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Full text of "Picasso; avec cent reproductions hors texte"

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PICASSO 


PÀBLO  GARGALLO  ^  PlCASSO 


MAURICE  RAYNAL 


PI  C  A  S  S  O 


AVEC  CENT    REPRODUCTIONS    HORS  TEXTE 


1 

1 

\mm(^ 

'lî^^^Si  1 

PARIS 

L    E    S     É    D    I    T    I    O    N    S     G.    C    R    È    S     6f    C  '  ^ 

21,     RUE     HAUTEFEUILLE,     VI 

19      2      2 


FE3  -41966 


lO^R-^SS 


N 


Grâce  à  la  distinction  profonde  étaDiie  par 
notre  génération  entre  les  termes  «sensualités) 
et  «sensitiKté»,  distinction  en  quoi  il  faudra  clier- 
cker  le  sens  de  la  réaction  qui  s  attacke  déjà  au 
nom  de  Picasso,  nous  avons  su  qu'il  y  avait  des 
découvertes  à  faire  dans  le  monde  de  la  sensibilité 
comme  dans  celui  de  la  physique.  Telle  sera  en 
effet  iune  des  bases  de  1  Esthétique  contemporaine 
et  en  particuuer  de  1  oeuvre  de  Picasso.  Toute- 
fois cbaque  découverte  n'apportant  pas  du  premier 
coup  sa  perfection,  il  est  assez  naturel  que  les 
efforts  tentés  depuis  bientôt  vingt  ans  aient  été 
souvent  traduits  par  les  bésitations  les  plus  légi- 
times, des  hésitations  souvent  remarquablement 
fécondes.  Léonard  de  Vinci  disait:  «Lie  peintre 
qui  ne  doute  point  progresse  peu.  Quand  loeuvre 
remporte  sur  Testime  que  lui  porte  l'ouvrier,  cet 
ouvrier  ne  progresse  guère.  Et  si  cette  estime  sur- 


passe  son  oeuvre,  il  ne  cesse  jamais  daméliorer 
cette  oeuvre  à  condition  que  Tavarice  ne  Ten 
empêcke  point.»  Nous  sommes  donc  loin  de  ce 
que  les  successeurs  de  rlmpressionnisme  appellent 
du  terme  «réaliser».  Pour  eux,  réaliser  est  porter 
immédiatement  à  sa  perfection  d'expression  toute 
sensation  objectivée;  c  est  tirer  d'emblée  comme  le 
<c maximum  de  rendement»  de  ce  qu'ils  ont  pris 
pour  une  invention;  c'est  en  un  mot  trouver 
la  Vérité.  Or  Ton  ne  trouve  pas  la  Vérité  et 
puisqu'au  contraire,  elle  nous  échappe  au  moment 
qu  on  croit  la  toucber,  il  ne  faut  pas  s'étonner  que 
comme  iHermès  classique,  i  oeuvre  de  Picasso  ait 
deux  figures.  Si  Picasso  a  vécu  vingt  ans  avec  les 
Morts,  il  en  a  passé  vingt  autres  avec  les  Vivants; 
or  cela  n'est  pas  en  vain.  Nous  verrons  seulement 
que  malgré  leurs  apparences  individualistes  les 
découvertes  de  notre  sensibilité  se  rattachent  tou- 
jours à  ses  manifestations  les  plus  connues,  et  que, 
partant,  les  révolutions  artistiques  ne  sont  que  des 

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soutresauts  passagers  de  Tévolution  permanente 
qui  traîne  derrière  soi  le  troupeau  numain. 

Pour  goûter  pleinement  ioeuvre  de  Picasso  il 
faudrait  tout  d'atord  évoquer  quelques-uns  des 
points  qui  marquèrent  tour  à  tour  les  alternances 
révolutionnaires  et  évolutionnistes  de  1  art  de  notre 
génération. 

Comme  je  lindiquais,  il  est  donné  aux  artistes, 
avant  toute  intervention  de  la  psycno-pnysiologie 
de  découvrir  certains  points  inexplorés  de  notre 
sensibilité.  Il  suit  de  là  que  mettre  à  nu  certaines 
propriétés  de  cette  sensibilité  n'est  pas  devancer 
son  temps,  mais  simplement  voir  plus  clair  que  le 
voisin.  <^Nous  ne  remarquons  pas  toujours  ce  que 
nous  savons^>,  disait  Leionitz;  il  faudrait  ajouter 
que  nous  ne  remarquons  pas  toujours  non  plus  ce 
que  nous  «sentons^>.  Or  ceci  ne  va  pas  sans  diffi- 
cultés: ceux  qui  assument  pareille  tâcne  ont  à 
vaincre  Tindiff  érence,  Ikatitude  et  la  peur  Lumai- 
nes.  C'est  pourquoi  Tliéroïsme  en  Art  se  réfugie 

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de  plus  en  plus  vers  certains  extrêmes,  i  extrême 
jeunesse  ou  l'extrême  vieillesse. 

Le  fait  que  les  Critiques  d'art  les  plus  consi- 
dérés sont  restés  unanimement  muets  devant 
1  oeuvre  de  Picasso,  quand  toutefois  ils  ne  1  ont  pas 
attaquée  violemment,  ce  fait,  dis-je,  n'est  pas  la 
preuve  la  moins  significative  de  la  puissance  et  de 
la  portée  des  efforts  personnels  de  1  artiste. 

LaCntîqued  Art  semble  généralement  née  d'une 
sorte  d'impuissance  logique  ou  d'un  refus  à  dépouil- 
ler l'ordre  composite  de  sa  personnalité,  si  je  puis 
m'exprimer  ainsi,  pour  s'adapter  à  l'individualité  de 
cliaque  artiste.  Sa  principale  raison  d'agir  est  fille 
d'un  désir  unique  d'accumuler  des  o  bservations  sous 
un  angle  immuable  et  général  et  ce  pour  la  meilleure 
commodité  de  compréhension  de  la  majorité.  Or 
la  généralisation  est  une  arme  à  deux  tranchants 
qu'il  ne  faut  pas  laisser  entre  toutes  les  mains.  Elle 
est  comme  une  autre  conquête  du  «Commodisme»; 
elle  est  une  sorte  de  fosse  commune.   Ne  nous 

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étonnons  donc  pas  si  la  valeur  des  oeuvres  qui 
dépassent  un  peu  les  sensibmtés  ordinaires  échappe 
nécessairement  à  la  Critique  puisqu  elle  ne  sau- 
rait décider  qu'au  nom  de  certains  jugements,  de 
jugements  selon  lesquels  rartîste  qui  n'otéit  pas  au 
code  prévu  et  quel  que  soit  son  talent  semole  tou- 
jours considéré  comme  coupable,  avec  seulement 
plus  ou  moins  de  circonstances  atténuantes. 

L  estnétique*  elle,  suit  placidement  le  cours  des 
sources  même  de  la  sensibilité  des  nommes,  et  ce 
au-dessus  de  toute  considération  de  temps  et  de 
lieu,  au-dessus  de  toutes  contingences.  Et  si  les 
intentions  des  grands  artistes  ne  lui  sont  pas  si 
mystérieuses,  ni  ne  la  cLoquent,  c'est  qu'elle  ne  se 
croit  point  tenue  de  parler  uniquement  au  nom  des 
exigences  dogmatiques  de  rArt,  de  ses  Codes,  de 
ses  Jugements,  de  sa  Procédure,  de  TArt  enfin, 
considéré  comme  une  entité  qui  a  oesoin  d'une 
majuscule  pour  donner  plus  de  majesté  au  vide  de 

*  de  cuaûavEoôai,  «sentir»,  ne  Toublions  pas. 


son  autorité.  Si  ce  que  Ton  appelle  1  Art  n'a  pas  cle 
patrie,  souvenez- vous  que  nous  en  avons  donné  une 
aux  Dieux,  et  voilà  ce  qu'il  faut  admettre  a  abora. 
Au  plus  fort  de  notre  jeune  foi  nous  avons  senti 
que  Tart,  sans  majuscule  cette  fois,  serait  une  sorte 
d'enfant  de  Bohème  qui  comme  i  amour  ne  con- 
naîtrait jamais  de  lois.  Il  n'y  a  pas  plus  d'art 
domestique  qu'il  n'y  a  d'amour  domestique,  et 
nous  nous  refusons  à  croire  à  la  nécessité  des  formes 
des  juridictions  civiles  et  criminelles  comme  oases 
de  toute  méthode  d'art.  En  un  mot,  nous  tenons 
que  la  crainte  du  gendarme  généralisateur  n'est  pas 
du  tout  le  commencement  de  la  sagesse  artistique. 
Or,  c'est  ICI  qu'apparaît  l'un  des  points  contre 
quoi  réagira  l'oeuvre  de  Picasso.  Cet  asservisse- 
ment de  1  art  ne  semble-t-il  pas  dû  à  la  confusion 
persistante  de  l'art  avec  la  vie?  L'«art  et  la  vie^>  fut 
une  formule  chère  aux  Impressionnistes  et  à  leurs 
successeurs;  elle  est  encore  actuellement  la  pierre 
d'achoppement   après   quoi   essaye  de  se  retenir 

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le  système  défaillant.  Quelles  nécessités  en  effet 
a assinuler  lart  à  la  vie?  Pourquoi  ne  pas  donner 
à  Tart  des  «cumcula;>  particuuers  comme  en  possè- 
dent les  sciences?  Et  pourquoi  n  avoir  pas  suivi 
la  SI  large  tendance  florentine  qui  considérait  les 
arts  et  les  sciences  comme  proches  parents? 

Au  surplus  chaque  détour  de  la  vie  nous 
apprend  cruellement  que  nous  sommes,  comme  dit 
le  vieux  clické,  les  jouets  de  la  Destinée.  Aussi, 
croyons -nous  que  si  les  artistes  venta  olement 
créateurs,  et  nous  aurons  occasion  de  revenir  sur 
ce  sujet,  enthousiasment  frénétiquement  les  sen- 
sibilités rares,  c'est  en  raison  des  ouvertures 
nouvelles  qu  ils  semblent  faire  continuellement  sur 
notre  illusion  de  liberté.  Aussi  pourquoi  sacri- 
f  lerions-nous  délibérément  une  source  si  précieuse 
en  acceptant  d'endiguer  Tart  entre  des  règles  aussi 
sévères  que  celles  de  la  Morale? 

Il  ne  faudrait  évidemment  pas  confondre. 
Quand  nous  parlons  de  lois,  nous  n'entendons  pas 

U 


les  nécessités  purement  humaines  que  nul  artiste  ne 
saurait  transgresser  sans  verser  dans  le  domaine  de 
la  Fantaisie,  ou  plus  gravement  dans  celui  de  la 
Folie.  Je  parle  ici  des  lois  dites  artistiques,  imitées 
dans  leur  structure  des  lois  morales  sociales  et  qui 
ne  sont  comme  celles-ci  que  le  moyen  d'accommo- 
der pratiquement  l'mdividu  à  Tmdividu,  la  sen- 
sibilité au  goût  général  de  la  Société.  Tout  l'appa- 
reil empirique  de  la  Justice  est  certes  indispensable 
pour  le  respect  et  la  défense  des  bons  sentiments 
kumains.  Mais  si  la  Société  tait  bonne  garde 
autour  de  la  loyauté  et  de  la  générosité  par  exemple, 
le  sens  de  Tespace  ou  des  figures  géométriques  qui 
sont  également  à  Torigme  de  la  sensibilité  bumame 
n'ont  pas  besoin  qu'on  les  définisse  éternellement  ni 
que  des  censeurs  les  défendent  à  l'aide  de  sortes  de 
Pandectes.  Que  l'on  ne  cbercbe  pas  à  ce  sujet  quel- 
que vain  prétexte  d'enseignement;  la  notion  de  ces 
principes  ne  s'enseigne  pas.  Us  sont  comme  la  vertu: 
l'on  enseigne  celle-ci  depuis  l'origine  des  mondes, 

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mais  il  faut  avouer  qu'il  n'y  paraît  guère.  C'est 
qu'elle  est  gravée  aux  coeurs  de  certains  kommes 
comme  la  notion  des  accidents  de  l'espace  en  celui 
des  grands  artistes.  Ceux-ci  n'ont  donc  pas  à 
compter  avec  les  Canons  de  Polyclète  ou  de 
Lysippe  non  plus  qu'avec  les  petites  misères  de 
%Vinckelmann,  c'est  à  dire  avec  toutes  formules 
qui  ne  sont  que  le  fruit  de  «procédés^),  ou  encore 
une  façon  de  «  comprendre  ^>  l'art.  Or,  en  art  plus 
qu'en  toute  autre  matière  il  ne  faut  jamais  cher- 
cher à  comprendre;  l'art  ne  se  comprend  pas,  il  se 
sent.  Et  la  liberté  que  nous  préconisons  dans  la 
manifestation  et  non  la  spéculation  que  nous 
nommons  l'art,  est  en  accord  avec  ces  deux  faits 
que  l'enfant  qui  dessine  est  plus  près  d'Apollon 
que  «i  artiste-pemtre»,  épitkète  déjà  si  surannée, 
et  le  charbonnier  qui  prie  plus  près  de  Dieu  que 
le  théologien. 

Des  écrivains  qui  se  réclament  des  écrits  de 
Saint -Thomas  sur  l'Art,  nous  ont  supplié  de  ne 

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pas  tenir  comme  absolument  incompatibles  la  «via 
ciisciplinae^>  et  rerfort  a  invention.  Suivant  eux, 
loin  de  s  exclure  ces  deux  notions  s  appellent  et  se 
complètent.  Hélas!  qu  appellent -ils  inventions? 
Il  est  fort  probable  que  nous  ne  nous  entendrons 
jamais  puisqu'il  est  visible  que  ces  écrivains 
englobent  ici  sous  le  titre  d'inventions  les  petits 
perfectionnements  apportés  par  les  professeurs  aux 
grandes  inventions  des  ignorants  . . .  Les  grands 
inventeurs  sont  pour  nous  ceux  qui  ont  formulé 
les  kypotkèses  les  plus  tardies  sur  des  sujets  encore 
inconnus  au  seul  moyen  de  leur  imagination  intui- 
tive et  ce  en  toute  ignorance  de  la  «via  disciplmae». 
Et  en  effet,  que  le  nom  de  Tinventeur  passe  moins 
à  la  postérité  que  celui  qui  a  su  faire  connaître 
Tinvention,  les  kéros  sont  pour  nous  ce  Saunas  de 
Samos  dont  parle  Athénagore  qui  découvrit  la 
silhouette  sur  fond  noir,  Craton  qui  trouva  les 
ombres  par  nacnures,  DiDutade  qui  inventa  les 
oas-reKefs,   Cléopnante  qui  imagina  le  premier 

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d'appliquer  la  couleur  sur  les  aessms  et  non  ceux 
qui  surent  perfectionner  ces  inventions.  Et  si 
j'insiste  sur  la  portée  de  ces  exemples,  c'est  pour 
indiquer  qu'ils  constituaient  les  fruits  d'une  ex- 
pression ae  la  sensibilité  plutôt  que  de  vulgaires 
recnercnes  de  moyens. 

Il  semble  donc  que  les  artistes  qui  n'ont  pour 
dessein  que  le  perfectionnement  de  l'oeuvre  d'au- 
trui  ne  peuvent  exécuter  que  cela  seulement  et  au 
moyen  de  la  discipline  que  le  véritable  inventeur 
a  crée.  D'ailleurs  s'il  en  était  autrement,  comment 
définir  la  «discipline»  qui  guida  les  anciens  alclu- 
mistes  lorsque  tout  en  cliercliant  la  pierre  pkilo- 
sopnale  ils  découvrirent  le  mercurclantimoine,  que 
sais-]e  encore?  Enfin  si  les  observations  discipli- 
nées des  Tycno-Brané  et  des  Kepler  ne  leur  per- 
mirent pas  de  découvrir  la  loi  de  gravitation  uni- 
verselle, n'est-ce  pas  que  la  «via  disciplmae»  n'est 
qu'un  ensemole  de  règles  destinées  seulement  à 
l'application  pure  et  simple  des  hypothèses  géniales? 

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Nous  ne  devons  cependant  pas  conclure  que 
Picasso  eut  le  désir  d'ignorer  la  discipline  et  la  règle. 
Plus  que  tout  autre  au  contraire  et  pour  en  avoir 
pris  le  goût  au  cours  de  son  éducation,  il  eut  tou- 
jours conscience  de  leur  nécessité  absolue.  Seule- 
ment, et  ccst  ICI  qu'intervient  un  fait  très  im- 
portant, il  est  des  nommes  qui  forgent  leur  destin, 
comme  dit  Skakespeare.  Et  la  force  de  sa  personna- 
lité suggéra  à  Picasso  qu'il  n'était  pas  de  ceux  qui 
peuvent  se  contenter  de  demeurer  simples  admi- 
nistrés comme  les  fidèles  de  l'art  académique,  ni 
même  administrateurs  comme  les  successeurs  des 
Impressionnistes,  mais  qu'il  se  devait  au  contraire 
de  faire  figure  de  véritable  législateur. 

Il  suit  de  là  que  l'oeuvre  des  plus  grands  artistes 
ne  peut  s'accommoder  que  des  lois  qu'elle  découvre 
et  pose  immédiatement  et  quelle  n'est  suscep- 
tible d'aucune  comparaison  ni  d'aucun  jugement. 
Or  SI  la  Critique  d'Art  ne  formule  que  des 
jugements  au  nom  de  ses  principes  et  de  son  goût, 

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elle  est  irrémédiablement  condamnée  à  ignorer  les 
oeuvres  véritablement  originales  et  nous  ne  nous 
étonnerons  plus  de  rostracisme  dont  par  elle  fut 
toujours  frappée  celle  de  Picasso. 

Sans  entrer  dans  une  discussion  sur  le  terme 
tfjugement^),  il  faut  en  art  le  retenir  dans  le  sens 
d'appréciation  de  la  valeur  d  une  oeuvre.  La  justice 
est  un  nombre,  disait  Pytnagore.  Mais  les  nom- 
bres ne  sont  qu'une  langue.  Or  Tart  qui  en  est 
une  aussi  n'a  que  faire  de  celle-là.  Au  surplus  tout 
jugement  implique  une  comparaison  et  toute  com- 
paraison valable,  une  mesure- étalon.  A.u  nom  de 
quelle  mesure  pourrait-on  donc  apprécier  une 
oeuvre  contemporaine  véritablement  issue  d  une 
imagination  neuve  et  quelles  raisons  valables  d'in- 
voquer ICI  un  idéal  platonicien  toujours  trop  géné- 
ralisateur?  Autant  vaudrait  rimitation  servile 
du  Naturalisme. 

Il  faut  pour  aimer  pleinement,  naturellement, 
1  oeuvre  d'un  artiste  vivre  en  son  temps.  Ceux  qui 

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prétendent  le  faire  à  propos  d'oeuvres  du  passé  ne 
le  peuvent  totalement  parce  qu'obligés  à  un  travail 
d'abstractions,  d'allusions,  de  retours  en  arrière 
mcompatiDles  avec  la  connaissance  de  leur  époque 
propre.  Il  y  a  là  quelque  chose  d'anti  -  numam 
et  de  contre-nature;  tant  il  y  a  que  l'art  ne  peut 
avoir  d' effet  rétroactif.  A.u  cas  contraire,  en  effet, 
il  serait  inexorablement  ramené  à  l'état  d'une 
petite  science  utilitaire  telle  que  les  mathématiques 
appliquées,  et  inévitablement  représenté  par  les 
seules  oeuvres  du  second  plan,  c'est-à-dire  par 
celles  qui  servent  babituellement  de  provende  à 
la  Critique. 

L'on  sait  que  comme  miesure  comparative  Ion 
a  encore  préconisé  le  bon  goût.  Mais  quelle  aber- 
ration que  l'exploitation  de  cette  notion  si  vague 
et  SI  abstraite  et  que  seule  une  société  en  mal  de 
généralisation  et  d'amour  d'un  ordre  artificiel  et 
illégitime  a  réussi  à  imposer!  Le  bon  goût  n  est 
que  le  serviteur  des  sensibilités  paresseuses  ou  f  ati- 

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guées  qui  veulent  que  rien  ne  soit  ckangé  à  leurs 
nabituaes  et  qui  se  complaisent  dans  un  agencement 
sempiternel  et  aéterminé  à  Tavance  de  volumes 
ou  de  couleurs.  Au  rond,  les  prêtres  du  bon  goût 
sont  un  peu  comme  le  vulgaire  qui  en  musique 
ne  tolère  que  les  rengaines.  Le  ton  goût  est  un 
obstacle  à  toutes  les  recnercnes  de  1  imagination 
sensible,  il  est  surtout  une  négation  bien  illogique  de 
Tesprit  évolutionniste  de  toutes  les  tendances 
numaines. 

Au  surplus  et  comme  on  peut  le  penser.  Ion  a 
également  évoqué  la  froide  figure  de  l'induction. 
Des  écrivains  d'art  n'ont  pas  hésité  à  soutenir  que 
1  art  allait  du  particulier  au  général.  Quelle  héré- 
sie! et  voilà- t-il  pas  la  <fvia  discipunae;>,  posée  dans 
sa  médiocrité  comme  critérium  exact  des  efforts 
moyens?  L'induction  artistique  signifie  la  néga- 
tion complète  de  toute  tentative  de  l'artiste  créa- 
teur; elle  n'est  qu'une  métkode  pour  la  vulgari- 
sation, pour  lapplication  en  série  et  surtout  le  per- 

8-  19 


f  ectionnement  de  1  usinage  artistique.  Si  elle  régit 
le  travail  des  artisans,  les  Maîtres  Tignorent.  Ni 
linventeur,  ni  lartiste  qui  découvrent  ne  connais- 
sent rinduction.  Et  il  n'est  Je  conclusion  du  par- 
ticulier au  général  que  lorsque  cette  généralisation 
a  pour  dessein  de  «  réaliser  ;>,  comme  on  Ta  dit  si 
lamentablement,  le  particuuer  des  créateurs.  C  est 
pourquoi  notre  amour  ne  va  pas  aux  ingénieurs 
qui  construisent  les  dreadnougkts,  mais  au  génial 
Fulton;  il  ne  va  pas  non  plus  aux  fabricants  des 
superbes  automobiles  de  ce  jour,  mais  à  Tliumtle 
Forest  qui  sans  savoir  les  matkématiques  créa  le 
moteur  à  quatre  temps:  en  un  mot  à  ceux  chez  qui 
1  intuition  est  à  la  source  de  toutes  les  tentatives. 

