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Full text of "Philologie et linguistique; mélanges offerts à Louis Havet par ses anciens élèves et ses amis à l'occasion du 60e anniversaire de sa naissance le 6 janvier 1909"

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PHILOLOGIE 


ET 


LINGUISTIQUE 


PHILOLOGIE 


ET 


LINGUISTIQUE 


MÉLANGES    OFFERTS 

A 

LOUIS   HAVET 

PAR  SES  ANCIENS  ÉLÈVES  ET  SES  AMIS 

A  Voccasion  du  60"  Anniversaire  de  sa  Naissance 
le  6  Janvier  igog. 


yV.   0^ 


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+  1 


PARIS 
LIBRAIRIE   HACHETTE   ET   C" 

79,     BOULEVARD     SAINT-GERMAIN,     79 

1909 
Droit»  de  traduction  et  da  reproduction  réservés. 


2.4» 

H  38 


LISTE  DES  SOUSCRIPTEURS 


AuDOLLENT  (Aug.),  professeuF  à  l'Université  de  Ciermont-Ferrand. 

AuDOUiN  (E.),  professeur  à  l'Université  de  Poitiers. 

Barbelenet  (D.),  professeur  au  Lycée  de  Rouen. 

Bédier  (J.),  professeur  au  Collège  de  France. 

Bellanger,  professeur  au  Lycée  d'Auch. 

Bonnet  (Max),  correspondant  de  l'Institut,  professeur  à  l'Université  de 
Montpellier. 

BoRNECQUE  (Henri),  professeur  à  l'Université  de  Lille. 

BoYER  (P.),  administrateur  de  l'École  des  langues  orientales  vivantes. 

Breton  (G.),  docteur  es  lettres. 

Gagnât  (R.),  de  l'Institut,  professeur  au  Gollège  de  France. 

Gartault  (A.),  professeur  à  l'Université  de  Paris. 

Ghatelain  (E.),  de  l'Institut,  conservateur  de  la  Bibliothèque  de  l'Uni- 
versité. 

Gha vannes  (E.),  de  l'Institut,  professeur  au  Gollège  de  France. 

Gumont  (Franz),  professeur  à  l'Université  de  Gand. 

GuNY  (A.),  maître  de  conférences  à  l'Université  de  Bordeaux. 

Delaruelle  (L.),  maître  de  conférences  à  l'Université  de  Toulouse. 

Derenbourg  (Hartwig  feu),  de  l'Institut. 

Durand  (René),  chargé  de  cours  à  l'Université  de  Paris. 

Dottin  (G.),  professeur  à  l'Université  de  Bennes. 

Emmanuel  (Maurice),  docteur  es  lettres. 

Ernout  (A.),  docteur  es  lettres,  professeur  au  Lycée  de  Troyes. 

Fossey  (G.),  professeur  au  Gollège  de  France. 

Gaffiot  (F.),  docteur  es  lettres,  professeur  au  Lycée  de  Glermont-Fcrrand. 

Gasg-Desfossés,  professeur  au  Lycée  d'Évreux. 

Gilles  (P.),  professeur  au  Lycée  de  Beauvais. 

Grammont  (M.),  professeur  à  l'Université  de  Montpellier. 

Haussoullier  (B.),  de  l'Institut,  directeur  d'études  à  l'École  des  Hautes 
Études. 


HoLLEAUX  (M.),  directeur  de  l'École  française  d'Athènes. 

Jacob  (A.),  directeur  d'études  à  l'École  des  Hautes  Études. 

JuLLiAN  (C),  correspondant  de  l'Institut,  professeur  au  Collège  de  France. 

Lacôte  (F.),  professeur  au  Lycée  de  Montluçon. 

Lebègue  (H.),  chef  des  travaux  paléographiques  à  l'École  des  Hautes 

Études. 
Le  Breton  (Paul),  chef  de  bureau  de  la  Compagnie  «Le  Secours  ». 
Lefranc  (Abel),  professeur  au  Collège  de  France. 
Lejay  (P.),  professeur  à  l'Institut  catholique  de  Paris. 
Lévi  (S.),  professeur  au  Collège  de  France. 
LoTH  (J.),  doyen  de  la  Faculté  des  lettres  de  Rennes. 
Loubat  (duc  de),  associé  étranger  de  l'Institut. 
Macé  (A.),  professeur  à  l'Université  de  Rennes. 
Marouzeau  (J.),  agrégé  de  l'Université. 
Meillet  (A.),  professeur  au  Collège  de  France. 
Mellon  (Paul). 

Meylan-Faure  (H.),  professeur  à  l'Université  de  Lausanne. 
Michel  (Ch.),  professeur  à  l'Université  de  Liège. 
MoNOD  (G.),  de  l'Institut,  professeur  au  Collège  de  France. 
Morel-Fatio,  professeur  au  Collège  de  France. 
Monceaux  (P.),  professeur  au  Collège  de  France. 
NoLHAC  (P.  de),  conservateur  du  Musée  de  Versailles. 
Nougaret  (F.),  professeur  au  Collège  de  Perpignan. 
Parmentier  (L.),  professeur  à  l'Université  de  Liège. 
Passy  (P.),  directeur  d'études  adjoint  à  l'École  des  Hautes  Études. 
PiCHON  (R.),  professeur  au  Lycée  Henri  IV. 
Plessis  (Fr.),  professeur  à  l'Université  dd  Paris. 
Psighari  (J.),  professeur  à  l'École  des  langues  orientales. 
Ramain  (G.),  maître  de  conférences  à  l'Université  de  Lyon. 
Rebeillé,  professeur  au  Lycée  de  Douai. 
REiNACH(Th.),  docteur  es  lettres,  député  de  la  Savoie. 
Robert  (Florian),  professeur  au  gymnase  de  Morges  (Vaud). 
Saussure  (Ferdinand  de),  professeur  à  l'Université  de  Genève. 
Serruys  (D.),  directeur  d'études  adjoint  à  l'École  des  Hautes  Études. 
Tailliart,  professeur  au  Lycée  d'Alger. 
Thomas  (A.),  de  l'Institut,  professeur  à  l'Université  de  Paris. 
Thomas  (P.),  professeur  à  l'Université  de  Gand. 
Vandaele  (H.),  professeur  à  l'Université  de  Besançon. 
Vendryes  (J.),  chargé  de  cours  à  l'Université  de  Paris. 
Ville  de  Mirmont  (H.  de  la),  professeur  à  l'Université  de  Bordeaux. 


E.   AUDOUIN 


DE  LA  COMPOSITION  MÉTRIQUE 
DES  CANTICA  DE  PLAUTE 


DE  LA  COMPOSITION  METRIQUE 
DES  CANTICA  DE  PLAUTE 

Par  E.   AuDouiN. 


La  composition  métrique  des  cantica  de  Plaute  semble, 
au  premier  abord,  compliquée  et  confuse.  Cependant  on 
remarque  un  certain  ordre  dans  les  groupements  des  mètres 
et  ces  groupements  correspondent  aux  divisions  du  sens^ 

Quelques  cantica  se  divisent,  à  la  fois  d'après  le  sens  et 
d'après  le  mètre,  en  deux  parties,  d'autres  —  et  c'est  le  plus 
grand  nombre  —  en  trois  parties,  d'autres  en  quatre,  très 
peu  en  cinq-. 


A .  —  Cantica  divisés  en  deux  parties. 

1.  Amph.  5H-584.  —  I  -574  série  de  tétr.  bacch.  termi- 
née par  un  parœmiaque.  —  II  troch. 

2.  Asin.  127-138.  —  I  -133  crét.  an.  —  II  crét.  troch. 


1.  Cf.  F.  Léo,  Die  Plautinischen  Cantica  und  die  hellenistiche  Lyrik, 
p.  83  et  suiv. 

2.  Nous  laissons  de  côté  les  cantica  qui  offrent  d'un  bout  à  l'autre  le 
même  mètre  (comme  Aul.  415-446,  713-726,  Cist.  203-228,  Mil  1041- 
1093,  Most.  783-803,  Pcrsa  168-182,  Pseud.  595-603,  Trin.  820-842, 
1115-1119)  et  ceux  qui  présentent  trop  de  lacunes  (comme  Cas.  855-874). 


4  AUDOUIN 

3.  Bacch.  612-639.  —  1-624  monologue  subdivisé  en  trois 
périodes:  a)  -616  troch.  an.;  b)  -619  an.  iamb.  bacch.; 
c)  troch.  crét.  —  II  dialogue  subdivisé  aussi  en  trois  pério- 
des; a)  -627  an.  iamb.  ;  b)  -634  troch.  ;  c)an. 

4.  Bacch.  925-978.  —  1-952  iamb.  —  II  iamb.  alternant 
avec  des  troch. 

5.  Capt.  516-532.  —  I  -524  iamb.  —  II  iamb.  alternant 
avec  des  troch. 

6.  Capt.  781-790.  —  I  -787  iamb.  entre  deux  groupes 
symétriques  de  tétr.  bacch.  —  II  tétr.  bacch.  entre  deux 
vers  formés  d'un  dim.  bacch.  et  d'un  reizianum. 

7.  Epid.  320-336.  —  I  -328  crét.  iamb.  troch.  —  II  troch. 
crét.  iamb. 

8.  Most.  690-746.  —  I  -71 7  monologue  de  Simon  avec  apar- 
tés de  Tranion,  subdivisé  en  trois  périodes,  toutes  les  trois 
en  crét.  troch.  —  II  Dialogue  subdivisé  aussi  en  trois  pério- 
des :  a)  -728  crét.  troch.  iamb.  ;  b)  -737  crét.  troch.  ; 
c)  crét.  troch.  iamb. 

9.  Rud.  664-681.  —  I  -675  crét.  troch.  bacch.  iamb.  — 
II  iamb.  crét.  troch. 

10.  Truc.  448-464.  —  I  -453  an.  —  II  bacch. 

Dans  deux  de  ces  cantica  (1  et  10),  dont  la  composition 
est  des  plus  simples,  les  deux  parties  que  comprend  chacun 
d'eux  offrent  un  mètre  différent.  Dans  les  huit  autres,  elles 
ont  un  ou  plusieurs  éléments  communs:  2  crét.,  3  troch. 
an.  iamb.,  4  et  5  iamb.,  6  bacch.  iamb.,  7  et  9  crét.  troch. 
iamb.,  8  crét.  troch.  Cette  analogie  plus  ou  moins  grande 
entre  les  deux  moitiés  contribue  à  donner  de  l'unité  à 
l'ensemble. 

Mais  la  ressemblance  n'est  jamais  complète  :  quand  le 
mètre  dominant  est  le  même,  la  clausule  diffère  (2);  quand 
les  mêmes  éléments  sont  associés  (6,  7),  ils  sont  groupés  de 
manières  diverses;  le  plus  souvent  (3,  4,  5,  8,  9),  il  se  joint 


GANTICA  DE  PLAUTE  5 

aux  éléments  semblables  quelques  éléments  différents  qui 
introduisent  de  la  variété  et  marquent  l'opposition  entre  les 
deux  parties. 

On  remarque  ordinairement  une  certaine  symétrie  dans 
la  manière  dont  ces  éléments  divers  sont  groupés,  en  parti- 
culier Capt.  781-790  (6):  les  deux  parties  ont  une  forme 
mésodique  ;  dans  la  première,  c'est  l'élément  iambique  qui 
occupe  le  milieu  (schéma  a  b  à);  dans  la  seconde  c'est  l'élé- 
ment purement  bacchiaque  qui  est  encadré  entre  deux  vers 
bacch.  iamb.  (schéma  b  a  b).  Most.  690-746  (8),  si  l'on 
désigne  par  a  les  périodes  en  crét.  troch.  et  par  6  celles  qui 
comprennent  en  outre  un  élément  iamb.  à  la  fin,  le  schéma 
est  a  a  a  —  bab\  si,  d'autre  part,  pour  analyser  de  plus 
près  la  composition  de  la  première  partie,  on  désigne  par  a 
les  vers  formés  d'un  dim.  crét.  et  d'une  trip.  troch.  cat., 
par  6  ceux  dans  lesquels  un  dim.  crét.  est  suivi  du  côlon 
-^^^-,  par  c  les  tétr.  crét.,  par  d  les  vers  troch.,  on  obtient 
le  schéma  suivant  pour  les  trois  périodes  del:  a  b  a  b  a  — 
b  a  d  b  a  —  a  c  a  c  a. 


B.  —  Cantica  divisés  en  trois  parties. 

1.  Amph.  159-179.  — I  -165  an.  alternant  avec  des  troch., 
puis  iamb.  bacch.  an. —  11-175  an.  iamb.  bacch.  —  III  bacch. 
alternant  avec  des  an. 

2.  Amph.  219-247.  —  1-222  crét.  troch.  —  II  -237  deux 
groupes  de  tétr.  crét.  précédés  chacun  d'un  dim.  crét.  joint 
à  un  dim.  troch.  cat.  et  suivis  d'une  dip.  troch.  —  III  tétr. 
crét.  alternant  avec  un  dim.  crét.  joint  à  une  dip.  troch. 
La  troisième  partie  est  terminée,  comme  la  seconde,  par  une 
dip.  troch. 

3.  Amph.  1053-1075.  —  1-1060  iamb.  —  11-1071  trois 


6  AUDOUIN 

groupes  d'iamb.  séparés  l'un  de  l'autre  par  un  an.  et  des 
troch.  —  III  troch.  iamb. 

4.  Bacch.  640-670.  —  I  -648  an.  troch.  crét.  —  II  -661  crét. 
troch.  iamb.  —  III  crét.  troch.  iamb.  an. 

5.  Bacch.  978-996.  —1-986  troch.  —  II  -990  iamb.  troc. 

—  III  troch.  iamb. 

6.  Bacch.  1076-1116.  —  I  -1086  an.  —  II  -1103  an.  —  III 
an.  crét. 

7.  Bacch.  1120-1206.  —1-1140  16  tétr.  bacch.  entre  deux 
groupes  symétriques  de  bacch.  alternant  avec  des  dim.  iamb. 
cat.  —  II  -1148  troch.  —  III  an. 

8.  Capt.  195-241.—  I  a) -200  iamb.  ;  b)-202  troch.  iamb. 

—  II  a)  -209  iamb.  alternant  avec  des  crét.,  puis  crét.  an.  ; 
b)  -217  crét.  troch.  an.  iamb.  crét.  —  III  a)  -230  5  crét.  sui- 
vis d'iamb.  et  de  bacch.  ;  b)  -239  5  crét.  précédés  d'an,  alter- 
nant avec  des  iamb.  ;  c)  2  octon.  troch.  servant  de  transition 
aux  sept,  troch.  qui  suivent. 

9.  Capt.  498-513.  —  I  -504  an.  bacch.  troch.  —  II  -508 
bacch.  iamb.  —  III  an.  bacch.  iamb. 

10.  Ca^.  144-164.— 1-146  bacch. —II-160a)crét.  troch.; 
b)  iamb.  bacch.  ;  c)  crét.  troch.  an.  —  III  an. 

11.  Cas.  165-216.  —  I  -183  a)  an.  crét.  troch.  ;  b)  an. 
iamb.  —  11-202  a)  bacch.  crét.  ;  b)  troch.  crét.  —  III  a)  an.  ; 
b)  crét. 

12.  Cas.  217-251.  —  1-228  an.  — 11-238  iamb.  crét.  iamb. 
an.  —  III  an.  troch.  iamb. 

13.  Cas.  621-719.  —  I  -629  crét.  troch.  an.  —  II  a) -640 
troch.  an.  iamb.  ;  b)  -645  crét.  an.  —  III  a) -659  an.  bacch.; 
b)  -674  an.  et  série  de  bacch.  entre  deux  groupes  symétri- 
ques de  dim.  bacch.  joints  à  un  reizianum  ;  c)  -703  bacch. 
troch.  bacch.  reizianus  ;  d)  bacch.  troch.  iamb.  an. 

14.  Cas.  815-846.  —  I  -824  chant  d'hyménée,  an.  alter- 
nant avec  un  ithyphallique.  —  II  a)  -828  iamb.  bacch.  ;  b) 


GANTIGA  DE  PLAUTE  7 

-836  distique  semblable  à  ceux  du  chant  d'hyménée,  puis 
bacch.  alternant  avec  desdim.  iamb.  cat.  — Illbacch.  iamb., 
bacch.  an.  iamb. 

15.  Cas.  875-893.  —  1-878  an.  —  11-886  an.  crét.  —  III 
an.  crét.  an. 

16.  Cas.  937-962.  —  1-942  an.  troch.  —  11-950  an.  crét. 
-  III  an.  troch. 

17.  Cist.  1-37.  —  I  -13  a)  bacch.  an.  troch.  ;  b)  an.  alter- 
nant avec  des  bacch.  —  II  a)  -19  troch.  ;  b)  -24  bacch.  alter- 
nant avec  des  troch.  —  III  a)  -32  an.  iamb.  bacch.  troch.  ; 

b)  troch.  bacch.  an.  bacch. 

18.  Cist.  671-703.  —  I  -677  bacch.  encadrés  entre  deux 
groupes  d'an.  —  II  a)  -687  an.  bacch.  ;  b)  -694  an.  crét. 
troch.  bacch.  — III  iamb.  an. 

19.  Cure.  96-157.  —  I  Monologue  de  Leaena,  subdivisé 
en  trois  périodes  :  a) -98  dactyl.  an.  ;  b)-104  iamb.  crét. 
dact.  ;  c)  -109  crét.  —  II  Dialogue  entre  Leaena,  Palinurus, 
Phaedromus,  subdivisé  en  trois  périodes  :  a)  -121  iamb.  troch. 
crét.  bacch.  ;  b)  -133  dact.  an.  iamb.  an.  ;  c)  -139  crét.  an. 
crét.  an.  — ■  III  Dialogue  entre  Palinurus  et  Phaedromus, 
subdivisé  en  trois  périodes  :  a)  -146  an.  ;  b)  -154  crét.  ; 

c)  an. 

20.  Epid.  1-80.  —  1-24  troch.  iamb.  —  II -60  iamb.  troch. 
—  III  iamb.  troch. 

21.  Epid.  81-103.  —  I  -90  4  septén.  troch.  et  3  distiques 
formés  d'un  dim.  crét.  et  d'un  septén.  troch.  —  II  -95  dim. 
troch.  cat.,  septén.  troch.  et  2  distiques  semblables  à  ceux 
de  I.  —  III  2  distiques  formés  le  premier  d'un  dim.  crét.  et 
de  2  dim.  troch.  cat.,  le  second  d'un  dim.  crét.  et  d'un 
septén.  troch.,  enfin  4  septén.  troch.  correspondant  à  ceux 
par  lesquels  commence  I. 

22.  Epid.  166-189.  —  1-172  troch.  crét.  an.  —11-180  crét. 
iamb.  —  III  iamb. 


8  AUDOUIN 

23.  Epid.  526-547.  —  I  -532  troch.  crét.  bacch.  iamb.  —  1 
II  -537  iamb.  troch. —  III  crét.  an.  troch. 

24.  Men.  110-134.  —  I  -118  an.  crét.  —  II  -125  troch. 
iamb.  —  III  troch.  iamb. 

25.  Men.  351-368.  —  I  -355  an.  iamb.  —  II  -360  troch. 
crét.  an.  — III  an. 

26.  Men.  571-603.  —  1-585  a) -579  bacch.  ;  b)crét.  bacch. 
iamb.  troch.  —  II  -595  a) -589  an.  ;  b)  troch.  —  III  a) -601 
iamb.  ;  b)  an. 

27.  Men.  753-774.  —  1-760  bacch.  iamb.  — II -763  bacch. 
iamb.  crét.  troch.  an.  —  III  bacch.  iamb. 

28.  Men.  966-985.  —  I  -971  bacch.  —  II  -976  deux  grou- 
pes de  bacch.  encadrant  un  septén.  troch.  —  III  iamb.  troch. , 
iamb.  an.,  iamb.  an.  troch. 

29.  Merc.  111-140. —  1-119  iamb.  troch.  —  11-131  iamb. 
troch.  —  III  iamb. 

30.  Merc.  335-363.  —  I  -340  bacch.  an.  —  II  -356  bacch. 
encadrés  entre  2  troch.  —  III  bacch.  alternant  avec  des 
troch. 

31.  Most.  312-347.  —  I  -319  deux  groupes  symétriques  de 
bacch.  séparés  par  2  trip.  troch.  cat.  et  suivis  d'un  trim. 
bacch.  —  II  -335  a)  -323  crét.  an.  ;  b)  -330  crét.  troch.  rei- 
zianus;  c)  an.  —  III  crét.  troch.  iamb. 

32.  Most.  885-903.  —  1-889  troch.  an.  —  II  -896  bacch. 
iamb.  an.  —  IIÏ  troch.  iamb.  an. 

33.  Persa.  1-52.  —  I  -12  iamb.  —  II  -32  a)  -18  troch.  crét.  ; 
b)  -25  iamb.  ;  c)  troch.  —  III  a)  -38  iamb.  troch.  ;  b) -42 
troch.  ;  c)  iamb. 

34.  Persa.  183  203.  —  I  -191  troch.  septén.  —  II  -197 
troch.  octon.  septén.  et  dim.  cat.  —  III  troch.  sept,  et 
octon. 

35.  Persa.  470-500.  —  I  -479  troch.  —  II  -490  troch. 
iamb.  an,  —  III  an. 


C  A  NTIC  A  DE  PLAUTE  9 

36.  Persa.  7o3-777.  —  I  -762  an.  crét.  an.  —  II  -769  an. 
III  an.  iamb.  an. 

37.  Pœn.  210-260.  —  I  -232  série  de  bacch.  terminée  par 
un  octon.  troch.  —  11-249  a) -239  bacch.  an.  iamb.  ;  b)-247 
an.  bacch.  iamb.  ;  c)  bacch.  —  III  bacch.  an. 

38.  Pœn.  1174-1200.  —  I  -1186  an.  —  II  -1191  an.  —  III 
iamb.  an. 

39.  Pseud.  90o-9o0.  —  I  -918  a)  -912  an.  ;  b)  an.  troch. 
iamb.  an.  —  11-935  a) -922  iamb.  crét.  iamb.  ;  b)-931  iamb. 
crét.  an.  ;  c)  crét.  an.  —  III  an. 

40.  P5eurf.ll03-113o.— 1-1123  a)-1110an. bacch. troch. 
crét.  an.  ;  b)  -lllS  crét.  an.  troch.  ;  c)  crét.  an.  crét. 
troch.  —  II  -1130  troch.  bacch.  —  III  an.  iamb.  troch. 

41.  Pseud.  1246-1284.  —  I  -1258  bacch.  crét.  an.  iamb. 
—  II  -1269  troch.  an.  bacch.  —  III  bacch.  ioniques  crét. 
troch. 

42.  Pseud.  1285-1335.  —  I  -1314  a)  -1295  crét.  troch. 
iamb.  an.  ;  b)  crét.  troch.  iamb.  an.  —  II  -1329 an.  —  III  crét. 
bacch. 

43.  Rud.  220-257.  —  1-228  an.  —  II  -252  troch.  crét.  — 
III  crét.  iamb.  troch. 

44.  Rud.  258-289.  —  I  -265  bacch.  crét.  iamb.  —  II  crét. 
bacch.  —  III  bacch.  iamb. 

45.  Rud.  906-937.  —  I  -918  bacch.  alternant  avec  des  an. 
11-924  an.  encadrés  entre  un  iamb.  et  des  troch.  —  III  an. 

46.  Rud.  938-962.  —  I  -943  iamb.  —  II  -953  crét.  iamb. 
troch.  an.  —  III  an. 

47.  Stich.  1-47.  —  I  -9  an.  iamb.  —  11-19  an.  —  III  an. 

48.  Stich.  274-329.  —1-314  troch.  iamb.  —  II  -325  an.  — 
III  an. 

49.  Trin.  223-275.  —  I  -236  a)  -232  bacch.  ;  b)  iamb.  an. 
II  -256  a)  -241  an.  troch.  iamb.  ;  b)  an.  troch.  iamb.  —  III 
a)  -260  an.  iamb.  ;  b)  an. 


10  AUDOUIN 

50.  Trin.  276-300.  —  I -286  a) -278  an.  ;  b)  crét.  iamb. 
—  II  -292  an.  —  III  crét.  tétr.  cat.  alternant  trois  fois  avec 
des  an. 

51.  Truc.  95-129.  —  I  -112  a)  -98  an.;  b)  an.  iamb.  — 

11  -114  an.  —  III  a)  -123  an.  troch.  crét.  ;  b)  an.  iamb. 

52.  Truc.  577-630.  —  I  -602  a)  -587  troch.  iamb.  crét.  ; 
b)  crét.  alternant  avec  des  troch.  —  II  -618  an.  —  III  crét. 
entre  deux  séries  de  troch. 

53.  Truc.  711-728.  —  1-718  an.  bacch.  —  II -722  iamb. 
bacch.  —  III  crét.  troch.  iamb. 

Dans  39  cantica  sur  53,  les  trois  parties  ont  un  ou  plusieurs 
éléments  communs  :  1  (an.  bacch.),  2  (crét.  troch.),  3  (iamb.), 
4  (troch.  crét.),  5  (troch.),  6  (an.),  8  (iamb.  troch.),  9 
(bacch.),  11  (crét.),  12  (an.),  13  (troch.  an.),  15  (an.),  16 
(an.),  17  (bacch.  troch.),  18  (an.),  19  (an.  crét.),  20  (troch. 
iamb.),  21  (troch.  crét.),  23  (troch.),  25  (an.),  27  (bacch. 
iamb.),  29  (iamb.),  30  (bacch.),  31  (troch.),  32  (an.),  33 
(iamb.),  34  (troch.),  36  (an.),  37  (bacch.),  38  (an.),  39 
(an.),  40  (troch.),  41  (bacch.),  44  (bacch.),  45  (an.),  47  (an), 
49  (an.,  iamb.),  50  (an.),  51  (an.). 

Dans  13  autres  cantica,  un  ou  plusieurs  éléments  sont 
communs  à  deux  parties  :  10  (bacch.  dans  la  l*"^  et  la  2%  an. 
dans  la  2**  et  la  3^),  14  (an.  dans  la  l'^*  et  la  3%  troch.  dans 
la  {''  et  la  2%  iamb.  bacch.  dans  la  2'  et  la  3«),  22  (crét.  dans 
la  i'^  et  la  2%  iamb.  dans  la  2«  et  la  3«),  24  (troch.  iamb. 
dans  la  2*"  et  la  3"),  26  (iamb.  dans  la  1'*  et  la  3%  troch.  dans 
la  l--^  et  la  2%  an.  dans  la2«  et  la  3«),  28  (bacch.  dans  la  l-"" 
et  la  2%  iamb.  troch.  dans  la  2'  et  la  3"),  35  (troch.  dans  la 
l'«  et  la  2%  an.  dans  la  2«  et  la  3«),  42  (crét.  dans  la  l"-^  et  la 
3«),  43  (crét.  troch.  dans  la  2^  et  la  3«),  46  (iamb.  dans  la 
l--^  et  la  2%  an.  dans  la  2«  et  la  3«),  48  (an.  dans  la  2«  et  la 
3«),  52  (troch.  crét.  dans  la  l'«  et  la  3^),  53  (bacch.  dans  la 
1"  et  la  2%  iamb.  dansla  2«  et  la  3«). 


GANTIGA  DE  PLAUTE  H 

Un  seul  canticum  (7)  offre  des  mètres  différents  dans  les 
trois  parties. 

Le  plus  souvent,  deux  des  parties  se  correspondent,  sans 
se  ressembler  complètement,  ou  du  moins  offrent  dans  leur 
composition  métrique  une  certaine  analogie.  Tantôt  ce  sont 
les  deux  premières  (schéma  a  a  6:  1,  6,  10,  13,  18,  19,  21, 

22,  28,  29,  35,  38,  39,  45,  46,  53);  tantôt  ce  senties  deux 
dernières  (schéma  a  6  6  :  2,  3,  5,  8,  12,  14,  15,  20,  24,  26, 
30,  31,  33,  34,  37,  40,  43,  47,  48,  49)  ;  tantôt  la  troisième 
fait  pendant  à  la  première  (schéma  ah  a:  4,  9,  11,  16,  17, 

23,  25,  27,  32,  35,  36,  41,  42,  44,  50,  51,  52). 


C  —  Cantica  divisés  en  quatre  parties. 

1.  Amph.  633-653.  —  I  -636 bacch.  iamb.  bacch.  —II  -641 
bacch.  iamb.  bacch.  iamb.  bacch.  iamb.  bacch.  —  III  -647 
bacch.  iamb.  bacch.  iamb.  —  IV  bacch.  iamb.  bacch. 
iamb. 

2.  Aul.  120-160.  —  1-134  série  de  bacch.  dont  le  dernier 
est  précédé  d'un  an.  —  II  -142  troch.  iamb.  —  III  -152  a) 
•145  an.  bacch.  crét.  an.  ;  b)  an.  bacch.  an.  —  IV  iamb.  an. 
reiz. 

3.  Cas.  720-758.  —  I  -729  an.  —  II  -739  a)  -732  crét. 
troch.  an.;  b)  iamb.  an.  bacch.  —  III  -749  an.  —  IV  crét. 
an. 

4.  Most.  85-156.  —  Chaque  partie  se  divise  en  trois  pé- 
riodes :  I  -100  a) -90  bacch.  an.  bacch.  iamb.  ;  b)-98  bacch. 
an.  bacch.  iamb.  ;  c)  bacch.  —  II  -117  a)  -104  bacch.  iamb.; 
b)  -113  crét.  iamb.  crét.  troch.  ;  c)  crét.  troch.  —  III  -132 
a)  -119  iamb.  ;  b)  -128  bacch.  an.  bacch.  iamb.  ;  c)  troch. 
iamb.  —  IV  a)  -141  crét.  troch.  ;  b)  -148  iamb.  crét.  troch^ 
iamb.  ;  c)  crét.  troch. 


12  AUDOUIN 

5.  Most.  858-884.  —  I  -865  iamb.  an.  —  II  -871  iamb. 
bacch.  —  III  -878  an.  bacch.  iamb.  —  IV  crét.  troch. 

6.  Persa.  251-278.  —  I  -256  troch.  bacch.  iamb.  —  II  -265 
troch.  —  III -271  troch.  iamb.  —  IV  troch.  iamb. 

7.  Pseud.  133-264.  —  I  -172  a)  141  an.  troch.  ;  b)  -160 
troch.  iamb.  ;  c)  troch.  an.  iamb.  —  II  -230  a)  -184  troch. 
an.  ;  b)  -195  iamb.  troch.  ;  c)  -208  troch.  iamb.  ;  d)  -224 
troch.  iamb.  ;  e)  -230 troch.  —  III  -240  an.  —  IV  a)  -242  an.; 
b)  -258  trois  groupes  symétriques  de  troch.  bacch.  ;  c)  crét. 
troch. 

8.  Pseud.  574-603.  —  I  -575  2  an.  —  II  -583  deux  grou- 
pes symétriques  d'an,  et  de  troch.  et  2  an.  encadrant  2 
bacch.  —  III  deux  groupes  d'an,  et  de  troch.  encadrant  un 
reizianus.  —  IV  2  an.  M 

9.  Rud.  185-219. —  I -197 a) -169 octon. an. et parœm. entre 
deux  groupes  symétriques  de  reiz.  et  de  parœm.  ;  b)  bacch. 
alternant  avec  des  iamb.  —  II  -203  an.  crét.  troch.  —  III 
-215  a)  -206  bacch.  iamb.  ;  b)  tétr.  crét.  alternant  trois  fois 
avec  un  dim.  crét.  joint  au  côlon -^w^-.  —  IV  crét.  an.  troch. 
an.  iamb. 

10.  Truc.  210-255.  —  I.  -212  iamb.  bacch.  —  II  -226  iamb. 
—  III  -245  iamb.  troch.  iamb.  — IV  troch.  iamb. 

Dans  sept  de  ces  cantica,  les  quatre  parties  ont  un  ou  plu- 
sieurs éléments  communs:  1  (bacch.  iamb.),  3  (an.),  4 
(iamb.),  6  (troch.),  7  (an.),  8  (an.),  10  (iamb.).  Dans  les 
trois  autres,  un  élément  est  commun  à  trois  parties  :  2  (an. 
dans  la  1"^%  la  3*^  et  la  4®),  5  (iamb.  dans  les  trois  premières), 
9  (an.  dans  la  1^%  la  2'  et  la  4"). 

La  symétrie  est  particulièrement  remarquable.  Most.  85- 
156  (4):  les  quatre  parties  se  correspondent  deux  à  deux  ;  le 
mètre  bacchiaque  domine  dans  I  et  III,  comme  les  crétiques 
et  les  trochaïques  dans  II  et  IV  (schéma  a  b  a  b).  La  3*'  par- 
tie fait  aussi  pendant  à  la  1'%  ainsi  que  la  4°  à  la  2^  dans  2, 


GANTIGA  DE  PLAUTE  13 

3,  9.  Le  schéma  esta  ab  b  dans  1 ,  a  bb  a  dans  S,  a  b  b  c  dans 
5,  a  b  c  c  dans  6  et  10,  a  a  6  c  dans  7. 


D.  —  Cantica  divisés  en  cinq  parties. 

1.  Persa.  778-856.  —  I  -787  an.  —  Il  -802  an.  —III -818 
crét.  bacch.  an.  —  IV  -842  troch.  —  V  an.  iamb.  troch. 
bacch. 

Les  anapestes,  dont  sont  composées  les  deux  premières 
parties,  se  retrouvent  à  la  fin  de  la  3^  et  au  commencement 
de  la  5^  ;  les  bacchiaques  sont  de  plus  communs  à  la  3^  et  à 
la  5®.  Le  schéma  est  donc  a  ab  c  b. 

2.  Truc.  551-574.-1-552  bacch.— 11-558  an.  bacch.  an. 
—  III  -567  troch.  an.  —  IV  -571  an.  bacch.  troch.  —  V  an. 
bacch. 

Les  anapestes  sont  communs  à  toutes  les  parties  à  l'excep- 
tion de  la  première.  Mais  ce  qui  caractérise  surtout  les  deux 
premières  et  les  deux  dernières,  ce  sont  les  bacchiaques 
qu'elles  renferment.  Le  schéma  est  donc  a  ab  a  a. 

Ainsi,  malgré  l'absence  d'une  régularité  antistrophique 
rigoureuse,  on  remarque  dans  la  composition  des  cantica  de 
Plante,  une  certaine  symétrie,  un  agencement  harmonieux 
des  mètres. 


Max   bonnet 


MIKRINÈS-EUCLION-HARPAGON 


SMIKRINES-EUCLION-HARPAGON 

Par  Max  Bonnet. 


On  a  cent  fois  comparé  l'Aululaire  et  l'Avare  sans  relever 
entre  les  deux  pièces  une  différence  capitale,  c'est  que  le 
principal  personnage  de  l'une,  Harpagon,  est  un  avare,  et 
non  celui  de  l'autre,  Euclion.  «  Tout  se  passe  »  du  moins 
«  comme  si  »  rien  de  tel  n'avait  été  dit.  En  1907  comme  au 
temps  du  premier  Argument,  Euclion  est  le  vieil  avare,  se- 
7iex  auaruSy  «  der  alte  Geizhals*  ».  Comme  le  rénovateur  de 
la  critique  plautinienne^,  un  helléniste  estimé  admirait  ré- 
cemment encore  la  merveilleuse  unité  de  ce  caractère  ;  que 
dis-je?  il  exaltait  l'art  avec  lequel  toute  l'action  en  serait 
déduite 3.  Pourtant,  on  a  beaucoup  approché  de  la  vérité 
quand  on  a  vu  que  le  sujet  de  l'Aululaire  était  bien  moins 
celui  de  l'Avare  de  Molière  que  celui  du  Savetier  et  du  Fi- 
nancier de  La  Fontaine^.  L'Aululaire,  en  effet,  malgré  toute 

1.  Voy.  M.  Schanz,  Gesch.  d.  rôm.  Litt.,  l,  V  (4907),  p.  74  ;   J.  Vah- 
ien,  Sitzungsberichte  de  l'Académie  de  Berlin,   1907  (25  juillet),  p.  715. 
.  Ritschl,  Opuscula,ll,  p.  732. 

.  J.  Geffcken,  Studien  zu  Menander,  Hamburg,  1898,  p.  6. 
4.  J.  F.  La  Harpe,  Lycée,  Paris,  1821,  II,  p.  114;  Plautus,   Aulula- 
rià,  p.  p.  E.  Benoist,  p.  xi.  Rien  d'étonnant  si  ce  sujet  a  tenté  un  poète 
de  l'antiquité.  La  fable  de  La  Fontaine   n'est-elle   pas    contenue  en  sub- 
stance dans  cette  anecdote  conservée  par  Stobée  (Floril.  93,  25)  :  'Avaxp^tov 
^  Stopsàv  rapà  noXuxpâxou;  Xa6wv  tîÉvxc  xàXavxa,  u)ç  eçpovxtaev  ÈTc'aùxoîç  Suotv 

Iotv,  à7:£Ocox5v  aùxà,  e'!;:wv  où  xitxaaôat  aùxà  xtjç  è;;'aùxoîç  cppovx^Ôo;  ? 
■ 


18  MAX  BONNET 

la  finesse  psychologique  qui  s'y  révèle,  n'est  nullement  une 
comédie  de  caractère.  Plaute,  ou  du  moins  son  devancier 
grec,  n'a  pas  voulu  étudier  le  caractère  de  l'avare  sur  un 
personnage  qui  n'est  pas  avare,  et  qui,  étant  donné  le  sujet 
de  la  pièce,  ne  devait  pas  l'être.  11  s'est  amusé  à  décrire 
l'effet  produit  sur  l'humeur  d'un  pauvre  par  la  possession 
soudaine  d'un  trésor,  et  les  embarras  qu'elle  lui  cause. 
Aussi  c'est  autour  de  la  marmite,  logis  de  ce  trésor,  que 
tourne  toute  l'action  :  sans  elle,  la  pièce  n'existerait  pas  ; 
tandis  que  la  cassette  d'Harpagon  ne  remplit  qu'un  office 
très  secondaire  :  sans  elle  la  comédie  de  Molière  subsisterait 
tout  entière,  sauf  un  petit  nombre  de  scènes  amusantes, 
mais  faciles  à  remplacer  par  quelque  autre  fantaisie.  Ce 
n'est  pas  tout.  Il  y  a  plus  d'un  quart  de  siècle  que  le  mot 
décisif  :  «  Euclion  n'est  pas  avare  »,  a  été  prononcé  nette- 
ment, clairement^  Il  a  été  crié  dans  le  désert.  Mais  voici 
tout  dernièrement  que  ce  cri  a  été  repris  par  une  voix  trop 
autorisée  pour  n'être  pas  entendue-.  Le  moment  est  donc 
propice  pour  extirper  une  très  ancienne  erreur.  Non,  Eu- 
clion n'est  pas  avare.  Il  ne  l'est  nullement  dans  800  vers  sur 
830   qui  nous  restent;   il   ne  paraît  atteint  de  ce   vice  que 


i.  W.  Klingelhoeffer,  Plante  imité  par  Molière,  etc.  Darmstadt,  4873. 
Cette  brochure  ne  m'est  parvenue  qu'à  la  dernière  heure.  D'autres  décla- 
rations semblables  m'ont  peut-être  échappé  ;  car  il  m'a  été  impossible  de 
voir  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  le  sujet,  malgré  l'extrême  obligeance  de 
MM.  les  Bibliothécaires  de  Montpellier,  Paris  et  Bonn,  à  laquelle  je  me 
plais  à  rendre  hommage  ici. 

2.  H.  Weil,  Journal  des  Savants,  1906,  p.  546:  «Ménandre  n'entendait 
donc  pas  mettre  sur  la  scène  un  avare...  Euclio  se  comporte  comme  un 
avare,  sans  l'être  néanmoins.  »  «  Euclio  »,  d'après  le  contexte,  paraît  être 
le  personnage  de  Ménandre.  Mais  M.  Weil,  ayant  à  parler  de  l'Euclion 
de  Plaute,  n'en  aurait-il  pas  dit  autant?  Je  le  pense,  et  je  suis  singulière- 
ment flatté  de  cette  rencontre.  Car  à  l'époque  oîi  parut  l'article  de 
M.  Weil,  mon  opinion  sur  l'Aululaire  était  faite  depuis  des  années  ; 
j'avais  eu  l'occasion  de  l'exposer  à  mes  élèves  et  à  quelques-uns  de  mes 
collègues  j  enfin  une  partie  de  ce  qu'on  va  lire  était  écrite. 


SMIKRINÊS-EUGLION- HARPAGON  49 

dans  deux  ou  trois  passages  qui  ne  sont  pour  rien  dans  l'ac- 
tion et  qui  vicient  le  dénouement.  C'est  ce  qu'on  va  d'abord 
montrer  par  la  simple  analyse  de  l'Aululaire.  Puis  l'on  exa- 
minera rapidement  les  conclusions  à  tirer  de  ce  fait. 


I 


^■Euclion,  devant  sa  maison,  invective  sa  vieille  esclave,  la 
frappe,  et  l'oblige  à  se  tenir,  le  dos  tourné,  dans  la  rue, 
pour  qu'elle  ne  puisse  l'observer  pendant  qu'il  va  voir  sous 
son  foyer  si  l'or  qu'il  y  a  trouvé  dans  une  marmite  est  tou- 
jours en  place  (vers  40  à  66).  La  première  scène  nous  mon- 
tre un  homme  troublé  et  rendu  nerveux,  irritable,  méchant, 
par  la  possession  d'un  trésor.  Dans  la  seconde,  la  vieille  se 
creuse  la  tête  pour  savoir  ce  qui  a  pu  arriver  à  son  maître 
pour  lui  donner  cette  humeur  inquiète,  qui  est  donc  de 
fraîche  date  (67-73).  D'avarice,  pas  question. 

Euclion  revient.  Il  ordonne  à  sa  servante  de  rentrer  et  de 
faire  bonne  garde  (79-81).  «  Que  garder?  »  demande-t-elle  ; 
«  il  n'y  a  rien  à  voler  chez  nous  ;  on  n'y  trouve  que  des 
toiles  d'araignée  »  (81-84).  «  Ehl  bien,  je  veux  qu'on  les 
garde  »,  répond-il  furieux  (83-87).  C'est  un  vrai  contresens 
de  voir  dans  cette  réplique  une  preuve  d'avarice.  Euclion 
ne  s'inquiète,  en  ce  moment,  ni  des  toiles  d'araignée  ni 
d'aucun  autre  objet  que  peut  renfermer  sa  maison.  Il  tremble 
que  Staphyla  ne  vienne  à  savoir  ce  qu'il  y  a  maintenant  à 
garder,  le  trésor.  Il  sait  bien  qu'il  n'y  a  rien  autre  qui 
puisse  tenter  les  voleurs,  non  pas,  comme  Harpagon,  parce 
qu'il  «  renferme  toutes  choses  »  —  il  ne  «  renferme  »  que  sa 
marmite  —  mais  parce  que  vraiment  il  ne  possède  rien  qui 
vaille  d'être  volé.  Il  s'empare  donc  avec  une  ironie  rageuse 
de  ces   «  toiles  d'araignée  »,   pour  signifier   à  sa  servante 


20  MAX  BONNET 

que,  quand  il  lui  enjoint  de  veiller,   elle  n'a  qu'à  obéir, 
sans  se  mêler  de  connaître  les  motifs  de  ses  ordres. 

Euclion  avoue  qu'il  est  pauvre  (85;  86;  88;  184;  190; 
196;  227;  461;  583),  il  ne  le  feint  pas,  comme  font  les 
avares  ;  l'objection  même  de  Staphyla  le  prouve,  et  plu- 
sieurs déclarations  de  son  voisin  Mégadore  le  confirment 
(171;  173;  206;  227;  247;  248;  423;  479;  603;  voir 
aussi  349  et  357).  S'il  recommande  de  ne  laisser  entrer  per- 
sonne sous  prétexte  d'emprunter  de  l'eau,  du  feu  (il  le  fait 
éteindre,  pour  plus  de  sûreté,  91),  ou  quelque  ustensile 
(90-97),  ce  n'est  pas  pour  ménager  son  bien,  c'est  pour  ne 
pas  laisser  approcher  de  son  trésor.  «  Que  personne  n'entre, 
fût-ce  la  Fortune  »,  voilà  la  consigne  (98-100).  De  même, 
s'il  va  réclamer  sa  part  dans  une  distribution  d'argent  pu- 
blique (106-108),  ce  n'est  pas  une  cupidité  sordide  qui  le 
pousse  ;  c'est  la  crainte  de  laisser  soupçonner  qu'il  a  chez 
lui  un  magot  (109-110).  Déjà  son  imagination  montée  lui 
fait  croire  qu'on  s'en  doute,  et  qu'on  est  plus  aimable  envers 
lui  pour  cette  raison  (111-119). 

Euclion  jouit  dans  la  ville  d'une  honorable  réputation,  ce 
qui  n'est  pas  le  cas  d'Harpagon,  à  en  croire  maître  Jacques. 
Mégadore,  en  faisant  part  à  sa  sœur  Eunomia  de  son  projet 
de  mariage  avec  la  fille  d'Euclion,  ne  prévoit  qu'une  seule 
objection,  leur  pauvreté  (173  ;  174)  ;  et  Eunomia  n'en  fait 
aucune  ;  pas  question  du  vice  dégradant  dont  il  est  parlé  dans 
la  suite.  «  Je  le  connais  »,  dit-elle  ;  «  c'est,  ma  foi,  un  brave 
homme  »  (172).  De  même  quand  Mégadore  annonce  ses 
fiançailles  à  plusieurs  amis,  aucun  ne  s'étonne,  au  contraire  ; 
«  sapienter  factum  »,  disent-ils,  «  et  consilio  bono^  »  (477). 

Mais  voici  Mégadore  qui  aborde  Euclion  en  le  saluant  po- 
liment. Aussitôt  ses  soupçons  renaissent  (184  ;  185).  Il  en 
est  obsédé  tout  le  temps  de  leur  entretien  (188  ;  194-198  ; 
200-202;  216;  240;  265-267).   Il  n'a  pas  une  pensée  de 


SMIKRINÈS-EUGLION- HARPAGON  21 

reste  pour  cette  bonne  aubaine  d'une  alliance  à  contracter 
avec  un  gros  bourgeois  cossu  tel  que  Mégadore  (166  ;  184  ; 
214  ;  226;  247),  qui  ne  pourrait  manquer  de  réjouir  un 
avare,  même  possesseur  d'une  marmite  pleine  d'or.  Quand 
il  se  plaint  de  ce  que  sa  fille  n'aura  pas  de  dot  (191),  quand 
il  en  avertit  Mégadore  par  deux  fois  (238  ;  257  ;  258),  ce 
n'est  pas  qu'il  veuille  faire  l'économie  d'une  dot,  c'est  que 
vraiment  il  n'est  pas  à  même  d'en  constituer  une.  Déjà  avant 
la  demande  en  mariage,  et,  par  conséquent,  avant  qu'il 
puisse  être  question  de  dot,  il  craint  de  livrer  son  secret 
(184  ;  185  ;  211).  «  Eo  dico  »,  explique-t-il  naïvement,  «  ne 
me  thensauros  repperisse  censeas  »  (240).  Après  coup  seule- 
ment l'idée  semble  lui  venir  que  Mégadore  voudrait  s'appro- 
prier le  trésor  sous  prétexte  de  dot  (257)  ;  et  c'est  alors  qu'il 
reproche  à  Staphyla  d'avoir  répandu  le  bruit  que  sa  fille  en 
aurait  une  (269). 

Mais,  dira-t-on,  pourquoi  Euclion  ne  songe-t-il  pas  à  faire 
usage  du  trésor  pour  doter  sa  fille,  pourquoi  le  tient-il  ca- 
ché? N'est-ce  pas  là  une  preuve  d'avarice?  Nullement.  Pas 
plus  qu'Euclion,  le  savetier  de  La  Fontaine  n'est  avare,  et 
pourtant,  tout  comme  Euclion,  «  dans  la  cave  il  enserre 
l'argent,  et  sa  joie  à  la  fois  ».  Chez  l'un  comme  chez  l'au- 
tre, cette  conduite  s'explique  par  le  manque  d'habitude  de 
posséder,  par  une  sorte  d'étourdissement  que  leur  cause 
leur  fortune  subite.  Ils  n'ont  jamais  rien  eu  à  garder,  et 
tout  à  coup  ils  ont  le  souci  de  préserver  des  accidents  et 
des  voleurs  une  somme  qui  leur  paraît  énorme.  Dès  lors  ce 
souci  seul  les  obsède,  sans  que  l'idée  leur  vienne  de  jouir 
de  leur  richesse.  Une  seule  fois  Euclion  y  pense,  c'est  quand 
il  est  trop  tard,  quand  il  vient  de  perdre  son  trésor  (722  et 
suiv.).  A  ce  moment  il  voit  clair  tout  à  coup.  N'est-ce  pas  ce 
qui  arrive  à  tant  d'hommes,  quand  ils  ont  perdu  leur  santé, 
leur  fortune,  ou  même  un  de  leurs  proches? 


22  MAX  BONNET 

Après  les  fiançailles,  Euclion  et  Mégadore  vont  faire  leurs 
préparatifs  de  noce  chacun  de  son  côté  et  chacun  selon  ses 
moyens.  Mégadore  fait  de  belles  provisions  et  loue  plusieurs 
cuisiniers,  qui  se  répandent  dans  les  deux  maisons  (280- 
282).  Euclion  revient  bredouille  ;  il  a  vu  beaucoup  de  bon- 
nes choses,  mais  si  chères  1  et  il  n'avait  pas  d'argent,  ou  pas 
assez  (371-376).  Il  s'est  donc  décidé  à  faire  de  nécessité 
vertu  et  à  dépenser  le  moins  possible  (379-384)  ;  il  n'a 
acheté  que  de  l'encens  et  des  fleurs  pour  le  dieu  Lare.  Ce- 
lui-ci, espère- t-il,  se  laissera  fléchir  par  l'offrande  du  pauvre 
et  donnera  du  bonheur  à  la  mariée  (385-387).  Voilà  qui  est 
touchant  ;  cela  rappelle  les  offrandes  de  la  rustica  Phidyle 
d'Horace.  En  tout  cas,  ce  n'est  pas  d'un  avare.  Un  véritable 
avare  ou  aurait  acheté  si  peu  que  ce  fût  de  plus  substantiel, 
ou  n'aurait  rien  acheté  du  tout,  comme  le  [jLixpoXÔYoç  de  Théo- 
phraste  :  otj^wvwv  {jLï]Bàv  izpnxihvioq  elaeXÔetv*. 

Euclion  rentre,  et  trouve  chez  lui  les  cuisiniers.  Enten- 
dant l'un  d'eux  demander  une  marmite  plus  grande,  il  croit 
qu'il  s'agit  de  celle  qui  renferme  son  or,  et  se  met  à  crier  au 
voleur  (388-397),  puis  chasse  tout  le  monde  à  coups  de  bâ- 
ton (406-414).  Dans  une  explication  qu'il  a  à  ce  sujet  avec 
Congrion  (415-448),  on  voit  que  sa  crainte  n'est  pas  que  les 
cuisiniers  fassent  trop  de  dépense  ;  il  tremble  uniquement 
que  l'on  découvre  et  emporte  son  trésor  (432  ;  437-440). 
Une  fois  sa  marmite  en  sûreté  (449  ;  450),  on  introduira 
chez  lui  tous  les  étrangers  qu'on  voudra  (451-453).  Puis, 
ruminant  l'incident,  il  se  persuade  que  Mégadore  a  envoyé 
les  cuisiniers  pour  voler  la  marmite  (460-464)  ;  et,  voyant 
son  coq  gratter  la  terre,  il  égorge  le  malheureux  volatile 
comme  étant  leur  complice  (465-471).  Dans  tout  cela  encore, 
c'est  en  vain  qu'on  cherche  Harpagon  (celui-ci  se  fût  con- 

1.  Characteres,  iO  (McxpoXoy^aç). 


SMIKRINÈS  -  EUGLION  -  HARPAGON  23 

tenté  d'éloigner  le  coq,  son  coq  !)  :  il  n'y  a  qu'un  malheu- 
reux sire  Grégoire  affolé  par  un  souci  obsédant. 

Le  monologue  suivant  de  Mégadore  sur  les  avantages  des 
mariages  entre  riches  et  pauvres  (475-535)  est  particulière- 
ment instructif.  Euclion  est  à  ses  yeux  un  pauvre  (479),  et 
ce  sont  les  oligarches  (486),  les  riches,  que  seuls  il  accuse 
d'amour  de  l'argent,  lequel  s'allie  chez  eux  au  luxe  et  à  la 
prodigalité  (486  ;  487).  Euclion  écoute  avec  un  vif  plaisir  ce 
discours  favorable  à  l'économie  (497)  ;  ce  qui  ne  suppose 
pas  plus  d'avarice  chez  lui  que  le  discours  n'en  révèle  chez 
le  désintéressé  Mégadore. 

La  crainte  de  voir  son  trésor  découvert  (547  ;  548)  et  le 
trouble  qui  en  résulte  font  commettre  à  Euclion  de  grosses 
incivilités.  Il  se  plaint  à  Mégadore  des  cuisiniers  que  celui-ci 
a  envoyés  chez  lui  (551-557).  Et  une  fois  lancé,  il  accuse 
la  musicienne  de  trop  boire  (557-558  ;  mihi,  quoique  le  vin 
vienne  de  chez  Mégadore,  356).  Bien  mieux,  il  reproche  au 
rôti,  donné  par  Mégadore,  d'être  trop  maigre  (560-568)  :  un 
avare  qui  se  plaint  qu'on  ne  fasse  pas  assez  bonne  chère  ! 
Enfin  quand  Mégadore  l'invite  à  boire,  il  déclare  ne  vouloir 
prendre  que  de  l'eau  (569-574),  non  pas  assurément  comme 
Harpagon  quand  il  recommande  à  Cléante  d'aller  boire  dans 
la  cuisine  un  verre  d'eau  claire,  parce  que  l'eau  ne  coûte 
rien  :  le  vin,  étant  fourni  par  Mégadore  (356),  ne  serait  pas 
plus  dispendieux  à  Euclion  ;  mais  il  craint  que  Mégadore  ne 
veuille  l'enivrer,  afin  de  lui  ravir  son  trésor  (575-579).  Pour 
le  mettre  à  l'abri  de  toute  attaque  de  ses  ennemis  —  ede- 
pol  ne  tu  aida  miiltos  inimicos  habes^  s'écrie-t-il  (580), 
tant  la  marmite  est  devenue  à  ses  yeux  un  être  vivant,  une 
personne,  dont  la  sécurité  l'intéresse  pour  elle-même  —  il 
va  le  confier  à  la  déesse  Fides  (580-586  ;  608-623),  puis  le 
cacher  dans  le  bois  de  Silvain  (624  et  suiv.).  Quand  il  s'aper- 
çoit que  Strobile  le  lui  a  volé,  il  se  livre  à  un  désespoir 


24  MAX  BONNET 

comique  (713-726),  mais  qu'il  ne  faut  pas  attribuer  à  l'ava- 
rice :  il  est  peu  d'hommes,  même  détachés  des  biens  de  ce 
monde,  qui  ne  s'affligeraient  en  pareille  occurrence  ;  et  le 
chagrin  d'Euclion  s'accroît  naturellement  du  fait  que  son 
attention  a  été,  depuis  quelque  temps,  concentrée  sur  le  pré- 
cieux objet.  Il  ne  sort  de  là  que  pour  apprendre,  par  la 
confession  amphibologique  de  Lyconide,  le  malheur  arrivé 
à  sa  fille  —  elle  vient  d'accoucher  d'un  enfant  dont  Lyco- 
nide est  le  père  (731-800).  Après  quoi,  Euclion  ne  reparaît 
pas,  la  fin  de  la  pièce  étant  perdue. 

Nous  connaissons  néanmoins  le  dénouement.  Il  est  claire- 
ment indiqué  par  les  Arguments,  le  second  surtout.  Euclion 
donne  à  Lyconide  sa  fille  avec  l'enfant,  et,  comme  dot,  son 
trésor,  l'or  de  la  marmite,  qui  lui  a  été  restituée.  C'est  le 
dénouement  que  prévoit  le  prologue  (26  et  37).  Enfin  deux 
fragments  de  scènes  perdues  (3  et  4),  appuyés  par  un  vers 
du  premier  Argument  (laetus,  15),  montrent  que  cette  solu- 
tion fait  éprouver  à  Euclion  une  vive  satisfaction.  Il  se  rend 
compte  que  la  marmite  lui  gâtait  la  vie  ;  il  se  réjouit  d'être 
débarrassé  d'un  souci  dévorant. 

On  critique  ce  dénouement*,  et  l'on  aurait  assurément 
raison,  s'il  était  vrai  qu'Euclion  fût  avare.  Il  n'est  pas  con- 
forme à  la  nature  de  dépouiller  si  subitement  un  vice  invé- 
téré ;  on  ne  se  figure  pas  Harpagon  livrant  sa  cassette  une 
fois  retrouvée.  Mais  Euclion,  dès  la  première  fois  qu'il  parle 
de  son  trésor,  se  plaint  des  tracas  et  des  soucis  qu'il  lui 
donne  :  aurum...  quod  me  sollicitât  plurumis  miserum  nio- 


\.  Naudet  en  parle  excellemment,  Théâtre  de  Plante,  Paris,  4845,  I, 
p.  258.  Bien  avant  lui,  La  Harpe,  Lycée,  Paris,  4824,  I,  p.  448,  avait 
protesté.  Le  Lycée  est  de  4799.  Langen,  Plautinische  Studien  (4886), 
p.  405,  trouve  la  conversion  d'Euclion  psychologiquement  bien  possible, 
et  se  persuade  que  Plaute  avait  dû  la  motiver  suffisamment.  On  voudrait 
savoir  comment  1 


SMIKRINÉS-EUGLION- HARPAGON  25 

dis(&&).  Conçoit-on  Harpagon  parlant  en  ces  termes  de  sa 
cassette  ?  Quand  son  or  lui  est  ravi,  Euclion  est  singulière- 
ment prompt  à  entrer  en  composition  avec  le  voleur  :  il  en 
offre  la  moitié,  à  condition  de  ravoir  le  reste  (767).  Harpa- 
gon n'est  pas  si  généreux.  C'est  que  la  possession  d'un  tré- 

r  n'est  qu'une  phase  de  la  vie  d'Euclion  ;  il  l'a  trouvé  peu 
ivant  l'ouverture  de  la  pièce.  Il  est  naturel  que  l'effet  pro- 
iuit  sur  son  caractère  soit  passager  aussi.  Tout  autre  est  la 

ssette  d'Harpagon.  C'est  le  coffre  où  il  tient  son  argent  en 

ut  temps  ;  elle  est  aussi  ancienne  que  son  vice.  Il  ne  sau- 

it  se  séparer  de  l'une,  parce  qu'il  lui  est  impossible  de  se 

rriger  de  l'autre. 

Il  reste  à  voir  les  quelques  passages  qui  ont  suffi  à  faire 

'Euclion,  dans  l'opinion  générale,  le  prototype  d'Harpagon. 

s  sont  très  rares,  et  n'auraient  pu  produire  un  tel  effet, 
i.  l'un  n'était  particulièrement  frappant  et  propre  à  exciter 

gros  rire. 

Le  dieu  Lare,  dans  le  prologue,  n'accuse  Euclion  d'ava- 
ice  nulle  part  directement.  Le  fait-il  indirectement  ?  Son 
iscours  est  assez  obscur  sur  ce  point.  Le  grand-père  d'Eu- 

ion  a  voulu,  si  grande  était  son  avarice  (sic  auido  ingenio 

it,  9),  cacher  son  trésor,  même  à  son  fils.  Mais  c'est  au 
ieu  Lare  qu'il  s'est  adressé,  obsecrans,  lœnerans,  pour  en 

rder  le  dépôt.   Chez  le  fils,  il  n'est  plus  parlé  d'avarice  ; 

ais  le  dieu  lui  reproche  de  négliger  son  culte.  Enfin  Eu- 
clion est  dit  pariter  moratus  :  il  ressemble  —  auquel  des 
^^■ieux?  A  son  père,  dirait-on,  car  sa  fille  est  aussitôt  déclarée 
^^Blus  dévote  que  lui.  Pourtant,  si  elle  fait  plus  de  dons  au 
{■Hlieu,  sa  générosité  ne  peut  s'exercer  qu'à  peu  de  frais  ;  le 
dieu  regarde  donc  à  l'intention.  D'un  autre  côté,  on  voit 
plus  tard  Euclion  apporter  une  modeste  offrande  au  dieu, 

Ilors  que  l'argent  lui  manque,  dit-il,  pour  régaler  ses  hôtes. 


26  MAX  BONNET 

s'agit  de  l'amour  de  l'argent  ;  et  cela  n'est  point  inadmis- 
sible. Mais  ce  n'est  nullement  certain. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  taxer  Euclion  d'avarice  parce  qu'il  est 
économe  (par eus,  314  ;  315  ;  333  ;  385)  et  fait  cas  de  cette 
vertu  (497  et  suiv.).  Son  économie  est  dès  le  premier  mo- 
ment expliquée  par  sa  pauvreté  :  neqiie  illo  quisquam  est... 
ex  paupertate  parcior  (206).  Cette  pauvreté  est  d'ailleurs 
rappelée,  comme  on  l'a  vu,  mainte  fois  et  ne  peut  faire  de 
doute.  Elle  était  exigée  par  le  sujet  ;  la  découverte  d'une 
marmite  pleine  d'or  n'aurait  pas  troublé  l'esprit  d'un  homme 
qui  en  eut  possédé  déjà  autant  et  plus.  L'économie  aussi,  et 
une  habitude  ancienne  de  stricte  économie,  était  évidem- 
ment voulue  par  le  poète  soucieux  de  vraisemblance  psycho- 
logique. Elle  était  aussi  conforme  à  son  dessein  que  l'ava- 
rice y  eût  été  contraire.  Elle  répondait  à  cette  question  de 
tout  spectateur  attentif  qui  se  posait  aussi  à  nous,  tout  à 
l'heure  :  pourquoi  Euclion  ne  dispose-t-il  pas  de  son  or  ? 
Seul  un  homme  que  sa  pauvreté  a  obligé  pendant  une  lon- 
gue vie  à  retourner  deux  fois  dans  sa  main  chaque  sou  avant 
de  l'en  laisser  échapper,  et  qui  n'a  peut-être  jamais  dé- 
boursé un  louis  à  la  fois,  pourra  n'avoir  pas  l'idée  d'en  dé- 
penser des  milliers,  tombés  subitement  en  sa  possession. 

La  pauvreté  peut  expliquer  aussi  la  mise  pitoyable  que 
Mégadore  reproche  à  Euclion  (540).  Mais  ici  intervient  en 
outre  un  autre  motif.  Euclion  ne  veut  pas  que  des  habits 
plus  élégants  fassent  soupçonner  qu'il  possède  maintenant  de 
quoi  s'en  procurer  (541-544). 

Reste  la  scène  où  décidément  la  parcimonie  d'Euclion  est 
tournée  en  ridicule,  a  Quoi?  »  dit  Anthrax,  «  le  maître  de 
céans  ne  pouvait-il  pas  fournir  lui-même  le  souper  de  noce 
de  sa  fille  ?»  —  «  Bah  I  »  répond  Strobile  ^  :  «  on  tirerait  de 

\.  Ou  Pythodicus  ?  Il  n'y  a  pas  lieu  de  traiter  ici  cette  question. 


SMIKRINÈS  -  EUGLIO^  -  HARPAGON  27 

l'huile  d'un  vieux  mur  plutôt  que  de  l'argent  de  ce  pin- 
gre-là I  II  invoque  dieux  et  hommes  dès  qu'il  voit  un  peu 
de  fumée  s'échapper  de  chez  lui.  Quand  il  va  se  coucher,  il 
s'attache  un  ballon  au  nez,  pour  que  son  haleine  ne  se  perde 
pas  pendant  son  sommeil.    Quand    il   se   baigne,  il  pleure 

I'eau  qu'il  répand.  Jamais  il  ne  te  prêtera  rien,  fût-ce  la 
aminé.  Un  jour  que  le  coiffeur  lui  avait  coupé  les  ongles, 
1  en  ramassa  toutes  les  rognures  et  les  emporta.  Un  milan 
||ii  avait  volé  un  morceau  de  viande  :  il  se  présenta  devant  le 
fréteur  en  pleurant,  demandant  qu'il  lui  fût  permis  d'assi- 
gner le  milan.  » 

On  sera  peut-être  tenté,  après  tout  ce  qui  précède,  et  pour 
mettre  le  poète  d'accord   avec  lui-même,  d'interpréter  ce 
passage  de  façon  à   en  diminuer  la  portée.   Strobile   n'est 
qu'un  esclave,  parlant  à  d'autres  personnes  de  bas  étage.  En 
cette  qualité,  le  poète  n'aurait-il  pas  cru  pouvoir,  sans  pren- 
dre ses  médisances  à  son  propre  compte,  le  laisser  railler 
un  voisin  pauvre  et  exagérer  démesurément  son  économie  ? 
Une  telle  interprétation  n'est  pas  soutenable.  Il  n'y  avait  au- 
cun sel  à  railler  l'économie  d'Euclion,  qui  inspire  plutôt  la 
^    pitié,  puisqu'elle  lui  est  imposée  par  la  pauvreté.  On  ne  voit 
^^fcas  pourquoi  Strobile  s'y  laisserait  aller,  ni  pourquoi  l'au- 
^Heur  le  laisserait  faire  ;  car  enfin,  l'auteur  d'un  drame  est 
^Responsable  de  ce  qui  s'y  passe.  De  plus,  la  charge  serait 
excessive.   Ce  que  Strobile  décrit  n'est  ni  l'économie  ni  la 
caricature  de  l'économie.  C'est  l'avarice  poussée  jusqu'à  la 
démence.  Comment  le  spectateur  croirait-il  que  de  telles 
H^hoses  se  disent  d'un  homme  qui  ne  serait  même  pas  avare  ? 
^^^A.ussi  jamais  spectateurs  ni  lecteurs  ne  s'y  sont-ils  trompés, 
^^Huisque  c'est  cette  scène  presque  seule  qui,  dès  l'antiquité 
et  jusqu'à  nos  jours,  a  fait  passer  Euclion  pour  avare. 

IUn  passage  encore  peut  et  sans  doute  doit  s'entendre  dans 



28  MAX  BONNET 

trésor  était  en  péril.  Il  souhaite  de  rencontrer  ce  corbeau 
pour  lui  témoigner  sa  reconnaissance  :  nimis  hercle  ego  il- 
lum  coruum  ad  me  ueniat  uelhn  qui  indicium  fecit,  ut  ego 
un  aliquid  boni  —  dicam,  nam  quod  edit  tam  daim  quam 
perduim  (670).  Cela  n'a  de  sel  que  si  dicam  est  destiné  à 
faire  rire  par  surprise  l'auditeur  qui  s'attend  à  donem.  Il  y 
a  là  un  repentir  semblable  à  celui  d'Harpagon  qui,  après 
avoir  mis  la  main  à  la  poche  pour  récompenser  maître  Jac- 
ques, se  contente  d'une  bonne  promesse  :  «  Va,  je  m'en  sou- 
viendrai, je  t'assure.  » 

On  voit  à  quoi  se  réduit,  dans  l'Aululaire,  la  peinture  de 
l'avare  :  une  trentaine  de  vers,  presque  tous  contenus  dans 
une  seule  scène,  et  qu'on  retrancherait  sans  nuire  le  moins 
du  monde  à  l'action.  Bien  au  contraire.  Ce  trait  nouveau 
imprimé  au  caractère  d'Euclion  y  fait  tache  et  disqualifie 
doublement  le  personnage  pour  le  rôle  qu'il  est  appelé  à 
jouer.  D'une  part,  en  effet,  il  n'y  avait  pas  grand  intérêt  à 
faire  découvrir  un  trésor  par  un  homme  déjà  habitué  à  vivre 
pour  son  argent.  Le  résultat  était  trop  facile  à  prévoir  :  re- 
doublement d'avarice,  et  non  brusque  changement  d'hu- 
meur, comme  chez  ce  pauvre  hère  d'Euclion,  d'ailleurs 
brave  homme.  Et  d'autre  part,  à  qui  fera-t-on  croire  qu'au- 
cun poète,  si  habile  qu'il  fût,  eût  réussi  à  rendre  le  dénoue- 
ment de  l'Aululaire,  je  ne  dis  pas  vraisemblable,  mais  seule- 
ment acceptable,  si  Euclion  était  un  avare  tel  que  le  décrit 
Strobile  ?  «  Ménandre  »,  dit  M.  WeiP,  «  dont  les  comédies 
passaient  pour  le  miroir  de  la  vie  humaine,  n'aurait  jamais 
imaginé  une  conversion  aussi  absurde.  » 


4.  Journal  des  Savants,  1906,  p.  olG.Voy.  ci-dessus,  p.  24.  On  a  objecté 
(W.  Wagner,  De  Plauti  Aulularia,  p.  6),  que  la  conversion  de  Déméa  dans 
les  Adelphes,  qui  sont  aussi  de  Ménandre,  ne  paraît  pas  beaucoup  moins 
miraculeuse.  Mais  aussi,  dès  l'époque  de  Donat  (au  vers  986),  on  a  vu  là 
un  problème  à  résoudre.  Il  n'est  peut-être  pas  plus  insoluble  que  celui-ci. 


SMIKRINES  -  EUCLION  -  HARPAGON  29 


II 


Quel  est  le  coupable?  Qui,  pour  le  plaisir  de  placer  quel- 
ques drôleries,  a  détourné  l'attention  du  véritable  sujet  de 
la  pièce  et  en  a  rendu  le  dénouement  intolérable?  Mais 
d'abord,  quel  est  le  poète  grec  dont  Plante  a  cette  fois  suivi 
la  trace  ? 

Parmi  tant  de  titres  de  comédies  grecques,  il  en  est  peu 
qui  conviennent  au  sujet  de  la  pièce  latine.  Celui  qui  la 
désignerait  le  mieux  serait  Bï^aaupcç.  Mais  le  ©Yj-aupsç  de 
Philémon  a  trouvé  son  emploi  dans  le  Trinummus,  et  celui 
de  Ménandre  dans  une  comédie  de  Luscius,  qui  n'a  pas  de 
rapport  avec  l'Aululaire^  Le  reste  ne  contient  aucun  in- 
dice. Il  a  donc  fallu  recourir  à  d'autres  hypothèses.  Celle 
qui  a  eu  le  plus  de  succès^  fait  dériver  l'Aululaire  du  Aijff- 
y.oAc;  de  Ménandre^.  Aux  objections  qu'elle  a  soulevées*  j'en 
ajouterai  deux. 

Le  titre,  à  première  vue,  semble  convenir.  Euclion  est  un 
homme  qui  a  perdu  sa  bonne  humeur,  qui  est  devenu  om- 
brageux, querelleur  ;  et  le  mot  SJjxoXo?  serait  assez  propre  à 
ijsigner  un  tel  personnage ^  Mais  Euclion,  ne  l'oublions  pas, 
a  pris  cette  humeur  que  tout  récemment,  et  retrouve  le 
mtentement  avant  la  fin  de  la  pièce.  Ce  n'est  donc  pas  lui 
4.  Voy.  Térence,  Eunuque,  9. 
2.  Puisqu'elle  a  rallié  les  suffrages  de  MM.  von  Wilamowitz,  N.  Jahr- 
cher  f.  d.  kl.  Altert.,  III  (4899),  p.  517,  et  H.  Weil,  J.  des  Sav.,  4906, 
p.  545. 

3.  Geffcken,  Studien  zu  Menander,  p.  8  et  suiv. 

4.  F.  Léo,  Deutsche  Litt.  Zeitung,  XIX  (4898),  p.  348;  Ph.  E.  Le- 
grand,  Revue  des  Études  grecques,  XV  (490-2),  p.  357. 

5.  On  traduirait  assez  bien  hùa/.okoç,  par  querulus  ;  voy.  L.  Havet,  Le 
Querolus,  p.  44  ;  495;  267;  etc.  ;  et  l'on  sait  que  des  rapports  existent 
entre  le  Querolus  et  VAululaire. 


30  MAX  BONNET 

que  devait  prendre  pour  type  un  moraliste  qui  voulait  pein- 
dre  le  véritable  ouaxoXoç.  Le  Malade  imaginaire  ne  se  croit 
pas  malade  un  jour  ;  le  Misanthrope  n'est  pas  en  brouille 
passagère  avec  le  genre  humain  ;  le  Pseudolus  ne  joue  de- 
vant nous  ni  son  premier  ni  son  dernier  tour  à  son  maître  ;  le 
Miles  gloinosus  n'est  pas  un  vantard  de  circonstance ^  Le  lù<s- 
xoXoç  de  la  pièce  de  même  nom  devait  être  un  atrabilaire  de 
naissance  et  pour  la  vie. 

Le  fragment  du  AùaxoXoç  de  beaucoup  le  plus  étendu  et  le 
plus  clair^  est  le  discours  adressé  à  un  père  (ou  à  quelque 
vieillard,  Tcàiep)  pour  lui  conseiller  un  généreux  emploi  de 
sa  fortune,  et  qui  se  termine  par  ces  mots:  luoXXw  lï  xpsîx- 
Tov  ècTTiv  è|JL<pavY3ç  <pi'^^5ç  Yj  xXouTOç  à^avi^ç,  6v  (TÙ  xaTop'jJaç  e'x^iç. 
Cet  homme  qui  a  enfoui  son  argent  ne  peut  être  Euclion 
(ou  son  modèle  grec),  puisque  la  marmite  d'Euclion  a  été 
cachée  par  son  grand-père.  Elle  est  ignorée  de  tous,  jusqu'à 
ce  que  Euclion  la  découvre  ;  et  après,  quand  il  la  replace 
dans  sa  cachette,  quand  il  la  transporte  ailleurs,  il  le  fait  en 
secret  ;  son  futur  gendre  n'en  a  connaissance  que  quand 
Strobile  lui  raconte  qu'il  a  volé  l'or.  Il  n'est  pas  admissible, 
d'autre  part,  que  chez  Ménandre  le  trésor  eût  été  primitive- 
ment enfoui  par  le  héros  de  la  pièce  :  la  donnée  essentielle 
de  celle  ci,  c'est  justement  un  trésor  trouvé  inopinément. 
Enfin,  est-il  besoin  de  le  dire?  il  n'y  a  pas  place,  à  côté 
d'Euclion  qui  a  trouvé  un  trésor,  pour  un  autre  personnage 
qui  a  enfoui  le  sien. 

On  a  tenté  de  sauver  cette  première  hypothèse  en  la  cor- 
rigeant. Ménandre  aurait  remanié  son  AûaxoXoç  et  en  aurait 
fait  les  'ETciTpéTTovTeç,  lesquels  seraient  le  modèle  de  l'Aulu- 


1.  Si  le  Truculentus  s'amadoue  à  la  fin,  il  pose,  comme  les  Adelphes, 
un  problème  qui  a  occupé  les  critiques  depuis  l'antiquité  jusqu'à  nos 
jours  ;  voy.  Schanz,  I,  V,  p.  93. 

2.  Fr.  2  (IV,  p.  107),  M.  ;  128  (III,  p.  38),  K. 


SMIKRINÈS  -  EUGLION  -  HARPAGON  31 

laire*.  Cette  position  n'est  plus  tenable  depuis  la  récente  dé- 
couverte de  fragments  très  étendus  des  'ETcixpéTuovTsç^.  Un  épi- 
sode cependant,  qui  pourrait  bien  être  commun  aux  'ExiTps- 
:ovT£ç  et  à  l'AuluIaire,  doit  retenir  notre  attention.  On  lit 
lans  un  discours  de  Ghoricius  ^:  xwv  Tuapà  MevavBpw  TceitoiY)- 
lévwv  TUpoawirwv...  SjxapiVYjç...  çtXapyupojç  -^/ixaç  èxoivjasv  slvai,  6 
ïe8io)ç  [JL*^  Ti  Twv  IvBcv  6  xaTT/oç  oi/oiTo  çcpwv.  Et  dans  l'Aulu- 
lire  (300)  :  quin  diuom  atque  hominiim  clamât  contimio 
Idem,  de  suo  tigillo  fumus  si  qua  exit  foras.  A  ceux  qui 
roient  dans  ces  vers  une  traduction  libre  du  mot  de  Ménan- 
Ire*,  on  objecte  que  l'idée  n'est  pas  tout  à  fait  la  même, 
[ais  la  différence  n'est  pas  telle  que  le  poète  latin  dût  se 
lire  scrupule  de  la  liberté  prise,  au  contraire  :  la  plaisan- 
îrie  est  meilleure   chez   lui  que  dans  le  grec.  On  ne  se 
igure  pas  aisément  la  fumée  emportant  un  meuble,  un  us- 
insile  ou  une  pièce  de  monnaie  ;  et  regretter  la  perte  d'une 
>ouffée  de  fumée  est   plus  ridicule   que  de  craindre  celle 
'un  objet  qui  pourrait  avoir  du  prix.  On  a  dit  encore  que 
js  traits  d'esprit  de  ce  genre  passaient  souvent,  chez  les  Grecs, 
l'un  poète  à  l'autre.  C'est  possible  ;  aussi  bien  ne  s'agit-il 
joint  de  certitude.  On  sait  trop  qu'en  pareille  matière  il  faut 
contenter  de  probabilité  relative.  Mais  dans  l'espèce,  le- 
[uel  est  plus  probable,  que  le  vers  latin  soit  imité  d'un  vers 
expressément  attribué  à  Ménandre,  ou  d'un  emprunt  qu'il 
^st  permis  de  croire  qu'un  autre    Grec  aurait  pu  en  faire  ? 
En  même  temps  nous  apprenons  de  Ghoricius  qu'un  avare 
le  Ménandre  s'appelait  S|jiap{vrjç.  Ce  nom  se  trouve  dans 


1.  Ph.  E.  Legrand,  Rev.  des  Et.  gr.,  XV,  p.  368. 

2.  Fragments  d'un  manuscrit  de  Ménandre,  découverts  et  publiés  par 
.  Lefèbvre,    Le  Caire,  1907  ;   M.   Croiset,  J.  des  Sav.,   4907,  p.  543  ; 

•h.  E.  Legrand,  Revue  des  Études  Anciennes,  IX  (4907),  page  344,  note. 

3.  Publié  par  Graux,  Revue  de  Philologie,  I  (1877),  p.  228. 

4.  C'est  à  Ussing  qu'on   doit  le  rapprochement,  Plauti  Comoediae,  II, 
,587. 


32  MAX  BONNET 

deux  pièces,  T'Actci;  et  les  'EmipéTcovieç*.  Mais  le  trait  cité 
par  Ghoricius  ne  convient  qu'à  la  seconde.  Tandis  que  dans 
les  fragments  de  VA^izlç  il  n'est  guère  question  que  de  sol- 
dats et  de  batailles,  Athénée-  rapporte  que  parmi  les  person- 
nages des  'Emipéirovieç  il  y  avait  des  cuisiniers  —  ce  que 
confirment  les  nouveaux  fragments^  — ,  et  des  cuisiniers 
railleurs,  tout  comme  ceux  de  l'Aululaire,  qui  ne  cessent  de 
se  lancer  des  lazzi  entre  eux  et  de  se  moquer  d'Euclion.  Un 
scoliaste  d'Homère*  affirme  en  outre  que  le  Smikrinès  des 
'ExixpéTcovTsç  était  avare  (çiXapyupoç),  et  qu'il  manifestait  cette 
passion  en  faisant  passer  les  questions  d'argent  avant  ses 
affections  de  famille.  C'est  en  effet  ce  que  fait  Smikrinès  dans 
les  fragments  nouvellement  découverts  :  il  ne  songe  qu'à 
sauver  la  dot  de  sa  fille,  au  détriment  même  de  son  bonheur^ 
La  concordance  de  ces  divers  indices  ne  doit-elle  pas  faire 
penser  que  c'est  ce  ladre-là  qui  a  posé  pour  la  caricature 
dont  Strobile  a  conservé  certains  traits  dans  l'Aululaire  ? 

On  a  pensé  encore  que  des  vers  comiques  grecs,  trouvés 
en  1902  à  El-Hibeh^  auraient  fait  partie  d'une  pièce  de  Phi- 
lémon  d'où  Plante  aurait  tiré  son  Aululaire.  Mais  cette  con- 
jecture est  suspendue  à  un  fil  si  ténu,  qu'elle  n'a  guère  ins- 
piré de  confiance".  S'il  paraît  excessif  de  dire  que  l'identité 


4.  On  a  cru,  d'après  Julien,  Misopogon,  p.  349  c,  que  le  héros  du 
AuaxoXo;  également  s'appelait  Smikrinès.  Mais  le  Smikrinès  des  'Er.upé- 
TîovTEç  étant  lui  aussi  d'humeur  très  irritable,  voy .  vers  10  ;  31  ;  448  et  suiv. , 
on  peut  laisser  au  SuaxoXo;  de  la  pièce  ainsi  intitulée  le  nom  de  Kvrjfxwv, 
que  lui  assigne  Ghoricius,  p.  228,  appuyé  parElien,  epist.  rwsf.,13  à  16. 

2.  Deipnosoph.,  14,  77,  p.  659  b. 

3.  Vers  165  et  530. 

4.  Schol.  Ambros.  ad  Hom.,  ri'  225.  Le  nom  de  Smikrinès  est  même 
employé  comme  synonyme  d'avare  par  Julien,  Caesares,  p.  311  a,  et  par 
Themistius,  or.  34,  17. 

5.  Vers  450  et  suiv.  ;  465. 

6.  The  Hibeh  Papyri,  p.  p.  Grenfell  et  Hunt,  I  (1906),  p.  24  ;  comp. 
Blass,  Rhein.  Mus.,  LXII  (1907),  p.  102. 

7.  Voy.  F.  Léo,  Hermès,  XLI  (1906),  p.  629;   H.  Weil,  J.  des  Sav., 


SMIKRINÊS  -  EUGLION  -  HARPAGON  33 

du  nom  de  Strobile,  dans  un  de  ces  fragments  et  dans  l'Au- 
lulaire,  s'oppose  à  l'identification  des  deux  pièces,  elle  ne 

Kffit  pas  à  la  justifier  ;  et  s'il  est  facile  de  se  figurer,  de  part 
d'autre,  le  porteur  de  ce  nom  dans  une  situation  sembla- 
e,  on  en   peut  imaginer,  pour  le   fragment,   cent  autres 
aussi  bien.  Le  nom  de  Crésus  (xpoia)  ne  se  trouve,  dit-on, 
l^^ue  chez  Philémon.  Mais  pour  quelques  milliers  de  vers  que 
I^Bfous- possédons  de  la  comédie  nouvelle,  on  paraît  oublier  les 
centaines  de  mille  qui  sont  perdus. 

Reste  une  dernière  hypothèse  qui  a  été  émise  sans  y  at- 
tacher d'importance*  et  accueillie  assez  froidement^.  C'est 
pourtant  celle  qui  me  paraît  avoir  le  plus  de  chances  d'être 
la  bonne.  C'est  que  l'Aululaire  serait  imitée  de  l'TSpia  de 
Ménandre.  Le  titre  convient  fort  bien  ;  èv  u5p(aiç  yàp  è'xsivTo 
o!  6r<aaupc{,  dit  un  scoliaste  d'Aristophane  ^  Aucune  comédie 
grecque,  à  notre  connaissance,  n'était  appelée  Xùxpa;  et  ùSpia, 
l'aiguière,  pouvait  d'autant  mieux  devenir  sur  la  scène  la- 
tine aida,  la  marmite,  que  urna  se  prêtait  moins  bien  à 
telle  plaisanterie  de  Plante  (390).  'TSpia  pouvait,  comme 
aula,  donner  lieu  aux  équivoques  de  la  première  rencontre 
entre  Euclion  et  Lyconide  (744  ;   7oo  et  suiv.).  Enfin  les 

iagments  de  l'TBpia  se  laissent  assez  facilement  encadrer 
ms  les  scènes  de  l'Aululaire.  Rien  ne  prouve  que  les  vers 
tés  par  Stobée'^  fussent  mis  dans  la  bouche  du  principal  per- 
>nnage  ;  et  quand  cela  serait,  et  que,  par  conséquent,  ce 
106,  p.  ol5  ;  K.  Fuhr,  Berliner  phil.  Wochenschrift,  XXVI  (1906), 
1411. 
A.  G.  Gœtz,  Plauti  Comoediae,  éd.  Ritschl,  IP,  1  (1881),  p.  viii. 
2.  G.  M.  Franckcn,  \erslagen  en  Mededeel.  d.  k.  Akad.  van  We- 
1       temch.  (d'Amsterdam),  "2«  série,  t.  XI  (1882),  p.  216  ;  Mnemosyne,  XIX 

1891),  p.  341. 
3.  Schol.  ad  Arist.  Aues,  602  (xal  xi;  uBpt'aç  àvopuxxtu). 
4.  Florileg.,  58,  8  =  fg.  1  (IV,  p.   207),  M.  ;  466  (III,  p.    133),  K. 
jmp.  Francken,  p.  216. 
I 


34  MAX  BONNET 

personnage  aurait  vécu  à  la  campagne  dans  la  comédie  grec 
que,  pourquoi  Plante,  surtout  s'il  empruntait  en  même 
temps  à  quelque  autre  pièce,  n'aurait-il  pu  lui  faire  habiter 
la  ville  ?  Pourquoi  aussi  le  prologue  n'aurait-il  pas  été  pro- 
noncé par  un  jeune  homme  en  grec,  par  le  dieu  Lare  en  latin? 
Plante  n'était  pas  si  esclave  de  ses  modèles.  Les  fragments  du 
Kapx^86vwç  de  Ménandre  ne  ressemblent  guère  au  texte  du 
Poeniilu.%  qui  cependant  en  est  probablement  la  reproduction. 

Il  est  temps  de  revenir  à  la  question  :  Qui  a  fait  d'Euclion 
un  avare  ?  Est-ce  le  poète  grec  qui  a  altéré  sa  propre  con- 
ception ?  Est-ce  un  acteur  ou  un  éditeur  de  la  pièce  latine 
qui  s'est  permis  de  substituer  ou  d'ajouter  des  vers  de  sa 
façon  à  ceux  de  Plante  ?  Est-ce  Plante  lui-même  qui,  repro- 
duisant une  œuvre  mieux  conçue  que  l'Aululaire,  l'a  faus- 
sée, soit  par  des  inventions  libres,  soit  par  le  procédé  connu 
sous  le  nom  de  contaminatio  ? 

Ne  possédant  plus  aucun  original  complet  de  la  comédie 
nouvelle,  nous  ne  pouvons  affirmer  que  les  nombreux  poètes 
qui  ont  cultivé  ce  genre  aient  tous  été  impeccables,  ni  même 
que  les  meilleurs  l'aient  été  toujours.  Cependant,  in  comoe- 
dia  maxime  claudicamus,  dit  Quintilien,  qui  n'est  pas  sus- 
pect de  partialité  pour  les  Grecs.  Jusqu'à  preuve  du  con- 
traire, dans  un  débat  tel  que  celui-ci,  on  doit  soupçonner 
de  fautes  graves  le  Romain  plutôt  que  le  Grec.  Plante  en  par- 
ticulier n'était  loué  spécialement  ni  comme  dramaturge  ni 
comme  peintre  de  caractères ^  D'ailleurs  n'est-il  pas  pro- 
bable que  l'inventeur  saura  mieux  que  l'imitateur  figurer  un 
caractère  avec  suite,  l'adapter  au  sujet  et  y  conformer  l'ac- 
tion ?  Un  poète  même  médiocre,  s' appliquant  à  représenter 
un  avare,  n'aurait-il  pas  trouvé  mieux  que  les  quelques 


4.  Voy.  Varron  dans  Nonius,  p.   374  ;  Cicéron,  de  off.,  1,  29,  404;  de 
or.,  3,  12,  45  ;  etc. 


SMIKRINÈS  -  EUGLION  -  HARPAGON  35 

facéties  dont  Strobile  régale  les  cuisiniers  ?  Et  si  fé  person- 
nage, dans  son  idée,  n'était  pas  un  avare,  pourquoi  lui  au- 
rait-il fait  reprocher  à  un  certain  moment  ce  vice-là  plutôt 
que  tout  autre  ?  Notez  que  c'est  Strobile,  le  valet  de  Méga- 
dore,  qui  parle  :  le  créateur  de  la  pièce  ne  se  serait-il  pas 
rappelé  que  Mégadore  lui-même,  ni  sa  sœur,  ne  savent  rien 
de  la  prétendue  avarice  d'Euclion  ? 

La  question  se  pose  donc  entre  Plante  et  des  interpola- 
teurs  de  son  œuvre.  Ce  qui  peut  faire  incliner  de  ce  dernier 
côté,  c'est  que  déjà  pour  d'autres  raisons  on  a  pensé  que 
l'Aululaire  avait  subi  un  remaniement  ou  des  retouches*. 
Justement,  c'est  aux  environs  de  l'entretien  entre  Strobile  et 
les  cuisiniers  que  se  trouvent  les  incohérences  qui  ont  prin- 
cipalement donné  lieu  à  ce  soupçon.  Il  serait  naturel  de 
penser  que  les  passages  29o  et  suiv.,  363  et  suiv.,  et  587  et 
suiv.,  ont  été  altérés  en  même  temps  et  de  la  même  main.  Et 
cette  solution  n'est  pas  absolument  inacceptable.  Cependant, 
si  la  comédie  de  Plante  a  subi  des  altérations  après  la  mort 
du  poète,  est-ce  une  raison  pour  que  celui-ci  n'ait  pas  aupa- 
ravant pris  des  libertés  avec  son  modèle  ?  Le  nom  de  Stro- 
bile donné  à  deux  esclaves  différents,  quelques  autres  diffi- 
dtés  semblables,  ne  décèlent  qu'une  altération  superficielle 
de  tout  autre  nature  que  celle  qui  nous  occupe.  L'une 
l'entraînait  nullement  l'autre.  On  est  généralement  peu  dis- 
)sé  aujourd'hui  à  admettre  la  contamination  du  moins  dans 
laque  cas  particulier  ;  car,  en  principe,  s'il  est  un  fait  sûre- 
ment attesté  dans  la  plus  ancienne  histoire  des  lettres  latines, 
'est  que  Plante  a  usé  de  ce  procédé^.  Dans  le  cas  présent^, 


1.  Gœtz,  Acta  Soc.  philoL  Lips.,  VI  (4876),  p.  310  ;  Plauti  Com.,  IP, 
|,  p.  VIII  ;  Tartara,  Riv.  di  Filol,  XXVII  (1899),  p.  193  ;  etc. 

2.  Térence,  Andrienne,  18. 

3.  M.  Gœtz,  p.  314  et  suiv.,  n'a  réfuté  que  les  arguments  de  W.Wagner, 
Dziatzko,  Rhein.  Mus.,  XXXVII  (1882),  p.   265,    ne   vise   pas   autre 


36  MAX  BONNET 

on  ne  voudra  pas  objecter  que  la  contamiiiatio  serait  moins 
étendue  qu'on  ne  se  représente  en  général  les  opérations  de 
cette  sorte.  Plante  ne  s'était  pas  sans  doute  imposé  de  règle 
à  cet  égard.  Une  scène,  une  tirade,  un  vers  pouvaient  être 
empruntés  à  un  second  modèle  aussi  bien  que  la  moitié  de 
l'intrigue,  et  l'ont  été  sans  doute  souvent  sans  que  personne 
s'en  aperçût^  Pourtant  les  traits  d'avarice  rapportés  par 
Strobile  sont  si  maladroitement  plaqués  sur  le  caractère 
d'Euclion,  qu'on  peut  hésiter  à  en  rendre  responsable  un 
vrai  poète,  si  inhabile  dramaturge  soit-il.  Un  acteur  quel- 
conque a  pu  les  emprunter  aux  'ExiTpéicovTeç,  soit  d'après 
l'original,  soit  d'après  quelque  adaptation  latine.  Mais  cet 
acteur  aurait-il  songé  à  continuer  son  interpolation  un  peu 
plus  loin,  au  vers  672  ?  et  surtout  à  accuser  Euclion  d'ava- 
rice dès  le  prologue,  si  c'est  ainsi  qu'il  faut  entendre  les 
mots  panier  moratiim  ?  Ne  serait-ce  pas  plutôt  Plante  lui- 
même  qui  se  serait  mépris,  tout  comme  les  plus  savants 
commentateurs  modernes,  sur  les  intentions  de  son  confrère 
grec  dans  les  passages  concernant  les  toiles  d'araignée,  les 
vêtements  minables  d'Euclion,  etc.,  et  qui,  en  conséquence, 
aurait  cru  bien  faire  d'appuyer  davantage,  tout  en  égayant 
la  pièce  par  quelques  plaisanteries  conformes  à  son  goût 
et  à  celui  de  son  public?  N'est-ce  pas  un  fait  au  moins 
significatif  que  l'un  des  quolibets  de  Strobile  sur  Euclion, 
ou  un  trait  tout  semblable,  se  soit  trouvé  selon  toute 
probabilité  dans  une  pièce  grecque  qui  n'a  pu  servir  de 
modèle  pour  le  reste  de  l'Aululaire,  alors  qu'on  peut  ad- 
mettre avec  quelque  vraisemblance  qu'une  autre  pièce  du 
même  auteur  a  rempli  cet  emploi?  L'Aululaire,  ne  serait-ce 


t 


chose.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  s'est  occupé   du   problème  qui  se   pose  ici. 
Blass,  Rh.  M.,  LXII,  p.  107,  admet  qu'il  faut  compter  avec  la  contamina- 
tio  comme  étant  «  fort  possible  ». 
1.  Léo,  Gesch.  d.  r.  Litt.'^  (Kultur  der  Gegenwart,  I,  8),  p.  334. 


SMIKRINÊS  -  EUGLION  -  HARPAGON  37 

point  rTSpu,  «  contaminée  »  au  moyen  des  'ETU'.ipéTuovieç  ? 
Restons  sur  cette  interrogation.  Ce  sera  plus  sage  et  plus 
honnête  que  d'affecter  une  fausse  assurance  en  l'absence  de 
tout  témoignage  positif.  Ce  qui  d'ailleurs  importe  plus  que 
d'identifier  deux  pièces,  c'est  de  rectifier  une  erreur  d'his- 
toire littéraire  ;  c'est  de  remplacer  l'étrange  illusion  expri- 
mée en  ces  mots  :  «  Grâce  à  l'Aululaire  et  à  l'Avare,  un  per- 
sonnage au  moins  de  Ménandre  vit  encore  aujourd'hui,  peu 
changé,  sur  nos  scènes^  )>,  par  l'aveu  que  voici  :  «  De  l'avare 
de  Ménandre,  Smikrinès,  il  ne  survit  en  Euclion  qu'une 
part  infime,  et  dans  Harpagon  à  peine  quelques  bribes.  » 
Ce  qui  importe,  c'est  de  reconnaître  franchement  l'incohé- 
rence du  caractère  d'Euclion  à  partir  du  troisième  acte,  et 
l'invraisemblance  du  dénouement  ;  c'est  enfin  de  juger 
comme  il  le  mérite,  et  quelque  nom  qu'il  porte,  l'auteur 
responsable  de  si  grosses  fautes  de  psychologie  dramatique. 
Si  l'on  persiste  à  croire  que  cet  auteur  est  Ménandre,  qu'on 
renonce  à  voir  en  Ménandre  un  grand  moraliste  et  le  plus 
parfait  des  comiques.  Si  c'est  Plante,  n'essayons  plus  de  jus- 
tifier Plante  du  reproche  de  légèreté  que  lui  adresse  Ho- 
race. Enfin,  quel  que  soit  le  coupable,  que  nul  ne  songe  plus 
à  placer  Euclion,  tel  qu'il  est,  au  même  rang  qu'Harpagon, 
et  à  plus  forte  raison  au-dessus.  Quant  au  véritable  Euclion, 
celui  du  poète  grec  et  de  Plante  lui-même  dans  la  plupart 
des  scènes,  ne  le  comparons  même  plus  à  Harpagon,  avec 
qui  il  n'a,  pour  ainsi  dire,  rien  de  commun.  Sachons  voir 
en  lui,  non  plus  ce  que  nous  y  mettons,  mais  ce  qu'y  a  mis 
rinventeur,  et  qui  est  bien  assez  intéressant. 

I  Montpellier,  décembre  1907. 

4.  Kœrte,  Deutsche  Rundschau,  XXX  (1904),  p.  383. 
! 


Henri  BORNECQUE 

LE  POST  REDITUM  AD  QUIRITES 


LE  POST  REDITUM  AD  QUIRITES 

TEXTE  COMMENTÉ  AU  POINT  DE  VUE 
DES  CLAUSULES  MÉTRIQUES 

Par  Henri  Bornecque. 


De  tous  les  domaines  qui  composent  l'empire  du  latin, 
grammaire,  prosodie,  métrique,  sémantique,  interprétation, 
littérature,  il  n'en  est  aucun  où  le  maître,  en  l'honneur 
duquel  sont  écrits  ces  mémoires,  n'ait  porté  ses  pas  et  fait 
des  découvertes.  Il  en  est  un  qu'il  a  ouvert  aux  chercheurs, 
c'est  celui  de  la  prose  métrique  :  avant  le  Symmaque,  chez 
les  modernes,  sur  les  clausules  latines,  deux  thèses  (de 
Millier  et  de  Wuest)%  que  personne  n'avait  remarquées; 
depuis,  des  travaux  qui  remplissent  plusieurs  pages  serrées 
d'une  bibliographie^.    Aussi  m'a-t-il    paru  que  ce   recueil 

1.  Voir  p.  43,  n.  1  et  3.     ' 

2.  On  me  permettra  de  renvoyer  à  mon  ouvrage  sur  les  clausules,  pp. 
ix-xvi  ;  encore  y  ai-je  relevé  des  omissions.  Je  saisis  l'occasion  d'en  ré- 
parer quelques-unes. 

Albert  G.  Clark,  C.  R.  de  l'édition  des  Tusculanes  de  Dougan,  Classi- 
cal  Review,  1906,  p.  122. 

Alfred  Klotz,  Philologus,  1906,  pp.  113-114,  absence  de  clausules  dans 
Vexpositio  totius  mundi.  Cf.  Sinko,  Archiv,  t.  13,  p.  536. 

J.  May,  sur  le  rythme  des  discours  de  Cicéron,  Jahresbericht  de 
Bursian,  t.  134,  pp.  123-167  et  186-195. 

R.  NovÂK,  sur  les  clausules  de  Velleius  Paterculus,  Wiener  Studien, 
1906,  pp.  283-305,  et  1907,  pp.  130-149. 

W.  Peterson,  a  propos  de   transpositions  de  mots  amenées  dans  les 


42  HENRI  BORNEGQUE 

serait  incomplet,  si  l'on  n'y  rencontrait  pas  un  spécimen  du 
genre  d'études  que  M.  Louis  Havet  a  ressuscitées  et  renou- 
velées, et  auxquelles  il  a  formé,  depuis  douze  ans,  les  géné- 
rations qui  viennent,  au  Collège  de  France,  écouter  ses 
leçons. 

Mais  on  ne  trouvera  pas  ici  une  discussion  théorique  ou 
l'exposé  didactique  des  règles  suivies  par  Cicéron  pour  les 
clausules  du  Post  Reditum  ad  Quirites,  objet  du  présent 
travail  :  j'ai  suivi  la  même  méthode  et  appliqué  les  mêmes 
lois  que  dans  mon  livre  sur  les  clausules,  auquel  je  m'excuse 
de  renvoyer  plus  d'une  fois.  Dans  cet  article,  le  dernier  que 
j'aie  l'intention  de  publier  sur  cette  matière,  d'ici  à  quel- 
que temps,  à  moins  d'y  être  obligé  par  les  circonstances,  je 
me  propose,  à  l'imitation  de  M.  Ceci  S  de  publier  le  texte 
d'un  discours  de  Cicéron,  en  indiquant  la  nature  des  clausu- 
les, en  expliquant  ou  corrigeant  celles  qui  sont  irrégulières, 
en  faisant  les  remarques  prosodiques  nécessaires,  enfin,  en 
examinant,  à  la  lumière  des  lois,  métriques  suivies  par  l'ora- 
teur, les  variantes  ou  conjectures  relatives  aux  clausules  ; 
toutefois,  ici,  pour  ne  pas  être  trop  long,  je  laisserai  de  côté, 
sauf  exception,  les  variantes  ou  conjectures,  qui,  au  point  de 
vue  de  la  prosodie  et  de  la  répartition  des  syllabes  entre  les 
mots,  ne  diiïèrent  pas  du  texte  pris  pour  base,  celui  de 
CF.  W.  Mueller  (Bibliotheca  Teubneriana),  dont  j'ai  con- 
fronté l'édition  avec  celle    d'Orelli-Halm.    On   m'objectera 


mss.  latins  par  la  préoccupation  des  clausules,  American  Journal  of  Philo- 
logy,  4907,  p.  125. 

J.  E.  Sandys,  Rhythm  in  Greek  and  Latin  Prose,  Classical  Review, 
1907,  pp.  85-88. 

Vinc.  UssANi,  Studi  italiani  di  filologia  classica,  14,  pp.  295-300. 

Th.  ZiELiNSKi,  sur  le  rythme  à  l'intérieur  des  phrases  des  discours 
de  Cicéron,  Philologus,  1906,  pp.  604-629. 

1.  Il  ritmo  délie  orazioni  di  Cicérone.  ILa  Prima  Catilinaria,  testo  con 
la  scansione  délie  clausule  metriche.  La  scansion  du  Pro  Archia  et  du 
Pro  Milone  est  annoncée. 


LE  «  POST  REDITUM  »  43 

qu'il  aurait  mieux  valu  choisir  un  discours  publié  par 
Clark  ;  mais  cette  harangue  m'oifraitles  avantages  précieux  de 
n'être  pas  trop  longue,  et  de  n'avoir  donné  lieu,  sur  le  point 
qui  nous  occupe,  à  aucun  travail  approfondi  :  Wuest*  la  laisse 
de  côté  ;  Zielinski  ^  en  dit  quelques  mots  à  peine  ;  seul 
Ernest  Millier  ^  donne  la  liste  des  68  fins  de  phrase  suivies 
d'un  point  dans  Orelli  et  tente  de  les  ramener  à  quelques 
types. 

Mon  étude  porte,  au  contraire,  sur  270  clausules  environ  : 
en  effet  j'ai  considéré  non  seulement  les  fins  de  phrase  sui- 
vies d'une  ponctuation  forte,  mais  encore  les  fins  d'incise, 
lorsque  le  sens  j  ordonne  un  arrêt,  et  que,  de  plus,  au 
commencement  de  l'incise  suivante,  le  rythme  est  rompu 
après  un,  deux  ou  trois  pieds  ;  l'examen  de  l'œuvre  m'a 
prouvé,  en  effet,  que  Cicéron  applique  aussi  des  lois  métri- 
ques au  début  des  phrases.  J'ai  tenu  à  signaler,  avant  tout, 
les  clausules  irrégulières,  considérant  comme  irrégulières 
celles  qui  ne  sont  pas  admises  par  l'orateur  dans  ce  que  j'ai 
appelé  ailleurs  la  troisième  période  de  ses  discours  *,  à 
laquelle  le  Post  Reditum  ad  Quirites  appartient  par  la 
date:  elles  sont  imprimées  en  caractères  gras.  De  plus,  j'ai 
essayé  de  bien  marquer  aux  yeux  les  règles  fondamentales 
des  clausules,  à  savoir  : 

a)  Lorsque  le  mot  ou  groupe  final  ne  comprend  pas  deux 
ou  plusieurs  pieds  de  même  genre  (égal  ou  double),  le  pied 
pénultième  est  du  genre  égal,  si  le  dernier  est  du  genre 
double. 

b)  Lorsque  le  mot  ou  groupe  final  ne  comprend  pas  deux 

1.  G.  Wuest,  De  clausula  rhetorica  quae  praecepit  Cicero  quatenus  in 
orationibus  secutus  sit. 

2.  Das  Clauselgesetz  in  Ciceros  Reden,  p.  203. 

3.  De  numéro  ciceroniano,  pp.  26,  27,  28,  et  des  remarques,  pp.  30- 
33,  39. 

4.  Celle  qui  va  du  retour  d'exil  au  Pro  Milone  inclusivement. 


44  HENRI  BORNEGQUE 

OU  plusieurs  pieds  de  même  genre  (égal  ou  double),  le  pied 
pénultième,  ou,  à  la  rigueur,  le  pied  antépénultième  est  du 
genre  double,  si  le  dernier  est  du  genre  égal. 

c)  Lorsque  le  mot  ou  groupe  final  comprend  deux  ou  plu- 
sieurs pieds  de  même  genre  (égal  ou  double),  il  est  précédé 
d'un  pied  du  genre  égal,  s'il  est  formé  de  pieds  de  genre 
double,  ou  inversement. 

Pour  les  règles  secondaires  (interdiction  d'un  iambe 
devant  un  mot  final  de  type  videatur  ou  mendacium,  d'un 
trochée  devant  un  mot  final  de  type  differantur,  etc.)  je  me 
suis  réservé  de  signaler  les  infractions  dans  les  notes. 

Afin  démettre  en  lumière  ce  que  j'appelle  la  rupture  de 
rythme,  j'ai  indiqué  entre  parenthèses,  après  chaque  clau- 
sule,  les  noms  abrégés  des  pieds  qui  la  composent  :  A  signi- 
fie anapeste^  D  =  dactyle,  i=iambé,  S  =  spondée,  t  =  tro- 
chée, trib  =  tribraque.  Les  lettres  désignant  les  pieds  qui 
forment  la  clausule  sont  les  seuls  signes  abréviatifs  imprimés 
en  italique.  Donc  tribS  indique  une  clausule  de  type  esse 
videatur,  tS  une  clausule  esse  nobis,  etc.  Lorsque  le  mot 
final  comprend  deux  pieds  appartenant  au  même  genre, 
l'abréviation  qui  les  concerne  est  séparée  de  l'abréviation  du 
pied  qui  les  précède  par  le  signe  -|-.  Esse  perdiixerunt  sera 
résumé  par  t-{-2S.  Dans  les  cas  de  clausules  plus  rares,  je 
renvoie  à  la  note.  On  a  remarqué  que  tous  les  pieds  de 
genre  égal  sont  représentés  par  des  majuscules,  tous  ceux 
de  genre  double  par  des  minuscules  ;  la  rupture  de  rythme 
apparaîtra  donc  immédiatement,  en  comparant  les  caractères 
représentant  soit  les  deux  derniers  pieds,  soit  le  groupe  des 
deux  derniers  pieds  et  le  pied  qui  le  précède. 

Abréviations  :  Caractères  gras  =  Clausules  irrégulières.  — 
Pour  toutes  les  autres,  v.  l'alinéa  qui  précède  cette  observa- 
tion. 


LE  «  POST  REDITUM  »  48 


M.    TULLI    CICERONIS    ORATIO,    CUM    POPULO    GRATIAS    EGIT    (iS) 

1 , 1  Quod  precatus  a  love  Optimo  Maximo  ceterisque  dis  im- 
mortalibus  sum,  Quirites  (tS)^  eo  tempore,  cum  me  fortu- 
nasque  meas  pro  vestra  incolumitate,  otio  concordiaque  de- 
vovi  (iS),  ut,  si  meas  rationes  umquam  vestrae  saluti 
anteposuissem  (tribS),  sempiternam  poenam  sustinerem 
mea  voluntate  susceptam  {iS),  sin  et  ea,  quae  ante  gesse- 
ram,  conservandae  civitatis  causa  gessissem  et  illam  miseram 
profectionem  vestrae  salutis  gratia  suscepissem  (i-\-2S),  ut, 
quod  odium  scelerati  homines  et  audaces  in  rem  publicam 
et  in  omnes  bonos  conceptum  iam  *  diu  continerent  (/S), 
id  in  me  uno  potius  quam  in  optimo  quoque  et  universa 
civitate  deficeret  (lA)  —  hoc  si  animo  in  vos  liberosque  ves- 
tros  fuissem,  ut  aliquando  vos  patresque  conscriptos  Italiam- 
que  universam  memoria  mei,  misericordia  desideriumque 
teneret  (DD-S)^,  eius  devotionis  me  esse  convictum  iudicio 
deorum  immortalium,  testimonio  senatus,  consensu  Italiae, 
confessione  inimicorum,  beneficio  divino  immortahque  ves- 
tro  (/*S)  maxime  laetor  (iS^.  2  Quare,  etsi  nihil  est  homini 
magis  optandum  quam  prospéra,  aequabilis  perpetuaque  for- 
tuna  secundo  vitae  sine  uUa  offensione  cursu  {tS\  tamen,  si 
mihi  tranquilla  et  placata  omnia  fuissent  (jinbS),  incredibili 


i.  On  voit  que  ce  texte  est  parfaitement  admissible  au  point  de  vue 
métrique  ;  de  même  pour  toutes  les  variantes  ou  conjectures  proposées  : 
deflecterent  (Si)  Lag.  46  ;  déferrent  (iS)  Lag.  4,  6  et  65  ;  defigerent  (Si) 
Hotom.  et  Lambin.  Par   contre,    on    ne   rencontre  jamais,  comme  licite, 

Ins  les  discours  de  C.  la  clausule  publicam  deflecterent  admise  par  l'éd. 
nt.  et  par  celle  de  Lambin  de  1566. 
2.  La  clausule,  donnée  par  G  et  les  cod.  dett.  est  incorrecte.  De  même 
ns  le  texte  de  Halm  et  de  Kayser  :  misericordiaque  [desideriiim]  tene- 
t.  Il  faut,  semble-t-il,    admettre  le  texte   de  PEVW  :  misericordiaque 


46  HENRI  BORNEGQUE  1 

quadam  et  paene  divina,  qua  nunc  vestro  beneficio  fruor,     i 
laetitiae  voluptate  caruissem  QribS).  Quid  dulcius  hominum     ■ 
generi  ab  natura  datum  est  quam  sui  cuique  liberi  (Szï)?    : 
Mihi  vero  et  propter  indulgentiam  meam  et  propter  excellens 
eorum  ingenium  vita  sunt  mea  cariores  (tS).  Tamen  non     : 
tantae    voluptati  erant  suscepti,   quantae   nunc  sunt  resti-    ^ 
tuti  QS).  3  Nihil  cuiquam  fuit  umquam  iucundius  quam    \ 
mihi  meus  frater  (25)  ;  non  tam  id  sentiebam,  cum  fruebar    \ 
QS)\    quam  tum,  cum  carebam  (^5)*,  et  posteaquam  vos    j 
me  illi  et  mihi  eum  reddidistis  (iS).  Res  familiaris  sua  quem-    -\ 
que  delectat-  ;  reliquae  meae  fortunae  reciperatae  plus  mihi    i 
nunc  voluptatis  adferunt,  quam  tum  m  incolumitate  adfere-    j 
bant  (^5)^  Amicitiae,  consuetudines,  vicinitates,  clientelae,    | 
ludi  denique  et  dies  festi  quid  haberent  voluptatis  (iS)^  ca- 
rendo  magis  intellexi  quam  fruendo  (tS).  4  lam  vero  honos, 
dignitas,  locus,   ordo,   bénéficia  vestra  (tribS)  quamquam 
mihi  semper  clarissima  visa  sunt  {voir  la  noté)'',  tamen  ea 
nunc  renovata  inlustriora  videntur,  quam  si  obscurata  non 
essent  {iS).  Ipsa  autem  patria,  di  immortales,  dici  vix  potest 
quid  caritatis,  quid  voluptatis  habeat  (/yl)  ;  quae  species  Ita- 
liae,  quae  celebritas  oppidorum,  quae  forma  regionum,  qui 
agri,  quae  fruges,  quae  pulchritudo  urbis,  quae  humanitas 


4.  C'est  à  dessein,  semble-t-il,  que  ces  deux  clausules  sont  identiques  (Sf  S). 

2.  Courte  incise. 

3.  Zielinski  écrit,  à  propos  de  cette  clausule  {d.  Clauselgesetz  in  Cice- 
ros  Reden,  p.  205)  :  «  Métriquement  elle  n'est  pas  mauvaise  ;  incôlûmes 
Klotz  et  Lag.  vaudrait  mieux  ;  iucundidatis  serait  mauvais.  »  Sur  le  der- 
nier point,  il  n'y  a  pas  de  doute  ;  mais,  dans  tous  ses  discours,  devant  un 
mot  final  de  forme  adferebant,  C.  préfère  l'iambe,  qu'il  recherche,  à 
l'anapeste,  qu'il  tolère  seulement. 

4.  Devant  un  mot  ou  groupe  final  ayant  la  forme  d'un  crétique,  C. 
évite  toujours  le  dactyle.  Il  est  vraisemblable  qu'il  y  a  eu,  dans  les  mss., 
permutation  des  deux  mots  commençant  par  un  s,  semper  et  sunt,  et  qu'il 
faut  écrire  :  sunt  clarissima  visa  semper,  clausule  parfaite  métriquement. 
Dans  le  membre  de  phrase  suivant,  quelques  manuscrits  (Lag.  4,  65) 
n'écrivent-ils  pas  revocata  nunc  ? 


LE  «  POST  REDITUM  »  47 

civium,  quae  rei  publicae  dignitas,  quae  vestra  maiestas 
(iS)  I  Quibus  ego  omnibus  antea  rébus  sic  fruebar,  ut  nemo 
magis  (Si)^  ;  sed  tamquam  bona  valetudo  iucundior  est  iis, 
qui  e  gravi  morbo  recreati  sunt,  quam  qui  numquam  aegro 
corpore  fuerunt  (jribS),  sic  haec  omnia  desiderata  magis 
quam  adsidue  percepta  délectant  {iS).  2,  5  Quorsum  igitur 
haec  disputo  ?  Quorsum  ^  ?  Ut  intellegere  possitis  neminem 
umquam  tanta  eloquentia  fuisse  neque  tam  divino  atque 
incredibili  génère  dicendi  (J-S)^  qui  vestram  magnitudinem 
multitudinemque  beneficiorum,  quam  in  me  fratremque 
meum  et  liberos  nostros  contulistis  (jS^,  non  modo  augere 
aut  ornare  oratione,  sed  enumerare  aut  consequi  possit  (iS). 
A  parentibus,  id  quod  necesse  erat,  parvus  sum  procreatus 
(tS)^^  a  vobis  natus  sum  consularis  (/^)^.  lUi  mihi  fratrem 
incognitum,  qualis  futurus  esset,  dederunt  (tS),  vos  specta- 
tum  et  incredibili  pietate  cognitum  reddidistis  (^'S').  Rem 
publicam  illis  accepi  temporibus  eam,  quae  paene  amissa 
est  (v.  la  note)^,  a  vobis  eam  reciperavi,  quam  aliquando 
omnes  unius  opéra  servatam  iudicaverunt  (iS).  Di  immor- 
tales  mihi  liberos  dederunt,  vos  reddidistis  (/5).  Multa  prae- 
terea  a  dis  immortalibus  optata  consecuti  sumus  (Si)  ;  nisi 
vestra  voluntas  fuisset,  omnibus  divinis  muneribus  carere- 
mus  (^*S)^  Vestros  denique  honores,  quos  eramus  gradatim 
singulos  adsecuti  (tS),  nunc  a  vobis  universos  habemus  {tS), 
ut,  quantum  antea  parentibus,  quantum  dis  immortalibus, 

1.  L'o  de  nemo  est  ici  long. 

2.  Courtes  incises. 

3.  Cf.  p.  46,  n.  1. 

4.  Quae  paene  amissa  est  forme  un  groupe  ;  or,  devant  les  mots  ou 
groupes  tinaux  de  cinq  longues,  l'iambe  est  toléré  (Bornecque,  les  clau- 
suies,  §  440).  La  conjecture  esset  d'Orelli  (au  lieu  de  est)  donnerait  une 
clausule  non  métrique. 

5.  Les  mss.  donnent  les  variantes  caruerîmus  (pour  Vi  long,  cf.  Bor- 
necque, ib.  §  19),  carueramus  et  caruissemus.  Les  deux  premières  four- 
niraient une  fin  métrique  (tribS),  non  la  dernière  (A  -\- AS). 


48  HENRI  BORxNEGQUE 

quantum  vobismet  ipsis  (^tSy,  tantum  hoc  tempore  univer- 
sum  cuncto  populo  Romano  debeamus  (tS)^. 

6  Nam  cum  in  ipso  beneficio  vestro  tanta  magnitudo  est, 
ut  eam  complecti  oratione  non  possim  (iS),  tum  in  studiis 
vestris  tanta  animorum  declarata  est  voluntas  (î-S),  ut  non 
solum  calamitatem  mihi  detraxisse,  sed  etiam  dignitatem 
auxisse  videamini  (^«).  3  Non  enim  pro  meo  reditu  ut  pro 
P.  Popili,  nobilissimi  hominis,  adulescentes  filii  et  multi 
praeterea  cognati  atque  adfines  deprecati  sunt  (i5),  non  ut 
pro  Q.  Metello,  clarissirao  viro,  iam  spectata  aetate  filius 
(Sii),  non  L.  Diadematus  consularis,  summa  auctoritate  vir 
ÇSii)y  non  G.  Metellus  censorius,  non  eorum  liberi  (^St),  non 
Q.  Metellus  Nepos,  qui  tum  consulatum  petebat  (tS),  non 
sororum  filii,  Luculli,  Servilii,  Scipiones  QS)\  permulti 
enim  tum  Metelli  [aut  Metellarum  liberi]  pro  Q.  Metelli  re- 
ditu Yobis  ac  patribus  vestris  supplicaverunt  (iS).  Quodsi 
ipsius  summa  dignitas  maximaeque  res  gestae  non  satis  va- 
lerent  {tSy,  tamen  filii  pietas,  propinquorum  preces,  adu- 
lescentium  squalor,  maiorum  natu  lacrimae  populum  Roma- 
num  movere  potuerunt  (tribS).  7  Nam  G.  Mari,  qui  post 
illos  veteres  clarissimos  consulares  (/5)  hac  vestra  patrumque 
memoria  tertius  ante  me  consularis  (jS)  subiit  indignissi- 
mam  fortunam  praestantissima  sua  gloria  (5z),  dissimilis  fuit 
ratio  {lA).  Non  enim  ille  deprecatione  rediit  (/^),  sed  in 
discessu  civium  exercitu  se  armisque  revocavit  (jtribS).  At 

1.  Il  semble  bien  que  la  forme  vobismet  ait  été  amenée  en  partie  par 
des  raisons  métriques  ;  la  clausule  vohis  ipsis  (SS)  est  évitée, 

2.  La  variante  debemus  de  PGVE  et  de  plusieurs  Lag.  donnerait  une 
mauvaise  clausule  (SS). 

3.  Chez  aucun  des  auteurs  latins  étudiés  au  point  de  vue  des  clausules, 
exception  faite  pour  Salvien,  un  mot  final  de  type  valerent  n'est  précédé 
d'un  iambe  :  il  faut  donc  renoncer  à  cette  leçon,  donnée  par  S  et  3  Lag. 
et  adopter  la  leçon  valent  des  autres  manuscrits,  qui  donne  la  clausule 
sa.  La  conjecture  valebant  de  Halm  équivaut,  métriquement,  à  la  leçon 
valerent. 


LE  «  POST  RÉDITÛM  »  49 

me  nudum  a  propinquis  (tS),  nulla  cognatione  munitum 
(iS),  nullo  armorum  ac  tumultus  metu  (Si)  C.  Pisonis,  ge- 
neri  mei,  divina  quaedam  et  inaudita  auctoritas  atque  virtus 
(tS)  fratrisque  miserrimi  atque  optimi  cotidianae  lacrimae 
sordesque  lugubres  (voir  la  noteY  a  vobis  deprecatae  sunt 
(iS).  8  Frater  erat  unus,  qui  suo  squalore  vestros  oculos  in- 
flecteret  (Si),  qui  suo  fletu  desiderium  mei  memoriamque 
renovaret  (tribS)  ;  qui  statuerai,  Quirites,  si  vos  me  sibi  non 
reddidissetis,  eandem  subire  fortunam  (iS)  ;  tanto  in  me 
amore  extitit  (Si),  ut  negaret  fas  esse  non  modo  domicilio, 
sed  ne  sepulchro  quidem  se  a  me  esse  seiunctum  (iS).  Pro 
me  praesente  senatus  hominumque  praeterea  viginti  milia 
vestem  mutaverunt  (voir  la  note)-,  pro  eodem  me  absente 
unius  squalorem  sordesque  vidistis  (iS).  Unus  hic,  qui  qui- 
dem in  foro  posset  esse  (tSy,  mihi  pietate  filius  inventus  est, 
beneficio  parens,  amore  idem,  qui  semper  fuit,  frater  (iS). 
Nam  coniugis  miserae  squalor  et  luctus  (iS)  atque  optimae 
filiae  maeror  adsiduus  (iA)  filiique  parvi  desiderium  mei 
lacrimaeque  puériles  (tribS)  aut  itineribus  necessariis  aut 
magnam  partem  tectis  ac  tenebris  continebantur  (iS).  4  Quare 
hoc  maius  est  vestrum  in  nos  promeritum,  quod  non  mul- 
titudini  propinquorum,  sed  nobismetipsisnosreddidistis  (tS). 
9  Sed,  quem  ad  modum  propinqui,  quos  ego  parare  non 
potui(2^),  mihi  addeprecandam  calamitatem  meamnonfue- 
runt  (tS),  sic  illud,  quod  mea  virtus  praestare  debuit(*S'w), 
adiutores,  auctores  hortatoresque  ad  me  restituendum  ita 
multi  fuerunt  (tS),  ut  longe  superiores  omnes  hac  dignitate 


4.  On  peut  scander  indifféremment  lugubres  (clausule  iS)  ou  lugubres 
(clausule  SU). 

2.  Scander  mutaverunt  (cf.  Bornecque,  les  clausules,  §  52)  ;  la  clau- 
sule est  de  la  forme  Si. 

3.  On  ne  saurait  écrire,  avec  Halm  et  Kayser  :  adesse  mihi,  pietate 
sqq.,  un  mot  final  de  forme  iambique  n'étant  jamais  précédé  d'un  tro* 
chée. 


50  HENRI  BORNEGQUE 

copiaque  superarem(;rïô5).  Numquam  de  P.  Popilio,  claris- 
simo  ac  fortissimo  viro  (Sn),  numquam  de  QMetello,  nobi- 
lissimo  et  constantissimo  cive  (z\S),  numquam  de  C.  Mario, 
custode  civitatis  atque  imperii  vestri  (SAS)^  in  senatu 
mentio  facta  est  (iS)-.  10  Tribuniciis  superiores  illi  rogatio- 
nibus  nulla  auctoritate  senatus  sunt  restituti  (IS),  Marins 
vero  non  modo  non  a  senatu,  sed  etiam  oppresso  senatu  est 
restitutus  (/^S),  nec  rerum  gestarum  memoria  in  reditu  C. 
Mari,  sed  exercitus  atque  arma  valuerunt  QribS)  ;  at  de  me 
ut  valeret,  semper  senatus  flagitavit  {tS),  utaliquando  profi- 
ceret,  cum  primum  licuit,  frequentia  atque  auctoritate  per- 
fecit  (iS).  Nullus  in  eorum  reditu  motus  municipiorum  et 
coloniarum  factus  est  (^Si),  at  me  in  patriam  ter  suisdecretis 
Italia  cuncta  revocavit  ÇtribS).  Illi  inimicis  interfectis,  magna 
civium  caede  facta  reducti  sunt  (tS),  ego  iis,  a  quibus  eiec- 
tus  sum,  provincias  optinentibus  (6'u),  inimico  autem, 
optimo  viro  etmitissimo,consule(S2),  alteroconsulerefe rente 
reductus  sum  (voir  la  notey^,  cum  is  inimicus,  qui  ad  meam 
perniciem  vocem  suam  communibus  hostibus  praebuisset, 
spiritu  dumtaxat  viveret  (Sî),re  quidem  infra  omnes  mortuos 
amandatus  esset  (tS).  5.  11  Numquam  de  P.  Popilio  L.  Opi- 
mius,  fortissimus  consul  (zS),  numquam  de  Q.  Metello  non 
modo  C.  Marins,  qui  erat  inimicus,  sed  ne  is  quidem,  qui 
secutus  est,  M.  Antonius,  homo  eloquentissimus  (^Si),  cum 
A.  Albino  collega  senatum  aut  populum  est  cohortatus  (iS)  ; 
at  pro  me  superiores  consules  semper,  ut  referrent,  flagitati 
sunt(2iS)  ;  sed  veriti  sunt,  negratiae  causa  facere  viderentur, 
quod  alter  mihi  adfinis  erat,  alterius  causam  capitis  recepe- 

1.  Ecrire  imperi  vestri  ;  on  obtient  ainsi  la  elausule  correcte  iS. 

2.  L'o  final  de  mentio  est  long. 

3.  Cicéron  se  sert,  tantôt  de  la  forme  reduco  (cf.  supra),  tantôt  de  la 
forme  archaïque  redduco  (cf.  Zielinski,  op.  cit.,  p.  179,  d'après  lequel  C. 
emploie  toujours  la  forme  archaïque).  Nous  avons  donc  ici  une  elausule 
de  forme  t-f-2S. 


LE  «  POST  REDITUM  »  SI 

ram  (.4  +  2i)  ;  qui  provinciarum  foedere  infrenati  Q  +  2Sy. 
totum  illum  annum  querellas  senatus,  luctum  bonorum,  Ita- 
liae  gemitum  pertulerunt  (^tS).  Kalendis  vero  lanuariis  pos- 
teaquam  orba  res  publica  consulis  fidem  tamquam  legitimi 
tutoris  imploravit  (t  +  26^,P.Lentulusconsul,  parens,  deus, 
salus  nostrae  vitae,  fortunae,  memoriae,  nominis(5'2),  simulac 
de  sollemni  deorum  religions  rettulit  (^^^)^  nihil  humana- 
rum  rerum  sibi  prius  quam  de  me  agendum  iudicavit  ÇtS). 
12  Atque  eo  die  confecta  res  esset  (iS)^,  nisi  is  tribunus  pi., 
quem  ego  maximis  beneficiis  quaestorem  consul  ornaram 
(iS),  cum  et  cunctus  ordo  et  multi  eum  summi  viri  orarent 
(iS)^  et  Cn.  Oppius  socer,  optimus  vir,  ad  pedes  flens  iace- 
ret  (tS),  noctem  sibi  ad  deliberandum  postulasset  (tS)  ;  quae 
deliberatio  non  in  reddenda,  quem  ad  modum  non  nulli  ar- 
bitrabantur(z5),  sed,  utpatefactum  est,  in  augenda  mercede 
consumpta  est  (^S).  Postea  res  acta  est  in  senatu  alia  nulla, 
cum  variis  rationibus  impediretur  (iSy  ;  sed  voluntate  tamen 
perspecta  senatus  (tS)  causa  ad  vos  mense  lanuario  defere- 
batur  (iS).  13  Hic  tantum  interfuit  inter  me  etinimicos  meos 
(^Si)  :  ego,  cum  homines  in  tribunali  Aurelio  palam  con- 
scribi  centuriarique  vidissem  (iS),  cum  intellegerem  veteres 


1.  Toutes  les  variantes  ou  conjectures  proposées  conviennent  pour  la 
clausule,  sauf  inligati  de  Halm.  Jamais,  en  effet,  C.  ne  fait  précéder  d'un 
trochée  un  mot  final  de  forme  ditrochaïque. 

2.  Adopter,  avec  Orelli,  la  graphie  retulit,  qui  donne  la  clausule  cor- 
recte tA. 

3.  Le  texte  de  GEV  :  res  confecta  esset  donnerait  la  clausule  incorrecte 

sss. 

4.  Le  texte  de  EV  :  viri  summi  orarent  donnerait  la  clausule  incor- 
recte SS. 

5.  On  voit  que  ce  texte  est  métriquement  très  correct.  Si  l'on  met  une 
ponctuation  forte  après  nulla,  en  supprimant  celle  qui  suit  impediretur, 
on  obtient  une  clausule  correcte  (alia  nulla  =  trib  S),  qui,  d'ailleurs, 
termine  une  courte  incise  ;  mais  l'on  est  obligé  de  supprimer  le  et  que  les 
mss  donnent  après  impediretur,  et  qui  cache  set,  comme  Orelli  le  soup- 
çonnait déjà. 


52  HENRI  BORNEGQUE 

ad  spem  caedis  Catilinae  copias  esse  revocatas  QribS)^  cum 
viderem  ex-ea  parte  homines,  cuius  partis  nos  vel  principes 
numerabamur,  partim  quod  mihi  inviderent,  partim  quod 
sibi  timerent,  aut  proditores  esse  aut  desertores  salutis  meae 
(^Si),  cum  duo  consules  empti  pactione  provinciarum  aucto- 
res  se  inimicis  rei  publicae  tradidissent  (tS),  cum  egestatem, 
avaritiam,  libidines  suas  vidèrent  expleri  non  posse,  nisi  me 
constrictum  domesticis  hostibus  dedidissent(/5')S  cum  sena- 
tus  equitesque  Romani  flere  pro  me  ac  mutata  veste  vobis 
supplicare  edictis  atque  imperiis  vetarentur  (iS)^  cum  om- 
nium provinciarum  pactiones,  cum  omnia  cum  omnibus 
foedera  reconciliationesque  gratiarum  sanguine  meo  sanci- 
rentur  (i-{-2S),  cum  omnes  boni  non  recusarent,  quin  vel  pro 
me  vel  mecum  périrent  (tS),  armis  decertare  pro  mea  salute 
nolui  (iii)-y  quodetvincereetvinciluctuosumrei  publicae  fore 
putavi  (^triôSy  14  At  inimici'mei,  mense  lanuario  cum  de 
me  Si^ereiuv  (voir  la  notey^  corporibus  civium  trucidatis  flu- 
mine  sanguinis  meum  reditum  intercludendum  putaverunt 
{iS).  6  Itaque,  dum  ego  absum,  eam  rem  publicam  habuis- 
tis  (jribS)^  ut  aeque  me  atque  illam  restituendam  putaretis 
(iS).  Ego  autem,  in  qua  civitate  nihil  valeret  senatus  (tS)^ 
omnis  esset  impunitas  (Sz),  nulla  iudicia  {lA),  vis  et  ferrum 
in  foro  versaretur  (^  -{-  25),  cum  privati  parietum  se  prae- 
sidio,  non  legum  tuerentur  (eS),  tribuni  pi.  vobis  inspectan- 
tibus  vulnerarentur  (iS)^  ad  magistratuum  domos  cum  ferro 
et  facibus  iretur  (iS),  consulis  fasces  frangerentur  (/5),  deo- 
rum  immortalium  templa  incenderentur  (^5),  rem  publicam 


i.  Un  certain  norabre  de  manuscrits  secondaires  écrivent  dédissent  : 
on  doit  écarter  cette  leçon  pour  la  raison  donnée  p.  48  n.  3. 

2.  Glausule  irrégulière,  sans  doute  pour  attirer  l'attention  sur  l'idée, 
La  conjecture  d'Orelli  :  nolui,  quod  potui  donne  également  une  clausule 
incorrecte. 

3.  De-me-ageretur  forme  un  groupe,  correctement  précédé  d'un  iambe 
(Bornecque,  les  clausules,  §  434). 


LE  «  POST  REDITUM  »  53 

esse  nullam  putavi  (iS)\  Itaque  neque  re  publica  extermi- 
nata  mihi  locum  in  hac  urbe  esse  duxi  (tS),  nec,  si  illa  resti- 
tueretur,  dubitavi  quin  me  secum  ipsa  reduceret  (voir  la 
note)-,  lo  An  ego,  cum  mihi  esset  exploratissimum  P.  Len- 
tulum  proximo  anno  consulem  futurum  (/S)^  qui  iliis  ipsis 
rei  publicae  periculossissimis  temporibus  aedilis  curulis  me 
consule  omnium  meorum  consiliorum  particeps  periculo- 
rumque  socius  fuisset  (tS),  dubitarem,  quin  isme  confectum 
consularibus  vulneribus  consulari  medicina  ad  salutem  redu- 
ceret (voir  la  note)^"^  Hoc  duce,collega  autem  eius,  clemen- 
tissimo  atque  optimo  viro,  primo  non  ad  versante,  post  etiam 
adiuvante  (tS),  reliqui  magistratus  paene  omnes  fuerunt 
defensores  salutis  meae  (Si)  ;  ex  quibus  excellenti  animo, 
virtute,  auctoritate,  praesidio,  copiis  (Si)  T.  Annius  et  P. 
Sestius  praestanti  in  me  benivolentia  et  divino  studio  extite- 
runt(/S);  eodemque  P.  Lentulo  auctore  et  pariter  referente 
collega  (iS)  frequentissimus  senatus,  uno  dissentiente,  nullo 
intercedente  (voir  la  note  )  ^  dignitatem  meam,  quibus  po- 
tuit,  verbis  amplissimis  ornavit,  salutem  vobis,  municipiis, 
coloniis  omnibus  commendavit  {i  -\-2S).  16  Ita  me  nudum 
a  propinquis  (tS),  nulla  cognatione  munitum  (iS),  consules, 
praetores,  tribuni  pi.,  senatus,  Italia  cuncta  semper  a  vobis 
deprecata  est  {tS),  denique  omnes,  qui  vestris  maximis  bene- 

1.  La  leçon  de  EV  :  nullam  esse  putavi  donnerait  une  clausule  incor- 
recte (tin  d'hexamètre).  On  notera  que,  dans  cette  phrase,  par  les  pieds 
employés,  ou  par  la  répartition  des  pieds  entre  les  mots,  C.  a  su  éviter 
que  deux  clausules  fussent  identiquement  semblables. 

2.  Scander  reduceret  (cf.  p.  50  n.  3),  G.  n'admettant  que  dans  ses 
premiers  discours  le  trochée  devant  un  diiambe  final. 

3.  La  clausule  est  incorrecte,  pour  la  raison  donnée  dans  la  n.  3  de 
la  p.  48. 

4.  On  peut  scander  indifféremment  reduceret  (cf.  n.  2)  et  reduceret-, 
les  mots  finaux  de  type  mendacium  ou  ferentibus  pouvant  être  précédés 
d'un  spondée.  '  ^     ' 

5.  Nullo-intercedente  (SSS)  forme  un  groupe,  équivalant 'à"  Wsétil 
l)icd,  et,  par  suite,  correctement  précédé  d'un  trochée.  ^'''   ''  ''"''"' 


54  HENRI  BORNEGQUE 

ficiis  honoribusque  suntornati  {t -]-  2S),  producti  ad  vos  ab 
eodem  non  solum  ad  me  conservandum  vos-cohortati-sunt 
(/-h 25),  sedetiam  rerum  mearum  gestarum  auctores,  testes, 
laudatores  fuerunt(^S).  7  Quorum  princeps  ad  cohortandos 
vos  et  ad  rogandos  fuit  Cn.  Pompeius  (voir  la  notey,  vir 
omnium,  qui  sunt,  fuerunt,  erunt,  virtute,  sapientia,  gloria 
princeps  (iS)  ;  qui  mihi  unus  uni  privato  amico  eadem  omnia 
dédit,  quae  universae  rei  publicae  (Si),  salutem,  otium,  di- 
gnitatem  (tS).  Cuius  oratio   fuit,  quem  ad  modum  accepi, 
tripertita  (iS)  ;  primum  vos  docuit  meis  consiliis  rem  publi- 
cam  esse  servatam  causamque  meam  cum   communi  sainte 
coniunxit  (iS)  hortatusque  est,  ut  auctoritatem  senatus,  sta- 
tum  civitatis,  fortunas  civis  bene  meriti    defenderetis   (/S), 
tum  [me]  in  perorando  posuit  vos  rogari  a  senatu,  rogari  ab 
equitibus  Romanis,  rogari  ab  Italia  cuncta(^S)^  deinde  ipse 
ad  extremum  pro  mea  vos  salute  non  rogavit  solum,  verum 
etiam  obsecravit  ((S)'\  Huic  ego  homini,  Quirites,   tantum 
debeo,  quantum  hominem  homini  debere  vix   fas  est  (iS). 
Huius  consilia,   P.  Lentuli   sententiam,  senatus  auctoritem 
vos  secuti  (tS)  in  eo  me  loco,   in  quo  vestris  beneficiis  fue- 
ram  (AA)^,  isdem  centuriis,  quibus  conlocaratis,  reposuistis 
(tribS).    Eodem   tempore  audistis  eodem   ex  loco  summos 
viros  (Si),  ornatissimos  atque  amplissimos  homines  (^A), 
principes  civitatis  (/S),  omnes  consulares  (tS),  omnes  prae- 
torios    eadem    dicere    (Si),    ut   omnium  testimonio  per  me 
unum  rem  publicam   conservatam  esse  constaret  (iS).   Ita- 
que,  cum  P.  Servilius,  gravissimus  vir  et  ornatissimus  civis 

4.  Cf.  la  n.  2  de  la  p.  suiv.,  mutatis  mutandis. 

2.  Italia  forme  un  péon  IV  ;  sinon  l'on  aurait  une  clausule  incorrecte 
AS. 

3.  Dans  obsecravit,  noter  l'e  bref. 

4.  Pour  rendre  la  clausule  correcte,  écrire  beneficis  (cf.  n.  suiv.)  ; 
nous  avons  ainsi  une  clausule  iA.  Dans  tous  les  cas,  on  ne  saurait  ad- 
mettre le  texte  proposé  par  Lambin  :  beneficiis  collocatus  fueram  {SA). 


LE  «  POST  REDITUM  »  5o 

(«S),  dixisset  opéra  mea  rem  publicam  incolumem  magistra- 
tibus  deinceps  traditam  (Sz),  dixerunt  in  eandem  sententiam 
ceteri  (Si).  Sedaudistis  eo  tempore  clarissimi  viri  non  solum 
auctoritatem,  sed  etiam  testimonium,  L.  Gelli  (z-(-2S); 
qui  quia  suam  classem  adtemptatam  magno  cum  suo  peri- 
culo  paene  sensit  (^S),  dixit  in  contionevestrum,  si  ego  con- 
sul, cum  fui,  non  fuissem  ÇtS),  rem  publicam  funditus 
interituram  fuisse  ÇtS). 

8,  18  En  ego  tôt  testimoniis,Quirites  (/S)%hac  auctoritate 
senatus,  tanta  consensione  Italiae,  tanto  studio  bonorum 
omnium  (Si),  agente  P.  Lentulo,  consentientibus  ceteris 
magistratibus,  deprecante  Cn.  Pompeio  (voir  la  notey, 
omnibus  hominibus  faventibus,  dis  denique  immortalibus 
frugum  ubertate,  copia,  vilitate  reditum  meum  comproban- 
tibus(?;oiV  la  notey  mihi,  meis,  rei  publicae  restitutus  (^6) 
tantum  vobis,  quantum  facere  possum,  Quirites,  pollice- 
bor  (^S),primum,  qua  sanctissimi  homines  pietate  erga  deos 
immortalis  esse  soleant,  eadem  me  erga  populum  Romanum 
semper  fore  (St)  numenque  vestrum  aeque  mihi  grave  et 
sanctum  ac  deorum  immortalium  in  omni  vita  futurum  (tS)^ 
deinde,  quoniam  me  in  civitatem  res  publica  ipsa  reduxit 
(voir  lanoté)^^  nullo  me  loco  rei  publicae  defuturum(^»S). 
19  Quodsi  quis  existimat  me  aut  voluntate  esse  mutata  aut 
debilitata  virtute  aut  animo  fracto,  vehementer  errât  (tS). 
Mihi  quod  potuit  vis  et  iniuria  et  sceleratorum  hominum 
furor  detrahere,  eripuit,  abstulit,  dissipavit  (^*S)  ;  quod  viro 


1.  La   clausule   est   incorrecte   pour  la  raison  donnée  p.  48,  n.  3.  On 
corrigera  la  faute  en  écrivant  testimonis  (cf.  p.  préc.  n.  4). 

2.  Cnaeo-Pompeio  forme  un  groupe,   correctement   précédé    d'un  tro- 
chée (cf.  Bornecque,  les  clausules,  §  440). 

3.  Devant  un  mot  final  de  type  comprobantibus,   l'iambe  est  recherché 
(cf.  ib.  §  43o). 

4.  Scander  rêduxit,  ce  qui  donne  la  clausule  correcte  iS  ;  cf.  p.  53, 


56  HENRI  BORNECQUE 

forti  adimi  non  potest,  f  ideo  manet  et  permanebit  (tS).  Vidi 
ego  fortissimum  virum,  municipemmeum,  G.  Marium  (fozV 
la  noté)  *  (quoniam  nobis  quasi  aliqua  fatali  necessitate  non 
solum  cum  iis,  qui  haec  delere  voluissent  (tribS),  sed  etiam 
cum  fortuna  belligerandum  fuit)  (Si)  —  eum  tamen  vidi , 
cum  esset  summa  senectute,  non  modo  non  infracto  animo 
propter  magnitudinem  calamitatis  (tribS),  sed  confirmato 
atque  renovato  (jtrnbS).  20  Quem  egomet  dicere  audivi  tum 
se  fuisse  miserum  (M),  cum  careret  patria,  quam  obsidione 
liberavisset  (ï5),  cum  sua  bona  possideri  ab  inimicis  ac 
diripi  audiret  («S),  cum  adulescentem  filium  videret  eius- 
dem  socium  calamitatis  (tribS),  cum  in  palubibus  demersus 
concursu  ac  misericordia  Minturnensium  corpus  ac  vitam 
suam  conservaret(z-|-25),  cum  parva  navicula  pervectus  in 
Africam,  quibus  régna  ipse  dederat,  ad  eos  inops  supplexque 
venisset(25)-;  reciperata  vero  sua  dignitate  se  non  commis- 
surum,  ut,  cum  ea,  quae  amiserat,  sibi  restituta  essent  (iS), 
virtutem  animi  non  haberet,  quam  numquam  perdidisset 
ÇtS).  Sed  hoc  inter  me  atque  illum  interest  (Si),  quod  ille, 
qua  re  plurimum  potuit,  ea  ipsa  re  inimicos  suos  ultus  est, 
armis  (iS),  ego,  qua  consuevi,  utar  arte  (tS)^,  quoniam  illi 
arti  in  bello  ac  seditione  locus  est,  huic  in  pace  atque  otio 
(S^).  21  Quamquam  ille  animo  irato  nihil  nisi  de  inimicis 
ulciscendis  agebat  (tS),  ego  de  ipsis  inimicis  tantum,  quan- 
tum mihi  res  publica  permittit,  cogitabo  (tS).  9  Denique, 
Quirites,    quoniam  me  quattuor  omnino  hominum  gênera 


4.  Caium-Mariûm  forme  un  groupe,  précédé  correctement  d'un  tro- 
chée (Bornecque,  les  clausules,  §  437). 

2.  Cf.  p.  53,  deuxième  partie  de  la  n.  i. 

3.  Donnent  une  clausule  incorrecte  les  leçons  des  mss.  :  consuevi 
Mfar  (SS),  à  moins  d'admettre  une  diérèse  de  consilêvi  ;  pietate  utar 
{AS)^  à  moins  d'admettre  un  hiatus,  et  utar  pietate  (DS)  ;  la  conjecture 
de  Mommsen  :  consueui  ui,  utar  (SS).  Au  contraire  la  conjecture  de 
Lambin  :  utar  lenitate  donne  une  clausule  correcte. 


LE  «  POST  REDITUM  «  57 

violarunt  (//7*^S)S  unum  eorum,  qui  odio  rei  publicae, 
quod  eam  ipsis  invitis  conservaram,  inimicissimi  mihi 
fuerunt  (voir  lanoté)^,  alterum  qui  per  simulationem  ami- 
citiae  nefarie  me  prodiderunt  (^^S*),  tertium,  qui  cum 
propter  inertiam  suam  eadem  adsequi  non  possent,  invide- 
runt  laudi  et  dignitati  meae(5'i),  quartum,  qui  cum  custo- 
des rei  publicae  esse  deberent  (iS^  %  saiutem  meam,  statum 
civitatis,  dignitatem  eius  imperii,  quod  erat  pênes  ipsos, 
vendiderunt  (jS),  sic  ulciscar  singulorum  facinora,  quem 
ad  modum  a  quibusque  sum  provocatus  (jtS),  malos  civis  re 
puBlica  bene  gerenda  (tribS),  perfides  amicos  nihil  cre- 
dendo  atque  omnia  cavendo  QribS),  invidos  virtuti  et 
gloriae  serviendo  QS),  mercatores  provinciarum  revocando 
domum  atque  ab  iis  provinciarum  ratione  repetenda  (^tribS)  *. 
22  Quamquam  mihi,  Quirites,  maiori  curae  est,  quem  ad 
modum  vobis,  qui  de  me  estis  optime  meriti,  gratiam 
referam  (lA)^  quam  quem  ad  modum  inimicorum  iniurias 
crudelitatemque  persequar  ÇSii).  Etenim  ulciscendae  iniu- 
riae  facilior  ratio  est  quam  beneficii  remunerandi  (tS), 
propterea  quod  superiorem  esse  contra  improbos  minus  est 
negotii  quam  bonis  exaequari  (i-\-2S).  Tum  etiam  ne  tam 
necessarium  quidem  est  maie  meritis  quam  optime   meritis 


1.  On  ne  peut  admettre  le  texte  d'Orelli  :  gênera  hominum  violarunt, 
qui  donne  une  clausule  incorrecte  (DS). 

2.  L'iambe  n'étant  pas  admis  devant  un  mot  final  de  type  fuêrunt, 
scander  mihi,  qui  donne  une  clausule  de  forme  trib  S.  On  voit  que  le 
texte  d'Orelli  :  mihi  inimicissimi  fuerunt  donne  une  clausule  incorrecte. 

3.  Deberent  est  une  conjecture  d'Ernesti,  pour  le  debuerunt  des  mss., 
qui  donne  une  clausule  incorrecte,  un  mot  final  de  forme  ditrochaïque 
n'étant  jamais  précédé  d'un  trochée  ;  toutefois  on  peut  scander  debuerunt 
(cf.  p.  49,  n.  *2),  ce  qui  donne  la  clausule  correcte  iA.  C'est  elle  aussi 
qu'amènent  les  conjectures  d'Heumann  :  debuerint  et  d'Ernesti  :  debuerant. 

4.  Alors  que  le  texte  de  EV  :  ratione  eœpetenda  donne  une  clausule 
correcte,  on  doit  rejeter,  pour  des  raisons  métriques  (clausule  DS),  la 
leçon  de  G*  :  rationem  repetenda  et  celle  de  P  et  G  corr.  SW  et  18  Lag.  : 
rationem  repetendo. 


38  HENRI  BORNECQUE 

referre,  quod  debeas  (Si).  23  Odium  vel  precibus  mitigari 
potest  ÇSi)  vel  temporibus  rei  publicae  communique  utili- 
tate  deponi  (iS)  vel  difficultate  ulciscendi  leniri  vel  vetus- 
tate  sedari  (iS)  ;  bene  meritosne  colas,  nec  exorari  fas  est, 
neque  id  rei  publicae  remittere  verum  neque  necesse  est 
(/reô5)  ;  neque  est  excusatio  difficultatis,  neque  aequum 
est  tempore  et  die  memoriam  beneficii  definire(^H-25)^ 
Postremo,  qui  in  u'ciscendo  remissior  fuit,  in  eo  morum 
asperitas  certe  non  reprehenditur  (voir  lanoté)^\  at  gravis- 
sime  vituperatur,  qui  in  tantis  beneficiis,  quanta  vos  in  me 
contulistis,  remunerandis  est  tardior  (-S'i),  neque  solum 
ingratus,  quod  ipsum  grave  est,  verum  etiam  impius  appel- 
letur  necesse  est  (tS).  [Atque  in  offîcio  persolvendo  dissimi- 
lis est  ratio  pecuniae  debitae  (Si),  propterea  quod  pecu- 
niam,  qui  retinet,  non  dissolvit,  qui  reddidit,  non  habet 
(Si)  ;  gratiam  et,  qui  rettulit,  habet,  et  qui  habet,  dissol- 
vit (85)^] 

10,  24  Quapropter  memoriam  vestri  beneficii  colam  beni- 
volentia  sempiterna  (tS),  nec  ea  cum  anima  expirabit  mea 
(Si),  sed  etiam,  cum  me  vita  defecerit  (6*2)  S  multa  moni- 
menta  vestri  in  me  beneficii  permanebunt  (tS).  In  referenda 
autem  gratia  hoc  vobis  repromitto  semperque  praestabo 
(eS),  mihi  neque  in  consiliis  de  re  publica  capiendis  diligen- 


4.  Écrire  benefici  d.,  ce  qui  rend  la  clausule  correcte  (z-f-^S). 

2.  Le  premier  e  de  reprehenditur  peut  être  considéré  indifféremment 
comme  bref  ou  long  ;  s'il  est  bref,  la  clausule  est  de  forme  Ai  ;  s'il  est 
long,  de  forme  SU.  —  Le  lexte  des  mss.  est  métriquement  correct  {aperte 
utitur=  Si)  ;  de  même  la  conjecture  de  Koch  :  venia  certe  utitur,  mais 
non  celles  de  Lambin  (partim  laudatur=  SS)  ou  d'Orelli  (aperte  lauda- 
tur  =  SS). 

3.  La  clausule  seule  indiquerait  que  le  passage  est  interpolé.  La  con- 
jecture de  Halm  :  et  retinet  et  di&solvit  donne  une  clausule  correcte  (trib. 

4.  On  pourrait  conserver  la  leçon  des  mss.  :  anima  defecerit  mea 
iSii). 


LE  «  POST  REDITUM  »  S9 

tiam  (voir  la  noté)\  neque  in  periculis  a  re  publica  propul- 

indis  animum  {SAy,  neque  in  sententia  simpliciter  f erenda 

idem  (Si),  neque  in  hominum  voluntatibus  pro  re  publica 

ledendis  libertatem  {S-\-2S)^,  nec  in  perferendo  labore 

idustriam  (Sï)'\  nec  in  vestris  commodis  augendis    grati 

inimi  benivolentiam  defuturam  (tS).  25  Atque  haec  cura, 

(uirites,  erit  infixa  animo  meo  sempiterna  (^5),  ut   cum 

vobis,   qui  apud   me  deorum   immortalium  vim  et  numen 

tenetis  (jS),  tum  posteris  vestris  cunctisque  gentibus  dignissi- 

mus  ea  civitate  videar  (M),  quae  suam  dignitatem  non  posse 

se   tenere,  nisi   me  reciperasset  (tribS),   cunctis  suffragiis 

iudicavit  {tS). 

Cette  scansion  va  nous  permettre  de  vérifier  si  les  clausu- 
les  étudiées  ici  rentrent  dans  les  différents  types  qui,  d'après 
le  système  admis  en  Allemagne,  constituent  les  clausules 
fondamentales,  et,  suivant  M.  Dupuis%  résument  toutes  les 
clausules.  Naturellement  on  a  dû  faire  entrer  en  ligne  de 
compte  les  seules  clausules  où  le  mot  ou  groupe  final  forme 
moins  de  deux  pieds  :  des  autres,  la  liste  allemande  en 
laisserait  de  côté  un  bon  nombre  ;  quant  à  M.  Dupuis, 
comme  il  admet  indifféremment,  en  place  antépénultième, 


1.  Diligentiam  est  correctement  précédé  d'un  spondée  (Bornecque,  les 
clausules,  §  435). 

2.  La  correction  qui  rendra  la  clausule  correcte  est  suggérée  par  le 
texte  de  Mamertinus  (Gratiarum  Actio  Juliano  32,  Baehr.,  p.  270,  13 
sqq.),  qui  a  imité  de  très  près  cette  péroraison.  Il  suffit  de  faire  permuter, 
à  son  exemple,  periculis  et  propulsandis  ;  la  nouvelle  clausule  (lA)  est 
correcte. 

3.  Mamertinus  a  le  même  texte  que  Cicéron.  Je  propose  de  faire,  ici 
encore,  permuter  laedendis  et  voluntatibus  ;  la  clausule  prend  la  forme 
correcte  i-\-  2S. 

4.  Jamais,  chez  Cicéron,  un  mot  tinal  de  ïovme  indust riain  n'est  pré- 
cédé d'un  iambe.  Écrire,  avec  Mamertinus  :  in  laboribus  perferendis  in- 

lustriam. 

5.  Id.  Dupuis,  Le  nombre  oratoire,  pp.  266  et  267. 


60  HENRI «ORNEGQUE 

les  huit  pieds  reçus  en  place  pénultième,  il  nous  conduirait 
à  tracer  un  tableau  interminable  (2o6  lignes). 

La  liste  donnée  ici  est  celle  que  propose  M.  Dupuis  ;  les 
clausules  imprimées  en  capitales  sont  celles  qui  sont  regar- 
dées également  comme  fondamentales  dans  le  système  alle- 
mand. Les  astérisques  placées  après  le  nom  du  pied  final 
indiquent  les  clausules  qui,  d'après  mes  recherches,  sont 
admises  par  Cicéron  dans  un  quelconque  de  ses  ouvrages. 

Nombre  de  clausules  du  Post  Reditum  ad  Quirites 


AVANT 

CORRECTION. 

APRÈS   CORRECTION. 

Trochée  +  Spondée  * 

31 

33 

Crétiqle* 

7 

6 

Anapeste  * 

4 

5 

Péon  IV 

Spondée  -  -f-  Spondée 

1 

Crétique  * 

12 

12 

Anapeste 

1 

Péon  IV  3 

Dactyle  -|-  Spondée 

1 

Crétique  * 

1 

Anapeste 

Péon  IV 

Crétique  -\-  Spondée  * 

30 

31 

Crétique* 

14 

14 

Anapeste* 

6 

7 

Péon  IV  ^ 

4.  Sur  les  7  exemples,  dans  5  cas  le  trochée  est  précédé  d'une  longue  ; 
dans  2  cas  seulement,  on  trouve  une  brève  devant  lui  ;  encore  une  cor- 
rection élimine-t-elle  une  des  deux  exceptions. 

2.  Le  système  allemand  parle  de  molosse  -j-  crétique. 

3.  Admis  avec  les  césures —  |  ^^^-  ;  --^  |  ^^-,  mais  non — ^^  |  ^-. 

4.  Admis  avec  la  césure  -^^-  |  ->^-,  mais  non  -^^  |  -^-. 

5.  Admis  dans  les  deux  premières  périodes  des  discours  seulement. 


^RIBRAQUE  -}-  SpOiSDÉE  * 

20 

Crétique  ^ 

Anapeste 

Péon  IV 

Anapeste  -\-  Spo^idée  * 

1 

Crétique  -  * 

4 

Anapeste 

1 

Péon  .IV  3 

Iambe^  + Spondée 

Crétique 

Anapeste 

Péon  IV 

Péon  IV  +  Spondée* 

3 

Crétique  * 

1 

Anapeste* 

1 

Péon  IV  ^ 

LE  «  POST  REDITUM  »  61 

20 


Que  de  cases  vides  dans  la  liste  de  M.  Dupuis,  même  si 
par  la  pensée,  on  remplit  celles  qui  pourraient  l'être  I  La 
liste  allemande  n'aurait-elle  pas  besoin  d'être  élaguée  à  cer- 
tains endroits,  à  d'autres  complétée?  Si  l'on  veut  bien  se 
rappeler  que  nous  n'avons  envisagé  qu'un  certain  nombre 
de  clausules,  on  verra,  croyons-nous,  dans  ce  tableau,  la 
preuve  concrète  de  la  difficulté,  pour  ne  pas  dire  de  l'impossi- 
bilité, à  laquelle  se  heurteront  toujours  ceux  qui  voudront 
faire  rentrer  dans  quelques  types  fondamentaux  toutes  les 
clausules  métriques  latines,  ou  seulement  les  plus  employées. 

1.  Dans  le  système  allemand,  péon  1  +  crétique. 

2.  Dans  le  système  allemand,  choriambe  H- spondée  ou  -+-  crétique. 

3.  Cf.  n.  5  de  la  p.  préc. 

4.  Ce  groupe  de  clausules  pourrait  être  supprimé.  Si  l'iambe  est  pré- 
cédé d'une  longue,  il  devient  un  crétique,  qui  figure  plus  haut  comme 
pied  pénultième  ;  de  même  si,  précédé  d'une  brève,  il  forme  un  anapeste; 
précédé  do  deux  brèves,  il  peut  être  considéré  comme  un  péon  IV,  qui 
ligure  plus  loin  comme  pied  pénultième. 


R.  GAGNAT 


LA  RÉORGANISATION  DE  L'AFRIQUE 
SOUS  DIOCLÉTIEN 


LA  RÉORGANISATION  DE  L'AFRIQUE 
SOUS  DIOCLÉTIEN 

Par  R.  Gagnât 


On  sait  que  parmi  les  réformes  de  l'empereur  Dioclétien 
figure  la  réorganisation  des  provinces  de  l'Empire.  «  Les 
empereurs  avaient  reconnu,  écrit  Duruy  %  que  des  comman- 
dements qui  s'étendaient  à  des  régions  aussi  vastes  que  des 
royaumes  donnaient  d'ambitieux  désirs  et  des  tentations 
mauvaises.  Plus  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs,  Dioclétien 
eut  le  sentiment  de  ce  péril  et,  comme  il  avait  divisé  l'em- 
pire pour  le  mieux  défendre,  il  augmenta  les  divisions  pro- 
vinciales pour  les  mieux  gouverner.  »  On  sait  aussi  que  la 
liste  des  nouvelles  provinces  dioclétiennes  nous  a  été  con- 
servée par  plusieurs  documents  dont  le  plus  important  est 
celui  qui  a  reçu  le  nom  de  Laterculus  Veronensis^ . 

Mommsen  qui  a  fait  du  texte  une  étude  toute  spéciale  a 
fixé  la  date  où  il  fut  rédigé.  Il  fait  remarquer  qu'on  y  voit 
figurer  l'Egypte,  qui  ne  fut  soumise  par  Dioclétien  qu'en  296, 


i.  Eist.  des  Romains,  VI,  p.  564. 

2.  Le  texte  a  été  publié  plusieurs  fois.  Les  éditions  qui  font  autorité 
sont  celles  de  Mommsen,  Verzeichniss  der  rôm.  Provinzen  aufgesetz  um 
W7  (Phil.  Abhandl.  der  Berlin.  Akad.,  4862,  p.  489  et  suiv.)  ;  Otto 
Seeck,  Notitia  Dignitatum,  p.  247  et  suiv.  ;  Riese,  Geogr.  lat.  min., 
p.  127. 

5 


66  R.  GAGNAT 

et  la  province  de  Bretagne,  qui  fut  réintégrée  la  même  an- 
née à  l'Empire  à  la  suite  de  la  défaite  d'Allectus;  donc  le  docu- 
ment n'est  pas  antérieur  à  296.  «  La  liste  de  Vérone  fut  dressée 
immédiatement  après  l'érection  des  nouveaux  diocèses,  en 
297  ou  peu  après  ;  elle  n'est  autre  que  le  tableau  des  diocè- 
ses et  des  provinces  qui  fut  mis  officiellement  en  circulation 
après  cette  importante  transformation  administrative  et  qui 
présente  en  beaucoup  d'endroits  des  dénominations  alors  usi- 
tées et  tombées  plus  tard  en  désuétude.  » 

Mais  si  le  tableau  a  été  établi  en  une  fois,  les  modifications 
qu'il  constate  ne  furent  assurément  pas  l'œuvre  d'un  jour  ; 
elles  ont  été  introduites  successivement,  au  fur  et  à  mesure 
des  circonstances.  C'est  ce  que  montrera  pour  l'Afrique,  la 
présente  note  ;  je  voudrais  y  rechercher,  autant  qu'il  peut  se 
faire,  la  date  exacte  où  se  sont  constituées  les  nouvelles  di- 
visions administratives  du  pays. 

Je  rappellerai  d'abord  brièvement  que  le  passage  de  la 
liste  de  Vérone  consacré  à  l'Afrique  est  fort  corrompu  ^  et  a 
donné  lieu  à  différentes  opinions,  qu'il  sera  facile  de  résumer 
en  deux  mots-.  Il  y  a,  dans  ce  passage,  opposition  entre  le 
chiffre  des  provinces  annoncées, VII,  et  leur  énumération  qui 
les  réduit  à  six.  Les  uns  admettent  donc  que  le  chiffre  VII 
est  exact  et  qu'une  province  a  été  omise  par  le  copiste,  la 
Tripolitaine  ;  les  autres  pensent  que  la  Numidia  militiana 
ou,  en  corrigeant  cette  épithète  étrange,  limitanea,  est  la 
même  chose  que  la  Tripolitaine,  située  sur  le  limes  mili- 
taire de  la  Numidie,  à  l'est,  et  qu'en  conséquence  le  chiffre 
VII  est  erroné  et  doit  être  remplacé  par  VI. 

1.  Diocensis  Africae  habet  prouincias  numéro  vu  :  proconsularis  zeu- 
gitana,  bizacina,  numidia  cirtensis,  numidia  miliciana,  mauritania  caesa- 
riensis,  mauritania  tabia  insidiana. 

2.  Cf.  sur  ces  discussions  Tissot,  Géogr.de  V  Afrique,  II,  p.  37  ;  Goyau, 
Mél.  de  Rome,  XIII,  p.  251  et  suiv.  ;  R.  Gagnât,  Armée  d'Afrique,  p.  704 
et  suiv. 


L'AFRIQUE  SOUS  DIOGLÉTIEN  67 

Depuis  que  M.  Goyau*  et  moi^  avons  démontré  que  des 
inscriptions  africaines,  du  début  du  iv^  siècle,  trouvées  à 
Timgad,  en  pleine  Numidie,  portent  bien  réellement  la  men- 
tion d'une   N(iimidia)  M ,  ce  qui  vient  d'être  confirmé 

par  une  découverte  récente^,  la  question  a  fait  un  pas  ;  on  ne 
peut  plus  dire  qu'il  faut  changer  sur  la  liste  de  Vérone  Mi- 
litiana  en  limitanea  et  il  devient  difficile  de  faire  de  cette 
province  énigmatique  la  Tripolitaine.  Il  faut  donc  ou  admet- 
tre une  omission  du  copiste,  ou  chercher  le  mot  Tripolitana 
dans  le  mot  insidiana  qui  termine  le  texte.  Est-il  beau- 
coup plus  difficile  de  l'y  trouver  que  de  trouver,  comme 
l'a  faitMommsen,*  dans  le  groupe  tabia  insidiana  la  Siti- 
fensis,  épithète  qui  cependant  s'impose?  En  résumé,  il  sem- 
ble admis  qu'il  faut  attribuer  à  Dioclétien  la  création  de  sept 
provinces  :  Proconsularis  ou  Zeugitana,  Byzacena,  Tripoli- 
tana, Numidia  Cirtensis,  t^umidia  Militiana  7,  Mauretania 
Caesariensis,  Mauretania  Sitifensis. 

Peut-on  savoir  en  quelle  année  chacune  de  ces  provinces 
a  pris  naissance  ? 

\°  Proconsidaire  et  Byzacène.  La  Byzacène  est  un  fragment 
de  l'ancienne  Afrique  proconsulaire.  On  admet  que  pour 
opérer  ce  démembrement  on  procéda  comme  suit^  La  partie 
septentrionale  du  pays  jusqu'à  une  certaine  ligne  que  j'ai 


4.  Loc.  cit.,  p.  254. 

2.  Op.  cit.,  p.  706  et  suiv. 

3.  Bull.  arch.  du  Comité,  4907,  p.  274:...  Augg.  et  Constanti  et 
Maximiani  nobb.  Caess.  templum  dei  Mercuri  ...  iussione  u.  p.  Valeri 
Florip.  p.  N.  M.  at  pristinum  statum...  La  lecture  p(raesidis)  pfrouin- 
ciae)  N(umidiae)  M.  est  absolument  certaine  comme  dans  les  inscrip- 
tions relatives  au  même  personnage  déjà  connues. 

4.  Il  fait  de  tabia  une  répétition  erronée  et  fautive  de  la  fin  du  mot 
Mauretania  qui  précède  ;  M.  Jullian  (Mél.  de  Rome,  II,  p.  86  et  suiv.),  y 
voit  un  adjectif  formé  de  Zabi,  ville  connue  de  Sitifienne.  Tous  deux  cor- 
rigent Insidiana  en  Sitifensis. 

5.  C.  I.  L.,  VIII,  praef.  p.  xvii  et  xviii  ;  cf.  p.  4576. 


I 


68  R.  GAGNAT 

essayé  d'établir  ailleurs  %  constitua,  sous  la  dépendance  du  | 
proconsul  d'Afrique,  la  Zeugitane  ;  au-dessous  ce  fut  la  Byza-  I 
cène.  Mais  pour  compenser  ce  qu'on  lui  enlevait  au  Sud,  on  i 
attribua  à  ce  gouverneur  en  partie  dépossédé  de  son  an-  j 
cienne  puissance,  aux  dépens  de  la  Numidie,  une  large  ^ 
bande  de  terrain,  à  l'Ouest,  comprenant  le  territoire  de 
Theveste  et  une  partie  de  la  région  qui  s'étendait  au  Nord,  i 
en  particulier  les  environs  de  la  ville  de  Madaure  ;  des  trou-  j 
vailles  épigraphiques  récentes  viennent  à  l'appui  de  cette  i 
théorie  *.  l 

La  nouvelle  frontière  créée  entre  la  Zeugitane  et  Byzacène,  j 
courant  entre  Zama  et  Ammaedara,  passait  au  Nord  de  la  \ 
ville  de  Mididi,  qu'un  contrat  de  patronat  bien  connu  ^  nous  \ 
montre  positivement  comme  rattachée  à   la  Byzacène  au  iv^ 
siècle.  Or  en  l'année  294,  Mididi  faisait  encore  partie  de  la 
Proconsulaire  puisqu'à  cette  date,  sur  l'inscription  destinée 
à  commémorer  la  réfection  du  forum,  le  proconsul,  Aurelius 
Aristobulus,  figure  comme  dédicant*.  j 

Felicissimo  saeculo  dominorum  nostrorum  C.  Aureli  \ 
Valeri  (Dio)cletiani  PU  Fel(icis)  Imi(icti)  Aug(iisti)[et  M.  | 
Aureli  Valeri  Maximiani  PU  Fel(icis)  Inu(icti)  Aug(usti\et  [ 
M.  FI.  Valeri  ConstantietC.Galeri  Valeri  Maximiani  nobi-  i 
lissimorum   Caes(arum)  et  consulum  porticum  cura  arcu  \ 

suo  quae  foro  ambiendo  deerat Aur.  Aristobulus  u(ir)   \ 

c(larissimus)  procos  Africae dedicauit.  \ 

L'année  suivante  se  place  un  fait  important  pour  la  ques- 


1.  Beitrâge  zur  alten  Geschichte,  II  (1902),  p.  73  et  suiv. 

2.  Rec.  de  Constantine,  XL  (1906),  p.  422  et  424,  n^s  408,  411  et  449, 
Tous  ces  textes  trouvés  à  Madaure  font  mention  du  proconsul  ou  de  son 
légat. 

3.  C.  L  L.,  VI,  1689. 

4.  C.  L  L.,  VIII,  608.  L'inscription  est  datée  par  la  mention  du  con- 
sulat des  Césars.  Cf.  Fallu  de  Lessert,  Fastes  des  provinces  africaines, 
II,  p.  2. 


L'AFRIQUE  SOUS  DIOGLÉTIEN  69 

tion  qui  nous  occupe,  le  martyre  de  saint  Maximilien^  Cet 
homme  était  appelé  sous  les  drapeaux.  Croyant,  s'il  obéis- 
sait, exposer  sa  foi  de  chrétien,  il  se  refusa  au  recrutement. 
D'où  citation  devant  le  magistrat,  mise  en  demeure  de  se 
soumettre  à  la  loi,  nouveau  refus  solennel  du  conscrit  et 
condamnation  à  mort.  Ceci  se  passait  le  IV  des  Ides  de 
Mars,  sous  le  consulat  de  Tuscus  et  d'AnuUinus,  Theveste, 
in  foro  ^  Donc  au  début  de  295,  le  proconsul  juge  à  ïheveste 
un  déserteur  et  un  chrétien,  mission  qui  revenait,  si  la  ville 
avait  été  alors  comme  précédemment  en  Numidie,  soit  au 
commandant  de  la  légion  résidant  à  Lambèse,  soit  au  gouver- 
neur civil  de  la  province,  suivant  que  le  refus  était  consi- 
déré comme  un  crime  militaire  ou  comme  une  profession  de 
christianisme.  L'explication  la  plus  naturelle  est  évidemment 
d'admettre  qu'à  ce  moment  Theveste  était  réuni  à  la  Pro- 
consulaire et  que  la  séparation  en  deux  parties  de  l'ancienne 
Africa  était  un  fait  accompli. 

La  naissance  de  la  Byzacène  remonterait  donc  à  l'année 
294/295. 

2""  Numidie.  —  Pour  la  séparation  de  la  Numidie  en  deux 
parties,  nous  ne  pouvons  pas  arriver  à  un  résultat  aussi 
précis. 

En  289/293  S  le  gouverneur  du  pays  porte  le  titre  àeprae- 


1.  Ruinart,  Acta  sincera,  p.  309  et  suiv. 

2.  ¥.  L'indication  de  Theveste,  écrit  Dom  Leclerq  {Les  Martyrs,  II, 
p.  152)  doit  être  une  faute  de  copiste  ;  car  cette  ville  était  en  Numidie  où 
le  proconsul  n'avait  pas  juridiction.  Il  résulte  d'un  autre  endroit  des  actes 
que  le  lieu  de  la  scène  était  proche  de  Carthage,  puis  que  la  matrone 
Pompeiana  transporta  en  litière  dans  cette  dernière  ville  le  corps  du  mar- 
tyr. »  Les  deux  objections  sont  loin  d'être  convaincantes.  Theveste  n'était 
plus  en  Numidie  après  les  réformes  de  Dioclétien  ;  quant  à  l'acte  pieux  de 
la  matrone  qui  rapporta  le  saint  à  Carthage,  pour  l'enterrer  auprès  du 
tombeau  de  saint  Cyprien,  il  ne  prouve  rien,  cela  est  évident,  sur  la  dis- 
tance qui  séparait  de  la  capitale  la  ville  où  le  martyre  eut  lieu. 

3.  C.  I.  L.,  VIII,  2572,  2660  (Lambèse)  ;  7003  (Gonstantine). 


70  R.  GAGNAT 


ses  provinciae  Numidiae  sur  des  inscriptions  trouvées  au  1 
Nord  comme  au  Sud  de  ladite  province.  A  cette  date,  il  n'y 
avait  encore  qu'une  Numidie.  Le  gouverneur  de  295,  Con-  ; 
cordius,  est  appelé  par  le  Code  Justinien,  au  milieu  de  ■ 
l'année  :  praeses  Numidiae  ^  ;  mais  au  temps  où  le  Code  Jus-  i 
tinien  fut  publié  on  était  loin  de  Dioclétien  et  de  ses  réfor-  i 
mes,  et  l'on  ne  se  croyait  pas  tenu  de  transcrire  avec  une  j 
exactitude  scientifique  des  indications  qui,  ne  répondant  | 
plus  à  la  réalité,  n'avaient  aucune  importance  pour  les  con-  \ 
temporains^.  D'autre  part,  la  première  mention  d'une  Niimi-  \ 

dia  M remonte  au  gouvernement  de  Valerius  Florus,  qui  j 

est  de  303  ^.  Entre  295  et  303  les  documents  nous  font  dé-  i 
faut.  Heureusement  la  liste  de  Vérone  nous  fournit  une  date  i 
moins  reculée  :  297.  A  ne  considérer  que  les  textes,  ladivi-  ; 
sion  de  la  Numidie  se  placerait  donc  entre  295  et  297.  Mais  | 
il  est  permis  de  se  demander  si  cette  division  ne  s'est  point  \ 
opérée  en  même  temps  qu'on  détachait  la  partie  orientale  de  ■ 
la  province  pour  la  réunir  à  la  Proconsulaire,  c'est-à-dire  \ 
en  294/295.  ; 

3"  Tripolitaine .  M.  Fallu  de  Lessert,  dans  son  excellent  ' 
livre  intitulé  Fastes  des  provinces  africaines  *,  avait  cru  ! 
pouvoir  avancer,  avec  quelques  doutes,  qu'en  l'année  295,  j 
la  Tripolitaine  existait  comme  province  propre  ;  il  se  fon-  \ 
dait,  pour  émettre  cette  proposition,  sur  l'inscription  sui- I 
vanter 


1.  Cod.  Just.,  IX,  9,  28:  IdemAA.  et  CC.  Concordio  praesîdi  Numi- 
diae... P(ro)p(osita)  K(alendis)  lun(iis)  Tusco  et  Anullino  conss. 

2.  Cf.  sur  la  liberté  prise  par  les  rédacteurs  du  Code,  Kriiger,  Hist.  des 
sources  du  droit  romain,  p.  434  et  460. 

3.  Fallu  de  Lessert,  Fastes,  II,  p.    314  et  suiv.  ;  cf.  plus  haut,  p.  67 
note  3. 

4.  Ibid.,  p.  299. 

5.  Comptes  rendus  de  VAcad.  des  Inscr.,  4894,  p.  472. 


L'AFRIQUE  SOUS  DIOGLÉTIEN  71 


I  M  P  ■  C  A  E  S  ^  '^""'\    — -    —^  PIVS  FELIX   INVICTVS 

AVG  •  GERMANÏCVS    PERSICVS    MAXIMVS    PONTIFEX 
MAXIMVS  TRIB  ■  P  •  XII  •  COS  •  V   P  ■  P  ■  PROCOS  •  CASTRA  ■  COH 
VIII   FIDAE  OPPORTVNO   LOCOASOLOINSTITVIT 
OPERANTIBVS  FORTISSIMIS  MILITIBVS  SVIS  EX  LIMI 
TE  TRIPOLITANO 

Nous  avions  tous  pensé  avec  lui  que  dans  l'espace  martelé 
il  convenait,  à  cause  des  surnoms  qui  suivent,  de  restituer 
le  nom  de  Dioclétien.  Dès  lors  le  texte  se  serait  placé  en 
l'année  295.  Mais,  depuis  lors,  l'inscription  a  été  revue  et 
l'on  a  pu  lire  avant  les  mots  Pius  Félix,  les  lettres  IVS 
GALLIENVS  insuffisamment  eflPacées  par  le  lapicide  *.  Le 
texte  remonte  par  suite  à  l'année  263  ;  il  ne  peut  plus  être 
utilisé  pour  étudier  les  réformes  dioclétiennes  :  le  limes 
Tripolitanus  qui  y  est  cité  est  la  frontière  militaire  de  Tri- 
politaine,  dépendant  du  commandant  en  chef  de  la  Numidie, 
telle  qu'elle  existait  avant  la  tétrarchie. 

Le  document  le  plus  voisin  de  297  par  sa  date  est  une 
inscription  provenant  d'un  fortin  de  cette  frontière,  sis  au 
lieu  appelé  jadis  Tibubuci^  ;  par  malheur  elle  ne  porte  pas 
de  mention  chronologique  : 

Centenarium  Tibiibuci  quod  Valerius  Vibianus  u(ir) 
p(erfectissimus)  initiari,  Aurelius  Quintianiis  u(ir)  p(er- 
fectissimus)  praeses  prouinciae  Tnpolitanae,  perfici  cu- 
rauit. 

M.  Gauckler  a  supposé  que  cet  Aurelius  Quintianus  était 
le  même  que  le  personnage  qui  en  303  était  à  la  tête  de  la 
Numidie^;  supposition  fort  acceptable.  Mais  cette   consta- 


1.  Bull.  arch.  du  Comité,  1901,  p.  430. 

2.  Gauckler,  Mél.  Perrot,  p.  125. 

3.  Fallu  de  Lessert,  op.  cit.,  II,  p.  313. 


72  R.  GAGNAT 

tation  ne  nous  fixe  aucunement  sur  la  date  où  il  gouvernait 
la  Tripolitaine,  non  plus  que  sur  celle  qu'il  faut  assigner  à  son 
prédécesseur  Valerius  Vibianus.  De  tout  cela  il  n'y  a  rien  à 
tirer  de  certain. 

4°  Mauretanie.  Les  documents  sont  plus  nombreux  et  plus 
précis  pour  la  Mauretanie.  La  Sitifienne  est  mentionnée  pour 
la  première  fois  sur  l'inscription  suivante,  découverte  à  Bou- 
gie, qui  faisait  précisément  partie  de  cette  dernière  province  ^  : 

lunoni  ceterisque  diis  immortalibus  gratiam  referens 
quod  coadiinatis  secum  militibus  dd.  nn.  inuictissimorum 
Augg.  tam  ex p(romncia)  Maur(etania)  Caes(ariensi)  quant 
etiam  de  Sitifensi  adgressiis  Quinquegentianos  rebelles 
[post\  caesos  multos  etiam  et  uiiios  adprehensos  sed  et  prae- 
das  actas  repressa  desperatione  eorum  uictoriam  reportà- 
uerit  Aurel.  Litiia  ii(ir)  p(erfectissimus)  p(raeses) 
M(auretaniae)  Caes(ariensis) . 

Les  deux  Césars  Galère  et  Constance  Chlore  dont  l'avène- 
ment remonte  au  1"  mars  293^,  ne  figurant  pas  sur  cette 
pierre,  il  semble  qu'elle  soit  antérieure  à  293  et  que,  à  cette 
date,  la  Sitifienne  existait  déjà. 

Mais  M.  Poulie,  auquel  on  doit  un  article  excellent  sur  la 
question^,  a  fait  observer  combien  est  «  étrange  de  voir  un 
gouverneur  se  faire  dresser  un  monument  dans  une  ville 
qu'il  n'administre  pas,  qui  ne  relève  pas  de  sa  juridiction. 
Les  Salditains  (habitants  de  Bougie),  pouvaient-ils,  bien 
qu'ayant  été  délivrés  pour  un  instant  des  incursions  des 
Quinquégentiens,  leurs  voisins,  s'associer  à  la  glorification  du 
praeses  de  Mauretanie  Césarienne,  sans  encourir  la  disgrâce 


1.  CI.  L.,  VIII,  8924. 

2.  Sur  cette  date  voir  Goyau,  Chronol.  de  VEmpire  romain,  p.  346  et 
les  sources  qu'il  cite  note  6.  On  croyait  autrefois  que  le  fait  s'était  passé 
en  292. 

3.  Rec.  de  Constantine,  VI  (1862),  p.  169  et  suiv. 


L'AFRIQUE  SOUS  DIOGLÉTIEN  73 

de  celui  de  la  Sitifienne,  quelque  peu  jaloux,  sans  doute, 
de  voir,  sur  la  place  publique  de  Saldae  un  monument  élevé 
en  l'honneur  d'un  collègue  en  possession  d'une  partie  des 
attributions  qui  auraient  dû  être  dans  ses  mains,  sous  peine 
de  le  mettre  dans  un  état  d'infériorité  aux  yeux  des  admi- 
nistrés?... Supposons,  au  contraire,  qu'Aurélius  Litua  a  fait 
son  expédition  avant  la  division  de  la  Maurétanie  Césarienne 
en  deux  provinces,  et  que  cette  division  était  effectuée  lors- 
qu'on élevait  son  monument  sur  la  place  de  Saldae  ;  alors 
toute  contradiction,  toute  anomalie  disparaît  de  notre  ins- 
cription ». 

Donc  au  printemps  de  293  la  campagne  d'Aurelius  Litua 
aurait  été  terminée  et  la  séparation  de  la  Maurétanie  en 
deux  parties  effectuée,  peut-être  déjà  depuis  quelque  temps. 
Mais  un  document  nouveau  est  venu  compliquer  la  question. 
Au  col  de  Kafrida  en  Kabylie,  c'est-à-dire  en  Sitifienne,  on 
a  découvert  en  1880  la  dédicace  d'un  fortin*  : 

Imp(eratoribuii)  Caes(aribiis)  C.  Aur.  Val.  Diocletiano 
et  M.  Aurel.  Val.  Maximiano  Invictis  Piis  Felicibiis  Augg. 
et  Constan[tio]  et  Maximiano  nobilissimis  Caesaribus  T. 
Aurel.  Litua  u(ir) p(erfectissimus)  p(raeses)  M(auretaniae) 
Caes(ariensis)  centenariiim  Aqua  Frigida  restituit  a[tqu]e 
ad  meliorem  faciem  reforma[int  salvis  dd.  nn.  multis  an- 
nis\feliciter  ! 

Cette  fois  nous  sommes  à  une  époque  postérieure  au 
1"  mars  293.  Aurelius  Litua,  gouverneur  de  Césarienne, 
fait  relever  un  fortin  en  Sitifienne.  Ce  n'est  possible  que  si 
la  province  n'est  pas  encore  divisée  ou  si,  dans  cette  pro- 
vince divisée,  il  a  gardé  le  pouvoir  militaire.  M.  Poulie, 
dans  un  second  article  ^,  a  reconnu  tout  de  suite  que  ce  der- 


1.  C.  LL.,  VIII,  20-215. 

2.  Reç,  de  Çonstantine,  XX  (1879-1880),  p.  263. 


74  R.  GAGNAT 

nier  texte  a  dû  être  gravé,  avant  le  précédent,  alors  que  la 
guerre  n'était  pas  finie,  ou  venait  de  l'être  ;  et  comme  il  est,  lui, 
de  la  seconde  partie  de  293  au  plus  tôt,  celui  de  Bougie  doit 
être  placé,  au  plus  tôt  aussi,  à  cette  époque.  Les  choses  étant 
ainsi  réglées,  on  comprend  la  rédaction  de  l'un  et  de  l'autre. 

La  campagne  avait  été  entreprise  avec  les  soldats  des  deux 
empereurs,  puisqu'il  n'y  avait  pas  encore  de  Césars  à  ce  mo- 
ment ;  le  fortin  fut  bâti  ensuite  sous  le  règne  des  mêmes 
empereurs  mais,  cette  fois,  accompagnés  de  leurs  Césars, 
qui  avaient  été  créés  au  cours  de  la  campagne  ;  à  cette  même 
date,  la  Maure tanie  avait  été  divisée,  et  les  troupes  qui  au 
début  de  l'expédition  appartenaient  toutes  à  la  Césarienne 
se  trouvaient,  à  la  fin,  faire  partie  les  unes  de  la  Césarienne, 
les  autres  de  la  Sitifienne.  Cela  revient  à  dire  que  la  sépa- 
ration en  deux  de  la  province  est  contemporaine  de  la  créa- 
tion des  Césars  et  que  les  deux  mesures  se  produisirent  au 
cours  de  l'expédition  d'Aurelius  Litua  contre  les  Quinque- 
gentanei.  On  comprend  que  celui  qui  avait  organisé  et  com- 
mencé la  campagne  comme  chef  de  l'armée  de  Maurétanie 
ait  gardé  jusqu'à  la  fin  le  titre  et  les  pouvoirs  qu'il  avait 
reçus  précédemment  pour  combattre  le  soulèvement  des  in- 
digènes. Pendant  quelques  mois  après  leur  séparation  théo- 
rique, les  deux  provinces  restèrent  encore  réunies  sous  un 
même  commandant  militaire,  l'administration  civile  de  cha- 
cune étant  déjà  distincte. 

