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Full text of "Philoméla: livre lyrique"

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PARIS 



PARIS 



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PHILOMÉLA 



'Jmprimé par ^Poupart^^àvyl et Comp. 
Taris, rue du <Bac, 3o. 



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PHILOMÉLA 



UVRfc LYHIQUK 



PAR 

CAÏ ILI.t: M EN DÈS 

AVEC UNE EAU-FORTE PAR BR ACQ_U EM O N I> 




PARIS 
J. HETZEL, LIBRAIRE-ÉDITEUR 

RUE JACOB, l8 



i863 



*.*- 



V 



I HFOIMI II. h Ci A l 1 !K1' 



Ce livre est dédié 

Comme le témoignage d'une admiration infinie 

Et d'un profond respect. 

C. M. 



PROLOGUE 



TROLOGVE 



Deux monts plus vastes que VHécla 
Surplombent la pâle contrée 
OU mon désespoir s'exila. 



Solitude qu'un rêve crée! 
Jamais l'aube n'étincela 
Dans cette ombre démesurée. 

La nuit! la nuit! rien au delà! 
Seule, une voix monte, éplorée; 
O ténèbres! écoute % -la. 

C'est ton chant qu'emporte Borée, 
Ton chant où mon cri se mêla, 
Etemelle désespérée, 

Philoméla! Philoméla! 



LES FILS DES ANGES 



LES FILS DLS ANGhS 



Un jour, les fils du Ciel, bravant la Règle austère. 
S'unirent clandestins aux filles de la Terre , 
Pendant que celles-ci dormaient leur doux sommeil. 
« Qui nous a mis, Seigneur, ces flammes de soleil 
Et ces nimbes parmi nos longues chevelures ? 
Quels étaient ces baisers chauds comme des brûlures 



19 LES FILS DES ANGES 

/ 

Que la nuit chaste a vus se poser sur nos fronts ? 
C'est d'un mal inconnu , divin, que nous souffrons. 
Et nous n'avons jamais été comme nous sommes. » 
Ainsi dirent -tout bas les épouses des hommes, 
Le matin, en peignant leurs cheveux. 



Et depuis, 
On les voyait rester longtemps autour des puits, 
Immobiles, avec la cruche de grès rose 
A l'épaule, disant parfois : C'est une chose 
Grave, et se concertant jusqu'au soleil couché. 



Hélas ! pendant la nuit du mystique péché, 
Elles avaient conçu sous le baiser des Anges ! 



a Holà ! femmes, voici des rejetons étranges , 



LES FILS DES ANGES l3 

Crièrent les époux quand les fils furent nés, 
Et c'est mal à propos que vous nous les donnez. 
Leur front a des lueurs d'étoile qui se lève; 
Leur œil jette l'éclair comme l'acier du glaive 
Que les jeunes guerriers portent pour le combat; 
Une aile impatiente et grand ouverte bat 
Leurs flancs, aile de cygne ou de colombe ou d'aigle ! 
Et quand leur chevelure ardente se dérègle, 
C'est comme un bélier d'or secouant sa toison ! 
Voici le déshonneur entré dans la maison; 
Mais d'où qu'il soit venu, nous voulons qu'il en sorte. 
Nous ne fîmes jamais enfants de cette sorte. 
Les nôtres sont cagneux., bossus, ils ont le pied 
De travers et les yeux sans flammes, comme il sied 
Aux légitimes fils des honnêtes familles. »* 
Là-dessus les époux firent venir les filles 



14 LES FILS DES ANGES 

Que l'esclavage courbe aux travaux !es plus vils. 
« Vous allez emporter ces bâtards, dirent-ils. 
Vous les exposerez loin de toute citerne , 
Dans un bois que le cri des lionnes consterne, 
Sans eau, sans fruits, sans pain, et si l'un d'eux survit, 
Un seul ! vous périrez toutes. » 



Alors on vit 
Les servantes verser des larmes sur les langes 
En emportant les fils adorables des Anges ! 



f 



ARIANE 



JULES JANIN 



ARIANE 



Azur, neige, cinabre! 
Splendeur et pur dessin 
Du sein 
Dont la pointe se cabre! 



2 



- 1/ 



FcrKirs 3e rasent I essor 
Rocze dans la nuit noirci 

O gloire 
Des chevelures d'or! 



Aube énorme des pôles! 
Baiser torrentiel 
Du ciel 
Sur les belles épaules! 



Vague dispersion 
Des célestes fumées 

Pâmées 
Dans les bras d'Ixion ! 



ARIANE 19 

Candeur des citronnelles ! 
Mânes des lys défunts ! 

Parfums 
Des lampes éternelles ! 



Rhythme pompeux du vers ! 
Blanches apothéoses 

Des choses 
Dans les soleils ouverts ! 



Déchirement des voiles, 
Et tout ce que Porgueil 

De l'œil 
Cherche dans les étoiles : 



20 ARIANE 

Les Dieux l'ont amassé 
Dans les bras d'Ariane, 

Liane 
Où je suis enlacé. 



Ariane, farouche 
Habitante des bois, 

Je bois 
Les baumes de ta bouche ! 



C'est toi qui me conduis 
A travers l'épouvante 

Vivante 
Des forêts et des nuits ! 



ARIANE 21 

Les bêtes, dans nos courses, 
Te suivent par convois; 

Ta voix 
Charme le cœur des ourses! 



Les chats-tigres félons 
Baisent avec délices 

Les lisses 
Rougeurs de tes talons! 



Tu courbes la panthère 
A subir comme moi 

La loi 
Divine d'un mystère ! 



22 ARIANE 

O reine-enfant! tu peux 
Interrompre d'un geste 

La sieste 
Des grands lions pompeux , 



Et, caprices énormes, 
Rougir leur vaste flanc 

Du sang 
Des mûres ou des cormes, 



Et mêler à foison 

Leur crinière moins blonde 

A Ponde 
Folle de ta toison, 



*i 



ARIANE 23 

Et bientôt sur les lierres 
T'assoupir à demi 

Parmi - 
Leurs troupes familières, 



Cependant que le feu 
De ta lèvre m'abreuve , 

O veuve 
Adorable d'un Dieu ! 



MaiSj enfant ^ puisque l'ombre 
Des grands ravins te plaît , 

Il est 
Une forêt plus sombre. 



24 ARIANE 

Ta nuque où l'astre luit 
N'a pas d'or sous le peigne 

Qui teigne 
D'aurore cette nuit! 



Solitudes funèbres 
Que roule vers l'enfer 

La mer 
Houleuse des ténèbres! 



Làj jamais le sanglant 
Eclair de l'escarboucle 

Quijboucle 
Ta ceinture à ton flanc ^ 



ARIANE 2!) 

Ni "ton regard qui creuse, 
Comme un soleil, ^es trous 

D'or roux 
Dans la nuit ténébreuse, 



Ni tes lèvres en rieurs 
Ne pourraient faire luire 

Le rire 

* . 

Eclatant des couleurs ! 



C'est l'énorme broussaille 

* 

Et l'antre et le ravin 

Qu'en vain 
L'aube candide assaille, 



26 ARIANE 



C'est le gouffre vainqueur 
Du ciel et. lé désastre 

De l'astre _, 
C'est mon cœur! c'est mon cœur! 



O détestable gîte 

De monstres! longs abois 

Du bois 
Qu'un souffle impur agite! 



Dans les repaires noirs 
Où leur venin s'égoutte, 

J'écoute 
Ramper mes désespoirs! 



ARIANE 27 



Mes remords, bêtes mornes, 
Passent en défaillant, 

Fouillant 
Leurs ventres de leurs cornes, 



Et des singes poltrons 
A la paupière bleue 

La queue 
S'enlace autour des troncs! 



Amoureuse des roses 
Et des œillets naissants, 

Descends 
Dans mon cœur, si tu l'oses, 



28- ARIANE 

Dans mon cœur dévasté 3 

m 

O vivante statue 

Vêtue 
De ta seule beauté ! 



Sois l'amour! sois l'aurore! 
Perce, rayon d'azur, 

i 
/ 

Le mur 
De la nuit incolore ! 



Que sur l'ombre l'amour 
Eperdu se déploie ' . 

Et noie 
La haine dans le jour! 



ARIANE ' 2(J 



Et les monstres infâmes 
Sentiront, sous tes yeux, 

En eux 
Des éclosions d'âmes ! 



Et pareille au chasseur 
Qui rapporte avec joie 

Sa proie, 
Ariane, ma sœur, 



Des gouffres infertiles 
Quand tu remonteras, 

Les bras 
Enlacés de reptiles, 



* 



3o ARIANE 

La troupe des amants 
Chantera sur l'ivoire 

La gloire 
Des sourires charmants, 



Et, reine aux belles poses, 
On te verra, le soir, 

T'asseoir 
Dans les apothéoses ! 



Tandis que, triomphant, 
Je baiserai les roses 

Décloses, 
O délicate enfant 



ARIANE 3l 

Dont le rire m'accueille, 
La nuit, dans les massifs 

Lascifs 
D'orne et de chèvre-feuille! 



i 



LE BENITIER 



LEON CLADEL 



/ 



LE BENITIER 



L'enfer, qui donnfe aux lys le poison des ciguës, 
^A mis en Elle un charme exécrable et vainqueur ; 

» 
Avec sa dent de neige aux morsures aiguës 

Cette méchante femme a déchiré mon cœur. 



36 . LE BÉNITIER . 

Dans ma lâche poitrine elle a fait une brèche 
Afin de déchirer mon cœur^ et c'est son jeu 
Familier d'y planter son doigt comme une flèche ! 
Elle a l'humeur joyeuse et ne croit pas en Dieu. 



Oi} ne la vit jamais se 6igner, accourue 
Dans l'église à l'appel désespéré du glas; 
Lorsque les corbillards défilent dans la rue 3 
Elle a des mots charmants qui font rire aux éclats. 



