguinis 143; id. 267.
Il n'y a qu'un exemple discordant : cum iam tibi visus
erit posse cibaria accipere, ordeo infuso paulatim per cre-
mentum adduces 277. •
LE PASSIF DANS LA MULOMEDICINA 143
Les autres formations avec €7'0 expriment un état et cor-
respondent pour le sens aux futurs des intransitifs latins
en -ère : os totum asperum vel coctum erit 195; tempora-
que gravitate coUigata erunt, nec cibum appétit 286; tergus
similiter durum et contractum erit 173 ; reliquum corpus ex-
tensum erit 157; os fervebit et lingua naribus sublata erit
122. Cet exemple est intéressant puisqu'il montre l'identité
de valeur sémantique d'un intransitif fervere et de la forme
« passive » sublatus esse .
oculi sublacrimantes erunt et tanquam suffusi sanguinem
121 « les yeux seront larmoyants et comme injectés de
sang » ; tensus erit 295, en face de la phrase citée plus
haut: huic membrana tenduntur 275.
Expriment également l'état les formes suivantes :
nonnunquam enim soient ab interiorem partem commoti
esse et inde febricitare 158 ; oportebit... non duro loco sta-
tuere, sed ubi stercora sicca et molliora sunt posita 161 ; in
parte intestinorum, quae sunt medio positae 209 ; sinus per
intervalla dispositi sunt 213; inde manifeste intelleguntur a
maleos prensi esse 178; in corporibus eorum, qui iam pos-
sessi sunt 192 ; si... invenies nec valde patere longaonem...
nec tamen inflatum esse 232 ; tardius ambulabit, tanquam si
putas eum suflfusione constrictum esse 239 ; supra modum
peractum esse iumentum scias 243 ; cum ventrem senseris
solutum esse 250, cf. si videris eum nimis soluto ventre
esse 251.
Mais le participe en -to- joint à sum, esse a également la
valeur de passé : saepe experimentata est haec potio 198
« cette potion a été souvent expérimentée » ; unde et conta-
gium ab eo dictum est 165 ; unde et elephantiotes dictus est
195 ; sicut supra dictum est 120, 142, 152 ; ut supra scrip-
tum est 128, 130, 153, 172,223, 274, etc.
Par contre on trouve : sunt autem haec potiones infra scrip-
144 A. ERNOUT
tae 190; hac ratione... quod infra scriptum est 117 « ces
potions sont indiquées plus bas ; suivant la méthode qui est
décrite plus bas ». Mieux que tout commentaire, la traduc-
tion indique quelle identité d'emploi il y a entre les formes
latines et les formes correspondantes du français moderne.
Il n'y a pas, dans le livre étudié, de formes de perfectum
avec fui, fueram, et ce type est très rare dans le reste de l'ou-
vrage. Son absence s'explique aisément par le fait que l'auteur,
décrivant des états et donnant des remèdes, n'a pour ainsi
dire jamais l'occasion de projeter les faits dans le passé. On
ne peut guère citer que § 743 : « propter ^uod multis
auctoribus inspectis... ex his epitoma feci, et omnia, quae
dispersa fuerant in eis, naturali ingenio plenius per hune
librum docui ». Il y a donc une différence dans l'emploi
des formes avec sum, eram, et de celles avec fueram. « saepe
experi mentata est haec potio » veut dire « Cette potion a
été souvent expérimentée, [et l'est encore] » ; mais « omnia
quae dispersa fuerant » tout ce qui avait été dispersé dans
leurs ouvrages [et qui se trouve réuni maintenant dans le
mien] ». Une distinction analogue existe en français entre
« je fus étonné » et « j'ai été étonné ».
Les compléments du passif.
Instrume:!*tal. — Le passif est accompagné souvent d'un
complément instrumental, exprimé à l'aide de r« ablatif » ou
de l'adverbe unde, inde : curationibus adgravabitur et
gracilis fiet 122 ; ampliatur enim putor calore 1 93 ; qui istis
signis s. s. cognoscuntur 169 ; omnia, quae ex duplici
ratione calore vel rigore concipiuntur 188 ; curatur autem
haec passio emissione sanguinis 135 ; quae vulnera pice
liquida... curantur 181 ; unde iumenta aut boves deprehen-
I
i
LE PASSIF DANS LA MULOMEDICINA 145
duntur et moriuntur 12o ; hic morbus... ustione extinguitur
vel sanguis detractione siccatur 188; nervi enim sudore
infestantur 240 ; omnia autem vitia... intelliguntur humore
per naribus profluente lo3 ; inde manifeste intelliguntur a
maleos prensi esse 178 ; qui istis signis intelliguntur 179 ;
aliis adiutoriis adiunctis medentur 276 ; quidquid enim ex
umore concipitur, solis beneficio minuitur, vel quidquid
caloris beneficio intra corpus conceptum fuerit, rigore
remediantur 181 ; ne aliqua re vires animalis minuantur 139 ;
posterioribus pedibus facilius portatur 134; potionibus...
potionabuntur 190 ; ad medullas eorum, qui maleos* pren-
duntur (= prensi sunt), nihil ex cibo pervenit 174; ideo
quia omnia membra magnis caloribus solvuntur, frigore
constringuntur 143 ; feni odium faciet, qui hoc morbo tene-
tur 121 ; qui hoc morbo tenebitur... signum erit hoc 243 ;
auriculas dimicat, quasi quo spiritu terreatur 286 ; ciclo
curati renibus uruntur 235 ; qui autem hoc modo vexatur
140 ; qui capitis dolore vexabitur 268 ; quibuscunque tumor
ex morbo increscens ustione vincitur 187.
Mais le plus souvent l'instrumental est exprimé par une
préposition a ou ab, de, ex, et surtout /^e/" :
Intelliguntur a maleos prensi esse 178 ; sic saepe sani
fieri soient a pascua 189 ; spiritus concipitur a pulmone 191 ;
ampliatur enim putor calore vel a cadaverum... 193;...
iumenta... non ab ea odore coinquinentur 194 ; qui a disten-
sione pressum fuerit 276 ; si quod iumentum a bile sicca
insanius fuerit factum 284.
Qui ex lassitudine vexantur 161 ; quorum corrumpitur
totum corpus ex sanguine 174 ; intervalla... ex eodem
humore coagulato impediuntur 214; quaedam loca... prae-
clauduntur ex illo humore 214 ; ex qua (detractione sangui-
i. Maleos est considéré comme indéclinable par l'auteur.
10
146 A. ERNOUT
nis) conservatur omnis status corporis 245 ; pastilles faciès,
qui s. s. ex aqua frigida diluitur 265 ; perunges eum aceto...
et perungetur sequenti die ex ordeo 271 ; cognoscetur autem
ex eo quod 292.
Per quam ustionem vitia insanabilia evinci possunt 153 ;
illa iumenta curare magis sollicite oportet per omnem dili-
gentiam et potionibus infra scriptis 167 ; quibus subvenitur
per ustionem 177 (cf. 178 subveniri ustione) ; (scutulae)
interdum digeruntur per itineris exercitationem 185; his
evenit per longum tempus exercitationis beneficio et per
diastima vel per sanguinis detractionem morbum digerere et
firmiores fieri 186; sunt ali qui ex ipsis signis per longum
tempus per maciem pereunt 186, cf. 229 ut ex ipsa retor-
tione moriantur per ruptionem vesicae ; potionibus quoque
amaris et catarticis potionabuntur, per quam amaritudinem
amaritudo morbi expellitur 1 90 ; in quo loco per digestionem
separata per totum organum interius distribuuntur 208 ;
separata simili modo per quadrum 213; impediuntur, quo-
minus velocem cursum interaneorum per ventum excludi
possunt 214; spiritus, qui per duplicationem crementi...
maior fit 215 ; per hoc ciclum valitudinis incurabiles sani
fieri promittuntur 255 ; scire oportet.... ut plenitudo
sanguinis a cruditate per indigestionem in eos corrum-
patur 256.
Après un verbe à l'actif, l'instrumental est exprimé au
moyen de per aux §§ 132, 134, 137, 138, 145, 148, 149,
167, 173, 177, 180, 181, 186, 189, 197, 205, 206, 208,
216,223, 226, 227,261.
L'usage du passif avec un complément de personne est
extrêmement rare. On trouve :
tiniolae... quae pediculi ab alis appellantur 224 ; est autem
genus herbae flore russeum... dicitur a quibusdam miosota
293.
1
LE PASSIF DANS LA MULOMEDICINA 147
ergo per quemquem intelligitur hac ratione 134, où per a
supplanté la préposition classique a, ab.
Formations nouvelles. — Le médio-passif est souvent
remplacé par des formations nouvelles, qui sont largement
représentées dans les langues néo-latines. Une des plus
importantes est l'emploi de l'actif accompagné du réfléchi,
qui a fourni le passif roumain à toutes les personnes, et
celui de l'italien à la 3^ personne du singulier :
ubi primum morbus se abscondit 174; incipiet humor se
foris abstrahere 223 ; ut haec coagulatio humoris frigidi in
ventrem se conférât 211 ; horum statim nervi se contrahent;
omnis esca... in partem cruditatis se convertit et difficiliter
coquitur 116 (noter le voisinage de se convertit et de
coquitur) ; quae corruptio sanguinis. . . in capite se derivaverit
256 ; ex pluribus signis quibus se demonstrat praemixtis
demonstrationibus 164 ; ab similibus signis se demonstrat
166; ubi hic morbus se demonstravit 167; ubi se humor
morbi demonstraverit 187 ; ubi iam morbus se ostendit 192 ;
ceterae prout se ostenderint causae 276 ; stercora si se post
ex aggravatione stercoris provocaverint 230 ; qui operanti
iumento et suci se segregant... nec nisi requeto spurcities
separaverit se a sanguine 162 ; similem dolorem ingentem
sine inflatione et in cursu se toUentem 238 ; statim se mor-
bus in contrarium vertit 119.
On trouve même le réfléchi avec des verbes neutres : hic
humor sudoris in ventrem se desidet 220 ; morbus se ad
corpora increscens ustione extinguitur 188; prout se corpus
habuerit 294 (cf. prout corpus habuerit 144).
Dans les phrases suivantes, dont le sujet est un être
animé, le latin classique emploierait quelquefois le réfléchi,
plus souvent le déponent, ou le médio-passif. L'innovation
est dans le développement de l'emploi du réfléchi ; mais il
148 A. ERNOUT
n'y a pas, comme pour les exemples précédents, substitu-
tion du réfléchi au passif :
humor qui... scalpere et parietibus se adfricare facit
(equum) 171 ; et agitât se toto corpore 270 ; exsurgens
citius ambulare se ipsum cogit 221 ; statim prae dolore
volutat et collidat se 206 ; volutando et coUidendo se 220 ; ex
qua constrictione et rosione ipsius loci mordendo se comedet
260 ; sub iugo rétro se magis conferet 115 ; pes eius
contrahet, iterum se transferet, et quod in altum saliat et se
convertat etiam, ut mordeat 292 ; convertere se non potest ;
aliquando et excutiet se 284 ; diftîciliter se iactabit 244 ;
non se movet nisi diflSciliter 261 ; difficiliter se praegirat et
in eam partem ambulans illo latere parieti se iungit 261 ;
proicit se subinde 115 ; subinde ad terram se proicit, ex qua
se levare vix possit 119 ; nec se facile proiciet ad terram 170 ;
quis se difficiliter proiciunt ad terram 178 ; in spinas se
proiciunt 226; si... inveneris... non fréquenter volutantem
sed proicientem se subinde in dextram partem, extendit se
233 ; nec vehementer volutant et quasi in cursu se provo-
cantes proiciunt se 236 ; interdum se proicere volet non sine
gemitu et submittit et toto corpore se iactat 239 ; ut se
proicere possit 276 ; in praesepium se proicit 290 ; si resur-
git, fortiter se relevât et si se excutire volet, tardius vix se
excutit 240; omnem iumentum... se incipit scalpere aut
etiam parietibus se adfrigare 246 ; tendit se ad conatu
mictionis 228.
Une construction curieuse est : caput sibi inter pedes
mittunt. . . et ilia sibi quasi scalpunt 226 ; ilia sibi morsicis
comedet 280 ; et ilia sibi assidue corrodent 236. Cet emploi
du dativus commodi du réfléchi a subsisté en français.
FiERi -{- LE PARTICIPE EN -to-. — Ex eadcm parte doloris
gravatus amens fit apiosus 257 ; amentatus a corde fit his
LE PASSIF DANS LA MULOMEDfCINA 149
valitudinibus 260 ; fit enim spiritui ductus gravissimus,
nares aperti divisi 137 ; unde et nervi totius corporis constrin-
guntiir ex ipso labore, ex quo et tempora cavata fîunt et
oculi depressi 148.
interiorum singularum partium dolor plures valitudines et
dolores fieri nata in ventrem demonstrat 206.
ex qua re contingit cutem in corpore strictiorem fieri 148.
C'est ainsi que se rend le passif dans l'italien du Nord.
A ce passif correspond l'actif : haec ipsa signa similiter aliis
signa divisa plures faciunt 168; omnes acres umores...
excludit et curatos facit 224.
Venire -\- LE PARTICIPE EN -to-. — Si equus de via coactus
venerit 157 ; si iumentum de via coactum veniet 158 ; cibum
quem conceptum venire oportet in duas partes 266.
C'est avec venire que le rhétique forme encore son passif.
Enfin l'état s'exprime non seulement par esse -{-le parti-
cipe en -to-f mais par hahere suivi d'un accusatif accompa-
gné du participe ou d'un adjectif qui s'y rapporte. A côté
du type iam mens alienata est se rencontre le nouveau
mode d'expression :
iam habet enim et alienatam mentem 147 ; testes collectos
habet 134 (cf. testibus demissis erit 132, testibus deiectis
erit 146); oculos habebit demersos 132; caput demissum
habebit 115; 118; caput et auriculas demissas habuerit
273 ; qui hoc vitium patiuntur, intestina habent ex suis locis
exclusa 215 ; oculi ei intro erunt et versabuntur. . . et oculos
tensos habebit... et reliquum corpus extensum erit 158;
279 (mais 288 oculis ardentibus erit cf. 284, 294) ;
habebit... cervicem extensam, oculos pituitantes concavos et
subductos 140 ; nares extensos habebit 170 ; gravabitur toto
corpore, et posteriora crura inligata habebit 160.
Cet emploi de l'auxiliaire hahere est très fréquent
ISO A. ERNOUT
(cf. rigidam caudam habebit 122; corpus totum fervidum
habet 123 ; si nares mundos habuerit 123 ; pilos horridiores
habebit 274 ; sanguineos habet oculos 292 ; oculos pinguiores
habere videbitur 134 ; fervidum corpus habebit 133.
On le retrouve encore vivant dans le français moderne.
Les remarques précédentes attestent le caractère moderne
de la langue parlée au début du v* siècle : appauvrissement
du système médio-passif, emploi limité des formes simples,
prédominance des formes avec auxiliaires, empiétement des
unes sur les autres, substitution de formes d'actif aux for-
mes de passif, développement du jeu des prépositions. Le
« mulio semirasus » qui composa la Mulomedicina ne se
doutait pas que son ignorance de la grammaire beaucoup
plus que sa connaissance des chevaux lui donnerait droit un
jour de figurer dans un livre dédié au meilleur de nos lati-
nistes.
Félix GAFFIOT
COMMENT ONT ÉTÉ FAITES
CERTAINES LOIS DE LA LANGUE LATINE
COMMENT ONT ÉTÉ FAITES
CERTAINES LOIS DE LA LANGUE LATINE
Par Félix Gaffiot.
11 n'y a pas la moindre exagération, j'imagine, à dire qu'un
dogme fondamental des grammaires actuelles du latin, c'est
qu'il existe une syntaxe particulière de Plante et de Térence,
bref, une syntaxe archaïque, comme un dogme fondamental
des stylistiques, c'est que, au temps de ces mêmes écrivains,
la langue, à considérer l'art de bâtir la phrase, n'est pas
constituée, mais se trouve encore dans la phase rudimen-
taire de la para taxe. Il m'est arrivé déjà de dénoncer le
néant de ces dogmes ^ Aussi bien rien n'est-ii curieux com-
me de constater sur quelles bases fragiles ils sont établis.
Celui de la stylistique est dû à des confusions, qui pèsent
en définitive sur toute la conception du latin. On brouille
des notions qui devraient être distinguées soigneusement, la
langue et le shjle. On ne discerne pas ce qui est la langue
dans sa teneur générale de ce qui est la langue de récri-
vai?i, ou, pour parler plus exactement, de ce qui est le choix
propre que l'écrivain opère dans cette langue générale ; on
1. Le subjonctif de subordination en latin, Paris, Klincksieck, 1906.
loi F. GAFFIOT
ne fait leur part ni aux tempéraments, ni aux genres ; on
oublie que la première obligation du philologue consiste à
démêler, au mieux, dans une œuvre l'élément personnel,
c'est-à-dire, ce qui résulte à la fois de la nature et des goûts
de l'auteur, de sa volonté esthétique, de ses connaissances
ou de sa culture, du sujet traité. Pour Plante, par exemple,
il semble que les théoriciens n'aient pas pris vraiment la
peine de le lire, ou, du moins, de réfléchir quelque peu en
le lisant. Que trouve-t-on, en effet, chez lui, à n'envisager
bien entendu que la structure des phrases, puisque c'est
l'objet de la question ? Si on ne se laisse point abuser par l'as-
pect archaïque qui frappe d'abord, si les formes vieillies ne
font pas illusion, on trouvera ce qu'on doit s'attendre à
trouver — ce qu'on trouverait. Plante eût-il écrit un siècle
plus tard — je veux dire, ce qui caractérise le style de la
comédie, les tours vifs et alertes, les juxtapositions rapides,
les manières coupées et brusques du dialogue, ou parfois,
au contraire, les constructions redondantes, à insistance fa-
milière. On y trouve cela, parce que, je le répète, on est chez
un poète comique; mais on trouve cela, aussi et surtout, parce
qu'on est chez Plante. Térence a traité la comédie autrement,
et, par suite, a écrit autrement. C'est une étrange chose que
de voir quel abîme sépare la littérature et la philologie ; on
s'imaginerait qu'il y a là deux domaines absolument distincts,
qui ne souffrent pas la moindre pénétration réciproque. En
littérature, on répète, et à bon droit, que Plante s'est tenu
très près du gros public, qu'il cherchait à plaire plus parti-
culièrement aux petites gens, — tunicato popello, comme
aurait dit Horace — et qu'il s'adressait de préférence aux
gradins les plus élevés de l'amphithéâtre. En philologie, nos
faiseurs de règles oublient toutes ces vues, et étudient la
langue du même poète, comme s'ils ignoraient le caractère
de son œuvre. Pourtant ce sont bien deux choses liées de
CERTAINES LOIS DE LA LANGUE LATINE 155
façon indissoluble. Que peut-on attendre d'un écrivain sou-
cieux de son art ? sinon la forme qui convient au genre qu'il
aborde, la forme qui réalise l'idéal qu'il conçoit. Attendra-
t-on de Plaute un langage Cicéronien ? Ou même ira-t-on lui
demander l'élégance mesurée de Térence? Plaute a écrit
pour le peuple, parce qu'il l'a voulu, et, écrivant pour le
peuple, il a adopté une manière qui n'eût pas été séante,
s'il se fût adressé aux Laelius et aux Scipions. Mais prenons-
y garde : Plaute n'est pas, ce que d'aucuns croient à la
légère, un pauvre diable qui compose des pièces au petit
bonheur, avec l'unique et bien peu artistique souci de ga-
gner de quoi vivre ; le mot d'Horace est plus que suspect
« gestit nummum in loculos demittere, etc. ». En tout cas,
qu'il ait eu, ce qui est probable et, du reste, fort légitime, le
désir du succès et du gain, on ne saurait prétendre sans in-
justice qu'il n'ait pas visé au delà. Gomme notre Molière, il
a songé en même temps à faire œuvre à^ouvrier : et, quoi
qu'on pense, il se révèle un écrivain^ dans toute la force du
terme ; il domine sa manière et n'est pas dominé par elle. Sa
phrase, loin d'être la phrase informe qu'on se plaît à imagi-
ner, phrase encore enfantine d'un peuple qui bégaie, est
la phrase savante d'un artiste qui sait tirer parti d'une lan-
gue faite. Il juxtapose, certes, mais, quand il veut, il subor-
donne et construit. Une lecture de quelques instants mon-
trerait vite avec quelle aisance il développe au besoin, et
groupe et ordonne logiquement les propositions. S'étonnera-
t-on que ce ne soit pas sa façon habituelle ?
Ceci posé, a-t-il connu la période, au sens plein du mot ?
Non, évidemment. Mais là-dessus il importe de bien s'enten-
dre. La période, comme on la rencontre chez Cicéron, est,
parmi les formes de l'expression, celle qui exige le plus de
science et d'art. Aussi est-elle plutôt la création d'un seul,
ou de quelques-uns, que l'œuvre collective et anonyme du
lo6 F. GAFFIOT
peuple, un fait de stijle en somme plutôt qu'un état de la
langue. Et je ne parle pas du rythme ou nombre oratoire,
dont on sait assez qu'il relève uniquement de Cicéron : j'en-
visage le simple groupement des propositions en période ; eh
bien I je ne crois pas qu'on puisse voir là une étape dans la
marche évolutive de la prose latine. En d'autres termes, ce
genre d'écrire n'appartient pas à une époque plutôt qu'à une
autre ; c'est affaire de goût et cela dépend de chacun — si,
ne l'oublions pas, nous sommes dans une langue constituée.
Ainsi, même en temps de vogue, ce genre reste quelque
chose de personnel, adopté par les uns, rejeté par les autres,
et surtout manié de façons diverses, suivant les personnes.
Varron en use presque toujours gauchement, Salluste affecte
de le dédaigner, César y met une négligence attentive, et
Tite Live paraît n'avoir souci que de le traiter autrement
que Cicéron. Pour conclure, chacun y laisse sa marque. Ce
qui revient à dire, en somme, que chacun utilise, selon ses
goûts et son talent, les ressources que lui offre la langue de
tout le monde. Quand, plus tard, Sénèque prendra plaisir
à désagréger la période, il ne représentera pas plus un mo-
ment dans le développement historique de la phrase latine
que Plante, quand il faisait de la parataxe : ni celui-ci ne
révèle un état embryonnaire, ni celui-là une décadence.
Parmi les différentes manières d'écrire — il s'agit toujours
du groupement des mots — la manière de Sénèque est aussi
légitime que les autres. Ce décousu, ce sautillant, ce sable
sans chaux, comme disait Caligula, on peut ne l'aimer
point, voilà tout. Le procédé n'engage que l'écrivain lui-
même, et, si d'autres l'adoptent, c'est qu'ils s'en accommo-
dent, l'engouement supposant d'ordinaire choix et préférence
chez l'artiste. Du reste, après Sénèque, viendront et Quin-
tilien et Pline le Jeune, qui s'attacheront à restaurer le goût
de la période. Ce qui n'empêchera pas Tacite, à son tour,
CERTAINES LOIS DE LA LANGUE LATINE m
de la désarticuler, de la mettre en morceaux, et, tandis que
ces Gicéroniens s'obstinent à retrouver le secret des belles
ordonnances symétriques et de la concinnitas, cela ne l'em-
pêchera pas, lui, de chercher au contraire les heurts, si j'ose
dire, et les cahots de l'asymétrie. Comme le français n'est
exclusivement ni Bossuet, ni Montesquieu, ni Voltaire, ni
Hugo, mais tout cela à la fois, embrassant dans son unité la
variété infinie des manières individuelles, de même le latin
n'est pas plus Gicéron et Gésar que Plante ou Tite Live ou
Tacite. Parataxe ou période, le génie latin admet également,
en tous temps, ces deux formes de langage : aucune n'est le
latin, toutes deux sont du latin.
A consulter les grammaires, rien ne semble plus solide
que le dogme de la syntaxe archaïque, tant apparaissent
nombreuses et essentielles les difïérences qu'on se plaît à
relever entre la syntaxe des comiques et celle de Gicéron.
En réalité, à consulter les faits, c'est-à-dire les textes, rien
ne se révèle plus ruineux. Je voudrais le montrer rapide-
ment, sur quelques points, les plus importants, en priant
qu'on me fasse crédit pour deux questions, l'emploi de l'in-
finitif et les conditionnelles.
On nous dit (voir, par exemple, Lebreton: Études sur la
langue... de Cicéron. Paris, 1901 . Introduction p. 15) : l'emploi
des modes est ce qui caractérise le plus l'ancienne langue. Ainsi ,
l'indicatif est inconnu des classiques dans les cas suivants :
I. — Relatives causales.
Je demande la permission de renvoyer à ma thèse sur le
138 F. GAFFIOT
subjonctif de subordinatio7i en latin, p. 67 à 89. On y trou-
vera un nombre assez considérable d'exemples de Gicéron
pour constater la légèreté de l'assertion.
Sur la question spéciale de quippe qui, je prie le lecteur
de remarquer comment on a raison des difticultés, soit par
la correction opportune d'un passage de Gicéron, soit par
la mise, en quelque sorte, à l'index de tous les exemples de
Salluste et de Tite Live.
II. — Relatives adversatives.
Ma thèse encore (p. 93 et suiv.) démontrera sur cette par-
tie l'identité de la syntaxe dans Plante et dans Gicéron. Qu'on
lise en particulier (p. 95 et 96) le paragraphe où je produis
un bon nombre d'exemples de la construction indicative
chez Gicéron, alors que la valeur concessive du relatif est
soulignée dans la régissante i^diTtamen.
III. GUM CAUSAL.
Voir thèse p. 114 et suiv., p. 140 et suiv.
Noter la désinvolture avec laquelle on supprime ce qui
gêne (p. 109): un subjonctif causal dans Plante est changé
en indicatif pour assurer la règle.
IV. GuM ADVERSATIF.
Voir thèse p. 12o et suiv. Remarquer surtout que la liste
des cas de construction indicative comprend seulement les
passages où l'idée concessive est soulignée dans la principale
par tamen.
CERTAINES LOIS DE LA LANGUE LATINE lf;0
V. CUM MARQUANT l'eNCHAINEMENT DE DEUX FAITS.
Voir (p. loi etsuiv.)tout ce qui concerne l'emploi de cum
participial. Noter la correction d'un passage de Plaute p. 153,
toujours pour assurer la règle.
VI. — Interrogation indirecte.
Je voudrais ici, sans prétendre épuiser la question, qui
sera traitée ailleurs avec plus de développement, montrer au
moins, par quelques traits significatifs, la manière dont on a
fondé les lois courantes de nos grammaires.
1". On a d'abord méconnu deux grands faits du style la-
tin, ce qui a conduit à ranger dans l'interrogation indirecte
une foule de cas qui n'y ont que faire, a) On n'a pas vu que
toutes les propositions ?>\xhovàoï\ïiéQ?>introduitespar un rela-
tif peuvent être, au gré de l'écrivain, sans que pèse la
moindre contrainte grammaticale, ou des relatives ou des
interrogations indirectes : si elles restent relatives, le mode
reste naturellement l'indicatif, si elles sont conçues comme
interrogations, le mode est le subjonctif. A) Quand elles sont
relatives, le substantif antécédent peut être, au gré de l'é-
Icrivain, enclavé dans la relative et mis au même cas que le
i'elatif par attraction. Ainsi un Latin peut dire, à son gré,
puivant la manière dont il envisage la subordination : Elo-
quere quam rem agis [= rem quam agis^, ou eloquere
qitam rem agas. — Eloquere quamobrem venisti [= rem
ob quam venisti], ou eloquere quamob?'emveneris.L2L seule
temarque à faire, c'est que la forme interrogative est plus
avante, l'autre plus familière.
160 F. GAFFIOT
L'espace m'étant mesuré, je ne puis citer en regard de la
construction relative (indicatif) les cas de construction in-
terrogative (subjonctif) ; je me borne à produire des exem-
ples de la première.
Mil. 1222 : Audin quae loquitur? — Audio.
As. 447 : Audin quae loquitur ? — Audio et quiesco.
Amp. 417 : Hic quidem carte quae illic sunt res gestae meraorat mo-
[moriter.
Bacch. 698 : Imnio si audias quae dicta dixit me advorsum tibi.
Capt. 207*^ : Sentio quam rem agitis.
Eun. 783 : Viden tu, Thaïs, quam hic rem agit ?
Pers. 109 : Ecquid meministi, ero,
qua de re ego tecum mcntionem feceram ?
Rud. 330: Nunc, quamobrem hue sum missa, amabo vel tu mi aias vol
[neges.
Cist. 82 : ... qua accersitae causa ad me estis, eloquar.
Phorm. 798: Quid tu ? Ecquid locutu's cum istac, quamobrem hanc du-
[cimus ?
Eun. 99: Age, sed hue qua patria
te accersi jussi, ausculta.
Aul. 63 : neu persentiscat, aurum ubist absconditum.
Ep. 438 : Gave praeterbitas ullas aedis, quin roges
senex hic ubi habitat Periphanes...
Trin. 938 : nisi quia lubet cxperiri quo evasurust denique.
Stich. 541 : Miror quo evasurust apologus.
Amp. 1129 : Simul hanc rem ut factast eloquar.
Bacch. 474 : Ego omnem rem scio
quemadmodumst.
Bacch. 202 : Scis tu ut confringi vas cito Samium solet.
St. 112 : Scio ut oportet esse...
St. 113 : Volo scire ergo ut aequom censés.
Mil. 1074 : Non edepol tu scis, mulier,
quantum ego honorem nuncillihabeo.
2". Par une singulière inconséquence, une forme que l'on
reconnaît dans Gaton, on ne la reconnaît pas dans Plante I
CERTAINES LOIS DE LA LANGUE LATINE 161
je veux dire la forme relative quis et surtout quid. Faute
d'avoir enregistré ce fait de langue, on classe dans l'interro-
gation indirecte un très grand nombre de subordonnées, qui
sont purement et simplement, comme les précédentes, des
relatives. Je ne veux pas apporter ici une démonstration
proprement dite ; ce sera l'objet d'une étude spéciale, où
j'espère montrer que ce relatif s'est maintenu dans toute la
latinité, sinon dans le haut style, du moins dans le style
courant. Je me contente de citer sans commentaires quel-
ques exemples typiques.
Merc. 783 : dicam id quid est (texte de A).
Pseud. 696 : commemini omnia : id tu modo, me quid vis facere, fac
[sciam.
Asin. 884 : audin quid ait ? — Audio.
Comparer As. 447 cité plus haut.
Pseud. 330 : Propera : quid stas ? ei, accerse agnos : audin quid ait
[Juppiter ?
Eun. 1037 : Audin tu hic quid ait ?
Cap. 592 : Hem audin quid ait ?
Pseud. 18 : Face me certum quid tibist.
Men. 472 : Observa quid dabo.
Pers. 291 : Itane ? specta
quid dedero. (leçon de A). — Nil : nam nil habes.
St. 410 : Videte, quaeso, quid potest pecunia.
Phorm. 358 : Vide, avaritia quid facit.
Merc. 431 : Ah I nescis quid dicturus sum, tace.
Aul. 174 : Scio quid dictura's : hanc esse pauperem...
Mil. 36 : Ehem scio jam quid vis dicere.
Merc. 503 : Exquire quid vis.
Men. 207 : Sein quid volo ego te accurare ? — Scio : curabo quae voles.
Pœn. 1167 : Sein quid est?
Men. 1154 : Scitin quid ego vos rogo ?
Bacch. 78 : Scio quid ago. — Et pol ego scio quid metuo.
Bacch. 866 : Pacisce ergo, opsecro, quid tibi lubet...
Voici enfin quelques passages, où l'incertitude même des
11
162 F. GAFFIOT
manuscrits révèle la nature relative de quid\ les uns don-
nent quid^ les autres quod\ ou encore, les uns le subjonc-
tif, les autres l'indicatif, suivant que quid est envisagé comme
interrogatif ou comme relatif.
Pœn. 881 : Quid ergo dubitas quin lubenter tuo ero meus quid possiet
facere faciat... ?
Ce texte, adopte par Léo et Goetz-Schoell, donne la leçon de A ; B a
qaod. Léo explique quid comme un synonyme de quidquid : c'est tout
simplement le relatif.
Ep. 651 : quid bonist, id tacitus taceas tute tecum et gaudeas.
Les éditeurs adoptent quod de CD, mais B a quid. Pour ma part, je
crois quid préférable, précisément parce qu'il surprend.
Heaut. 210 : Scitumst periclum ex aliis facere, tibi quid ex usu siet.
Tandis que CEF donnent quid, les autres man. donnent quod.
MU. 925 : numquam vidit :
qui noverit me quis ego sim ?
BD donnent sum ; mais les éditeurs préfèrent sim des autres manus-
crits, parce qu'ils ne reconnaissent pas la valeur relative de quis (différent
du relatif qui, comme Tinterrogatif quis diffère de l'interrogatif qm).
Eun. 265 : viden otium et cibus quid facit alienus.
Le Bembinus a faciat. Tous les Callopiens ont facit adopté par Ben-
tley, Fleckeis., Wag., Umpf., Dz., Fabia. Il y a grande vraisemblance en
effet que faciat soit une correction.
3". Les grammairiens, à la suite de Becker, voyant que
les faits s'accommodent mal à leurs règles, multiplient les
divisions et subdivisions, distinguant avec des expressions,
comme viden, audin, etc., les cas où l'interrogation est vé-
vitable de ceux où elle est de pure forme, distinguant après
die, eloquere, cedo, narra, etc., les cas où on attend une
réponse immédiate, etc., etc. Toutes ces distinctions sont
vaines et artificielles, et les faits à chaque instant leur don-
nent un démenti.
CERTAINES LOIS DE LA LANGUE LATINE 163
L'écrivain en réalité, après ces expressions comme après
celles du même genre, subordonne ou juxtapose, à sa guise,
suivant le mouvement général des idées. C'est encore une
question de style et non l'application mécanique d'une règle
grammaticale. Pour ne pas l'avoir vu, on a déclaré illégi-
times une quantité d'emplois de l'indicatif, qui sont des plus
naturels, parce qu'ils représentent des interrogations ou
exclamations directes.
Most. 254 : Suo quique loco ? viden ? capillus satis compositust com-
[mode ?
Cette manière de couper le texte en trois interrogations, comme fait
Goetz-Schoell, rend admirablement la pensée et dispense de toute correc-
tion.
Cure. 126 : Hoc vide : ut ingurgitât inpura in se merum avariter fauci-
[bus plenis 1
Cure. 188 : Viden : ut misère moliuntur ! nequeunt complecti satis.
Bacch. 492 : Viden : ut aegre patitur gnatum esse corruptum tuom.
As. 149 : At scelesta ! viden : ut ne id quidem me dignum esse existu-
[mat
quem' adeat...
Rud. 171 : Viden alteram illam ? ut fluctus ejecit foras 1
surrexit...
Capt. 557 : Viden tu hune ? quam inimico voltu intuitur!
Pseud. 935 : Sed vide : ornatus hic me satis condecet ?
Amp. 377 : Loquere ; quid venisti ? — Ut esset, quem tu pugnis cae-
[deres.
Aul. 212 : Die mihi : quali me arbitrare génère prognatum? — Bono.
Cas. 978 : Quin responde : tuo quid factumst pallio ?
Truc. 354 : Ver vide :
ut tota floret, ut olet, ut nitide nitet 1
Mil. 64 : Vide : caesaries quam decet !
Mil. 201 : Illuc sis vide:
quemadmodum adstitit severo fronte... 1
Aul. 47 : Illuc sis vide :
ut incedit I
Men. 830 : Ut oculi scintillant I vide.
1G4 F. GAFFIOT
Cure. 153 : Hoc vide : ut dormiunt pessuli pessumi... !
Cure. 543 : Scire volo : quoi reddidisti? — Lusco liberto tuo
Mère. 169 : Hoc sis vide : ut palpatur I
Cist. 55 : Hoc sis vide : ut petivit
suspiritum alte !
Pers. 788 : Hoc vide : quae haec fabulast ?
Hec. 223 : At vide : quam inmerito aegritudo liaec oritur mi abs te,
[Sostrata.
Eun. 670 : Illud vide : os ut sibi distorsit carnufex 1
Ad. 229 : 0 scelera, illud vide :
ut in ipso articulo oppressit !
4** Quand les textes ne se prêtent pas à la règle, on les
contraint, ou, en tout cas, on les suspecte et on n'en tient
pas compte. Et, si par hasard le vers est faux et réclame une
correction métrique, invariablement on le rectifie de ma-
nière à l'accommoder à la règle grammaticale, comme si
l'amendement devait fatalement porter sur ce point, non
ailleurs. Voici quelques exemples :
D'ordinaire, dans le dialogue, quand un interlocuteur re-
prend une question qui lui est posée, la reprise se fait au
moyen des mêmes termes, mais avec le verbe au subjonctif,
parce qu'il y a dans la pensée un rogas ou rogitas non ex-
primé. Partant de là, Becker n'admet pas que la reprise
puisse avoir le verbe à l'indicatif : c'est toujours ce déter-
minisme qui pèse sur les textes et dont j'ai déjà signalé à
maintes reprises les funestes effets. Becker donc voudrait
corriger les deux vers suivants :
Poen. 353 : Cur mihi haec iratast ? — Cur haec iratast tibi ?
Baech. 561 : Quid istuc est ? — Quid est ? misine ego ad te...
Ailleurs, comme le vers est faux, les éditeurs adoptent la recti-
fication qui le conforme à cette prétendue règle grammaticale :
Most. 907 : Ecquid placent ? —
Ecquid placent ? me rogas ? immo hercle vero perplacent.
CERTAINES LOIS DE LA LANGUE LATINE 16o
Pas un instant on n'hésite à corriger en placeant, correc-
tion, il est vrai, très simple de Camerarius, mais qui ne
s'impose pas. Le vers ne peut-il être remis sur pied autre-
ment? Ne peut-on par exemple écrire « ecquid hae placent »?
Le perplacent de la fin produit alors tout son effet d'homo-
phonie ; et hae souligne fort à propos la question ; du reste
les Palatins, qui oni haec qiiid, semblent bien révéler la chute
de hae.
Pseud. 1184 : Chlamydem hanc commémora quanti conductast.
Becker voudrait conducta sit.
Merc. 721 : Qu<o>>ia illa mulier intust ? — Viditisne eam ?
— Vidi. — Quoia ea sit, rogitas ? — Resciscam tamen.
— Vin dicam ? Quoiast ? illa... illa edepol... vae mihi...
Au dernier vers quoiast choque Becker, qui, sans plus, l'attribue à l'au-
tre interlocuteur.
Merc. 504 : Amabo ecastor, mei senex, eloquere... — Exquire, quid
[vis.
— Cur emeris me.
Le subjonctif emeris allant contre ses théories, Becker voudrait à toute
force un indicatif. Et de même dans les 4 vers suivants :
Most. 166 : Contempla, amabo, mea Scapha, satin haec me vestis de-
[ceat.
AuL 431 : Volo scire, sinas an non sinas nos coquere hic cenam ?
Merc. 199 : Loquere porro quid sit actum.
Ad. 325 : Actumst. — Eloquere, obsecro te, quid sit.
A.U résumé, quelle confiance peut-on avoir dans une théo-
rie, qui, parmi les faits, néglige ou rejette ceux qui lui font
obstacle, pour s'attacher à ceux qui la vérifient? dans une
théorie, qui doit à des confusions la plupart même de ces
faits, dont elle se réclame? En réalité, la syntaxe de l'inter-
rogation indirecte est la même chez Plaute que chez Gicé-
ron ; j'en ferai la preuve, je l'espère.
166 F. GAFFIOT
Et pareillement toute la syntaxe. Car, pour conclure, je
répète ce que j'ai déjà dit et commencé à démontrer*: la lan-
gue est fixée à partir de Plaute ; ses grandes lois, ses /ois
générales, sont établies pour ne plus changer durant toute la
latinité : invariables et permanentes, elles dominent dès lors
et commandent toutes les transformations particulières,
toute l'évolution, en un mot, toute la vie du parler latin.
i. Subjonctif de subordination: Introduction, p. 14; Appendice,
p. 180 sq., p. 183 sq.
Paul GILLES
SUR LA PLACE
DES NOMS DE NOMBRE DANS CÉSAR
SUR LA PLACE DES NOMS DE NOMBRE
DANS CÉSAR
Par Paul Gilles.
D'une façon générale, l'ordre des mots n'est point soumis
en latin à des règles fixes. Pour un groupe de deux mots
triginta dies, deux combinaisons sont possibles, l'une avec
l'adjectif préposé, triginta dies, l'autre avec l'adjectif
postposé, dies triginta. Les éléments de ce groupe peuvent
se disjoindre, ce qui donne deux combinaisons nouvelles :
triginta... dies et dies... triginta. Ce n'est pas à dire que
ces combinaisons soient équivalentes. En ce qui concerne
l'adjectif numéral, on constate que triginta dies étant l'or-
dre ordinaire, le nom des nombres est mis en relief dans
l'ordre dies triginta et plus fortement encore dans l'ordre
dies... triginta. D'autre part, il est aussi mis en relief dans
l'ordre triginta... dies (cf. l'article de M. Havet, Mélanges
Nicole, p. 22o). On a examiné ici dans quelles conditions
les exemples d'adjectifs cardinaux {unus excepté) se répar-
tissent chez César entre ces quatre combinaisons.
Les exemples de disjonction de l'adjectif postposé s'unis-
sant naturellement aux exemples de postposition simple, on
les a rangés parmi les exemples de postposition, et l'on en-
tend par disjonction la disjonction de l'adjectif préposé.
i70 p. GILLES
Préposition et postposition.
Déduction faite de tous les cas où la place du nom de
nombre est déterminée ou influencée par des raisons extrin-
sèques, on trouve dans le de Bello Gallico un exemple de
postposition contre un peu moins de deux exemples de
préposition. Il faut mettre à part les cas où le nom de nom-
bre accompagne milia passtmm. La préposition y est rare,
tant dans le de Bello Gallico que dans le de Bello ciuili
(1 ex. contre 3). Sauf en ce point, César use de l'un ou
l'autre ordre avec la plus entière liberté.
Cette liberté n'existe plus dans les nombreux cas où un
adverbe s'adjoint au nom de nombre. Celui-ci est alors ré-
gulièrement postposé. Il est quelquefois préposé à milia. Il
est toujours postposé au génitif complément de milia.
Voici le détail des exceptions :
Circite7\ — Sur 70 ex. environ, 5 ex. de préposition -f- 1
de prép. du génitif au groupe milia quattuor. Ils sont à éli-
miner.
III 14, 2 (B. G.) cir citer CCXX naues eorum paratissimae
atque omni génère armorum ornatissimae (cas complexe).
V 2, 2 cir citer dg eius generis ciiiiis supra demonstraiii-
mus naues et longas XXVIII (cas complexe).
1, 15, 5 (B. C.)(Vibullius) XIII (cohortes) efficit. Cum his
ad Domitium... periienit... Domitius per se circiter XX
cohortes... coegerat.
1, 24, 2 seruos, pastores armât atque iis equos attribuit ;
ex his circiter CGC équités conficit.
PLAGE DES NOMS DE NOMBRE 171
Y i\, 2 sic Ut amissis cir citer (om. g) XLnaiiibus reli-
quae tamen...
V 19, 1 dimissis amplioribus copiis, milibus circiter IV
essedariorum relictis.
L'ex. I 25, 5 qiiod mons suberat circiter mille passuum
n'est pas à examiner si on lit avec les mss. mille (subst.)
passuum. Cf. pourtant plus loin les ex. de mille passus avec
longius.
Amplius (lion amplius), longius (non longius). — 26 (27 :
u. 3, 33, 2) ex. ; 5 ex. de préposition. 3 sont à éliminer :
IV 12, 1 ubi primum nostros équités conspexerunt, quo-
rum erat V milium numerus, cum ipsi non amplius DGCG
équités haberent.
VII 15, 1 uno die amplius XX urbes Biturigum incendun-
tur {XX opposé à uno ; on a affaire en outre au groupe urbes
Biturigum).
3, 99, 1 non amplius G G milites desiderauit, sed centu-
riones, fortes uiros, circiter XXX amisit.
Restent :
I 22, 1 cum... non longius mille et quingentis passibus
abesset (mille est accompagné d'un autre nom de nombre ;
cas assez particulier).
VII, 79, 1 non longius (longe x) mille passibus ab nostris
munitionibus (a nostris munitionibus quam mille passibus g)
C07isidunt. (Gf. cependant var. longe?)
Ges 2 ex. avec mille et passus. On lit mille passus VI 7,
4 ; mille (om. g) CC passus VII 46, 1 ; circiter passus mille
III 19, 1 ; paulo amplius passus mille 2, 24, 4 (la phrase
manque dans S) ; ces deux derniers ex. en fin de phrase.
Gf. ordre milia passuum, invariable à deux exceptions près,
et sigle MP sur les milliaires.
Divers. — Les ex. où l'adjectif est accompagné d'un autre
adverbe (ad, admodum, minus, omnino, uix) sont en très
172 P. GILLES
petit nombre. Le contexte motive la préposition 3, 7, 2 :
omnino XII naues longas. Avec uix (2 ex. en tout), il ne la
motive pas 3, 79, 7 : uix IV horarum spatio. — Sur IV 38,
4 et 1,23,5, u.§ II in fine.
En somme, les cas où un adverbe s'adjoint au nom de
nombre préposé sont très rares. Ils se présentent tous ou
presque tous comme des cas particuliers, où la préposition
se justifie par un motif indépendant du nom de nombre
même. La règle de postposition est d'une rigueur à peu
près absolue.
VII 68, 2 secutus hostes (Ap ; om. MB'),... cïrciter III
milibiis (milibus hostium a) ex nouissimo agmine interfec-
tis, on lira secutus hostes, comme le sens d'ailleurs le
demande. La leçon milibus hostium reste ensuite possible.
On lira de préférence, avec M. Meusel :
II 29, 3 non amplius pediim CC (ducentorum pedum a).
III 5, 1 amplius horis sex (sex horis (3).
La préposition est rare avec les locutions in longitudi-
nem, in latitudinem, in altitudinem, in circuitu.
II
DlSJ0>'CTI0>'.
On a vu que la postposition et la disjonction sont deux
modes possibles de mise en relief du nom de nombre. L'exa-
men des exemples de disjonction montrera que César n'em-
ploie pas indifféremment l'un ou l'autre procédé.
En voici la liste :
I 12, 2 très iam partes copiarum..., quartam fere par-
tem..
PLAGE DES NOMS DE NOMBRE 173
VII 67, 1 duae se acies ah duobus lateribus ostendunt.
Dans ces 2 exemples il y a à peine disjonction.
2, 10, 2 duae primum trabes in solo... conlocantur . . .
Bas inter se capreols coniungunt... Eo svper tigna... ini-
ciunt. ..Ad extremum musculi tectum t^abes9'^^e extremas. . .
(aux duae trabes s'ajoutent les autres tigna ou trabes').
3, 52, 1 eodeni tempore duobus praeterea locis pngna-
tuni est (les deux champs de bataille s'ajoutent à un pre-
mier).
I 10, 3 àxxdi^qiie ibi legiones conscribit et très... ex hiber-
nis ediicit.
2, 22, 6 duas ibi legiones praesidio relinquit, ceteras...
YII 36, 7 duas ibi legiones conlocauit (devant Gergovie ;
les deux légions du petit camp s'opposent aux légions du
grand camp).
3, 97, 3 partem^i^e legionum in castris Pompei remanere
iussit, partem in sua castra remisity IV secum legiones
duxit.
VI 0, 6 duasç'we ad eum legiones proficisci iubet ; ipse
cum legionibus... V...
VII 10, 4 duabus Agedinci legionibus... relictis ad Boios
proficiscitur (les deux légions d'Agedincum s'opposent aux
légions que César conduit chez les Boiens).
3, 7o, 2 duas in castris legiones retinuit, reliquas...
VII 69, 2 duo duabus ex partibus flumina...
I 33, 4 duae fuerunt Ariouisti uxores... ; duae filiae...
3, 101, 6 quinqueremes duas... cep erunt...\ praeterea
duae sunt depressae trirèmes.
3, 30, 6 ad eum{= Antonium) peruenit Caesar... ; Pom-
peius, ne duobus circumcluderetur exercitibus... (jonction
de César et d'Antoine : duobus est un total).
VI 7, 1 Labienum cum una legione... adoriri parabant ; . . .
du3t.s uenisse legiones... cognoscwit.
174 P. GILLES
IV 22, 3 nauibus... LXXX coactis, quod satis esse ad
duas transportandas legiones existimabat...
3, 38, 4 ?ze frustra reliquos exspectarent, duas nacti tur-
mas exceperunt.
2, 32, ^ an uero in Hispania res gestas Caesaris non au-
distis ? duos puisas exercitus ? duos superatos duces ? duas
receptas prouincias ?
VII 41, 4 duabus relictis portis obstruere ceteras...
VI 36, 2 IX oppositis legionibus maximoç'i^e equitatu.
3, 54, 1 Pompeius reliquis diebus turres exstruxit..., et
quinque intermissis diebus...
V lo, 4 à\x2h\x?>que missis subsidio cohortibus a Caesare,
atque his primis legionum duarum,... ///«, pluribus siibmis-
sis cohortibus...
VI 1 , 4 tribus ante exactam hiemem et constitutis et ad-
ductis legionibus duplicatoç-z/e earum cohortium numéro
quas... (duplicato conséquence de ce qui précède).
La leçon des mss. 1, 17, 4 XL (quaterna Glarean.) in
singulos ingéra est généralement rejetée.
2, 19, 3 Cordubae conuentus... cohortes duas... retinuit.
Isdem diebus Carmonenses,... deductis tribus in arcem op-^
pidi cohortibus a Varrone praesidio, per se cohortes eiecit,
la place de cohortibus peut être influencée par la présence
de cohortes duas. Au reste, on n'a affaire ici qu'à une dis-
jonction auxiliaire, le premier mot disjoint étant deductis,
séparé par tribus de son complément.
Sont à écarter :
VI 3, 1 proximis IV coactis legionibus...
VII 47, 7 très suos nactus manipulares...
1, 40, 3 duabusque Fabianis occurrit legionibus, où le
nom de nombre fait partie d'un groupe mis en relief.
Dans le cas où le nom de nombre précède milia, il est
PLAGE DES NOMS DE NOMBRE 17o
toujours contigu à inilia. Le 2* élément est toujours contigu
au génitif 3^
Ces exemples de disjonction ne fournissent pas seulement
une donnée numérique, mais présentent tous un rapport
entre deux ou plusieurs quantités, qui souvent nécessite et
tout au moins peut motiver la préposition du nom de nom-
bre. L'absence totale (sauf 2, 10, 4; cf. ci-dessous) d'exem-
ples de disjonction où ce rapport n'existerait pas montre que
la disjonction ne fait dans les exemples relevés que souligner
un mot par ailleurs préposé. Il apparaît ainsi que César ne
disjoint pas l'adjectif postposable, et que, lorsque les deux
modes de mise en relief sont également possibles, c'est la
postposition qu'il choisit, exclusivement.
Cette règle laisserait possible la leçon des mss. 1, 17, 4 ;
elle laisse possible la disjonction de duaii I 49, 5, de duae
VII 24, o, de duas par répétition de cohortes IV 32, 2; elle
fait écarter la leçon octo denique menues 1, 5, 2.
2, 10, 4 régulas IV patentes digitos, on lira quaternos,
que conjecture Kûbler,
On a laissé de côté deux exemples où le mot intercalé est
omnino.
IV 35, 4 eo duae omnino ciuitates... obsidesmiserunt, re-
liquae...
1, 23, 5 eo (eodem Meusel) die castra mouet... VII om-
nino dies ad Corfinium comnioratus ( VU dies addition de
données antérieures dont eo die clôt la série).
Dans ces deux cas, la préposition s'explique par la même
raison que dans les autres; c'est-à-dire que l'adverbe même
que le sens unit étroitement au nom de nombre n'est pas ad-
mis entre lui et le substantif dans d'autres conditions qu'un
mot proprement étranger. On a vu d'autre part que le nom
de nombre accompagné d'un de ces adverbes est régulière-
ment postposé.
176 P. GILLES
Se justifie comme les cas précédents :
3, 53, 3 : qusdiuoTque ex una cohorte centuriones...
Quant aux locutions in longitudinein^ in latitudinem, in
altitudinem, in circuitu, elles sont placées de façon à for-
mer, avec le nom de nombre et son substantif, cinq des six
combinaisons possibles. La 6% celle où la locution s'in-
tercalerait entre le nom de nombre préposé et son substan-
tif, se lit trois fois dans la 1" classe des mss. du B. G. :
VII 8, 2 sex in altitudinem pedum.
VII 69, 5 sex in altitudinem pedum.
VII 73, 5 très in altitudinem pedes.
Il est remarquable que le B. G. n'offre aucun ex. sem-
blable, et que les mss. de la 2® classe du B.G. ne confirment
pas ceux qui précèdent :
VII 8, 2 m altitudinem pedum VI ^.
VII 69, 5 in altitudinem VI pedum p.
VII 73,5 in altitudinem trium pedum U [pedum triumV).
Dans ces conditions, il ne paraît pas illicite de rejeter avec
M. Meusel la leçon de a.
En dehors des cas mentionnés, on ne trouve chez Gésar, en-
tre le nom de nombre préposé et son substantif, que des
adjectifs ou des génitifs se rattachant au substantif. •
M. GRAMMONT
UNE LOI FONÉTIQUE GÉNÉRALE
12
I
UNE LOI FONÉTIQUE GÉNÉRALE
Par M. Grammqnt.
Quand nous avons publié notre étude sur la Métathèse
dans le parler de Bagnères-de-Liichon (MSL, XIII, p. 73 sqq.),
nous avons fait voir que lorsqu'un r tend à devenir implo-
sif, il peut arriver que son contact soit repoussé par une
continue, ce qui l'oblige à aller se combiner avec une
consonne initiale de sillabe ; en même temps nous avons
indiqué que la nature de la continue n'était sans doute pas
indifférente au fénomène et qu'un n par exemple devait
accueillir sans diftîculté le contact de r implosif . Le vocabu-
laire de cette localité ne permettait pas de préciser davan-
tage. Dans nos recherches sur la Métatèse à Pléchâtel (Mélan-
ges Chabaneaity p. 517 sqq.) nous avons reconnu que dans
certains parlers de la Aute-Bretagne le repoussement de Vr
n'avait lieu que devant m. Le fénomène se limitait, mais la
loi n'apparaissait pas encore. Les patois de la banlieue du
Havre présentent le fait dans des conditions un peu diffé-
rentes et qui ont chance d'être plus claires.
Dans la banlieue du Havre * la métatèse de r se produit
1. Notre documentation repose sur le vocabulaire de C. Maze:
Etude sur le langage de la Banlieue du Havre, Paris, Rouen, Le Havre,
1903.
180 M. GRAMMONT
d'une manière générale d'après le même procès qu'à Plé-
châtel et pour les mêmes causes :
bèrto^ « breton » gèrduyé « gargouiller »
kérti « frémir » bérdi-bérda « à la âte »
fértiyé « frétiller » bèrdèl « bretelle »
tcrtus « tous » bérgyé « blesser »
évértinô « amoureux » bérbi « brebis »
pérpô « (à) propos » ékérbuyé « écrabouiller »
kérso^ « cresson » térsiné « vibrer »
ébérziyé « écraser » gérzi « grésil »
férso^né « frissonner » gërzi « froncer »
bërlok « breloque » gêrnyé « grenier »
férlûk (( freluche » gërnuy « grenouille »
gërloté « grelotter » kérnas « crevasse »
bérlèk « fillette » férnêkyé « fureter »
Il n'i a pas de différence, pour la question qui nous
occupe, entre les mots dans lesquels ïr est devenu implosif
et ceux dans lesquels il l'était déjà originairement, comme
bérbi.
On ne trouve guère dans le vocabulaire de C. Maze que
le mot préno « preneur », qui déroge à la règle. Mais il ne
constitue pas une difficulté. Ou bien c'est un mot venu du
français postérieurement à l'accomplissement de notre méta-
tèse et que l'existence de prendre, pri^z a empêché d'entrer
dans l'ornière commune, ou bien c'est le remplaçant récent,
dû à l'influence du français, d'un ancien ^përnô, comme
prëpô « (à) propos », à côté de pèrpôy que l'auteur lui-
même donne comme « vieux ». *Pëimô ne figure pas dans
le vocabulaire, mais on n'en saurait conclure sa non exis-
tence, car il i manque pas mal de mots aussi usuels que
pra^dre, que nous lisons à la p. 91 de l'étude grammaticale.
UNE LOI FONÉTIQUE GÉNÉRALE
181
La particularité intéressante que présente à Pléchâtel le
traitement de rè, èr devant consonne, c'est que si cette
consonne est m on n'a pas e>, mais ré ou son représentant ;
m d'autres termes le contact de Vr est repoussé par la
lirante labio-nasale. Dans la banlieue du Havre ce n'est pas
ïulement la spirante labio-nasale m, mais aussi la spirante
(abio-dentale v qui repousse le contact de Vn ; et il faudrait
îertainement i ajouter / s'il i avait des exemples de èr, rè
levant ce fonème.
Exemples devant m:
frèmé « fermé »
frémiyé « fourmiller »
frémi « fourmi »
frëmiyo^ « picotement »
Frémiyma'' « fourmillement », que donne le vocabulaire,
est ou une simple faute ou un mot emprunté récemment au
français et entré à tort dans la large voie de la métatèse de
r, comme nous en avons vu des cas à Pléchâtel. Car fonéti-
quement il n'i a rien dans ce mot qui puisse lui valoir un
autre traitement qu'à frémiyé ; comparez par exemple
hérduyé « bredouiller » et bérduyma^ « bredouillement ».
Exemples devant v :
eprevie « epervier »
écrévis ce écrevisse m
crévézo'^ « mort »
crevé « puer »
pruvie « epervier »
crevas « crevasse »
crèvar « vaniteux »
crévo"" « chevron »
crévo"naz « chevronnage » crévo^né « chevronner »
On ne peut pas faire état de a^trèmêsyé « entremetteur »,
ni de soJ'trévalé « s'entrevaloir », car à côté de a^térteni
« entretenir » on trouve a^trétuyé « se faire mutuellement la
moue », oJ'tréprî^z « entreprise » ; les deux éléments de
ces composés sont trop clairs, surtout quand le simple
182 M. GRAMMONT
existe, comme prî^z, tuyé, et l'évolution fonétique normale
est entravée par recomposition continue.
Il i a un mot qui fait difficulté, c'est térvé « triangle de
fer qui porte les plats » ; non pas qu'il puisse en quelque
manière porter atteinte à la loi que nous venons d'établir,
mais, faute de renseignements le concernant, il n'est 'pas
possible de l'expliquer lui-même avec certitude. Le plus
vraisemblable est qu'il n'est pas ancien dans la région, car il
ne figure pas dans les dictionnaires normands de Duméril,
Yasnier, Robin, Moisy, Métivier, etc., et qu'il i est revenu
de l'anglais {trevet ou trivet « trépied ») postérieurement à
la période d'action de notre loi et s'est conformé à tort à la
règle générale : rè-\-cons. devient e>-|-co?i5.
Cet examen de la métatèse de r dans la banlieue du
Havre complète et précise ce que nous avait appris la méta-
tèse de r à Bagnères-de-Luchon et à Pléchâtel. Pourquoi
certains fonèmes repoussent-ils le contact de Vr, et à quoi
est due cette répulsion ? Le fait de posséder un élément
labial n'i est pour rien ; on le voit nettement à Pléchâtel et
ici, puisque les occlusives labiales p qï b i acceptent sans
difficulté le contact de r. Toutes les occlusives, quelles
qu'elles soient, l'acceptent aussi. Il faut tout d'abord que le
fonème soit une continue ; mais cette qualité ne suffit pas,
car l'/i par exemple ne repousse pas Vr. Il est nécessaire en
même temps que le fonème en question demande, pour
être articulé immédiatement après Vr, un déplacement très
considérable des organes buccaux. L'r, tant qu'il n'est pas
grasseyé, exige un relèvement de la pointe de la langue et
souvent aussi des côtés. Le v s'articule avec abaissement
complet de la langue sur toute son étendue. Ce fénomène
suffit dans la banlieue du Havre pour déterminer le repous-
sement ; à Pléchâtel il faut le même abaissement et en
outre celui du voile du palais. En résumé nous avons affaire
UNE LOI FONÉTIQUE GÉNÉRALE 183
ici à un fénomène de moindre-action qui peut s'énoncer de
manière suivante : Lorsque les conditions déterminées
^plus aut appelleraient l'r au contact d'une consonne sui-
vante, il est repoussé quand cette consonne est un fonème
qui demanderait, pour être articulé immédiatement après
Ut, que les organes buccaux fussent brusquement déplacés
d'une manière très considérable sans quHntervienne un
arrêt dans le passage du souffle.
Maurice HOLLEAUX
DÉCRET DES AMPHICTIONS
DE DELPHES
RELATIF A LA FETE DES NIKÉPHORIA
DÉCRET DES AMPHIGTIONS DE DELPHES
RELATIF A LA FÊTE DES NIKÉPHORIA
Par Maurice Holleaux.
L'inscription étudiée dans ce mémoire a été découverte à
Delphes, au cours des fouilles exécutées par l'École fran-
çaise d'Athènes. Dans le futur Corpus des inscriptions del-
phiques, elle occupera une place d'honneur. M. HomoUe a
bien voulu m'autoriser à la porter dès maintenant à la con-
naissance du public.
Elle était gravée sur un grand piédestal en calcaire de
Saint-Élie, que surmontait sans doute une statue du roi
Eumènes II. Ce piédestal est aujourd'hui rompu en de nom-
breux morceaux. J'en ai reconnu sept, dont voici la descrip-
tion :
I. Inv. 1754. — Champ de fouilles; posé debout sur le soubassement d'un
monument votif, presque en face de l'autel de Ghios. — Orthostate de
forme carrée, formant le milieu de la face antérieure du piédestal ;
complet à droite et à gauche, sauf quelques épaufrures, et préparé à
joints des deux côtés; brisé en bas. Haut., 0 m. 85. Larg., 0 m. 80.
Ep., 0 m. 32. Ce morceau se rajuste, à gauche, aux n^^ 857 et 25 ; à
droite, au n» 1682. Restes de 27 lignes (1. 1-27), dont la première du
lexte, appartenant au milieu de l'inscription. — il juillet 1894; devant
le pronaos du temple d'Apollon.
188 M. HOLLEAUX
II. Inv, i682. — Champ de fouilles; près du n» 1754. — Bloc qui for-
mait l'extrémité droite de la face antérieure du piédestal ; complet
et préparé à joint, sur une hauteur de 0 m. 30, du côté gauche. H.,
0 m. 67. L., 0 m. 47. Ép., 0 m. 32. Fin de 22 lignes (1. 5-26) ; à partir
de la 1.46 et jusqu'à la 1. 24, le morceau se rajuste, à gauche, au n» 1754.
— 22 juin 1894; à l'est du temple, près du monument de Gélon.
III. Inv. 857. — Musée. — Bloc qui formait l'extrémité gauche de la face
antérieure du piédestal; à peu près complet à gauche. H., 0 m. 51.
L., 0 m. 25. Ép., 0 m. 14. Commencement de 13 lignes (1. 3-15). Le
morceau, sauf une lacune de quelques lettres à chaque ligne, se ra-
juste, à gauche, à partir de la 1. 4, au w° 1754. — 25 août 1893 ; entre
la voie sacrée et le côté oriental du temple.
IV. Inv. 25. — Musée. — Morceau qui se plaçait à la partie gauche de
la face antérieure du piédestal; préparé à joint et complet du côté droit.
H., 0 m. 21. L., 0 m. 13. Ép., 0 m. 10. Restes de 6 lignes (1. 21-26);
à partir de la 1. 21 et jusqu'à la 1. 25, ce morceau se rajuste, à droite,
au no 1754 et, à gauche, au n» 3746. — Date et provenance inconnues.
Y. Inv. 3746. — Musée. — Morceau qui appartenait à l'extrémité gauche de
la face antérieure du piédestal ; complet à gauche sur une hauteur de
0 m. 13. H., 0 m. 23. L., 0 m. 24. Ép., 0 m. 15. Restes de 7 lignes (1.
20-26), dont quatre complètes à gauche ; ce morceau se rajuste, à droite,
au no 25, de la 1. 21 à la 1. 25. — 16 mai 1896; près de la maison de
Franco.
VI. Sans n° d'inv. — Champ de fouilles ; près des n°s 1754 et 1682. —
Morceau brisé de tous côtés, qui se plaçait vraisemblablement au milieu
de la face antérieure du piédestal. H., 0 m. 30. L., 0 m. 16. Restes de
6 lignes (1. 27-32), dont la dernière de l'inscription. — Date et prove-
nance inconnues.
VII. Inv. 3157. — Musée. — Petit fragment qui devait se placer vers
l'angle inférieur droit de la face antérieure du piédestal. H., 0 m. 14.
L., 0 m. 17. É., 0 m. 29. Restes de 2 lignes (1. 30-31), dont la dernière
complète à droite.
La pierre a été réglée avec soin. Les caractères sont hauts
en moyenne de 0™,02, assez espacés et profondément gra-
vés, renflés, et munis d^apices à leurs extrémités. On notera
que les branches obliques en sont toujours plus ou moins
incurvées. Les o, les w et les 6 sont d'ordinaire beaucoup plus
DÉCRET DES AMPHfCTIONS 189
petits, les i, les p, les t et les t], souvent plus grands que les
autres lettres. Le t: a des jambages presque égaux, que ne
dépasse pas la barre transversale ; le second jambage du v
descend moins bas que le premier; la barre de l'a est brisée.
— Le texte qui suit est établi d'après les copies que j'ai
faites et les estampages que j'ai pris à Delphes en mai 1907.
["Ap/ovTo; Iv iisXiïJOî]; ATjuoaOc'vou • Boy^xa 'A[j.9ix[TidvaJv • szeiSr] paailsù;]
[Eùfxsvriç 7:ap£tX7)ç](oi; :rapà tou TzoLzpoq PaaiXew; 'ATTaXo[u tt^v ts 7:pô; toù; GsoÙ;]
K £'ja[£iΣ'.av xa\ xr]]v izpoç, Toù; 'A[JL»'.-/.T''ova; euvoiav xal Oltxl:r^[pG)v T7]v Jrpo; 'Pto|a.atou$]
siXîav <xv. [TIV05 aYJaOou 7:apaiTto; y^'^oV^vo; otaTsXet xoîç ''EXXT]a[iv xal {x£T£a)(^r)xw;]
0 Twv aÙTÛv x[iv8û]vcov u;:£p xf}; xotvf);; â<jcpaX£Îa; roXXaîç xoi[v 'EXXrjvtôwv] 7:d[X£(ov]
ocupcà; 8£S[tox]£v £v£X£v xou Ôiaxr^pcîaQai x/jv u7:apyo'ja[av aùxaiç £'jv]o{x^av • 8t' t^v
aîxi'av xa\ 'P(o[{xaî]oi ôccapoCfvxE; aûxou xrjv Tzpoai'pfdtv è;i£uÇ[rjxaçïtv x]r](x ^adiXeiav,
vO[j.(Covx£; [o£T]v xat xwtx PaaiX£wv oaoi pièv £;:c|3ouX£uouaiv [xoT; "EXXJTjatv xuY/àv[£iv]
x^; xa67]xoj[<jrj;] £7:i;:XT]Ç£co;, odoi Se [jl7]9£v6ç Y-vovxat xaxou [alxiojt xouxou; x[7jç]
10 ti£Y[:]ax7]; [àÇioJuaOat Tzap 'lauxoT^ 7Ctax£a>ç • â;î£CTxaXx£v 8c x[ai ÔEjcopojç xoùç
-apaxaX£a[ovx]a; xojç 'A[x^txxiovaç 071101; xô x^; *A8T]vaç xt]; N[aTj(pd]pov x£[X£vo;
Tjvavaô£[t^wa'.]v êauxcoi ajuXov xa\ xoj; aYwvaç ouç 8t£Y[v(o] auvx£X£îv
axe3)avtxa[ç xd]v x£ [xoucîixôv îao;cu0tov xat xov ■^u^lvvkov y.a.\\ irtTCiJxôv îaoXufjLJCtov
à::o8£Çtov[xat • à]7:£XoYtaavxo 8e xal 01 OEwpol xt)v tou ^a.<sikéiùi [£j]votav 7]v r/^wv
45 8['.a]x£X£r x[o'.V7jt xjs 7:p6; aTcavxa; xoù; "EXXrjvaç xal xa6'î8iav 7t[pôç] xà; 7:dX£t;. •
[orw; o-Jv xal o\ 'A[x]9'.xxiov£; cpa-'vtovxat £7:axoXou6ouvx£ç To[t;] àÇtoujxô'voi;
[îîpovoo'jtjLEvot' x£ x]w{j. ^aaiX^cov oaot 3taxr]poyvx£; xtjv Tûpô; 'PwfjL[at]ou; xoù; xotvoù;
[awxrjpa; oiXi'aJv àei xivo; àYaOou ;:apatxioi Y-vovxai x[oTç] "EXXtjjiv • xu/^tji
[ocYaO^t • 8£8d-/ôat] xoTç 'A[i.9ixxioatv £7:a'V£aai (3aatX£a [Eù][ji£vr) PaaiXEoj;
20 ['AxxJaXou [xal oxEj^avtoaat 8apvri; (JXEspavwt xioi lEptoi x[ou 'AJîcdXXwvoç xoj
[Oujôiou dit 7:à-^p[[dv] E^xtv axc^avoijv xo-j; lauxwv £Ù£pYe[^*S àp£X^ç £v£X£v
xai £'Jvo''a5 x^[;] £15 xoùç "EXXrjvaç, axTjaat 8à aùxou xa\ £ix[d]va yaXx^v I^'î'tttcou
£v [A]£Xo[o]t;, àva8£8£r/ôat 8È xal xo t£p6v xr]; 'AÔTjvaç x^5 N[tx]Tj'^dpou xo Tcpôç
n£pYa[JL[w]'. a<juX[o]v £•.; a;:avxa x6v yjpôvov xaOà av à'J0pia[r]t] paatXEJç Eù[JL£vr)?
25 xal ari6[^]va àY[£'.]v £[x] xou 7:£pia)pia{j.£V0'j xo'tûou (jltJxe ;:oX£[i.[ou] [xrJxE £Îp7jv7)ç
îîpo^ — . â;:o8£8£[)(^6]at 8a [x]a[\] xoj; âYw[va]ç [8uo] axEsavtxa;,
190 M. HOLLEAUX
[xaGtoç ô paatXeùç âÇioî, xal eiva]i xal i:a[îç Ttfjiatç xal xoîç Xoixoîç 7:a<Ji toÎç êv toT;]
[vdjjLOtç YeypafXfxsvotç TOfx. [xsv (jL]ouaix6v ia[o7ni0tov, xov Ss y^tJ^vi/ôv xal Î7:7:ix6v]
[îaoX6{jL;icov • âvaypàtj^at Se to (|/TJcp]iatxa Iv [axrJXatç xat àyaôeiva: Iv AsXooTç Iv xwi]
30 [teptoi xou 'AtoXXcovoç xou IIuO^oJu xal Ija Il[epYa{jLioi Iv xwt lepwt x^ç 'AÔtjvôc; x^ç
[Nixrj^dpou • xrjpùÇai 8è xov ax^çavov x6[v ôeSofx^vov xwt (EaatXsî x]a\ xr)v
[slxdva Ev xwt àYwvi xwv nu6(](ov.
Observations critiques.
Pour la justification des suppléments, on devra tenir compte des deux
faits suivants : les lignes sont de longueur très inégale ; chaque ligne se
termine par un mot complet.
L. 1-3: [PaotXeùç Eù{x£vriç TtapeiXTj^Jwç Tcapà xou Tcaxpôç paoïX^wç 'AxxàXo[u
xrfv xs Tcpôç xoù; ôeoùç (ou izpoç xô ôeîov)] etJo[epeiav xa\ xr)]v T:poi; xoùç
'Afxcptxxiovaç S'jvoiav. Cf. IG, II, 1, 314, 1. 10: II::apxoxo; 7:a[paXaPtov xrjv
sîç xov o^[j.ov ol]x£tdx7)xa ; CIG, 2335 = Michel, 394 (Ténos), 1. 4-5:
7îaxpo7:apa8oxov ;capgtX7)cpto; xtjv T^poi xov 8^{x[ov] f^[AWv suvoiav. — L. 3-4:
xal 8taxrj[poiv xr]v 7îp6; 'Pwjxaiou;] cptX-'av. La restitution, qui paraît certaine,
est faite d'après les 1. 17-18. — L. 4-5: [xa\ [xex£avr,xtb$ (ou [x£X£a)(^r]xw,;
8è)] xwv aùxôSv x[tv8u]vu)v xxX. Cf. Polyb., III, 16, 3: 8tà xô — (jLexsa/^rjxévat
xwv Tîpô; KXsofxEVT] xtvSuvtov 'AvxiyÔvw ; XXI, 23, 11 : xa\ xtov [xsyi'axtov
âyojvwv xaî xivôuviov àXTiOivwv u{xîv fjLexea/rjxdxs; ; XXVIII, 13, 2: xtov xaxà
XT)v erao8ov xr]v zlç MaxeSovtav xtvoivwv [i.£X£t-/^ov ; et les exemples de la même
locution, tirés des auteurs classiques, que cite le Thésaurus, s. v. xtv5uvo;,
p. 1566. — L. 5: xw[v 'EXXrjvLÔcov] to[Xewv]. Cf. Or. înscr., 763 (Lettre
d'Eumènes aux Milésiens), 1. 11 : o'. xà? 'EXXrjvtoaç xaxotxouvxsç 7îo'X[ei;]. —
L. 7 : £îr£uÇ[7jxaa£v x]r][jL fSaatXEi'av. Cf. Sylloge, 295, 1. 5 : lîrauÇrjxto;
(Eumènes) xàp. paatXEtav. — L. 11-12 : ojitoç (oi 'AfxcpixxidvE;) xô x^; 'AOtjvôc;
x^; N[ixr]!pd]pou xe'jjle.vo; auvava8£[iÇa)at]v lauxcot àauXov ; cf. 1. 23 : âva^ÎEOEîyGai
8e xal xô hpôv xfîç 'Aôr^va; xtj"; N[a]T](pdpou xô Tipô; Il£pYàfjL[to]i àcjuX[o]v. On
rapprochera de ces deux passages celui-ci du décret des Aitoliens {Syl-
loge, 295), 1. 17-19: xaôàîîEp ô [3aaiX£Ù; Eùii-Evr^; âva[8£ixvuEt] xô x^[[xevo; xa;
'A6à]va; xa; Nixaodpou xô ttoxI IlE'pYafxov àauXov (Haussoullier et Ditten-
berger écrivaient (xva[xaX£î]) j la correction àva[8Eixvu£t] a été proposée par
moi, Rev. Et. Ane, 1903, p. 210, n» 8, et par Ad. Wilhelm, Gôtt. gel.
Anz., 1903, p. 795). — Même ligne: 8'iY[vw] guvxeXeTv. Pour cet emploi
deStayiYvtoaxco, cf., par exemple, Joseph., Ant. Jud., XVI, 62. — L. 12-14:
DÉCRET DES AMPHIGTIONS 19i
xai Toù; à-y^va; — âTCo8^Çtov[Tat]. Cf. Sylloge, 295, 1. 8-9: âîToB^ÇaaÔat T0Ù5
àywva; (jTsoavtxa;. — L. 17 : \Tz^oyQO'j^.zW\. Ts], restitution douteuse, qui
semble un peu longue pour l'étendue de la lacune ; peut-être [xal Tipo-
voouvxe;]. — L. 47-18: on a le choix entre toùç xotvoùç [atoTTJpaç] et toùç
xotvoj; [sùepy^-ca!;]. — L. 24: xo kpov — a<juX[o]v eîç aTcavxa xôv ypovov xaOà
av â9opto[r|t] paaiXcùç Eùpisvr);. Cf. Sylloge, 557 = V. Prott et Ziehen, Leg,
Graecor. sacrae, 70 (décret amphictionique relatif au Ptoïon), 1. 5-7 :
slvat 8s xal àouXov xo lepov xou 'A7:dXXtovo; xou Ilxtotou x6 Iv 'Axpaicpt'otç, fuç
av al ax^Xat ôpiCwai. — L. 25 : xal [j.r,0[£]va àY[£i]v l[x] xou 7cep£topta[jLevou
xdîîou. Cf. Sylloge, 295, 1. 19-20: xal [xrjOeva àysiv (xr^Ôè puo[iaÇ£'.v xtvà IJvxôç
xûv ôpi'wv. — L. 26: sur la pierre et sur l'estampage, il m'a été impossible
de rien distinguer après Tcpoa — ; je ne sais comment compléter ce passage.
— Même ligne: àr.ooeU[y^Q]<xt. oï [x]a[l] xoù; àYw[va]$ [8Jo] axscpavt'xaç. Cf.
Sylloge, 295, 1. 44-15 : à7:o8c8^y0at hï xal xoù; àvàivaç xco[v Ntxaçpopiwv xxX.
a]x2çavtxa;. Le supplément 8uo, après àywva:, est rendu nécessaire par la
présence, sur la pierre, d'un espace vide correspondant à trois lettres. —
L. 27-28 : les suppléments, très incertains et médiocrement satisfaisants,
ne sont proposés qu'à titre d'essai. L. 27 : [xaGw; ô ^aaiXeùç àÇioî]. Cf. Or.
inscr., 228 (décret des Delphiens relatif à l'àauXi'a de Smyrne), 1. 10-11 et
13-14. La restitution [xal sîvajt xal xa[îi; xipLaTç xal xoî; Xo'.tioi; Tràat xxX.]
est empruntée, partie au décret des Aitoliens (Sylloge, 295), 1. 16, partie
à celui des Pariens en faveur de Magnésie du Méandre (Jnschr. Magn.,
50), 1. 37-38. Peut-être eût-il été préférable d'écrire, en s'inspirant du
décret de Chios relatif aux Sotéria {Sylloge, 206), 1. 10, 25 : [xal elva]t xal
xa[T; f)X'.X''aiç xal xal; xt[jLatç xaîç xoT; varfaoraiv uKapy^ouaatç xxX.]. — L. 31 :
[xripuÇat 8e xôv axe'Jf avov — [x]al xr]y [slxdva] xxX. Cf. Or. inscr., 234 (décret
des Amphictions pour Antioche de Chrysaoride), 1. 27-28 : axaaat 8a xàç
cixdva; — xal xapuÇat Iv xoi; FluOtoi;.
Ce décret des Amphictions doit être immédiatement rap-
proché du décret des Aitoliens, découverten 1880, à Delphes,
par M. B. HaussouUier, et publié par lui en 1881 , dans le Bul-
letin de Correspondance Hellénique^. Les deux documents
sont inséparables. Ils sont évidemment contemporains et visent
le même objet. Faisant droit à la requête du roi Eumènes II,
1. BCH, V (1881), p. 372 et suiv. (= Fick-Collitz, 1413 =:Dittenber-
ger, Sylloge, 295 = Michel, Recueil, 291).
192 M. HOLLEAUX
présentée par les théores Persas, Théolytos et Ktésippos\
les Amphictions. d'une part, les Aitoliens, de l'autre, pro-
clament l'àcuXia du téménos d'Athéna Niképhoros, situé près
de Pergame^; ils acceptent, de plus, la transformation, déci-
dée par le roi, des concours célébrés lors de la fête des
Ni/.Y3ç6pta en àyoîveç aieoavTTai, avec cette particularité que
râywv jjLOuaixoç deviendra laoTruôtoç et que l'iywv Y'jjmy.o; xal
izmY.iç sera laoXùjjLxioç^.
Ce qui donne un grand prix à la nouvelle inscription, c'est
qu'elle permet de fixer avec exactitude l'époque où fut ainsi
réorganisée par Eumènes la fête des ]>liy.T,o6p{2. M. Haus-
soullier plaçait cette réorganisation entre 179 et 172*.
Frànkel, se fondant sur l'inscription de Pergame en l'hon-
neur de la prêtresse Mêtris, qui mentionne les èvaia N'.y.r^îpip'.a
Toj ffi£oavi-oj àywvsc, et rapportant cette inscription à l'an
167 % admit que c'est en 183 qu'Eumènes donna un nou-
vel éclat aux solennités instituées par son père. Cette con-
clusion a été généralement adoptée ^ ; elle méritait de l'être :
1. Les théores de Pergame ne sont nommés que dans le décret des Aito-
liens, 1. 8.
2. Décret amphictionique, 1. il-12, 23 et suiv. ; décret des Aitoliens,
1. 10, 17 et suiv. — Il existe, comme on sait, d'autres décrets des Am-
phictions, appartenant à la même période, qui décernent pareillement
Vi<sukia. à des sanctuaires ou à des cités: 1° décret relatif à l'àauXi'a de la
ville et du territoire d'Antioche en Chrysaoride [Alabanda] (Or. inscr.,
234); 2° décret relatif à FaTjXia de la ville et du territoire de Téos (BCH,
XXVI (1902), p. 282, 284, n» 471); 3° décret relatif à l'àauXia du sanc-
tuaire d'Apollon Ptoïos, près d'Akraephiae (Sylloge, 557 = v. Prott et
Ziehen, Leg. Graecor. sacrae, 70).
3. Décret amphictionique, 1. 12-14, 26 et suiv. ; décret des Aitoliens,
1. 8-9, 14 et suiv.
4. BCH, V (1881), p. 378.
5. Inschr. von Pergam., 167 (= Or. inscr., 299), p. 104 et suiv.
6. Dittenberger, Or. inscr., 299, note 2; Niese, Gesch. der griech. und
maked. Staaten, III, p. 66-67 ; Gardinali, // regno di Pergamo, p. 111-112.
— Les objections de Stahelin (Gesch. der Kleinasiat. Galater, p. 89,
note 4) n'ont plus besoin d'être réfutées. — Hiller von Gârtringen (Pauly-
Wissowa, au mot Delphoi, IV, col. 2574) reste sur la réserve.
DÉCRET DES AMPHIGTIONS 193
Frânkel, nous le voyons aujourd'hui, ne s'est trompé que
d'une année.
Le décret amphictionique est, en effet, daté par le nom
de l'archonte delphien Damosthénès (1. 1). Cet archonte —
Az{jLO(76Évy;ç ('ApycXacj) — est connu : cinq actes d'affranchis-
sement le mentionnent *. Aug. Mommsen a pu fixer sa magis-
trature à l'année 182-1 81 ^ C'est donc en cette année-là
qu'eut lieu la rénovation de la fête des Niképhoria^. Ainsi,
le roi Eumènes y procéda peu après l'achèvement de sa
guerre heureuse contre Prousias^, au lendemain de la répres-
sion de la première révolte galate% et dans le temps même
où il commençait de se trouver aux prises avec Pharnakès,
roi de la Cappadoce pontique^
Le texte du décret amphictionique, très analogue dans
l'ensemble à celui des autres documents de même sorte,
n'offrirait qu'un intérêt médiocre, s'il ne s'y rencontrait une
particularité assez digne de remarque. On n'eût pas prévu
qu'à propos de la transformation des jeux Niképhoria, il dût
être beaucoup parlé des Romains. C'est pourtant ce qui
arrive. Sur dix-huit lignes que compte le préambule du
1. Wescher et Foucart, Inscr. recueillies à Delphes, n°^ 392, 18, 207,
38-2, 327.
2. Philologus, XXIV (1866), p. 42. Cf. Pomtow, ap. Pauly-Wissowa, au
mot Delphoi, IV, col. 2559, 2635; Dittenberger, Sylloge, 268, 1. 202.
3. La 9« célébration de ces fêtes (triétériques) se place, par suite, en
165, et, partant, les [isiXo^jx sjTjacpYfaaxa mentionnés dans l'inscription
relative à Mêtris (Or. inscr., 299, 1. 7) sont bien, comme l'avait pensé
Frânkel, les victoires remportées par Eumènes sur les Galates, entre 168 et
166.
4. Le traité qui termine la guerre paraît être de 184. Niese, III, p. 72;
Ed. Meyer, ap. Pauly-Wissowa, au mot Bithynia, III, col. 519 ; Cardi-
nali, Il regno di Pergamo, p. 106.
5. Année 184 ou 183? Cf. Niese, III, p. 72; Stâhelin, p. 78 ; Cardinali,
p. 106.
6. Les hostilités, dont Pharnakès prit l'initiative, débutèrent probable-
ment en 183. Niese, III, p. 74 et suiv. Cf. Ed. Meyer, Gesch. des Kônigr.
Pontos, p. 72 et suiv.
43
194 M. HOLLEAUX
décret, plus de six leur sont consacrées. — Eumènes est
demeuré fidèle à l'amitié que son père avait vouée aux
Romains, « communs sauveurs » des Hellènes ; et c'est l'un
des principaux mérites dont lui savent gré les Amphictions
(1. 3-4 ; 16-18; et, notamment, 1. 17). — Les Romains, recon-
naissant les bons procédés d'Eumènes envers les Grecs, ont
agrandi son royaume (1. 6-7). — Puis vient (1. 8-10) une
théorie des relations qu'entretiennent les Romains avec les
rois. Elle est d'une belle simplicité : les rois se partagent en
deux catégories, les méchants, et les bons, ou mieux les
inoffensifs. Les méchants sont ceux qui attentent aux intérêts
des Hellènes (entendez Philippe, Antiochos, Nabis, Prou-
sias) : ceux-là, les Romains les accablent de châtiments mérités.
Les bons sont ceux qui, d'abord, ne font pas de mal aux
Grecs, et qui, à l'occasion, leur sont bienfaisants (entendez
Attale et Eumènes) : ceux-là, les Romains les « honorent de
leur confiance ». — Ainsi, contre notre attente, il est ques-
tion de Rome d'un bout à l'autre des considérants.
Gela ne laisse pas d'être instructif. C'est d'abord la preuve
que, vers l'année 180, le parti ennemi de Rome — celui des
Aitoliens et du roi Philippe V alors réconciliés — n'était pas,
dans les conseils de l'Amphictionie, aussi puissant qu'on l'a
parfois supposée Ce parti y pouvait réunir près de la moitié
des suffrages^ ; il n'y tenait pas encore la majorité. La phrase
4. On a fait cette supposition à propos du décret amphictionique voté, en
478-177, sous l'archontat de Praxias (Sylloge, 293) : Dittenberger,
Hermès, XXXII (4897), p. 489-490 (cf. p. 464): « die von Kônig Perseus
geleitete Mehreit des Rathes » ; cf. P. Foucart. BCH, VII (4883), p. 436.
Voir, au contraire, les judicieuses remarques de Niese, III, p. 43, note 5.
2. L'intitulé du décret de 478 montre que les hiéromnémons étaient au
nombre de 23. Cinq d'entre eux peuvent être considérés comme les porte-
parole du roi de Macédoine : les 2 hiéromnémons délégués par le roi ; les
2 hier, des Magnètes ; le hier, des Dolopes. D'autre part, les Aitoliens
avaient cinq (ou six) représentants dans le synédrion : les 2 hiéromnémons
des Locriens ; les 2 hier, des Ainianes; les 2 hier, de la Doride ; et peut-
être le hier, des Hérakléotes (sur cette question, si controversée, voir, en
DÉCRET DES AMPHIGTIONS 19S
du décret (1. 8-9) : twjx gaaiXéwv cjoi '^h emPouXsuouaiv xoiç
''EXXy;jiv vj^/x'fei'f tyjç xaÔYjxouar^ç èiriiuXY^^swç, bien qu'elle ne
visât point uniquement Philippe, le visait pourtant de la façon
la plus directe : jamais, si l'influence du roi avait été prépon-
dérante dans le synédrion, elle n'eût été écrite. Et, de même,
les Aitoliens n'eussent point facilement consenti qu'on décer-
nât tant de louanges aux Romains. Il est intéressant de com-
parer, à cet égard, la 1. 5 de leur décret à la 1. 7 de celui
des Amphictions; il s'agit, ici et là, d'une même chose, de
l'agrandissement des États d'Eumènes. Mais, tandis que les
Amphictions en rapportent tout l'honneur aux Romains —
'Pwjjiato'. ÔEwpojvTS^ auTOu Tr;v Tupcaipsaiv éTre'j^K^xaciv rrjjj. [Saa'.Xefav
— , ce qui en somme est conforme à la vérité historique, les
Aitoliens se contentent de dire : lirauc^xo); (E'jiJi.évY]ç) -ràix
pajiXsiav ; dans tout leur décret, le nom de Rome n'est pas
une seule fois prononcé.
Pourquoi, au contraire, les Amphictions ont-ils mis tant
d'insistance à répéter ce nom? Pourquoi l'ont-ils joint sans
cesse à celui d'Eumènes, comme s'il n'en pouvait être sé-
paré? Dans cet empressement à parler des Romains, à les
louer, hors de propos et sans que l'occasion s'en offrît, on
peut sans doute ne voir qu'un trait de servilité ; mais si l'on
a égard aux circonstances historiques, si l'on se rappelle les
négociations laborieuses qu'en 182 Eumènes poursuivait à
Rome, il sera permis de s'aviser d'une autre explication.
Attaqué, je l'ai dit plus haut, dèsl83par Pharnakès, roi du
Pont, Eumènes, très naturellement, s'était tourné vers Rome,
afin d'en obtenir assistance ; et tout de suite , il avait éprouvé que
le temps était passé où Rome lui venait volontiers en aide^
dernier lieu, Dittenberger, Sylloge, 293, note 12). Gela fait un total de dix
(ou onze) voix sûrement acquises au parti anti-romain. La majorité était
de douze.
1. Cf. l'exact résumé de Niese, Gesch. der griech. und maked. Staa-
ten, m, p. 74 et suiv.
190 M. HOLLEAUX
Sollicité à la fois par les ambassades pergaméniennes et
politiques*, le Sénat n'avait point pris parti; il laissait traî-
ner les événements, durer la guerre, et s'obstinait à te-
nir la balance égale entre les adversaires, encore que la
seconde des deux commissions qu'il avait envoyées en Asie
se fût, au retour, prononcée sans ambage en faveur d'Eu-
mènes^. Visiblement, cet ancien protégé avait eu le tort de
devenir un personnage trop important ; il commençait de
déplaire, en attendant qu'il parût suspect ; on avait peine de
lui pardonner sa puissance, née de la veille sous les auspices
de Rome, si vite accrue et qui déjà offusquait. Qu'Eumènes
ait appliqué tous ses soins à dissiper cette malveillance inquié-
tante du Sénat, il n'y a point à en douter: on le vit, dans
l'hiver de 181, dépêcher à Rome ses trois frères chargés d'y
plaider sa cause ^. Mais il ne suffisait pas qu'il protestât lui-
même de son dévouement et de sa fidélité. Il était bon aussi qu'il
opposât aux défiances romaines, pour en montrer l'inanité,
l'opinion que professaient sur lui les Grecs amis de Rome,
et fît voir, par des témoignages éclatants, qu'à leurs yeux il
demeurait toujours le roi oiXopw[j.aisç par excellence, juste-
ment gratifié des bienfaits de la république, invariablement
attaché à son alliance et perpétuellement digne de sa con-
fiance. A cet égard, de belles déclarations, un peu ampoulées,
comme celles des Amphictions, avaient leur utilité : elles
pouvaient produire à Rome une favorable impression. C'est
pourquoi je serais bien tenté de croire que l'auteur du
décret, lorsqu'il rédigea sa motion, suivit docilement les
indications que lui avaient transmises, de la part de leur
maître, les ambassadeurs venus de Pergame.
d. Polyb., XXIII, 9, 4; 9, 3.
2. Polyb., XXIV, 4, 2-3.
3. Polyb., XXIV, 5, 2 et suiv.
Paul LEJAY
LE PROGRES DE L'ANALYSE
DANS LA SYNTAXE LATINE
LE PROGRES DE L'ANALYSE
DANS LA SYNTAXE LATINE
Par Paul Lejay.
Jusqu'à la fin du P*" siècle de notre ère, la langue litté-
raire présente chez les Romains une extension graduelle de
certains procédés d'expression, subjonctif, accusatif, génitif,
datif. Si nous rapprochons ces phénomènes, nous voyons
qu'ils semblent révéler une tendance générale. Les auteurs
s'efforcent de distinguer le fait pur et simple du fait entouré
d'une réflexion quelconque. L'analyse est poussée très loin.
Non seulement on sépare tout ce qui révèle une intention
ou un calcul, tout ce qui procède de la pensée d'autrui. Le
sujet parlant en arrive à déterminer ce qui s'attache de sa
propre pensée à un énoncé d'apparence objective, à démê-
ler dans la perception du réel le produit de son raisonne-
ment ou l'objet de sa réflexion consciente ^ Les écrivains
classiques témoignent d'un souci toujours croissant de dis-
cernement intérieur.
\ . Nous n'avons pas de mot français assez compréhensif pour représen-
ter cet ensemble de notions. Réflexe a pris le sens presque contraire; sub-
jectif est trop restreint. On pourrait emprunter à la langue mystique de
Fénelon réflexif : « Tel est mon plaisir. Cette expression marque un plai-
sir; mais ce plaisir n'est que le seul vouloir, qui est pour ainsi dire
rétlexif sur soi-même ». Œuvres, t. 111, p. 300,
200 P. LEJAY
Les moyens étaient variés suivant le contexte. Tantôt le
verbe, tantôt un substantif, parfois un adjectif se trouve
modifié par la nécessité d'exprimer le réflexif. Ces moyens
étaient aussi préexistants à ce travail. Quelques-uns, comme
le subjonctif et le datif, avaient, dès l'origine, des fonctions
analogues ou semblables à celles qu'on allait leur imposer.
Nous n'avons pas l'intention d'expliquer comment l'usage
de Cicéron ou de Tacite plonge par ses racines dans le passé.
C'est affaire aux linguistes, dont nous n'avons qu'à recevoir
les conclusions. Notre dessein est de chercher quelles pré-
occupations, de Plaute à Tacite, ont généralisé des accep-
tions d'abord rares ou créé des emplois nouveaux.
Les faits rapprochés ici sont connus. Nous ne nous propo-
sons pas de les démontrer. Nous voulons seulement en
extraire la signification. Le lecteur sera donc renvoyé, pour
plus de brièveté, aux ouvrages d'ensemble de Delbrùck,
Draeger, Riemann, Schmalz. Le grec est apparenté au latin,
il présenteun développement littéraire comparable: il pourra
servir à marquer l'originalité du latin. Enfin nous nous en
tiendrons à la langue littéraire, la seule dont nous puissions
suivre l'évolution.
Le Verbe.
Il est d'abord nécessaire de bien voir comment se pose le
problème. Si on laisse l'impératif, qui est à part, la langue
latine n'a plus que deux modes personnels, l'indicatif
et le subjonctif. Le subjonctif, remplaçant l'ancien
subjonctif et l'ancien optatif, s'est trouvé exprimer toutes les
nuances qui n'étaient pas de simples assertions de la réalité.
LE PROGRES DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 201
Par suite, l'indicatif latin est devenu une sorte de négation
de la modalité, le subjonctif le mode par excellence. De la
même manière, la 3^ personne est tout ce qui n'est pas les
deux autres, le neutre le genre de tout ce qui n'a pas de
sexe, du moins à prendre les choses à vol d'oiseau. Yoilà le
point de départ. En y remontant, il est clair qu'on n'expli-
que pas pourquoi Plante dit cuni iiis, et Gicéron ou Horace
cum ueiis, pour exprimer la même idée : « puisque tu le
veux ». On pourra, à propos de cum iielis, montrer com-
ment le subjonctif est employé en vertu des possibilités in-
hérentes à son origine. Là n'est pas la difficulté. Ce qu'il
faut expliquer, c'est comment la nuance qu'il traduit, s'est
introduite vers le temps de Lucilius dans la pensée des Ro-
mains et, par suite, dans l'expression. Entre Plante et Luci-
lius, les modes n'ont pas changé de sens ; mais la formule
a pris dans la pensée une nuance qui a forcé de substituer
un mode à l'autre, ou plutôt l'attention du sujet parlant
s'est fixée sur cette nuance. Comment, par suite de quelles
distinctions inconscientes, là est le problème. Pour nous, les
Romains ont cherché à distinguer la vue directe et la vue à
travers un intermédiaire.
1 . Cette distinction est le principe des règles suivies dans
le discours indirect. Ces règles forment un ensemble de
moyens d'expression, où le subjonctif joue son rôle, et qui
sert à rapporter un discours en tant qu'il est prononcé par
un tiers. On sait qu'aucune langue indo-européenne n'a usé
du discours indirect avec la rigueur, l'étendue et la fré-
quence du latin. Ce qui est caractéristique, c'est aussi le rôle
du subjonctif. Le latin avait trouvé la proposition infinitive
dans son héritage. L'emploi du subjonctif dans les proposi-
tions subordonnées qui gardaient la forme personnelle, est
une innovation du latin. L'optatif grec n'est usité, en pareil
cas, qu'après un verbe au passé, et, sous cette condition, il
202 P. LEJAY
est usité aussi dans toute une série de propositions qui n'ont
rien de commun avec le discours indirect ou même avec
l'expression de la pensée d'un tiers. Un autre principe a
déterminé son intervention. La comparaison montre la diffé-
rence des deux langues et rend plus claire la valeur du sub-
jonctif latin*.
2. Ce subjonctif est aussi celui de la question indirecte ou
subordonnée. A l'origine, la question indirecte gardait la
forme de la question directe-. L'ancienne langue a encore de
nombreux exemples de la syntaxe primitive et, autant qu'on
le peut savoir, commune aux langues indo-européennes. On
explique scio quid ago par la parataxe ou autrement : c'est
une question de mots, dont nous n'avons pas à nous occu-
per. Mais déjà le subjonctif domine chez les écrivains archaï-
ques. Il a été étendu graduellement, si bien qu'à l'époque
classique l'indicatif n'est plus qu'un ornement de vieux style
réservé aux poètes et aux prosateurs qui les imitent.
3. La question indirecte est une variété de la phrase
relative. A l'époque classique, la proposition relative
i. S'il s'était simplement agi en latin de marquer une subordination
plus étroite, il eût été possible d'étendre la proposition infinitive aux
subordonnées, comme de fait cela est arrivé, dans des cas d'ailleurs très
rares. — Nous rencontrerons plus loin encore l'opposition de l'optatif
grec au subjonctif latin. On doit faire ici une observation générale. L'his-
toire des deux modes présente le phénomène inverse. L'optatif tend à dis-
paraître de plus en plus de la langue écrite et il paraît à peine dans le
Nouveau-Testament, par exemple (Blass, Grammatik des neiitesta-
mentlichen Griechisch, § 66). Le subjonctif latin va toujours en étendant
ses emplois; voy. Goelzer, Latinité de saint Jérôme (Paris, 1884),
p. 357, suiv. Dans Jérôme, l'on trouve non seulement les innovations de
la période du Haut-Empire (Tite-Live, Tacite), mais quantité d'autres
emplois du subjonctif. — Voy. plus loin, p. 214 et n. 2.
2. Voir, pour les faits, l'exposé détaillé de M. Delbrûgk d'après les tra-
vaux antérieurs, Syntax, t. III, p. 271, suiv. La théorie ne m'inspire pas
une égale confiance. Le rapprochement entre sciebam quid egisset et les
formules grecques comportant l'optatif repose sur une ressemblance super -
ficielle. L'effort pour replacer dans un passé commun l'état disparate du
grec, du latin et du gotique me paraît manquer son but.
LE PROGRES DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 203
qui comporte une nuance réfïexive a son verbe au sub-
jonctif. Cette nuance peut être causale, concessive, adver-
sative. Elle peut consister en un simple rapport qu'établit
l'esprit entre les données de la proposition principale et
l'énoncé de la proposition relative ; en d'autres termes, elle
peut être consécutive : « Nullus dolor est quem non longin-
guitas temporis minuat » (Ser. Sulpicius, dansCic, Epist.,
IV, 5, 6). On a l'indicatif quand il y a une simple assertion :
« Neque enim est uUa fortitudo quae rationis est expers »
(Cic, Tusc, IV, 50) : « le courage exempt de raison n'existe
pas », ou « n'est pas un courage ». A l'époque archaïque, le
subjonctif est encore rare. M. Haie a fait l'histoire de ses
progrès. Il a remarqué qu'il a dû s'introduire d'abord dans
la phrase négative*. Gela est naturel. On écarte une idée
comme fausse ; c'est être bien près de l'écarter comme ve-
nant d'autrui. Dans le perpétuel dialogue qu'est le discours
antique, la phrase négative est une espèce de réfutation im-
plicite. Le sujet parlant a du moins conscience obscurément
d'un retour que fait sa pensée sur elle-même.
4. Un cas particulier du subjonctif après le relatif est celui
de sunt quiagant. A l'époque classique, siint qui est suivi
du subjonctif. C'est que l'auteur établit un groupe, une ca-
tégorie de personnes, dont le caractère est, à son avis, de
faire telle ou telle chose. « Sunt qui agunt » représente, en
dehors de toute considération subjective, des gens qui agis-
sent d'une façon déterminée. « Sunt qui agant » représente
les mêmes hommes considérés par moi comme formant un
groupe que j'isole au lieu de les laisser dans la foule et
auxquels j'imprime une sorte de marque distinctive.
Dans ce second cas, ma réflexion intervient. Si le subjonctif
1. The CumKonstruktionen (Le\\^zig, 1891), p. 10-2. Noter qu'il n'y a
rien d'équivalent en grec, sauf dans les cas où le subjonctif exprime
l'éventualité, non un retour de la pensée sur elle-même.
20i P. LEJAY
a fini par être employé habituellement, c'est que ce second
cas est le plus ordinaire ; c'est aussi un de ces progrès de
l'expression nuancée aux dépens de l'expression nue, pro-
grès que nous constaterons souvent et qui finit par supprimer
la nuance. Cependant on continuera de dire : « multi sunt
qui agunt », parce que la détermination du groupe est suf-
fisante grâce à multi. Le subjonctif a pénétré encore ici par
la phrase négative : « Non sunt qui agant ». L'esprit inter-
vient pour écarter cette hypothèse comme insoutenable.
Nous allons retrouver la même évolution à propos de non
quod.
On s'est demandé quelle est la nature du subjonctif dans
ces propositions. La réponse peut varier suivant le contexte.
Le subjonctif sera souvent un subjonctif de supposition, ce-
lui que nous avons dans le cas de conscience proposé par
Cicéron : « Vendat aedes uir bonus propter aliqua uitia
quae... ceteri ignorent ; quaero... num id iniuste... fecerit?»
(Z>e off., III, 34*). On peut ramener certaines phrases à ce
type: « Sed uatem egregium, cui non sit publica uena,...
hune... facit »(Juv., 7, 53) = « Sit uates egregius, ei sii
non publica uena : hune facit » ; a Stulti sumus qui nosmet
ipsos cum P. Clodio conferre audeamus » (Cic, Mil., 20)
= « Nosmet ipsos... conferre audeamus: stulti sumus » .
Mais le subjonctif empiète manifestement sur l'indicatif. Son
rôle n'est pas précisément d'exprimer tel ou tel aspect de la
pensée, mais de marquer une différence avec les phrases in-
dicatives. Le latin distingue ce qui est pensé ou voulu de ce
qui est ; il varie aussi l'énoncé d'un même fait suivant que ce
fait est exprimé en lui-même ou mis en rapport par la pen-
4. RiEMANN, Syntaxe, § 169. II ne faut pas exagérer la portée des
équations qui vont suivre. Je ne veux pas dire que tel soit exactement le
sens du subjonctif aprè s qui, mais que ce subjonctif peut avoir cette
origine.
se
LE PROGRÉS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 205
sée avec d'autres données. Ainsi les idées de cause, de con-
cution, d'opposition entraînent l'emploi du subjonctif. La
part de lui-même que le sujet incorpore à son langage n'est
pas indiquée au moyen du subjonctif d'une façon absolue,
mais seulement par rapport à d'autres façons de s'exprimer
où cet élément réflexif est moindre. Le subjonctif est un
procédé de différenciation.
5. C'est précisément le rôle qu'il a joué dans l'évolution
des conjonctions. Peu à peu, les Romains ont distingué, en-
tre les différents emplois d'une même conjonction, ceux qui
exprimaient une relation de fait et ceux qui exprimaient
une relation établie par l'esprit. L'histoire de quom le mon-
tre clairement. Il était naturel que cette conjonction, suivît
le sort du relatif. Après quom, l'indicatif n'a plus été pos-
sible à l'époque classique que pour désigner un pur rapport
de temps. Même quand la phrase comportait une simple
insistance de l'esprit, la constatation d'une situation caracté-
ristique, le subjonctif, au moins au passé, devint la règle,
quom Athenae florercnt^. k. plus forte raison, quand la
conjonction, à la notion temporelle fondamentale, ajoute une
idée de cause, de condition ou d'opposition.
La différence entre la syntaxe ancienne et la nouvelle
n'est nulle part mieux attestée que par l'imitation d'une
scène de V Eunuque. Dans Térence, le jeune premier dit :
« Quand bien même elle me rappellerait, faut-il que je n'aille
pas la retrouver : Non eam ? ne nunc quidem | quom arces-
5orultro? )) {Eun.^ 46). Horace, qui reproduit une partie du
morceau, fait dire à son débauché : « Nec nunc, cum me uo-
cet ultro, accedam? » {Sat., II, 3, 262-3). Entre les deux
1. Des deux explications mentionnées encore dans Riemann, Syntaxe,
oe édit., p. 382, n. 1, aucune n'est satisfaisante. Le subjonctif paraît simul-
tanément après cum « caractéristique » et après cum consécutif ou adver-
satif.
206 P. LEJAY
poètes, la syntaxe a changé K Perse, qui reprend à son tour
l'imitation du morceau, dit en serrant Térence de plus près :
« Nec nunc, cum accersat et ultro | supplicet, accedam?»
(5, 172).
6. La même évolution se retrouve dans l'histoire de quod
et de quia, deux autres formes du pronom relatif. Dans l'an-
cienne langue, après est quod, nihil est quod, quid est
quod, etc., où quod e?X encore très voisin de la fonction re-
lative, le subjonctif n'est guère employé que dans les phra-
ses négatives. A l'époque classique, le subjonctif est la
réglée On connaît l'usage: quod (quia) n'est suivi de l'in-
dicatif que dans le sens de « ce fait que » ou dans celui de
« parce que » établissant un lien objectif de causalité. Si
le sujet parlant reproduit l'opinion d'un tiers comme telle,
ou sa propre opinion, comme une opinion, non comme un
fait, le subjonctif est la règle. Il en est de même après quia.