Ainsi  i  art  considéré  dans  ce  qu  il  peut  offrir 
de  plus  sublime  n'est  qu'intuition  et  déduction. 
Max  Jacob  m'écrivait  un  jour:  «Spinoza  . . .  plus 
pur  miroir  de  la  faiblesse  humaine».  Soit.  Mais  tel 
écrivain  inductif  n'est-il  pas  à  son  tour  que  le 
miroir  de  sa  peur?  L'artiste  qui  crée  empoigne  la 

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certitude  par  les  crins  et  la  jette  toute  vivante  aux 
kommes  qui  en  font  kélas!  ce  qu'ils  veulent.  Les 
uns  la  sentent,  d'autres  clier client  à  la  comprendre: 
les  premiers  grâce  à  leur  coeur  unique  et  qui  n'a 
qu'une  dimension,  les  seconds  au  moyen  de  l'esprit 
qui  les  a  toutes.  Et  c'est  ainsi  que  i  artiste  créateur 
saperçoit  un  jour  qu'à  modeler  à  même  sa  propre 
sensibilité  il  lui  arrive  de  se  promener  nu  au  milieu 
de  la  foule.  Du  coup  il  étlouit  les  kommes  et  quel- 
ques-uns se  plaisent  à  demeurer  sous  le  cnarme. 
D'autres  par  contre  s'efforcent  de  détourner  les 
yeux  et  crient  à  l'indécence.  Otligé  de  céder  à 
ces  derniers,  quand  il  n'a  pas  la  possiDilité  de 
vivre  seul  en  quelque  retraite,  il  est  bientôt  tenu 
de  se  vêtir  et  de  sacrifier  aux  exigences  de  la 
communauté.  Si  lumineuses  que  soient  les  trou- 
vailles qu'il  offre  à  la  satisfaction  médiocre  de  la 
tribu,  elles  sont  bientôt  curieusement  inspectées, 
mais  avec  des  lunettes  noires  qui  les  rendent  plus 
communément  visibles.  Ainsi  le  Temps  suivi  du 

21 


Nombre  son  «Emmence  grise»  guette  impitoyable- 
ment le  créateur.  Et  c'est  alors  que  se  présente, 
comme  un  costume  tout  fait  aux  devantures  a  un 
brillant  magasin,  ce  classicisme  mal  compris  et 
qui  séduit  pour  sa  commodité  apparente.  Pour 
n'avoir  pas  campé  dans  le  désert  de  sa  sensibilité, 
le  créateur  se  trouvera  subitement  tenté  par  le 
besoin  tout  artificiel  de  se  puer  au  joug  des  codes 
artistiques.  Et  c^est  alors  qu'il  lui  arrivera 
de  dire:  «pourquoi  ne  peindrais -3e  pas  à  mon 
tour  comme  Rapbael,»  de  même  quil  eût  pu  dire: 
«Pourquoi  n'irais-je  pas,  moi  aussi,  au  café.* 

Fort  beureusement  d'ailleurs,  le  véritable  créa- 
teur ne  se  contente  pas  d'un  costume  classique 
acbeté  cbez  le  confectionneur.  Aucun  tailleur,  il 
est  vrai,  n'est  capable  à  son  tour  de  prendre  sa 
mesure;  aussi  pour  que  le  costume  soit  fait  à 
celle  de  sa  sensibilité,  prend-il  le  parti  béroïque 
de  l'exécuter  lui-même,  suivant  ses  moyens  et  ses 
désirs. 

22 


Toutefois  lartiste- créateur  se  sentira  gêné,  et 
les  glaces  multiplieront  ses  reflets  pour  la  raison 
qu  11  ne  connaissait  pas  iui-meme  sa  propre  mesure. 
De  là  viendront  ces  deux  désirs  continuelle- 
ment alternés  de  s'en  dépouiller  ou  de  s'en  revêtir; 
la  coutume  ou  les  préférences  se  uvreront  tour  à 
tour  ces  comoats  qui  peignent  si  nettement  la  figure 
de  notre  génération,  et  si  Tissue  du  comtat  n'est 
sans  doute  que  trop  facile  à  prévoir,  (malgré 
Saint  Xkomas,  les  grands  artistes  ne  sont  pas 
nécessairement  des  anges),  il  restera  que  les  étin- 
celles les  plus  éclatantes  jailliront  lorsque  nous 
verrons  dans  Toeuvre  de  Picasso  le  doute  et  la 
certitude  se  keurter  parmi  les  plus  légitimes  hési- 
tations. 

Mais  examinons  comment  Picasso  a  tenté  de 
concilier  ces  deux  exigences  pour  réussir  à  déter- 
miner rimportante  réaction  picturale  dont  nous 
avons  parlé. 


23 


Pablo  Ruiz  est  né  à  Malaga  en  1881.  Il  clioîsît 
le  nom  de  Picasso  qui  est  celui  de  sa  mère.  Son 
enfance  s'écoula  dans  la  ville  au  soleil  brûlant  et 
à  Tombre  glacée,  image  de  sa  troublante  dualité 
future.  C'était  encore  la  ville  aux  légendes  fameu- 
ses que  nous  ne  connaissons  guère,  mais  dont  nous 
imaginons  volontiers  le  sens  lorsque  nous  rêvons 
à  sa  position  célèbre  au  bord  de  la  Méditerranée, 
face  à  TÀf rique. 

Nous  sommes  encore  loin  de  la  rue  La  Boëtie, 
mais  Ion  songe  déjà  au  merveilleux  de  i aventure 
qui  appela  Picasso  des  confins  de  lEurope,  pour 
l'amener  à  donner  à  Pans  et  de  là  à  lunivers  artis- 
tique, avec  Taide  de  cinq  ou  six  de  ses  amis,  le 
signal  de  départ  de  ce  mouvement  pictural  qui 
devait  déterminer  les  tendances  d'une  époque 
nouvelle. 

L'on  pourrait  penser  à  quelque  curieuse  image 

24 


a  Epinal  ou  encore  à  ce  que  Chateaubriand  écrivait 
de  Pascal.  «Il  était  une  fois  un  petit  bonliomme  qui 
avec  des  barres  et  des  ronds  inventa  )> ...  ou  réin- 
venta ...  la  peinture.  Songeons  surtout  aux  con- 
quérants qui  portaient  dans  des  régions  inconnues 
les  forces  que  leur  pays  ignorait,  pour  y  découvrir 
ces  contrées  que  d'autres  se  cnargeaient  plus  tard 
d'organiser.  Peut-être  en  sera- 1- il  de  même  un 
jour  pour  1  oeuvre  de  Picasso. 

L'on  a  ckercké  ce  qu'il  serait  advenu  de  Picasso 
su  n'eût  jamais  quitté  l'Espagne.  Question  quelque 
peu  oiseuse,  qui  relève  plutôt  des  recnercnes  de  la 
critique  historique  que  de  l'estliétique.  Ce  qu'il 
nous  faut  d'abord  considérer  c'est  que,  grâce  à  son 
intelligence  exceptionnelle,  Picasso  ne  tarda  pas  à 
assimiler  ce  que  l'art  traditionnel  pouvait  utile- 
ment lui  enseigner.  Tout  ce  qui  avait  trait  aux 
différents  arts  lui  fut  rapidement  familier.  Mais 
nous  devons,  sans  attacher  au  fait  plus  d'importance 
qu'il  n  en  comporte  noter  que  son  père  était  prof  es- 

25 


seur  de  dessin.  Signalons  en  effet  qu'une  étonnante 
faculté  d'intuition  laida  puissamment  à  sentir  ce 
qu\l  n'avait  pas  le  loisir,  1  occasion  ou  le  temps 
d'étudier  profondément.  Reprenant  un  mot  de 
Molière  en  lequel  on  voit  à  tort  une  toutade,  j'ai 
souvent  pensé  que  «tout  savoir  sans  avoir  appris» 
était  iune  des  caractéristiques  des  grands  artistes. 
Et  c'est  peut-être  suivant  cette  vertu  que  Picasso 
dès  son  jeune  âge  fut  plutôt  porté  à  pressentir  la 
vérité  ou  du  moins  ce  qu'il  croyait  l'être,  qu'à  la 
saisir  d'une  manière  trop  absolue  par  des  moyens 
discursifs.  Les  véritables  artistes  ne  comprennent 
nen,  mais  sentent  tout.  L'on  a  souvent  voulu 
interroger  Picasso  sur  les  directives  de  ses  concep- 
tions en  art.  Même  ses  ennemis  crurent  par  ce 
moyen  l'amener  à  découvrir  quelques  points  vul- 
nérables de  sa  personnalité.  Quelques-uns  le 
montrèrent  présidant  des  palabres  de  cafés,  ou 
encore,  dans  son  ateuer,  discourant  parmi  des  élè- 
ves assidus,  des  disciples  attentifs,  et  des  admira- 

26 


teurs  enthousiastes.  Or  Picasso  n'exposa  jamais  de 
théories.  Ceux  qui,  comme  moi,  1  ont  beaucoup 
fréquenté  se  souviennent  peut-être  de  quelques 
paroles  incisives,  confirmations  imméaiates  de 
Toeuvre  en  cours;  mais  c'est  tout.  La  seule  langue 
qui  convenait  à  lexpression  de  sa  sensibilité  était 
celle  de  la  peinture  et  s'il  parlait  des  Maîtres  qu'il 
aimait,  ou  s'il  détaillait  la  beauté  de  certaines 
oeuvres,  c'était  toujours  par  quelque  en  du  coeur 
et  sans  faire  intervenir  aucune  <adée»  sur  l'art  en 
général  ou  sa  peinture  en  particulier.  Il  n'en  fallait 
pas  davantage  pour  conclure  que  l'émotion  ressen- 
tie par  Picasso  devant  l'objet  qu'il  avait  dessein  de 
peindre  lui  suggérait  généralement  comme  l'inven- 
tion de  sa  propre  cause,  que  cette  invention  devait 
éclater  dans  la  façon  d'imaginer  les  éléments  qui 
l'avaient  mise  à  jour,  et  que  de  ces  éléments  seuls 
étaient  tirées  les  propriétés  plastiques  de  l'oeuvre 
qu'il  créait. 

Il  semble  donc  assez  naturel  qu'à  l' encontre  de 

27 


Puvis  de  Chavannes  qui  ne  toucna  à  un  crayon 
qu'à  lâge  de  vingt-cmq  ans,  Picasso,  qui  n'aime 
pas  que  Ton  fasse  ce  reprocke  à  cet  artiste, 
étonna  dès  son  adolescence  par  les  dispositions 
les  plus  remarquatles.  On  parle  encore  à  Barce- 
lone d'une  oeuvre  qu'il  peignit  à  quatorze  ans  et 
qui  représentait  un  combat  à  la  Daïonnette.  Vers 
cette  époque  il  ootint  même  une  troisième  médaille 
à  l'Exposition  des  Beaux -Arts;  son  jeune  âge  rut 
sans  doute  le  seul  obstacle  à  la  récompense  suprême. 
Enfin  sa  famille  et  des  collectionneurs  gardent 
précieusement  certaines  oeuvres  de  son  extrême 
jeunesse,  oeuvres  marquées  déjà  au  coin  de  la  plus 
étrange  facilité  malgré  leur  respect  des  Maîtres  et 
en  particulier  l'influence  du  Greco. 

Sans  craindre  le  lieu  commun,  et  d'ailleurs  nous 
sommes  tien  obligés  de  passer  par  cette  constatation, 
nous  remarquerons  d'abord  que  né  dans  une  con- 
trée qui  s'accommodait  si  bien  du  merveilleux, 
Picasso  comptait  de  par  sa  race  une  disposition 

28 


à  laisser  son  imagination  sanimer  vers  quelque  côté 
que  la  dirigeât  sa  sensiDilité.  Nous  ne  pouvons  faire 
grand  état  de  ce  fait  tant  il  serait  assez  difficile 
d'y  retrouver  une  relation  exacte  de  cause  à  effet. 
Ce  qu'il  faut  signaler  toutefois  c'est  que  i  ente  qui 
nécessairement  tend  à  éckapper  à  la  domination  des 
lois  communes,  voyage  seule,  ne  demeure  pas  long- 
temps en  groupe.  Or  dans  les  contrées  de  légendes 
et  les  autres,  mais  quelles  sont  celles  qui  nen  ont 
point,  ion  constate  que  les  nommes  accoutumés 
de  plus  en  plus  à  la  pkotograpkie  délaissent  égale- 
ment de  plus  en  plus  les  images.  Aussi  ne  devons- 
nous  pas  être  surpris  de  ce  que  Picasso  comprit, 
aux  dépens  de  sa  sensibilité,  que  limmuabilité 
légendaire  de  son  pays  ne  pouvait  qu  opposer  au 
développement  de  son  imagination  sa  puissante 
force  d'inertie.  Jamais  grand  artiste  ne  naît  dans 
le  milieu  qui  conviendrait  à  lépanouissement  litre 
de  SCS  facultés.  Et  comme  la  sagesse  qu'il  tenait  de 
son  éducation  sévèrement  latine,  et  ses  connaissan- 

29 


CCS  artistiques  étaient  de  sûrs  contrôles  pour  la 
légitimité  des  convictions  qui  prenaient  peu  à  peu 
naissance  dans  son  coeur,  Picasso  n'késita  pas  à 
écouter  la  voix  qui  lui  souffla  que  Tair  de  son  pays 
n'était  pas  assez  vaste  pour  donner  à  respirer  à  toute 
sa  sensibilité.  Il  connut  de  plus  en  plus  que  tourner 
en  rond  sans  espoir  d'issue  dans  le  cercle  des  aspi- 
rations trop  tôt  satisfaites,  trop  bien  définies,  de 
ses  compatriotes  ne  convenait  pas  à  son  tesom  de 
libre  activité,  et  il  se  prit  à  songer,  comme  l'on 
songe  au  Paradis,  que  quelque  part  devait  méluc- 
taolement  se  trouver  une  région  plus  vaste  ou  il 
pourrait  en  toute  nberté  laisser  s'exprimer  les  voix 
naturelles  qui  luttaient  en  lui  contre  les  données 
de  la  raison  qu'on  lui  avait  fait  acquérir. 

Il  ne  séjourna,  d'abord,  à  Malaga  que  le  temps 
dy  naître,  d'y  prendre  son  teint  brun,  ses  yeux 
de  raisins  noirs.  Et  à  Tâge  de  six  ans  il  était  à 
JSarcelone  où  se  forma  sous  les  yeux  de  parents 
dont  il  était  l'idole,  sa  véritable  éducation. 

30 


Un  moraliste  disait:  «L'komme  passe  la  pre- 
mière partie  de  sa  vie  avec  les  morts,  la 
seconde  avec  les  vivants,  la  troisième  avec  lui- 
même^).  C'est  Tétude,  puis  la  vie,  et  enfin  la 
connaissance.  Idéal.  Réalité,    v  érité. 

À  certaines  époques  de  la  vie  il  est  assez  légitime 
d'assigner  Tidéal  comme  but  à  lart.  Il  s'agit  des 
années  qui  précèdent  immédiatement  la  vingtième. 
Serait  même  un  monstre,  si  le  mot  n'est  pas  trop 
gros,  tout  jeune  artiste  qui  à  cet  âge  ne  viserait  pas 
ce  Dut.  Cette  tendance,  plus  cérébrale  en  etret  que 
sensuelle,  est  surtout  le  fruit  de  l'éducation.  Pi- 
casso vécut  donc  la  première  partie  de  sa  vie  avec 
les  grands  modèles  que  la  religion,  l'nistoire,  la 
littérature  et  les  arts  lui  présentèrent  toujours 
idéalisés.  Dès  lors,  avec  l'engouement,  l'enthou- 
siasme de  cet  âge,  il  visa  une  sorte  de  perfection 
idéale  et  parfaitement  conventionnelle.  Mais  l'on 

31 


put  tientôt  prévoir  que  cet  enseignement  acadé- 
mique ne  demeurerait  pour  lui  que  ce  qu'il 
devrait  être  pour  tous,  c'est-à-dire  un  enseigne- 
ment de  lenfance.  Quoi  qu'il  en  soit,  dès  sa  quin- 
zième année,  Picasso  étudie  les  Maîtres  espagnols, 
italiens,  français  et  flamands  pour  travailler  sous 
leur  salutaire  influence.  Déjà  il  rêve  d'une  Huma- 
nité douloureuse  et  résignée  que  son  éducation 
cnrétienne  et  aussi  historique  ne  contribue  pas 
peu  à  présenter  sous  les  aspects  différents  de  dou- 
leur, de  pauvreté,  et  de  simplicité  idéalisés.  Enfin 
l'amour  dont  son  coeur  est  plein  s'épancne  même 
sur  les  animaux  et  surtout  sur  ces  objets  familiers 
dont  il  tracera  plus  tard  comme  l'iiistoire  sensible. 
Malgré  l'influence  des  romans  picaresques,  la 
puissance  du  mysticisme  en  Espagne  rappelle  con- 
stamment à  la  mémoire  de  tout  artiste  les  luttes 
terribles  soutenues  sous  le  signe  de  la  Croix  contre 
l'Arabe  envahisseur.  Au  surplus,  physiologique- 
ment,  Picasso  est  un  «bilieux^>,  et  ce  détail  est  d'une 

32 


grosse  importance,  nous  le  verrons.  Il  faut  donc 
dès  maintenant  retenir  qu'à  Tencontre  de  la  «)Oie 
de  vivre»  qui  éclatait  déjà  dans  les  oeuvres  aux- 
quelles sa  personnalité  s  opposera,  Picasso  mon- 
trera une  disposition  naturelle  à  considérer  la  vie 
comme  un  drame  plutôt  que  comme  une  comédie. 
Qui  sait  même  si  l'Expressionnisme  allemand  ne 
verra  pas  dans  le  Picasso  de  cette  époque  lun  de 
ses  précurseurs,  comme  il  le  fit  pour  Dostoie^vski? 

Il  est  bien  certain  que  dans  les  toiles  de  son 
adolescence  et  même  jusqu'en  1907  et  1908  le 
culte  passionné  qu'il  entretenait  pour  le  dessin 
concourait  avec  Fesprit  scolastique  dont  il  était 
animé  à  contenir  sa  sensibilité  naissante  sous  la 
direction  de  la  raison.  Cependant  grâce  à  la  sou- 
plesse merveilleuse  de  son  tempérament,  il  évitait 
la  sécneresse  presque  normale  pourtant  qui  accom- 
pagne ordinairement  la  production  artistique  de 
cet  âge  raisonneur  et  ingrat. 

Dès  cette  époque  son  activité  artistique  parut 

33 


des  plus  vives.  A  Barcelone,  les  artistes  fréquen- 
taient une  taverne  alors  célèbre:  «Ltos  quatre  gats». 
Parmi  eux  se  trouvaient  plusieurs  de  ceux  qui 
devaient  compter  au  nombre  des  meilleurs  de 
Catalogue.  Tous  les  soirs  Ion  rencontrait  tour  à 
tour  aux  «Quatre  Chats >>,  Santiago  Rusmol, 
Canals,  Nonell,  Dalmau,  les  sculpteurs  Pablo 
Gargallo  et  Manolo,  puis  encore  Mir,  Ramon 
Picnot,  Casas  qui  fît  un  excellent  portrait  de 
Picasso,  Casagemas,  plein  de  talent  et  qui  se  sui- 
cida par  amour  pour  une  belle  Française.  Comme 
partout,  la  vie  était  dure  pour  les  jeunes  artistes 
et  certaine  sollicitude  officielle  n'empêchait  pas  la 
mévente  presque  absolue  de  leurs  oeuvres.  Aussi 
la  plupart  de  ces  artistes  tendaient-ils  leurs  regards 
vers  Pans.  Quelques-uns  d'entre  eux  se  déci- 
dèrent à  francbir  les  Pyrénées;  Picasso  fut  du 
nombre. 

Parmi   les    différents    voyages    qu\l   effectua 
ailleurs,  il  faut  noter  celui  de  Madrid.    Il  n'y 

34 


séjourna  guère  que  sept  à  huit  mois,  mais  il  sut 
immédiatement  étonner  les  artistes  madrilènes. 
Une  revue  rut  bien  entendu  fondée:  «Renaci- 
miento»,  et  Picasso  en  devint  le  directeur  artisti- 
que. L'on  y  publia  bon  nombre  de  ses  dessins.  A. 
cette  époque,  il  travaillait  sous  le  cbarme  de  Tima- 
gmation  aigue  et  douloureuse  de  Toulouse-Lau- 
trec. Déjà  la  sensuauté  se  mêlait  à  la  pitié  native 
que  l'éducation  avait  encore  renforcée  dans  son 
coeur;  Picasso  avançait  peu  à  peu  vers  1  âge  ou  sui- 
vant le  moraliste  i  on  vit  avec  les  vivants. 

C'est  à  Barcelone  que  le  goût  qu'il  avait  pour 
la  France  se  développa  pleinement  et  ce  grâce  à  la 
lecture  de  nos  poètes  contemporains.  Encore  qu'il 
s'y  présentât  d'une  manière  confuse,  le  prestige  de 
V  erlaine  et  de  Mallarmé  ouvrit  des  fenêtres  sur 
sa  sensibilité.  Il  apprit  à  connaître  Rimbaud  en 
même  temps  qu'il  admirait  Cézanne,  Renoir, 
Pissaro  et  Toulouse-Lautrec.  De  par  son  âge  il 
vint  à  subir  peu  à  peu  les  influences  les  plus  diver- 

3-  35 


ses^  ou  du  moins  les  différents  aspects  du  génie 
français  contribuèrent  à  Téveil  du  sien.  Il  en 
résulta,  très  normalement  un  trouble  inévitable 
dans  ses  aspirations,  et  ce  sous  forme  d'hésitations, 
de  répétitions  qui  se  traduisaient  soit  en  essais 
purement  classiques,  soit  en  imitations  des  Maî- 
tres, soit  enfin  en  traductions  de  nos  peintres 
modernes.  Toutefois  il  sentit  sans  doute  qu'à  subir 
toutes  ces  influences  il  ne  parviendrait  pas  facile- 
ment à  dégager  sa  personnalité,  ni  à  voir  plus  clair 
dans  son  propre  jeu.  Il  comprit  surtout  que  les 
Maîtres  français  qui  particulièrement  1  attiraient, 
se  trouvaient  en  même  temps  et  trop  près  et  trop 
loin  de  lui,  et  ce  fut  à  cet  instant  qu\l  décida  de 
se  fixer  à  Pans. 