La nuitj dans les langueurs chaudes da l'insomnie 3 
Elle quitte parfois ma couche^ et les démons 
L'accueillent à la fête éoôrme où communie 
Le peuple des damnés éperdus sur les monts ! 



LE BÉNITIER 3j 

Et quand l'aurore a terrassé la messe noire_, 
L'infâme dans mon cœur saignant,saignant toujours_, 
Afin de compléter le rit blasphématoire , 
Trempe son ongle rose et se signe à rebours. 



/ 






MARMOREA 






MARMOREA 



Savez-vous un pays où la fleur a des ailes ? 
Savez-voyis un pays où l'aile a des parfums^ 
Où les roses d'avril > en place d'immortelles ^ 
Fleurissent le tombeau de nos amours défunts? 



42 MARMORKA 

• Où sur les monts bombant l'échiné de la plaine , 
Le platane au tronc lisse et Forme au pied moussu 
Cliquètent, pleins d'oiseaux, de chansons et d'haleine, 
Comme un grelot d'argent sur le dos d'un bossu? 



Où le flot, dans un bain de fluides étreintes, 
Dès baigneuses, le soir, berce la nudité; 
Où le sable du bord conserve les empreintes 
Des enlacements nus pendant les nuits d'été? 



Là, parmi les buissons, rayonnante et sans voiles, 
Une apparition glisse comme un follet. 
— Belle fille, statue, aux deux grands yeux, étoiles 
Que la Nuit laissa choir dans un ruisseau de lait, 



MARMOREA 43 

Quel ciseleur de mots, quel sculpteur de pensées. 
Que Dieu pour travailler les durs métaux créa, 
Arrondira le vol des strophes cadencées 
Au moule de ton sein, blanche Marmorea? 



LA DÉLICATE 



LÀ DÉLICATE 



J'ai conduit ma mie au village , 
Parmi les bois et les prés verts; 
Au cri des vagues sur la plage 
Nous avons répondu des vers. 



4S LA DÉLICATE 

Nous avons gravi la colline, 

Le long des buissons épineux, 

Et sa robe de mousseline, 

En passant, s'accrochait aux nœuds. 



Sa bouche riait sur ma bouche 
En devisant près du ruisseau; 
Mais son pied, fait pour la babouche, 
Tressaillait au contact de l'eau. 



Puis ce miroir, qui se rebelle, 
Éraillé par les cailloux blonds, 
Ne la faisait pas assez belle, 
Et ma musc m'a dit : Allons! 



LA DÉLICATE 49 

A cheval sur un beau nuage , 
Rose flocon, houppe de lait, 
J'ai conduit ma mie au rivage 
Où Pidéal étincelait. 



Là ; , parmi les Edens sans voiles , 
Elle cueillait d'un doigt mignon 
Ces fleurs d'or que l'on nomme étoiles 
Et les plantait dans son chignon ! 



Mais lasse, un jour, dans l'étendue 
De poursuivre un follet trompeur, 
A mon cou doucement pendue, 
Tremblante, elle m'a dit : J'ai peur! 



5o LA DÉLICATK 

Alors à la blonde volage : 
O muse blonde, que veux-tu? 
Tu n'aimes pas le gai village, 
Son église au clocher pointu , 



Les grillons chantant sous le seigle, 
Les bergers dormant sous les houx , 
Et tu n'as pas les yeux d'un aigle 
Pour subir le grand soleil roux ! 



Veux-tu 3 pleurant sur une tombe, 
Habiller tes chansons de deuil? * 
Hélas! une larme qui tombe 
Rougirait le coin de ton œil! 



L A D É L I C A T K 5 I 



En fière amazone équipée, 
Aimes-tu les combats sanglants? 
La sueur rouge de l'épée 
Déshonorerait tes pieds blancs. 



Et la belle a dit : Ce que j'aime? 
Je préfère aux ombres du soir, 
Aux senteurs de la rose même. 
L'ombre et les senteurs du boudoir! 



Qu'autour de moi tout s'effémine ! 
A travers la création. 
J'ai des épouvantes d^ermine, 
De sensitive et d'alcyon. 



32 LA DELICATE 

Il faut aux lieux où je repose, 
Si blanche sous des rideaux bruns. 
Que Ton épande un encens rose, 
Qu'on m'éclaire avec des parfums. 



Je veux, dans la pâte d'amande, 
Parfumant mes ongles, avoir 
Le divan sombre où je m'étende, 
Cygne endormi sur un flot noir. 



A moi les robes de guipure! 
Il me plaît, travail nonpareil, 
Que l'on tisse leur trame pure 
Avec des rayons de soleil ! 



LA DÉLICATE 53 

Et pour ma toilette éternelle > 
Lorsque viendra le jour fatal 3 . „ 

Je veux un linceul de dentelle y 
Dans une bière de santal! 



SILENCE 



SILENCE 



Tu ne parleras pas, ô mon âme inquiète ! 
Rien ne révélera ton mal intérieur : 
Pas de sanglots humains dans le chant du poëte. 



D'autres accepteront ce rôle inférieur; 

A défaut de vertu j'ai la pudeur des larmes 

Et veux grincer des dents sous un masque rieur. 

5. 



58 SILENCE 

Rien ne dira, parmi les stances de mes carmes, 
Les fruits amers sucés, les noirs calices bus, 
Et mes sommeils hantés de funèbres alarmes, 



Et mes rêves épris d'erotiques abus, 
Ma belle soif de neige idéale, et ma haine 
Pour les vulgaires cœurs affamés de rebuts ! 



Nul ne descend que moi dans l'horrible Géhenne 
Où mes vieux désespoirs gémissent accroupis : 
Seul je connais mon crime et seul j'en sais la peine. 



J'effraierais les démons sous la flamme tapis, 
Sombre Fatalité, venimeuse nourrice, 
Si je crachais le fiel que je bus à ton pis! 



SILENCE 59 

Qu'une goule me hante et que mon sang tarisse ! 

La seule exhalaison de ma plaie a suffi 

Pour que la fleur d'une âme exquise se flétrisse. 



Jette aux anges sereins ton ténébreux défi, 
Tant qu'enfin les talons de la blanche cohorte 
T'écrasent! vil serpent d'impuretés bouffi. 



Quelle douleur s'égale au fardeau que je porte ? 
Je dédaigne d'ouïr la plainte d'un amant; 
Je rirais sur la croix de ma maîtresse morte. 



Si je mettais en vers mon infernal, tourment, 
Comme un habit de nain qu'endosse une géante 
La strophe craquerait épouvantablement. 



Go SILENCE 

J'offre une autre pâture à la foule béante 
Et laisse dans mon cœur de rapsode forain 
Régner lugubrement la douleur fainéante.- 



Lyres et flageolets! Racine et Tabarin! 

Mes vers énamourés d'enchantements féeriques 

S'envolent emportés d'un souffle zéphirin ! 



Je fais dialoguer dans les nuits chimériques, 
Sous la lune, à travers le silence des bois, 
Les poètes épris et les vierges lyriques ! 



Parmi les doux concerts de flûte et de hautbois 
Les hanches de ma mie ont marqué la cadence; 
Canidia se mire à la source où je bois; 



SILENCE 6l 

Et là-bas, ivres morts, parmi la foule dense, 
Les filles en délire et les ribauds damnés 
Exécutent dans l'ombre une effroyable danse ! 



Célimème aux cheveux bellement atournés, 
Avec les rimes d'or, Muse, lorsque tu jongles, 
Nul ne sait (hors l'enfant qui nous a devinés!) 



Que le sang de ma chair teint encore mes ongles! 



L l E D 



LIED 



Nez au vent, cœur plein d'aise, 
Berthe emplit, fraise à fraise, 
Dans le bois printanier, 
Son frais panier. 



m X+ H. ' "? 13 



r " irew* JKr -wsh -Ti . 



? * r222r^ear cas 1 






Et dams de iofles rixes 
Passe Pcssaim des Nixes 
Et des Elfes badins 
Et des Ondins. 



LIKD \ 67 



II 



Un Elfe dit à Berthe : 
« Là-bas, sous l'ombre verte, 
Il est dans les sentiers 
De beaux fraisiers ! » 



Un Elfe a la moustache. 
Très-fine et Pair bravache 
D'un reitre ou d'un varlet. 
Quand il lui plaît. 



08 LIED 

« Conduisez-moi, dit Berthe, 
Là-bas, sous l'ombre verte, 
Où sont dans les sentiers 
Les beaux fraisiers. » 



III 



Leste comme une chèvre, 
Berthe courait. « Ta lèvre 
Est un fraisier charmant, » 
Reprit l'amant. 



LIED 69 

« Le baiser , fraise rose, 
Donne à la bouche éclose 
Qui le laisse saisir, 
Un doux plaisir. » 



a S'il est ainsi, dit Berthe, 
Laissons sous l'ombre verte, 
En paix dans les sentiers 
Les beaux fraisiers ! » 



(>. 



CANIDIF 



CAN1DIE 



Je suis un rameau sec durci par trois hivers. 
Et qui donc m'a ravi l'âme ? C'est Canidie, 
C'est vous, ange fatal, charmeresse aux yeux verts ! 



4' 



J'ai bu tous les poisons de votre perfidie, 

Et, dompté par un charme adorable et pervers, 

Spectre que le tombeau lui-même répudie, 



74 CA9CIDIE 

Horrible, méconnu, je me jette à travers 
La fange, sous les pieds de la foule étourdie, 
Rouillé comme un vieux sou sans face ni revers 



Mais je veux vous maudire en quelque psalmodie 

Avant que mon corps soit la pâture des vers , 

Et c'est pourquoi, mon cher amour, je vous dédie 



Ces poëmes sur deux rimes, en treize vers. 