Il suit de là que le subjonctif est nécessaire après non quod
(rion quid) exprimant une raison que l'on écarte comme
fausse ou que l'on ne prend pas à son compte. Dans certai-
nes couches de la population, quand on substitue quod
(quia) à la proposition infinitive ( « renuntiarunt quod ha-
berent y), Bel. hisp., 36^), on se conforme à la distinction qui
a prévalu en employant après la conjonction le subjonctif et
non pas l'indicatif. L'indicatif pénétrera seulement plus tard,
quand l'affectation d'en haut et la négligence d'en bas auront
perverti le sentiment des nuances, surtout sous l'influence
de la littérature de traduction. Avant l'époque classique, au
1, M. VoUmer écrit uocat dans Horace, contre la leçon des mss, et en
se référant à Térence : singulier exemple d'altération savante d'un texte
transmis intact.
'1. RiEMANN, § 224, lo.
3. Premier exemple connu ; voy. Schmalz, dans la Berliner philolo-
gische Wochenschrift, 4905, 556. Scio quia est encore plus récent,
voyez ib.
I
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 207
contraire, l'indicatif est normal en toute situation; Lucrèce
observe encore une vieille syntaxe en écrivant : « Non quia
uexari quemquams^ iucunda uoluptas * » .
Le subjonctif ne donne pas au verbe le même sens après
différentes conjonctions. Cum, « puisque », est suivi du
subjonctif ; quia, « puisque », est suivi de l'indicatif. Mais le
subjonctif joue toujours le même rôle. Il oppose à cum tem-
porel cum causal, à quia simplement causal quia accompa-
gné d'une nuance accessoire. L'esprit latin a fini par distin-
guer dans les emplois de cum et dans ceux de quia le plus
objectif. A celui-là est réservé l'indicatif et la conjonction y
garde le sens le plus éloigné de toute complication psycholo-
gique. Tous les autres emplois, chargés, à divers degrés, de
réflexion ou de calcul, sont opposés au premier et forment
un groupe que le subjonctif caractérise.
7. Les conjonctions qui signifient « avant que, jusqu'à ce
que » sont suivies du subjonctif quand il y a une idée d'in-
tention. Elles ont la même construction, quand elles signi-
fient « sans attendre que », « avant qu'on ait eu le temps
(ou le besoin) de », c'est-à-dire quand elles énoncent un
rapport établi par l'esprit entre les deux événements. L'in-
dicatif reste le mode usité seulement quand ces conjonctions
représentent une pure succession temporelle. Et même
encore ici, au moins dans la langue soutenue, le subjonctif a
supplanté l'indicatif quand le verbe au présent se rapporte à
l'avenir : « antequam dicamus de..., uidetur dicendum
de... ». Il peut toujours se glisser une idée d'intention dans
l'annonce de ce qu'on fera. Ce subjonctif présent est, au
4. RiEMANN, § 193. — On pourrait ajouter que quia étant devenu causal
à une date très ancienne, on a pris l'habitude de l'opposer aux nouvelles
conjonctions causales construites avec le subjonctif, quod et cum. Dès
lors; à l'époque classique, on dira plus volontiers non quod scripserit que
non quia scripserit. Sur le sens de non quia scripsit, voy. Riemann,
Synt., i 194, r. 3.
208 P. LEJAY
surplus, une extension propre à la langue la plus raffinée ;
l'indicatif n'est pas complètement éliminé de la langue
familière et des discours publics ^
8. La distinction du fait et de la pensée explique le sub-
jonctif après tamquam, quasi : « Parui primo ortu sic
lacent, tamquam omnino sine animo sint » {De fin., V, 42).
Ce n'est pas qu'en fait ces petits soient privés de vie, mais
on dirait qu'ils le sont. Le sujet pensant interpose devant le
fait une image. « Aristoteles ait omnes ingeniosos melancho-
licos esse... idque, quasi constet, rationem cur ita fiat ratio-
nem adfert » (Tusc, I, 80). Quasi constet est une réflexion
de Gicéron qui interprète la pensée d'Aristote ; constat affir-
merait un fait. On comprend comment, chez les écrivains du
i" et du n* siècle de l'ère chrétienne, tamquam a pu, dans
une certaine mesure, devenir un des moyens d'expression
du discours indirect : « Arguebat. . . conscientiam ducis, tam-
quam falso crimine opprimer etur'^ » (Tac, Eist.^ IV, 25).
9. Depuis les recherches de Riemann^ il est acquis que
le subjonctif employé après potius qiiam exprime une idée
d'intention dès le temps de Plante. Cependant, jusqu'à
l'époque classique, et particulièrement dans Plante, l'autre
construction est quelquefois employée, « d'une manière illo-
gique », dit Riemann; plutôt, par survivance. Mais le sub-
jonctif ne suffit bientôt plus. A l'époque classique, on com-
mence à ajouter ut {potius quam ut) pour rendre sensible
l'idée d'intention : le premier procédé de différenciation
étant usé, on y en joint un second.
1. Voy. Riemann, ^ynt. lat., § 214 (5^ éd., p. 37i, note 1). Priusquam
est déjà suivi du subjonctif dans l'ancienne langue quand il y a idée d'in-
tention ; LiNDSAY, Syntax of Plautus, p. 133.
2. Voy. Gh.-E. Bennett, dans VArchiv de Wôlfflin, XI, p. 405, suiv.
Une partie des exemples cités par M. Bennett doivent aussi s'expliquer
par la substitution de tamquam, etc., à quod devant le subjonctif.
3. Revue de Philologie, t. XII (4888), p. 43 ; cf. Syntaxe, § 226.
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 209
10. Si nous sortons du groupe des conjonctions issues du
pronom relatif S dum et c/on^c présentent les mêmes parti-
cularités que antequam et priusquam. Mais à l'époque
impériale, ces conjonctions sont suivies du subjonctif sans
aucune des raisons que nous avons vues : « Danuuius...
pluris populos adit, donec in Ponticum mare erumpat »
(Tac, Germ.^ 1). Dans ce chapitre de données géographi-
ques, le Danube n'est pas personnifié. Cependant donec
erumpat est la construction que l'on emploierait s'il était
personnifié. Elle est donc plus vivante que l'indicatif. Par
une recherche littéraire, Tacite arrive à fausser la valeur
des moyens d'expression. Encore un exemple de l'usage
abusif de l'expression nuancée à l'époque impériale.
11. Il faut expliquer d'une manière peu différente l'em-
ploi du subjonctif après dum, « pendant que, en »,
postquam, ubi, exprimant de simples rapports temporels.
M. Haie y a vu avec raison une influence de la construction
de cum « caractéristique » (cum Athenae florerent)^. Le
subjonctif sortait la proposition de la banalité. Il était tentant
pour un poète comme Virgile ou un prosateur comme
Tacite d'étendre cette « élégance » : « Illa quidem, dum te
fugeret,... hydrum... non uidit in herba » (Virg., Géorg.,
IV, 457-9). On en vient de très bonne heure à employer
cum lui-même avec le subjonctif pour exprimer un pur rap-
port temporel. Il faut reconnaître aussi que souvent le sens
permettait l'une ou l'autre construction.
12. De même quanquam, est suivi du subjonctif dans Vir-
gile, Tite-Live, Tacite. Le mot suffisait à exprimer la res-
i. Le subjonctif après quamuis me paraît être un véritable subjonctif
de supposition ; voy. Riemann, Synt., § 201, r. 1.
2. Die Cum-Konstruktionen, p. 303. Les exemples cités, p. 304, de
posteaquam avec le subjonctif ont été contestés : voy. Riemann, Syn-
taxe, 5e éd., p. 375, n. 2. Il est sans importance pour notre thèse que le
phénomène remonte à l'époque classique.
U
210 P. LEJAY
triction. Il faisait partie de la catégorie des relatifs indéter-
minés qui n'ont jamais été suivis du subjonctif avant l'Em-
pire. Mais les poètes ont cru rajeunir le mot et rendre plus
évidente sa fonction psychologique en le faisant accompagner
du subjonctif.
13. Un dernier emploi du subjonctif dans les propositions
subordonnées reste à citer. C'est le subjonctif dit de répéti-
tion, l'emploi de l'imparfait et du plus-que-parfait du sub-
jonctif dans les propositions relatives, conditionnelles et
temporelles*. On a beaucoup disputé sur la date de cette
innovation ^. Quoi que l'on pense des deux douzaines
4, Il y a aussi en grec un subjonctif de répétition, mais qui est
employé à des temps où, en latin, le subjonctif n'était pas d'abord usité et
où il a toujours été rare (si sit, si fuerit).
1. Dernièrement la question a été reprise par le P. Lebreton, Caesa-
riana syntaxis quatenus a Ciceroniana différât, p. 37, qui allègue
l'i exemples de César et 19 de Cicéron, Quand on épluche cette liste,
il n'en reste pas beaucoup. I. Cicéron, Pro Rab. Post., 10 : Quod cum
fecissent, permulti saepe uicerunt. Le rapport exprimé ici par le mode
est celui de cause à effet : « Parce qu'ils agirent ainsi... ». Je trouve le
sens explicatif ou causal dans : De or., I, 112 (cum peterem : peut se
discuter; cf. cependant le récit de Val. Max., IV, 5, 4 : faire acte de
candidat embarrasse Crassus et l'induit à éloigner Scévola) ; Brut., 143
(cum de aequo et bono disputaretur, « étant donné que... »; cela
caractérise Crassus en regard d'Antoine) ; Ver., IV, 48 (cum caractéris-
tique); P. Balbo, 45 (ad Furium et Cascellium praediatores : ce dernier
mot, omis parle P. L., est essentiel, pour se rendre compte du rapport
des propositions); Phil., XIV, 22 (la proposition de Cicéron n'a pas
été mise aux voix, à cause des noms de guerre et d'ennemi) ; Fin., II,
62 (cum caractéristique) ; Rep., II, 59 (même observation). D'autre
part, cum marque une opposition dans Pro Quinctio, 39 ; P. Cael.,
11 (le sens des verbes est exclusif de l'idée de répétition) ; Dei., 28.
Dans le De N. D., III, 8, diceres est un subjonctif oblique. Je ne
retiens donc que 4 exemples, de la liste de 19 dressée par le P. L. : De
or., I, 232; Brut., 190; Or., 9 ; De diu., I, d02. Ce n'est pas un hasard
s'il n'y a aucun exemple dans les discours. — II. César. Déjà M. Meusel,
p. 371 de ses Beitràge, que ne cite pas le P. Lebreton, avait restreint
singulièrement l'usage du subjonctif de répétition dans César. De la liste
donnée par le P. Lebreton, j'éliminerais : B. G., l, 25, 3 (sens causal) ;
VII, 16, 3 (sens causal) ; 17, 4 (opposition et liaison logique) ; 80, 4 (cau-
sal : le texte de Thuc. ne prouve rien, puisque le grec n'a pas de construc-
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 211
d'exemples que l'on a cru trouver dans Gicéron et dans
César, certainement le phénomène est postérieur à la mort
de Lucilius et son extension est propre à la langue de
l'Empire.
L'innovation est encore, en ce cas, probablement due à
l'influence de la syntaxe de cum. Mais son principe est tou-
jours le même. Le subjonctif en soi n'exprime pas la répé-
tition. Il témoigne seulement d'une certaine insistance; il
caractérise, dans quelque mesure, la façon d'être du sujet ;
il dit plus ou autre chose que l'indicatif. Procédé de diffé-
renciation, il révèle que la pensée s'attache de manière par-
ticulière à une action.
14. L'emploi du subjonctif latin dans les propositions
principales ne présente pas, en général, de particularités
qui ne s'expliquent par les fonctions de l'un des modes pri-
mitifs, optatif et subjonctif. Une seule innovation doit être
mentionnée, qui s'étend aussi bien à certaines subordon-
nées, l'irréel, c'est-à-dire l'emploi de l'imparfait et du plus-
que-parfait du subjonctif dans des circonstances où la lan-
gue française se sert, soit de l'imparfait de l'indicatif, soit
du conditionnel. Le grec se contente des temps secondaires
tion comparable à celle de cum causal : pour exprimer une même idée,
chaque écrivain a suivi le génie de sa langue) ; B. C, III, 24, 2 (l'idée
de répétition n'est pas probable et la proposition décrit la situation comme
intéressante : voir la suite du récit) ; 50, 1 (cum animaduertissent ne
peut signifier « toutes les fois qu'ils avaient remarqué », mais « parce
que, comme ils avaient remarqué). Dès lors, il reste : B. G., II, 20, 1
(que M. Meusel considère comme une glose); V, 19, 2 (texte incertain j
M. Meusel, ih., p. 372, conjecture : effuderaf) ; VII, 35, i (texte dou-
teux) ; B. C, II, 41, 6 ; m, 47, 1 • 48, 2. Comme l'a vu M. Meusel, ce
subjonctif n'existe sûrement que dans le De bello ciuili, et il est signifi-
catif que les trois exemples du De bello gallico sont suspects pour d'au-
tres motifs. — Tous ces exemples sont après cum ; aucun ne se présente
après le relatif ou une autre conjonction qui ne puisse être contesté.
Cette différence doit aussi inspirer des doutes sur la nature véritable de
ces subjonctifs.
212 P. LEJAY
de l'indicatif, auxquels il ajoute av (xsv) dans la proposition
principale. L'ancienne langue employait aussi l'optatif avec av
(xEv), c'est-à-dire la forme verbale qui exprimait générale-
ment l'idée de possibilité, du moins dans la proposition
principale. Dans des phrases comme si amicum habererriy
felix essem, il s'agit toujours d'un état dont l'origine
remonte au passé : « Je n'ai pas su me faire d'amis )>. Cela
est si vrai que, en français et en anglais, le passé est
employé dans ces expressions. Elles comportent donc deux
notions : celle du passé et celle de l'hypothèse. Le latin a
marqué fortement le caractère hypothétique par l'emploi du
subjonctif. Ce subjonctif passé a une telle force qu'on le
retrouve même en dehors de la phrase conditionnelle, même
quand l'idée d'une condition non réalisée est tout à fait
obscure, dans l'expression d'un regret : utinam muer et ^
dans la protestation : non redderem, dans l'hypothèse irréa-
lisable non soumise à une condition : uellem. Dans toutes
ces expressions, il y a l'idée d'un passé, mais d'un passé
irréparable. Un sentiment se mêle au souvenir.
Cet emploi de l'imparfait et du plus-que-parfait du sub-
jonctif remonte à une époque préhistorique. M. Delbrûck
l'explique par l'origine optative des formes. Cela est possi-
ble \ Mais il n'est pas douteux qu'en latin cette série de
temps a pris une physionomie particulière. On ne peut non
plus séparer leur fonction dans l'expression de l'irréel et
dans la proposition temporelle. Si après cum temporel le
subjonctif s'est introduit d'abord à l'imparfait et au plus-
que-parfait pour caractériser une situation, c'est que déjà
ces formes jouaient un rôle psychologique dans d'autres cir-
constances. La rencontre n'est pas un hasard.
15. Au subjonctif, mode de la proposition subordonnée
1. S>yntax, II, p. 398.
LE PROGRES DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 213
qui passe au discours indirect, il faut rattacher un des
emplois du réfléchi. Le réfléchi peut renvoyer au sujet dont
on rapporte la pensée : « Faustulo spes fuerat regiam stir-
pem apud se educari » . Le réfléchi se trouve même dans des
phrases où l'idée de la pensée d'un tiers résulte du contexte,
sans être exprimée directement : « Romanis multitudo sua
auxit animum » , « le sentiment de leur force numérique » ;
« Admonere alium egestatis, alium cupiditatis suae », les
amis de Catilina se disent : « ma pauvreté, mon avidité »
(Sall., Cat.y 21, 4; cf. 14, 3 : « Omnes quos flagitium,
egestas, conscius animus exagitabat )))\ Le grec n'offre rien
de comparable à ces deux derniers exemples. Dans des
phrases de ce genre, il se contenterait de l'article. Ainsi le
latin et le grec ont en commun le réfléchi « indirect ».
Mais ce pronom paraît être d'abord une variété ou une
extension du réfléchi grammatical qui renvoie au sujet de la
proposition ; car il renvoie au sujet de la proposition princi-
pale (c'est le cas le plus ordinaire), ou à son sujet logique.
Les Latins ont été plus loin. Ils ont donné à ce mot une
valeur qui leur permettait de distinguer une fois de plus le
fait et la réfraction du fait dans un esprit.
Le procédé n'a pas été tout de suite appliqué avec rigueur.
Ce qui le prouve, c'est une difficulté d'usage que les gram-
mairiens expliquent de différentes manières. Dans une
phrase comme celle-ci : « Misit qui uocarent ad se », on
devrait toujours trouver réunis le réfléchi et le subjonctif,
expressions de la pensée d'un tiers. Il s'en faut que les
choses se passent avec cette régularité. Cicéron, surtout
dans ses premiers écrits, emploie le réfléchi à côté d'un
verbe à l'indicatif. La langue ancienne en présente aussi des
exemples, qui seraient plus nombreux, sans doute, si l'on
1. Voy. RiEMANN, Syntaxe, § 9 a, ^o.
214 P. LEJAY
avait étudié de plus près la syntaxe de la proposition expri-
mant la pensée ou l'intention d'autrui. L'incohérence est évi-
dente quand une phrase relative est un membre nécessaire
d'un discours indirect : « Dicit capram, quam dederam
seruandam sibi, etc. » (Plaute, Merc, 238)*. Nous avons
affaire à une particularité de la langue familière. Kiihner
a essayé de l'expliquer par la contamination des deux types
quam dederam ex et quam dedissem sibi. On pourrait dis-
cuter cette hypothèse si le type quain dedissem sibi était
aussi fréquent dans le discours indirect que le type quam
dederam ei dans la narration. Mais cela n'est pas. Les
anciens écrivains latins emploient très souvent l'indicatif
dans la proposition subordonnée du discours indirect sans
qu'on puisse alléguer une raison ou un prétexte, parenthèse,
anacoluthe, longueur de la période^. D'autre part, Caton dit
sans sourciller : « Vitis si macra erit, sarmenta sua conci-
dito » {Agr.j 37). Le possessif est injustifiable. L'ancienne
langue comportait donc une grande liberté. Peu à peu, les
tournures concurrentes ont été classées et affectées chacune
à un service particulier. Ce triage ne s'est pas fait tout d'un
coup, et les écrivains classiques ont encore des traces de la
liberté première. Mais ce travail a été accompli dans la
même direction que d'autres restrictions analogues. Tandis
qu'il embarrasse les grammairiens qui jugent d'après un
code, il révèle à l'historien l'instinct confus qui dirigeait
l'élaboration de la langue classique ^
16. Une catégorie particulière d'exceptions paraît confir-
1. Voy. HoLTZE, Syntaxis prise, scr. lat., ï, p. 364. La question n'est
pas traitée par M. Lindsay.
2. HoLTZE, ib., II, p. 133, suiv.
3. A cette revue, il faudrait peut-être ajouter un fait de morphologie.
A l'époque classique, le nombre des verbes qui prennent la forme dépo-
nente devient considérable ; voy. Neue, Formenlehre, III, p. 17, suiv.
Pour des verbes comme frustror, mereor, « mériter » (opposé à mereo,
LE PROGRES DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 21.j
mer notre interprétation du subjonctif. Un verbe est à une
forme de l'indicatif, alors que, pour une des raisons généra-
les que nous venons de voir, on attend le subjonctif. Mais
précisément ce verbe signifie « penser », « croire », « dire ».
Il a le sens que donnerait à la phrase le subjonctif. Il reste
naturellement à l'indicatif. Madvig remarque que l'on trouve
très souvent des phrases à l'indicatif au lieu du subjonctif déli-
bératif ; « fere autem constanter id faciunt cum... ex aliis
quam sententiam se suscipere uelint quaerant » ' . Cette expli-
cation est obscure ; elle pourrait convenir à toute question
délibérative prononcée devant témoin. Les exemples cités
sont très clairs. Tous contiennent un verbe signifiant « pen-
ser », arbitramur, existijnamiis, putamus : « Stantes plau-
debant in re ficta : quid arbitramvr in uera facturos
fuisse? » (Gic, Lael.j 24). Le subjonctif est habituel dans
César après sunt qui. La seule exception du de Bello Gal-
lico (IV, 10, 5) porte justement sur existimo : « Ex quibus
sunt qui piscibus atque ouis uiuere existimantur » ^.
En pareille occurrence des confusions sont possibles :
« acquérir »), la forme déponente peut avoir été préférée pour marquer
une opération de l'esprit, un calcul ou une réflexion. Mais d'autres sens
du déponent interviennent. La question est complexe. Enfin il ne faut pas
confondre le sens réfléchi avec ce que nous appelons ici le sens réflexif.
i. Madvig, Opiiscula academica, p. 437-438 ; l''e éd., II, p. 40.
2. Inversement, dans une question oratoire, un verbe signifiant
« croire » ou « penser » à la 2^ personne, est mis au subjonctif au dis-
cours indirect. On dira : « Quonam modo se obliuisci P. Decii posse ? »,
parce que c'est l'équivalent d'une proposition non interrogative nullo
modo obliuisci se posse (possum au discours direct). Au contraire, dans :
« Ignominianc sua quemquam doliturum censeret », quemquam dolitu-
rum serait possible isolément : « Nemo ignominia tua dolebit », C'est le
cas précédent. On ajoute censés : la phrase devient une question directe
et retombe dans un autre cas : toute question réelle et toute question
oratoire exprimant un sentiment (blâme, douleur, etc.) a son verbe au
subjonctif dans le discours indirect, quand ce verbe est à la seconde per-
sonne. Vov. RiEMANxX, Syntaxe, § 228, et Rev. de phil, VII (1883), 112
et 164.
216 P. LEJAY
« Legatos... multi missos fecerunt... quod illorum culpa se
minus commode audire arbitrarentur » {Ver.^ III, 134) ; on
attend : quod... audirent ow quod... audire arhitrahantur \
« Litteras quas me sibi misisse diceret recitauit » (JPhil.,
II, 7); on attend misisse dicebat ou misisset\ Des mépri-
ses analogues s'observent dans toutes les langues, notam-
ment dans l'emploi des négations -.
II
Les formes nominales.
1. L'accusatif est le cas de la subordination. 11 sert à
reproduire au discours indirect le nominatif ou le vocatif du
discours direct : Cic. , P/iil., II, 30 : « Ciceronem exclamauit » ;
Ovide, Met., III, 244 : « Actaeona clamant » ; « il s'écria :
« Cicéron ! » ; « ils crient : « Actéon ! ». Cette fonction
existe depuis les plus anciens temps jusqu'au seuil du
v« siècle de l'ère chrétienne, au moins dans les œuvres lit-
téraires ; Plaute, Am., 1120: « Exclamât uxorem tuam »,
« il s'écrie : « Alcmène ! » ; épitaphe du pape Sirice
(f 398), dans Ihm, Damasi epigr., 93, 4 : « Cunctus ut
populus pacem tune soli clamaret ». Dans ce dernier texte,
l'expression signifie : « Le peuple répond : Pax ! à l'évêque »,
c'est-à-dire, avec un sens ecclésiastique particulier, le peu-
ple accepte d'être en communion avec lui ; voyez la note de
i. RiEMANN, Synt., § 193, r. 2; § 224, 2^ note (5e éd., p. 388, n. 2).
2. W. Heraeus, Jahrbûcher, 1886, p. 713, et 1891, p. 501 ; Polle,
Phil., 4892, p. 759 ; P. Thomas, Journal de Vinstr. publ. en Belgi-
que, 1885, p. i, et 1907, p. 228.
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 217
Ihm. Ce rôle grammatical de l'accusatif le préparait à un
rôle psychologique.
Il entre en effet en concurrence avec l'ablatif dans la
construction des verbes de sentiment. L'ablatif latin pré-
sente la cause comme agissant en quelque sorte du dehors
sur l'âme, à la manière d'un instrument ; l'accusatif fait
intervenir la conscience du sujet. Maei^eo, qui exprime la
douleur silencieuse et contenue, se construit surtout avec
l'accusatif. Il se construira avec l'ablatif quand on voudra
indiquer la cause comme extérieure. S'il s'agit du chagrin
que les amis de Gicéron éprouvent à le voir s'abandonner
au désespoir après la mort de Tullia, Ser. Sulpicius écrira :
« Da hoc... amicis ac familiaribus qui tuo dolore maerent »
(Epist., IV, o, 6). Sulpicius ne veut pas dire qu'il fait sien
le deuil de Gicéron {tiium dolorem maerent). De même
l'envie causée par le bien d'autrui ne peut comporter d'au-
tre expression, 2c^qc maerere, que celle de Gic, P. Balbo,
56 : « Sermones hominum alienis bonis maerentium ».
Ges faits sont connus. Ils comportent seulement quelques
remarques.
Il ne faut pas faire rentrer ces accusatifs dans la catégorie
de (( l'objet intérieur » (ici et ailleurs, j'emploie la termino-
logie connue sans prétendre l'approuver ou la discuter).
L'accusatif « intérieur » répète sous forme nominale l'idée
contenue déjà dans le verbe : dolorem maerere, et les deux
mots ont le même sujet. Dans Gic, P. Sestio, 32 : « Ne
maererent... rei publicae calamitatem », maererent et
calamitatem expriment deux notions distinctes appartenant
à des sujets différents. Quand Caelius écrit: « Gauisos homi-
nes suum dolorem » (Gic, Epist., VIII, 14, 1), ce n'est pas
une « extension hardie de la figura etymologica » ; car
suum dolorem n'est pas le substitut de quanta gaudia dans
Gatulle, 61, 117: « Quanta gaudia gaudeat ». G'est la cause
2i8 P. LEJAY
du sentiment et probablement pour gaudere le premier
exemple de l'accusatif ^
Cet emploi de l'accusatif est, en effet, assez récent. Chez
les comiques, il n'existe pas : aliquam amore deperire s'ex-
plique autrement -, et ne suppose un sentiment que par voie
de conséquence ; la réalité physiologique est au premier
pian. César est encore très réservé. Les poètes étendent ce
procédé qui donne aux mots plus de profondeur : on trouve
chez eux laetari, inirari^ stupere, tremescere, etc. La prose
de l'époque impériale s'empare de la construction et la rend
banale. Cicéron avait dit : « Quis non doluit rei publicae
casum » (In Vat., 31) ; mais on disait à son époque et
jusqu'au ii*" siècle de l'ère chrétienne : pes dolet ^ : la dou-
leur n'a pas une cause morale. Plus tard, Fronton pourra
écrire (^Ad am., 16) : « Grauiter oculos dolui ». Alors on
tentera de rétablir la nuance effacée en prenant un autre
cas de sens psychologique : « Noli dolere, mater, factiii
meo » (BuECHELER, Carm. epigr., 148, 1).
Un moyen d'expression qui existe antérieurement est pris
pour établir une différence entre l'énoncé d'un fait et la tra-
duction d'un événement intime de la conscience. Ce rôle est
préparé par d'autres fonctions, et, dans le cas de l'accusatif,
la figure étymologique, très fréquente dès le temps de
Plante, a pu aider l'innovation. La distinction est étendue
progressivement. Les poètes en usent pour relever leur
style. Les prosateurs suivent et bientôt la fréquence du tour
4. Contre Antoine, dans son édit., p. 163. Madvig (cité par Antoine)
avait bien vu, mais sa correction est inutile. Seyffert, éd. de Laelius,
2e éd., p. 83, parle aussi de « contenu «, « Inhalt ». — Bien entendu, id
gaudeo (Ter., Andr., 361), illud g audeo (Cic, Brwi., 456), n'ont rien
à faire ici ; voy. Riemann, Synt., § 3o d.
2. Seul cas cité par Draeger, § 46i, outre des ex. de pronoms neutres
Voy. LiNDSAY, Syntax of Plautus, § 40, p. 26.
3. ScHMALZ, Antibarbarus, 5^ éd., t. I, 470.
LE PR0GRP:S de L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 219
en supprime la valeur particulière. Telle est la courbe
de l'évolution. Plus d'une fois, nous la retrouvons iden-
tique.
2. En dehors de l'emploi partitif, le génitif latin a deux
fonctions générales. On les reconnaît facilement quand elles
sont réunies dans une même phrase : « In illum (Clodium)
odia ciuium ardebant desiderio mei » (Gic, Mil., 39). Au
premier génitif, ciuium, on pourra substituer un possessif,
odia uestra. Cette substitution est impossible dans desiderio
mei ; on ne peut dire desiderio meo, sauf confusions, rares
ou discutables chez les bons écrivains.
Le grec a, comme le latin, une grande variété de génitifs
du type desiderio Ciceronis ; mais on sait que le génitif des
pronoms personnels n'est guère usité en ce cas. Au con-
traire, on trouve d'ordinaire le possessif : çoêoç ô 6|jL£T£poç
désigne aussi bien la crainte que vous inspirez que celle que
vous éprouvez. Le latin, ayant ici deux moyens d'expres-
sion, en a profité pour établir une différence et cette diffé-
rence revient à la distinction du fait et de l'opinion.
La nature de cette distinction a été établie autrefois par
M. Louis Havet dans un cours du Collège de France. Le
rapport possessif est un rapport de fait. L'autre rapport,
celui de desiderio mei, est de nature psychologique ; c'est
« le regret que vous éprouviez pour moi » : le regret et son
objet sont vus, pour ainsi dire, à travers l'âme d'autrui. Un
des exemples cités par M. Havet est très clair : « Is enim
splendor est uestrum ut eadem postulentur a uobis quae ab
amplissimis ciuibus » (Cic, Att., VII, 13, 3). Gicéron parle
des exigences de l'opinion publique vis-à-vis d'Atticus et de
Peducaeus. Splendor uestrum, ce n'est pas « l'éclat que
vous possédez », splendor uester, mais « l'éclat que l'on voit
en vous, dont vous jouissez aux yeux du monde ». II y
a donc intervention d'un tiers. Ce tiers pourrait être identi-
2iO P. LEJAY
que au sujet parlant. Alors il présenterait l'énoncé comme
une opinion ou un sentiment personnel*.
Cette distinction ne paraît pas fort ancienne. Le premier
exemple que je vois du génitif du pronom est dans Ter.,
Hec, 219, odiiim tui^. Mais il faudrait savoir plutôt dans
quelle mesure le possessif se rencontre chez les écrivains
anciens au lieu du génitif. On cite Plaute, Am., 1066,
terrore meo\ Ter., Ph., 1016, neglegentia tua, odio tuo ,
Caton, Or., V, 2 Jordan (dans A. G., VI, 3, 16), seruitute
nostra^. On ne pourra être fixé que lorsque le lexique de
M. Lodge sera assez avancé. Dans César, il n'y a aucun exemple
du possessif au sens du génitif. On en trouve plusieurs dans
Cicéron. Une tournure analogue favorisait l'emploi du
possessif en accord : on disait haec pulchritudo pour harwn
rerum pulchritudo (Berger, Stylist., § 400, 1^); on devait
être tenté de dire desiderium meum pour desiderium mei.
Mais la confusion s'est surtout produite dans l'autre sens,
par la substitution de liber mei à liber meus. Il me paraît
douteux que Cicéron l'ait commise*. Elle est certaine chez
i. M. Louis Havet comparait, d'une part, la phrase de Gic, AU.,
XI, 8, 2: « Misit filium, non soium sut deprecatorem, sed etiam accusa-
torem mei « avec la proposition finale : « qui pro se deprecaretur », et,
d'autre part, Verr., IV, 445 : « qui cum accusatore tuo putant » à : « qui
putant cum eo qui te accusât ».
2. ScHAAFF, De genetiui usu Plautino (Halle, 1881), p. 20, cite à tort
Most., 37 : « Mei tergi facio haec, non tui fiducia », où tui se rapporte à
tergi. La question n'est pas traitée dans Lindsay, Syntax of Plautus
(Oxford, 1907).
3. HoLTZE, Synt. priscorum script, lat. (Lipsiae, 1861), I, p. 359. A
ces trois exemples Haase, dans les Vorlesungen (Syntax, éd. Schmalz et
Landgraf, note 540) ajoutait Ter., Ht., 307 : « Vt facile scires desiderio
id fieri tuo » ; mais, depuis Bothe, on supprime tuo donné par tous les
Mss. Dans Ph., 849 : « JVumquam tu odio tuo me uinces », tui serait
parfaitement admissible : « la haine que tu fais concevoir pour toi » ;
mais on peut simplement entendre « ton mauvais caractère », ou « dein
lâstiges Benehmen » (Dziatzko).
4. Les textes cités par Lebretonj Et. sur la langue de Cic, p. 96,
suiv,, sont susceptibles d'une autre interprétation. Les mots frequentia et
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 221
les écrivains, du i^"" siècle de l'ère chrétienne et elle devient
de plus en plus fréquente : Tacite en a de nombreux exem-
ples. Elle donnait au style, comme le remarque Reisig, une
apparence de profondeur philosophique. C'est toujours le
même phénomène : l'expression nuancée devient l'expres-
sion recherchée, puis le cliché banal. La littérature de tra-
duction, à partir du ii^ siècle, par le décalque servile des
pronoms grecs [;.o'j, (toj, y;!j.(7)v, up-wv, ajoute une nouvelle
cause de confusion.
3. On doit probablement rattacher au génitif dont nous
venons d'étudier une variété, le génitif construit avec certains
verbes, les verbes de pensée et de souvenir, les verbes d'ac-
tion juridique.
Les verbes de pensée et de souvenir ont en latin, dès l'ori-
gine, deux constructions casuelles, l'accusatif et le génitif.
Elles sont héritées du passé indo-européen et nous n'en
avons pas ici à rechercher le sens primitifs Nous n'avons
qu'à en considérer l'évolution à l'intérieur du latin. Or il est
établi que l'emploi du génitif s'étend constamment aux dé-
pens de l'accusatif jusqu'à la fin de la période classique ^.
contio pourraient comporter un génitif partitif. En tout cas, frequentia
uestrum n'équivaut pas à frequentia uestra. La nuance me paraît très
claire au début de la quatrième Philippique : « Frequentia uestrum incre-
dibilis, Quirites, contioque tanta quantam meminisse non uideor et
alacritatem mihi summam defendendae rei publicae adfert, etc. » C'est
un raisonnement : « Cum uos, Quirites, incredibiliter fréquentes sitis ».
Dans les autres passages, Cicéron veut probablement aussi faire prendre à
l'auditoire conscience de soi-même. La différence entre uestrum et uestri
ne tient pas à la différence des génitifs, mais à la façon dont l'objet est
considéré, comme pluralité (uestrum) ou comme bloc (uestri).
1. Voy. Delbrugk, Syntax, I, p. 310, suiv., et cf. Meillet, Recher-
ches sur l'emploi du génitif-accusatif en vieux-slave (Paris, 1897),
j). 156, suiv.
2. Babcogk, a study in case rivalry bcing an investigation regar-
ding the use of the genitive and the accusative in Latin with verbs of
rcmembering and forgetting, Ithaca (Gornell university), 1901. Voir Iç
résumé, p. 68.
222 P. LEJAY
Après ce que nous venons de voir, il n'est pas trop hardi de
rattacher ce progrès à la tendance que nous étudions. Avec
des verbes qui par nature expriment une opération intellec-
tuelle, il était naturel de préférer le génitif à l'accusatif,
expression commune du complément direct. Le choix du
génitif établissait alors une distinction, non plus entre deux
nuances d'un même mot, mais entre une catégorie particu-
lière et la masse quelconque des verbes transitifs.
4. Le génitif du complément des verbes signifiant « accu-
ser, absoudre » paraît également ancien. Tout au moins, il
s'est développé parallèlement en grec et en latine Mais les
opérations judiciaires sont de nature psychologique ; il y a
imputation et jugement, et ce sont des rôles assumés par des
tiers. En fait, le sens du génitif se trouvait conforme à un
emploi connu de ce cas. C'est ce qui explique deux parti-
cularités. Quand l'idée d'imputation est représentée par un
mot, ce mot se met à l'ablatif (instrumental, indiquant le
point de vue ou la raison) : quo scelere damnatiis, condem-
natua aliis criminibus, en regard de pecuniae publicae est
condemnatus (Cic.)-. Nous avons les deux constructions
réunies dans Horace, Sat., II, 3, 278-279 : « Commotae cri-
mine mentis | absolues hominem et sceleris damnabis eun-
dem » ; cf.Cic, Verr.^ IP act., I, 72: « absolutum improbi-
tatis ». C'est la même distinction que plus haut entre: quid
faciant,ei: quid arbitramur facturas fuisse (p. 213). L'autre
particularité est que l'on dit : « damnare dupli » , mais :
(( quinquagenis milibus damnari » ^. L'indication précise est
à l'ablatif comme l'instrument de la condamnation : c'est
l'énoncé d'un fait. L'expression générale dupli, minoris,
1. Delbrûgk, /. c, I, p. 328, qui suppose que l'instrumental était le
cas primitif du nom de la peine, Gavàxw, Ça^j-îa»., dans des inscriptions.
2. RiEMANN, Syntaxe, 5« éd., §56, p. 113.
3. RiEMANN, /. c, § 57, rem. 2, p. 118.
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 223
suppose d'ordinaire un lien établi par l'esprit entre deux
termes : c'est l'énoncé d'un calcul.
5. De tous les cas que possède la langue latine, le datif
paraissait le mieux préparé à remplir la fonction psycholo-
gique que nous étudions. Quelle que soit sa signification ori-
ginelle*, il désigne très souvent la part prise à l'action par
un tiers, objet ou personne. Il joue ce rôle dans la plupart
des langues indo-européennes^.
Le latin n'offre donc en cela rien de spécial. Mais de cette
fraction de l'héritage commun, il a tiré un profit nou-
veau.
Le datif se trouvait en concurrence avec le génitif pour
l'expression de l'idée possessive. Tandis que le génitif la
formule comme un fait, le datif la formule comme une rela-
tion avec le possesseur. Le génitif répond à la question : « A
qui est cet objet », le datif à la question : « Quel objet pos-
sède un tel ? » . Cette distinction est connue et se rencontre
au moins dans quatre groupes de langues indo-européennes ^.
Cependant si l'on compare le latin avec le grec, on constate
une différence. En grec, l'usage du datif possessif est limité ;
car les substantifs dérivés de verbes doivent leur datif com-
plément à l'idée verbale. Avec d'autres substantifs, le datif
est ordinairement un pronom personnel : oZxoq (xot [jlu6oç (Pla-
ton, Lég., 812 A); il est surtout fréquent dans Homère et
Hérodote, et, chez Platon, il peut passer pour un ionisme.
Enfin, il ne semble impliquer aucune différence de sens avec le
génitif. Dans les inscriptions attiques, yp2\L[mxz\jq xfi ^ouXfi
vautYpa;j.[j.aTeù; T7;ç ^suX^;^ L'emploi du datif latin devient
un procédé de style. M. Landgraf l'a très bien montré en
1. Voy. Revue critique, 1907, t. I, p. 205.
'2. DelbrOck, Syntax, l, p. 297, suiv.
3. Delbrûck, Syntax, I, p. 303.
4. Krûger, § 48, 42 j Kûhner-Gerth, § 424, 4 (I, p. 429).
224 P. LEJAY
comparant les tournures parallèles ^ Cicéron dit bonnement :
« Inimicitiarum modum siSituere )) (Su/., 48). Horace per-
sonnifie les passions en poète : « Cupidinibus statuât natura
modum quem » {Sat., I, 2, 111). C'est affecter les passions
que de leur poser une limite. L'action n'est plus énoncée en
soi, comme elle le serait au moyen du génitif ; elle est énon-
cée par rapport au sentiment, dans le sentiment qu'éprou-
vent les Passions, êtres doués de vie par l'imagination. Et
alors le datif apparaît un moyen de colorer le style. Mais,
par là, les écrivains romains ne faisaient que suivre une
inclination générale de leur temps et de leur milieu.
Ce développement peut faire comprendre une des restric-
tions de l'usage chez Cicéron. Avec le verbe esse, on ne
trouve le datif d'usage fréquent que dans quelques formules :
« est mihi causa, locus, aditus, reditus », et dans ces for-
mules peu de notions intellectuelles ou morales, potestas,
facultaSy ius. Au contraire, l'emploi du datif est un peu plus
libre et plus varié quand le sujet de esse est accompagné
d'une qualification ^ : « Res familiaris alteri eorum ualde
exigua est, alteri uix equestris » (JEpist., IX, 13, 4). Ce qui
peut affecter l'ami que recommande Cicéron, c'est que sa
fortune soit à peine de cens équestre. La situation n'est pas
abstraite et générale ; elle est caractérisée par l'épithète. Il
y a un raisonnement latent. De même : « Hebes acies est
cuipiam oculorum » (Fin., IV, 65): c'est cet affaiblissement
de la vue qui amènera le patient devant le médecin (« hi
curatione adhibita leuantur in dies »). L'emploi de l'épithète
et le choix du datif sont deux faits connexes.
4. Dans VArchiv de Wôlfflin, t. VIII (1892), p. 40. Un des premiers
exemples cités, T. L., XLIV, 28, 14, ne porte pas succidere neruos
equorum, mais : « Parti (equorum) neruos succiderunt «. Il est à
effacer.
2. ScHENK, De datiui possessiui usu Ciceroniano, Pars I, Bergedorf
bei Hamburg, 1892, progr., p. 24.
LE PROGRES DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 225
6. Une variété du datif possessif est le datif de l'agent du
passif. En grec, le datif intervient comme le cas de l'objet
intéressé. En effet, il semble qu'à l'origine, ce datif, joint à
une forme quelconque du passif, n'était pas différent du da-
tif dit d'intérêt. Dans Homère, on le trouve avec un temps
passé, imparfait, aoriste ou parfait, et même aussi, quoique
plus rarement, avec le présent et le futur \ On sait que,
dans la prose attique, après Thucydide, l'usage a été limité
aux formes du radical du parfait. Cette restriction était na-
turelle. Puisque le parfait grec exprime le résultat acquis
d'une action passée, le datif dit pour qui ce résultat est ac-
quis et prend, par suite, un sens possessif.
Au contraire, en latin, les formes du passé au passif n'ont
pas le sens d'un parfait grec. Il est des phrases où on peut
leur attribuer ce sens, mais ce n'est pas leur fonction de l'a-
voir. Comme l'a très bien dit M. Meillet*, « de ce qu'une
forme grammaticale A d'une langue est employée là où une
autre langue emploie une forme B, il ne résulte pas que la
forme A ait le sens de la forme B ■^)). On sait que la phrase :
« Mihi consilium captum iam diu est », signifie : « Ma réso-
lution est prise, c'est un fait acquis ». Ce sens est très voisin
de celui du parfait grec. Il est dû cependant non à l'emploi
du passé captum est, mais à celui du datif mihi. Ou part de
l'idée de la personne pour lui attribuer la résolution ou plus
1. Voy. Ch.-F. Smith, Some poetical constructions in Thucydides,
dans les Transactions of the American philological association, XXV
(1894), p. 71, suiv. M. Delbrûck, Syntax, I, p. 300, relève la construc-
tion du datif avec le participe passé dans quelques langues et M. Brugmann
attribue l'extension de l'emploi en grec à la confusion de l'instrumental
et du datif.
2. Revue de philologie, XXI (1897)^ p. 82.
3. .le n'accepte donc pas l'explication de Riemann, Syntaxe, § 46 c,
qui suppose que les Latins distinguaient le prétérit au sens du parfait
grec et le prétérit au sens de l'aoriste et réglaient leur langue d'après cette
distinction,
43
226 P. LEJAY
exactement le fait d'avoir pris la résolution. Car, pour un
Latin, mihi n'est pas construit avec captum est. Consiliiim
captwn font un tout, comme bien souvent le substantif accom-
pagné d'un participe (« Ab oppugnanda Neapoli Hanniba-
lem deterruere conspecta moenia »), et ce tout est attribué
en propriété à mihi. Nous retombons, par suite, dans l'es-
pèce déjà étudiée : « hebes acies est cuipiam oculorum » ;
dans hebes acies oculorum, le mot qui prime tout, pour la
logique d'un Français, c'est hebes : « l'affaiblissement de la
vue ». De même ici, c'est captum, littéralement: « la prise
d'une résolution ». Dans les deux phrases le fait est énoncé
par rapport à la conscience d'un tiers, du malade qui ira
chez l'oculiste, de moi qui sais maintenant que faire. La
seule différence est entre les moyens que l'on prendrait pour
exprimer le fait purement et simplement, ici le génitif, là
l'ablatif précédé de ab.
Des actions secondaires ont pu favoriser l'emploi du datif,
le désir d'éviter un double génitif (acies oculorum cuius-
piam^, ou la brièveté et la facilité métrique des datifs mihi,
tibi. Mais le progrès de ces constructions est dû surtout à
leur énergie. Elles deviennent fréquentes chez les poètes;
ils joignent au datif d'autres formes que le passé ; enfin des
poètes, le type populis urbes habitantur passe dans la prose
colorée d'un Sénèque et d'un Tacite ^
Nous sommes donc en droit de conclure que les diffé-
rentes variétés du datif possessif s'opposent aux tournures
concurrentes comme la réflexion, l'attention consciente, la
pensée d'un tiers à la perception nue d'un fait.
1. HoLTZE, I, 312, cite deux exemples de Plaute où le datif serait
construit avec une forme simple du passif : le premier, Aul., 4-5, où on
lit maintenant colo (non color), est à écarter ; le deuxième, Epid., 228,
est assez obscur et appartient à un morceau très discuté : « lUis (mulie-
ribus) quibus tributus maior penditur pendi potest ».
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 227
7. Cette valeur psychologique du datif a permis le déve-
loppement de constructions diverses.
On trouve en zend, en grec et en latin, le datif d'un par-
ticipe pour marquer une relation, souvent une relation d'or-
dre géographique ou topographique ^ : « Gomphos peruenit,
quod est oppidum primum Thessaliae uenientibus ab Epiro »
(Ces., B. C, III, 80, 1). En grec et en latin, cet emploi
peut être un développement séparé et parallèle. Il n'y en
a pas encore d'exemple dans Homère -, ni, en latin, dans la
littérature archaïque et dans Cicéron^. On peut supposer,
sans grande hardiesse, que le sens réflexif pris par le cas a
déterminé le choix. Calculer une distance ou la position
d'un lieu par rapport à une personne qui va dans telle direc-
tion, c'est essentiellement exprimer le calcul que ferait cette
personne ; c'est donc rapporter la pensée d'un tiers.
8. Le datif du point de vue est une acquisition de même
nature, iiere aestimanti. Ici encore, c'estune extension assez
récente qui apparaît d'abord dans Tite-Live^.
9. Enfin certaines constructions doubles, soit successives,
soit simultanées, d'un même verbe peuvent s'expliquer de
la même manière. Il faut se rappeler que nous étudions des
procédés de différenciation. L'accusatif peut jouer un rôle
psychologique par opposition à l'instrumental. Mais à leur
tour, par opposition à l'accusatif, le génitif, comme nous
l'avons vu, le datif, nous allons le voir, prendront le même
rôle. Inuidere, « regarder d'un mauvais œil », a d'abord
une construction transitive ; puis, quand l'idée du sentiment
l'emporte, « être jaloux », le complément se met au datifs
1. Delbrûck, Syntax, I, p. 299.
2. Krûger, § 48, 5, 2 ; Kuhner-Gerth, § 423, 18, e (t. I, p. 423).
3. Landgraf, dans VArchiv de Wôlfflin, t. VIII, p. 52.
4. 16., p. 54.
5. Cic, Tusc, III, 20; cf. Revue de philologie, t. XIX (1895), p. 150.
228 P. LEJAY
AdulariesX encore transitif dans Cicéron, mais se construit
avec le datif dans Cornélius Népos et dans Tite-Live. Ignos-
co a la même histoire que iniiideo : on a dit d'abord ignosco
inscientiae et ignosco tibi inscientiam ; à l'époque classique,
on n'emploie plus que le datif*. Quand tempero exprime un
sentiment, « épargner », Cicéron met plusieurs fois le com-
plément au datif. Aemulor est, chez lui, suivi du datif, quand
il ne désigne pas la simple émulation, mais la jalousie. Ani-
maduerto désigne par lui-même une opération de l'esprit ;
mais, au sens de « sévir », il se construit avec le datif. On
arrive à employer le datif avec des expressions nouvelles. A
l'époque ancienne, on disait qu'un fds était le semblable de
son père, filius similis patris '. C'est encore la syntaxe la
plus ordinaire dans les discours de Cicéron ; mais le datif y
paraît, il est exclusif dans Salluste, et prédomine dans Tite-
Live. Il n'y a pas un changement de signification, mais la
ressemblance est affirmée en se plaçant du point de vue du
père ^.
Ces menus faits n'auraient pas grande importance si on
ne pouvait les rattacher à un ensemble. Il ne serait pas in-
terdit d'en trouver d'analogues en grec. Ils marquent, en
tout cas, un progrès croissant du datif, trahissant un raffine-
ment d'analyse. Mais la construction des verbes composés
avec le datif présente, je crois, une différence notable des
deux langues. En grec, le choix entre le datif seul et la pré-
position est déterminé par des raisons propres à chaque ex-
1. Le verbe comporte une idée de pitié, si l'on admet les explications
de M. PoKROWSKij, Rh. Mus., t. LXI (1906), p. 188, suiv.
2. Voy. LiNDSAY, Syntax of Plautus, p. 22, et la note du même,
Capt., 582. Gic, Nat.cL, I, 97, cite-t-il exactement Ennius, Sat.,11 M. :
« Simia quam similis turpissima bestia nobis », après avoir dit pour son
compte : « Ganis nonne similis lupo » ?
3. Pour ces détails, voy. Riemann, Synt. lat., 5^ édition, § 43 a,
p. 84, suiv.
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 229
pression et à l'intention de l'auteur '. A l'époque classique et
particulièrement chez Cicéron, la préposition est répétée
lorsqu'il y a l'idée d'un mouvement ou d'un rapport de lieu
réel, c'est-à-dire que le datif est réservé à l'expression des
sentiments et des relations morales, « inicere terrorem ali-
cui », mais : « inicere se m medios hostes » ^. Mais les poè-
tes, ici comme en d'autres circonstances, n'ont pas fait la
distinction, et déjà Lucrèce joint un datif aux verbes com-
posés, quel que soit le sens, surtout aux composés de in^.
La distinction cicéronienne est conforme, si l'on peut dire,
à tous les précédents.
10. Tous les emplois du datif latin ne doivent pas recevoir
la même explication. Une série complètement différente des
précédentes est celle des datifs de destination. Elle est si
nettement constituée que l'on a voulu y trouver le sens ori-
ginel ou principal du cas '\ Elle a ses analogues dans d'autres
langues indo-européennes ^ Chez les Latins, elle est ancienne,
et particulièrement riche dans la langue des soldats et des
ruraux ^ Un signe de cette antiquité, que l'on n'a peut-être
pas signalé, est le style des titres de magistrats. Certains de
ces titres comportent une périphrase avec l'adjectif verbal.
La périphrase est au datif pour les plus anciennes magistra-
tures : X iiiri legibus scribundu creati, Illuiriagris dandis
adsignandis, III iiiri a(uro) a(rgento) a(ere) f(lando) f(e-
riundo), X uiri stlitibus iudicandis. Plus tard, le génitif se
substitue au datif : // uiri iiiarum curandarum (créés en
1. Kruger, §48, 11, 2 et 15; le cas de eîatc'vat, sîac'pyeaOa'. est isole,
ib., 4 ; Kûhner-Gerth, § 423, 3 (I, p. 407).
2. RiEMANN, Synt. lat., § 43 6.
3. G. L HiDÉN, De casuum syntaxi lucretiana (Helsingfors, 1896),
p. 105, suiv.
4. Meillet, Introduction à l'étude des langues indo-européennes,
3« éd., p. 313. Cet emploi est, on le sait, une des origines de l'intinitif.
5. Delbrùck, Syntax, I, p. 303.
6. L\NDGRAF, dans VArchiv, t. VIII, p. 56.
230 P. LEJAY
734/20), curatores aedmm sacrarum monument oimmq ne
tuendorum {C. 1. L., IX, 3306 ; sous Auguste), curatores
locoriim puhlicorum iudicandorum (C. I. £., VI, 1267,
31 573 ; sous Tibère). Des fonctionnaires de l'annone sont
appelés praefecti frumento dando dans un sénatus-consulte
de 743/11 (Fronto, De aqu., 100), et après Auguste prae-
fecti frumenti dandi. Nous avons donc affaire à un emploi
ancien qui ne relève pas de notre sujet.
Cette digression est utile pour montrer que je ne propose
pas une clé pour toutes les serrures. Si large que soit le
phénomène dont je réunis les symptômes, il y a encore au-
tre chose dans l'évolution du latin littéraire. Mais, sous le
bénéfice de cette réserve, on peut se demander si la phrase
célèbre : « It clamor caelo » (Virg., Aen., V, 431), n'est
pas de notre ressort.
Les grammairiens distinguent le datif de destination
{opercula doliis^ cf. « la cuiller à pot ») du datif de
direction {it clamor caelo), Le premier peut être adno-
minal et se passer de verbe ; le second est joint ordi-
nairement à un verbe. Mais cette distinction n'a rien d'ab-
solu. Il suffirait qu'un substantif impliquât l'idée de mouve-
ment pour que l'on pût dire: domu(i) itio, comme on a
dit : domwn itio. Rien ne prouve, à première vue, que do-
muitio repose sur l'une de ces expressions plutôt que sur
l'autre. La distinction est donc très faible. M. Delbriick
traite du datif de but à propos de la construction verbale du
cas et réunit arbitrairement le datif de destination et les
phrases du type quoi est seruos Sosia\ M. Landgraf distin-
gue un datif final et un datif « final-local » ^ Quoi qu'il en
soit, le datif, pour indiquer le terme d'un mouvement, paraît
1. Syntax, I, 288 et 304.
2. Article cité dans VArchiv, t. VIII, p. 55 et 69. M. Delbriick a rai-
son de protester contre l'hypothèse d'une confusion entre le datif et le
LE PROGRES DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE i>31
ne s'être développé que dans un petit nombre de langues
d'après l'exposé de M. Delbrûck. En grec, « il ne s'agit pas
d'un cas du but au sens propre, comme il résulte du fait
que partout le datif désigne des personnes )>. C'est en effet
la pratique de la langue aussi bien dans Homère qu'à l'épo-
que classique ^
L'emploi 'du datif suppose une personnification. Nous la
trouvons dans la vieille formule : « Ollus Quiris leto datus »
(Festus, p. 2o4, 34 M. ; cf. Varron, L. L., VII, 3, 42). On
pourrait comparer l'expression homérique: ^jy^xq "Aici r.poUài^f
(A 3), si TTpo'aJ^EV n'était pas un verbe composé. Le da-
tif du but du mouvement prend donc un des sens ordinaires
du datif. Dans it clamor caelo, caelo n'était peut être pas
logiquement et à l'origine un datif d'intérêt. Mais il l'est de-
venu historiquement, sous l'influence d'autres emplois ana-
logues du datif. C'est une figure qui marque que le ciel est
frappé par les cris, qu'il s'y trouve intéressé ; nous retom-
bons dans le cas de cupidinibus modumstatuere. Aussi n'est-
il pas étonnanique le datif de but soit un emploi exclusive-
ment poétique. On ne le trouve dans Gicéron que dans les
traductions de poètes grecs ^. Il s'insinue timidement et tar-
divement en prose.
Dès lors, il rentre dans la catégorie de faits que nous étu-
dions. La langue latine pouvait avoir hérité le germe: la
semence n'a levé que pour les poètes. Grâce à la distinction
entre le fait nu, ad caeliim, et le fait vu dans la conscience
d'un tiers, caelo, ils ont créé un procédé qui donnait à un
énoncé banal le mouvement et la vie.
locatif en latin. Mais je ne crois pas que ce soit la pensée de M. Landgraf,
voy. p. 70. Le terme datif final-local n'en est pas plus heureusement choisi.
i. Voy. par exemple Krûger, § 48, 9, 1.
2. Même quand l'original présente une préposition : Soph., Track.,
liOO : £;:' èa/axoi; To'ro-.;, Gic, Tiisc, II, 20 : « Non saeua terris gens
relegata ultimis » ; voy. Landgraf, art. cité, p. 70.
232 P. LEJAY
H. On peut enfin, à cet emploi des cas, joindre celui
d'un suffixe nominal. Rien n'est plus connu que le sens
attaché aux substantifs en -tor à l'époque classique ; ils dési-
gnent une occupation habituelle ou une action caractéris-
tique. Ils distinguent le fait d'agir, qui agunt, de la profes-
sion ou du caractère d'après lequel on agit, fabidarum
adores *. Il y a donc entre les substantifs en -tor et la péri-
phrase verbale le même rapport qu'entre le subjonctif et
l'indicatif dans la proposition relative. Telle phrase de Cicé-
ron pourra comporter indifféremment le substantif ou la
proposition relative au subjonctif : « Est (pecunia) effectrix
multarum uoluptatum » {Fin., Il, 55), pourrait être rem-
placé par : « Ea est pecunia qiiae multas uoluptates efficiat )).
Le substantif sert donc à caractériser ; il oppose le fait mis
par le sujet dans un certain jour au fait pur et simple. Cette
distinction ne paraît pas encore bien établie à l'époque
ancienne-: Plaute, Truc, 571 : « Des quantumuis, nus-
quam apparet neque datori neque acceptrici » ; Yarro^j,
L. L., YI, 1 : « Si qua erunt ex diuerso génère adiuncta,
potius cognationi uerborum quam auditori cdXnmmdiXiii gere-
mus morem ». A l'époque impériale, les substantifs de cette
classe sont souvent préférés par une recherche emphatique
de style. Tacite dit à propos de l'hospitalité chez les Ger-
mains : «Gum defecere (epulae), qui modo hospes fuerat,
monstrator hospitii et comes » {Germ.^ 21) : la même per-
sonne change de qualité, mais monstrator est employé avec
le sens qu'il avait à l'époque classique, quoique l'expres-
sion soit un peu cherchée. Au contraire, une véritable
impropriété est la substitution du substantif au tour verbal :
T. Live dit déjà : corruptores exercitus, au lieu de : ii qui
i. Naegelsbach, Lat. Stilisiik, §54; 7e éd., p. 461.
2. La question n'a pas encore été étudiée.
LE PROGRÈS DE L'ANALYSE DANS LA SYNTAXE 233
exercitum corruperantK L'impropriété apparaît d'abord
chez les poètes, ainsi dans Horace ; le tour nominal était
plus court et plus vif. Elle se multiplie, d'une manière pres-
que illimitée, au iv* et au v" siècle, avec les substantifs de
ce type que l'on crée sans règle ^. La distinction, établie à l'é-
poque classique, est encore effacée par la recherche de l'ex-
pression énergique.
Au terme de cette étude, il est inutile d'en reprendre les
divers points : ce serait en dresser la table des matières. Il
suffit de constater les époques de l'évolution. Dans la litté-
rature archaïque, la distinction du réflexif existe à peine
(indicatif fréquent dans la question et le dise^urs indirects,
après simt qui, qiiid est quod, cum ; constructions à l'accu-
satif et à l'ablatif). La période classique est le moment des
principales innovations ou de la précision dans le choix des
tournures (subjonctif du discours indirect, subjonctif après
sunt qui, cum, etc.). Le mouvement se poursuit au commen-
cement de l'Empire (subjonctif après donec, subjonctif passé
après les conjonctions temporelles, subjonctif de répétition,
génitif du pronom personnel au lieu dupossessif, datif avec des
formes passives quelconques, datif après des verbes com-
posés pris au sens propre, énoncé de l'action par un subs-
tantif en -tor^. Les poètes sont alors de puissants agents pour
la propagation de ces nouveautés et de quelques autres
(accusatif après les verbes de sentiment, datif du but). Il y a
un continuel échange de raffinements entre la poésie et la
prose. L'excès même de la» recherche rend banale l'expres-
sion profonde ou colorée, et, au ii*" siècle de notre ère,
confond les tons et les nuances.
i. ScHMALz, Lat. Gram., ^« éd., p. 433.
:2. H. GoELZER, Lat. de saint Jérôme, p. 54.
J. LOTH
LES MOTS GALLOIS NYF, DEIFIO
ET
L EVOLUTION DE L ASPIREE SONORE LABIO-VELAIRE
DANS LES LANGUES CELTIQUES
LES MOTS GALLOIS NYF, DEIFIO
ET L'ÉVOLUTION DE L'ASPIRÉE SONORE LABIO-YÉLAIRE
DANS LES LANGUES CELTIQUES
Par J. LoTH.
Avant le travail de H. Osthoff* l'opinion courante était que
l'aspirée sonore indo-européenne labio-vélaire guh- évoluait
en b, dans tout le domaine celtique, comme l'occlusive la-
bio-vélaire gu-. C'est la doctrine qui a cours dans VUrkel-
tischer Sprachschatz de M. Whitley Stokes, et la première
édition du Grundriss de Brugmann (I, § 438, p. 328). De-
puis, la théorie d'Osthoff : que gu- évolue bien en ô^mais que
guh- évolue en g, comme la palatale et la vélaire pure aspi-
rées sonores, est généralement admise. L'auteur a cité des
exemples certains à l'appui de sa théorie et a montré qu'au-
cun des exemples qu'on lui a opposés n'était probant. Parmi
ces exemples figure le gallois nyf, neige. Si le mot est sin-
cère, il semble qu'il soit impossible d'échapper à la conclu-
sion que dans certains cas, pour des raisons jusqu'ici incon-
nues, guh- devient b : nyf remonterait à un vieux-celtique
*snïb-: en indo-européen snîguh-. Osthoff, se fondant sur
une communication épistolaire de R. Thurneysen, se débar-
\. Labiovelare média und média aspirata im Keltisclien, Indogerma-
nische Forschungen, IV (1894), pp. 264 et suiv.
238 J. LOTH
rasse de ce mot gênant, en disant que nyf est une tran-
scription savante du latin nwem : d'après Thurneysen, nyf
n'apparaîtrait qu'ww^ seule fois chez un poète assez mo-
derne : il a en vue l'exemple donné parOwen Pughe, Welsh-
Engl-Dict., tiré d'un poète dont le lexicographe donne les
initiales J. gyr.'i A priori, l'emprunt n'est pas impossible ;
le V latin a pu être transcrit, au moyen âge, par v (/ mo-
derne); on peut citer, à l'appui, la forme 0/yâ?r/^ transcription
savante chez Dafyddab Gw^ilym (xiv« siècle) du nom d'Ovide.
Il me paraît cependant probable que le transcripteur eût
écrit, en cas d'emprunt, plutôt niv que nyv : il s'agit d'un
monosyllabe ; une voyelle suivie d'une seule consonne est,
dans ce cas, toujours longue en gallois. Il est vrai, si on le
suppose lettré, qu'il a pu se rendre compte de la quantité
de i de nivem. Ce qui est beaucoup plus grave, c'est qu'il
y a non pas un seul exemple de nyf, mais, avec celui
d'Owen Pughe, quatre, chez des poètes fort connus du xiv^
siècle : il peut y en avoir d'autres ; ce sont, jusqu'ici, les
seuls que j'aie trouvés.
Dafydd ab Gwilym (édit. Cynddelw^, Liverpool, 1873).
P. 10 (en parlant d'une femme) :
Deuliw nyff nis dylai neb
Duaw hon.
« Deux fois plus blanche que la neige (une femme), per-
sonne ne devrait la noircir. »
P. 372 : I brydydd mae'n baradwys *
Morganwg, wyn olwg nyf.
« Pour le poète, Morganw^g (le pays de Glamorgan) est
un paradis, Morganwg à l'aspect blanc déneige*. »
4. A cause de ses maisons blanchies à la chaux, comme il ressort du
contexte.
LES MOTS GALLOIS NYF, DEIFIO 239
L'exemple de Jolo Goch est le plus probant contre l'hypo-
thèse d'un emprunt (édition Ashton, p. 466) :
Eiry nowmjp oerhin Jonawr.
Ici, nyf n'a pas le sens de neige, mais bien d^ ondée ; il
faut traduire : *
« Neige de neui ondées de janvier à la froide température ».
Un pareil sens suffit, à mon avis, pour écarter toute idée
d'emprunt, tandis que je suis persuadé, au contraire, que
dans les autres exemples, le sens de neige a été amené par
un rapprochement fautif avec nivem. Or, ce sens de ngf
(=*smb-) se retrouve exactement dans le vieil-irlandais
snigid, il pleut, il mouille. D'après la loi d'Osthoiï, nyf
=z*snib- supposerait un indo-européen sriigu-, et snigid
= *snige-ti remonterait à sniguh-. On aurait donc un doublet
celtique analogue à celui que présente le grec : vioayiGva xal
y.p-^,vr<v (Hesychius : cf. Osthoflf, ibid., p. 291) = snig^ et vtç-a
=^sniguh-. Ce serait un cas de l'échange entre moyennes
aspirées et moyennes à la fin de la racine (Brugmann, Griin-
driss, I, § 469, p. 348 et suiv.). C'est l'explication adoptée
par Osthoff (pp. 289-291) pour l'irlandais nigim, je lave, et
snigid, en face de yip-^nS-oL^ de v{6a et viç-a. L'explication
est plausible également pour nyf qu'Osthoif a écarté, à tort.
Il y a un autre exemple qui me paraît sûr en brittonique,
de guh- devenant b, c'est le gallois deifio, breton-moyen
deviff, aujourd'hui devi, brûler. M. Whitley Stokes^ a iden-
tifié ce verbe avec l'irlandais daim, je brûle, et donne
comme forme pan-celtique un verbe vieux-celtique, l*"" pers.
du sg. *daviô. Cette identification se heurte à une impossi-
bilité : le gallois deif-io supposera un verbe vieux-brittonique
1. Var. nawnyf. Le nombre de neuf est amené par la croyance à la
vertu de ce nombre (Cf. Loth, Vannée celtique).
2. Urkelt. Sprachschatz, p. 4i2.
240 J. LOTH
*dabiô : de *daino, on eût eu sûrement deiw-. En breton,
tous les dialectes (le vannetais, à ma connaissance, ne pos-
sède pas ce mot) ont v^=h, et ce qui est remarquable, le
trégorrois lui-même qui garde w primitif même flanqué de
voyelles palatales, ce que ne fait pas le léonard. En revanche,
le cùrnique montre w : dewe, brûler, et dywy. Le comique
est seul d'accord avec l'irlandais. Une forme galloise *daib-
ou *deb-, bretonne *deh- remonte sûrement à une toute
autre racine que daii-. Je ne vois guère à pouvoir y être
comparé que dàgh- dans le sanscrit ni-dâghd-s, temps chaud,
v. slavon zega, je brûle (Brugmann, Gnindriss, I, p. 329).
Si on adopte comme racine pour le gallois et le breton
*dh€g\}h-, on remarquera que dans les deux cas contraires à
la loi d'Osthoff, la voyelle est palatale.
La valeur de la voyelle aurait-elle une influence sur l'évo-
lution de l'aspirée labio-vélaire ? ou faut-il recourir à une
explication semblable à celle qui a été indiquée plus haut
pour v(6a ?
Deux remarques de détail : l'irl. nàr, timide, craintif,
remonterait d'après Osthofi" à *nagk?'o-s ; or, ce mot, malgré
la différence de quantité, ne paraît guère pouvoir se séparer
du gallois nar, avorton, nain, qui ne peut se prêter à une
pareille dérivation.
Le comique gioyr, foin (p. 204) est un barbarisme : la
forme du Vocab. comique est guyraf qui donne régulière-
ment en moyen-cornique gorra. Nul doute que le gallois
gwah' ne soit identique au comique gorrà (pour gord)^ en
ce qui concerne le thème. Mais l'évolution de la diphtongue
suppose non ^wèq-ro- mais ^weiq-ro-, et, d'une façon plus
sûre *weig-ro~s.
J. MAROUZEAU
SUR LA FORME
DU PARFAIT PASSIF LATIN
16
SUR LA FORME DU PARFAIT PASSIF
LATIN
Par J. Marouzeau.
Les études qu'on a faites sur la construction latine depuis
l'ouvrage de M. H. WeiP tendent à vérifier ce principe que
l'ordre des mots en latin est libre, et non pas indifférent.
Mais on n'a abouti qu'à des conclusions vagues ou contra-
dictoires quand on a étudié les variations d'ordre dans des
groupes complexes (une proposition, une phrase entière^)
ou arbitrairement définis (mots apparentés par le sens :
deux pronoms personnels, deux démonstratifs^, etc.). C'est
en considérant des groupes ^syntaxiques élémentaires (p. ex.
le groupe substantif-épithète *) qu'on a pu déterminer des
usages ou des règles précises.
L'étude présente portera sur le groupe verbal du type fac-
tus est. L'appartenance des deux termes qui le constituent est
si intime que factus est paraît exprimer une notion unique
tout comme fecit ou fieri (libuit = libitum est) ; et pourtant
chacun des deux termes a gardé quelquefois sa valeur pro-
4. H. Weil, L'ordre des mots dans les lang. anc. comp. aux l. mod.,
Paris, Th., 1844.
2. Ainsi dans l'ouvrage de M. Weil.
3. W. Kâmpf, De pron. pers. usu etcolloc, Berl. Stud. III.
4. A. Bergaigne, La place de l'adj. épith., Mél. Graux, p. 533-543
2i4 J. MAROUZEAU
pre : dans cap tus est, captus put prendre en latin la valeur d'un
participe-adjectif, tandis que est prenait celle d'un présent,
de sorte qu'il fallut un jour, pour reconstituer une forme à
sens de passé, recourir à captus fuit. Cette autonomie rela-
tive fit que, au lieu de se fixer comme cantare habeo qui
donne chanterai^ le groupe factus est resta susceptible de
l'interversion significative est factus.
Or l'hésitation du latin entre factus est et est factus
intéresse non seulement le développement de la langue et
par là l'histoire littéraire, mais aussi la stylistique et la cri-
tique des textes elle-même.
Le latin présente les traces d'une évolution qui tend à
faire aboutir factus est, seul employé dans les plus anciens
textes, à est factus, qui domine déjà dans certains textes de
l'époque républicaine.
La loi des XII Tables et le texte dit S. G. des Bacchanales
n'offrent des exemples que de l'ordre direct factus est. 3 ou
4 exemples seulement de l'ordre inverse est factus se ren-
contrent dans les premières inscriptions de Rome ou d'Italie
(tombeaux des Scipions, inscr. de Paestum, Stabiae). Les
textes osques et ombriens n'en présentent qu'un seul exemple
(v. Pl.,Ig. VII b 2 erom ehiato). Mais des origines au i" siè-
cle, on peut suivre les progrès de l'ordre inverse, malgré la
rareté ou l'état fragmentaire des textes. Caton dans son traité
sur l'agriculture n'emploie l'ordre inverse que 1 fois sur 15
environ, tandis que Varron écrivant sur le même sujet l'em-
ploiera jusqu'à 1 fois sur 3. Entre les deux les fragments des
historiens et des orateurs du n* siècle donnent une moyenne
intermédiaire de 1 sur 10.
Plaute et Térence nous permettent même de mesurer la
rapidité de cette évolution. L'ensemble de leurs œuvres
donne pour l'ordre inverse une moyenne commune de 1 ex.
sur o; or les deux premières pièces de Plaute dont la date
LE PARFAIT PASSIF LATIN 2i5
soit approximativement fixée (Stichits et Cistellarid) don-
nent séparément une même moyenne de 1 sur 7, tandis que
les deux dernières {Poenulus et Truculentus) donnent 1 sur
4 ; de même les trois premières comédies de Térence don-
nent 1 sur 5-6, et les trois dernières 1 sur 3-4 ^
Ainsi jusqu'à la fin de l'époque républicaine l'ordre
inverse apparaît comme une innovation qui tend à triompher
de l'ordre ancien.
A. ce moment l'évolution est brusquement interrompue
par la constitution de la langue classique. Mais les divergen-
ces mêmes qu'on remarque alors dans l'usage courant confir-
ment en quelque manière l'évolution antérieure. L'ordre
ancien devient l'ordre archaïque, l'ordre nouveau paraît
être l'ordre vulgaire.
Ainsi, l'on s'accorde à reconnaître l'influence du parler
vulgaire chez les continuateurs de César ; or ils donnent la
préférence à l'ordre nouveau : « die Stellung des Hilfsver-
bums vor das Participium ist charakteristisch fur aile Caesa-
rianer » (G. Landgraf, Untersuch. zu Caes. und seinen
Fortsetz., Progr. Mûnchen 1888).
On trouve 1 ex. de l'ordre inverse pour 3 de l'ordre direct
dans les premiers livres du de Bello Gallico, et presque 3
pour 1 dans le livre VIII, qui est d'un continuateur de
César ; la proportion d'un ordre à l'autre est donc exacte-
ment renversée.
Contrairement aux vulgarisants, les archaïsants évitent
l'ordre inverse : Salluste dans toute l'étendue de son oeuvre
ne présente pas un seul ex. de cet ordre ; Asinius PoUio,
dont Tacite dit qu'il paraissait avoir écrit cent ans avant son
temps (Tac, DiaL Or., 21; cf. Quint., i. 0. X, 1, 113)
1. En admettant la chronologie de M. Ph. Fabia (Les prol. de Ter.
p. 33 ss.), qui trouve dans ce fait même une confirmation.
246 J. MAROUZEAU
n'en offre pas un non plus dans le texte assez long des
trois lettres qui restent de lui (ap. Cic. Fam. X, 31, 32 et
33). Même observation pour Caelius, un autre archaïsant
(Fam. VIII, 1 et 2). Les deux premiers discours de Cicéron
{pro Qitintio et pro Roscio Amerind) présentent aussi des
traces d'archaïsme ; or on y trouve en infime minorité les ex.
de l'ordre inverse : resp. 1 pour 4, 1 pour 11, tandis que la
proportion est sensiblement de 1 pour 1 dans le reste de
l'œuvre de Cicéron.
Jusque-là il y a donc concurrence entre deux ordres, dont
l'un apparaît déjà comme une survivance.
Le développement naturel de la langue conduisait-il à la
fixation de l'ordre inverse qui sera celui du roman : fr.
fut fait?^. Ce serait là une confirmation du principe de M.
A. Bergaigne (M. S. L. III, Essai sur la construction gram-
maticale, Introd. p. 1-51) qu'il faut souvent chercher dans
une période fort ancienne du latin l'origine des innovations
de la construction romane.
Malheureusement, après Cicéron il est impossible de sui-
vre l'évolution commencée; elle ne se poursuit pas dans le
latin littéraire, qui seul nous est accessible, et l'usage de
Minucius Félix sera le même que celui de Cicéron.
En tout cas jusqu'à Cicéron au moins l'évolution que nous
avons suivie est assez nette pour fournir le cas échéant des
éléments de contrôle dans l'examen de certaines questions
d'histoire littéraire. Par ex. on parle d'une part des vulga-
1. C'est ainsi qu'on voit une autre forme verbale, haheo cognitum, ap-
paraître dans Caton, se développer dans Varron, pour disparaître avec
Cicéron et reparaître victorieusement à la naissance du roman (Ph. Thiel-
mann, Archiv lat. Lexic, II, 1883, p. 334). — Il est vrai que le roman
emploie encore jusqu'au xvi^ siècle la forme pris est, mais exceptionnel-
lement, et pour éviter que l'auxitiaire est ne se trouve en tête de la
phrase, quand le sujet suit ou n'est pas exprimé (cf. G. Grôber, Grundriss
der rom. PhiloL, II, p. 822).
LE PARFAIT PASSIF LATIN 247
rismes (?) d'autre part des archaïsmes de Salluste. Or nous
avons vu que cet auteur s'interdit rigoureusement la con-
struction suspecte de vulgarisme pour n'employer que l'or-
dre ancien. Deux exceptions qui paraissent d'abord contredire
cet usage en démontrent au contraire la rigueur. L'une
{Catil. 3o,4 sum secutiis) se trouve dans une lettre de
Gatilina reproduite textuellement : eorum exemplum infra
scriptum est (Catil. 34,3); l'autre (Ca/îV. 38,6 esset menti-
tiis) est dans le texte d'un décret du Sénat : consulente
Cicérone frequens senatus decernit (Catil. 48,6). Ce n'est
pas là du Salluste, et l'auteur a soin de nous en averlir.
Ailleurs, lorsqu'il fait parler César, Caton, etc., et qu'il ne
prétend pas reproduire des discours réels, il ne renonce pas
plus à ses habitudes de construction qu'à ses procédés de style.
On a donc là une preuve de la sincérité de l'historien et
de son respect des documents, en même temps qu'un signe
de l'importance que les moindres détails de construction
pouvaient avoir aux yeux d'un latin. Au reste la théorie de
l'archaïsme de Salluste se trouve confirmée par cette affec-
tation manifeste d'un procédé qui n'avait été exclusif que
dans les plus anciens textes.
L'usage des Césariens n'est pas moins instructif. D'abord
la comparaison du livre VIII du Bell. Gall. avec le reste de
l'ouvrage ajoute un argument à ceux qu'on donne d'ailleurs
pour prouver l'inauthenticité de ce dernier livre.
C'est là un genre d'argument qui ne suffit pas à établir,
mais qui peut infirmer des démonstrations.
Lorsque M. Landgraf (Untersuch. zu Caesar... Progr.
Mûnchen 1888), voulant établir qu'Asinius Pollion est VdiM-
ieur du Bellum A f?ncanmn, rapproche, p. 3o, pour le démon-
trer, le tour uisiim est (Asinius PoUio apud Cicer. Ep.
Fam. X, 32) de est uisum (Bell. Afr. 25,1) et de est uisa
(ibid, 5,1 ; 42,1), il nous fournit un argument contre sa
248 J. MAROUZEAU
thèse. Bien loin que uisum est soit l'équivalent de est
uisum, au contraire l'ordre inverse est usuel dans le Bell.
Afr., et l'on a vu qu'il est évité par As. Pollion, tout aussi
scrupuleusement que par Salluste.
De même p. 88, n'observant dans les ex. qu'il cite que la
disjonction et négligeant l'inversion, M. Landgraf reconnaît
dans l'ex. B. Alex. 5,1 est fere tota suffossa « eine bei Pol-
lio beliebte Stellung » et renvoie à Ep. 32 conservatum rei
publicae esse, qui est précisément l'inverse. Enfin il n'y a
pas lieu de suivre l'auteur quand p. 62 il se fonde sur B.
Afr. 26, 3 foret subuentum et 52, 4 esset coniectum, pour
reconnaître dans B. Alex. 63,6 esset diremptum « eine
hàufig wiederkehrende Formelhaftigkeit des Ausdruckes
bei Pollio ». Après avoir conclu témérairement du Pollion
authentique au B. Afr., de celui-ci au B. Alex., il est dou-
blement illogique de conclure du premier au troisième. Au
reste les statistiques minutieuses qui ont servi de base à cette
étude sont loin de confirmer la conclusion de M. Landgraf
touchant l'emploi de l'ordre inverse : p. 48 « Dièse Stel-
lung... findet sich zw^ar schon in der àlteren und gleichzeiti-
gen Latinitàt,... auch bei Gicero vereinzelt, besonders in den
Briefen an Caesarianer, aber zur Regel wird sie erst seit
Caesar. » Ce que l'étude comparative des textes antérieurs à
l'époque cicéronienne nous montre, c'est que l'inversion,
qui apparaît comme une exception dans les plus anciens
textes, tend à se généraliser de plus en plus, peut-être sous
l'influence de la langue vulgaire, pour atteindre son maxi-
mum de fréquence au temps de Varron et de César; puis le
progrès, régulier jusque-là, est interrompu brusquement à
partir de Cicéron, et l'emploi de la construction nouvelle,
réglementé par l'usage classique, ne paraît plus subir de vi-
cissitudes jusqu'à l'époque romane, sauf l'affectation d'ar-
chaïsme qui le fait parfois proscrire.
LE PARFAIT PASSIF LATIN 249
La fixation de la langue classique, qui enraye le dévelop-
pement morphologique et syntaxique de la langue, change
aussi les habitudes de construction. L'ordre ancien continuera
de vivre à côté de l'ordre nouveau, et comme il arrive lors-
que de deux formes de langage l'une ne disparaît pas au
profit de l'autre, chacun des deux ordres prendra une valeur
distinctive. Tous deux restant possibles, ils ne pourront être
indifférents. Mais le choix de l'un ou de l'autre cessera
d'avoir une signification historique pour ne garder que la
valeur d'un procédé de style.
La grammaire latine de Haie and Buck (Boston, 1903)
p. 338 observe que « in the compound tenses, the auxiliary
sum may, according to the needsof the sentence, be placed
anywhere without emphasis upon itself ». Encore faut-il
définir ces « besoins de la phrase ». Or, d'une façon géné-
rale, l'emploi de l'ordre factus est paraît répondre au
besoin de définir et de localiser dans le temps l'action expri-
mée par l'élément verbal; l'emploi de l'ordre est factus con-
vient aux cas où, cette action supposée définie, on l'énonce
non pas pour elle-même, mais soit pour en afïirmer la
réalité, soit pour la faire accompagner d'une détermination
essentielle.
En d'autres termes, factus est est réellement une forme
verbale, avec sa valeur temporelle ; est factus n'est pas le
parfait de fio ; il n'est que le rappel de l'idée de fleri.
Quand nous disons: il est mort, mais il est ?7îorten héros —
il s'agit d'abord d'appliquer l'idée de mourir dans le passé à
un sujet donné : c'est le rôle du parfait , mais la seconde
fois il ne faut que rappeler l'idée de la mort dont il a été
question , ce qu'on pourrait faire aussi bien par un substan-
tif : il est mort, mais d'une mort héroïque : c'est le cas
d'employer la forme non verbale est factus.
Quand Cicéron dans le pro Quintio examine deux hypo-
250 J. MAROUZEAU
thèses: ya-t-il eu engagement à comparaître ? si oui, y a-t-ileu
défaut? il s'agit de définir une action passée : ordre direct.
Pro Quint. 28, 86 Docui, cum desertum esse dicat uadimo-
nium, omnino uadimonium rmWnm. fuisse .
et avec une disjonction qui insiste peut-être encore davan-
tage sur l'idée ne l'action exprimée par le verbe :
ibid. 18,56 Quid si... uadimonium omnino... nullum
fuit?... at etiamsi desertum uadimonium esset, tamen...
improbissimus reperiebare.
Dans ces deux ex. il s'agit d'opposer l'idée de fuisse à
celle de deseri. L'orateur veut-il au contraire insister sur les
prétentions de l'adversaire à propos d'un fait connu qu'il
n'est plus essentiel de définir ? Il emploiera l'ordre inverse :
ibid. 14, 48 Quid igitur demonstrat? uadimonium sibi ait
esse desertum.
et avec disjonction :
ibid. 18, 57 Ais esse uadimonium desertum? L'emploi des
verbes affirmatifs ait, demonstrat, montre bien que la
question posée est entre l'affirmative et la négative : esse ou
NON ESSE (desertuni).
Si l'emploi de l'ordre inverse suppose que l'action n'est
plus à définir, c'est que d'ordinaire le verbe qui l'exprime
se trouve déjà dans le contexte antérieur : c'est un type de
phrase fréquent :
Ter. Ht. 627-8... Scio quid feceris : Sustulisti. — Sic est
factum.
Cic. Ep. Fam. XIV, 5, 1 Accepi tuas lifteras, quibus intel-
lexi te uereri ne superiores mihi redditae non essent.
Omnes sunt redditae, diligentissimeque a te perscripta sunt
omnia. (Rem. la différence d'ordre sunt redditae, pres-
cripta sunt.^
Eun. 707-8 Phaedria presse de questions Dorus l'eunu-
que, dont Chaerea a pris le costume. « Meam (uestem) ipse
LE PARFAIT PASSIF LATIN 2ol
induit », explique Dorus (v. 702). Phaedria s'emporte et
insiste :
...Ghaerea tuam uestem detraxit tibi ?
Factum. — Et eas< indutus ? — ^^Factum. — Et pro te Iiqc deductust ? — lia.
En disant « Et east indutus? » Phaedria reprend
« Meam induit » ; en disant « pro te... deductust » il pose
une question nouvelle, sur un point que Dorus n'a pas
encore touché. La différence d'ordre marque rigoureusement
la différence d'emploi.
Il arrive fréquemment que dans ces sortes de phrase le
verbe n'est repris que pour être accompagné d'une déter-
mination importante, qui est le but de la nouvelle phrase :
Eun. 679 ss
...Quis hic est homo ?
— Qui ad nos deductus hodies^. — Hune oculis suis
Nostrarumnum quamquisquam uidit, Phaedria.
— Non uidit ? — An tu hung credidisti esse, obsecro,
Ad nos deductum ?
Dans le premier cas : deductus est, il s'agit de définir le
personnage par le rôle qu'il a joué ; dans le second cas : esse
deductum, on veut affirmer que ce n'est pas lui qui a joué
ce rôle. La traduction « as-tu donc cru que c'était celui-ci
qui?... » montre bien que le but de la phrase est hune et
non deductum.
Enfin par une extension naturelle, c'est encore l'ordre
inverse qui convient, même quand le verbe n'a pas été pré-
cédemment exprimé, si l'énoncé du fait est subordonné à
celui de la circonstance ou de l'attribution : c'est le cas pour
les phrases où le français se sert de la traduction « c'est alors
que..., c'est lui qui... » etc.
Cic, Diu. in Caec. 4, 15 Gur a me potissimum hoc praesi-
dium petiuerunt?... nescio cur hoc mihi detrimento esse
252 J. MAROUZEAU
debeat, si id mihi obiciatur, me potissimum esse delectum.
= que c'est moi de préférence qui.,.
ibid. 5,18 Nam civibvs cwm sunt ereptae pecuniae, civili
fere actione et priuato iure repetuntur.
= quand c'est à des citoyens que...
Comp. l'ordre normal dans renonciation simple:
Ter. Hec. 639 Natiis est nobis nepos
avec l'ordre inverse qui accuse un relief :
Hec. 279... ac si ex me esset nata,
= si c'était de moi que...
De même
Ad. 593 Quod peccatum a nobis ortumst corrigo
avec
And. 689 Quis non credat,qui te norit, absTE esseortum?
= que c'est de toi que cela vient,
et encore :
PI. Poeîi. 888-9
... ut ne enuntiet
Id esse facinus ex te ortum...
En résumé on peut reconnaître pratiquement à l'emploi
de l'ordre inverse trois raisons principales, fondées sur ce
principe unique : que l'ordre direct est réservé aux cas où
le groupe participe-auxiliaire a réellement une valeur ver-
bale.
1" Il s'agit non pas de définir l'action, mais d'en affirmer
ou d'en nier la réalité.
2" C'est une des circonstances de l'action, et non l'action
elle-même, qui constitue l'idée essentielle, le but de la
phrase.
3** L'action a déjà été énoncée dans le contexte antérieur.
Il est superflu de dire que ces règles ne sont pas absolues,
et que les écrivains en font une application de plus en plus
LE PARFAIT PASSIF LATIN
253
libre à mesure que nous voyons croître la fréquence de
l'ordre inverse. Mais dans les textes les plus anciens leur
rigueur est incontestable, et par la suite elles sont d'autant
plus scrupuleusement observées qu'un auteur écrit avec plus
d'art et de conscience.
Sur les 7 exemples de l'ordre inverse que l'on peut relever
dans tout l'ouvrage de Gaton, 5 s'expliquent rigoureusement
par la seule règle 3 :
A. C. 2, 1, opéra qiiae facta...
sient.
25 et 26 Vinum... facito... stu-
deas... légère.
31, l quae opus erunt parentur.
161, 1 locum subigere oportet.
quid operis siet factum... sa-
tisne tempori opéra sient confecta.
ubi erit lectum.
facito iiti sient parati.
ubi erit suhactus.
La rigueur dans l'application des règles se retrouve natu-
rellement chez les puristes soucieux d'archaïsme : dans la
seconde Saturnale, Macrobe n'a qu'un seul exemple de l'or-
dre inverse : quae per tôt dies sunt dicta qui fait suite à
quae tune dicta sunt. Dans le pro Roscio Amerïno, les rares
ex. de l'ordre inverse s'expliquent nettement par l'une des
trois règles énoncées ici^ :
7, 20 cum... nullo negotio sitoc-
cisus.
22, 62 quo tempore maleficium
sit admissum.
26, 72 cui maleficio tam insigne
supplicium est constitutum.
28, 78 a quo sit Sex. Roscius
occisus.
reprend 7, 19 cum... occisus es-
set.
22, 62 multa antea commissa
maleficia.
25, 70 supplicium constituisset
(et) supplicium in parricidas singu-
lare excogitaverunt.
28, 76 Romae Sex. Roscius occi-
ditur.
1. L'ex. 32, 90 Quis tibi non est uulneratus ne comporte pas d'expli-
cation, puisqu'il appartient à une citation et que le contexte antérieur
manque.
254 J. MAROUZEAU
34, 97 cuius manu sit percussiis.
38, llOhosqui simul erantmissi.
48, 139 sua cuique procuratio
auctoritasque est restituta.
reprend 34, 97 non quaero quis
perçussent.
38, 110 ceterorum legatorum.
48, 139 posteaquam... leges...
constituit.
L'une des phrases les plus instructives est la suivante :
33, 92 Vbi occisus est Sex, Roscius? (introduction d'une
idée : ordre direct). ... Quasi nunc id agatur quis... occide-
rit, ac non hoc quaeratur eum qui Romae sit occisus (reprise
de l'idée et du mot : règle 3) utrum uerisimilius sit ab eo
^55^ occismn (relief du complément ab eo : règle 2) qui assi-
duus eo tempore Romae fuerit.
Enfin un examen approfondi de tous les exemples relevés
dans Térence a montré que un cinquième à peine des exem-
ples se refusent à une explication immédiate; encore aper-
çoit-on d'ordinaire aisément l'influence analogique qui justifie
ces exceptions.
S'il est vrai que les raisons de sens invoquées ici aient été
déterminantes dans le choix de l'ordre, on comprend que le
progrès de la construction nouvelle ait dû être interrompu,
au moment même où cette construction allait devenir domi-
nante : c'était un moyen d'expression qu'il fallait ménager
pour éviter qu'il ne devînt banal.
On comprend aussi de quel intérêt peut être l'étude de ce
procédé de style pour l'exacte intelligence des textes. L'or-
dre inverse doit être un avertissement au lecteur, qui lui
signale une nuance, un relief souvent inaperçu, comme peut
le faire dans nos langues modernes soit une périphrase, soit
une répétition, soit même un signe matériel, mot souligné,
imprimé en. italique, etc.
Dans le Phormi07i, parlant d'une promesse d'argent faite à
un tiers, un personnage indifférent dira :
Ph. 703 Interea amici quod polliciti sunt dabunt.
I
LE PARFAIT PASSIF LATIN 2S3
C'est le simple énoncé d'un fait. Mais si le personnage in-
téressé à cette promesse, Phormion lui-même, veut tirer ar-
gument de ce fait pour apaiser son créancier, il insistera sur
la réalité de la promesse :
Ph. 513 Triduom hoc, dum id quod est promissum ab amicis ar-
gentum aufero.
L'acteur doit élever et faire traîner la voix sur est,
comme pour dire : « de l'argent qui m'a bel et bien, qui m'a,
je vous assure, été promis.
Dans l'Eunuque, Thaïs dit à Chrêmes tout ce qu'elle sup-
porte pour lui, et comme il s'étonne, elle lui révèle son secret :
Eun. 745-6
...Quia, dum tibi sororem studeo
Reddere ac restituere, haec atque huius modi sum multa passa.
La phrase n'aura aucun sens convenable si l'on traduit en
faisant de sum passa la phrase principale : parce que, en
travaillant à te rendre... une sœur, j'ai souffert...
L'ordre inverse sum passa nous avertit que le but de la
phrase n'est pas l'idée de patior, mais l'explication conte-
nue dans la subordonnée : « Car c'est en travaillant à te
rendre... une sœur que j'ai souffert ces ennuis... » Aussi
bien n'est-ce pas à un mot de la principale, mais à un mot
de la subordonnée que Chrêmes répond : Vbi east? (soror).
Ailleurs la considération de l'ordre sufïît à nous indiquer
le rôle grammatical d'un mot :
— Si Salluste proscrit absolument l'ordre inverse, nous
saurons d'abord que Cat. 31, 7 ut erat paratus n'est pas le
passif de parare, mais bien le groupe copule -f- adjectif.
— Si l'ordre inverse est très rare chez Lucain, surtout
avec inversion, nous hésiterons à voir dans l'ex. suivant le
passif de possideo :
Ph. II 610 Vrbs est Dictaeis olim possessa colonis,
2S6 J. MAROUZEAU
et nous ne suivrons pas la traduction Nisard : « Cette ville
fut jadis possédée par ... ». L'auteur aurait ainsi l'air d'insister
sur un détail qui est accessoire dans son récit ; le sens doit
être : Il est une ville (jadis occupée par...) qui...
On retrouve la môme construction avec la même indica-
tion fournie par l'ordre dans Gicéron :
De Sign. 46,103 Insula est Melita, indices, satis lato a Sici-
lia mari periculosoque diiuncta.
Pour cette tournure, tout à fait usuelle en latin au début
d'une description, cf. encore Cic, «fe Sz^n. 33, 72 ; Virg.
Aen. I, 441, YII, 170, etc.
Nombre d'exceptions aux règles d'emploi de l'ordre
inverse ne sont qu'apparentes parce qu'on a affaire ainsi à
un attribut accompagné de la copule :
Eun, 24 :
Si id estpeccatum, peccatum imprudentiast
Eloî. 41 :
Nullum est iam dictum, quod non sit dictum prius.
Dans chacun des deux ex., on a d'abord le substantif, et
ensuite la forme verbale. Si est peccatum, est dictum étaient
des passifs, l'ordre inverse ne s'expliquerait pas ; sit dictum
s'explique au contraire normalement par la règle 3), cf.
encore dicta substantif Heaut. 877 comme dictum Eun.
428, relictus adjectif = relucius And. 601, Heaut. 1021 ;
Lucain, Ph. III, 39; habitus Heaut. 402 comme habitior
Eun. 31o, expolitam Heaut. 289, defunctum. Ad. 508,
obiectus Hec. 286, etc. tous exemples où l'ordre inverse ne
s'expliquerait pas s'il s'agissait d'un verbe au passif.
Enfin, une règle qui est utile pour l'intelligence des textes
ne peut pas être indifférente à la critique des textes. Dans
l'ex. de Lucain, Ph. III 39 :
Aut nihil est sensus animis a morte relictum,
LE PARFAIT PASSIF LATIN 257
si l'on considère est relictum comme le passif du verbe
relinquo, on comprend à la rigueur la construction a morte,
la mort étant personnifiée. Mais il n'est pas latin de dire :
mors relinquit animis sensum, relinquere signifie «abandon-
ner » « quitter », comme dans Ph. YIII 59-60 membra
relicta neruis, mais non pas « laisser la jouissance de »
(cf. l'index de l'éd. Francken). Or l'éd. Hosius signale une
glose « a morte et imorte {sic) » . Le barbarisme imorte pour-
rait bien être la trace de la bonne leçon, lectio difficilior, in
morte, qu'un correcteur aurait altérée par un changement
de préposition en pensant donner un complément au passif
apparent est relictum ^
Parfois l'ordre inverse donné par les éditions ne repose que
sur des variantes contestables :
Ter. Ph. 881 :
Denique ego sum missus, te ut requirerem... (Umpf.)
Le sens ne permet pas de rendre compte de l'inversion, qui
est donnée par le seul ms D. C'est une faute qu'on s'expli-
quera aisément en supposant que sum, omis après mzssus (cf.
Eiin. 306 SUM omis dans A après /??'orsus onprorsmi), aura été
rétabli ensuite, selon une tendance ordinaire aux copistes,
immédiatement après son sujet ego.
En revanche, c'est l'ordre inverse qu'il faut, malgré les
éditions, rétablir dans l'ex. suivant :
Eiin. 305-6 :
Vnde is ? — Egone ? nescio hercle, neque unde eam neque quorsum eam :
Ita prorsum oblitus summei.
(éd. Umpf., Dz., Fleck., Fabia). M. L. Havet (Rev. Phil.
1 . On a donc affaire ici à relictus adjectif comme dans Virgile, Georg.,
IV. 127-8,
... cui pauca relicti
lugera ruris erant...
17
258 J. MAROUZEAD
XXX, p. 207) « ne voit aucun motif de ne pas garder
l'ordre » donné par les mss siim ohlùus^ (cf. sum oblitus
And. 841 et esse oblitum And.supp. 2). La considération de
la règle 2 nous conduit en effet à adopter cet ordre : l'idée
exprimée par sum oblitus l'a déjà été par nescio etc. ; elle
n'est reprise que pour être accompagnée de la détermination
significative : ita prorsum = c'est à ce point que...
D'une façon générale, quand les deux ordres sont donnés
par les mss, c'est l'inversion qui se trouve préférable.
Ad. 797 :
Ex te adeo est ortum.
= c'est bien de toi que...
(cf. le même sens et le même ordre, justifié par la règle 3,
dans les ex. cités p. 250). Ici A seul a gardé la bonne
leçon ; tous les mss Calliopiens ont l'ordre direct, avec cette
complication que la famille alphabétique DG remplace or/wm
par exortum, sans doute fausse lecture de est ortum (cf. Ad.
449 ortum devenu dans A exortum après esse^. Le processus
de la faute serait : l'* leçon de l'archétype : est ortum ; —
2** fausse lecture exortum conduisant 3° au rétablissement
de l'auxiliaire : exortum est (leçon de DG) et 4" après cor-
rection ortum est (leçon de PCFEy
Même genre de faute, avec processus moins compliqué,
dans :
Hec. 681 :
Puer quia clam te est natus
OÙ D présente l'ordre direct natus est et :
And. 486 :
Per ecastor scitus puer est natus Pamphilo
1. L'omission de sum dans A s'explique aisément par haplograpliie
dans l'hypothèse d'un ordre prorsum sum oblitus.
LE PARFAIT PASSIF LATIN 259
OÙ deux mss de deux familles différentes G et E ont indivi-
duellement préféré l'ordre direct. Or dans ces deux exem-
ples, il ne s'agit pas d'annoncer une naissance, ce qui suppo-
serait la forme verbale ordinaire natiis est (cf. Hec. 639 :
Natus est nobis nepos) ; on veut insister dans un cas sur une
circonstance de cette naissance (clam te), dans l'autre sur la
qualité du nouveau-né (perscitus puer = c'est un enfant
bien joli qui...); l'ordre inverse est naturel, conformé-
ment à la règle 2.
Quant à l'explication de telles fautes, elle réside dans ce
fait que : 1** les formes monosyllabiques de l'auxiliaire se
présentent parfois dans les manuscrits sous une forme abré-
gée qui se prête aisément à l'omission ; 2° quand un copiste
ou un correcteur rétablit l'auxiliaire, il a une tendance soit
à faciliter la construction en le rapprochant de son sujet (cf.
ci-dessus ego sum missus i>) soit à reconstituer la forme
verbale sous son aspect le plus banal, c'est-à-dire en adoptant
l'ordre direct (cf. ci-dessus les fautes dictum sit, natus est
[bis] ). Dans le même ordre d'idées, les copistes ont encore
une tendance à remplacer les formes disjointes, qui sont
rares, par des formes juxtaposées :
Heaut. 857 :
... frustra sum igitur gauisus...
tous les mss Galliopiens ont : igitur sum gauisus.
Ph. 32 :
... grex motus locost,
la famille alphabétique DG donne : motus est loco.
Enfin l'exemple suivant nous fait prendre sur le fait l'ori-
gine de l'interversion :
Ph. 567 :
Quid ? qua profectus causa hinc es Lemnum, Chrêmes ?
260 J. MAROUZEAU
la seconde main de C ajoute un es à la suite de profectus
pour rétablir l'aspect banal du parfait profectus es.
Ainsi pour reconstituer le processus de l'interversion qui
comme on sait est rarement une faute directe, il faut connaî-
tre la valeur précise des différents ordres. A plus forte rai-
son doit-on en tirer argument pour l'intelligence des textes
qui conduit aux choix des variantes.
Ce n'est pas, bien entendu, qu'on doive chercher dans les
règles énoncées ici un critérium infaillible. En matière de
construction, plus encore qu'en matière de syntaxe, il y a des
cas indifférents, où le sens s'accommodant également bien de
deux emplois différents, c'est une raison d'un autre ordre qui
détermine le choix de l'écrivain : raison de symétrie (paral-
lélismes, chiasme...), recherche de l'harmonie, contrainte du
rythme, etc. ^ Mais ce sont là des explications accessoires,
qu'on ne peut ériger en principes de construction 2.
L'indifférence au point de vue du sens n'est souvent telle
qu'aux yeux des modernes ; à défaut de l'instinct des anciens
nous devons fonder notre jugement sur l'interprétation méthodi-
que des faits, et, ce que l'étude présente doit faire apparaître,
c'est que même dans les cas en apparence les plus simples la sty-
listique aussi bien que la critique des textes doit se garder « du
préjugé encore si vivace de la liberté de l'ordre des mots^ ».
1. Ainsi la facilité qu'offrait au versificateur le choix entre deux ordres
paraît avoir influencé le développement de l'ordre inverse est factus. On
en trouve plus d'exemples dans Plante que dans Gaton, dans les fragments
des tragiques et des comiques que dans ceux des orateurs et des histo-
riens, plus aussi dans les lettres métriques de Cicéron que dans ses lettres
non métriques (suivant la classification de M. H. Bornecque, La prose
métr. dans la corresp. de CfcéroM, Paris, Th., 1898).
2. P. ex. on ne peut pas se déterminer en faveur d'un ordre uniquement
parce qu'il réalise dans la phrase « un parallélisme plus expressif » (Eunuque,
éd., Ph. Fabia, note au vers 41, à propos de dictum sit — sit dictum;cf.
sur ce même passage L. Havet, Rev. PhiloL, XXX, Et. sur Ter., p. 179).
3. L. Havet, Rev. Phil., XXX, Et. sur Ter., p. 185.
A. MEILLET
DEUX NOTES
SUR
DES FORMES A REDOUBLEMENT
DEUX NOTES
SUR DES FORMES A REDOURLEMENT
Par A. Meillet.
I. — Sistô et stetï.
La racine sthâ- fournit au latin deux présents : stô et sistôy
et un perfectum, stetï,
Le présent stô, qui indique l'état, est clair ; il est formé
comme l'imperfectif du vieux slave stajq « je me tiens
debout ». Une forme de ce genre se prêtait bien à indiquer
l'état, car elle rappelait les formations telles que ac-cubâre
en face de ac-cumhere, lauâre « se laver » en face de laiiere
« laver » (v. Jacobsohn, K. Z, XL, p. 113 et suiv. ; L.
Havet, Arch. f. lat. Lex., XV, p. 153 et suiv.). — La for-
mation de stô est tout à fait différente de celle de dô, comme
le montre le contraste entre stàmus et dâmus, stâre et dàre,
etc. ; la longue de dâs et de dà résulte d'une règle générale,
justement enseignée par M. L. Havet, règle d'après laquelle
un mot latin monosyllabique, qui est autonome et non en-
clitique ou proclitique, a nécessairement sa voyelle longue,
à moins que les règles générales de la langue n'y contredi-
sent comme dans dât (cf. stàt). Le présent dô repose donc sur
*dd-, degré vocalique qui se retrouve exactement en armé-
264 A. MEILLET
nien dans tant a je donne », tandis que stô est un ancien
thème en *-ye- ; le thème du présent à redoublement
attesté par l'indo-iranien, le slave (v. si. dastû « il don-
nera ))), le baltique (v. lit. dûstî) et le grec ne se retrouve
pas en latin, pas plus qu'en germanique (où il y a un autre
verbe : got. gibarî) et en celtique. Le second terme des for-
mes à préverbes condô, èdô, etc. et de crèdô repose de
même sur "^dhe-, comme il résulte de condïmus, êdimiis,
crèdimus, etc., avec passage secondaire au type thématique ;
il ne faut pas partir du thème à redoublement attesté par
skr. dàdhâti, gr. tiOy^œi, v. lit. desti ; car, là où il y avait
en latin un redoublement, à savoir au perfectum, il s'est
maintenu dans ces conditions : êdidl, condidï, crédidîy etc.
Les deux présents athématiques à redoublement qui sont
communs à l'indo-iranien, au grec et au balto-slave ne se
retrouvent donc pas en latin, non plus que dans les deux
autres dialectes occidentaux qui se groupent avec lui : le ger-
manique et le celtique ; tout au plus certains dialectes
germaniques peuvent-ils avoir trace du présent redoublé de
*dhé- dans certaines formes du prétérit.
Le lat. sistô, qui est le présent indiquant l'action, est un
présent à redoublement, mais thématique. Et son caractère
de forme thématique n'est pas nouveau, car il concorde avec
le skr. tUthati et le zd histaiti, qui sont également thémati-
ques. Il est vrai que le grec a une forme athématique:
dor. l'axâpi,'., ion. att. îffTYjpi.'. ; mais il est isolé; carie v.
h. a. sestôm est un verbe faible qui peut reposer sur un élar-
gissement avec le suffixe *-ye-. Si la forme thématique de
skr. tUthati et de zd histaiti n'est pas de date indo-euro-
péenne, on ne voit pas comment elle pourrait s'expliquer ;
car les autres présents comparables n'ont pas passé du type
athématique au type thématique en indo-iranien. D'ail-
leurs, là où il s'agit de formes athématiques anciennes, le
DEUX FORMES A REDOUBLEMENT 265
latin n'a pas conservé le type à redoublement ; il a d'une part
dat^ en face de gr. SiBwœi, de l'autre facit et iacit, en face
de gr. tiÔYîŒi et Itîœ'.. Mais en revanche il a bibit en regard de
V. irl. ibid et de skr. pibati, aussi thématiques. Et l'on n'a
aucune raison de croire que serit « il sème » (qui n'a rien
à faire avec gr. ryjai, v. Osthoff, Et. Parerga, 197) repose sur
une ancienne forme athématique plutôt que sur *si-S'^/o-. Si
la forme *sisthâ~ de laTYjfjLi n'est pas secondaire et refaite d'après
le type zi^r,\x{, etc., ce n'est donc en tout cas qu'une forme
concurrente du thématique *sisth^lo-, et limitée à une petite
partie de l'indo-européen.