Ceci  est  d'ailleurs  entièrement  d'accord  avec  les  textes  d'Eu- 
trope  et  d'Orose,  son  compilateur,  qui  font  allusion  à  ces 
événements  : 

Eutrope,  IX,  22  :  Ita  cum  per  omnem  orbem  terrarum 
res  turbatae  essent,  Carausius  in  Britanniis  rebellaret,  Achil- 
leus  in  Aegypto,  Africam  Quinquegentiani  infestarent... 
Diocletianiis  Maximianus  Herculium  ex  Caesare  fecit  Au^ 
gustum,  Constantium  et  Maximianum  Caesares. 


L'AFRIQUE  SOUS  DIOGLÉTIEN  75 

Orose,  VII,  25,  4  :  Igitur  per  omnes  romani  imperii  fines 
subitariim  turbationum  fragores  concrepuerunt,  Carausio 
in  Britanniis  rebellante^  Achilleo  in  Aegypto,  cum  et  Afri- 
cam  Qidnquegentiani  infestarent...  Hoc  periculo  Diocle- 
tianus  permotiis  Maximianum  Rerculium  ex  Caesare  fecit 
Aiigustum,  Constantium  uero  et  Maximianum  Galerium 
Caesare  s  legit. 

Il  semble  donc  bien  que  la  province  de  Sitifienne  fut 
constituée  en  293.  C'est  par  l'Ouest  que  Dioclétien  com- 
mença le  démembrement  des  provinces  Africaines.  La  réor- 
ganisation était  achevée  en  295  ou  296. 


Franz  CUMONT 

ADAMAS 
GÉNIE  MANICHÉEN 


I 


ADAMAS 
GÉNIE  MANICHÉEN 

Par  Franz  Gumont 


Les  philologues  ont  souvent  pris  le  Pirée  pour  un  homme 
en  prétendant  expliquer  comme  un  mot  du  vocabulaire 
commun  quelque  nom  propre  inconnu.  C'est  ainsi  qu'on  a 
mal  compris  et  corrigé  à  tort  un  passage  de  saint  Augustin 
sur  les  héros  fabuleux  que  Mâni  faisait  intervenir  dans  sa  cos- 
mogonie fantastique.  Au  cours  de  sa  polémique  véhémente 
contre  la  secte,  dont  il  avait  lui-même  été  un  adepte,  l'évêque 
pour  prouver  l'extravagance  de  la  mythologie  manichéenne, 
résume  le  contenu  d'un  cantique*  traduit  en  latin.  Je  repro- 
duis le  texte  du  Contra  Faustum  d'après  l'édition  critique 
qu'en  a  donnée  récemment  M.  Zycha^  : 

«  Itane  tu  facie  ad  faciem  vidisti  regnantem  regem 
sceptrigerum  floreis  coronis  cinctum  et  deorum  agmina 
et  Splenditenentem  magnum,  sex  vultus  et  ora  ferentem, 
micantem  lumine,  et  alterum  regem  honoris  angelorum 
exercitibus  circumdatum  et  alterum  adamantem  heroam 
belligerum    dextra    hastam  tenentem    et   sinistra    clipeum 


4.  Contra  Faustum,  XV,  5  «  canticum  amatorium  »  (p.  425,  1.  4  ss. 
Zycha);  cf.  423,  15  :  «  per  ora  deceptorum  cantat  ». 
'  2.  Contra  Faustum,  XV,  6  j  p.  428,  9  ss. 


80  FRANZ  GUMONT 

et  alterum  gloriosum  regem  très  rotas  inpellentem  ignis 
aquae  et  venti,  et  maximum  Atlantem  mundum  ferentem 
humeris  et  eum  genu  flexo  brachiis  utrimque  secus  fulcien- 
tem  ?  » 

Beausobre,  à  qui  il  faut  toujours  remonter  quand  on  parle 
du  manichéisme,  commente  en  ces  termes  la  phrase  relative 
au  «  héros  belliqueux^»:  Le  troisième  Éon  dont  il  est  parlé 
dans  ce  cantique  est  un  vaillant  guerrier,  qui  tient  une  lance 
dans  la  main  droite  et  un  bouclier  dans  la  main  gauche  et 
qui  a  pour  titre  le  «  héros  de  diamant  »,  c'est-à-dire  sans 
doute  l'invulnérable  et  l'invincible-.  Le  vieil  historien  sem- 
ble donc  avoir  regardé  adamantem,  comme  une  apposition 
à  heroam.  La  construction  serait  insolite,  et  l'on  s'atten- 
drait à  trouver  un  adjectif.  Aussi,  celui-ci  a-t-il  été  intro- 
duit dans  le  texte  par  Fliigel,  qui  adoptant  l'opinion  de 
Beausobre,  parle  d'un  adamanteus  héros  belliger'^.  Je  ne 
sache  pas  que  personne  s'en  soit  occupé  depuis. 

L'erreur  commise  par  les  exégètes  de  saint  Augustin  ap- 
paraîtra immédiatement  si  Ton  rapproche  du  morceau  que 
nous  citions  un  passage  d'un  auteur  syriaque  récemment 
publié*.  Théodore  bar  Khôni,  évêque  de  Kashkar,  qui  écri- 
vait au  vii^  siècle,  a  inséré  dans  son  livre  des  Scholies,  un 
chapitre  sur  1'  «  enseignement  impur  de  Manès  »  qui  est 
l'exposé  le  plus  précieux  que  nous  possédions  de  la  cos- 
mogonie manichéenne.  Racontant  la  lutte  des  puissances 
célestes  contre  les  Ténèbres,  le  compilateur  syrien  dit  que 
l'Esprit  Vivant    créa    cinq    fils   pour   le    soutenir    dans    le 


1.  Histoire  du  Manichéisme,  t.  II,  p.  647. 

2.  La  suite  de  l'explication  de  Beausobre  est  inexacte.  Le  héros  de 
diamant,  n'est  pas  ainsi  qu'il  le  croît,  1'  «  Esprit  vivant  »,  comme  on  le 
verra  par  le  passage  de  Théodore  bar  Khôni  cité  plus  bas. 

3.  Flugel,  Mâni,  4862,  p.  244. 

4.  Pognon,  Inscriptions  mandaïtes  des  coupes  de  Khouabir,  Paris, 
4898,  p.  484  sqq. 


ADAMAS  GÉNIE  MANICHÉEN  81 

combat  *  :  «  Il  fit  sortir  l'Ornement  de  Lumière  de  son  intelli- 
gence, le  grand  Roi  d'Honneur  de  sa  science,  Adamos- 
Lumière  de  son  raisonnement,  le  Roi  de  Gloire  de  sa  pensée 
et  le  Porteur  de  sa  réflexion.  » 

Qui  ne  voit  immédiatement  que  ces  cinq  personnages  my- 
thiques sont  précisément  ceux  dont  saint  Augustin  énumère 
les  noms  latins  à  la  suite  du  premier  roi,  couronné  de  fleurs, 
—  le  Stéphanophore  des  sources  grecques?  L'Ornement  de 
Lumière  est  le  Splenditenens^  qui  sera  chargé  de  tenir  sus- 
pendus les  cieux,  le  Roi  d'honneur  d'une  part  (malkâ  cTiqârâ) 
et  le  Rex  honoris  de  l'autre  sont  des  équivalents  exacts,  de 
même  que  le  Roi  de  Gloire  (melek  subha)  et  le  gloriosus 
Rex,  qui  fait  mouvoir  les  trois  roues  du  feu,  de  l'eau  et  du 
vent,  et  le  Porteur  qui,  Théodore  nous  l'apprend  plus  loin  (p. 
188-189),  «  agenouillé  sur  un  de  ses  genoux  soutiendra  les 
terres  »,  est  celui  que  saint  Augustin  appelle  Atlas,  grécisant 
ainsi  son  nom^ 

Enfin  le  troisième  fils  de  l'Esprit  Vivant  n'est  plus,  com- 
me dans  les  éditions  du  Contra  Faustum,  un  vague  «  héros 
diamant  »,  mais,  ainsi  que  ses  frères,  un  personnage  qui  a  un 
état  civil  et  porte  un  nom  :  «  Adamos-Lumière  » .  Nous  voyons 
ce  héros,  intervenir  dans  la  lutte  primitive  pour  détruire 
une  «  bête  horrible  »,  née  du  péché,  à  peu  près  comme 
saint  Georges  tue  le  dragon  :  «  Adamos-Lumière  fut  envoyé 
contre  elle...  il  la  renversa  sur  le  dos,  la  frappa  au  cœur  de  sa 
lance,  poussa  son  bouclier  sur  sa  bouche,  plaça  un  de  ses 
pieds  sur  ses  cuisses  et  l'autre  sur  sa  poitrine^  » .  C'est  bien,  on 


i.  Texte  p.  428  ;  trad.  Pognon,  p.  487.  Cf.  mes  Recherches  sur  le  mani- 
chéisme, I  (Bruxelles,  4908),  p.  22,  où  j'ai  modifié  quelque  peu  cette  tra- 
duction. 

2.  J'ai  parlé  de  cet  Atlas  Manichéen,  Revue  d'hist.  et  litt.  rclig.,  XII, 
4907,  p.  443  ss.=  Recherches,  p.  69  ss. 

3.  Sur  cette  traduction,  cf.  Recherches,  p.  39  n.  3. 

6 


82  FRANZ  GUMONT 

le  voit,  le  héros  helliger  dextra  hastam  tenentem  et  sinis- 
tra  clipeum,  que  dépeint  saint  Augustin. 

La  concordance  parfaite  qui  rapproche  les  récits  de  l'évê- 
que  oriental  et  de  l'évêque  africain,  si  éloignés  l'un  de  l'au- 
tre, garantit  leur  fidélité  à  l'égard  de  la  source  commune  où 
ils  ont  puisé.  Ils  diffèrent  cependant  par  un  détail.  Le  syria- 
que donne  la  forme  «  Adamos  »,  où  le  latin  porte  «  Ada- 
mas  ».  Il  est  possible  que  Théodore,  se  servant  de  l'idiome 
où  Mâni  lui-même  avait  écrit  \  ait  conservé  l'orthographe 
de  celui-ci.  Les  Grecs,  comme  ils  l'ont  fait  souvent, 
auraient  alors  altéré  légèrement  le  nom  du  génie  barbare 
pour  lui  donner  un  sens  dans  leur  langue.  Mais,  d'autre  part, 
Adamos  n'est  pas  un  nom  d'apparence  syriaque  et  il  semble 
que  Mâni  l'ait  emprunté,  comme  d'autres,  aux  gnostiques, 
mais  en  le  déformant.  Les  Barbélo-gnostiques  appelaient 
r  «  homme  parfait  et  véritable  »  Adamas  {Adamantem , 
'ASa(jLavTa)  parce  qu'il  n'a  pas  été  dompté,  ni  lui  ni  aucun 
de  ceux  dont  il  est  issu^  Nous  trouvons  ici  le  nom  sémitique 
de  l'homme  interprété  par  le  àBaixacioç^  Les  Naasséniens 
aussi,  tout  comme  le  faisaient  les  Manichéens,  chantaient 
dans  leurs  hymnes  Adamas,  qui  était  pour  eux  l'Homme  cé- 
leste, être  androgyne,  premier  principe  de  toutes  choses*. 

Quelle  que  soit  son  origine,  le  guerrier  que  décrit  saint 
Augustin  d'après  les  livres  de  Mâni,  n'est  certainement  pas, 
nous  pouvons  maintenant  l'affirmer,  un  «  héros  de  diamant  », 
et  il  faudra  imprimer  désormais  dans  les  éditions  du  Con- 
tra Faustum  «  Adamantem  »  avec  une  majuscule 


1.  Titus  Bostr.,  Contra  Manich.,  l,  il  :  Tf)  Supwv  cpwv^  x^poj[i.£vo;. 

2.  Iren.,  Adv.  Haeres.,  I,  29. 

3.  Hilgenfeld,  Ketzergesch.  des  Vrchristentums,  p.  232,  238. 

4.  Hippolyte,  Philosoph.,  V,  1.  —  La  forme  du   nom    est    'ASaaaç, 
[JLavTo;. 


A.  CUNY 


LATIN    «  EXPLORARE  » 


LATIN  «  EXPLORARE  » 

Par  A.  GuNY. 


On  a  souvent  signalé  l'intérêt  que  présente  dans  chaque 
langue  l'étude  des  termes  techniques  empruntés  aux  diffé- 
rents métiers  et  des  évolutions  que  subissent  ces  termes  en 
passant  du  cercle  étroit  où  ils  sont  nés  aux  autres  profes- 
sions ou  dans  le  vocabulaire  général  de  la  langue.  (A  ce  sujet 
voir  en  dernier  lieu,  A.  Meillet,  Comment  les  mots  chan- 
gent de  sens,  Année  sociologique,  1906,  p.  1  et  suiv.,  et 
M.  Grammont,  dans  le  programme  qu'il  a  tracé  pour  la 
section  de  linguistique  au  Congrès  des  Sociétés  Savantes  à 
Montpellier.  1907)^ 

C'est  une  étude  de  ce  genre  que  l'on  voudrait  tenter  ici 
pour  le  latin  «  explôrâre  »  et  les  mots  qui  en  sont  dérivés. 


I 


La  seule  étymologie  qui  ait  été  proposée  pour  expliquer 
explôrâre  »  est  celle  de  M.  Bréal  dans  son  «  Essai  de  se- 


1.  Quatrième  sujet  proposé  :  Étude  sur  les  changements  sémantiques 
des  mots  empruntés  par  un  métier  à  un  autre,  par  un  milieu  social  à 
un  autre,  par  un  village  à  un  autre,  par  une  langue  aune  autre. 


86  A.  CUNY 

mantique  ».  L'auteur  y  voit  un  composé  de  plôrâre  «  être 
dans  les  larmes  »,  et  pour  lui,  «  explôrâre  »  aurait  eu 
d'abord  le  sens  de  l'allemand  erweinen  «  obtenir  par  ses 
larmes  »,  puis  celui  «  d'obtenir  des  renseignements  de  cette 
manière  ou  d'une  autre  »,  enfin  celui  «  de  se  renseigner» 
d'une  façon  générale.  On  voit  que  cette  explication  ^  suppose 
une  très  longue  évolution  sémantique  que  n'a  du  reste  pas 
accomplie  le  vrai  composé  de  plôrâre,  explôrâre,  car 
dans  le  seul  texte  où  il  soit  attesté,  il  a  nettement 
le  sens  de  «  éclater  en  sanglots,  en  larmes,  en  gémisse- 
ments ». 

gémit,  explorât,  turbam  omnem  concitat. 

Ce  passage,  où  le  contexte  établit  le  sens  de  façon  indubi- 
table, est  rapporté  par  Festus,  et  les  lexicographes  l'attribuent 
généralement  à  Yarron.  Du  reste  ce  mot  de  la  langue  archaï- 
que n'a  pas  vécu,  et  les  anciens  le  confondaient  avec  l'au- 
tre «  explôrâre  »  comme  le  prouve  la  glose  de  Festus 
(Festus,  éd.  ïhewrewk  de  Ponor,  Budapest  1889,  s.  v.  ex- 
plôrâre, p.  56):  (c  Explôrâre  antiquos  pro  exclamare  usos, 
sed  postea  prospicere  et  certum  cognoscere  coepit  signifî- 
care.  Itaque  speculatur  ab  exploratore  hoc  differt,  quod 
speculator  hostilia  silentio  perspicit,  explorator  pacata  cla- 
more  cognoscit.  »  La  distinction  est  puérile  et  inventée  pour 
les  besoins  de  la  cause  ainsi  qu'on  le  verra  par  les  citations 
qui  suivent,  car  explôrâtor,  bien  plus  souvent  encore  que 

i.  On  la  trouve  déjà  presque  sous  la  même  forme  dans  la  3^  édition  du 
Dictionnaire  étymologique  latin  (1891)  de  MM.  Bréal  et  Bailly  (v.  p. 
272).  Là  il  est  cité  un  texte  où  plôrâre  a  un  sens  judiciaire,  et  il  est  af- 
firmé que  explôrâre  est  un  mot  de  la  langue  judiciaire  où  il  aurait  le  sens  de 
faire  une  enquête.  Mais  c'est  une  affirmation  purement  gratuite,  car  on 
ne  trouve  pas  un  seul  texte  où  explôrâre  ait  ce  sens,  ni  chez  Forcellini, 
ni  chez  Freund,  ni  dans  le  Wôrterbuch  de  Georges  (le  Thésaurus  n'existe 
pas  encore  pour  ce  mot).  Aucun  de  ces  dictionnaires  ne  signale  même 
la  possibilité  d'un  tel  sens  pour  le  mot  explôrâre. 


LATIN  «  EXPLORARE  »  87 

speculâtor  (qui  signifie  plutôt  «  espion,,  mouchard  »),  désigne 
le  soldat  que  l'on  envoie  en  éclaireiir  pour  reconnaître  la 
position,  les  forces  et  les  plans  de  l'ennemi.  C'est  qu'en  effet 
explôrâre,  explôrâtor,  etc.,  sont  avant  tout  des  termes 
techniques  eva^T\xï\ié?>k  la  langue  militaire.  Pour  le  prouver, 
il  suffira  de  montrer  le  sens  qu'ont  ces  mots  dans  les  auteurs 
du  genre,  ou  dans  les  ouvrages  plus  spécialement  militaires 
des  auteurs  qui  ont  écrit  dans  des  genres  différents. 

Explôrâre,  explôrâtor,  etc..  se  rencontrent  malheureu- 
sement très  peu  chez  les  plus  vieux  auteurs.  Pourtant  ils 
y  existent,  et  leur  emploi  est  encore  très  significatif.  Ennius 
qui,  dans  les  Annales,  peut  à  bon  droit  être  regardé  comme  un 
auteur  militaire,  le  présente  une  fois  (A.  224,  éd.  Vahlen)  : 

Explorant  Numidae  totum  :  qicatit  iingula  terram. 

Il  n'y  a  pas  de  doute  ici:  il  s'agit  bien  d'une  reconnaissance 
de    cavalerie.   Cf.   l'imitation  de  Virgile  (^jEn.  VIII,  596)  : 

Qiiadrupedante  putrem  sonitu  quatit  ungulâ  campum. 

Au  contraire.  Plante  ne  présente  le  mot  qu'au  figuré,  ce 
qui  n'a  pas  lieu  d'étonner  étant  donné  le  genre  qu'il  cultive  : 

Pseiidolus  V.  1167  : 

Exploratorem  hune  faciamus  ludo  suppositiciiim. 

On  traduit:  «  Amusons-nous  aux  dépens  de  cet  émis- 
saire (?)  de  contrebande  ».  —  Le  verbe  explôrâre  se  rencon- 
tre dans  un  autre  passage  de  Plante  : 

Captiui  V.    643  : 

Quin  exploratum  dico  et  promissum  hoc  tibi, 

passage  dans  lequel  le  participe  explôrâtus  a  déjà  le 
sens  abstrait  de  «  certain,  assuré  »  qu'il  affecte  le  plus 
souvent  chez  Cicéron. 


88  A.  CUNY 

Dans  Lucilius  {ap.  Non.  366,  31),  «  explorât o?'  »  a  encore 
un  sens  très  voisin  du  sens  technique  : 

Reriim  explôrâtoremmittam... 

Du  reste,  voici  quel  est  l'emploi  de  ces  mots  chez  César 
et  chez  Gicéron. 

Dans  l'œuvre  de  César,  on  trouve  25  exemples  deexplo- 
ratores  au  sens  de  «  soldats  envoyés  en  reconnaissance  », 
(v.  le  Lexicon  Caesarianum  de  Menge-Preuss,  Leipzig 
1890).  Ce  sont:  de  B.  C.  III,  79,  6  ;  conspicati  in  itinere 
exploratores  (ace.)  Domitii  ;  B.   G.  VII,  35,  1  :   dispositis 

exploratoribus  ;  VIT,  61,  1  :  exploratores  hostium oppri- 

muntiir  ;  VI,  10,  3  :  lit  crebros  exploratores  in  Suebos  mit- 
tant  ;  II,  17,  1  :  exploratores  centitrionesqiie  prae3Iittit  qui 
locuni  idoneum  castris  deligant  (passage  caractéristique)  ; 
I,  12,  2  :  ubi  per  exploratores  Caesar  certior  factus  est  ; 
III,  2,  1  :  subito  per  exploratores  certior  factus  est  \  IV,  4, 
*  ^'.  de  Germanorum  discessu  per  exploratores  certiores  facti 
{Menapiî)  ;  B.  C.  III,  41,  4  :  postea  per  exploratores  certior 
factus  ;  B.  G.  VII,  44,  3  :  per  exploratores  cognouerat  ; 
.  IV,  19,  2  :  posteaquam  per  exploratores..,  comperissent; 
VI,  7,  9,  haec  quoque  per  exploratores...  ad  hostes  deferun- 
tur  ;  VII,  11,8:  qua  re  per  exploratores  nuntiata  ;  I,  21, 
\\  ab  exploratoribus  certior  factus  \  I,  41,  5:  ab  explorato- 
ribus certior  factus  es^  ;  II,  5,  4  :  aô  exploratoribus  quos 
miserai .... .,  cognouit  ;  II,  11,  3:  confirmatà  re  ab  explorato- 
ribus \  I,  21,  4:  P.  CoTisidius...,  cum  exploratoinbus  prae- 
MiTTiTUR  (à  la  tête  d'une  reconnaissance)  ;  VI,  29,  1  :  per 
Vbios  exploratores  ;  B.  C.  III,  66,  1  :  animaduersum  est  a 
speculatoribus^  Caesaris  cohortes  quasdam...  esse  post  sil- 
uam  ;  B.  G.  II,  17,  1  exploratores  Çdeligere),  etc.. 

i.  On  verra  plus  loin  que  César  se  sert  très  rarement  de  spccuLîtor. 


LATIN  «  EXPLORARE  »  89 

Chez  Cicéron  au  contraire,  le  mot  explôràtor  ne  se  ren- 
contre pas,  même  au  sens  figuré  (d'après  les  lexiques  de  Mer- 
guet). 

Quant  au  verbe  explôrâre  chez  César,  la  moitié  au  moins 
des  exemples  le  présente  au  sens  de  l'allemand  rekognoszie- 
ren  «  faire  une  reconnaissance  militaire  » . 

Voici  ces  exemples  :  5.  C  II,  24,  2  :  ipse  cvm  eqvitatv 
ANTECEDiT  ad  ccistra  exploranda  (très  voisin  du  sens  originel)  ; 
B.  G.  V,  50,  3:  exploratis  itineribus  (sens  propre)  ;  B.  C. 
III,  38,  2;  EQViTYM  magîiam  partem  ad  explorandum  iter 
Domitii  et  cognoscendum  praemisit  (sens  propre)  ;  I,  66,  3  : 
postera  die  Petreius  cvm  pavcis  eqvitibvs  occulte  ad  explo- 
randa loca  proficiscitur  (sens  propre)  ;  I,  81,  1  :  neque  ad 
explorandum  locum  idoneum  castris...  data  facultate  (très 
voisin)  ;  II,  2o,  1  :  hoc  explorato  loco  (sens  technique)  ;  B. 
G.  VI,  33,  5  :  exploratisque  hostium  rationihus  (ayant  pé- 
nétré, grâce  à  ses  éclaireurs,  les  plans  de  l'ennemi)  ;  B.  C. 

I,  68,  1  :  exploratis  regionihus  (sens  originel)  ;  B.  G.  IV, 
21,  2  :  exploratis  omnibus  rébus  (ici  le  sens  figuré  est  pos- 
sible). —  En  effet,  exploratus  au  sens  figuré  de  «  certain, 
assuré  »  se  rencontre  quelquefois  :  z6.  VI,  5,  3  :  quod  pro 
explorato  habebat  \  III,  18,  8  :  ut  explorata  uictoria  ;  V, 
43,  3  :  sicuti parta  iam  atque  explorata  uictoria  ;  VII,  15, 
2  :  prope  explorata  uictoria  ;  VII,  20,  7  :  quae  (uictoria^  iam 
esset  sibi  atque  omnibus  Gallis  explorata  ;  VII,  52,  2  :  cum 
sine  duce  et  sine  equitatu  exploratam  uictoriam  dimisisset. 
De  même  B.  C.  II,  31,  5  :  quod  si  iam...  haec  explorata 
habeamus  quae  de  exercitus  alienatione  dicuntur  ;  B.  G. 

II,  4,  4  :  de  numéro  eorum  omnia  se  habere  explorata 
Bemi  dicebant  (pourtant  ici  on  est  encore  tout  près  du  sens 
technique,  car  c'est  évidemment  par  des  éclaireurs  que 
les  Bemi  avaient  leurs  renseignements).  Cf.  encore  VI,  32, 
2  :   explorata  re.  Enfin,  le  sens  figuré  est  complètement  dé- 


90  A.  CUNY 

veloppé  dans  le  fr.  143,  7  :  de  explorato  et  uitae  meae 
testimonio  et  amicitiae  iiidicio.  —  Au  contraire,  c'est  encore 
nettement  le  sens  technique  que  l'on  lit  sous  V,  49,  8  :  inté- 
rim speculatoribiis  in  omnes  partes  dimissis  explorât  quo 
commodissime  itinere  ualles  transireposset,  tandis  que  le  sens 
figuré  perce  seulement  dans  les  passages  : 

V,  53,  4  :  omnes  fer e  Galliae  ciuitates....  quid  reliqui 
consilii  caperent  atqiie  unde  initiion  belli  foret  explora- 
bant\  YII,  45,  4:  neque,  tanto  spatio,  certi  quid  esset 
explorari  poterat  ;  en  effet,  l'idée  de  «  reconnaissances  mi- 
litaires »  n'est  pas  étrangère  à  l'esprit  de  ces  passages. 

Chez  César  donc,  le  verbe  explôrâre  et  son  dérivé  ex- 
plôrâtor  présentent  la  plupart  du  temps  le  sens  technique 
de  «  faire  une  reconnaissance  militaire  »  ou  de  «  soldat  en- 
voyé en  éclaireur  »  (Les  lexiques  ne  signalent  pas  d'autres 
dérivés  chez  César.  Le  participe  en  -tus  seul  manifeste  une 
assez  forte  tendance  vers  un  sens  général  et  abstrait). 

Opposons  encore  une  fois  Cicéron  à  César. 

Chez  le  premier,  explôrâre  et  les  mots  de  la  famille  ne  sont 
usités  qu'au  figuré.  Tel  est  l'adverbe  explôrâtè  «pertinem- 
ment, sûrement  » ,  qui  ne  se  rencontre  guère  que  chez  Cicéron , 
p.  ex.  ad  G.  fr.  2,  15,  b  :  Haec  ita  sentio,  iudico,  ad  te 
explorate  scribo  ;de  N.  D.  i,  i  :  res  satis  explorate percepta 
et  cognita  ;  ad  Fam.  i  6,  8  :  Neue  nauiges  nisi  explorate  (ici 
pourtant  on  est  encore  tout  près  du  sens  primitif  :  explorate 
supplée  à  "^percontatef^m  semble  ne  pas  avoir  existé)  ;  Plane, 
ad  Coss.  {ad  Fam.  10,  8)  :  non  solum  bene  sperare...  sed 
explorate  (en  toute  connaissance  de  cause)  iudicare  uolumus  ; 
ad  Fam.  6,  1  :  cum...  exploratius  possem  promittere,  etc. . . 
(en  tout  10  exemples  dans  les  discours). 

De  même  le  participe  explôrâtus.  Ainsi  Tusc,  V,  9  :  sum- 
mum bonum  firma  corporis  affectione  explorataque  spe 
contineri  ;  de  N.  D.  I,  19  :  Deus  habet  exploratum  (est  tout 


LATIN  «  EXPLORARE  »  9! 

à  fait  certain)  fore  se  semper  in  aeternis  uoluptatibus  ; 
ad  Fam.  2,  16:  de  quo  ?nihi  exploratum  est  ita  esse  ut  scri- 
bis  ;  ad  Quirit.  6  ;  cum  mihi  esset  exploratissimum  (absolu- 
ment certain)  ;  Acad.  2,  17:  cui  possit  exploratum  esse  de 
sua  sanitute?  ;  ad  Att.  3,  15  :  fac  ut  omnia  ad  me  perspecta 
et  explorata  perscribas  {perspecta  assure  pour  explorata  un 
sens  encore  peu  éloigné  de  la  signification  primitive);  pro 
Murena  24  :  ut  ei  iam  exploratus  et  domi  conditus  consu- 
latus  uideretur  (ici  au  contraire  le  sens  est  purement  abs- 
trait) ;  ad  Brut.  1,  17  :  quid  mihi  exploratius  esse  potest 
quam  illius  animus  in  rempublicam?  ;  ad  Att.  3,  17  :  lite- 
ras...  exploratas  a  timoré  c'est-à-dire  «  lettres  qui  donnent 
la  sécurité  ». 

Pour  le  verbe  proprement  dit  voici  quelques  exemples  : 
ad  Att.  6,  8  :  Explora  rem.  totam  ut...  consiliiim  capere 
possimus  ;  in  Verrem  II,  5,  17:  prospectare  exsilium  atqiie 
explorare  fugam  domini  uidebatur  (sens  encore  voisin  de 
l'origine  :  «  préparer  sa  fuite  de  manière  à  écarter  tout  dan- 
ger » .  pro  Manilio  1 2  :  Nondum  tempestiuo  ad  nauigan- 
dum  mari  Sicilium  adiit,  Africam  explorauit  (sans  doute 
=  per  exploratores  tentauit).  On  voit  que  même  chez  Cicé- 
ron  (comme  c'est  le  cas  chez  César),  c'est  le  verbe  fini  qui 
conserve  le  mieux  le  sens  technique  et  concret.  Ceci  tient 
probablement  à  ce  que  la  dérivation  en  général  est  un  che- 
min qui  mène  insensiblement  à  l'abstraction.  Cf.  acceptus 
((  agréable  »  et  autres  exemples  connus  ^ 

L'opposition  qui  se  manifeste  ainsi,  pour  les  sens  de  explo- 
rare et  de  ses  dérivés,  entre  César  et  Cicéron,  est  tout  aussi 
apparente  entre  les  deux  ouvrages  de  Salluste  dont  l'un,  le 
Jugurtha,  traite  essentiellement  de  sujets  militaires,  tandis 


4.  Cette  idée  a  déjà  été  exprimée,  en  particulier  par  A.   Darmesteter 
dans  la  Yie  des  mots. 


I 


92  A.  CUNY 

que  l'autre  roule  avant  tout  sur  des  questions  de  poli- 
tique intérieure.  Voici  en  effet  les  résultats  qu'a  donnés  un 
dépouillement  complet  du  Jiigiirtha  et  du  Catilina  à  ce  point 
de  vue.  Dans  le  Jugiirtha  il  y  a  11  exemples  de  explôràre, 
etc.,  et  2  seulement  dans  le  Catilina.  Ces  exemples  sont  : 
De  B.  Iiig.  XXXV,  5  :  Bomilcar  mature  régis  mandata 
exsequitur  et  per  uomines  talts  negoti  artifices  itinera 
egressusqiie  eiiis,  postremo  loca  atqiie  tempora  cuncta  ex- 
plorât (on  ne  saurait  donner  une  meilleure  définition  du 
sens  de  exploràré)  ;  XLVI,  6  :  Neque  Metellus  idcirco  minus, 
sed  PARiTER  AC  SI  HOSTES  ADESSENT,  muuito  agmine  incedere, 
late  explôrâre  omnia  ;  aussi,  résultat  constaté  par  les  Nu- 
mides eux-mêmes  (XLVIII,  1  :  ager  hostibus  cognitus);  ib.  2  : 
igitur  explorato  hostium  itinere  ;  LUI,  7:  (les  deux  frac- 
tions des  Romains  en  seraient  venues  aux  mains)  ni  utrim- 
que  PRAEMissi  EQviTEs  rem  explorauissent  (ici  on  peut  dire 
que  le  sens  est  à  mi-chemin  entre  le  propre  et  le  figuré)  ; 
LIV,  2:  Tamen  eVi^mm  transfvgas  et  alios  opportvnos... 
lugurtha  uhi  gentium  aut  quid  agitaret,  cum  paucisne 
esset  an  exercitum  haberet,  ut  sese  uictus  gérer  et...  explo- 
RATVM  misit  (les  détails  énumérés  montrent  nettement  le 
sens  technique  du  verbe  :  tout  cela  ne  pouvait  se  savoir  que 
par  des  espions,  des  éclaireurs.  Remarquer  l'emploi  absolu 
du  mot)  ;  LXXXVIII,  2  :  Marins  impigre  prudent er que  suo- 
rum  et  hostium  res  pariter  attendere,  cognoscere  quid  boni 
utrisque  aut  contra  esset,  explorare  itinera  regum  ...(il 
faisait  épier  leurs  allées  et  venues  par  ses  éclaireurs)  ;  ib.  6  : 
Id  simulaueritne  {Bocchus),  quo  improuisus  grauior  acci- 
deret,  an  mobilitate  ingeni  pacem  atque  bellum  mutare 
solitus,  parum  exploratum  est  (emploi  absolu,  mais  en  un 
sens  déjà  figuré  grâce  au  participe  en  -tus  =  parum  comperi- 
mus  de  XGIII,  1)  ;  XG,  1  :  Igitur  consul  omnibus  explora- 
tis...  satis  prouid enter  exornat  {^paraf).,  sens  technique; 


LATIN  «  EXPLORA  RE  »  93 

GXIII,  5  ;  exploratis  omnibus  quae  mox  usuifore  ducebat... 
(il  s'agit  ici  du  Ligure  grâce  auquel  Marius  prit  la  forteresse 
de  la  Moulouïa);  G,  3:  Perfugae  miniime  cari  et  REGio^yyi 
sciENTissvMi  hostium  iter  explorabant  (passage  significatif)  ; 
GV,  5  :  Intérim  eqvites  exploratum  praemissi  rem  uti  erat 
qiiietam  nuntiant  (excellent  exemple  à  cause  de  l'emploi 
absolu  de  exploratunî). 

Quatre  fois  seulement  dans  le  Jugurtha,  Salluste  s'est  servi 
de  speculâtor  ou  speculâri:  cf.  GI,  1  et  GVI,  2  où  on  lit:  ex 
speculatoribus  ;  G  VII,  3  :  lugurthae,  cui  videlicet  speculanti, 
iter  siiom  (celui  de  Volux)  cognitum  esset  (on  voit  par  là  que 
specidârl  est  péjoratif  par  rapport  à  explôrâre  ;  il  veut  dire  : 
espionner,  moucharder).  De  même  dans  le  passage  G VIII, 
i  :  Ibi  cum  BoccJio  Nmnida  quidam,  Aspar  no?nine,  mul- 
tum  et  familiariter  agebat,  praemissvs  ab  lugurtha,  post- 
quam  Sullam  accitum  audierat,  oratoret  subdole  specvlatvm 
Bocchi  consilia  (l'adverbe  subdole  souligne  l'indignité  du 
rôle  que  joue  le  speculâtor  de  Jugurtha).  Une  fois  égale- 
ment chez  Gésar,  on  rencontre  speculârl  et  il  a  le  même  sens 
de  «  moucharder  ».  G'est:  de  B.  G.  I,  47,  6  :  an  speculandi 
causa  {iienirent).  Quant  à  speculâtor,  Gésar  l'emploie  lui 
aussi  très  peu,  mais  le  mot  n'a  pas  chez  cet  auteur  de  nuance 
de  sens  appréciable.  Les  3  exemples  sont  :  de  B.  C.  III,  67, 
1  :  speculatores  Caesari  renuntiarwit  ;  B.  G.  V,  49, 8  :  specu- 
latoribus  in  omnes partes  dimissis  (^déjk  cité);  et  II,  11,  2  : 
hac  re  statim  Caesar  per  speculatores  cognita.  De  plus 
Gésar  présente  une  fois  l'adjectif  speculatorius  {explorato- 
rius  ne  pouvait  sans  doute  encore,  pas  s'écrire).  G'est  :  de 
B.  G.  IV,  26,  4  :  speculatoria  nauigia  militibus  compleri 
îiissit.  Gf.  Végèce  Mil.  IV,  3,  7  :  scaphae....  exploratoriae. 

En  regard  des  11  exemples  du  Jugurtha  on  ne  trouve,  on 
l'a  dit,  que  2  fois  explôrâre  dans  le  Catilina,  une  fois  dans 
un  sens  qui  est  encore  pour  ainsi  dire  le  sens-  technique. 


94  A.  CUNY 

Les  passages  sont  :  Cat.  XVII,  2  :  Vbi  salis  explorata  sunt 
quae  iioluit,  in  iiniim  omnes  conuocat  (sens  déjà  abstrait, 
mais  remarquer  le  participe),  et  LX,  1  :  sed  ithi,  omnibus 
rébus  exploratis,  Petreius  tuba  signiim  dat  (il  s'agit  ici  d'o- 
pérations militaires).  —  La  plupart  du  temps  Salluste  se 
sert,  dans  le  Catilina,  d'expressions  plus  abstraites  encore  : 
II,  2  compertum  est;  XIV,  7:  compertum  foret  ;  XXII,  1... 
ea  res...  parum  comperta  est  ;  XXIX,  1  :  (Cicero)  quod 
neque...  neqiie  exercitus  Manli  quantus  esset  aut  quo  con- 
silio  foret  satis  compertum  habebat\\Wy \,  2:  haec  ubi 
Romae  comperta  ;  LVIII,  1  :  compertum  ego  habeo,  mili- 
tes... Il  en  ressort  que  pour  Salluste,  à  la  différence  de  Gicé- 
ron,  expioratus  n'est  pas  encore  assez  dépouillé  de  son  sens 
technique  pour  être  un  simple  synonyme  de  compertus, 
certe  cognitus,  etc..  Une  fois  seulement  dans  le  Ca- 
tilina (jamais  dans  le  Jugiirthci)  l'auteur  a  employé  y:)^rco7Z- 
târl.  C'est  dans  le  passage  XL,  2  :  percontatus  paiica  de 
statu  ciuitatis...  Il  est  à  remarquer  dans  le  même  ordre  d'i- 
dées que  percontâri  n'existe  pas  du  tout  chez  César.  En 
revanche  ce  dernier  a  2  exemples  de  percontâtio.  Ce  sont  : 
de  B.  G.  V,  13,  4  :  nihil  de  eo  percontationibus  reperie- 
bamus,  eti,  39,  1  :  ex  percontatione  nostrorum  uocibusque 

Gallorum tantus  timor...  exercitum  occupauit... 

C'est  que  percontàrl  était  un  terme  certainement  moins 
ancien  et  sans  doute  moins  populaire  que  explôràre  et  que 
speculâri.  Il  était  au  contraire  plus  goûté  peut-être  des 
lettrés  à  cause  de  son  origine  grecque  *  :  percontàrl  =  son- 
der à  la  gaffe  le  fond  d'une  rivière,  etc..  de  contus 
emprunté  au  grec  v.o^-ziq.  D'autre  part,  les  termes  de  la 
profession  des  bateliers  étaient  moins  en  vogue  que  ceux  du 

1.  Cf.  ce  que  dit  Horace  dans  l'Épître  aux  Pisons,  vv.  52-53  : 
Et  noua  fictaque  nuper  hahehunt  uerha,  fîdem  si  \  Graeco  fonte  cadant, 
parce  detorta. 


LATIN  «  EXPLORARE  »  95 

métier  militaire  chez  un  peuple  de  soldats  tel  que  les  Ro- 
mains. En  revanche,  Gicéron,  auteur  du  «  cédant  arma 
togae,  »  pensait  sans  doute  qu'un  terme  tel  que  explôrâre 
était  vulgaire  et  sentait  «  son  collet  monté  » .  On  sait  qu'il 
était  l'ennemi  de  l'archaïsme  (v.  le  Brut  us)  aussi  bien  que 
du  militarisme.  —  Il  est  donc  bien  établi  par  tout  cela  que 
le  sens  propre  de  explôrâre  et  des  mots  de  sa  famille  est 
un  sens  technique  emprunté  à  la  vie  des  camps. 

Voici  à  l'appui  quelques  exemples  tirés  d'autres  auteurs  : 
Corn.  Nep.  Annib.,  2:  ad  guem  cum  legati  uenissent  Ro- 
mani qui  de  eius  uoluntate  explorarent (comme  l'auteur 

est  romain  et  qu'il  parle  de  compatriotes,  il  emploie  en  leur 
faveur  un  terme  noble  et  se  garde  d'écrire  specularentur), 
Yerg.  JEn.  IX,  169-170  : 

Alta  tenent,  nec  non  trepidi  formidine  portas  \  Explo- 
rant (sens  déjà  évolué),  mais  dans  ^En.  XI,  512  : 

...  ut  fama  fidem  missique  reportant  \  Exploratores...,\\ 
est  clair  qu'il  s'agit  à^éclairew^s  envoyés  en  reconnaissance. 
Cf.  encore  Georg.  III,  537  :  Nec  lupus  insidias  explorât  oui- 
lia  circum,  où  le  sens  est  encore  très  voisin  de  l'origine  : 
«  le  loup  pousse  autour  du  bercail  une  reconnaissance  dan- 
gereuse pour  les  moutons  qui  y  sont  enfermés  ».  Au  con- 
traire, dans  Georg.  I,  175  :  Et  suspensa  focis  explorât 
robora  fumus,  le  sens  abstrait  (=  tentât,  probat)  est  com- 

plètement  développé. 

I^k    De  même  chez  Ovide  :  Met.  X,  455  : 

^^H   Nutricisque  mauum  laeuâ  tenet  :  altéra  motu 

'^"    Caecum  iter  explorât  (sens  propre),  mais  ^r^  Am.  I,  456  : 

IExploretque  animos  (sens,  figuré),  cf.  en  français  a  sonder 
5s  reins  et  les  cœurs,  sonder  quelqu'un.  » 
Silius  Italicus  présente  un  exemple  tout  à  fait  net  du  sens 
ncien  : 


96  A.  CUNY 

Explorator  eqiies  (la  cavalerie  envoyée  en  reconnaissance). 
D'autres  exemples  de  cet  auteur  présentent  plutôt  un  sens 
figuré:  XI,  216.  pateatne...  urbs...  explôrâre  (ici  le  sens 
propre  peut  très  bien  se  défendre,  mais  sous  V,  60.  ...men- 
tesque  deorum  \  Explorant  super  eiientu  (ils  scrutent  la 
pensée  des  dieux),  et  sous  XI,  356  :  hoc  iugulo  dextram 
explora,  le  sens  général  et  abstrait  est  indéniable. 

Le  continuateur  de  César,  Hirtius  écrit  explôrâre  en  lui 
donnant  un  sens  très  voisin  du  sens  premier  :  de  B.  G.  VIII, 
18  :  explorato  hostium  consilio  (ayant  sondé  les  intentions 
de  l'ennemi). 

Quant  à  Tite-Live,  et  bien  qu'il  ait  très  souvent  à  relater 
des  événements  militaires,  on  sait  qu'en  fait  de  style  il 
avait  les  mêmes  idées  que  Gicéron.  Aussi  emploie-t-il  peu 
explôrâre  et  les  mots  de  la  famille  ou  les  emploie-t-il  sur- 
tout au  sens  abstrait.  Ainsi  42,  13  :  non...  incertis  iactata 
rumoribus...  sed  comperta  et  explorata  (le  contexte  montre 
à  l'évidence  le  sens  abstrait)  ;  22,  8,  4  et  38,  18,  7  :  inexplo- 
rato,  explorato  (les  deux  sens  peuvent  ici  se  défendre). 
Mais  sous  23,  42,  9  :  ante  explorato  et  siibsidiis  positis  et 
sub  signis  ad  populandum  ducebant,  le  mot  explorato  est 
bien  un  terme  technique  qui  signifie  «  après  s'être  éclairé 
par  des  reconnaissances  ».  Sous  37,  7  :  animiim  explorari  est 
figuré,  mais  les  passages  37,  28  :  inde  ex  propinquo  explorans 
quid  hostes  agerent  et  22,  55  :  haec  exploranda  noscenda- 
que  per  impigros  iuuenes  esse  (=  équités  expeditos,  ib.), 
rappellent  assez  vivement  l'emploi  du  même  mot  chez 
César. 

Au  rebours  de  Tite-Live,  Tacite,  on  le  sait,  se  rapproche 
de  Salluste  pour  le  style  et,  par  conséquent,  au  point  de  vue 
qui  nous  occupe,  de  César. 

D'après  le  Lexicon  Taciteum  de  Gerber  (Leipzig,  1903), 
explôrâtor  entendu  au  sens  militaire  se  rencontre  une  dou- 


LATIN  «EXPLORARE»  97 

zaine  de  fois  chez  Tacite,  p.  ex.  Agricola  26  :  Agricola  iter 

stium  ah  exploratoribus  edoctus. 

Quant  au  verbe  explôrâi^e,  le  même  auteur  en  présente  7 
exemples  dont  2  où  le  mot  est  employé  absolument.  De  ces 
7  exemples,  5  ont  le  sens  technique  de  «  sonder  le  terrain, 
battre  la  contrée,  faire  une  reconnaissance  »,  2  seulement 
celui  de  tentâre^.  Le  participe  exploratiis  au  sens  abs- 
trait de /)ro6«/w5  se  rencontre  naturellement  ;  p.  ex.  Agr.  29  : 
fortissimos  et  longa  pace  exploratos  addiderat  (exercitui). 

Le  dérivé  exploratio  accompagné  de  l'épithète  occulta  et 
équivalant  ainsi  à  speculatio  (espionnage)  se  lit  Hist.  3,  54  : 
nec  exploralione  occulta  fallere  Antonium  tentaint,  sed 
mandata  imper atoris...  professas,  lUcuncta  uiseret,  postu- 
lat. «  Il  n'essaya  pas  de  prendre  Antoine  en  défaut  par  un 
espionnage  clandestin,  mais  il  exposa  ouvertement  ses  ordres 
et  demanda  à  tout  inspecter.  »  L'image  est  naturellement  ef- 
facée ici.  Le  passage:  Hist.  2,  49  :  et  explorato  (=  certe  co- 
gnito^iam  profectos  amicos  noctem  qiiietam...  agit  atteste 
encore  inieux  le  sens  purement  abstrait. 

Une  fois  Tacite  emploie  speculalor  dans  le  sens  de  explo- 
rator  :  A.  2,  12  :  suggressi  propiiis  speculatores  aiidiui  fre- 
mitum  equorum...  altulere.  De  même  il  a  une  fois  specu- 
lâri  au  sens  de  explôrâre  :  Hist.  III,  46,  6  :  prima  rerum 
quieti  speculahantur  (Daci)  et  dans  la  suite  :  ubi  flagrare 
Italiam  bello...  accepere.  Une  îois  Siussi  spe eu labundus:  ib. 
4,  50,  13:  Festus  Adrumeto,  ubi  specidabundus  substiterat, 
ad  legionem  contendit.  En  somme,  l'usage  de  Tacite  est  bien 
celui  de  Salluste  et  de  César,  et  le  sens  technique  de  explo- 
rare  prédomine  chez  lui. 

Quinte-Curce  emploie   naturellement  le  mot  explorator 


i.  Ex.  Hist.,  I,  i^  :  scùundae  rês  acrîoribus  sitmuUs  animos  êxplO' 
Tant  (i.  e.  tentant,  probant). 


98  A.  CUNY 

dans  le  même  sens  que  les  autres  auteurs  militaires,  p.  ex. 
3,  13  :  forte  in  exploratores  ah  eo  praemissos  incidit. 

De  même  chez  Suétone,  Tib.  60  :  in  quodam  itinere  lec- 
tica...  vepribus  impedita  exploratorem  uiae...  paene  ad 
necem  uerberauit  (son  guide,  son  «  Pfadfinder  »,  son 
«  scout  »  traduirait-on  volontiers  — sens  tout  à  fait  primitif)  ; 
Calig.  45  :  (coronas)  distinctas  solis  ac  lunae  siderumque 
specie  exploratorias  appellavit  (i.  e.  ad  explorandum  per- 
tinentes), couronnes  décernées  par  Caligula  à  ceux  qui 
l'avaient  accompagné  dans  la  battue  {Erforschung  rendrait 
bien  l'idée)  d'une  forêt  ;  Tib,  18  :  explorasset  uehiculorum 
onera  offre  déjà  un  sens  moins  précis.  Cf.  encore  Pline  6, 
29,  35  :  exploratores  Neronis  renuntiauere  his  modis... 
et  5,  1,  1  :  explorare  ambitum  Africae  iussi  (ayant 
reçu  l'ordre  de  reconnaître  le  pourtour  de  l'Afrique). 
On  a  déjà  mentionné  les  scaphae  exploratoriae  de  Végèce 
{Mil.  4,  3,  7).  Il  faut  enfin  signaler  exploratio  au  sens  tech- 
nique de  (c  reconnaissance  militaire  »  chez  Modestinus  in 
Dig.  49,  16,  3,  4  :  is  qui  exploratione  (lors  d'une  reconnais- 
sance) emanet,  hostibus  insistentibus, capite  puniendus 

est.  Les  autres  auteurs  ne  présentent  guère  ces  mots  qu'au 
figuré.  Ainsi  Columelle,  3,  9:  quidquid  morae  est,  in  explo- 
ratione surculi  absumitur\  \,  8:  panis  potionisque  boni- 
tatem  gustu  sito  exploret.  De  même  Gaïus  in  Dig.  17,  1, 
2,  6  :  quia  liherum  est  cuique  apud  se  explorare  an  expé- 
diât sibi  consilium\  Martial  8,  51,  3-4. 

nec  odit  \ 

Exploratores  nubila  massa  focos  ; 

et,  probablement  à  son  imitation,  Glaudien  {praef.  ad  IJI 
cous.  Honorii)  (il  s'agit  des  petits  d'un  aigle)  : 

1 1  Exploratores  oculis  qui  pertulit  ignés , .... 

13  Nutritur  uolucrumque  potens  et  fulminis  hères. 


LATIN  «  EXPLORARE  »  99 

Cf.  encore  pour  le  sens  abstrait,  Yelleius  Paterculus  2, 
84  :  Longe  antequam  dimicaretur,  exploratissima. . .  fuit 
uictoria  ;  StaceSz^.  3,  5,  44...  fides  tôt  explorata per  iisiis  ; 
Pétrone  Sat.  116:  Cum  diligentius....  exploraremus  qui 
homines  inhabitarent  ;  Lucain  8,  582  :  Exploratefidem.  Pal- 
ladius  VIII,  3,  1  :  Pirus...  locis  umidisnunc  insitame  explo- 
rante (=  experienté)  procesdt  \  Pall.  I,  9:  (solum)  régula 
exploraveris  aequale  etc..  Mais  les  exemples  cités  plus  haut 
de  Végèce  et  de  Modestinus  suffisent  à  montrer  que  jusqu'à  la 
fin  de  la  latinité  proprement  dite,  on  n'a  jamais  perdu  le  sou- 
venir du  sens  technique  et  militaire  des  mots  dont  il  s'agit  ici. 


II 


Ce  sens  étant  :  pour  explôràre  celui  de  «  faire  une  re- 
connaissance, aller  à  la  découverte,  battre  la  contrée,  fouil- 
ler, sonder  le  terrain  »,  et  pour  explôrâtor,  celui  de  «  Kund- 
schafter  » ,  «  éclaireur  »  et  aussi  de  v  guide  » ,  a  Pfadfinder  » , 
«  scout  »,  comme  on  l'a  vu  par  le  passage  cité  de  Suétone, 
toute  étymologie,  pour  être  agréée,  devra  tenir  compte  de 
ce  sens  premier.  Si  l'explication  proposée  par  M.  Bréal  n'a 
pas  été  en  général  acceptée,  c'est  évidemment  pour  des  rai- 
sons de  sens;  M.  Walde,  dans  son  récent  Lateinisches  ety- 
mologisches  Worterbuch  (Heidelberg,  1906),  ne  la  signale 
même  pas.  Du  reste,  M.  Walde  considère  sans  doute  explô- 
ràre comme  un  cas  désespéré,  car  il  n'y  a  pas  chez  lui  d'ar- 
ticle pour  ce  mot.  Voici  pourtant  une  étymologie  qui,  après 
les  explications  données,  paraîtra,  on  l'espère,  assez  vrai- 
semblable. 

Pour  le  sens,  lat.  explôràre  correspond  à  ail.  er-fahren 
(cf.  explorante  =-.  experiente),  à  er-forschen  (cf.  explôràre 
ambitum  Africae,  explôràre  siluam  impliqué  par  les  coro- 
nae  exploraioriae  de  Caligula,  etc.),  à  er-'àrtern  (dont  le 


100  A.  CUNY 

sens  premier  est  «  examiner  à  fond  »)  ;  ou  mieux  encore  à 
er-grûnden  «  sonder,  approfondir  »  (au  propre  et  au  figuré). 
La  seule  différence  qu'il  y  ait  ici  entre  l'allemand  et  le  la- 
tin, c'est  que  les  mots  allemands  ont  passé  bien  plus  vite  au 
figuré  que  explôrâre.  Mais  de  même  que  er-ôrtern  a  été 
formé  en  allemand  du  préverbe  perfectif  er-  et  du  substan- 
tif Ort  et  que  er-grilnden  l'a  été  du  même  préverbe  et  du 
substantif  Grund  «  fundus  {terraé)^  solum  »,  de  même  en 
latin  explôrâre  a  été  fait  avec  le  préverbe  ex-  (qui  corres- 
pond très  bien  j:>our  le  sens  à  germ.  *W2-  >  ail.  er-),  et  avec 
un  ancien  substantif  ^plôro-  qui  devait  avoir  à  peu  près  la 
même  valeur  que  l'allemand  Grund.  Dans  cette  explication 
la  question  de  sens  est  tout  à  fait  simplifiée.  Explôrâre  si- 
gnifie bien  de  par  les  éléments  qui  le  composent  :  «  sonder, 
fouiller,  battre  le  terrain  »,  et  comme  on  le  trouve  encore 
employé  absolument  chez  les  auteurs  latins,  il  suffit  d'ac- 
corder que  par  un  pléonasme  très  fréquent  (cf.  p.  ex.  ex- 
torrem  palriâ  Sali,  de  B,  lug,  XIV,  11),  après  avoir  dit  ex- 
plôrâre tout  court,  on  s'est  mis  à  dire  explôrâre  regione7n, 
uiam,  itinera  etc..  Les  sens  proprement  abstraits  de  explo- 
ratus,  exploratio  et  du  verbe  lui-même  dérivent  naturelle- 
ment de  ce  sens  originel.  Il  n'y  a  qu'à  rappeler  encore  une 
fois  ici  l'histoire  sémantique  de^erôrtern  et  de  ergrûnden^. 
Mais  ce  qui  importe  davantage,- c'est  de  justifier  l'hypothèse 
d'un  substantif  *plôro-  «  sol,  terrain  »  pour  le  latin  préhis- 
torique. 

Ici  on  a  comme  garantie,  non  seulement  comme  dans  le 
cas  de  aprïlis  {cî.  aprllis  dans  les  MSL.,  t.  XIV,  pp.  286- 


d.  Et  à  signaler  que  les  mots  techniques  d'une  profession,  quand  ils 
passent  dans  la  langue  de  tout  le  monde,  acquièrent  de  nouveaux  sens, 
mais  manifestent  aussi  une  tendance  vers  un  sens  général  et  abstrait  qui, 
comme  dans  le  cas  des  verbes  allemands  cités,  peut  faire  oublier  presque 
complètement  le  sens  premier. 


LATIN  «  EXPLORARE  »  iOl 

7-8),  le  témoignage  du  germanique  :  vieil-islandais  flôf 
(c.-à-d.  *flôruR),  vieil  anglais  flôr,  m.  h.  a.  vluor  «  Saatfeld, 
Weideflàche^  »  (le  gotique  et  le  vieux-haut-allemand  font 
défaut  par  hasard)  d'un  germanique  commun  *fldrn-z  cf. 
lat.  *plôro-\  mais  encore,  ce  qui  est  bien  plus  précieux,  le 
secours  du  celtique  :  le  vieil  irlandais  avait  en  effet  un  mot 
lâr  =  gall.  llawr  «  solum,  pauimentum  »,  soit  un  celtique 
commun  ^làro-,  lequel  par  suite  de  la  chute  régulière  de 
p-,  cf.  (^Medi6)-lânum  et  pldnus,  Litana  (sihid)  et  gr.  lùS- 
Tavoç,  et  du  changement  tout  aussi  régulier  de  ô  tonique  en 
â  celtique  (cf.  vieil  irl.  ddn  gall.  daivn^=:dônum),  se  trouve 
être  lui  aussi  le  correspondant  exact  du  ^plôro-  supposé  par 
le  latin  explôrâre.  Et  comme  de  plus  en  plus  on  est  disposé 
à  admettre  une  unité  italo-celtique  de  langue,  cet  accord  est 
probant.  Du  reste  ^plôro-  n'est  pas  isolé  en  latin  même.  Il  y 
a  avant  tout  l'adjectif  plânus"-  (v.  le  Wb.  de  Walde  s.  v.) 
et  tous  les  mots  qu'à  tort  ou  à  raison  on  rattache  à  celui-ci  : 
palam  ?  palma,  planais,  planca,  planta  ?  plôdo  ?  plaudo  ? 
plangol  (v.  Walde  ibid.).  En  somme  l'italo-celtique  possé- 
dait le  couple  :  ^plô-ro-  subst.  |  ^plci-no-  adj. 

Seul  le  celtique  ancien  a  conservé  les  deux  :  gaul.  Medio- 
lânum,  irl.  Idr  etc.,  tandis  que  le  latin  n'a  gardé  que  plâ- 
nus  comme  mot  vivant  et  indépendant.  Au  contraire,  le  cor- 
respondant du  grec  Tu^axavo-,  gaul.  Litano-,  irl.  lethan  a  vécu 
en  celtique  où  *lâno-  devenait  un  luxe,  tandis  qu'en  latin, 
c'est  le  correspondant  de  ^litano-  qui  a  disparu  au  profit  de 
plânus.  En  germanique  ^plôru-  seul  est  attesté  (sous  la  forme 


1.  C'est  l'allemand  moderne  F^wr  (plaine,  campagne,  champs),  aujour- 
d'hui fortement  concurrencé  par  Boden.  En  latin  aussi  c'est  sans  doute 
funclus  qui  a  fait  oublier  *plôro-  de  même  que  le  correspondant  du  v.  si. 
duno,  gaul.  dubno-  substantif,  dans  Dubno-rïx,  etc.  V.  Meillet  MSL, 
t.  XII,  p.  430  (sur  l'arménien  andundkh). 

2.  Il  résulte  de  là  que  ce  n'est  pas  un  simple  hasard  si  certains  sens  ab- 
straits de  explôrâre  sont  presque  contigus  à  des  sens  de  explanâre. 


102  A.  CUNY 

*flôru-)  ;  mais  ce  qui  montre  que  ce  n'est  pas  dans  cette  lan- 
gue un  simple  emprunt  au  celtique,  c'est  qu'il  existe  un  au- 
tre substantif:  m.  h.  a.  vlarre,  ail.  mod.  Flarre  «  breites 
Stiick,  breite  Wunde  »,  ce  qui  suppose  un  germ.  */?<^r- 
(Walde  renvoie  à  Fick  Wb.  P,  477),  soit  une  forme  très  ré- 
duite de  la  racine  dissyllabique  dont  la  forme  simplement 
réduite  était  en  italo-celtique  *plà-.  Pour  les  langues  autres 
que  les  plus  occidentales,  M.  Walde  cite  encore  gr.  xéXa- 
voç  «  gâteau  de  sacrifice  »  (cf.  aussi  ail.  Fladen^),  et,  ce  qui 
concorde  admirablement  pour  le  sens  avec  plànus,  —  là- 
num:  v.  pr.  plonis,  lett.  plans  «  Tenne  »,  c.-à-d.  «  aire, 
ârea  ».  Mais  les  deux  derniers  sont  sans  doute  des  emprunts 
au  celtique  ou  même  à  l'italo-celtique^,  car  ils  ne  pourraient 
avoir,  on  le  verra,  que  la  forme  v.  pr.  *pylnis,  lett.  *pilns, 
lit.  *pilnisy  s'ils  étaient  venus  directement  du  fonds  letto-slave. 
En  effet,  passons  sur  les  autres  rapprochements  que  fait 
M.  Walde  et  dont  plusieurs  sont  douteux  (on  ne  discutera 
que  planas  lit.),  et  occupons-nous  de  la  forme  qu'a  dû  avoir 
la  racine  de  *plô-ro- c^*plâ-no-  etc.;  c'est  une  racine  dis- 
syllabique. Comme  il  n'y  a  pas  en  indo-européen  d'alter- 
nance à  :  6 y  et  que  personne  ne  se  résoudra  à  séparer 
*plô-ro-  «  plaine  »  de  ^plâ-no-  «  plan,  plat  »,  la  forme  nor- 
male monosyllabique  de  la  racine  de  ces  mots  est  non  pas  ^plâ- 


1.  mha.  vlade,  vha.  vlado,  cf.  aussi  Flôtz  (Erzlager),  mha.  vlette,  aha. 
flezzi  (ebener  Boden,  Hausflur)  ;  cf.  vha.  flaz,  anglais  flat  (plat)  (Detter, 
Deutsches  Wôrterbuch,  4897.  Sammlung  Gôschen,  n»  64). 

2.  Du  moins  au  celtique  d'avant  la  chute  des  p-  initiaux.  En  tout  cas 
le  germanique  lui-même  est  ici  exclu,  non  seulement  à  cause  de  l'absence 
d'un  terme  équivalant  formellement  à  plânus,  mais  à  cause  du  traitement 
-ul-  en  germanique  de  la  liquide  sonante  longue  -J-  qui  ne  diffère  pas  de 
celui  de  -/-,  cf.  got.  kaûrn,  ail.  korn,  angl.  corn  en  face  d'italo-celtique 
*grâno-  de  i.-e.  *gfno-,  tout  comme  v.  h.  a.  vurt,  m.  h.  a.  vurt,  mod. 
Furt,  lat.  portus,  gaul.  Ritu-,  zd  pdsus  de  i.-e.  *prtus.  Pour  la  proba- 
bilité d'emprunts  très  anciens  d'une  langue  indo-européenne  à  l'autre, 
cf.  Brugmann,  Abrégé  de  grammaire  comparée,  p.  3  et  p.  24, 


1 


LATIN  «  EXPLORARE  »  103 

mais  ^plé-.  Ainsi  nous  avons  affaire  à  une  racine  dissylla- 
bique («  être  large,  étendu  »)  de  la  forme  *peld-c>^*plë-o^ 
*poh-  (cf.  slave  poljé)  c^  *plô-  (formes  à  degrés  e  ou  o) 
c^^pb- c^^pl- c^*pl-  (formes  à  degré  zéro).  Peu  importe 
qu'elle  soit  homophone  de  la  racine  qui  signifie  «  emplir  » . 
Il  y  avait  certainement  en  indo-européen  un  grand  nombre 
d'homophones  parfaits,  et  il  y  en  a  dans  toutes  les  langues. 
La  forme  *peb-  est  sans  doute  représentée  en  germanique 
par  l'allemand  Feld,  anglais  field  (avec  chute  régulière  du 
-d-  intérieur).  Si  l'on  rapporte  encore  à  la  même  racine  avec 
MM.  Walde  {loc.  cit.)  et  Fick  (Wb.  IP,  236)  les  mots  cel- 
tiques :  irl.  Idthar  «  expositio  »,  «  dispositio  »,  Idthrach 
«  large  »,  lâthair  «  Ausdehnung  »,  il  faut  y  voir  un  celtique 
commun  *làtro-  <  ^plôtro-  ou  >  *pltro-y  mais  non  de  l'im- 
possible i.-e.  ^plâtro-.  Il  y  a  en  efiPet  pour  le  traitement 
italo-celtique  de  i.-e.  -f-,  -[-,  etc.,  un  excellent  exemple 
qui  prouve  qu'ils  ont  donné  sans  doute  dès  cette  époque 
-rà-y  -là-  etc..  C'est  le  latin  grànum,  irl.  gràriy  gall.  grawn 
((  grain  »,  cf.  lit.  {ïrnis,  lett.  Jîrns  «  pois  »,  v.  pr.  S7/rne 
«  grain  »,  v.  si.  zrûno,  serbe  zrno^  d'un  thème  indo-euro- 
péen *g^fno-K  Quant  au  lituanien  plônas,  si  l'on  tient  abso- 
lument à  le  ranger  ici,  on  pourrait  à  la  rigueur  y  voir  la 
continuation  d'un  i.-e.  *plôno-.  Mais  dans  ce  cas  on  attendrait 
régulièrement  ^ plunas  et  il  est  peu  vraisemblable  que 
*plôno-  ait  existé  à  côté  de  *pTno-,  forme  qui  seule  explique 
le  latin  pldnus,  et  le  celtique  -làno-  {Medio-lànum).  Du 
reste,  le  sens  n'oblige  en  aucune  façon  à  identifier  plônas  à 
plâmis.  Bien  au  contraire  :  d'après  le  Dictionnaire  de  Kur- 
schat  (W'ôrtcrbuch    der  litauischen  Sprache),  plônas   ne 


1.  Cf.  encore  pour -n-,  lat.  gnâtus,  nâtus,  ce\i.  Sinc.  gnâto- dams  Cintu- 
gnâtus,  etc.,  pour  T,  skr.  pûrnâh,  irl.  lân  «plein».  V.  Me'ûlet, Introduc- 
tion^ pp.  96-97. 


104  A.  CUNY 

signifie  pas  «  plat  »,  mais  «  dûnn  (mince)  (von  der  Lein- 
wandj  Faden,  S  trie  k,  Brett,  NadeP)  nicht  von  den  Fins- 
sigkeiten  ».  Ce  n'est  qu'à  dater  du  livre  de  M.  Berneker 
Die  pr.  Sprache  (voc.  Elbing.  233)  que  l'on  voit  attri- 
buer au  lit.  planas  le  sens  de  «  flach  »  sans  plus.  Mais 
ceci  ne  constitue  pas  une  preuve,  et  malgré  la  facilité  du 
glissement  du  sens  de  «  mince  »  à  celui  de  «  plat  »,  on  sé- 
parera sans  doute  le  mot  lituanien  du  mot  latin,  à  moins 
que  l'on  n'y  voie  comme  dans  le  v.  pr.  plonis  (qui  serait 
"^ plans  dans  l'autre  dialecte  du  vieux  prussien,  lette  plans) 
un  très  ancien  emprunt  celtique  ou  même  italo-celtique. 
Kurschat  fournit  bien  encore  le  substantif  f.  plônè,  -es,  mais 
ce  n'est  que  par  conjecture  qu'il  lui  attribue  le  sens  de 
«  gâteau  plat  »  en  interprétant  le  nom  de  fête  plôniû  Dienà 
par  les  mots  :  der  Fladentag.  Enfin  chez  Donalitius  il  y  a  le 
masculin  ^/oVi25_,  -io  qui  signifie:  «  Erntekranz  »,  mais  ce 
mot  s'accommode  bien  plutôt  du  sens  de  «  mince  »  que  de 
celui  de  «  plat  »  et,  moins  encore  que  plbnè,  il  est  en  rap- 
port avec  le  latin  plânus^  etc. 

Outre  les  remarques  citées  de  M.  Brugmann,  pour  ce  qui 
est  de  la  vraisemblance  d'anciens  emprunts  entre  les  langues 
indo-européennes  de  l'Europe  appartenant  à  des  groupe- 
ments dialectaux  différents  (au  groupe  oriental,  le  slave  et  le 
lituanien,  au  groupe  occidental,  l'italo-celtique  et  le  germa- 
nique), il  faut  rappeler  qu'on  a  remarqué,  grâce  à  de  nom- 
breuses et  spéciales  concordances  dans  le  vocabulaire,  qu'il 
a  dû  y  avoir  dans  l'Europe  septentrionale,  à  date  très  an- 
cienne, un  état  commun  de  civilisation  qu'on  est  convenu 
d'appeler  civilisation  du  Nord  par  opposition  à  la  culture 
méditerranéenne.  Le  v.  pr.  plonis,  lett.  plans  serait  une 
illustration  de  ces  anciens  contacts.  Cf.  en  dernier  lieu  à  ce 
sujet  A.  Meillet.  Les  dialectes  indo-européens  (1908) 
chap.    1   {Le    vocabulaire    du    Nord- Ouest)   p.    17    suiv. 


{ 


LATIN  «  EXPLORARE  »  105 

A  Tépoque  où  les  Indo-Européens  ont  occupé  par  des  mi- 
grations successives  les  parties  de  l'Europe  qui  n'étaient  pas 
leur  domaine  originel,  la  situation  pour  eux  n'a  pas  du  être 
très  différente  de  celle  des  Européens  dans  la  conquête 
lente  et  pénible  des  deux  Amériques.  De  même  que  les 
armées  et  les  colons  ont  toujours,  dans  cette  conquête,  été  pré- 
cédés et  accompagnés  de  «  chercheurs  de  pistes  »,  {Pfadfin- 
der)^  scouts  dans  l'Amérique  du  Nord,  sendadores  (^sëmita- 
tores)  dans  le  continent  du  Sud,  éclaireurs  chargés  à  la  fois 
de  sonder  et  de  préparer  le  terrain  occupé  par  des  popula- 
tions défiantes  et  hostiles,  de  même  les  Indo-Européens  ont 
été  secondés  par  des  hommes  aussi  courageux,  aussi  endu- 
rants, aussi  habiles,  par  leurs  explôrâtores. 

Devenus  plus  tard  une  institution  régulière  de  l'armée  ro- 
maine, ((  ces  guides  et  éclaireurs  »  sont,  comme  tant  d'au- 
tres institutions  de  l'époque  historique,  comme  les  uestales 
(Ihering  Les  Indo-Européens  avant  r histoire,  trad.  fr.  par 
0.  de  Meulenaere,  Paris,  1895,  v.  p.  325  et  suiv.,  §  38), 
comme  les  fètiales^  {ih.,  p.  397,  §  47),  comme  les  ponti fi- 
ées (Jb.,  p.  368  et  suiv.,  §  49),  comme  les  auspices  et  les  au- 
gures (ib.y  p.  409  et  suiv.,  §  49),  un  héritage  de  l'époque 
de  la  migration  ou  plutôt  des  nombreuses  migrations  qui  ont 
amené  les  «  Italiotes  »  à  passer  en  Italie  et  à  occuper  enfin 
presque  toute  la  péninsule.  Il  n'est  pas  douteux  que,  si 
Ihering  avait  songé  au  sens  technique  du  mot,  il  eût  mis 
les  «  explôrâtores  »  dans  la  catégorie  de  ce  qu'il  nomme  les 
«  personnes  expertes-  »  au  même  titre  que  les  autres  corps 


4.  «  Les  féciaux  font  tout  naturellement  songer  aux  interprètes  de 
l'époque  primitive  qui  étaient  également  des  experts,  et  dont  le  peuple, 
pendant  sa  migration,  ne  pouvait  se  passer».  Note  de  l'éditeur  de  l'ouvrage 
posthume  de  Ihering,  v.  Ehrenberg,  p.  397. 

2.  On  n'a  pas  non  plus  retrouvé  la  classe  des  «  guides  et  éclaireurs  » 
dans  l'énumération  des  experts  que  fait  M.  d'Arbois  de  Jubainville  (La 
civilisation  des  Celtes,  Paris,  1899),  chap.  II. 


106  A.  CUNY 

par  lui  énumérés.  Il  est  peut-être  permis  d'espérer  que  l'éty- 
mologie  proposée  pour  explôrâre,  explôrâtor  sera  une  nou- 
velle pierre  ajoutée  à  l'édifice  de  la  préhistoire  européenne 
parfois  génialement  reconstruit  par  un  homme  qui,  pour 
n'être  pas  personnellement  linguiste,  partait  toujours  des 
grands  faits  révélés  par  la  linguistique  moderne  et  qui  du 
moins  a  eu  le  mérite  d'appliquer  rigoureusement  à  l'étude 
du  passé  la  méthode  «  réaliste  »  qu'il  avait  lui-même  imagi- 
née et  fait  connaître  au  public  savante 


1.  L'existence  de  speculdrî  à  côté  de  explôrâre  ne  doit  pas  étonner. 
Explôrâre  verbe  essentiellement  perfectif  avait  à  l'origine  speculârT  comme 
imperfectif,  de  même  que  inuentre  et  comperïre  servaient  de  perfectifs  à 
reperîve  (chercher  à  trouver).  Cf.  experiri',  got.  faran,  gr.  rrstpa,  etc.  — 
Il  faut  encore  citer  comme  décisif  pour  le  sens  militaire  de  explôrâre  le 
passage  suivant  de  Virgile  (^En.  XI,  511  suiv.).  A  la  suite  d^exploratores 
nom.  rapporté  plus  haut,  on  lit  aux  vers  512-513  : 

equitum  levia  improhus  arma 

praemisit,  quaterent  campos  (Enée  envoie  de  la 

cavalerie  légère  pour  qu'elle  batte  la  contrée.) 


L.  DELARUELLE 

NOTES   CRITIQUES 

SUR    QUELQUES    PASSAGES    DAUTEURS    LATINS 


NOTES   CRITIQUES 

SUR    QUELQUES     PASSAGES     d'aUTEURS     LATINS 
Par  L.  Delaruelle. 

Plaute,   Most.,   543. 
Accedam  atque  adpellabo.  Ei,  quam  limeo  miser. 

L'ensemble  dont  ce  vers  fait  partie  est  considéré,  par  cer- 
tains éditeurs,  comme  le  siège  d'une  interpolation.  Nous 
nous  contenterons,  ici,  d'examiner  le  vers  en  lui-même, 
sans  discuter  la  question  de  l'interpolation.  Dans  le  texte 
qu'on  a  lu  plus  haut,  Ei  est  déjà  le  résultat  d'une  correction  ; 
les  manuscrits  donnent  :  Et.  Cette  correction,  dont  les  édi- 
teurs se  sont  contentés,  ne  suffit  pas,  semble-t-il,  à  nous 
rendre  le  texte  authentique.  Il  me  paraît  évident  qu'il  faut 
lire  qiiom  au  lieu  de  quam.  La  locution  employée  ici  se 
rencontre  souvent  dans  la  langue  des  comiques  :  plus  sou- 
vent, il  est  vrai,  sous  la  forme  ei  mihi  quom  (Cf.  Men.,  304, 
And.,  622),  mais  cependant,  dans  les  Capliiii  (993),  on 
rencontre  Elieu,  quom.  C'est,  autant  dire,  la  même  tour- 
nure :  Ei  quom,  que  nous  proposons  de  reconnaître  ici. 


Ibid.,  675. 

...  Pultadum  foris, 
Atque  euoca  aliquem  intus  ad  te,  Tranio. 

Tel  est  le  texte  des  manuscrits.  Pour  être  complet,  il  man- 


110  L.  DELARUELLE 

que  au  vers  un  demi-pied  ;  Ritschl  l'a  suppléé  en  ajoutant 
hue  devant  intus.  Cette  addition  est  tout  à  fait  conforme  à 
l'usage  de  Plante  qui,  dans  de  semblables  phrases,  précise 
toujours,  par  des  pléonasmes,  l'action  qui  est  ordonnée. 
Mais  cette  addition  n'explique  pas  encore  la  faute  commise 
par  les  copistes.  Pour  en  rendre  compte,  il  suffit  d'admettre 
que  le  manuscrit  archétype  présentait,  au  lieu  de  hue,  la 
forme  archaïque  de  l'adverbe,  c'est-à-dire  :  hoe.  On  sait  que 
cette  forme  se  lit  encore  dans  les  manuscrits  en  certains 
endroits  de  Plante  (p.  e.  Mère.,  321)  et  qu'on  la  trouve 
encore  dans  Virgile  {Aen.,  8,  423).  Dans  le  vers  de  la 
Mostellaria,    c'est   hoc   qu'il   faut,    selon    nous,    restituer. 

Ibid.,  1093. 
Quid  si  igitur  ego  accersam  homines  ?  TR.  Factum  esse  iam  oportuit. 

Ce  vers,  dans  les  manuscrits,  n'est  précédé  d'aucun  sigle 
de  personnage.  Si  l'on  examine  la  suite  du  dialogue,  il 
apparaît  tout  de  suite  que  toute  la  phrase  Quid...  homines? 
est  dite  par  Theopropides.  Une  première  correction  consiste 
à  rétablir  ce  nom  en  tête  de  notre  vers  ;  les  éditeurs  n'y  ont 
pas  manqué.  En  revanche  il  est  moins  aisé  de  trouver  les 
conjectures  qui  i^endraient  le  vers  correct.  Depuis  Camera- 
rius,  on  s'accorde  à  transposer  esse  et  iam  :  cela  suffit 
à  remettre  le  second  hémistiche  sur  ses  pieds.  Mais  le  pre- 
mier reste  toujours  boiteux,  trop  court  d'un  demi-pied,  et 
dès  lors  on  doit  se  demander  s'il  n'y  a  pas  une  connexité 
entre  les  fautes  que  les  copistes  ont  pu  laisser  dans  le  pre- 
mier et  le  second  hémistiche.  Pour  moi,  je  croirais  volontiers 
que,  dans  le  texte  original,  iam  se  trouvait  placé  après 
igitur.  D'autre  part,  il  serait  assez  naturel  que  le  verbe 
aecersam  fût  précisé  par  un  adverbe  de  lieu  ;  ici  c'est  hue, 
que  l'on  attend,  comme  dans  Cap  t.,  950  :  «  Tyndarum  hue 


QUELQUES  PASSAGES  D'AUTEURS  t^ATINS  111 

arcessite  ».  En  faisant  cette  double  correction,  on  remette 
vers  sur  ses  pieds,  la  coupe  étant  maintenant  après  4  pieds 
et  demi.  On  peut  même,  au  lieu  de  hue,  rétablir  la  forme 
hoc,  archaïque,  dont  la  chute  s'explique  mieux,  devant 
homines.  Le  vrai  texte  serait  celui-ci  : 

<  TH.  >  Quid  si  igitur  iam  ego  accersam  hoc  homines  ?  tr.  Factum  esse 

oportuit. 

J'ai  déjà  expliqué  pourquoi  hoc,  devant  homines,  pouvait 
facilement  tomber.  Quant  à  iam,  ce  mot,  d'abord  omis, 
aurait  été  récrit  dans  la  marge,  puis  replacé  dans  le  texte, 
mais  hors  de  son  rang. 

Térence,  Hec.,  845-847. 

Par.  Maneo.  Pam.  Sic  te  dixe  opinor,  inuenisse  Myrrinam 
Bacchidem  anulum  suom  habere.  Par.  Factum.  Pam.  Eum  quem  olim  ei 

dedi  : 
Eaque  hoc  te  mihi  nuntiare  iussit:  itane  est  factum  ?  Par.  Ita,  inquam. 

Tel  est,  pour  ces  quatre  vers,  le  texte  d'Umpfenbach  et  de 
l'édition  de  Tauchnitz  (donnée  par  Dziatsko)  ;  dixe  est  le 
résultat  d'une  correction  due  à  Bentley  :  les  manuscrits  ont 
dixisse,  qui  donne  un  vers  impossible  à  scander.  Cette 
mauvaise  leçon  est  la  seule  chose  qui,  dans  ce  passage,  ait 
attiré  l'attention  des  critiques. 

Et  cependant  on  ne  voit  pas  que  les  premiers  vers  pré- 
sentent un  sens  satisfaisant.  «  Myrrina,  dirait  Pamphile,  a 
découvert  que  Bacchis  avait  sa  bague.  »  Or  c'est  de  la 
bague  de  Philumena  qu'il  est  ici  question  :  Pamphile,  on 
s'en  souvient,  la  lui  avait  arrachée  en  lui  faisant  violence  et 
il  l'avait  ensuite  donnée  à  sa  maîtresse  Bacchis.  D'ailleurs, 
reportons-nous  aux  autres  vers  où  il  est  question  de  cette 
reconnaissance  par  le  moyen  de  la  bague.  Aux  vers  811-812, 
quand    Bacchis    fait    prévenir    Pamphile    par    Parménon, 


112  L.  DELARUELLE 

l'esclave  demande  :  «  N'aurai-je  rien  d'autre  à  dire?  )),  et 
Bacchis  de  répondre  : 

Etiam  :  cognosse  anulum  illum  Myrrinam 
Gnatae  suae  fuisse,  quem  ipsus  olim  mi  dederat. 

De  même,  au  vers  830,  dans  le  monologue  où  elle 
raconte  la  scène  de  la  reconnaissance  {Eum  représente 
anulum,  exprimé  dans  le  vers  précédent)  : 

Eum  haec  cognouit  Myrrina  in  digito  modo  me  habente. 

C'est  Myrrina  qui  reconnaît  la  bague  ;  mais  elle  ne  peut 
en  parler  comme  d'une  chose  sienne;  il  s'agit  de  la  bague 
de  sa  fille  et  il  semble  indispensable  que  l'idée  de  Philu- 
mena  soit  exprimée  dans  le  vers  846.  Je  proposerais  de 
lire  : 

Bacchidem  anulum  suae  habere  gnatae,  eum  quem  olim  ei  dedi  :... 

On  voit  en  quoi  consiste  l'essentiel  de  la  correction  :  à 
remplacer  Factum  par  gnatae,  qui  préciserait  anulum.  Il 
faut,  du  même  coup,  barrer  dans  ce  vers  les  deux  sigles  de 
personnages  et  changer  suom  en  suae  :  on  a  une  phrase 
continue  qui  présente  un  sens  satisfaisant. 

Mais  comment  s'explique  cette  faute,  qui  devait  passer 
dans  tous  les  manuscrits?  Je  suppose  que,  dans  le  vers  846, 
Factum  (au  lieu  de  gnatae)  vient  du  vers  847  {itane  est  fac- 
tum?) :  en  copiant  le  846,  le  scribe,  distrait,  aura  pendant 
un  instant  laissé  errer  son  regard  sur  le  vers  suivant.  Une 
fois  commise  cette  première  faute,  il  fallait  bien  donner  un 
sens  à  ce  Factum.  On  le  considéra  comme  une  réplique  de 
Parménon  :  d'où  introduction  de  deux  sigles  de  personnages, 
devant  Factum  et  devant  Eum.  De  plus  suae  n'avait 
plus  de  sens  :  on  fit  rapporter  ce  possessif  à  anulum^  en 
changeant  la  terminaison. 

Dira-t-on  que  nous  n'avons  pas  le  droit  d'expulser  Fac- 


QUELQUES  PASSAGES  D'AUTEURS  LATINS  H3 

tum  de  ce  vers  ?  Cependant  le  mot,  à  cette  place,  ne  laisse 
pas  d'être  suspect.  Pamphile  a  commencé  par  poser  à  Par- 
ménon  une  série  de  questions  très  brèves  et,  chaque  fois, 
Parménon  y  a  répondu.  Mais,  à  présent,  le  ton  du  dialogue 
a  changé.  Dans  une  longue  phrase,  Pamphile  reprend,  en 
précisant  bien  chaque  circonstance,  le  récit  que  lui  a  fait 
Parménon,  et  celui-ci  n'a  aucune  raison  de  couper  la  phrase 
de  son  maître  avant  le  moment  où  une  question  nouvelle 
(itane  est  factumT)  lui  est  expressément  adressée.  S'il 
interrompt  avant  Eum  quem  olim...  (846)  il  doit  interrom- 
pre aussi  avant  Eaqiie  hoc  te  mihi...  (847).  Il  semble  donc 
qu'en  lui-même  Factiim  soit  suspect.  Si  on  le  supprime  du 
vers  846,  le  comique  vient  du  contraste  entre  la  volubilité 
joyeuse  de  Pamphile  et  l'ébahissement  de  Parménon,  qui 
n'a  plus  un  mot  à  placer. 

Cicéron,  Att.,  I,  14,  3. 

Proximus  Pompeium  sedebam.  Intellexi  hominem  moueri,  utrum  Gras- 
sum  inire  eam  gratiam,  qiiam  ipse  praetermisisset,  an  esse  tantas  res  nos- 
tras,  quae  tam  libenti  senatu  laudarentur,  ab  eo  praesertim,  qui  mihi 
laudem  illam  eo  minus  deberet,  quod  meis  omnibus  literis  in  Pompeiana 
laude  perstrictus  esset. 

Tel  est  le  texte  de  C.  F.  W.  Mueller  (édit.  Teubner,  1905). 
Je  laisserai  de  côté,  dans  cette  phrase,  la  difficulté  que  sou- 
lèvent ces  deux  infinitifs  :  utrum  Crassum  inire...  an  esse 
tantas  res  nostras  ;  renonçant  à  la  résoudre,  j'examinerai 
seulement  le  dernier  membre  de  la  phrase  :  «  quod  meis 
omnibus  literis  in  Pompeiana  laude  perstrictus  esset».  Il  ren- 
ferme deux  difficultés,  l'une  sur  meis  omnibus  literis,  l'au- 
tre sur  perstrictus  esset,  et  dont  chacune  veut  être  considé- 
rée isolément. 

Il  semble  bien  difficile,  pour  rneis  omnibus  litteris,  de 
garder  tel  quel  le  texte  des  manuscrits.  Watson,  il  est  vrai, 

8 


114  L.  DELARUELLE 

explique  ainsi  l'expression  :  «  dans  tous  mes  efforts  littérai- 
res ».  En  admettant  qu'il  soit  latin,  ce  serait  là  un  tour  bien 
inattendu  et  bien  contourné  :  il  ne  s'agit  pas  ici  de  l'acti- 
vité littéraire  de  Gicéron,  mais  bien  de  son  activité  politi- 
que. Ce  qu'on  attendrait,  c'est  une  mention  de  ses  discours; 
au  lieu  de  litteris,  c'est  orationibus  qu'on  voudrait  lire. 

Ce  mot  orationibus,  Tyrrell  le  rétablit  dans  son  texte, 
d'après  l'édition  princeps  de  Rome,  et  il  lit  :  quod  meis 
orationibus,  omnibus  litteris...  Avec  cette  leçon,  litteris  ne 
fait  plus  que  renforcer  orationibus  et  il  faudrait  traduire  : 
«  dans  mes  discours,  à  chaque  lettre  (!)  de  ces  discours  ». 
L'hyperbole  est  bien  singulière  ;  si  Gicéron  en  avait  eu 
l'idée,  il  aurait,  semble-t-il,  entre  oratiojiibus  et  litteris, 
glissé  un  second  terme  qui  aurait  ménagé  la  transition  ;  il 
aurait  écrit,  par  exemple,  quod  meis  orationibus,  omnibus 
uerbis,  omnibus  litteris.  Mais,  au  fait,  est-il  vraisemblable 
qu'il  y  ait  eu  ici  un  redoublement  d'expression  ?  Nous  ne 
le  pensons  pas  :  litteris,  tout  seul,  ne  se  comprend  pas  ;  ora- 
tionibus  va  très  bien  pour  le  sens  ;  mais,  si  on  l'introduit 
dans  le  texte,  il  faut  en  expulser  litteris. 

Pour  moi,  je  croirais  volontiers  qu'il  y  avait,  dans  le  texte 
primitif  :  quod  in  meis  orationibus.  Ges  mots,  écrits  avec 
des  abréviations,  ne  furent  pas  lus  correctement  :  in  fut 
sauté  devant  meis  et  le  substantif  orationibus  fut  pris  pour 
l'adjectif  omnibus.  La  phrase  n'avait  plus  de  sens  et  c'est 
pour  lui  en  donner  un  qu'un  copiste  maladroit  aurait  ajouté 
litteris  (au  sens  de  epistulis).  Ges  hypothèses  ne  sembleront 
pas  trop  arbitraires  si  l'on  étudie  le  caractère  des  fautes  que 
présente  le  Mediceus  :  le  manuscrit  d'où  dérive  celui-ci 
contenait  évidemment  de  nombreuses  abréviations  et  il  est 
souvent  arrivé  que  le  copiste  n'ait  pas  su  les  résoudre. 

J'avoue  qu'à  la  fin  du  membre  de  phrase  le  texte  ne  me 
semble  pas  mieux  établi.  On  explique  (voir  le  Choix  de  let- 


QUELQUES  PASSAGES  D'AUTEURS  LATINS  il5 

très,  publié  par  Hild  chez  A.  Colin,  pp.  64-6o)  :  «  parce  que 
Grassus  se  sentait  atteint  par  les  éloges  que  Cicéron  ne  ces- 
sait de  décerner  à  Pompée  » .  Mais  ce  n'est  pas  là  ce  que 
signifie  la  littéralité  du  texte  latin  ;  ici  le  passif  perstrictiis 
esset  ne  peut,  selon  moi,  signifier  qu'une  chose  :  que  Grassus 
avait  été  «  attaqué  »,  directement,  par  des  mots  blessants 
de  Gicéron.  Ge  n'est  pas  attaquer  une  personne  que  faire 
l'éloge  de  son  rival,  et  je  ne  pense  pas  qu'on  puisse,  mettre 
au  compte  de  Cicéron  pareille  manière  de  s'exprimer.  En 
somme,  que  veut-il  dire?  que  ses  continuels  éloges  de  Pom- 
pée avaient  porté  ombrage  à  Grassus.  C'est  une  idée  sembla- 
ble à  celle  qu'il  exprime  dans  le  Brutus  (323),  quand  il 
parle  de  sa  rivalité  avec  Hortensius  :  consulatiisque  meus . . . 
illum  primo  leuiter  perstrinxerat.  Ici,  voici  comment  je 
lirais  tout  le  membre  de  phrase  :  «  quod  in  meis  oratiomhxx^ 
eum  pompeiana  lau5  perstrmxisset  » . 

Certaines  de  ces  corrections  ont  déjà  été  expliquées  ;  pour 
les  autres,  voici  ce  qu'on  peut  dire.  L'origine  des  corruptions 
qu'elles  supposent  aurait  été  une  faute  commise  sur  eum, 
écrit  eu  et  lu  in.  Cette  première  faute  aurait  amené  à  corri- 
ger laus  en  laude.  Dès  lors,  le  sens  de  ce  qui  précédait 
devait  suggérer  au  copiste  la  forme  perstrictus  esset  au  lieu 
de  perstrinxisset.  Peut-être  les  chances  d'erreur  se  trou- 
vaient-elles encore  augmentées  par  ce  fait  que  dans  les  mots 
comme  perstrictus,  le  manuscrit  archétype  figurait  la  finale 
-us  au  moyen  d'une  abréviation. 


G.  DOTTIN 


ARGUTE  LOQUI?  ou  AGRICULTURAM ? 

LES    GAULOIS    ORATEURS?   OU   AGRICULTEURS? 


ARGUTE  LOQUl?  ou  AGRICULTURAM? 
LES  GAULOIS  ORATEURS?  ou  AGRICULTEURS? 

Par  G.  DoTTiN. 


Le  grammairien  latin  Flavius  Sosipater  Charisius,  qui 
composa  vers  le  quatrième  siècle  une  Ars  grammatica  en 
cinq  livres,  nous  a  conservé,  à  propos  du  superlatif 
industriosissime ,  un  curieux  fragment  de  Caton  sur  les 
occupations  des  Gaulois. 

]ndustriosissime  M.  Cato  Originum  II  :  pleraque  Gallia 
duas  res  industriosissime  persequitur  :  rem  militarem  et 
argute  loqui  ^ 

Cette  phrase  de  Caton,  appliquée  par  les  historiens  de  nos 
origines  nationales  à  l'ensemble  de  la  race  celtique,  a  eu  un 
succès  singulier.  Il  est  depuis  longtemps  convenu  que  les 
Gaulois  —  nos  ancêtres  —  avaient  pour  caractéristiques  à  la 
fois  la  valeur  guerrière  et  l'habileté  oratoire.  En  réalité,  si 
l'on  examine  de  près  le  texte  transmis  par  Charisius,  on  se 
convainc  bientôt  qu'il  n'a  pas  la  portée  qu'on  lui  a  attribuée, 
et  qu'il  s'écarte  sans  doute,  sur  un  point,  du  texte  primitif 
des  Origines. 

Caton  voulait-il  parler  des  Gaulois  transalpins?  C'est  très 


1.  Grammatici  latini  ex  recensione  H.  Keilii,  vol.  I,  p.  202,  1.  20-22. 
H.  Peter,  Veterum  Historicorum  romanorum  reUiquiae,  p.  61,  11°  34. 


i20  G.  DOTTIN 

peu  probable  ;  car  la  province  de  Gaule  transalpine  ne  fut 
créée  qu'en  121  avant  J.-G.  ;  et  le  second  livre  des  Origines 
aurait  été  publié,  avec  le  premier  et  le  troisième,  vers  l'an 
166  avant  J.-G.  ^  La  seule  Gaule  que  connaît  Gaton  est  la 
Gaule  cisalpine.  Pline ^  nous  a  d'ailleurs  conservé  quelques 
fragments  des  Origines  relatifs  à  divers  peuples  celtiques  de 
la  Gisalpine,  les  Cenomani,  les  Boii.  On  ne  peut  donc  guère 
douter  que  la  phrase  de  Gaton  s'applique  aux  Gaulois  d'Italie. 

Essayons  maintenant  d'en  préciser  le  sens  en  la  compa- 
rant aux  textes  analogues. 

La  réputation  de  valeur  guerrière  que  les  Gaulois  avaient 
dans  l'Antiquité  est  incontestable^.  Les  peuplades  gauloises 
rivalisaient  de  bravoure  entre  elles.  Gésar  nous  apprend  que 
les  Belges  étaient  les  plus  braves  des  peuples  de  la  Gaule, 
que  les  Helvètes  l'emportaient  en  courage  sur  les  autres 
Gaulois*.  Les  Bellovaques  surpassaient  en  gloire  militaire 
tous  les  Gaulois  et  les  Belges^  L'assertion  de  Gaton  est  donc 
sur  ce  point  confirmée  par  les  historiens  grecs  et  latins. 

Il  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même  de  l'habileté  oratoire, 
sur  laquelle  les  témoignages  des  anciens  sont  assez  confus. 

Diodore  de  Sicile,  qui,  vraisemblablement,  nous  conserve 
l'opinion  de  Poseidônios,  lequel  avait  voyagé  dans  la  Gaule 
transalpine,  nous  dit  que  les  Gaulois,  dans  les  conversations, 
sont  laconiques  et  s'expriment  le  plus  souvent  par  allusions 
et  sous-entendus  ;  ils  emploient  beaucoup  l'hyperbole  pour 
se  vanter  eux-mêmes  et  pour  abaisser  les  autres  ;  ils  sont 


i.  Teuffel,  Geschichte  der  rômischen  Literatur,  3®  éd.,  §  120,  2, 
p.  196.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cours  de  littérature  celtique,  t.  XII, 
p.  190-191. 

2.  Histoire  naturelle,  III,  20,  116;  23,  130. 

3.  Polybe,  II,  14;  30;  Tite  Live,  V,  44  ;  Florus,  II,  4  ;  Elien,  Histoire 
variée,  XII,  23  ;  Ammien  Marcellin,  XV,  12,  3. 

4.  Guerre  de  Gaule,  I,  1. 

5.  Guerre  de  Gaule,  VIII,  6,  2, 


LES  GAULOIS  ORATEURS  ?  OU  AGRICULTEURS  ?  12! 

menaçants,  hautains,  portés  au  tragique  ;  ils  ont  l'esprit 
pénétrant  et  ne  manquent  pas  de  disposition  naturelle  à 
s'instruire  ^ 

Strabon  leur  attribue  un  esprit  simple,  pas  méchant,  que 
l'on  peut  persuader  de  s'adonner  aux  études  pratiques 
comme  la  science  et  l'éloquence  ;  à  la  simplicité  et  à  l'em- 
portement il  faut  ajouter  souvent  la  sottise  et  la  jac- 
tance^ 

Mêla  leur  accorde  un  talent  de  parole  qui  leur  est  pro- 
pret 

Tacite  rapporte  que  les  Romains  d'Agricola  disaient  préfé- 
rer les  dispositions  naturelles  des  Bretons  à  l'instruction  des 
Gaulois  et  avaient  ainsi  amené  les  habitants  de  la  Grande- 
Bretagne,  qui  peu  avant  refusaient  d'apprendre  le  latin,  à 
désirer  se  former  à  l'éloquence *^. 

Enfin,  outre  ces  érudits,  deux  poètes  latins  font  allusion  à 
la  facilité  de  parole  des  Gaulois.  Silius  Italiens,  à  propos 
des  Gaulois  d'Annibal,  mentionne  la  faiblesse  de  caractère 
et  la  vantardise  de  la  race  celtique  %  et  Ju vénal  dit  que  l'élo- 
quente Gaule  a  formé  les  avocats  bretons*. 

Quelles  que  soient  les  contradictions  et  les  obscurités  de 


i.  Karà  Ssxà;  ô[i.'.Xt'aç  (Spa/uXo'YOïxai  aîv.yjjLaTtai  [xal  xà  ;ioXXà  atvtxidfxevoi] 
auvexSo/^awç,  TïoXXà  5a  Xe'yovxs;  ev  'JTcsp^oXaîç  Itz'  aùÇrjasi  [i.£v  aùxwv,  [xetojos'. 
àz  xwv  àXXtov,  ar£iXr]xac  x£  xal  âvaxaxixôi  xal  xsxpaycoSrjfxevot  uTcàpyouat,  zoùç, 
0£  oiavo^'at;  6Ç£Î;  xai  Tipoç  (jLàOTja'.v  oùx  â-fusî;,  Diodore,  V,  31,  4. 

2.  xô  oà  a'j(jL7cav  où'Xov...  âp£'.p.av[OV  ia-!:>.  xai  6u{xixov  X£  xat  "Ztxyy  T:p6ç 
{xay  r]v,àXXoj;  X£  à;:Xouv  xx\  où  xaxor]9£i;...  7iapa:i£'.a6£yx£ç  81  £Ù{xapwç  Ivôtôdaat 
r.poç  xô  y  pT[(jt[xov,  wtc£  xal  TcatBsi'aç  a;:xs(jGat  xaî  Xdywv.  Géographie,  IV,  4,  2. 
TwS'  aTîXàJ  xal  Ôujjlixw  :z6X'j  x6  àvoqxo^  xal  âXa^ovtxov  Tipdae^jxt.  Ibid.,  IV, 
4/5. 

3.  Chorographie,  III,  2. 

4.  Jam  vero  principum  fîlios  liberalibus  artibus  erudire  et  ingénia  Bri- 
tannorum  studiis  Gallorum  anteferre,  ut,  qui  modo  linguam  romanam 
abnuobant,  eloquentiam  concupiscerent.  Agricola,  21. 

o.  Ingenio  fluxi...  vaniloquum  Celtae  genus.  Puniques,  VIII,  16-17. 
6.  Gallia  causidicos  docuit  facunda  Britannos.  Satires,  XV,  111. 


122  G.  DOTTIN 

ces  textes,  il  serait  néanmoins  possible  à  un  historien  ingé- 
nieux d'en  tirer  une  confirmation  du  texte  de  Gaton,  quoi- 
que les  écrivains  que  nous  venons  de  citer  aient  eu  en  vue, 
non  pas  les  Gaulois  de  la  Cisalpine,  mais  les  Transalpins, 
et  quoique  les  temps  où  ils  ont  écrit  soient  singulièrement 
divers  et  éloignés  de  Gaton.  Malheureusement,  nous  avons, 
précisément  sur  la  question  qui  nous  intéresse,  un  témoi- 
gnage de  premier  ordre  d'un  contemporain  de  Gaton, 
Polybe,  et  ce  témoignage  est  loin  de  concorder  avec  celui 
de  Gaton. 

«  Parce  qu'ils  [les  Gisalpins]  couchaient  sur  la  paille  et 
mangeaient  de  la  viande  et  que  de  plus  ils  ne  pratiquaient 
que  Vart  de  la  guerre  et  l'agriculture  {Ixi  oï  [jir^Bàv  o^kXo 
t:Xy;v  xi  xoXsjJiixà  xal  xi  xarà  -^etùp^ioci  àaxetv),  ils  avaient  un 
genre  de  vie  simple  sans  qu'une  autre  science  ou  un  autre 
art  existât  du  tout  chez  eux  (ojx  *  ïizr.Qxr^^.r^q  xk^Ti^  ouïe  Tr/vY;ç 

Polybe  ayant  composé  les  trente  premiers  livres  de  ses 
Histoires  pendant  son  exil  à  Rome,  de  166  à  loO,  la  phrase 
de  Polybe  est  à  peine  postérieure  de  quelques  années  à  la 
phrase  de  Gaton  dont  les  Origines  (livres  I-III)  parurent  en 
166.  On  ne  peut  donc  admettre  qu'entre  la  date  des  Origines 
et  celle  des  Histoires,  les  occupations  et  le  caractère  des 
Gisalpins  eussent  changé  au  point  que,  de  beaux  parleurs, 
ils  fussent  devenus  agriculteurs.  11  serait  excessif,  d'autre 
part,  d'exiger  que  Polybe  ait  vu  les  Gisalpins  du  même 
point  de  vue  que  Gaton,  et  il  est  possible,  quoique  peu  vrai- 
semblable, que  l'historien  Polybe  ait  remarqué  leurs  talents 
d'agriculteurs  et  que  Gaton,  qui  a  composé  un  traité  d'ex- 
ploitation agricole,  ait  été  surtout  frappé  par  leur  habileté 
d'orateurs.  Il  reste  toutefois  que  deux  écrivains  contempo- 

1.  Polybe,  Histoires,  II,  17. 


LES  GAULOIS  ORATEURS  ?  OU  AGRICULTEURS  ?  123 

rains,  voulant  désigner  les  Cisalpins  par  deux  caractéristi- 
ques importantes,  se  sont  trouvés  d'accord  lorsqu'il  s'est  agi 
de  la  première  et  sont  en  contradiction  sur  la  seconde.  Cela 
peut  suffire  pour  que  nous  mettions  en  doute  la  seconde  par- 
tie de  l'un  ou  de  l'autre  des  deux  textes. 

Tandis  qu'il  n'est  question  de  l'éloquence  des  Cisalpins 
que  dans  le  fragment  de  Caton,  Polybe  s'étend  longuement 
sur  la  fertilité  de  la  vallée  du  Pô  et  le  développement  de 
l'agriculture  en  Cisalpine  :  «  Les  expressions  manquent,  » 
écrit-il,  «  pour  dire  la  fertilité  de  ce  pays.  L'abondance  du  blé 
y  est  telle  que  l'on  a  vu  plus  d'une  fois  le  médimne  sicilien 
de  froment  ne  valoir  que  quatre  oboles,  celui  d'orge,  deux, 
et  le  métrète  de  vin  ne  pas  coûter  plus  qu'une  mesure 
d'orge.  Le  millet  et  le  panic  y  poussent  à  foison  ;  les  chênes 
fournissent  tant  de  glands  que  la  plupart  des  porcs  consom- 
més en  Italie  ont  été  nourris  en  Cisalpine.  Les  voyageurs 
qui  s'arrêtent  dans  les  auberges  ne  conviennent  pas  du  prix 
de  chaque  objet  séparément,  mais  ils  demandent  combien 
on  prend  par  tête  et  le  plus  souvent  l'hôte  s'engage  à  fournir 
tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  un  quart  d'obole  et  le  prix 
est  rarement  dépassé  »  ^  De  plus,  il  est  probable  que  Caton, 
dans  le  livre  II  des  Origines,  parlait  en  quelque  endroit  des 
productions  de  la  Cisalpine  ;  nous  avons,  en  tout  cas,  grâce 
à  Varron,  un  fragment  des  Origines  sur  les  quartiers  de  porc 
salé  provenant  de  Gaule  ^.  On  ne  pourrait  opposer  à  ces 
témoignages  précis  que  la  vague  assertion  de  Cicéron 
d'après  laquelle  les  Gaulois  trouveraient  honteux  de  pro- 
duire du  blé  par  le  travail  de  leurs  mains  et  c'est  pourquoi 


i.  Histoires,  II,  14.  Cf.  Strabon,  V,  4,  42. 

2.  De  magnitudine  Gallicarum  succidiarum  Cato  scribit  his  verbis  :  In 
Italia  in  scrobes  terna  atque  quaterna  milia  aulia  succidiavere.  Sus  usque 
adeo  pinguitudine  crescere  solet  ut  se  ipsa  stans  sustinere  non  possit  ne- 
que  progredi  usquam.  Varron,  De  Vagriculture,  II,  4,  il. 


124  G.  DOTTIN 

ils  vont  en  armes  moissonner  les  champs  des  autres*.  Stra- 
bon  s'en  est  visiblement  inspiré  lorsqu'il  nous  représente 
les  Celtes  comme  étant  plutôt  des  guerriers  que  des  agricul- 
teurs ;  «  ils  sont  »,  dit-il,  «  forcés  de  cultiver  la  terre  main- 
tenant qu'ils  ont  déposé  les  armes  »  ^.  Gicéron  qui  écrivait 
cette  phrase  en  54-53,  à  l'époque  de  la  campagne  de  César 
contre  les  Éburons,  entend  désigner  sans  doute  plutôt  les 
Transalpins  que  les  Cisalpins  par  le  nom  général  de  Galli. 
En  tout  cas,  le  texte  de  Cicéron  ne  peut  infirmer  celui  de 
Polybe. 

Comme  on  ne  peut  mettre  en  doute  les  textes  de  Polybe 
sur  la  fertilité  de  la  Cisalpine,  d'où  il  résulte  que  l'agricul- 
ture était  une  des  deux  occupations  principales  des  Cisal- 
pins, la  seconde  étant  la  guerre,  s'il  faut  corriger  soit  le  là 
xaii  YswpYtav  de  Polybe,  soit  le  argute  loqui  de  Caton,  le 
bon  sens  nous  conduit  à  suspecter  plutôt  le  texte  de  Caton 
que  celui  de  Polybe.  Il  nous  faut  donc  décider  si  le  texte  de 
Caton  a  pu  être  altéré. 

Ce  texte  ne  nous  est  parvenu  que  dans  un  manuscrit  du 
commencement  du  vm*  siècle  ou  de  la  fin  du  vii%  conservé  à 
la  Biblioteca  Borbonica  de  Naples  (IV  A.  8)  et  provenant  de 
Bobbio.  Ce  manuscrit  est  en  mauvais  état  et  plein  d'abrévia- 
tions. Les  trois  autres  manuscrits  de  Charisius  (Yindobonen- 
sis  16,  Parisinus  7560,  Parisinus  7  530),  incomplets,  ne  ren- 
ferment pas  le  passage  qui  nous  intéresse^.  Le  manuscrit  de 
Naples,  ainsi  que  les  deux  copies  qui  en  ont  été  faites  au 
xvi^  siècle  et  qui  sont  conservées  à  la  même  bibliothèque,  ne 
contient,  si  l'on  s'en  rapporte  à  l'apparat  critique  de  Keil, 


i.  Galli  turpe  esse  ducunt  frumentum  manu  quaerere,  itaque  armati 
aliènes  agros  demetunt.  République,  III,  9,  15. 

2.  ol  ô'àvBpsç  [xayrjTat  {xàXXov^  yzwpyoi-  vuv  Ô'  âvayxài^ovTai  YcCopyeTv,  xax«- 
Ge'fxEvoi  Ta  oTîXa.  Géographie,  IV,  i,  2. 

3.  Cf.  Keil,  Grammatici  latini,  t.  I,  préface. 


LES  GAULOIS  ORATEURS  ?  OU  AGRICULTEURS  ?  12S 

aucune  particularité  pour  les  mots  argute  loqui\  Cette 
leçon  n'est  donc  garantie  que  par  un  seul  manuscrit  posté- 
rieur à  Gaton  de  plus  de  huit  siècles. 

On  peut  se  demander  si  la  leçon  argute  loqui  est  correcte 
et  conforme  aux  habitudes  des  anciens  Latins.  La  phrase  de 
Caton,  telle  qu'elle  nous  est  donnée  par  Charisius,  présente 
la  construction  singulière  d'un  infinitif  complément  direct 
coordonné  à  un  nom  et  traité  comme  un  substantif.  Une 
telle  construction  est  très  rare,  sinon  unique,  en  latin.  La 
lecture  attentive  que  j'ai  faite  tant  du  De  re  rustica  que  des 
fragments  de  Caton  ne  m'a  point  fourni  d'exemple  analo- 
gue. Parmi  les  exemples  que  les  grammairiens^  rapprochent 
de  ce  texte  de  Caton,  il  n'y  en  a  point  qui  lui  soient  exacte- 
ment comparables.  L'exemple  de  Plante,  Poeniihis,  I,  2, 
100  (103)  répartit  un  substantif  représenté  par  un  pronom 
et  un  infinitif  entre  deux  personnages 
—  Ego  amo  hanc 

—  At  ego  esse  et  bibere. 
C'est  chez  Virgile,  Enéide^   VI,   620,  que  l'on   trouve   la 
construction  le  mieux  comparable  à  celle  de  Caton  ^  : 

Discite  justitiam  moniti  et  non  temnere  divos. 

Mais  ce  qui  différencie  essentiellement  encore  le  texte  de 
Caton,  c'est  que  le  substantif  et  l'infinitif  y  sont  introduits 


i.  C'est  ce  qu'a  confirmé  par  une  lettre  M.  E.  Martini,  préfet  de  la 
Bibliothèque  de  Naples,  à  qui  M.  H.  Teulié,  bibliothécaire  de  l'Université 
de  Rennes,  avait  bien  voulu  demander  si  argute  loqui  présentait  sur  le 
manuscrit  quelque  particularité. 

2.  Holtze,  Syntaxis  priscorum  scriptorum  latinorum  usque  ad  Teren- 
tium,  t.  II,  p.  25  ;  Kûhner,  Ausfûhrliche  Grammatik  cler  lateinischen 
Sprachc,  t.  II,  p.  490  ;  Dràger,  Historische  Syntax  der  lateinischen 
Sprache,  t.  I,  p.  334. 

3.  Cf.  Horace,  Odes,  I,  1,  20  :  nec.pocula...  nec.demere...  spernit; 
II,  16,  37:  spiritum...  dédit...  et  spernere  j  III,  14,  45:  nec  tumultum, 
nec  mori...  metuam. 


126  G.  DOTTIN 

par  duas  res  ;  or  duas  res  ne  peut  guère  annoncer  que  deux 
substantifs  ;  et  on  ne  trouve  point  ailleurs  di/as  res  ainsi 
construit. 

D'autre  part,  les  philologues  anciens  et  modernes  s'accor- 
dent à  regarder  l'emploi  de  l'infinitif  latin  pris  substantive- 
ment, comme  un  emprunt  à  la  syntaxe  grecque  K  Or  Gaton 
n'est  pas  précisément  un  des  auteurs  latins  dont  le  style 
serait  le  plus  pénétré  d'hellénisme.  On  sait  que  Caton  fut  un 
adversaire  résolu  de  la  culture  grecque  et  on  ne  peut  guère 
révoquer  en  doute  les  nombreux  témoignages  d'après  les- 
quels il  était  déjà  vieux  quand  il  apprit  le  grec  pour  la  pre- 
mière fois-. 

Pour  la  même  raison,  il  est  difficile  d'admettre,  avec 
M.  d'Arbois  de  Jubainville^,  que  la  phrase  de  Caton  n'est 
qu'une  adaptation  latine  du  vers  bien  connu  de  V  Odys- 
sée, K,  272  : 

Oioç  èxEivoç  Iy;v  xsXÉaat  spycv  te  è'xs;  ts. 

On  peut  donc  conclure  que,  du  point  de  vue  grammatical, 
argute  loqui  est  une  leçon  très  contestable. 

Il  resterait  à  démontrer  que  argute  loqui,  mauvaise  leçon 
contredite  parPolybe,  conservée  par  un  seul  manuscrit,  peu 
conforme  à  la  syntaxe  latine,  peut  être  la  corruption 
paléographique  d'une  bonne  leçon  perdue.  Cette  bonne 
leçon  doit  être  constituée  par  un  substantif  accompagné  ou 
non  d'une  détermination. 


4.  Servius,  chez  Keil,  Grammatici  latini,  t.  IV,  p.  441  ;  Sergius,  ibid., 
p.  502.  Wœlfflin,  Archiv  fur  lateinische  Lexikographie  uncl  Grammatik, 
t.  III  (4886),  p.  74.  Brenous,  Étude  sur  les  héllénismes  dans  la  syntaxe 
latine,  p.  341-345. 

*2.  Gicéron,  De  senectute,  I,  8  ;  Académiques,  II,  2  ;  Cornélius  Nepos, 
Caton,  3  ;  Quintilien,  XII,  44  ;  cf.  Plutarque,  Caton,  42.  C'est  pourtant 
ce  qu'essaie  de  faire  Berger,  dans  son  Histoire  de  Véloquence  latine,  t.  II, 
p.  45-46. 

3.  Cours  de  littérature  celtique,  t.  VI,  p.  393-394. 


LES  GAULOIS  ORATEURS  ?  OU  AGRICULTEURS  ?  127 

Le  texte  de  Polybe  suggère  tout  d'abord  agricxdturam. 
On  peut  remarquer  que,  si  Ton  suppose  que  m  était  repré- 
senté par  l'abréviation  ordinaire,  les  deux  leçons  argute 
loqin  et  agriculturà  contiennent  le  même  nombre  de  lettres  : 

agriculturâ 
argute  loqui* 

De  plus,  les  lettres  qui  entrent  dans  la  composition  des 
deux  mots  sont  les  mêmes,  à  l'exception  de  trois  :  e,  o,  q 
dans  argute  loqui,  a,  c,  r  dans  agriculturà.  Puis,  le  groupe 
de  lettres  initial  arg  est,  avec  interversion,  identique  à  agr. 
Enfin  la  place  de  /  est  la  même  dans  les  deux  mots. 

Quelle  était  l'écriture  du  manuscrit  dans  lequel  un  scribe 
mal  avisé  aurait  lu  argute  loqui  au  lieu  de  agriculturâ  ?  Ce 
n'est  certainement  pas  un  manuscrit  en  capitales  : 

AGRIGVLTVRÂ 
ARGVTELOQVI 

Le  manuscrit  de  Charisius  est  en  écriture  anglo-saxonne. 
Dans  cette  écriture  VI  est  la  lettre  la  plus  caractéristique, 
parce  que  seule  elle  dépasse  le  niveau  supérieur  des  autres 
lettres.  La  correspondance  singulière  de  /  dans  les  deux 
mots  argute  loqui  et  agriculturam  pourrait  amener  à  penser 
que  la  faute  aurait  été  commise  sur  un  manuscrit  anglo- 
saxon  ou  irlandais.  La  provenance  de  Bobbio,  où  il  y  avait 
des  scribes  irlandais  %  n'est  pas  pour  contredire  cette  hypo- 
thèse. Mais  l'écriture  irlandaise,  si,  à  la  rigueur,  elle  peut 
rendre  compte  d'une  confusion  de  ra  avec  qui  (la  barre  ver- 
ticale de  Vr  aurait  été  prise  pour  celle  du  q  et  la  seconde 
partie  de  Vr  aurait  été  confondue  avec  Va  suivant)  ne  saurait 
expliquer  d'une  façon  satisfaisante,  il  faut  en  convenir,  la 

4.  Cf.  Zimmer,  Ueber  die  Bedeutung  des  irischen  Eléments  fur  die 
mittèlàlterliche  Cultur  {Preussische  Jahrbucher,  t.  LIX,  p.  27-39). 


128  G.  DOTTIN 

substitution  de  argute  loqui  à  agriciilturam.  Est-ce  une 
aberration  de  copiste  ou  une  correction  fautive  due  à  quel- 
que demi-savant  qui  se  rappelait  et  les  textes  de  Gicéron  sur 
l'inaptitude  des  Gaulois  à  l'agriculture  et  le  texte  de  Juvénal 
sur  l'éloquence  gauloise,  mais  qui  ignorait  le  texte  de 
Polybe? 

En  résumé,  quelques  difficultés  de  détail  que  présente  la 
discussion  paléographique,  nous  n'en  avons  pas  moins,  sem- 
ble-t-il,  un  certain  nombre  de  raisons,  et  de  divers  ordres, 
pour  tenir  comme  suspecte  la  leçon  argute  loqui.  Et  si 
notre  conjecture  n'était  pas  trop  hardie,  Gaton  et  Polybe 
seraient  d'accord  pour  reconnaître  aux  Gaulois  de  la  Gisal- 
pine  deux  sortes  d'occupations,  la  guerre  et  l'agriculture,  et 
les  Geltes  de  la  vallée  du  Pô  n'auraient  aucun  droit  à  l'ha- 
bile faconde  que,  sur  la  foi  d'une  leçon  douteuse  de  Ghari- 
sius,  nous  leur  attribuons  depuis  plusieurs  siècles. 


A.   ERNOUT 


DE  L'EMPLOI  DU  PASSIF 
DANS  LA  MULOMEDICINA  CHIRONIS 


DE  L'EMPLOI  DU  PASSIF 
DANS   LA  MULOMEDIGINA   CHIRONIS 

Par  A.  Ernout. 


C'est  un  grand  service  que  M.  Oder  a  rendu  aux  latinis- 
tes qu'intéresse  l'histoire  du  développement  des  langues 
romanes,  en  éditant  le  recueil  de  prescriptions  vétérinaires 
intitulé  Mulomedicina  ChironisK  Outre  qu'il  peut  être  daté 
avec  assez  de  précision  et  situé  aux  environs  de  l'an  400 
après  J.-G.  (voir  Oder,  préf.  XIII),  il  est  écrit  par  un 
homme  peu  lettré,  mal  informé  des  règles  de  la  grammaire 
classique,  dont  le  style  offre  une  image  assez  exacte  de  la 
langue  vulgaire  de  son  époque  : 

«  Chiron  vero  et  Aspyrtus  diligentius  cuncta  rimati  elo- 
quentiae  inopia  ac  sermonis  ipsius  vilitate  sordescunt  » ,  dit 
Végèce  (praef.  §  1)  qui  d'ailleurs  l'a  pillé  impudemment.  Mais 
en  dépit  du  grand  intérêt  linguistique  du  livre,  il  n'a  sus- 
cité que  peu  de  travaux  :  on  ne  peut  guère  citer  que  les 
index  excellents  que  M.  Oder  a  joints  à  son  édition,  et  deux 
articles  peu  importants  de  MM.  Lommatzch  et  Heraeus  dans 
VArchiv  de  Wôlfflin  XII,  401  et  suiv.  ;  XIV,  119  et  suiv. 

On  s'est  proposé  ici  d'étudier  dans  ce  texte  l'usage  syn- 


1.  Claudii  Hermeri  Mulomedicina  Chironis  edidit  Eugenius  Oder,  Leip- 
zig, Teubner,  XXXVII,  467  pp. 


132  A.  ERNOUT 

taxique  du  passif.  Le  style  et  la  langue  de  la  Mulomedicina 
étant  remarquablement  monotones,  comme  on  peut  s'y  atten- 
dre dans  un  livre  composé  uniquement  de  diagnostics  et  de 
formules,  il  n'a  pas  été  nécessaire  de  porter  l'enquête  sur 
tout  l'ouvrage  ;  seules  les  formes  du  livre  III  (p.  36-89)  ont 
été  examinées.  Mais  une  lecture  attentive  des  autres  chapi- 
tres n'a  apporté  aucun  résultat  nouveau  ou  discordant  : 
si  l'on  poussait  plus  loin  l'étude,  le  nombre  des  exem- 
ples serait  modifié  :  les  conclusions  générales  subsisteraient 
toutes. 

Formes  passives  de  l'infectum. 

Indicatif  présent.  —  Seules  sont  attestées  les  3*^  per- 
sonnes du  singulier  et  du  pluriel.  Dans  la  plupart  des  cas, 
l'indicatif  présent  passif  s'emploie  pour  exprimer  un  fait 
d'une  manière  générale  et  indéterminée,  sans  qu'il  s'y  joigne 
aucune  idée  temporelle  d'actualité  opposée  au  futur  ou  au 
passé.  Le  sens  est,  exactement  semblable  à  celui  du  françaii 
on  : 

cura  autem  paene  omnium  similis  adhibetur  262  ;  quod* 
emorigia  appellatur  142  ;  huiusmorbi,  qui  appellatur  maleos 
162  :  cf.  142,  164,  165,  179,  204,  211,  247,  209  (2  fois); 
catulum  lactantem  vivum...  conditur  eodem  modo  199  ;  om- 
nis  esca...  difficiliter  coquitur  116;quod  vitium  difficiliter 
curatur  228  ;  curatur  autem  hoc  modo  :  solve  illius  iugulares 
venas291  (noter  la  valeur  égale  de  curatur  et  de  sohe  que 
pourraient  très  bien  remplacer  solvuntur  «  on  lui  ouvre  » 
ou  solvantur  «  qu'on  lui  ouvre  »)  ;  curantur  autem  sic,  san- 
guinis  detractione  293;  titymallum  radicem...  datur  mor- 
bidis  201  ;  deinde  datur  ei  fenum  et  tertia  die  infunditur 
anacallidis  tritae  293  ;  cura  et  potiones  singulis  capitulis  suis 
inf erius demonstrantur  262;  sic  tamen  detrahitur  et  abstineto, 


LE  PASSIF  DANS  LA  MULOMEDICINA  133 

proiit  corpus  habuerit  144;  hoc  est  maleos,  quod  dicitur, 
subcutem  125  (2  exemples  semblables);  quae  passio  coactio 
dicitur  149;  quae  passio  doloris  enfragma  dicitur,  quae  la- 
tine obturationem  vocatur  210  ;  qui  morbus  graece  cephalo- 
ponia  dicitur  266  ;  donec  hic  humor  coagulatus,  colare 
dissolvitur  stercoris  redundationem,  intestina  maiora  laxa- 
verit  212  ;  quod  si  educitur  in  ambulandum  115  ;  quotiens 
ei  sanguis  emittitur  247  ;  fumigatur  farina  infusa  in  vinum 
aut  galbanum,  et  infunditur  intra  cucumeris  agrestis  reliqua 
pars  tusarum  ;  miscentur  galbani,  nitri  obolum,  deinde  sol- 
vituraqua,  exsextario  infunditur  per  quatriduum  tantumdem 
cottidie,  aut  stercore  sicco  humano,  quod  commiscetur  post 
sanguinis  detractionem  282-283  ;  intelligitur  ergo  et  curabi- 
tur  sic  133;  intelligitur  hoc  modo  134;  unde  intelligitur 
sanguinis  corruptio  esse  180  (la  construction  de  la  phrase 
prouve  que  l'emploi  de  l'impersonnel  passif  a  cessé  d'être 
vivant,  et  qu'il  n'est  plus  maintenu  que  par  la  tradition  sco- 
laire) ;  si  quod  iumentum  sincopaverit,  sic  intelligitur  239  ; 
intelligitur  autem  passio  ex  eo,  quod  290  ;  cuius  et  tergus  du- 
rum  etcontractum  invenitur  170,  cf.  171,  183,  184  (2  fois) 
192  ;  diflficilis  ratio  intelligendi  aput  prudentes  veterinarios 
invenitur  182  ;  vel  nunc  tardius  aliqua  liberatur  207  ;  in 
quibus  praecipitur  suifumigari  ea  iumenta  167  ;  maisideoque 
praecipitur  fumigare  193,  cf.  181  ;  quae  et  ipsa  plures  coin- 
quinat  et  tardius  sanatur  172  ;  morbus  verissime  vocatur 
maleos  164;  unde  haec  valitudo  ilion  vocatur  215  (mais 
unde  et  contagium  ab  eo  dictum  est  165). 

Ailleurs  le  présent  passif  a  la  valeur  médio-passive  du 
moyen  grec,  et  se  traduit  en  français  par  le  verbe  accompa- 
gné du  réfléchi.  Dans  la  plupart  des  cas,  il  est  assez  délicat 
de  saisir  la  nuance  de  sens  qui  distingue  ce  présent  de  la 
forme  périphrastique  composée  du  participe  en  -to-  joint  à 
siim,  et  de  fait  l'auteur  de  la  Mulomedicina  emploie  indiffé- 


13i  A.  ERNOUT 

remment  les  deux  types,  usant  même  du  présent  là  où  le 
perfectum  est  attendu. 

propter  quod  comprehenditur  caput  similiter  et  pulmo, 
ubi  primum  morbus  se  abscondit  174  ;  hic  autem  strophus 
concipitur...  quibus  ex  coactione  sudor  totius  corporis,  sicut 
fieri  solet,  humorem  excludatur  (?)  foris  extra  eûtes  220  ; 
(excludatur  est  incompréhensible)  ;...  auriculas  demissas 
habuerit,  et  in  ambulationem  conquassatur,  toto  corpore 
feritur  273  ;  spasmus  nervorum  in  corde  constringitur  260  ; 
ab  hoc  quia  totum  caput  febri  continetur  120  ;  cum  enim 
sanguis  evagatur...  et  corrumpitur  180  ;  et  cum  procubuit... 
dilatatur  1 18  ;  qui  febricitant,  sic  cognosces:  quorum  caputdu- 
citur  usque  ad  terram  247,  cf.  162  (on  attendrait  iciductum 

est  «  dont  la  tête  est  penchée  vers  la  terre  »)  ;  contigit ut 

iumentum  evirietur  163  (sens  moyen  «  perdre  ses  forces  »); 
ex  qua  ratione  omnis  spurcitia  humoris  relaxata  excluditur 
217  ;  quod  cum  magis  in  eis  ventus  maior  nutritur  215,  cf. 
222;  ex  qua  similitudine...  praecluditur  stercoris  vadum 
211  ;  tabescit  a  renibus,  id  est  ab  articulis  lumborum,  unde 
regitur  176  ;  ex  qua  praeclusione  tenditur  ipse  colus  212. 

Troisième  personne  du  pluriel.  —  Mêmes  emplois  qu'au 
singulier  : 

I.  —  hi  autem,  qui  hoc  vitium  doloris  patiuntur,  strophus 
(=  strophosi)  appellantur  219  ;  si  quando  appellantur  225  ; 
non  enim  similiter  iumentaatque  homines...  curantur  153; 
curationes  inferius  demonstrantur  151  (cf.  sunt  autem  haec 
potiones  infra  scriptae  190,  l'infectum  et  le  perfectum  sont 
employés  indistinctement  avec  des  valeurs  égales)  ;  vix  qui- 
dem  evelluntur,  et  ipsa  hora  tibi  in  manu  similiter  (=  si- 
mul)  cohaerentur  236  (evelluntur  a  entraîné  la  formation 
barbare  cohaerentur)  ;  prima  enim  doloris  vitia  ex  praesenti 
nata  inveniuntur  206,  cf.  multae  valitudines  nasci  manifeste 


LE  PASSIF  DANS  LA  MULOMEDICINA  135 

inveniuntur  191  ;  humores  in  ano  inveniuntur  225  ;  raren- 
ter  ex  his  duabus  passionibus  iumenta  liberantur  211,  cf. 
172,  216,  259  ;  si  per  plures  dies  potionentur  227  ;  accepta 
sanantur  278  ;  ures  ei  temporales  venas...  sicut  sidoratici 
uruntur  296. 

II.  —  tempora  eius  colligantur  (=  collecta  sunt)  et  maie 
escatur  270  ;  nervi  totius  corporis  constringuntur  148  ;  quo- 
tiens  enim  venae  caldae  locis  suis  continentur  161  ;  et  in 
impetu  eius  convertentur  139  ;  separata  per  totum  organum 
interius  distribuuntur  208  ;  de  his  venis,  quae  in  extremo 
aurium  finiuntur  141  ;  in  his  stercora  conspissata  formantur 
in  rotunditatem  213  ;  quod  ad  medullas  eorum,  qui  maleos 
prenduntur,  nihil  ex  cibo  pervenit  (prenduntur  =  prensi 
sunt)  174;  huic  membrana  tenduntur  275  (ici  tenduntur 
équivaut  à  tensa  sunt)  ;  haec  enim  valitudines  accepte  vino 
in  peiora  vertuntur  278. 

Futur.  —  Les  formes  de  futur  sont  les  suivantes  et  n'ap- 
pellent pas  de  remarques. 

curabitur  sic  271  ;  necesse  erit  sanguis  detrahetur  de  his 
venis  120  (futur  employé  pour  le  subjonctif);  liberabitur 
periculo,  de  quo  difficiliter  liberari  soient  235  ;  si  contige- 
rit  ei  post  curationem  ut  aliqua  pars  cerebri  minuabitur  (au 
lieu  de  minuta  sit  ou  fuerit)  vel  plus  intumuerit  260  ;  san- 
guis mittetur  eis  de  temporibus  271 . 

Emploi  médio-passif  :  torquebitur,  gemet  et  tendit  se 
228. 

3^  p.  pi  :  qui  cognoscentur  sic  226. 

Impersonnel  :  observabitur,  non  prius  in  agro  prodeant 
194. 

Subjonctifs.  —  Ficus  duplices  IX  decoquantur,  157; 
valde  facit,  si  ex  eadem  radice  minutim  concisa  in  cibaria 


136  A.  ERNOUT 

eis  admiscatur,  et  si  nitrum  contusum...  in  cibaria  miscea- 
tur  202  ;  et  hic  si  non  velocius  separetur  longinqua  regione 
165;  quamvis  difficiliter  puUamina  ex  ea  causa  liberentur 
196  ;  quousque  morbi  vincantur  199. 

Oleo  calido  totum  perfrigare,  ita  ut  in  corpore  digeratur 
241  ;  et  ne  intercludatur  (=  intercluso  spiritu  pereat)  eicies 
eum  251  ;  et  infundes  per  os,  ut  venter  ei  solvatur  285. 

On  trouve  l'impersonnel  employé  trois  fois  dans  une  mê- 
me formule  «  cui  tamen  si  celerius  succurratur,  216,  232; 
et  222  cui  sic  celeriter  succurratur.  Mais  l'auteur  se  sert  d'ail- 
leurs de  formes  d'actif,  cui  si  tardius  aliqui  succurrat,  dif- 
ficiliter liberantur  216;  et  sic  eis  succurres  et  percuras  226. 
Dans  une  même  phrase  on  trouve  deux  formes  d'impératif 
actif  en  -/o,  puis  une  3®  pers.  d'indicatif  présent  passif  qui 
tient  lieu  soit  d'un  subjonctif,  soit  d'un  impératif  passif: 
cooperito  caput  illius  de  vestimentis,  vel  quadrupedem  deli- 
gato,  et  opertoriis  operitur  bene  ut  sudet  288  ;  (operitur  =i 
openatm\  operitor  avec  la  même  valeur  que  cooperito  et 
deligato^. 

Il  n'y  a  pas  d'exemple  d'indicatif  imparfait  ;  on  en  trouve 
un  seul  d'imparfait  du  subjonctif  «  nomen  huic  morbo  impo- 
suerunt,  ut  quo  facilius  et  ab  aliis  hic  morbusintelligeretur, 
et  aggregare  (?)  secerneretur  166. 


Formes  >omi>ales  du  passif. 

Infinitif.  —  L'infinitif  passif  sert  uniquement  de  complé- 
ment aux  verbes  auxiliaires  marquant  la  possibilité  (possé), 
la  nécessité  {oportere ,necesse  e55e!,^eô^r^),l 'habitude (50/^r^), 
employés  avec  une  valeur  personnelle  ou  impersonnelle. 
L'infinitif  avec  contingit  qui  est  une  rareté  dans  la  prose 
classique   est   devenu  tout  à  fait  courant,   tandis    que    la 


LE  PASSIF  DANS  LA  MVLOMEDICINA  137 

construction  avec  ut  suivi  d'un  verbe  au  subjonctif 
n'est  plus  connue. 

quo  modo  etquibuseis  subveniri  possit  187  (impersonnel), 
-}- subveniri  possit  153  (id.);  ut  possit  a  corporibus  eorum 
illa  coinquinatio  morbi...in  sanguine  abstrahi  168;  sanguine 
emittere  etiam  de  capite  debes,  quibus  facile  potest  auferri 
iusta  emissionne  133  ;  ut  caligo  eius  auferri  possit  281  ;  qui 
non  solum  curari  non  potuit  166;  plerique...  sani  fîeri 
possunt  281,  cf.  20o,  206;  ut...  ceterorum  corpora  ab  hoc 
morbo  liberari  possint  198  ;  qui  putant...  remediis dolorem 
ventris  posse  sanari  205. 

claudicanti  etiam  de  pede  sanguinem  auferri  oportet  et 
venas  adaperire  142  (auferri  mais  adaperire)  ;  huic  sanguis 
non  oportebit  detrahi  161  (contamination  de  deux  construc- 
tions :  huic  sanguis  non  detrahendus  est  ou  huic  sanguis  non 
débet  detrahi  247  et  huic  sanguinem  non  oportebit 
detrahi)  ;  quibus  tamen  subveniri  oportet...  sanguinis 
detractione  178;  quos  sic  curari  oportet  180  (mais,  dans  le 
même  paragraphe,  huic  sanguinem  detrahere  oportet);  san- 
guinis detractionem  fieri  oportet  187  ;...  fomentis  quoque 
calidis  renibus  pro  multidine  adhiberi  oportet,  deinde  exter- 
gere  eum  diligenter  216  ;  quascunque  valitudines  atera- 
peutae  sunt  et  croniae  cura  sua  curari  oportet.  eas  ciclo 
curari  oportet  249.  Quibus  necesse  erit  de  coronis  sangui- 
nem detrahi  248  (8  exemples)  ;  quod  vitium  hac  ratione 
débet  curari  H7;  unde  fieri  debeat  sanguinis  detractio. 
...morbidis  detractio  débet  fieri  245;  eorum  autem  débet 
superior  vena  aut  duo...  sanguinis  laxari  246;  his  ergo... 
débet  sanguis  detrahi  247  (5  exemples)  ;  quod  si  coeperint 
ipsa  membrana  cerebri  gravari  ex  eadem  corruptione  san- 
guinis 257.  et  hoc  circa  boves  fieri  solet  278  ;  soient  alii 
...  in  farcimen  converti  145  ;  morbidi  liberari  soient  200  ; 
saepissime  refrigerari  soient  219,   221  ;    eius  labra   soient 


t 


138  A.  ERNOUT 

acrovaricia  fieri  294  ;  soient  religari  et  stercore  obrui,  ut 
insudent  et  obdormiant296. 

ex  qua  re  contigit  eviriari  180  ;  contingit  enim  eos  evi- 
riari  181  ;  quibus  contingit  et  in  ventre  tumorem  fieri  184; 
sic  contingit  vitae  periclum  eis  fieri  119  ;  saepissime  contingit 
eos  liberari  180 

En  dehors  de  ces  cas,  il  n'y  a  qu'une  proposition  infini- 
tive  au  passif  :  quare  iubemus  eos  in  agrum  proici  188. 
Reverti  qu'on  lit  282  «  fervor  facit  membrana  capitis  alienata 
ad  sanam  mentem...  reverti  »  n'est  pas  autre  chose  qu'un 
moyen. 

Le  participe  en  -nous,  -nda,  -ndum  marquant  l'obligation 
est  employé  concurremment  avec  oportere,  dehere,  necesse 
esse,  et  avec  le  futur  ou  l'infinitif  actif  tenant  lieu  d'impéra- 
tif, l'emploi  des  auxiliaires  ou  du  futur  étant  d'ailleurs 
beaucoup  plus  fréquent  que  celui  du  participe  : 

ad  unamquamque  rem  simul  quaestione  vel  lectione 
veniendum  est  153;  neque  hoc  utique  credendum  est  posse 
fieri  205  ;  eas  (valitudines)  ciclo  curari  oportet.  cui  autem 
ciclus  curae  adhibendus  erit,  sic  curabis  249  «  Il  faut  les  soi- 
gner par  le  changement  périodique  de  remèdes  (cyclus  gr. 
xijxXoç).  L'animal  à  qui  il  faudra  appliquer  ce  traitement, 
tu  le  soigneras  ainsi  » .  oportet  —  adhibendus  erit  —  cura- 
bis ont  des  valeurs  égales,  huic  sanguinem  detrahere  non 
oportet  in  novissimo,  sed  in  initio  deplendus  erit  180.  «  Il 
ne  faut  pas  faire  de  saignée  à  la  fin  du  traitement,  mais 
c'est  au  début  qu'il  faudra  le  saigner  »  (oportet  —  deplen- 
dus erit)  ;  emissiones  sanguinis  non  sunt  faciendae  130  cf. 
huic  sanguinem  detrahere  non  oportet  180  ;  et  245unde  fieri 
debeat  sanguinis  detractio.  morbidis  sive  valitudinariis  san- 
guinis detractio  débet  fieri,  ex  quibus  morborum  vitia  evin- 
çenda  sunt  ;  coactionis  enim  ratio  et  cura  demonstranda  est 


LE  PASSIF  DANS  LA  MULOMEDICINA  139 

ISl  ;  humorem  ergo  per  naribus  profluentem  intelligere 
oportet  cuique  iumento  propter  imminentes  coactionem 
(coactionum)  valitudines  intelligendas  et  curandas  profluere 
loi.  «  Il  faut  donc  étudier  l'humeur  qui  s'écoule  par  les 
narines  de  chaque  animal,  pour  comprendre  les  maladies 
résultant  de  la  coactio  et  pour  soigner  cet  écoulement  »  ; 
ex  qua  re  sollicite  intelligendus  est  (se.  morbus)  165  «  C'est 
pourquoi  il  est  nécessaire  de  bien  se  rendre  compte  de  la 
maladie  »  ;  et  eorum  tamen  cadavera  obruenda  sunt  194; 
haec  potio  praeparanda  erit  196;  vitii  ratio...  cum  signis 
intelligendi  reddenda  est  219  ;  ex  quibus  morborum  vitia 
evincenda  sunt  245. 

calidis  quoque  locis  ad  continendam  curationem  gurabis 
eum  117  ;  propter  ceterorum  magis  corpora  salvanda  167  ; 
propter  effugandum  taetrum  odorem  167;  ita  ut  vires 
ampliandi  huius  morbi  minuuntur  194;  pro  motum  ali- 
cuius  humoris  interius  excludendum  214  ;  deinde  et  calda 
ad  curandum  eum  fomentabis  268. 

Au  lieu  du  pcp.  en  -ndus  on  a  le  gérondif  230  ad  sanandum 
omnem  passionem  doloris  a  ventre  quae  nascitur  ;  290  .., 
exilit  ad  mordendum  homines  290. 

Mais  la  plupart  du  temps  l'idée  de  nécessité  s'exprime  par 
oporterey  debere  suivi  de  l'infmitif  actif  ou  passif.  Les 
formes  d'infinitif  passif  ayant  été  étudiées,  il  suffit  de  citer 
ici  : 

abstinere  oportet  ab  omni  esca  117  ;  claudicanti...  sangui- 
nem  auferri  oportet  et  venas  adaperire  142  ;  alias  quoque 
passiones...  ex  quibus  causis  eveniant  scire  oportet  150  ; 
signa  et  curationes  scire  oportet  152  ;  urere  oportebit  eum 
153;  banc  doctrinam  intelligere  oportet  154  ;  hanc  doctrinam 
s.  s.  diligenter  tenere  oportet  156  ;  et  hoc  quidem  docere 
oportet  de  iumento  lasso  171  ;  oportebit...  genua...  oleo  ad- 
fricare    et    manibus  percatapsare   totum  iumentum   et  non 


140  A.  ERNOUT 

duro  loco  statuere  161  ;  huic  sanguinem  non  oportet  detra- 
here  180  ;  quas  collectiones...  erumpere  oportet  181  ;  quos 
oportet  sub  divo  in  agro  mittere  181  ;  eosque  oportet  et 
fumigare  rébus  austeris  190;  alii  dixerunt...  ex  eos  potio- 
nare  morbidos  oportere  200;  potionare  oportet  201  ;  potio- 
nem  dare  oportet  201  ;  hoc  potionare  oportet  205;  oporte- 
deinde  extergere  eum...  et  perungere...  in  auriculas  ex  hoc 
oleo  calido  suflFundere  oportet  216;  saciliones...  imponere 
oportet  218;  sic  istis  vitiis  in  ventre  s.  s.  subvenire  oportet 
238  ;  tergus  perfricare  oportet  238  ;  sic  eum  curare  oportet 
241  ;  valitudines  quas  cicio  curare  oportet  255  ;  scire  opor- 
tet... ut  256  ;  sed  oportet  flebotomare  eumdesuboculis  269. 
(24  exemples) 

item  inambulationibus  levibus  uti  debebit  117  ;  hoc  quo- 
que  non  debes  :  eorum  qui  a  labore  signa  adferunt,  eis  san- 
guinem  mittere  120;  sanguine  emittere  etiam  de  capite 
debes  133  ;  curare  autem  debemus  emissione  sanguinis  137  ; 
debes  autem  os  aperire  cotidie  140;  rationem  huius  morbi, 
unde  nascitur,  inquirere  debemus  191  ;  quas  expurgare  de 
longaone  eas  debebis  237  ;  praeterea  quam  solam  observare 
debemus  245  ;  dare  debebis  furfurem  et  paleam  250  ;  fenum 
adponere  et  furfure  et  paleas  debes  269.  (10  exemples) 

adaperire  etiam...  venas  necesse  est  142  ;  quibus  necesse 
erit  de  coronis  sanguinem  detrahere  163;  quare  necesse 
habebimus  nihil  intermittere  182;  vel  itinere  laborantem 
calore  totius  corporis  necesse  est  velocius  refrigescat  220 
(au  lieu  de  refrigescere).  (4  exemples) 

Si  l'on  compte  en  outre  les  futurs  et  les  infinitifs  exprimant 
un  ordre  ou  une  obligation,  on  voit  mieux  encore  à  quelle 
existence  précaire  est  réduit  le  participe  futur  d'obligation. 
Remplacé  par  des  formes  périphrastiques  qui  se  dévelop- 
pent de  plus  en  plus,  ou  suppléé  par  des  temps  de  l'actif,  il 
ne  se  maintient  que  par  l'enseignement  des  grammairiens, 


LE  PASSIF  DANS  LA  MULOMEDICINA  441 

et  a  cessé  de  faire  partie  de  la  langue  vivante.  Ici  encore 
apparaissent  les  tendances  nouvelles  qui  transforment 
insensiblement  le  latin,  et  font  prévoir  les  langues  romanes. 

Participe  en  -to-.  —  Une  étude  de  l'emploi  du  participe 
en  -to-  devrait  figurer  ici.  Mais  les  emplois  les  plus  intéres- 
sants du  participe  seront  signalés  à  propos  des  temps  du  per- 
fectum,  ou  de  l'emploi  des  auxiliaires.  Il  suffit  d'indiquer 
que  le  participe  a  conservé  la  plupart  des  fonctions  qu'il 
remplit  à  l'époque  classique,  mais  qu'il  tend  à  n'être  plus 
qu'un  simple  adjectif.  Un  seul  exemple  illustrera  cette  thèse  : 
fixus  immobilis  tristis  stat  deiecto  capite  labiis  demissis, 
oculis  adopertis  vel  tensis  auribus  immobilibus  146. 


Emploi  des  formes  du  perfectum. 

Dans  la  langue  archaïque,  les  formes  de  perfectum  dépo- 
nent ou  médio-passif  avec  fuero,  fuerim  sont  employées 
pour  projeter  dans  le  passé  le  résultat  d'une  action  accom- 
plie. M.  Blase  Histor.  Gramm.,  III,  p.  208  cite  l'exemple 
suivant  pris  dans  le  Phormion  v.  970  sqq.  Ain  tu?  ubi 
quae  lubitum  fuerit,  peregre  feceris  Neque  huius  sis  ueritus 
feminae  primariae  Quin  nouo  modo  ei  faceres  contumeliam 
Venias  nunc  precibus  lautum  peccatum  tuom?  «  Tu  dis  ?  Tu 
serais  allé  autrefois  faire  des  tiennes  en  pays  étranger, 
témoigner  si  peu  d'égards  pour  une  femme  distinguée  comme 
celle-ci,  l'outrager  d'une  manière  inouïe,  et  tu  en  serais 
quitte  maintenant  pour  venir  laver  ta  faute  par  des 
prières?  )> 

On  peut  rapprocher  v.  560.  Idem  hic  tibi,  quod  boni 
promeritus  fueris,  conduplicauerit.  «  Il  aura  bientôt  fait 
de  te  rendre  au  double  le  bien  que  tu   lui  auras    fait.  »    Ici 


142  A.   ERNOUT 

promeritus  fueris  est  une  sorte  de  futur  antérieur  «  se- 
cond »  correspondant  au  futur  antérieur  «  premier  » 
conduplicauerit,  cf.  Cicéron  Tusc.  4,  35  «  si  quando  adepta 
erit  id  quod  ei  fuerit  concupitum  ».  Mais  très  rapidement 
la  subtile  distinction  de  sens  qui  séparait  les  formes  avec 
sim,  ero,  de  celles  avec  fuerim,  fiiero,  cessa  d'être  per- 
çue, et  on  en  vint  à  employer  l'une  pour  l'autre.  Enfin 
l'adjectif  verbal  en  -to-  s'étant  confondu  avec  les  autres  caté- 
gories d'adjectifs,  et  l'idée  du  futur  antérieur  semblant 
résider  uniquement  dans  l'auxiliaire  fuero,  c'est  le  type 
amatus  fuero  qui  prévalut.  On  le  trouve  déjà  chez  les  écri- 
vains peu  châtiés  comme  Scribonius  Largus  ou  Vitruve  ;  et 
a  partir  du  m*'  siècle  après  J.  G.,  il  a  complètement  supplanté 
le  type  amatus  ero. 

C'est  lui  qu'on  trouve  naturellement  dans  notre  auteur  : 
qui  non  réfrigérât,  nisi  multum  stercoris  adsellatus 
fuerit  234  ;  quod  magis  plus  agitatus  fuerit  spiritus  215  ;  si 
coactus fuerit  115;  quidquid...  intra  corpus  conceptum  fuerit 
181  ;  si  in  rabiem  con versus  fuerit  280  ;  evenit  autem  haec 
valitudo, quando  in  venis  cibus  corruptus  fuerit  270  ;  si  hoc  enim 
in  initio  curatum  non  fuerit  276  ;  si  quod  iumentum  a  bile 
sicca  insanius  fuerit  factum  284  ;  si  insanus  factus  fuerit  126  ; 
si  nec  sanus  factus  fuerit  159.  L'emploi  de  factus  fuerit  est 
remarquable,  puisque  l'auteur  sait  que  le  verbe  servant  de 
passif  à  facio  est  fio  dont  le  futur  simple  est  fiam,  et  le  per- 
fectum  factus  sum.  Et  si  inflatus  non  fuerit  231  ;  qui...  las- 
satus  nimis  labori  fuerit  161  ;  cum  prensus  fuerit,  cona- 
tus...  expellet  288;  si  tardius  rectus  fuerit  159;  si  quod 
iumentum  insania  temptatum  fuerit  288  ;  cum  tibis  satis 
visum  fuerit  exisse  sanguinis  143;  id.  267. 

Il  n'y  a  qu'un  exemple  discordant  :  cum  iam  tibi  visus 
erit  posse  cibaria  accipere,  ordeo  infuso  paulatim  per  cre- 
mentum  adduces  277.  • 


LE  PASSIF  DANS  LA  MULOMEDICINA  143 

Les  autres  formations  avec  €7'0  expriment  un  état  et  cor- 
respondent pour  le  sens  aux  futurs  des  intransitifs  latins 
en  -ère  :  os  totum  asperum  vel  coctum  erit  195;  tempora- 
que  gravitate  coUigata  erunt,  nec  cibum  appétit  286;  tergus 
similiter  durum  et  contractum  erit  173  ;  reliquum  corpus  ex- 
tensum  erit  157;  os  fervebit  et  lingua  naribus  sublata  erit 
122.  Cet  exemple  est  intéressant  puisqu'il  montre  l'identité 
de  valeur  sémantique  d'un  intransitif  fervere  et  de  la  forme 
«  passive  »  sublatus  esse . 

oculi  sublacrimantes  erunt  et  tanquam  suffusi  sanguinem 
121  «  les  yeux  seront  larmoyants  et  comme  injectés  de 
sang  »  ;  tensus  erit  295,  en  face  de  la  phrase  citée  plus 
haut:  huic  membrana  tenduntur  275. 

Expriment  également  l'état  les  formes  suivantes  : 

nonnunquam  enim  soient  ab  interiorem  partem  commoti 
esse  et  inde  febricitare  158  ;  oportebit...  non  duro  loco  sta- 
tuere,  sed  ubi  stercora  sicca  et  molliora  sunt  posita  161  ;  in 
parte  intestinorum,  quae  sunt  medio  positae  209  ;  sinus  per 
intervalla  dispositi  sunt  213;  inde  manifeste  intelleguntur  a 
maleos  prensi  esse  178;  in  corporibus  eorum,  qui  iam  pos- 
sessi  sunt  192  ;  si...  invenies  nec  valde  patere  longaonem... 
nec  tamen  inflatum  esse  232  ;  tardius  ambulabit,  tanquam  si 
putas  eum  suflfusione  constrictum  esse  239  ;  supra  modum 
peractum  esse  iumentum  scias  243  ;  cum  ventrem  senseris 
solutum  esse  250,  cf.  si  videris  eum  nimis  soluto  ventre 
esse  251. 

Mais  le  participe  en  -to-  joint  à  sum,  esse  a  également  la 
valeur  de  passé  :  saepe  experimentata  est  haec  potio  198 
«  cette  potion  a  été  souvent  expérimentée  »  ;  unde  et  conta- 
gium  ab  eo  dictum  est  165  ;  unde  et  elephantiotes  dictus  est 
195  ;  sicut  supra  dictum  est  120,  142,  152  ;  ut  supra  scrip- 
tum  est  128,  130,  153,  172,223,  274,  etc. 

Par  contre  on  trouve  :  sunt  autem  haec  potiones  infra  scrip- 


144  A.  ERNOUT 

tae  190;  hac  ratione...  quod  infra  scriptum  est  117  «  ces 
potions  sont  indiquées  plus  bas  ;  suivant  la  méthode  qui  est 
décrite  plus  bas  ».  Mieux  que  tout  commentaire,  la  traduc- 
tion indique  quelle  identité  d'emploi  il  y  a  entre  les  formes 
latines  et  les  formes  correspondantes  du  français  moderne. 

Il  n'y  a  pas,  dans  le  livre  étudié,  de  formes  de  perfectum 
avec  fui,  fueram,  et  ce  type  est  très  rare  dans  le  reste  de  l'ou- 
vrage. Son  absence  s'explique  aisément  par  le  fait  que  l'auteur, 
décrivant  des  états  et  donnant  des  remèdes,  n'a  pour  ainsi 
dire  jamais  l'occasion  de  projeter  les  faits  dans  le  passé.  On 
ne  peut  guère  citer  que  §  743  :  «  propter  ^uod  multis 
auctoribus  inspectis...  ex  his  epitoma  feci,  et  omnia,  quae 
dispersa  fuerant  in  eis,  naturali  ingenio  plenius  per  hune 
librum  docui  ».  Il  y  a  donc  une  différence  dans  l'emploi 
des  formes  avec  sum,  eram,  et  de  celles  avec  fueram.  «  saepe 
experi  mentata  est  haec  potio  »  veut  dire  «  Cette  potion  a 
été  souvent  expérimentée,  [et  l'est  encore]  »  ;  mais  «  omnia 
quae  dispersa  fuerant  »  tout  ce  qui  avait  été  dispersé  dans 
leurs  ouvrages  [et  qui  se  trouve  réuni  maintenant  dans  le 
mien]  ».  Une  distinction  analogue  existe  en  français  entre 
«  je  fus  étonné  »  et  «  j'ai  été  étonné  ». 


Les  compléments  du  passif. 

Instrume:!*tal.  —  Le  passif  est  accompagné  souvent  d'un 
complément  instrumental,  exprimé  à  l'aide  de  r«  ablatif  »  ou 
de  l'adverbe  unde,  inde  :  curationibus  adgravabitur  et 
gracilis  fiet  122  ;  ampliatur  enim  putor  calore  1 93  ;  qui  istis 
signis  s.  s.  cognoscuntur  169  ;  omnia,  quae  ex  duplici 
ratione  calore  vel  rigore  concipiuntur  188  ;  curatur  autem 
haec  passio  emissione  sanguinis  135  ;  quae  vulnera  pice 
liquida...  curantur  181  ;  unde  iumenta  aut  boves  deprehen- 


I 


i 


LE  PASSIF  DANS  LA  MULOMEDICINA  145 

duntur  et  moriuntur  12o  ;  hic  morbus...  ustione  extinguitur 
vel  sanguis  detractione  siccatur  188;  nervi  enim  sudore 
infestantur  240  ;  omnia  autem  vitia...  intelliguntur  humore 
per  naribus  profluente  lo3  ;  inde  manifeste  intelliguntur  a 
maleos  prensi  esse  178  ;  qui  istis  signis  intelliguntur  179  ; 
aliis  adiutoriis  adiunctis  medentur  276  ;  quidquid  enim  ex 
umore  concipitur,  solis  beneficio  minuitur,  vel  quidquid 
caloris  beneficio  intra  corpus  conceptum  fuerit,  rigore 
remediantur  181  ;  ne  aliqua  re  vires  animalis  minuantur  139  ; 
posterioribus  pedibus  facilius  portatur  134;  potionibus... 
potionabuntur  190  ;  ad  medullas  eorum,  qui  maleos*  pren- 
duntur  (=  prensi  sunt),  nihil  ex  cibo  pervenit  174;  ideo 
quia  omnia  membra  magnis  caloribus  solvuntur,  frigore 
constringuntur  143  ;  feni  odium  faciet,  qui  hoc  morbo  tene- 
tur  121  ;  qui  hoc  morbo  tenebitur...  signum  erit  hoc  243  ; 
auriculas  dimicat,  quasi  quo  spiritu  terreatur  286  ;  ciclo 
curati  renibus  uruntur  235  ;  qui  autem  hoc  modo  vexatur 
140  ;  qui  capitis  dolore  vexabitur  268  ;  quibuscunque  tumor 
ex  morbo  increscens  ustione  vincitur  187. 

Mais  le  plus  souvent  l'instrumental  est  exprimé  par  une 
préposition  a  ou  ab,  de,  ex,  et  surtout /^e/"  : 

Intelliguntur  a  maleos  prensi  esse  178  ;  sic  saepe  sani 
fieri  soient  a  pascua  189  ;  spiritus  concipitur  a  pulmone  191  ; 
ampliatur  enim  putor  calore  vel  a  cadaverum...  193;... 
iumenta...  non  ab  ea  odore  coinquinentur  194  ;  qui  a  disten- 
sione  pressum  fuerit  276  ;  si  quod  iumentum  a  bile  sicca 
insanius  fuerit  factum  284. 

Qui  ex  lassitudine  vexantur  161  ;  quorum  corrumpitur 
totum  corpus  ex  sanguine  174  ;  intervalla...  ex  eodem 
humore  coagulato  impediuntur  214;  quaedam  loca...  prae- 
clauduntur  ex  illo  humore  214  ;  ex  qua  (detractione  sangui- 

i.  Maleos  est  considéré  comme  indéclinable  par  l'auteur. 

10 


146  A.  ERNOUT 

nis)  conservatur  omnis  status  corporis  245  ;  pastilles  faciès, 
qui  s.  s.  ex  aqua  frigida  diluitur  265  ;  perunges  eum  aceto... 
et  perungetur  sequenti  die  ex  ordeo  271  ;  cognoscetur  autem 
ex  eo  quod  292. 

Per  quam  ustionem  vitia  insanabilia  evinci  possunt  153  ; 
illa  iumenta  curare  magis  sollicite  oportet  per  omnem  dili- 
gentiam  et  potionibus  infra  scriptis  167  ;  quibus  subvenitur 
per  ustionem  177  (cf.  178  subveniri  ustione)  ;  (scutulae) 
interdum  digeruntur  per  itineris  exercitationem  185;  his 
evenit  per  longum  tempus  exercitationis  beneficio  et  per 
diastima  vel  per  sanguinis  detractionem  morbum  digerere  et 
firmiores  fieri  186;  sunt  ali  qui  ex  ipsis  signis  per  longum 
tempus  per  maciem  pereunt  186,  cf.  229  ut  ex  ipsa  retor- 
tione  moriantur  per  ruptionem  vesicae  ;  potionibus  quoque 
amaris  et  catarticis  potionabuntur,  per  quam  amaritudinem 
amaritudo  morbi  expellitur  1 90  ;  in  quo  loco  per  digestionem 
separata  per  totum  organum  interius  distribuuntur  208  ; 
separata  simili  modo  per  quadrum  213;  impediuntur,  quo- 
minus  velocem  cursum  interaneorum  per  ventum  excludi 
possunt  214;  spiritus,  qui  per  duplicationem  crementi... 
maior  fit  215  ;  per  hoc  ciclum  valitudinis  incurabiles  sani 
fieri  promittuntur  255  ;  scire  oportet....  ut  plenitudo 
sanguinis  a  cruditate  per  indigestionem  in  eos  corrum- 
patur  256. 

Après  un  verbe  à  l'actif,  l'instrumental  est  exprimé  au 
moyen  de  per  aux  §§  132,  134,  137,  138,  145,  148,  149, 
167,  173,  177,  180,  181,  186,  189,  197,  205,  206,  208, 
216,223,  226,  227,261. 

L'usage  du  passif  avec  un  complément  de  personne  est 
extrêmement  rare.  On  trouve  : 

tiniolae...  quae  pediculi  ab  alis  appellantur  224  ;  est  autem 
genus  herbae  flore  russeum...  dicitur  a  quibusdam  miosota 
293. 


1 


LE  PASSIF  DANS  LA  MULOMEDICINA  147 

ergo  per  quemquem  intelligitur  hac  ratione  134,  où  per  a 
supplanté  la  préposition  classique  a,  ab. 

Formations  nouvelles.  —  Le  médio-passif  est  souvent 
remplacé  par  des  formations  nouvelles,  qui  sont  largement 
représentées  dans  les  langues  néo-latines.  Une  des  plus 
importantes  est  l'emploi  de  l'actif  accompagné  du  réfléchi, 
qui  a  fourni  le  passif  roumain  à  toutes  les  personnes,  et 
celui  de  l'italien  à  la  3^  personne  du  singulier  : 

ubi  primum  morbus  se  abscondit  174;  incipiet  humor  se 
foris  abstrahere  223  ;  ut  haec  coagulatio  humoris  frigidi  in 
ventrem  se  conférât  211  ;  horum  statim  nervi  se  contrahent; 
omnis  esca...  in  partem  cruditatis  se  convertit  et  difficiliter 
coquitur  116  (noter  le  voisinage  de  se  convertit  et  de 
coquitur)  ;  quae  corruptio  sanguinis. . .  in  capite  se  derivaverit 
256  ;  ex  pluribus  signis  quibus  se  demonstrat  praemixtis 
demonstrationibus  164  ;  ab  similibus  signis  se  demonstrat 
166;  ubi  hic  morbus  se  demonstravit  167;  ubi  se  humor 
morbi  demonstraverit  187  ;  ubi  iam  morbus  se  ostendit  192  ; 
ceterae  prout  se  ostenderint  causae  276  ;  stercora  si  se  post 
ex  aggravatione  stercoris  provocaverint  230  ;  qui  operanti 
iumento  et  suci  se  segregant...  nec  nisi  requeto  spurcities 
separaverit  se  a  sanguine  162  ;  similem  dolorem  ingentem 
sine  inflatione  et  in  cursu  se  toUentem  238  ;  statim  se  mor- 
bus in  contrarium  vertit  119. 

On  trouve  même  le  réfléchi  avec  des  verbes  neutres  :  hic 
humor  sudoris  in  ventrem  se  desidet  220  ;  morbus  se  ad 
corpora  increscens  ustione  extinguitur  188;  prout  se  corpus 
habuerit  294  (cf.  prout  corpus  habuerit  144). 

Dans  les  phrases  suivantes,  dont  le  sujet  est  un  être 
animé,  le  latin  classique  emploierait  quelquefois  le  réfléchi, 
plus  souvent  le  déponent,  ou  le  médio-passif.  L'innovation 
est  dans  le  développement  de  l'emploi  du  réfléchi  ;  mais  il 


148  A.  ERNOUT 

n'y  a  pas,  comme  pour  les  exemples  précédents,  substitu- 
tion du  réfléchi  au  passif  : 

humor  qui...  scalpere  et  parietibus  se  adfricare  facit 
(equum)  171  ;  et  agitât  se  toto  corpore  270  ;  exsurgens 
citius  ambulare  se  ipsum  cogit  221  ;  statim  prae  dolore 
volutat  et  collidat  se  206  ;  volutando  et  coUidendo  se  220  ;  ex 
qua  constrictione  et  rosione  ipsius  loci  mordendo  se  comedet 
260  ;  sub  iugo  rétro  se  magis  conferet  115  ;  pes  eius 
contrahet,  iterum  se  transferet,  et  quod  in  altum  saliat  et  se 
convertat  etiam,  ut  mordeat  292  ;  convertere  se  non  potest  ; 
aliquando  et  excutiet  se  284  ;  diftîciliter  se  iactabit  244  ; 
non  se  movet  nisi  diflSciliter  261  ;  difficiliter  se  praegirat  et 
in  eam  partem  ambulans  illo  latere  parieti  se  iungit  261  ; 
proicit  se  subinde  115  ;  subinde  ad  terram  se  proicit,  ex  qua 
se  levare  vix  possit  119  ;  nec  se  facile  proiciet  ad  terram  170  ; 
quis  se  difficiliter  proiciunt  ad  terram  178  ;  in  spinas  se 
proiciunt  226;  si...  inveneris...  non  fréquenter  volutantem 
sed  proicientem  se  subinde  in  dextram  partem,  extendit  se 
233  ;  nec  vehementer  volutant  et  quasi  in  cursu  se  provo- 
cantes proiciunt  se  236  ;  interdum  se  proicere  volet  non  sine 
gemitu  et  submittit  et  toto  corpore  se  iactat  239  ;  ut  se 
proicere  possit  276  ;  in  praesepium  se  proicit  290  ;  si  resur- 
git, fortiter  se  relevât  et  si  se  excutire  volet,  tardius  vix  se 
excutit  240;  omnem  iumentum...  se  incipit  scalpere  aut 
etiam  parietibus  se  adfrigare  246  ;  tendit  se  ad  conatu 
mictionis  228. 

Une  construction  curieuse  est  :  caput  sibi  inter  pedes 
mittunt. . .  et  ilia  sibi  quasi  scalpunt  226  ;  ilia  sibi  morsicis 
comedet  280  ;  et  ilia  sibi  assidue  corrodent  236.  Cet  emploi 
du  dativus  commodi  du  réfléchi  a  subsisté  en  français. 

FiERi  -{-  LE  PARTICIPE  EN  -to-.  —  Ex  eadcm  parte  doloris 
gravatus  amens  fit  apiosus  257  ;  amentatus  a    corde  fit  his 


LE  PASSIF  DANS  LA  MULOMEDfCINA  149 

valitudinibus  260  ;  fit  enim  spiritui  ductus  gravissimus, 
nares  aperti  divisi  137  ;  unde  et  nervi  totius  corporis  constrin- 
guntiir  ex  ipso  labore,  ex  quo  et  tempora  cavata  fîunt  et 
oculi  depressi  148. 

interiorum  singularum  partium  dolor  plures  valitudines  et 
dolores  fieri  nata  in  ventrem  demonstrat  206. 

ex  qua  re  contingit  cutem  in  corpore  strictiorem  fieri  148. 

C'est  ainsi  que  se  rend  le  passif  dans  l'italien  du  Nord. 
A  ce  passif  correspond  l'actif  :  haec  ipsa  signa  similiter  aliis 
signa  divisa  plures  faciunt  168;  omnes  acres  umores... 
excludit  et  curatos  facit  224. 

Venire  -\-  LE  PARTICIPE  EN  -to-.  —  Si  equus  de  via  coactus 
venerit  157  ;  si  iumentum  de  via  coactum  veniet  158  ;  cibum 
quem  conceptum  venire  oportet  in  duas  partes  266. 

C'est  avec  venire  que  le  rhétique  forme  encore  son  passif. 

Enfin  l'état  s'exprime  non  seulement  par  esse -{-le  parti- 
cipe en  -to-f  mais  par  hahere  suivi  d'un  accusatif  accompa- 
gné du  participe  ou  d'un  adjectif  qui  s'y  rapporte.  A  côté 
du  type  iam  mens  alienata  est  se  rencontre  le  nouveau 
mode  d'expression  : 

iam  habet  enim  et  alienatam  mentem  147  ;  testes  collectos 
habet  134  (cf.  testibus  demissis  erit  132,  testibus  deiectis 
erit  146);  oculos  habebit  demersos  132;  caput  demissum 
habebit  115;  118;  caput  et  auriculas  demissas  habuerit 
273  ;  qui  hoc  vitium  patiuntur,  intestina  habent  ex  suis  locis 
exclusa  215  ;  oculi  ei  intro  erunt  et  versabuntur. . .  et  oculos 
tensos  habebit...  et  reliquum  corpus  extensum  erit  158; 
279  (mais  288  oculis  ardentibus  erit  cf.  284,  294)  ; 
habebit...  cervicem  extensam,  oculos  pituitantes  concavos  et 
subductos  140  ;  nares  extensos  habebit  170  ;  gravabitur  toto 
corpore,  et  posteriora  crura  inligata  habebit  160. 

Cet   emploi   de    l'auxiliaire    hahere    est     très    fréquent 


ISO  A.  ERNOUT 

(cf.  rigidam  caudam  habebit  122;  corpus  totum  fervidum 
habet  123  ;  si  nares  mundos  habuerit  123  ;  pilos  horridiores 
habebit  274  ;  sanguineos  habet  oculos  292  ;  oculos  pinguiores 
habere  videbitur  134  ;  fervidum  corpus  habebit  133. 

On  le  retrouve  encore  vivant  dans  le  français  moderne. 

Les  remarques  précédentes  attestent  le  caractère  moderne 
de  la  langue  parlée  au  début  du  v*  siècle  :  appauvrissement 
du  système  médio-passif,  emploi  limité  des  formes  simples, 
prédominance  des  formes  avec  auxiliaires,  empiétement  des 
unes  sur  les  autres,  substitution  de  formes  d'actif  aux  for- 
mes de  passif,  développement  du  jeu  des  prépositions.  Le 
«  mulio  semirasus  »  qui  composa  la  Mulomedicina  ne  se 
doutait  pas  que  son  ignorance  de  la  grammaire  beaucoup 
plus  que  sa  connaissance  des  chevaux  lui  donnerait  droit  un 
jour  de  figurer  dans  un  livre  dédié  au  meilleur  de  nos  lati- 
nistes. 


Félix  GAFFIOT 

COMMENT  ONT  ÉTÉ  FAITES 

CERTAINES  LOIS  DE  LA  LANGUE  LATINE 


COMMENT    ONT  ÉTÉ    FAITES 
CERTAINES  LOIS  DE  LA  LANGUE  LATINE 

Par  Félix  Gaffiot. 


11  n'y  a  pas  la  moindre  exagération,  j'imagine,  à  dire  qu'un 
dogme  fondamental  des  grammaires  actuelles  du  latin,  c'est 
qu'il  existe  une  syntaxe  particulière  de  Plante  et  de  Térence, 
bref,  une  syntaxe  archaïque,  comme  un  dogme  fondamental 
des  stylistiques,  c'est  que,  au  temps  de  ces  mêmes  écrivains, 
la  langue,  à  considérer  l'art  de  bâtir  la  phrase,  n'est  pas 
constituée,  mais  se  trouve  encore  dans  la  phase  rudimen- 
taire  de  la  para  taxe.  Il  m'est  arrivé  déjà  de  dénoncer  le 
néant  de  ces  dogmes  ^  Aussi  bien  rien  n'est-ii  curieux  com- 
me de  constater  sur  quelles  bases  fragiles  ils  sont  établis. 


Celui  de  la  stylistique  est  dû  à  des  confusions,  qui  pèsent 
en  définitive  sur  toute  la  conception  du  latin.  On  brouille 
des  notions  qui  devraient  être  distinguées  soigneusement,  la 
langue  et  le  shjle.  On  ne  discerne  pas  ce  qui  est  la  langue 
dans  sa  teneur  générale  de  ce  qui  est  la  langue  de  récri- 
vai?i,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  de  ce  qui  est  le  choix 
propre  que  l'écrivain  opère  dans  cette   langue  générale  ;  on 

1.  Le  subjonctif  de  subordination  en  latin,  Paris,  Klincksieck,  1906. 


loi  F.  GAFFIOT 

ne  fait  leur  part  ni  aux  tempéraments,  ni  aux  genres  ;  on 
oublie  que  la  première  obligation  du  philologue  consiste  à 
démêler,  au  mieux,  dans  une  œuvre  l'élément  personnel, 
c'est-à-dire,  ce  qui  résulte  à  la  fois  de  la  nature  et  des  goûts 
de  l'auteur,  de   sa  volonté  esthétique,  de  ses  connaissances 
ou  de  sa  culture,  du  sujet  traité.  Pour  Plante,  par  exemple, 
il  semble  que   les  théoriciens  n'aient  pas  pris  vraiment  la 
peine  de  le  lire,  ou,  du  moins,  de  réfléchir  quelque  peu  en 
le  lisant.  Que  trouve-t-on,  en  effet,  chez  lui,  à  n'envisager 
bien  entendu  que   la  structure  des  phrases,   puisque  c'est 
l'objet  de  la  question  ?  Si  on  ne  se  laisse  point  abuser  par  l'as- 
pect archaïque  qui  frappe  d'abord,  si  les  formes  vieillies  ne 
font  pas   illusion,   on    trouvera   ce  qu'on  doit  s'attendre  à 
trouver  —  ce  qu'on  trouverait.  Plante  eût-il  écrit  un  siècle 
plus  tard  —  je  veux  dire,  ce  qui  caractérise  le  style  de  la 
comédie,  les  tours  vifs  et  alertes,  les  juxtapositions  rapides, 
les  manières  coupées  et  brusques  du  dialogue,    ou  parfois, 
au  contraire,  les  constructions  redondantes,  à  insistance  fa- 
milière. On  y  trouve  cela,  parce  que,  je  le  répète,  on  est  chez 
un  poète  comique;  mais  on  trouve  cela,  aussi  et  surtout,  parce 
qu'on  est  chez  Plante.  Térence  a  traité  la  comédie  autrement, 
et,  par  suite,  a  écrit  autrement.  C'est  une  étrange  chose  que 
de  voir  quel  abîme  sépare  la  littérature  et  la  philologie  ;  on 
s'imaginerait  qu'il  y  a  là  deux  domaines  absolument  distincts, 
qui  ne  souffrent  pas  la  moindre  pénétration  réciproque.  En 
littérature,  on  répète,  et  à  bon  droit,  que  Plante  s'est  tenu 
très  près  du  gros  public,  qu'il  cherchait  à  plaire  plus  parti- 
culièrement aux  petites  gens,  —  tunicato  popello,  comme 
aurait  dit  Horace  —  et  qu'il   s'adressait  de  préférence  aux 
gradins  les  plus  élevés  de  l'amphithéâtre.  En  philologie,  nos 
faiseurs  de  règles  oublient  toutes  ces  vues,  et  étudient  la 
langue  du  même  poète,  comme  s'ils  ignoraient  le  caractère 
de  son  œuvre.  Pourtant  ce  sont   bien  deux  choses  liées  de 


CERTAINES  LOIS  DE  LA  LANGUE  LATINE  155 

façon  indissoluble.  Que  peut-on  attendre  d'un  écrivain  sou- 
cieux de  son  art  ?  sinon  la  forme  qui  convient  au  genre  qu'il 
aborde,  la  forme  qui  réalise  l'idéal  qu'il  conçoit.  Attendra- 
t-on  de  Plaute  un  langage  Cicéronien  ?  Ou  même  ira-t-on  lui 
demander  l'élégance  mesurée  de  Térence?  Plaute  a  écrit 
pour  le  peuple,  parce  qu'il  l'a  voulu,  et,  écrivant  pour  le 
peuple,  il  a  adopté  une  manière  qui  n'eût  pas  été  séante, 
s'il  se  fût  adressé  aux  Laelius  et  aux  Scipions.  Mais  prenons- 
y  garde  :  Plaute  n'est  pas,  ce  que  d'aucuns  croient  à  la 
légère,  un  pauvre  diable  qui  compose  des  pièces  au  petit 
bonheur,  avec  l'unique  et  bien  peu  artistique  souci  de  ga- 
gner de  quoi  vivre  ;  le  mot  d'Horace  est  plus  que  suspect 
«  gestit  nummum  in  loculos  demittere,  etc.  ».  En  tout  cas, 
qu'il  ait  eu,  ce  qui  est  probable  et,  du  reste,  fort  légitime,  le 
désir  du  succès  et  du  gain,  on  ne  saurait  prétendre  sans  in- 
justice qu'il  n'ait  pas  visé  au  delà.  Gomme  notre  Molière,  il 
a  songé  en  même  temps  à  faire  œuvre  à^ouvrier  :  et,  quoi 
qu'on  pense,  il  se  révèle  un  écrivain^  dans  toute  la  force  du 
terme  ;  il  domine  sa  manière  et  n'est  pas  dominé  par  elle.  Sa 
phrase,  loin  d'être  la  phrase  informe  qu'on  se  plaît  à  imagi- 
ner, phrase  encore  enfantine  d'un  peuple  qui  bégaie,  est 
la  phrase  savante  d'un  artiste  qui  sait  tirer  parti  d'une  lan- 
gue faite.  Il  juxtapose,  certes,  mais,  quand  il  veut,  il  subor- 
donne et  construit.  Une  lecture  de  quelques  instants  mon- 
trerait vite  avec  quelle  aisance  il  développe  au  besoin,  et 
groupe  et  ordonne  logiquement  les  propositions.  S'étonnera- 
t-on  que  ce  ne  soit  pas  sa  façon  habituelle  ? 

Ceci  posé,  a-t-il  connu  la  période,  au  sens  plein  du  mot  ? 
Non,  évidemment.  Mais  là-dessus  il  importe  de  bien  s'enten- 
dre. La  période,  comme  on  la  rencontre  chez  Cicéron,  est, 
parmi  les  formes  de  l'expression,  celle  qui  exige  le  plus  de 
science  et  d'art.  Aussi  est-elle  plutôt  la  création  d'un  seul, 
ou  de  quelques-uns,  que  l'œuvre  collective  et  anonyme  du 


lo6  F.  GAFFIOT 

peuple,  un  fait  de  stijle  en  somme  plutôt  qu'un  état  de  la 
langue.  Et  je  ne  parle  pas  du  rythme  ou  nombre  oratoire, 
dont  on  sait  assez  qu'il  relève  uniquement  de  Cicéron  :  j'en- 
visage le  simple  groupement  des  propositions  en  période  ;  eh 
bien  I  je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  voir  là  une  étape  dans  la 
marche  évolutive  de  la  prose  latine.  En  d'autres  termes,  ce 
genre  d'écrire  n'appartient  pas  à  une  époque  plutôt  qu'à  une 
autre  ;  c'est  affaire  de  goût  et  cela  dépend  de  chacun  —  si, 
ne  l'oublions  pas,  nous  sommes  dans  une  langue  constituée. 
Ainsi,  même  en  temps  de  vogue,   ce  genre    reste  quelque 
chose  de  personnel,  adopté  par  les  uns,  rejeté  par  les  autres, 
et  surtout  manié  de  façons  diverses,  suivant  les  personnes. 
Varron  en  use  presque  toujours  gauchement,  Salluste  affecte 
de  le  dédaigner,   César  y  met  une  négligence  attentive,  et 
Tite  Live  paraît  n'avoir  souci  que  de  le  traiter  autrement 
que  Cicéron.  Pour  conclure,  chacun  y  laisse  sa  marque.  Ce 
qui  revient  à  dire,  en  somme,  que  chacun  utilise,  selon  ses 
goûts  et  son  talent,  les  ressources  que  lui  offre  la  langue  de 
tout  le  monde.  Quand,  plus  tard,  Sénèque  prendra  plaisir 
à  désagréger  la  période,  il  ne  représentera  pas  plus  un  mo- 
ment dans  le  développement  historique  de  la  phrase  latine 
que  Plante,  quand  il  faisait  de  la  parataxe  :    ni  celui-ci  ne 
révèle   un  état  embryonnaire,   ni  celui-là  une  décadence. 
Parmi  les  différentes  manières  d'écrire  —  il  s'agit  toujours 
du  groupement  des  mots  —  la  manière  de  Sénèque  est  aussi 
légitime  que  les  autres.  Ce  décousu,  ce   sautillant,  ce  sable 
sans  chaux,    comme    disait    Caligula,    on  peut  ne  l'aimer 
point,   voilà  tout.  Le  procédé  n'engage  que  l'écrivain  lui- 
même,  et,  si  d'autres  l'adoptent,  c'est  qu'ils  s'en  accommo- 
dent, l'engouement  supposant  d'ordinaire  choix  et  préférence 
chez  l'artiste.  Du  reste,  après  Sénèque,  viendront  et  Quin- 
tilien  et  Pline  le  Jeune,  qui  s'attacheront  à  restaurer  le  goût 
de  la  période.  Ce  qui  n'empêchera  pas  Tacite,  à  son  tour, 


CERTAINES  LOIS  DE  LA  LANGUE  LATINE  m 

de  la  désarticuler,  de  la  mettre  en  morceaux,  et,  tandis  que 
ces  Gicéroniens  s'obstinent  à  retrouver  le  secret  des  belles 
ordonnances  symétriques  et  de  la  concinnitas,  cela  ne  l'em- 
pêchera pas,  lui,  de  chercher  au  contraire  les  heurts,  si  j'ose 
dire,  et  les  cahots  de  l'asymétrie.  Comme  le  français  n'est 
exclusivement  ni  Bossuet,  ni  Montesquieu,  ni  Voltaire,  ni 
Hugo,  mais  tout  cela  à  la  fois,  embrassant  dans  son  unité  la 
variété  infinie  des  manières  individuelles,  de  même  le  latin 
n'est  pas  plus  Gicéron  et  Gésar  que  Plante  ou  Tite  Live  ou 
Tacite.  Parataxe  ou  période,  le  génie  latin  admet  également, 
en  tous  temps,  ces  deux  formes  de  langage  :  aucune  n'est  le 
latin,  toutes  deux  sont  du  latin. 


A  consulter  les  grammaires,  rien  ne  semble  plus  solide 
que  le  dogme  de  la  syntaxe  archaïque,  tant  apparaissent 
nombreuses  et  essentielles  les  difïérences  qu'on  se  plaît  à 
relever  entre  la  syntaxe  des  comiques  et  celle  de  Gicéron. 
En  réalité,  à  consulter  les  faits,  c'est-à-dire  les  textes,  rien 
ne  se  révèle  plus  ruineux.  Je  voudrais  le  montrer  rapide- 
ment, sur  quelques  points,  les  plus  importants,  en  priant 
qu'on  me  fasse  crédit  pour  deux  questions,  l'emploi  de  l'in- 
finitif et  les  conditionnelles. 

On  nous  dit  (voir,  par  exemple,  Lebreton:  Études  sur  la 
langue...  de  Cicéron.  Paris,  1901 .  Introduction  p.  15)  :  l'emploi 
des  modes  est  ce  qui  caractérise  le  plus  l'ancienne  langue.  Ainsi , 
l'indicatif  est  inconnu  des  classiques  dans  les  cas  suivants  : 


I.  —  Relatives  causales. 
Je  demande  la  permission  de  renvoyer  à  ma  thèse  sur  le 


138  F.  GAFFIOT 

subjonctif  de  subordinatio7i  en  latin,  p.  67  à  89.  On  y  trou- 
vera un  nombre  assez  considérable  d'exemples  de  Gicéron 
pour  constater  la  légèreté  de  l'assertion. 

Sur  la  question  spéciale  de  quippe  qui,  je  prie  le  lecteur 
de  remarquer  comment  on  a  raison  des  difticultés,  soit  par 
la  correction  opportune  d'un  passage  de  Gicéron,  soit  par 
la  mise,  en  quelque  sorte,  à  l'index  de  tous  les  exemples  de 
Salluste  et  de  Tite  Live. 


II.  —  Relatives  adversatives. 

Ma  thèse  encore  (p.  93  et  suiv.)  démontrera  sur  cette  par- 
tie l'identité  de  la  syntaxe  dans  Plante  et  dans  Gicéron.  Qu'on 
lise  en  particulier  (p.  95  et  96)  le  paragraphe  où  je  produis 
un  bon  nombre  d'exemples  de  la  construction  indicative 
chez  Gicéron,  alors  que  la  valeur  concessive  du  relatif  est 
soulignée  dans  la  régissante  i^diTtamen. 


III.    GUM   CAUSAL. 

Voir  thèse  p.  114  et  suiv.,  p.  140  et  suiv. 

Noter  la  désinvolture  avec  laquelle  on  supprime  ce  qui 
gêne  (p.  109):  un  subjonctif  causal  dans  Plante  est  changé 
en  indicatif  pour  assurer  la  règle. 


IV.  GuM   ADVERSATIF. 

Voir  thèse  p.  12o  et  suiv.  Remarquer  surtout  que  la  liste 
des  cas  de  construction  indicative  comprend  seulement  les 
passages  où  l'idée  concessive  est  soulignée  dans  la  principale 
par  tamen. 


CERTAINES  LOIS  DE  LA  LANGUE  LATINE  lf;0 


V.    CUM   MARQUANT   l'eNCHAINEMENT   DE   DEUX   FAITS. 

Voir  (p.  loi  etsuiv.)tout  ce  qui  concerne  l'emploi  de  cum 
participial.  Noter  la  correction  d'un  passage  de  Plaute  p. 153, 
toujours  pour  assurer  la  règle. 


VI.  —  Interrogation  indirecte. 

Je  voudrais  ici,  sans  prétendre  épuiser  la  question,  qui 
sera  traitée  ailleurs  avec  plus  de  développement,  montrer  au 
moins,  par  quelques  traits  significatifs,  la  manière  dont  on  a 
fondé  les  lois  courantes  de  nos  grammaires. 