Les  amis  qu'il  se  donna  dès  son  arrivée,  lui  four- 
nirent d'abord  la  conviction  que  cbez  les  Français 
plus  qu'ailleurs  l'absence  de  foi  dans  les  préjugés 
artistiques  était  le  meilleur  levain  pour  l'aboutis- 
sement de  toutes  les  personnalités.  C'est  pourquoi 

36 


Picasso  qui  à  cette  époque  ne  pouvait  encore  se 
laisser  «manoeuvrer^)  par  sa  jeune  réputation,  con- 
duisait déjà  sa  sensibilité  docile  là  où  il  voulait. 
Le  poète  Jean  Moréas  à  qui  dans  ce  temps  là  nous 
cliercliions  à  toute  force  du  talent  s'écnait:  «Mon- 
sieur Picasso  est  un  nomme  très  bien^).  La  première 
qualité  qui  assura  toutes  les  sjnnpatnies  à  Picasso 
était  un  espnt  assez  mordant  enveloppé  pourtant 
du  plus  pur  désintéressement.  Picasso  ne  venait 
pas  à  Pans  pour  le  conquérir,  non  pas  même 
pour  le  séduire,  il  venait  y  faire  la  cure  de  sa  vie. 
Le  désintéressement  se  montra  bientôt  chez  lui 
comme  le  principe  moteur  de  sa  sensiDilité  artis- 
tique. 

Le  premier  article  sur  Picasso  fut  écrit  par 
notre  pauvre  ami  Guillaume  Apollinaire.  Apol- 
linaire disait  de  Picasso:  «plus  latin  morale- 
ment, plus  arabe  rytnmiquement^>.  Telle  étaient 
certainement  les  deux  dispositions  ethniques 
qu'apportait  Picasso.   Or  voilà  des  références,  si 

37 


Ton  peut  dire,  qui  ne  pouvaient  pas  ne  pas  séduire 
Apollinaire.  Les  arxinités  se  groupent  si  logique- 
ment qu'il  semble  assez  spécieux  de  vouloir  y  faire 
intervenir  le  kasard.  Quoi  qu\l  en  soit,  Picasso 
dès  son  installation  définitive  à  Pans  se  trouva 
transporté  dans  le  petit  groupe  daims  que  nous 
formions  alors  et  qui  comptait  avec  Apollinaire, 
le  sculpteur  Manolo,  Max  Jacot,  Jean  Mollet, 
Maurice  Cremnitz,  André  Salmon,  Adolpne 
Basler,  Galanis,  Haviland  et  moi-même.  A  cette 
époque  le  Montmartre  de  la  Place  Ravignan 
n'existait  pas  encore,  et  le  Boulevard  de  Clichy 
n'était  guère  dépassé  que  pour  les  visites  au  pitto- 
resque «Cabaret  du  Lapin  Agile»  dont  le  patron 
Frédéric  nous  accueillait  toujours  de  façon  très 
spirituelle.  Déjà  des  oeuvres  d'art  ornaient  les 
murs  de  l'endroit.  Une  toile  de  Picasso  y  demeura 
assez  longtemps  aux  côtés  d'un  Clirist  attribué  au 
sculpteur AiVasley.  La  «Closerie  desLilas»,  encore 
en  vogue  retenait  plus  spécialement  notre  prédi- 

38 


lection  bien  que  des  dissidences  s'y  montrassent 
quelque  peu.  Apollinaire  venait  de  faire  paraître 
sa  première  Revue:  <ae  Festin  d'Esope».  La  plus 
vive  amitié  régna  bientôt  entre  Picasso  et  Apolli- 
naire. Ils  se  trouvèrent  immédiatement  frères  en 
cet  amour  de  la  liberté  qui  les  animait  tous  deux. 
Apollinaire  qui  avait  voyagé  montrait  un  goût 
prononcé  pour  le  pittoresque  et  il  sentait,  comme 
sentent  les  poètes,  les  beautés  que  la  nature  et  le 
travail  des  nommes  contiennent  en  dépit  du  carcan 
enrubanné  des  règles.  Auprès  de  lui  Picasso  trou- 
va de  plus  en  plus  légitime  de  laisser  couler  libre- 
ment le  flot  de  son  imagination;  avec  Apollinaire 
qui  avait  tout  appris  avec  son  coeur,  Picasso 
comprit  que  cette  tendance  constituait  le  seul 
moyen  valable  de  ne  pas  s  attacher  stérilement  à 
la  lettre  ornée  des  cboses.  Picasso  possédait  sans 
doute  la  même  disposition  de  sensibilité,  mais 
Apollinaire  laida  à  s'en  convaincre.  Et  c'est  ainsi 
qu'à  force  d'écouter  les  propositions  de  son  coeur 

39 


Picasso  s  aperçut  du  vide  des  règles  absolues 
de  1  art.  La  règle  lui  apparut  dès  lors  comme  un 
superbe  édifice  dans  lequel  le  vent  entrait  de  tou- 
tes parts  et  dont  les  assises  étaient  peu  solides.  Sa 
foi  dans  TÀrt,  avec  un  grand  À,  fut  bientôt 
fortement  ébranlée.  Sur  les  injonctions  de  sa  vive 
intelligence,  il  ne  put  se  contenter  de  regarder  le 
magnifique  édifice,  il  voulut  savoir  comment  il 
était  construit  et  toutes  les  misères  de  sa  con- 
struction apparurent  au  grand  jour.  Les  dogmes 
artistiques  pleins  de  contradictions  et  d'illégitimité 
ne  lui  parurent  pas  mériter  un  aveugle  service. 
Les  données  illusoires  d'un  grand  nombre  d'oeuv- 
res du  passé  lui  apparurent,  en  dépit  des  vertus 
dont  se  parait  leur  exécution;  certaines  d'entre 
elles  jusque  là  inconnues  ou  presque,  surgirent  à 
ses  yeux  dans  toute  leur  nudité.  Avec  Renan  il 
songea  «qu'on  voyait  poindre  un  âge  ou  rnomme 
n'attacherait  plus  oeaucoup  d'intérêt  à  son  passé»; 
et  dès  lors  il  laissa  liDrement  s'exprimer  la  voix 

40 


qui  lui  soufflait  qu\l  ne  faut  pas  regarder  runi- 
vers  dans  le  passé  comme  certains,  ni  par  les 
fenêtres  comme  d'autres,  mais  uniquement  dans 
nos  propres  miroirs. 

Cet  avertissement  impérieux  vint  en  effet 
Tassailur  à  un  moment  où,  comme  pour  tous 
d'ailleurs,  la  vie  devenait  pour  lui  assez  difficile  à 
vivre.  Avec  les  dons  qu'il  possédait,  Picasso  eut 
pu  comme  tant  d'autres  sacrifier  au  goût  commun 
et  faire  commerce  de  son  talent.  Mais  le  désin- 
téressement dont  3  ai  parlé  veillait  à  la  conser- 
vation de  la  pureté  de  son  art.  Comme  Ion  peut 
penser  1  on  ne  comptait  pas  souvent  de  rois  Can- 
daule  pour  acheter,  comme  raconte  Pline,  un 
tatleau  de  Bularque  au  poids  de  Tor.  Les  mar- 
ckands  étaient  rares.  Amtroise VoUard  avait  déjà 
acketé  quelques  oeuvres  de  Picasso.  Dans  sa  bouti- 
que de  la  rue  Laff  îtte,  le  ton  Clovis  Sagot  montrait 
les  oeuvres  dont  sa  perspicacité  avait  reconnu  les 
mérites.  Nous  nous  retrouvions  quelquefois  cnez 

41 


lui,  et  le  moindre  agrément  de  ces  réunions  n  était 
pas  celui  d'entendre  les  remarques  assez  inatten- 
dues sur  1  art  qu'exposait  1  excellent  marchand. 

Mademoiselle  \\^eill,  dans  sa  boutique  de  la  rue 
Victor  Massé,  et  en  attendant  qu'elle  eut  repris 
celle  de  Sagot,  montrait  aussi  quelques  oeuvres  de 
Picasso.  Et  enfin,  avant  que  Henry  Kalin\veiler 
eut  consacré  sa  sagacité  et  son  érudition  à  Toeuvre 
de  Picasso,  il  faut  clore  ici  la  liste  des  galeries,  où 
furent  exposées  ses  premières  oeuvres. 

L'on  a  rappelé  que  Cézanne  abandonnait  ses 
toiles  au  pied  des  arbres;  en  réalité  Picasso,  qui 
faisait  mieux,  donnait  plus  d'oeuvres  qu'il  n'en 
vendait.  Néanmoins  quelques  collectionneurs 
commençaient  à  recueillir  les  meilleures  toiles  de 
notre  ami.  Sans  attendre  la  Critique  qui  mit 
quelques  vingt  années  à  le  découvrir.  Madame 
Gertrude  Steen,  Messieurs  André  Level,  Havi- 
land,  G.  Coquiot,  d'autres  encore  étaient  déjà  pris 
d'un  bel  amour  pour  l'oeuvre  de  Picasso. 

42 


Les  différents  événements  qui  marquèrent  cette 
époque  de  la  vie  de  Picasso  et  qui  accompagnèrent 
la  naissance  du  mouvement  cubiste  se  déroulèrent 
à  Montmartre  dans  les  ateliers  de  cette  Place 
Ravignan  qui  est  désormais  célèbre.  Ces  ateliers 
extraordinaires  et  construits  en  dois  déroutaient 
les  visiteurs  par  leurs  escaliers  nombreux,  leurs 
recoins  inattendus  et  inexplorés,  leurs  caves 
surplombant  parfois  cinq  étages,  des  greniers 
déDoucnant  soudain  au  rez  -  de  -  chaussée,  toutes 
particularités  augmentant  le  pittoresque  d'une 
bâtisse  que  par  les  soirs  d'hiver  ion  sentait  craquer 
de  toute  part  et  à  tous  les  vents.  Il  faut  dire  pour 
expuquer  les  bizarreries  de  sa  position  que,  située 
sur  la  Dutte  Montmartre,  cette  maison,  si  i  on  peut 
s'exprimer  ainsi,  était  tenue  de  s'accommoder  de  ses 
pentes  plus  ou  moins  abruptes.  Les  ateliers  y 
étaient  si  nombreux  que  l'on  ne  s'étonne  plus  du 
nombre  d'artistes  qui  y  vécurent.  Tour  à  tour, 
Pierre  Mac  Orlan,  Max  Jacob,  André  Salmon, 

43 


Pierre  Reverdy,  Modigliani,  Gargallo,  d'autres 
encore  y  séjournèrent.  Picasso  occupait  1  ateuer 
dans  lequel  vécut  longtemps  Maurra  qui  y  reçut, 
paraît-il,  Aristide  Bnand.  La  légende,  on  le  voit, 
commence  à  recnercner  d'illustres  références. 
Après  Picasso  vinrent  s'y  abriter  Van  Dongen 
puis  Juan  Gns  qui  devait  être  le  v  augelas  du 
Cubisme.  C'est  là  qu'au  milieu  de  l'ensemtle 
indispensable  et  très  encombrant  de  ses  instru- 
ments de  travail,  parmi  l'assemblée  familière  des 
statues  nègres,  Picasso  vêtu  de  ses  «bleus»  impec- 
cables,  peignait,  la  pipe  aux  dents,  avec  une 
méticulosité  attentive.  Certes,  des  événements 
inattendus  vinrent  tour  à  tour  égayer  ou  assom- 
brir ces  lieux  mais  l'un  des  plus  attacnants  et  l'un 
plus  curieux  fut  certainement  le  banquet  offert 
en  1908  au  Douanier  Rousseau,  cérémonie  qui 
a  déjà  pris  pour  nous  les  douceurs  d'un  vieux 
souvenir. 

Je  ne  crois  pas  mutile  de  rapporter  ici  quelques 

44 


passages  de  la  relation  que  3  écrivis  à  ce  sujet  dans 
les  «Soirées  de  Pans»  de  décembre  1914. 

«Ce  que  nous  sommes  bien  obugés  d'appeler  le 
«Banquet  Rousseau»  ne  présenta,  il  faut  1  avouer, 
aucune  trace  de  préméditation,  ni  d  organisation 
longtemps  préparée.  Nul  tapage  excessif,  ni  fan- 
taisie déplacée,  surtout  nul  déguisement  mont- 
martrois. Ce  fut  seulement  grâce  à  la  qualité  des 
convives  que  la  fête  dût  de  prendre  les  proportions 
que  ion  va  connaître. 

Le  banquet  eut  lieu  ckez  Picasso,  dans  un  atelier 
de  cette  maison  de  la  Place  Ravignan,  qui  faite 
en  plancnes  d'une  extrême  minceur  fut  comparée 
tour  à  tour  à  une  ferme,  à  un  bateau  -  lavoir,  et 
qu'en  tout  cas  aucune  compagnie  ne  voulut  jamais 
assurer  contre  1  incendie. 

La  salle  du  festin  était  Tatelier  même  de  Picasso. 
C'était  un  véritable  hangar  de  ferme  soutenu  par 
des  poutres  formidables  qui  paraissaient  trop  im- 
posantes pour  ne  pas  être  creuses.  Aux  murs  que 

45 


ron  avait  débarrassés  de  leur  parure  coutumière, 
ne  pendaient  que  quelques  beaux  masques  nègres, 
un  tableau  monétaire,  et  en  place  d  honneur  le 
grand  portrait  d  I  adwrigna,  peint  par  Rousseau. 
On  avait  décoré  la  salle  avec  des  guirlandes  de 
lampions.  Sur  des  tréteaux  était  disposée  la  table 
que  parait  un  service  composé  de  toutes  sortes 
d  accessoires  de  Doucne. 

Les  invités  devaient  être  assez  nombreux.  On 
y  comptait  trois  amateurs  et  collectionneurs  venus 
de  Ne^v- Y  ork,  Hambourg  et  San  -  Francisco, 
presque  exprès,  plus  des  peintres:  Mane  Lauren- 
cm,  Jacques  Vaillant,  Georges  Braque,  Agéro,  etc., 
des  écrivains:  Guillaume  Apollinaire,  Max  Jacob, 
Maurice  Cremnitz,  André  Salmon,  René  DaKze, 
et  plusieurs  dames.  Dès  six  neures  du  soir  une 
certaine  errervescence  régnait  dans  1  assemblée 
qui  s'était  réunie  aux  fins  d'un  apéritif  préKmi- 
naire  au  Bar  Fauvet  dont  nous  étions  les  assidus. 
Tout  annonçait  la  gaieté.    Un  orgue  électrique 

46 


qu'ornait  une  superbe  Salammbô  cnarmant  un  ser- 
pent en  cuivre  doré,  déversait  sur  nous  les  plus 
magnifiques  sonorités  fausses.  Les  appareils  à  sous 
obtenaient  un  vif  succès,  surtout  de  la  part  d'un 
fin  lettré  qui  y  avait  déjà  versé  une  somme  consi- 
déraole  sans  rien  gagner,  bien  entendu  . . .  Mais  le 
temps  passait,  il  fut  oientôt  1  heure  de  commencer 
le  banquet.  Les  chansons  et  le  tumulte  s'apaisèrent 
peu  à  peu  et  les  invités  se  décidèrent  à  gravir  la 
pente  de  la  rue  Ravignan.  On  n'oublia  au  bar 
qu'un  Danois  de  nos  amis  qui  n'avait  pas  absolu- 
ment terminé  un  discours  commencé. 

L'entrée  chez  Picasso  fut  tumultueuse.  On 
réquisitionna  deux  ateliers  voisins,  l'un  destiné  au 
vestiaire  des  dames,  l'autre  à  celui  des  messieurs* 
Les  places  furent  indiquées  protocolairement. 
Tandis  que  des  réclamations  sillonnaient  la  salle, 
l'on  entendit  soudain  frapper  à  la  porte  quelques 
coups  qui  de  timides  devinrent  violents  et  finirent 
à  la  longue  par  faire  cesser  tout  bruit. 

47 


On  ouvrit.  C'était  le  Douanier,  coiffé  a  un 
feutre  mou,  une  canne  à  la  main  droite,  son  violon 
à  la  gaucke. 

L'apparition  du  douanier  Rousseau  fit  passer 
dans  l'assistance  un  frisson  attendrissant.  C'était 
là,  certes,  un  des  plus  touchants  taoleaux  de  Rous- 
seau. Il  regarda  autour  de  lui;  les  lampions  allumés 
parurent  le  séduire;  son  visage  se  dérida. 

A  neuf  neures  du  soir  tout  était  prêt,  sauf 
toutefois  le  dîner.  Par  suite  de  conjonctures  à  ce 
moment  encore  inconnues,  le  dîner  commandé 
pourtant  par  lamphitryon  cnez  le  bon  traiteur, 
poussait  la  fantaisie  jusqu'à  n'arriver  pas  du  tout. 
On  patienta  une  heure,  puis  deux,  mais  en  vain.  Ce 
ne  fut  qu'au  tout  de  trois  neures  que  l'hôte  se 
frappant  soudainement  le  front,  se  souvint  tout  à 
coup  qu'il  s'était  trompé  de  jour  dans  la  rédaction 
de  sa  commande.  Le  dîner  ne  devait  parvenir  en 
effet  que  le  surlendemain. 

Quand  Rousseau  vit  que  cnacun  se  disposait  à 

48 


courir  aux  provisions,  il  fut  pris  d'un  tel  accès  de 
liesse  et  la  gaieté  ne  le  quitta  plus  de  la  soirée.  Un 
repas  de  fortune  rut  organisé.  Chacun  revint  bien- 
tôt chargé  de  victuailles.  La  toisson  comme  i  on 
pense  n'avait  pas  été  oubliée,  et  dès  les  boîtes  de  sar- 
dines la  plus  grande  joie  régna.  Maurice  Cremnitz 
s'étantlevé  pour  demander  la  permission  de  chanter, 
ce  qui  lui  fut  d  ailleurs  refusé,  entonna  une  chan- 
son à  la  gloire  de  Rousseau  dont  voici  le  refrain: 

C'est  la  peinture 

De  ce  Rousseau 

Qui  dompte  la  nature 

Avec  son  magique  pinceau! 
Bientôt  Rousseau  lui-même  sortit  son  violon, 
une  sorte  de  violon  d'enfant,  et  joua  l'une  de  ses 
oeuvres  intitulée:  <^ Clochettes ^>.  L'on  parla  bientôt 
de  danser.  Le  douanier  exécuta  alors  une  valse  de 
sa  composition:  «Clémence».  Les  applaudissements 
chaleureux  qui  éclatèrent  le  remplirent  de  satis- 
faction bien  qu'un  lampion,  avec  une  régularité 

4  49 


remarquatle,  laissât  tomber  périodiquement  des 
gouttes  de  cire  brûlante  sur  sa  tête.  Il  se  déplaça  et 
tientôt  se  prit  à  cnanter  toutes  les  cnansons  de  son 
répertoire,  et  cela  sans  qu'on  le  lui  eut  demandé. 

Sur  un  coin  de  taole,  Guillaume  Apollinaire, 
qui  avait  trouvé  là  une  excellente  occasion  de  faire 
sa  correspondance  en  retard  de  deux  mois,  impro- 
visa un  poème  qu'il  lut  lorsque  Rousseau  eut 
terminé  une  clianson  dont  le  titre  était:  «Pan! 
Pan!  ouvrez-moi>>. 

Voici  deux  stropkes  du  poème  d'Apollinaire: 

lu  te  souviens,  Rousseau,  du  paysage  aztèque. 

Des  forêts  où  poussaient  la  mangue  et  i  ananas 

Des  singes  répandant  tout  le  sang  des  pastèques 

Et  du  blond  empereur  qu'on  fusilla  là-bas. 
... 

Nous  sommes  réunis  pour  célébrer  ta  gloire. 
Ces  vins  qu'en  ton  honneur  nous  verse  Picasso 
Buvons-les  donc  puisque  c'est  l'iieure  de  les  boire 
En  criant  tous  en  cnoeur:  «  v  ive!  v  ive  Rousseau». 

50 


Tandis  que  la  fête  continuait,  ion  frappa  sou- 
dainement à  la  porte.  C'était  le  barman  Fauvet 
qui  avec  tous  les  ménagements  possibles  venait 
annoncer  qu'une  invitée  venait  d'être  retrouvée 
assise  sur  un  trottoir  près  de  son  étatlissement. 
Cette  dame  était  sortie  pour  prendre  le  frais.  Par 
suite  de  ckutes,  le  long  de  la  rue  Ravignan,  elle 
avait  éckoué  aux  portes  du  bar.  L'événement  passa 
presqu'inaperçu,  car  à  ce  moment  une  écnauf- 
f  ourée  se  produisit  dans  les  couloirs  de  la  maison 
au  sujet  d'une  confusion  regrettable  commise  par 
l'un  des  invités  contre  la  porte  du  vestiaire  des 
Messieurs. 

Bientôt  il  devint  presqu'impossible  de  noter  la 
suite  des  événements.  Suivant  la  coutume, il  y  eut 
quelques  discussions  assez  violentes.  Le  Douanier 
faisait  danser  les  dames  au  son  de  son  violon, 
cependant  qu'un  accordéon,  puis  un  karmonium 
étaient  venus  le  relayer  bien  qu'il  ne  manifestât 
jamais  la  moindre  fatigue.  Les  têtes  tournaient,  le 

4-  51 


petit  jour  naissait,  les  bouteilles  se  vidaient,  et 
quelques-uns  aes  invités  s'étaient  déjà  esquivés. 
Aussi  reste-t-il  encore  aujourd'liui  assez  difficile 
de  déterminer  comment  finit  exactement  la  fête. 