Du coup on s'explique la forme de l'initiale du redou-
blement qui caractérise lat. sistô, ombr. seste, zd histaiti,
et aussi gr. h':r^^v. et v. h. a. sestôm. Seule, la sifflante ini-
tiale de la racine y est répétée ; mais il n'y a pas de conclu-
sion générale à tirer de là ; car la forme est trop évidem-
ment suspecte d'être analogique des présents thématiques
à redoublement tels que : lat. gignô, grec Yiyvojjiai ; lat. sldô,
grec. rÇco, skr. ^Wa^z (altéré de *sïdatï)\ skr. jighnate; gr.
'((sy^iù ; ixi\K^iù ; TixTO) ; etc. Dans les présents de ce type, la
voyelle du redoublement est précédée de la consonne de la
racine, qui est simple, et suivie d'un groupe de consonnes:
*si-sth-e- (racine *st/iâ-^ a une structure phonétique toute
pareille à celle de *si-zd-e- (racine *sed-). On n'oubliera pas
que les notions de « se mettre debout » et « s'asseoir » se
groupent naturellement; le slave suffirait à l'indiquer (v. M.
S. L., XIV, p. 388). Le skr. tisthati est isolé, et s'explique
sans doute par l'influence du parfait tasthaû. Aucun autre
exemple ancien ne permet de déterminer quelle était la
règle indo-européenne pour le redoublement d'un groupe
du type s plus occlusive au présent. L'exemple sistô n'en-
seigne rien puisqu'il a toutes chances de reposer sur une
action analogique provenant du type sidô.
266 A. MEILLET
Au perfectum latin, le groupe s plus consonne est entière-
ment repris dans le redoublement: scicidï, stetl, spopondl.
Le contraste avec le présent sistô est absolu ; et l'on ne voit
pas ce qui justifierait une différence générale de structure
dans l'initiale consonantique du redoublement entre le pré-
sent et le parfait. — A en juger par les manuscrits d'Aulu-
gelle, Accius aurait employé une forme sesrAderat, du type
de sistô ; mais les manuscrits de Priscien citent le même
passage avec la forme sciciderat, et c'est sans doute simple-
ment sceciderat qu'Aulu-Gelle avait en vue (v. Neue-Wa-
gener, Formenlehre ^,111, 345). Il n'est pas licite de supposer
la persistance en latin d'un ancien aoriste à redouble-
ment, qui serait sesciderat, et d'un ancien parfait, qui serait
scïciderat, sur la foi de cette unique variante. — Mais la
forme du perfectum stetï semble ancienne, et toutes ses par-
ties s'expliquent immédiatement.
On en retrouve l'équivalent exact dans une autre langue
du groupe occidental de l'indo-européen, le germanique :
got. staistald, skaiskai^. L'osco-ombrien et le celtique ne
fournissent pas d'exemples, de sorte que le latin et le gotique
sont les seules langues qui offrent ici un témoignage sur
l'état indo-européen occidental.
On enseigne assez généralement que, si une racine com-
mence par un groupe de consonnes, le redoublement est
réalisé au moyen d'une seule des consonnes du groupe. Cette
doctrine n'est démontrée que pour un cas particulier, celui
de occlusive (ou sifflante) plus sonante consonne : gr. xéxpcça,
skr. dudrôha, got. faiflok, v. irl. ro cw«/« (l'irlandais échappe
en partie à cette règle si l'on admet la doctrine de M. J.
Vendryes sur dî^ebraing^Rev. celt., XXVIII, p. 345 et suiv. ;
mais la forme est obscure, et tous les autres prétérits irlan-
dais à redoublement confirment la règle indo-européenne).
Il n'y a pas ici un principe qu'on ait le droit de généraliser ;
DEUX FORMES A REDOUBLEMENT 267
on est simplement en face d'une conséquence d'un type de dis-
similation normal : *tre-trâ- aboutit à *te-trâ-, *ple-plâ-, h^pe-
plâ- et ainsi de tous les cas comparables; la dissimilation a beau-
coup troublé les formes du redoublement en indo-européen,
ainsi que l'a montré M. Grammont, Dissimilation consonan-
tiqiie, p. 162 et suiv. (cf. M. S. L., XIII, 33). — Le type
tout semblable de occlusive plus s n'est clairement attesté
qu'en indo-iranien, notamment skr. caksadé ; il s'explique
de même par des dissimilations ; car s est parfaitement
sujette à disparaître par dissimilation, et M. Pernot en a
donné quelques bons exemples pour les parlers grecs mo-
dernes, Rev. d. et. gr.^ XVIII, p. 236 et suiv., et ensuite
Phonétique des parlers de Chio, p. 4o4 et suiv. — Dès lors,
il ne faut pas dire, avec M. Hirt {Hdb. d. gr. L. u. F. lehre^
§ 465, 4, p. 408), que les groupes sk, st, sp sont traités
comme des consonnes simples ; on constate seulement que,
dans le domaine proprement occidental de l'indo-européen,
ces groupes ne présentent pas de dissimilation comparable à
celle qu'on observe dans les groupes initiaux du type occlu-
sive plus sonante consonne ou occlusive plus sifflante.
Le type sanskrit bien connu de caskdnda, tasthaù, pa-
sprdhé, etc. suppose une forme ancienne du type latin et
gotique. L'absence de sifflante initiale comporte deux expli-
cations, dont l'une n'exclut pas l'autre. D'une part, il existe
en indo-européen une alternance de s plus occlusive : occlu-
sive simple, ainsi dans spaç-, spastàh : pdçyati. De l'autre, la
sifflante initiale a pu être éliminée par dissimilation ; si la
dissimilation n'a pas suffi à entraîner l'élimination de 5, la
répugnance, qui existe presque toujours à quelque degré,
contre la répétition dans un mot d'un même mouvement
articulatoire a pu être la circonstance favorable qui a déter-
miné le triomphe de tasthaû sur un doublet ancien *stasthaû :^
de deux formes possibles, la langue tend à préférer, tputes
268 A. MEILLET
choses égales d'ailleurs, celle qui est la plus satisfaisante au
point de vue phonétique. On en a des exemples innombra-
bles ; par exemple, le grec préfère, comme l'a vu M. F. de
Saussure, les formes qui ne comportent pas succession de
trois brèves. — L'Avesta ne fournit guère d'exemples sûrs
qui permettent d'accorder ou de refuser une antiquité indo-
iranienne au type sanskrit ; dans la racine *sthâ-, le pré-
sent histaiti a pu déterminer la forme du redoublement du
parfait; l'influence du présent se traduit dans la voyelle
même du redoublement pour avahista et frahista ; elle est
moins évidente dans zd vi-sastara ; on a de plus un exemple
de hisidyât (cf. skr. chid-).
Le grec n'est pas plus décisif que lezend. Il présente, il est
vrai, soTYjxa. Mais la forme du redoublement de £jTr,xa
peut être imitée de celle de I'œtyîixi. Et il n'est même pas cer-
tain que l'esprit rude n'y soit pas dû au a suivant ; en effet,
M. Sommer, Griech. Lautstud., p. 119 et suiv., a reconnu
que l'esprit rude de Taxcop et de èaxépâ tient au a suivant ; cet
effet de s concorde avec ce que l'on observe dans le dévelop-
pement de l'iranien (v. Hûbschmann, Pers. Stud., p. 264 et
suiv. ; Horn, dans Grundr. d. iran. PhiL, I, 2, § 28, 4, p.
67, et§ 42, 8, p. 97) ; l'addition de l'esprit rude a lieu de-
vant t et £, mais non devant a, comme le montre àjTu (que
M. Sommer explique arbitrairement par l'influence de
(ZYpoç) ; dès lors âcjxoç ne prouve pas que la présence d'un
ancien F soit nécessaire à l'introduction de l'esprit rude ;
oŒiéov prouve que le fait n'a pas lieu non plus devant o, etècxt
qu'il n'a pas lieu dans les enclitiques (lait peut être d'après
âaTi enclitique). — Les autres exemples prouvent peu; en
général, le grec a è- en guise de redoublement quand l'ini-
tiale est un groupe de consonnes. Les exemples tels que
àç£aTaX{i.ai sont en général récents (v. G. Meyer, Griech.
Gramm. % p. 326), et peuvent s'expliquer par le a suivant.
DEUX FORMES A REDOUBLEMENT 269
Il demeure donc malaisé de déterminer d'une manière
tout à fait certaine l'état indo-européen commun ; mais la con-
cordance du latin et du gotique indique du moins quelle
était la situation pour le groupe de dialectes d'où sont issus
l'italique et le germanique : le st- du latin stetl est sûre-
ment une forme dialectale indo-européenne, s'il n'est pas
une forme indo-européenne commune.
Si le st- initial du lat. stetï et du got. staistald s'est si
longtemps maintenu, c'est que l'élément initial de la racine
avait subi une altération par dissimilation . Aussi longtemps
que le sentiment de la racine demeurait vif et que l'initiale
du mot n'avait pas une valeur spéciale, c'est l'initiale de la
racine qui était l'élément important du mot, et le redouble-
ment pouvait subir toutes les réductions ; c'est ainsi que le
sanskrit a tasthaû et que le grec a tendu à substituer un
simple è- à toutes les formes de redoublement devant les ra-
cines à initiale complexe. Mais, dès que le sentiment de la
racine s'atténue et que d'autre part l'initiale prend une valeur
particulière, la débilité spéciale à la position intervocalique
se fait sentir, et l'élément initial de la racine, qui est néces-
sairement intervocalique, tend à s'affaiblir et subit des
réductions. C'est ce que l'on observe, sous des formes
très diverses, en latin et en germanique ; et ceci semble
indiquer que la valeur spéciale des initiales qui caractérise
ces langues serait de date assez ancienne.
En latin, Vs intérieure a été éliminée par l'effet combiné
de la débilité des intervocaliques et de la dissimilation ; la
chose est universelle, et l'on a stetï, scicidl, spopondï, sans
aucun exemple contraire. Des changements semblables ont
eu lieu en grec et en irlandais. En grec, ils n'atteignent à
date ancienne que le groupe --p/-, dont l'articulation guttu-
rale est supprimée en position intervocalique par l'action
270 A. MEILLET
dissimilatrice d'un y- initial ; en regard de att. yiyvopiai,
Yiyvwoxo) , on a ainsi en ionien et ailleurs yivojAai, Y^^^^^axw;
ces formes sont très anciennes et figurent déjà dans le texte
homérique à en juger par les manuscrits ; ce sont celles que
la xoivr^ a généralisées (v. G. Meyer, Griech. Gramm.^, § 279,
p. 364; Brugmann, Griech. Gramm.^, §84, 6, p. 107; Hoff-
mann, Griech. DiaL, II, 391 ; III, 373); les vibrations
vocaliquesde la nasale gutturale du groupe nn (noté par yv)
se sont ajoutées au i précédent et l'ont allongé. Un exemple
postérieur, de type un peu différent, est celui de *àY^Y®x^
qui a donné oL^-t^oyji dans la xoivyj (v. Mayser, Gramm. d.
gr. Papyri, L. u. F. lehre, p.| 338); à l'action de la dis-
similation et de la position intervocalique s'ajoutait ici la
débilité qui caractérise les spirantes ; car le y était devenu
spirant; le y qui a disparu était la seule des trois gutturales
du mot qui pouvait être atteinte ; car la forme devait néces-
sairement commencer par hy- et présenter l'aspirée y qui ca-
ractérise le parfait. — L'irlandais a des faits pareils, mais
d'une manière beaucoup plus étendue ; car tous les groupes
du type occlusive plus liquide ou nasale sont atteints, et
l'occlusive intérieure s'y amuit : ro ciiala « j'ai entendu »,
ro gîuil « il s'est attaché », ro gènar « je suis né », où l'on
voit cl passera /, glk l, gn k n (v. Vendryes, Gramm. d.
V. 2V/.,§341, p. 178 et suiv.). Le futur à redoublement
présente naturellement les mêmes altérations, d'où : bèra,
cela, dèma, gêna, géra, mèra, sema, scëra, etc. (v. Ven-
dryes, /. c, § 334, p. 175); on voit que la sifflante s s'a-
muit comme une occlusive, et produit les mêmes effets
d'allongement ; toutefois, on a aussi au futur à redoublement
des formes telles ç\\xQ-cechlathar, -cechra, -didmat, -gi-
gned ; les raisons de cette différence de traitement ne sont
pas connues. — Les faits grecs et irlandais sont du même
type que l'élimination latine de s dans lat. stetl, etc.
DEUX FORMES A REDOUBLEMENT 271
Les dialectes germaniques présentent aussi une altération
de l'élément intervocalique du parfait à redoublement, mais
sous une forme différente. Au premier abord, l'altération
ne se traduit par rien dans la graphie de got. staistald,
skaiskai^, où redoublement et racine ont les mêmes groupes
graphiques st, sk. Mais la forme ai de la voyelle du redou-
blement dénonce une altération de la consonne suivante ; en
effet ce ai repose sur un *e germanique commun, indiqué à
la fois par e des autres langues indo-européennes (type skr.
cakdra, gr. XiXc'.-x, lat. cecinî, v. irl. cechan) et par c des
autres dialectes germaniques (v. isl. sera, v. angle reord,
etc.). Or, un i germanique ne passe à ai en gotique que
dans des conditions phonétiques déterminées, à savoir de-
vant A et r ; on a aussi ai en hiatus dans saian , etc ; mais
nulle part ai notant e ouvert n'est dû à une action analo-
gique ; il n'y a aucune raison qui expliquerait pourquoi le
ai de haihait, -rairO'^, -aiaik, aiaiik se serait étendu par
analogie dans maimait, skaiskai^, faifrais, lailaik, saizlep,
gaigrot, taitok, saiso, etc. ; le ai de toutes ces formes ne
peut être que phonétique; il dénonce donc une altération,
non définie, de l'élément consonantique médian. Malheu-
reusement les autres dialectes germaniques n'enseignent rien
d'une manière immédiate sur la valeur de ces consonnes
gotiques ; en effet le type n'y est maintenu que dans des con-
ditions différentes de celles du gotique: l'islandais a sera,
snera et rera ; le vieil angle a heht, leolc, reord, leort, où
la consonne initiale de la racine se trouve devant consonne.
C'est seulement d'une manière indirecte que les autres dia-
lectes pourraient éclairer les faits gotiques.
On sait que, en Scandinave, en dehors du type v. isl. sera,
et en germanique occidental, à part les formes citées du
vieil angle, des prétérits caractérisés par des alternances
vocaliques spéciales, mais sans redoublement visible, répon-
272 A. MEILLET
dent aux prétérits à redoublement du gotique. Ces formes
ont été souvent discutées, en dernier lieu par MM. Hoffmann
(Pépaç, en l'honneur de Fick, p. 33 etsuiv.), Loewe (K. Z.,
XL, 316 et suiv.), Janko (I. F., XX, 261 et suiv.) ; mais le
point de départ indo-européen est trop incertain, les possi-
bilités d'explications trop multiples et les formes attestées
trop tardives et déjà trop altérées pour que le problème ad-
mette une solution déterminée. Deux types d'explications
sont en présence. D'après l'un, les formes sans redouble-
ment auraient perdu le redoublement par suite de dissimi-
lation (à quoi il faut ajouter l'effet de la position intervoca-
lique : la cause est complexe) ; d'après l'autre, il ne s'agirait
que de faits d'alternance vocalique. Il est malaisé de choisir
entre les deux théories. Il est certain que le type gotique
dénué de toute alternance n'est pas ancien et résulte d'une de
ces normalisations qui caractérisent éminemment le gotique ;
une forme comme v. isl. hlupom montre qu'il y a eu des
alternances vocaliques entre le singulier et le pluriel dans
le type du prétérit à redoublement ; et v. angle leorton par
exemple s'explique bien en partant de ^le-lt-iin, ancien
^le-hd-nt, avec la chute du *^ intérieur qui est de règle en
germanique (type got. dauhtar^ en regard de skr. duhitdr-) ;
de même r^or</o/i, kcoièàe râedan, (pn)dreordon à côté de
{on)drâedan ; les formes telles que v. angle heht, en face
de got. haihait, seraient analogiques de ce type. Ceci une
fois reconnu, on est obligé de choisir entre deux partis ar-
bitraires : poser, avec M. Janko, pour expliquer le type
* hë^t^ un type à voyelle longue radicale intonée d'une ma-
nière spéciale, type dont aucune langue ne fournit le corres-
pondant ; ou admettre, avec M. Loewe, une loi de
dissimilation des intervocaliques qui explique le passage de
*hehait à *hé^t par contraction successive à la chute de h,
loi de dissimilation qu'aucun exemple n'appuie en dehors
DEUX FORMES A REDOUBLEMENT 273
du cas du redoublement. Plusieurs considérations militent
cependant pour la seconde hypothèse : elle permet de main-
tenir l'unité de type qui caractérise fortement le germanique,
et de ne pas poser des formes dialectales trop divergentes,
et elle rend compte du ai du redoublement (Jans got. taitok,
etc., puisque la consonne intervocalique aurait été à la veille
de disparaître dans ces formes. Le redoublement s'est en
somme maintenu partout où les conditions spéciales de la
chute de la consonne intervocalique par dissimilation n'é-
taient pas remplies ; et il s'est conservé dans les autres cas,
c'est-à-dire là où la consonne était devant consonne (type v.
angle reord^ et par analogie, leolc), ou bien là où elle n'é-
tait pas anciennement en syllabe intérieure, mais introduisait
la syllabe finale (ce qui constitue une situation tout autre),
comme dans v. isl. i^era et dans v. sax. deda.
Si l'on admet que */e/é/ a passé phonétiquement à v. isl.
lét, V. angl. lét. V. sax. lèt, v. h. a. leaz, l'affaiblissement
de la consonne intérieure, déjà indiqué parle «i de got. lai-
lot est plus grand en germanique que partout ailleurs, et
l'altération du st intérieur du lat. stetï trouve dans la plu-
part des dialectes germaniques un parallèle particulièrement
net.
II. — Sur reppen, rettulî, etc.
Tous les manuels s'accordent à reproduire, sur la consonne
géminée de ces formes, l'opinion déjà indiquée par Priscien :
il s'agirait de formes syncopées dans lesquelles transparaî-
traient encore les deux consonnes des simples : tetull, pe-
perly etc. (v. Stolz, Lat. Gramm.^, p. 172 ; Lindsay-Nohl,
Die lat. Spr., p. 578 ; Sommer, Handbuch, p. 592; Brug-
mann, Grundr., IP, p. 1239 ; P, p. 215 ; Niedermann, Pho-
nét. historique, p. 34). MaisM. G.Giardi-Dupré (BB. XXYI,
-18
274 A. MEILLET
2H, n. 4) et M. Vendryes {Intensité initiale, p. 230) ont
indiqué ce que la syncope avait ici de douteux. M. Ciardi-
Dupré part avec raison de la forme red- du préverbe, sûre-
ment attestée devant voyelle (reâfeô^ redigô, redimô, rediindô,
etc.) et même devant consonne (reddô), mais sans tirer les
conséquences de son hypothèse. M. Osthoff, Et. Parer ga,
I, 42 et suiv., a montré en même temps que red- pouvait
être admis comme l'unique forme ancienne de re- ; l'étymo-
logie de ?'ed est malheureusement inconnue.
On conçoit bien que la consonne géminée d'anciens *rep~
pellô, *rettimdô se simplifie et qu'on ait repellô, retundô :
c'est le cas connu de omittô ; on conçoit aisément que rep-
puli, rettudl, rettull aient subsisté : le maintien de la
géminée est conforme à la règle. On conçoit aussi que l'on
ait également recidô eirecîdîen partantde *reccïdô, *reccïdi.
En revanche, on doit avoir et l'on a en efifet reccidô comme
reccidl ; les conditions étant les mêmes au perfectum et à
l'infectum, le traitement doit être le même (sur les faits ve-
hûhk reccidô, reccidï, v. Neue-Wagener, Formenlehre^ , III,
p. 367; M. L. Havet, Phaedri fahulae, p. 213, signale
chez Phèdre un cas certain de reccidat, par exemple). Mais
d'où vient le contraste entre reperiô et repperi ? Il y a une
syllabe brève après le p dans les deux cas : il faut que la
différence de longueur du mot joue un rôle, et que -periô,
avec ses trois syllabes dont les deux premières sont brèves,
se comporte comme -pellô, -tundô, -cldô. Dès lors des formes
telles que repperit, repperimus ; reppulit, etc. pourraient
bien être analogiques de repperï, reppuli : la consonne gémi-
née caractérisant le perfectum par opposition au présent a été
généralisée. Dans reccidô, reccidl, il n'y avait pas d'opposi-
tion entre le perfectum et l'infectum, et c'est ce qui fait
qu'on trouve à la fois recidô (d'après recidimus par exemple)
et recidï (d'après recidimus, recidërunt).
DEUX FORMES A REDOUBLEMENT 275
Si l'on examine les formes, on voit que la consonne gémi-
née devait être éliminée soit par la règle de repellô (type
ofella en face de offct)^ soit par celle de reperiô. Ce qui
ne s'explique pas directement s'explique par l'analogie, ainsi
reducem d'après redux et redûcô, redûxï ; refera d'après
refers, referimus\ refugus d'après réfugia, refûgl ; recipis
d'après recipiô, recèpi, receptus ; etc. L'analogie peut très
bien généraliser une forme à géminée simplifiée ; c'est ce qui
est arrivé pour le verbe cacâre: beaucoup de formes, et
notamment l'infinitif cacâre^ sont phonétiques ; mais au lieu
de caco, cacâs, on attendrait *caccô, "^caccàSy d'après irl.
caccaid,§T. xay.x5v ; la forme Câ^cô est donc analogique d'après
cacâre, etc. Certains mots de ce genre n'ont sans doute été
formés qu'en un temps où l'on avait le sentiment que le
préverbe était re- devant consonne, recoquô par exemple.
Mais le souvenir de l'ancienne gémination s'est longtemps
maintenu dans des licences poétiques : Lucilius écrit rellic-
tus, et Cicéron relliqul ; et le // a permis a la poésie dacty-
lique d'introduire dans les vers : relligiô, rellicuos, relli-
quiae, au lieu des formes usuelles inutilisables pour elle :
religiô, relicuos, reliquiae ; ce sont des formes artificielles,
exactement comme indiiperâtor . Si red- avait existé isolé-
ment comme par exemple ad-, les géminées auraient été
maintenues et même généralisées par le sentiment étymolo-
gique, et l'on aurait *refferô comme afferô, ^reccipiô comme
accipiô, par exemple ; mais red- n'avait pas d'existence au-
tonome ; et, au lieu de tendre à la restauration des conson-
nes géminées que la phonétique simplifiait, l'analogie a,
pour red-, détruit la plupart des géminées qui avaient
subsisté phonétiquement.
On pourrait être tenté d'opposer à la règle de reperiô le ce
de accipiter; mais, quelle que soit l'étymologie de ce nom, il
y a eu un rapprochement avec accipiô, (v.Walde, Et.
276 A. MEILLET
Wôrt., SOUS, accipi ter ; pour une influence de accipiens sur
accupensevy cf. Schuchardt, Z. /. ro7n. Phil., XXXI, 652),
et ceci suffit à justifier le ce.
Seul, le y géminé a échappé à la simplification ; et l'on a
à l'époque classique réiciô, rëiécï, c'est-à-dire reiiiciô reiièci
(comme maiior, meiiô, etc.).
L'abrègement de la consonne dans ^reppariô donnant ?t-
^môetles cas analogues n'est qu'un cas particulier de l'abrè-
gement du commencement des mots longs qui a déjà été
signalé dans les Mémoires de la Société de linguistique ,
XIII, 26 et suiv. (avec renvoi bibliographique à MM. Gré-
goire et Rousselot).
Il résulte de ces observations que la chute du redouble-
ment dans les formes à préverbe doit s'expliquer par une
haplologie; le seul argument en faveur de la syncope était
la consonne géminée de reppuli, etc. ; cet argument écarté,
l'haplologie apparaît comme la meilleure explication. Il ne
pouvait y avoir haplologie à l'initiale du mot dans pepulï, pe-
perl, etc._, à cause de la valeur spéciale de la syllabe initiale
latine, valeur que M. L. Havet a mise en pleine évidence
dans son article capital du volume VI des Mémoires de la
Société de Linguistique. L'haplologie ne se produisait que
dans le cas où les deux syllabes en cause, celle du redouble-
ment et celle de la racine, étaient dans des conditions com-
parables, toutes deux à l'intérieur du mot. En passant de la
syllabe initiale, où il était en pleine évidence, à la position
intérieure, si débile en latin, le redoublement subissait une
telle déchéance que sa disparition par l'effet de l'haplologie
en résultait immédiatement. Ici, comme en tant d'autres cas,
le- changement linguistique ne résulte pas d'une cause
unique, mais d'un ensemble complexe de causes. Il n'y
a pas eu non plus haplologie là où l'une des deux syl-
labes était intérieure, et l'autre finale, c'est-à-dire dans
DEUX FORMES A REDOUBLEMENT 277
le cas de condidï, reddidl, crèdidl, etc.; seulement le
sens du redoublement s'est alors perdu d'assez bonne heure,
si bien qu'on a fini par former le type ascendidï, etc., qui
est attesté déjà en latin et qui a eu une assez grande fortune
dans les langues romanes.
Il n'y a donc aucune trace de redoublement dans rettuli,
repperl, etc. Tout redoublement a été éliminé dans les for-
mes suivies d'un préverbe, à la seule exception du type con-
didl et combibl^ et de quelques cas où il a été rétabli parce
que le préverbe avait le caractère d'un adverbe (type^r«e-
cucurrî) ou que le redoublement était indispensable pour
caractériser le perfectum (type èdidici, expoposct). Et c'est
pour cela que, de très bonne heure, les formes trop peu
claires ont été remplacées par des formes nouvelles : oc-ci~
nul (d'après sonui) en face de cecinl (l'ombrien a de même,
sans redoublement, procaniireni)^ compègi (d'après -fringô,
-frégî) en face de pepigï^ compunxi en face de piipugl,
praemorsisset (chez Plante) en face de momordl, etc.
Les formes repperi, rettull, etc. n'enseignent rien sur le
perfectum latin à redoublement, dont on a vainement cher-
ché à y retrouver la trace ; et, si l'on n'a pas *repperw comme
repperi, c'est par suite d'une simplification phonétique de
la géminée.
Notes de correction.
l. P. 27"2, 1. 2 etsuiv. A la bibliographie relative aux verbes germaniques
;i redoublement, il faut ajouter maintenant: Feist, dans PBB., XXXII,
117 et suiv. et W. van Helten, I. F., XXIII, 103 et suiv. A l'hypothèse
d'une chute de la consonne initiale de la racine par l'influence combinée
de la position intervocalique et de la dissimilation dans le type *hehait
donnant *he't-, on ne saurait opposer le maintien de la consonne inté-
rieure dans V. isl. sera, v. angl. dide, etc., comme le fait M. Feist, l. c,
1 . 46'2 et 498; car le cas d'un ancien trisyllabe comme got. haihait et
278 A. MEILLET
celui d'un ancien dissyllabe comme got. saiso, v, isl. sera ne sont pas
exactement comparables (cf. le maintien latin du type condidl ).
2. P. 275. — M. Bornecque est amené à reconnaître des scansions telles
que reqquirit, rettinuit, etc., dans quelques passages de Gicéron; v.
Clausulcs métriques latines, p. 244, 244, 264. Ces scansions doivent être
tenues pour analogiques d'exemples comme reccïdô.
Charles MICHEL
NOTE SUR UN PASSAGE
DE JAMBLIQUE
NOTE SUR UN PASSAGE DE JAMBLIQUE
Par Charles Michel,
On a signalé souvent les aftinités de la philosophie pytha-
goricienne avec l'orphisnae. La ressemblance avait déjà
frappé les anciens^ et récemment M. S. Reinach, en indi-
quant le premier quelques similitudes nouvelles entre les
deux doctrines, disait avec raison : « On peut prouver que
les Pythagoriciens n'ont fait dans ce cas [il s'agissait de l'in-
terdiction du suicide] comme dans d'autres que donner une
forme littéraire aux enseignements de l'orphisme ^ » .
Par de là l'orphisme, c'était aux plus vieilles croyances
animistes des religions orientales et du folk-lore que remon-
tait ainsi Pythagore et, souvent, sans doute. Orphiques et
Pythagoriciens ont puisé indépendamment à cette source
commune.
Les rapprochements nombreux que suggère une comparai-
son entre les deux systèmes n'ont pas encore été groupés. Il
serait intéressant de tenter l'entreprise, mais ce n'en est pas
ici le lieu. Nous voudrions simplement détacher d'une étude
l. C'était déjà l'opinion d'Hérodote, dans un passage souvent cité :
11, 81. Les Tp'.aY[i.oi' (écrit consacré aux propriétés du nombre trois), attri-
bués à Ion de Chios, disaient expressément que Pythagore avait fait plus
d'un emprunt à Orphée. Cf. Lobeck, Aglaophamus, p. 384 et sq.
"2. Archiv fur Religionsw., IX (1906), p. 318, sq.
282 C. MIGUEL
d'ensemble sur ce sujet, le commentaire de quelques lignes
de la Vie de Pythagore, par Jamblique. On y peut retrouver
une fois de plus, à notre avis, comme un écho de l'Orphisme
et un souvenir des antiques conceptions de l'animisme dont
nous venons de parler.
Racontant la catastrophe qui a détruit les communautés
fondées par le philosophe dans l'Italie méridionale, Jambli-
que rappelle quelques-uns des points où les pratiques de ces
communautés différaient des habitudes de la foule, et il
cite, entre autres, le détail suivant : « Jamais les pythago-
riciens ne prononçaient le nom de Pythagore ; de son vivant,
quand ils voulaient le désigner, ils l'appelaient le Divin ;
après sa mort, on disait : Cet homme * » .
Il est bien certain qu'au moment où nous reporte ce
texte, l'emploi d'une circonlocution pour désigner Pytha-
gore ne pouvait passer que pour une marque de respect. La
suite du passage le prouve bien : « C'est ainsi, continue
Jamblique en effet, qu'Homère nous montre Eumée dési-
gnant Ulysse » .
Il s'agit du passage bien connu où « le divin porcher » se
trouve, sans le reconnaître encore, en présence d'Ulysse qui
l'interroge au sujet de son maître. Après avoir usé de péri-
phrases pour le désigner, Eumée, à une question de son
i. Jamblique, Vie de Pythagore, 2o5(édit. A. Nauck, p. 179) : \t.T^hiya.
xàiv IIuOaYopettoy ôvofxa^eiv HuGayopav, àXXà Çwvia Uc'v, Ôttote PojXoîvto
8r,Xwarai, xaXeîv auTOv Osïov, Ijisl Se èTeXsjT7)a£v, èxeîyov xôv avôpa, xaOaTisp
"0[JLT)po; ccTTO^aivct xôv E'jfxaiov uTrsp 'OSyaaî'co; [jL£[jLvr](x£vov,
xôv {jlÈv èytov, to Çstvs, xai oj :iap£dvx' 6vO[i.as£'.v
a'.SEOtiai • TîEpt yàp {x* IïïjiXei xaî IxrjBEXo X-'rjv (Od., XIV, 145-6).
Voir aussi Ibid., 88 (édit. Nauck, p. 66). E. Rohde a montré (Rhein.
Mus., XXVII [1872], p. 57 et sq.) que les deux passages de Jamblique pro-
viennent d'Apollonius de Tyane. Il est permis de supposer que celui-ci les
a empruntés à Timée. On trouve le même renseignement dans Villoison,
Anecdota, II, p. 216.
UN PASSAGE DE JAMBLIQUE 283
interlocuteur, prononce le nom d'Ulysse et puis tout de
suite se reprend : « Mais, même en son absence, j'ai honte
de le désigner par son nom, car il m'aimait beaucoup et pre-
nait grand soin de moi ».
Faut-il s'en tenir à cette interprétation qui se présente la
première et qui est celle de l'auteur lui-même? Ce serait
peut-être se contenter trop facilement. Si l'on a quelque
connaissance des études ethnographiques et anthropologi-
ques qui, depuis un quart de siècle, ont renouvelé des cha-
pitres entiers de la philologie classique % on songera tout de
suite aux recherches des folkloristes sur la vertu du nom
chez les peuples primitifs et sur son rôle dans la magie ^.
Même à présent, ne l'oublions pas, le peuple ne distingue
pas toujours nettement entre le nom et la personne ^ ; dans
les croyances populaires, le nom, comme l'image, est une
partie essentielle de l'individu. « Le nom, dans toutes les
magies, c'est la personne même*. » Connaître le nom de
quelqu'un, c'est avoir sur lui un véritable pouvoir. Aussi les
dieux ont-ils grand soin de cacher ceux de leurs noms qui
sont particulièrement puissants, et souvent les particuliers
prennent pour le leur une précaution analogue.
1. S. Reinach, Cultes, Mythes et Religions, I (Paris, 1903), p. 173.
2. Voir surtout : E.-B. Tylor, Researches into the early history of
mankind (Londres, 1863), pp. 107-149 ; R. Andrée, Ethnographische
Parallèle (Stuttgart, 1878), pp. 163-184; Nyrop, Navnets Magt (Copen-
hague, 1878); F. von Andrian, Ueber Wortaberglauben (dans le Corres-
pondenz-Blatt der deutschen Gesellschaft fur Anthropologie, t. XXVI
[1896], pp. 109-127) ; J.-G. Frazer, Golden Bough, 2« édit., t. I (Londres,
1900), pp. 404-447; trad. franc., I (Paris, 1903), pp. 330-378. Ces tra-
vaux ont été résumés avec méthode et prudence par M. Fr. Giesebrecht,
Die alttestamentliche Schàtzung des Gottesnamens und ihre religions-
geschichtliche Grundlage, Kœnigsberg, 1901, in-8o. Auparavant, M. Fr.
Polie avait donné presque tout l'essentiel dans son ingénieux petit
volume : Wie denkt das Volk ïiber die Sprache^ Leipzig, 1889, in-12.
3. Fr. Polie, op. cit., p. 27 ; A. Wuttke, Der cleutsche Volksaber-
glaube, 2^ édit. (Berlin, 1869), p. 303.
4. V. Henry, La Magie dans l'Inde antique (Paris, 1904), p. 31.
384 G. MICHEL
Ces vieilles idées avaient laissé des traces chez les peuples
classiques, mais comme les anthropologistes ont porté sur-
tout leur attention sur les croyances des non-civilisés, qui
leur offraient une moisson extrêmement abondante, il se
trouvera sans doute que quelques-uns des faits suivants
aient pu échapper à leurs enquêtes.
Pas plus à Andanie qu'à Samothrace, on ne nommait les
divinités honorées dans les mystères, on les appelait simple-
ment « les grands dieux » cl [As^aXci Ôssi * ; et de même à
Eleusis, à côté de Déméter et Coré, souvent appelées simple-
ment les deux déesses, tw 6£(6, on trouve 6 Osé; et
it ôeà, dont les noms ne sont pas connus 2. Les Arcadiens
n'appelaient leur déesse de la terre que « la Maîtresse »
Despoina et son vrai nom n'était révélé qu'aux initiés %
i. E. Maass, Orphens (Munich, i895), p. 69, sq. ; Roscher, Lexicon
der MythoL, II, col. 2522, sq.
2. P. Foucart, Recherches sur les Mystères d'Eleusis (Paris, 1895),
p. 24, sq. — Mon ami M. P. Lejay veut bien me signaler à ce sujet un
curieux passage de Tertullien (De Testim. animœ, II, éd. Oehler, t. I,
p. 404) et me communiquer la note suivante que je suis heureux de pou-
voir reproduire : « Il résulte de ce passage que, dans les cérémonies du
culte païen, mais spécialement dans les mystères, le dieu n'est pas
nommé. On disait simplement : Beus, b ôso'ç. En effet, le raisonnement de
Tertullien se fonde sur une double série de témoignages, rendus involon-
tairement par l'âme au dieu unique, à celui qui ne s'appelle ni Saturne,
ni Jupiter, ni Mars, ni Minerve, mais Dieu simplement (voy. le texte plus
haut, p. 402). D'une part, dans la vie courante, ou comme dit Tertullien,
au forum de l'âme, c'est à Dieu qu'elle en appelle par les formules fami-
lières. D'autre part, dans le temple, elle supporte l'affirmation d'un autre
dieu que le dieu particulier du temple. »
3. Pausanias, VIII, 37, 9. — Dans l'Inde aussi, les dieux avaient des
noms secrets : Devo devâncJm guhyâni nâmâvish krnoti barhishi pra-
vâce « dans le sacrifice, le dieu (Soma) fait connaître au chantre les noms
secrets des dieux », Rig-Veda, IX, 95, 2; cf. Ibid., V, 5, 10. Il en était
de même en Egypte. E. Lefébure, Mélusine, VIII [1897], col. 227 : « le
nom d'un dieu livrait au magicien le pouvoir du dieu ». Une croyance
analogue subsiste chez les Musulmans d'Egypte (Lane, Modem Egyptians,
1860, p. 264), et Chardin l'a retrouvée en Perse : Les Musulmans ont des
talismans qui contiennent « les grands noms de Dieu ou les noms ineffa-
bles : car ils tiennent que, qui sait ces noms sait tout, et peut faire tout,
UN PASSAGE DE JAMBLIQUE 28o
ainsi qu'à Rome il était interdit de divulguer le nom de
la Bona Dea^. En Phocide, à Bulis, le dieu principal n'avait
pas d'autre nom que « le Très-Grand » o MÉyiaTc; ^, ce qui
fait songer naturellement au 0£o; lifl^cj-c; adoré en Asie-
Mineure^. Des prohibitions de ce genre n'étaient pas, d'ail-
leurs, réservées aux seules divinités ^. Hérodote nous
a conservé le souvenir d'une vieille coutume qui défen-
dait aux femmes de Milet de prononcer le nom de leur
maris et, à l'époque romaine du moins, le hiérophante
d'Eleusis ne pouvait être désigné par son nom, mais seule-
ment par le titre de sa charge ^ Un usage semblable
et que les miracles sont opérés seulement par la connoissance de ces
noms ; de manière que quand Dieu vouloit revêtir quelque prophète du
don des miracles, il ne faisoit que lui révéler la connoissance de quel-
qu'un de ces grands noms « {Voyages en Perse, édit. Langlès, t. IV
[Paris, 1811], p. 442).
1. Servius, arf Aen., VIII, 314; Macrobe, Saturn., I, 12, 27; Lac-
tance, I, 22, 10. Plutarque voyait des rapports entre ce culte et les mystè-
res orphiques (Caes., 9).
2. Pausanias, X, 37, 3. A Tarente, Hécate s'appelait « l'Innommable»,
"Aapa-To; ; Hésych. s. v.
3. F. Cumonl, Les religions orientales dans le paganisme romain
(Paris, 1907), p. 77 ; P. Wendland, Hellenistisch-rômische Kultur (Tu-
bingue, 1907), p. 107.
4. Chez les anciens Egyptiens, on donnait deux noms aux enfants, le
vrai ou le grand nom et celui par lequel on les désignait communément.
Lefébure, Mélusine, VIII, col. 226. Dans l'Inde aussi, on donnait à l'en-
fant deux noms, l'un devait rester secret et n'être connu que de ses
parents : V. Henry, La Magie, p. 82. Cf. Crooke, Popular religion and
folklore of Northern India (Allahabad, 1894), p. 188.
5. Hérodote, I, 146. La même défense se retrouve dans l'Inde moderne
(Crooke, op. cit., p. 188) et chez beaucoup de non-civilisés : A. Lang, La
Mythologie, trad. L. Parmentier (Paris, 1886), p. 233 ; le même, Custom
and Myth, 2« éd. (Londres, 188o), p. 72 et sq.
6. Lucien, Lexiphan., 10. P. Foucart, Les grands Mystères d'Eleu-
sis (Paris, 1900), p. 28 et sq. Cette interdiction n'était pas ancienne à
Eleusis. Il en est de même de celle qui s'applique chez les Juifs au nom
de Jéhovah (S. Reinach, Cultes, Mythes et Religions, t. I, p. 1); elle
n'existait pas encore au v« s. av. J.-C., au moment où l'on a rédigé les
papyrus araméens d'Éléphantine (Clermont-Ganneau, Revue archéoL,
1907, II, p. 435), mais, des deux côtés, elle se rattachait à d'antiques
286 C. MICHEL
paraît avoir existé aussi dans les thiases orphiques *.
C'est sans doute à cause de l'interdiction très répandue de
prononcer le nom des morts ^ que beaucoup de héros étaient
anonymes. Comme celui qui était enterré à Graea, près
d'Oropos ; il fallait passer en silence auprès de son tombeau
et, pour cette raison, on l'appelait « Silencieux » Hi-^r^koq^.
La ville de Rome, on le sait, avait un nom secret, tenu
soigneusement caché, et les anciens nous expliquent eux-
mêmes que c'était par crainte de livrer le vrai nom de
la Ville aux entreprises magiques des ennemis*. C'est ainsi
que les imprécations, appelées devotiones, n'exerçaient leur
influence malfaisante que si le nom de l'adversaire était écrit
sur la tablette de plomb ^ Pareillement, pour guérir une
maladie par des incantations, il fallait que le magicien pût la
désigner par son nom dans le charme ^
croyances : Exode, XX, 7 ; Genèse, XXXII, 30 ; Giesebrecht, op. cit..,
pp. 7-45.
4. E. Maass, Orpheus, p. 70.
2. F. von Andrian, op. cit., p. 122. — Pour permettre aux âmes,
en les rendant méconnaissables, d'échapper aux esprits mauvais qui peu-
plent l'atmosphère, il arrivait qu'on changeait le nom des morts, cf. Her-
mippus, éd. Kroll et Viereck (Leipzig, 1895), 121 ; W. Kroll, Rhein.
Mus., LU (4897), p. 345, sq. ; A. Dieterich, Eine Mithrasliturgie (Leip-
zig, 4903), p. 110.
3. Strabon, IX, 2, 10; Alciphron, III, 58 ; L.-R. F arneW, Anthropo-
logical Essays presented to E. B. Tylor (Oxford, 4907), p. 92.
4. Servius, ad JEn., I, 277 : urbis... uerum nomen nemo uel in sacris
enuntiat; Macrobe, Saturn., III, 9, 3; Pline, Hist. Nat., III, 9, 44 ; cl.
Guno, Jahrb. fur Philol., t. 425 (4882), p. 573.
5. Audollent, Defixionum tabellae (Paris, 4904), p. xlix.
6. La maladie est un démon qui s'est emparé du patient, elle ne peut
être chassée que si l'on connaît son vrai nom : ut morbus rectus e corpore
eiciatur, recto suo nomine euocandus est : Heim, Incantamenta magica
graeca latina, Leipzig, 4892 (Jahrb. fur Philol., Supplem.-B. XIX,
p. 476). Chez les Hindous, pour lutter contre les maléfices d'un sorcier,
il fallait savoir son nom, comme il fallait pouvoir nommer la lièvre pour
s'en guérir : V. Henry, La Magie, p. 468 et p. 484. — C'est pour trom-
per le démon de la maladie que beaucoup de non-civilisés changent le
nom des malades; Giesebrecht, op. cit., p. 40.
UN PASSAGE DE JAMBLIQUE 287
D'autre part, ces superstitions expliquent que seule la
connaissance du nom de la divinité peut assurer l'efficacité
de la prière. Comme les dieux ont souvent beaucoup d'épi-
thètes différentes, il faut employer celle qui leur plaît
davantage et qui attirera leur faveur ^ « Quand nous prions,
nous donnons aux dieux les noms qui leur sont agréables »,
dit Platon-, et sur ce point les exemples abondent. Il est
inutile de les accumuler.
On le voit, la croyance à la vertu du nom, que le folk-lore
a conservée de tous côtés, se retrouvait dans l'antiquité et
doit naturellement s'expliquer ici comme ailleurs. Peut-être
n'était-il pas tout à fait sans intérêt de rattacher ainsi aux
vieilles traditions de l'humanité, pour la placer dans son
vrai jour, la pratique dont Jamblique nous a gardé la
mémoire. Rien n'est indifférent, semble-t-il, de ce qui tou-
che à l'école, ou plutôt, comme l'a appelée justement
E. Havet, à l'église pythagoricienne.
1. Horace, Carm. Saec, 44, sq. ; Usener, Gôtternamcn (Bonn, i896),
p. 334-336 ; Wendland, Hellen.-rôm. Kultur, p. 78.
2. Platon, Cratyle, 400^ ; Timée, 28^ ; Banquet, "li^" ; Schomann-
Lipsius, Griechische Altertumer, II (Berlin, 1902), p. 264.
Paul MONCEAUX
L'ISAGOGE LATINE
DE MARIUS VICTORINUS
19
L'ISAGOGE LATINE DE MARIUS VICTORINUS
Par Paul Monceaux.
Parmi les ouvrages philosophiques de l'Africain Marius
Yictorinus, l'un des plus célèbres était son Isagoge latine,
traduction, ou plutôt, libre adaptation de celle de Porphyre.
Victorin lui-même, dans son traité des Définitions^, fait allu-
sion à cet ouvrage, qui est mentionné en outre par Gassio-
dore% puis par Isidore de Séville\ et que Boèce a pris pour
base de son commentaire dans ses deux dialogues ordinaire-
ment appelés Jn Porphyrium a Victor ino translatum^.
1. Ce travail était terminé depuis longtemps, et nous venions de le
communiquer à l'Académie des Inscriptions (séance du i2 avril 4907),
quand nous est parvenue l'excellente édition critique du Commentaire de
Boèce par MM. Brandt et Schepss (Boethii^ In Isagogen Porphyrii Com-
menta, Vienne, 1906. — Vol. 48 du Corpus scriptor. ecclesiast. lat.,
publié par l'Académie de Vienne). Nous avions pris pour base de notre
restitution de la plus ancienne Isagoge latine la dernière édition originale
du Commentaire (Bâle, 1570). Depuis, nous avons remanié notre travail
pour substituer, au texte de cette vieille édition, le texte de la nouvelle
édition critique. Sur la version de Victorin et sur la possibilité de la res-
tituer en partie, M. Brandt est arrivé à des conclusions très voisines des
nôtres (cf. ses Prolegomena, p. xiv sqq.).
2. Victorin, Lf6er<:/e definitionibus, p. 25, Stangl : « Nos, quiajamuno
libro et de his quinque rébus plenissime disputavimus..., lectorem ad
librum qui jam scriptus est, si adest ei indigentia, ire volumus. »
3. Cassiodore, Instit. divin, litter., II (addition du Codex Bamberg en-
sis) : « Isagogen transtulit Victorinus orator. »
4. Isidore de Séville, Origin., II, 25, 9.
5. Boèce, In Porphyrium a Vietorino translatum, I, 1 j 10 ; 12-13 ;
292 P. MONCEAUX
Jusqu'à ces dernières années, on a répété que l'adaptation
de Victorin était à peu près complètement perdue*. Un
examen minutieux de la question nous a amené à une conclu-
sion assez différente : comme on le verra, VIsagoge latine
de Victorin peut être reconstituée partiellement à l'aide du
Commentaire de Boèce.
Tout d'abord, Boèce nous a conservé beaucoup de cita-
tions textuelles de Victorin, et qu'il donne expressément
comme telles. De plus, il a inséré dans son Commentaire,
par fragments, mais toujours suivant l'ordre du développe-
ment, une bonne partie du texte de Victorin. Il avait sous
les yeux et il expliquait, non pas l'original grec, mais la ver-
sion de son prédécesseur ; il nous en prévient lui-même au
début de l'ouvrage-. Il ne s'est reporté au grec que très
rarement, pour contrôler et corriger certaines interpréta-
tions de Victorin ^ Là même où il nomme Porphyre, sauf
dans les rares occasions où il oppose l'original à l'interprète,
c'est encore le texte de Victorin qu'il vise. Et ce texte, il le
transcrit souvent phrase par phrase, en l'expliquant ou en le
discutant. Nous avons d'ailleurs deux preuves indirectes
etc. Cf. In Porphyrium a se translatum, V, 24. — Nous ne connaissons
pas les titres exacts de ces deux Commentaires de Boèce. M. Brandt, se
fondant sur l'autorité des manuscrits, appelle les deux ouvrages : In Isa-
gogen Porphyrii Commentorum Editio prima et Editio secunda. Mais il
montre lui-même (Proleg., p. xxix sqq.) que ce sont là des titres de con-
vention, imaginés après coup, et non par l'auteur. Dans ces conditions,
nous avons cru pouvoir conserver les titres traditionnels, qui ne sont pas
plus inexacts, et qui ont du moins l'avantage d'indiquer nettement le con-
tenu.
1. Schianz, Gesch. der. rœm. Litter., IV (1904), p. 143 j Porphyrii Isa-
goge, éd. Busse, Berlin, 1887, p. xxxi (dans les Commentaria in Aristo-
telem graeca de l'Académie de Berlin, IV, 1).
2. Il se fait dire par son interlocuteur: « Rogo ut mihi explices id quod
Victorinus, orator sui temporis ferme doctissimus, Porphyrii per Isago-
gen, id est per introductionem in Aristotelis Categorias, dicitur transtu-
lisse » Qn Porphyrium a Victorino translatum, I, 1).
3. Ibid.,l, 12-13; II, 6.
L'ISAGOGE DE MARIUS VIGTORINUS 293
qu'ici tous les passages traduits textuellement du grec de
Porphyre appartiennent à la version de Victorin. En premier
lieu, Boèce critique volontiers le texte latin qu'il a sous les
yeux, c'est-à-dire l'adaptation de son devancier*. En second
lieu, il a entrepris lui-même plus tard, pour son compte,
une autre version de VIsagoge ; et cette version nouvelle,
qu'il jugeait naturellement plus exacte, il l'a prise pour
base d'un second Commentaire, le gros traité en cinq livres
qui est ordinairement intitulé In Porphyrium a se transla-
tum^. De tout cela, l'on doit conclure que dans le premier
Commentaire, sauf pour les deux ou trois passages où il
oppose Porphyre à Victorin, Boèce cite toujours Porphyre
d'après la version de Victorin.
Nous arrivons donc aux constatations suivantes : 1^ Les
deux dialogues In Porphyrium a Victorino translatum
reproduisent par fragments une bonne partie du texte d'une
Isagoge latine ; — 2** Cette Isagoge latine est celle de Victo-
rin, que Boèce suivait dans son Commentaire, et qu'il
copiait alors sans toujours l'approuver, en attendant qu'il
essayât de traduire à son tour le traité de Porphyre ; —
3*^ On retrouvera donc, éparse dans le Commentaire de
Boèce, VIsagoge latine de Victorin ; — 4° Il suffira pour cela
de comparer méthodiquement les dialogues à l'original
grec, en écartant tout ce qui est commentaire, en recueillant
tout ce qui est traduction directe du grec de Porphyre.
1. « Victorini culpam, vel, si itacontingit, emendationemaequibonique
faciamus » (ibid., I, 12) ; — « Hic tamen a Victorino videtur erratum »
(ibid., I, 21) ; — « Sequitur locus perdifficilis, sed transferentis obscuri-
tate Victorini magis quam Porphyrii proponentis » (ibid., II, 6) ; — « Ge-
neris enim hic nomine pro animalis abusus est (Victorinus)... » (ï6z6?.,
II, 7).
2. Cette version de Boèce nous est parvenue sous deux formes : par
fragments, dans le Commentaire In Porphyrium a se translatum ; entière
et à part, dans un grand nombre de manuscrits. Une bonne édition cri-
tique en a été publiée par Busse (Po/'p/it/ru' Isag^oge, Berlin, 1887, p. 25-51).
L
204 P. MONCEAUX
C'est ce que nous avons fait. Si l'on rapproche ces frag-
ments, sans qu'il soit jamais besoin d'en modifier l'ordre, on
les voit se souder l'un à l'autre, ou, tout au moins, se grou-
per d'eux-mêmes en chapitres, et reconstituer partiellement
VIsagoge latine de Victorin. Boèce en avait transcrit tout
l'essentiel. Il s'accordait bien quelques libertés dans le choix
des exemples ; mais, pour tout ce qui était définition ou
doctrine, il reproduisait fidèlement le texte de son prédé-
cesseur. Nombreuses sont les longues citations textuelles.
Ailleurs, sans doute, ce sont de courts fragments, des
expressions isolées ou des membres de phrase, si bien
découpés et fondus dans le commentaire qu'on ne saurait
rétablir la phrase même de Victorin. Malgré ces lacunes, on
se représente nettement l'ensemble.
Cependant, même avec ces réserves, nous ne croyons pas
que l'on puisse tenter une restitution relativement complète
de VIsagoge latine de Victorin. Sans doute, Boèce suit et
paraphrase, d'un bout à l'autre de son Commentaire, la ver-
sion de Victorin ; mais il n'est guère possible de distinguer
partout la part respective de chacun des deux auteurs. Dans
la crainte d'attribuer à Victorin ce qui appartient réellement
à Boèce, nous avons souvent laissé de côté les passages où
la version est noyée dans le Commentaire. Nous avons
recueilli surtout deux catégories de fragments : 1** les cita-
tions textuelles de Victorin, données comme telles par
Boèce ; 2® les phrases qui sont une traduction directe de
Porphyre, et où par suite, comme nous l'avons dit, on est
fondé à reconnaître des fragments authentiques de la version
de Victorin ^
i. Nous plaçons entre parenthèses les quelques mots du Commentaire
de Boèce qu'il était nécessaire de reproduire pour éclairer le texte de
Victorin. — Les points de suspension indiquent les lacunes de la version
de Victorin (et non les passages, supprimés par nous, du commentaire de
L'ISAGOGE DE MARIUS VIGTOHINUS 395
Ainsi reconstituée en partie, cette vieille Jsagoge latine
offre un réel intérêt. C'est moins une traduction qu'une
adaptation. Victorin en use très librement avec le texte de
Porphyre. Il a changé jusqu'à la dédicace, où il a remplacé
le nom du Chrysaorios de l'original par le nom d'un certain
MenantiuSy sans doute un de ses amis*. Dans le cours
même de l'ouvrage, il s'était évidemment proposé d'expli-
quer ou d'interpréter Porphyre, plutôt que de le traduire.
Sur quelques points, il avait modifié les définitions ou les
classifications ; etBoèce n'a pas manqué de le lui reprocher^,
comme il lui reproche de n'avoir pas toujours compris le
texte grec^ C'est affaire aux logiciens d'apprécier ces criti-
ques et la valeur intrinsèque de l'adaptation. Remarquons
seulement que Victorin était un vrai philosophe, un méta-
physicien qui tient une grande place dans l'histoire du Néo-
Platonisme en Occident : on ne doit pas trop se hâter de le
condamner sur la foi de Boèce. D'autant mieux que Boèce
lui-même l'a pillé, tout en le critiquant, suivant l'usage des
plagiaires : pour sa propre traduction, il s'est beaucoup
servi du travail de son devancier.
En tout cas, cet ouvrage de Victorin marque une date
importante dans l'histoire de la logique. Ulsagoge de Por-
phyre a été l'un des manuels les plus répandus dans les
écoles du Moyen Age. De toutes les traductions ou adapta-
tions latines, la plus populaire a été celle de Boèce. Mais la
Boèce). Là où nous avons pu dégager le texte de Victorin, nous en avons
rapproché franchement les diverses parties, de façon à reconstituer la
suite du développement. Dans la crainte de rendra illisible le texte de
Victorin, nous avons renoncé à noter tout ce que nous supprimions du
Commentaire de Boèce. L'inconvénient est minime, et le contrôle n'en est
pas moins facile, puisque Boèce, dans son commentaire, a suivi phrase
par phrase la version de Victorin.
1. Boèce, In Porphyrium a Victorino translatum, I, T.
2. Ibid.,\, 1-2-13; 21 ; II, 7.
3. Ibid., II, 6.
296 P. MONCEAUX
plus ancienne est celle de Victorin, qui a été, ici comme
ailleurs, le maître de Boèce, et, pour tous en Occident, l'ini-
tiateur.
Voici les fragments, que nous avons pu recueillir, de
Ylsagoge latine de Victorin.
Marii Victorini Isagoge latina.
1. — Cum sit necessarium, Menanti, sive ad Aristotelis
Categorias, sive ad definitionis disc'plinam, nosse quid
genus sit, quidve species, quid differentia, quid proprium,
quid accidens, omnino enim ad ea quae sunt divisionis vel
quae probationis, quorum utilitatis est magnae cognitio,
breviter tibi explicare temptabo. Quae apud antiquos qui-
dem alte et magnifiée quaestionum gênera proposita sunt,
ego simplici sermone, cum quadam conjectura in res alias,
ista explicabo mediocrite^^ (Ait) se omnino praetermittere
gênera ipsa et species, utrum vere subsistant an intellectu
solo et mente teneantur, an corporalia ista sint an incorpo-
ralia, et utrum separata an ipsis sensibilibus juncta. De his
sese, quoniam alta esset disputatio, tacere (promisit) ^ Sunt
enim illa (ut ipse ait) gravions tractatus ; quam doctrinam a
Peripateticis acceptam, id est ab Aristotelicis, se sequi (con-
fessusest)^.
2. De génère. — Videtur enim neque genus neque spe-
cies simpliciter appellari, id est uno modo. Genus namque
dicitur quorumdam ad aliquid quodammodo habentium
coUectio ; per quam Dardanidum dicitur genus... Dicitur
rursus genus uniuscujusque nativitatis principium, aut a
générante, aut ab eo in quo quis genitus est... (Addit autem
4. Boèce, In Porphyrium a Victorino translatum, I, 7. Cf. I, 6 ; 8-10
(édit. Brandt et Schepss, Vienne, 1906).
-2. Ibid., I, 40.
3. Ibid.,l, 14.
L'ISAGOGE DE MARIUS VICTORINUS 297
ipse, quod soli latinae linguae congruere possit : dicit enim)
secundo modo genus dici, ut est genus causae honestum*...
Aliter dicitur genus, cui supponuntur species, juxta similitu-
dinem forte superiorum appellatum. Etenim principium
quoddam est genus his quae sub ipso sunt, et videtur multi-
tudinem continere omnium quae sub se sunt -. Totiens igitur
de génère dicto, de postrema significatione inter philoso-
phes disputatio est, quod definientes ita déclarant : genus
esse quod ad plures differentias specie distantes, in eo quod
quid sit, praedicatur, velut animale Eorum quae dicuntur,
alia ad unitatem dicuntur, sicut sunt omnia individua, ut
est Socrates, et hic et illud ; alia quae ad multitudinem, ut
sunt gênera et species et differentiae et propria et accidentia.
Haec enim communiter, non unius proprie appellationis
sunt. Est enim genus ut animal, species ut homo, differentia
ut rationale, proprium ut risibile, accidens ut album,
nigrum et sedere*. Ab his igitur, quae ad unitatem dicuntur,
differt genus, quod genus est hoc quod de plurimis praedi-
catur. Ab his vero reliquis, quae de pluribus appellantur.
1. IbicL, I, 12. Cf. I, 43. — Boèce note avec insistance que, dans ce
chapitre, Victorin a modifié la classification des genres : « Clarescet, ut
opinor, participatione generis quam Porphyrius fecit, non Victorinus,
visa... Victorinus vero duo superiora gênera in unum redigit. Nam et
multitudinis congruentiam inter se per eamdem generis nuncupationem,
et quorumcumque a génère lineam, et locum in quo quis natus est, uno
generis vocabulo et designatione esse déclarât... Victorini culpam, vel,
si ita contingit, emendationem aequi bonique faciamus. Nunc ergo ad
priorem apud Victorinum generis significationem revertamur, et ejus, ut
sunt, verba enodanda atque expedienda sumamus... Propriae tamen et
simplicissimae expositionis est, quattuor signiticationes generis consti-
tuisse Victorinum, ut ad très Porphyrii unam ipse addiderit, generis cau-
sae, ut sint hae quattuor significationes, multitudinis cognatio, lineae
(luctus, genus causae, genus specierum. Sequitur secunda generis divisio
apud Victorinum, ut est genus causae... » (ibid., I, 12-13).
2. îhid., I, 13. Cf. I, 12.
3. Ibid., 1, 14.
i. Ibid., I, 16.
208 P. MONCEAUX
genus differt. Primo ab specie, quoniam species, etsi de plu-
ribus praedicatur, non tamen specie differentibus, sed
numéro. Homo enim, species cum sit, de Socrate, Platone,
Cicérone praedicatur, qui non specie, sed numéro differunt;
animal vero, quod genus est, et bovis et equi praedicatio
est, quae etiam differunt specie a se invicem, non numéro
solo \ A proprio autem genus differt, quod proprium juxta
unam quamque speciem proprium appellatur, cujus est pro-
prium, et juxta ea quae sub specie sunt, scilicet individua ;
namque risibile hominis solum est et singulorum utique
hominum. Genus autem non ad unam speciem, sed ad plu-
res différentes semper aptatur 2. A differentia vero et ab acci-
dentibus differt genus, quoniam, etsi etiam ista de pluribus
specie differentibus praedicantur, differentiae scilicet et
accidentia quae communiter accidunt, non tamen in eo
quod quid sit praedicantur, cum interrogantibus nobis fit
secundum ea responsio ; magis enim, quale quid sit,
ostendunt. Si enim quis interroget : quid est homo ? animal
dicitur. Si autem quis dicat : qualis est homo ? rationalis res-
pondetur. Si quis interroget qualis corvi species sit, nigra
continuo respondetur. . . Unde hoc, quod de pluribus praedi-
catur, genus distat ab his quae de singulis praedicantur, hoc
est ab individuis. lUo, quod de specie differentibus praedi-
catur, distat ab speciebus et a propriis. Illo etiam, in quo
quid sit appellatur, secernitur a differentiis et a communiter
accidentibus, quod haec duo, quale quid sit, déclarant^.
Hoc si ita est, nullo minus aut plus effecta est generis defi-
nitio *.
3. De specie. — Species quoque multis dicitur modis.
i.
Ibid., I, 17.
2.
Ibid., I, 18.
3.
Ibid., I, 19.
4.
Ibid., I, 20.
L'ISAGOGE DE MARIUS VICTORINUS 299
Nam et uniuscujusque hominis forma species appellatur.
Rursus dicitur et pulchritudo vultus, unde pulcherrimos
quosque speciosos dicimus. Dicitur species et ea, quae sup-
posita est generi : unde animalis speciem appellamus, cum
animal ipsum genus sit, et album coloris speciem. Hoc enim
dictum est tune esse genus, quod ad distantes species dicere-
tur ; nunc vero dicendum est id esse speciem, quae sub
génère ponitur^.. Species est quod ponitur sub génère, et ad
quam genus in eo quod quid sit praedicatur. (Dicit enim)
speciem esse, quae ad plurima numéro difiPerentia, in eo
quod quid sit, praedicatur. Sed haec definitio ejus speciei
est, quae magis species dicitur. Aliae vero definitiones
erunt etiam illarum, quae non sunt magis species ^ Mani-
festius autem fiet hoc, quod dicimus, hoc modo. In omnibus
praedicamentis sunt quaedam magis generum, et magis
specierum ; sunt alia mixta. Magis gênera sunt, supra quae
nullum aliud genus poterit inveniri. Magis species rursus,
sub qua nulla species reperitur. Horum intervalla quae
possident, et gênera et species sunt, singula superioribus
inferioribusque coUata, ut alteri genus, alteri species appel-
lentur^.. Ergo decem gênera constituit Aristoteles in Praedi-
camentis, quae magis gênera sunt. At vero illae, quae
magis species sunt, semper in plurimo quidem numéro
4. Ibid., I, 21. — Boèce critique cette classification de Victorin, diffé-
rente de celle de Porphyre : a Hic tamenaVictorino videtur erratum, quod,
cum idem sit cujuscumque hominis species et vultus, quasi in alia appel-
latione speciei, vultus iterum pulchritudinem dixit : quasi vero non pe-
rinde pulchritudo vultus sit, ac tota species fuerit » (ibid., I, 21).
2. Ibid., I, 21-22.
3. Ibid., I, 23. — Dans le reste de ce chapitre 23 et dans tout le cha-
pitre 24, la version de Victorin sert encore de base au Commentaire ; mais
on ne peut la dégager sûrement des paraphrases de Boèce. La même ob-
servation s'applique, d'ailleurs, à tout ce qui suit : les lacunes de notre
restitution viennent simplement de ce que le texte authentique de Victo-
rin est fondu dans le commentaire de Boèce, au point que l'on doit souvent
renoncer à séparer les deux éléments.
300 P. MONCEAUX
sunt, non tamen in infinito. At individua, quae sub magis
speciebus sunt, infinita sunt semper^... Porro autem, vel
artium vel disciplinarum cum individua per homines singu-
los esse coeperint, rationem ad percipiendum capere vel
habere omnino non possunt... (Quod autem ait :) Multitude
capienda (perinde est ac si diceret : Multitudo facienda
est)^..
4. De differentia. — Omnis differentia et communiter et
proprie et magis proprie dicitur^.. Repetenti nunc a supe-
rioribus dicendum est, differentiarum alias esse separabiles,
alias inseparabiles... * Sic igitur composita sit super omnia
substantia, et sint ejus differentiae divisibiles animatum et
inanimatum... Ilaec differentia animata atque sensibilis,
sociata substantiae, perficiet animal ^.. Differentia est quod
ad plurimas res specie distantes, in eo quod quale sit,
praedicatur*... Omnes namque res ex forma et materia
consistunt ; ipsa autem forma irrationabilis est... Jam omne
genus simile materiae est, et consistit irrationale''... Esse
differentiam, quod possit separare quicquid sub eodem
\. îhid.y I, 25.
2. îhid., I, 26.
3. îhid., 11,1.
4. Ihid.y II, 2.
5. îhid., II, 3.
6. îhid., II, 5.
7. îhid., II, 6. — Boèce reproche à Victorin de n'avoir pas ici compris
Porphyre, et d'avoir faussé le sens de tout le passage : « Sequitur locus
perdifficilis, sed transferentis obscuritate Victorini magis quam Porphyrii
proponentis... Quod Victorinus scilicet intellexisse minus videtur. Nam
quod Porphyrius aXoyov dixit, id est irrationale, ille (Victorinus) sic acce-
pit quasi àvaXoyov diceret, id est proportionale. Atque ideo in loco ubi
habet hoc modo scriptum : « Omnes namque res ex forma et materia con-
sistunt; ipsa autem forma trm^/oMa/ts est )), tollendum est irrationalis .
Et subterius paululum, ubi habetur : « Jam omne genus simile materiae
est, et consistit irrationale », tollendum est irrationale, et ponendum est
proportionale, ut sit : « et conûsiïi proportionaliter m. Telle est la leron
traditionnelle, notamment celle de l'édition de 1570 (p. 33) Avec, cette
i
L'ISAGOGE DE MARIUS VIGTORINUS 301
génère est... Differentia est qua differunt singula, quia per
e ipsum genus est ; et illa quae rationabilia sunt, nos scilicet,
t illa quae irrationabilia sunt. Namque et homo et equus et
avis, haec omnia genus unum sunt, id est animal ; namque
^^inimal horum omnium genus est^..
^H 5. De proprio. — Proprium quattuor dicitur modis. Dici-
^^kur namque proprium quod uni speciei accidit, etiamsi non
^Bomnibus... (Est item alia proprietas) quae est omnibus,
^^etiamsi non soli ; nam bipes omni homini accidit. (Est item
tertium proprium) Quod omni et soli et aliquo tempore
accidit, ut in senecta canescere. Quartum proprium est, quod
uni speciei accidit et omnibus sub eadem specie individuis et
omni tempore ; nam risibilem esse hominem-.,.
6. De accidenti. — Accidens est quod infertur et aufertur
sine ejus, in quo est, interitu. Dividit ergo accidens in sepa-
rabile et in inseparabile. Namque separabile accidens est,
utputa, si quis sedeat vel ambulet ; inseparabile est, ut si
dicas corvum nigrum. Sunt quaedam (ut ipse ait) accidentia
inseparabilia. Potest autem subintellegi et corvus albus et
leçon, la phrase qui commence par « Nam quod Porphyrius... » est inin-
telligible, sans doute par suite d'une erreur de transcription chez un co-
piste. D'après le contexte, Boèce a voulu dire exactement le contraire. En
effet, dans le texte grec de Porphyre, on trouve la leçon àvàXoyov, et, deux
lignes plus bas, àvaloYou (éd. Busse, Berlin, 1887, p. II). Boèce lui-
même, dans sa traduction personnelle de VIsagoge, a rendu ces mots de
Porphyre par ac/ similitudinem et similiter (ibid., p. 37). La reproduc-
tion de Migne présente une demi-correction, très maladroite (Patrol. lat.,
t. 64, p. 33). Il est évident que l'on doit transposer les deux mots grecs
avec les deux mots latins, et restituer ainsi la phrase : « Nam quod Por-
phyrius àvàXoyov dixit, id est proportionale, ille sic accepit quasi ako-^o^
diceret, id est irrationale ». — Telle est la correction que nous avions
proposée dans notre lecture à l'Institut ; elle a été confirmée par l'étude
des manuscrits, et c'est la leçon qu'ont adoptée MM. Brandt et Schepss
dans leur récente édition critique (II, 6).
1. Ihid., II, 7, — Boèce critique encore ici l'interprétation de Victo-
rin : « Generis enim hic nomine pro animalis abusus est » (ibid.,
II, 7).
2. Ibid., Il, 8.
302 P. MONCEAUX
^thiops colorem suum perditurus sine interitu suo in quo
color fuit. Est autem alia definitio, quae est hujusmodi :
Accidens estquod contingit alicui et esse et non esse. (Ex hoc
ergo venit etiam alia definitio :) Accidens esse illud, quod
neque genus sit neque species neque differentia neque pro-
prium^
Explicitis igitur atque expeditis his quae proposuit, id est
génère, specie, propriis, differentiisaccidentibusque, tractare
nunc exsequitur illa quae inter haec communia omnia, vel
quae differentiae sint *.
7. De communibus generis, speciei, differentiae, proprii
et accidentis. — (Et primo omnium simul inter se commu-
niones explicat, post etiam singulorum, et dicit) omnium
esse commune de pluribus praedicari. Namque genus praedi-
catur de speciebus et de individuis ; eodem modo praedica-
tur et differentia de speciebus et de individuis ; etiam pro-
prium et de speciebus et de individuis praedicatur; at vero
species de solis tantum individuis appellatur. Genus enim
praedicatur de equis, hominibus, bobus et canibus, id est
speciebus ; praedicatur item et de his quae sub ipsis specie-
bus individua continentur. . . Accidens vero ante praedicatur
de individuis, et postea de speciebus^.
8. De communibus generis et differentiae. — (Et primum
dicit) generi cum differentia esse commune, quod ab
utrisque species continentur... Rationale, quod est differen-
tia, continet et hominem et Deum... Sed ita continet, ut
genus semper plures species contineat quam continet
differentia... (Est ista generis differentiaeque communitas,
quod) ea quae de génère speciei praedicantur ut genus, et
de sub eodem génère specie praedicantur et de individuis ;
1. Ibid., II, 9.
-2. îhid., Il, 40.
3. Ibicl, II, 10.
L'ISAGOGE DE MARIUS VIGTORINUS 303
et illa quae de diiferentia praedicatur ut diiïerentia, et de
sub eadem differentia specie praedicatur et de individuis...
Est autem alia communio, quod, quemadmodum interempto
génère species interimuntur, sic interempta differentia species
sub eadem differentia interimuntur. Nam, si interierit ani-
mal, homo atque equus continue periturus est ; sin vero
differentia, id est rationale, dii atque homines interibunt, et
nihil eorum erit quod uti ratione possit*.
9. De propriis generis et differentiae . — (Dicit) genus
multo de pluribus praedicari, quam praedicetur differentia
vel species vel accidens vel proprium. Namque genus dici-
tur, id est animal, de quadrupède, de bipède, de reptili, id
est de serpentibus ; quadrupes autem, quod est a bipède
differentia, de solis illis dicitur quae quattuor pedes habent;
cum hominis species sit et de solis individuis praedicetur...
Sed nunc illas differentias accipiamus, quibus genus dividi-
tur, non quibus species formantur... (Est etiam generis
differentia :) namque genus a propriis differentiis prius est.
Namque, si abstuleris genus, omnes simul differentias
abstulisti. Nam, si abstuleris animal, rationale atque irratio-
nale non rémanent. Sed, si utrasque interemeris differentias,
id est rationale vel irrationale, potesttamen quiddam intelligi,
quod sit substantia animata sensibilis, id est animal. (Est
utiam alia differentia, quod) genus semper in eo quod quid
sit praedicatur, ut dictum est ; differentia vero in eo quod
quale sit. (Est etiam alia differentia, quod) ad omnem spe-
ciem unum semper genus aptatur ; homo enim unum tantum
genus habet, ut animal appelletur. In unam autem speciem
plurimae differentiae poterunt commodari ; namque homo
et rationale est, quae differentia est, et mortale, quae
eadem differentia est, et sensibile, quibus scilicet omnibus ab
1. Ihid., II, il.
304 P. MONCEAUX
aliis differt. (Est etiam alia differentia, quae superius dicta
est :) nam genus speciei ita est ut materies, differentia vero
ut figura. Quae autem communitates vel proprietates generis
et differentiae fuerunt, (hactenus dixit) ^
iO. De communibus generis et speciei. — (Dicit) genus
et speciem commune habere de pluribus praedicari, sicut
dictum est... Est etiam alia eorum communie, quod, sicut
genus ab specie primum est, sic species ab individuis
primae sunt. (Est etiam his alia communie, quod),
quemadmodum genus quid sit totum déclarât, sic etiam
species^.
11. De propriis generis et speciei. — (Dissertis igitur
generis specieique communibus, ad proprietates eorum vel
differentias transitum fecit, dicens) differre inter se genus
et species, quod gênera species continent, numquam rursus
gênera a speciebus propriis continentur... Insuper omnia
gênera praejacent. . . ; et antiquiora sunt gênera speciebus
suis. Atque ideo, si gênera interimantur, species quoque
peribunt. Si vero species interimantur, non continue genus
interibit... (Et quod) omnia gênera univoce de speciebus
praedicentur, species ipsae de generibus numquam. Amplius
omnia gênera abundant complexione sub se positarum spe-
cierum ; ipsae species abundant generum suorum propriis
differentiis. (Illud etiam quod) species nunquam magis genus
fiet, rursus et genus nunquam magis species fit^
12. De communibus generis et proprii. — Generis et
proprii commune hoc est, adhaerere speciebus et amplecti.
Nam si dixeris homo, cum ipso homine continue animal
nominasti ; si hominem dixeris, risibilis est. Similiter et
genus praedicatur de speciebus, et proprium de his quae
4. Ibid., II, 12.
2. IhicL, II, 13.
3. Ihid., II, 14.
L'ISAGOGE DE MARIUS VIGTORINUS 305
sui participantia sunt... Adhuc commune est ipsis univoce
praedicari ; aequaliter igitur et genus de speciebus suis, et
propria de ea specie cujus sunt propria, univoce praedi-
cantur*.
13. De propriis generis et proprii. — Differt autem
utrumque, quod genus primum, et secundum est pro-
prium... (Accedit etiam quod) genus de plurimis speciebus
praedicatur ; at vero proprium de sola specie praedicatur.
(Unde fit ut semper) propria de speciebus suis conversim
praedicari possint, species autem de generibus numquam.
Neque enim omne, quod animal est, homo est; neque
omne, quod animal est, risibile est. Porro autem omne,
quod est homo, id risibile est ; et omne, quod risibile est,
id homo est. Praeterea omni speciei quicquid fuerit pro-
prium, omni et soli est; genus, etsi uni speciei inest, non
tamen soli. (Unde fit ut) sublata propria non auferant
genus ; sublatis vero generibus, ipsa quoque propria aufe-
rantur. Si species sustuleris, propria etiam, quae sunt spe-
ciebus, simul interibunt'.
14. De communibus generis et accidentis. — (Ad gene-
rum accidentiumque communitates vel proprietates transi-
tum fecit, et unam eorum praedicat) communitatem, quae
est quod de pluribus praedicantur. Namque, sicut genus de
plurimis speciebus praedicatur, ita etiam separabile accidens
vel inseparabile de plurimis speciebus appellatur. Dicitur
enim et de corvo et de homine yEthiope nigrum, et de
equo et de homine moveri^.
15. De propriis generis et accidentis. — Differt autem
genus ab accidenti, quod genus ante species est, accidentia
vero speciebus posteriora sunt. Accidens postea necesse est
1. Ihid., II, 45.
2. Ihid., II, 16.
3. Ibid., II, 47.
^0
I
306 P. MONCEAUX
ut sit, quam sunt ipsae species. Erit enim prius aliquid, cui
possit accidere. (Hue accedit quod) generis participantia
aequaliter participant ; at vero accidentia non aequaliter
participant. Et intentionem et remissionem recipit accidens.
(Hue accedit quod) gênera non modo ante individua, sed
ante species sunt; accidentia vero non modo post species,
sed etiam post individua sunt. (Est etiam differentia, quae
jam superius dicta est. Nam) genus in eo quod quid sit
praedicatur ; accidens vero in eo quod quale sit, aut quo-
modo se habeat^.. Sunt autem omnes differentiae viginti ;
nam, cum quinque res sint et unaquaeque ipsarum, ad alias
quattuor, quattuor item differentias habeat, quinquies qua-
ternis viginti differentiae efficiuntur^..
16. De communibus differentiae et speciei. — Est com-
munie differentiae et speciei, quod aequaliter species sub
se individuis se permittit, et aequaliter individua specie ipsa
participant. Namque omnes homines aequaliter homines
sunt, et hominis participatione aeque participant; et ratio-
nabilitate, quae est differentia, omnes, qui ratione partici-
pant, aeque participant. Est etiâm alia communitas, quod,
quemadmodum species nunquam deserit ea quorum species
est et quibus super est, sic et differentia numquam ea
deserit quae distare ab aliis facit. Semper enim Socrates
homo est ; semper Socrates rationale animal est \
17. De propriis differentiae et speciei. — Differentia
semper, in eo quod quale sit, praedicatur ; species vero, in
eo quod quid sit, praedicatur. Namque hominis qualitas
rationale est, sed non simpliciter ; illa enim qualitas pro
differentia accipitur, quae veniens in génère speciem consti-
tuit. Differentia fréquenter in pluribus speciebus considera-
1. Ihid., II, 18.
2. îhid., II, 19.
3. IbicL, II, 20.
I
L'ISAGOGE DE MARIU5 VIGTORINUS 307
tur... ; species vero nunquam aliis, nisi solis sub se indivi-
duis, praeest... (Unde fit ut) sublata differentia, species
quoque tollatur ; nam, si sustuleris rationale, hominem
sustuleris. Si vero sustuleris speciem, differentia manet ;
nam, si sustuleris hominem, rationalis Dei differentia rema-
nebit. (Est vero etiam haec differentia, quod) differentia cum
alia differentia jungi potest ; namque rationalis differentia et
mortalis differentia junctae hominis unius speciem reddi-
derunt. Junctae vero species nunquam aliquam ex se spe-
ciem constituent. (Sed fortasse dicat quis :) Asini atque equi
conjunctione mulus nascitur. Si autem sic simpliciter
speciem ipsam asini atque equi conjungas, nulla ex his
unquam species constituitur ^
iS. De communibus differentiae et proprii. — Differen-
tia et proprium commune habent quod, quibus differentia
est et a quibus ipsa differentia participatur, aequaliter parti-
cipatur. (Non est dubium quia) omnes homines aequaliter
sint rationales, aequaliter risibiles. (Est etiam haec eorum com-
munitas, quod) sicut potestate risibile dicitur, etiam si non
rideat, ita etiam potestate bipes dicitur, etiam si quis uno pede
minuatur : non enim quod est dicitur, sed quod esse possit^.
19. De propriis differentiae et proprii. — Differunt
autem inter se, quod differentia de pluribus speciebus prae-
dicatur, proprium vero de una... (Unde evenit ut omnis)
differentia, quoniam plurimarum continens est specierum, a
suis speciebus major sit ; atque ideo ipsa de speciebus praedi-
cari potest. Porro autem de ipsa species praedicari non
possunt ; neque conversim dici potest. At vero proprium,
quoniam aequaliter et ad unam speciem semper aptatur,
aequa vice atque appellatione convertitur =^.
4. IbicL, II, 21.
2. Ihid., II. 22.
3. îhicL, II, 23.
308 P. MONCEAUX
20. De communibus differentiae et accidentis. — Diffe-
rentia et accidens commune habent de pluribus praedicari.
Est etiam ista communio, quod inseparabile accidens, cui-
cumque speciei fuerit, inseparabiliter et omnibus inest^..
21. De propriis differentiae et accidentis. — Differunt
autem inter se, quod omnis differentia species continet, non
contra ipsa ab speciebus continetur. Namque quod est ratio-
nale continet hominem. Accidentia vero aliquoties continent,
aliquoties continentur. Namque continent, quoniam fré-
quenter unum accidens duas sub se species habet ; conti-
nentur vero, quoniam species una habet duo vel tria vel
quamlibet plurima accidentia. Dehinc differentia nunquam
intenditur neque relaxatur ; at vero accidens et intenditur
et relaxatur. Praeterea inmixtae semper sunt contrariae
differentiae ; at vero contraria accidentia (manifestum est)
in una specie posse congruere.
Ergo, quemadmodum species différât a génère vel differen-
tia, dictum est, cum de generis ad speciem et differentiae ad
speciem distantia diceremus \
22. De communibus speciei et proprii. — Est una
eorum communio, quod de se ipsa invicem praedicantur.
Quid homo? quod risibile. Quid risibile? quod homo...
(Commune est etiam illud, quod) omne proprium aequaliter
ad sub se posita praedicatur, et species aequaliter ad sub se
posita praedicatur ^
23. De propriis speciei et proprii. — Differunt autem a
se, quoniam species potest etiam genus alteri esse, proprium
esse non potest. Deinde species praecedit, et sic proprium
sequitur. Oportet enim prius esse hominem, ut sit risibilis.
Semper species in actu est et in opère ; proprium vero ali-
d. Ihid., II, 24.
2. Ibid., II, 2S.
3. Ihicl, II, 26.
L'ISAGOGE DE MARIUS VIGTORINUS 309
quoties potestate... Deinde, quorum definitiones diversae
sunt, necessario etiam ipsa quoque diversa sunt. Est autem
speciei definitio sub génère esse, et ad plurima numéro
differentia in eo quod quid sit praedicari ; at vero proprii,
uni tantum inesse speciei, et sub ipsa de omnibus individuis
praedicari \
24. De communibiis speciei et accidentis. — (Dicit) eorum
raras esse alias communitates, nisi bas solas quod de pluri-
bus praedicantur. Longe enim a se distare videntur id quod
alicui accidit et id cui accidit^
25. De propriis speciei et accidentis. — Propria vero sin-
gulorum sunt haec, quod species in eo quod quid sit praedi-
catur, accidens vero in eo quod quale sit et quodammodo
se habens. (Item, quod) unaquaeque substantia unam spe-
ciem habet ; at vero una substantia plura fréquenter acci-
dentia continebit. Habet etiam non solum inseparabile acci-
dens eadem substantia, sed etiam separabile. (Hue accedit
quod) species praenoscuntur quam accidentia ; et prius erit
aliqua res ubi accidat, quam illa quae accidat. Accidentia
vero postnativa sunt, id est a foris venientia, etiamsi insepa-
rabilia sunt. (Haec quoque est eorum separatio, quod sem-
per) omnia, quae participant specie, aequaliter participant ;
at vero illa, quae participant accidenti, etiam si inseparabile
accidens sit, tamen non aequaliter participant. Namque,
quamvis inseparabile sit accidens ^Ethiopibus nigros esse,
tamen est aliquis inter ipsos nigrior, nec omnes illa nigre-
dine aequaliter participant.
Relinquitur igitur de communibus proprii accidentisque
tractare. Nam, proprium quid distaret vel ab specie vel a
génère vel a differentia, superius demonstratum est^
1. Ihid., II, 27.
2. Ihid., II, 28.
3. Ihid., II, 29.
3i0 P. MONCEAUX
26. De communibus proprii et accidends. — Proprium
autem et inseparabile accidens commune habent, quod sine
his nunquam consistant ea in quibus ipsa considerantur.
Nam neque homo amittit risibile esse, nec yEthiops aut cor-
vus nigrum. (Est etiam inseparabilis accidentis et proprii
alia communio, quod) sicut et omni et semper inest pro-
prium, sic etiam quodlibet accidens inseparabile et semper
et omni est accidens inseparabile ' .
27. De propriis proprii et accidentis. — Differunt autem
ista, quod proprium semper uni speciei inest, accidens vero
et pluribus. Namque accidens pluribus speciebus et anima-
tis et inanimatis evenit, ut est ebeno nigrum, corvo nigrum,
homini ^Ethiopi nigrum ; risibile vero nulli, nisi soli homini.
Atque ideo conversim proprium praedicatur, quia unius spe-
ciei continens est, et illi speciei soli aequalis est. At vero
accidens conversim praedicari non potest. Deinde omne pro-
prium aequaliter se his rébus quae sub se fuerint dat, et ab
his aequaliter participatur ; at vero accidens non semper
aequaliter.
Et fortasse aliae eorum quaedam proprietates vel commu-
niones esse videantur. Sed nunc ista sufficiant'. [Explicit
Marii Victorini Isagoge latina].
1. Ibid., II, 30.
2. Ibid., II, 31.
F. NOUGARET
VATICANVS MS SjSo
PERSE-JUVÉNAL
I
VATICANVS MS 5750, PERSE-JUVENAL
Par F. NouGARET
L'édition que Goetz a donnée, d'après une copie de Loewe,
des fragments de Juvénal-Perse en capitale du Vaticanus
5750 provenance Bobbio {Index aestiv. Univ. len. 1884^,
léna Neuenhahn) manque de rigueur, et l'étude dont il a
accompagné cette édition peut être poussée plus avant. J'ai
eu la bonne fortune de manier ces fragments moi-même pen-
dant une réparation du volume, il y a une dizaine d'années.
J'ai pu les redéchiffrer à loisir, grâce à la complaisance du
préfet de la Yaticane, le R. P. Ehrle^; j'en ai fait faire des
photographies, sur la foi desquelles je m'enhardis à offrir
une copie déjà bien vieille. La voici au complet, précédée
de quelques éclaircissements indispensables, et suivie des
conclusions que j'ai cru pouvoir en tirer.
Les fragments composaient une feuille double qui était pa-
ginée 63-64 (feuillet trente-deuxième) 77-78 (feuillet trente-
neuvième). Elle formait la feuille extérieure d'un quater-
nion. Le volume allait être, à ce moment-là, relié in-plano
feuille par feuille. La nôtre n'y forme donc plus désor-
mais qu'un unique feuillet aux deux pages doubles. J'i-
gnore ce qu'elles contiennent respectivement. Auparavant,
l. A qui je suis heureux, après si longtemps, de rendre cet hommage.
314 F.-N. NOUGARET
Perse (I 53-104) venait au premier feuillet, Juvénal (XIV
324* — XV 43) au second. Comme l'a remarqué Goetz,
tel n'avait pas dû être l'ordre primitif. La feuille, repliée
postérieurement sur l'ancien pli, présentait à l'origine Juvé-
nal d'abord. Perse ensuite. Impossible, en effet, de caser
entre les deux feuillets un restant de cahier aussi considé-
rable que le serait Perse I 104-fin | Juvénal commence-
ment— XIV 323, au lieu que l'opération inverse, Juvénal XV
44 — fin I Perse commencement — I 52, va toute seule. On
verra d'ailleurs que les premières leçons^ du titre courant de
Perse dénoncent la priorité de Juvénal, et qu'il existe^
au bas du verso de Perse une signature de cahier. La feuille
enveloppait déjà un cahier dans l'original.
Deux anciennes mains en tout : 1° celle du texte, titre cou-
rant, signature, plus les quelques corrections en cours de
copie; 2** celle des scholies et de la révision. On trouvera
tout ce qui est de la première main aux deux premières et
aux deux dernières pages, tout ce qui est de la seconde aux
deux pages (doubles) intermédiaires. Un cas douteux est répété
aux deux mains. Goetz a remarqué que l'annotateur n'avait
eu souci du titre courant. Plus tard le volume fut dérelié, et
notre feuille entra revêtue d'un nouveau texte, en compagnie
de beaucoup d'autres de provenance étrangère, au volume
actuel. Une seule de nos pages n'est point récrite : c'est celle
que reproduisent Zangemeister-Wattenbach Exempla codi-
cum et Châtelain Paléographie des classiques (la ligne de
tachygraphie et le signe en marge sont de second âge) ; les
autres pages, palimpsestes, ne vont pas sans difficultés.
Un mot sur la transcription que j'ai employée. J'ai facsi-
milé le plus possible. Au texte, les italiques renvoient à
i. Non 323 Goetz.
2. Non une seule Goetz.
3. Omis Goetz.
VATICANVS MS 5750 31o
l'apparat; hors du texte, ce qu'elles transcrivent n'est mis
que pour la clarté. Les chiffres 1, 2, 3, 4, 5 signifient respec-
tivement certitude, probabilité, vraisemblance, possibilité,
conjecture pour toute la partie de texte qu'ils précèdent
jusqu'à nouveau chiffre ; mais comme on en vient malgré soi
à subtiliser en pareille matière, ces chiffres mis en exposant
devront s'entendre de l'existence, et mis en indice, de la
forme de la leçon. \ par exemple, en tête de la transcription,
se lira : absence d'écriture certaine, semblable espace certain ;
L sans nouvel exposant ni indice, écriture certaine, L cer-
taine; 2I écriture certaine, i probable; 4B écriture certaine,
B possible ; ^ \\\ grattage certain , aire du grattage certaine ;
u sans exposant ni indice nouveaux, certain d'existence et de
forme; 5 -écriture certaine et point conjectural; j en indice
exposant ^ toujours inchangé sans écriture qui suive, espace
certain d'existence et d'aspect jusqu'à prochain caractère ligne
suivante B, lequel, solitaire en apparence, dépend indice et
exposant de chaque première détermination qui précède ;
ainsi de suite et applicable universellement. Trois grandes
catégories de dommages : :•: = grattage, effacement ; B = ta-
che, partie de texte recouverte; □= lacune, parchemin
disparu (ou impropre à l'écriture, comme ici Juvénal XV 26).
Je n'ai pas eu lieu d'indiquer de traces rebelles à la lec-
ture III ; ^, que l'on rencontrera çà et là, exprime une
hésitation du copiste, reconnaissable au tremblé du trait,
à l'indécision de l'espacement, etc'.
i. Je dois tout ce qu'il peut y avoir de bon dans ce mode de trans-
cription aux leçons et aux conseils de mon cher vénéré maître Louis
Havet.
316 F.-N. NOUGARET
luuen. XIV (p. yy fol. r.)
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VATICANVS MS 5750 317
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VoSOPATRiaUSSANGUISaVOSBIUEREFASEST
occipiticaecoposticeoccurritesanne
auispopullssermoestquisenimnisicarminamolll
nuncdemumnumeroFLuereutperLebeseuero
ETFUNDATIUNCTURAUNGUaiiiSSCITTENDEREUAESIS 6s
nonsecvsacsioculorubricamdirigatuno
siueopVsinmoresinLuxuminprandiaregum
dicereresgrandesnostrodatmVsapoetae
eccemodoheroassensusadFerredocemVs
NVGARIS0LIT0SGRAEC£NECP0NERELUCUM 70
artiFicesnecrVssaturumLaudareubicorbes
etFocusetporcietFumusapaLiLiaFaeno
vnderemussulcosq.-terensdentallaavlnti
quemtrepidaanteboVesdictatoreminduituxor
ETTUAARATRADOMUMLICTORTULITEVGEPOETA 7S
estnuncbriseioyemuenosusllberacci
suntavospacuiusaetuerrucosamoretvr
antiopeaerumnisicorLuctiFicabiLeFuLta
ex sLjsB/r-iff^U^i:: an NUGARgl^S? non PROTENSO ex LINQVa^EÎ
an UNGU3I1S ? an GRAECJ^ ?
VATICANVS MS 5750
Fers. I (p. 64J0L u.)
PLRSI
HospuerismonitVspatrisinFundereLippos
cvmuideasauaerisneundehaecsartagolooyendi 80
UE]<lERirmLlNGUASUNDEISTFCDEDECUSINQ\JO
trossuLusexVLtatibipersubseLLiaLeVis
nihiLnepudetcapitinonpossepericuLacano
peLLereoVintepidumoshocoptesaVdiredecenter
FURESATISPEDIOPEDlVSQyiCRIMINAR/\SIS 8s
LibratinantithetisdoctaspotuisseFigVras
LaudatusbeLLumhochocbeLLumanromuLecebes
menmobeatoyippeetcantetsinavfragusassem
protVLerimcantascumFractateintrabepictVm
exumeroportesuerumnecnocteparivtum 90
PLORAL7/raUIME(70L£nNCVRUASSEaUERELLAS
sednumerisdecorestetiuncturaadditacrVris
cLaVderesicuersumdidicitberecYnthiusattis
etquicaeruLeVmdirimebatnereadeLphin
siccostamLongosubduximVsappennino PS
armauirumnonnehocspumosumetcorticepingVi
VtramaLeuetuspraegrandisuberecoctVm
quidnamigitVrtenerumetlaxaceruiceLegendVm
torbammaLLon/simpLerVntcornuabombis
ETRATUMUITULOCAPU.TAPLATURASUPERBO 100
BASSARISETLYCEMMAENASFLEXURACORYMB/55.
eVhioningeminatreparabiLisadsonatecho
haecFierentsitesticVLiuenuLLapaterni
ViueretinnobisummadeLumbesaLiVa
ex ;;;IV,V3E,N:;; ex UENERITINGY\S\J-iiDElSTVCDET>EC\JSIiiQ.\JO ex pLORABsiTi
«B*0LET« nou ETQUE non APPENINO ex TORBAMMaLLONs s *
non INPLERVNT ex Xjfi^LATURA ex LYsNi ex CORYmBOS flS ex O, S expu,utu)
324
F.-N. NOUGARET
Si j'ai bien lu la signature au bas du dernier verso, notre
feuille enveloppait donc un x** cahier. Comptons, à 26 lignes
par page et 52 par feuillet, combien de feuillets a pu occuper
la vulgate de Juvénal avant ce x^ cahier. Notre feuille nous
avertit de réserver une ligne d'intervalle de pièce à pièce, et
nous admettons, à l'ordinaire des manuscrits en capitale,
après tout explicit-incipit un laissé blanc du restant du feuil-
let, fût-ce le feuillet entier moins cet explicit-incipit lui-
même ; le cas, d'ailleurs, ne se présentera pas. Tout livre
commencera donc sur un recto. Ceci posé, nous relevons au
livre I
I,
III,
IV,
livre II
livre III
livre IV
474 vers = 474 lignes
4 ligne blanche = 4
470 V.
4 1. bl.
322 V.
1 1. bl.
454 V.
4 1. bl.
473 V.
= 470
= 4
= 322
= 4
= 454
= 4
= 473
Total = 994
= 49x52 + 6
= 49 H- 4 feuillets
VI,
664 vers = 664 lignes
= 42x52 + 37
= 42 + 4 feuillets
VII,
VIII
243 vers = 243 lignes
4 ligne blanche =: 4
275 V. =275
4 1. bl. = 4
IX,
450 V. =450
Total = 670
= 42x52 + 46
= 42 + 4 feuillets
X,
366 vers = 366 lignes
4 ligne blanche = 4
XI,
208 V. = 208
4 1. bl. = 4
XII,
430 V. = 430
Total = 706
= 20 feuill
= 43feuill
= 43 feuill
= 43x52 + 30
= 43 + 4 feuillets
A reporter.
= 44 feuill
60 feuill
VATICANVS MS 5750 32o
Report : 60 feuillets
ivre V
xm,
XIV,
exclu
249 ve
4 ligne
323 V.
depuis
rs
blanche
324
= 249
= 4
= 323
lignes
Total
= 573
= 14x52 + 4{àflégliger,
= 44 X 52 H- Toir plus loio) = 41 feuillets
Total général = 74 feuillets
soit donc en tout 71 feuillets qui font précisément 9 quater-
nions, si l'on ajoute 1 feuillet blanc en tête. L'hypothèse est
trop séduisante et trop conforme à ce que nous savons des
manuscrits en capitale pour que nous nous en privions.
N'est-elle pas corroborée d'ailleurs par la restitution de notre
cahier x, un quaternion lui aussi ? Je la figure d'après Goetz,
en élaguant ou rectifiant :
[—(p. 77) Juvénal XIV 324 — XV 47 | (p. 78) XV^48 - 43
XV 44 — 69 1 70 — 95
96 — 424 1 422 — 447
: - 448 - 473 I 474 _ XVI 4 - 24
^ " XVI 25 - 50 I 54 - 60, ?
■ ? I ?
-..- Perse I 4 — 26 | 27 — 52
(p. 63) 53 - 78 I (p. 64) 79 -.404
J'hésite, en effet, sur le contenu des feuillets 5 fin et 6, aux-
quels on peut aussi bien attribuer la fin manquante de la
xvi'' satire et refuser le prologue de Perse, à moins qu'on ne
leur donne les deux. Mais j'incline à penser:
1" que les choliambes nécessitant entre eux et les satires
un explicit-incipit et par conséquent une fin de page ou de
feuillet blanche, à titre de rythme distinct, n'ont pu trouver
place au recto obligatoire (si, par exception, ils n'occupaient
pas le verso) ; ou bien il faudrait réduire la lacune à 16 lignes
maximum (ou 15, ou 14, car où mettre V explicit-incipit T)^
326 F.-N. NOUGARET
chiffre peu vraisemblable ; à moins qu'elle n'ait tout en-
tière daté de plus haut, et par exemple de Juvénal lui-
même;
2^* que là xvi^ satire remonte au moins à notre manuscrit ;
3** que si elle s'y trouvait complète, la perte n'a pu exé-
der i 6 H- 52 = 68 vers ;
4** que les interpolations, s'il en fut, faisaient partie du
texte à l'époque du manuscrit en capitale.
Voyons maintenant si la pagination de notre manuscrit
(ou d'un manuscrit congénère à 26 lignes par page, que
rien n'empêche de supposer mieux copié ou mieux révisé,
puisque le nôtre a été l'un et l'autre assez mal) n'aurait pas
laissé sa trace dans notre tradition du texte. On peut
répartir cette pagination, pages, feuillets, cahiers comme
suit. Nous notons à mesure les rencontres les plus frap-
•Juvénal I 1 — 26 I 27 — 52
—53 — 78 I 79 — 104
-105 — 430 I 131-156
157 - II 10 I 11 — 36
37 - 62 I 63 - 88
-" 89 — 114 I 115 — 140 89-90 scholie anticipé
-141 _ 166 I 167 - III 21 ^^ ^^ ^ Sangallensis.
- 22 — 47 I 48 — 73
-^ 74 — 99 1 100 - 125
-- 126 — 151 1 152 — 177
- 178 — 203 I 204 — 229 203 mutilé P Parisinus
" L 230 - 255 I 256 - 281 mZlpel
- 282 — 307 I 308 - IV 10
- 11 — 36 I 37 — 62
- 63 _ 88 I 89 - 114
1. Texte congénère de P et pour partie plus ancien, comme j'ai dessein
de le démontrer prochainement. M. C E. Stuart, de Cambridge, à qui je
dois d'obligeants renseignements pour le présent ajrticle, a, de son côté,
la même opinion sur la valeur de ce Parisinus.
VATICANVS MS 5750
327
Tir
Juvénal IV 445 - 440 | 444 - V 44
42-37 1 38-63
64 - 89 1 90 - 445
116 — 444 1 442 — 467
168 — -473 I blanc (livres I — II)
VI 4 -26 1 27-52
53-78 1 79 — 404
405 - 430 I 434 - 456
457 - 482 1 483 - 208
,.; 209 - 234 I 235 - 260
264 - 286 1 287 - 342
IV
VI
ci:
VII
l:
•343-338 i 339-364
.-365 - 390 1 394 - 446
447 — 442 I 443 — 468
.469 — 494 1 495 — 520
-524 — 546
■573 — 598
547 - 572
599 _ 624
•625 — 650 1 654 — 664 (livres II — III)
VII 4 — 26 I 27 - 52
53-78 I 79-404
...405 - 430 1 434 - 456
....457 — 482 1 483 — 208
.209 — 234
47 — 42
69 — 94
• 424 — 446
•473-498
225 — 250
.1X4-26
53 - 78
...405 — 430
X4 — 26 1 27
235 - VIII 46
43 — 68
95 — 420
447 — 472
499 — 224
254
27 — 52
79 — 404
434 — 450 (livres m
52
275 ligne blanche
ou si III 281 omis, au
lieu de 141 lire 142,
devant lequel P Pa-
risinus anticipent le
titre V, avec grande
initiale suivante. —
Alors V 12 où initiale
suspecte P. — (38
A pour H P Parisi-
7iws.-)V 63 -64 in-
tervertis P Parisi-
nus s'accorde à 281
omis,64 venant alors
en fin de page, et no-
ter V 91 omis PPaWsi-
niis Vindobonensisi .
126, 307 errants ; ôtons
un des deux: dès
lors fin de page à
365, où commence la
découverte* Bo-
dléienne, non logea-
ble d'ailleurs, trop
peu de lignes blan-
ches à la fin.
129 — 158 scholies
manquent P Sari-
gallensis.
198 cessaient scho-
lies Valla.
— coupure milieu des
quaternions et des
satires de Juvénal.
IV)
157 grande initiale (0
exclam., le seul ainsi
noté) P.
53 _ 78 I 79 - 404
405 - 430 I 434 — 456
457 - 482 I 483 - 208
209 - 234 1 235 - 260
264 — 286 I 287 — 342
343-338 I 339-364
„.365 — XI 23 I 24 — 49
50-75 I 76-404
4. Voir Juvénal-Housman, Londres Grant Richards 4905. Je croirais
ce ms très apparenté à P.
F.-N. NOUGARET
VIII
"JuvénalXH02-127
•- 454-179
206 — XII 22
49 — 74
~ 101 — 126
XIII 1-26
53 — 78
105^130
IX
r
•157 — 182
•209 — 234
••--11 — 36
63-88
115 — 140
167-192
219 - 244
271 — 296
•Perse I
-324 -XV 17
44 - 69
-••96-121
148 — 173
25 — 50
-?
1-26
-53 — 78
XI
- 105 — 130
- 22 — 47
- --74 -III 23
r- 50-75
L 102 -IV 8
-. .: 35 — V 7
- ».34-59
- 86 - 111
XII
binion
138 — 163
190 — VI 23
50 - 75
?
128
180
23-
75-
127
27-
79 - 104
131 — 156
-153
-205
48
100
- 130 (livres IV — V)
52
183 - 208
235 - XIV 10
37-62
89-114
141 — 166
193 - 218
245 - 270
297 — 322 (323 surabondant)
18J- 43
70 — 95
122 - 147
174 - XVI 24
51 — 60?
?
27-52
79 — 104
a 139 — 140 interverti
P corrigés p peut
être l'explication di
vers surabondan
323.
pas de vers XIV entre
et2dans ce texte-ci
114 mutilé P.
229 caduc: explique
rait-il 323?
174 mutilé P.
131 - II 21
48 — 73
24-49
76-101
9 — 34
8-33
60 — 85
112—137
164 — 189
24 — 49
76 - 80 ?
?
75 omis «.
VATICANVS MS 5750 329
Nous n'osons présenter de conclusion formelle. Le manus-
crit se réduit à trop peu de chose, et ce peu, on le voit, n'est
pas excellent. C'est l'œuvre d'un copiste ignare, qui n'a
pas su déchiffrer son modèle, ou qui ne s'en est pas piqué.
Mais rien ne prouve que ce modèle ne fût pas bon. Presque
tout ce qui dépare notre texte me semble imputable à la
copie. Peut-être aussi le modèle avait-il souffert; ou bien
n'était-il qu'un grimoire ? en cursive ? quelque autographe ?
Si aventurées que soient de telles suppositions, il est néan-
moins concevable qu'un copiste confrère du nôtre (ou non)
ait pu tenir un archétype de semblable édition (seul point qui
importe) meilleur ou moins délabré, qu'il l'ait mieux lu,
mieux transcrit. De cette transcription plus exacte découle-
rait le Pithoeanus, et toute la tradition w jusqu'à plus amples
découvertes, les suppléments Bodléiens ou autres actuelle-
ment connus pouvant relever d'additions marginales long-
temps perpétuées telles quelles. Dans ce cas, les coïnci-
dences que nous a fournies cette rapide revue n'auraient
plus de quoi surprendre.
L. PARMENTIER
SUR LE CRITON DE PLATON
SUR LE CRITON DE PLATON
Par L. Parmentier.
Il ne semble guère possible d'accorder quelque certitude
aux indications chronologiques que l'on a jusqu'ici essayé
de tirer des idées développées dans le Criton. Lutoslawski
a cru y découvrir que la logique de Platon n'y est point en-
core parvenue au degré d'achèvement qu'elle présente dans le
Gorgiaseiàd^n?» les dialogues postérieurs. Platon n'y parle que
des opinions bonnes et mauvaises (47 A), sans remonter jus-
qu'à la vérité et à la science en soi. — Il faut tenir compte de
la situation et du but spécial du dialogue. Ici Socrate s'en-
tretient avec son vieil et fidèle ami Criton qui représente par-
tout chez Platon le jugement sain, le bon sens naturel et la
droiture du citoyen athénien de bonne volonté. Criton n'est
donc point l'homme qu'aurait choisi Platon pour faire discu-
ter devant lui par Socrate des problèmes du genre de ceux
du Gorgias ou du Théétète. La tâche que s'impose ici Pla-
ton est beaucoup plus simple et plus limitée. Suivant la mé-
thode qu'il définit dans le Phèdre (237 C-D), il commence
par se mettre d'accord avec Criton sur un principe général
d'où partira la discussion, à savoir qu'il n'est jamais bien ni
de faire le mal, ni de rendre le mal pour le mal (49 D). Ce
principe admis, Socrate en déduit qu'il n'a pas le droit de se
334 L. PARMENTIER
soustraire aux conséquences d'un jugement rendu suivant
les lois d'Athènes, et cette démonstration, pour avoir toute
sa force, devait précisément se faire accepter par un citoyen
à la fois honnête et dévoué à Socrate, tel que l'est Griton.
La date fictive du Criton, le lieu de la scène, suggèrent
naturellement un rapprochement avec le Phédon, 98 E :
« ...puisque les Athéniens ont jugé que le mieux était de me
condamner, je juge, moi aussi, que le mieux est de rester
ici, et que le plus juste est de subir la peine qu'ils ont or-
donnée ; car, par le chien, j'imagine, il y a longtemps que
mes muscles et mes os seraient à Mégare ou en Béotie, con-
formément à ce qui paraîtrait le meilleur, si je ne pensais pas
que le plus juste et le plus beau est, au lieu de fuir et de
m'évader, de subir !a peine que la cité a fixée ». C'est l'in-
dication du sujet du Criton ; à mon sentiment, c'est même
le rappel de la thèse déjà développée dans ce dialogue, mais
ce n'est là qu'un sentiment. Rigoureusement, le passage du
Phédon pourrait aussi s'interpréter dans le sens opposé, ou
même simplement faire allusion au fait considéré comme
historique.