CANID.IE JD 



II 



Blanche et vague parmi les ombres étoilées, 

La Nuit au front pensif s'accoudait sur les monts, 

Et l'on voyait dans l'air de sinistres volées. 



Le feu follet, cette âme éclose des limons 
Obscènes, près des lacs, dans les basses vallées, 
Fuyait devant l'essaim nocturne des démons. 



j6 CANIDIE 

Le Succube aux yeux verts rôdait par les allées, 
ce Qui donc ose troubler la paix où nous dormons ? » 
Chanta le chœur des morts sous les blancs mausolées. 



« C'est moi, dit-il. Mon souffle a tari vos poumons, - 
Mais vous m'aimez encor sous les pierres scellées. » 
« Il est vrai, répondit la tombe, nous t'aimons. » 



Le Succube, en riant ," cueillit des giroflées. 



CANIDIB 77 



III 



Alors se fit entendre, on ne peut savoir d'oti. 
Un vieux air de chanson dont le rhythme sautèle. 
Et les ensevelis dansaient hors de leur trou. 



« Voici Canidia, la sorcière! c'est elle 

Qui nous damna jadis en nous mettant au cou 

Ses deux bras; mais l'enfer est une bagatelle! » 



V. 



jS CANIDIE 

Ainsi disaient les morts en ployant le genou ; 
Leurs suaires semblaient des robes de dentelle 
Déchiquetée , ayant des teintes d'amadou. 



Et moi,, derrière un if dont le tronc. s'écartèle, 
J'ai vu cela, pensif et noir comme un hibou y 
A l'heure où les esprits que Nik tient en tutelle 



Cbez les filles d'enfer courent le. guilledou ! 



LE MATIN 



LE MATIft 



La tenture s'est décrochée 
Et l'on voit au fond du boudoir 
Une femme , tête penchée 
Sur un coussin de satin noir. 



82 



LE MATIN 



Elle agite un lambeau fantasque, 
Echarpe folle de hou ri ; 
A ses pieds un tambour de basque 
S'endort près d'un bouquet flétri. 



Sa gorge ferme, demi-nue, 

Jaillit de ses voiles tombés, 

La robe à peine retenue 

Par la hanche aux contours bombés. 



Son dos luxurieux se cambre; 
Sous le bras qui souvent son front 
On voit, avec des reflets d'ambre, 
Un sein bruni saillir en rond. 



LE MATIN 83 

Sa main fine, à demi serrée, 
Relevant un coin du peignoir, 
Découvre sa jambe nacrée, 
Ronde et blanche sur un fond noir; 



Tandis qu'une tête plus sombre ^ 
Lèvre épaisse aux plis tortueux, 
Planant sur elle, éclaire l'ombre 
De sourires voluptueux ! 



Mais déjà, blanchissant l'alcôve 
Des feux de son premier rayon, 
Le soleil montrait son œil fauve 
A la vitre de l'horizon, 



84 - LE MATIN 

Et les pins, branches remuées , 
Là-bas, sur les deux entr'ouverts, 
Balayaient au loin les nuées 
Du bout de leurs panaches verts ! 



FULVIA 



\ 



FULVIA 



Les filles que l'on aime et les chevaux qu'on crève 
Étaient ses passe-temps^ le double dévidoir 
De sa vie, et l'Éden qu'il poursuivait en rêve 
Eut deux compartiments : écurie et boudoir! 



88 FULVCA 

Mais son arabe à la crinière ébouriffée , 

Son anglais au poil lisse, au robuste poitrail, 

Il aurait tout donné pour sa belle, coiffée 

D'or luisant, comme sont les saintes d'un vitrail! 



"Car, dès l'adolescence, ayant, en mainte affaire, 
Humanité fangeuse, appris ce que tu vaux, 
Il était coutumier de dire : Je préfère 
Aux hommes le cheval, mais la femme aux chevaux, 



Et plus que toute femme, il aima la marquise 
De Z. Il n'eut pas tort, et plus d'un l'envia; 
Car vous ne savez point quelle femelle exquise 
Fut cette rousse enfant qu'on nommait Fulvia ï 



FULVIA 89 

Elle avait l'indolence aux séduisants manèges; 

L'œil cave et noir d'où sort l'éclair des chauds courroux, 

Et, comme des rayons de soleil sur les neiges. 

Le long de son corps blanc tombaient ses cheveux roux. 



Ses lèvres exhalaient le frais parfum des menthes, 
Son chant faisait pâmer,, la nuit, les rossignols, 
Et, beauté qui me charme entre les plus charmantes, 
Des mains d'Italienne et des pieds espagnols! 



Si bien que Fulvio, devant la séductrice, 
Soupirait à mi-voix, de bonheur allangui : 
« Ah ! laisse-moi baiser, tant que je les meurtrisse, 
Ta main de Camargo , ton pied tfAmaegui! » 

: s 



90 FULVIA 

« Aima mia! » disait la belle aux seins d'ivoire, 
Et son œil que prolonge une ligne de kliol 
Rayonnait sous les cils comme une agate noire, 
Et ses veines battaient sous la peau de son col! 



ÉTOILES 



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t±£» 



*M*Hliin j. > 



ETOILES 



L'Ange des nuits sur la colline 
Jette son voile déplié , 
Et_, perdu dans la brume fine, 
Le mont chancelle et se dandine 
Comme un cyclope estropié. 



£ 



94 ÉTOILES 

Là-bas, fantastique décombre, 
♦La vieille tour du vieux manoir 
Se drape dans les plis de l'ombre 
Comme un bandit au regard sombre 
Dans l'ampleur de son manteau noir! 



Vaste fourmilière de mondes, 
Le ciel, tout bigarré de feu, 
Ruisselle de paillettes rondes, 
Immense écrin de perles blondes 
Doublé d'un large satin bleu ! 



Et moi, vers la nue étoilée 
Je lève mes regards séduits, 



ÉTOILES Çp 

Et ma fantaisie envolée 
Monte et papillonne , affolée 
Par les douces clartés des nuits. 



Qui donc est là-haut qui secoue 
Rubis et perles dans les airs? 
Serait-ce pas Dieu qui se joue 
Et quij comme un paon^ fait la roue 
Avec tous ces yeux grands ouverts? 



Le poète aime les féeries : 
Peut-être , pour valser en rond, 
Sont-ce de blanches Valkyries 
Quij comme en guirlandes fleuries, 
Passent, une escarboucle au front? 



Ç)6 ÉTOILES 

Peut-être, ivres du suc des roses, 
Quelques sylphes au vol moins sûr 
Allument-ils des torches roses, 
Pour regagner les portes closes 
Qui défendent leurs nids d'azur! 



L'Ange des nuits sur la vallée 
Laisse tomber ses voiles noirs, 
Et ma fantaisie envolée 
Monte et papillonne, affolée 
Par les douces clartés des soirs! 



LE JUGEMENT DE CHERUBIN 



ARSENE UOUSSATE 



LE JUGEMENT DE CHÉRUBIN 



Elles firent asseoir Sur un divan de moire 
Cet enfant décoré du nom de Chérubin, 
Rêveuses de mêler leur chevelure noire 
A ses lourds cheveux d'or parfumés comme un bain 



100 LE JUGEMENT DE CHERUBIN 

Leurs yeux enveloppaient d'une caresse humide 

* 

Son front rougissant comme un front de jeune Miss 
Alpheos n'était pas plus, beau sous la chlamyde, 
Pâtre ingénu suivant la chasse d'Artémis! 



Les deux femmes étaient de celles-là qu'on prise 
Pour le rayonnement liliaque des chairs, 
Et tel dont l'habit porte au coude une reprise 
N'a jamais becqueté leurs sourires trop chers. 



D'ailleurs, elles étaient très-belles. Leur épaule 
Aurait eu des blancheurs sauvages sous des peaux 
D'ourse! L'une avait nom Aline, l'autre Paule. 
Aline et Paola tinrent ces doux propos : 



LE JUGEMENT DE CHERUBIN lOI 



P A O L A 



Jeune homme, tes cheveux sont roux comme la queue 
Des comètes qui vont par l'immensité bleue! 



ALINE 



Enfant, tes cheveux sont légers comme les fils 
De la Vierge , qu'on voit au retour des avrils! 



PAOL A 



J'aime tes yeux luisants comme une cornaline. 
Enfant, l'aime tes yeux pareils aux yeux d'Aline l 



102 LE JUGEMENT DE CHERUBIN 



ALINE 



Tes yeux sont deux éclairs qu'à la foudre on vola, 
J'aime tes yeux pareils aux yeux de Paola ! 



PAOLA 



Comme un souffle brûlant tourmente une voilure, 
L'haleine de ma bouche enfle ta chevelure ! 



ALINE 



Comme un coquelicot dans les blés,, si tu veux, 
Se mêlera ma lèvre à l'or de tes cheveux ! 



LE JUGEMENT DE CHERUBIN I()3 



» 



PAOLA 



J'amollirai pour toi mes farouches caresses, 
O jeune faon craintif qui domptes les tigresses ! 



ALINE 



Je serai ta servante, ô despote charmant! 
Et je te servirai délicieusement ! 



p AOLA 



Viens! pour dormir jusqu'à l'aurore purpurine, 
Tu poseras le soir tes pieds sur ma poitrine! 



104 LE JUGEMENT BE CHERUBIN 



ALINE 



Viens! mon boudoir d'odeurs alléchantes s'emplit, 
Et mon boudoir est moins parfumé que mon lit ! 



PAOL A 



Oh ! je baise mes bras quand ton regard s'y pose ! 



i 



ALINE 



Laisse tomber un mot de ta bouche déclose ! 



LE JUGEMENT DE CHÉRUBIN Io5 



PAOLA 



Ma gorge se termine en boutons cramoisis ! 