Tout  ce  que  Ion  apprit,  c'est  que  le  JJanois 
n'arriva  pour  le  dîner  que  le  surlendemain.  Il 
s'était  perdu  pendant  deux  3  ours  dans  les  couloirs 
de  la  maison.  D'ailleurs  ce  fut  lui  qui  dîna  le 
mieux,  car  ce  jourJà,  à  i  heure  dite,  le  traiteur 
apporta  ponctuellement  les  mets  du  banquet.» 

Les  appartements  prennent  rapidement  le  visage 
de  leurs  occupants.  Il  y  a  là  des  indications  et  des 
preuves  irréfutables.  Aussi  i  atelier  de  Picasso 
pouvait-il  fournir  les  enseignements  les  plus  utiles. 
Il  y  avait  cnez  lui  beaucoup  de  livres.  Ils  n'étaient 
pas  rangés  méthodiquement,  mais  entassés  sans 
ordre.  L'on  sentait  qu'il  ne  les  relisait  guère  deux 
fois.  Les  romans  policiers  ou  d'aventures  voisi- 
naient avec  nos  meilleurs  poètes:  Snerlock Holmes 
et  les  publications  rouges  de  Nick  Carter  ou  de 

52 


Buffalo-Bill  avec  Verlaine,  RimLaucl  et  Mal- 
larmé. Le  18^  siècle  français  qu'il  aimait  beaucoup 
y  était  représenté  par  Diderot,  Rousseau  ou  Rétif 
de  la  Bretonne.  Il  est  à  remarquer  que  parmi  ses 
livres  on  ne  trouvait  nul  roman  psychologique  ni 
naturauste.  Or  si  nous  savons  que  les  Impression- 
nistes goûtaient  volontiers  ces  dernières  lectures,  ce 
fait  paraît  important.  Picasso,  avec  sa  génération, 
était  fatigué  de  ces  productions  d  où  tout 
effort  de  iimagination  était  banni,  et  où,  études 
de  Tâme,  de  la  nature,  copie  et  surcopie  des 
petites  histoires  numames,  prenaient  la  place  de 
toutes  recherches  dramatiques;  le  théâtre  lui-même 
devenait  Tamplutliéâtre;  les  romans,  des  thèses  de 
médecine.  Pour  tout  dire  la  littérature  sensuelle 
de  1  époque  apparaissait  à  Picasso  plutôt  comme 
une  application  de  Tart  que  comme  Tart  même. 
Grrâce  à  Rimbaud  et  à  Mallarmé,  il  est 
certain  que  loeuvre  de  Picasso  doit  un  peu  à  la 
littérature;  celle-ci  d'ailleurs,  il  faut  le  dire,  le  lui 

53 


a  tien  rendu,  depuis.  Si  Cézanne  en  effet  avait 
montré  le  chemin  d'un  monde  nouveau,  Mallarmé 
et  Rimtaud  n'avaient-ils  pas  ouvert  des  voies  plus 
larges  et  plus  riches,  et  n'étaient-ils  pas  eux-mêmes 
les  prospecteurs  les  plus  nardis  que  1  on  eut  vu 
s'aventurer  dans  les  régions  sensibles  encore  inex- 
plorées? On  a  voulu  diminuer  la  valeur  du 
pittoresque  en  Art  parce  que  quelques-uns  Font 
volontairement  rechercné.  Ce  reproche  ne  peut  le 
faire  condamner  d'une  façon  aosolue.  Le  côté 
pittoresque  d'une  oeuvre  constitue  toujours  sa  part 
la  plus  inventive,  la  plus  neuve  et  la  plus  f raicne. 
Ecnappant  ainsi  à  toutes  les  règles,  il  montre  assez 
de  ce  fait  qu'il  ne  peut  être  assimilé  aux  spécula- 
tions qui  ne  demandent  que  la  protection  de  celles- 
ci.  Il  récuse  de  ce  fait  tout  jugement,  et  ne  réclame 
pour  critérium  que  l'émotion  qu'il  suggère  cnez  le 
spectateur.  Le  pittoresque  chez  1  artiste  est  donc 
en  raison  de  sa  faculté  d'invention  personnelle,  et 
pose  la  suprématie  de  celui-ci  en  tant  qu'komme 

54 


exclusivement  sensible  et  non  plus  en  tant 
qu'liomme  conduit  par  des  règles  qui  ne  consti- 
tuent qu'une  discipline  pour  lui. 

Le  goût  que  nous  avons  toujours  gardé  pour  les 
récits  de  grandes  explorations,  et  Picasso  est  de 
ceux  qui  le  conservent  encore,  n  a  pas  été  sans 
influer  grandement  sur  celui  qu'il  eut  pour  i  art 
nègre,  et  son  réalisme  mystique.  J'ai  parlé  de  l'es- 
prit de  désintéressement  qui  éclatait  dans  l'oeuvre 
de  Picasso,  malgré  des  efforts  contraires  qui  à 
mon  sens  ne  faisaient  que  le  confirmer.  C'est  qu'il 
semble  que  Picasso  a  pensé  avec  Kant  que  l'art 
est  une  «fmauté  sans  fin^>,  et  qu'à  considérer  le 
monde  non  plus  en  vue  de  quelque  vague  et  habile 
interprétation  picturale,  il  n'est  pas  tesom  de 
savoir  qu  une  rose  se  nomme  une  rose  pour  rece- 
voir les  émotions  que  l'objet  qu'elle  évoque  peut 
suggérer  en  nous.  Pour  être  totalement  désinté- 
ressé l'art  ne  doit  avoir  pour  but  que  roDjectiva- 
tîon  de  toute  émotion  ressentie  indépendamment 

55 


de  la  figuration  de  Tobjet  qui  Ta  fournie.  La 
sensualité  comme  la  psyckologie  peut  être  une 
qualité  de  Toeuvre  d'art,  mais  elle  ne  sera  jamais 
1  oeuvre  d'art  toute  entière.  Or  si  la  sensualité 
fut  le  plus  puissant  stimulant  des  Impressionnistes 
et  de  leurs  successeurs,  il  faut  affirmer  et  sou- 
ligner qu'il  fut  le  seul.  L'on  remarque  d'ailleurs 
que  cette  tendance  s'accentue  généralement  aux 
époques  de  décadence.  Une  sorte  de  réalisme 
supérieur  lui  succède  toujours  lors  des  renaissances 
qui  les  suivent,  renaissances  qui  sont  généralement 
basées  sur  la  nécessité  d'un  retour  à  des  construc- 
tions formelles  et  régulatrices.  L'on  peut  donc 
soutenir  que  l'Impressionnisme  et  ses  remarqua- 
bles efforts  répondaient  à  un  besoin  tout  matériel. 
Et  c'est  ainsi  qu'au  lieu  de  conserver  la  magni- 
fique insouciance  des  explorateurs  qui  partent  à 
la  découverte  de  régions  inconnues  sans  savoir  si 
1  horizon  qu'ils  espèrent  atteindre  ne  reculera  pas 
toujours  devant  eux,  les  Impressionnistes  ne  se 

56 


firent  que  les  serviteurs  pratiques  de  petits  tesoins 
purement  sensuels.  Ce  rut  le  culte  absolu  de  la  sen- 
sualité; c'est-à-dire  que  lart  avait  désormais  un  tut, 
celui  semole-t-il  de  construire  comme  des  lunettes 
d'approcne  plus  précises,  plus  perfectionnées:  tra- 
vaux de  laboratoire,  recnercnes  de  tout  repos,  ex- 
périences, analyses,  ou  syntkèses  que  le  goût  d'in- 
vestigation  ne  pouvait  étendre  aux  recnercnes  sub- 
tiles de  1  imagination.  Au  contraire  de  ce  que  ion 
pense  communément,  la  Science  ne  crée  pas  autant 
qu  on  le  pourrait  croire.  Ne  semole-t-îl  pas  que  les 
sciences  ne  font  surtout  que  fournir  des  éléments  de 
satisfaction  aux  exigences  de  nos  besoins  et  qu'elles 
suivent  plutôt  ces  mêmes  besoins  qu'elles  n'ouvrent 
d'nonzons  nouveaux  à  notre  sensibmté?  Il  fau- 
drait donc  réserver  à  l'art  seul  la  faculté  de  créer, 
SI  le  mot  n'est  pas  excessif,  mais  à  un  art  qui  n'a  pas 
pour  but  unique  la  perfection  des  moyens  qu'il 
emploie,  c*est-à-dire  à  celui  dont  le  dessein  est  l'édi- 
fication d'une  connaissance  nouvelle  du  monde. 

57 


Ce  fut  cette  intention  qui  tenta  Picasso.  Elle 
nécessitait  le  sacrifice  de  toutes  les  tendances,  de 
toutes  les  modes  admises;  et  surtout  le  désintéresse- 
ment qu  elle  exigeait  était  doutle  puisqu'à  cette 
dernière  contrainte  s'ajoutait  la  nécessité  pour  Tart 
nouveau  de  répondre  à  la  sévère  définition  kan- 
tienne: finalité  sans  fin. 

L'nistoire  de  lart  enseigne  inlassablement  et 
sans  que  rien  ne  vienne  jamais  enrayer  cette  aber- 
ration, quun  mouvement  artistique  parvenu  à 
son  apogée  engendre  toujours  une  génération 
d'artistes  décidés  non  pas  à  renouveler  les  efforts 
de  leurs  aînés  mais  à  «faire  plus  fort^>  dans  le 
même  sens.  Malheureusement,  1  esprit  du  mouve- 
ment se  perd  généralement  pour  ne  voir  subsister 
que  sa  lettre.  Les  seules  intentions  mécaniques  et 
les  recherches  de  moyens  sont  poussées  à  i  exa- 
gération; Taudace  du  génie  des  inspirateurs  tourne 
à  1  excès;  et  d'une  tendance  inspirée,  ils  font  une 
culture  de  procédés.  Leur  apport  d'invention  est 

58 


en  effet  généralement  contestatle  puisqu'ils  n'a- 
joutent au  mouvement  qui  précéda  la  leur  que 
des  différences  de  degrés  et  non  de  nature.  Ce  qui 
répond  à  un  besoin  devient  dans  leurs  travaux  le 
superflu  d'une  mode,  et  partant,  ce  qui  garde  la 
mesure  nécessaire  pour  ne  pas  devenir  défaut  ckez 
leurs  devanciers,  se  voit  poussé  à  franchir  le  fossé 
pour  nous  donner  d'assister  à  la  décadence  d'une 
période  artistique  qui  meurt  des  excès  mêmes  qui 
la  firent  vivre. 

Les  exagérations  des  rejetons  extrêmes  de  l'Im- 
pressionnisme, des  Fauves  en  particulier,  allaient 
et  vont  encore  à  l'encontre  d'une  parole  de  Bossuet 
qui  trouve  sa  place  ici:  <des  sens  ne  peuvent  sup- 
porter les  extrêmes,  seul  l'entendement  n'en  est 
jamais  olessé;).  Certes  les  réactions  ne  se  décnaînent 
pas  par  la  seule  volonté.  Toutefois  la  manière 
rationnelle  dont  les  Fauves  décidèrent  de  faire 
jusqu'à  l'en  étrangler  rendre  au  mouvement  im- 
pressionniste  plus    qu'il   ne   pouvait    donner,   et 

59 


d  autre  part  plusieurs  avertissements  cruels  et 
salutaires  ne  laissèrent  pas  que  d'inquiéter  la 
sensibilité  de  Picasso  comme  d'ailleurs  celle  de  ses 
amis.  Le  culte  des  sens  exige  un  gros  capital  qui 
rapporte  peu.  Ceux  donc  qui  de  par  leurs  disposi- 
tions pnysiologiques  étaient  plutôt  encuns  à  ces 
tendances  ne  virent  pas  sans  effroi  que  se  couper 
les  oreilles  et  se  tuer  à  la  manière  de  Van  Gogh, 
ou  fuir  à  Takiti  selon  Gauguin,  ne  constituaient 
pas  nécessairement,  le  couronnement  d'une  sensi- 
bilité tien  équilibrée.  Or  l'influence  de  ces  deux 
Maîtres  sur  les  efforts  trop  décidés,  trop  raison- 
neurs des  Fauves  est  indéniable,  et  c'est  contre  ces 
tendances  que  sans  préméditation  sans  doute, 
Picasso  devait  s'élever  de  la  façon  la  plus  lumi- 
neuse. L'on  pourrait  dire  que  l'anarcliie  de  la 
déformation  était  d'ores  et  déjà  menacée  par  la 
dictature  du  regroupement  de  toutes  les  formes. 
Ce  n'est  pas  sans  doute  que  Picasso  considérât  ces 
faits  sous  un  jour  si  noir  puisqu'il  était  écrit  qu'un 

60 


vent  nouveau  allait  souffler  d'ailleurs,  mais 
i  instinct  inventif  qui  DOuiUonnait  dans  sa  sensi- 
Dilité  lui  montrait  assez  dans  quelle  impasse  s'agi- 
taient péniblement  et  sans  résultat  appréciable  les 
derniers  desservants  d'un  culte  déjà  rassis.  Il  eut 
pu  se  faire  en  effet  qu'en  d'autres  temps,  le  culte 
que  Picasso  allait  consacrer  à  certaine  discipline 
plastique  fut  resté  sinon  aperçu,  car  tout  se  sait, 
du  moins  négligée.  Mais  comme  il  répondait  à  un 
besoin  naissant,  il  trouva  rapidement  pour  son 
développement  l'enthousiasme  nécessaire. 

Les  Impressionnistes  et  leurs  successeurs  main- 
tenaient cette  prétention  que  le  dessin  linéaire 
était  une  convention.  Il  est  bien  difficile  de  déter- 
miner ce  qui  est  convention  ou  ne  l'est  pas  en  matière 
d'art  et  d'ailleurs  nous  reviendrons  sur  ce  sujet. 
Quoi  qu'il  en  soit  et  pour  la  raison  que  l'on  médit 
volontiers  de  ce  que  l'on  connaît  mal,  les  Impres- 
sionnistes accusèrent  le  dessin  d'emprisonner  les 
simouettes  et  de  rudoyer  la  forme.  C'est  alors  que 

61 


suivant  une  nouvelle  formule,  qui  fleurait  pour- 
tant Dien  le  conventionnel,  il  fut  aamis  que  grâce 
au  travail  des  valeurs  1  on  <^peinarait»  le  dessin 
linéaire.  C'est  ainsi  que  le  goût  naturaliste  de  la 
déformation,  la  reckerclie  du  caractère  propre  et 
l'interprétation  de  la  nature  ne  tardèrent  pas  à 
déchaîner  des  excès  que  Picasso  ne  pût  longtemps 
souffrir.  On  a  appelé  le  Cubisme  un  retour  à  la 
discipline,  ce  qui  est  faux.  Si  Ion  eût  dit:  retour  à 
«une;»  discipline,  i  on  eût  peut-être  touché  plus  juste. 
C'est  pourquoi  les  qualités  du  dessin  de  Picasso 
furent  accueillies  comme  avec  un  soulagement;  les 
«ctranckes  de  vie»  que  1  on  servait  alors  sous  les 
aspects  les  plus  désagréables  furent  en  effet  bientôt 
délaissées  pour  la  pureté  et  la  simplicité  reposantes 
des  dessins  dont  toute  reclierclie  pkysio-psycholo- 
gique  était  bannie.  Ainsi  peu  à  peu,  se  forma  un 
nouveau  culte,  car  tel  est  le  privilège  de  Fart  que 
toutes  ses  manifestations  séduisent  les  nommes 
dans  ce  qu'ils  ont  de  plus  profondément  sensible*. 

62 


Au  règne  de  la  couleur  qui  s'abîmait  de  plus  en 
plus  dans  les  déliquescences  les  plus  fatigantes  et 
les  plus  fatiguées  succéda  celui  du  dessin  pour  le 
dessin.  L'on  reprocna  bien  à  cette  tendance  de 
s'éloigner  de  Tliuinanité:  faible  supposition  fort 
keureusement  et  toute  gratuite,  puisque  seule 
pourrait  être  taxée  d'innumanité  i  oeuvre  du  fou 
ou  du  fantaisiste.  Ce  n'est  pas  que  le  culte  exclusif 
du  dessin  ne  puisse  conduire  à  une  certaine  séche- 
resse, et  c'est  ainsi  que  la  technique  cubiste  suscita 
bon  nombre  d'oeuvres  en  lesquelles  1  assouplisse- 
ment des  formules  linéaires  devint  procédé  tout 
mécanique.  Mais  l'écueil  était  difficile  à  éviter  et 
dans  pareille  tentative  tout  bomme  pouvait  risquer 
d'écbouer.  Aussi  est-ce  à  l'bonneur  de  Picasso 
d'avoir  par  une  tendresse  et  une  bumanité  con- 
stantes envers  les  objets  de  ses  prédilections,  mon- 
tré que  les  découvertes  qu'il  avait  faites  n'étaient 
pas  le  fruit  d'une  fantaisie  rêveuse  ou  arabesque, 
SI  l'on  peut  dire,  mais  bien  celui  de  l'imagination 

63 


la  plus  sensible  qui  fût.  Tant  il  y  a  que  chez 
Picasso  la  ligne  suit  les  contours  même  de  la 
sensibilité  libre  et  atteste  ainsi  une  liberté  bumame 
plus  large  que  celle  qu'impose  cette  règle  sévère  de 
peindre  la  ligne  au  lieu  de  la  dessiner. 

Il  y  aurait  ueu  de  revenir  plus  en  détail  ici  sur 
les  confirmations  que  lart  nègre  apporta  aux  dis- 
positions de  la  sensibilité  de  Picasso.  Les  sculpteurs 
africains  ou  océaniens  possédaient  cette  émotion 
première  devant  les  injonctions  de  leur  sensibilité 
que  ressentit  toujours  Picasso.  Ce  fut  pour  ce 
dernier  un  précieux  contrôle  de  considérer  la 
liberté  laissée  par  les  nègres  aux  battements  de 
leurs  coeurs  vierges,  et  ce  fut  pour  lui  un  réconfort 
de  voir  cette  sensibilité  imposer  sa  puissance  à  la 
raison  moderne  de  plus  en  plus  épuisée  par  lusure 
dialectique  des  siècles.  Les  nègres  n'avaient  jamais 
entendu  le  mot:  art,  et  n'était  le  respect  numam 
qui  oblige  certains  bommes  à  sourire  de  i  effort 
des   nègres   comme   ils   souriaient   du  bon  nègre 

64 


blanc  qu'était  le  Douanier  Rousseau,  riiumanîté 
tlancne  serait  heureuse  ae  se  raxraîcliir  le  coeur 
au  contact  de  rame  imagée  et  printanière  des 
sculpteurs  noirs.  Sans  fausse  konte,  Picasso  alla 
aux  nègres  comme  Ton  va  aux  ckamps  pour  en 
rapporter  un  instant  le  regret  de  ne  pouvoir 
y  vivre.  Il  sentit  que  leur  candeur  religieuse  ou 
mystique  ne  les  avait  jamais  privés  du  sentiment 
des  proportions  non  plus  que  de  celui  du  dessin, 
et  c  est  dans  cette  constatation  que  nous  pourrions 
trouver  la  meilleure  preuve  de  i  humanité  d'un 
retour  à  certaine  discipline  plastique.  Ce  qui  en 
outre  séduisit  Picasso  dans  lart  nègre  c'est  que 
chacun  des  artisans  de  couleur  portait  en  lui  une 
façon  particulière  d'entendre  et  d'exécuter  ce  qu'il 
avait  conçu.  Aussi  toutes  les  oeuvres  nègres 
présentent  -  elles  entre  elles  des  différences  de 
nature  calquées  sur  les  sensibilités  de  leurs  auteurs 
alors  que  les  oeuvres  blanches  n'affichent  que  trop 
généralement  des  différences  de  degré  souvent  peu 

5  65 


sensibles.  La  civilisation  et  les  chemins  de  fer 
n'ont  pas  encore  unirormisé  la  pureté  noire. 
L/âme  de  chaque  ouvrier  nègre  est  un  inonde 
particulier,  celles  de  nos  artistes,  hélas!  ne  forment 
plus  que  les  différents  rouages  d'un  même  univers. 
C'est  ainsi  qu'en  opposition  avec  l'oeuvre  des 
Post-Impressionnistes,  Picasso  posa  que  l'artiste 
ne  devait  pas  être  uniquement  le  serviteur  aveugle 
de  la  nature  mais  au  contraire  qu'il  devait  lui 
imposer  de  nouveaux  événements  avec  tous  les 
éléments  qu'elle  lui  offrait.  Ainsi  l'on  allait  peu 
à  peu  voir  instaurer  dans  l'art  les  principes  vivi- 
fiants de  la  science  alors  que  ses  méthodes  seules 
lui  avaient  jusqu'ici  imposé  leurs  points  de  vue. 
À  la  manière  des  historiens,  nous  savons  tous  plus 
ou  moins  prévoir  ce  qui  est  arrivé:  or, c'est  ce  qu'à 
1  aide  d'exégèses  sempiternelles  sur  des  textes  dont 
la  valeur  était  journellement  ébranlée,  faisaient 
tous  les  jours  les  successeurs  des  Impressionnistes. 
Au  surplus,  si  nous  voulions  remonter  à  l'origine 