Certains ont pensé — entr'autres M. Gomperz (Griechi-
sche Denker, II, 3o9) — que l'introduction du Phédon ne
supposait pas encore l'existence du Criton. En effet Éché-
kratès, qui dans le Phédon s'informe des derniers moments
de Socrate, ne connaît pas les circonstances mentionnées
dans le Criton, par exemple les visites faites à Socrate par ses
amis dans la prison ; d'autre part, l'histoire du vaisseau sacré
de Délos, racontée en détail dans le Phédon, est supposée
connue dans le Criton. Ces arguments ne peuvent convaincre,
si l'on tient compte de la différence de milieu entre les deux
dialogues. Il est évident que les détails historiques racontés
abondamment à Echékratès de Phlionte, qui est censé igno-
rer tout des choses athéniennes, n'auraient pas été à leur
LE CRITON DE PLATON 335
place dans une conversation tenue à Athènes entre Socrate
et Criton. Pour le surplus, les faits rapportés par les deux
dialogues coïncident parfaitement. Dans le Phédon, les amis
de Socrate apprennent la veille de sa mort que le vaisseau
de Délos est rentré à Athènes (59 E). La prochaine arrivée
du même bateau est annoncée à Criton (43 D) deux jours
plus tôt par des gens débarqués à Sunium. L'une des don-
nées n'exclut pas l'autre ; tout au plus, peut-on voir là un
faible indice que le Criton a été composé avant le Phédon.
La donnée du Criton, très vraisemblablement historique en
raison de l'anxiété où devaient se trouver les amis du con-
damné, ne pouvait plus être utilisée dans le Phédon qui de-
vait nécessairement se terminer par la mort de Socrate. Ce-
lui-ci, qui doit mourir le lendemain du retour de la théorie
— et ce détail spécial est rappelé identiquement dans les
deux dialogues — déclare à Criton que le bateau n'arrivera
pas au port le jour même, mais seulement le lendemain, en
sorte qu'il ne mourra que dans trois jours, car « une femme
belle et gracieuse, parée de vêtements blancs, lui a dit en
songe : « 0 Socrate, dans trois jours tu arriveras dans la fer-
tile Phthie » (44 B). De même que les circonstances de fait
s'accordent entr'elles, l'état d'esprit de Socrate est le même
dans les deux dialogues. Le Socrate du Criton qui considère
la mort comme une délivrance et comme un retour dans sa
patrie, est bien le même sage qui expose dans le Phédon
les preuves de l'immortalité de l'âme. Une autre analogie
est que les deux dialogues mentionnent d'une façon spéciale
le dévouement de Simmias et de Cébès à Socrate dans ses
derniers moments (45 B). Tous ces rapprochements n'indi-
quent pas d'ailleurs que les deux œuvres se sont nécessaire-
ment suivies de très près. Il faut tenir compte de la réalité
historique de certains faits ; il faut songer aussi que, d'une
œuvre à l'autre, même après un assez long intervalle, Platon
336 L. PARMENTIER
a dû conserver au Socrate des dernières heures la même sé-
rénité et la même idéalisation.
Au sentiment de M. Gomperz, la pureté morale du Cri-
ton dépasse de beaucoup celle du Gorgias. Le C rit on dé-
fend de faire du mal aux ennemis, même de rendre le mal
pour le mal, ce qui est contraire au vœu exprimé dans le
Gorgias (481 A) qu'il faut souhaiter à son ennemi de n'être
pas puni de ses crimes, et si possible d'être immortel dans sa
perversité. Pour l'interprétation de ce passage, M. Gomperz
me paraît avoir cédé à l'opinion trop généralement admise
que le Gorgias est un des premiers écrits de Platon. En réa-
lité, si l'on tient compte de la situation, le Socrate du Gor-
gias est bien loin de contredire celui du Criton. Dans ce
dernier dialogue, Socrate, sans ironie et s'entendant avec
son vieil ami, pose en principe qu'il n'est jamais bon, comme
le croit le vulgaire, de rendre le mal pour le mal. Dans le
Gorgias, avec l'air de défi et de paradoxe moral qu'il lui
plaît de prendre en discutant avec des Polus et des Galliclès,
Socrate va plus loin ; non seulement il réprouve l'opinion
vulgaire, mais pour la braver, se plaçant uniquement au
point de vue de ceux qui veulent nuire à leurs ennemis, il
déclare : « Pour vous venger, le meilleur moyen est, non
pas de punir votre ennemi, mais de l'encourager au crime et
de le laisser vivre dans sa perversité. » Qui ne voit qu'ici
l'attitude morale de Socrate, loin d'être moins pure que dans
le Criton, est en réalité beaucoup plus batailleuse et plus
intransigeante? Quant à la démonstration dialectique qu'il
ne faut jamais faire le mal, même à ses ennemis, elle n'est
donnée que dans la République, I, 335 D. Mais Platon a pu
faire auparavant usage de ce principe, et sa simple affirma-
tion comme axiome, dans la bouche du Socrate des derniers
jours, le présente avec plus de force et de relief. Gomment
d'ailleurs peut-on douter que telle ait été déjà réellement la
LE CRITON DE PLATON 337
conviction morale de Socrate, puisqu'il l'a démontré en ac-
ceptant la mort et en refusant de fuir ?
Je citerai un dernier rapprochement qui, lui du moins,
me paraît autoriser une conclusion indéniable. C'est celui
de Criton 43 B : « Ne refuse pas de te sauver par crainte
de ne savoir que devenir à l'étranger, comme tu le disais au
tribunal », avec Apologie 37 G ss., où Socrate explique aux
juges pourquoi il ne peut proposer contre lui la peine de
l'exil. Ici le Criton doit citer V Apologie. On ne peut guère
objecter qu'il citerait simplement la défense historique de
Socrate, puisque celle-ci n'était pas connue de la majorité
des lecteurs du Platon.
Un intérêt d'un ordre différent s'attache à un autre rap-
prochement qui, à ma connaissance, n'a pas encore été si-
gnalé.
Dans le Criton^ 53 B ss., les Lois exposent à Socrate, en
résumé, ceci: « Examine bien (lly^ir^v, yàp 8r^)... si tu t'éva-
des, iras-tu à Thèbes ou à Mégare, cités bien policées? Mais
ton attentat contre les lois t'y rendra suspect... Et comment
auras-tu encore le front d'y parler de la vertu, de la justice
et des lois ? Si tu fuis les cités bien gouvernées, à quoi bon
vivre alors? (Kal tguto tco'.ouvti apa aÇisv aot C^v la-uai ;). Iras-tu
en Thessalie, là où règne le désordre et la licence?...
Crois-tu que personne ne t'y reprochera ta lâche transgres-
sion des lois?... Tu y seras la risée et l'esclave de tous... »
Dans sa défense contre l'accusation de trahison, le Pala-
mède de Gorgias dit (Blass, 20-21) : « Examinez encore ceci
(Sy.É'^acÔE cl y.al tcs=). Si j'avais commis ce crime, comment
la vie me serait-elle possible? (Ilwç cjx av àgiwioç v' c gbç
\).o\ KpaçavTi -zTj'OL ;). Où pourrais-je aller? Est-ce en Grèce?
J'y serais partout châtié et honni pour mon crime. Réside-
rais-je chez les barbares? J'y vivrais sans honneur, dans l'in-
famie, reniant tous les efforts de ma vie passée en vue de la
22
338 L. PARMENTIER
vertu... Même les barbares se défieraient de moi à cause de
ma trahison. La vie ne serait pas possible. »
Il est inutile de commenter ce rapprochement. Il est évi-
dent que le lieu commun et le mouvement sont les mêmes.
Je considère comme parfaitement authentique le Palamède
de Gorgias qui d'ailleurs est, dans son genre, un petit chef-
d'œuvre, et je le crois aussi de beaucoup antérieur au Cri-
ton. Comme tous les grands artistes, Platon s'arroge le droit,
à l'occasion, de prendre son bien où il le trouve. Au surplus,
il pouvait ne pas lui déplaire que la ressemblance des deux
passages frappât ses lecteurs. Palamède, depuis les tragiques
du V* siècle et depuis V Apologie de Gorgias, était devenu un
type littéraire, le type de la victime judiciaire et du sage
persécuté. On dut tout de suite songer à rapprocher de ce
martyr mythique le martyr de la philosophie athénienne.
Dans V Apologie de Xénophon (26), Socrate se compare lui-
même à Palamède, et à la fin de V Apologie de Platon, il cite
Palamède et Ajax, une autre victime de l'injustice, parmi
ceux qu'il aura plaisir à rencontrer aux enfers. L'imitation
du Criton a pour effet de suggérer aux lecteurs le même
rapprochement.
L'examen de ces nombreux passages du Criton ne nous
a appris que peu de chose sur la date, même relative, de sa
composition. Cherchant à résoudre la question par une autre
voie, on a cru découvrir, dans l'ensemble du dialogue, une
tendance d'actualité. M. Gomperz voit ainsi dans le Criton
une correction non seulement de V Apologie et du Gorgias,
mais encore du Ménexène, ce paignion ou jeu d'esprit aussi
innocent au point de vue politique qu'il est malicieux au
point de vue littéraire, mais où M. Gomperz découvre néan-
moins une tendance révolutionnaire. Platon aurait voulu y
défendre son enseignement contre le reproche d'avoir des
idées antisociales et subversives. Il semble bien cependant
LE CRITON DE PLATON 339
que Platon ne se soucie guère de ménager les meneurs de
cette opinion qu'il veut ramener à lui, puisqu'il fait dire à
Criton 45 A : « Tu ne vois pas combien sont à bon marché
les sycophantes, et comme on peut les avoir pour peu d'ar-
gent I » L'hypothèse ne nous fournit en outre rien de précis,
car Platon pourrait avoir eu à se défendre à toutes les épo-
ques de sa carrière contre les suspicions des démocrates
constitutionnels, si tant est qu'il ait jamais cru devoir le faire.
Car la chose me paraît fort peu probable. Platon, à Athè-
nes, s'est toujours renfermé dans son enseignement, et ses
spéculations théoriques ne doivent guère avoir plus inquiété
les politiciens que ne le font ordinairement de nos jours les
cours de philosophie et de morale dans les chaires acadé-
miques.
Ce qui est certain, c'est que le Criton n'a pu être écrit
qu'assez longtemps après la mort de Socrate. En effet, Pla-
ton n'aurait pu raconter immédiatement les projets d'éva-
sion formés par ses amis sans les compromettre et les expo-
ser à des représailles. Le Criton suppose un complet retour
de l'opinion en faveur de Socrate, et s'il fallait y voir une
tendance secondaire et occasionnelle, je croirais plutôt
qu'elle est de justifier les amis de Socrate auprès d'un public
mal informé, et qui s'étonnait et s'irritait peut-être de ce
qu'on n'eut rien fait pour l'arracher à la mort.
Une anecdote, qui remonte à Idoménée de Lampsaque,
disciple d'Épicure, racontait que c'était Eschine qui avait
engagé Socrate à s'enfuir de sa prison ; Platon, mal disposé
pour Eschine parce qu'il voyait en lui un ami d'Aristippe,
lui aurait substitué Criton dans ce rôle (Diog. Laert. II, 60).
Nous savons qu'Eschine était pauvre, et qu'il se rendit à Sy-
racuse pour obtenir les faveurs de Denys. Il essaya de s'y
faire valoir en produisant des discours socratiques qui lui
furent payés. Il y aurait été traité avec dédain par Platon et
340 L. PARM ENTIER
avec bienveillance par Aristippe (Diog. Laert. II, 61, III,
36). Une autre version représente Aristippe lui-même comme
ayant suspecté la sincérité des dialogues que lisait Eschine
Çlbid., II, 62). Tout au moins peut-on admettre que ces
anecdotes nous transmettent un écho des discussions qui eu-
rent lieu, particulièrement à Syracuse, au sujet de la véra-
cité et du rôle des différents Socratiques. Beaucoup de ver-
sions circulaient, et on cherchait quelle était la plus sûre. Par
exemple, sur la question même de l'évasion, V Apologie de
Xénophon (23) en mentionne également le projet, mais elle
attribue au refus de Socrate une raison différente de celle
donnée par Platon. Peut-être Eschine — dont Platon signale
d'ailleurs dans le Phédon très fidèlement la présence aux
derniers moments de Socrate — avait-il essayé de se donner
un rôle particulièrement important dans la même affaire.
On pourrait démontrer que l'introduction du Phédon a en
grande partie pour objet de donner à des lecteurs étrangers
un fidèle exposé historique des derniers jours de Socrate.
De même, dans le Critoriy Platon me paraît viser, au moins
secondairement, à établir la vérité sur la question de l'éva-
sion. La circonstance qu'il la fait proposer par Griton n'est
qu'assez accessoire, et n'est sans doute qu'un hommage par-
ticulier rendu au plus vieil ami de Socrate. En effet, il a
soin de dire, conformément à la réalité historique, que Sim-
mias et Cébès et d'autres amis sont prêts à intervenir autant
que Griton dans les risques et les frais de la tentative. La
vérité sur ce point risquait surtout d'être défigurée à l'étran-
ger. De même que dans le Phédon, Platon penserait spé-
cialement à ses amis de Sicile, et il y aurait là en tout cas
un indice pour ne dater le Criton qu'après le premier voyage
à Syracuse.
p. PASSY
L'ÉVOLUCION DE QUELQUES
DIFTONGUES EN VIEUS FRANÇAIS
ei (oi), ie, ou (eu), uo (ue).
LÉVOLUCION DE QUELQUES
DIFTONGUES EN VIEUS FRANÇAIS
ei (oi), ie, ou (eu), uo (ue).
Par P. Passt.
VUE D'ENSEMBLE
1 . — Je me propoze d'étudier le dévelopement Français
des quatre diftongues issues de ë, ë, ô, et ô Latins ; ou plutôt,
puisqu'en Latin populaire les diférences de durée avaint fait
place à des diférences de timbre, des quatre diftongues
issues des voyèles latines e, s, o, o.
2. — La diftongaizon de ces voyèles supoze, sinon touta-
fait nécessairement, du moins très vraisemblablement, la
durée longue préalable. Et en éfet, tout porte à croire que
les voyèles, en Gallo-roman come déjà en Latin populaire,
étaint longues en silabe tonique ouverte, brèves ou apeuprès
brèves partout ailleurs ^ C'est en gros l'état de chozes actuel
en Italien et en Béarnais. Je statue donc come point de dé-
part de nos diftongues, e:, s:, o:, o:; — e: et o: ayant dailleurs
sans doute un timbre très fermé, ei:, oi:, apeuprès come en
Danois moderne^.
4. Grandgent, Introduction to Vulgar Latin, § 176.
2. Id., §§ 198 et 203.
344 P. PASSY
3. — On remarque tout de suite une analojie frappante
dans le dévelopement des deus voyèles fermées e, o, d'une
part ; des deus voyèles ouvertes e, o, d'autre part.
Les premières se diftonguent en se fermant vers la fin ;
c'est un fénomène très fréquent : l'exemple le plus familier
s'en trouve en Anglais moderne, où les mots made, nose,
encor prononcés me:d, no:z en Ecosse, sont devenus meid,
nouz, ou quelquechoze de semblable.
Les autres se sont diftonguées en fermant davantage le
comencement. C'est un fénomène beaucoup moins comun ;
cependant, outre les autres langues romanes où il s'est pro-
duit apeuprès come en Français, on le trouve pour e en Is-
landais, ou le mêr Norrois est devenu injer ; — pour o en
Viens Haut Allemand, on gôd 2i àoné guot pour aboutira
gutf et en Tchèke ou Bog est devenu Biiog pour aboutir à
Bûh,
(Je ne vois pas, dureste, la nécessité d'admettre F « into-
nacion circonflexe » pour expliquer le comencement de la
diftongaizon. En tout état de cauze, une voyèle longue tent
facilement à ne pas rester homojène pendant toute sa durée ;
de là à la diftongaizon proprement dite, il n'y a qu'un
pas.)
4. — L'analojie, toutefois, n'est pas complète entre nos
deus paires de voyèles. L'évolucion parait avoir été plus ra-
pide et plus complète pour les voyèles d'avant e, e, que pour
les voyèles d'arrière o, o*. Puis, divers facteurs l'ont modi-
fiée dans un sens ou dans un autre, de sorte que les rézultas
ne sont nulement simétriques. Il convient donc d'examiner
chaque cas séparément.
i. Comparez l'évolucion de ai et cèle de au: ai réduit à e: dès le Latin,
au ne se réduizant à o: que très tard et pas partout. Ici aussi il y a para-
lélisme parsiel, mais la voyèle d'arrière se moditie plus lentement que la
voyèle d'avant.
QUELQUES DIFTONGUES EN VIEUS FRANÇAIS 345
et
5. — Ladiftongaizonde e: remonte certainement à l'époque
prélitéraire. A la vérité, nous ne pouvons pas la constater di-
rectement dans le texte des Serments de Strasbourg, où se
trouve régulièrement i: savir, podir, dift, mi, sit (\q ^2 de
dreit est diférent). Mais tout indique que cet i, qui signifie
un e (= ei) bref dans in, int, prindrai, reprézente ici une
diftongue plus ou moins acuzée, et qu'il faut lire saveir,
poceir, deift, mei, seit^ Dans l'Eulalie et dans les textes
plus récents la diftongue ei aparait régulièrement, jusq'au
moment où elle est remplacée par oi en Francien et dans
pluzieurs autres dialectes.
6. — Dès le début èle se confont grafîquement avec une
diftongue d'orijine diférente, provenant de e ou e suivis de
palatale en silabe protonique : licere^ leisir, tëcturay tei-
ture, uëctura^veiture , mëssionem'^meisson.
Il n'est pas admissible que ce douzième ei ait valu exac-
tement ej. Danscète pozicion, en éfet, e ou e, non influen-
cés par une palatale, aboutissent à e féminin, c'est-à-dire,
pour la première époque litéraire du Français, une voyèle
indistincte assez semblable à la voyèle faible de l'Alemand
1. Meyer-Lûbke, Gramm. des l. rom.,l, § 72. — Les objecsions de
P. Marchot (Petite phonétique du Français prélitéraire, l, § 9) ne me
paraissent pas probantes ; dailleurs je ne comprens pas .très bien ce qu'il
entend par des voyèles dédoublées ee, oo, aa. Mais il va sans dire que je
ne supoze pas pour les voyèles des Serments une diftongaizon bien déve-
loppée, que le scribe aurait certainement notée corne il l'a fait pour ai.
Il s'ajit de voyèles longues non homojènes ; dans l'espèce peutêtre eei,
ou encore eii, ou quelqucchoze de semblable. Dans l'impossibilité depré-
cizer, le mieus est d'écrire ei.
Quant au dreit des Serments, venant de dirêctum, il reprézente natu-
rèlement autrechoze; peutêtre dreçt ou dreiçt come pense Meyer-Lûbke,
en tout cas une forme à diftongue beaucoup plus acuzée que dans les
mots où le point de départ est e:.
346 P. PASSY
gabe, que je représente par ë'. Avec la palatale, on devait
avoir la même voyèle suivie de i, c'est-à-dire la diftongue
êi.
7. — Cependant, come le dévelopement ultérieur des
deus ei a été le même, il est vraisemblable qu'ils se sont con-
fondus de bone heure ; dailleurs on ne peut guère conce-
voir deus groupes aussi semblables que ei et ëi subsistant
l'un à côté de l'autre et dans des pozicions identiques sans
se confondre. J'admets que tous les ei sont arrivés très ra-
pidement à valoir ëi en Francien, dabord en silabe faible,
puis partout ; tandis qu'en Normand ils se confondaint en
ei.
8. — Dès le 12* siècle, le ëi du Francien a comencé à évo-
luer de nouveau. En éfet, le son ë, qui était jusque-là celui
de la voyèle neutre du Français, a peu à peu pris un léjer
arrondissement, devenant notre e féminin actuel, que je re-
prézente par a. Gète évolucion, ayant lieu régulièrement
partout, n'a entrainé aucun chanjement de grafie. La voyèle
a évolué dans la diftongue ei come ailleurs, et ce groupe
est arrivé à se prononcer ai, toujours sans chanjement de
grafie.
(On sait qu'en poézie, ei n'assone régulièrement qu'avec
lui-même. Ce fait ne serait-il pas du à ce que, dans les
textes d'orijine franciène, ci se prononçait ëi, puis ai, ayant
ainsi come principale voyèle un son qui ne se rencontre ac-
sentué nulepart ailleurs?)
9. — Cète étape ai ne pouvait guère durer, vu la répu-
gnance du Français pour les articulacions intermédiaires, du
moins en silabe forte. Aussi ai a été modifié par dissimila-
4. Voir Bcus problèmes de fonétique historique française, dans la Re-
vue de filologie française, 4906, p. 4 et suivantes. Pluzieurs points trai-
tés dans cet article sont ici reproduits en abréjé : je done les rézultas
en laissant de côté la démonstracion, ou en ne fezant que l'indiquer.
QUELQUES DIFTONGUES EN VIEUS FRANÇAIS 347
cion du premier élément, qui est devenu o. A la diférence
des chanjements précédents, celui-ci devait être indiqué
dans l'écriture, puisque d'une part il n'ateignait pas tous les
8, et que d'autre part il aboutissait à un rézulta pour lequel
on avait sous la main un signe tout indiqué. De fait, la nou-
vêle diftongue s'écrit oi; cète grafie faitdabord son aparicion
en silabe faible (noieds déjà dans le Jonas), bientôt èle est
jénérale et diférencie nètement au 13* siècle les textes
Franciens d'avec les textes Normands. Ele n'a pas chanjé
dans l'uzaje litéraire jusqu'à ce jour.
10. — Cependant, l'évolucion fonétique ne s'est pas ar-
rêtée là. La diftongue oi s'est trouvée soumize aune double
influence, dissimulative pour le premier élément, assimila-
tive pour le deuziême ^ oi est devenu oe, os. On trouve une
trace de ces chanjements dans la grafie oe, qui fait son apa-
ricion dans le Roman de la Roze, au 13^ siècle.
Ensuite ou en même tems, le deuzième élément de la
diftongue devenant le plus sonore, l'acsent silabique se dé-
place, et on a Ô£, puis bientôt Ù£, we. Ce déplacement doit
avoir comencé au 13^ siècle; à la vérité, les rimes d^aper-
çoeve, reçoeve, avec moeve, yio^y^, dans le Roman de la
Rose, ne sont pas toutafait concluantes, puisque l'acsent
silabique a dabord été sur le premier élément dans oe ve-
nant de uo come dans oe venant de ei (§ 16), et quand
même la qualité des deus o était diférente ; mais il en est au-
trement de la rime cloistre-estre, qui ne s'explique que par
la prononciacion kloestra. Dans la suite, des rimes de cète
espèce sont très nombreuzes : on les trouve tout le long de
la litérature, chez les auteurs classiques {toiles-telles, Vil-
lon, senestre-cognoistre, Marot, poëte-adroite , Régnier,
nette-droite, Molière, étroites-retraites, Lafontaine, croistre-
1. V. P. Passy, Changements fonétiquesy §§ 459-467.
318 P. PASSY
maistre, Racine, être-croitre^ Voltaire). Ainsi la prononcia-
cion we a du se maintenir apeuprès intacte jusqu'à la fin du
18* siècle. Individuèlement ou localement, èle a persisté
beaucoup plus tard encor. On sait qu'en 1830 Lafayette
prononçait le roué pour le roi, et qu'en 1836 Mme Du-
puis recomandait de prononcer oè en silabe faible, come
dans roitelet. Dans les parlers populaires à l'Ouest de Paris,
c'est encor aujourdui la prononciacion courante.
Mais ailleurs et notament à Paris, ws a bientôt tendu à
se chanjer en wa. La première 'trace de cète prononciacion
se trouve dans un sermon du 13* siècle (voar, voars) ; c'est
sans doute un fait dialectal et toutafait izolé à cète époque.
Plus tard, des formes de ce jenre se multiplient, et prènent
surtout de l'importance au 16* siècle*. La nouvèie pronon-
ciacion est condanée come un vulgarisme ou une afectacion
par Henri Estienne et Th. de Bèze, mais èle gagne du ter-
rain aus 17* et 18^ siècles, et finalement èle est déclarée
seule correcte par Domergue en 180o. Ele a définitive-
ment trionfé aujourdui; mais dans quelques pozicions et
notament après r, wa s'est changé en wa {roi, froid').
D'autre part, il y a eu aussi à Paris et dès le 13* siècle,
une tendance populaire à remplacer us ou we par e dans
certains mots, sporadiquement semble-t-il, ecsepté pour les
imparfaits et condicionels ou la substitucion est jénérale.
Est-ce une survivance dialectale de formes en ei, une in-
fluence normande, ou une simplificacion de us, c'est ce que
je n'oze pas décidera Cète prononciacion, èle aussi, se ré-
1. On connait la curieuze ortografc de la reine Elizabeth, sœur de
Charles-Quint et famé de Christian 2 de Danemark, écrivant le Danois
avec les valeurs françaises des lètres. Elle écrit soyr pour le mot Danois
svar (réponse). V. K. Nvrop, Grain. Hist. du français, I, § 160).
2. Daprès une communicacion particulière, M. F. Neumann donc de ce
fénomène une explicacion qui pourrait bien être la vraie. La réducsion
aurait eu lieu dabord à l'imparfait des verbes à radical terminé par une
QUELQUES DIFTONGUES EN VIEUS FRANÇAIS 349
pant à la cour au 16^ siècle, malgré les éforts des gramai-
riens, qui l'atribuent, certainement à tort, à l'influence ita-
liène ; èle finit par s'impozer pour un certain nombre de
mots, pour lesquels l'Académie s'est décidée en 1835 à ac-
septer l'ortografe ai (était, avait, Français, Anglais...,
etc., etc.).
Come on le voit, le dévelopement de la diftongue ei a
été singulièrement riche et varié.
ie.
11. — On sait que le chanjement de e: en ie se trouve
sur une très grande partie du territoire roman, apeuprès par-
tout ecsepté en Sarde, en Sicilien, en Catalan et en Portu-
gais ; en Espagnol et en Wallon il s'est produit même en si-
labe fermée. Il faut donc admètre qu'il existait au moins en
jerme en Gallo-roman. Dureste on trouve l'ortografe dieci
dans un manuscrit Latin de 670, si ce n'est pas une faute*.
Cependant la grafie ie ne se trouve pas dans les Serments,
dont le scribe paraît décidément avoir eu l'oreille peu sen-
sible à la diftongaizon naissante ; nous n'hézitons pas à in-
terpréter come des diftongues les e de meos, etc. Dans l'Eu-
lalie, on trouve ciel, menestier, — mais, choze curieuze,
non seulement sempre, bien qu'on soit en pays Wallon où
on atendrait *siempre^, mais encor seule, eret, et non *sieule,
voyèle, pour éviter racumulacion des voyèles : tuois tyues aurait été sim-
plitîé en tyss. Puis par analojie, la simplitîcacion se serait étendue à l'im-
parfait de tous les verbes. Quant aus autres mots, ils auraint été influen-
cés par une sorte d'analojie fonétique.
i. Tardif, Monuments historiques, 19 : 38.
2. Daprès une communicacion particulière, M. F. Neumann supoze
que la diftongaizon wallone de s entravé ne s'est produite que relative-
ment tard, come fénomène indépendant de la diftongaizon romane de s
libre. Les graties des manuscrits semblent certainement lui doner raizon ;
et il faut ajouter que la diftongaizon dans un mot d'emprunt come bcs-
tia'>bieste doit être relativement récente. Mais coment expliquer d'autre
360 P. PASSY
*ier€t. Ceci est d'autant plus étranje que la diftongue de ciel,
menestier, parait déjà confondue avec cèle de pagiens,
chielt, chief\ provenant de a après palatale. Or cèle-ci avait
certainement l'acsent sur la dernière voyèle ; nous devons
donc conclure que dès cète époque, ie se prononçait ïe ou
je, corne en Français moderne, en Italien et en Espagnol.
Cependant il n'est guère douteus que la première forme de
la diftongue ait été dessendante, es ou quelquechoze de ce
jenre : ceci ressort, entre autres, de la fréquente réduction
de ie à i en Picard. Le déplacement de l'acsent silabique est
dailleurs toutafait naturel, il s'est simplement porté sur la
voyèle la plus sonore. Mais pour que cète évolucion ait déjà
été acomplie au 10^ siècle, il faut que la diftongaizon èle-
même ait déjà été anciène à cète époque.
L'ancièneté du fénomène est encor prouvée, come l'ont
fait remarquer M. Meyer-Lûbke et d'autres, par des formes
tèles que giens de genus, où la diftongaizon a du être tout
au moins amorcée avant la chute de la voyèle atone, puis-
qu'autrement le e aurait été entravé ; — et aussi par le
changement de ë en i devant palatale, come lectum^lit,
qui supoze l'étape *lieit et postule par conséquent une lon-
gue évolucion. Mais, d'autre part, la diftongaizon dans des
mots d'emprunt come liepre et siècle n'a pu se produire que
tardivement. On peut donc afirmer que la tendance à dif-
tonguer s a duré assez lontems. Néanmoins, bien entendu,
il est toutafait inadmissible qu'èle ait persisté jusqu'au 13®
siècle, et soit cauze des nombreus chanjements de eu en
ieii, dans les cas où eu provient de «/-|-consone {talis
part, que, sauf erreur, èle ne se rencontre que là ou le Latin avait ë ? N'y
aurait il pas eu, à l'époque de la diftongaizon, des s identiques à ceus-là,
quoique provenant d'autres sources ? — Il paraît plus probable, que la
tendance à diftonguer l'e entravé a existé en pays wallon dès l'époque
prélitéraire, mais qu'èle était trop faible à l'époque des premiers docu-
ments pour avoir été notée par l'écriture.
QUELQUES DIFTONGUES EN VIEUS FRANÇAIS 331
> lels > tem ou tiens ; qualis > quels > queus ou quieus ;
ostieus, pieus, etc.). Force nous est de voir ici un chanje-
ment de nature diférente, ateignant non plus tous les s, mais
seulement ceus qui se trouvent dans cète pozicion particu-
lière, quelqu'étranje que la choze puisse paraitre dailleurs.
On sait que dans la plupart des textes, ie n'assone qu'avec
lui-même ; pourquoi, c'est ce qu'il n'est pas facile de déter-
miner.
L'histoire plus moderne de cète diftongue ne prézente rien
de bien remarquable. Ele aboutit en Français moderne à je
ou je, l'alternance entre £ et e s'établissant come dans tant
d'autres cas.
on.
12. — La diftongue oii est sortie de o:, c'est-à-dire pro-
bablement oi: en Gallo-roman, de la même manière que ei
est sorti de e: ; mais la diftongaizon paraît avoir été moins
anciène, moins complète et moins universèle. Dans les Ser-
ments, on peut naturèlement lire amour pour amur come
sait pour sit, et je pense qu'on doit le faire * ; et dans l'Eu-
lalie, la diftongaizon est clairement indiquée par les épels
hellezour, soure. Mais dans la suite, ou ne se trouve pas
dans les manuscrits d'orijine normande, qui portent jénéra-
lement u come les Serments, quelquefois o. Come ces mê-
mes manuscrits écrivent bien ou pour la diftongue provenant
de o-\-u, que le Francien confont avec la précédente, il
faut évidament statuer une voyèle simple, ou en tout cas
une très faible diftongaizon, dans les mots come seignur, etc.
D'autre part, il ne faut pas oublier que ou assone régu-
lièrement avec 0. Tout ceci permet d'afirmer que la difton-
gaizon de 0 en ou n'était pas aussi marquée que cèle de e
en ei.
1. En (lonant à OU la valeur ooi ou oiu, bien entendu.
352 P. PASSY
13. — Quel est le dévelopement de on qui aboutit ensuite
à eu, devenu œ ou ^ en Français moderne? — Daprès
l'écriture, on serait tenté de le croire exactement paralèle
au chanjement de ei en oi : ce qui s'aplique à l'un s'aplique-
rait à l'autre par renversement, d'une part e ^ ei^ oi,
d'autre part o^ ou^ eu. Mais un peu d'atension montre
bientôt que ce paralélisme — qui en tout cas ne se serait pas
continué jusqu'à l'époque moderne, oi devenant wa tandis
que eu devient œl — est plus aparent que réel, et en grande
partie purement grafique.
On remarque tout dabord, en éfet, que le eu provenant de
ou assone ou rime avec eu provenant de é/-hconsone (illos
> eis > eus), et non pas avec eu provenant de al~\- consone
{talis ^ tels '^ teusy ni avec eu provenant de è-{-u {deiis
y> deuSy grœcos^ gi^eus). Ceci indique, en tout cas, une
prononciacion plutôt fermée de la première voyèle dans eu
venant de ou. Au contraire, la première voyèle de oi venant
de ei, est ouverte, come l'indiquent les rimes et assonances
(^joie-voie).
D'autre part, il ne faut pas oublier que la lètre u, qui si-
gnifiait d'abord u, a fini par aboutir au son y. Il est dificile
de fixer exactement sa valeur pour le 12^ siècle; sans doute
èle n'était pas encor arrivée au son actuel, et je pense qu'on
ne se tromperait pas beaucoup en lui atribuant la valeur de
la voyèle norvéjiène dans hus, que je reprézente par û ;
mais en tout cas, èle ne valait plus u. La lètre i, au con-
traire, a conservé sa valeur intacte. Sur ce point encor, eu
n'est donc pas paralèle à oi.
14. — Le plus simple, c'est d'admètre que ou s'est modifié
suivant la tendance jénérale des voyèles d'arrière en Fran-
4. V. H. Suchier, Les voyelles toniques du vieux français, §§ 19»^ et
QUELQUES DIFTONGUES EN VIEUS FRANÇAIS 3o3
çais, qui est de déplacer leur point d'articulation d'arrière
en avant ; tendance à laquèle nous devons le chanjement de
u en y et celui de a en g. Cète tendance, pour le cas qui
nous ocupe, a du ajir également sur les deus éléments de la
diftongue, chanjant u en û et o en ô (intermédiaire entre o
et e). Mais le chanjement de u en ù n'impliquait aucun
chanjement dans l'écriture, puisque u, dans toutes les pozi-
cions, passait à ù, pour devenir y plus tard. Au contraire,
le chanjement de o en ô s'exprimait tout naturèlement en
écrivant e, puisque e avait pris la valeur a — parmi d'au-
tres, maleureuzement pour nous I — et devait servir de si-
gne comun pour toutes les voyèles des pozicions moyènes.
Un peu plus tard, la même évolucion se continuant, où de-
venait 0Y, sans chanjement de graphie. Il se confondait dès
lors avec le eu provenant de eZ + consone (c€us<^ ecce illos),
lequel avait du doner dabord eu, puis très rapidement ey
par assimilacion réciproque.
On voit que eu se trouvait ainsi compozé de deus éléments
très voizins, et non de deus éléments éloignés come oi. Ceci
explique pourquoi ces deus groupes ont eu des destinées difé-
rentes, quand le Français a comencé à éliminer ses anciènes
diftongues. Tandis que oz = oi continuait à se déveloper jus-
qu'à former un groupe de consone et voyèle wa, eu=-0Y
au contraire se contractait en 0. Absolument come le ei Nor-
mand s'est jénéralement contracté en e dans les patois moder-
nes. — La contracsion de eu en 0 est atestée dès le 13® siècle
par des rimes et des confuzions de eu et de we ; v. § 19.
Il s'est établi ensuite une alternance de 0 et de œ, réglée
par l'influence des sons voizins, et très semblable à cèle qui
existe entre a et 0, entre 0 et 0, même entre e et e.
uo
lo. — Le chanjement de ô en uo se trouve, lui aussi,
23
3S4 P. PASSY
dans la plupart des langues romanes et doit remonter en
Français à l'époque prélitéraire. On n'en trouve pas de tra-
ces dans les Serments, ce qui ne nous empêche pas de sta-
tuer une diftongue au moins naissante dans poblo, om,
pois. On a buona, ruovet, dans l'Eulalie, et des formes
semblables dans St. Léger. Ensuite, on a ordinairement oe
ou ue ; cète dernière grafie finit par prévaloir. Izolément ou
dialectalement, on trouve aussi o, e, eo, ii, e, œu, ou, et
enfin eu, qui est resté en uzaje jusquà nos jours, sauf dans
un petit nombre de mots pour lesquels ue a été conservé
{orgueil, cercueil, accueil^ cueillir, recueil).
16. — Coment faut-il interpréter ces diverses grafies, sur
lesquèles les assonances ne jètent guère de lumière, puis-
que la diftongue en question n'assone régulièrement
qu'avec èle-même ?
Il n'est pas douteus, come nous alons le prouver, qu'à
l'époque des plus anciens monuments littéraires et même
plus tard, la diftongue uo était encore dessendante ; l'évo-
lucion avait donc marché moins vite que pour ie. Mais je ne
pense pas qu'il faille doner à la première voyèle le son d'un
véritable u; c'était plutôt un o fermé, facilement perçu come u
devant un o ouvert, et pour lequel dailleurs il n'existait pas
d'autre signe que u permettant de l'opozer à o. La difton-
gue pouvait donc valoir oo. — On sait que le uo germanique
de fuodr, faldastuol, s'est confondu avec ce uo roman,
dont l'ancièneté est établie solidement par ce fait à lui tout
seul *.
1. On ne peut pas admètre que ces mots aient été adoptés sous la forme
fôdr, faldastôl, avant la diftongaizon, et entraînés dans la diftongaizon
romane ; car, leur o étant fermé, on aurait eu come forme françaize forrc,
*faldastouL — Il en est autrement du o bref de hosa, qui a du être fran-
cizé sous la forme ho:zà, et doner par diftongaizon romane huosa, huesc,
lieuse ; ce qui prouve que le fénomène était encor vivant quand ce mot
a été adopté.
QUELQUES DIFTONGUES EN VIEUS FRANÇAIS 3^i5
En Italien cète diftongue oo s'est dévelopée paralèlement
à es, devenant un véritable ùo ou wo par le transfert de
l'acsent silabique sur la deuzième voyèle. Mais en Français
le déplacement d'acsent ne s'est pas produit à cète étape. Le
premier élément est resté intact ou apeuprès, et le deuzième
s'est affaibli en a ou quelquechoze de semblable — come
dans divers patois de l'Alzace et de la Suisse alemande, où
le Vieux Haut Allemand guot est devenu guat. Cète pronon-
ciacion est extrêmement bien reprézentée par la grafie oe,
étant admis que e est la manière régulière de reprézenter
les voyèles du tipe a. Il faut donc lire oa. La persistance
de l'acsent silabique sur le premier élément est atestée
par l'emploi sporadique de o simple dans des mots come
ovre pour oevre, avoc^ Hoc, volent (une fois on trouve
bois pour boes de boveSy si ce n'est pas une faute) ; — c'est
ce qui nous permet d'afirmer que la première forme de
la diftongue, cèle qui est écrite uo, était aussi dessen-
dante.
17. — ue, parfois réduit à u dans les textes anglo-nor-
mands, est peut être une simple variante grafique de oe : on
sait que les scribes anglo-normands écrivent souvent u pour
0. Cependant il peut aussi indiquer une prononciacion plus
fermée du premier élément, qui se serait alors raproché de
u, ou plutôt, puisque u était engajé dans l'évolucion qui
devait aboutir à y, de ù.
Bientôt, vers la deuzième moitié du 12^ siècle, l'acsent
silabique tent à se déplacer, à se porter sur le deuzième
élément, come étant le plus sonore. Ce fénomène a son pen-
dant exact dans quelques patois alzaciens, ou le Viens Haut
Alemand guot, devenu ailleurs guat ou guat, aboutit à
gùœt ; seulement ici, vu l'évolucion de u, c'est ùœ, plus tard
yœ ou qœ, qu'il faut lire. Peut être faut-il voir une trace de
cète prononciacion dans les grafies oen, ueu qu'on rencontre
356 P. PASSY
parfois (oewiT^, viœulent), eu ayant déjà pris la valeur e^
18. — A ce point de l'évolucion, il semble y avoir eu deus
tendances contradictoires, apartenant peutêtre, à l'orijine,
à deus dialectes diférents, mais qu'il est dificile de démêler.
Dans certains cas, par dissimilacion, le a pert son arrondis-
sement faible encor sans doute, et se renforce, non pas en o
ou œ, mais en e : c'est ce qu'atestent des assonances ou
rimes come irueve-Minerve, quiert-mitert, quièrent-miie-
rent, fuerre-guerre, soleil-iieil. Ici il faut supozer une pro-
nonciation U£ ou plutôt Ù£ ; c'est donc presqu'exactement
le dévelopement Espagnol des mots come bueno, hiievoy etc.
— Gète prononciacion a prévalu dans un petit nombre de
mots, mais avec perte du premier élément : avuec est
devenu avec, illuec est devenu illec -.
19. — Plus souvent, il y a eu au contraire assimilacion et
absorbsion du premier élément, et on aboutit à 0. Ce chan-
gement est atesté par de nombreuzes confuzions grafiques de
ue et de eu : suer, pruedons, suel, pour seur^ preiidons,
seul — treuve, feurre, pour trueve, fuerre\ — et par
des rimes come eskeuent-pueent . Naturèlement cet 0 se
confont aussi avec celui de el -\- consone Çceiis^, qui
s'était confondu avec le premier come nous l'avons vu
(§14). Naturèlement aussi l'alternance ^-œ, motivée par
l'influence des sons voizins, s'établit ici come ailleurs.
20. — Remarque. — Dans le groupe provenant de d-|- palatale
(hodie, noctem, octo, coxà), il y a eu un dévelopement un
peu particulier. Ce groupe a du doner d'abord oi, et c'est
sans doute ainsi qu'il faut lire le moi venant de modium
dans le glossaire de Cassel ; ensuite ooi {pois = poois dans
i. H. Suchier, Voyelles toniques du Vieux français, § 28«.
2. Comparez ce qui a été dit de la réducsion de W£ à s, § 10. — Nous ne
parlons pas, bien entendu, des mots pour lesquels une prononciacion avec us
a été ressussitée par influence ortografique, come la Muette pour /a Meute.
QUELQUES DIFTONGUES EN VIE US FRANÇAIS 357
les Serments), et enfin oai. Puis, dans l'Ile-de-France, la
Picardie et la Normandie du Nord-Est, le 09 de ce groupe
paraît avoir rapidement abouti à ô, û ; d'où la diftongue
écrite habituèlement ni, quelquefois oi par les Anglo-Nor-
mands (là ou oi de hodie, nuit ou noit de noctem). Dans le
voyaje de Charlemagne et la Chanson de Roland, cète dif-
tongue za' assone déjà 3i\ec II (^fuit-ve?îc ut); nous lui supo-
zons donc la valeur ûi. Au cour du 12*^ siècle, l'acsentsilabi-
que se porte sur i ; de là la forme moderne qi.
Il y aurait lieu de rechercher si les formes Ouest-nor-
mandes eïiei(ei, neit, peis), sont à lire avec ei dérivé de iiei
pour uoi, come on le supoze habituèlement, ou bien si e ne
reprézente pas ici ô Ou 0^ de sorte qu'il faudrait lire ôiou e'i.
Quant aus formes Lorraines (modernes) avec ^ ou œ (nœ
« nuit »_, kœ:r « cuire y^, œj' ou œx « huis y>, etc.), il sem-
ble bien qu'èles remontent à ôi venant de oai.
Rézumé.
21. — Voici donc comment on peut rézumer sous forme
de tableau le dévelopement de nos quatre séries de difton-
gues :
, e: ei ; ) i ) \va
l» [ ei 81 01 33 oe U£ [
ei ei ) ) wc wa ) \va
<i)o
e: es es u ]z
, w ..O .. yœ > ^
40 d: 00 oa uo uœ \ l, '
1 ys £
Ce qu'il y a d'intéressant dans ce tableau, c'est le rôle que
paraissent avoir joué, dans l'histoire de notre langue, les
358 P. PASSY
voyèles des pozicions moyènes ou mal définies, tèles que à,
ô, ë, et surtout a, ainsi que les patalales arrondies œ et 0.
Ce rôle est dificile à précizer, à cause de l'insutizance de
notre alfabet, qui a oblijé surtout à doner à la lètre e des
valeurs par trop nombreuzes. Il n'est pourtant pas possible
de l'ignorer sistématiquement, si on veut avoir une idée
d'ensemble du dévelopement fonétique du Français. La
prézente étude pourra peutêtre contribuer à le mètre en
lumière.
René PICHON
OBSERVATIONS
SUR LA TRADUCTION MANUSCRITE
DU DE ORATORE
I
OBSERVATIONS
SUR LA TRADUCTION MANUSCRITE
DU DE ORATORE
Par René Pichon.
On sait que, parmi les trois classes de manuscrits qui nous
ont transmis le texte du De oratore, les mutili uetustiores,
les mutili recentiores et les integri, la première est en
général, depuis une soixantaine d'années, de beaucoup pré-
férée aux deux autres. La question ne se pose même pas
pour les recentiores, qui ne sont pour la plupart que de
médiocres copies des uetustiores. Entre ceux-ci, au con-
traire, et les integri, entre l'archétype M. de VAbrincensiSj
de VHarleianus et de VErlangensis prior, et le Ms. de
Lodi L., source de VOttobonianus et du Palatinus, la
question peut être débattue. La valeur de M. a été, notam-
ment, exaltée d'une façon systématique par Friedrich, qui y
a vu la source exclusive du vrai texte. M. Courbaud a
essayé de réhabiliter le Laudensis (comme M. Martha l'avait
fait en ce qui concerne le Brutus), mais un peu timide-
ment. Je crois qu'on peut aller plus loin que lui, et montrer
que dans bien des cas L. contient la véritable leçon. Je ne
le ferai ici que pour le i''" livre, faute de place. Pour la
même raison, je ne parlerai pas des variantes orthographi-
3G2 A. PIGIION
ques et des différences légères, comme entre ii et hi par
exemple, et je ne m'arrêterai que là où les divergences sont
plus importantes. Enfin, comme il est inutile d'enfoncer des
portes ouvertes, je ne signalerai que les endroits où la
supériorité de L. n'a pas encore été reconnue, je ne dis pas
par Friedrich, mais même par des éditeurs plus modérés.
*
* *
Voici d'abord un certain nombre de passages où les deux
leçons dissemblables de L. et de M. peuvent paraître aussi
bonnes l'une que l'autre, toutes choses considérées :
IV, 5 : sed enim mains est hoc quiddam... M. — sed
nimirum mains est hoc quiddam.., L. — Les deux adver-
bes expriment également le sens de la liaison explicative :
« Mais après tout, cela se comprend, car... »
XIII, 58 : Lycurgnm et Solonem... scisse melius quam
Hyperidem aut Demosthenem... M. — Lycurgum aut Solo-
nem... scisse melius quam Hyperidem aut Demosthenem...
— Les deux conjonctions aut et et peuvent toutes deux ser-
vir à relier deux exemples entre lesquels le choix reste libre.
XXI, 96 : insperanti, inquit, mihi et Cottae... M —
insperanti mihi, inquit, et Cottae... L. — Aucune diffé-
rence appréciable.
XXI, 96 : nobis... satis iucundum fore iiidebatur . . .
M. — nobis... iucundum satis fore uidebatur... L. —
L'adverbe salis est assez souvent postposé pour que la leçon
de L. soit aussi admissible que celle de M.
XXIII, 106 : duo excellentes ingeniis adulescentes... M.
— duo excellentis ingenii adulescentes... L. — Les deux
tournures sont aussi usitées l'une que l'autre.
XXVI, 119 : in ordienda oratione... M. — in exordienda
oratione... L. — Le rapprochement signalé avec XXI, 98,
TRADITION DU VE ORAWRE 363
prouve que ordienda peut aller, mais non pas que exordienda
doit être rejeté.
XXVI, 121 : artuhus omnibus contremiscam... M. —
omnibus artubus contremiscam... L. — Aucune différence
appréciable.
XXVI, 122 : significare inter sese... M. — significare
intersé... L. — Aucune différence appréciable.
XL, 181 : nobilissimum atque optimum uirum atque
consularem... M. — nobilissimum atque optimum uirum
consularem... L. — L'expression uir C07i52^/«m ne formant
pour ainsi dire qu'un seul mot, comme consul ou censor, le
texte de L. est défendable.
XL, 181 : quia memoria sic esset proditum... M. — Quia
memoriae sic esset proditum.,. L. — Les deux tournures
sont également usitées.
XLII, 189 : generibus lis ex quibus manant... M. —
generibus iis ex quibus émanant... L. — Le composé est
ici aussi bon au moins que le simple.
Dans tous ces passages, il n'y a aucune raison, ni paléogra-
phique ni grammaticale, de préférer L. à M. ou inverse-
ment, aucun moyen de savoir lequel des deux représente la
plus saine tradition. On a l'habitude, en ces endroits,
d'adopter la leçon de M., parce que l'on croit savoir, par
ailleurs, que M. mérite en général plus de confiance. Mais
si la supériorité de M. était infirmée, l'argument se retourne-
rait aussitôt. Jusqu'ici, la question reste donc entière.
* *
Il n'y a pas lieu d'insister sur les phrases où certains mots
ou groupes de mots sont omis par M, et donnés par L., sans
être d'ailleurs ni nécessaires au sens ni complètement super-
flus. Les partisans de M., naturellement, déclarent que ce
364 A. PIGIION
sont des gloses, surajoutées par le copiste de L. : on peut
soutenir, avec tout autant de vraisemblance, que ces addi-
tions émanent bien de Cicéron lui-même, et ont été oubliées
par le transcripteur de M. Etant donnée l'abondance ordi-
naire de Cicéron, cette dernière hypothèse n'a rien d'absurde.
C'est pourquoi, tandis que Friedrich expulse sans pitié les
passages en question, d'autres éditeurs sont plus accueillants.
Mais, sans parler des membres de phrase que M. Stangl ou
M. Courbaud ont ainsi réintégrés, voici un exemple assez
typique, que j'emprunte au début de l'ouvrage (I, 1).
M. donne : ac fuit cummihi quoque initium requiescendi,..
fore iustum et prope ab omnibus concessum arbitrarer.
Dans L., ac fuit est remplacé par ac fuit tempus illucl...
Évidemment ces deux derniers mots ne sont pas nécessaires :
mais peut-on dire que cette manière d'arrondir la phrase ne
soit pas conforme au style de l'orateur? non certes; et tem-
pus illud a, je crois, plus de chances d'être un pléonasme
cicéronien qu'une interpolation de copiste.
En revanche, il arrive quelquefois que L. donne un texte
plus simple, plus pur de gloses, que celui de M. Par exem-
ple, XLII, 190, la plupart des Mss. ont : ut primum omne
lus civile in gênera digérât, quae perpauca sunt, deinde
eorum generum quasi quaedam membra dispertiat. Mais
dans VHarleianus (seul représentant ici de M.), generum est
remplacé par gênera, et dans L. il est omis. Je crois que L.
doit avoir raison ; Cicéron a dû écrire eorum quasi quaedam
membra^ et eorum n'aura pas semblé assez clair. — Peut-
être faut-il raisonner de la même manière dans une phrase
fort difficile (XL, 183). h'Harleianus donne : cum quaeri-
tur, is qui domini uoluntate census sit, continuone an, ubi
luslrum sit conditum, liber. Les Mss. inférieurs ajoutent sit
à liber, et remplacent ubi lustrum sit conditum par des
leçons diverses, assez incohérentes : ubi lustrix conditum,
TRADITION DU DE OBATORE 365
tribus lustris conditum, ubi iam ter lustrum condititm...
Les dérivés du Laudensis écrivent simplement : is, qui
domini uoluntate census sit, si non sit conditum lustrum, sit-
ne liber, et cette leçon, plus brève et plus nette, pourrait
bien être la véritable.
*
* *
Au point de vue de la syntaxe, le texte de L. est souvent
préférable, et voici quelques endroits où j'estime qu'il serait
bon d'y revenir :
XII, 50, le texte de M. est : iinum erit profecto quod li
qui bene dicunt, adferunt proprium. L. écrit adferant,
qui, après unum erit quod..., est très conforme à la manière
d'écrire de Cicéron.
De même, XVII, 77, M. porte : si tibi ipsi nihil deest quod
in forensibus rébus ciuilibusque uersatur. La syntaxe cicé-
ron ienne appelle plutôt uersetur, quod équivalant à taie ut
(« rien de ce qui peut se trouver... ») ; uersetur est en effet
la leçon de L., conservée encore par Kayser.
Inversement, XXII, 103, M. écrit : de qua se non omnia
quae dici possint profiteantur esse dicturos ; et L. a pos-
sunt au lieu de possint. Mais ici, l'indicatif paraît plus logi-
que que le subjonctif, quae dici possunt n'étant pas entraîné
par le mouvement du style indirect, mais formant une sorte
d'expression toute faite, de définition, comme le participe
grec, xi XÉvesôa'. Buvâ|jL£va.
XXXIX, 180, M. a : nisi postumus et natus et, antequam
in suam tutelam ueniret, mortuus esset. — Dans L., au
lieu de ueniret, il y a uenisset. Or on sait combien est fré-
quent, avec antequam, priusquam, etc., l'emploi du futur
antérieur, auquel correspond ici, en style indirect, le plus-
que-parfait du subjonctif.
366 A. PIGHON
XXII, 99, M. a : quod ego non superbia neque inhuma-
nitate faciebam neque quod tiio studio rectissimo atque
optimo non obsequi uellem. — L. écrit neque quo, qui est
peut-être préférable, non quo étant très usité pour intro-
duire une explication qui doit être écartée ensuite.
*
Si, de la syntaxe, nous passons au style, nous relèverons
encore plusieurs passages où l'idée apparaît plus claire et
plus précise avec le texte de L.
IV, 15, M. a : excitabat eos magnitudo, uarietas multi-
tudoqiie in omni génère causarum. — Dans L. : magniiudo
ac uarietas multitudoque , . . Il me semble que l'emploi des
deux conjonctions différentes, ac et que, introduit ici, assez
finement, une classification plus précise : d'une part l'impor-
tance de chaque cause en elle-même ; d'autre part, le grand
nombre des causes et leur diversité.
XV, 68, à propos des trois parties de la philosophie, on
lit dans M. : duo illa (= la physique et la logique) relin-
quamus atque largiamur inertiae nostrae. — DansL. : idque
largianiur. Le sens est plus satisfaisant : le cadeau que l'on
doit donner à sa paresse, ce n'est pas les deux parties de la
philosophie, c'est l'abandon de ces parties.
XVII, 77, le texte de M. est : uideamus ne plus ei
(= oratori^ tribuamus quam res et ueritas ipsa concedet. —
DansL., au lieu de tribuamus, il y a tribuas. C'est beau-
coup plus juste, puisque c'est Crassus seul, et non Scaevola
et les autres interlocuteurs, qui accorde tant à l'orateur.
XXV, 115, M. porte : neque haec ita dico ut ars aliquos
limare non possit; et L., au lieu de aliquoSy a aliquid. On
a fait remarquer que aliquos s'opposait mieux à siint qui-
dam^ qui est quelques lignes plus bas. Mais, avant sunt
TRADITION DU DE OBATORE 367
quidam, il y a ?îeqiie enim ignoro et qiiae bona sint fieri
meliora posse doctrina... : l'argument du contexte serait
donc plutôt en faveur du neutre.
On sait quelle délicatesse Cicéron apporte dans l'emploi
des simples et des composés. Deux passages sont intéressants
à ce point de vue. V, 18, M. écrit : in qua (= in scaend)
cum omnes in oris et iiocis et motus moderatione laborent ;
L. a élaborent. On a dit, pour justifier laborent, que le pré-
fixe ex marque le succès de l'action, et que tous les comé-
diens ne réussissent pas. Mais ex marque souvent l'effort
intense, l'épuisement, et si l'on traduit elaborare par « se
tuer de fatigue », on sera amené à préférer le texte
de L. — De même, XXI, 96, le texte de M. est : ut uero
penitus in eam ipsam... disputationem paene intimam
ueniretis. Dans L. il y a perueniretis, qui s'accorde
mieux avec l'idée d'aller jusqu'au bout, jusqu'au fond de
la discussion : le préfixe forme avec penitus et intimam
un de ces renforcements d'expression chers à l'art cicéro-
nien.
Un autre trait du style de Cicéron est le soin donné à la
place des mots. Comparons à cet égard quelques leçons de
M. et de L. : XIX, 86 : de conformandis hominum moribus
littera nulla in eorum libris inueniretur, texte de M. —
L. fait bien mieux ressortir l'idée négative en écrivant :
littera in eorum libris nulla,
XXII, 102 : quid? mihi uos nunc, inquit Crassus,...
texte de M. — L. écrit mihi mine uos, et le second pronom
personnel, venant juste avant l'incise, se détache mieux et
s'oppose mieux au premier.
XXIV, 111 : uidear non ipse a me aliquid promisisse,
texte de M. — Dans L., ipse aliquid a me, avec l'enclave
de aliquid, qui met mieux en valeur le rapport de ipse et
de a me.
368 A. PIGHON
*
Dans quelques-uns des endroits que j'ai cités, outre les
raisons grammaticales ou littéraires qu'on peut avoir de pré-
férer le texte de L., on voit bien comment a pu en naître la
leçon fautive de M., et non inversement. Ainsi, XXII, 103,
possunt a pu devenir possint par le voisinage de profitean-
tur ; — XVII, 77, tribuas a pu se transformer en tribuamus
par analogie avec iddeamus ; — dans les trois passages que
j'ai étudiés au point de vue de l'ordre des mots, on s'expli-
que qu'un copiste, peu au courant des effets littéraires de
l'hyperbate, ait rapproché l'un de l'autre les mots qui vont
ensemble, littera nulla, mihi uos, ipse a me. Il y a d'autres
endroits où l'on peut donner la préférence à L. sur M., jus-
tement parce que l'altération du texte de L. en celui de M.
se comprend mieux que le changement inverse.
XV, 65 : quae suntin disceptationibus atqueusu forensi...
M. — quae sunt in disceptationibus aut in usu forensi... L.
— En soi, les deux textes se valent ; mais, un peu plus haut,
il y a, formant antithèse avec ces mots, quae ceteris in arti-
bus atque studiis sita sunt. Si le véritable texte est celui de L. ,
on se rend compte que aut in nsu a pu être remplacé par
atque usu, par symétrie avec atque studiis ; au contraire on ne
voit pas pourquoi atque usu aurait été corrigé en aut in usa.
XXXVI, 16o: quae neque ego ita teneo ut ii qui docent,
neque sunt eius generis... M. — L. omet ita, et écrit ego
neque au lieu de neque ego. Or : 1° l'addition de ita est
plus compréhensible que son omission ; 2" ego neque teneo
a pu facilement être corrigé en neque ego teneo, pour obte-
nir une symétrie plus rigoureuse avec neque sunt...
Ailleurs ce sont d'autres raisons que celle de la symétrie
qui entrent en jeu.
TRADITION DU DE ORATORE 369
XXXV, 163, V Harleianus a : sed tu hanc nobis ueniam
Scaeuola et perfice ut..., d'où il est facile de tirer : sed tu
hanc nobis ueniam, Scaeuola, da^ et perfice... Le texte de
L., sed tu hoc nobis da, Scaeuola, et perfice..., est plus
simple, plus rapide, et plus conforme à la langue de la con-
versation. Il est assez naturel qu'un copiste, comprenant mal
hoc da, ait remplacé hoc par son équivalent hanc ueniam ;
la réciproque serait moins admissible.
Quelquefois des mots précis, qui figurent dans L., sont
remplacés dans M. par des termes plus vagues et plus
approximatifs, ce qui est une présomption en faveur de L.
II, 6 : cur plures in omnibus rébus quam in dicendo
admirabiles exstitissent... M. — L. a : m omnibus artibus.
Il me semble que i^ebus est un équivalent affaibli de arti-
bus, et en dérive plutôt que artibus ne dérive de lui.
YII, 27 : eaque esset in homine iucunditas et tdntus in
loquendo lepos... M. — L., d'accord avec la plupart des
Lacjomarsiniani, a in iocando. In iocando convient très
bien ici, où il est question de l'urbanité et de l'esprit de
Crassus; mais un copiste a pu se dire que, chez un orateur,
on doit vanter surtout le charme de la parole, et corriger,
par suite de cette méprise, iocando en loquendo.
XXXVI, 167 : iuris ciuills scientia... M. — iuris ciuilis
prudentia... L. — Des deux termes, scientia est le plus
courant, le plus banal ; le copiste de M. a pu facilement le
substituer à prudentia si celui-ci est le mot authentique.
Dans l'hypothèse contraire, pourquoi le copiste de L. aurait-
il remplacé l'authentique scientia ^^^v prudentia?
Enfin il y a lieu de signaler le passage XXXII, 147, où
M. a : exercitatione quasi ludicra praediscere ac meditari^
et L. : prodiscere ac meditari. — Le moi pro dise ère ne se
rencontrant pas ailleurs, les éditeurs ont naturellement pré-
féré praediscere. Mais on ne sait jamais si l'on n'a pas
24
370 A. PICHON
affaire à un aTua; A£y6|j.svcv, et puis il nous reste si peu de
textes latins, qu'il est difficile d'affirmer qu'un mot est inusité.
Si prodiscere est un mot correct, quoique rare, il a pu aisé-
ment céder la place k praediscere, plus usuel. Si l'auteur a
écrit praediscere, où le copiste de L. est-il allé chercher
prodiscere'^.
De toutes ces observations, je ne prétends pas conclure
que L. ait une autorité infaillible, mais seulement une valeur
égale, sinon supérieure, à celle de M. La thèse intransi-
geante de Friedrich n'est plus soutenue, et les récents édi-
teurs inclinent bien plutôt vers une méthode éclectique.
Mais, dans cet éclectisme même, il me semble qu'on doit
attribuer à L. une part plus grande encore qu'on ne l'a fait
jusqu'ici. Cette opinion devrait d'ailleurs être appuyée sur
une étude détaillée du texte des deux autres livres du
De oratorey et même des autres traités de rhétorique ; je n'ai
voulu, par ces brèves remarques, qu'amorcer la question.
Frédéric PLESSIS
QUELQUES MOTS
SUR LES HÉROÏDES
QUELQUES MOTS SUR LES HÉROIDES
Par Frédéric Plessis.
On sait que, dans le recueil des Héroïdes, les quinze pre-
mières pièces sont toutes des lettres écrites par des femmes
à leurs amants, mais que, parmi les six dernières (dites dou-
bles), la lettre de la femme est précédée d'une lettre de
l'homme. Faut-il en conclure que le titre de Epistulae, qui
se lit dans les manuscrits, remplaça celui des Eeroides
quand la seconde série, 16 à 21, fut ajoutée à la première,
là 15 ? Il se peut bien, au contraire, que Epistulae ou Be-
roidum epistulae ait été le titre primitif abrégé en Heroides
pour la commodité des références (voy. Prise. G. L. Keil II,
544, 4) et afin d'éviter toute confusion avec les epistulae
écrites de Tomes, Tristes et Pontiques. Lorsque, dans une
seconde édition, les lettres doubles vinrent se joindre aux
autres, le titre Heroides, déjà répandu, aurait été conservé
bien que ne convenant plus exactement, mais parce qu'il
était suffisamment clair et que les Anciens ne demandaient
guère autre chose à un titre. Enfin, y a-t-il eu deux éditions,
je veux dire deux éditions différentes faites par Ovide, ou
les lettres doubles ne seraient-elles pas l'œuvre d'une autre
poète ?
374 F. PLESSIS
Des vingt et une pièces, Lachmann (Kleine Schrift. , 56-61)
n'en reconnaissait à Ovide que huit: 1, 2, 4 à 7, 6 et il, à
savoir celles qui sont mentionnées par le poète lui-même
dans la 18* élégie du livre II des Amours, vers 21 et suiv.
Lehrs (Q. Horat. Flacc, Leipz., 1869, 222-254) opérait
dans toutes les lettres de larges coupures. L. Mûller (/)e re
metr., 2* éd., p. 31) rejetait la seconde série, 16 à 21, et
avec elle la 15* Héroïde. Et, d'autres philologues encore ont
plus ou moins touché à ces questions et les ont tranchées
dans un sens ou dans un autre au nom des arguments les
plus divers. Déjà, après que Lachmann avait déclaré telles
pièces indignes non seulement d'Ovide, mais de son temps,
L. Mûller (/. c. p. 32) jugeait qu'aucun de ces poèmes n'est
d'une autre époque que les Héroïdes authentiques. A. Pal-
mer, dans sa première édition (Ovid. Her. XIV, Londres,
1874), condamnait l'attribution à Ovide de la pièce 15 au
nom du « sens commun » ; et, dans sa seconde édition (P.
Ovidi Nos. Her. Oxford, 1898), achevée après sa mort par
L.-G. Purser, on trouve, p. 419-424, sur cette même 15* Hé-
roïde une étude favorable à l'authenticité* I
On voit que le doute a son point de départ dans la pièce II,
18 des Amours : à vrai dire, la seule conclusion précise que
l'on est en droit d'en tirer, c'est que les huit lettres mention-
nées sont antérieures à cette pièce. Ainsi que l'a très bien ob-
servé E.-K. Rand {Americ. Journ. ofphilology, vol. XXVIII,
3, a. 1907, p. 288), on ne peut en conclure qu'Ovide n'eût pas
composé d'autres Héroïdes, même à ce moment : il parle en
poète et ne dresse pas un catalogue. Puis, il ne faut pas ou-
blier qu'il y a eu deux éditions des Amours, la première en
cinq, la seconde en trois livres, et qu'Ovide aimait et prati-
quait les corrections et les remaniements : d'où l'on peut
1. Voy. aussi Postgate, Corp. poct. latin., 1. 1, fasc. 2, p. xvi.
SUR LES HEROÏDES 37o
se demander si le texte de l'élégie II, 18 des Amours est ce-
lui de la première édition antérieure à l'an 20 av. J.-C, ou
celui de la seconde, des environs de l'an 15 ? Un passage des
Tristes (V, 10, 57 et suiv.) nous apprend que le poète se
décida à lire en public des essais de jeunesse (juvenaiid)
parce que ses vers des Amours, sur Corinne, lui avaient
déjà fait un nom. Qu'il ait dû sa réputation aux Amours,
cela ne prouve pas du tout qu'il n'ait composé les Héroïdes
qu'ensuite ; et, si ce sont bien elles, comme il semble, qu'il
désigne sous le nom de juvenalia, il ne serait pas étonnant
que la plupart fussent de l'an 23 av. J.-C, c'est-à-dire de la
vingtième année du poète. Mais la familiarité avec l'Enéide
porte à rapprocher la date de certaines d'entre elles ; nous
ne savons pas d'ailleurs, comme je le disais plus haut, si,
dans la première édition des Amours, l'énumération de II,
18 n'était pas plus restreinte. Puis, l'on ne voit pas pourquoi
Ovide n'aurait tout d'abord composé que des Héroïdes pour
n'écrire ensuite que des élégies destinées au recueil des
Amours : il est possible qu'il ait entremêlé les deux occupa-
tions et que, si plusieurs des Héroïdes sont antérieures aux
Amours, d'autres aient été écrites plus tard et même bien plus
tard que l'an 22 av. J.-C. Dans l'article cité plus haut, Rand
note que le présent scrihimus, employé Am. II, 18, 22, en
parlant des Héroïdes, peut n'avoir pas une valeur de temps
précise, et convient très bien pour marquer de quels sujets
le poète s'occupe à une époque de sa vie. Enfin, si des vers
des Tristes V, 10, 57, il ressort que la première édition des
Amours a précédé celle des Héroïdes, ce n'est pas précisé-
ment parce qu'Ovide dit que les élégies sur Corinne ont
fondé sa réputation ; un premier livre peut passer inaperçu,
un second assurer la gloire ; mais les lectures dont il est
question au v. 47 supposent que les Héroïdes, même les
premières, juvenalia, à ce moment étaient inédites.
376 F. PLESSIS
2.
La 15* lettre, Sappho à Phaon, ne figure pas dans les vieux
manuscrits : ni dans le Parisinus 8242 (xi" siècle), ni dans le
Guelferbytanus 260 (xii° s.) ; le plus ancien qui en donne le
texte est le manuscrit de Francfort (xiii® s.). On ne la re-
trouve pas dans la traduction en prose grecque de Maximus
Planudes. D'autre part, les manuscrits qui nous l'ont trans-
mise nous l'offrent soit avant, soit après toutes les autres
pièces ; ce fut Daniel Heinsius qui, en 1629, la mit la quin-
zième, place qu'elle a gardée dans la vulgate jusqu'à Mer-
kel. Et ce n'était pas sans raison, bien qu'on l'ait cru long-
temps : dans des Excerpta (Paris. 17903 et 7647, xni*' s.),
des vers de cette pièce prennent place entre des extraits des
pièces 14 et 16; or S. -G. de Vries, dans l'édition qu'il a
donnée de cette 15® Héroïde (Leyde, 1885), a montré que
ces deux manuscrits dérivent d'un même archétype remon-
tant au IX* ou au moins au x* siècle. Il est donc hors de
doute qu'il existait dès le x* siècle une tradition d'après la-
quelle la lettre de Sappho à Phaon occupait parmi les Hé-
roïdes le quinzième rang ; en même temps, tombe l'hypo-
thèse qu'elle serait une composition d'un humaniste.
Mais on a invoqué d'autres raisons d'enlever cette pièce à
Ovide. L'argument qu'elle serait postérieure à Lucain parce
que le vers 139 se termine ^^lt fiirialis Erichto, comme VI, 508
dans la Pharsale, n'est pas bien sérieux ; d'ailleurs, le ma-
nuscrit de Francfort donne furialis Enyo, et il n'y a guère
de doute que ce ne soit la vraie leçon. Les difficultés de langue
et de métrique méritent plus d'attention. On s'étonne de
lire maerore ou v. 117, le mot maeror ne se trouvant nulle
part ailleurs chez Ovide et ne se rencontrant pas chez Vir-
SUR LES HÉROÏDES 077
gile, Properce ni Tibulle ; d'un usage courant chez Cicéron,
il appartiendrait à la langue de la prose. Pourtant, il se lit,
non seulement chez Horace (^Art poét., HO), mais dans le
Ciilex au V. 267, maerore recessit 1 Et, si le substantif erro,
qui apparaît ici au v. 53 {erroneiii) ne se lit, non plus, nulle
part ailleurs dans Ovide, ni chez Virgile, ni chez Properce,
par un heureux hasard Tibulle l'a employé une fois, II, 6,
6, erronem ; sans cela, quelle conclusion ne tirerait-on pas
de la présence de ce mot, autrement rare et suspect que
maeror 1
La construction nescireswide movetur, auv. 4, serait plus
surprenante : mais le manuscrit de Francfort donne veniret,
non movetiir. Quant à repeiido, avec la finale brève au
V. 32, la correction de Bentley, repende, tout à fait vrai-
semblable pour le sens (voy. Palmer, Édit. d'Oxf., p. 428),
fait disparaître la difïiculté de métrique, la plus grave à
mon sens ; car l'élision vermn ut, au v. 96, si elle n'est pas
ovidienne, s'explique cependant quand on examine de près
ce vers concis et antithétique, et que l'on se demande com-
ment le poète eût pu y faire entrer la même idée et l'expri-
mer clairement en y changeant quoi que ce soit {Non ut
âmes oro, ver uni ut amere sinas ; cf. Catulle, 76, 14, ve-
riun, et 23, Non jam. illud quaero, etc.). Passons au vers 117
qui a paru particulièrement suspect :
Postquam se dolor invenit, nec pectora plangi.
On a trouvé qu'il manquait de césure : en fait, il a la cé-
sure régulière après deux pieds et demi par tmèse de in-
dans invenit, absolument comme le vers 144 du XIP livre
de l'Enéide (in-gratunî) :
Magnanimi Jovis ingratum ascendere cubile.
Il ne faut pas perdre de vue le caractère avant tout théo-
rique de la césure, comme de toute règle dans un art ; d'ail-
378 F. PLESSIS
leurs, les intercalations, exceptionnelles je veux bien, mais
non très rares ^ entre le préfixe et le reste du mot, montrent
que, dans la récitation, quelqu'un qui savait dire les vers
pouvait très bien, par une nuance de séparation et d'intona-
tion, faire sentir la césure dans in-venit. Et justement, chez
Ovide lui-même, dans les Métamorphoses, XII, 497, nous
trouvons inque criientatus pour incruentalusque : ce qu'il
a fait dans les Métamorphoses, avec intercalation, il peut
bien l'avoir fait dans les Iléroïdes sans intercalation 1 Cette
observation rend inutile la conjecture de Jeziersky et de
De Vries, Postquam se torpor minuit, ou celle de Purser, Se
dolor invertit postquam, qui est ingénieuse (voy. Édit.
d'Oxf., p. 96, app. crit.).
Je n'examine pas les autres détails à propos desquels on
a attaqué l'authenticité de la lettre à Phaon, et parce qu'ils
me paraissent beaucoup moins importants et pour ne pas
faire double emploi avec ce qui est dit p. 423-424 de l'édi-
tion Palmer-Purser, et je conclus. Nous savons par Amor.,
II, 18, 26, qu'Ovide avait consacré une Héroïde à Sappho
(Aoniae Lesbis arnica lyrae). Si celle qui nous est parvenue
n'est pas de lui, ce serait donc que, le texte de la sienne
s'étant perdu, un poète ovidien l'aurait remplacé par
celle-ci ; L. Mûller adopte cette manière de voir {De re
metr.y 1^ éd., p. 32). Mais ce n'est là qu'une supposition, et
en somme aucun argument décisif ne prouve que le texte ac-
tuel ne soit pas d'Ovide.
La question est plus obscure pour les v. 39 à 142 de la
16« Héroïde (Paris à Hélène) et 13 à 248 de la 21*^ (Gydippé
à Acontius). Le premier morceau fit son apparition dans les
éditions de Parme (1477) et de Yicence (1480); le second,
1. Voy., pour laisser de côté Ennius et Lucilius : Lucrèce, I, 651 ;
III, 858 ; IV, 711, 8-29 ; VI, 233, 962 (dans ce dernier vers, interversion :
et facit are) ; Virgile, Bue., 8, 47 ; Aen., IX, 288 ; X, 794.
SUR LES HÉROÏDES 379
dans des manuscrits du xv® siècle ; sans doute, l'un d'eux,
un Laurentianus {pluL XXV, cod. 27) est du xiv*" ; mais, à
partir du v. 8 de la pièce 21, il n'a été continué qu'au xv^
Il contient la pièce tout entière, ainsi que l'édition de Ve-
nise (1486) ; le Parisinus 7997 (xv^ ou xvi^)et l'édition prin-
ceps (Rome, 1471-1472) s'arrêtent au v. 144.
Ni l'un ni l'autre de ces morceaux ne se lit dans les vieux
et bons manuscrits, ni ne figure dans la traduction de Pla-
nude ; je viens d'admettre que ces omissions ne suffisent pas
à faire condamner l'épître de Sappho ; la même conclusion
s'imposerait donc ici, s'il n'y avait une complication. Les
deux fragments, 39-142 de la W et 13-248 de la 21% ap-
partiendraient, selon l'opinion générale, à un seul et même
poète, et cela est bien vraisemblable ; et non seulement ce
poète ne serait pas Ovide, mais Ovide ne serait en rien l'auteur
des six héroïdes, 16 à 21, c'est-à-dire des Héroïdes doubles.
Laissons de côté l'argument tiré du silence de Am.^ II,
18, où Ovide ne fait nulle allusion à des lettres d'hommes
analogues aux Héroïdes et composées par lui ; j'ai dit que je
partageais là-dessus l'opinion de Rand, un poète ne dresse
pas un catalogue ; et d'ailleurs les lettres doubles peuvent
être postérieures à II, 18 des Amours. Mais voici d'autres
raisons : on relève les fins polysyllabiques de pentamètres
(16, 288 pudicitiae, 17, 16 superciliis, 19, 202 désertât),
ce qu'Ovide ne s'est permis que dans les œuvres tardives de
l'exil, et l'opinion que quelques Héroïdes ont pu être écrites
à Tomes est aujourd'hui, avec raison, abandonnée. On si-
gnale les élisions certe ego, dans le second hémistiche', 20,
178, et meo exemplo (él. d'un mot ïambique), 17, 97 ; et,
chose plus étrange, les finales brèves de Aethra, 17 (16),
1. La correction de Palmer, appuyée sur le texte de Planudes (certa
salutis eris au lieu de certc ego salvus cvo) ferait disparaître l'élision dé-
plaisante.
380 F. PLESSIS
loO, Cassandra, 16 (la), 121, Leda, 17 (16), 5o^ La lan-
gue et le style offrent çà et là des lourdeurs ou des prosaïs-
mes, des usages non classiques {ut nunc est plusieurs fois,
sic... ut, ou ut... sic de même, quod aiiias^ sens des mots
iners ou dare, de la locution si nescis, voy. Palmer, édit.
d'Oxford, p. 436-437). Chacune de ces particularités, prise
isolément, ne prouve guère, mais on ne peut nier que,
groupées en nombre, elles ne justifient le soupçon. Si l'au-
teur de ces six dernières Héroïdesest un autre qu'Ovide, il
est probable qu'il a vécu à l'époque de Néron, certains mots
et certaines constructions rappelant Sénèque ou Pétrone. En
tout cas, il n'y aurait pas lieu de voir en lui le Sabinus,
ami d'Ovide, qui avait d'après i4m., II, 18, 27 et suiv. (cf.
Pout.j IV, 16, 13-16) écrit des réponses aux premières Hé-
roïdes et sous le nom de qui ont été publiées trois pièces
(éd. de Vicence, 1480, et de Venise, 1486) qui sont d'ail-
leurs l'œuvre d'un humaniste du xv* siècle, Angélus Quiri-
nus Sabinus-. J'incline donc à croire que les lettres doubles
ne sont pas authentiques ; mais je n'oserais l'affirmer ; un
auteur peut, à certain moment de sa carrière ou dans cer-
tains ouvrages, s'être essayé à des procédés dont il n'avait
pas voulu d'abord et qu'il a répudiés ensuite. Il y a bien
des questions en philologie où il faut s'en tenir à ce que dit
quelque part L. Mûller (à propos de Névius, je crois), et à ce
qu'il n'a pas mis toujours en pratique : Est quaedam virtus
nesciendi.
3.
Dans VArt d'aimer (III, 346), Ovide revendique l'hon-
4. Palmer (ou Purser) note aussi Ida ; mais je ne sais où il le trouve ;
dans son propre texte il y a, à 17, 115, îdae, d'ailleurs à la fin du vers.
2. Nicolas Heinsius, croyant ces trois héroïdes du Sabinus de l'Anti-
quité, les édita et les commenta avec soin.
SUR LES HÉROÏDES 381
neur d'avoir par ses Héroïdes fait œuvre nouvelle : novavlt
opus. Il semble qu'en parlant ainsi il était dans son droit.
L'objection que, dans l'œuvre de Lucilius, il y avait quel-
ques pièces sous la forme de lettres, n'en est pas une. Luci-
lius était un satirique ; Ovide donne à ses lettres d'héroïnes
la forme et l'allure élégiaques ; il en compose le fond d'élé-
ments tout à fait étrangers au genre de Lucilius. D'autre
part, la troisième élégie du livre IV de Properce n'est pas,
tant qu'on l'a cru, un précédent : c'est une véritable lettre ;
les noms d'Aréthuse et de Lycotas dissimulent, selon toute
vraisemblance, yElia Galla et Postumus (cf. Prop., III, 12) ;
Properce s'y inspire, comme souvent, de la réalité et des
mœurs romaines ; et si le petit poème n'en est par là même
que plus intéressant, il n'en demeure pas moins quelque
chose de très différent. Tout au plus supposera-t-on que les
pseudonymes, empruntés à la fable par Properce, aient pu
inspirer à Ovide l'idée d'où sont venues les Héroïdes. Cel-
les-ci ne sont pas précisément des lettres ^; ce sont des mo-
nologues ; elles tiennent beaucoup de l'élégie, mais elles se
rattachent aussi au genre dramatique. L'observation juste
qu'elles dérivent des Suasoriae^ n'y contredit pas, puisque
le théâtre est plein de ces sortes de discours. Il y avait donc
là, au point de vue formel, quelque chose de nouveau qui
justifie la prétention d'Ovide : des épîtres dans le mètre élé-
giaque ressemblant comme fond aux monologues de la scène,
et se développant d'après les besoins et les règles des Siia-
soriae.
Gela ne veut pas dire, bien entendu, qu'Ovide n'ait em-
4. Déjanire continue d'écrire à Hercule après avoir appris sa mort;
Pénélope, quand elle écrit à Ulysse, ne sait même pas où il est, etc..
Mais ces questions de vraisemblance, pour ainsi dire matérielle, ne
sont d'aucune importance dans une œuvre de littérature et de fantai-
sie.
:2. Voy. Palmer, édit. d'Oxf., introd., p. xiii.
382 F. PLESSIS
prunté qu'aux souvenirs du théâtre : il prend beaucoup à
Homère, à Virgile, à Apollonius et à Gallimaque ; mais c'est
à Eschyle qu'il doit la 14^ ; à Sophocle, la 8*^ et la Q*" ; à Eu-
ripide, les 4% 11% 12«et 13^
Il n'y a pas lieu d'insister sur les inconvénients du genre
en lui-même, sur ce qu'il offre d'artificiel et de faux ; cepen-
dant, sans jamais valoir les œuvres simples et fortes, un
poème où il y a de la fiction et de l'apprêt peut encore plaire,
et mériter de plaire, par une substance poétique ou par l'en-
jolivement de l'expression. Certainement Ovide, dans ses
Héroïdes, se montre ingénieux, sentimental et courtois ; il
connaît le cœur de la femme ; il le connaît, et il l'aime. Et
n'est-ce rien, non plus, que d'écrire admirablement sa lan-
gue, de faire de bons vers et de savoir composer et dévelop-
per? Le véritable, le grand défaut des Héroïdes, c'est la mo-
notonie. Chacune des pièces — bien que la plupart soient
trop longues — se laisse lire avec assez d'agrément... mais
chacune à part ; l'ensemble est fastidieux. Que toutes ces
héroïnes aient, à peu de chose près, le même caractère et
qu'elles tiennent le même langage, que ce caractère soit ce-
lui d'une jeune Romaine à la mode du temps d'Auguste, je
n'y vois pas un grand mal ; il faut se mettre au point de vue
de l'auteur, au point de vue de ses lecteurs qui ne lui de-
mandaient pas de couleur locale, ni d'archaïsme ; et nous-
mêmes, pourquoi les noms de Pénélope ou de Phèdre ou
de Laodamie nous empêcheraient-ils de goûter ces plaintes
élègiaques, la finesse de l'observation, les éclats de la pas-
sion, tout au moins de la passion sensuelle, et, par-dessus
tout, les vers charmants? Si les pièces des Héroïdes étaient
mêlées, dans un livre, à des élégies d'un genre différent, si
elles étaient intermittentes et... moins nombreuses, elles
conserveraient tout leur charme littéraire. Horace, dans ses
livres d'Odes, a eu le souci de la variété et de la mesure ; il a
SUR LES HÉROÏDES 383
entremêlé des sujets divers, il a fait alterner les odes civi-
ques et les odes amoureuses, varié aussi les mètres^ ; mais
Horace avait un goût parfait, et l'on sait de reste que l'on
ne pourrait en dire autant d'Ovide. Puis, Ovide avait inventé
un genre, et il y tenait; et, sans doute encore, il y avait à
Rome un public, qui se retrouve ailleurs et dans d'autres
temps, à qui ces volumes de vers composés de pièces toutes
analogues donnaient l'impression que l'auteur était un esprit
synthétique, qu'il avait de la puissance et de la suite et qu'il
était capable d'embrasser un sujet dans son ensemble, de le
traiter jusqu'à la fin... et jusqu'à satiété, comme cela est
arrivé à Ovide.
1. Sur ce dernier point, Ovide n'avait pas à sa disposition les mêmes
ressources ; qu'est-ce qui l'empêchait, pourtant, d'écrire quelques-unes
de ses héroïdes en hexamètres suivis, au lieu d'employer constamment le
distique ?
Jean PSIGHARI
EFENDI
25
EFENDI
Par Jean Psichari.
On sait de science courante que éfendi, en français, dé-
signe un titre honorifique turc et que, en turc, éfendi vient
du grec. Gela se lit dans le Dictionnaire de la langue fran-
çaise de Littré, s. v. effendi. Pour le dire en passant, cette
orthographe avec deux ff, également donnée par le Dictioîi-
naire de r Académie française, dans sa septième édition,
1878, et signalée par le Dictionnaire général de la langue
française de Darmesteter-Hatzfeld-Thomas (s. v. éfendi)^ est
curieuse à plus d'un titre ; le turc ne présente qu'un seul fé
et même les consonnes ne se redoublent guère, que je sache,
dans cette langue ^ Effendi, toujours avec ses deux ff, ap-
1. Je n'envisage ici ni les mots de provenance arabe tels que allah,
ni les cas d'assimilation tels que qitti pour Qitdi, annar pour an-
lar (Mûller-Gies, Tûrk. Gramm., Berl., 1889, dans la P. L. 0.,
p, 27-28). Il est à remarquer que, même dans ces cas, le turc écrit
Qitdi, c'est-à-dire par un tê et par un dâl, anlar par un nûn et par un
Idm. Je ne trouve qu'un exemple de gémination proprement dite et
encore est-il purement dialectal ; cf. le traitement du q, qq dans W.
Radloff, Phon. d. nôrdl. Tûrkspr., II, Gons., 1883, Lpzg, 201. — Il
semble qu'en kurde la situation soit identique, puisque même l'assimila-
tion des consonnes y est « hôchst selten », v. F. Justi, Kurdische Gramm.,
Petersburg, 1880, p. 87, B. — Qu'on veuille bien m'excuser au sujet des
mots turcs cités dans cette note, ainsi que des mots orientaux, slaves, etc.,
de tout ce mémoire; en l'absence de caractères spéciaux, je me vois, à mon
grand regret, obligé de transcrire perpétuellement.
388 JEAN PSIGHARl
paraît pour la première fois, autant que je puis voir, dans la
quatrième édition (1762) du Dictionnai?'e de F Académie
françoise : « Effendi, s. m. Homme de Loi chez les Turcs.
Achmet Effendi, veut dire, Achmet homme de Loi, etc/. »
Les éditions antérieures n'ont ce mot sous aucune forme. La
définition de la quatrième édition est reproduite dans la cin-
quième (an VII, 1798). La sixième (1835), s. v. éfendi ren-
voie à effendi: « (Quelques uns écrivent, Efendi.) Moi turc
emprunté du grec. » Ceci est une addition de l'édition de
1835. A l'époque du philhellénisme, on a dû s'informer
tant bien que mal de la provenance. Je ne vois pas pour le
moment la source précise du renseignement. Quant aux
deux ff, je suppose qu'il y a là simplement un essai pour
rendre la prononciation du turc ou plutôt son accentuation
Le turc a conservé l'accent du grec àovnr^q (v. plus loin) sur
la seconde syllabe. Or, il est très difficile, en français, d'ac-
centuer sur la pénultième : Beethoven devient volontiers
Beethôve chez ceux-là même qui veulent prononcer à l'al-
lemande et Weber rime avec funèbre :
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weher,
Un air très vieux, languissant et funèbre'^, etc.
4. C'est la première fois que le mot apparaît dans un dictionnaire.
Mais il est certain que, officiellement, — donc, sans parler du Petit
Traicté de Spandouin Cantacassin (v. ci-dessous, p. 408), — le mot a dû
faire son apparition en français bien avant 1762, à cause des rapports di-
plomatiques entre la France et la Turquie. M. Emile Bourgeois me signale
un ambassadeur turc, sous la Régence, portant ce même titre d'éfendi,
dans Saint-Simon [Mém., t. XVII. Paris, 4874, p. 215. « Méhémet
Effendi (sic) Tefderdar »], en 4724. La publication du Ministère des Af-
faires Étrangères, Instructions données aux ambassadeurs de France,
que me rappelle F. Lot, n'en est pas encore à la Turquie. Mais on trou-
vera certainement ce titre, en parcourant les différentes relations de
voyages en Turquie ou mémoires du xvir s. (Bibliographie dans Lavisse et
Rambaud, Hist. générale, t. VII (4896), p. 448, 5«), ou du xviii« (Bi-
bliogr., ib., t. VI (4895), p. 856 s.). Le mot n'est pas dans Molière.
2. Gérard de Nerval, La Bohème galante. Paris, 4882, p. 47. On lit
EFËNDI 389
Ou bien on imite gauchement. Une famille grecque, éta-
blie depuis des années, à Marseille, répond au nom de
Baltadzi, oxyton. Nous sommes dans le Midi, où l'accent
final n'est pas de règle. Il suffit pourtant que l'on connaisse
d'une façon vague les habitudes toniques du grec, pour
qu'aussitôt on s'efforce d'accentuer et l'on aboutit à Baltadzi.
De même, il est possible qu'on ait voulu, dans le Nord, pro-
noncer éfendi, sur la troisième avant-dernière. Dès lors, le
redoublement de Vf nous représenterait l'effort tenté pour
y parvenir (rappr. L. Havet, Mém. Soc. Ling., YI, fasc. 1,
1883, Sur lapron. des syll. init. lat., v. p. 12).
M. Littré, en adoptant la graphie par deux ff, a dû se
décider par d'autres raisons. Voici l'article consacré à notre
mot : « Effekdi (è-fan-di), 5. m. Titre d'honneur et de di-
gnité en Turquie. Seigneur, maître. || Le reis-effendi, le
ministre des Affaires étrangères.
Etym. Turc, efandi, maître, seigneur, corrompu du grec
aj6£VTY;ç (il se prononce afthendis, th anglais), qui agit de
sa propre autorité, seigneur (voy. authentique). »
Les deux ff, par suite de l'origine grecque inexactement
supposée sous cette forme — ont dû paraître à M. Littré plus
conformes à l'étymologie, à cause du /i?^ de afthendis^. Lui-
même, dès qu'il s'agit de prononciation, ne marque qu'une
/; efandi, où Va ne saurait figurer qu'une prononciation
purement française d'après la lettre ; le turc n'offre rien de
semblable. Bien mieux : le turc ne peut pas ici présenter
un a, par suite d'habitudes phonétiques qui lui sont propres
on note, ib: « On prononce Wehre. » Th. Gautier, Prem. poés., Alber-
tus, GXV (4873, p. 50), rime à plein, pour rire :
Ni le chevalier Karl Maria de Weber.
1. Le Dlct. fr.-turc illustré, de Gh. Samy-Bey Fraschery, G. P., 1901,'
s. V., porte également effendi, avec deux f : il n'y faut voir qu'un em-
prunt orthographique aux dictionnaires français.
390 JEAN PSIGHARI
et sur lesquelles ce n'est point ici le lieu d'insister (cf. Miil-
ler-Gies, op. cit., p. 22, § 19). Ce que nous voulions uni-
quement montrer, en commençant, c'est que, depuis long-
temps, le mot turc est rattaché au grec. Nous examinerons
cette question tout à l'heure.
M. Lucien Bouvat, élève diplômé de l'École des Langues
Orientales vivantes et turcisant de grand mérite, qui avait
suivi, pendant trois ans, une de mes conférences de l'École
des Hautes Études (v. Éc. pr. d. H. É., Annuaire 1900
(Paris, 1899), p. h.\ ; Ann. 1901 (P., 1900), p. 68; Ann.
1902 (P., 1901), p. 56-7), avait fait, sur ma demande, au
sujet de ce mot et de quelques autres, certaines recherches
personnelles dans le domaine strictement oriental, je veux
dire dans les dialectes turcs, aussi bien, d'ailleurs, qu'en per-
san, etc. J'en communiquerai plus loin, en y ajoutant quel-
ques détails, les résultats essentiels, ceux qui nous importent
ici, pour bien nous rendre compte du rayonnement qu'a eu
à travers différentes langues orientales un mot grec moderne,
à©£VTY;ç, et même une f latine, car, ainsi que nous l'expli-
querons, le (p de àçÉvTY;; est dû au latin. Je veux, pour le
moment, dans l'ordre d'idées que nous sommes en train
d'examiner, retenir une fiche de M. Lucien Bouvat. La
sixième édition du dictionnaire de l'Académie française
n'est point la première à nous marquer l'origine grecque
à'éfendi. Voici la fiche de Bouvat: « Men. [Thesawnis Lin-
guarum Orientalium Tiircicae, Arabicas, Persicae, op.,
typ. et sumpt. Fr. à Mesgnien Meninski, Vienne], 1''* éd.,
1680, col. 324-323 [s. v.], ex Graeco vul. Afendi. Dominus,
Magister, Herus. » etc. Meninski était dans le vrai. Chose
curieuse 1 Dans la seconde édition (Fr. a M. Meninski, Lexi-
con ar.-pera.-t., Vienne, 1780, due à B. de Jenisch, cf.
p. 4 de la dédicace à Marie-Thérèse), on supprime cette
indication excellente et on ne met plus que « ex Graeco »
EFENDI 394
(p. 239 a, s. V.). Nous verrons, en revanche, que cette édi-
tion nous donne un renseignement précieux qui avait échappé
à Meninski, le fait, mentionné dans la seconde, ne pouvant
être qu'antérieur à la première. Toujours est-il que, depuis
Meninski, l'étymologie directe àçévir;; disparaît de tous les
dictionnaires. Je tire cette conclusion des fiches de L. Bou-
vat, que je retrouve dans mes notes et que j'utilise, en les
complétant, quand il y a lieu : « Bianchi et Kieffer \pict. t.
jr.f par Kieflfer et Bianchi, Paris, 1835, I, 71 b, s. v.], (du
grec AjOévty;;) », « Zenker \pict. t.-ar.-pers., Lpzg, 2 vol.,
1866-1876], 75 \a\ (gr. aùeéviv;;) », « RadlofP {Vers. ein.
W'ôrt. b. d. tûrk-dial., Pétersbourg, 1888..., livr. 3, 1889],
I, 937... donne également l'étymologie aj6ÉvtY;ç [« (aus dem
griech. ajôÉviv;?) », sic ]. De même. Barbier de Meynard
{Dict. t.-fr., 2 vol., 1881-1890, livr. I, p. 826, s. v.) :
« (du grec ajôévr/;;), maître, seigneur. » Redhouse (Turk.
Dict., in two Parts, etc., Lond., 1880, p. 416 a, s. v.)
simplement: « (Greek) », etc., etc. Je pourrais grossir ma
liste.
Ce n'est point ici le philhellénisme qui est en cause, ainsi
que nous le supposions pour la sixième édition du Diction-
naire de l'Académie française. La coïncidence des dates
entre cette sixième édition et le Bianchi-Kiefïer, paraissant
l'une et l'autre en 1835, ne doit pas davantage nous faire
croire que l'Académie française ait puisé quelque inspira-
tion de ce côté. Il est fort probable qu'elle a peu pensé à
Bianchi. On sait que la Préface, non signée, est de M. Yil-
lemain et que M. Villemain est l'auteur d'un Lascaris qui
eut grand succès ^ L'étymologie par ajGévTYjç a une autre
source. Il faut y reconnaître, et la chose a de l'impor-
\. Lascaris ou les Grecs duquinz. s., suivi cV un essai histor. sur l'État
des Grecs, Paris, 18-25; éd. III, en 4826, 2 vol. 12° (il y a, t. I, p. 183,
un Essai sur les rom. gr.). Je n'ai pu voir la 2^ édition.
a92 JEAN PSICHARl
tance au point de vue de la méthode, quelque œuvre obscure
du purisme néo-hellénique. Le purisme ne veut pas que le
grec moderne soit le grec moderne. Il l'appelle vulgaire , le
dédaigne, et, quand il le peut, le cache sous le boisseau.
Les philologues européens, sans se douter souvent, surtout
au temps jadis, de cette situation exceptionnelle, se rensei-
gnent auprès des Grecs instruits. Ces derniers croient quel-
quefois naïvement que à^lvxY); n'existe pas, simplement parce
que, suivant eux, il ne doit pas exister. C'est une forme cor-
rompue; on ne saurait donc en tenir compte. Ils rétablissent
ajôévTY); et le savant d'Europe emporte soigneusement aj6Év-
ty;ç dans ses notes, pour le reverser dans son dictionnaire. C'est
ainsi que, dans la grande majorité des cas, les dictionnaires
turcs indiquent pour les mots de provenance grecque, des
étymologies impossibles. Le purisme en est le premier res-
ponsable. Il n'est pas de plus sûr moyen de brouiller les
idées, de fausser la science et, du même coup, l'histoire. Le
purisme, d'ailleurs, va contre ses propres fins. Nous allons le
montrer à l'instant, car, pour bien connaître le rôle que les
Grecs ont joué en Orient, principalement en Turquie, il est
de toute importance de savoir quels sont les mots, par con-
séquent, la culture qu'on leur doit*. (V. ci-dessous, p. 405).
Le mot èfèndi a pénétré en turc profondément. Le turc
en a tiré des dérivés. M. L. Bouvat ayant fait, sur ma de-
mande, quelques recherches personnelles de ce côté, je lui en
abandonne ici le mérite, me contentant d'interpréter ses
fiches dans le sens qui nous occupe et de les commenter. « Le
dérivé efèndilik, au sens propre « titre, qualité à' èfèndi »,
signifie aussi « générosité, bonté, bienfaisance. B. de M., I,
83 » [ce suffixe -lik, nécessairement décliné à la moderne,
i. Je dois noter ici que effendi — avec deux /f — est néanmoins déjà
directement rattaché à à-j^vtr)- par M. Boissonade, 'Not. et cxtr., 1827,
XI, % 258, note a.
EFENDI 393
donne aujourd'hui ^cA^vr^dyj., l'état, le métier de député,
lr,[j.xpyrtli7.i, de Syjsjiapxcç, maire,T.ç>o=lpr^d7,i, de r^pôt^çtoq, pré-
sident, cf. 'Pc5a y.al My;Aa, III, 272 ; il est même, comme on
voit, devenu -r^tJ.vj, (le t. est simplement lik, Miiller-Gies,
op. cit., o7, 2), soit sous l'influence de mots tels que èfèn-
dilik, soit à cause de formations telles que gouXsç-Yj-Xtxt ; ce
suffixe afïecte des mots de provenance savante, comme les
mots ci-dessus] ; « èfèndisiz signifie « sans maître, sans ap-
pui, abandonné ». Ahmet Djevdet, Kâmoûs-i-turkP [Cons-
tantinople, 1317 = 1899-1900], I [138, col. a; il l'y iden-
tifie avec TJ^bnr^z\ » ; « Istambol èfèndisi était le titre du
premier magistrat de Gonstantinople. B. de M., I, 48 » [cf.
aussi le dimin. (èfendidjig'ûwi) dans Meninski\ 325] ; enfin
« il existe de ce mot une forme abrégée èfè propre à l'os-
manli. Radloff [op. cit.^, I, 937 ; Ahmed Djevdet [op. cit.]^
I, 139... M. Barbier de Meynard, I, 83, donne: èfè, « lo-
cut. vulgaire, synonyme de èfèndi, dont elle paraît être
l'abréviation [v. ci-dessous]. On dit, mais seulement dans le
langage familier, èfèm \in est le suffixe indiquant la l""^ pers.
du s., pr. possessif], au lieu de èfèndim, Monsieur... Dans
tous les cas cette forme abrégée paraît très moderne. Le
Dict. de Bianchi et Kiefïer ne la donne pas » [Cette forme
èfè, à son tour, aboutit, à l'aide du sufï. -lik, au subst. abs-
trait è/èM,, Radl., op. cit., 938, dont le sens « sich stark
und stolz zeigen » Radl., ib. (littéralement: montrer en
s'enorgueillissant — taslamak — du èfèlik, comme qui di-
rait de Vèfèndismé)^ ne doit peut-être pas nous dérouter au-
tant qu'il semble au premier abord ; j'ai recueilli de mes
propres oreilles à Pyrghi (Chio) la forme â<pÉ^, père, aux cas
régimes (y compris le voc.) àç/É ; or, àçévTY;; {j= yJM^nr^z),
1. Au sujet de ce fameux kâmoiîs = océan = dictionnaire, etc., je ne
puis m'empêcher d'observer que son identification avec wxsavôç ne paraît
guère démontrée j m pour v n'est pas clair, sans parler du reste,
394 JEAN PSIGHARI
maître, a désigné le père, parce que celui-ci est le maître
de ses enfants ; de là, à l'idée d'orgueil il n'y a pas loin et le
t. èfè qui est donc aussi dialectal et pas seulement osmanli,
puisqu'il est donné dans Radloflf, pourrait, lui aussi, pro-
venir du gr. mod. A. G. Paspatis, Tô yiay.bv yXwacrap'.ov, Ath.,
1888, s. V. 'Aç£ç, dit que èçÉvxYj; est synonyme de père « èv
Les sens multiples qui se sont développés de èfèndi prou-
vent à quel point ce terme a eu du succès chez l'emprun-
teur : « tchèlèbi èfèndi. Ce composé de deux mots autrefois
synonymes, tchèlèbi, qui désigne aujourd'hui un petit maî-
tre, ayant autrefois le sens de « Monsieur, gentilhomme,
maître de maison » et, comme adjectif « instruit et bien
élevé, ayant de bonnes manières, gracieux », est le titre du
supérieur des derviches mevlevi. (« Le tchèlèbi-èfèndi est le
chef des derviches mullaviyés ; il jouit du privilège de cein-
dre le sultan de son épée, le jour de sa proclamation. On le
dit descendre de la famille des Abbasides, dont les derniers
membres furent relégués à Konieh, où ils résident encore. »
(Washington-Serruys, L! Arabe moderne [étudié dans les
journaux et les pièces officielles, Beyrouth, 1897], p. 91,
n. 1)... Je crois me souvenir que dans des traités religieux
publiés par les missions protestantes, èfèndimiz [imiz — ou
miz, comme ici est le pr. suffixe de la l""^ pers. du pi.] tra-
duit Notre Seigneur ». « Avant la réforme du sultan Mah-
moud, on appelait ordinairement Réis-Efendi [de son vrai
titre Réis-ul-Kuttab , ou Chef des gens de plume] le ministre
des Affaires Étrangères, secrétaire d'État et chancelier (sur
ces fonctions, cf. d'Ohsson [Tableau général de l*emp. ott.,
1 vol., Paris, 1788-1824], YII, 159, 166, 176, 183, 189)»;
« dans le protocole ottoman actuel, le mot èfèndi... est
donné à tous les dignitaires civils, militaires et religieux de
la Turquie. On le fait précéder de diverses épithètes : dèv-
EFENDI 39S
tètlu « puissant », sè'âdèthi « heureux », etc., et on ajoute
hazrètlèri « son Excellence », en s'adressant aux titulaires
des neuf premières dignités civiles ou militaires et des six
premières dignités religieuses. Cf. Washington-Serruys [op.
cit.], VAr. mod.y p. 90-91 [il se retrouve dans les autres
grades civ. et milit., n**^ lO-lo, et titres religieux, n''* 7-9] » ;
« ce titre se donne au civil par opposition à âgha et à bèy,
qui s'appliquent de préférence à la carrière des armes, B.
de M., I, 82-83 » ; « il désigne spécialement les gens de let-
tres, les magistrats, s'emploie aussi comme adj. bir èfèndi
âdam « un homme instruit, bien élevé, généreux », ib. » ;
« dans l'osmanli actuel, èfèndi signifie « homme... de bonnes
manières » [ce sens, avec le mot qui fait retour, a passé en
grec : elvat kovnr^z ; nuance de distinction et parfois d'or-
gueil\ et surtout homme instruit. On ne se servira jamais de
ce terme en parlant d'un ignorant ou d'un homme sans édu-
cation. Ce terme correspond assez exactement à l'expression
« honnête homme [cf. tuo parlare onesto, Dante, Inf. II, 38,
3] » dans le sens qu'elle avait au xvii^ siècle chez nous ». Il
n'est pas indifférent de savoir que « chèvkètlu èfèndimiz,
ou simplement \èfèndimiz\ « notre glorieux maître, notre
maître », se dit spécialement du sultan B. de M., /. /. [j'ai pu
m'assurer, par des amis constantinopolitains, qu'en parlant
au Sultan, on lui disait très bien èfèndiin\ ». Notons en
dernier lieu que « ce titre se donne également aux dames :
èfèndim ou klanum èfèndum, « Madame », ib. » [v. R.
Youssouf, Dict. t.-fr., I, CP., 1888, s. v. Hanem].
Ainsi, la vie civile, religieuse, militaire, administrative,
jusqu'à la vie sociale, intellectuelle, morale même, par les
diverses acceptions de générosité ou instruction ou bonnes
manières, ce mot, d'origine vulgaire, a tout envahi. Les
Turcs ne se souciaient guère de Xénophon. Aussi ont-ils, par
leurs propres forces, fait quelque chose de ce vocable. Son
396 JEAN PSIGHARI
rayonnement toutefois, en dehors du turc, est moins intéres-
sant, bien qu'assez considérable encore. Voici d'abord les
constatations, tant négatives que positives, de L. Bouvat :
« Ce mot ne paraît pas avoir pénétré en persan [j'ai fait
la contre-épreuve dans J. B. Nicolas, Dict. fr, pers.,
2 vol., Paris, 1 885-1887, aux différents sens de èfèndi et
n'ai rien trouvé]. 11 est inusité en turc oriental [ce qui si-
gnifie que Pavet de Courteille, Dict. tiirk-or., Paris, 1870,
ne le donne pas, v. p. 27]. En revanche, il est connu en
arabe. Kazimirski [Dict. ar.-fr., 2 vol. Paris, 1860], I, 41
\b\ : « titre donné à ceux qui ne sont ni béis ni pachas » ;
maître, seigneur, personne; hadhrat èfèndîma, le khédive
[etc., également chez E. Bocthor, Dict. fr.-ar.'^, Paris, 1848,
s. V. EFFENDi ; Marcel, Dict. fr.-ar. des dial. vidg. d'Alg.,
de Tun.y du Mar. et d'Ég.^. Paris, 1885, s. v. effendy].