ALINE 



C'est assez : je suis belle, elle est belle, choisis! 



« Mesdames, répondit alors le doux jeune homme, 
Je ne saurais choisir car vous vous ressemblez 
Comme deux feuilles d'arbre du deux étoiles, comme 

V 

Deux larmes de l'aurore à la pointe des blés!» 



IOÔ LE JUGEMENT DE CHERUBIN 

Aline et Paola versèrent une perle, 
a Des pleurs? Par Cùpido, quel cas embarrassant! 
Paola, ma colombe, Aline, mon doux merle, 
Baisez-moi toutes deux, si Vénus y consent! » 



LE MARCHE DE LA MADELEINE 



LE MARCHÉ DE LA MADELEINE 



Debout! le soleil caresse nos draps. 
Que ne suis-je né près de Mytilène ! 
Allons respirer l'odeur des cédrats 
Au marché qu'on tient à la Madeleine! 



\ 



IIO LE MARCHE DE LA MADELEINE 

J'ai rêvé d'un grand château dans la plaine. 
Nous étions (hélas! tu me comprendras!), 
Moi, l'hôte d'un soir, vous, la châtelaine! 
Debout! le soleil caresse nos draps. 



"/<#«?'. 



Nous voyagerons lorsque tu voudras! 
Nous irons en Grèce, au pays d'Hélène 
Dont les bras étaient moins beaux que tes bras! 
Que ne suis-je né près de Mytilène! 



En Chine, où les tours sont de porcelaine, 
Dans l'Inde, où la Noire a sous son madras 
Des cheveux crépus comme de la laine, 
Allons respirer l'odeur des cédrats. 



LE MARCHE DE LA MADELEINE III 

Mais ce n'est qu'un rêve et tu t'en riras.! 
Allons acheter de ht marjolajne^ 
De la marjolaine et des gobéas 

* t 

Au marché qu'on tient à la* Madeleine! 



LE ROSSIGNOL 



10 



LE ROSSIGNOL 



C'était un soir du mois où les grappes sont mûres. 
Et celle que je pleure était encore là. 
Muette, elle écoutait ton chant sous les ramures, 

# ' 

Elégiaque oiseau des nuits, Philoméla ! 



I l6 * LE ROSSIGNOL 

Attentive, les yeux ravis, la bouche ouverte, 
Comme sont les enfants au théâtre Guignol; 
Elle écoutait le chant sous la frondaison verte , 
Et moi je me sentis jaloux du rossignol. 



« Belle âme en fleur, lilas "où s'abrite mon rêve, 
Disais-je, laisse là cet oiseau qui me nuit. 
Ah ! méchant cœur, l'amour est long, la nuit est brève! » 
Mais elle n'écoutait qu'une voix dans la nuit. 



Alors je crus subir une métamorphose ! 
Et ce fut un frisson dont je faillis mourir. 
Dans un être nouveau ma vie était enclose, 
Mais j'avais conservé mon âme pour souffrir. 



LE ROSSIGNOL I 17 

Un autre était auprès de la seule qui m'aime. 
Et tandis, qu'ils allaient dans l'ombre en. soupirant, 
O désespoir ! j'étais le rossignol lui-même 
Qui sanglotait d'amour dans le bois odorant. 



Puis elle s'éloigna lentement, forme blanche 
Au bras de mon rival assoupie à moitié ; 
Et rien qu'à me voir seul et triste sur ma branche, 
Les étoiles du ciel s'émurent de pitié. 



Ce fut tout; seulement, dès l'aurore prochaine 
(Je n'ai rien oublié : c'était un vendredi ) 
Des enfants qui passaient virent au pied du chêne 
Un cadavre d'oiseau déjà sec et roidi. 



10. 



u8 



LE ROSSIGNOL 



a II est mort ! » dirent-ils, et de son doigt agile,, 
L'un d'eux creusa ma fosse à l'ombre d'un roseau , 
Et tout en enfermant mes plumes sous l'argile, 
Il priait le bon Dieu pour le petit oiseau. 



A UN JEUNE HOMME RICHE 



•U 



1 

1 

I 

) 



A UN JEUNE HOMME RICHE 



J 



eune homme riche ^ aimé des Dieux, 
Fuis la Muse^ baise les yeux 
Des blondes ! 



122 A UN JEUNE HOMME RICHE 

Garde- toi- des rêves amers 
Et ne tente jamais les mers 
Profondes ! 



Va, triomphe parmi le chœur 
Des filles blanches dont le cœur 

Bat vite ! 
Fais l'amour, nous ferons les vers; 
Idalie aux bocages verts 

T'invite. 



Cependant je mêle mon cri, 
Loin des jardins où la houri 
Te baise, 



A UN JEUNE HOMME RICHE 123 

Aux sanglots des joueurs de luth. 
Applaudissant qui donne Fut 
Diè^e ! 



Mes destins sont pareils au leur ; 
Notre muse, c'est la douleur 
Sans trêve ; 

« 

Ils ne sont pas ce que tu crois , 
Ces Jésus qui portent la croix 
Du rêve ! 



Le soir, sous le ciel endormi ^ 
Quand tu vas écouter parmi 
La brise 



*» *<■ 



124 A UN JEUNE HOMME RICHE 

Le gazouillis charmant du flot 
Qui sur la grève d'un îlot 
Se brise, 



Le roc a-t-il trouvé des mots, 
Enfant, pouf te conter les maux 

Qu'il souffre, 
Sentant son granit se creuser 
Sous l'impitoyable baiser 

Du gouffre ? 



Que t'importe ! chasse, aime et bois; 
La gazelle à l'ombre des bois 
Gambade, 



A UN JEUNE HOMME RICHE 125 

Fou de Champagne ou de porto, 
Jette de l'or sous le râteau 
De Bade! 



Quitte les soins dont tu t'émeus. 
N'as-tu pas les vins écumeux, 

L'ivresse, 
Ton arabe qu'un dey dompta 
Et les cheveux luisants de ta 

Maîtresse ? 



Et sa cheville à l'os très-fin, 

Qu'un incroyable brodequîn 

Étrangle, 



ii 



126 A UN JEUNE HOMME RICHE 

Et sa gorge couleur de lait, 
Cette seule rondeur qui n'ait 
Pas d'angle ? > 



IMPERTINENCE 



IMPERTINENCE 



G il Blas aventureux partis pour Salamanque, 
A chaque hôtellerie ouverte nous soupons; 
Et qu'importe si^ grâce aux muletiers fripons ^ 
Dès le premier relais c'est l'argent qui nous manque ? 



ii. 



l3o IMPERTINENCE 

Hardis et côtoyant les abîmes ouverts , 
Nous partons, vaisseaux las de demeurer en rade; 
Puis un soir, ayant lu Musset ou Benserade, * 
Nous raffolons du jeu, des femmes et des vers! 



Imitant les poussins <?ui brisent leur coquille, 
Nous remplissons l'écho de petits cris joyeux! 
La sœur de Raphaël a de si jolis yeux! 
Mais Raphaël nous vole et l'ange se maquille. 



Les désillusions nous prennent par la main : 
Jeanne doit sa pâleur ivoirine aux chloroses, 
Et le baiser d'Aline a les lèvres si roses 
Que la moustache en garde un cercle de carmin! 



• 



L'ASILE 



AUGUSTE VILLIERS DE l/lSLE-ADAM 



» 



L'ASILE 



F 



rère, s'il vous survient quelque douleur profonde, 

Si la maîtresse en qui votre avenir se fonde , * 

i 

Un soir, nue et farouche et les cheveux épars, 
Se r'habille à la hâte en s'écriant : Je pars ! 
Et si, malgré vos pleurs de rage, elle vous laisse 
Seul comme un chien perdu qui traîne encor sa laisse 



134 l'asile 

Et hurle sous le ciel épouvanté des nuits; 
Oh! cher désespéré, pour guérir vos ennuis, 
N'allez pas décrocher de cette panoplie 
Un poignard dont la lame étincelante plie; 
Gardez-vous d'acheter à quelque charlatan 
Une drogue et de dire à votre âme : Va-t'en ! 
Comme un lâche qui craint de subir sa torture. 
Allons! prends la besace et boucle ta ceinture 

* 

Et pars! Inaperçu, de nuit, comme un voleur, 

Il faut chercher quelque désert où ta douleur 

Ait son affinité secrète qui l'apaise, 

Où, lorsque le matin colore la falaise, 

Se reflète, parmi les flots du gouffre amer, 

Un ciel profond et bleu comme une belle mer! 



l'asile i35 



Je sais une maison sinistre, inhabitée, 

Malgré l'effarement de la longue nuitée, 

Les mendiants douteux cachés dans les blés mûrs 

Ne tentèrent jamais d'escalader ses murs. 

Un lion dont la pluie a décrépit le buste 

Veille dans la ramée éparse d'un arbuste, 

Et, morne, sur le seuil, la niche de vieux boi? 

Qui n'a point oublié l'hôtesse aux doux abois 

Accueille tristement les chiennes vagabondes. 

Maladif, à travers les herbes moribondes, 

Le bluet où l'aurore attache un diamant 

Se courbe vers le sol mélancoliquement. 



i36 l'asile 

Les nids abandonnés sous la brique des frises 
Ne mêlent plus de voix à la chanson des brises; 
Sous les saules pendants comme des oripeaux, 
Dans la nuit d'un cloaque infâme, les crapauds 
S'épouvantent au" bruit de la feuille qui tombe; 
Et c'est une maison triste comme une tombe ! 
O calme! ni hameau ni chaumière à l'entour; 
Point d'église gothique avec sa vieille tour 
A l'horizon, là-bas, parmi les brumes blanches; 
Point de légers moulins aux quatre ailes de planches 
Qui semblent deux ramiers jaloux se poursuivant 
Éperdus dans le vol circulaire du vent; 
Rien que la lande égale à la mer sans rivages, 
Où, rampante parmi les bruyères sauvages, 
La grande louve hurle horriblement la faim; 
Rien que la mer pareille à la plaine sans fin, 



l'asile i 37 

La mer échcvelce, aux fracas métalliques! 
Et les rondes, là nuit, des bêtes faméliques 
Poussent dans le désert des cris d'agonisants, 
Et le flot qui se rue à l'assaut des brisants 
Avec le râle affreux d'un monstre qui suffoque, 
Bave, lourd et suant comme un ventre de phoque! 



Si ton cœur se déchire et fuit la guérison, 
C'est là qu'il' faut aller, mon frère! La maison 
N'a plus de maître, et nul n'a refermé l'entrée 
Depuis que l'hôte ancien, dont l'âme est délivrée, 
Y reçut un passant formidable, la mort ! 



Oh! c'est un souvenir qui jamais ne démord, 



i'i 



f 38 l'asile 

LVavoîr en son réduit lugubre vu cet hôte! 

Le désespoir avait courbé sa taille haute; 

Hâve, le front ridé comme le front d'un vieux, 

Le blasphème à la bouche et les pleurs dans les yeux, 

Il parcourait sans fin la salle ruinée, 

Et, parfois, accroupi devant la cheminée, 

Il consumait les jours et les nuits sans sommeil, 

Ne sachant si c'était la lune ou le soleil 

Qui luisait à travers les fenêtres mal jointes, 

Et quand sifflait la bise aux fouets armés de pointes, 

Oubliant, sous le poids de son rêve engourdi, 

De jeter une bûche au landier refroidi ! 



A cette heure la place est libre : va la prendre ! 



l'asile i 39 

Et moi-même, le front déshonoré de cendré, 
Les pieds nus comme sont les pèlerins, un jour 
J'apporterai mon cœur meurtri par une amour 
Fatale, dans la paix de cette solitude. 
Je laisserai s'abattre enfin mon attitude 
Orgueilleuse, et, pareille à quelque horrible fleur, 
Tu t'épanouiras dans l'ombre, ô ma douleur l 
Au milieu de la nuit et des silences graves, 
Tu pousseras ton noir branchage sans entraves ! 
Tes racines toujours plus avant dans ma chair 
S'enfonceront ainsi que des vrilles de fer, 
Et mon sang, et mon sang les gonflera cfe sèves ! 
Tant qu'à la fin, hanté d'inexprimables rêves, 
Pâli sous ton étreinte, ivre de tes parfums, 
Je m'endorme à côté de mes espoirs défunts. 
Car je t'aime à jamais, ô douleur, ô farouche 



I-JO L ASILE 

Amoureuse! et j'unis mes lèvres à ta bouche. 
Par toi rame s^xhak en cris mélodieux ^ 
Et les désespérés sont semblables aux dieux ! 



SONNETS 



A 

t 



TH'ÉODORE Dfî BANVILLE * 



12. 



CALONIGE 



Sur la grande galère à quatre rangs de rames, 
Calonice ramène une fille d'Asie 
Quij nue et frissonnante et belk, s'extasie 
De fouler des tapis de pourpre aux rouges trames. 



144 SONNETS 

a O vierge, dit la Grecque, entre toutes choisie 
Pour apaiser mon cœur percé de mille lames, 

Tu connaîtras le sens des longs épithalames 
Et de mon amitié la chaste hypocrisie ! » 



Dans l'air, à ce moment, on vit deux hirondelles 

Caresser les cheveux épars des fiancées, 

Et la brise chantait : Hyménée ! autour d'elles. 



Mais la lune baisa les vagues balancées, 
Et tu parus, le front couronné d'asphodèles, 
O nuit, ô blanche nuit, ô nuit mystérieuse ! 



A UNE FEMME 



O femme, ô sombre cœur dans le mal égaré, 
Ton front n'est point pâli comme le front des veuves; 
Ta douleur a le calme imposant des grands fleuves, 
Et tu ne pleurais pas le jour où j'ai pleuré. 



^ 



I46 SONNETS 

Ton vaste orgueil s'étale au-dessus des épreuves 
Comme au sommet des monts un beau lac azuré; 
Tu portes, souriante et le pas mesuré, 
Tes nouveaux désespoirs comme des robes neuves. 



Rien ne peut entamer ton cœur de diamant ! 
Dieu lit, dans le serein éclat de ta prunelle, 
L'irrémissible vœu de l'endurcissement. 



Moi, je te suis de loin vers la nuit éternelle, 
Et, perdu dans l'horreur de ton rayonnement, 
Je m'abîme en ta chute, ô grande criminelle ! 



INVITATION A LA PROMENADE 



Poète frivole > épris des musées 
Et des rouges fleurs en papier gommé , 
Tu n'as jamais vu que de tes croisées 
La verte splendeur du mois embaumé. 



I48 SONNETS 

En vérité, ceux qui font des risées 
Sur le doux printemps n'ont jamais aimé. 
Mouillez ma bottine , ô fraîches rosées 
Du bois où bourgeonne et gazouille Mai ! 



Belle fleur, dis-moi la bonne aventure ! 
Ah ! mon amoureux , il n'est rien de tel 
Que de voir au vent flotter ma ceinture. 



De mon doigt rosé comme en un pastel > 
Je veux te montrer l'éclat immortel 
D'un site charmant comme une peinture ! 



LE JAPACAX1 



Sous Pévasement noir de quelque grand platane. 
Comme un Japacani dans les feuilles niché , 
Ayant sous mes talons tout ce qui luit ou plane > 

Je veux dormir, au nid de mon désir couché ! 

i3 



l5o SONNETS 

JeVveux que Ton me tresse un hamac de liane, 
Que l'haleine des fleurs baise mon front penché, 
Et, caressante, éveille une chanson persane 
Sur mon luth qui frissonne à ma droite ab ranch é ! 



Quemonnarguilhé d'or s'allume, et quedans l'ombre 
En jaillisse, à la fois éblouissant et sombre, 
Le tourbillonnement des rêves inouïs ! 



Que de vous la plus belle, ô houris de ma couche, 
Burinant des senteurs de femme à chaque bouche, 
M'apporte en un baiser tous vos baisers unis ! 



SUJf LKS COLLfXFS 



Chère âme, nous irons sur le haut des collines, 
Nous verrons de plus près, sous les deux moins pesants^ 
Les nuages pareils aux blanches mousselines 
Qui flottent sur le cou des filles de seize ans. 



l52 SONNETS 

Plus douce que la voix douce des mandolines _, 
Ta parole épandra ses charmes bienfaisants^ 
Et dans les buissons verts où sont les avelines , 
Tes deux yeux brilleront comme des vers luisants. 



Pleins de joie à travers la nuit élégiaque^ 

Le front auréolé d'un pâle demi-jour., 

Nous gravirons les pics couronnés d'ombre opaque ; 



Et l'on dira^ voyant ton lumineux contour, 
Que les Anges vêtus d'air paradisiaque 
Descendent sur les monts pour y faire l'amour ! 



LA RUINE 



Mon âme était pareille aux ruines antiques, 
Débris désespérés des monuments déchus, 
Le lierre y cramponnait ses mille dofgts crochus, 

Et des chœurs de serpents" sifflaient sous Tes portiques. 

i3. 



l54 SONNETS 

On voyait s'accroupir dans les ravins branchus 
La sorcière attentive à d'infâmes pratiques , 
Et des démons, pareils à des épileptiques , 
Crevassaient la muraille avec leurs pieds fourchus. 



Mais l'œil de ma maîtresse a lui dans ce dédale ; 
Elle a soigneusement défriché les moellons, 
Tué chaque serpent, nettoyé chaque dalle. 



Et maintenant, fermée au choc des aquilons, 

Mon âme est une grande église synodale 

Où j'adore sans fin ma sainte aux cheveux longs. 



CANIDIE 



Lueur faite de nuit, perle faite de boue., 
Remords de la vertu., sérénité du mal, 
Morsure qui caresse et baiser qui tatoue , 
Créature divine et basse, être anormal, 



l56 SONNETS 

Canidia, mon cœur t'aime et mon vers te loue, 
Car ton souffle est plus pur que le ventaromal, 
Et le long pleur d'amour dont se mouille ta joue 
Te lave du péché comme un flot baptismal. 



C'est mon rêve divin pendant la nuit songeuse : 
Voir resplendir, les soirs^ ton épaule neigeuse 
Comme un lys, dans le fond du boudoir endormi, 



Et plus tardj quand le temps aura roulé ses ondes, 

Au delà de la mort, nous égarer parmi 

Les poètes épars dans des harems de blondes ! 



UNJi VOIX 



Ce soir, quand j'eus commis cette action funeste 
Pour une femme indigne et que je n'aime pas^ 
Sur le seuil désormais interdit à mes pas 
Une voix lamentable a pleuré ce mot : Reste ! 



I 58 SONNETS 

Je suis parti, grinçant des dents, tordant mes bras, 
Frappant du poing ce cœur que la gangrène infeste. 
Et nie suivant ainsi que Tisiphone Oreste, 
Presque éteinte : Reviens ! disait la voix tout bas. 



Alors , chétif, j'ai bu des forces dans ma gourde ! 
Livrant ma tête aux vents et mon âme au démon. 
Je me suis redressé malgré ma peine lourde. 



Et quand j'eus dit enfin : Les dés sont jetés, non ! 
Derrière, dans la nuit, la voix lointaine et sourde 
Me rappelait encore en soupirant mon nom. 



.va\'A7;7 JJAA'S U: 001 T AACJÂ'A 

Pour une jeune Dame 
# 
Qui avait résolu de faire pénitence de ses fautes 



Çk uoij Philis, sommes-nous fâchés ? 
^ Vous jurez^ bouche écarlatine, 
De vous rendre bénédictine 
Pour vous laver de vos péchés ! 



• 



% 



lÔO SONNETS 

Oyant cela sous la courtine, 
Les petits Amours débauchés 
Veulent fonder des évêchés 
Dans la Cythère libertine. 



Ainsi soit-il ! Mignonne, adieu ! 
Si vous tenez votre promesse, 
Le couvent sera tôt en feu ; 



Selon les rites du Permesse, 
Amour y sera le seul Dieu, 
Et les Grâces diront la messe ! 



LA' S 1 JXGLWUJïS 



Elles aiment le bal aux folâtres cadences. 
Le valseur dont les yeux s'enivrent de leurs yeux. 
Et , le cerveau troublé d'espoirs délicieux , 

Elles gardent, la nuit, le souvenir des danses. 

14 



l6'2 SONNETS 

Elles se font tout bas de longues confidences 
A propos d'un passant à l'air victorieux^ 
Et leur discours empli de riens mystérieux 
Chante avec les oiseaux parmi les rameaux denses. 



O charme ! avoir quinze ans pendant le mois de mai ! 
Sentir éclore en soi^ par un doux sortilège, 
Les rieurs que l'on envie au jardin parfumé ! 



N'avoir point de soucis dont le cœur ne s'allège, 

Et recevoir, furtive, avec un œil pâmé, 

Le baiser d'un cousin qui revient du collège ! 



X 



LA XuXX/ï 



Le cloître haut bâti^ parmi les avalanches , 
Elève ses clochers pointus comme des mâts -> 
Dieu, par les prés de neige et les champs de frimas, 
Fait paître le troupeau de ses ouailles blanches. 



164 SONNETS 

Le voile sur le front, la^corde sur les hanches, 

La procession passe en réguliers amas. 

Hélas ! sœur de ma sœur, ô seule qui m'aimas ! 

Ton lit, comme un cercueil;, est fait de quatre planches. 



Le scapulaire au col et le cilice aux reins, 
Tu sivoures la paix gravé du monastère, 
Selon. le rit, au bruit des lugubres airains. 



Moi, je m'enivre encor des choses de la terre : 
Souviens-toi du pécheur dans tes rêves sereins, 
O femme qu'assainit un jeûne salutaire ! 



EREDERIQUE 



Un soir, en visitant la vieille cathédrale 
Gothique, dont j'aimais les clochetons sans pairs, 
Au bas de l'escalier qui se tord en spirale, 

Je te vis, ô ma douce Allemande aux yeux pers! 

14. 



l66 SONNETS 

Lasse, tu t'accoudais à la pierre murale, 
Pauvre ange endolori tombé des cieux aperts ! 
Et ton regard tout plein de candeur aurorale 
Eclaira doucement la nuit où je me perds. 



Goutte de miel échue à mon âpre calice ! 
J'aspirai, parmi l'air qu'embaume l'encensoir, 
Tes cheveux odorants comme un acacia. 



Tu priais, à genoux sur une pierre lisse, 

Et près de toi, dans l'ombre, étant venu m'asseoir, 

Je te dis : Liebst du mich ? tu me répondis : la ! 



L'AMOUR FATAL 



Donc tu le veux, chère âme aux dangers obstinée? 
Le gouffre où nous allons, hélas! je te le dis, 
C'est l'Eden ténébreux, c'est l'Enfer- Paradis : 
Je suis perdu, ma soeur, et vous êtes damnée ! 



l68 SONNETS 

Vous détesterez l'heure où votre amour est née 
Car le ciel punira mes élans trop hardis. 
Et l'enchevêtrement de mes destins maudits 
Brouillera les fils d'or de votre destinée ! 



C'est de tisons d'enfer que mes désirs sont pleins ! 
Il faut que j'y succombe et que tu t'y soumettes; 
Pauvre fille ingénue et calme, je vous plains! 



Le rouge de la honte ignore mes pommettes, 
Et je frappe du pied lés plus hideux tremplins 
Pour atteindre le vol énorme des comètes ! 



vinciTti 



Je suis pareil à ce nid d'hirondelle 
Qui resta vide au retour des hivers; 
Sous les grands toits que la neige a couverts. 
Plus de baisers, de chants, ni de bruits d'aile. 



IJO SONNETS 

Je suis pareil à cette citadelle 
Abandonnée après de longs revers, 
Murs dégradés, par la mitraille ouverts. 
Et que le temps à son tour démantèle. 



Mais, le nid veuf, la brise le ravit; 
Le mur s'écroule enfin, la place forte 
Est un rocher que le passant gravit ; 



Moi seul j'attends un souffle qui m'emporte 
Depuis longtemps déjà mon âme est morte, 
Et mon cadavre obstiné me survit! 



OH1MKRKS 



Il planait dans l'éther, cet océan sans grève, 
Traînant l'humanité comme un boulet honni^ 
Dans l'infini du ciel immensité du rêve_, 
Immensité du ciel sur le rêve infini ! 



172 SONNETS 

Le reptile vaincu rampe et meurt aux pieds d'Eve, 

Mais le lys adorable au chardon s'est uni; 

Isis a décoré de fleurs son col bruni, 

Mais Parbre de la vie, hélas! n'a plus de sève. 



Pêcheur, as-tu cueilli là-bas les coraux blancs? 
CorilP, as-tu glané, sous les épis tremblants^ 
Les coquelicots bleus, les marguerites rouges ? 



Dormez, béants au jour, ôlazzaroni nus! 

Qui donc nous éteindra les lanternes des bouges, 

Pour laisser luire enfin les soleils revenus? 



LE TUÉ 



Je n'ai jamais aimé cette ivresse bruyante 
Qui dérange les plis de notre dignité; 
La grande Muse porte un ,péplum bien sculpté, 

Et le trouble est banni des âmes qu'elle hante. 

i5 



174 SONNETS 

L'observance du rite et la sobriété 
Décorent tes amants, ô Muse triomphante ! 
Pourtant, dans les langueurs que la veillée enfante, 
Ma débile nature aime l'abus du thé. 



La porte close, afin que nul importun n'entre, 

Je bois la liqueur chaude et me couche à plat ventre 

Dans mon alcôve, ainsi qu'une bête en son antre; 



Tandis qu'une amoureuse aux baisers vipérins, 
Blanche comme l'étoile éprise des marins, 
Se fait un oreiller frémissant de mes reins. 



TJïiï-S/.0-DAf-Tf>7<\ 



Ten-si-o-daï-tsin, Lumière souveraine, 
Tu portes un ruban d'étoiles à ton cou, 
Et le rouge soleil qui luit sur Naïkou 
N'est qu'un de tes regards, ô prunelle sereine ! 



IjC) SONNETS 

Mais tu hantes parfois la Grotte souterraine, 
Et le haut ciel revêt , sous le vol du hibou, 
La désolation sinistre d'un grand trou 
Sans bornes et qu'aucun rayon ne rassérène ! 



Moi; âme sur qui pèse un étrange sommeil , 
Mon âme aussi 3 de l'ombre hôtesse coutumière, 
A des nuits sans étoile et des jours sans soleil. 



Je voudrais te revoir comme à l'aube première 
Et baiser chastement ton sidéral orteil,, 
Ten-si-o-daï-tsin, souveraine Lumière ! 



VF LA XV LIE 



Fatalité , dis-tu ? mot vague, 
Mais le désespoir est certain. 
Le suicide* clandestin 
Est le seul port parmi la vague. 



i5. 



178 SONNETS 

Jadis j'aurais choisi la dague 
Pour en finir un beau matin. 
Ou quelque reine au blanc tétin 
M'eût permis de baiser sa bague. 



Mais en ce siècle de raison 

Il n'est que deux morts de saison 

La noyade ou la pendaison. 



Va donc, pauvre homme, et fais ton livre 
En priant Dieu qu'il te délivre : 
Mourir est béte, autant que vivre ! 



LE QL ACIER 



Les lacs où, le matin, passent des brouillards bleus. 
Se couvrent en hiver d'étincelantes glaces; 
Les hardis patineurs, aux jambes jamais lasses, 
S'élancent en troupeau vers les monts nébuleux. 



l8o SONNETS 

Mais les lacs n'aiment point que leurs belles surfaces 
S'écaillent sous les pas de ces rustres frileux; 
Souvent le clair miroir se dérobe sous eux, 
Puis les glaçons disjoints reviennent à leurs places. 



Tel est mon cœur, glacier sur des volcans éteints ! 
Le doute, les remords, les espoirs incertains, 
Le déchirent sans cesse avec de durs patins. 



Parfois il bâille, alors tout s'abîme en un gouffre 

Qu'emplit l'exhalaison d'une niare de soufre ; 

Et toi seul, cœur profond, tu sais ce que je souffre ! 



r AS 11)1 F 



Maîtresse, il faut de l'air aux ailes de ma joie ! 
Tu jetteras demain, dès l'heure où l'aube naît, 
Ton manteau de drap fin sur ta robe de soie , 
Et nous irons revoir le bois du Vesinet! 



l82 SONNETS 

Le fleuve a son courant, le pèlerin sa voie^ 
La colombe a son nid qu'elle seule connaît; 
Mes frères, nous allons où le ciel nous envoie l 



Je te voudrais sans tache et je te sais infâme, 
N'importe ! Je t'adore et cède au Mal vainqueur; 
C'est mon destin â'aller me brûler à ta flamme > 
Je subis gravement l'arrêt du sort moqueur. 



Et je dirai plus tard, insoucieux du blâme : 

Elle n'avait pas d'âme et n'avait pas de cœur, 

Mais elle avait des sens qui valaient mieux qu'une âme! 



i:ephj<:b'E 



Jeune homme, sur ton front neigeux comme l'hermine 
Ta chevelure allume un céleste halo; 
Ta joue immaculée où l'incarnat domine 
Eût ravi cet amant des roses, Murillo! 



184 SONNETS 

A l'époque païenne où Narcisse chemine, 
Amoureux de ses pieds d'ivoire, au bord de l'eau, 
La Grèce eût reconnu, voyant ta belle mine, 
Le frère de Diane ou la sœur d'Apollo ! 



Mais ces fronts éclatants de lueurs souveraines, 
Les Dieux, sont en mépris, les Dieux sont au tombeau; 
Le nocher n'ouït plus la chanson des Sirènes, 



Le cestede Vénus est un vague lambeau; . 

Toi seul, posthume enfant des époques sereines, 

Tu poites fièrement la honte d'être beau ! 






PAN TE LE] A 



CHARLES BAUDELAIRE 



16 



ÇANTÉLE1A 



Des murmures lointains s'élèvent des rivages ; 
L'écho répète ^ oreille et bouche des grands monts ^ 
Les fiers hennissements des cavales sauvages ! 



Une ardeur dévorante a séché les poumons 
Du troupeau qui se cabre en masse échevelée, 
Et leurs yeux sont pareils à des yeux de démons! 



l88 PANTÉLEIA 

Le poitrail palpitant, l'encolure renflée, 

Elles fouillent le sol de leurs. naseaux sanglants; 

Plus promptes que ne va la sagette envolée y 



Elles vont, sans relâche ! et les sveltes élans 

Qui franchissent les blés sans en courber les tiges, 

Et les fins léopards auprès d'elles sont lents ! 



Lèvent et la poussière effacent leurs vestiges; 
Devant ce tourbillon sombre comme la nuit, 
Les immobilités sont prises de vertiges! 



Vol effréné, torrent d'épouvante et de bruit, 
Où vont-elles, où va le troupeau des cavales? 
La montagne s'ébranle et la forêt les suit ! 



PANTÉLFIA 189 

C'est que voici le temps des fureurs estivales, 
L'instant du rut. L'appel lointain de l'étalon 
Fait tressaillir d'amour les superbes rivales, 



Et le désir leur met des ailes au talon ! 

Leur amant est là-bas, parmi les herbes jaunes, 

Derrière ces taillis qu'émonde l'aquilon, 



Rêveur, sur le penchant des monts aux vastes cônes, 

■ 

Où, seuls, dans les sapins frémissants comme un luth, 
Les aigles rois ont fait leurs nids qui sont des trônes; 



Et sans cesse enivré d'amour, cherchant le but, 

Par les rudes chemins et sous le ciel en flamme 

S'élance le troupeau des cavales en rut ! 

16. 



I9O PANTÉLEIA 

Pareils, durant ces nuits où l'être entier se pâme 
Sous les baisers ardents de la Muse, pareils, 
Vers l'Idéal lointain nous allons, 6 mon âme ! 



Nous allons, éveillés des terrestres sommeils; 
Notre élan, qui s'accroche à des broussailles d'astres, 
Ainsi que des cailloux, fait rouler les soleils ! 



Vers un palais d'argent aux lumineux pilastres 
L'étoile d'Orion nous guide, clair flambeau ; 
Le lest humain s'écroule en ténébreux désastres ; 



De la vie échappé sans entrer au tombeau, 
L'homme plane, et l'amour, rut de l'âme extatique, 
S'échauffe à la splendeur fécondante du Beau ! 



PANTÉLEIA I9I 

Les Edens parfumés comme un bois de PAttique, 
L'aire où plane l'autel du mystique Baal, 
S'ouvrent, et nous passons, tourbillon frénétique ! 



Le Lyrisme mugit comme un vent boréal. 
Dans l'alcôve d'azur que l'étoile bigarre , 
L'âme un instant s'accouple au farouche Idéal; 



Puis enfin, retombée à terre , aile d'Icare, . 
Nostalgique du Beau qu'elle entrevit ailleurs, 
Garde un divin amour, où le rêve s'égare, 



De l'étoile et du ciel, de la femme et des fleurs ! 






192 PANTELEIA 



Cypris, fille de l'onde, adorable chimère., 

Immortelle aux yeux noirs., Reine au cœur indulgent, 

Qui mires ta beauté dans les hymnes d'Homère ! 



Tu courbais sous tes lois les grands monstres nageant 
Près des rochers moussus où Molpéa repose, 
Et les bétes des bois léchaient tes pieds d'argent ! 



PANTÉLEIA 193 

Et les oiseaux, légers habitants de l'air rose, 
Dont notre œil, sous la nu£, à peine suit l'essor, 
La blonde Mélissette au sein des fleurs éclose, 



La gazelle qu'au fond des bois trouble le cor, * 
A tes travaux charmants soumis avec délices, 
T'adoraient, vierge auguste à la couronne d'or ! 



Sur la crête des monts, Diane aux jambes lisses, 
Qui, fière et dédaignant le chœur mélodieux 
De ses Nymphes, conduit les aboyantes lices 



Dans le bois où l'attend le Faune insidieux, 

N'évita point ton joug, ô terrible Aphrodite ! 

Et par toi les désirs naissaient au cœur des Dieux, 



194 * PANTELEIA 

Les hommes, enfouis dans leur fange maudite, 
S'agenouillaient en foule à tes autek divins. 
Le débauché qui rit, le sage qui médite, 



Le poëte qui va, troublé de songes vains^ 
Ecouter la chanson des brises parfumées, 
Et respirer la nuit douce dans les ravins, 



Le conquérant farouche enivré de fumées, 

.^e bandit qui s'embusque au détour du chemin, 

L'hétaïre au péplum agrafé de camées, 



Les vierges, la bacchante aux lèvres de carmin, 
Au col enguirlandé de pampres, et, dans l'ombre, 
Les filles de Lesbos qui se tiennent la main, 



PANTÉLEIA 195 

Les jeunes gens, rieurs, les vieux à l'âme sombre, 

Ceux qui vont à la nuit., ceux qui viennent au jour, 

A travers tous les temps, dans tous les lieux, sans nombre, 



Qu'ils aient, à l'heure pâle où s'éveille l'amour, 

Vu l'aube redorer les montagnes d'Asie 

Ou faire étinceler les glaciers de Këar-Mour; 



Qu'ils aient brûlé leur âme aux genoux d'Aspasie, 
Ou nourri de leurs cœurs les filles de Paris, * 
Ces succubes divins que rien ne rassasie, 



En ce temps où le musc et la poudre de riz 
Attachent aux jupons soyeux des amoureuses 
Le troupeau suppliaht des jeunes gens épris; 



196 PANTÉLEIA 

Tous, la poitrine sèche et les lèvres fiévreuses, 
Par les mille sentiers que l'homme se fraya 

* 

Sur les sommets br0lants, dans les plaines poudreuses 



Dévorés d'une soif dont plus d'un s'effraya, 

Tous buvaient ta splendeur, ô beauté surhumaine, 

Aphrodite, Astarté, Madeleine, Freya! 



Mais Astarté, Freya, Vénus et Madeleine 
Ont dédaigné l'amour des hommes, et, le soir, 
A l'heure oii des sommets tombe la nuit sereine, 



Sur une cime, ensemble, elles vinrent s'asseoir, 
Le souffle qui passait les surprit enlacées, 
Et, blanches, les porta vers le firmament noir. 



PANTÉLEIA *97 

Elles prirent plaisir, les belles fiancées, 

A regarder la nuit d'étoiles s'iriser. 

La nue enveloppa leurs formes balancées , 



Et, pâles, savourant l'extase du baiser. 

On vit leurs corps épris, ceints d'une lueur blonde, 

Lentement se confondre et se vaporiser ! 



Il ne demeura plus qu'une écume féconde, 

Blanche vapeur parmi l'air immatériel; 

Et, surpassant Vénus, perle éclose de l'onde, 



Pantéleïa naquit de l'écume du ciel ! 



17 



1<)8 PANTfiLEIA 



II 



4 

m 

Pantéleïa, flocon d'azur, je vous salue ! 

Dans le bois où les vents mugissent en courroux y 

Au pied de la montagne énorme et chevelue 3 



Sur les rocs sourcilleux , dans les taillis de houx, 
Dans la grotte, où parmi les lierres et la mousse, 
Rêve paisiblement l'auguste lion roux ! 



PANTELEIA I99 

Près du ruisseau jaseur qui suit la pente douce 
Des coteaux, à travers les bleus myosotis, 
Sur le pic où l'éclair, lame de feu, s'émousse, 



Dans l'ombre od les serpents, brisant les feuilletis, 
Près des restes broyés d'une louve poilue, 
Digèrent, par le chaud soleil appesantis ! 



Partout oti dans les bois la Mère mamelue 
Fait pulluler la bête et fait germer les glands, 
Pantéleïa, flocon d'azur, je vous salue ! 



Vous n'avez pas laissé, Reine, vos talons blancs 
Se poser sur l'autel d'oîi notre encens s'élève, 
Et nul n'a vu s'ouvrir vos yeux étincelants ! 



200 PANTELEIA 

Ceux qui portent le luth > ceux qui tiennent le glaive 
Auraient pu vous chanter et mourir à vos pieds;- 
Vous n'avez pas voulu s nul ne sait votre rêve ! 



Nul ne sait vos amours vainement épiés ! 

Mais, un soir, l'œil épris de ténébreux problèmes, 

Aii-dessus de la ville éteinte vous planiez, 



Et votre voix émut les crépuscules blêmes ! 



PÀNTELKIÀ 201 



III 



« Je ne descendrai pas de ma sérénité 
Hautaine^ pour poser mon talon dans la fange,, 
Et nul ne me verra dormir à son côté ! 



Nulle voix parmi vous ne dira ma louange, 
Et nul n'arrachera de mon cœur les aveux ! 
ChétifSj que pourriez-vous me donner en échange? 

17- 



203 PANTELEIA 

Vainement sur l'autel l'encens avec les vœux 

S'élève , éparpillant de suaves arômes; 

Plus doux est le parfum qui sort de mes cheveux ! 



Les pilastres d'argent qui soutiennent les dômes 

Sont moins beaux que le cèdre au fond des creux ravins; 

Les arbustes des bois sacrés n'ont pas les baumes 



Qui s'écoulent en pleurs de mes membres divins ; 
Je ne veux pas m'asseoir sur la cime du temple, 
Et je n'inspire pas la voix de vos devins ! 



Sous la roche profonde et parmi la nuit ample, 
Immobile, à travers la fureur des vents noirs, 
Dans ma solennité, seule, je me contemple ! 



PANTÉLEIA . 203 

La nuit, les amoureux, dans lés doux promenoirs. 
Enlacent mollement leurs bras et leurs pensées ; 
J'ignore les plaisirs comme les désespoirs. 



Les hymnes du poëte, aux lenteurs cadencées, 
Exaltent la valeur des jeunes hommes bruns, 
Et chantent vos vertus, ô pâles fiancées ! 



Mais les rhythmes du luth me seraient importuns; 
Tous les peuvent entendre, et ma soif d'ambroisie 
Ne veut pas s'assouvir aux abreuvoirs communs. 



Vous passez aux genoux de la femme choisie 
Les sombres jours d'hiver, les claires nuits d'été; 
Ruisselante d'amour, votre âme s'extasie! 



204 PANTELEIA 

Si je daignais un jour en votre obscurité' 
Luire, vous laisseriez vos plus chères amantes, 
Mais votre amour n'est pas digne de ma beauté. » 



Elle dit, et les bois, où grondent les tourmentes , 
La revirent, lassée et croisant les genoux , 
S'étendre mollement sur les gazons de menthes. 



Dans les antres moussus, dans les taillis de houx, 
Au pied de la montagne énorme et chevelue 
Oti vague lentement l'auguste lion roux, 



Pantéleïa , flocon d'azur, je vous salue I 



PANTÉLEIA 205 



IV 



Le grand lion disait : <c Vois, tes cheveux sont blonds, 
Et comme toi je porte une crinière blonde ; 
Pantéleïa^ je t'aime et nous nous ressemblons ! 



Comme tes yeux reluit ma prunelle profonde ; 
Ta marche lente imite, en ses balancements, 
Mon allure pareille aux mouvements de l'onde. 



20Ô PANTÉLEIA 

Si tu voulais m'aimer, perle des diamants. 

Tu poserais tes pieds sur mon échine rousse 

Sans crainte, et je serais le plus doux des amants ! 



Pour te parler d'amour, ma voix qui se courrouce 
Trouverait des accords divins, et, sur le sol, 
Humble, je lécherais l'ongle blanc de ton pouce ! » 



L'aquilcn qui passait interrompit son vol, 
Et dit : « Pantéleïa, je vous aime! La brise 
D'un moins tendre baiser frôlerait votre col. 



Je vous aime! laissez à mon haleine éprise 

Le soin de dénouer vos cheveux! Mais ton cœur 

Est plus dur que le roc où mon élan se brise ! 



PANTÉLEIA 207 

Si mon souffle pouvait attiédir ta rigueur 

Si tu voulais m'aimer, blanche parmi les blanches, 

Tu suivrais dans les airs mon tourbillon vainqueur! 



Je te soulèverais doucement parles hanches , 

Et seuls, à la hauteur sereine des glaciers, 

Nous irions voir rouler les grandes avalanches ! » 



Le serpent dont les nœuds, pareils à des aciers, 

Luisent, disait, caché parmi la pâle mauve : 

« Je rampais après vous partout où vous passiez; 



Je respirais, la nuit, dressant ma tête chauve, 
Les émanations de vos seins onctueux ! 
N'écoutez pas le Vent, fuyez le Lion fauve, 



208 PANTÉLEIA 

Je suis plus fort que lui, je suis plus vite qu'eux , 
Et moi seul je pourrai vous donner la caresse 
De Penveloppement humide et tortueux ! » 



Un doux myosotis, près de l'enchanteresse, 
S'éteignait sur le sol de brins verts chevelu : 
« Pantéleïa, je meurs, ton poids divin m'oppresse; 



Peut-être, pâlissant déjà, s'il avait plu, 

J'aurais pu vivre encor jusqu'à la nuit prochaine; 

Mais je meurs près de vous ainsi que j'ai voulu ! » 



Sur les pics où le rude aquilon se déchaîne 

Et fait mugir l'écho dans la sublimité 

Des sphères, s'éleva la forte voix du chêne : 



PANTÉLEIA 209 

a Tel que sur l'humble saule et le frêne argenté 
Plane mon front, de même au-dessus des plus belles 
Se dresse fièrement ta grande vénusté ! 



Les timides enfants dorment sous les ombelles; 
Viens rêver dans mon ombre immense., et que le vent 
Secoue en vain ma force et ta beauté rebelles ! 



Je t'aime! Souviens- toi > Déesse, que souvent 
J'écartai de tes yeux les rayons et la brise, 
Lorsque tu reposais sous mon dôme mouvant ! 



Quand les oiseaux chanteurs menaçaient la cerise 
De ta lèvre, un rameau tressaillait, et l'essaim 

De reprendre son vol, craignant quelque surprise. 

18 



210 PANTÉLEIA 

Viens, je te donnerai pour décorer ton sein 
Des glands encore verts, de belles feuilles lisses, 
Et ton bonheur sera mon unique dessein ! » 



Les abeilles sortaient à demi des calices : 
« Pantéleïa, je t'aime et je ferai du miel 
Dans ta bouche, alvéole aux humides délices ! » 



« Pantéleïa, disait le nuage du ciel, 

Je t'aime et je voudrais t'enleyer dans l'espace, 

Vers les palais d'azur oîi sont les Ariel ! » 



a Je t'aime et je suis doux, » dit l'épervier rapace. 
« Je t'aime et je suis fort, » dit le ramier tremblant. 
« Je t'aime, » dit l'essaim des colombes qui passe! 



PANTETEIA 211 

« Pantéleïa, disait la Lune au front dolent^ 
Sœur des étoiles d'or^ tes farouches prunelles 
Effaceraient l'éclat du Sirius brûlant ! 



Fille du ciel, remonte aux sphères maternelles^ 
Et l'homme émerveillé nommera de ton nom 
L'étoile qui luira belle parmi les belles ! » 



Mais Pantéleïa, calme j a fait signe que non ! 



! 



2 12 PANTELKIA 



Ce fut tout , et la nuit redevint solitaire. 
L'astre, dans l'onde noire, éteignit son reflet, 
Et le grand chêne dit au lion de se taire. 



Seule, Pantéleïa, qu'une flamme brûlait, 
Se dressa lentement sur la mousse flétrie, 
Et dans la solitude elle se contemplait ! 



PANTÉLEIA. 2l3 

Elle se contemplait avec idolâtrie ! — 
Son regard indolent, nuage où dort l'éclair, 
Mesure de son corps la belle symétrie. 



Ses deux bras arrondis se frôlent parmi l'air, 
Sa tête fière plane, et son âme se noie 
Dans l'éblouissement céleste de la chair ! 



L'aile de son désir a découvert sa voie ! ' 
Elle s'élève enfin, bondissante d'orgueil, 
Vers la sérénité profonde de la joie! 



De chauds rayonnements l'attirent, son grand œil 
S'aveugle à voir de près l'Idéal, temple auguste 
Dont elle est à la fois la vestale et le seuil ! 



18. 



214 PANTÉLEIA 

«Nul amour n'a cpurbé ma volonté robuste, 

Et sur le piédestal de la virginité 

Seule j'ai vu briller les splendeurs de mon buste ! » 



Comme la mer, le rêve a son immensité ! — 
Puis elle s'accroupit, d'elle-même éblouie, 
Blanche, sans mouvement, neige, marbre sculpté, 



Et le ciel contempla cette extase inouïe ! 



ÉPILOGUE 



EPILOGUE 



La tombe et la nuit m'ont quitté. 
Vienne là femme qui s'émeuve 
Sous mon baiser ressuscité! 

J'étais pareil au lit d'un fleuve, 

Dans les jours brûlants de Vété, 

Sec et morne t attendant qu'il pleuve; 

L'ennui du mal m'avait hanté; 
Mais j'ai triomphé de l'épreuve 
Et rompu le joug détesté. 

Mon désir de nouveau s'abreuve 
Aux pures sources de beauté, 
Et je répands mon âme neuve 

Dans un amour illimité ! 



i 



^ I 



iabli: 



dédicace 5 

Prologue 7 

Les fils des anges 9 

Ariane i5 

Le bénitier 33 

Marmorea 39 

La délicate 45 

Silence , ... . 55 

Lied , . . 63 

Canidie 71 

Le matin 79 

Fulvia 85 



220 TABLE 

Étoiles 

Le jugement de Chérubin 

Le marché de la Madeleine 

• 

Le rossignol 

A un jeune homme riche 

Impertinence . 

L'asile 

• 

Sonnets 

Calonice 

A une femme 

Invitation à la promenade. . 

Le Japacani 

Sur les collines 

La ruine 

Canidie 

Une voix 

. Sonnet dans le goût ancien. . 

Les ingénues. 

La nonne 

Frédêrique 

V amour fatal 

Viduitê 



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TABLE 221 

Chimères.- 171 

Le thé 173 

Ten-si-o-daï-tsin 175 

Mélancolie 177 

Le glacier 179 

Canidie 181 

L'éphèbe i83 

Pantéleia i85 

Epilogue 2i5 



Jmprimé par c Poupart- < Z>avyl et Comp., 
Varis, rue du *Bac, 3o. 



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