66 


ae  la  réaction  qu'opéra  Picasso  nous  constaterions 
que  la  peinture  sensualiste  semblait  de  plus  en  plus 
étouffée  sous  1  orgie  des  sonorités  creuses  de  la 
couleur  vide.  Le  raffinement  de  la  sensualité 
amenuisait  parfois  la  dite  couleur  jusqu'à  la  faire 
presque  disparaître;  le  miracle  de  ses  reckerckes 
épuisantes  finissait,  en  dépit  de  bien  molles  inten- 
tions constructives,  par  laisser  deviner  les  ficelles 
et  la  trame  de  ce  qui  devenait  de  plus  en  plus  un 
métier.  Or  le  glas  commençait  de  sonner  définiti- 
vement pour  ces  recnercnes  en  des  mines  épuisées 
lorsque  la  mode  s'empara  de  leurs  efforts.  La 
débauche  de  la  couleur  se  répandit  bientôt  dans 
les  tissus,  dans  les  ameublements,  dans  les  illustrés 
mondains  et  enfin  dans  les  décors  de  théâtre.  <^Xe 
souviens-tu,  Fernand  Léger,  de  ce  décor  étonnant 
vu  dans  un  Casino  pourtant  bien  populaire  et 
peint,  eut-on  dit,  par  quelque  auteur  de  portants 
de  Ballets  Russes  ?;>  Même  les  écoliers  rétifs  de 
i  Ecole  des  Beaux -Arts  commencèrent  à  décou- 
se 67 


vrir  rlmpressionnisine  au  travers  des  oeuvres  de 
leurs  successeurs  et  les  exagérations  de  tout  repos 
des  Fauves  de  la  jungle  parisienne,  fruits  de  la 
seule  compréhension  cérébrale  de  1  Impression- 
nisme, trouvèrent  dans  la  majorité  vulgaire  un 
terrain  favorable  à  leur  développement.  Quoi  qu'il 
en  soit,  Picasso  les  yeux  brûlés  par  des  déforma- 
tions criardes  de  plus  en  plus  insupporta  oies,  car 
malgré  tout,  si  déformations  il  y  a,  ne  déforme  pas 
qui  veut,  Picasso,  dis-je,  ne  vit  bientôt  plus  en  elles 
qu  improvisations  laborieuses,  brutalités  trop 
voulues,  travaux  pénibles  semblant  faits  de  <^cnic», 
à  tel  point  que  ces  tentatives  finissaient  par  rendre 
fatigantes,  nous  ne  craignons  pas  de  le  dire,  même 
Toeuvre  responsable  de  Cézanne.  Nous  deman- 
dions tous  grâce,  et  notre  sensibilité  suppliait  qu'on 
voulût  Dien  ne  pas  ouolier  que  la  peinture  pouvait 
être  également  Tobjet  dune  délectation  de  notre 
esprit  sensible.  Malgré  que  vouloir  reconstruire 
après  avoir  déformé  soit  un  désir  louable  et  con- 

68 


traire  à  toute  anarchie,  il  n'est  guère  possiole  de 
bâtir  soliaeinent  avec  des  matériaux  qui  ont  déjà 
servi.  Mieux  vaut  peut-être,  si  Ton  ne  peut  tout 
raser  et  user  d'un  matériel  neuf,  continuer  à  s'abri- 
ter sous  lancien  édifice  que  Ton  peut  toujours 
réparer  au  jour  le  jour.  C'est  pourtant  le  premier 
parti  que  suivirent  les  successeurs  des  Impression- 
nistes. Il  ne  résulta  de  leur  entreprise  qu'un 
désordre  assez  impuissant,  désordre  qu'un  avenir 
rapproché  sanctionnera  sans  doute  sévèrement. 
C'est  pourquoi  au  désordre,  même  le  plus  artisti- 
que, nous  demandions  l'opposition  d'un  ordre  plus 
en  rapport  avec  la  figure  artistique  de  l'époque 
nouvelle;  à  la  brutalité  nous  préférions  la  persua- 
sion: nous  nous  souvenions  même  de  ce  mot  de 
Fontenelle  qu'à  la  rigueur  l'on  pouvait  citer  à 
propos  de  ces  excès:  «Eussiez- vous  les  mains  pleines 
de  vérités  qu'il  faudrait  encore  regarder  à  deux 
rois  avant  de  les  ouvrir».  Les  successeurs  des  Im- 
pressionnistes présentaient  en  toute  évidence  des 

69 


vérités  sensuelles  a  un  orare  secondaire,  des  ventés 
de  tout  repos  pour  1  entendement,  mais  que  nous 
eussions  voulu  voir  à  la  rigueur  traiter  d'une 
manière  plus  discrète.  En  un  mot  la  sensualité 
:fmissant  par  déformer  tout  par  définition,  le 
besoin  d'un  peu  plus  d'atticisme  se  faisait  sentir. 

L'on  voit  dans  le  courant  de  Tnistoire  de  la 
Peinture  deux  tendances  générales  se  manifester, 
et  ce  souvent  simultanément:  le  culte  de  la  couleur 
et  celui  de  la  ligne.  Il  est  même  à  remarquer  que 
ces  deux  dispositions  se  rapportent  à  des  consi- 
dérations ethnographiques.  La  couleur  et  le  dessin 
sont  le  Nord  et  le  Sud.  Le  Nord  qui  manque  de 
couleur  laime  plus  que  le  Sud  qui  en  a  trop. 
Dans  ces  catégories  pourraient  figurer  Ruoens 
d'une  part  et  Le  Greco  de  l'autre,  Rembrandt  et 
Raphaël,  plus  près  de  nous  Delacroix  et  Ingres, 
et  enfin  Matisse  et  Picasso.  L'astrologie  verrait 
sûrement  dans  ces  deux  cas  iapplication  possible 
des  distinctions  propres  aux  caractères  Jupitériens 

70 


et  Saturniens.  La  physiologie  enfin  y  découvrirait 
la  trace  des  tempéraments  sanguins  et  bilieux. 

Les  premiers, que  Ion  nommerait  plus  volontiers 
les  «peintres ^>,  font  preuve  de  la  plus  grande  indul- 
gence envers  les  données  de  leur  sens  et  leurs 
faiblesses  même  les  plus  dangereuses.  Au  surplus 
ils  ne  redoutent  pas  d  exposer  leur  «moi»  dans 
toute  sa  nudité.  Les  seconds,  qui  seraient  plutôt 
les  «artistes»,  semblent  pourvus  au  contraire  de  la 
plus  faroucne  pudeur;  ils  ont  honte  de  se  montrer 
nus  et  déguisent  la  plupart  du  temps  leur  sensualité 
sous  les  dehors  de  1  enjouement  ou  de  I austérité. 

Au  cours  des  siècles.  Ton  remarque  encore  que 
1  une  de  ces  tendances  est  parfois  plus  goûtée  que 
1  autre,  puis  réciproquement.  On  pourrait  en 
conclure  que  le  monde  est  tour  à  tour  plus  parti- 
culièrement ou  sanguin  ou  bilieux. 

Or,  il  ne  s'agit  pas  de  rechercner  qui,  dans  cette 
poursuite  constante  de  la  v  érité,  ou  d'une  vérité, 
est  plus  près  de  Tatteindre,  de  celui  qui  dépense  des 

71 


dons  aux  rechercnes  subtiles  de  la  couleur,  ou  de 
celui  qui  se  livre  sans  réticences  aux  lois  du  dessin. 
Cependant  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  observer 
que  la  lioerté  la  plus  aosolue  donnée  aux  sens 
absorbe  toutes  autres  facultés.  Et  c  est  pourquoi 
Tesprit  en  vient  à  se  poser  ce  point  d'interrogation 
assez  inquiétant:  que  devient  le  sort  de  i  imagina- 
tion dans  les  oeuvres  qui  obéissent  trop  servile- 
ment aux  injonctions  des  sens?  Les  grands  artistes 
souffriraient  volontiers  que  Ion  considérât  leurs 
oeuvres  comme  les  fruits  d'une  sorte  de  génération 
spontanée.  Cependant  le  manque  d'imagination 
que  chacun  reconnaît  dans  les  oeuvres  post- 
impressionnistes est  certainement  pour  quelque 
chose  dans  la  venue  avec  Picasso  d'une  période 
plus  artistique  succédant  à  une  époque  trop  pictu- 
rale. Peut-être  Tatus  impressionniste  d'un  goût 
un  peu  étroit  pour  la  Science  montra-t-il  encore 
qu'au  lieu  de  subir  l'influence  de  sa  «lettre»  il  était 
mieux  de  n'en  subir  que  <d'esprit»?  En  tout  cas, 

72 


nous  verrons  facilement  que  i  apport  de  Picasso 
s'opposa  constamment  à  cette  tendance  dépourvue 
d'élévation  et  d'inspiration  personnelle. 

Su  est  possiole  de  risquer  dès  maintenant  quel- 
ques ODservations  sur  le  CuDisme,  lors  du  début 
de  ce  mouvement  il  ne  fut  jamais  question  d'éta- 
blir des  tnéories,  et  ce  à  l'encontre  des  successeurs 
des  Impressionnistes,  qui  nous  reprochèrent  cette 
tendance,  eux  qui  ne  firent  jamais  que  la  prati- 
quer. C'est  que  Picasso  au  lieu  de  partir  du  point 
où  ses  prédécesseurs  avaient  laissé  la  peinture, 
comme  l'avaient  fait  les  Post- Impressionnistes,  fit 
plutôt  comme  <dable  rase»  de  tout  ce  qui  avait  été 
exécuté  avant  lui.  Jamais  en  effet  les  Fauves  ne 
perdirent  de  vue  les  efforts  de  leurs  devanciers,  ils 
ne  firent  même  qu'adopter  leurs  tnéories,  tnéories 
sur  lesquelles  ils  brodèrent  simplement  suivant 
leurs  goûts  particuliers.  Or  le  créateur  qui 
marche  seul  dans  l'étendue  ignore  la  Théorie.  Il 
était  donc  naturel  que  Picasso  ne  tînt  compte  des 

73 


découvertes  des  Impressionnistes  et  de  leurs 
successeurs  qu  en  tant  qu  éléments  scientixiques, 
comme  ion  possède  les  notions  d'une  langue,  et 
sans  y  attacher  plus  d'importance  que  i  on  n'en 
doit  donner  à  un  instrument  de  travail.  Ainsi 
Picasso  ne  crut  pas  devoir  consacrer  uniquement 
sa  sensibilité  au  perfectionnement  des  outils 
nécessaires  à  la  fabrication  de  telle  macliine;  il 
pensa  plutôt  qu'il  se  devait  de  construire,  lui- 
même,  une  machine  vivante  telle  que  ses  prédéces- 
seurs n'avaient  jamais  réussi  à  en  produire.  D'ail- 
leurs la  construction  d'une  machine  nouvelle  exige 
celle  d'un  outillage  nouveau.  Aussi  rut-ce  sur  le 
seul  besoin  qu'il  avait  de  ce  dernier,  mais  sans  lui 
confier  l'importance  exclusive  que  les  Fauves  ou 
les  Néo- Classiques  donnaient  à  l'exécution  dans 
leurs  oeuvres,  que  Picasso  construisit  les  nouveaux 
outils  qui  lui  étaient  indispensables,  c'est-à-dire 
des  moyens  nouveaux. 

Examinons  donc  en  détail  les  données,  inusitées 

74 


encore,  qui  dans  Foeuvre  de  Picasso  s'opposeront  à 
celles  de  ses  prédécesseurs  et  qui  nécessiteront 
1  intervention  de  moyens  inédits,  tels  que  i  emploi 
du  papier,  du  faux-bois,  et  de  ce  «ton  locab>  que 
condamnaient  les  Impressionnistes, 

Nous  sommes  déjà  loin  du  goût  de  1  Impression- 
nisme pour  cette  «lettre»  des  Sciences  qui  se 
traduisait  par  une  prédilection  exclusive  pour  le 
<f phénomène».  <^Ce  qui  paraît»  était  leur  culte  uni- 
que: leurs  sens  en  étaient  les  ministres.  Il  suit  de  là 
que  seule  Texpérience  était  la  règle  de  leur  con- 
duite artistique.  L'examen  attentif  des  objets  leur 
transmettait  limage  d'un  monde  en  perpétuelle 
transformation,  et  c'est  pourquoi  le  «visage  mou- 
vant de  i  heure»  est  encore  pour  les  survivants  de 
cette  Ecole  le  champ  que  cultive  le  plus  volontiers 
leur  réalisme  superficiel.  Or  l'expérience  ne  peut 
se  suffire  à  elle-même,  elle  n'est  que  la  constata- 
tion de  faits:  plus  encore,  constatation  souvent  due 
au  hasard  puisque  les  sens  nous  trompent.  Il  ne 

75 


faut  pas  repousser  tout  conseil  du  kasard.  Mais 
nous  ne  pouvons  tout  risquer  sur  une  telle  carte, 
sans  quoi  nous  n'assisterions  qu'à  des  palabres  de 
moyens  sans  apercevoir  jamais  1  émotion,  la  pure 
émotion  qui  a  sa  source,  ni  dans  le  cerveau,  ni  dans 
le  ventre  mais  dans  le  coeur.  Au  surplus  l'existence 
des  faits  connus  par  lexpérience  est  toujours 
distincte  de  leur  nature  propre,  aussi  la  connais- 
sance de  leur  structure  nen  détermine-t-elle  jamais 
Têtre.  L'on  se  demande  comment  les  Impression- 
nistes purent  voir  dans  le  «visage  mouvant  de 
1  heure  ^>  dont  1  on  a  si  souvent  parlé,  ce  fameux 
reflet  de  1  Eternité  qui  est  aussi  célèbre?  Il  semtle 
bien  au  contraire  que  seules  les  circonstances 
extrinsèques  qui  accompagnent  les  objets  décèlent 
leur  véritable  nature,  qu'elles  les  complètent, 
qu'elles  sont  leurs  émanations  et  qu'elles  consti- 
tuent comme  leurs  causes  efficientes.  L'expérience 
au  surplus,  ne  peut  donner  que  la  définition  des 
oDjets,  c'est-à-dire  un  simple  scnéma,  puisque  les 

76 


événements  qui  appellent  un  ODjet  à  lexistence  ou 
qui  i  en  font  disparaître,  se  déroulent  <^autour»  de 
lui,  et  ne  peuvent  par  conséquent  avoir  aucune 
influence  sur  sa  définition.  Enfin  quel  oesom  de 
définir  éternellement  des  objets  que  nos  yeux 
définissent  quotidiennement,  et  recommencer 
sempiternellement  loeuvre  des  dictionnaires?  La 
connaissance  par  expérience  n'a  de  légitime  que 
son  utilité  pratique.  Par  suite  elle  se  perd  dans  la 
généralisation.  On  le  voit  une  fois  de  plus,  la 
nécessité  de  cette  aostraction  en  art  est  de  plus  en 
plus  problématique.  J'ai  déjà  signalé  les  incon- 
vénients de  cette  forme  du  raisonnement.  J'ajou- 
terai cependant,  qu'à  la  rigueur,  elle  pourrait  être 
susceptible  de  légitimité  mais  seulement  si  elle 
concernait  un  oLjet  subordonné  à  Texpérience; 
mais,  il  faut  se  persuader  que  Tart  n'est  nullement 
dans  ce  cas.  Nous  ne  nous  étonnons  donc  plus  si 
les  successeurs  de  l'Impressionnisme  prononcèrent 
également   ce   nom   de   i  induction   que  j'ai  déjà 

77 


signalé,  et  dont  rapplication  fournit  un  corollaire 
à  1  aberration  expérimentale  mentionnée  ci-dessus. 
Linduction  en  art  nous  ramène  aux  principes 
des  lois.  J'ai  dit  sommairement  ailleurs  ce  que 
Toeuvre  de  Picasso  nous  autorisait  à  penser  à  ce 
sujet;  3  y  reviens  plus  explicitement.  Les  artistes 
qui  ont  prétendu  faire  de  linduction  1  un  des 
fondements  de  lart  n ont  pas  pris  garde  que  les 
associations  d'images  sont  toujours  si  personnelles 
que  1  expérience  ne  peut  en  régir  un  nomore  suffi- 
sant pour  qu'il  soit  permis  d'en  tirer  des  lois.  La 
sensibilité  n*est  pas  une  quantité,  elle  est  une  source 
d'événements,  incommensurables  si  l'on  veut,  mais 
surtout  incomparaoles  entre  eux.  Les  associations 
qui  se  plient  au  ]Oug  des  lois  ne  peuvent  fournir 
que  des  images  connues  déjà  par  suite  de  leur 
répétition.  <^ L'expérience,  démonstration  de  dé- 
monstrations» disait  vauvenargues.  L'induction 
en  art  est  une  répétition  de  données  posées  par  le 
raisonnement,  par  suite  elle  ne  peut  laisser  appli- 

78 


quer  sa  métnode  à  la  sensibilité  créatrice.  Induire 
est  toujours  connaître  et  non  sentir,  et  encore 
connaître  dans  le  sens  raisonneur  des  applications 
de  la  science,  connaître  d  après  la  lettre  et  non  pas 
en  espnt  les  vérités  qui  ne  sont  pas  entackées  de 
commodisme;  induire  est  tâcner  à  convaincre 
lesprit  sans  persuader  la  sensibilité;  induire  n'est 
enfin  que  démontrer  éternellement  des  principes 
qu'il  a  fallu  supposer  admis  une  fois  pour  toutes. 
Or  les  découvertes  sensibles  de  Picasso  au  moment 
qu'il  les  créait  étaient  loin  d'être  admises.  L'artiste 
qui  crée,  pose  des  faits  et  laisse  à  d'autres  le  soin 
de  les  commenter.  Ainsi  les  futurs  disciples  de 
Picasso  pourront  plus  tard  tabler  sur  ses  décou- 
vertes pour  en  tirer  par  induction  des  lois  vulgari- 
satrices s'ils  en  voient  la  nécessité.  Suivant  en  cela 
l'exemple  des  Post-Impressionnistes  ils  la  verront, 
fort  protablement. 

En  adoptant  l'induction  comme   base  logique 
de  leur  art  les  Impressionnistes  et  leurs  succès- 

79 


seurs  ne  firent  donc  qu  élargir  la  difficulté.  Ils 
tentèrent  sans  doute  de  la  reformer  en  la  déformant, 
ils  essayèrent  même  de  la  commenter,  d'ergoter 
sur  ses  données,  mais  il  ne  semble  pas  leur  être 
arrivé  d'avoir  pensé  à  la  résoudre.  Or  Picasso 
dans  la  partie  de  son  oeuvre  née  au  temps  qu\l 
commençait  de  vivre  parmi  les  vivants  considérait 
1  univers  comme  une  source  de  faits  particuliers 
ayant  chacun  leur  vie  propre.  L'éducation  acadé- 
mique et  les  métnodes  expérimentales  des  sensua- 
listes  eussent  dû  exiger  de  la  connaissance  qu  elle 
les  rendît  maîtres  de  la  nature.  Or  à  ne  donner 
d'intérêt  dans  la  nature  qu'aux  phénomènes,  elles 
ne  firent  des  artistes  qui  suivirent  leurs  directives 
que  les  véritables  esclaves  de  cette  même  nature. 
A  i  encontre  de  ce  procédé,  Picasso  ne  s'attarda 
plus  à  noter  ce  qui  dans  1  univers  passait,  mais 
bien  ce  qui  était,  ce  qui  demeurait.  Il  ne  vit  pas 
seulement  dans  les  objets  que  des  motifs  à  expéri- 
ence; il  ne  tenta  pas  simplement  de  dégager  leur 

80 


forme  périssable,  cet  aliment  de  la  seule  Vérité 
superficielle,  abstraite  et  commiocle;  il  ne  voulut 
que  leur  donner  une  âme,  lame  de  leur  forme 
étemelle.  Donc  plus  de  stériles  imitations  de  la 
nature,  puisque  les  sens  sont  trompeurs,  et  que 
1  art  ne  peut  éternellement  jouer  à  la  poupée.  Les 
objets  ne  furent  plus  désormais  pour  Picasso  que 
les  éléments  d'une  atmosphère  ou  les  particularités 
d'un  langage,  propres  seulement  à  lui  permettre 
d'exprimer  la  tendresse  attentive  de  son  coeur 
sensible. 

Le  Cubisme  de  Picasso,  —  puisqu'il  faut  bien 
que  nous  acceptions  cette  appellation  donnée  par 
dérision  et  non  pas  par  Matisse  qui  s'en  défendit 
toujours  --  le  Cubisme,  dis -je,  semble  donc,  a 
pnon,  s'opposer  à  toute  tendance  exclusivement 
sensuelle.  Un  nomme  d'esprit  i  appela  un  jour 
«peinture  pour  aveugles».  Peut-être  y  avait-îl 
dans  ce  mot  certaine  part  de  vérité,  mais  il  fut 
prononcé  aux  débuts  du  Cubisme,  en  un  temps  où, 

81 


je  iai  dit,  loin  de  vouloir  faire  des  théories,  les 
écrivains  qui  soutenaient  le  mouvement  ne  vou- 
laient que  planter  des  jalons  et  des  repères  qui 
pussent  permettre  d'avancer,  toutes  précautions 
prises,  dans  les  régions  encore  inconnues  que  les 
artistes  exploraient.  Pour  les  esprits  pressés  de 
voir  les  réalisations  les  plus  rapides  succéder  aux 
essais,  le  Cubisme  na  pas  donné,  paraît-il,  les 
résultats  qu'ils  attendaient  de  lui.  J'en  suis  heu- 
reux, et  puisse- t-on  n'en  voir  jamais!  En  tout  cas 
la  «peinture  pour  aveugles»  qui  supposait  à  ce  que 
l'on  pouvait  appeler  de  nouveau  le  culte  du  «balài 
ivre»,  nécessitait  une  recherche  de  constructions 
particulières.  L'immeuDle  à  construire  ne  pouvait 
plus  être  accoté  aux  maisons  voisines,  il  devait 
être  érigé  seul  sur  une  place.  Le  travail  de 
Picasso  ne  consistait  donc  pas  en  un  labeur  tout 
intellectuel,  mis  en  tranle  par  quelque  incitation 
visuelle,  ni  par  quelque  comparaison  venue  de 
quelques  souvenirs,  il  était  désormais  lié  à  lim- 

82 


pulsion  de  son  imagination  créatrice.  L  on  a  pu 
dire  que  1  une  des  données  de  rimpressionnisine 
était  le  dégoût  des  sujets  conventionnels;  et  le 
dessin  linéaire  était  englobé  dans  cette  proscription. 
Ce  n'était  là  que  prétention  peu  sérieuse,  lart  en 
effet  est  convention  ou  il  n'est  pas,  ou  plutôt  il 
n'est  que  pnotograpnie.  iTeureuseinent  d'ailleurs 
rlmpressionnisme  reste  à  l'aDri  de  ce  dernier 
reprocne:  la  faculté  d'ooservation,  la  recnercne  du 
caractère  vrai,  voire  l'étude  de  la  nature  n'attes- 
tent-ils  pas  que  grâce  à  ces  tendances  il  ne  substitua 
guère  que  des  nouvelles  conventions  aux  anciennes, 
et  ce  aussi  bien  dans  ses  recherches  de  moyens  que 
dans  ses  préoccupations  intellectuelles? 