Gasselin [Dict. fr.-ar., 2 vol. Paris, 1886-1891] dit que
dans le Levant ce mot n'est employé par les Musulmans que
pour les Chrétiens. Il manque dans Freytag [Lex. ar.-lat ,
2 vol., 1 830-1 83o, I, 42-44, et dans Dozy, Suppl. aux dict.
ar., 2 vol., 1881, I, p. 29 b : c.-à-d. que l'ar. litt. naturelle-
ment, ne le connaît pas]. En Egypte, en s'adressant à quel-
qu'un, on dit èfèndim, avec le pr.-suff. t. de la 3^ pers.
-im. Les Arabes semblent avoir conscience de la valeur de ce
pr. suff. usité seulement au vocatif. — Les dialectes orien-
taux, à l'exception toutefois du dialecte de Kazan {Bèrèzine,
\Rech. s. l. dial. musulm., Casan, 1848], p. 45), ne connais-
sent pas ce mot. également inusité dans le dialecte azéri, qui
ressemble beaucoup moins à l'osmanli qu'on ne l'a prétendu
et le remplace par âgha, vulgairement a'a [sur ce phéno-
mène, commun presque à toutes les langues (cf. gr. XéViù.,
}v£Ya), \i(ù, etc., etc.), v. Radloiï, Phon., op. cit., p. 221,
§ 364 ; c'est à peu près ainsi que bèg est devenu béï ; voilà
pourquoi le grec mod. dit {^.Tuir^;;] ». D'après Radloff [Vers.,
ËFENDi ^9l
I, 937-938] ce mot se trouve : 1° en osmanli ; 2^ en turc de
Crimée ; 3" en arménien turc [je transcris d'après Lauer-
Carrière, Gr. arm., Paris, 1883, 1-2 : êfênti ; le tiun, t,
ne doit pas nous faire penser à une influence quelconque,
graphique ou autre, du grec (içÉvTYjt;, avec t^) ; l'arm. mod.
prononce ici d, cf. Lauer-Carrière, op. cit., p. 5 ; de même,
Radl., op. cit., 1,938, êfêntiliq ; également, dans G. de
Lusignan, Nouv. dict. ill. fr.-arm., 2 vol. Paris, 1900-1903,
s. V. effendi; mais le même auteur = Nar Bey, Dict. arm.-fr. ,
Paris, 1893, p. 290 (et p. 264), supprime le mot en armé-
nien] ».
Dans son livre sur les Mots turcs empruntés par l'armé-
nien, Moscou, 1902 [en arm.], M. H. Adjarian signale, p. 108,
efendi « titre donné aux gens de lettres et de la haute classe »
et efendim « mon cher ! mon ami 1 terme usité en conversa-
tion M, comme étant en usage dans l'arménien de Constanti-
nople ; les formes correspondantes existent aussi dans l'ar-
ménien de Yan (tout ce renseignement m'est fourni par
M.Meillet).
L'arménien ne semble avoir pris au byzantin ni ajÔÉv-
ty;:, ni àçévxYjç (cf. Brockelmann, Die gr. Fremdw. i. Arm.
Z. D. M. G., XLVII, 1893, 1-42, où le mot n'est signalé nulle
part). J'ai, d'ailleurs, peu à ajouter à ce qui précède : èfèndi
existe en kurde (Jaba-Jurti, Dict. k.-fr., Pétersbourg, 1879,
p. 13<2, avec cette mention rat. èfèndi du gr. aùôévxyjc, mod.
àsivTr^; »). Miklosich l'a noté en serbe : « efendija Titel
1. On sait que vx aujourd'hui se prononce vrf ; sur ce phénomène et
ses origines, v. J. P., Mém. Soc. Ling., VI (1885), 41, n. 1 (ignoré dans
K. Dieterich, Vnters. z. Gesch, d. gr. Spr., Lpzg, 1898, 104 s.). A mes
exemples et à ceux de Dieterich, ajouter Ivxjp'.ov [^sv^j^iv] transcrit par
un daleth en hébreu, dans S, Krauss, Gr. u. lat. Lchnw. im Talmud,
Midr. u. Targ., 2 vol. Berlin, 1898-1899, II, 230 b ; la transcription par
un teth de ce même mot, ib., 66 b, est ou bien une transcription d'après
la lettre, dont il y a bien d'autres cas, ou bien d'une date antérieure.
Pour vi = yd, V. S Krauss, ih., 107, § 186 h, ^.
â9à JEAN PSIGHARt
eines tiirk. Gelehrten » (Die tûrk. Elem. in d. Sûd-ost-u.
Osteurop. Spr., 1-2, 1884, 1, p. 56), « efendum, fen-
dum » (Nachtr'àge au précédent, 1-2, 1888-1890, p. 34);
Vuk Steph. Karadschitsch (Lex. serb,-germ.-lat., 1898,
p. 159 b) signale même, entre autres, un fem. « efèndiyip-
tza uxor domini » et « efèndi-kàdiya, judex » (je transcris
le y serbe par y en fr., puisqu'il y a valeur de yod) ; L. K.
Marinkovitch {Voc. des m. pers., ar. et t. introduits dans
la L serbe, Verhandl. d. V intern. Or. Congr., II, Abth. u.
Vortr., 2, Berlin, 1882, 304-305) ne le mentionne pas; ce
petit lexique est, au surplus, insuffisant et mal conçu. Mi-
klosich (Nachtr., op. cit.) mentionne aussi en roumain
efendi; Gihac {Dict. d'étym. daco-rom., Francfort, 1859,
p. 575, élém. t.) ne l'a pas, pas plus que àçsvTr^ç, aux élém.
gr. mod. (ib.) ; les deux formes doivent y exister cepen-
dant ; toujours est-il qu'on trouve « efendi (mot turc), ef-
fendi, monsieur » dans le Nouv. dict. roum.-fr. de Fr.
Damé (Bucarest, 1894) ; je dois dire que G. Murnu, dans ses
Eléments grecs anté-phanariotes en roumain (titre roumain,
Bucarest, 1894), ne connaît rien qui se rapproche de àçiv-
TYjç. Miklosich ainsi que Korsch (Arch. f. si. Ph. IX (1886),
499) ont oublié le bulgare ; A. Duvernoy, dans son Dict. de
la langue bulgare (titre en russe, Pétersbourg, 1886-1889,
I, p. 615), qualifie efèndiya de titre de maître turc; mais
on voit, par les exemples et la forme même du mot, qu'il
est bien entré dans la langue, ainsi qu'en serbe ; il est toute-
fois absent dans MarcofP {Dict. bulg.-fr., 1898, p. 199 ô),
tandis qu'il avait paru dans le Dict. bulg.-fr de ce même
Marcoff, en 1894, s. v. efendi.
Dans le domaine des langues orientales asiatiques, je dois
relever ajGévTYjç chez R. Duval, Lex. syr. de Bar Bahlule
(Paris, 6 vol., 1888-1901, t. I, p. 7, App. ad litteram (âlaf,
avec le renvoi : « 98, 2 ») ; je ne me rends pas compte du
EPENDI 399
contexte, ne lisant pas le syriaque. Le mot s'y retrouve,
cela est hors de doute, puisque V Appendix le marque et que
S. Krauss lui consacre une fiche dans ses Griech. u . lat.
Lehnwàrter im Talm., etc. {op. cit., II, p. 16 b). Dans cet
ouvrage, aujourd'hui classique, on rencontre également a^-
thantin, p. 16ô_, et aothantin^, p. 117 «, tous deux avec le
sens de « màchtig, urspriinglich ». C'est la forme de l'ac-
cusatif (cf. M. Schw^ab, Des mMs gr. et lat. en h. aux i^'^ s.
de J.-C, Journ. As., 1898, p. 28 de V Extrait ; cf. Schlat-
ter, Verk. Gr., dans Beitr. z. Ford, christl. TheoL, IV
(1900) ; chez J. Fiirst (Gloss. gr. h. od. d. gr. Wôrtersch.
d. jûd. MidraschmerkCy Strasbourg, 1890, p. 42 d), on lit
la traduction : « Urheber, Stammvater, màchtig ». Mais on
sait que les mots grecs rabbiniques datent de la Kcivy) (cf.
S. Krauss, op. cit., II, 222, cf. 227) et, malgré leurs trans-
criptions toujours phonétiques (ib., p. 1), ils n'ont point
pour nous ici un intérêt direct. Je lirais, d'ailleurs, non pas
a'^thantin, avec Krauss, mais awutenthin, à cause des deux
ivaw contigus après Valeph~; c'est aussi le second t qui est
un teth =: ô ; le second aa^thantin (= a^tanthin ou -enth ?),
où il y a bien un phé après Valeph, indiquerait déjà que la
diphtongue se résout en voyelle + consonne.
Ce qui déconcerte, c'est que èfèndi ne s'emploie pas en
géorgien : on ne voit, dans le célèbre Dict. géorg. -russe- fr.
i. Il ne faudrait pas se laisser égarer à Vîndex du t. II, et p. 110 a
par âos; (sic), dans lequel on croirait voir â'jsi;, dial. pour â'js'vTr);. Il faut
lire à'^s;, car, malheureusement, trop de fautes d'accent se sont glissées
dans ces deux volumes. V. aussi sur cet ouvrage A. Schlatter, Verkann-
tes Grieqhisch, Giitersloh, 1900 = Beitr. z. Ford, christl. Theol., IV, 4,
49 s.
2. Cf. Blass, Ueh. d. Ausspr. d. Gr.^, 1888, p. 72 : âcpxo; = aùxo;, ne
peut guère se développer, selon lui, que sur une prononciation u du se-
cond élément : awutenthin, précieux pour l'histoire du grec, nous mar-
que cet état distinctement. Le t] rendu par un jod, qui suppose un i, sur
prend, il est vrai, à côté de a-u. Cf. J. P., Essai s. l. Sept., 182, 1,
4Ô0 JEAN PSiCHARî
de Tchoubinof (Pétersbourg, 1840), ni àçeviy;? (p. 44 ô), ni
éfendi (p. 198 a) ^ Il est vrai que le géorgien étant mêlé de
turc et de persan, Tchoubinof n'a pas cru devoir accueillir
tous les mots turcs. Pour le laze, la situation est moins trou-
blante. Si éfendi fait défaut dans l'excellente Etude sur la
langue laze à' kà]2iT\2iwQ^ém. Soc. Ling., X, fasc. 6, 1898,
145 s.), c'est que l'auteur a eu soin de nous prévenir (p. 147,
l'') qu'il n'a pas admis les emprunts turcs, « dont le nom-
bre dépend de la fantaisie individuelle de chacun : tout mot
turc peut, à vrai dire, figurer dans une phrase laze » (les
mots recueillis viennent de Batoum et d'Erzeroum, ib., 147,
S**). C'est à des raisons de même ordre qu'il faut sans doute
attribuer l'absence de éfendi, non seulement chez G. Meyer,
Et. Wort.b. d. albanesischen Spr., Strasbourg, 1891, mais
encore dans Hahn, Alb. St., léna, 1854, H. III (Lex. alb.-
all.), et D. Gamarda, App. al Sagg. di gr. comp., etc., Li-
vorno, 1866, Ind. gén., p. 215 s ^.
Pour terminer l'histoire de ces multiples migrations, j'ai à
peine besoin d'ajouter ({vl éfendi a fait le tour de l'Europe et
du Nouveau-Monde.
Pendant que ce mot, d'origine essentiellement vulgaire,
suivait, grâce au turc osmanli qui s'en était emparé, des des-
tinées brillantes, les puristes, selon leur système, continuaient
à le tenir en mépris % sans que nous ayons toutefois vu l'éclat
1. Je note, par curiosité pure, que la lettre qui est ici en cause, la 39«
de l'alphabet géorgien, <î>, f, dans Tchoubinof, Abr. de gramm., in f.,
p. II, ne se trouve pas encore dans les Syntagmata ling. orient, quae in
Ge. reg. audiuntur, de Maggio, Rome, 1670, p. 2 ou p. 4. L'alph. n'y
compte que 37 lettres au lieu de 40.
2. La mention aùÔevTri; dans le Lex. de Gavalliotis (G. Meyer, Alb.
St., IV, D. gr. sûdrum.-alb. Wortverz. d. Kav., Wien, 1895, s. v.) n'a
pas de valeur pour nous : c'est le mot grec (savant) dont Gavalliotis donne
l'équivalent roumain N~o{ji.vou et alb. Zwx (v. ib). Rien non plus dans G.
Meyer, Alb. St. V, Beitr. z. Kenntn. d. i. Griechenl. gespr. alban.
hundart, Wien, 1896, p. 67 s.
3. A. G. Paspatis (Xiax. ^1., op. cit.), qui, s. v. 'Aoe'?, donne le sens de
EFENDI 401
qu'ils auraient su donner à la forme hybride ajôÉvxYjç, plus no-
ble à leur goût, quoique, à la vérité, elle ne soit ni ancienne
— car assurément les Grecs de l'ancien temps ne pronon-
çaient point à^OivTr;;, mais y sentaient une diphtongue —
ni moderne, puisque le groupe 9Q aboutit régulièrement à çt ;
en effet, la langue vivante, à l'heure où nous sommes, nous
présente ce phénomène charmant d'harmonie, de ne tolérer
ni deux occlusions, ni deux spirations successives, et voilà
pourquoi, d'une part, x- et %x deviennent ©t et y-, tandis
que, de l'autre, aô, c^r, ç9 et yO deviennent ax, ex,, çx et yz ;
les faits paraissent différents, le principe est le même (v.
J. P., 'PdBa xa\ M-^Xa, III, 1906, 80 s., où détails).
Le problème des emprunts ou des migrations de mots
reste encore un problème délicat, non seulement dans la
péninsule balkanique, mais aussi des Balkans en Russie et
jusque dans l'Asie Mineure, sans parler de l'Occident. On
n'a point, il nous semble, suffisamment fait ressortir jusqu'ici
l'intérêt que ces études présentent au point de vue de l'his-
toire culturelle. Il s'agirait de bien déterminer l'origine de
l'emprunt et de savoir, dans les cas nombreux de coïnci-
dences, si tel mot passe du turc ou du grec en bulgare, en
serbe, en roumain, etc., si, d'autres fois, c'est une de ces
langues qui le communique à l'une des deux premières. Je
ne veux point insister. Quelques exemples suffiront. Nous
avons plus haut rencontré en serbe fendum, sans a. Or,
l'aphérèse, en turc, n'existe pas. Elle existe en grec, quoi
qu'on ait pu dire (v. Essais de gr. hist. n.-g., Paris, II,
père, en est à croire que ce mot vient du t. èos'vxT];, lequel viendrait « Ix
xoj 'EW. AùOc'yxr); ». Il constate que le mot n'a pas pris place dans les
dict. gr. et que même on ne s'en est jamais occupé A. Vlachos, AsÇ.
'EXXrivoyaXX., Ath., 1897, admet àfs'vrr);, avec quelques bons exemples,
lais en renvoyant à ajOivxrj; qu'il fait ligurer à tort dans des locutions
imilières. C'est toujours dans l'intention d'être plus classique, même en
plaisantant.
402 JEAN PSIGHARI
1889, LXIII-IV, etc., où les faits ne sont point contestables ;
cf. ty;v cpevTia aou (i= à(p), M. Crusius, Tiircogr., 1584, 220) ;
j'ai recueilli çsvtyj; à Ghio ; les faits consignés par H. Pernot,
Et. de ling. néo-hellén., I Phon. des Pari, de Chio, Paris,
1907, 203-210, confirment pleinement mon explication* ;
il y aurait donc peut-être dans fendum une contamination
due à la double influence du turc et du grec. Parfois des
similitudes nous trompent. Un mot paraît italien à l'étymo-
logiste, alors qu'au sentiment de l'emprunteur il ne l'est pas.
G. Meyer attribue le t. sinio?' à l'it. signore et le t. madama
à rit. madama (Turk. St. I, Die gr. u. rom. Bestandth, im
Wortsch. d. osm.-tûrk., Wien, 1893 [cf. J. P., Et. de phil.
byz. et ng., 1892, p. LXXIII], p. 37). Rien n'est moins dé-
montré. Etviôp, à côté de aicp, s'associe volontiers aux noms
italiens. Quant à madama, le mot est, assurément, fort em-
ployé, mais dans certaines acceptions seulement, en italien,
dans la langue commune aussi bien que dans les dialectes ;
cf. G. Finamore, Voc. d. iiso ahriizz., 1893 ; G. C. Berti,
Voc. bologn -it.y 1869-1872 (absent dans Cl. Ferrari, Voc.
bol. co' sin. it. e fr., 1820 ; G.-E. Ferrari, Voc. boL-it.^
18o3; G. Ungarelli, Voc. d. di. Bol. [1901], où le relevé
du mot ne sortait pourtant pas du cadre de l'auteur, p. VIII) ;
Casaccia, Diz. genov.-it.^^, 1876; Azzi, Voc. dom. ferrar.-
1. Je ne comprends pas bien ce que signifie ih., p. 206, 4 : « <î)ivx7)ç me
paraît plutôt une forme enfantine de ûc-jc'vctj; ». Pourquoi l'aphérèse, car
c'est d'aphérèse qu'il s'agit, serait-elle plus enfantine ici qu'ailleurs ? —
En réalité, la rareté de l'aphérèse pour a dans la langue commune tient
à ce que, aujourcVhui, Va demande une ouverture plus grande de la
bouche ; or, V expiration de la voyelle initiale atone dépend du plus ou
moins de temps nécessaire à cette ouverture. Voilà pourquoi cette expi-
ration s'observe moins communément pour a. Dans les dialectes où elle
se produit, il faut croire que a a conservé quelque chose de son ancienne
faiblesse (cf. -ctpîaxr^ii.:, etc., etc., l'a de Ixtir-ioixen regard de celui de yXàia-
aav, etc., etc. Cours professé à l'Éc. d. H. É., l'hiver de 1903-1906, v.
Ann. 1907, p. 61).
EFENDl 403
z7., 18o7 ; Cherubini, Voc. milan.-it., III, 1841 ; G. Benfi,
Voc. miL-it.\ 1870; Angiolini, Voc. miL-it., 1897; d'Am-
bra, Voc. napol.-losc, 1873; Manfredi, Diz. pavese-it.,
1874 ; G. Malaspina, Voc. parmig.-it., III, 1853 ; G. Pas-
quali, N. Diz. piemont.-it.^, 1870 (absent dans: M. Ponza,
Voc. piem.-it.^, 1846, et éd. IV, 1847; M. di Pozzo, Gl. it.-
piem., 1888); G. G. Spano, Voc. sardo-it., 1851 ; M. Pas-
qualino, Voc. sicil. et., III, 1839, G. Pecorella, Voc. niim.
sic.-it., 18o6, Mortillaro, A^. Diz. sic.-it., 1876 (absent
dans G. Biundi, Voc. man. compl. sic.-it., 1851, et, du
même, Diz. sic.-it., 1857 ; également absent dans G. Nazari,
Diz. Bellun.-it., 1884; Zappetini, Voc. bergam.-it., 1859;
Melchiori, Voc. bresc.-it., II, 1817 ; Gotronei, Voc.
calabr.-it.f 1895; P. Monti, Voc. d. dial. di Como, 1845 ;
Falzon, Diz. malt.-it.'ingl., 1845 ; Cherubini, Voc. man-
tov.-it., 1827; E. Meschieri, Voc. inirandol.-it., 1876; L.
Foresti, Voc. placent. -it., 1855 ; Voc. Regg.-it., 1832 ;
Vincentiis, Voc. tarant., 1872 ; Kosovitz, Diz. voc. d. dial.
triest., 1889 ; G. Patriarchi, Voc. venez, e padov., 1821 ;
Angelo, Picc. voc. veron. e tosc, 1821 ; G. Nazari,
Diz. vicent.-it., 1876 ; D. Bortolan, Voc. d. dial. ant.
vicent., 1894)i.
Or, aucun de ces vocabulaires locaux, pas plus que le Diz.
délia lingua italiana de Tommaseo-Bellini ([1861...], 4 vol.
en 8 parties), le meilleur dictionnaire italien complet que
nous ayons pour le moment, ne nous donnent le sens indi-
qué par G. Meyer (/. /.), pour le t. : « madama von euro-
pàischen Frauen », en d'autres termes, une étrangère et,
\. Devant ce beau labeur consacré en Italie à la connaissance des dia-
lectes maternels, on n'en déplore que plus amèrement la néfaste influence
du purisme néo-hellénique, dédaigneux de ce qu'il nomme les patois et
de la science que leur étude représente. Quelques rares lexiques dissé-
minés dans des Revues inabordables et un ou deux volumes, c'est tout ce
qui, dans cet ordre de travaux, existe en Grèce.
404 JEAN PSIGHARI
particulièrement, une étrangère élégante, etc. Que ce sens
peut se trouver en italien, deux dictionnaires spéciaux nous
le prouvent : cf. Boerio, Diz. d. dial. Venez^, I806 : « Nome
d'onore che si dà aile Donne forestière. E per antonomasia
s'intendeUnafrancese(v. ib., « Madamosèla... Francesismo »,
et A. Traina, N. voc. sic.-it.^, 1890 : « Madama, s. f. Si-
gnora, quando non si tratta di forestieri, ha senso di celia
[plaisanterie] ». Laissons le sicilien de côté. Le vénitien est
ici plus intéressant, car on sait combien de mots, prétendus
italiens, sont passés en grec moderne, qui ne s'expliquent
que par la phonétique vénitienne (3''oa, P'.BéXao, àpij.a!a,
YcjŒTo, etc., etc.). Précisément, ce sens de dame étrangère,
d'européenne, domine dans le grec mod. [xav-aij.a, très ré-
pandu à Constantinople. Une [xavia;j.a est une femme bien
mise, un peu fière, qui fait quelque esbrouffe (cf. Casaccia,
op. cit., « donna di grand'affare »), et qui est souvent de
mauvaises mœurs (cf. Fanfani-Frizzi, Voc. d. sinon, d. l.
it. [1884], N. 1908, où madamina est signalé, à Milan et à
Turin, dans le sens de grise tte). Gela se dit aussi plaisam-
ment (cf. Gherubini, op. cit., « per ischerzo »). Les Italiens
et les Grecs ont à Constantinople plus de contact entre eux
que les Italiens n'en ont avec les Turcs, de sorte que ma-
dama a plus de chances d'avoir été d'abord emprunté aux
Italiens par les Grecs. Mais je ne crois encore pas que ce
soit en grec un emprunt italien. Il existe au sujet de ce mot
toute une discussion en Italie. Madama y est volontiers con-
sidéré comme gallicisme (cf. Boerio-, ci-dessus ; Fanfani-
Frizzi, op. cit., le traité de « francese » ; Pasqualino, op.
cit., « voce francese », etc., etc.) ; on le combat ; F. Ugolini
voudrait qu'on dise Signora Se vigne et non pas Madama S.
(Foc. di par. e 7nodi errati, 1835, s. v.) ; P. Viani, au con-
traire, maintient les droits de Madama (^Diz. di pretesi
frances., I, 1838, s. v.). En réalité, voici ce qui se passe:
I
EFENDI 405
Madama est incontestablement ancien en italien ; Tommaseo-
Bellini en rapportent un exemple chez Boccace (Nov. 97,
21 [= Op. volg. di G. Bocc, V, 1828, Giorn. X, Nov. YII,
p. 69], madama lareina*) et je retrouve encore le mot dans
Fr. Alunno, Le Ricch. d. ling. volg., 1543 (il y figure, s.
V., comme titre honorifique). Mais le mot semble avoir dis-
paru de la conscience des sujets parlants et il y renaît —
ou il y rentre — sous l'influence du français ; en effet, on
remarquera, dans nos références, que les vieux vocabulaires
l'ont beaucoup moins que les plus récents. Ces considéra-
tions, comme le sentiment inné que j'ai du grec et la
connaissance des lieux mêmes, me feraient croire que [j.av-
Ta;j(.a vient du français et que c'est, en grec moderne, un
mot savant ! J'entends livresque. Des personnes cultivées
savent que Madame en fr., est du féminin; elles en font
donc iLTr.i[).x — le peuple aurait dit [j.av-:à, sur maddm{e)'.,
il y a là, chez les gens instruits, un simple phénomène de
création instinctive à la fois et avertie (T. x. M., III, 68^),
qui est fort naturel'. De la dame, le mot passe à la cham-
brière, de là au peuple. Et ces deux influences enrichissent
le turc d'un mot nouveau. Nous avons signalé ailleurs ('P.
X. M., IV, 224 ; cf. Et. ng., LXXIV, N. 634) (SiC^ia qui, en
turc, est un emprunt fait au grec. Les visites'*, les mada-
\. L'éd. utilisée par Tomm.-Bell. est celle de 4587, c'est-à-dire exacte-
ment la même, sans qu'ils la mentionnent, que celle du Diz. cl. l. it.,
Padova, I, 1827, p. lvii. J'ai préféré citer l'édition courante aujourd'hui.
2. Ib., 278-279, je crois avoir démontré que psxXàaa, réclame, est éga-
lement un mot savant dans les mêmes conditions. C'est un procédé na-
turel, qui n'a rien à voir avec le purisme. Quant à /.ojxao, commode, ib.,
p. 68, j'aime mieux le rattacher aujourd'hui au vén. comô, Boerio, 2, s. v.
3. V. T. X. M., m, 68. L'expression de création instinctive me paraît
préférable à celle de création populaire, etc., car, en matière de langage,
tout le monde est peuple, quand on y regarde de près.
4. Les sens indiqués dans B. de M., II, 848 b, à vizita, et quelques
autres qui n'y sont point indiqués, ont leurs équivalents pour ce mot,
dans toutes les langues et en français même.
406 JEAN PSIGHARl
mes sont autant d'éléments de civilisation introduits dans
des mœurs qui ne les connaissent guère. C'est des Grecs que
les Turcs les ont pris*.
Il n'est pas jusqu'aux mots indéclinables, jusqu'aux inter-
jections comme aférim (= bravo, à la bonne heure'), qui est
incontestablement turc, dont il ne soit intéressant de suivre
la filière. Il se retrouve dans presque toutes les langues
balkaniques (v. les Dict. or. et slaves cités ci-dessus, et cf.
L. Sainéan, Infl. orient, sur la l. et la civ. roum. Rom.,
XXX-XXXI, 1902, extrait, p. 36). Peut-être vient-il en bul-
gare (Duvernoy, s. v.) du grec immédiatement. Il est cer-
tain que ces questions sont délicates à résoudre. Toujours
est-il qu'il importe de transcrire exactement et de serrer de
près les particularités phonétiques. Fûrst, dans son Gloss.
gr. hebr. (pp. cit., p. 35 b) met A^ycuGia (lis. : Aoyouata) en
regard d'un hébreu qui ne présente point de waw après
Valeph, mais simplement après le ghimel, où il a valeur de ô
ou de û; littéralement, nous avons donc agustha (avec le hé
final, ha, marque du féminin). Cela nous ramène à aycuatoç,
lequel n'est autre que le lat. agiistus (v. Et. ng., LXXVII,
N. 59), et il est curieux de constater, dans un titre officiel,
ce traitement populaire. Brocltelmann (Die gr. Fremdw.,
op. cit., p. 36) voit dans l'arm. katapan, qu'il transcrit lui-
même ainsi, l'it. capitano. Comment cela serait-il possible?
Il y a là simplement l'assimilation régressive, si familière
au grec'^ ; elle s'exerce ici sur le byzantin y.a-u£7:ava), 6 xaxs-
1. Sur les mœurs et formules plus courtoises introduites par des Grecs
dans la diplomatie ottomane, v. Lavisse et Rambaud, Eist. générale, VI
(4895), p. 831. Un travail d'ensemble sur toute cette influence des Grecs
mériterait d'être entrepris.
2. A. Meillet, à Bibliographie dans le Banasêr (= Le Philologue;
titres en arm.), III (4901), 73, dit qu'en grec « l'altération la plus sûrement
arménienne se trouve dans les mots de trois et de plus de trois syllabes;
elle consiste dans une assimilation de la voyelle de la seconde syllabe à la
EFENDI 407
ravwS le chef, le préfet, le goummeur (cf. tov xaTexavo),
Const. Adm., 228, 24, etc.; Sophoclis, s. v.), dans lequel
n a voulu voir justement, crojons-nous, l'origine du mo-
'derne xairsTavioç (it. capztano, vén. cap2tanio), qui serait
ainsi une contamination des deux formes, vénitienne et by-
zantine 2; mais /.a-'.-av'.s;, par un i, se dit aussi en gr. (cf.
Ylachos, Asz.-sAX.-vaXA., Ath., 1897), et les diverses for-
mes turques, qaptan (B. de M., II, 493 b ; cf. ar. qabthàn),
qapoudan (ih., 498 <?) et kapitan, constaté par moi-même (To
Ta;î5i pi.oj, éd. II, 1903, 90), formes que nous n'avons point
à approfondir pour le moment, doivent sans doute leur exi-
stence à des mélanges qui, s'ils pouvaient être démêlés avec
précision dans les diverses langues orientales ou romanes (v.
Jal, Gloss. naut.y Paris, 1848, s. v. ; Corazzini, Yoc. naiit.
it., II, 1901, etc., etc.), nous livreraient bien des secrets
concernant l'histoire de la marine dans la Méditerranée.
La phonétique à'èfendi est beaucoup plus claire. L'har-
voyelle de la première », et il cite bonosos = [3ovaaoç, etc. (v. A. Thumb,
Byz. Z., IX (1900), 393). Rien ne prouve cependant que l'assimilation ne
soit pas grecque et je pense, comme Thumb (op. cit., 394), qu'elle n'a
pas besoin d'être uniquement arménienne. Je pencherais même décidé-
ment pour le grec où le phénomène est des plus fréquents (bibl. et ren-
vois, J. P., B. Z., XVI (1907), 465, à P. 413, v. 9) et bien plus prononcé
qu'en arm., puisqu'il affecte dans les disyllabes la voyelle tonique ou
atone oÇo) = ï^to, àvrav = ovxav = ôx. (Miller-Sathas, Chr. de Ch., I, 53
[4]), 6/ = SX dans U x6 = è^ "^^ = ^'/. ^^ô. Entin, âr.àvw est commun au-
jourd'hui. — V.des exemples d'assimilation dans les noms hébreux hellé-
nisés, J. P., Essai sur la Sept., 173, 1., Rev. d. ét.j., 1908. — Aujour-
d'hui, plus rien d'approchant à katapan en arm., v. G. de Lusignan, JV.
Dict. ill. fr.-arm., Paris, 1900, t. I, s. v. capitaine, si ce n'est, ib., à
pacha, la transcription de ce titre turc en arm. : gapoutan, etc. Tchoba-
nian m'apprend que le peuple dit khaptan (/aptan), pour capitaine de
navire.
4. Ni Brockelmann, /. /., ni Thumb, B. Z., IX (1900), 394 « *xaTa-
::âvw = y.aTSTràvw (vgl. neugriech. â7:avco) » n'ont reconnu cette forme.
2. Cf. Hesseling, Les mots marit. empr. par les Gr. aux l. rom.
(= Verhandl. de l'Ac. roy. des se. à Amsterdam, sect. des Belles-Let-
tres, Nouv. sér., part. V, N. 2, Mai, 1903, p. 18), où l'identification de xa-
î:£t. et vén. capit. ne me paraît pas exacte.
408 JEAN PSICHARI
monie vocalique, qui m'avait amené jadis à supposer logi-
quement son pendant, c'est-à-dire l'harmonie consonan tique
(Et. ng., LXXIV, LXXVII), veut, comme on sait, pour les
voyelles des colorations égales dans les syllabes d'un seul
mot (cf. MûUer-Gies, p. 22). 'Açévtyjç ne pouvait donc pas
subsister en turc, puisque « et un e suivi de i, ne se combinent
guère. Il est toutefois un moment où le mot étranger, avant
de s'assimiler complètement à la langue indigène, reste for-
cément ce qu'il était dans la langue étrangère, où on l'en-
tend pour la première fois (v. T. x. M., III, 272 s.). Par
conséquent, le turc a dû prononcer afendi, pour aboutir
ensuite à èfèndi. Ce moment, nous le saisissons grâce à une
remarque consignée dans le Meninski (v. ci-dessus, p. 390),
p. 239a.* « efendl ex Graeco, t[urcica vox]. ?2[omen].
s[ubst.]. vid[go ; cf. p. ***]. afendi. », tandis que la pre-
mière édition (p. 324) constate simplement àçévxYjç en grec :
« ex Graeco vul. afendi ». J'ai été mis par M. Bouvat sur
la piste de cette petite découverte. M. Bouvat avait cru que
le vul. de ce dernier passage se rapportait au turc osmanli,
afendi, avec a. Pour moi, il n'y a pas de doute, puisqu'on
ne voit pas de point entre Graeco et vul. En regardant la
deuxième édition, je me suis rappelé la réflexion de Bou-
vat. Cela n'est vrai que du Meninski-Jenisch. En revanche,
M. Bouvat a eu la chance de découvrir en t. une mention
relativement ancienne de ce mot, dans le Petit traicté de
l'or, des Turcqz [par Th. Spandouin Cantacassin], publié
par Ch. Schefer [Paris, 1896]; p. 113 [n. 1 de la p. 112], il
est question d'un nommé Abdul-Kerim Efendy, ce qui nous
reporte à 1472 [v. iô.].
Maintenant, comment àîpévTY;? passe-t-il en t., sans le s
final? G. Mejer (Tûrk. St., I, 37) observe: « vielleicht
vom Yocativ ». Cette observation est des plus justes. Le turc
n'a aucune raison pour supprimer Vs du nom. gr. (v. Et.
¥
EFENDI 409
ng., LXXII), cf. âghoi/stoiis' (B. de M., I, 81 a) =gr. àyou-
To; = lat. agustus {Et. ng., LXXVII), ayastèfonos^ (Bian-
chi-Kiefer, I, 1S1<2), etc., etc. Gela est constant. Mais c'est
sans doute par un reste d'habitude classique que G. Meyer
a songé au vocatif (cf. '.TCTroia, vstpsXr^Yspsia, etc.) Les trois
cas-régime, ace, gén. et voc. àçévxT], feront aussi bien notre
affaire. Les Groisés n'ont pu emprunter certains noms pro-
pres, comme Kyrsac (dans Villehardouin, v. Essai sur le
gr. de la Septante, op, cit., 191, 2), que sur les cas-ré-
gime. Jean Longnon me suggère fort heureusement, dans le
même Villehardouin, des noms tels que Lascaris, avec le s.
Ils mériteraient une étude à part. Je ne serais pas loin de
penser que les noms sigmatiques reposent sur quelque trans-
cription, indiquent des rapports plus lointains avec les per-
sonnages eux-mêmes, alors que les noms provenant de cas-
régime témoigneraient de rapports plus fréquents, plus
vécus, de rapports oraux. Il faut, pareillement, que les
Turcs aient bien souvent entendu àçévTY) autour d'eux, pour
l'avoir ainsi adopté. Les différentes acceptions qu'ils en ont
tirées se trouvaient en germe déjà dans la langue parlée, pré-
cisément parce qu'on la parlait tous les jours.
Je n'ai point été suffisamment maître — oLobnr^q — de
mon sujet. Les langues orientales, le plaisir et aussi la né-
cessité des recherches dans cette direction, m'ont entraîné.
Mon plan primitif était de leur consacrer une place moindre
ou tout au plus égale à celle qu'aurait occupée dans ce tra-
1. L'harmonie vocalique amène ou — ou, o — o. Pour le dire en pas-
sant, dans les cas d'emprunt, ce n'est point la langue empruntrice qui se
corrompt — comme on le croit dans le clan puriste — c'est la langue
empruntée qui est corrompue, conformément à des lois propres.
410 JEAN PSIGHARl
vail l'histoire du mot grec à^svTr^c, que je comptais suivre, en
remontant, à travers les siècles, pour aboutir à prouver que
tel passage d'Euripide, où se lit ajOÉvir;;, ne doit pas être
corrigé (ci-dessous, 417 s.). Mais j'occupe déjà moi-même dans
ce volume une place insolente. Il faut donc que j'abrège.
'AçÉvTYjç, phonétiquement, ne peut venir de a-jÔévTYîç, pro-
noncé àîiO : çô donne çt (ci-dessus). H. Schuchardt (^Vok.
d. vulg. L, I, 1866, 297) faisait une remarque lumineuse, à
propos de o'.^Évjwp [ou c-^^évtwo, cf. Et. ng., 259 ; ce dernier,
transcrit d'après la lettre sur def.] et de difendere (== defen-
deré) : « Die Neugriechen haben SaçevisJo) aus difendo ge-
macht. » G. Meyer, sans connaître Schuchardt, a repris cette
idée (cf. Rom. W. im m. k., Jahrb. f. rom. u. engl. Lit.,
XV, III, N. F. (1876), p. 51, à propos du StaçavTsuew de
Léonce Mâcheras (= §taç£VT£[;ivs'., G. Sathas, Mea. Bl6X., II,
1873, 95, 12 = Miller-Sathas, Ghr. de Ch., I, 1882, 48
[17]). Hatzidakis a précisé en des temps où il ne se livrait
pas encore à de trop violentes polémiques ('A6viv. X (1881),
8-9) : difendere [bas-lat. pour def.^ donne en grec byzan-
tin 5y;ç£vB£'jo) et Sé^£v5£Jo) [termes de droit, ci-dessous, 414] ;
dans ce §y;- on croit sentir un Si- dont on fait aisément un
B'.a-; nous arrivons donc à l\y.ov>z=\nù ; celui-ci se croise avec
son synonyme ajÔ£VT£!j(i), qui devient oixzvr.zùiù et ce
Sia©£VT£Ja) à son tour réagit sur ajOivir;;, d'où à^évr^ç.
L'explication est jolie. Je l'ai accueillie dans les Essais, II,
p. 116, en la corroborant par des textes précis — Hatzidakis
n'en donnait pas — et j'y relevais, dans des actes notariés,
les formes Sscpsvcriwva (en 1178), oe^svBejeiv (en 1185), §£(p£v-
S£'jTal kizhtù Twv •^;jL£T£p(i)v àyaOwv (en 1238), et, justement, ota-
©£vBcJ£iv Tajr/îv tyjv oMp^h, qui montre la contamination avec
évidence (le doc. est de 1102; v. Essais, II, /. L, et Et.
ng., 259 a, s. v. Seo^evccjo), qui se trouve dans Théophile).
Ge StaçjîvcEJo) établit précisément la synonymie entre les
EFENDI 411
deux termes : ajOsvisua), être le maître, et SyjçsvBsuo), être le
patron de quelqu'un, sens voisin de celui de maître (v. plus
loin); cf. S. Cusa, Dipl. yr. éd. ar. di Sic, I, 1868, p. 334
[13-14], §i£xSixeTv xal SsçsvBeuetv : revendiquer comme son
bien, comme quelque chose dont on est le maître ; cf. ib.,
333 [10-11], vo[j,ixr<v Bcçsvcrtwva, etc., etc., à rapprocher de a-j-
Oéviat TÛv v6|ji.(i)v (v. le Thésaurus de H. S.). Aeçévawp est,
en réalité, le patron.
M. Hatzidakis, lassé sans doute du succès obtenu par son
explication, admet, sur la suggestion de Thumb, une expli-
cation différente (£^m/. in d.ngr.Gr.,iS92, 287) ; celle-ci fait
aussitôt réfléchir G. Meyer (Turk. St., I, /. /.). Dans l"A6Yi-
vaiov, Hatzidakis s'élevait à bon droit contre les raisons
^euphonie, invoquées par Mavrophrydis pour écarter
âçTevTYjç {pp. cit., p. 9). Aujourd'hui, il reconnaît dans
àçévxy;? une dissimilation, ce qui n'est, dans l'espèce, qu'un
autre nom de V euphonie. Cette raison n'est pas valable. La
langue savante a remis en circulation St£u0jvTr<ç, à savoir
Bi£99. , directeur. Personne ne se gêne pour prononcer
StsçTuvTYJç, et je ne connais point de dissimilation qui en ait
fait jusqu'ici Stsçuvi-^ç. Cette dernière forme paraîtrait bizarre
au sentiment du sujet parlant. Au surplus, quelle dissimila-
tion pourrait-il y avoir dans l'un ou l'autre cas ? On s'est
laissé tromper par l'œil. Les sons -af ^ent/is, etc., ne sont pas
semblables : nous avons un t, puis un d.
Voyons maintenant avec quelque rapidité les sens, si ce
n'est de àçévr^c, du moins de ajÔÉvir;;, à travers la grécité.
Disons tout de suite que le sens officiel ajôÉvxYj;, équivalent
de BsjTuoTT^ç, quand on s'adresse à des supérieurs ou à des
personnes de sang royal (Cod. cur. De off., p. 16, 11-17,
4) n'a pas pu influencer le turc, puisque celui-ci s'inspire de
âç£vxY]ç. A'jôévTYjç est une espèce de synonyme de Y.ùçi\oc. C'est
dans cette même acception, plus ou moins nuancée, que l'on
412 JEAN PSIGHARI
dit : 6 ajOsvTY); -^[jj^iv o y.ùp'.zq K6[xqq ou o ajOÉviYjç twv BaXaj-
ffwv ou a'jÔéviai twv vôpLWV ou oaiiaojv aîiio; xal ^'^•^.'.O'jpyoq six'
ojv ajTC'jpyo; y.ai èxiTTaTY]; 7îpaYii.aTo; oj-ivo;(v., pour toutes
ces citations, H. S., s. v. ; la dernière est de [Th.] Gaza,
dans le De 77iensibus [2o Dec. 1495, Legrand, Bibliogr. hel-
lén.y I, 1883, p. 41] ; il y a dans toutes ces définitions,
comme, p. e. , pour a jTOjpyo;, des réminiscences d'époques anté-
rieures, cf. plus loin, 416; cf. aussi Georg. Cedr.,p. 896 (« \ki-
ya; ajOÉvTr^c, le grand Seigneur», Ind. de Fabrotti) ; Nie.
Ghon., p. 903 (ajO. t. ÔaX.), etc.). On peut comparer les lo-
cutions voisines ajÔEviàî;* (auBevio); xal xjpiwç wç Ssjttotyjç xal
ajTOxsçaAoç Const. Adm., 192, 17; xupiwç xal ajôsvTO); S.
Cusa, DipL, op. cit., I, p. 334 [1. 11], de 118o, etc., etc.),
ajÔ£vi'./.à); « auctorabiliter » (Laon. Ghalcond., Byz. du Lou-
vre, 1650, Ind. gloss., non reproduit dans l'éd. de Bonn,
fo â), ajOÉvTp'a = 3ij::û'.va(Leont. Cypr., 1717B, 1721 B)2.
'A^éviy;? nous apparaît dans des fonctions analogues: xàôta'
(zsévty;, xâÔt7£, Ypa;x[j(,aT'.xà voiap-/; (Prodr. VI, 350 = 3. N.,
Goisl., 382, xv« s. c\ et Gr. 1310, xv« s. fin, cf. Essais, I,
19, la note d'Omont), PXstts jj^s [pas jj^à] xcv àçsvTvjv croa ?txà-
Œ'.iAov i;.Y3 :roi7^JYj; (Solom. 2 i= B. N., Gr. 2027, xv« s. f.
(Omont), réd. peut-être xiii*" s., cf. Essais, I, 22; l'auteur
s'adresse à son fils, v. 1). Du Gange (s. v. ajôlvir;?, col. 153)
cite àçévT?;; « Dominus, Kupioç » dans la Corona pretiosa et
4. C'est du sens de maître que s'est développé celui de aùOîvTr/.o';, qui
a de Vautorité, d'où authentique, vrai, etc., etc.
2. Un aùOsvteîv, de sens encore obscur, est relevé par Th. Nâgeli, Der
Wortschatz cl. Ap. Paulus, Gôtt., 1905, p. 49, dans un Papyrus du
vi/viF s. des Berl. Gr. Urk. [I, Berl., 4895, N.] 403, 3-4 : eàv aùOevTi'-
aziç zdi TTpayfxa xat Xàotç | auTOÙ; èv xfi TrdXet [si tu diriges la chose^ et ib.,
8-9: eî 8È TîàXiv aùôsvTTç x.al | >va[j.6àv'.ç aù-:oùç £v x^ -dXsi. Nageli cite, ibid.,
sch. Esch. Eum., 42 [Aesc/i. «A, Kirchhoff, Berl., 4880, ad. 1., aùOsvTT)-
xoTa], Peut-être y aurait-il plutôt lieu de rapprocher comme fait l'auteur,
ib., Thom. Mag., p. 48, 8, Ritschl [4832J : « AùxoBtxeîv [Xsys], oh aùÔevxetv
•/.oivoTepov -^xp ■ ». V. ci-dessous, p. 445, le passage de Moeris.
EFENDI 413
dans « Leunclavius in Onomastico Turc. », où cet auteur
donne Méyav â^evir^v Sultanum^ On trouvera chez Du
Gange, pour àç;£VTr(Ç, à^eviia, àçsvSeusiv (graphie savante de
Malaxos, xvi'' s.), et àçÉv-pa, nombre de citations, dont au-
cune cependant n'est tirée d'un texte antérieur à celui de
Prodr. VI, si toutefois celui-ci est lui-même antérieur à son
manuscrit (v. aussi a:[jT(p5c; xal ocçévrr^ç xou KavTi).6pcu, Mas
Latrie, Hist. de IHle de Chypre, III, 1855, p. 64, acte du
7 Septembre 1430, où àç^ivr^^, àcpÉvTY] tou pYiyoç, est aussi
bien appliqué au roi de Chypre qu'à l'émir ; à^évir^ç dans la
Chron. of Mor., éd. J. Schmitt, 1904, p. 601, etc., etc.).
De nos jours, 0Lovnr^q est en pleine prospérité dans la langue
moderne ; àçsvTixo, àçevT'.xoc, ^apa^lviv]; (patron)^ àçsvTpa,
àçévT'.jaa, àçîVTciro'jT^s, àcpcviia, àosvTeùo) (cf. a'j6£VT£Ù(i), D.
G.), 'AçcVtcjXy); 'AçÉi-pia (toponyme, S. MsvapSoç, Toir. Ku-
7:poj, 'Aôr^va, XVIII, 1907, 381), 'Açay^eia, 'Açsvtixyj (v. ib.,
378), 'AijpevTJiiva (z<6._, 390), tournent toujours autour du sens
de maître, y compris y.ouTaaçévxr^ç (2. Msv., o/). aV., p. 399),
aussi bien que âçevTaGpw-oç, maître homme, grand seigneur
4. La Corona prctiosa est un vocabulaire en quatre langues (« Italico
uolgare, Greco uolgare, Latino, Ch^eco literale »), cf. Legrand, Bihl.
helL, I, 199 (l''e éd., Venise, 1527). Ce serait « le premier livre im-
primé où ligure un vocabulaire gr. vulg., Legrand, op. cit., 200 (cf. H.
Pernot, Girol. Germano, Paris, 1907, p. 5). Du Gange doit avoir consulté
la 2c éd. (1543, cf. Legrand, op. cit., III., 417) ou la 3« (1567, Legrand,
op. cit., IV, 131), car Pretosia ne présente le t que dans ces deux dernières.
Quant à Leunclavius, M. Krumbacher me dit que VOnomast. Turc, doit
se trouver dans ses Hist. Miisulm. Turc, Flankf., 1591, ou dans quelque
autre ouvrage de cet auteur. Je n'ai rien pu découvrir dans les Ann.
Suit, othm., réimprimés dans le Léon. Chalc, Byz. du Louvre, 1650,
p. 303 s. (non réédités dans l'éd. de Bonn), ni dans les Neuwc Chron.
Tiirk. Nation, Franckf., 1595. Je n'ai rien d'autre sous la main. Je vois
seulement que dans le Panel, hist. turc, (dans le Léon. Ch., 389 s.), il y
beaucoup de grec encore inexploré : ojpata vulgo Huraea 477 B, £7:xà-
You).à5wv 479 p (cf. J. P., M. S. L., VI (1888), 316-317), oUiiould-
pT)ç 465 B (cf. Et. ng., LXXV), r.ôpza. xaT; âpxoûôcç, curieux pour la syn-
taxe de l'ace, v. T ■/.. M., III, 60, 1.
414 JEAN PSIGHARl
(A. Vlachos, As;. kW.-yxXk., corrige et met ajôevTavÔpw-
xoç, que personne ne dit ; v., s. v. àçévir;?, dans des locutions
familières; sur le gén. àçsvxoç, v. Hesseling, Les cinq livres
de la Loi, etc., Leide, 1897, XLIII ; Essais, I, 95, II, 294).
Ce sens de maître est ancien en grec, puisque Phrynichus,
vers la fin du n^ s. de notre ère, le condamne : Ajôévtyjç jat^-
âixoTS XP"0^1f) ^^' "^^^ S£!J7:6tou, wç oi ^epl xi SixaaxYîpia ^i^^xopeç.
Cet emploi juridique, qui fait déjà penser au defendere, §'.a-
çsvBsjo), que nous avons vu plus haut, se retrouve dans la
Bible grecque: cf. 3 Macc, 2, 29 (livre postérieur à 70
A. D., V. H. Strack, Einl i. d. A. T.\ 1906, 168, 3 ; écrit
en grec directement) xaxa)ja)p{ja'- el; xy;v TcposjveaxaApievYjv au-
ôevTiav {jus, v. Schleusner, Lex. in LXX, Lond., 1829, s.
V., ajO.). Phrynichus (/. /.) ajoute : âXX' iz\ xoj abiôy^eipoç ço-
véw;. Phrynichus ne voyait que l'attique et ignorait, par
conséquent, l'histoire de la langue dont il posait les canons.
Avant d'en arriver, en remontant, comme nous faisons, au
sens recommandé par ce lexicographe, celui de çcveùç, nous
devons mentionner celui plus modeste de SiBaaxaXoç dans
Meth. 360 C. Ce Méthodius vivait au iv^ s. de notre ère.
Mais cela ne doit pas nous arrêter. Il est évident que le sens
de Sccttoxy;; est antérieur : le S'SaaxscAoç a été ainsi nommé, as
one having authority (Sophoclis, Gr. Lex,^, 1887, s. v.,
aj6.), celui qui enseigne, qui exerce une certaine autorite,
un maître^. Peu importe, dès lors, que le sens de SeaTuo-
1. Le texte porte : xôv ajôivxrjv StSàaxaXov xov Osôv tou 'A6paa(x • -cov
ax£7:aaxr]v toj 'laaàx • t6v ây.ov xou 'laparjX, etc., etc. La il. 54, th., com-
pare Marc, 1 [2i] : tjv ^âp oiSaa/.wv aÙToù; w; IÇouatav è/^wv, xai où/^ wa ol
YpauLtxaTsîa. De sorte que, dans ajôc'vTrjv oiSxa/.aXov, aùOavTTjv peut être déjà
un simple titre honorilique, comme plus tard à^avir); ô :xp''y<7); (Miller-
Sathas, Chr. de Ch., op. cit., I, 77 [7]), ou : seigneur rabbi. Mais, d'au-
tre part, G. Heine, Synon. d. neuf. Gr., Lpzg, 1898, p. 143, signale dans
1 Tim. i2, 12, un ayOsvTsîv avec le sens de impero, imperium exerceo. Il
faut aller plus loin. Voici le contexte : BtSàaxetv Sa -^uvonyC'. oûx iTzixpéTuo,
oùoè aùÔav-cclv âvôpoa : on y devra précisément remarquer l'association des
EFENDI 415
vr,q subsiste après celui de ^tSaay.aXoç. La sémasiologie n'est
point chose fixe et nous voyons souvent, si ce n'est toujours,
deux sens différents — ou trois ou quatre — à côté les uns
des autres. Il n'en résulte point qu'ils aient pris naissance en
même temps (v. plus loin, p. 418 s.).
Le sens de âsa-i-Y;;, maître , me paraît provenir, à son
tour, de celui que consigne Moeris, contemporain de Phry-
nichus ou en tout cas dans ces environs, en ses Aécs»; : Ajtg-
c-y/^v, 'ÂTT'y.wç. ajOÉVTr^v, 'EA)//;v'.y.wç (Moer. 54) ; le jcjtcc'///^;
est celui qui a sa juridiction propre, qui est libre, indépen-
dant. Mais celui qui se trouve dans ce cas peut très bien être
le promoteur d'une action, et c'est précisément dans ce sens
que le connaît Polybe : ajÔÉvxr^v ytyovb'o: t^ç -îupàjswç (PoL,
XXIV, 14, 2). D'autre part, cette action peut être mauvaise :
telle est la :rpà;iç de Polybe (cf. PoL Meg. hist., etc., éd.
Schweighaùser, IV, 1790, p. 275 : a quo scelus esset patra-
turri). Elle est également mauvaise chez Diodore de Sicile : aù-
OÉvia? TYjç (epoTJAiaç... èTUYjxoXoJGYjars iiy.wpia (Diod. Sic, XVI,
61, 1), Ti;A(i)pr^j£Tat tov ajôdvTr^v twv àvop.Yîij-dcTwv {ih., XVII, 5,
4). Remarquons que Polybe et même encore Diodore ont
l'air d'innover. Ajôevty;^ ne se trouve en tout qu'une fois dans
Polybe et deux fois dans Diodore. Ce sont du moins les ré-
férences uniques que donnent les deux seuls lexiques que
nous possédions aujourd'hui de ces deux écrivains : Schwei-
ghaùser, op. cit., t. VIII, 2, Lex. Polybianum, 1795(1) et
P. Wesseling, Diod. Sic. bibl, etc., t. II, 1746(1)'.
doux sens à^enseigner et de commander, que fait justement ressortir B.
Weiss, Die Br. Pauli an Tim.^, Gott., 4902 (dans le JLr.-ej?. Komm. û. cl.
N. T. de Meyer), conformément à la doctrine de l'apôtre.
i. jXous ne parlons ici que des Ind. verb. Les Index géogr, et hist. se
trouvent dans toutes les éditions de Polybe : Dindorf (ïeubner), Didot,
Hultsch, Bûttner-Wobst (celui-ci en grec — enfin !), ainsi que dans
Schweigh. (et N. Perotti, 1549 ; I. Gasaubon, 4609 ; Gronovius, III,
4670, textes latins).
I
416 JEAN PSIGHARI
Maintenant, quelle est cette mauvaise action ? La plus
mauvaise est, assurément celle qui consiste à supprimer la vie
de son semblable. Voilà comment nous lisons dans Thucydide :
ùl}.€tq 8à £'. y,TcV£TT£(^(xa;... il oiXXo y) h TCoXejxia xe xat ^apà xoTç
ajSsvTat; r.x'épx:; Toù; r,;xsT£pou;... 7.aTaX£i6£T£ (Th., III, 58, 5 ;
cf. Bétant, Lex. Th., 1843 : « Auctor caedis »). La scholie
est intéressante : [irapà loTç ajôiv-aïc] xoXq çcveuatv. aù6£VTai
xupiw? Cl a'jT6/£'.p£ç y.al ol tzg^Aixioi • oi cà vuv aù6évTaç toÙç y,u-
p(oj; y.al lezT.ézxç. xjôivTaç oà tojç ByjSaiojç wSi çy)7t (sch. dans
Thuc, Didot, 1869, éd. F. Haase, ad /.). Tout cela est bien
confus. Essayons de démêler tous les éléments hétérogènes
de la scholie. Le scholiaste écrit à une époque où le sens de
^z7TzbTr,q domine (oi oè vuv) ; d'autre part, il connaît par tra-
dition grammaticale (v. Phrynichus, ci-dessus) le sens de aù-
Toxeip ; il 6st pourtant obligé de constater chez Thucydide
celui de (^o^zùc, qui Fétonne, d'où la mention de œj-zôyz^p ;
TcoXé^Aioi prouve son embarras ; ce sens ne lui vient à l'esprit
qu'à cause du passage même qu'il commente, parce qu'il y
est question d'ennemis ; xM^mq lï xou; ©r^Sabu; est un sim-
ple éclaircissement.
Le seul point que le scholiaste n'a point saisi, est que Thu-
cydide, suivant son habitude (cf. A. Croiset, Thiic, 1886,
p. 111 s.), prenait un vieux mot dans une acception nou-
velle. Car, le sens de ©ov£J; n'est encore pas le sens premier.
Classen-Steup (Thuk., IIP, 1892, ad /.) expliquent : « weil
sie auf Seiten der Persen gestanden hatten », ce qui donne-
rait à ajôiv-a; la valeur d'un meurtre domestique, d'une *àA-
XY)Xo<pov{a (cf. Esch. Ag., 1376, éd. Weil). Cela est possible,
mais point nécessaire, et l'interprétation, vu le passage, nous
paraît forcée. Pour nous, ajOsvrr^; veut dire meiirlriei\ pure-
ment et simplement. L'expression s'est élargie. Il faut re-
monter un peu plus en arrière, jusqu'à Eschyle, pour ren-
contrer le moment où ajOivir^ç s'en tient encore au sens de
EFENDI 417
meurtrier domestique : ainsi GavaTc.ç ajOéviatcrt (Ag., 1573)
est fort bien rendu chez Verrall (The « Agamn. », Lond.,
1904, V. 1572) par: « Kinmurder », et, chez Keck {Aesch.
Ag., Lpzg, 1863, v. 1540) par: « mit selbervernichtendem
Mord » ; ce sont bien ici des meurtres domestiques ; de
même dans les Eum., 212, o]).y.\^oq Mi^-r^q oovoç, où opi,ai-
{jLoç est à souligner : consanguineus (Blaydes, Aesch. Eum.,
Halis, 1900, p. 92, ad 212 ; les doutes sur le passage et,
notamment, sur aùGévTYjç, ib., p. 15, N. G., ne nous parais-
sent point justifiés).
Mais comment cette transition de sens, de meurtrier do-
mestique à meurtrier, s'est-elle opérée ? De la façon la plus
simple. Elle nous apparaît dans des combinaisons comme
celle-ci que nous donne fort à propos Hérodote : [xr^-zt Ôjya-
Tpl r^ Qf^ {j-Y^T£ aJTw (jo\ c'.V^v xjH^tt^ç, (lier., I, 117). C'est Har-
page qui parle à Astyage et qui se met au point de vue de
son interlocuteur : le roi aurait été le meurtrier de sa fille
et, par conséquent, son propre meurtrier. Mais par le fait,
c'est un étranger, c'est Harpage qui était chargé d'accomplir
ce meurtre. Ainsi l'idée s'extériorise hors du cercle intime de
la famille, et c'est comme telle qu'elle se montre à nous, pour
la première fois, dans Thucydide (ci-dessus). Nous atteignons
maintenant, en dernière analyse, le point de départ, dans
ce chemin que nous avons tenu à parcourir à rebours,
afin de mieux marquer les étapes ; nous aboutissons à la
forme primitive que Sophocle seul nous a conservée dans sa
pureté: xszovnxç, 0. R., 107, et a-j-oÉvr/jv, EL, 272: qui
sua ipsius manu perimit (Dindorf, Lex. Soph., 1870 ; cf.
Ellendt-Genthe, Lex. Soph., 1872, s. v. ; Léo Meyer, Ha?i-
Ibd. d. gr. Et., II, 182, qui compare, p. 183, ajx-
oxty;;, etc. ; sur le sens de -évtyj;, v. ih., et Prellwitz, Et.
wôrt.b^. , 1905, s. v. aù6. ; il compare le lat. sons, sontis).
Reste Euripide. Celui-ci connaît xM^nr^q dans le sens de
27
418 JEAN PSIGHARI
meurtrier: ajÔEvxY] çcvo), Herc. f., 839 (Prinz-Wecklein), aù-
6£VTwv xiptç, Rhes., 873. Mais il présente aussi Syjjjlcç aùOév-
ty;; yôov6ç, Suppl., 442. Or, voici comment raisonne à ce
propos Kreling (De usu poet. et dialect. voc. ap. scr. gr.
serioreSy 1886, 12-13) : aù^évir,;, dans Polybe, serait un mot
poétique ; d'autre part, ajôÉvir;; x6ovsç n'offre point le sens
classique, celui de Sect^uotyjç étant postérieur ; une correction
eùOuvTYjç serait donc la bienvenue. A. Thumb, de son côté
(Die gr. Spr. im Zeita. d. UelL, 1901, 221) est porté, lui
aussi, à voir dans le sens différent du mot, chez les Attiques
et Hérodote en regard d'Euripide et de la Kcivï), l'indice
d'un Zwiespalt, — d'une bifurcation ou d'une scission, —
entre la langue attique parlée et la langue écrite.
Nous traitons dans un autre mémoire, des mots dits poé-
tiques, de ceux qui se trouvent chez les poètes — Homère
ou les tragiques — puis disparaissent dans la prose du v* s.,
reviennent dans la Koivy; et sont monnaie courante de nos
jours. Ici nous ne voyons rien de tel. Nous avons essayé de
suivre pas à pas le sens de notre vocable, depuis aùioév-
TY)^ jusqu'à àçév-Yîç. Nous avons constaté un développement
sémantique régulier. Il n'y a donc aucun lieu de corriger
Euripide. Il ne convient pas davantage de s'étonner du
double sens de aiôevir;? chez ce poète. Le seul fait que le
sens de ScaTro-r^ç, maître, a prévalu plus tard et qu'il domine
de nos jours, atteste que ce sens était en germe dans le mot .
Euripide peut déjà l'en avoir dégagé. Ajtosvty;;, absent chez
Eschyle (o2o-4o6 a. G.), se lit bien chez Sophocle (496-
406)* ; V Electre et Œdipe Roi, où cette forme se rencontre,
sont, de toute façon, postérieurs à Eschyle (cf. Christ*, 251 :
1. C'est le seul exemple de la forme pleine. Le mot est de création ré-
cente. Il ne se rencontre ni dans Homère, ni dans Hésiode ni dans Pin-
dare. On a le sentiment que nous sommes encore, à l'époque attique,
tout près du sens primitif. V. plus loin, 420 s.
EFENDI 419
El. entre 412-442; 0. R. en 425); bien plus, Sophocle
n'emploie pas ajôiviT)?, alors que celui-ci est dans l'Orestie
(438. a. G.) ; il se sert donc bien d'une forme antérieure et
peut-être périmée. Inversement, nous avons vu aùôsviia, avec
le sens jus^ dans les Maccabées ; cela n'empêche point aj-
6=v-:a; YovcTç, meurtriers, et même meurtriers domestiques,
sens très ancien, dans Sap. S al., 12, 6, où Biel veut corriger
à tort (^Lex. in LXX, I, 1779, s. v.). Mais voici un exemple
topique : chez l'orateur Antiphon (+411), aùôévTYjç a le sens
à^ homicide à un passage sûrement (5, 11 ; cf. Fr. Ignatius,
De Ant. M. eloc., Gott., 1882, 3 ; Fr. I. Brueckner, De
tetral. Ant. Rh. adscr., Budissae, 1887, p. 6) ; mais dans
trois autres (3, y^^ ? ^^- ^"^^ ^f- o'^X '^"^^ '^^^ [j.£'.paxicu àXX' ûç'
éajToO S'.a^eapYjva'., v. Fr. Hausen, De Ant. tetral., Berl.,
1892, Progr. N. 113, p. 21-22 ; iô., 5 10 ; sur les trois
passages, v. Ignatius, /. L, où sens de suicide; de même,
Fr. I. Brueckner, /. /.), il a, non moins sûrement, celui de
suicide — ou, comme on dit aujourd'hui, suicidé — ainsi que
le prouvent deux endroits connexes (3 y ^^^ cf. trad. Didot,
Or. Att., I, 1877 : homicidii in se ipsum commissi; 3 g 9,
puerum peremptum homicidam esse, v. F. Hausen, /. /.).
Le sens n'est pas douteux : ainsi le comprend Fr. Blass
{Ant. or.^, 1892, Ind., p. 206 b, qui se ipse interficit; v.
Ignatius, /. /. ; ©cvsu; est très fréquent dans Antiphon, v. Fr.
Lov. V. Gleef, Ind. Antiph., dans Cornell stud. in class.
PhiL, Ithaca, 1893, s. v.* ; cf. Christ*, 381 ; Ignatius, op.
4. Indépendamment d'Antiphon, il est tout aussi certain que le sens de
suicide a existé en grec ; cf. Sch. gr. in Eur. tr., éd. G. Dindorf, I, Ox.,
i843, 38, 16-17 (ad Tr. 655): aùOe'vTa; yàp Xsyo'J^^ "^ohc, Ixouaûo odvw [xe-
TEpy 0U.3V0-J;, zal ajxos'vta; xo-; aùxô/sipa; Xsyo'ja-.v (cette distinction doit
être une subtilité du scholiaste) ; Et. M., 169, 1 : ô oovsy; ô lautôv xtivvucov*
To yàp Iv T^ cruvrjOîîa, i'xspov (il vise probablement le sens de dominus), ib.,
7 lauTÔv pàÀ"Xcov xoTç svxsatv, o iixi xoTç psT^sai. V. J. Scapula, Lex. gr.
lat., Oxonii, 1820, s. v. aùÔ£;xr,ç, même ordre d'idées.
4^0 JEAN PSIGHARI
cit., 2, cf. 1 ; B. Brinkmann, De Ant. or. de Chor., 1888,
4 s. 17 ; J. Hauler, Ant. esse orat., etc., dans Jahr. b. û.
d. d. k. k. Staatsgymn. i. Il Bezirke v. W., 1884, p. 17.
Voilà donc Antiphon qui emploie deux sens d'époques
certainement différentes. Nous croyons même que celui de
suicide est le sens primitif : c'est par là qu'on s'explique
comment le mot reste tout d'abord confiné au sens de meur-
trier domestique (v. ci-dessus, nos exemples). On peut éga-
lement songer à a'jT2xi6vo; d'Esch. Sept., 681 (« se ipsum in-
terfîciens », Dindorf, Lex. Aesch., 1876, s. v.). Le passage
d'Hérodote, cité ci-dessus, nous fournirait, envisagé de ce
biais, un nouveau secours : Harpage se met à la place de
son interlocuteur et raisonne comme si celui-ci s'était tué de
sa main; il serait alors, d'après notre hypothèse, un ajOév-
TY); au sens propre, un suicide ; de là, au sens de tuer au-
trui, il n'y a plus grande distance, puisqu'Harpage parle, en
réalité, de ce qu'il a fait ou dû faire lui-même (v. ibid.).
On sait qu' Antiphon recherchait les archaïsmes (cf. Cucuel,
Essai sur la l. et le st. d'Ant., Paris, 1886, 29). Il est natu-
rel qu'il se soit attaché au vieux sens de ce vocable. Pour-
quoi ce vieux sens a-t-il péri aussi vite ? Pourquoi a-t-il laissé
si peu de traces? C'est, vraisemblablement, parce que Vati-
mie chez les Grecs n'était pas éteinte par la mort du crimi-
nel et que les peines posthumes contre le suicide étaient
faites pour frapper les imaginations (v. G. Glotz, La solida-
rité dans le dr. crini. en Gr., Paris, 1904, p. 30 ; cf. p. 66).
Peut-être voulut-on éviter de se servir du vocable dans ce
sens. Nous voyons que les Grecs flottent entre diverses ex-
pressions pour désigner le suicide et qu'ils usent volontiers
de périphrases: œj-zbyv.Çi ôava-o; ou crçayi^, xj^oy^eipix Spaatç,
ajToy.Tovia, ajToçovia, èpLa'Jibv /.isivo) (à7:o/,T£'!va), Stay(pao[JLai, §ta-
^£ipiCo[Ji.ai, ©ovcùo), a^aCw) ; aÙTCxTovo)? ; aÙToaçaYi^ç, aùiotpovoç,
aÙTO^ovs'jiTQç, aÙToipovsuç, aÙTOX-Toveo), o^bibyv.p (i.oTpa (v. ci-des-
EFENDI 421
SUS, p. 418, n. 1, et les dictionnaires, Courtaud-Diverne-
resse, Dict. fr.-gr., I, 1874, s. v. suicide, etc.). Ces locu-
tions sont assurément loin d'être toutes contemporaines ni
toutes classiques ; elles ne nous montrant que mieux les tâ-
tonnements, à travers les âges, autour de cette idée de suicide
et comme la crainte de se fixer à un terme en quelque sorte
technique, alors que çcveuç ne varie pas et se retrouve dans le
ocviiç actuel. Je note que le grec moderne n'a rien pour quali-
fier cet acte : on tournera par un verbe et l'on dira : cry.oiwÔYjxs,
il s'est tué. Il est vrai qu'on peut constater la même lacune en
français, où suicide est un mot savant. Les Grecs avaient, à un
certain moment, créé un mot spécial, et Antiphon n'a pas re-
culé devant le sens primitif, dans un temps où nous pouvons
supposer que ce sens était hors d'usage. Il est le seul, du
moins, à nous l'oiïrir. En somme, dans l'espace de 47 ans,
nous voyons ce même mot pris dans quatre acceptions diffé-
rentes: meurtrier domestique dans l'Orestie, en 458, et dans
l'Œdipe Roi, en 425, sous la forme ajToëvTyjç; meurtrier et
suicide dans Antiphon, avant 411 ; m^aître, dans les Sup-
pliantes d'Euripide, vers l'an 421. Les cloisons ne sont donc
pas aussi rigoureuses entre ces acceptions diverses et il ne
faut pas toujours de longs intervalles chronologiques entre
elles. Le sens suit plus ou moins vite la filière naturelle. Dans
une éclosion sémasiologique presque simultanée, un sens
peut apparaître, qui ne jettera que longtemps après toute sa
fleur. Comme on peut très bien ranimer, à côté d'un sens
tout frais encore, un sens déjà fané du même mot, il n'y a
rien d'extraordinaire à ce que, à l'exemple d'Euripide, on
inaugure, par néologisme, un sens, ou trop délicat ou trop
neuf, qui a besoin pour dominer, de plus de temps que les
autres. En grec, des phénomènes de ce genre se produisent
constamment : le sens qui ne se manifeste chez les anciens
qu'à l'état sporadique est celui qui, par la suite, prévaut.
422 JEAN PSIGHARI
Mais le grec a toujours besoin d'être suivi depuis la plus
haute antiquité jusqu'à nos jours, pour nous apparaître dans
son plein développement et pour s'éclairer à cette lumière.
Je termine cette étude par trois réflexions qui n'ont sans
doute pas un caractère strictement philologique, mais qui ne
me semblent pas de nature à déplaire au destinataire du
présent volume.
Nous avons dit que èfèndi s'employait en parlant au Sul-
tan. Est-ce un titre purement honorifique ? On se rappelle
que vers 1897, le padichah actuel reçut le surnom de sultan
rouge. L'auteur de ce qualificatif ne se doutait peut-être pas
qu'il lui donnait ainsi un titre étymologique.
Je préfère le moderne àapsvTYjç ; àçsvxaOpwxoç surtout me
plaît et je l'applique ici volontiers au cher maître, qui est
aussi un maître homme.
Mais il n'est pas seul. 'AçsvT-.jja, que je glisse en clausule,
exprime infiniment de choses. Je retiens surtout ici un des
sens que le mot implique : celui de doux hommage.
(Rédaction et documentation closes le 12 mars 1908).
Quelques post-scriptums. I. Nous avons mentionné ci-des-
sus, p. 406, le byzantin h xaTsravw, le gr. mod . y.aKSTavicç et le
vén. capitanio. Nous disions que dans b xaTs^ravo) on a voulu
voir justement l'origine du mod. xaTreiavicc. Nous ne retrou-
vions pas à ce moment, l'auteur de cette étymologie, que,
dans une conversation, M. Krumbacher, nous a rappelé.
A. N. Jannaris (Byz. Z., X (1901), p. 204-207) a soutenu
que le lat. — ou, plus exactement le bas-latin — cajntanus,
capitaneus est une « corrupt form » de y.areTrâvo) : c /.aT£7:àvo)
devient, par analogie des masculins, 6 v.ti-tr.hoq — d'autant
plus facilement, ajoutons-nous, que l'on connaît icv xaTc-avo),
ib. 206; de là, par assimilation, xaTairavcç, attesté par des
textes. Ces formes, à leur tour, passent en latin, catepanus,
EFENDI 423
catapaniis, attestés également par des textes nombreux
(v. ib., 206-7) ; enfin, une parétymologie populaire aboutit
de catcpanns, catapanuSy à capitanus, capitanéus, capita-
nius, d'après <?a/Jz7-,dans capit-alis, capit-ellum, etc.
CapitanuSj dans les textes latins est postérieur à catapaniis,
etc. Ainsi, capitanus, avec tous ses dérivés romans, vien-
drait du grec byzantin, b y.xzzrJ^m.
A ce raisonnement, il convient d'abord d'opposer le fait
que le premier exemple de capitaneus, cité par Du Gange
(jGloss. med. et inf. Lat., s. v.^, est de la même époque
(Hincmar, x® s. ) que les catapanus de Jannaris (p. 206) :
ceux-ci se lisent chez Trinchera {Syllabus graec. membr.,
Neap., 186o), c'est-à-dire qu'ils proviennent de Naples
ou de Sicile, ce qui ne signifie nullement qu'ils se soient
répandus dans toute l'Italie, malgré les catapani préposés à
quelques provinces italiennes, depuis Basile le Macédonien
( V. chez Jannaris, 207, le passage de du Gange, op. cit.).
En second lieu, le gr. mod. y.a-eTavisç viendrait, de toutes
façons, du bas-latin ou du roman, car nous ne voyons
guère, et Jannaris ne l'explique pas, comment, en grec,
y.x'OLT.hzz ou même xa-sTravcç deviendrait xaTusTav.oç ou
y.ar'.-av.o;;, autrement que sous une influence romane.
J'avais admis, ci-dessus, à cause de l'e de xaTTôTav.o;; que
cette forme serait due à un croisement de y.xzeTZTfoq et de
capitanio, puisque cet e ne nous apparaît pas en Italie
et que sa présence en grec constitue un point essentiel du débat.
Mais d'après Jannaris même (p. 203-206), xaTairavoç est pos-
térieur à xaTs-avoç, ce qui résulte de la logique même des
faits. D'autre part, on connaît depuis longtemps Ka-eTwXiov
=: Gapitolium (v. J. P., Et. 7ig., 319, et ib., Dittenberger,
Hermès, YI (1871), 138, etc., etc.); ce fait est purement
latin, comme on peut s'en convaincre dans Schuchardt,
Vokal.y II, 1-91, entreautres, 36, où capete de l'an 409. Je ne
424 JEAN PSIGHARI
connais pas de référence pour capetaneus; mais le gr. mod.
xxTTcTavioç, avec un s, nous prouve que cette forme a existé
en bas-latin, bien que les langues romanes ne l'en aient
point hérité. Donc, xata-avc; doit être décidément écarté ;
que xaTa7:avo; ait été latinisé en catapanus, cela est, croyons-
nous, une pure coïncidence, et c'est toujours du latin qu'il
faut partir pour retrouver l'origine des formes grecques aussi
bien que des formes romanes.
II. A propos de aÙToév--»;;, ci-dessus p. 417, A. Meillet me
signale un article où lui-même a traité de cette étymologie
{Mém. Soc. Ling., XIII (1905) 354 s. ; v. M. Bréal, ib.,
XII (1901), 7). M. Bréal, /. L, admet le sens de : « celui qui
de son propre mouvement met fin à ses jours ». Meillet,
op. cit., p. 355, observe que le vieil islandais sannr signifie
a la fois vrai Qi coupable, il inclinerait donc à maintenir le
rapprochement entre sannr, lat. sons, gr. aùôévTr^ç « maître,
coupable » ; pour lui, le sens de "^sont-, sent-, dont il
faut partir, est celui de « réel, auteur réel, maître
réel » ; ce sens se serait développé et fixé d'une manière
particulière, parce qu'il s'agit d'un mot de la langue du
droit.
On a vu que nous nous sommes placé àunpointdevuequel-
que peu différent. En grec aussi, ajOév-Yjç, comme sannr, en
vieil islandais, signifie vrai et coupable. Cela ne veut point
dire que ces sens soient contemporains. Nous n'avons pas de
textes suffisants 1 en vieil islandais, qui nous permettent de
suivre le développement sémasiologique de ce vocable. Nous
les avons en grec où celui de vrai notamment (aiÔeviaoc)
est considérablement postérieur. Pour ce qui est de la lan-
gue du droit, le sens de meurtrier n'en relève pas plus que
1. V. les sources dans B. Kahle, Altisl Elem. h., Heidelberg, i900,
p. 8-10, surtout 10.
EFENDI 4lîS
celui de suicidé (v. ci-dessus, p. 420). Toute idée impli-
quant meurtre rentre dans cette langue, sans que q^sveuç
(voir Prellwitz^ s. v. Osivo)) en ait reçu une affectation parti-
culière, étrangère à la langue courante. Ce que l'on ne saisit
pas très bien, dans l'espèce, en admettant comme sens pri-
mitif celui de maître pour ajOéviyjç, c'est que la langue
du droit se soit emparée de ce mot plutôt que de osctuctyjç,
xupioç, •^f;'£;j.wv, etc., etc. (v. C. r. de l'Ac. d. Inscr. et B. L.,
Août, 1870, E. Egger, Des mots qui dans la langue grecqtie ex-
priment le commandement et la supériorité, 209-240). Le sens
de maître^ au contraire, nous est apparu, très normalement,
ce me semble, au cours de ce travail, comme un sens dérivé.
III. Nous avons montré (v. ci-dessus, p. 419), à propos
du sens de suicide ou suicidé chez Antiphon, que c'était
l'explication universellement admise pour le ajOÉvir;;, dans
les cinq passages de la Tétralogie où ce mot se rencontre.
Ed. Maetzner, auteur de la seule édition avec commentaires
que je connaisse pour Antiphon S ne le comprend pas autre-
ment : « x\j6évty;; et is dicitur qui sua manu semet interfîcit
(cf. § H 0. § 4. 9. 10.) et is qui alium occidit (V. § 11.). )>,
Antiph. Orat. XV, Berol. 1838, ad 3 y 4, p. 178 ^ C'est aussi
la traduction donnée par M. Bailly dans son Dict. gr.4r^
Toutefois, le présent mémoire ayant fait l'objet d'une coui-
m\xr\\c2ii\oi[\kV Association pour l'encouragement des Etudes
grecques en France, le jeudi 2 Avril 1908, c'est-à-dire une
1. Signalons toutefois J. P. Rossignol, Antiphon. Accus, de meurtre
involontaire, etc. Paris, 1833, texte grec, p. 8-18, notes p. 19-28.
2. Je possède de VAnt. de Maetzner l'exemplaire qui a appartenu à
Fr. Blass, et, au dessus du mot aùOsvTTjv (3 y 4), il y a de la main de Blass
(dont j'ai quelques lettres personnelles) ce mot au crayon : Selbstmôrder,
autant du moins que je peux lire ces notes hâtives prises au crayon.
3. Dans VInd. graecit. Antiph. des Orat. att., de Dobson, t. I,
Lond., 1828, aùOe'vtr]; est rendu par homicida, avec renvoi à tous les pas-
sages. L'éd. de Baiter-Sauppc (^Or. att.. 2 vol., 1839-1850) n'a, comme
on sait, qu'un Ind. nominum, à la fin du t. II.
426 JEAN PSICHARI
fois mon manuscrit livré à l'impression, les observations sui-
vantes m'ont été présentées.
A'jOfvTY;; dans la Tétralogie, ne veut pas dire suicidé. Il
s'agit de quelqu'un — un r.xiç, — qui se tue, il est vrai, mais
sans le vouloir, en s'offrant, par imprudence, au coup d'un
javelot lancé par un autre xxTç, dans les exercices de
l'âxovTiov (èv YuijLvaaioi; yjxovtcÇov, 3a uTTÔSeaiç) : donc, aù6fvTY;ç
implique ici une nuance de pure responsabilité, d'auteur
responsable.
Il est exact, en effet, que le suicide est involontaire. La
plaidoirie nous le dit expressément : 6 l\ zaTç ^o'Skb^vtoq Tupo-
Spaj/eiv, T2ÎJ y.atpou SiajAapTwv èv (o Siaxpé^wv eux av èxX'^Yr^, XEptSTreaEV
oTç ojy. r^ôeXev^ àxouafwç Sa à^JLapTwv eîç èauxcv olxeiaiç auix^opaïç
y.iypT,Txi (3 g 7-8) ; de même : jxo Sa toO Siwy.cvToç cjS' eTTr^aXoij-
[j(.£Voç (ôç èxo)v àTC=y.Te'.v£v(3g9) et ib. 11 : ots yàp «[xapiwv au[Jt.ço-
paTç xepixeawv o-jy, àrii^xopyjTog àjTo), etc.
Cette critique a donc de belles apparences de raison.
Voyons cependant les choses de plus près.
AjÔévtyî;, dans Antiphon, est employé absolument, sans
complément aucun et sans adjectif : ajôévrr^v ^pcaxa-
xaYvtoaôÉVTa 3 Y 4 ; ajOéviai xaTayvcùcrOiVTc; ib. 11; e\ [j//;t£ ày.ov-
v.QQLç i;.r<Tc £7:ivo"»^aaç ajO^vTr,;; o)v âxoB£i/CvuTat 3 â 4 ; £Î Sà «jOéviv;?
èy. Twv X£YcpL£va)v £7:iB£(xvuTai ib. 9 ; xov TuaîSa aùôévTYjv cvxa,
ib. 10.
Or dans les cinq passages, sans aucune adjonction de
çovou ou mot semblable, ajôÉvir;? désigne quelqu'un qui s'est
tué lui-même : toute la plaidoirie tourne autour de cette
démonstration.
Mais que signifie aùOÉvTYîç pour l'auteur même de la Té-
tralogie ?Aucun doute sur ce point, puisqu'il nous en donne la
paraphrase : oj^ ^tïo tcu [;.£'. pay.îcj à aa ' 6 tp ' è a u t o D o i a 9 6 a p îj v a i
3 S 4, ajTo; 69' èauTOj S'£9ÔapTai, ib., et surtout 3y4 où aùeÉvir;;
se trouve commenté par les mots : 9ov£jç aj-o;; aOicj. Je ne
m.
EFENDI 427
is pas ce qu'est un suicidé s'il ne répond pas à cette der-
nière définition, si claire.
Rien d'étonnant, au surplus, à ce que ajOevxr^c ait eu ce sens.
Dans -èvTYjç (v. ci-dessus, p. 417), il ne peut guère y avoir,
en somme, que le répondant grec de sons. Nous obtenons
ainsi, comme idée primitive : coupable lui-même. Cette
culpabilité peut tout aussi vraisemblablement s'exercer vis-
à-vis de soi que des autres. Elle peut même commencer par
soi. (M. André Ghevrillon m'apprend précisément qu'en
anglais juridique^ felo de se — expression dont je ne suis
pas à même, au moment où elle m'est communiquée, à la
campagne, d'établir la tradition — désigne spécialement
celui qui se suicide^. <Ï>ûv£Ù; existait déjà ^owt àivemeurtrier ;
ajôsvTY;; aurait été réservé, un certain temps, au meurtrier
de soi-même. Plus tard, les deux sens, celui de ajOÉvxr^ç et
de ç)ov£jç, se confondent : o B'.wxwv ty;v Sixr^v xoO cpcvcj iva ]j.r^
b'^iùpioicq Y'Yvr^Tat tw ajÔÉvTY], Antiph. 5, 11. Mais à l'origine,
il semble bien que les deux expressions n'étaient pas con-
fondues.
Quoi qu'il en soit, tout ceci ne vise que les acceptions
premières de notre vocable. Dans la longue histoire que
nous avons entreprise, nous avons surtout tenu à démontrer,
d'après les faits, qu'un développement régulier, conforme au
cours ordinaire de la sémantique, aboutissait au sens de
maître y en grec moderne.
30 mai 1908.
Georges RAMAIN
SUR LA SCANSION DE FACILWS
DANS LES VERS DRAMATIQUES
I
SUR LA SCANSION DE FACILIUS
DANS LES VERS DRAMATIQUES
Par Georges Rama in.
On sait que dans les vers ïambiques et trochaïques des
comiques latins, les mots du ijipe facilius, ^^^^, portent 9
fois sur 10 le temps marqué sur la syllabe initiale, comme
s'il y avait un obstacle à l'emploi de la scansion facUiiis. On
a proposé de ce fait deux explications.
Persuadé que les comiques cherchent à faire coïncider
l'accent verbal et l'ictus métrique, M. Lindsay n'hésite pas
à déclarer que facilius n'avait pas encore perdu au vi"^ siècle
de Rome l'accent antique, qui frappait l'initiale du mot.
Mais la coïncidence entre l'accent et le temps marqué est
indifférente aux comiques: ils la négligent à chaque instant,
et, si le plus souvent ils l'observent, c'est qu'elle leur est
imposée par le rythme et par des règles spéciales de mé-
trique. Ainsi, des mots comme duceres, -^-, duceretisy
-^-^, monebo, ^ — .monebimiis, ^-^^,etc., ne peuvent trou-
ver place dans un vers ïambique ou trochaïque sans qu'un
des temps marqués ne frappe la syllabe accentuée, tandis
qu'il n'en va plus de même dans le rythme anapestique. Un
mot tel que dixisses, avec coïncidence de l'accent et de l'ic-
tus, peut s'employer dans le sénaire à quatre endroits diffé-
432 G. RAMAIN
rents, et à cinq dans le septénaire trochaïque, mais dixissés,
sans coïncidence, est exclu des premiers pieds du sénaire, à
cause de la coupe et parce que le temps marqué troisième
ne peut porter sur une finale ; il n'est toléré au pied anté-
pénultième que sous condition, et, par conséquent, il n'est
régulièrement de mise qu'au cinquième pied ; pour les
mêmes raisons ce mot ne peut figurer sans difficulté dans le
septénaire trochaïque qu'à trois places, au premier pied, au
second et au pénultième. D'autre part, le rythme amène
souvent la syllabe initiale d'un mot sous le temps marqué,
par exemple après une coupe trochaïque, auquel cas la
coïncidence est favorisée pour nombre de mots, surtout les
dissyllabes, et les trissyllabes formant un anapeste ou un
tribraque, mots qui peuvent se suivre ou alterner dans un
hémistiche, et même dans le corps entier d'un septénaire
trochaïque. Il résulte de ces constatations que fdcilius, loin
de prouver en faveur de la coïncidence, est au contraire un
des exemples les plus typiques que l'on puisse invoquer
contre elle*.
M. Vendryes {Recherches sur l* histoire et les effets de
l'intensité initiale en latin, p. 146 sq.) explique la prépon-
dérance de fdciliiis ipSiV une survivance de l'intensité initiale,
qui, à une époque antérieure, coupait les mots du type
v^^w- en 2-f-2, les deux brèves initiales formant couple.
Selon lui, les comiques avaient encore le sentiment que les
deux premières brèves étaient naturellement accouplées et
ne pouvaient par suite former que la monnaie d'une même
longue. Si parfois ils scandent faci/ius, c'est que de leur
temps l'intensité initiale était affaiblie. On serait donc en
présence « d'un procédé dont l'emploi est arbitraire »
(p. 161). Il est une première objection que l'on ne man-
i. Cf. L. Havet, Cours élémentaire de métrique, 4^ éd., p. 226-230.
SCANSION DE FACILIUS 433
quera pas de faire à cette théorie : si Temploi de fdcilius
et de facilius est arbitraire, comment se fait-il que les
exemples de facilius soient neuf fois moins nombreux chez
Plaute, et chez Térence huit fois? En voici une seconde,
beaucoup plus grave : si l'emploi de facilius est arbitraire,
cette scansion doit se rencontrer indifféremment à toutes les
places du vers, et sans préférence pour telle ou telle place.
Or, — et c'est ce que n'ont remarqué ni M. Lindsay niM. Ven-
dryes, — il y a une place où facilius n'est point admis, et
il en est une autre où il s'installe de préférence.
Pour le démontrer, je prendrai les listes mêmes de
M. Lindsay (Philologus, 51 (1892), p. 367-370). Si soigneu-
sement épurées qu'elles soient, il faut pourtant en défalquer
les exemples suivants.
Aul. 159. Sed est grandior natu, média est mulieris aetas.
M. Lindsay voyait dans ce vers trois bacchées suivis d'un
membre ïambique. M. L. Havet avait cependant montré
qu'on avait là un vers de Reiz altéré, et que dans cette es-
pèce de vers le deuxième membre est une tripodie anapes-
tique catalectique {Revue de philologie, 1887, p. 142 sq.).
Men, 978. Nam magis multo patior facilius uerba : uerbera ego odi.
M. Lindsay croyait à un octonaire trochaïque, malgré la
fausseté criante de la coupe. M. Léo n'a pu parvenir à scan-
der ce vers qui fait partie d'un canticum, mais il y a reconnu
avec raison des anapestes.
On écartera encore, comme n'appartenant pas au rythme
ïambique ou trochaïque, Most. 339.
Stich. 769. Qui îônicus aut cinaedicus<t>, qui hoc taie facere possiet.
I
434 G. RAMAIN
M. Lindsay scande /onzcws sans autre garantie que l'opi-
nion de M. R. Klotz. lônicus doit garder dans ce vers, d'ail-
leurs étrangement corrompu \ sa prosodie ordinaire.
Asin. 534. — Hic dies summust apud me inôpiae excusatio.
Ce vers est évidemment mutilé. On a proposé d'insérer
quo est après summust. Même avec ce complément, on ne
peut scander inôpiae qu'en laissant un hiatus devant excu-
satio : mais ne peut-on pas tout aussi bien le supposer et
l'admettre après me ?
Pseud. 704. Quaero quoi ter trina tripUcia, tribus modis tria gaudia.
Triplicia coïncide avec un dactyle irrationnel. Il est pro-
bable que triplicia formait exceptionnellement un procé-
leusmatique, à cause de la coupe et de la ponctuation (cf.
Léo, apparat), et peut-être à cause de l'intention comique.
Enfin, Most. 486, abiimus doit se lire abïmus.
D'autre part, il y a des vers où tout au moins la place de
facilius n'est point assurée.
Truc. 810. Magis pol haec malitia pertinet ad uiros quam ad mulieres.
Ce septénaire n'est tolérable en aucune façon, parce qu'il
1. Laissant de côté la difficulté de scansion, pourquoi Ioniens au lieu
de Ion, et cinaedicus au lieu de cinaedus ? Faut-il suppléer homo ? mais
ce n'est guère l'usage de Plaute de le supprimer. Au reste, si on dit
cantio cinaedica, « un air à danser » (Stich. 760), Plaute n'a pu dire et
n'a jamais dit homo cinaedicus pour cinaedus (cf. Poen. 1318-1319, Stich.
77-2, et surtout Mil. 668, Tarn ad saltandum non cinaedus malacus
aeque est atque ego). D'autre part Ioniens = Ioniens homo serait évidem-
ment donné comme le type du danseur : dans ce cas que signifie la
correction aut cinaedicus, ou quel intérêt peut-elle avoir ? Notre vers n'a
qu'un sens, qui éclate pour ainsi dire : « Quel danseur ionien est capable
d'en faire autant ? », ce que Plaute a dû exprimer ainsi : « Qui Ioniens
cinaedus est qui hoc taie, etc. » Mais un copiste a lu et écrit cinaedicus,
sous l'influence de Ioniens. C'est une faute psychologique bien connue.
Comme les deux adjectifs rapprochés n'offraient aucun sens clair, un révi-
seur a cru bien faire en insérant entre eux un aut, sans se douter que le
vers en deviendrait faux.
SCANSION DE FACILIUS 43S
n'a de coupe ni après le quatrième pied ni après le cin-
quième, et que le cinquième temps marqué y tombe sur
une finale. Sans doute quelque accident y est venu déranger
l'ordre des mots. Brix lisait : magis pol pertinet haec màli-
tia, etc., ce qui semble lever toute les difficultés. Cependant
je ne chercherai pas à expulser nialitia, et je préfère l'ordre
suivant qui me paraît meilleur, et qui n'est pas plus diffi-
cultueux : magis pol haec ad uiros malitia pertinet^ etc.
Gapt. 240. Audio. — Et propterea saepius te uti (ut mss.) memineris
[moneo.
Ce vers non plus n'a pas de coupe. Pour lui en trouver
une, on est obligé de le transformer en septénaire. Les uns
proposent de rappeler moneo devant saepius : cette correc-
tion a l'inconvénient de détruire une allitération, mais
comme elle offre un ordre des mots naturel, qui est ici tout
à fait de mise, et que de plus elle écarte en même temps
memineris, elle n'est pas invraisemblable. Les autres veulent
rejeter saepius à la fin du vers: en ce cas le vers aurait une
coupe au trochée cinquième, ce qui est parfaitement régu-
lier, et par ainsi memineris se trouverait à la coupe.
Most. 43. Si tu oies, neque sripérior quam erus accumbere.
■
^^H Les éditeurs sont à peu près unanimes à condamner
^Kbuam erus qui n'est donné que par B, et qu'il est bien dif-
^Bficile de défendre. S'appuyant sur le contexte (v. 42, non
^ omnes possunt olere unguenta exoticà)^ M. Léo corrige su-
perior quam erus en superiores. Cette correction est peu
vraisemblable, puisqu'elle donne un vers sans coupe. Il est
possible que super ior soit authentique, il est très possible
iiussi qu'il soit le produit d'une corruption \
1. Peut-être superior vient-il de super erum, t( à la place d'honneur ».
Dans ce cas, il faudrait lire : neque super erum <,uti tu^ accumbere.
436
G. RAMAIN
Il y a lieu de conserver misérias dans Gist. o89-o90, bien
que le second hémistiche soit inintelligible, et Cure. 461,
malgré l'incertitude de la fin du vers.
Les 61 cas de facilius relevés dans Plante par M. Lind-
say, et reconnus garantis par les manuscrits, se réduisent
donc à 54, parmi lesquels 3 sont douteux, mais non pas
éliminables à priori. En y ajoutant deux exemples omis,
Asin. 724 et Poen. 1203, cela fait 56.
En ce qui concerne les citations de Térence, au nombre
de 22, on laissera de côté Eun. 539, où coiimus peut se ré-
duire à colmus.
Je vais maintenant transcrire tous ces exemples d'après la
place que facilius occupe dans le vers, et en groupant les
vers de même espèce.
Sênaires :
Asin. 751. Diàbolus Glauci filius Clearetae
Cure. 461*. Sequimini. — Leno, caue in te sit mora (morari VE)
[mihi
Merc. 700. Misérior mulier me nec fiet nec fuit
Andr. 71 . Inôpia et cognatorum neglegentia
Hec. 433. Mycônium, qui mecum una uectust, conueni
Aul. 344. Ibi si perierit quippiam, quod te scio
Bacch. 3:28. Facito ut memineris ferre, — Quid opust anulo
Capt. 190. Multis holéribus. — Curato aegrotos domi
Cist, 589-90*. Ad meas misérias f alias faciem consciam
Epid. 490. Nam pro fidicma haec cerua supposita est tibi
493. Euge, euge, Epidice, frugi es, pugnauisti, liomo es
Mil. 49. Edepol, memôria es optuma. — Offae monent
Most. 544. Nihil est misérius quam animus hominis conscius
Pers. 730. Tune quando abiero. — Quin taces? seio quid uelis
Poen. 976. Numnam in balîneis circumductust pallio ?
Pseud. 2. Ere, quae misériae te tara misère macèrent
21. Quae me miser ia et cura contabefacit
SCANSION DE FACILIUS 437
Ilud. 503. Quidue hinc abîtio quidue in nauem inscensio
544. Totam Siciliam deuoraturum insulam
ndr. 15. Id isti uitûperant factum atque in eo disputant
um. 671. Quid hue tibi reditiost ? quid uestis mutatiost?
Heaut. 22. Tum quod maléuolus uetus poeta dictitat
391. Patris et facilitas (facultas ACP) praua. — Fratris
[me quidem
t
Ad. 37. Aut uspiam ceciderit aut praefregerit
Most. 43*. Si tu oies, neque supérior quam erus accumbere
Heaut. 367. Vt illius animum cupidum inôpia incenderet
Phorm. 69, Gui tanta erat res et supérerat ^ — Desinas
605. Si ab eo nil fiet, tum hune adôriar hospitem
Septénaires troghaïques :
Epid. 552. Tuae memôriae interpretari me aequom censés. — Com-
[mode
Mère. 662. Si ille abierit, mea faetum omnes dieent esse ignauia.
Poen. 883. Eo facilius faeere poterit. — At ego hoc metuo, Mil-
[phio
Truc. 806. Vt facilius alia quam alia eundem puerum unum parit
Capt. 1022*. Nunc demum in memôriam redeo, cura meeum recogito
Cas. 965. Redi sis in cubiculum. Periisti hercle. Age, accède hue
[modo.
Poen. 1203. Multa sunt mulierum uitia, sed hoc e multis maxumum
[est
Asin. 520. Vbi quiesco, omnis familiae causa constitit tibi
Aul. 596. Qui laborent minus, facilius ut nent et moueant manus
Capt. 586. Filium tuom quod redimere se ait, id ne utiquam mihi
[placet
1002. Nam ubi illo adueni, quasi patriciis pueris aut mone-
[rulae
1023. Nunc edepol demum in memôriam regredior audisse me
Cure. 619. Quam ego pecuniam quadrûplicem abs te<d> et
[lenone auferam
438 G. RAMAIN
Merc. 415. Vt raatrcm addecct familias, aut Syram aut Aegyptiam
657. Adeo dum illius te cupiditas atque amor missum facit
Mil. 747. Et tibi sunt gemini et trigémini, si tu bene habes, filii
Pseud. 281. Nimio id quod pudet facilius fertur quam illud quod
[piget
705^. Fraude partas per malitiam et per dolum et fallaciam
Rud. 1217. Quod promisisti ut memineris, hodie ut liber sim. —
[Licet
Andr. 978. Sequere hac me ; intus apud Glycérium nunc est. Tu,
[Daue, abi domum
Heaut. 648. Maie docet te mea facilitas multa. Sed istuc quicquid
[est
Hec. 361. Nequeo mearum rerum initium ullum inuenire idoneum
Ad. 867. Duxi uxorem : quam ibi misériam uidi ! nati tilii
Truc. 810*. Magis pol haec ad uiros malltia pertinet quam ad mulie-
[res.
Amph. 269. Atque hune telo suo sibi, malitia a foribus pellere
Cure. 559. Ne tarpezita exulatum abierit, argentum ut petam
Rud. 422. Subuolturium, illud quidem subdquilum uolui dicere
Stich. 570. Graphicum mortalem Antiphonem, ut apôlogum fecit
[quam fabre
Capt. 240*. Audio. — Et propterea te ut memineris moneo saepius.
Cure. 309. Quid tibi est ? — Tenebrae oboriuntur, genua inédia
[succidunt
Most. 1170. Aliud quiduis impetrari a me facilius perferam
Poen. 300. Inuidia in me numquam innata est ncque malitia, mea
[soror
Pseud. 1209-10. Harpax ego uocor, ego seruos sum Macédonis militis.
OCTONAIRES A COUPE TROCHAÏQUE.
Heaut. 263. Nemo est misérior me. — Hic de nostris uerbis errât
[uidelicet
Eun. 315. Si quae est habitior paulo, pugilem esse aiunt, dedu-
[cunt cibum
Pers. 259. Nâm erus meus me Erétriam misit, domitos boues ut
[sibi mercarer
SCANSION DE FACILIUS 439
Phorm. 816. Quid istùc negoti est? — lamne opéniit ostium. — lam.
[ — 0 luppiter
Hec. 570. Hoc mihi ùnum ex plurumis misériis relicuom fuerat
[malum
Capt. 913. Arripuit gladium, praetruncauit tribus tegôribus glandia
Andr. "210. Si illùm relinquo, ejus uitae timeo ; sin opitulor, huius
[minas
Septénaires ïambiques et ogtonaires a coupe ïambtque.
Cist. 713. Facilius posset noscere qiiae erae [meae] supposita est
[parua
Amph. 4060. Nec me misérior femina est nec ulla iiideatur magis
Andr. 203. Vbiuis facilius passus sim quam in hac re me deludier
Narrationis incipit mi initium. — Quid me fiet
Nam si haec non nubat, lugubri famé familia pereat
Quid tu ais? — Dominus me bouis mercatum Erétriam
[misit
Nimia omnia nimium exhibent negoti hominibus ex se
Quid ego aliud exoptem amplius nisi illud quoius inépia
[est
Tétrapodie ïambique.
Epid. 27». Epidice, abest. — Quidnam ? — Scies
Ce tableau nous fait voir que facilius ne figure pas sous
l'avant-dernier temps marqué, sauf dans le septénaire ïam-
bique, et que sur 68 vers munis d'une coupe trochaïque, il
y en a 36 au moins, 37 au plus, où il se présente au
deuxième pied dans les sénaires, au quatrième dans les sep-
Andr
. 709.
Cist.
43.
Pers.
322.
Poen,
.239.
Asin.
724.
440 G. RAM AIN
ténaires et les ocionaires, c'est-à-dire à la coupe usuelle.
D'autre part un sénaire peut-avoir sa coupe après le septième
demi-pied, et un septénaire après le cinquième pied : c'est
le cas pour Ad. 37, Most. 43*, et pour Amph. 269, Cure.
559 S Rud. 422 et Capt. 240*. Facilim s'offre aussi à cette
dernière place. Il est donc au total employé à la coupe au
moins 40 fois, au plus 43. Raisonnablement on ne peut sou-
tenir que cette fréquence de facilius à la coupe est fortuite,
mais au contraire il est bien évident que la coupe favorise
l'emploi de /ad fes. Pourquoi? C'est cette question qu'il
convient de résoudre en premier lieu dans l'examen du
problème.
Je prends le cas d'un polysyllabe de trois demi-pieds,
dont le premier est appelé à former le demi-pied faible d'un
pied indifféremment pur ou condensé. Avec des mots du
type negoti ou consilio, la scansion n'offre aucune difficulté ;
elle est en effet infaillible, le pied pur ou le pied condensé
se trouvant imposé à l'acteur. Il en est de même avec un
moi tel que criiciattis: l'acteur se représentait instantané-
ment les trois premières syllabes, à cause du contraste et de
l'équivalence des deux brèves et de la longue, et il voyait
qu'en prenant les deux brèves pour le demi-pied faible, le
pied suivant se trouvait assuré. Mais il en va tout autrement
avec facilius. Ici la série des brèves successives est pour
l'acteur un ensemble confus et un sujet d'hésitation. Il ne
peut prendre les deux premières brèves pour faire un pied
condensé : ce serait manquer le pied suivant, perdre le
rythme et s'embrouiller. Il est donc tenu de ne prendre que
1. Il n'y a pas à tenir compte de l'élision, et exulat(iim) équivaut à
un trissyllabe portant le temps marqué sur la finale. La coupe au trochée
cinquième est attestée, parce que, dans ces conditions, le troisième pied
est pur, et que les trois demi-pieds qui suivent le quatrième demi-pied
fort sont constitués par un seul mot.
SCANSION DE FACILIUS 441
la première brève, de manière à former le pied suivant avec
le reste du mot. Rien de plus simple en théorie, mais en
pratique rien de plus incommode. Car il n'y a rien dans le
mot qui isole la première brève et qui contraigne l'acteur à
la prendre pour demi-pied, comme c'est le cas avec un
mot tel que negoti, et, d'autre part, il lui est très difficile
de surmonter la tentation de former le demi-pied avec les
deux brèves initiales, à cause de la fréquence des types
crucior, cruciatus, et de la rareté relative du type faci-
iius; il y a là une habitude à vaincre. Pour se représenter
nettement la scansion ^i ^^^, il a besoin d'un temps de
réflexion ; or, dans un membre de vers que ne coupe au-
cune ponctuation, ce temps lui est refusé : entraîné par le
débit, il suit la pente familière qui le conduit à prendre les
deux brèves, ou, si à ce moment il s'aperçoit du danger, il
hésite devant l'obstacle. C'est pourquoi il est nécessaire
qu'une circonstance extérieure au mot ou bien engage natu-
rellement l'acteur dans la scansion facilius, ou bien lui per-
mette de la prévoir et de s'y préparer. Le premier cas se
produit quand le demi-pied fort qui précède facilins est
composé de deux brèves, parce qu'alors l'acteur se trouve
guidé sur la scansion facilius par la nécessité d'éviter une
sécution irrationnelle, ^^^^, qui ne s'impose pas. Notre ta-
bleau nous offre un certain nombre d'exemples où facilius
ne se justifie que par la présence d'un demi-pied fort de
cette espèce, par exemple, au deuxième pied du septénaire
trochaïque,Epid. oo2, Poen. 883, au troisième de l'octonaire
trochaïque, Pers. 2o9 (nàm erus méûs me Erétriam, etc.).
Le second cas se présente spécialement lorsque facilius est
suivi de la coupe, parce qu'à ce moment l'acteur cherche à
terminer le premier hémistiche avec le mot, et qu'ainsi il
est obligé de porter son attention sur sa configuration proso-
dique : il lui est donc relativement aisé de choisir la scansion
442 G. RAMAIN
facilius. Il arrive aussi qu'une pause dans le débit ait lieu à
l'intérieur d'un hémistiche, où elle s'indique par une ponc-
tuation. On conçoit qu'alors la ponctuation rende à l'acteur
le même service que la coupe. Et en effet, il y a dans notre
liste des exemples où l'emploi de facilius ne s'explique que
par la présence d'une ponctuation, par exemple, au deuxième
pied du septénaire trochaïque, Merc. 662, au troisième.
Cas 96o ; au deuxième pied de l'octonaire ïambique à
coupe trochaïque, Ileaut. 263.
Enfin c'est pour une raison de même ordre que facïlius a
sa place au premier pied des vers ïambiques, et au premier
pied d'un second membre ïambique asynartète (par exemple
Andr. 709) ; car, au début d'un vers, l'acteur tâte le rythme
pour ainsi dire avant de s'y engager délibérément, et c'est
consciemment qu'il fait tomber le temps marqué sur la se-
conde brève de facilius.
Il est une autre place du vers qui visiblement convient à
facilius, puisqu'on l'y trouve neuf fois ; c'est le pied antépé-
nultième dans le sénaire, le septénaire trochaïque et l'octo-
naire ïambique. Or ce pied, chez Plante et chez Térence,
est l'objet d'un traitement spécial. On y rencontre la très
grande majorité des archaïsmes intérieurs, comme siet, per-
duis, etc., et presque toutes les syllabes indifférentes, par
exemple, fingeré,Asm. 250, fiiid, Cist. 606, etc\ J'ai mon-
tré en outre qu'à cette place la brève abrégeante exerce ra-
rement son action. Les mots ïambiques, ou susceptibles
d'être ïambiques en position, laissent retomber leur finale
sous le temps marqué : c'est là que l'on constate les exemples
4. Cf. Revue de philologie, 1903, p. 203, et 1906, p. 31. De son côté,
M. H. Jacobsohn venait de faire la même constatation (Quaestiones Plau-
tinae metricae et grammaticae, Goettingue, 1904). Je n'ai connaissance
de ce travail que par la mention qu'en ont faite M. Lindsay dans les
Jahresberichte de Mueller, 1907, et M. P. Friedlânder dans son article
zum Plautin. Hiat {Rhein. Muséum, 1907).
m
SCANSION DE FACILIUS 443
les plus nombreux et les plus assurés de mihi, mï(hi),
intérieurs ; c'est là que M. Léo reconnaîtrait les satis et les
nim dont il n'a pu se débarrasser sans difficultés, Eun.