1".  On  a  d'abord  méconnu  deux  grands  faits  du  style  la- 
tin, ce  qui  a  conduit  à  ranger  dans  l'interrogation  indirecte 
une  foule  de  cas  qui  n'y  ont  que  faire,  a)  On  n'a  pas  vu  que 
toutes  les  propositions  ?>\xhovàoï\ïiéQ?>introduitespar  un  rela- 
tif peuvent  être,  au  gré  de  l'écrivain,  sans  que  pèse  la 
moindre  contrainte  grammaticale,  ou  des  relatives  ou  des 
interrogations  indirectes  :  si  elles  restent  relatives,  le  mode 
reste  naturellement  l'indicatif,  si  elles  sont  conçues  comme 
interrogations,  le  mode  est  le  subjonctif.  A)  Quand  elles  sont 
relatives,  le  substantif  antécédent  peut  être,  au  gré  de  l'é- 

Icrivain,  enclavé  dans  la  relative  et  mis  au  même  cas  que  le 
i'elatif  par  attraction.  Ainsi  un  Latin  peut  dire,  à  son  gré, 
puivant  la  manière  dont  il  envisage  la  subordination  :  Elo- 
quere  quam  rem  agis  [=  rem  quam  agis^,  ou  eloquere 
qitam  rem  agas.  —  Eloquere  quamobrem  venisti  [=  rem 
ob  quam  venisti],  ou  eloquere  quamob?'emveneris.L2L  seule 

temarque  à  faire,  c'est  que  la  forme  interrogative  est  plus 
avante,  l'autre  plus  familière. 


160  F.  GAFFIOT 

L'espace  m'étant  mesuré,  je  ne  puis  citer  en  regard  de  la 
construction  relative  (indicatif)  les  cas  de  construction  in- 
terrogative  (subjonctif)  ;  je  me  borne  à  produire  des  exem- 
ples de  la  première. 

Mil.  1222  :  Audin  quae  loquitur?  —  Audio. 
As.  447  :  Audin  quae  loquitur  ?  —  Audio  et  quiesco. 
Amp.  417  :  Hic  quidem  carte  quae  illic  sunt  res   gestae  meraorat   mo- 

[moriter. 
Bacch.  698  :  Imnio  si  audias  quae  dicta  dixit  me  advorsum  tibi. 
Capt.  207*^  :  Sentio  quam  rem  agitis. 
Eun.  783  :  Viden  tu,  Thaïs,  quam  hic  rem  agit  ? 
Pers.  109  :  Ecquid  meministi,  ero, 

qua  de  re  ego  tecum  mcntionem  feceram  ? 
Rud.  330:   Nunc,  quamobrem  hue  sum  missa,  amabo  vel  tu  mi  aias  vol 

[neges. 
Cist.  82  :  ...  qua  accersitae  causa  ad  me  estis,  eloquar. 
Phorm.  798:  Quid  tu  ?  Ecquid  locutu's  cum  istac,  quamobrem  hanc  du- 

[cimus  ? 
Eun.  99:  Age,  sed  hue  qua  patria 

te  accersi  jussi,  ausculta. 
Aul.  63  :  neu  persentiscat,  aurum  ubist  absconditum. 
Ep.  438  :  Gave  praeterbitas  ullas  aedis,  quin  roges 

senex  hic  ubi  habitat  Periphanes... 
Trin.  938  :  nisi  quia  lubet  cxperiri  quo  evasurust  denique. 
Stich.  541  :  Miror  quo  evasurust  apologus. 

Amp.  1129  :  Simul  hanc  rem  ut  factast  eloquar. 
Bacch.  474  :  Ego  omnem  rem  scio 

quemadmodumst. 
Bacch.  202  :  Scis  tu  ut  confringi  vas  cito  Samium  solet. 
St.  112  :  Scio  ut  oportet  esse... 
St.  113  :  Volo  scire  ergo  ut  aequom  censés. 
Mil.  1074  :  Non  edepol  tu  scis,  mulier, 

quantum  ego  honorem  nuncillihabeo. 

2".  Par  une  singulière  inconséquence,  une  forme  que  l'on 
reconnaît  dans  Gaton,  on  ne  la  reconnaît  pas  dans  Plante  I 


CERTAINES  LOIS  DE  LA  LANGUE  LATINE  161 

je  veux  dire  la  forme  relative  quis  et  surtout  quid.  Faute 
d'avoir  enregistré  ce  fait  de  langue,  on  classe  dans  l'interro- 
gation indirecte  un  très  grand  nombre  de  subordonnées,  qui 
sont  purement  et  simplement,  comme  les  précédentes,  des 
relatives.  Je  ne  veux  pas  apporter  ici  une  démonstration 
proprement  dite  ;  ce  sera  l'objet  d'une  étude  spéciale,  où 
j'espère  montrer  que  ce  relatif  s'est  maintenu  dans  toute  la 
latinité,  sinon  dans  le  haut  style,  du  moins  dans  le  style 
courant.  Je  me  contente  de  citer  sans  commentaires  quel- 
ques exemples  typiques. 

Merc.  783  :  dicam  id  quid  est  (texte  de  A). 

Pseud.  696  :  commemini  omnia  :  id  tu  modo,  me  quid  vis  facere,  fac 

[sciam. 
Asin.  884  :  audin  quid  ait  ?  —  Audio. 
Comparer  As.  447  cité  plus  haut. 

Pseud.  330  :  Propera  :  quid  stas  ?  ei,   accerse  agnos  :   audin   quid    ait 

[Juppiter  ? 
Eun.  1037  :  Audin  tu  hic  quid  ait  ? 
Cap.  592  :  Hem  audin  quid  ait  ? 
Pseud.  18  :  Face  me  certum  quid  tibist. 
Men.  472  :  Observa  quid  dabo. 
Pers.  291  :  Itane  ?  specta 

quid  dedero.  (leçon  de  A).  —  Nil  :  nam  nil  habes. 
St.  410  :  Videte,  quaeso,  quid  potest  pecunia. 
Phorm.  358  :       Vide,  avaritia  quid  facit. 
Merc.  431  :  Ah  I  nescis  quid  dicturus  sum,  tace. 

Aul.  174  :  Scio  quid  dictura's  :  hanc  esse  pauperem... 
Mil.  36  :  Ehem  scio  jam  quid  vis  dicere. 
Merc.  503  :  Exquire  quid  vis. 

Men.  207  :  Sein  quid  volo  ego  te  accurare  ?  —  Scio  :  curabo  quae  voles. 
Pœn.  1167  :  Sein  quid  est? 

Men.  1154  :  Scitin  quid  ego  vos  rogo  ? 

Bacch.  78  :  Scio  quid  ago.  —  Et  pol  ego  scio  quid  metuo. 
Bacch.  866  :  Pacisce  ergo,  opsecro,  quid  tibi  lubet... 

Voici  enfin  quelques  passages,  où  l'incertitude  même  des 

11 


162  F.  GAFFIOT 

manuscrits  révèle  la  nature  relative  de  quid\  les  uns  don- 
nent quid^  les  autres  quod\  ou  encore,  les  uns  le  subjonc- 
tif, les  autres  l'indicatif,  suivant  que  quid  est  envisagé  comme 
interrogatif  ou  comme  relatif. 

Pœn.  881  :  Quid  ergo  dubitas  quin  lubenter  tuo  ero  meus  quid  possiet 
facere  faciat...  ? 

Ce  texte,  adopte  par  Léo  et  Goetz-Schoell,  donne  la  leçon  de  A  ;  B  a 
qaod.  Léo  explique  quid  comme  un  synonyme  de  quidquid  :  c'est  tout 
simplement  le  relatif. 

Ep.  651  :  quid  bonist,  id  tacitus  taceas  tute  tecum  et  gaudeas. 
Les    éditeurs   adoptent  quod  de  CD,  mais  B  a  quid.  Pour  ma  part,  je 
crois  quid  préférable,  précisément  parce  qu'il  surprend. 

Heaut.  210  :  Scitumst  periclum  ex  aliis  facere,  tibi  quid  ex  usu  siet. 
Tandis  que  CEF  donnent  quid,  les  autres  man.  donnent  quod. 

MU.  925  :  numquam  vidit  : 

qui  noverit  me  quis  ego  sim  ? 

BD  donnent  sum  ;  mais  les  éditeurs  préfèrent  sim  des  autres  manus- 
crits, parce  qu'ils  ne  reconnaissent  pas  la  valeur  relative  de  quis  (différent 
du  relatif  qui,  comme  Tinterrogatif  quis  diffère  de  l'interrogatif  qm). 

Eun.  265  :  viden  otium  et  cibus  quid  facit  alienus. 

Le  Bembinus  a  faciat.  Tous  les  Callopiens  ont  facit  adopté  par  Ben- 
tley, Fleckeis.,  Wag.,  Umpf.,  Dz.,  Fabia.  Il  y  a  grande  vraisemblance  en 
effet  que  faciat  soit  une  correction. 

3".  Les  grammairiens,  à  la  suite  de  Becker,  voyant  que 
les  faits  s'accommodent  mal  à  leurs  règles,  multiplient  les 
divisions  et  subdivisions,  distinguant  avec  des  expressions, 
comme  viden,  audin,  etc.,  les  cas  où  l'interrogation  est  vé- 
vitable  de  ceux  où  elle  est  de  pure  forme,  distinguant  après 
die,  eloquere,  cedo,  narra,  etc.,  les  cas  où  on  attend  une 
réponse  immédiate,  etc.,  etc.  Toutes  ces  distinctions  sont 
vaines  et  artificielles,  et  les  faits  à  chaque  instant  leur  don- 
nent un  démenti. 


CERTAINES  LOIS  DE  LA  LANGUE  LATINE  163 

L'écrivain  en  réalité,  après  ces  expressions  comme  après 
celles  du  même  genre,  subordonne  ou  juxtapose,  à  sa  guise, 
suivant  le  mouvement  général  des  idées.  C'est  encore  une 
question  de  style  et  non  l'application  mécanique  d'une  règle 
grammaticale.  Pour  ne  pas  l'avoir  vu,  on  a  déclaré  illégi- 
times une  quantité  d'emplois  de  l'indicatif,  qui  sont  des  plus 
naturels,  parce  qu'ils  représentent  des  interrogations  ou 
exclamations  directes. 

Most.  254  :  Suo  quique  loco  ?  viden  ?  capillus  satis  compositust  com- 

[mode  ? 

Cette  manière  de  couper  le  texte  en  trois  interrogations,  comme  fait 
Goetz-Schoell,  rend  admirablement  la  pensée  et  dispense  de  toute  correc- 
tion. 

Cure.  126  :  Hoc  vide  :  ut  ingurgitât  inpura  in  se  merum  avariter  fauci- 

[bus  plenis  1 

Cure.  188  :  Viden  :  ut  misère  moliuntur  !  nequeunt  complecti  satis. 

Bacch.  492  :  Viden  :  ut  aegre  patitur  gnatum  esse  corruptum  tuom. 

As.  149  :  At  scelesta  !  viden  :  ut  ne  id  quidem  me  dignum  esse  existu- 

[mat 
quem'  adeat... 

Rud.  171  :  Viden  alteram  illam  ?  ut  fluctus  ejecit  foras  1 

surrexit... 

Capt.  557  :  Viden  tu  hune  ?  quam  inimico  voltu  intuitur! 

Pseud.  935  :  Sed  vide  :  ornatus  hic  me  satis  condecet  ? 

Amp.  377  :  Loquere  ;  quid  venisti  ?  —  Ut  esset,  quem  tu  pugnis  cae- 

[deres. 

Aul.  212  :  Die  mihi  :  quali  me  arbitrare  génère  prognatum?  —  Bono. 

Cas.  978  :  Quin  responde  :  tuo  quid  factumst  pallio  ? 

Truc.  354  :  Ver  vide  : 

ut  tota  floret,  ut  olet,  ut  nitide  nitet  1 

Mil.  64  :  Vide  :  caesaries  quam  decet  ! 

Mil.  201  :  Illuc  sis  vide: 

quemadmodum  adstitit  severo  fronte...  1 

Aul.  47  :  Illuc  sis  vide  : 

ut  incedit  I 

Men.  830  :  Ut  oculi  scintillant  I  vide. 


1G4  F.  GAFFIOT 

Cure.  153  :  Hoc  vide  :  ut  dormiunt  pessuli  pessumi...  ! 

Cure.  543  :  Scire  volo  :  quoi  reddidisti?  —  Lusco  liberto  tuo 

Mère.  169  :  Hoc  sis  vide  :  ut  palpatur  I 

Cist.  55  :  Hoc  sis  vide  :  ut  petivit 

suspiritum  alte  ! 

Pers.  788  :  Hoc  vide  :  quae  haec  fabulast  ? 

Hec.  223  :  At  vide  :  quam  inmerito  aegritudo   liaec  oritur   mi    abs  te, 

[Sostrata. 
Eun.  670  :  Illud  vide  :  os  ut  sibi  distorsit  carnufex  1 

Ad.  229  :  0  scelera,  illud  vide  : 

ut  in  ipso  articulo  oppressit  ! 

4**  Quand  les  textes  ne  se  prêtent  pas  à  la  règle,  on  les 
contraint,  ou,  en  tout  cas,  on  les  suspecte  et  on  n'en  tient 
pas  compte.  Et,  si  par  hasard  le  vers  est  faux  et  réclame  une 
correction  métrique,  invariablement  on  le  rectifie  de  ma- 
nière à  l'accommoder  à  la  règle  grammaticale,  comme  si 
l'amendement  devait  fatalement  porter  sur  ce  point,  non 
ailleurs.  Voici  quelques  exemples  : 

D'ordinaire,  dans  le  dialogue,  quand  un  interlocuteur  re- 
prend une  question  qui  lui  est  posée,  la  reprise  se  fait  au 
moyen  des  mêmes  termes,  mais  avec  le  verbe  au  subjonctif, 
parce  qu'il  y  a  dans  la  pensée  un  rogas  ou  rogitas  non  ex- 
primé. Partant  de  là,  Becker  n'admet  pas  que  la  reprise 
puisse  avoir  le  verbe  à  l'indicatif  :  c'est  toujours  ce  déter- 
minisme qui  pèse  sur  les  textes  et  dont  j'ai  déjà  signalé  à 
maintes  reprises  les  funestes  effets.  Becker  donc  voudrait 
corriger  les  deux  vers  suivants  : 

Poen.  353  :  Cur  mihi  haec  iratast  ?  —  Cur  haec  iratast  tibi  ? 
Baech.  561  :  Quid  istuc  est  ?  —  Quid  est  ?  misine  ego  ad  te... 

Ailleurs,  comme  le  vers  est  faux,  les  éditeurs  adoptent  la  recti- 
fication qui  le  conforme  à  cette  prétendue  règle  grammaticale  : 

Most.  907  :  Ecquid  placent  ?  — 

Ecquid  placent  ?  me  rogas  ?   immo  hercle  vero  perplacent. 


CERTAINES  LOIS  DE  LA  LANGUE  LATINE  16o 

Pas  un  instant  on  n'hésite  à  corriger  en  placeant,  correc- 
tion, il  est  vrai,  très  simple  de  Camerarius,  mais  qui  ne 
s'impose  pas.  Le  vers  ne  peut-il  être  remis  sur  pied  autre- 
ment? Ne  peut-on  par  exemple  écrire  «  ecquid  hae  placent  »? 
Le  perplacent  de  la  fin  produit  alors  tout  son  effet  d'homo- 
phonie  ;  et  hae  souligne  fort  à  propos  la  question  ;  du  reste 
les  Palatins,  qui  oni  haec  qiiid,  semblent  bien  révéler  la  chute 
de  hae. 

Pseud.  1184  :  Chlamydem  hanc  commémora  quanti  conductast. 

Becker  voudrait  conducta  sit. 

Merc.  721  :  Qu<o>>ia  illa  mulier  intust  ?  —  Viditisne  eam  ? 

—  Vidi.  —  Quoia  ea  sit,  rogitas  ?  —  Resciscam  tamen. 

—  Vin  dicam  ?  Quoiast  ?  illa...  illa  edepol...  vae  mihi... 
Au  dernier  vers  quoiast  choque  Becker,  qui,  sans  plus,  l'attribue  à  l'au- 
tre interlocuteur. 

Merc.  504  :  Amabo  ecastor,  mei  senex,    eloquere...  —  Exquire,  quid 

[vis. 

—  Cur  emeris  me. 

Le  subjonctif  emeris  allant  contre  ses  théories,  Becker  voudrait  à  toute 
force  un  indicatif.  Et  de  même  dans  les  4  vers  suivants  : 

Most.  166  :  Contempla,  amabo,  mea  Scapha,   satin  haec  me  vestis  de- 

[ceat. 
AuL  431  :  Volo  scire,  sinas  an  non  sinas  nos  coquere  hic  cenam  ? 
Merc.  199  :  Loquere  porro  quid  sit  actum. 
Ad.  325  :  Actumst.  —  Eloquere,  obsecro  te,  quid  sit. 

A.U  résumé,  quelle  confiance  peut-on  avoir  dans  une  théo- 
rie, qui,  parmi  les  faits,  néglige  ou  rejette  ceux  qui  lui  font 
obstacle,  pour  s'attacher  à  ceux  qui  la  vérifient?  dans  une 
théorie,  qui  doit  à  des  confusions  la  plupart  même  de  ces 
faits,  dont  elle  se  réclame?  En  réalité,  la  syntaxe  de  l'inter- 
rogation indirecte  est  la  même  chez  Plaute  que  chez  Gicé- 
ron  ;  j'en  ferai  la  preuve,  je  l'espère. 


166  F.  GAFFIOT 

Et  pareillement  toute  la  syntaxe.  Car,  pour  conclure,  je 
répète  ce  que  j'ai  déjà  dit  et  commencé  à  démontrer*:  la  lan- 
gue est  fixée  à  partir  de  Plaute  ;  ses  grandes  lois,  ses  /ois 
générales,  sont  établies  pour  ne  plus  changer  durant  toute  la 
latinité  :  invariables  et  permanentes,  elles  dominent  dès  lors 
et  commandent  toutes  les  transformations  particulières, 
toute  l'évolution,  en  un  mot,  toute  la  vie  du  parler  latin. 


i.  Subjonctif  de   subordination:    Introduction,   p.    14;    Appendice, 
p.  180  sq.,  p.  183  sq. 


Paul  GILLES 


SUR  LA  PLACE 
DES  NOMS  DE  NOMBRE  DANS  CÉSAR 


SUR  LA  PLACE  DES  NOMS  DE  NOMBRE 
DANS  CÉSAR 

Par  Paul  Gilles. 


D'une  façon  générale, l'ordre  des  mots  n'est  point  soumis 
en  latin  à  des  règles  fixes.  Pour  un  groupe  de  deux  mots 
triginta  dies,  deux  combinaisons  sont  possibles,  l'une  avec 
l'adjectif  préposé,  triginta  dies,  l'autre  avec  l'adjectif 
postposé,  dies  triginta.  Les  éléments  de  ce  groupe  peuvent 
se  disjoindre,  ce  qui  donne  deux  combinaisons  nouvelles  : 
triginta...  dies  et  dies...  triginta.  Ce  n'est  pas  à  dire  que 
ces  combinaisons  soient  équivalentes.  En  ce  qui  concerne 
l'adjectif  numéral,  on  constate  que  triginta  dies  étant  l'or- 
dre ordinaire,  le  nom  des  nombres  est  mis  en  relief  dans 
l'ordre  dies  triginta  et  plus  fortement  encore  dans  l'ordre 
dies...  triginta.  D'autre  part,  il  est  aussi  mis  en  relief  dans 
l'ordre  triginta...  dies  (cf.  l'article  de  M.  Havet,  Mélanges 
Nicole,  p.  22o).  On  a  examiné  ici  dans  quelles  conditions 
les  exemples  d'adjectifs  cardinaux  {unus  excepté)  se  répar- 
tissent chez  César  entre  ces  quatre  combinaisons. 

Les  exemples  de  disjonction  de  l'adjectif  postposé  s'unis- 
sant  naturellement  aux  exemples  de  postposition  simple,  on 
les  a  rangés  parmi  les  exemples  de  postposition,  et  l'on  en- 
tend par  disjonction  la  disjonction  de  l'adjectif  préposé. 


i70  p.  GILLES 


Préposition  et  postposition. 


Déduction  faite  de  tous  les  cas  où  la  place  du  nom  de 
nombre  est  déterminée  ou  influencée  par  des  raisons  extrin- 
sèques, on  trouve  dans  le  de  Bello  Gallico  un  exemple  de 
postposition  contre  un  peu  moins  de  deux  exemples  de 
préposition.  Il  faut  mettre  à  part  les  cas  où  le  nom  de  nom- 
bre accompagne  milia  passtmm.  La  préposition  y  est  rare, 
tant  dans  le  de  Bello  Gallico  que  dans  le  de  Bello  ciuili 
(1  ex.  contre  3).  Sauf  en  ce  point,  César  use  de  l'un  ou 
l'autre  ordre  avec  la  plus  entière  liberté. 

Cette  liberté  n'existe  plus  dans  les  nombreux  cas  où  un 
adverbe  s'adjoint  au  nom  de  nombre.  Celui-ci  est  alors  ré- 
gulièrement postposé.  Il  est  quelquefois  préposé  à  milia.  Il 
est  toujours  postposé  au  génitif  complément  de  milia. 

Voici  le  détail  des  exceptions  : 

Circite7\  —  Sur  70  ex.  environ,  5  ex.  de  préposition -f-  1 
de  prép.  du  génitif  au  groupe  milia  quattuor.  Ils  sont  à  éli- 
miner. 

III 14,  2  (B.  G.)  cir citer  CCXX  naues  eorum paratissimae 
atque  omni  génère  armorum  ornatissimae  (cas  complexe). 

V  2,  2  cir  citer  dg  eius  generis  ciiiiis  supra  demonstraiii- 
mus  naues  et  longas  XXVIII  (cas  complexe). 

1,  15,  5  (B.  C.)(Vibullius)  XIII  (cohortes)  efficit.  Cum  his 
ad  Domitium...  periienit...  Domitius  per  se  circiter  XX 
cohortes...  coegerat. 

1,  24,  2  seruos,  pastores  armât  atque  iis  equos  attribuit ; 
ex  his  circiter  CGC  équités  conficit. 


PLAGE  DES  NOMS  DE  NOMBRE  171 

Y  i\,  2  sic  Ut  amissis  cir citer  (om.  g)  XLnaiiibus  reli- 
quae  tamen... 

V  19,  1  dimissis  amplioribus  copiis,  milibus  circiter  IV 
essedariorum  relictis. 

L'ex.  I  25,  5  qiiod  mons  suberat  circiter  mille  passuum 
n'est  pas  à  examiner  si  on  lit  avec  les  mss.  mille  (subst.) 
passuum.  Cf.  pourtant  plus  loin  les  ex.  de  mille  passus  avec 
longius. 

Amplius  (lion  amplius),  longius  (non  longius).  —  26  (27  : 
u.  3,  33,  2)  ex.  ;  5  ex.  de  préposition.  3  sont  à  éliminer  : 

IV  12,  1  ubi  primum  nostros  équités  conspexerunt,  quo- 
rum erat  V  milium  numerus,  cum  ipsi  non  amplius  DGCG 
équités  haberent. 

VII  15,  1  uno  die  amplius  XX  urbes  Biturigum  incendun- 
tur  {XX  opposé  à  uno  ;  on  a  affaire  en  outre  au  groupe  urbes 
Biturigum). 

3,  99,  1  non  amplius  G  G  milites  desiderauit,  sed  centu- 
riones,  fortes  uiros,  circiter  XXX  amisit. 

Restent  : 

I  22,  1  cum...  non  longius  mille  et  quingentis  passibus 
abesset  (mille  est  accompagné  d'un  autre  nom  de  nombre  ; 
cas  assez  particulier). 

VII,  79,  1  non  longius  (longe  x)  mille  passibus  ab  nostris 
munitionibus  (a  nostris  munitionibus  quam  mille  passibus  g) 
C07isidunt.  (Gf.  cependant  var.  longe?) 

Ges  2  ex.  avec  mille  et  passus.  On  lit  mille  passus  VI  7, 
4  ;  mille  (om.  g)  CC  passus  VII  46,  1  ;  circiter  passus  mille 
III  19,  1  ;  paulo  amplius  passus  mille  2,  24,  4  (la  phrase 
manque  dans  S)  ;  ces  deux  derniers  ex.  en  fin  de  phrase. 
Gf.  ordre  milia  passuum,  invariable  à  deux  exceptions  près, 
et  sigle  MP  sur  les  milliaires. 

Divers.  —  Les  ex.  où  l'adjectif  est  accompagné  d'un  autre 
adverbe  (ad,  admodum,  minus,  omnino,   uix)  sont  en  très 


172  P.  GILLES 

petit  nombre.  Le  contexte  motive  la  préposition  3,  7,  2  : 
omnino  XII  naues  longas.  Avec  uix  (2  ex.  en  tout),  il  ne  la 
motive  pas  3,  79,  7  :  uix  IV  horarum  spatio.  —  Sur  IV  38, 
4  et  1,23,5,  u.§  II  in  fine. 

En  somme,  les  cas  où  un  adverbe  s'adjoint  au  nom  de 
nombre  préposé  sont  très  rares.  Ils  se  présentent  tous  ou 
presque  tous  comme  des  cas  particuliers,  où  la  préposition 
se  justifie  par  un  motif  indépendant  du  nom  de  nombre 
même.  La  règle  de  postposition  est  d'une  rigueur  à  peu 
près  absolue. 

VII  68,  2  secutus  hostes  (Ap  ;  om.  MB'),...  cïrciter  III 
milibiis  (milibus  hostium  a)  ex  nouissimo  agmine  interfec- 
tis,  on  lira  secutus  hostes,  comme  le  sens  d'ailleurs  le 
demande.  La  leçon  milibus  hostium  reste  ensuite  possible. 

On  lira  de  préférence,  avec  M.  Meusel  : 

II  29,  3  non  amplius pediim  CC  (ducentorum  pedum  a). 

III  5,  1  amplius  horis  sex  (sex  horis  (3). 

La  préposition  est  rare  avec  les  locutions  in  longitudi- 
nem,  in  latitudinem,  in  altitudinem,  in  circuitu. 


II 

DlSJ0>'CTI0>'. 

On  a  vu  que  la  postposition  et  la  disjonction  sont  deux 
modes  possibles  de  mise  en  relief  du  nom  de  nombre.  L'exa- 
men des  exemples  de  disjonction  montrera  que  César  n'em- 
ploie pas  indifféremment  l'un  ou  l'autre  procédé. 

En  voici  la  liste  : 

I  12,  2  très  iam  partes  copiarum...,  quartam  fere  par- 
tem.. 


PLAGE  DES  NOMS  DE  NOMBRE  173 

VII  67,  1  duae  se  acies  ah  duobus  lateribus  ostendunt. 
Dans  ces  2  exemples  il  y  a  à  peine  disjonction. 

2,  10,  2  duae  primum  trabes  in  solo...  conlocantur . . . 
Bas  inter  se  capreols  coniungunt...  Eo  svper  tigna...  ini- 
ciunt.  ..Ad  extremum  musculi  tectum  t^abes9'^^e  extremas. . . 
(aux  duae  trabes  s'ajoutent  les  autres  tigna  ou  trabes'). 

3,  52,  1  eodeni  tempore  duobus  praeterea  locis  pngna- 
tuni  est  (les  deux  champs  de  bataille  s'ajoutent  à  un  pre- 
mier). 

I  10,  3  àxxdi^qiie  ibi  legiones  conscribit  et  très...  ex  hiber- 
nis  ediicit. 

2,  22,  6  duas  ibi  legiones  praesidio  relinquit,  ceteras... 
YII  36,  7  duas  ibi  legiones  conlocauit  (devant  Gergovie  ; 

les  deux  légions  du  petit  camp  s'opposent  aux  légions  du 
grand  camp). 

3,  97,  3  partem^i^e  legionum  in  castris  Pompei  remanere 
iussit,  partem  in  sua  castra  remisity  IV  secum  legiones 
duxit. 

VI  0,  6  duasç'we  ad  eum  legiones  proficisci  iubet  ;  ipse 
cum  legionibus...  V... 

VII  10,  4  duabus  Agedinci  legionibus...  relictis  ad  Boios 
proficiscitur  (les  deux  légions  d'Agedincum  s'opposent  aux 
légions  que  César  conduit  chez  les  Boiens). 

3,  7o,  2  duas  in  castris  legiones  retinuit,  reliquas... 

VII  69,  2  duo  duabus  ex partibus  flumina... 

I  33,  4  duae  fuerunt  Ariouisti  uxores...  ;  duae  filiae... 

3,  101,  6  quinqueremes  duas...  cep erunt...\  praeterea 
duae  sunt  depressae  trirèmes. 

3,  30,  6  ad  eum{=  Antonium)  peruenit  Caesar...  ;  Pom- 
peius,  ne  duobus  circumcluderetur  exercitibus...  (jonction 
de  César  et  d'Antoine  :  duobus  est  un  total). 

VI  7, 1  Labienum  cum  una  legione...  adoriri parabant ; . . . 
du3t.s  uenisse  legiones...  cognoscwit. 


174  P.  GILLES 

IV  22,  3  nauibus...  LXXX  coactis,  quod  satis  esse  ad 
duas  transportandas  legiones  existimabat... 

3,  38,  4  ?ze  frustra  reliquos  exspectarent,  duas  nacti  tur- 
mas  exceperunt. 

2,  32,  ^  an  uero  in  Hispania  res  gestas  Caesaris  non  au- 
distis  ?  duos  puisas  exercitus  ?  duos  superatos  duces  ?  duas 
receptas  prouincias  ? 

VII  41,  4  duabus  relictis  portis  obstruere  ceteras... 
VI  36,  2  IX  oppositis  legionibus  maximoç'i^e  equitatu. 

3,  54,  1  Pompeius  reliquis  diebus  turres  exstruxit...,  et 
quinque  intermissis  diebus... 

V  lo,  4  à\x2h\x?>que  missis  subsidio  cohortibus  a  Caesare, 
atque  his  primis  legionum  duarum,...  ///«,  pluribus  siibmis- 
sis  cohortibus... 

VI 1 ,  4  tribus  ante  exactam  hiemem  et  constitutis  et  ad- 
ductis  legionibus  duplicatoç-z/e  earum  cohortium  numéro 
quas...  (duplicato  conséquence  de  ce  qui  précède). 

La  leçon  des  mss.  1,  17,  4  XL  (quaterna  Glarean.)  in 
singulos  ingéra  est  généralement  rejetée. 

2,  19,  3  Cordubae  conuentus...  cohortes  duas...  retinuit. 
Isdem  diebus  Carmonenses,...  deductis  tribus  in  arcem  op-^ 
pidi  cohortibus  a  Varrone  praesidio,  per  se  cohortes  eiecit, 
la  place  de  cohortibus  peut  être  influencée  par  la  présence 
de  cohortes  duas.  Au  reste,  on  n'a  affaire  ici  qu'à  une  dis- 
jonction auxiliaire,  le  premier  mot  disjoint  étant  deductis, 
séparé  par  tribus  de  son  complément. 

Sont  à  écarter  : 

VI  3,  1  proximis  IV  coactis  legionibus... 

VII  47,  7  très  suos  nactus  manipulares... 

1,  40,  3  duabusque  Fabianis  occurrit  legionibus,  où  le 
nom  de  nombre  fait  partie  d'un  groupe  mis  en  relief. 

Dans  le  cas  où  le  nom  de  nombre  précède  milia,  il  est 


PLAGE  DES  NOMS  DE  NOMBRE  17o 

toujours  contigu  à  inilia.  Le  2*  élément  est  toujours  contigu 
au  génitif  3^ 

Ces  exemples  de  disjonction  ne  fournissent  pas  seulement 
une  donnée  numérique,  mais  présentent  tous  un  rapport 
entre  deux  ou  plusieurs  quantités,  qui  souvent  nécessite  et 
tout  au  moins  peut  motiver  la  préposition  du  nom  de  nom- 
bre. L'absence  totale  (sauf  2,  10,  4;  cf.  ci-dessous)  d'exem- 
ples de  disjonction  où  ce  rapport  n'existerait  pas  montre  que 
la  disjonction  ne  fait  dans  les  exemples  relevés  que  souligner 
un  mot  par  ailleurs  préposé.  Il  apparaît  ainsi  que  César  ne 
disjoint  pas  l'adjectif  postposable,  et  que,  lorsque  les  deux 
modes  de  mise  en  relief  sont  également  possibles,  c'est  la 
postposition  qu'il  choisit,  exclusivement. 

Cette  règle  laisserait  possible  la  leçon  des  mss.  1,  17,  4  ; 
elle  laisse  possible  la  disjonction  de  duaii  I  49,  5,  de  duae 
VII  24,  o,  de  duas  par  répétition  de  cohortes  IV  32,  2;  elle 
fait  écarter  la  leçon  octo  denique  menues  1,  5,  2. 

2,  10,  4  régulas  IV  patentes  digitos,  on  lira  quaternos, 
que  conjecture  Kûbler, 

On  a  laissé  de  côté  deux  exemples  où  le  mot  intercalé  est 
omnino. 

IV  35,  4  eo  duae  omnino  ciuitates...  obsidesmiserunt,  re- 
liquae... 

1,  23,  5  eo  (eodem  Meusel)  die  castra  mouet...  VII  om- 
nino dies  ad  Corfinium  comnioratus  (  VU  dies  addition  de 
données  antérieures  dont  eo  die  clôt  la  série). 

Dans  ces  deux  cas,  la  préposition  s'explique  par  la  même 
raison  que  dans  les  autres;  c'est-à-dire  que  l'adverbe  même 
que  le  sens  unit  étroitement  au  nom  de  nombre  n'est  pas  ad- 
mis entre  lui  et  le  substantif  dans  d'autres  conditions  qu'un 
mot  proprement  étranger.  On  a  vu  d'autre  part  que  le  nom 
de  nombre  accompagné  d'un  de  ces  adverbes  est  régulière- 
ment postposé. 


176  P.  GILLES 

Se  justifie  comme  les  cas  précédents  : 

3,  53,  3  :  qusdiuoTque  ex  una  cohorte  centuriones... 

Quant  aux  locutions  in  longitudinein^  in  latitudinem,  in 
altitudinem,  in  circuitu,  elles  sont  placées  de  façon  à  for- 
mer, avec  le  nom  de  nombre  et  son  substantif,  cinq  des  six 
combinaisons  possibles.  La  6%  celle  où  la  locution  s'in- 
tercalerait entre  le  nom  de  nombre  préposé  et  son  substan- 
tif, se  lit  trois  fois  dans  la  1"  classe  des  mss.  du  B.  G.  : 

VII  8,  2  sex  in  altitudinem  pedum. 

VII  69,  5  sex  in  altitudinem  pedum. 

VII  73,  5  très  in  altitudinem  pedes. 

Il  est  remarquable  que  le  B.  G.  n'offre  aucun  ex.  sem- 
blable, et  que  les  mss.  de  la  2®  classe  du  B.G.  ne  confirment 
pas  ceux  qui  précèdent  : 

VII  8,  2  m  altitudinem  pedum  VI  ^. 

VII  69,  5  in  altitudinem  VI  pedum  p. 

VII  73,5  in  altitudinem  trium  pedum U  [pedum  triumV). 

Dans  ces  conditions,  il  ne  paraît  pas  illicite  de  rejeter  avec 
M.  Meusel  la  leçon  de  a. 

En  dehors  des  cas  mentionnés,  on  ne  trouve  chez  Gésar,  en- 
tre le  nom  de  nombre  préposé  et  son  substantif,  que  des 
adjectifs  ou  des  génitifs  se  rattachant  au  substantif.  • 


M.  GRAMMONT 


UNE  LOI  FONÉTIQUE  GÉNÉRALE 


12 


I 


UNE  LOI  FONÉTIQUE   GÉNÉRALE 

Par  M.  Grammqnt. 


Quand  nous  avons  publié  notre  étude  sur  la  Métathèse 
dans  le  parler  de  Bagnères-de-Liichon  (MSL,  XIII,  p.  73  sqq.), 
nous  avons  fait  voir  que  lorsqu'un  r  tend  à  devenir  implo- 
sif,  il  peut  arriver  que  son  contact  soit  repoussé  par  une 
continue,  ce  qui  l'oblige  à  aller  se  combiner  avec  une 
consonne  initiale  de  sillabe  ;  en  même  temps  nous  avons 
indiqué  que  la  nature  de  la  continue  n'était  sans  doute  pas 
indifférente  au  fénomène  et  qu'un  n  par  exemple  devait 
accueillir  sans  diftîculté  le  contact  de  r  implosif .  Le  vocabu- 
laire de  cette  localité  ne  permettait  pas  de  préciser  davan- 
tage. Dans  nos  recherches  sur  la  Métatèse  à  Pléchâtel  (Mélan- 
ges Chabaneaity  p.  517  sqq.)  nous  avons  reconnu  que  dans 
certains  parlers  de  la  Aute-Bretagne  le  repoussement  de  Vr 
n'avait  lieu  que  devant  m.  Le  fénomène  se  limitait,  mais  la 
loi  n'apparaissait  pas  encore.  Les  patois  de  la  banlieue  du 
Havre  présentent  le  fait  dans  des  conditions  un  peu  diffé- 
rentes et  qui  ont  chance  d'être  plus  claires. 

Dans  la  banlieue  du  Havre  *  la  métatèse  de  r  se  produit 


1.  Notre  documentation  repose  sur  le  vocabulaire  de  C.  Maze: 
Etude  sur  le  langage  de  la  Banlieue  du  Havre,  Paris,  Rouen,  Le  Havre, 
1903. 


180  M.  GRAMMONT 

d'une  manière  générale  d'après  le  même  procès  qu'à  Plé- 
châtel  et  pour  les  mêmes  causes  : 

bèrto^  «  breton  »  gèrduyé  «  gargouiller  » 

kérti  «  frémir  »  bérdi-bérda  «  à  la  âte  » 

fértiyé  «  frétiller  »  bèrdèl  «  bretelle  » 

tcrtus  «  tous  »  bérgyé  «  blesser  » 

évértinô  «  amoureux  »  bérbi  «  brebis  » 

pérpô  «  (à)  propos  »  ékérbuyé  «  écrabouiller  » 

kérso^  «  cresson  »  térsiné  «  vibrer  » 

ébérziyé  «  écraser  »  gérzi  «  grésil  » 

férso^né  «  frissonner  »  gërzi  «  froncer  » 

bërlok  «  breloque  »  gêrnyé  «  grenier  » 

férlûk  ((  freluche  »  gërnuy  «  grenouille  » 

gërloté  «  grelotter  »  kérnas  «  crevasse  » 

bérlèk  «  fillette  »  férnêkyé  «  fureter  » 

Il  n'i  a  pas  de  différence,  pour  la  question  qui  nous 
occupe,  entre  les  mots  dans  lesquels  ïr  est  devenu  implosif 
et  ceux  dans  lesquels  il  l'était  déjà  originairement,  comme 
bérbi. 

On  ne  trouve  guère  dans  le  vocabulaire  de  C.  Maze  que 
le  mot  préno  «  preneur  »,  qui  déroge  à  la  règle.  Mais  il  ne 
constitue  pas  une  difficulté.  Ou  bien  c'est  un  mot  venu  du 
français  postérieurement  à  l'accomplissement  de  notre  méta- 
tèse  et  que  l'existence  de  prendre,  pri^z  a  empêché  d'entrer 
dans  l'ornière  commune,  ou  bien  c'est  le  remplaçant  récent, 
dû  à  l'influence  du  français,  d'un  ancien  ^përnô,  comme 
prëpô  «  (à)  propos  »,  à  côté  de  pèrpôy  que  l'auteur  lui- 
même  donne  comme  «  vieux  ».  *Pëimô  ne  figure  pas  dans 
le  vocabulaire,  mais  on  n'en  saurait  conclure  sa  non  exis- 
tence, car  il  i  manque  pas  mal  de  mots  aussi  usuels  que 
pra^dre,  que  nous  lisons  à  la  p.  91  de  l'étude  grammaticale. 


UNE  LOI  FONÉTIQUE  GÉNÉRALE 


181 


La  particularité  intéressante  que  présente  à  Pléchâtel  le 
traitement  de  rè,  èr  devant  consonne,  c'est  que  si  cette 
consonne  est  m  on  n'a  pas  e>,  mais  ré  ou  son  représentant  ; 
m  d'autres  termes  le  contact  de  Vr  est  repoussé  par  la 
lirante  labio-nasale.  Dans  la  banlieue  du  Havre  ce  n'est  pas 
ïulement  la  spirante  labio-nasale  m,  mais  aussi  la  spirante 
(abio-dentale  v  qui  repousse  le  contact  de  Vn  ;  et  il  faudrait 
îertainement  i  ajouter  /  s'il  i  avait  des  exemples  de  èr,  rè 
levant  ce  fonème. 
Exemples  devant  m: 


frèmé  «  fermé  » 
frémiyé  «  fourmiller  » 


frémi  «  fourmi  » 
frëmiyo^  «  picotement  » 


Frémiyma''  «  fourmillement  »,  que  donne  le  vocabulaire, 
est  ou  une  simple  faute  ou  un  mot  emprunté  récemment  au 
français  et  entré  à  tort  dans  la  large  voie  de  la  métatèse  de 
r,  comme  nous  en  avons  vu  des  cas  à  Pléchâtel.  Car  fonéti- 
quement  il  n'i  a  rien  dans  ce  mot  qui  puisse  lui  valoir  un 
autre  traitement  qu'à  frémiyé  ;  comparez  par  exemple 
hérduyé  «  bredouiller  »  et  bérduyma^  «  bredouillement  ». 

Exemples  devant  v  : 


eprevie  «  epervier  » 
écrévis  ce  écrevisse  m 
crévézo'^  «  mort  » 
crevé  «  puer  » 


pruvie  «  epervier  » 
crevas  «  crevasse  » 
crèvar  «  vaniteux  » 
crévo""  «  chevron  » 


crévo"naz  «  chevronnage  »    crévo^né  «  chevronner  » 

On  ne  peut  pas  faire  état  de  a^trèmêsyé  «  entremetteur  », 
ni  de  soJ'trévalé  «  s'entrevaloir  »,  car  à  côté  de  a^térteni 
«  entretenir  »  on  trouve  a^trétuyé  «  se  faire  mutuellement  la 
moue  »,  oJ'tréprî^z  «  entreprise  »  ;  les  deux  éléments  de 
ces  composés   sont   trop    clairs,    surtout  quand    le    simple 


182  M.  GRAMMONT 

existe,  comme  prî^z,  tuyé,  et  l'évolution  fonétique  normale 
est  entravée  par  recomposition  continue. 

Il  i  a  un  mot  qui  fait  difficulté,  c'est  térvé  «  triangle  de 
fer  qui  porte  les  plats  »  ;  non  pas  qu'il  puisse  en  quelque 
manière  porter  atteinte  à  la  loi  que  nous  venons  d'établir, 
mais,  faute  de  renseignements  le  concernant,  il  n'est  'pas 
possible  de  l'expliquer  lui-même  avec  certitude.  Le  plus 
vraisemblable  est  qu'il  n'est  pas  ancien  dans  la  région,  car  il 
ne  figure  pas  dans  les  dictionnaires  normands  de  Duméril, 
Yasnier,  Robin,  Moisy,  Métivier,  etc.,  et  qu'il  i  est  revenu 
de  l'anglais  {trevet  ou  trivet  «  trépied  »)  postérieurement  à 
la  période  d'action  de  notre  loi  et  s'est  conformé  à  tort  à  la 
règle  générale  :  rè-\-cons.  devient  e>-|-co?i5. 

Cet  examen  de  la  métatèse  de  r  dans  la  banlieue  du 
Havre  complète  et  précise  ce  que  nous  avait  appris  la  méta- 
tèse de  r  à  Bagnères-de-Luchon  et  à  Pléchâtel.  Pourquoi 
certains  fonèmes  repoussent-ils  le  contact  de  Vr,  et  à  quoi 
est  due  cette  répulsion  ?  Le  fait  de  posséder  un  élément 
labial  n'i  est  pour  rien  ;  on  le  voit  nettement  à  Pléchâtel  et 
ici,  puisque  les  occlusives  labiales  p  qï  b  i  acceptent  sans 
difficulté  le  contact  de  r.  Toutes  les  occlusives,  quelles 
qu'elles  soient,  l'acceptent  aussi.  Il  faut  tout  d'abord  que  le 
fonème  soit  une  continue  ;  mais  cette  qualité  ne  suffit  pas, 
car  l'/i  par  exemple  ne  repousse  pas  Vr.  Il  est  nécessaire  en 
même  temps  que  le  fonème  en  question  demande,  pour 
être  articulé  immédiatement  après  Vr,  un  déplacement  très 
considérable  des  organes  buccaux.  L'r,  tant  qu'il  n'est  pas 
grasseyé,  exige  un  relèvement  de  la  pointe  de  la  langue  et 
souvent  aussi  des  côtés.  Le  v  s'articule  avec  abaissement 
complet  de  la  langue  sur  toute  son  étendue.  Ce  fénomène 
suffit  dans  la  banlieue  du  Havre  pour  déterminer  le  repous- 
sement  ;  à  Pléchâtel  il  faut  le  même  abaissement  et  en 
outre  celui  du  voile  du  palais.  En  résumé  nous  avons  affaire 


UNE  LOI  FONÉTIQUE  GÉNÉRALE  183 

ici  à  un  fénomène  de  moindre-action  qui  peut  s'énoncer  de 
manière  suivante  :  Lorsque  les  conditions  déterminées 
^plus  aut  appelleraient  l'r  au  contact  d'une  consonne  sui- 
vante, il  est  repoussé  quand  cette  consonne  est  un  fonème 
qui  demanderait,  pour  être  articulé  immédiatement  après 
Ut,  que  les  organes  buccaux  fussent  brusquement  déplacés 
d'une  manière  très  considérable  sans  quHntervienne  un 
arrêt  dans  le  passage  du  souffle. 


Maurice  HOLLEAUX 

DÉCRET   DES   AMPHICTIONS 
DE   DELPHES 

RELATIF  A  LA  FETE  DES  NIKÉPHORIA 


DÉCRET  DES   AMPHIGTIONS   DE  DELPHES 
RELATIF  A  LA  FÊTE  DES  NIKÉPHORIA 

Par  Maurice  Holleaux. 


L'inscription  étudiée  dans  ce  mémoire  a  été  découverte  à 
Delphes,  au  cours  des  fouilles  exécutées  par  l'École  fran- 
çaise d'Athènes.  Dans  le  futur  Corpus  des  inscriptions  del- 
phiques,  elle  occupera  une  place  d'honneur.  M.  HomoUe  a 
bien  voulu  m'autoriser  à  la  porter  dès  maintenant  à  la  con- 
naissance du  public. 

Elle  était  gravée  sur  un  grand  piédestal  en  calcaire  de 
Saint-Élie,  que  surmontait  sans  doute  une  statue  du  roi 
Eumènes  II.  Ce  piédestal  est  aujourd'hui  rompu  en  de  nom- 
breux morceaux.  J'en  ai  reconnu  sept,  dont  voici  la  descrip- 
tion : 


I.  Inv.  1754.  —  Champ  de  fouilles;  posé  debout  sur  le  soubassement  d'un 
monument  votif,  presque  en  face  de  l'autel  de  Ghios.  —  Orthostate  de 
forme  carrée,  formant  le  milieu  de  la  face  antérieure  du  piédestal  ; 
complet  à  droite  et  à  gauche,  sauf  quelques  épaufrures,  et  préparé  à 
joints  des  deux  côtés;  brisé  en  bas.  Haut.,  0  m.  85.  Larg.,  0  m.  80. 
Ep.,  0  m.  32.  Ce  morceau  se  rajuste,  à  gauche,  aux  n^^  857  et  25  ;  à 
droite,  au  n»  1682.  Restes  de  27  lignes  (1.  1-27),  dont  la  première  du 
lexte,  appartenant  au  milieu  de  l'inscription.  —  il  juillet  1894;  devant 
le  pronaos  du  temple  d'Apollon. 


188  M.  HOLLEAUX 

II.  Inv,  i682.  —  Champ  de  fouilles;  près  du  n»  1754.  —  Bloc  qui  for- 
mait l'extrémité  droite  de  la  face  antérieure  du  piédestal  ;  complet 
et  préparé  à  joint,  sur  une  hauteur  de  0  m.  30,  du  côté  gauche.  H., 
0  m.  67.  L.,  0  m.  47.  Ép.,  0  m.  32.  Fin  de  22  lignes  (1.  5-26)  ;  à  partir 
de  la  1.46  et  jusqu'à  la  1.  24,  le  morceau  se  rajuste,  à  gauche,  au  n»  1754. 
—  22  juin  1894;  à  l'est  du  temple,  près  du  monument  de  Gélon. 

III.  Inv.  857.  —  Musée.  —  Bloc  qui  formait  l'extrémité  gauche  de  la  face 
antérieure  du  piédestal;  à  peu  près  complet  à  gauche.  H.,  0  m.  51. 
L.,  0  m.  25.  Ép.,  0  m.  14.  Commencement  de  13  lignes  (1.  3-15).  Le 
morceau,  sauf  une  lacune  de  quelques  lettres  à  chaque  ligne,  se  ra- 
juste, à  gauche,  à  partir  de  la  1.  4,  au  w°  1754.  —  25  août  1893  ;  entre 
la  voie  sacrée  et  le  côté  oriental  du  temple. 

IV.  Inv.  25.  —  Musée.  —  Morceau  qui  se  plaçait  à  la  partie  gauche  de 
la  face  antérieure  du  piédestal;  préparé  à  joint  et  complet  du  côté  droit. 
H.,  0  m.  21.  L.,  0  m.  13.  Ép.,  0  m.  10.  Restes  de  6  lignes  (1.  21-26); 
à  partir  de  la  1.  21  et  jusqu'à  la  1.  25,  ce  morceau  se  rajuste,  à  droite, 
au  no  1754  et,  à  gauche,  au  n»  3746.  —  Date  et  provenance  inconnues. 

Y.  Inv.  3746.  —  Musée.  —  Morceau  qui  appartenait  à  l'extrémité  gauche  de 
la  face  antérieure  du  piédestal  ;  complet  à  gauche  sur  une  hauteur  de 
0  m.  13.  H.,  0  m.  23.  L.,  0  m.  24.  Ép.,  0  m.  15.  Restes  de  7  lignes  (1. 
20-26),  dont  quatre  complètes  à  gauche  ;  ce  morceau  se  rajuste,  à  droite, 
au  no  25,  de  la  1.  21  à  la  1.  25.  —  16  mai  1896;  près  de  la  maison  de 
Franco. 

VI.  Sans  n°  d'inv.  —  Champ  de  fouilles  ;  près  des  n°s  1754  et  1682.  — 
Morceau  brisé  de  tous  côtés,  qui  se  plaçait  vraisemblablement  au  milieu 
de  la  face  antérieure  du  piédestal.  H.,  0  m.  30.  L.,  0  m.  16.  Restes  de 
6  lignes  (1.  27-32),  dont  la  dernière  de  l'inscription.  —  Date  et  prove- 
nance inconnues. 

VII.  Inv.  3157.  —  Musée.  —  Petit  fragment  qui  devait  se  placer  vers 
l'angle  inférieur  droit  de  la  face  antérieure  du  piédestal.  H.,  0  m.  14. 
L.,  0  m.  17.  É.,  0  m.  29.  Restes  de  2  lignes  (1.  30-31),  dont  la  dernière 
complète  à  droite. 

La  pierre  a  été  réglée  avec  soin.  Les  caractères  sont  hauts 
en  moyenne  de  0™,02,  assez  espacés  et  profondément  gra- 
vés, renflés,  et  munis  d^apices  à  leurs  extrémités.  On  notera 
que  les  branches  obliques  en  sont  toujours  plus  ou  moins 
incurvées.  Les  o,  les  w  et  les  6  sont  d'ordinaire  beaucoup  plus 


DÉCRET  DES  AMPHfCTIONS  189 

petits,  les  i,  les  p,  les  t  et  les  t],  souvent  plus  grands  que  les 
autres  lettres.  Le  t:  a  des  jambages  presque  égaux,  que  ne 
dépasse  pas  la  barre  transversale  ;  le  second  jambage  du  v 
descend  moins  bas  que  le  premier;  la  barre  de  l'a  est  brisée. 
—  Le  texte  qui  suit  est  établi  d'après  les  copies  que  j'ai 
faites  et  les  estampages  que  j'ai  pris  à  Delphes  en  mai  1907. 

["Ap/ovTo;  Iv  iisXiïJOî];  ATjuoaOc'vou  •  Boy^xa  'A[j.9ix[TidvaJv  •  szeiSr]  paailsù;] 
[Eùfxsvriç  7:ap£tX7)ç](oi;  :rapà  tou  TzoLzpoq  PaaiXew;  'ATTaXo[u  tt^v  ts  7:pô;  toù;  GsoÙ;] 
K     £'ja[£iΣ'.av  xa\  xr]]v  izpoç,  Toù;  'A[JL»'.-/.T''ova;  euvoiav  xal  Oltxl:r^[pG)v  T7]v  Jrpo;  'Pto|a.atou$] 
siXîav  <xv.  [TIV05  aYJaOou  7:apaiTto;  y^'^oV^vo;  otaTsXet  xoîç  ''EXXT]a[iv  xal  {x£T£a)(^r)xw;] 
0     Twv  aÙTÛv  x[iv8û]vcov  u;:£p  xf};  xotvf);;  â<jcpaX£Îa;  roXXaîç  xoi[v   'EXXrjvtôwv]  7:d[X£(ov] 
ocupcà;  8£S[tox]£v  £v£X£v  xou  Ôiaxr^pcîaQai  x/jv  u7:apyo'ja[av  aùxaiç  £'jv]o{x^av  •  8t'  t^v 
aîxi'av  xa\  'P(o[{xaî]oi  ôccapoCfvxE;  aûxou  xrjv  Tzpoai'pfdtv  è;i£uÇ[rjxaçïtv  x]r](x  ^adiXeiav, 
vO[j.(Covx£;  [o£T]v  xat  xwtx  PaaiX£wv  oaoi  pièv  £;:c|3ouX£uouaiv  [xoT;  "EXXJTjatv  xuY/àv[£iv] 
x^;  xa67]xoj[<jrj;]  £7:i;:XT]Ç£co;,  odoi  Se  [jl7]9£v6ç  Y-vovxat  xaxou  [alxiojt  xouxou;  x[7jç] 

10     ti£Y[:]ax7];  [àÇioJuaOat  Tzap  'lauxoT^  7Ctax£a>ç  •  â;î£CTxaXx£v  8c  x[ai  ÔEjcopojç  xoùç 

-apaxaX£a[ovx]a;  xojç   'A[x^txxiovaç  071101;  xô  x^;  *A8T]vaç  xt];  N[aTj(pd]pov  x£[X£vo; 
Tjvavaô£[t^wa'.]v  êauxcoi  ajuXov  xa\  xoj;  aYwvaç  ouç  8t£Y[v(o]  auvx£X£îv 
axe3)avtxa[ç  xd]v  x£  [xoucîixôv  îao;cu0tov  xat  xov  ■^u^lvvkov  y.a.\\  irtTCiJxôv  îaoXufjLJCtov 
à::o8£Çtov[xat  •  à]7:£XoYtaavxo  8e  xal  01  OEwpol  xt)v  tou  ^a.<sikéiùi  [£j]votav  7]v  r/^wv 

45     8['.a]x£X£r  x[o'.V7jt  xjs  7:p6;  aTcavxa;  xoù;  "EXXrjvaç  xal  xa6'î8iav  7t[pôç]  xà;  7:dX£t;.  • 
[orw;  o-Jv  xal  o\  'A[x]9'.xxiov£;  cpa-'vtovxat  £7:axoXou6ouvx£ç  To[t;]  àÇtoujxô'voi; 
[îîpovoo'jtjLEvot'  x£  x]w{j.  ^aaiX^cov  oaot  3taxr]poyvx£;  xtjv  Tûpô;  'PwfjL[at]ou;  xoù;  xotvoù; 
[awxrjpa;  oiXi'aJv  àei  xivo;  àYaOou  ;:apatxioi  Y-vovxai  x[oTç]  "EXXtjjiv  •  xu/^tji 
[ocYaO^t  •  8£8d-/ôat]  xoTç   'A[i.9ixxioatv  £7:a'V£aai  (3aatX£a  [Eù][ji£vr)  PaaiXEoj; 

20     ['AxxJaXou  [xal  oxEj^avtoaat  8apvri;  (JXEspavwt  xioi  lEptoi  x[ou  'AJîcdXXwvoç  xoj 
[Oujôiou  dit  7:à-^p[[dv]  E^xtv  axc^avoijv  xo-j;  lauxwv  £Ù£pYe[^*S  àp£X^ç  £v£X£v 
xai  £'Jvo''a5  x^[;]  £15  xoùç  "EXXrjvaç,  axTjaat  8à  aùxou  xa\  £ix[d]va  yaXx^v  I^'î'tttcou 
£v  [A]£Xo[o]t;,  àva8£8£r/ôat  8È  xal  xo  t£p6v  xr];  'AÔTjvaç  x^5  N[tx]Tj'^dpou  xo  Tcpôç 
n£pYa[JL[w]'.  a<juX[o]v  £•.;  a;:avxa  x6v  yjpôvov  xaOà  av  à'J0pia[r]t]  paatXEJç  Eù[JL£vr)? 

25     xal  ari6[^]va  àY[£'.]v  £[x]  xou  7:£pia)pia{j.£V0'j  xo'tûou  (jltJxe  ;:oX£[i.[ou]  [xrJxE  £Îp7jv7)ç 

îîpo^  — .  â;:o8£8£[)(^6]at  8a  [x]a[\]  xoj;  âYw[va]ç  [8uo]  axEsavtxa;, 


190  M.  HOLLEAUX 

[xaGtoç  ô  paatXeùç  âÇioî,  xal  eiva]i  xal  i:a[îç  Ttfjiatç  xal  xoîç  Xoixoîç  7:a<Ji  toÎç  êv  toT;] 
[vdjjLOtç  YeypafXfxsvotç  TOfx.  [xsv  (jL]ouaix6v  ia[o7ni0tov,  xov  Ss  y^tJ^vi/ôv  xal  Î7:7:ix6v] 
[îaoX6{jL;icov  •  âvaypàtj^at  Se  to  (|/TJcp]iatxa  Iv  [axrJXatç  xat  àyaôeiva:  Iv  AsXooTç  Iv  xwi] 
30     [teptoi  xou  'AtoXXcovoç  xou  IIuO^oJu  xal  Ija  Il[epYa{jLioi  Iv  xwt  lepwt  x^ç  'AÔtjvôc;  x^ç 
[Nixrj^dpou  •  xrjpùÇai  8è  xov  ax^çavov  x6[v  ôeSofx^vov  xwt  (EaatXsî  x]a\  xr)v 
[slxdva  Ev  xwt  àYwvi  xwv  nu6(](ov. 


Observations  critiques. 

Pour  la  justification  des  suppléments,  on  devra  tenir  compte  des  deux 
faits  suivants  :  les  lignes  sont  de  longueur  très  inégale  ;  chaque  ligne  se 
termine  par  un  mot  complet. 

L.  1-3:  [PaotXeùç  Eù{x£vriç  TtapeiXTj^Jwç  Tcapà  xou  Tcaxpôç  paoïX^wç  'AxxàXo[u 
xrfv  xs  Tcpôç  xoù;  ôeoùç  (ou  izpoç  xô  ôeîov)]  etJo[epeiav  xa\  xr)]v  T:poi;  xoùç 
'Afxcptxxiovaç  S'jvoiav.  Cf.  IG,  II,  1,  314,  1.  10:  II::apxoxo;  7:a[paXaPtov  xrjv 
sîç  xov  o^[j.ov  ol]x£tdx7)xa  ;  CIG,  2335  =  Michel,  394  (Ténos),  1.  4-5: 
7îaxpo7:apa8oxov  ;capgtX7)cpto;  xtjv  T^poi  xov  8^{x[ov]  f^[AWv  suvoiav.  —  L.  3-4: 
xal  8taxrj[poiv  xr]v  7îp6;  'Pwjxaiou;]  cptX-'av.  La  restitution,  qui  paraît  certaine, 
est  faite  d'après  les  1.  17-18.  —  L.  4-5:  [xa\  [xex£avr,xtb$  (ou  [x£X£a)(^r]xw,; 
8è)]  xwv  aùxôSv  x[tv8u]vu)v  xxX.  Cf.  Polyb.,  III,  16,  3:  8tà  xô  —  (jLexsa/^rjxévat 
xwv  Tîpô;  KXsofxEVT]  xtvSuvtov  'AvxiyÔvw  ;  XXI,  23,  11  :  xa\  xtov  [xsyi'axtov 
âyojvwv  xaî  xivôuviov  àXTiOivwv  u{xîv  fjLexea/rjxdxs;  ;  XXVIII,  13,  2:  xtov  xaxà 
XT)v  erao8ov  xr]v  zlç  MaxeSovtav  xtvoivwv  [i.£X£t-/^ov  ;  et  les  exemples  de  la  même 
locution,  tirés  des  auteurs  classiques,  que  cite  le  Thésaurus,  s.  v.  xtv5uvo;, 
p.  1566.  —  L.  5:  xw[v  'EXXrjvLÔcov]  to[Xewv].  Cf.  Or.  înscr.,  763  (Lettre 
d'Eumènes  aux  Milésiens),  1.  11  :  o'.  xà?  'EXXrjvtoaç  xaxotxouvxsç  7îo'X[ei;].  — 
L.  7  :  £îr£uÇ[7jxaa£v  x]r][jL  fSaatXEi'av.  Cf.  Sylloge,  295,  1.  5  :  lîrauÇrjxto; 
(Eumènes)  xàp.  paatXEtav.  —  L.  11-12  :  ojitoç  (oi  'AfxcpixxidvE;)  xô  x^;  'AOtjvôc; 
x^;  N[ixr]!pd]pou  xe'jjle.vo;  auvava8£[iÇa)at]v  lauxcot  àauXov  ;  cf.  1.  23  :  âva^ÎEOEîyGai 
8e  xal  xô  hpôv  xfîç  'Aôr^va;  xtj";  N[a]T](pdpou  xô  Tipô;  Il£pYàfjL[to]i  àcjuX[o]v.  On 
rapprochera  de  ces  deux  passages  celui-ci  du  décret  des  Aitoliens  {Syl- 
loge, 295),  1.  17-19:  xaôàîîEp  ô  [3aaiX£Ù;  Eùii-Evr^;  âva[8£ixvuEt]  xô  x^[[xevo;  xa; 
'A6à]va;  xa;  Nixaodpou  xô  ttoxI  IlE'pYafxov  àauXov  (Haussoullier  et  Ditten- 
berger  écrivaient  (xva[xaX£î])  j  la  correction  àva[8Eixvu£t]  a  été  proposée  par 
moi,  Rev.  Et.  Ane,  1903,  p.  210,  n»  8,  et  par  Ad.  Wilhelm,  Gôtt.  gel. 
Anz.,  1903,  p.  795).  —  Même  ligne:  8'iY[vw]  guvxeXeTv.  Pour  cet  emploi 
deStayiYvtoaxco,  cf.,  par  exemple,  Joseph.,  Ant.  Jud.,  XVI,  62.  —  L.  12-14: 


DÉCRET  DES  AMPHIGTIONS  19i 

xai  Toù;  à-y^va;  —  âTCo8^Çtov[Tat].  Cf.  Sylloge,  295,  1.  8-9:  âîToB^ÇaaÔat  T0Ù5 
àywva;  (jTsoavtxa;.  —  L.  17  :  \Tz^oyQO'j^.zW\.  Ts],  restitution  douteuse,  qui 
semble  un  peu  longue  pour  l'étendue  de  la  lacune  ;  peut-être  [xal  Tipo- 
voouvxe;].  —  L.  47-18:  on  a  le  choix  entre  toùç  xotvoùç  [atoTTJpaç]  et  toùç 
xotvoj;  [sùepy^-ca!;].  —  L.  24:  xo  kpov  —  a<juX[o]v  eîç  aTcavxa  xôv  ypovov  xaOà 
av  â9opto[r|t]  paaiXcùç  Eùpisvr);.  Cf.  Sylloge,  557  =  V.  Prott  et  Ziehen,  Leg, 
Graecor.  sacrae,  70  (décret  amphictionique  relatif  au  Ptoïon),  1.  5-7  : 
slvat  8s  xal  àouXov  xo  lepov  xou  'A7:dXXtovo;  xou  Ilxtotou  x6  Iv  'Axpaicpt'otç,  fuç 
av  al  ax^Xat  ôpiCwai.  —  L.  25  :  xal  [j.r,0[£]va  àY[£i]v  l[x]  xou  7cep£topta[jLevou 
xdîîou.  Cf.  Sylloge,  295,  1.  19-20:  xal  [xrjOeva  àysiv  (xr^Ôè  puo[iaÇ£'.v  xtvà  IJvxôç 
xûv  ôpi'wv.  —  L.  26:  sur  la  pierre  et  sur  l'estampage,  il  m'a  été  impossible 
de  rien  distinguer  après  Tcpoa  —  ;  je  ne  sais  comment  compléter  ce  passage. 
—  Même  ligne:  àr.ooeU[y^Q]<xt.  oï  [x]a[l]  xoù;  àYw[va]$  [8Jo]  axscpavt'xaç.  Cf. 
Sylloge,  295,  1.  44-15  :  à7:o8c8^y0at  hï  xal  xoù;  àvàivaç  xco[v  Ntxaçpopiwv  xxX. 
a]x2çavtxa;.  Le  supplément  8uo,  après  àywva:,  est  rendu  nécessaire  par  la 
présence,  sur  la  pierre,  d'un  espace  vide  correspondant  à  trois  lettres.  — 
L.  27-28  :  les  suppléments,  très  incertains  et  médiocrement  satisfaisants, 
ne  sont  proposés  qu'à  titre  d'essai.  L.  27  :  [xaGw;  ô  ^aaiXeùç  àÇioî].  Cf.  Or. 
inscr.,  228  (décret  des  Delphiens  relatif  à  l'àauXi'a  de  Smyrne),  1.  10-11  et 
13-14.  La  restitution  [xal  sîvajt  xal  xa[îi;  xipLaTç  xal  xoî;  Xo'.tioi;  Tràat  xxX.] 
est  empruntée,  partie  au  décret  des  Aitoliens  (Sylloge,  295),  1.  16,  partie 
à  celui  des  Pariens  en  faveur  de  Magnésie  du  Méandre  (Jnschr.  Magn., 
50),  1.  37-38.  Peut-être  eût-il  été  préférable  d'écrire,  en  s'inspirant  du 
décret  de  Chios  relatif  aux  Sotéria  {Sylloge,  206),  1.  10,  25  :  [xal  elva]t  xal 
xa[T;  f)X'.X''aiç  xal  xal;  xt[jLatç  xaîç  xoT;  varfaoraiv  uKapy^ouaatç  xxX.].  —  L.  31  : 
[xripuÇat  8e  xôv  axe'Jf avov  —  [x]al  xr]y  [slxdva]  xxX.  Cf.  Or.  inscr.,  234  (décret 
des  Amphictions  pour  Antioche  de  Chrysaoride),  1.  27-28  :  axaaat  8a  xàç 
cixdva;  —  xal  xapuÇat  Iv  xoi;  FluOtoi;. 

Ce  décret  des  Amphictions  doit  être  immédiatement  rap- 
proché du  décret  des  Aitoliens,  découverten  1880,  à  Delphes, 
par  M.  B.  HaussouUier,  et  publié  par  lui  en  1881 ,  dans  le  Bul- 
letin de  Correspondance  Hellénique^.  Les  deux  documents 
sont  inséparables.  Ils  sont  évidemment  contemporains  et  visent 
le  même  objet.  Faisant  droit  à  la  requête  du  roi  Eumènes  II, 

1.  BCH,  V  (1881),  p.  372  et  suiv.  (=  Fick-Collitz,  1413  =:Dittenber- 
ger,  Sylloge,  295  =  Michel,  Recueil,  291). 


192  M.  HOLLEAUX 

présentée  par  les  théores  Persas,  Théolytos  et  Ktésippos\ 
les  Amphictions.  d'une  part,  les  Aitoliens,  de  l'autre,  pro- 
clament l'àcuXia  du  téménos  d'Athéna  Niképhoros,  situé  près 
de  Pergame^;  ils  acceptent,  de  plus,  la  transformation,  déci- 
dée par  le  roi,  des  concours  célébrés  lors  de  la  fête  des 
Ni/.Y3ç6pta  en  àyoîveç  aieoavTTai,  avec  cette  particularité  que 
râywv  jjLOuaixoç  deviendra  laoTruôtoç  et  que  l'iywv  Y'jjmy.o;  xal 
izmY.iç  sera  laoXùjjLxioç^. 

Ce  qui  donne  un  grand  prix  à  la  nouvelle  inscription,  c'est 
qu'elle  permet  de  fixer  avec  exactitude  l'époque  où  fut  ainsi 
réorganisée  par  Eumènes  la  fête  des  ]>liy.T,o6p{2.  M.  Haus- 
soullier  plaçait  cette  réorganisation  entre  179  et  172*. 
Frànkel,  se  fondant  sur  l'inscription  de  Pergame  en  l'hon- 
neur de  la  prêtresse  Mêtris,  qui  mentionne  les  èvaia  N'.y.r^îpip'.a 
Toj  ffi£oavi-oj  àywvsc,  et  rapportant  cette  inscription  à  l'an 
167  %  admit  que  c'est  en  183  qu'Eumènes  donna  un  nou- 
vel éclat  aux  solennités  instituées  par  son  père.  Cette  con- 
clusion a  été  généralement  adoptée  ^  ;  elle  méritait  de  l'être  : 


1.  Les  théores  de  Pergame  ne  sont  nommés  que  dans  le  décret  des  Aito- 
liens, 1.  8. 

2.  Décret  amphictionique,  1.  il-12,  23  et  suiv.  ;  décret  des  Aitoliens, 
1.  10,  17  et  suiv.  —  Il  existe,  comme  on  sait,  d'autres  décrets  des  Am- 
phictions, appartenant  à  la  même  période,  qui  décernent  pareillement 
Vi<sukia.  à  des  sanctuaires  ou  à  des  cités:  1°  décret  relatif  à  l'àauXi'a  de  la 
ville  et  du  territoire  d'Antioche  en  Chrysaoride  [Alabanda]  (Or.  inscr., 
234);  2°  décret  relatif  à  FaTjXia  de  la  ville  et  du  territoire  de  Téos  (BCH, 
XXVI  (1902),  p.  282,  284,  n»  471);  3°  décret  relatif  à  l'àauXia  du  sanc- 
tuaire d'Apollon  Ptoïos,  près  d'Akraephiae  (Sylloge,  557  =  v.  Prott  et 
Ziehen,  Leg.  Graecor.  sacrae,  70). 

3.  Décret  amphictionique,  1.  12-14,  26  et  suiv.  ;  décret  des  Aitoliens, 
1.  8-9,  14  et  suiv. 

4.  BCH,  V  (1881),  p.  378. 

5.  Inschr.  von  Pergam.,  167  (=  Or.  inscr.,  299),  p.  104  et  suiv. 

6.  Dittenberger,  Or.  inscr.,  299,  note  2;  Niese,  Gesch.  der  griech.  und 
maked.  Staaten,  III,  p.  66-67  ;  Gardinali,  //  regno  di  Pergamo,  p.  111-112. 
—  Les  objections  de  Stahelin  (Gesch.  der  Kleinasiat.  Galater,  p.  89, 
note  4)  n'ont  plus  besoin  d'être  réfutées.  —  Hiller  von  Gârtringen  (Pauly- 
Wissowa,  au  mot  Delphoi,  IV,  col.  2574)  reste  sur  la  réserve. 


DÉCRET  DES  AMPHIGTIONS  193 

Frânkel,  nous  le  voyons  aujourd'hui,  ne  s'est  trompé  que 
d'une  année. 

Le  décret  amphictionique  est,  en  effet,  daté  par  le  nom 
de  l'archonte  delphien  Damosthénès  (1.  1).  Cet  archonte  — 
Az{jLO(76Évy;ç  ('ApycXacj)  —  est  connu  :  cinq  actes  d'affranchis- 
sement le  mentionnent  *.  Aug.  Mommsen  a  pu  fixer  sa  magis- 
trature à  l'année  182-1 81  ^  C'est  donc  en  cette  année-là 
qu'eut  lieu  la  rénovation  de  la  fête  des  Niképhoria^.  Ainsi, 
le  roi  Eumènes  y  procéda  peu  après  l'achèvement  de  sa 
guerre  heureuse  contre  Prousias^,  au  lendemain  de  la  répres- 
sion de  la  première  révolte  galate%  et  dans  le  temps  même 
où  il  commençait  de  se  trouver  aux  prises  avec  Pharnakès, 
roi  de  la  Cappadoce  pontique^ 

Le  texte  du  décret  amphictionique,  très  analogue  dans 
l'ensemble  à  celui  des  autres  documents  de  même  sorte, 
n'offrirait  qu'un  intérêt  médiocre,  s'il  ne  s'y  rencontrait  une 
particularité  assez  digne  de  remarque.  On  n'eût  pas  prévu 
qu'à  propos  de  la  transformation  des  jeux  Niképhoria,  il  dût 
être  beaucoup  parlé  des  Romains.  C'est  pourtant  ce  qui 
arrive.  Sur  dix-huit  lignes   que   compte  le  préambule  du 


1.  Wescher  et  Foucart,  Inscr.  recueillies  à  Delphes,  n°^  392,  18,  207, 
38-2,  327. 

2.  Philologus,  XXIV  (1866),  p.  42.  Cf.  Pomtow,  ap.  Pauly-Wissowa,  au 
mot  Delphoi,  IV,  col.  2559,  2635;  Dittenberger,  Sylloge,  268,  1.  202. 

3.  La  9«  célébration  de  ces  fêtes  (triétériques)  se  place,  par  suite,  en 
165,  et,  partant,  les  [isiXo^jx  sjTjacpYfaaxa  mentionnés  dans  l'inscription 
relative  à  Mêtris  (Or.  inscr.,  299,  1.  7)  sont  bien,  comme  l'avait  pensé 
Frânkel,  les  victoires  remportées  par  Eumènes  sur  les  Galates,  entre  168  et 
166. 

4.  Le  traité  qui  termine  la  guerre  paraît  être  de  184.  Niese,  III,  p.  72; 
Ed.  Meyer,  ap.  Pauly-Wissowa,  au  mot  Bithynia,  III,  col.  519  ;  Cardi- 
nali,  Il  regno  di  Pergamo,  p.  106. 

5.  Année  184  ou  183?  Cf.  Niese,  III,  p.  72;  Stâhelin,  p.  78  ;  Cardinali, 
p.  106. 

6.  Les  hostilités,  dont  Pharnakès  prit  l'initiative,  débutèrent  probable- 
ment en  183.  Niese,  III,  p.  74  et  suiv.  Cf.  Ed.  Meyer,  Gesch.  des  Kônigr. 
Pontos,  p.  72  et  suiv. 

43 


194  M.  HOLLEAUX 

décret,  plus  de  six  leur  sont  consacrées.  —  Eumènes  est 
demeuré  fidèle  à  l'amitié  que  son  père  avait  vouée  aux 
Romains,  «  communs  sauveurs  »  des  Hellènes  ;  et  c'est  l'un 
des  principaux  mérites  dont  lui  savent  gré  les  Amphictions 
(1.  3-4  ;  16-18;  et,  notamment,  1. 17).  —  Les  Romains,  recon- 
naissant les  bons  procédés  d'Eumènes  envers  les  Grecs,  ont 
agrandi  son  royaume  (1.  6-7).  —  Puis  vient  (1.  8-10)  une 
théorie  des  relations  qu'entretiennent  les  Romains  avec  les 
rois.  Elle  est  d'une  belle  simplicité  :  les  rois  se  partagent  en 
deux  catégories,  les  méchants,  et  les  bons,  ou  mieux  les 
inoffensifs.  Les  méchants  sont  ceux  qui  attentent  aux  intérêts 
des  Hellènes  (entendez  Philippe,  Antiochos,  Nabis,  Prou- 
sias)  :  ceux-là,  les  Romains  les  accablent  de  châtiments  mérités. 
Les  bons  sont  ceux  qui,  d'abord,  ne  font  pas  de  mal  aux 
Grecs,  et  qui,  à  l'occasion,  leur  sont  bienfaisants  (entendez 
Attale  et  Eumènes)  :  ceux-là,  les  Romains  les  «  honorent  de 
leur  confiance  ».  —  Ainsi,  contre  notre  attente,  il  est  ques- 
tion de  Rome  d'un  bout  à  l'autre  des  considérants. 

Gela  ne  laisse  pas  d'être  instructif.  C'est  d'abord  la  preuve 
que,  vers  l'année  180,  le  parti  ennemi  de  Rome  —  celui  des 
Aitoliens  et  du  roi  Philippe  V  alors  réconciliés  —  n'était  pas, 
dans  les  conseils  de  l'Amphictionie,  aussi  puissant  qu'on  l'a 
parfois  supposée  Ce  parti  y  pouvait  réunir  près  de  la  moitié 
des  suffrages^  ;  il  n'y  tenait  pas  encore  la  majorité.  La  phrase 

4.  On  a  fait  cette  supposition  à  propos  du  décret  amphictionique  voté,  en 
478-177,  sous  l'archontat  de  Praxias  (Sylloge,  293)  :  Dittenberger, 
Hermès,  XXXII  (4897),  p.  489-490  (cf.  p.  464):  «  die  von  Kônig  Perseus 
geleitete  Mehreit  des  Rathes  »  ;  cf.  P.  Foucart.  BCH,  VII  (4883),  p.  436. 
Voir,  au  contraire,  les  judicieuses  remarques  de  Niese,  III,  p.  43,  note  5. 

2.  L'intitulé  du  décret  de  478  montre  que  les  hiéromnémons  étaient  au 
nombre  de  23.  Cinq  d'entre  eux  peuvent  être  considérés  comme  les  porte- 
parole  du  roi  de  Macédoine  :  les  2  hiéromnémons  délégués  par  le  roi  ;  les 
2  hier,  des  Magnètes  ;  le  hier,  des  Dolopes.  D'autre  part,  les  Aitoliens 
avaient  cinq  (ou  six)  représentants  dans  le  synédrion  :  les  2  hiéromnémons 
des  Locriens  ;  les  2  hier,  des  Ainianes;  les  2  hier,  de  la  Doride  ;  et  peut- 
être  le  hier,  des  Hérakléotes  (sur  cette  question,  si  controversée,  voir,  en 


DÉCRET  DES  AMPHIGTIONS  19S 

du  décret  (1.  8-9)  :  twjx  gaaiXéwv  cjoi  '^h  emPouXsuouaiv  xoiç 
''EXXy;jiv  vj^/x'fei'f  tyjç  xaÔYjxouar^ç  èiriiuXY^^swç,  bien  qu'elle  ne 
visât  point  uniquement  Philippe,  le  visait  pourtant  de  la  façon 
la  plus  directe  :  jamais,  si  l'influence  du  roi  avait  été  prépon- 
dérante dans  le  synédrion,  elle  n'eût  été  écrite.  Et,  de  même, 
les  Aitoliens  n'eussent  point  facilement  consenti  qu'on  décer- 
nât tant  de  louanges  aux  Romains.  Il  est  intéressant  de  com- 
parer, à  cet  égard,  la  1.  5  de  leur  décret  à  la  1.  7  de  celui 
des  Amphictions;  il  s'agit,  ici  et  là,  d'une  même  chose,  de 
l'agrandissement  des  États  d'Eumènes.  Mais,  tandis  que  les 
Amphictions  en  rapportent  tout  l'honneur  aux  Romains  — 
'Pwjjiato'.  ÔEwpojvTS^  auTOu  Tr;v  Tupcaipsaiv  éTre'j^K^xaciv  rrjjj.  [Saa'.Xefav 
— ,  ce  qui  en  somme  est  conforme  à  la  vérité  historique,  les 
Aitoliens  se  contentent  de  dire  :  lirauc^xo);  (E'jiJi.évY]ç)  -ràix 
pajiXsiav  ;  dans  tout  leur  décret,  le  nom  de  Rome  n'est  pas 
une  seule  fois  prononcé. 

Pourquoi,  au  contraire,  les  Amphictions  ont-ils  mis  tant 
d'insistance  à  répéter  ce  nom?  Pourquoi  l'ont-ils  joint  sans 
cesse  à  celui  d'Eumènes,  comme  s'il  n'en  pouvait  être  sé- 
paré? Dans  cet  empressement  à  parler  des  Romains,  à  les 
louer,  hors  de  propos  et  sans  que  l'occasion  s'en  offrît,  on 
peut  sans  doute  ne  voir  qu'un  trait  de  servilité  ;  mais  si  l'on 
a  égard  aux  circonstances  historiques,  si  l'on  se  rappelle  les 
négociations  laborieuses  qu'en  182  Eumènes  poursuivait  à 
Rome,  il  sera  permis  de  s'aviser  d'une  autre  explication. 

Attaqué,  je  l'ai  dit  plus  haut,  dèsl83par  Pharnakès,  roi  du 
Pont,  Eumènes,  très  naturellement,  s'était  tourné  vers  Rome, 
afin  d'en  obtenir  assistance  ;  et  tout  de  suite ,  il  avait  éprouvé  que 
le  temps  était  passé  où  Rome  lui  venait  volontiers  en  aide^ 

dernier  lieu,  Dittenberger,  Sylloge,  293,  note  12).  Gela  fait  un  total  de  dix 
(ou  onze)  voix  sûrement  acquises  au  parti  anti-romain.  La  majorité  était 
de  douze. 

1.  Cf.  l'exact  résumé  de  Niese,  Gesch.  der  griech.  und  maked.  Staa- 
ten,  m,  p.  74  et  suiv. 


190  M.  HOLLEAUX 

Sollicité  à  la  fois  par  les  ambassades  pergaméniennes  et 
politiques*,  le  Sénat  n'avait  point  pris  parti;  il  laissait  traî- 
ner les  événements,  durer  la  guerre,  et  s'obstinait  à  te- 
nir la  balance  égale  entre  les  adversaires,  encore  que  la 
seconde  des  deux  commissions  qu'il  avait  envoyées  en  Asie 
se  fût,  au  retour,  prononcée  sans  ambage  en  faveur  d'Eu- 
mènes^.  Visiblement,  cet  ancien  protégé  avait  eu  le  tort  de 
devenir  un  personnage  trop  important  ;  il  commençait  de 
déplaire,  en  attendant  qu'il  parût  suspect  ;  on  avait  peine  de 
lui  pardonner  sa  puissance,  née  de  la  veille  sous  les  auspices 
de  Rome,  si  vite  accrue  et  qui  déjà  offusquait.  Qu'Eumènes 
ait  appliqué  tous  ses  soins  à  dissiper  cette  malveillance  inquié- 
tante du  Sénat,  il  n'y  a  point  à  en  douter:  on  le  vit,  dans 
l'hiver  de  181,  dépêcher  à  Rome  ses  trois  frères  chargés  d'y 
plaider  sa  cause  ^.  Mais  il  ne  suffisait  pas  qu'il  protestât  lui- 
même  de  son  dévouement  et  de  sa  fidélité.  Il  était  bon  aussi  qu'il 
opposât  aux  défiances  romaines,  pour  en  montrer  l'inanité, 
l'opinion  que  professaient  sur  lui  les  Grecs  amis  de  Rome, 
et  fît  voir,  par  des  témoignages  éclatants,  qu'à  leurs  yeux  il 
demeurait  toujours  le  roi  oiXopw[j.aisç  par  excellence,  juste- 
ment gratifié  des  bienfaits  de  la  république,  invariablement 
attaché  à  son  alliance  et  perpétuellement  digne  de  sa  con- 
fiance. A  cet  égard,  de  belles  déclarations,  un  peu  ampoulées, 
comme  celles  des  Amphictions,  avaient  leur  utilité  :  elles 
pouvaient  produire  à  Rome  une  favorable  impression.  C'est 
pourquoi  je  serais  bien  tenté  de  croire  que  l'auteur  du 
décret,  lorsqu'il  rédigea  sa  motion,  suivit  docilement  les 
indications  que  lui  avaient  transmises,  de  la  part  de  leur 
maître,  les  ambassadeurs  venus  de  Pergame. 

d.  Polyb.,  XXIII,  9,  4;  9,  3. 

2.  Polyb.,  XXIV,  4,  2-3. 

3.  Polyb.,  XXIV,  5,  2  et  suiv. 


Paul  LEJAY 


LE  PROGRES  DE  L'ANALYSE 
DANS  LA  SYNTAXE  LATINE 


LE    PROGRES     DE    L'ANALYSE 
DANS  LA  SYNTAXE  LATINE 

Par  Paul  Lejay. 


Jusqu'à  la  fin  du  P*"  siècle  de  notre  ère,  la  langue  litté- 
raire présente  chez  les  Romains  une  extension  graduelle  de 
certains  procédés  d'expression,  subjonctif,  accusatif,  génitif, 
datif.  Si  nous  rapprochons  ces  phénomènes,  nous  voyons 
qu'ils  semblent  révéler  une  tendance  générale.  Les  auteurs 
s'efforcent  de  distinguer  le  fait  pur  et  simple  du  fait  entouré 
d'une  réflexion  quelconque.  L'analyse  est  poussée  très  loin. 
Non  seulement  on  sépare  tout  ce  qui  révèle  une  intention 
ou  un  calcul,  tout  ce  qui  procède  de  la  pensée  d'autrui.  Le 
sujet  parlant  en  arrive  à  déterminer  ce  qui  s'attache  de  sa 
propre  pensée  à  un  énoncé  d'apparence  objective,  à  démê- 
ler dans  la  perception  du  réel  le  produit  de  son  raisonne- 
ment ou  l'objet  de  sa  réflexion  consciente  ^  Les  écrivains 
classiques  témoignent  d'un  souci  toujours  croissant  de  dis- 
cernement intérieur. 


\ .  Nous  n'avons  pas  de  mot  français  assez  compréhensif  pour  représen- 
ter cet  ensemble  de  notions.  Réflexe  a  pris  le  sens  presque  contraire;  sub- 
jectif est  trop  restreint.  On  pourrait  emprunter  à  la  langue  mystique  de 
Fénelon  réflexif  :  «  Tel  est  mon  plaisir.  Cette  expression  marque  un  plai- 
sir; mais  ce  plaisir  n'est  que  le  seul  vouloir,  qui  est  pour  ainsi  dire 
rétlexif  sur  soi-même  ».  Œuvres,  t.  111,  p.  300, 


200  P.  LEJAY 

Les  moyens  étaient  variés  suivant  le  contexte.  Tantôt  le 
verbe,  tantôt  un  substantif,  parfois  un  adjectif  se  trouve 
modifié  par  la  nécessité  d'exprimer  le  réflexif.  Ces  moyens 
étaient  aussi  préexistants  à  ce  travail.  Quelques-uns,  comme 
le  subjonctif  et  le  datif,  avaient,  dès  l'origine,  des  fonctions 
analogues  ou  semblables  à  celles  qu'on  allait  leur  imposer. 
Nous  n'avons  pas  l'intention  d'expliquer  comment  l'usage 
de  Cicéron  ou  de  Tacite  plonge  par  ses  racines  dans  le  passé. 
C'est  affaire  aux  linguistes,  dont  nous  n'avons  qu'à  recevoir 
les  conclusions.  Notre  dessein  est  de  chercher  quelles  pré- 
occupations, de  Plaute  à  Tacite,  ont  généralisé  des  accep- 
tions d'abord  rares  ou  créé  des  emplois  nouveaux. 

Les  faits  rapprochés  ici  sont  connus.  Nous  ne  nous  propo- 
sons pas  de  les  démontrer.  Nous  voulons  seulement  en 
extraire  la  signification.  Le  lecteur  sera  donc  renvoyé,  pour 
plus  de  brièveté,  aux  ouvrages  d'ensemble  de  Delbrùck, 
Draeger,  Riemann,  Schmalz.  Le  grec  est  apparenté  au  latin, 
il  présenteun  développement  littéraire  comparable:  il  pourra 
servir  à  marquer  l'originalité  du  latin.  Enfin  nous  nous  en 
tiendrons  à  la  langue  littéraire,  la  seule  dont  nous  puissions 
suivre  l'évolution. 


Le  Verbe. 

Il  est  d'abord  nécessaire  de  bien  voir  comment  se  pose  le 
problème.  Si  on  laisse  l'impératif,  qui  est  à  part,  la  langue 
latine  n'a  plus  que  deux  modes  personnels,  l'indicatif 
et  le  subjonctif.  Le  subjonctif,  remplaçant  l'ancien 
subjonctif  et  l'ancien  optatif,  s'est  trouvé  exprimer  toutes  les 
nuances  qui  n'étaient  pas  de  simples  assertions  de  la  réalité. 


LE  PROGRES  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  201 

Par  suite,  l'indicatif  latin  est  devenu  une  sorte  de  négation 
de  la  modalité,  le  subjonctif  le  mode  par  excellence.  De  la 
même  manière,  la  3^  personne  est  tout  ce  qui  n'est  pas  les 
deux  autres,  le  neutre  le  genre  de  tout  ce  qui  n'a  pas  de 
sexe,  du  moins  à  prendre  les  choses  à  vol  d'oiseau.  Yoilà  le 
point  de  départ.  En  y  remontant,  il  est  clair  qu'on  n'expli- 
que pas  pourquoi  Plante  dit  cuni  iiis,  et  Gicéron  ou  Horace 
cum  ueiis,  pour  exprimer  la  même  idée  :  «  puisque  tu  le 
veux  ».  On  pourra,  à  propos  de  cum  iielis,  montrer  com- 
ment le  subjonctif  est  employé  en  vertu  des  possibilités  in- 
hérentes à  son  origine.  Là  n'est  pas  la  difficulté.  Ce  qu'il 
faut  expliquer,  c'est  comment  la  nuance  qu'il  traduit,  s'est 
introduite  vers  le  temps  de  Lucilius  dans  la  pensée  des  Ro- 
mains et,  par  suite,  dans  l'expression.  Entre  Plante  et  Luci- 
lius, les  modes  n'ont  pas  changé  de  sens  ;  mais  la  formule 
a  pris  dans  la  pensée  une  nuance  qui  a  forcé  de  substituer 
un  mode  à  l'autre,  ou  plutôt  l'attention  du  sujet  parlant 
s'est  fixée  sur  cette  nuance.  Comment,  par  suite  de  quelles 
distinctions  inconscientes,  là  est  le  problème.  Pour  nous,  les 
Romains  ont  cherché  à  distinguer  la  vue  directe  et  la  vue  à 
travers  un  intermédiaire. 

1 .  Cette  distinction  est  le  principe  des  règles  suivies  dans 
le  discours  indirect.  Ces  règles  forment  un  ensemble  de 
moyens  d'expression,  où  le  subjonctif  joue  son  rôle,  et  qui 
sert  à  rapporter  un  discours  en  tant  qu'il  est  prononcé  par 
un  tiers.  On  sait  qu'aucune  langue  indo-européenne  n'a  usé 
du  discours  indirect  avec  la  rigueur,  l'étendue  et  la  fré- 
quence du  latin.  Ce  qui  est  caractéristique,  c'est  aussi  le  rôle 
du  subjonctif.  Le  latin  avait  trouvé  la  proposition  infinitive 
dans  son  héritage.  L'emploi  du  subjonctif  dans  les  proposi- 
tions subordonnées  qui  gardaient  la  forme  personnelle,  est 
une  innovation  du  latin.  L'optatif  grec  n'est  usité,  en  pareil 
cas,  qu'après  un  verbe  au  passé,  et,  sous  cette  condition,  il 


202  P.  LEJAY 

est  usité  aussi  dans  toute  une  série  de  propositions  qui  n'ont 
rien  de  commun  avec  le  discours  indirect  ou  même  avec 
l'expression  de  la  pensée  d'un  tiers.  Un  autre  principe  a 
déterminé  son  intervention.  La  comparaison  montre  la  diffé- 
rence des  deux  langues  et  rend  plus  claire  la  valeur  du  sub- 
jonctif latin*. 

2.  Ce  subjonctif  est  aussi  celui  de  la  question  indirecte  ou 
subordonnée.  A  l'origine,  la  question  indirecte  gardait  la 
forme  de  la  question  directe-.  L'ancienne  langue  a  encore  de 
nombreux  exemples  de  la  syntaxe  primitive  et,  autant  qu'on 
le  peut  savoir,  commune  aux  langues  indo-européennes.  On 
explique  scio  quid  ago  par  la  parataxe  ou  autrement  :  c'est 
une  question  de  mots,  dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occu- 
per. Mais  déjà  le  subjonctif  domine  chez  les  écrivains  archaï- 
ques. Il  a  été  étendu  graduellement,  si  bien  qu'à  l'époque 
classique  l'indicatif  n'est  plus  qu'un  ornement  de  vieux  style 
réservé  aux  poètes  et  aux  prosateurs  qui  les  imitent. 

3.  La  question  indirecte  est  une  variété  de  la  phrase 
relative.    A    l'époque    classique,     la     proposition     relative 

i.  S'il  s'était  simplement  agi  en  latin  de  marquer  une  subordination 
plus  étroite,  il  eût  été  possible  d'étendre  la  proposition  infinitive  aux 
subordonnées,  comme  de  fait  cela  est  arrivé,  dans  des  cas  d'ailleurs  très 
rares.  —  Nous  rencontrerons  plus  loin  encore  l'opposition  de  l'optatif 
grec  au  subjonctif  latin.  On  doit  faire  ici  une  observation  générale.  L'his- 
toire des  deux  modes  présente  le  phénomène  inverse.  L'optatif  tend  à  dis- 
paraître de  plus  en  plus  de  la  langue  écrite  et  il  paraît  à  peine  dans  le 
Nouveau-Testament,  par  exemple  (Blass,  Grammatik  des  neiitesta- 
mentlichen  Griechisch,  §  66).  Le  subjonctif  latin  va  toujours  en  étendant 
ses  emplois;  voy.  Goelzer,  Latinité  de  saint  Jérôme  (Paris,  1884), 
p.  357,  suiv.  Dans  Jérôme,  l'on  trouve  non  seulement  les  innovations  de 
la  période  du  Haut-Empire  (Tite-Live,  Tacite),  mais  quantité  d'autres 
emplois  du  subjonctif.  —  Voy.  plus  loin,  p.  214  et  n.  2. 

2.  Voir,  pour  les  faits,  l'exposé  détaillé  de  M.  Delbrûgk  d'après  les  tra- 
vaux antérieurs,  Syntax,  t.  III,  p.  271,  suiv.  La  théorie  ne  m'inspire  pas 
une  égale  confiance.  Le  rapprochement  entre  sciebam  quid  egisset  et  les 
formules  grecques  comportant  l'optatif  repose  sur  une  ressemblance  super  - 
ficielle.  L'effort  pour  replacer  dans  un  passé  commun  l'état  disparate  du 
grec,  du  latin  et  du  gotique  me  paraît  manquer  son  but. 


LE  PROGRES  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  203 

qui  comporte  une  nuance  réfïexive  a  son  verbe  au  sub- 
jonctif. Cette  nuance  peut  être  causale,  concessive,  adver- 
sative.  Elle  peut  consister  en  un  simple  rapport  qu'établit 
l'esprit  entre  les  données  de  la  proposition  principale  et 
l'énoncé  de  la  proposition  relative  ;  en  d'autres  termes,  elle 
peut  être  consécutive  :  «  Nullus  dolor  est  quem  non  longin- 
guitas  temporis  minuat  »  (Ser.  Sulpicius,  dansCic,  Epist., 
IV,  5,  6).  On  a  l'indicatif  quand  il  y  a  une  simple  assertion  : 
«  Neque  enim  est  uUa  fortitudo  quae  rationis  est  expers  » 
(Cic,  Tusc,  IV,  50)  :  «  le  courage  exempt  de  raison  n'existe 
pas  »,  ou  «  n'est  pas  un  courage  ».  A  l'époque  archaïque,  le 
subjonctif  est  encore  rare.  M.  Haie  a  fait  l'histoire  de  ses 
progrès.  Il  a  remarqué  qu'il  a  dû  s'introduire  d'abord  dans 
la  phrase  négative*.  Gela  est  naturel.  On  écarte  une  idée 
comme  fausse  ;  c'est  être  bien  près  de  l'écarter  comme  ve- 
nant d'autrui.  Dans  le  perpétuel  dialogue  qu'est  le  discours 
antique,  la  phrase  négative  est  une  espèce  de  réfutation  im- 
plicite. Le  sujet  parlant  a  du  moins  conscience  obscurément 
d'un  retour  que  fait  sa  pensée  sur  elle-même. 

4.  Un  cas  particulier  du  subjonctif  après  le  relatif  est  celui 
de  sunt  quiagant.  A  l'époque  classique,  siint  qui  est  suivi 
du  subjonctif.  C'est  que  l'auteur  établit  un  groupe,  une  ca- 
tégorie de  personnes,  dont  le  caractère  est,  à  son  avis,  de 
faire  telle  ou  telle  chose.  «  Sunt  qui  agunt  »  représente,  en 
dehors  de  toute  considération  subjective,  des  gens  qui  agis- 
sent d'une  façon  déterminée.  «  Sunt  qui  agant  »  représente 
les  mêmes  hommes  considérés  par  moi  comme  formant  un 
groupe  que  j'isole  au  lieu  de  les  laisser  dans  la  foule  et 
auxquels  j'imprime  une  sorte  de  marque  distinctive. 
Dans  ce  second  cas,  ma  réflexion  intervient.  Si  le  subjonctif 

1.  The  CumKonstruktionen  (Le\\^zig,  1891),  p.  10-2.  Noter  qu'il  n'y  a 
rien  d'équivalent  en  grec,  sauf  dans  les  cas  où  le  subjonctif  exprime 
l'éventualité,  non  un  retour  de  la  pensée  sur  elle-même. 


20i  P.  LEJAY 

a  fini  par  être  employé  habituellement,  c'est  que  ce  second 
cas  est  le  plus  ordinaire  ;  c'est  aussi  un  de  ces  progrès  de 
l'expression  nuancée  aux  dépens  de  l'expression  nue,  pro- 
grès que  nous  constaterons  souvent  et  qui  finit  par  supprimer 
la  nuance.  Cependant  on  continuera  de  dire  :  «  multi  sunt 
qui  agunt  »,  parce  que  la  détermination  du  groupe  est  suf- 
fisante grâce  à  multi.  Le  subjonctif  a  pénétré  encore  ici  par 
la  phrase  négative  :  «  Non  sunt  qui  agant  ».  L'esprit  inter- 
vient pour  écarter  cette  hypothèse  comme  insoutenable. 
Nous  allons  retrouver  la  même  évolution  à  propos  de  non 
quod. 

On  s'est  demandé  quelle  est  la  nature  du  subjonctif  dans 
ces  propositions.  La  réponse  peut  varier  suivant  le  contexte. 
Le  subjonctif  sera  souvent  un  subjonctif  de  supposition,  ce- 
lui que  nous  avons  dans  le  cas  de  conscience  proposé  par 
Cicéron  :  «  Vendat  aedes  uir  bonus  propter  aliqua  uitia 
quae...  ceteri  ignorent  ;  quaero...  num  id  iniuste...  fecerit?» 
(Z>e  off.,  III,  34*).  On  peut  ramener  certaines  phrases  à  ce 
type:  «  Sed  uatem  egregium,  cui  non  sit  publica  uena,... 
hune...  facit  »(Juv.,  7,  53)  =  «  Sit  uates  egregius,  ei  sii 
non  publica  uena  :  hune  facit  »  ;  a  Stulti  sumus  qui  nosmet 
ipsos  cum  P.  Clodio  conferre  audeamus  »  (Cic,  Mil.,  20) 
=  «  Nosmet  ipsos...  conferre  audeamus:  stulti  sumus  » . 
Mais  le  subjonctif  empiète  manifestement  sur  l'indicatif.  Son 
rôle  n'est  pas  précisément  d'exprimer  tel  ou  tel  aspect  de  la 
pensée,  mais  de  marquer  une  différence  avec  les  phrases  in- 
dicatives. Le  latin  distingue  ce  qui  est  pensé  ou  voulu  de  ce 
qui  est  ;  il  varie  aussi  l'énoncé  d'un  même  fait  suivant  que  ce 
fait  est  exprimé  en  lui-même  ou  mis  en  rapport  par  la  pen- 


4.  RiEMANN,  Syntaxe,  §  169.  II  ne  faut  pas  exagérer  la  portée  des 
équations  qui  vont  suivre.  Je  ne  veux  pas  dire  que  tel  soit  exactement  le 
sens  du  subjonctif  aprè  s  qui,  mais  que  ce  subjonctif  peut  avoir  cette 
origine. 


se 


LE  PROGRÉS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  205 

sée  avec  d'autres  données.  Ainsi  les  idées  de  cause,  de  con- 
cution,  d'opposition  entraînent  l'emploi  du  subjonctif.  La 
part  de  lui-même  que  le  sujet  incorpore  à  son  langage  n'est 
pas  indiquée  au  moyen  du  subjonctif  d'une  façon  absolue, 
mais  seulement  par  rapport  à  d'autres  façons  de  s'exprimer 
où  cet  élément  réflexif  est  moindre.  Le  subjonctif  est  un 
procédé  de  différenciation. 

5.  C'est  précisément  le  rôle  qu'il  a  joué  dans  l'évolution 
des  conjonctions.  Peu  à  peu,  les  Romains  ont  distingué,  en- 
tre les  différents  emplois  d'une  même  conjonction,  ceux  qui 
exprimaient  une  relation  de  fait  et  ceux  qui  exprimaient 
une  relation  établie  par  l'esprit.  L'histoire  de  quom  le  mon- 
tre clairement.  Il  était  naturel  que  cette  conjonction,  suivît 
le  sort  du  relatif.  Après  quom,  l'indicatif  n'a  plus  été  pos- 
sible à  l'époque  classique  que  pour  désigner  un  pur  rapport 
de  temps.  Même  quand  la  phrase  comportait  une  simple 
insistance  de  l'esprit,  la  constatation  d'une  situation  caracté- 
ristique, le  subjonctif,  au  moins  au  passé,  devint  la  règle, 
quom  Athenae  florercnt^.  k.  plus  forte  raison,  quand  la 
conjonction,  à  la  notion  temporelle  fondamentale,  ajoute  une 
idée  de  cause,  de  condition  ou  d'opposition. 

La  différence  entre  la  syntaxe  ancienne  et  la  nouvelle 
n'est  nulle  part  mieux  attestée  que  par  l'imitation  d'une 
scène  de  V Eunuque.  Dans  Térence,  le  jeune  premier  dit  : 
«  Quand  bien  même  elle  me  rappellerait,  faut-il  que  je  n'aille 
pas  la  retrouver  :  Non  eam  ?  ne  nunc  quidem  |  quom  arces- 
5orultro?  ))  {Eun.^  46).  Horace,  qui  reproduit  une  partie  du 
morceau,  fait  dire  à  son  débauché  :  «  Nec  nunc,  cum  me  uo- 
cet  ultro,  accedam?  »  {Sat.,  II,  3,  262-3).  Entre  les  deux 


1.  Des  deux  explications  mentionnées  encore  dans  Riemann,  Syntaxe, 
oe  édit.,  p.  382,  n.  1,  aucune  n'est  satisfaisante.  Le  subjonctif  paraît  simul- 
tanément après  cum  «  caractéristique  »  et  après  cum  consécutif  ou  adver- 
satif. 


206  P.  LEJAY 

poètes,  la  syntaxe  a  changé  K  Perse,  qui  reprend  à  son  tour 
l'imitation  du  morceau,  dit  en  serrant  Térence  de  plus  près  : 
«  Nec  nunc,  cum  accersat  et  ultro  |  supplicet,  accedam?» 
(5,  172). 

6.  La  même  évolution  se  retrouve  dans  l'histoire  de  quod 
et  de  quia,  deux  autres  formes  du  pronom  relatif.  Dans  l'an- 
cienne langue,  après  est  quod,  nihil  est  quod,  quid  est 
quod,  etc.,  où  quod e?X  encore  très  voisin  de  la  fonction  re- 
lative, le  subjonctif  n'est  guère  employé  que  dans  les  phra- 
ses négatives.  A  l'époque  classique,  le  subjonctif  est  la 
réglée  On  connaît  l'usage:  quod  (quia)  n'est  suivi  de  l'in- 
dicatif que  dans  le  sens  de  «  ce  fait  que  »  ou  dans  celui  de 
«  parce  que  »  établissant  un  lien  objectif  de  causalité.  Si 
le  sujet  parlant  reproduit  l'opinion  d'un  tiers  comme  telle, 
ou  sa  propre  opinion,  comme  une  opinion,  non  comme  un 
fait,  le  subjonctif  est  la  règle.  Il  en  est  de  même  après  quia. 
Il  suit  de  là  que  le  subjonctif  est  nécessaire  après  non  quod 
(rion  quid)  exprimant  une  raison  que  l'on  écarte  comme 
fausse  ou  que  l'on  ne  prend  pas  à  son  compte.  Dans  certai- 
nes couches  de  la  population,  quand  on  substitue  quod 
(quia)  à  la  proposition  infinitive  (  «  renuntiarunt  quod  ha- 
berent  y),  Bel.  hisp.,  36^),  on  se  conforme  à  la  distinction  qui 
a  prévalu  en  employant  après  la  conjonction  le  subjonctif  et 
non  pas  l'indicatif.  L'indicatif  pénétrera  seulement  plus  tard, 
quand  l'affectation  d'en  haut  et  la  négligence  d'en  bas  auront 
perverti  le  sentiment  des  nuances,  surtout  sous  l'influence 
de  la  littérature  de  traduction.  Avant  l'époque  classique,  au 


1,  M.  VoUmer  écrit  uocat  dans  Horace,  contre  la  leçon  des  mss,  et  en 
se  référant  à  Térence  :  singulier  exemple  d'altération  savante  d'un  texte 
transmis  intact. 

'1.   RiEMANN,  §  224,  lo. 

3.  Premier  exemple  connu  ;  voy.  Schmalz,  dans  la  Berliner  philolo- 
gische  Wochenschrift,  4905,  556.  Scio  quia  est  encore  plus  récent, 
voyez  ib. 


I 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  207 

contraire,  l'indicatif  est  normal  en  toute  situation;  Lucrèce 
observe  encore  une  vieille  syntaxe  en  écrivant  :  «  Non  quia 
uexari  quemquams^  iucunda  uoluptas  *  » . 

Le  subjonctif  ne  donne  pas  au  verbe  le  même  sens  après 
différentes  conjonctions.  Cum,  «  puisque  »,  est  suivi  du 
subjonctif  ;  quia,  «  puisque  »,  est  suivi  de  l'indicatif.  Mais  le 
subjonctif  joue  toujours  le  même  rôle.  Il  oppose  à  cum  tem- 
porel cum  causal,  à  quia  simplement  causal  quia  accompa- 
gné d'une  nuance  accessoire.  L'esprit  latin  a  fini  par  distin- 
guer dans  les  emplois  de  cum  et  dans  ceux  de  quia  le  plus 
objectif.  A  celui-là  est  réservé  l'indicatif  et  la  conjonction  y 
garde  le  sens  le  plus  éloigné  de  toute  complication  psycholo- 
gique. Tous  les  autres  emplois,  chargés,  à  divers  degrés,  de 
réflexion  ou  de  calcul,  sont  opposés  au  premier  et  forment 
un  groupe  que  le  subjonctif  caractérise. 

7.  Les  conjonctions  qui  signifient  «  avant  que,  jusqu'à  ce 
que  »  sont  suivies  du  subjonctif  quand  il  y  a  une  idée  d'in- 
tention. Elles  ont  la  même  construction,  quand  elles  signi- 
fient «  sans  attendre  que  »,  «  avant  qu'on  ait  eu  le  temps 
(ou  le  besoin)  de  »,  c'est-à-dire  quand  elles  énoncent  un 
rapport  établi  par  l'esprit  entre  les  deux  événements.  L'in- 
dicatif reste  le  mode  usité  seulement  quand  ces  conjonctions 
représentent  une  pure  succession  temporelle.  Et  même 
encore  ici,  au  moins  dans  la  langue  soutenue,  le  subjonctif  a 
supplanté  l'indicatif  quand  le  verbe  au  présent  se  rapporte  à 
l'avenir  :  «  antequam  dicamus  de...,  uidetur  dicendum 
de...  ».  Il  peut  toujours  se  glisser  une  idée  d'intention  dans 
l'annonce  de  ce  qu'on  fera.  Ce  subjonctif  présent  est,  au 

4.  RiEMANN,  §  193.  —  On  pourrait  ajouter  que  quia  étant  devenu  causal 
à  une  date  très  ancienne,  on  a  pris  l'habitude  de  l'opposer  aux  nouvelles 
conjonctions  causales  construites  avec  le  subjonctif,  quod  et  cum.  Dès 
lors;  à  l'époque  classique,  on  dira  plus  volontiers  non  quod  scripserit  que 
non  quia  scripserit.  Sur  le  sens  de  non  quia  scripsit,  voy.  Riemann, 
Synt.,  i  194,  r.  3. 


208  P.  LEJAY 

surplus,  une  extension  propre  à  la  langue  la  plus  raffinée  ; 
l'indicatif  n'est  pas  complètement  éliminé  de  la  langue 
familière  et  des  discours  publics  ^ 

8.  La  distinction  du  fait  et  de  la  pensée  explique  le  sub- 
jonctif après  tamquam,  quasi  :  «  Parui  primo  ortu  sic 
lacent,  tamquam  omnino  sine  animo  sint  »  {De  fin.,  V,  42). 
Ce  n'est  pas  qu'en  fait  ces  petits  soient  privés  de  vie,  mais 
on  dirait  qu'ils  le  sont.  Le  sujet  pensant  interpose  devant  le 
fait  une  image.  «  Aristoteles  ait  omnes  ingeniosos  melancho- 
licos  esse...  idque,  quasi  constet,  rationem  cur  ita  fiat  ratio- 
nem  adfert  »  (Tusc,  I,  80).  Quasi  constet  est  une  réflexion 
de  Gicéron  qui  interprète  la  pensée  d'Aristote  ;  constat  affir- 
merait un  fait.  On  comprend  comment,  chez  les  écrivains  du 
i"  et  du  n*  siècle  de  l'ère  chrétienne,  tamquam  a  pu,  dans 
une  certaine  mesure,  devenir  un  des  moyens  d'expression 
du  discours  indirect  :  «  Arguebat. . .  conscientiam  ducis,  tam- 
quam falso  crimine  opprimer etur'^  »  (Tac,  Eist.^  IV,  25). 

9.  Depuis  les  recherches  de  Riemann^  il  est  acquis  que 
le  subjonctif  employé  après  potius  qiiam  exprime  une  idée 
d'intention  dès  le  temps  de  Plante.  Cependant,  jusqu'à 
l'époque  classique,  et  particulièrement  dans  Plante,  l'autre 
construction  est  quelquefois  employée,  «  d'une  manière  illo- 
gique »,  dit  Riemann;  plutôt,  par  survivance.  Mais  le  sub- 
jonctif ne  suffit  bientôt  plus.  A  l'époque  classique,  on  com- 
mence à  ajouter  ut  {potius  quam  ut)  pour  rendre  sensible 
l'idée  d'intention  :  le  premier  procédé  de  différenciation 
étant  usé,  on  y  en  joint  un  second. 


1.  Voy.  Riemann,  ^ynt.  lat.,  §  214  (5^  éd.,  p.  37i,  note  1).  Priusquam 
est  déjà  suivi  du  subjonctif  dans  l'ancienne  langue  quand  il  y  a  idée  d'in- 
tention ;  LiNDSAY,  Syntax  of  Plautus,  p.  133. 

2.  Voy.  Gh.-E.  Bennett,  dans  VArchiv  de  Wôlfflin,  XI,  p.  405,  suiv. 
Une  partie  des  exemples  cités  par  M.  Bennett  doivent  aussi  s'expliquer 
par  la  substitution  de  tamquam,  etc.,  à  quod  devant  le  subjonctif. 

3.  Revue  de  Philologie,  t.  XII  (4888),  p.  43  ;  cf.  Syntaxe,  §  226. 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  209 

10.  Si  nous  sortons  du  groupe  des  conjonctions  issues  du 
pronom  relatif  S  dum  et  c/on^c  présentent  les  mêmes  parti- 
cularités que  antequam  et  priusquam.  Mais  à  l'époque 
impériale,  ces  conjonctions  sont  suivies  du  subjonctif  sans 
aucune  des  raisons  que  nous  avons  vues  :  «  Danuuius... 
pluris  populos  adit,  donec  in  Ponticum  mare  erumpat  » 
(Tac,  Germ.^  1).  Dans  ce  chapitre  de  données  géographi- 
ques, le  Danube  n'est  pas  personnifié.  Cependant  donec 
erumpat  est  la  construction  que  l'on  emploierait  s'il  était 
personnifié.  Elle  est  donc  plus  vivante  que  l'indicatif.  Par 
une  recherche  littéraire,  Tacite  arrive  à  fausser  la  valeur 
des  moyens  d'expression.  Encore  un  exemple  de  l'usage 
abusif  de  l'expression  nuancée  à  l'époque  impériale. 

11.  Il  faut  expliquer  d'une  manière  peu  différente  l'em- 
ploi du  subjonctif  après  dum,  «  pendant  que,  en  », 
postquam,  ubi,  exprimant  de  simples  rapports  temporels. 
M.  Haie  y  a  vu  avec  raison  une  influence  de  la  construction 
de  cum  «  caractéristique  »  (cum  Athenae  florerent)^.  Le 
subjonctif  sortait  la  proposition  de  la  banalité.  Il  était  tentant 
pour  un  poète  comme  Virgile  ou  un  prosateur  comme 
Tacite  d'étendre  cette  «  élégance  »  :  «  Illa  quidem,  dum  te 
fugeret,...  hydrum...  non  uidit  in  herba  »  (Virg.,  Géorg., 
IV,  457-9).  On  en  vient  de  très  bonne  heure  à  employer 
cum  lui-même  avec  le  subjonctif  pour  exprimer  un  pur  rap- 
port temporel.  Il  faut  reconnaître  aussi  que  souvent  le  sens 
permettait  l'une  ou  l'autre  construction. 

12.  De  même  quanquam,  est  suivi  du  subjonctif  dans  Vir- 
gile, Tite-Live,  Tacite.  Le  mot  suffisait  à  exprimer  la  res- 

i.  Le  subjonctif  après  quamuis  me  paraît  être  un  véritable  subjonctif 
de  supposition  ;  voy.  Riemann,  Synt.,  §  201,  r.  1. 

2.  Die  Cum-Konstruktionen,  p.  303.  Les  exemples  cités,  p.  304,  de 
posteaquam  avec  le  subjonctif  ont  été  contestés  :  voy.  Riemann,  Syn- 
taxe, 5e  éd.,  p.  375,  n.  2.  Il  est  sans  importance  pour  notre  thèse  que  le 
phénomène  remonte  à  l'époque  classique. 

U 


210  P.  LEJAY 

triction.  Il  faisait  partie  de  la  catégorie  des  relatifs  indéter- 
minés qui  n'ont  jamais  été  suivis  du  subjonctif  avant  l'Em- 
pire. Mais  les  poètes  ont  cru  rajeunir  le  mot  et  rendre  plus 
évidente  sa  fonction  psychologique  en  le  faisant  accompagner 
du  subjonctif. 

13.  Un  dernier  emploi  du  subjonctif  dans  les  propositions 
subordonnées  reste  à  citer.  C'est  le  subjonctif  dit  de  répéti- 
tion, l'emploi  de  l'imparfait  et  du  plus-que-parfait  du  sub- 
jonctif dans  les  propositions  relatives,  conditionnelles  et 
temporelles*.  On  a  beaucoup  disputé  sur  la  date  de  cette 
innovation  ^.   Quoi    que    l'on    pense    des  deux    douzaines 


4,  Il  y  a  aussi  en  grec  un  subjonctif  de  répétition,  mais  qui  est 
employé  à  des  temps  où,  en  latin,  le  subjonctif  n'était  pas  d'abord  usité  et 
où  il  a  toujours  été  rare  (si  sit,  si  fuerit). 

1.  Dernièrement  la  question  a  été  reprise  par  le  P.  Lebreton,  Caesa- 
riana  syntaxis  quatenus  a  Ciceroniana  différât,  p.  37,  qui  allègue 
l'i  exemples  de  César  et  19  de  Cicéron,  Quand  on  épluche  cette  liste, 
il  n'en  reste  pas  beaucoup.  I.  Cicéron,  Pro  Rab.  Post.,  10  :  Quod  cum 
fecissent,  permulti  saepe  uicerunt.  Le  rapport  exprimé  ici  par  le  mode 
est  celui  de  cause  à  effet  :  «  Parce  qu'ils  agirent  ainsi...  ».  Je  trouve  le 
sens  explicatif  ou  causal  dans  :  De  or.,  I,  112  (cum  peterem  :  peut  se 
discuter;  cf.  cependant  le  récit  de  Val.  Max.,  IV,  5,  4  :  faire  acte  de 
candidat  embarrasse  Crassus  et  l'induit  à  éloigner  Scévola)  ;  Brut.,  143 
(cum  de  aequo  et  bono  disputaretur,  «  étant  donné  que...  »;  cela 
caractérise  Crassus  en  regard  d'Antoine)  ;  Ver.,  IV,  48  (cum  caractéris- 
tique); P.  Balbo,  45  (ad  Furium  et  Cascellium  praediatores  :  ce  dernier 
mot,  omis  parle  P.  L.,  est  essentiel,  pour  se  rendre  compte  du  rapport 
des  propositions);  Phil.,  XIV,  22  (la  proposition  de  Cicéron  n'a  pas 
été  mise  aux  voix,  à  cause  des  noms  de  guerre  et  d'ennemi)  ;  Fin.,  II, 
62  (cum  caractéristique)  ;  Rep.,  II,  59  (même  observation).  D'autre 
part,  cum  marque  une  opposition  dans  Pro  Quinctio,  39  ;  P.  Cael., 
11  (le  sens  des  verbes  est  exclusif  de  l'idée  de  répétition)  ;  Dei.,  28. 
Dans  le  De  N.  D.,  III,  8,  diceres  est  un  subjonctif  oblique.  Je  ne 
retiens  donc  que  4  exemples,  de  la  liste  de  19  dressée  par  le  P.  L.  :  De 
or.,  I,  232;  Brut.,  190;  Or.,  9  ;  De  diu.,  I,  d02.  Ce  n'est  pas  un  hasard 
s'il  n'y  a  aucun  exemple  dans  les  discours.  —  II.  César.  Déjà  M.  Meusel, 
p.  371  de  ses  Beitràge,  que  ne  cite  pas  le  P.  Lebreton,  avait  restreint 
singulièrement  l'usage  du  subjonctif  de  répétition  dans  César.  De  la  liste 
donnée  par  le  P.  Lebreton,  j'éliminerais  :  B.  G.,  l,  25,  3  (sens  causal)  ; 
VII,  16,  3  (sens  causal)  ;  17,  4  (opposition  et  liaison  logique)  ;  80,  4  (cau- 
sal :  le  texte  de  Thuc.  ne  prouve  rien,  puisque  le  grec  n'a  pas  de  construc- 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  211 

d'exemples  que  l'on  a  cru  trouver  dans  Gicéron  et  dans 
César,  certainement  le  phénomène  est  postérieur  à  la  mort 
de  Lucilius  et  son  extension  est  propre  à  la  langue  de 
l'Empire. 

L'innovation  est  encore,  en  ce  cas,  probablement  due  à 
l'influence  de  la  syntaxe  de  cum.  Mais  son  principe  est  tou- 
jours le  même.  Le  subjonctif  en  soi  n'exprime  pas  la  répé- 
tition. Il  témoigne  seulement  d'une  certaine  insistance;  il 
caractérise,  dans  quelque  mesure,  la  façon  d'être  du  sujet  ; 
il  dit  plus  ou  autre  chose  que  l'indicatif.  Procédé  de  diffé- 
renciation, il  révèle  que  la  pensée  s'attache  de  manière  par- 
ticulière à  une  action. 

14.  L'emploi  du  subjonctif  latin  dans  les  propositions 
principales  ne  présente  pas,  en  général,  de  particularités 
qui  ne  s'expliquent  par  les  fonctions  de  l'un  des  modes  pri- 
mitifs, optatif  et  subjonctif.  Une  seule  innovation  doit  être 
mentionnée,  qui  s'étend  aussi  bien  à  certaines  subordon- 
nées, l'irréel,  c'est-à-dire  l'emploi  de  l'imparfait  et  du  plus- 
que-parfait  du  subjonctif  dans  des  circonstances  où  la  lan- 
gue française  se  sert,  soit  de  l'imparfait  de  l'indicatif,  soit 
du  conditionnel.  Le  grec  se  contente  des  temps  secondaires 


tion  comparable  à  celle  de  cum  causal  :  pour  exprimer  une  même  idée, 
chaque  écrivain  a  suivi  le  génie  de  sa  langue)  ;  B.  C,  III,  24,  2  (l'idée 
de  répétition  n'est  pas  probable  et  la  proposition  décrit  la  situation  comme 
intéressante  :  voir  la  suite  du  récit)  ;  50,  1  (cum  animaduertissent  ne 
peut  signifier  «  toutes  les  fois  qu'ils  avaient  remarqué  »,  mais  «  parce 
que,  comme  ils  avaient  remarqué).  Dès  lors,  il  reste  :  B.  G.,  II,  20,  1 
(que  M.  Meusel  considère  comme  une  glose);  V,  19,  2  (texte  incertain  j 
M.  Meusel,  ih.,  p.  372,  conjecture  :  effuderaf)  ;  VII,  35,  i  (texte  dou- 
teux) ;  B.  C,  II,  41,  6  ;  m,  47,  1  •  48,  2.  Comme  l'a  vu  M.  Meusel,  ce 
subjonctif  n'existe  sûrement  que  dans  le  De  bello  ciuili,  et  il  est  signifi- 
catif que  les  trois  exemples  du  De  bello  gallico  sont  suspects  pour  d'au- 
tres motifs.  —  Tous  ces  exemples  sont  après  cum  ;  aucun  ne  se  présente 
après  le  relatif  ou  une  autre  conjonction  qui  ne  puisse  être  contesté. 
Cette  différence  doit  aussi  inspirer  des  doutes  sur  la  nature  véritable  de 
ces  subjonctifs. 


212  P.  LEJAY 

de  l'indicatif,  auxquels  il  ajoute  av  (xsv)  dans  la  proposition 
principale.  L'ancienne  langue  employait  aussi  l'optatif  avec  av 
(xEv),  c'est-à-dire  la  forme  verbale  qui  exprimait  générale- 
ment l'idée  de  possibilité,  du  moins  dans  la  proposition 
principale.  Dans  des  phrases  comme  si  amicum  habererriy 
felix  essem,  il  s'agit  toujours  d'un  état  dont  l'origine 
remonte  au  passé  :  «  Je  n'ai  pas  su  me  faire  d'amis  )>.  Cela 
est  si  vrai  que,  en  français  et  en  anglais,  le  passé  est 
employé  dans  ces  expressions.  Elles  comportent  donc  deux 
notions  :  celle  du  passé  et  celle  de  l'hypothèse.  Le  latin  a 
marqué  fortement  le  caractère  hypothétique  par  l'emploi  du 
subjonctif.  Ce  subjonctif  passé  a  une  telle  force  qu'on  le 
retrouve  même  en  dehors  de  la  phrase  conditionnelle,  même 
quand  l'idée  d'une  condition  non  réalisée  est  tout  à  fait 
obscure,  dans  l'expression  d'un  regret  :  utinam  muer  et  ^ 
dans  la  protestation  :  non  redderem,  dans  l'hypothèse  irréa- 
lisable non  soumise  à  une  condition  :  uellem.  Dans  toutes 
ces  expressions,  il  y  a  l'idée  d'un  passé,  mais  d'un  passé 
irréparable.  Un  sentiment  se  mêle  au  souvenir. 

Cet  emploi  de  l'imparfait  et  du  plus-que-parfait  du  sub- 
jonctif remonte  à  une  époque  préhistorique.  M.  Delbrûck 
l'explique  par  l'origine  optative  des  formes.  Cela  est  possi- 
ble \  Mais  il  n'est  pas  douteux  qu'en  latin  cette  série  de 
temps  a  pris  une  physionomie  particulière.  On  ne  peut  non 
plus  séparer  leur  fonction  dans  l'expression  de  l'irréel  et 
dans  la  proposition  temporelle.  Si  après  cum  temporel  le 
subjonctif  s'est  introduit  d'abord  à  l'imparfait  et  au  plus- 
que-parfait  pour  caractériser  une  situation,  c'est  que  déjà 
ces  formes  jouaient  un  rôle  psychologique  dans  d'autres  cir- 
constances. La  rencontre  n'est  pas  un  hasard. 

15.  Au  subjonctif,  mode  de  la  proposition  subordonnée 

1.  S>yntax,  II,  p.  398. 


LE  PROGRES  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  213 

qui  passe  au  discours  indirect,  il  faut  rattacher  un  des 
emplois  du  réfléchi.  Le  réfléchi  peut  renvoyer  au  sujet  dont 
on  rapporte  la  pensée  :  «  Faustulo  spes  fuerat  regiam  stir- 
pem  apud  se  educari  » .  Le  réfléchi  se  trouve  même  dans  des 
phrases  où  l'idée  de  la  pensée  d'un  tiers  résulte  du  contexte, 
sans  être  exprimée  directement  :  «  Romanis  multitudo  sua 
auxit  animum  » ,  «  le  sentiment  de  leur  force  numérique  »  ; 
«  Admonere  alium  egestatis,  alium  cupiditatis  suae  »,  les 
amis  de  Catilina  se  disent  :  «  ma  pauvreté,  mon  avidité  » 
(Sall.,  Cat.y  21,  4;  cf.  14,  3  :  «  Omnes  quos  flagitium, 
egestas,  conscius  animus  exagitabat  )))\  Le  grec  n'offre  rien 
de  comparable  à  ces  deux  derniers  exemples.  Dans  des 
phrases  de  ce  genre,  il  se  contenterait  de  l'article.  Ainsi  le 
latin  et  le  grec  ont  en  commun  le  réfléchi  «  indirect  ». 
Mais  ce  pronom  paraît  être  d'abord  une  variété  ou  une 
extension  du  réfléchi  grammatical  qui  renvoie  au  sujet  de  la 
proposition  ;  car  il  renvoie  au  sujet  de  la  proposition  princi- 
pale (c'est  le  cas  le  plus  ordinaire),  ou  à  son  sujet  logique. 
Les  Latins  ont  été  plus  loin.  Ils  ont  donné  à  ce  mot  une 
valeur  qui  leur  permettait  de  distinguer  une  fois  de  plus  le 
fait  et  la  réfraction  du  fait  dans  un  esprit. 

Le  procédé  n'a  pas  été  tout  de  suite  appliqué  avec  rigueur. 
Ce  qui  le  prouve,  c'est  une  difficulté  d'usage  que  les  gram- 
mairiens expliquent  de  différentes  manières.  Dans  une 
phrase  comme  celle-ci  :  «  Misit  qui  uocarent  ad  se  »,  on 
devrait  toujours  trouver  réunis  le  réfléchi  et  le  subjonctif, 
expressions  de  la  pensée  d'un  tiers.  Il  s'en  faut  que  les 
choses  se  passent  avec  cette  régularité.  Cicéron,  surtout 
dans  ses  premiers  écrits,  emploie  le  réfléchi  à  côté  d'un 
verbe  à  l'indicatif.  La  langue  ancienne  en  présente  aussi  des 
exemples,  qui  seraient  plus  nombreux,  sans  doute,  si  l'on 

1.  Voy.  RiEMANN,  Syntaxe,  §  9  a,  ^o. 


214  P.  LEJAY 

avait  étudié  de  plus  près  la  syntaxe  de  la  proposition  expri- 
mant la  pensée  ou  l'intention  d'autrui.  L'incohérence  est  évi- 
dente quand  une  phrase  relative  est  un  membre  nécessaire 
d'un  discours  indirect  :  «  Dicit  capram,  quam  dederam 
seruandam  sibi,  etc.  »  (Plaute,  Merc,  238)*.  Nous  avons 
affaire  à  une  particularité  de  la  langue  familière.  Kiihner 
a  essayé  de  l'expliquer  par  la  contamination  des  deux  types 
quam  dederam  ex  et  quam  dedissem  sibi.  On  pourrait  dis- 
cuter cette  hypothèse  si  le  type  quain  dedissem  sibi  était 
aussi  fréquent  dans  le  discours  indirect  que  le  type  quam 
dederam  ei  dans  la  narration.  Mais  cela  n'est  pas.  Les 
anciens  écrivains  latins  emploient  très  souvent  l'indicatif 
dans  la  proposition  subordonnée  du  discours  indirect  sans 
qu'on  puisse  alléguer  une  raison  ou  un  prétexte,  parenthèse, 
anacoluthe,  longueur  de  la  période^.  D'autre  part,  Caton  dit 
sans  sourciller  :  «  Vitis  si  macra  erit,  sarmenta  sua  conci- 
dito  »  {Agr.j  37).  Le  possessif  est  injustifiable.  L'ancienne 
langue  comportait  donc  une  grande  liberté.  Peu  à  peu,  les 
tournures  concurrentes  ont  été  classées  et  affectées  chacune 
à  un  service  particulier.  Ce  triage  ne  s'est  pas  fait  tout  d'un 
coup,  et  les  écrivains  classiques  ont  encore  des  traces  de  la 
liberté  première.  Mais  ce  travail  a  été  accompli  dans  la 
même  direction  que  d'autres  restrictions  analogues.  Tandis 
qu'il  embarrasse  les  grammairiens  qui  jugent  d'après  un 
code,  il  révèle  à  l'historien  l'instinct  confus  qui  dirigeait 
l'élaboration  de  la  langue  classique  ^ 

16.  Une  catégorie  particulière  d'exceptions  paraît  confir- 


1.  Voy.  HoLTZE,  Syntaxis  prise,  scr.  lat.,  ï,  p.  364.  La  question  n'est 
pas  traitée  par  M.  Lindsay. 

2.  HoLTZE,  ib.,  II,  p.  133,  suiv. 

3.  A  cette  revue,  il  faudrait  peut-être  ajouter  un  fait  de  morphologie. 
A  l'époque  classique,  le  nombre  des  verbes  qui  prennent  la  forme  dépo- 
nente devient  considérable  ;  voy.  Neue,  Formenlehre,  III,  p.  17,  suiv. 
Pour  des  verbes  comme  frustror,  mereor,  «  mériter  »  (opposé  à  mereo, 


LE  PROGRES  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  21.j 

mer  notre  interprétation  du  subjonctif.  Un  verbe  est  à  une 
forme  de  l'indicatif,  alors  que,  pour  une  des  raisons  généra- 
les que  nous  venons  de  voir,  on  attend  le  subjonctif.  Mais 
précisément  ce  verbe  signifie  «  penser  »,  «  croire  »,  «  dire  ». 
Il  a  le  sens  que  donnerait  à  la  phrase  le  subjonctif.  Il  reste 
naturellement  à  l'indicatif.  Madvig  remarque  que  l'on  trouve 
très  souvent  des  phrases  à  l'indicatif  au  lieu  du  subjonctif  déli- 
bératif  ;  «  fere  autem  constanter  id  faciunt  cum...  ex  aliis 
quam  sententiam  se  suscipere  uelint  quaerant  »  ' .  Cette  expli- 
cation est  obscure  ;  elle  pourrait  convenir  à  toute  question 
délibérative  prononcée  devant  témoin.  Les  exemples  cités 
sont  très  clairs.  Tous  contiennent  un  verbe  signifiant  «  pen- 
ser »,  arbitramur,  existijnamiis,  putamus  :  «  Stantes  plau- 
debant  in  re  ficta  :  quid  arbitramvr  in  uera  facturos 
fuisse?  »  (Gic,  Lael.j  24).  Le  subjonctif  est  habituel  dans 
César  après  sunt  qui.  La  seule  exception  du  de  Bello  Gal- 
lico  (IV,  10,  5)  porte  justement  sur  existimo  :  «  Ex  quibus 
sunt  qui  piscibus  atque  ouis  uiuere  existimantur  »  ^. 

En  pareille  occurrence  des  confusions  sont  possibles    : 


«  acquérir  »),  la  forme  déponente  peut  avoir  été  préférée  pour  marquer 
une  opération  de  l'esprit,  un  calcul  ou  une  réflexion.  Mais  d'autres  sens 
du  déponent  interviennent.  La  question  est  complexe.  Enfin  il  ne  faut  pas 
confondre  le  sens  réfléchi  avec  ce  que  nous  appelons  ici  le  sens  réflexif. 

i.  Madvig,  Opiiscula  academica,  p.  437-438  ;  l''e  éd.,  II,  p.  40. 

2.  Inversement,  dans  une  question  oratoire,  un  verbe  signifiant 
«  croire  »  ou  «  penser  »  à  la  2^  personne,  est  mis  au  subjonctif  au  dis- 
cours indirect.  On  dira  :  «  Quonam  modo  se  obliuisci  P.  Decii  posse  ?  », 
parce  que  c'est  l'équivalent  d'une  proposition  non  interrogative  nullo 
modo  obliuisci  se  posse  (possum  au  discours  direct).  Au  contraire,  dans  : 
«  Ignominianc  sua  quemquam  doliturum  censeret  »,  quemquam  dolitu- 
rum  serait  possible  isolément  :  «  Nemo  ignominia  tua  dolebit  »,  C'est  le 
cas  précédent.  On  ajoute  censés  :  la  phrase  devient  une  question  directe 
et  retombe  dans  un  autre  cas  :  toute  question  réelle  et  toute  question 
oratoire  exprimant  un  sentiment  (blâme,  douleur,  etc.)  a  son  verbe  au 
subjonctif  dans  le  discours  indirect,  quand  ce  verbe  est  à  la  seconde  per- 
sonne. Vov.  RiEMANxX,  Syntaxe,  §  228,  et  Rev.  de  phil,  VII  (1883),  112 
et  164. 


216  P.  LEJAY 

«  Legatos...  multi  missos  fecerunt...  quod  illorum  culpa  se 
minus  commode  audire  arbitrarentur  »  {Ver.^  III,  134)  ;  on 
attend  :  quod...  audirent  ow  quod...  audire  arhitrahantur  \ 
«  Litteras  quas  me  sibi  misisse  diceret  recitauit  »  (JPhil., 
II,  7);  on  attend  misisse  dicebat  ou  misisset\  Des  mépri- 
ses analogues  s'observent  dans  toutes  les  langues,  notam- 
ment dans  l'emploi  des  négations  -. 


II 


Les  formes  nominales. 

1.  L'accusatif  est  le  cas  de  la  subordination.  11  sert  à 
reproduire  au  discours  indirect  le  nominatif  ou  le  vocatif  du 
discours  direct  :  Cic. ,  P/iil.,  II,  30  :  «  Ciceronem  exclamauit  »  ; 
Ovide,  Met.,  III,  244  :  «  Actaeona  clamant  »  ;  «  il  s'écria  : 
«  Cicéron  !  »  ;  «  ils  crient  :  «  Actéon  !  ».  Cette  fonction 
existe  depuis  les  plus  anciens  temps  jusqu'au  seuil  du 
v«  siècle  de  l'ère  chrétienne,  au  moins  dans  les  œuvres  lit- 
téraires ;  Plaute,  Am.,  1120:  «  Exclamât  uxorem  tuam  », 
«  il  s'écrie  :  «  Alcmène  !  »  ;  épitaphe  du  pape  Sirice 
(f  398),  dans  Ihm,  Damasi  epigr.,  93,  4  :  «  Cunctus  ut 
populus  pacem  tune  soli  clamaret  ».  Dans  ce  dernier  texte, 
l'expression  signifie  :  «  Le  peuple  répond  :  Pax  !  à  l'évêque  », 
c'est-à-dire,  avec  un  sens  ecclésiastique  particulier,  le  peu- 
ple accepte  d'être  en  communion  avec  lui  ;  voyez  la  note  de 


i.  RiEMANN,  Synt.,  §  193,  r.  2;  §  224,  2^  note  (5e  éd.,  p.  388,  n.  2). 

2.  W.  Heraeus,  Jahrbûcher,  1886,  p.  713,  et  1891,  p.  501  ;  Polle, 
Phil.,  4892,  p.  759  ;  P.  Thomas,  Journal  de  Vinstr.  publ.  en  Belgi- 
que, 1885,  p.  i,  et  1907,  p.  228. 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  217 

Ihm.  Ce  rôle  grammatical  de  l'accusatif  le  préparait  à  un 
rôle  psychologique. 

Il  entre  en  effet  en  concurrence  avec  l'ablatif  dans  la 
construction  des  verbes  de  sentiment.  L'ablatif  latin  pré- 
sente la  cause  comme  agissant  en  quelque  sorte  du  dehors 
sur  l'âme,  à  la  manière  d'un  instrument  ;  l'accusatif  fait 
intervenir  la  conscience  du  sujet.  Maei^eo,  qui  exprime  la 
douleur  silencieuse  et  contenue,  se  construit  surtout  avec 
l'accusatif.  Il  se  construira  avec  l'ablatif  quand  on  voudra 
indiquer  la  cause  comme  extérieure.  S'il  s'agit  du  chagrin 
que  les  amis  de  Gicéron  éprouvent  à  le  voir  s'abandonner 
au  désespoir  après  la  mort  de  Tullia,  Ser.  Sulpicius  écrira  : 
«  Da  hoc...  amicis  ac  familiaribus  qui  tuo  dolore  maerent  » 
(Epist.,  IV,  o,  6).  Sulpicius  ne  veut  pas  dire  qu'il  fait  sien 
le  deuil  de  Gicéron  {tiium  dolorem  maerent).  De  même 
l'envie  causée  par  le  bien  d'autrui  ne  peut  comporter  d'au- 
tre expression,  2c^qc  maerere,  que  celle  de  Gic,  P.  Balbo, 
56  :  «  Sermones  hominum  alienis  bonis  maerentium  ». 

Ges  faits  sont  connus.  Ils  comportent  seulement  quelques 
remarques. 

Il  ne  faut  pas  faire  rentrer  ces  accusatifs  dans  la  catégorie 
de  ((  l'objet  intérieur  »  (ici  et  ailleurs,  j'emploie  la  termino- 
logie connue  sans  prétendre  l'approuver  ou  la  discuter). 
L'accusatif  «  intérieur  »  répète  sous  forme  nominale  l'idée 
contenue  déjà  dans  le  verbe  :  dolorem  maerere,  et  les  deux 
mots  ont  le  même  sujet.  Dans  Gic,  P.  Sestio,  32  :  «  Ne 
maererent...  rei  publicae  calamitatem  »,  maererent  et 
calamitatem  expriment  deux  notions  distinctes  appartenant 
à  des  sujets  différents.  Quand  Caelius  écrit:  «  Gauisos  homi- 
nes  suum  dolorem  »  (Gic,  Epist.,  VIII,  14,  1),  ce  n'est  pas 
une  «  extension  hardie  de  la  figura  etymologica  »  ;  car 
suum  dolorem  n'est  pas  le  substitut  de  quanta  gaudia  dans 
Gatulle,  61,  117:  «  Quanta  gaudia  gaudeat  ».  G'est  la  cause 


2i8  P.  LEJAY 

du  sentiment  et  probablement  pour  gaudere  le  premier 
exemple  de  l'accusatif  ^ 

Cet  emploi  de  l'accusatif  est,  en  effet,  assez  récent.  Chez 
les  comiques,  il  n'existe  pas  :  aliquam  amore  deperire  s'ex- 
plique autrement  -,  et  ne  suppose  un  sentiment  que  par  voie 
de  conséquence  ;  la  réalité  physiologique  est  au  premier 
pian.  César  est  encore  très  réservé.  Les  poètes  étendent  ce 
procédé  qui  donne  aux  mots  plus  de  profondeur  :  on  trouve 
chez  eux  laetari,  inirari^  stupere,  tremescere,  etc.  La  prose 
de  l'époque  impériale  s'empare  de  la  construction  et  la  rend 
banale.  Cicéron  avait  dit  :  «  Quis  non  doluit  rei  publicae 
casum  »  (In  Vat.,  31)  ;  mais  on  disait  à  son  époque  et 
jusqu'au  ii*"  siècle  de  l'ère  chrétienne  :  pes  dolet  ^  :  la  dou- 
leur n'a  pas  une  cause  morale.  Plus  tard,  Fronton  pourra 
écrire  (^Ad  am.,  16)  :  «  Grauiter  oculos  dolui  ».  Alors  on 
tentera  de  rétablir  la  nuance  effacée  en  prenant  un  autre 
cas  de  sens  psychologique  :  «  Noli  dolere,  mater,  factiii 
meo  »  (BuECHELER,  Carm.  epigr.,  148,  1). 

Un  moyen  d'expression  qui  existe  antérieurement  est  pris 
pour  établir  une  différence  entre  l'énoncé  d'un  fait  et  la  tra- 
duction d'un  événement  intime  de  la  conscience.  Ce  rôle  est 
préparé  par  d'autres  fonctions,  et,  dans  le  cas  de  l'accusatif, 
la  figure  étymologique,  très  fréquente  dès  le  temps  de 
Plante,  a  pu  aider  l'innovation.  La  distinction  est  étendue 
progressivement.  Les  poètes  en  usent  pour  relever  leur 
style.  Les  prosateurs  suivent  et  bientôt  la  fréquence  du  tour 


4.  Contre  Antoine,  dans  son  édit.,  p.  163.  Madvig  (cité  par  Antoine) 
avait  bien  vu,  mais  sa  correction  est  inutile.  Seyffert,  éd.  de  Laelius, 
2e  éd.,  p.  83,  parle  aussi  de  «  contenu  «,  «  Inhalt  ».  —  Bien  entendu,  id 
gaudeo  (Ter.,  Andr.,  361),  illud  g audeo  (Cic,  Brwi.,  456),  n'ont  rien 
à  faire  ici  ;  voy.  Riemann,  Synt.,  §  3o  d. 

2.  Seul  cas  cité  par  Draeger,  §  46i,  outre  des  ex.  de  pronoms  neutres 
Voy.  LiNDSAY,  Syntax  of  Plautus,  §  40,  p.  26. 

3.  ScHMALZ,  Antibarbarus,  5^  éd.,  t.  I,  470. 


LE  PR0GRP:S  de  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  219 

en  supprime  la  valeur  particulière.  Telle  est  la  courbe 
de  l'évolution.  Plus  d'une  fois,  nous  la  retrouvons  iden- 
tique. 

2.  En  dehors  de  l'emploi  partitif,  le  génitif  latin  a  deux 
fonctions  générales.  On  les  reconnaît  facilement  quand  elles 
sont  réunies  dans  une  même  phrase  :  «  In  illum  (Clodium) 
odia  ciuium  ardebant  desiderio  mei  »  (Gic,  Mil.,  39).  Au 
premier  génitif,  ciuium,  on  pourra  substituer  un  possessif, 
odia  uestra.  Cette  substitution  est  impossible  dans  desiderio 
mei  ;  on  ne  peut  dire  desiderio  meo,  sauf  confusions,  rares 
ou  discutables  chez  les  bons  écrivains. 

Le  grec  a,  comme  le  latin,  une  grande  variété  de  génitifs 
du  type  desiderio  Ciceronis  ;  mais  on  sait  que  le  génitif  des 
pronoms  personnels  n'est  guère  usité  en  ce  cas.  Au  con- 
traire, on  trouve  d'ordinaire  le  possessif  :  çoêoç  ô  6|jL£T£poç 
désigne  aussi  bien  la  crainte  que  vous  inspirez  que  celle  que 
vous  éprouvez.  Le  latin,  ayant  ici  deux  moyens  d'expres- 
sion, en  a  profité  pour  établir  une  différence  et  cette  diffé- 
rence revient  à  la  distinction  du  fait  et  de  l'opinion. 

La  nature  de  cette  distinction  a  été  établie  autrefois  par 
M.  Louis  Havet  dans  un  cours  du  Collège  de  France.  Le 
rapport  possessif  est  un  rapport  de  fait.  L'autre  rapport, 
celui  de  desiderio  mei,  est  de  nature  psychologique  ;  c'est 
«  le  regret  que  vous  éprouviez  pour  moi  »  :  le  regret  et  son 
objet  sont  vus,  pour  ainsi  dire,  à  travers  l'âme  d'autrui.  Un 
des  exemples  cités  par  M.  Havet  est  très  clair  :  «  Is  enim 
splendor  est  uestrum  ut  eadem  postulentur  a  uobis  quae  ab 
amplissimis  ciuibus  »  (Cic,  Att.,  VII,  13,  3).  Gicéron  parle 
des  exigences  de  l'opinion  publique  vis-à-vis  d'Atticus  et  de 
Peducaeus.  Splendor  uestrum,  ce  n'est  pas  «  l'éclat  que 
vous  possédez  »,  splendor  uester,  mais  «  l'éclat  que  l'on  voit 
en  vous,  dont  vous  jouissez  aux  yeux  du  monde  ».  II  y 
a  donc  intervention  d'un  tiers.  Ce  tiers  pourrait  être  identi- 


2iO  P.  LEJAY 

que  au  sujet  parlant.  Alors  il  présenterait  l'énoncé  comme 
une  opinion  ou  un  sentiment  personnel*. 

Cette  distinction  ne  paraît  pas  fort  ancienne.  Le  premier 
exemple  que  je  vois  du  génitif  du  pronom  est  dans  Ter., 
Hec,  219,  odiiim  tui^.  Mais  il  faudrait  savoir  plutôt  dans 
quelle  mesure  le  possessif  se  rencontre  chez  les  écrivains 
anciens  au  lieu  du  génitif.  On  cite  Plaute,  Am.,  1066, 
terrore  meo\  Ter.,  Ph.,  1016,  neglegentia  tua,  odio  tuo  , 
Caton,  Or.,  V,  2  Jordan  (dans  A.  G.,  VI,  3,  16),  seruitute 
nostra^.  On  ne  pourra  être  fixé  que  lorsque  le  lexique  de 
M.  Lodge  sera  assez  avancé.  Dans  César,  il  n'y  a  aucun  exemple 
du  possessif  au  sens  du  génitif.  On  en  trouve  plusieurs  dans 
Cicéron.  Une  tournure  analogue  favorisait  l'emploi  du 
possessif  en  accord  :  on  disait  haec  pulchritudo  pour  harwn 
rerum pulchritudo  (Berger,  Stylist.,  §  400,  1^);  on  devait 
être  tenté  de  dire  desiderium  meum  pour  desiderium  mei. 

Mais  la  confusion  s'est  surtout  produite  dans  l'autre  sens, 
par  la  substitution  de  liber  mei  à  liber  meus.  Il  me  paraît 
douteux  que  Cicéron  l'ait  commise*.  Elle  est  certaine  chez 

i.  M.  Louis  Havet  comparait,  d'une  part,  la  phrase  de  Gic,  AU., 
XI,  8,  2:  «  Misit  filium,  non  soium  sut  deprecatorem,  sed  etiam  accusa- 
torem  mei  «  avec  la  proposition  finale  :  «  qui  pro  se  deprecaretur  »,  et, 
d'autre  part,  Verr.,  IV,  445  :  «  qui  cum  accusatore  tuo  putant  »  à  :  «  qui 
putant  cum  eo  qui  te  accusât  ». 

2.  ScHAAFF,  De  genetiui  usu  Plautino  (Halle,  1881),  p.  20,  cite  à  tort 
Most.,  37  :  «  Mei  tergi  facio  haec,  non  tui  fiducia  »,  où  tui  se  rapporte  à 
tergi.  La  question  n'est  pas  traitée  dans  Lindsay,  Syntax  of  Plautus 
(Oxford,  1907). 

3.  HoLTZE,  Synt.  priscorum  script,  lat.  (Lipsiae,  1861),  I,  p.  359.  A 
ces  trois  exemples  Haase,  dans  les  Vorlesungen  (Syntax,  éd.  Schmalz  et 
Landgraf,  note  540)  ajoutait  Ter.,  Ht.,  307  :  «  Vt  facile  scires  desiderio 
id  fieri  tuo  »  ;  mais,  depuis  Bothe,  on  supprime  tuo  donné  par  tous  les 
Mss.  Dans  Ph.,  849  :  «  JVumquam  tu  odio  tuo  me  uinces  »,  tui  serait 
parfaitement  admissible  :  «  la  haine  que  tu  fais  concevoir  pour  toi  »  ; 
mais  on  peut  simplement  entendre  «  ton  mauvais  caractère  »,  ou  «  dein 
lâstiges  Benehmen  »  (Dziatzko). 

4.  Les  textes  cités  par  Lebretonj  Et.  sur  la  langue  de  Cic,  p.  96, 
suiv,,  sont  susceptibles  d'une  autre  interprétation.  Les  mots  frequentia  et 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  221 

les  écrivains,  du  i^""  siècle  de  l'ère  chrétienne  et  elle  devient 
de  plus  en  plus  fréquente  :  Tacite  en  a  de  nombreux  exem- 
ples. Elle  donnait  au  style,  comme  le  remarque  Reisig,  une 
apparence  de  profondeur  philosophique.  C'est  toujours  le 
même  phénomène  :  l'expression  nuancée  devient  l'expres- 
sion recherchée,  puis  le  cliché  banal.  La  littérature  de  tra- 
duction, à  partir  du  ii^  siècle,  par  le  décalque  servile  des 
pronoms  grecs  [;.o'j,  (toj,  y;!j.(7)v,  up-wv,  ajoute  une  nouvelle 
cause  de  confusion. 

3.  On  doit  probablement  rattacher  au  génitif  dont  nous 
venons  d'étudier  une  variété,  le  génitif  construit  avec  certains 
verbes,  les  verbes  de  pensée  et  de  souvenir,  les  verbes  d'ac- 
tion juridique. 

Les  verbes  de  pensée  et  de  souvenir  ont  en  latin,  dès  l'ori- 
gine, deux  constructions  casuelles,  l'accusatif  et  le  génitif. 
Elles  sont  héritées  du  passé  indo-européen  et  nous  n'en 
avons  pas  ici  à  rechercher  le  sens  primitifs  Nous  n'avons 
qu'à  en  considérer  l'évolution  à  l'intérieur  du  latin.  Or  il  est 
établi  que  l'emploi  du  génitif  s'étend  constamment  aux  dé- 
pens de  l'accusatif  jusqu'à  la  fin  de  la  période  classique  ^. 


contio  pourraient  comporter  un  génitif  partitif.  En  tout  cas,  frequentia 
uestrum  n'équivaut  pas  à  frequentia  uestra.  La  nuance  me  paraît  très 
claire  au  début  de  la  quatrième  Philippique  :  «  Frequentia  uestrum  incre- 
dibilis,  Quirites,  contioque  tanta  quantam  meminisse  non  uideor  et 
alacritatem  mihi  summam  defendendae  rei  publicae  adfert,  etc.  »  C'est 
un  raisonnement  :  «  Cum  uos,  Quirites,  incredibiliter  fréquentes  sitis  ». 
Dans  les  autres  passages,  Cicéron  veut  probablement  aussi  faire  prendre  à 
l'auditoire  conscience  de  soi-même.  La  différence  entre  uestrum  et  uestri 
ne  tient  pas  à  la  différence  des  génitifs,  mais  à  la  façon  dont  l'objet  est 
considéré,  comme  pluralité  (uestrum)  ou  comme  bloc  (uestri). 

1.  Voy.  Delbrugk,  Syntax,  I,  p.  310,  suiv.,  et  cf.  Meillet,  Recher- 
ches sur  l'emploi  du  génitif-accusatif  en  vieux-slave  (Paris,  1897), 
j).  156,  suiv. 

2.  Babcogk,  a  study  in  case  rivalry  bcing  an  investigation  regar- 
ding  the  use  of  the  genitive  and  the  accusative  in  Latin  with  verbs  of 
rcmembering  and  forgetting,  Ithaca  (Gornell  university),  1901.  Voir  Iç 
résumé,  p.  68. 


222  P.  LEJAY 

Après  ce  que  nous  venons  de  voir,  il  n'est  pas  trop  hardi  de 
rattacher  ce  progrès  à  la  tendance  que  nous  étudions.  Avec 
des  verbes  qui  par  nature  expriment  une  opération  intellec- 
tuelle, il  était  naturel  de  préférer  le  génitif  à  l'accusatif, 
expression  commune  du  complément  direct.  Le  choix  du 
génitif  établissait  alors  une  distinction,  non  plus  entre  deux 
nuances  d'un  même  mot,  mais  entre  une  catégorie  particu- 
lière et  la  masse  quelconque  des  verbes  transitifs. 

4.  Le  génitif  du  complément  des  verbes  signifiant  «  accu- 
ser, absoudre  »  paraît  également  ancien.  Tout  au  moins,  il 
s'est  développé  parallèlement  en  grec  et  en  latine  Mais  les 
opérations  judiciaires  sont  de  nature  psychologique  ;  il  y  a 
imputation  et  jugement,  et  ce  sont  des  rôles  assumés  par  des 
tiers.  En  fait,  le  sens  du  génitif  se  trouvait  conforme  à  un 
emploi  connu  de  ce  cas.  C'est  ce  qui  explique  deux  parti- 
cularités. Quand  l'idée  d'imputation  est  représentée  par  un 
mot,  ce  mot  se  met  à  l'ablatif  (instrumental,  indiquant  le 
point  de  vue  ou  la  raison)  :  quo  scelere  damnatiis,  condem- 
natua  aliis  criminibus,  en  regard  de  pecuniae  publicae  est 
condemnatus  (Cic.)-.  Nous  avons  les  deux  constructions 
réunies  dans  Horace,  Sat.,  II,  3,  278-279  :  «  Commotae  cri- 
mine  mentis  |  absolues  hominem  et  sceleris  damnabis  eun- 
dem  »  ;  cf.Cic,  Verr.^  IP  act.,  I,  72:  «  absolutum  improbi- 
tatis  ».  C'est  la  même  distinction  que  plus  haut  entre:  quid 
faciant,ei:  quid  arbitramur  facturas  fuisse  (p.  213).  L'autre 
particularité  est  que  l'on  dit  :  «  damnare  dupli  » ,  mais  : 
((  quinquagenis  milibus  damnari  »  ^.  L'indication  précise  est 
à  l'ablatif  comme  l'instrument  de  la  condamnation  :  c'est 
l'énoncé  d'un  fait.  L'expression  générale   dupli,    minoris, 


1.  Delbrûgk,  /.  c,  I,  p.  328,  qui  suppose  que  l'instrumental  était  le 
cas  primitif  du  nom  de  la  peine,  Gavàxw,  Ça^j-îa».,  dans  des  inscriptions. 

2.  RiEMANN,  Syntaxe,  5«  éd.,  §56,  p.  113. 

3.  RiEMANN,  /.  c,  §  57,  rem.  2,  p.  118. 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  223 

suppose  d'ordinaire  un  lien  établi  par  l'esprit  entre  deux 
termes  :  c'est  l'énoncé  d'un  calcul. 

5.  De  tous  les  cas  que  possède  la  langue  latine,  le  datif 
paraissait  le  mieux  préparé  à  remplir  la  fonction  psycholo- 
gique que  nous  étudions.  Quelle  que  soit  sa  signification  ori- 
ginelle*, il  désigne  très  souvent  la  part  prise  à  l'action  par 
un  tiers,  objet  ou  personne.  Il  joue  ce  rôle  dans  la  plupart 
des  langues  indo-européennes^. 

Le  latin  n'offre  donc  en  cela  rien  de  spécial.  Mais  de  cette 
fraction  de  l'héritage  commun,  il  a  tiré  un  profit  nou- 
veau. 

Le  datif  se  trouvait  en  concurrence  avec  le  génitif  pour 
l'expression  de  l'idée  possessive.  Tandis  que  le  génitif  la 
formule  comme  un  fait,  le  datif  la  formule  comme  une  rela- 
tion avec  le  possesseur.  Le  génitif  répond  à  la  question  :  «  A 
qui  est  cet  objet  »,  le  datif  à  la  question  :  «  Quel  objet  pos- 
sède un  tel  ?  » .  Cette  distinction  est  connue  et  se  rencontre 
au  moins  dans  quatre  groupes  de  langues  indo-européennes  ^. 
Cependant  si  l'on  compare  le  latin  avec  le  grec,  on  constate 
une  différence.  En  grec,  l'usage  du  datif  possessif  est  limité  ; 
car  les  substantifs  dérivés  de  verbes  doivent  leur  datif  com- 
plément à  l'idée  verbale.  Avec  d'autres  substantifs,  le  datif 
est  ordinairement  un  pronom  personnel  :  oZxoq  (xot  [jlu6oç  (Pla- 
ton, Lég.,  812  A);  il  est  surtout  fréquent  dans  Homère  et 
Hérodote,  et,  chez  Platon,  il  peut  passer  pour  un  ionisme. 
Enfin,  il  ne  semble  impliquer  aucune  différence  de  sens  avec  le 
génitif.  Dans  les  inscriptions  attiques,  yp2\L[mxz\jq  xfi  ^ouXfi 
vautYpa;j.[j.aTeù;  T7;ç  ^suX^;^  L'emploi  du  datif  latin  devient 
un  procédé  de  style.  M.  Landgraf  l'a  très  bien  montré  en 

1.  Voy.  Revue  critique,  1907,  t.  I,  p.  205. 
'2.  DelbrOck,  Syntax,  l,  p.  297,  suiv. 

3.  Delbrûck,  Syntax,  I,  p.  303. 

4.  Krûger,  §  48,  42  j  Kûhner-Gerth,  §  424,  4  (I,  p.  429). 


224  P.  LEJAY 

comparant  les  tournures  parallèles  ^  Cicéron  dit  bonnement  : 
«  Inimicitiarum  modum  siSituere  ))  (Su/.,  48).  Horace  per- 
sonnifie les  passions  en  poète  :  «  Cupidinibus  statuât  natura 
modum  quem  »  {Sat.,  I,  2,  111).  C'est  affecter  les  passions 
que  de  leur  poser  une  limite.  L'action  n'est  plus  énoncée  en 
soi,  comme  elle  le  serait  au  moyen  du  génitif  ;  elle  est  énon- 
cée par  rapport  au  sentiment,  dans  le  sentiment  qu'éprou- 
vent les  Passions,  êtres  doués  de  vie  par  l'imagination.  Et 
alors  le  datif  apparaît  un  moyen  de  colorer  le  style.  Mais, 
par  là,  les  écrivains  romains  ne  faisaient  que  suivre  une 
inclination  générale  de  leur  temps  et  de  leur  milieu. 

Ce  développement  peut  faire  comprendre  une  des  restric- 
tions de  l'usage  chez  Cicéron.  Avec  le  verbe  esse,  on  ne 
trouve  le  datif  d'usage  fréquent  que  dans  quelques  formules  : 
«  est  mihi  causa,  locus,  aditus,  reditus  »,  et  dans  ces  for- 
mules peu  de  notions  intellectuelles  ou  morales,  potestas, 
facultaSy  ius.  Au  contraire,  l'emploi  du  datif  est  un  peu  plus 
libre  et  plus  varié  quand  le  sujet  de  esse  est  accompagné 
d'une  qualification  ^  :  «  Res  familiaris  alteri  eorum  ualde 
exigua  est,  alteri  uix  equestris  »  (JEpist.,  IX,  13,  4).  Ce  qui 
peut  affecter  l'ami  que  recommande  Cicéron,  c'est  que  sa 
fortune  soit  à  peine  de  cens  équestre.  La  situation  n'est  pas 
abstraite  et  générale  ;  elle  est  caractérisée  par  l'épithète.  Il 
y  a  un  raisonnement  latent.  De  même  :  «  Hebes  acies  est 
cuipiam  oculorum  »  (Fin.,  IV,  65):  c'est  cet  affaiblissement 
de  la  vue  qui  amènera  le  patient  devant  le  médecin  («  hi 
curatione  adhibita  leuantur  in  dies  »).  L'emploi  de  l'épithète 
et  le  choix  du  datif  sont  deux  faits  connexes. 

4.  Dans  VArchiv  de  Wôlfflin,  t.  VIII  (1892),  p.  40.  Un  des  premiers 
exemples  cités,  T.  L.,  XLIV,  28,  14,  ne  porte  pas  succidere  neruos 
equorum,  mais  :  «  Parti  (equorum)  neruos  succiderunt  «.  Il  est  à 
effacer. 

2.  ScHENK,  De  datiui  possessiui  usu  Ciceroniano,  Pars  I,  Bergedorf 
bei  Hamburg,  1892,  progr.,  p.  24. 


LE  PROGRES  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  225 

6.  Une  variété  du  datif  possessif  est  le  datif  de  l'agent  du 
passif.  En  grec,  le  datif  intervient  comme  le  cas  de  l'objet 
intéressé.  En  effet,  il  semble  qu'à  l'origine,  ce  datif,  joint  à 
une  forme  quelconque  du  passif,  n'était  pas  différent  du  da- 
tif dit  d'intérêt.  Dans  Homère,  on  le  trouve  avec  un  temps 
passé,  imparfait,  aoriste  ou  parfait,  et  même  aussi,  quoique 
plus  rarement,  avec  le  présent  et  le  futur  \  On  sait  que, 
dans  la  prose  attique,  après  Thucydide,  l'usage  a  été  limité 
aux  formes  du  radical  du  parfait.  Cette  restriction  était  na- 
turelle. Puisque  le  parfait  grec  exprime  le  résultat  acquis 
d'une  action  passée,  le  datif  dit  pour  qui  ce  résultat  est  ac- 
quis et  prend,  par  suite,  un  sens  possessif. 

Au  contraire,  en  latin,  les  formes  du  passé  au  passif  n'ont 
pas  le  sens  d'un  parfait  grec.  Il  est  des  phrases  où  on  peut 
leur  attribuer  ce  sens,  mais  ce  n'est  pas  leur  fonction  de  l'a- 
voir. Comme  l'a  très  bien  dit  M.  Meillet*,  «  de  ce  qu'une 
forme  grammaticale  A  d'une  langue  est  employée  là  où  une 
autre  langue  emploie  une  forme  B,  il  ne  résulte  pas  que  la 
forme  A  ait  le  sens  de  la  forme  B  ■^)).  On  sait  que  la  phrase  : 
«  Mihi  consilium  captum  iam  diu  est  »,  signifie  :  «  Ma  réso- 
lution est  prise,  c'est  un  fait  acquis  ».  Ce  sens  est  très  voisin 
de  celui  du  parfait  grec.  Il  est  dû  cependant  non  à  l'emploi 
du  passé  captum  est,  mais  à  celui  du  datif  mihi.  Ou  part  de 
l'idée  de  la  personne  pour  lui  attribuer  la  résolution  ou  plus 


1.  Voy.  Ch.-F.  Smith,  Some  poetical  constructions  in  Thucydides, 
dans  les  Transactions  of  the  American  philological  association,  XXV 
(1894),  p.  71,  suiv.  M.  Delbrûck,  Syntax,  I,  p.  300,  relève  la  construc- 
tion du  datif  avec  le  participe  passé  dans  quelques  langues  et  M.  Brugmann 
attribue  l'extension  de  l'emploi  en  grec  à  la  confusion  de  l'instrumental 
et  du  datif. 

2.  Revue  de  philologie,  XXI  (1897)^  p.  82. 

3.  .le  n'accepte  donc  pas  l'explication  de  Riemann,  Syntaxe,  §  46  c, 
qui  suppose  que  les  Latins  distinguaient  le  prétérit  au  sens  du  parfait 
grec  et  le  prétérit  au  sens  de  l'aoriste  et  réglaient  leur  langue  d'après  cette 
distinction, 

43 


226  P.  LEJAY 

exactement  le  fait  d'avoir  pris  la  résolution.  Car,  pour  un 
Latin,  mihi  n'est  pas  construit  avec  captum  est.  Consiliiim 
captwn  font  un  tout,  comme  bien  souvent  le  substantif  accom- 
pagné d'un  participe  («  Ab  oppugnanda  Neapoli  Hanniba- 
lem  deterruere  conspecta  moenia  »),  et  ce  tout  est  attribué 
en  propriété  à  mihi.  Nous  retombons,  par  suite,  dans  l'es- 
pèce déjà  étudiée  :  «  hebes  acies  est  cuipiam  oculorum  »  ; 
dans  hebes  acies  oculorum,  le  mot  qui  prime  tout,  pour  la 
logique  d'un  Français,  c'est  hebes  :  «  l'affaiblissement  de  la 
vue  ».  De  même  ici,  c'est  captum,  littéralement:  «  la  prise 
d'une  résolution  ».  Dans  les  deux  phrases  le  fait  est  énoncé 
par  rapport  à  la  conscience  d'un  tiers,  du  malade  qui  ira 
chez  l'oculiste,  de  moi  qui  sais  maintenant  que  faire.  La 
seule  différence  est  entre  les  moyens  que  l'on  prendrait  pour 
exprimer  le  fait  purement  et  simplement,  ici  le  génitif,  là 
l'ablatif  précédé  de  ab. 

Des  actions  secondaires  ont  pu  favoriser  l'emploi  du  datif, 
le  désir  d'éviter  un  double  génitif  (acies  oculorum  cuius- 
piam^,  ou  la  brièveté  et  la  facilité  métrique  des  datifs  mihi, 
tibi.  Mais  le  progrès  de  ces  constructions  est  dû  surtout  à 
leur  énergie.  Elles  deviennent  fréquentes  chez  les  poètes; 
ils  joignent  au  datif  d'autres  formes  que  le  passé  ;  enfin  des 
poètes,  le  type  populis  urbes  habitantur  passe  dans  la  prose 
colorée  d'un  Sénèque  et  d'un  Tacite  ^ 

Nous  sommes  donc  en  droit  de  conclure  que  les  diffé- 
rentes variétés  du  datif  possessif  s'opposent  aux  tournures 
concurrentes  comme  la  réflexion,  l'attention  consciente,  la 
pensée  d'un  tiers  à  la  perception  nue  d'un  fait. 


1.  HoLTZE,  I,  312,  cite  deux  exemples  de  Plaute  où  le  datif  serait 
construit  avec  une  forme  simple  du  passif  :  le  premier,  Aul.,  4-5,  où  on 
lit  maintenant  colo  (non  color),  est  à  écarter  ;  le  deuxième,  Epid.,  228, 
est  assez  obscur  et  appartient  à  un  morceau  très  discuté  :  «  lUis  (mulie- 
ribus)  quibus  tributus  maior  penditur  pendi  potest  ». 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  227 

7.  Cette  valeur  psychologique  du  datif  a  permis  le  déve- 
loppement de  constructions  diverses. 

On  trouve  en  zend,  en  grec  et  en  latin,  le  datif  d'un  par- 
ticipe pour  marquer  une  relation,  souvent  une  relation  d'or- 
dre géographique  ou  topographique  ^  :  «  Gomphos  peruenit, 
quod  est  oppidum  primum  Thessaliae  uenientibus  ab  Epiro  » 
(Ces.,  B.  C,  III,  80,  1).  En  grec  et  en  latin,  cet  emploi 
peut  être  un  développement  séparé  et  parallèle.  Il  n'y  en 
a  pas  encore  d'exemple  dans  Homère -,  ni,  en  latin,  dans  la 
littérature  archaïque  et  dans  Cicéron^.  On  peut  supposer, 
sans  grande  hardiesse,  que  le  sens  réflexif  pris  par  le  cas  a 
déterminé  le  choix.  Calculer  une  distance  ou  la  position 
d'un  lieu  par  rapport  à  une  personne  qui  va  dans  telle  direc- 
tion, c'est  essentiellement  exprimer  le  calcul  que  ferait  cette 
personne  ;  c'est  donc  rapporter  la  pensée  d'un  tiers. 

8.  Le  datif  du  point  de  vue  est  une  acquisition  de  même 
nature,  iiere  aestimanti.  Ici  encore,  c'estune  extension  assez 
récente  qui  apparaît  d'abord  dans  Tite-Live^. 

9.  Enfin  certaines  constructions  doubles,  soit  successives, 
soit  simultanées,  d'un  même  verbe  peuvent  s'expliquer  de 
la  même  manière.  Il  faut  se  rappeler  que  nous  étudions  des 
procédés  de  différenciation.  L'accusatif  peut  jouer  un  rôle 
psychologique  par  opposition  à  l'instrumental.  Mais  à  leur 
tour,  par  opposition  à  l'accusatif,  le  génitif,  comme  nous 
l'avons  vu,  le  datif,  nous  allons  le  voir,  prendront  le  même 
rôle.  Inuidere,  «  regarder  d'un  mauvais  œil  »,  a  d'abord 
une  construction  transitive  ;  puis,  quand  l'idée  du  sentiment 
l'emporte,  «  être  jaloux  »,  le  complément  se  met  au  datifs 


1.  Delbrûck,  Syntax,  I,  p.  299. 

2.  Krûger,  §  48,  5,  2  ;  Kuhner-Gerth,  §  423,  18,  e  (t.  I,  p.  423). 

3.  Landgraf,  dans  VArchiv  de  Wôlfflin,  t.  VIII,  p.  52. 

4.  16.,  p.  54. 

5.  Cic,  Tusc,  III,  20;  cf.  Revue  de  philologie,  t.  XIX  (1895),  p.  150. 


228  P.  LEJAY 

AdulariesX  encore  transitif  dans  Cicéron,  mais  se  construit 
avec  le  datif  dans  Cornélius  Népos  et  dans  Tite-Live.  Ignos- 
co  a  la  même  histoire  que  iniiideo  :  on  a  dit  d'abord  ignosco 
inscientiae  et  ignosco  tibi  inscientiam  ;  à  l'époque  classique, 
on  n'emploie  plus  que  le  datif*.  Quand  tempero  exprime  un 
sentiment,  «  épargner  »,  Cicéron  met  plusieurs  fois  le  com- 
plément au  datif.  Aemulor  est,  chez  lui,  suivi  du  datif,  quand 
il  ne  désigne  pas  la  simple  émulation,  mais  la  jalousie.  Ani- 
maduerto  désigne  par  lui-même  une  opération  de  l'esprit  ; 
mais,  au  sens  de  «  sévir  »,  il  se  construit  avec  le  datif.  On 
arrive  à  employer  le  datif  avec  des  expressions  nouvelles.  A 
l'époque  ancienne,  on  disait  qu'un  fds  était  le  semblable  de 
son  père,  filius  similis  patris  '.  C'est  encore  la  syntaxe  la 
plus  ordinaire  dans  les  discours  de  Cicéron  ;  mais  le  datif  y 
paraît,  il  est  exclusif  dans  Salluste,  et  prédomine  dans  Tite- 
Live.  Il  n'y  a  pas  un  changement  de  signification,  mais  la 
ressemblance  est  affirmée  en  se  plaçant  du  point  de  vue  du 
père  ^. 

Ces  menus  faits  n'auraient  pas  grande  importance  si  on 
ne  pouvait  les  rattacher  à  un  ensemble.  Il  ne  serait  pas  in- 
terdit d'en  trouver  d'analogues  en  grec.  Ils  marquent,  en 
tout  cas,  un  progrès  croissant  du  datif,  trahissant  un  raffine- 
ment d'analyse.  Mais  la  construction  des  verbes  composés 
avec  le  datif  présente,  je  crois,  une  différence  notable  des 
deux  langues.  En  grec,  le  choix  entre  le  datif  seul  et  la  pré- 
position est  déterminé  par  des  raisons  propres  à  chaque  ex- 


1.  Le  verbe  comporte  une  idée  de  pitié,  si  l'on  admet  les  explications 
de  M.  PoKROWSKij,  Rh.  Mus.,  t.  LXI  (1906),  p.  188,  suiv. 

2.  Voy.  LiNDSAY,  Syntax  of  Plautus,  p.  22,  et  la  note  du  même, 
Capt.,  582.  Gic,  Nat.cL,  I,  97,  cite-t-il  exactement  Ennius,  Sat.,11  M.  : 
«  Simia  quam  similis  turpissima  bestia  nobis  »,  après  avoir  dit  pour  son 
compte  :  «  Ganis  nonne  similis  lupo  »  ? 

3.  Pour  ces  détails,  voy.  Riemann,  Synt.  lat.,  5^  édition,  §  43  a, 
p.  84,  suiv. 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  229 

pression  et  à  l'intention  de  l'auteur  '.  A  l'époque  classique  et 
particulièrement  chez  Cicéron,  la  préposition  est  répétée 
lorsqu'il  y  a  l'idée  d'un  mouvement  ou  d'un  rapport  de  lieu 
réel,  c'est-à-dire  que  le  datif  est  réservé  à  l'expression  des 
sentiments  et  des  relations  morales,  «  inicere  terrorem  ali- 
cui  »,  mais  :  «  inicere  se  m  medios  hostes  »  ^.  Mais  les  poè- 
tes, ici  comme  en  d'autres  circonstances,  n'ont  pas  fait  la 
distinction,  et  déjà  Lucrèce  joint  un  datif  aux  verbes  com- 
posés, quel  que  soit  le  sens,  surtout  aux  composés  de  in^. 
La  distinction  cicéronienne  est  conforme,  si  l'on  peut  dire, 
à  tous  les  précédents. 

10.  Tous  les  emplois  du  datif  latin  ne  doivent  pas  recevoir 
la  même  explication.  Une  série  complètement  différente  des 
précédentes  est  celle  des  datifs  de  destination.  Elle  est  si 
nettement  constituée  que  l'on  a  voulu  y  trouver  le  sens  ori- 
ginel ou  principal  du  cas  '\  Elle  a  ses  analogues  dans  d'autres 
langues  indo-européennes ^  Chez  les  Latins,  elle  est  ancienne, 
et  particulièrement  riche  dans  la  langue  des  soldats  et  des 
ruraux  ^  Un  signe  de  cette  antiquité,  que  l'on  n'a  peut-être 
pas  signalé,  est  le  style  des  titres  de  magistrats.  Certains  de 
ces  titres  comportent  une  périphrase  avec  l'adjectif  verbal. 
La  périphrase  est  au  datif  pour  les  plus  anciennes  magistra- 
tures :  X  iiiri  legibus  scribundu  creati,  Illuiriagris  dandis 
adsignandis,  III  iiiri  a(uro)  a(rgento)  a(ere)  f(lando)  f(e- 
riundo),  X  uiri  stlitibus  iudicandis.  Plus  tard,  le  génitif  se 
substitue  au  datif  :   //  uiri  iiiarum  curandarum  (créés  en 

1.  Kruger,  §48,  11,  2  et  15;  le  cas  de  eîatc'vat,  sîac'pyeaOa'.  est  isole, 
ib.,  4  ;  Kûhner-Gerth,  §  423,  3  (I,  p.  407). 

2.  RiEMANN,  Synt.  lat.,  §  43  6. 

3.  G.  L  HiDÉN,  De  casuum  syntaxi  lucretiana  (Helsingfors,  1896), 
p.  105,  suiv. 

4.  Meillet,  Introduction   à  l'étude  des  langues   indo-européennes, 
3«  éd.,  p.  313.  Cet  emploi  est,  on  le  sait,  une  des  origines  de  l'intinitif. 

5.  Delbrùck,  Syntax,  I,  p.  303. 

6.  L\NDGRAF,  dans  VArchiv,  t.  VIII,  p.  56. 


230  P.  LEJAY 

734/20),  curatores  aedmm  sacrarum  monument oimmq ne 
tuendorum  {C.  1.  L.,  IX,  3306  ;  sous  Auguste),  curatores 
locoriim  puhlicorum  iudicandorum  (C.  I.  £.,  VI,  1267, 
31  573  ;  sous  Tibère).  Des  fonctionnaires  de  l'annone  sont 
appelés  praefecti  frumento  dando  dans  un  sénatus-consulte 
de  743/11  (Fronto,  De  aqu.,  100),  et  après  Auguste  prae- 
fecti frumenti  dandi.  Nous  avons  donc  affaire  à  un  emploi 
ancien  qui  ne  relève  pas  de  notre  sujet. 

Cette  digression  est  utile  pour  montrer  que  je  ne  propose 
pas  une  clé  pour  toutes  les  serrures.  Si  large  que  soit  le 
phénomène  dont  je  réunis  les  symptômes,  il  y  a  encore  au- 
tre chose  dans  l'évolution  du  latin  littéraire.  Mais,  sous  le 
bénéfice  de  cette  réserve,  on  peut  se  demander  si  la  phrase 
célèbre  :  «  It  clamor  caelo  »  (Virg.,  Aen.,  V,  431),  n'est 
pas  de  notre  ressort. 

Les  grammairiens  distinguent  le  datif  de  destination 
{opercula  doliis^  cf.  «  la  cuiller  à  pot  »)  du  datif  de 
direction  {it  clamor  caelo),  Le  premier  peut  être  adno- 
minal  et  se  passer  de  verbe  ;  le  second  est  joint  ordi- 
nairement à  un  verbe.  Mais  cette  distinction  n'a  rien  d'ab- 
solu. Il  suffirait  qu'un  substantif  impliquât  l'idée  de  mouve- 
ment pour  que  l'on  pût  dire:  domu(i)  itio,  comme  on  a 
dit  :  domwn  itio.  Rien  ne  prouve,  à  première  vue,  que  do- 
muitio  repose  sur  l'une  de  ces  expressions  plutôt  que  sur 
l'autre.  La  distinction  est  donc  très  faible.  M.  Delbriick 
traite  du  datif  de  but  à  propos  de  la  construction  verbale  du 
cas  et  réunit  arbitrairement  le  datif  de  destination  et  les 
phrases  du  type  quoi  est  seruos  Sosia\  M.  Landgraf  distin- 
gue un  datif  final  et  un  datif  «  final-local  »  ^  Quoi  qu'il  en 
soit,  le  datif,  pour  indiquer  le  terme  d'un  mouvement,  paraît 

1.  Syntax,  I,  288  et  304. 

2.  Article  cité  dans  VArchiv,  t.  VIII,  p.  55  et  69.  M.  Delbriick  a  rai- 
son de  protester  contre  l'hypothèse  d'une  confusion  entre  le  datif  et  le 


LE  PROGRES  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  i>31 

ne  s'être  développé  que  dans  un  petit  nombre  de  langues 
d'après  l'exposé  de  M.  Delbrûck.  En  grec,  «  il  ne  s'agit  pas 
d'un  cas  du  but  au  sens  propre,  comme  il  résulte  du  fait 
que  partout  le  datif  désigne  des  personnes  )>.  C'est  en  effet 
la  pratique  de  la  langue  aussi  bien  dans  Homère  qu'à  l'épo- 
que classique  ^ 

L'emploi 'du  datif  suppose  une  personnification.  Nous  la 
trouvons  dans  la  vieille  formule  :  «  Ollus  Quiris  leto  datus  » 
(Festus,  p.  2o4,  34  M.  ;  cf.  Varron,  L.  L.,  VII,  3,  42).  On 
pourrait  comparer  l'expression  homérique:  ^jy^xq  "Aici  r.poUài^f 
(A  3),  si  TTpo'aJ^EV  n'était  pas  un  verbe  composé.  Le  da- 
tif du  but  du  mouvement  prend  donc  un  des  sens  ordinaires 
du  datif.  Dans  it  clamor  caelo,  caelo  n'était  peut  être  pas 
logiquement  et  à  l'origine  un  datif  d'intérêt.  Mais  il  l'est  de- 
venu historiquement,  sous  l'influence  d'autres  emplois  ana- 
logues du  datif.  C'est  une  figure  qui  marque  que  le  ciel  est 
frappé  par  les  cris,  qu'il  s'y  trouve  intéressé  ;  nous  retom- 
bons dans  le  cas  de  cupidinibus  modumstatuere.  Aussi  n'est- 
il  pas  étonnanique  le  datif  de  but  soit  un  emploi  exclusive- 
ment poétique.  On  ne  le  trouve  dans  Gicéron  que  dans  les 
traductions  de  poètes  grecs  ^.  Il  s'insinue  timidement  et  tar- 
divement en  prose. 

Dès  lors,  il  rentre  dans  la  catégorie  de  faits  que  nous  étu- 
dions. La  langue  latine  pouvait  avoir  hérité  le  germe:  la 
semence  n'a  levé  que  pour  les  poètes.  Grâce  à  la  distinction 
entre  le  fait  nu,  ad  caeliim,  et  le  fait  vu  dans  la  conscience 
d'un  tiers,  caelo,  ils  ont  créé  un  procédé  qui  donnait  à  un 
énoncé  banal  le  mouvement  et  la  vie. 

locatif  en  latin.  Mais  je  ne  crois  pas  que  ce  soit  la  pensée  de  M.  Landgraf, 
voy.  p.  70.  Le  terme  datif  final-local  n'en  est  pas  plus  heureusement  choisi. 

i.  Voy.  par  exemple  Krûger,  §  48,  9,  1. 

2.  Même  quand  l'original  présente  une  préposition  :  Soph.,  Track., 
liOO  :  £;:'  èa/axoi;  To'ro-.;,  Gic,  Tiisc,  II,  20  :  «  Non  saeua  terris  gens 
relegata  ultimis  »  ;  voy.  Landgraf,  art.  cité,  p.  70. 


232  P.  LEJAY 

H.  On  peut  enfin,  à  cet  emploi  des  cas,  joindre  celui 
d'un  suffixe  nominal.  Rien  n'est  plus  connu  que  le  sens 
attaché  aux  substantifs  en  -tor  à  l'époque  classique  ;  ils  dési- 
gnent une  occupation  habituelle  ou  une  action  caractéris- 
tique. Ils  distinguent  le  fait  d'agir,  qui  agunt,  de  la  profes- 
sion ou  du  caractère  d'après  lequel  on  agit,  fabidarum 
adores  *.  Il  y  a  donc  entre  les  substantifs  en  -tor  et  la  péri- 
phrase verbale  le  même  rapport  qu'entre  le  subjonctif  et 
l'indicatif  dans  la  proposition  relative.  Telle  phrase  de  Cicé- 
ron  pourra  comporter  indifféremment  le  substantif  ou  la 
proposition  relative  au  subjonctif  :  «  Est  (pecunia)  effectrix 
multarum  uoluptatum  »  {Fin.,  Il,  55),  pourrait  être  rem- 
placé par  :  «  Ea  est  pecunia  qiiae  multas  uoluptates  efficiat  )). 
Le  substantif  sert  donc  à  caractériser  ;  il  oppose  le  fait  mis 
par  le  sujet  dans  un  certain  jour  au  fait  pur  et  simple.  Cette 
distinction  ne  paraît  pas  encore  bien  établie  à  l'époque 
ancienne-:  Plaute,  Truc,  571  :  «  Des  quantumuis,  nus- 
quam  apparet  neque  datori  neque  acceptrici  »  ;  Yarro^j, 
L.  L.,  YI,  1  :  «  Si  qua  erunt  ex  diuerso  génère  adiuncta, 
potius  cognationi  uerborum  quam  auditori  cdXnmmdiXiii  gere- 
mus  morem  ».  A  l'époque  impériale,  les  substantifs  de  cette 
classe  sont  souvent  préférés  par  une  recherche  emphatique 
de  style.  Tacite  dit  à  propos  de  l'hospitalité  chez  les  Ger- 
mains :  «Gum  defecere  (epulae),  qui  modo  hospes  fuerat, 
monstrator  hospitii  et  comes  »  {Germ.^  21)  :  la  même  per- 
sonne change  de  qualité,  mais  monstrator  est  employé  avec 
le  sens  qu'il  avait  à  l'époque  classique,  quoique  l'expres- 
sion soit  un  peu  cherchée.  Au  contraire,  une  véritable 
impropriété  est  la  substitution  du  substantif  au  tour  verbal  : 
T.  Live  dit  déjà  :  corruptores  exercitus,  au  lieu  de  :  ii  qui 


i.  Naegelsbach,  Lat.  Stilisiik,  §54;  7e  éd.,  p.  461. 
2.  La  question  n'a  pas  encore  été  étudiée. 