En  tout  cas  il  ressort  nettement  de  ces  trois 
données  que  l'art  des  Impressionnistes  et  de  leurs 
successeurs  fût  surtout  un  art  de  définition  et 
mieux  de  définition  fort  savante,  sans  trace 
d'empirisme.  Nous  avons  dit  combien  la  défini- 
tion en  art  nous  semblait  en  dekors  de  l'art,  du 

6-  83 


moins  de  lart  libre  dont  le  nom  sert  seulement 
d'étiquette  à  l'expression  de  la  sensibilité.  Nous 
répéterons  que  la  définition  en  art  n'est  qu'un 
cadre  plus  ou  moins  doré;  il  reste  à  faire  le 
tableau.  Or  la  forme  d'expression  qui  paraît 
avoir  été  mise  à  contribution  par  Picasso,  ou 
plus  exactement  le  processus  que  suivit  son 
tempérament,  pour  approcher  du  but  qu'il  pour- 
suivait, semble  ressortir  plus  spécialement  à  la 
déduction.  L'individualisme  un  peu  vulgaire 
des  successeurs  des  Impressionnistes  tendait  à 
tracer  du  monde  une  silhouette  conforme  à 
leurs  personnalités  nécessairement  <^  définies  >>. 
Chez  Picasso  au  contraire  les  rapports  entre  sa 
sensibilité  et  les  objets  sollicitent  d'abord  son 
attention.  Mais  loin  de  demander  à  son  oeuvre  de 
suggérer  les  liens  qui  peuvent  unir  les  objets  entre 
eux  ou  les  rattacher  au  spectateur,  il  ne  consent 
à  jeter  sur  eux  qu'un  coup  d'oeil  furtif,  indispen- 
sable pour  le  bon  équilibre  de  l'émotion  qui  lui 

84 


( 


dévoile  leur  âme  vivante.  Et  cie  lélément  qu il  a 
tiré  de  cette  façon  il  crée  une  oeuvre  entièrement 
issue  de  sa  sensibilité  et  qui  n'a  pas  plus  de 
ressemblance  avec  les  apparences  conventionnelles 
de  la  nature  qu*un  appareil  électrique  avec  le 
fluide  qui  le  meut.  Ainsi  un  tableau  est  un 
tableau,  comme  une  guitare  ou  un  dé  à  jouer  sont 
une  guitare  ou  un  dé,  c  est-à-dire  un  objet  particu- 
lier qui  n'est  la  copie  ni  l'interprétation  de  rien. 

On  le  voit,  la  connaissance  intuitive  et  simul- 
tanée d'un  objet  est  à  l'origine  de  cette  conception. 
Picasso  ne  cbercbe  pas  à  arriver  à  l'objet,  il  part 
de  l'objet  —  tableau  que  son  imagination  a  créé 
une  fois  pour  toutes.  D'une  seule  poussée  de  son 
imagination  il  empoigne  la  certitude,  la  certitude 
qui  doit  être  toujours  immédiate,  c'est-à-dire  ne 
provenir  d'aucune  contingence  ni  d'aucune 
réflexion  trop  raisonnée.  Pour  Picasso  la  beauté 
ne  réside  donc  pas  dans  une  représentation  d  objet 
existant   ou  n'existant  pas  mais  dans  le  jeu  des 

85 


rapports  qu'il  découvre  entre  les  images  qu'il  crée. 
Notons  que  faire  exclusivement  prédominer  dans 
une  oeuvre  la  valeur  des  éléments  objectifs  pris  à 
Tunivers  ressortit  à  la  méthode  académique  a  en- 
seignement, et  i  excès  correspondant  se  rencontre 
également  cnez  les  Post-Impressionnistes  pour  qui 
les  éléments  subjectifs  émanés  de  i  artiste  seul  sont 
pris  en  considération.  Chez  Picasso  au  contraire 
ces  deux  séries  d'éléments  ne  montrent  Tune  sur 
l'autre  aucune  prédominance;  elles  sont  intime- 
ment mêlées  dans  le  creuset  d'une  sensibilité 
artistique  qui  ne  subit  aucune  contrainte.  Et  la 
raison  de  ce  fait  pourrait  être  recherchée  dans  la 
vive  intelligence  de  Picasso,  cette  intelligence  in- 
quiète et  ombrageuse,que  i  on  pourrait  considérer 
comme  la  cause  naturelle  d'une  immense  pudeur 
qui  lui  interdit  d'exposer  ce  qui  dans  son  moi  est 
nécessairement  commun  à  tous  les  hommes. 

Àmsi  toute  oeuvre  de  Picasso  est  un  morceau 
d'imagination  pure:  Pablo  Picasso  n'y  est  nuUe- 

86 


ment  représenté,  seul  i  artiste  qui  signe  Picasso  y 
a  versé  ce  que  son  démon  rammer  lui  inspirait.  Il 
ne  faut  donc  pas  être  surpris  de  ce  que  les  anciennes 
mesures  de  i  espace  et  du  temps  ne  semblent  plus  à 
sa  taille.  Ces  antiques  notions  en  effet  ne  sont 
considérées  par  lui  que  comme  des  règles  anciennes 
et  partant  des  règles  particulièrement  sévères  qui 
ne  furent  jamais  faites  pour  lui  et  quaprès  tout  il 
est  en  droit  d'apprécier  suivant  sa  connaissance  et 
sa  sensiDiuté. 

L'on  voit  qu'au  Keu  d'interpréter  la  nature,  à 
Taide  de  toutes  ses  inévitables  faiblesses  sensuelles 
et  au  détriment  de  son  imagination,  qu'au  lieu 
de  renverser  toutes  valeurs  dans  l'espoir  de  trou- 
ver dans  ce  bouleversement  l'occasion  de  rencon- 
trer un  équiliDre  miraculeux,  qu'au  lieu  de  jouer 
exclusivement  des  feux  de  la  couleur  avec  l'astuce 
la  plus  brillante  ou  la  plus  keureuse,  bref  qu'au 
lieu  d'assigner  à  l'art  une  destinée  si  exclusivement 
matérielle,  Picasso  lui  a  donné  une  pureté  et  une 

87 


fraîckeur  en  rapport  avec  la  plus  telle  desti- 
nation qu'on  puisse  lui  conférer.  L'art  ne  pouvant 
être  qu'une  «finalité  sans  fin»,  Picasso  le  aétarrasse 
en  même  temps  de  toute  exagération  sensuelle  et 
de  toutes  les  nécessités  secondes  qui  peuvent  lui 
conférer  un  caractère  utilitaire.  L'art,  nous  ne 
cesserons  jamais  de  le  répéter,  ne  doit  servir  à  rien 
qu*à  éveiller  en  la  sensibilité  du  spectateur  une 
émotion  pure  dégagée  de  tout  intérêt.  Lorsque 
nous  admirons  un  spectacle  de  la  nature  il  est 
clair  que  notre  émotion  ne  ressortit  à  aucune  con- 
ception artistique.  Nous  admirons  un  paysage 
parce  que  les  éléments  qui  le  composent  dégagent 
seulement  comme  des  radiations  qui  se  trouvent 
plus  ou  moins  en  accord  avec  notre  sensibilité.  En 
disant  que  le  soleil  est  beau  j'entends  qu'il  n'entre 
dans  ce  sentiment  aucune  comparaison  avec  quoi 
que  soit.  C'est  là  qu'apparaît  en  pleine  lumière  ce 
sentiment  de  désintéressement  absolu  que  je 
donnais  au  début  de  cette  étude  comme  l'une  des 

88 


caractéristiques  de  Toeuvre  de  Picasso.  Ainsi  donc 
plus  de  psychologie,  plus  de  <^ caractères  vrais». 
Une  toile  de  Picasso  nous  émeut  violemment 
sans  que  nous  sachions  pourquoi  et  sans  que  nous 
ayons  à  le  reckercker.  Nous  ne  voulons  pas  savoir 
s  il  a  étudié  la  nature  ou  s'il  a  observé  ce  qu'il  nous 
présente:  ceci  ne  nous  regarde  pas.  Si  j'admire  le 
paysage  dont  je  parlais,  je  ne  dis  pas  qu'il  imite 
fort  bien  une  bonne  pkotographie  ou  tel  takleau 
post-impressionniste.  Une  oeuvre  de  Picasso 
représente  à  nos  yeux  un  okjet  sorti  de  lui  tout 
vivant.  Il  n'eut  jamais  besoin  d'acketer  un  jardin 
pour  en  peindre  les  fleurs,  jamais  on  ne  le  vit 
«aller  sur  le  motif ;>,  depuis  longtemps  il  délaisse 
les  «modèles».  Au  réalisme  visuel,  Picasso  maître 
de  son  métier  oppose  une  sorte  de  réalisme 
supérieur  et  non  pas  ce  réalisme  propre  seulement 
à  réaliser  plus  ou  moins  kabilement  des  abstrac- 
tions; il  s  agit  au  contraire  d'un  réausme  classique 
plein  de  pureté  qui  fait  jaillir  de  son  propre  coeur 

89 


une  source  vivante  a  émotions.  Plus  de  traduc- 
tions, plus  d'interprétations  d'émotions  com- 
mandées. Je  n'ai  pas  besoin  de  votre  opinion  sur  tel 
paysage,  (ceci  était  une  trouvaille  de  rlmpression-' 
nisme),  car  j'ai  la  mienne  que  je  tiens  pour  la 
meilleure.  Pourquoi  ce  bavardage?  Je  sais  bien 
que  nous  ne  pouvons  pas  proférer  continuellement 
des  cnoses  indispensables,  mais  ne  me  dites  pas:  3e 
vais  vous  taire  voir  ce  que  j  ai  vu;  montrez-moi 
seulement  «quelque  cnose;>.  En  définitive,  je  cher- 
che une  oeuvre,  une  oeuvre  créée,  et  non  pas  de  la 
paraphrase,  de  l'exégèse,  ou  des  variations  sur  des 
sensations  que  tout  le  monde  a  éprouvées. 

C  est  ainsi  qu'en  opposition  aux  termes  traduire, 
interpréter,  observer,  la  génération  nouvelle  a 
remis  en  vigueur  et  en  lui  donnant  une  significa- 
tion absolue  le  mot  «créer».  Il  va  de  soi  que  le 
terme  est  un  peu  fort,  et  que  nous  ne  pouvons 
guère  le  concevoir  sans  lui  adjoindre  le  complétif 
«ex  nibilo».  Inventer  serait  peut-être  plus  bumain, 

90 


mais  le  mot  a  été  si  galvaudé  qu'une  fois  de  plus 
nous  noterons  Timpuissance  des  définitions  aussi 
Dien  que  leur  inutilité.  Avec  Tintransigeance  la 
plus  absolue  lartiste  devrait  porter  le  nom  de 
«  poète  ^>,  dans  le  sens  que  lui  assignait  i  étymologie 
grecque.  Il  devrait  être  celui  qui  <aait^>,  c'est-à-dire 
qui  compose  quelque  chose  de  ses  propres  moyens 
mais  sans  le  secours  d'aucun  conseil  ni  d'aucune 
suggestion  extérieure  trop  exclusive  et  trop  inté- 
ressée. Souvenons-nous  encore  de  ces  artistes  de 
i  enfance  littéraire  française,  et  que  Ton  nommait 
trouvères,  troubadours  et  même  trouveurs.  Le 
terme  «trouver^)  était  Tâme  de  ces  appellations  qui 
signifiaient  si  nettement  que  tout  nomme  désireux 
de  séduire  la  sensibilité  de  ses  semblables  ne  devait 
compter  que  sur  ses  trouvailles  personnelles.  A. 
vous  de  prendre  ou  de  rejeter  ce  qu  ils  vous  of- 
fraient, mais  ils  ne  faisaient  aucune  concession  au 
goût  de  leurs  auditeurs.  Je  sais  que  1  on  peut  rétor- 
quer qu'ils  les  ignoraient,  mais  voilà  justement 

91 


la  raison  la  plus  pure  de  la  fraîckeur  ou  de  la 
sincérité  de  leurs  oeuvres. 

Suivant  cette  remarque,  Picasso  au  lieu  de 
pousser  la  copie  de  la  nature  jusqu  au  paroxysme, 
à  la  façon  dont  Inomme  fit  Dieu  à  son  image, 
Picasso,  dis-] e,  eut  trop  conscience  de  la  réalité 
propre  de  1  univers  pour  tenter  de  le  rapporter  à 
ses  semblables.  Cnacune  de  ses  oeuvres  apporte 
donc  une  contribution  nouvelle  au  nombre  d'ob- 
jets qui  existe  dans  le  monde.  Au  Keu  d'exploiter 
un  capital  déjà  versé  et  non  entièrement,  il  apporte 
de  nouveaux  fonds.  PicassOij  qui  suivant  la  ten- 
dance de  son  siècle^possède  un  goût  prononcé  pour 
1  esprit  de  la  science  sait  assez  qu\l  est  tout  naturel 
que  son  imagination  puisse  agir  seule  et  sous  sa 
propre  impulsion  cependant  qu'il  n'en  sera  lui- 
même  que  le  spectateur.  Il  ne  craint  donc  pas 
d'édicter  comme  des  axiomes  qui  lui  sont  rigou- 
reusement propres  et  qu'il  considère  comme  des 
vérités  personnelles  qu  u  impose  à  la  nature.  L'on 

92 


est  fort  qu'en  contrariant  la  nature,  disait  Renan. 
Il  ajoutait  que  le  pêcker  naturel  ne  porte  jamais 
de  teaux  fruits  et  qu'il  n'en  produit  que  lorsqu  il 
est  en  espaliers.  Picasso  ne  cnercne  pas  à  contra- 
rier la  nature  dans  un  tut  si  comestible  et  qui 
ressortirait  assez  aux  besoins  sensuels  des  Post- 
Impressionnistes.  Au  lieu  d'améliorer  un  arbre  il 
en  crée  un  nouveau  dont  nous  n'avons  plus  qu'a 
récolter  les  fruits  savoureux.  L'on  saisit  que 
Picasso  qui  a  respiré  l'air  de  la  telle  ptilosopnie 
moderne  ne  voit  pas  le  monde  tel  qu'il  apparaît  à  ses 
yeux,  mais  tel  qu'il  le  refait.  Sur  l'injonction  de 
sa  sensitilité,  il  imagine  un  petit  monde  nouveau  et 
c'est  par  la  vertu  des  mystérieux  dons  qui  ont 
présidé  à  sa  naissance  qu'il  éveille  en  le  spectateur 
ce  sentiment  de  satisfaction  intérieure  que  nous 
attrituons  à  ce  que  tien  vaguement  nous  conve- 
nons de  nommer  teauté.  Encore  une  fois  quil  soit 
tien  avéré  que  ce  que  nous  nommons  le  Seau  n'est 
qu'une    définition   vide   de  sens,   que  l'émotion 

93 


provient  de  ce  que  nous  aimons,  mais  ce  que  nous 
aimons  profondément,  et  non  superficiellement,  et 
Dien  des  désillusions  seront  évitées.  L'artiste  ne 
peut  être  un  composé  de  molécules  qui  le  pose 
comme  une  simple  unité  du  troupeau  numam,  il 
faut  qu'il  soit,  si  1  on  veut,le  Dieu  tombé  du  philo- 
sophe. Et,  que  Ion  ne  redoute  pas  de  sa  part  des  dé- 
couvertes innumames,  car  malgré  son  désintéresse- 
ment, l'éducation  et  la  tradition  auront  fourni  à  sa 
mémoire  les  aliments  les  plus  communément  sub- 
stantiels. Mais,  hâtons-nous  de  le  dire,  cette  mé- 
moire ne  sera  pas,  fort  heureusement,  un  magasin  en 
lequel  il  puisera  d'une  façon  scolastique  ou  expéri- 
mentale: elle  sera  un  filtre  de  matière  rare  au  travers 
duquel  coulera  une  sensibilité  qui  prendra  son  goût. 
Dès  lors  avec  Guyau  i  artiste  pourra  recommencer 
à  vivre  à  chaque  oeuvre  qu'il  produira,  et  sa  mémoire 
restera  toujours  intimement  mêlée  à  ce  qu'en  Dieu 
tombé,  mieux,  en  nomme-dieu,  ou  plus  simplement 
en  créateur,  il  se  rappellera  du  ciel  de  son  enfance. 

94 


i 


Il  resterait  encore  à  dire  quelques  mots  de  la 
sculpture  de  Picasso.  Parallèlement  aux  pein- 
tures, pastels,  gouackes,  dessins,  eaux-fortes  et 
pointes  -  sèches  qu'il  exécutait  quotidiennement, 
Picasso  s'adonna  à  la  sculpture.  La  glaise  comme 
le  DOIS,  en  particulier  le  buis,  la  corne  et  le 
cuivre  le  montraient  possesseur  du  plus  complet 
métier  de  graveur  et  de  sculpteur.  Néanmoins 
les  oeuvres  qu'il  exécutait  dans  ces  différents 
genres  étaient  en  corrélation  parfaite  avec  sa  pein- 
ture de  lépoque  correspondante.  Elles  n'appor- 
taient avec  un  ckarme  de  plus  que  la  confirmation 
de  ses  quaKtés  sensibles.  Cependant,  peu  à  peu, 
et  sous  iinf luence  de  Cézanne,  il  confia  à  ses  essais 
plastiques,  notamment  à  l'occasion  d'un  Buste 
de  femme,  les  inquiétudes  que  la  Peinture  lui 
avait  suggérées.  Il  cnercna,  semble -t- il,  dans  la 
sculpture  comme  une  sorte  de  contrôle  plastique. 

95 


Toutefois  ces  essais  ne  lui  parurent  pas  suffisants 
et  c'est  alors  qu'il  songea  que  la  sculpture  devait 
être  déciaément  autre  chose,  elle  aussi^qu'une  copie 
ou  une  traduction  de  la  nature.  Les  Têtes  de  Dieux 
à  faces  animales,  llsis  à  tête  de  boeuf,  la  Pesée  des 
Ames  des  Egyptiens,  les  Démons  et  les  Anges  des 
époques  romanes  et  gotniques,  les  monstres  des 
Anciens  Chinois,  ceux  enfin  de  la  Statuaire 
Nègre  1  en  persuadèrent  davantage  encore.  Il 
tenta  de  prêter  à  la  sculpture  les  ailes  dont  il  se 
préparait  à  doter  la  Peinture,  et  créa  des  oLjets 
qui  séduisirent  pour  leurs  trouvailles,  des  natures 
mortes  sculptées  qui  portaient  la  marque  de  son 
imagination,  d'étranges  jouets  où  la  lumière  suivait 
les  contours  de  son  esprit  inventif. 

Cependant  Picasso  garda  toujours  une  prédilec- 
tion pour  la  Peinture.  Aussi  serais -je  tenté  de 
croire  qu'il  délaissa  la  sculpture,  malgré  les  spiri- 
tuels pantins  des  Ballets  Russes  dont  nous  parle- 
rons   ailleurs,   parce    que    cet    art   lui   semblait 

96 


comporter  peut  être  une  nature  propre  et  nulle- 
ment  tributaire  de  cette  autre  Drancne  de  1  activité 
sensible,  qui  était  la  peinture.  Les  modèles  classi- 
ques des  peintres-sculpteurs  furent  sans  doute  pour 
quelque  chose  dans  cette  conviction.  La  sculpture 
comme  la  peinture,  la  poésie  et  la  musique  doivent 
être  autonomes.  Peut-être  Tâme  de  la  sculpture 
est -elle  encore  à  découvrir,  car  lArt  avec  un 
grand  A,  ne  nous  paraît  guère  qu'un  composé  de 
différentes  spéculations  artistiques,  un  ensemble 
comparable  à  celui  de  quelque  grand  magasin 
centralisateur  où  sous  le  même  toit  et  la  même 
raison  sociale  se  rencontrent  toutes  les  denrées, 
tous  les  articles.  Je  pense  que  Picasso  comprit  vite 
que  sa  sculpture  n'était  que  sa  peinture  sculptée 
et  qu\l  entrait  dans  une  impasse  dont  il  était 
impossible  de  sortir  malgré  la  fantaisie  des  Ballets 
Russes.  Quoi  qu'il  en  soit  il  délaissa  la  sculpture 
pour  consacrer  plus  que  jamais  son  activité  à  son 
amour  de  la  Peinture. 

97 


Ia  tentative  puissante  qu^effectua  Picasso  pour 
Jl  aélivrer  sa  sensiDilité  et  la  nôtre  de  toute  éti- 
quette usagée  donna  à  notre  génération  la  possi- 
bilité de  goûter  un  air  pur  et  vivifiant  dont  la  pein- 
ture contemporaine  nous  avait  désnaoïtués.  1  el  rut 
r apport  du  Cubisme.  Cependant  au  cours  de  ces 
errorts  Picasso  «vivait  avec  les  vivants ^>,  c'est-à- 
dire  que  malgré  bien  des  avantages,  il  demeurait 
continuellement  en  proie  à  toutes  les  sollicitations 
qu'impose  la  vie.  Il  &^t  donc  impossible  d'appré- 
cier dès  maintenant  la  portée  de  son  oeuvre.  Plus 
tard,  nous  aurons  besoin  d'ajouter  à  cette  édi- 
tion un  chapitre  nouveau  qui  sera  sans  doute  le 
plus  long.  Il  aura  pour  objet  la  troisièmie  partie  de 
la  vie  de  Picasso,  celle  que  selon  la  parole  du  pnilo- 
soplie,il  vivra  «avec  lui-même».  Souvenons-nous 
que  Renoir  disait  qu'il  ne  sut  exactement  ce 
qu'était  la  peinture  que  dans  les  dix  dernières  années 

98 


de  sa  longue  vie.  Il  sera  particulièrement  passion- 
nant de  voir  ce  que  sera  loeuvre  de  Picasso  dans 
quelques  trente  ans  a\ci.  Je  gage  que  nous  appren- 
drons encore  de  merveilleuses  cnoses  et  que  le  dé- 
sintéressement a  un  art  parvenu  à  sa  pureté  ex- 
trême nous  montrera  ce  qu  une  conviction  sévère 
peut  concevoir  de  plus  lumineux. 

Jusque  là  nous  pouvons  donc  en  toute  sûreté  in- 
sister quelque  peu  sur  la  période  d'inquiétude 
et  d'nésitations  que  Picasso  a  traversée  et  traverse 
encore  en  se  préparant  à  ce  nouvel  âge.  La  force 
dmertîe  de  l'ignorance  et  de  TkaLitude  ne  leur  ont 
peut-être  pas  été  étrangères.  A.  lutter  continuel- 
lement contre  elles,  vient  la  fatigue.  Spartacus  eut 
peut-être  de  la  chance  de  trouver  la  mort  en  com- 
battant, sans  quoi  grâce  à  ses  qualités  il  fut  devenu 
quelque  haut  dignitaire  romain.  Néanmoins  toute 
la  sympathie  humaine  va  plutôt  à  Spartacus  qu'à 
Pompée.  Le  talent  sera  peut-être  lapanage  de 
celui-ci,  le  génie  héroïque  la  vertu  de  celui-là. 

99 


En  tout  cas,  que  ce  soit  besoin  de  repos,  dé- 
couragement devant  1  inertie  humaine,  ou  désir  de 
ne  pas  effriter  son  imagination  en  des  redites,  ce  qui 
est  peut-être  la  meilleure  raison,  Picasso  dans  ses 
toutes  dernières  oeuvres  a  marqué,  non  pas  un 
abandon  de  ses  anciennes  recherches,  mais  une 
tendance  à  retourner  parfois  à  la  tradition  des 
Musées.  Comme  je  lai  donné  à  entendre, la  re- 
nommée est  dangereuse  lorsqu'on  ne  la,  dirige 
plus.  Le  putlic  à  qui  la  valeur  l'avait  imposée  pa- 
raît se  venger  en  la  faisant  sienne  à  son  tour;  il 
semble  se  féliciter  de  lavoir  décernée  en  la  rame- 
nant à  sa  mesure.  C'est  aussi  qu'hélas!  il  ne  fau- 
drait jamais  nen  dire  devant  les  enfants!  Dans  un 
article  sur  Picasso  publié  dans  un  magazine  tiré  à 
plus  de  cent  mille  exemplaires.  Ion  put  lire  en 
regard  de  reproductions  de  dessins  classiques  et 
de  reproductions  d'oeuvres  cuoistes  de  notre  artiste 
cette  assertion  d'un  chroniqueur  soucieux  de  ne  pas 
choquer  la  clientèle  du  périodique,  à  savoir  que  ces 

100 


I 


essais  découpés  et  hachés,  les  dessins  cubistes,  n'a- 
vaient jamais  été  composés  que  pour  permettre  à 
Picasso  de  produire  ces  beaux  dessins  pleins  de 
pureté  et  qui  rappelaient  la  manière  d  Ingres.  Cette 
erreur  assez  significative  corroborait  pourtant  une 
idée  non  moins  erronée,  qui  subsiste  encore  en  cer- 
tains esprits,  et  qui  tend  à  faire  passer  l'oeuvre 
cubiste  pour  une  suite  au  goût  de  déformation  des 
Post  -  Impressionistes.  L'ignorance  naturelle  ou 
voulue  qui  est  seule  responsable  de  cette  con- 
fusion véritablement  extraordinaire  est  certes  pré- 
judiciable, puisque  des  écrivains  considérés  s'en 
sont  emparée  pour  la  commenter  en  des  hérésies 
bien  propres  à  complaire  aux  lecteurs  qui  leur  ont 
imposé  leurs  goûts.  Je  recommanderais  volontiers  à 
ce  sujet  la  lecture  de  certaines  cbroniques  de  M. 
H.  Bidou,  dans  limportant  organe  qu'est  le 
<^Temps;>.  Elles  forment  des  commentaires  qui  re- 
posent sur  les  plus  décourageantes  erreurs.  Le  Cu- 
bisme est  assimilé  là  à  rlmpressionnisme,  et  il  n'est 

101 


question  à  propos  des  ses  efforts  que  de  << suggestion» 
d\^ analogie»  c'est-à-dire  toutes  idées  intégralement 
contraires  à  l'esprit  du  Cubisme  et  de  1  art  de 
Picasso. 

Or  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  CuDisme  est 
ISSU  d'une  estkétique  absolument  spéciale,  qu\l 
possède  même  sa  propre  estnétique;  c'est  une  erreur 
grave  de  vouloir  rattacher  ses  manifestations  aux 
différentes  esthétiques  traditionnelles. 

Quoi  qu'il  en  soit^  cet  achat  d'un  costumiC 
classique  et  tout  fait,  ou  à  peu  près,  qu'effectua 
Picasso  soit  en  atordant  le  tnéâtre,  soit  plus  encore 
en  exécutant  des  portraits,sembla  donner  à  enten- 
dre que  lartiste  ne  considérait  plus  l'art  comme 
dénué  de  «fin».  Il  se  passa  là  dans  l'âme  de  Picasso 
un  drame  semblable  à  ceux  qui  se  jouent  générale- 
ment dans  toutes  ses  toiles.  Or  pareil  événement  ne 
peut  guère  se  produire  sans  les  avertissements  les 
plus  cruels,  et  puisque  Picasso  fut  élevé  dans  un 
respect  et  un  amour  des  règles  étabues,  il  était  très 

102 


kumain  que  le  doute  survenu  cnez  lui  à  propos  de 
la  valeur  des  règles  rinît,  sur  certaines  craintes,  à 
lui  faire  suspecter  la  propre  valeur  des  découver- 
tes qu'il  faisait  en  sa  sensibilité. 

J'ai  écrit  que  lorsque  Ton  tentait  de  sonder  le 
mystère  de  Tâme  multiple  et  insaisissable  de 
Picasso,  Ton  avait  comme  Timpression  de  jouer 
avec  le  feu.  Picasso  paraît  en  effet  posséder  une 
prédilection  marquée  pour  jouer  avec  ce  redou- 
table élément.  La  puissance  de  son  habileté  ly 
autorisait  certes,  encore  que  cette  assurance  ne  le 
tînt  pas  à  1  aori  d'un  accident  léger  ou  même  d'une 
catastropke.  Il  était  donc  en  ce  cas  tenu  de  comp- 
ter avec  un  nouveau  partenaire  plus  ou  moins 
disposé  à  entrer  fidèlement  dans  ses  vues,  à  savoir: 
la  ckance.  Si  habile  que  soit  Taviateur,  il  emporte 
un  féticke  et  quelquefois  il  est  sincère.  Nous 
supposons  donc  qu'entre  ces  voyages  répétés  de 
l'univers  commun  à  soi-même,  Picasso  dût  comp- 
ter sur  une  aide  dont  il  sentait  désormais  le  besoin, 

103 


à  savoir  cette  chance  personnifiée  par  une  gloire 
sinon  aussi  pure  que  la  première  du  moins  plus 
étendue.  C'est  peut-être  ainsi  que  Picasso  décida 
peu  à  peu  de  ne  plus  s'appuyer  exclusivement  sur 
sa  sensibilité  et  que  dès  lors  il  accepta  de  composer 
avec  diverses  influences  qui  finirent  par  assombrir 
quelque  peu  sa  personnauté. 

Ce  fut  par  le  tkéâtre  que  Picasso  déLuta  sur 
des  scènes  ou  d'autres  comédies  avaient  été  jouées 
déjà.  Les  Ballets  Russes  présentèrent  <^Parade;>, 
divertissement  plein  de  cnarme,  qualité  dont  jus- 
que là  Picasso  avait  fait  assez  bon  marclié  et  ce 
très  justement.  La  musique  d'Enk  Satie  était  mieux 
que  de  la  musique.  Elle  avait  fait  de  ce  Guignol 
cultivé  un  joli  bouquet  d'étincelles  paradoxales. 
Mais  le  Cubisme  pur  des  austères  natures-mortes 
de  Picasso  subissait  ici  une  première  attaque  de  la 
part  du  goût  décoratif.  Cependant  il  était  permis  de 
ne  voir  en  ce  divertissant  spectacle  qu'une  gageure 
ou  une  jolie  fantaisie  somme  toute  bien  légitime. 

104 


Plus  tard  toutefois,  suivirent  a  autres  spectacles 
qui  cette  rois  retournèrent  à  la  tradition  la  plus 
décorative  et  se  montrèrent  totalement  expurgés 
de  limagination  que  nous  avions  tant  de  fois 
Coûtée  chez  Picasso.  C'était  «le  Tricorne»,  et 
«Pulcinella>>,  joués  à  TOpéra  en  1919  et  1920.  Il 
s'agissait,  surtout  dans  le  «Tricorne»,  de  décors 
traités  à  la  manière  classique  et  agrémentés  de 
costumes  destinés  à  les  compléter  d'éléments 
d'karmonies  agréables.  Délectation  des  yeux,  un 
peu  longue  toutefois,  dont  la  diversité  mécanique 
revenait  trop  fréquemment;  mais  absence  de 
raisons  d'émotions  purement  artistiques.  Sans 
doute  ne  faut-il  pas  demander  à  un  Dallet  plus  qu  il 
ne  peut  donner.  Un  ballet  est  une  espèce  de  con- 
sortium de  tous  les  Arts.  Ils  s'y  alimentent  les  uns 
les  autres,  s'y  nuisent  ou  s'y  aident  tour  à  tour.  Le 
scénario,  la  musique,  les  décors,  les  costumes,  la 
science  des  danseurs  s'y  bousculent,  c  est  un  peu 
les  spectacles  multiples  de  Barnum;  un  ballet  est 

105 


surtout  un  bal  avec  toutefois  la  fraîcheur  et  lim- 
prévu  de  ce  dernier  en  moins.  Aussi  la  pureté  de 
ckacun  des  arts  qui  entrent  dans  sa  composition 
est-elle  nécessairement  compromise;  i  équivoque 
apparaît  immédiatement  suivi  de  i  ennui  le  plus 
inévitable. 

La  collaboration  de  Picasso  aux  Ballets  Russes 
nous  amène  à  envisager  si  cet  événement  ne  fit  pas 
sentir  son  influence  sur  son  oeuvre  générale.  Or 
dans  les  dernières  productions  de  Picasso  1  on  a 
constaté  un  retour  de  Fartiste  à  cette  influence  de 
la  peinture  italienne  qui  dans  sa  jeunesse  avait 
déjà  porté  sur  lui  son  empreinte.  Une  sorte  d'idé- 
alisme un  peu  sensuel  bien  en  rapport  avec  son 
tempérament  ly  faisait  se  rapprocber  des  artistes 
de  la  Renaissance,  en  passant  par  Finfluence  de 
lart  des  gravures  et  des  gouaches  de  la  Restaura- 
tion et  de  Louis-Pbilippe.  La  sensibilité  de  Picasso 
y  semble  comme  transformée.  Elle  paraît  plus 
éclectique,  plus  rationnelle,  en  un  mot  elle  se  prend 

106 


à  <^ckoisir^>,  et  finit  par  trouver  dans  lobjectivité 
des  éléments  insoupçonnés  auxquels  elle  confère 
une  cote  qui  certes  n  est  pas  une  cote  d  amour  pur, 
et  qui  contriDue  à  constituer  en  lui  une  nouvelle 
manière  de  concevoir  une  venté.  Certes  sa  raison 
lui  présente  toutes  sortes  d'excuses  qui  ne  sont  pas 
sans  valeur.  Comme  elle  est  née  de  son  éducation, 
elle  confesse  volontiers  d'abord  qu'elle  est  souvent 
impuissante  à  maîtriser  les  poussées  d'une  sensi- 
bilité toujours  en  éveil,  toujours  renaissante.  A  la 
lumière,  à  la  perspicacité  de  l'intelligence  les  dog- 
mes découvrent  leurs  points  faibles.  Pourquoi,  en 
1  honneur  de  la  raison,  vouloir  donner  un  sens 
aux  oeuvres  d'art  puisque  les  mots  qui  sont  des 
objets  merveilleux  sont  impuissants  à  en  four- 
nir eux-mêmes.  Ne  serait-ce  pas  pour  ce  motif 
que  Tart  n'a  pas  de  fins?  La  raison,  nélas!  est 
ODugée  de  se  mirer  dans  le  miroir  du  voisin  car 
elle  n'en  possède  pas  en  propre  et  ne  se  connaît 
qu'à  travers  toutes  les  manifestations  humaines. 

107 


La  raison  d'état  classique  se  meut  en  effet  dans 
un  cercle,  elle  est  une  sorte  de  <dooping  tke  loop?> 
dont  la  voie  est  tracée  par  des  rails  et  le  ckar 
attaché,  de  sorte  qu'il  n  y  a  plus  guère  d'accidents 
à  redouter^  qu'elle  ne  fait  que  redire  avec  plus  ou 
moins  de  précision  les  choses  déjà  dites,  et  qu'elle 
se  voit  enfin  éternellement  condamnée  à  ne  jamais 
sentir  ce  qu'elle  fait  malgré  qu'elle  l'exécute  avec 
les  plus  laborieuses  difficultés. 

De  son  côté  la  sensiDilité  Kbre  de  Picasso  ne  lui 
cachait  pas  non  plus  les  difficultés  et  les  déboires 
auxquels  elle  se  sentait  exposée.  La  certitude  chez 
lui  devenait  de  plus  en  plus  vacillante.  Comme  3  e  l'ai 
dit,  sa  sensibilité  finissait  par  douter  de  sa  propre 
force  et  ce  surtout  lorsqu'elle  se  prenait  à  envier 
les  dogmes  de  la  raison  artistique  plus  conformes 
au  commerce  commun  des  nommes.  La  sensibilité 
de  Picasso  devint  donc  plus  raisonneuse,  si  l'on 
peut  dire,  ou  plutôt  l'instmct  de  la  conservation 
lui  fit  remarquer  qu'elle  l'entraînait  parfois  sur 

108 


I 


des  pentes  dangereuses  dans  lesquelles  il  éprouvait 
certaines  dirricultés  à  rester  maître  de  sa  propre 
direction.  Plus  encore,  cette  sensibilité  ressentait 
comme  des  terreurs  parce  qu'il  lui  arrivait  parfois 
de  se  sentir  acculé  dans  une  sorte  d'impasse 
derrière  laquelle  il  y  avait  tien  quelque  ckose 
sans  doute,  mais  un  quelque  chose  qu'elle  ne  par- 
venait jamais  à  identifier.  Elle  voyait  encore 
surgir  devant  elle  le  Hasard,  le  kasard  et  ses  ren- 
contres qui  plaisent  un  jour  pour  déplaire  défini- 
tivement le  lendemain.  Enfin  cette  sensibilité 
Teffraya  d'une  façon  totale  lorsqu'elle  lui  fit 
croire  qu'il  saurait  peut-être  toujours  ce  quil 
voulait  faire,  mais  que  selon  toutes  probaDilités  il 
ne  le  ferait  jamais. 

C'est  de  cette  façon  que  la  plus  précise  incerti- 
tude le  fit  souvent  késiter.  Pourtant  si  la  Foi  est 
un  immeuble  irréparable,  Picasso  ne  se  laissa 
jamais  aller  longtemps  à  essayer  de  conciner  les 
inconciKables.  Il  se  souvint  vite  que  s'il  n'y  a  pas 

109 


de  maladies,  mais  des  malades,  pas  d'Art,  mais  des 
artistes  et  que  lorsque  Ion  ne  crée  plus,  1  on  imite. 
Et  au  lieu  de  se  laisser  suborner  entièrement  par 
ces  deux  éléments  de  sa  personnalité,  il  préféra 
leur  faire  tour  à  tour  des  concessions,  concessions 
qui  à  1  encontre  de  ce  qui  arriva  aux  artistes  de 
lantiquité,  ne  furent  heureusement  jamais  perdues 
pour  lui. 

Malgré  que  Picasso  soit  tout  de  même  un  peu 
sceptique,  le  sensualisme  qui  ne  croit  à  nen  qu  à 
ses  sensations  et  la  raison  qui  n  entend  que  ses 
raisonnements,  ne  purent  lui  faire  oublier  à 
défaut  de  foi  son  besoin  d'une  passion  pure  et  d'un 
amour  profond.  Le  vieil  idéalisme  de  sa  nature 
était  né  dans  son  coeur  d*un  réel  besoin  d'illusions, 
tesoin  qui  éclatait  dans  cliacune  de  ses  oeuvres. 
Et  c'est  alors  qu'à  la  foi  en  cette  venté  personnelle 
qui  semblait  le  fuir,  se  substitua  cette  tendance  à 
admettre  une  sorte  de  proDabilisme  qui  se  déve- 
loppa au  jour  le  jour  suivant  des  convictions  de 


plus  en  plus  probables.  La  civilisation  nous  inter- 
dit de  plus  en  plus  la  foi  au  cbarbonnier.  D'autre 
part  tout  le  monde  ne  peut-être  Pascal.  C  est  pour- 
quoi la  TOI  a  pris  de  nos  ]ours  la  forme  de  la 
croyance.  Or  Picasso  a  voulu,  semble -t- il, 
dans  ses  dernières  oeuvres  grouper  dans  une  seule 
croyance  toutes  les  données  des  règles  de  lÀrt  qui 
ayant  été  passées  au  crible  de  son  intelligence  lui 
paraissent  probablement  valables  ainsi  que  les  in- 
jonctions de  sa  sensibilité  auxquelles  il  croit  pou- 
voir donner  une  confiance  possible.  Il  est  pourtant 
patent  que  ces  croyances  ne  déterminent  plus  chez 
Picasso  la  certitude  avec  laquelle  il  posait 
déubérément  les  premières  trouvailles  de  son 
imagination.  V  oilà  qui  sans  doute  est  très  bumain, 
et  SI  Picasso  est  condamné  à  ne  plus  ressentir  les 
satisfactions  sublimes  de  la  foi  aveugle,  grâce  à 
cette  croyance  en  des  choses  probables,  il  ne  dé- 
truira pas  loeuvre  personnelle  qu il  a  durement 
édifiée.    La  conscience  de  sa  sensibilité  présente 

m 


sera  toujours  coratmée  au  souvenir  de  ce  qu  elle 
a  été  dans  le  passé.  Il  conservera  en  son  coeur  le 
souvenir  de  la  foi  quil  a  connue. 

Il  n'en  subsiste  pas  moins  dans  1  oeuvre  de 
Picasso  un  certain  flottement  qui  périodiquement 
lui  fait  envisager  un  jour  la  possibilité  du  con- 
traire de  ce  qu'il  croyait  la  veille.  Cependant 
i  incertitude  poussée  à  ce  point  forme  actuellement 
le  plus  puissant  stimulant  pour  le  renouvellement 
quotidien  de  son  œuvre,  de  celle  qu\l  exécute  du 
moins  aujourd'hui.  Entre  deux  retours  à  la  tradi- 
tion, Picasso  consent  encore  à  se  laisser  aller  à  des 
essais  où  perce  oeaucoup  de  fraîcneur,  mais  aussi 
du  bon  goût.  Il  est  bien  évident  que  dans  son 
oeuvre  de  maintenant,  Picasso  unit  à  lardeur  de 
son  tempérament  espagnol  la  circonspection  la  plus 
française  et  ce  n'est  pas  sans  quelque  raison  qu'on 

l'a  jugée  très  <^dix-nuitième  siècle  français»,  bans 

1^^  ^  *  •        '1 

a  comparaison  jusqua  cette  précision  il 

est  visible  que  Picasso  a  du  «dix-nuitième  siècle j> 
112 


Tesprit  curieux  et  inventif,  et  que  la  peinture  a 
été  régénérée  grâce  à  ses  hypothèses  lumineuses. 
Il  a  encore  du  18^  Siècle  l'esprit  des  encyclopé- 
distes et  l'amour  du  paradoxe,  étant  entendu  que 
nous  attribuons  au  mot  paradoxe  la  qualité  de 
vérités  lumineuses  que  personne  n  ose  dire. 

Cette  opinion  a  été  pour  oeaucoup  dans  la 
décision  prise  par  plusieurs  critiques,  voire  même 
de  peintres,  que  i  oeuvre  de  Picasso  serait  décrétée: 
oeuvre  de  transition.  Il  m'est  impossible  de  par- 
tager cette  façon  de  juger,  car  la  justice  fait  encore 
intervenir  ici  son  appareil  ordinaire.  Les  artistes 
et  les  critiques  le  mieux  disposés  en  faveur  de 
r oeuvre  de  Picasso  admettent  à  la  rigueur  que  son 
effort  présente  quelque  valeur,  mais  comme  ils 
n'ont  pu  se  mettre  totalement  à  son  unisson  ils  lui 
refusent  le  caractère  définitif  d'une  oeuvre 
accomplie.  La  personnalité  de  Picasso  les  dépassant 
de  beaucoup,  ils  ne  manquent  pas  de  demander 
des  <fréalisatîons»  à  une  oeuvre  qui  est  une  réalité 

113 


même.  De  là  à  définir  Tef f ort  de  Picasso  sous  Téti- 
quette  <^art  de  transition»,  il  n'y  a  qu  un  pas.  Cepen- 
dant pour  que  cette  assertion  qui  fleure  la  méthode 
et  la  comparaison  académiques,  réponde  à  la  rigueur 
du  raisonnement  qui  Ta  conçue,  il  faudrait  que  les 
deux  termes  de  la  proposition  fussent  connus.  Or 
comment  Tart  de  Picasso  est-il  une  transition? 
Transition  entre  quoi  et  quoi?  Nous  devinons  le 
premier  terme  de  la  proposition,  mais  le  second  res- 
tant parfaitement  inconnu,  l  opinion  se  trouve 
dénuée  de  toute  valeur.  Je  pense  en  effet  que  nous 
ne  profanerons  pas  le  pur  effort  et  si  complet  de 
Picasso  en  attribuant  à  son  oeuvre  Tatoutissement 
où  croient  1  avoir  conduit  ceux  des  artistes  qui  ont 
adapté  ses  trouvailles  si  personnelles  aux  nécessités 
de  Tart  académique  ou  post-impressionniste.  Ceci 
n'a  rien  à  voir  à  cela.  Il  est  puénl  de  vouloir  ratta- 
clier  le  Cubisme  au  Louvre.  Picasso  pose  des  nypo- 
tkèses  qui  dépassent  Tart  des  Musées,  encore  qu'il 
ne  se  donne  pas  toujours  le  soin  de  les  expérimenter. 

U4 


Il  reste  néanmoins  que  grâce  aux  dons  qu  il 
possède,  grâce  aussi  à  sa  sagesse,  Picasso  confère  à 
SCS  li3rpotnèses  toute  la  vraisemolance  qui  leur  est 
nécessaire.  Tant  il  y  a  que  chez  les  grands  artistes 
la  vraisemblance  tient  lieu  de  vérité.  Il  n'y  a  donc 
pas  lieu  de  s'étonner  que  déjà  monte  la  génération 
qui  succédera  à  celle  qui,  avec  les  grands  croyants 
que  furent  Picasso,  Braque,  Léger,  Juan  Gns, 
Gleizes  et  Metzmger,  a  édifié  Toeuvre  que  Ion 
connaît.  Nous  savons  ce  que  ses  successeurs  ont 
fait  de  rlmpressionnisme,  aussi  nul  doute  que  déjà 
la  même  tendance  ne  se  dessine  et  que  lapplica- 
tion  raisonnée  de  1  oeuvre  inspirée  de  Picasso  ne 
commence  à  se  faire  jour.  Toutefois  1  effort  de 
Picasso  posé  définitivement  ne  sera  ni  augmenté 
ni  diminué.  Et  ceci  apparaîtra  d'autant  plus 
juste  que  ]e  tiens  la  sensibilité  de  Picasso  pour 
inépuisable  et  que  lorsque  reviendront  en  leur 
temps  certains  sursauts  de  cette  foi  qui  ne  peut 
être   absolument   éteinte  au  fond  de  son  coeur, 

115 


il  jettera  encore  la  consternation  parmi  ceux-là 
qui  avaient  cru  pouvoir  déjà  prendre  sa  mesure. 
Que  Ton  se  rappelle  la  pensée  de  Bacon:  la  vérité 
sort  plutôt  de  l'erreur  que  de  la  confusion.  Les 
successeurs  de  rimpressionnisme  emporteront 
dans  ITÎistoire  de  TÀrt  la  responsabilité  de 
nVvoir  pas  tenu  compte  de  cet  avertissement. 
Je  cite  souvent  la  parole  de  Pytnagore  qui  sou- 
tient que  SI  Ton  est  perdu  dans  une  forêt  il  vaut 
mieux  marcher  droit  devant  soi  que  cnercner  de 
droite  et  de  gaucke,  et  à  tâtons,  une  issue  problé- 
matique. Il  est  possitle  qu'avec  le  temps  Picasso 
fasse  de  1  incertitude  numame  à  laquelle  il  est  en 
proie  une  sorte  de  règle  de  conduite  comme  le 
conseillait  le  pkilosoplie.  Mais  je  lui  donne  rendez- 
vous  aux  heures  graves  ou  non  plus  livré  à  soi- 
même,  mais  plus  maître  de  soi-même,  il  trouvera 
certainement  encore  dans  les  oscillations  de  sa 
croyance  en  la  probabilité  de  ses  convictions  cer- 
tains accords  qui  éclateront  en  des  oeuvres  plus 

116 


éclatantes  encore  parce  que  plus  conformes  à  cette 
recnercne  des  raisons  pures  de  la  peinture  dont  il 
aura  été  le  plus  brillant  organisateur. 


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Eaux -fortes 


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L(Cf''/,o 


I    Tête   iie   femme.    1901     ^Dessin  au  crayon) 


T.-oH'ai^r.-n;,.»'-  .""'  V7f^'    "i-^t 


n   L'étreinte.    1903    <Pastel) 


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m    Portrait   de   l'artiste.    1904    (Deasin  à  la  plume) 


1 


'^  c^^, 


/  ^  0  IV 


IV  Octavio  Canaîs.   1904   (Dessin  à  la  plume) 


V  Le  hoiteux.    1904    (Dessin  à  la  plume) 


^dCjù^'M^' 


■^ 


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<5-^  5^-^'  .^ 


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\1   ,Vu5.    1905    'Ds-.-'in  su  crrayon/ 


■^; 


'r     -i 


X   Guillaume  A^oll  inaire.    1905   (Dessin  à  la  plume) 


■à 


■-*     -^és. 


XI  Tête  de  femme.   1906  <Fu8am) 


I 


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XII  Portrait.   1906   (Dessin  au  crayon) 


Y    ) 


Y      i 


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v^- 


XIII  Deux  femmes.    1906   (Dessin  au  crayon) 


■tsift'js 


X-® 


XIV   Portrait.    1906    (Dessin  au  crayon) 


XV  Nu.   1907  (Lavis) 


#■ 


XVI   Nu.     1910  (Dessin  à  la  plume) 


'ïSÊPv'l-.t'Â^-^î^  Srf.  ,|/,'cè*èr 


XIX   Nature  morte.  1913  (Dessin  avec  papier  colle') 


XX  Nu.   1913   <Dessin  avec  papier  collé) 


XXI  Tête.    1913    (Dessin  avec  papier  collé) 


XXII   Nature    morte.    1913    (Dessin  avec  papier  collé) 


m iiiiBijy 


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•  --r.»?-^»!»»;' 


XXIV   Nu.    1914    (Dessin  avec  papier  collé) 


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XXV    Tète.    1914    (Dessin  avec  papier  colle') 


/ 


iV 


/ 


XXVI   M.    Ansermet.    1917    <Dess;n 


in  au  crayon/ 


XXVIII    Arlequin.     1919    (Dessin  au  crayon/ 


( 


w 


XXXI  Pierrot.    1919   (Dessin  au  crayon) 


Peintures 


Mat  émit  t 


1901  (Gouache) 


F 


l-yp 


Mat  émit , 


1901   (Peinture  à  l'Wle) 


Le  h  o  ck 


1902  (Peinture  à  l'huile) 


Fem  me  au  c  a  f  i 


1902  <Peinture  à  Thuile) 


1902  (Peinture  à  l'huile) 


^J^^^'' 


i 


Portrait   de  f e 


1903  (Peinture  à  Thuile) 


F  e  m.  m  i 


1903  (Peinture  à  l'huile) 


10 


L'aveuglé 


1903  (Gouache) 


11 


Femme   accroupi 


J 

1903  (Peinture  à  l'huile) 


12 


Têti 


1904  (Gouaclie) 


13 


( 


Les   BaJad, 


1904  (Peinture  à  Tliuile) 


14 


Portrait 


1904  (Peinture  à  l'huile) 


15 


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K 


lé 


L'  éventail 


1904  (Peinture  à  Thuile) 


17 


L'  acti 


1904  (Peinture  à  l'huile) 


18 


La   famille  au   sing t 


1905  (Gouacte) 


19 


i 


Le  panier  fleuri  1905  (Peinture  à  l'huile) 


20 


Arlequi 


1905  (Peinture  à  Thuile) 


21 


La   houle 


1905  (Peinture  à  1  huile) 


22 


Nu 


1905  (Gouache) 


23 


Tête   de  fi 


1905  (Peinture  à  Thuile) 


24 


i 


Souvenir   de   H oll a  ndi 


1905  (Peinture  à  Thuile) 


25 


Nu 


1906  (Gouacte) 


26 


i 


i 


Portrait   de   fe 


1906  (Gouache) 


27 


1 


Têti 


1907  (Peinture  à  l'huile) 


28 


i 


Fh 


1907  (Peinture  à  riiuile) 


29 


Bols   et  flacom 


1908  (Peinture  à  Thuile) 


30 


L  e  s  ^  i 


1909  <Pemture  à  l'huile) 


31 


Tête   de  fe 


1909  {Peinture  à  l'huile) 


32 


Larl, 


1909  (Peinture  à  l'huile) 


33 


34 


35 


36 


37 


Portrait   de  M.  Henry  Kahnwe  r'iei 


1910  <Pemture  à  Thuile) 


38 


To^ 


1910  (Peinture  à  l'huile) 


39 


f^*  ■  JIR  ç 


J^a  tur  e   mort , 


1911   (Peinture  à  l'huile) 


R  10 


40 


L    h  0  mm  e   à   la   clarinette 


1912  (Peinture  à  Thuile) 


41 


BuffaJo   BiU 


1^12  (Peinture  à  l'huile) 


42 


L'homme   à   ?  a   m  an  d  oli  m 


1912  (Peinture  à  l'huile^ 


43 


44 


Guitare 


1914  {Peinture  à  l'huile) 


45 


<Galer;e  Léonce   Rosenberg) 


L'homme   aux   cartes 


1914  (Peinture  à  Thuile) 


46 


Fia  u  r  < 


1914  (Peinture  à  l'huile) 


47 


48 


M  k  .1(1  L  n 


:Galerie   Léonce  Rosenberg) 


..Ma  Joh 


1915  (Peinture  à  l'huile) 


49 


50 


<Galerie     Paul    Rosenberg) 


Arlequin   au    violai 


1918  (Peinture  à  Thuile) 


51 


<Galerie  Léonce  Rosenberg) 


Arlequin    à   la   guitare 


1918  (Peinture  à  Thuile) 


52 


Arlequin 


1918  (Peinture  à  Ttuile) 


53 


<Galerie   Paul  Rosenberg) 


Portrait 


1918  (Peinture  à  Thuile) 


54 


(Galerie   Paul  Rosenberg) 


Portrait 


1919  (Peinture  à  l'huile) 


55 


56 


57 


Scul^^tures 


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Têt, 


1905 


58 


J^a  t  ur  e   mort 


59 


Le   verre   d'  ah  s  i  nthi 


1914 


60 


r  emi e  r  m  a  na  g i 


1920  (Ballets  Russes) 


61 


■  u  X  7  e  me   manager 


1920  (Ballets  Russes) 


62 


Table  des  illustrations 

Buste  par  Pablo  Gargallo.  Frontispice. 

EauX'fortes 

Acrobates  (1905) 

La  famille  de  l'Arlequin  (1905) 

Salomé  (1905) 

Les  Pauvres  (1905) 

Nu  (1910) 

Nu  (1910) 

Le  Couvent  (1910) 

Dessins 
Tête  de  femme,  dessin  au  crayon  (1901) 
L  étreinte,  pastel  (1903) 

Portrait  de  l'artiste,  dessin  à  la  plume  (1904) 
Octavio  Canals,  dessin  à  la  plume  (1904) 
Le  Boiteux,  dessin  à  la  plume  (1904) 
Nus,  dessin  au  crayon  (1905) 
Salomé,  dessin  à  la  plume  (1905) 
Les  Saltimbanques,  dessin  à  la  plume  (1905) 
Figures,  dessin  à  la  plume  (1905) 
Guillaume  Apollinaire,  dessin  à  la  plume  (1905) 
Tête  de  femme,  fusain  (1906) 
Portrait,  dessin  au  crayon  (1906) 
Deux  femmes,  dessin  au  crayon  (1906) 
Portrait,  dessin  au  crayon  (1906) 
Nu.  dessin  (1907) 
Nu,  dessin  à  la  plume  (1910) 
La  Table,  fusain  (1910) 
Liatrumentfl  de  musique,  aquarelle  (1912) 


Nature  morte,  dessin  avec  papier  collé  (1913/ 

Nu,  dessin  avec  papier  collé  (1913) 

Tête,  dessin  avec  papier  collé  (1913) 

Nature  morte,  dessin  avec  papier  collé  (1913) 

Le  paquet  de  tabac,  dessin  avec  papier  collé  (1914) 

Nu,  dessin  avec  papier  collé  (1914) 

Tête,  dessin  avec  papier  collé  (1914) 

M.  Ânsermet,  crayon  (1917) 

Portraits,  crayon  (1918) 

Arlequin,  crayon  (1919) 

Moissonneurs,  crayon  (1919) 

Moissonneurs,  crayon  (1919) 

Pierrot,  crayon  (1919) 

Peintures 

Maternité,  gouache  (1901) 

Maternité,  peinture  à  Thuile  (1901) 

Le  Bock,  peinture  à  l'huile  (1902) 

Femme  au  café,  peinture  à  ITiuile  (1902) 

Maternité,  peinture  à  l'huile  (1902) 

Les  Fugitifs,  peinture  à  l'huile  (1903) 

La  famille  Soler,  peinture  à  l'huile  (1903) 

La  Soupe,  peinture  à  l'huile  (1903) 

Portrait  de  femme,  peinture  à  l'huile  (1903) 

Femme  assise,  peinture  à  l'huile  (1903) 

L'Aveugle,  gouache  (1903) 

Femme  accroupie,  peinture  à  l'huile  (1903) 

Tête,  gouache  (1904) 

Les  Baladins,  peinture  à  l'huile  (1904) 

Portrait,  peinture  à  l'huile  (1904) 

La  mort  d'Arlequin,  gouache  (1904) 

L'EveataiL,  peinture  à  l'huile  (1904) 

L'Acteur,  peinture  à  l'huile  (1904) 

La  famille  au  singe,  gouache  (1905) 

Le  panier  fleuri,  peinture  à  l'huile  (1205) 

Arlequin,  peinture  à  l'huile  (1905) 


La  Boule,  peinture  à  l'huile  (1905) 

Nu,  gouache  (1905) 

Tête  de  femme,  peinture  à  l'huile  (1905) 

Nu,  gouache  (1906) 

Portrait  de  femme,  gouache  (1906) 

Tête,  peinture  à  l'huile  (1907) 

Fleurs,  peinture  à  l'huile  (1907) 

Bols  et  flacons,  peinture  à  l'huile  (1908) 

Les  Poissons,  peinture  à  l'huile  (1909) 

Tête  de  femme,  peinture  à  l'huile  (1909) 

L'Arlequin,  peinture  à  l'huile  (1909) 

La  Brioche,  peinture  à  l'huile  (1909) 

Paysage,  peinture  à  l'huile  (1909) 

Maisons  à  Horta,  peinture  à  l'huile  (1909) 

L'Usine.  Horta  de  Ebro,  peinture  à  l'huile  (1909) 

Portrait  de  M.  Henry  Kahnweiler,  peinture  à  l'huile  (1910) 

Torse,  peinture  à  l'huile  (1910) 

Nature  morte,  peinture  à  l'huile  (1911) 

L'Homme  à  la  clarinette,  peinture  à  l'huile  (1912) 

Buffalo  Bai,  peinture  à  l'huile  (1912) 

L'Homme  à  la  mandoline,  peinture  à  l'huile  (1912) 

Tête  de  mort  et  guitare,  peinture  à  l'huile  (1914) 

Guitare,  peinture  à  l'huile  (1914) 

L'Homme  aux  cartes,  peinture  à  l'huile  (1914) 

Figure,  peinture  à  l'huile  (1914) 

Le  Compotier,  peinture  à  l'huile  (1915) 

,.Ma  jolie",  peinture  à  l'huile  (1915) 

Nature  morte,  peinture  à  l'huile  (1916) 

Arlequin  au  violon,  peinture  à  l'huile  (1918) 

Arlequin  à  la  guitare,  peinture  à  l'huile  (1918) 

Arlequin,  peinture  à  l'huile  (1918) 

Portrait,  peinture  à  l'huile  (1918) 

Portrait,  peinture  à  l'huile  (1919) 

La  Table  devant  la  fenêtre,  peinture  à  l'huile  (1919) 

Paysage,  peinture  à  l'huile  (1919) 


Scu^tures 

Tcte  (1905) 

Nature  morte  (1913) 

Le  verre  d'absinthe  (1914) 

Premier  manager  (Ballet  Russe)  (1920) 

Deuxième  manager  (Ballet  Russe)  (1920) 

Les  originaux  des  eaux  fortes  A,  B,  C,  D,  des  dessins  I,  V-IX,  XI-XIV  et 
du  dessin  sur  la  page  6  de  la  tatle  appartiennent  à  Madame  Paul  Haldschinsky, 
l'original  du  dessin  III  est  à  la  Galerie  Gaspari  à  Munich,  celui  du  dessin 
IV  à  Monsieur  Rolf  von  Hoerschelman  à  Munich.  L'original  du  dessin 
XVIII  et  les  tableaux  46,  48,  49,  50  et  52  appartiennent  à  la  Galerie  Léonce 
Rosenberg  à  Paris;  les  originaux  des  dessins  XXVII-XXXl  (tirés  de  l'Esprit 
nouveau)  et  des  tableaux  51,  54-57  appartiennent  à  la  Galerie  Paul  Rosen- 
berg à  Paris.  La  Galerie Thannhauser  à  Munich  possède  l'original  du  tableau  5, 
le  Dr.  M.  Kramar  à  Prague  possède  les  originaux  des  eaux  fortes  E,  F,  G  et 
les  dessins  XVI  et  XVII. 

C  est  la  Galerie  Simon  de  Paris  qui  a  mis  aimablement  à  notre  disposition 
les  photographies  des  dessins  II,  XV,  XIX-XXV  et  des  tableaux  2-4,  6-22, 
24-45,  47,  58-60. 


Bihhogra^^Tiie 


Rodriguez  Codola:  ..Exposition  Ruiz-Picasso".   La  Vanguardia, 

Barcelona  1897 
Raventos:  ..Notes  sur  Picasso".   Barcelona  1898 
Giiillaume  Apollinaire:  ..Picasso".  La  Plume,  Paris,  Mai  1905 
Maurice  Raynal:  ..La  Section  d'or".  Paris  1912 
Maurice  Raynal:  ..La  Publicidad".  Barcelona  1912 
Guillaume  Apollinaire:  ..Montjoie".  Paris  1913 

Guillaume  Apollinaire:  ..Les  Peintres  Cubistes".  Paris.  Figuière.  1912 
Eugeni  d'Ors:  ..Poch  a  poch".  La  Veu  de  Gatalunya,  Barcelona  1912 
Fritz  Burger:  ..Cézanne  und  Hodler".  Miinclien.  Delphin-Verlag.  1912 
Max  Raphaël:  ..Von  Monet  zu  Picasso".  Munchen,  Delphin-Verlag,  1913 
Picasso:  ..Album  de  reproductions".  Roma.  Valori  Plastici,  1913 
Gustave  Coquiot:  ..Cubistes,    Futuristes  et  Passéistes".  Paris  1914 
Ozenfant  et  Jeanneret:  ..Après  le  Cubisme".  1918 
André  Salmon:  ..L'Europe  nouvelle".  Paris  1919 
André  Salmon:   ..Préface  au  Catalogue  de  l'Exposition  Picasso".    Chez  Paul 

Rosenberg  1919 
Joan  Sacs:  ..Picasso".  Vell  i  nou.  Barcelona  1919 
Jean  Cocteau:  ..Ode  à  Picasso".  La  Belle  Edition.  Paris  1919 
Jean  Cocteau:  „Le  Coq  et  l'Arlequin".  La  Sirène.  Paris  1919 
M.  van  Doesburg:    ..Drie  voordrachten  over  de  nieuwc  beeldende  Kunst", 

Leyden  1919 
Maurice  Raynal:  ..Picasso".  L'art  libre.  Bruxelles  1919 
Roger  AUard:  „Le  Nouveau  Spectateur".  Paris  1919 
Pierre  Reverdy:  ..Le  Cubisme,  poésie  plastique".  L'Art.  Paris  1919 
J.  Junoy:  „Arte  y  artistes".  Barcelona  1919 

J.  Llorens  Artigas  :  ..Picasso".  La 'Veu  de  Catalunya,  Barcelona  1919 
André  Salmon:  ..L'Art  vivant".  Grès,  Paris  1920 
André  Salmon:  ..Picasso".  L'Esprit  nouveau,  Paris  1920 
Louis  Vauxcelles  :  Le  Carnet  de  la  Semaine,  Paris  1920 


Maurice  Raynal:  „Picasso'\  Album  de  20  Reproductions.  Editions  de  FEfFort 

moderne,  Paris  1920 
Michel  Georges  Michel:  „Picasso".  Je  sais  tout,  Paris  1920 
Jacques  Emile  Blanche:  „Picasso".  Action  1920 

Léonce  A.  Rosenberg:  „Cubisme  et  Tradition".  L'Efifort  moderne,  Paris  1920 
Camille  Mauclair:   „Lart   indépendant   français    sous   la    III.  République". 

Paris  1920 
Jean  Cocteau:  «Carte  Blanche".  La  Sirène,  Paris  1920 

Daniel  Henry:  „Der  Weg  zum  Kubismus".  Mûnchen,  Delphin-Verlag,  1920 
Florent  Fels:  „Picasso".  Das  Kunstblatt,  Berlin  1921 

Ivan  GoU:  „Die  drei  guten  Geister  Frankreichs".  Berlin,  Erich  Reil?,  1920 
Armando  Ferri:  «L'Exposition  Picasso".  Roma,  Valori  Plastici,  1920 
Ivan  Goll;  ,,Uber  Kubismus".  Das  Kunstblatt,  Berb'n  1920 
Léonce  A.  Rosenberg:  «Parlons  peinture".  De  Stijl,  Leyden  1920 
Xenius  :  «Exposition  d'art  français  d'avant  garde  à  Barcelone".  La  Publicidad, 

Barcelona  1920 

Oeuvres  illustrées  ;^ar  Picasso 

«Alcools",  Poèmes  par  Guillaume  Apollinaire,  avec  un  portrait  de  l'auteur 

gravé  par  Picasso.  Mercure  de  France,  1913 
..Saint-Mathorel"  par  Max  Jacob,  avec  quatre  eaux-fortes  de  Picasso.  Edition 

Kahnweiler  1913 
«Le  Siège  de  Jérusalem"  par  Max  Jacob,   avec  trois  eaux-fortes  de  Picasso. 

Edition  Kahnweiler  1914 
.,Le   Cornet  à  dés"  par  Max  Jacob,  avec  une  eau-forte  de  Picasso.    Chez 

Fauteur,  1917 
«Le  Coq  et  l'Arlequin"  par  J.  Cocteau,  avec  trois  dessins  de  Picasso.    1919 
«Feu  de  joie"  par  L.  Aragon,  avec  un  dessin  de  Picasso.  Paris  1920 
«Le  Tricorne  enchanté",  album  de  dessins  par  Picasso.  Edition  P.  Rosenberg 
«Cravates  de  chauvre"  par  Pierre  Reverdy.  3  eaux  fortes  de  Picasso.  Edition 

Nord-Sud. 


Imprimerie  Spamer,  Leipzig 


r 


ND 

553 

F5R3 


Raynal,  Maurice 
Picasso 


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