577, Heaut. 197, Capt. 608, Most. o51, Phorm. 5o5 (Plaid.
Forsch., p. 269 et 304). Les exceptions sont relativement
peu nombreuses, étant donné la masse considérable des sé-
naires et septénaires trochaïques chez Plante et Térence, et
pour une bonne moitié, elles se rencontrent dans des vers
où le texte n'est pas assuré, où le sens et surtout la métrique
sont en défaut, si bien qu'on est en droit de les suspecter
toutes, sous certaines réserves de prosodie, bien entendu.
Comme d'autre part on ne peut employer à cette place un
mot du type meminï qu'à la condition que les quatre demi-
pieds restants soient constitués par un seul mot, toutes ces
habitudes de scansion propres à notre pied font que l'acteur
n'a de sécurité, quand il veut former le demi-pied faible
avec deux brèves, que si ces brèves font partie d'un mot
pyrrhique, d'un trissyllabe à finale élidée, ou de polysyl-
labes comme alienus, alienatus. On comprend donc qu'ainsi
averti, il lui soit possible de préparer la scansion fàcilius.
Tout au contraire, dans le pied suivant, l'abrègement est
l'habitude : boni et uolûptas sont obligatoires et memini
recherché. Il est donc au plus haut point dangereux d'ame-
ner à cette place faciliiis, malgré l'aide du monosyllabe qui
terminerait le vers : l'acteur aurait trop de peine à ne pas
scander fàcilius sit sur le modèle de alienus sit. C'est pour
cette raison sans doute ({wq fàcilius ne se trouve pas au der-
nier pied.
C'est par des considérations analogues qu'il faut, je pense,
expliquer la présence de fàcilius au deuxième pied de l'oc-
tonaire ïambique à coupe ïambique (Àmph. 1060, Andr.
203), et au deuxième pied dans le second membre du sep-
ténaire ïamLique (Cist. 45, Pers. 322, Poen. 239). En effet
444 H. RAMAIN
dans les octonaires de l'espèce susdite, les deux hémistiches
ont la même structure, et le deuxième pied est traité tout à
fait comme le pied antépénultième. D'autre part, dans le
second membre du septénaire ïambique, le second pied est
toujours pur quand le temps marqué tombe sur une finale^
et les abrègements y sont rares et suspects ^
Enfin l'emploi de faciliiis comme dernier mot du septé-
naire ïambique (Asin. 724) n'a pas besoin de commentaire.
Restent cinq exemples auxquels les raisonnements ci-des-
sus ne peuvent s'appliquer. Il en est un, Capt. 1022, qu'on
peut écarter tout de suite. Tout le monde en effet s'accorde
à regarder ce vers comme un remaniement du vers 1023, et
il est intéressant de constater que dans ce dernier memôriam
est à la coupe. L'exemple suivant ne peut être maintenu tel
quel :
Stich. 570. Graphicum mortalem Antiphonem 1 ut apôlogum fecit quam
[fabre I
La forme des deux demi-pieds constitués par ut apôlogum
est unique dans le texte de Plaute^ On s'en est bien rendu
compte, mais, en fait de correction, on n'a encore proposé
que la suppression de quant, correction qui ne serait pas
heureuse, parce que le tour est excellent et parfaitement
employé. Il semble qu'il y a lieu de lire : apôlogum ut fecit
quam fabre. L'ordre des mots est ainsi plus expressif. Apô-
logum se trouve alors à la coupe au trochée cinquième.
i. Il n'y a que trois exceptions : Asin. 416, contempsisti, dernier mot
d'une réplique ; Rud. 4336, cleiera te mi argentum daturum, et Cas.
823, uhi tantillum (tantulum P) peccassis, dans un septénaire isolé au
milieu d'un canticum de mètres très variés.
2. On y relève même un exemple de magis, Asin. 573.
3. Il ne faut pas confondre ce cas avec celui de meum ôffîcium, Ad.
593, tuom ôfficium, id. 980, où l'abrègement, déterminé par la nécessité
d'éviter une coupe fausse, impose la scansion de ôfficium.
SCANSION DE FACILIUS 445
comme clans Cure. 559. Quant à la faute, elle s'expliquerait
par la chute de ut et par une restitution fondée sur l'ordre
des mots le plus commun. Si nous passons aux autres cas,
on voit que dans Truc. 806: ut faciliiis, etc., il suffit de
lire iiti au lieu de ut^ pour justifier facïlius. En ce qui con-
cerne Poen. 1203 : multa sunt mulierum, l'allitération
mûlta mûlienim paraît s'imposer; aussi M. Léo n'a-t-il pas
crainte de faire passer dans son texte cette ancienne correc-
tion. Il n'y a que Eun. 315 : si quae est habitior paido, etc.,
qui reste inexpliqué.
M. Lindsay a réservé les cas où les mots du type facïlius
sont des composés avec les préfixes re-y pro-, par exemple,
recipio, propitius, à cause d'une prosodie possible rêcipio,
prôpituis. Quand on examine ses listes, on voit que tous
les exemples cités rentrent dans les cadres que nous avons
indiqués : premier pied du vers, ou du second membre du
septénaire ïambique et de l'octonaire ïambique asynartète,
Gist. 451, Rud. 696, Andr. 733, Eun. 898, 996, Phorm. 2,
Hec. 47, Poen. 454 ; — coupe, Amph. 684, Asin. 897*
«re>wema5), Aul. 710, Bacch. 843, Gapt. 539, 655*,
Cure. 321, Merc. 547*, Poen. 1054, Stich. 496, Andr. 730,
Amph. 1065, Cure. 557, et au trochée cinquième, Asin.
233; — pied antépénultième, Cist. 506, Men. 142, Stich.
685*, Heaut. 228 ; — fin du septénaire ïambique, Aul. 804 ;
— après un demi-pied fort de deux brèves, Capt. 625,
Bacch. 452 ; — devant une ponctuation. Ad. 985 (cf. Caec.
fragm. 91), et peut-être Ad. 592. Je n'ai pas relevé Amph.
645, et pour cause; d'autre part Mil. 229 n'est pas garanti,
les mss. ayant au premier pied tude et non tu. Les excep-
tions se réduisent ainsi à une seule, Merc. 956, où propi-
tiam est au premier pied d'un septénaire trochaïque : tam
propitiam. reddam, etc. Si l'on se reporte au contexte, on ne
446 G. RAMAIN
etc. Il en résulte que chez Plaute et Térence, re- et pro- de-
vaient être brefs.
En ce qui concerne les fragments des dramatiques, on
fera les mêmes constatations. Facilius est au premier pied,
Caec. 228, 2o6, Pac. 223, Ace. 543 ; à la coupe, Pac. 4
(hephtém.), 138, Ace. 99, Lab. 30, Publ. Syr. (cité par
Pétr. 55); au pied antépénultième. Enn. 129 ; devant une
ponctuation, Caec. 91, Naeu. tr. 16, Pac. 53. Dans Turp.
110, le premier pied n'est pas assuré ; 68, on peut lire uti:
ut. Enn. 24, on pouvait peut-être encore scander réfugiât.
On doit rapprocher de facilius les mots de plus de quatre
syllabes à trois brèves initiales, par exemple facUitate. Ces
mots, ainsi scandés, sont naturellement très rares ; mais
quand on les rencontre, on voit qu'ils sont employés avec
les mêmes précautions que facilius. Ainsi, au pied antépé-
nultième. Most. 39, oôôluisti; de manière à se terminer à la
coupe, Pseud. 93, ahàlienatur, Trin. 513, abdlienare ; au
pied antépénultième et terminant le vers. Cure. 174, abd"
lienauerit, Trin. 556, abdlienarier ; au pied antépénultième
et après un demi-pied fort de deux brèves, très probable-
ment Andr. 232, facilitatem ; pour terminer le premier
membre d'un septénaire ïambique, Asin. 693, aniticulam ;
devant une ponctuation, Gapt. 911, caldmitasque\
*
* *
Ainsi donc l'emploi de facilius serait uniquement réglé par
les conditions pratiques de la versification dramatique. Faci-
lius n'est d'un usage commode que s'il porte sur l'initiale le
temps marqué. Mais quand sa première syllabe doit former
1. A cause de l'élision, caMmitasgwe est ici le parfait équivalent de
facilius. M. Lindsay aurait dû le comprendre dans sa liste : il est vrai que
sa théorie l'en eût empêché. — Le cas de lusciniolae n'a rien avoir avec
tf
SCANSION DE FACILIUS 447
un demi-pied faible, il devient au contraire d'un emploi très
gênant, parce que la très grande majorité des polysyllabes
deux brèves initiales est du type ^^- -, et non du type
^- • -, et qu'ainsi l'acteur a l'habitude, s'il rencontre un
ot commençant par deux brèves, de prendre ces deux
brèves pour en faire un demi-pied faible. D'où la nécessité
e placer faciliiis dans des conditions telles que l'acteur soit
amené à réagir contre ses tendances, et à ne prendre qu'une
brève au lieu de deux. On conçoit dès lors que fdciliiis soit
deux fois plus fréquent que facilius. Par là se trouve vérifié
une fois de plus le principe énoncé par M. Louis Havet, à
savoir que la versification de Plante et de Térence repose
« sur la nécessité de guider la voix de l'acteur par la dispo-
sition même des mots » {Revue de philologie, 1901, p. 100,
note 1).
celui de facilius, parce que le demi-pied fort qui précède les trois brèves
fait partie du même mot que les trois demi-pieds qui suivent. Plaute a
d'autres raisons pour scander lusciniolae de préférence à lusciniolae.
Il scandera d'ailleurs adsimiliter quand le besoin s'en fera sentir, Bacch.
951 (cf. pollucibiliter, Most. 24), et Térence terminera très bien un vers
par aequdnimitas, Phorm. 34.
Théodore REINAGH
LA DATE DU MIME II D'HÉRODAS
29
LA DATE DU MIME II D'HERODAS
Par Théodore Reinach.
Les premiers commentateurs d'Hérodas, sur la foi d'un
passage ambigu du Mime I" (vers 30), plaçaient la floraison
de ce poète sous le troisième Ptolémée, Evergète ; et cette
opinion rencontre encore d'éminents défenseurs, tels que
M. de Wilamowitz. Plus généralement cependant on incline
aujourd'hui à reporter rà/.[j.7^ de notre mimographe au règne
précédent, celui de Ptolémée II Philadelphe (284-246), et
même à la première partie de ce règne. Cette nouvelle
thèse s'appuie surtout sur le Mime IV où il est question des
fils de Praxitèle (dont Pline place l'apogée vers 296-3)
comme d'artistes vivants, et du peintre Apelles comme d'un
génie encore discuté, à peine descendu dans la tombe : or,
Apelles qui peignit plusieurs portraits de Philippe (mort en
336) ne doit guère avoir vécu au delà de l'an 300 ou 290.
Ces arguments, auxquels on pourrait ajouter celui qu'on
tire de la mention répétée du darique (Mime VII) comme
d'une pièce de monnaie encore courante, me paraissent
probants ; mais ils sont trop connus pour que j'y insiste. En
voici un, dans le même sens, qui, si je ne m'abuse, n'a pas
encore été présenté.
Dans le début, assez mutilé, du Mime II (Battaros),
452 T. REINAGH
on lit ces vers (v. 16 - 17), dont la restitution est aujourd'hui
certaine :
epei xà^' ^^"^^ ' ^? AxYjç èXi^XouOa
« Il (Thaïes) vous dira peut-être : Je suis venu d'Acé avec
une cargaison de blé, et j'ai fait cesser la funeste disette. »
Acé, aujourd'hui Saint-Jean-d'Acre (Akka), la cité la plus
méridionale de la côte phénicienne, a changé plusieurs fois
de nom dans l'antiquité. Après s'être appelé Accho ou Acé
sous la domination perse et macédonienne, elle prit le nom
de Ptolémaïs sous les Ptolémées, d'Antioche èv nxcXeiAaiBt
sous les Séleucides, de Colonia Claudia Ptolemais à l'époque
impériale romaine. A quelle date exacte s'est accompli le
premier de ces changements, celui d'Acé en Ptolémaïs ? Les
textes ne nous renseignent pas positivement à cet égard,
mais il est possible de resserrer le problème avec une assez
grande approximation.
Tout d'abord il ne saurait s'agir ni de la première occu-
pation ptolémaïque de la Coelé-Syrie (330 av. J. G.), ni de
la seconde (312), celle qui suivit la victoire de Gaza. En *
effet, peu après cette bataille, Ptolémée P"", devant un retour
offensif d'Antigone, dut évacuer sa conquête et, en se reti-
rant, il détruisit de fond en comble (xaT£(7xa4'£), dit Diodore
(XIX, 93), plusieurs villes, entre autres Acé. Le changement
a donc eu lieu pendant la troisième et principale occupation
ptolémaïque, celle qui dura jusqu'en 198 av. J. G. L'origine
dé cette occupation est malheureusement inconnue. Naguère
avec M. Koepp on la plaçait en 295 ; mais M. Bouché-
Leclercq, reprenant la thèse de Droysen, a donné de bonnes
raisons pour la faire descendre jusqu'aux premières années
du règne de Ptolémée 11 Philadelphe, vers 280, « à la
faveur des troubles déchaînés par la mort de Séleucus Ni-
DATE DU MIME II D'HÉRODAS 4o3
cator. » Telle serait la limite supérieure du changement du
nom d'Acé en Ptolémaïs.
La numismatique va-t-elle nous permettre de préciser un
peu davantage ?
Il existe une série de statèresd'or, de drachmes et de tétra-
drachmes d'argent aux types d'Alexandre le Grand qui por-
tent en lettres phéniciennes la marque de l'atelier d'Acé
(-|y), déjà reconnue par Pellerin. Les plus anciennes émis-
sions (L. Mûller, n*** 1426-8) ne sont pas datées; ensuite
viennent des dates qui vont de l'an 5 à l'an 46, avec une
lacune assez remarquable entre l'an 11 et l'an 20 ^ D'après
quelle ère sont calculées ces dates? Pellerin ^, suivi par
L. Mûller, Waddington, Droysen, etc., les rapportait à une ère
d'Alexandre. Six^ dont l'opinion a entraîné Head, Babe-
lon, Niese, y vit au contraire celle des Séleucides (312 av.
J. C). Je n'ai cessé, pour ma part, de protester contre cette
dernière thèse, contraire à toutes les données de l'histoire et
de la numisnatiqne*. Récemment M, Jules Rouvier, dans un
excellent mémoire, a achevé de la démolir ^ et son opinion
a été immédiatement approuvée par M. Jules Beloch ^
Ecartant non seulement l'ère des Séleucides, mais encore
Islle de Philippe Arrhidée (323), que j'avais suggérée dubi-
tivement, M. Rouvier donne d'excellentes raisons pour
4. Il y a des doutes sur la date 46 (Svoronos, No[x, IItoX. I, 46); M.
Rouvier (Rev. et. gr., XII, 370 ; Rev. num., 4903, 248) parle d'une mon-
naie de l'an 44. Il s'agit sûrement de la pièce 4449 de Mûller avec la date
IIIIA. Mais le signe A représente 510, non 40.
2. Mélanges de diverses médailles, I, 348.
3. Num. Chronicle, II«= série, XVII, 484; 3« série, VI, 405.
4. Nécropole de Sidon, p. 380. L'opinion de Svoronos (No|x. IItoX. I,
pizX), qui reconnaît une prétendue ère de la mort d'Alexandre IV (341),
se confond pratiquement avec celle de Six.
5. Revue des études grecques, XII (1899), 362. Cf. aiissi Revue numis-
matique, 4903, 239 et Revue biblique, juillet 4899.
6. Gesçhiçhte, III, 2, 30 et 252.
4S4 T. REINACH
croire que l'ère d'Acé, comme celle de Tyr, commémore la
délivrance de la Phénicie du joug perse par Alexandre, évé-
nement qui inaugure réellement une nouvelle période de l'his-
toire de cette région. Mais quel est le point de départ de cette
ère d'Alexandre? Est-ce le même qu'à Babylone où Oppert*
a constaté qu'elle part du 1" Nisan 330, époque de l'écrou-
lement définitif delà monarchieachéménide? ou bien, comme
le préfère M. Rouvier, doit-on croire que les villes phéni-
ciennes ont fait courir l'ère nouvelle de l'année même (332)
où Alexandre conquit la Phénicie ? J'avoue que sur ce point
je n'ose pas me prononcer. Si plausible que soit l'opinion de
M. Rouvier, l'ère de 330 semble mieux convenir à l'inter-
ruption que j'ai signalée dans la série des monnaies d'Acé ;
cette interruption (ans 11-20) correspond alors à la période
troublée 014 la Phénicie fut disputée entre Ptolémée et An-
tigène et qui se termina par la destruction (temporaire)
d'Acé.
Quoi qu'il en soit de ce point, une chose est certaine :
c'est qu'on ne saurait plus arguer de la série des monnaies
d'Acé pour prétendre, comme on l'a fait^ que la domina-
tion ptolémaïque s'est établie sur cette ville au plus tôt en
266 av. J. C. (312 moins 46). En réalité le terminus post
quem est 286 ou 284 av. J. C. suivant qu'on adopte pour
origine de l'ère 332 ou 330.
Quel est maintenant le terminus ante quem ? Il nous est
fourni parles monnaies phéniciennes en argent des Ptolémées
frappées dans l'atelier de Ptolémaïs (Acé) avec la marque
IITO ou IIT^ en monogramme. Quoique ces pièces portent
4. Alexandre à Babylone, Acad. inscr., 10 juin 1898.
2. Six et Babelon. Cf. Svoronos, loc. cit.
3. Ces pièces ne doivent pas être confondues avec celles de Ptolémaïs
d'Egypte qui portent le même monogramme mais sont d'une fabrique dif-
férente. Six et M. Rouvier sont tombés dans cette erreur {loc. cit.,
p. 366, 2).
tf
DATE DU MIME II D'HÉRODAS 455
l'effigie de Ptolémée P"" (comme la plupart des statères d'ar-
gent de la dynastie tout entière) et même à partir de l'an
25 (261 av. J. G.) la légende Uxolt\Ldou SwiYjpo;, il n'est
pas douteux que le plus ancien groupe ne' date que de Pto-
lémée II. La plupart de ces pièces portent des années régnales
ui, d'après les catalogues du Musée britannique * et de Svoro-
s, commencent avec l'an de règne 25, c'est-à-dire 261/0 ; il
faut y ajouter, en tête de la série, quelques tétradrachmes,
qui n'ont point de dates^, et qui permettent de remonter
de quelques années plus haut, sans doute à 266/5 (an 20) épo-
que où commencent les tétradrachmes datés de Tyr^. Il ne
faudrait pas en conclure que Vacquisition d'Acé-Ptolémaïs
par les Lagides date précisément de 266, — il est possible qu'il
faille attribuer au même atelier quelques pièces similaires de
Ptolémée avec la marque A (pour Acé)^ — mais le chan-
gement du nom de la ville ne saurait en tout cas être posté-
rieur à 266.
En fin de compte, le nom de Ptolémaïs a été substitué à
celui d'Acé entre 286 (ou 284) et 266, probablement vers
270, lorsque la domination de Philadelphe, menacée d'abord
par Antiochus P% eut été consolidée dans ces régions. On peut
admettre que, malgré ce changement, le nom d'Acé continua
à être employé vulgairement dans le pays même : nous l'y
voyons reparaître par intervalles sur les monnaies après la
chute des Séleucides et il a persisté jusqu'à nos jours. Mais
un écrivain aussi loyaliste qu'Hérodas et dont on connaît le
magnifique et plaisant panégyrique de l'Egypte ptolémaïque
dans le Mime P"", n'aurait guère placé dans la bouche de
\. R. S. Poole, The Ptolemies, p. 33.
2. Ibid., p. 28, nos 40-42.
3. La date xy sur des pièces de Gaza (Svoronos, n» 821) et de Jopé
(ib., 794) résulte d'une erreur du graveur.
4. Ibid., p. 27, nos 38.39.
456 T. REINACH
son iropvcêoaxcç, plaidant devant un tribunal et non sans
solennité, une dénomination qui eût constitué à la fois un
anachronisme et une incorrection politique. On doit en
conclure que le Mime II est antérieur au changement, peut-
être même très antérieur; il a été composé probablement
avant le Mime P'' qui est sûrement plus récent que l'apo-
théose d'Arsinoé (270) et l'inauguration du temple des dieux
frères. Déjà d'ailleurs Meister a remarqué * qu'il n'y a
aucune corrélation entre l'ordre de composition des mimiam-
bes et celui où ils ont été arrangés dans le recueil.
Ces discussions de dates peuvent sembler un peu minu-
tieuses. Je suis sûr que l'éminent érudit auquel je dédie ces
pages ne sera pas de cet avis. Il sait toute l'importance de
l'exactitude et en particulier de l'exactitude chronologique
en matière de philologie et d'histoire littéraire. Dans le cas
présent la chose est d'autant plus digne d'attention qu'il
suffit d'une différence de quelques années en plus ou en
moins pour faire d'Hérodas l'imitateur de Théocrite, ou au
contraire son inspirateur. Or, selon que l'on adoptera l'une
ou l'autre solution, l'originalité et le mérite respectif des
deux poètes apparaîtront sous un jour tout différent. On voit
assez de quel côté penche mon sentiment.
1. Die Mimiamben, Tp. 159.
F. DK SAUSSURE
SUR LES COMPOSÉS LATINS
DU TYPE AGRICOLA
SUR LES COMPOSÉS LATINS
DU TYPE AGRICOLA
Par F. DE Saussure,
Dans leur relation à la P déclinaison et aux mots qu'elle
renferme, il ne serait pas exagéré de dire que les composés
comme agrncola forment le fond le plus clair de la classe
masculine- en a du latin. Si on défalque en effet de cette
classe les éléments étrangers ou de provenance douteuse
(noms comme Porsenna ou Agrippa, comme poeta ou afri-
cain nepd) ; d'autre part les mots qui ne sont du masculin
que dans le rôle de cognomen ou de sobriquet {Bestia, Fim-
bria, Scaevola, Planta)^ on arrive vite à un résidu où ne
figure plus que le type agri-cola, joint à dix ou douze mots
simples comme verna, lixa, scurra.
Ces quelques mots simples, à leur tour, sont pour la plu-
part obscurs, isolés dans la langue, peut-être en partie non
latins*. Aussi ne serait-ce pas sans raison soutenable qu'on
pourrait regarder la question générale des masculins latins en
a comme assez peu différente de celle du seul type agri-cola.
i. Les deux mots qui, dans cette série peu nombreuse, pourraient rete-
nir l'attention du grammairien sont scn'ôa et navita. Toutefois le premier
a des chances de n'être qu'une dérivation du type agri-cola (scriba
= *charti-scriba ou mots de ce genre). Le second, en apparence impor-
tant par son singulier suffixe -ita, résulte sans doute d'un compromis
entre lat. *naves, -itis et le nauta venu des Grecs.
460 F. DE SAUSSURE
Ce n'est pas le sens, toutefois, qu'on voudra bien donner
à la présente étude. Que le type agricola soit ou non l'unique
modèle primitif de la classe entière, nous abordons ce type
pour lui-même, et sans préoccupation de ce qui l'entoure.
M. Brugmann dans son Grundriss, II, 104, et à sa suite
Lindsay, Lat. Lang., 317, Sommer, Handbuch^ 351, ont
accrédité une théorie qui fait à peu près de tous les mascu-
lins en a, verna comme agricola, d'anciens féminins, noms
abstraits ou noms d'action : agricola n'aurait désigné l'agri-
culteur qu'après avoir été, au début, le nom de Vagricxd-
ture, et aurxga ne serait le cocher qu'après avoir été l'art de
conduire les chevaux.
Les changements de cette espèce sont courants dans l'his-
toire sémantique des langues, et je ne méconnais pas les ar
guments favorables que peuvent livrer spécialement les
masculins latins en a, du fait qu'ils servent souvent à dési-
gner un individu par son métier ou son état. Mais un fait
matériel semble saper par la base toute la supposition. Le
grec ofîre largement des composés féminins d'action comme
èx-XoYTQ, èx-^Dy-^ : à peine le type c'.xc-SopL-^^, où la préposition
est remplacée par un nom. Le latin, quant à lui, ne connaît
ni un seul exemple du type Ix-Xovy^ ni un seul du type olxo-
So[jnQ ; il n'arrive pas à cette langue, — et dans les cas même
où elle possède le simple comme fuga — , d'exprimer par
transfuga une idée comme celle de « transfuite », toujours
rendue au moyen d'une formation latérale comme transfu-
giitm, etc. On peut se demander, dans ces conditions, com-
ment agricola aurait d'abord si^niiîéV agriculture. La sup-
position forcerait d'imaginer à la fois que agricola détourné
de son sens se transmettait sans difficulté, mais que la même
formation si vivace était frappée de mort dans tous les repré-
sentants qui auraient gardé quelque chose de son sens direct.
Hasard assurément invraisemblable,
COMPOSÉS DU TYPE AGRICOLA 46i
Essayons par une autre voie de fixer l'origine de ces com-
posés.
I
La catégorie de composés qui est reflétée en latin dans les
mots comme au-spec-s, prae-se-(d)-Sy prae-coc-s, devait don-
ner lieu, dans l'indo-européen primitif, à une naturelle
variante toutes les fois que le second membre, au lieu de
reposer sur une racine comme spek-, était par hasard em-
prunté au type si répandu des racines disyllabiques termi-
nées par un o : ainsi grebho - (saisir), petô - (voler), etc. ^
Il n'est peut-être pas absolument juste de parler de variante,
puisque deux formations comme
*ekwo-spek'S *ekwo-grebh6-s
se signalent avant tout par leur identité. Le terme s'applique
cependant si l'on considère la flexion. Celle-ci ne pouvait
éviter de prendre un aspect particulier quand, au lieu de la
base habituelle (consonantique), elle avait à courir sur une
voyelle o.
Peut-on marquer de plus près la forme que devait revêtir
le paradigme en -6 ? Elle a dû être principalement détermi-
née par la loi connue qui, dès la période primitive, avait
réglé le sort général de cette voyelle, en la maintenant de-
vant consonne, et en la supprimant (au lieu de la contracter)
devant une autre voyelle. « L'élision de l'o » — qu'on peut
i. Il n'y a guère que des avantages à marquer la voyelle, de timbre
inconnu, qui se trouvait dans la première syllabe du mot pour père au
moyen de la lettre pleine Ô, plutôt que par le signe furtif d'un d renversé.
C'est cette notation par ô que nous adoptons au moins pour le présent
article.
462 F. DE SAUSSURE
se permettre un instant, pour la clarté morphologique, de
représenter par un signe, alors même qu'il est peu régulier
de mêler aux signes phoniques ce qui sert à rappeler un
événement — , devait régulièrement engendrer pour -gre~
bho-s, dans son opposition à -spek-s, le tableau de flexion
suivant :
N.
— spek-s
— grebho-s
V.
— spek
— grebhô
A.
— spek-m
— grebho-m
L.
— spek-i
— grebh'-i
G.
— spek-os
— grebh'-os
PI.
N.
— spek-es
. — grebh'-es
PI.
L.
— spek-su
— grebho^su
Il pouvait y avoir des chances, visiblement, pour que dans
plus d'une langue, par la suite, on arrivât à débarrasser, par
analogie, le second type de tout ce qui lui restait de diffé-
rences avec -spek-s \ mais aussi, comme il faut l'ajouter,
pour que des formes aussi caractérisées que le nominatif en
-os fussent capables au contraire d'opposer, ailleurs, une
grande résistance, et permissent d'avance au paradigme en -6
de prononcer timidement son : Non omnis moriar.
II
La flexion qu'on vient d'admettre ne s'attache pas d'une
façon très particulière aux composés : un mot nex n'a pas une
autre déclinaison qu'«?<-5/5ea:, et l'on peut s'attendre, dans les
mots en -o, à trouver des parallèles à l'un ou à l'autre. C'est
un mot non composé que le grec a choisi pour nous conser-
ver l'exemple du paradigme en -6 maintenu dans son inté-
COMPOSÉS DU TYPE AGRICOLA 463
grité ; à part le datif plur. qui est une forme trop coutumière
d'anomalies secondaires pour offrir une importance. On ne
saurait méconnaître en effet dans la flexion du mot masculin,
unique de son espèce, }.a(/")a-ç, la pierre,
N. X«>F«-ç. V. (Xûcfa ?). A. Xa>Fa-v.
D. XàF-i. G. UF'-oq. PI. N. Xaf'-eç.
un paradigme identique, avec la modification grecque a pour
0, à celui qui s'obtenait par hypothèse plus haut; et il faut
ajouter que ce paradigme serait, au milieu du grec, entière-
ment inexplicable hors de l'issue qui s'offre ainsi pour lui.
Voisin, mais notablement différent cependant du cas de
XaFQ!.-q, est celui de [Asya-ç : nous préférerions le laisser de
côté pour ne pas mêler à la flexion simple en -6 une
flexion plus complexe ; mais la rareté de ce qui subsiste en
général des flexions en -ô commande pour ainsi dire de ne
pas l'oublier. Il n'est pas douteux que {/.éya (neut.), identique
à véd. mahi^ ne vaille vraiment ^rnegô ; non moins certain
toutefois, d'après le védique, qui a conservé le paradigme
intégral et trif orme (/72«Aâ-5, mahâ-m\ — 2. mahi-bhis et
neut. mahi\ — 3. mah'-e, mah'-as, etc.) qu'il s'agit, non
d'un simple mot en -o, mais d'un mot qui ne recevait primi-
tivement 6 qu'aux formes faibles, et dont le nominatif masc.
serait finalement en grec fort différent de celui de làFoL-q
(« [xeyâ-; » ou ion. « [Li^rrç »), s'il n'avait péri, supplanté
par une forme imitée du neutre. — Norr. mjôk pour *meku
adv. « beaucoup » semble lui-même reposer plutôt sur la
forme en à (germ. ô, û), qui aurait passé, juste à l'inverse,
du masculin au neutre.
Les composés en-o dont avait pu hériter la langue grecque
paraissent avoir versé de bonne heure, quant à eux, dans la
flexion fantaisiste en -avT-, à laquelle nous devons àSaj^àç,
464 F. DE SAUSSURE
-avToç, etc. au lieu de *à^à[LOL-qy gén. *à§aj;.'-cç. Une trace de
ce qui existait est restée dans le vocatif correct IloukM\LOL,
AaoBafjLa, connu non seulement d'Homère, mais de Xéno-
phon, Hell. 5, 1, 5 et 6 : rioAu3a[j.a, non « rioXuSajjiav »*, et
sans que le discours, lequel s'adresse à un contemporain,
puisse emprunter quelque chose aux souvenirs épiques.
Du fait que le grec a la particularité d'admettre non seu-
lement l'a, mais très souvent l's (quelquefois l'o), pour
représentants de la primitive voyelle indo-eur. o, les débris
de la formation *ekwo-grebh6-s elle-même sont cachés,
comme nous sommes loin d'en douter, à beaucoup d'autres
endroits encore de la langue grecque que le type IIcuXu-
Sajxâç. Quand c'était un s qui s'offrait pour continuateur
régulier de l'o dans une racine, il était tout donné que le
mot tombât par exemple dans la classe de (]/£uây)ç, et il n'y
aurait rien que de vraisemblable à croire que de nombreux
mots comme xuxAoxspVjç (cf. Tsps-ipov, etc.) valent en réalité
*kuklo-tero-s : firent autrefois *xjx>vo-Tép£ dans leur nominatif
neutre, et xuxXo-xépe-ç (non -yjç) au masculin ; sous la même
déclinaison générale que Xaa;, piiya. L'investigation qu'exi-
gerait ce point, et qui pourrait donner plus d'un résultat, est
momentanément hors de ce que nous permet le cadre de cet
article.
Le sanscrit védique, par un groupe de formes qu'il m'est
arrivé de signaler dans une autre occasion, paraît con-
1 . On ne saurait accorder qu'une valeur métrique à la quantité longue
homérique nouXjSà[jtâ et AaoSajiâ, non plus extraordinaire que l'e long de
TTjXsuLayE ou SavÔExs/.ai BaXie. Quel serait d'ailleurs les ens, même pour
un thème en — avT —, d'un vocatif par de? — Que ces allongements épiques
aient, d'autre part, quelque chose à voir avec le vocatif, celui-ci étant pris
comme tel, et hors des déclinaisons particulières, je serais prêt à le
croire, et à y voir le môme fait que les grammairiens hindous signalent
comme la pluti du vocatif (allongement anormal de la finale). Iloastoaov
|-à[j.'jv£ est un cas métrique très différent des précédents, et où l'on voit
cependant se produire cet allongement spécial imputable au vocatif.
COMPOSÉS DU TYPE AGRICOLA 465
fîrmer de façon significative l'ancien type *ekwo-grebhô'S.
Sans doute, il n'est pas facile, devant la confusion phonéti-
que hindoue des ô avec i, de juger absolument de ce qui est
thème en ô. Néanmoins la corrélation raksi-tum (préser-
ver) : paçu-raksi-s (qui préserve le bétail); de même, sani-
tum : vâja-sani-s; svani-tum : tiivi-svani-s ; grabhi-tum :
dur-grbhi-s est éminemment frappante. Elle prend en-
core plus de corps si l'on ajoute ces trois circonstances :
1. Rareté des formes casuelles qui impliquent positivement
le thème en -i, comme l'exceptionnel voc. ûrja-saîiè.
2. Fréquence de formes comme -san-as, que rien n'em-
pêche d'interpréter comme -san-as. C'est ainsi que dans
le cas de tuvi-svani-s, on peut dire que tout l'ancien para-
digme *ekwo-grebhô-s est encore devant nos yeux à la con-
dition de réunir ce que les lexicographes séparent sous
tiivi-^vani- et sous un soi-disant tuvi-svan-. (Nom. hivi-
svani-s, Ace. tuvi-^vani-m. Gén. sg. et Nom. pi. tuvi-
svan'-as; etc.). 3. C'est encore un argument presque direct
contre la valeur de simples thèmes en i qu'auraient en védi-
que paçu-?'aksi-s, etc., que la manière dont le sanscrit
classique ignore plus tard ces thèmes, sans que nous nous
engagions ici dans le détail de cette démonstration.
III
La classe que nous avons tâché d'illustrer hors du latin,
pour y rattacher dans cette langue agricolà, indigenà, etc.,
comporte avant tout un caractère formatif, une uniformité
Idans la structure des mots : ses caractères flexifs ne sont
■l'une conséquence de la formation,
■ La classe latine indigenà n'aurait d'avance qu'un contact
Iroblématique avec elle si l'on y trouvait des mots quel-
le 30
466 P. DE SAUSSURE
conques dans leur formation, par exemple as-sec-Iâ comme
indi-genà. Le mot asseclà, avec interposition de suffixe, est
EXCEPTION UNIQUE parmi les composés latins en à, précisé-
ment propre à mieux faire ressortir l'unité formative qui
réunit, avant tout autre caractère, le reste de ces mots^: en
-genà, -cola, -vïvà, -cîdà, -cûbà, -àgà, etc. ; type semblable
à ce qu'on est en droit d'attendre.
A ce point de vue, qui laisse provisoirement de côté la
flexion, trois rapports sont à considérer :
i . Indi-genà et ^genâ-tum. — L'a de la classe indi-genà
n'a de prétexte d'exister que si cette voyelle a régné simul-
tanément, et d'une manière tout aussi constante, dans les
formes (accompagnées ou non d'un composé) comme gent-
tum, vomt-tum, doml-tum, molî-tum, sonl-tum, ciibi-tum,
etc. INotre hypothèse implique cette conformité, puisqu'elle
met à la base de gem-tiim ou à^indi-yenà un seul et même
'^genô-.
Constatons qu'une autre restitution quelconque, pour le
latin, que celle de *genà-tum, *genà-tôr, etc. n'est, en effet,
plus soutenue de personne, et qu'il n'en saurait être au-
trement dès qu'on reconnaît généralement que Vô reçoit
pour continuateur invariable un à dans la branche italique.
Seul le grec, avec l'inconséquence qu'il montre dans le trai-
tement de l'ô, pouvait connaître une différence s'attachant
aux familles étymologiques (yevs-Twp : oapi-a-Twp : gic-Ti^),
et cette langue se voyait réciproquement forcée par là de
briser l'unité de la classe flexive qui reste compacte dans
Vindigenà latin (TuoXu-BajjLa-, /.uxXs-Teps-, etc.).
1. Conçu comme un diminutif de *adseqva et non comme formation
primaire, le mot assecla n'offrirait du reste plus rien lui-même qui le
classe à part. Aussi n'est-ce pas tant assecla que col-léga qui crée un cas
difficile. Se rapportant, non à la racine lëg-, mais à un noyau de formes
dérivées (lëgâré), ce mot se trouve sensiblement hors de la donnée pri-
mitive.
I
COMPOSÉS DU TYPE AGRICOLA 467
2. Indî-genà et genî-tu?7î. — Après avoir connu en com-
mun la voyelle à, genitum et indigenà ne sont plus actuel-
lement marqués que par une différence. Est-il régulier que
la seconde forme ne soit pas atteinte par le genre de modi-
fication qui atteignait la première ?
Nous n'aurons, pour répondre à cette question, qu'à faire
usage d'un des quelques principes, toujours confirmés à
nouveau, par lesquels Louis Havet a depuis longtemps fait
régner la lumière sur tous les points de l'altération vocalique
latine. L'ultième des mots n'est pas concernée par l'altéra-
tion due à l'intensité de l'initiale. La chose est spécialement
claire quand il s'agit de Va. Nominà n'a jamais été que
nominà, et de par sa quantité historique seule, sans argu-
ment linguistique. Anàtes — à côté d^anîtes — n'aurait su
où retrouver analogiquement un à si cet a n'eût été con-
servé dans la finale d'anàsÇs). Sans répéter la série pleine des
preuves, nous dirons qu^iAdi-genà, de même pari-cldà-s
(v. plus bas), sont entièrement prévus dans leur opposition
à genî-tumK
3. Indî-genà et ad-venâ. — Aucun composé en à ne doit
correspondre, dans le principe, à une base monosyllabique.
Sont encore accompagnés, dans le latin même, de congé-
nères établissant la base disyllabique : les composés en
-genà {gent-tum) ainsi que Vin-cubà d'Isidore {cuhl-tum)^
et les mots en -fugà, si fugi-tum, malgré gr. çux-xoç, peut
passer pour être ""fugà-tum. Ajoutons foeni-secà (Golu-
melle) : car secâre, secûi implique *secà-viy et seges repré-
sente presque sûrement ""secà-ti-s (cf. desecare segetes chez
le même Columelle).
i. La doctrine imprécise, ou directement contraire, qu'entretient sur le
point de Va des finales la linguistique latine dans son ensemble ne peut
chercher un appui que dans le cas artifex, tibicen pour *artifax, *tibican.
Ce cas n'est pas plus probant que judex pour *judix.
468 F. DE SAUSSURE
Les formes disyllabiques se sont perdues en latin, mais
sont clairement attestées hors de cette langue, pour les
familles à^agri-colà (scr. cari-tum) ; con-vwà (scr. jlvi-tum
etc. ; en latin même on ramène vlta à *mvà-td) ; heredi-
petâ (gr. TrsTJc-ixai). Il n'y a guère de doutes encore pour celle
à^auriga, *aurè-àgâ^ quoique les formes hindoues comme
aji-ta-s reposent surtout sur le témoignage des grammai-
riens. Un mot *aes-tùmâ « le coupe-bronze » a été supposé
par Louis Havet, Mém. Soc. Ling., VI, 23, pour expliquer
aestianare : il s'accorderait au mieux avec les formes disyl-
labiques grecques de la racine en question, té^as-vcç, ispia-
yoç, etc.*.
La place des mots en -cïdà, sous le même rapport, est
incertaine : cependant il y aurait à faire valoir plus d'une
raison contre une racine monosyllabique de la forme kaid-
ou kaidh-. Nous tenons pour le plus probable, non kaidhô-,
mais, ce qui revient presque au même, kai-\-dhé- (faible
kai-d/iô-), selon une formation verbale avec rac. dhé- qui
paraît avoir tenu une certaine place en latin et dans d'autres
langues, comme le lituanien.
Il ne reste en somme que les mots en -venà qui aient
clairement en face d'eux une base monosyllabique (scr. gan-
tum^ etc.). C'est donc dans une proportion assez faible que
1. Comme je le remarque en me reportant au volume indiqué des
Mémoires, l'étyniologie d'aestumare y était doublée d'une analyse d' *aes-
tumà lui-même, de laquelle il ressort que l'auteur posait -tumà comme
identique à l'élément disyllabique radical de Tê'fxa-yoç etc., ajoutant,
quant à la flexion, la restitution *ais-tema-s. C'est en deux lignes, on le
voit, tout l'essentiel de la théorie que nous présentons nous-même, en
l'appliquant à l'ensemble des mots comme agricola. Dois-je m'afïliger de
n'avoir ainsi fait autre chose, dans ces pages, que reprendre sans le savoir
une idée du maître auquel elles sont dédiées? Si un point de vue qui est
le sien n'a d'avance pour lui rien de nouveau, du moins pourrai-je me
dire qu'il n'était pas moins utile à défendre aujourd'hui qu'il y a vingt-
trois ans, puisque nous voyons se perpétuer les opinions qui n'en tien-
nent pas compte et veulent faire à^agricola un pendant latin d'oîxoSofjLTJ.
COMPOSÉS DU TYPE AGRICOLA 469
s'est exercée l'analogie à laquelle pouvait facilement donner
lieu indi-genà, à mesure que sa finale prenait davantage le
caractère d'un simple élément flexif. Le -capâ- à'hosticapas
est peut-être à joindre aux formes en -venà : il serait diffi-
cile de l'affirmer ; v. ail. haft ne prouve naturellement pas
plus que tohter = ^j^xTrfP une base monosyllabique.
La flexion, à son tour, appelle différentes remarques :
1. Indigenà et terra. — La présence de Va — bien que
cet a ne s'étendît lui-même qu'à trois ou quatre formes de
paradigme, comme dans Xololc, — fut suffisante pour rappro-
cher peu à peu indigenà de la P déclinaison. L'assimilation
a pu, d'abord commencer, ensuite se poursuivre, de maniè-
res très diverses. Nous ne ferons qu'une seule remarque,
destinée à écarter quelques difficultés qui, assez naturelle-
ment, pourraient frapper : c'est qu'il n'est pas nécessaire
qu'une forme casuelle ait complètement coïncidé au début
entre indigenà et terra, ou indigenà-s : terra (ou i7idi'
genà-s : * terra ?) ; ni même que la première identité ait été
fournie par le petit noyau de formes dotées de Va dans le
paradigme -genà{s). Si par exemple une forme comme le
locatif, c'est-à-dire *indigen^-i, devenait incommode ou
obscure, elle n'avait guère d'autre remplaçant naturel
quUndigenài, et cela sans que l'imitation de terrai fût même
formellement nécessaire pour créer cet anneau ^
2. Indigenà et paricidas. — Il reste encore un souvenir
assez précis, dans une ou deux formes, des différences qui
séparaient indigenà de terra. L'abrégé de Festus nous a
conservé les deux nominatifs connus paricidas, hosticapas.
\. Pour la même raison, il n'est pas implicitement nécessaire, pour
que le rapprochement des déclinaisons reste concevable, que terra (nomi-
natif) ait eu de tout temps la quantité terra. On pourrait se demander si
cette quantité tant discutée n'est pas une suite, au moins dans quelque
mesure, des contacts avec indigenà(s). L'influence, ici, serait inverse de
celle qui s'est exercée en général au cours de cette égalisation.
470 F. DE SAUSSURE
Attribuer à ces formes un à long {-c'idâs etc.) reviendrait à
créer un type fort peu compréhensible en lui-même, mais
de plus, inexplicable dans son rapport au parricidâ qui lui
succède. Dans ses emprunts au grec, l'ancien latin n'a point
adopté Vas de Trcr^Tâç : ce fait serait-il naturel si une finale
toute semblable existait dans ses propres déclinaisons?*
Nous poserons donc : paricidà-s, *indi-genà-s (=Aaa-;).
Au sein de la langue latine, riche en finales comme -ïs, -us,
-05, la finale de ce nominatif était, par hasard, la seule en
-as, et ce fait conduit à une réflexion. Nul ne tient pour
douteux que Vs d'une forme comme filiûs, dès une date très
ancienne, ait été sur le point de périr entièrement par les
prononciations comme* filiû, laterali dolor, certissimû
nuntiù etc. ; on ne discute guère que pour savoir comment
cet 5 a pu être restauré dans les mêmes formes. Or, pour
perdre son 5, parricidà{s) (brève -|- 5) se trouvait en aussi
bonne situation que filiù{s) : pour le reprendre c'était dif-
férent; il n'avait pas l'appui très varié d'une multitude de
formes où une finale comme -fis n'arrivait jamais à l'oubli
total ; bien mieux, entre parricidâ et -cïdàs, l'analogie de
terra était là pour détourner formellement de revenir à
-cïdàs. Cette analogie eût peut-être suffi à elle seule, le
facteur phonétique n'était cependant pas à négliger lui-même.
1. Hosticapas, à l'égard de son a radical, est sans doute à juger comme
l'épigraphique Numûsioi= Niimerio. Ce n'est pas une forme refaite à la
place de *hosticupas, mais une forme plus ancienne que ne serait cette
dernière. Il est clair que si l'autre exemple, paricidas, approche à aucun
degré de l'antiquité que lui assigne Festus (lois de Numa), nous avons
également à lui restituer son a radical (paricaidas). — Au premier mo-
ment ce n'est pas seulement hosticapas qui pourrait donner à la classe
des composés en a l'aspect trompeur de formations modernes, mais aussi
la série des mots en -gêna, -vena, -peta, -seca au lieu de -gina, -vina, etc.
La réponse, quant à ces derniers, se trouve dans ingenium, advenio,
appeto, resecare, lesquels — d'où que provienne l'anomalie — ne sont
ni plus ni moins irréguliers que les composés en a de leurs familles res-
pectives.
COMPOSÉS DU TYPE AGRICOLA 471
3. Indigena : indigenum. Auriga : rémiges. — Les com-
posés en a se distinguent jusqu'au bout, tant de tei^ra que
de verna, scurra, par la faculté qu'ils ont de former le gén.
plur. en -iim (agricoluni). C'est le vieux génitif correspon-
dant à Aa>F'-cov. Toutefois on touche ici à un point plus
général.
Les composés qui sont entrés dans la P déclinaison ont,
de ce fait, aboli toute la partie du paradigme qui ne com-
portait pas à'a (*i?idigen'-is, -gen'-es, etc.),. sauf, précisé-
ment, le gén. plur. Selon les mots, la solution inverse pou-
vait prévaloir, un prae-pes pour ^prae-petà-s être formé
d'après praè-pef-es, ou un rem-ex (^rem-ac-s) au lieu de
*rem-àgà-s d'après *rem-^^'-es (rem-lg-ès). C'est la solution
dont nous disions au début qu'elle était le plus à craindre
pour toute la classe : à la fois comme la plus simple et comme
celle où tout souvenir de Va (ou o) se trouve radicalement
détruit. Il faut rendre cette justice au latin qu'il n'en a que
modérément usé. Dans le cas même où il l'adopte, on a
quelquefois dans un doublet la forme qui tient compte de
Va : à rem-ex comparer aurïgâ, à prae-pes, heredi-petà
malgré un éloignement du sens, dans ce dernier exemple,
qui n'empêche pas l'unité de racine.
Pline (Hist. XIV, 8,6, 72) a dit : indigena vinitm. Que ce
neutre ait été dans l'usage courant, ou qu'il suppose une
intervention plus individuelle de l'instinct linguistique dans
l'application des formes, dans les deux cas l'écrivain latin
s'est trouvé dans la vérité grammaticale : comme iiiyxç a
pour neutre [XEya, c'est, en efïet, indigena qui est le juste
neutre d'indigenà{s).
Daniel SERRUYS
LES
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS
ET LES
ORIGINES DU « CURSUS » BYZANTIN
I
LES PROCEDES TONIQUES D'HIMERIUS
ET LES ORIGINES DU « CURSUS >. BYZANTIN
Par Daniel Serruys.
La loi des clausules toniques formulée naguère par
M. W. Meyer^ se trouve aujourd'hui pleinement confirmée
et heureusement définie, grâce aux nombreuses recherches
qui ont précisé tour à tour sa rigueur et son extension, sa
signification littéraire et son utilisation critique. Sans nous
attarder à l'inutile scepticisme de M. Kirsten^, rappelons
seulement les deux études de M. K. Krumbacher% qui, au
moyen d'observations paléographiques et critiques, s'est
efforcé de déterminer dans quelle mesure la loi de
M. W. Meyer peut être appliquée à la restitution des textes;
la thèse de M. G. Litzica*, qui, par des calculs malheureuse-
i. W. Meyer, Der accentuirte Satzschluss in der griechischen Prosa
vom 4 bis 6 Jahrhundert. Gôttingen, 1891. — Je me suis servi delà réim-
pression de ce travail faite par l'auteur dans ses Gesammelte Abhandhin-
gen zur mittellateinischen Rhythmik. Berlin, 1905, t. II, pp. 202-205,
Cf. Ibid., t. I, pp. 17-22.
2. KiRSTEN, Quaestiones Choricianae. Breslau, 1894.
3. K. Krumbacher, Ein Dithyrambus aufden Chronisten Theophanes,
dans les Sitzimgsberichte der K. bayer. Akad. der Wissenschaften,
1896, pp. 583 et ss. — Cf. Eine ncue vita des Theophanes Conf essor.
Ibid.,m)l, pp. 371 etss.
4. G. LiTzicA, Bas Meyersche Satzschlussgesetz in der byzantinischeti
Prosa. Diss., Munich, 1898.
476 D. SERRUYS
ment illusoires, a tenté de fournir le critère mathématique
qui décèlerait et doserait l'application de la loi chez un
auteur quelconque ; enfin l'élégant article où M. P. Maas^
renonçant à étudier la loi en général, s'est attaché à recon-
naître les modalités de son application chez un auteur déter-
miné. On ne peut méconnaître que la voie tracée par
M. P. Maas est de toutes la plus sûre ; elle nous ramène
d'ailleurs à la conception première de M. W. Meyer, qui
considérait la règle dégagée par lui, non comme une pres-
cription formelle et toujours identique à elle-même, mais
comme le trait commun aux systèmes individuels — varia-
bles par ailleurs — des auteurs byzantins.
Ce qui demeure obscur dans le cursus byzantin défini par
M. W. iMeyer, c'est moins certes sa nature que son ori-
gine. On connaît les systèmes en présence. Tandis que
M. W. Meyer ^ veut reconnaître dans le cursus des écrivains
byzantins une importation latine, M. de Wilamowitz-Moel-
lendorff ^ croit discerner chez les auteurs grecs du iv® siècle
— et en particulier chez Himérius, — des procédés toni-
ques, annonciateurs duc7irsus;M. Grônert* enfin n'hésite pas
à faire remonter l'emploi des clausules toniques jusqu'à saint
Clément ou même jusqu'à Josèphe.
Pour séduisant qu'il soit, j'avoue que le système de
M. W. Meyer me semble se heurter à une objection
sérieuse. Il est peu probable qu'au milieu du iv® siècle, l'ac-
d. P. Maas, Rhythmische zu der Kunstprosa des Konstantinos Marias-
ses, Byz. Zeitschr. XI (1902), pp. o05-512. — Cf. Bu même, le compte
rendu de W. Fritz. Synesius, dans Berl. Philol. Wochenschrift, 1906,
pp. 775-777.
2. Gesammelte Abhandlungen, t. I, p. 19-20.
3. Hermès, t. XXXIV (1899), pp. 214-248.
4. Verhandlungen der XLV^ Versammlung deutscher Philologen in
Bremen, 1899, pp. 66-68.
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS 477
cent se soit déjà substitué à la quantité comme élément régu-
lateur des rythmes latins \ et d'autre part les clausules de
la prose métrique latine, régies par la quantité, ne réalisent
point uniformément, au point de vue tonique, les conditions
de la clausule meyerienne. Quant à la théorie de M. Grônert,
elle ne résiste pas aux vérifications mathématiques que j'ai
entreprises pour quelques-uns des textes sur lesquels il se
fonde. Restent les observations de M. de Wilamowitz, dont
les inductions — j'allais dire les intuitions — sont bien rare-
ment illusoires ; il ne peut être inutile de les contrôler en
étendant la recherche à l'ensemble du texte d'Himérius et
en la poursuivant au moyen de la méthode statistique inau-
gurée par M. L. Havet.
Il ne faut point se dissimuler d'ailleurs que le texte
d'Himérius et la méthode statistique présenteront à notre
recherche quelques écueils redoutables. Le texte sur lequel
nous allons opérer est particulièrement délabré. Tout en
admettant que les lacunes ne soient point si nombreuses que
le suppose F. Duebner-, il faut bien se persuader que le
texte est mauvais ^ ; la plupart des discours ne sont conser-
vés que par un manuscrit unique et les sources manuscrites
sont, soit très fautives, soit, comme le prouvent les vérifica-
tions de M. Schenkl*, reproduites avec une incroyable
négligence. Ajoutons que les innombrables citations et rémi-
niscences qui émaillent le texte d'Himérius, pour précieuses
1. Cf. H. BoRNECQUK. Les Clausules métriques latines (Mémoires de
la Faculté de Lille, N. S., t. VI). Lille, 1907, p. 176 et pp. 487 etss.
2. Cf. G. Fr. Teuber. De lacunis Himerii in orationibus integris a
Duebnero editore notatis (Progr. des Kônigl. Konig. Wilhelms Gymna-
, sium in Breslau), 1894.
13. Le travail de Stenzel. Conjectanea in Himerii Sophistae déclamâ-
mes. Breslau, 1879, ne nous a pas été accessible.
4. G. Schenkl. Adnotatiunculae ad Himerium dans Eranos Vindo-
478 D. SERRUYS
qu'elles soient à d'autres égards, n'en constituent pas moins
de véritables pièges pour l'étude métrique. Il est vrai toute-
fois que ces pièges ont été signalés, pour la plupart, par
M. G. Teuber^, qui a identifié le plus grand nombre des
citations textuelles ; il est vrai également que les citations
non textuelles ou simples réminiscences n'entraînent point
nécessairement une violation des procédés toniques.
D'autre part le maniement même de la méthode statisti-
que, que nous allons appliquer à notre recherche, est sin-
gulièrement délicat. Non point, certes, que les objections
élevées par M. Previtera^ contre sa légitimité nous émeu-
vent outre mesure. Le principe de la méthode statistique,
« qui consiste à prendre pour critère et mesure des faits
supposés métriques, la proportion naturelle des mêmes faits
dans le libre jeu de la langue », apparaît inattaquable à
tous égards. Et les difficultés de l'application, qui fournis-
sent à M. Previtera un triomphe facile, ne sont certes point
insurmontables. D'abord un auteur exempt de partis pris
métriques, qui puisse servir à reconnaître le libre jeu des
éléments de la langue, n'est point, quoi qu'on dise, introu-
vable. N'est-il pas évident qu'un auteur n'a pas employé
de clausules métriques, s'il présente, à n'importe quelle
place dans la phrase, les mêmes éléments métriques ou
rythmiques, dans des proportions toujours identiques? D'au-
tre part la différence inévitable des vocabulaires chez l'au-
teur pris pour base de la comparaison et chez l'auteur sup-
posé métrique n'est point non plus un empêchement sérieux
à l'emploi de la statistique comparative. En fait les différen-
ces de vocabulaire, de genre littéraire, et même d'époque
influent très peu sur la proportionnalité des éléments métri-
4. C. Fr. Teuber. Quaestiones Himerianae. Breslau, 1882.
2. L. Previtera. // metodo statistico nelle nuove ricerche délia prosa
metrica latina e greca e le leggi définitive. Giarre, 1903.
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS 479
ques ou rythmiques fournis par la langue. Cette proportion-
nalité présente au contraire une fixité remarquable, car
elle dépend, non de l'usage individuel, mais des caractères
même de la langue, de son phonétisme, de son système de
flexion, de dérivation, de composition, etc. Pour se convain-
cre de cette stabilité, il suffira de comparer entre eux des
vocabulaires en apparence très différents. Aussi longtemps
que n'intervient pas l'arbitraire métrique, on constatera
qu'ils présentent, pour les mêmes éléments, des proportions
constantes.
Ce n'est point le mécanisme de la méthode statistique
qui est inexact, c'est son maniement qui est difficultueux.
La statistique comparative est un instrument de précision
dont il faut savoir se servir. M. L. Havet* a signalé lui-
même quelques-unes des erreurs mathématiques commises
par M. C. Litzica dans la première application de la méthode
statistique à l'étude du cursus meyerien. Il n'est pas inutile
que nous achevions cette critique, puisque aussi bien nous
nous proposons d'appliquer la même méthode à un sujet
analogue.
L'erreur essentielle du travail de M. Litzica nous sem-
ble consister en un calcul des probabilités de tous points
illusoire. Les opérations de M. Litzica sont fondées sur ce
postulat que « la fréquence naturelle des rencontres entre
deux formes rythmiques quelconques fournies par la langue
est proportionnelle au produit de leurs fréquences respecti-
ves. » Pour que ce principe fût recevable, il faudrait que
chacun des éléments d'une série rythmique homogène A ait
des chances égales de rencontrer chacun des éléments d'une
I autre série homogène B ; or, qui ne voit que ces chances
Bont variables d'après la fonction logique, grammaticale,
1. Byz. Zeitschr., VIII (1899), pp. 535-537.
480 i). SERRUYS
syntaxique, etc., des mots? Telle série rythmique, par
exemple celle des monosyllabes atones, est constituée pour
la très grande majorité par des articles, qui n'ont aucune
chance de précéder les formes personnelles des verbes.
Pour que les calculs de M. Litzica fussent légitimes, il lui
eût fallu assigner des coefficients différenciels aux diverses
catégories rythmiques constituées par lui, et même à certains
éléments, dans chacune de ces catégories.
Une autre erreur — celle-ci d'ordre logique — dérive de
la précédente. M. Litzica compare les combinaisons de mots
qui forment les clausules aux rencontres fortuites des mots
de mêmes types, dans le libre jeu de la langue, reconnu et
évalué au moyen du calcul des probabilités tel que nous ve-
nons de le définir. Or, à supposer que l'on puisse, par ce
soi-disant calcul, évaluer la fréquence naturelle des rencontres
fortuites entre deux mots de types déterminés, encore serait-il
tout à fait arbitraire d'assimiler, à ces rencontres fortuites,
les combinaisons de mots qui forment les clausules. Ces
combinaisons ne sont point des faits simples ; elles sont dues
au contraire à deux opérations distinctes, à deux choix suc-
cessifs, dont le second dépend du premier. En effet le choix
du mot final dépend du choix du mot pénultième, ou inver-
sement.
Des erreurs de ce genre proviennent d'un certain féti-
chisme de la mathématique qui se constate parfois chez des
esprits de formation littéraire ; elles impliquent en fait une
méconnaissance totale des principes de la statistique. Il est
d'ailleurs aisé de les éviter ; il suffit pour cela de ne compa-
rer dans la statistique que des séries homogènes de faits sim-
ples, et de considérer les chiffres en présence comme des
moyennes; de modestes calculs de proportionnalité suffisent
dès lors à la comparaison.
C'est à cette méthode plus simple et plus sûre que nous
•A
I
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS 481
aurons recours dans l'étude des clausules toniques d'Himérius.
Le texte exempt d'altération métrique, ou rythmique,
d'après lequel nous allons évaluer la proportion naturelle des
éléments rythmiques fournis par la langue grecque, est celui
de Leontios de Neapolis : Vie de S^ Jean le Miséricordieux*,
déjà dépouillé par M. Litzica. On remarquera que nos comp-
tages présentent parfois, avec ceux de M. Litzica, de légères
différences. Nul ne s'en étonnera, qui s'est livré à ce genre
d'exercice, qui surtout a tenté de vérifier ses totaux. Dans
un classement de près de 20 000 mots, il est inévitable, soit
que des exemples se trouvent « sautés », soit qu'au con-
traire ils soient affectés à deux séries différentes.
Mais ce qui différencie surtout nos relevés de ceux de
M. Litzica, c'est, qu'au lieu de présenter des éléments
abstraits, nous avons voulu présenter des éléments réels.
M. Litzica a réuni d'une part les oxytons, les paroxytons,
les proparoxytons, abstraction faite du nombre des syllabes
prétoniques; d'autre part il a relevé les mots à 1, 2, 3,
etc., prétoniques, abstraction faite des syllabes posttoni-
ques. Dans le premier cas, il a confondu xoicuai avec
TCoXuTCpaYfjLovoudi ; dans le second, il a confondu xoico avec
e-jictc'jv et sTuo'iQja. Notre relevé ne comporte au contraire que
des éléments réels, les mots étant classés en tenant compte à
la fois du nombre des prétoniques et de celui des postto-
niques, de manière à constituer des séries homogènes à tous
égards. Dans ce classement, il n'a point été tenu compte de
l'accent secondaire que les mots peuvent tenir du voisinage
d'un mot enclitique, ni de la voyelle élidée {Cf, Tableau I,
Fréquence l'inguistique).
1 . Leontios von NeapolIs, Lehen des heiligen Johannes des Barmher-
zigen herausgegeben von H. Gelzer. Fribourg et Leipzig, 1893.
I
31
482 D. SERRUYS
Pour le relevé des clausules d'Himérius, nous nous sommes
servis de l'édition de Fr. Duebner^ Le texte examiné est
celui des discours I-XXIV% à l'exclusion des extraits de
Photius et des discours XXV et suivants, trop fragmentaires.
Nous avons considéré comme clausule : la partie de la
phrase ou de l'incise constituée par le mot final et le mot
pénultième, y compris les proclitiques, enclitiques ou parti-
cules atones liées par le sens à l'un ou l'autre de ces mots.
Les phrases ou incises qui ne comportent pas au moins trois
polysyllabes ou groupes équivalents à des polysyllabes n'ont
point été comprises dans la statistique.
Dans notre dépouillement nous avons distingué les clau-
sules suivies d'une ponctuation forte (=: point) et les clausu-
les suivies d'une ponctuation faible (= point en haut, point
et virgule, point d'exclamation, point d'interrogation^).
Mais, le système d'Himérius nous étant apparu identique dans
les deux cas^, nous avons, dans notre exposé, totalisé les
deux séries.
Les clausules ont été classées d'après la forme du mot
final ou du groupe formé par le mot final et par les mots
atones qui le précèdent. Conformément à l'usage reçu,
nous avons considéré comme mots atones, non seulement les
4. HiMERii Declamationes, éd. Fr. Duebner. Paris, Didot, 4878.
2. P. 38-96.
3. Nous avons considéré le point d'interrogation comme une ponctuation
faible, à moins que l'éditeur n'ait marqué son avis contraire en plaçant
une majuscule au début de la phrase suivante.
4. Voici quelques exemples de l'identité du traitement. Nous relevons,
devant un mot tinal du type àvôpojTcoç suivi d'une ponctuation forte,
8 oxytons, 74 paroxytons, 30 proparoxytons ; devant le même mot suivi
de ponctuation faible, 41 oxytons, 67 paroxytons, 48 proparoxytons.
Devant un mot final du type [JouXîJOfxat suivi de ponctuation forte, nous
relevons 40 oxytons, 255 paroxytous, 6 proparoxytons ; devant le même
mot suivi de ponctuation faible, 22 oxytons, 441 paroxytons, 3 proparoxy-
tons. On voit que, devant un même type final, la proportion des formes
pénultièmes est constante, quelle que soit la nature de la pause oratoire.
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS 483
proclitiques et enclitiques, mais encore les formes accentuées
de l'article, les prépositions, les conjonctions y) et xai, la
négation ;jt,Y; (p. 94, 1. 31), le pronom possessif placé entre
l'article et le substantif auquel il se rapporte (pp. 92, 54
et 9o, 12) et même, en un cas spécial, le pronom d;
(p. 38, 53).
Les séries, établies d'après la forme du mot ou groupe final,
ont été subdivisées d'après l'accentuation du mot pénul-
tième.
Il nous reste à préciser quelques cas douteux. Les encliti-
ques ont toujours été comptés au nombre des atones finales
du mot précédent, aussi bien en place finale (p. 50, 1. 18),
qu'en place pénultième (pp. 52, 21 ; 52, 39 ; 55, 21 ; 57,
36; 65,8; 70, 27; 72,27; 81, 30; 87, 3; 94, 5 ; 95,4).
Dans les mots suivis d'une particule enclitique et qui
reçoivent de ce fait un accent secondaire différent de leur
accent premier, c'est cet accent adventice qui est considéré,
en place pénultiène, comme principal au point de vue
rythmique (pp. 49, 23; 53, 46; 69, 28; 69, 51; 91, 15;
95,9; 83, 18).
Les cas où l'un des mots de la clausule est repré-
senté par un monosyllabe pouvaient prêter à confusion. En
fait nous ne relevons que deux exemples de monosyllabes
proprement dits (pp. 55, 42 et 88, 35). Partout ailleurs,
aussi bien en place finale (pp. 74, 46 : ty)v cViv ; 56, 15 : xà
aà ; 93, 41 : ^£-i aé), qu'en place pénultième (pp. 39, 45;
44, 11 ; 48, 2; 49, 36 ; 51, 24 ; 50, 3 ; 70, 20 ; 94, 40 ; 92,
6), les monosyllabes accentués apparaissent précédés de
particules atones avec lesquelles ils forment des groupes
équivalents à des polysyllabes ; c'est pourquoi nous les
avons confondus avec les oxytons.
De même les mots pénultièmes suivis des particules hii
(45, 15 ; 86, 28), yàp (75, 27), j^Év (86, 18), U (40, 5 ; 52,
I
484 D. SERRUYS
47 ; 77, 47 ; 88, 32 ; 92, 3 ; 94, 51) ont été assimilés aux
oxytons (C/. Tableau II, Glausules d'Himérius).
Au moyen des relevés statistiques ainsi effectués, nous
pouvons tout d'abord vérifier les hypothèses déjà émises au
sujet des procédés toniques d'Himérius.
Si nous en croyions M. Litzica\ Himérius aurait ignoré le
cursus de Meyer, au point de présenter, pour les clausules
contraires à la loi, une proportion de 29 pour 100, supé-
rieure à la proportion normalement fournie par la langue,
laquelle, d'après les calculs de M. Litzica, serait de 22,8 pour l
100. Ce pourcentage est établi d'après 100 clausules d'Himé-
rius. Si au contraire l'on étudie les 1229 clausules que
présente l'ensemble du texte d'Himérius, on s'aperçoit que
285 d'entre elles sont contraires à la loi de Meyer, soit une
proportion de 23,19 pour 100 sensiblement égale à la pro-
portion naturelle que fournit, d'après les calculs de M. Litzica,
le libre jeu de la langue. Mais on se souvient que nous avons
fait, au sujet du critère mathématique établi par M. Litzica,
les plus expresses réserves ; d'autre part on remarquera que,
même en admettant la légitimité de ce critère, les chiffres
ci-dessus prouveraient tout au plus que les procédés d'Himé-
rius ne correspondent pas à la formule de M. W. Meyer.
C'est ainsi évidemment qu'en a jugé M. de Wilamowitz
lorsque, peu après la publication du travail de M. Litzica, il
a formulé comme suit le système tonique qu'il prête à Himé-
rius. « L'accent final proparoxyton prédomine ; il est pré-
cédé de préférence de 2 atones mais aussi d'une seule ou
de plusieurs, le voisinage immédiat de l'accent final avec
l'accent pénultième étant seul proscrit. Si l'accent final est
paroxyton, il est nécessairement précédé de 2 atones ^. » En
4. Op. cit., p. 18.
2. Op. cit., p. 215.
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS 483
d'autres termes, la clausule meyerienne est de règle seule-
ment lorsque le mot final est paroxyton, ce qui est excep-
tionnel ; elle est prédominante mais cependant facultative,
lorsque l'accent final est proparoxyton, ce qui est la norme.
La différence de traitement que M. de Wilamowitz croit
reconnaître entre les clausules terminées par un proparoxy-
ton et celles terminées par un paroxyton, est, disons-le tout
de suite, purement fictive. Sur les 1 Ooo clausules d'Himé-
rius terminées par un proparoxyton, 250 sont contraires à la
loi de Meyer, soit une proportion de 23,7 pour 100 ; 'sur les
131 clausules d'Himérius terminées par un paroxyton,
31 sont contraires à la loi de Meyer, soit la même propor-
tion de 23,7 pour 100. Le traitement, du moins en ce qui
concerne la loi de Meyer, est donc identique.
Mais ce qui n'apparaît nullement fictif dans la formule de
M. de Wilamowitz, c'est d'une part la prépondérance du
proparoxyton final, et d'autre part un certain rapport —
qu'il s'agira de préciser — entre le nombre des atones fina-
les et celui des atones pénultièmes. Rien ne nous empêche
de prendre ces deux indications comme point de départ
pour nos recherches. Nous examinerons donc en premier
lieu le traitement que comporte le type prépondérant des
clausules terminées par un proparoxyton.
L — Les clausules terminées par un proparoxyton.
A. Sur 1 229 clausules que comporte le texte d'Himérius,
1 Ooo sont terminées par un proparoxyton. Il est à peine
nécessaire de remarquer que cette proportion est de beau-
coup supérieure à la proportion normale ou « fréquence
linguistique » des proparoxytons. La fréquence linguistique
du proparoxyton comparée à l'ensemble des polysyllabes est
486 D. SERRUYS
d'environ 24 pour 100*. En d'autres termes, sur l'ensemble
des clausules d'Himérius, qui sont au nombre de 1 229, le
jeu normal de la langue en aurait fourni 295 seulement ter-
minées par des proparoxytons ^ ; nous en relevons, en fait,
1 055. La majoration produite du fait des partis pris rythmi-
ques d'Himérius est donc d'environ 350 pour 100.
Pour se convaincre que c'est bien au parti pris rythmi-
que — et non au vocabulaire d'Himérius — que cette majo-
ration doit être imputée, il suffit de calculer par exemple la
proportion des proparoxytons en place pénultième. Dans les
1 229 clausules étudiées, tandis que nous trouvons 1 055
proparoxytons ultièmes, nous trouvons seulement 92 pro-
paroxytons pénultièmes, c'est-à-dire que la proportion
naturelle des proparoxytons est altérée en sens inverse,
selon que l'on observe le mot final ou le mot pénultième de
la clausule : dans le premier cas elle est plus que triplée,
dans le second elle est réduite à moins du tiers.
Ainsi l'on est amené naturellement à se demander si, entre
ces deux altérations en sens inverse, il n'existe pas quelque
corrélation. Le proparoxyton final est-il incompatible avec
le proparoxyton pénultième ? Pour nous en rendre compte,
il faut restreindre notre observation aux seules phrases ter-
minées par un proparoxyton. Or, sur 1 055 phrases de ce
genre, 72 présentent une proparoxyton pénultième, soit une
proportion de 6 pour 100, représentant à peine le quart de
la fréquence linguistique. La disproportion est certes frap-
pante mais non point décisive ; il serait pour le moins témé-
i. Cf. tableau I : 2 923 proparoxytons sur 42 148 polysyllabes.
2. Ce chiffre est obtenu par la formule :
X 2923
1 229 12 148
Tous les chiffres suivants sont obtenus par des calculs analogue
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS 487
raire de conclure dès à présent à l'interdiction totale du
proparoxyton pénultième devant le proparoxyton final.
Mais, si aucune formule précise ne se dégage encore de
notre statistique, la faute en est peut-être à ce que nous
avons jusqu'ici opéré sur des catégories abstraites. Mieux
vaut, comme nous le disions tout à l'heure, n'opérer que sur
des éléments réels, classés en séries parfaitement homogè-
nes. Au lieu donc d'observer l'ensemble des proparoxytons,
distinguons soigneusement les proparoxytons à 0, 1, 2, 3,
etc., prétoniques et voyons s'ils comportent dans les claù-
sules un traitement identique.
Sur les 1 Ooo clausules terminées par des proparoxytons,
206 sont terminées par un mot du type àvôpwTuoç accentué
sur la syllabe initiale. Nous disions que, sur les 1 Ooo clau-
sules terminées par un proparoxyton quelconque, 72 pré-
sentent un proparoxyton pénultième, soit une proportion de
6 pour 100 : or, sur les 206 clausules terminées par un
proparoxyton du type av6pa)7:oç, 48 présentent un proparoxy-
ton pénultième, soit une proportion de 24 pour 100, qua-
druple de celle que nous avions constatée quand nous envi-
sagions l'ensemble des proparoxytons et exactement conforme
à la fréquence linguistique du proparoxyton. Force nous
est donc d'admettre que si le proparoxyton pénultième est
exclu devant certaines formes de proparoxytons ultièmes, il
est au contraire admis devant des proparoxytons du type
avOpa)-3ç, dans la proportion même où le fournit la langue.
Au contraire devant les proparoxytons à 1, 2, 3, etc.,
prétoniques, la proportion des proparoxytons pénultièmes
s'abaisse jusqu'à n'atteindre plus 3 pour 100. Sur 849 clau-
sules de ce genre 24 seulement présentent des proparoxytons
pénultièmes ; encore ces exemples sont-ils des plus précaires
au point de vue critique. Voici comment ils se répar-
tissent :
488 B. SERRUYS
1) Type final : yoL[xr^.'.oq : 468 clausules, 9 proparoxytons
pénultièmes (au lieu de 112)* : pp. 43, 9 (corr. \lzx(ùtaù
cf. p. 39, 8) ; 46, 38 (çuaswç est intolérable) ; 56, 39 (corr.
Sav6i7C7:ov xov jAsyav) ; 60, 19 (répétition improbable de la
ligne 14); 61, 8 (l'allitération ttôaiç TraAiv est suspecte; l'or-
dre YévYjxai xàXiv est préférable) ; 63, oO ("O^AYjpo; entre r^Biov
et (f6éYY£a6ai est certainement fourvoyé, il faut le restituer en
fin de phrase) ; 87, 3 (ti del.) ; 94, 23 (&you;a£vo; del.).
Type final : b ôdcXaiio;, équivalent au précédent : 195 clau-
sules, 5 proparoxytons pénultièmes (au lieu de 47) : pp. 64,
36 (corr. èy.aT£p(ov) ; 72, 4o (^ del.) ; 78, 26 (t^ del.) ; 82,
3 (àvaSouai?) ; 96, 17(ajiot; prouve que le verbe était pri-
mitivement au passif . Corr. xapî^?)
2) Type final : TCapsXeJasTai : 78 clausules, 5 proparoxy-
tons pénultièmes (au lieu de 18) : pp. 50, 47 ; 66, 18
(fjaewç est inintelligible) ; 76, 43 ; 93, 30 ; 95, 4 ([j.cj ne
peut se rapporter à oa-jj-wv ; cf. 93, 29 ; corr. £jj.:j complément
de xais^TQ^iaxai).
Type final : tl xuvOaveTai, équivalent au précédent : 26
clausules, 1 seul proparoxyton (au lieu de 6) : p. 68, 44
(tq Bir^yiQiJLa remplace une autre expression et l'article est
inadmissible).
3) Type final : kmd^pxyiZB-j', : 48 clausules, 1 seul pro-
paroxyton pénultième (au lieu de 11) : p. 51, 9 (corr.
TUpOTÉpWv).
Type final : xà izxpxTzlrfjix, équivalent au précédent :
19 clausules, 2 paroxytons pénultièmes (au lieu de 4,
6) : pp. 67, 2 (xw 5ir;yr^[jLax'. = glose tirée de pLj0o).oY(5v);
p. 93, 33.
Type final : \lzzol xyj; tugaew?, équivalent au précédent :
1. Les chiffres entre parenthèses sont ceux que fournirait le libre jeu
de la langue. Cf. tableau de fréquence linguistique.
PROCÈDES TONIQUES D'HIMÉRJUS 489
6 clausules, 1 proparoxyton pénultième (au lieu de 1, 4) :
p. 50, 13.
La proportion infime des proparoxytons pénultièmes, dans
les séries que nous venons d'examiner, et leur extrême fragi-
lité au point de vue critique nous autorisent certes à les
taxer d'irrégularité. Dès lors, nous pouvons résumer les
observations que nous venons de faire par la règle suivante :
« Devant un proparoxyton final, le proparoxyton pénul-
tième est exclu, à moins que le mot final ne porte l'accent
sur la syllabe initiale. »
B. La règle que nous venons de formuler a sa répercus-
sion évidente sur la répartition des atones pénultièmes de la
phrase — et partant sur leur nombre.
Le cursus de W. Meyer admet indifféremment des clau-
sules telles que o6;av krl^T^\)i'C,o\i<ll et a;'.a eTC'.Sei'SaaGs, xpwxov
oiaAéYsaOai et xàXX'.a-rov M{fri\xoL. En vertu de la règle que
nous venons de formuler, Himérius n'admet, lui, que la
1'^ et la 3' de ces formes, tandis qu'il rejette la 2^ et la 4^
Il en résulte que si Himérius a eu, par rapport au nombre
des atones pénultièmes, un parti pris identique à la loi de
Meyer, il ne disposait pas, pour l'appliquer, des mêmes res-
sources.
D'ailleurs Himérius s'est-il préoccupé du nombre des
atones pénultièmes de la phrase, comme il se préoccupait
de leur répartition ? C'est ce dont nous pourrons nous ren-
dre compte, en étudiant le traitement qu'il réserve, devant
un proparoxyton final, aux paroxytons et oxytons pénul-
tièmes.
tPour que l'on puisse du premier coup d'œil apprécier, en
nction de la fréquence linguistique, les chiffres relevés
mr chacun des types pénultièmes, dans le texte d'Himé-
490
D. SERRUYS
tés, ceux que ferait attendre la proportionnalité normale de
la langue.
FINALES
PÉNULTIÈMES
TOTAL
DES
clausules.
PAROXYTONS
OXYTONS
avOpcarco;. . .
Yafx/îXio;. . .
ô GâXajxoî. . .
TcapeXeucjcTat. . .
ei ;ïuvOav6Tai. .
èv TOÎ; aXdîat. .
iTçiacppaY^STai. .
xà 7capa;rXrJaia..
TUpô; Tr)v UTToOsaiv.
[jLSTà xt]; TidXstoç.
•
•
■
•
438(> 99)
396 (> 226)
464 (> 95)
) 48« 38)
8« 42)
1 44(> 23)
46(> 9)
^O 2)
) 5(> 2,9)
1
20 « 56)
63 «424)
29« 53)
58(> 24)
47(> 7)
4
3« 43)
i« S)
0« 4)
0« 4,6)
206
468
495
78
26
4
48
49
4
6
Un rapide coup d'œil jeté sur ce tableau suffit à démontrer
que les préférences d'Himérius pour le paroxyton ou l'oxy-
ton pénultième alternent d'après le nombre des prétoniques
du mot final. Réservons, pour le moment, la catégorie des
clausules terminées par un mot accentué sur la syllabe ini-
tiale (type àv8p(i)-o;) qui, comme nous l'avons vu au sujet
de la règle énoncée au paragraphe précédent, peuvent être
l'objet d'un traitement particulier.
Pour les autres finales, à 1 , 2 et 3 prétoniques, les préfé-
rences d'Himérius se reconnaissent aisément. Il recherche
les formes pénultièmes qui fournissent les atones pénultiè-
mes de la phrase en nombre pair. La majoration de ces for-
mes par rapport à la fréquence linguistique varie entre 150 et
300 pour 100. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que
les clausules préférées d'Himérius sont précisément les seules
^dmises par les stylistes byzantins,
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS 491
Devant les formes finales accentuées sur la syllabe ini-
tiale, le traitement est, il est vrai, différent. Cette diffé-
rence n'est pas pour nous surprendre, puisque nous avons
déjà constaté que ces formes sont les seules qui admettent les
proparoxytons pénultièmes, dans la mesure même où les
fournit la langue. De même, au point de vue du nombre des
atones pénultièmes de la phrase, les clausules terminées par
un mot accentué sur la syllabe initiale se distinguent encore
des autres catégories. En effet devant le type avôpwxc;, la
forme pénultième avantagée est celle qui fournit les atones
pénultièmes en nombre impair. Et par là le système d'Himé-
rius s'oppose manifestement au cursus byzantin.
Des faits que nous venons d'examiner, une conclusion se
dégage aisément : Himérius a, en ce qui touche le nombre
des atones pénultièmes de la phrase, des préférences mar-
quées et ces préférences varient, en fonction des atones pré-
toniques dumot final. Cette constatation, on le remarquera,
est exactement inverse de celle formulée par M. de Wila-
mowitz, qui subordonnait le nombre des atones pénultièmes
à celui des posttoniques du mot final.
Si maintenant nous nous efforçons de systématiser les
diverses catégories de faits acquis par l'examen des clausules
terminées par un proparoxyton, nous aboutissons à la con-
clusion suivante :
Himérius a deux espèces de partis pris :
1" L'un de nature verbale (répartition des atones pénul-
tièmes), qui peut se formuler comme suit : Les proparoxy-
tons pénultièmes sont proscrits, à moins que le mot final ne
soit accentué sur la syllabe initiale ;
2" L'autre, de nature rythmique (nombre des atones
pénultièmes), qui peut se formuler comme suit : Le nombre
des syllabes atones qui précèdent l'accent final de la phrase
492
D. SERRUYS
ou de l'incise est de préférence pair, lorsque le mot final
présente une ou plusieurs prétoniques, impair, si le mot final
est accentué sur la syllabe initiale.
II. — Clausules terminées par des paroxytons.
La proportion de ces clausules est très inférieure à la fré-
quence linguistique des mêmes combinaisons. Alors que la
langue, sur un total de 1 229 clausules, en fournirait 595 ter-
minées par des paroxytons, nous en relevons seulement 131.
La proportion naturelle est donc réduite au quart.
On conçoit aisément que la statistique qui opère sur des
chiffres aussi restreints est nécessairement précaire : c'est
donc surtout par analogie avec les faits observés dans d'au-
tres catégories, que nous pourrons apprécier les éléments
réunis dans la catégorie des clausules terminées par un
paroxyton.
Nous bornerons du reste notre examen aux séries de
faits les plus nombreuses, négligeant celles qui ne compor-
tent qu'un ou deux exemples, lesquels d'ailleurs peuvent
provenir d'altérations du texte.
FINALES
PÉNULTIÈMES
TOTAL
DES
clausules.
PROPAROXYTONS
PAROXYTONS
OXYTONS
Xe'YO). . . .
Xa{jL6àvco. . .
ô Xoyo;. . .
xf'ç 6aXàxx75ç. .
7(> 6)
' 2« 7)
\ 2«l5)
2
1 I
l/i(>12)
20(> i4)
53(>29)
3
I
A« 7)
8(= 8)
5«i6)
I
25
3o
6o
Pour autant que l'on puisse étayer des conclusions sur des
f>ilOGÈDÉS TONIQUES D'HIMÉRIÛS 493
chiffres aussi faibles, il semble bien que les partis pris
d'Himérius pour les clausules terminées par un paroxyton
sont les mêmes que pour les clausules terminées par un propa-
roxyton.
Au point de vue verbal, les proparoxytons pénultièmes
sont proscrits, à moins qu'ils ne précèdent un mot portant
l'accent sur la syllabe initiale. On remarquera que les exem-
ples de proparoxytons pénultièmes (pp. 82, 13 ; 83, 45 ; 65,
27; 93, 40 ; 75, 9 ; 68, 1 ; 39, 30) représentent une propor-
tion de 7 pour 100 légèrement supérieure à la proportion des
mêmes formes observées dans la catégorie des clausules ter-
minées par un proparoxyton (3 pour 100). Mais ces exem-
ples ne sont guère solides au point de vue critique, l'un
d'eux, p. 93, 40, est même une conjecture d'éditeur.
Au point de vue rythmique, nous constatons, comme pré-
cédemment, une préférence marquée par les atones pénul-
tièmes en nombre pair, à moins toutefois que le mot final
ne porte l'accent sur la syllabe initiale. Pour le type final
AapLoavd) et pour le type correspondant c Xoyoç la majoration
des paroxytons pénultièmes, qui peuvent seuls fournir l'in-
tervalle tonique pair, est manifeste. Au contraire pour le
type final à^avi^w et pour le type équivalent zf^q OaXai-nQ; le
nombre des exemples est si réduit qu'il y a lieu de les éplu-
cher. Pour cette catégorie de clausules nous relevons un seul
oxyton pénultième (p. 72, 15) et quatre paroxytons pénul-
tièmes (pp. 53, 23; 69, 51 ; 87, 43 et 91, 47). L'oxyton
pénultième, qui seul fournit l'intervalle pair, est inattaqua-
ble au point de vue critique. Quant aux quatre paroxytons
qui fourniraient un intervalle de trois atones pénultièmes,
ils sont, tous quatre, fictifs ; p. 87, 43, il faut lire xà gaXavsTa
comme le prouve l'expresse parallèle xo Auxeicv, à la ligne
Irécédente; p. 91, 47, Srj^YjYopoç est une glose tirée de l'in-
be suivante; p. 53, 23, les mots yj xw UuHcù veaviaxw forment
494 D. SERRUYS
une métaphore lyrique empruntée sans doute par Himérius à
quelque ode perdue dePindare ou de Bacchylide; p. 69, 51.
les mots Xoyioiç OscTç ï'^.{/d t£ x,ai [xeAiQaci constituent la fin d'un
tétramètre iambique catalectique, avec césure régulière. On
voit par là avec quelle prudence il faut opérer, lorsque les
chiffres de la statistique sont trop réduits.
III. — Clausules termiiiées par un oxyton.
A cause de l'écueil que nous venons de signaler, nous
n'observerons dans la catégorie des clausules terminées par
un oxyton que le seul type pour lequel nous ayons relevé un
nombre suffisant d'exemples: le type final y.aipôç, et le groupe
équivalent -i aa. Devant ce type final, nous trouvons
20 paroxytons, 4 oxytons et 1 seul proparoxyton pénultième.
L'exemple du proparoxyton pénultième, p. 75, 6, est cer-
tainement altéré. La place normale de èyo) est après toutov, et
l'on ne saurait hésiter à effectuer la transposition. Au lieu
des 6 exemples que ferait attendre la fréquence du propa-
roxyton dans la langue, nous ne relevons donc qu'un seul
exemple, bien précaire au point de vue critique, et nous
sommes autorisés dès lors à admettre que devant un mot final
oxyton, comme devant les autres finales, le paroxyton pénul-
tième est proscrit par Himérius. i
Au point de vue du nombre des atones pénultièmes, nous*
constatons une fois de plus une prédilection marquée pour
l'intervalle pair.
Le cas particulier des formes finales accentuées sur la
syllabe initiale ne se pose pas dans cette catégorie.
En somme, que le mot final soit proparoxyton, paroxyton
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS 498
OU oxyton, les partis pris toniques d'Himérius demeurent
invariables. Ce n'est donc pas, comme le croyait M. de
Wilamowitz, du nombre des posttoniques du mot final que
dépend le traitement des clausules. Bien au contraire, ce
sont \q^ prétoniques du mot final qui jouent le rôle d'élément
régulateur.
En effet, tout le système d'Himérius peut se résumer
comme suit :
l*' Le proparoxyton pénultième est proscrit lorsque le mot
final présente une ou plusieurs prétoniques ; il est admis
lorsque le mot final est accentué sur la syllabe initiale.
2** Les atones pénultièmes de la phrase ou de l'incise sont
de préférence en nombre pair lorsque le mot final présente
une ou plusieurs prétoniques ; de préférence en nombre
impair — ou si l'on veut réduites à l'unité — si le mot final
est accentué sur la syllabe initiale.
Peut-on prétendre que ces deux formules constituent un
système ? Elles représentent plutôt des procédés toni-
ques chers à Himérius et appliqués par lui, l'un avec cons-
tance et rigueur, l'autre avec prédilection mais sans con-
trainte.
Ce qui peut particulièrement nous intéresser dans ces
deux formules, ce sont les préoccupations qu'elles ré-
vèlent.
La préoccupation verbale — ou, si l'on veut, la notion du
groupement des atones autour de la tonique — apparaît
clairement : c'est elle qui interdit la répétition en place
pénultième du proparoxyton, privilégié en place finale ; c'est
elle surtout qui explique le rôle des prétoniques dans le trai-
tement des clausules.
La préoccupation rythmique, d'autre part, se révèle dans
la recherche d'un intervalle d'atones pénultièmes pair,
496 i). SÈRÎltJYS
lorsque le mot final a une ou plusieurs prétoniques et impair
lorsque le mot final porte l'accent sur la syllabe initiale.
Cette distinction dérive sans doute du souci d'équilibrer
l'intervalle pénultième avec l'étendue du mot final.
De ces deux préoccupations la dernière seule subsiste dans
le cursus byzantin, encore y est-elle singulièrement sim-
plifiée.
Si l'on compare les procédés d'Himérius avec le cursus
byzantin tel qu'on le trouve appliqué dès la fin du iv^ siè-
cle chez Thémistius et chez Choricius de Gaza, on s'aperçoit
que chez ces derniers la préoccupation verbale a totalement
disparu. La répartition des atones pénultièmes est indiffé-
rente, leur nombre seul importe.
D'ailleurs la préoccupation rythmique, qui provoque la
recherche d'un nombre déterminé d'atones pénultièmes,
s'est elle-même simplifiée. Des procédés toniques d'Himé-
rius, un seul survit — qui d'ailleurs devient général et
rigoureux, — c'est la recherche d'un nombre pair d'atones
pénultièmes ; encore cette formule unique s'élargit-elle et
les auteurs peu soigneux se contentent de séparer les deux
derniers accents de la phrase ou de l'incise, par deux atones
au moins.
De la notion ancienne de la répartition des atones, de
la recherche d'un équilibre entre le nombre des atones
pénultièmes et l'étendue du mot final, rien ne subsiste.
\Jintervalle qui sépare les deux derniers accents de la
phrase concentre seul l'attention, et Psellus le considère
comme constituant « le chant du langage » : èait StaXéxxou
[aIXoç XCÏ3V Tt SiaffxyjtJLa èv Siaçopoiç juXXaoaT; [3apuTOVOuiJt.evov \
1. Rhetores graeci, éd. Walz, t. V, p. 589, 1. 45-46.
PROCÉDÉS TONIQUES D'HIMÉRIUS
497
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Antoine THOMAS
NOTES LEXICOGRAFIQES
SUR
LA PLUS ANCIÈNE TRADUCCION
LATINE
DES EUVRES D'ORIBASE
NOTES LEXICOGRAFIQES
SUR
£LA PLUS ANGIÈNE TRADUCCION LATINE
DES EUVRES DORIRASE
Par Antoine Thomas.
L'édicion des euvres du médecin grec Oribase ('Opetéàaioç),
antreprise par les docteurs Bussemaker et Daremberg et ter-
minée par Auguste Molinier, se conpose de sis volumes,
parus de 1851 à 1876 ^ Les pajes 799-927 du tome cin-
qième et 2-626 du tome sisième sont ocupées par des textes
latins apartenant à deus traduccions distinctes. La plus
anciène de ces deus traduccions et la seule dont il sera ges-
tion ici. Je ranvoie aus indicacions d'Auguste Molinier sur
l'époqe et la provenance de cète traduccion et sur les con-
dicions dans les qèles èle nous et parvenue -. On sait qe le
manuscrit le plus ancien, conservé à la Bibliotèqe Nacionale
de Paris sous la cote : latin iOS33 (jadis : suplément latin
62i) et (pour 18 feuillets sur 40 qi an ont été arachés) à la
1. (Euvres d' Oribase. Paris, J.-B. Baillère et fils. Les tomes 1 à 4 ont
paru de 1851 à 1864. Bussemaker étant mort an 1865 et Daremberg an
1872, les tomes 5 et 6 n'ont paru q'an 1873 et 1876. Le dernier et dû aus
soins d'Auguste Molinier, dont le nom figure sur le titre.
2. (Euvres d'Oribase, t. 6, p. 3^vi.
504 A. THOMAS
Bibliothèqe de Berne, sous la cote : miscell. F Si 9, remonte
au sétième siècle ^ La traduccion èle même apartient vrai-
sanblablemant au comancemant du sisième, et a été exécu-
tée an Italie, peut-être à Ravenna, ou dans le voisinaje de
cète vile ^.
Depuis la publicacion de Molinier, un fait d'une certaine
inportance s'êt produit. Le manuscrit de la colleccion
Ashburnham, sur le qel l'éditeur avait doné qelqes indica-
cions précises, mais q'il n'avait pu utiliser d'une manière
constante, et venu prandre place sur les rayons de notre
Bibliotèqe Nacionale, où il porte la cote : nouv. aq. lat.
i6i9^. Toutes les fois qe cela m'a paru nécessaire, j'ai u
recours à ce manuscrit. Il a été particulièremant précieus
pour conbler la grande lacune qi existe dans le ms. lat.
i023S par suite de l'arachemant de 40 feuillets dont ce der-
nier a été victime, lacune qi conprand la fin du livre IV,
tout le livre V et une partie du livre VI de la Synopsis
d'Oribase. Le ms. lat. 9333, utilisé par Molinier, qi l'atri-
bue au comancemant du neuvième siècle, n'êt le plus sou-
vant q'une copie du manuscrit Ashburnham, le qel et anté-
rieur d'anviron un siècle.
4. Molinier précise trop an disant (p. xxiv) qu'il êtdificile d'an reculer
l'exécucion plus loin qe le premier tiers du sétième siècle (630 ou 640).
A plus forte raison faut il se défier des « juges des plus compétents » dont
il parle, qi voient dans ce manuscrit un modèle extrèmemant pur de la
plus bêle onciale du sisième.
2. Molinier incline à croire qe la traduccion pourait être antérieure à
480 et qe les allusions à la langue des Gots (à propos de la plante dite an
français guède ou pastel) seraient des gloses marjinales postérieures intro-
duites par mégarde dans le texte ; mais à qoi bon cète ipotèse ? L'orijine
italiène de l'euvre et indiqée par Molinier et sera confirmée plus loin par
l'étude lexicografiqe. Cet moi qi précise an ajoutant : « peut-être à Ra-
venna ». Je me fonde sur ce passaje : « Emplastrum immotura, quem accepi
a Martyrio arciatro Ravenna » (Oribase, t. V, p. 895).
3. Voir L. Delisle, Catalogue des nus, des fonds Libri et Barrois (Paris,
Champion, 4888), p. 88-89.
NOTES LËXICOGRAFIQES SUR ORIBASE SOS
Il va de soi qe, dans les pajes qi suivent, je n'ai pas la
prétancion de relever toutes les particularités lexicografiqes
notables de la traduccion d'Oribase. Come on s'an apercevra
facilemant, mon atancion s'êt portée de préférance sur les
mots ou formes qi paraissent être d'orijine populaire et qi,
à ce titre, intéressent la fase anciène de l'évolucion dont les
langues romanes ofrent aujourdui le terme aus ieus de
l'observateur. Toutefois, chemin faisant, j'ai noté aussi qel-
qes mots curieus à d'autres titres, mots qi sanblent avoir
échapé jusq'ici à l'atancion et qi devront être désormais
admis dans les diccionaires latins ^
AcMsioLA, s. f., pustule.
Donec acrisiolas aut pustulas uel exanthemata surgant (Oribase, tome VI,
p. 362, 1. 5 ; ms. lat. 10233, fol. 252 v», 1. 6 d'an bas).
Au lieu de: acrisiolas^ les mss. n. a. lat. 1619^ et lat. 9332
portent : agressiolas. Je n'ai rien de satisfaisant à proposer
pour l'étimolojie de ce mot, qe son aspect ratache à la
langue populaire, mais qe les langues romanes ne sanblent
pas avoir conservé. Il mérite d'autant plus d'être signalé
qe les auteurs du Thésaurus linguae latinae an cours de
4. Hermann Hagen a publié an 1875 un mémoire intitulé : De Oribasii
versione latina Bernensî commentatio, q'il a réinprimé dans son recueil
paru à Berlin, chés Calvary, an 1879 : Zur Geschichte der Philologie und
zur Rômischen Litteratur, p. 243-311. On i trouve, p. 299-303 de la rein
pression, deus listes alfabétiqes intéressantes, mais sans commantaire, la
première consacrée aus « vocabula Graeca vel a Graecis derivata », la segonde
aus « voces Latinae notabiles ». Aucun des mots qe j'ai relevés ici ne
figure dans les listes de Hagen, les qèles ne portent qe sur les 18 feuillets
de Berne.
2. Fol. 198*', 1. 4 d'an bas. Voici le texte exact, idantiqe (à une lètre
près) à celui du ms. lat. 9332, dont Molinier a doné les variantes par raport
au ms. lat. 10233 : « donec agressiolas aut pustolas uel exantematas pur-
gant. »
506 A. THOMAS
publicacion, bien q'ils fassent état de notre traduccion, l'ont
laissé échaper.
Bernicaria, s. f., et Bernigarion, s. n., variété de soude.
Trociscos ad scabias : litharguira, calce viva, psimithia, bernicaria (Ori-
base, t. V, p. 9i0, art. 42 ; ms. lat. 40233).
Afronitrus et bernicarion (Oribase, t. VI, 239, 1. 5 ; ms. lat. i0233. —
Cf. le texte grec, t. V, p. 431, l. 12: ô xou vtTpoy â^pôc xalxo 6ep£vixetov).
Le mot n'êt pas relevé dans le Thésaurus linguae latinae ;
il manqe aussi dans Du Gange, mais il figure à plusieurs re-
prises dans le Corpus glossariorum latinorum. M. Goetz
a cru à tort q'il se ratachait au latin vermis : de là un article
vermicarium introduit dans son Thésaurus glossarum emen-
datarum, et où sont confondus deus mots diférants. Je me
permets de ranvoyer à l'article qe je viens de publier dans la
Romania (juillet 1908, p. 432), pour conpléter un mémoire
de M. W. Foerster, réçamant paru, et où l'ital. vernice
et ses conjénères sont ramenés au nom de vile Bérénice,
Bep£v{x73 (Z. /. rom. PhiloL, XXXIII, 338).
BuRSELLA, forme dissimilée, pour hulsella, vulsella, vol-
sella, pince.
Sanguinem caprunum miscis cura mel, et evellis cum bursella pilos
adultères (Oribase, t. VI, p. 543, 1. 9 ; ms. 10233).
Si aliquid intixum est, cum bursella est tollendum. Quod si in palphebra
fuerit infixus, ubi cum bursella fuerit sublatus, lacté muliebri est oculus
inrigandus (Oribase, t. VI, p. 549, 1. 7 de l'art, lxxiiii).
A raprocher de scarpellum, cité plus loin . Bursella figure
d'ailleurs, avec un ranvoi à volsella^ dans le Thésaurus
linguae latinae.
Carpia, s. f., charpie.
Postea vero nervus nudus se bestierit, mutariis, id est carpias, deforis
inponi oportet de aliquo medicamen (Oribase, t. VI, p. 158, 1. 14, d'an
NOTES LEXICOGRAFIQES SUR ORIBASE S07
bas ; ms. lat. 10233, fol. 154. — Cf. le texte grec, Oribase, t. V, p. 363,
1. 3: [xexà 8è to axejiaaô^vat xô Ysy'^JJ.vtop.evov veupov toÎç [xdxoiç 7î£pt6aXXe'.v
ïÇweev Se? tu..).
Nous avons là le plus ancien exanple du latin médical car-
pia, qi a fait une bêle fortune. Pour randre la même idée,
le grec an ploie non seulemant (jlotoç et [xciàpiov, mais tiX(jl6ç,
TtXiia et T'.X[jLaTtov , dérivés du verbe tiXXw « aracher brin à
brin » . TO^Xw a come correspondant sémantiqe le lat. carpo :
il et manifeste qe le subst. carpia a été tiré du verbe carpo,
mais l'anploi du suffixe -ia pour cète dérivation et étranje.
Je suis porté à voir dans carpia le plus ancien exanple cons-
taté par un texte du suffixe populaire -ia, acçantué sur l'i,
dont l'orijine reste ancore an partie misté rieuse. Et pourtant
ce suffixe ne s'atache ordinairement q'à des tèmes nominaus,
et les nouveaus noms q'il sert à former dans les langues ro-
manes ont toujours un sans abstrait. An tout cas, le franc.
charpie ne doit plus être considéré come un subst. partici-
pial issu du verbe charpir, mais come le représantant du
latin médical carpia^.
GoTïTRiTURA, S. f . , lésion.
Cerotum dia tessaron. Facit ad scorticaturas et omnes percussuras vel
contrituras (Oribase, t. V, p. 861, art. 42 ; ms. lat. 10233).
Des trois mots en -ura qe ranferme ce passaje, perciissura
et le seul q'anrejistrent les diccionaires latins. A noter qe
Gargilius Martialis anploie le simple tritura dans le sans de
contritura. Je reviendrai plus loin sur scorticatura.
1. Le caractère de subst. participial ne peut être pourtant dénié à cer-
taines formes du prov. mod. tèles qe carpit, escarpido, etc. Le marseillais
charpie représante un ancien *charpia, influencé par le franc, charpie. —
Notons an passant qe notre traducteur anploie le partie, carpitus au lieu
du classiqe carptus : « in linteo carpito subtile » (Oribase, t. VI, p. 356,
1.8).
508 A. THOMAS
CoRNULiuM, S. n., cornouille.
Quae minus nutriunt... noces, cornulia, prumnia, robi (Oribase, t. VI,
p. 42, 1. 4 d'an bas ; ms. lat. 10233 i. — Cf. le texte grec, t. V, p. 463, 1. 25 :
xpâva, Tîpoufiva, pàxtva).
On expliqe couramant le franc, cornouille corne prove-
nant d'un tipe *cornucula ; il faut an revenir et admètre qe
le diminutif cornulum a été alonjé an cornulium, d'où cor-
nulia, pluriel neutre transformé bientôt an féminin singu-
lier. Cf aculeus et manuleus an latin classique.
Effersura, s. f., inflammacion (causée par une brûlure),
échauboulure.
Emplastrum dia psimithium ad scabiosos et ad conbustos et ad effersu-
ras ignitas (Oribase, t. V, p. 895, 1. 44 d'an bas ; ms. lat. 40233).
Effersura supose un participe passé effersus, du verbe
effervere. Cet un témoignaje intéressant de l'extansion de
la formacion participiale an -sus, qi n'apartient primitive-
mant q'aus verbes dont le tème et an -d et an -t : ardere
arsus, vertere versus, etc., mais qe le latin classiqe utili-
sait qelqefois ailleurs: spargere sparsus, etc^. Fersus se
trouve dans un recueil de procédés tecniqes rédijé an Italie
au comancemant du neuvième siècle, sinon plus tôt^: il
a survécu dans le réto-roman fers et fiers « bouillant » . An
some, effersura et moins barbare qe fervura, qe douent les
diccionaires latins courants.
ExERCiDiuM, s. n., exercice.
Ante exercidium (Oribase, t. V, p. 802, 1. 26). — Communis est cor-
4. Le ms. de Laon écrit cornolias.
2. De sorbere le latin vulgaire a formé de même sorpsus (au lieu de
sorptus), de solvere, solsus (au lieu de solutus), de volvere, volsus (au
lieu de volutus), etc.
3. Colas post tota fersa (Muratori, Antiq. Italicx, II, col. 374).
NOTES LEXIGOGRAFJQES SUR ORIBASE S09
pori in omni re exercidium (ibid., 1. 2 d'an bas). — Vehemens exerci-
dium(t. y, p. 803, 1. 2). — Horum similes exercidia (ibid., 1. 43). —
Gonfestim ah exercidio jubet declinare (ibid., 1. 9 d'an bas), etc., etc.
Tous ces exanples viènent du ms. lat. 10233, leqel anploie
concurramant la forme classiqe exercitium. On ne peut
expliqer la forme exercidium ni par une erreur de grafie
du scribe, ni par une évolucion fonétiqe de la forme clas-
siqe exercitium. J'i vois une substitucion de désinance dont
le point de départ remonte probablemant à l'existance d'un
groupe assés nonbreus de mots an -idium, tels qe excidium,
exscidium, homicidium, obsidium, parricidium, subsi-
dium, etc.
ExPELLiTivus, Repellitivus, adj., détersif.
Qui ex betis est sucus expellitibus est (Oribase, t. Vl, p. 25, 1. 7 ; ms.
lat. 10233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 173, 1. 14: ô Iv toT; -ceÛTXotç y^uXoç
purrtxd; èoii.)
Panes tridicei... ioriorihus repellitivam birtutem participant (Oribase,
t. VI, p. 29, 1. 11 d'an bas; ms. lat. 10233. — Cf. le texte grec, t. V, p.
176, 1. 23 : puTTCix^S 8uvâ{jL£(oç {xsTs'/^eiv tô TCiTupov).
Expellitivus et repellitivus, mots nouveaus, sont double-
mant intéressants : ils atestent une fois de plus l'extansion
dans la langue vulgaire du suffixe -ivus, et, surtout, ils nous
montrent (\epellere, à côté du participe classiqe ^w/5i<5, s'êt
doné un participe an -itus : cf. * fallitus, à côté de falsus ;
*tollituSy à côté de sublatus. Il et probable, d'après ces
raprochemants mêmes, q'il s'ajit d'un participe fort an -îtus,
et non d'un participe faible en -Itus. Gepandant le provan-
çal possède le verbe espelir « éclore », qi sanble bien ates-
ter l'existance an latin vulgaire de *expellire, pour expellerCy
et l'ipotèse d'un participe faible ""pellltus peut être admise
parallèlemant.
Fetinus, adj., de brebis.
Gala Greci lactem dicunt... post haec scrofinus aut caprinus aut aequi-
810 A. THOMAS
nus aut baccinus aut asininus aut fetinus (Oribase, t. VI, p. 472 ; ms.
lat. 10244, fol. 38, 1. 12. - Cf. ms. n. a. lat. 1619, fol. 29, 2^ col., 1. 12
d'an bas : Galla Greci lactis dicunt... posthaec scrouinos aut caprunus
aut aequinus aut vaccinus aut aseninus aut fetinus).