LE  PROGRÈS  DE  L'ANALYSE  DANS  LA  SYNTAXE  233 

exercitum  corruperantK  L'impropriété  apparaît  d'abord 
chez  les  poètes,  ainsi  dans  Horace  ;  le  tour  nominal  était 
plus  court  et  plus  vif.  Elle  se  multiplie,  d'une  manière  pres- 
que illimitée,  au  iv*  et  au  v"  siècle,  avec  les  substantifs  de 
ce  type  que  l'on  crée  sans  règle ^.  La  distinction,  établie  à  l'é- 
poque classique,  est  encore  effacée  par  la  recherche  de  l'ex- 
pression énergique. 

Au  terme  de  cette  étude,  il  est  inutile  d'en  reprendre  les 
divers  points  :  ce  serait  en  dresser  la  table  des  matières.  Il 
suffit  de  constater  les  époques  de  l'évolution.  Dans  la  litté- 
rature archaïque,  la  distinction  du  réflexif  existe  à  peine 
(indicatif  fréquent  dans  la  question  et  le  dise^urs  indirects, 
après  simt  qui,  qiiid est  quod,  cum  ;  constructions  à  l'accu- 
satif et  à  l'ablatif).  La  période  classique  est  le  moment  des 
principales  innovations  ou  de  la  précision  dans  le  choix  des 
tournures  (subjonctif  du  discours  indirect,  subjonctif  après 
sunt  qui,  cum,  etc.).  Le  mouvement  se  poursuit  au  commen- 
cement de  l'Empire  (subjonctif  après  donec,  subjonctif  passé 
après  les  conjonctions  temporelles,  subjonctif  de  répétition, 
génitif  du  pronom  personnel  au  lieu  dupossessif,  datif  avec  des 
formes  passives  quelconques,  datif  après  des  verbes  com- 
posés pris  au  sens  propre,  énoncé  de  l'action  par  un  subs- 
tantif en  -tor^.  Les  poètes  sont  alors  de  puissants  agents  pour 
la  propagation  de  ces  nouveautés  et  de  quelques  autres 
(accusatif  après  les  verbes  de  sentiment,  datif  du  but).  Il  y  a 
un  continuel  échange  de  raffinements  entre  la  poésie  et  la 
prose.  L'excès  même  de  la»  recherche  rend  banale  l'expres- 
sion profonde  ou  colorée,  et,  au  ii*"  siècle  de  notre  ère, 
confond  les  tons  et  les  nuances. 


i.  ScHMALz,  Lat.  Gram.,  ^«  éd.,  p.  433. 
:2.  H.  GoELZER,  Lat.  de  saint  Jérôme,  p.  54. 


J.  LOTH 


LES  MOTS  GALLOIS  NYF,  DEIFIO 


ET 


L  EVOLUTION  DE  L  ASPIREE  SONORE  LABIO-VELAIRE 
DANS  LES  LANGUES  CELTIQUES 


LES   MOTS   GALLOIS   NYF,    DEIFIO 

ET  L'ÉVOLUTION  DE  L'ASPIRÉE  SONORE  LABIO-YÉLAIRE 
DANS  LES  LANGUES  CELTIQUES 

Par  J.  LoTH. 


Avant  le  travail  de  H.  Osthoff*  l'opinion  courante  était  que 
l'aspirée  sonore  indo-européenne  labio-vélaire  guh-  évoluait 
en  b,  dans  tout  le  domaine  celtique,  comme  l'occlusive  la- 
bio-vélaire gu-.  C'est  la  doctrine  qui  a  cours  dans  VUrkel- 
tischer  Sprachschatz  de  M.  Whitley  Stokes,  et  la  première 
édition  du  Grundriss  de  Brugmann  (I,  §  438,  p.  328).  De- 
puis, la  théorie  d'Osthoff  :  que  gu-  évolue  bien  en  ô^mais  que 
guh-  évolue  en  g,  comme  la  palatale  et  la  vélaire  pure  aspi- 
rées sonores,  est  généralement  admise.  L'auteur  a  cité  des 
exemples  certains  à  l'appui  de  sa  théorie  et  a  montré  qu'au- 
cun des  exemples  qu'on  lui  a  opposés  n'était  probant.  Parmi 
ces  exemples  figure  le  gallois  nyf,  neige.  Si  le  mot  est  sin- 
cère, il  semble  qu'il  soit  impossible  d'échapper  à  la  conclu- 
sion que  dans  certains  cas,  pour  des  raisons  jusqu'ici  incon- 
nues, guh-  devient  b  :  nyf  remonterait  à  un  vieux-celtique 
*snïb-:  en  indo-européen  snîguh-.  Osthoff,  se  fondant  sur 
une  communication  épistolaire  de  R.  Thurneysen,  se  débar- 


\.  Labiovelare  média  und  média  aspirata  im  Keltisclien,   Indogerma- 
nische  Forschungen,  IV  (1894),  pp.  264  et  suiv. 


238  J.  LOTH 

rasse  de  ce  mot  gênant,  en  disant  que  nyf  est  une  tran- 
scription savante  du  latin  nwem  :  d'après  Thurneysen,  nyf 
n'apparaîtrait  qu'ww^  seule  fois  chez  un  poète  assez  mo- 
derne :  il  a  en  vue  l'exemple  donné  parOwen  Pughe,  Welsh- 
Engl-Dict.,  tiré  d'un  poète  dont  le  lexicographe  donne  les 
initiales  J.  gyr.'i  A  priori,  l'emprunt  n'est  pas  impossible  ; 
le  V  latin  a  pu  être  transcrit,  au  moyen  âge,  par  v  (/  mo- 
derne); on  peut  citer,  à  l'appui,  la  forme  0/yâ?r/^ transcription 
savante  chez  Dafyddab  Gw^ilym  (xiv«  siècle)  du  nom  d'Ovide. 

Il  me  paraît  cependant  probable  que  le  transcripteur  eût 
écrit,  en  cas  d'emprunt,  plutôt  niv  que  nyv  :  il  s'agit  d'un 
monosyllabe  ;  une  voyelle  suivie  d'une  seule  consonne  est, 
dans  ce  cas,  toujours  longue  en  gallois.  Il  est  vrai,  si  on  le 
suppose  lettré,  qu'il  a  pu  se  rendre  compte  de  la  quantité 
de  i  de  nivem.  Ce  qui  est  beaucoup  plus  grave,  c'est  qu'il 
y  a  non  pas  un  seul  exemple  de  nyf,  mais,  avec  celui 
d'Owen  Pughe,  quatre,  chez  des  poètes  fort  connus  du  xiv^ 
siècle  :  il  peut  y  en  avoir  d'autres  ;  ce  sont,  jusqu'ici,  les 
seuls  que  j'aie  trouvés. 

Dafydd  ab  Gwilym  (édit.  Cynddelw^,  Liverpool,  1873). 

P.  10  (en  parlant  d'une  femme)  : 

Deuliw  nyff  nis  dylai  neb 
Duaw  hon. 

«  Deux  fois  plus  blanche  que  la  neige  (une  femme),  per- 
sonne ne  devrait  la  noircir.  » 

P.  372  :  I  brydydd  mae'n  baradwys  * 

Morganwg,  wyn  olwg  nyf. 

«  Pour  le  poète,  Morganw^g  (le  pays  de  Glamorgan)  est 
un  paradis,  Morganwg  à  l'aspect  blanc  déneige*.  » 

4.  A  cause  de  ses  maisons  blanchies  à  la  chaux,  comme  il  ressort  du 
contexte. 


LES  MOTS  GALLOIS  NYF,  DEIFIO  239 

L'exemple  de  Jolo  Goch  est  le  plus  probant  contre  l'hypo- 
thèse d'un  emprunt  (édition  Ashton,  p.  466)  : 

Eiry  nowmjp  oerhin  Jonawr. 

Ici,  nyf  n'a  pas  le  sens  de  neige,  mais  bien  d^ ondée  ;  il 
faut  traduire  :  * 

«  Neige  de  neui  ondées  de  janvier  à  la  froide  température  ». 
Un  pareil  sens  suffit,  à  mon  avis,  pour  écarter  toute  idée 
d'emprunt,  tandis  que  je  suis  persuadé,  au  contraire,  que 
dans  les  autres  exemples,  le  sens  de  neige  a  été  amené  par 
un  rapprochement  fautif  avec  nivem.  Or,  ce  sens  de  ngf 
(=*smb-)  se  retrouve  exactement  dans  le  vieil-irlandais 
snigid,  il  pleut,  il  mouille.  D'après  la  loi  d'Osthoiï,  nyf 
=z*snib-  supposerait  un  indo-européen  sriigu-,  et  snigid 
=  *snige-ti  remonterait  à  sniguh-.  On  aurait  donc  un  doublet 
celtique  analogue  à  celui  que  présente  le  grec  :  vioayiGva  xal 
y.p-^,vr<v  (Hesychius  :  cf.  Osthoflf,  ibid.,  p.  291)  =  snig^  et  vtç-a 
=^sniguh-.  Ce  serait  un  cas  de  l'échange  entre  moyennes 
aspirées  et  moyennes  à  la  fin  de  la  racine  (Brugmann,  Griin- 
driss,  I,  §  469,  p.  348  et  suiv.).  C'est  l'explication  adoptée 
par  Osthoff  (pp.  289-291)  pour  l'irlandais  nigim,  je  lave,  et 
snigid,  en  face  de  yip-^nS-oL^  de  v{6a  et  viç-a.  L'explication 
est  plausible  également  pour  nyf  qu'Osthoif  a  écarté,  à  tort. 

Il  y  a  un  autre  exemple  qui  me  paraît  sûr  en  brittonique, 
de  guh-  devenant  b,  c'est  le  gallois  deifio,  breton-moyen 
deviff,  aujourd'hui  devi,  brûler.  M.  Whitley  Stokes^  a  iden- 
tifié ce  verbe  avec  l'irlandais  daim,  je  brûle,  et  donne 
comme  forme  pan-celtique  un  verbe  vieux-celtique,  l*""  pers. 
du  sg.  *daviô.  Cette  identification  se  heurte  à  une  impossi- 
bilité :  le  gallois  deif-io  supposera  un  verbe  vieux-brittonique 

1.  Var.  nawnyf.  Le  nombre  de  neuf  est  amené  par  la  croyance  à  la 
vertu  de  ce  nombre  (Cf.  Loth,  Vannée  celtique). 

2.  Urkelt.  Sprachschatz,  p.  4i2. 


240  J.  LOTH 

*dabiô  :  de  *daino,  on  eût  eu  sûrement  deiw-.  En  breton, 
tous  les  dialectes  (le  vannetais,  à  ma  connaissance,  ne  pos- 
sède pas  ce  mot)  ont  v^=h,  et  ce  qui  est  remarquable,  le 
trégorrois  lui-même  qui  garde  w  primitif  même  flanqué  de 
voyelles  palatales,  ce  que  ne  fait  pas  le  léonard.  En  revanche, 
le  cùrnique  montre  w  :  dewe,  brûler,  et  dywy.  Le  comique 
est  seul  d'accord  avec  l'irlandais.  Une  forme  galloise  *daib- 
ou  *deb-,  bretonne  *deh-  remonte  sûrement  à  une  toute 
autre  racine  que  daii-.  Je  ne  vois  guère  à  pouvoir  y  être 
comparé  que  dàgh-  dans  le  sanscrit  ni-dâghd-s,  temps  chaud, 
v.  slavon  zega,  je  brûle  (Brugmann,  Gnindriss,  I,  p.  329). 

Si  on  adopte  comme  racine  pour  le  gallois  et  le  breton 
*dh€g\}h-,  on  remarquera  que  dans  les  deux  cas  contraires  à 
la  loi  d'Osthoff,  la  voyelle  est  palatale. 

La  valeur  de  la  voyelle  aurait-elle  une  influence  sur  l'évo- 
lution de  l'aspirée  labio-vélaire  ?  ou  faut-il  recourir  à  une 
explication  semblable  à  celle  qui  a  été  indiquée  plus  haut 
pour  v(6a  ? 

Deux  remarques  de  détail  :  l'irl.  nàr,  timide,  craintif, 
remonterait  d'après  Osthofi"  à  *nagk?'o-s  ;  or,  ce  mot,  malgré 
la  différence  de  quantité,  ne  paraît  guère  pouvoir  se  séparer 
du  gallois  nar,  avorton,  nain,  qui  ne  peut  se  prêter  à  une 
pareille  dérivation. 

Le  comique  gioyr,  foin  (p.  204)  est  un  barbarisme  :  la 
forme  du  Vocab.  comique  est  guyraf  qui  donne  régulière- 
ment en  moyen-cornique  gorra.  Nul  doute  que  le  gallois 
gwah'  ne  soit  identique  au  comique  gorrà  (pour  gord)^  en 
ce  qui  concerne  le  thème.  Mais  l'évolution  de  la  diphtongue 
suppose  non  ^wèq-ro-  mais  ^weiq-ro-,  et,  d'une  façon  plus 
sûre  *weig-ro~s. 


J.  MAROUZEAU 


SUR  LA  FORME 
DU  PARFAIT   PASSIF  LATIN 


16 


SUR  LA   FORME    DU   PARFAIT   PASSIF 
LATIN 

Par  J.  Marouzeau. 


Les  études  qu'on  a  faites  sur  la  construction  latine  depuis 
l'ouvrage  de  M.  H.  WeiP  tendent  à  vérifier  ce  principe  que 
l'ordre  des  mots  en  latin  est  libre,  et  non  pas  indifférent. 
Mais  on  n'a  abouti  qu'à  des  conclusions  vagues  ou  contra- 
dictoires quand  on  a  étudié  les  variations  d'ordre  dans  des 
groupes  complexes  (une  proposition,  une  phrase  entière^) 
ou  arbitrairement  définis  (mots  apparentés  par  le  sens  : 
deux  pronoms  personnels,  deux  démonstratifs^,  etc.).  C'est 
en  considérant  des  groupes  ^syntaxiques  élémentaires  (p.  ex. 
le  groupe  substantif-épithète  *)  qu'on  a  pu  déterminer  des 
usages  ou  des  règles  précises. 

L'étude  présente  portera  sur  le  groupe  verbal  du  type  fac- 
tus  est.  L'appartenance  des  deux  termes  qui  le  constituent  est 
si  intime  que  factus  est  paraît  exprimer  une  notion  unique 
tout  comme  fecit  ou  fieri  (libuit  =  libitum  est)  ;  et  pourtant 
chacun  des  deux  termes  a  gardé  quelquefois  sa  valeur  pro- 

4.  H.  Weil,  L'ordre  des  mots  dans  les  lang.  anc.  comp.  aux  l.  mod., 
Paris,  Th.,  1844. 

2.  Ainsi  dans  l'ouvrage  de  M.  Weil. 

3.  W.  Kâmpf,  De  pron.  pers.  usu  etcolloc,  Berl.  Stud.  III. 

4.  A.  Bergaigne,  La  place  de  l'adj.  épith.,  Mél.  Graux,  p.  533-543 


2i4  J.  MAROUZEAU 

pre  :  dans  cap  tus  est,  captus  put  prendre  en  latin  la  valeur  d'un 
participe-adjectif,  tandis  que  est  prenait  celle  d'un  présent, 
de  sorte  qu'il  fallut  un  jour,  pour  reconstituer  une  forme  à 
sens  de  passé,  recourir  à  captus  fuit.  Cette  autonomie  rela- 
tive fit  que,  au  lieu  de  se  fixer  comme  cantare  habeo  qui 
donne  chanterai^  le  groupe  factus  est  resta  susceptible  de 
l'interversion  significative  est  factus. 

Or  l'hésitation  du  latin  entre  factus  est  et  est  factus 
intéresse  non  seulement  le  développement  de  la  langue  et 
par  là  l'histoire  littéraire,  mais  aussi  la  stylistique  et  la  cri- 
tique des  textes  elle-même. 

Le  latin  présente  les  traces  d'une  évolution  qui  tend  à 
faire  aboutir  factus  est,  seul  employé  dans  les  plus  anciens 
textes,  à  est  factus,  qui  domine  déjà  dans  certains  textes  de 
l'époque  républicaine. 

La  loi  des  XII  Tables  et  le  texte  dit  S.  G.  des  Bacchanales 
n'offrent  des  exemples  que  de  l'ordre  direct  factus  est.  3  ou 
4  exemples  seulement  de  l'ordre  inverse  est  factus  se  ren- 
contrent dans  les  premières  inscriptions  de  Rome  ou  d'Italie 
(tombeaux  des  Scipions,  inscr.  de  Paestum,  Stabiae).  Les 
textes  osques  et  ombriens  n'en  présentent  qu'un  seul  exemple 
(v.  Pl.,Ig.  VII  b  2  erom  ehiato).  Mais  des  origines  au  i"  siè- 
cle, on  peut  suivre  les  progrès  de  l'ordre  inverse,  malgré  la 
rareté  ou  l'état  fragmentaire  des  textes.  Caton  dans  son  traité 
sur  l'agriculture  n'emploie  l'ordre  inverse  que  1  fois  sur  15 
environ,  tandis  que  Varron  écrivant  sur  le  même  sujet  l'em- 
ploiera jusqu'à  1  fois  sur  3.  Entre  les  deux  les  fragments  des 
historiens  et  des  orateurs  du  n*  siècle  donnent  une  moyenne 
intermédiaire  de  1  sur  10. 

Plaute  et  Térence  nous  permettent  même  de  mesurer  la 
rapidité  de  cette  évolution.  L'ensemble  de  leurs  œuvres 
donne  pour  l'ordre  inverse  une  moyenne  commune  de  1  ex. 
sur  o;  or  les  deux  premières  pièces  de  Plaute  dont  la  date 


LE  PARFAIT  PASSIF  LATIN  2i5 

soit  approximativement  fixée  (Stichits  et  Cistellarid)  don- 
nent séparément  une  même  moyenne  de  1  sur  7,  tandis  que 
les  deux  dernières  {Poenulus  et  Truculentus)  donnent  1  sur 
4  ;  de  même  les  trois  premières  comédies  de  Térence  don- 
nent 1  sur  5-6,  et  les  trois  dernières  1  sur  3-4  ^ 

Ainsi  jusqu'à  la  fin  de  l'époque  républicaine  l'ordre 
inverse  apparaît  comme  une  innovation  qui  tend  à  triompher 
de  l'ordre  ancien. 

A.  ce  moment  l'évolution  est  brusquement  interrompue 
par  la  constitution  de  la  langue  classique.  Mais  les  divergen- 
ces mêmes  qu'on  remarque  alors  dans  l'usage  courant  confir- 
ment en  quelque  manière  l'évolution  antérieure.  L'ordre 
ancien  devient  l'ordre  archaïque,  l'ordre  nouveau  paraît 
être  l'ordre  vulgaire. 

Ainsi,  l'on  s'accorde  à  reconnaître  l'influence  du  parler 
vulgaire  chez  les  continuateurs  de  César  ;  or  ils  donnent  la 
préférence  à  l'ordre  nouveau  :  «  die  Stellung  des  Hilfsver- 
bums  vor  das  Participium  ist  charakteristisch  fur  aile  Caesa- 
rianer  »  (G.  Landgraf,  Untersuch.  zu  Caes.  und  seinen 
Fortsetz.,  Progr.  Mûnchen  1888). 

On  trouve  1  ex.  de  l'ordre  inverse  pour  3  de  l'ordre  direct 
dans  les  premiers  livres  du  de  Bello  Gallico,  et  presque  3 
pour  1  dans  le  livre  VIII,  qui  est  d'un  continuateur  de 
César  ;  la  proportion  d'un  ordre  à  l'autre  est  donc  exacte- 
ment renversée. 

Contrairement  aux  vulgarisants,  les  archaïsants  évitent 
l'ordre  inverse  :  Salluste  dans  toute  l'étendue  de  son  oeuvre 
ne  présente  pas  un  seul  ex.  de  cet  ordre  ;  Asinius  PoUio, 
dont  Tacite  dit  qu'il  paraissait  avoir  écrit  cent  ans  avant  son 
temps  (Tac,   DiaL  Or.,  21;  cf.  Quint.,  i.   0.  X,    1,  113) 


1.  En  admettant  la  chronologie   de  M.  Ph.  Fabia  (Les  prol.  de  Ter. 
p.  33  ss.),  qui  trouve  dans  ce  fait  même  une  confirmation. 


246  J.  MAROUZEAU 

n'en  offre  pas  un  non  plus  dans  le  texte  assez  long  des 
trois  lettres  qui  restent  de  lui  (ap.  Cic.  Fam.  X,  31,  32  et 
33).  Même  observation  pour  Caelius,  un  autre  archaïsant 
(Fam.  VIII,  1  et  2).  Les  deux  premiers  discours  de  Cicéron 
{pro  Qitintio  et  pro  Roscio  Amerind)  présentent  aussi  des 
traces  d'archaïsme  ;  or  on  y  trouve  en  infime  minorité  les  ex. 
de  l'ordre  inverse  :  resp.  1  pour  4,  1  pour  11,  tandis  que  la 
proportion  est  sensiblement  de  1  pour  1  dans  le  reste  de 
l'œuvre  de  Cicéron. 

Jusque-là  il  y  a  donc  concurrence  entre  deux  ordres,  dont 
l'un  apparaît  déjà  comme  une  survivance. 

Le  développement  naturel  de  la  langue  conduisait-il  à  la 
fixation  de  l'ordre  inverse  qui  sera  celui  du  roman  :  fr. 
fut  fait?^.  Ce  serait  là  une  confirmation  du  principe  de  M. 
A.  Bergaigne  (M.  S.  L.  III,  Essai  sur  la  construction  gram- 
maticale, Introd.  p.  1-51)  qu'il  faut  souvent  chercher  dans 
une  période  fort  ancienne  du  latin  l'origine  des  innovations 
de  la  construction  romane. 

Malheureusement,  après  Cicéron  il  est  impossible  de  sui- 
vre l'évolution  commencée;  elle  ne  se  poursuit  pas  dans  le 
latin  littéraire,  qui  seul  nous  est  accessible,  et  l'usage  de 
Minucius  Félix  sera  le  même  que  celui  de  Cicéron. 

En  tout  cas  jusqu'à  Cicéron  au  moins  l'évolution  que  nous 
avons  suivie  est  assez  nette  pour  fournir  le  cas  échéant  des 
éléments  de  contrôle  dans  l'examen  de  certaines  questions 
d'histoire  littéraire.  Par  ex.  on  parle  d'une  part  des  vulga- 


1.  C'est  ainsi  qu'on  voit  une  autre  forme  verbale,  haheo  cognitum,  ap- 
paraître dans  Caton,  se  développer  dans  Varron,  pour  disparaître  avec 
Cicéron  et  reparaître  victorieusement  à  la  naissance  du  roman  (Ph.  Thiel- 
mann,  Archiv  lat.  Lexic,  II,  1883,  p.  334).  —  Il  est  vrai  que  le  roman 
emploie  encore  jusqu'au  xvi^  siècle  la  forme  pris  est,  mais  exceptionnel- 
lement, et  pour  éviter  que  l'auxitiaire  est  ne  se  trouve  en  tête  de  la 
phrase,  quand  le  sujet  suit  ou  n'est  pas  exprimé  (cf.  G.  Grôber,  Grundriss 
der  rom.  PhiloL,  II,  p.  822). 


LE  PARFAIT  PASSIF  LATIN  247 

rismes  (?)  d'autre  part  des  archaïsmes  de  Salluste.  Or  nous 
avons  vu  que  cet  auteur  s'interdit  rigoureusement  la  con- 
struction suspecte  de  vulgarisme  pour  n'employer  que  l'or- 
dre ancien.  Deux  exceptions  qui  paraissent  d'abord  contredire 
cet  usage  en  démontrent  au  contraire  la  rigueur.  L'une 
{Catil.  3o,4  sum  secutiis)  se  trouve  dans  une  lettre  de 
Gatilina  reproduite  textuellement  :  eorum  exemplum  infra 
scriptum  est  (Catil.  34,3);  l'autre  (Ca/îV.  38,6  esset  menti- 
tiis)  est  dans  le  texte  d'un  décret  du  Sénat  :  consulente 
Cicérone  frequens  senatus  decernit  (Catil.  48,6).  Ce  n'est 
pas  là  du  Salluste,  et  l'auteur  a  soin  de  nous  en  averlir. 
Ailleurs,  lorsqu'il  fait  parler  César,  Caton,  etc.,  et  qu'il  ne 
prétend  pas  reproduire  des  discours  réels,  il  ne  renonce  pas 
plus  à  ses  habitudes  de  construction  qu'à  ses  procédés  de  style. 
On  a  donc  là  une  preuve  de  la  sincérité  de  l'historien  et 
de  son  respect  des  documents,  en  même  temps  qu'un  signe 
de  l'importance  que  les  moindres  détails  de  construction 
pouvaient  avoir  aux  yeux  d'un  latin.  Au  reste  la  théorie  de 
l'archaïsme  de  Salluste  se  trouve  confirmée  par  cette  affec- 
tation manifeste  d'un  procédé  qui  n'avait  été  exclusif  que 
dans  les  plus  anciens  textes. 

L'usage  des  Césariens  n'est  pas  moins  instructif.  D'abord 
la  comparaison  du  livre  VIII  du  Bell.  Gall.  avec  le  reste  de 
l'ouvrage  ajoute  un  argument  à  ceux  qu'on  donne  d'ailleurs 
pour  prouver  l'inauthenticité  de  ce  dernier  livre. 

C'est  là  un  genre  d'argument  qui  ne  suffit  pas  à  établir, 
mais  qui  peut  infirmer  des  démonstrations. 

Lorsque  M.  Landgraf  (Untersuch.  zu  Caesar...  Progr. 
Mûnchen  1888),  voulant  établir  qu'Asinius  Pollion  est  VdiM- 
ieur du  Bellum  A f?ncanmn,  rapproche,  p.  3o,  pour  le  démon- 
trer, le  tour  uisiim  est  (Asinius  PoUio  apud  Cicer.  Ep. 
Fam.  X,  32)  de  est  uisum  (Bell.  Afr.  25,1)  et  de  est  uisa 
(ibid,  5,1  ;   42,1),   il  nous  fournit   un    argument  contre  sa 


248  J.  MAROUZEAU 

thèse.  Bien  loin  que  uisum  est  soit  l'équivalent  de  est 
uisum,  au  contraire  l'ordre  inverse  est  usuel  dans  le  Bell. 
Afr.,  et  l'on  a  vu  qu'il  est  évité  par  As.  Pollion,  tout  aussi 
scrupuleusement  que  par  Salluste. 

De  même  p.  88,  n'observant  dans  les  ex.  qu'il  cite  que  la 
disjonction  et  négligeant  l'inversion,  M.  Landgraf  reconnaît 
dans  l'ex.  B.  Alex.  5,1  est  fere  tota  suffossa  «  eine  bei  Pol- 
lio  beliebte  Stellung  »  et  renvoie  à  Ep.  32  conservatum  rei 
publicae  esse,  qui  est  précisément  l'inverse.  Enfin  il  n'y  a 
pas  lieu  de  suivre  l'auteur  quand  p.  62  il  se  fonde  sur  B. 
Afr.  26,  3  foret  subuentum  et  52,  4  esset  coniectum,  pour 
reconnaître  dans  B.  Alex.  63,6  esset  diremptum  «  eine 
hàufig  wiederkehrende  Formelhaftigkeit  des  Ausdruckes 
bei  Pollio  ».  Après  avoir  conclu  témérairement  du  Pollion 
authentique  au  B.  Afr.,  de  celui-ci  au  B.  Alex.,  il  est  dou- 
blement illogique  de  conclure  du  premier  au  troisième.  Au 
reste  les  statistiques  minutieuses  qui  ont  servi  de  base  à  cette 
étude  sont  loin  de  confirmer  la  conclusion  de  M.  Landgraf 
touchant  l'emploi  de  l'ordre  inverse  :  p.  48  «  Dièse  Stel- 
lung... findet  sich  zw^ar  schon  in  der  àlteren  und  gleichzeiti- 
gen  Latinitàt,...  auch  bei  Gicero  vereinzelt,  besonders  in  den 
Briefen  an  Caesarianer,  aber  zur  Regel  wird  sie  erst  seit 
Caesar.  »  Ce  que  l'étude  comparative  des  textes  antérieurs  à 
l'époque  cicéronienne  nous  montre,  c'est  que  l'inversion, 
qui  apparaît  comme  une  exception  dans  les  plus  anciens 
textes,  tend  à  se  généraliser  de  plus  en  plus,  peut-être  sous 
l'influence  de  la  langue  vulgaire,  pour  atteindre  son  maxi- 
mum de  fréquence  au  temps  de  Varron  et  de  César;  puis  le 
progrès,  régulier  jusque-là,  est  interrompu  brusquement  à 
partir  de  Cicéron,  et  l'emploi  de  la  construction  nouvelle, 
réglementé  par  l'usage  classique,  ne  paraît  plus  subir  de  vi- 
cissitudes jusqu'à  l'époque  romane,  sauf  l'affectation  d'ar- 
chaïsme qui  le  fait  parfois  proscrire. 


LE  PARFAIT  PASSIF  LATIN  249 

La  fixation  de  la  langue  classique,  qui  enraye  le  dévelop- 
pement morphologique  et  syntaxique  de  la  langue,  change 
aussi  les  habitudes  de  construction.  L'ordre  ancien  continuera 
de  vivre  à  côté  de  l'ordre  nouveau,  et  comme  il  arrive  lors- 
que de  deux  formes  de  langage  l'une  ne  disparaît  pas  au 
profit  de  l'autre,  chacun  des  deux  ordres  prendra  une  valeur 
distinctive.  Tous  deux  restant  possibles,  ils  ne  pourront  être 
indifférents.  Mais  le  choix  de  l'un  ou  de  l'autre  cessera 
d'avoir  une  signification  historique  pour  ne  garder  que  la 
valeur  d'un  procédé  de  style. 

La  grammaire  latine  de  Haie  and  Buck  (Boston,  1903) 
p.  338  observe  que  «  in  the  compound  tenses,  the  auxiliary 
sum  may,  according  to  the  needsof  the  sentence,  be  placed 
anywhere  without  emphasis  upon  itself  ».  Encore  faut-il 
définir  ces  «  besoins  de  la  phrase  ».  Or,  d'une  façon  géné- 
rale, l'emploi  de  l'ordre  factus  est  paraît  répondre  au 
besoin  de  définir  et  de  localiser  dans  le  temps  l'action  expri- 
mée par  l'élément  verbal;  l'emploi  de  l'ordre  est  factus  con- 
vient aux  cas  où,  cette  action  supposée  définie,  on  l'énonce 
non  pas  pour  elle-même,  mais  soit  pour  en  afïirmer  la 
réalité,  soit  pour  la  faire  accompagner  d'une  détermination 
essentielle. 

En  d'autres  termes,  factus  est  est  réellement  une  forme 
verbale,  avec  sa  valeur  temporelle  ;  est  factus  n'est  pas  le 
parfait  de  fio  ;  il  n'est  que  le  rappel  de  l'idée  de  fleri. 
Quand  nous  disons:  il  est  mort,  mais  il  est  ?7îorten  héros  — 
il  s'agit  d'abord  d'appliquer  l'idée  de  mourir  dans  le  passé  à 
un  sujet  donné  :  c'est  le  rôle  du  parfait ,  mais  la  seconde 
fois  il  ne  faut  que  rappeler  l'idée  de  la  mort  dont  il  a  été 
question ,  ce  qu'on  pourrait  faire  aussi  bien  par  un  substan- 
tif :  il  est  mort,  mais  d'une  mort  héroïque  :  c'est  le  cas 
d'employer  la  forme  non  verbale  est  factus. 

Quand  Cicéron  dans  le  pro  Quintio  examine  deux  hypo- 


250  J.  MAROUZEAU 

thèses:  ya-t-il  eu  engagement  à  comparaître  ?  si  oui,  y  a-t-ileu 
défaut?  il  s'agit  de  définir  une  action  passée  :  ordre  direct. 

Pro  Quint.  28, 86  Docui,  cum  desertum  esse  dicat  uadimo- 
nium,  omnino  uadimonium  rmWnm.  fuisse . 

et  avec  une  disjonction  qui  insiste  peut-être  encore  davan- 
tage sur  l'idée  ne  l'action  exprimée  par  le  verbe  : 

ibid.  18,56  Quid  si...  uadimonium  omnino...  nullum 
fuit?...  at  etiamsi  desertum  uadimonium  esset,  tamen... 
improbissimus   reperiebare. 

Dans  ces  deux  ex.  il  s'agit  d'opposer  l'idée  de  fuisse  à 
celle  de  deseri.  L'orateur  veut-il  au  contraire  insister  sur  les 
prétentions  de  l'adversaire  à  propos  d'un  fait  connu  qu'il 
n'est  plus  essentiel  de  définir  ?  Il  emploiera  l'ordre  inverse  : 

ibid.  14,  48  Quid  igitur  demonstrat?  uadimonium  sibi  ait 
esse  desertum. 

et  avec  disjonction  : 

ibid.  18,  57  Ais  esse  uadimonium  desertum?  L'emploi  des 
verbes  affirmatifs  ait,  demonstrat,  montre  bien  que  la 
question  posée  est  entre  l'affirmative  et  la  négative  :  esse  ou 
NON  ESSE  (desertuni). 

Si  l'emploi  de  l'ordre  inverse  suppose  que  l'action  n'est 
plus  à  définir,  c'est  que  d'ordinaire  le  verbe  qui  l'exprime 
se  trouve  déjà  dans  le  contexte  antérieur  :  c'est  un  type  de 
phrase  fréquent  : 

Ter.  Ht.  627-8...  Scio  quid  feceris  :  Sustulisti.  —  Sic  est 
factum. 

Cic.  Ep.  Fam.  XIV,  5,  1  Accepi  tuas  lifteras, quibus  intel- 
lexi  te  uereri  ne  superiores  mihi  redditae  non  essent. 
Omnes  sunt  redditae,  diligentissimeque  a  te  perscripta  sunt 
omnia.  (Rem.  la  différence  d'ordre  sunt  redditae,  pres- 
cripta  sunt.^ 

Eun.  707-8  Phaedria  presse  de  questions  Dorus  l'eunu- 
que, dont  Chaerea  a  pris  le  costume.  «  Meam  (uestem)  ipse 


LE  PARFAIT  PASSIF  LATIN  2ol 

induit  »,  explique   Dorus  (v.  702).  Phaedria  s'emporte  et 
insiste  : 

...Ghaerea  tuam  uestem  detraxit  tibi  ? 
Factum.  —  Et  eas<  indutus  ? — ^^Factum.  —  Et  pro  te  Iiqc  deductust  ?  —  lia. 

En  disant  «  Et  east  indutus?  »  Phaedria  reprend 
«  Meam  induit  »  ;  en  disant  «  pro  te...  deductust  »  il  pose 
une  question  nouvelle,  sur  un  point  que  Dorus  n'a  pas 
encore  touché.  La  différence  d'ordre  marque  rigoureusement 
la  différence  d'emploi. 

Il  arrive  fréquemment  que  dans  ces  sortes  de  phrase  le 
verbe  n'est  repris  que  pour  être  accompagné  d'une  déter- 
mination importante,  qui  est  le  but  de  la  nouvelle  phrase  : 

Eun.  679  ss 

...Quis  hic  est  homo  ? 

—  Qui  ad  nos  deductus  hodies^.  —  Hune  oculis  suis 
Nostrarumnum  quamquisquam  uidit,  Phaedria. 

—  Non  uidit  ?  —  An  tu  hung  credidisti  esse,  obsecro, 
Ad  nos  deductum  ? 

Dans  le  premier  cas  :  deductus  est,  il  s'agit  de  définir  le 
personnage  par  le  rôle  qu'il  a  joué  ;  dans  le  second  cas  :  esse 
deductum,  on  veut  affirmer  que  ce  n'est  pas  lui  qui  a  joué 
ce  rôle.  La  traduction  «  as-tu  donc  cru  que  c'était  celui-ci 
qui?...  »  montre  bien  que  le  but  de  la  phrase  est  hune  et 
non  deductum. 

Enfin  par  une  extension  naturelle,  c'est  encore  l'ordre 
inverse  qui  convient,  même  quand  le  verbe  n'a  pas  été  pré- 
cédemment exprimé,  si  l'énoncé  du  fait  est  subordonné  à 
celui  de  la  circonstance  ou  de  l'attribution  :  c'est  le  cas  pour 
les  phrases  où  le  français  se  sert  de  la  traduction  «  c'est  alors 
que...,  c'est  lui  qui...  »  etc. 

Cic,  Diu.  in  Caec.  4,  15  Gur  a  me  potissimum  hoc  praesi- 
dium petiuerunt?...   nescio  cur  hoc  mihi  detrimento    esse 


252  J.  MAROUZEAU 

debeat,  si  id  mihi  obiciatur,  me  potissimum  esse  delectum. 

=  que  c'est  moi  de  préférence  qui.,. 

ibid.  5,18  Nam  civibvs  cwm  sunt  ereptae  pecuniae,  civili 
fere  actione  et  priuato  iure  repetuntur. 

=  quand  c'est  à  des  citoyens  que... 
Comp.  l'ordre  normal  dans  renonciation  simple: 

Ter.  Hec.  639  Natiis  est  nobis  nepos 
avec  l'ordre  inverse  qui  accuse  un  relief  : 

Hec.  279...  ac  si  ex  me  esset  nata, 

=  si  c'était  de  moi  que... 

De  même 

Ad.  593  Quod  peccatum  a  nobis  ortumst corrigo 
avec 

And.  689  Quis  non  credat,qui  te  norit,  absTE  esseortum? 

=  que  c'est  de  toi  que  cela  vient, 
et  encore  : 

PI.  Poeîi.  888-9 

...  ut  ne  enuntiet 
Id  esse  facinus  ex  te  ortum... 

En  résumé  on  peut  reconnaître  pratiquement  à  l'emploi 
de  l'ordre  inverse  trois  raisons  principales,  fondées  sur  ce 
principe  unique  :  que  l'ordre  direct  est  réservé  aux  cas  où 
le  groupe  participe-auxiliaire  a  réellement  une  valeur  ver- 
bale. 

1"  Il  s'agit  non  pas  de  définir  l'action,  mais  d'en  affirmer 
ou  d'en  nier  la  réalité. 

2"  C'est  une  des  circonstances  de  l'action,  et  non  l'action 
elle-même,  qui  constitue  l'idée  essentielle,  le  but  de  la 
phrase. 

3**  L'action  a  déjà  été  énoncée  dans  le  contexte  antérieur. 

Il  est  superflu  de  dire  que  ces  règles  ne  sont  pas  absolues, 
et  que  les  écrivains  en  font  une  application  de  plus  en  plus 


LE  PARFAIT  PASSIF  LATIN 


253 


libre  à  mesure  que  nous  voyons  croître  la  fréquence  de 
l'ordre  inverse.  Mais  dans  les  textes  les  plus  anciens  leur 
rigueur  est  incontestable,  et  par  la  suite  elles  sont  d'autant 
plus  scrupuleusement  observées  qu'un  auteur  écrit  avec  plus 
d'art  et  de  conscience. 

Sur  les  7  exemples  de  l'ordre  inverse  que  l'on  peut  relever 
dans  tout  l'ouvrage  de  Gaton,  5  s'expliquent  rigoureusement 
par  la  seule  règle  3  : 


A.  C.  2,  1,  opéra  qiiae  facta... 
sient. 

25  et  26  Vinum...  facito...  stu- 
deas...  légère. 

31,  l  quae  opus  erunt  parentur. 

161,  1  locum  subigere  oportet. 


quid    operis   siet    factum...  sa- 
tisne  tempori  opéra  sient  confecta. 
ubi  erit  lectum. 

facito  iiti  sient  parati. 
ubi  erit  suhactus. 


La  rigueur  dans  l'application  des  règles  se  retrouve  natu- 
rellement chez  les  puristes  soucieux  d'archaïsme  :  dans  la 
seconde  Saturnale,  Macrobe  n'a  qu'un  seul  exemple  de  l'or- 
dre inverse  :  quae  per  tôt  dies  sunt  dicta  qui  fait  suite  à 
quae  tune  dicta  sunt.  Dans  le  pro  Roscio  Amerïno,  les  rares 
ex.  de  l'ordre  inverse  s'expliquent  nettement  par  l'une  des 
trois  règles  énoncées  ici^  : 


7,  20  cum...  nullo  negotio  sitoc- 
cisus. 

22,  62  quo  tempore  maleficium 
sit  admissum. 

26,  72  cui  maleficio  tam  insigne 
supplicium  est  constitutum. 

28,  78  a  quo  sit  Sex.  Roscius 
occisus. 


reprend  7,  19  cum...  occisus  es- 
set. 

22,  62  multa  antea  commissa 
maleficia. 

25,  70  supplicium  constituisset 
(et)  supplicium  in  parricidas  singu- 
lare  excogitaverunt. 

28,  76  Romae  Sex.  Roscius  occi- 
ditur. 


1.  L'ex.  32,  90  Quis  tibi  non  est  uulneratus  ne  comporte  pas  d'expli- 
cation, puisqu'il  appartient  à  une  citation  et  que  le  contexte  antérieur 
manque. 


254  J.  MAROUZEAU 


34,  97  cuius  manu  sit  percussiis. 

38,  llOhosqui  simul  erantmissi. 
48,   139   sua  cuique  procuratio 
auctoritasque  est  restituta. 


reprend  34,  97  non  quaero  quis 
perçussent. 

38,  110  ceterorum  legatorum. 

48,  139  posteaquam...  leges... 
constituit. 


L'une  des  phrases  les  plus  instructives  est  la  suivante  : 

33,  92  Vbi  occisus  est  Sex,  Roscius?  (introduction  d'une 
idée  :  ordre  direct).  ...  Quasi  nunc  id  agatur  quis...  occide- 
rit,  ac  non  hoc  quaeratur  eum  qui  Romae  sit  occisus  (reprise 
de  l'idée  et  du  mot  :  règle  3)  utrum  uerisimilius  sit  ab  eo 
^55^  occismn  (relief  du  complément  ab  eo  :  règle  2)  qui  assi- 
duus  eo  tempore  Romae  fuerit. 

Enfin  un  examen  approfondi  de  tous  les  exemples  relevés 
dans  Térence  a  montré  que  un  cinquième  à  peine  des  exem- 
ples se  refusent  à  une  explication  immédiate;  encore  aper- 
çoit-on d'ordinaire  aisément  l'influence  analogique  qui  justifie 
ces  exceptions. 

S'il  est  vrai  que  les  raisons  de  sens  invoquées  ici  aient  été 
déterminantes  dans  le  choix  de  l'ordre,  on  comprend  que  le 
progrès  de  la  construction  nouvelle  ait  dû  être  interrompu, 
au  moment  même  où  cette  construction  allait  devenir  domi- 
nante :  c'était  un  moyen  d'expression  qu'il  fallait  ménager 
pour  éviter  qu'il  ne  devînt  banal. 

On  comprend  aussi  de  quel  intérêt  peut  être  l'étude  de  ce 
procédé  de  style  pour  l'exacte  intelligence  des  textes.  L'or- 
dre inverse  doit  être  un  avertissement  au  lecteur,  qui  lui 
signale  une  nuance,  un  relief  souvent  inaperçu,  comme  peut 
le  faire  dans  nos  langues  modernes  soit  une  périphrase,  soit 
une  répétition,  soit  même  un  signe  matériel,  mot  souligné, 
imprimé  en.  italique,  etc. 

Dans  le  Phormi07i,  parlant  d'une  promesse  d'argent  faite  à 
un  tiers,  un  personnage  indifférent  dira  : 

Ph.  703  Interea  amici  quod  polliciti  sunt  dabunt. 


I 


LE  PARFAIT  PASSIF  LATIN  2S3 

C'est  le  simple  énoncé  d'un  fait.  Mais  si  le  personnage  in- 
téressé à  cette  promesse,  Phormion  lui-même,  veut  tirer  ar- 
gument de  ce  fait  pour  apaiser  son  créancier,  il  insistera  sur 
la  réalité  de  la  promesse  : 


Ph.  513  Triduom  hoc,  dum  id  quod  est  promissum  ab  amicis  ar- 
gentum  aufero. 


L'acteur  doit  élever  et  faire  traîner  la  voix  sur  est, 
comme  pour  dire  :  «  de  l'argent  qui  m'a  bel  et  bien,  qui  m'a, 
je  vous  assure,  été  promis. 

Dans  l'Eunuque,  Thaïs  dit  à  Chrêmes  tout  ce  qu'elle  sup- 
porte pour  lui,  et  comme  il  s'étonne,  elle  lui  révèle  son  secret  : 

Eun.  745-6 

...Quia,  dum  tibi  sororem  studeo 
Reddere  ac  restituere,  haec  atque  huius  modi  sum  multa  passa. 

La  phrase  n'aura  aucun  sens  convenable  si  l'on  traduit  en 
faisant  de  sum  passa  la  phrase  principale  :  parce  que,  en 
travaillant  à  te  rendre...  une  sœur,  j'ai  souffert... 

L'ordre  inverse  sum  passa  nous  avertit  que  le  but  de  la 
phrase  n'est  pas  l'idée  de  patior,  mais  l'explication  conte- 
nue dans  la  subordonnée  :  «  Car  c'est  en  travaillant  à  te 
rendre...  une  sœur  que  j'ai  souffert  ces  ennuis...  »  Aussi 
bien  n'est-ce  pas  à  un  mot  de  la  principale,  mais  à  un  mot 
de  la  subordonnée  que  Chrêmes  répond  :  Vbi  east?  (soror). 

Ailleurs  la  considération  de  l'ordre  sufïît  à  nous  indiquer 
le  rôle  grammatical  d'un  mot  : 

—  Si  Salluste  proscrit  absolument  l'ordre  inverse,  nous 
saurons  d'abord  que  Cat.  31,  7  ut  erat  paratus  n'est  pas  le 
passif  de  parare,  mais  bien  le  groupe  copule  -f-  adjectif. 

—  Si  l'ordre  inverse  est  très  rare  chez  Lucain,  surtout 
avec  inversion,  nous  hésiterons  à  voir  dans  l'ex.  suivant  le 
passif  de  possideo  : 

Ph.  II  610  Vrbs  est  Dictaeis  olim  possessa  colonis, 


2S6  J.  MAROUZEAU 

et  nous  ne  suivrons  pas  la  traduction  Nisard  :  «  Cette  ville 
fut  jadis  possédée  par  ...  ».  L'auteur  aurait  ainsi  l'air  d'insister 
sur  un  détail  qui  est  accessoire  dans  son  récit  ;  le  sens  doit 
être  :    Il  est  une  ville  (jadis  occupée  par...)  qui... 

On  retrouve  la  môme  construction  avec  la  même  indica- 
tion fournie  par  l'ordre  dans  Gicéron  : 

De  Sign.  46,103  Insula  est  Melita,  indices,  satis  lato  a  Sici- 
lia  mari  periculosoque  diiuncta. 

Pour  cette  tournure,  tout  à  fait  usuelle  en  latin  au  début 
d'une  description,  cf.  encore  Cic,  «fe  Sz^n.  33, 72  ;  Virg. 
Aen.  I,  441,  YII,  170,  etc. 

Nombre  d'exceptions  aux  règles  d'emploi  de  l'ordre 
inverse  ne  sont  qu'apparentes  parce  qu'on  a  affaire  ainsi  à 
un  attribut  accompagné  de  la  copule  : 

Eun,  24  : 

Si  id  estpeccatum,  peccatum  imprudentiast 

Eloî.  41  : 

Nullum  est  iam  dictum,  quod  non  sit  dictum  prius. 

Dans  chacun  des  deux  ex.,  on  a  d'abord  le  substantif,  et 
ensuite  la  forme  verbale.  Si  est  peccatum,  est  dictum  étaient 
des  passifs,  l'ordre  inverse  ne  s'expliquerait  pas  ;  sit  dictum 
s'explique  au  contraire  normalement  par  la  règle  3),  cf. 
encore  dicta  substantif  Heaut.  877  comme  dictum  Eun. 
428,  relictus  adjectif  =  relucius  And.  601,  Heaut.  1021  ; 
Lucain,  Ph.  III,  39;  habitus  Heaut.  402  comme  habitior 
Eun.  31o,  expolitam  Heaut.  289,  defunctum.  Ad.  508, 
obiectus  Hec.  286,  etc.  tous  exemples  où  l'ordre  inverse  ne 
s'expliquerait  pas  s'il  s'agissait  d'un  verbe  au  passif. 

Enfin,  une  règle  qui  est  utile  pour  l'intelligence  des  textes 
ne  peut  pas  être  indifférente  à  la  critique  des  textes.  Dans 
l'ex.  de  Lucain,  Ph.  III  39  : 

Aut  nihil  est  sensus  animis  a  morte  relictum, 


LE  PARFAIT  PASSIF  LATIN  257 

si  l'on  considère  est  relictum  comme  le  passif  du  verbe 
relinquo,  on  comprend  à  la  rigueur  la  construction  a  morte, 
la  mort  étant  personnifiée.  Mais  il  n'est  pas  latin  de  dire  : 
mors  relinquit  animis  sensum,  relinquere  signifie  «abandon- 
ner »  «  quitter  »,  comme  dans  Ph.  YIII  59-60  membra 
relicta  neruis,  mais  non  pas  «  laisser  la  jouissance  de  » 
(cf.  l'index  de  l'éd.  Francken).  Or  l'éd.  Hosius  signale  une 
glose  «  a  morte  et  imorte  {sic)  » .  Le  barbarisme  imorte  pour- 
rait bien  être  la  trace  de  la  bonne  leçon,  lectio  difficilior,  in 
morte,  qu'un  correcteur  aurait  altérée  par  un  changement 
de  préposition  en  pensant  donner  un  complément  au  passif 
apparent  est  relictum  ^ 

Parfois  l'ordre  inverse  donné  par  les  éditions  ne  repose  que 
sur  des  variantes  contestables  : 

Ter.  Ph.  881  : 

Denique  ego  sum  missus,  te  ut  requirerem...  (Umpf.) 

Le  sens  ne  permet  pas  de  rendre  compte  de  l'inversion,  qui 
est  donnée  par  le  seul  ms  D.  C'est  une  faute  qu'on  s'expli- 
quera aisément  en  supposant  que  sum,  omis  après  mzssus  (cf. 
Eiin.  306  SUM  omis  dans  A  après /??'orsus  onprorsmi),  aura  été 
rétabli  ensuite,  selon  une  tendance  ordinaire  aux  copistes, 
immédiatement  après  son  sujet  ego. 

En  revanche,  c'est  l'ordre  inverse  qu'il  faut,  malgré  les 
éditions,  rétablir  dans  l'ex.  suivant  : 

Eiin.  305-6  : 

Vnde  is  ?  —  Egone  ?  nescio  hercle,  neque  unde  eam  neque  quorsum  eam  : 
Ita  prorsum  oblitus  summei. 

(éd.  Umpf.,   Dz.,  Fleck.,  Fabia).  M.  L.  Havet  (Rev.  Phil. 

1 .  On  a  donc  affaire  ici  à  relictus  adjectif  comme  dans  Virgile,  Georg., 
IV.  127-8, 

...  cui  pauca  relicti 
lugera  ruris  erant... 

17 


258  J.  MAROUZEAD 

XXX,  p.  207)  «  ne  voit  aucun  motif  de  ne  pas  garder 
l'ordre  »  donné  par  les  mss  siim  ohlùus^  (cf.  sum  oblitus 
And.  841  et  esse  oblitum  And.supp.  2).  La  considération  de 
la  règle  2  nous  conduit  en  effet  à  adopter  cet  ordre  :  l'idée 
exprimée  par  sum  oblitus  l'a  déjà  été  par  nescio  etc.  ;  elle 
n'est  reprise  que  pour  être  accompagnée  de  la  détermination 
significative  :  ita prorsum  =  c'est  à  ce  point  que... 

D'une  façon  générale,  quand  les  deux  ordres  sont  donnés 
par  les  mss,  c'est  l'inversion  qui  se  trouve  préférable. 

Ad.  797  : 

Ex  te  adeo  est  ortum. 

=  c'est  bien  de  toi  que... 
(cf.  le  même  sens  et  le  même  ordre,  justifié  par  la  règle  3, 
dans  les  ex.  cités  p.  250).  Ici  A  seul  a  gardé  la  bonne 
leçon  ;  tous  les  mss  Calliopiens  ont  l'ordre  direct,  avec  cette 
complication  que  la  famille  alphabétique  DG  remplace  or/wm 
par  exortum,  sans  doute  fausse  lecture  de  est  ortum  (cf.  Ad. 
449  ortum  devenu  dans  A  exortum  après  esse^.  Le  processus 
de  la  faute  serait  :  l'*  leçon  de  l'archétype  :  est  ortum  ;  — 
2**  fausse  lecture  exortum  conduisant  3°  au  rétablissement 
de  l'auxiliaire  :  exortum  est  (leçon  de  DG)  et  4"  après  cor- 
rection ortum  est  (leçon  de  PCFEy 

Même  genre  de  faute,  avec  processus  moins  compliqué, 
dans  : 

Hec.  681  : 

Puer  quia  clam  te  est  natus 

OÙ  D  présente  l'ordre  direct  natus  est  et  : 
And.  486  : 

Per  ecastor  scitus  puer  est  natus  Pamphilo 


1.  L'omission  de  sum  dans  A  s'explique   aisément  par  haplograpliie 
dans  l'hypothèse  d'un  ordre  prorsum  sum  oblitus. 


LE  PARFAIT  PASSIF  LATIN  259 

OÙ  deux  mss  de  deux  familles  différentes  G  et  E  ont  indivi- 
duellement préféré  l'ordre  direct.  Or  dans  ces  deux  exem- 
ples, il  ne  s'agit  pas  d'annoncer  une  naissance,  ce  qui  suppo- 
serait la  forme  verbale  ordinaire  natiis  est  (cf.  Hec.  639  : 
Natus  est  nobis  nepos)  ;  on  veut  insister  dans  un  cas  sur  une 
circonstance  de  cette  naissance  (clam  te),  dans  l'autre  sur  la 
qualité  du  nouveau-né  (perscitus  puer  =  c'est  un  enfant 
bien  joli  qui...);  l'ordre  inverse  est  naturel,  conformé- 
ment à  la  règle  2. 

Quant  à  l'explication  de  telles  fautes,  elle  réside  dans  ce 
fait  que  :  1**  les  formes  monosyllabiques  de  l'auxiliaire  se 
présentent  parfois  dans  les  manuscrits  sous  une  forme  abré- 
gée qui  se  prête  aisément  à  l'omission  ;  2°  quand  un  copiste 
ou  un  correcteur  rétablit  l'auxiliaire,  il  a  une  tendance  soit 
à  faciliter  la  construction  en  le  rapprochant  de  son  sujet  (cf. 
ci-dessus  ego  sum  missus  i>)  soit  à  reconstituer  la  forme 
verbale  sous  son  aspect  le  plus  banal,  c'est-à-dire  en  adoptant 
l'ordre  direct  (cf.  ci-dessus  les  fautes  dictum  sit,  natus  est 
[bis]  ).  Dans  le  même  ordre  d'idées,  les  copistes  ont  encore 
une  tendance  à  remplacer  les  formes  disjointes,  qui  sont 
rares,  par  des  formes  juxtaposées  : 

Heaut.  857  : 

...  frustra  sum  igitur  gauisus... 

tous  les  mss  Galliopiens  ont  :  igitur  sum  gauisus. 
Ph.  32  : 

...  grex  motus  locost, 

la  famille  alphabétique  DG  donne  :  motus  est  loco. 

Enfin  l'exemple  suivant  nous  fait  prendre  sur  le  fait  l'ori- 
gine de  l'interversion  : 

Ph.  567  : 

Quid  ?  qua  profectus  causa  hinc  es  Lemnum,  Chrêmes  ? 


260  J.  MAROUZEAU 

la  seconde  main  de  C  ajoute  un  es  à  la  suite  de  profectus 
pour  rétablir  l'aspect  banal  du  parfait  profectus  es. 

Ainsi  pour  reconstituer  le  processus  de  l'interversion  qui 
comme  on  sait  est  rarement  une  faute  directe,  il  faut  connaî- 
tre la  valeur  précise  des  différents  ordres.  A  plus  forte  rai- 
son doit-on  en  tirer  argument  pour  l'intelligence  des  textes 
qui  conduit  aux  choix  des  variantes. 

Ce  n'est  pas,  bien  entendu,  qu'on  doive  chercher  dans  les 
règles  énoncées  ici  un  critérium  infaillible.  En  matière  de 
construction,  plus  encore  qu'en  matière  de  syntaxe,  il  y  a  des 
cas  indifférents,  où  le  sens  s'accommodant  également  bien  de 
deux  emplois  différents,  c'est  une  raison  d'un  autre  ordre  qui 
détermine  le  choix  de  l'écrivain  :  raison  de  symétrie  (paral- 
lélismes,  chiasme...),  recherche  de  l'harmonie,  contrainte  du 
rythme,  etc.  ^  Mais  ce  sont  là  des  explications  accessoires, 
qu'on  ne  peut  ériger  en  principes  de  construction  2. 

L'indifférence  au  point  de  vue  du  sens  n'est  souvent  telle 
qu'aux  yeux  des  modernes  ;  à  défaut  de  l'instinct  des  anciens 
nous  devons  fonder  notre  jugement  sur  l'interprétation  méthodi- 
que des  faits,  et,  ce  que  l'étude  présente  doit  faire  apparaître, 
c'est  que  même  dans  les  cas  en  apparence  les  plus  simples  la  sty- 
listique aussi  bien  que  la  critique  des  textes  doit  se  garder  «  du 
préjugé  encore  si  vivace  de  la  liberté  de  l'ordre  des  mots^  ». 

1.  Ainsi  la  facilité  qu'offrait  au  versificateur  le  choix  entre  deux  ordres 
paraît  avoir  influencé  le  développement  de  l'ordre  inverse  est  factus.  On 
en  trouve  plus  d'exemples  dans  Plante  que  dans  Gaton,  dans  les  fragments 
des  tragiques  et  des  comiques  que  dans  ceux  des  orateurs  et  des  histo- 
riens, plus  aussi  dans  les  lettres  métriques  de  Cicéron  que  dans  ses  lettres 
non  métriques  (suivant  la  classification  de  M.  H.  Bornecque,  La  prose 
métr.  dans  la  corresp.  de  CfcéroM,  Paris,  Th.,  1898). 

2.  P.  ex.  on  ne  peut  pas  se  déterminer  en  faveur  d'un  ordre  uniquement 
parce  qu'il  réalise  dans  la  phrase  «  un  parallélisme  plus  expressif  »  (Eunuque, 
éd.,  Ph.  Fabia,  note  au  vers  41,  à  propos  de  dictum  sit  —  sit  dictum;cf. 
sur  ce  même  passage  L.  Havet,  Rev.  PhiloL,  XXX,  Et.  sur  Ter.,  p.  179). 

3.  L.  Havet,  Rev.  Phil.,  XXX,  Et.  sur  Ter.,  p.  185. 


A.  MEILLET 


DEUX  NOTES 


SUR 


DES  FORMES  A  REDOUBLEMENT 


DEUX  NOTES 
SUR  DES  FORMES  A  REDOURLEMENT 

Par  A.  Meillet. 

I.  —  Sistô  et  stetï. 

La  racine  sthâ-  fournit  au  latin  deux  présents  :  stô  et  sistôy 
et  un  perfectum,  stetï, 

Le  présent  stô,  qui  indique  l'état,  est  clair  ;  il  est  formé 
comme  l'imperfectif  du  vieux  slave  stajq  «  je  me  tiens 
debout  ».  Une  forme  de  ce  genre  se  prêtait  bien  à  indiquer 
l'état,  car  elle  rappelait  les  formations  telles  que  ac-cubâre 
en  face  de  ac-cumhere,  lauâre  «  se  laver  »  en  face  de  laiiere 
«  laver  »  (v.  Jacobsohn,  K.  Z,  XL,  p.  113  et  suiv.  ;  L. 
Havet,  Arch.  f.  lat.  Lex.,  XV,  p.  153  et  suiv.).  —  La  for- 
mation de  stô  est  tout  à  fait  différente  de  celle  de  dô,  comme 
le  montre  le  contraste  entre  stàmus  et  dâmus,  stâre  et  dàre, 
etc.  ;  la  longue  de  dâs  et  de  dà  résulte  d'une  règle  générale, 
justement  enseignée  par  M.  L.  Havet,  règle  d'après  laquelle 
un  mot  latin  monosyllabique,  qui  est  autonome  et  non  en- 
clitique ou  proclitique,  a  nécessairement  sa  voyelle  longue, 
à  moins  que  les  règles  générales  de  la  langue  n'y  contredi- 
sent comme  dans  dât  (cf.  stàt).  Le  présent  dô  repose  donc  sur 
*dd-,  degré  vocalique  qui  se  retrouve  exactement  en  armé- 


264  A.  MEILLET 

nien  dans  tant  a  je  donne  »,  tandis  que  stô  est  un  ancien 
thème  en  *-ye-  ;  le  thème  du  présent  à  redoublement 
attesté  par  l'indo-iranien,  le  slave  (v.  si.  dastû  «  il  don- 
nera ))),  le  baltique  (v.  lit.  dûstî)  et  le  grec  ne  se  retrouve 
pas  en  latin,  pas  plus  qu'en  germanique  (où  il  y  a  un  autre 
verbe  :  got.  gibarî)  et  en  celtique.  Le  second  terme  des  for- 
mes à  préverbes  condô,  èdô,  etc.  et  de  crèdô  repose  de 
même  sur  "^dhe-,  comme  il  résulte  de  condïmus,  êdimiis, 
crèdimus,  etc.,  avec  passage  secondaire  au  type  thématique  ; 
il  ne  faut  pas  partir  du  thème  à  redoublement  attesté  par 
skr.  dàdhâti,  gr.  tiOy^œi,  v.  lit.  desti  ;  car,  là  où  il  y  avait 
en  latin  un  redoublement,  à  savoir  au  perfectum,  il  s'est 
maintenu  dans  ces  conditions  :  êdidl,  condidï,  crédidîy  etc. 
Les  deux  présents  athématiques  à  redoublement  qui  sont 
communs  à  l'indo-iranien,  au  grec  et  au  balto-slave  ne  se 
retrouvent  donc  pas  en  latin,  non  plus  que  dans  les  deux 
autres  dialectes  occidentaux  qui  se  groupent  avec  lui  :  le  ger- 
manique et  le  celtique  ;  tout  au  plus  certains  dialectes 
germaniques  peuvent-ils  avoir  trace  du  présent  redoublé  de 
*dhé-  dans  certaines  formes  du  prétérit. 

Le  lat.  sistô,  qui  est  le  présent  indiquant  l'action,  est  un 
présent  à  redoublement,  mais  thématique.  Et  son  caractère 
de  forme  thématique  n'est  pas  nouveau,  car  il  concorde  avec 
le  skr.  tUthati  et  le  zd  histaiti,  qui  sont  également  thémati- 
ques. Il  est  vrai  que  le  grec  a  une  forme  athématique: 
dor.  l'axâpi,'.,  ion.  att.  îffTYjpi.'.  ;  mais  il  est  isolé;  carie  v. 
h.  a.  sestôm  est  un  verbe  faible  qui  peut  reposer  sur  un  élar- 
gissement avec  le  suffixe  *-ye-.  Si  la  forme  thématique  de 
skr.  tUthati  et  de  zd  histaiti  n'est  pas  de  date  indo-euro- 
péenne, on  ne  voit  pas  comment  elle  pourrait  s'expliquer  ; 
car  les  autres  présents  comparables  n'ont  pas  passé  du  type 
athématique  au  type  thématique  en  indo-iranien.  D'ail- 
leurs,   là  où  il  s'agit  de  formes  athématiques  anciennes,  le 


DEUX  FORMES  A  REDOUBLEMENT  265 

latin  n'a  pas  conservé  le  type  à  redoublement  ;  il  a  d'une  part 
dat^  en  face  de  gr.  SiBwœi,  de  l'autre  facit  et  iacit,  en  face 
de  gr.  tiÔYîŒi  et  Itîœ'..  Mais  en  revanche  il  a  bibit  en  regard  de 
V.  irl.  ibid  et  de  skr.  pibati,  aussi  thématiques.  Et  l'on  n'a 
aucune  raison  de  croire  que  serit  «  il  sème  »  (qui  n'a  rien 
à  faire  avec  gr.  ryjai,  v.  Osthoff,  Et.  Parerga,  197)  repose  sur 
une  ancienne  forme  athématique  plutôt  que  sur  *si-S'^/o-.  Si 
la  forme  *sisthâ~  de  laTYjfjLi  n'est  pas  secondaire  et  refaite  d'après 
le  type  zi^r,\x{,  etc.,  ce  n'est  donc  en  tout  cas  qu'une  forme 
concurrente  du  thématique  *sisth^lo-,  et  limitée  à  une  petite 
partie  de  l'indo-européen. 

Du  coup  on  s'explique  la  forme  de  l'initiale  du  redou- 
blement qui  caractérise  lat.  sistô,  ombr.  seste,  zd  histaiti, 
et  aussi  gr.  h':r^^v.  et  v.  h.  a.  sestôm.  Seule,  la  sifflante  ini- 
tiale de  la  racine  y  est  répétée  ;  mais  il  n'y  a  pas  de  conclu- 
sion générale  à  tirer  de  là  ;  car  la  forme  est  trop  évidem- 
ment suspecte  d'être  analogique  des  présents  thématiques 
à  redoublement  tels  que  :  lat.  gignô,  grec  Yiyvojjiai  ;  lat.  sldô, 
grec.  rÇco,  skr.  ^Wa^z  (altéré  de  *sïdatï)\  skr.  jighnate;  gr. 
'((sy^iù  ;  ixi\K^iù  ;  TixTO)  ;  etc.  Dans  les  présents  de  ce  type,  la 
voyelle  du  redoublement  est  précédée  de  la  consonne  de  la 
racine,  qui  est  simple,  et  suivie  d'un  groupe  de  consonnes: 
*si-sth-e-  (racine  *st/iâ-^  a  une  structure  phonétique  toute 
pareille  à  celle  de  *si-zd-e-  (racine  *sed-).  On  n'oubliera  pas 
que  les  notions  de  «  se  mettre  debout  »  et  «  s'asseoir  »  se 
groupent  naturellement;  le  slave  suffirait  à  l'indiquer  (v.  M. 
S.  L.,  XIV,  p.  388).  Le  skr.  tisthati  est  isolé,  et  s'explique 
sans  doute  par  l'influence  du  parfait  tasthaû.  Aucun  autre 
exemple  ancien  ne  permet  de  déterminer  quelle  était  la 
règle  indo-européenne  pour  le  redoublement  d'un  groupe 
du  type  s  plus  occlusive  au  présent.  L'exemple  sistô  n'en- 
seigne rien  puisqu'il  a  toutes  chances  de  reposer  sur  une 
action  analogique  provenant  du  type  sidô. 


266  A.  MEILLET 

Au  perfectum  latin,  le  groupe  s  plus  consonne  est  entière- 
ment repris  dans  le  redoublement:  scicidï,  stetl,  spopondl. 
Le  contraste  avec  le  présent  sistô  est  absolu  ;  et  l'on  ne  voit 
pas  ce  qui  justifierait  une  différence  générale  de  structure 
dans  l'initiale  consonantique  du  redoublement  entre  le  pré- 
sent et  le  parfait.  —  A  en  juger  par  les  manuscrits  d'Aulu- 
gelle,  Accius  aurait  employé  une  forme  sesrAderat,  du  type 
de  sistô  ;  mais  les  manuscrits  de  Priscien  citent  le  même 
passage  avec  la  forme  sciciderat,  et  c'est  sans  doute  simple- 
ment sceciderat  qu'Aulu-Gelle  avait  en  vue  (v.  Neue-Wa- 
gener,  Formenlehre  ^,111,  345).  Il  n'est  pas  licite  de  supposer 
la  persistance  en  latin  d'un  ancien  aoriste  à  redouble- 
ment, qui  serait  sesciderat,  et  d'un  ancien  parfait,  qui  serait 
scïciderat,  sur  la  foi  de  cette  unique  variante.  —  Mais  la 
forme  du  perfectum  stetï  semble  ancienne,  et  toutes  ses  par- 
ties s'expliquent  immédiatement. 

On  en  retrouve  l'équivalent  exact  dans  une  autre  langue 
du  groupe  occidental  de  l'indo-européen,  le  germanique  : 
got.  staistald,  skaiskai^.  L'osco-ombrien  et  le  celtique  ne 
fournissent  pas  d'exemples,  de  sorte  que  le  latin  et  le  gotique 
sont  les  seules  langues  qui  offrent  ici  un  témoignage  sur 
l'état  indo-européen  occidental. 

On  enseigne  assez  généralement  que,  si  une  racine  com- 
mence par  un  groupe  de  consonnes,  le  redoublement  est 
réalisé  au  moyen  d'une  seule  des  consonnes  du  groupe.  Cette 
doctrine  n'est  démontrée  que  pour  un  cas  particulier,  celui 
de  occlusive  (ou  sifflante)  plus  sonante  consonne  :  gr.  xéxpcça, 
skr.  dudrôha,  got.  faiflok,  v.  irl.  ro  cw«/«  (l'irlandais  échappe 
en  partie  à  cette  règle  si  l'on  admet  la  doctrine  de  M.  J. 
Vendryes  sur  dî^ebraing^Rev.  celt.,  XXVIII,  p.  345  et  suiv.  ; 
mais  la  forme  est  obscure,  et  tous  les  autres  prétérits  irlan- 
dais à  redoublement  confirment  la  règle  indo-européenne). 
Il  n'y  a  pas  ici  un  principe  qu'on  ait  le  droit  de  généraliser  ; 


DEUX  FORMES  A  REDOUBLEMENT  267 

on  est  simplement  en  face  d'une  conséquence  d'un  type  de  dis- 
similation  normal  :  *tre-trâ-  aboutit  à  *te-trâ-,  *ple-plâ-,  h^pe- 
plâ-  et  ainsi  de  tous  les  cas  comparables;  la  dissimilation  a  beau- 
coup troublé  les  formes  du  redoublement  en  indo-européen, 
ainsi  que  l'a  montré  M.  Grammont,  Dissimilation  consonan- 
tiqiie,  p.  162  et  suiv.  (cf.  M.  S.  L.,  XIII,  33).  —  Le  type 
tout  semblable  de  occlusive  plus  s  n'est  clairement  attesté 
qu'en  indo-iranien,  notamment  skr.  caksadé  ;  il  s'explique 
de  même  par  des  dissimilations  ;  car  s  est  parfaitement 
sujette  à  disparaître  par  dissimilation,  et  M.  Pernot  en  a 
donné  quelques  bons  exemples  pour  les  parlers  grecs  mo- 
dernes, Rev.  d.  et.  gr.^  XVIII,  p.  236  et  suiv.,  et  ensuite 
Phonétique  des  parlers  de  Chio,  p.  4o4  et  suiv.  —  Dès  lors, 
il  ne  faut  pas  dire,  avec  M.  Hirt  {Hdb.  d.  gr.  L.  u.  F.  lehre^ 
§  465,  4,  p.  408),  que  les  groupes  sk,  st,  sp  sont  traités 
comme  des  consonnes  simples  ;  on  constate  seulement  que, 
dans  le  domaine  proprement  occidental  de  l'indo-européen, 
ces  groupes  ne  présentent  pas  de  dissimilation  comparable  à 
celle  qu'on  observe  dans  les  groupes  initiaux  du  type  occlu- 
sive plus  sonante  consonne  ou  occlusive  plus  sifflante. 

Le  type  sanskrit  bien  connu  de  caskdnda,  tasthaù,  pa- 
sprdhé,  etc.  suppose  une  forme  ancienne  du  type  latin  et 
gotique.  L'absence  de  sifflante  initiale  comporte  deux  expli- 
cations, dont  l'une  n'exclut  pas  l'autre.  D'une  part,  il  existe 
en  indo-européen  une  alternance  de  s  plus  occlusive  :  occlu- 
sive simple,  ainsi  dans  spaç-,  spastàh  :  pdçyati.  De  l'autre,  la 
sifflante  initiale  a  pu  être  éliminée  par  dissimilation  ;  si  la 
dissimilation  n'a  pas  suffi  à  entraîner  l'élimination  de  5,  la 
répugnance,  qui  existe  presque  toujours  à  quelque  degré, 
contre  la  répétition  dans  un  mot  d'un  même  mouvement 
articulatoire  a  pu  être  la  circonstance  favorable  qui  a  déter- 
miné le  triomphe  de  tasthaû  sur  un  doublet  ancien  *stasthaû  :^ 
de  deux  formes  possibles,  la  langue  tend  à  préférer,  tputes 


268  A.  MEILLET 

choses  égales  d'ailleurs,  celle  qui  est  la  plus  satisfaisante  au 
point  de  vue  phonétique.  On  en  a  des  exemples  innombra- 
bles ;  par  exemple,  le  grec  préfère,  comme  l'a  vu  M.  F.  de 
Saussure,  les  formes  qui  ne  comportent  pas  succession  de 
trois  brèves.  —  L'Avesta  ne  fournit  guère  d'exemples  sûrs 
qui  permettent  d'accorder  ou  de  refuser  une  antiquité  indo- 
iranienne au  type  sanskrit  ;  dans  la  racine  *sthâ-,  le  pré- 
sent histaiti  a  pu  déterminer  la  forme  du  redoublement  du 
parfait;  l'influence  du  présent  se  traduit  dans  la  voyelle 
même  du  redoublement  pour  avahista  et  frahista  ;  elle  est 
moins  évidente  dans  zd  vi-sastara  ;  on  a  de  plus  un  exemple 
de  hisidyât  (cf.  skr.  chid-). 

Le  grec  n'est  pas  plus  décisif  que  lezend.  Il  présente,  il  est 
vrai,  soTYjxa.  Mais  la  forme  du  redoublement  de  £jTr,xa 
peut  être  imitée  de  celle  de  I'œtyîixi.  Et  il  n'est  même  pas  cer- 
tain que  l'esprit  rude  n'y  soit  pas  dû  au  a  suivant  ;  en  effet, 
M.  Sommer,  Griech.  Lautstud.,  p.  119  et  suiv.,  a  reconnu 
que  l'esprit  rude  de  Taxcop  et  de  èaxépâ  tient  au  a  suivant  ;  cet 
effet  de  s  concorde  avec  ce  que  l'on  observe  dans  le  dévelop- 
pement de  l'iranien  (v.  Hûbschmann,  Pers.  Stud.,  p.  264  et 
suiv.  ;  Horn,  dans  Grundr.  d.  iran.  PhiL,  I,  2,  §  28,  4,  p. 
67,  et§  42,  8,  p.  97)  ;  l'addition  de  l'esprit  rude  a  lieu  de- 
vant t  et  £,  mais  non  devant  a,  comme  le  montre  àjTu  (que 
M.  Sommer  explique  arbitrairement  par  l'influence  de 
(ZYpoç)  ;  dès  lors  âcjxoç  ne  prouve  pas  que  la  présence  d'un 
ancien  F  soit  nécessaire  à  l'introduction  de  l'esprit  rude  ; 
oŒiéov  prouve  que  le  fait  n'a  pas  lieu  non  plus  devant  o,  etècxt 
qu'il  n'a  pas  lieu  dans  les  enclitiques  (lait  peut  être  d'après 
âaTi  enclitique).  —  Les  autres  exemples  prouvent  peu;  en 
général,  le  grec  a  è-  en  guise  de  redoublement  quand  l'ini- 
tiale est  un  groupe  de  consonnes.  Les  exemples  tels  que 
àç£aTaX{i.ai  sont  en  général  récents  (v.  G.  Meyer,  Griech. 
Gramm.  %  p.  326),  et  peuvent  s'expliquer  par  le  a  suivant. 


DEUX  FORMES  A  REDOUBLEMENT  269 

Il  demeure  donc  malaisé  de  déterminer  d'une  manière 
tout  à  fait  certaine  l'état  indo-européen  commun  ;  mais  la  con- 
cordance du  latin  et  du  gotique  indique  du  moins  quelle 
était  la  situation  pour  le  groupe  de  dialectes  d'où  sont  issus 
l'italique  et  le  germanique  :  le  st-  du  latin  stetl  est  sûre- 
ment une  forme  dialectale  indo-européenne,  s'il  n'est  pas 
une  forme  indo-européenne  commune. 

Si  le  st-  initial  du  lat.  stetï  et  du  got.  staistald  s'est  si 
longtemps  maintenu,  c'est  que  l'élément  initial  de  la  racine 
avait  subi  une  altération  par  dissimilation .  Aussi  longtemps 
que  le  sentiment  de  la  racine  demeurait  vif  et  que  l'initiale 
du  mot  n'avait  pas  une  valeur  spéciale,  c'est  l'initiale  de  la 
racine  qui  était  l'élément  important  du  mot,  et  le  redouble- 
ment pouvait  subir  toutes  les  réductions  ;  c'est  ainsi  que  le 
sanskrit  a  tasthaû  et  que  le  grec  a  tendu  à  substituer  un 
simple  è-  à  toutes  les  formes  de  redoublement  devant  les  ra- 
cines à  initiale  complexe.  Mais,  dès  que  le  sentiment  de  la 
racine  s'atténue  et  que  d'autre  part  l'initiale  prend  une  valeur 
particulière,  la  débilité  spéciale  à  la  position  intervocalique 
se  fait  sentir,  et  l'élément  initial  de  la  racine,  qui  est  néces- 
sairement intervocalique,  tend  à  s'affaiblir  et  subit  des 
réductions.  C'est  ce  que  l'on  observe,  sous  des  formes 
très  diverses,  en  latin  et  en  germanique  ;  et  ceci  semble 
indiquer  que  la  valeur  spéciale  des  initiales  qui  caractérise 
ces  langues  serait  de  date  assez  ancienne. 

En  latin,  Vs  intérieure  a  été  éliminée  par  l'effet  combiné 
de  la  débilité  des  intervocaliques  et  de  la  dissimilation  ;  la 
chose  est  universelle,  et  l'on  a  stetï,  scicidl,  spopondï,  sans 
aucun  exemple  contraire.  Des  changements  semblables  ont 
eu  lieu  en  grec  et  en  irlandais.  En  grec,  ils  n'atteignent  à 
date  ancienne  que  le  groupe  --p/-,  dont  l'articulation  guttu- 
rale   est   supprimée  en  position  intervocalique  par  l'action 


270  A.  MEILLET 

dissimilatrice  d'un  y-  initial  ;  en  regard  de  att.  yiyvopiai, 
Yiyvwoxo)  ,  on  a  ainsi  en  ionien  et  ailleurs  yivojAai,  Y^^^^^axw; 
ces  formes  sont  très  anciennes  et  figurent  déjà  dans  le  texte 
homérique  à  en  juger  par  les  manuscrits  ;  ce  sont  celles  que 
la  xoivr^  a  généralisées  (v.  G.  Meyer,  Griech.  Gramm.^,  §  279, 
p.  364;  Brugmann,  Griech.  Gramm.^,  §84,  6,  p.  107;  Hoff- 
mann, Griech.  DiaL,  II,  391  ;  III,  373);  les  vibrations 
vocaliquesde  la  nasale  gutturale  du  groupe  nn  (noté  par  yv) 
se  sont  ajoutées  au  i  précédent  et  l'ont  allongé.  Un  exemple 
postérieur,  de  type  un  peu  différent,  est  celui  de  *àY^Y®x^ 
qui  a  donné  oL^-t^oyji  dans  la  xoivyj  (v.  Mayser,  Gramm.  d. 
gr.  Papyri,  L.  u.  F.  lehre,  p.|  338);  à  l'action  de  la  dis- 
similation  et  de  la  position  intervocalique  s'ajoutait  ici  la 
débilité  qui  caractérise  les  spirantes  ;  car  le  y  était  devenu 
spirant;  le  y  qui  a  disparu  était  la  seule  des  trois  gutturales 
du  mot  qui  pouvait  être  atteinte  ;  car  la  forme  devait  néces- 
sairement commencer  par  hy-  et  présenter  l'aspirée  y  qui  ca- 
ractérise le  parfait.  —  L'irlandais  a  des  faits  pareils,  mais 
d'une  manière  beaucoup  plus  étendue  ;  car  tous  les  groupes 
du  type  occlusive  plus  liquide  ou  nasale  sont  atteints,  et 
l'occlusive  intérieure  s'y  amuit  :  ro  ciiala  «  j'ai  entendu  », 
ro  gîuil  «  il  s'est  attaché  »,  ro  gènar  «  je  suis  né  »,  où  l'on 
voit  cl  passera  /,  glk  l,  gn  k  n  (v.  Vendryes,  Gramm.  d. 
V.  2V/.,§341,  p.  178  et  suiv.).  Le  futur  à  redoublement 
présente  naturellement  les  mêmes  altérations,  d'où  :  bèra, 
cela,  dèma,  gêna,  géra,  mèra,  sema,  scëra,  etc.  (v.  Ven- 
dryes, /.  c,  §  334,  p.  175);  on  voit  que  la  sifflante  s  s'a- 
muit  comme  une  occlusive,  et  produit  les  mêmes  effets 
d'allongement  ;  toutefois,  on  a  aussi  au  futur  à  redoublement 
des  formes  telles  ç\\xQ-cechlathar,  -cechra,  -didmat,  -gi- 
gned  ;  les  raisons  de  cette  différence  de  traitement  ne  sont 
pas  connues.  —  Les  faits  grecs  et  irlandais  sont  du  même 
type   que    l'élimination   latine    de  s  dans   lat.   stetl,  etc. 


DEUX  FORMES  A  REDOUBLEMENT  271 

Les  dialectes  germaniques  présentent  aussi  une  altération 
de  l'élément  intervocalique  du  parfait  à  redoublement,  mais 
sous  une  forme  différente.  Au  premier  abord,  l'altération 
ne  se  traduit  par  rien  dans  la  graphie  de  got.  staistald, 
skaiskai^,  où  redoublement  et  racine  ont  les  mêmes  groupes 
graphiques  st,  sk.  Mais  la  forme  ai  de  la  voyelle  du  redou- 
blement dénonce  une  altération  de  la  consonne  suivante  ;  en 
effet  ce  ai  repose  sur  un  *e  germanique  commun,  indiqué  à 
la  fois  par  e  des  autres  langues  indo-européennes  (type  skr. 
cakdra,  gr.  XiXc'.-x,  lat.  cecinî,  v.  irl.  cechan)  et  par  c  des 
autres  dialectes  germaniques  (v.  isl.  sera,  v.  angle  reord, 
etc.).  Or,  un  i  germanique  ne  passe  à  ai  en  gotique  que 
dans  des  conditions  phonétiques  déterminées,  à  savoir  de- 
vant A  et  r  ;  on  a  aussi  ai  en  hiatus  dans  saian ,  etc  ;  mais 
nulle  part  ai  notant  e  ouvert  n'est  dû  à  une  action  analo- 
gique ;  il  n'y  a  aucune  raison  qui  expliquerait  pourquoi  le 
ai  de  haihait,  -rairO'^,  -aiaik,  aiaiik  se  serait  étendu  par 
analogie  dans  maimait,  skaiskai^,  faifrais,  lailaik,  saizlep, 
gaigrot,  taitok,  saiso,  etc.  ;  le  ai  de  toutes  ces  formes  ne 
peut  être  que  phonétique;  il  dénonce  donc  une  altération, 
non  définie,  de  l'élément  consonantique  médian.  Malheu- 
reusement les  autres  dialectes  germaniques  n'enseignent  rien 
d'une  manière  immédiate  sur  la  valeur  de  ces  consonnes 
gotiques  ;  en  effet  le  type  n'y  est  maintenu  que  dans  des  con- 
ditions différentes  de  celles  du  gotique:  l'islandais  a  sera, 
snera  et  rera  ;  le  vieil  angle  a  heht,  leolc,  reord,  leort,  où 
la  consonne  initiale  de  la  racine  se  trouve  devant  consonne. 
C'est  seulement  d'une  manière  indirecte  que  les  autres  dia- 
lectes pourraient  éclairer  les  faits  gotiques. 

On  sait  que,  en  Scandinave,  en  dehors  du  type  v.  isl.  sera, 
et  en  germanique  occidental,  à  part  les  formes  citées  du 
vieil  angle,  des  prétérits  caractérisés  par  des  alternances 
vocaliques  spéciales,  mais  sans  redoublement  visible,  répon- 


272  A.  MEILLET 

dent  aux  prétérits  à  redoublement  du  gotique.  Ces  formes 
ont  été  souvent  discutées,  en  dernier  lieu  par  MM.  Hoffmann 
(Pépaç,  en  l'honneur  de  Fick,  p.  33  etsuiv.),  Loewe  (K.  Z., 
XL,  316  et  suiv.),  Janko  (I.  F.,  XX,  261  et  suiv.)  ;  mais  le 
point  de  départ  indo-européen  est  trop  incertain,  les  possi- 
bilités d'explications  trop  multiples  et  les  formes  attestées 
trop  tardives  et  déjà  trop  altérées  pour  que  le  problème  ad- 
mette une  solution  déterminée.   Deux  types  d'explications 
sont  en  présence.  D'après  l'un,   les   formes  sans  redouble- 
ment auraient  perdu  le  redoublement  par  suite  de  dissimi- 
lation  (à  quoi  il  faut  ajouter  l'effet  de  la  position  intervoca- 
lique  :  la  cause  est  complexe)  ;  d'après  l'autre,  il  ne  s'agirait 
que  de  faits  d'alternance  vocalique.  Il  est  malaisé  de  choisir 
entre  les  deux  théories.  Il  est  certain  que  le  type  gotique 
dénué  de  toute  alternance  n'est  pas  ancien  et  résulte  d'une  de 
ces  normalisations  qui  caractérisent  éminemment  le  gotique  ; 
une  forme  comme  v.  isl.  hlupom  montre  qu'il   y  a   eu  des 
alternances  vocaliques  entre  le  singulier  et  le  pluriel  dans 
le  type  du  prétérit  à  redoublement  ;  et  v.  angle  leorton  par 
exemple  s'explique   bien    en   partant  de  ^le-lt-iin,  ancien 
^le-hd-nt,  avec  la  chute  du  *^  intérieur  qui  est  de  règle  en 
germanique  (type  got.  dauhtar^  en  regard  de  skr.  duhitdr-)  ; 
de  même  r^or</o/i,  kcoièàe  râedan,  (pn)dreordon  à  côté  de 
{on)drâedan  ;  les  formes  telles  que  v.  angle  heht,  en  face 
de  got.  haihait,  seraient  analogiques  de  ce  type.  Ceci  une 
fois  reconnu,  on  est  obligé  de  choisir  entre  deux  partis  ar- 
bitraires :    poser,    avec  M.  Janko,   pour  expliquer  le  type 
*  hë^t^  un  type  à  voyelle  longue  radicale  intonée  d'une  ma- 
nière spéciale,  type  dont  aucune  langue  ne  fournit  le  corres- 
pondant ;    ou    admettre,     avec    M.    Loewe,     une    loi    de 
dissimilation  des  intervocaliques  qui  explique  le  passage  de 
*hehait  à  *hé^t  par  contraction  successive  à  la  chute  de  h, 
loi  de  dissimilation  qu'aucun  exemple   n'appuie  en  dehors 


DEUX  FORMES  A  REDOUBLEMENT  273 

du  cas  du  redoublement.  Plusieurs  considérations  militent 
cependant  pour  la  seconde  hypothèse  :  elle  permet  de  main- 
tenir l'unité  de  type  qui  caractérise  fortement  le  germanique, 
et  de  ne  pas  poser  des  formes  dialectales  trop  divergentes, 
et  elle  rend  compte  du  ai  du  redoublement  (Jans  got.  taitok, 
etc.,  puisque  la  consonne  intervocalique  aurait  été  à  la  veille 
de  disparaître  dans  ces  formes.  Le  redoublement  s'est  en 
somme  maintenu  partout  où  les  conditions  spéciales  de  la 
chute  de  la  consonne  intervocalique  par  dissimilation  n'é- 
taient pas  remplies  ;  et  il  s'est  conservé  dans  les  autres  cas, 
c'est-à-dire  là  où  la  consonne  était  devant  consonne  (type  v. 
angle  reord^  et  par  analogie,  leolc),  ou  bien  là  où  elle  n'é- 
tait pas  anciennement  en  syllabe  intérieure,  mais  introduisait 
la  syllabe  finale  (ce  qui  constitue  une  situation  tout  autre), 
comme  dans  v.  isl.  i^era  et  dans  v.  sax.  deda. 

Si  l'on  admet  que  */e/é/  a  passé  phonétiquement  à  v.  isl. 
lét,  V.  angl.  lét.  V.  sax.  lèt,  v.  h.  a.  leaz,  l'affaiblissement 
de  la  consonne  intérieure,  déjà  indiqué  parle  «i  de  got.  lai- 
lot  est  plus  grand  en  germanique  que  partout  ailleurs,  et 
l'altération  du  st  intérieur  du  lat.  stetï  trouve  dans  la  plu- 
part des  dialectes  germaniques  un  parallèle  particulièrement 
net. 

II.  —  Sur  reppen,  rettulî,  etc. 

Tous  les  manuels  s'accordent  à  reproduire,  sur  la  consonne 
géminée  de  ces  formes,  l'opinion  déjà  indiquée  par  Priscien  : 
il  s'agirait  de  formes  syncopées  dans  lesquelles  transparaî- 
traient encore  les  deux  consonnes  des  simples  :  tetull,  pe- 
perly  etc.  (v.  Stolz,  Lat.  Gramm.^,  p.  172  ;  Lindsay-Nohl, 
Die  lat.  Spr.,  p.  578  ;  Sommer,  Handbuch,  p.  592;  Brug- 
mann,  Grundr.,  IP,  p.  1239  ;  P,  p.  215  ;  Niedermann,  Pho- 
nét.  historique,  p.  34).  MaisM.  G.Giardi-Dupré  (BB.  XXYI, 

-18 


274  A.  MEILLET 

2H,  n.  4)  et  M.  Vendryes  {Intensité  initiale,  p.  230)  ont 
indiqué  ce  que  la  syncope  avait  ici  de  douteux.  M.  Ciardi- 
Dupré  part  avec  raison  de  la  forme  red-  du  préverbe,  sûre- 
ment attestée  devant  voyelle  (reâfeô^  redigô,  redimô,  rediindô, 
etc.)  et  même  devant  consonne  (reddô),  mais  sans  tirer  les 
conséquences  de  son  hypothèse.  M.  Osthoff,  Et.  Parer ga, 
I,  42  et  suiv.,  a  montré  en  même  temps  que  red-  pouvait 
être  admis  comme  l'unique  forme  ancienne  de  re-  ;  l'étymo- 
logie  de  ?'ed  est  malheureusement  inconnue. 

On  conçoit  bien  que  la  consonne  géminée  d'anciens  *rep~ 
pellô,  *rettimdô  se  simplifie  et  qu'on  ait  repellô,  retundô  : 
c'est  le  cas  connu  de  omittô  ;  on  conçoit  aisément  que  rep- 
puli,  rettudl,  rettull  aient  subsisté  :  le  maintien  de  la 
géminée  est  conforme  à  la  règle.  On  conçoit  aussi  que  l'on 
ait  également  recidô  eirecîdîen  partantde  *reccïdô,  *reccïdi. 
En  revanche,  on  doit  avoir  et  l'on  a  en  efifet  reccidô  comme 
reccidl  ;  les  conditions  étant  les  mêmes  au  perfectum  et  à 
l'infectum,  le  traitement  doit  être  le  même  (sur  les  faits  ve- 
hûhk  reccidô,  reccidï,  v.  Neue-Wagener,  Formenlehre^ ,  III, 
p.  367;  M.  L.  Havet,  Phaedri  fahulae,  p.  213,  signale 
chez  Phèdre  un  cas  certain  de  reccidat,  par  exemple).  Mais 
d'où  vient  le  contraste  entre  reperiô  et  repperi  ?  Il  y  a  une 
syllabe  brève  après  le  p  dans  les  deux  cas  :  il  faut  que  la 
différence  de  longueur  du  mot  joue  un  rôle,  et  que  -periô, 
avec  ses  trois  syllabes  dont  les  deux  premières  sont  brèves, 
se  comporte  comme  -pellô,  -tundô,  -cldô.  Dès  lors  des  formes 
telles  que  repperit,  repperimus  ;  reppulit,  etc.  pourraient 
bien  être  analogiques  de  repperï,  reppuli  :  la  consonne  gémi- 
née caractérisant  le  perfectum  par  opposition  au  présent  a  été 
généralisée.  Dans  reccidô,  reccidl,  il  n'y  avait  pas  d'opposi- 
tion entre  le  perfectum  et  l'infectum,  et  c'est  ce  qui  fait 
qu'on  trouve  à  la  fois  recidô  (d'après  recidimus  par  exemple) 
et  recidï  (d'après  recidimus,  recidërunt). 


DEUX  FORMES  A  REDOUBLEMENT  275 

Si  l'on  examine  les  formes,  on  voit  que  la  consonne  gémi- 
née devait  être  éliminée  soit  par  la  règle  de  repellô  (type 
ofella  en  face  de  offct)^  soit  par  celle  de  reperiô.  Ce  qui 
ne  s'explique  pas  directement  s'explique  par  l'analogie,  ainsi 
reducem  d'après  redux  et  redûcô,  redûxï  ;  refera  d'après 
refers,  referimus\  refugus  d'après  réfugia,  refûgl  ;  recipis 
d'après  recipiô,  recèpi,  receptus  ;  etc.  L'analogie  peut  très 
bien  généraliser  une  forme  à  géminée  simplifiée  ;  c'est  ce  qui 
est  arrivé  pour  le  verbe  cacâre:  beaucoup  de  formes,  et 
notamment  l'infinitif  cacâre^  sont  phonétiques  ;  mais  au  lieu 
de  caco,  cacâs,  on  attendrait  *caccô,  "^caccàSy  d'après  irl. 
caccaid,§T.  xay.x5v  ;  la  forme  Câ^cô  est  donc  analogique  d'après 
cacâre,  etc.  Certains  mots  de  ce  genre  n'ont  sans  doute  été 
formés  qu'en  un  temps  où  l'on  avait  le  sentiment  que  le 
préverbe  était  re-  devant  consonne,  recoquô  par  exemple. 
Mais  le  souvenir  de  l'ancienne  gémination  s'est  longtemps 
maintenu  dans  des  licences  poétiques  :  Lucilius  écrit  rellic- 
tus,  et  Cicéron  relliqul  ;  et  le  //  a  permis  a  la  poésie  dacty- 
lique  d'introduire  dans  les  vers  :  relligiô,  rellicuos,  relli- 
quiae,  au  lieu  des  formes  usuelles  inutilisables  pour  elle  : 
religiô,  relicuos,  reliquiae  ;  ce  sont  des  formes  artificielles, 
exactement  comme  indiiperâtor .  Si  red-  avait  existé  isolé- 
ment comme  par  exemple  ad-,  les  géminées  auraient  été 
maintenues  et  même  généralisées  par  le  sentiment  étymolo- 
gique, et  l'on  aurait  *refferô  comme  afferô,  ^reccipiô  comme 
accipiô,  par  exemple  ;  mais  red-  n'avait  pas  d'existence  au- 
tonome ;  et,  au  lieu  de  tendre  à  la  restauration  des  conson- 
nes géminées  que  la  phonétique  simplifiait,  l'analogie  a, 
pour  red-,  détruit  la  plupart  des  géminées  qui  avaient 
subsisté  phonétiquement. 

On  pourrait  être  tenté  d'opposer  à  la  règle  de  reperiô  le  ce 
de  accipiter;  mais,  quelle  que  soit  l'étymologie  de  ce  nom,  il 
y    a    eu  un    rapprochement    avec  accipiô,    (v.Walde,  Et. 


276  A.  MEILLET 

Wôrt.,  SOUS,  accipi ter  ;  pour  une  influence  de  accipiens  sur 
accupensevy  cf.  Schuchardt,  Z.  /.  ro7n.  Phil.,  XXXI,  652), 
et  ceci  suffit  à  justifier  le  ce. 

Seul,  le  y  géminé  a  échappé  à  la  simplification  ;  et  l'on  a 
à  l'époque  classique  réiciô,  rëiécï,  c'est-à-dire  reiiiciô  reiièci 
(comme  maiior,  meiiô,  etc.). 

L'abrègement  de  la  consonne  dans  ^reppariô  donnant  ?t- 
^môetles  cas  analogues  n'est  qu'un  cas  particulier  de  l'abrè- 
gement du  commencement  des  mots  longs  qui  a  déjà  été 
signalé  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  linguistique , 
XIII,  26  et  suiv.  (avec  renvoi  bibliographique  à  MM.  Gré- 
goire et  Rousselot). 

Il  résulte  de  ces  observations  que  la  chute  du  redouble- 
ment dans  les  formes  à  préverbe  doit  s'expliquer  par  une 
haplologie;  le  seul  argument  en  faveur  de  la  syncope  était 
la  consonne  géminée  de  reppuli,  etc.  ;  cet  argument  écarté, 
l'haplologie  apparaît  comme  la  meilleure  explication.  Il  ne 
pouvait  y  avoir  haplologie  à  l'initiale  du  mot  dans  pepulï,  pe- 
perl,  etc._,  à  cause  de  la  valeur  spéciale  de  la  syllabe  initiale 
latine,  valeur  que  M.  L.  Havet  a  mise  en  pleine  évidence 
dans  son  article  capital  du  volume  VI  des  Mémoires  de  la 
Société  de  Linguistique.  L'haplologie  ne  se  produisait  que 
dans  le  cas  où  les  deux  syllabes  en  cause,  celle  du  redouble- 
ment et  celle  de  la  racine,  étaient  dans  des  conditions  com- 
parables, toutes  deux  à  l'intérieur  du  mot.  En  passant  de  la 
syllabe  initiale,  où  il  était  en  pleine  évidence,  à  la  position 
intérieure,  si  débile  en  latin,  le  redoublement  subissait  une 
telle  déchéance  que  sa  disparition  par  l'effet  de  l'haplologie 
en  résultait  immédiatement.  Ici,  comme  en  tant  d'autres  cas, 
le-  changement  linguistique  ne  résulte  pas  d'une  cause 
unique,  mais  d'un  ensemble  complexe  de  causes.  Il  n'y 
a  pas  eu  non  plus  haplologie  là  où  l'une  des  deux  syl- 
labes  était    intérieure,  et  l'autre    finale,   c'est-à-dire  dans 


DEUX  FORMES  A  REDOUBLEMENT  277 

le  cas  de  condidï,  reddidl,  crèdidl,  etc.;  seulement  le 
sens  du  redoublement  s'est  alors  perdu  d'assez  bonne  heure, 
si  bien  qu'on  a  fini  par  former  le  type  ascendidï,  etc.,  qui 
est  attesté  déjà  en  latin  et  qui  a  eu  une  assez  grande  fortune 
dans  les  langues  romanes. 

Il  n'y  a  donc  aucune  trace  de  redoublement  dans  rettuli, 
repperl,  etc.  Tout  redoublement  a  été  éliminé  dans  les  for- 
mes suivies  d'un  préverbe,  à  la  seule  exception  du  type  con- 
didl  et  combibl^  et  de  quelques  cas  où  il  a  été  rétabli  parce 
que  le  préverbe  avait  le  caractère  d'un  adverbe  (type^r«e- 
cucurrî)  ou  que  le  redoublement  était  indispensable  pour 
caractériser  le  perfectum  (type  èdidici,  expoposct).  Et  c'est 
pour  cela  que,  de  très  bonne  heure,  les  formes  trop  peu 
claires  ont  été  remplacées  par  des  formes  nouvelles  :  oc-ci~ 
nul  (d'après  sonui)  en  face  de  cecinl  (l'ombrien  a  de  même, 
sans  redoublement,  procaniireni)^  compègi  (d'après  -fringô, 
-frégî)  en  face  de  pepigï^  compunxi  en  face  de  piipugl, 
praemorsisset  (chez  Plante)  en  face  de  momordl,  etc. 

Les  formes  repperi,  rettull,  etc.  n'enseignent  rien  sur  le 
perfectum  latin  à  redoublement,  dont  on  a  vainement  cher- 
ché à  y  retrouver  la  trace  ;  et,  si  l'on  n'a  pas  *repperw  comme 
repperi,  c'est  par  suite  d'une  simplification  phonétique  de 
la  géminée. 


Notes  de  correction. 

l.  P.  27"2, 1.  2  etsuiv.  A  la  bibliographie  relative  aux  verbes  germaniques 
;i  redoublement,  il  faut  ajouter  maintenant:  Feist,  dans  PBB.,  XXXII, 
117  et  suiv.  et  W.  van  Helten,  I.  F.,  XXIII,  103  et  suiv.  A  l'hypothèse 
d'une  chute  de  la  consonne  initiale  de  la  racine  par  l'influence  combinée 
de  la  position  intervocalique  et  de  la  dissimilation  dans  le  type  *hehait 
donnant  *he't-,  on  ne  saurait  opposer  le  maintien  de  la  consonne  inté- 
rieure dans  V.  isl.  sera,  v.  angl.  dide,  etc.,  comme  le  fait  M.  Feist,  l.  c, 
1  .  46'2  et  498;  car  le  cas  d'un  ancien  trisyllabe  comme   got.  haihait  et 


278  A.  MEILLET 

celui  d'un  ancien  dissyllabe  comme  got.  saiso,   v,  isl.  sera  ne  sont  pas 
exactement  comparables  (cf.  le  maintien  latin  du  type  condidl  ). 

2.  P.  275.  —  M.  Bornecque  est  amené  à  reconnaître  des  scansions  telles 
que  reqquirit,  rettinuit,  etc.,  dans  quelques  passages  de  Gicéron;  v. 
Clausulcs  métriques  latines,  p.  244,  244,  264.  Ces  scansions  doivent  être 
tenues  pour  analogiques  d'exemples  comme  reccïdô. 


Charles  MICHEL 


NOTE   SUR  UN  PASSAGE 
DE   JAMBLIQUE 


NOTE  SUR  UN  PASSAGE  DE  JAMBLIQUE 

Par  Charles  Michel, 


On  a  signalé  souvent  les  aftinités  de  la  philosophie  pytha- 
goricienne avec  l'orphisnae.  La  ressemblance  avait  déjà 
frappé  les  anciens^  et  récemment  M.  S.  Reinach,  en  indi- 
quant le  premier  quelques  similitudes  nouvelles  entre  les 
deux  doctrines,  disait  avec  raison  :  «  On  peut  prouver  que 
les  Pythagoriciens  n'ont  fait  dans  ce  cas  [il  s'agissait  de  l'in- 
terdiction du  suicide]  comme  dans  d'autres  que  donner  une 
forme  littéraire  aux  enseignements  de  l'orphisme  ^  » . 

Par  de  là  l'orphisme,  c'était  aux  plus  vieilles  croyances 
animistes  des  religions  orientales  et  du  folk-lore  que  remon- 
tait ainsi  Pythagore  et,  souvent,  sans  doute.  Orphiques  et 
Pythagoriciens  ont  puisé  indépendamment  à  cette  source 
commune. 

Les  rapprochements  nombreux  que  suggère  une  comparai- 
son entre  les  deux  systèmes  n'ont  pas  encore  été  groupés.  Il 
serait  intéressant  de  tenter  l'entreprise,  mais  ce  n'en  est  pas 
ici  le  lieu.  Nous  voudrions  simplement  détacher  d'une  étude 


l.  C'était  déjà  l'opinion  d'Hérodote,  dans  un  passage  souvent  cité  : 
11,  81.  Les  Tp'.aY[i.oi'  (écrit  consacré  aux  propriétés  du  nombre  trois),  attri- 
bués à  Ion  de  Chios,  disaient  expressément  que  Pythagore  avait  fait  plus 
d'un  emprunt  à  Orphée.  Cf.  Lobeck,  Aglaophamus,  p.  384  et  sq. 

"2.  Archiv  fur  Religionsw.,  IX  (1906),  p.  318,  sq. 


282  C.  MIGUEL 

d'ensemble  sur  ce  sujet,  le  commentaire  de  quelques  lignes 
de  la  Vie  de  Pythagore,  par  Jamblique.  On  y  peut  retrouver 
une  fois  de  plus,  à  notre  avis,  comme  un  écho  de  l'Orphisme 
et  un  souvenir  des  antiques  conceptions  de  l'animisme  dont 
nous  venons  de  parler. 

Racontant  la  catastrophe  qui  a  détruit  les  communautés 
fondées  par  le  philosophe  dans  l'Italie  méridionale,  Jambli- 
que rappelle  quelques-uns  des  points  où  les  pratiques  de  ces 
communautés  différaient  des  habitudes  de  la  foule,  et  il 
cite,  entre  autres,  le  détail  suivant  :  «  Jamais  les  pythago- 
riciens ne  prononçaient  le  nom  de  Pythagore  ;  de  son  vivant, 
quand  ils  voulaient  le  désigner,  ils  l'appelaient  le  Divin  ; 
après  sa  mort,  on  disait  :  Cet  homme  *  » . 

Il  est  bien  certain  qu'au  moment  où  nous  reporte  ce 
texte,  l'emploi  d'une  circonlocution  pour  désigner  Pytha- 
gore ne  pouvait  passer  que  pour  une  marque  de  respect.  La 
suite  du  passage  le  prouve  bien  :  «  C'est  ainsi,  continue 
Jamblique  en  effet,  qu'Homère  nous  montre  Eumée  dési- 
gnant Ulysse  » . 

Il  s'agit  du  passage  bien  connu  où  «  le  divin  porcher  »  se 
trouve,  sans  le  reconnaître  encore,  en  présence  d'Ulysse  qui 
l'interroge  au  sujet  de  son  maître.  Après  avoir  usé  de  péri- 
phrases pour  le  désigner,  Eumée,  à  une  question  de  son 


i.  Jamblique,  Vie  de  Pythagore,  2o5(édit.  A.  Nauck,  p.  179)  :  \t.T^hiya. 
xàiv  IIuOaYopettoy  ôvofxa^eiv  HuGayopav,  àXXà  Çwvia  Uc'v,  Ôttote  PojXoîvto 
8r,Xwarai,  xaXeîv  auTOv  Osïov,  Ijisl  Se  èTeXsjT7)a£v,  èxeîyov  xôv  avôpa,  xaOaTisp 
"0[JLT)po;  ccTTO^aivct  xôv  E'jfxaiov  uTrsp  'OSyaaî'co;  [jL£[jLvr](x£vov, 

xôv  {jlÈv  èytov,  to  Çstvs,  xai  oj  :iap£dvx'  6vO[i.as£'.v 

a'.SEOtiai  •  TîEpt  yàp  {x*  IïïjiXei  xaî  IxrjBEXo  X-'rjv  (Od.,  XIV,  145-6). 

Voir  aussi  Ibid.,  88  (édit.  Nauck,  p.  66).  E.  Rohde  a  montré  (Rhein. 
Mus.,  XXVII  [1872],  p.  57  et  sq.)  que  les  deux  passages  de  Jamblique  pro- 
viennent d'Apollonius  de  Tyane.  Il  est  permis  de  supposer  que  celui-ci  les 
a  empruntés  à  Timée.  On  trouve  le  même  renseignement  dans  Villoison, 
Anecdota,  II,  p.  216. 


UN  PASSAGE  DE  JAMBLIQUE  283 

interlocuteur,  prononce  le  nom  d'Ulysse  et  puis  tout  de 
suite  se  reprend  :  «  Mais,  même  en  son  absence,  j'ai  honte 
de  le  désigner  par  son  nom,  car  il  m'aimait  beaucoup  et  pre- 
nait grand  soin  de  moi  ». 

Faut-il  s'en  tenir  à  cette  interprétation  qui  se  présente  la 
première  et  qui  est  celle  de  l'auteur  lui-même?  Ce  serait 
peut-être  se  contenter  trop  facilement.  Si  l'on  a  quelque 
connaissance  des  études  ethnographiques  et  anthropologi- 
ques qui,  depuis  un  quart  de  siècle,  ont  renouvelé  des  cha- 
pitres entiers  de  la  philologie  classique  %  on  songera  tout  de 
suite  aux  recherches  des  folkloristes  sur  la  vertu  du  nom 
chez  les  peuples  primitifs  et  sur  son  rôle  dans  la  magie  ^. 
Même  à  présent,  ne  l'oublions  pas,  le  peuple  ne  distingue 
pas  toujours  nettement  entre  le  nom  et  la  personne  ^  ;  dans 
les  croyances  populaires,  le  nom,  comme  l'image,  est  une 
partie  essentielle  de  l'individu.  «  Le  nom,  dans  toutes  les 
magies,  c'est  la  personne  même*.  »  Connaître  le  nom  de 
quelqu'un,  c'est  avoir  sur  lui  un  véritable  pouvoir.  Aussi  les 
dieux  ont-ils  grand  soin  de  cacher  ceux  de  leurs  noms  qui 
sont  particulièrement  puissants,  et  souvent  les  particuliers 
prennent  pour  le  leur  une  précaution  analogue. 

1.  S.  Reinach,  Cultes,  Mythes  et  Religions,  I  (Paris,  1903),  p.  173. 

2.  Voir  surtout  :  E.-B.  Tylor,  Researches  into  the  early  history  of 
mankind  (Londres,  1863),  pp.  107-149  ;  R.  Andrée,  Ethnographische 
Parallèle  (Stuttgart,  1878),  pp.  163-184;  Nyrop,  Navnets  Magt  (Copen- 
hague, 1878);  F.  von  Andrian,  Ueber  Wortaberglauben  (dans  le  Corres- 
pondenz-Blatt  der  deutschen  Gesellschaft  fur  Anthropologie,  t.  XXVI 
[1896],  pp.  109-127)  ;  J.-G.  Frazer,  Golden  Bough,  2«  édit.,  t.  I  (Londres, 
1900),  pp.  404-447;  trad.  franc.,  I  (Paris,  1903),  pp.  330-378.  Ces  tra- 
vaux ont  été  résumés  avec  méthode  et  prudence  par  M.  Fr.  Giesebrecht, 
Die  alttestamentliche  Schàtzung  des  Gottesnamens  und  ihre  religions- 
geschichtliche  Grundlage,  Kœnigsberg,  1901,  in-8o.  Auparavant,  M.  Fr. 
Polie  avait  donné  presque  tout  l'essentiel  dans  son  ingénieux  petit 
volume  :  Wie  denkt  das  Volk  ïiber  die  Sprache^  Leipzig,  1889,  in-12. 

3.  Fr.  Polie,  op.  cit.,  p.  27  ;  A.  Wuttke,  Der  cleutsche  Volksaber- 
glaube,  2^  édit.  (Berlin,  1869),  p.  303. 

4.  V.  Henry,  La  Magie  dans  l'Inde  antique  (Paris,  1904),  p.  31. 


384  G.  MICHEL 

Ces  vieilles  idées  avaient  laissé  des  traces  chez  les  peuples 
classiques,  mais  comme  les  anthropologistes  ont  porté  sur- 
tout leur  attention  sur  les  croyances  des  non-civilisés,  qui 
leur  offraient  une  moisson  extrêmement  abondante,  il  se 
trouvera  sans  doute  que  quelques-uns  des  faits  suivants 
aient  pu  échapper  à  leurs  enquêtes. 

Pas  plus  à  Andanie  qu'à  Samothrace,  on  ne  nommait  les 
divinités  honorées  dans  les  mystères,  on  les  appelait  simple- 
ment «  les  grands  dieux  »  cl  [As^aXci  Ôssi  *  ;  et  de  même  à 
Eleusis,  à  côté  de  Déméter  et  Coré,  souvent  appelées  simple- 
ment les  deux  déesses,  tw  6£(6,  on  trouve  6  Osé;  et 
it  ôeà,  dont  les  noms  ne  sont  pas  connus  2.  Les  Arcadiens 
n'appelaient  leur  déesse  de  la  terre  que  «  la  Maîtresse  » 
Despoina  et  son  vrai   nom  n'était   révélé  qu'aux  initiés  % 

i.  E.  Maass,  Orphens  (Munich,  i895),  p.  69,  sq.  ;  Roscher,  Lexicon 
der  MythoL,  II,  col.  2522,  sq. 

2.  P.  Foucart,  Recherches  sur  les  Mystères  d'Eleusis  (Paris,  1895), 
p.  24,  sq.  —  Mon  ami  M.  P.  Lejay  veut  bien  me  signaler  à  ce  sujet  un 
curieux  passage  de  Tertullien  (De  Testim.  animœ,  II,  éd.  Oehler,  t.  I, 
p.  404)  et  me  communiquer  la  note  suivante  que  je  suis  heureux  de  pou- 
voir reproduire  :  «  Il  résulte  de  ce  passage  que,  dans  les  cérémonies  du 
culte  païen,  mais  spécialement  dans  les  mystères,  le  dieu  n'est  pas 
nommé.  On  disait  simplement  :  Beus,  b  ôso'ç.  En  effet,  le  raisonnement  de 
Tertullien  se  fonde  sur  une  double  série  de  témoignages,  rendus  involon- 
tairement par  l'âme  au  dieu  unique,  à  celui  qui  ne  s'appelle  ni  Saturne, 
ni  Jupiter,  ni  Mars,  ni  Minerve,  mais  Dieu  simplement  (voy.  le  texte  plus 
haut,  p.  402).  D'une  part,  dans  la  vie  courante,  ou  comme  dit  Tertullien, 
au  forum  de  l'âme,  c'est  à  Dieu  qu'elle  en  appelle  par  les  formules  fami- 
lières. D'autre  part,  dans  le  temple,  elle  supporte  l'affirmation  d'un  autre 
dieu  que  le  dieu  particulier  du  temple.  » 

3.  Pausanias,  VIII,  37,  9.  —  Dans  l'Inde  aussi,  les  dieux  avaient  des 
noms  secrets  :  Devo  devâncJm  guhyâni  nâmâvish  krnoti  barhishi  pra- 
vâce  «  dans  le  sacrifice,  le  dieu  (Soma)  fait  connaître  au  chantre  les  noms 
secrets  des  dieux  »,  Rig-Veda,  IX,  95,  2;  cf.  Ibid.,  V,  5,  10.  Il  en  était 
de  même  en  Egypte.  E.  Lefébure,  Mélusine,  VIII  [1897],  col.  227  :  «  le 
nom  d'un  dieu  livrait  au  magicien  le  pouvoir  du  dieu  ».  Une  croyance 
analogue  subsiste  chez  les  Musulmans  d'Egypte  (Lane,  Modem  Egyptians, 
1860,  p.  264),  et  Chardin  l'a  retrouvée  en  Perse  :  Les  Musulmans  ont  des 
talismans  qui  contiennent  «  les  grands  noms  de  Dieu  ou  les  noms  ineffa- 
bles :  car  ils  tiennent  que,  qui  sait  ces  noms  sait  tout,  et  peut  faire  tout, 


UN  PASSAGE  DE  JAMBLIQUE  28o 

ainsi  qu'à  Rome  il  était  interdit  de  divulguer  le  nom  de 
la  Bona  Dea^.  En  Phocide,  à  Bulis,  le  dieu  principal  n'avait 
pas  d'autre  nom  que  «  le  Très-Grand  »  o  MÉyiaTc;  ^,  ce  qui 
fait  songer  naturellement  au  0£o;  lifl^cj-c;  adoré  en  Asie- 
Mineure^.  Des  prohibitions  de  ce  genre  n'étaient  pas,  d'ail- 
leurs, réservées  aux  seules  divinités  ^.  Hérodote  nous 
a  conservé  le  souvenir  d'une  vieille  coutume  qui  défen- 
dait aux  femmes  de  Milet  de  prononcer  le  nom  de  leur 
maris  et,  à  l'époque  romaine  du  moins,  le  hiérophante 
d'Eleusis  ne  pouvait  être  désigné  par  son  nom,  mais  seule- 
ment  par  le    titre   de  sa    charge  ^   Un   usage    semblable 


et  que  les  miracles  sont  opérés  seulement  par  la  connoissance  de  ces 
noms  ;  de  manière  que  quand  Dieu  vouloit  revêtir  quelque  prophète  du 
don  des  miracles,  il  ne  faisoit  que  lui  révéler  la  connoissance  de  quel- 
qu'un de  ces  grands  noms  «  {Voyages  en  Perse,  édit.  Langlès,  t.  IV 
[Paris,  1811],  p.  442). 

1.  Servius,  arf  Aen.,  VIII,  314;  Macrobe,  Saturn.,  I,  12,  27;  Lac- 
tance,  I,  22,  10.  Plutarque  voyait  des  rapports  entre  ce  culte  et  les  mystè- 
res orphiques  (Caes.,  9). 

2.  Pausanias,  X,  37,  3.  A  Tarente,  Hécate  s'appelait  «  l'Innommable», 
"Aapa-To;  ;  Hésych.  s.  v. 

3.  F.  Cumonl,  Les  religions  orientales  dans  le  paganisme  romain 
(Paris,  1907),  p.  77  ;  P.  Wendland,  Hellenistisch-rômische  Kultur  (Tu- 
bingue,  1907),  p.  107. 

4.  Chez  les  anciens  Egyptiens,  on  donnait  deux  noms  aux  enfants,  le 
vrai  ou  le  grand  nom  et  celui  par  lequel  on  les  désignait  communément. 
Lefébure,  Mélusine,  VIII,  col.  226.  Dans  l'Inde  aussi,  on  donnait  à  l'en- 
fant deux  noms,  l'un  devait  rester  secret  et  n'être  connu  que  de  ses 
parents  :  V.  Henry,  La  Magie,  p.  82.  Cf.  Crooke,  Popular  religion  and 
folklore  of Northern  India  (Allahabad,  1894),  p.  188. 

5.  Hérodote,  I,  146.  La  même  défense  se  retrouve  dans  l'Inde  moderne 
(Crooke,  op.  cit.,  p.  188)  et  chez  beaucoup  de  non-civilisés  :  A.  Lang,  La 
Mythologie,  trad.  L.  Parmentier  (Paris,  1886),  p.  233  ;  le  même,  Custom 
and  Myth,  2«  éd.  (Londres,  188o),  p.  72  et  sq. 

6.  Lucien,  Lexiphan.,  10.  P.  Foucart,  Les  grands  Mystères  d'Eleu- 
sis (Paris,  1900),  p.  28  et  sq.  Cette  interdiction  n'était  pas  ancienne  à 
Eleusis.  Il  en  est  de  même  de  celle  qui  s'applique  chez  les  Juifs  au  nom 
de  Jéhovah  (S.  Reinach,  Cultes,  Mythes  et  Religions,  t.  I,  p.  1);  elle 
n'existait  pas  encore  au  v«  s.  av.  J.-C.,  au  moment  où  l'on  a  rédigé  les 
papyrus  araméens  d'Éléphantine  (Clermont-Ganneau,  Revue  archéoL, 
1907,  II,  p.  435),  mais,  des  deux  côtés,  elle  se  rattachait  à  d'antiques 


286  C.  MICHEL 

paraît    avoir    existé    aussi     dans    les    thiases    orphiques  *. 

C'est  sans  doute  à  cause  de  l'interdiction  très  répandue  de 
prononcer  le  nom  des  morts ^  que  beaucoup  de  héros  étaient 
anonymes.  Comme  celui  qui  était  enterré  à  Graea,  près 
d'Oropos  ;  il  fallait  passer  en  silence  auprès  de  son  tombeau 
et,  pour  cette  raison,  on  l'appelait  «  Silencieux  »  Hi-^r^koq^. 

La  ville  de  Rome,  on  le  sait,  avait  un  nom  secret,  tenu 
soigneusement  caché,  et  les  anciens  nous  expliquent  eux- 
mêmes  que  c'était  par  crainte  de  livrer  le  vrai  nom  de 
la  Ville  aux  entreprises  magiques  des  ennemis*.  C'est  ainsi 
que  les  imprécations,  appelées  devotiones,  n'exerçaient  leur 
influence  malfaisante  que  si  le  nom  de  l'adversaire  était  écrit 
sur  la  tablette  de  plomb  ^  Pareillement,  pour  guérir  une 
maladie  par  des  incantations,  il  fallait  que  le  magicien  pût  la 
désigner  par  son  nom  dans  le  charme  ^ 


croyances  :  Exode,  XX,  7  ;  Genèse,  XXXII,  30  ;  Giesebrecht,  op.  cit.., 
pp. 7-45. 
4.  E.  Maass,  Orpheus,  p.  70. 

2.  F.  von  Andrian,  op.  cit.,  p.  122.  —  Pour  permettre  aux  âmes, 
en  les  rendant  méconnaissables,  d'échapper  aux  esprits  mauvais  qui  peu- 
plent l'atmosphère,  il  arrivait  qu'on  changeait  le  nom  des  morts,  cf.  Her- 
mippus,  éd.  Kroll  et  Viereck  (Leipzig,  1895),  121  ;  W.  Kroll,  Rhein. 
Mus.,  LU  (4897),  p.  345,  sq.  ;  A.  Dieterich,  Eine  Mithrasliturgie  (Leip- 
zig, 4903),  p.  110. 

3.  Strabon,  IX,  2,  10;  Alciphron,  III,  58  ;  L.-R.  F arneW,  Anthropo- 
logical  Essays  presented  to  E.  B.  Tylor  (Oxford,  4907),  p.  92. 

4.  Servius,  ad  JEn.,  I,  277  :  urbis...  uerum  nomen  nemo  uel  in  sacris 
enuntiat;  Macrobe,  Saturn.,  III,  9,  3;  Pline,  Hist.  Nat.,  III,  9,  44  ;  cl. 
Guno,  Jahrb.  fur  Philol.,  t.  425  (4882),  p.  573. 

5.  Audollent,  Defixionum  tabellae  (Paris,  4904),  p.  xlix. 

6.  La  maladie  est  un  démon  qui  s'est  emparé  du  patient,  elle  ne  peut 
être  chassée  que  si  l'on  connaît  son  vrai  nom  :  ut  morbus  rectus  e  corpore 
eiciatur,  recto  suo  nomine  euocandus  est  :  Heim,  Incantamenta  magica 
graeca  latina,  Leipzig,  4892  (Jahrb.  fur  Philol.,  Supplem.-B.  XIX, 
p.  476).  Chez  les  Hindous,  pour  lutter  contre  les  maléfices  d'un  sorcier, 
il  fallait  savoir  son  nom,  comme  il  fallait  pouvoir  nommer  la  lièvre  pour 
s'en  guérir  :  V.  Henry,  La  Magie,  p.  468  et  p.  484.  —  C'est  pour  trom- 
per le  démon  de  la  maladie  que  beaucoup  de  non-civilisés  changent  le 
nom  des  malades;  Giesebrecht,  op.  cit.,  p.  40. 


UN  PASSAGE  DE  JAMBLIQUE  287 

D'autre  part,  ces  superstitions  expliquent  que  seule  la 
connaissance  du  nom  de  la  divinité  peut  assurer  l'efficacité 
de  la  prière.  Comme  les  dieux  ont  souvent  beaucoup  d'épi- 
thètes  différentes,  il  faut  employer  celle  qui  leur  plaît 
davantage  et  qui  attirera  leur  faveur  ^  «  Quand  nous  prions, 
nous  donnons  aux  dieux  les  noms  qui  leur  sont  agréables  », 
dit  Platon-,  et  sur  ce  point  les  exemples  abondent.  Il  est 
inutile  de  les  accumuler. 

On  le  voit,  la  croyance  à  la  vertu  du  nom,  que  le  folk-lore 
a  conservée  de  tous  côtés,  se  retrouvait  dans  l'antiquité  et 
doit  naturellement  s'expliquer  ici  comme  ailleurs.  Peut-être 
n'était-il  pas  tout  à  fait  sans  intérêt  de  rattacher  ainsi  aux 
vieilles  traditions  de  l'humanité,  pour  la  placer  dans  son 
vrai  jour,  la  pratique  dont  Jamblique  nous  a  gardé  la 
mémoire.  Rien  n'est  indifférent,  semble-t-il,  de  ce  qui  tou- 
che à  l'école,  ou  plutôt,  comme  l'a  appelée  justement 
E.  Havet,  à  l'église  pythagoricienne. 

1.  Horace,  Carm.  Saec,  44,  sq.  ;  Usener,  Gôtternamcn  (Bonn,  i896), 
p.  334-336  ;  Wendland,  Hellen.-rôm.  Kultur,  p.  78. 

2.  Platon,  Cratyle,  400^  ;  Timée,  28^  ;  Banquet,  "li^"  ;  Schomann- 
Lipsius,  Griechische  Altertumer,  II  (Berlin,  1902),  p.  264. 


Paul  MONCEAUX 


L'ISAGOGE   LATINE 
DE   MARIUS   VICTORINUS 


19 


L'ISAGOGE  LATINE  DE  MARIUS  VICTORINUS 

Par  Paul  Monceaux. 


Parmi  les  ouvrages  philosophiques  de  l'Africain  Marius 
Yictorinus,  l'un  des  plus  célèbres  était  son  Isagoge  latine, 
traduction,  ou  plutôt,  libre  adaptation  de  celle  de  Porphyre. 
Victorin  lui-même,  dans  son  traité  des  Définitions^,  fait  allu- 
sion à  cet  ouvrage,  qui  est  mentionné  en  outre  par  Gassio- 
dore%  puis  par  Isidore  de  Séville\  et  que  Boèce  a  pris  pour 
base  de  son  commentaire  dans  ses  deux  dialogues  ordinaire- 
ment appelés  Jn  Porphyrium  a  Victor ino  translatum^. 

1.  Ce  travail  était  terminé  depuis  longtemps,  et  nous  venions  de  le 
communiquer  à  l'Académie  des  Inscriptions  (séance  du  i2  avril  4907), 
quand  nous  est  parvenue  l'excellente  édition  critique  du  Commentaire  de 
Boèce  par  MM.  Brandt  et  Schepss  (Boethii^  In  Isagogen  Porphyrii  Com- 
menta, Vienne,  1906.  —  Vol.  48  du  Corpus  scriptor.  ecclesiast.  lat., 
publié  par  l'Académie  de  Vienne).  Nous  avions  pris  pour  base  de  notre 
restitution  de  la  plus  ancienne  Isagoge  latine  la  dernière  édition  originale 
du  Commentaire  (Bâle,  1570).  Depuis,  nous  avons  remanié  notre  travail 
pour  substituer,  au  texte  de  cette  vieille  édition,  le  texte  de  la  nouvelle 
édition  critique.  Sur  la  version  de  Victorin  et  sur  la  possibilité  de  la  res- 
tituer en  partie,  M.  Brandt  est  arrivé  à  des  conclusions  très  voisines  des 
nôtres  (cf.  ses  Prolegomena,  p.  xiv  sqq.). 

2.  Victorin,  Lf6er<:/e  definitionibus,  p.  25,  Stangl  :  «  Nos,  quiajamuno 
libro  et  de  his  quinque  rébus  plenissime  disputavimus...,  lectorem  ad 
librum  qui  jam  scriptus  est,  si  adest  ei  indigentia,  ire  volumus.  » 

3.  Cassiodore,  Instit.  divin,  litter.,  II  (addition  du  Codex  Bamberg en- 
sis)  :  «  Isagogen  transtulit  Victorinus  orator.  » 

4.  Isidore  de  Séville,  Origin.,  II,  25,  9. 

5.  Boèce,   In   Porphyrium  a  Vietorino  translatum,  I,  1  j  10  ;  12-13  ; 


292  P.  MONCEAUX 

Jusqu'à  ces  dernières  années,  on  a  répété  que  l'adaptation 
de  Victorin  était  à  peu  près  complètement  perdue*.  Un 
examen  minutieux  de  la  question  nous  a  amené  à  une  conclu- 
sion assez  différente  :  comme  on  le  verra,  VIsagoge  latine 
de  Victorin  peut  être  reconstituée  partiellement  à  l'aide  du 
Commentaire  de  Boèce. 

Tout  d'abord,  Boèce  nous  a  conservé  beaucoup  de  cita- 
tions textuelles  de  Victorin,  et  qu'il  donne  expressément 
comme  telles.  De  plus,  il  a  inséré  dans  son  Commentaire, 
par  fragments,  mais  toujours  suivant  l'ordre  du  développe- 
ment, une  bonne  partie  du  texte  de  Victorin.  Il  avait  sous 
les  yeux  et  il  expliquait,  non  pas  l'original  grec,  mais  la  ver- 
sion de  son  prédécesseur  ;  il  nous  en  prévient  lui-même  au 
début  de  l'ouvrage-.  Il  ne  s'est  reporté  au  grec  que  très 
rarement,  pour  contrôler  et  corriger  certaines  interpréta- 
tions de  Victorin  ^  Là  même  où  il  nomme  Porphyre,  sauf 
dans  les  rares  occasions  où  il  oppose  l'original  à  l'interprète, 
c'est  encore  le  texte  de  Victorin  qu'il  vise.  Et  ce  texte,  il  le 
transcrit  souvent  phrase  par  phrase,  en  l'expliquant  ou  en  le 
discutant.   Nous  avons   d'ailleurs  deux  preuves   indirectes 


etc.  Cf.  In  Porphyrium  a  se  translatum,  V,  24.  —  Nous  ne  connaissons 
pas  les  titres  exacts  de  ces  deux  Commentaires  de  Boèce.  M.  Brandt,  se 
fondant  sur  l'autorité  des  manuscrits,  appelle  les  deux  ouvrages  :  In  Isa- 
gogen  Porphyrii  Commentorum  Editio  prima  et  Editio  secunda.  Mais  il 
montre  lui-même  (Proleg.,  p.  xxix  sqq.)  que  ce  sont  là  des  titres  de  con- 
vention, imaginés  après  coup,  et  non  par  l'auteur.  Dans  ces  conditions, 
nous  avons  cru  pouvoir  conserver  les  titres  traditionnels,  qui  ne  sont  pas 
plus  inexacts,  et  qui  ont  du  moins  l'avantage  d'indiquer  nettement  le  con- 
tenu. 

1.  Schianz,  Gesch.  der.  rœm.  Litter.,  IV  (1904),  p.  143  j  Porphyrii  Isa- 
goge,  éd.  Busse,  Berlin,  1887,  p.  xxxi  (dans  les  Commentaria  in  Aristo- 
telem  graeca  de  l'Académie  de  Berlin,  IV,  1). 

2.  Il  se  fait  dire  par  son  interlocuteur:  «  Rogo  ut  mihi  explices  id  quod 
Victorinus,  orator  sui  temporis  ferme  doctissimus,  Porphyrii  per  Isago- 
gen,  id  est  per  introductionem  in  Aristotelis  Categorias,  dicitur  transtu- 
lisse  »  Qn  Porphyrium  a  Victorino  translatum,  I,  1). 

3.  Ibid.,l,  12-13;  II,  6. 


L'ISAGOGE  DE  MARIUS  VIGTORINUS  293 

qu'ici  tous  les  passages  traduits  textuellement  du  grec  de 
Porphyre  appartiennent  à  la  version  de  Victorin.  En  premier 
lieu,  Boèce  critique  volontiers  le  texte  latin  qu'il  a  sous  les 
yeux,  c'est-à-dire  l'adaptation  de  son  devancier*.  En  second 
lieu,  il  a  entrepris  lui-même  plus  tard,  pour  son  compte, 
une  autre  version  de  VIsagoge  ;  et  cette  version  nouvelle, 
qu'il  jugeait  naturellement  plus  exacte,  il  l'a  prise  pour 
base  d'un  second  Commentaire,  le  gros  traité  en  cinq  livres 
qui  est  ordinairement  intitulé  In  Porphyrium  a  se  transla- 
tum^.  De  tout  cela,  l'on  doit  conclure  que  dans  le  premier 
Commentaire,  sauf  pour  les  deux  ou  trois  passages  où  il 
oppose  Porphyre  à  Victorin,  Boèce  cite  toujours  Porphyre 
d'après  la  version  de  Victorin. 

Nous  arrivons  donc  aux  constatations  suivantes  :  1^  Les 
deux  dialogues  In  Porphyrium  a  Victorino  translatum 
reproduisent  par  fragments  une  bonne  partie  du  texte  d'une 
Isagoge  latine  ;  —  2**  Cette  Isagoge  latine  est  celle  de  Victo- 
rin, que  Boèce  suivait  dans  son  Commentaire,  et  qu'il 
copiait  alors  sans  toujours  l'approuver,  en  attendant  qu'il 
essayât  de  traduire  à  son  tour  le  traité  de  Porphyre  ;  — 
3*^  On  retrouvera  donc,  éparse  dans  le  Commentaire  de 
Boèce,  VIsagoge  latine  de  Victorin  ;  —  4°  Il  suffira  pour  cela 
de  comparer  méthodiquement  les  dialogues  à  l'original 
grec,  en  écartant  tout  ce  qui  est  commentaire,  en  recueillant 
tout  ce  qui  est  traduction  directe  du  grec  de  Porphyre. 

1.  «  Victorini  culpam,  vel,  si  itacontingit,  emendationemaequibonique 
faciamus  »  (ibid.,  I,  12)  ;  —  «  Hic  tamen  a  Victorino  videtur  erratum  » 
(ibid.,  I,  21)  ;  —  «  Sequitur  locus  perdifficilis,  sed  transferentis  obscuri- 
tate  Victorini  magis  quam  Porphyrii  proponentis  »  (ibid.,  II,  6)  ;  —  «  Ge- 
neris  enim  hic  nomine  pro  animalis  abusus  est  (Victorinus)...  »  (ï6z6?., 
II,  7). 

2.  Cette  version  de  Boèce  nous  est  parvenue  sous  deux  formes  :  par 
fragments,  dans  le  Commentaire  In  Porphyrium  a  se  translatum  ;  entière 
et  à  part,  dans  un  grand  nombre  de  manuscrits.  Une  bonne  édition  cri- 
tique en  a  été  publiée  par  Busse  (Po/'p/it/ru'  Isag^oge,  Berlin,  1887,  p.  25-51). 


L 


204  P.  MONCEAUX 

C'est  ce  que  nous  avons  fait.  Si  l'on  rapproche  ces  frag- 
ments, sans  qu'il  soit  jamais  besoin  d'en  modifier  l'ordre,  on 
les  voit  se  souder  l'un  à  l'autre,  ou,  tout  au  moins,  se  grou- 
per d'eux-mêmes  en  chapitres,  et  reconstituer  partiellement 
VIsagoge  latine  de  Victorin.  Boèce  en  avait  transcrit  tout 
l'essentiel.  Il  s'accordait  bien  quelques  libertés  dans  le  choix 
des  exemples  ;  mais,  pour  tout  ce  qui  était  définition  ou 
doctrine,  il  reproduisait  fidèlement  le  texte  de  son  prédé- 
cesseur. Nombreuses  sont  les  longues  citations  textuelles. 
Ailleurs,  sans  doute,  ce  sont  de  courts  fragments,  des 
expressions  isolées  ou  des  membres  de  phrase,  si  bien 
découpés  et  fondus  dans  le  commentaire  qu'on  ne  saurait 
rétablir  la  phrase  même  de  Victorin.  Malgré  ces  lacunes,  on 
se  représente  nettement  l'ensemble. 

Cependant,  même  avec  ces  réserves,  nous  ne  croyons  pas 
que  l'on  puisse  tenter  une  restitution  relativement  complète 
de  VIsagoge  latine  de  Victorin.  Sans  doute,  Boèce  suit  et 
paraphrase,  d'un  bout  à  l'autre  de  son  Commentaire,  la  ver- 
sion de  Victorin  ;  mais  il  n'est  guère  possible  de  distinguer 
partout  la  part  respective  de  chacun  des  deux  auteurs.  Dans 
la  crainte  d'attribuer  à  Victorin  ce  qui  appartient  réellement 
à  Boèce,  nous  avons  souvent  laissé  de  côté  les  passages  où 
la  version  est  noyée  dans  le  Commentaire.  Nous  avons 
recueilli  surtout  deux  catégories  de  fragments  :  1**  les  cita- 
tions textuelles  de  Victorin,  données  comme  telles  par 
Boèce  ;  2®  les  phrases  qui  sont  une  traduction  directe  de 
Porphyre,  et  où  par  suite,  comme  nous  l'avons  dit,  on  est 
fondé  à  reconnaître  des  fragments  authentiques  de  la  version 
de  Victorin  ^ 


i.  Nous  plaçons  entre  parenthèses  les  quelques  mots  du  Commentaire 
de  Boèce  qu'il  était  nécessaire  de  reproduire  pour  éclairer  le  texte  de 
Victorin.  —  Les  points  de  suspension  indiquent  les  lacunes  de  la  version 
de  Victorin  (et  non  les  passages,  supprimés  par  nous,  du  commentaire  de 


L'ISAGOGE  DE  MARIUS  VIGTOHINUS  395 

Ainsi  reconstituée  en  partie,  cette  vieille  Jsagoge  latine 
offre  un  réel  intérêt.  C'est  moins  une  traduction  qu'une 
adaptation.  Victorin  en  use  très  librement  avec  le  texte  de 
Porphyre.  Il  a  changé  jusqu'à  la  dédicace,  où  il  a  remplacé 
le  nom  du  Chrysaorios  de  l'original  par  le  nom  d'un  certain 
MenantiuSy  sans  doute  un  de  ses  amis*.  Dans  le  cours 
même  de  l'ouvrage,  il  s'était  évidemment  proposé  d'expli- 
quer ou  d'interpréter  Porphyre,  plutôt  que  de  le  traduire. 
Sur  quelques  points,  il  avait  modifié  les  définitions  ou  les 
classifications  ;  etBoèce  n'a  pas  manqué  de  le  lui  reprocher^, 
comme  il  lui  reproche  de  n'avoir  pas  toujours  compris  le 
texte  grec^  C'est  affaire  aux  logiciens  d'apprécier  ces  criti- 
ques et  la  valeur  intrinsèque  de  l'adaptation.  Remarquons 
seulement  que  Victorin  était  un  vrai  philosophe,  un  méta- 
physicien qui  tient  une  grande  place  dans  l'histoire  du  Néo- 
Platonisme  en  Occident  :  on  ne  doit  pas  trop  se  hâter  de  le 
condamner  sur  la  foi  de  Boèce.  D'autant  mieux  que  Boèce 
lui-même  l'a  pillé,  tout  en  le  critiquant,  suivant  l'usage  des 
plagiaires  :  pour  sa  propre  traduction,  il  s'est  beaucoup 
servi  du  travail  de  son  devancier. 

En  tout  cas,  cet  ouvrage  de  Victorin  marque  une  date 
importante  dans  l'histoire  de  la  logique.  Ulsagoge  de  Por- 
phyre a  été  l'un  des  manuels  les  plus  répandus  dans  les 
écoles  du  Moyen  Age.  De  toutes  les  traductions  ou  adapta- 
tions latines,  la  plus  populaire  a  été  celle  de  Boèce.  Mais  la 

Boèce).  Là  où  nous  avons  pu  dégager  le  texte  de  Victorin,  nous  en  avons 
rapproché  franchement  les  diverses  parties,  de  façon  à  reconstituer  la 
suite  du  développement.  Dans  la  crainte  de  rendra  illisible  le  texte  de 
Victorin,  nous  avons  renoncé  à  noter  tout  ce  que  nous  supprimions  du 
Commentaire  de  Boèce.  L'inconvénient  est  minime,  et  le  contrôle  n'en  est 
pas  moins  facile,  puisque  Boèce,  dans  son  commentaire,  a  suivi  phrase 
par  phrase  la  version  de  Victorin. 

1.  Boèce,  In  Porphyrium  a  Victorino  translatum,  I,  T. 

2.  Ibid.,\,  1-2-13;  21  ;  II,  7. 

3.  Ibid.,  II,  6. 


296  P.  MONCEAUX 

plus  ancienne  est  celle  de  Victorin,  qui  a  été,  ici  comme 
ailleurs,  le  maître  de  Boèce,  et,  pour  tous  en  Occident,  l'ini- 
tiateur. 

Voici  les  fragments,  que  nous  avons  pu  recueillir,  de 
Ylsagoge  latine  de  Victorin. 

Marii  Victorini  Isagoge  latina. 

1.  —  Cum  sit  necessarium,  Menanti,  sive  ad  Aristotelis 
Categorias,  sive  ad  definitionis  disc'plinam,  nosse  quid 
genus  sit,  quidve  species,  quid  differentia,  quid  proprium, 
quid  accidens,  omnino  enim  ad  ea  quae  sunt  divisionis  vel 
quae  probationis,  quorum  utilitatis  est  magnae  cognitio, 
breviter  tibi  explicare  temptabo.  Quae  apud  antiquos  qui- 
dem  alte  et  magnifiée  quaestionum  gênera  proposita  sunt, 
ego  simplici  sermone,  cum  quadam  conjectura  in  res  alias, 
ista  explicabo  mediocrite^^  (Ait)  se  omnino  praetermittere 
gênera  ipsa  et  species,  utrum  vere  subsistant  an  intellectu 
solo  et  mente  teneantur,  an  corporalia  ista  sint  an  incorpo- 
ralia,  et  utrum  separata  an  ipsis  sensibilibus  juncta.  De  his 
sese,  quoniam  alta  esset  disputatio,  tacere  (promisit)  ^  Sunt 
enim  illa  (ut  ipse  ait)  gravions  tractatus  ;  quam  doctrinam  a 
Peripateticis  acceptam,  id  est  ab  Aristotelicis,  se  sequi  (con- 
fessusest)^. 

2.  De  génère.  —  Videtur  enim  neque  genus  neque  spe- 
cies simpliciter  appellari,  id  est  uno  modo.  Genus  namque 
dicitur  quorumdam  ad  aliquid  quodammodo  habentium 
coUectio  ;  per  quam  Dardanidum  dicitur  genus...  Dicitur 
rursus  genus  uniuscujusque  nativitatis  principium,  aut  a 
générante,  aut  ab  eo  in  quo  quis  genitus  est...  (Addit  autem 


4.  Boèce,  In  Porphyrium  a  Victorino  translatum,  I,  7.  Cf.  I,  6  ;  8-10 
(édit.  Brandt  et  Schepss,  Vienne,  1906). 
-2.  Ibid.,  I,  40. 
3.  Ibid.,l,  14. 


L'ISAGOGE  DE  MARIUS  VICTORINUS  297 

ipse,  quod  soli  latinae  linguae  congruere  possit  :  dicit  enim) 
secundo  modo  genus  dici,  ut  est  genus  causae  honestum*... 
Aliter  dicitur  genus,  cui  supponuntur  species,  juxta  similitu- 
dinem  forte  superiorum  appellatum.  Etenim  principium 
quoddam  est  genus  his  quae  sub  ipso  sunt,  et  videtur  multi- 
tudinem  continere  omnium  quae  sub  se  sunt  -.  Totiens  igitur 
de  génère  dicto,  de  postrema  significatione  inter  philoso- 
phes disputatio  est,  quod  definientes  ita  déclarant  :  genus 
esse  quod  ad  plures  differentias  specie  distantes,  in  eo  quod 
quid  sit,  praedicatur,  velut  animale  Eorum  quae  dicuntur, 
alia  ad  unitatem  dicuntur,  sicut  sunt  omnia  individua,  ut 
est  Socrates,  et  hic  et  illud  ;  alia  quae  ad  multitudinem,  ut 
sunt  gênera  et  species  et  differentiae  et  propria  et  accidentia. 
Haec  enim  communiter,  non  unius  proprie  appellationis 
sunt.  Est  enim  genus  ut  animal,  species  ut  homo,  differentia 
ut  rationale,  proprium  ut  risibile,  accidens  ut  album, 
nigrum  et  sedere*.  Ab  his  igitur,  quae  ad  unitatem  dicuntur, 
differt  genus,  quod  genus  est  hoc  quod  de  plurimis  praedi- 
catur. Ab  his  vero  reliquis,  quae  de  pluribus  appellantur. 


1.  IbicL,  I,  12.  Cf.  I,  43.  —  Boèce  note  avec  insistance  que,  dans  ce 
chapitre,  Victorin  a  modifié  la  classification  des  genres  :  «  Clarescet,  ut 
opinor,  participatione  generis  quam  Porphyrius  fecit,  non  Victorinus, 
visa...  Victorinus  vero  duo  superiora  gênera  in  unum  redigit.  Nam  et 
multitudinis  congruentiam  inter  se  per  eamdem  generis  nuncupationem, 
et  quorumcumque  a  génère  lineam,  et  locum  in  quo  quis  natus  est,  uno 
generis  vocabulo  et  designatione  esse  déclarât...  Victorini  culpam,  vel, 
si  ita  contingit,  emendationem  aequi  bonique  faciamus.  Nunc  ergo  ad 
priorem  apud  Victorinum  generis  significationem  revertamur,  et  ejus,  ut 
sunt,  verba  enodanda  atque  expedienda  sumamus...  Propriae  tamen  et 
simplicissimae  expositionis  est,  quattuor  signiticationes  generis  consti- 
tuisse  Victorinum,  ut  ad  très  Porphyrii  unam  ipse  addiderit,  generis  cau- 
sae, ut  sint  hae  quattuor  significationes,  multitudinis  cognatio,  lineae 
(luctus,  genus  causae,  genus  specierum.  Sequitur  secunda  generis  divisio 
apud  Victorinum,  ut  est  genus  causae...  »  (ibid.,  I,  12-13). 

2.  îhid.,  I,  13.  Cf.  I,  12. 

3.  Ibid.,  1, 14. 
i.  Ibid.,  I,  16. 


208  P.  MONCEAUX 

genus  differt.  Primo  ab  specie,  quoniam  species,  etsi  de  plu- 
ribus  praedicatur,  non  tamen  specie  differentibus,  sed 
numéro.  Homo  enim,  species  cum  sit,  de  Socrate,  Platone, 
Cicérone  praedicatur,  qui  non  specie,  sed  numéro  differunt; 
animal  vero,  quod  genus  est,  et  bovis  et  equi  praedicatio 
est,  quae  etiam  differunt  specie  a  se  invicem,  non  numéro 
solo  \  A  proprio  autem  genus  differt,  quod  proprium  juxta 
unam  quamque  speciem  proprium  appellatur,  cujus  est  pro- 
prium, et  juxta  ea  quae  sub  specie  sunt,  scilicet  individua  ; 
namque  risibile  hominis  solum  est  et  singulorum  utique 
hominum.  Genus  autem  non  ad  unam  speciem,  sed  ad  plu- 
res  différentes  semper  aptatur  2.  A  differentia  vero  et  ab  acci- 
dentibus  differt  genus,  quoniam,  etsi  etiam  ista  de  pluribus 
specie  differentibus  praedicantur,  differentiae  scilicet  et 
accidentia  quae  communiter  accidunt,  non  tamen  in  eo 
quod  quid  sit  praedicantur,  cum  interrogantibus  nobis  fit 
secundum  ea  responsio  ;  magis  enim,  quale  quid  sit, 
ostendunt.  Si  enim  quis  interroget  :  quid  est  homo  ?  animal 
dicitur.  Si  autem  quis  dicat  :  qualis  est  homo  ?  rationalis  res- 
pondetur.  Si  quis  interroget  qualis  corvi  species  sit,  nigra 
continuo  respondetur. . .  Unde  hoc,  quod  de  pluribus  praedi- 
catur, genus  distat  ab  his  quae  de  singulis  praedicantur,  hoc 
est  ab  individuis.  lUo,  quod  de  specie  differentibus  praedi- 
catur, distat  ab  speciebus  et  a  propriis.  Illo  etiam,  in  quo 
quid  sit  appellatur,  secernitur  a  differentiis  et  a  communiter 
accidentibus,  quod  haec  duo,  quale  quid  sit,  déclarant^. 
Hoc  si  ita  est,  nullo  minus  aut  plus  effecta  est  generis  defi- 
nitio  *. 

3.   De  specie.  —  Species  quoque  multis   dicitur  modis. 


i. 

Ibid.,  I,  17. 

2. 

Ibid.,  I,  18. 

3. 

Ibid.,  I,  19. 

4. 

Ibid.,  I,  20. 

L'ISAGOGE  DE  MARIUS  VICTORINUS  299 

Nam  et  uniuscujusque  hominis  forma  species  appellatur. 
Rursus  dicitur  et  pulchritudo  vultus,  unde  pulcherrimos 
quosque  speciosos  dicimus.  Dicitur  species  et  ea,  quae  sup- 
posita  est  generi  :  unde  animalis  speciem  appellamus,  cum 
animal  ipsum  genus  sit,  et  album  coloris  speciem.  Hoc  enim 
dictum  est  tune  esse  genus,  quod  ad  distantes  species  dicere- 
tur  ;  nunc  vero  dicendum  est  id  esse  speciem,  quae  sub 
génère  ponitur^..  Species  est  quod  ponitur  sub  génère,  et  ad 
quam  genus  in  eo  quod  quid  sit  praedicatur.  (Dicit  enim) 
speciem  esse,  quae  ad  plurima  numéro  difiPerentia,  in  eo 
quod  quid  sit,  praedicatur.  Sed  haec  definitio  ejus  speciei 
est,  quae  magis  species  dicitur.  Aliae  vero  definitiones 
erunt  etiam  illarum,  quae  non  sunt  magis  species  ^  Mani- 
festius  autem  fiet  hoc,  quod  dicimus,  hoc  modo.  In  omnibus 
praedicamentis  sunt  quaedam  magis  generum,  et  magis 
specierum  ;  sunt  alia  mixta.  Magis  gênera  sunt,  supra  quae 
nullum  aliud  genus  poterit  inveniri.  Magis  species  rursus, 
sub  qua  nulla  species  reperitur.  Horum  intervalla  quae 
possident,  et  gênera  et  species  sunt,  singula  superioribus 
inferioribusque  coUata,  ut  alteri  genus,  alteri  species  appel- 
lentur^..  Ergo  decem  gênera  constituit  Aristoteles in  Praedi- 
camentis, quae  magis  gênera  sunt.  At  vero  illae,  quae 
magis   species   sunt,  semper   in  plurimo   quidem    numéro 

4.  Ibid.,  I,  21.  —  Boèce  critique  cette  classification  de  Victorin,  diffé- 
rente de  celle  de  Porphyre  :  a  Hic  tamenaVictorino  videtur  erratum,  quod, 
cum  idem  sit  cujuscumque  hominis  species  et  vultus,  quasi  in  alia  appel- 
latione  speciei,  vultus  iterum  pulchritudinem  dixit  :  quasi  vero  non  pe- 
rinde  pulchritudo  vultus  sit,  ac  tota  species  fuerit  »  (ibid.,  I,  21). 

2.  Ibid.,  I,  21-22. 

3.  Ibid.,  I,  23.  —  Dans  le  reste  de  ce  chapitre  23  et  dans  tout  le  cha- 
pitre 24,  la  version  de  Victorin  sert  encore  de  base  au  Commentaire  ;  mais 
on  ne  peut  la  dégager  sûrement  des  paraphrases  de  Boèce.  La  même  ob- 
servation s'applique,  d'ailleurs,  à  tout  ce  qui  suit  :  les  lacunes  de  notre 
restitution  viennent  simplement  de  ce  que  le  texte  authentique  de  Victo- 
rin est  fondu  dans  le  commentaire  de  Boèce,  au  point  que  l'on  doit  souvent 
renoncer  à  séparer  les  deux  éléments. 


300  P.  MONCEAUX 

sunt,  non  tamen  in  infinito.  At  individua,  quae  sub  magis 
speciebus  sunt,  infinita  sunt  semper^...  Porro  autem,  vel 
artium  vel  disciplinarum  cum  individua  per  homines  singu- 
los  esse  coeperint,  rationem  ad  percipiendum  capere  vel 
habere  omnino  non  possunt...  (Quod  autem  ait  :)  Multitude 
capienda  (perinde  est  ac  si  diceret  :  Multitudo  facienda 
est)^.. 

4.  De  differentia.  —  Omnis  differentia  et  communiter  et 
proprie  et  magis  proprie  dicitur^..  Repetenti  nunc  a  supe- 
rioribus  dicendum  est,  differentiarum  alias  esse  separabiles, 
alias  inseparabiles...  *  Sic  igitur  composita  sit  super  omnia 
substantia,  et  sint  ejus  differentiae  divisibiles  animatum  et 
inanimatum...  Ilaec  differentia  animata  atque  sensibilis, 
sociata  substantiae,  perficiet  animal  ^..  Differentia  est  quod 
ad  plurimas  res  specie  distantes,  in  eo  quod  quale  sit, 
praedicatur*...  Omnes  namque  res  ex  forma  et  materia 
consistunt  ;  ipsa  autem  forma  irrationabilis  est...  Jam  omne 
genus  simile  materiae  est,  et  consistit  irrationale''...  Esse 
differentiam,    quod   possit   separare  quicquid    sub    eodem 


\.  îhid.y  I,  25. 

2.  îhid.,  I,  26. 

3.  îhid.,  11,1. 

4.  Ihid.y  II,  2. 

5.  îhid.,  II,  3. 

6.  îhid.,  II,  5. 

7.  îhid.,  II,  6.  —  Boèce  reproche  à  Victorin  de  n'avoir  pas  ici  compris 
Porphyre,  et  d'avoir  faussé  le  sens  de  tout  le  passage  :  «  Sequitur  locus 
perdifficilis,  sed  transferentis  obscuritate  Victorini  magis  quam  Porphyrii 
proponentis...  Quod  Victorinus  scilicet  intellexisse  minus  videtur.  Nam 
quod  Porphyrius  aXoyov  dixit,  id  est  irrationale,  ille  (Victorinus)  sic  acce- 
pit  quasi  àvaXoyov  diceret,  id  est  proportionale.  Atque  ideo  in  loco  ubi 
habet  hoc  modo  scriptum  :  «  Omnes  namque  res  ex  forma  et  materia  con- 
sistunt; ipsa  autem  forma  trm^/oMa/ts  est  )),  tollendum  est  irrationalis . 
Et  subterius  paululum,  ubi  habetur  :  «  Jam  omne  genus  simile  materiae 
est,  et  consistit  irrationale  »,  tollendum  est  irrationale,  et  ponendum  est 
proportionale,  ut  sit  :  «  et  conûsiïi  proportionaliter  m.  Telle  est  la  leron 
traditionnelle,  notamment  celle  de  l'édition   de  1570  (p.  33)    Avec,    cette 


i 


L'ISAGOGE  DE  MARIUS  VIGTORINUS  301 

génère  est...  Differentia  est  qua  differunt  singula,  quia  per 

e  ipsum  genus  est  ;  et  illa  quae  rationabilia  sunt,  nos  scilicet, 

t  illa  quae  irrationabilia  sunt.  Namque  et  homo  et  equus  et 

avis,  haec  omnia  genus  unum  sunt,  id  est  animal  ;  namque 

^^inimal  horum  omnium  genus  est^.. 

^H    5.  De  proprio.  —  Proprium  quattuor  dicitur  modis.  Dici- 

^^kur  namque  proprium  quod  uni  speciei  accidit,  etiamsi  non 

^Bomnibus...  (Est  item  alia  proprietas)  quae    est    omnibus, 

^^etiamsi  non  soli  ;  nam  bipes  omni  homini  accidit.  (Est  item 

tertium  proprium)   Quod  omni  et  soli   et  aliquo  tempore 

accidit,  ut  in  senecta  canescere.  Quartum  proprium  est,  quod 

uni  speciei  accidit  et  omnibus  sub  eadem  specie  individuis  et 

omni  tempore  ;  nam  risibilem  esse  hominem-.,. 

6.  De  accidenti.  —  Accidens  est  quod  infertur  et  aufertur 
sine  ejus,  in  quo  est,  interitu.  Dividit  ergo  accidens  in  sepa- 
rabile  et  in  inseparabile.  Namque  separabile  accidens  est, 
utputa,  si  quis  sedeat  vel  ambulet  ;  inseparabile  est,  ut  si 
dicas  corvum  nigrum.  Sunt  quaedam  (ut  ipse  ait)  accidentia 
inseparabilia.   Potest  autem  subintellegi  et  corvus  albus  et 

leçon,  la  phrase  qui  commence  par  «  Nam  quod  Porphyrius...  »  est  inin- 
telligible, sans  doute  par  suite  d'une  erreur  de  transcription  chez  un  co- 
piste. D'après  le  contexte,  Boèce  a  voulu  dire  exactement  le  contraire.  En 
effet,  dans  le  texte  grec  de  Porphyre,  on  trouve  la  leçon  àvàXoyov,  et,  deux 
lignes  plus  bas,  àvaloYou  (éd.  Busse,  Berlin,  1887,  p.  II).  Boèce  lui- 
même,  dans  sa  traduction  personnelle  de  VIsagoge,  a  rendu  ces  mots  de 
Porphyre  par  ac/  similitudinem  et  similiter  (ibid.,  p.  37).  La  reproduc- 
tion de  Migne  présente  une  demi-correction,  très  maladroite  (Patrol.  lat., 
t.  64,  p.  33).  Il  est  évident  que  l'on  doit  transposer  les  deux  mots  grecs 
avec  les  deux  mots  latins,  et  restituer  ainsi  la  phrase  :  «  Nam  quod  Por- 
phyrius àvàXoyov  dixit,  id  est  proportionale,  ille  sic  accepit  quasi  ako-^o^ 
diceret,  id  est  irrationale  ».  —  Telle  est  la  correction  que  nous  avions 
proposée  dans  notre  lecture  à  l'Institut  ;  elle  a  été  confirmée  par  l'étude 
des  manuscrits,  et  c'est  la  leçon  qu'ont  adoptée  MM.  Brandt  et  Schepss 
dans  leur  récente  édition  critique  (II,  6). 

1.  Ihid.,  II,  7,  —  Boèce  critique  encore  ici  l'interprétation  de  Victo- 
rin  :  «  Generis  enim  hic  nomine  pro  animalis  abusus  est  »  (ibid., 
II,  7). 

2.  Ibid.,  Il,  8. 


302  P.  MONCEAUX 

^thiops  colorem  suum  perditurus  sine  interitu  suo  in  quo 
color  fuit.  Est  autem  alia  definitio,  quae  est  hujusmodi  : 
Accidens  estquod  contingit  alicui  et  esse  et  non  esse.  (Ex  hoc 
ergo  venit  etiam  alia  definitio  :)  Accidens  esse  illud,  quod 
neque  genus  sit  neque  species  neque  differentia  neque  pro- 
prium^ 

Explicitis  igitur  atque  expeditis  his  quae  proposuit,  id  est 
génère,  specie,  propriis,  differentiisaccidentibusque,  tractare 
nunc  exsequitur  illa  quae  inter  haec  communia  omnia,  vel 
quae  differentiae  sint  *. 

7.  De  communibus  generis,  speciei,  differentiae,  proprii 
et  accidentis.  —  (Et  primo  omnium  simul  inter  se  commu- 
niones  explicat,  post  etiam  singulorum,  et  dicit)  omnium 
esse  commune  de  pluribus  praedicari.  Namque  genus  praedi- 
catur  de  speciebus  et  de  individuis  ;  eodem  modo  praedica- 
tur  et  differentia  de  speciebus  et  de  individuis  ;  etiam  pro- 
prium  et  de  speciebus  et  de  individuis  praedicatur;  at  vero 
species  de  solis  tantum  individuis  appellatur.  Genus  enim 
praedicatur  de  equis,  hominibus,  bobus  et  canibus,  id  est 
speciebus  ;  praedicatur  item  et  de  his  quae  sub  ipsis  specie- 
bus individua  continentur. . .  Accidens  vero  ante  praedicatur 
de  individuis,  et  postea  de  speciebus^. 

8.  De  communibus  generis  et  differentiae.  —  (Et  primum 
dicit)  generi  cum  differentia  esse  commune,  quod  ab 
utrisque  species  continentur...  Rationale,  quod  est  differen- 
tia, continet  et  hominem  et  Deum...  Sed  ita  continet,  ut 
genus  semper  plures  species  contineat  quam  continet 
differentia...  (Est  ista  generis  differentiaeque  communitas, 
quod)  ea  quae  de  génère  speciei  praedicantur  ut  genus,  et 
de  sub  eodem  génère  specie  praedicantur  et  de  individuis  ; 

1.  Ibid.,  II,  9. 
-2.  îhid.,  Il,  40. 
3.  Ibicl,  II,  10. 


L'ISAGOGE  DE  MARIUS  VIGTORINUS  303 

et  illa  quae  de  diiferentia  praedicatur  ut  diiïerentia,  et  de 
sub  eadem  differentia  specie  praedicatur  et  de  individuis... 
Est  autem  alia  communio,  quod,  quemadmodum  interempto 
génère  species  interimuntur,  sic  interempta  differentia  species 
sub  eadem  differentia  interimuntur.  Nam,  si  interierit  ani- 
mal, homo  atque  equus  continue  periturus  est  ;  sin  vero 
differentia,  id  est  rationale,  dii  atque  homines  interibunt,  et 
nihil  eorum  erit  quod  uti  ratione  possit*. 

9.  De  propriis  generis  et  differentiae .  —  (Dicit)  genus 
multo  de  pluribus  praedicari,  quam  praedicetur  differentia 
vel  species  vel  accidens  vel  proprium.  Namque  genus  dici- 
tur,  id  est  animal,  de  quadrupède,  de  bipède,  de  reptili,  id 
est  de  serpentibus  ;  quadrupes  autem,  quod  est  a  bipède 
differentia,  de  solis  illis  dicitur  quae  quattuor  pedes  habent; 
cum  hominis  species  sit  et  de  solis  individuis  praedicetur... 
Sed  nunc  illas  differentias  accipiamus,  quibus  genus  dividi- 
tur,  non  quibus  species  formantur...  (Est  etiam  generis 
differentia  :)  namque  genus  a  propriis  differentiis  prius  est. 
Namque,  si  abstuleris  genus,  omnes  simul  differentias 
abstulisti.  Nam,  si  abstuleris  animal,  rationale  atque  irratio- 
nale  non  rémanent.  Sed,  si  utrasque  interemeris  differentias, 
id  est  rationale  vel  irrationale,  potesttamen  quiddam  intelligi, 
quod  sit  substantia  animata  sensibilis,  id  est  animal.  (Est 
utiam  alia  differentia,  quod)  genus  semper  in  eo  quod  quid 
sit  praedicatur,  ut  dictum  est  ;  differentia  vero  in  eo  quod 
quale  sit.  (Est  etiam  alia  differentia,  quod)  ad  omnem  spe- 
ciem  unum  semper  genus  aptatur  ;  homo  enim  unum  tantum 
genus  habet,  ut  animal  appelletur.  In  unam  autem  speciem 
plurimae  differentiae  poterunt  commodari  ;  namque  homo 
et  rationale  est,  quae  differentia  est,  et  mortale,  quae 
eadem  differentia  est,  et  sensibile,  quibus  scilicet  omnibus  ab 

1.  Ihid.,  II,  il. 


304  P.  MONCEAUX 

aliis  differt.  (Est  etiam  alia  differentia,  quae  superius  dicta 
est  :)  nam  genus  speciei  ita  est  ut  materies,  differentia  vero 
ut  figura.  Quae  autem  communitates  vel  proprietates  generis 
et  differentiae  fuerunt,  (hactenus  dixit)  ^ 

iO.  De  communibus  generis  et  speciei.  —  (Dicit)  genus 
et  speciem  commune  habere  de  pluribus  praedicari,  sicut 
dictum  est...  Est  etiam  alia  eorum  communie,  quod,  sicut 
genus  ab  specie  primum  est,  sic  species  ab  individuis 
primae  sunt.  (Est  etiam  his  alia  communie,  quod), 
quemadmodum  genus  quid  sit  totum  déclarât,  sic  etiam 
species^. 

11.  De  propriis  generis  et  speciei.  —  (Dissertis  igitur 
generis  specieique  communibus,  ad  proprietates  eorum  vel 
differentias  transitum  fecit,  dicens)  differre  inter  se  genus 
et  species,  quod  gênera  species  continent,  numquam  rursus 
gênera  a  speciebus  propriis  continentur...  Insuper  omnia 
gênera  praejacent. . .  ;  et  antiquiora  sunt  gênera  speciebus 
suis.  Atque  ideo,  si  gênera  interimantur,  species  quoque 
peribunt.  Si  vero  species  interimantur,  non  continue  genus 
interibit...  (Et  quod)  omnia  gênera  univoce  de  speciebus 
praedicentur,  species  ipsae  de  generibus  numquam.  Amplius 
omnia  gênera  abundant  complexione  sub  se  positarum  spe- 
cierum  ;  ipsae  species  abundant  generum  suorum  propriis 
differentiis.  (Illud  etiam  quod)  species  nunquam  magis  genus 
fiet,  rursus  et  genus  nunquam  magis  species  fit^ 

12.  De  communibus  generis  et  proprii.  —  Generis  et 
proprii  commune  hoc  est,  adhaerere  speciebus  et  amplecti. 
Nam  si  dixeris  homo,  cum  ipso  homine  continue  animal 
nominasti  ;  si  hominem  dixeris,  risibilis  est.  Similiter  et 
genus  praedicatur  de  speciebus,  et  proprium  de  his  quae 

4.  Ibid.,  II,  12. 

2.  IhicL,  II,  13. 

3.  Ihid.,  II,  14. 


L'ISAGOGE  DE  MARIUS  VIGTORINUS  305 

sui  participantia  sunt...  Adhuc  commune  est  ipsis  univoce 
praedicari  ;  aequaliter  igitur  et  genus  de  speciebus  suis,  et 
propria  de  ea  specie  cujus  sunt  propria,  univoce  praedi- 
cantur*. 

13.  De  propriis  generis  et  proprii.  —  Differt  autem 
utrumque,  quod  genus  primum,  et  secundum  est  pro- 
prium...  (Accedit  etiam  quod)  genus  de  plurimis  speciebus 
praedicatur  ;  at  vero  proprium  de  sola  specie  praedicatur. 
(Unde  fit  ut  semper)  propria  de  speciebus  suis  conversim 
praedicari  possint,  species  autem  de  generibus  numquam. 
Neque  enim  omne,  quod  animal  est,  homo  est;  neque 
omne,  quod  animal  est,  risibile  est.  Porro  autem  omne, 
quod  est  homo,  id  risibile  est  ;  et  omne,  quod  risibile  est, 
id  homo  est.  Praeterea  omni  speciei  quicquid  fuerit  pro- 
prium, omni  et  soli  est;  genus,  etsi  uni  speciei  inest,  non 
tamen  soli.  (Unde  fit  ut)  sublata  propria  non  auferant 
genus  ;  sublatis  vero  generibus,  ipsa  quoque  propria  aufe- 
rantur.  Si  species  sustuleris,  propria  etiam,  quae  sunt  spe- 
ciebus, simul  interibunt'. 

14.  De  communibus  generis  et  accidentis.  —  (Ad  gene- 
rum  accidentiumque  communitates  vel  proprietates  transi- 
tum  fecit,  et  unam  eorum  praedicat)  communitatem,  quae 
est  quod  de  pluribus  praedicantur.  Namque,  sicut  genus  de 
plurimis  speciebus  praedicatur,  ita  etiam  separabile  accidens 
vel  inseparabile  de  plurimis  speciebus  appellatur.  Dicitur 
enim  et  de  corvo  et  de  homine  yEthiope  nigrum,  et  de 
equo  et  de  homine  moveri^. 

15.  De  propriis  generis  et  accidentis.  —  Differt  autem 
genus  ab  accidenti,  quod  genus  ante  species  est,  accidentia 
vero  speciebus  posteriora  sunt.  Accidens  postea  necesse  est 

1.  Ihid.,  II,  45. 

2.  Ihid.,  II,  16. 

3.  Ibid.,  II,  47. 

^0 


I 


306  P.  MONCEAUX 

ut  sit,  quam  sunt  ipsae  species.  Erit  enim  prius  aliquid,  cui 
possit  accidere.  (Hue  accedit  quod)  generis  participantia 
aequaliter  participant  ;  at  vero  accidentia  non  aequaliter 
participant.  Et  intentionem  et  remissionem  recipit  accidens. 
(Hue  accedit  quod)  gênera  non  modo  ante  individua,  sed 
ante  species  sunt;  accidentia  vero  non  modo  post  species, 
sed  etiam  post  individua  sunt.  (Est  etiam  differentia,  quae 
jam  superius  dicta  est.  Nam)  genus  in  eo  quod  quid  sit 
praedicatur  ;  accidens  vero  in  eo  quod  quale  sit,  aut  quo- 
modo  se  habeat^..  Sunt  autem  omnes  differentiae  viginti  ; 
nam,  cum  quinque  res  sint  et  unaquaeque  ipsarum,  ad  alias 
quattuor,  quattuor  item  differentias  habeat,  quinquies  qua- 
ternis  viginti  differentiae  efficiuntur^.. 

16.  De  communibus  differentiae  et  speciei.  —  Est  com- 
munie differentiae  et  speciei,  quod  aequaliter  species  sub 
se  individuis  se  permittit,  et  aequaliter  individua  specie  ipsa 
participant.  Namque  omnes  homines  aequaliter  homines 
sunt,  et  hominis  participatione  aeque  participant;  et  ratio- 
nabilitate,  quae  est  differentia,  omnes,  qui  ratione  partici- 
pant, aeque  participant.  Est  etiâm  alia  communitas,  quod, 
quemadmodum  species  nunquam  deserit  ea  quorum  species 
est  et  quibus  super  est,  sic  et  differentia  numquam  ea 
deserit  quae  distare  ab  aliis  facit.  Semper  enim  Socrates 
homo  est  ;  semper  Socrates  rationale  animal  est  \ 

17.  De  propriis  differentiae  et  speciei.  —  Differentia 
semper,  in  eo  quod  quale  sit,  praedicatur  ;  species  vero,  in 
eo  quod  quid  sit,  praedicatur.  Namque  hominis  qualitas 
rationale  est,  sed  non  simpliciter  ;  illa  enim  qualitas  pro 
differentia  accipitur,  quae  veniens  in  génère  speciem  consti- 
tuit.  Differentia  fréquenter  in  pluribus  speciebus  considera- 

1.  Ihid.,  II,  18. 

2.  îhid.,  II,  19. 

3.  IbicL,  II,  20. 


I 


L'ISAGOGE  DE  MARIU5  VIGTORINUS  307 

tur...  ;  species  vero  nunquam  aliis,  nisi  solis  sub  se  indivi- 
duis,  praeest...  (Unde  fit  ut)  sublata  differentia,  species 
quoque  tollatur  ;  nam,  si  sustuleris  rationale,  hominem 
sustuleris.  Si  vero  sustuleris  speciem,  differentia  manet  ; 
nam,  si  sustuleris  hominem,  rationalis  Dei  differentia  rema- 
nebit.  (Est  vero  etiam  haec  differentia,  quod)  differentia  cum 
alia  differentia  jungi  potest  ;  namque  rationalis  differentia  et 
mortalis  differentia  junctae  hominis  unius  speciem  reddi- 
derunt.  Junctae  vero  species  nunquam  aliquam  ex  se  spe- 
ciem constituent.  (Sed  fortasse  dicat  quis  :)  Asini  atque  equi 
conjunctione  mulus  nascitur.  Si  autem  sic  simpliciter 
speciem  ipsam  asini  atque  equi  conjungas,  nulla  ex  his 
unquam  species  constituitur  ^ 

iS.  De  communibus  differentiae  et  proprii.  —  Differen- 
tia et  proprium  commune  habent  quod,  quibus  differentia 
est  et  a  quibus  ipsa  differentia  participatur,  aequaliter  parti- 
cipatur.  (Non  est  dubium  quia)  omnes  homines  aequaliter 
sint  rationales,  aequaliter  risibiles.  (Est  etiam  haec  eorum  com- 
munitas,  quod)  sicut  potestate  risibile  dicitur,  etiam  si  non 
rideat,  ita  etiam  potestate  bipes  dicitur,  etiam  si  quis  uno  pede 
minuatur  :  non  enim  quod  est  dicitur,  sed  quod  esse  possit^. 

19.  De  propriis  differentiae  et  proprii.  —  Differunt 
autem  inter  se,  quod  differentia  de  pluribus  speciebus  prae- 
dicatur,  proprium  vero  de  una...  (Unde  evenit  ut  omnis) 
differentia,  quoniam  plurimarum  continens  est  specierum,  a 
suis  speciebus  major  sit  ;  atque  ideo  ipsa  de  speciebus  praedi- 
cari  potest.  Porro  autem  de  ipsa  species  praedicari  non 
possunt  ;  neque  conversim  dici  potest.  At  vero  proprium, 
quoniam  aequaliter  et  ad  unam  speciem  semper  aptatur, 
aequa  vice  atque  appellatione  convertitur  =^. 

4.  IbicL,  II,  21. 

2.  Ihid.,  II.  22. 

3.  îhicL,  II,  23. 


308  P.  MONCEAUX 

20.  De  communibus  differentiae  et  accidentis.  —  Diffe- 
rentia  et  accidens  commune  habent  de  pluribus  praedicari. 
Est  etiam  ista  communio,  quod  inseparabile  accidens,  cui- 
cumque  speciei  fuerit,  inseparabiliter  et  omnibus  inest^.. 

21.  De  propriis  differentiae  et  accidentis.  —  Differunt 
autem  inter  se,  quod  omnis  differentia  species  continet,  non 
contra  ipsa  ab  speciebus  continetur.  Namque  quod  est  ratio- 
nale  continet  hominem.  Accidentia  vero  aliquoties  continent, 
aliquoties  continentur.  Namque  continent,  quoniam  fré- 
quenter unum  accidens  duas  sub  se  species  habet  ;  conti- 
nentur vero,  quoniam  species  una  habet  duo  vel  tria  vel 
quamlibet  plurima  accidentia.  Dehinc  differentia  nunquam 
intenditur  neque  relaxatur  ;  at  vero  accidens  et  intenditur 
et  relaxatur.  Praeterea  inmixtae  semper  sunt  contrariae 
differentiae  ;  at  vero  contraria  accidentia  (manifestum  est) 
in  una  specie  posse  congruere. 

Ergo,  quemadmodum  species  différât  a  génère  vel  differen- 
tia, dictum  est,  cum  de  generis  ad  speciem  et  differentiae  ad 
speciem  distantia  diceremus  \ 

22.  De  communibus  speciei  et  proprii.  —  Est  una 
eorum  communio,  quod  de  se  ipsa  invicem  praedicantur. 
Quid  homo?  quod  risibile.  Quid  risibile?  quod  homo... 
(Commune  est  etiam  illud,  quod)  omne  proprium  aequaliter 
ad  sub  se  posita  praedicatur,  et  species  aequaliter  ad  sub  se 
posita  praedicatur  ^ 

23.  De  propriis  speciei  et  proprii.  —  Differunt  autem  a 
se,  quoniam  species  potest  etiam  genus  alteri  esse,  proprium 
esse  non  potest.  Deinde  species  praecedit,  et  sic  proprium 
sequitur.  Oportet  enim  prius  esse  hominem,  ut  sit  risibilis. 
Semper  species  in  actu  est  et  in  opère  ;  proprium  vero  ali- 

d.  Ihid.,  II,  24. 

2.  Ibid.,  II,  2S. 

3.  Ihicl,  II,  26. 


L'ISAGOGE  DE  MARIUS  VIGTORINUS  309 

quoties  potestate...  Deinde,  quorum  definitiones  diversae 
sunt,  necessario  etiam  ipsa  quoque  diversa  sunt.  Est  autem 
speciei  definitio  sub  génère  esse,  et  ad  plurima  numéro 
differentia  in  eo  quod  quid  sit  praedicari  ;  at  vero  proprii, 
uni  tantum  inesse  speciei,  et  sub  ipsa  de  omnibus  individuis 
praedicari  \ 

24.  De  communibiis  speciei  et  accidentis.  —  (Dicit)  eorum 
raras  esse  alias  communitates,  nisi  bas  solas  quod  de  pluri- 
bus  praedicantur.  Longe  enim  a  se  distare  videntur  id  quod 
alicui  accidit  et  id  cui  accidit^ 

25.  De  propriis  speciei  et  accidentis.  —  Propria  vero  sin- 
gulorum  sunt  haec,  quod  species  in  eo  quod  quid  sit  praedi- 
catur,  accidens  vero  in  eo  quod  quale  sit  et  quodammodo 
se  habens.  (Item,  quod)  unaquaeque  substantia  unam  spe- 
ciem  habet  ;  at  vero  una  substantia  plura  fréquenter  acci- 
dentia  continebit.  Habet  etiam  non  solum  inseparabile  acci- 
dens eadem  substantia,  sed  etiam  separabile.  (Hue  accedit 
quod)  species  praenoscuntur  quam  accidentia  ;  et  prius  erit 
aliqua  res  ubi  accidat,  quam  illa  quae  accidat.  Accidentia 
vero  postnativa  sunt,  id  est  a  foris  venientia,  etiamsi  insepa- 
rabilia  sunt.  (Haec  quoque  est  eorum  separatio,  quod  sem- 
per)  omnia,  quae  participant  specie,  aequaliter  participant  ; 
at  vero  illa,  quae  participant  accidenti,  etiam  si  inseparabile 
accidens  sit,  tamen  non  aequaliter  participant.  Namque, 
quamvis  inseparabile  sit  accidens  ^Ethiopibus  nigros  esse, 
tamen  est  aliquis  inter  ipsos  nigrior,  nec  omnes  illa  nigre- 
dine  aequaliter  participant. 

Relinquitur  igitur  de  communibus  proprii  accidentisque 
tractare.  Nam,  proprium  quid  distaret  vel  ab  specie  vel  a 
génère  vel  a  differentia,  superius  demonstratum  est^ 

1.  Ihid.,  II,  27. 

2.  Ihid.,  II,  28. 

3.  Ihid.,  II,  29. 


3i0  P.  MONCEAUX 

26.  De  communibus  proprii  et  accidends.  —  Proprium 
autem  et  inseparabile  accidens  commune  habent,  quod  sine 
his  nunquam  consistant  ea  in  quibus  ipsa  considerantur. 
Nam  neque  homo  amittit  risibile  esse,  nec  yEthiops  aut  cor- 
vus  nigrum.  (Est  etiam  inseparabilis  accidentis  et  proprii 
alia  communio,  quod)  sicut  et  omni  et  semper  inest  pro- 
prium, sic  etiam  quodlibet  accidens  inseparabile  et  semper 
et  omni  est  accidens  inseparabile  ' . 

27.  De  propriis  proprii  et  accidentis.  —  Differunt  autem 
ista,  quod  proprium  semper  uni  speciei  inest,  accidens  vero 
et  pluribus.  Namque  accidens  pluribus  speciebus  et  anima- 
tis  et  inanimatis  evenit,  ut  est  ebeno  nigrum,  corvo  nigrum, 
homini  ^Ethiopi  nigrum  ;  risibile  vero  nulli,  nisi  soli  homini. 
Atque  ideo  conversim  proprium  praedicatur,  quia  unius  spe- 
ciei continens  est,  et  illi  speciei  soli  aequalis  est.  At  vero 
accidens  conversim  praedicari  non  potest.  Deinde  omne  pro- 
prium aequaliter  se  his  rébus  quae  sub  se  fuerint  dat,  et  ab 
his  aequaliter  participatur  ;  at  vero  accidens  non  semper 
aequaliter. 

Et  fortasse  aliae  eorum  quaedam  proprietates  vel  commu- 
niones  esse  videantur.  Sed  nunc  ista  sufficiant'.  [Explicit 
Marii  Victorini  Isagoge  latina]. 


1.  Ibid.,  II,  30. 

2.  Ibid.,  II,  31. 


F.   NOUGARET 


VATICANVS  MS  SjSo 
PERSE-JUVÉNAL 


I 


VATICANVS  MS  5750,  PERSE-JUVENAL 

Par  F.  NouGARET 


L'édition  que  Goetz  a  donnée,  d'après  une  copie  de  Loewe, 
des  fragments  de  Juvénal-Perse  en  capitale  du  Vaticanus 
5750  provenance  Bobbio  {Index  aestiv.  Univ.  len.  1884^, 
léna  Neuenhahn)  manque  de  rigueur,  et  l'étude  dont  il  a 
accompagné  cette  édition  peut  être  poussée  plus  avant.  J'ai 
eu  la  bonne  fortune  de  manier  ces  fragments  moi-même  pen- 
dant une  réparation  du  volume,  il  y  a  une  dizaine  d'années. 
J'ai  pu  les  redéchiffrer  à  loisir,  grâce  à  la  complaisance  du 
préfet  de  la  Yaticane,  le  R.  P.  Ehrle^;  j'en  ai  fait  faire  des 
photographies,  sur  la  foi  desquelles  je  m'enhardis  à  offrir 
une  copie  déjà  bien  vieille.  La  voici  au  complet,  précédée 
de  quelques  éclaircissements  indispensables,  et  suivie  des 
conclusions  que  j'ai  cru  pouvoir  en  tirer. 

Les  fragments  composaient  une  feuille  double  qui  était  pa- 
ginée 63-64  (feuillet  trente-deuxième)  77-78  (feuillet  trente- 
neuvième).  Elle  formait  la  feuille  extérieure  d'un  quater- 
nion.  Le  volume  allait  être,  à  ce  moment-là,  relié  in-plano 
feuille  par  feuille.  La  nôtre  n'y  forme  donc  plus  désor- 
mais qu'un  unique  feuillet  aux  deux  pages  doubles.  J'i- 
gnore ce  qu'elles  contiennent  respectivement.  Auparavant, 

l.  A  qui  je  suis  heureux,  après  si  longtemps,  de  rendre  cet  hommage. 


314  F.-N.  NOUGARET 

Perse  (I  53-104)  venait  au  premier  feuillet,  Juvénal  (XIV 
324*  —  XV  43)  au  second.  Comme  l'a  remarqué  Goetz, 
tel  n'avait  pas  dû  être  l'ordre  primitif.  La  feuille,  repliée 
postérieurement  sur  l'ancien  pli,  présentait  à  l'origine  Juvé- 
nal d'abord.  Perse  ensuite.  Impossible,  en  effet,  de  caser 
entre  les  deux  feuillets  un  restant  de  cahier  aussi  considé- 
rable que  le  serait  Perse  I  104-fin  |  Juvénal  commence- 
ment— XIV  323,  au  lieu  que  l'opération  inverse,  Juvénal  XV 
44 — fin  I  Perse  commencement — I  52,  va  toute  seule.  On 
verra  d'ailleurs  que  les  premières  leçons^  du  titre  courant  de 
Perse  dénoncent  la  priorité  de  Juvénal,  et  qu'il  existe^ 
au  bas  du  verso  de  Perse  une  signature  de  cahier.  La  feuille 
enveloppait  déjà  un  cahier  dans  l'original. 

Deux  anciennes  mains  en  tout  :  1°  celle  du  texte,  titre  cou- 
rant, signature,  plus  les  quelques  corrections  en  cours  de 
copie;  2**  celle  des  scholies  et  de  la  révision.  On  trouvera 
tout  ce  qui  est  de  la  première  main  aux  deux  premières  et 
aux  deux  dernières  pages,  tout  ce  qui  est  de  la  seconde  aux 
deux  pages  (doubles)  intermédiaires.  Un  cas  douteux  est  répété 
aux  deux  mains.  Goetz  a  remarqué  que  l'annotateur  n'avait 
eu  souci  du  titre  courant.  Plus  tard  le  volume  fut  dérelié,  et 
notre  feuille  entra  revêtue  d'un  nouveau  texte,  en  compagnie 
de  beaucoup  d'autres  de  provenance  étrangère,  au  volume 
actuel.  Une  seule  de  nos  pages  n'est  point  récrite  :  c'est  celle 
que  reproduisent  Zangemeister-Wattenbach  Exempla  codi- 
cum  et  Châtelain  Paléographie  des  classiques  (la  ligne  de 
tachygraphie  et  le  signe  en  marge  sont  de  second  âge)  ;  les 
autres  pages,  palimpsestes,  ne  vont  pas  sans  difficultés. 

Un  mot  sur  la  transcription  que  j'ai  employée.  J'ai  facsi- 
milé  le  plus  possible.  Au  texte,   les  italiques  renvoient  à 

i.  Non  323  Goetz. 

2.  Non  une  seule  Goetz. 

3.  Omis  Goetz. 


VATICANVS  MS  5750  31o 

l'apparat;  hors  du  texte,  ce  qu'elles  transcrivent  n'est  mis 
que  pour  la  clarté.  Les  chiffres  1,  2,  3,  4,  5  signifient  respec- 
tivement certitude,  probabilité,  vraisemblance,  possibilité, 
conjecture  pour  toute  la  partie  de  texte  qu'ils  précèdent 
jusqu'à  nouveau  chiffre  ;  mais  comme  on  en  vient  malgré  soi 
à  subtiliser  en  pareille  matière,  ces  chiffres  mis  en  exposant 
devront  s'entendre  de  l'existence,  et  mis  en  indice,  de  la 
forme  de  la  leçon.  \  par  exemple,  en  tête  de  la  transcription, 
se  lira  :  absence  d'écriture  certaine,  semblable  espace  certain  ; 
L  sans  nouvel  exposant  ni  indice,  écriture  certaine,  L  cer- 
taine; 2I  écriture  certaine,  i  probable;  4B  écriture  certaine, 
B  possible  ;  ^  \\\  grattage  certain ,  aire  du  grattage  certaine  ; 
u  sans  exposant  ni  indice  nouveaux,  certain  d'existence  et  de 
forme;  5 -écriture  certaine  et  point  conjectural;  j  en  indice 
exposant  ^  toujours  inchangé  sans  écriture  qui  suive,  espace 
certain  d'existence  et  d'aspect  jusqu'à  prochain  caractère  ligne 
suivante  B,  lequel,  solitaire  en  apparence,  dépend  indice  et 
exposant  de  chaque  première  détermination  qui  précède  ; 
ainsi  de  suite  et  applicable  universellement.  Trois  grandes 
catégories  de  dommages  :  :•:  =  grattage,  effacement  ;  B  =  ta- 
che, partie  de  texte  recouverte;  □=  lacune,  parchemin 
disparu  (ou  impropre  à  l'écriture,  comme  ici  Juvénal  XV  26). 
Je  n'ai  pas  eu  lieu  d'indiquer  de  traces  rebelles  à  la  lec- 
ture III  ;  ^,  que  l'on  rencontrera  çà  et  là,  exprime  une 
hésitation  du  copiste,  reconnaissable  au  tremblé  du  trait, 
à  l'indécision  de  l'espacement,  etc'. 


i.  Je  dois  tout  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  bon  dans  ce  mode  de  trans- 
cription aux  leçons  et  aux  conseils  de  mon  cher  vénéré  maître  Louis 
Havet. 


316  F.-N.  NOUGARET 


luuen.  XIV  (p.  yy  fol.  r.) 


LoUBi-xUs'i 

Bisseptemordinib.qVamLexdignatVrothoniS 
haecqvoa-sirugamtrahitextenditq.labellum       s2s 
sumeduoseauitesfactertiaavadringenta 
sinondumimpLebigremiumsipandit*-»VLtra 
necchroeslfortvnaumqyamnecpersicaregna 

SVFFICIENTANIMONECDIUITIAENARCISSI 

induLsitcaesarcuicLaVdiusomniacVius  sjo 

paruitimperiIsuxoremoccidereiussus 

luuen.  XV 

qvlsnescituolusibityniceavallademens 
aegYptusportentacoLatcorcodiLLonadorat 
parshaeciLLapaVetsaturamserpentib.ibin 
eFFigiessacrinitetaureacercopitheci 
dimidiomagicaeresonantVbimemnonacordae  ; 

ATa^.i  F£rVSTHEBECENTUMIACET05RUTAP0RTIS 

iLLiccaeruLeoshicpiscemFLuminisiLLic 

oppidatotacanemVeneranturnemodianam 

porrVmetcaepaeneFasuioLareetFrangeremorsV 

OSANCTASGENTESaViB.HAECNASCUNTVRINHORTIS  lo 

numinaLanatisanimaLib-abstinetomnis 

mensaneFasiLLicFetumiuguLarecapeLLae 

carnib.hVmanisuesciLicetattonitocum 

taLesupercenamFacinusnarraretVLixes 

alcinoobllemautrisvmfortasseauibusdam  is 

moVeratetmendaxaretoLogusinmarenemo 

huncabicitsaeuadiGnumueraQ-charYbdi 


abat   u.    J2J  CHROESI  punctum    utra   manu?  non    BITHYNICE 

non    CIRCOPITHECI  ex  ATQ.5.iTVS  ex   0^?*RUTA 


VATICANVS  MS  5750  317 


luuen.  XV  (p.  'jS  foî.  v.) 


3.1 


IIUUEN 


x^ingenteminmanisLaestrYgonasetcYcLopas 
namcitiVsscYLLamueLconcurrentiasaXa 

CYANEISPLENOSETTEMPESTATIBUSVTRES  20 

crediderimauttenuipercussumuerberecirces 
etcVmremigib-grVnnisseeLpenoraporcis 
tamuacuicapitispopuLumphaeacaputaVit 
sicaLiq.uismemoritonondVmebriusetminimumQ.Vi 

DECORCYREATEMECUMDEDUXERATURNA  2S 

dsolusenimhaecithacusnullosubtestecanebat 
nosmirandaavldemsetnuperconsvleiunco 
gestasupercaLidaereFeremVsmoeniacopae 
nosVuLgisceLusetcunctisgrauior.\cotVrnis 

NAMSCELUSAPHYRRAaUAMaUAMOMNIASYRMATAUOLUSio 

nuLLusaputtragicospopuLusFacitaccipenostro 
diraoyodexemplumferitasprodvcseritaeuo 
interflnitimosvetusada-antiq.uasimultas 
immortaLeodiumetnumquamsanabiLeVuLnus 

ARDETADH  VC^  MBOSETTENTURASUMMUSUTRIMQ-  j; 

indeFuroruuLgoq.uodnuminaVicinorum 
oditvteralocuscumsoloscredathabendos 
essedeosauosipsecolirsettemporefesto 
aLteriuspopuLirapiendaoccasiocVnctis 

ViSAINIMICORUMPRIMORIB-ACDUCIB-NE  4û 

laetumhllarema-diemnemagnaegavdiacaenae 

sentirentpositisadtempLaetcompitamensis 

peruiglllq-toroquemnocteacluceiacente 

ex^V'WGENTEM         «  CORCYRs—i  «  *U'Mfî05  an  COLll  ? 


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21 


322  F.-N.  NOUGARET 


Pers.  I(p.  6^  fol  r.) 


ScribitVrincitreiscaLidVmscisponeresVmen 
sciscomitemhorridVLumtritadonareLacerna 
etVeruminquisamouerummihidicitedeme  ss 

QUIPOTEUISDICAMNUGAR2£iSCUMTIBICALVE 

pinguisaauallculuspropensosexauipedeexitet 

oianeatergoavemnullaciconiapinsit 

necmanusauricuLasimitarimobiLisalbas 

NECLlNaVAariClUANTUMSITlATCANISAPULATANTE  60 

VoSOPATRiaUSSANGUISaVOSBIUEREFASEST 

occipiticaecoposticeoccurritesanne 

auispopullssermoestquisenimnisicarminamolll 

nuncdemumnumeroFLuereutperLebeseuero 

ETFUNDATIUNCTURAUNGUaiiiSSCITTENDEREUAESIS  6s 

nonsecvsacsioculorubricamdirigatuno 
siueopVsinmoresinLuxuminprandiaregum 
dicereresgrandesnostrodatmVsapoetae 
eccemodoheroassensusadFerredocemVs 

NVGARIS0LIT0SGRAEC£NECP0NERELUCUM  70 

artiFicesnecrVssaturumLaudareubicorbes 
etFocusetporcietFumusapaLiLiaFaeno 

vnderemussulcosq.-terensdentallaavlnti 
quemtrepidaanteboVesdictatoreminduituxor 

ETTUAARATRADOMUMLICTORTULITEVGEPOETA  7S 

estnuncbriseioyemuenosusllberacci 

suntavospacuiusaetuerrucosamoretvr 

antiopeaerumnisicorLuctiFicabiLeFuLta 

ex  sLjsB/r-iff^U^i::  an  NUGARgl^S?  non  PROTENSO  ex  LINQVa^EÎ 

an  UNGU3I1S  ?  an  GRAECJ^  ? 


VATICANVS  MS  5750 


Fers.  I  (p.  64J0L  u.) 


PLRSI 


HospuerismonitVspatrisinFundereLippos 
cvmuideasauaerisneundehaecsartagolooyendi     80 

UE]<lERirmLlNGUASUNDEISTFCDEDECUSINQ\JO 

trossuLusexVLtatibipersubseLLiaLeVis 

nihiLnepudetcapitinonpossepericuLacano 

peLLereoVintepidumoshocoptesaVdiredecenter 

FURESATISPEDIOPEDlVSQyiCRIMINAR/\SIS  8s 

LibratinantithetisdoctaspotuisseFigVras 
LaudatusbeLLumhochocbeLLumanromuLecebes 
menmobeatoyippeetcantetsinavfragusassem 
protVLerimcantascumFractateintrabepictVm 
exumeroportesuerumnecnocteparivtum  90 

PLORAL7/raUIME(70L£nNCVRUASSEaUERELLAS 

sednumerisdecorestetiuncturaadditacrVris 

cLaVderesicuersumdidicitberecYnthiusattis 

etquicaeruLeVmdirimebatnereadeLphin 

siccostamLongosubduximVsappennino  PS 

armauirumnonnehocspumosumetcorticepingVi 

VtramaLeuetuspraegrandisuberecoctVm 

quidnamigitVrtenerumetlaxaceruiceLegendVm 

torbammaLLon/simpLerVntcornuabombis 

ETRATUMUITULOCAPU.TAPLATURASUPERBO  100 

BASSARISETLYCEMMAENASFLEXURACORYMB/55. 

eVhioningeminatreparabiLisadsonatecho 
haecFierentsitesticVLiuenuLLapaterni 

ViueretinnobisummadeLumbesaLiVa 

ex  ;;;IV,V3E,N:;;        ex  UENERITINGY\S\J-iiDElSTVCDET>EC\JSIiiQ.\JO        ex  pLORABsiTi 
«B*0LET«  nou  ETQUE  non  APPENINO  ex  TORBAMMaLLONs  s  * 

non  INPLERVNT        ex  Xjfi^LATURA  ex  LYsNi  ex  CORYmBOS  flS  ex  O,  S  expu,utu) 


324 


F.-N.  NOUGARET 


Si  j'ai  bien  lu  la  signature  au  bas  du  dernier  verso,  notre 
feuille  enveloppait  donc  un  x**  cahier.  Comptons,  à  26  lignes 
par  page  et  52  par  feuillet,  combien  de  feuillets  a  pu  occuper 
la  vulgate  de  Juvénal  avant  ce  x^  cahier.  Notre  feuille  nous 
avertit  de  réserver  une  ligne  d'intervalle  de  pièce  à  pièce,  et 
nous  admettons,  à  l'ordinaire  des  manuscrits  en  capitale, 
après  tout  explicit-incipit  un  laissé  blanc  du  restant  du  feuil- 
let, fût-ce  le  feuillet  entier  moins  cet  explicit-incipit  lui- 
même  ;  le  cas,  d'ailleurs,  ne  se  présentera  pas.  Tout  livre 
commencera  donc  sur  un  recto.  Ceci  posé,  nous  relevons  au 


livre  I 


I, 


III, 


IV, 


livre  II 


livre  III 


livre  IV 


474  vers  =  474  lignes 

4  ligne  blanche  =     4 


470  V. 
4  1.  bl. 
322  V. 
1  1.  bl. 
454  V. 
4  1.  bl. 
473  V. 


=  470 
=  4 
=  322 
=  4 
=  454 
=  4 
=  473 


Total  =  994 

=  49x52  +  6 
=  49  H-  4  feuillets 

VI, 

664  vers             =  664  lignes 

=  42x52  +  37 

=  42  +  4  feuillets 

VII, 
VIII 

243  vers             =  243  lignes 
4  ligne  blanche  =:     4 
275  V.                =275 
4  1.  bl.               =     4 

IX, 

450  V.                =450 

Total  =  670 

=  42x52  +  46 
=  42  +  4  feuillets 

X, 

366  vers             =  366  lignes 
4  ligne  blanche  =      4 

XI, 

208  V.                =  208 
4  1.  bl.               =     4 

XII, 

430  V.                =  430 

Total  =  706 


=  20  feuill 


=  43feuill 


=  43  feuill 


=  43x52  +  30 
=  43  +  4  feuillets 

A  reporter. 


=  44  feuill 
60  feuill 


VATICANVS  MS  5750  32o 

Report  :     60  feuillets 


ivre  V 


xm, 

XIV, 

exclu 

249  ve 
4  ligne 
323  V. 
depuis 

rs 
blanche 

324 

=  249 
=     4 
=  323 

lignes 

Total 

=  573 

=  14x52  +  4{àflégliger, 

=  44  X  52  H-  Toir  plus  loio)  =  41  feuillets 

Total  général  =  74  feuillets 


soit  donc  en  tout  71  feuillets  qui  font  précisément  9  quater- 
nions,  si  l'on  ajoute  1  feuillet  blanc  en  tête.  L'hypothèse  est 
trop  séduisante  et  trop  conforme  à  ce  que  nous  savons  des 
manuscrits  en  capitale  pour  que  nous  nous  en  privions. 
N'est-elle  pas  corroborée  d'ailleurs  par  la  restitution  de  notre 
cahier  x,  un  quaternion  lui  aussi  ?  Je  la  figure  d'après  Goetz, 
en  élaguant  ou  rectifiant  : 


[—(p.  77)  Juvénal  XIV  324  —  XV  47  |  (p.  78)  XV^48  -  43 

XV  44  — 69  1  70  —  95 

96  —  424  1  422  —  447 

: - 448  -  473  I  474  _  XVI  4  -  24 

^ " XVI  25  -  50  I  54  -  60,  ? 

■ ?        I        ? 

-..- Perse  I  4  —  26  |  27  —  52 

(p.  63)  53  -  78  I  (p.  64)  79  -.404 


J'hésite,  en  effet,  sur  le  contenu  des  feuillets  5  fin  et  6,  aux- 
quels on  peut  aussi  bien  attribuer  la  fin  manquante  de  la 
xvi''  satire  et  refuser  le  prologue  de  Perse,  à  moins  qu'on  ne 
leur  donne  les  deux.  Mais  j'incline  à  penser: 

1"  que  les  choliambes  nécessitant  entre  eux  et  les  satires 
un  explicit-incipit  et  par  conséquent  une  fin  de  page  ou  de 
feuillet  blanche,  à  titre  de  rythme  distinct,  n'ont  pu  trouver 
place  au  recto  obligatoire  (si,  par  exception,  ils  n'occupaient 
pas  le  verso)  ;  ou  bien  il  faudrait  réduire  la  lacune  à  16  lignes 
maximum  (ou  15,  ou  14,  car  où  mettre  V explicit-incipit  T)^ 


326  F.-N.  NOUGARET 

chiffre  peu  vraisemblable  ;  à  moins  qu'elle  n'ait  tout  en- 
tière daté  de  plus  haut,  et  par  exemple  de  Juvénal  lui- 
même; 

2^*  que  là  xvi^  satire  remonte  au  moins  à  notre  manuscrit  ; 

3**  que  si  elle  s'y  trouvait  complète,  la  perte  n'a  pu  exé- 
der  i  6  H-  52  =  68  vers  ; 

4**  que  les  interpolations,  s'il  en  fut,  faisaient  partie  du 
texte  à  l'époque  du  manuscrit  en  capitale. 

Voyons  maintenant  si  la  pagination  de  notre  manuscrit 
(ou  d'un  manuscrit  congénère  à  26  lignes  par  page,  que 
rien  n'empêche  de  supposer  mieux  copié  ou  mieux  révisé, 
puisque  le  nôtre  a  été  l'un  et  l'autre  assez  mal)  n'aurait  pas 
laissé  sa  trace  dans  notre  tradition  du  texte.  On  peut 
répartir  cette  pagination,  pages,  feuillets,  cahiers  comme 
suit.  Nous  notons  à  mesure  les  rencontres  les   plus  frap- 


•Juvénal  I  1  —  26  I  27  —  52 

—53  —  78  I  79  —  104 

-105  —  430  I  131-156 

157  -  II  10  I  11  —  36 

37  -  62  I  63  -  88 

-"  89  —  114  I  115  —  140  89-90  scholie  anticipé 

-141  _  166  I  167  -  III  21  ^^  ^^  ^  Sangallensis. 


- 22  —  47  I  48  —  73 

-^ 74  —  99  1  100  -  125 

-- 126  —  151  1  152  —  177 

- 178  —  203  I  204  —  229  203  mutilé  P  Parisinus 

"     L 230  -  255  I  256  -  281  mZlpel 

- 282  —  307  I  308  -  IV  10 

- 11  —  36  I  37  —  62 

- 63  _  88  I  89  -  114 

1.  Texte  congénère  de  P  et  pour  partie  plus  ancien,  comme  j'ai  dessein 
de  le  démontrer  prochainement.  M.  C  E.  Stuart,  de  Cambridge,  à  qui  je 
dois  d'obligeants  renseignements  pour  le  présent  ajrticle,  a,  de  son  côté, 
la  même  opinion  sur  la  valeur  de  ce  Parisinus. 


VATICANVS  MS  5750 


327 


Tir 


Juvénal  IV  445  -  440  |  444  -  V  44 

42-37  1  38-63 

64  -  89  1  90  -  445 

116  —  444  1  442  —  467 

168  — -473  I  blanc  (livres  I  —  II) 

VI  4 -26  1  27-52 

53-78  1  79  —  404 

405  -  430  I  434  -  456 

457  -  482  1  483  -  208 

,.; 209  -  234  I  235  -  260 

264  -  286  1  287  -  342 


IV 


VI 


ci: 


VII 


l: 


•343-338  i  339-364 
.-365  -  390  1  394  -  446 
447  —  442  I  443  —  468 
.469  —  494  1  495  —  520 
-524  —  546 
■573  —  598 


547  -  572 

599  _  624 
•625  —  650  1  654  —  664  (livres  II  —  III) 
VII  4  —  26  I  27  -  52 

53-78  I  79-404 

...405  -  430  1  434  -  456 
....457  —  482  1  483  —  208 


.209  —  234 

47  —  42 

69  —  94 

•  424  —  446 

•473-498 

225  —  250 

.1X4-26 

53  -  78 

...405  —  430 
X4  — 26  1  27 


235  -  VIII  46 

43  —  68 

95  —  420 
447  —  472 
499  —  224 
254 

27  —  52 
79  —  404 

434  — 450  (livres  m 
52 


275  ligne  blanche 


ou  si  III  281  omis,  au 
lieu  de  141  lire  142, 
devant  lequel  P  Pa- 
risinus  anticipent  le 
titre  V,  avec  grande 
initiale  suivante. — 
Alors  V 12  où  initiale 
suspecte  P.    —  (38 
A  pour  H  P  Parisi- 
7iws.-)V  63 -64  in- 
tervertis   P    Parisi- 
nus  s'accorde  à  281 
omis,64  venant  alors 
en  fin  de  page,  et  no- 
ter V  91  omis  PPaWsi- 
niis  Vindobonensisi . 
126, 307  errants  ;  ôtons 
un   des    deux:    dès 
lors    fin  de   page  à 
365,  où  commence  la 
découverte*  Bo- 
dléienne,  non  logea- 
ble d'ailleurs,  trop 
peu  de  lignes  blan- 
ches à  la  fin. 


129  —  158  scholies 
manquent  P  Sari- 
gallensis. 


198  cessaient  scho- 
lies Valla. 

—  coupure  milieu  des 
quaternions  et  des 
satires  de  Juvénal. 


IV) 


157  grande  initiale  (0 
exclam.,  le  seul  ainsi 
noté)  P. 


53  _  78  I  79  -  404 

405  -  430  I  434  —  456 

457  -  482  I  483  -  208 

209  -  234  1  235  -  260 

264  —  286  I  287  —  342 

343-338  I  339-364 

„.365  —  XI  23  I  24  —  49 

50-75  I  76-404 

4.  Voir  Juvénal-Housman,   Londres   Grant  Richards  4905.  Je  croirais 


ce  ms  très  apparenté  à  P. 


F.-N.  NOUGARET 


VIII 


"JuvénalXH02-127 

•- 454-179 

206  —  XII  22 

49  —  74 

~ 101  —  126 

XIII  1-26 

53  —  78 

105^130 


IX 


r 


•157  —  182 
•209  —  234 
••--11  —  36 

63-88 


115  —  140 

167-192 

219  -  244 

271  —  296 


•Perse  I 


-324 -XV  17 

44  -  69 

-••96-121 

148  — 173 

25  —  50 

-? 

1-26 
-53  —  78 


XI 


- 105  —  130 

- 22  —  47 

- --74 -III  23 

r- 50-75 

L 102 -IV  8 

-. .: 35  —  V  7 

- ».34-59 

- 86  -  111 


XII 

binion 


138  — 163 

190  —  VI  23 

50  -  75 

? 


128 

180 

23- 

75- 

127 

27- 

79  - 104 

131  — 156 


-153 

-205 

48 

100 

- 130  (livres  IV  —  V) 

52 


183  -  208 

235  -  XIV  10 

37-62 

89-114 

141  — 166 

193  -  218 

245  -  270 

297  —  322  (323  surabondant) 


18J-  43 
70  —  95 
122  -  147 
174  -  XVI  24 
51  —  60? 

? 
27-52 
79  — 104 


a  139  — 140  interverti 
P  corrigés  p  peut 
être  l'explication  di 
vers  surabondan 
323. 

pas  de  vers  XIV  entre 
et2dans  ce  texte-ci 

114  mutilé  P. 


229   caduc:  explique 
rait-il  323? 


174  mutilé  P. 


131  -  II  21 

48  —  73 

24-49 

76-101 

9  —  34 

8-33 

60  —  85 

112—137 


164  — 189 
24  —  49 
76  -  80  ? 
? 


75  omis  «. 


VATICANVS  MS  5750  329 

Nous  n'osons  présenter  de  conclusion  formelle.  Le  manus- 
crit se  réduit  à  trop  peu  de  chose,  et  ce  peu,  on  le  voit,  n'est 
pas  excellent.  C'est  l'œuvre  d'un  copiste  ignare,  qui  n'a 
pas  su  déchiffrer  son  modèle,  ou  qui  ne  s'en  est  pas  piqué. 
Mais  rien  ne  prouve  que  ce  modèle  ne  fût  pas  bon.  Presque 
tout  ce  qui  dépare  notre  texte  me  semble  imputable  à  la 
copie.  Peut-être  aussi  le  modèle  avait-il  souffert;  ou  bien 
n'était-il  qu'un  grimoire  ?  en  cursive  ?  quelque  autographe  ? 
Si  aventurées  que  soient  de  telles  suppositions,  il  est  néan- 
moins concevable  qu'un  copiste  confrère  du  nôtre  (ou  non) 
ait  pu  tenir  un  archétype  de  semblable  édition  (seul  point  qui 
importe)  meilleur  ou  moins  délabré,  qu'il  l'ait  mieux  lu, 
mieux  transcrit.  De  cette  transcription  plus  exacte  découle- 
rait le  Pithoeanus,  et  toute  la  tradition  w  jusqu'à  plus  amples 
découvertes,  les  suppléments  Bodléiens  ou  autres  actuelle- 
ment connus  pouvant  relever  d'additions  marginales  long- 
temps perpétuées  telles  quelles.  Dans  ce  cas,  les  coïnci- 
dences que  nous  a  fournies  cette  rapide  revue  n'auraient 
plus  de  quoi  surprendre. 


L.  PARMENTIER 


SUR  LE  CRITON  DE  PLATON 


SUR  LE   CRITON  DE   PLATON 

Par  L.  Parmentier. 


Il  ne  semble  guère  possible  d'accorder  quelque  certitude 
aux  indications  chronologiques  que  l'on  a  jusqu'ici  essayé 
de  tirer  des  idées  développées  dans  le  Criton.  Lutoslawski 
a  cru  y  découvrir  que  la  logique  de  Platon  n'y  est  point  en- 
core parvenue  au  degré  d'achèvement  qu'elle  présente  dans  le 
Gorgiaseiàd^n?»  les  dialogues  postérieurs.  Platon  n'y  parle  que 
des  opinions  bonnes  et  mauvaises  (47  A),  sans  remonter  jus- 
qu'à la  vérité  et  à  la  science  en  soi.  —  Il  faut  tenir  compte  de 
la  situation  et  du  but  spécial  du  dialogue.  Ici  Socrate  s'en- 
tretient avec  son  vieil  et  fidèle  ami  Criton  qui  représente  par- 
tout chez  Platon  le  jugement  sain,  le  bon  sens  naturel  et  la 
droiture  du  citoyen  athénien  de  bonne  volonté.  Criton  n'est 
donc  point  l'homme  qu'aurait  choisi  Platon  pour  faire  discu- 
ter devant  lui  par  Socrate  des  problèmes  du  genre  de  ceux 
du  Gorgias  ou  du  Théétète.  La  tâche  que  s'impose  ici  Pla- 
ton est  beaucoup  plus  simple  et  plus  limitée.  Suivant  la  mé- 
thode qu'il  définit  dans  le  Phèdre  (237  C-D),  il  commence 
par  se  mettre  d'accord  avec  Criton  sur  un  principe  général 
d'où  partira  la  discussion,  à  savoir  qu'il  n'est  jamais  bien  ni 
de  faire  le  mal,  ni  de  rendre  le  mal  pour  le  mal  (49  D).  Ce 
principe  admis,  Socrate  en  déduit  qu'il  n'a  pas  le  droit  de  se 


334  L.  PARMENTIER 

soustraire  aux  conséquences  d'un  jugement  rendu  suivant 
les  lois  d'Athènes,  et  cette  démonstration,  pour  avoir  toute 
sa  force,  devait  précisément  se  faire  accepter  par  un  citoyen 
à  la  fois  honnête  et  dévoué  à  Socrate,  tel  que  l'est  Griton. 

La  date  fictive  du  Criton,  le  lieu  de  la  scène,  suggèrent 
naturellement  un  rapprochement  avec  le  Phédon,  98  E  : 
«  ...puisque  les  Athéniens  ont  jugé  que  le  mieux  était  de  me 
condamner,  je  juge,  moi  aussi,  que  le  mieux  est  de  rester 
ici,  et  que  le  plus  juste  est  de  subir  la  peine  qu'ils  ont  or- 
donnée ;  car,  par  le  chien,  j'imagine,  il  y  a  longtemps  que 
mes  muscles  et  mes  os  seraient  à  Mégare  ou  en  Béotie,  con- 
formément à  ce  qui  paraîtrait  le  meilleur,  si  je  ne  pensais  pas 
que  le  plus  juste  et  le  plus  beau  est,  au  lieu  de  fuir  et  de 
m'évader,  de  subir  !a  peine  que  la  cité  a  fixée  ».  C'est  l'in- 
dication du  sujet  du  Criton  ;  à  mon  sentiment,  c'est  même 
le  rappel  de  la  thèse  déjà  développée  dans  ce  dialogue,  mais 
ce  n'est  là  qu'un  sentiment.  Rigoureusement,  le  passage  du 
Phédon  pourrait  aussi  s'interpréter  dans  le  sens  opposé,  ou 
même  simplement  faire  allusion  au  fait  considéré  comme 
historique. 

Certains  ont  pensé  —  entr'autres  M.  Gomperz  (Griechi- 
sche  Denker,  II,  3o9)  —  que  l'introduction  du  Phédon  ne 
supposait  pas  encore  l'existence  du  Criton.  En  effet  Éché- 
kratès,  qui  dans  le  Phédon  s'informe  des  derniers  moments 
de  Socrate,  ne  connaît  pas  les  circonstances  mentionnées 
dans  le  Criton,  par  exemple  les  visites  faites  à  Socrate  par  ses 
amis  dans  la  prison  ;  d'autre  part,  l'histoire  du  vaisseau  sacré 
de  Délos,  racontée  en  détail  dans  le  Phédon,  est  supposée 
connue  dans  le  Criton.  Ces  arguments  ne  peuvent  convaincre, 
si  l'on  tient  compte  de  la  différence  de  milieu  entre  les  deux 
dialogues.  Il  est  évident  que  les  détails  historiques  racontés 
abondamment  à  Echékratès  de  Phlionte,  qui  est  censé  igno- 
rer tout  des  choses  athéniennes,  n'auraient  pas  été  à  leur 


LE  CRITON  DE  PLATON  335 

place  dans  une  conversation  tenue  à  Athènes  entre  Socrate 
et  Criton.  Pour  le  surplus,  les  faits  rapportés  par  les  deux 
dialogues  coïncident  parfaitement.  Dans  le  Phédon,  les  amis 
de  Socrate  apprennent  la  veille  de  sa  mort  que  le  vaisseau 
de  Délos  est  rentré  à  Athènes  (59  E).  La  prochaine  arrivée 
du  même  bateau  est  annoncée  à  Criton  (43  D)  deux  jours 
plus  tôt  par  des  gens  débarqués  à  Sunium.  L'une  des  don- 
nées n'exclut  pas  l'autre  ;  tout  au  plus,  peut-on  voir  là  un 
faible  indice  que  le  Criton  a  été  composé  avant  le  Phédon. 
La  donnée  du  Criton,  très  vraisemblablement  historique  en 
raison  de  l'anxiété  où  devaient  se  trouver  les  amis  du  con- 
damné, ne  pouvait  plus  être  utilisée  dans  le  Phédon  qui  de- 
vait nécessairement  se  terminer  par  la  mort  de  Socrate.  Ce- 
lui-ci, qui  doit  mourir  le  lendemain  du  retour  de  la  théorie 
—  et  ce  détail  spécial  est  rappelé  identiquement  dans  les 
deux  dialogues  —  déclare  à  Criton  que  le  bateau  n'arrivera 
pas  au  port  le  jour  même,  mais  seulement  le  lendemain,  en 
sorte  qu'il  ne  mourra  que  dans  trois  jours,  car  «  une  femme 
belle  et  gracieuse,  parée  de  vêtements  blancs,  lui  a  dit  en 
songe  :  «  0  Socrate,  dans  trois  jours  tu  arriveras  dans  la  fer- 
tile Phthie  »  (44  B).  De  même  que  les  circonstances  de  fait 
s'accordent  entr'elles,  l'état  d'esprit  de  Socrate  est  le  même 
dans  les  deux  dialogues.  Le  Socrate  du  Criton  qui  considère 
la  mort  comme  une  délivrance  et  comme  un  retour  dans  sa 
patrie,  est  bien  le  même  sage  qui  expose  dans  le  Phédon 
les  preuves  de  l'immortalité  de  l'âme.  Une  autre  analogie 
est  que  les  deux  dialogues  mentionnent  d'une  façon  spéciale 
le  dévouement  de  Simmias  et  de  Cébès  à  Socrate  dans  ses 
derniers  moments  (45  B).  Tous  ces  rapprochements  n'indi- 
quent pas  d'ailleurs  que  les  deux  œuvres  se  sont  nécessaire- 
ment suivies  de  très  près.  Il  faut  tenir  compte  de  la  réalité 
historique  de  certains  faits  ;  il  faut  songer  aussi  que,  d'une 
œuvre  à  l'autre,  même  après  un  assez  long  intervalle,  Platon 


336  L.  PARMENTIER 

a  dû  conserver  au  Socrate  des  dernières  heures  la  même  sé- 
rénité et  la  même  idéalisation. 

Au  sentiment  de  M.  Gomperz,  la  pureté  morale  du  Cri- 
ton  dépasse  de  beaucoup  celle  du  Gorgias.  Le  C  rit  on  dé- 
fend de  faire  du  mal  aux  ennemis,  même  de  rendre  le  mal 
pour  le  mal,  ce  qui  est  contraire  au  vœu  exprimé  dans  le 
Gorgias  (481  A)  qu'il  faut  souhaiter  à  son  ennemi  de  n'être 
pas  puni  de  ses  crimes,  et  si  possible  d'être  immortel  dans  sa 
perversité.  Pour  l'interprétation  de  ce  passage,  M.  Gomperz 
me  paraît  avoir  cédé  à  l'opinion  trop  généralement  admise 
que  le  Gorgias  est  un  des  premiers  écrits  de  Platon.  En  réa- 
lité, si  l'on  tient  compte  de  la  situation,  le  Socrate  du  Gor- 
gias est  bien  loin  de  contredire  celui  du  Criton.  Dans  ce 
dernier  dialogue,  Socrate,  sans  ironie  et  s'entendant  avec 
son  vieil  ami,  pose  en  principe  qu'il  n'est  jamais  bon,  comme 
le  croit  le  vulgaire,  de  rendre  le  mal  pour  le  mal.  Dans  le 
Gorgias,  avec  l'air  de  défi  et  de  paradoxe  moral  qu'il  lui 
plaît  de  prendre  en  discutant  avec  des  Polus  et  des  Galliclès, 
Socrate  va  plus  loin  ;  non  seulement  il  réprouve  l'opinion 
vulgaire,  mais  pour  la  braver,  se  plaçant  uniquement  au 
point  de  vue  de  ceux  qui  veulent  nuire  à  leurs  ennemis,  il 
déclare  :  «  Pour  vous  venger,  le  meilleur  moyen  est,  non 
pas  de  punir  votre  ennemi,  mais  de  l'encourager  au  crime  et 
de  le  laisser  vivre  dans  sa  perversité.  »  Qui  ne  voit  qu'ici 
l'attitude  morale  de  Socrate,  loin  d'être  moins  pure  que  dans 
le  Criton,  est  en  réalité  beaucoup  plus  batailleuse  et  plus 
intransigeante?  Quant  à  la  démonstration  dialectique  qu'il 
ne  faut  jamais  faire  le  mal,  même  à  ses  ennemis,  elle  n'est 
donnée  que  dans  la  République,  I,  335  D.  Mais  Platon  a  pu 
faire  auparavant  usage  de  ce  principe,  et  sa  simple  affirma- 
tion comme  axiome,  dans  la  bouche  du  Socrate  des  derniers 
jours,  le  présente  avec  plus  de  force  et  de  relief.  Gomment 
d'ailleurs  peut-on  douter  que  telle  ait  été  déjà  réellement  la 


LE  CRITON  DE  PLATON  337 

conviction  morale  de  Socrate,  puisqu'il  l'a  démontré  en  ac- 
ceptant la  mort  et  en  refusant  de  fuir  ? 

Je  citerai  un  dernier  rapprochement  qui,  lui  du  moins, 
me  paraît  autoriser  une  conclusion  indéniable.  C'est  celui 
de  Criton  43  B  :  «  Ne  refuse  pas  de  te  sauver  par  crainte 
de  ne  savoir  que  devenir  à  l'étranger,  comme  tu  le  disais  au 
tribunal  »,  avec  Apologie  37  G  ss.,  où  Socrate  explique  aux 
juges  pourquoi  il  ne  peut  proposer  contre  lui  la  peine  de 
l'exil.  Ici  le  Criton  doit  citer  V Apologie.  On  ne  peut  guère 
objecter  qu'il  citerait  simplement  la  défense  historique  de 
Socrate,  puisque  celle-ci  n'était  pas  connue  de  la  majorité 
des  lecteurs  du  Platon. 

Un  intérêt  d'un  ordre  différent  s'attache  à  un  autre  rap- 
prochement qui,  à  ma  connaissance,  n'a  pas  encore  été  si- 
gnalé. 

Dans  le  Criton^  53  B  ss.,  les  Lois  exposent  à  Socrate,  en 
résumé,  ceci:  «  Examine  bien  (lly^ir^v,  yàp  8r^)...  si  tu  t'éva- 
des, iras-tu  à  Thèbes  ou  à  Mégare,  cités  bien  policées?  Mais 
ton  attentat  contre  les  lois  t'y  rendra  suspect...  Et  comment 
auras-tu  encore  le  front  d'y  parler  de  la  vertu,  de  la  justice 
et  des  lois  ?  Si  tu  fuis  les  cités  bien  gouvernées,  à  quoi  bon 
vivre  alors?  (Kal  tguto  tco'.ouvti  apa  aÇisv  aot  C^v  la-uai  ;).  Iras-tu 
en  Thessalie,  là  où  règne  le  désordre  et  la  licence?... 
Crois-tu  que  personne  ne  t'y  reprochera  ta  lâche  transgres- 
sion des  lois?...  Tu  y  seras  la  risée  et  l'esclave  de  tous...  » 

Dans  sa  défense  contre  l'accusation  de  trahison,  le  Pala- 
mède  de  Gorgias  dit  (Blass,  20-21)  :  «  Examinez  encore  ceci 
(Sy.É'^acÔE  cl  y.al  tcs=).  Si  j'avais  commis  ce  crime,  comment 
la  vie  me  serait-elle  possible?  (Ilwç  cjx  av  àgiwioç  v'  c  gbç 
\).o\  KpaçavTi  -zTj'OL  ;).  Où  pourrais-je  aller?  Est-ce  en  Grèce? 
J'y  serais  partout  châtié  et  honni  pour  mon  crime.  Réside- 
rais-je  chez  les  barbares?  J'y  vivrais  sans  honneur,  dans  l'in- 
famie, reniant  tous  les  efforts  de  ma  vie  passée  en  vue  de  la 

22 


338  L.  PARMENTIER 

vertu...  Même  les  barbares  se  défieraient  de  moi  à  cause  de 
ma  trahison.  La  vie  ne  serait  pas  possible.  » 

Il  est  inutile  de  commenter  ce  rapprochement.  Il  est  évi- 
dent que  le  lieu  commun  et  le  mouvement  sont  les  mêmes. 
Je  considère  comme  parfaitement  authentique  le  Palamède 
de  Gorgias  qui  d'ailleurs  est,  dans  son  genre,  un  petit  chef- 
d'œuvre,  et  je  le  crois  aussi  de  beaucoup  antérieur  au  Cri- 
ton.  Comme  tous  les  grands  artistes,  Platon  s'arroge  le  droit, 
à  l'occasion,  de  prendre  son  bien  où  il  le  trouve.  Au  surplus, 
il  pouvait  ne  pas  lui  déplaire  que  la  ressemblance  des  deux 
passages  frappât  ses  lecteurs.  Palamède,  depuis  les  tragiques 
du  V*  siècle  et  depuis  V Apologie  de  Gorgias,  était  devenu  un 
type  littéraire,  le  type  de  la  victime  judiciaire  et  du  sage 
persécuté.  On  dut  tout  de  suite  songer  à  rapprocher  de  ce 
martyr  mythique  le  martyr  de  la  philosophie  athénienne. 
Dans  V Apologie  de  Xénophon  (26),  Socrate  se  compare  lui- 
même  à  Palamède,  et  à  la  fin  de  V Apologie  de  Platon,  il  cite 
Palamède  et  Ajax,  une  autre  victime  de  l'injustice,  parmi 
ceux  qu'il  aura  plaisir  à  rencontrer  aux  enfers.  L'imitation 
du  Criton  a  pour  effet  de  suggérer  aux  lecteurs  le  même 
rapprochement. 

L'examen  de  ces  nombreux  passages  du  Criton  ne  nous 
a  appris  que  peu  de  chose  sur  la  date,  même  relative,  de  sa 
composition.  Cherchant  à  résoudre  la  question  par  une  autre 
voie,  on  a  cru  découvrir,  dans  l'ensemble  du  dialogue,  une 
tendance  d'actualité.  M.  Gomperz  voit  ainsi  dans  le  Criton 
une  correction  non  seulement  de  V Apologie  et  du  Gorgias, 
mais  encore  du  Ménexène,  ce  paignion  ou  jeu  d'esprit  aussi 
innocent  au  point  de  vue  politique  qu'il  est  malicieux  au 
point  de  vue  littéraire,  mais  où  M.  Gomperz  découvre  néan- 
moins une  tendance  révolutionnaire.  Platon  aurait  voulu  y 
défendre  son  enseignement  contre  le  reproche  d'avoir  des 
idées  antisociales  et  subversives.  Il  semble  bien  cependant 


LE  CRITON  DE  PLATON  339 

que  Platon  ne  se  soucie  guère  de  ménager  les  meneurs  de 
cette  opinion  qu'il  veut  ramener  à  lui,  puisqu'il  fait  dire  à 
Criton  45  A  :  «  Tu  ne  vois  pas  combien  sont  à  bon  marché 
les  sycophantes,  et  comme  on  peut  les  avoir  pour  peu  d'ar- 
gent I  »  L'hypothèse  ne  nous  fournit  en  outre  rien  de  précis, 
car  Platon  pourrait  avoir  eu  à  se  défendre  à  toutes  les  épo- 
ques de  sa  carrière  contre  les  suspicions  des  démocrates 
constitutionnels,  si  tant  est  qu'il  ait  jamais  cru  devoir  le  faire. 
Car  la  chose  me  paraît  fort  peu  probable.  Platon,  à  Athè- 
nes, s'est  toujours  renfermé  dans  son  enseignement,  et  ses 
spéculations  théoriques  ne  doivent  guère  avoir  plus  inquiété 
les  politiciens  que  ne  le  font  ordinairement  de  nos  jours  les 
cours  de  philosophie  et  de  morale  dans  les  chaires  acadé- 
miques. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  Criton  n'a  pu  être  écrit 
qu'assez  longtemps  après  la  mort  de  Socrate.  En  effet,  Pla- 
ton n'aurait  pu  raconter  immédiatement  les  projets  d'éva- 
sion formés  par  ses  amis  sans  les  compromettre  et  les  expo- 
ser à  des  représailles.  Le  Criton  suppose  un  complet  retour 
de  l'opinion  en  faveur  de  Socrate,  et  s'il  fallait  y  voir  une 
tendance  secondaire  et  occasionnelle,  je  croirais  plutôt 
qu'elle  est  de  justifier  les  amis  de  Socrate  auprès  d'un  public 
mal  informé,  et  qui  s'étonnait  et  s'irritait  peut-être  de  ce 
qu'on  n'eut  rien  fait  pour  l'arracher  à  la  mort. 

Une  anecdote,  qui  remonte  à  Idoménée  de  Lampsaque, 
disciple  d'Épicure,  racontait  que  c'était  Eschine  qui  avait 
engagé  Socrate  à  s'enfuir  de  sa  prison  ;  Platon,  mal  disposé 
pour  Eschine  parce  qu'il  voyait  en  lui  un  ami  d'Aristippe, 
lui  aurait  substitué  Criton  dans  ce  rôle  (Diog.  Laert.  II,  60). 
Nous  savons  qu'Eschine  était  pauvre,  et  qu'il  se  rendit  à  Sy- 
racuse pour  obtenir  les  faveurs  de  Denys.  Il  essaya  de  s'y 
faire  valoir  en  produisant  des  discours  socratiques  qui  lui 
furent  payés.  Il  y  aurait  été  traité  avec  dédain  par  Platon  et 


340  L.  PARM  ENTIER 

avec  bienveillance  par  Aristippe  (Diog.  Laert.  II,  61,  III, 
36).  Une  autre  version  représente  Aristippe  lui-même  comme 
ayant  suspecté  la  sincérité  des  dialogues  que  lisait  Eschine 
Çlbid.,  II,  62).  Tout  au  moins  peut-on  admettre  que  ces 
anecdotes  nous  transmettent  un  écho  des  discussions  qui  eu- 
rent lieu,  particulièrement  à  Syracuse,  au  sujet  de  la  véra- 
cité et  du  rôle  des  différents  Socratiques.  Beaucoup  de  ver- 
sions circulaient,  et  on  cherchait  quelle  était  la  plus  sûre.  Par 
exemple,  sur  la  question  même  de  l'évasion,  V Apologie  de 
Xénophon  (23)  en  mentionne  également  le  projet,  mais  elle 
attribue  au  refus  de  Socrate  une  raison  différente  de  celle 
donnée  par  Platon.  Peut-être  Eschine  —  dont  Platon  signale 
d'ailleurs  dans  le  Phédon  très  fidèlement  la  présence  aux 
derniers  moments  de  Socrate  —  avait-il  essayé  de  se  donner 
un  rôle  particulièrement  important  dans  la  même  affaire. 

On  pourrait  démontrer  que  l'introduction  du  Phédon  a  en 
grande  partie  pour  objet  de  donner  à  des  lecteurs  étrangers 
un  fidèle  exposé  historique  des  derniers  jours  de  Socrate. 
De  même,  dans  le  Critoriy  Platon  me  paraît  viser,  au  moins 
secondairement,  à  établir  la  vérité  sur  la  question  de  l'éva- 
sion. La  circonstance  qu'il  la  fait  proposer  par  Griton  n'est 
qu'assez  accessoire,  et  n'est  sans  doute  qu'un  hommage  par- 
ticulier rendu  au  plus  vieil  ami  de  Socrate.  En  effet,  il  a 
soin  de  dire,  conformément  à  la  réalité  historique,  que  Sim- 
mias  et  Cébès  et  d'autres  amis  sont  prêts  à  intervenir  autant 
que  Griton  dans  les  risques  et  les  frais  de  la  tentative.  La 
vérité  sur  ce  point  risquait  surtout  d'être  défigurée  à  l'étran- 
ger. De  même  que  dans  le  Phédon,  Platon  penserait  spé- 
cialement à  ses  amis  de  Sicile,  et  il  y  aurait  là  en  tout  cas 
un  indice  pour  ne  dater  le  Criton  qu'après  le  premier  voyage 
à  Syracuse. 


p.  PASSY 


L'ÉVOLUCION  DE  QUELQUES 
DIFTONGUES  EN  VIEUS  FRANÇAIS 

ei  (oi),  ie,  ou  (eu),  uo  (ue). 


LÉVOLUCION   DE   QUELQUES 
DIFTONGUES   EN  VIEUS   FRANÇAIS 

ei  (oi),  ie,  ou  (eu),  uo  (ue). 
Par  P.  Passt. 

VUE   D'ENSEMBLE 

1 .  —  Je  me  propoze  d'étudier  le  dévelopement  Français 
des  quatre  diftongues  issues  de  ë,  ë,  ô,  et  ô  Latins  ;  ou  plutôt, 
puisqu'en  Latin  populaire  les  diférences  de  durée  avaint  fait 
place  à  des  diférences  de  timbre,  des  quatre  diftongues 
issues  des  voyèles  latines  e,  s,  o,  o. 

2.  —  La  diftongaizon  de  ces  voyèles  supoze,  sinon  touta- 
fait  nécessairement,  du  moins  très  vraisemblablement,  la 
durée  longue  préalable.  Et  en  éfet,  tout  porte  à  croire  que 
les  voyèles,  en  Gallo-roman  come  déjà  en  Latin  populaire, 
étaint  longues  en  silabe  tonique  ouverte,  brèves  ou  apeuprès 
brèves  partout  ailleurs  ^  C'est  en  gros  l'état  de  chozes  actuel 
en  Italien  et  en  Béarnais.  Je  statue  donc  come  point  de  dé- 
part de  nos  diftongues,  e:,  s:,  o:,  o:;  —  e:  et  o:  ayant  dailleurs 
sans  doute  un  timbre  très  fermé,  ei:,  oi:,  apeuprès  come  en 
Danois  moderne^. 


4.  Grandgent,  Introduction  to  Vulgar  Latin,  §  176. 
2.  Id.,  §§  198  et  203. 


344  P.  PASSY 

3.  —  On  remarque  tout  de  suite  une  analojie  frappante 
dans  le  dévelopement  des  deus  voyèles  fermées  e,  o,  d'une 
part  ;  des  deus  voyèles  ouvertes  e,  o,  d'autre  part. 

Les  premières  se  diftonguent  en  se  fermant  vers  la  fin  ; 
c'est  un  fénomène  très  fréquent  :  l'exemple  le  plus  familier 
s'en  trouve  en  Anglais  moderne,  où  les  mots  made,  nose, 
encor  prononcés  me:d,  no:z  en  Ecosse,  sont  devenus  meid, 
nouz,  ou  quelquechoze  de  semblable. 

Les  autres  se  sont  diftonguées  en  fermant  davantage  le 
comencement.  C'est  un  fénomène  beaucoup  moins  comun  ; 
cependant,  outre  les  autres  langues  romanes  où  il  s'est  pro- 
duit apeuprès  come  en  Français,  on  le  trouve  pour  e  en  Is- 
landais, ou  le  mêr  Norrois  est  devenu  injer  ;  —  pour  o  en 
Viens  Haut  Allemand,  on  gôd  2i  àoné  guot  pour  aboutira 
gutf  et  en  Tchèke  ou  Bog  est  devenu  Biiog  pour  aboutir  à 
Bûh, 

(Je  ne  vois  pas,  dureste,  la  nécessité  d'admettre  F  «  into- 
nacion  circonflexe  »  pour  expliquer  le  comencement  de  la 
diftongaizon.  En  tout  état  de  cauze,  une  voyèle  longue  tent 
facilement  à  ne  pas  rester  homojène  pendant  toute  sa  durée  ; 
de  là  à  la  diftongaizon  proprement  dite,  il  n'y  a  qu'un 
pas.) 

4.  —  L'analojie,  toutefois,  n'est  pas  complète  entre  nos 
deus  paires  de  voyèles.  L'évolucion  parait  avoir  été  plus  ra- 
pide et  plus  complète  pour  les  voyèles  d'avant  e,  e,  que  pour 
les  voyèles  d'arrière  o,  o*.  Puis,  divers  facteurs  l'ont  modi- 
fiée dans  un  sens  ou  dans  un  autre,  de  sorte  que  les  rézultas 
ne  sont  nulement  simétriques.  Il  convient  donc  d'examiner 
chaque  cas  séparément. 


i.  Comparez  l'évolucion  de  ai  et  cèle  de  au:  ai  réduit  à  e:  dès  le  Latin, 
au  ne  se  réduizant  à  o:  que  très  tard  et  pas  partout.  Ici  aussi  il  y  a  para- 
lélisme  parsiel,  mais  la  voyèle  d'arrière  se  moditie  plus  lentement  que  la 
voyèle  d'avant. 


QUELQUES  DIFTONGUES  EN  VIEUS  FRANÇAIS  345 


et 


5.  —  Ladiftongaizonde  e:  remonte  certainement  à  l'époque 
prélitéraire.  A  la  vérité,  nous  ne  pouvons  pas  la  constater  di- 
rectement dans  le  texte  des  Serments  de  Strasbourg,  où  se 
trouve  régulièrement  i:  savir,  podir,  dift,  mi,  sit  (\q  ^2  de 
dreit  est  diférent).  Mais  tout  indique  que  cet  i,  qui  signifie 
un  e  (=  ei)  bref  dans  in,  int,  prindrai,  reprézente  ici  une 
diftongue  plus  ou  moins  acuzée,  et  qu'il  faut  lire  saveir, 
poceir,  deift,  mei,  seit^  Dans  l'Eulalie  et  dans  les  textes 
plus  récents  la  diftongue  ei  aparait  régulièrement,  jusq'au 
moment  où  elle  est  remplacée  par  oi  en  Francien  et  dans 
pluzieurs  autres  dialectes. 

6.  —  Dès  le  début  èle  se  confont  grafîquement  avec  une 
diftongue  d'orijine  diférente,  provenant  de  e  ou  e  suivis  de 
palatale  en  silabe  protonique  :  licere^  leisir,  tëcturay  tei- 
ture,  uëctura^veiture ,  mëssionem'^meisson. 

Il  n'est  pas  admissible  que  ce  douzième  ei  ait  valu  exac- 
tement ej.  Danscète  pozicion,  en  éfet,  e  ou  e,  non  influen- 
cés par  une  palatale,  aboutissent  à  e  féminin,  c'est-à-dire, 
pour  la  première  époque  litéraire  du  Français,  une  voyèle 
indistincte  assez  semblable  à  la  voyèle   faible  de  l'Alemand 


1.  Meyer-Lûbke,  Gramm.  des  l.  rom.,l,  §  72.  —  Les  objecsions  de 
P.  Marchot  (Petite  phonétique  du  Français  prélitéraire,  l,  §  9)  ne  me 
paraissent  pas  probantes  ;  dailleurs  je  ne  comprens  pas  .très  bien  ce  qu'il 
entend  par  des  voyèles  dédoublées  ee,  oo,  aa.  Mais  il  va  sans  dire  que  je 
ne  supoze  pas  pour  les  voyèles  des  Serments  une  diftongaizon  bien  déve- 
loppée, que  le  scribe  aurait  certainement  notée  corne  il  l'a  fait  pour  ai. 
Il  s'ajit  de  voyèles  longues  non  homojènes  ;  dans  l'espèce  peutêtre  eei, 
ou  encore  eii,  ou  quelqucchoze  de  semblable.  Dans  l'impossibilité  depré- 
cizer,  le  mieus  est  d'écrire  ei. 

Quant  au  dreit  des  Serments,  venant  de  dirêctum,  il  reprézente  natu- 
rèlement  autrechoze;  peutêtre  dreçt  ou  dreiçt  come  pense  Meyer-Lûbke, 
en  tout  cas  une  forme  à  diftongue  beaucoup  plus  acuzée  que  dans  les 
mots  où  le  point  de  départ  est  e:. 


346  P.  PASSY 

gabe,  que  je  représente  par  ë'.  Avec  la  palatale,  on  devait 
avoir  la  même  voyèle  suivie  de  i,  c'est-à-dire  la  diftongue 
êi. 

7.  —  Cependant,  come  le  dévelopement  ultérieur  des 
deus  ei  a  été  le  même,  il  est  vraisemblable  qu'ils  se  sont  con- 
fondus de  bone  heure  ;  dailleurs  on  ne  peut  guère  conce- 
voir deus  groupes  aussi  semblables  que  ei  et  ëi  subsistant 
l'un  à  côté  de  l'autre  et  dans  des  pozicions  identiques  sans 
se  confondre.  J'admets  que  tous  les  ei  sont  arrivés  très  ra- 
pidement à  valoir  ëi  en  Francien,  dabord  en  silabe  faible, 
puis  partout  ;  tandis  qu'en  Normand  ils  se  confondaint  en 
ei. 

8.  —  Dès  le  12*  siècle,  le  ëi  du  Francien  a  comencé  à  évo- 
luer de  nouveau.  En  éfet,  le  son  ë,  qui  était  jusque-là  celui 
de  la  voyèle  neutre  du  Français,  a  peu  à  peu  pris  un  léjer 
arrondissement,  devenant  notre  e  féminin  actuel,  que  je  re- 
prézente  par  a.  Gète  évolucion,  ayant  lieu  régulièrement 
partout,  n'a  entrainé  aucun  chanjement  de  grafie.  La  voyèle 
a  évolué  dans  la  diftongue  ei  come  ailleurs,  et  ce  groupe 
est  arrivé  à  se  prononcer  ai,  toujours  sans  chanjement  de 
grafie. 

(On  sait  qu'en  poézie,  ei  n'assone  régulièrement  qu'avec 
lui-même.  Ce  fait  ne  serait-il  pas  du  à  ce  que,  dans  les 
textes  d'orijine  franciène,  ci  se  prononçait  ëi,  puis  ai,  ayant 
ainsi  come  principale  voyèle  un  son  qui  ne  se  rencontre  ac- 
sentué  nulepart  ailleurs?) 

9.  —  Cète  étape  ai  ne  pouvait  guère  durer,  vu  la  répu- 
gnance du  Français  pour  les  articulacions  intermédiaires,  du 
moins  en  silabe  forte.  Aussi  ai  a  été  modifié    par  dissimila- 


4.  Voir  Bcus  problèmes  de  fonétique  historique  française,  dans  la  Re- 
vue de  filologie  française,  4906,  p.  4  et  suivantes.  Pluzieurs  points  trai- 
tés dans  cet  article  sont  ici  reproduits  en  abréjé  :  je  done  les  rézultas 
en  laissant  de  côté  la  démonstracion,  ou  en  ne  fezant  que  l'indiquer. 


QUELQUES  DIFTONGUES  EN  VIEUS  FRANÇAIS  347 

cion  du  premier  élément,  qui  est  devenu  o.  A  la  diférence 
des  chanjements  précédents,  celui-ci  devait  être  indiqué 
dans  l'écriture,  puisque  d'une  part  il  n'ateignait  pas  tous  les 
8,  et  que  d'autre  part  il  aboutissait  à  un  rézulta  pour  lequel 
on  avait  sous  la  main  un  signe  tout  indiqué.  De  fait,  la  nou- 
vêle  diftongue  s'écrit  oi;  cète  grafie  faitdabord  son  aparicion 
en  silabe  faible  (noieds  déjà  dans  le  Jonas),  bientôt  èle  est 
jénérale  et  diférencie  nètement  au  13*  siècle  les  textes 
Franciens  d'avec  les  textes  Normands.  Ele  n'a  pas  chanjé 
dans  l'uzaje  litéraire  jusqu'à  ce  jour. 

10.  —  Cependant,  l'évolucion  fonétique  ne  s'est  pas  ar- 
rêtée là.  La  diftongue  oi  s'est  trouvée  soumize  aune  double 
influence,  dissimulative  pour  le  premier  élément,  assimila- 
tive  pour  le  deuziême  ^  oi  est  devenu  oe,  os.  On  trouve  une 
trace  de  ces  chanjements  dans  la  grafie  oe,  qui  fait  son  apa- 
ricion dans  le  Roman  de  la  Roze,  au  13^  siècle. 

Ensuite  ou  en  même  tems,  le  deuzième  élément  de  la 
diftongue  devenant  le  plus  sonore,  l'acsent  silabique  se  dé- 
place, et  on  a  Ô£,  puis  bientôt  Ù£,  we.  Ce  déplacement  doit 
avoir  comencé  au  13^  siècle;  à  la  vérité,  les  rimes  d^aper- 
çoeve,  reçoeve,  avec  moeve,  yio^y^,  dans  le  Roman  de  la 
Rose,  ne  sont  pas  toutafait  concluantes,  puisque  l'acsent 
silabique  a  dabord  été  sur  le  premier  élément  dans  oe  ve- 
nant de  uo  come  dans  oe  venant  de  ei  (§  16),  et  quand 
même  la  qualité  des  deus  o  était  diférente  ;  mais  il  en  est  au- 
trement de  la  rime  cloistre-estre,  qui  ne  s'explique  que  par 
la  prononciacion  kloestra.  Dans  la  suite,  des  rimes  de  cète 
espèce  sont  très  nombreuzes  :  on  les  trouve  tout  le  long  de 
la  litérature,  chez  les  auteurs  classiques  {toiles-telles,  Vil- 
lon, senestre-cognoistre,  Marot,  poëte-adroite ,  Régnier, 
nette-droite,  Molière,  étroites-retraites,  Lafontaine,  croistre- 

1.  V.  P.  Passy,  Changements  fonétiquesy  §§  459-467. 


318  P.  PASSY 

maistre,  Racine,  être-croitre^  Voltaire).  Ainsi  la  prononcia- 
cion  we  a  du  se  maintenir  apeuprès  intacte  jusqu'à  la  fin  du 
18*  siècle.  Individuèlement  ou  localement,  èle  a  persisté 
beaucoup  plus  tard  encor.  On  sait  qu'en  1830  Lafayette 
prononçait  le  roué  pour  le  roi,  et  qu'en  1836  Mme  Du- 
puis  recomandait  de  prononcer  oè  en  silabe  faible,  come 
dans  roitelet.  Dans  les  parlers  populaires  à  l'Ouest  de  Paris, 
c'est  encor  aujourdui  la  prononciacion  courante. 

Mais  ailleurs  et  notament  à  Paris,  ws  a  bientôt  tendu  à 
se  chanjer  en  wa.  La  première 'trace  de  cète  prononciacion 
se  trouve  dans  un  sermon  du  13*  siècle  (voar,  voars)  ;  c'est 
sans  doute  un  fait  dialectal  et  toutafait  izolé  à  cète  époque. 
Plus  tard,  des  formes  de  ce  jenre  se  multiplient,  et  prènent 
surtout  de  l'importance  au  16*  siècle*.  La  nouvèie  pronon- 
ciacion est  condanée  come  un  vulgarisme  ou  une  afectacion 
par  Henri  Estienne  et  Th.  de  Bèze,  mais  èle  gagne  du  ter- 
rain aus  17*  et  18^  siècles,  et  finalement  èle  est  déclarée 
seule  correcte  par  Domergue  en  180o.  Ele  a  définitive- 
ment trionfé  aujourdui;  mais  dans  quelques  pozicions  et 
notament  après  r,  wa  s'est  changé  en  wa  {roi,  froid'). 

D'autre  part,  il  y  a  eu  aussi  à  Paris  et  dès  le  13*  siècle, 
une  tendance  populaire  à  remplacer  us  ou  we  par  e  dans 
certains  mots,  sporadiquement  semble-t-il,  ecsepté  pour  les 
imparfaits  et  condicionels  ou  la  substitucion  est  jénérale. 
Est-ce  une  survivance  dialectale  de  formes  en  ei,  une  in- 
fluence normande,  ou  une  simplificacion  de  us,  c'est  ce  que 
je  n'oze  pas  décidera  Cète  prononciacion,  èle  aussi,  se  ré- 


1.  On  connait  la  curieuze  ortografc  de  la  reine  Elizabeth,  sœur  de 
Charles-Quint  et  famé  de  Christian  2  de  Danemark,  écrivant  le  Danois 
avec  les  valeurs  françaises  des  lètres.  Elle  écrit  soyr  pour  le  mot  Danois 
svar  (réponse).  V.  K.  Nvrop,  Grain.  Hist.  du  français,  I,  §  160). 

2.  Daprès  une  communicacion  particulière,  M.  F.  Neumann  donc  de  ce 
fénomène  une  explicacion  qui  pourrait  bien  être  la  vraie.  La  réducsion 
aurait  eu  lieu  dabord  à  l'imparfait  des  verbes  à  radical    terminé   par  une 


QUELQUES  DIFTONGUES  EN  VIEUS  FRANÇAIS  349 

pant  à  la  cour  au  16^  siècle,  malgré  les  éforts  des  gramai- 
riens,  qui  l'atribuent,  certainement  à  tort,  à  l'influence  ita- 
liène  ;  èle  finit  par  s'impozer  pour  un  certain  nombre  de 
mots,  pour  lesquels  l'Académie  s'est  décidée  en  1835  à  ac- 
septer  l'ortografe  ai  (était,  avait,  Français,  Anglais..., 
etc.,  etc.). 

Come  on  le  voit,  le  dévelopement  de  la  diftongue  ei  a 
été  singulièrement  riche  et  varié. 

ie. 

11.  —  On  sait  que  le  chanjement  de  e:  en  ie  se  trouve 
sur  une  très  grande  partie  du  territoire  roman,  apeuprès  par- 
tout ecsepté  en  Sarde,  en  Sicilien,  en  Catalan  et  en  Portu- 
gais ;  en  Espagnol  et  en  Wallon  il  s'est  produit  même  en  si- 
labe  fermée.  Il  faut  donc  admètre  qu'il  existait  au  moins  en 
jerme  en  Gallo-roman.  Dureste  on  trouve  l'ortografe  dieci 
dans  un  manuscrit  Latin  de  670,  si  ce  n'est  pas  une  faute*. 
Cependant  la  grafie  ie  ne  se  trouve  pas  dans  les  Serments, 
dont  le  scribe  paraît  décidément  avoir  eu  l'oreille  peu  sen- 
sible à  la  diftongaizon  naissante  ;  nous  n'hézitons  pas  à  in- 
terpréter come  des  diftongues  les  e  de  meos,  etc.  Dans  l'Eu- 
lalie,  on  trouve  ciel,  menestier,  —  mais,  choze  curieuze, 
non  seulement  sempre,  bien  qu'on  soit  en  pays  Wallon  où 
on  atendrait  *siempre^,  mais  encor  seule,  eret,  et  non  *sieule, 


voyèle,  pour  éviter  racumulacion  des  voyèles  :  tuois  tyues  aurait  été  sim- 
plitîé  en  tyss.  Puis  par  analojie,  la  simplitîcacion  se  serait  étendue  à  l'im- 
parfait de  tous  les  verbes.  Quant  aus  autres  mots,  ils  auraint  été  influen- 
cés par  une  sorte  d'analojie  fonétique. 

i.  Tardif,  Monuments  historiques,  19  :  38. 

2.  Daprès  une  communicacion  particulière,  M.  F.  Neumann  supoze 
que  la  diftongaizon  wallone  de  s  entravé  ne  s'est  produite  que  relative- 
ment tard,  come  fénomène  indépendant  de  la  diftongaizon  romane  de  s 
libre.  Les  graties  des  manuscrits  semblent  certainement  lui  doner  raizon  ; 
et  il  faut  ajouter  que  la  diftongaizon  dans  un  mot  d'emprunt  come  bcs- 
tia'>bieste  doit  être  relativement  récente.  Mais  coment  expliquer  d'autre 


360  P.  PASSY 

*ier€t.  Ceci  est  d'autant  plus  étranje  que  la  diftongue  de  ciel, 
menestier,  parait  déjà  confondue  avec  cèle  de  pagiens, 
chielt,  chief\  provenant  de  a  après  palatale.  Or  cèle-ci  avait 
certainement  l'acsent  sur  la  dernière  voyèle  ;  nous  devons 
donc  conclure  que  dès  cète  époque,  ie  se  prononçait  ïe  ou 
je,  corne  en  Français  moderne,  en  Italien  et  en  Espagnol. 
Cependant  il  n'est  guère  douteus  que  la  première  forme  de 
la  diftongue  ait  été  dessendante,  es  ou  quelquechoze  de  ce 
jenre  :  ceci  ressort,  entre  autres,  de  la  fréquente  réduction 
de  ie  à  i  en  Picard.  Le  déplacement  de  l'acsent  silabique  est 
dailleurs  toutafait  naturel,  il  s'est  simplement  porté  sur  la 
voyèle  la  plus  sonore.  Mais  pour  que  cète  évolucion  ait  déjà 
été  acomplie  au  10^  siècle,  il  faut  que  la  diftongaizon  èle- 
même  ait  déjà  été  anciène  à  cète  époque. 

L'ancièneté  du  fénomène  est  encor  prouvée,  come  l'ont 
fait  remarquer  M.  Meyer-Lûbke  et  d'autres,  par  des  formes 
tèles  que  giens  de  genus,  où  la  diftongaizon  a  du  être  tout 
au  moins  amorcée  avant  la  chute  de  la  voyèle  atone,  puis- 
qu'autrement  le  e  aurait  été  entravé  ;  —  et  aussi  par  le 
changement  de  ë  en  i  devant  palatale,  come  lectum^lit, 
qui  supoze  l'étape  *lieit  et  postule  par  conséquent  une  lon- 
gue évolucion.  Mais,  d'autre  part,  la  diftongaizon  dans  des 
mots  d'emprunt  come  liepre  et  siècle  n'a  pu  se  produire  que 
tardivement.  On  peut  donc  afirmer  que  la  tendance  à  dif- 
tonguer  s  a  duré  assez  lontems.  Néanmoins,  bien  entendu, 
il  est  toutafait  inadmissible  qu'èle  ait  persisté  jusqu'au  13® 
siècle,  et  soit  cauze  des  nombreus  chanjements  de  eu  en 
ieii,   dans  les  cas  où  eu  provient  de   «/-|-consone  {talis 

part,  que,  sauf  erreur,  èle  ne  se  rencontre  que  là  ou  le  Latin  avait  ë  ?  N'y 
aurait  il  pas  eu,  à  l'époque  de  la  diftongaizon,  des  s  identiques  à  ceus-là, 
quoique  provenant  d'autres  sources  ?  —  Il  paraît  plus  probable,  que  la 
tendance  à  diftonguer  l'e  entravé  a  existé  en  pays  wallon  dès  l'époque 
prélitéraire,  mais  qu'èle  était  trop  faible  à  l'époque  des  premiers  docu- 
ments pour  avoir  été  notée  par  l'écriture. 


QUELQUES  DIFTONGUES  EN  VIEUS  FRANÇAIS  331 

>  lels  >  tem  ou  tiens  ;  qualis  >  quels  >  queus  ou  quieus  ; 
ostieus,  pieus,  etc.).  Force  nous  est  de  voir  ici  un  chanje- 
ment  de  nature  diférente,  ateignant  non  plus  tous  les  s,  mais 
seulement  ceus  qui  se  trouvent  dans  cète  pozicion  particu- 
lière, quelqu'étranje  que  la  choze  puisse  paraitre  dailleurs. 

On  sait  que  dans  la  plupart  des  textes,  ie  n'assone  qu'avec 
lui-même  ;  pourquoi,  c'est  ce  qu'il  n'est  pas  facile  de  déter- 
miner. 

L'histoire  plus  moderne  de  cète  diftongue  ne  prézente  rien 
de  bien  remarquable.  Ele  aboutit  en  Français  moderne  à  je 
ou  je,  l'alternance  entre  £  et  e  s'établissant  come  dans  tant 
d'autres  cas. 

on. 

12.  —  La  diftongue  oii  est  sortie  de  o:,  c'est-à-dire  pro- 
bablement oi:  en  Gallo-roman,  de  la  même  manière  que  ei 
est  sorti  de  e:  ;  mais  la  diftongaizon  paraît  avoir  été  moins 
anciène,  moins  complète  et  moins  universèle.  Dans  les  Ser- 
ments, on  peut  naturèlement  lire  amour  pour  amur  come 
sait  pour  sit,  et  je  pense  qu'on  doit  le  faire  *  ;  et  dans  l'Eu- 
lalie,  la  diftongaizon  est  clairement  indiquée  par  les  épels 
hellezour,  soure.  Mais  dans  la  suite,  ou  ne  se  trouve  pas 
dans  les  manuscrits  d'orijine  normande,  qui  portent  jénéra- 
lement  u  come  les  Serments,  quelquefois  o.  Come  ces  mê- 
mes manuscrits  écrivent  bien  ou  pour  la  diftongue  provenant 
de  o-\-u,  que  le  Francien  confont  avec  la  précédente,  il 
faut  évidament  statuer  une  voyèle  simple,  ou  en  tout  cas 
une  très  faible  diftongaizon,  dans  les  mots  come  seignur,  etc. 

D'autre  part,  il  ne  faut  pas  oublier  que  ou  assone  régu- 
lièrement avec  0.  Tout  ceci  permet  d'afirmer  que  la  difton- 
gaizon de  0  en  ou  n'était  pas  aussi  marquée  que  cèle  de  e 
en  ei. 

1.  En  (lonant  à  OU  la  valeur  ooi  ou  oiu,  bien  entendu. 


352  P.  PASSY 

13.  —  Quel  est  le  dévelopement  de  on  qui  aboutit  ensuite 
à  eu,  devenu  œ  ou  ^  en  Français  moderne?  —  Daprès 
l'écriture,  on  serait  tenté  de  le  croire  exactement  paralèle 
au  chanjement  de  ei  en  oi  :  ce  qui  s'aplique  à  l'un  s'aplique- 
rait  à  l'autre  par  renversement,  d'une  part  e  ^  ei^  oi, 
d'autre  part  o^  ou^  eu.  Mais  un  peu  d'atension  montre 
bientôt  que  ce  paralélisme  —  qui  en  tout  cas  ne  se  serait  pas 
continué  jusqu'à  l'époque  moderne,  oi  devenant  wa  tandis 
que  eu  devient  œl  —  est  plus  aparent  que  réel,  et  en  grande 
partie  purement  grafique. 

On  remarque  tout  dabord,  en  éfet,  que  le  eu  provenant  de 
ou  assone  ou  rime  avec  eu  provenant  de  é/-hconsone  (illos 
>  eis  >  eus),  et  non  pas  avec  eu  provenant  de  al~\-  consone 
{talis  ^  tels '^  teusy  ni  avec  eu  provenant  de  è-{-u  {deiis 
y>  deuSy  grœcos^  gi^eus).  Ceci  indique,  en  tout  cas,  une 
prononciacion  plutôt  fermée  de  la  première  voyèle  dans  eu 
venant  de  ou.  Au  contraire,  la  première  voyèle  de  oi  venant 
de  ei,  est  ouverte,  come  l'indiquent  les  rimes  et  assonances 
(^joie-voie). 

D'autre  part,  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  lètre  u,  qui  si- 
gnifiait d'abord  u,  a  fini  par  aboutir  au  son  y.  Il  est  dificile 
de  fixer  exactement  sa  valeur  pour  le  12^  siècle;  sans  doute 
èle  n'était  pas  encor  arrivée  au  son  actuel,  et  je  pense  qu'on 
ne  se  tromperait  pas  beaucoup  en  lui  atribuant  la  valeur  de 
la  voyèle  norvéjiène  dans  hus,  que  je  reprézente  par  û  ; 
mais  en  tout  cas,  èle  ne  valait  plus  u.  La  lètre  i,  au  con- 
traire, a  conservé  sa  valeur  intacte.  Sur  ce  point  encor,  eu 
n'est  donc  pas  paralèle  à  oi. 

14.  —  Le  plus  simple,  c'est  d'admètre  que  ou  s'est  modifié 
suivant  la  tendance  jénérale  des  voyèles  d'arrière  en  Fran- 


4.  V.  H.  Suchier,  Les  voyelles  toniques  du  vieux  français,  §§  19»^  et 


QUELQUES  DIFTONGUES  EN  VIEUS  FRANÇAIS  3o3 

çais,  qui  est  de  déplacer  leur  point  d'articulation  d'arrière 
en  avant  ;  tendance  à  laquèle  nous  devons  le  chanjement  de 
u  en  y  et  celui  de  a  en  g.  Cète  tendance,  pour  le  cas  qui 
nous  ocupe,  a  du  ajir  également  sur  les  deus  éléments  de  la 
diftongue,  chanjant  u  en  û  et  o  en  ô  (intermédiaire  entre  o 
et  e).  Mais  le  chanjement  de  u  en  ù  n'impliquait  aucun 
chanjement  dans  l'écriture,  puisque  u,  dans  toutes  les  pozi- 
cions,  passait  à  ù,  pour  devenir  y  plus  tard.  Au  contraire, 
le  chanjement  de  o  en  ô  s'exprimait  tout  naturèlement  en 
écrivant  e,  puisque  e  avait  pris  la  valeur  a  —  parmi  d'au- 
tres, maleureuzement  pour  nous  I  —  et  devait  servir  de  si- 
gne comun  pour  toutes  les  voyèles  des  pozicions  moyènes. 
Un  peu  plus  tard,  la  même  évolucion  se  continuant,  où  de- 
venait 0Y,  sans  chanjement  de  graphie.  Il  se  confondait  dès 
lors  avec  le  eu  provenant  de  eZ  +  consone  (c€us<^  ecce  illos), 
lequel  avait  du  doner  dabord  eu,  puis  très  rapidement  ey 
par  assimilacion  réciproque. 

On  voit  que  eu  se  trouvait  ainsi  compozé  de  deus  éléments 
très  voizins,  et  non  de  deus  éléments  éloignés  come  oi.  Ceci 
explique  pourquoi  ces  deus  groupes  ont  eu  des  destinées  difé- 
rentes,  quand  le  Français  a  comencé  à  éliminer  ses  anciènes 
diftongues.  Tandis  que  oz  =  oi  continuait  à  se  déveloper  jus- 
qu'à former  un  groupe  de  consone  et  voyèle  wa,  eu=-0Y 
au  contraire  se  contractait  en  0.  Absolument  come  le  ei  Nor- 
mand s'est  jénéralement  contracté  en  e  dans  les  patois  moder- 
nes. —  La  contracsion  de  eu  en  0  est  atestée  dès  le  13®  siècle 
par  des  rimes  et  des  confuzions  de  eu  et  de  we  ;  v.  §  19. 

Il  s'est  établi  ensuite  une  alternance  de  0  et  de  œ,  réglée 
par  l'influence  des  sons  voizins,  et  très  semblable  à  cèle  qui 
existe  entre  a  et  0,  entre  0  et  0,  même  entre  e  et  e. 

uo 

lo.    —    Le  chanjement  de  ô  en  uo  se  trouve,  lui  aussi, 

23 


3S4  P.  PASSY 

dans  la  plupart  des  langues  romanes  et  doit  remonter  en 
Français  à  l'époque  prélitéraire.  On  n'en  trouve  pas  de  tra- 
ces dans  les  Serments,  ce  qui  ne  nous  empêche  pas  de  sta- 
tuer une  diftongue  au  moins  naissante  dans  poblo,  om, 
pois.  On  a  buona,  ruovet,  dans  l'Eulalie,  et  des  formes 
semblables  dans  St.  Léger.  Ensuite,  on  a  ordinairement  oe 
ou  ue  ;  cète  dernière  grafie  finit  par  prévaloir.  Izolément  ou 
dialectalement,  on  trouve  aussi  o,  e,  eo,  ii,  e,  œu,  ou,  et 
enfin  eu,  qui  est  resté  en  uzaje  jusquà  nos  jours,  sauf  dans 
un  petit  nombre  de  mots  pour  lesquels  ue  a  été  conservé 
{orgueil,  cercueil,  accueil^  cueillir,  recueil). 

16.  —  Coment  faut-il  interpréter  ces  diverses  grafies,  sur 
lesquèles  les  assonances  ne  jètent  guère  de  lumière,  puis- 
que la  diftongue  en  question  n'assone  régulièrement 
qu'avec  èle-même  ? 

Il  n'est  pas  douteus,  come  nous  alons  le  prouver,  qu'à 
l'époque  des  plus  anciens  monuments  littéraires  et  même 
plus  tard,  la  diftongue  uo  était  encore  dessendante  ;  l'évo- 
lucion  avait  donc  marché  moins  vite  que  pour  ie.  Mais  je  ne 
pense  pas  qu'il  faille  doner  à  la  première  voyèle  le  son  d'un 
véritable  u;  c'était  plutôt  un  o  fermé,  facilement  perçu  come u 
devant  un  o  ouvert,  et  pour  lequel  dailleurs  il  n'existait  pas 
d'autre  signe  que  u  permettant  de  l'opozer  à  o.  La  difton- 
gue pouvait  donc  valoir  oo.  —  On  sait  que  le  uo  germanique 
de  fuodr,  faldastuol,  s'est  confondu  avec  ce  uo  roman, 
dont  l'ancièneté  est  établie  solidement  par  ce  fait  à  lui  tout 
seul  *. 


1.  On  ne  peut  pas  admètre  que  ces  mots  aient  été  adoptés  sous  la  forme 
fôdr,  faldastôl,  avant  la  diftongaizon,  et  entraînés  dans  la  diftongaizon 
romane  ;  car,  leur  o  étant  fermé,  on  aurait  eu  come  forme  françaize  forrc, 
*faldastouL  —  Il  en  est  autrement  du  o  bref  de  hosa,  qui  a  du  être  fran- 
cizé  sous  la  forme  ho:zà,  et  doner  par  diftongaizon  romane  huosa,  huesc, 
lieuse  ;  ce  qui  prouve  que  le  fénomène  était  encor  vivant  quand  ce  mot 
a  été  adopté. 


QUELQUES  DIFTONGUES  EN  VIEUS  FRANÇAIS  3^i5 

En  Italien  cète  diftongue  oo  s'est  dévelopée  paralèlement 
à  es,  devenant  un  véritable  ùo  ou  wo  par  le  transfert  de 
l'acsent  silabique  sur  la  deuzième  voyèle.  Mais  en  Français 
le  déplacement  d'acsent  ne  s'est  pas  produit  à  cète  étape.  Le 
premier  élément  est  resté  intact  ou  apeuprès,  et  le  deuzième 
s'est  affaibli  en  a  ou  quelquechoze  de  semblable  —  come 
dans  divers  patois  de  l'Alzace  et  de  la  Suisse  alemande,  où 
le  Vieux  Haut  Allemand  guot  est  devenu  guat.  Cète  pronon- 
ciacion  est  extrêmement  bien  reprézentée  par  la  grafie  oe, 
étant  admis  que  e  est  la  manière  régulière  de  reprézenter 
les  voyèles  du  tipe  a.  Il  faut  donc  lire  oa.  La  persistance 
de  l'acsent  silabique  sur  le  premier  élément  est  atestée 
par  l'emploi  sporadique  de  o  simple  dans  des  mots  come 
ovre  pour  oevre,  avoc^  Hoc,  volent  (une  fois  on  trouve 
bois  pour  boes  de  boveSy  si  ce  n'est  pas  une  faute)  ;  —  c'est 
ce  qui  nous  permet  d'afirmer  que  la  première  forme  de 
la  diftongue,  cèle  qui  est  écrite  uo,  était  aussi  dessen- 
dante. 

17.  —  ue,  parfois  réduit  à  u  dans  les  textes  anglo-nor- 
mands, est  peut  être  une  simple  variante  grafique  de  oe  :  on 
sait  que  les  scribes  anglo-normands  écrivent  souvent  u  pour 
0.  Cependant  il  peut  aussi  indiquer  une  prononciacion  plus 
fermée  du  premier  élément,  qui  se  serait  alors  raproché  de 
u,  ou  plutôt,  puisque  u  était  engajé  dans  l'évolucion  qui 
devait  aboutir  à  y,  de  ù. 

Bientôt,  vers  la  deuzième  moitié  du  12^  siècle,  l'acsent 
silabique  tent  à  se  déplacer,  à  se  porter  sur  le  deuzième 
élément,  come  étant  le  plus  sonore.  Ce  fénomène  a  son  pen- 
dant exact  dans  quelques  patois  alzaciens,  ou  le  Viens  Haut 
Alemand  guot,  devenu  ailleurs  guat  ou  guat,  aboutit  à 
gùœt  ;  seulement  ici,  vu  l'évolucion  de  u,  c'est  ùœ,  plus  tard 
yœ  ou  qœ,  qu'il  faut  lire.  Peut  être  faut-il  voir  une  trace  de 
cète  prononciacion  dans  les  grafies  oen,  ueu  qu'on  rencontre 


356  P.  PASSY 

parfois (oewiT^,  viœulent),  eu  ayant  déjà  pris  la  valeur  e^ 

18.  —  A  ce  point  de  l'évolucion,  il  semble  y  avoir  eu  deus 
tendances  contradictoires,  apartenant  peutêtre,  à  l'orijine, 
à  deus  dialectes  diférents,  mais  qu'il  est  dificile  de  démêler. 

Dans  certains  cas,  par  dissimilacion,  le  a  pert  son  arrondis- 
sement faible  encor  sans  doute,  et  se  renforce,  non  pas  en  o 
ou  œ,  mais  en  e  :  c'est  ce  qu'atestent  des  assonances  ou 
rimes  come  irueve-Minerve,  quiert-mitert,  quièrent-miie- 
rent,  fuerre-guerre,  soleil-iieil.  Ici  il  faut  supozer  une  pro- 
nonciation U£  ou  plutôt  Ù£  ;  c'est  donc  presqu'exactement 
le  dévelopement  Espagnol  des  mots  come  bueno,  hiievoy  etc. 
—  Gète  prononciacion  a  prévalu  dans  un  petit  nombre  de 
mots,  mais  avec  perte  du  premier  élément  :  avuec  est 
devenu  avec,  illuec  est  devenu  illec  -. 

19.  — Plus  souvent,  il  y  a  eu  au  contraire  assimilacion  et 
absorbsion  du  premier  élément,  et  on  aboutit  à  0.  Ce  chan- 
gement est  atesté  par  de  nombreuzes  confuzions  grafiques  de 
ue  et  de  eu  :  suer,  pruedons,  suel,  pour  seur^  preiidons, 
seul  —  treuve,  feurre,  pour  trueve,  fuerre\  —  et  par 
des  rimes  come  eskeuent-pueent .  Naturèlement  cet  0  se 
confont  aussi  avec  celui  de  el  -\-  consone  Çceiis^,  qui 
s'était  confondu  avec  le  premier  come  nous  l'avons  vu 
(§14).  Naturèlement  aussi  l'alternance  ^-œ,  motivée  par 
l'influence  des  sons  voizins,  s'établit  ici  come  ailleurs. 

20. — Remarque. —  Dans  le  groupe  provenant  de  d-|- palatale 
(hodie,  noctem,  octo,  coxà),  il  y  a  eu  un  dévelopement  un 
peu  particulier.  Ce  groupe  a  du  doner  d'abord  oi,  et  c'est 
sans  doute  ainsi  qu'il  faut  lire  le  moi  venant  de  modium 
dans  le  glossaire  de  Cassel  ;   ensuite  ooi  {pois  =  poois  dans 


i.  H.  Suchier,  Voyelles  toniques  du  Vieux  français,  §  28«. 

2.  Comparez  ce  qui  a  été  dit  de  la  réducsion  de  W£  à  s,  §  10.  —  Nous  ne 
parlons  pas,  bien  entendu,  des  mots  pour  lesquels  une  prononciacion  avec  us 
a  été  ressussitée  par  influence  ortografique,  come  la  Muette  pour /a  Meute. 


QUELQUES  DIFTONGUES  EN  VIE  US  FRANÇAIS  357 

les  Serments),  et  enfin  oai.  Puis,  dans  l'Ile-de-France,  la 
Picardie  et  la  Normandie  du  Nord-Est,  le  09  de  ce  groupe 
paraît  avoir  rapidement  abouti  à  ô,  û  ;  d'où  la  diftongue 
écrite  habituèlement  ni,  quelquefois  oi  par  les  Anglo-Nor- 
mands (là  ou  oi  de  hodie,  nuit  ou  noit  de  noctem).  Dans  le 
voyaje  de  Charlemagne  et  la  Chanson  de  Roland,  cète  dif- 
tongue za' assone  déjà  3i\ec  II  (^fuit-ve?îc ut);  nous  lui  supo- 
zons  donc  la  valeur  ûi.  Au  cour  du  12*^  siècle,  l'acsentsilabi- 
que  se  porte  sur  i  ;  de  là  la  forme  moderne  qi. 

Il  y  aurait  lieu  de  rechercher  si  les  formes  Ouest-nor- 
mandes eïiei(ei,  neit,  peis),  sont  à  lire  avec  ei dérivé  de  iiei 
pour  uoi,  come  on  le  supoze  habituèlement,  ou  bien  si  e  ne 
reprézente  pas  ici  ô  Ou  0^  de  sorte  qu'il  faudrait  lire  ôiou  e'i. 

Quant  aus  formes  Lorraines  (modernes)  avec  ^  ou  œ  (nœ 
«  nuit  »_,  kœ:r  «  cuire  y^,  œj'  ou  œx  «  huis  y>,  etc.),  il  sem- 
ble bien  qu'èles  remontent  à  ôi  venant  de  oai. 


Rézumé. 

21.  —  Voici  donc  comment  on  peut  rézumer  sous  forme 
de  tableau  le  dévelopement  de  nos  quatre  séries  de  difton- 
gues  : 


,      e:  ei  ; )  i  )  \va 

l»   [  ei  81  01  33  oe  U£  [ 

ei  ei  )  )  wc  wa  )  \va 


<i)o 


e:  es  es  u  ]z 


,  w  ..O   ..        yœ  >       ^ 

40  d:  00  oa  uo  uœ  \  l,     ' 

1  ys  £ 

Ce  qu'il  y  a  d'intéressant  dans  ce  tableau,  c'est  le  rôle  que 
paraissent  avoir  joué,  dans  l'histoire  de  notre  langue,   les 


358  P.  PASSY 

voyèles  des  pozicions  moyènes  ou  mal  définies,  tèles  que  à, 
ô,  ë,  et  surtout  a,  ainsi  que  les  patalales  arrondies  œ  et  0. 
Ce  rôle  est  dificile  à  précizer,  à  cause  de  l'insutizance  de 
notre  alfabet,  qui  a  oblijé  surtout  à  doner  à  la  lètre  e  des 
valeurs  par  trop  nombreuzes.  Il  n'est  pourtant  pas  possible 
de  l'ignorer  sistématiquement,  si  on  veut  avoir  une  idée 
d'ensemble  du  dévelopement  fonétique  du  Français.  La 
prézente  étude  pourra  peutêtre  contribuer  à  le  mètre  en 
lumière. 


René  PICHON 


OBSERVATIONS 

SUR  LA  TRADUCTION  MANUSCRITE 

DU  DE  ORATORE 


I 


OBSERVATIONS 

SUR  LA  TRADUCTION  MANUSCRITE 

DU  DE  ORATORE 

Par  René  Pichon. 


On  sait  que,  parmi  les  trois  classes  de  manuscrits  qui  nous 
ont  transmis  le  texte  du  De  oratore,  les  mutili  uetustiores, 
les  mutili  recentiores  et  les  integri,  la  première  est  en 
général,  depuis  une  soixantaine  d'années,  de  beaucoup  pré- 
férée aux  deux  autres.  La  question  ne  se  pose  même  pas 
pour  les  recentiores,  qui  ne  sont  pour  la  plupart  que  de 
médiocres  copies  des  uetustiores.  Entre  ceux-ci,  au  con- 
traire, et  les  integri,  entre  l'archétype  M.  de  VAbrincensiSj 
de  VHarleianus  et  de  VErlangensis  prior,  et  le  Ms.  de 
Lodi  L.,  source  de  VOttobonianus  et  du  Palatinus,  la 
question  peut  être  débattue.  La  valeur  de  M.  a  été,  notam- 
ment, exaltée  d'une  façon  systématique  par  Friedrich,  qui  y 
a  vu  la  source  exclusive  du  vrai  texte.  M.  Courbaud  a 
essayé  de  réhabiliter  le  Laudensis  (comme  M.  Martha  l'avait 
fait  en  ce  qui  concerne  le  Brutus),  mais  un  peu  timide- 
ment. Je  crois  qu'on  peut  aller  plus  loin  que  lui,  et  montrer 
que  dans  bien  des  cas  L.  contient  la  véritable  leçon.  Je  ne 
le  ferai  ici  que  pour  le  i''"  livre,  faute  de  place.  Pour  la 
même  raison,  je  ne  parlerai  pas  des  variantes  orthographi- 


3G2  A.  PIGIION 

ques  et  des  différences  légères,  comme  entre  ii  et  hi  par 
exemple,  et  je  ne  m'arrêterai  que  là  où  les  divergences  sont 
plus  importantes.  Enfin,  comme  il  est  inutile  d'enfoncer  des 
portes  ouvertes,  je  ne  signalerai  que  les  endroits  où  la 
supériorité  de  L.  n'a  pas  encore  été  reconnue,  je  ne  dis  pas 
par  Friedrich,  mais  même  par  des  éditeurs  plus  modérés. 


* 
*  * 


Voici  d'abord  un  certain  nombre  de  passages  où  les  deux 
leçons  dissemblables  de  L.  et  de  M.  peuvent  paraître  aussi 
bonnes  l'une  que  l'autre,  toutes  choses  considérées  : 

IV,  5  :  sed  enim  mains  est  hoc  quiddam...  M.  —  sed 
nimirum  mains  est  hoc  quiddam..,  L.  —  Les  deux  adver- 
bes expriment  également  le  sens  de  la  liaison  explicative  : 
«  Mais  après  tout,  cela  se  comprend,  car...  » 

XIII,  58  :  Lycurgnm  et  Solonem...  scisse  melius  quam 
Hyperidem  aut  Demosthenem...  M.  —  Lycurgum  aut  Solo- 
nem... scisse  melius  quam  Hyperidem  aut  Demosthenem... 

—  Les  deux  conjonctions  aut  et  et  peuvent  toutes  deux  ser- 
vir à  relier  deux  exemples  entre  lesquels  le  choix  reste  libre. 

XXI,  96  :  insperanti,  inquit,  mihi  et  Cottae...  M  — 
insperanti  mihi,  inquit,  et  Cottae...  L.  —  Aucune  diffé- 
rence appréciable. 

XXI,  96  :  nobis...  satis  iucundum  fore  iiidebatur . . . 
M.  —  nobis...  iucundum  satis  fore  uidebatur...  L.  — 
L'adverbe  salis  est  assez  souvent  postposé  pour  que  la  leçon 
de  L.  soit  aussi  admissible  que  celle  de  M. 

XXIII,  106  :  duo  excellentes  ingeniis  adulescentes...  M. 

—  duo  excellentis  ingenii  adulescentes...  L.  —  Les  deux 
tournures  sont  aussi  usitées  l'une  que  l'autre. 

XXVI,  119  :  in  ordienda  oratione...  M.  —  in  exordienda 
oratione...  L.  —  Le  rapprochement  signalé  avec  XXI,  98, 


TRADITION  DU  VE  ORAWRE  363 

prouve  que  ordienda  peut  aller,  mais  non  pas  que  exordienda 
doit  être  rejeté. 

XXVI,  121  :  artuhus  omnibus  contremiscam...  M.  — 
omnibus  artubus  contremiscam...  L.  —  Aucune  différence 
appréciable. 

XXVI,  122  :  significare  inter  sese...  M.  —  significare 
intersé...  L.  — Aucune  différence  appréciable. 

XL,  181  :  nobilissimum  atque  optimum  uirum  atque 
consularem...  M.  —  nobilissimum  atque  optimum  uirum 
consularem...  L.  — L'expression  uir  C07i52^/«m  ne  formant 
pour  ainsi  dire  qu'un  seul  mot,  comme  consul  ou  censor,  le 
texte  de  L.  est  défendable. 

XL,  181  :  quia  memoria  sic  esset  proditum...  M.  —  Quia 
memoriae  sic  esset  proditum.,.  L.  —  Les  deux  tournures 
sont  également  usitées. 

XLII,  189  :  generibus  lis  ex  quibus  manant...  M.  — 
generibus  iis  ex  quibus  émanant...  L.  —  Le  composé  est 
ici  aussi  bon  au  moins  que  le  simple. 

Dans  tous  ces  passages,  il  n'y  a  aucune  raison,  ni  paléogra- 
phique ni  grammaticale,  de  préférer  L.  à  M.  ou  inverse- 
ment, aucun  moyen  de  savoir  lequel  des  deux  représente  la 
plus  saine  tradition.  On  a  l'habitude,  en  ces  endroits, 
d'adopter  la  leçon  de  M.,  parce  que  l'on  croit  savoir,  par 
ailleurs,  que  M.  mérite  en  général  plus  de  confiance.  Mais 
si  la  supériorité  de  M.  était  infirmée,  l'argument  se  retourne- 
rait aussitôt.  Jusqu'ici,  la  question  reste  donc  entière. 


*  * 


Il  n'y  a  pas  lieu  d'insister  sur  les  phrases  où  certains  mots 
ou  groupes  de  mots  sont  omis  par  M,  et  donnés  par  L.,  sans 
être  d'ailleurs  ni  nécessaires  au  sens  ni  complètement  super- 
flus. Les  partisans  de  M.,  naturellement,  déclarent  que  ce 


364  A.  PIGIION 

sont  des  gloses,  surajoutées  par  le  copiste  de  L.  :  on  peut 
soutenir,  avec  tout  autant  de  vraisemblance,  que  ces  addi- 
tions émanent  bien  de  Cicéron  lui-même,  et  ont  été  oubliées 
par  le  transcripteur  de  M.  Etant  donnée  l'abondance  ordi- 
naire de  Cicéron,  cette  dernière  hypothèse  n'a  rien  d'absurde. 
C'est  pourquoi,  tandis  que  Friedrich  expulse  sans  pitié  les 
passages  en  question,  d'autres  éditeurs  sont  plus  accueillants. 
Mais,  sans  parler  des  membres  de  phrase  que  M.  Stangl  ou 
M.  Courbaud  ont  ainsi  réintégrés,  voici  un  exemple  assez 
typique,  que  j'emprunte  au  début  de  l'ouvrage  (I,  1). 
M.  donne  :  ac  fuit  cummihi  quoque  initium  requiescendi,.. 
fore  iustum  et  prope  ab  omnibus  concessum  arbitrarer. 
Dans  L.,  ac  fuit  est  remplacé  par  ac  fuit  tempus  illucl... 
Évidemment  ces  deux  derniers  mots  ne  sont  pas  nécessaires  : 
mais  peut-on  dire  que  cette  manière  d'arrondir  la  phrase  ne 
soit  pas  conforme  au  style  de  l'orateur?  non  certes;  et  tem- 
pus illud  a,  je  crois,  plus  de  chances  d'être  un  pléonasme 
cicéronien  qu'une  interpolation  de  copiste. 

En  revanche,  il  arrive  quelquefois  que  L.  donne  un  texte 
plus  simple,  plus  pur  de  gloses,  que  celui  de  M.  Par  exem- 
ple, XLII,  190,  la  plupart  des  Mss.  ont  :  ut  primum  omne 
lus  civile  in  gênera  digérât,  quae  perpauca  sunt,  deinde 
eorum  generum  quasi  quaedam  membra  dispertiat.  Mais 
dans  VHarleianus  (seul  représentant  ici  de  M.),  generum  est 
remplacé  par  gênera,  et  dans  L.  il  est  omis.  Je  crois  que  L. 
doit  avoir  raison  ;  Cicéron  a  dû  écrire  eorum  quasi  quaedam 
membra^  et  eorum  n'aura  pas  semblé  assez  clair.  —  Peut- 
être  faut-il  raisonner  de  la  même  manière  dans  une  phrase 
fort  difficile  (XL,  183).  h'Harleianus  donne  :  cum  quaeri- 
tur,  is  qui  domini  uoluntate  census  sit,  continuone  an,  ubi 
luslrum  sit  conditum,  liber.  Les  Mss.  inférieurs  ajoutent  sit 
à  liber,  et  remplacent  ubi  lustrum  sit  conditum  par  des 
leçons  diverses,  assez  incohérentes  :  ubi  lustrix  conditum, 


TRADITION  DU  DE  OBATORE  365 

tribus  lustris  conditum,  ubi  iam  ter  lustrum  condititm... 
Les  dérivés  du  Laudensis  écrivent  simplement  :  is,  qui 
domini  uoluntate  census  sit,  si  non  sit  conditum  lustrum,  sit- 
ne  liber,  et  cette  leçon,  plus  brève  et  plus  nette,  pourrait 
bien  être  la  véritable. 


* 
*  * 


Au  point  de  vue  de  la  syntaxe,  le  texte  de  L.  est  souvent 
préférable,  et  voici  quelques  endroits  où  j'estime  qu'il  serait 
bon  d'y  revenir  : 

XII,  50,  le  texte  de  M.  est  :  iinum  erit  profecto  quod  li 
qui  bene  dicunt,  adferunt  proprium.  L.  écrit  adferant, 
qui,  après  unum  erit  quod...,  est  très  conforme  à  la  manière 
d'écrire  de  Cicéron. 

De  même,  XVII,  77,  M.  porte  :  si  tibi  ipsi  nihil  deest  quod 
in  forensibus  rébus  ciuilibusque  uersatur.  La  syntaxe  cicé- 
ron ienne  appelle  plutôt  uersetur,  quod  équivalant  à  taie  ut 
(«  rien  de  ce  qui  peut  se  trouver...  »)  ;  uersetur  est  en  effet 
la  leçon  de  L.,  conservée  encore  par  Kayser. 

Inversement,  XXII,  103,  M.  écrit  :  de  qua  se  non  omnia 
quae  dici  possint  profiteantur  esse  dicturos  ;  et  L.  a  pos- 
sunt  au  lieu  de  possint.  Mais  ici,  l'indicatif  paraît  plus  logi- 
que que  le  subjonctif,  quae  dici  possunt  n'étant  pas  entraîné 
par  le  mouvement  du  style  indirect,  mais  formant  une  sorte 
d'expression  toute  faite,  de  définition,  comme  le  participe 
grec,  xi  XÉvesôa'.  Buvâ|jL£va. 

XXXIX,  180,  M.  a  :  nisi postumus  et  natus  et,  antequam 
in  suam  tutelam  ueniret,  mortuus  esset.  —  Dans  L.,  au 
lieu  de  ueniret,  il  y  a  uenisset.  Or  on  sait  combien  est  fré- 
quent, avec  antequam,  priusquam,  etc.,  l'emploi  du  futur 
antérieur,  auquel  correspond  ici,  en  style  indirect,  le  plus- 
que-parfait  du  subjonctif. 


366  A.  PIGHON 

XXII,  99,  M.  a  :  quod  ego  non  superbia  neque  inhuma- 
nitate  faciebam  neque  quod  tiio  studio  rectissimo  atque 
optimo  non  obsequi  uellem.  —  L.  écrit  neque  quo,  qui  est 
peut-être  préférable,  non  quo  étant  très  usité  pour  intro- 
duire une  explication  qui  doit  être  écartée  ensuite. 


* 


Si,  de  la  syntaxe,  nous  passons  au  style,  nous  relèverons 
encore  plusieurs  passages  où  l'idée  apparaît  plus  claire  et 
plus  précise  avec  le  texte  de  L. 

IV,  15,  M.  a  :  excitabat  eos  magnitudo,  uarietas  multi- 
tudoqiie  in  omni  génère  causarum.  —  Dans  L.  :  magniiudo 
ac  uarietas  multitudoque , . .  Il  me  semble  que  l'emploi  des 
deux  conjonctions  différentes,  ac  et  que,  introduit  ici,  assez 
finement,  une  classification  plus  précise  :  d'une  part  l'impor- 
tance de  chaque  cause  en  elle-même  ;  d'autre  part,  le  grand 
nombre  des  causes  et  leur  diversité. 

XV,  68,  à  propos  des  trois  parties  de  la  philosophie,  on 
lit  dans  M.  :  duo  illa  (=  la  physique  et  la  logique)  relin- 
quamus  atque  largiamur  inertiae  nostrae.  — DansL.  :  idque 
largianiur.  Le  sens  est  plus  satisfaisant  :  le  cadeau  que  l'on 
doit  donner  à  sa  paresse,  ce  n'est  pas  les  deux  parties  de  la 
philosophie,  c'est  l'abandon  de  ces  parties. 

XVII,  77,  le  texte  de  M.  est  :  uideamus  ne  plus  ei 
(=  oratori^  tribuamus  quam  res  et  ueritas  ipsa  concedet.  — 
DansL.,  au  lieu  de  tribuamus,  il  y  a  tribuas.  C'est  beau- 
coup plus  juste,  puisque  c'est  Crassus  seul,  et  non  Scaevola 
et  les  autres  interlocuteurs,  qui  accorde  tant  à  l'orateur. 

XXV,  115,  M.  porte  :  neque  haec  ita  dico  ut  ars  aliquos 
limare  non  possit;  et  L.,  au  lieu  de  aliquoSy  a  aliquid.  On 
a  fait  remarquer  que  aliquos  s'opposait  mieux  à  siint  qui- 
dam^ qui  est  quelques  lignes  plus  bas.    Mais,   avant   sunt 


TRADITION  DU  DE  OBATORE  367 

quidam,  il  y  a  ?îeqiie  enim  ignoro  et  qiiae  bona  sint  fieri 
meliora  posse  doctrina...  :  l'argument  du  contexte  serait 
donc  plutôt  en  faveur  du  neutre. 

On  sait  quelle  délicatesse  Cicéron  apporte  dans  l'emploi 
des  simples  et  des  composés.  Deux  passages  sont  intéressants 
à  ce  point  de  vue.  V,  18,  M.  écrit  :  in  qua  (=  in  scaend) 
cum  omnes  in  oris  et  iiocis  et  motus  moderatione  laborent  ; 
L.  a  élaborent.  On  a  dit,  pour  justifier  laborent,  que  le  pré- 
fixe ex  marque  le  succès  de  l'action,  et  que  tous  les  comé- 
diens ne  réussissent  pas.  Mais  ex  marque  souvent  l'effort 
intense,  l'épuisement,  et  si  l'on  traduit  elaborare  par  «  se 
tuer  de  fatigue  »,  on  sera  amené  à  préférer  le  texte 
de  L.  —  De  même,  XXI,  96,  le  texte  de  M.  est  :  ut  uero 
penitus  in  eam  ipsam...  disputationem  paene  intimam 
ueniretis.  Dans  L.  il  y  a  perueniretis,  qui  s'accorde 
mieux  avec  l'idée  d'aller  jusqu'au  bout,  jusqu'au  fond  de 
la  discussion  :  le  préfixe  forme  avec  penitus  et  intimam 
un  de  ces  renforcements  d'expression  chers  à  l'art  cicéro- 
nien. 

Un  autre  trait  du  style  de  Cicéron  est  le  soin  donné  à  la 
place  des  mots.  Comparons  à  cet  égard  quelques  leçons  de 
M.  et  de  L.  :  XIX,  86  :  de  conformandis  hominum  moribus 
littera  nulla  in  eorum  libris  inueniretur,  texte  de  M.  — 
L.  fait  bien  mieux  ressortir  l'idée  négative  en  écrivant  : 
littera  in  eorum  libris  nulla, 

XXII,  102  :  quid?  mihi  uos  nunc,  inquit  Crassus,... 
texte  de  M.  — L.  écrit  mihi  mine  uos,  et  le  second  pronom 
personnel,  venant  juste  avant  l'incise,  se  détache  mieux  et 
s'oppose  mieux  au  premier. 

XXIV,  111  :  uidear  non  ipse  a  me  aliquid  promisisse, 
texte  de  M.  —  Dans  L.,  ipse  aliquid  a  me,  avec  l'enclave 
de  aliquid,  qui  met  mieux  en  valeur  le  rapport  de  ipse  et 
de  a  me. 


368  A.  PIGHON 


* 


Dans  quelques-uns  des  endroits  que  j'ai  cités,  outre  les 
raisons  grammaticales  ou  littéraires  qu'on  peut  avoir  de  pré- 
férer le  texte  de  L.,  on  voit  bien  comment  a  pu  en  naître  la 
leçon  fautive  de  M.,  et  non  inversement.  Ainsi,  XXII,  103, 
possunt  a  pu  devenir  possint  par  le  voisinage  de  profitean- 
tur  ;  —  XVII,  77,  tribuas  a  pu  se  transformer  en  tribuamus 
par  analogie  avec  iddeamus  ;  —  dans  les  trois  passages  que 
j'ai  étudiés  au  point  de  vue  de  l'ordre  des  mots,  on  s'expli- 
que qu'un  copiste,  peu  au  courant  des  effets  littéraires  de 
l'hyperbate,  ait  rapproché  l'un  de  l'autre  les  mots  qui  vont 
ensemble,  littera  nulla,  mihi  uos,  ipse  a  me.  Il  y  a  d'autres 
endroits  où  l'on  peut  donner  la  préférence  à  L.  sur  M.,  jus- 
tement parce  que  l'altération  du  texte  de  L.  en  celui  de  M. 
se  comprend  mieux  que  le  changement  inverse. 

XV,  65  :  quae  suntin  disceptationibus  atqueusu  forensi... 
M.  —  quae  sunt  in  disceptationibus  aut  in  usu  forensi...  L. 
—  En  soi,  les  deux  textes  se  valent  ;  mais,  un  peu  plus  haut, 
il  y  a,  formant  antithèse  avec  ces  mots,  quae  ceteris  in  arti- 
bus  atque  studiis  sita  sunt.  Si  le  véritable  texte  est  celui  de  L. , 
on  se  rend  compte  que  aut  in  nsu  a  pu  être  remplacé  par 
atque  usu,  par  symétrie  avec  atque  studiis  ;  au  contraire  on  ne 
voit  pas  pourquoi  atque  usu  aurait  été  corrigé  en  aut  in  usa. 

XXXVI,  16o:  quae  neque  ego  ita  teneo  ut  ii  qui  docent, 
neque  sunt  eius  generis...  M.  —  L.  omet  ita,  et  écrit  ego 
neque  au  lieu  de  neque  ego.  Or  :  1°  l'addition  de  ita  est 
plus  compréhensible  que  son  omission  ;  2"  ego  neque  teneo 
a  pu  facilement  être  corrigé  en  neque  ego  teneo,  pour  obte- 
nir une  symétrie  plus  rigoureuse  avec  neque  sunt... 

Ailleurs  ce  sont  d'autres  raisons  que  celle  de  la  symétrie 
qui  entrent  en  jeu. 


TRADITION  DU  DE  ORATORE  369 

XXXV,  163,  V Harleianus  a  :  sed  tu  hanc  nobis  ueniam 
Scaeuola  et  perfice  ut...,  d'où  il  est  facile  de  tirer  :  sed  tu 
hanc  nobis  ueniam,  Scaeuola,  da^  et  perfice...  Le  texte  de 
L.,  sed  tu  hoc  nobis  da,  Scaeuola,  et  perfice...,  est  plus 
simple,  plus  rapide,  et  plus  conforme  à  la  langue  de  la  con- 
versation. Il  est  assez  naturel  qu'un  copiste,  comprenant  mal 
hoc  da,  ait  remplacé  hoc  par  son  équivalent  hanc  ueniam  ; 
la  réciproque  serait  moins  admissible. 

Quelquefois  des  mots  précis,  qui  figurent  dans  L.,  sont 
remplacés  dans  M.  par  des  termes  plus  vagues  et  plus 
approximatifs,  ce  qui  est  une  présomption  en  faveur  de  L. 

II,  6  :  cur  plures  in  omnibus  rébus  quam  in  dicendo 
admirabiles  exstitissent...  M.  —  L.  a  :  m  omnibus  artibus. 
Il  me  semble  que  i^ebus  est  un  équivalent  affaibli  de  arti- 
bus, et  en  dérive  plutôt  que  artibus  ne  dérive  de  lui. 

YII,  27  :  eaque  esset  in  homine  iucunditas  et  tdntus  in 
loquendo  lepos...  M.  —  L.,  d'accord  avec  la  plupart  des 
Lacjomarsiniani,  a  in  iocando.  In  iocando  convient  très 
bien  ici,  où  il  est  question  de  l'urbanité  et  de  l'esprit  de 
Crassus;  mais  un  copiste  a  pu  se  dire  que,  chez  un  orateur, 
on  doit  vanter  surtout  le  charme  de  la  parole,  et  corriger, 
par  suite  de  cette  méprise,  iocando  en  loquendo. 

XXXVI,  167  :  iuris  ciuills  scientia...  M.  —  iuris  ciuilis 
prudentia...  L.  —  Des  deux  termes,  scientia  est  le  plus 
courant,  le  plus  banal  ;  le  copiste  de  M.  a  pu  facilement  le 
substituer  à  prudentia  si  celui-ci  est  le  mot  authentique. 
Dans  l'hypothèse  contraire,  pourquoi  le  copiste  de  L.  aurait- 
il  remplacé  l'authentique  scientia  ^^^v prudentia? 

Enfin  il  y  a  lieu  de  signaler  le  passage  XXXII,  147,  où 
M.  a  :  exercitatione  quasi  ludicra  praediscere  ac  meditari^ 
et  L.  :  prodiscere  ac  meditari.  —  Le  moi  pro  dise  ère  ne  se 
rencontrant  pas  ailleurs,  les  éditeurs  ont  naturellement  pré- 
féré praediscere.  Mais  on   ne  sait  jamais  si   l'on  n'a    pas 

24 


370  A.  PICHON 

affaire  à  un  aTua;  A£y6|j.svcv,  et  puis  il  nous  reste  si  peu  de 
textes  latins,  qu'il  est  difficile  d'affirmer  qu'un  mot  est  inusité. 
Si  prodiscere  est  un  mot  correct,  quoique  rare,  il  a  pu  aisé- 
ment céder  la  place  k  praediscere,  plus  usuel.  Si  l'auteur  a 
écrit  praediscere,  où  le  copiste  de  L.  est-il  allé  chercher 
prodiscere'^. 

De  toutes  ces  observations,  je  ne  prétends  pas  conclure 
que  L.  ait  une  autorité  infaillible,  mais  seulement  une  valeur 
égale,  sinon  supérieure,  à  celle  de  M.  La  thèse  intransi- 
geante de  Friedrich  n'est  plus  soutenue,  et  les  récents  édi- 
teurs inclinent  bien  plutôt  vers  une  méthode  éclectique. 
Mais,  dans  cet  éclectisme  même,  il  me  semble  qu'on  doit 
attribuer  à  L.  une  part  plus  grande  encore  qu'on  ne  l'a  fait 
jusqu'ici.  Cette  opinion  devrait  d'ailleurs  être  appuyée  sur 
une  étude  détaillée  du  texte  des  deux  autres  livres  du 
De  oratorey  et  même  des  autres  traités  de  rhétorique  ;  je  n'ai 
voulu,  par  ces  brèves  remarques,  qu'amorcer  la  question. 


Frédéric  PLESSIS 

QUELQUES  MOTS 
SUR    LES    HÉROÏDES 


QUELQUES  MOTS  SUR  LES  HÉROIDES 

Par  Frédéric  Plessis. 


On  sait  que,  dans  le  recueil  des  Héroïdes,  les  quinze  pre- 
mières pièces  sont  toutes  des  lettres  écrites  par  des  femmes 
à  leurs  amants,  mais  que,  parmi  les  six  dernières  (dites  dou- 
bles), la  lettre  de  la  femme  est  précédée  d'une  lettre  de 
l'homme.  Faut-il  en  conclure  que  le  titre  de  Epistulae,  qui 
se  lit  dans  les  manuscrits,  remplaça  celui  des  Eeroides 
quand  la  seconde  série,  16  à  21,  fut  ajoutée  à  la  première, 
là  15  ?  Il  se  peut  bien,  au  contraire,  que  Epistulae  ou  Be- 
roidum  epistulae  ait  été  le  titre  primitif  abrégé  en  Heroides 
pour  la  commodité  des  références  (voy.  Prise.  G.  L.  Keil  II, 
544,  4)  et  afin  d'éviter  toute  confusion  avec  les  epistulae 
écrites  de  Tomes,  Tristes  et  Pontiques.  Lorsque,  dans  une 
seconde  édition,  les  lettres  doubles  vinrent  se  joindre  aux 
autres,  le  titre  Heroides,  déjà  répandu,  aurait  été  conservé 
bien  que  ne  convenant  plus  exactement,  mais  parce  qu'il 
était  suffisamment  clair  et  que  les  Anciens  ne  demandaient 
guère  autre  chose  à  un  titre.  Enfin,  y  a-t-il  eu  deux  éditions, 
je  veux  dire  deux  éditions  différentes  faites  par  Ovide,  ou 
les  lettres  doubles  ne  seraient-elles  pas  l'œuvre  d'une  autre 
poète  ? 


374  F.  PLESSIS 

Des  vingt  et  une  pièces,  Lachmann  (Kleine  Schrift. ,  56-61) 
n'en  reconnaissait  à  Ovide  que  huit:  1,  2,  4  à  7,  6  et  il,  à 
savoir  celles  qui  sont  mentionnées  par  le  poète  lui-même 
dans  la  18*  élégie  du  livre  II  des  Amours,  vers  21  et  suiv. 
Lehrs  (Q.  Horat.  Flacc,  Leipz.,  1869,  222-254)  opérait 
dans  toutes  les  lettres  de  larges  coupures.  L.  Mûller  (/)e  re 
metr.,  2*  éd.,  p.  31)  rejetait  la  seconde  série,  16  à  21,  et 
avec  elle  la  15*  Héroïde.  Et,  d'autres  philologues  encore  ont 
plus  ou  moins  touché  à  ces  questions  et  les  ont  tranchées 
dans  un  sens  ou  dans  un  autre  au  nom  des  arguments  les 
plus  divers.  Déjà,  après  que  Lachmann  avait  déclaré  telles 
pièces  indignes  non  seulement  d'Ovide,  mais  de  son  temps, 
L.  Mûller  (/.  c.  p.  32)  jugeait  qu'aucun  de  ces  poèmes  n'est 
d'une  autre  époque  que  les  Héroïdes  authentiques.  A.  Pal- 
mer,  dans  sa  première  édition  (Ovid.  Her.  XIV,  Londres, 
1874),  condamnait  l'attribution  à  Ovide  de  la  pièce  15  au 
nom  du  «  sens  commun  »  ;  et,  dans  sa  seconde  édition  (P. 
Ovidi  Nos.  Her.  Oxford,  1898),  achevée  après  sa  mort  par 
L.-G.  Purser,  on  trouve,  p.  419-424,  sur  cette  même  15*  Hé- 
roïde une  étude  favorable  à  l'authenticité*  I 

On  voit  que  le  doute  a  son  point  de  départ  dans  la  pièce  II, 
18  des  Amours  :  à  vrai  dire,  la  seule  conclusion  précise  que 
l'on  est  en  droit  d'en  tirer,  c'est  que  les  huit  lettres  mention- 
nées sont  antérieures  à  cette  pièce.  Ainsi  que  l'a  très  bien  ob- 
servé E.-K.  Rand  {Americ.  Journ.  ofphilology,  vol.  XXVIII, 
3,  a.  1907,  p.  288),  on  ne  peut  en  conclure  qu'Ovide  n'eût  pas 
composé  d'autres  Héroïdes,  même  à  ce  moment  :  il  parle  en 
poète  et  ne  dresse  pas  un  catalogue.  Puis,  il  ne  faut  pas  ou- 
blier qu'il  y  a  eu  deux  éditions  des  Amours,  la  première  en 
cinq,  la  seconde  en  trois  livres,  et  qu'Ovide  aimait  et  prati- 
quait les  corrections  et  les  remaniements  :  d'où  l'on  peut 

1.  Voy.  aussi  Postgate,  Corp.  poct.  latin.,  1. 1,  fasc.  2,  p.  xvi. 


SUR  LES  HEROÏDES  37o 

se  demander  si  le  texte  de  l'élégie  II,  18  des  Amours  est  ce- 
lui de  la  première  édition  antérieure  à  l'an  20  av.  J.-C,  ou 
celui  de  la  seconde,  des  environs  de  l'an  15  ?  Un  passage  des 
Tristes  (V,  10,  57  et  suiv.)  nous  apprend  que  le  poète  se 
décida  à  lire  en  public  des  essais  de  jeunesse  (juvenaiid) 
parce  que  ses  vers  des  Amours,  sur  Corinne,  lui  avaient 
déjà  fait  un  nom.  Qu'il  ait  dû  sa  réputation  aux  Amours, 
cela  ne  prouve  pas  du  tout  qu'il  n'ait  composé  les  Héroïdes 
qu'ensuite  ;  et,  si  ce  sont  bien  elles,  comme  il  semble,  qu'il 
désigne  sous  le  nom  de  juvenalia,  il  ne  serait  pas  étonnant 
que  la  plupart  fussent  de  l'an  23  av.  J.-C,  c'est-à-dire  de  la 
vingtième  année  du  poète.  Mais  la  familiarité  avec  l'Enéide 
porte  à  rapprocher  la  date  de  certaines  d'entre  elles  ;  nous 
ne  savons  pas  d'ailleurs,  comme  je  le  disais  plus  haut,  si, 
dans  la  première  édition  des  Amours,  l'énumération  de  II, 
18  n'était  pas  plus  restreinte.  Puis,  l'on  ne  voit  pas  pourquoi 
Ovide  n'aurait  tout  d'abord  composé  que  des  Héroïdes  pour 
n'écrire  ensuite  que  des  élégies  destinées  au  recueil  des 
Amours  :  il  est  possible  qu'il  ait  entremêlé  les  deux  occupa- 
tions et  que,  si  plusieurs  des  Héroïdes  sont  antérieures  aux 
Amours,  d'autres  aient  été  écrites  plus  tard  et  même  bien  plus 
tard  que  l'an  22  av.  J.-C.  Dans  l'article  cité  plus  haut,  Rand 
note  que  le  présent  scrihimus,  employé  Am.  II,  18,  22,  en 
parlant  des  Héroïdes,  peut  n'avoir  pas  une  valeur  de  temps 
précise,  et  convient  très  bien  pour  marquer  de  quels  sujets 
le  poète  s'occupe  à  une  époque  de  sa  vie.  Enfin,  si  des  vers 
des  Tristes  V,  10,  57,  il  ressort  que  la  première  édition  des 
Amours  a  précédé  celle  des  Héroïdes,  ce  n'est  pas  précisé- 
ment parce  qu'Ovide  dit  que  les  élégies  sur  Corinne  ont 
fondé  sa  réputation  ;  un  premier  livre  peut  passer  inaperçu, 
un  second  assurer  la  gloire  ;  mais  les  lectures  dont  il  est 
question  au  v.  47  supposent  que  les  Héroïdes,  même  les 
premières,  juvenalia,  à  ce  moment  étaient  inédites. 


376  F.  PLESSIS 


2. 


La  15*  lettre,  Sappho  à  Phaon,  ne  figure  pas  dans  les  vieux 
manuscrits  :  ni  dans  le  Parisinus  8242  (xi"  siècle),  ni  dans  le 
Guelferbytanus  260  (xii°  s.)  ;  le  plus  ancien  qui  en  donne  le 
texte  est  le  manuscrit  de  Francfort  (xiii®  s.).  On  ne  la  re- 
trouve pas  dans  la  traduction  en  prose  grecque  de  Maximus 
Planudes.  D'autre  part,  les  manuscrits  qui  nous  l'ont  trans- 
mise nous  l'offrent  soit  avant,  soit  après  toutes  les  autres 
pièces  ;  ce  fut  Daniel  Heinsius  qui,  en  1629,  la  mit  la  quin- 
zième, place  qu'elle  a  gardée  dans  la  vulgate  jusqu'à  Mer- 
kel.  Et  ce  n'était  pas  sans  raison,  bien  qu'on  l'ait  cru  long- 
temps :  dans  des  Excerpta  (Paris.  17903  et  7647,  xni*'  s.), 
des  vers  de  cette  pièce  prennent  place  entre  des  extraits  des 
pièces  14  et  16;  or  S. -G.  de  Vries,  dans  l'édition  qu'il  a 
donnée  de  cette  15®  Héroïde  (Leyde,  1885),  a  montré  que 
ces  deux  manuscrits  dérivent  d'un  même  archétype  remon- 
tant au  IX*  ou  au  moins  au  x*  siècle.  Il  est  donc  hors  de 
doute  qu'il  existait  dès  le  x*  siècle  une  tradition  d'après  la- 
quelle la  lettre  de  Sappho  à  Phaon  occupait  parmi  les  Hé- 
roïdes  le  quinzième  rang  ;  en  même  temps,  tombe  l'hypo- 
thèse qu'elle  serait  une  composition  d'un  humaniste. 

Mais  on  a  invoqué  d'autres  raisons  d'enlever  cette  pièce  à 
Ovide.  L'argument  qu'elle  serait  postérieure  à  Lucain  parce 
que  le  vers  139  se  termine  ^^lt  fiirialis  Erichto,  comme  VI,  508 
dans  la  Pharsale,  n'est  pas  bien  sérieux  ;  d'ailleurs,  le  ma- 
nuscrit de  Francfort  donne  furialis  Enyo,  et  il  n'y  a  guère 
de  doute  que  ce  ne  soit  la  vraie  leçon.  Les  difficultés  de  langue 
et  de  métrique  méritent  plus  d'attention.  On  s'étonne  de 
lire  maerore  ou  v.  117,  le  mot  maeror  ne  se  trouvant  nulle 
part  ailleurs  chez  Ovide  et  ne  se  rencontrant  pas  chez  Vir- 


SUR  LES  HÉROÏDES  077 

gile,  Properce  ni  Tibulle  ;  d'un  usage  courant  chez  Cicéron, 
il  appartiendrait  à  la  langue  de  la  prose.  Pourtant,  il  se  lit, 
non  seulement  chez  Horace  (^Art  poét.,  HO),  mais  dans  le 
Ciilex  au  V.  267,  maerore  recessit  1  Et,  si  le  substantif  erro, 
qui  apparaît  ici  au  v.  53  {erroneiii)  ne  se  lit,  non  plus,  nulle 
part  ailleurs  dans  Ovide,  ni  chez  Virgile,  ni  chez  Properce, 
par  un  heureux  hasard  Tibulle  l'a  employé  une  fois,  II,  6, 
6,  erronem  ;  sans  cela,  quelle  conclusion  ne  tirerait-on  pas 
de  la  présence  de  ce  mot,  autrement  rare  et  suspect  que 
maeror  1 

La  construction  nescireswide  movetur,  auv.  4,  serait  plus 
surprenante  :  mais  le  manuscrit  de  Francfort  donne  veniret, 
non  movetiir.  Quant  à  repeiido,  avec  la  finale  brève  au 
V.  32,  la  correction  de  Bentley,  repende,  tout  à  fait  vrai- 
semblable pour  le  sens  (voy.  Palmer,  Édit.  d'Oxf.,  p.  428), 
fait  disparaître  la  difïiculté  de  métrique,  la  plus  grave  à 
mon  sens  ;  car  l'élision  vermn  ut,  au  v.  96,  si  elle  n'est  pas 
ovidienne,  s'explique  cependant  quand  on  examine  de  près 
ce  vers  concis  et  antithétique,  et  que  l'on  se  demande  com- 
ment le  poète  eût  pu  y  faire  entrer  la  même  idée  et  l'expri- 
mer clairement  en  y  changeant  quoi  que  ce  soit  {Non  ut 
âmes  oro,  ver  uni  ut  amere  sinas  ;  cf.  Catulle,  76,  14,  ve- 
riun,  et  23,  Non  jam.  illud  quaero,  etc.).  Passons  au  vers  117 
qui  a  paru  particulièrement  suspect  : 

Postquam  se  dolor  invenit,  nec  pectora  plangi. 

On  a  trouvé  qu'il  manquait  de  césure  :  en  fait,  il  a  la  cé- 
sure régulière  après  deux  pieds  et  demi  par  tmèse  de  in- 
dans  invenit,  absolument  comme  le  vers  144  du  XIP  livre 
de  l'Enéide  (in-gratunî)  : 

Magnanimi  Jovis  ingratum  ascendere  cubile. 

Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  le  caractère  avant  tout  théo- 
rique de  la  césure,  comme  de  toute  règle  dans  un  art  ;  d'ail- 


378  F.  PLESSIS 

leurs,  les  intercalations,  exceptionnelles  je  veux  bien,  mais 
non  très  rares ^  entre  le  préfixe  et  le  reste  du  mot,  montrent 
que,  dans  la  récitation,  quelqu'un  qui  savait  dire  les  vers 
pouvait  très  bien,  par  une  nuance  de  séparation  et  d'intona- 
tion, faire  sentir  la  césure  dans  in-venit.  Et  justement,  chez 
Ovide  lui-même,  dans  les  Métamorphoses,  XII,  497,  nous 
trouvons  inque  criientatus  pour  incruentalusque  :  ce  qu'il 
a  fait  dans  les  Métamorphoses,  avec  intercalation,  il  peut 
bien  l'avoir  fait  dans  les  Iléroïdes  sans  intercalation  1  Cette 
observation  rend  inutile  la  conjecture  de  Jeziersky  et  de 
De  Vries,  Postquam  se  torpor  minuit,  ou  celle  de  Purser,  Se 
dolor  invertit  postquam,  qui  est  ingénieuse  (voy.  Édit. 
d'Oxf.,  p.  96,  app.  crit.). 

Je  n'examine  pas  les  autres  détails  à  propos  desquels  on 
a  attaqué  l'authenticité  de  la  lettre  à  Phaon,  et  parce  qu'ils 
me  paraissent  beaucoup  moins  importants  et  pour  ne  pas 
faire  double  emploi  avec  ce  qui  est  dit  p.  423-424  de  l'édi- 
tion Palmer-Purser,  et  je  conclus.  Nous  savons  par  Amor., 

II,  18,  26,  qu'Ovide  avait  consacré  une  Héroïde  à  Sappho 
(Aoniae  Lesbis  arnica  lyrae).  Si  celle  qui  nous  est  parvenue 
n'est  pas  de  lui,  ce  serait  donc  que,  le  texte  de  la  sienne 
s'étant  perdu,  un  poète  ovidien  l'aurait  remplacé  par 
celle-ci  ;  L.  Mûller  adopte  cette  manière  de  voir  {De  re 
metr.y  1^  éd.,  p.  32).  Mais  ce  n'est  là  qu'une  supposition,  et 
en  somme  aucun  argument  décisif  ne  prouve  que  le  texte  ac- 
tuel ne  soit  pas  d'Ovide. 

La  question  est  plus  obscure  pour  les  v.  39  à  142  de  la 
16«  Héroïde  (Paris  à  Hélène)  et  13  à  248  de  la  21*^  (Gydippé 
à  Acontius).  Le  premier  morceau  fit  son  apparition  dans  les 
éditions  de  Parme  (1477)  et  de  Yicence  (1480);  le  second, 

1.  Voy.,   pour  laisser   de  côté  Ennius   et  Lucilius  :  Lucrèce,  I,  651  ; 

III,  858  ;  IV,  711,  8-29  ;  VI,  233,  962  (dans  ce  dernier  vers,  interversion  : 
et  facit  are)  ;  Virgile,  Bue.,  8,  47  ;  Aen.,  IX,  288  ;  X,  794. 


SUR  LES  HÉROÏDES  379 

dans  des  manuscrits  du  xv®  siècle  ;  sans  doute,  l'un  d'eux, 
un  Laurentianus  {pluL  XXV,  cod.  27)  est  du  xiv*"  ;  mais,  à 
partir  du  v.  8  de  la  pièce  21,  il  n'a  été  continué  qu'au  xv^ 
Il  contient  la  pièce  tout  entière,  ainsi  que  l'édition  de  Ve- 
nise (1486)  ;  le  Parisinus  7997  (xv^  ou  xvi^)et  l'édition  prin- 
ceps  (Rome,  1471-1472)  s'arrêtent  au  v.  144. 

Ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  morceaux  ne  se  lit  dans  les  vieux 
et  bons  manuscrits,  ni  ne  figure  dans  la  traduction  de  Pla- 
nude  ;  je  viens  d'admettre  que  ces  omissions  ne  suffisent  pas 
à  faire  condamner  l'épître  de  Sappho  ;  la  même  conclusion 
s'imposerait  donc  ici,  s'il  n'y  avait  une  complication.  Les 
deux  fragments,  39-142  de  la  W  et  13-248  de  la  21%  ap- 
partiendraient, selon  l'opinion  générale,  à  un  seul  et  même 
poète,  et  cela  est  bien  vraisemblable  ;  et  non  seulement  ce 
poète  ne  serait  pas  Ovide,  mais  Ovide  ne  serait  en  rien  l'auteur 
des  six  héroïdes,  16  à  21,  c'est-à-dire  des  Héroïdes  doubles. 

Laissons  de  côté  l'argument  tiré  du  silence  de  Am.^  II, 
18,  où  Ovide  ne  fait  nulle  allusion  à  des  lettres  d'hommes 
analogues  aux  Héroïdes  et  composées  par  lui  ;  j'ai  dit  que  je 
partageais  là-dessus  l'opinion  de  Rand,  un  poète  ne  dresse 
pas  un  catalogue  ;  et  d'ailleurs  les  lettres  doubles  peuvent 
être  postérieures  à  II,  18  des  Amours.  Mais  voici  d'autres 
raisons  :  on  relève  les  fins  polysyllabiques  de  pentamètres 
(16,  288  pudicitiae,  17,  16  superciliis,  19,  202  désertât), 
ce  qu'Ovide  ne  s'est  permis  que  dans  les  œuvres  tardives  de 
l'exil,  et  l'opinion  que  quelques  Héroïdes  ont  pu  être  écrites 
à  Tomes  est  aujourd'hui,  avec  raison,  abandonnée.  On  si- 
gnale les  élisions  certe  ego,  dans  le  second  hémistiche',  20, 
178,  et  meo  exemplo  (él.  d'un  mot  ïambique),  17,  97  ;  et, 
chose  plus  étrange,  les  finales  brèves  de  Aethra,  17  (16), 

1.  La  correction  de  Palmer,  appuyée  sur  le  texte  de  Planudes  (certa 
salutis  eris  au  lieu  de  certc  ego  salvus  cvo)  ferait  disparaître  l'élision  dé- 
plaisante. 


380  F.  PLESSIS 

loO,  Cassandra,  16  (la),  121,  Leda,  17  (16),  5o^  La  lan- 
gue et  le  style  offrent  çà  et  là  des  lourdeurs  ou  des  prosaïs- 
mes, des  usages  non  classiques  {ut  nunc  est  plusieurs  fois, 
sic...  ut,  ou  ut...  sic  de  même,  quod  aiiias^  sens  des  mots 
iners  ou  dare,  de  la  locution  si  nescis,  voy.  Palmer,  édit. 
d'Oxford,  p.  436-437).  Chacune  de  ces  particularités,  prise 
isolément,  ne  prouve  guère,  mais  on  ne  peut  nier  que, 
groupées  en  nombre,  elles  ne  justifient  le  soupçon.  Si  l'au- 
teur de  ces  six  dernières  Héroïdesest  un  autre  qu'Ovide,  il 
est  probable  qu'il  a  vécu  à  l'époque  de  Néron,  certains  mots 
et  certaines  constructions  rappelant  Sénèque  ou  Pétrone.  En 
tout  cas,  il  n'y  aurait  pas  lieu  de  voir  en  lui  le  Sabinus, 
ami  d'Ovide,  qui  avait  d'après  i4m.,  II,  18,  27  et  suiv.  (cf. 
Pout.j  IV,  16,  13-16)  écrit  des  réponses  aux  premières  Hé- 
roïdes  et  sous  le  nom  de  qui  ont  été  publiées  trois  pièces 
(éd.  de  Vicence,  1480,  et  de  Venise,  1486)  qui  sont  d'ail- 
leurs l'œuvre  d'un  humaniste  du  xv*  siècle,  Angélus  Quiri- 
nus  Sabinus-.  J'incline  donc  à  croire  que  les  lettres  doubles 
ne  sont  pas  authentiques  ;  mais  je  n'oserais  l'affirmer  ;  un 
auteur  peut,  à  certain  moment  de  sa  carrière  ou  dans  cer- 
tains ouvrages,  s'être  essayé  à  des  procédés  dont  il  n'avait 
pas  voulu  d'abord  et  qu'il  a  répudiés  ensuite.  Il  y  a  bien 
des  questions  en  philologie  où  il  faut  s'en  tenir  à  ce  que  dit 
quelque  part  L.  Mûller  (à  propos  de  Névius,  je  crois),  et  à  ce 
qu'il  n'a  pas  mis  toujours  en  pratique  :  Est  quaedam  virtus 
nesciendi. 

3. 

Dans  VArt  d'aimer  (III,    346),  Ovide  revendique  l'hon- 

4.  Palmer  (ou  Purser)  note  aussi  Ida  ;  mais  je  ne  sais  où  il  le  trouve  ; 
dans  son  propre  texte  il  y  a,  à  17,  115,  îdae,  d'ailleurs  à  la  fin  du  vers. 

2.  Nicolas  Heinsius,  croyant  ces  trois  héroïdes  du  Sabinus  de  l'Anti- 
quité, les  édita  et  les  commenta  avec  soin. 


SUR  LES  HÉROÏDES  381 

neur  d'avoir  par  ses  Héroïdes  fait  œuvre  nouvelle  :  novavlt 
opus.  Il  semble  qu'en  parlant  ainsi  il  était  dans  son  droit. 
L'objection  que,  dans  l'œuvre  de  Lucilius,  il  y  avait  quel- 
ques pièces  sous  la  forme  de  lettres,  n'en  est  pas  une.  Luci- 
lius était  un  satirique  ;  Ovide  donne  à  ses  lettres  d'héroïnes 
la  forme  et  l'allure  élégiaques  ;  il  en  compose  le  fond  d'élé- 
ments tout  à  fait  étrangers  au  genre  de  Lucilius.  D'autre 
part,  la  troisième  élégie  du  livre  IV  de  Properce  n'est  pas, 
tant  qu'on  l'a  cru,  un  précédent  :  c'est  une  véritable  lettre  ; 
les  noms  d'Aréthuse  et  de  Lycotas  dissimulent,  selon  toute 
vraisemblance,  yElia  Galla  et  Postumus  (cf.  Prop.,  III,  12)  ; 
Properce  s'y  inspire,  comme  souvent,  de  la  réalité  et  des 
mœurs  romaines  ;  et  si  le  petit  poème  n'en  est  par  là  même 
que  plus  intéressant,  il  n'en  demeure  pas  moins  quelque 
chose  de  très  différent.  Tout  au  plus  supposera-t-on  que  les 
pseudonymes,  empruntés  à  la  fable  par  Properce,  aient  pu 
inspirer  à  Ovide  l'idée  d'où  sont  venues  les  Héroïdes.  Cel- 
les-ci ne  sont  pas  précisément  des  lettres  ^;  ce  sont  des  mo- 
nologues ;  elles  tiennent  beaucoup  de  l'élégie,  mais  elles  se 
rattachent  aussi  au  genre  dramatique.  L'observation  juste 
qu'elles  dérivent  des  Suasoriae^  n'y  contredit  pas,  puisque 
le  théâtre  est  plein  de  ces  sortes  de  discours.  Il  y  avait  donc 
là,  au  point  de  vue  formel,  quelque  chose  de  nouveau  qui 
justifie  la  prétention  d'Ovide  :  des  épîtres  dans  le  mètre  élé- 
giaque  ressemblant  comme  fond  aux  monologues  de  la  scène, 
et  se  développant  d'après  les  besoins  et  les  règles  des  Siia- 
soriae. 

Gela  ne  veut  pas  dire,  bien  entendu,  qu'Ovide  n'ait  em- 

4.  Déjanire  continue  d'écrire  à  Hercule  après  avoir  appris  sa  mort; 
Pénélope,  quand  elle  écrit  à  Ulysse,  ne  sait  même  pas  où  il  est,  etc.. 
Mais  ces  questions  de  vraisemblance,  pour  ainsi  dire  matérielle,  ne 
sont  d'aucune  importance  dans  une  œuvre  de  littérature  et  de  fantai- 
sie. 

:2.  Voy.  Palmer,  édit.  d'Oxf.,  introd.,  p.  xiii. 


382  F.  PLESSIS 

prunté  qu'aux  souvenirs  du  théâtre  :  il  prend  beaucoup  à 
Homère,  à  Virgile,  à  Apollonius  et  à  Gallimaque  ;  mais  c'est 
à  Eschyle  qu'il  doit  la  14^  ;  à  Sophocle,  la  8*^  et  la  Q*"  ;  à  Eu- 
ripide, les  4%  11%  12«et  13^ 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'insister  sur  les  inconvénients  du  genre 
en  lui-même,  sur  ce  qu'il  offre  d'artificiel  et  de  faux  ;  cepen- 
dant, sans  jamais  valoir  les  œuvres  simples  et  fortes,  un 
poème  où  il  y  a  de  la  fiction  et  de  l'apprêt  peut  encore  plaire, 
et  mériter  de  plaire,  par  une  substance  poétique  ou  par  l'en- 
jolivement de  l'expression.  Certainement  Ovide,  dans  ses 
Héroïdes,  se  montre  ingénieux,  sentimental  et  courtois  ;  il 
connaît  le  cœur  de  la  femme  ;  il  le  connaît,  et  il  l'aime.  Et 
n'est-ce  rien,  non  plus,  que  d'écrire  admirablement  sa  lan- 
gue, de  faire  de  bons  vers  et  de  savoir  composer  et  dévelop- 
per? Le  véritable,  le  grand  défaut  des  Héroïdes,  c'est  la  mo- 
notonie. Chacune  des  pièces  —  bien  que  la  plupart  soient 
trop  longues  —  se  laisse  lire  avec  assez  d'agrément...  mais 
chacune  à  part  ;  l'ensemble  est  fastidieux.  Que  toutes  ces 
héroïnes  aient,  à  peu  de  chose  près,  le  même  caractère  et 
qu'elles  tiennent  le  même  langage,  que  ce  caractère  soit  ce- 
lui d'une  jeune  Romaine  à  la  mode  du  temps  d'Auguste,  je 
n'y  vois  pas  un  grand  mal  ;  il  faut  se  mettre  au  point  de  vue 
de  l'auteur,  au  point  de  vue  de  ses  lecteurs  qui  ne  lui  de- 
mandaient pas  de  couleur  locale,  ni  d'archaïsme  ;  et  nous- 
mêmes,  pourquoi  les  noms  de  Pénélope  ou  de  Phèdre  ou 
de  Laodamie  nous  empêcheraient-ils  de  goûter  ces  plaintes 
élègiaques,  la  finesse  de  l'observation,  les  éclats  de  la  pas- 
sion, tout  au  moins  de  la  passion  sensuelle,  et,  par-dessus 
tout,  les  vers  charmants?  Si  les  pièces  des  Héroïdes  étaient 
mêlées,  dans  un  livre,  à  des  élégies  d'un  genre  différent,  si 
elles  étaient  intermittentes  et...  moins  nombreuses,  elles 
conserveraient  tout  leur  charme  littéraire.  Horace,  dans  ses 
livres  d'Odes,  a  eu  le  souci  de  la  variété  et  de  la  mesure  ;  il  a 


SUR  LES  HÉROÏDES  383 

entremêlé  des  sujets  divers,  il  a  fait  alterner  les  odes  civi- 
ques et  les  odes  amoureuses,  varié  aussi  les  mètres^  ;  mais 
Horace  avait  un  goût  parfait,  et  l'on  sait  de  reste  que  l'on 
ne  pourrait  en  dire  autant  d'Ovide.  Puis,  Ovide  avait  inventé 
un  genre,  et  il  y  tenait;  et,  sans  doute  encore,  il  y  avait  à 
Rome  un  public,  qui  se  retrouve  ailleurs  et  dans  d'autres 
temps,  à  qui  ces  volumes  de  vers  composés  de  pièces  toutes 
analogues  donnaient  l'impression  que  l'auteur  était  un  esprit 
synthétique,  qu'il  avait  de  la  puissance  et  de  la  suite  et  qu'il 
était  capable  d'embrasser  un  sujet  dans  son  ensemble,  de  le 
traiter  jusqu'à  la  fin...  et  jusqu'à  satiété,  comme  cela  est 
arrivé  à  Ovide. 


1.  Sur  ce  dernier  point,  Ovide  n'avait  pas  à  sa  disposition  les  mêmes 
ressources  ;  qu'est-ce  qui  l'empêchait,  pourtant,  d'écrire  quelques-unes 
de  ses  héroïdes  en  hexamètres  suivis,  au  lieu  d'employer  constamment  le 
distique  ? 


Jean   PSIGHARI 


EFENDI 


25 


EFENDI 

Par  Jean  Psichari. 


On  sait  de  science  courante  que  éfendi,  en  français,  dé- 
signe un  titre  honorifique  turc  et  que,  en  turc,  éfendi  vient 
du  grec.  Gela  se  lit  dans  le  Dictionnaire  de  la  langue  fran- 
çaise de  Littré,  s.  v.  effendi.  Pour  le  dire  en  passant,  cette 
orthographe  avec  deux  ff,  également  donnée  par  le  Dictioîi- 
naire  de  r Académie  française,  dans  sa  septième  édition, 
1878,  et  signalée  par  le  Dictionnaire  général  de  la  langue 
française  de  Darmesteter-Hatzfeld-Thomas  (s.  v.  éfendi)^  est 
curieuse  à  plus  d'un  titre  ;  le  turc  ne  présente  qu'un  seul  fé 
et  même  les  consonnes  ne  se  redoublent  guère,  que  je  sache, 
dans  cette  langue  ^  Effendi,  toujours  avec  ses  deux  ff,  ap- 


1.  Je  n'envisage  ici  ni  les  mots  de  provenance  arabe  tels  que  allah, 
ni  les  cas  d'assimilation  tels  que  qitti  pour  Qitdi,  annar  pour  an- 
lar  (Mûller-Gies,  Tûrk.  Gramm.,  Berl.,  1889,  dans  la  P.  L.  0., 
p,  27-28).  Il  est  à  remarquer  que,  même  dans  ces  cas,  le  turc  écrit 
Qitdi,  c'est-à-dire  par  un  tê  et  par  un  dâl,  anlar  par  un  nûn  et  par  un 
Idm.  Je  ne  trouve  qu'un  exemple  de  gémination  proprement  dite  et 
encore  est-il  purement  dialectal  ;  cf.  le  traitement  du  q,  qq  dans  W. 
Radloff,  Phon.  d.  nôrdl.  Tûrkspr.,  II,  Gons.,  1883,  Lpzg,  201.  —  Il 
semble  qu'en  kurde  la  situation  soit  identique,  puisque  même  l'assimila- 
tion des  consonnes  y  est  «  hôchst  selten  »,  v.  F.  Justi,  Kurdische  Gramm., 
Petersburg,  1880,  p.  87,  B.  —  Qu'on  veuille  bien  m'excuser  au  sujet  des 
mots  turcs  cités  dans  cette  note,  ainsi  que  des  mots  orientaux,  slaves, etc., 
de  tout  ce  mémoire;  en  l'absence  de  caractères  spéciaux, je  me  vois,  à  mon 
grand  regret,  obligé  de  transcrire  perpétuellement. 


388  JEAN  PSIGHARl 

paraît  pour  la  première  fois,  autant  que  je  puis  voir,  dans  la 
quatrième  édition  (1762)  du  Dictionnai?'e  de  F  Académie 
françoise  :  «  Effendi,  s.  m.  Homme  de  Loi  chez  les  Turcs. 
Achmet  Effendi,  veut  dire,  Achmet  homme  de  Loi,  etc/.  » 
Les  éditions  antérieures  n'ont  ce  mot  sous  aucune  forme.  La 
définition  de  la  quatrième  édition  est  reproduite  dans  la  cin- 
quième (an  VII,  1798).  La  sixième  (1835),  s.  v.  éfendi  ren- 
voie à  effendi:  «  (Quelques  uns  écrivent,  Efendi.)  Moi  turc 
emprunté  du  grec.  »  Ceci  est  une  addition  de  l'édition  de 
1835.  A  l'époque  du  philhellénisme,  on  a  dû  s'informer 
tant  bien  que  mal  de  la  provenance.  Je  ne  vois  pas  pour  le 
moment  la  source  précise  du  renseignement.  Quant  aux 
deux  ff,  je  suppose  qu'il  y  a  là  simplement  un  essai  pour 
rendre  la  prononciation  du  turc  ou  plutôt  son  accentuation 
Le  turc  a  conservé  l'accent  du  grec  àovnr^q  (v.  plus  loin)  sur 
la  seconde  syllabe.  Or,  il  est  très  difficile,  en  français,  d'ac- 
centuer sur  la  pénultième  :  Beethoven  devient  volontiers 
Beethôve  chez  ceux-là  même  qui  veulent  prononcer  à  l'al- 
lemande et  Weber  rime  avec  funèbre  : 

Il  est  un  air  pour  qui  je  donnerais 

Tout  Rossini,  tout  Mozart  et  tout  Weher, 

Un  air  très  vieux,  languissant  et  funèbre'^,  etc. 

4.  C'est  la  première  fois  que  le  mot  apparaît  dans  un  dictionnaire. 
Mais  il  est  certain  que,  officiellement,  —  donc,  sans  parler  du  Petit 
Traicté  de  Spandouin  Cantacassin  (v.  ci-dessous,  p.  408),  — le  mot  a  dû 
faire  son  apparition  en  français  bien  avant  1762,  à  cause  des  rapports  di- 
plomatiques entre  la  France  et  la  Turquie.  M.  Emile  Bourgeois  me  signale 
un  ambassadeur  turc,  sous  la  Régence,  portant  ce  même  titre  d'éfendi, 
dans  Saint-Simon  [Mém.,  t.  XVII.  Paris,  4874,  p.  215.  «  Méhémet 
Effendi  (sic)  Tefderdar  »],  en  4724.  La  publication  du  Ministère  des  Af- 
faires Étrangères,  Instructions  données  aux  ambassadeurs  de  France, 
que  me  rappelle  F.  Lot,  n'en  est  pas  encore  à  la  Turquie.  Mais  on  trou- 
vera certainement  ce  titre,  en  parcourant  les  différentes  relations  de 
voyages  en  Turquie  ou  mémoires  du  xvir  s.  (Bibliographie  dans  Lavisse  et 
Rambaud,  Hist.  générale,  t.  VII  (4896),  p.  448,  5«),  ou  du  xviii«  (Bi- 
bliogr.,  ib.,  t.  VI  (4895),  p.  856  s.).  Le  mot  n'est  pas  dans  Molière. 

2.  Gérard  de  Nerval,  La  Bohème  galante.  Paris,  4882,  p.  47.  On  lit 


EFËNDI  389 

Ou  bien  on  imite  gauchement.  Une  famille  grecque,  éta- 
blie depuis  des  années,  à  Marseille,  répond  au  nom  de 
Baltadzi,  oxyton.  Nous  sommes  dans  le  Midi,  où  l'accent 
final  n'est  pas  de  règle.  Il  suffit  pourtant  que  l'on  connaisse 
d'une  façon  vague  les  habitudes  toniques  du  grec,  pour 
qu'aussitôt  on  s'efforce  d'accentuer  et  l'on  aboutit  à  Baltadzi. 
De  même,  il  est  possible  qu'on  ait  voulu,  dans  le  Nord,  pro- 
noncer éfendi,  sur  la  troisième  avant-dernière.  Dès  lors,  le 
redoublement  de  Vf  nous  représenterait  l'effort  tenté  pour 
y  parvenir  (rappr.  L.  Havet,  Mém.  Soc.  Ling.,  YI,  fasc.  1, 
1883,  Sur  lapron.  des  syll.  init.  lat.,  v.  p.  12). 

M.  Littré,  en  adoptant  la  graphie  par  deux  ff,  a  dû  se 
décider  par  d'autres  raisons.  Voici  l'article  consacré  à  notre 
mot  :  «  Effekdi  (è-fan-di),  5.  m.  Titre  d'honneur  et  de  di- 
gnité en  Turquie.  Seigneur,  maître.  ||  Le  reis-effendi,  le 
ministre  des  Affaires  étrangères. 

Etym.  Turc,  efandi,  maître,  seigneur,  corrompu  du  grec 
aj6£VTY;ç  (il  se  prononce  afthendis,  th  anglais),  qui  agit  de 
sa  propre  autorité,  seigneur  (voy.  authentique).  » 

Les  deux  ff,  par  suite  de  l'origine  grecque  inexactement 
supposée  sous  cette  forme  —  ont  dû  paraître  à  M.  Littré  plus 
conformes  à  l'étymologie,  à  cause  du /i?^  de  afthendis^.  Lui- 
même,  dès  qu'il  s'agit  de  prononciation,  ne  marque  qu'une 
/;  efandi,  où  Va  ne  saurait  figurer  qu'une  prononciation 
purement  française  d'après  la  lettre  ;  le  turc  n'offre  rien  de 
semblable.  Bien  mieux  :  le  turc  ne  peut  pas  ici  présenter 
un  a,  par  suite  d'habitudes  phonétiques  qui  lui  sont  propres 


on  note,  ib:  «  On  prononce  Wehre.  »  Th.  Gautier,  Prem.  poés.,  Alber- 
tus,  GXV  (4873,  p.  50),  rime  à  plein,  pour  rire  : 

Ni  le  chevalier  Karl  Maria  de  Weber. 

1.  Le  Dlct.  fr.-turc  illustré,  de  Gh.  Samy-Bey  Fraschery,  G.  P.,  1901,' 
s.  V.,  porte  également  effendi,  avec  deux  f  :  il  n'y  faut  voir  qu'un  em- 
prunt orthographique  aux  dictionnaires  français. 


390  JEAN  PSIGHARI 

et  sur  lesquelles  ce  n'est  point  ici  le  lieu  d'insister  (cf.  Miil- 
ler-Gies,  op.  cit.,  p.  22,  §  19).  Ce  que  nous  voulions  uni- 
quement montrer,  en  commençant,  c'est  que,  depuis  long- 
temps, le  mot  turc  est  rattaché  au  grec.  Nous  examinerons 
cette  question  tout  à  l'heure. 

M.  Lucien  Bouvat,  élève  diplômé  de  l'École  des  Langues 
Orientales  vivantes  et  turcisant  de  grand  mérite,  qui  avait 
suivi,  pendant  trois  ans,  une  de  mes  conférences  de  l'École 
des  Hautes  Études  (v.  Éc.  pr.  d.  H.  É.,  Annuaire  1900 
(Paris,  1899),  p.  h.\  ;  Ann.  1901  (P.,  1900),  p.  68;  Ann. 
1902  (P.,  1901),  p.  56-7),  avait  fait,  sur  ma  demande,  au 
sujet  de  ce  mot  et  de  quelques  autres,  certaines  recherches 
personnelles  dans  le  domaine  strictement  oriental,  je  veux 
dire  dans  les  dialectes  turcs,  aussi  bien,  d'ailleurs,  qu'en  per- 
san, etc.  J'en  communiquerai  plus  loin,  en  y  ajoutant  quel- 
ques détails,  les  résultats  essentiels,  ceux  qui  nous  importent 
ici,  pour  bien  nous  rendre  compte  du  rayonnement  qu'a  eu 
à  travers  différentes  langues  orientales  un  mot  grec  moderne, 
à©£VTY;ç,  et  même  une  f  latine,  car,  ainsi  que  nous  l'expli- 
querons, le  (p  de  àçÉvTY;;  est  dû  au  latin.  Je  veux,  pour  le 
moment,  dans  l'ordre  d'idées  que  nous  sommes  en  train 
d'examiner,  retenir  une  fiche  de  M.  Lucien  Bouvat.  La 
sixième  édition  du  dictionnaire  de  l'Académie  française 
n'est  point  la  première  à  nous  marquer  l'origine  grecque 
à'éfendi.  Voici  la  fiche  de  Bouvat:  «  Men.  [Thesawnis  Lin- 
guarum  Orientalium  Tiircicae,  Arabicas,  Persicae,  op., 
typ.  et  sumpt.  Fr.  à  Mesgnien  Meninski,  Vienne],  1''*  éd., 
1680,  col.  324-323  [s.  v.],  ex  Graeco  vul.  Afendi.  Dominus, 
Magister,  Herus.  »  etc.  Meninski  était  dans  le  vrai.  Chose 
curieuse  1  Dans  la  seconde  édition  (Fr.  a  M.  Meninski,  Lexi- 
con  ar.-pera.-t.,  Vienne,  1780,  due  à  B.  de  Jenisch,  cf. 
p.  4  de  la  dédicace  à  Marie-Thérèse),  on  supprime  cette 
indication  excellente  et  on  ne  met  plus  que  «  ex  Graeco  » 


EFENDI  394 

(p.  239  a,  s.  V.).  Nous  verrons,  en  revanche,  que  cette  édi- 
tion nous  donne  un  renseignement  précieux  qui  avait  échappé 
à  Meninski,  le  fait,  mentionné  dans  la  seconde,  ne  pouvant 
être  qu'antérieur  à  la  première.  Toujours  est-il  que,  depuis 
Meninski,  l'étymologie  directe  àçévir;;  disparaît  de  tous  les 
dictionnaires.  Je  tire  cette  conclusion  des  fiches  de  L.  Bou- 
vat,  que  je  retrouve  dans  mes  notes  et  que  j'utilise,  en  les 
complétant,  quand  il  y  a  lieu  :  «  Bianchi  et  Kieffer  \pict.  t. 
jr.f  par  Kieflfer  et  Bianchi,  Paris,  1835,  I,  71  b,  s.  v.],  (du 
grec  AjOévty;;)  »,  «  Zenker  \pict.  t.-ar.-pers.,  Lpzg,  2  vol., 
1866-1876],  75  \a\  (gr.  aùeéviv;;)  »,  «  RadlofP  {Vers.  ein. 
W'ôrt.  b.  d.  tûrk-dial.,  Pétersbourg,  1888...,  livr.  3,  1889], 
I,  937...  donne  également  l'étymologie  aj6ÉvtY;ç  [«  (aus  dem 
griech.  ajôÉviv;?)  »,  sic  ].  De  même.  Barbier  de  Meynard 
{Dict.  t.-fr.,  2  vol.,  1881-1890,  livr.  I,  p.  826,  s.  v.)  : 
«  (du  grec  ajôévr/;;),  maître,  seigneur.  »  Redhouse  (Turk. 
Dict.,  in  two  Parts,  etc.,  Lond.,  1880,  p.  416  a,  s.  v.) 
simplement:  «  (Greek)  »,  etc.,  etc.  Je  pourrais  grossir  ma 
liste. 

Ce  n'est  point  ici  le  philhellénisme  qui  est  en  cause,  ainsi 
que  nous  le  supposions  pour  la  sixième  édition  du  Diction- 
naire de  l'Académie  française.  La  coïncidence  des  dates 
entre  cette  sixième  édition  et  le  Bianchi-Kiefïer,  paraissant 
l'une  et  l'autre  en  1835,  ne  doit  pas  davantage  nous  faire 
croire  que  l'Académie  française  ait  puisé  quelque  inspira- 
tion de  ce  côté.  Il  est  fort  probable  qu'elle  a  peu  pensé  à 
Bianchi.  On  sait  que  la  Préface,  non  signée,  est  de  M.  Yil- 
lemain  et  que  M.  Villemain  est  l'auteur  d'un  Lascaris  qui 
eut  grand  succès  ^  L'étymologie  par  ajGévTYjç  a  une  autre 
source.  Il  faut  y    reconnaître,   et  la   chose  a   de    l'impor- 

\.  Lascaris  ou  les  Grecs  duquinz.  s.,  suivi cV un  essai histor. sur  l'État 
des  Grecs,  Paris,  18-25;  éd.  III,  en  4826,  2  vol.  12°  (il  y  a,  t.  I,  p.  183, 
un  Essai  sur  les  rom.  gr.).  Je  n'ai  pu  voir  la  2^  édition. 


a92  JEAN  PSICHARl 

tance  au  point  de  vue  de  la  méthode,  quelque  œuvre  obscure 
du  purisme  néo-hellénique.  Le  purisme  ne  veut  pas  que  le 
grec  moderne  soit  le  grec  moderne.  Il  l'appelle  vulgaire ,  le 
dédaigne,  et,  quand  il  le  peut,  le  cache  sous  le  boisseau. 
Les  philologues  européens,  sans  se  douter  souvent,  surtout 
au  temps  jadis,  de  cette  situation  exceptionnelle,  se  rensei- 
gnent auprès  des  Grecs  instruits.  Ces  derniers  croient  quel- 
quefois naïvement  que  à^lvxY);  n'existe  pas,  simplement  parce 
que,  suivant  eux,  il  ne  doit  pas  exister.  C'est  une  forme  cor- 
rompue; on  ne  saurait  donc  en  tenir  compte.  Ils  rétablissent 
ajôévTY);  et  le  savant  d'Europe  emporte  soigneusement  aj6Év- 
ty;ç  dans  ses  notes,  pour  le  reverser  dans  son  dictionnaire.  C'est 
ainsi  que,  dans  la  grande  majorité  des  cas,  les  dictionnaires 
turcs  indiquent  pour  les  mots  de  provenance  grecque,  des 
étymologies  impossibles.  Le  purisme  en  est  le  premier  res- 
ponsable. Il  n'est  pas  de  plus  sûr  moyen  de  brouiller  les 
idées,  de  fausser  la  science  et,  du  même  coup,  l'histoire.  Le 
purisme,  d'ailleurs,  va  contre  ses  propres  fins.  Nous  allons  le 
montrer  à  l'instant,  car,  pour  bien  connaître  le  rôle  que  les 
Grecs  ont  joué  en  Orient,  principalement  en  Turquie,  il  est 
de  toute  importance  de  savoir  quels  sont  les  mots,  par  con- 
séquent, la  culture  qu'on  leur  doit*.  (V.  ci-dessous,  p.  405). 
Le  mot  èfèndi  a  pénétré  en  turc  profondément.  Le  turc 
en  a  tiré  des  dérivés.  M.  L.  Bouvat  ayant  fait,  sur  ma  de- 
mande, quelques  recherches  personnelles  de  ce  côté,  je  lui  en 
abandonne  ici  le  mérite,  me  contentant  d'interpréter  ses 
fiches  dans  le  sens  qui  nous  occupe  et  de  les  commenter.  «  Le 
dérivé  efèndilik,  au  sens  propre  «  titre,  qualité  à' èfèndi  », 
signifie  aussi  «  générosité,  bonté,  bienfaisance.  B.  de  M.,  I, 
83  »  [ce  suffixe  -lik,  nécessairement  décliné  à  la  moderne, 

i.  Je  dois  noter  ici  que  effendi  —  avec  deux  /f —  est  néanmoins  déjà 
directement  rattaché  à  à-j^vtr)-  par  M.  Boissonade,  'Not.  et  cxtr.,  1827, 
XI,  %  258,  note  a. 


EFENDI  393 

donne  aujourd'hui  ^cA^vr^dyj.,  l'état,  le  métier  de  député, 
lr,[j.xpyrtli7.i,  de  Syjsjiapxcç,  maire,T.ç>o=lpr^d7,i,  de  r^pôt^çtoq,  pré- 
sident, cf.  'Pc5a  y.al  My;Aa,  III,  272  ;  il  est  même,  comme  on 
voit,  devenu  -r^tJ.vj,  (le  t.  est  simplement  lik,  Miiller-Gies, 
op.  cit.,  o7,  2),  soit  sous  l'influence  de  mots  tels  que  èfèn- 
dilik,  soit  à  cause  de  formations  telles  que  gouXsç-Yj-Xtxt  ;  ce 
suffixe  afïecte  des  mots  de  provenance  savante,  comme  les 
mots  ci-dessus]  ;  «  èfèndisiz  signifie  «  sans  maître,  sans  ap- 
pui, abandonné  ».  Ahmet  Djevdet,  Kâmoûs-i-turkP  [Cons- 
tantinople,  1317  =  1899-1900],  I  [138,  col.  a;  il  l'y  iden- 
tifie avec  TJ^bnr^z\  »  ;  «  Istambol  èfèndisi  était  le  titre  du 
premier  magistrat  de  Gonstantinople.  B.  de  M.,  I,  48  »  [cf. 
aussi  le  dimin.  (èfendidjig'ûwi)  dans  Meninski\  325]  ;  enfin 
«  il  existe  de  ce  mot  une  forme  abrégée  èfè  propre  à  l'os- 
manli.  Radloff  [op.  cit.^,  I,  937  ;  Ahmed  Djevdet  [op.  cit.]^ 
I,  139...  M.  Barbier  de  Meynard,  I,  83,  donne:  èfè,  «  lo- 
cut.  vulgaire,  synonyme  de  èfèndi,  dont  elle  paraît  être 
l'abréviation  [v.  ci-dessous].  On  dit,  mais  seulement  dans  le 
langage  familier,  èfèm  \in  est  le  suffixe  indiquant  la  l""^  pers. 
du  s.,  pr.  possessif],  au  lieu  de  èfèndim,  Monsieur...  Dans 
tous  les  cas  cette  forme  abrégée  paraît  très  moderne.  Le 
Dict.  de  Bianchi  et  Kiefïer  ne  la  donne  pas  »  [Cette  forme 
èfè,  à  son  tour,  aboutit,  à  l'aide  du  sufï.  -lik,  au  subst.  abs- 
trait è/èM,,  Radl.,  op.  cit.,  938,  dont  le  sens  «  sich  stark 
und  stolz  zeigen  »  Radl.,  ib.  (littéralement:  montrer  en 
s'enorgueillissant  —  taslamak  —  du  èfèlik,  comme  qui  di- 
rait de  Vèfèndismé)^  ne  doit  peut-être  pas  nous  dérouter  au- 
tant qu'il  semble  au  premier  abord  ;  j'ai  recueilli  de  mes 
propres  oreilles  à  Pyrghi  (Chio)  la  forme  â<pÉ^,  père,  aux  cas 
régimes  (y  compris  le  voc.)  àç/É  ;  or,  àçévTY;;  {j=  yJM^nr^z), 

1.  Au  sujet  de  ce  fameux  kâmoiîs  =  océan  =  dictionnaire,  etc.,  je  ne 
puis  m'empêcher  d'observer  que  son  identification  avec  wxsavôç  ne  paraît 
guère  démontrée  j  m  pour  v  n'est  pas  clair,  sans  parler  du  reste, 


394  JEAN  PSIGHARI 

maître,  a  désigné  le  père,  parce  que  celui-ci  est  le  maître 
de  ses  enfants  ;  de  là,  à  l'idée  d'orgueil  il  n'y  a  pas  loin  et  le 
t.  èfè  qui  est  donc  aussi  dialectal  et  pas  seulement  osmanli, 
puisqu'il  est  donné  dans  Radloflf,  pourrait,  lui  aussi,  pro- 
venir du  gr.  mod.  A.  G.  Paspatis,  Tô  yiay.bv  yXwacrap'.ov,  Ath., 
1888,  s.  V.  'Aç£ç,  dit  que  èçÉvxYj;  est  synonyme  de  père  «  èv 

Les  sens  multiples  qui  se  sont  développés  de  èfèndi  prou- 
vent à  quel  point  ce  terme  a  eu  du  succès  chez  l'emprun- 
teur :  «  tchèlèbi  èfèndi.  Ce  composé  de  deux  mots  autrefois 
synonymes,  tchèlèbi,  qui  désigne  aujourd'hui  un  petit  maî- 
tre, ayant  autrefois  le  sens  de  «  Monsieur,  gentilhomme, 
maître  de  maison  »  et,  comme  adjectif  «  instruit  et  bien 
élevé,  ayant  de  bonnes  manières,  gracieux  »,  est  le  titre  du 
supérieur  des  derviches  mevlevi.  («  Le  tchèlèbi-èfèndi  est  le 
chef  des  derviches  mullaviyés  ;  il  jouit  du  privilège  de  cein- 
dre le  sultan  de  son  épée,  le  jour  de  sa  proclamation.  On  le 
dit  descendre  de  la  famille  des  Abbasides,  dont  les  derniers 
membres  furent  relégués  à  Konieh,  où  ils  résident  encore.  » 
(Washington-Serruys,  L! Arabe  moderne  [étudié  dans  les 
journaux  et  les  pièces  officielles,  Beyrouth,  1897],  p.  91, 
n.  1)...  Je  crois  me  souvenir  que  dans  des  traités  religieux 
publiés  par  les  missions  protestantes,  èfèndimiz  [imiz  —  ou 
miz,  comme  ici  est  le  pr.  suffixe  de  la  l""^  pers.  du  pi.]  tra- 
duit Notre  Seigneur  ».  «  Avant  la  réforme  du  sultan  Mah- 
moud, on  appelait  ordinairement  Réis-Efendi  [de  son  vrai 
titre  Réis-ul-Kuttab ,  ou  Chef  des  gens  de  plume]  le  ministre 
des  Affaires  Étrangères,  secrétaire  d'État  et  chancelier  (sur 
ces  fonctions,  cf.  d'Ohsson  [Tableau  général  de  l*emp.  ott., 
1  vol.,  Paris,  1788-1824],  YII,  159,  166,  176,  183,  189)»; 
«  dans  le  protocole  ottoman  actuel,  le  mot  èfèndi...  est 
donné  à  tous  les  dignitaires  civils,  militaires  et  religieux  de 
la  Turquie.  On  le  fait  précéder  de  diverses  épithètes  :  dèv- 


EFENDI  39S 

tètlu  «  puissant  »,  sè'âdèthi  «  heureux  »,  etc.,  et  on  ajoute 
hazrètlèri  «  son  Excellence  »,  en  s'adressant  aux  titulaires 
des  neuf  premières  dignités  civiles  ou  militaires  et  des  six 
premières  dignités  religieuses.  Cf.  Washington-Serruys  [op. 
cit.],  VAr.  mod.y  p.  90-91  [il  se  retrouve  dans  les  autres 
grades  civ.  et  milit.,  n**^  lO-lo,  et  titres  religieux,  n''*  7-9]  »  ; 
«  ce  titre  se  donne  au  civil  par  opposition  à  âgha  et  à  bèy, 
qui  s'appliquent  de  préférence  à  la  carrière  des  armes,  B. 
de  M.,  I,  82-83  »  ;  «  il  désigne  spécialement  les  gens  de  let- 
tres, les  magistrats,  s'emploie  aussi  comme  adj.  bir  èfèndi 
âdam  «  un  homme  instruit,  bien  élevé,  généreux  »,  ib.  »  ; 
«  dans  l'osmanli  actuel,  èfèndi  signifie  «  homme...  de  bonnes 
manières  »  [ce  sens,  avec  le  mot  qui  fait  retour,  a  passé  en 
grec  :  elvat  kovnr^z  ;  nuance  de  distinction  et  parfois  d'or- 
gueil\  et  surtout  homme  instruit.  On  ne  se  servira  jamais  de 
ce  terme  en  parlant  d'un  ignorant  ou  d'un  homme  sans  édu- 
cation. Ce  terme  correspond  assez  exactement  à  l'expression 
«  honnête  homme  [cf.  tuo  parlare  onesto,  Dante,  Inf.  II,  38, 
3]  »  dans  le  sens  qu'elle  avait  au  xvii^  siècle  chez  nous  ».  Il 
n'est  pas  indifférent  de  savoir  que  «  chèvkètlu  èfèndimiz, 
ou  simplement  \èfèndimiz\  «  notre  glorieux  maître,  notre 
maître  »,  se  dit  spécialement  du  sultan  B.  de  M.,  /.  /.  [j'ai  pu 
m'assurer,  par  des  amis  constantinopolitains,  qu'en  parlant 
au  Sultan,  on  lui  disait  très  bien  èfèndiin\  ».  Notons  en 
dernier  lieu  que  «  ce  titre  se  donne  également  aux  dames  : 
èfèndim  ou  klanum  èfèndum,  «  Madame  »,  ib.  »  [v.  R. 
Youssouf,  Dict.  t.-fr.,  I,  CP.,  1888,  s.  v.  Hanem]. 

Ainsi,  la  vie  civile,  religieuse,  militaire,  administrative, 
jusqu'à  la  vie  sociale,  intellectuelle,  morale  même,  par  les 
diverses  acceptions  de  générosité  ou  instruction  ou  bonnes 
manières,  ce  mot,  d'origine  vulgaire,  a  tout  envahi.  Les 
Turcs  ne  se  souciaient  guère  de  Xénophon.  Aussi  ont-ils,  par 
leurs  propres  forces,  fait  quelque  chose  de  ce  vocable.  Son 


396  JEAN  PSIGHARI 

rayonnement  toutefois,  en  dehors  du  turc,  est  moins  intéres- 
sant, bien  qu'assez  considérable  encore.  Voici  d'abord  les 
constatations,  tant  négatives  que  positives,  de  L.  Bouvat  : 
«  Ce  mot  ne  paraît  pas  avoir  pénétré  en  persan  [j'ai  fait 
la  contre-épreuve  dans  J.  B.  Nicolas,  Dict.  fr,  pers., 
2  vol.,  Paris,  1 885-1887,  aux  différents  sens  de  èfèndi  et 
n'ai  rien  trouvé].  11  est  inusité  en  turc  oriental  [ce  qui  si- 
gnifie que  Pavet  de  Courteille,  Dict.  tiirk-or.,  Paris,  1870, 
ne  le  donne  pas,  v.  p.  27].  En  revanche,  il  est  connu  en 
arabe.  Kazimirski  [Dict.  ar.-fr.,  2  vol.  Paris,  1860],  I,  41 
\b\  :  «  titre  donné  à  ceux  qui  ne  sont  ni  béis  ni  pachas  »  ; 
maître,  seigneur,  personne;  hadhrat  èfèndîma,  le  khédive 
[etc.,  également  chez  E.  Bocthor,  Dict.  fr.-ar.'^,  Paris,  1848, 
s.  V.  EFFENDi  ;  Marcel,  Dict.  fr.-ar.  des  dial.  vidg.  d'Alg., 
de  Tun.y  du  Mar.  et  d'Ég.^.  Paris,  1885,  s.  v.  effendy]. 
Gasselin  [Dict.  fr.-ar.,  2  vol.  Paris,  1886-1891]  dit  que 
dans  le  Levant  ce  mot  n'est  employé  par  les  Musulmans  que 
pour  les  Chrétiens.  Il  manque  dans  Freytag  [Lex.  ar.-lat  , 
2  vol.,  1 830-1 83o,  I,  42-44,  et  dans  Dozy,  Suppl.  aux  dict. 
ar.,  2  vol.,  1881,  I,  p.  29  b  :  c.-à-d.  que  l'ar.  litt.  naturelle- 
ment, ne  le  connaît  pas].  En  Egypte,  en  s'adressant  à  quel- 
qu'un, on  dit  èfèndim,  avec  le  pr.-suff.  t.  de  la  3^  pers. 
-im.  Les  Arabes  semblent  avoir  conscience  de  la  valeur  de  ce 
pr.  suff.  usité  seulement  au  vocatif.  —  Les  dialectes  orien- 
taux, à  l'exception  toutefois  du  dialecte  de  Kazan  {Bèrèzine, 
\Rech.  s.  l.  dial.  musulm.,  Casan,  1848],  p.  45),  ne  connais- 
sent pas  ce  mot.  également  inusité  dans  le  dialecte  azéri,  qui 
ressemble  beaucoup  moins  à  l'osmanli  qu'on  ne  l'a  prétendu 
et  le  remplace  par  âgha,  vulgairement  a'a  [sur  ce  phéno- 
mène, commun  presque  à  toutes  les  langues  (cf.  gr.  XéViù., 
}v£Ya),  \i(ù,  etc.,  etc.),  v.  Radloiï,  Phon.,  op.  cit.,  p.  221, 
§  364  ;  c'est  à  peu  près  ainsi  que  bèg  est  devenu  béï  ;  voilà 
pourquoi  le  grec  mod.  dit  {^.Tuir^;;]  ».  D'après  Radloff  [Vers., 


ËFENDi  ^9l 

I,  937-938]  ce  mot  se  trouve  :  1°  en  osmanli  ;  2^  en  turc  de 
Crimée  ;  3"  en  arménien  turc  [je  transcris  d'après  Lauer- 
Carrière,  Gr.  arm.,  Paris,  1883,  1-2  :  êfênti ;  le  tiun,  t, 
ne  doit  pas  nous  faire  penser  à  une  influence  quelconque, 
graphique  ou  autre,  du  grec  (içÉvTYjt;,  avec  t^)  ;  l'arm.  mod. 
prononce  ici  d,  cf.  Lauer-Carrière,  op.  cit.,  p.  5  ;  de  même, 
Radl.,  op.  cit.,  1,938,  êfêntiliq  ;  également,  dans  G.  de 
Lusignan,  Nouv.  dict.  ill.  fr.-arm.,  2  vol.  Paris,  1900-1903, 
s.  V.  effendi;  mais  le  même  auteur  =  Nar  Bey,  Dict.  arm.-fr. , 
Paris,  1893,  p.  290  (et  p.  264),  supprime  le  mot  en  armé- 
nien] ». 

Dans  son  livre  sur  les  Mots  turcs  empruntés  par  l'armé- 
nien, Moscou,  1902  [en  arm.],  M.  H.  Adjarian  signale,  p.  108, 
efendi  «  titre  donné  aux  gens  de  lettres  et  de  la  haute  classe  » 
et  efendim  «  mon  cher  !  mon  ami  1  terme  usité  en  conversa- 
tion M,  comme  étant  en  usage  dans  l'arménien  de  Constanti- 
nople  ;  les  formes  correspondantes  existent  aussi  dans  l'ar- 
ménien de  Yan  (tout  ce  renseignement  m'est  fourni  par 
M.Meillet). 

L'arménien  ne  semble  avoir  pris  au  byzantin  ni  ajÔÉv- 
ty;:,  ni  àçévxYjç  (cf.  Brockelmann,  Die  gr.  Fremdw.  i.  Arm. 
Z.  D.  M.  G.,  XLVII,  1893,  1-42,  où  le  mot  n'est  signalé  nulle 
part).  J'ai,  d'ailleurs,  peu  à  ajouter  à  ce  qui  précède  :  èfèndi 
existe  en  kurde  (Jaba-Jurti,  Dict.  k.-fr.,  Pétersbourg,  1879, 
p.  13<2,  avec  cette  mention  rat.  èfèndi  du  gr.  aùôévxyjc,  mod. 
àsivTr^;   »).   Miklosich  l'a  noté  en  serbe  :    «  efendija  Titel 

1.  On  sait  que  vx  aujourd'hui  se  prononce  vrf  ;  sur  ce  phénomène  et 
ses  origines,  v.  J.  P.,  Mém.  Soc.  Ling.,  VI  (1885),  41,  n.  1  (ignoré  dans 
K.  Dieterich,  Vnters.  z.  Gesch,  d.  gr.  Spr.,  Lpzg,  1898,  104  s.).  A  mes 
exemples  et  à  ceux  de  Dieterich,  ajouter  Ivxjp'.ov  [^sv^j^iv]  transcrit  par 
un  daleth  en  hébreu,  dans  S,  Krauss,  Gr.  u.  lat.  Lchnw.  im  Talmud, 
Midr.  u.  Targ.,  2  vol.  Berlin,  1898-1899,  II,  230  b  ;  la  transcription  par 
un  teth  de  ce  même  mot,  ib.,  66  b,  est  ou  bien  une  transcription  d'après 
la  lettre,  dont  il  y  a  bien  d'autres  cas,  ou  bien  d'une  date  antérieure. 
Pour  vi  =  yd,  V.  S   Krauss,  ih.,  107,  §  186  h,  ^. 


â9à  JEAN  PSIGHARt 

eines  tiirk.  Gelehrten  »  (Die  tûrk.  Elem.  in  d.  Sûd-ost-u. 
Osteurop.  Spr.,  1-2,  1884,  1,  p.  56),  «  efendum,  fen- 
dum  »  (Nachtr'àge  au  précédent,  1-2,  1888-1890,  p.  34); 
Vuk  Steph.  Karadschitsch  (Lex.  serb,-germ.-lat.,  1898, 
p.  159  b)  signale  même,  entre  autres,  un  fem.  «  efèndiyip- 
tza  uxor  domini  »  et  «  efèndi-kàdiya,  judex  »  (je  transcris 
le  y  serbe  par  y  en  fr.,  puisqu'il  y  a  valeur  de  yod)  ;  L.  K. 
Marinkovitch  {Voc.  des  m.  pers.,  ar.  et  t.  introduits  dans 
la  L  serbe,  Verhandl.  d.  V  intern.  Or.  Congr.,  II,  Abth.  u. 
Vortr.,  2,  Berlin,  1882,  304-305)  ne  le  mentionne  pas;  ce 
petit  lexique  est,  au  surplus,  insuffisant  et  mal  conçu.  Mi- 
klosich  (Nachtr.,  op.  cit.)  mentionne  aussi  en  roumain 
efendi;  Gihac  {Dict.  d'étym.  daco-rom.,  Francfort,  1859, 
p.  575,  élém.  t.)  ne  l'a  pas,  pas  plus  que  àçsvTr^ç,  aux  élém. 
gr.  mod.  (ib.)  ;  les  deux  formes  doivent  y  exister  cepen- 
dant ;  toujours  est-il  qu'on  trouve  «  efendi  (mot  turc),  ef- 
fendi,  monsieur  »  dans  le  Nouv.  dict.  roum.-fr.  de  Fr. 
Damé  (Bucarest,  1894)  ;  je  dois  dire  que  G.  Murnu,  dans  ses 
Eléments  grecs  anté-phanariotes  en  roumain  (titre  roumain, 
Bucarest,  1894),  ne  connaît  rien  qui  se  rapproche  de  àçiv- 
TYjç.  Miklosich  ainsi  que  Korsch  (Arch.  f.  si.  Ph.  IX  (1886), 
499)  ont  oublié  le  bulgare  ;  A.  Duvernoy,  dans  son  Dict.  de 
la  langue  bulgare  (titre  en  russe,  Pétersbourg,  1886-1889, 
I,  p.  615),  qualifie  efèndiya  de  titre  de  maître  turc;  mais 
on  voit,  par  les  exemples  et  la  forme  même  du  mot,  qu'il 
est  bien  entré  dans  la  langue,  ainsi  qu'en  serbe  ;  il  est  toute- 
fois absent  dans  MarcofP  {Dict.  bulg.-fr.,  1898,  p.  199  ô), 
tandis  qu'il  avait  paru  dans  le  Dict.  bulg.-fr  de  ce  même 
Marcoff,  en  1894,  s.  v.  efendi. 

Dans  le  domaine  des  langues  orientales  asiatiques,  je  dois 
relever  ajGévTYjç  chez  R.  Duval,  Lex.  syr.  de  Bar  Bahlule 
(Paris,  6  vol.,  1888-1901,  t.  I,  p.  7,  App.  ad  litteram  (âlaf, 
avec  le  renvoi  :  «  98,  2  »)  ;  je  ne  me  rends  pas  compte  du 


EPENDI  399 

contexte,  ne  lisant  pas  le  syriaque.  Le  mot  s'y  retrouve, 
cela  est  hors  de  doute,  puisque  V Appendix  le  marque  et  que 
S.  Krauss  lui  consacre  une  fiche  dans  ses  Griech.  u  .  lat. 
Lehnwàrter  im  Talm.,  etc.  {op.  cit.,  II,  p.  16  b).  Dans  cet 
ouvrage,  aujourd'hui  classique,  on  rencontre  également  a^- 
thantin,  p.  16ô_,  et  aothantin^,  p.  117  «,  tous  deux  avec  le 
sens  de  «  màchtig,  urspriinglich  ».  C'est  la  forme  de  l'ac- 
cusatif (cf.  M.  Schw^ab,  Des  mMs  gr.  et  lat.  en  h.  aux  i^'^  s. 
de  J.-C,  Journ.  As.,  1898,  p.  28  de  V Extrait  ;  cf.  Schlat- 
ter,  Verk.  Gr.,  dans  Beitr.  z.  Ford,  christl.  TheoL,  IV 
(1900)  ;  chez  J.  Fiirst  (Gloss.  gr.  h.  od.  d.  gr.  Wôrtersch. 
d.  jûd.  MidraschmerkCy  Strasbourg,  1890,  p.  42  d),  on  lit 
la  traduction  :  «  Urheber,  Stammvater,  màchtig  ».  Mais  on 
sait  que  les  mots  grecs  rabbiniques  datent  de  la  Kcivy)  (cf. 
S.  Krauss,  op.  cit.,  II,  222,  cf.  227)  et,  malgré  leurs  trans- 
criptions toujours  phonétiques  (ib.,  p.  1),  ils  n'ont  point 
pour  nous  ici  un  intérêt  direct.  Je  lirais,  d'ailleurs,  non  pas 
a'^thantin,  avec  Krauss,  mais  awutenthin,  à  cause  des  deux 
ivaw  contigus  après  Valeph~;  c'est  aussi  le  second  t  qui  est 
un  teth  =:  ô  ;  le  second  aa^thantin  (=  a^tanthin  ou  -enth  ?), 
où  il  y  a  bien  un  phé  après  Valeph,  indiquerait  déjà  que  la 
diphtongue  se  résout  en  voyelle  +  consonne. 

Ce  qui  déconcerte,  c'est  que  èfèndi  ne  s'emploie  pas  en 
géorgien  :  on  ne  voit,  dans  le  célèbre  Dict.  géorg. -russe- fr. 


i.  Il  ne  faudrait  pas  se  laisser  égarer  à  Vîndex  du  t.  II,  et  p.  110  a 
par  âos;  (sic),  dans  lequel  on  croirait  voir  â'jsi;,  dial.  pour  â'js'vTr);.  Il  faut 
lire  à'^s;,  car,  malheureusement,  trop  de  fautes  d'accent  se  sont  glissées 
dans  ces  deux  volumes.  V.  aussi  sur  cet  ouvrage  A.  Schlatter,  Verkann- 
tes  Grieqhisch,  Giitersloh,  1900  =  Beitr.  z.  Ford,  christl.  Theol.,  IV,  4, 
49  s. 

2.  Cf.  Blass,  Ueh.  d.  Ausspr.  d.  Gr.^,  1888,  p.  72  :  âcpxo;  =  aùxo;,  ne 
peut  guère  se  développer,  selon  lui,  que  sur  une  prononciation  u  du  se- 
cond élément  :  awutenthin,  précieux  pour  l'histoire  du  grec,  nous  mar- 
que cet  état  distinctement.  Le  t]  rendu  par  un  jod,  qui  suppose  un  i,  sur 
prend,  il  est  vrai,  à  côté  de  a-u.  Cf.  J.  P.,  Essai  s.  l.  Sept.,  182,  1, 


4Ô0  JEAN  PSiCHARî 

de  Tchoubinof  (Pétersbourg,  1840),  ni  àçeviy;?  (p.  44  ô),  ni 
éfendi  (p.  198  a) ^  Il  est  vrai  que  le  géorgien  étant  mêlé  de 
turc  et  de  persan,  Tchoubinof  n'a  pas  cru  devoir  accueillir 
tous  les  mots  turcs.  Pour  le  laze,  la  situation  est  moins  trou- 
blante. Si  éfendi  fait  défaut  dans  l'excellente  Etude  sur  la 
langue  laze  à' kà]2iT\2iwQ^ém.  Soc.  Ling.,  X,  fasc.  6,  1898, 
145  s.),  c'est  que  l'auteur  a  eu  soin  de  nous  prévenir  (p.  147, 
l'')  qu'il  n'a  pas  admis  les  emprunts  turcs,  «  dont  le  nom- 
bre dépend  de  la  fantaisie  individuelle  de  chacun  :  tout  mot 
turc  peut,  à  vrai  dire,  figurer  dans  une  phrase  laze  »  (les 
mots  recueillis  viennent  de  Batoum  et  d'Erzeroum,  ib.,  147, 
S**).  C'est  à  des  raisons  de  même  ordre  qu'il  faut  sans  doute 
attribuer  l'absence  de  éfendi,  non  seulement  chez  G.  Meyer, 
Et.  Wort.b.  d.  albanesischen  Spr.,  Strasbourg,  1891,  mais 
encore  dans  Hahn,  Alb.  St.,  léna,  1854,  H.  III  (Lex.  alb.- 
all.),  et  D.  Gamarda,  App.  al  Sagg.  di  gr.  comp.,  etc.,  Li- 
vorno,  1866,  Ind.  gén.,  p.  215  s  ^. 

Pour  terminer  l'histoire  de  ces  multiples  migrations,  j'ai  à 
peine  besoin  d'ajouter  ({vl  éfendi  a  fait  le  tour  de  l'Europe  et 
du  Nouveau-Monde. 

Pendant  que  ce  mot,  d'origine  essentiellement  vulgaire, 
suivait,  grâce  au  turc  osmanli  qui  s'en  était  emparé,  des  des- 
tinées brillantes,  les  puristes,  selon  leur  système,  continuaient 
à  le  tenir  en  mépris  %  sans  que  nous  ayons  toutefois  vu  l'éclat 

1.  Je  note,  par  curiosité  pure,  que  la  lettre  qui  est  ici  en  cause,  la  39« 
de  l'alphabet  géorgien,  <î>,  f,  dans  Tchoubinof,  Abr.  de  gramm.,  in  f., 
p.  II,  ne  se  trouve  pas  encore  dans  les  Syntagmata  ling.  orient,  quae  in 
Ge.  reg.  audiuntur,  de  Maggio,  Rome,  1670,  p.  2  ou  p.  4.  L'alph.  n'y 
compte  que  37  lettres  au  lieu  de  40. 

2.  La  mention  aùÔevTri;  dans  le  Lex.  de  Gavalliotis  (G.  Meyer,  Alb. 
St.,  IV,  D.  gr.  sûdrum.-alb.  Wortverz.  d.  Kav.,  Wien,  1895,  s.  v.)  n'a 
pas  de  valeur  pour  nous  :  c'est  le  mot  grec  (savant)  dont  Gavalliotis  donne 
l'équivalent  roumain  N~o{ji.vou  et  alb.  Zwx  (v.  ib).  Rien  non  plus  dans  G. 
Meyer,  Alb.  St.  V,  Beitr.  z.  Kenntn.  d.  i.  Griechenl.  gespr.  alban. 
hundart,  Wien,  1896,  p.  67  s. 

3.  A.  G.  Paspatis  (Xiax.  ^1.,  op.  cit.),  qui,  s.  v.  'Aoe'?,  donne  le  sens  de 


EFENDI  401 

qu'ils  auraient  su  donner  à  la  forme  hybride  ajôÉvxYjç,  plus  no- 
ble à  leur  goût,  quoique,  à  la  vérité,  elle  ne  soit  ni  ancienne 
—  car  assurément  les  Grecs  de  l'ancien  temps  ne  pronon- 
çaient point  à^OivTr;;,  mais  y  sentaient  une  diphtongue  — 
ni  moderne,  puisque  le  groupe  9Q  aboutit  régulièrement  à  çt  ; 
en  effet,  la  langue  vivante,  à  l'heure  où  nous  sommes,  nous 
présente  ce  phénomène  charmant  d'harmonie,  de  ne  tolérer 
ni  deux  occlusions,  ni  deux  spirations  successives,  et  voilà 
pourquoi,  d'une  part,  x-  et  %x  deviennent  ©t  et  y-,  tandis 
que,  de  l'autre,  aô,  c^r,  ç9  et  yO  deviennent  ax,  ex,,  çx  et  yz  ; 
les  faits  paraissent  différents,  le  principe  est  le  même  (v. 
J.  P.,  'PdBa  xa\  M-^Xa,  III,  1906,  80  s.,  où  détails). 

Le  problème  des  emprunts  ou  des  migrations  de  mots 
reste  encore  un  problème  délicat,  non  seulement  dans  la 
péninsule  balkanique,  mais  aussi  des  Balkans  en  Russie  et 
jusque  dans  l'Asie  Mineure,  sans  parler  de  l'Occident.  On 
n'a  point,  il  nous  semble,  suffisamment  fait  ressortir  jusqu'ici 
l'intérêt  que  ces  études  présentent  au  point  de  vue  de  l'his- 
toire culturelle.  Il  s'agirait  de  bien  déterminer  l'origine  de 
l'emprunt  et  de  savoir,  dans  les  cas  nombreux  de  coïnci- 
dences, si  tel  mot  passe  du  turc  ou  du  grec  en  bulgare,  en 
serbe,  en  roumain,  etc.,  si,  d'autres  fois,  c'est  une  de  ces 
langues  qui  le  communique  à  l'une  des  deux  premières.  Je 
ne  veux  point  insister.  Quelques  exemples  suffiront.  Nous 
avons  plus  haut  rencontré  en  serbe  fendum,  sans  a.  Or, 
l'aphérèse,  en  turc,  n'existe  pas.  Elle  existe  en  grec,  quoi 
qu'on  ait  pu  dire  (v.  Essais  de  gr.  hist.  n.-g.,  Paris,  II, 


père,  en  est  à  croire  que  ce  mot  vient  du  t.  èos'vxT];,  lequel  viendrait  «  Ix 
xoj  'EW.  AùOc'yxr);  ».  Il  constate  que  le  mot  n'a  pas  pris  place  dans  les 
dict.  gr.  et  que  même  on  ne  s'en  est  jamais  occupé  A.  Vlachos,  AsÇ. 
'EXXrivoyaXX.,  Ath.,  1897,  admet  àfs'vrr);,  avec  quelques  bons  exemples, 
lais  en  renvoyant  à  ajOivxrj;  qu'il  fait  ligurer  à  tort  dans  des  locutions 
imilières.  C'est  toujours  dans  l'intention  d'être  plus  classique,  même  en 
plaisantant. 


402  JEAN  PSIGHARI 

1889,  LXIII-IV,  etc.,  où  les  faits  ne  sont  point  contestables  ; 
cf.  ty;v  cpevTia  aou  (i=  à(p),  M.  Crusius,  Tiircogr.,  1584,  220)  ; 
j'ai  recueilli  çsvtyj;  à  Ghio  ;  les  faits  consignés  par  H.  Pernot, 
Et.  de  ling.  néo-hellén.,  I  Phon.  des  Pari,  de  Chio,  Paris, 
1907,  203-210,  confirment  pleinement  mon  explication*  ; 
il  y  aurait  donc  peut-être  dans  fendum  une  contamination 
due  à  la  double  influence  du  turc  et  du  grec.  Parfois  des 
similitudes  nous  trompent.  Un  mot  paraît  italien  à  l'étymo- 
logiste,  alors  qu'au  sentiment  de  l'emprunteur  il  ne  l'est  pas. 
G.  Meyer  attribue  le  t.  sinio?'  à  l'it.  signore  et  le  t.  madama 
à  rit.  madama  (Turk.  St.  I,  Die  gr.  u.  rom.  Bestandth,  im 
Wortsch.  d.  osm.-tûrk.,  Wien,  1893  [cf.  J.  P.,  Et.  de phil. 
byz.  et  ng.,  1892,  p.  LXXIII],  p.  37).  Rien  n'est  moins  dé- 
montré. Etviôp,  à  côté  de  aicp,  s'associe  volontiers  aux  noms 
italiens.  Quant  à  madama,  le  mot  est,  assurément,  fort  em- 
ployé, mais  dans  certaines  acceptions  seulement,  en  italien, 
dans  la  langue  commune  aussi  bien  que  dans  les  dialectes  ; 
cf.  G.  Finamore,  Voc.  d.  iiso  ahriizz.,  1893  ;  G.  C.  Berti, 
Voc.  bologn  -it.y  1869-1872  (absent  dans  Cl.  Ferrari,  Voc. 
bol.  co'  sin.  it.  e  fr.,  1820  ;  G.-E.  Ferrari,  Voc.  boL-it.^ 
18o3;  G.  Ungarelli,  Voc.  d.  di.  Bol.  [1901],  où  le  relevé 
du  mot  ne  sortait  pourtant  pas  du  cadre  de  l'auteur,  p.  VIII)  ; 
Casaccia,  Diz.  genov.-it.^^,  1876;  Azzi,   Voc.  dom.  ferrar.- 


1.  Je  ne  comprends  pas  bien  ce  que  signifie  ih.,  p.  206,  4  :  «  <î)ivx7)ç  me 
paraît  plutôt  une  forme  enfantine  de  ûc-jc'vctj;  ».  Pourquoi  l'aphérèse,  car 
c'est  d'aphérèse  qu'il  s'agit,  serait-elle  plus  enfantine  ici  qu'ailleurs  ?  — 
En  réalité,  la  rareté  de  l'aphérèse  pour  a  dans  la  langue  commune  tient 
à  ce  que,  aujourcVhui,  Va  demande  une  ouverture  plus  grande  de  la 
bouche  ;  or,  V expiration  de  la  voyelle  initiale  atone  dépend  du  plus  ou 
moins  de  temps  nécessaire  à  cette  ouverture.  Voilà  pourquoi  cette  expi- 
ration s'observe  moins  communément  pour  a.  Dans  les  dialectes  où  elle 
se  produit,  il  faut  croire  que  a  a  conservé  quelque  chose  de  son  ancienne 
faiblesse  (cf.  -ctpîaxr^ii.:,  etc.,  etc.,  l'a  de  Ixtir-ioixen  regard  de  celui  de  yXàia- 
aav,  etc.,  etc.  Cours  professé  à  l'Éc.  d.  H.  É.,  l'hiver  de  1903-1906,  v. 
Ann.  1907,  p.  61). 


EFENDl  403 

z7.,  18o7  ;  Cherubini,  Voc.  milan.-it.,  III,  1841  ;  G.  Benfi, 
Voc.  miL-it.\  1870;  Angiolini,  Voc.  miL-it.,  1897;  d'Am- 
bra,  Voc.  napol.-losc,  1873;  Manfredi,  Diz.  pavese-it., 
1874  ;  G.  Malaspina,  Voc.  parmig.-it.,  III,  1853  ;  G.  Pas- 
quali,  N.  Diz.  piemont.-it.^,  1870  (absent  dans:  M.  Ponza, 
Voc.  piem.-it.^,  1846,  et  éd.  IV,  1847;  M.  di  Pozzo,  Gl.  it.- 
piem.,  1888);  G.  G.  Spano,  Voc.  sardo-it.,  1851  ;  M.  Pas- 
qualino,  Voc.  sicil.  et.,  III,  1839,  G.  Pecorella,  Voc.  niim. 
sic.-it.,  18o6,  Mortillaro,  A^.  Diz.  sic.-it.,  1876  (absent 
dans  G.  Biundi,  Voc.  man.  compl.  sic.-it.,  1851,  et,  du 
même,  Diz.  sic.-it.,  1857  ;  également  absent  dans  G.  Nazari, 
Diz.  Bellun.-it.,  1884;  Zappetini,  Voc.  bergam.-it.,  1859; 
Melchiori,  Voc.  bresc.-it.,  II,  1817  ;  Gotronei,  Voc. 
calabr.-it.f  1895;  P.  Monti,  Voc.  d.  dial.  di  Como,  1845  ; 
Falzon,  Diz.  malt.-it.'ingl.,  1845  ;  Cherubini,  Voc.  man- 
tov.-it.,  1827;  E.  Meschieri,  Voc.  inirandol.-it.,  1876;  L. 
Foresti,  Voc.  placent. -it.,  1855  ;  Voc.  Regg.-it.,  1832  ; 
Vincentiis,  Voc.  tarant.,  1872  ;  Kosovitz,  Diz.  voc.  d.  dial. 
triest.,  1889  ;  G.  Patriarchi,  Voc.  venez,  e  padov.,  1821  ; 
Angelo,  Picc.  voc.  veron.  e  tosc,  1821  ;  G.  Nazari, 
Diz.  vicent.-it.,  1876  ;  D.  Bortolan,  Voc.  d.  dial.  ant. 
vicent.,  1894)i. 

Or,  aucun  de  ces  vocabulaires  locaux,  pas  plus  que  le  Diz. 
délia  lingua  italiana  de  Tommaseo-Bellini  ([1861...],  4  vol. 
en  8  parties),  le  meilleur  dictionnaire  italien  complet  que 
nous  ayons  pour  le  moment,  ne  nous  donnent  le  sens  indi- 
qué par  G.  Meyer  (/.  /.),  pour  le  t.  :  «  madama  von  euro- 
pàischen  Frauen    »,  en  d'autres  termes,  une   étrangère  et, 

\.  Devant  ce  beau  labeur  consacré  en  Italie  à  la  connaissance  des  dia- 
lectes maternels,  on  n'en  déplore  que  plus  amèrement  la  néfaste  influence 
du  purisme  néo-hellénique,  dédaigneux  de  ce  qu'il  nomme  les  patois  et 
de  la  science  que  leur  étude  représente.  Quelques  rares  lexiques  dissé- 
minés dans  des  Revues  inabordables  et  un  ou  deux  volumes,  c'est  tout  ce 
qui,  dans  cet  ordre  de  travaux,  existe  en  Grèce. 


404  JEAN  PSIGHARI 

particulièrement,  une  étrangère  élégante,  etc.  Que  ce  sens 
peut  se  trouver  en  italien,  deux  dictionnaires  spéciaux  nous 
le  prouvent  :  cf.  Boerio,  Diz.  d.  dial.  Venez^,  I806  :  «  Nome 
d'onore  che  si  dà  aile  Donne  forestière.  E  per  antonomasia 
s'intendeUnafrancese(v.  ib.,  «  Madamosèla...  Francesismo  », 
et  A.  Traina,  N.  voc.  sic.-it.^,  1890  :  «  Madama,  s.  f.  Si- 
gnora,  quando  non  si  tratta  di  forestieri,  ha  senso  di  celia 
[plaisanterie]  ».  Laissons  le  sicilien  de  côté.  Le  vénitien  est 
ici  plus  intéressant,  car  on  sait  combien  de  mots,  prétendus 
italiens,  sont  passés  en  grec  moderne,  qui  ne  s'expliquent 
que  par  la  phonétique  vénitienne  (3''oa,  P'.BéXao,  àpij.a!a, 
YcjŒTo,  etc.,  etc.).  Précisément,  ce  sens  de  dame  étrangère, 
d'européenne,  domine  dans  le  grec  mod.  [xav-aij.a,  très  ré- 
pandu à  Constantinople.  Une  [xavia;j.a  est  une  femme  bien 
mise,  un  peu  fière,  qui  fait  quelque  esbrouffe  (cf.  Casaccia, 
op.  cit.,  «  donna  di  grand'affare  »),  et  qui  est  souvent  de 
mauvaises  mœurs  (cf.  Fanfani-Frizzi,  Voc.  d.  sinon,  d.  l. 
it.  [1884],  N.  1908,  où  madamina  est  signalé,  à  Milan  et  à 
Turin,  dans  le  sens  de  grise tte).  Gela  se  dit  aussi  plaisam- 
ment (cf.  Gherubini,  op.  cit.,  «  per  ischerzo  »).  Les  Italiens 
et  les  Grecs  ont  à  Constantinople  plus  de  contact  entre  eux 
que  les  Italiens  n'en  ont  avec  les  Turcs,  de  sorte  que  ma- 
dama  a  plus  de  chances  d'avoir  été  d'abord  emprunté  aux 
Italiens  par  les  Grecs.  Mais  je  ne  crois  encore  pas  que  ce 
soit  en  grec  un  emprunt  italien.  Il  existe  au  sujet  de  ce  mot 
toute  une  discussion  en  Italie.  Madama  y  est  volontiers  con- 
sidéré comme  gallicisme  (cf.  Boerio-,  ci-dessus  ;  Fanfani- 
Frizzi,  op.  cit.,  le  traité  de  «  francese  »  ;  Pasqualino,  op. 
cit.,  «  voce  francese  »,  etc.,  etc.)  ;  on  le  combat  ;  F.  Ugolini 
voudrait  qu'on  dise  Signora  Se  vigne  et  non  pas  Madama  S. 
(Foc.  di  par.  e  7nodi  errati,  1835,  s.  v.)  ;  P.  Viani,  au  con- 
traire, maintient  les  droits  de  Madama  (^Diz.  di  pretesi 
frances.,  I,  1838,  s.  v.).  En  réalité,  voici  ce  qui  se  passe: 


I 


EFENDI  405 

Madama  est  incontestablement  ancien  en  italien  ;  Tommaseo- 
Bellini  en  rapportent  un  exemple  chez  Boccace  (Nov.  97, 
21  [=  Op.  volg.  di  G.  Bocc,  V,  1828,  Giorn.  X,  Nov.  YII, 
p.  69],  madama  lareina*)  et  je  retrouve  encore  le  mot  dans 
Fr.  Alunno,  Le  Ricch.  d.  ling.  volg.,  1543  (il  y  figure,  s. 
V.,  comme  titre  honorifique).  Mais  le  mot  semble  avoir  dis- 
paru de  la  conscience  des  sujets  parlants  et  il  y  renaît  — 
ou  il  y  rentre  —  sous  l'influence  du  français  ;  en  effet,  on 
remarquera,  dans  nos  références,  que  les  vieux  vocabulaires 
l'ont  beaucoup  moins  que  les  plus  récents.  Ces  considéra- 
tions, comme  le  sentiment  inné  que  j'ai  du  grec  et  la 
connaissance  des  lieux  mêmes,  me  feraient  croire  que  [j.av- 
Ta;j(.a  vient  du  français  et  que  c'est,  en  grec  moderne,  un 
mot  savant  !  J'entends  livresque.  Des  personnes  cultivées 
savent  que  Madame  en  fr.,  est  du  féminin;  elles  en  font 
donc  iLTr.i[).x  —  le  peuple  aurait  dit  [j.av-:à,  sur  maddm{e)'., 
il  y  a  là,  chez  les  gens  instruits,  un  simple  phénomène  de 
création  instinctive  à  la  fois  et  avertie  (T.  x.  M.,  III,  68^), 
qui  est  fort  naturel'.  De  la  dame,  le  mot  passe  à  la  cham- 
brière, de  là  au  peuple.  Et  ces  deux  influences  enrichissent 
le  turc  d'un  mot  nouveau.  Nous  avons  signalé  ailleurs  ('P. 
X.  M.,  IV,  224  ;  cf.  Et.  ng.,  LXXIV,  N.  634)  (SiC^ia  qui,  en 
turc,  est  un  emprunt  fait  au  grec.  Les  visites'*,  les  mada- 

\.  L'éd.  utilisée  par  Tomm.-Bell.  est  celle  de  4587,  c'est-à-dire  exacte- 
ment la  même,  sans  qu'ils  la  mentionnent,  que  celle  du  Diz.  cl.  l.  it., 
Padova,  I,  1827,  p.  lvii.  J'ai  préféré  citer  l'édition  courante  aujourd'hui. 

2.  Ib.,  278-279,  je  crois  avoir  démontré  que  psxXàaa,  réclame,  est  éga- 
lement un  mot  savant  dans  les  mêmes  conditions.  C'est  un  procédé  na- 
turel, qui  n'a  rien  à  voir  avec  le  purisme.  Quant  à  /.ojxao,  commode,  ib., 
p. 68,  j'aime  mieux  le  rattacher  aujourd'hui  au  vén.  comô,  Boerio,  2,  s.  v. 

3.  V.  T.  X.  M.,  m,  68.  L'expression  de  création  instinctive  me  paraît 
préférable  à  celle  de  création  populaire,  etc.,  car,  en  matière  de  langage, 
tout  le  monde  est  peuple,  quand  on  y  regarde  de  près. 

4.  Les  sens  indiqués  dans  B.  de  M.,  II,  848  b,  à  vizita,  et  quelques 
autres  qui  n'y  sont  point  indiqués,  ont  leurs  équivalents  pour  ce  mot, 
dans  toutes  les  langues  et  en  français  même. 


406  JEAN  PSIGHARl 

mes  sont  autant  d'éléments  de  civilisation  introduits  dans 
des  mœurs  qui  ne  les  connaissent  guère.  C'est  des  Grecs  que 
les  Turcs  les  ont  pris*. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  mots  indéclinables,  jusqu'aux  inter- 
jections comme  aférim  (=  bravo,  à  la  bonne  heure'),  qui  est 
incontestablement  turc,  dont  il  ne  soit  intéressant  de  suivre 
la  filière.  Il  se  retrouve  dans  presque  toutes  les  langues 
balkaniques  (v.  les  Dict.  or.  et  slaves  cités  ci-dessus,  et  cf. 
L.  Sainéan,  Infl.  orient,  sur  la  l.  et  la  civ.  roum.  Rom., 
XXX-XXXI,  1902,  extrait,  p.  36).  Peut-être  vient-il  en  bul- 
gare (Duvernoy,  s.  v.)  du  grec  immédiatement.  Il  est  cer- 
tain que  ces  questions  sont  délicates  à  résoudre.  Toujours 
est-il  qu'il  importe  de  transcrire  exactement  et  de  serrer  de 
près  les  particularités  phonétiques.  Fûrst,  dans  son  Gloss. 
gr.  hebr.  (pp.  cit.,  p.  35  b)  met  A^ycuGia  (lis.  :  Aoyouata)  en 
regard  d'un  hébreu  qui  ne  présente  point  de  waw  après 
Valeph,  mais  simplement  après  le  ghimel,  où  il  a  valeur  de  ô 
ou  de  û;  littéralement,  nous  avons  donc  agustha  (avec  le  hé 
final,  ha,  marque  du  féminin).  Cela  nous  ramène  à  aycuatoç, 
lequel  n'est  autre  que  le  lat.  agiistus  (v.  Et.  ng.,  LXXVII, 
N.  59),  et  il  est  curieux  de  constater,  dans  un  titre  officiel, 
ce  traitement  populaire.  Brocltelmann  (Die  gr.  Fremdw., 
op.  cit.,  p.  36)  voit  dans  l'arm.  katapan,  qu'il  transcrit  lui- 
même  ainsi,  l'it.  capitano.  Comment  cela  serait-il  possible? 
Il  y  a  là  simplement  l'assimilation  régressive,  si  familière 
au  grec'^  ;  elle  s'exerce  ici  sur  le  byzantin  y.a-u£7:ava),  6  xaxs- 


1.  Sur  les  mœurs  et  formules  plus  courtoises  introduites  par  des  Grecs 
dans  la  diplomatie  ottomane,  v.  Lavisse  et  Rambaud,  Eist.  générale,  VI 
(4895),  p.  831.  Un  travail  d'ensemble  sur  toute  cette  influence  des  Grecs 
mériterait  d'être  entrepris. 

2.  A.  Meillet,  à  Bibliographie  dans  le  Banasêr  (=  Le  Philologue; 
titres  en  arm.),  III  (4901),  73,  dit  qu'en  grec  «  l'altération  la  plus  sûrement 
arménienne  se  trouve  dans  les  mots  de  trois  et  de  plus  de  trois  syllabes; 
elle  consiste  dans  une  assimilation  de  la  voyelle  de  la  seconde  syllabe  à  la 


EFENDI  407 

ravwS  le  chef,  le  préfet,  le  goummeur  (cf.  tov  xaTexavo), 
Const.  Adm.,  228,  24,  etc.;  Sophoclis,  s.  v.),  dans  lequel 
n  a  voulu  voir  justement,  crojons-nous,  l'origine  du  mo- 
'derne  xairsTavioç  (it.  capztano,  vén.  cap2tanio),  qui  serait 
ainsi  une  contamination  des  deux  formes,  vénitienne  et  by- 
zantine 2;  mais  /.a-'.-av'.s;,  par  un  i,  se  dit  aussi  en  gr.  (cf. 
Ylachos,  Asz.-sAX.-vaXA.,  Ath.,  1897),  et  les  diverses  for- 
mes turques,  qaptan  (B.  de  M.,  II,  493  b  ;  cf.  ar.  qabthàn), 
qapoudan  (ih.,  498  <?)  et  kapitan,  constaté  par  moi-même  (To 
Ta;î5i  pi.oj,  éd.  II,  1903,  90),  formes  que  nous  n'avons  point 
à  approfondir  pour  le  moment,  doivent  sans  doute  leur  exi- 
stence à  des  mélanges  qui,  s'ils  pouvaient  être  démêlés  avec 
précision  dans  les  diverses  langues  orientales  ou  romanes  (v. 
Jal,  Gloss.  naut.y  Paris,  1848,  s.  v.  ;  Corazzini,  Yoc.  naiit. 
it.,  II,  1901,  etc.,  etc.),  nous  livreraient  bien  des  secrets 
concernant  l'histoire  de  la  marine  dans  la  Méditerranée. 
La  phonétique  à'èfendi  est  beaucoup  plus  claire.  L'har- 

voyelle  de  la  première  »,  et  il  cite  bonosos  =  [3ovaaoç,  etc.  (v.  A.  Thumb, 
Byz.  Z.,  IX  (1900),  393).  Rien  ne  prouve  cependant  que  l'assimilation  ne 
soit  pas  grecque  et  je  pense,  comme  Thumb  (op.  cit.,  394),  qu'elle  n'a 
pas  besoin  d'être  uniquement  arménienne.  Je  pencherais  même  décidé- 
ment pour  le  grec  où  le  phénomène  est  des  plus  fréquents  (bibl.  et  ren- 
vois, J.  P.,  B.  Z.,  XVI  (1907),  465,  à  P.  413,  v.  9)  et  bien  plus  prononcé 
qu'en  arm.,  puisqu'il  affecte  dans  les  disyllabes  la  voyelle  tonique  ou 
atone  oÇo)  =  ï^to,  àvrav  =  ovxav  =  ôx.  (Miller-Sathas,  Chr.  de  Ch.,  I,  53 
[4]),  6/  =  SX  dans  U  x6  =  è^  "^^  =  ^'/.  ^^ô.  Entin,  âr.àvw  est  commun  au- 
jourd'hui. —  V.des  exemples  d'assimilation  dans  les  noms  hébreux  hellé- 
nisés, J.  P.,  Essai  sur  la  Sept.,  173,  1.,  Rev.  d.  ét.j.,  1908.  —  Aujour- 
d'hui, plus  rien  d'approchant  à  katapan  en  arm.,  v.  G.  de  Lusignan,  JV. 
Dict.  ill.  fr.-arm.,  Paris,  1900,  t.  I,  s.  v.  capitaine,  si  ce  n'est,  ib.,  à 
pacha,  la  transcription  de  ce  titre  turc  en  arm.  :  gapoutan,  etc.  Tchoba- 
nian  m'apprend  que  le  peuple  dit  khaptan  (/aptan),  pour  capitaine  de 
navire. 

4.  Ni  Brockelmann,  /.  /.,  ni  Thumb,  B.  Z.,  IX  (1900),  394  «  *xaTa- 
::âvw  =  y.aTSTràvw  (vgl.  neugriech.  â7:avco)  »  n'ont  reconnu  cette  forme. 

2.  Cf.  Hesseling,  Les  mots  marit.  empr.  par  les  Gr.  aux  l.  rom. 
(=  Verhandl.  de  l'Ac.  roy.  des  se.  à  Amsterdam,  sect.  des  Belles-Let- 
tres, Nouv.  sér.,  part.  V,  N.  2,  Mai,  1903,  p.  18),  où  l'identification  de  xa- 
î:£t.  et  vén.  capit.  ne  me  paraît  pas  exacte. 


408  JEAN  PSICHARI 

monie  vocalique,  qui  m'avait  amené  jadis  à  supposer  logi- 
quement son  pendant,  c'est-à-dire  l'harmonie  consonan tique 
(Et.  ng.,  LXXIV,  LXXVII),  veut,  comme  on  sait,  pour  les 
voyelles  des  colorations  égales  dans  les  syllabes  d'un  seul 
mot  (cf.  MûUer-Gies,  p.  22).   'Açévtyjç  ne  pouvait  donc  pas 
subsister  en  turc,  puisque  «  et  un  e  suivi  de  i,  ne  se  combinent 
guère.  Il  est  toutefois  un  moment  où  le  mot  étranger,  avant 
de  s'assimiler  complètement  à  la  langue  indigène,  reste  for- 
cément ce  qu'il  était  dans  la  langue  étrangère,  où  on  l'en- 
tend pour  la  première  fois  (v.  T.  x.  M.,  III,  272  s.).  Par 
conséquent,  le  turc  a  dû  prononcer  afendi,  pour  aboutir 
ensuite  à  èfèndi.  Ce  moment,  nous  le  saisissons  grâce  à  une 
remarque  consignée  dans  le  Meninski  (v.  ci-dessus,  p.  390), 
p.   239a.*    «    efendl  ex   Graeco,   t[urcica  vox].   ?2[omen]. 
s[ubst.].    vid[go  ;  cf.   p.  ***].  afendi.  »,  tandis  que  la  pre- 
mière édition  (p.  324)  constate  simplement  àçévxYjç  en  grec  : 
«  ex  Graeco  vul.  afendi  ».  J'ai  été  mis  par  M.  Bouvat  sur 
la  piste  de  cette  petite  découverte.  M.  Bouvat  avait  cru  que 
le  vul.  de  ce  dernier  passage  se  rapportait  au  turc  osmanli, 
afendi,  avec  a.  Pour  moi,  il  n'y  a  pas  de  doute,  puisqu'on 
ne  voit  pas  de  point  entre  Graeco  et  vul.  En  regardant  la 
deuxième  édition,  je  me  suis  rappelé  la  réflexion  de  Bou- 
vat. Cela  n'est  vrai  que  du  Meninski-Jenisch.  En  revanche, 
M.  Bouvat  a  eu  la  chance  de  découvrir  en  t.  une  mention 
relativement  ancienne  de  ce  mot,  dans  le  Petit  traicté  de 
l'or,  des  Turcqz  [par  Th.  Spandouin  Cantacassin],  publié 
par  Ch.  Schefer  [Paris,  1896];  p.  113  [n.  1  de  la  p.  112],  il 
est  question  d'un  nommé  Abdul-Kerim  Efendy,  ce  qui  nous 
reporte  à  1472  [v.  iô.]. 

Maintenant,  comment  àîpévTY;?  passe-t-il  en  t.,  sans  le  s 
final?  G.  Mejer  (Tûrk.  St.,  I,  37)  observe:  «  vielleicht 
vom  Yocativ  ».  Cette  observation  est  des  plus  justes.  Le  turc 
n'a  aucune  raison  pour  supprimer  Vs  du  nom.  gr.  (v.  Et. 


¥ 


EFENDI  409 

ng.,  LXXII),  cf.  âghoi/stoiis'  (B.  de  M.,  I,  81  a)  =gr.  àyou- 
To;  =  lat.  agustus  {Et.  ng.,  LXXVII),  ayastèfonos^  (Bian- 
chi-Kiefer,  I,  1S1<2),  etc.,  etc.  Gela  est  constant.  Mais  c'est 
sans  doute  par  un  reste  d'habitude  classique  que  G.  Meyer 
a  songé  au  vocatif  (cf.  '.TCTroia,  vstpsXr^Yspsia,  etc.)  Les  trois 
cas-régime,  ace,  gén.  et  voc.  àçévxT],  feront  aussi  bien  notre 
affaire.  Les  Groisés  n'ont  pu  emprunter  certains  noms  pro- 
pres, comme  Kyrsac  (dans  Villehardouin,  v.  Essai  sur  le 
gr.  de  la  Septante,  op,  cit.,  191,  2),  que  sur  les  cas-ré- 
gime. Jean  Longnon  me  suggère  fort  heureusement,  dans  le 
même  Villehardouin,  des  noms  tels  que  Lascaris,  avec  le  s. 
Ils  mériteraient  une  étude  à  part.  Je  ne  serais  pas  loin  de 
penser  que  les  noms  sigmatiques  reposent  sur  quelque  trans- 
cription, indiquent  des  rapports  plus  lointains  avec  les  per- 
sonnages eux-mêmes,  alors  que  les  noms  provenant  de  cas- 
régime  témoigneraient  de  rapports  plus  fréquents,  plus 
vécus,  de  rapports  oraux.  Il  faut,  pareillement,  que  les 
Turcs  aient  bien  souvent  entendu  àçévTY)  autour  d'eux,  pour 
l'avoir  ainsi  adopté.  Les  différentes  acceptions  qu'ils  en  ont 
tirées  se  trouvaient  en  germe  déjà  dans  la  langue  parlée,  pré- 
cisément parce  qu'on  la  parlait  tous  les  jours. 


Je  n'ai  point  été  suffisamment  maître  —  oLobnr^q  —  de 
mon  sujet.  Les  langues  orientales,  le  plaisir  et  aussi  la  né- 
cessité des  recherches  dans  cette  direction,  m'ont  entraîné. 
Mon  plan  primitif  était  de  leur  consacrer  une  place  moindre 
ou  tout  au  plus  égale  à  celle  qu'aurait  occupée  dans  ce  tra- 


1.  L'harmonie  vocalique  amène  ou  —  ou,  o  —  o.  Pour  le  dire  en  pas- 
sant, dans  les  cas  d'emprunt,  ce  n'est  point  la  langue  empruntrice  qui  se 
corrompt  —  comme  on  le  croit  dans  le  clan  puriste  —  c'est  la  langue 
empruntée  qui  est  corrompue,  conformément  à  des  lois  propres. 


410  JEAN  PSIGHARl 

vail  l'histoire  du  mot  grec  à^svTr^c,  que  je  comptais  suivre,  en 
remontant,  à  travers  les  siècles,  pour  aboutir  à  prouver  que 
tel  passage  d'Euripide,  où  se  lit  ajOÉvir;;,  ne  doit  pas  être 
corrigé  (ci-dessous,  417  s.).  Mais  j'occupe  déjà  moi-même  dans 
ce  volume  une  place  insolente.  Il  faut  donc  que  j'abrège. 

'AçÉvTYjç,  phonétiquement,  ne  peut  venir  de  a-jÔévTYîç,  pro- 
noncé àîiO  :  çô  donne  çt  (ci-dessus).  H.  Schuchardt  (^Vok. 
d.  vulg.  L,  I,  1866,  297)  faisait  une  remarque  lumineuse,  à 
propos  de  o'.^Évjwp  [ou  c-^^évtwo,  cf.  Et.  ng.,  259  ;  ce  dernier, 
transcrit  d'après  la  lettre  sur  def.]  et  de  difendere  (==  defen- 
deré)  :  «  Die  Neugriechen  haben  SaçevisJo)  aus  difendo  ge- 
macht.  »  G.  Meyer,  sans  connaître  Schuchardt,  a  repris  cette 
idée  (cf.  Rom.  W.  im  m.  k.,  Jahrb.  f.  rom.  u.  engl.  Lit., 
XV,  III,  N.  F.  (1876),  p.  51,  à  propos  du  StaçavTsuew  de 
Léonce  Mâcheras  (=  §taç£VT£[;ivs'.,  G.  Sathas,  Mea.  Bl6X.,  II, 
1873,  95,  12  =  Miller-Sathas,  Ghr.  de  Ch.,  I,  1882,  48 
[17]).  Hatzidakis  a  précisé  en  des  temps  où  il  ne  se  livrait 
pas  encore  à  de  trop  violentes  polémiques  ('A6viv.  X  (1881), 
8-9)  :  difendere  [bas-lat.  pour  def.^  donne  en  grec  byzan- 
tin 5y;ç£vB£'jo)  et  Sé^£v5£Jo)  [termes  de  droit,  ci-dessous,  414]  ; 
dans  ce  §y;-  on  croit  sentir  un  Si-  dont  on  fait  aisément  un 
B'.a-;  nous  arrivons  donc  à  l\y.ov>z=\nù  ;  celui-ci  se  croise  avec 
son  synonyme  ajÔ£VT£!j(i),  qui  devient  oixzvr.zùiù  et  ce 
Sia©£VT£Ja)  à  son  tour  réagit  sur  ajOivir;;,  d'où  à^évr^ç. 
L'explication  est  jolie.  Je  l'ai  accueillie  dans  les  Essais,  II, 
p.  116,  en  la  corroborant  par  des  textes  précis  —  Hatzidakis 
n'en  donnait  pas  —  et  j'y  relevais,  dans  des  actes  notariés, 
les  formes  Sscpsvcriwva  (en  1178),  oe^svBejeiv  (en  1185),  §£(p£v- 
S£'jTal  kizhtù  Twv  •^;jL£T£p(i)v  àyaOwv  (en  1238),  et,  justement,  ota- 
©£vBcJ£iv  Tajr/îv  tyjv  oMp^h,  qui  montre  la  contamination  avec 
évidence  (le  doc.  est  de  1102;  v.  Essais,  II,  /.  L,  et  Et. 
ng.,  259  a,  s.  v.  Seo^evccjo),  qui  se  trouve  dans  Théophile). 
Ge   StaçjîvcEJo)   établit  précisément  la    synonymie    entre  les 


EFENDI  411 

deux  termes  :  ajOsvisua),  être  le  maître,  et  SyjçsvBsuo),  être  le 
patron  de  quelqu'un,  sens  voisin  de  celui  de  maître  (v.  plus 
loin);  cf.  S.  Cusa,  Dipl.  yr.  éd.  ar.  di Sic,  I,  1868,  p.  334 
[13-14],  §i£xSixeTv  xal  SsçsvBeuetv  :  revendiquer  comme  son 
bien,  comme  quelque  chose  dont  on  est  le  maître  ;  cf.  ib., 
333  [10-11],  vo[j,ixr<v  Bcçsvcrtwva,  etc.,  etc.,  à  rapprocher  de  a-j- 
Oéviat  TÛv  v6|ji.(i)v  (v.  le  Thésaurus  de  H.  S.).  Aeçévawp  est, 
en  réalité,  le  patron. 

M.  Hatzidakis,  lassé  sans  doute  du  succès  obtenu  par  son 
explication,  admet,  sur  la  suggestion  de  Thumb,  une  expli- 
cation différente  (£^m/.  in  d.ngr.Gr.,iS92,  287)  ;  celle-ci  fait 
aussitôt  réfléchir  G.  Meyer  (Turk.  St.,  I,  /.  /.).  Dans  l"A6Yi- 
vaiov,  Hatzidakis  s'élevait  à  bon  droit  contre  les  raisons 
^euphonie,  invoquées  par  Mavrophrydis  pour  écarter 
âçTevTYjç  {pp.  cit.,  p.  9).  Aujourd'hui,  il  reconnaît  dans 
àçévxy;?  une  dissimilation,  ce  qui  n'est,  dans  l'espèce,  qu'un 
autre  nom  de  V euphonie.  Cette  raison  n'est  pas  valable.  La 
langue  savante  a  remis  en  circulation  St£u0jvTr<ç,  à  savoir 
Bi£99. ,  directeur.  Personne  ne  se  gêne  pour  prononcer 
StsçTuvTYJç,  et  je  ne  connais  point  de  dissimilation  qui  en  ait 
fait  jusqu'ici  Stsçuvi-^ç.  Cette  dernière  forme  paraîtrait  bizarre 
au  sentiment  du  sujet  parlant.  Au  surplus,  quelle  dissimila- 
tion pourrait-il  y  avoir  dans  l'un  ou  l'autre  cas  ?  On  s'est 
laissé  tromper  par  l'œil.  Les  sons -af ^ent/is,  etc.,  ne  sont  pas 
semblables  :  nous  avons  un  t,  puis  un  d. 

Voyons  maintenant  avec  quelque  rapidité  les  sens,  si  ce 
n'est  de  àçévr^c,  du  moins  de  ajÔÉvir;;,  à  travers  la  grécité. 
Disons  tout  de  suite  que  le  sens  officiel  ajôÉvxYj;,  équivalent 
de  BsjTuoTT^ç,  quand  on  s'adresse  à  des  supérieurs  ou  à  des 
personnes  de  sang  royal  (Cod.  cur.  De  off.,  p.  16,  11-17, 
4)  n'a  pas  pu  influencer  le  turc,  puisque  celui-ci  s'inspire  de 
âç£vxY]ç.  A'jôévTYjç  est  une  espèce  de  synonyme  de  Y.ùçi\oc.  C'est 
dans  cette  même  acception,  plus  ou  moins  nuancée,  que  l'on 


412  JEAN  PSIGHARI 

dit  :  6  ajOsvTY);  -^[jj^iv  o  y.ùp'.zq  K6[xqq  ou  o  ajOÉviYjç  twv  BaXaj- 
ffwv  ou  a'jÔéviai  twv  vôpLWV  ou  oaiiaojv  aîiio;  xal  ^'^•^.'.O'jpyoq  six' 
ojv  ajTC'jpyo;  y.ai  èxiTTaTY];  7îpaYii.aTo;  oj-ivo;(v.,  pour  toutes 
ces  citations,  H.  S.,  s.  v.  ;  la  dernière  est  de  [Th.]  Gaza, 
dans  le  De  77iensibus  [2o  Dec.  1495,  Legrand,  Bibliogr.  hel- 
lén.y  I,  1883,  p.  41]  ;  il  y  a  dans  toutes  ces  définitions, 
comme,  p.  e. ,  pour  a  jTOjpyo;,  des  réminiscences  d'époques  anté- 
rieures, cf.  plus  loin,  416;  cf.  aussi Georg.  Cedr.,p.  896  («  \ki- 
ya;  ajOÉvTr^c,  le  grand  Seigneur»,  Ind.  de  Fabrotti)  ;  Nie. 
Ghon.,  p.  903  (ajO.  t.  ÔaX.),  etc.).  On  peut  comparer  les  lo- 
cutions voisines  ajÔEviàî;*  (auBevio);  xal  xjpiwç  wç  Ssjttotyjç  xal 
ajTOxsçaAoç  Const.  Adm.,  192,  17;  xupiwç  xal  ajôsvTO);  S. 
Cusa,  DipL,  op.  cit.,  I,  p.  334  [1.  11],  de  118o,  etc.,  etc.), 
ajÔ£vi'./.à);  «  auctorabiliter  »  (Laon.  Ghalcond.,  Byz.  du  Lou- 
vre, 1650,  Ind.  gloss.,  non  reproduit  dans  l'éd.  de  Bonn, 
fo  â),  ajOÉvTp'a  =  3ij::û'.va(Leont.  Cypr.,  1717B,  1721  B)2. 
'A^éviy;?  nous  apparaît  dans  des  fonctions  analogues:  xàôta' 
(zsévty;,  xâÔt7£,  Ypa;x[j(,aT'.xà  voiap-/;  (Prodr.  VI,  350  =  3.  N., 
Goisl.,  382,  xv«  s.  c\  et  Gr.  1310,  xv«  s.  fin,  cf.  Essais,  I, 
19,  la  note  d'Omont),  PXstts  jj^s  [pas  jj^à]  xcv  àçsvTvjv  croa  ?txà- 
Œ'.iAov  i;.Y3  :roi7^JYj;  (Solom.  2  i=  B.  N.,  Gr.  2027,  xv«  s.  f. 
(Omont),  réd.  peut-être  xiii*"  s.,  cf.  Essais,  I,  22;  l'auteur 
s'adresse  à  son  fils,  v.  1).  Du  Gange  (s.  v.  ajôlvir;?,  col.  153) 
cite  àçévT?;;  «  Dominus,  Kupioç  »  dans  la  Corona  pretiosa  et 


4.  C'est  du  sens  de  maître  que  s'est  développé  celui  de  aùOîvTr/.o';,  qui 
a  de  Vautorité,  d'où  authentique,  vrai,  etc.,  etc. 

2.  Un  aùOsvteîv,  de  sens  encore  obscur,  est  relevé  par  Th.  Nâgeli,  Der 
Wortschatz  cl.  Ap.  Paulus,  Gôtt.,  1905,  p.  49,  dans  un  Papyrus  du 
vi/viF  s.  des  Berl.  Gr.  Urk.  [I,  Berl.,  4895,  N.]  403,  3-4  :  eàv  aùOevTi'- 
aziç  zdi  TTpayfxa  xat  Xàotç  |  auTOÙ;  èv  xfi  TrdXet  [si  tu  diriges  la  chose^  et  ib., 
8-9:  eî  8È  TîàXiv  aùôsvTTç  x.al  |  >va[j.6àv'.ç  aù-:oùç  £v  x^  -dXsi.  Nageli  cite,  ibid., 
sch.  Esch.  Eum.,  42  [Aesc/i.  «A,  Kirchhoff,  Berl.,  4880,  ad.  1.,  aùOsvTT)- 
xoTa],  Peut-être  y  aurait-il  plutôt  lieu  de  rapprocher  comme  fait  l'auteur, 
ib.,  Thom.  Mag.,  p.  48,  8,  Ritschl  [4832J  :  «  AùxoBtxeîv  [Xsys],  oh  aùÔevxetv 
•/.oivoTepov  -^xp  ■  ».  V.  ci-dessous,  p.  445,  le  passage  de  Moeris. 


EFENDI  413 

dans  «  Leunclavius  in  Onomastico  Turc.  »,  où  cet  auteur 
donne  Méyav  â^evir^v  Sultanum^  On  trouvera  chez  Du 
Gange,  pour  àç;£VTr(Ç,  à^eviia,  àçsvSeusiv  (graphie  savante  de 
Malaxos,  xvi''  s.),  et  àçÉv-pa,  nombre  de  citations,  dont  au- 
cune cependant  n'est  tirée  d'un  texte  antérieur  à  celui  de 
Prodr.  VI,  si  toutefois  celui-ci  est  lui-même  antérieur  à  son 
manuscrit  (v.  aussi  a:[jT(p5c;  xal  ocçévrr^ç  xou  KavTi).6pcu,  Mas 
Latrie,  Hist.  de  IHle  de  Chypre,  III,  1855,  p.  64,  acte  du 
7  Septembre  1430,  où  àç^ivr^^,  àcpÉvTY]  tou  pYiyoç,  est  aussi 
bien  appliqué  au  roi  de  Chypre  qu'à  l'émir  ;  à^évir^ç  dans  la 
Chron.  of  Mor.,  éd.  J.  Schmitt,  1904,  p.  601,  etc.,  etc.). 
De  nos  jours,  0Lovnr^q  est  en  pleine  prospérité  dans  la  langue 
moderne  ;  àçsvTixo,  àçevT'.xoc,  ^apa^lviv];  (patron)^  àçsvTpa, 
àçévT'.jaa,  àçîVTciro'jT^s,  àcpcviia,  àosvTeùo)  (cf.  a'j6£VT£Ù(i),  D. 
G.),  'AçcVtcjXy);  'AçÉi-pia  (toponyme,  S.  MsvapSoç,  Toir.  Ku- 
7:poj,  'Aôr^va,  XVIII,  1907,  381),  'Açay^eia,  'Açsvtixyj  (v.  ib., 
378),  'AijpevTJiiva  (z<6._,  390),  tournent  toujours  autour  du  sens 
de  maître,  y  compris  y.ouTaaçévxr^ç  (2.  Msv.,  o/).  aV.,  p.  399), 
aussi  bien  que  âçevTaGpw-oç,  maître  homme,  grand  seigneur 


4.  La  Corona  prctiosa  est  un  vocabulaire  en  quatre  langues  («  Italico 
uolgare,  Greco  uolgare,  Latino,  Ch^eco  literale  »),  cf.  Legrand,  Bihl. 
helL,  I,  199  (l''e  éd.,  Venise,  1527).  Ce  serait  «  le  premier  livre  im- 
primé où  ligure  un  vocabulaire  gr.  vulg.,  Legrand,  op.  cit.,  200  (cf.  H. 
Pernot,  Girol.  Germano,  Paris,  1907,  p.  5).  Du  Gange  doit  avoir  consulté 
la  2c  éd.  (1543,  cf.  Legrand,  op.  cit.,  III.,  417)  ou  la  3«  (1567,  Legrand, 
op.  cit.,  IV,  131),  car  Pretosia  ne  présente  le  t  que  dans  ces  deux  dernières. 
Quant  à  Leunclavius,  M.  Krumbacher  me  dit  que  VOnomast.  Turc,  doit 
se  trouver  dans  ses  Hist.  Miisulm.  Turc,  Flankf.,  1591,  ou  dans  quelque 
autre  ouvrage  de  cet  auteur.  Je  n'ai  rien  pu  découvrir  dans  les  Ann. 
Suit,  othm.,  réimprimés  dans  le  Léon.  Chalc,  Byz.  du  Louvre,  1650, 
p.  303  s.  (non  réédités  dans  l'éd.  de  Bonn),  ni  dans  les  Neuwc  Chron. 
Tiirk.  Nation,  Franckf.,  1595.  Je  n'ai  rien  d'autre  sous  la  main.  Je  vois 
seulement  que  dans  le  Panel,  hist.  turc,  (dans  le  Léon.  Ch.,  389  s.),  il  y 
beaucoup  de  grec  encore  inexploré  :  ojpata  vulgo  Huraea  477  B,  £7:xà- 
You).à5wv  479  p  (cf.  J.  P.,  M.  S.  L.,  VI  (1888),  316-317),  oUiiould- 
pT)ç  465  B  (cf.  Et.  ng.,  LXXV),  r.ôpza.  xaT;  âpxoûôcç,  curieux  pour  la  syn- 
taxe de  l'ace,  v.  T   ■/..  M.,  III,  60,  1. 


414  JEAN  PSIGHARl 

(A.  Vlachos,  As;.  kW.-yxXk.,  corrige  et  met  ajôevTavÔpw- 
xoç,  que  personne  ne  dit  ;  v.,  s.  v.  àçévir;?,  dans  des  locutions 
familières;  sur  le  gén.  àçsvxoç,  v.  Hesseling,  Les  cinq  livres 
de  la  Loi,  etc.,  Leide,  1897,  XLIII  ;  Essais,  I,  95,  II,  294). 
Ce  sens  de  maître  est  ancien  en  grec,  puisque  Phrynichus, 
vers  la  fin  du  n^  s.  de  notre  ère,  le  condamne  :  Ajôévtyjç  jat^- 
âixoTS  XP"0^1f)  ^^'  "^^^  S£!J7:6tou,  wç  oi  ^epl  xi  SixaaxYîpia  ^i^^xopeç. 
Cet  emploi  juridique,  qui  fait  déjà  penser  au  defendere,  §'.a- 
çsvBsjo),  que  nous  avons  vu  plus  haut,  se  retrouve  dans  la 
Bible  grecque:  cf.  3  Macc,  2,  29  (livre  postérieur  à  70 
A.  D.,  V.  H.  Strack,  Einl  i.  d.  A.  T.\  1906,  168,  3  ;  écrit 
en  grec  directement)  xaxa)ja)p{ja'-  el;  xy;v  TcposjveaxaApievYjv  au- 
ôevTiav  {jus,  v.  Schleusner,  Lex.  in  LXX,  Lond.,  1829,  s. 
V.,  ajO.).  Phrynichus  (/.  /.)  ajoute  :  âXX'  iz\  xoj  abiôy^eipoç  ço- 
véw;.  Phrynichus  ne  voyait  que  l'attique  et  ignorait,  par 
conséquent,  l'histoire  de  la  langue  dont  il  posait  les  canons. 
Avant  d'en  arriver,  en  remontant,  comme  nous  faisons,  au 
sens  recommandé  par  ce  lexicographe,  celui  de  çcveùç,  nous 
devons  mentionner  celui  plus  modeste  de  SiBaaxaXoç  dans 
Meth.  360  C.  Ce  Méthodius  vivait  au  iv^  s.  de  notre  ère. 
Mais  cela  ne  doit  pas  nous  arrêter.  Il  est  évident  que  le  sens 
de  Sccttoxy;;  est  antérieur  :  le  S'SaaxscAoç  a  été  ainsi  nommé,  as 
one  having  authority  (Sophoclis,  Gr.  Lex,^,  1887,  s.  v., 
aj6.),  celui  qui  enseigne,  qui  exerce  une  certaine  autorite, 
un  maître^.  Peu  importe,  dès  lors,  que  le  sens  de  SeaTuo- 

1.  Le  texte  porte  :  xôv  ajôivxrjv  StSàaxaXov  xov  Osôv  tou  'A6paa(x  •  -cov 
ax£7:aaxr]v  toj  'laaàx  •  t6v  ây.ov  xou  'laparjX,  etc.,  etc.  La  il.  54,  th.,  com- 
pare Marc,  1  [2i]  :  tjv  ^âp  oiSaa/.wv  aÙToù;  w;  IÇouatav  è/^wv,  xai  où/^  wa  ol 
YpauLtxaTsîa.  De  sorte  que,  dans  ajôc'vTrjv  oiSxa/.aXov,  aùOavTTjv  peut  être  déjà 
un  simple  titre  honorilique,  comme  plus  tard  à^avir);  ô  :xp''y<7);  (Miller- 
Sathas,  Chr.  de  Ch.,  op.  cit.,  I,  77  [7]),  ou  :  seigneur  rabbi.  Mais,  d'au- 
tre part,  G.  Heine,  Synon.  d.  neuf.  Gr.,  Lpzg,  1898,  p.  143,  signale  dans 
1  Tim.  i2,  12,  un  ayOsvTsîv  avec  le  sens  de  impero,  imperium  exerceo.  Il 
faut  aller  plus  loin.  Voici  le  contexte  :  BtSàaxetv  Sa  -^uvonyC'.  oûx  iTzixpéTuo, 
oùoè  aùÔav-cclv  âvôpoa  :  on  y  devra  précisément  remarquer  l'association  des 


EFENDI  415 

vr,q  subsiste  après  celui  de  ^tSaay.aXoç.  La  sémasiologie  n'est 
point  chose  fixe  et  nous  voyons  souvent,  si  ce  n'est  toujours, 
deux  sens  différents  —  ou  trois  ou  quatre  —  à  côté  les  uns 
des  autres.  Il  n'en  résulte  point  qu'ils  aient  pris  naissance  en 
même  temps  (v.  plus  loin,  p.  418  s.). 

Le  sens  de  âsa-i-Y;;,  maître ,  me  paraît  provenir,  à  son 
tour,  de  celui  que  consigne  Moeris,  contemporain  de  Phry- 
nichus  ou  en  tout  cas  dans  ces  environs,  en  ses  Aécs»;  :  Ajtg- 
c-y/^v,  'ÂTT'y.wç.  ajOÉVTr^v,  'EA)//;v'.y.wç  (Moer.  54)  ;  le  jcjtcc'///^; 
est  celui  qui  a  sa  juridiction  propre,  qui  est  libre,  indépen- 
dant. Mais  celui  qui  se  trouve  dans  ce  cas  peut  très  bien  être 
le  promoteur  d'une  action,  et  c'est  précisément  dans  ce  sens 
que  le  connaît  Polybe  :  ajÔÉvxr^v  ytyovb'o:  t^ç  -îupàjswç  (PoL, 
XXIV,  14,  2).  D'autre  part,  cette  action  peut  être  mauvaise  : 
telle  est  la  :rpà;iç  de  Polybe  (cf.  PoL  Meg.  hist.,  etc.,  éd. 
Schweighaùser,  IV,  1790,  p.  275  :  a  quo  scelus  esset  patra- 
turri).  Elle  est  également  mauvaise  chez  Diodore  de  Sicile  :  aù- 
OÉvia?  TYjç  (epoTJAiaç...  èTUYjxoXoJGYjars  iiy.wpia  (Diod.  Sic,  XVI, 
61,  1),  Ti;A(i)pr^j£Tat  tov  ajôdvTr^v  twv  àvop.Yîij-dcTwv  {ih.,  XVII,  5, 
4).  Remarquons  que  Polybe  et  même  encore  Diodore  ont 
l'air  d'innover.  Ajôevty;^  ne  se  trouve  en  tout  qu'une  fois  dans 
Polybe  et  deux  fois  dans  Diodore.  Ce  sont  du  moins  les  ré- 
férences uniques  que  donnent  les  deux  seuls  lexiques  que 
nous  possédions  aujourd'hui  de  ces  deux  écrivains  :  Schwei- 
ghaùser, op.  cit.,  t.  VIII,  2,  Lex.  Polybianum,  1795(1)  et 
P.  Wesseling,  Diod.  Sic.  bibl,  etc.,  t.  II,  1746(1)'. 


doux  sens  à^enseigner  et  de  commander,  que  fait  justement  ressortir  B. 
Weiss,  Die  Br.  Pauli  an  Tim.^,  Gott.,  4902  (dans  le  JLr.-ej?.  Komm.  û.  cl. 
N.  T.  de  Meyer),  conformément  à  la  doctrine  de  l'apôtre. 

i.  jXous  ne  parlons  ici  que  des  Ind.  verb.  Les  Index  géogr,  et  hist.  se 
trouvent  dans  toutes  les  éditions  de  Polybe  :  Dindorf  (ïeubner),  Didot, 
Hultsch,  Bûttner-Wobst  (celui-ci  en  grec  —  enfin  !),  ainsi  que  dans 
Schweigh.  (et  N.  Perotti,  1549  ;  I.  Gasaubon,  4609  ;  Gronovius,  III, 
4670,  textes  latins). 


I 


416  JEAN  PSIGHARI 

Maintenant,  quelle  est  cette  mauvaise  action  ?  La  plus 
mauvaise  est,  assurément  celle  qui  consiste  à  supprimer  la  vie 
de  son  semblable.  Voilà  comment  nous  lisons  dans  Thucydide  : 
ùl}.€tq  8à  £'.  y,TcV£TT£(^(xa;...  il  oiXXo  y)  h  TCoXejxia  xe  xat  ^apà  xoTç 
ajSsvTat;  r.x'épx:;  Toù;  r,;xsT£pou;...  7.aTaX£i6£T£  (Th.,  III,  58,  5  ; 
cf.  Bétant,  Lex.  Th.,  1843  :  «  Auctor  caedis  »).  La  scholie 
est  intéressante  :  [irapà  loTç  ajôiv-aïc]  xoXq  çcveuatv.  aù6£VTai 
xupiw?  Cl  a'jT6/£'.p£ç  y.al  ol  tzg^Aixioi  •  oi  cà  vuv  aù6évTaç  toÙç  y,u- 
p(oj;  y.al  lezT.ézxç.  xjôivTaç  oà  tojç  ByjSaiojç  wSi  çy)7t  (sch.  dans 
Thuc,  Didot,  1869,  éd.  F.  Haase,  ad  /.).  Tout  cela  est  bien 
confus.  Essayons  de  démêler  tous  les  éléments  hétérogènes 
de  la  scholie.  Le  scholiaste  écrit  à  une  époque  où  le  sens  de 
^z7TzbTr,q  domine  (oi  oè  vuv)  ;  d'autre  part,  il  connaît  par  tra- 
dition grammaticale  (v.  Phrynichus,  ci-dessus)  le  sens  de  aù- 
Toxeip  ;  il  6st  pourtant  obligé  de  constater  chez  Thucydide 
celui  de  (^o^zùc,  qui  Fétonne,  d'où  la  mention  de  œj-zôyz^p  ; 
TcoXé^Aioi  prouve  son  embarras  ;  ce  sens  ne  lui  vient  à  l'esprit 
qu'à  cause  du  passage  même  qu'il  commente,  parce  qu'il  y 
est  question  d'ennemis  ;  xM^mq  lï  xou;  ©r^Sabu;  est  un  sim- 
ple éclaircissement. 

Le  seul  point  que  le  scholiaste  n'a  point  saisi,  est  que  Thu- 
cydide, suivant  son  habitude  (cf.  A.  Croiset,  Thiic,  1886, 
p.  111  s.),  prenait  un  vieux  mot  dans  une  acception  nou- 
velle. Car,  le  sens  de  ©ov£J;  n'est  encore  pas  le  sens  premier. 
Classen-Steup  (Thuk.,  IIP,  1892,  ad  /.)  expliquent  :  «  weil 
sie  auf  Seiten  der  Persen  gestanden  hatten  »,  ce  qui  donne- 
rait à  ajôiv-a;  la  valeur  d'un  meurtre  domestique,  d'une  *àA- 
XY)Xo<pov{a  (cf.  Esch.  Ag.,  1376,  éd.  Weil).  Cela  est  possible, 
mais  point  nécessaire,  et  l'interprétation,  vu  le  passage,  nous 
paraît  forcée.  Pour  nous,  ajOsvrr^;  veut  dire  meiirlriei\  pure- 
ment et  simplement.  L'expression  s'est  élargie.  Il  faut  re- 
monter un  peu  plus  en  arrière,  jusqu'à  Eschyle,  pour  ren- 
contrer le  moment  où  ajOivir^ç  s'en  tient  encore  au  sens  de 


EFENDI  417 

meurtrier  domestique  :  ainsi  GavaTc.ç  ajOéviatcrt  (Ag.,  1573) 
est  fort  bien  rendu  chez  Verrall  (The  «  Agamn.  »,  Lond., 
1904,  V.  1572)  par:  «  Kinmurder  »,  et,  chez  Keck  {Aesch. 
Ag.,  Lpzg,  1863,  v.  1540)  par:  «  mit  selbervernichtendem 
Mord  »  ;  ce  sont  bien  ici  des  meurtres  domestiques  ;  de 
même  dans  les  Eum.,  212,  o]).y.\^oq  Mi^-r^q  oovoç,  où  opi,ai- 
{jLoç  est  à  souligner  :  consanguineus  (Blaydes,  Aesch.  Eum., 
Halis,  1900,  p.  92,  ad  212  ;  les  doutes  sur  le  passage  et, 
notamment,  sur  aùGévTYjç,  ib.,  p.  15,  N.  G.,  ne  nous  parais- 
sent point  justifiés). 

Mais  comment  cette  transition  de  sens,  de  meurtrier  do- 
mestique à  meurtrier,  s'est-elle  opérée  ?  De  la  façon  la  plus 
simple.  Elle  nous  apparaît  dans  des  combinaisons  comme 
celle-ci  que  nous  donne  fort  à  propos  Hérodote  :  [xr^-zt  Ôjya- 
Tpl  r^  Qf^  {j-Y^T£  aJTw  (jo\  c'.V^v  xjH^tt^ç,  (lier.,  I,  117).  C'est  Har- 
page  qui  parle  à  Astyage  et  qui  se  met  au  point  de  vue  de 
son  interlocuteur  :  le  roi  aurait  été  le  meurtrier  de  sa  fille 
et,  par  conséquent,  son  propre  meurtrier.  Mais  par  le  fait, 
c'est  un  étranger,  c'est  Harpage  qui  était  chargé  d'accomplir 
ce  meurtre.  Ainsi  l'idée  s'extériorise  hors  du  cercle  intime  de 
la  famille,  et  c'est  comme  telle  qu'elle  se  montre  à  nous,  pour 
la  première  fois,  dans  Thucydide  (ci-dessus).  Nous  atteignons 
maintenant,  en  dernière  analyse,  le  point  de  départ,  dans 
ce  chemin  que  nous  avons  tenu  à  parcourir  à  rebours, 
afin  de  mieux  marquer  les  étapes  ;  nous  aboutissons  à  la 
forme  primitive  que  Sophocle  seul  nous  a  conservée  dans  sa 
pureté:  xszovnxç,  0.  R.,  107,  et  a-j-oÉvr/jv,  EL,  272:  qui 
sua  ipsius  manu  perimit  (Dindorf,  Lex.  Soph.,  1870  ;  cf. 
Ellendt-Genthe,  Lex.  Soph.,  1872,  s.  v.  ;  Léo  Meyer,  Ha?i- 

Ibd.    d.    gr.    Et.,     II,    182,    qui   compare,    p.    183,    ajx- 
oxty;;,  etc.  ;  sur  le  sens  de  -évtyj;,  v.   ih.,  et  Prellwitz,   Et. 
wôrt.b^. ,  1905,  s.  v.  aù6.  ;  il  compare  le  lat.  sons,  sontis). 
Reste  Euripide.  Celui-ci  connaît  xM^nr^q  dans  le  sens  de 
27 


418  JEAN  PSIGHARI 

meurtrier:  ajÔEvxY]  çcvo),  Herc.  f.,  839  (Prinz-Wecklein),  aù- 
6£VTwv  xiptç,  Rhes.,  873.  Mais  il  présente  aussi  Syjjjlcç  aùOév- 
ty;;  yôov6ç,  Suppl.,  442.  Or,  voici  comment  raisonne  à  ce 
propos  Kreling  (De  usu  poet.  et  dialect.  voc.  ap.  scr.  gr. 
serioreSy  1886,  12-13)  :  aù^évir,;,  dans  Polybe,  serait  un  mot 
poétique  ;  d'autre  part,  ajôÉvir;;  x6ovsç  n'offre  point  le  sens 
classique,  celui  de  Sect^uotyjç  étant  postérieur  ;  une  correction 
eùOuvTYjç  serait  donc  la  bienvenue.  A.  Thumb,  de  son  côté 
(Die  gr.  Spr.  im  Zeita.  d.  UelL,  1901,  221)  est  porté,  lui 
aussi,  à  voir  dans  le  sens  différent  du  mot,  chez  les  Attiques 
et  Hérodote  en  regard  d'Euripide  et  de  la  Kcivï),  l'indice 
d'un  Zwiespalt,  —  d'une  bifurcation  ou  d'une  scission,  — 
entre  la  langue  attique  parlée  et  la  langue  écrite. 

Nous  traitons  dans  un  autre  mémoire,  des  mots  dits  poé- 
tiques, de  ceux  qui  se  trouvent  chez  les  poètes  —  Homère 
ou  les  tragiques  —  puis  disparaissent  dans  la  prose  du  v*  s., 
reviennent  dans  la  Koivy;  et  sont  monnaie  courante  de  nos 
jours.  Ici  nous  ne  voyons  rien  de  tel.  Nous  avons  essayé  de 
suivre  pas  à  pas  le  sens  de  notre  vocable,  depuis  aùioév- 
TY)^  jusqu'à  àçév-Yîç.  Nous  avons  constaté  un  développement 
sémantique  régulier.  Il  n'y  a  donc  aucun  lieu  de  corriger 
Euripide.  Il  ne  convient  pas  davantage  de  s'étonner  du 
double  sens  de  aiôevir;?  chez  ce  poète.  Le  seul  fait  que  le 
sens  de  ScaTro-r^ç,  maître,  a  prévalu  plus  tard  et  qu'il  domine 
de  nos  jours,  atteste  que  ce  sens  était  en  germe  dans  le  mot . 
Euripide  peut  déjà  l'en  avoir  dégagé.  Ajtosvty;;,  absent  chez 
Eschyle  (o2o-4o6  a.  G.),  se  lit  bien  chez  Sophocle  (496- 
406)*  ;  V Electre  et  Œdipe  Roi,  où  cette  forme  se  rencontre, 
sont,  de  toute  façon,  postérieurs  à  Eschyle  (cf.  Christ*,  251  : 


1.  C'est  le  seul  exemple  de  la  forme  pleine.  Le  mot  est  de  création  ré- 
cente. Il  ne  se  rencontre  ni  dans  Homère,  ni  dans  Hésiode  ni  dans  Pin- 
dare.  On  a  le  sentiment  que  nous  sommes  encore,  à  l'époque  attique, 
tout  près  du  sens  primitif.  V.  plus  loin,  420  s. 


EFENDI  419 

El.  entre  412-442;  0.  R.  en  425);  bien  plus,  Sophocle 
n'emploie  pas  ajôiviT)?,  alors  que  celui-ci  est  dans  l'Orestie 
(438.  a.  G.)  ;  il  se  sert  donc  bien  d'une  forme  antérieure  et 
peut-être  périmée.  Inversement,  nous  avons  vu  aùôsviia,  avec 
le  sens  jus^  dans  les  Maccabées  ;  cela  n'empêche  point  aj- 
6=v-:a;  YovcTç,  meurtriers,  et  même  meurtriers  domestiques, 
sens  très  ancien,  dans  Sap.  S  al.,  12,  6,  où  Biel  veut  corriger 
à  tort  (^Lex.  in  LXX,  I,  1779,  s.  v.).  Mais  voici  un  exemple 
topique  :  chez  l'orateur  Antiphon  (+411),  aùôévTYjç  a  le  sens 
à^ homicide  à  un  passage  sûrement  (5,  11  ;  cf.  Fr.  Ignatius, 
De  Ant.  M.  eloc.,  Gott.,  1882,  3  ;  Fr.  I.  Brueckner,  De 
tetral.  Ant.  Rh.  adscr.,  Budissae,  1887,  p.  6)  ;  mais  dans 
trois  autres  (3,  y^^  ?  ^^-  ^"^^  ^f-  o'^X  '^"^^  '^^^  [j.£'.paxicu  àXX'  ûç' 
éajToO  S'.a^eapYjva'.,  v.  Fr.  Hausen,  De  Ant.  tetral.,  Berl., 
1892,  Progr.  N.  113,  p.  21-22  ;  iô.,  5  10  ;  sur  les  trois 
passages,  v.  Ignatius,  /.  L,  où  sens  de  suicide;  de  même, 
Fr.  I.  Brueckner,  /.  /.),  il  a,  non  moins  sûrement,  celui  de 
suicide  —  ou,  comme  on  dit  aujourd'hui,  suicidé —  ainsi  que 
le  prouvent  deux  endroits  connexes  (3  y  ^^^  cf.  trad.  Didot, 
Or.  Att.,  I,  1877  :  homicidii  in  se  ipsum  commissi;  3  g  9, 
puerum  peremptum  homicidam  esse,  v.  F.  Hausen,  /.  /.). 
Le  sens  n'est  pas  douteux  :  ainsi  le  comprend  Fr.  Blass 
{Ant.  or.^,  1892,  Ind.,  p.  206  b,  qui  se  ipse  interficit;  v. 
Ignatius,  /.  /.  ;  ©cvsu;  est  très  fréquent  dans  Antiphon,  v.  Fr. 
Lov.  V.  Gleef,  Ind.  Antiph.,  dans  Cornell  stud.  in  class. 
PhiL,  Ithaca,  1893,  s.  v.*  ;  cf.  Christ*,  381  ;  Ignatius,  op. 


4.  Indépendamment  d'Antiphon,  il  est  tout  aussi  certain  que  le  sens  de 
suicide  a  existé  en  grec  ;  cf.  Sch.  gr.  in  Eur.  tr.,  éd.  G.  Dindorf,  I,  Ox., 
i843,  38,  16-17  (ad  Tr.  655):  aùOe'vTa;  yàp  Xsyo'J^^  "^ohc,  Ixouaûo  odvw  [xe- 
TEpy 0U.3V0-J;,  zal  ajxos'vta;  xo-;  aùxô/sipa;  Xsyo'ja-.v  (cette  distinction  doit 
être  une  subtilité  du  scholiaste)  ;  Et.  M.,  169,  1  :  ô  oovsy;  ô  lautôv  xtivvucov* 
To  yàp  Iv  T^  cruvrjOîîa,  i'xspov  (il  vise  probablement  le  sens  de  dominus),  ib., 
7  lauTÔv  pàÀ"Xcov  xoTç  svxsatv,  o  iixi  xoTç  psT^sai.  V.  J.  Scapula,  Lex.  gr. 
lat.,  Oxonii,  1820,  s.  v.  aùÔ£;xr,ç,  même  ordre  d'idées. 


4^0  JEAN  PSIGHARI 

cit.,  2,  cf.  1  ;  B.  Brinkmann,  De  Ant.  or.  de  Chor.,  1888, 
4  s.  17  ;  J.  Hauler,  Ant.  esse  orat.,  etc.,  dans  Jahr.  b.  û. 
d.  d.  k.  k.  Staatsgymn.  i.  Il  Bezirke  v.  W.,  1884,  p.  17. 

Voilà  donc  Antiphon  qui  emploie  deux  sens  d'époques 
certainement  différentes.  Nous  croyons  même  que  celui  de 
suicide  est  le  sens  primitif  :  c'est  par  là  qu'on  s'explique 
comment  le  mot  reste  tout  d'abord  confiné  au  sens  de  meur- 
trier domestique  (v.  ci-dessus,  nos  exemples).  On  peut  éga- 
lement songer  à  a'jT2xi6vo;  d'Esch.  Sept.,  681  («  se  ipsum  in- 
terfîciens  »,  Dindorf,  Lex.  Aesch.,  1876,  s.  v.).  Le  passage 
d'Hérodote,  cité  ci-dessus,  nous  fournirait,  envisagé  de  ce 
biais,  un  nouveau  secours  :  Harpage  se  met  à  la  place  de 
son  interlocuteur  et  raisonne  comme  si  celui-ci  s'était  tué  de 
sa  main;  il  serait  alors,  d'après  notre  hypothèse,  un  ajOév- 
TY);  au  sens  propre,  un  suicide  ;  de  là,  au  sens  de  tuer  au- 
trui,  il  n'y  a  plus  grande  distance,  puisqu'Harpage  parle,  en 
réalité,  de  ce  qu'il  a  fait  ou  dû  faire  lui-même  (v.  ibid.). 
On  sait  qu' Antiphon  recherchait  les  archaïsmes  (cf.  Cucuel, 
Essai  sur  la  l.  et  le  st.  d'Ant.,  Paris,  1886,  29).  Il  est  natu- 
rel qu'il  se  soit  attaché  au  vieux  sens  de  ce  vocable.  Pour- 
quoi ce  vieux  sens  a-t-il  péri  aussi  vite  ?  Pourquoi  a-t-il  laissé 
si  peu  de  traces?  C'est,  vraisemblablement,  parce  que  Vati- 
mie  chez  les  Grecs  n'était  pas  éteinte  par  la  mort  du  crimi- 
nel et  que  les  peines  posthumes  contre  le  suicide  étaient 
faites  pour  frapper  les  imaginations  (v.  G.  Glotz,  La  solida- 
rité dans  le  dr.  crini.  en  Gr.,  Paris,  1904,  p.  30  ;  cf.  p.  66). 
Peut-être  voulut-on  éviter  de  se  servir  du  vocable  dans  ce 
sens.  Nous  voyons  que  les  Grecs  flottent  entre  diverses  ex- 
pressions pour  désigner  le  suicide  et  qu'ils  usent  volontiers 
de  périphrases:  œj-zbyv.Çi  ôava-o;  ou  crçayi^,  xj^oy^eipix  Spaatç, 
ajToy.Tovia,  ajToçovia,  èpLa'Jibv  /.isivo)  (à7:o/,T£'!va),  Stay(pao[JLai,  §ta- 
^£ipiCo[Ji.ai,  ©ovcùo),  a^aCw)  ;  aÙTCxTovo)?  ;  aÙToaçaYi^ç,  aùiotpovoç, 
aÙTO^ovs'jiTQç,  aÙToipovsuç,    aÙTOX-Toveo),  o^bibyv.p  (i.oTpa  (v.  ci-des- 


EFENDI  421 

SUS,  p.  418,  n.  1,  et  les  dictionnaires,  Courtaud-Diverne- 
resse,  Dict.  fr.-gr.,  I,  1874,  s.  v.  suicide,  etc.).  Ces  locu- 
tions sont  assurément  loin  d'être  toutes  contemporaines  ni 
toutes  classiques  ;  elles  ne  nous  montrant  que  mieux  les  tâ- 
tonnements, à  travers  les  âges,  autour  de  cette  idée  de  suicide 
et  comme  la  crainte  de  se  fixer  à  un  terme  en  quelque  sorte 
technique,  alors  que  çcveuç  ne  varie  pas  et  se  retrouve  dans  le 
ocviiç  actuel.  Je  note  que  le  grec  moderne  n'a  rien  pour  quali- 
fier cet  acte  :  on  tournera  par  un  verbe  et  l'on  dira  :  cry.oiwÔYjxs, 
il  s'est  tué.  Il  est  vrai  qu'on  peut  constater  la  même  lacune  en 
français,  où  suicide  est  un  mot  savant.  Les  Grecs  avaient,  à  un 
certain  moment,  créé  un  mot  spécial,  et  Antiphon  n'a  pas  re- 
culé devant  le  sens  primitif,  dans  un  temps  où  nous  pouvons 
supposer  que  ce  sens  était  hors  d'usage.  Il  est  le  seul,  du 
moins,  à  nous  l'oiïrir.  En  somme,  dans  l'espace  de  47  ans, 
nous  voyons  ce  même  mot  pris  dans  quatre  acceptions  diffé- 
rentes: meurtrier  domestique  dans  l'Orestie,  en  458,  et  dans 
l'Œdipe  Roi,  en  425,  sous  la  forme  ajToëvTyjç;  meurtrier  et 
suicide  dans  Antiphon,  avant  411  ;  m^aître,  dans  les  Sup- 
pliantes d'Euripide,  vers  l'an  421.  Les  cloisons  ne  sont  donc 
pas  aussi  rigoureuses  entre  ces  acceptions  diverses  et  il  ne 
faut  pas  toujours  de  longs  intervalles  chronologiques  entre 
elles.  Le  sens  suit  plus  ou  moins  vite  la  filière  naturelle.  Dans 
une  éclosion  sémasiologique  presque  simultanée,  un  sens 
peut  apparaître,  qui  ne  jettera  que  longtemps  après  toute  sa 
fleur.  Comme  on  peut  très  bien  ranimer,  à  côté  d'un  sens 
tout  frais  encore,  un  sens  déjà  fané  du  même  mot,  il  n'y  a 
rien  d'extraordinaire  à  ce  que,  à  l'exemple  d'Euripide,  on 
inaugure,  par  néologisme,  un  sens,  ou  trop  délicat  ou  trop 
neuf,  qui  a  besoin  pour  dominer,  de  plus  de  temps  que  les 
autres.  En  grec,  des  phénomènes  de  ce  genre  se  produisent 
constamment  :  le  sens  qui  ne  se  manifeste  chez  les  anciens 
qu'à  l'état  sporadique  est  celui  qui,  par  la  suite,   prévaut. 


422  JEAN  PSIGHARI 

Mais  le  grec  a  toujours  besoin  d'être  suivi  depuis  la  plus 
haute  antiquité  jusqu'à  nos  jours,  pour  nous  apparaître  dans 
son  plein  développement  et  pour  s'éclairer  à  cette  lumière. 

Je  termine  cette  étude  par  trois  réflexions  qui  n'ont  sans 
doute  pas  un  caractère  strictement  philologique,  mais  qui  ne 
me  semblent  pas  de  nature  à  déplaire  au  destinataire  du 
présent  volume. 

Nous  avons  dit  que  èfèndi  s'employait  en  parlant  au  Sul- 
tan. Est-ce  un  titre  purement  honorifique  ?  On  se  rappelle 
que  vers  1897,  le  padichah  actuel  reçut  le  surnom  de  sultan 
rouge.  L'auteur  de  ce  qualificatif  ne  se  doutait  peut-être  pas 
qu'il  lui  donnait  ainsi  un  titre  étymologique. 

Je  préfère  le  moderne  àapsvTYjç  ;  àçsvxaOpwxoç  surtout  me 
plaît  et  je  l'applique  ici  volontiers  au  cher  maître,  qui  est 
aussi  un  maître  homme. 

Mais  il  n'est  pas  seul.  'AçsvT-.jja,  que  je  glisse  en  clausule, 
exprime  infiniment  de  choses.  Je  retiens  surtout  ici  un  des 
sens  que  le  mot  implique  :  celui  de  doux  hommage. 

(Rédaction  et  documentation  closes  le  12  mars  1908). 

Quelques  post-scriptums.  I.  Nous  avons  mentionné  ci-des- 
sus, p.  406,  le  byzantin  h  xaTsravw,  le  gr.  mod .  y.aKSTavicç  et  le 
vén.  capitanio.  Nous  disions  que  dans  b  xaTs^ravo)  on  a  voulu 
voir  justement  l'origine  du  mod.  xaTreiavicc.  Nous  ne  retrou- 
vions pas  à  ce  moment,  l'auteur  de  cette  étymologie,  que, 
dans  une  conversation,  M.  Krumbacher,  nous  a  rappelé. 
A.  N.  Jannaris  (Byz.  Z.,  X  (1901),  p.  204-207)  a  soutenu 
que  le  lat.  —  ou,  plus  exactement  le  bas-latin  —  cajntanus, 
capitaneus  est  une  «  corrupt  form  »  de  y.areTrâvo)  :  c  /.aT£7:àvo) 
devient,  par  analogie  des  masculins,  6  v.ti-tr.hoq  —  d'autant 
plus  facilement,  ajoutons-nous,  que  l'on  connaît  icv  xaTc-avo), 
ib.  206;  de  là,  par  assimilation,  xaTairavcç,  attesté  par  des 
textes.  Ces  formes,  à  leur  tour,  passent  en  latin,  catepanus, 


EFENDI  423 

catapaniis,  attestés  également  par  des  textes  nombreux 
(v.  ib.,  206-7)  ;  enfin,  une  parétymologie  populaire  aboutit 
de  catcpanns,  catapanuSy  à  capitanus,  capitanéus,  capita- 
nius,  d'après  <?a/Jz7-,dans  capit-alis,  capit-ellum,  etc. 
CapitanuSj  dans  les  textes  latins  est  postérieur  à  catapaniis, 
etc.  Ainsi,  capitanus,  avec  tous  ses  dérivés  romans,  vien- 
drait du  grec  byzantin,  b  y.xzzrJ^m. 

A  ce  raisonnement,  il  convient  d'abord  d'opposer  le  fait 
que  le  premier  exemple  de  capitaneus,  cité  par  Du  Gange 
(jGloss.  med.  et  inf.  Lat.,  s.  v.^,  est  de  la  même  époque 
(Hincmar,  x®  s.  )  que  les  catapanus  de  Jannaris  (p.  206)  : 
ceux-ci  se  lisent  chez  Trinchera  {Syllabus  graec.  membr., 
Neap.,  186o),  c'est-à-dire  qu'ils  proviennent  de  Naples 
ou  de  Sicile,  ce  qui  ne  signifie  nullement  qu'ils  se  soient 
répandus  dans  toute  l'Italie,  malgré  les  catapani  préposés  à 
quelques  provinces  italiennes,  depuis  Basile  le  Macédonien 
(  V.  chez  Jannaris,  207,  le  passage  de  du    Gange,  op.  cit.). 

En  second  lieu,  le  gr.  mod.  y.a-eTavisç  viendrait,  de  toutes 
façons,  du  bas-latin  ou  du  roman,  car  nous  ne  voyons 
guère,  et  Jannaris  ne  l'explique  pas,  comment,  en  grec, 
y.x'OLT.hzz  ou  même  xa-sTravcç  deviendrait  xaTusTav.oç  ou 
y.ar'.-av.o;;,  autrement  que  sous  une  influence  romane. 

J'avais  admis,  ci-dessus,  à  cause  de  l'e  de  xaTTôTav.o;;  que 
cette  forme  serait  due  à  un  croisement  de  y.xzeTZTfoq  et  de 
capitanio,  puisque  cet  e  ne  nous  apparaît  pas  en  Italie 
et  que  sa  présence  en  grec  constitue  un  point  essentiel  du  débat. 
Mais  d'après  Jannaris  même  (p.  203-206),  xaTairavoç  est  pos- 
térieur à  xaTs-avoç,  ce  qui  résulte  de  la  logique  même  des 
faits.  D'autre  part,  on  connaît  depuis  longtemps  Ka-eTwXiov 
=:  Gapitolium  (v.  J.  P.,  Et.  7ig.,  319,  et  ib.,  Dittenberger, 
Hermès,  YI  (1871),  138,  etc.,  etc.);  ce  fait  est  purement 
latin,  comme  on  peut  s'en  convaincre  dans  Schuchardt, 
Vokal.y  II,  1-91,  entreautres,  36,  où  capete  de  l'an  409.  Je  ne 


424  JEAN  PSIGHARI 

connais  pas  de  référence  pour  capetaneus;  mais  le  gr.  mod. 
xxTTcTavioç,  avec  un  s,  nous  prouve  que  cette  forme  a  existé 
en  bas-latin,  bien  que  les  langues  romanes  ne  l'en  aient 
point  hérité.  Donc,  xata-avc;  doit  être  décidément  écarté  ; 
que  xaTa7:avo;  ait  été  latinisé  en  catapanus,  cela  est,  croyons- 
nous,  une  pure  coïncidence,  et  c'est  toujours  du  latin  qu'il 
faut  partir  pour  retrouver  l'origine  des  formes  grecques  aussi 
bien  que  des  formes  romanes. 

II.  A  propos  de  aÙToév--»;;,  ci-dessus  p.  417,  A.  Meillet  me 
signale  un  article  où  lui-même  a  traité  de  cette  étymologie 
{Mém.  Soc.  Ling.,  XIII  (1905)  354  s.  ;  v.  M.  Bréal,  ib., 
XII  (1901),  7).  M.  Bréal,  /.  L,  admet  le  sens  de  :  «  celui  qui 
de  son  propre  mouvement  met  fin  à  ses  jours  ».  Meillet, 
op.  cit.,  p.  355,  observe  que  le  vieil  islandais  sannr  signifie 
a  la  fois  vrai  Qi  coupable,  il  inclinerait  donc  à  maintenir  le 
rapprochement  entre  sannr,  lat.  sons,  gr.  aùôévTr^ç  «  maître, 
coupable  »  ;  pour  lui,  le  sens  de  "^sont-,  sent-,  dont  il 
faut  partir,  est  celui  de  «  réel,  auteur  réel,  maître 
réel  »  ;  ce  sens  se  serait  développé  et  fixé  d'une  manière 
particulière,  parce  qu'il  s'agit  d'un  mot  de  la  langue  du 
droit. 

On  a  vu  que  nous  nous  sommes  placé  àunpointdevuequel- 
que  peu  différent.  En  grec  aussi,  ajOév-Yjç,  comme  sannr,  en 
vieil  islandais,  signifie  vrai  et  coupable.  Cela  ne  veut  point 
dire  que  ces  sens  soient  contemporains.  Nous  n'avons  pas  de 
textes  suffisants  1  en  vieil  islandais,  qui  nous  permettent  de 
suivre  le  développement  sémasiologique  de  ce  vocable.  Nous 
les  avons  en  grec  où  celui  de  vrai  notamment  (aiÔeviaoc) 
est  considérablement  postérieur.  Pour  ce  qui  est  de  la  lan- 
gue du  droit,  le  sens  de  meurtrier  n'en  relève  pas  plus  que 


1.  V.  les  sources  dans  B.  Kahle,  Altisl  Elem.  h.,  Heidelberg,  i900, 
p.  8-10,  surtout  10. 


EFENDI  4lîS 

celui  de  suicidé  (v.  ci-dessus,  p.  420).  Toute  idée  impli- 
quant meurtre  rentre  dans  cette  langue,  sans  que  q^sveuç 
(voir  Prellwitz^  s.  v.  Osivo))  en  ait  reçu  une  affectation  parti- 
culière, étrangère  à  la  langue  courante.  Ce  que  l'on  ne  saisit 
pas  très  bien,  dans  l'espèce,  en  admettant  comme  sens  pri- 
mitif celui  de  maître  pour  ajOéviyjç,  c'est  que  la  langue 
du  droit  se  soit  emparée  de  ce  mot  plutôt  que  de  osctuctyjç, 
xupioç,  •^f;'£;j.wv,  etc.,  etc.  (v.  C.  r.  de  l'Ac.  d.  Inscr.  et  B.  L., 
Août,  1870,  E.  Egger,  Des  mots  qui  dans  la  langue  grecqtie  ex- 
priment le  commandement  et  la  supériorité,  209-240).  Le  sens 
de  maître^  au  contraire,  nous  est  apparu,  très  normalement, 
ce  me  semble,  au  cours  de  ce  travail,  comme  un  sens  dérivé. 

III.  Nous  avons  montré  (v.  ci-dessus,  p.  419),  à  propos 
du  sens  de  suicide  ou  suicidé  chez  Antiphon,  que  c'était 
l'explication  universellement  admise  pour  le  ajOÉvir;;,  dans 
les  cinq  passages  de  la  Tétralogie  où  ce  mot  se  rencontre. 
Ed.  Maetzner,  auteur  de  la  seule  édition  avec  commentaires 
que  je  connaisse  pour  Antiphon  S  ne  le  comprend  pas  autre- 
ment :  «  x\j6évty;;  et  is  dicitur  qui  sua  manu  semet  interfîcit 
(cf.  §  H  0.  §  4.  9.  10.)  et  is  qui  alium  occidit  (V.  §  11.).  )>, 
Antiph.  Orat.  XV,  Berol.  1838,  ad  3  y  4,  p.  178  ^  C'est  aussi 
la  traduction  donnée  par  M.  Bailly  dans  son  Dict.  gr.4r^ 

Toutefois,  le  présent  mémoire  ayant  fait  l'objet  d'une  coui- 
m\xr\\c2ii\oi[\kV Association  pour  l'encouragement  des  Etudes 
grecques  en  France,  le  jeudi  2  Avril  1908,  c'est-à-dire  une 

1.  Signalons  toutefois  J.  P.  Rossignol,  Antiphon.  Accus,  de  meurtre 
involontaire,  etc.  Paris,  1833,  texte  grec,  p.  8-18,  notes  p.  19-28. 

2.  Je  possède  de  VAnt.  de  Maetzner  l'exemplaire  qui  a  appartenu  à 
Fr.  Blass,  et,  au  dessus  du  mot  aùOsvTTjv  (3  y  4),  il  y  a  de  la  main  de  Blass 
(dont  j'ai  quelques  lettres  personnelles)  ce  mot  au  crayon  :  Selbstmôrder, 
autant  du  moins  que  je  peux  lire  ces  notes  hâtives  prises  au  crayon. 

3.  Dans  VInd.  graecit.  Antiph.  des  Orat.  att.,  de  Dobson,  t.  I, 
Lond.,  1828,  aùOe'vtr];  est  rendu  par  homicida,  avec  renvoi  à  tous  les  pas- 
sages. L'éd.  de  Baiter-Sauppc  (^Or.  att..  2  vol.,  1839-1850)  n'a,  comme 
on  sait,  qu'un  Ind.  nominum,  à  la  fin  du  t.  II. 


426  JEAN    PSICHARI 

fois  mon  manuscrit  livré  à  l'impression,  les  observations  sui- 
vantes m'ont  été  présentées. 

A'jOfvTY;;  dans  la  Tétralogie,  ne  veut  pas  dire  suicidé.  Il 
s'agit  de  quelqu'un  —  un  r.xiç,  —  qui  se  tue,  il  est  vrai,  mais 
sans  le  vouloir,  en  s'offrant,  par  imprudence,  au  coup  d'un 
javelot  lancé  par  un  autre  xxTç,  dans  les  exercices  de 
l'âxovTiov  (èv  YuijLvaaioi;  yjxovtcÇov,  3a  uTTÔSeaiç)  :  donc,  aù6fvTY;ç 
implique  ici  une  nuance  de  pure  responsabilité,  d'auteur 
responsable. 

Il  est  exact,  en  effet,  que  le  suicide  est  involontaire.  La 
plaidoirie  nous  le  dit  expressément  :  6  l\  zaTç  ^o'Skb^vtoq  Tupo- 
Spaj/eiv,  T2ÎJ  y.atpou  SiajAapTwv èv  (o  Siaxpé^wv eux av  èxX'^Yr^,  XEptSTreaEV 
oTç  ojy.  r^ôeXev^  àxouafwç  Sa  à^JLapTwv  eîç  èauxcv  olxeiaiç  auix^opaïç 
y.iypT,Txi  (3  g  7-8)  ;  de  même  :  jxo  Sa  toO  Siwy.cvToç  cjS'  eTTr^aXoij- 
[j(.£Voç  (ôç  èxo)v  àTC=y.Te'.v£v(3g9)  et  ib.  11  :  ots  yàp  «[xapiwv  au[Jt.ço- 
paTç  xepixeawv  o-jy,  àrii^xopyjTog  àjTo),  etc. 

Cette  critique  a  donc  de  belles  apparences  de  raison. 
Voyons  cependant  les  choses  de  plus  près. 

AjÔévtyî;,  dans  Antiphon,  est  employé  absolument,  sans 
complément  aucun  et  sans  adjectif  :  ajôévrr^v  ^pcaxa- 
xaYvtoaôÉVTa  3  Y  4  ;  ajOéviai  xaTayvcùcrOiVTc;  ib.  11;  e\  [j//;t£  ày.ov- 
v.QQLç  i;.r<Tc  £7:ivo"»^aaç  ajO^vTr,;;  o)v  âxoB£i/CvuTat  3  â  4  ;  £Î  Sà  «jOéviv;? 
èy.  Twv  X£YcpL£va)v  £7:iB£(xvuTai  ib.  9  ;  xov  TuaîSa  aùôévTYjv  cvxa, 
ib.  10. 

Or  dans  les  cinq  passages,  sans  aucune  adjonction  de 
çovou  ou  mot  semblable,  ajôÉvir;?  désigne  quelqu'un  qui  s'est 
tué  lui-même  :  toute  la  plaidoirie  tourne  autour  de  cette 
démonstration. 

Mais  que  signifie  aùOÉvTYîç  pour  l'auteur  même  de  la  Té- 
tralogie ?Aucun  doute  sur  ce  point,  puisqu'il  nous  en  donne  la 
paraphrase  :  oj^  ^tïo  tcu  [;.£'. pay.îcj  à  aa  '  6  tp  '  è a u  t  o D  o i a 9 6  a  p  îj  v  a  i 
3  S  4,  ajTo;  69'  èauTOj  S'£9ÔapTai,  ib.,  et  surtout  3y4  où  aùeÉvir;; 
se  trouve   commenté  par  les  mots  :  9ov£jç  aj-o;;  aOicj.  Je  ne 


m. 


EFENDI  427 


is  pas  ce  qu'est  un  suicidé  s'il  ne  répond  pas  à  cette  der- 
nière définition,  si  claire. 

Rien  d'étonnant,  au  surplus,  à  ce  que  ajOevxr^c  ait  eu  ce  sens. 
Dans  -èvTYjç  (v.  ci-dessus,  p.  417),  il  ne  peut  guère  y  avoir, 
en  somme,  que  le  répondant  grec  de  sons.  Nous  obtenons 
ainsi,  comme  idée  primitive  :  coupable  lui-même.  Cette 
culpabilité  peut  tout  aussi  vraisemblablement  s'exercer  vis- 
à-vis  de  soi  que  des  autres.  Elle  peut  même  commencer  par 
soi.  (M.  André  Ghevrillon  m'apprend  précisément  qu'en 
anglais  juridique^  felo  de  se  —  expression  dont  je  ne  suis 
pas  à  même,  au  moment  où  elle  m'est  communiquée,  à  la 
campagne,  d'établir  la  tradition  —  désigne  spécialement 
celui  qui  se  suicide^.  <Ï>ûv£Ù;  existait  déjà  ^owt  àivemeurtrier ; 
ajôsvTY;;  aurait  été  réservé,  un  certain  temps,  au  meurtrier 
de  soi-même.  Plus  tard,  les  deux  sens,  celui  de  ajOÉvxr^ç  et 
de  ç)ov£jç,  se  confondent  :  o  B'.wxwv  ty;v  Sixr^v  xoO  cpcvcj  iva  ]j.r^ 
b'^iùpioicq  Y'Yvr^Tat  tw  ajÔÉvTY],  Antiph.  5,  11.  Mais  à  l'origine, 
il  semble  bien  que  les  deux  expressions  n'étaient  pas  con- 
fondues. 

Quoi  qu'il  en  soit,  tout  ceci  ne  vise  que  les  acceptions 
premières  de  notre  vocable.  Dans  la  longue  histoire  que 
nous  avons  entreprise,  nous  avons  surtout  tenu  à  démontrer, 
d'après  les  faits,  qu'un  développement  régulier,  conforme  au 
cours  ordinaire  de  la  sémantique,  aboutissait  au  sens  de 
maître  y  en  grec  moderne. 

30  mai  1908. 


Georges    RAMAIN 


SUR  LA  SCANSION   DE  FACILWS 
DANS  LES  VERS  DRAMATIQUES 


I 


SUR    LA    SCANSION    DE  FACILIUS 
DANS  LES  VERS  DRAMATIQUES 

Par  Georges  Rama  in. 


On  sait  que  dans  les  vers  ïambiques  et  trochaïques  des 
comiques  latins,  les  mots  du  ijipe  facilius,  ^^^^,  portent  9 
fois  sur  10  le  temps  marqué  sur  la  syllabe  initiale,  comme 
s'il  y  avait  un  obstacle  à  l'emploi  de  la  scansion  facUiiis.  On 
a  proposé  de  ce  fait  deux  explications. 

Persuadé  que  les  comiques  cherchent  à  faire  coïncider 
l'accent  verbal  et  l'ictus  métrique,  M.  Lindsay  n'hésite  pas 
à  déclarer  que  facilius  n'avait  pas  encore  perdu  au  vi"^  siècle 
de  Rome  l'accent  antique,  qui  frappait  l'initiale  du  mot. 
Mais  la  coïncidence  entre  l'accent  et  le  temps  marqué  est 
indifférente  aux  comiques:  ils  la  négligent  à  chaque  instant, 
et,  si  le  plus  souvent  ils  l'observent,  c'est  qu'elle  leur  est 
imposée  par  le  rythme  et  par  des  règles  spéciales  de  mé- 
trique. Ainsi,  des  mots  comme  duceres,  -^-,  duceretisy 
-^-^,  monebo,  ^ — .monebimiis,  ^-^^,etc.,  ne  peuvent  trou- 
ver place  dans  un  vers  ïambique  ou  trochaïque  sans  qu'un 
des  temps  marqués  ne  frappe  la  syllabe  accentuée,  tandis 
qu'il  n'en  va  plus  de  même  dans  le  rythme  anapestique.  Un 
mot  tel  que  dixisses,  avec  coïncidence  de  l'accent  et  de  l'ic- 
tus, peut  s'employer  dans  le  sénaire  à  quatre  endroits  diffé- 


432  G.  RAMAIN 

rents,  et  à  cinq  dans  le  septénaire  trochaïque,  mais  dixissés, 
sans  coïncidence,  est  exclu  des  premiers  pieds  du  sénaire,  à 
cause  de  la  coupe  et  parce  que  le  temps  marqué  troisième 
ne  peut  porter  sur  une  finale  ;  il  n'est  toléré  au  pied  anté- 
pénultième que  sous  condition,  et,  par  conséquent,  il  n'est 
régulièrement  de  mise  qu'au  cinquième  pied  ;  pour  les 
mêmes  raisons  ce  mot  ne  peut  figurer  sans  difficulté  dans  le 
septénaire  trochaïque  qu'à  trois  places,  au  premier  pied,  au 
second  et  au  pénultième.  D'autre  part,  le  rythme  amène 
souvent  la  syllabe  initiale  d'un  mot  sous  le  temps  marqué, 
par  exemple  après  une  coupe  trochaïque,  auquel  cas  la 
coïncidence  est  favorisée  pour  nombre  de  mots,  surtout  les 
dissyllabes,  et  les  trissyllabes  formant  un  anapeste  ou  un 
tribraque,  mots  qui  peuvent  se  suivre  ou  alterner  dans  un 
hémistiche,  et  même  dans  le  corps  entier  d'un  septénaire 
trochaïque.  Il  résulte  de  ces  constatations  que  fdcilius,  loin 
de  prouver  en  faveur  de  la  coïncidence,  est  au  contraire  un 
des  exemples  les  plus  typiques  que  l'on  puisse  invoquer 
contre  elle*. 

M.  Vendryes  {Recherches  sur  l* histoire  et  les  effets  de 
l'intensité  initiale  en  latin,  p.  146  sq.)  explique  la  prépon- 
dérance de  fdciliiis  ipSiV  une  survivance  de  l'intensité  initiale, 
qui,  à  une  époque  antérieure,  coupait  les  mots  du  type 
v^^w-  en  2-f-2,  les  deux  brèves  initiales  formant  couple. 
Selon  lui,  les  comiques  avaient  encore  le  sentiment  que  les 
deux  premières  brèves  étaient  naturellement  accouplées  et 
ne  pouvaient  par  suite  former  que  la  monnaie  d'une  même 
longue.  Si  parfois  ils  scandent  faci/ius,  c'est  que  de  leur 
temps  l'intensité  initiale  était  affaiblie.  On  serait  donc  en 
présence  «  d'un  procédé  dont  l'emploi  est  arbitraire  » 
(p.  161).  Il  est  une  première  objection  que    l'on  ne  man- 

i.  Cf.  L.  Havet,  Cours  élémentaire  de  métrique,  4^  éd.,  p.  226-230. 


SCANSION  DE  FACILIUS  433 

quera  pas  de  faire  à  cette  théorie  :  si  Temploi  de  fdcilius 
et  de  facilius  est  arbitraire,  comment  se  fait-il  que  les 
exemples  de  facilius  soient  neuf  fois  moins  nombreux  chez 
Plaute,  et  chez  Térence  huit  fois?  En  voici  une  seconde, 
beaucoup  plus  grave  :  si  l'emploi  de  facilius  est  arbitraire, 
cette  scansion  doit  se  rencontrer  indifféremment  à  toutes  les 
places  du  vers,  et  sans  préférence  pour  telle  ou  telle  place. 
Or,  —  et  c'est  ce  que  n'ont  remarqué  ni  M.  Lindsay  niM.  Ven- 
dryes,  —  il  y  a  une  place  où  facilius  n'est  point  admis,  et 
il  en  est  une  autre  où  il  s'installe  de  préférence. 


Pour  le  démontrer,  je  prendrai  les  listes  mêmes  de 
M.  Lindsay  (Philologus,  51  (1892),  p.  367-370).  Si  soigneu- 
sement épurées  qu'elles  soient,  il  faut  pourtant  en  défalquer 
les  exemples  suivants. 

Aul.  159.  Sed  est  grandior  natu,  média  est  mulieris  aetas. 

M.  Lindsay  voyait  dans  ce  vers  trois  bacchées  suivis  d'un 
membre  ïambique.  M.  L.  Havet  avait  cependant  montré 
qu'on  avait  là  un  vers  de  Reiz  altéré,  et  que  dans  cette  es- 
pèce de  vers  le  deuxième  membre  est  une  tripodie  anapes- 
tique  catalectique  {Revue  de  philologie,  1887,  p.  142  sq.). 

Men,  978.  Nam  magis  multo  patior  facilius  uerba  :  uerbera  ego  odi. 

M.  Lindsay  croyait  à  un  octonaire  trochaïque,  malgré  la 
fausseté  criante  de  la  coupe.  M.  Léo  n'a  pu  parvenir  à  scan- 
der ce  vers  qui  fait  partie  d'un  canticum,  mais  il  y  a  reconnu 
avec  raison  des  anapestes. 

On  écartera  encore,  comme  n'appartenant  pas  au  rythme 
ïambique  ou  trochaïque,  Most.  339. 

Stich.  769.  Qui  îônicus  aut  cinaedicus<t>,  qui  hoc  taie  facere  possiet. 


I 


434  G.  RAMAIN 

M.  Lindsay  scande /onzcws  sans  autre  garantie  que  l'opi- 
nion de  M.  R.  Klotz.  lônicus  doit  garder  dans  ce  vers,  d'ail- 
leurs étrangement  corrompu  \  sa  prosodie  ordinaire. 

Asin.  534.  —  Hic  dies  summust  apud  me  inôpiae  excusatio. 

Ce  vers  est  évidemment  mutilé.  On  a  proposé  d'insérer 
quo  est  après  summust.  Même  avec  ce  complément,  on  ne 
peut  scander  inôpiae  qu'en  laissant  un  hiatus  devant  excu- 
satio :  mais  ne  peut-on  pas  tout  aussi  bien  le  supposer  et 
l'admettre  après  me  ? 

Pseud.  704.  Quaero  quoi  ter  trina  tripUcia,  tribus  modis  tria  gaudia. 

Triplicia  coïncide  avec  un  dactyle  irrationnel.  Il  est  pro- 
bable que  triplicia  formait  exceptionnellement  un  procé- 
leusmatique,  à  cause  de  la  coupe  et  de  la  ponctuation  (cf. 
Léo,  apparat),  et  peut-être  à  cause  de  l'intention  comique. 

Enfin,  Most.  486,  abiimus  doit  se  lire  abïmus. 

D'autre  part,  il  y  a  des  vers  où  tout  au  moins  la  place  de 
facilius  n'est  point  assurée. 

Truc.  810.  Magis  pol  haec  malitia  pertinet  ad  uiros  quam  ad  mulieres. 

Ce  septénaire  n'est  tolérable  en  aucune  façon,  parce  qu'il 

1.  Laissant  de  côté  la  difficulté  de  scansion,  pourquoi  Ioniens  au  lieu 
de  Ion,  et  cinaedicus  au  lieu  de  cinaedus  ?  Faut-il  suppléer  homo  ?  mais 
ce  n'est  guère  l'usage  de  Plaute  de  le  supprimer.  Au  reste,  si  on  dit 
cantio  cinaedica,  «  un  air  à  danser  »  (Stich.  760),  Plaute  n'a  pu  dire  et 
n'a  jamais  dit  homo  cinaedicus  pour  cinaedus  (cf.  Poen.  1318-1319,  Stich. 
77-2,  et  surtout  Mil.  668,  Tarn  ad  saltandum  non  cinaedus  malacus 
aeque  est  atque  ego).  D'autre  part  Ioniens  =  Ioniens  homo  serait  évidem- 
ment donné  comme  le  type  du  danseur  :  dans  ce  cas  que  signifie  la 
correction  aut  cinaedicus,  ou  quel  intérêt  peut-elle  avoir  ?  Notre  vers  n'a 
qu'un  sens,  qui  éclate  pour  ainsi  dire  :  «  Quel  danseur  ionien  est  capable 
d'en  faire  autant  ?  »,  ce  que  Plaute  a  dû  exprimer  ainsi  :  «  Qui  Ioniens 
cinaedus  est  qui  hoc  taie,  etc.  »  Mais  un  copiste  a  lu  et  écrit  cinaedicus, 
sous  l'influence  de  Ioniens.  C'est  une  faute  psychologique  bien  connue. 
Comme  les  deux  adjectifs  rapprochés  n'offraient  aucun  sens  clair,  un  révi- 
seur a  cru  bien  faire  en  insérant  entre  eux  un  aut,  sans  se  douter  que  le 
vers  en  deviendrait  faux. 


SCANSION  DE  FACILIUS  43S 

n'a  de  coupe  ni  après  le  quatrième  pied  ni  après  le  cin- 
quième, et  que  le  cinquième  temps  marqué  y  tombe  sur 
une  finale.  Sans  doute  quelque  accident  y  est  venu  déranger 
l'ordre  des  mots.  Brix  lisait  :  magis  pol  pertinet  haec  màli- 
tia,  etc.,  ce  qui  semble  lever  toute  les  difficultés.  Cependant 
je  ne  chercherai  pas  à  expulser  nialitia,  et  je  préfère  l'ordre 
suivant  qui  me  paraît  meilleur,  et  qui  n'est  pas  plus  diffi- 
cultueux  :  magis  pol  haec  ad  uiros  malitia  pertinet^  etc. 

Gapt.  240.  Audio.  —  Et  propterea  saepius  te  uti  (ut  mss.)  memineris 

[moneo. 

Ce  vers  non  plus  n'a  pas  de  coupe.  Pour  lui  en  trouver 
une,  on  est  obligé  de  le  transformer  en  septénaire.  Les  uns 
proposent  de  rappeler  moneo  devant  saepius  :  cette  correc- 
tion a  l'inconvénient  de  détruire  une  allitération,  mais 
comme  elle  offre  un  ordre  des  mots  naturel,  qui  est  ici  tout 
à  fait  de  mise,  et  que  de  plus  elle  écarte  en  même  temps 
memineris,  elle  n'est  pas  invraisemblable.  Les  autres  veulent 
rejeter  saepius  à  la  fin  du  vers:  en  ce  cas  le  vers  aurait  une 
coupe  au  trochée  cinquième,  ce  qui  est  parfaitement  régu- 
lier, et  par  ainsi  memineris  se  trouverait  à  la  coupe. 


Most.  43.  Si  tu  oies,  neque  sripérior  quam  erus  accumbere. 


■ 

^^H    Les    éditeurs   sont  à  peu   près    unanimes   à    condamner 

^Kbuam  erus  qui  n'est  donné  que  par  B,  et  qu'il  est  bien  dif- 

^Bficile  de  défendre.  S'appuyant  sur  le  contexte  (v.  42,  non 

^     omnes  possunt  olere  unguenta  exoticà)^  M.  Léo  corrige  su- 

perior  quam  erus  en  superiores.   Cette    correction   est  peu 

vraisemblable,  puisqu'elle  donne  un  vers  sans   coupe.  Il  est 

possible  que  super ior  soit  authentique,    il  est  très    possible 

iiussi  qu'il  soit  le  produit  d'une  corruption  \ 
1.  Peut-être  superior  vient-il  de  super  erum,  t(  à  la  place  d'honneur  ». 
Dans  ce  cas,  il  faudrait  lire  :  neque  super  erum  <,uti  tu^  accumbere. 


436 


G.  RAMAIN 


Il  y  a  lieu  de  conserver  misérias  dans  Gist.  o89-o90,  bien 
que  le  second  hémistiche  soit  inintelligible,  et  Cure.  461, 
malgré  l'incertitude  de  la  fin  du  vers. 

Les  61  cas  de  facilius  relevés  dans  Plante  par  M.  Lind- 
say,  et  reconnus  garantis  par  les  manuscrits,  se  réduisent 
donc  à  54,  parmi  lesquels  3  sont  douteux,  mais  non  pas 
éliminables  à  priori.  En  y  ajoutant  deux  exemples  omis, 
Asin.  724  et  Poen.  1203,  cela  fait  56. 

En  ce  qui  concerne  les  citations  de  Térence,  au  nombre 
de  22,  on  laissera  de  côté  Eun.  539,  où  coiimus  peut  se  ré- 
duire à  colmus. 

Je  vais  maintenant  transcrire  tous  ces  exemples  d'après  la 
place  que  facilius  occupe  dans  le  vers,  et  en  groupant  les 
vers  de  même  espèce. 

Sênaires  : 

Asin.  751.  Diàbolus  Glauci  filius  Clearetae 

Cure.  461*.  Sequimini.  —  Leno,  caue  in  te  sit  mora  (morari  VE) 

[mihi 
Merc.  700.  Misérior  mulier  me  nec  fiet  nec  fuit 

Andr.  71 .  Inôpia  et  cognatorum  neglegentia 

Hec.  433.  Mycônium,  qui  mecum  una  uectust,  conueni 


Aul.  344.  Ibi  si  perierit  quippiam,  quod  te  scio 

Bacch.  3:28.  Facito  ut  memineris  ferre,  —  Quid  opust  anulo 

Capt.  190.  Multis  holéribus.  —  Curato  aegrotos  domi 

Cist,  589-90*.  Ad  meas  misérias  f  alias  faciem  consciam 

Epid.  490.  Nam  pro  fidicma  haec  cerua  supposita  est  tibi 

493.  Euge,  euge,  Epidice,  frugi  es,  pugnauisti,  liomo  es 

Mil.  49.  Edepol,  memôria  es  optuma.  —  Offae  monent 

Most.  544.  Nihil  est  misérius  quam  animus  hominis  conscius 

Pers.  730.  Tune  quando  abiero.  —  Quin  taces?  seio  quid  uelis 

Poen.  976.  Numnam  in  balîneis  circumductust  pallio  ? 

Pseud.  2.  Ere,  quae  misériae  te  tara  misère  macèrent 

21.  Quae  me  miser ia  et  cura  contabefacit 


SCANSION  DE  FACILIUS  437 

Ilud.  503.  Quidue  hinc  abîtio  quidue  in  nauem  inscensio 

544.  Totam  Siciliam  deuoraturum  insulam 

ndr.  15.  Id  isti  uitûperant  factum  atque  in  eo  disputant 

um.  671.  Quid  hue  tibi  reditiost  ?  quid  uestis  mutatiost? 

Heaut.  22.  Tum  quod  maléuolus  uetus  poeta  dictitat 

391.  Patris   et  facilitas  (facultas    ACP)    praua.  —  Fratris 

[me  quidem 


t 


Ad.  37.  Aut  uspiam  ceciderit  aut  praefregerit 

Most.  43*.  Si  tu  oies,  neque  supérior  quam  erus  accumbere 

Heaut.  367.  Vt  illius  animum  cupidum  inôpia  incenderet 

Phorm.  69,  Gui  tanta  erat  res  et  supérerat  ^  —  Desinas 

605.  Si  ab  eo  nil  fiet,  tum  hune  adôriar  hospitem 

Septénaires  troghaïques  : 

Epid.  552.  Tuae  memôriae  interpretari  me  aequom  censés.  —  Com- 

[mode 
Mère.  662.  Si  ille  abierit,  mea  faetum  omnes  dieent  esse  ignauia. 

Poen.  883.  Eo  facilius  faeere  poterit.  —  At  ego  hoc  metuo,  Mil- 

[phio 
Truc.  806.  Vt  facilius  alia  quam  alia  eundem  puerum  unum  parit 

Capt.  1022*.  Nunc  demum  in  memôriam  redeo,  cura  meeum  recogito 

Cas.  965.  Redi  sis  in  cubiculum.  Periisti  hercle.  Age,  accède  hue 

[modo. 
Poen.  1203.  Multa  sunt  mulierum  uitia,  sed  hoc  e  multis  maxumum 

[est 

Asin.  520.  Vbi  quiesco,  omnis  familiae  causa  constitit  tibi 

Aul.  596.  Qui  laborent  minus,  facilius  ut  nent  et  moueant  manus 

Capt.  586.  Filium  tuom  quod  redimere  se  ait,  id  ne  utiquam  mihi 

[placet 
1002.  Nam  ubi  illo  adueni,   quasi  patriciis  pueris  aut  mone- 

[rulae 

1023.  Nunc  edepol  demum  in  memôriam  regredior  audisse  me 

Cure.  619.  Quam    ego    pecuniam    quadrûplicem    abs    te<d>    et 

[lenone  auferam 


438  G.  RAMAIN 

Merc.  415.  Vt  raatrcm  addecct  familias,  aut  Syram  aut  Aegyptiam 

657.  Adeo  dum  illius  te  cupiditas  atque  amor  missum  facit 

Mil.  747.  Et  tibi  sunt  gemini  et  trigémini,  si  tu  bene  habes,  filii 

Pseud.  281.  Nimio  id  quod  pudet  facilius  fertur  quam  illud  quod 

[piget 
705^.  Fraude  partas  per  malitiam  et  per  dolum  et  fallaciam 

Rud.  1217.  Quod  promisisti  ut  memineris,  hodie  ut  liber  sim.  — 

[Licet 
Andr.  978.  Sequere  hac  me  ;  intus  apud  Glycérium  nunc  est.  Tu, 

[Daue,  abi  domum 
Heaut.  648.  Maie  docet  te  mea  facilitas  multa.  Sed  istuc  quicquid 

[est 
Hec.  361.  Nequeo  mearum  rerum  initium  ullum  inuenire  idoneum 

Ad.  867.  Duxi  uxorem  :  quam  ibi  misériam  uidi  !  nati  tilii 

Truc.  810*.  Magis  pol  haec  ad  uiros  malltia  pertinet  quam  ad  mulie- 

[res. 

Amph.  269.  Atque  hune  telo  suo  sibi,  malitia  a  foribus  pellere 

Cure.  559.  Ne  tarpezita  exulatum  abierit,  argentum  ut  petam 

Rud.  422.  Subuolturium,  illud  quidem  subdquilum  uolui  dicere 

Stich.  570.  Graphicum  mortalem  Antiphonem,  ut  apôlogum  fecit 

[quam  fabre 
Capt.  240*.  Audio.  —  Et  propterea  te  ut  memineris  moneo  saepius. 

Cure.  309.  Quid  tibi  est  ?  —  Tenebrae  oboriuntur,   genua  inédia 

[succidunt 
Most.  1170.  Aliud  quiduis  impetrari  a  me  facilius  perferam 

Poen.  300.  Inuidia  in  me  numquam  innata  est  ncque  malitia,  mea 

[soror 
Pseud.  1209-10.  Harpax  ego  uocor,  ego  seruos  sum  Macédonis  militis. 

OCTONAIRES  A  COUPE  TROCHAÏQUE. 

Heaut.  263.  Nemo  est  misérior  me.  —   Hic  de   nostris  uerbis  errât 

[uidelicet 
Eun.  315.  Si  quae  est  habitior  paulo,  pugilem  esse  aiunt,  dedu- 

[cunt  cibum 

Pers.  259.  Nâm  erus  meus  me  Erétriam  misit,  domitos  boues  ut 

[sibi  mercarer 


SCANSION  DE  FACILIUS  439 

Phorm.  816.         Quid  istùc  negoti  est?  —  lamne  opéniit  ostium.  —  lam. 

[ —  0  luppiter 
Hec.  570.  Hoc  mihi  ùnum  ex  plurumis  misériis  relicuom  fuerat 

[malum 

Capt.  913.  Arripuit  gladium,  praetruncauit  tribus  tegôribus  glandia 

Andr.  "210.  Si  illùm  relinquo,  ejus  uitae  timeo  ;  sin  opitulor,  huius 

[minas 

Septénaires  ïambiques  et  ogtonaires  a  coupe  ïambtque. 

Cist.  713.  Facilius  posset  noscere  qiiae   erae  [meae]  supposita  est 

[parua 

Amph.  4060.        Nec  me  misérior  femina  est  nec  ulla  iiideatur  magis 
Andr.  203.  Vbiuis  facilius  passus  sim  quam  in  hac  re  me  deludier 

Narrationis  incipit  mi  initium.  —  Quid  me  fiet 

Nam  si  haec  non  nubat,  lugubri  famé  familia  pereat 
Quid  tu  ais?  —  Dominus  me  bouis  mercatum  Erétriam 

[misit 
Nimia  omnia  nimium  exhibent  negoti  hominibus  ex  se 

Quid  ego  aliud  exoptem  amplius  nisi  illud  quoius  inépia 

[est 

Tétrapodie  ïambique. 
Epid.  27».  Epidice,  abest.  —  Quidnam  ?  —  Scies 


Ce  tableau  nous  fait  voir  que  facilius  ne  figure  pas  sous 
l'avant-dernier  temps  marqué,  sauf  dans  le  septénaire  ïam- 
bique, et  que  sur  68  vers  munis  d'une  coupe  trochaïque,  il 
y  en  a  36  au  moins,  37  au  plus,  où  il  se  présente  au 
deuxième  pied  dans  les  sénaires,  au  quatrième  dans  les  sep- 


Andr 

.  709. 

Cist. 

43. 

Pers. 

322. 

Poen, 

.239. 

Asin. 

724. 

440  G.  RAM  AIN 

ténaires  et  les  ocionaires,  c'est-à-dire  à  la  coupe  usuelle. 
D'autre  part  un  sénaire  peut-avoir  sa  coupe  après  le  septième 
demi-pied,  et  un  septénaire  après  le  cinquième  pied  :  c'est 
le  cas  pour  Ad.  37,  Most.  43*,  et  pour  Amph.  269,  Cure. 
559  S  Rud.  422  et  Capt.  240*.  Facilim  s'offre  aussi  à  cette 
dernière  place.  Il  est  donc  au  total  employé  à  la  coupe  au 
moins  40  fois,  au  plus  43.  Raisonnablement  on  ne  peut  sou- 
tenir que  cette  fréquence  de  facilius  à  la  coupe  est  fortuite, 
mais  au  contraire  il  est  bien  évident  que  la  coupe  favorise 
l'emploi  de /ad fes.  Pourquoi?  C'est  cette  question  qu'il 
convient  de  résoudre  en  premier  lieu  dans  l'examen  du 
problème. 

Je  prends  le  cas  d'un  polysyllabe  de  trois  demi-pieds, 
dont  le  premier  est  appelé  à  former  le  demi-pied  faible  d'un 
pied  indifféremment  pur  ou  condensé.  Avec  des  mots  du 
type  negoti  ou  consilio,  la  scansion  n'offre  aucune  difficulté  ; 
elle  est  en  effet  infaillible,  le  pied  pur  ou  le  pied  condensé 
se  trouvant  imposé  à  l'acteur.  Il  en  est  de  même  avec  un 
moi  tel  que  criiciattis:  l'acteur  se  représentait  instantané- 
ment les  trois  premières  syllabes,  à  cause  du  contraste  et  de 
l'équivalence  des  deux  brèves  et  de  la  longue,  et  il  voyait 
qu'en  prenant  les  deux  brèves  pour  le  demi-pied  faible,  le 
pied  suivant  se  trouvait  assuré.  Mais  il  en  va  tout  autrement 
avec  facilius.  Ici  la  série  des  brèves  successives  est  pour 
l'acteur  un  ensemble  confus  et  un  sujet  d'hésitation.  Il  ne 
peut  prendre  les  deux  premières  brèves  pour  faire  un  pied 
condensé  :  ce  serait  manquer  le  pied  suivant,  perdre  le 
rythme  et  s'embrouiller.  Il  est  donc  tenu  de  ne  prendre  que 


1.  Il  n'y  a  pas  à  tenir  compte  de  l'élision,  et  exulat(iim)  équivaut  à 
un  trissyllabe  portant  le  temps  marqué  sur  la  finale.  La  coupe  au  trochée 
cinquième  est  attestée,  parce  que,  dans  ces  conditions,  le  troisième  pied 
est  pur,  et  que  les  trois  demi-pieds  qui  suivent  le  quatrième  demi-pied 
fort  sont  constitués  par  un  seul  mot. 


SCANSION  DE  FACILIUS  441 

la  première  brève,  de  manière  à  former  le  pied  suivant  avec 
le  reste  du  mot.  Rien  de  plus  simple  en  théorie,  mais  en 
pratique  rien  de  plus  incommode.  Car  il  n'y  a  rien  dans  le 
mot  qui  isole  la  première  brève  et  qui  contraigne  l'acteur  à 
la  prendre  pour  demi-pied,  comme  c'est  le  cas  avec  un 
mot  tel  que  negoti,  et,  d'autre  part,  il  lui  est  très  difficile 
de  surmonter  la  tentation  de  former  le  demi-pied  avec  les 
deux  brèves  initiales,  à  cause  de  la  fréquence  des  types 
crucior,  cruciatus,  et  de  la  rareté  relative  du  type  faci- 
iius;  il  y  a  là  une  habitude  à  vaincre.  Pour  se  représenter 
nettement  la  scansion  ^i  ^^^,  il  a  besoin  d'un  temps  de 
réflexion  ;  or,  dans  un  membre  de  vers  que  ne  coupe  au- 
cune ponctuation,  ce  temps  lui  est  refusé  :  entraîné  par  le 
débit,  il  suit  la  pente  familière  qui  le  conduit  à  prendre  les 
deux  brèves,  ou,  si  à  ce  moment  il  s'aperçoit  du  danger,  il 
hésite  devant  l'obstacle.  C'est  pourquoi  il  est  nécessaire 
qu'une  circonstance  extérieure  au  mot  ou  bien  engage  natu- 
rellement l'acteur  dans  la  scansion  facilius,  ou  bien  lui  per- 
mette de  la  prévoir  et  de  s'y  préparer.  Le  premier  cas  se 
produit  quand  le  demi-pied  fort  qui  précède  facilins  est 
composé  de  deux  brèves,  parce  qu'alors  l'acteur  se  trouve 
guidé  sur  la  scansion  facilius  par  la  nécessité  d'éviter  une 
sécution  irrationnelle,  ^^^^,  qui  ne  s'impose  pas.  Notre  ta- 
bleau nous  offre  un  certain  nombre  d'exemples  où  facilius 
ne  se  justifie  que  par  la  présence  d'un  demi-pied  fort  de 
cette  espèce,  par  exemple,  au  deuxième  pied  du  septénaire 
trochaïque,Epid.  oo2,  Poen.  883,  au  troisième  de  l'octonaire 
trochaïque,  Pers.  2o9  (nàm  erus  méûs  me  Erétriam,  etc.). 
Le  second  cas  se  présente  spécialement  lorsque  facilius  est 
suivi  de  la  coupe,  parce  qu'à  ce  moment  l'acteur  cherche  à 
terminer  le  premier  hémistiche  avec  le  mot,  et  qu'ainsi  il 
est  obligé  de  porter  son  attention  sur  sa  configuration  proso- 
dique :  il  lui  est  donc  relativement  aisé  de  choisir  la  scansion 


442  G.  RAMAIN 

facilius.  Il  arrive  aussi  qu'une  pause  dans  le  débit  ait  lieu  à 
l'intérieur  d'un  hémistiche,  où  elle  s'indique  par  une  ponc- 
tuation. On  conçoit  qu'alors  la  ponctuation  rende  à  l'acteur 
le  même  service  que  la  coupe.  Et  en  effet,  il  y  a  dans  notre 
liste  des  exemples  où  l'emploi  de  facilius  ne  s'explique  que 
par  la  présence  d'une  ponctuation,  par  exemple,  au  deuxième 
pied  du  septénaire  trochaïque,  Merc.  662,  au  troisième. 
Cas  96o  ;  au  deuxième  pied  de  l'octonaire  ïambique  à 
coupe  trochaïque,  Ileaut.  263. 

Enfin  c'est  pour  une  raison  de  même  ordre  que  facïlius  a 
sa  place  au  premier  pied  des  vers  ïambiques,  et  au  premier 
pied  d'un  second  membre  ïambique  asynartète  (par  exemple 
Andr.  709)  ;  car,  au  début  d'un  vers,  l'acteur  tâte  le  rythme 
pour  ainsi  dire  avant  de  s'y  engager  délibérément,  et  c'est 
consciemment  qu'il  fait  tomber  le  temps  marqué  sur  la  se- 
conde brève  de  facilius. 

Il  est  une  autre  place  du  vers  qui  visiblement  convient  à 
facilius,  puisqu'on  l'y  trouve  neuf  fois  ;  c'est  le  pied  antépé- 
nultième dans  le  sénaire,  le  septénaire  trochaïque  et  l'octo- 
naire ïambique.  Or  ce  pied,  chez  Plante  et  chez  Térence, 
est  l'objet  d'un  traitement  spécial.  On  y  rencontre  la  très 
grande  majorité  des  archaïsmes  intérieurs,  comme  siet,  per- 
duis,  etc.,  et  presque  toutes  les  syllabes  indifférentes,  par 
exemple,  fingeré,Asm.  250,  fiiid,  Cist.  606,  etc\  J'ai  mon- 
tré en  outre  qu'à  cette  place  la  brève  abrégeante  exerce  ra- 
rement son  action.  Les  mots  ïambiques,  ou  susceptibles 
d'être  ïambiques  en  position,  laissent  retomber  leur  finale 
sous  le  temps  marqué  :  c'est  là  que  l'on  constate  les  exemples 

4.  Cf.  Revue  de  philologie,  1903,  p.  203,  et  1906,  p.  31.  De  son  côté, 
M.  H.  Jacobsohn  venait  de  faire  la  même  constatation  (Quaestiones  Plau- 
tinae  metricae  et  grammaticae,  Goettingue,  1904).  Je  n'ai  connaissance 
de  ce  travail  que  par  la  mention  qu'en  ont  faite  M.  Lindsay  dans  les 
Jahresberichte  de  Mueller,  1907,  et  M.  P.  Friedlânder  dans  son  article 
zum  Plautin.  Hiat  {Rhein.  Muséum,  1907). 


m 


SCANSION  DE  FACILIUS  443 

les  plus  nombreux  et  les  plus  assurés  de  mihi,  mï(hi), 
intérieurs  ;  c'est  là  que  M.  Léo  reconnaîtrait  les  satis  et  les 
nim  dont  il  n'a  pu  se  débarrasser  sans  difficultés,  Eun. 
577,  Heaut.  197,  Capt.  608,  Most.  o51,  Phorm.  5o5  (Plaid. 
Forsch.,  p.  269  et  304).  Les  exceptions  sont  relativement 
peu  nombreuses,  étant  donné  la  masse  considérable  des  sé- 
naires  et  septénaires  trochaïques  chez  Plante  et  Térence,  et 
pour  une  bonne  moitié,  elles  se  rencontrent  dans  des  vers 
où  le  texte  n'est  pas  assuré,  où  le  sens  et  surtout  la  métrique 
sont  en  défaut,  si  bien  qu'on  est  en  droit  de  les  suspecter 
toutes,  sous  certaines  réserves  de  prosodie,  bien  entendu. 
Comme  d'autre  part  on  ne  peut  employer  à  cette  place  un 
mot  du  type  meminï  qu'à  la  condition  que  les  quatre  demi- 
pieds  restants  soient  constitués  par  un  seul  mot,  toutes  ces 
habitudes  de  scansion  propres  à  notre  pied  font  que  l'acteur 
n'a  de  sécurité,  quand  il  veut  former  le  demi-pied  faible 
avec  deux  brèves,  que  si  ces  brèves  font  partie  d'un  mot 
pyrrhique,  d'un  trissyllabe  à  finale  élidée,  ou  de  polysyl- 
labes comme  alienus,  alienatus.  On  comprend  donc  qu'ainsi 
averti,  il  lui  soit  possible  de  préparer  la  scansion  fàcilius. 
Tout  au  contraire,  dans  le  pied  suivant,  l'abrègement  est 
l'habitude  :  boni  et  uolûptas  sont  obligatoires  et  memini 
recherché.  Il  est  donc  au  plus  haut  point  dangereux  d'ame- 
ner à  cette  place  faciliiis,  malgré  l'aide  du  monosyllabe  qui 
terminerait  le  vers  :  l'acteur  aurait  trop  de  peine  à  ne  pas 
scander  fàcilius  sit  sur  le  modèle  de  alienus  sit.  C'est  pour 
cette  raison  sans  doute  ({wq  fàcilius  ne  se  trouve  pas  au  der- 
nier pied. 

C'est  par  des  considérations  analogues  qu'il  faut,  je  pense, 
expliquer  la  présence  de  fàcilius  au  deuxième  pied  de  l'oc- 
tonaire  ïambique  à  coupe  ïambique  (Àmph.  1060,  Andr. 
203),  et  au  deuxième  pied  dans  le  second  membre  du  sep- 
ténaire ïamLique  (Cist.  45,  Pers.  322,   Poen.  239).  En  effet 


444  H.  RAMAIN 

dans  les  octonaires  de  l'espèce  susdite,  les  deux  hémistiches 
ont  la  même  structure,  et  le  deuxième  pied  est  traité  tout  à 
fait  comme  le  pied  antépénultième.  D'autre  part,  dans  le 
second  membre  du  septénaire  ïambique,  le  second  pied  est 
toujours  pur  quand  le  temps  marqué  tombe  sur  une  finale^ 
et  les  abrègements  y  sont  rares  et  suspects  ^ 

Enfin  l'emploi  de  faciliiis  comme  dernier  mot  du  septé- 
naire ïambique  (Asin.  724)  n'a  pas  besoin  de  commentaire. 

Restent  cinq  exemples  auxquels  les  raisonnements  ci-des- 
sus ne  peuvent  s'appliquer.  Il  en  est  un,  Capt.  1022,  qu'on 
peut  écarter  tout  de  suite.  Tout  le  monde  en  effet  s'accorde 
à  regarder  ce  vers  comme  un  remaniement  du  vers  1023,  et 
il  est  intéressant  de  constater  que  dans  ce  dernier  memôriam 
est  à  la  coupe.  L'exemple  suivant  ne  peut  être  maintenu  tel 
quel  : 

Stich.  570.  Graphicum  mortalem  Antiphonem  1  ut  apôlogum  fecit  quam 

[fabre  I 

La  forme  des  deux  demi-pieds  constitués  par  ut  apôlogum 
est  unique  dans  le  texte  de  Plaute^  On  s'en  est  bien  rendu 
compte,  mais,  en  fait  de  correction,  on  n'a  encore  proposé 
que  la  suppression  de  quant,  correction  qui  ne  serait  pas 
heureuse,  parce  que  le  tour  est  excellent  et  parfaitement 
employé.  Il  semble  qu'il  y  a  lieu  de  lire  :  apôlogum  ut  fecit 
quam  fabre.  L'ordre  des  mots  est  ainsi  plus  expressif.  Apô- 
logum   se  trouve  alors  à  la    coupe  au  trochée   cinquième. 


i.  Il  n'y  a  que  trois  exceptions  :  Asin.  416,  contempsisti,  dernier  mot 
d'une  réplique  ;  Rud.  4336,  cleiera  te  mi  argentum  daturum,  et  Cas. 
823,  uhi  tantillum  (tantulum  P)  peccassis,  dans  un  septénaire  isolé  au 
milieu  d'un  canticum  de  mètres  très  variés. 

2.  On  y  relève  même  un  exemple  de  magis,  Asin.  573. 

3.  Il  ne  faut  pas  confondre  ce  cas  avec  celui  de  meum  ôffîcium,  Ad. 
593,  tuom  ôfficium,  id.  980,  où  l'abrègement,  déterminé  par  la  nécessité 
d'éviter  une  coupe  fausse,  impose  la  scansion  de  ôfficium. 


SCANSION  DE  FACILIUS  445 

comme  clans  Cure.  559.  Quant  à  la  faute,  elle  s'expliquerait 
par  la  chute  de  ut  et  par  une  restitution  fondée  sur  l'ordre 
des  mots  le  plus  commun.  Si  nous  passons  aux  autres  cas, 
on  voit  que  dans  Truc.  806:  ut  faciliiis,  etc.,  il  suffit  de 
lire  iiti  au  lieu  de  ut^  pour  justifier  facïlius.  En  ce  qui  con- 
cerne Poen.  1203  :  multa  sunt  mulierum,  l'allitération 
mûlta  mûlienim  paraît  s'imposer;  aussi  M.  Léo  n'a-t-il  pas 
crainte  de  faire  passer  dans  son  texte  cette  ancienne  correc- 
tion. Il  n'y  a  que  Eun.  315  :  si  quae  est habitior paido,  etc., 
qui  reste  inexpliqué. 

M.  Lindsay  a  réservé  les  cas  où  les  mots  du  type  facïlius 
sont  des  composés  avec  les  préfixes  re-y  pro-,  par  exemple, 
recipio,  propitius,  à  cause  d'une  prosodie  possible  rêcipio, 
prôpituis.  Quand  on  examine  ses  listes,  on  voit  que  tous 
les  exemples  cités  rentrent  dans  les  cadres  que  nous  avons 
indiqués  :  premier  pied  du  vers,  ou  du  second  membre  du 
septénaire  ïambique  et  de  l'octonaire  ïambique  asynartète, 
Gist.  451,  Rud.  696,  Andr.  733,  Eun.  898,  996,  Phorm.  2, 
Hec.  47,  Poen.  454  ;  —  coupe,  Amph.  684,  Asin.  897* 
«re>wema5),  Aul.  710,  Bacch.  843,  Gapt.  539,  655*, 
Cure.  321,  Merc.  547*,  Poen.  1054,  Stich.  496,  Andr.  730, 
Amph.  1065,  Cure.  557,  et  au  trochée  cinquième,  Asin. 
233;  —  pied  antépénultième,  Cist.  506,  Men.  142,  Stich. 
685*,  Heaut.  228  ;  —  fin  du  septénaire  ïambique,  Aul.  804  ; 
—  après  un  demi-pied  fort  de  deux  brèves,  Capt.  625, 
Bacch.  452  ;  —  devant  une  ponctuation.  Ad.  985  (cf.  Caec. 
fragm.  91),  et  peut-être  Ad.  592.  Je  n'ai  pas  relevé  Amph. 
645,  et  pour  cause;  d'autre  part  Mil.  229  n'est  pas  garanti, 
les  mss.  ayant  au  premier  pied  tude  et  non  tu.  Les  excep- 
tions se  réduisent  ainsi  à  une  seule,  Merc.  956,  où  propi- 
tiam  est  au  premier  pied  d'un  septénaire  trochaïque  :  tam 
propitiam.  reddam,  etc.  Si  l'on  se  reporte  au  contexte,  on  ne 


446  G.  RAMAIN 

etc.  Il  en  résulte  que  chez  Plaute  et  Térence,  re-  et  pro-  de- 
vaient être  brefs. 

En  ce  qui  concerne  les  fragments  des  dramatiques,  on 
fera  les  mêmes  constatations.  Facilius  est  au  premier  pied, 
Caec.  228,  2o6,  Pac.  223,  Ace.  543  ;  à  la  coupe,  Pac.  4 
(hephtém.),  138,  Ace.  99,  Lab.  30,  Publ.  Syr.  (cité  par 
Pétr.  55);  au  pied  antépénultième.  Enn.  129  ;  devant  une 
ponctuation,  Caec.  91,  Naeu.  tr.  16,  Pac.  53.  Dans  Turp. 
110,  le  premier  pied  n'est  pas  assuré  ;  68,  on  peut  lire  uti: 
ut.  Enn.  24,  on  pouvait  peut-être  encore  scander  réfugiât. 

On  doit  rapprocher  de  facilius  les  mots  de  plus  de  quatre 
syllabes  à  trois  brèves  initiales,  par  exemple  facUitate.  Ces 
mots,  ainsi  scandés,  sont  naturellement  très  rares  ;  mais 
quand  on  les  rencontre,  on  voit  qu'ils  sont  employés  avec 
les  mêmes  précautions  que  facilius.  Ainsi,  au  pied  antépé- 
nultième. Most.  39,  oôôluisti;  de  manière  à  se  terminer  à  la 
coupe,  Pseud.  93,  ahàlienatur,  Trin.  513,  abdlienare  ;  au 
pied  antépénultième  et  terminant  le  vers.  Cure.  174,  abd" 
lienauerit,  Trin.  556,  abdlienarier  ;  au  pied  antépénultième 
et  après  un  demi-pied  fort  de  deux  brèves,  très  probable- 
ment Andr.  232,  facilitatem  ;  pour  terminer  le  premier 
membre  d'un  septénaire  ïambique,  Asin.  693,  aniticulam  ; 
devant  une  ponctuation,  Gapt.  911,  caldmitasque\ 

* 
*  * 

Ainsi  donc  l'emploi  de  facilius  serait  uniquement  réglé  par 
les  conditions  pratiques  de  la  versification  dramatique.  Faci- 
lius n'est  d'un  usage  commode  que  s'il  porte  sur  l'initiale  le 
temps  marqué.  Mais  quand  sa  première  syllabe  doit  former 

1.  A  cause  de  l'élision,  caMmitasgwe  est  ici  le  parfait  équivalent  de 
facilius.  M.  Lindsay  aurait  dû  le  comprendre  dans  sa  liste  :  il  est  vrai  que 
sa  théorie  l'en  eût  empêché.  —  Le  cas  de  lusciniolae  n'a  rien  avoir  avec 


tf 


SCANSION  DE  FACILIUS  447 

un  demi-pied  faible,  il  devient  au  contraire  d'un  emploi  très 
gênant,  parce  que  la  très  grande  majorité  des  polysyllabes 
deux  brèves  initiales  est  du  type  ^^-  -,  et  non  du  type 
^-  •  -,  et  qu'ainsi  l'acteur  a  l'habitude,  s'il  rencontre  un 
ot  commençant  par  deux  brèves,  de  prendre  ces  deux 
brèves  pour  en  faire  un  demi-pied  faible.  D'où  la  nécessité 
e  placer  faciliiis  dans  des  conditions  telles  que  l'acteur  soit 
amené  à  réagir  contre  ses  tendances,  et  à  ne  prendre  qu'une 
brève  au  lieu  de  deux.  On  conçoit  dès  lors  que  fdciliiis  soit 
deux  fois  plus  fréquent  que  facilius.  Par  là  se  trouve  vérifié 
une  fois  de  plus  le  principe  énoncé  par  M.  Louis  Havet,  à 
savoir  que  la  versification  de  Plante  et  de  Térence  repose 
«  sur  la  nécessité  de  guider  la  voix  de  l'acteur  par  la  dispo- 
sition même  des  mots  »  {Revue  de  philologie,  1901,  p.  100, 
note  1). 


celui  de  facilius,  parce  que  le  demi-pied  fort  qui  précède  les  trois  brèves 
fait  partie  du  même  mot  que  les  trois  demi-pieds  qui  suivent.  Plaute  a 
d'autres  raisons  pour  scander  lusciniolae  de  préférence  à  lusciniolae. 
Il  scandera  d'ailleurs  adsimiliter  quand  le  besoin  s'en  fera  sentir,  Bacch. 
951  (cf.  pollucibiliter,  Most.  24),  et  Térence  terminera  très  bien  un  vers 
par  aequdnimitas,  Phorm.  34. 


Théodore  REINAGH 


LA  DATE  DU  MIME  II  D'HÉRODAS 


29 


LA   DATE    DU   MIME   II   D'HERODAS 

Par  Théodore  Reinach. 


Les  premiers  commentateurs  d'Hérodas,  sur  la  foi  d'un 
passage  ambigu  du  Mime  I"  (vers  30),  plaçaient  la  floraison 
de  ce  poète  sous  le  troisième  Ptolémée,  Evergète  ;  et  cette 
opinion  rencontre  encore  d'éminents  défenseurs,  tels  que 
M.  de  Wilamowitz.  Plus  généralement  cependant  on  incline 
aujourd'hui  à  reporter  rà/.[j.7^  de  notre  mimographe  au  règne 
précédent,  celui  de  Ptolémée  II  Philadelphe  (284-246),  et 
même  à  la  première  partie  de  ce  règne.  Cette  nouvelle 
thèse  s'appuie  surtout  sur  le  Mime  IV  où  il  est  question  des 
fils  de  Praxitèle  (dont  Pline  place  l'apogée  vers  296-3) 
comme  d'artistes  vivants,  et  du  peintre  Apelles  comme  d'un 
génie  encore  discuté,  à  peine  descendu  dans  la  tombe  :  or, 
Apelles  qui  peignit  plusieurs  portraits  de  Philippe  (mort  en 
336)  ne  doit  guère  avoir  vécu  au  delà  de  l'an  300  ou  290. 
Ces  arguments,  auxquels  on  pourrait  ajouter  celui  qu'on 
tire  de  la  mention  répétée  du  darique  (Mime  VII)  comme 
d'une  pièce  de  monnaie  encore  courante,  me  paraissent 
probants  ;  mais  ils  sont  trop  connus  pour  que  j'y  insiste.  En 
voici  un,  dans  le  même  sens,  qui,  si  je  ne  m'abuse,  n'a  pas 
encore  été  présenté. 

Dans    le  début,  assez  mutilé,   du   Mime  II    (Battaros), 


452  T.  REINAGH 

on  lit  ces  vers  (v.  16  -  17),  dont  la  restitution  est  aujourd'hui 
certaine  : 

epei  xà^'  ^^"^^  '  ^?    AxYjç  èXi^XouOa 

«  Il  (Thaïes)  vous  dira  peut-être  :  Je  suis  venu  d'Acé  avec 
une  cargaison  de  blé,  et  j'ai  fait  cesser  la  funeste  disette.  » 

Acé,  aujourd'hui  Saint-Jean-d'Acre  (Akka),  la  cité  la  plus 
méridionale  de  la  côte  phénicienne,  a  changé  plusieurs  fois 
de  nom  dans  l'antiquité.  Après  s'être  appelé  Accho  ou  Acé 
sous  la  domination  perse  et  macédonienne,  elle  prit  le  nom 
de  Ptolémaïs  sous  les  Ptolémées,  d'Antioche  èv  nxcXeiAaiBt 
sous  les  Séleucides,  de  Colonia  Claudia  Ptolemais  à  l'époque 
impériale  romaine.  A  quelle  date  exacte  s'est  accompli  le 
premier  de  ces  changements,  celui  d'Acé  en  Ptolémaïs  ?  Les 
textes  ne  nous  renseignent  pas  positivement  à  cet  égard, 
mais  il  est  possible  de  resserrer  le  problème  avec  une  assez 
grande  approximation. 

Tout  d'abord  il  ne  saurait  s'agir  ni  de  la  première  occu- 
pation ptolémaïque  de  la  Coelé-Syrie  (330  av.  J.  G.),  ni  de 
la  seconde  (312),  celle  qui  suivit  la  victoire  de  Gaza.  En  * 
effet,  peu  après  cette  bataille,  Ptolémée  P"",  devant  un  retour 
offensif  d'Antigone,  dut  évacuer  sa  conquête  et,  en  se  reti- 
rant, il  détruisit  de  fond  en  comble  (xaT£(7xa4'£),  dit  Diodore 
(XIX, 93),  plusieurs  villes,  entre  autres  Acé.  Le  changement 
a  donc  eu  lieu  pendant  la  troisième  et  principale  occupation 
ptolémaïque,  celle  qui  dura  jusqu'en  198  av.  J.  G.  L'origine 
dé  cette  occupation  est  malheureusement  inconnue.  Naguère 
avec  M.  Koepp  on  la  plaçait  en  295  ;  mais  M.  Bouché- 
Leclercq,  reprenant  la  thèse  de  Droysen,  a  donné  de  bonnes 
raisons  pour  la  faire  descendre  jusqu'aux  premières  années 
du  règne  de  Ptolémée  11  Philadelphe,  vers  280,  «  à  la 
faveur  des  troubles  déchaînés  par  la  mort  de   Séleucus  Ni- 


DATE  DU  MIME  II  D'HÉRODAS  4o3 

cator.  »  Telle  serait  la  limite  supérieure  du  changement  du 
nom  d'Acé  en  Ptolémaïs. 

La  numismatique  va-t-elle  nous  permettre  de  préciser  un 
peu  davantage  ? 

Il  existe  une  série  de  statèresd'or,  de  drachmes  et  de  tétra- 
drachmes  d'argent  aux  types  d'Alexandre  le  Grand  qui  por- 
tent en  lettres  phéniciennes  la  marque  de  l'atelier  d'Acé 
(-|y),  déjà  reconnue  par  Pellerin.  Les  plus  anciennes  émis- 
sions (L.  Mûller,  n***  1426-8)  ne  sont  pas  datées;  ensuite 
viennent  des  dates  qui  vont  de  l'an  5  à  l'an  46,  avec  une 
lacune  assez  remarquable  entre  l'an  11  et  l'an  20  ^  D'après 
quelle  ère  sont  calculées  ces  dates?  Pellerin  ^,  suivi  par 
L.  Mûller,  Waddington,  Droysen,  etc.,  les  rapportait  à  une  ère 
d'Alexandre.  Six^  dont  l'opinion  a  entraîné  Head,  Babe- 
lon,  Niese,  y  vit  au  contraire  celle  des  Séleucides  (312  av. 
J.  C).  Je  n'ai  cessé,  pour  ma  part,  de  protester  contre  cette 
dernière  thèse,  contraire  à  toutes  les  données  de  l'histoire  et 
de  la  numisnatiqne*.  Récemment  M,  Jules  Rouvier,  dans  un 
excellent  mémoire,  a  achevé  de  la  démolir  ^  et  son  opinion 
a  été  immédiatement  approuvée  par  M.  Jules  Beloch  ^ 
Ecartant  non    seulement   l'ère  des  Séleucides,  mais  encore 

Islle  de  Philippe  Arrhidée  (323),  que  j'avais  suggérée  dubi- 
tivement,  M.  Rouvier  donne  d'excellentes  raisons  pour 
4.  Il  y  a  des  doutes  sur  la  date  46  (Svoronos,  No[x,  IItoX.  I,  46);  M. 
Rouvier  (Rev.  et.  gr.,  XII,  370  ;  Rev.  num.,  4903,  248)  parle  d'une  mon- 
naie de  l'an  44.  Il  s'agit  sûrement  de  la  pièce  4449  de  Mûller  avec  la  date 
IIIIA.  Mais  le  signe  A  représente  510,  non  40. 

2.  Mélanges  de  diverses  médailles,  I,  348. 

3.  Num.  Chronicle,  II«=  série,  XVII,  484;  3«  série,  VI,  405. 

4.  Nécropole  de  Sidon,  p.  380.  L'opinion  de  Svoronos  (No|x.  IItoX.  I, 
pizX),  qui  reconnaît  une  prétendue  ère  de  la  mort  d'Alexandre  IV  (341), 
se  confond  pratiquement  avec  celle  de  Six. 

5.  Revue  des  études  grecques,  XII  (1899),  362.  Cf.  aiissi  Revue  numis- 
matique,  4903,  239  et  Revue  biblique,  juillet  4899. 

6.  Gesçhiçhte,  III,  2,  30  et  252. 


4S4  T.  REINACH 

croire  que  l'ère  d'Acé,  comme  celle  de  Tyr,  commémore  la 
délivrance  de  la  Phénicie  du  joug  perse  par  Alexandre,  évé- 
nement qui  inaugure  réellement  une  nouvelle  période  de  l'his- 
toire de  cette  région.  Mais  quel  est  le  point  de  départ  de  cette 
ère  d'Alexandre?  Est-ce  le  même  qu'à  Babylone  où  Oppert* 
a  constaté  qu'elle  part  du  1"  Nisan  330,  époque  de  l'écrou- 
lement définitif  delà  monarchieachéménide?  ou  bien,  comme 
le  préfère  M.  Rouvier,  doit-on  croire  que  les  villes  phéni- 
ciennes ont  fait  courir  l'ère  nouvelle  de  l'année  même  (332) 
où  Alexandre  conquit  la  Phénicie  ?  J'avoue  que  sur  ce  point 
je  n'ose  pas  me  prononcer.  Si  plausible  que  soit  l'opinion  de 
M.  Rouvier,  l'ère  de  330  semble  mieux  convenir  à  l'inter- 
ruption que  j'ai  signalée  dans  la  série  des  monnaies  d'Acé  ; 
cette  interruption  (ans  11-20)  correspond  alors  à  la  période 
troublée  014  la  Phénicie  fut  disputée  entre  Ptolémée  et  An- 
tigène et  qui  se  termina  par  la  destruction  (temporaire) 
d'Acé. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point,  une  chose  est  certaine  : 
c'est  qu'on  ne  saurait  plus  arguer  de  la  série  des  monnaies 
d'Acé  pour  prétendre,  comme  on  l'a  fait^  que  la  domina- 
tion ptolémaïque  s'est  établie  sur  cette  ville  au  plus  tôt  en 
266  av.  J.  C.  (312  moins  46).  En  réalité  le  terminus  post 
quem  est  286  ou  284  av.  J.  C.  suivant  qu'on  adopte  pour 
origine  de  l'ère  332  ou  330. 

Quel  est  maintenant  le  terminus  ante  quem  ?  Il  nous  est 
fourni  parles  monnaies  phéniciennes  en  argent  des  Ptolémées 
frappées  dans  l'atelier  de  Ptolémaïs  (Acé)  avec  la  marque 
IITO  ou  IIT^  en  monogramme.  Quoique  ces  pièces  portent 

4.  Alexandre  à  Babylone,  Acad.  inscr.,  10  juin  1898. 

2.  Six  et  Babelon.  Cf.  Svoronos,  loc.  cit. 

3.  Ces  pièces  ne  doivent  pas  être  confondues  avec  celles  de  Ptolémaïs 
d'Egypte  qui  portent  le  même  monogramme  mais  sont  d'une  fabrique  dif- 
férente. Six  et  M.  Rouvier  sont  tombés  dans  cette  erreur  {loc.  cit., 
p.  366,  2). 


tf 


DATE  DU  MIME  II  D'HÉRODAS  455 

l'effigie  de  Ptolémée  P""  (comme  la  plupart  des  statères  d'ar- 
gent de  la  dynastie  tout  entière)  et  même  à  partir  de  l'an 
25  (261  av.  J.  G.)  la  légende  Uxolt\Ldou  SwiYjpo;,  il  n'est 
pas  douteux  que  le  plus  ancien  groupe  ne'  date  que  de  Pto- 
lémée II.  La  plupart  de  ces  pièces  portent  des  années  régnales 
ui,  d'après  les  catalogues  du  Musée  britannique  *  et  de  Svoro- 

s,  commencent  avec  l'an  de  règne  25,  c'est-à-dire  261/0  ;  il 
faut  y  ajouter,  en  tête  de  la  série,  quelques  tétradrachmes, 
qui  n'ont  point  de  dates^,  et  qui  permettent  de  remonter 
de  quelques  années  plus  haut,  sans  doute  à  266/5  (an  20)  épo- 
que où  commencent  les  tétradrachmes  datés  de  Tyr^.  Il  ne 
faudrait  pas  en  conclure  que  Vacquisition  d'Acé-Ptolémaïs 
par  les  Lagides  date  précisément  de  266,  —  il  est  possible  qu'il 
faille  attribuer  au  même  atelier  quelques  pièces  similaires  de 
Ptolémée  avec  la  marque  A  (pour  Acé)^  —  mais  le  chan- 
gement du  nom  de  la  ville  ne  saurait  en  tout  cas  être  posté- 
rieur à  266. 

En  fin  de  compte,  le  nom  de  Ptolémaïs  a  été  substitué  à 
celui  d'Acé  entre  286  (ou  284)  et  266,  probablement  vers 
270,  lorsque  la  domination  de  Philadelphe,  menacée  d'abord 
par  Antiochus  P%  eut  été  consolidée  dans  ces  régions.  On  peut 
admettre  que,  malgré  ce  changement,  le  nom  d'Acé  continua 
à  être  employé  vulgairement  dans  le  pays  même  :  nous  l'y 
voyons  reparaître  par  intervalles  sur  les  monnaies  après  la 
chute  des  Séleucides  et  il  a  persisté  jusqu'à  nos  jours.  Mais 
un  écrivain  aussi  loyaliste  qu'Hérodas  et  dont  on  connaît  le 
magnifique  et  plaisant  panégyrique  de  l'Egypte  ptolémaïque 
dans    le  Mime   P"",  n'aurait  guère  placé  dans  la  bouche  de 


\.  R.  S.  Poole,  The  Ptolemies,  p.  33. 

2.  Ibid.,  p.  28,  nos  40-42. 

3.  La  date  xy   sur   des   pièces  de  Gaza  (Svoronos,  n»  821)  et  de  Jopé 
(ib.,  794)  résulte  d'une  erreur  du  graveur. 

4.  Ibid.,  p.  27,  nos  38.39. 


456  T.  REINACH 

son  iropvcêoaxcç,  plaidant  devant  un  tribunal  et  non  sans 
solennité,  une  dénomination  qui  eût  constitué  à  la  fois  un 
anachronisme  et  une  incorrection  politique.  On  doit  en 
conclure  que  le  Mime  II  est  antérieur  au  changement,  peut- 
être  même  très  antérieur;  il  a  été  composé  probablement 
avant  le  Mime  P''  qui  est  sûrement  plus  récent  que  l'apo- 
théose d'Arsinoé  (270)  et  l'inauguration  du  temple  des  dieux 
frères.  Déjà  d'ailleurs  Meister  a  remarqué  *  qu'il  n'y  a 
aucune  corrélation  entre  l'ordre  de  composition  des  mimiam- 
bes  et  celui  où  ils  ont  été  arrangés  dans  le  recueil. 

Ces  discussions  de  dates  peuvent  sembler  un  peu  minu- 
tieuses. Je  suis  sûr  que  l'éminent  érudit  auquel  je  dédie  ces 
pages  ne  sera  pas  de  cet  avis.  Il  sait  toute  l'importance  de 
l'exactitude  et  en  particulier  de  l'exactitude  chronologique 
en  matière  de  philologie  et  d'histoire  littéraire.  Dans  le  cas 
présent  la  chose  est  d'autant  plus  digne  d'attention  qu'il 
suffit  d'une  différence  de  quelques  années  en  plus  ou  en 
moins  pour  faire  d'Hérodas  l'imitateur  de  Théocrite,  ou  au 
contraire  son  inspirateur.  Or,  selon  que  l'on  adoptera  l'une 
ou  l'autre  solution,  l'originalité  et  le  mérite  respectif  des 
deux  poètes  apparaîtront  sous  un  jour  tout  différent.  On  voit 
assez  de  quel  côté  penche  mon  sentiment. 

1.  Die  Mimiamben,  Tp.  159. 


F.  DK  SAUSSURE 


SUR  LES  COMPOSÉS  LATINS 
DU  TYPE  AGRICOLA 


SUR  LES  COMPOSÉS  LATINS 
DU  TYPE  AGRICOLA 

Par  F.  DE  Saussure, 


Dans  leur  relation  à  la  P  déclinaison  et  aux  mots  qu'elle 
renferme,  il  ne  serait  pas  exagéré  de  dire  que  les  composés 
comme  agrncola  forment  le  fond  le  plus  clair  de  la  classe 
masculine-  en  a  du  latin.  Si  on  défalque  en  effet  de  cette 
classe  les  éléments  étrangers  ou  de  provenance  douteuse 
(noms  comme  Porsenna  ou  Agrippa,  comme  poeta  ou  afri- 
cain nepd)  ;  d'autre  part  les  mots  qui  ne  sont  du  masculin 
que  dans  le  rôle  de  cognomen  ou  de  sobriquet  {Bestia,  Fim- 
bria,  Scaevola,  Planta)^  on  arrive  vite  à  un  résidu  où  ne 
figure  plus  que  le  type  agri-cola,  joint  à  dix  ou  douze  mots 
simples  comme  verna,  lixa,  scurra. 

Ces  quelques  mots  simples,  à  leur  tour,  sont  pour  la  plu- 
part obscurs,  isolés  dans  la  langue,  peut-être  en  partie  non 
latins*.  Aussi  ne  serait-ce  pas  sans  raison  soutenable  qu'on 
pourrait  regarder  la  question  générale  des  masculins  latins  en 
a  comme  assez  peu  différente  de  celle  du  seul  type  agri-cola. 

i.  Les  deux  mots  qui,  dans  cette  série  peu  nombreuse,  pourraient  rete- 
nir l'attention  du  grammairien  sont  scn'ôa  et  navita.  Toutefois  le  premier 
a  des  chances  de  n'être  qu'une  dérivation  du  type  agri-cola  (scriba 
=  *charti-scriba  ou  mots  de  ce  genre).  Le  second,  en  apparence  impor- 
tant par  son  singulier  suffixe  -ita,  résulte  sans  doute  d'un  compromis 
entre  lat.  *naves,  -itis  et  le  nauta  venu  des  Grecs. 


460  F.  DE  SAUSSURE 

Ce  n'est  pas  le  sens,  toutefois,  qu'on  voudra  bien  donner 
à  la  présente  étude.  Que  le  type  agricola  soit  ou  non  l'unique 
modèle  primitif  de  la  classe  entière,  nous  abordons  ce  type 
pour  lui-même,  et  sans  préoccupation  de  ce  qui  l'entoure. 

M.  Brugmann  dans  son  Grundriss,  II,  104,  et  à  sa  suite 
Lindsay,  Lat.  Lang.,  317,  Sommer,  Handbuch^  351,  ont 
accrédité  une  théorie  qui  fait  à  peu  près  de  tous  les  mascu- 
lins en  a,  verna  comme  agricola,  d'anciens  féminins,  noms 
abstraits  ou  noms  d'action  :  agricola  n'aurait  désigné  l'agri- 
culteur qu'après  avoir  été,  au  début,  le  nom  de  Vagricxd- 
ture,  et  aurxga  ne  serait  le  cocher  qu'après  avoir  été  l'art  de 
conduire  les  chevaux. 

Les  changements  de  cette  espèce  sont  courants  dans  l'his- 
toire sémantique  des  langues,  et  je  ne  méconnais  pas  les  ar 
guments  favorables  que  peuvent  livrer  spécialement  les 
masculins  latins  en  a,  du  fait  qu'ils  servent  souvent  à  dési- 
gner un  individu  par  son  métier  ou  son  état.  Mais  un  fait 
matériel  semble  saper  par  la  base  toute  la  supposition.  Le 
grec  ofîre  largement  des  composés  féminins  d'action  comme 
èx-XoYTQ,  èx-^Dy-^  :  à  peine  le  type  c'.xc-SopL-^^,  où  la  préposition 
est  remplacée  par  un  nom.  Le  latin,  quant  à  lui,  ne  connaît 
ni  un  seul  exemple  du  type  Ix-Xovy^  ni  un  seul  du  type  olxo- 
So[jnQ  ;  il  n'arrive  pas  à  cette  langue,  —  et  dans  les  cas  même 
où  elle  possède  le  simple  comme  fuga  — ,  d'exprimer  par 
transfuga  une  idée  comme  celle  de  «  transfuite  »,  toujours 
rendue  au  moyen  d'une  formation  latérale  comme  transfu- 
giitm,  etc.  On  peut  se  demander,  dans  ces  conditions,  com- 
ment agricola  aurait  d'abord  si^niiîéV agriculture.  La  sup- 
position forcerait  d'imaginer  à  la  fois  que  agricola  détourné 
de  son  sens  se  transmettait  sans  difficulté,  mais  que  la  même 
formation  si  vivace  était  frappée  de  mort  dans  tous  les  repré- 
sentants qui  auraient  gardé  quelque  chose  de  son  sens  direct. 
Hasard  assurément  invraisemblable, 


COMPOSÉS  DU  TYPE  AGRICOLA  46i 

Essayons  par  une  autre  voie  de  fixer  l'origine  de  ces  com- 
posés. 


I 


La  catégorie  de  composés  qui  est  reflétée  en  latin  dans  les 
mots  comme  au-spec-s,  prae-se-(d)-Sy  prae-coc-s,  devait  don- 
ner lieu,  dans  l'indo-européen  primitif,  à  une  naturelle 
variante  toutes  les  fois  que  le  second  membre,  au  lieu  de 
reposer  sur  une  racine  comme  spek-,  était  par  hasard  em- 
prunté au  type  si  répandu  des  racines  disyllabiques  termi- 
nées par  un  o  :  ainsi  grebho  -  (saisir),  petô  -  (voler),  etc.  ^ 
Il  n'est  peut-être  pas  absolument  juste  de  parler  de  variante, 
puisque  deux  formations  comme 

*ekwo-spek'S       *ekwo-grebh6-s 

se  signalent  avant  tout  par  leur  identité.  Le  terme  s'applique 
cependant  si  l'on  considère  la  flexion.  Celle-ci  ne  pouvait 
éviter  de  prendre  un  aspect  particulier  quand,  au  lieu  de  la 
base  habituelle  (consonantique),  elle  avait  à  courir  sur  une 
voyelle  o. 

Peut-on  marquer  de  plus  près  la  forme  que  devait  revêtir 
le  paradigme  en  -6  ?  Elle  a  dû  être  principalement  détermi- 
née par  la  loi  connue  qui,  dès  la  période  primitive,  avait 
réglé  le  sort  général  de  cette  voyelle,  en  la  maintenant  de- 
vant consonne,  et  en  la  supprimant  (au  lieu  de  la  contracter) 
devant  une  autre  voyelle.  «  L'élision  de  l'o  »  — qu'on  peut 


i.  Il  n'y  a  guère  que  des  avantages  à  marquer  la  voyelle,  de  timbre 
inconnu,  qui  se  trouvait  dans  la  première  syllabe  du  mot  pour  père  au 
moyen  de  la  lettre  pleine  Ô,  plutôt  que  par  le  signe  furtif  d'un  d  renversé. 
C'est  cette  notation  par  ô  que  nous  adoptons  au  moins  pour  le  présent 
article. 


462  F.  DE  SAUSSURE 

se  permettre  un  instant,  pour  la  clarté  morphologique,  de 
représenter  par  un  signe,  alors  même  qu'il  est  peu  régulier 
de  mêler  aux  signes  phoniques  ce  qui  sert  à  rappeler  un 
événement  — ,  devait  régulièrement  engendrer  pour  -gre~ 
bho-s,  dans  son  opposition  à  -spek-s,  le  tableau  de  flexion 
suivant  : 


N. 

—  spek-s 

—  grebho-s 

V. 

—  spek 

—  grebhô 

A. 

—  spek-m 

—  grebho-m 

L. 

—  spek-i 

—  grebh'-i 

G. 

—  spek-os 

—  grebh'-os 

PI. 

N. 

—  spek-es 

.  —  grebh'-es 

PI. 

L. 

—  spek-su 

—  grebho^su 

Il  pouvait  y  avoir  des  chances,  visiblement,  pour  que  dans 
plus  d'une  langue,  par  la  suite,  on  arrivât  à  débarrasser,  par 
analogie,  le  second  type  de  tout  ce  qui  lui  restait  de  diffé- 
rences avec  -spek-s  \  mais  aussi,  comme  il  faut  l'ajouter, 
pour  que  des  formes  aussi  caractérisées  que  le  nominatif  en 
-os  fussent  capables  au  contraire  d'opposer,  ailleurs,  une 
grande  résistance,  et  permissent  d'avance  au  paradigme  en  -6 
de  prononcer  timidement  son  :  Non  omnis  moriar. 


II 


La  flexion  qu'on  vient  d'admettre  ne  s'attache  pas  d'une 
façon  très  particulière  aux  composés  :  un  mot  nex  n'a  pas  une 
autre  déclinaison  qu'«?<-5/5ea:,  et  l'on  peut  s'attendre,  dans  les 
mots  en  -o,  à  trouver  des  parallèles  à  l'un  ou  à  l'autre.  C'est 
un  mot  non  composé  que  le  grec  a  choisi  pour  nous  conser- 
ver l'exemple  du  paradigme  en  -6  maintenu  dans  son  inté- 


COMPOSÉS  DU  TYPE  AGRICOLA  463 

grité  ;  à  part  le  datif  plur.  qui  est  une  forme  trop  coutumière 
d'anomalies  secondaires  pour  offrir  une  importance.  On  ne 
saurait  méconnaître  en  effet  dans  la  flexion  du  mot  masculin, 
unique  de  son  espèce,  }.a(/")a-ç,  la  pierre, 

N.  X«>F«-ç.  V.  (Xûcfa  ?).  A.  Xa>Fa-v. 

D.  XàF-i.  G.  UF'-oq.         PI.   N.  Xaf'-eç. 

un  paradigme  identique,  avec  la  modification  grecque  a  pour 
0,  à  celui  qui  s'obtenait  par  hypothèse  plus  haut;  et  il  faut 
ajouter  que  ce  paradigme  serait,  au  milieu  du  grec,  entière- 
ment inexplicable  hors  de  l'issue  qui  s'offre  ainsi  pour  lui. 

Voisin,  mais  notablement  différent  cependant  du  cas  de 
XaFQ!.-q,  est  celui  de  [Asya-ç  :  nous  préférerions  le  laisser  de 
côté  pour  ne  pas  mêler  à  la  flexion  simple  en  -6  une 
flexion  plus  complexe  ;  mais  la  rareté  de  ce  qui  subsiste  en 
général  des  flexions  en  -ô  commande  pour  ainsi  dire  de  ne 
pas  l'oublier.  Il  n'est  pas  douteux  que  {/.éya  (neut.),  identique 
à  véd.  mahi^  ne  vaille  vraiment  ^rnegô  ;  non  moins  certain 
toutefois,  d'après  le  védique,  qui  a  conservé  le  paradigme 
intégral  et  trif orme  (/72«Aâ-5,  mahâ-m\  —  2.  mahi-bhis  et 
neut.  mahi\  —  3.  mah'-e,  mah'-as,  etc.)  qu'il  s'agit,  non 
d'un  simple  mot  en  -o,  mais  d'un  mot  qui  ne  recevait  primi- 
tivement 6  qu'aux  formes  faibles,  et  dont  le  nominatif  masc. 
serait  finalement  en  grec  fort  différent  de  celui  de  làFoL-q 
(«  [xeyâ-;  »  ou  ion.  «  [Li^rrç  »),  s'il  n'avait  péri,  supplanté 
par  une  forme  imitée  du  neutre.  —  Norr.  mjôk  pour  *meku 
adv.  «  beaucoup  »  semble  lui-même  reposer  plutôt  sur  la 
forme  en  à  (germ.  ô,  û),  qui  aurait  passé,  juste  à  l'inverse, 
du  masculin  au  neutre. 

Les  composés  en-o  dont  avait  pu  hériter  la  langue  grecque 
paraissent  avoir  versé  de  bonne  heure,  quant  à  eux,  dans  la 
flexion  fantaisiste  en  -avT-,  à  laquelle  nous  devons  àSaj^àç, 


464  F.  DE  SAUSSURE 

-avToç,  etc.  au  lieu  de  *à^à[LOL-qy  gén.  *à§aj;.'-cç.  Une  trace  de 
ce  qui  existait  est  restée  dans  le  vocatif  correct  IloukM\LOL, 
AaoBafjLa,  connu  non  seulement  d'Homère,  mais  de  Xéno- 
phon,  Hell.  5,  1,  5  et  6  :  rioAu3a[j.a,  non  «  rioXuSajjiav  »*,  et 
sans  que  le  discours,  lequel  s'adresse  à  un  contemporain, 
puisse  emprunter  quelque  chose  aux  souvenirs  épiques. 

Du  fait  que  le  grec  a  la  particularité  d'admettre  non  seu- 
lement l'a,  mais  très  souvent  l's  (quelquefois  l'o),  pour 
représentants  de  la  primitive  voyelle  indo-eur.  o,  les  débris 
de  la  formation  *ekwo-grebh6-s  elle-même  sont  cachés, 
comme  nous  sommes  loin  d'en  douter,  à  beaucoup  d'autres 
endroits  encore  de  la  langue  grecque  que  le  type  IIcuXu- 
Sajxâç.  Quand  c'était  un  s  qui  s'offrait  pour  continuateur 
régulier  de  l'o  dans  une  racine,  il  était  tout  donné  que  le 
mot  tombât  par  exemple  dans  la  classe  de  (]/£uây)ç,  et  il  n'y 
aurait  rien  que  de  vraisemblable  à  croire  que  de  nombreux 
mots  comme  xuxAoxspVjç  (cf.  Tsps-ipov,  etc.)  valent  en  réalité 
*kuklo-tero-s  :  firent  autrefois  *xjx>vo-Tép£  dans  leur  nominatif 
neutre,  et  xuxXo-xépe-ç  (non  -yjç)  au  masculin  ;  sous  la  même 
déclinaison  générale  que  Xaa;,  piiya.  L'investigation  qu'exi- 
gerait ce  point,  et  qui  pourrait  donner  plus  d'un  résultat,  est 
momentanément  hors  de  ce  que  nous  permet  le  cadre  de  cet 
article. 

Le  sanscrit  védique,  par  un  groupe  de  formes  qu'il  m'est 
arrivé   de   signaler  dans  une   autre  occasion,   paraît    con- 

1 .  On  ne  saurait  accorder  qu'une  valeur  métrique  à  la  quantité  longue 
homérique  nouXjSà[jtâ  et  AaoSajiâ,  non  plus  extraordinaire  que  l'e  long  de 
TTjXsuLayE  ou  SavÔExs/.ai  BaXie.  Quel  serait  d'ailleurs  les  ens,  même  pour 
un  thème  en  —  avT  —,  d'un  vocatif  par  de?  —  Que  ces  allongements  épiques 
aient,  d'autre  part,  quelque  chose  à  voir  avec  le  vocatif,  celui-ci  étant  pris 
comme  tel,  et  hors  des  déclinaisons  particulières,  je  serais  prêt  à  le 
croire,  et  à  y  voir  le  môme  fait  que  les  grammairiens  hindous  signalent 
comme  la  pluti  du  vocatif  (allongement  anormal  de  la  finale).  Iloastoaov 
|-à[j.'jv£  est  un  cas  métrique  très  différent  des  précédents,  et  où  l'on  voit 
cependant  se  produire  cet  allongement  spécial  imputable  au  vocatif. 


COMPOSÉS  DU  TYPE  AGRICOLA  465 

fîrmer  de  façon  significative  l'ancien  type  *ekwo-grebhô'S. 
Sans  doute,  il  n'est  pas  facile,  devant  la  confusion  phonéti- 
que hindoue  des  ô  avec  i,  de  juger  absolument  de  ce  qui  est 
thème  en  ô.  Néanmoins  la  corrélation  raksi-tum  (préser- 
ver) :  paçu-raksi-s  (qui  préserve  le  bétail);  de  même,  sani- 
tum  :  vâja-sani-s;  svani-tum  :  tiivi-svani-s  ;  grabhi-tum  : 
dur-grbhi-s  est  éminemment  frappante.  Elle  prend  en- 
core plus  de  corps  si  l'on  ajoute  ces  trois  circonstances  : 

1.  Rareté  des  formes  casuelles  qui  impliquent  positivement 
le   thème    en    -i,    comme    l'exceptionnel    voc.    ûrja-saîiè. 

2.  Fréquence  de  formes  comme  -san-as,  que  rien  n'em- 
pêche d'interpréter  comme  -san-as.  C'est  ainsi  que  dans 
le  cas  de  tuvi-svani-s,  on  peut  dire  que  tout  l'ancien  para- 
digme *ekwo-grebhô-s  est  encore  devant  nos  yeux  à  la  con- 
dition de  réunir  ce  que  les  lexicographes  séparent  sous 
tiivi-^vani-  et  sous  un  soi-disant  tuvi-svan-.  (Nom.  hivi- 
svani-s,  Ace.  tuvi-^vani-m.  Gén.  sg.  et  Nom.  pi.  tuvi- 
svan'-as;  etc.).  3.  C'est  encore  un  argument  presque  direct 
contre  la  valeur  de  simples  thèmes  en  i  qu'auraient  en  védi- 
que paçu-?'aksi-s,  etc.,  que  la  manière  dont  le  sanscrit 
classique  ignore  plus  tard  ces  thèmes,  sans  que  nous  nous 
engagions  ici  dans  le  détail  de  cette  démonstration. 


III 


La  classe  que  nous  avons  tâché  d'illustrer  hors  du  latin, 
pour  y  rattacher  dans  cette  langue  agricolà,  indigenà,  etc., 
comporte  avant  tout  un  caractère  formatif,  une  uniformité 

Idans  la  structure  des  mots  :  ses  caractères  flexifs  ne  sont 
■l'une  conséquence  de  la  formation, 
■  La  classe  latine  indigenà  n'aurait  d'avance  qu'un  contact 
Iroblématique  avec  elle  si  l'on  y  trouvait  des  mots  quel- 
le 30 


466  P.  DE  SAUSSURE 

conques  dans  leur  formation,  par  exemple  as-sec-Iâ  comme 
indi-genà.  Le  mot  asseclà,  avec  interposition  de  suffixe,  est 
EXCEPTION  UNIQUE  parmi  les  composés  latins  en  à,  précisé- 
ment propre  à  mieux  faire  ressortir  l'unité  formative  qui 
réunit,  avant  tout  autre  caractère,  le  reste  de  ces  mots^:  en 
-genà,  -cola,  -vïvà,  -cîdà,  -cûbà,  -àgà,  etc.  ;  type  semblable 
à  ce  qu'on  est  en  droit  d'attendre. 

A  ce  point  de  vue,  qui  laisse  provisoirement  de  côté  la 
flexion,  trois  rapports  sont  à  considérer  : 

i .  Indi-genà  et  ^genâ-tum.  —  L'a  de  la  classe  indi-genà 
n'a  de  prétexte  d'exister  que  si  cette  voyelle  a  régné  simul- 
tanément, et  d'une  manière  tout  aussi  constante,  dans  les 
formes  (accompagnées  ou  non  d'un  composé)  comme  gent- 
tum,  vomt-tum,  doml-tum,  molî-tum,  sonl-tum,  ciibi-tum, 
etc.  INotre  hypothèse  implique  cette  conformité,  puisqu'elle 
met  à  la  base  de  gem-tiim  ou  à^indi-yenà  un  seul  et  même 
'^genô-. 

Constatons  qu'une  autre  restitution  quelconque,  pour  le 
latin,  que  celle  de  *genà-tum,  *genà-tôr,  etc.  n'est,  en  effet, 
plus  soutenue  de  personne,  et  qu'il  n'en  saurait  être  au- 
trement dès  qu'on  reconnaît  généralement  que  Vô  reçoit 
pour  continuateur  invariable  un  à  dans  la  branche  italique. 
Seul  le  grec,  avec  l'inconséquence  qu'il  montre  dans  le  trai- 
tement de  l'ô,  pouvait  connaître  une  différence  s'attachant 
aux  familles  étymologiques  (yevs-Twp  :  oapi-a-Twp  :  gic-Ti^), 
et  cette  langue  se  voyait  réciproquement  forcée  par  là  de 
briser  l'unité  de  la  classe  flexive  qui  reste  compacte  dans 
Vindigenà  latin  (TuoXu-BajjLa-,  /.uxXs-Teps-,  etc.). 

1.  Conçu  comme  un  diminutif  de  *adseqva  et  non  comme  formation 
primaire,  le  mot  assecla  n'offrirait  du  reste  plus  rien  lui-même  qui  le 
classe  à  part.  Aussi  n'est-ce  pas  tant  assecla  que  col-léga  qui  crée  un  cas 
difficile.  Se  rapportant,  non  à  la  racine  lëg-,  mais  à  un  noyau  de  formes 
dérivées  (lëgâré),  ce  mot  se  trouve  sensiblement  hors  de  la  donnée  pri- 
mitive. 


I 


COMPOSÉS  DU  TYPE  AGRICOLA  467 


2.  Indî-genà  et  genî-tu?7î.  —  Après  avoir  connu  en  com- 
mun la  voyelle  à,  genitum  et  indigenà  ne  sont  plus  actuel- 
lement marqués  que  par  une  différence.  Est-il  régulier  que 
la  seconde  forme  ne  soit  pas  atteinte  par  le  genre  de  modi- 
fication qui  atteignait  la  première  ? 

Nous  n'aurons,  pour  répondre  à  cette  question,  qu'à  faire 
usage  d'un  des  quelques  principes,  toujours  confirmés  à 
nouveau,  par  lesquels  Louis  Havet  a  depuis  longtemps  fait 
régner  la  lumière  sur  tous  les  points  de  l'altération  vocalique 
latine.  L'ultième  des  mots  n'est  pas  concernée  par  l'altéra- 
tion due  à  l'intensité  de  l'initiale.  La  chose  est  spécialement 
claire  quand  il  s'agit  de  Va.  Nominà  n'a  jamais  été  que 
nominà,  et  de  par  sa  quantité  historique  seule,  sans  argu- 
ment linguistique.  Anàtes  —  à  côté  d^anîtes  —  n'aurait  su 
où  retrouver  analogiquement  un  à  si  cet  a  n'eût  été  con- 
servé dans  la  finale  d'anàsÇs).  Sans  répéter  la  série  pleine  des 
preuves,  nous  dirons  qu^iAdi-genà,  de  même  pari-cldà-s 
(v.  plus  bas),  sont  entièrement  prévus  dans  leur  opposition 
à  genî-tumK 

3.  Indî-genà  et  ad-venâ.  —  Aucun  composé  en  à  ne  doit 
correspondre,  dans  le  principe,  à  une  base  monosyllabique. 

Sont  encore  accompagnés,  dans  le  latin  même,  de  congé- 
nères établissant  la  base  disyllabique  :  les  composés  en 
-genà  {gent-tum)  ainsi  que  Vin-cubà  d'Isidore  {cuhl-tum)^ 
et  les  mots  en  -fugà,  si  fugi-tum,  malgré  gr.  çux-xoç,  peut 
passer  pour  être  ""fugà-tum.  Ajoutons  foeni-secà  (Golu- 
melle)  :  car  secâre,  secûi  implique  *secà-viy  et  seges  repré- 
sente presque  sûrement  ""secà-ti-s  (cf.  desecare  segetes  chez 
le  même  Columelle). 


i.  La  doctrine  imprécise,  ou  directement  contraire,  qu'entretient  sur  le 
point  de  Va  des  finales  la  linguistique  latine  dans  son  ensemble  ne  peut 
chercher  un  appui  que  dans  le  cas  artifex,  tibicen  pour  *artifax,  *tibican. 
Ce  cas  n'est  pas  plus  probant  que  judex  pour  *judix. 


468  F.  DE  SAUSSURE 

Les  formes  disyllabiques  se  sont  perdues  en  latin,  mais 
sont  clairement  attestées  hors  de  cette  langue,  pour  les 
familles  à^agri-colà  (scr.  cari-tum)  ;  con-vwà  (scr.  jlvi-tum 
etc.  ;  en  latin  même  on  ramène  vlta  à  *mvà-td)  ;  heredi- 
petâ  (gr.  TrsTJc-ixai).  Il  n'y  a  guère  de  doutes  encore  pour  celle 
à^auriga,  *aurè-àgâ^  quoique  les  formes  hindoues  comme 
aji-ta-s  reposent  surtout  sur  le  témoignage  des  grammai- 
riens. Un  mot  *aes-tùmâ  «  le  coupe-bronze  »  a  été  supposé 
par  Louis  Havet,  Mém.  Soc.  Ling.,  VI,  23,  pour  expliquer 
aestianare  :  il  s'accorderait  au  mieux  avec  les  formes  disyl- 
labiques grecques  de  la  racine  en  question,  té^as-vcç,  ispia- 
yoç,  etc.*. 

La  place  des  mots  en  -cïdà,  sous  le  même  rapport,  est 
incertaine  :  cependant  il  y  aurait  à  faire  valoir  plus  d'une 
raison  contre  une  racine  monosyllabique  de  la  forme  kaid- 
ou  kaidh-.  Nous  tenons  pour  le  plus  probable,  non  kaidhô-, 
mais,  ce  qui  revient  presque  au  même,  kai-\-dhé-  (faible 
kai-d/iô-),  selon  une  formation  verbale  avec  rac.  dhé-  qui 
paraît  avoir  tenu  une  certaine  place  en  latin  et  dans  d'autres 
langues,  comme  le  lituanien. 

Il  ne  reste  en  somme  que  les  mots  en  -venà  qui  aient 
clairement  en  face  d'eux  une  base  monosyllabique  (scr.  gan- 
tum^  etc.).  C'est  donc  dans  une  proportion  assez  faible  que 

1.  Comme  je  le  remarque  en  me  reportant  au  volume  indiqué  des 
Mémoires,  l'étyniologie  d'aestumare  y  était  doublée  d'une  analyse  d'  *aes- 
tumà  lui-même,  de  laquelle  il  ressort  que  l'auteur  posait  -tumà  comme 
identique  à  l'élément  disyllabique  radical  de  Tê'fxa-yoç  etc.,  ajoutant, 
quant  à  la  flexion,  la  restitution  *ais-tema-s.  C'est  en  deux  lignes,  on  le 
voit,  tout  l'essentiel  de  la  théorie  que  nous  présentons  nous-même,  en 
l'appliquant  à  l'ensemble  des  mots  comme  agricola.  Dois-je  m'afïliger  de 
n'avoir  ainsi  fait  autre  chose,  dans  ces  pages,  que  reprendre  sans  le  savoir 
une  idée  du  maître  auquel  elles  sont  dédiées?  Si  un  point  de  vue  qui  est 
le  sien  n'a  d'avance  pour  lui  rien  de  nouveau,  du  moins  pourrai-je  me 
dire  qu'il  n'était  pas  moins  utile  à  défendre  aujourd'hui  qu'il  y  a  vingt- 
trois  ans,  puisque  nous  voyons  se  perpétuer  les  opinions  qui  n'en  tien- 
nent pas  compte  et  veulent  faire  à^agricola  un  pendant  latin  d'oîxoSofjLTJ. 


COMPOSÉS  DU  TYPE  AGRICOLA  469 

s'est  exercée  l'analogie  à  laquelle  pouvait  facilement  donner 
lieu  indi-genà,  à  mesure  que  sa  finale  prenait  davantage  le 
caractère  d'un  simple  élément  flexif.  Le  -capâ-  à'hosticapas 
est  peut-être  à  joindre  aux  formes  en  -venà  :  il  serait  diffi- 
cile de  l'affirmer  ;  v.  ail.  haft  ne  prouve  naturellement  pas 
plus  que  tohter  =  ^j^xTrfP  une  base  monosyllabique. 
La  flexion,  à  son  tour,  appelle  différentes  remarques  : 

1.  Indigenà  et  terra.  —  La  présence  de  Va  —  bien  que 
cet  a  ne  s'étendît  lui-même  qu'à  trois  ou  quatre  formes  de 
paradigme,  comme  dans  Xololc,  —  fut  suffisante  pour  rappro- 
cher peu  à  peu  indigenà  de  la  P  déclinaison.  L'assimilation 
a  pu,  d'abord  commencer,  ensuite  se  poursuivre,  de  maniè- 
res très  diverses.  Nous  ne  ferons  qu'une  seule  remarque, 
destinée  à  écarter  quelques  difficultés  qui,  assez  naturelle- 
ment, pourraient  frapper  :  c'est  qu'il  n'est  pas  nécessaire 
qu'une  forme  casuelle  ait  complètement  coïncidé  au  début 
entre  indigenà  et  terra,  ou  indigenà-s  :  terra  (ou  i7idi' 
genà-s  :  *  terra  ?)  ;  ni  même  que  la  première  identité  ait  été 
fournie  par  le  petit  noyau  de  formes  dotées  de  Va  dans  le 
paradigme  -genà{s).  Si  par  exemple  une  forme  comme  le 
locatif,  c'est-à-dire  *indigen^-i,  devenait  incommode  ou 
obscure,  elle  n'avait  guère  d'autre  remplaçant  naturel 
quUndigenài,  et  cela  sans  que  l'imitation  de  terrai  fût  même 
formellement  nécessaire  pour  créer  cet  anneau  ^ 

2.  Indigenà  et  paricidas.  —  Il  reste  encore  un  souvenir 
assez  précis,  dans  une  ou  deux  formes,  des  différences  qui 
séparaient  indigenà  de  terra.  L'abrégé  de  Festus  nous  a 
conservé  les  deux  nominatifs  connus  paricidas,  hosticapas. 

\.  Pour  la  même  raison,  il  n'est  pas  implicitement  nécessaire,  pour 
que  le  rapprochement  des  déclinaisons  reste  concevable,  que  terra  (nomi- 
natif) ait  eu  de  tout  temps  la  quantité  terra.  On  pourrait  se  demander  si 
cette  quantité  tant  discutée  n'est  pas  une  suite,  au  moins  dans  quelque 
mesure,  des  contacts  avec  indigenà(s).  L'influence,  ici,  serait  inverse  de 
celle  qui  s'est  exercée  en  général  au  cours  de  cette  égalisation. 


470  F.  DE  SAUSSURE 

Attribuer  à  ces  formes  un  à  long  {-c'idâs  etc.)  reviendrait  à 
créer  un  type  fort  peu  compréhensible  en  lui-même,  mais 
de  plus,  inexplicable  dans  son  rapport  au  parricidâ  qui  lui 
succède.  Dans  ses  emprunts  au  grec,  l'ancien  latin  n'a  point 
adopté  Vas  de  Trcr^Tâç  :  ce  fait  serait-il  naturel  si  une  finale 
toute  semblable  existait  dans  ses  propres  déclinaisons?* 

Nous  poserons  donc  :  paricidà-s,  *indi-genà-s  (=Aaa-;). 
Au  sein  de  la  langue  latine,  riche  en  finales  comme  -ïs,  -us, 
-05,  la  finale  de  ce  nominatif  était,  par  hasard,  la  seule  en 
-as,  et  ce  fait  conduit  à  une  réflexion.  Nul  ne  tient  pour 
douteux  que  Vs  d'une  forme  comme  filiûs,  dès  une  date  très 
ancienne,  ait  été  sur  le  point  de  périr  entièrement  par  les 
prononciations  comme*  filiû,  laterali  dolor,  certissimû 
nuntiù  etc.  ;  on  ne  discute  guère  que  pour  savoir  comment 
cet  5  a  pu  être  restauré  dans  les  mêmes  formes.  Or,  pour 
perdre  son  5,  parricidà{s)  (brève -|- 5)  se  trouvait  en  aussi 
bonne  situation  que  filiù{s)  :  pour  le  reprendre  c'était  dif- 
férent; il  n'avait  pas  l'appui  très  varié  d'une  multitude  de 
formes  où  une  finale  comme  -fis  n'arrivait  jamais  à  l'oubli 
total  ;  bien  mieux,  entre  parricidâ  et  -cïdàs,  l'analogie  de 
terra  était  là  pour  détourner  formellement  de  revenir  à 
-cïdàs.  Cette  analogie  eût  peut-être  suffi  à  elle  seule,  le 
facteur  phonétique  n'était  cependant  pas  à  négliger  lui-même. 

1.  Hosticapas,  à  l'égard  de  son  a  radical,  est  sans  doute  à  juger  comme 
l'épigraphique  Numûsioi=  Niimerio.  Ce  n'est  pas  une  forme  refaite  à  la 
place  de  *hosticupas,  mais  une  forme  plus  ancienne  que  ne  serait  cette 
dernière.  Il  est  clair  que  si  l'autre  exemple,  paricidas,  approche  à  aucun 
degré  de  l'antiquité  que  lui  assigne  Festus  (lois  de  Numa),  nous  avons 
également  à  lui  restituer  son  a  radical  (paricaidas).  —  Au  premier  mo- 
ment ce  n'est  pas  seulement  hosticapas  qui  pourrait  donner  à  la  classe 
des  composés  en  a  l'aspect  trompeur  de  formations  modernes,  mais  aussi 
la  série  des  mots  en  -gêna,  -vena,  -peta,  -seca  au  lieu  de  -gina,  -vina,  etc. 
La  réponse,  quant  à  ces  derniers,  se  trouve  dans  ingenium,  advenio, 
appeto,  resecare,  lesquels  —  d'où  que  provienne  l'anomalie  —  ne  sont 
ni  plus  ni  moins  irréguliers  que  les  composés  en  a  de  leurs  familles  res- 
pectives. 


COMPOSÉS  DU  TYPE  AGRICOLA  471 

3.  Indigena  :  indigenum.  Auriga  :  rémiges.  —  Les  com- 
posés en  a  se  distinguent  jusqu'au  bout,  tant  de  tei^ra  que 
de  verna,  scurra,  par  la  faculté  qu'ils  ont  de  former  le  gén. 
plur.  en  -iim  (agricoluni).  C'est  le  vieux  génitif  correspon- 
dant à  Aa>F'-cov.  Toutefois  on  touche  ici  à  un  point  plus 
général. 

Les  composés  qui  sont  entrés  dans  la  P  déclinaison  ont, 
de  ce  fait,  aboli  toute  la  partie  du  paradigme  qui  ne  com- 
portait pas  à'a  (*i?idigen'-is,  -gen'-es,  etc.),.  sauf,  précisé- 
ment, le  gén.  plur.  Selon  les  mots,  la  solution  inverse  pou- 
vait prévaloir,  un  prae-pes  pour  ^prae-petà-s  être  formé 
d'après  praè-pef-es,  ou  un  rem-ex  (^rem-ac-s)  au  lieu  de 
*rem-àgà-s  d'après  *rem-^^'-es  (rem-lg-ès).  C'est  la  solution 
dont  nous  disions  au  début  qu'elle  était  le  plus  à  craindre 
pour  toute  la  classe  :  à  la  fois  comme  la  plus  simple  et  comme 
celle  où  tout  souvenir  de  Va  (ou  o)  se  trouve  radicalement 
détruit.  Il  faut  rendre  cette  justice  au  latin  qu'il  n'en  a  que 
modérément  usé.  Dans  le  cas  même  où  il  l'adopte,  on  a 
quelquefois  dans  un  doublet  la  forme  qui  tient  compte  de 
Va  :  à  rem-ex  comparer  aurïgâ,  à  prae-pes,  heredi-petà 
malgré  un  éloignement  du  sens,  dans  ce  dernier  exemple, 
qui  n'empêche  pas  l'unité  de  racine. 

Pline  (Hist.  XIV,  8,6,  72)  a  dit  :  indigena  vinitm.  Que  ce 
neutre  ait  été  dans  l'usage  courant,  ou  qu'il  suppose  une 
intervention  plus  individuelle  de  l'instinct  linguistique  dans 
l'application  des  formes,  dans  les  deux  cas  l'écrivain  latin 
s'est  trouvé  dans  la  vérité  grammaticale  :  comme  iiiyxç  a 
pour  neutre  [XEya,  c'est,  en  efïet,  indigena  qui  est  le  juste 
neutre  d'indigenà{s). 


Daniel  SERRUYS 
LES 

PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS 

ET    LES 

ORIGINES  DU  «  CURSUS  »  BYZANTIN 


I 


LES  PROCEDES  TONIQUES  D'HIMERIUS 
ET  LES  ORIGINES  DU  «  CURSUS  >.  BYZANTIN 

Par  Daniel  Serruys. 


La  loi  des  clausules  toniques  formulée  naguère  par 
M.  W.  Meyer^  se  trouve  aujourd'hui  pleinement  confirmée 
et  heureusement  définie,  grâce  aux  nombreuses  recherches 
qui  ont  précisé  tour  à  tour  sa  rigueur  et  son  extension,  sa 
signification  littéraire  et  son  utilisation  critique.  Sans  nous 
attarder  à  l'inutile  scepticisme  de  M.  Kirsten^,  rappelons 
seulement  les  deux  études  de  M.  K.  Krumbacher%  qui,  au 
moyen  d'observations  paléographiques  et  critiques,  s'est 
efforcé  de  déterminer  dans  quelle  mesure  la  loi  de 
M.  W.  Meyer  peut  être  appliquée  à  la  restitution  des  textes; 
la  thèse  de  M.  G.  Litzica*,  qui,  par  des  calculs  malheureuse- 


i.  W.  Meyer,  Der  accentuirte  Satzschluss  in  der  griechischen  Prosa 
vom  4  bis  6  Jahrhundert.  Gôttingen,  1891.  —  Je  me  suis  servi  delà  réim- 
pression de  ce  travail  faite  par  l'auteur  dans  ses  Gesammelte  Abhandhin- 
gen  zur  mittellateinischen  Rhythmik.  Berlin,  1905,  t.  II,  pp.  202-205, 
Cf.  Ibid.,   t.  I,  pp.  17-22. 

2.  KiRSTEN,  Quaestiones  Choricianae.  Breslau,  1894. 

3.  K.  Krumbacher,  Ein  Dithyrambus  aufden  Chronisten  Theophanes, 
dans  les  Sitzimgsberichte  der  K.  bayer.  Akad.  der  Wissenschaften, 
1896,  pp.  583  et  ss.  —  Cf.  Eine  ncue  vita  des  Theophanes  Conf essor. 
Ibid.,m)l,  pp.  371  etss. 

4.  G.  LiTzicA,  Bas  Meyersche  Satzschlussgesetz  in  der  byzantinischeti 
Prosa.  Diss.,  Munich,  1898. 


476  D.  SERRUYS 

ment  illusoires,  a  tenté  de  fournir  le  critère  mathématique 
qui  décèlerait  et  doserait  l'application  de  la  loi  chez  un 
auteur  quelconque  ;  enfin  l'élégant  article  où  M.  P.  Maas^ 
renonçant  à  étudier  la  loi  en  général,  s'est  attaché  à  recon- 
naître les  modalités  de  son  application  chez  un  auteur  déter- 
miné. On  ne  peut  méconnaître  que  la  voie  tracée  par 
M.  P.  Maas  est  de  toutes  la  plus  sûre  ;  elle  nous  ramène 
d'ailleurs  à  la  conception  première  de  M.  W.  Meyer,  qui 
considérait  la  règle  dégagée  par  lui,  non  comme  une  pres- 
cription formelle  et  toujours  identique  à  elle-même,  mais 
comme  le  trait  commun  aux  systèmes  individuels  —  varia- 
bles par  ailleurs  —  des  auteurs  byzantins. 

Ce  qui  demeure  obscur  dans  le  cursus  byzantin  défini  par 
M.  W.  iMeyer,  c'est  moins  certes  sa  nature  que  son  ori- 
gine. On  connaît  les  systèmes  en  présence.  Tandis  que 
M.  W.  Meyer  ^  veut  reconnaître  dans  le  cursus  des  écrivains 
byzantins  une  importation  latine,  M.  de  Wilamowitz-Moel- 
lendorff  ^  croit  discerner  chez  les  auteurs  grecs  du  iv®  siècle 
—  et  en  particulier  chez  Himérius,  —  des  procédés  toni- 
ques, annonciateurs  duc7irsus;M.  Grônert*  enfin  n'hésite  pas 
à  faire  remonter  l'emploi  des  clausules  toniques  jusqu'à  saint 
Clément  ou  même  jusqu'à  Josèphe. 

Pour  séduisant  qu'il  soit,  j'avoue  que  le  système  de 
M.  W.  Meyer  me  semble  se  heurter  à  une  objection 
sérieuse.  Il  est  peu  probable  qu'au  milieu  du  iv®  siècle,  l'ac- 


d.  P.  Maas,  Rhythmische  zu  der  Kunstprosa  des  Konstantinos  Marias- 
ses, Byz.  Zeitschr.  XI  (1902),  pp.  o05-512.  —  Cf.  Bu  même,  le  compte 
rendu  de  W.  Fritz.  Synesius,  dans  Berl.  Philol.  Wochenschrift,  1906, 
pp.  775-777. 

2.  Gesammelte  Abhandlungen,  t.  I,  p.  19-20. 

3.  Hermès,  t.  XXXIV  (1899),  pp.  214-248. 

4.  Verhandlungen  der  XLV^  Versammlung  deutscher  Philologen  in 
Bremen,  1899,  pp.  66-68. 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS  477 

cent  se  soit  déjà  substitué  à  la  quantité  comme  élément  régu- 
lateur des  rythmes  latins  \  et  d'autre  part  les  clausules  de 
la  prose  métrique  latine,  régies  par  la  quantité,  ne  réalisent 
point  uniformément,  au  point  de  vue  tonique,  les  conditions 
de  la  clausule  meyerienne.  Quant  à  la  théorie  de  M.  Grônert, 
elle  ne  résiste  pas  aux  vérifications  mathématiques  que  j'ai 
entreprises  pour  quelques-uns  des  textes  sur  lesquels  il  se 
fonde.  Restent  les  observations  de  M.  de  Wilamowitz,  dont 
les  inductions  —  j'allais  dire  les  intuitions  —  sont  bien  rare- 
ment illusoires  ;  il  ne  peut  être  inutile  de  les  contrôler  en 
étendant  la  recherche  à  l'ensemble  du  texte  d'Himérius  et 
en  la  poursuivant  au  moyen  de  la  méthode  statistique  inau- 
gurée par  M.  L.  Havet. 

Il  ne  faut  point  se  dissimuler  d'ailleurs  que  le  texte 
d'Himérius  et  la  méthode  statistique  présenteront  à  notre 
recherche  quelques  écueils  redoutables.  Le  texte  sur  lequel 
nous  allons  opérer  est  particulièrement  délabré.  Tout  en 
admettant  que  les  lacunes  ne  soient  point  si  nombreuses  que 
le  suppose  F.  Duebner-,  il  faut  bien  se  persuader  que  le 
texte  est  mauvais  ^  ;  la  plupart  des  discours  ne  sont  conser- 
vés que  par  un  manuscrit  unique  et  les  sources  manuscrites 
sont,  soit  très  fautives,  soit,  comme  le  prouvent  les  vérifica- 
tions de  M.  Schenkl*,  reproduites  avec  une  incroyable 
négligence.  Ajoutons  que  les  innombrables  citations  et  rémi- 
niscences qui  émaillent  le  texte  d'Himérius,  pour  précieuses 

1.  Cf.  H.  BoRNECQUK.  Les  Clausules  métriques  latines  (Mémoires  de 
la  Faculté  de  Lille,  N.  S.,  t.  VI).  Lille,  1907,  p.  176  et  pp.  487  etss. 

2.  Cf.  G.  Fr.  Teuber.  De  lacunis  Himerii  in  orationibus  integris  a 
Duebnero  editore  notatis  (Progr.  des  Kônigl.  Konig.  Wilhelms  Gymna- 

,     sium  in  Breslau),  1894. 

13.  Le  travail  de  Stenzel.  Conjectanea  in  Himerii  Sophistae  déclamâ- 
mes. Breslau,  1879,  ne  nous  a  pas  été  accessible. 
4.  G.  Schenkl.  Adnotatiunculae  ad  Himerium  dans  Eranos  Vindo- 


478  D.  SERRUYS 

qu'elles  soient  à  d'autres  égards,  n'en  constituent  pas  moins 
de  véritables  pièges  pour  l'étude  métrique.  Il  est  vrai  toute- 
fois que  ces  pièges  ont  été  signalés,  pour  la  plupart,  par 
M.  G.  Teuber^,  qui  a  identifié  le  plus  grand  nombre  des 
citations  textuelles  ;  il  est  vrai  également  que  les  citations 
non  textuelles  ou  simples  réminiscences  n'entraînent  point 
nécessairement  une  violation  des  procédés  toniques. 

D'autre  part  le  maniement  même  de  la  méthode  statisti- 
que, que  nous  allons  appliquer  à  notre  recherche,  est  sin- 
gulièrement délicat.  Non  point,  certes,  que  les  objections 
élevées  par  M.  Previtera^  contre  sa  légitimité  nous  émeu- 
vent outre  mesure.  Le  principe  de  la  méthode  statistique, 
«  qui  consiste  à  prendre  pour  critère  et  mesure  des  faits 
supposés  métriques,  la  proportion  naturelle  des  mêmes  faits 
dans  le  libre  jeu  de  la  langue  »,  apparaît  inattaquable  à 
tous  égards.  Et  les  difficultés  de  l'application,  qui  fournis- 
sent à  M.  Previtera  un  triomphe  facile,  ne  sont  certes  point 
insurmontables.  D'abord  un  auteur  exempt  de  partis  pris 
métriques,  qui  puisse  servir  à  reconnaître  le  libre  jeu  des 
éléments  de  la  langue,  n'est  point,  quoi  qu'on  dise,  introu- 
vable. N'est-il  pas  évident  qu'un  auteur  n'a  pas  employé 
de  clausules  métriques,  s'il  présente,  à  n'importe  quelle 
place  dans  la  phrase,  les  mêmes  éléments  métriques  ou 
rythmiques,  dans  des  proportions  toujours  identiques?  D'au- 
tre part  la  différence  inévitable  des  vocabulaires  chez  l'au- 
teur pris  pour  base  de  la  comparaison  et  chez  l'auteur  sup- 
posé métrique  n'est  point  non  plus  un  empêchement  sérieux 
à  l'emploi  de  la  statistique  comparative.  En  fait  les  différen- 
ces de  vocabulaire,  de  genre  littéraire,  et  même  d'époque 
influent  très  peu  sur  la  proportionnalité  des  éléments  métri- 

4.  C.  Fr.  Teuber.  Quaestiones  Himerianae.  Breslau,  1882. 
2.  L.  Previtera.  //  metodo  statistico  nelle  nuove  ricerche  délia  prosa 
metrica  latina  e  greca  e  le  leggi  définitive.  Giarre,  1903. 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS  479 

ques  ou  rythmiques  fournis  par  la  langue.  Cette  proportion- 
nalité présente  au  contraire  une  fixité  remarquable,  car 
elle  dépend,  non  de  l'usage  individuel,  mais  des  caractères 
même  de  la  langue,  de  son  phonétisme,  de  son  système  de 
flexion,  de  dérivation,  de  composition,  etc.  Pour  se  convain- 
cre de  cette  stabilité,  il  suffira  de  comparer  entre  eux  des 
vocabulaires  en  apparence  très  différents.  Aussi  longtemps 
que  n'intervient  pas  l'arbitraire  métrique,  on  constatera 
qu'ils  présentent,  pour  les  mêmes  éléments,  des  proportions 
constantes. 

Ce  n'est  point  le  mécanisme  de  la  méthode  statistique 
qui  est  inexact,  c'est  son  maniement  qui  est  difficultueux. 
La  statistique  comparative  est  un  instrument  de  précision 
dont  il  faut  savoir  se  servir.  M.  L.  Havet*  a  signalé  lui- 
même  quelques-unes  des  erreurs  mathématiques  commises 
par  M.  C.  Litzica  dans  la  première  application  de  la  méthode 
statistique  à  l'étude  du  cursus  meyerien.  Il  n'est  pas  inutile 
que  nous  achevions  cette  critique,  puisque  aussi  bien  nous 
nous  proposons  d'appliquer  la  même  méthode  à  un  sujet 
analogue. 

L'erreur  essentielle  du  travail  de  M.  Litzica  nous  sem- 
ble consister  en  un  calcul  des  probabilités  de  tous  points 
illusoire.  Les  opérations  de  M.  Litzica  sont  fondées  sur  ce 
postulat  que  «  la  fréquence  naturelle  des  rencontres  entre 
deux  formes  rythmiques  quelconques  fournies  par  la  langue 
est  proportionnelle  au  produit  de  leurs  fréquences  respecti- 
ves. »  Pour  que  ce  principe  fût  recevable,  il  faudrait  que 
chacun  des  éléments  d'une  série  rythmique  homogène  A  ait 
des  chances  égales  de  rencontrer  chacun  des  éléments  d'une 

I autre  série  homogène  B  ;  or,  qui  ne  voit  que  ces  chances 
Bont  variables  d'après  la    fonction   logique,    grammaticale, 


1.  Byz.  Zeitschr.,  VIII  (1899),  pp.  535-537. 


480  i).  SERRUYS 

syntaxique,  etc.,  des  mots?  Telle  série  rythmique,  par 
exemple  celle  des  monosyllabes  atones,  est  constituée  pour 
la  très  grande  majorité  par  des  articles,  qui  n'ont  aucune 
chance  de  précéder  les  formes  personnelles  des  verbes. 
Pour  que  les  calculs  de  M.  Litzica  fussent  légitimes,  il  lui 
eût  fallu  assigner  des  coefficients  différenciels  aux  diverses 
catégories  rythmiques  constituées  par  lui,  et  même  à  certains 
éléments,  dans  chacune  de  ces  catégories. 

Une  autre  erreur  —  celle-ci  d'ordre  logique  —  dérive  de 
la  précédente.  M.  Litzica  compare  les  combinaisons  de  mots 
qui  forment  les  clausules  aux  rencontres  fortuites  des  mots 
de  mêmes  types,  dans  le  libre  jeu  de  la  langue,  reconnu  et 
évalué  au  moyen  du  calcul  des  probabilités  tel  que  nous  ve- 
nons de  le  définir.  Or,  à  supposer  que  l'on  puisse,  par  ce 
soi-disant  calcul,  évaluer  la  fréquence  naturelle  des  rencontres 
fortuites  entre  deux  mots  de  types  déterminés,  encore  serait-il 
tout  à  fait  arbitraire  d'assimiler,  à  ces  rencontres  fortuites, 
les  combinaisons  de  mots  qui  forment  les  clausules.  Ces 
combinaisons  ne  sont  point  des  faits  simples  ;  elles  sont  dues 
au  contraire  à  deux  opérations  distinctes,  à  deux  choix  suc- 
cessifs, dont  le  second  dépend  du  premier.  En  effet  le  choix 
du  mot  final  dépend  du  choix  du  mot  pénultième,  ou  inver- 
sement. 

Des  erreurs  de  ce  genre  proviennent  d'un  certain  féti- 
chisme de  la  mathématique  qui  se  constate  parfois  chez  des 
esprits  de  formation  littéraire  ;  elles  impliquent  en  fait  une 
méconnaissance  totale  des  principes  de  la  statistique.  Il  est 
d'ailleurs  aisé  de  les  éviter  ;  il  suffit  pour  cela  de  ne  compa- 
rer dans  la  statistique  que  des  séries  homogènes  de  faits  sim- 
ples, et  de  considérer  les  chiffres  en  présence  comme  des 
moyennes;  de  modestes  calculs  de  proportionnalité  suffisent 
dès  lors  à  la  comparaison. 

C'est  à  cette  méthode  plus  simple  et  plus  sûre  que  nous 


•A 

I 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS  481 

aurons  recours  dans  l'étude  des  clausules  toniques  d'Himérius. 

Le  texte  exempt  d'altération  métrique,  ou  rythmique, 
d'après  lequel  nous  allons  évaluer  la  proportion  naturelle  des 
éléments  rythmiques  fournis  par  la  langue  grecque,  est  celui 
de  Leontios  de  Neapolis  :  Vie  de  S^  Jean  le  Miséricordieux*, 
déjà  dépouillé  par  M.  Litzica.  On  remarquera  que  nos  comp- 
tages présentent  parfois,  avec  ceux  de  M.  Litzica,  de  légères 
différences.  Nul  ne  s'en  étonnera,  qui  s'est  livré  à  ce  genre 
d'exercice,  qui  surtout  a  tenté  de  vérifier  ses  totaux.  Dans 
un  classement  de  près  de  20  000  mots,  il  est  inévitable,  soit 
que  des  exemples  se  trouvent  «  sautés  »,  soit  qu'au  con- 
traire ils  soient  affectés  à  deux  séries  différentes. 

Mais  ce  qui  différencie  surtout  nos  relevés  de  ceux  de 
M.  Litzica,  c'est,  qu'au  lieu  de  présenter  des  éléments 
abstraits,  nous  avons  voulu  présenter  des  éléments  réels. 
M.  Litzica  a  réuni  d'une  part  les  oxytons,  les  paroxytons, 
les  proparoxytons,  abstraction  faite  du  nombre  des  syllabes 
prétoniques;  d'autre  part  il  a  relevé  les  mots  à  1,  2,  3, 
etc.,  prétoniques,  abstraction  faite  des  syllabes  posttoni- 
ques. Dans  le  premier  cas,  il  a  confondu  xoicuai  avec 
TCoXuTCpaYfjLovoudi ;  dans  le  second,  il  a  confondu  xoico  avec 
e-jictc'jv  et  sTuo'iQja.  Notre  relevé  ne  comporte  au  contraire  que 
des  éléments  réels,  les  mots  étant  classés  en  tenant  compte  à 
la  fois  du  nombre  des  prétoniques  et  de  celui  des  postto- 
niques, de  manière  à  constituer  des  séries  homogènes  à  tous 
égards.  Dans  ce  classement,  il  n'a  point  été  tenu  compte  de 
l'accent  secondaire  que  les  mots  peuvent  tenir  du  voisinage 
d'un  mot  enclitique,  ni  de  la  voyelle  élidée  {Cf,  Tableau  I, 
Fréquence  l'inguistique). 


1 .  Leontios  von  NeapolIs,  Lehen  des  heiligen  Johannes  des  Barmher- 
zigen  herausgegeben  von  H.  Gelzer.  Fribourg  et  Leipzig,  1893. 


I 


31 


482  D.  SERRUYS 

Pour  le  relevé  des  clausules  d'Himérius,  nous  nous  sommes 
servis  de  l'édition  de  Fr.  Duebner^  Le  texte  examiné  est 
celui  des  discours  I-XXIV%  à  l'exclusion  des  extraits  de 
Photius  et  des  discours  XXV  et  suivants,  trop  fragmentaires. 

Nous  avons  considéré  comme  clausule  :  la  partie  de  la 
phrase  ou  de  l'incise  constituée  par  le  mot  final  et  le  mot 
pénultième,  y  compris  les  proclitiques,  enclitiques  ou  parti- 
cules atones  liées  par  le  sens  à  l'un  ou  l'autre  de  ces  mots. 
Les  phrases  ou  incises  qui  ne  comportent  pas  au  moins  trois 
polysyllabes  ou  groupes  équivalents  à  des  polysyllabes  n'ont 
point  été  comprises  dans  la  statistique. 

Dans  notre  dépouillement  nous  avons  distingué  les  clau- 
sules suivies  d'une  ponctuation  forte  (=:  point)  et  les  clausu- 
les suivies  d'une  ponctuation  faible  (=  point  en  haut,  point 
et  virgule,  point  d'exclamation,  point  d'interrogation^). 
Mais,  le  système  d'Himérius  nous  étant  apparu  identique  dans 
les  deux  cas^,  nous  avons,  dans  notre  exposé,  totalisé  les 
deux  séries. 

Les  clausules  ont  été  classées  d'après  la  forme  du  mot 
final  ou  du  groupe  formé  par  le  mot  final  et  par  les  mots 
atones  qui  le  précèdent.  Conformément  à  l'usage  reçu, 
nous  avons  considéré  comme  mots  atones,  non  seulement  les 


4.  HiMERii  Declamationes,  éd.  Fr.  Duebner.  Paris,  Didot,  4878. 

2.  P.  38-96. 

3.  Nous  avons  considéré  le  point  d'interrogation  comme  une  ponctuation 
faible,  à  moins  que  l'éditeur  n'ait  marqué  son  avis  contraire  en  plaçant 
une  majuscule  au  début  de  la  phrase  suivante. 

4.  Voici  quelques  exemples  de  l'identité  du  traitement.  Nous  relevons, 
devant  un  mot  tinal  du  type  àvôpojTcoç  suivi  d'une  ponctuation  forte, 
8  oxytons,  74  paroxytons,  30  proparoxytons  ;  devant  le  même  mot  suivi 
de  ponctuation  faible,  41  oxytons,  67  paroxytons,  48  proparoxytons. 
Devant  un  mot  final  du  type  [JouXîJOfxat  suivi  de  ponctuation  forte,  nous 
relevons  40  oxytons,  255  paroxytous,  6  proparoxytons  ;  devant  le  même 
mot  suivi  de  ponctuation  faible,  22  oxytons,  441  paroxytons,  3  proparoxy- 
tons. On  voit  que,  devant  un  même  type  final,  la  proportion  des  formes 
pénultièmes  est  constante,  quelle  que  soit  la  nature  de  la  pause  oratoire. 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS  483 

proclitiques  et  enclitiques,  mais  encore  les  formes  accentuées 
de  l'article,  les  prépositions,  les  conjonctions  y)  et  xai,  la 
négation  ;jt,Y;  (p.  94,  1.  31),  le  pronom  possessif  placé  entre 
l'article  et  le  substantif  auquel  il  se  rapporte  (pp.  92,  54 
et  9o,  12)  et  même,  en  un  cas  spécial,  le  pronom  d; 
(p.  38,  53). 

Les  séries,  établies  d'après  la  forme  du  mot  ou  groupe  final, 
ont  été  subdivisées  d'après  l'accentuation  du  mot  pénul- 
tième. 

Il  nous  reste  à  préciser  quelques  cas  douteux.  Les  encliti- 
ques ont  toujours  été  comptés  au  nombre  des  atones  finales 
du  mot  précédent,  aussi  bien  en  place  finale  (p.  50,  1.  18), 
qu'en  place  pénultième  (pp.  52,  21  ;  52,  39  ;  55,  21  ;  57, 
36;  65,8;  70,  27;  72,27;  81,  30;  87,  3;  94,  5  ;  95,4). 

Dans  les  mots  suivis  d'une  particule  enclitique  et  qui 
reçoivent  de  ce  fait  un  accent  secondaire  différent  de  leur 
accent  premier,  c'est  cet  accent  adventice  qui  est  considéré, 
en  place  pénultiène,  comme  principal  au  point  de  vue 
rythmique  (pp.  49,  23;  53,  46;  69,  28;  69,  51;  91,  15; 
95,9;  83,  18). 

Les  cas  où  l'un  des  mots  de  la  clausule  est  repré- 
senté par  un  monosyllabe  pouvaient  prêter  à  confusion.  En 
fait  nous  ne  relevons  que  deux  exemples  de  monosyllabes 
proprement  dits  (pp.  55,  42  et  88,  35).  Partout  ailleurs, 
aussi  bien  en  place  finale  (pp.  74,  46  :  ty)v  cViv  ;  56,  15  :  xà 
aà  ;  93,  41  :  ^£-i  aé),  qu'en  place  pénultième  (pp.  39,  45; 
44,  11  ;  48,  2;  49,  36  ;  51,  24  ;  50,  3  ;  70,  20  ;  94,  40  ;  92, 
6),  les  monosyllabes  accentués  apparaissent  précédés  de 
particules  atones  avec  lesquelles  ils  forment  des  groupes 
équivalents  à  des  polysyllabes  ;  c'est  pourquoi  nous  les 
avons  confondus  avec  les  oxytons. 

De  même  les  mots  pénultièmes  suivis  des  particules  hii 
(45,  15  ;  86,  28),  yàp  (75,  27),  j^Év  (86,  18),  U  (40,  5  ;  52, 


I 


484  D.  SERRUYS 

47  ;  77,  47  ;  88,  32  ;  92,  3  ;  94,  51)  ont  été  assimilés  aux 
oxytons  (C/.  Tableau  II,  Glausules  d'Himérius). 

Au  moyen  des  relevés  statistiques  ainsi  effectués,  nous 
pouvons  tout  d'abord  vérifier  les  hypothèses  déjà  émises  au 
sujet  des  procédés  toniques  d'Himérius. 

Si  nous  en  croyions  M.  Litzica\  Himérius  aurait  ignoré  le 
cursus  de  Meyer,  au  point  de  présenter,  pour  les  clausules 
contraires  à  la  loi,  une  proportion  de  29  pour  100,  supé- 
rieure à  la  proportion  normalement  fournie  par  la  langue, 
laquelle,  d'après  les  calculs  de  M.  Litzica,  serait  de  22,8  pour  l 
100.  Ce  pourcentage  est  établi  d'après  100  clausules  d'Himé- 
rius. Si  au  contraire  l'on  étudie  les  1229  clausules  que 
présente  l'ensemble  du  texte  d'Himérius,  on  s'aperçoit  que 
285  d'entre  elles  sont  contraires  à  la  loi  de  Meyer,  soit  une 
proportion  de  23,19  pour  100  sensiblement  égale  à  la  pro- 
portion naturelle  que  fournit,  d'après  les  calculs  de  M.  Litzica, 
le  libre  jeu  de  la  langue.  Mais  on  se  souvient  que  nous  avons 
fait,  au  sujet  du  critère  mathématique  établi  par  M.  Litzica, 
les  plus  expresses  réserves  ;  d'autre  part  on  remarquera  que, 
même  en  admettant  la  légitimité  de  ce  critère,  les  chiffres 
ci-dessus  prouveraient  tout  au  plus  que  les  procédés  d'Himé- 
rius ne  correspondent  pas  à  la  formule  de  M.  W.  Meyer. 

C'est  ainsi  évidemment  qu'en  a  jugé  M.  de  Wilamowitz 
lorsque,  peu  après  la  publication  du  travail  de  M.  Litzica,  il 
a  formulé  comme  suit  le  système  tonique  qu'il  prête  à  Himé- 
rius. «  L'accent  final  proparoxyton  prédomine  ;  il  est  pré- 
cédé de  préférence  de  2  atones  mais  aussi  d'une  seule  ou 
de  plusieurs,  le  voisinage  immédiat  de  l'accent  final  avec 
l'accent  pénultième  étant  seul  proscrit.  Si  l'accent  final  est 
paroxyton,  il  est  nécessairement  précédé  de  2  atones  ^.  »  En 

4.  Op.  cit.,  p.  18. 
2.  Op.  cit.,  p.  215. 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS  483 

d'autres  termes,  la  clausule  meyerienne  est  de  règle  seule- 
ment lorsque  le  mot  final  est  paroxyton,  ce  qui  est  excep- 
tionnel ;  elle  est  prédominante  mais  cependant  facultative, 
lorsque  l'accent  final  est  proparoxyton,  ce  qui  est  la  norme. 

La  différence  de  traitement  que  M.  de  Wilamowitz  croit 
reconnaître  entre  les  clausules  terminées  par  un  proparoxy- 
ton et  celles  terminées  par  un  paroxyton,  est,  disons-le  tout 
de  suite,  purement  fictive.  Sur  les  1  Ooo  clausules  d'Himé- 
rius  terminées  par  un  proparoxyton,  250  sont  contraires  à  la 
loi  de  Meyer,  soit  une  proportion  de  23,7  pour  100  ;  'sur  les 
131  clausules  d'Himérius  terminées  par  un  paroxyton, 
31  sont  contraires  à  la  loi  de  Meyer,  soit  la  même  propor- 
tion de  23,7  pour  100.  Le  traitement,  du  moins  en  ce  qui 
concerne  la  loi  de  Meyer,  est  donc  identique. 

Mais  ce  qui  n'apparaît  nullement  fictif  dans  la  formule  de 
M.  de  Wilamowitz,  c'est  d'une  part  la  prépondérance  du 
proparoxyton  final,  et  d'autre  part  un  certain  rapport  — 
qu'il  s'agira  de  préciser  —  entre  le  nombre  des  atones  fina- 
les et  celui  des  atones  pénultièmes.  Rien  ne  nous  empêche 
de  prendre  ces  deux  indications  comme  point  de  départ 
pour  nos  recherches.  Nous  examinerons  donc  en  premier 
lieu  le  traitement  que  comporte  le  type  prépondérant  des 
clausules  terminées  par  un  proparoxyton. 


L  —  Les  clausules  terminées  par  un  proparoxyton. 

A.  Sur  1  229  clausules  que  comporte  le  texte  d'Himérius, 
1  Ooo  sont  terminées  par  un  proparoxyton.  Il  est  à  peine 
nécessaire  de  remarquer  que  cette  proportion  est  de  beau- 
coup supérieure  à  la  proportion  normale  ou  «  fréquence 
linguistique  »  des  proparoxytons.  La  fréquence  linguistique 
du  proparoxyton  comparée  à  l'ensemble  des  polysyllabes  est 


486  D.  SERRUYS 

d'environ  24  pour  100*.  En  d'autres  termes,  sur  l'ensemble 
des  clausules  d'Himérius,  qui  sont  au  nombre  de  1  229,  le 
jeu  normal  de  la  langue  en  aurait  fourni  295  seulement  ter- 
minées par  des  proparoxytons ^  ;  nous  en  relevons,  en  fait, 
1  055.  La  majoration  produite  du  fait  des  partis  pris  rythmi- 
ques d'Himérius  est  donc  d'environ  350  pour  100. 

Pour  se  convaincre  que  c'est  bien  au  parti  pris  rythmi- 
que —  et  non  au  vocabulaire  d'Himérius  —  que  cette  majo- 
ration doit  être  imputée,  il  suffit  de  calculer  par  exemple  la 
proportion  des  proparoxytons  en  place  pénultième.  Dans  les 
1  229  clausules  étudiées,  tandis  que  nous  trouvons  1  055 
proparoxytons  ultièmes,  nous  trouvons  seulement  92  pro- 
paroxytons pénultièmes,  c'est-à-dire  que  la  proportion 
naturelle  des  proparoxytons  est  altérée  en  sens  inverse, 
selon  que  l'on  observe  le  mot  final  ou  le  mot  pénultième  de 
la  clausule  :  dans  le  premier  cas  elle  est  plus  que  triplée, 
dans  le  second  elle  est  réduite  à  moins  du  tiers. 

Ainsi  l'on  est  amené  naturellement  à  se  demander  si,  entre 
ces  deux  altérations  en  sens  inverse,  il  n'existe  pas  quelque 
corrélation.  Le  proparoxyton  final  est-il  incompatible  avec 
le  proparoxyton  pénultième  ?  Pour  nous  en  rendre  compte, 
il  faut  restreindre  notre  observation  aux  seules  phrases  ter- 
minées par  un  proparoxyton.  Or,  sur  1  055  phrases  de  ce 
genre,  72  présentent  une  proparoxyton  pénultième,  soit  une 
proportion  de  6  pour  100,  représentant  à  peine  le  quart  de 
la  fréquence  linguistique.  La  disproportion  est  certes  frap- 
pante mais  non  point  décisive  ;  il  serait  pour  le  moins  témé- 


i.  Cf.  tableau  I  :  2  923  proparoxytons  sur  42  148  polysyllabes. 
2.  Ce  chiffre  est  obtenu  par  la  formule  : 

X  2923 


1  229       12  148 
Tous  les  chiffres  suivants  sont  obtenus  par  des  calculs  analogue 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS  487 

raire  de  conclure  dès  à  présent  à  l'interdiction  totale  du 
proparoxyton  pénultième  devant  le  proparoxyton  final. 

Mais,  si  aucune  formule  précise  ne  se  dégage  encore  de 
notre  statistique,  la  faute  en  est  peut-être  à  ce  que  nous 
avons  jusqu'ici  opéré  sur  des  catégories  abstraites.  Mieux 
vaut,  comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  n'opérer  que  sur 
des  éléments  réels,  classés  en  séries  parfaitement  homogè- 
nes. Au  lieu  donc  d'observer  l'ensemble  des  proparoxytons, 
distinguons  soigneusement  les  proparoxytons  à  0,  1,  2,  3, 
etc.,  prétoniques  et  voyons  s'ils  comportent  dans  les  claù- 
sules  un  traitement  identique. 

Sur  les  1  Ooo  clausules  terminées  par  des  proparoxytons, 
206  sont  terminées  par  un  mot  du  type  àvôpwTuoç  accentué 
sur  la  syllabe  initiale.  Nous  disions  que,  sur  les  1  Ooo  clau- 
sules terminées  par  un  proparoxyton  quelconque,  72  pré- 
sentent un  proparoxyton  pénultième,  soit  une  proportion  de 
6  pour  100  :  or,  sur  les  206  clausules  terminées  par  un 
proparoxyton  du  type  av6pa)7:oç,  48  présentent  un  proparoxy- 
ton pénultième,  soit  une  proportion  de  24  pour  100,  qua- 
druple de  celle  que  nous  avions  constatée  quand  nous  envi- 
sagions l'ensemble  des  proparoxytons  et  exactement  conforme 
à  la  fréquence  linguistique  du  proparoxyton.  Force  nous 
est  donc  d'admettre  que  si  le  proparoxyton  pénultième  est 
exclu  devant  certaines  formes  de  proparoxytons  ultièmes,  il 
est  au  contraire  admis  devant  des  proparoxytons  du  type 
avOpa)-3ç,  dans  la  proportion  même  où  le  fournit  la  langue. 

Au  contraire  devant  les  proparoxytons  à  1,  2,  3,  etc., 
prétoniques,  la  proportion  des  proparoxytons  pénultièmes 
s'abaisse  jusqu'à  n'atteindre  plus  3  pour  100.  Sur  849  clau- 
sules de  ce  genre  24  seulement  présentent  des  proparoxytons 
pénultièmes  ;  encore  ces  exemples  sont-ils  des  plus  précaires 
au  point  de  vue  critique.  Voici  comment  ils  se  répar- 
tissent : 


488  B.  SERRUYS 

1)  Type  final  :  yoL[xr^.'.oq  :  468  clausules,  9  proparoxytons 
pénultièmes  (au  lieu  de  112)*  :  pp.  43,  9  (corr.  \lzx(ùtaù 
cf.  p.  39,  8)  ;  46,  38  (çuaswç  est  intolérable)  ;  56,  39  (corr. 
Sav6i7C7:ov  xov  jAsyav)  ;  60,  19  (répétition  improbable  de  la 
ligne  14);  61,  8  (l'allitération  ttôaiç  TraAiv  est  suspecte;  l'or- 
dre YévYjxai  xàXiv  est  préférable)  ;  63,  oO  ("O^AYjpo;  entre  r^Biov 
et  (f6éYY£a6ai  est  certainement  fourvoyé,  il  faut  le  restituer  en 
fin  de  phrase)  ;  87,  3  (ti  del.)  ;  94,  23  (&you;a£vo;  del.). 

Type  final  :  b  ôdcXaiio;,  équivalent  au  précédent  :  195  clau- 
sules, 5  proparoxytons  pénultièmes  (au  lieu  de  47)  :  pp.  64, 
36  (corr.  èy.aT£p(ov)  ;  72,  4o  (^  del.)  ;  78,  26  (t^  del.)  ;  82, 
3  (àvaSouai?)  ;  96,  17(ajiot;  prouve  que  le  verbe  était  pri- 
mitivement au  passif .  Corr.  xapî^?) 

2)  Type  final  :  TCapsXeJasTai  :  78  clausules,  5  proparoxy- 
tons pénultièmes  (au  lieu  de  18)  :  pp.  50,  47  ;  66,  18 
(fjaewç  est  inintelligible)  ;  76,  43  ;  93,  30  ;  95,  4  ([j.cj  ne 
peut  se  rapporter  à  oa-jj-wv  ;  cf.  93,  29  ;  corr.  £jj.:j  complément 
de  xais^TQ^iaxai). 

Type  final  :  tl  xuvOaveTai,  équivalent  au  précédent  :  26 
clausules,  1  seul  proparoxyton  (au  lieu  de  6)  :  p.  68,  44 
(tq  Bir^yiQiJLa  remplace  une  autre  expression  et  l'article  est 
inadmissible). 

3)  Type  final  :  kmd^pxyiZB-j',  :  48  clausules,  1  seul  pro- 
paroxyton pénultième  (au  lieu  de  11)   :  p.    51,    9   (corr. 

TUpOTÉpWv). 

Type  final  :  xà  izxpxTzlrfjix,  équivalent  au  précédent  : 
19  clausules,  2  paroxytons  pénultièmes  (au  lieu  de  4, 
6)  :  pp.  67,  2  (xw  5ir;yr^[jLax'.  =  glose  tirée  de  pLj0o).oY(5v); 
p.  93,  33. 

Type  final  :   \lzzol  xyj;  tugaew?,  équivalent  au  précédent  : 


1.  Les  chiffres  entre  parenthèses  sont  ceux  que  fournirait  le  libre  jeu 
de  la  langue.  Cf.  tableau  de  fréquence  linguistique. 


PROCÈDES  TONIQUES  D'HIMÉRJUS  489 

6  clausules,  1  proparoxyton  pénultième  (au  lieu  de  1,  4)  : 
p.  50,  13. 

La  proportion  infime  des  proparoxytons  pénultièmes,  dans 
les  séries  que  nous  venons  d'examiner,  et  leur  extrême  fragi- 
lité au  point  de  vue  critique  nous  autorisent  certes  à  les 
taxer  d'irrégularité.  Dès  lors,  nous  pouvons  résumer  les 
observations  que  nous  venons  de  faire  par  la  règle  suivante  : 
«  Devant  un  proparoxyton  final,  le  proparoxyton  pénul- 
tième est  exclu,  à  moins  que  le  mot  final  ne  porte  l'accent 
sur  la  syllabe  initiale.  » 

B.  La  règle  que  nous  venons  de  formuler  a  sa  répercus- 
sion évidente  sur  la  répartition  des  atones  pénultièmes  de  la 
phrase —  et  partant  sur  leur  nombre. 

Le  cursus  de  W.  Meyer  admet  indifféremment  des  clau- 
sules telles  que  o6;av  krl^T^\)i'C,o\i<ll  et  a;'.a  eTC'.Sei'SaaGs,  xpwxov 
oiaAéYsaOai  et  xàXX'.a-rov  M{fri\xoL.  En  vertu  de  la  règle  que 
nous  venons  de  formuler,  Himérius  n'admet,  lui,  que  la 
1'^  et  la  3'  de  ces  formes,  tandis  qu'il  rejette  la  2^  et  la  4^ 
Il  en  résulte  que  si  Himérius  a  eu,  par  rapport  au  nombre 
des  atones  pénultièmes,  un  parti  pris  identique  à  la  loi  de 
Meyer,  il  ne  disposait  pas,  pour  l'appliquer,  des  mêmes  res- 
sources. 

D'ailleurs  Himérius  s'est-il  préoccupé  du  nombre  des 
atones  pénultièmes  de  la  phrase,  comme  il  se  préoccupait 
de  leur  répartition  ?  C'est  ce  dont  nous  pourrons  nous  ren- 
dre compte,  en  étudiant  le  traitement  qu'il  réserve,  devant 
un  proparoxyton  final,  aux  paroxytons  et  oxytons  pénul- 
tièmes. 

tPour  que  l'on  puisse  du  premier  coup  d'œil  apprécier,  en 
nction  de  la  fréquence  linguistique,  les  chiffres  relevés 
mr  chacun  des  types  pénultièmes,  dans  le  texte  d'Himé- 


490 


D.  SERRUYS 


tés,  ceux  que  ferait  attendre  la  proportionnalité  normale  de 
la  langue. 


FINALES 

PÉNULTIÈMES 

TOTAL 
DES 

clausules. 

PAROXYTONS 

OXYTONS 

avOpcarco;.     .      . 

Yafx/îXio;.      .      . 
ô  GâXajxoî.   .     . 

TcapeXeucjcTat.     .     . 
ei  ;ïuvOav6Tai.    . 
èv  TOÎ;  aXdîat.  . 

iTçiacppaY^STai.  . 
xà  7capa;rXrJaia.. 
TUpô;  Tr)v  UTToOsaiv. 
[jLSTà  xt];  TidXstoç. 

• 

• 

■ 

• 

438(>     99) 

396 (>  226) 
464 (>   95) 

)       48«    38) 
8«    42) 

1       44(>   23) 
46(>     9) 
^O     2) 
)        5(>     2,9) 
1 

20  «    56) 

63  «424) 
29«   53) 

58(>    24) 
47(>     7) 
4 

3«   43) 
i«     S) 
0«     4) 
0«     4,6) 

206 

468 
495 

78 

26 

4 

48 

49 

4 

6 

Un  rapide  coup  d'œil  jeté  sur  ce  tableau  suffit  à  démontrer 
que  les  préférences  d'Himérius  pour  le  paroxyton  ou  l'oxy- 
ton pénultième  alternent  d'après  le  nombre  des  prétoniques 
du  mot  final.  Réservons,  pour  le  moment,  la  catégorie  des 
clausules  terminées  par  un  mot  accentué  sur  la  syllabe  ini- 
tiale (type  àv8p(i)-o;)  qui,  comme  nous  l'avons  vu  au  sujet 
de  la  règle  énoncée  au  paragraphe  précédent,  peuvent  être 
l'objet  d'un  traitement  particulier. 

Pour  les  autres  finales,  à  1 ,  2  et  3  prétoniques,  les  préfé- 
rences d'Himérius  se  reconnaissent  aisément.  Il  recherche 
les  formes  pénultièmes  qui  fournissent  les  atones  pénultiè- 
mes de  la  phrase  en  nombre  pair.  La  majoration  de  ces  for- 
mes par  rapport  à  la  fréquence  linguistique  varie  entre  150  et 
300  pour  100.  Il  n'est  peut-être  pas  inutile  de  rappeler  que 
les  clausules  préférées  d'Himérius  sont  précisément  les  seules 
^dmises  par  les  stylistes  byzantins, 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS  491 

Devant  les  formes  finales  accentuées  sur  la  syllabe  ini- 
tiale, le  traitement  est,  il  est  vrai,  différent.  Cette  diffé- 
rence n'est  pas  pour  nous  surprendre,  puisque  nous  avons 
déjà  constaté  que  ces  formes  sont  les  seules  qui  admettent  les 
proparoxytons  pénultièmes,  dans  la  mesure  même  où  les 
fournit  la  langue.  De  même,  au  point  de  vue  du  nombre  des 
atones  pénultièmes  de  la  phrase,  les  clausules  terminées  par 
un  mot  accentué  sur  la  syllabe  initiale  se  distinguent  encore 
des  autres  catégories.  En  effet  devant  le  type  avôpwxc;,  la 
forme  pénultième  avantagée  est  celle  qui  fournit  les  atones 
pénultièmes  en  nombre  impair.  Et  par  là  le  système  d'Himé- 
rius  s'oppose  manifestement  au  cursus  byzantin. 

Des  faits  que  nous  venons  d'examiner,  une  conclusion  se 
dégage  aisément  :  Himérius  a,  en  ce  qui  touche  le  nombre 
des  atones  pénultièmes  de  la  phrase,  des  préférences  mar- 
quées et  ces  préférences  varient,  en  fonction  des  atones  pré- 
toniques  dumot  final.  Cette  constatation,  on  le  remarquera, 
est  exactement  inverse  de  celle  formulée  par  M.  de  Wila- 
mowitz,  qui  subordonnait  le  nombre  des  atones  pénultièmes 
à  celui  des  posttoniques  du  mot  final. 

Si  maintenant  nous  nous  efforçons  de  systématiser  les 
diverses  catégories  de  faits  acquis  par  l'examen  des  clausules 
terminées  par  un  proparoxyton,  nous  aboutissons  à  la  con- 
clusion suivante  : 

Himérius  a  deux  espèces  de  partis  pris  : 

1"  L'un  de  nature  verbale  (répartition  des  atones  pénul- 
tièmes), qui  peut  se  formuler  comme  suit  :  Les  proparoxy- 
tons pénultièmes  sont  proscrits,  à  moins  que  le  mot  final  ne 
soit  accentué  sur  la  syllabe  initiale  ; 

2"  L'autre,  de  nature  rythmique  (nombre  des  atones 
pénultièmes),  qui  peut  se  formuler  comme  suit  :  Le  nombre 
des  syllabes  atones  qui  précèdent  l'accent  final  de  la  phrase 


492 


D.  SERRUYS 


ou  de  l'incise  est  de  préférence  pair,  lorsque  le  mot  final 
présente  une  ou  plusieurs  prétoniques,  impair,  si  le  mot  final 
est  accentué  sur  la  syllabe  initiale. 


II.  —  Clausules  terminées  par  des  paroxytons. 

La  proportion  de  ces  clausules  est  très  inférieure  à  la  fré- 
quence linguistique  des  mêmes  combinaisons.  Alors  que  la 
langue,  sur  un  total  de  1  229  clausules,  en  fournirait  595  ter- 
minées par  des  paroxytons,  nous  en  relevons  seulement  131. 
La  proportion  naturelle  est  donc  réduite  au  quart. 

On  conçoit  aisément  que  la  statistique  qui  opère  sur  des 
chiffres  aussi  restreints  est  nécessairement  précaire  :  c'est 
donc  surtout  par  analogie  avec  les  faits  observés  dans  d'au- 
tres catégories,  que  nous  pourrons  apprécier  les  éléments 
réunis  dans  la  catégorie  des  clausules  terminées  par  un 
paroxyton. 

Nous  bornerons  du  reste  notre  examen  aux  séries  de 
faits  les  plus  nombreuses,  négligeant  celles  qui  ne  compor- 
tent qu'un  ou  deux  exemples,  lesquels  d'ailleurs  peuvent 
provenir  d'altérations  du  texte. 


FINALES 

PÉNULTIÈMES 

TOTAL 
DES 

clausules. 

PROPAROXYTONS 

PAROXYTONS 

OXYTONS 

Xe'YO).     .     .     . 

Xa{jL6àvco.     .      . 

ô  Xoyo;.      .      . 

xf'ç  6aXàxx75ç.  . 

7(>    6) 

'       2«     7) 
\        2«l5) 

2 

1        I 

l/i(>12) 

20(>  i4) 
53(>29) 

3 

I 

A«    7) 

8(=   8) 
5«i6) 

I 

25 

3o 
6o 

Pour  autant  que  l'on  puisse  étayer  des  conclusions  sur  des 


f>ilOGÈDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIÛS  493 

chiffres  aussi  faibles,  il  semble  bien  que  les  partis  pris 
d'Himérius  pour  les  clausules  terminées  par  un  paroxyton 
sont  les  mêmes  que  pour  les  clausules  terminées  par  un  propa- 
roxyton. 

Au  point  de  vue  verbal,  les  proparoxytons  pénultièmes 
sont  proscrits,  à  moins  qu'ils  ne  précèdent  un  mot  portant 
l'accent  sur  la  syllabe  initiale.  On  remarquera  que  les  exem- 
ples de  proparoxytons  pénultièmes  (pp.  82,  13  ;  83,  45  ;  65, 
27;  93,  40  ;  75,  9  ;  68,  1  ;  39,  30)  représentent  une  propor- 
tion de  7  pour  100  légèrement  supérieure  à  la  proportion  des 
mêmes  formes  observées  dans  la  catégorie  des  clausules  ter- 
minées par  un  proparoxyton  (3  pour  100).  Mais  ces  exem- 
ples ne  sont  guère  solides  au  point  de  vue  critique,  l'un 
d'eux,  p.  93,  40,  est  même  une  conjecture  d'éditeur. 

Au  point  de  vue  rythmique,  nous  constatons,  comme  pré- 
cédemment, une  préférence  marquée  par  les  atones  pénul- 
tièmes en  nombre  pair,  à  moins  toutefois  que  le  mot  final 
ne  porte  l'accent  sur  la  syllabe  initiale.  Pour  le  type  final 
AapLoavd)  et  pour  le  type  correspondant  c  Xoyoç  la  majoration 
des  paroxytons  pénultièmes,  qui  peuvent  seuls  fournir  l'in- 
tervalle tonique  pair,  est  manifeste.  Au  contraire  pour  le 
type  final  à^avi^w  et  pour  le  type  équivalent  zf^q  OaXai-nQ;  le 
nombre  des  exemples  est  si  réduit  qu'il  y  a  lieu  de  les  éplu- 
cher. Pour  cette  catégorie  de  clausules  nous  relevons  un  seul 
oxyton  pénultième  (p.  72,  15)  et  quatre  paroxytons  pénul- 
tièmes (pp.  53,  23;  69,  51  ;  87,  43  et  91,  47).  L'oxyton 
pénultième,  qui  seul  fournit  l'intervalle  pair,  est  inattaqua- 
ble au  point  de  vue  critique.  Quant  aux  quatre  paroxytons 
qui  fourniraient  un  intervalle  de  trois  atones  pénultièmes, 
ils  sont,  tous  quatre,  fictifs  ;  p.  87,  43,  il  faut  lire  xà  gaXavsTa 
comme  le  prouve  l'expresse  parallèle  xo  Auxeicv,  à  la  ligne 

Irécédente;  p.  91,  47,  Srj^YjYopoç  est  une  glose  tirée  de  l'in- 
be  suivante;  p.  53,  23,  les  mots  yj  xw  UuHcù  veaviaxw  forment 


494  D.  SERRUYS 

une  métaphore  lyrique  empruntée  sans  doute  par  Himérius  à 
quelque  ode  perdue  dePindare  ou  de  Bacchylide;  p.  69,  51. 
les  mots  Xoyioiç  OscTç  ï'^.{/d  t£  x,ai  [xeAiQaci  constituent  la  fin  d'un 
tétramètre  iambique  catalectique,  avec  césure  régulière.  On 
voit  par  là  avec  quelle  prudence  il  faut  opérer,  lorsque  les 
chiffres  de  la  statistique  sont  trop  réduits. 


III.  —  Clausules  termiiiées  par  un  oxyton. 

A  cause  de  l'écueil  que  nous  venons  de  signaler,  nous 
n'observerons  dans  la  catégorie  des  clausules  terminées  par 
un  oxyton  que  le  seul  type  pour  lequel  nous  ayons  relevé  un 
nombre  suffisant  d'exemples:  le  type  final  y.aipôç,  et  le  groupe 
équivalent  -i  aa.  Devant  ce  type  final,  nous  trouvons 
20  paroxytons,  4  oxytons  et  1  seul  proparoxyton  pénultième. 

L'exemple  du  proparoxyton  pénultième,  p.  75,  6,  est  cer- 
tainement altéré.  La  place  normale  de  èyo)  est  après  toutov,  et 
l'on  ne  saurait  hésiter  à  effectuer  la  transposition.  Au  lieu 
des  6  exemples  que  ferait  attendre  la  fréquence  du  propa- 
roxyton dans  la  langue,  nous  ne  relevons  donc  qu'un  seul 
exemple,  bien  précaire  au  point  de  vue  critique,  et  nous 
sommes  autorisés  dès  lors  à  admettre  que  devant  un  mot  final 
oxyton,  comme  devant  les  autres  finales,  le  paroxyton  pénul- 
tième est  proscrit  par  Himérius.  i 

Au  point  de  vue  du  nombre  des  atones  pénultièmes,  nous* 
constatons  une  fois  de  plus  une  prédilection  marquée  pour 
l'intervalle  pair. 

Le  cas  particulier  des  formes  finales  accentuées  sur  la 
syllabe  initiale  ne  se  pose  pas  dans  cette  catégorie. 

En  somme,  que  le  mot  final  soit  proparoxyton,  paroxyton 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS  498 

OU  oxyton,  les  partis  pris  toniques  d'Himérius  demeurent 
invariables.  Ce  n'est  donc  pas,  comme  le  croyait  M.  de 
Wilamowitz,  du  nombre  des  posttoniques  du  mot  final  que 
dépend  le  traitement  des  clausules.  Bien  au  contraire,  ce 
sont  \q^  prétoniques  du  mot  final  qui  jouent  le  rôle  d'élément 
régulateur. 

En  effet,  tout  le  système  d'Himérius  peut  se  résumer 
comme  suit  : 

l*'  Le  proparoxyton  pénultième  est  proscrit  lorsque  le  mot 
final  présente  une  ou  plusieurs  prétoniques  ;  il  est  admis 
lorsque  le  mot  final  est  accentué  sur  la  syllabe  initiale. 

2**  Les  atones  pénultièmes  de  la  phrase  ou  de  l'incise  sont 
de  préférence  en  nombre  pair  lorsque  le  mot  final  présente 
une  ou  plusieurs  prétoniques  ;  de  préférence  en  nombre 
impair  —  ou  si  l'on  veut  réduites  à  l'unité  —  si  le  mot  final 
est  accentué  sur  la  syllabe  initiale. 

Peut-on  prétendre  que  ces  deux  formules  constituent  un 
système  ?  Elles  représentent  plutôt  des  procédés  toni- 
ques chers  à  Himérius  et  appliqués  par  lui,  l'un  avec  cons- 
tance et  rigueur,  l'autre  avec  prédilection  mais  sans  con- 
trainte. 

Ce  qui  peut  particulièrement  nous  intéresser  dans  ces 
deux  formules,  ce  sont  les  préoccupations  qu'elles  ré- 
vèlent. 

La  préoccupation  verbale  —  ou,  si  l'on  veut,  la  notion  du 
groupement  des  atones  autour  de  la  tonique  —  apparaît 
clairement  :  c'est  elle  qui  interdit  la  répétition  en  place 
pénultième  du  proparoxyton,  privilégié  en  place  finale  ;  c'est 
elle  surtout  qui  explique  le  rôle  des  prétoniques  dans  le  trai- 
tement des  clausules. 

La  préoccupation  rythmique,  d'autre  part,  se  révèle  dans 
la  recherche   d'un   intervalle    d'atones    pénultièmes    pair, 


496  i).  SÈRÎltJYS 

lorsque  le  mot  final  a  une  ou  plusieurs  prétoniques  et  impair 
lorsque  le  mot  final  porte  l'accent  sur  la  syllabe  initiale. 
Cette  distinction  dérive  sans  doute  du  souci  d'équilibrer 
l'intervalle  pénultième  avec  l'étendue  du  mot  final. 

De  ces  deux  préoccupations  la  dernière  seule  subsiste  dans 
le  cursus  byzantin,  encore  y  est-elle  singulièrement  sim- 
plifiée. 

Si  l'on  compare  les  procédés  d'Himérius  avec  le  cursus 
byzantin  tel  qu'on  le  trouve  appliqué  dès  la  fin  du  iv^  siè- 
cle chez  Thémistius  et  chez  Choricius  de  Gaza,  on  s'aperçoit 
que  chez  ces  derniers  la  préoccupation  verbale  a  totalement 
disparu.  La  répartition  des  atones  pénultièmes  est  indiffé- 
rente, leur  nombre  seul  importe. 

D'ailleurs  la  préoccupation  rythmique,  qui  provoque  la 
recherche  d'un  nombre  déterminé  d'atones  pénultièmes, 
s'est  elle-même  simplifiée.  Des  procédés  toniques  d'Himé- 
rius, un  seul  survit  —  qui  d'ailleurs  devient  général  et 
rigoureux,  —  c'est  la  recherche  d'un  nombre  pair  d'atones 
pénultièmes  ;  encore  cette  formule  unique  s'élargit-elle  et 
les  auteurs  peu  soigneux  se  contentent  de  séparer  les  deux 
derniers  accents  de  la  phrase  ou  de  l'incise,  par  deux  atones 
au  moins. 

De  la  notion  ancienne  de  la  répartition  des  atones,  de 
la  recherche  d'un  équilibre  entre  le  nombre  des  atones 
pénultièmes  et  l'étendue  du  mot  final,  rien  ne  subsiste. 
\Jintervalle  qui  sépare  les  deux  derniers  accents  de  la 
phrase  concentre  seul  l'attention,  et  Psellus  le  considère 
comme  constituant  «  le  chant  du  langage  »  :  èait  StaXéxxou 
[aIXoç  XCÏ3V   Tt  SiaffxyjtJLa  èv   Siaçopoiç   juXXaoaT;    [3apuTOVOuiJt.evov   \ 

1.  Rhetores  graeci,  éd.  Walz,  t.  V,  p.  589,  1.  45-46. 


PROCÉDÉS  TONIQUES  D'HIMÉRIUS 


497 


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Antoine  THOMAS 


NOTES  LEXICOGRAFIQES 


SUR 


LA  PLUS  ANCIÈNE  TRADUCCION 

LATINE 

DES  EUVRES  D'ORIBASE 


NOTES  LEXICOGRAFIQES 

SUR 

£LA  PLUS  ANGIÈNE  TRADUCCION  LATINE 
DES  EUVRES  DORIRASE 

Par  Antoine  Thomas. 


L'édicion  des  euvres  du  médecin  grec  Oribase  ('Opetéàaioç), 
antreprise  par  les  docteurs  Bussemaker  et  Daremberg  et  ter- 
minée par  Auguste  Molinier,  se  conpose  de  sis  volumes, 
parus  de  1851  à  1876  ^  Les  pajes  799-927  du  tome  cin- 
qième  et  2-626  du  tome  sisième  sont  ocupées  par  des  textes 
latins  apartenant  à  deus  traduccions  distinctes.  La  plus 
anciène  de  ces  deus  traduccions  et  la  seule  dont  il  sera  ges- 
tion ici.  Je  ranvoie  aus  indicacions  d'Auguste  Molinier  sur 
l'époqe  et  la  provenance  de  cète  traduccion  et  sur  les  con- 
dicions  dans  les  qèles  èle  nous  et  parvenue  -.  On  sait  qe  le 
manuscrit  le  plus  ancien,  conservé  à  la  Bibliotèqe  Nacionale 
de  Paris  sous  la  cote  :  latin  iOS33  (jadis  :  suplément  latin 
62i)  et  (pour  18  feuillets  sur  40  qi  an  ont  été  arachés)  à  la 


1.  (Euvres  d' Oribase.  Paris,  J.-B.  Baillère  et  fils.  Les  tomes  1  à  4  ont 
paru  de  1851  à  1864.  Bussemaker  étant  mort  an  1865  et  Daremberg  an 
1872,  les  tomes  5  et  6  n'ont  paru  q'an  1873  et  1876.  Le  dernier  et  dû  aus 
soins  d'Auguste  Molinier,  dont  le  nom  figure  sur  le  titre. 

2.  (Euvres  d'Oribase,  t.  6,  p.  3^vi. 


504  A.  THOMAS 

Bibliothèqe  de  Berne,  sous  la  cote  :  miscell.  F  Si 9,  remonte 
au  sétième  siècle  ^  La  traduccion  èle  même  apartient  vrai- 
sanblablemant  au  comancemant  du  sisième,  et  a  été  exécu- 
tée an  Italie,  peut-être  à  Ravenna,  ou  dans  le  voisinaje  de 
cète  vile  ^. 

Depuis  la  publicacion  de  Molinier,  un  fait  d'une  certaine 
inportance  s'êt  produit.  Le  manuscrit  de  la  colleccion 
Ashburnham,  sur  le  qel  l'éditeur  avait  doné  qelqes  indica- 
cions  précises,  mais  q'il  n'avait  pu  utiliser  d'une  manière 
constante,  et  venu  prandre  place  sur  les  rayons  de  notre 
Bibliotèqe  Nacionale,  où  il  porte  la  cote  :  nouv.  aq.  lat. 
i6i9^.  Toutes  les  fois  qe  cela  m'a  paru  nécessaire,  j'ai  u 
recours  à  ce  manuscrit.  Il  a  été  particulièremant  précieus 
pour  conbler  la  grande  lacune  qi  existe  dans  le  ms.  lat. 
i023S  par  suite  de  l'arachemant  de  40  feuillets  dont  ce  der- 
nier a  été  victime,  lacune  qi  conprand  la  fin  du  livre  IV, 
tout  le  livre  V  et  une  partie  du  livre  VI  de  la  Synopsis 
d'Oribase.  Le  ms.  lat.  9333,  utilisé  par  Molinier,  qi  l'atri- 
bue  au  comancemant  du  neuvième  siècle,  n'êt  le  plus  sou- 
vant  q'une  copie  du  manuscrit  Ashburnham,  le  qel  et  anté- 
rieur d'anviron  un  siècle. 


4.  Molinier  précise  trop  an  disant  (p.  xxiv)  qu'il  êtdificile  d'an  reculer 
l'exécucion  plus  loin  qe  le  premier  tiers  du  sétième  siècle  (630  ou  640). 
A  plus  forte  raison  faut  il  se  défier  des  «  juges  des  plus  compétents  »  dont 
il  parle,  qi  voient  dans  ce  manuscrit  un  modèle  extrèmemant  pur  de  la 
plus  bêle  onciale  du  sisième. 

2.  Molinier  incline  à  croire  qe  la  traduccion  pourait  être  antérieure  à 
480  et  qe  les  allusions  à  la  langue  des  Gots  (à  propos  de  la  plante  dite  an 
français  guède  ou  pastel)  seraient  des  gloses  marjinales  postérieures  intro- 
duites par  mégarde  dans  le  texte  ;  mais  à  qoi  bon  cète  ipotèse  ?  L'orijine 
italiène  de  l'euvre  et  indiqée  par  Molinier  et  sera  confirmée  plus  loin  par 
l'étude  lexicografiqe.  Cet  moi  qi  précise  an  ajoutant  :  «  peut-être  à  Ra- 
venna ».  Je  me  fonde  sur  ce  passaje  :  «  Emplastrum  immotura,  quem  accepi 
a  Martyrio  arciatro  Ravenna  »  (Oribase,  t.  V,  p.  895). 

3.  Voir  L.  Delisle,  Catalogue  des  nus,  des  fonds  Libri  et  Barrois  (Paris, 
Champion,  4888),  p.  88-89. 


NOTES  LËXICOGRAFIQES  SUR  ORIBASE  SOS 

Il  va  de  soi  qe,  dans  les  pajes  qi  suivent,  je  n'ai  pas  la 
prétancion  de  relever  toutes  les  particularités  lexicografiqes 
notables  de  la  traduccion  d'Oribase.  Come  on  s'an  apercevra 
facilemant,  mon  atancion  s'êt  portée  de  préférance  sur  les 
mots  ou  formes  qi  paraissent  être  d'orijine  populaire  et  qi, 
à  ce  titre,  intéressent  la  fase  anciène  de  l'évolucion  dont  les 
langues  romanes  ofrent  aujourdui  le  terme  aus  ieus  de 
l'observateur.  Toutefois,  chemin  faisant,  j'ai  noté  aussi  qel- 
qes  mots  curieus  à  d'autres  titres,  mots  qi  sanblent  avoir 
échapé  jusq'ici  à  l'atancion  et  qi  devront  être  désormais 
admis  dans  les  diccionaires  latins  ^ 


AcMsioLA,  s.  f.,  pustule. 

Donec  acrisiolas  aut  pustulas  uel  exanthemata  surgant  (Oribase,  tome  VI, 
p.  362,  1.  5  ;  ms.  lat.  10233,  fol.  252  v»,  1.  6  d'an  bas). 

Au  lieu  de:  acrisiolas^  les  mss.  n.  a.  lat.  1619^  et  lat.  9332 
portent  :  agressiolas.  Je  n'ai  rien  de  satisfaisant  à  proposer 
pour  l'étimolojie  de  ce  mot,  qe  son  aspect  ratache  à  la 
langue  populaire,  mais  qe  les  langues  romanes  ne  sanblent 
pas  avoir  conservé.  Il  mérite  d'autant  plus  d'être  signalé 
qe   les  auteurs  du  Thésaurus  linguae  latinae  an  cours  de 

4.  Hermann  Hagen  a  publié  an  1875  un  mémoire  intitulé  :  De  Oribasii 
versione  latina  Bernensî  commentatio,  q'il  a  réinprimé  dans  son  recueil 
paru  à  Berlin,  chés  Calvary,  an  1879  :  Zur  Geschichte  der  Philologie  und 
zur  Rômischen  Litteratur,  p.  243-311.  On  i  trouve,  p.  299-303  de  la  rein 
pression,  deus  listes  alfabétiqes  intéressantes,  mais  sans  commantaire,  la 
première  consacrée  aus  «  vocabula  Graeca  vel  a  Graecis  derivata  »,  la  segonde 
aus  «  voces  Latinae  notabiles  ».  Aucun  des  mots  qe  j'ai  relevés  ici  ne 
figure  dans  les  listes  de  Hagen,  les  qèles  ne  portent  qe  sur  les  18  feuillets 
de  Berne. 

2.  Fol.  198*',  1.  4  d'an  bas.  Voici  le  texte  exact,  idantiqe  (à  une  lètre 
près)  à  celui  du  ms.  lat.  9332,  dont  Molinier  a  doné  les  variantes  par  raport 
au  ms.  lat.  10233  :  «  donec  agressiolas  aut  pustolas  uel  exantematas  pur- 
gant.  » 


506  A.  THOMAS 

publicacion,  bien  q'ils  fassent  état  de  notre  traduccion,  l'ont 
laissé  échaper. 

Bernicaria,  s.  f.,  et  Bernigarion,  s.  n.,  variété  de  soude. 

Trociscos  ad  scabias  :  litharguira,  calce  viva,  psimithia,  bernicaria  (Ori- 
base,  t.  V,  p.  9i0,  art.  42  ;  ms.  lat.  40233). 

Afronitrus  et  bernicarion  (Oribase,  t.  VI,  239,  1.  5  ;  ms.  lat.  i0233.  — 
Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  431,  l.  12:  ô  xou  vtTpoy  â^pôc  xalxo  6ep£vixetov). 

Le  mot  n'êt  pas  relevé  dans  le  Thésaurus  linguae  latinae  ; 
il  manqe  aussi  dans  Du  Gange,  mais  il  figure  à  plusieurs  re- 
prises dans  le  Corpus  glossariorum  latinorum.  M.  Goetz 
a  cru  à  tort  q'il  se  ratachait  au  latin  vermis  :  de  là  un  article 
vermicarium  introduit  dans  son  Thésaurus  glossarum  emen- 
datarum,  et  où  sont  confondus  deus  mots  diférants.  Je  me 
permets  de  ranvoyer  à  l'article  qe  je  viens  de  publier  dans  la 
Romania  (juillet  1908,  p.  432),  pour  conpléter  un  mémoire 
de  M.  W.  Foerster,  réçamant  paru,  et  où  l'ital.  vernice 
et  ses  conjénères  sont  ramenés  au  nom  de  vile  Bérénice, 
Bep£v{x73  (Z.  /.  rom.  PhiloL,  XXXIII,  338). 

BuRSELLA,  forme  dissimilée,  pour  hulsella,  vulsella,  vol- 
sella,  pince. 

Sanguinem  caprunum  miscis  cura  mel,  et  evellis  cum  bursella  pilos 
adultères  (Oribase,  t.  VI,  p.  543,  1.  9  ;  ms.  10233). 

Si  aliquid  intixum  est,  cum  bursella  est  tollendum.  Quod  si  in  palphebra 
fuerit  infixus,  ubi  cum  bursella  fuerit  sublatus,  lacté  muliebri  est  oculus 
inrigandus  (Oribase,  t.  VI,  p.  549,  1.  7  de  l'art,  lxxiiii). 

A  raprocher  de  scarpellum,  cité  plus  loin .  Bursella  figure 
d'ailleurs,  avec  un  ranvoi  à  volsella^  dans  le  Thésaurus 
linguae  latinae. 

Carpia,  s.  f.,  charpie. 

Postea  vero  nervus  nudus  se  bestierit,  mutariis,  id  est  carpias,  deforis 
inponi  oportet  de  aliquo  medicamen  (Oribase,  t.  VI,  p.  158, 1.  14,  d'an 


NOTES  LEXICOGRAFIQES  SUR  ORIBASE  S07 

bas  ;  ms.  lat.  10233,  fol.  154.  —  Cf.  le  texte  grec,  Oribase,  t.  V,  p.  363, 

1.  3:  [xexà  8è  to  axejiaaô^vat  xô  Ysy'^JJ.vtop.evov  veupov  toÎç  [xdxoiç  7î£pt6aXXe'.v 
ïÇweev  Se?  tu..). 

Nous  avons  là  le  plus  ancien  exanple  du  latin  médical  car- 
pia,  qi  a  fait  une  bêle  fortune.  Pour  randre  la  même  idée, 
le  grec  an  ploie  non  seulemant  (jlotoç  et  [xciàpiov,  mais  tiX(jl6ç, 
TtXiia  et  T'.X[jLaTtov ,  dérivés  du  verbe  tiXXw  «  aracher  brin  à 
brin  » .  TO^Xw  a  come  correspondant  sémantiqe  le  lat.  carpo  : 
il  et  manifeste  qe  le  subst.  carpia  a  été  tiré  du  verbe  carpo, 
mais  l'anploi  du  suffixe  -ia  pour  cète  dérivation  et  étranje. 
Je  suis  porté  à  voir  dans  carpia  le  plus  ancien  exanple  cons- 
taté par  un  texte  du  suffixe  populaire  -ia,  acçantué  sur  l'i, 
dont  l'orijine  reste  ancore  an  partie  misté rieuse.  Et  pourtant 
ce  suffixe  ne  s'atache  ordinairement  q'à  des  tèmes  nominaus, 
et  les  nouveaus  noms  q'il  sert  à  former  dans  les  langues  ro- 
manes ont  toujours  un  sans  abstrait.  An  tout  cas,  le  franc. 
charpie  ne  doit  plus  être  considéré  come  un  subst.  partici- 
pial issu  du  verbe  charpir,  mais  come  le  représantant  du 
latin  médical  carpia^. 

GoTïTRiTURA,  S.  f . ,  lésion. 

Cerotum  dia  tessaron.  Facit  ad  scorticaturas  et  omnes  percussuras  vel 
contrituras  (Oribase,  t.  V,  p.  861,  art.  42  ;  ms.  lat.  10233). 

Des  trois  mots  en  -ura  qe  ranferme  ce  passaje,  perciissura 
et  le  seul  q'anrejistrent  les  diccionaires  latins.  A  noter  qe 
Gargilius  Martialis  anploie  le  simple  tritura  dans  le  sans  de 
contritura.  Je  reviendrai  plus  loin  sur  scorticatura. 


1.  Le  caractère  de  subst.  participial  ne  peut  être  pourtant  dénié  à  cer- 
taines formes  du  prov.  mod.  tèles  qe  carpit,  escarpido,  etc.  Le  marseillais 
charpie  représante  un  ancien  *charpia,  influencé  par  le  franc,  charpie.  — 
Notons  an  passant  qe  notre  traducteur  anploie  le  partie,  carpitus  au  lieu 
du  classiqe  carptus  :  «  in  linteo  carpito  subtile  »  (Oribase,  t.  VI,  p.  356, 
1.8). 


508  A.  THOMAS 

CoRNULiuM,  S.  n.,  cornouille. 

Quae  minus  nutriunt...  noces,  cornulia,  prumnia,  robi  (Oribase,  t.  VI, 
p.  42, 1.  4  d'an  bas  ;  ms.  lat.  10233  i.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  463,  1.  25  : 

xpâva,  Tîpoufiva,  pàxtva). 

On  expliqe  couramant  le  franc,  cornouille  corne  prove- 
nant d'un  tipe  *cornucula  ;  il  faut  an  revenir  et  admètre  qe 
le  diminutif  cornulum  a  été  alonjé  an  cornulium,  d'où  cor- 
nulia, pluriel  neutre  transformé  bientôt  an  féminin  singu- 
lier. Cf  aculeus  et  manuleus  an  latin  classique. 

Effersura,  s.  f.,  inflammacion  (causée  par  une  brûlure), 
échauboulure. 

Emplastrum  dia  psimithium  ad  scabiosos  et  ad  conbustos  et  ad  effersu- 
ras  ignitas  (Oribase,  t.  V,  p.  895,  1.  44  d'an  bas  ;  ms.  lat.  40233). 

Effersura  supose  un  participe  passé  effersus,  du  verbe 
effervere.  Cet  un  témoignaje  intéressant  de  l'extansion  de 
la  formacion  participiale  an  -sus,  qi  n'apartient  primitive- 
mant  q'aus  verbes  dont  le  tème  et  an  -d  et  an  -t  :  ardere 
arsus,  vertere  versus,  etc.,  mais  qe  le  latin  classiqe  utili- 
sait qelqefois  ailleurs:  spargere  sparsus,  etc^.  Fersus  se 
trouve  dans  un  recueil  de  procédés  tecniqes  rédijé  an  Italie 
au  comancemant  du  neuvième  siècle,  sinon  plus  tôt^:  il 
a  survécu  dans  le  réto-roman  fers  et  fiers  «  bouillant  » .  An 
some,  effersura  et  moins  barbare  qe  fervura,  qe  douent  les 
diccionaires  latins  courants. 

ExERCiDiuM,  s.  n.,  exercice. 

Ante  exercidium  (Oribase,  t.  V,  p.  802,  1.  26).  —  Communis  est  cor- 


4.  Le  ms.  de  Laon  écrit  cornolias. 

2.  De  sorbere  le  latin  vulgaire  a  formé  de  même  sorpsus  (au  lieu  de 
sorptus),  de  solvere,  solsus  (au  lieu  de  solutus),  de  volvere,  volsus  (au 
lieu  de  volutus),  etc. 

3.  Colas  post  tota  fersa  (Muratori,  Antiq.  Italicx,  II,  col.  374). 


NOTES  LEXIGOGRAFJQES  SUR  ORIBASE  S09 

pori  in  omni  re  exercidium  (ibid.,  1.  2  d'an  bas).  —  Vehemens  exerci- 
dium(t.  y,  p.  803,  1.  2).  —  Horum  similes  exercidia  (ibid.,  1.  43).  — 
Gonfestim  ah  exercidio  jubet  declinare  (ibid.,  1.  9  d'an  bas),  etc.,  etc. 

Tous  ces  exanples  viènent  du  ms.  lat.  10233,  leqel  anploie 
concurramant  la  forme  classiqe  exercitium.  On  ne  peut 
expliqer  la  forme  exercidium  ni  par  une  erreur  de  grafie 
du  scribe,  ni  par  une  évolucion  fonétiqe  de  la  forme  clas- 
siqe exercitium.  J'i  vois  une  substitucion  de  désinance  dont 
le  point  de  départ  remonte  probablemant  à  l'existance  d'un 
groupe  assés  nonbreus  de  mots  an  -idium,  tels  qe  excidium, 
exscidium,  homicidium,  obsidium,  parricidium,  subsi- 
dium,  etc. 

ExPELLiTivus,  Repellitivus,  adj.,  détersif. 

Qui  ex  betis  est  sucus  expellitibus  est  (Oribase,  t.  Vl,  p.  25,  1.  7  ;  ms. 
lat.  10233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  173, 1.  14:  ô  Iv  toT;  -ceÛTXotç  y^uXoç 
purrtxd;  èoii.) 

Panes  tridicei...  ioriorihus  repellitivam  birtutem  participant  (Oribase, 
t.  VI,  p.  29,  1.  11  d'an  bas;  ms.  lat.  10233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p. 
176,  1.  23  :  puTTCix^S  8uvâ{jL£(oç  {xsTs'/^eiv  tô  TCiTupov). 

Expellitivus  et  repellitivus,  mots  nouveaus,  sont  double- 
mant  intéressants  :  ils  atestent  une  fois  de  plus  l'extansion 
dans  la  langue  vulgaire  du  suffixe  -ivus,  et,  surtout,  ils  nous 
montrent  (\epellere,  à  côté  du  participe  classiqe  ^w/5i<5,  s'êt 
doné  un  participe  an  -itus  :  cf.  * fallitus,  à  côté  de  falsus  ; 
*tollituSy  à  côté  de  sublatus.  Il  et  probable,  d'après  ces 
raprochemants  mêmes,  q'il  s'ajit  d'un  participe  fort  an  -îtus, 
et  non  d'un  participe  faible  en  -Itus.  Gepandant  le  provan- 
çal  possède  le  verbe  espelir  «  éclore  »,  qi  sanble  bien  ates- 
ter  l'existance  an  latin  vulgaire  de  *expellire,  pour  expellerCy 
et  l'ipotèse  d'un  participe  faible  ""pellltus  peut  être  admise 
parallèlemant. 

Fetinus,  adj.,  de  brebis. 

Gala  Greci  lactem  dicunt...  post  haec  scrofinus  aut  caprinus  aut  aequi- 


810  A.  THOMAS 

nus  aut  baccinus  aut  asininus  aut  fetinus  (Oribase,  t.  VI,  p.  472  ;  ms. 
lat.  10244,  fol.  38,  1.  12.  -  Cf.  ms.  n.  a.  lat.  1619,  fol.  29,  2^  col.,  1.  12 
d'an  bas  :  Galla  Greci  lactis  dicunt...  posthaec  scrouinos  aut  caprunus 
aut  aequinus  aut  vaccinus  aut  aseninus  aut  fetinus). 

La  signification  de  fetinus,  qe  le  contexte  sufirait  à  faire 
deviner,  et  précisée  par  le  texte  grec  d'Oribase,  t.  V,  p.  606, 
1.  27:  «  £1  Se  [JLYj  alyoç  y;  Ixirou  y;  êooç  y;  ovoj  yj  izpoBà'zou.  »  Cet 
adjectif  fetinus  supose  nécessairemant  la  spécialisacion  du 
substantif  participial  fêta  au  sans  de  «  brebis  mère  »  dès  le 
sisième  siècle.  Ce  sans  et  bien  conu  par  le  témoignaje  des 
parlers  romans  ;  je  me  borne  à  ranvoyer  à  Diez  et  à  l'article 
fêta  du  Lat.-rom.  Wà'rterb.  de  M.  Kôrting. 

FiLicA,  s.  f.,  foujère. 

Extrahit  os  fracta  aut  corrupta  et  surculos  et  spinas  infixas  et  sagittas 
et  cannas  et  filicas  (Oribase,  t.  V,  p.  853,  1.  22  ;  ms.  lat.  10233). 

La  substitucion,  an  latin  vulgaire,  de  la  désinance  -ica  à 
la  désinance  -ioR.(^-ex)  -icis  et  un  fait  conu,  dont  M.  Meyer- 
Lùbke  a  cité  plus  d'un  exanpie*.  A  côté  de  *junica,  *po- 
mica,  *pulica,  *saiica,  *ulica  ei*vitica^,  M.  Meyer-Lùbke 
mancione  précisément  (sans  référance  textuèle)  notre  forme 
*filica,  q'il  apuie  sur  le  témoignaje  du  patois  daufinois/wozo. 
Q'il  me  sufise  de  dire  qe  d'une  comunicacion  écrite  de 
M.  l'abé  Devaux,  recteur  de  l'Université  catoliqe  de  Lyon, 
et  de  l'étude  de  la  carte  600  {fougère^  de  \ Atlas  linguis- 
tique de  MM.  Gilliéron  et  Edmont,  il  ressort  clairemant  qe 
le  domaine  actuel  de  p.lica  s'étand  sur  la  plus  grande  partie 
de  la  réjion  franco-provançale  et  sur  les  confins  français  et 
provançaux  de  cète  réjion  ^ 


1.  Gramm.  des  lang.  rom.,  t.  II,  §  17. 

2.  Aus  qelson  peut  joindre *p/ca,  d'où  le  prov.  pega. 

3.  Cf.  l'observacion  qe  j'ai  faite  à  ce  sujet  an  randant  conte  de  la  tèse 
française  de  M.  l'abé  Devaux  dans  les  Annales  du  Midi,  anée  1892,  p.  399. 


NOTES  LEXIGOGRAFIQES  SUR  ORIBASE  511 

FuNGiDus,  adj.,  fongueus. 

Ficus  non  similiter  aliis  pomis  nutrit,  sed  fungidas  carnes  facit  (Ori- 
base,  t.  VI,  13, 1.  8  j  ms.  lat.  40233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  464, 1.  44  : 

aofxçcoST)  TîoiEÎ  T7)v  (jotpxa). 

Gaia,  s.  f.,  pie. 

Cissa  ab  antiquis  nomen  accepit...  Alii  ad  similitudinem  avis  qua  Greci 
cissa  vocant,  Latini  gaiam  dicunt  :  ut  enim  illa  pinnarum  varietate  dis- 
tincta  adque  voce  mitisona  esse  perhibetur,  non  aliter  haec  passio  varies 
desideriorum  ingerit  formas  (m s.  n.  a.  lat.  4649,  fol.  66,  2»  col.,  1.  7;  cf. 
Oribase,  t.  VI,  p.  48  i.) 

Tout  le  monde  et  d'acord  pour  reconaître  la  pie  dans 
Toiseau  apelé  an  grec  xiaaa  ;  donc  le  latin  vulgaire  gaia  a  le 
même  sans  pour  notre  traducteur.  L'espagn.  gaya  et  l'ital. 
dialectal  gam,  gaggia,  gaza,  représantants  fonétiqes  régu- 
liers du  lat.  vulg.  gaia,  conservent  fidèlemant  ce  sans,  qi  et 
aussi  celui  de  l'ital.  litéraire  gazza(sL\ec  zz  sonore),  mot  qe 
Nigra  considère  come  anprunté  par  le  toscan  aus  dialectes 
plus  septantrionaus  ^.  Le  témoignaje  de  Papias  (1053),  qi 
glose  gaia  par  pica^,  remonte  donc  à  une  saine  tradicion 
dont  notre  traducteur  nous  révèle  le  fondemant  pour  une 
époque  antérieure  de  plus  de  cinq  çants  ans.  An  some,  dans 
l'istoire  positive  du  latin  vulgaire,  gaia  «  pie  »  done  la  main, 
ou  peu  s'an  faut,  à  gains  «  jai  »,  qe  nous  a  transmis  Pole- 
mius  Silvius*. 

Gambarus,  s.  m.,  écrevisse. 

Gambaros  fluviatiles  ustos  (Oribase,  t.  V,  p.  858, 1.  30  ;  ras.  lat.  40233). 

4.  Ce  passaje  manqe  dans  le  ms.  lat.  10233  par  suite  de  la  disparicion 
des  feuillets  dont  il  a  été  qestion  ;  les  éditeurs  l'ont  publié  d'après  le 
ms.  lat.  9332,  qi  n'êt  qe  du  neuvième  siècle  ;  je  le  done  d'après  le  ms. 
Ashburnham,  qi  n'ofre  d'ailleurs  que  des  variantes  sans  inportance. 

2.  Zeitschr.  f.  rom.  Philol,  XXVII,  444. 

3.  Ibid.,  XXVII,  440. 

4.  Romania,  XXXV,  474. 


512  A.  THOMAS 

Astaci,  paburi,  gambari  et  alia  queque  talia  que  a  Grecis  malacia  vo- 
cantur  (Oribase,  t.  VI,  p.  12,  1.  5  ;  ms.  lat.  40233).  Etc.,  etc. 

La  forme  classiqe  et  cammarus,  du  grec  xà[x{xapoç  ;  les 
manuscrits  donent  souvant  gammarus.  Mais  l'ital.  gam- 
bero,  l'esp.  gàmbaro  et  le  prov.  gambre  postulent  un  tipe 
latin  vulgaire  gambarus,  dont  M.  Kôrting,  dans  son  Lat.- 
rom.  Worterb.,  a  fait  avec  raison  une  tête  d'article  ;  il  et 
inutile  maintenant  de  faire  précéder  cette  forme  d'un  asté- 
risqe.  D'ailleurs  on  avait  déjà  un  témoignaje  ancien  de  la 
substitucion  de  ryib  à  mm  dans  cète  remarqe  du  grammai- 
rien Caper:  cammarus,  non  cambarus^. 

Gargarizius,  s.  m.,  gargarisme. 

Si  pinguis  flegma  fuerit,  gargarizius  est  adhibendus  (Oribase,  t.  V,  p. 
827,  1.  8  d'an  bas;  ms.  lat.  40233). 

Partout  ailleurs  le  ms.  lat.  10233  anploie  la  forme  clas- 
siqe gargarismus.  Qèle  valeur  convient  il  d'atribuer  à  cet 
ài:a5?0n  peut,  je  crois,  i  voir  un  subst.  verbal  tiré  de  gargari- 
zare^  souvant  écrit  gargaridiare^  conformémant  à  la  pro- 
nonciacion  populaire  du  "C,  grec  dans  les  payis  de  langue 
latine.  On  sait  qel  dévelopemant  a  pris  ce  procédé  de  déri- 
vacion  dans  les  langues  romanes  ^  :  les  verbes  en  -izare 
(^-idiare)  i  ont  fourni  un  notable  continjant^  et  il  et  intéres- 
sant de  trouver  un  témoignaje  aussi  ancien  de  l'anploi  de  ce 
procédé  avec  un  verbe  de  cète  série.  Bien  qe  gargarizare 
ne  se  soit  pas  anraciné  dans  la  langue  populaire,  gargari- 
zius peut  être  considéré  come  l'ancêtre  des  mots  français 
tels  que  charoi,  octroi^  tournoi,  dont  le  nonbre  était  beau- 
coup plus  considérable  au  moyen  âje  qe  de  nos  jours. 


4.  Cité  dans  le  Thésaurus  ling.  lat.,  art.  gammarus. 

2.  Un  autre  exanple  sera  cité  plus  bas,  celui  de  sternutus. 

3.  Cf.  Meyer-Lubke,  Gramm.  des  l.  rom.,  t.  II,  §400. 


NOTES  LEXICOGRAFIQES  SUR  ORIBASE  513 

Grunium,  s.  n.,  groin. 

Meliores  sunt  pedes  porcini  de  grunia  (Oribase,  t.  VI,  p.  45,  1.  49  :  ms. 
lat.  10233,  fol.  426  v»,  ;  ef.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  165,  1.  28  :  PeXxc'ou; 
01  TioSs;  TÔJV  uwv  zloi  TO'j  puyy^ou;). 

Cibos  accipiant...  de  ungulas  porcorum  et  cronm  (Oribase,  t.  V,  p.  294, 
1.  i2;  ms.  247  ;  le  ms.  lat.  9332,  porte:  gronia). 

Il  et  clair  qe  notre  traducteur  conaît  un  mot  vulgaire 
grimium,  idantiqe,  come  sans  et  corne  forme,  à  l'ital. 
grugno,  au  prov.  gronh,  au  franc,  groin.  On  ramène  abi- 
tuèlemant  les  mots  romans  à  un  subst.  tiré  du  verbe  latin  qi 
signifie  «  grogner  »  et  dont  la  forme  flote  antre  grundire  et 
grunnire,  soit  *grundium  ou  *grunnium.  Si  l'étimolojie  et 
exacte,  pourqoi  ne  trouvons  nous  pas  les  groupes  -nn-  ou 
-nd-  dans  les  manuscrits  ?  Il  et  dificile  de  répondre  à  cète 
objeccion,  et  non  moins  dificile  d'admètre  qe  grunium  soit 
sans  raport  avec  le  verbe  an  qestion. 

GuRGUs,  s.  m.,  fluctuacion,  gargouillemant. 

Ventris  temperantia  hoc  modo  cognuscitur...  Si  satis  biberint,  gravan- 
tur  et  in  ventre  gurgus  faciunt  (Oribase,  t.  VI,  p.  83,  1.  48  ;  ms.  lat.  9332, 
fol.  55»  ;  cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  254,  1.  4  :  «  sî...  papùvotvco  xtji  TtXei'ovt 
xa\  xXuBcavaç  S)(^oiev  »). 

Gurgus  et  une  variante  de  gurges  dont  on  n'avait  qe  des 
exanples  du  moyen  âje  *,  mais  dont  on  admétait  d'ores  et 
déjà  l'existance  an  latin  vulgaire  pour  expliqer  l'ital.  gorgo^ 
le  prov.  anc.  gorc  (mod.  goure,  gourg,  etc.),  et  l'anc.  franc. 
gort  (qi  a  dû  être  primitivemant  *gorc),  conservé  jusq'à 
nos  jours  par  beaucoup  de  patois. 


4.  Voir  l'art.  Gurges  de  Du  Gange.  On  trouve  le  fém.  gurga  chés  les 
arpanteurs,  d'où  l'ital.,  esp.  et  prov.  anc.  gorga  (avec  o  fermé),  prov. 
mod.  gourgo.  Le  franc,  gorge  (avec  o  ouvert)  et  ses  conjénères  doivent 
être  tenus  à  part  de  la  famille  gurges,  gurgus,  gurga  ;  an  revanche,  il  et 
à  peu  près  sûr  qe  notre  mot  gargouille  an  fait  partie. 

33 


514  A.  THOMAS 

JosANUs,  JusANUs,  adj.,  inférieur. 

In  bracio  sunt  très  venae  quae  flevotomantur...  tertia  inferior,  gubito 
proxima,  que  àicitur  jossana.  —  Ex  bracio,  vena  jossana,  que  cubito 
proxima  est,  auferendus  est  sanguis.  —  Josana  flevotomatur  quecumque 
sub  cervicibus  surgunt  passiones.  —  Matrici  venae  nervus  subjacet  junc- 
ius,  jossanaevero  subacit  arteria(tome  V,  p.  812,  1.  5.  14,  16  et  22  j  ms. 
lat.  10233). 

Dans  les  passajes  correspondants,  le  ms.  n.  a.  lat.  1619 
écrit  :  iusaria,  iusana,  iosana^  hisanûe.  Le  contexte  établit 
clairement  la  sinonimie  de  jusaniis  et  de  inferior.  Cet  adjec- 
tif jusanus^  non  atesté  ailleurs,  dérive  manifestemant  de 
l'adverbe  bien  conu  jusum,  forme  vulgaire  de  deorsum,  qi 
a  survécu  dans  toutes  les  langues  romanes.  On  admet  depuis 
longtanps  l'existance  an  latin  vulgaire  des  adjectifs  ^  deretra 
nus,  *  for  anus,  ^  propianus,  '*subtanus,  ^superanus,  déri- 
vés des  adverbes  correspondants  deretro,  foris,  prope,  sub- 
tus,  super  ;  j'ai  montré  réçamant  q'il  falait  joindre  à  ce 
groupe  l'adjectif  *siibteraîius,  dérivé  de  l'adverbe  subter^. 
On  voit  que  jusanus  a  sa  place  marqée. 

A  côté  de  jusanus,  le  latin  vulgaire  a  dû  créer  de  bone 
eure  son  antonime  *susanus,  à  an  jujer  par  le  témoignaje  de 
l'anc.  espagnol,  qi  possède  susano  an  face  àeyusano,  et  par 
celui  de  l'anc.  béarnais,  qi  se  sert  aussi,  au  moins  dans  la 
toponimie,  des  termes  oposés  de  susaa,  jusaa^.  La  toponi- 
mie  du  nord  de  la  Gaule  conaît  aussi  le  même  usaje  :  les 
noms  tels  qe  Ciirtis-jusana,  Jusana-ciirtis,  Susana-curtis , 
Susana-villa,  Vallis-jusana  n'i  sont  pas  rares  ^  Le  premier 
nous  aparaît,  au  milieu  du  xii^  siècle,  sous  la  forme  romane 

1.  Romania,  XXXV,  193. 

2.  Mistral,  Trésor,  art.  Jusan,  Susan  ;  P.  Raymond,  Dict.  topogr.  des 
Basses-Pyrénées,  art.  aramitz. 

3.  Mon  confrère  M.  Auguste  Longnon  a  bien  voulu,  avec  son  oblijance 
ordinaire,  me  doner  sur  ce  point  qelqes  indicacions  pour  les  qèles  je  lui 
exprime  ici  toute  ma  reconaissance. 


NOTES  LEXICOGRAFIQES  SUR  ORIBASE  515 

Curt-jusaine  dans  le  cartulaire  du  monastère  de  l'Arivour*, 
où  il  s'apliqe  à  un  hameau  ancore  subsistant  de  la  comune  de 
Enchères,  canton  de  Bouilly  (Aube)  :  depuis  le  xii^  siècle, 
Vu  s'êt  afaibli  en  e  et  1'^  sonore  s'êt  rotacisée,  ce  qi  a  doné 
\naissance  à  la  forme  actuèle  Cour jer aine,  écrite  déraisona- 
i)lemant  Courgerennes  -.  Le  segond  et  plus  fidèlemant  con- 
servé dans  Jusainecoiirt,  chef-lieu  de  canton  de  la  Haute- 
^iarne,  dont  la  grafie  administrative  et  Juzennecourt  :  cf.  le 
bas  latin  Jusanna-curia,  an  1436,  dans  un  pouillé  '\  Le  troi- 
sième me  paraît  être  à  la  base  du  nom  d'une  comune  du  canton 
de  Joinville  (Haute-Marne),  q'on  écrit  Suzannecourt,  jadis 
Suzennecourt  (pour  Susaine court) ,  et  le  cinqième  à  la  base 
du  nom  de  Suzenneville,  comune  suprimée  du  canton  de 
Poix  (Somme)  :  mais  je  ne  done  ces  deus  idantificacions  qe 
sous  réserve,  car  je  ne  conais  pas  les  textes  anciens  qi  con- 
cernent ces  localités.  Enfin  Vallis-jiisana  figure  dans  des 
chartes  duxii^  siècle  come  nom  de  deus  localités  distinctes*  : 
Vaujusaine,  ferme  détruite  de  la  comune  de  Connantray 
(Marne),  et  Vaujuraine,  hameau  de  la  comune  de  Paisy- 
Cosdon  (Aube). 

Lacrimus,  s.   m.,  et  Lacrimum,  s.  n.   1.  larme,  sève  des 
plantes  ;  2.  albumen,  blanc  d'euf. 

1 .  Gedria  iendines  et  peduclos  occidit  et  aederae  lacrimus  similiter  (Ori- 
base,  t.  VI,  p.  536, 1.  4  ;  ms.  lat.  40233). 


1.  Aujourdui  hameau  de  la  comune  de  Lusigny  (Aube),  dont  la  grafîe 
courante  (La  Rivour)  doit  être  honie. 

2.  Voir  le  Dict.  top.  de  l'Aube  de  Boutiot  et  Socard.  Une  comune  de 
la  Marne  portait  primitivemant  le  même  nom,  qe  les  abitants  ranplacèrent 
dès  le  xii«  siècle  par  le  nom  actuel  :  voir  le  Dict.  top.  de  la  Manie  de 
M.  Longnon,  art.  Beaumont-sur-Vesle  :  «  villa  que  olim  vocabatur  Curtis 
Jusana,  modo  vero  Bellus  Mons  »  (4178). 

3.  Pouillés  de  la  province  de  Lyon,  p.p.  Aug.  Longnon  (Paris,  impr. 
nac,  4904),  p.  452. 

4.  Voir  les  Dict.  top.  déjà  cités  de  l'Aube  et  de  la  Marne. 


S16  A.  THOMAS 

Lacrimus  eius  (scilicet  hederae)  peduclos  occidit  (Oribase,  t.  VI, 
454,  1.  42  ;  ms.  lat.  10233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  620,  1. 1  :  to  8a- 
xpuov  aùxo'j  oôetpaçxxsi'vsi). 

2.  Glauciu  cum  vino  et  ovi  lacrimo  (Oribase,  t.  VI,  p.  474,  1.  47;  ras. 
lat.  40233). 

Quam  maxime  sufficit  lacrimum  ovi  et  collurium  (Oribase,  t.  VI,  p.  249, 
1.  48  ;  ms.  lat.  40233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  442,  1.  2  :  ôiç  xo  jioXÙ 
âpxeî  x6  Xsu/.ôv  xoj  woj). 

Fréquenter  lacrimum  ovi  aut  lacté  muliebri  incymatizandus  est  (Ori- 
base, t.  VI,  p.  250,  1.  21  ;  ms.  lat.  40233). 

Au  point  de  vue  de  la  forme,  les  textes  latins  étudiés  jus- 
q'ici  ne  conaissent  qe  le  fém.  iacrima,  et  toutes  les  langues 
romanes  sont  d'acord  sur  ce  point  avec  ces  textes.  Au  point 
de  vue  du  sans,  le  latin  a  érité  du  grec  Saxpu  ou  Saxpuov  le 
sans  figuré  de  «  sève,  résine,  etc.  »  et  Fa  transmis  aus  lan  - 
gués  romanes.  Au  contraire,  le  sans  u  albumen,  blanc  d'eul  » 
et  particulier  au  traducteur  d'Oribase\  qi  anploie  d'ailleurs 
concurramant  l'expression  classiqe  albumen  ovi.  Il  i  a  là,  à 
ce  q'il  sanble,  un  cas  intéressant  de  sémantiqe  populaire  : 
on  sait  qe  pour  séparer  le  blanc  du  jaune  d'un  euf ,  on  le  fait 
couler  an  goûtes  conparables  à  des  larmes.  Pourtant  je  ne 
vois  pas  q'aucun  parler  roman  ait  ataché  ce  sans  spécial  à 
qelqe  représanlant  du  latin  Iacrima. 

Lampadio,  s.  m.,  ognon. 

Lampadiones  nutriviles  sunt,  et  magis  bis  cocti  (Oribase,  t.  VI,  p.  H , 
1.  19  ;  ms.  lat.  10233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  163,  1.  2  :  6oX6o\ 
xpoçifx'jjxaxot,  Tcal  ixaXXav  otae-^ôot). 

Bulbos,  id  est  lampadiones  ((^ribase,  t.  VI,  p.  444,  art.  VI  ;  ms.  lat. 
10233.  —  Le  ms.  lat.  9332  écrit  :  lampaionis.) 

Les    diccionaires    courants    n'anrejistrent    qe    lampado, 

4.  Au  dernier  momant,  je  relève  la  même  expression  dans  le  recueil 
de  procédés  tecniqes  dont  j'ai  parlé  plus  haut  à  l'article  effersura  :  «  Inau- 
ratio  pellis...  Tollis  albumen  ovi  et  spungia  munda,  et  intinguis  in  ipsum 
lacrimem.  »  (Muratori,  Antiquitates  Italicae,  t.  II,  col.  376.) 


NOTES  LEXIGOGRAFIQES  SUR  URIBASE  517 

relevé  dans  le  De  diaeta  d'un  certain  Theodorus  qi  ne  paraît 
pas  devoir  être  idantifîé  avec  le  médecin  Theodorus  Priscia- 
mus'.  Le  Corpus  glossariorum  nous  ofre  deus  gloses  où 
notre  mot  et  léjèremant  altéré  : 

Buliuis,  id  est  lappaio  (III,  553,  42); 
Vuibos:  lapàtiones  (V,  519,  55). 

Dans  le  Thésaurus  glossanim  emendatarurriy  M.  Goetz  a 
oublié  de  relever  la  première  de  ces  gloses  ;  qant  à  la  segonde , 
au  lieu  de  la  classer  sous  Bulbus,  il  l'a  mise  à  son  ordre  alfa- 
bétiqe  an  raprochant  (sans  aucune  vraisanblance)  lapaiio 
de  lapathus. 

Le  mot  et  d'aparance  populaire,  mais  je  ne  conais  rien 
d'analogue  dans  les  parlers  romans  et  je  ne  devine  pas  qèle 
raison  sémantiqe  permétrait  de  le  tirer  de  lampas. 

Mediurnus,  adj.,  moyen. 

Conpositum  est  igitur  ex  utrumque,  id  est  ex  forti  et  vehementi  veloci- 
tate  2,  et  dicitur  mediurna  (Oribase,  t.  V,  p.  803,  l*  46  j  ms.  lat.  10233, 
fol.  3,  1.  48.) 

L'adjectif  mediurnus  n'a  pas  été  ancore  relevé  %  et  il  ne 
sanble  pas  avoir  survécu  dans  les  langues  romanes.  Sa  for- 
mation et  claire  :  èle  ateste  la  vitalité  du  sufixe  -urnus,  qe 
l'on  rancontre  à  l'état  sinple  dans  les  mots  latins  bien  conus 
tels  qe  alburnus^  diurnus,  nocturnus,  somnurnus^  et  pré- 
cédé d'un  t  épentétiqe  dans  diuturnus  et  longiturnus.  A 
la  basse  époqe  aparaît  mensurnus'*.  Diez  a  signalé  qelqes 

4.  Cf.  l'édicion  de  VEuporiston  de  Theodorus  Priscianus  par  V.  Rose, 
qi  fait  partie  de  la  colleccion  Teubner  (4894),  p.  xxi. 

2.  Au  lieu  develocitate,  la  bone  leçon  ètvel  citato,  fournie  par  le  ms. 
n.  a.  lat.  4649,  fol.  3,  col.  4, 1.  44  d'an  bas. 

3.  Le  ms.  n.  a.  lat.  done  medios,  corijé  par  une  main  postérieure  an 
médium. 

4.  Cf.  Fr.  Taber  Cooper,  Word  formation  in  the  Roman  sermo  ple- 
beius  (New-York,  4895),  p.  434.  Je  laisse  de  côté  les  noms  propres  et  les 


518  A.  THOMAS 

mots  romans  jetés  plus  ou  moins  tard  dans  ce  moule  :  ital. 
musorno,  piorno,  sajorna\  esp.  piornoK  Le  poème  provan- 
çal  de  Sancta  Fides  contient  un  adjectif  cabdorn,  de  sans 
indéterminé,  qi  fait  sonjer  à  un  tipe  latin  vulgaire  ^capitur- 
nus"-.  On  peut  avec  toute  vraisanblance  reconstituer  un  tipe 
*  subturnus,  dérivé  de  siibtifs,  pour  le  patois  savoyard  sëtor 
«  célier  »,  dans  le  latin  du  moyen  âge  suiur?iits^,  tandis  qe 
le  provançal  propre  sotol,  qi  a  un  sans  analogue,  postule  un 
tipe  latin  vulgaire  *siibtûlus. 

Melata,  s.  f.,  confeccion  de  pomes. 

Melata  de  non  maturis  malis  facta  (Oribase,  t.  VI,  p.  8,  1.  5  d'an  bas, 
et  p.  9,  1.  4;  ms.  lat.  10233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  160,  1.  21  et 
161,  1.  4  :   [i^Xa  xà  [JL7)  7:£;:eipa). 

Melata  ex  nondum  maturis  malis  facta  (Oribase,  t.  VI,  p.  17,  1.  15  ; 
ms.  lat.    10233.    —  Cf.  [le  texte.;  grec,  t.  V,  p.  167,    1.  15  :    [xfîXa  là 

(XTJTCW  TTcTTEipa). 

Melata  de  malis  stipticis  facta  (Oribase,  t.  VI,  p.  33,  1.  3  ;  ms.  lat. 
10233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  479,  1.  8  :  uf^Xa  xà  [xèv  axjçovTa). 

Ce  mot  melata  revient  ailleurs  dans  notre  traduccion  ; 
mais  ces  exanples  sufîsent.  La  conparaison  avec  le  texte  grec 
prouve  qe  melata  et  un  mot  latin  de  formacion  spontanée  : 
il  et  tiré  de  melum,  forme  populaire  de  malum  «  pomme  », 
avec  ce  sufixe  -ata,  apelé  à  avoir  un  dévelopemant  considé- 
rable dans  les  langues  romanes  et  dont  nous  avons  ici,  si  je 
ne  me  tronpe,  le  plus  ancien  exanple.  Le  latin  classiqe 
anploie,  qoiqe  raremant,  le  suffixe  neutre  -atum  dans  la 
même  fonccion  :  cf.  ceratum,  pomade  de  cire,  cérat  ;  pipe- 
ratum,  sauce  au  poivre,  poivrade  ;   rosatum,   conpote  de 

adjectifs  dérivés  de  noms  terminés  par  la  lètre  r,  tels  qe  eburnus,  ou  dans 
les  qels  -urnus  a  une  autre  orijine,  corne  colurnus,  sorti  par  métatèse 
de*corulnus. 

1.  Gramm.  des  lang.  rom.,  II,  357. 

2.  Romania,  XXXI,  190,  vers  300. 

3.  Voir  Constantin  et  Désormaux,  Dict.  Savoyard,  art.  cetor. 


NOTES  LEXIGOGRAFIQES  SUR  ORIBASE  S19 

roses.  Melata  a  survécu  an  roman  grâce  au  conposé  *meli- 
melata,  d'où  l'espagnol  mermelada^  passé  an  français  sous 
la  forme  marmelade. 

Nausietas,  s.  f.,  nausée. 

Nam  sicut  dictiim  est  *  mordicatione  cum  nausietate  habuerint,  ita  ut 
nausietur  et  vomere  non  possit  (Oribase,  t.  V,  p.  824,  1.  7  ;  ms.  n.  a. 
lat.  1619,  fol.  8vo,  2«  col.,  1.  4  d'an  bas.  —  Le  mauvais  état  du  ms.  lat. 
-10233  [fol.  14,1.  1],  n'a  permis  aus  éditeurs  d'Oribase  q'une  lecture  frag- 
mantaire  :  «  na...  nausietatem  habuer...  vomere  non  possit»). 

Nausietas,  sinonime  de  nausia  (pour  naused)  et  fort  inté- 
ressant ;  il  vient  prandre  rang  à  côté  de  odietas,  sinonime 
de  odifwi,  dont  nous  devons  la  conaissance  aus  notes  Tiro- 
niènes,  et  il  rand  d'autant  plus  vraisanblable  la  formacion 
des  tipes  postulés  *otietas  et  *vitietas  dont  j'ai  naguère 
exposé  la  raison  d'être-.  On  trouvera  plus  loin,  sous  siccie- 
tas,  une  autre  extansion  du  même  suffixe. 

Olivus,  s.  m.,  olivier. 

Eleas,  id  est  olibiis  arbor  (Oribase,  t.  VI,  p.  -467,  1.  8;  ms.  lat.  10233, 
fol.  36.  —  Cf.  ms.  n.  a.  lat.  1619,  fol.  27 <i  :  «  Eleas,  id  est  oleus  arbor...  »j 
puis  un  peu  plus  loin  :  «  teneras  oliui  cimas  »). 

Les  formes  concurrantes  olivus  et  oletis  ont  ceci  de  comun 
q'èles  afublent  d'une  désinance  non  classiqe  an  -us  le  nom 
de  l'olivier  pour  le  randre  pareil  aus  noms  des  arbres  frui- 
tiers tels  qe  cerasus,  melus,  pirus,  prunus,  etc.  Oleus,  tiré 
de  olea,  n'a  pas  laissé  de  traces  dans  les  parlers  romans: 
mais  il  an  et  autremant  de  olivus,  tiré  de  oliva,  qi  et  repré- 
santé  par  l'ital.  idivo,  l'esp.  et  le  port,  olivo,  le  prov.  oliu^ 

1.  Il  faut  nianifestemant  corijer  ainsi  :  «  Nam  si,  ut  dictum  est...  » 

2.  Voir  Romania,  XXXV,  305. 

3.  Sur  le  vrai  sans  de  ce  mot,  qe  Raynouard  traduit  à  tort  par  «  champ 
d'oliviers  »,  voir  l'art,  ouu  du  Prov.  Suppl.-Wœrterb.,  de  M.  Emil  Levy, 
t.  V,  p.  474. 


820  A.  THOMAS 

(auj.  ouiieu,  en  Languedoc)  et  l'anc.  franc,  oiif.  Même  for- 
tune et  advenue  à  castanea,  qi  n'a  subsisté  q'au  sans  de 
«  châtaigne  »,  le  sans  de  «  châtaignier  »  ayant  été  assumé 
par  la  forme  néolojiqe  *castaneus,  la  qèle  survit  dans  l'it. 
castagno,  l'esp.  castaho,  le  prov.  castanh  avec  les  fonccions 
sématiqes. 

Orbicalus,  Urbicalus,  s.  m.,  panaris. 

Ad  pterigiu  digitorum,  id  est  urbicalum,  pulver  uteris  (Oribase,  t.  V, 
p.  909,  1.  8,  d'an  bas  ;  ms.  lat.  40233). 

Facit  ad  urbicalum  in  digitis  (Oribase,  t.  V,  p.  913,  1.  i  ;  ms.  lat. 
109.33). 

Ad  paronicia,  id  est  orbicalos  in  unguibus  (Oribase,  t.  VI,  p.  150,  art. 
XVII,  titre  ;  ms.  lat.  10233). 

Quod  si  in  digitis  pteri[gi]ia,  id  est  orbicalus,  surgit  (Oribase,  t.  VI, 
p.  151,1.  11;  ms.  lat.  10233). 

Digitis  orbicalum  factum  sanat  (Oribase,  t.  VI,  p.  550,  l.  22  ;  ras.  lat. 
10233). 

Mot  nouveau,  à  moins  q'on  n'i  voie  une  sinple  déforma- 
tion du  latin  orbiculus.  Il  i  aurait  lieu  de  raprocher  de  cet 
anploi  de  orbiculus  le  nom  français  populaire  du  panaris, 
tourniole.  D'autre  part,  le  bérichon  orbillon  «  orjelet  »  ateste 
la  vitalité  de  orbiculus  an  latin  populaire;  cf.  l'art,  orbeillon} 
de  Godefroy. 

Peccullus,  s.  m.,  ou  Peccullum,  s.  n.,  pétiole. 

Emplastrum  dia  iteas,  que  reuma  dessicat  fortiter..  Salicis  folia  virides, 
sublata  duritia  depeccullis  lundis  in  pila,  (^Oribase,  t.  V  p.  855,  1.  s; 
ms.  lat.  10233). 

Depuis  long  tanps  les  romanistes  ont  reconu  l'existance  an 
latin  vulgaire  d'une  forme  *pediciiiliiSy  qui  et  transparante 
dans  plusieurs  parlers  actuels,  notamant  dans  le  siciiien pidi- 
cuddu\  Notre  traduccion  nous  montre  q'une  contraccion  an 
peccullus  était  déjà  en  usaje  au  sisième  siècle,  et  c'êt  à  cète 

1.  Voir  notamant  Meyer-Lûbke,  Gramm.  des  lang.  rom.,  II,  503,  et 
Salvioni,  dans  Z.  /.  rom.  Phil,,  XXIII,  523. 


NOTES  LEXICOGRAFIQES  SUR  ORIBASE  521 

forme  contractée  q'il  faudra  désormais  ratacher  l'anc.  franc, 
et  l'anc.  prov.  pecol^  ancore  vivants  dans  beaucoup  de 
patois,  ainsi  qe  les  formes  italiènes  dialectales  du  tipe 
pecollo  ou  picollo^  dont  M.  Salvioni  s'êt  ocupé  réçamant  et 
où  il  incline  à  voir  une  contaminacion  due  à  l'infïuance  du 
verbe  piccare.  Reste  à  expliqer  pourqoi,  dans  une  partie 
du  domaine  roman,  pedicullus  et  devenu  peccullus  à  une 
époqe  si  reculée. 

POLLICARIS   DIGITUS,    le  pOUCe. 

Et  cum  opiis  fuerit,  emplastrum  super  dextrum  pollicarem  digitum  pe- 
dis  ponis  (Oribase,  t.  VI,  p.  615,  1.  42  ;  ms.  lat.  40233). 

Le  ms.  lat.  9332  a  la  forme  coniraictée pulcarem  digitmn. 
Le  lat.  classiqe  ne  conaît  l'adj.  pollicaris  q'au  sans  de  «  qi  a 
la  longueur  d'un  pouce  »  (Pline).  Mais  les  langues  romanes 
ont  des  représantants  de  pollicaris  anployé  substantivemant 
au  sans  de  «  pouce,  le  plus  gros  et  le  plus  fort  des  doits  de  la 
main  ou  du  pied  '  ».  Diez  a  relevé  dans  la  Loi  Saliqe  le  pas- 
saje  suivant  :  «  Si  quis  policare  de  manum  vel  pedem  excus- 
serit-.  »  Il  et  d'autant  plus  utile  de  signaler  le  pollicaris 
dicjitus  du  traducteur  d'Oribase  qe  le  policare  de  la  Loi 
Saliqe  a  échapé  à  Du  Gange. 

Remagcinare,  V.  tr.,  remoudre. 

De  forfures  cataplasma...  Oportet  praeparare  forfures,  et  iterum  remac- 
cinare,  ut  tiat  subtilissimura  (Oribase,  t.  V,  p.  867,  art.  79  -,  ms.  lat. 
40233). 

On  sait  que  le  plus  ancien  exanple  de  maccinare  q'on  ait 
jusq'ici  signalé  provient  de  notre  traduccion  :  «  alfita  de  hor- 
deo  fricta  et  maccinata^  ».  Cet  l'italien  macinare.  le  rou- 


4.  Cf.  Kôrting,  Lat.-rom.  Wœrterb.,  2«  éd.,  n»  7294. 

2.  Etym.  Wœrterb.,  I,  art.  pollegar. 

3.  H.  Hagen,  Zur  Gesch.  der  PhiloL,  p.  251  (l.  9)  et  302.  Le  ms.  lat. 
9332  écrit  macinata  (Oribase,  t.  VI,  p.  38,  1.  4  d'an  bas). 


S22  A.  THOMAS 

main  macina,  verbe  qe  les  autres  langues  romanes  ignorent 
et  dont  la  présance  dans  notre  traduccion  en  souligne  l'ori- 
jine. 

Retenetorius,  adj.,  qi  a  la  vertu  de  retenir. 

Papaveris  semen  retenetoriam  est  thoraci  (Oribase,  t.  VI,  p.  27,  1.  6  ; 
ms.  40233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  175, 1.  4  :  [xrjxwvoç  o;rép[jLa  Itikq/j.- 
Tixdv  È(Jit  Twv  Ix  TO'j  OoSpaxo;). 

La  forme  correcte  et  retentorius^  qui  se  lit  dans  Cassio- 
dore,  De  anima,  6  :  «  Virtus  animae  retentoria.  »  Je  rapèle  qe 
les  langues  romanes,  dans  l'usaje  q'èles  font  des  sufixes 
-or,  -orius,  -ïcius,  pour  créer  des  mots,  ne  soudent  pas  ces 
sufixes  au  supin  mais  à  l'infinitif,  dont  èles  conservent  la 
voyèle  :  cf.  ital.  tenitore,  esp.  et  prov.  tenedor,  franc,  teneur 
(pour  teneeur),  etc.  J'ai  présanté,  en  1892,  des  observacions 
à  ce  sujet  aus  qèles  je  me  borne  à  ranvoyer*. 

RuPTUs,  s.  m.,  rot. 

Quod  si  fumosus  et  insavis,  générât  ruptus,  quod  nos  carbonculum 
vocamus  (Oribase,  t.  VI,  p.  84,  1.  11  ;  ms.  lat.  9332). 

Quod  ex  rupto  et  ventris  tumore  poteris  contemplare  (Oribase,  t.  VI, 
p.  91,1.  20;  ras.  lat.  9332). 

Uanc.  franc,  ro^  a  un  o  fermé,  come  sanglot;  si  l'on  dit 
aujourd'hui  rot  et  roter  (come  sanglot  et  sangloter)  au  lieu 
de  rout,  router  (come  l'on  devrait  dire  sanglout,  sanglou- 
ter^y  c'êt  qu'il  i  a  u  contaminacion  de  la  part  du  sufixe  -ot, 
^oter.  Mais,  à  s'an  tenir  à  l'anc.  franc.,  il  et  manifeste  qe  le 
lat.  rûctiis,  rûctare  n'a  pas  évolué  régulièremant,  sans  qoi 
le  c  devrait  être  représanté  par  un  i.  Dans  la  forme  ruptus 
de  notre  texte,  nous  prenons  sur  le  fait  la  contaminacion  par 


1.  La  loi  de  Darmesteter  en  provençal,  article  paru  dans  la  Romania, 
réinprimé  dans  mes  Essais  de  philologie  française,  pp.  11-30  ;  voir  spé- 
cialemant  la  p.  21. 


NOTES  LEXIGOGRAFIQES  SUR  ORIBASE  523 

le  participe  rûptus  (de  rumpere)  qi  expliqe  la  forme  fran- 
çaise. 

Sablonosus,  adj.,  de  la  nature  du  sable,  fin  come  le  sable. 

Pingues  humores  tici  expellunt  ;  praeterea  sablonosa  multum  quae  sunt 
in  renibus,  si  comedantur,  expurgant  (Oribase,  t.  VI,  p.  25,  1.  23  ;  ms. 
lat.  10233). 

Manibus  fricatur  interior  panis  ante  pridie  coctus  donec  sahlonosum 
fiât  veluti  farina  (Oribase,  t.  V,  867,  1.  11  ;  ms.  lat.  10233). 

Les  diccionaires  latins  ne  douent  qe  sabulosus.  Du  Gange 
a  un  exanple  de  sabiiionosus,  mais  cet  exanple  n'êt  que  du 
xiv^  siècle.  Cf.  l'ital.  sabbionoso,  le  prov.  mod.  sabiounous, 
le  franc,  sabioneus,  etc. 

ScARPELLus,  forme  dissimilée,  ipour  se aipeilu s,  scalpel. 

Pus  facto,  scarpello  aperies  (Oribase,  t.  VI,  p.  560,  1.  10,  d'an  bas  ; 
ms.  lat.  10233). 

A  raprocher  de  bursella,  cité  plus  haut. 

ScoRTicATURA,  S.  f . ,  écorchure. 

Emplastrum  dia  pepereos...  scorticaturas  sanat  (Oribase,  t.  V,  p.  849, 
art.  4  ;  ms.  lat.  10233). 

Cerotum  dia  tessaron.  Facit  ad  scorticaturas  et  omnes  percussuras  vel 
contrituras  (Oribase,  t.  V,  p.  861,  art.  42). 

Scorticatura,  pour  excorticatura^  et  le  tipe  postulé  par 
les  formes  romanes  qi  correspondent  au  français  écorchure 
(plus  anciènemant  escorehmrè)^  à  savoir  l'ital.  scorticatura^ 
le  prov.  mod.  escourtegaduro,  etc. 

SicciETAs,  s.  f.,  sécheresse. 

Malbarum  bero  decoctionem,  in  quibus  siccietas  est  bel  mordicatio, 
utendaest  (Oribase,  t.  V,  p.  823,  1.  18  d'an  bas:  ms.  lat.  10233,  f.  12, 
1.7). 

Cet  exanple  de   siccietas  et  toutafait  isolé  ;   partout  ailu 


824  A.  THOMAS 

leurs  le  ins.  lat.  10233  done  la  forme  classiqe  siccitas.  Cet 
donc  sous  toutes  réserves  qe  je  propose  d'atribuer  une  valeur 
réèle  à  cète  substitucion  accidantèle  de  la  désinance  -letas  à 
la  désinance  normale  -itas.  Ce  qi  me  porte  à  le  faire,  c'êt  qe 
le  prov.  cobeitat  et  Tanc.  franc,  coveitié  «  convoitise  »  pos- 
tulent inpérieusemant  un  tipe  *cupidietas,  au  lieu  du  latin 
classiqe  cupiditas.  Tant  qe  l'on  n'aura  pas  produit  d'exanple 
d'une  forme  adjective  *cupidius,  faisant  concurrance  à  ciipi- 
dus,  on  poura  croire  q'une  analojie  irraisonée  a  pu  subs- 
tituer *cupidietas  à  cupiditas  come  siccietas  à  siccitas. 

Sternutus,  s.  m.,  éternumant. 

Si  necesse  fuerit  caput  purgare  per  palatum  et  nares,  et  hoc  facis  et  sternu- 
tos  movebis  (Oribase,  t.  VI,  p.  234,  1.  8  d'an  basj  ms.  lat.  40233, 
f.  181). 

Ster?iutus  et  un  subst.  verbal  tiré  de  sternutare  «  éter- 
nuer  '  »  ;  il  et  venu  faire  concurrance  dans  le  latin  vulgaire 
k  sternumentum,  sternutamentum  ei  sternutatio,  dont  on  a 
d'abondants  exanples.  Sternutus  a  été  relevé  par  les  Béné- 
dictins continuateurs  de  Du  Gange  dans  un  écrit  de  l'abé 
Pirminius,  qi  vivait  au  milieu  du  uitième  siècle.  Son  anciè- 
neté  et  sa  vitalité  sont  atestées  par  l'ital.  sternuto,  l'esp. 
estornudo^  le  prov.  esterjiut,  l'anc.  franc,  esternu,  etc. 

SuBTiLiATORius,  adj . ,  qui  a  la  vertu  de  randre  subtil. 

Rafanus  suptiliaturiam  habet  virtutem  (Oribase,  t.  VI,  p.  2a,  1.  6  d'an 
bas)  :   ms.    lat.   10233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  174, 1.  5  :  pasayt; 

X£7tTOjj.epouç  laxt  Suvafxeto;). 

SuppA,  S.  f.,  soupe,  tranche  de  pain  inbibée  de  bouillon. 

1.  Cf.  la  remarqe  sur  ce  procédé  de  formacion  qi  a  été  présantée  ci 
dessus,  à  propos  du  mot  gargarizius.  Il  ne  faut  pas  sonjer  à  voir  dans 
sternutus  un  mot  de  la  A"  déclinaison  tiré  de  sternuere  come  mitus  de 
nuere. 


NOTES  LEXIGOGftAFIQËS  SUR  ORIBASË  525 

Panem  calidum  in  bullentem  mittis,  et  mox  dabis  manducarc  calidas 
suppas  (Oribase,  t.  VI,  p.  303, 1.  6  ;  ms.  lat.  10-233,  fol.  224  vo-22o). 

Le  texte  grec  ne  laisse  aucun  doute  sur  le  sans  du  mot 
suppa  :  «  ap-r^v  c'.ç  6£p[J.ov  uSwp  è[jt,6aXo)V  eùO'j?  Ihç,  çay^'-v  6£p;j.o'j? 
Tcj;  'h(ù'^.z\)q  »  (tome  V,  p.  493,  1.  9).  Ce  sans  et  idantiqe  au 
sans  primitif  d'un  mot  qe  conaissent  toutes  les  langues 
romanes,  eccepté  le  roumain  :  ital.  siippa^  esp.  port.  prov. 
sopa,  anc.  franc,  sope,  prov.  mod.  soiipo,  franc,  mod. 
soupe.  L'orijine  jermaniqe  de  ce  mot  n'êt  pas  contestable*  : 
risland.  soppa  nous  an  ofre  la  forme  la  plus  anciène^,  et  cète 
forme  et  toutafait  an  armonie  avec  le  suppa  du  traducteur 
d'Oribase  pour  leqel  w  et  o  fermé  sont  idantiqes.  Cet  le 
seul  mot  jermaniqe  qe  notre  traducteur  ait  incorporé  dans 
son  vocabulaire,  car  s'il  mancionele  nom  gotiqe  de  la  guède, 
uuisdile,  il  le  done  pour  ce  q'il  êt^  Il  faut  donc  que  suppa 
ait  fait  brèche  de  bone  eure  dans  le  latin  parlé  an  Italie 
pour  s'être  ainsi  dépouillé  à  ses  ieus  de  tout  caractère  exotiqe. 
Avant  ceus  du  grand  Téodoric,  les  conpagnons  de  Rada- 
gaise,  d'Alaric  et  d'Odoacre  avaient  sans  doute  déjà  fondé  la 
réputacion  de  la  suppa  des  Barbares,  et  les  populacions  ro- 
manes élaboraient  le  proverbe  :  la  soupe  fait  le  soldat. 

SusiNARius,  s.  m.,  prunier. 
Gummen  de  cerasia  et  susinarii  (Oribase,  t.  VI,  fol.  324, 1.  5  ;  ms.  lat. 


1.  Le  doute  émis  à  ce  sujet  par  G.  Paris  {Romania,  X,  60,  n.  2)  n'êt 
pas  fondé  ;  mais  Diez  a  u  tort  de  dire  qe  le  sans  primitif  du  mot  an  roman 
était  celui  de  «  bouillon  ».  Cf.  Kôrting,  Lat.-rom.  Wôrterbuch,  2^  éd. 
(1901),  no  9272. 

2.  Cf.  Skeat,  Etymol.  Dict.  of  the  Engl.  Language,  art.  sop,  etc. 

3.  Cf.  la  remarqe  qe  j'ai  faite  à  ce  sujet,  Romania,  XXXVI,  439,  n.  3, 
et  cèle  d'Auguste  Molinier,  qi  m'avait  échapé.  Œuvres  d'Oribase,  t.  VI, 
p.  XXV.  —  Une  eccepcion  doit  peut-être  être  faite  pour  gantula  (qe  le 
ms.  lat.  10233  écrit  gattula)  qi  et  anployé  par  le  traducteur,  t.  VI,  p.  7, 
1.  1  ;  mais  ganta  «  oie  »  et  déjà  conu  de  Pline.  D'ailleurs  il  n'êt  pas  sûr 
q'il  s'ajisse  d'oies  dans  ce  passajc,  où  le  texte  grec  porte  tout  autre  chose. 


oâ6  A.  THOMAS 

10233.  —  Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  509,   1.  40  :   xepaaou    te  tou  S^vopou 
xai  xoxxu(jL7)Xeaç  t6  x6[ji{jLt). 

Le  substantif  susinarius  et  doublemant  intéressant,  et  par 
son  tème  et  par  son  suffixe.  Il  et  manifeste  qe  notre  tra- 
ducteur conaît  corne  nom  vulgaire  de  la  prune  un  substantif 
*susina,  tipe  de  i'ital.  ancien  et  moderne  susina,  à  la  base 
du  qel  se  trouve  probablemant,  come  on  l'a  conjecturé,  le 
nom  de  la  vile  de  Suse,  an  Perse.  Cète  particularité  lexico- 
grafiqe  nous  permet  d'afîrmer  qe  le  traducteur  était  Italien, 
ce  nom  de  la  prune  étant  absolumant  inconu  an  dehors  de 
l'Italie.  Mais  le  fait  q'il  se  sert  du  suffixe  -arius  ajouté  au 
nom  du  fruit  pour  former  le  nom  de  l'arbre  a  une  portée 
jénérale  et  intéresse  toutes  les  langues  romanes,  puisqe 
toutes,  plus  ou  moins*,  ont  recours  au  même  procédé.  Le 
roumain  participant  à  cète  formation,  on  pouvait  assuré- 
mant  considérer  ce  procédé  come  apartenant  au  latin  vul- 
gaire dès  une  époqe  très  reculée  ;  mais  il  et  toujours  bon 
d'avoir  des  textes  formels,  et  le  susinarius  de  notre  traduc- 
teur sera  le  bien  venu  à  côté  du  melarius  et  du  pirarius  q'on 
a  remarqés  depuis  long  tanps  dans  la  Loi  Saliqe,  mais  dont  il 
et  dificile  de  dire  la  date  précise. 

Tricoscinare,  V.  tr.,  tamiser. 
Tricoscinum,  s.  n.,  tamis. 

Epithimus  choiera  nigra  deponit  et  flegma  ;  datur  enim  tritus  et  tricos- 
cinatus  (Oribase,  t.  V,  p.  818,  1.  11  d'an  bas  ;  ms.  10233.  —  Cf.  le  texte 
grec,  t.  V,  p.  26,  1.  11  :  Bîoou  8à  xd^j^aç  xal  ôtaoT^'aaç). 

Calceteus  tundis  et  cernis  tricoscinu...,  ita supermittes  lithargyru  tenuis- 
simum  tricoscinatum  (Oribase,  t.  V,  p.  850,  1.  7  et  9  ;  ms  lat.  10233.  — 
Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  97,  1.  11  :  ttjv  ^aXxi'tiv  xd^j^aç  xal  arjoa;  Xetcto- 
xx-o)  xo3/.ivaj...  élira  ère[ji.6aXX£  xrjv  XiGâpYupov  XsTîTOTaTto  xoaxivw). 

1.  L'italien  litéraire  apèle  le  prunier  susino,  mais  les  dialectes  conais- 
sent  susinaro,  qi  et  anrejistré  par  Antoine  Oudin,  Rech.  ital.  et  franc., 
1640. 


NOTES  LEXÏGOGRAPIQES  SUR  ORIBASE  5â? 

Les  exanples  de  ces  deus  mots  sont  fréqants  dans  notre 
texte;  voir  t.  V,  p.  882,  1.  9;  888,  1.  12  d'an  bas;  895, 
1.  18;  897,  1.  9,  etc.,  etc.  Les  diccionaires  grecs  ne  conais- 
sent  qe  les  mots  sinples  xér^ivov  et  y.or/-iv£ua)  ou  xsay.tviuo) . 
Mais  l'expansion  du  verbe  tricoscinare  dans  le  latin  médical 
a  été  assés  grande.  La  traduccion  d'Alexandre  de  Tralles, 
un  peu  plus  réçante  qe  cèle  d'Oribase,  l'anploie  coura- 
mant  :  c'êt  à  un  petit  glossaire  fait  pour  cète  traduccion 
qe  Du  Gange  a  anprunté  son  article  tricocinare^.  D'autre 
part,  dans  le  Corpus  glossmnorum  latinoriim,  on  lit,  t.  III, 
p.  606,  1.  20:  «  tricocinare,  sadaciare-  ». 

Tritorium,  s.  n.,  pilon. 

Ceteras  species  mittis  supra  et  lundis  diligenter  et  oleo  cyprino  unguis 
tritorium,  donec  diligenter  resolvantur  (Oribase,  t.  V,  p.  863,  1.  7  ;  ms. 
10233). 

Il  i  a  des  exanples  postérieurs  dans  Du  Gange,  sub  ver  ho  ; 
mais  Du  Gange  ne  dit  pas  qe  tritorium  et  anplojé  par  la 
traduccion  d'Alexandre  de  Tralles  dont  j'ai  parlé  ci  dessus 
à  l'art,  tricoscinare.  Je  note  incidamant  qe  cète  traduccion 
a  été  dépouillée  pour  le  Thésaurus  linguae  /«^ma^,  bien  q'èle 
ne  figure  pas  dans  VIndex,  car  èle  et  citée  au  mot  Acido  ; 
mais  le  dépouillemant  a  des  lacunes,  car  on  ne  la  cite  plus 
au  mot  AciDONicus,  q'èle  anploie  cepandant,  come  cèle 
d'Oribase. 

Unifarimus,  adj.,  fait  d'une  seule  farine. 
De  pane  siliginea  nutribilis,  post  haec  panes  de  sub  simula,  et  tertio 

1.  (c  Tricocinarë,  Scribrare  seu  cribrare,  in  Glossario  latrico  Reg.  cod. 
i486  ».  Le  ms.  visé  par  Du  Gange  porte  aujourdui  le  n°  6881  du  fonds 
latin  ;  la  glose  an  qestion  se  trouve  au  fol.  8,  prem.  col. 

2.  M.  Gootz  a  indiqé  le  raprochemant  avec  Du  Gange  (q'il  ne  conaît 
pas  directemant,  mais  par  De  Vit)  et  la  correccion  à  faire,  dans  son  Thé- 
saurus glossarum  emendatariim. 


M  À.  îhôma^ 

loco  unifarinius  coctus  (Oribase,  t.  VI,  p.  11,  1.  10  ;  ms.  lat.  10233.  — 
Cf.  le  texte  grec,  t.  V,  p.  162,  1.  20  :  xa\  TpiTo;  ô  èYxo[j.[axoç). 

Sur  les  formacions  de  ce  janre,  dont  qelqes  unes  ont  sur- 
vécu dans  le  latin  vulgaire,  voir  mes  Essais  de  philologie 
française,  p.  79. 


Paul  THOMAS 


LE  QVEROLUS 
ET  LES  JUSTICES  DE  VILLAGE 


34 


LE    QUEROLUS 
ET   LES  JUSTICES   DE  VILLAGE 

Par  Paul  Thomas. 


Le  curieux  Discours  de  fabiis  des  justices  de  village  du 
célèbre  jurisconsulte  Charles  Loyseau  (1566-1627)  com- 
mence ainsi*  :  «  Il  y  a  environ  quarante  ans,  que  dans  la 
bibliothèque  du  monastère  S.  Benoist  sur  Loyre,  fut  trouué 
vne  Comédie  latine  manuscripte,  assez  belle,  intitulée  Que- 
rolus  ou  Aulularia,  que  Pierre  Daniel  (qui  depuis  l'a  anno- 
tée) estime  auoir  esté  composée  du  temps  de  l'Empereur 
Theodose,  comme  de  faict  elle  ressent  le  stil  de  son  siècle. 
En  ceste  Comédie  Querolus  principal  personnage  délibérant 
auec  son  Lar  familiaris,  quelle  vacation  ou  condition  de  vie 
il  doibt  suyure,  et  ayant  jà  résolu  de  n'estre  point  Officier, 
prie  Lar  de  le  faire  deuenir  gentil-homme  :  Fac  dit-il  vt  sim 
priuatus  et  potens.  Lar.  Potentiam  cuiusmodi  requiris^. 
Quer.  Vt  liceat  Vicinos  spoliare  et  caedere.  Lar.  Latroci- 
nium  non  Potentiam  j'equiris  :  tamen  inueni,  vade,  ad  Li- 
gerim  viiiito .  Illic  iure  gentium  viuunt  homines,  illic  sen- 
tentiae  capitales  de  robore  proferuntur  et  scribuntur  in 
ossibus,  illic  etiam  rustici  pérorant  et  priuati  iudicant,  ibi 

1.  Je  cite  ce  Discours  d'après  l'édition  de  1628.  Paris,  pet.  iii-8.  —  Je 
respecte  l'orthographe  et  la  ponctuation  originales. 


«32  P.  THOMAS 

totum  licet.  0  sylvae,  o  solitudines,  guis  vos  dixit  libéras  ! 
Quer.  Robore  vti  non  cupio,  noio  haec  iura  sylvestria.  Ces 
propos  nous  apprennent,  que  ce  n'est  pas  d'auiourd'huy 
qu'il  y  a  en  France,  et  principalement  en  ces  quartiers  d'au- 
près la  riuiere  de  Loire  des  luges  soubs  TOrme  et  des  Jus- 
tices de  village.  Ce  qui  se  cognoist  encor  par  vn  passage  de 
lulles  César  au  sixiesme  de  ses  commentaires,  où  traictant 
des  meurs  des  Gauloys,  apud  eos,  dit-il,  in  pace  nullus  est 
Magistratus,  sed  principes  regionum  atque  pagorum  inter 
suos  ius  dicunt,  controuersiasque  minuunt.  Ce  qui  signifie 
que  ce  peuple  vsant  encor  de  sa  franchise  naturelle,  et  du 
simple  droit  des  gens,  estant  sans  loix  et  sans  magistrats  (car 
ce  fut  soubs  Arcadius  et  Honorius  enfans  de  Theodose,  que 
la  monarchie  Françoise  commença)  se  rapportoit  de  ses  dif- 
férents, et  mesmes  de  la  punition  des  coulpables  aux  prin- 
cipaux de  chacun  village  \  » 

Loyseau  revient  encore  ailleurs  sur  ce  passage  du  Quero- 
lus.  Je  ne  résiste  pas  au  plaisir  de  citer  sa  prose  si  savou- 
reuse. 

Parlant  du  pouvoir  souverain  et  de  la  juridiction  crimi- 
nelle, il  dit  :  «  Aussi  est-il  bien  certain,  qu'il  n'y  eut  iamais 
Republique  bien  ordonnée,  où  les  particuliers  fussent  pro- 
priétaires de  la  Justice  et  du  droict  de  glaive,  comme  ils  sont 
en  France.  Les  Athéniens  estoient  si  jaloux  du  droict  de 
glaive  et  de  la  Justice  criminelle,  qu'il  n'y  auoit  que  les  Areo- 
pagites  qui  s'en  meslassent,  gens  choisis,  gens  nourris  et 
entretenus  du  public,  gens  retirez  et  segregez  du  reste  du 
peuple,  gens  qui  ne  rendoyent  la  Justice,  que  de  nuit,  afin 
que  la  lumière  et  le  bruit  ne  les  detournast  de  l'ardue  mé- 
ditation, qu'il  faut  auoir  pour  dignement  iuger  les  hommes. 

«  Quant  aux  Romains  tant  s'en  faut  qu'ils  laissassent  la 

1.  P.  1-3. 


LE  QUEROLUS  533 

propriété  du  glaive,  ie  ne  dis  pas  aux  particuliers,  mais  en- 
cor  aux  plus  grands  magistrats:  que  mesme  ils  ne  leur  en 
laissoyent  pas  le  simple  exercice  sur  le  moindre  des  citoyens 
de  Rome  :  ains  par  leurs  loix  d'Estat,  qu'ils  appelloyent  loix 
Sacrées,  le  peuple  s'estoit  réservé  iusques  à  la  simple  admi- 
nistration et  exécution  de  cette  puissance,  pour  ne  iuger  de 
la  vie  des  citoyens,  qu'en  assemblée  generalle  de  tout  le 
peuple  Romain.  Encor  s'estoit-il  despouillé  luy  mesme  de 
cette  puissance,  en  tant  que  possible  estoit,  permettant  aux 
condamnez  de  quelque  crime  que  ce  fust,  de  quitter  le  pays, 
comme  il  se  void  dans  Ciceron,  pro  Rabir.  per.  reo,  dans 
Salluste,  in  Catilina  et  dans  Tite,  lia.  5.  Comparez  à  ces 
anciens  les  luges  soubs  l'Orme  de  ce  pays,  vbi  de  robore 
sententiae  capitales  proferuntiir  et  scribuntur  illico  in  os 
sibus,  vbi  rustici  pérorant,  et  priuati  iudicant,  vbi  denique 
totum  licetK  » 

Il  énumère  les  abus  criants  des  justices  de  village,  et 
ajoute  :  «  Il  y  a  encor  vn  autre  grand  inconuenient,  qui 
provient  de  ces  lustices,  c'est  que  chasque  gentilhomme  veut 
auoir  son  notaire  à  sa  poste,  qui  refera  trois  fois,  s'il  est  be- 
soin, son  contract  de  mariage,  ou  lui  fera  tant  d'obligations 
antidatées,  qu'il  voudra,  si  ses  affaires  se  portent  mal,  ou 
s'il  a  vn  coup  à  faire  :  notaire  qui  de  longue  main  se  pour- 
uoit  de  tesmoins  aussi  bons  que  luy,  ou  bien  qui  en  sçait 
choisir,  après  leur  mort,  de  ceux  qui  ne  sçavoyent  point  si- 
gner. Et  s'il  a  receu  quelques  vrays  contracts  qui  soyent 
d'importance,  il  n'oseroit  faillir  d'en  mettre  les  minutes  es 
mains  et  à  la  mercy  de  son  gentil-homme,  s'il  les  demande, 
qui  par  après  les  vend,  et  en  compose  ainsi  qu'il  luy  plaist. 
Voila  comment  la  foy  publique  est  obseruée  aux  villages. 
Concluons  donc  par   le   dire    de   ceste  ancienne  Comédie, 

l.P.  75-77. 


o34  P.  THOMAS 

«  0  !  sylvae  ô  solitudines  !  qiiis  vos  dixit  libéras  *  I  » 
Terminons  par  ces  lignes  piquantes  :  «  De  moy,  depuis  trois 
ans  que  ie  visparmy  ces  petites  Justices,  i'y  ayencorplusveu 
de  mal  que  ie  ne  puis  exprimer,  non  toutes  fois,  grâces  à  Dieu, 
en  celles  qui  me  concernent.  Entre  autres  iepuis  dire  quei'ay 
surpris  deux  ou  trois  nichées  des  praticiens,  qui  commen- 
çoient  à  installer  de  nouuelles  Justices  (chose  qui  se  fait  tous 
les  iours,  et  si  on  n'y  met  ordre,  il  y  aura  en  bref  autant  de 
Justices  en  France  que  de  hameaux)  et  les  ayant  interrogés 
s'ils  estoyent  pouruus  de  leurs  prétendus  offices  par  mort  ou 
résignation,  et  où  ils  avoyent  fait  le  serment,  ils  m'ont  tous 
confessé  qu'ils  ne  sçavoyent  qui  estoit  leur  prédécesseur,  et 
qu'ils  n'auoient  point  fait  de  serment  en  Justice  :  et  notam- 
ment i'en  ay  trouué  un  que  ie  declareray  par  honneur  (c'est 
le  prétendu  Prévost  de  Licoucy  près  Orléans)  qui  après  son 
interrogant  me  déclara  ne  sçavoir  escrire  ne  signer,  comme 
c'estoit  la  vérité.  Voyla  pas  le  dire  de  la  Comédie.  Ad  Lige- 
rim  sententiae  capitales  de  robore  proferuntur,  et  scribun- 
tur  in  ossibus  :  ibi  rustici  pérorant  et  priuati  iudicant,  ibi 
totum  licef^.  » 

Le  rapprochement  que  Loyseau  établit  entre  les  juges  im- 
provisés mentionnés  dans  le  Querolus  et  les  «  juges  sous 
l'orme  »  de  l'ancien  régime^  n'est  certainement  pas  exact  : 
là,  il  s'agit  de  quelque  chose  d'irrégulier  et  d'exceptionnel, 
ici,  d'une  institution  abusive  peut-être,  mais  consacrée  par  le 
temps.  On  admet  généralement  que  l'auteur  latin  fait  allu- 
sion à  des  brigands  ou  à  des  rebelles,  aux  Bagaudes  qui  dé- 
solaient les  bords  de  la  Loire*,  et  que  les  termes  iure  gen- 

1.  P.  113-114. 

2.  P.  116-117. 

3.  Ce  rapprochement,  du  reste,  avait  été  déjà  fait  par  P.  Daniel  dans 
les  notes  de  son  édition  (1564). 

4.  V.  Louis  Havet,  Le  Querolus,  p.  2-7.  Paris,  1880.  —  On  a  conjec- 
turé aussi  que  ce  passage  avait  trait  à  des  Germains  cantonnés  sur  la 


LE  QUEROLUS  535 

tium,  sententiae  capitales,  etc.,  doivent  s'entendre  dans  un 
sens  ironique*.  Pour  ma  part,  je  serais  tenté  de  croire  qu'au 
milieu  de  l'anarchie  qui  régnait  en  Gaule,  les  paysans  de 
certains  cantons  étaient  retournés  instinctivement  aux  cou- 
tumes primitives  et  avaient  organisé  entre  eux  une  sorte  de 
justice  rudimentaire.  N'y  aurait-il  point  là  quelque  analogie 
avec  la  loi  de  Lynch  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  me  paraît  incon- 
testable que  sententiae  capitales  de  robore  proferuntur  si- 
gnifie :  «  on  rend  des  sentences  capitales  sous  un  chêne  ^  »  ; 
ainsi  saint  Louis  à  Vincennes  rendait  la  justice  sous  un 
chêne,  aiûsi  les  juges  de  village  siégeaient  sous  un  orme.  Les 
mots  iura  haec  silvestria  confirment  cette  interprétation  :  la 
scène  se  passait  dans  une  forêt.  —  Le  sens  de  la  phrase  (sen- 
tentiae  capitales)  scribunturin  ossibus  est  obscur.  M.  Havet 
traduit  :  «  On  en  écrit  le  texte  sur  les  os  du  patient.  »  Je 
me  demande  si  l'auteur  n'a  pas  voulu  dire  que  ces  senten- 
ces étaient  écrites  ou  gravées  sur  des  os  d'animaux,  à  défaut 
de  tables  de  pierre,  de  bronze,  de  bois,  etc.  On  sait  qu'une 
partie  du  Coran  fut  écrite  sur  des  omoplates  de  mouton. 

Loire  (Havet,  p.  4,  note  1,  et  p.  218,  note)  ;  mais  le  mot  rustici  me  sem- 
ble contredire  cette  hypothèse.  Si  ces  Germains  étaient  des  rustici,  ce 
n'étaient  pas  des  soldats,  mais  des  colons  (cf.  Fustel  de  Coulanges,  His- 
toire des  Institutions  politiques  de  l'ancienne  France,  !'•«  partie,  livre 
III,  chap.  v).  On  ne  conçoit  pas  que  des  captifs  germains,  réduits  à  la 
condition  de  colons,  aient  pu  conserver  leurs  institutions  particulières  et 
tenir  un  mallus.  —  Mon  ami  M.  Pirenne  me  fait  observer  que  le  mot 
rustici  pourrait  à  la  rigueur  s'entendre  de  leti  germains  (soldats-labou- 
reurs), mais  que  ces  leti  étaient  cantonnés  au  Nord  et  à  l'Est  de  la  Gaule, 
dans  le  voisinage  des  frontières,  et  non  au  centre,  sur  les  bords  de  la 
Loire. 

4.  Klinkhamer  explique  ibi  sententiae  capitales  de  robore  proferuntur 
et  scribuntur  in  ossibus  par  ibi  duri  baculi  (des  bâtons  de  bois  de  chêne) 
a  fortioribus  in  imbecillorum  caput  et  ossa  impinguntur. 

2.  Et  non  :  «  sur  un  tronc  de  chêne  »,  comme  le  traduit  M.  Havet.  — 
Pour  cet  emploi  de  de,  cf.  Plante,  Mostell.,  1104  :  Tum  consilia  firmiora 
sunt  de  divinis  locis. 


H.  VANDAELE 


VARIA 


VARIA 

Par  H.  Vandaele. 


I.  —  Places  respectives  des  personnages  sur  la  scène  antique, 

ÉTABLIES    PAR    LE    MOYEN    DES    DÉMONSTRATIFS. 

On  sait  quelle  signification  précise  et  bien  distincte  les 
Grecs  et  les  Latins  donnaient  à  leurs  démonstratifs  oBs,  ouioç, 
ày.eTvoç  —  hic,  iste,  ille  dans  tous  leurs  emplois  :  au  sens 
personnel,  local,  temporel,  figuré.  "Olz  eihic,  relatifs  à  la  1"* 
personne  qu'ils  pouvaient  même  remplacer  comme  pronoms 
(oBs  =  èyo),  hic  =ir  ego^,  signifiaient  suivant  le  contexte  :  ce 
qui  est  à  moi,  ce  que  je  tiens,  ce  qui  est  près  de  moi.  De 
même  ouxoç  et  iste,  équivalents  éventuels  de  au  et  de  tu,  im- 
pliquaient proximité  dans  le  temps  et  dans  l'espace  avec  la 
2^  personne.  'ExeTvoç  et  2*//^  s'appliquaient  à  un  objet  éloigné 
et  le  plus  souvent  absent.  Ouxo;  par  contre  se  disait,  au  sens 
local,  bien  entendu,  d'une  personne  présente  mais  placée  à 
quelque  distance  de  celui  qui  parlait.  Cf.  w  ouxoç  =  heus 
tu. 

Ces  principes  posés,  si  l'on  admet,  ce  qui  paraît  incontes- 
table, que  les  démonstratifs  étaient  employés  en  poésie  avec 
la  même  précision  qu'en  prose,  il  n'est  pas  douteux  qu'ils  ne 
puissent  servir  à  nous  fournir  des  indications  sur  les  places 
respectives  des  personnages  sur  la  scène,  indications  d'autant 


540  H.  VANDAELE 

plus  intéressantes  que  ces  emplois  sont  très  fréquents.  La 
place  des  acteurs  une  fois  établie  au  commencement  d'une 
scène,  les  démonstratifs  nous  indiqueront  encore  leurs  dépla- 
cements dans  le  cours  de  la  pièce,  et,  pour  peu  que  nous 
en  cherchions  les  causes,  pourront  nous  renseigner  sur 
l'attitude,  les  gestes,  partant  sur  les  sentiments  des  person- 
nages. 

Étudions  à  cet  égard  un  passage  de  l' Antigène  de  Sopho- 
cle, les  épisodes  II  et  III  pendant  lesquels  Antigone  paraît 
et  reste  sur  la  scène. 

Pendant  que  le  Garde,  sur  l'ordre  de  Créon,  est  re- 
tourné auprès  du  cadavre  dePolynice,  le  Chœur  vient  d'exé- 
cuter en  chantant  deux  strophes  et  deux  antistrophes.  Puis 
il  se  retire  en  ordre  de  marche  en  un  endroit  de  l'orchestra, 
en  même  temps  qu'il  annonce  l'entrée  d'Antigone  amenée 
par  le  Garde,  le  tout  en  un  système  anapestique,  rythme 
naturel  à  la  marche.  Mais  où  se  rend-il  ?  Et  quelle  est  sa 
place  relativement  à  Antigone  ?  La  chose  est  du  plus  grand 
intérêt  :  il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  de  savoir  où  se  tenait 
le  Chœur  pendant  les  épisodes.  On  ne  peut  répondre  à  la 
première  question  que  si  la  seconde  est  résolue  ;  or,  cette 
dernière  solution  nous  sera  fournie  par  l'emploi  des  démons- 
tratifs. Le  Chœur  s'écrie  : 

'Eç  Sa^xâviov  xepaç  àjxçtvoG) 

T  6  5  £  •  Tziùq  £ÎBà)ç  àvTtXoyo^ti) 

TTQvB  'cjx  slvai  TCaTB '  'Avtiyovyjv  ;  (vv.  376-8) 

Ici  ToSe  et  t-^vBs  ont  bien  un  sens  local.  Si  ces  termes  sont 
employés  avec  leur  valeur  précise  (et  pourquoi  ne  le  se- 
raient-ils pas?),  ils  signifient  qu'en  ce  moment  Antigone  est 
toute  proche  du  Chœur.  Le  Chœur  se  dirige  vers  le  fond 
de  l'orchestra,  côté  droit  (par  rapport  aux  spectateurs),  et 
c'est  là  qu'il  rencontre  la  jeune  fille  entrant  par  la  parodos 


VARIA  S4i 

droite,  poussée  par  le  Garde  et  sans  doute  plusieurs  escla- 
ves (cf.  aYO'Jîi  •...  /.aÔsXovxeç  vv.  382-3).  C'est  là  aussi  qu'il 
va  se  ranger  et  qu'il  restera,  entre  l'entrée  laissée  libre  de 
la  parodos  et  la  porte  du  palais  qui  occupe  le  milieu  de  la 
axrjVT^ .  Pendant  qu' Antigone  fait  quelques  pas  en  avant  de  ma- 
nière à  être  bien  en  vue  des  spectateurs,  le  Chœur  s'adresse 
directement  à  la  jeune  fille  sur  le  ton  de  la  conversation  en- 
tre personnes  toutes  proches  : 

il  tcot'  ;  où  Zi^  TTou  ffé  y'  aTTiaTOuaav 
ToTç  l^aaiXsicta'.v  ayouai  vojxoiç 
xai  £v  àçpoffùvY;  xaSeXcvceç  ; 

On  admet  généralement  que  les  acteurs  jouaient  au  fond 
de  l'orchestra  tout  près  de  la  oxr^vi^,  tandis  que  le  Chœur  se 
tenait  plus  près  des  spectateurs.  Mais  cette  manière  de  voir, 
outre  qu'elle  ne  repose  sur  aucun  texte  autorisé,  est  invrai- 
semblable, en  contradiction  avec  tout  ce  que  nous  savons 
sur  le  théâtre  du  v*  siècle  et  avec  le  texte  de  tous  les  drames 
qui  nous  sont  parvenus.  Il  est  inadmissible,  en  effet,  que  le 
Chœur  restât  interposé  entre  les  acteurs  et  le  public.  On  dira 
peut-être  que  le  costume  d'une  part  et  d'autre  part  le  co- 
thurne des  acteurs  suffisaient  à  distinguer  ceux-ci  des  cho- 
ristes. Soit.  Il  n'en  est  pas  moins  certain  que  sans  aucune 
utilité  le  Chœur  pouvait  cacher  plus  ou  moins  les  acteurs. 
N'est-il  pas  naturel  au  contraire  que,  le  rôle  du  Chœur  pen- 
dant les  épisodes  devenant  de  plus  en  plus  secondaire,  celui- 
ci  se  tînt  derrière  les  acteurs,  comme  le  font  les  comparses 
et  les  personnages  accessoires  sur  toutes  les  scènes  dans  tous 
les  pays?  Donc,  à  moins  que  le  Chœur  ne  prît  une  part  ac- 
tive à  l'action  (comme  dans  les  Euménides  d'Eschyle  et 
dans  les  comédies  d'Aristophane),  sa  place  pendant  les  épi- 
sodes devait  être  auprès  du  mur  du  fond,  entre  la  porte  du 
milieu  (palais  ou  temple)  et  l'une  des  parodoi,  probable- 


542  H.  VANDAELE 

ment  du  côté  où  il  devait  le  moins  gêner,  de  l'un  et  de  l'au- 
tre côté  sans  doute  quand  il  était  partagé  en  deux  demi- 
chœurs.  Le  long  de  la  (jxyjvtj  qui  mesurait  environ  20  mètres 
de  longueur,  la  place  était  plus  que  suffisante  pour  que 
douze  ou  quinze  personnes  pussent  se  ranger  en  ligne  ou  se 
grouper  sans  entraver  le  moins  du  monde  ni  les  entrées  ni 
les  sorties  ni  les  mouvements  divers  des  personnages.  Aussi 
bien  les  textes  des  œuvres  dramatiques  ne  laissent  aucun 
doute  à  cet  égard  :  chaque  fois  que  le  Chœur,  reprenant  sa 
place  après  un  stasimon  ou  étant  en  repos  pendant  un  épi- 
sode, annonce  l'arrivée  d'un  nouveau  personnage,  il  le  dési- 
gne par  le  démonstratif  ôSe.  Les  personnages  entrant  tous  par 
le  fond,  par  la  porte  ou  par  les  parodoi,  il  s'ensuit  que  le 
Chœur  était  lui-même  au  fond  de  l'Orchestra,  entre  l'une 
des  parodoi  et  la  porte  centrale.  Cf.  dans  Antigone  :  vers 
155,  entrée  de  Créon,  âXX'  ôSsy^P^^  PaaiXeùç  x^paç  ;  vers 
386,  entrée  deCréon  35e  £x§6(jl(i>v....  ;  vers  626,  entrée  d'Hé- 
mon  oSe  [;.t)v  Ai'iJLwv....;  vers  1257,  entrée  de  Gréon,  y,al  {jiyjv 


Inutile  de  faire  intervenir,  outre  la  porte  du  milieu,  une 
porte  de  droite  et  une  porte  de  gauche  dans  le  théâtre  du  v* 
siècle.  Tous  les  personnages  sortant  du  palais  (ï%  Sojawv  ou 
ex  SwjjiaTwv)  passent  par  la  même  grande  porte  (ttuXôjv,  v. 
526),  la  seule  qu'à  cette  époque  les  palais  et  les  temples  eus- 
sent sur  la  rue.  Il  faut  songer  d'ailleurs  que  dans  ces  temps 
anciens  les  décors  étaient  réduits  au  strict  nécessaire. 

Pour  revenir  au  passage  que  nous  étudions,  voilà  donc, 
au  commencement  du  deuxième  épisode  le  Chœur  placé  à 
droite  et  un  peu  en  avant  de  la  porte  du  palais.  Antigone 
vient  d'entrer  par  Isl  parodos  de  droite.  Les  gens  qui  l'ame- 
naient s'arrêtent.  Le  Garde  la  pousse  un  peu  en  avant  du 
Chœur,  croyant  trouver  Gréon  devant  la  porte  du  palais. 
«  La  voici f  s'écrie-t-il  triomphant,  celle  qui  a  fait  le  coup  ; 


VARIA  543 

c'est  celle-ci  que  nous  avons  prise  sur   le   fait.  Mais  où  est 
Gréon  ?»  — Le  Chœur:  «  Le  voici  qui  sort  de  son  palais...  » 

Ti^vB'  6?Xo{X£V  ÔaTCTOUffav.  'AXXà  xoO  Xpéwv  ; 
Xo.  "Os'  ex  SojjLwv  a(];oppoç  eîç  (Jiéaov  luepa. 

Le  Chœur,  qui  a  aperçu  Créon  avant  le  Garde,  se  trouve 
donc  entre  celui-ci  et  le  roi  :  voilà  pour  la  profondeur.  Nous 
avons  vu  tout  à  l'heure  qu'il  se  trouve  aussi  entre  la  porte 
et  \ai parodos  de  droite  :  voilà  pour  la  longueur.  La  distance 
mathématique  importe  peu  ici  ;  quant  à  la  place  relative  de 
tous  ceux  qui  sont  en  ce  moment  dans  l'orchestra  (nous  di- 
rions en  scène),  elle  est  dès  maintenant  nettement  établie. 
Le  Chœur  ne  bougera  plus  jusqu'au  prochain  stasimon.  Oc- 
cupons-nous des  acteurs  proprement  dits,  de  leurs  mouve- 
ments au  cours  de  l'épisode  même. 

En  apercevant  Créon,  le  Garde  lui  raconte  avec  volubilité 
le  succès  de  son  entreprise  et  lui  présente  Antigone  qu'il 
désigne  par  TYjvâe  :  xoprjv  àywv  tt^vS'  (v.  395)  —  xal  vuv, 
àva^,  TT^jvS'  aÙTOç,  wç  SéXeiç,  Xa6à)V  |  xat  xpïv£  xà^eXév^'  •  âyo) 
§'£>v£Ù6£poç,  X.  T.  X.  (v.  398-9).  C'est  en  ces  termes  qu'il  re- 
met la  jeune  fille  entre  les  mains  de  Créon.  Puis,  par  réserve 
autant  que  par  soulagement,  il  s'écarte  un  peu  (vers  la  droite 
naturellement),  comme  la  suite  va  le  montrer.  Créon  a  Anti- 
gone tout  près  de  lui  quand  il  demande  au  Garde  comment 
il  l'a  surprise. 

aveiç  l\  Tii^vSe  tw  xpoxG)  '!i:66£V  XaSciv  ;  (v.  401) 

Les  personnages  sont  disposés  exactement  comme  suit  : 

(Porte  du  Palais)  (Parodos) 

Les  Serviteurs 
Le  Chgeur. 
Créon,  Antigone.  Le  Garde. 

4.  £X£tv7),  cela  va  sans  dire,  n'a  pas  ici  de  signification  locale. 


544  H.  VANDAELE 

Le  Garde,  en  effet,  dès  le  premier  mot  désigne  Antigone 
par  auTYj  (auTY)  tôv  avBp'  lôaTcie  402).  Il  la  nomme  encore 
deux  fois  dans  son  récit  et  deux  fois  par  xauxYjv  et  qlu-zt,  : 
TaiitiQV  y'  t5<*>^  ÔàiCTOuaav  404  —  oiixo)  Sa  -/^oiljiri  ^^iXôv  wç  opa 
véxuv  426. 

Attribuera-t-on  au  hasard,  à  un  caprice  du  poète  d'abord 
ce  changement  de  démonstratif  pour  désigner  dans  la  bou- 
che du  même  personnage  la  même  personne  à  l'arrivée  et 
après,  puis  cette  continuité  d'emploi  dans  un  même  passage*  ? 

Son  récit  terminé,  le  Garde  s'en  va  par  où  il  est  venu.  Les 
serviteurs,  qui  avaient  amené  Antigone  avec  lui,  restent  au 
fond,  à  l'entrée  de  la  parodos  ;  leur  présence  sera  nécessaire 
tout  à  l'heure  (v.  491).  La  scène  suivante  aura  pour  acteurs 
Créon,  Antigone,  et  le  chœur  naturellement. 

Antigone  n'a  pas  encore  ouvert  la  bouche;  elle  reste  la 
tête  baissée  (441).  Créon,  près  d'elle,  l'apostrophe  vive- 
ment pour  lui  demander  si  elle  reconnaît  la  vérité  de  ce  qui 
vient  d'être  dit  : 

(jà  Si^,  ffà  TT^v  veiiouffov  eîç  iréSov  xàpa, 

<pYjç  Y)  xàxapveï  [ayj  SeSpaxévai  xaSe  ;  (441-2). 

TaSe^cecz,  «  ce  que  je  te  dis  ici  »,  ou  «  ce  que  tu  me  dis 
ici  » .  Ce  mot  est  employé  avec  le  premier  sens  par  Créon  ici 
et  V.  447  :  i^SYjaÔa  xi^px/^ivia  [xy;  Tcpaaaeiv  TaSe;  avec  le  second 
sens  par  Antigone,  v.  430  :  où  Y"^?  "^^  V-^^  2iùq  fy  o  xYjpy^aç 
TaSe.  Le  démonstratif  laSe  implique  proximité  des  deux 
interlocuteurs.  Même  sens,  même  attitude,  même  ton  dans 
l'expression  TcJçSe...  v6{ji.ouç  prononcée  successivement  par 
Créon  (449)  et  par  Antigone  (452).  Encore  un  exemple  de 
cette  continuité  constatée  plus  haut. 


1.  En  désignant  encore  Antigone  par  ces  mots  r)  Tcaîç  (423)  (=  la  dite 
jeune  fille),  le  Garde  fait  bien  entendre  qu'il  ne  se  trouve  pas  tout  à  côté 
d'elle.  Cf.  T^ç  TtatSoç  dans  la  bouche  du  Chœur,  au  vers  472. 


VARIA  545 

L'emploi  par  Antigone  des  termes  mêmes  de  Créon  pour 
opposer  sa  manière  de  voir  à  celle  du  roi  constitue  en  outre 
une  sorte  d'impertinence.  Il  est  vraisemblable  de  supposer 
qu'à  ce  moment  Créon,  interloqué  autant  que  froissé  d'une 
telle  audace,  s'éloigne  de  quelques  pas  pendant  le  reste  du 
discours  d'x\ntigone.  En  effet,  le  roi  lui  répond  plein  de 
colère  : 

a'jTYj  B'  uSpi'Cs'.v  ^àv  toi'  e^YjTuiaxaTo  (480) 

«  Celle-là  savait  bien  m'outrager  tout  à  l'heure  »...  Ce  mot 
auTYj  ne  peut  se  rapporter  qu'à  une  personne  placée  à  quel- 
que distance  de  celui  qui  le  profère.  Quatre  vers  plus  bas, 
Créon,  toujours  à  la  même  place  ou  du  moins  toujours  à 
quelque  distance  d'Antigone,  continue  : 

•^  vliv  àyà)  \jh  ojy,  àvi^p,  auTYj  S'àv^p  (484) 

«  Certes  il  faudrait  que  moi  je  ne  fusse  plus  un  homme  et 
que  celle-là  fût  un  homme...  »  ;  et,  au  comble  de  la  colère, 
il  achève  sa  phrase  en  s'avançant  vers  elle,  la  menaçant,  en 
quelque  sorte  le  poing  près  du  visage  de  la  jeune  fille  : 

û  Taux'  àvail  t^§£  xîiasxai  xpatr^  (485). 

«  Si  une  pareille  violation  restait  impunie  pour  celle-ci.  » 
Dans  ce  passage,  le  changement  de  démonstratif  fait  ressor- 
tir avec  évidence  le  mouvement,  je  dirai  même  le  geste  de 
Créon  exaspéré.  Furieux  enfin,  il  décrète  qu'Antigone 
périra,  et  sa  sœur  avec  elle  :xal  yàp  ouv  xsîvyjv  iaov  eTuaiTiwixa'. 
(489-90).  Keivt^v,  parce  qu'Ismène  est  absente.  Ordre  est 
donné  aux  serviteurs  d'aller  la  chercher  (491). 

Cependant  Antigone  se  glorifie  de  son  acte  et  se  déclare 
prête  à  mourir,  victime  du  despotisme  de  Créon,  certaine 
d'ailleurs  d'être  approuvée  de  tous.  Et  ce  disant  elle  désigne 
le  chœur,  éloigné  d'elle,  par  le  démonstratif  tojtoiç  (504), 

35 


846  H.  VANDAELE 

tandis  que  le  roi  s'est  rapproché  du  chœur  comme  pour  le 
prendre  à  témoin  de  la  fausseté  de  ces  paroles. 

Créon  :  au  touto  [xouvt)  iwvSe  KaS(jL£io)v  opa.q. 

Ant.  :  èpcoai  )jo3toi,  œoI  S'  ùxiXXouaiv  (7T6(ji,a. 

Créon  :  au  S'  ojx  sTuaiBei,  xwvBe  x^oplq  etçpovsTç;  (508-10) 

Dans  la  discussion  en  monostiques  qui  suit,  notons 
èxeivo)  (514)  par  lequel  Créon  désigne  Étéocle  absent  et 
mort  (cf.  7,civcjç  525  =  les  morts  chez  Hadès),  mais  surtout 
TaSe  (521)  qui  dans  la  bouche  d'Antigone  s'applique  aux 
maximes  que  Créon  lui  débite.  Ce  xaSe  montre,  comme  plus 
haut,  que  les  deux  personnages  sont  en  ce  moment  l'un  près 
l'autre  :  il  n'est  pas  admissible  qu'Antigone  ait  bougé  ;  il  est 
tout  naturel,  au  contraire,  que  Créon  soit  revenu  à  sa  pre- 
mière place  près  de  la  jeune  fille  pour  mieux  confondre  la 
coupable  entêtée  et  rendre  plus  vive  la  menace  qui  termine 
cet  entretien  (525). 

Sur  ces  entrefaites,  Ismène  est  amenée  hors  du  palais 
(cf.  491)  par  les  esclaves.  C'est  naturellement  le  chœur  qui 
l'aperçoit  tout  d'abord  et  signale  son  arrivée  quand  elle  a 
franchi  la  porte  : 

Xat  [xf^VlUpO  XUXWV  Yj5'  'IciJLV^VY).  (526). 

Pendant  qu'elle  s'avance,  grave  et  angoissée,  le  chœur 
rythme  sa  marche  par  des  anapestes.  Les  esclaves  reprennent 
leur  place  au  fond,  où  on  les  appellera  à  la  fin  de  la  scène. 
Ismène  a  aperçu  Créon  et  Antigone  ;  elle  se  place  à  droite 
(quant  aux  spectateurs)  de  sa  sœur,  qui  se  trouve  de  la  sorte 
entre  le  roi  et  la  nouvelle  arrivée.  Les  trois  acteurs  sont 
rangés  dans  l'ordre  suivant  : 

Créon,  Antigone,  Ismène. 

Avant  d'en  montrer  la  preuve  dans  l'emploi  des  démonstra- 
tifs, remarquons  que  le  bon  sens  et  la  délicatesse  du  poète 


VARIA  547 

lui  ont  inspiré  cet  ordre.  La  scène,  en  eifet,  se  compose  de 
deux  parties  :  un  dialogue  (d'abord  en  distiques,  puis  en 
monostiques)  entre  les  deux  sœurs,  puis  un  dialogue  entre 
Gréon  et  Ismène.  (Elle  commence  d'ailleurs  et  se  termine 
par  5  vers  de  Gréon.)  Pour  l'une  et  l'autre  de  ces  parties, 
la  vraisemblance  voulait  qu'Ismène  fût  toute  proche  d'Anti- 
gone  :  on  ne  comprendrait  pas  que  l'entretien  des  sœurs,  si 
pathétique,  alors  quismène  veut  mourir  avec  Antigone  et 
que  celle-ci  veut  l'en  détourner,  eût  lieu  à  distance,  les 
deux  interlocutrices  étant  séparées  par  le  roi  ;  d'autre  part 
il  était  naturel  qu'Ismène  allât  se  placer  le  plus  près  possi- 
ble de  sa  sœur,  le  plus  loin  possible  du  terrible  Gréon,  et 
que  dans  son  dialogue  avec  celui-ci  elle  se  serrât  contre  sa 
sœur  aînée,  à  laquelle  un  sort  commun  l'unissait  plus  que 
jamais.  Ainsi  l'a  compris  le  poète,  comme  le  témoigne  l'em- 
ploi des  démonstratifs.  «  Ah  I  te  voilà,  vipère,  s'écrie  Gréon; 
eh  bien,  dis- moi  si,  oui  ou  non,  tu  es  complice  de  ta  sœur.  » 
Et  Ismène  de  répondre  : 

Slâpaxa  Tcupycv,  s-'-ep  y;  5'  ofJioppoOsT  (536). 

Mais  Antigone  veut  sauver  malgré  elle  sa  sœur  d'ailleurs  inno- 
cente du  crime  qu'elle  reconnaît  avoir  commis;  et  quand 
celle-ci  lui  dit  :  «  Quels  charmes  la  vie  aura-t-elle  pour  moi, 
si  je  te  perds  ?  »  (ol8)  la  noble  fille  lui  répond,  affectant  un 
ton  bourru  pour  donner  le  change  au  roi  : 

Kpéovx'  àptoxa  •  ToOBsyàpau  xyjSsijlwv  (549). 

Donc  Gréon  est  à  côté  d'Antigone,  comme  celle-ci  est  à  côté 
d'Ismène.  Voyons  la  suite. 

L'égoïste  Gréon  ne  comprend  rien  à  ce  sublime  dévoue- 
ment :  «  Décidément,  dit-il  enfin,  ces  deux  filles-ci  sont 
folles  I  »  Tw  7:aTc£  çr/tXi  iwBe...  (561).  TwSe  au  duel  :  groupe 
charmant,  inséparable  des  deux  sœurs,  se  tenant  étroitement 


S4Ô  n.  VANDAELE 

unies  et  défiant  ensemble  le  tyran  !  La  place  et  l'attitude  des 
personnages  restent  les  mêmes  jusqu'à  la  fin  de  cette  scène. 
Ismène  parlant  de  sa  sœur  l'appelle  x-^çBe  au  vers  566, 
TY^Be  au  vers  570  (où  àxsi'vo)  s'applique  à  Hémon  absent), 
TYjçBe  au  vers  574,  ty^vBs  au  vers  576.  Créon  désigne  Anti- 
gone  par  r^Se  au  vers  567,  le  mariage  d'Antigone  avec 
Hémon  par  xouçSe  toùç  yi[LO'jç  au  vers  575. 

A  la  fin,  le  roi  appelle  les  esclaves  et  leur  ordonne  de  les 
conduire  toutes  les  deux  à  l'intérieur  du  palais  : 

\LTi  Tpi6àç  Ix' ,  (zXXà  viv 
xc|ji.{Ç£x'  eîffd),  S[ji.a)£ç  •  èx  §à  xoOSe  ypri 
Yuvoïxaç  elvai  xaçSe  [jlyjB'  àv£t{ji.évaç.  (577-9). 

Les  esclaves  se  saisissent,  l'un  d'Antigone,  l'autre  d'Ismène 
(de  là  xaçBe  au  pluriel)  pour  les  emmener.  En  réalité,  Anti- 
gone  et  Ismène  ainsi  que  leurs  gardiens  restent  dans  l'orches- 
tra (cf.  654  et  693),  à  gauche  (du  côté  opposé  au  chœur)  et 
un  peu  en  avant  de  la  porte  du  palais,  dans  l'ordre  suivant, 
je  présume,  à  partir  de  la  porte  (cf.  v.  769)  :  le  gardien 
d'Antigone,  Antigone,  Ismène,  le  gardien  d'Ismène.  Créon  se 
retire  également  en  arrière,  près  de  la  porte,  mais  à  droite, 
plongé  dans  de  sombres  pensées. 

Le  chœur  s'avance  au  milieu  de  l'orchestre  pour  exécuter 
le  Stasimon  (582-630). 

La  danse  terminée,  le  chœur,  en  allant  reprendre  sa  place, 
aperçoit  près  de  lui  Hémon  qui  sort  du  palais  ;  il  annonce  à 
Créon  l'arrivée  de  son  fils.  Créon  s'est  avancé  devant  la 
porte  ;  il  s'y  trouve  face  à  face  avec  Hémon,  dont  il  a  hâte  de 
connaître  les  sentiments  après  la  condamnation  de  sa  fian- 
cée. Rassuré  par  son  calme  et  ses  protestations  de  respec- 
tueux dévouement,  le  roi  félicite  Hémon  et  s'empresse  de 
lui  rappeler  ses  devoirs  de  fils  et  de  sujet.  «  D'ailleurs, 
ajoute-t-il,    une   méchante  femme   est  un  fléau    pour    son 


VARIA  549 

mari;  méprise  donc  cette  enfant-ci  et  laisse-la  épouser 
quelqu'un  chez  Hadès  »  kXkk  xxucrac...  piéOsç  TYjvraTS'  àv  ''At^cu 
ty;vc£  vu'j,(p£U£iv  Tivi  (653-4).  Il  est  évident  que,  lorsque 
Créon  prononce  ces  mots,  il  est  près  d'Antigone.  D'au- 
tre part,  dans  sa  réponse  à  son  père,  Hémon  désigne 
Antigone  par  ces  mots  ty;v  raT$a  xauTYjv  (693).  La  conclusion 
s'impose.  Antigone  se  trouve  près  de  Créon,  probablement 
un  peu  en  arrière,  n'étant  ici  qu'un  simple  comparse,  et  non 
près  d'Hémon.  L'ordre  des  personnages  est  donc  celui-ci  : 
Antigone, 

Créon,  Hémon. 
Créon  ne  doute  pas  que  son  fils  ne  sacrifie  à  l'obéissance 
qu'il  doit  à  son  père  l'amour  qu'il  pourrait  avoir  pour  une 
femme.  Pour  l'affermir  dans  ce  sentiment,  il  lui  rappelle  le 
crime  d'Antigone  coupable  envers  la  cité  et  révoltée  contre 
son  roi.  Sa  mort  est  décidée.  Suit  une  longue  tirade  sur  le 
respect  absolu  dû  au  chef  de  l'État  et  la  honte  qu'il  y  aurait 
pour  un  homme  de  faiblir  à  son  devoir  à  cause  d'une  femme. 
On  connaît  la  réponse  d'Hémon.  J'y  remarque  seulement, 
outre  TaJTY;v  -ur^v  t.tBol  déjà  cité  et  qui  montre  la  place 
d'Hémon  relativement  à  Antigone,  deux  emplois  de  lâSs 
(680  et  692)  qui  indiquent  qu'Hémon  est  près  de  son  père^ 
Le  chœur  invite  les  deux  interlocuteurs  à  de  mutuelles 
concessions  : 

"Ava5  'si  '^  e'.xoç,  ziv.  y.atptov  Xéyst, 

|j.x6£Tv,  (T£  t'  aU  Tc Do'  •  £j  Y^p  £!.'prjXat  S'.iuXy)  (724-5) 

TcDo£  désigne  Créon,  qui  doit  être  à  ce  moment  près  du 
Chœur.  Ceci  ne  peut  s'expliquer  que  par  un  mouvement  de 
recul  du  roi,  mouvement  fait,  selon  toute  vraisemblance,  en 
signe  de  dénégation  et  de  colère,  lorsque,  contre  son  attente, 

4.  "HBs,  au  vers  699,  n'a  pas  de    sens   local,    mais  reprend,  avec  une 
nuance  de  sympathie,  f,iiç  qui  précède  (696).  Cf.  xouSe  (666). 


5S0  H.  VANDAELE 

il  est  prié  par  son  fils  d'oublier  son  ressentiment  (718  sq.). 

Les  dernières  paroles  d'Hémon  et  la  réflexion  du  Chœur 
font  bondir  le  roi  ;  il  revient,  outré,  auprès  de  son  fils  : 
«  Comment I  s'écrie-t-il,  un  pareil  blanc-bec  me  fera  la  leçon, 
à  mon  âge  I  »  (726-7). 

Dès  ce  moment  la  discussion  prend  un  ton  aigu,  violent 
—  changement  marqué  d'ailleurs  par  l'emploi  des  distiques, 
puis  aussitôt  des  monostiques,  comme  aussi  par  le  ton  inter- 
rogatif  et  les  yàp  répétés.  Hémon  lui-même  devient  plus  vif, 
tout  en  restant  respectueux. 

Créon  :  "Epycv  yàp  ètjTi  toÙç  àxojjjLOjvTaç  géôsiv  ; 
Hémon  :  Oj§'  av  v.zXeù<JXi\k    sjcsôîTv  eîç  xoùç  y.axoj;. 
Créon  :  Oj^  r,^s.  ycxp  TcaB'  èicsiXYjTUTa'.  vdjw  ; 
Hémon  :  Ou  ?Y;jt  6V)6r,ç  xy^cB' cijizTcXiç  ).£(ô;.  (730-4). 

Les  deux  personnages  désignant  l'un  et  l'autre  Antigone  par 
YjSe,  il  s'ensuit  qu'ils  sont  tous  les  deux  à  côté  de  la  jeune 
fille,  Créon  pour  l'accuser,  Hémon  pour  la  défendre.  Cette 
partie  de  la  scène  se  passe  donc  au  fond,  vers  la  gauche. 

Une  discussion  violente  a  lieu  ensuite  entre  le  père  et  le 
fils,  à  une  certaine  distance  d' Antigone,  comme  il  résulte  du 
vers  740  prononcé  par  Créon  : 

oS,  (ôç  £oiy.£,  TYj  yuvaïxt  (j'j\}.\}.xyeX . 

La  fermeté  d'Hémon  met  le  comble  à  la  fureur  de  Créon 
qui  se  traduit  par  des  insultes  et  des  gros  mots.  Hémon 
reste  inébranlable.  Créon  en  vient  aux  menaces. 

Créon  :   *0  yo^j^)  Xoyo;  aci  luaç  bizïp  y.stviQç  o5c. 
Hémon  :  Kat  asu  ys  xàjJLOu  xai  Ôswv  twv  vspxépwv. 
Créon  :  Tauxr^v  tzox*  oùx  laô'  wç  èxi  ^wjav  yx\).eïq. 
Hémon  :  "Hâ'  c3v  ^xntzxi  y.al  Gavcucr'  cXsT  xtva.  (748-51). 

Exemple  intéressant  de  l'emploi  des  trois  démonstratifs  s'ap- 


VARIA  851 

pliquant  à  la  même  personne  dans  l'espace  de  quatre  vers, 
et  d'autant  plus  curieux  que  -Azirq;  se  dit  ici  d'une  personne 
présente,  mais  naturellement  fort  éloignée.  Quelle  en  est  la 
signification  scénique  ?  Il  est  facile  de  la  saisir.  Antigone  est 
restée  immobile,  car  il  n'y  a  aucune  raison  pour  qu'elle 
quittât  sa  place.  C'est  donc  Gréon  qui  s'est  éloigné  d'elle  en 
même  temps  qu'Hémon,  comme  l'indique  ocs  dans  le  même 
vers  :  le  père  pour  manifester  son  aversion  pour  son  fils 
entêté,  le  fils  pour  protester  de  sa  loyauté  auprès  de  son 
père,  ont  fait  quelques  pas  en  avant.  Puis,  Antigone  ayant 
été  directement  désignée  par  Gréon  sur  un  ton  plein  de 
haine,  Hémon  recule  auprès  d'elle,  et  la  couvrant  en  quel- 
que sorte  de  son  corps,  il  prononce  le  dernier  vers  en  faisant 
fièrement  face  à  son  père.  C'est  l'attitude  expliquée  par 
Créon  dans  le  vers  suivant  : 

Jusqu'au  dernier  moment  Hémon  restera  à  côté  de  la  jeune 
fille  (zapfvTi  TrXrjcia  tw  vu;j.9uo  761);  «  si  celle-ci  meurt,  dit-il, 
ce  ne  sera  pas  en  ma  présence  «  oj  B^x'  ïiLO'.^e...  r^h'  cXeTiai 
zAr^TÎa  (762-3).  Il  ne  la  quitte  que  lorsque,  sur  l'ordre  du 
roi,  les  serviteurs  saisissent  Antigone.  Alors  il  rentre  préci- 
pitamment. 

Gréon  s'approche  des  deux  jeunes  filles  (xàS'ojvxcpaTaâ' 
cjx  à-a/vAa;£i  [XQpou  769)  —  xàS' au  duel  parce  qu'elles  se 
tiennent  l'une  contre  l'autre,  entre  les  deux  gardiens  —  ; 
puis,  sur  une  observation  du  Chœur  il  met  Ismèneen  liberté; 
pendant  que  les  serviteurs  se  disposent  à  emmener  Antigone, 
il  fait  part  au  Chœur  du  genre  de  mort  qu'il  va  préparer 
pour  la  jeune  fille  et  rentre. 

11  est  inutile  de  pousser  plus  loin  cette  étude.  Elle  suffit  à 
montrer  que  l'emploi  des  démonstratifs,  jamais  indifférent, 
peut  nous  fournir  des  indications  précieuses  sur  la  place 


55Î  H.  VANDAELE 

qu'occupaient  les  personnages  relativement  les  uns  aux 
autres,  sur  leurs  mouvements,  leurs  jeux  de  scène,  leur  atti- 
tude, en  un  mot  que  les  démonstratifs  aident  puissamment 
à  faire  revivre  sous  les  yeux  du  lecteur  l'élément  le  plus 
intéressant  de  tout  drame,  l'action.  Qu'on  applique  ces  prin- 
cipes et  cette  méthode  à  n'importe  quelle  pièce  ancienne, 
grecque  ou  latine,  tragédie  ou  comédie  ou  drame  satyrique, 
on  constatera  la  précision  de  tous  ces  emplois  divers,  et 
ainsi  le  plaisir  de  lire  de  beaux  vers  se  doublera  de  celui  de 
l'observation  fine  des  caractères,  du  mouvement  et  de  la  vie. 
Une  fois  de  plus  la  grammaire  aura  servi  la  littérature  et 
l'art. 


II.  —  La  désinence  latine  médio-passive  -mmi. 

On  explique  legimini,  clamini,  2'"  personnes  du  pluriel 
de  l'indicatif  présent  médio-passif,  comme  venant  de  legi- 
mini  estis,  damini  estis,  respectivement  \t-ri\).=^tol  hxe, 
SôiJievoi  àffTe;  et  cette  explication  semble  confirmée  par  une 
forme  analogue  en  grec,  ou  plutôt  en  attique,  où  la  3* 
personne  du  pluriel  du  Parfait  et  du  P-Q-P  Y'Tpa?^'^^^ 
eysYpaçaio  a  été  remplacée  par  le  participe  accompagné  de 
l'auxiliaire  slai  :  '^(z-^p7.]x^i^o\  eîaiv,  -^sav. 

Au  premier  abord,  rien  ne  paraît  plus  logique  que  cette 
explication  :  legimini  {=  *leg-o-menoi),  damini  (=  *do- 
menoi)  étant  des  participes  pluriels  médio-passifs,  il  était 
tout  naturel  qu'ils  figurassent  comme  pluriels  dans  la  conju- 
gaison médio-passive.  Mais,  pour  peu  qu'on  y  regarde  de 
près  et  qu'on  réfléchisse,  plusieurs  objections  se  présentent  qui 
rendent  l'explication  suspecte.  Pourquoi  ces  formes  ont-elles 
servi  de  types  de  2'^  personne,  alors  que  les  formes  grecques 
qu'on  leur  compare  appartiennent  à  la   S*'  personne  ?  Com- 


VARIA  5o3 

ment  se  fait-il  que  les  2*'  personnes  latines  se  présentent  tou- 
jours et  partout  sans  auxiliaire,  alors  qu'en  grec  l'auxiliaire 
accompagne  constamment  le  participe  auquel  il  est  aussi 
indissolublement  lié  que  l'est  au  participe  l'auxiliaire  être 
on  avoir  dans  la  conjugaison  française? 

Quand  bien  même  ces  questions  ne  se  poseraient  pas  ou 
qu'on  pût  y  répondre  avec  vraisemblance,  une  seule  consi- 
dération ruine  l'explication  courante  :  si  damini  peut  à  la 
rigueur  passer  pour  un  participe,  on  n'en  peut  dire  autant  de 
legimini.  Legimini  ne  saurait  être  adéquat  à  asyÔ'xsvci,  ô 
accentué  étant  forcément  représenté  en  latin  par  un  ô  ou  un 
û.  L'équivalent  latin  de  Xv^y^v^o^  est  et  ne  saurait  être  que 
*kgumnus(cî.  alumnus,  vertumniis,  etc.)  devenu  legundiis  (cf. 
alunduSy  vertundus,  etc.).  Et  qu'on  n'objecte  pomt  que  *lego- 
mini  (=  \t-(b'^.vtoC)  aurait  fort  bien  pu  devenir  legimini, 
comme  *legomus  (cf.  X^yopiev)  est  devenu  legimus  ou  par 
l'analogie  des  autres  personnes  legis,  legit,  legitis,  ou  par 
l'affaiblissement  de  Vô  ou  w,  puis  en  ^  (cf.  optumus  >  opti- 
nus,  aurufex^  aurifex)  :  nous  trouvons  des  traces  de  la  forme 
ancienne  *legomus  dans  volumiis,  giiaesumus,  sumus,  mais 
on  ne  rencontre  aucun  vestige  d'une  2^  personne  *legomini 
o\\.*legumini;  d'autre  part  ô  accentué  doit  rester  o  (ou  li). 

Donc  la  phonétique  tout  au  moins  s'oppose  à  ce  qu'on 
identifie  legimini  et  \z^(ô\}.f^zi.  C'est  la  phonétique  également 
qui  nous  donnera  la  clef  de  la  question.  La  seule  forme 
grecque  identifiable  avec  legimini,  c'est  AsYqxeva'.,  datif 
singulier  faisant  fonction  d'infinitif  actif  en  éolien.  Nous 
posons  donc  : 

legimini  =  \z^(i^.v)CLi. 

La  phonétique  satisfaite,  et  c'est  un  point  essentiel,  le  reste 
s'explique  aisément  : 

1"  L'infinitif   legimini,  exprimant  l'idée  vague  et  imper- 


884  H.  VANDAELE 

sonnelle  de  lire  a  été  employé  d'abord  comme  impératif.  Le 
grec  et  le  français  emploient  couramment  l'infinitif  en  fonc- 
tion d'impératif  ;  le  latin,  il  est  vrai,  n'en  usait  plus  de 
même  au  temps  de  sa  littérature  ;  mais,  n'aurions-nous  que 
la  forme  qui  nous  occupe,  elle  suffirait  à  prouver  que  la  syn- 
taxe latine  primitive  avait  hérité  d'un  emploi  abandonné  dans 
la  suite. 

2°En  tant  qu'impératif,  l'infinitif /^^imzwf  s'applique  natu- 
rellement à  la  2*  personne.  (Cf.  l'infinitif  grec  Xutjai  et  le 
participe  Xuaov.) 

3^  La  terminaison  -i  le  prédisposait  à  être  employé 
comme  pluriel,  d'autant  mieux  que  le  singulier  était  pourvu. 

4"  Cette  terminaison  n'a  peut-être  pas  non  plus  été  indif- 
férente à  l'attribution  du  sens  médio-passif  à  legimini,  le 
jour  où  l€gi,audiri,  blandiri  ox\i  eu  exclusivement  la  signifi- 
cation médio- passive.  Pareillement  Auaat,  infinitif  actif,  a 
servi  d'impératif  moyen  à  cause  de  sa  finale  -a',  rappelant -pia'., 
-aai,  -Tai,  etc.  Au  surplus,  l'infinitif  en  soi  n'est  d'aucune 
voix  comme  il  n'est  d'aucune  personne  :  le  grec  nous  le  prouve 
dans  des  constructions  comme  xaÀoç  ôpav  ;  le  français,  plus 
souvent  encore,  dans  les  expressions  :  agréable  à  voir, 
facile  à  dire  —  bon  à  servir  (où  l'infinitif  a  le  sens  actif  ou 
passif  suivant  le  contexte). 

5"  L'origine  infinitive  de  legimini  explique  l'absence 
constante  de  l'auxiliaire  tant  à  l'impératif  qu'à  l'indicatif. 

Car  legimini  (=:  vous  êtes  lus)  n'est  autre  chose  que 
l'impératif  legimini  (=  soyez  lus)  d'après  l'analogie  des 
formes  correspondantes  de  l'actif.  En  d'autres  termes  legi- 
mini, 2''  pers.  du  pi.  de  l'indicatif,  est  à  legimini,  2*  pers. 
du  pi.  de  l'impératif,  comme  *legite,  forme  de  2*^  pers.  du 
pi.  de  l'indicatif  antérieure  à  legitis  (cf.  ^éysTs),  est  à  legite, 
%""  personne  de  l'impératif. 


J.    Yendryes 

SUR  L'HYPOTHÈSE 

d'un 

FUTUR  EN  BH  ITALO-CELTIQUE 


SUR  L'HYPOTHÈSE  D'UN  FUTUR  EN  BH 
ITALO-CELTIQUE 

Par  J.  Vendryes 


En  face  du  futur  latin  en  -b-,  qui  apparaît  notamment 
dans  les  deux  premières  conjugaisons  (conjugaisons  faibles), 
il  existe  en  irlandais  un  futur  à  suffixe  ô  (alternant  avec  /), 
régulier  également  dans  les  deux  conjugaisons  faibles.  Ainsi, 
en  face  du  latin  amàbô,  amâôis,  etc.,  le  vieil-irlandais  pos- 
sède, du  verbe  légaim  «  je  lis  »  (1'^*'  conjug.),  un  futur  ainsi 
fléchi  : 


lexi 

on  absolue 

flexion  conjointe 

H 

.  1   légfa 

-légub 

2  légfe 

-légfe 

3  légfîd  (relat.  légfas) 

-légfa 

PI. 

1  légfimmi  (relat.  légflmme) 

-légfam 

2  légfithe 

-légfid 

3  légfit  (relat.  légfite) 

-légfat 

L'hypothèse  d'une  formation  commune  aux  deux  langues 
a  paru  depuis  longtemps  évidente  et  a  été  enseignée  dans 
tous  les  manuels.  M.  Windisch  la  signale  dans  sa  Kiirzge- 
fasste  Irise he  Grammatik,  p.  69  ;  M.  d'Arbois  de  Jubain- 


5B8  J.  VENDRYES 

ville  l'a  reprise  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  Linguis- 
tique, tome  VI,  p.  57,  et  on  la  trouve  encore  enregistrée 
dans  la  1'^*'  édition  du  Grand riss  de  M.  Brugmann,  tome  II, 
p.  1266,  et  dans  l'excellent  ouvrage  de  M.  W.  -M.  Lindsay, 
the  Latin  language,  chap.  vm,  §  36. 

Elle  ne  va  cependant  pas  sans  certaines  difficultés,  qui 
dans  ces  dernières  années  ont  frappé  les  celtisants.  Sans 
avoir  jamais,  dans  ses  ouvrages,  développé  sa  pensée  à  ce 
sujet,  M.  ïhurneysen,  dans  ses  leçons  orales,  met  en  doute 
l'identification  des  deux  futurs  en  question.  Cet  enseigne- 
ment a  passé,  avec  beaucoup  d'autres,  dans  le  remarquable 
Haiidbuch  der  lateinischen  Laut-  imd  Formenlehre  de  M.  F. 
Sommer  (v.  p.  573,  n.  1)  ;  il  y  est  fait  allusion  dans  un 
article  de  M.  Fr.  Skutsch,  Su  alcune  forme  del  verbo  latino, 
p.  3  (dans  les  Atti  del  congresso  internazionale  di  scienze 
storiche,  Roma  1903,  Sezione  I,  Vol.  II,  p.  193).  Et 
M.  Thurneysen  lui-même,  parlant  du  futur  latin  en  -bô  dans 
son  programme  de  prorectorat  (Die  Etgmologie,  Freiburg 
i.  Br.,  1904,  p.  11),  le  présente  comme  une  formation  spé- 
cialement latine,  n'ayant  d'analogue  dans  aucune  autre 
langue.  C'est  condamner  implicitement  tout  rapprochement 
avec  l'irlandais. 

L'objet  du  présent  mémoire  est  d'examiner  les  difficultés 
de  ce  rapprochement,  difficultés  qui  sont  de  deux  ordres, 
en  ce  sens  qu'on  en  rencontre  à  la  fois  sur  le  terrain  latin  et 
sur  le  terrain  irlandais. 

Si  l'on  met  à  part  le  falisque  et  sa  fameuse  inscription  : 
foieduino  pipafo  kra  karefo  (JSot.  d.  Scavi,  1887,  pp.  262 
et  307),  qui  contient  apparemment  deux  futurs  en  -bh-,  t 
le  latin  est  le  seul  des  dialectes  italiques  à  présenter  cette 
formation.  L'osque  et  l'ombrien  n'ont  que  des  futurs  sigma- 
tiques  :  osque  deivast  «  iùrâbit  » ,  didest  «  dabit  » ,  ombrien 


SUR  L'HYPOTHESE  D'UN  t'UTUR  EN  BH  ITALO-GELTIQUE       8^9 

fust  «  erit  »,  -pehast  «  piàbit  »,  etc.  (Cf.  von  Planta, 
Gramm.  der  osk.-umbr.  Dialekte,  II,  p.  318  et  suiv.  ;  Buck, 
an  Oscan-umbr.  firammar,  p.  169). 

Et  d'autre  part  l'irlandais  paraît  être  le  seul  des  dialectes 
celtiques  à  présenter  des  formes  en  h  (/)  au  futur.  Trois  dia- 
lectes bretons  modernes  sur  quatre  —  le  trécorois,  le  léo- 
nard  et  le  cornouaillais  —  ont  bien  à  l'imparfait  du  futur 
(qui  ne  diiïère  de  l'imparfait  du  subjonctif  que  par  l'absence 
du  préverbe  i^d)  une  caractéristique  /",  qui  même  en  tréco- 
rois s'est  étendue  au  présent  du  futur.  Soit,  du  verbe  ka- 
rout  «  aimer  »  :  Sg.  1.  karfenn^  2.  karfez,  3.  karfe,  PI.  1. 
karfemp,  2.  karfech^  3.  karfent.  On  pourrait  voir  dans  cet 
/  le  représentant  d'un  ancien  ô,  analogue  au  b  irlandais. 
Mais  cette  opinion  n'est  plus  soutenable  depuis  que  M.  Loth 
a  montré  dans  la  Revue  Celtique^  tome  YII,  p.  233  et  suiv., 
par  suite  de  quel  processus  analogique  l'ancien  /?,  caractéris- 
tique de  cette  forme,  avait  peu  à  peu  cédé  la  place  à  un  / 
dans  les  dialectes  en  question.  Il  s'agit  d'une  évolution  que 
l'on  peut  suivre  pas  à  pas  depuis  le  moyen-breton  jusqu'à 
nos  jours  et  qui  a  son  point  de  départ  naturel  dans  les  verbes 
dont  le  radical  se  terminait  par  v^  /,  ou  dans  ceux  qui  étaient 
composés  du  verbe  substantif:  kaffout  «  trouver  »,  mervel 
«  mourir  »,  aznavout  «  connaître  »,  gouzout  «  savoir  »,  etc., 
faisaient  naturellement  à  l'imparfait  du  futur  kaffen^  mar- 
vhenn  d'où  marfenn,  aznavhenn  d'où  aznafenn^  goiizavhenn 
d'où  goiizàfenn,  gouzfenn,  etc.  ;  de  là  par  analogie,  kar- 
fenn  au  lieu  de  karkenn,  galfenn  au  lieu  de  galhenn^  de 
karout  «  aimer  »,  gervel  «  appeler  »,  etc.  L'ancien  h  a  sub- 
sisté sporadiquement  dans  quelques  formes  isolées.  En  van- 
netais,  il  s'est  régulièrement  conservé  partout,  et  c'est  là  un 
des  points  sur  lesquels  le  vannetais  s'accorde  avec  le  gallois 
qui,  lui  aussi,  dans  les  textes  du  moyen  âge,  présente  des 
formes  en  h  à  l'imparfait  du  subjonctif  et  dans  une  certaine 


Hm  J.  VENDRYES 

mesure  au  présent  (v.  Vendryes,  Mé?n.  Soc.  Li7igu.,  t.  XI, 
p.  2o8).  Seulement,  en  gallois  moderne  cet  h  a  complète- 
ment disparu,  si  bien  que  l'indicatif  et  le  subjonctif  à  l'im- 
parfait se  confondent  ;  les  dialectes  bretons  modernes  —  en 
mettant  à  part  le  vannetais  qui  a  conservé  ïh  —  ont  évité 
cet  inconvénient  en  substituant  à  Vh  en  voie  de  disparition 
une  nouvelle  caractéristique  /,  phonétiquement  plus  résis- 
tante. 

Il  est  remarquable  qu'une  évolution  inverse  s'est  accom- 
plie dans  les  dialectes  irlandais  modernes.  Les  philologues 
qui  ont  étudié  ces  dialectes  ont  constaté  que  l'ancien  /  du 
futur  y  est  devenu  un  simple  souffle,  exposé  lui-même  à  dis- 
paraître et  dont  le  seul  eflPet  consiste  à  assourdir,  s'il  y  a  lieu, 
une  sonore  précédente  (v.  Dottin,  Bev.  Celt.,  XIV,  p.  115; 
Pedersen,  Aspirationen  i  Irsk,  19  ;  F.-N.  Finck,  die  Ara?ier 
Mundart,  I,  141;  Bergin,  Èriu,  II,  41;  E.-C.  Quiggin, 
a  Dialect  of  Donegal,  p.  69)  :  en  face  de  fdgaidh  «  il  laisse  », 
prononcé  fôgë^  de  lùbaidh  «  il  plie  »  prononcé  lûhé.,  etc., 
on  aura  au  iwiwv  fâgfaïdh  «  il  laissera  »  prononcé  fânè  (de 
*fâg-lie),  iùhfaidh  «  il  pliera  »  prononcé  lûpè  (de  ^  lùb- 
he)^  etc.  Là  où  Vf  n'était  pas  précédé  de  sonore,  il  dispa- 
raissait sans  laisser  de  traces  (voir  de  nombreux  exemples  de 
l'un  et  de  l'autre  cas  dans  le  conte  transcrit  par  M.  Dottin, 
Rev.  Celt.,  XVI,  421  et  suiv.).  L'irlandais  perdait  ainsi  tout 
moyen  d'exprimer  le  futur.  La  plupart  des  dialectes  mo- 
dernes ont  obvié  à  cet  inconvénient  en  généralisant  l'ancien 
futur  redoublé  du  vieil  irlandais,  c'est-à-dire  le  futur  à  radi- 
cal allongé  des  verbes  forts,  du  type  béra  de  berim  «  je 
porte  » ,  sous  forme  d'un  futur  en  -éo-,  -6-  qui  a  été  étendu 
à  tous  les  types  de  verbes  (voir  Atkinson,  Three  Shafts  of 
Dealh,  Appendix,  p.  xvj  ;  Dottin,  Rev.  Celt.,  XIV,  p.  119; 
Strachan,  Zeitsch.  f.  celt.  Philoi.,  III,  486).  Le  dialecte  de 
Berehaven  étudié   par  M.  Bergin,  Éiiu^  II,   36,  s'est  tiré 


SUR  L'HYPOTHÈSE  D'UN  FUTUR  EN  BH  ITALO-GELTIQUE        561 

d'embarras  autrement  ;  ce  dialecte  appartient  au  Munster 
méridional,  où  1'/ du  futur  s'est  maintenu  comme  représen- 
tant du  groupe  -bth-,  là  où  la  désinence  commençait  primi- 
tivement par  th,  c'est-à-dire  à  la  2^  pers.  sg.  de  l'imparfait  et 
au  passif  ;  soit  du  verbe  dochim  «  je  vois  »  au  futur  :  présent 
Sg.  1  chlhad,  2.  chïhir,  3.  c/iïhïg,  etc.,  mais  passif  chîfar  ; 
imparfait  Sg.  1.  chïhinn,  2.  chîfâ,  3.  chïhach,  etc.,  et  passif 
chlfi  (Bergin,  /.  cit.,  42).  Partant  de  là,  le  dialecte  de  Bere- 
haven  a  généralisé  à  toutes  les  personnes  la  caractéristique 
/  qui  ne  subsistait  plus  qu'à  la  2^  pers.  sg.  de  l'imparfait  et 
au  passif  ;  si  bien  qu'il  est  seul  des  dialectes  modernes  à 
conserver  —  dans  la  prononciation  —  un  futur  en  /",  dont 
l'origine  est  récente,  et,  comme  on  le  voit,  analogique. 

Mais,  en  mettant  à  part  ce  dialecte  isolé,  on  ne  peut  que 
constater  la  différence  absolue  des  deux  évolutions  qui  ont 
entraîné  l'une  l'irlandais  moderne  à  transformer  l'ancien 
suffixe  /en  h,  puis  à  l'amener  à  zéro,  l'autre  les  dialectes 
bretons  modernes  —  sauf  le  vannetais  —  à  substituer  un 
nouveau  suffixe  /  à  l'ancien  suffixe  h  panbrittonique.  Dès 
lors  il  apparaît  clairement  qu'il  n'y  a  historiquement  rien 
de  commun  entre  le  vieil-irlandais  iégfa,  -léguh  et  le  tréco- 
rois  moderne  karfenn.  Les  hypothèses  que  M.  L.-Ghr.  Stem 
{Zeitsch.  f.  celt.  PhiL,  III,  405)  avait  essayé  de  construire 
sur  l'identification  des  deux  formes  s'écroulent  du  même 
coup.  L'irlandais  et  le  latin  restent  par  suite  tous  deux  iso- 
lés au  sein  de  leur  groupe  linguistique  ;  et  si  l'on  admet  l'hypo- 
thèse d'un  futur  en  -bh-  italo-celtique,  il  faudrait  d'abord 
donner  les  raisons  de  cet  isolement. 

La  question  se  complique  si  l'on  examine  de  près  la  for- 
mation du  futur  latin.  Gomme  l'a  indiqué  M.  Thurneysen 
dans  le  discours  précité,  et  comme  l'a  depuis  exposé  avec 
plus   de  détails  M.  Meillet  dans  les  Mém.  de  la  Soc.   de 

36 


S62  J.  VENDRYES 

Ling. ,  tome  XIII,  p.  361,  le  futur  latin  en  -bô  a  dû  sortir  de 
l'imparfait  en  -bam  d'après  le  rapport  erô  :  eràm  dans  le 
verbe  substantif,  rapport  qui  explique  d'ailleurs  l'existence 
des  futurs  antérieurs  dixerô  amâuerô  monuerô  à  côté  des 
plus-que-parfaits  dixeram  amâueram  monueram.  L'impar- 
fait latin  en  -bam  rentre  en  effet  dans  une  série  de  forma- 
tions périphrastiques  dont  le  principe  est  commun  à  l'ita- 
lique, au  germanique  et  au  slave,  et,  chose  particulièrement 
importante  ici,  les  dialectes  italiques  qui  ignorent  le  futur 
en  bh  connaissent  l'imparfait  en  bh^  comme  suffît  à  le  montrer 
la  forme  osque  fufans  «  erant  ».  Pour  le  slave,  il  faut  com- 
parer l'imparfait  en  -axûÇvidéaxû  «  je  voyais  »,  neséaxû 
«  je  portais  »)  et  pour  le  germanique  peut-être  le  prétérit 
des  verbes  faibles,  got.  salbô-da^  v.  h.  a.  salbô-ta  «  j'endui- 
sais )),  got.  habai-da^  v,  h.  a.  habê-ta,  hap-ta  «  j'avais  ». 
(Brugmann,  Grdr.^  II,  1275).  L'imparfait  latin  en  -bain 
contient  un  thème  d'aoriste  -bâ-  (de  *bhwâ-),  delà  racine 
*bh€Wd-(^\iT.  bhdvatï)^  précédé  lui-même  d'un  thème  d'infi- 
nitif, dont  M.  Meillet,  loc.  cit.,  p.  369  et  suiv.,  a  montré 
l'extension  sur  le  domaine  slave  (v.  si.  déla-ti  déla-axû, 
umé-ti  umé-axû  comme  \^i.amâ-re  amâ-bam,  uidë-re  uidë- 
bam).  Cet  imparfait  ainsi  constitué  est  commun  à  tous  les 
verbes  latins,  et  la  formation  en  doit  remonter  aune  date  fort 
ancienne. 

Il  n'en  va  pas  de  même  du  futur  en  -bo.  On  sait  que  le 
latin  avait  conservé  avec  la  valeur  de  subjonctifs  les  thèmes 
en  -à-  et  en  -è-  de  l'indo-européen  et  qu'il  les  a  ingénieuse-  ^ 
ment  répartis  dans  l'emploi  respectif  de  subjonctif  et  de  futur  f 
là  où  cela  était  possible,  c'est-à-dire  dans  la"  3®  et  la  4^  con- 
jugaisons:  de  là  l'opposition  proprement  latine  de  leg-â-s  I 
«  que  tu  lises  »  et  de  leg-ë-s  «  tu  liras  »,  de  audi-à-s  «  que  ' 
tu  entendes  »  et  de  aiidi-ë-s  «  tu  entendras  » .  Mais  dans  les 
deux  premières  conjugaisons  la  répartition  n'était  pas  pos 


SUR  L'HYPOTHÈSE  D'UN  FUTUR  EN  BH  ITALO-GELTIQUE        563 

sible  :  les  thèmes  ^amây-â-  et  money-è  furent  éliminés 
parce  que  la  chute  du  y  intervocalique  les  réduisait  à  amâ-, 
moné-,  avec  contraction  des  deux  voyelles,  c'est-à-dire  leur 
ôtait  toute  valeur  expressive  ;  et  la  langue  )\e  conserva  que 
les  thèmes  *amciy-è-  et  ^money-â-^  qui,  se  trouvant  seuls 
dans  leur  conjugaison  respective,  furent  réservés  tous  deux 
à  l'expression  du  subjonctif.  L'emploi  de  futur  dans  ces  deux 
conjugaisons  restait  donc  vacant.  C'est  alors  qu'intervint 
l'action  analogique  déjà  signalée,  suivant  laquelle  d'après 
eram  :  erô  on  créa  amâbô  sur  amâbam  et  monëbo  sur  mo- 
nèbam.  Sans  doute  on  rencontre  aussi  à  la  4®  conjugaison, 
dans  des  textes  archaïques  ou  chez  des  auteurs  de  basse 
époque,  des  futurs  en  -Ibô  à  côté  des  futurs  en  -iam  (-iês), 
seuls  corrects  à  l'époque  classique.  Nonius,  p.  50o  et  suiv. 
de  l'édition  Mercier,  attribue  aux  anciens  auteurs  :  aperlbô, 
audibô,  expedlbô,  oboedïbô,  operlbô,  uenlbo  ;  on  lit  chez 
Plaute  adgredlbor  (Persa  15  A),  repperlbitur  (Epidicus  151 
A),  scibô  (Asinar.  28),  etc.,  etc.  ;  lènlbunt  figure  chez  Pro- 
perce IV,  21,  30,  et  molllbit  dans  quelques  manuscrits 
d'Horace,  Odes  III,  23,  18  (v.  Neue-Wagener,  Formenlehre 
der  lat.  Sprache,  III,  3^  édit.,  322).  Mais  c'est  que  la 
4^  conjugaison  latine,  comprenant  un  bon  nombre  de  déno- 
minatifs, se  rattachait  à  certains  points  de  vue  aux  deux  pre- 
mières, avec  lesquelles  elle  constituait  le  groupe  des  verbes 
faibles,  par  opposition  aux  verbes  forts,  groupés  dans  la  troi- 
sième. Et  la  forme  même  des  futurs  en  -bô  de  la  quatrième 
conjugaison  en  dénonce  l'origine  récente  et  analogique  : 
comme  M.  Meillet  l'a  reconnu,  lac.  cit.,  p.  362,  aiidïbô  a 
été  fabriqué  sur  audïbam  et  tous  deux  sont  analogiques  des 
couples  amâbam  :  amâbô,  monèbam  :  monébô,  tandis 
({xji'audièbam,  forme  jumelle  de  audiam,  et  qui  domine 
comme  elle  à  l'époque  classique,  n'a  jamais  fait  créer  de 
futur  *audiébô.  Il   n'y  a  d'autre  part  rien  à  conclure   de 


564  J.  VENDRYES 

l'existence  sporadique  de  futurs  en  -bô  dans  la  troisième 
conjugaison  {exsûgèbTj  Plante  Epidic.  188  dans  la  bouche 
d'un  esclave  ;  dïcêbô  et  iiluèbo  chez  Novius,  et  paribit  chez 
Pomponius,  tous  deux  auteurs  d'Atellanes  ;  glûbèbit  chez 
Caton,  de  Agricult.  31,  très  douteux,  et  plus  encore  abniië- 
hunt  chez  Ennius  Trag.  371,  puisque  ce  dernier  emploie  ail- 
leurs le  verbe  abnueô  Ann.  283  ;  à  la  fin  de  la  latinité, 
dïcêbô,  fluêbô,  inferèbô,  querèbor,  surgébô,  tremèbô,  etc., 
V.  Neue-Wagener,  op.  cit.,  279).  Le  mouvement  analogique 
qui  a  créé  le  futur  en  -bô  pouvait  d'autant  mieux  s'étendre 
des  trois  conjugaisons  faibles  à  la  conjugaison  forte  que 
cette  dernière  comportait  des  thèmes  très  variés,  dont  quel- 
ques-uns à  cheval  sur  deux  conjugaisons  ;  et  on  voit  de 
reste  dans  quelle  mesure  restreinte,  au  moins  à  l'époque 
ancienne,  s'est  produite  cette  extension.  Le  latin  oppose 
ainsi  à  l'hypothèse  d'un  futur  en  bh  italo-celtique  une  diffi- 
culté d'ordre  morphologique  qui  est  des  plus  graves  ;  bien 
loin  d'être  panitalique,  le  futur  en-ô-du  latin  n'est  lui-même 
qu'une  création  récente  dont  on  entrevoit  aisément  le  point 
de  départ  et  la  raison. 

L'irlandais  ne  présente  à  la  vérité  aucune  difficulté  de 
même  ordre.  Le  fait  même  qu'il  reste  isolé  avec  son  futur 
en  b  (/)  au  milieu  du  groupe  celtique  n'excluerait  pas  l'hy- 
pothèse d'une  formation  préceltique,  si  le  latin  ne  venait 
ôter  à  cette  hypothèse  son  principal  soutien.  Mais  M.  Som- 
mer, dans  la  note  citée  plus  haut,  a  brièvement  indiqué  une 
difficulté  phonétique. 

Après  un  certain  nombre  de  consonnes,  et  notamment 
aprèsr,  lebh  initial  de  la  racine  *bhew9  ,  au  lieu  de  devenir 
/",  aurait  dû  se  maintenir  sous  la  forme  b.  L'alternance  gra- 
phique de  ô  et  de  /  suppose  en  efïet  que  ces  deux  lettres 
représentent  une  spirante  ;   or  après  r  un  ancien  bh  reste 


SUR  L'HYPOTHÈSE  D'UN  FUTUR  EN  BH  ITALO-CELTIQUE       568 

occlusif  sous  la  forme  b  (souvent  écrit  jo).  De  là  l'opposition 
de  borb  «  fou  »  (issu  de  *borbho-),  voc.  pi.  biirpu  Wb.  19 
b  4,  dérivé  burbe  «  folie  »  Wb.  8  a  6,  dat.  btirpi  Wb.  17 
c  23,  orbe  «  héritage  »  (issu  de  * orbhio-)  écrit  orpe  Wb.  2 
c  21,  27  c  12,  comarbiis  «  id.  »  Wb.  4  c  8  et  de  marb 
«  mort  »  Wb.  13  d  16,  20  c  26,  irlandais  moderne  marbh, 
issu  de  ^maruo-  et  où  par  suite  le  b  représente  une  spi- 
rante  (cf.  gall.  marvo). 

Il  convient  de  signaler  tout  de  suite  que  justement  deux 
verbes  de  la  première  conjugaison  dont  le  radical  se  termi- 
nait par  un  i\  à  savoir  caraim  «  j'aime  »  et  scaraim  «  je 
sépare  »,  n'ont  ni  l'un  ni  l'autre  de  futur  en  b  (/);  l'excep- 
tion est  quasi  unique  (v.  Vendryes,  Gramm.  du  vieil-irlan- 
dais^ §  333  Rem.  I,  p.  174).  Le  futur  de  caraim  se  forme 
par  redoublement  :  nicon-chechrat  Wb.  30  c  4,  cechrait 
O'Dav.  Gramm.  p.  66,  nod-cechra  Zeitsch.  f.  Gelt.  Philol., 
III,  449,  1.  6  ;  et  scaraim  a  un  futur  à  radical  allongé  :  cons- 
céra  Wb.  26  a  8,  conscera  Ml.  56  d  6,  eterscértar  Wb.  8 
b  3.  Si  ces  deux  verbes  forment  leur  futur  à  la  façon  des 
verbes  forts,  ne  serait-ce  pas  que  la  liquide  finale  de  leur 
radical  excluait  la  prononciation  spirante  d'un  b  suivant  et 
par  suite  rendait  inintelligible  la  formation  en  b  (/)  habi- 
tuelle aux  verbes  faibles  ?^ 

L'argument  aurait  toute  sa  valeur  si  l'on  ne  rencontrait 
d'autre  part  en  vieil-irlandais  des  futurs  comme  -sôirfea 
Wb.  24  c  18,  Ml.  27  a  6,  45  d  10,  -soirfa  Wb.  11  b  4,  soir- 
fitir  Ml.  68  d  14,  -sôirfetar  Ml.  96  b  2,  -soirfad  Ml.  90  c 


1.  Il  est  en  tout  cas  piquant  de  constater  que  la  forme  carfa  -carub, 
partout  citée  comme  le  type  du  futur  irlandais  en  6  (/")  n'existe  pas. 
M.  Osthoff  a  récomment  rappelé  de  même  (Z.  f.  Celt.  Ph.,  VI,  417,  n.) 
qu'un  mot  sans  cesse  utilisé  en  grammaire  comparée,  le  prétendu  adjectif 
irlandais  cloth  «  illustre  »,  équivalent  de  skr.  çrutàh,  de  /.Xu-cd;,  de  inclutus, 
n'est  nulle  part  attesté  ;  il  n'existe  qu'un  substantif  neutre  cloth  «  gloire  » 
en  moyen-irlandais  (K.  Meyer,  Contributions,  193). 


S66  J.  VENDRYES 

19,  -soirfed  Wb.  32  d  13,  Ml.  131  c  9,  -soirbedm.  53  d  6, 
-soirfitis  Ml.  91  a  10  du  verbe  sôiraim  «  je  délivre  »,  -foir- 
fea  Wb.  11  d  3,  fomfirfider  Ml.  33  b  10  du  verbe  foferaim 
«  je  prépare  »  et  si  le  verbe  scaraim  lui-même  n'avait  aussi 
un  futur  en  h  dans  la  prem.  pers.  sg.  scairiub  Ml.  43  a  23. 
Il  est  vrai  que  la  plupart  de  ces  futurs,  et  scairiub  tout  le 
premier,  portent  la  marque  d'une  création  récente  dans  le 
fait  que  la  consonne  finale  du  radical  y  est  de  position  anté- 
rieure ;  ce  qui  suppose  la  confusion  de  la  1*^^  et  de  la  2^  con- 
jugaison (cf.  Vendryes,  op.  cit.,  §  333  Rem.  II,  p.  175). 

Il  est  d'ailleurs  une  considération  que  l'on  peut  opposer  à 
l'objection  de  M.  Sommer.  Si  le  futur  en  b  (/)  de  l'irlandais 
est  un  futur  périphrastique  de  formation  analogue  au  futur 
en  b  du  latin,  il  faut  admettre  que  l'élément  commençant 
par  bh  s'y  est  ajouté  à  un  thème  de  conjugaison  analogue  aux 
thèmes  *amâ-  ei*mo7iè-  du  latin  :  le  bh  se  trouvait  donc  à 
l'intervocalique,  c'est-à-dire  dans  des  conditions  où  il  devait 
devenir  spirant.  Or,  la  prononciation  irlandaise  a  confondu 
de  bonne  heure  dans  certaines  conditions  les  spirantes  sour- 
des (notées  ph,  th,  ch)  et  sonores  (notées  é,  d,  g^.ei  l'usage 
graphique  a  tendu  à  réserver  dans  chaque  ordre  le  signe  de 
la  sourde  à  l'intérieur  et  celui  de  la  sonore  à  la  finale,  sauf 
dans  l'ordre  des  gutturales,  où  c'est  généralement  l'inverse 
(v.  Vendryes,  op.  cit.,  §41  et  42,  p.  28):  de  là  cûrsagad 
«  réprobation  »,  gén.  cûrsagtha,  delà  la  ^rsiphie  timthirec  ht 
Wb.  5  d  9,  10  d  17,  timthrecht  ML  53  b  20,  138  a  5  du 
substantif  écrit  ailleurs  timdirecht  «  service  »  Sg.  35  a  2, 
qui  commence  par  les  trois  préfixes  to-,  -imm-  et  -di- 
(Ascoli,  Gloss.,  cciv).  Or  ph  ei  f,  c'est  en  vieil-irlandais  la 
même  chose  ;  de  là  l'opposition  naturelle  de  f  intérieur  et 
de  b  final.  Une  fois  cette  opposition  établie  dans  la  forma- 
tion du  futur,  il  est  clair  qu'elle  a  été  maintenue  le  plus 
s  oigneusement  possible  parce  qu'elle  avait  une  valeur  morpho- 


SUR  L'HYPOTHÈSE  D'UN  FUTUR  EN  BH  ITALO-GELTIQUE        567 

logique  significative.  De  même  qu'au  prétérit  des  verbes  fai- 
bles la  caractéristique  s  a  été  conservée  en  toute  position  à 
l'intérieur  au  mépris  parfois  des  lois  ordinaires  de  la  simpli- 
fication des  groupes  de  consonnes,  de  même  la  caractéris- 
tique /  du  futur  se  conserve  en  général  après  toutes  les  con- 
sonnes. Après  r,  des  exemples  en  ont  été  fournis  plus  haut  ; 
après  /,  on  a  ni  sechnalfam  Ml.  25  a  3,  ni  sechmalfaider 
Ml.  14  d  3,  -toscelfat  Ml.  107  c  H,  etc.  ;  après  m,  doemfea 
Ml.  120  c  8,  dotemfet  Ml.  112  c  1,  adrimfem  Ml.  14  d  5, 
adrimfiter  adrimfetar  Sg.  153  b  1,  PCr.  63  b  3,  dorimfem 
Ml.  44  a  24,  etc.  ;  après /z,  nolinfed  Ml.  25  a  8,  linfiderW^. 
103  a  10,  folinfea  Wb.  12  d  14,  etc.  ;  après  s,  norois fed 
Ml.  85  d  10,  noroisfitis  Ml.  35  c  19  ;  après  c,  iccfidir  Wb. 
25  a  30,  léicfimmi  Wb.  14  d  10,  léicfidir  Wb.  6  b  30,  etc.  ; 
après  ch  ou  g,  seichfed  Ml.  89  c  5,  cotobsechfider  Wb.  9  a 
23,  didiiichfea  Ml.  128  c  6  dulugfa  Ml.  58  c  18,  noloichfed 
Ml.  127  a  6,  sindigfîth  Ml.  46  c  20,  etc.  ;  après  t,  slechtfait 
Ml.  89  d  14  ;  après  d,  neidfider  Wb.  32  c  13  ;  après  th, 
roithfiter  Ml.  15  c  18,  hiaithfider  Ml.  57  c  7  ;  etc.  Mais 
d'autre  part,  à  côté  de  connoscaigfe  Ml.  61  d  1,  on  lit 
diirôscaifea  Ml.  139  b  3  (cf.  -scaibea  89  c  12,  -scibea  Wb. 
1  d  21,  -scaifet  Ml.  84  b  4,  -scibet  84  b  1),  du  verbe  scai- 
gim^  et  du  verbe  sluindim  le  seul  futur  attesté  est  -shiin- 
fem  Wb.  15  a  4,  -shtinfider  Wb.  28  c  14.  Enfin,  après  b, 
si  on  lit  nôibfea  Wb.  13  b  19  de  nôibaim,  on  lit  d'autre 
part  atrefea,  adid  trefea  Ml.  107  a  15  de  atrebaim\  c'est 
déjà  une  prononciation  moyen-irlandaise,  puisque  le  futur 
de  marbaim  est  -mairfitis^  -mairfide  en  moyen-irlandais 
(L.L.  289  b  17,  290  b  30)  dans  la  Rev.  Celt.,  XIII,  446, 
454,  et  on  notera  que  dans  le  dialecte  de  Donegal  étudié 
par  M.  Quiggin  (op.  cit.,  ip.  110),  le  /  du  futur  se  maintient 
comme  représentant  du  groupe  bf  dans  les  verbes  dont  le 
radical  se  termine  par  un  ^.  En   revanche  c'est  à  tort  que 


868  J.  VENDRYES 

M.  Bergin /fm/ III,  53,  voit  dans  nodneirbea  Ml.  51  b  10 
un  futur  -eirbfea  ;  il  s'agit  plutôt  d'un  subjonctif. 

Il  ressort  de  ce  qui  précède  qu'en  dehors  de  quelques 
exemples  isolés  la  caractéristique  f  du  futur  s'est  maintenue 
généralement  à  l'intérieur  à  cause  de  sa  valeur  significative. 
A  cette  caractéristique  /  de  l'intérieur  s'oppose  la  caracté- 
ristique b  de  la  finale.  Il  n'y  a  rien  à  conclure  des  relations 
phonétiques  de  cette  caractéristique  avec  les  sons  voisins, 
sinon  que  l'opposition  b  final  :  /  intérieur  ayant  été  sentie 
comme  la  marque  du  futur  a  été  généralisée  et  maintenue 
partout.  Cette  opposition  ne  permet  sans  doute  pas  d'établir 
qu'il  s'agisse  à  l'origine  d'une  sonore  plutôt  que  d'une  sourde 
et  par  suite  ne  préjuge  en  rien  la  qualité  exacte  de  la  con- 
sonne primitive.   Mais  comme  il  semble  à  peu  près  exclu 
qu'on  puisse  partir  de  la  sourde  (car  /  en  cette  position  ne 
pourrait  sortir  que  de  -5î;-),  il  faut  accepter  comme  point  'de 
départ  la  sonore  et  voir  dans  le  futur  irlandais  un  futur  en  bh. 
Ainsi  les  difficultés  phonétiques  opposées  plus  haut  peuvent 
être  écartées  et  on  peut  reprendre  l'ancienne  hypothèse  sui- 
vant laquelle  le  futur  irlandais  des  verbes  faibles  serait  une 
combinaison  périphrastique  comprenant  comme  second  élé- 
ment  un   thème    (de  subjonctif?)  emprunté    à    la    racine 
"^bhewQ-. 

C'est  évidemment  la  conclusion  à  laquelle  conduit  égale- 
ment l'examen  du  futur  latin  en  -bo.  Seulement  les  deux 
futurs  n'ont  historiquement  rien  de  commun,  et  l'hypothèse 
d'un  futur  en  bh  italo-celtique  doit  être  abandonnée.  On  a  vu 
comment  le  futur  latin  est  né  ;  il  faut  admettre  que  de  son 
côté  l'irlandais  s'est  créé  un  futur  au  moyen  de  la  racine  du 
verbe  substantif.  Si  quelqu'un  s'étonnait  de  voir  deux  lan- 
gues voisines  arriver  au  même  résultat  par  des  chemins  si 
différents,  il  faudrait  lui  rappeler  que  la  tendance  à  créer 
des  flexions  périphrastiques  est  générale  dans  les  langues 


SUR  L'HYPOTHÈSE  D'UN  FUTUR  EN  BH  ITALO-CELTIQUE        569 

indo-européennes  et  se  manifeste  indépendamment  dans  le 
sanskrit  dâtâsmi  «  je  donnerai  »  et  dans  le  français  je  chan- 
terai, dans  le  latin  factus  sum  et  dans  le  v.  h.  a.  ginoman 
ward,  dans  le  français  J'rtz  bâti  et  dans  le  polonais  dzialalem, 
dans  le  latin  dictum  ïrî,  dictûrum  et  dans  le  lituanien  dé- 
tum-bime  (opt.  pi.  1);  en  celtique,  la  conjugaison  du  brit- 
tonique  est  aujourd'hui  en  grande  partie  périphrastique  ; 
il  n'est  pas  étonnant  que  cette  même  tendance  ait  fait  créer 
un  futur  nouveau  en  latin  et  en  irlandais  ;  le  résultat  a  été 
identique,  mais  le  processus,  étant  données  les  conditions 
des  deux  langages,  a  été  différent. 


H.  DE  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

Le  Ilapax.'XocuaiGupov 
DANS  LA  LITTÉRATURE  LATINE 


Le  IlapaxIaufnÔ'Jpov 
DANS  LA  LITTERATURE  LATINE 

Par.  H.  de  LA  Ville  de  Mirmont. 


Plutarque  fait  définir  en  ces  termes  par  l'un  des  interlo- 
cuteurs du  dialogue  intitulé  l'Erotique  les  devoirs  principaux 
d'un  galant  de  profession  :  «  Se  rendre  avec  un  cortège  vers 
certaines  portes  ;  chanter  des  lamentations  devant  la  porte 
qui  reste  fermée  et  y  fixer  des  offrandes  emblématiques, 
combattre  au  pancrace  contre  les  rivaux  :  voilà  les  occupa- 
tions qui  conviennent  à  un  amoureux  \  » 

Parmi  ces  occupations,  il  en  est  une  qui  semble  tout  à  fait 
négligée  par  les  amoureux  :  les  œuvres  littéraires  qui  nous 
restent  de  l'antiquité  gréco-romaine  ne  nous  montrent  pas 
de  rivaux  en  amour  s'escrimant  à  cette  terrible  lutte  gymni- 
que du  pancrace  où  les  adversaires  avaient  le  droit  d'em- 
ployer tous  les  moyens  d'attaque,  les  coups  de  poingcomme 
les  coups  de  pied,  et  de  continuer  le  combat  jusqu'à  ce  que 
le  vaincu  fût  tué  ou  avouât  sa  défaite. 

Mais,  longtemps  avant  l'époque  de  Plutarque  qui  écrivait 
à  la  fin  du  premier   siècle  de  l'ère  chrétienne,  les  galants 


i.  Plutarque,  L'Erotique,  viii,  p.  753,  B.  "ASeivxô  rcapaxXaua-'Gopov  (rea- 
pa/.Xai'co,  se  lamenter  devant  ;  6i5pa,  porte). 


574  îî.  DE  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

grecs  ou  romains  avaient  coutume  de  stationner  et  de  se  la- 
menter devant  la  porte  fermée  où  ils  fixaient  des  emblèmes' 
d'amour.  Les  petites  poésies  qui  forment  V Anthologie  et  ce 
qui  nous  reste  des  élégiaques  latins  fournissent  sur  cette  cou- 
tume des  renseignements  nombreux.  Qu'il  suffise  de  citer 
deux  épigrammes  erotiques,  l'une  de  Gallimaque,  le  grand 
homme  du  Musée,  qui  vivait  entre  l'an  310  et  l'an  235,  l'au- 
tre de  Méléagre  de  Gadara,  l'un  des  meilleurs  poètes  alex- 
andrins de  second  ordre,  qui  vivait  entre  l'an  130  et  l'an 
50: 

Puisses-tu  dormir,  Conopion,  comme  tu  me  fais  dormir  sous  ce  portique 
glacé  1  Puisses-tu  n'avoir  pas  d'autre  lit,  cruelle,  que  celui  où  tu  laisses 
ton  amant  !  Quoi  1  Pas  le  moindre  sentiment  de  pitié  I  Les  voisins  sont 
émus  de  compassion;  mais  toi,  pas  même  en  songe...  Ah  !  bientôt  les  che- 
veux blancs  te  rappelleront  toutes  ces  rigueurs  et  me  vengeront. 

Astres,  et  toi,  Lune,  qui  brilles  si  belle  aux  amants.  Nuit,  et  toi,  petit 
instrument  compagnon  des  sérénades^  est-ce  que  je  la  trouverai  encore 
l'amoureuse,  sur  sa  couche,  tout  éveillée  et  se  plaignant  à  sa  lampe  soli- 
taire ?  Ou  bien,  en  a-t-elle  un  autre  à  ses  côtés?  Au-dessus  de  sa  porte, 
alors,  je  suspendrai  ces  couronnes  suppliantes,  non  sans  les  avoir  fanées 
auparavant  de  mes  larmes,  et  j'y  inscrirai  ces  mots  :  «  A  toi,  Cypris,  Mé- 
léagre, l'inimitié  de  tes  jeux,  a  suspendu  ici  les  dépouilles  de  sa  ten- 
dresse ' .  » 

A  Rome,  dans  les  dernières  années  de  la  République,  le 
poète  philosophe  Lucrèce  mentionne,  non  sans  une  dédai- 
gneuse ironie,  la  conduite  des  amoureux  de  son  temps  qui 
viennent,  parfumés  d'essence  de  marjolaine,  couvrir  de 
fleurs  et  de  guirlandes  le  seuil  qui  leur  est  interdit  et  acca- 
bler de  baisers  désespérés  la  porte  qui  leur  est  fermée  ^ 


4.  Anthologie  grecque,  traduction  F.  Déhèque,   Paris,  4863;  tome  I, 
p.  22  et  46,  Épigrammes  erotiques,  n^  23  (de  Gallimaque)  et  n^  494  (de 

2.  Lucrèce,  IV,  v.  4469-4474. 


Le  llapax^ayfftÔypov  8^5 

D'autres  amoureux,  dont  la  passion  spéciale,  souvent 
chantée  par  les  anciens,  répugne  singulièrement  à  nos  senti- 
ments modernes,  se  livraient  aux  mêmes  manifestations  que 
les  galants  éconduits  dont  parle  l'auteur  du  poème  De  la 
Nature.  Dans  une  pièce  de  Catulle,  le  jeune  Atys  se  désole 
au  souvenir  des  nuits  où  sa  porte  était  assiégée  par  les  admi- 
rateurs de  sa  beauté,  des  matins  où,  à  l'heure  du  réveil,  il 
voyait  les  murs  de  sa  maison  parés  de  couronnes  de  fleurs, 
offrandes  de  ses  amants  ^ 

C'est  une  coutume  de  son  temps  à  laquelle  il  a,  sans  doute, 
lui-même  été  fidèle,  comme  ses  compagnons  de  plaisir,  que 
Catulle  attribue  aux  amants  du  héros  légendaire  de  Phrygie, 
Atys,  qui  doit  à  sa  beauté  d'être  distingué  par  la  déesse 
Cybèle.  Mais  Ovide,  qui  tient  à  retrouver  dans  les  temps  les 
plus  reculés  les  origines  de  toutes  les  traditions  mondaines 
du  siècle  d'Auguste,  fait  remonter  à  l'âge  héroïque  l'habitude 
qu'avaient  les  amants  malheureux  de  déposer  des  fleurs  et 
des  couronnes  devant  la  porte  qui  restait  impitoyablement 
close,  malgré  leurs  prières  et  leurs  larmes.  Si  les  Fastes  font 
allusion  aux  jeunes  contemporains  du  poète  qui  viennent,  la 
chevelure  parfumée  et  couronnée  de  fleurs,  chanter  sur  le 
seuil  rigoureux  de  leur  belle  maîtresse^,  à  en  croire  les  Jf e- 
tamorphoses,  jadis,  dans  l'île  de  Cypre,  l'amoureux  Iphis 
attachait  à  la  porte  de  l'insensible  Anaxarète  des  couronnes 
de  fleurs  arrosées  de  ses  larmes  ;  il  étendait  ses  membres 
délicats  sur  la  pierre  du  seuil  qui  les  meurtrissait  ;  il  passait 
la  nuit  à  se  lamenter,  accablant  de  reproches  la  barre  fatale 
qui  lui  interdisait  l'entrée  de  la  maison  ;  enfin,  il  fixait  une 
corde  à  cette  porte  qu'il  avait  si  souvent  ornée  de  guirlan- 
des, passait  la  tête  dans  le  nœud  coulant  et  se  pendait^. 

1.  Catulle,  LXIII,  V.  65-66. 

2.  Ovide,  Fastes,  Y,  v.  339-340. 

3.  Ovide,  Métamorphoses,  XIV,  v.  708-738, 


576  H.  DE  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

II  est  certain  que,  dès  l'époque  attique,  les  amants  qui  ont 
des  lettres,  ou  tout  au  moins  de  la  mémoire,  adressent  aux 
beautés  cruelles  qui  les  désespèrent,  en  même  temps  que 
leurs  larmes  et  leurs  couronnes  de  fleurs,  une  cantilène  dont 
ils  composent  eux-mêmes  les  paroles  sur  un  thème  banal,  ou 
dont  ils  répètent  simplement  les  vers  consacrés  par  l'usage 
et  adaptés  tant  bien  que  mal  à  leur  situation  particulière. 

L' Assemblée  des  Femmes  d'Aristophane  met  en  scène  un 
jeune  homme  qui  chante  ses  souffrances  et  sa  passion  devant 
la  maison  d'une  jeune  fille  : 

Viens  à  moi,  viens  à  moi  I  Descends  et  ouvre-moi  ta  porte,  cette  porte 
devant  laquelle  je  t'attends.  Si  tu  ne  viens  pas,  je  tomberai  de  langueur, 
je  resterai  étendu  sur  le  seuil...  Bien-aimée,  je  brûle  de  me  livrer  dans 
tes  bras  aux  ébats  amoureux.  0  Cypris,  pourquoi  me  rendre  ainsi  fou  de 
cette  jeune  fille  ?  0  Eros,  je  t'en  conjure,  fais  que  je  partage  la  couche  de 
mon  aimée.  Mes  paroles  expriment  bien  faiblement  ma  misère.  0  bien- 
aimée,  je  t'en  supplie,  ouvre  ta  porte,  accueille-moi  par  des  baisers  ;  car 
c'est  toi  qui  causes  ma  peine.  0  bijou  plus  précieux  que  les  joyaux  d'or  le 
plus  habilement  ciselés,  ô  fille  de  Cypris,  poétesse  aimée  de  la  Muse,  en- 
fant élevée  par  les  Charités,  vivant  portrait  de  la  Volupté,  ouvre  ta  porte, 
accueille-moi  par  des  baisers,  car  c'est  toi  qui  causes  ma  peine  *. 

Tel  est  le  plus  ancien  napay.Xauciôupov  que  nous  connais- 
sions. Comme  il  convient  dans  une  comédie,  la  jeune  fille 
est  loin  de  se  montrer  insensible  à  cette  sommation  poétique; 
et,  si  le  jeune  homme  se  voit  soumis  à  des  obligations  très 
pénibles,  indépendantes  d'ailleurs  de  la  volonté  de  celle 
qu'il  désire,  il  n'est  pas  du  moins  réduit  à  se  pendre. 

Un  poème  d'auteur  inconnu,  1'  'Epac7-r^ç,qui  se  trouve  dans 
les  œuvres  de  Théocrite,  où  il  porte  le  n"  xxiii,  raconte  la 
funeste  passion  d'un  homme  qui  se  consume  d'amour  pour 
un  bel  et  dédaigneux  adolescent.  L'amant  malheureux  vient 

1.  Aristophane,  L'Assemblée  des  Femmes,  v.  960-976, 


LE  Ilapax^auffJOvipov  877 

pleurer  devant  la  maison  de  celui  qui  le  méprise.  Il  couvre 
le  seuil  de  ses  baisers  ;  puis,  il  élève  la  voix  et  chante  une 
longue  lamentation  ;  enfin,  il  attache  une  corde  au-dessus  de 
la  porte,  se  pend  et  meurt,  exactement  comme  le  jeune 
Iphis  des  Métamorphoses  dont  Ovide  a  dû  emprunter  l'his- 
toire à  l'idylle  du  pseudo-Théocrite. 

Deux  siècles  avant  l'époque  d'Ovide,  les  influences  hellé- 
niques ont  déjà  fait  passer,  sinon  par  les  mœurs  romaines, 
du  moins  dans  la  littérature,  l'habitude  de  ces  lamentations 
devant  la  porte  que  nous  entendons  chanter  par  les  person- 
nages de  Plante  comme  par  ceux  d'Aristophane.  Dès  l'an 
561-193,  le  Curculio  nous  donne  un  canticum  qui  rappelle 
le  napr/.AajjiOjpcv  de  L'Assemblée  des  Femmes  et  qui  fait 
penser  à  la  sérénade  du  Barbier  de  Séville.  Le  jeune  Phé- 
drome  chante  devant  la  porte  de  son  amante  Planésion,  pen- 
dant que  Palinure,  l'esclave  confident,  se  tient  aux  aguets  : 

Verrous,  holàl  verrous,  je  vous  salue  avec  joie  1  Je  vous  aime,  je  désire 
vous  parler,  je  m'adresse  à  vous  et  je  vous  implore.  0  très  aimables  ver- 
rous, c'est  moi  l'amant  :  soyez  complaisants  pour  moi  !  En  ma  faveur, 
aussi  lestes  que  les  danseurs  des  pays  barbares,  sautez,  je  vous  en  con- 
jure, et  laissez-la  sortir,  celle  qui  épuise  jusqu'à  la  dernière  goutte  tout 
le  sang  d'un  misérable  amoureux  1  Mais,  voyez...  Ils  dorment,  ces  verrous 
exécrables  ;  et,  pour  moi,  ils  ne  s'ébranlent  pas  plus  vite.  Je  m'aperçois 
que  vous  ne  me  portez  aucun  intérêt,  verrous ^.. 

C'est  ainsi  que,  pendant  que  Figaro  reste  collé  au  mur 
sous  le  balcon  de  Rosine,  le  comte  Almaviva  chante  en  se 
promenant  et  s'accompagnant  sur  sa  guitare  :  «  Je  suis  Lin- 
dor,  ma  naissance  est  commune...  » 

Depuis  Catulle  jusqu'à  Ovide,  tous  ceux  des  lyriques  et 
des  élégiaques  latins  dont  les  œuvres  nous  sont  parvenues 

1.  Plaute,  Curculio,  I,  ii,  v.  147-155. 

37 


878  H.  DE  LA  VILLE  DE  MlRiMONT 

ont  exécuté,  chacun  à  sa  manière,  des  variations  personnel- 
les sur  le  thème  connu  de  la  complainte  erotique  chantée 
devant  la  porte  close  d'une  insensible  maîtresse. 

Catulle  profite  des  ombres  de  la  nuit  pour  venir  vers  la 
maison  d'une  femme  qui  a,  dit-on,  mal  tourné  ;  à  en  croire 
la  chronique  scandaleuse,  mille  bruits  courent  à  la  honte  de 
cette  jeune  matrona  qu'on  accuse  de  s'être  compromise 
avec  Postumius,  avec  Cornélius,  avec  bien  d'autres  galants 
adultères.  Le  poète  s'adresse  en  termes  pleins  d'une  politesse 
ironique  à  la  porte  dont  il  sollicite  quelques  renseignements 
précis  : 

0  porte,  aimable  pour  le  mari  complaisant,  aimable  pour  le  père,  salut! 
Que  Jupiter  te  favorise  de  son  aide  propice  !  Toi  qui  jadis  servis,  dit-on, 
Balbus  avec  honnêteté,  alors  que  ce  vieillard  occupait  lui-même  la  mai- 
son ;  toi  qui,  ensuite,  —  on  le  rapporte,  —  servis  tout  au  contraire  tes 
maîtres  en  faisant  pour  eux  des  vœux  malveillants,  depuis  que,  le  vieux 
une  fois  mort,  la  femme  est  devenue  la  maîtresse  du  logis...  Allons,  dis- 
nous  d'où  vient  ce  bruit  qui  t'attribue  l'abandon  de  tout  respect  envers 
ton  ancien  maître*. 

La  porte  ne  tient  pas  à  répondre  ;  elle  sait  qu'on  l'accuse, 
qu'on  la  fait  responsable  de  tous  les  désordres  qui  se  com- 
mettent dans  la  maison  dont  elle  a  la  charge  de  défendre 
l'entrée  aux  gens  suspects  : 

Personne  ne  peut  dire  en  quoi  j'ai  péché.  Mais  c'est  toujours  à  la  porte 
que  ce  peuple  s'en  prend.  Chaque  fois  que  l'on  s'aperçoit  de  quelque 
mauvaise  action,  tout  le  monde  me  crie  :  «  Porte,  c'est  ta  faute  ^.  » 

Le  poète  la  rassure  :  ce  n'est  pas  sur  sa  conduite  qu'il 
prétend  l'interroger,  mais  bien  sur  la  réputation  infâme  des 


1.  Catulle,  LXVII,  v.  4-8. 

2.  Catulle,  LXVII,  v.  11-44. 


LE  IlapaxXauffiôypov  579 

maîtres  de  la  maison.  Et  la  porte,  qui  ne  demande  qu'à 
parler,  répète  les  confidences  qu'elle  a  entendu  faire  par  la 
jeune  femme  à  ses  servantes,  insiste  sur  tout  ce  qui  a  été 
dit  par  les  imprudents  qui  croyaient  qu'une  porte  n'a  pas 
d'oreilles  pour  écouter,  n'a  pas  de  langue  pour  répondre 
quand  on  lui  adresse  des  questions. 

En  somme,  Catulle  fait  servir  le  Ilapay.AauaiOupov  de  cadre 
à  une  violente  satire  dans  laquelle  tous  les  désordres  d'une 
maison  où  bien  des  actions  mauvaises  ont  été  commises  sont 
révélées  par  un  témoin  qui  ne  peut  déserter  son  poste  et  qui 
est  bien  placé  pour  savoir  qui  pénètre  au  logis  en  y  intro- 
duisant la  honte  et  l'infamie. 

Horace  renouvelle  la  forme  banale  de  ce  chant  qui  se  dit 
devant  la  porte  d'une  maîtresse  pour  avertir  méchamment 
Lydia,  courtisane  sur  le  retour,  que  bientôt,  abandonnée  de 
tous  ses  amants,  dévorée  de  désirs  inassouvis,  elle  pleurera 
solitaire  dans  la  rue  déserte,  sous  la  bise  mordante  d'une 
nuit  sombre  et  froide  ;  il  lui  rappelle  que  déjà  le  temps  est 
passé  où  les  galants  assiégeaient  sa  demeure  ;  les  jeunes 
libertins  ne  viennent  plus  aussi  fréquemment  frapper  à  ses 
fenêtres  et  troubler  son  sommeil.  La  porte  de  Lydia  reste 
fidèle  au  seuil,  elle  qui  roulait  jadis  si  facilement  sur  ses 
gonds.  La  courtisane  vieillie  entend  de  moins  en  moins  sou- 
vent répéter  devant  chez  elle  :  «  Pendant  ces  longues  nuits 
où  je  suis  dehors,  mourant  d'amour,  Lydia,  tu  dors  ^  1  » 

Les  amoureux  de  Lydia  se  souvenaient,  dans  leur  triste  re- 
frain, des  lamentations  d'Asclépiade  : 

C'est  l'hiver  ;  les  Pléiades  sont  au  milieu  de  leur  course  ;  la  nuit  va 
disparaître  ;  et  moi,  sous  les  fenêtres  d'Hélène,  je  me  promène  tout  ruis- 
selant de  pluie  et  blessé  de  ses  charmes  2. 

i.  Horace,  Odes,  I,  xxv,  v.  6-8. 

2.  Anthologie  grecque,  traduct.  F.  Dehèque,  tome  I,  p.  46,  Épi- 
grammes  erotiques,  n°  189. 


«30  tî.  DE  LA  VILLE  DE  MlRMONÎ 

L'auteur  des  Odes  prétend  avoir  chanté  lui-même  pour 
son  propre  compte  une  lamentation  semblable  à  celle  des 
amoureux  de  Lydia  devant  la  porte  inexorable  d'une  femme 
mariée,  Lycé,  alors  que  mugissaient  les  vents  d'hiver,  alors 
que  la  neige  se  durcissait  sous  un  ciel  froid  et  sans  nuages  ; 
la  plainte  se  termine  en  menace  :  si  Lycé  persiste  dans  un 
orgueil  insensible  qui  offense  Yénus,  son  amant  ne  passera 
plus  ses  nuits  à  pleurer  par  le  froid  et  la  pluie,  étendu  sur 
le  seuil  de  la  porte  \  Ce  napay.Xajs-Ojp^v  semble  un  pur 
exercice  littéraire  où  le  poète  se  plaît  à  rivaliser  avec  les 
poètes  de  V Anthologie  :  Horace,  on  lésait,  se  contentait  d'a- 
mours faciles  et  sans  encombres  ;  il  tenait  à  sa  santé  qui  était 
médiocre  et  que  de  longues  stations  par  le  froid  et  la  pluie 
auraient  gravement  compromise.  Nous  ne  nous  représentons 
pas  ce  philosophe  épicurien,  petit  et  gros,  que  l'empereur 
Auguste  comparait  à  un  tonneau,  s'exposant  toute  une  nuit 
d'hiver  aux  intempéries  qui  auraient  pu  rendre  nécessaires 
les  soins  du  médecin  Antonius  Musa  et  exiger  une  cure  aux 
eaux  de  Vélie  en  Lucanie  ou  de  Salerne  dans  le  Picentin, 
loin  de  cette  chère  villa  de  la  Sabine  où  le  poète  propriétaire 
aimait  à  prolonger  ses  vacances. 

On  apprécie,  au  contraire,  une  réelle  sincérité  dans  les 
plaintes  poétiques  de  Tibulle  versant  des  larmes  vaines  et  se 
fatiguant  en  une  colère  stérile  devant  la  maison  de  sa  maî- 
tresse. L'amant  de  Délie  interpelle  la  porte  fermée  pour  lui. 
Bien  des  fois,  au  milieu  des  ténèbres  de  la  nuit,  il  a  par- 
couru la  ville  pour  aller  au  rendez-vous  d'amour.  Protégé 
par  Venus,  il  n'a  eu  rien  à  craindre  de  l'indiscrétion  des 
passants  attardés  ;  aucune  bande  de  joyeux  noctambules  n'a 
essayé,  pour  le  reconnaître,  d'approcher  de  son  visage  des 
torches  allumées  ;  ceux  qui  l'ont  reconnu  se  sont  faits  ses 

i.  Horace,  Odes,  III,  x. 


LE   na;.ax).a-.(Ti6u,'ov  581 

complices  et  n'ont  révélé  son  nom  à  personne.  Vénus  a  éloi- 
gné de  lui  toute  attaque  nocturne.  Vénus  l'a  rendu  insensible 
au  froid  engourdissant  des  nuits  d'hiver,  aux  averses  tor- 
rentielles. Il  ne  pensait  qu'au  moment  attendu  où  Délie 
glisserait  un  pied  furtif  hors  de  sa  couche  moelleuse,  des- 
cendrait sans  bruit,  ouvrirait  doucement  la  porte  et  d'un 
muet  signal  de  son  doigt,  appellerait  son  amant  à  ses  côtés. 
Mais  les  temps  sont  changés.  Délie  est  mariée  ;  un  gardien 
jaloux  veille  sur  la  jeune  femme  ;  un  solide  verrou  ferme  la 
porte  qui  ne  s'ouvre  plus.  Le  poète  va  passer,  couché  sur  la 
pierre  du  seuil,  une  nuit  désolée;  il  s'est  fait  apporter  du 
vin  pour  trouver  dans  le  sommeil  de  l'ivresse  un  soulage- 
ment à  ses  peines  d'amour.  Jusqu'au  moment  où  le  dieu 
Bacchus  apaisera  et  endormira  son  chagrin,  Tibulle  répétera 
son  chant  de  lamentation  ;  et,  avant  d'implorer  Délie,  c'est 
à  la  porte  qu'il  s'adresse  : 

Porte,  toi  qui  m'interdis  tout  accès  auprès  de  ma  maîtresse,  puisses-tu 
être  battue  de  la  pluie  !  Puisse  te  frapper  la  foudre  lancée  par  l'ordre  de 
Jupiter!...  Ou  plutôt,  porte,  vaincue  par  mes  plaintes,  ouvre-toi  pour  moi 
seul.  Tourne  furtivement  sur  tes  gonds,  ouvre-toi  sans  bruit.  Et,  si,  dans 
ma  folie,  j'ai  prononcé  contre  toi  quelques  mauvaises  paroles,  pardonne. 
Je  demande  que  ces  imprécations  retombent  sur  ma  tête.  Il  convient  que 
tu  gardes  seulement  la  mémoire  des  nombreuses  prières  que  je  t'ai  adres- 
sées d'une  voix  suppliante,  alors  que  je  t'offrais  des  guirlandes  de 
fleurs  *. 

Properce  ne  chante  pas  ses  plaintes  à  la  porte,  comme  fai- 
sait Tibulle  ;  il  n'engage  pas  avec  elle  un  dialogue  comme 
faisait  Catulle  ;  il  la  laisse  parler  toute  seule  :  il  l'écoute,  et 
c'est  le  monologue  de  la  porte  qu'il  reproduit  dans  une  de  ses 
Élégies.  Gomme  la  porte  avec  laquelle  Catulle  s'entretenait, 
elle  a  des  oreilles  pour  écouter  et  une  langue  pour  parler  ;  et 

1.  Tibulle,  I,  II,  V.  7-14. 


882  H.  DE  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

elle  parle,  elle  aussi,  pour  révéler  avec  indignation  les  scan- 
dales de  la  maison.  Elle  est  la  première,  quoique  innocente, 
à  en  porter  la  peine  ;  elle  est  maltraitée  par  les  poings  fu- 
rieux des  ivrognes,  déshonorée  par  les  couronnes  que  sus- 
pendent à  son  faîte  et  par  les  torches  que  renversent  et 
éteignent  sur  son  seuil  les  amoureux  satisfaits  ou  furieux  que 
la  maîtresse  du  logis  a  accueillis  ou  éconduits.  Cette  femme 
perdue  de  vices,  s'abandonne  à  des  désordres  que  la  porte 
ne  peut  dissimuler,  puisque  des  vers  obscènes,  inscrits  sur 
ses  battants,  les  racontent  tout  au  long  ;  elle  n'ignore  pas 
non  plus  les  lamentations  des  amants  désespérés  qui,  pen- 
dant leurs  longues  veilles  de  larmes  et  de  supplications,  ne  lui 
laissent  pas  un  instant  de  repos.  La  porte  a  entendu,  elle  a 
retenu  bon  nombre  de  complaintes  languissantes  ;  elle  peut 
donc,  d'après  ses  souvenirs,  donner  le  texte  du  Ilapay.Aajai- 
Ôupov  le  plus  développé  que  l'antiquité  latine  nous  ait  laissé  : 

Porte,  plus  cruelle  que  ta  maîtresse  elle-même,  pourquoi  me  fermer 
méchamment  tes  battants,  pourquoi  rester  muette  devant  moi  ?  Pourquoi 
ne  t'ouvres-tu  jamais,  ne  donnes-tu  jamais  accès  à  mes  amours  ?  Tu  ne 
peux  donc  te  laisser  toucher  et  accueillir  mes  furtives  prières  !  Il  n'y  aura 
donc  aucun  terme  à  mon  tourment?  Jusques  à  quand,  pris  d'un  triste  som- 
meil, devrai-je  réchauffer  de  mon  corps  la  pierre  de  ton  seuil  ?  Je  suis  un 
objet  de  pitié  pour  la  nuit  au  milieu  de  sa  course,  pour  les  étoiles  à  leur 
déclin,  pour  la  froide  bise,  compagne  de  l'aurore,  qui  me  voient  étendu 
devant  toi...  0  porte,  seule  impitoyable  aux  plaintes  humaines,  tu  restes 
muette,  tu  ne  me  réponds  pas,  tes  gonds  demeurent  silencieux  !  Plaise 
aux  dieux  que  ma  voix  misérable,  se  glissant  à  travers  quelqu'une  de  tes 
fentes,  puisse  parvenir  aux  oreilles  de  ma  maîtresse  !  Bien  qu'elle  soit 
plus  inébranlable  que  les  rocs  battus  par  la  mer  de  Sicile,  bien  que  son 
cœur  soit  plus  dur  que  le  fer  et  que  l'acier,  elle  ne  pourrait  cependant 
empêcher  ses  yeux  de  pleurer;  et  des  soupirs  sortiraient  de  son  sein,  en 
même  temps  que  ses  larmes  couleraient  malgré  elle.  Hélas  !  elle  repose 
maintenant  dans  les  bras  d'un  autre,  d'un  rival  heureux,  et  le  vent  de  la 
nuit  emporte  mes  lamentations.  Mais  toi,  ô  porte,  tu  es  la  première  et  la 
seule  cause  de  mon  malheur,  toi  qui  ne  t'es  jamais  laissé  apaiser  par  mes 


LE  napax),av)(n'ô-jpov  583 

offrandes.  Jamais  je  ne  t'ai  blessée  par  un  mot  injurieux,  jamais  je  n'ai 
inscrit  sur  tes  battants  la  lettre  de  mauvais  augure  qui  condamne  un  en- 
droit maudit  :  pourquoi  donc  souffres-tu  que  je  m'enroue  à  dire  mes 
longues  plaintes,  que  je  veille  dans  la  rue,  la  nuit  entière,  en  proie  à  la 
désolation  ?  Et,  cependant,  combien  de  fois  ne  t'ai-je  pas  adressé  des  vers 
nouveaux,  combien  de  baisers  n'ai-je  pas  imprimés  sur  les  degrés  de  ton 
seuil?  Perfide,  combien  de  fois,  tourné  vers  toi,  les  mains  levées,  ne  t'ai-je 
pas  porté  en  secret  le  culte  que  je  te  devais  ^  ! 

Les  amants  malheureux  trouvent  encore  une  consolation 
et  un  espoir  dans  ces  plaintes  déclamées  devant  une  porte 
qui  peut  à  la  fin  se  laisser  émouvoir  et  permettre  l'entrée  de 
la  maison.  Properce  est  définitivement  privé  de  cette  conso- 
lation et  de  cet  espoir,  dont  il  regrette  amèrement  la  perte, 
quand  il  se  voit  congédié  à  jamais,  quand  il  ne  lui  est  même 
plus  permis  de  rester  dans  la  rue,  couché  sous  les  rayons  de 
la  lune  glacée,  et  de  faire  passer  quelques  paroles  à  travers 
les  fentes  de  la  porte  devant  laquelle  il  n'a  plus  aucun  droit, 
aucun  prétexte  même  de  se  présenter-. 

Disciple  érudit  et  imitateur  ingénieux  des  poètes  qui  l'ont 
précédé  dans  l'élégie  amoureuse,  Ovide  ne  manque  pas  de 
faire  entrer,  à  son  tour,  l'épisode  obligatoire  du  ïlxpx/XTjai^ 
O'jpîv  dans  le  roman  de  ses  amours  avec  Corinne. 

C'est  au  moment  d'une  brouille  que  suivra  bientôt  la  ré- 
conciliation. Le  poète  vient  inutilement  au  logis  de  son 
amie.  Il  est  en  grande  tenue,  parfumé  et  paré,  la  tête  cou- 
ronnée de  fleurs.  Grâce  à  ce  privilège  des  amoureux  auquel 
Tibulle  faisait  allusion,  Ovide  qui  n'osait  autrefois  s'aven- 
turer au  milieu  des  ténèbres  et  qui  redoutait  les  fantômes 
de  la  nuit,  a  pu  traverser  sans  crainte  et  sans  danger  la  ville 
endormie.  Fort  de  la  protection  de  Vénus  et  de  Cupidon,  il 
est  parvenu  à  la  maison  de  Corinne,  et  cette  maison  lui  est 

4.  Properce,  I,  xvi,  v,  17-44. 

2.  Properce,  III,  ix  (II,  xvii),  v.  45-18, 


ÎÎ84  H.  DE  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

fermée.  Le  poète  amoureux  va  chanter  devant  la  porte  close 
la  cantilène  de  rigueur.  Mais  il  introduit  un  motif  nouveau 
dans  les  variations  que  ses  devanciers  ont  déjà  exécutées 
sur  un  thème  bien  rebattu  :  ce  n'est  plus  la  porte,  mais  bien 
le  portier  qu'il  prend  à  partie.  Ses  supplications  et  ses  me- 
naces s'adressent  à  ce  malheureux  esclave  qui,  suivant  une 
coutume  ancienne  et  barbare,  était  attaché  dans  une  loge 
voisine  de  la  porte  au  moyen  d'une  longue  chaîne  terminée 
par  deux  anneaux  de  fer  rivés  à  chacune  de  ses  jambes. 

Il  rappelle  combien  de  fois  les  châtiments  furent  évités  au 
portier,  grâce  à  l'intervention  de  l'amant  heureux  de  Co- 
rinne. Le  misérable  esclave,  les  épaules  nues  pour  le  fouet, 
fixait  ses  yeux  pleins  d'angoisse  sur  celui  dont  un  seul  mot 
désarmait  la  colère  de  son  amie  :  et,  maintenant,  les  prières 
d'Ovide,  qui  furent  si  puissantes  sur  la  maîtresse,  n'auront 
aucune  action  sur  le  serviteur  ?  Aux  prières  amicales  succè- 
dent les  menaces  impérieuses  ;  et,  après  chacun  des  couplets 
de  supplications  ou  d'injures,  revient  le  plaintif  refrain  : 
«  Les  heures  de  la  nuit  s'avancent.  Repousse  la  barre  de  la 
porte,  repousse-la*  1  » 

Cependant,  les  heures  de  la  nuit  ont  passé  avec  une  len- 
teur désespérante.  Aucune  distraction  n'a  pu  apaiser  l'ennui 
du  poète  amoureux.  Il  ne  s'est  pas  présenté  devant  la  porte 
de  Corinne  à  la  tête  d'un  cortège,  comme  les  galants  dont 
parle  VÉrotique  :  il  n'avait  d'autre  compagnon  que  le  cruel 
Amour  dont  aucune  force  humaine  n'était  capable  de  le  sé- 
parer. Il  n'a  pas  demandé,  comme  faisait  Tibulle  devant  la 
porte  de  Délie,  qu'on  lui  apportât  en  abondance  le  vin  qui 
donne  le  sommeil  et  l'oubli  des  chagrins  amoureux  ;  il  a  bu 
modérément  ;  sa  tête  est  à  peine  échauiïée  ;  s'il  a,  un  ins- 
tant, l'idée  de  se  jeter,  torche  et  poignard  en  mains,  contre 

Ovide,  Amours,  I,  vi,  v.  24,  32,  40,  48,  56, 


LE  napax).au<n'Ôypov  585 

la  porte  pour  l'incendier  et  Tenfoncer,  il  renonce  bien  vite 
à  ce  projet  déraisonnable.  S'il  s'est  imaginé  entendre  la 
porte  rouler  sur  ses  gonds  et  résonner  sourdement,  comme 
pour  l'avertir  d'entrer,  il  n'a  pas  eu  de  peine  à  se  rendre 
compte  qu'il  est  l'objet  d'une  illusion  :  c'est  le  souffle  impé- 
tueux du  vent  qui,  seul,  fait  gronder  la  porte,  et  toutes  ses 
espérances  se  dissipent,  emportées  par  le  vent.  Les  peines 
d'amour  l'ont  consumé  ;  ses  membres  amaigris  pourraient  se 
glisser  dans  la  maison,  si  peu  que  la  porte  s'entr'ouvrît.  Mais 
la  porte  reste  obstinément  close.  «  Et,  déjà,  l'astre  glacial  du 
matin  met  son  char  en  mouvement,  et  le  coq  réveille  les  mi- 
séreux pour  leur  labeur  ^  »  L'amoureux  déçu  doit  abandon- 
ner son  inutile  faction  ;  il  n'a  plus  qu'à  se  dépouiller  de  la 
couronne  qui  parait  sa  chevelure  et  à  la  laisser  sur  le  seuil, 
pour  que  Corinne,  en  la  voyant,  quand  elle  sortira  le  matin, 
comprenne  que  son  amant  a  passé  toute  la  nuit  en  vain  de- 
vant la  porte  qui  n'a  point  voulu  s'ouvrir  —  ou,  plutôt,  que 
le  portier,  insensible  aux  prières  et  aux  menaces,  n'a  point 
voulu  ouvrir. 

Ovide,  en  effet,  n'a  pas  chanté  le  classique  napr/.Xajji- 
6jpcv  des  amoureux  d'autrefois  ;  il  n'a  pas  maudit,  injurié, 
supplié  ou  raillé  la  porte,  comme  faisaient  Horace  et  Tibulle; 
il  n'a  pas,  comme  Catulle,  engagé  avec  elle  un  dialogue  ;  il 
ne  l'a  pas  laissé  parler  toute  seule,  comme  Properce.  Dans 
les  Amours,  il  ne  s'agit  plus  de  ces  gracieuses  lamentations 
que  les  amants  chantaient  devant  la  porte  pour  se  faire  en- 
tendre de  l'aimée  dont  la  porte  clôt  le  logis.  Les  appels 
d'Ovide  ont  un  caractère  plus  pratique  :  c'est  au  portier 
qu'ils  s'adressent  et  non  à  la  porte.  Or,  le  portier  n'est  pas 
de  bois,  comme  la  porte  ;  il  écoute  celui  qui  sait  se  faire 
écouter.  L'auteur  de  \ Art  d'aimer  donne  aux  amoureux  un 

\.  Ovide,  Amours,  I,  vi,  v.  60-66. 


886  H.  DE  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

conseil  dont  il  aurait  dû,  tout  le  premier,  faire  son  profit, 
quand  il  voulait  s'ouvrir  la  maison  si  bien  gardée  de  Co- 
rinne : 

Crois-moi,  fais  en  sorte  de  mettre  dans  tes  intérêts  toute  la  plèbe  des 
serviteurs  :  n'oublie  pas  le  portier  de  la  maison,  ni  le  gardien  qui  veille 
au  seuil  de  la  chambre  à  coucher  *. 

Le  janitor  de  Corinne  est  le  digne  ancêtre  de  Petit-Jean, 
le  portier  de  M.  Perrin  Dandin  : 

On  n'entrait  point  chez  nous  sans  graisser  le  marteau. 
Point  d'argent,  point  de  Suisse,  et  ma  porte  était  close. 
Il  est  vrai  qu'à  Monsieur  j'en  rendais  quelque  chose  : 
Nous  comptions  quelquefois  2. 

Ovide  a,  sans  doute,  négligé  de  graisser  la  chaîne  du  jani- 
tor, qui,  probablement,  comptait  quelquefois  avec  Corinne  ; 
car  la  vénalité  jouait  un  rôle  de  plus  en  plus  important  dans 
les  intrigues  galantes  de  la  Rome  impériale.  Le  son  des  écus 
devient  plus  séduisant  que  l'harmonie  des  chansons  ;  et, 
après  les  Amours,  la  littérature  latine  ne  mentionnera  plus 
de  poétiques  cantilènes  devant  quelque  porte  rigoureuse- 
ment close. 

Le  philosophe  Sénèque  écrit  à  Lucilius  :  «  Ne  vois-tu  pas 
quelles  causes  frivoles  amènent  les  hommes  au  mépris  de  la 
vie?  Celui-ci  se  pend  devant  la  porte  de  sa  maîtresse^.  » 
Mais  le  moraliste,  qui  prend  plaisir  à  censurer  les  vices  et  à 
railler  les  ridicules  de  ses  contemporains,  ne  fait  aucune  al- 
lusion au  IlapaxAauciô'jpov  qui  aurait  précédé  le  suicide  de  cet 
amant  désespéré. 

Les  déclamations  scolaires,  qui  développent  les  scènes  les 

1.  Ovide,  Art  d'aimer,  II,  v.  259-260. 

2.  Racine,  Les  Plaideurs,  I,  i,  v.  14-17. 

3.  Sénèque,  Lettres  à  Lucilius,  iv,  4, 


LE  napax>vau(Tt6v)pov  887 

plus  romanesques  de  la  vie  privée  au  i^*"  siècle  de  l'Empire, 
ne  nous  montrent  aucun  amoureux  chantant  au  seuil  de  sa 
belle.  Les  Controverses  recueillies  par  Sénèque  le  père  font 
le  portrait  du  jeune  homme  débauché  et  du  vieillard  rendu 
fou  par  une  passion  sénile  :  le  jeune  homme  ruisselle  de  par- 
fums ;  corrompu  par  l'excès  des  passions,  il  prend,  pour 
plaire  aux  femmes,  une  démarche  plus  langoureuse  que 
celle  des  femmes  ;  il  passe  les  jours  et  les  nuits  dans  les  fes- 
tins honteux,  il  vit  dans  les  mauvais  lieux^  Le  vieillard  amou- 
reux s'enivre,  se  pare  de  guirlandes  de  fleurs,  s'imprègne  de 
parfums  ;  les  courtisanes  se  suspendent  à  son  cou,  la  troupe 
des  parasites  se  presse  autour  de  lui  ;  il  a  des  disputes  scan- 
daleuses avec  ses  rivaux  ;  son  ébriété  de  la  nuit  se  prolonge 
encore  pendant  le  jour-.  Dans  les  Déclamations  attribuées 
à  Quintilien,  il  est  question  de  débauchés  qui,  toute  la  jour- 
née, restent  collés  à  la  porte  du  mauvais  lieu,  d'amants 
malheureux  que  le  désespoir  contraint  à  se  pendre^.  Mais 
aucun  des  thèmes  d'amplification  familiers  à  l'école  de  rhé- 
torique ne  s'occupe  de  ce  chant  de  lamentation  devant  la 
porte  fermée,  qui  est  mis  par  Plutarque  au  nombre  des  de- 
voirs principaux  d'un  amant. 

Les  satiriques  ne  tournent  pas  cet  usage  en  ridicule,  pro- 
bablement parce  qu'il  est  tombé  en  désuétude. 

On  comprend  qu'au  temps  de  Juvénal  l'amoureux  n'a  pas 
besoin  d'aller  entonner  le  riapaxXrjjiÔjpcv  à  la  porte  de  sa 
maîtresse.  La  mère  de  la  jeune  mariée,  empressée  à  se  faire 
la  proxénète  de  sa  fille,  sait  ménager  et  même  provoquer 
les  entrevues,  sans  que  le  galant  ait  à  se  mettre  en  frais  de 
chants  désespérés*. 


1.  Sénèque  le  père,  Controverses,  II,  i,  6,  45. 

2.  Sénèque  le  père,  Controverses,  II,  vi,  4,  9. 

3.  M.  Fabii  Quintiiiani,  ut  ferunt,  Declamationes,  xiv,  3;  xv,  9,  10. 

4.  Juvénal,  Satires,  VI,  v.  234-242. 


888  H.  DE  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

Quand  le  poète  stoïcien  Perse,  dans  sa  Satire  sur  la  vraie 
liberté,  veut  donner  l'exemple  d'un  jeune  amoureux,  sin- 
cère et  faible,  impuissant  à  se  dégager  d'une  passion  qu'il 
condamne  lui-même,  il  doit  emprunter  à  la  comédie  grecque 
ce  type  de  jeune  homme  qui  ne  se  trouve  plus  ni  dans  la 
société,  ni  dans  la  littérature  de  la  fin  du  i"  siècle  : 

«  Oui,  Dave,  je  veux  en  finir,  et  sans  retard,  ne  t'avise  pas  d'en  douter! 
Elle  m'a  fait  assez  souffrir...  »  —  C'est  Chérestrate  qui  parle  ainsi,  en 
rongeant  ses  ongles  de  fureur.  —  «  Scrai-je  toujours  le  déshonneur  d'une 
austère  famille  ?  Faut-il  que  le  seuil  d'une  maison  mal  famée  me  perde  de 
réputation,  dissipe  la  fortune  paternelle,  et  que  je  continue  d'aller,  la 
voix  avinée,  tenant  à  la  main  une  torche  éteinte,  chanter  devant  la  porte 
de  Ghrysis,  cette  porte  humide  de  mes  larmes  i.  » 

C'est  Chérestrate  qui  parle  ainsi  dans  VEunuque  de  Mé- 
nandre,  où  il  joue  le  rôle  de  jeune  premier  que  Térence 
attribuera  à  Phédria.  Térence  a  changé  le  nom  des  person- 
nages :  Chérestrate,  Dave  (A5oç),  Chrysis  s'appellent  Phé- 
dria, Parménon,  Thaïs,  dans  la  comédie  latine  où  il  n'est 
plus  question  de  chants  de  l'amoureux  à  la  porte  de  sa  maî- 
tresse. Phédria,  qui  se  meurt  d'amour  et  qui  ne  sait  que 
faire,  avoue  simplement  à  Parménon,  l'esclave  confident, 
que  Thaïs,  après  l'avoir  renvoyé,  le  rappelle^  Il  ne  dit  rien 
de  ses  stations  nocturnes,  de  ses  lamentations  désespérées  de- 
vant le  logis  de  sa  maîtresse. 

Faut-il  admettre  qu'en  l'année  593-161,  où  V Eunuque  fut 
représenté,  la  coutume  du  Ilapay.AauciOjpcv  n'était  pas  assez 
connue  à  Rome  pour  que  Térence,  qui  prétend  donner  dans 
ses  comédies  le  tableau  de  la  société  élégante  et  polie  où  il 
avait  été  introduit  par  ses  protecteurs  aristocrates,  Scipion 
Emilien,  Laelius,  Furius  Philus,  ait  osé  y  parler  de  ce  can- 

4.  Perse,  Satires,  V,  v.  461-166. 

2.  Térence,  L'Eunuque,  I,  i,  v.  4,  27-28. 


ticum  que  Plaute,  peu  soucieux  d'éliminer  des  pièces  grec- 
ques qu'il  adaptait  à  la  hâte  les  traits  de  mœurs  en  désaccord 
avec  les  habitudes  romaines,  ne  craignait  pas  de  faire  chan- 
ter, dès  l'an  361-193,  par  un  personnage  du  Curculio  ?  On 
se  représente  bien  les  jeunes  contemporains  de  Plaute  allant 
la  nuit,  après  boire,  faire  tapage  devant  la  maison  d'une 
courtisane  en  réputation  et  charbonner  sur  la  porte  des  vers 
aussi  peu  respectueux  de  la  décence  que  de  la  métrique  ^ 
Mais  l'on  ne  peut  supposer  que  les  rudes  soldats  des  guerres 
puniques  aient  eu  la  coutume  de  chanter  de  gracieuses  com- 
plaintes adressées  aux  verrous  de  la  porte. 

Sans  doute,  vers  les  derniers  temps  de  la  République,  alors 
que  les  Cantores  Euphorionis  faisaient  fureur,  à  la  grande 
indignation  de  Cicéron',  le  poète  philosophe  Lucrèce  a  pu 
flétrir  la  folie  des  amoureux  qui  venaient  réellement  acca- 
bler de  chants  désespérés  la  porte  close  ;  et  il  est  permis  de 
supposer  que  Catulle,  le  poète  passionné,  fut  pour  son  pro- 
pre compte  un  des  chanteurs  les  plus  littéraires  du  Ilapax/aj- 
^{Ojpcv.  Quant  aux  élégiaques  contemporains  d'Auguste,  il 
est  assez  difficile  d'établir  si  ce  n'est  pas  de  sang-froid  qu'ils 
ont  fait  les  langoureux  pour  quelque  Iris  en  l'air  dont  ils  se 
gardaient  d'assiéger  la  porte,  et  si  leurs  chants  de  lamenta- 
tion amoureuse  ne  sont  autre  chose  que  des  lieux  communs 
poétiques  imités  des  maîtres  d'Athènes  et  d'Alexandrie.  Mais 
il  paraît  certain  qu'au  temps  de  Perse,  la  coutume  de  ces  sé- 
rénades lugubres  est  absolument  inconnue  à  Rome,  puisque, 
lorsque  le  satirique  veut  en  donner  un  exemple,  il  doit  l'em- 
prunter au  théâtre  de  Ménandre. 

Martial,  cependant,  dirige  de  nombreuses  épigrammes 
contre  un  certain  Tucca,  imitateur  attardé  des  jeunes  gens 


1.  Plaute,  le  Marchand,  II,  m,  v.  73-74. 

2.  Cicéron,  Tusculanes,  III,  xix,  45. 


m  H.  DE  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

de  Ménandre,  le  ridicule  Tucca,  qui,  sous  le  principat  de 
Domitien,  se  conduisait  à  Rome  comme  jadis  Chérestrate  à 
Athènes. 

Tucca  est  gourmand,  et  il  veut  que  tout  le  monde  sache 
qu'il  est  gourmand'.  Il  est  sottement  prodigue:  il  achète 
très  cher  de  jeunes  et  jolis  esclaves  pour  les  revendre  aussi- 
tôt^  Il  est  maladroitement  avare  :  il  mêle  l'excellent  Falerne 
à  la  piquette  du  "Vatican  et  réussit  à  faire  du  mélange  un  vin 
détestable^.  Il  est  indélicat  :  il  demande  à  Martial  ses  livres; 
celui-ci  se  garde  bien  de  faire  le  présent  sollicité,  car  c'est 
pour  les  vendre  et  non  pour  les  lire  que  Tucca  demande 
les  livres  du  poète*.  Il  prétend  faire  le  critique  et  reproche 
à  Martial  de  composer  des  épigrammes  en  vers  hexamètres  ^ 
Il  veut  produire  des  poèmes,  lui  aussi,  et  copier  Martial 
dans  tous  les  genres,  épopée,  tragédie,  poésie  lyrique,  élé- 
gie, satire.  Le  poète  se  cantonne  dans  l'épigramme,  et  l'in- 
fatigable imitateur  est  aussitôt  jaloux  d'une  nouvelle  re- 
nommée qu'il  ambitionne  lui  aussi^  Tucca  est,  avant  tout, 
ridicule  ;  il  fait  tout  à  contresens  :  alors  que  le  balnetim 
pour  l'eau  froide  doit  être  en  marbre  et  les  thermae  pour 
l'eau  chaude  en  bois,  il  se  fait  construire  des  thermae  en 
marbre,  un  balneum  en  bois\  Alors  qu'il  pourrait  dormir 
couché  sur  des  coussins  de  plumes,  plus  moelleux  que  ceux 
de  Vénus  elle-même,  il  va  passer  les  nuits  sur  le  seuil  d'une 
orgueilleuse  maîtresse  dont  la  porte,  sourde  à  ses  prières,  à 
ses  soupirs  qui  le  consument,  est  mouillée  de  ses  larmes  ^ 


1.  Martial,  Épigrammes,  XII,  xli. 

2.  Martial,  Épigrammes,  XI,  lxx. 

3.  Martial,  Épigrammes,  I,  xix. 

4.  Martial,  Épigrammes,  VII,  lxxvii. 

5.  Martial,  Épigrammes,  VI,  lxv. 

6.  Martial,  Épigrammes,  ^\\,  xcv. 

7.  Martial,  Épigrammes,  IX,  lxxv. 

8.  Martial,  Épigrammes,  X,  xiii. 


LE  IlapaxXauaiÔupov  891 

La  dévotion  de  Tucca  à  l'archaïque  coutume  du  llapav.Xau- 
aîôjpov  n'est  qu'un  des  nombreux  ridicules  du  personnage. 
Au  temps  de  Martial,  il  faut  être  un  grotesque,  victime  dési- 
gnée à  tous  les  traits  de  l'épigramme,  pour  passer  les  nuits 
à  se  lamenter  devant  une  porte  close,  comme  le  faisaient, 
ou  prétendaient  le  faire,  à  l'imitation  des  Grecs,  les  poètes 
Catulle,  Horace,  Properce,  Tibulle  et  Ovide. 

Après  les  Épigrammes  de  Martial,  la  littérature  latine  ne 
mentionne  plus,  même  pour  s'en  moquer,  les  chants  noctur- 
nes devant  le  logis  d'une  maîtresse  cruelle.  Le  Satyricon  de 
Pétrone  n'y  faisait  aucune  allusion  ;  il  n'en  est  pas  question 
dans  la  Métamorphose  d'Apulée.  Le  rhéteur  de  Madaure 
parle  dans  son  Apologie  de  chants  bruyants  qui  troublaient, 
pendant  la  nuit,  le  calme  de  la  ville  d'Œa.  Mais  ce  bruit 
n'était  pas  le  fait  d'amoureux  élégiaques  pleurant  leur  mi- 
sère ;  les  habitudes  helléniques  d'une  galanterie  raffinée 
n'avaient  pas  passé  dans  l'Afrique  romaine  :  Apulée  décrit 
tout  simplement  une  vulgaire  scène  de  tapage  nocturne.  Il 
s'agit  de  jeunes  gens  brutaux  qui  s'assemblent  devant  une 
maison  malfamée,  ébranlant  la  porte  à  coups  de  pied,  faisant 
retentir  les  fenêtres  de  chansons  obscènes*. 

Dans  les  pays  de  civilisation  hellénique,  les  galants  con- 
tinuent, après  le  temps  où  Plutarque  écrivait  V Erotique , 
à  se  livrer  à  des  lamentations  plus  ou  moins  littéraires  de- 
vant la  porte  de  leurs  belles.  Vers  la  fin  du  ii^  siècle,  une 
des  courtisanes  dont  Lucien  rédige  les  dialogues,  Ampélis, 
ne  donne  le  titre  d'amants  véritables  qu'à  ceux  qui  viennent 
soupirer,  pleurer,  stationner  à  sa  porte,  pendant  la  nuit'. 

Ces  amants  sont  des  Grecs  ;  et  les  rudes  Latins  ont  oublié 
les  coutumes  galantes  importées  jadis  d'Athènes  ou  d'Alexan- 


4.  Apulée,  De  Magia,  lxxv. 

2.  Lucien,  Dialogues  des  cour  tisanes, NIW^  2. 


M  H.  t)É  LA  VILLE  DE  MIRMONT 

drie.  Le  dernier  imitateur  des  élégiaques  latins  contempo- 
rains de  César  et  d'Auguste,  Maximianus,  ressemble  aussi 
peu  par  sa  conduite  en  amour  que  par  la  pureté  de  ses  vers 
et  la  correction  de  son  style  à  ses  illustres  modèles.  C'est  un 
Étrurien,  ami  du  philosophe  Boèce,  qui  fut  au  nombre  des 
ambassadeurs  envoyés  dans  les  premières  années  du  vi*  siè- 
cle par  Théodoric,  roi  d'Italie,  à  l'Empereur  de  Constanti- 
nople,  Anastase,  pour  travailler  à  l'alliance  de  l'Orient  et  de 
l'Occident.  A  la  fin  de  sa  carrière,  il  raconte,  dans  une  de 
ses  Elégies  une  aventure  qu'il  eut  au  cours  de  son  ambas- 
sade avec  une  courtisane  grecque.  Mais  ce  n'est  pas  Maxi- 
mianus qui  se  lamente,  comme  Catulle,  Properce,  Tibulle 
ou  Ovide,  à  la  porte  de  la  belle.  C'est  la  Graia  puella  qui 
vient  la  nuit,  sous  les  fenêtres  de  l'ambassadeur  de  Théodo- 
ric, murmurer  des  chants  grecs  pleins  de  douceur,  pleurer, 
gémir  et  soupirer  de  manière  à  inspirer  par  son  amour  et 
son  chagrin  une  pitié  funeste  à  l'Etrurien  qui  sera  victime 
des  artifices  de  la  sirène  orientale  ^ 

Au  temps  de  l'empereur  Anastase,  l'élégiaque  latin  n'avait 
pas  à  se  mettre  en  frais  de  llapay.Xajs'Ôjpov,  puisqu'il  enten- 
dait sous  sa  fenêtre  les  pleurs  et  les  chants  de  la  jeune  fille 
grecque  qui,  par  une  contre-partie  grossière  des  anciennes 
pratiques  de  la  vie  galante,  venait  elle-même,  la  nuit,  provo- 
quer un  amant  de  rencontre. 


1.  Maximiani   Elegiae,  v,  v.  9  et  suiv.   (Baehrens,  Poetae  Latini  Mi- 
nores, vol.  V,  p.  340). 


AuG.   AUDOLLENT 


REFRIGERARE 


REFRIGERARE 

Par    Aug.    AUDOLLENT. 


M.  G.  Ghirardini  a  récemment  publié,  dans  les  Notizie 
degli  scavi\  une  inscription  de  Feltre  qui  mérite  de  retenir 
l'attention  des  épigraphistes.  En  voici  le  texte  : 

SEVERO  •  ET  •  RVFINO   COSS 

V  •  K  •  SEPT 

ACCEPERVNT  •  COLL  •  FAB  •  ET  •  CC^ 
^  •  QVI  NGENTAM  I  Ll  A  •  COMPVTATA 
5  VSVRA  •  ANNI  •  VNI  •  CENTENSIMA  •  VgA 
^  •  LX  •  DE  •  QVA  •  VSVRA  •  PER  SINGVLOS  AN 
DIE  •  V  •  IDV  •  lAN  •  NATALE  •  IPSIVS  •  EX  •  VSVRA  •  S  •  S 
AT  MEMORIAM  •  HOS-FLAMININI-REFRIGER 
SEHDERVNT  •  ET  •  IIIIVIR  •  ET  •  SEX  •  PRINC 
10  ET  •  OFF  PVB  •  SPOR  •  NO  •  AVREOS  •  DEN  •  ET  •  SIL 
SING  •  NEICNON  ET  PER  ROS  •  AT  •  MEMOR  •  EIVS 
REFRIGERAR   •  DEVEB-       N    CCCLXII- 

Tout  n'est  pas  d'une  absolue  clarté  dans  ces  lignes  ;  mais 
l'ensemble  se  comprend  sans  peine,  et  l'on  peut  en  proposer 
au  moins  une  transcription  provisoire. 

1.  1907,  p.  432. 


596  AUG.  AUDOLLENT 

Severo  et  Rufîno  co(ji)s(ulibu)s,  V  kÇalendas)  Sept(em- 
bres),  accepemint  coll{egmm)  fabÇruni)  et  c(oUegiurn) 
c{entonarioruni)  denarioriim  quingenta  milia  computata 
usura  a?ini  iiniÇits)  centensima  u\n\a  denariorum  LX ;  de 
qiia  usura  per  singidos  anÇjios)  die  V  idu(s)  jan{uanas) 
natale  ipsius  ex  usura  s{iipra)  sÇcripta)  at  memoriarii 
HosQilii)^  Flaminini  refriger{are^  se  [..]derunt  et  quat- 
tiiorvir(is  ?)  et  sex  {viris?)  princ{ipalibus?^  et  offÇicio?) 
pub(Jico?')  spor{tulani)  7îo(?nmos?)  aureos  denÇarios)  et 
silÇiquas)  singÇidis  ?),  neicnon  et  per  ros{alia  ?)  at 
memor{iani)  eiiis  ref7ngerar{f)  deveb{imt)  7i(ummos^ 
CCCLXII. 

Il  s'agit,  on  le  voit,  d'un  legs  fait,  le  28  août  323,  par  un 
certain  Flamininus,  à  deux  collèges  locaux,  à  charge  par 
eux  d'honorer  sa  mémoire,  en  distribuant  les  revenus,  à  date 
fixe,  à  des  personnes  nettement  spécifiées.  Un  commentaire 
minutieux  serait  indispensable  pour  mettre  en  lumière  tou- 
tes les  particularités  de  ce  texte.  Quant  à  l'intention  géné- 
rale il  est  analogue  à  d'autres  de  la  même  région^  ;  mais  il 
s'en  distingue,  comme  l'a  bien  vu  M.  Ghirardini,  et  il  les 
passe  en  intérêt  par  toute  une  série  d'indications.  Je  fais 
allusion  à  l'importance  de  la  somme  léguée,  aux  prescrip- 
tions pour  l'emploi  des  revenus,  à  l'énumération  des  magis- 
trats ou  fonctionnaires  municipaux  qui  en  sont  les  bénéfi- 
ciaires, enfin  aux  expressions  qui  rappellent  par  certaines 
redites  voulues  Çde  qua  usura...  ex  usura  supra  scriptd)  la 
façon  de  parler  des  jurisconsultes. 

Les  linguistes  et  les  grammairiens  y  peuvent  glaner  plus 
d'une  forme  ou  construction  inattendue,  telles  que  centen- 


1.  J'adopte  le  complément  proposé  par  M.  Ghirardini. 

%  Voir  C.  1.  L.,  V.,  nos  4488,  4489,  et  p.  1189,  1196  sq.,  et  1213. 


REFRIGERARE  597 

sima,  at^  pour  ad,  neicnon,  devebimt^  pour  debebunt, 
iini^  au  lieu  de  unius,  l'infinitif  refrigerare  à  la  place  du 
participe  refrigerandam.  Sans  prétendre  tout  expliquer,  je 
voudrais  seulement,  dans  ce  recueil  consacré  aux  études  de 
langue  et  de  grammaire  latines,  signaler  brièvement  l'usage 
nouveau,  si  je  ne  m'abuse,  qui  est  fait  ici  du  verbe  refri- 
gerare. 

D'après  les  exemples  littéraires  ou  épigraphiques,  qu'on 
trouve  réunis  dans  les  lexiques,  les  significations  de  ce  mot 
peuvent  se  ramener  à  trois  principales. 

C'est  d'abord  le  sens  propre  :  rendre  froid,  refroidir, 
rafraîchir,  qui  s'entend  soit  des  objets  inanimés,  comme 
dans  ce  passage  de  Cicéron*,  «...  ignis  in  aqitam  coniectiis 
continuo  reslinguitur  et  refrigeratur...  »,  soit  des  êtres 
doués  de  vie,  comme  dans  cet  autre  du  même  auteur  % 
«  IJbi  enim  potest  illa  aetas  aiit  calescere  vel  apricatione 
melius  vel  igni  aut  vicissim  umbris  aquisve  refrigerari 
salubriiis?  » 

De  là  est  issu  un  sens  figuré,  tout  moral,  qui  ne  s'emploie 
guère  que  d'une  manière  défavorable,  quand  on  veut  indi- 
quer, par  exemple,  qu'on  fait  soudain  tomber  l'ardeur,  les 
sentiments  exaltés  d'une  personne:  Cicéron^  (s...Àta  defessa 
ac  refrigerata  accusatione  rem  integram  ad  M.  Metellum 
praetorem  esse  venturam  »  ;  qu'on  l'interloque,  qu'on  coupe 
brusquement  son  effet  :  Quintilien",  «  Prudens  (testis^... 
brevi  interlocutione  patroni  refutandus  est   aut  aliquo  si 


1.  On  me  permettra  de  rappeler  que  cette  forme  est  fréquente  en  Afri- 
que, en  particulier  clans  S.  Gyprien  et  dans  les  inscriptions. 

2.  L'échange  du  6  et  du  v  est  aussi  une  habitude  africaine. 

3.  Je  ne  crois  pas  à  une  abréviation. 

4.  Pro  Rose,  com.,  6,  17. 

5.  De  sen.,  16,  57. 

6.  In  Verrem,Act.  I,  10,  31. 

7.  Inst.  orat.,  5,  7,  26. 


598  AUG.  AUDOLLENT 

continget  urhane  dicto  refrigerandus...  »  Nous  disons 
de  même:  refroidir  l'enthousiasme,  le  zèle,  l' affection... 

Enfin  les  chrétiens  se  sont  servis  de  refrigerare  comme 
verbe  transitif  ou  intransitif,  en  le  transposant.  C'est  encore 
ridée  de  rafraîchir  qui  subsiste,  mais  avec  une  valeur  très 
spéciale  ;  elle  vise  le  rafraîchissement  de  l'âme,  soit  dans 
cette  vie  —  et  alors  il  faut  expliquer  :  consoler,  soulager, 
«  ut  paucis  horis  emissi  in  meliorem  locum  carceris  refri- 
geraremus  *  »  — ,  soit  après  la  mort,  «  Deus  Christus  omni- 
potens  refrigeret  spiritum  tuum^-  ».  Qu'il  faille  introduire 
ici,  comme  l'a  proposé  Martigny^  l'idée  d'un  repas  et  du 
«  soulagement  ou  rafraîchissement  du  corps  par  la  nourri- 
ture »  ;  que  parfois  peut-être  les  païens  aient  aussi,  à  l'imi- 
tation des  chrétiens,  pratiqué  cet  emploi  du  mot*,  il  n'im- 
porte guère  pour  la  question  qui  nous  occupe.  Je  voulais 
seulement  constater  les  trois  acceptions  formelles  de  ce 
verbe,  auxquelles  les  autres,  avec  des  nuances,  peuvent 
toutes  se  rattacher. 

Or  il  semble  bien  que,  dans  le  texte  de  Feltre,  refrige- 
rare ne  rentre  exactement  dans  aucune  de  ces  trois  catégo- 
ries. Ce  que  Flamininus  désire,  c'est  que  les  deux  collèges 
professionnels  qu'il  a  dotés  d'une  somme  importante,  perpé- 
tuent son  souvenir,  ou,  plus  littéralement,  ravivent  sa 
mémoire,  la  conservent  toujours  fraîche.  11  est  de  toute  évi- 
dence que  nous  n'avons  plus  ici  le  sens  propre  et  direct, 
mais  un  sens  figuré  ;  seulement  celui-ci  n'implique  aucune 
allusion  fâcheuse,  tout  au  contraire  il  s'entend  d'une  manière 
très   favorable.   Enfin   il    n'est   nullement   question   de    ce 


1.  Acta  SS.  Perpetiiae  et  Felicitatis,  3. 

2.  De  Rossi,  Bull,  di  arch.  crist.,  4863,  p.  2-4, 

3.  Dict.  des  antiq.  chrét.,  s.  v.  refrigerium. 

4.  Cf.  C.  I.  L.,  VI,  2160,   et  de  Rossi,  Bull,  di  arch.  crist.,  1870, 
p.  35. 


REFRIGERARE  599 

rafraîchissement  particulier  du  corps  et  de  l'âme  dont  par- 
lent les  épitaphes  chrétiennes.  Aussi  ne  suffit-il  pas  de  dire, 
avec  M.  Ghirardini,  que  nous  sommes  en  présence  d'une 
acception  étrangère  à  la  langue  classique;  il  s'agit  bien 
plutôt  d'une  acception  nouvelle,  dont  j'ai  en  vain  cher- 
ché l'équivalent  ailleurs.  Il  est  fort  possible  que  nous  ayons 
à  faire  à  une  locution  courante  de  la  langue  populaire  ;  en 
tout  cas  elle  n'avait  pas  encore  apparu,  autant  que  je  suis 
informé,  dans  un  document  écrit. 

A  y  regarder  de  près  cependant,  la  transformation  que  ce 
verbe  a  subie  ici  n'est  pas  si  éloignée  de  celle  qui  l'a  conduit 
au  sens  chrétien  :  de  part  et  d'autre  nous  rencontrons  une 
signification  morale  et  favorable.  Il  semble  donc  qu'il  y  ait 
eu  évolution  parallèle  dans  deux  directions.  Mais  tandis  que 
plusieurs  textes  déjà  nous  renseignaient  sur  l'une  de  ces 
modifications  de  sens,  l'inscription  de  Feltre  nous  met  pour 
la  première  fois  en  face  de  la  seconde. 


Alfred   JACOB 

UN  FEUILLET  PALIMPSESTE 

DU  CODEX  PARISINUS 

SUPPLÉMENT  GREC  1282 


UN   FEUILLET   PALIMPSESTE 

DU  CODEX  PARI  SINUS 

SUPPLÉMENT  GREC    1282 

Par  Alfred  Jacob. 


Parmi  les  nombreux  feuillets  palimpsestes  dont  se  compose 
le  codex  parisinus  supplément  grec  1232,  quatre  sont  d'an- 
ciens feuillets,  aujourd'hui  plies  en  deux,  d'un  assez  beau 
manuscrit  du  iii^  au  xiii"  siècle  écrit  à  pleine  page  et  conte- 
nant à  la  page  trente-huit  à  trente-neuf  lignes  d'une  écri- 
ture minuscule  assez  régulière  et  soignée.  Quelques  lignes 
entières  n'ont  pas  été  recouvertes  par  le  nouveau  texte,  et  de 
nombreux  groupes  de  lettres  sont  encore  assez  visibles  pour 
permettre  de  reconstituer  des  mots  et  des  phrases.  Ce 
manuscrit,  dont  nous  n'avons  ici  que  deux  feuillets,  conte- 
nait la  2uvot]^tç  7cpaY[j.aT'-XY5  de  Michel  Attaliata,  divisée  en 
trente-sept  titres,  comme  elle  l'est  dans  la  plupart  des 
manuscrits  ^ 


1.  Dans  le  ms.  de  Helmstadt,  qui  est  la  base  du  texte  de  J.  Leunklavius 
édité  par  Marquard  Freher,  Francfort,  1596,  in-fol.,  t.  II  (nous  n'avons 
pu  nous  procurer  le  texte  plus  correct  publié  parL.  Sgoutas  dans  0c'(xt;  en 
1861),  la  Synopsis  est  divisée  en  95  titres  et,  dans  le  codex  parisinus 
1385A,  en  35,  et  non  en  25,  comme  le  dit  Mortreuil,  Hist.  du  droit 
byzantin,  t.  III,  p.  219, 


604  ALFRED  JAGOB 

Nous  avons  pu  déchiffrer  à  peu  près  complètement  ce  qui 
reste  de  cet  ancien  ms.  et  nous  donnons  ci-dessous  transcrip- 
tion exacte  des  feuillets  18-19'°  et  18'^-19*  qui  offrent  la 
fin  du  proœmium,  les  titres  I  et  II  et  le  début  du  titre  III, 
en  respectant  l'orthographe  et  l'accentuation,  quand  il  a  été 
possible  de  la  distinguer^.  Pour  que  l'on  puisse  se  faire  une 
idée  de  ce  que  valait  le  texte  détruit,  nous  l'avons  comparé 
avec  celui  de  la  Synopsis  (S)  puis  avec  celui  de  sept  mss.  de 
la  Bibliothèque  Nationale,  le  1263,  chartaceus  du  xiv*  au 
iv«  siècle  (A),  le  1358,  chartac.  du  xv«  s.  (F),  le  1359,  char- 
tac,  du  xvi«  s.  (G),  le  2256,  chartac.  du  xy'  s.  (B),  le  2991A, 
chartac.  de  l'an  1419  (G),  le  supplément  grec  625,  chartac. 
du  xiv«  s.  (D)  et  enfin  le  1385A,  chartac.  de  l'an  1431(E)3. 

Fol.  18. 

1  IÇ7Î(xovTa)  PtôXcov  ôpyavtoaetoç  •  l7c[£i  8è  o]t  v[o[jlo'.]  {xe'aov  rpoawTccov  [xai] 

jcpayfxàTwv  xà;  SiaxaÇsiç  ouvT^pfxo) 

2  a[av  (sic),  SsT]  ■^poJTov  7r[epi  xojjrwv  [r,-:oi  ou  i^'youv  Ttov]  te  TcpoaojTiwv  xal 

TàSv  TtpaYfxaxtov  îiaXaSsîv  [xat]  Biaipetixàiv  (sic) 

3  Ta;  TOUTw[v]  çuastç  xai  O^ae-.ç  8t[£uxpi]vT;[aa'.]  £•.[;  eù]awo;i[TOv]  x[aTaXr)(];tv] 

Tûv  [[xJeXXovTOiv  IxTsOTJvai  vo- 

4  [xtxtov  (prius  vo[j.ixôv)  x£[(p]aXai(ov.  et  M  T[iv]a  to6twv  [(j]uv[ea<p]tYJX^v(o  xat 

CT[uv]Td[tjL]to  [Xo'Jyw  [pri]9[£Î£]v  [ri  xa]i  xotvoX£Çta  xaTa- 

5  Yp[a]ç£î£v  [Xo]i8wp[£i]  Tto  (sic)  [j.r,8£t;  •  To[tauTTi]  yàp  r)  [7;]apo[u]aa  [îtpa] 

Y|j.[a]-i'a  (sic)  î'v*  ouTto;  [£]x.['i']  ôu]va[fjL]£wç  t3aT£ 

6  xat  [ô]Xi[yo]  Ypa{x[x[aTot;]  tt)v  twv  [7ipo]/.£i[x[£vwv]  Yvûatv  ;:apaXa[jL[6]âv£a0at 

xat  TT)v  Twv  [àva]Yt[v]a>a[x]o[jL£vtov  8'.a- 

7  Xr)(|;[tv  pjaoi'coç  [a]ÙT[otç]  :ip[o3]X[a{jL]5[ave(y6]a'.  Iv  TtTX[o]'.[;]  [7C£]pi[aT]àv- 

t[w]v  XÇ  (ut  videtur)  :  apÇofxat  8È  [ijr.o  twv 

1.  Une  partie  du  feuillet  IS^'o  avait  été  déchiffrée  avec  le  concours  du 
regretté  Aloys  Blondel,  élève  de  l'École  des  Hautes-Études. 

2.  Les  parties  entre  crochets  carrés  [  ]  sont  celles  qui  sont  illisibles 
dans  le  ms.  ;  nous  avons  mis  entre  parenthèses  (  )  les  portions  suppléées 
des  mots  abrégés. 

3.  Ces  mss.,  sauf  le  codex  suppl*  grec  625,  ont  été  connus  de  Zachariae 
von  Lingenthal  et  de  Mortreuil,  qui  en  parle  d'après  lui,  cf.  Hist.  du 
droit  byz.,  t.  III,  pp.  218,  221,  227,  229  et  373. 


UN  FEUILLET  PALIMPSESTE  605 

8  rpofJCiSxojv  7:o'.[o'jaev]o;  Tr]v  ota[p£(aiv)  xaOà  Stj  xaî  toîç  vd[xoiç  Strjyo^osuTai 

xal  ïaza.1  f)  IritYpaçr]  outo); 

9  (spatium  vacuum)  [T:z]pl  xaTa[aTàa£toç]  âv9poS;rcav  xai  8'.aip£(aeoj;)  Tipocr- 

(u;wwv  xal  7:paY[Ji.aTwv  xal  7ioi[o] 
40  [TTÎJTtov  [ajj-càiv,  Ç(rÎTei)  [3(i6Xiov)  ["]tîi[v]  paatXixwv  {jl  . 
14   Havre;  àv6ptoTîoi  7J   [ooJjXoi  tîaiv  [r]   èXeuôspjot.  xat  ol  (x(èv)  [£]Xeu[0£]po[t 

ojÔJEva  e/^ouai  t[6]v  èÇ[o]uat[â]  Ço[v](-:a)  aûrwy, 

42  ol  8è  SouXoi  ToTç  8£CT7:oi:a['.;]  xal  x^  xo-JTtov  l^ouaia.  •j;cdxeivT[at,  xal  oOjxoi 

[i[£v]  ol  [oJouXot  £v  eTôo; 

43  e![al]v  T)xoi  0£pa7:cuxal  xwv  û£[a;:o]xà>v.    ol  §2  èXEuÔspoi  ô[aipo'jvx[at]  £t[; 

8]'J[o].  eî  yàp  EÙyEvsî;  etcjlv 

44  â;:o  y'^'^'C'^'^O  '^^''  ^ia^s^^Ç  ÈXsaOs'pa;  xûyrj;  [•j]7i:ap/o[vx]£;,  r]  à;r£X£u6[ep]ot, 

fjx(oi)  à;:ô  oojXojv  Y£vda£vot 

45  eXs'JÔepot,  xal  xap.oujvxat  [xu]y_ô[v]  8[ua]Y[ev]£T;.  [fj  Ss  [xoi]ajx(r])  [otja-'- 

p(£ai;)  o'jx  àaxdTTco;  y£yov£v,  âXXà  8ià  xo  £7[£iv] 

46  É'xaaxov  xo-jxcov  [îjotxôv  [7rpo]vd[j.iov.  xal  Y^p  é  [jl£v  IXeuGcpoç  [xai]  à;:ai[ç] 

(îiv  [SJtaxiOexat  a)[ç]  (BojXexai,  jat) 

47  (XvaYxa^d[j.£voç  ;:apa  xiv[o;]  èÇ(oxi[x]ou  xaxaXi7:(£Tv)  aùxài  xt,   tcXt^v  yov[£']wv 

(L;  ôf  e'.Xo[xéva)v  ?paXxi8(iov)  •  àXXà 

48  (xr[xe  Iv  swr)  SouXfiuetv  ^  çT£6£aGai   ovTiep   o[ù]    |iojX[c-]at,  ô  o:  â;:£X£u6£poç 

y^pe[to]ax£T  xt[jL[7)]v  xal  7:[p]o[a]x[u] 

49  V7)atv  xw  7:axptovt  ijxo'.  xw  êX£u9cpa)X^  xal  xû  xouxou  u'.ô  xal  x^  y'^ '■"''•''•'•  ''•<'''' 

umf]p£X£ÎV 

20  aùxo[î;]  elç  xàç  -po/^ecpou;   So'jX£iaç  •  xal  ôiaxtôifjLEvo;,  Èàv  [jlt]  eyrj  ;:aî5aç, 
e'X^ei  /pstoaxtxôo;  xaxaXi[x7îà 

Fol.   19  vo. 

4  y£iv  xô  xpi'xov  x^;  oùau'a;  aùxou  xài  Tiàxpwvf  ^   èàv  jjlt]   [xax]aX'';î[r)]  xouxo, 
£YxaXeT  [ô]  ;tâTpco[v] 

2  xal  8ix[a'.ojxai]  £'.;  aùxd.  làv  oè  àôtà0£xo;  xal  à~at;  x£X£yxr[(ar,)  ô  à7:£X£uO£poc, 

SiaSe^^exat  touxo^^  ô  za 

3  xpwv,  el  [x]aya  xal  (Juyy£v(t];)  [aù]xoij  ojx  à'axi.  xal  f)  [xàv  7:pwx(7])  S'.atpe- 

(a;;)  xûv  TzpoatoJîwv  a{ixr)  xal  8î  [aljxiav  xo'.autTjv. 

4  8£uxepa  8è  a[a]9riv£ta;  ■/^a[p]'.v  £xx'.0£[jL£vr)  vuvu  (spatium  vac.)  xcov  xixxo- 

fx£vajv  [o'.  p.£v]  £$  £vvdfjLo[u]  Y^^IJ-oy 

5  xixxovxa».  [o]'.  Ô£  [IJx  7iopv[£taç],  xal  ol  |x£v  à7:ô  lvvd|jLO'j  Yi^îJ-oy  x'.xxojxsvot 

[xôi  7:a]x[pi]  eTCovxat  ^'xot  'j[-Ke]^o6<sioi 

6  [£Î(j]i  x[oy]  7r[axpd;]*  oc  SE  £x  -opvsiaç  xt]  fxr^xpl  àxoXouOouat  [xal]  ;:a[p'l]xeiv7j9 

x[p£]'f  [ovjxai  [xal]  âv[àY]ovxai  [xal]  xw  -axpl  où 


606  ALFRED  JACOB 

7  /^  [u];r()[xs]ivTar  xal  [à];roôa[voyo]av  [xèv  xXr,po[vo|i]ouaiv,  âîroOavovTs;   8a 

à7cai[8]eç  xal  â8t[a]0e[To]t,  làv  [ej/^woi 

8  7i[epiouai]  av,  xX7jpovo]{xouv]xai  [■7z]xp*(xÙTf^ç,  [àjreo  8è  t[o]u  aTCope((u;)  oux 

e[/J(oa[i]  7ipovd([xiov)  r[r]]t£Îv  xX7]po[v]o[xiav  ^  Xe 

9  Y*[fOv,  oujte  ô  aTtopçù;  [èÇ  aù]Tc5v.[oî]  8s  èÇ  evvo'fiwv  yocjxwv  Ti[xTd]{jLevoi 

xa\  Tou  TiaTpôç  [xal  ttî;]  [x[r]Tpo;]  xXr)[p]dvo[[i.]oi  [xai]  Ix  ôtaOri 
10  xr)[;]   xal  [èÇ]   (x8ia0[£T:]ou  [Yt]vo[vTa[]  •  •jx:[oT]aTT(ovTat)  8è  xw  Tcarpi  [xa]l 

[oa]a  a[v]  èÇ  i[8]i(oxixàiv  [•jz]o[0£a]e(uv  a[u]vay[àY]oj[(Ji],  tw  îraxpl 
41  7ip[oa]7io[p]!.Xouai,    xal  ô    raxTjp   [£]/£[t]    £Ç[ou]a{[av]   à[va]Xa[[x]6àv£a6at 

[xjauxa  (X7i:'[a]jxc5v  xal  [a](o^pov([Ç]£tv  aù[x]où;  Suvaxai 

12  xal   8ià   Xdyojv   xal  8ù  tcXtjyôjv.  xal   [/.wpjlç   [Yv]to{x(7)ç)  [a]ùxo[ù]  -^i^ov 

(juvàXXa^at  où  Suvaxai  où[xc  â];:o8[r||i7J'3ai], 

13  eî  [[JLT]]  èxax[pa]x£t[a]   xojxouç  x[aX£i].  xdx£  yàp   xou  [xèv  Tiaxpô;  à'xi  £lalv 

•jTTEÇoûaioi,  ©^[a]  8e  aTzô  tjxpax'.wxixf]; 

14  à^op{jL^5  £;:ixx7|aovxat,  à'/ouatv  l'ota  ;c£/.o[j]Xi[a]  xat  xû  Tcaxpl  où  7cp[oa;co 

p]i[Ç[ou[(Ji]v  [xal  xauxa  jxtv]  Trspl  u 

15  TCiÇouiitov.  XÙ£xa[t]  8a  r)  [u]7:[£Ç]ou[cito]T(r]ç)  [£rx£  Yvto(J.7)  xoj  Tiaxpôç]  7c[ot]- 

ou[vx]o5  [aùxôv  aùxeÇo'jat]ov  eIç  xô  çav£pov, 

16  et-re  [G]avâ[x]a)  xou  Tcaxpo'ç,  £Î[xe  8]i[à]  t^ç  7c[axpt]xtd[xT)xoç]  ;  el'xE  xal  [o]tà 

XTJ?  à[p])(^[i£p]ai(jùv[7)ç],  £rx£  £x  XOU  xaxaXfitçG^vai 

17  Tiapà  xou  [::axpôç]    £7ît7CoX[ù]   xà  xûv   [aùxsJÇoucicov     [jcpaxxjEiv.    xoùxtuv 

oùxtoç  E/^dvxcov  xal  x[^i;]  xwv  dvôpajTCcov 

18  x[axaaxàa£toç  8taxp]avfo6£[^a]rj[ç],  8£r  Xoi;:6v  [eJiTwSÎv  xal  [7:]£pl  xaxa[axa]- 

a£co;,  OTZioi;  [si];  xô  y^£îpov  avOpto;:oi  £Ù 

19  Y^veiç  xal  IX£Ù[G]£poi  xaxaç[£po]vxa'..  T[p£]îç  eîal  x[ax]aaxaa£a)ç  èvaXXaYal 

(ieYocXt)  fxéa[7)]  xal  [è]Xay ''axr)  • 

Fol.  18  vo. 

1  xpîa  Y*P   £'^<ï-v   [*]~ep  £X.0(J-2v  •  IXsuôspia,  TioXixsîa,   [aJuYYÉvsia-    f]    xoivuv 

(jL£YaX[rj],  rjxoi  ô  TCspio 

2  pia(j.d;,  xà  xpi'a  ^OE^ps'.  •  ô  yxp  7:£piop[iÇ]d[j.[£vo;]  ojxe  ÈXsuOspEtav  (£i  correc- 

tum  in  i  et  hyphen)  eT[x]e  "cd  7ca[X]aidv,  àXX'  eî[;]  a^xaXov  (sic)  tqpyûcÇexo 

3  ôpùxxwv  ôsïov  ^  ai8r]pov,  ojxe  7:oX'.[xc{]a[v].  [Ji.£/pi  [yI^P  xal  [vù"]v  8r)[j.£Ù£xai 

[xal]  où  7;oXtx£Ù£xai  •  xû  [y^p]  7^£pto 

4  [p]t[<J(J-]co  xal  87f{x£ua[tç  e];:exai,  xal  oj[x£  Sca]xt6[£j6ai]  Sùvaxai,  ouxe  -apà 

xwv  auYY^vcov  ÈÇ  â8ia0£xou  yJkripovo 

5  [(Jieîxai,  6'j[x£]  xX7]povo[J.£T  xoùxou;,   ouxe  xoù;  7caï8(aç)  £/_£t    u;î£Çou[a]touç* 

rj  8;  [[x]^a7]  xrjv  ;îoXtX£tav  [JLdvr,v  ç0£i'p£i, 


UN  FEUILLET  PALIMPSESTE  607 

6  [o]  èariv  IÇop[[]a'  ô  yàp  èÇopiaxog  eÇto  Yiv£t[ai]  t^;  7îo).iT[er|ai;  un;  [■zjcvjvriç 

7  fj  IXa^tOTr,  8e,  ^T[tç]  sutIv  uloOsaia,   [[xojvrjv  ttjv  auyy^vsiav  èv[aX])vâa<j£i* 

ô^àp  u'.o6eTo6{Jievo5  ^  auTsÇouatoç  èaTt(v) 

8  fj  •j;:5Ço'j(Tco;,  xai  ô  (xèv  uTceÇouatoç  svaXXàaae'.  xtjv  tou  Tîa-cpôç  èÇouaiav  xal 

{JL£T£p)(^£Xat  £[U]  ^  TOU   [0]£TOJ 

9  7:[a-p6ç  âp]"/,ovTi[x]^  Soxi[j.aa(a-  [oGJtco  yàp  [Y]îv£Tai  fj  [x]ou  ■j7i[£]Çouatou 

uloG£ai'[a].  ô  [^à  a'jT£]Ço!jaio;  u7c[o]Ti0r]atv 

10  [£]au[T]ôv  IxEpa  IÇouaia  [xal]  Yiv[£xai]  à[7i]6  [atî]xsÇo[i>[at[ou  u]7ueÇ[ouatoç, 

p]a5i[X£(jj;]  xoij[x]o  xeXeuovxoç.  xal  ou 

11  [ji[o'v]ov  [a]ppe[v]£ç  àXXà  0TfX£iai  u'.o9£xouvx[at,  8ox[]{AàCo[vx]o;  tou  àp)(^ovTOç, 

[j.[r|];:a);  8['[£]pwx[a  aax]av'.[x]ôv 

12  T^  [x]axo[x]po[-]iav  f]   x[^;]  ul[o6]£o[ia?   £x];'voia  Ytv(r])xai.    [Yu]v[r]  81  xat] 

£jv[où]/o;  où/  U'.o[6£x]ouatv.  [àXXà  xal]  ô  u'.oG£[x](J5v  ôç£t 

13  X£t  [£]iv[ac]   [x£[''Ç]tDv  xou  uI[o]0£[xou]tjL£'[vou]   xaxà  xfjv  7jX'.xî[av]  ypo'(vouç) 

'.r^•  fj  Y'^p  ÔEai;  xr]v  oJ[aiv]  P-[']F''^^'^[°'']*  7.P^ 

14  o[ùv]  xai  :c(£pi)  ::paY{xaxa>v  £l7r[£ïv]  (spatium  vacuum)  xt'xXoç  p^  (=  Beu- 

Xcpo;)  :î£(pl)  ôt[aip£aeco(;  x:paYfxaxa)v]  xal  ;:oioxr.xtov  (spat.  vac.)  aùxwv. 
lo  Twv  -paYp.axiov  xà[jL£v  e'kji  6[ctou]  8t[xaîou],  x[à]  oà  [âvOpwTîQvou*  6£tou  [xèv 
wç  xà  t£pà  xal  fxvTjfxeïa  xal  T£r/(T))  xal 

16  aï  7cdpT(a'.),    a  0;î'  où§£v6c;  8£a7ro'^ovT[ai,  Ta]  3È  âv6poj;i[va  [f]]  8ri[jL[o'oi]â 

ehiy  r^  iSiwxixoc.  xà  BrjjjLo'ata  oùSêvo'; 

17  elaiv,  oiov   6cax[p]a,   ffxàôia  svôa  [àY]coviÇovT(ai)  ÔtiXovo'ti  ol  Tpé/^ovxeç  ^ 

7caYxpaTiàCovT£5  t]  7îUY[J-0[xa 

18  "/^ouvteç,  Ta  8e  iSicoTixà  twv  xa6'  ExacjTo'v  £icjtv  ocov  ouoç  IxaaTOu,  BouXdç, 

X.puaôç,  apYupoç, 

19  Ia6r]ç  xa\  xà  ouota.  elat  8e  xat  tc5v  xaô'sxaaTOv  (spat.  vac.)  xal  at  aYWYal, 

TJYOuv  at  8txat  xat  at  BouX'at  (sic). 

20  8ouXE^at  (sic)  8e  Etalv  OTav  e'/^w  (jLOvo[7i.a]xtov  ^  TcXaxE^av  (sic)  Ô86v  Bi^p/^ea- 

Gat  Et;  xov  âXXo'xptov 

Fol.  19. 

1  [àYpô]v,  r^  àvxXEtv  [u]8cop  ino  àXXo(xp''ou)  7criY(a8''ou),  ij  pa(r:à^£(jGat  t(t)v) 

£{xr]v  oîx^av  utîÔ  Ç^vou  TOiy^(ou), 

2  fj  8ta6t6a!^Etv   to  Cocop  xa\  Ta  pu;:àa[JLaxa   (j.ou   otà  awXrJvtov    xat  èÇaYEtv 

6t  âXXoxpt'aç  aùXi); 

1.  Dans  l'interligne  on  perçoit  un  x  sans  qu'il  soit  possible  de  savoir  s'il 
y  avait  xà  ou  xtjv. 


608  ALFRED  JACOB 

3  ^  [àypoj  jtaî]  -cà  [7i]ap[a]7:X[T|]aia.  xtvà  oï  ;:avtwv  eîalv'  olo^^  ô  irip,  xô  ^£0V 

u[Soj]p,  7]  6aXa(aaa), 

4  [ô  aîyiJaXôç  t^;  6aX(âa<JTiç)  xal  ot  7:oTajJLo\,  a/eô(ôv)  xal   ol  XijjLe'veç  orjfxo- 

at[or|  elatv.  [êjijei  [^à  xô  T£t]/^[o;  ÔJeîou 

5  Sixaîou  Èdxtv,  wç  cpuXaxxaov  awjjLaxcDV  xs  lfjn|»'j)(^(ov  xal  â-j^u^ç^wv,  ànoxp[e;rei 

ô  vdtxoç]  xô  Y-vS'jQai  pXa67)v 

6  xt[và  èv]  aùxû,  [xal  ô  7îXr]]{x{x[£X](]5v  [IJv  [aùxjw  ri[y]ouv  [Ô'.jàxprjdtv  tîoiwv, 

^  Pdcpoç  C7ct[xi]0[£iç],  ^  [a]uv[â7cxajv  ■i:i(?)] 

7  £v  aùxô),  otov  oîxoSdfxrjjxa  îô[i](o(xix6v)  7:apà  x^£U3iv  paatX(^a>ç),  ^  u;t£p- 

[6a]tva)v  8î  a[ù]xou  x[at]  [ilq  8tà  x^ç 

8  ropx[7]];,  xEoaXîxôiç  xi[{jL](op£rx[ai].   xai  'Pwixo;  yàp,  àBEX^ôç  tiiv  paatX^to; 

*Pwp.r,5,  xoXjjLrjaa; 

9  'jr.zpr,riù[f^]'z[œ.    xô  "cetj/jo;],    xtjv  x[£]9a(X7]v)   [à]®r)p[£']0[ri].  (spat.   vac.) 

xà  Upà  âBtax^ji.7)x(a)  eiaiv, 
10  [£];:£io(r))   xat   à$[£o];:o[x]a.    xal    [eJM    p-iv    [xwv]   7:a[X]ai[tS]v    vd[[x]co[v] 

xo'.auxTjv  eI/^ov  XTjv  [8']  a'!p£(atv)  xà  T^pây 
41  (j.axa.  eX^yovxo  Se  îepà  xal  x[à  vatxà]  ^xot  xà  xe|xé[v7]],  IÇ  où  ok  ri  6p6o'8oÇoç 

;riaxiç  àvix[ei]X[£]  xal  al 

12  0£îai  ^xxXrja-'at   xal  (xovaaxrjpta   xal  eùaYeîç  oixoi    xtjv   x[ôi]v   t£[p]tav    wç 

[à]X7)e[Ôj]a  [ÈJxXri 

13  pt6a[a]vxo  7,f«i[p]av.  8i6  xal  o[i]  vd[xoi,  o[l]  Iv  xot;  êÇrJ(xovxa)  (3[t]5Xi[oi]ç 

[C]UVX£6(£VX£Ç),   [xTfv]   àp-/(T)v)  (XTîÔ   X^Ç  r([(3X£]tOÇ 

14  ïXa6ov.    £'-x[a]  xa[0]c^^ç  7:cpl   £x[x]Xrj(a'.wv)   [xal]  7î[po]vojj.(wv   aùxûv  xal 

[xovaaxrjpiwv  [xal]  £X7ioiT|[a]  aEwç  £xxX[rJ 

15  [a]ta(jxix[àiv]  xal  |xova)(^àiv]  xal  [xo[v]aÇ[o]u<îoiv.  (spat.   vac.)  xix).oç  xphoç, 

Î^Tfx(£'.)  P(t6X(ov)  a  xûv  [|B]aa[i]Xixà>v  (in  marg.  y) 

16  [^Bpï]  xrj;  [à]v[a)]x(àxto)xp[[à8o;]  (sp.  vac).  y^p['.]axiav[dç]  laxiv  ô  7:tax£uiov 

[xi'av  elvai  0£dxr]x(a)  Èv  T 

17  «TT)  £Çou[at]a  x[oO]  7:[axpô]ç  xal  xou  U'.[ou]  xal  xoiï  ày[''ou]  Tcy£U[xaxo;,  ô  yàp 

Tîapà  xà  £'pr]fjL(£va)  [8]o[Ç]àÇa)v  [aip]£Xixd;  Èaxiv. 

18  [JLr)8£    £v   xoî;    al[p]£xixoi;     xcov   [|J.]u<ïT[T]]p!:a)[v]    xd[7:o;]     àv£oSy[6]to.    [j.r) 

Xa{jL[6]av£Xw  iou8aîo$  )(^[pi]jxtavTjv. 

La  suite  se  lit  au  fol.  83. 

Fol.  18. 
Apparat  critique. 
1  BiCXtwv  AFG  —  6pyavoSa£a>;  post  hoc  verbum  legitur  in  S  :  xal  fx£xà 
xouxov  TîoXXol  xwv  paatXéwv  xaOoXixoùç  (xèv  oùx  ÈÇéOsvxo  vd{iou;,  v£apà5 


UN  FEUILLET  PALIMPSESTE  «M 

8s  xal  rcpooàÇstç  âXXoiaç  xal  ypuaoSouXXouç  Xoyou;,  etç  S  Se'ov  TJYTÎoavco, 
rero'.rfyaaiv  —   [j(.£awv    A    —    auvrjpjxwaav  A  auvr^pixociav  2BCDEFG. 

2  rjTot  2BCDEG  T]YOuv  AF  —  -ce  om  E  —  xai  7:paY(JiàTcov  BG  —  8iaipetix(Sç 

—  2ACEFG  8t'  aîpsTtxtov  BD. 

3  Staxpivstv  BGD  —  IxxsGeîvai  G. 

4  vofx'.xcSv  xscp].  xe^aXaitov  vôiiiov  E  —  auveaçtyp-^vcoç  E  —  ^   xotvoXsÇta 

(BCDG)  xaTaypao^vat  B  xaxaYpaçoîsv  CE. 

5  XoiôopetTo  A  XoiSwpïfTco  B  XoiSopsttw  SCDE  —  ;cpaY|jLaTeta  SADEFG  — 

ï/v.  AE  ey^T]  ex  ïyei  F  e)(^ot  G. 

6  6XiY0Ypa[x{jLàTa)v  BCD  —  ywSKSiv,  xal  tt]v  twv  àvaYtvwaxofxevtov  8taX7]^ptv 

paBi'ca;  7îapaXa[j.5àv£a9ai  Iv  TttXoiç  oXotç  TreptaTavTwv  èvvsvrfxovxa  xal  ;cevTe 
S  —  aYaYtvoaxofxévcov  A  àvaYtdxofjievwv  E. 

7  ajToT;]  aùxà  BGD  —  vlzXoiç  oXoiç  ABCDEFG  —  xptàxov-a  xal  KÉvxt  E. 

8  87)  om  SAEFG   —  StaYopeusTat  E  —  à'ax'.v   SAEF  —  xal  eaxai  

ouTwç  om  G. 
In  A  post  ouxw;  legitur  :  [3'.6Xcov  xwv  (SaaiXuwv  jxç  :  xt'xXoç  a,  et  in  rubr. 
xixXoç  a. 

9  xt'xXoç  a  SBCDEF  qui  hic  addit  (3i6X.  xwv  (BaatX.  |jlç  —  ;repl  xaxaaxàaetov 

B  —  Trpoaojxwv  xal  /îoioxtjxoç  E  xal  7rpaY|xaxtov  aùxwv  om  S.  — 

10  aùxwv  om  E  —  ^Tjxei  [xç  om  G. 

14  01  [jLàv]  f]  [jL£v  D  —  £iç  où^Éva  G  —  £)(_ou(jt  X7)v  IÇouai'av  eÇw6£v  aùxwv  BGD 

—  xw  xov  G  (xài  expunct.) 

13  £Î]r]  SABGDEFG 

14  àr,6  Yovf};  AFG  à7:à  yovÉwv  BGD  àîro  YevvTJaswç  E    —  IXEuOep^a;  zi/ji 

BGD  —  T]]  £rx£  BG  rjX£  D  —  Y'votjLsvo'.  G. 
lo  8£uYeveî;  A*  Sucryav^ç  D  8uoy£v£î;  E  —  oùxaxoaxo'Tctoç  BG  oùxaaxoTCtoç  (sic) 
E  a  per  correct. 

16  xal  an  te  aTtaiç  om  BGD. 

17  xaTaXei7:£Îv  D. 

18  PotjXXovxat  B  PouXovxat  D. 

19  7ipoaxuvrîar,v  E  —  ÔTcrjpexrjv  E. 

20  eU  T7]v  :cpo')(^e'.pov  SouXe^av  AFG  eU  tàç  SouXs^aç  ;cpO)(^e^p(oç  E  —  xaxa- 

XtJJLTCCCyTJV  E. 

FoL  19  v». 

1  xpixov  [i.£po;  G  —  aùxou  om  DE  —  rj  xal  Èàv  SA  —  xoîjxo]  xouxoj  BGD. 
3  xai   post  xa/^a  om  E  —  aùxoj]   aùxw  AFG  —  £(îxtv  t)   8s   ;îpaSx7]  BGD 

È'axt  :  ;rpoaôat  xo  ojSeÎç  (sic)  r.&p\  xu/rj;  ÇtjxsÎ,  xou  îcpo  ;i£vxe  Ixôiv  xsXeu- 

XT{(javxos  E  —  xal  o\  atxt'av  xotauxTjv  om  AFG. 

39 


6iÔ  ALFRED  JACOB 

i  oa:;r)vta;  B  —  £xTt6eu.^v7)  vuv-'  om  AFG  IxTsOîtasvT)  vuvi  et  in  rubr.  Tiepi 
Tûv  TîopvoYSvwv  (et  atram.  nigr.)  tûv  TixTO[jL£'vtDv  E. 

5  evvd(jLwv  Yà[jiwv  ^  •loép.ou  om  BD  —  TixTo;j.£vot  om  AFG  yewcoiJLevoi   BG 

Yev'jSjxevoi  D  —  rjTot]  eItouv  E. 

6  àxoXouOoyo'.v  D  —  xai  àvoÎYOVTai  om  AFG  —  Toi  om  SEG. 

7  àTCoOavo-jaT^i;  AF  —  xXr,povo[xo'jci  F  —  <x;:o9avdT£ç  (sic)  A  —  È'/ouai  SE. 

8  Ttvà   Tiep.    S   —  r.oip'   lauif;;  B  —  oùx    £/ouat    HABCEFG  —  ÇtjteÎv] 

TCO  cet  V  E. 

9  Xtjyoîtov  AFG  X£Ya;et  B  Xt-^izx  CD  —  Post  £^  ajxwv  in  E  legitur  (rubr.) 

Tzepl  Tôjv  £$  £vvd[i(jiv  Y^taojv, 
10  6:iOTaaaov:ai  SD  —  èÇ  îouoT'.xfj;  OryOc'aso);  AFG  —  ÈziauvaYOuat  2AFG 

£-'.a'jvaY'')<T'.  E. 
41  ô  om  E  —  olk]  IÇ  SBCDEG. 

12  8ià  Xo'ywv  xai  om  S  —  y^!^°^  ^"^  D  y«[aouç  AFG  yxixo)  BC  —  Suvavtat 

SABCDEF  —  oùôi  BC. 

13  £xaTpatia  E  —  e'kjIv  ëxt  BC  —  aTpaTtwTixwv  AEFG. 

14  âçop[xwv   AEFG  —   â::oxTT)aovTai  G   —  Tcpoartoo-'i^ouai  SABCDEFG  — 

xal  Taîj-ra  u-cÇou3;'ojv  om  AFG. 

15  Post  JîZEÇouai'wv  in  E  insertum  (fol.  7  v»  1.  8)  tteoi  tcsxouXîwv  :  (Incip.) 

tÔ  TCcxduXiov  £v  Totç  u7î£$ou(j'!otç  ôpaxat  desinit  (fol.  8  1.  8)  £Î  Se 
âx''vr)Ta  ô  TcaxTjp  èBtopTJaaxo,  oùx  elaiv  iSioxttîtou  tîexouXiou  :  et  in  rubr. 
Tcepl  X'^aeto;  (sic)  uTîE^oudioTrjTOç.  —  t;  OnEÇouaiOitç  ^'■^e  D  —  aùiôv 
IÇouaiov  A  aùtl^ojaiov  (jt  per  correct.)  B. 

16  rJTt   Oavaito  D  toj  ^laxpô;  aùxou  E  —  tjxe  5tà  D  7:axptxtdxr,xo;]  TiO'.dxrjXo; 

G  —  Ei'xa'.  8ià  E  TJXE  xal  D  xal  om  E  —  àp/t£poauv7);  B  fjXE  ex  D. 

17  7:apà  om  F*,  man.  poster,  restit.  supra  v.  —  Itzï  r.oXXk  BC  —  uT^E^ouaiwv 

BCD  —  Post  TzpâxxEtv  in  S  leguntur  aydXta  duo  quae  non  occurrunt 
in  codicibus  nostris.  In  E  vero  inest  longior  locus  qui  sic  incipit:  où 
Yy;j.vrj  auvaivîU'.;  :raxs6;  ÈXsuOcpot  xfj;  uKz^ou'ZiOzrixo;  xôv  7;:aî3a  et 
explicit  his  verbis  :  àXXà  Tîapa/wpTJaaaa  xaô'âauxou  $iaY£iv  xav  fj 
Yaar/.ri";  ô;j.iXi'a;  sçro  ô'vat  xa\  ajxfja  XcXupop.£vov  xô  aùxEÇotioiov. 

18  xpavcoO£:cîr^;  AFG  —  xaïasxâaôoj;   ÈvaXXaYrJ;   o'-to;    SABCDFG  xaxaax. 

xa\  ÈvaXXaY^;  ojî.  E  —  ol  àvOptoxoi  E. 

19  E^Y^votç  E  —  [jLExaçspovxai  E  et  (rubr.)  Tzspi  7:epiopi!^0[x£vwv  xal  IÇopiaxcov. 

—  xaxaatàja;  (sic)  G  xaxa^xaaEtov  BCDE  —  xaî  post  \i.i(jr]  om. 
SAFG. 

Fol.  18  v^. 

1   a  ;:£p'.é-/^0(i,£v  G  —  oj^'^srla.  E. 


UN  FEUILLET  PALIMPSESTE  W4 

2  (p9o^pei  ô  yàp   :rep'.op'.a[j.o;  E  —  àlV  stpYaÇsTO   (i^pyot^sTO  G)   jxixeàXov 

(fxsTaXov  F)  op.  AFG  eipY^CsTO  2BGDE. 

3  TcoXixe^aD  TCoXittav  E  —  xai  où  TcoXiTsisTat  om  BG. 

4  xat  ouTS 8'jva"cat  om  G  —  ;capà]  ;cepi  D. 

4-5  xX7ipovo[jL£ÏaGai  E. 

5  Toùç  om  G  —  urcsÇouaîouç  sy^^i  E  —  [lô'^o^  E. 

6  ô  èa-civ  èÇopta  om  AFG  —  èÇwp-'a   sÇwptaTo;  BD  —  ttjç  TcoXcretaç 

Yt'vETai  ij  —  xauTTjç]  aùtiç  t^ç  E  —  à(p'  om  AFG  âcp'  fj;]  aûx^ç  B  t^i 
auTOç  G  aÙTOç  D. 

7  f)  8è  èXa/^.  SAEFG  —  laxlv  tj  Tfîç  U'.oGeaia;  tjtiç  [j.dvriv  AFG  —  IvaXaaaet  A. 

8  xai  £1  {JLSv  S  xat  ô  [jlsv  aùrsÇouaioç  AFG. 

8-9  [jLStip/^eirai  el;  ttjv  tou  Ostoù  Tcarpô;  IÇouatav.  outoj  yàp  S  [xex.  etç  ttjv 
xou  OsT.  Tcaxp.  àpyovTtxr]v  (àp/^t-/.r]v  E)  Sox'.piafjfav  AEFG  elç  xà  xou  Gsx. 
Tîax.  àp/ovxtxTj  Boxifjiaaia  BGD. 

9  ouxo)  yàp   uloôeaia  om  AFG  ô  8è  utcsÇouoioç  FG,  in  A  aùxsÇouaioç 

factum  ex  ursÇouaioç. 
40  Ix^pou  S  et  in  marg.  Ix^pa  —  ô  uris^ojaco;  D  —  xouxo]  xou  G  —  xeXeuaav- 

xoç  E  —  xal  ante  où  om  AFG. 
il  fxdvov  8è  AFG  —  àXXà  xai  SABGDEFG. 
12  Y^vexat  BCDEG.  Post  yivexat  in  E  leguntur  sex  versus  sic  incipientes  : 

ôst    xôv    Xa[x6avovxa   eî;    uloôsaïav    stvat   {xstCova   xou    Xa[jL6avO[j.^vou    et 

quorum  sunt  ultima  verba  :  e/^siv  Se  xat  çpaXxt'Stov  rjyouv  xô  xpt'xov  xtjç 

aùxou  oùa^'a;. 
12  ô  om  S. 
12-14  yjvr]  8s  eÎTceîv  om  AF  (in  F  xtxXj3.  p  in  marg.)  G. 

14  TCcpl  otatpéasox;  Trpayfxaxojv  xat  7cotdxr)xo;  aùxtov  S  —  ;c£to'xrjXo;  aùxou  E. 

15  ECfxi  per  corr.  E  —  Ôstou  om  E  restit.  supra  v.    m.  post.  —  Sixata  BGD 

—  otvôpojTîou  E  (script,  àvôû). 

16  <xl  om  E. 

17  sv0a ::uY[a.O[j.a/ojvX£ç  om  AFG  —  rj  ot  r.ay^p.  B  ~  rj  Tzay-Ap.  t]  tcuyH-  ] 

ol  Tcayxp.  ot  7iuy[x.  E. 

18  etotv  om  AFG.  —  ov/.o;  om  AFG. 

19  xai  xi  ofxota  om  AFG  —  e'.cyl  oâ  xwv  ACEFG  —  xa\  ante  ai  ày-  om  XE 

—  ïJYOuv  al  8uai  om  AFG  —  xat]  rj  BG  —  SouAeîai  AGEFG  ôouXetai 
BD. 

20  e'iatv  oTov  oxav  AFG  —  oxe  S  —  s/.'^îJi  E  —  TiXaYtav  Ô5.  G. 

Fol.  19. 
1  s(xr)v]  tô^av  G  —  oîxcîav  AD. 


012  ALFRED  JACOB 

2  awX^vo;  AFG. 

3  Ttvà]  xoivà  BGEF  —  ;iâv:co;  A.  —  ô'^om  BG. 

4  lytaXô;  E  —  8r);j.data  BGD  —  al  XifjL^vs;  E  —  fer/^o;]  leî  D.  — -  tou  ôe^ou 

AFG. 

5  àç  çuX.  (T(0{xaTa>v  £{Xï{<u-/tov  t£  xa\  â-}.  SGF  w;  awfjLaTwv  ê[x^|/u-^tov  çuXaxT. 

xa\  at];.  A  —  wç  aa>tjLa"rtov  èu.t]^u/wv  (XTCorp.  G  —  â;îOTp^7rouaiv  oî 
vd|xot  E. 

6  eîç  auTÔ  BGD  —  7rXrj[jisX65v  AG  rcXifjjXjxeXXtSv  E  —  8tà-:pU(jiv  G  —  efXTTOtûv 

E  —  lr,iMi  E  —  Ti  om  E. 
6-7  auv.  èv  aùtàj  xi  SABGDFG  :  oTov  om  BGD.  —  lôtcoTtxrjv  TîapaxAsuu'.v  D 
Tzapa.  (sic)  E  —  rj  Ozcpo.]  ô  •J7:cp6.  BD. 

8  r.rjp-:<x;  BG  —  f>^[i.Oi  AFG  —  rf);  poSfxr^;  SE  twv  ptofxa-'tov  AFG. 

9  ToTyo;  G  —  ri  oÈ  Upk  SAEFG. 

10  ercetSr]  xàv  E  —  xrjv  om  AFG. 

11  opQo'^jO^ov  G  —  àvsxc'.Xsv  SE  —  àvî'xetXc  Tiiaxt;  AFG  —  xat  ante  ai  om 

SAEFG. 

axp, 

12  xa\  xà  [xovaaxrjpia  xai  oî  eùayetç  oîxoi  S  —  (Jiova       B  —  tùoi^i    olxo; 

BG. 

13  Pt6Xoi;  E  —  IxxeOs'vxeç  BGD. 

14  Trpovoixtwv  BD. 

15  Post   [xova^oujcSv  in  S   legitur  :  x^xXoç   F  nepl  xtjç  àvcoxocxca  xpiàSoç  xal 

7C''(Jxeco;  xaOoXtxfjç  xal  Tieol  zoîj  [ArjSsva  xoXfxav  7cep\  ajxfjç  $7)[jLoaia>; 
âfxcptaorjxeîv,  xal  rspl  aipextxwv.  Zr[x£i  |3i6Xiov  xtov  [3aaiX'.xwv  à.  — 
^Tfxet  pa(jiXac5v  om  AFG. 

16  In  AF  (rubr.)  rspi  xr;;  âv.  xp.  PiSXi'ov  a  xôiv  paaiXtxwv. 
16-17  I'tt)]  a.à  BGD. 

17  iaxt  AGEFG. 

18  fJirjSs  £v]  .urj^ci;  SABGDEFG  —  xoTç  xûv   alptXtxwv  (jLuatTjpiO'.ç  âvec«5)(^0(o 

xoTio;  S  —  "kaié-oi  AG. 

On  peut  voir  par  ce  qui  précède  que  les  mss.  AFG  forment 
un  groupe  tout  à  fait  à  part  ;  les  lacunes,  assez  nombreuses 
(une  quinzaine  pour  ce  feuillet),  qui  défigurent  leur  texte, 
prouvent  qu'ils  ont  la  même  origine.  D'autre  part  BGD 
constituent  un  autre  groupe  dont  D  se  sépare  quelquefois 
par  des  omissions,  des  variantes  orthographiques  et  une 
faute,  T.z.pi  pour  r.xpi.  Ce  groupe  a  quelques  leçons  qui  lui 
sont  propres  et  ne  figurent  pas  dans  notre  palimpseste.  Gelui- 


1 


UN  FEUILLET  PALIMPSESTE  «13 

ci  ne  s'accorde  que  rarement  (cinq  fois)  avec  le  groupe  BCD 
seul  ;  en  revanche  il  offre  fréquemment  les  mêmes  leçons 
que  les  groupes  réunis  AFG,  BCD  auxquels  se  joint  quel- 
quefois E.  La  collation  de  son  texte  sur  celui  de  S  ne  mon- 
tre comme  leçons  propres  à  cet  ancien  ms.  que  des  omis- 
sions, des  variantes  insignifiantes,  comme  l'addition  du 
V  éphelcystique,  ou  des  fautes  évidentes.  Les  restes  de  ce  ms. 
ne  méritent  vraiment  pas  de  trouver  place  dans  l'établisse- 
ment du  texte  de  la  Synopsis.  C'est  pourquoi,  bien  que 
nous  l'ayons  déchiffré,  nous  n'avons  pas  jugé  utile  de  trans- 
crire le  second  feuillet.  Si  l'élimination  d'une  non-valeur 
n'est  pas  chose  inutile,  on  nous  excusera  d'avoir  donné  ici 
un  travail  purement  négatif. 


INDEX  DES   MATIÈRES   TRAITÉES 


Critique  de  textes. 

Pages. 
Caton,  Orig.  II  (ap.  Charisium,  Gr.  lat.  Keil,  I,  p.  202,  1. 

20-22) 119etsuiv. 

Cicéron,  A«.,  1,  14,  3 113 

—  de  oratore,  I,  1 364 

—  —         II,  6 369 

—  -         IV,  5 362 

—  —         IV,  15 366 

—  —         V,  18 367 

—  —         VII,  27 369 

—  —         XII,  50 365 

—  —         XIII,  58.    .     , 362 

—  -         XV,  65 366 

—  —         XV,  68 368 

—  —         XVII,  77 365,  366  et  368 

—  —         XIX,  86 367 

—  —         XXI,  96 362  et  367 

—  —         XXTI,  99 366 

—  —         XXII,  102 397 

—  -         XXII,  103 365 

—  —         XXIII,  106 362 

—  —         XXIV,  111 367 

—  —         XXV,  115 366 

—  —         XXVI,  119 362 

—  -         XXVI,  121 363 

—  -^         XXVI,  122 363 

—  —         XXXÏI,  147 369 

—  —         XXXV,  163 368 

--             —         XXXVI,  165 368 

—  —         XXXVI,  167 369 

^            ^         XXXIX,  180 365 


616  INDEX  DES  MATIÈRES  TRAITÉES 

Cicéron,  de  oratore,  XL,  181 363 

—  —  XL.  183 364 

—  —         XLÏI,  189 363 

—  —         XLIl,  190 364 

Juvénal  et  Perse 313  et  suiv. 

Lucain,  Ph.,  III,  39 236 

Plaute,  Capt.,  1022 444 

—  Merc,  956 445 

—  Mil.,  229 445 

—  Most.,  543 109 

—  —  675 109 

—  —  1093 110 

—  Poen.,  1203 445 

—  Stich.,^10 444 

—  Truc,  806 444 

Térence,Arf.,  797 258 

—  And.,  476 258 

—  Eun.,  305-6 257 

—  Heaut.,  857 259 

—  Hec,  681 258 

—  Hec,  845-847 ,  •  •  •  IH 

—  Ph.,  32 259 

—  Ph.,  567 259 

—  Ph.,SM 257 


Épigraphie. 

Décret  des  Amphictions  de  Delphes  relatif  à  la  fête  des 

Niképhoria 187  et  suiv. 

Discussion  de  diverses  inscriptions  latines  d'Afrique,    .     .  68  et  suiv. 

Inscription  latine  de  Feltre 595  et  suiv. 


Histoire. 

Gaulois,  orateurs  ou  agriculteurs  ? 119  et  suiv. 

Interdiction  de  prononcer  certains  noms  chez  les  anciens.  .  281  et  suiv. 

Réorganisation  de  l'Afrique  sous  Dioclétien 65  et  suiv. 


Histoire  littéraire. 

Aululaire  de  Plaute  ;  son  original  grec 29  et  suiv. 

Criton  de  Platon 333  et  suiv. 

Cursus  byzantin  ;  ses  origines 475  et  suiv. 

Ewc/zon  de  Plaute  ;  son  caractère 16  et  suiv. 

Héroïdes  d'Ovide  ;  authenticité  j  valeur  littéraire.     .     .     .  373  et  suiv. 


INDEX  DES  MATIÈRES  TRAITÉES  6i7 

Mime  II  d'Hérodas  ;  sa  date 451  et  suiv. 

IlapaxXau^iOjpov  dans  la  littérature  latine 573  et  suiv. 

Places  respectives  des  personnages  sur  la  scène  antique.    .  539  et  suiv. 

Querolus 531  et  suiv. 


Linguistique. 

-à  final  en  latin 467 

Accusatif  (un  emploi  latin) 216  et  suiv. 

ai  dans  le  redoublement  des  prétérits  gotiques 271 

Aspirées  sonores  labio-vélaires  en  celtique 237  et  suiv. 

Cas  (d'un  emploi  particulier  des) 216  et  suiv. 

Composés  latin  (auspex,  etc.) 461  et  suiv. 

Datif  (un  emploi  latin) 223  et  suiv. 

Déclinaison  des  noms  latins  en  -a 469 

Démonstratifs  dans  les  œuvres  dramatiques  antiques.    .     .  539  et  suiv. 

Désinence  latine  -mini 552  et  suiv. 

Diphtongues  ei,  ie,  ou,  uo  du  vieux  français;  leur  évolution.  343  et  suiv. 

Discours  indirect  en  latin 201  et  suiv. 

Dissimilation 506 

Emprunts  et  migrations  de  mots 401 

Évolution  de  la  syntaxe  latine 233,  244  et  suiv. 

Futur  des  verbes  irlandais  caraim  et  scaraim 565 

Futur  irlandais  en -6/f- et  futur  latin  en-6ô 557  et  suiv. 

Géminées  latines  simplifiées  devant  deux  brèves  (type  re- 

perio  en  face  de  repperi).    . 274  et  suiv. 

Génitif  fun  emploi  latin) 219  et  suiv. 

Imparfait  du  futur  breton  en  f. 559 

Latin  vulgaire  au  v«  siècle 150 

Masculins  latins  en  -a 459  et  suiv. 

Métathèse 179  et  suiv. 

Mots  latins  nouveaux  ou  remarquables  dans  la  traduction 

latine  d'Oribase 503  et  suiv. 

Nominatifs  en  -as  du  type  paricidas 469  et  suiv. 

Ordre  des  deux  termes  dans  le  type  factus  est,  est  factus.  243  et  suiv. 

Parfait  passif  latin 243  et  suiv. 

Passif  en  latin  vulgaire 131  et  suiv. 

Phonétique  générale 179  et  suiv. 

Place  des  noms  de  nombre  en  latin 169  et  suiv. 

Présent  thématique  à  redoublement  de  la  racine  indo-eu- 
ropéenne *sfA<7- 264 

Prétérit  à  redoublement  du  germanique 271  et  suiv.  ;  277 

Racines  dissyllabiques  au  second  terme  de  composés.    .     .  461  et  suiv. 
Redoublement  dans  les  racines  commençant  par  s  plus  oc- 
clusive   263  et  suiv. 

Subjectif  (expression  en  latin  de  ce  qui  est) 199  et  suiv. 


«18  INDEX  DES  MATIÈRES  TRAITÉES 

Subjonctif  latin  ;  progrès  de  son  emploi  au  cours  de  l'his- 
toire de  la  langue 201  et  suiv. 

Sutfixes  latins  vulgaires  :  -arius 526 

—  -ata 518 

—  -l'a 507 

—  -ica 510 

—  -idium 509 

—  'itas,  -etas 549,  524 

—  -urnus 517 

Substantifs  verbaux  en  roman 512,  524 

Traitement  de  l'initiale  de  la  racine  devenue  intervocalique 

dans  les  formes  à  redoublement 269  et  suiv. 

Vocabulaire  du  latin  vulgaire 503  et  suiv. 


Manuscrits  publiés. 

Edition  diplomatique  du  ms  Vaticanus  5  750  de  Perse  et 

Juvénal 316  et  suiv. 

Michel  Attaliata  Sjvo(j;i;,  un  feuillet  palimpseste.     .     .     .       604  et  suiv 


Métrique. 

Cantica  de  Plaute 3  et  suiv. 

Clausules  métriques  chez  Cicéron 41  et  suiv, 

—                     Himerius 475  et  suiv. 

Nécessité  de  placer  les  mots  dans  les  vers  de  manière  à 

guider  le  lecteur 440  et  suiv.  ;  447 

Scansion  des  mots  latins  du  type  facilius  (^  ^  ^  ')..     .     .  431  et  suiv. 

Statistique  (méthode)  dans  l'étude  des  clausules.     .     .     .  478  et  suiv. 


Textes  latins  édités. 


Cicéron,  Post  reditum  ad  Quintes  (étude  des  clausules).        45  et  suiv. 
Victorin  (Marius  Victorinus)   Isagoge  (fragments).  ...       296  et  suiv. 


INDEX  DES  PRINCIPAUX  MOTS  ÉTUDIÉS 


Pages. 


406 


56o 
239 
240 
401 
240 
237 
565 


Arménien. 

katapan 

Celtique. 

irl.  caraim. 
gall.  deifio. 
corn,  guyraf. 
irl.  làr.  . 
irl.  nàr.  . 
gall.  nyf.. 
irl.  scaraim. 

Grec. 

a-jOc'vTT,;,  a'jTOô'vTTjc..  415  et  suiv. 

vulg.  à-fï'vTTj;.     .     .  388  et  suiv. 

Y^'voaat 270 

Yivrô-r/w 270 

ià(/-)a; 463 

[x3Ya? 463 

vî6a 239 

Latin. 

[Les  mots  nouveaux  ou  curieux  de 
la  traduction  latine  d'Oribase  étu- 
diés dans  l'ordre  alphabétique  par 
M.  A.  Thomas,  p.  503  et  suiv., 
n'ont  pas  été  relevés  ici.] 
Adamas  (Aug.,    C. 


F.,  XV,  6). 

79  et  suiv. 

aeshimare.    . 

.     .      468 

agncola.  .     . 

.     .      468 

assecla.    .     . 

.     .      466 

auriga.    .     . 

.     .      468 

cacare.     .    , 

.     .      275 

cammarus.  . 

-cida.  .     .  . 

collega.     .  . 

compegi.  .  . 

compunxi.  . 

conuiua.  .  . 

dare.  .     .  . 
explorare,  explo 

tor.  .     .  . 
foeniseca. 

-fuga..     .  . 

-gêna. .     .  . 

heredipeta.  . 

hosticapas.  . 

incuba.     .  . 


maccinare.  . 

nauita.     .  . 

occinui.    .  . 
paricidas. 
reccido,  recido. 

red-.    .     .  . 

refrigerare.  . 


repeno,  repperi 
scriba.. 
serere..  .  . 
sis  ter e.  .  . 
stare.  .  .  . 
steti.  .  .  . 
vulg.  *  susanus. 


Turc 


efendi.     . 
madama. . 


512 

468 
466 
277 
277 
468 
263 

79  et  suiv. 
467 
467 
467 
468 
469 
467 
521 
459 
277 
469 
274 
274 
595 
276 
274 
439 
265 
264 
263 
266 
514 


387  et  suiv. 
402 


ERRATA 


P.    4i,  note  2,  ajouter:  G.  Dostler,  Das  Clauselgesetz  bei  Curtius,  1907, 

Kempten,  Progr. 
P.     43,  1.  16,  lire:  au  début  des  phrases  et  incises. 
P.     59,  n.  2,   .  3,  lire:  le  texte  des  mss. 
P.  229,  1.  3  du  bas,  lire  :  2«  éd.,  au  lieu  de  :  3»  éd. 
P.  274,  1.  7  du  bas,  supprimer  repperimus. 
P.  275,  1.  5,  lire  :  redux,  reducem  d'après  reduco. 
P.  275,  1,  6,  supprimer  refers. 
P.  359  et  361,  lire  tradition  au  lieu  de  traduction. 
P.  387,  n.  1.8,  lire:  201.  Il 
P.  388,  n.  1.  7,  lire:  215  : 
P.  389,  1.  20,  lire:  grecque  — 
P.  389,  n.  1.  1,  lire:  ib.: 
P.  393,  1.  4,  lire:  —  lik 
P.  394,  1.  15,  lire:  (Le 
P.  394,  1.  19-20,  lire:  encore.  ( 
P.  395,  1.  26,  lire:  khanum 
P.  396,  1.  dernière,  lire:  «  D'après 
P.  399,  1.11,  lire:  1900),  51) 
P.  402,  1.  2,  lire  :  âç. 
P.  404,  1.  5,  lire:  Francesismo  »)», 
P.  404,  1.  28,  lire:  traite 
P.  407,  n.  1,  1.  2,  lire:  xatETiàvto 
P.  407,  n,  1,  1.  2,  lire:  reconnu  ce  mot. 
P.  410,  1.  30,  lire:  x^ 
P.  411,  1.  24,  lire:  etc.  — 


6M  ERRATA 

P.  443,  n   1,  1.  7,  lire:  Pretiosa 

P.  444,  1.  1,  lire:  Btx.ad-cTÎpia 

P.  444,  1.  24,  autorité, 

P.  444,  n.  4,  1.  3,  lire:  (î^; 

P.  435,  1.  5,  lire:  toutes. 

P.  437,  1.  4,  lire:  abitio. 

P.  444,  faux  titre,  lire:  G.  Ramain. 

P.  464,  1.  4,  lire  :  *âoaaa;,  au  lieu  de  *àSà(xàç. 

P.  464,  1.  8  du  bas,  lire  :  le  sens. 

P.  469,  1.  9,  lire  :  formes  du,  au  lieu  de  :  formes  de. 

P.  475,  n.  4,  lire:  bis  46  Jahrhundert. 

P.  476,  note  4,  lire:  rhythmisches. 

P.  484,  1.  3  du  bas,  lire  linguistique. 

P.  520,  1.  26,  lire:  1.  4,  au  lieu  de:  1.  s. 

P.  527,  1.  3  de  la  note  4,  lire:  fol.  4,  au  lieu  de:  fol.  8. 

P.  550,  1.  9  du  bas,  lire  yy/arx'. 

P.  604,  fol.  48,  1.  5,  lire:  |>o]'.0(op[erira). 

P.  604,  fol.  48,  1.  6,  lire:  [âva]Y[[v](oa[x]oa6vcov. 

P.  605,1.  40,  lire:  {jlç. 

P.  605,  1.  44,  lire:  èÇ[o]ucrt[â]:o[v](Tra). 

P.  605,  1.  48,  lire:  Çw^. 

P.  606,  1.  8,  lire  :  7:[eptou(ïQav. 

P.  606,  1.  45,  lire:  çavepdv. 

P.  606,  fol.  48^0,  1.  5,  lire:  o{î[Te]. 

P.  607,  1.  7,  lire:  ô  yàp. 

P.  607,  1.  44,  lire:  [i.h']7:to;. 

P.  607,  1.  42-13,  lire  :  ôps:  ||  Xei. 

P.  608,  1.  5  lire  :  tô. 

P.  608,  1.  40-44,  lire:  rcpày  ||  [xaxa. 

P.  608,  1.  42,  lire:  IxxXr^aiat. 

P.  608,  1.  42,  lire:  [i]XT|e[à)]5. 

P.  608,  1.  44,  lire:  âx7totrf[a]etoç. 

P.  608,  1.  48,  lire  :  ^^  U. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


Pages. 
Liste  des  souscripteurs. 

Aug.   AUDOLLENT  (v.   p.  o93) ,       . 

E.  AuDOUiN.  —  De  la  composition  métrique  des  Cantica  de  Plaute.  1 

Max  Bonnet.  —  Smikrinès  —  Euclion  —  Harpagon 14 

Henri  Bornecque.  —  Le  Post  reditum  ad  Quintes,  texte  commenté 

au  point  de  vue  des  clausules  métriques 39 

R.  Gagnât.  —  La  réorganisation  de  l'Afrique  sous  Dioclétien.  .     .  63 

Franz  Cumont.  —  Adamas,  génie  manichéen 77 

A.  CuNY.  —  Latin  explùrâre 83 

L.  Delaruelle.  — Notes  critiques  sur  quelques  passages  d'auteurs 

latins 107 

G.  DoTTiN.  —  Argute  loqui  ?  ou  agriculturam  ?  Gaulois  orateurs  ? 

ou  agriculteurs? 117 

A,  Ernout.  —  De  l'emploi  du  passif  dans  la  Mulomedicina  chironis  129 
Félix  Gaffiot.  —  Comment  ont  été  faites  certaines  lois  de  la  langue 

latine ,     .     .     .     .  151 

Paul  Gilles.  —  Sur  la  place  des  noms  de  nombre  dans  César.  .     .  167 

M.  Grammont.  —  Une  loi  fonétique  générale 177 

Maurice  Holleaux.  —  Décret  des  Amphictions  de  Delphes  relatif 

à  la  fête  des  JViképhoria 185 

Alfred  Jacob  (v.  p.  601). 

Paul  Lejay.  —  Le  progrès  de  l'analyse  dans  la  syntaxe  latine.  .     .  197 

L  Le  verbe 200 

IL  Les  formes  nominales 216 

J.  Loth.  —  Les  mots  gallois  nyf,  deifio  et  l'évolution  de  l'aspirée 

sonore  labio-vélaire  dans  les  langues  celtiques 235 

J.  Marouzeau.  —  Sur  la  forme  du  parfait  passif  latin 241 

A.  Meillet.  —  Deux  notes  sur  des  formes  à  redoublement..     .     .  261 

I.  Sistô  et  stetî 263 

l\.  Sut  rejpperï,  rettuli,  eic 273 


624  TABLE  DES  MATIERES 

Charles  Michel.  —  Note  sur  un  passage  de  Jamblique 279 

Paul  Monceaux.  —  Vlsagoge  latine  de  Marius  Victorinus.  .     .     .  289 

F.  NouGARET.  —  Vaticanus  ms  5750  Perse-Juvénal 311 

L.  Parmentier.  —  Sur  le  Cntow  de  Platon 331 

P.  Passy.  —  L'évolucion  de  quelques  diftongues  en  viens  français 

ei  (oi),  ie,  ou  (eu),  uo  (ue) 341 

René  Pichon.  —  Observations  sur  la  tradition  manuscrite  du  de 

oratore 359 

Frédéric  Plessis.  —  Quelques  mots  sur  les  iféroitZes 371 

Jean  Psichari.  —  Efendi 385 

Georges  Ramain.  —  Sur  la  scansion  de  facilius  dans  les  vers  dra- 
matiques   429 

Théodore  Reinach.  —  La  date  du  Mime  II  d'Hérodas 449 

F.  de  Saussure.  —  Sur  les  composés  latins  du  type  agricola.  .     .  457 
Daniel  Serruys,  —  Les  procédés  toniques  d'Himerius  et  les  ori- 
gines du  cursus  byzantin 473 

Antoine  Thomas.  —  Notes  lexicografiqes  sur  la  plus  anciène  traduc- 

cion  latine  des  euvres  d'Oribase 501 

Paul  Thomas.  —  Le  Querolus  et  les  justices  de  village 529 

H.  Vandaele.  —  Varia 537 

L  Places  respectives  des  personnages  sur  la 
scène  antique  établies  au  moyen  des  dé- 
monstratifs   539 

IL  La  désinence  latine  raédio-passive  -mini.  552 
J.  Vendryes.  —  Sur  l'hypothèse  d'un  futur  en  -bh-  italo-celtique..  555 
H.  de  la  Ville  de  Mirmont.  —  Le  napaxXauai'ÔJoov  dans  la  littéra- 
ture latine 571 

Aug.  Audollent.  —  Refrigerare 593 

Alfred  Jacob.  —  Un  feuillet  palimpseste  du  codex  parisinus  sup- 
plément grec  1232 601 

Index  des  matières  étudiées 615 

Index  des  mots  étudiés 619 

Errata 621 


CHARTRES.    —  IMPRIMERIE   DURAND,    RUE  FULBERT. 


Bri\5Dïr;G  SECT.  JAN  17  1972 


PA       Philologie  et  linguistique 

26 

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