La signification de fetinus, qe le contexte sufirait à faire
deviner, et précisée par le texte grec d'Oribase, t. V, p. 606,
1. 27: « £1 Se [JLYj alyoç y; Ixirou y; êooç y; ovoj yj izpoBà'zou. » Cet
adjectif fetinus supose nécessairemant la spécialisacion du
substantif participial fêta au sans de « brebis mère » dès le
sisième siècle. Ce sans et bien conu par le témoignaje des
parlers romans ; je me borne à ranvoyer à Diez et à l'article
fêta du Lat.-rom. Wà'rterb. de M. Kôrting.
FiLicA, s. f., foujère.
Extrahit os fracta aut corrupta et surculos et spinas infixas et sagittas
et cannas et filicas (Oribase, t. V, p. 853, 1. 22 ; ms. lat. 10233).
La substitucion, an latin vulgaire, de la désinance -ica à
la désinance -ioR.(^-ex) -icis et un fait conu, dont M. Meyer-
Lùbke a cité plus d'un exanpie*. A côté de *junica, *po-
mica, *pulica, *saiica, *ulica ei*vitica^, M. Meyer-Lùbke
mancione précisément (sans référance textuèle) notre forme
*filica, q'il apuie sur le témoignaje du patois daufinois/wozo.
Q'il me sufise de dire qe d'une comunicacion écrite de
M. l'abé Devaux, recteur de l'Université catoliqe de Lyon,
et de l'étude de la carte 600 {fougère^ de \ Atlas linguis-
tique de MM. Gilliéron et Edmont, il ressort clairemant qe
le domaine actuel de p.lica s'étand sur la plus grande partie
de la réjion franco-provançale et sur les confins français et
provançaux de cète réjion ^
1. Gramm. des lang. rom., t. II, § 17.
2. Aus qelson peut joindre *p/ca, d'où le prov. pega.
3. Cf. l'observacion qe j'ai faite à ce sujet an randant conte de la tèse
française de M. l'abé Devaux dans les Annales du Midi, anée 1892, p. 399.
NOTES LEXIGOGRAFIQES SUR ORIBASE 511
FuNGiDus, adj., fongueus.
Ficus non similiter aliis pomis nutrit, sed fungidas carnes facit (Ori-
base, t. VI, 13, 1. 8 j ms. lat. 40233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 464, 1. 44 :
aofxçcoST) TîoiEÎ T7)v (jotpxa).
Gaia, s. f., pie.
Cissa ab antiquis nomen accepit... Alii ad similitudinem avis qua Greci
cissa vocant, Latini gaiam dicunt : ut enim illa pinnarum varietate dis-
tincta adque voce mitisona esse perhibetur, non aliter haec passio varies
desideriorum ingerit formas (m s. n. a. lat. 4649, fol. 66, 2» col., 1. 7; cf.
Oribase, t. VI, p. 48 i.)
Tout le monde et d'acord pour reconaître la pie dans
Toiseau apelé an grec xiaaa ; donc le latin vulgaire gaia a le
même sans pour notre traducteur. L'espagn. gaya et l'ital.
dialectal gam, gaggia, gaza, représantants fonétiqes régu-
liers du lat. vulg. gaia, conservent fidèlemant ce sans, qi et
aussi celui de l'ital. litéraire gazza(sL\ec zz sonore), mot qe
Nigra considère come anprunté par le toscan aus dialectes
plus septantrionaus ^. Le témoignaje de Papias (1053), qi
glose gaia par pica^, remonte donc à une saine tradicion
dont notre traducteur nous révèle le fondemant pour une
époque antérieure de plus de cinq çants ans. An some, dans
l'istoire positive du latin vulgaire, gaia « pie » done la main,
ou peu s'an faut, à gains « jai », qe nous a transmis Pole-
mius Silvius*.
Gambarus, s. m., écrevisse.
Gambaros fluviatiles ustos (Oribase, t. V, p. 858, 1. 30 ; ras. lat. 40233).
4. Ce passaje manqe dans le ms. lat. 10233 par suite de la disparicion
des feuillets dont il a été qestion ; les éditeurs l'ont publié d'après le
ms. lat. 9332, qi n'êt qe du neuvième siècle ; je le done d'après le ms.
Ashburnham, qi n'ofre d'ailleurs que des variantes sans inportance.
2. Zeitschr. f. rom. Philol, XXVII, 444.
3. Ibid., XXVII, 440.
4. Romania, XXXV, 474.
512 A. THOMAS
Astaci, paburi, gambari et alia queque talia que a Grecis malacia vo-
cantur (Oribase, t. VI, p. 12, 1. 5 ; ms. lat. 40233). Etc., etc.
La forme classiqe et cammarus, du grec xà[x{xapoç ; les
manuscrits donent souvant gammarus. Mais l'ital. gam-
bero, l'esp. gàmbaro et le prov. gambre postulent un tipe
latin vulgaire gambarus, dont M. Kôrting, dans son Lat.-
rom. Worterb., a fait avec raison une tête d'article ; il et
inutile maintenant de faire précéder cette forme d'un asté-
risqe. D'ailleurs on avait déjà un témoignaje ancien de la
substitucion de ryib à mm dans cète remarqe du grammai-
rien Caper: cammarus, non cambarus^.
Gargarizius, s. m., gargarisme.
Si pinguis flegma fuerit, gargarizius est adhibendus (Oribase, t. V, p.
827, 1. 8 d'an bas; ms. lat. 40233).
Partout ailleurs le ms. lat. 10233 anploie la forme clas-
siqe gargarismus. Qèle valeur convient il d'atribuer à cet
ài:a5?0n peut, je crois, i voir un subst. verbal tiré de gargari-
zare^ souvant écrit gargaridiare^ conformémant à la pro-
nonciacion populaire du "C, grec dans les payis de langue
latine. On sait qel dévelopemant a pris ce procédé de déri-
vacion dans les langues romanes ^ : les verbes en -izare
(^-idiare) i ont fourni un notable continjant^ et il et intéres-
sant de trouver un témoignaje aussi ancien de l'anploi de ce
procédé avec un verbe de cète série. Bien qe gargarizare
ne se soit pas anraciné dans la langue populaire, gargari-
zius peut être considéré come l'ancêtre des mots français
tels que charoi, octroi^ tournoi, dont le nonbre était beau-
coup plus considérable au moyen âje qe de nos jours.
4. Cité dans le Thésaurus ling. lat., art. gammarus.
2. Un autre exanple sera cité plus bas, celui de sternutus.
3. Cf. Meyer-Lubke, Gramm. des l. rom., t. II, §400.
NOTES LEXICOGRAFIQES SUR ORIBASE 513
Grunium, s. n., groin.
Meliores sunt pedes porcini de grunia (Oribase, t. VI, p. 45, 1. 49 : ms.
lat. 10233, fol. 426 v», ; ef. le texte grec, t. V, p. 165, 1. 28 : PeXxc'ou;
01 TioSs; TÔJV uwv zloi TO'j puyy^ou;).
Cibos accipiant... de ungulas porcorum et cronm (Oribase, t. V, p. 294,
1. i2; ms. 247 ; le ms. lat. 9332, porte: gronia).
Il et clair qe notre traducteur conaît un mot vulgaire
grimium, idantiqe, come sans et corne forme, à l'ital.
grugno, au prov. gronh, au franc, groin. On ramène abi-
tuèlemant les mots romans à un subst. tiré du verbe latin qi
signifie « grogner » et dont la forme flote antre grundire et
grunnire, soit *grundium ou *grunnium. Si l'étimolojie et
exacte, pourqoi ne trouvons nous pas les groupes -nn- ou
-nd- dans les manuscrits ? Il et dificile de répondre à cète
objeccion, et non moins dificile d'admètre qe grunium soit
sans raport avec le verbe an qestion.
GuRGUs, s. m., fluctuacion, gargouillemant.
Ventris temperantia hoc modo cognuscitur... Si satis biberint, gravan-
tur et in ventre gurgus faciunt (Oribase, t. VI, p. 83, 1. 48 ; ms. lat. 9332,
fol. 55» ; cf. le texte grec, t. V, p. 254, 1. 4 : « sî... papùvotvco xtji TtXei'ovt
xa\ xXuBcavaç S)(^oiev »).
Gurgus et une variante de gurges dont on n'avait qe des
exanples du moyen âje *, mais dont on admétait d'ores et
déjà l'existance an latin vulgaire pour expliqer l'ital. gorgo^
le prov. anc. gorc (mod. goure, gourg, etc.), et l'anc. franc.
gort (qi a dû être primitivemant *gorc), conservé jusq'à
nos jours par beaucoup de patois.
4. Voir l'art. Gurges de Du Gange. On trouve le fém. gurga chés les
arpanteurs, d'où l'ital., esp. et prov. anc. gorga (avec o fermé), prov.
mod. gourgo. Le franc, gorge (avec o ouvert) et ses conjénères doivent
être tenus à part de la famille gurges, gurgus, gurga ; an revanche, il et
à peu près sûr qe notre mot gargouille an fait partie.
33
514 A. THOMAS
JosANUs, JusANUs, adj., inférieur.
In bracio sunt très venae quae flevotomantur... tertia inferior, gubito
proxima, que àicitur jossana. — Ex bracio, vena jossana, que cubito
proxima est, auferendus est sanguis. — Josana flevotomatur quecumque
sub cervicibus surgunt passiones. — Matrici venae nervus subjacet junc-
ius, jossanaevero subacit arteria(tome V, p. 812, 1. 5. 14, 16 et 22 j ms.
lat. 10233).
Dans les passajes correspondants, le ms. n. a. lat. 1619
écrit : iusaria, iusana, iosana^ hisanûe. Le contexte établit
clairement la sinonimie de jusaniis et de inferior. Cet adjec-
tif jusanus^ non atesté ailleurs, dérive manifestemant de
l'adverbe bien conu jusum, forme vulgaire de deorsum, qi
a survécu dans toutes les langues romanes. On admet depuis
longtanps l'existance an latin vulgaire des adjectifs ^ deretra
nus, * for anus, ^ propianus, '*subtanus, ^superanus, déri-
vés des adverbes correspondants deretro, foris, prope, sub-
tus, super ; j'ai montré réçamant q'il falait joindre à ce
groupe l'adjectif *siibteraîius, dérivé de l'adverbe subter^.
On voit que jusanus a sa place marqée.
A côté de jusanus, le latin vulgaire a dû créer de bone
eure son antonime *susanus, à an jujer par le témoignaje de
l'anc. espagnol, qi possède susano an face àeyusano, et par
celui de l'anc. béarnais, qi se sert aussi, au moins dans la
toponimie, des termes oposés de susaa, jusaa^. La toponi-
mie du nord de la Gaule conaît aussi le même usaje : les
noms tels qe Ciirtis-jusana, Jusana-ciirtis, Susana-curtis ,
Susana-villa, Vallis-jusana n'i sont pas rares ^ Le premier
nous aparaît, au milieu du xii^ siècle, sous la forme romane
1. Romania, XXXV, 193.
2. Mistral, Trésor, art. Jusan, Susan ; P. Raymond, Dict. topogr. des
Basses-Pyrénées, art. aramitz.
3. Mon confrère M. Auguste Longnon a bien voulu, avec son oblijance
ordinaire, me doner sur ce point qelqes indicacions pour les qèles je lui
exprime ici toute ma reconaissance.
NOTES LEXICOGRAFIQES SUR ORIBASE 515
Curt-jusaine dans le cartulaire du monastère de l'Arivour*,
où il s'apliqe à un hameau ancore subsistant de la comune de
Enchères, canton de Bouilly (Aube) : depuis le xii^ siècle,
Vu s'êt afaibli en e et 1'^ sonore s'êt rotacisée, ce qi a doné
\naissance à la forme actuèle Cour jer aine, écrite déraisona-
i)lemant Courgerennes -. Le segond et plus fidèlemant con-
servé dans Jusainecoiirt, chef-lieu de canton de la Haute-
^iarne, dont la grafie administrative et Juzennecourt : cf. le
bas latin Jusanna-curia, an 1436, dans un pouillé '\ Le troi-
sième me paraît être à la base du nom d'une comune du canton
de Joinville (Haute-Marne), q'on écrit Suzannecourt, jadis
Suzennecourt (pour Susaine court) , et le cinqième à la base
du nom de Suzenneville, comune suprimée du canton de
Poix (Somme) : mais je ne done ces deus idantificacions qe
sous réserve, car je ne conais pas les textes anciens qi con-
cernent ces localités. Enfin Vallis-jiisana figure dans des
chartes duxii^ siècle come nom de deus localités distinctes* :
Vaujusaine, ferme détruite de la comune de Connantray
(Marne), et Vaujuraine, hameau de la comune de Paisy-
Cosdon (Aube).
Lacrimus, s. m., et Lacrimum, s. n. 1. larme, sève des
plantes ; 2. albumen, blanc d'euf.
1 . Gedria iendines et peduclos occidit et aederae lacrimus similiter (Ori-
base, t. VI, p. 536, 1. 4 ; ms. lat. 40233).
1. Aujourdui hameau de la comune de Lusigny (Aube), dont la grafîe
courante (La Rivour) doit être honie.
2. Voir le Dict. top. de l'Aube de Boutiot et Socard. Une comune de
la Marne portait primitivemant le même nom, qe les abitants ranplacèrent
dès le xii« siècle par le nom actuel : voir le Dict. top. de la Manie de
M. Longnon, art. Beaumont-sur-Vesle : « villa que olim vocabatur Curtis
Jusana, modo vero Bellus Mons » (4178).
3. Pouillés de la province de Lyon, p.p. Aug. Longnon (Paris, impr.
nac, 4904), p. 452.
4. Voir les Dict. top. déjà cités de l'Aube et de la Marne.
S16 A. THOMAS
Lacrimus eius (scilicet hederae) peduclos occidit (Oribase, t. VI,
454, 1. 42 ; ms. lat. 10233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 620, 1. 1 : to 8a-
xpuov aùxo'j oôetpaçxxsi'vsi).
2. Glauciu cum vino et ovi lacrimo (Oribase, t. VI, p. 474, 1. 47; ras.
lat. 40233).
Quam maxime sufficit lacrimum ovi et collurium (Oribase, t. VI, p. 249,
1. 48 ; ms. lat. 40233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 442, 1. 2 : ôiç xo jioXÙ
âpxeî x6 Xsu/.ôv xoj woj).
Fréquenter lacrimum ovi aut lacté muliebri incymatizandus est (Ori-
base, t. VI, p. 250, 1. 21 ; ms. lat. 40233).
Au point de vue de la forme, les textes latins étudiés jus-
q'ici ne conaissent qe le fém. iacrima, et toutes les langues
romanes sont d'acord sur ce point avec ces textes. Au point
de vue du sans, le latin a érité du grec Saxpu ou Saxpuov le
sans figuré de « sève, résine, etc. » et Fa transmis aus lan -
gués romanes. Au contraire, le sans u albumen, blanc d'eul »
et particulier au traducteur d'Oribase\ qi anploie d'ailleurs
concurramant l'expression classiqe albumen ovi. Il i a là, à
ce q'il sanble, un cas intéressant de sémantiqe populaire :
on sait qe pour séparer le blanc du jaune d'un euf , on le fait
couler an goûtes conparables à des larmes. Pourtant je ne
vois pas q'aucun parler roman ait ataché ce sans spécial à
qelqe représanlant du latin Iacrima.
Lampadio, s. m., ognon.
Lampadiones nutriviles sunt, et magis bis cocti (Oribase, t. VI, p. H ,
1. 19 ; ms. lat. 10233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 163, 1. 2 : 6oX6o\
xpoçifx'jjxaxot, Tcal ixaXXav otae-^ôot).
Bulbos, id est lampadiones ((^ribase, t. VI, p. 444, art. VI ; ms. lat.
10233. — Le ms. lat. 9332 écrit : lampaionis.)
Les diccionaires courants n'anrejistrent qe lampado,
4. Au dernier momant, je relève la même expression dans le recueil
de procédés tecniqes dont j'ai parlé plus haut à l'article effersura : « Inau-
ratio pellis... Tollis albumen ovi et spungia munda, et intinguis in ipsum
lacrimem. » (Muratori, Antiquitates Italicae, t. II, col. 376.)
NOTES LEXIGOGRAFIQES SUR URIBASE 517
relevé dans le De diaeta d'un certain Theodorus qi ne paraît
pas devoir être idantifîé avec le médecin Theodorus Priscia-
mus'. Le Corpus glossariorum nous ofre deus gloses où
notre mot et léjèremant altéré :
Buliuis, id est lappaio (III, 553, 42);
Vuibos: lapàtiones (V, 519, 55).
Dans le Thésaurus glossanim emendatarurriy M. Goetz a
oublié de relever la première de ces gloses ; qant à la segonde ,
au lieu de la classer sous Bulbus, il l'a mise à son ordre alfa-
bétiqe an raprochant (sans aucune vraisanblance) lapaiio
de lapathus.
Le mot et d'aparance populaire, mais je ne conais rien
d'analogue dans les parlers romans et je ne devine pas qèle
raison sémantiqe permétrait de le tirer de lampas.
Mediurnus, adj., moyen.
Conpositum est igitur ex utrumque, id est ex forti et vehementi veloci-
tate 2, et dicitur mediurna (Oribase, t. V, p. 803, l* 46 j ms. lat. 10233,
fol. 3, 1. 48.)
L'adjectif mediurnus n'a pas été ancore relevé % et il ne
sanble pas avoir survécu dans les langues romanes. Sa for-
mation et claire : èle ateste la vitalité du sufixe -urnus, qe
l'on rancontre à l'état sinple dans les mots latins bien conus
tels qe alburnus^ diurnus, nocturnus, somnurnus^ et pré-
cédé d'un t épentétiqe dans diuturnus et longiturnus. A
la basse époqe aparaît mensurnus'*. Diez a signalé qelqes
4. Cf. l'édicion de VEuporiston de Theodorus Priscianus par V. Rose,
qi fait partie de la colleccion Teubner (4894), p. xxi.
2. Au lieu develocitate, la bone leçon ètvel citato, fournie par le ms.
n. a. lat. 4649, fol. 3, col. 4, 1. 44 d'an bas.
3. Le ms. n. a. lat. done medios, corijé par une main postérieure an
médium.
4. Cf. Fr. Taber Cooper, Word formation in the Roman sermo ple-
beius (New-York, 4895), p. 434. Je laisse de côté les noms propres et les
518 A. THOMAS
mots romans jetés plus ou moins tard dans ce moule : ital.
musorno, piorno, sajorna\ esp. piornoK Le poème provan-
çal de Sancta Fides contient un adjectif cabdorn, de sans
indéterminé, qi fait sonjer à un tipe latin vulgaire ^capitur-
nus"-. On peut avec toute vraisanblance reconstituer un tipe
* subturnus, dérivé de siibtifs, pour le patois savoyard sëtor
« célier », dans le latin du moyen âge suiur?iits^, tandis qe
le provançal propre sotol, qi a un sans analogue, postule un
tipe latin vulgaire *siibtûlus.
Melata, s. f., confeccion de pomes.
Melata de non maturis malis facta (Oribase, t. VI, p. 8, 1. 5 d'an bas,
et p. 9, 1. 4; ms. lat. 10233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 160, 1. 21 et
161, 1. 4 : [i^Xa xà [JL7) 7:£;:eipa).
Melata ex nondum maturis malis facta (Oribase, t. VI, p. 17, 1. 15 ;
ms. lat. 10233. — Cf. [le texte.; grec, t. V, p. 167, 1. 15 : [xfîXa là
(XTJTCW TTcTTEipa).
Melata de malis stipticis facta (Oribase, t. VI, p. 33, 1. 3 ; ms. lat.
10233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 479, 1. 8 : uf^Xa xà [xèv axjçovTa).
Ce mot melata revient ailleurs dans notre traduccion ;
mais ces exanples sufîsent. La conparaison avec le texte grec
prouve qe melata et un mot latin de formacion spontanée :
il et tiré de melum, forme populaire de malum « pomme »,
avec ce sufixe -ata, apelé à avoir un dévelopemant considé-
rable dans les langues romanes et dont nous avons ici, si je
ne me tronpe, le plus ancien exanple. Le latin classiqe
anploie, qoiqe raremant, le suffixe neutre -atum dans la
même fonccion : cf. ceratum, pomade de cire, cérat ; pipe-
ratum, sauce au poivre, poivrade ; rosatum, conpote de
adjectifs dérivés de noms terminés par la lètre r, tels qe eburnus, ou dans
les qels -urnus a une autre orijine, corne colurnus, sorti par métatèse
de*corulnus.
1. Gramm. des lang. rom., II, 357.
2. Romania, XXXI, 190, vers 300.
3. Voir Constantin et Désormaux, Dict. Savoyard, art. cetor.
NOTES LEXIGOGRAFIQES SUR ORIBASE S19
roses. Melata a survécu an roman grâce au conposé *meli-
melata, d'où l'espagnol mermelada^ passé an français sous
la forme marmelade.
Nausietas, s. f., nausée.
Nam sicut dictiim est * mordicatione cum nausietate habuerint, ita ut
nausietur et vomere non possit (Oribase, t. V, p. 824, 1. 7 ; ms. n. a.
lat. 1619, fol. 8vo, 2« col., 1. 4 d'an bas. — Le mauvais état du ms. lat.
-10233 [fol. 14,1. 1], n'a permis aus éditeurs d'Oribase q'une lecture frag-
mantaire : « na... nausietatem habuer... vomere non possit»).
Nausietas, sinonime de nausia (pour naused) et fort inté-
ressant ; il vient prandre rang à côté de odietas, sinonime
de odifwi, dont nous devons la conaissance aus notes Tiro-
niènes, et il rand d'autant plus vraisanblable la formacion
des tipes postulés *otietas et *vitietas dont j'ai naguère
exposé la raison d'être-. On trouvera plus loin, sous siccie-
tas, une autre extansion du même suffixe.
Olivus, s. m., olivier.
Eleas, id est olibiis arbor (Oribase, t. VI, p. -467, 1. 8; ms. lat. 10233,
fol. 36. — Cf. ms. n. a. lat. 1619, fol. 27 <i : « Eleas, id est oleus arbor... »j
puis un peu plus loin : « teneras oliui cimas »).
Les formes concurrantes olivus et oletis ont ceci de comun
q'èles afublent d'une désinance non classiqe an -us le nom
de l'olivier pour le randre pareil aus noms des arbres frui-
tiers tels qe cerasus, melus, pirus, prunus, etc. Oleus, tiré
de olea, n'a pas laissé de traces dans les parlers romans:
mais il an et autremant de olivus, tiré de oliva, qi et repré-
santé par l'ital. idivo, l'esp. et le port, olivo, le prov. oliu^
1. Il faut nianifestemant corijer ainsi : « Nam si, ut dictum est... »
2. Voir Romania, XXXV, 305.
3. Sur le vrai sans de ce mot, qe Raynouard traduit à tort par « champ
d'oliviers », voir l'art, ouu du Prov. Suppl.-Wœrterb., de M. Emil Levy,
t. V, p. 474.
820 A. THOMAS
(auj. ouiieu, en Languedoc) et l'anc. franc, oiif. Même for-
tune et advenue à castanea, qi n'a subsisté q'au sans de
« châtaigne », le sans de « châtaignier » ayant été assumé
par la forme néolojiqe *castaneus, la qèle survit dans l'it.
castagno, l'esp. castaho, le prov. castanh avec les fonccions
sématiqes.
Orbicalus, Urbicalus, s. m., panaris.
Ad pterigiu digitorum, id est urbicalum, pulver uteris (Oribase, t. V,
p. 909, 1. 8, d'an bas ; ms. lat. 40233).
Facit ad urbicalum in digitis (Oribase, t. V, p. 913, 1. i ; ms. lat.
109.33).
Ad paronicia, id est orbicalos in unguibus (Oribase, t. VI, p. 150, art.
XVII, titre ; ms. lat. 10233).
Quod si in digitis pteri[gi]ia, id est orbicalus, surgit (Oribase, t. VI,
p. 151,1. 11; ms. lat. 10233).
Digitis orbicalum factum sanat (Oribase, t. VI, p. 550, l. 22 ; ras. lat.
10233).
Mot nouveau, à moins q'on n'i voie une sinple déforma-
tion du latin orbiculus. Il i aurait lieu de raprocher de cet
anploi de orbiculus le nom français populaire du panaris,
tourniole. D'autre part, le bérichon orbillon « orjelet » ateste
la vitalité de orbiculus an latin populaire; cf. l'art, orbeillon}
de Godefroy.
Peccullus, s. m., ou Peccullum, s. n., pétiole.
Emplastrum dia iteas, que reuma dessicat fortiter.. Salicis folia virides,
sublata duritia depeccullis lundis in pila, (^Oribase, t. V p. 855, 1. s;
ms. lat. 10233).
Depuis long tanps les romanistes ont reconu l'existance an
latin vulgaire d'une forme *pediciiiliiSy qui et transparante
dans plusieurs parlers actuels, notamant dans le siciiien pidi-
cuddu\ Notre traduccion nous montre q'une contraccion an
peccullus était déjà en usaje au sisième siècle, et c'êt à cète
1. Voir notamant Meyer-Lûbke, Gramm. des lang. rom., II, 503, et
Salvioni, dans Z. /. rom. Phil,, XXIII, 523.
NOTES LEXICOGRAFIQES SUR ORIBASE 521
forme contractée q'il faudra désormais ratacher l'anc. franc,
et l'anc. prov. pecol^ ancore vivants dans beaucoup de
patois, ainsi qe les formes italiènes dialectales du tipe
pecollo ou picollo^ dont M. Salvioni s'êt ocupé réçamant et
où il incline à voir une contaminacion due à l'infïuance du
verbe piccare. Reste à expliqer pourqoi, dans une partie
du domaine roman, pedicullus et devenu peccullus à une
époqe si reculée.
POLLICARIS DIGITUS, le pOUCe.
Et cum opiis fuerit, emplastrum super dextrum pollicarem digitum pe-
dis ponis (Oribase, t. VI, p. 615, 1. 42 ; ms. lat. 40233).
Le ms. lat. 9332 a la forme coniraictée pulcarem digitmn.
Le lat. classiqe ne conaît l'adj. pollicaris q'au sans de « qi a
la longueur d'un pouce » (Pline). Mais les langues romanes
ont des représantants de pollicaris anployé substantivemant
au sans de « pouce, le plus gros et le plus fort des doits de la
main ou du pied ' ». Diez a relevé dans la Loi Saliqe le pas-
saje suivant : « Si quis policare de manum vel pedem excus-
serit-. » Il et d'autant plus utile de signaler le pollicaris
dicjitus du traducteur d'Oribase qe le policare de la Loi
Saliqe a échapé à Du Gange.
Remagcinare, V. tr., remoudre.
De forfures cataplasma... Oportet praeparare forfures, et iterum remac-
cinare, ut tiat subtilissimura (Oribase, t. V, p. 867, art. 79 -, ms. lat.
40233).
On sait que le plus ancien exanple de maccinare q'on ait
jusq'ici signalé provient de notre traduccion : « alfita de hor-
deo fricta et maccinata^ ». Cet l'italien macinare. le rou-
4. Cf. Kôrting, Lat.-rom. Wœrterb., 2« éd., n» 7294.
2. Etym. Wœrterb., I, art. pollegar.
3. H. Hagen, Zur Gesch. der PhiloL, p. 251 (l. 9) et 302. Le ms. lat.
9332 écrit macinata (Oribase, t. VI, p. 38, 1. 4 d'an bas).
S22 A. THOMAS
main macina, verbe qe les autres langues romanes ignorent
et dont la présance dans notre traduccion en souligne l'ori-
jine.
Retenetorius, adj., qi a la vertu de retenir.
Papaveris semen retenetoriam est thoraci (Oribase, t. VI, p. 27, 1. 6 ;
ms. 40233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 175, 1. 4 : [xrjxwvoç o;rép[jLa Itikq/j.-
Tixdv È(Jit Twv Ix TO'j OoSpaxo;).
La forme correcte et retentorius^ qui se lit dans Cassio-
dore, De anima, 6 : « Virtus animae retentoria. » Je rapèle qe
les langues romanes, dans l'usaje q'èles font des sufixes
-or, -orius, -ïcius, pour créer des mots, ne soudent pas ces
sufixes au supin mais à l'infinitif, dont èles conservent la
voyèle : cf. ital. tenitore, esp. et prov. tenedor, franc, teneur
(pour teneeur), etc. J'ai présanté, en 1892, des observacions
à ce sujet aus qèles je me borne à ranvoyer*.
RuPTUs, s. m., rot.
Quod si fumosus et insavis, générât ruptus, quod nos carbonculum
vocamus (Oribase, t. VI, p. 84, 1. 11 ; ms. lat. 9332).
Quod ex rupto et ventris tumore poteris contemplare (Oribase, t. VI,
p. 91,1. 20; ras. lat. 9332).
Uanc. franc, ro^ a un o fermé, come sanglot; si l'on dit
aujourd'hui rot et roter (come sanglot et sangloter) au lieu
de rout, router (come l'on devrait dire sanglout, sanglou-
ter^y c'êt qu'il i a u contaminacion de la part du sufixe -ot,
^oter. Mais, à s'an tenir à l'anc. franc., il et manifeste qe le
lat. rûctiis, rûctare n'a pas évolué régulièremant, sans qoi
le c devrait être représanté par un i. Dans la forme ruptus
de notre texte, nous prenons sur le fait la contaminacion par
1. La loi de Darmesteter en provençal, article paru dans la Romania,
réinprimé dans mes Essais de philologie française, pp. 11-30 ; voir spé-
cialemant la p. 21.
NOTES LEXIGOGRAFIQES SUR ORIBASE 523
le participe rûptus (de rumpere) qi expliqe la forme fran-
çaise.
Sablonosus, adj., de la nature du sable, fin come le sable.
Pingues humores tici expellunt ; praeterea sablonosa multum quae sunt
in renibus, si comedantur, expurgant (Oribase, t. VI, p. 25, 1. 23 ; ms.
lat. 10233).
Manibus fricatur interior panis ante pridie coctus donec sahlonosum
fiât veluti farina (Oribase, t. V, 867, 1. 11 ; ms. lat. 10233).
Les diccionaires latins ne douent qe sabulosus. Du Gange
a un exanple de sabiiionosus, mais cet exanple n'êt que du
xiv^ siècle. Cf. l'ital. sabbionoso, le prov. mod. sabiounous,
le franc, sabioneus, etc.
ScARPELLus, forme dissimilée, ipour se aipeilu s, scalpel.
Pus facto, scarpello aperies (Oribase, t. VI, p. 560, 1. 10, d'an bas ;
ms. lat. 10233).
A raprocher de bursella, cité plus haut.
ScoRTicATURA, S. f . , écorchure.
Emplastrum dia pepereos... scorticaturas sanat (Oribase, t. V, p. 849,
art. 4 ; ms. lat. 10233).
Cerotum dia tessaron. Facit ad scorticaturas et omnes percussuras vel
contrituras (Oribase, t. V, p. 861, art. 42).
Scorticatura, pour excorticatura^ et le tipe postulé par
les formes romanes qi correspondent au français écorchure
(plus anciènemant escorehmrè)^ à savoir l'ital. scorticatura^
le prov. mod. escourtegaduro, etc.
SicciETAs, s. f., sécheresse.
Malbarum bero decoctionem, in quibus siccietas est bel mordicatio,
utendaest (Oribase, t. V, p. 823, 1. 18 d'an bas: ms. lat. 10233, f. 12,
1.7).
Cet exanple de siccietas et toutafait isolé ; partout ailu
824 A. THOMAS
leurs le ins. lat. 10233 done la forme classiqe siccitas. Cet
donc sous toutes réserves qe je propose d'atribuer une valeur
réèle à cète substitucion accidantèle de la désinance -letas à
la désinance normale -itas. Ce qi me porte à le faire, c'êt qe
le prov. cobeitat et Tanc. franc, coveitié « convoitise » pos-
tulent inpérieusemant un tipe *cupidietas, au lieu du latin
classiqe cupiditas. Tant qe l'on n'aura pas produit d'exanple
d'une forme adjective *cupidius, faisant concurrance à ciipi-
dus, on poura croire q'une analojie irraisonée a pu subs-
tituer *cupidietas à cupiditas come siccietas à siccitas.
Sternutus, s. m., éternumant.
Si necesse fuerit caput purgare per palatum et nares, et hoc facis et sternu-
tos movebis (Oribase, t. VI, p. 234, 1. 8 d'an basj ms. lat. 40233,
f. 181).
Ster?iutus et un subst. verbal tiré de sternutare « éter-
nuer ' » ; il et venu faire concurrance dans le latin vulgaire
k sternumentum, sternutamentum ei sternutatio, dont on a
d'abondants exanples. Sternutus a été relevé par les Béné-
dictins continuateurs de Du Gange dans un écrit de l'abé
Pirminius, qi vivait au milieu du uitième siècle. Son anciè-
neté et sa vitalité sont atestées par l'ital. sternuto, l'esp.
estornudo^ le prov. esterjiut, l'anc. franc, esternu, etc.
SuBTiLiATORius, adj . , qui a la vertu de randre subtil.
Rafanus suptiliaturiam habet virtutem (Oribase, t. VI, p. 2a, 1. 6 d'an
bas) : ms. lat. 10233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 174, 1. 5 : pasayt;
X£7tTOjj.epouç laxt Suvafxeto;).
SuppA, S. f., soupe, tranche de pain inbibée de bouillon.
1. Cf. la remarqe sur ce procédé de formacion qi a été présantée ci
dessus, à propos du mot gargarizius. Il ne faut pas sonjer à voir dans
sternutus un mot de la A" déclinaison tiré de sternuere come mitus de
nuere.
NOTES LEXIGOGftAFIQËS SUR ORIBASË 525
Panem calidum in bullentem mittis, et mox dabis manducarc calidas
suppas (Oribase, t. VI, p. 303, 1. 6 ; ms. lat. 10-233, fol. 224 vo-22o).
Le texte grec ne laisse aucun doute sur le sans du mot
suppa : « ap-r^v c'.ç 6£p[J.ov uSwp è[jt,6aXo)V eùO'j? Ihç, çay^'-v 6£p;j.o'j?
Tcj; 'h(ù'^.z\)q » (tome V, p. 493, 1. 9). Ce sans et idantiqe au
sans primitif d'un mot qe conaissent toutes les langues
romanes, eccepté le roumain : ital. siippa^ esp. port. prov.
sopa, anc. franc, sope, prov. mod. soiipo, franc, mod.
soupe. L'orijine jermaniqe de ce mot n'êt pas contestable* :
risland. soppa nous an ofre la forme la plus anciène^, et cète
forme et toutafait an armonie avec le suppa du traducteur
d'Oribase pour leqel w et o fermé sont idantiqes. Cet le
seul mot jermaniqe qe notre traducteur ait incorporé dans
son vocabulaire, car s'il mancionele nom gotiqe de la guède,
uuisdile, il le done pour ce q'il êt^ Il faut donc que suppa
ait fait brèche de bone eure dans le latin parlé an Italie
pour s'être ainsi dépouillé à ses ieus de tout caractère exotiqe.
Avant ceus du grand Téodoric, les conpagnons de Rada-
gaise, d'Alaric et d'Odoacre avaient sans doute déjà fondé la
réputacion de la suppa des Barbares, et les populacions ro-
manes élaboraient le proverbe : la soupe fait le soldat.
SusiNARius, s. m., prunier.
Gummen de cerasia et susinarii (Oribase, t. VI, fol. 324, 1. 5 ; ms. lat.
1. Le doute émis à ce sujet par G. Paris {Romania, X, 60, n. 2) n'êt
pas fondé ; mais Diez a u tort de dire qe le sans primitif du mot an roman
était celui de « bouillon ». Cf. Kôrting, Lat.-rom. Wôrterbuch, 2^ éd.
(1901), no 9272.
2. Cf. Skeat, Etymol. Dict. of the Engl. Language, art. sop, etc.
3. Cf. la remarqe qe j'ai faite à ce sujet, Romania, XXXVI, 439, n. 3,
et cèle d'Auguste Molinier, qi m'avait échapé. Œuvres d'Oribase, t. VI,
p. XXV. — Une eccepcion doit peut-être être faite pour gantula (qe le
ms. lat. 10233 écrit gattula) qi et anployé par le traducteur, t. VI, p. 7,
1. 1 ; mais ganta « oie » et déjà conu de Pline. D'ailleurs il n'êt pas sûr
q'il s'ajisse d'oies dans ce passajc, où le texte grec porte tout autre chose.
oâ6 A. THOMAS
10233. — Cf. le texte grec, t. V, p. 509, 1. 40 : xepaaou te tou S^vopou
xai xoxxu(jL7)Xeaç t6 x6[ji{jLt).
Le substantif susinarius et doublemant intéressant, et par
son tème et par son suffixe. Il et manifeste qe notre tra-
ducteur conaît corne nom vulgaire de la prune un substantif
*susina, tipe de i'ital. ancien et moderne susina, à la base
du qel se trouve probablemant, come on l'a conjecturé, le
nom de la vile de Suse, an Perse. Cète particularité lexico-
grafiqe nous permet d'afîrmer qe le traducteur était Italien,
ce nom de la prune étant absolumant inconu an dehors de
l'Italie. Mais le fait q'il se sert du suffixe -arius ajouté au
nom du fruit pour former le nom de l'arbre a une portée
jénérale et intéresse toutes les langues romanes, puisqe
toutes, plus ou moins*, ont recours au même procédé. Le
roumain participant à cète formation, on pouvait assuré-
mant considérer ce procédé come apartenant au latin vul-
gaire dès une époqe très reculée ; mais il et toujours bon
d'avoir des textes formels, et le susinarius de notre traduc-
teur sera le bien venu à côté du melarius et du pirarius q'on
a remarqés depuis long tanps dans la Loi Saliqe, mais dont il
et dificile de dire la date précise.
Tricoscinare, V. tr., tamiser.
Tricoscinum, s. n., tamis.
Epithimus choiera nigra deponit et flegma ; datur enim tritus et tricos-
cinatus (Oribase, t. V, p. 818, 1. 11 d'an bas ; ms. 10233. — Cf. le texte
grec, t. V, p. 26, 1. 11 : Bîoou 8à xd^j^aç xal ôtaoT^'aaç).
Calceteus tundis et cernis tricoscinu..., ita supermittes lithargyru tenuis-
simum tricoscinatum (Oribase, t. V, p. 850, 1. 7 et 9 ; ms lat. 10233. —
Cf. le texte grec, t. V, p. 97, 1. 11 : ttjv ^aXxi'tiv xd^j^aç xal arjoa; Xetcto-
xx-o) xo3/.ivaj... élira ère[ji.6aXX£ xrjv XiGâpYupov XsTîTOTaTto xoaxivw).
1. L'italien litéraire apèle le prunier susino, mais les dialectes conais-
sent susinaro, qi et anrejistré par Antoine Oudin, Rech. ital. et franc.,
1640.
NOTES LEXÏGOGRAPIQES SUR ORIBASE 5â?
Les exanples de ces deus mots sont fréqants dans notre
texte; voir t. V, p. 882, 1. 9; 888, 1. 12 d'an bas; 895,
1. 18; 897, 1. 9, etc., etc. Les diccionaires grecs ne conais-
sent qe les mots sinples xér^ivov et y.or/-iv£ua) ou xsay.tviuo) .
Mais l'expansion du verbe tricoscinare dans le latin médical
a été assés grande. La traduccion d'Alexandre de Tralles,
un peu plus réçante qe cèle d'Oribase, l'anploie coura-
mant : c'êt à un petit glossaire fait pour cète traduccion
qe Du Gange a anprunté son article tricocinare^. D'autre
part, dans le Corpus glossmnorum latinoriim, on lit, t. III,
p. 606, 1. 20: « tricocinare, sadaciare- ».
Tritorium, s. n., pilon.
Ceteras species mittis supra et lundis diligenter et oleo cyprino unguis
tritorium, donec diligenter resolvantur (Oribase, t. V, p. 863, 1. 7 ; ms.
10233).
Il i a des exanples postérieurs dans Du Gange, sub ver ho ;
mais Du Gange ne dit pas qe tritorium et anplojé par la
traduccion d'Alexandre de Tralles dont j'ai parlé ci dessus
à l'art, tricoscinare. Je note incidamant qe cète traduccion
a été dépouillée pour le Thésaurus linguae /«^ma^, bien q'èle
ne figure pas dans VIndex, car èle et citée au mot Acido ;
mais le dépouillemant a des lacunes, car on ne la cite plus
au mot AciDONicus, q'èle anploie cepandant, come cèle
d'Oribase.
Unifarimus, adj., fait d'une seule farine.
De pane siliginea nutribilis, post haec panes de sub simula, et tertio
1. (c Tricocinarë, Scribrare seu cribrare, in Glossario latrico Reg. cod.
i486 ». Le ms. visé par Du Gange porte aujourdui le n° 6881 du fonds
latin ; la glose an qestion se trouve au fol. 8, prem. col.
2. M. Gootz a indiqé le raprochemant avec Du Gange (q'il ne conaît
pas directemant, mais par De Vit) et la correccion à faire, dans son Thé-
saurus glossarum emendatariim.
M À. îhôma^
loco unifarinius coctus (Oribase, t. VI, p. 11, 1. 10 ; ms. lat. 10233. —
Cf. le texte grec, t. V, p. 162, 1. 20 : xa\ TpiTo; ô èYxo[j.[axoç).
Sur les formacions de ce janre, dont qelqes unes ont sur-
vécu dans le latin vulgaire, voir mes Essais de philologie
française, p. 79.
Paul THOMAS
LE QVEROLUS
ET LES JUSTICES DE VILLAGE
34
LE QUEROLUS
ET LES JUSTICES DE VILLAGE
Par Paul Thomas.
Le curieux Discours de fabiis des justices de village du
célèbre jurisconsulte Charles Loyseau (1566-1627) com-
mence ainsi* : « Il y a environ quarante ans, que dans la
bibliothèque du monastère S. Benoist sur Loyre, fut trouué
vne Comédie latine manuscripte, assez belle, intitulée Que-
rolus ou Aulularia, que Pierre Daniel (qui depuis l'a anno-
tée) estime auoir esté composée du temps de l'Empereur
Theodose, comme de faict elle ressent le stil de son siècle.
En ceste Comédie Querolus principal personnage délibérant
auec son Lar familiaris, quelle vacation ou condition de vie
il doibt suyure, et ayant jà résolu de n'estre point Officier,
prie Lar de le faire deuenir gentil-homme : Fac dit-il vt sim
priuatus et potens. Lar. Potentiam cuiusmodi requiris^.
Quer. Vt liceat Vicinos spoliare et caedere. Lar. Latroci-
nium non Potentiam j'equiris : tamen inueni, vade, ad Li-
gerim viiiito . Illic iure gentium viuunt homines, illic sen-
tentiae capitales de robore proferuntur et scribuntur in
ossibus, illic etiam rustici pérorant et priuati iudicant, ibi
1. Je cite ce Discours d'après l'édition de 1628. Paris, pet. iii-8. — Je
respecte l'orthographe et la ponctuation originales.
«32 P. THOMAS
totum licet. 0 sylvae, o solitudines, guis vos dixit libéras !
Quer. Robore vti non cupio, noio haec iura sylvestria. Ces
propos nous apprennent, que ce n'est pas d'auiourd'huy
qu'il y a en France, et principalement en ces quartiers d'au-
près la riuiere de Loire des luges soubs TOrme et des Jus-
tices de village. Ce qui se cognoist encor par vn passage de
lulles César au sixiesme de ses commentaires, où traictant
des meurs des Gauloys, apud eos, dit-il, in pace nullus est
Magistratus, sed principes regionum atque pagorum inter
suos ius dicunt, controuersiasque minuunt. Ce qui signifie
que ce peuple vsant encor de sa franchise naturelle, et du
simple droit des gens, estant sans loix et sans magistrats (car
ce fut soubs Arcadius et Honorius enfans de Theodose, que
la monarchie Françoise commença) se rapportoit de ses dif-
férents, et mesmes de la punition des coulpables aux prin-
cipaux de chacun village \ »
Loyseau revient encore ailleurs sur ce passage du Quero-
lus. Je ne résiste pas au plaisir de citer sa prose si savou-
reuse.
Parlant du pouvoir souverain et de la juridiction crimi-
nelle, il dit : « Aussi est-il bien certain, qu'il n'y eut iamais
Republique bien ordonnée, où les particuliers fussent pro-
priétaires de la Justice et du droict de glaive, comme ils sont
en France. Les Athéniens estoient si jaloux du droict de
glaive et de la Justice criminelle, qu'il n'y auoit que les Areo-
pagites qui s'en meslassent, gens choisis, gens nourris et
entretenus du public, gens retirez et segregez du reste du
peuple, gens qui ne rendoyent la Justice, que de nuit, afin
que la lumière et le bruit ne les detournast de l'ardue mé-
ditation, qu'il faut auoir pour dignement iuger les hommes.
« Quant aux Romains tant s'en faut qu'ils laissassent la
1. P. 1-3.
LE QUEROLUS 533
propriété du glaive, ie ne dis pas aux particuliers, mais en-
cor aux plus grands magistrats: que mesme ils ne leur en
laissoyent pas le simple exercice sur le moindre des citoyens
de Rome : ains par leurs loix d'Estat, qu'ils appelloyent loix
Sacrées, le peuple s'estoit réservé iusques à la simple admi-
nistration et exécution de cette puissance, pour ne iuger de
la vie des citoyens, qu'en assemblée generalle de tout le
peuple Romain. Encor s'estoit-il despouillé luy mesme de
cette puissance, en tant que possible estoit, permettant aux
condamnez de quelque crime que ce fust, de quitter le pays,
comme il se void dans Ciceron, pro Rabir. per. reo, dans
Salluste, in Catilina et dans Tite, lia. 5. Comparez à ces
anciens les luges soubs l'Orme de ce pays, vbi de robore
sententiae capitales proferuntiir et scribuntur illico in os
sibus, vbi rustici pérorant, et priuati iudicant, vbi denique
totum licetK »
Il énumère les abus criants des justices de village, et
ajoute : « Il y a encor vn autre grand inconuenient, qui
provient de ces lustices, c'est que chasque gentilhomme veut
auoir son notaire à sa poste, qui refera trois fois, s'il est be-
soin, son contract de mariage, ou lui fera tant d'obligations
antidatées, qu'il voudra, si ses affaires se portent mal, ou
s'il a vn coup à faire : notaire qui de longue main se pour-
uoit de tesmoins aussi bons que luy, ou bien qui en sçait
choisir, après leur mort, de ceux qui ne sçavoyent point si-
gner. Et s'il a receu quelques vrays contracts qui soyent
d'importance, il n'oseroit faillir d'en mettre les minutes es
mains et à la mercy de son gentil-homme, s'il les demande,
qui par après les vend, et en compose ainsi qu'il luy plaist.
Voila comment la foy publique est obseruée aux villages.
Concluons donc par le dire de ceste ancienne Comédie,
l.P. 75-77.
o34 P. THOMAS
« 0 ! sylvae ô solitudines ! qiiis vos dixit libéras * I »
Terminons par ces lignes piquantes : « De moy, depuis trois
ans que ie visparmy ces petites Justices, i'y ayencorplusveu
de mal que ie ne puis exprimer, non toutes fois, grâces à Dieu,
en celles qui me concernent. Entre autres iepuis dire quei'ay
surpris deux ou trois nichées des praticiens, qui commen-
çoient à installer de nouuelles Justices (chose qui se fait tous
les iours, et si on n'y met ordre, il y aura en bref autant de
Justices en France que de hameaux) et les ayant interrogés
s'ils estoyent pouruus de leurs prétendus offices par mort ou
résignation, et où ils avoyent fait le serment, ils m'ont tous
confessé qu'ils ne sçavoyent qui estoit leur prédécesseur, et
qu'ils n'auoient point fait de serment en Justice : et notam-
ment i'en ay trouué un que ie declareray par honneur (c'est
le prétendu Prévost de Licoucy près Orléans) qui après son
interrogant me déclara ne sçavoir escrire ne signer, comme
c'estoit la vérité. Voyla pas le dire de la Comédie. Ad Lige-
rim sententiae capitales de robore proferuntur, et scribun-
tur in ossibus : ibi rustici pérorant et priuati iudicant, ibi
totum licef^. »
Le rapprochement que Loyseau établit entre les juges im-
provisés mentionnés dans le Querolus et les « juges sous
l'orme » de l'ancien régime^ n'est certainement pas exact :
là, il s'agit de quelque chose d'irrégulier et d'exceptionnel,
ici, d'une institution abusive peut-être, mais consacrée par le
temps. On admet généralement que l'auteur latin fait allu-
sion à des brigands ou à des rebelles, aux Bagaudes qui dé-
solaient les bords de la Loire*, et que les termes iure gen-
1. P. 113-114.
2. P. 116-117.
3. Ce rapprochement, du reste, avait été déjà fait par P. Daniel dans
les notes de son édition (1564).
4. V. Louis Havet, Le Querolus, p. 2-7. Paris, 1880. — On a conjec-
turé aussi que ce passage avait trait à des Germains cantonnés sur la
LE QUEROLUS 535
tium, sententiae capitales, etc., doivent s'entendre dans un
sens ironique*. Pour ma part, je serais tenté de croire qu'au
milieu de l'anarchie qui régnait en Gaule, les paysans de
certains cantons étaient retournés instinctivement aux cou-
tumes primitives et avaient organisé entre eux une sorte de
justice rudimentaire. N'y aurait-il point là quelque analogie
avec la loi de Lynch ? Quoi qu'il en soit, il me paraît incon-
testable que sententiae capitales de robore proferuntur si-
gnifie : « on rend des sentences capitales sous un chêne ^ » ;
ainsi saint Louis à Vincennes rendait la justice sous un
chêne, aiûsi les juges de village siégeaient sous un orme. Les
mots iura haec silvestria confirment cette interprétation : la
scène se passait dans une forêt. — Le sens de la phrase (sen-
tentiae capitales) scribunturin ossibus est obscur. M. Havet
traduit : « On en écrit le texte sur les os du patient. » Je
me demande si l'auteur n'a pas voulu dire que ces senten-
ces étaient écrites ou gravées sur des os d'animaux, à défaut
de tables de pierre, de bronze, de bois, etc. On sait qu'une
partie du Coran fut écrite sur des omoplates de mouton.
Loire (Havet, p. 4, note 1, et p. 218, note) ; mais le mot rustici me sem-
ble contredire cette hypothèse. Si ces Germains étaient des rustici, ce
n'étaient pas des soldats, mais des colons (cf. Fustel de Coulanges, His-
toire des Institutions politiques de l'ancienne France, !'•« partie, livre
III, chap. v). On ne conçoit pas que des captifs germains, réduits à la
condition de colons, aient pu conserver leurs institutions particulières et
tenir un mallus. — Mon ami M. Pirenne me fait observer que le mot
rustici pourrait à la rigueur s'entendre de leti germains (soldats-labou-
reurs), mais que ces leti étaient cantonnés au Nord et à l'Est de la Gaule,
dans le voisinage des frontières, et non au centre, sur les bords de la
Loire.
4. Klinkhamer explique ibi sententiae capitales de robore proferuntur
et scribuntur in ossibus par ibi duri baculi (des bâtons de bois de chêne)
a fortioribus in imbecillorum caput et ossa impinguntur.
2. Et non : « sur un tronc de chêne », comme le traduit M. Havet. —
Pour cet emploi de de, cf. Plante, Mostell., 1104 : Tum consilia firmiora
sunt de divinis locis.
H. VANDAELE
VARIA
VARIA
Par H. Vandaele.
I. — Places respectives des personnages sur la scène antique,
ÉTABLIES PAR LE MOYEN DES DÉMONSTRATIFS.
On sait quelle signification précise et bien distincte les
Grecs et les Latins donnaient à leurs démonstratifs oBs, ouioç,
ày.eTvoç — hic, iste, ille dans tous leurs emplois : au sens
personnel, local, temporel, figuré. "Olz eihic, relatifs à la 1"*
personne qu'ils pouvaient même remplacer comme pronoms
(oBs = èyo), hic =ir ego^, signifiaient suivant le contexte : ce
qui est à moi, ce que je tiens, ce qui est près de moi. De
même ouxoç et iste, équivalents éventuels de au et de tu, im-
pliquaient proximité dans le temps et dans l'espace avec la
2^ personne. 'ExeTvoç et 2*//^ s'appliquaient à un objet éloigné
et le plus souvent absent. Ouxo; par contre se disait, au sens
local, bien entendu, d'une personne présente mais placée à
quelque distance de celui qui parlait. Cf. w ouxoç = heus
tu.
Ces principes posés, si l'on admet, ce qui paraît incontes-
table, que les démonstratifs étaient employés en poésie avec
la même précision qu'en prose, il n'est pas douteux qu'ils ne
puissent servir à nous fournir des indications sur les places
respectives des personnages sur la scène, indications d'autant
540 H. VANDAELE
plus intéressantes que ces emplois sont très fréquents. La
place des acteurs une fois établie au commencement d'une
scène, les démonstratifs nous indiqueront encore leurs dépla-
cements dans le cours de la pièce, et, pour peu que nous
en cherchions les causes, pourront nous renseigner sur
l'attitude, les gestes, partant sur les sentiments des person-
nages.
Étudions à cet égard un passage de l' Antigène de Sopho-
cle, les épisodes II et III pendant lesquels Antigone paraît
et reste sur la scène.
Pendant que le Garde, sur l'ordre de Créon, est re-
tourné auprès du cadavre dePolynice, le Chœur vient d'exé-
cuter en chantant deux strophes et deux antistrophes. Puis
il se retire en ordre de marche en un endroit de l'orchestra,
en même temps qu'il annonce l'entrée d'Antigone amenée
par le Garde, le tout en un système anapestique, rythme
naturel à la marche. Mais où se rend-il ? Et quelle est sa
place relativement à Antigone ? La chose est du plus grand
intérêt : il ne s'agit de rien moins que de savoir où se tenait
le Chœur pendant les épisodes. On ne peut répondre à la
première question que si la seconde est résolue ; or, cette
dernière solution nous sera fournie par l'emploi des démons-
tratifs. Le Chœur s'écrie :
'Eç Sa^xâviov xepaç àjxçtvoG)
T 6 5 £ • Tziùq £ÎBà)ç àvTtXoyo^ti)
TTQvB 'cjx slvai TCaTB ' 'Avtiyovyjv ; (vv. 376-8)
Ici ToSe et t-^vBs ont bien un sens local. Si ces termes sont
employés avec leur valeur précise (et pourquoi ne le se-
raient-ils pas?), ils signifient qu'en ce moment Antigone est
toute proche du Chœur. Le Chœur se dirige vers le fond
de l'orchestra, côté droit (par rapport aux spectateurs), et
c'est là qu'il rencontre la jeune fille entrant par la parodos
VARIA S4i
droite, poussée par le Garde et sans doute plusieurs escla-
ves (cf. aYO'Jîi •... /.aÔsXovxeç vv. 382-3). C'est là aussi qu'il
va se ranger et qu'il restera, entre l'entrée laissée libre de
la parodos et la porte du palais qui occupe le milieu de la
axrjVT^ . Pendant qu' Antigone fait quelques pas en avant de ma-
nière à être bien en vue des spectateurs, le Chœur s'adresse
directement à la jeune fille sur le ton de la conversation en-
tre personnes toutes proches :
il tcot' ; où Zi^ TTou ffé y' aTTiaTOuaav
ToTç l^aaiXsicta'.v ayouai vojxoiç
xai £v àçpoffùvY; xaSeXcvceç ;
On admet généralement que les acteurs jouaient au fond
de l'orchestra tout près de la oxr^vi^, tandis que le Chœur se
tenait plus près des spectateurs. Mais cette manière de voir,
outre qu'elle ne repose sur aucun texte autorisé, est invrai-
semblable, en contradiction avec tout ce que nous savons
sur le théâtre du v* siècle et avec le texte de tous les drames
qui nous sont parvenus. Il est inadmissible, en effet, que le
Chœur restât interposé entre les acteurs et le public. On dira
peut-être que le costume d'une part et d'autre part le co-
thurne des acteurs suffisaient à distinguer ceux-ci des cho-
ristes. Soit. Il n'en est pas moins certain que sans aucune
utilité le Chœur pouvait cacher plus ou moins les acteurs.
N'est-il pas naturel au contraire que, le rôle du Chœur pen-
dant les épisodes devenant de plus en plus secondaire, celui-
ci se tînt derrière les acteurs, comme le font les comparses
et les personnages accessoires sur toutes les scènes dans tous
les pays? Donc, à moins que le Chœur ne prît une part ac-
tive à l'action (comme dans les Euménides d'Eschyle et
dans les comédies d'Aristophane), sa place pendant les épi-
sodes devait être auprès du mur du fond, entre la porte du
milieu (palais ou temple) et l'une des parodoi, probable-
542 H. VANDAELE
ment du côté où il devait le moins gêner, de l'un et de l'au-
tre côté sans doute quand il était partagé en deux demi-
chœurs. Le long de la (jxyjvtj qui mesurait environ 20 mètres
de longueur, la place était plus que suffisante pour que
douze ou quinze personnes pussent se ranger en ligne ou se
grouper sans entraver le moins du monde ni les entrées ni
les sorties ni les mouvements divers des personnages. Aussi
bien les textes des œuvres dramatiques ne laissent aucun
doute à cet égard : chaque fois que le Chœur, reprenant sa
place après un stasimon ou étant en repos pendant un épi-
sode, annonce l'arrivée d'un nouveau personnage, il le dési-
gne par le démonstratif ôSe. Les personnages entrant tous par
le fond, par la porte ou par les parodoi, il s'ensuit que le
Chœur était lui-même au fond de l'Orchestra, entre l'une
des parodoi et la porte centrale. Cf. dans Antigone : vers
155, entrée de Créon, âXX' ôSsy^P^^ PaaiXeùç x^paç ; vers
386, entrée deCréon 35e £x§6(jl(i>v.... ; vers 626, entrée d'Hé-
mon oSe [;.t)v Ai'iJLwv....; vers 1257, entrée de Gréon, y,al {jiyjv
Inutile de faire intervenir, outre la porte du milieu, une
porte de droite et une porte de gauche dans le théâtre du v*
siècle. Tous les personnages sortant du palais (ï% Sojawv ou
ex SwjjiaTwv) passent par la même grande porte (ttuXôjv, v.
526), la seule qu'à cette époque les palais et les temples eus-
sent sur la rue. Il faut songer d'ailleurs que dans ces temps
anciens les décors étaient réduits au strict nécessaire.
Pour revenir au passage que nous étudions, voilà donc,
au commencement du deuxième épisode le Chœur placé à
droite et un peu en avant de la porte du palais. Antigone
vient d'entrer par Isl parodos de droite. Les gens qui l'ame-
naient s'arrêtent. Le Garde la pousse un peu en avant du
Chœur, croyant trouver Gréon devant la porte du palais.
« La voici f s'écrie-t-il triomphant, celle qui a fait le coup ;
VARIA 543
c'est celle-ci que nous avons prise sur le fait. Mais où est
Gréon ?» — Le Chœur: « Le voici qui sort de son palais... »
Ti^vB' 6?Xo{X£V ÔaTCTOUffav. 'AXXà xoO Xpéwv ;
Xo. "Os' ex SojjLwv a(];oppoç eîç (Jiéaov luepa.
Le Chœur, qui a aperçu Créon avant le Garde, se trouve
donc entre celui-ci et le roi : voilà pour la profondeur. Nous
avons vu tout à l'heure qu'il se trouve aussi entre la porte
et \ai parodos de droite : voilà pour la longueur. La distance
mathématique importe peu ici ; quant à la place relative de
tous ceux qui sont en ce moment dans l'orchestra (nous di-
rions en scène), elle est dès maintenant nettement établie.
Le Chœur ne bougera plus jusqu'au prochain stasimon. Oc-
cupons-nous des acteurs proprement dits, de leurs mouve-
ments au cours de l'épisode même.
En apercevant Créon, le Garde lui raconte avec volubilité
le succès de son entreprise et lui présente Antigone qu'il
désigne par TYjvâe : xoprjv àywv tt^vS' (v. 395) — xal vuv,
àva^, TT^jvS' aÙTOç, wç SéXeiç, Xa6à)V | xat xpïv£ xà^eXév^' • âyo)
§'£>v£Ù6£poç, X. T. X. (v. 398-9). C'est en ces termes qu'il re-
met la jeune fille entre les mains de Créon. Puis, par réserve
autant que par soulagement, il s'écarte un peu (vers la droite
naturellement), comme la suite va le montrer. Créon a Anti-
gone tout près de lui quand il demande au Garde comment
il l'a surprise.
aveiç l\ Tii^vSe tw xpoxG) '!i:66£V XaSciv ; (v. 401)
Les personnages sont disposés exactement comme suit :
(Porte du Palais) (Parodos)
Les Serviteurs
Le Chgeur.
Créon, Antigone. Le Garde.
4. £X£tv7), cela va sans dire, n'a pas ici de signification locale.
544 H. VANDAELE
Le Garde, en effet, dès le premier mot désigne Antigone
par auTYj (auTY) tôv avBp' lôaTcie 402). Il la nomme encore
deux fois dans son récit et deux fois par xauxYjv et qlu-zt, :
TaiitiQV y' t5<*>^ ÔàiCTOuaav 404 — oiixo) Sa -/^oiljiri ^^iXôv wç opa
véxuv 426.
Attribuera-t-on au hasard, à un caprice du poète d'abord
ce changement de démonstratif pour désigner dans la bou-
che du même personnage la même personne à l'arrivée et
après, puis cette continuité d'emploi dans un même passage* ?
Son récit terminé, le Garde s'en va par où il est venu. Les
serviteurs, qui avaient amené Antigone avec lui, restent au
fond, à l'entrée de la parodos ; leur présence sera nécessaire
tout à l'heure (v. 491). La scène suivante aura pour acteurs
Créon, Antigone, et le chœur naturellement.
Antigone n'a pas encore ouvert la bouche; elle reste la
tête baissée (441). Créon, près d'elle, l'apostrophe vive-
ment pour lui demander si elle reconnaît la vérité de ce qui
vient d'être dit :
(jà Si^, ffà TT^v veiiouffov eîç iréSov xàpa,
<pYjç Y) xàxapveï [ayj SeSpaxévai xaSe ; (441-2).
TaSe^cecz, « ce que je te dis ici », ou « ce que tu me dis
ici » . Ce mot est employé avec le premier sens par Créon ici
et V. 447 : i^SYjaÔa xi^px/^ivia [xy; Tcpaaaeiv TaSe; avec le second
sens par Antigone, v. 430 : où Y"^? "^^ V-^^ 2iùq fy o xYjpy^aç
TaSe. Le démonstratif laSe implique proximité des deux
interlocuteurs. Même sens, même attitude, même ton dans
l'expression TcJçSe... v6{ji.ouç prononcée successivement par
Créon (449) et par Antigone (452). Encore un exemple de
cette continuité constatée plus haut.
1. En désignant encore Antigone par ces mots r) Tcaîç (423) (= la dite
jeune fille), le Garde fait bien entendre qu'il ne se trouve pas tout à côté
d'elle. Cf. T^ç TtatSoç dans la bouche du Chœur, au vers 472.
VARIA 545
L'emploi par Antigone des termes mêmes de Créon pour
opposer sa manière de voir à celle du roi constitue en outre
une sorte d'impertinence. Il est vraisemblable de supposer
qu'à ce moment Créon, interloqué autant que froissé d'une
telle audace, s'éloigne de quelques pas pendant le reste du
discours d'x\ntigone. En effet, le roi lui répond plein de
colère :
a'jTYj B' uSpi'Cs'.v ^àv toi' e^YjTuiaxaTo (480)
« Celle-là savait bien m'outrager tout à l'heure »... Ce mot
auTYj ne peut se rapporter qu'à une personne placée à quel-
que distance de celui qui le profère. Quatre vers plus bas,
Créon, toujours à la même place ou du moins toujours à
quelque distance d'Antigone, continue :
•^ vliv àyà) \jh ojy, àvi^p, auTYj S'àv^p (484)
« Certes il faudrait que moi je ne fusse plus un homme et
que celle-là fût un homme... » ; et, au comble de la colère,
il achève sa phrase en s'avançant vers elle, la menaçant, en
quelque sorte le poing près du visage de la jeune fille :
û Taux' àvail t^§£ xîiasxai xpatr^ (485).
« Si une pareille violation restait impunie pour celle-ci. »
Dans ce passage, le changement de démonstratif fait ressor-
tir avec évidence le mouvement, je dirai même le geste de
Créon exaspéré. Furieux enfin, il décrète qu'Antigone
périra, et sa sœur avec elle :xal yàp ouv xsîvyjv iaov eTuaiTiwixa'.
(489-90). Keivt^v, parce qu'Ismène est absente. Ordre est
donné aux serviteurs d'aller la chercher (491).
Cependant Antigone se glorifie de son acte et se déclare
prête à mourir, victime du despotisme de Créon, certaine
d'ailleurs d'être approuvée de tous. Et ce disant elle désigne
le chœur, éloigné d'elle, par le démonstratif tojtoiç (504),
35
846 H. VANDAELE
tandis que le roi s'est rapproché du chœur comme pour le
prendre à témoin de la fausseté de ces paroles.
Créon : au touto [xouvt) iwvSe KaS(jL£io)v opa.q.
Ant. : èpcoai )jo3toi, œoI S' ùxiXXouaiv (7T6(ji,a.
Créon : au S' ojx sTuaiBei, xwvBe x^oplq etçpovsTç; (508-10)
Dans la discussion en monostiques qui suit, notons
èxeivo) (514) par lequel Créon désigne Étéocle absent et
mort (cf. 7,civcjç 525 = les morts chez Hadès), mais surtout
TaSe (521) qui dans la bouche d'Antigone s'applique aux
maximes que Créon lui débite. Ce xaSe montre, comme plus
haut, que les deux personnages sont en ce moment l'un près
l'autre : il n'est pas admissible qu'Antigone ait bougé ; il est
tout naturel, au contraire, que Créon soit revenu à sa pre-
mière place près de la jeune fille pour mieux confondre la
coupable entêtée et rendre plus vive la menace qui termine
cet entretien (525).
Sur ces entrefaites, Ismène est amenée hors du palais
(cf. 491) par les esclaves. C'est naturellement le chœur qui
l'aperçoit tout d'abord et signale son arrivée quand elle a
franchi la porte :
Xat [xf^VlUpO XUXWV Yj5' 'IciJLV^VY). (526).
Pendant qu'elle s'avance, grave et angoissée, le chœur
rythme sa marche par des anapestes. Les esclaves reprennent
leur place au fond, où on les appellera à la fin de la scène.
Ismène a aperçu Créon et Antigone ; elle se place à droite
(quant aux spectateurs) de sa sœur, qui se trouve de la sorte
entre le roi et la nouvelle arrivée. Les trois acteurs sont
rangés dans l'ordre suivant :
Créon, Antigone, Ismène.
Avant d'en montrer la preuve dans l'emploi des démonstra-
tifs, remarquons que le bon sens et la délicatesse du poète
VARIA 547
lui ont inspiré cet ordre. La scène, en eifet, se compose de
deux parties : un dialogue (d'abord en distiques, puis en
monostiques) entre les deux sœurs, puis un dialogue entre
Gréon et Ismène. (Elle commence d'ailleurs et se termine
par 5 vers de Gréon.) Pour l'une et l'autre de ces parties,
la vraisemblance voulait qu'Ismène fût toute proche d'Anti-
gone : on ne comprendrait pas que l'entretien des sœurs, si
pathétique, alors quismène veut mourir avec Antigone et
que celle-ci veut l'en détourner, eût lieu à distance, les
deux interlocutrices étant séparées par le roi ; d'autre part
il était naturel qu'Ismène allât se placer le plus près possi-
ble de sa sœur, le plus loin possible du terrible Gréon, et
que dans son dialogue avec celui-ci elle se serrât contre sa
sœur aînée, à laquelle un sort commun l'unissait plus que
jamais. Ainsi l'a compris le poète, comme le témoigne l'em-
ploi des démonstratifs. « Ah I te voilà, vipère, s'écrie Gréon;
eh bien, dis- moi si, oui ou non, tu es complice de ta sœur. »
Et Ismène de répondre :
Slâpaxa Tcupycv, s-'-ep y; 5' ofJioppoOsT (536).
Mais Antigone veut sauver malgré elle sa sœur d'ailleurs inno-
cente du crime qu'elle reconnaît avoir commis; et quand
celle-ci lui dit : « Quels charmes la vie aura-t-elle pour moi,
si je te perds ? » (ol8) la noble fille lui répond, affectant un
ton bourru pour donner le change au roi :
Kpéovx' àptoxa • ToOBsyàpau xyjSsijlwv (549).
Donc Gréon est à côté d'Antigone, comme celle-ci est à côté
d'Ismène. Voyons la suite.
L'égoïste Gréon ne comprend rien à ce sublime dévoue-
ment : « Décidément, dit-il enfin, ces deux filles-ci sont
folles I » Tw 7:aTc£ çr/tXi iwBe... (561). TwSe au duel : groupe
charmant, inséparable des deux sœurs, se tenant étroitement
S4Ô n. VANDAELE
unies et défiant ensemble le tyran ! La place et l'attitude des
personnages restent les mêmes jusqu'à la fin de cette scène.
Ismène parlant de sa sœur l'appelle x-^çBe au vers 566,
TY^Be au vers 570 (où àxsi'vo) s'applique à Hémon absent),
TYjçBe au vers 574, ty^vBs au vers 576. Créon désigne Anti-
gone par r^Se au vers 567, le mariage d'Antigone avec
Hémon par xouçSe toùç yi[LO'jç au vers 575.
A la fin, le roi appelle les esclaves et leur ordonne de les
conduire toutes les deux à l'intérieur du palais :
\LTi Tpi6àç Ix' , (zXXà viv
xc|ji.{Ç£x' eîffd), S[ji.a)£ç • èx §à xoOSe ypri
Yuvoïxaç elvai xaçSe [jlyjB' àv£t{ji.évaç. (577-9).
Les esclaves se saisissent, l'un d'Antigone, l'autre d'Ismène
(de là xaçBe au pluriel) pour les emmener. En réalité, Anti-
gone et Ismène ainsi que leurs gardiens restent dans l'orches-
tra (cf. 654 et 693), à gauche (du côté opposé au chœur) et
un peu en avant de la porte du palais, dans l'ordre suivant,
je présume, à partir de la porte (cf. v. 769) : le gardien
d'Antigone, Antigone, Ismène, le gardien d'Ismène. Créon se
retire également en arrière, près de la porte, mais à droite,
plongé dans de sombres pensées.
Le chœur s'avance au milieu de l'orchestre pour exécuter
le Stasimon (582-630).
La danse terminée, le chœur, en allant reprendre sa place,
aperçoit près de lui Hémon qui sort du palais ; il annonce à
Créon l'arrivée de son fils. Créon s'est avancé devant la
porte ; il s'y trouve face à face avec Hémon, dont il a hâte de
connaître les sentiments après la condamnation de sa fian-
cée. Rassuré par son calme et ses protestations de respec-
tueux dévouement, le roi félicite Hémon et s'empresse de
lui rappeler ses devoirs de fils et de sujet. « D'ailleurs,
ajoute-t-il, une méchante femme est un fléau pour son
VARIA 549
mari; méprise donc cette enfant-ci et laisse-la épouser
quelqu'un chez Hadès » kXkk xxucrac... piéOsç TYjvraTS' àv ''At^cu
ty;vc£ vu'j,(p£U£iv Tivi (653-4). Il est évident que, lorsque
Créon prononce ces mots, il est près d'Antigone. D'au-
tre part, dans sa réponse à son père, Hémon désigne
Antigone par ces mots ty;v raT$a xauTYjv (693). La conclusion
s'impose. Antigone se trouve près de Créon, probablement
un peu en arrière, n'étant ici qu'un simple comparse, et non
près d'Hémon. L'ordre des personnages est donc celui-ci :
Antigone,
Créon, Hémon.
Créon ne doute pas que son fils ne sacrifie à l'obéissance
qu'il doit à son père l'amour qu'il pourrait avoir pour une
femme. Pour l'affermir dans ce sentiment, il lui rappelle le
crime d'Antigone coupable envers la cité et révoltée contre
son roi. Sa mort est décidée. Suit une longue tirade sur le
respect absolu dû au chef de l'État et la honte qu'il y aurait
pour un homme de faiblir à son devoir à cause d'une femme.
On connaît la réponse d'Hémon. J'y remarque seulement,
outre TaJTY;v -ur^v t.tBol déjà cité et qui montre la place
d'Hémon relativement à Antigone, deux emplois de lâSs
(680 et 692) qui indiquent qu'Hémon est près de son père^
Le chœur invite les deux interlocuteurs à de mutuelles
concessions :
"Ava5 'si '^ e'.xoç, ziv. y.atptov Xéyst,
|j.x6£Tv, (T£ t' aU Tc Do' • £j Y^p £!.'prjXat S'.iuXy) (724-5)
TcDo£ désigne Créon, qui doit être à ce moment près du
Chœur. Ceci ne peut s'expliquer que par un mouvement de
recul du roi, mouvement fait, selon toute vraisemblance, en
signe de dénégation et de colère, lorsque, contre son attente,
4. "HBs, au vers 699, n'a pas de sens local, mais reprend, avec une
nuance de sympathie, f,iiç qui précède (696). Cf. xouSe (666).
5S0 H. VANDAELE
il est prié par son fils d'oublier son ressentiment (718 sq.).
Les dernières paroles d'Hémon et la réflexion du Chœur
font bondir le roi ; il revient, outré, auprès de son fils :
« Comment I s'écrie-t-il, un pareil blanc-bec me fera la leçon,
à mon âge I » (726-7).
Dès ce moment la discussion prend un ton aigu, violent
— changement marqué d'ailleurs par l'emploi des distiques,
puis aussitôt des monostiques, comme aussi par le ton inter-
rogatif et les yàp répétés. Hémon lui-même devient plus vif,
tout en restant respectueux.
Créon : "Epycv yàp ètjTi toÙç àxojjjLOjvTaç géôsiv ;
Hémon : Oj§' av v.zXeù<JXi\k sjcsôîTv eîç xoùç y.axoj;.
Créon : Oj^ r,^s. ycxp TcaB' èicsiXYjTUTa'. vdjw ;
Hémon : Ou ?Y;jt 6V)6r,ç xy^cB' cijizTcXiç ).£(ô;. (730-4).
Les deux personnages désignant l'un et l'autre Antigone par
YjSe, il s'ensuit qu'ils sont tous les deux à côté de la jeune
fille, Créon pour l'accuser, Hémon pour la défendre. Cette
partie de la scène se passe donc au fond, vers la gauche.
Une discussion violente a lieu ensuite entre le père et le
fils, à une certaine distance d' Antigone, comme il résulte du
vers 740 prononcé par Créon :
oS, (ôç £oiy.£, TYj yuvaïxt (j'j\}.\}.xyeX .
La fermeté d'Hémon met le comble à la fureur de Créon
qui se traduit par des insultes et des gros mots. Hémon
reste inébranlable. Créon en vient aux menaces.
Créon : *0 yo^j^) Xoyo; aci luaç bizïp y.stviQç o5c.
Hémon : Kat asu ys xàjJLOu xai Ôswv twv vspxépwv.
Créon : Tauxr^v tzox* oùx laô' wç èxi ^wjav yx\).eïq.
Hémon : "Hâ' c3v ^xntzxi y.al Gavcucr' cXsT xtva. (748-51).
Exemple intéressant de l'emploi des trois démonstratifs s'ap-
VARIA 851
pliquant à la même personne dans l'espace de quatre vers,
et d'autant plus curieux que -Azirq; se dit ici d'une personne
présente, mais naturellement fort éloignée. Quelle en est la
signification scénique ? Il est facile de la saisir. Antigone est
restée immobile, car il n'y a aucune raison pour qu'elle
quittât sa place. C'est donc Gréon qui s'est éloigné d'elle en
même temps qu'Hémon, comme l'indique ocs dans le même
vers : le père pour manifester son aversion pour son fils
entêté, le fils pour protester de sa loyauté auprès de son
père, ont fait quelques pas en avant. Puis, Antigone ayant
été directement désignée par Gréon sur un ton plein de
haine, Hémon recule auprès d'elle, et la couvrant en quel-
que sorte de son corps, il prononce le dernier vers en faisant
fièrement face à son père. C'est l'attitude expliquée par
Créon dans le vers suivant :
Jusqu'au dernier moment Hémon restera à côté de la jeune
fille (zapfvTi TrXrjcia tw vu;j.9uo 761); « si celle-ci meurt, dit-il,
ce ne sera pas en ma présence « oj B^x' ïiLO'.^e... r^h' cXeTiai
zAr^TÎa (762-3). Il ne la quitte que lorsque, sur l'ordre du
roi, les serviteurs saisissent Antigone. Alors il rentre préci-
pitamment.
Gréon s'approche des deux jeunes filles (xàS'ojvxcpaTaâ'
cjx à-a/vAa;£i [XQpou 769) — xàS' au duel parce qu'elles se
tiennent l'une contre l'autre, entre les deux gardiens — ;
puis, sur une observation du Chœur il met Ismèneen liberté;
pendant que les serviteurs se disposent à emmener Antigone,
il fait part au Chœur du genre de mort qu'il va préparer
pour la jeune fille et rentre.
11 est inutile de pousser plus loin cette étude. Elle suffit à
montrer que l'emploi des démonstratifs, jamais indifférent,
peut nous fournir des indications précieuses sur la place
55Î H. VANDAELE
qu'occupaient les personnages relativement les uns aux
autres, sur leurs mouvements, leurs jeux de scène, leur atti-
tude, en un mot que les démonstratifs aident puissamment
à faire revivre sous les yeux du lecteur l'élément le plus
intéressant de tout drame, l'action. Qu'on applique ces prin-
cipes et cette méthode à n'importe quelle pièce ancienne,
grecque ou latine, tragédie ou comédie ou drame satyrique,
on constatera la précision de tous ces emplois divers, et
ainsi le plaisir de lire de beaux vers se doublera de celui de
l'observation fine des caractères, du mouvement et de la vie.
Une fois de plus la grammaire aura servi la littérature et
l'art.
II. — La désinence latine médio-passive -mmi.
On explique legimini, clamini, 2'" personnes du pluriel
de l'indicatif présent médio-passif, comme venant de legi-
mini estis, damini estis, respectivement \t-ri\).=^tol hxe,
SôiJievoi àffTe; et cette explication semble confirmée par une
forme analogue en grec, ou plutôt en attique, où la 3*
personne du pluriel du Parfait et du P-Q-P Y'Tpa?^'^^^
eysYpaçaio a été remplacée par le participe accompagné de
l'auxiliaire slai : '^(z-^p7.]x^i^o\ eîaiv, -^sav.
Au premier abord, rien ne paraît plus logique que cette
explication : legimini {= *leg-o-menoi), damini (= *do-
menoi) étant des participes pluriels médio-passifs, il était
tout naturel qu'ils figurassent comme pluriels dans la conju-
gaison médio-passive. Mais, pour peu qu'on y regarde de
près et qu'on réfléchisse, plusieurs objections se présentent qui
rendent l'explication suspecte. Pourquoi ces formes ont-elles
servi de types de 2'^ personne, alors que les formes grecques
qu'on leur compare appartiennent à la S*' personne ? Com-
VARIA 5o3
ment se fait-il que les 2*' personnes latines se présentent tou-
jours et partout sans auxiliaire, alors qu'en grec l'auxiliaire
accompagne constamment le participe auquel il est aussi
indissolublement lié que l'est au participe l'auxiliaire être
on avoir dans la conjugaison française?
Quand bien même ces questions ne se poseraient pas ou
qu'on pût y répondre avec vraisemblance, une seule consi-
dération ruine l'explication courante : si damini peut à la
rigueur passer pour un participe, on n'en peut dire autant de
legimini. Legimini ne saurait être adéquat à asyÔ'xsvci, ô
accentué étant forcément représenté en latin par un ô ou un
û. L'équivalent latin de Xv^y^v^o^ est et ne saurait être que
*kgumnus(cî. alumnus, vertumniis, etc.) devenu legundiis (cf.
alunduSy vertundus, etc.). Et qu'on n'objecte pomt que *lego-
mini (= \t-(b'^.vtoC) aurait fort bien pu devenir legimini,
comme *legomus (cf. X^yopiev) est devenu legimus ou par
l'analogie des autres personnes legis, legit, legitis, ou par
l'affaiblissement de Vô ou w, puis en ^ (cf. optumus > opti-
nus, aurufex^ aurifex) : nous trouvons des traces de la forme
ancienne *legomus dans volumiis, giiaesumus, sumus, mais
on ne rencontre aucun vestige d'une 2^ personne *legomini
o\\.*legumini; d'autre part ô accentué doit rester o (ou li).
Donc la phonétique tout au moins s'oppose à ce qu'on
identifie legimini et \z^(ô\}.f^zi. C'est la phonétique également
qui nous donnera la clef de la question. La seule forme
grecque identifiable avec legimini, c'est AsYqxeva'., datif
singulier faisant fonction d'infinitif actif en éolien. Nous
posons donc :
legimini = \z^(i^.v)CLi.
La phonétique satisfaite, et c'est un point essentiel, le reste
s'explique aisément :
1" L'infinitif legimini, exprimant l'idée vague et imper-
884 H. VANDAELE
sonnelle de lire a été employé d'abord comme impératif. Le
grec et le français emploient couramment l'infinitif en fonc-
tion d'impératif ; le latin, il est vrai, n'en usait plus de
même au temps de sa littérature ; mais, n'aurions-nous que
la forme qui nous occupe, elle suffirait à prouver que la syn-
taxe latine primitive avait hérité d'un emploi abandonné dans
la suite.
2°En tant qu'impératif, l'infinitif /^^imzwf s'applique natu-
rellement à la 2* personne. (Cf. l'infinitif grec Xutjai et le
participe Xuaov.)
3^ La terminaison -i le prédisposait à être employé
comme pluriel, d'autant mieux que le singulier était pourvu.
4" Cette terminaison n'a peut-être pas non plus été indif-
férente à l'attribution du sens médio-passif à legimini, le
jour où l€gi,audiri, blandiri ox\i eu exclusivement la signifi-
cation médio- passive. Pareillement Auaat, infinitif actif, a
servi d'impératif moyen à cause de sa finale -a', rappelant -pia'.,
-aai, -Tai, etc. Au surplus, l'infinitif en soi n'est d'aucune
voix comme il n'est d'aucune personne : le grec nous le prouve
dans des constructions comme xaÀoç ôpav ; le français, plus
souvent encore, dans les expressions : agréable à voir,
facile à dire — bon à servir (où l'infinitif a le sens actif ou
passif suivant le contexte).
5" L'origine infinitive de legimini explique l'absence
constante de l'auxiliaire tant à l'impératif qu'à l'indicatif.
Car legimini (=: vous êtes lus) n'est autre chose que
l'impératif legimini (= soyez lus) d'après l'analogie des
formes correspondantes de l'actif. En d'autres termes legi-
mini, 2'' pers. du pi. de l'indicatif, est à legimini, 2* pers.
du pi. de l'impératif, comme *legite, forme de 2*^ pers. du
pi. de l'indicatif antérieure à legitis (cf. ^éysTs), est à legite,
%"" personne de l'impératif.
J. Yendryes
SUR L'HYPOTHÈSE
d'un
FUTUR EN BH ITALO-CELTIQUE
SUR L'HYPOTHÈSE D'UN FUTUR EN BH
ITALO-CELTIQUE
Par J. Vendryes
En face du futur latin en -b-, qui apparaît notamment
dans les deux premières conjugaisons (conjugaisons faibles),
il existe en irlandais un futur à suffixe ô (alternant avec /),
régulier également dans les deux conjugaisons faibles. Ainsi,
en face du latin amàbô, amâôis, etc., le vieil-irlandais pos-
sède, du verbe légaim « je lis » (1'^*' conjug.), un futur ainsi
fléchi :
lexi
on absolue
flexion conjointe
H
. 1 légfa
-légub
2 légfe
-légfe
3 légfîd (relat. légfas)
-légfa
PI.
1 légfimmi (relat. légflmme)
-légfam
2 légfithe
-légfid
3 légfit (relat. légfite)
-légfat
L'hypothèse d'une formation commune aux deux langues
a paru depuis longtemps évidente et a été enseignée dans
tous les manuels. M. Windisch la signale dans sa Kiirzge-
fasste Irise he Grammatik, p. 69 ; M. d'Arbois de Jubain-
5B8 J. VENDRYES
ville l'a reprise dans les Mémoires de la Société de Linguis-
tique, tome VI, p. 57, et on la trouve encore enregistrée
dans la 1'^*' édition du Grand riss de M. Brugmann, tome II,
p. 1266, et dans l'excellent ouvrage de M. W. -M. Lindsay,
the Latin language, chap. vm, § 36.
Elle ne va cependant pas sans certaines difficultés, qui
dans ces dernières années ont frappé les celtisants. Sans
avoir jamais, dans ses ouvrages, développé sa pensée à ce
sujet, M. ïhurneysen, dans ses leçons orales, met en doute
l'identification des deux futurs en question. Cet enseigne-
ment a passé, avec beaucoup d'autres, dans le remarquable
Haiidbuch der lateinischen Laut- imd Formenlehre de M. F.
Sommer (v. p. 573, n. 1) ; il y est fait allusion dans un
article de M. Fr. Skutsch, Su alcune forme del verbo latino,
p. 3 (dans les Atti del congresso internazionale di scienze
storiche, Roma 1903, Sezione I, Vol. II, p. 193). Et
M. Thurneysen lui-même, parlant du futur latin en -bô dans
son programme de prorectorat (Die Etgmologie, Freiburg
i. Br., 1904, p. 11), le présente comme une formation spé-
cialement latine, n'ayant d'analogue dans aucune autre
langue. C'est condamner implicitement tout rapprochement
avec l'irlandais.
L'objet du présent mémoire est d'examiner les difficultés
de ce rapprochement, difficultés qui sont de deux ordres,
en ce sens qu'on en rencontre à la fois sur le terrain latin et
sur le terrain irlandais.
Si l'on met à part le falisque et sa fameuse inscription :
foieduino pipafo kra karefo (JSot. d. Scavi, 1887, pp. 262
et 307), qui contient apparemment deux futurs en -bh-, t
le latin est le seul des dialectes italiques à présenter cette
formation. L'osque et l'ombrien n'ont que des futurs sigma-
tiques : osque deivast « iùrâbit » , didest « dabit » , ombrien
SUR L'HYPOTHESE D'UN t'UTUR EN BH ITALO-GELTIQUE 8^9
fust « erit », -pehast « piàbit », etc. (Cf. von Planta,
Gramm. der osk.-umbr. Dialekte, II, p. 318 et suiv. ; Buck,
an Oscan-umbr. firammar, p. 169).
Et d'autre part l'irlandais paraît être le seul des dialectes
celtiques à présenter des formes en h (/) au futur. Trois dia-
lectes bretons modernes sur quatre — le trécorois, le léo-
nard et le cornouaillais — ont bien à l'imparfait du futur
(qui ne diiïère de l'imparfait du subjonctif que par l'absence
du préverbe i^d) une caractéristique /", qui même en tréco-
rois s'est étendue au présent du futur. Soit, du verbe ka-
rout « aimer » : Sg. 1. karfenn^ 2. karfez, 3. karfe, PI. 1.
karfemp, 2. karfech^ 3. karfent. On pourrait voir dans cet
/ le représentant d'un ancien ô, analogue au b irlandais.
Mais cette opinion n'est plus soutenable depuis que M. Loth
a montré dans la Revue Celtique^ tome YII, p. 233 et suiv.,
par suite de quel processus analogique l'ancien /?, caractéris-
tique de cette forme, avait peu à peu cédé la place à un /
dans les dialectes en question. Il s'agit d'une évolution que
l'on peut suivre pas à pas depuis le moyen-breton jusqu'à
nos jours et qui a son point de départ naturel dans les verbes
dont le radical se terminait par v^ /, ou dans ceux qui étaient
composés du verbe substantif: kaffout « trouver », mervel
« mourir », aznavout « connaître », gouzout « savoir », etc.,
faisaient naturellement à l'imparfait du futur kaffen^ mar-
vhenn d'où marfenn, aznavhenn d'où aznafenn^ goiizavhenn
d'où goiizàfenn, gouzfenn, etc. ; de là par analogie, kar-
fenn au lieu de karkenn, galfenn au lieu de galhenn^ de
karout « aimer », gervel « appeler », etc. L'ancien h a sub-
sisté sporadiquement dans quelques formes isolées. En van-
netais, il s'est régulièrement conservé partout, et c'est là un
des points sur lesquels le vannetais s'accorde avec le gallois
qui, lui aussi, dans les textes du moyen âge, présente des
formes en h à l'imparfait du subjonctif et dans une certaine
Hm J. VENDRYES
mesure au présent (v. Vendryes, Mé?n. Soc. Li7igu., t. XI,
p. 2o8). Seulement, en gallois moderne cet h a complète-
ment disparu, si bien que l'indicatif et le subjonctif à l'im-
parfait se confondent ; les dialectes bretons modernes — en
mettant à part le vannetais qui a conservé ïh — ont évité
cet inconvénient en substituant à Vh en voie de disparition
une nouvelle caractéristique /, phonétiquement plus résis-
tante.
Il est remarquable qu'une évolution inverse s'est accom-
plie dans les dialectes irlandais modernes. Les philologues
qui ont étudié ces dialectes ont constaté que l'ancien / du
futur y est devenu un simple souffle, exposé lui-même à dis-
paraître et dont le seul eflPet consiste à assourdir, s'il y a lieu,
une sonore précédente (v. Dottin, Bev. Celt., XIV, p. 115;
Pedersen, Aspirationen i Irsk, 19 ; F.-N. Finck, die Ara?ier
Mundart, I, 141; Bergin, Èriu, II, 41; E.-C. Quiggin,
a Dialect of Donegal, p. 69) : en face de fdgaidh « il laisse »,
prononcé fôgë^ de lùbaidh « il plie » prononcé lûhé., etc.,
on aura au iwiwv fâgfaïdh « il laissera » prononcé fânè (de
*fâg-lie), iùhfaidh « il pliera » prononcé lûpè (de ^ lùb-
he)^ etc. Là où Vf n'était pas précédé de sonore, il dispa-
raissait sans laisser de traces (voir de nombreux exemples de
l'un et de l'autre cas dans le conte transcrit par M. Dottin,
Rev. Celt., XVI, 421 et suiv.). L'irlandais perdait ainsi tout
moyen d'exprimer le futur. La plupart des dialectes mo-
dernes ont obvié à cet inconvénient en généralisant l'ancien
futur redoublé du vieil irlandais, c'est-à-dire le futur à radi-
cal allongé des verbes forts, du type béra de berim « je
porte » , sous forme d'un futur en -éo-, -6- qui a été étendu
à tous les types de verbes (voir Atkinson, Three Shafts of
Dealh, Appendix, p. xvj ; Dottin, Rev. Celt., XIV, p. 119;
Strachan, Zeitsch. f. celt. Philoi., III, 486). Le dialecte de
Berehaven étudié par M. Bergin, Éiiu^ II, 36, s'est tiré
SUR L'HYPOTHÈSE D'UN FUTUR EN BH ITALO-GELTIQUE 561
d'embarras autrement ; ce dialecte appartient au Munster
méridional, où 1'/ du futur s'est maintenu comme représen-
tant du groupe -bth-, là où la désinence commençait primi-
tivement par th, c'est-à-dire à la 2^ pers. sg. de l'imparfait et
au passif ; soit du verbe dochim « je vois » au futur : présent
Sg. 1 chlhad, 2. chïhir, 3. c/iïhïg, etc., mais passif chîfar ;
imparfait Sg. 1. chïhinn, 2. chîfâ, 3. chïhach, etc., et passif
chlfi (Bergin, /. cit., 42). Partant de là, le dialecte de Bere-
haven a généralisé à toutes les personnes la caractéristique
/ qui ne subsistait plus qu'à la 2^ pers. sg. de l'imparfait et
au passif ; si bien qu'il est seul des dialectes modernes à
conserver — dans la prononciation — un futur en /", dont
l'origine est récente, et, comme on le voit, analogique.
Mais, en mettant à part ce dialecte isolé, on ne peut que
constater la différence absolue des deux évolutions qui ont
entraîné l'une l'irlandais moderne à transformer l'ancien
suffixe /en h, puis à l'amener à zéro, l'autre les dialectes
bretons modernes — sauf le vannetais — à substituer un
nouveau suffixe / à l'ancien suffixe h panbrittonique. Dès
lors il apparaît clairement qu'il n'y a historiquement rien
de commun entre le vieil-irlandais iégfa, -léguh et le tréco-
rois moderne karfenn. Les hypothèses que M. L.-Ghr. Stem
{Zeitsch. f. celt. PhiL, III, 405) avait essayé de construire
sur l'identification des deux formes s'écroulent du même
coup. L'irlandais et le latin restent par suite tous deux iso-
lés au sein de leur groupe linguistique ; et si l'on admet l'hypo-
thèse d'un futur en -bh- italo-celtique, il faudrait d'abord
donner les raisons de cet isolement.
La question se complique si l'on examine de près la for-
mation du futur latin. Gomme l'a indiqué M. Thurneysen
dans le discours précité, et comme l'a depuis exposé avec
plus de détails M. Meillet dans les Mém. de la Soc. de
36
S62 J. VENDRYES
Ling. , tome XIII, p. 361, le futur latin en -bô a dû sortir de
l'imparfait en -bam d'après le rapport erô : eràm dans le
verbe substantif, rapport qui explique d'ailleurs l'existence
des futurs antérieurs dixerô amâuerô monuerô à côté des
plus-que-parfaits dixeram amâueram monueram. L'impar-
fait latin en -bam rentre en effet dans une série de forma-
tions périphrastiques dont le principe est commun à l'ita-
lique, au germanique et au slave, et, chose particulièrement
importante ici, les dialectes italiques qui ignorent le futur
en bh connaissent l'imparfait en bh^ comme suffît à le montrer
la forme osque fufans « erant ». Pour le slave, il faut com-
parer l'imparfait en -axûÇvidéaxû « je voyais », neséaxû
« je portais ») et pour le germanique peut-être le prétérit
des verbes faibles, got. salbô-da^ v. h. a. salbô-ta « j'endui-
sais )), got. habai-da^ v, h. a. habê-ta, hap-ta « j'avais ».
(Brugmann, Grdr.^ II, 1275). L'imparfait latin en -bain
contient un thème d'aoriste -bâ- (de *bhwâ-), delà racine
*bh€Wd-(^\iT. bhdvatï)^ précédé lui-même d'un thème d'infi-
nitif, dont M. Meillet, loc. cit., p. 369 et suiv., a montré
l'extension sur le domaine slave (v. si. déla-ti déla-axû,
umé-ti umé-axû comme \^i.amâ-re amâ-bam, uidë-re uidë-
bam). Cet imparfait ainsi constitué est commun à tous les
verbes latins, et la formation en doit remonter aune date fort
ancienne.
Il n'en va pas de même du futur en -bo. On sait que le
latin avait conservé avec la valeur de subjonctifs les thèmes
en -à- et en -è- de l'indo-européen et qu'il les a ingénieuse- ^
ment répartis dans l'emploi respectif de subjonctif et de futur f
là où cela était possible, c'est-à-dire dans la" 3® et la 4^ con-
jugaisons: de là l'opposition proprement latine de leg-â-s I
« que tu lises » et de leg-ë-s « tu liras », de audi-à-s « que '
tu entendes » et de aiidi-ë-s « tu entendras » . Mais dans les
deux premières conjugaisons la répartition n'était pas pos
SUR L'HYPOTHÈSE D'UN FUTUR EN BH ITALO-GELTIQUE 563
sible : les thèmes ^amây-â- et money-è furent éliminés
parce que la chute du y intervocalique les réduisait à amâ-,
moné-, avec contraction des deux voyelles, c'est-à-dire leur
ôtait toute valeur expressive ; et la langue )\e conserva que
les thèmes *amciy-è- et ^money-â-^ qui, se trouvant seuls
dans leur conjugaison respective, furent réservés tous deux
à l'expression du subjonctif. L'emploi de futur dans ces deux
conjugaisons restait donc vacant. C'est alors qu'intervint
l'action analogique déjà signalée, suivant laquelle d'après
eram : erô on créa amâbô sur amâbam et monëbo sur mo-
nèbam. Sans doute on rencontre aussi à la 4® conjugaison,
dans des textes archaïques ou chez des auteurs de basse
époque, des futurs en -Ibô à côté des futurs en -iam (-iês),
seuls corrects à l'époque classique. Nonius, p. 50o et suiv.
de l'édition Mercier, attribue aux anciens auteurs : aperlbô,
audibô, expedlbô, oboedïbô, operlbô, uenlbo ; on lit chez
Plaute adgredlbor (Persa 15 A), repperlbitur (Epidicus 151
A), scibô (Asinar. 28), etc., etc. ; lènlbunt figure chez Pro-
perce IV, 21, 30, et molllbit dans quelques manuscrits
d'Horace, Odes III, 23, 18 (v. Neue-Wagener, Formenlehre
der lat. Sprache, III, 3^ édit., 322). Mais c'est que la
4^ conjugaison latine, comprenant un bon nombre de déno-
minatifs, se rattachait à certains points de vue aux deux pre-
mières, avec lesquelles elle constituait le groupe des verbes
faibles, par opposition aux verbes forts, groupés dans la troi-
sième. Et la forme même des futurs en -bô de la quatrième
conjugaison en dénonce l'origine récente et analogique :
comme M. Meillet l'a reconnu, lac. cit., p. 362, aiidïbô a
été fabriqué sur audïbam et tous deux sont analogiques des
couples amâbam : amâbô, monèbam : monébô, tandis
({xji'audièbam, forme jumelle de audiam, et qui domine
comme elle à l'époque classique, n'a jamais fait créer de
futur *audiébô. Il n'y a d'autre part rien à conclure de
564 J. VENDRYES
l'existence sporadique de futurs en -bô dans la troisième
conjugaison {exsûgèbTj Plante Epidic. 188 dans la bouche
d'un esclave ; dïcêbô et iiluèbo chez Novius, et paribit chez
Pomponius, tous deux auteurs d'Atellanes ; glûbèbit chez
Caton, de Agricult. 31, très douteux, et plus encore abniië-
hunt chez Ennius Trag. 371, puisque ce dernier emploie ail-
leurs le verbe abnueô Ann. 283 ; à la fin de la latinité,
dïcêbô, fluêbô, inferèbô, querèbor, surgébô, tremèbô, etc.,
V. Neue-Wagener, op. cit., 279). Le mouvement analogique
qui a créé le futur en -bô pouvait d'autant mieux s'étendre
des trois conjugaisons faibles à la conjugaison forte que
cette dernière comportait des thèmes très variés, dont quel-
ques-uns à cheval sur deux conjugaisons ; et on voit de
reste dans quelle mesure restreinte, au moins à l'époque
ancienne, s'est produite cette extension. Le latin oppose
ainsi à l'hypothèse d'un futur en bh italo-celtique une diffi-
culté d'ordre morphologique qui est des plus graves ; bien
loin d'être panitalique, le futur en-ô-du latin n'est lui-même
qu'une création récente dont on entrevoit aisément le point
de départ et la raison.
L'irlandais ne présente à la vérité aucune difficulté de
même ordre. Le fait même qu'il reste isolé avec son futur
en b (/) au milieu du groupe celtique n'excluerait pas l'hy-
pothèse d'une formation préceltique, si le latin ne venait
ôter à cette hypothèse son principal soutien. Mais M. Som-
mer, dans la note citée plus haut, a brièvement indiqué une
difficulté phonétique.
Après un certain nombre de consonnes, et notamment
aprèsr, lebh initial de la racine *bhew9 , au lieu de devenir
/", aurait dû se maintenir sous la forme b. L'alternance gra-
phique de ô et de / suppose en efïet que ces deux lettres
représentent une spirante ; or après r un ancien bh reste
SUR L'HYPOTHÈSE D'UN FUTUR EN BH ITALO-CELTIQUE 568
occlusif sous la forme b (souvent écrit jo). De là l'opposition
de borb « fou » (issu de *borbho-), voc. pi. biirpu Wb. 19
b 4, dérivé burbe « folie » Wb. 8 a 6, dat. btirpi Wb. 17
c 23, orbe « héritage » (issu de * orbhio-) écrit orpe Wb. 2
c 21, 27 c 12, comarbiis « id. » Wb. 4 c 8 et de marb
« mort » Wb. 13 d 16, 20 c 26, irlandais moderne marbh,
issu de ^maruo- et où par suite le b représente une spi-
rante (cf. gall. marvo).
Il convient de signaler tout de suite que justement deux
verbes de la première conjugaison dont le radical se termi-
nait par un i\ à savoir caraim « j'aime » et scaraim « je
sépare », n'ont ni l'un ni l'autre de futur en b (/); l'excep-
tion est quasi unique (v. Vendryes, Gramm. du vieil-irlan-
dais^ § 333 Rem. I, p. 174). Le futur de caraim se forme
par redoublement : nicon-chechrat Wb. 30 c 4, cechrait
O'Dav. Gramm. p. 66, nod-cechra Zeitsch. f. Gelt. Philol.,
III, 449, 1. 6 ; et scaraim a un futur à radical allongé : cons-
céra Wb. 26 a 8, conscera Ml. 56 d 6, eterscértar Wb. 8
b 3. Si ces deux verbes forment leur futur à la façon des
verbes forts, ne serait-ce pas que la liquide finale de leur
radical excluait la prononciation spirante d'un b suivant et
par suite rendait inintelligible la formation en b (/) habi-
tuelle aux verbes faibles ?^
L'argument aurait toute sa valeur si l'on ne rencontrait
d'autre part en vieil-irlandais des futurs comme -sôirfea
Wb. 24 c 18, Ml. 27 a 6, 45 d 10, -soirfa Wb. 11 b 4, soir-
fitir Ml. 68 d 14, -sôirfetar Ml. 96 b 2, -soirfad Ml. 90 c
1. Il est en tout cas piquant de constater que la forme carfa -carub,
partout citée comme le type du futur irlandais en 6 (/") n'existe pas.
M. Osthoff a récomment rappelé de même (Z. f. Celt. Ph., VI, 417, n.)
qu'un mot sans cesse utilisé en grammaire comparée, le prétendu adjectif
irlandais cloth « illustre », équivalent de skr. çrutàh, de /.Xu-cd;, de inclutus,
n'est nulle part attesté ; il n'existe qu'un substantif neutre cloth « gloire »
en moyen-irlandais (K. Meyer, Contributions, 193).
S66 J. VENDRYES
19, -soirfed Wb. 32 d 13, Ml. 131 c 9, -soirbedm. 53 d 6,
-soirfitis Ml. 91 a 10 du verbe sôiraim « je délivre », -foir-
fea Wb. 11 d 3, fomfirfider Ml. 33 b 10 du verbe foferaim
« je prépare » et si le verbe scaraim lui-même n'avait aussi
un futur en h dans la prem. pers. sg. scairiub Ml. 43 a 23.
Il est vrai que la plupart de ces futurs, et scairiub tout le
premier, portent la marque d'une création récente dans le
fait que la consonne finale du radical y est de position anté-
rieure ; ce qui suppose la confusion de la 1*^^ et de la 2^ con-
jugaison (cf. Vendryes, op. cit., § 333 Rem. II, p. 175).
Il est d'ailleurs une considération que l'on peut opposer à
l'objection de M. Sommer. Si le futur en b (/) de l'irlandais
est un futur périphrastique de formation analogue au futur
en b du latin, il faut admettre que l'élément commençant
par bh s'y est ajouté à un thème de conjugaison analogue aux
thèmes *amâ- ei*mo7iè- du latin : le bh se trouvait donc à
l'intervocalique, c'est-à-dire dans des conditions où il devait
devenir spirant. Or, la prononciation irlandaise a confondu
de bonne heure dans certaines conditions les spirantes sour-
des (notées ph, th, ch) et sonores (notées é, d, g^.ei l'usage
graphique a tendu à réserver dans chaque ordre le signe de
la sourde à l'intérieur et celui de la sonore à la finale, sauf
dans l'ordre des gutturales, où c'est généralement l'inverse
(v. Vendryes, op. cit., §41 et 42, p. 28): de là cûrsagad
« réprobation », gén. cûrsagtha, delà la ^rsiphie timthirec ht
Wb. 5 d 9, 10 d 17, timthrecht ML 53 b 20, 138 a 5 du
substantif écrit ailleurs timdirecht « service » Sg. 35 a 2,
qui commence par les trois préfixes to-, -imm- et -di-
(Ascoli, Gloss., cciv). Or ph ei f, c'est en vieil-irlandais la
même chose ; de là l'opposition naturelle de f intérieur et
de b final. Une fois cette opposition établie dans la forma-
tion du futur, il est clair qu'elle a été maintenue le plus
s oigneusement possible parce qu'elle avait une valeur morpho-
SUR L'HYPOTHÈSE D'UN FUTUR EN BH ITALO-GELTIQUE 567
logique significative. De même qu'au prétérit des verbes fai-
bles la caractéristique s a été conservée en toute position à
l'intérieur au mépris parfois des lois ordinaires de la simpli-
fication des groupes de consonnes, de même la caractéris-
tique / du futur se conserve en général après toutes les con-
sonnes. Après r, des exemples en ont été fournis plus haut ;
après /, on a ni sechnalfam Ml. 25 a 3, ni sechmalfaider
Ml. 14 d 3, -toscelfat Ml. 107 c H, etc. ; après m, doemfea
Ml. 120 c 8, dotemfet Ml. 112 c 1, adrimfem Ml. 14 d 5,
adrimfiter adrimfetar Sg. 153 b 1, PCr. 63 b 3, dorimfem
Ml. 44 a 24, etc. ; après /z, nolinfed Ml. 25 a 8, linfiderW^.
103 a 10, folinfea Wb. 12 d 14, etc. ; après s, norois fed
Ml. 85 d 10, noroisfitis Ml. 35 c 19 ; après c, iccfidir Wb.
25 a 30, léicfimmi Wb. 14 d 10, léicfidir Wb. 6 b 30, etc. ;
après ch ou g, seichfed Ml. 89 c 5, cotobsechfider Wb. 9 a
23, didiiichfea Ml. 128 c 6 dulugfa Ml. 58 c 18, noloichfed
Ml. 127 a 6, sindigfîth Ml. 46 c 20, etc. ; après t, slechtfait
Ml. 89 d 14 ; après d, neidfider Wb. 32 c 13 ; après th,
roithfiter Ml. 15 c 18, hiaithfider Ml. 57 c 7 ; etc. Mais
d'autre part, à côté de connoscaigfe Ml. 61 d 1, on lit
diirôscaifea Ml. 139 b 3 (cf. -scaibea 89 c 12, -scibea Wb.
1 d 21, -scaifet Ml. 84 b 4, -scibet 84 b 1), du verbe scai-
gim^ et du verbe sluindim le seul futur attesté est -shiin-
fem Wb. 15 a 4, -shtinfider Wb. 28 c 14. Enfin, après b,
si on lit nôibfea Wb. 13 b 19 de nôibaim, on lit d'autre
part atrefea, adid trefea Ml. 107 a 15 de atrebaim\ c'est
déjà une prononciation moyen-irlandaise, puisque le futur
de marbaim est -mairfitis^ -mairfide en moyen-irlandais
(L.L. 289 b 17, 290 b 30) dans la Rev. Celt., XIII, 446,
454, et on notera que dans le dialecte de Donegal étudié
par M. Quiggin (op. cit., ip. 110), le / du futur se maintient
comme représentant du groupe bf dans les verbes dont le
radical se termine par un ^. En revanche c'est à tort que
868 J. VENDRYES
M. Bergin /fm/ III, 53, voit dans nodneirbea Ml. 51 b 10
un futur -eirbfea ; il s'agit plutôt d'un subjonctif.
Il ressort de ce qui précède qu'en dehors de quelques
exemples isolés la caractéristique f du futur s'est maintenue
généralement à l'intérieur à cause de sa valeur significative.
A cette caractéristique / de l'intérieur s'oppose la caracté-
ristique b de la finale. Il n'y a rien à conclure des relations
phonétiques de cette caractéristique avec les sons voisins,
sinon que l'opposition b final : / intérieur ayant été sentie
comme la marque du futur a été généralisée et maintenue
partout. Cette opposition ne permet sans doute pas d'établir
qu'il s'agisse à l'origine d'une sonore plutôt que d'une sourde
et par suite ne préjuge en rien la qualité exacte de la con-
sonne primitive. Mais comme il semble à peu près exclu
qu'on puisse partir de la sourde (car / en cette position ne
pourrait sortir que de -5î;-), il faut accepter comme point 'de
départ la sonore et voir dans le futur irlandais un futur en bh.
Ainsi les difficultés phonétiques opposées plus haut peuvent
être écartées et on peut reprendre l'ancienne hypothèse sui-
vant laquelle le futur irlandais des verbes faibles serait une
combinaison périphrastique comprenant comme second élé-
ment un thème (de subjonctif?) emprunté à la racine
"^bhewQ-.
C'est évidemment la conclusion à laquelle conduit égale-
ment l'examen du futur latin en -bo. Seulement les deux
futurs n'ont historiquement rien de commun, et l'hypothèse
d'un futur en bh italo-celtique doit être abandonnée. On a vu
comment le futur latin est né ; il faut admettre que de son
côté l'irlandais s'est créé un futur au moyen de la racine du
verbe substantif. Si quelqu'un s'étonnait de voir deux lan-
gues voisines arriver au même résultat par des chemins si
différents, il faudrait lui rappeler que la tendance à créer
des flexions périphrastiques est générale dans les langues
SUR L'HYPOTHÈSE D'UN FUTUR EN BH ITALO-CELTIQUE 569
indo-européennes et se manifeste indépendamment dans le
sanskrit dâtâsmi « je donnerai » et dans le français je chan-
terai, dans le latin factus sum et dans le v. h. a. ginoman
ward, dans le français J'rtz bâti et dans le polonais dzialalem,
dans le latin dictum ïrî, dictûrum et dans le lituanien dé-
tum-bime (opt. pi. 1); en celtique, la conjugaison du brit-
tonique est aujourd'hui en grande partie périphrastique ;
il n'est pas étonnant que cette même tendance ait fait créer
un futur nouveau en latin et en irlandais ; le résultat a été
identique, mais le processus, étant données les conditions
des deux langages, a été différent.
H. DE LA VILLE DE MIRMONT
Le Ilapax.'XocuaiGupov
DANS LA LITTÉRATURE LATINE
Le IlapaxIaufnÔ'Jpov
DANS LA LITTERATURE LATINE
Par. H. de LA Ville de Mirmont.
Plutarque fait définir en ces termes par l'un des interlo-
cuteurs du dialogue intitulé l'Erotique les devoirs principaux
d'un galant de profession : « Se rendre avec un cortège vers
certaines portes ; chanter des lamentations devant la porte
qui reste fermée et y fixer des offrandes emblématiques,
combattre au pancrace contre les rivaux : voilà les occupa-
tions qui conviennent à un amoureux \ »
Parmi ces occupations, il en est une qui semble tout à fait
négligée par les amoureux : les œuvres littéraires qui nous
restent de l'antiquité gréco-romaine ne nous montrent pas
de rivaux en amour s'escrimant à cette terrible lutte gymni-
que du pancrace où les adversaires avaient le droit d'em-
ployer tous les moyens d'attaque, les coups de poingcomme
les coups de pied, et de continuer le combat jusqu'à ce que
le vaincu fût tué ou avouât sa défaite.
Mais, longtemps avant l'époque de Plutarque qui écrivait
à la fin du premier siècle de l'ère chrétienne, les galants
i. Plutarque, L'Erotique, viii, p. 753, B. "ASeivxô rcapaxXaua-'Gopov (rea-
pa/.Xai'co, se lamenter devant ; 6i5pa, porte).
574 îî. DE LA VILLE DE MIRMONT
grecs ou romains avaient coutume de stationner et de se la-
menter devant la porte fermée où ils fixaient des emblèmes'
d'amour. Les petites poésies qui forment V Anthologie et ce
qui nous reste des élégiaques latins fournissent sur cette cou-
tume des renseignements nombreux. Qu'il suffise de citer
deux épigrammes erotiques, l'une de Gallimaque, le grand
homme du Musée, qui vivait entre l'an 310 et l'an 235, l'au-
tre de Méléagre de Gadara, l'un des meilleurs poètes alex-
andrins de second ordre, qui vivait entre l'an 130 et l'an
50:
Puisses-tu dormir, Conopion, comme tu me fais dormir sous ce portique
glacé 1 Puisses-tu n'avoir pas d'autre lit, cruelle, que celui où tu laisses
ton amant ! Quoi 1 Pas le moindre sentiment de pitié I Les voisins sont
émus de compassion; mais toi, pas même en songe... Ah ! bientôt les che-
veux blancs te rappelleront toutes ces rigueurs et me vengeront.
Astres, et toi, Lune, qui brilles si belle aux amants. Nuit, et toi, petit
instrument compagnon des sérénades^ est-ce que je la trouverai encore
l'amoureuse, sur sa couche, tout éveillée et se plaignant à sa lampe soli-
taire ? Ou bien, en a-t-elle un autre à ses côtés? Au-dessus de sa porte,
alors, je suspendrai ces couronnes suppliantes, non sans les avoir fanées
auparavant de mes larmes, et j'y inscrirai ces mots : « A toi, Cypris, Mé-
léagre, l'inimitié de tes jeux, a suspendu ici les dépouilles de sa ten-
dresse ' . »
A Rome, dans les dernières années de la République, le
poète philosophe Lucrèce mentionne, non sans une dédai-
gneuse ironie, la conduite des amoureux de son temps qui
viennent, parfumés d'essence de marjolaine, couvrir de
fleurs et de guirlandes le seuil qui leur est interdit et acca-
bler de baisers désespérés la porte qui leur est fermée ^
4. Anthologie grecque, traduction F. Déhèque, Paris, 4863; tome I,
p. 22 et 46, Épigrammes erotiques, n^ 23 (de Gallimaque) et n^ 494 (de
2. Lucrèce, IV, v. 4469-4474.
Le llapax^ayfftÔypov 8^5
D'autres amoureux, dont la passion spéciale, souvent
chantée par les anciens, répugne singulièrement à nos senti-
ments modernes, se livraient aux mêmes manifestations que
les galants éconduits dont parle l'auteur du poème De la
Nature. Dans une pièce de Catulle, le jeune Atys se désole
au souvenir des nuits où sa porte était assiégée par les admi-
rateurs de sa beauté, des matins où, à l'heure du réveil, il
voyait les murs de sa maison parés de couronnes de fleurs,
offrandes de ses amants ^
C'est une coutume de son temps à laquelle il a, sans doute,
lui-même été fidèle, comme ses compagnons de plaisir, que
Catulle attribue aux amants du héros légendaire de Phrygie,
Atys, qui doit à sa beauté d'être distingué par la déesse
Cybèle. Mais Ovide, qui tient à retrouver dans les temps les
plus reculés les origines de toutes les traditions mondaines
du siècle d'Auguste, fait remonter à l'âge héroïque l'habitude
qu'avaient les amants malheureux de déposer des fleurs et
des couronnes devant la porte qui restait impitoyablement
close, malgré leurs prières et leurs larmes. Si les Fastes font
allusion aux jeunes contemporains du poète qui viennent, la
chevelure parfumée et couronnée de fleurs, chanter sur le
seuil rigoureux de leur belle maîtresse^, à en croire les Jf e-
tamorphoses, jadis, dans l'île de Cypre, l'amoureux Iphis
attachait à la porte de l'insensible Anaxarète des couronnes
de fleurs arrosées de ses larmes ; il étendait ses membres
délicats sur la pierre du seuil qui les meurtrissait ; il passait
la nuit à se lamenter, accablant de reproches la barre fatale
qui lui interdisait l'entrée de la maison ; enfin, il fixait une
corde à cette porte qu'il avait si souvent ornée de guirlan-
des, passait la tête dans le nœud coulant et se pendait^.
1. Catulle, LXIII, V. 65-66.
2. Ovide, Fastes, Y, v. 339-340.
3. Ovide, Métamorphoses, XIV, v. 708-738,
576 H. DE LA VILLE DE MIRMONT
II est certain que, dès l'époque attique, les amants qui ont
des lettres, ou tout au moins de la mémoire, adressent aux
beautés cruelles qui les désespèrent, en même temps que
leurs larmes et leurs couronnes de fleurs, une cantilène dont
ils composent eux-mêmes les paroles sur un thème banal, ou
dont ils répètent simplement les vers consacrés par l'usage
et adaptés tant bien que mal à leur situation particulière.
L' Assemblée des Femmes d'Aristophane met en scène un
jeune homme qui chante ses souffrances et sa passion devant
la maison d'une jeune fille :
Viens à moi, viens à moi I Descends et ouvre-moi ta porte, cette porte
devant laquelle je t'attends. Si tu ne viens pas, je tomberai de langueur,
je resterai étendu sur le seuil... Bien-aimée, je brûle de me livrer dans
tes bras aux ébats amoureux. 0 Cypris, pourquoi me rendre ainsi fou de
cette jeune fille ? 0 Eros, je t'en conjure, fais que je partage la couche de
mon aimée. Mes paroles expriment bien faiblement ma misère. 0 bien-
aimée, je t'en supplie, ouvre ta porte, accueille-moi par des baisers ; car
c'est toi qui causes ma peine. 0 bijou plus précieux que les joyaux d'or le
plus habilement ciselés, ô fille de Cypris, poétesse aimée de la Muse, en-
fant élevée par les Charités, vivant portrait de la Volupté, ouvre ta porte,
accueille-moi par des baisers, car c'est toi qui causes ma peine *.
Tel est le plus ancien napay.Xauciôupov que nous connais-
sions. Comme il convient dans une comédie, la jeune fille
est loin de se montrer insensible à cette sommation poétique;
et, si le jeune homme se voit soumis à des obligations très
pénibles, indépendantes d'ailleurs de la volonté de celle
qu'il désire, il n'est pas du moins réduit à se pendre.
Un poème d'auteur inconnu, 1' 'Epac7-r^ç,qui se trouve dans
les œuvres de Théocrite, où il porte le n" xxiii, raconte la
funeste passion d'un homme qui se consume d'amour pour
un bel et dédaigneux adolescent. L'amant malheureux vient
1. Aristophane, L'Assemblée des Femmes, v. 960-976,
LE Ilapax^auffJOvipov 877
pleurer devant la maison de celui qui le méprise. Il couvre
le seuil de ses baisers ; puis, il élève la voix et chante une
longue lamentation ; enfin, il attache une corde au-dessus de
la porte, se pend et meurt, exactement comme le jeune
Iphis des Métamorphoses dont Ovide a dû emprunter l'his-
toire à l'idylle du pseudo-Théocrite.
Deux siècles avant l'époque d'Ovide, les influences hellé-
niques ont déjà fait passer, sinon par les mœurs romaines,
du moins dans la littérature, l'habitude de ces lamentations
devant la porte que nous entendons chanter par les person-
nages de Plante comme par ceux d'Aristophane. Dès l'an
561-193, le Curculio nous donne un canticum qui rappelle
le napr/.AajjiOjpcv de L'Assemblée des Femmes et qui fait
penser à la sérénade du Barbier de Séville. Le jeune Phé-
drome chante devant la porte de son amante Planésion, pen-
dant que Palinure, l'esclave confident, se tient aux aguets :
Verrous, holàl verrous, je vous salue avec joie 1 Je vous aime, je désire
vous parler, je m'adresse à vous et je vous implore. 0 très aimables ver-
rous, c'est moi l'amant : soyez complaisants pour moi ! En ma faveur,
aussi lestes que les danseurs des pays barbares, sautez, je vous en con-
jure, et laissez-la sortir, celle qui épuise jusqu'à la dernière goutte tout
le sang d'un misérable amoureux 1 Mais, voyez... Ils dorment, ces verrous
exécrables ; et, pour moi, ils ne s'ébranlent pas plus vite. Je m'aperçois
que vous ne me portez aucun intérêt, verrous ^..
C'est ainsi que, pendant que Figaro reste collé au mur
sous le balcon de Rosine, le comte Almaviva chante en se
promenant et s'accompagnant sur sa guitare : « Je suis Lin-
dor, ma naissance est commune... »
Depuis Catulle jusqu'à Ovide, tous ceux des lyriques et
des élégiaques latins dont les œuvres nous sont parvenues
1. Plaute, Curculio, I, ii, v. 147-155.
37
878 H. DE LA VILLE DE MlRiMONT
ont exécuté, chacun à sa manière, des variations personnel-
les sur le thème connu de la complainte erotique chantée
devant la porte close d'une insensible maîtresse.
Catulle profite des ombres de la nuit pour venir vers la
maison d'une femme qui a, dit-on, mal tourné ; à en croire
la chronique scandaleuse, mille bruits courent à la honte de
cette jeune matrona qu'on accuse de s'être compromise
avec Postumius, avec Cornélius, avec bien d'autres galants
adultères. Le poète s'adresse en termes pleins d'une politesse
ironique à la porte dont il sollicite quelques renseignements
précis :
0 porte, aimable pour le mari complaisant, aimable pour le père, salut!
Que Jupiter te favorise de son aide propice ! Toi qui jadis servis, dit-on,
Balbus avec honnêteté, alors que ce vieillard occupait lui-même la mai-
son ; toi qui, ensuite, — on le rapporte, — servis tout au contraire tes
maîtres en faisant pour eux des vœux malveillants, depuis que, le vieux
une fois mort, la femme est devenue la maîtresse du logis... Allons, dis-
nous d'où vient ce bruit qui t'attribue l'abandon de tout respect envers
ton ancien maître*.
La porte ne tient pas à répondre ; elle sait qu'on l'accuse,
qu'on la fait responsable de tous les désordres qui se com-
mettent dans la maison dont elle a la charge de défendre
l'entrée aux gens suspects :
Personne ne peut dire en quoi j'ai péché. Mais c'est toujours à la porte
que ce peuple s'en prend. Chaque fois que l'on s'aperçoit de quelque
mauvaise action, tout le monde me crie : « Porte, c'est ta faute ^. »
Le poète la rassure : ce n'est pas sur sa conduite qu'il
prétend l'interroger, mais bien sur la réputation infâme des
1. Catulle, LXVII, v. 4-8.
2. Catulle, LXVII, v. 11-44.
LE IlapaxXauffiôypov 579
maîtres de la maison. Et la porte, qui ne demande qu'à
parler, répète les confidences qu'elle a entendu faire par la
jeune femme à ses servantes, insiste sur tout ce qui a été
dit par les imprudents qui croyaient qu'une porte n'a pas
d'oreilles pour écouter, n'a pas de langue pour répondre
quand on lui adresse des questions.
En somme, Catulle fait servir le Ilapay.AauaiOupov de cadre
à une violente satire dans laquelle tous les désordres d'une
maison où bien des actions mauvaises ont été commises sont
révélées par un témoin qui ne peut déserter son poste et qui
est bien placé pour savoir qui pénètre au logis en y intro-
duisant la honte et l'infamie.
Horace renouvelle la forme banale de ce chant qui se dit
devant la porte d'une maîtresse pour avertir méchamment
Lydia, courtisane sur le retour, que bientôt, abandonnée de
tous ses amants, dévorée de désirs inassouvis, elle pleurera
solitaire dans la rue déserte, sous la bise mordante d'une
nuit sombre et froide ; il lui rappelle que déjà le temps est
passé où les galants assiégeaient sa demeure ; les jeunes
libertins ne viennent plus aussi fréquemment frapper à ses
fenêtres et troubler son sommeil. La porte de Lydia reste
fidèle au seuil, elle qui roulait jadis si facilement sur ses
gonds. La courtisane vieillie entend de moins en moins sou-
vent répéter devant chez elle : « Pendant ces longues nuits
où je suis dehors, mourant d'amour, Lydia, tu dors ^ 1 »
Les amoureux de Lydia se souvenaient, dans leur triste re-
frain, des lamentations d'Asclépiade :
C'est l'hiver ; les Pléiades sont au milieu de leur course ; la nuit va
disparaître ; et moi, sous les fenêtres d'Hélène, je me promène tout ruis-
selant de pluie et blessé de ses charmes 2.
i. Horace, Odes, I, xxv, v. 6-8.
2. Anthologie grecque, traduct. F. Dehèque, tome I, p. 46, Épi-
grammes erotiques, n° 189.
«30 tî. DE LA VILLE DE MlRMONÎ
L'auteur des Odes prétend avoir chanté lui-même pour
son propre compte une lamentation semblable à celle des
amoureux de Lydia devant la porte inexorable d'une femme
mariée, Lycé, alors que mugissaient les vents d'hiver, alors
que la neige se durcissait sous un ciel froid et sans nuages ;
la plainte se termine en menace : si Lycé persiste dans un
orgueil insensible qui offense Yénus, son amant ne passera
plus ses nuits à pleurer par le froid et la pluie, étendu sur
le seuil de la porte \ Ce napay.Xajs-Ojp^v semble un pur
exercice littéraire où le poète se plaît à rivaliser avec les
poètes de V Anthologie : Horace, on lésait, se contentait d'a-
mours faciles et sans encombres ; il tenait à sa santé qui était
médiocre et que de longues stations par le froid et la pluie
auraient gravement compromise. Nous ne nous représentons
pas ce philosophe épicurien, petit et gros, que l'empereur
Auguste comparait à un tonneau, s'exposant toute une nuit
d'hiver aux intempéries qui auraient pu rendre nécessaires
les soins du médecin Antonius Musa et exiger une cure aux
eaux de Vélie en Lucanie ou de Salerne dans le Picentin,
loin de cette chère villa de la Sabine où le poète propriétaire
aimait à prolonger ses vacances.
On apprécie, au contraire, une réelle sincérité dans les
plaintes poétiques de Tibulle versant des larmes vaines et se
fatiguant en une colère stérile devant la maison de sa maî-
tresse. L'amant de Délie interpelle la porte fermée pour lui.
Bien des fois, au milieu des ténèbres de la nuit, il a par-
couru la ville pour aller au rendez-vous d'amour. Protégé
par Venus, il n'a eu rien à craindre de l'indiscrétion des
passants attardés ; aucune bande de joyeux noctambules n'a
essayé, pour le reconnaître, d'approcher de son visage des
torches allumées ; ceux qui l'ont reconnu se sont faits ses
i. Horace, Odes, III, x.
LE na;.ax).a-.(Ti6u,'ov 581
complices et n'ont révélé son nom à personne. Vénus a éloi-
gné de lui toute attaque nocturne. Vénus l'a rendu insensible
au froid engourdissant des nuits d'hiver, aux averses tor-
rentielles. Il ne pensait qu'au moment attendu où Délie
glisserait un pied furtif hors de sa couche moelleuse, des-
cendrait sans bruit, ouvrirait doucement la porte et d'un
muet signal de son doigt, appellerait son amant à ses côtés.
Mais les temps sont changés. Délie est mariée ; un gardien
jaloux veille sur la jeune femme ; un solide verrou ferme la
porte qui ne s'ouvre plus. Le poète va passer, couché sur la
pierre du seuil, une nuit désolée; il s'est fait apporter du
vin pour trouver dans le sommeil de l'ivresse un soulage-
ment à ses peines d'amour. Jusqu'au moment où le dieu
Bacchus apaisera et endormira son chagrin, Tibulle répétera
son chant de lamentation ; et, avant d'implorer Délie, c'est
à la porte qu'il s'adresse :
Porte, toi qui m'interdis tout accès auprès de ma maîtresse, puisses-tu
être battue de la pluie ! Puisse te frapper la foudre lancée par l'ordre de
Jupiter!... Ou plutôt, porte, vaincue par mes plaintes, ouvre-toi pour moi
seul. Tourne furtivement sur tes gonds, ouvre-toi sans bruit. Et, si, dans
ma folie, j'ai prononcé contre toi quelques mauvaises paroles, pardonne.
Je demande que ces imprécations retombent sur ma tête. Il convient que
tu gardes seulement la mémoire des nombreuses prières que je t'ai adres-
sées d'une voix suppliante, alors que je t'offrais des guirlandes de
fleurs *.
Properce ne chante pas ses plaintes à la porte, comme fai-
sait Tibulle ; il n'engage pas avec elle un dialogue comme
faisait Catulle ; il la laisse parler toute seule : il l'écoute, et
c'est le monologue de la porte qu'il reproduit dans une de ses
Élégies. Gomme la porte avec laquelle Catulle s'entretenait,
elle a des oreilles pour écouter et une langue pour parler ; et
1. Tibulle, I, II, V. 7-14.
882 H. DE LA VILLE DE MIRMONT
elle parle, elle aussi, pour révéler avec indignation les scan-
dales de la maison. Elle est la première, quoique innocente,
à en porter la peine ; elle est maltraitée par les poings fu-
rieux des ivrognes, déshonorée par les couronnes que sus-
pendent à son faîte et par les torches que renversent et
éteignent sur son seuil les amoureux satisfaits ou furieux que
la maîtresse du logis a accueillis ou éconduits. Cette femme
perdue de vices, s'abandonne à des désordres que la porte
ne peut dissimuler, puisque des vers obscènes, inscrits sur
ses battants, les racontent tout au long ; elle n'ignore pas
non plus les lamentations des amants désespérés qui, pen-
dant leurs longues veilles de larmes et de supplications, ne lui
laissent pas un instant de repos. La porte a entendu, elle a
retenu bon nombre de complaintes languissantes ; elle peut
donc, d'après ses souvenirs, donner le texte du Ilapay.Aajai-
Ôupov le plus développé que l'antiquité latine nous ait laissé :
Porte, plus cruelle que ta maîtresse elle-même, pourquoi me fermer
méchamment tes battants, pourquoi rester muette devant moi ? Pourquoi
ne t'ouvres-tu jamais, ne donnes-tu jamais accès à mes amours ? Tu ne
peux donc te laisser toucher et accueillir mes furtives prières ! Il n'y aura
donc aucun terme à mon tourment? Jusques à quand, pris d'un triste som-
meil, devrai-je réchauffer de mon corps la pierre de ton seuil ? Je suis un
objet de pitié pour la nuit au milieu de sa course, pour les étoiles à leur
déclin, pour la froide bise, compagne de l'aurore, qui me voient étendu
devant toi... 0 porte, seule impitoyable aux plaintes humaines, tu restes
muette, tu ne me réponds pas, tes gonds demeurent silencieux ! Plaise
aux dieux que ma voix misérable, se glissant à travers quelqu'une de tes
fentes, puisse parvenir aux oreilles de ma maîtresse ! Bien qu'elle soit
plus inébranlable que les rocs battus par la mer de Sicile, bien que son
cœur soit plus dur que le fer et que l'acier, elle ne pourrait cependant
empêcher ses yeux de pleurer; et des soupirs sortiraient de son sein, en
même temps que ses larmes couleraient malgré elle. Hélas ! elle repose
maintenant dans les bras d'un autre, d'un rival heureux, et le vent de la
nuit emporte mes lamentations. Mais toi, ô porte, tu es la première et la
seule cause de mon malheur, toi qui ne t'es jamais laissé apaiser par mes
LE napax),av)(n'ô-jpov 583
offrandes. Jamais je ne t'ai blessée par un mot injurieux, jamais je n'ai
inscrit sur tes battants la lettre de mauvais augure qui condamne un en-
droit maudit : pourquoi donc souffres-tu que je m'enroue à dire mes
longues plaintes, que je veille dans la rue, la nuit entière, en proie à la
désolation ? Et, cependant, combien de fois ne t'ai-je pas adressé des vers
nouveaux, combien de baisers n'ai-je pas imprimés sur les degrés de ton
seuil? Perfide, combien de fois, tourné vers toi, les mains levées, ne t'ai-je
pas porté en secret le culte que je te devais ^ !
Les amants malheureux trouvent encore une consolation
et un espoir dans ces plaintes déclamées devant une porte
qui peut à la fin se laisser émouvoir et permettre l'entrée de
la maison. Properce est définitivement privé de cette conso-
lation et de cet espoir, dont il regrette amèrement la perte,
quand il se voit congédié à jamais, quand il ne lui est même
plus permis de rester dans la rue, couché sous les rayons de
la lune glacée, et de faire passer quelques paroles à travers
les fentes de la porte devant laquelle il n'a plus aucun droit,
aucun prétexte même de se présenter-.
Disciple érudit et imitateur ingénieux des poètes qui l'ont
précédé dans l'élégie amoureuse, Ovide ne manque pas de
faire entrer, à son tour, l'épisode obligatoire du ïlxpx/XTjai^
O'jpîv dans le roman de ses amours avec Corinne.
C'est au moment d'une brouille que suivra bientôt la ré-
conciliation. Le poète vient inutilement au logis de son
amie. Il est en grande tenue, parfumé et paré, la tête cou-
ronnée de fleurs. Grâce à ce privilège des amoureux auquel
Tibulle faisait allusion, Ovide qui n'osait autrefois s'aven-
turer au milieu des ténèbres et qui redoutait les fantômes
de la nuit, a pu traverser sans crainte et sans danger la ville
endormie. Fort de la protection de Vénus et de Cupidon, il
est parvenu à la maison de Corinne, et cette maison lui est
4. Properce, I, xvi, v, 17-44.
2. Properce, III, ix (II, xvii), v. 45-18,
ÎÎ84 H. DE LA VILLE DE MIRMONT
fermée. Le poète amoureux va chanter devant la porte close
la cantilène de rigueur. Mais il introduit un motif nouveau
dans les variations que ses devanciers ont déjà exécutées
sur un thème bien rebattu : ce n'est plus la porte, mais bien
le portier qu'il prend à partie. Ses supplications et ses me-
naces s'adressent à ce malheureux esclave qui, suivant une
coutume ancienne et barbare, était attaché dans une loge
voisine de la porte au moyen d'une longue chaîne terminée
par deux anneaux de fer rivés à chacune de ses jambes.
Il rappelle combien de fois les châtiments furent évités au
portier, grâce à l'intervention de l'amant heureux de Co-
rinne. Le misérable esclave, les épaules nues pour le fouet,
fixait ses yeux pleins d'angoisse sur celui dont un seul mot
désarmait la colère de son amie : et, maintenant, les prières
d'Ovide, qui furent si puissantes sur la maîtresse, n'auront
aucune action sur le serviteur ? Aux prières amicales succè-
dent les menaces impérieuses ; et, après chacun des couplets
de supplications ou d'injures, revient le plaintif refrain :
« Les heures de la nuit s'avancent. Repousse la barre de la
porte, repousse-la* 1 »
Cependant, les heures de la nuit ont passé avec une len-
teur désespérante. Aucune distraction n'a pu apaiser l'ennui
du poète amoureux. Il ne s'est pas présenté devant la porte
de Corinne à la tête d'un cortège, comme les galants dont
parle VÉrotique : il n'avait d'autre compagnon que le cruel
Amour dont aucune force humaine n'était capable de le sé-
parer. Il n'a pas demandé, comme faisait Tibulle devant la
porte de Délie, qu'on lui apportât en abondance le vin qui
donne le sommeil et l'oubli des chagrins amoureux ; il a bu
modérément ; sa tête est à peine échauiïée ; s'il a, un ins-
tant, l'idée de se jeter, torche et poignard en mains, contre
Ovide, Amours, I, vi, v. 24, 32, 40, 48, 56,
LE napax).au<n'Ôypov 585
la porte pour l'incendier et Tenfoncer, il renonce bien vite
à ce projet déraisonnable. S'il s'est imaginé entendre la
porte rouler sur ses gonds et résonner sourdement, comme
pour l'avertir d'entrer, il n'a pas eu de peine à se rendre
compte qu'il est l'objet d'une illusion : c'est le souffle impé-
tueux du vent qui, seul, fait gronder la porte, et toutes ses
espérances se dissipent, emportées par le vent. Les peines
d'amour l'ont consumé ; ses membres amaigris pourraient se
glisser dans la maison, si peu que la porte s'entr'ouvrît. Mais
la porte reste obstinément close. « Et, déjà, l'astre glacial du
matin met son char en mouvement, et le coq réveille les mi-
séreux pour leur labeur ^ » L'amoureux déçu doit abandon-
ner son inutile faction ; il n'a plus qu'à se dépouiller de la
couronne qui parait sa chevelure et à la laisser sur le seuil,
pour que Corinne, en la voyant, quand elle sortira le matin,
comprenne que son amant a passé toute la nuit en vain de-
vant la porte qui n'a point voulu s'ouvrir — ou, plutôt, que
le portier, insensible aux prières et aux menaces, n'a point
voulu ouvrir.
Ovide, en effet, n'a pas chanté le classique napr/.Xajji-
6jpcv des amoureux d'autrefois ; il n'a pas maudit, injurié,
supplié ou raillé la porte, comme faisaient Horace et Tibulle;
il n'a pas, comme Catulle, engagé avec elle un dialogue ; il
ne l'a pas laissé parler toute seule, comme Properce. Dans
les Amours, il ne s'agit plus de ces gracieuses lamentations
que les amants chantaient devant la porte pour se faire en-
tendre de l'aimée dont la porte clôt le logis. Les appels
d'Ovide ont un caractère plus pratique : c'est au portier
qu'ils s'adressent et non à la porte. Or, le portier n'est pas
de bois, comme la porte ; il écoute celui qui sait se faire
écouter. L'auteur de \ Art d'aimer donne aux amoureux un
\. Ovide, Amours, I, vi, v. 60-66.
886 H. DE LA VILLE DE MIRMONT
conseil dont il aurait dû, tout le premier, faire son profit,
quand il voulait s'ouvrir la maison si bien gardée de Co-
rinne :
Crois-moi, fais en sorte de mettre dans tes intérêts toute la plèbe des
serviteurs : n'oublie pas le portier de la maison, ni le gardien qui veille
au seuil de la chambre à coucher *.
Le janitor de Corinne est le digne ancêtre de Petit-Jean,
le portier de M. Perrin Dandin :
On n'entrait point chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point de Suisse, et ma porte était close.
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendais quelque chose :
Nous comptions quelquefois 2.
Ovide a, sans doute, négligé de graisser la chaîne du jani-
tor, qui, probablement, comptait quelquefois avec Corinne ;
car la vénalité jouait un rôle de plus en plus important dans
les intrigues galantes de la Rome impériale. Le son des écus
devient plus séduisant que l'harmonie des chansons ; et,
après les Amours, la littérature latine ne mentionnera plus
de poétiques cantilènes devant quelque porte rigoureuse-
ment close.
Le philosophe Sénèque écrit à Lucilius : « Ne vois-tu pas
quelles causes frivoles amènent les hommes au mépris de la
vie? Celui-ci se pend devant la porte de sa maîtresse^. »
Mais le moraliste, qui prend plaisir à censurer les vices et à
railler les ridicules de ses contemporains, ne fait aucune al-
lusion au IlapaxAauciô'jpov qui aurait précédé le suicide de cet
amant désespéré.
Les déclamations scolaires, qui développent les scènes les
1. Ovide, Art d'aimer, II, v. 259-260.
2. Racine, Les Plaideurs, I, i, v. 14-17.
3. Sénèque, Lettres à Lucilius, iv, 4,
LE napax>vau(Tt6v)pov 887
plus romanesques de la vie privée au i^*" siècle de l'Empire,
ne nous montrent aucun amoureux chantant au seuil de sa
belle. Les Controverses recueillies par Sénèque le père font
le portrait du jeune homme débauché et du vieillard rendu
fou par une passion sénile : le jeune homme ruisselle de par-
fums ; corrompu par l'excès des passions, il prend, pour
plaire aux femmes, une démarche plus langoureuse que
celle des femmes ; il passe les jours et les nuits dans les fes-
tins honteux, il vit dans les mauvais lieux^ Le vieillard amou-
reux s'enivre, se pare de guirlandes de fleurs, s'imprègne de
parfums ; les courtisanes se suspendent à son cou, la troupe
des parasites se presse autour de lui ; il a des disputes scan-
daleuses avec ses rivaux ; son ébriété de la nuit se prolonge
encore pendant le jour-. Dans les Déclamations attribuées
à Quintilien, il est question de débauchés qui, toute la jour-
née, restent collés à la porte du mauvais lieu, d'amants
malheureux que le désespoir contraint à se pendre^. Mais
aucun des thèmes d'amplification familiers à l'école de rhé-
torique ne s'occupe de ce chant de lamentation devant la
porte fermée, qui est mis par Plutarque au nombre des de-
voirs principaux d'un amant.
Les satiriques ne tournent pas cet usage en ridicule, pro-
bablement parce qu'il est tombé en désuétude.
On comprend qu'au temps de Juvénal l'amoureux n'a pas
besoin d'aller entonner le riapaxXrjjiÔjpcv à la porte de sa
maîtresse. La mère de la jeune mariée, empressée à se faire
la proxénète de sa fille, sait ménager et même provoquer
les entrevues, sans que le galant ait à se mettre en frais de
chants désespérés*.
1. Sénèque le père, Controverses, II, i, 6, 45.
2. Sénèque le père, Controverses, II, vi, 4, 9.
3. M. Fabii Quintiiiani, ut ferunt, Declamationes, xiv, 3; xv, 9, 10.
4. Juvénal, Satires, VI, v. 234-242.
888 H. DE LA VILLE DE MIRMONT
Quand le poète stoïcien Perse, dans sa Satire sur la vraie
liberté, veut donner l'exemple d'un jeune amoureux, sin-
cère et faible, impuissant à se dégager d'une passion qu'il
condamne lui-même, il doit emprunter à la comédie grecque
ce type de jeune homme qui ne se trouve plus ni dans la
société, ni dans la littérature de la fin du i" siècle :
« Oui, Dave, je veux en finir, et sans retard, ne t'avise pas d'en douter!
Elle m'a fait assez souffrir... » — C'est Chérestrate qui parle ainsi, en
rongeant ses ongles de fureur. — « Scrai-je toujours le déshonneur d'une
austère famille ? Faut-il que le seuil d'une maison mal famée me perde de
réputation, dissipe la fortune paternelle, et que je continue d'aller, la
voix avinée, tenant à la main une torche éteinte, chanter devant la porte
de Ghrysis, cette porte humide de mes larmes i. »
C'est Chérestrate qui parle ainsi dans VEunuque de Mé-
nandre, où il joue le rôle de jeune premier que Térence
attribuera à Phédria. Térence a changé le nom des person-
nages : Chérestrate, Dave (A5oç), Chrysis s'appellent Phé-
dria, Parménon, Thaïs, dans la comédie latine où il n'est
plus question de chants de l'amoureux à la porte de sa maî-
tresse. Phédria, qui se meurt d'amour et qui ne sait que
faire, avoue simplement à Parménon, l'esclave confident,
que Thaïs, après l'avoir renvoyé, le rappelle^ Il ne dit rien
de ses stations nocturnes, de ses lamentations désespérées de-
vant le logis de sa maîtresse.
Faut-il admettre qu'en l'année 593-161, où V Eunuque fut
représenté, la coutume du Ilapay.AauciOjpcv n'était pas assez
connue à Rome pour que Térence, qui prétend donner dans
ses comédies le tableau de la société élégante et polie où il
avait été introduit par ses protecteurs aristocrates, Scipion
Emilien, Laelius, Furius Philus, ait osé y parler de ce can-
4. Perse, Satires, V, v. 461-166.
2. Térence, L'Eunuque, I, i, v. 4, 27-28.
ticum que Plaute, peu soucieux d'éliminer des pièces grec-
ques qu'il adaptait à la hâte les traits de mœurs en désaccord
avec les habitudes romaines, ne craignait pas de faire chan-
ter, dès l'an 361-193, par un personnage du Curculio ? On
se représente bien les jeunes contemporains de Plaute allant
la nuit, après boire, faire tapage devant la maison d'une
courtisane en réputation et charbonner sur la porte des vers
aussi peu respectueux de la décence que de la métrique ^
Mais l'on ne peut supposer que les rudes soldats des guerres
puniques aient eu la coutume de chanter de gracieuses com-
plaintes adressées aux verrous de la porte.
Sans doute, vers les derniers temps de la République, alors
que les Cantores Euphorionis faisaient fureur, à la grande
indignation de Cicéron', le poète philosophe Lucrèce a pu
flétrir la folie des amoureux qui venaient réellement acca-
bler de chants désespérés la porte close ; et il est permis de
supposer que Catulle, le poète passionné, fut pour son pro-
pre compte un des chanteurs les plus littéraires du Ilapax/aj-
^{Ojpcv. Quant aux élégiaques contemporains d'Auguste, il
est assez difficile d'établir si ce n'est pas de sang-froid qu'ils
ont fait les langoureux pour quelque Iris en l'air dont ils se
gardaient d'assiéger la porte, et si leurs chants de lamenta-
tion amoureuse ne sont autre chose que des lieux communs
poétiques imités des maîtres d'Athènes et d'Alexandrie. Mais
il paraît certain qu'au temps de Perse, la coutume de ces sé-
rénades lugubres est absolument inconnue à Rome, puisque,
lorsque le satirique veut en donner un exemple, il doit l'em-
prunter au théâtre de Ménandre.
Martial, cependant, dirige de nombreuses épigrammes
contre un certain Tucca, imitateur attardé des jeunes gens
1. Plaute, le Marchand, II, m, v. 73-74.
2. Cicéron, Tusculanes, III, xix, 45.
m H. DE LA VILLE DE MIRMONT
de Ménandre, le ridicule Tucca, qui, sous le principat de
Domitien, se conduisait à Rome comme jadis Chérestrate à
Athènes.
Tucca est gourmand, et il veut que tout le monde sache
qu'il est gourmand'. Il est sottement prodigue: il achète
très cher de jeunes et jolis esclaves pour les revendre aussi-
tôt^ Il est maladroitement avare : il mêle l'excellent Falerne
à la piquette du "Vatican et réussit à faire du mélange un vin
détestable^. Il est indélicat : il demande à Martial ses livres;
celui-ci se garde bien de faire le présent sollicité, car c'est
pour les vendre et non pour les lire que Tucca demande
les livres du poète*. Il prétend faire le critique et reproche
à Martial de composer des épigrammes en vers hexamètres ^
Il veut produire des poèmes, lui aussi, et copier Martial
dans tous les genres, épopée, tragédie, poésie lyrique, élé-
gie, satire. Le poète se cantonne dans l'épigramme, et l'in-
fatigable imitateur est aussitôt jaloux d'une nouvelle re-
nommée qu'il ambitionne lui aussi^ Tucca est, avant tout,
ridicule ; il fait tout à contresens : alors que le balnetim
pour l'eau froide doit être en marbre et les thermae pour
l'eau chaude en bois, il se fait construire des thermae en
marbre, un balneum en bois\ Alors qu'il pourrait dormir
couché sur des coussins de plumes, plus moelleux que ceux
de Vénus elle-même, il va passer les nuits sur le seuil d'une
orgueilleuse maîtresse dont la porte, sourde à ses prières, à
ses soupirs qui le consument, est mouillée de ses larmes ^
1. Martial, Épigrammes, XII, xli.
2. Martial, Épigrammes, XI, lxx.
3. Martial, Épigrammes, I, xix.
4. Martial, Épigrammes, VII, lxxvii.
5. Martial, Épigrammes, VI, lxv.
6. Martial, Épigrammes, ^\\, xcv.
7. Martial, Épigrammes, IX, lxxv.
8. Martial, Épigrammes, X, xiii.
LE IlapaxXauaiÔupov 891
La dévotion de Tucca à l'archaïque coutume du llapav.Xau-
aîôjpov n'est qu'un des nombreux ridicules du personnage.
Au temps de Martial, il faut être un grotesque, victime dési-
gnée à tous les traits de l'épigramme, pour passer les nuits
à se lamenter devant une porte close, comme le faisaient,
ou prétendaient le faire, à l'imitation des Grecs, les poètes
Catulle, Horace, Properce, Tibulle et Ovide.
Après les Épigrammes de Martial, la littérature latine ne
mentionne plus, même pour s'en moquer, les chants noctur-
nes devant le logis d'une maîtresse cruelle. Le Satyricon de
Pétrone n'y faisait aucune allusion ; il n'en est pas question
dans la Métamorphose d'Apulée. Le rhéteur de Madaure
parle dans son Apologie de chants bruyants qui troublaient,
pendant la nuit, le calme de la ville d'Œa. Mais ce bruit
n'était pas le fait d'amoureux élégiaques pleurant leur mi-
sère ; les habitudes helléniques d'une galanterie raffinée
n'avaient pas passé dans l'Afrique romaine : Apulée décrit
tout simplement une vulgaire scène de tapage nocturne. Il
s'agit de jeunes gens brutaux qui s'assemblent devant une
maison malfamée, ébranlant la porte à coups de pied, faisant
retentir les fenêtres de chansons obscènes*.
Dans les pays de civilisation hellénique, les galants con-
tinuent, après le temps où Plutarque écrivait V Erotique ,
à se livrer à des lamentations plus ou moins littéraires de-
vant la porte de leurs belles. Vers la fin du ii^ siècle, une
des courtisanes dont Lucien rédige les dialogues, Ampélis,
ne donne le titre d'amants véritables qu'à ceux qui viennent
soupirer, pleurer, stationner à sa porte, pendant la nuit'.
Ces amants sont des Grecs ; et les rudes Latins ont oublié
les coutumes galantes importées jadis d'Athènes ou d'Alexan-
4. Apulée, De Magia, lxxv.
2. Lucien, Dialogues des cour tisanes, NIW^ 2.
M H. t)É LA VILLE DE MIRMONT
drie. Le dernier imitateur des élégiaques latins contempo-
rains de César et d'Auguste, Maximianus, ressemble aussi
peu par sa conduite en amour que par la pureté de ses vers
et la correction de son style à ses illustres modèles. C'est un
Étrurien, ami du philosophe Boèce, qui fut au nombre des
ambassadeurs envoyés dans les premières années du vi* siè-
cle par Théodoric, roi d'Italie, à l'Empereur de Constanti-
nople, Anastase, pour travailler à l'alliance de l'Orient et de
l'Occident. A la fin de sa carrière, il raconte, dans une de
ses Elégies une aventure qu'il eut au cours de son ambas-
sade avec une courtisane grecque. Mais ce n'est pas Maxi-
mianus qui se lamente, comme Catulle, Properce, Tibulle
ou Ovide, à la porte de la belle. C'est la Graia puella qui
vient la nuit, sous les fenêtres de l'ambassadeur de Théodo-
ric, murmurer des chants grecs pleins de douceur, pleurer,
gémir et soupirer de manière à inspirer par son amour et
son chagrin une pitié funeste à l'Etrurien qui sera victime
des artifices de la sirène orientale ^
Au temps de l'empereur Anastase, l'élégiaque latin n'avait
pas à se mettre en frais de llapay.Xajs'Ôjpov, puisqu'il enten-
dait sous sa fenêtre les pleurs et les chants de la jeune fille
grecque qui, par une contre-partie grossière des anciennes
pratiques de la vie galante, venait elle-même, la nuit, provo-
quer un amant de rencontre.
1. Maximiani Elegiae, v, v. 9 et suiv. (Baehrens, Poetae Latini Mi-
nores, vol. V, p. 340).
AuG. AUDOLLENT
REFRIGERARE
REFRIGERARE
Par Aug. AUDOLLENT.
M. G. Ghirardini a récemment publié, dans les Notizie
degli scavi\ une inscription de Feltre qui mérite de retenir
l'attention des épigraphistes. En voici le texte :
SEVERO • ET • RVFINO COSS
V • K • SEPT
ACCEPERVNT • COLL • FAB • ET • CC^
^ • QVI NGENTAM I Ll A • COMPVTATA
5 VSVRA • ANNI • VNI • CENTENSIMA • VgA
^ • LX • DE • QVA • VSVRA • PER SINGVLOS AN
DIE • V • IDV • lAN • NATALE • IPSIVS • EX • VSVRA • S • S
AT MEMORIAM • HOS-FLAMININI-REFRIGER
SEHDERVNT • ET • IIIIVIR • ET • SEX • PRINC
10 ET • OFF PVB • SPOR • NO • AVREOS • DEN • ET • SIL
SING • NEICNON ET PER ROS • AT • MEMOR • EIVS
REFRIGERAR • DEVEB- N CCCLXII-
Tout n'est pas d'une absolue clarté dans ces lignes ; mais
l'ensemble se comprend sans peine, et l'on peut en proposer
au moins une transcription provisoire.
1. 1907, p. 432.
596 AUG. AUDOLLENT
Severo et Rufîno co(ji)s(ulibu)s, V kÇalendas) Sept(em-
bres), accepemint coll{egmm) fabÇruni) et c(oUegiurn)
c{entonarioruni) denarioriim quingenta milia computata
usura a?ini iiniÇits) centensima u\n\a denariorum LX ; de
qiia usura per singidos anÇjios) die V idu(s) jan{uanas)
natale ipsius ex usura s{iipra) sÇcripta) at memoriarii
HosQilii)^ Flaminini refriger{are^ se [..]derunt et quat-
tiiorvir(is ?) et sex {viris?) princ{ipalibus?^ et offÇicio?)
pub(Jico?') spor{tulani) 7îo(?nmos?) aureos denÇarios) et
silÇiquas) singÇidis ?), neicnon et per ros{alia ?) at
memor{iani) eiiis ref7ngerar{f) deveb{imt) 7i(ummos^
CCCLXII.
Il s'agit, on le voit, d'un legs fait, le 28 août 323, par un
certain Flamininus, à deux collèges locaux, à charge par
eux d'honorer sa mémoire, en distribuant les revenus, à date
fixe, à des personnes nettement spécifiées. Un commentaire
minutieux serait indispensable pour mettre en lumière tou-
tes les particularités de ce texte. Quant à l'intention géné-
rale il est analogue à d'autres de la même région^ ; mais il
s'en distingue, comme l'a bien vu M. Ghirardini, et il les
passe en intérêt par toute une série d'indications. Je fais
allusion à l'importance de la somme léguée, aux prescrip-
tions pour l'emploi des revenus, à l'énumération des magis-
trats ou fonctionnaires municipaux qui en sont les bénéfi-
ciaires, enfin aux expressions qui rappellent par certaines
redites voulues Çde qua usura... ex usura supra scriptd) la
façon de parler des jurisconsultes.
Les linguistes et les grammairiens y peuvent glaner plus
d'une forme ou construction inattendue, telles que centen-
1. J'adopte le complément proposé par M. Ghirardini.
% Voir C. 1. L., V., nos 4488, 4489, et p. 1189, 1196 sq., et 1213.
REFRIGERARE 597
sima, at^ pour ad, neicnon, devebimt^ pour debebunt,
iini^ au lieu de unius, l'infinitif refrigerare à la place du
participe refrigerandam. Sans prétendre tout expliquer, je
voudrais seulement, dans ce recueil consacré aux études de
langue et de grammaire latines, signaler brièvement l'usage
nouveau, si je ne m'abuse, qui est fait ici du verbe refri-
gerare.
D'après les exemples littéraires ou épigraphiques, qu'on
trouve réunis dans les lexiques, les significations de ce mot
peuvent se ramener à trois principales.
C'est d'abord le sens propre : rendre froid, refroidir,
rafraîchir, qui s'entend soit des objets inanimés, comme
dans ce passage de Cicéron*, «... ignis in aqitam coniectiis
continuo reslinguitur et refrigeratur... », soit des êtres
doués de vie, comme dans cet autre du même auteur %
« IJbi enim potest illa aetas aiit calescere vel apricatione
melius vel igni aut vicissim umbris aquisve refrigerari
salubriiis? »
De là est issu un sens figuré, tout moral, qui ne s'emploie
guère que d'une manière défavorable, quand on veut indi-
quer, par exemple, qu'on fait soudain tomber l'ardeur, les
sentiments exaltés d'une personne: Cicéron^ (s...Àta defessa
ac refrigerata accusatione rem integram ad M. Metellum
praetorem esse venturam » ; qu'on l'interloque, qu'on coupe
brusquement son effet : Quintilien", « Prudens (testis^...
brevi interlocutione patroni refutandus est aut aliquo si
1. On me permettra de rappeler que cette forme est fréquente en Afri-
que, en particulier clans S. Gyprien et dans les inscriptions.
2. L'échange du 6 et du v est aussi une habitude africaine.
3. Je ne crois pas à une abréviation.
4. Pro Rose, com., 6, 17.
5. De sen., 16, 57.
6. In Verrem,Act. I, 10, 31.
7. Inst. orat., 5, 7, 26.
598 AUG. AUDOLLENT
continget urhane dicto refrigerandus... » Nous disons
de même: refroidir l'enthousiasme, le zèle, l' affection...
Enfin les chrétiens se sont servis de refrigerare comme
verbe transitif ou intransitif, en le transposant. C'est encore
ridée de rafraîchir qui subsiste, mais avec une valeur très
spéciale ; elle vise le rafraîchissement de l'âme, soit dans
cette vie — et alors il faut expliquer : consoler, soulager,
« ut paucis horis emissi in meliorem locum carceris refri-
geraremus * » — , soit après la mort, « Deus Christus omni-
potens refrigeret spiritum tuum^- ». Qu'il faille introduire
ici, comme l'a proposé Martigny^ l'idée d'un repas et du
« soulagement ou rafraîchissement du corps par la nourri-
ture » ; que parfois peut-être les païens aient aussi, à l'imi-
tation des chrétiens, pratiqué cet emploi du mot*, il n'im-
porte guère pour la question qui nous occupe. Je voulais
seulement constater les trois acceptions formelles de ce
verbe, auxquelles les autres, avec des nuances, peuvent
toutes se rattacher.
Or il semble bien que, dans le texte de Feltre, refrige-
rare ne rentre exactement dans aucune de ces trois catégo-
ries. Ce que Flamininus désire, c'est que les deux collèges
professionnels qu'il a dotés d'une somme importante, perpé-
tuent son souvenir, ou, plus littéralement, ravivent sa
mémoire, la conservent toujours fraîche. 11 est de toute évi-
dence que nous n'avons plus ici le sens propre et direct,
mais un sens figuré ; seulement celui-ci n'implique aucune
allusion fâcheuse, tout au contraire il s'entend d'une manière
très favorable. Enfin il n'est nullement question de ce
1. Acta SS. Perpetiiae et Felicitatis, 3.
2. De Rossi, Bull, di arch. crist., 4863, p. 2-4,
3. Dict. des antiq. chrét., s. v. refrigerium.
4. Cf. C. I. L., VI, 2160, et de Rossi, Bull, di arch. crist., 1870,
p. 35.
REFRIGERARE 599
rafraîchissement particulier du corps et de l'âme dont par-
lent les épitaphes chrétiennes. Aussi ne suffit-il pas de dire,
avec M. Ghirardini, que nous sommes en présence d'une
acception étrangère à la langue classique; il s'agit bien
plutôt d'une acception nouvelle, dont j'ai en vain cher-
ché l'équivalent ailleurs. Il est fort possible que nous ayons
à faire à une locution courante de la langue populaire ; en
tout cas elle n'avait pas encore apparu, autant que je suis
informé, dans un document écrit.
A y regarder de près cependant, la transformation que ce
verbe a subie ici n'est pas si éloignée de celle qui l'a conduit
au sens chrétien : de part et d'autre nous rencontrons une
signification morale et favorable. Il semble donc qu'il y ait
eu évolution parallèle dans deux directions. Mais tandis que
plusieurs textes déjà nous renseignaient sur l'une de ces
modifications de sens, l'inscription de Feltre nous met pour
la première fois en face de la seconde.
Alfred JACOB
UN FEUILLET PALIMPSESTE
DU CODEX PARISINUS
SUPPLÉMENT GREC 1282
UN FEUILLET PALIMPSESTE
DU CODEX PARI SINUS
SUPPLÉMENT GREC 1282
Par Alfred Jacob.
Parmi les nombreux feuillets palimpsestes dont se compose
le codex parisinus supplément grec 1232, quatre sont d'an-
ciens feuillets, aujourd'hui plies en deux, d'un assez beau
manuscrit du iii^ au xiii" siècle écrit à pleine page et conte-
nant à la page trente-huit à trente-neuf lignes d'une écri-
ture minuscule assez régulière et soignée. Quelques lignes
entières n'ont pas été recouvertes par le nouveau texte, et de
nombreux groupes de lettres sont encore assez visibles pour
permettre de reconstituer des mots et des phrases. Ce
manuscrit, dont nous n'avons ici que deux feuillets, conte-
nait la 2uvot]^tç 7cpaY[j.aT'-XY5 de Michel Attaliata, divisée en
trente-sept titres, comme elle l'est dans la plupart des
manuscrits ^
1. Dans le ms. de Helmstadt, qui est la base du texte de J. Leunklavius
édité par Marquard Freher, Francfort, 1596, in-fol., t. II (nous n'avons
pu nous procurer le texte plus correct publié parL. Sgoutas dans 0c'(xt; en
1861), la Synopsis est divisée en 95 titres et, dans le codex parisinus
1385A, en 35, et non en 25, comme le dit Mortreuil, Hist. du droit
byzantin, t. III, p. 219,
604 ALFRED JAGOB
Nous avons pu déchiffrer à peu près complètement ce qui
reste de cet ancien ms. et nous donnons ci-dessous transcrip-
tion exacte des feuillets 18-19'° et 18'^-19* qui offrent la
fin du proœmium, les titres I et II et le début du titre III,
en respectant l'orthographe et l'accentuation, quand il a été
possible de la distinguer^. Pour que l'on puisse se faire une
idée de ce que valait le texte détruit, nous l'avons comparé
avec celui de la Synopsis (S) puis avec celui de sept mss. de
la Bibliothèque Nationale, le 1263, chartaceus du xiv* au
iv« siècle (A), le 1358, chartac. du xv« s. (F), le 1359, char-
tac, du xvi« s. (G), le 2256, chartac. du xy' s. (B), le 2991A,
chartac. de l'an 1419 (G), le supplément grec 625, chartac.
du xiv« s. (D) et enfin le 1385A, chartac. de l'an 1431(E)3.
Fol. 18.
1 IÇ7Î(xovTa) PtôXcov ôpyavtoaetoç • l7c[£i 8è o]t v[o[jlo'.] {xe'aov rpoawTccov [xai]
jcpayfxàTwv xà; SiaxaÇsiç ouvT^pfxo)
2 a[av (sic), SsT] ■^poJTov 7r[epi xojjrwv [r,-:oi ou i^'youv Ttov] te TcpoaojTiwv xal
TàSv TtpaYfxaxtov îiaXaSsîv [xat] Biaipetixàiv (sic)
3 Ta; TOUTw[v] çuastç xai O^ae-.ç 8t[£uxpi]vT;[aa'.] £•.[; eù]awo;i[TOv] x[aTaXr)(];tv]
Tûv [[xJeXXovTOiv IxTsOTJvai vo-
4 [xtxtov (prius vo[j.ixôv) x£[(p]aXai(ov. et M T[iv]a to6twv [(j]uv[ea<p]tYJX^v(o xat
CT[uv]Td[tjL]to [Xo'Jyw [pri]9[£Î£]v [ri xa]i xotvoX£Çta xaTa-
5 Yp[a]ç£î£v [Xo]i8wp[£i] Tto (sic) [j.r,8£t; • To[tauTTi] yàp r) [7;]apo[u]aa [îtpa]
Y|j.[a]-i'a (sic) î'v* ouTto; [£]x.['i'] ôu]va[fjL]£wç t3aT£
6 xat [ô]Xi[yo] Ypa{x[x[aTot;] tt)v twv [7ipo]/.£i[x[£vwv] Yvûatv ;:apaXa[jL[6]âv£a0at
xat TT)v Twv [àva]Yt[v]a>a[x]o[jL£vtov 8'.a-
7 Xr)(|;[tv pjaoi'coç [a]ÙT[otç] :ip[o3]X[a{jL]5[ave(y6]a'. Iv TtTX[o]'.[;] [7C£]pi[aT]àv-
t[w]v XÇ (ut videtur) : apÇofxat 8È [ijr.o twv
1. Une partie du feuillet IS^'o avait été déchiffrée avec le concours du
regretté Aloys Blondel, élève de l'École des Hautes-Études.
2. Les parties entre crochets carrés [ ] sont celles qui sont illisibles
dans le ms. ; nous avons mis entre parenthèses ( ) les portions suppléées
des mots abrégés.
3. Ces mss., sauf le codex suppl* grec 625, ont été connus de Zachariae
von Lingenthal et de Mortreuil, qui en parle d'après lui, cf. Hist. du
droit byz., t. III, pp. 218, 221, 227, 229 et 373.
UN FEUILLET PALIMPSESTE 605
8 rpofJCiSxojv 7:o'.[o'jaev]o; Tr]v ota[p£(aiv) xaOà Stj xaî toîç vd[xoiç Strjyo^osuTai
xal ïaza.1 f) IritYpaçr] outo);
9 (spatium vacuum) [T:z]pl xaTa[aTàa£toç] âv9poS;rcav xai 8'.aip£(aeoj;) Tipocr-
(u;wwv xal 7:paY[Ji.aTwv xal 7ioi[o]
40 [TTÎJTtov [ajj-càiv, Ç(rÎTei) [3(i6Xiov) ["]tîi[v] paatXixwv {jl .
14 Havre; àv6ptoTîoi 7J [ooJjXoi tîaiv [r] èXeuôspjot. xat ol (x(èv) [£]Xeu[0£]po[t
ojÔJEva e/^ouai t[6]v èÇ[o]uat[â] Ço[v](-:a) aûrwy,
42 ol 8è SouXoi ToTç 8£CT7:oi:a['.;] xal x^ xo-JTtov l^ouaia. •j;cdxeivT[at, xal oOjxoi
[i[£v] ol [oJouXot £v eTôo;
43 e![al]v T)xoi 0£pa7:cuxal xwv û£[a;:o]xà>v. ol §2 èXEuÔspoi ô[aipo'jvx[at] £t[;
8]'J[o]. eî yàp EÙyEvsî; etcjlv
44 â;:o y'^'^'C'^'^O '^^'' ^ia^s^^Ç ÈXsaOs'pa; xûyrj; [•j]7i:ap/o[vx]£;, r] à;r£X£u6[ep]ot,
fjx(oi) à;:ô oojXojv Y£vda£vot
45 eXs'JÔepot, xal xap.oujvxat [xu]y_ô[v] 8[ua]Y[ev]£T;. [fj Ss [xoi]ajx(r]) [otja-'-
p(£ai;) o'jx àaxdTTco; y£yov£v, âXXà 8ià xo £7[£iv]
46 É'xaaxov xo-jxcov [îjotxôv [7rpo]vd[j.iov. xal Y^p é [jl£v IXeuGcpoç [xai] à;:ai[ç]
(îiv [SJtaxiOexat a)[ç] (BojXexai, jat)
47 (XvaYxa^d[j.£voç ;:apa xiv[o;] èÇ(oxi[x]ou xaxaXi7:(£Tv) aùxài xt, tcXt^v yov[£']wv
(L; ôf e'.Xo[xéva)v ?paXxi8(iov) • àXXà
48 (xr[xe Iv swr) SouXfiuetv ^ çT£6£aGai ovTiep o[ù] |iojX[c-]at, ô o: â;:£X£u6£poç
y^pe[to]ax£T xt[jL[7)]v xal 7:[p]o[a]x[u]
49 V7)atv xw 7:axptovt ijxo'. xw êX£u9cpa)X^ xal xû xouxou u'.ô xal x^ y'^ '■"''•''•'• ''•<''''
umf]p£X£ÎV
20 aùxo[î;] elç xàç -po/^ecpou; So'jX£iaç • xal ôiaxtôifjLEvo;, Èàv [jlt] eyrj ;:aî5aç,
e'X^ei /pstoaxtxôo; xaxaXi[x7îà
Fol. 19 vo.
4 y£iv xô xpi'xov x^; oùau'a; aùxou xài Tiàxpwvf ^ èàv jjlt] [xax]aX'';î[r)] xouxo,
£YxaXeT [ô] ;tâTpco[v]
2 xal 8ix[a'.ojxai] £'.; aùxd. làv oè àôtà0£xo; xal à~at; x£X£yxr[(ar,) ô à7:£X£uO£poc,
SiaSe^^exat touxo^^ ô za
3 xpwv, el [x]aya xal (Juyy£v(t];) [aù]xoij ojx à'axi. xal f) [xàv 7:pwx(7]) S'.atpe-
(a;;) xûv TzpoatoJîwv a{ixr) xal 8î [aljxiav xo'.autTjv.
4 8£uxepa 8è a[a]9riv£ta; ■/^a[p]'.v £xx'.0£[jL£vr) vuvu (spatium vac.) xcov xixxo-
fx£vajv [o'. p.£v] £$ £vvdfjLo[u] Y^^IJ-oy
5 xixxovxa». [o]'. Ô£ [IJx 7iopv[£taç], xal ol |x£v à7:ô lvvd|jLO'j Yi^îJ-oy x'.xxojxsvot
[xôi 7:a]x[pi] eTCovxat ^'xot 'j[-Ke]^o6<sioi
6 [£Î(j]i x[oy] 7r[axpd;]* oc SE £x -opvsiaç xt] fxr^xpl àxoXouOouat [xal] ;:a[p'l]xeiv7j9
x[p£]'f [ovjxai [xal] âv[àY]ovxai [xal] xw -axpl où
606 ALFRED JACOB
7 /^ [u];r()[xs]ivTar xal [à];roôa[voyo]av [xèv xXr,po[vo|i]ouaiv, âîroOavovTs; 8a
à7cai[8]eç xal â8t[a]0e[To]t, làv [ej/^woi
8 7i[epiouai] av, xX7jpovo]{xouv]xai [■7z]xp*(xÙTf^ç, [àjreo 8è t[o]u aTCope((u;) oux
e[/J(oa[i] 7ipovd([xiov) r[r]]t£Îv xX7]po[v]o[xiav ^ Xe
9 Y*[fOv, oujte ô aTtopçù; [èÇ aù]Tc5v.[oî] 8s èÇ evvo'fiwv yocjxwv Ti[xTd]{jLevoi
xa\ Tou TiaTpôç [xal ttî;] [x[r]Tpo;] xXr)[p]dvo[[i.]oi [xai] Ix ôtaOri
10 xr)[;] xal [èÇ] (x8ia0[£T:]ou [Yt]vo[vTa[] • •jx:[oT]aTT(ovTat) 8è xw Tcarpi [xa]l
[oa]a a[v] èÇ i[8]i(oxixàiv [•jz]o[0£a]e(uv a[u]vay[àY]oj[(Ji], tw îraxpl
41 7ip[oa]7io[p]!.Xouai, xal ô raxTjp [£]/£[t] £Ç[ou]a{[av] à[va]Xa[[x]6àv£a6at
[xjauxa (X7i:'[a]jxc5v xal [a](o^pov([Ç]£tv aù[x]où; Suvaxai
12 xal 8ià Xdyojv xal 8ù tcXtjyôjv. xal [/.wpjlç [Yv]to{x(7)ç) [a]ùxo[ù] -^i^ov
(juvàXXa^at où Suvaxai où[xc â];:o8[r||i7J'3ai],
13 eî [[JLT]] èxax[pa]x£t[a] xojxouç x[aX£i]. xdx£ yàp xou [xèv Tiaxpô; à'xi £lalv
•jTTEÇoûaioi, ©^[a] 8e aTzô tjxpax'.wxixf];
14 à^op{jL^5 £;:ixx7|aovxat, à'/ouatv l'ota ;c£/.o[j]Xi[a] xat xû Tcaxpl où 7cp[oa;co
p]i[Ç[ou[(Ji]v [xal xauxa jxtv] Trspl u
15 TCiÇouiitov. XÙ£xa[t] 8a r) [u]7:[£Ç]ou[cito]T(r]ç) [£rx£ Yvto(J.7) xoj Tiaxpôç] 7c[ot]-
ou[vx]o5 [aùxôv aùxeÇo'jat]ov eIç xô çav£pov,
16 et-re [G]avâ[x]a) xou Tcaxpo'ç, £Î[xe 8]i[à] t^ç 7c[axpt]xtd[xT)xoç] ; el'xE xal [o]tà
XTJ? à[p])(^[i£p]ai(jùv[7)ç], £rx£ £x XOU xaxaXfitçG^vai
17 Tiapà xou [::axpôç] £7ît7CoX[ù] xà xûv [aùxsJÇoucicov [jcpaxxjEiv. xoùxtuv
oùxtoç E/^dvxcov xal x[^i;] xwv dvôpajTCcov
18 x[axaaxàa£toç 8taxp]avfo6£[^a]rj[ç], 8£r Xoi;:6v [eJiTwSÎv xal [7:]£pl xaxa[axa]-
a£co;, OTZioi; [si]; xô y^£îpov avOpto;:oi £Ù
19 Y^veiç xal IX£Ù[G]£poi xaxaç[£po]vxa'.. T[p£]îç eîal x[ax]aaxaa£a)ç èvaXXaYal
(ieYocXt) fxéa[7)] xal [è]Xay ''axr) •
Fol. 18 vo.
1 xpîa Y*P £'^<ï-v [*]~ep £X.0(J-2v • IXsuôspia, TioXixsîa, [aJuYYÉvsia- f] xoivuv
(jL£YaX[rj], rjxoi ô TCspio
2 pia(j.d;, xà xpi'a ^OE^ps'. • ô yxp 7:£piop[iÇ]d[j.[£vo;] ojxe ÈXsuOspEtav (£i correc-
tum in i et hyphen) eT[x]e "cd 7ca[X]aidv, àXX' eî[;] a^xaXov (sic) tqpyûcÇexo
3 ôpùxxwv ôsïov ^ ai8r]pov, ojxe 7:oX'.[xc{]a[v]. [Ji.£/pi [yI^P xal [vù"]v 8r)[j.£Ù£xai
[xal] où 7;oXtx£Ù£xai • xû [y^p] 7^£pto
4 [p]t[<J(J-]co xal 87f{x£ua[tç e];:exai, xal oj[x£ Sca]xt6[£j6ai] Sùvaxai, ouxe -apà
xwv auYY^vcov ÈÇ â8ia0£xou yJkripovo
5 [(Jieîxai, 6'j[x£] xX7]povo[J.£T xoùxou;, ouxe xoù; 7caï8(aç) £/_£t u;î£Çou[a]touç*
rj 8; [[x]^a7] xrjv ;îoXtX£tav [JLdvr,v ç0£i'p£i,
UN FEUILLET PALIMPSESTE 607
6 [o] èariv IÇop[[]a' ô yàp èÇopiaxog eÇto Yiv£t[ai] t^; 7îo).iT[er|ai; un; [■zjcvjvriç
7 fj IXa^tOTr, 8e, ^T[tç] sutIv uloOsaia, [[xojvrjv ttjv auyy^vsiav èv[aX])vâa<j£i*
ô^àp u'.o6eTo6{Jievo5 ^ auTsÇouatoç èaTt(v)
8 fj •j;:5Ço'j(Tco;, xai ô (xèv uTceÇouatoç svaXXàaae'. xtjv tou Tîa-cpôç èÇouaiav xal
{JL£T£p)(^£Xat £[U] ^ TOU [0]£TOJ
9 7:[a-p6ç âp]"/,ovTi[x]^ Soxi[j.aa(a- [oGJtco yàp [Y]îv£Tai fj [x]ou ■j7i[£]Çouatou
uloG£ai'[a]. ô [^à a'jT£]Ço!jaio; u7c[o]Ti0r]atv
10 [£]au[T]ôv IxEpa IÇouaia [xal] Yiv[£xai] à[7i]6 [atî]xsÇo[i>[at[ou u]7ueÇ[ouatoç,
p]a5i[X£(jj;] xoij[x]o xeXeuovxoç. xal ou
11 [ji[o'v]ov [a]ppe[v]£ç àXXà 0TfX£iai u'.o9£xouvx[at, 8ox[]{AàCo[vx]o; tou àp)(^ovTOç,
[j.[r|];:a); 8['[£]pwx[a aax]av'.[x]ôv
12 T^ [x]axo[x]po[-]iav f] x[^;] ul[o6]£o[ia? £x];'voia Ytv(r])xai. [Yu]v[r] 81 xat]
£jv[où]/o; où/ U'.o[6£x]ouatv. [àXXà xal] ô u'.oG£[x](J5v ôç£t
13 X£t [£]iv[ac] [x£[''Ç]tDv xou uI[o]0£[xou]tjL£'[vou] xaxà xfjv 7jX'.xî[av] ypo'(vouç)
'.r^• fj Y'^p ÔEai; xr]v oJ[aiv] P-[']F''^^'^[°'']* 7.P^
14 o[ùv] xai :c(£pi) ::paY{xaxa>v £l7r[£ïv] (spatium vacuum) xt'xXoç p^ (= Beu-
Xcpo;) :î£(pl) ôt[aip£aeco(; x:paYfxaxa)v] xal ;:oioxr.xtov (spat. vac.) aùxwv.
lo Twv -paYp.axiov xà[jL£v e'kji 6[ctou] 8t[xaîou], x[à] oà [âvOpwTîQvou* 6£tou [xèv
wç xà t£pà xal fxvTjfxeïa xal T£r/(T)) xal
16 aï 7cdpT(a'.), a 0;î' où§£v6c; 8£a7ro'^ovT[ai, Ta] 3È âv6poj;i[va [f]] 8ri[jL[o'oi]â
ehiy r^ iSiwxixoc. xà BrjjjLo'ata oùSêvo';
17 elaiv, oiov 6cax[p]a, ffxàôia svôa [àY]coviÇovT(ai) ÔtiXovo'ti ol Tpé/^ovxeç ^
7caYxpaTiàCovT£5 t] 7îUY[J-0[xa
18 "/^ouvteç, Ta 8e iSicoTixà twv xa6' ExacjTo'v £icjtv ocov ouoç IxaaTOu, BouXdç,
X.puaôç, apYupoç,
19 Ia6r]ç xa\ xà ouota. elat 8e xat tc5v xaô'sxaaTOv (spat. vac.) xal at aYWYal,
TJYOuv at 8txat xat at BouX'at (sic).
20 8ouXE^at (sic) 8e Etalv OTav e'/^w (jLOvo[7i.a]xtov ^ TcXaxE^av (sic) Ô86v Bi^p/^ea-
Gat Et; xov âXXo'xptov
Fol. 19.
1 [àYpô]v, r^ àvxXEtv [u]8cop ino àXXo(xp''ou) 7criY(a8''ou), ij pa(r:à^£(jGat t(t)v)
£{xr]v oîx^av utîÔ Ç^vou TOiy^(ou),
2 fj 8ta6t6a!^Etv to Cocop xa\ Ta pu;:àa[JLaxa (j.ou otà awXrJvtov xat èÇaYEtv
6t âXXoxpt'aç aùXi);
1. Dans l'interligne on perçoit un x sans qu'il soit possible de savoir s'il
y avait xà ou xtjv.
608 ALFRED JACOB
3 ^ [àypoj jtaî] -cà [7i]ap[a]7:X[T|]aia. xtvà oï ;:avtwv eîalv' olo^^ ô irip, xô ^£0V
u[Soj]p, 7] 6aXa(aaa),
4 [ô aîyiJaXôç t^; 6aX(âa<JTiç) xal ot 7:oTajJLo\, a/eô(ôv) xal ol XijjLe'veç orjfxo-
at[or| elatv. [êjijei [^à xô T£t]/^[o; ÔJeîou
5 Sixaîou Èdxtv, wç cpuXaxxaov awjjLaxcDV xs lfjn|»'j)(^(ov xal â-j^u^ç^wv, ànoxp[e;rei
ô vdtxoç] xô Y-vS'jQai pXa67)v
6 xt[và èv] aùxû, [xal ô 7îXr]]{x{x[£X](]5v [IJv [aùxjw ri[y]ouv [Ô'.jàxprjdtv tîoiwv,
^ Pdcpoç C7ct[xi]0[£iç], ^ [a]uv[â7cxajv ■i:i(?)]
7 £v aùxô), otov oîxoSdfxrjjxa îô[i](o(xix6v) 7:apà x^£U3iv paatX(^a>ç), ^ u;t£p-
[6a]tva)v 8î a[ù]xou x[at] [ilq 8tà x^ç
8 ropx[7]];, xEoaXîxôiç xi[{jL](op£rx[ai]. xai 'Pwixo; yàp, àBEX^ôç tiiv paatX^to;
*Pwp.r,5, xoXjjLrjaa;
9 'jr.zpr,riù[f^]'z[œ. xô "cetj/jo;], xtjv x[£]9a(X7]v) [à]®r)p[£']0[ri]. (spat. vac.)
xà Upà âBtax^ji.7)x(a) eiaiv,
10 [£];:£io(r)) xat à$[£o];:o[x]a. xal [eJM p-iv [xwv] 7:a[X]ai[tS]v vd[[x]co[v]
xo'.auxTjv eI/^ov XTjv [8'] a'!p£(atv) xà T^pây
41 (j.axa. eX^yovxo Se îepà xal x[à vatxà] ^xot xà xe|xé[v7]], IÇ où ok ri 6p6o'8oÇoç
;riaxiç àvix[ei]X[£] xal al
12 0£îai ^xxXrja-'at xal (xovaaxrjpta xal eùaYeîç oixoi xtjv x[ôi]v t£[p]tav wç
[à]X7)e[Ôj]a [ÈJxXri
13 pt6a[a]vxo 7,f«i[p]av. 8i6 xal o[i] vd[xoi, o[l] Iv xot; êÇrJ(xovxa) (3[t]5Xi[oi]ç
[C]UVX£6(£VX£Ç), [xTfv] àp-/(T)v) (XTîÔ X^Ç r([(3X£]tOÇ
14 ïXa6ov. £'-x[a] xa[0]c^^ç 7:cpl £x[x]Xrj(a'.wv) [xal] 7î[po]vojj.(wv aùxûv xal
[xovaaxrjpiwv [xal] £X7ioiT|[a] aEwç £xxX[rJ
15 [a]ta(jxix[àiv] xal |xova)(^àiv] xal [xo[v]aÇ[o]u<îoiv. (spat. vac.) xix).oç xphoç,
Î^Tfx(£'.) P(t6X(ov) a xûv [|B]aa[i]Xixà>v (in marg. y)
16 [^Bpï] xrj; [à]v[a)]x(àxto)xp[[à8o;] (sp. vac). y^p['.]axiav[dç] laxiv ô 7:tax£uiov
[xi'av elvai 0£dxr]x(a) Èv T
17 «TT) £Çou[at]a x[oO] 7:[axpô]ç xal xou U'.[ou] xal xoiï ày[''ou] Tcy£U[xaxo;, ô yàp
Tîapà xà £'pr]fjL(£va) [8]o[Ç]àÇa)v [aip]£Xixd; Èaxiv.
18 [JLr)8£ £v xoî; al[p]£xixoi; xcov [|J.]u<ïT[T]]p!:a)[v] xd[7:o;] àv£oSy[6]to. [j.r)
Xa{jL[6]av£Xw iou8aîo$ )(^[pi]jxtavTjv.
La suite se lit au fol. 83.
Fol. 18.
Apparat critique.
1 BiCXtwv AFG — 6pyavoSa£a>; post hoc verbum legitur in S : xal fx£xà
xouxov TîoXXol xwv paatXéwv xaOoXixoùç (xèv oùx ÈÇéOsvxo vd{iou;, v£apà5
UN FEUILLET PALIMPSESTE «M
8s xal rcpooàÇstç âXXoiaç xal ypuaoSouXXouç Xoyou;, etç S Se'ov TJYTÎoavco,
rero'.rfyaaiv — [j(.£awv A — auvrjpjxwaav A auvr^pixociav 2BCDEFG.
2 rjTot 2BCDEG T]YOuv AF — -ce om E — xai 7:paY(JiàTcov BG — 8iaipetix(Sç
— 2ACEFG 8t' aîpsTtxtov BD.
3 Staxpivstv BGD — IxxsGeîvai G.
4 vofx'.xcSv xscp]. xe^aXaitov vôiiiov E — auveaçtyp-^vcoç E — ^ xotvoXsÇta
(BCDG) xaTaypao^vat B xaxaYpaçoîsv CE.
5 XoiôopetTo A XoiSwpïfTco B XoiSopsttw SCDE — ;cpaY|jLaTeta SADEFG —
ï/v. AE ey^T] ex ïyei F e)(^ot G.
6 6XiY0Ypa[x{jLàTa)v BCD — ywSKSiv, xal tt]v twv àvaYtvwaxofxevtov 8taX7]^ptv
paBi'ca; 7îapaXa[j.5àv£a9ai Iv TttXoiç oXotç TreptaTavTwv èvvsvrfxovxa xal ;cevTe
S — aYaYtvoaxofxévcov A àvaYtdxofjievwv E.
7 ajToT;] aùxà BGD — vlzXoiç oXoiç ABCDEFG — xptàxov-a xal KÉvxt E.
8 87) om SAEFG — StaYopeusTat E — à'ax'.v SAEF — xal eaxai
ouTwç om G.
In A post ouxw; legitur : [3'.6Xcov xwv (SaaiXuwv jxç : xt'xXoç a, et in rubr.
xixXoç a.
9 xt'xXoç a SBCDEF qui hic addit (3i6X. xwv (BaatX. |jlç — ;repl xaxaaxàaetov
B — Trpoaojxwv xal /îoioxtjxoç E xal 7rpaY|xaxtov aùxwv om S. —
10 aùxwv om E — ^Tjxei [xç om G.
14 01 [jLàv] f] [jL£v D — £iç où^Éva G — £)(_ou(jt X7)v IÇouai'av eÇw6£v aùxwv BGD
— xw xov G (xài expunct.)
13 £Î]r] SABGDEFG
14 àr,6 Yovf}; AFG à7:à yovÉwv BGD àîro YevvTJaswç E — IXEuOep^a; zi/ji
BGD — T]] £rx£ BG rjX£ D — Y'votjLsvo'. G.
lo 8£uYeveî; A* Sucryav^ç D 8uoy£v£î; E — oùxaxoaxo'Tctoç BG oùxaaxoTCtoç (sic)
E a per correct.
16 xal an te aTtaiç om BGD.
17 xaTaXei7:£Îv D.
18 PotjXXovxat B PouXovxat D.
19 7ipoaxuvrîar,v E — ÔTcrjpexrjv E.
20 eU T7]v :cpo')(^e'.pov SouXe^av AFG eU tàç SouXs^aç ;cpO)(^e^p(oç E — xaxa-
XtJJLTCCCyTJV E.
FoL 19 v».
1 xpixov [i.£po; G — aùxou om DE — rj xal Èàv SA — xoîjxo] xouxoj BGD.
3 xai post xa/^a om E — aùxoj] aùxw AFG — £(îxtv t) 8s ;îpaSx7] BGD
È'axt : ;rpoaôat xo ojSeÎç (sic) r.&p\ xu/rj; ÇtjxsÎ, xou îcpo ;i£vxe Ixôiv xsXeu-
XT{(javxos E — xal o\ atxt'av xotauxTjv om AFG.
39
6iÔ ALFRED JACOB
i oa:;r)vta; B — £xTt6eu.^v7) vuv-' om AFG IxTsOîtasvT) vuvi et in rubr. Tiepi
Tûv TîopvoYSvwv (et atram. nigr.) tûv TixTO[jL£'vtDv E.
5 evvd(jLwv Yà[jiwv ^ •loép.ou om BD — TixTo;j.£vot om AFG yewcoiJLevoi BG
Yev'jSjxevoi D — rjTot] eItouv E.
6 àxoXouOoyo'.v D — xai àvoÎYOVTai om AFG — Toi om SEG.
7 àTCoOavo-jaT^i; AF — xXr,povo[xo'jci F — <x;:o9avdT£ç (sic) A — È'/ouai SE.
8 Ttvà Tiep. S — r.oip' lauif;; B — oùx £/ouat HABCEFG — ÇtjteÎv]
TCO cet V E.
9 Xtjyoîtov AFG X£Ya;et B Xt-^izx CD — Post £^ ajxwv in E legitur (rubr.)
Tzepl Tôjv £$ £vvd[i(jiv Y^taojv,
10 6:iOTaaaov:ai SD — èÇ îouoT'.xfj; OryOc'aso); AFG — ÈziauvaYOuat 2AFG
£-'.a'jvaY'')<T'. E.
41 ô om E — olk] IÇ SBCDEG.
12 8ià Xo'ywv xai om S — y^!^°^ ^"^ D y«[aouç AFG yxixo) BC — Suvavtat
SABCDEF — oùôi BC.
13 £xaTpatia E — e'kjIv ëxt BC — aTpaTtwTixwv AEFG.
14 âçop[xwv AEFG — â::oxTT)aovTai G — Tcpoartoo-'i^ouai SABCDEFG —
xal Taîj-ra u-cÇou3;'ojv om AFG.
15 Post JîZEÇouai'wv in E insertum (fol. 7 v» 1. 8) tteoi tcsxouXîwv : (Incip.)
tÔ TCcxduXiov £v Totç u7î£$ou(j'!otç ôpaxat desinit (fol. 8 1. 8) £Î Se
âx''vr)Ta ô TcaxTjp èBtopTJaaxo, oùx elaiv iSioxttîtou tîexouXiou : et in rubr.
Tcepl X'^aeto; (sic) uTîE^oudioTrjTOç. — t; OnEÇouaiOitç ^'■^e D — aùiôv
IÇouaiov A aùtl^ojaiov (jt per correct.) B.
16 rJTt Oavaito D toj ^laxpô; aùxou E — tjxe 5tà D 7:axptxtdxr,xo;] TiO'.dxrjXo;
G — Ei'xa'. 8ià E TJXE xal D xal om E — àp/t£poauv7); B fjXE ex D.
17 7:apà om F*, man. poster, restit. supra v. — Itzï r.oXXk BC — uT^E^ouaiwv
BCD — Post TzpâxxEtv in S leguntur aydXta duo quae non occurrunt
in codicibus nostris. In E vero inest longior locus qui sic incipit: où
Yy;j.vrj auvaivîU'.; :raxs6; ÈXsuOcpot xfj; uKz^ou'ZiOzrixo; xôv 7;:aî3a et
explicit his verbis : àXXà Tîapa/wpTJaaaa xaô'âauxou $iaY£iv xav fj
Yaar/.ri"; ô;j.iXi'a; sçro ô'vat xa\ ajxfja XcXupop.£vov xô aùxEÇotioiov.
18 xpavcoO£:cîr^; AFG — xaïasxâaôoj; ÈvaXXaYrJ; o'-to; SABCDFG xaxaax.
xa\ ÈvaXXaY^; ojî. E — ol àvOptoxoi E.
19 E^Y^votç E — [jLExaçspovxai E et (rubr.) Tzspi 7:epiopi!^0[x£vwv xal IÇopiaxcov.
— xaxaatàja; (sic) G xaxa^xaaEtov BCDE — xaî post \i.i(jr] om.
SAFG.
Fol. 18 v^.
1 a ;:£p'.é-/^0(i,£v G — oj^'^srla. E.
UN FEUILLET PALIMPSESTE W4
2 (p9o^pei ô yàp :rep'.op'.a[j.o; E — àlV stpYaÇsTO (i^pyot^sTO G) jxixeàXov
(fxsTaXov F) op. AFG eipY^CsTO 2BGDE.
3 TcoXixe^aD TCoXittav E — xai où TcoXiTsisTat om BG.
4 xat ouTS 8'jva"cat om G — ;capà] ;cepi D.
4-5 xX7ipovo[jL£ÏaGai E.
5 Toùç om G — urcsÇouaîouç sy^^i E — [lô'^o^ E.
6 ô èa-civ èÇopta om AFG — èÇwp-'a sÇwptaTo; BD — ttjç TcoXcretaç
Yt'vETai ij — xauTTjç] aùtiç t^ç E — à(p' om AFG âcp' fj;] aûx^ç B t^i
auTOç G aÙTOç D.
7 f) 8è èXa/^. SAEFG — laxlv tj Tfîç U'.oGeaia; tjtiç [j.dvriv AFG — IvaXaaaet A.
8 xai £1 {JLSv S xat ô [jlsv aùrsÇouaioç AFG.
8-9 [jLStip/^eirai el; ttjv tou Ostoù Tcarpô; IÇouatav. outoj yàp S [xex. etç ttjv
xou OsT. Tcaxp. àpyovTtxr]v (àp/^t-/.r]v E) Sox'.piafjfav AEFG elç xà xou Gsx.
Tîax. àp/ovxtxTj Boxifjiaaia BGD.
9 ouxo) yàp uloôeaia om AFG ô 8è utcsÇouoioç FG, in A aùxsÇouaioç
factum ex ursÇouaioç.
40 Ix^pou S et in marg. Ix^pa — ô uris^ojaco; D — xouxo] xou G — xeXeuaav-
xoç E — xal ante où om AFG.
il fxdvov 8è AFG — àXXà xai SABGDEFG.
12 Y^vexat BCDEG. Post yivexat in E leguntur sex versus sic incipientes :
ôst xôv Xa[x6avovxa eî; uloôsaïav stvat {xstCova xou Xa[jL6avO[j.^vou et
quorum sunt ultima verba : e/^siv Se xat çpaXxt'Stov rjyouv xô xpt'xov xtjç
aùxou oùa^'a;.
12 ô om S.
12-14 yjvr] 8s eÎTceîv om AF (in F xtxXj3. p in marg.) G.
14 TCcpl otatpéasox; Trpayfxaxojv xat 7cotdxr)xo; aùxtov S — ;c£to'xrjXo; aùxou E.
15 ECfxi per corr. E — Ôstou om E restit. supra v. m. post. — Sixata BGD
— otvôpojTîou E (script, àvôû).
16 <xl om E.
17 sv0a ::uY[a.O[j.a/ojvX£ç om AFG — rj ot r.ay^p. B ~ rj Tzay-Ap. t] tcuyH- ]
ol Tcayxp. ot 7iuy[x. E.
18 etotv om AFG. — ov/.o; om AFG.
19 xai xi ofxota om AFG — e'.cyl oâ xwv ACEFG — xa\ ante ai ày- om XE
— ïJYOuv al 8uai om AFG — xat] rj BG — SouAeîai AGEFG ôouXetai
BD.
20 e'iatv oTov oxav AFG — oxe S — s/.'^îJi E — TiXaYtav Ô5. G.
Fol. 19.
1 s(xr)v] tô^av G — oîxcîav AD.
012 ALFRED JACOB
2 awX^vo; AFG.
3 Ttvà] xoivà BGEF — ;iâv:co; A. — ô'^om BG.
4 lytaXô; E — 8r);j.data BGD — al XifjL^vs; E — fer/^o;] leî D. — - tou ôe^ou
AFG.
5 àç çuX. (T(0{xaTa>v £{Xï{<u-/tov t£ xa\ â-}. SGF w; awfjLaTwv ê[x^|/u-^tov çuXaxT.
xa\ at];. A — wç aa>tjLa"rtov èu.t]^u/wv (XTCorp. G — â;îOTp^7rouaiv oî
vd|xot E.
6 eîç auTÔ BGD — 7rXrj[jisX65v AG rcXifjjXjxeXXtSv E — 8tà-:pU(jiv G — efXTTOtûv
E — lr,iMi E — Ti om E.
6-7 auv. èv aùtàj xi SABGDFG : oTov om BGD. — lôtcoTtxrjv TîapaxAsuu'.v D
Tzapa. (sic) E — rj Ozcpo.] ô •J7:cp6. BD.
8 r.rjp-:<x; BG — f>^[i.Oi AFG — rf); poSfxr^; SE twv ptofxa-'tov AFG.
9 ToTyo; G — ri oÈ Upk SAEFG.
10 ercetSr] xàv E — xrjv om AFG.
11 opQo'^jO^ov G — àvsxc'.Xsv SE — àvî'xetXc Tiiaxt; AFG — xat ante ai om
SAEFG.
axp,
12 xa\ xà [xovaaxrjpia xai oî eùayetç oîxoi S — (Jiova B — tùoi^i olxo;
BG.
13 Pt6Xoi; E — IxxeOs'vxeç BGD.
14 Trpovoixtwv BD.
15 Post [xova^oujcSv in S legitur : x^xXoç F nepl xtjç àvcoxocxca xpiàSoç xal
7C''(Jxeco; xaOoXtxfjç xal Tieol zoîj [ArjSsva xoXfxav 7cep\ ajxfjç $7)[jLoaia>;
âfxcptaorjxeîv, xal rspl aipextxwv. Zr[x£i |3i6Xiov xtov [3aaiX'.xwv à. —
^Tfxet pa(jiXac5v om AFG.
16 In AF (rubr.) rspi xr;; âv. xp. PiSXi'ov a xôiv paaiXtxwv.
16-17 I'tt)] a.à BGD.
17 iaxt AGEFG.
18 fJirjSs £v] .urj^ci; SABGDEFG — xoTç xûv alptXtxwv (jLuatTjpiO'.ç âvec«5)(^0(o
xoTio; S — "kaié-oi AG.
On peut voir par ce qui précède que les mss. AFG forment
un groupe tout à fait à part ; les lacunes, assez nombreuses
(une quinzaine pour ce feuillet), qui défigurent leur texte,
prouvent qu'ils ont la même origine. D'autre part BGD
constituent un autre groupe dont D se sépare quelquefois
par des omissions, des variantes orthographiques et une
faute, T.z.pi pour r.xpi. Ce groupe a quelques leçons qui lui
sont propres et ne figurent pas dans notre palimpseste. Gelui-
1
UN FEUILLET PALIMPSESTE «13
ci ne s'accorde que rarement (cinq fois) avec le groupe BCD
seul ; en revanche il offre fréquemment les mêmes leçons
que les groupes réunis AFG, BCD auxquels se joint quel-
quefois E. La collation de son texte sur celui de S ne mon-
tre comme leçons propres à cet ancien ms. que des omis-
sions, des variantes insignifiantes, comme l'addition du
V éphelcystique, ou des fautes évidentes. Les restes de ce ms.
ne méritent vraiment pas de trouver place dans l'établisse-
ment du texte de la Synopsis. C'est pourquoi, bien que
nous l'ayons déchiffré, nous n'avons pas jugé utile de trans-
crire le second feuillet. Si l'élimination d'une non-valeur
n'est pas chose inutile, on nous excusera d'avoir donné ici
un travail purement négatif.
INDEX DES MATIÈRES TRAITÉES
Critique de textes.
Pages.
Caton, Orig. II (ap. Charisium, Gr. lat. Keil, I, p. 202, 1.
20-22) 119etsuiv.
Cicéron, A«., 1, 14, 3 113
— de oratore, I, 1 364
— — II, 6 369
— - IV, 5 362
— — IV, 15 366
— — V, 18 367
— — VII, 27 369
— — XII, 50 365
— — XIII, 58. . , 362
— - XV, 65 366
— — XV, 68 368
— — XVII, 77 365, 366 et 368
— — XIX, 86 367
— — XXI, 96 362 et 367
— — XXTI, 99 366
— — XXII, 102 397
— - XXII, 103 365
— — XXIII, 106 362
— — XXIV, 111 367
— — XXV, 115 366
— — XXVI, 119 362
— - XXVI, 121 363
— -^ XXVI, 122 363
— — XXXÏI, 147 369
— — XXXV, 163 368
-- — XXXVI, 165 368
— — XXXVI, 167 369
^ ^ XXXIX, 180 365
616 INDEX DES MATIÈRES TRAITÉES
Cicéron, de oratore, XL, 181 363
— — XL. 183 364
— — XLÏI, 189 363
— — XLIl, 190 364
Juvénal et Perse 313 et suiv.
Lucain, Ph., III, 39 236
Plaute, Capt., 1022 444
— Merc, 956 445
— Mil., 229 445
— Most., 543 109
— — 675 109
— — 1093 110
— Poen., 1203 445
— Stich.,^10 444
— Truc, 806 444
Térence,Arf., 797 258
— And., 476 258
— Eun., 305-6 257
— Heaut., 857 259
— Hec, 681 258
— Hec, 845-847 , • • • IH
— Ph., 32 259
— Ph., 567 259
— Ph.,SM 257
Épigraphie.
Décret des Amphictions de Delphes relatif à la fête des
Niképhoria 187 et suiv.
Discussion de diverses inscriptions latines d'Afrique, . . 68 et suiv.
Inscription latine de Feltre 595 et suiv.
Histoire.
Gaulois, orateurs ou agriculteurs ? 119 et suiv.
Interdiction de prononcer certains noms chez les anciens. . 281 et suiv.
Réorganisation de l'Afrique sous Dioclétien 65 et suiv.
Histoire littéraire.
Aululaire de Plaute ; son original grec 29 et suiv.
Criton de Platon 333 et suiv.
Cursus byzantin ; ses origines 475 et suiv.
Ewc/zon de Plaute ; son caractère 16 et suiv.
Héroïdes d'Ovide ; authenticité j valeur littéraire. . . . 373 et suiv.
INDEX DES MATIÈRES TRAITÉES 6i7
Mime II d'Hérodas ; sa date 451 et suiv.
IlapaxXau^iOjpov dans la littérature latine 573 et suiv.
Places respectives des personnages sur la scène antique. . 539 et suiv.
Querolus 531 et suiv.
Linguistique.
-à final en latin 467
Accusatif (un emploi latin) 216 et suiv.
ai dans le redoublement des prétérits gotiques 271
Aspirées sonores labio-vélaires en celtique 237 et suiv.
Cas (d'un emploi particulier des) 216 et suiv.
Composés latin (auspex, etc.) 461 et suiv.
Datif (un emploi latin) 223 et suiv.
Déclinaison des noms latins en -a 469
Démonstratifs dans les œuvres dramatiques antiques. . . 539 et suiv.
Désinence latine -mini 552 et suiv.
Diphtongues ei, ie, ou, uo du vieux français; leur évolution. 343 et suiv.
Discours indirect en latin 201 et suiv.
Dissimilation 506
Emprunts et migrations de mots 401
Évolution de la syntaxe latine 233, 244 et suiv.
Futur des verbes irlandais caraim et scaraim 565
Futur irlandais en -6/f- et futur latin en-6ô 557 et suiv.
Géminées latines simplifiées devant deux brèves (type re-
perio en face de repperi). . 274 et suiv.
Génitif fun emploi latin) 219 et suiv.
Imparfait du futur breton en f. 559
Latin vulgaire au v« siècle 150
Masculins latins en -a 459 et suiv.
Métathèse 179 et suiv.
Mots latins nouveaux ou remarquables dans la traduction
latine d'Oribase 503 et suiv.
Nominatifs en -as du type paricidas 469 et suiv.
Ordre des deux termes dans le type factus est, est factus. 243 et suiv.
Parfait passif latin 243 et suiv.
Passif en latin vulgaire 131 et suiv.
Phonétique générale 179 et suiv.
Place des noms de nombre en latin 169 et suiv.
Présent thématique à redoublement de la racine indo-eu-
ropéenne *sfA<7- 264
Prétérit à redoublement du germanique 271 et suiv. ; 277
Racines dissyllabiques au second terme de composés. . . 461 et suiv.
Redoublement dans les racines commençant par s plus oc-
clusive 263 et suiv.
Subjectif (expression en latin de ce qui est) 199 et suiv.
«18 INDEX DES MATIÈRES TRAITÉES
Subjonctif latin ; progrès de son emploi au cours de l'his-
toire de la langue 201 et suiv.
Sutfixes latins vulgaires : -arius 526
— -ata 518
— -l'a 507
— -ica 510
— -idium 509
— 'itas, -etas 549, 524
— -urnus 517
Substantifs verbaux en roman 512, 524
Traitement de l'initiale de la racine devenue intervocalique
dans les formes à redoublement 269 et suiv.
Vocabulaire du latin vulgaire 503 et suiv.
Manuscrits publiés.
Edition diplomatique du ms Vaticanus 5 750 de Perse et
Juvénal 316 et suiv.
Michel Attaliata Sjvo(j;i;, un feuillet palimpseste. . . . 604 et suiv
Métrique.
Cantica de Plaute 3 et suiv.
Clausules métriques chez Cicéron 41 et suiv,
— Himerius 475 et suiv.
Nécessité de placer les mots dans les vers de manière à
guider le lecteur 440 et suiv. ; 447
Scansion des mots latins du type facilius (^ ^ ^ ').. . . 431 et suiv.
Statistique (méthode) dans l'étude des clausules. . . . 478 et suiv.
Textes latins édités.
Cicéron, Post reditum ad Quintes (étude des clausules). 45 et suiv.
Victorin (Marius Victorinus) Isagoge (fragments). ... 296 et suiv.
INDEX DES PRINCIPAUX MOTS ÉTUDIÉS
Pages.
406
56o
239
240
401
240
237
565
Arménien.
katapan
Celtique.
irl. caraim.
gall. deifio.
corn, guyraf.
irl. làr. .
irl. nàr. .
gall. nyf..
irl. scaraim.
Grec.
a-jOc'vTT,;, a'jTOô'vTTjc.. 415 et suiv.
vulg. à-fï'vTTj;. . . 388 et suiv.
Y^'voaat 270
Yivrô-r/w 270
ià(/-)a; 463
[x3Ya? 463
vî6a 239
Latin.
[Les mots nouveaux ou curieux de
la traduction latine d'Oribase étu-
diés dans l'ordre alphabétique par
M. A. Thomas, p. 503 et suiv.,
n'ont pas été relevés ici.]
Adamas (Aug., C.
F., XV, 6).
79 et suiv.
aeshimare. .
. . 468
agncola. . .
. . 468
assecla. . .
. . 466
auriga. . .
. . 468
cacare. . ,
. . 275
cammarus. .
-cida. . . .
collega. . .
compegi. . .
compunxi. .
conuiua. . .
dare. . . .
explorare, explo
tor. . . .
foeniseca.
-fuga.. . .
-gêna. . . .
heredipeta. .
hosticapas. .
incuba. . .
maccinare. .
nauita. . .
occinui. . .
paricidas.
reccido, recido.
red-. . . .
refrigerare. .
repeno, repperi
scriba..
serere.. . .
sis ter e. . .
stare. . . .
steti. . . .
vulg. * susanus.
Turc
efendi. .
madama. .
512
468
466
277
277
468
263
79 et suiv.
467
467
467
468
469
467
521
459
277
469
274
274
595
276
274
439
265
264
263
266
514
387 et suiv.
402
ERRATA
P. 4i, note 2, ajouter: G. Dostler, Das Clauselgesetz bei Curtius, 1907,
Kempten, Progr.
P. 43, 1. 16, lire: au début des phrases et incises.
P. 59, n. 2, . 3, lire: le texte des mss.
P. 229, 1. 3 du bas, lire : 2« éd., au lieu de : 3» éd.
P. 274, 1. 7 du bas, supprimer repperimus.
P. 275, 1. 5, lire : redux, reducem d'après reduco.
P. 275, 1, 6, supprimer refers.
P. 359 et 361, lire tradition au lieu de traduction.
P. 387, n. 1.8, lire: 201. Il
P. 388, n. 1. 7, lire: 215 :
P. 389, 1. 20, lire: grecque —
P. 389, n. 1. 1, lire: ib.:
P. 393, 1. 4, lire: — lik
P. 394, 1. 15, lire: (Le
P. 394, 1. 19-20, lire: encore. (
P. 395, 1. 26, lire: khanum
P. 396, 1. dernière, lire: « D'après
P. 399, 1.11, lire: 1900), 51)
P. 402, 1. 2, lire : âç.
P. 404, 1. 5, lire: Francesismo »)»,
P. 404, 1. 28, lire: traite
P. 407, n. 1, 1. 2, lire: xatETiàvto
P. 407, n, 1, 1. 2, lire: reconnu ce mot.
P. 410, 1. 30, lire: x^
P. 411, 1. 24, lire: etc. —
6M ERRATA
P. 443, n 1, 1. 7, lire: Pretiosa
P. 444, 1. 1, lire: Btx.ad-cTÎpia
P. 444, 1. 24, autorité,
P. 444, n. 4, 1. 3, lire: (î^;
P. 435, 1. 5, lire: toutes.
P. 437, 1. 4, lire: abitio.
P. 444, faux titre, lire: G. Ramain.
P. 464, 1. 4, lire : *âoaaa;, au lieu de *àSà(xàç.
P. 464, 1. 8 du bas, lire : le sens.
P. 469, 1. 9, lire : formes du, au lieu de : formes de.
P. 475, n. 4, lire: bis 46 Jahrhundert.
P. 476, note 4, lire: rhythmisches.
P. 484, 1. 3 du bas, lire linguistique.
P. 520, 1. 26, lire: 1. 4, au lieu de: 1. s.
P. 527, 1. 3 de la note 4, lire: fol. 4, au lieu de: fol. 8.
P. 550, 1. 9 du bas, lire yy/arx'.
P. 604, fol. 48, 1. 5, lire: |>o]'.0(op[erira).
P. 604, fol. 48, 1. 6, lire: [âva]Y[[v](oa[x]oa6vcov.
P. 605,1. 40, lire: {jlç.
P. 605, 1. 44, lire: èÇ[o]ucrt[â]:o[v](Tra).
P. 605, 1. 48, lire: Çw^.
P. 606, 1. 8, lire : 7:[eptou(ïQav.
P. 606, 1. 45, lire: çavepdv.
P. 606, fol. 48^0, 1. 5, lire: o{î[Te].
P. 607, 1. 7, lire: ô yàp.
P. 607, 1. 44, lire: [i.h']7:to;.
P. 607, 1. 42-13, lire : ôps: || Xei.
P. 608, 1. 5 lire : tô.
P. 608, 1. 40-44, lire: rcpày || [xaxa.
P. 608, 1. 42, lire: IxxXr^aiat.
P. 608, 1. 42, lire: [i]XT|e[à)]5.
P. 608, 1. 44, lire: âx7totrf[a]etoç.
P. 608, 1. 48, lire : ^^ U.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Liste des souscripteurs.
Aug. AUDOLLENT (v. p. o93) , .
E. AuDOUiN. — De la composition métrique des Cantica de Plaute. 1
Max Bonnet. — Smikrinès — Euclion — Harpagon 14
Henri Bornecque. — Le Post reditum ad Quintes, texte commenté
au point de vue des clausules métriques 39
R. Gagnât. — La réorganisation de l'Afrique sous Dioclétien. . . 63
Franz Cumont. — Adamas, génie manichéen 77
A. CuNY. — Latin explùrâre 83
L. Delaruelle. — Notes critiques sur quelques passages d'auteurs
latins 107
G. DoTTiN. — Argute loqui ? ou agriculturam ? Gaulois orateurs ?
ou agriculteurs? 117
A, Ernout. — De l'emploi du passif dans la Mulomedicina chironis 129
Félix Gaffiot. — Comment ont été faites certaines lois de la langue
latine , . . . . 151
Paul Gilles. — Sur la place des noms de nombre dans César. . . 167
M. Grammont. — Une loi fonétique générale 177
Maurice Holleaux. — Décret des Amphictions de Delphes relatif
à la fête des JViképhoria 185
Alfred Jacob (v. p. 601).
Paul Lejay. — Le progrès de l'analyse dans la syntaxe latine. . . 197
L Le verbe 200
IL Les formes nominales 216
J. Loth. — Les mots gallois nyf, deifio et l'évolution de l'aspirée
sonore labio-vélaire dans les langues celtiques 235
J. Marouzeau. — Sur la forme du parfait passif latin 241
A. Meillet. — Deux notes sur des formes à redoublement.. . . 261
I. Sistô et stetî 263
l\. Sut rejpperï, rettuli, eic 273
624 TABLE DES MATIERES
Charles Michel. — Note sur un passage de Jamblique 279
Paul Monceaux. — Vlsagoge latine de Marius Victorinus. . . . 289
F. NouGARET. — Vaticanus ms 5750 Perse-Juvénal 311
L. Parmentier. — Sur le Cntow de Platon 331
P. Passy. — L'évolucion de quelques diftongues en viens français
ei (oi), ie, ou (eu), uo (ue) 341
René Pichon. — Observations sur la tradition manuscrite du de
oratore 359
Frédéric Plessis. — Quelques mots sur les iféroitZes 371
Jean Psichari. — Efendi 385
Georges Ramain. — Sur la scansion de facilius dans les vers dra-
matiques 429
Théodore Reinach. — La date du Mime II d'Hérodas 449
F. de Saussure. — Sur les composés latins du type agricola. . . 457
Daniel Serruys, — Les procédés toniques d'Himerius et les ori-
gines du cursus byzantin 473
Antoine Thomas. — Notes lexicografiqes sur la plus anciène traduc-
cion latine des euvres d'Oribase 501
Paul Thomas. — Le Querolus et les justices de village 529
H. Vandaele. — Varia 537
L Places respectives des personnages sur la
scène antique établies au moyen des dé-
monstratifs 539
IL La désinence latine raédio-passive -mini. 552
J. Vendryes. — Sur l'hypothèse d'un futur en -bh- italo-celtique.. 555
H. de la Ville de Mirmont. — Le napaxXauai'ÔJoov dans la littéra-
ture latine 571
Aug. Audollent. — Refrigerare 593
Alfred Jacob. — Un feuillet palimpseste du codex parisinus sup-
plément grec 1232 601
Index des matières étudiées 615
Index des mots étudiés 619
Errata 621
CHARTRES. — IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.
Bri\5Dïr;G SECT. JAN 17 1972
PA Philologie et linguistique
26
H38
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY