PICASSO
PÀBLO GARGALLO ^ PlCASSO
MAURICE RAYNAL
PI C A S S O
AVEC CENT REPRODUCTIONS HORS TEXTE
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PARIS
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21, RUE HAUTEFEUILLE, VI
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FE3 -41966
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Grâce à la distinction profonde étaDiie par
notre génération entre les termes «sensualités)
et «sensitiKté», distinction en quoi il faudra clier-
cker le sens de la réaction qui s attacke déjà au
nom de Picasso, nous avons su qu'il y avait des
découvertes à faire dans le monde de la sensibilité
comme dans celui de la physique. Telle sera en
effet iune des bases de 1 Esthétique contemporaine
et en particuuer de 1 oeuvre de Picasso. Toute-
fois cbaque découverte n'apportant pas du premier
coup sa perfection, il est assez naturel que les
efforts tentés depuis bientôt vingt ans aient été
souvent traduits par les bésitations les plus légi-
times, des hésitations souvent remarquablement
fécondes. Léonard de Vinci disait: «Lie peintre
qui ne doute point progresse peu. Quand loeuvre
remporte sur Testime que lui porte l'ouvrier, cet
ouvrier ne progresse guère. Et si cette estime sur-
passe son oeuvre, il ne cesse jamais daméliorer
cette oeuvre à condition que Tavarice ne Ten
empêcke point.» Nous sommes donc loin de ce
que les successeurs de rlmpressionnisme appellent
du terme «réaliser». Pour eux, réaliser est porter
immédiatement à sa perfection d'expression toute
sensation objectivée; c est tirer d'emblée comme le
<c maximum de rendement» de ce qu'ils ont pris
pour une invention; c'est en un mot trouver
la Vérité. Or Ton ne trouve pas la Vérité et
puisqu'au contraire, elle nous échappe au moment
qu on croit la toucber, il ne faut pas s'étonner que
comme iHermès classique, i oeuvre de Picasso ait
deux figures. Si Picasso a vécu vingt ans avec les
Morts, il en a passé vingt autres avec les Vivants;
or cela n'est pas en vain. Nous verrons seulement
que malgré leurs apparences individualistes les
découvertes de notre sensibilité se rattachent tou-
jours à ses manifestations les plus connues, et que,
partant, les révolutions artistiques ne sont que des
6
soutresauts passagers de Tévolution permanente
qui traîne derrière soi le troupeau numain.
Pour goûter pleinement ioeuvre de Picasso il
faudrait tout d'atord évoquer quelques-uns des
points qui marquèrent tour à tour les alternances
révolutionnaires et évolutionnistes de 1 art de notre
génération.
Comme je lindiquais, il est donné aux artistes,
avant toute intervention de la psycno-pnysiologie
de découvrir certains points inexplorés de notre
sensibilité. Il suit de là que mettre à nu certaines
propriétés de cette sensibilité n'est pas devancer
son temps, mais simplement voir plus clair que le
voisin. <^Nous ne remarquons pas toujours ce que
nous savons^>, disait Leionitz; il faudrait ajouter
que nous ne remarquons pas toujours non plus ce
que nous «sentons^>. Or ceci ne va pas sans diffi-
cultés: ceux qui assument pareille tâcne ont à
vaincre Tindiff érence, Ikatitude et la peur Lumai-
nes. C'est pourquoi Tliéroïsme en Art se réfugie
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de plus en plus vers certains extrêmes, i extrême
jeunesse ou l'extrême vieillesse.
Le fait que les Critiques d'art les plus consi-
dérés sont restés unanimement muets devant
1 oeuvre de Picasso, quand toutefois ils ne 1 ont pas
attaquée violemment, ce fait, dis-je, n'est pas la
preuve la moins significative de la puissance et de
la portée des efforts personnels de 1 artiste.
LaCntîqued Art semble généralement née d'une
sorte d'impuissance logique ou d'un refus à dépouil-
ler l'ordre composite de sa personnalité, si je puis
m'exprimer ainsi, pour s'adapter à l'individualité de
cliaque artiste. Sa principale raison d'agir est fille
d'un désir unique d'accumuler des o bservations sous
un angle immuable et général et ce pour la meilleure
commodité de compréhension de la majorité. Or
la généralisation est une arme à deux tranchants
qu'il ne faut pas laisser entre toutes les mains. Elle
est comme une autre conquête du «Commodisme»;
elle est une sorte de fosse commune. Ne nous
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étonnons donc pas si la valeur des oeuvres qui
dépassent un peu les sensibmtés ordinaires échappe
nécessairement à la Critique puisqu elle ne sau-
rait décider qu'au nom de certains jugements, de
jugements selon lesquels rartîste qui n'otéit pas au
code prévu et quel que soit son talent semole tou-
jours considéré comme coupable, avec seulement
plus ou moins de circonstances atténuantes.
L estnétique* elle, suit placidement le cours des
sources même de la sensibilité des nommes, et ce
au-dessus de toute considération de temps et de
lieu, au-dessus de toutes contingences. Et si les
intentions des grands artistes ne lui sont pas si
mystérieuses, ni ne la cLoquent, c'est qu'elle ne se
croit point tenue de parler uniquement au nom des
exigences dogmatiques de rArt, de ses Codes, de
ses Jugements, de sa Procédure, de TArt enfin,
considéré comme une entité qui a oesoin d'une
majuscule pour donner plus de majesté au vide de
* de cuaûavEoôai, «sentir», ne Toublions pas.
son autorité. Si ce que Ton appelle 1 Art n'a pas cle
patrie, souvenez- vous que nous en avons donné une
aux Dieux, et voilà ce qu'il faut admettre a abora.
Au plus fort de notre jeune foi nous avons senti
que Tart, sans majuscule cette fois, serait une sorte
d'enfant de Bohème qui comme i amour ne con-
naîtrait jamais de lois. Il n'y a pas plus d'art
domestique qu'il n'y a d'amour domestique, et
nous nous refusons à croire à la nécessité des formes
des juridictions civiles et criminelles comme oases
de toute méthode d'art. En un mot, nous tenons
que la crainte du gendarme généralisateur n'est pas
du tout le commencement de la sagesse artistique.
Or, c'est ICI qu'apparaît l'un des points contre
quoi réagira l'oeuvre de Picasso. Cet asservisse-
ment de 1 art ne semble-t-il pas dû à la confusion
persistante de l'art avec la vie? L'«art et la vie^> fut
une formule chère aux Impressionnistes et à leurs
successeurs; elle est encore actuellement la pierre
d'achoppement après quoi essaye de se retenir
10
le système défaillant. Quelles nécessités en effet
a assinuler lart à la vie? Pourquoi ne pas donner
à Tart des «cumcula;> particuuers comme en possè-
dent les sciences? Et pourquoi n avoir pas suivi
la SI large tendance florentine qui considérait les
arts et les sciences comme proches parents?
Au surplus chaque détour de la vie nous
apprend cruellement que nous sommes, comme dit
le vieux clické, les jouets de la Destinée. Aussi,
croyons -nous que si les artistes venta olement
créateurs, et nous aurons occasion de revenir sur
ce sujet, enthousiasment frénétiquement les sen-
sibilités rares, c'est en raison des ouvertures
nouvelles qu ils semblent faire continuellement sur
notre illusion de liberté. Aussi pourquoi sacri-
f lerions-nous délibérément une source si précieuse
en acceptant d'endiguer Tart entre des règles aussi
sévères que celles de la Morale?
Il ne faudrait évidemment pas confondre.
Quand nous parlons de lois, nous n'entendons pas
U
les nécessités purement humaines que nul artiste ne
saurait transgresser sans verser dans le domaine de
la Fantaisie, ou plus gravement dans celui de la
Folie. Je parle ici des lois dites artistiques, imitées
dans leur structure des lois morales sociales et qui
ne sont comme celles-ci que le moyen d'accommo-
der pratiquement l'mdividu à Tmdividu, la sen-
sibilité au goût général de la Société. Tout l'appa-
reil empirique de la Justice est certes indispensable
pour le respect et la défense des bons sentiments
kumains. Mais si la Société tait bonne garde
autour de la loyauté et de la générosité par exemple,
le sens de Tespace ou des figures géométriques qui
sont également à Torigme de la sensibilité bumame
n'ont pas besoin qu'on les définisse éternellement ni
que des censeurs les défendent à l'aide de sortes de
Pandectes. Que l'on ne cbercbe pas à ce sujet quel-
que vain prétexte d'enseignement; la notion de ces
principes ne s'enseigne pas. Us sont comme la vertu:
l'on enseigne celle-ci depuis l'origine des mondes,
12
mais il faut avouer qu'il n'y paraît guère. C'est
qu'elle est gravée aux coeurs de certains kommes
comme la notion des accidents de l'espace en celui
des grands artistes. Ceux-ci n'ont donc pas à
compter avec les Canons de Polyclète ou de
Lysippe non plus qu'avec les petites misères de
%Vinckelmann, c'est à dire avec toutes formules
qui ne sont que le fruit de «procédés^), ou encore
une façon de « comprendre ^> l'art. Or, en art plus
qu'en toute autre matière il ne faut jamais cher-
cher à comprendre; l'art ne se comprend pas, il se
sent. Et la liberté que nous préconisons dans la
manifestation et non la spéculation que nous
nommons l'art, est en accord avec ces deux faits
que l'enfant qui dessine est plus près d'Apollon
que «i artiste-pemtre», épitkète déjà si surannée,
et le charbonnier qui prie plus près de Dieu que
le théologien.
Des écrivains qui se réclament des écrits de
Saint -Thomas sur l'Art, nous ont supplié de ne
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pas tenir comme absolument incompatibles la «via
ciisciplinae^> et rerfort a invention. Suivant eux,
loin de s exclure ces deux notions s appellent et se
complètent. Hélas! qu appellent -ils inventions?
Il est fort probable que nous ne nous entendrons
jamais puisqu'il est visible que ces écrivains
englobent ici sous le titre d'inventions les petits
perfectionnements apportés par les professeurs aux
grandes inventions des ignorants . . . Les grands
inventeurs sont pour nous ceux qui ont formulé
les kypotkèses les plus tardies sur des sujets encore
inconnus au seul moyen de leur imagination intui-
tive et ce en toute ignorance de la «via disciplmae».
Et en effet, que le nom de Tinventeur passe moins
à la postérité que celui qui a su faire connaître
Tinvention, les kéros sont pour nous ce Saunas de
Samos dont parle Athénagore qui découvrit la
silhouette sur fond noir, Craton qui trouva les
ombres par nacnures, DiDutade qui inventa les
oas-reKefs, Cléopnante qui imagina le premier
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d'appliquer la couleur sur les aessms et non ceux
qui surent perfectionner ces inventions. Et si
j'insiste sur la portée de ces exemples, c'est pour
indiquer qu'ils constituaient les fruits d'une ex-
pression ae la sensibilité plutôt que de vulgaires
recnercnes de moyens.
Il semble donc que les artistes qui n'ont pour
dessein que le perfectionnement de l'oeuvre d'au-
trui ne peuvent exécuter que cela seulement et au
moyen de la discipline que le véritable inventeur
a crée. D'ailleurs s'il en était autrement, comment
définir la «discipline» qui guida les anciens alclu-
mistes lorsque tout en cliercliant la pierre pkilo-
sopnale ils découvrirent le mercurclantimoine, que
sais-]e encore? Enfin si les observations discipli-
nées des Tycno-Brané et des Kepler ne leur per-
mirent pas de découvrir la loi de gravitation uni-
verselle, n'est-ce pas que la «via disciplmae» n'est
qu'un ensemole de règles destinées seulement à
l'application pure et simple des hypothèses géniales?
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Nous ne devons cependant pas conclure que
Picasso eut le désir d'ignorer la discipline et la règle.
Plus que tout autre au contraire et pour en avoir
pris le goût au cours de son éducation, il eut tou-
jours conscience de leur nécessité absolue. Seule-
ment, et ccst ICI qu'intervient un fait très im-
portant, il est des nommes qui forgent leur destin,
comme dit Skakespeare. Et la force de sa personna-
lité suggéra à Picasso qu'il n'était pas de ceux qui
peuvent se contenter de demeurer simples admi-
nistrés comme les fidèles de l'art académique, ni
même administrateurs comme les successeurs des
Impressionnistes, mais qu'il se devait au contraire
de faire figure de véritable législateur.
Il suit de là que l'oeuvre des plus grands artistes
ne peut s'accommoder que des lois qu'elle découvre
et pose immédiatement et quelle n'est suscep-
tible d'aucune comparaison ni d'aucun jugement.
Or SI la Critique d'Art ne formule que des
jugements au nom de ses principes et de son goût,
16
elle est irrémédiablement condamnée à ignorer les
oeuvres véritablement originales et nous ne nous
étonnerons plus de rostracisme dont par elle fut
toujours frappée celle de Picasso.
Sans entrer dans une discussion sur le terme
tfjugement^), il faut en art le retenir dans le sens
d'appréciation de la valeur d une oeuvre. La justice
est un nombre, disait Pytnagore. Mais les nom-
bres ne sont qu'une langue. Or Tart qui en est
une aussi n'a que faire de celle-là. Au surplus tout
jugement implique une comparaison et toute com-
paraison valable, une mesure- étalon. A.u nom de
quelle mesure pourrait-on donc apprécier une
oeuvre contemporaine véritablement issue d une
imagination neuve et quelles raisons valables d'in-
voquer ICI un idéal platonicien toujours trop géné-
ralisateur? Autant vaudrait rimitation servile
du Naturalisme.
Il faut pour aimer pleinement, naturellement,
1 oeuvre d'un artiste vivre en son temps. Ceux qui
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prétendent le faire à propos d'oeuvres du passé ne
le peuvent totalement parce qu'obligés à un travail
d'abstractions, d'allusions, de retours en arrière
mcompatiDles avec la connaissance de leur époque
propre. Il y a là quelque chose d'anti - numam
et de contre-nature; tant il y a que l'art ne peut
avoir d' effet rétroactif. A.u cas contraire, en effet,
il serait inexorablement ramené à l'état d'une
petite science utilitaire telle que les mathématiques
appliquées, et inévitablement représenté par les
seules oeuvres du second plan, c'est-à-dire par
celles qui servent babituellement de provende à
la Critique.
L'on sait que comme miesure comparative Ion
a encore préconisé le bon goût. Mais quelle aber-
ration que l'exploitation de cette notion si vague
et SI abstraite et que seule une société en mal de
généralisation et d'amour d'un ordre artificiel et
illégitime a réussi à imposer! Le bon goût n est
que le serviteur des sensibilités paresseuses ou f ati-
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guées qui veulent que rien ne soit ckangé à leurs
nabituaes et qui se complaisent dans un agencement
sempiternel et aéterminé à Tavance de volumes
ou de couleurs. Au rond, les prêtres du bon goût
sont un peu comme le vulgaire qui en musique
ne tolère que les rengaines. Le ton goût est un
obstacle à toutes les recnercnes de 1 imagination
sensible, il est surtout une négation bien illogique de
Tesprit évolutionniste de toutes les tendances
numaines.
Au surplus et comme on peut le penser. Ion a
également évoqué la froide figure de l'induction.
Des écrivains d'art n'ont pas hésité à soutenir que
1 art allait du particulier au général. Quelle héré-
sie! et voilà- t-il pas la <fvia discipunae;>, posée dans
sa médiocrité comme critérium exact des efforts
moyens? L'induction artistique signifie la néga-
tion complète de toute tentative de l'artiste créa-
teur; elle n'est qu'une métkode pour la vulgari-
sation, pour lapplication en série et surtout le per-
8- 19
f ectionnement de 1 usinage artistique. Si elle régit
le travail des artisans, les Maîtres Tignorent. Ni
linventeur, ni lartiste qui découvrent ne connais-
sent rinduction. Et il n'est Je conclusion du par-
ticulier au général que lorsque cette généralisation
a pour dessein de « réaliser ;>, comme on Ta dit si
lamentablement, le particuuer des créateurs. C est
pourquoi notre amour ne va pas aux ingénieurs
qui construisent les dreadnougkts, mais au génial
Fulton; il ne va pas non plus aux fabricants des
superbes automobiles de ce jour, mais à Tliumtle
Forest qui sans savoir les matkématiques créa le
moteur à quatre temps: en un mot à ceux chez qui
1 intuition est à la source de toutes les tentatives.
Ainsi i art considéré dans ce qu il peut offrir
de plus sublime n'est qu'intuition et déduction.
Max Jacob m'écrivait un jour: «Spinoza . . . plus
pur miroir de la faiblesse humaine». Soit. Mais tel
écrivain inductif n'est-il pas à son tour que le
miroir de sa peur? L'artiste qui crée empoigne la
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certitude par les crins et la jette toute vivante aux
kommes qui en font kélas! ce qu'ils veulent. Les
uns la sentent, d'autres clier client à la comprendre:
les premiers grâce à leur coeur unique et qui n'a
qu'une dimension, les seconds au moyen de l'esprit
qui les a toutes. Et c'est ainsi que i artiste créateur
saperçoit un jour qu'à modeler à même sa propre
sensibilité il lui arrive de se promener nu au milieu
de la foule. Du coup il étlouit les kommes et quel-
ques-uns se plaisent à demeurer sous le cnarme.
D'autres par contre s'efforcent de détourner les
yeux et crient à l'indécence. Otligé de céder à
ces derniers, quand il n'a pas la possiDilité de
vivre seul en quelque retraite, il est bientôt tenu
de se vêtir et de sacrifier aux exigences de la
communauté. Si lumineuses que soient les trou-
vailles qu'il offre à la satisfaction médiocre de la
tribu, elles sont bientôt curieusement inspectées,
mais avec des lunettes noires qui les rendent plus
communément visibles. Ainsi le Temps suivi du
21
Nombre son «Emmence grise» guette impitoyable-
ment le créateur. Et c'est alors que se présente,
comme un costume tout fait aux devantures a un
brillant magasin, ce classicisme mal compris et
qui séduit pour sa commodité apparente. Pour
n'avoir pas campé dans le désert de sa sensibilité,
le créateur se trouvera subitement tenté par le
besoin tout artificiel de se puer au joug des codes
artistiques. Et c^est alors qu'il lui arrivera
de dire: «pourquoi ne peindrais -3e pas à mon
tour comme Rapbael,» de même quil eût pu dire:
«Pourquoi n'irais-je pas, moi aussi, au café.*
Fort beureusement d'ailleurs, le véritable créa-
teur ne se contente pas d'un costume classique
acbeté cbez le confectionneur. Aucun tailleur, il
est vrai, n'est capable à son tour de prendre sa
mesure; aussi pour que le costume soit fait à
celle de sa sensibilité, prend-il le parti béroïque
de l'exécuter lui-même, suivant ses moyens et ses
désirs.
22
Toutefois lartiste- créateur se sentira gêné, et
les glaces multiplieront ses reflets pour la raison
qu 11 ne connaissait pas iui-meme sa propre mesure.
De là viendront ces deux désirs continuelle-
ment alternés de s'en dépouiller ou de s'en revêtir;
la coutume ou les préférences se uvreront tour à
tour ces comoats qui peignent si nettement la figure
de notre génération, et si Tissue du comtat n'est
sans doute que trop facile à prévoir, (malgré
Saint Xkomas, les grands artistes ne sont pas
nécessairement des anges), il restera que les étin-
celles les plus éclatantes jailliront lorsque nous
verrons dans Toeuvre de Picasso le doute et la
certitude se keurter parmi les plus légitimes hési-
tations.
Mais examinons comment Picasso a tenté de
concilier ces deux exigences pour réussir à déter-
miner rimportante réaction picturale dont nous
avons parlé.
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Pablo Ruiz est né à Malaga en 1881. Il clioîsît
le nom de Picasso qui est celui de sa mère. Son
enfance s'écoula dans la ville au soleil brûlant et
à Tombre glacée, image de sa troublante dualité
future. C'était encore la ville aux légendes fameu-
ses que nous ne connaissons guère, mais dont nous
imaginons volontiers le sens lorsque nous rêvons
à sa position célèbre au bord de la Méditerranée,
face à TÀf rique.
Nous sommes encore loin de la rue La Boëtie,
mais Ion songe déjà au merveilleux de i aventure
qui appela Picasso des confins de lEurope, pour
l'amener à donner à Pans et de là à lunivers artis-
tique, avec Taide de cinq ou six de ses amis, le
signal de départ de ce mouvement pictural qui
devait déterminer les tendances d'une époque
nouvelle.
L'on pourrait penser à quelque curieuse image
24
a Epinal ou encore à ce que Chateaubriand écrivait
de Pascal. «Il était une fois un petit bonliomme qui
avec des barres et des ronds inventa )> ... ou réin-
venta ... la peinture. Songeons surtout aux con-
quérants qui portaient dans des régions inconnues
les forces que leur pays ignorait, pour y découvrir
ces contrées que d'autres se cnargeaient plus tard
d'organiser. Peut-être en sera- 1- il de même un
jour pour 1 oeuvre de Picasso.
L'on a ckercké ce qu'il serait advenu de Picasso
su n'eût jamais quitté l'Espagne. Question quelque
peu oiseuse, qui relève plutôt des recnercnes de la
critique historique que de l'estliétique. Ce qu'il
nous faut d'abord considérer c'est que, grâce à son
intelligence exceptionnelle, Picasso ne tarda pas à
assimiler ce que l'art traditionnel pouvait utile-
ment lui enseigner. Tout ce qui avait trait aux
différents arts lui fut rapidement familier. Mais
nous devons, sans attacher au fait plus d'importance
qu'il n en comporte noter que son père était prof es-
25
seur de dessin. Signalons en effet qu'une étonnante
faculté d'intuition laida puissamment à sentir ce
qu\l n'avait pas le loisir, 1 occasion ou le temps
d'étudier profondément. Reprenant un mot de
Molière en lequel on voit à tort une toutade, j'ai
souvent pensé que «tout savoir sans avoir appris»
était iune des caractéristiques des grands artistes.
Et c'est peut-être suivant cette vertu que Picasso
dès son jeune âge fut plutôt porté à pressentir la
vérité ou du moins ce qu'il croyait l'être, qu'à la
saisir d'une manière trop absolue par des moyens
discursifs. Les véritables artistes ne comprennent
nen, mais sentent tout. L'on a souvent voulu
interroger Picasso sur les directives de ses concep-
tions en art. Même ses ennemis crurent par ce
moyen l'amener à découvrir quelques points vul-
nérables de sa personnalité. Quelques-uns le
montrèrent présidant des palabres de cafés, ou
encore, dans son ateuer, discourant parmi des élè-
ves assidus, des disciples attentifs, et des admira-
26
teurs enthousiastes. Or Picasso n'exposa jamais de
théories. Ceux qui, comme moi, 1 ont beaucoup
fréquenté se souviennent peut-être de quelques
paroles incisives, confirmations imméaiates de
Toeuvre en cours; mais c'est tout. La seule langue
qui convenait à lexpression de sa sensibilité était
celle de la peinture et s'il parlait des Maîtres qu'il
aimait, ou s'il détaillait la beauté de certaines
oeuvres, c'était toujours par quelque en du coeur
et sans faire intervenir aucune <adée» sur l'art en
général ou sa peinture en particulier. Il n'en fallait
pas davantage pour conclure que l'émotion ressen-
tie par Picasso devant l'objet qu'il avait dessein de
peindre lui suggérait généralement comme l'inven-
tion de sa propre cause, que cette invention devait
éclater dans la façon d'imaginer les éléments qui
l'avaient mise à jour, et que de ces éléments seuls
étaient tirées les propriétés plastiques de l'oeuvre
qu'il créait.
Il semble donc assez naturel qu'à l' encontre de
27
Puvis de Chavannes qui ne toucna à un crayon
qu'à lâge de vingt-cmq ans, Picasso, qui n'aime
pas que Ton fasse ce reprocke à cet artiste,
étonna dès son adolescence par les dispositions
les plus remarquatles. On parle encore à Barce-
lone d'une oeuvre qu'il peignit à quatorze ans et
qui représentait un combat à la Daïonnette. Vers
cette époque il ootint même une troisième médaille
à l'Exposition des Beaux -Arts; son jeune âge rut
sans doute le seul obstacle à la récompense suprême.
Enfin sa famille et des collectionneurs gardent
précieusement certaines oeuvres de son extrême
jeunesse, oeuvres marquées déjà au coin de la plus
étrange facilité malgré leur respect des Maîtres et
en particulier l'influence du Greco.
Sans craindre le lieu commun, et d'ailleurs nous
sommes tien obligés de passer par cette constatation,
nous remarquerons d'abord que né dans une con-
trée qui s'accommodait si bien du merveilleux,
Picasso comptait de par sa race une disposition
28
à laisser son imagination sanimer vers quelque côté
que la dirigeât sa sensiDilité. Nous ne pouvons faire
grand état de ce fait tant il serait assez difficile
d'y retrouver une relation exacte de cause à effet.
Ce qu'il faut signaler toutefois c'est que i ente qui
nécessairement tend à éckapper à la domination des
lois communes, voyage seule, ne demeure pas long-
temps en groupe. Or dans les contrées de légendes
et les autres, mais quelles sont celles qui nen ont
point, ion constate que les nommes accoutumés
de plus en plus à la pkotograpkie délaissent égale-
ment de plus en plus les images. Aussi ne devons-
nous pas être surpris de ce que Picasso comprit,
aux dépens de sa sensibilité, que limmuabilité
légendaire de son pays ne pouvait qu opposer au
développement de son imagination sa puissante
force d'inertie. Jamais grand artiste ne naît dans
le milieu qui conviendrait à lépanouissement litre
de SCS facultés. Et comme la sagesse qu'il tenait de
son éducation sévèrement latine, et ses connaissan-
29
CCS artistiques étaient de sûrs contrôles pour la
légitimité des convictions qui prenaient peu à peu
naissance dans son coeur, Picasso n'késita pas à
écouter la voix qui lui souffla que Tair de son pays
n'était pas assez vaste pour donner à respirer à toute
sa sensibilité. Il connut de plus en plus que tourner
en rond sans espoir d'issue dans le cercle des aspi-
rations trop tôt satisfaites, trop bien définies, de
ses compatriotes ne convenait pas à son tesom de
libre activité, et il se prit à songer, comme l'on
songe au Paradis, que quelque part devait méluc-
taolement se trouver une région plus vaste ou il
pourrait en toute nberté laisser s'exprimer les voix
naturelles qui luttaient en lui contre les données
de la raison qu'on lui avait fait acquérir.
Il ne séjourna, d'abord, à Malaga que le temps
dy naître, d'y prendre son teint brun, ses yeux
de raisins noirs. Et à Tâge de six ans il était à
JSarcelone où se forma sous les yeux de parents
dont il était l'idole, sa véritable éducation.
30
Un moraliste disait: «L'komme passe la pre-
mière partie de sa vie avec les morts, la
seconde avec les vivants, la troisième avec lui-
même^). C'est Tétude, puis la vie, et enfin la
connaissance. Idéal. Réalité, v érité.
À certaines époques de la vie il est assez légitime
d'assigner Tidéal comme but à lart. Il s'agit des
années qui précèdent immédiatement la vingtième.
Serait même un monstre, si le mot n'est pas trop
gros, tout jeune artiste qui à cet âge ne viserait pas
ce Dut. Cette tendance, plus cérébrale en etret que
sensuelle, est surtout le fruit de l'éducation. Pi-
casso vécut donc la première partie de sa vie avec
les grands modèles que la religion, l'nistoire, la
littérature et les arts lui présentèrent toujours
idéalisés. Dès lors, avec l'engouement, l'enthou-
siasme de cet âge, il visa une sorte de perfection
idéale et parfaitement conventionnelle. Mais l'on
31
put tientôt prévoir que cet enseignement acadé-
mique ne demeurerait pour lui que ce qu'il
devrait être pour tous, c'est-à-dire un enseigne-
ment de lenfance. Quoi qu'il en soit, dès sa quin-
zième année, Picasso étudie les Maîtres espagnols,
italiens, français et flamands pour travailler sous
leur salutaire influence. Déjà il rêve d'une Huma-
nité douloureuse et résignée que son éducation
cnrétienne et aussi historique ne contribue pas
peu à présenter sous les aspects différents de dou-
leur, de pauvreté, et de simplicité idéalisés. Enfin
l'amour dont son coeur est plein s'épancne même
sur les animaux et surtout sur ces objets familiers
dont il tracera plus tard comme l'iiistoire sensible.
Malgré l'influence des romans picaresques, la
puissance du mysticisme en Espagne rappelle con-
stamment à la mémoire de tout artiste les luttes
terribles soutenues sous le signe de la Croix contre
l'Arabe envahisseur. Au surplus, physiologique-
ment, Picasso est un «bilieux^>, et ce détail est d'une
32
grosse importance, nous le verrons. Il faut donc
dès maintenant retenir qu'à Tencontre de la «)Oie
de vivre» qui éclatait déjà dans les oeuvres aux-
quelles sa personnalité s opposera, Picasso mon-
trera une disposition naturelle à considérer la vie
comme un drame plutôt que comme une comédie.
Qui sait même si l'Expressionnisme allemand ne
verra pas dans le Picasso de cette époque lun de
ses précurseurs, comme il le fit pour Dostoie^vski?
Il est bien certain que dans les toiles de son
adolescence et même jusqu'en 1907 et 1908 le
culte passionné qu'il entretenait pour le dessin
concourait avec Fesprit scolastique dont il était
animé à contenir sa sensibilité naissante sous la
direction de la raison. Cependant grâce à la sou-
plesse merveilleuse de son tempérament, il évitait
la sécneresse presque normale pourtant qui accom-
pagne ordinairement la production artistique de
cet âge raisonneur et ingrat.
Dès cette époque son activité artistique parut
33
des plus vives. A Barcelone, les artistes fréquen-
taient une taverne alors célèbre: «Ltos quatre gats».
Parmi eux se trouvaient plusieurs de ceux qui
devaient compter au nombre des meilleurs de
Catalogue. Tous les soirs Ion rencontrait tour à
tour aux «Quatre Chats >>, Santiago Rusmol,
Canals, Nonell, Dalmau, les sculpteurs Pablo
Gargallo et Manolo, puis encore Mir, Ramon
Picnot, Casas qui fît un excellent portrait de
Picasso, Casagemas, plein de talent et qui se sui-
cida par amour pour une belle Française. Comme
partout, la vie était dure pour les jeunes artistes
et certaine sollicitude officielle n'empêchait pas la
mévente presque absolue de leurs oeuvres. Aussi
la plupart de ces artistes tendaient-ils leurs regards
vers Pans. Quelques-uns d'entre eux se déci-
dèrent à francbir les Pyrénées; Picasso fut du
nombre.
Parmi les différents voyages qu\l effectua
ailleurs, il faut noter celui de Madrid. Il n'y
34
séjourna guère que sept à huit mois, mais il sut
immédiatement étonner les artistes madrilènes.
Une revue rut bien entendu fondée: «Renaci-
miento», et Picasso en devint le directeur artisti-
que. L'on y publia bon nombre de ses dessins. A.
cette époque, il travaillait sous le cbarme de Tima-
gmation aigue et douloureuse de Toulouse-Lau-
trec. Déjà la sensuauté se mêlait à la pitié native
que l'éducation avait encore renforcée dans son
coeur; Picasso avançait peu à peu vers 1 âge ou sui-
vant le moraliste i on vit avec les vivants.
C'est à Barcelone que le goût qu'il avait pour
la France se développa pleinement et ce grâce à la
lecture de nos poètes contemporains. Encore qu'il
s'y présentât d'une manière confuse, le prestige de
V erlaine et de Mallarmé ouvrit des fenêtres sur
sa sensibilité. Il apprit à connaître Rimbaud en
même temps qu'il admirait Cézanne, Renoir,
Pissaro et Toulouse-Lautrec. De par son âge il
vint à subir peu à peu les influences les plus diver-
3- 35
ses^ ou du moins les différents aspects du génie
français contribuèrent à Téveil du sien. Il en
résulta, très normalement un trouble inévitable
dans ses aspirations, et ce sous forme d'hésitations,
de répétitions qui se traduisaient soit en essais
purement classiques, soit en imitations des Maî-
tres, soit enfin en traductions de nos peintres
modernes. Toutefois il sentit sans doute qu'à subir
toutes ces influences il ne parviendrait pas facile-
ment à dégager sa personnalité, ni à voir plus clair
dans son propre jeu. Il comprit surtout que les
Maîtres français qui particulièrement 1 attiraient,
se trouvaient en même temps et trop près et trop
loin de lui, et ce fut à cet instant qu\l décida de
se fixer à Pans.
Les amis qu'il se donna dès son arrivée, lui four-
nirent d'abord la conviction que cbez les Français
plus qu'ailleurs l'absence de foi dans les préjugés
artistiques était le meilleur levain pour l'aboutis-
sement de toutes les personnalités. C'est pourquoi
36
Picasso qui à cette époque ne pouvait encore se
laisser «manoeuvrer^) par sa jeune réputation, con-
duisait déjà sa sensibilité docile là où il voulait.
Le poète Jean Moréas à qui dans ce temps là nous
cliercliions à toute force du talent s'écnait: «Mon-
sieur Picasso est un nomme très bien^). La première
qualité qui assura toutes les sjnnpatnies à Picasso
était un espnt assez mordant enveloppé pourtant
du plus pur désintéressement. Picasso ne venait
pas à Pans pour le conquérir, non pas même
pour le séduire, il venait y faire la cure de sa vie.
Le désintéressement se montra bientôt chez lui
comme le principe moteur de sa sensiDilité artis-
tique.
Le premier article sur Picasso fut écrit par
notre pauvre ami Guillaume Apollinaire. Apol-
linaire disait de Picasso: «plus latin morale-
ment, plus arabe rytnmiquement^>. Telle étaient
certainement les deux dispositions ethniques
qu'apportait Picasso. Or voilà des références, si
37
Ton peut dire, qui ne pouvaient pas ne pas séduire
Apollinaire. Les arxinités se groupent si logique-
ment qu'il semble assez spécieux de vouloir y faire
intervenir le kasard. Quoi qu\l en soit, Picasso
dès son installation définitive à Pans se trouva
transporté dans le petit groupe daims que nous
formions alors et qui comptait avec Apollinaire,
le sculpteur Manolo, Max Jacot, Jean Mollet,
Maurice Cremnitz, André Salmon, Adolpne
Basler, Galanis, Haviland et moi-même. A cette
époque le Montmartre de la Place Ravignan
n'existait pas encore, et le Boulevard de Clichy
n'était guère dépassé que pour les visites au pitto-
resque «Cabaret du Lapin Agile» dont le patron
Frédéric nous accueillait toujours de façon très
spirituelle. Déjà des oeuvres d'art ornaient les
murs de l'endroit. Une toile de Picasso y demeura
assez longtemps aux côtés d'un Clirist attribué au
sculpteur AiVasley. La «Closerie desLilas», encore
en vogue retenait plus spécialement notre prédi-
38
lection bien que des dissidences s'y montrassent
quelque peu. Apollinaire venait de faire paraître
sa première Revue: <ae Festin d'Esope». La plus
vive amitié régna bientôt entre Picasso et Apolli-
naire. Ils se trouvèrent immédiatement frères en
cet amour de la liberté qui les animait tous deux.
Apollinaire qui avait voyagé montrait un goût
prononcé pour le pittoresque et il sentait, comme
sentent les poètes, les beautés que la nature et le
travail des nommes contiennent en dépit du carcan
enrubanné des règles. Auprès de lui Picasso trou-
va de plus en plus légitime de laisser couler libre-
ment le flot de son imagination; avec Apollinaire
qui avait tout appris avec son coeur, Picasso
comprit que cette tendance constituait le seul
moyen valable de ne pas s attacher stérilement à
la lettre ornée des cboses. Picasso possédait sans
doute la même disposition de sensibilité, mais
Apollinaire laida à s'en convaincre. Et c'est ainsi
qu'à force d'écouter les propositions de son coeur
39
Picasso s aperçut du vide des règles absolues
de 1 art. La règle lui apparut dès lors comme un
superbe édifice dans lequel le vent entrait de tou-
tes parts et dont les assises étaient peu solides. Sa
foi dans TÀrt, avec un grand À, fut bientôt
fortement ébranlée. Sur les injonctions de sa vive
intelligence, il ne put se contenter de regarder le
magnifique édifice, il voulut savoir comment il
était construit et toutes les misères de sa con-
struction apparurent au grand jour. Les dogmes
artistiques pleins de contradictions et d'illégitimité
ne lui parurent pas mériter un aveugle service.
Les données illusoires d'un grand nombre d'oeuv-
res du passé lui apparurent, en dépit des vertus
dont se parait leur exécution; certaines d'entre
elles jusque là inconnues ou presque, surgirent à
ses yeux dans toute leur nudité. Avec Renan il
songea «qu'on voyait poindre un âge ou rnomme
n'attacherait plus oeaucoup d'intérêt à son passé»;
et dès lors il laissa liDrement s'exprimer la voix
40
qui lui soufflait qu\l ne faut pas regarder runi-
vers dans le passé comme certains, ni par les
fenêtres comme d'autres, mais uniquement dans
nos propres miroirs.
Cet avertissement impérieux vint en effet
Tassailur à un moment où, comme pour tous
d'ailleurs, la vie devenait pour lui assez difficile à
vivre. Avec les dons qu'il possédait, Picasso eut
pu comme tant d'autres sacrifier au goût commun
et faire commerce de son talent. Mais le désin-
téressement dont 3 ai parlé veillait à la conser-
vation de la pureté de son art. Comme Ion peut
penser 1 on ne comptait pas souvent de rois Can-
daule pour acheter, comme raconte Pline, un
tatleau de Bularque au poids de Tor. Les mar-
ckands étaient rares. Amtroise VoUard avait déjà
acketé quelques oeuvres de Picasso. Dans sa bouti-
que de la rue Laff îtte, le ton Clovis Sagot montrait
les oeuvres dont sa perspicacité avait reconnu les
mérites. Nous nous retrouvions quelquefois cnez
41
lui, et le moindre agrément de ces réunions n était
pas celui d'entendre les remarques assez inatten-
dues sur 1 art qu'exposait 1 excellent marchand.
Mademoiselle \\^eill, dans sa boutique de la rue
Victor Massé, et en attendant qu'elle eut repris
celle de Sagot, montrait aussi quelques oeuvres de
Picasso. Et enfin, avant que Henry Kalin\veiler
eut consacré sa sagacité et son érudition à Toeuvre
de Picasso, il faut clore ici la liste des galeries, où
furent exposées ses premières oeuvres.
L'on a rappelé que Cézanne abandonnait ses
toiles au pied des arbres; en réalité Picasso, qui
faisait mieux, donnait plus d'oeuvres qu'il n'en
vendait. Néanmoins quelques collectionneurs
commençaient à recueillir les meilleures toiles de
notre ami. Sans attendre la Critique qui mit
quelques vingt années à le découvrir. Madame
Gertrude Steen, Messieurs André Level, Havi-
land, G. Coquiot, d'autres encore étaient déjà pris
d'un bel amour pour l'oeuvre de Picasso.
42
Les différents événements qui marquèrent cette
époque de la vie de Picasso et qui accompagnèrent
la naissance du mouvement cubiste se déroulèrent
à Montmartre dans les ateliers de cette Place
Ravignan qui est désormais célèbre. Ces ateliers
extraordinaires et construits en dois déroutaient
les visiteurs par leurs escaliers nombreux, leurs
recoins inattendus et inexplorés, leurs caves
surplombant parfois cinq étages, des greniers
déDoucnant soudain au rez - de - chaussée, toutes
particularités augmentant le pittoresque d'une
bâtisse que par les soirs d'hiver ion sentait craquer
de toute part et à tous les vents. Il faut dire pour
expuquer les bizarreries de sa position que, située
sur la Dutte Montmartre, cette maison, si i on peut
s'exprimer ainsi, était tenue de s'accommoder de ses
pentes plus ou moins abruptes. Les ateliers y
étaient si nombreux que l'on ne s'étonne plus du
nombre d'artistes qui y vécurent. Tour à tour,
Pierre Mac Orlan, Max Jacob, André Salmon,
43
Pierre Reverdy, Modigliani, Gargallo, d'autres
encore y séjournèrent. Picasso occupait 1 ateuer
dans lequel vécut longtemps Maurra qui y reçut,
paraît-il, Aristide Bnand. La légende, on le voit,
commence à recnercner d'illustres références.
Après Picasso vinrent s'y abriter Van Dongen
puis Juan Gns qui devait être le v augelas du
Cubisme. C'est là qu'au milieu de l'ensemtle
indispensable et très encombrant de ses instru-
ments de travail, parmi l'assemblée familière des
statues nègres, Picasso vêtu de ses «bleus» impec-
cables, peignait, la pipe aux dents, avec une
méticulosité attentive. Certes, des événements
inattendus vinrent tour à tour égayer ou assom-
brir ces lieux mais l'un des plus attacnants et l'un
plus curieux fut certainement le banquet offert
en 1908 au Douanier Rousseau, cérémonie qui
a déjà pris pour nous les douceurs d'un vieux
souvenir.
Je ne crois pas mutile de rapporter ici quelques
44
passages de la relation que 3 écrivis à ce sujet dans
les «Soirées de Pans» de décembre 1914.
«Ce que nous sommes bien obugés d'appeler le
«Banquet Rousseau» ne présenta, il faut 1 avouer,
aucune trace de préméditation, ni d organisation
longtemps préparée. Nul tapage excessif, ni fan-
taisie déplacée, surtout nul déguisement mont-
martrois. Ce fut seulement grâce à la qualité des
convives que la fête dût de prendre les proportions
que ion va connaître.
Le banquet eut lieu ckez Picasso, dans un atelier
de cette maison de la Place Ravignan, qui faite
en plancnes d'une extrême minceur fut comparée
tour à tour à une ferme, à un bateau - lavoir, et
qu'en tout cas aucune compagnie ne voulut jamais
assurer contre 1 incendie.
La salle du festin était Tatelier même de Picasso.
C'était un véritable hangar de ferme soutenu par
des poutres formidables qui paraissaient trop im-
posantes pour ne pas être creuses. Aux murs que
45
ron avait débarrassés de leur parure coutumière,
ne pendaient que quelques beaux masques nègres,
un tableau monétaire, et en place d honneur le
grand portrait d I adwrigna, peint par Rousseau.
On avait décoré la salle avec des guirlandes de
lampions. Sur des tréteaux était disposée la table
que parait un service composé de toutes sortes
d accessoires de Doucne.
Les invités devaient être assez nombreux. On
y comptait trois amateurs et collectionneurs venus
de Ne^v- Y ork, Hambourg et San - Francisco,
presque exprès, plus des peintres: Mane Lauren-
cm, Jacques Vaillant, Georges Braque, Agéro, etc.,
des écrivains: Guillaume Apollinaire, Max Jacob,
Maurice Cremnitz, André Salmon, René DaKze,
et plusieurs dames. Dès six neures du soir une
certaine errervescence régnait dans 1 assemblée
qui s'était réunie aux fins d'un apéritif préKmi-
naire au Bar Fauvet dont nous étions les assidus.
Tout annonçait la gaieté. Un orgue électrique
46
qu'ornait une superbe Salammbô cnarmant un ser-
pent en cuivre doré, déversait sur nous les plus
magnifiques sonorités fausses. Les appareils à sous
obtenaient un vif succès, surtout de la part d'un
fin lettré qui y avait déjà versé une somme consi-
déraole sans rien gagner, bien entendu . . . Mais le
temps passait, il fut oientôt 1 heure de commencer
le banquet. Les chansons et le tumulte s'apaisèrent
peu à peu et les invités se décidèrent à gravir la
pente de la rue Ravignan. On n'oublia au bar
qu'un Danois de nos amis qui n'avait pas absolu-
ment terminé un discours commencé.
L'entrée chez Picasso fut tumultueuse. On
réquisitionna deux ateliers voisins, l'un destiné au
vestiaire des dames, l'autre à celui des messieurs*
Les places furent indiquées protocolairement.
Tandis que des réclamations sillonnaient la salle,
l'on entendit soudain frapper à la porte quelques
coups qui de timides devinrent violents et finirent
à la longue par faire cesser tout bruit.
47
On ouvrit. C'était le Douanier, coiffé a un
feutre mou, une canne à la main droite, son violon
à la gaucke.
L'apparition du douanier Rousseau fit passer
dans l'assistance un frisson attendrissant. C'était
là, certes, un des plus touchants taoleaux de Rous-
seau. Il regarda autour de lui; les lampions allumés
parurent le séduire; son visage se dérida.
A neuf neures du soir tout était prêt, sauf
toutefois le dîner. Par suite de conjonctures à ce
moment encore inconnues, le dîner commandé
pourtant par lamphitryon cnez le bon traiteur,
poussait la fantaisie jusqu'à n'arriver pas du tout.
On patienta une heure, puis deux, mais en vain. Ce
ne fut qu'au tout de trois neures que l'hôte se
frappant soudainement le front, se souvint tout à
coup qu'il s'était trompé de jour dans la rédaction
de sa commande. Le dîner ne devait parvenir en
effet que le surlendemain.
Quand Rousseau vit que cnacun se disposait à
48
courir aux provisions, il fut pris d'un tel accès de
liesse et la gaieté ne le quitta plus de la soirée. Un
repas de fortune rut organisé. Chacun revint bien-
tôt chargé de victuailles. La toisson comme i on
pense n'avait pas été oubliée, et dès les boîtes de sar-
dines la plus grande joie régna. Maurice Cremnitz
s'étantlevé pour demander la permission de chanter,
ce qui lui fut d ailleurs refusé, entonna une chan-
son à la gloire de Rousseau dont voici le refrain:
C'est la peinture
De ce Rousseau
Qui dompte la nature
Avec son magique pinceau!
Bientôt Rousseau lui-même sortit son violon,
une sorte de violon d'enfant, et joua l'une de ses
oeuvres intitulée: <^ Clochettes ^>. L'on parla bientôt
de danser. Le douanier exécuta alors une valse de
sa composition: «Clémence». Les applaudissements
chaleureux qui éclatèrent le remplirent de satis-
faction bien qu'un lampion, avec une régularité
4 49
remarquatle, laissât tomber périodiquement des
gouttes de cire brûlante sur sa tête. Il se déplaça et
tientôt se prit à cnanter toutes les cnansons de son
répertoire, et cela sans qu'on le lui eut demandé.
Sur un coin de taole, Guillaume Apollinaire,
qui avait trouvé là une excellente occasion de faire
sa correspondance en retard de deux mois, impro-
visa un poème qu'il lut lorsque Rousseau eut
terminé une clianson dont le titre était: «Pan!
Pan! ouvrez-moi>>.
Voici deux stropkes du poème d'Apollinaire:
lu te souviens, Rousseau, du paysage aztèque.
Des forêts où poussaient la mangue et i ananas
Des singes répandant tout le sang des pastèques
Et du blond empereur qu'on fusilla là-bas.
...
Nous sommes réunis pour célébrer ta gloire.
Ces vins qu'en ton honneur nous verse Picasso
Buvons-les donc puisque c'est l'iieure de les boire
En criant tous en cnoeur: « v ive! v ive Rousseau».
50
Tandis que la fête continuait, ion frappa sou-
dainement à la porte. C'était le barman Fauvet
qui avec tous les ménagements possibles venait
annoncer qu'une invitée venait d'être retrouvée
assise sur un trottoir près de son étatlissement.
Cette dame était sortie pour prendre le frais. Par
suite de ckutes, le long de la rue Ravignan, elle
avait éckoué aux portes du bar. L'événement passa
presqu'inaperçu, car à ce moment une écnauf-
f ourée se produisit dans les couloirs de la maison
au sujet d'une confusion regrettable commise par
l'un des invités contre la porte du vestiaire des
Messieurs.
Bientôt il devint presqu'impossible de noter la
suite des événements. Suivant la coutume, il y eut
quelques discussions assez violentes. Le Douanier
faisait danser les dames au son de son violon,
cependant qu'un accordéon, puis un karmonium
étaient venus le relayer bien qu'il ne manifestât
jamais la moindre fatigue. Les têtes tournaient, le
4- 51
petit jour naissait, les bouteilles se vidaient, et
quelques-uns aes invités s'étaient déjà esquivés.
Aussi reste-t-il encore aujourd'liui assez difficile
de déterminer comment finit exactement la fête.
Tout ce que Ion apprit, c'est que le JJanois
n'arriva pour le dîner que le surlendemain. Il
s'était perdu pendant deux 3 ours dans les couloirs
de la maison. D'ailleurs ce fut lui qui dîna le
mieux, car ce jourJà, à i heure dite, le traiteur
apporta ponctuellement les mets du banquet.»
Les appartements prennent rapidement le visage
de leurs occupants. Il y a là des indications et des
preuves irréfutables. Aussi i atelier de Picasso
pouvait-il fournir les enseignements les plus utiles.
Il y avait cnez lui beaucoup de livres. Ils n'étaient
pas rangés méthodiquement, mais entassés sans
ordre. L'on sentait qu'il ne les relisait guère deux
fois. Les romans policiers ou d'aventures voisi-
naient avec nos meilleurs poètes: Snerlock Holmes
et les publications rouges de Nick Carter ou de
52
Buffalo-Bill avec Verlaine, RimLaucl et Mal-
larmé. Le 18^ siècle français qu'il aimait beaucoup
y était représenté par Diderot, Rousseau ou Rétif
de la Bretonne. Il est à remarquer que parmi ses
livres on ne trouvait nul roman psychologique ni
naturauste. Or si nous savons que les Impression-
nistes goûtaient volontiers ces dernières lectures, ce
fait paraît important. Picasso, avec sa génération,
était fatigué de ces productions d où tout
effort de iimagination était banni, et où, études
de Tâme, de la nature, copie et surcopie des
petites histoires numames, prenaient la place de
toutes recherches dramatiques; le théâtre lui-même
devenait Tamplutliéâtre; les romans, des thèses de
médecine. Pour tout dire la littérature sensuelle
de 1 époque apparaissait à Picasso plutôt comme
une application de Tart que comme Tart même.
Grrâce à Rimbaud et à Mallarmé, il est
certain que loeuvre de Picasso doit un peu à la
littérature; celle-ci d'ailleurs, il faut le dire, le lui
53
a tien rendu, depuis. Si Cézanne en effet avait
montré le chemin d'un monde nouveau, Mallarmé
et Rimtaud n'avaient-ils pas ouvert des voies plus
larges et plus riches, et n'étaient-ils pas eux-mêmes
les prospecteurs les plus nardis que 1 on eut vu
s'aventurer dans les régions sensibles encore inex-
plorées? On a voulu diminuer la valeur du
pittoresque en Art parce que quelques-uns Font
volontairement rechercné. Ce reproche ne peut le
faire condamner d'une façon aosolue. Le côté
pittoresque d'une oeuvre constitue toujours sa part
la plus inventive, la plus neuve et la plus f raicne.
Ecnappant ainsi à toutes les règles, il montre assez
de ce fait qu'il ne peut être assimilé aux spécula-
tions qui ne demandent que la protection de celles-
ci. Il récuse de ce fait tout jugement, et ne réclame
pour critérium que l'émotion qu'il suggère cnez le
spectateur. Le pittoresque chez 1 artiste est donc
en raison de sa faculté d'invention personnelle, et
pose la suprématie de celui-ci en tant qu'komme
54
exclusivement sensible et non plus en tant
qu'liomme conduit par des règles qui ne consti-
tuent qu'une discipline pour lui.
Le goût que nous avons toujours gardé pour les
récits de grandes explorations, et Picasso est de
ceux qui le conservent encore, n a pas été sans
influer grandement sur celui qu'il eut pour i art
nègre, et son réalisme mystique. J'ai parlé de l'es-
prit de désintéressement qui éclatait dans l'oeuvre
de Picasso, malgré des efforts contraires qui à
mon sens ne faisaient que le confirmer. C'est qu'il
semble que Picasso a pensé avec Kant que l'art
est une «fmauté sans fin^>, et qu'à considérer le
monde non plus en vue de quelque vague et habile
interprétation picturale, il n'est pas tesom de
savoir qu une rose se nomme une rose pour rece-
voir les émotions que l'objet qu'elle évoque peut
suggérer en nous. Pour être totalement désinté-
ressé l'art ne doit avoir pour but que roDjectiva-
tîon de toute émotion ressentie indépendamment
55
de la figuration de Tobjet qui Ta fournie. La
sensualité comme la psyckologie peut être une
qualité de Toeuvre d'art, mais elle ne sera jamais
1 oeuvre d'art toute entière. Or si la sensualité
fut le plus puissant stimulant des Impressionnistes
et de leurs successeurs, il faut affirmer et sou-
ligner qu'il fut le seul. L'on remarque d'ailleurs
que cette tendance s'accentue généralement aux
époques de décadence. Une sorte de réalisme
supérieur lui succède toujours lors des renaissances
qui les suivent, renaissances qui sont généralement
basées sur la nécessité d'un retour à des construc-
tions formelles et régulatrices. L'on peut donc
soutenir que l'Impressionnisme et ses remarqua-
bles efforts répondaient à un besoin tout matériel.
Et c'est ainsi qu'au lieu de conserver la magni-
fique insouciance des explorateurs qui partent à
la découverte de régions inconnues sans savoir si
1 horizon qu'ils espèrent atteindre ne reculera pas
toujours devant eux, les Impressionnistes ne se
56
firent que les serviteurs pratiques de petits tesoins
purement sensuels. Ce rut le culte absolu de la sen-
sualité; c'est-à-dire que lart avait désormais un tut,
celui semole-t-il de construire comme des lunettes
d'approcne plus précises, plus perfectionnées: tra-
vaux de laboratoire, recnercnes de tout repos, ex-
périences, analyses, ou syntkèses que le goût d'in-
vestigation ne pouvait étendre aux recnercnes sub-
tiles de 1 imagination. Au contraire de ce que ion
pense communément, la Science ne crée pas autant
qu on le pourrait croire. Ne semole-t-îl pas que les
sciences ne font surtout que fournir des éléments de
satisfaction aux exigences de nos besoins et qu'elles
suivent plutôt ces mêmes besoins qu'elles n'ouvrent
d'nonzons nouveaux à notre sensibmté? Il fau-
drait donc réserver à l'art seul la faculté de créer,
SI le mot n'est pas excessif, mais à un art qui n'a pas
pour but unique la perfection des moyens qu'il
emploie, c*est-à-dire à celui dont le dessein est l'édi-
fication d'une connaissance nouvelle du monde.
57
Ce fut cette intention qui tenta Picasso. Elle
nécessitait le sacrifice de toutes les tendances, de
toutes les modes admises; et surtout le désintéresse-
ment qu elle exigeait était doutle puisqu'à cette
dernière contrainte s'ajoutait la nécessité pour Tart
nouveau de répondre à la sévère définition kan-
tienne: finalité sans fin.
L'nistoire de lart enseigne inlassablement et
sans que rien ne vienne jamais enrayer cette aber-
ration, quun mouvement artistique parvenu à
son apogée engendre toujours une génération
d'artistes décidés non pas à renouveler les efforts
de leurs aînés mais à «faire plus fort^> dans le
même sens. Malheureusement, 1 esprit du mouve-
ment se perd généralement pour ne voir subsister
que sa lettre. Les seules intentions mécaniques et
les recherches de moyens sont poussées à i exa-
gération; Taudace du génie des inspirateurs tourne
à 1 excès; et d'une tendance inspirée, ils font une
culture de procédés. Leur apport d'invention est
58
en effet généralement contestatle puisqu'ils n'a-
joutent au mouvement qui précéda la leur que
des différences de degrés et non de nature. Ce qui
répond à un besoin devient dans leurs travaux le
superflu d'une mode, et partant, ce qui garde la
mesure nécessaire pour ne pas devenir défaut ckez
leurs devanciers, se voit poussé à franchir le fossé
pour nous donner d'assister à la décadence d'une
période artistique qui meurt des excès mêmes qui
la firent vivre.
Les exagérations des rejetons extrêmes de l'Im-
pressionnisme, des Fauves en particulier, allaient
et vont encore à l'encontre d'une parole de Bossuet
qui trouve sa place ici: <des sens ne peuvent sup-
porter les extrêmes, seul l'entendement n'en est
jamais olessé;). Certes les réactions ne se décnaînent
pas par la seule volonté. Toutefois la manière
rationnelle dont les Fauves décidèrent de faire
jusqu'à l'en étrangler rendre au mouvement im-
pressionniste plus qu'il ne pouvait donner, et
59
d autre part plusieurs avertissements cruels et
salutaires ne laissèrent pas que d'inquiéter la
sensibilité de Picasso comme d'ailleurs celle de ses
amis. Le culte des sens exige un gros capital qui
rapporte peu. Ceux donc qui de par leurs disposi-
tions pnysiologiques étaient plutôt encuns à ces
tendances ne virent pas sans effroi que se couper
les oreilles et se tuer à la manière de Van Gogh,
ou fuir à Takiti selon Gauguin, ne constituaient
pas nécessairement, le couronnement d'une sensi-
bilité tien équilibrée. Or l'influence de ces deux
Maîtres sur les efforts trop décidés, trop raison-
neurs des Fauves est indéniable, et c'est contre ces
tendances que sans préméditation sans doute,
Picasso devait s'élever de la façon la plus lumi-
neuse. L'on pourrait dire que l'anarcliie de la
déformation était d'ores et déjà menacée par la
dictature du regroupement de toutes les formes.
Ce n'est pas sans doute que Picasso considérât ces
faits sous un jour si noir puisqu'il était écrit qu'un
60
vent nouveau allait souffler d'ailleurs, mais
i instinct inventif qui DOuiUonnait dans sa sensi-
Dilité lui montrait assez dans quelle impasse s'agi-
taient péniblement et sans résultat appréciable les
derniers desservants d'un culte déjà rassis. Il eut
pu se faire en effet qu'en d'autres temps, le culte
que Picasso allait consacrer à certaine discipline
plastique fut resté sinon aperçu, car tout se sait,
du moins négligée. Mais comme il répondait à un
besoin naissant, il trouva rapidement pour son
développement l'enthousiasme nécessaire.
Les Impressionnistes et leurs successeurs main-
tenaient cette prétention que le dessin linéaire
était une convention. Il est bien difficile de déter-
miner ce qui est convention ou ne l'est pas en matière
d'art et d'ailleurs nous reviendrons sur ce sujet.
Quoi qu'il en soit et pour la raison que l'on médit
volontiers de ce que l'on connaît mal, les Impres-
sionnistes accusèrent le dessin d'emprisonner les
simouettes et de rudoyer la forme. C'est alors que
61
suivant une nouvelle formule, qui fleurait pour-
tant Dien le conventionnel, il fut aamis que grâce
au travail des valeurs 1 on <^peinarait» le dessin
linéaire. C'est ainsi que le goût naturaliste de la
déformation, la reckerclie du caractère propre et
l'interprétation de la nature ne tardèrent pas à
déchaîner des excès que Picasso ne pût longtemps
souffrir. On a appelé le Cubisme un retour à la
discipline, ce qui est faux. Si Ion eût dit: retour à
«une;» discipline, i on eût peut-être touché plus juste.
C'est pourquoi les qualités du dessin de Picasso
furent accueillies comme avec un soulagement; les
«ctranckes de vie» que 1 on servait alors sous les
aspects les plus désagréables furent en effet bientôt
délaissées pour la pureté et la simplicité reposantes
des dessins dont toute reclierclie pkysio-psycholo-
gique était bannie. Ainsi peu à peu, se forma un
nouveau culte, car tel est le privilège de Fart que
toutes ses manifestations séduisent les nommes
dans ce qu'ils ont de plus profondément sensible*.
62
Au règne de la couleur qui s'abîmait de plus en
plus dans les déliquescences les plus fatigantes et
les plus fatiguées succéda celui du dessin pour le
dessin. L'on reprocna bien à cette tendance de
s'éloigner de Tliuinanité: faible supposition fort
keureusement et toute gratuite, puisque seule
pourrait être taxée d'innumanité i oeuvre du fou
ou du fantaisiste. Ce n'est pas que le culte exclusif
du dessin ne puisse conduire à une certaine séche-
resse, et c'est ainsi que la technique cubiste suscita
bon nombre d'oeuvres en lesquelles 1 assouplisse-
ment des formules linéaires devint procédé tout
mécanique. Mais l'écueil était difficile à éviter et
dans pareille tentative tout bomme pouvait risquer
d'écbouer. Aussi est-ce à l'bonneur de Picasso
d'avoir par une tendresse et une bumanité con-
stantes envers les objets de ses prédilections, mon-
tré que les découvertes qu'il avait faites n'étaient
pas le fruit d'une fantaisie rêveuse ou arabesque,
SI l'on peut dire, mais bien celui de l'imagination
63
la plus sensible qui fût. Tant il y a que chez
Picasso la ligne suit les contours même de la
sensibilité libre et atteste ainsi une liberté bumame
plus large que celle qu'impose cette règle sévère de
peindre la ligne au lieu de la dessiner.
Il y aurait ueu de revenir plus en détail ici sur
les confirmations que lart nègre apporta aux dis-
positions de la sensibilité de Picasso. Les sculpteurs
africains ou océaniens possédaient cette émotion
première devant les injonctions de leur sensibilité
que ressentit toujours Picasso. Ce fut pour ce
dernier un précieux contrôle de considérer la
liberté laissée par les nègres aux battements de
leurs coeurs vierges, et ce fut pour lui un réconfort
de voir cette sensibilité imposer sa puissance à la
raison moderne de plus en plus épuisée par lusure
dialectique des siècles. Les nègres n'avaient jamais
entendu le mot: art, et n'était le respect numam
qui oblige certains bommes à sourire de i effort
des nègres comme ils souriaient du bon nègre
64
blanc qu'était le Douanier Rousseau, riiumanîté
tlancne serait heureuse ae se raxraîcliir le coeur
au contact de rame imagée et printanière des
sculpteurs noirs. Sans fausse konte, Picasso alla
aux nègres comme Ton va aux ckamps pour en
rapporter un instant le regret de ne pouvoir
y vivre. Il sentit que leur candeur religieuse ou
mystique ne les avait jamais privés du sentiment
des proportions non plus que de celui du dessin,
et c est dans cette constatation que nous pourrions
trouver la meilleure preuve de i humanité d'un
retour à certaine discipline plastique. Ce qui en
outre séduisit Picasso dans lart nègre c'est que
chacun des artisans de couleur portait en lui une
façon particulière d'entendre et d'exécuter ce qu'il
avait conçu. Aussi toutes les oeuvres nègres
présentent - elles entre elles des différences de
nature calquées sur les sensibilités de leurs auteurs
alors que les oeuvres blanches n'affichent que trop
généralement des différences de degré souvent peu
5 65
sensibles. La civilisation et les chemins de fer
n'ont pas encore unirormisé la pureté noire.
L/âme de chaque ouvrier nègre est un inonde
particulier, celles de nos artistes, hélas! ne forment
plus que les différents rouages d'un même univers.
C'est ainsi qu'en opposition avec l'oeuvre des
Post-Impressionnistes, Picasso posa que l'artiste
ne devait pas être uniquement le serviteur aveugle
de la nature mais au contraire qu'il devait lui
imposer de nouveaux événements avec tous les
éléments qu'elle lui offrait. Ainsi l'on allait peu
à peu voir instaurer dans l'art les principes vivi-
fiants de la science alors que ses méthodes seules
lui avaient jusqu'ici imposé leurs points de vue.
À la manière des historiens, nous savons tous plus
ou moins prévoir ce qui est arrivé: or, c'est ce qu'à
1 aide d'exégèses sempiternelles sur des textes dont
la valeur était journellement ébranlée, faisaient
tous les jours les successeurs des Impressionnistes.
Au surplus, si nous voulions remonter à l'origine
66
ae la réaction qu'opéra Picasso nous constaterions
que la peinture sensualiste semblait de plus en plus
étouffée sous 1 orgie des sonorités creuses de la
couleur vide. Le raffinement de la sensualité
amenuisait parfois la dite couleur jusqu'à la faire
presque disparaître; le miracle de ses reckerckes
épuisantes finissait, en dépit de bien molles inten-
tions constructives, par laisser deviner les ficelles
et la trame de ce qui devenait de plus en plus un
métier. Or le glas commençait de sonner définiti-
vement pour ces recnercnes en des mines épuisées
lorsque la mode s'empara de leurs efforts. La
débauche de la couleur se répandit bientôt dans
les tissus, dans les ameublements, dans les illustrés
mondains et enfin dans les décors de théâtre. <^Xe
souviens-tu, Fernand Léger, de ce décor étonnant
vu dans un Casino pourtant bien populaire et
peint, eut-on dit, par quelque auteur de portants
de Ballets Russes ?;> Même les écoliers rétifs de
i Ecole des Beaux -Arts commencèrent à décou-
se 67
vrir rlmpressionnisine au travers des oeuvres de
leurs successeurs et les exagérations de tout repos
des Fauves de la jungle parisienne, fruits de la
seule compréhension cérébrale de 1 Impression-
nisme, trouvèrent dans la majorité vulgaire un
terrain favorable à leur développement. Quoi qu'il
en soit, Picasso les yeux brûlés par des déforma-
tions criardes de plus en plus insupporta oies, car
malgré tout, si déformations il y a, ne déforme pas
qui veut, Picasso, dis-je, ne vit bientôt plus en elles
qu improvisations laborieuses, brutalités trop
voulues, travaux pénibles semblant faits de <^cnic»,
à tel point que ces tentatives finissaient par rendre
fatigantes, nous ne craignons pas de le dire, même
Toeuvre responsable de Cézanne. Nous deman-
dions tous grâce, et notre sensibilité suppliait qu'on
voulût Dien ne pas ouolier que la peinture pouvait
être également Tobjet dune délectation de notre
esprit sensible. Malgré que vouloir reconstruire
après avoir déformé soit un désir louable et con-
68
traire à toute anarchie, il n'est guère possiole de
bâtir soliaeinent avec des matériaux qui ont déjà
servi. Mieux vaut peut-être, si Ton ne peut tout
raser et user d'un matériel neuf, continuer à s'abri-
ter sous lancien édifice que Ton peut toujours
réparer au jour le jour. C'est pourtant le premier
parti que suivirent les successeurs des Impression-
nistes. Il ne résulta de leur entreprise qu'un
désordre assez impuissant, désordre qu'un avenir
rapproché sanctionnera sans doute sévèrement.
C'est pourquoi au désordre, même le plus artisti-
que, nous demandions l'opposition d'un ordre plus
en rapport avec la figure artistique de l'époque
nouvelle; à la brutalité nous préférions la persua-
sion: nous nous souvenions même de ce mot de
Fontenelle qu'à la rigueur l'on pouvait citer à
propos de ces excès: «Eussiez- vous les mains pleines
de vérités qu'il faudrait encore regarder à deux
rois avant de les ouvrir». Les successeurs des Im-
pressionnistes présentaient en toute évidence des
69
vérités sensuelles a un orare secondaire, des ventés
de tout repos pour 1 entendement, mais que nous
eussions voulu voir à la rigueur traiter d'une
manière plus discrète. En un mot la sensualité
:fmissant par déformer tout par définition, le
besoin d'un peu plus d'atticisme se faisait sentir.
L'on voit dans le courant de Tnistoire de la
Peinture deux tendances générales se manifester,
et ce souvent simultanément: le culte de la couleur
et celui de la ligne. Il est même à remarquer que
ces deux dispositions se rapportent à des consi-
dérations ethnographiques. La couleur et le dessin
sont le Nord et le Sud. Le Nord qui manque de
couleur laime plus que le Sud qui en a trop.
Dans ces catégories pourraient figurer Ruoens
d'une part et Le Greco de l'autre, Rembrandt et
Raphaël, plus près de nous Delacroix et Ingres,
et enfin Matisse et Picasso. L'astrologie verrait
sûrement dans ces deux cas iapplication possible
des distinctions propres aux caractères Jupitériens
70
et Saturniens. La physiologie enfin y découvrirait
la trace des tempéraments sanguins et bilieux.
Les premiers, que Ion nommerait plus volontiers
les «peintres ^>, font preuve de la plus grande indul-
gence envers les données de leur sens et leurs
faiblesses même les plus dangereuses. Au surplus
ils ne redoutent pas d exposer leur «moi» dans
toute sa nudité. Les seconds, qui seraient plutôt
les «artistes», semblent pourvus au contraire de la
plus faroucne pudeur; ils ont honte de se montrer
nus et déguisent la plupart du temps leur sensualité
sous les dehors de 1 enjouement ou de I austérité.
Au cours des siècles. Ton remarque encore que
1 une de ces tendances est parfois plus goûtée que
1 autre, puis réciproquement. On pourrait en
conclure que le monde est tour à tour plus parti-
culièrement ou sanguin ou bilieux.
Or, il ne s'agit pas de rechercner qui, dans cette
poursuite constante de la v érité, ou d'une vérité,
est plus près de Tatteindre, de celui qui dépense des
71
dons aux rechercnes subtiles de la couleur, ou de
celui qui se livre sans réticences aux lois du dessin.
Cependant nous ne pouvons pas ne pas observer
que la lioerté la plus aosolue donnée aux sens
absorbe toutes autres facultés. Et c est pourquoi
Tesprit en vient à se poser ce point d'interrogation
assez inquiétant: que devient le sort de i imagina-
tion dans les oeuvres qui obéissent trop servile-
ment aux injonctions des sens? Les grands artistes
souffriraient volontiers que Ion considérât leurs
oeuvres comme les fruits d'une sorte de génération
spontanée. Cependant le manque d'imagination
que chacun reconnaît dans les oeuvres post-
impressionnistes est certainement pour quelque
chose dans la venue avec Picasso d'une période
plus artistique succédant à une époque trop pictu-
rale. Peut-être Tatus impressionniste d'un goût
un peu étroit pour la Science montra-t-il encore
qu'au lieu de subir l'influence de sa «lettre» il était
mieux de n'en subir que <d'esprit»? En tout cas,
72
nous verrons facilement que i apport de Picasso
s'opposa constamment à cette tendance dépourvue
d'élévation et d'inspiration personnelle.
Su est possiole de risquer dès maintenant quel-
ques ODservations sur le CuDisme, lors du début
de ce mouvement il ne fut jamais question d'éta-
blir des tnéories, et ce à l'encontre des successeurs
des Impressionnistes, qui nous reprochèrent cette
tendance, eux qui ne firent jamais que la prati-
quer. C'est que Picasso au lieu de partir du point
où ses prédécesseurs avaient laissé la peinture,
comme l'avaient fait les Post- Impressionnistes, fit
plutôt comme <dable rase» de tout ce qui avait été
exécuté avant lui. Jamais en effet les Fauves ne
perdirent de vue les efforts de leurs devanciers, ils
ne firent même qu'adopter leurs tnéories, tnéories
sur lesquelles ils brodèrent simplement suivant
leurs goûts particuliers. Or le créateur qui
marche seul dans l'étendue ignore la Théorie. Il
était donc naturel que Picasso ne tînt compte des
73
découvertes des Impressionnistes et de leurs
successeurs qu en tant qu éléments scientixiques,
comme ion possède les notions d'une langue, et
sans y attacher plus d'importance que i on n'en
doit donner à un instrument de travail. Ainsi
Picasso ne crut pas devoir consacrer uniquement
sa sensibilité au perfectionnement des outils
nécessaires à la fabrication de telle macliine; il
pensa plutôt qu'il se devait de construire, lui-
même, une machine vivante telle que ses prédéces-
seurs n'avaient jamais réussi à en produire. D'ail-
leurs la construction d'une machine nouvelle exige
celle d'un outillage nouveau. Aussi rut-ce sur le
seul besoin qu'il avait de ce dernier, mais sans lui
confier l'importance exclusive que les Fauves ou
les Néo- Classiques donnaient à l'exécution dans
leurs oeuvres, que Picasso construisit les nouveaux
outils qui lui étaient indispensables, c'est-à-dire
des moyens nouveaux.
Examinons donc en détail les données, inusitées
74
encore, qui dans Foeuvre de Picasso s'opposeront à
celles de ses prédécesseurs et qui nécessiteront
1 intervention de moyens inédits, tels que i emploi
du papier, du faux-bois, et de ce «ton locab> que
condamnaient les Impressionnistes,
Nous sommes déjà loin du goût de 1 Impression-
nisme pour cette «lettre» des Sciences qui se
traduisait par une prédilection exclusive pour le
<f phénomène». <^Ce qui paraît» était leur culte uni-
que: leurs sens en étaient les ministres. Il suit de là
que seule Texpérience était la règle de leur con-
duite artistique. L'examen attentif des objets leur
transmettait limage d'un monde en perpétuelle
transformation, et c'est pourquoi le «visage mou-
vant de i heure» est encore pour les survivants de
cette Ecole le champ que cultive le plus volontiers
leur réalisme superficiel. Or l'expérience ne peut
se suffire à elle-même, elle n'est que la constata-
tion de faits: plus encore, constatation souvent due
au hasard puisque les sens nous trompent. Il ne
75
faut pas repousser tout conseil du kasard. Mais
nous ne pouvons tout risquer sur une telle carte,
sans quoi nous n'assisterions qu'à des palabres de
moyens sans apercevoir jamais 1 émotion, la pure
émotion qui a sa source, ni dans le cerveau, ni dans
le ventre mais dans le coeur. Au surplus l'existence
des faits connus par lexpérience est toujours
distincte de leur nature propre, aussi la connais-
sance de leur structure nen détermine-t-elle jamais
Têtre. L'on se demande comment les Impression-
nistes purent voir dans le «visage mouvant de
1 heure ^> dont 1 on a si souvent parlé, ce fameux
reflet de 1 Eternité qui est aussi célèbre? Il semtle
bien au contraire que seules les circonstances
extrinsèques qui accompagnent les objets décèlent
leur véritable nature, qu'elles les complètent,
qu'elles sont leurs émanations et qu'elles consti-
tuent comme leurs causes efficientes. L'expérience
au surplus, ne peut donner que la définition des
oDjets, c'est-à-dire un simple scnéma, puisque les
76
événements qui appellent un ODjet à lexistence ou
qui i en font disparaître, se déroulent <^autour» de
lui, et ne peuvent par conséquent avoir aucune
influence sur sa définition. Enfin quel oesom de
définir éternellement des objets que nos yeux
définissent quotidiennement, et recommencer
sempiternellement loeuvre des dictionnaires? La
connaissance par expérience n'a de légitime que
son utilité pratique. Par suite elle se perd dans la
généralisation. On le voit une fois de plus, la
nécessité de cette aostraction en art est de plus en
plus problématique. J'ai déjà signalé les incon-
vénients de cette forme du raisonnement. J'ajou-
terai cependant, qu'à la rigueur, elle pourrait être
susceptible de légitimité mais seulement si elle
concernait un oLjet subordonné à Texpérience;
mais, il faut se persuader que Tart n'est nullement
dans ce cas. Nous ne nous étonnons donc plus si
les successeurs de l'Impressionnisme prononcèrent
également ce nom de i induction que j'ai déjà
77
signalé, et dont rapplication fournit un corollaire
à 1 aberration expérimentale mentionnée ci-dessus.
Linduction en art nous ramène aux principes
des lois. J'ai dit sommairement ailleurs ce que
Toeuvre de Picasso nous autorisait à penser à ce
sujet; 3 y reviens plus explicitement. Les artistes
qui ont prétendu faire de linduction 1 un des
fondements de lart n ont pas pris garde que les
associations d'images sont toujours si personnelles
que 1 expérience ne peut en régir un nomore suffi-
sant pour qu'il soit permis d'en tirer des lois. La
sensibilité n*est pas une quantité, elle est une source
d'événements, incommensurables si l'on veut, mais
surtout incomparaoles entre eux. Les associations
qui se plient au ]Oug des lois ne peuvent fournir
que des images connues déjà par suite de leur
répétition. <^ L'expérience, démonstration de dé-
monstrations» disait vauvenargues. L'induction
en art est une répétition de données posées par le
raisonnement, par suite elle ne peut laisser appli-
78
quer sa métnode à la sensibilité créatrice. Induire
est toujours connaître et non sentir, et encore
connaître dans le sens raisonneur des applications
de la science, connaître d après la lettre et non pas
en espnt les vérités qui ne sont pas entackées de
commodisme; induire est tâcner à convaincre
lesprit sans persuader la sensibilité; induire n'est
enfin que démontrer éternellement des principes
qu'il a fallu supposer admis une fois pour toutes.
Or les découvertes sensibles de Picasso au moment
qu'il les créait étaient loin d'être admises. L'artiste
qui crée, pose des faits et laisse à d'autres le soin
de les commenter. Ainsi les futurs disciples de
Picasso pourront plus tard tabler sur ses décou-
vertes pour en tirer par induction des lois vulgari-
satrices s'ils en voient la nécessité. Suivant en cela
l'exemple des Post-Impressionnistes ils la verront,
fort protablement.
En adoptant l'induction comme base logique
de leur art les Impressionnistes et leurs succès-
79
seurs ne firent donc qu élargir la difficulté. Ils
tentèrent sans doute de la reformer en la déformant,
ils essayèrent même de la commenter, d'ergoter
sur ses données, mais il ne semble pas leur être
arrivé d'avoir pensé à la résoudre. Or Picasso
dans la partie de son oeuvre née au temps qu\l
commençait de vivre parmi les vivants considérait
1 univers comme une source de faits particuliers
ayant chacun leur vie propre. L'éducation acadé-
mique et les métnodes expérimentales des sensua-
listes eussent dû exiger de la connaissance qu elle
les rendît maîtres de la nature. Or à ne donner
d'intérêt dans la nature qu'aux phénomènes, elles
ne firent des artistes qui suivirent leurs directives
que les véritables esclaves de cette même nature.
A i encontre de ce procédé, Picasso ne s'attarda
plus à noter ce qui dans 1 univers passait, mais
bien ce qui était, ce qui demeurait. Il ne vit pas
seulement dans les objets que des motifs à expéri-
ence; il ne tenta pas simplement de dégager leur
80
forme périssable, cet aliment de la seule Vérité
superficielle, abstraite et commiocle; il ne voulut
que leur donner une âme, lame de leur forme
étemelle. Donc plus de stériles imitations de la
nature, puisque les sens sont trompeurs, et que
1 art ne peut éternellement jouer à la poupée. Les
objets ne furent plus désormais pour Picasso que
les éléments d'une atmosphère ou les particularités
d'un langage, propres seulement à lui permettre
d'exprimer la tendresse attentive de son coeur
sensible.
Le Cubisme de Picasso, — puisqu'il faut bien
que nous acceptions cette appellation donnée par
dérision et non pas par Matisse qui s'en défendit
toujours -- le Cubisme, dis -je, semble donc, a
pnon, s'opposer à toute tendance exclusivement
sensuelle. Un nomme d'esprit i appela un jour
«peinture pour aveugles». Peut-être y avait-îl
dans ce mot certaine part de vérité, mais il fut
prononcé aux débuts du Cubisme, en un temps où,
81
je iai dit, loin de vouloir faire des théories, les
écrivains qui soutenaient le mouvement ne vou-
laient que planter des jalons et des repères qui
pussent permettre d'avancer, toutes précautions
prises, dans les régions encore inconnues que les
artistes exploraient. Pour les esprits pressés de
voir les réalisations les plus rapides succéder aux
essais, le Cubisme na pas donné, paraît-il, les
résultats qu'ils attendaient de lui. J'en suis heu-
reux, et puisse- t-on n'en voir jamais! En tout cas
la «peinture pour aveugles» qui supposait à ce que
l'on pouvait appeler de nouveau le culte du «balài
ivre», nécessitait une recherche de constructions
particulières. L'immeuDle à construire ne pouvait
plus être accoté aux maisons voisines, il devait
être érigé seul sur une place. Le travail de
Picasso ne consistait donc pas en un labeur tout
intellectuel, mis en tranle par quelque incitation
visuelle, ni par quelque comparaison venue de
quelques souvenirs, il était désormais lié à lim-
82
pulsion de son imagination créatrice. L on a pu
dire que 1 une des données de rimpressionnisine
était le dégoût des sujets conventionnels; et le
dessin linéaire était englobé dans cette proscription.
Ce n'était là que prétention peu sérieuse, lart en
effet est convention ou il n'est pas, ou plutôt il
n'est que pnotograpnie. iTeureuseinent d'ailleurs
rlmpressionnisme reste à l'aDri de ce dernier
reprocne: la faculté d'ooservation, la recnercne du
caractère vrai, voire l'étude de la nature n'attes-
tent-ils pas que grâce à ces tendances il ne substitua
guère que des nouvelles conventions aux anciennes,
et ce aussi bien dans ses recherches de moyens que
dans ses préoccupations intellectuelles?
En tout cas il ressort nettement de ces trois
données que l'art des Impressionnistes et de leurs
successeurs fût surtout un art de définition et
mieux de définition fort savante, sans trace
d'empirisme. Nous avons dit combien la défini-
tion en art nous semblait en dekors de l'art, du
6- 83
moins de lart libre dont le nom sert seulement
d'étiquette à l'expression de la sensibilité. Nous
répéterons que la définition en art n'est qu'un
cadre plus ou moins doré; il reste à faire le
tableau. Or la forme d'expression qui paraît
avoir été mise à contribution par Picasso, ou
plus exactement le processus que suivit son
tempérament, pour approcher du but qu'il pour-
suivait, semble ressortir plus spécialement à la
déduction. L'individualisme un peu vulgaire
des successeurs des Impressionnistes tendait à
tracer du monde une silhouette conforme à
leurs personnalités nécessairement <^ définies >>.
Chez Picasso au contraire les rapports entre sa
sensibilité et les objets sollicitent d'abord son
attention. Mais loin de demander à son oeuvre de
suggérer les liens qui peuvent unir les objets entre
eux ou les rattacher au spectateur, il ne consent
à jeter sur eux qu'un coup d'oeil furtif, indispen-
sable pour le bon équilibre de l'émotion qui lui
84
(
dévoile leur âme vivante. Et cie lélément qu il a
tiré de cette façon il crée une oeuvre entièrement
issue de sa sensibilité et qui n'a pas plus de
ressemblance avec les apparences conventionnelles
de la nature qu*un appareil électrique avec le
fluide qui le meut. Ainsi un tableau est un
tableau, comme une guitare ou un dé à jouer sont
une guitare ou un dé, c est-à-dire un objet particu-
lier qui n'est la copie ni l'interprétation de rien.
On le voit, la connaissance intuitive et simul-
tanée d'un objet est à l'origine de cette conception.
Picasso ne cbercbe pas à arriver à l'objet, il part
de l'objet — tableau que son imagination a créé
une fois pour toutes. D'une seule poussée de son
imagination il empoigne la certitude, la certitude
qui doit être toujours immédiate, c'est-à-dire ne
provenir d'aucune contingence ni d'aucune
réflexion trop raisonnée. Pour Picasso la beauté
ne réside donc pas dans une représentation d objet
existant ou n'existant pas mais dans le jeu des
85
rapports qu'il découvre entre les images qu'il crée.
Notons que faire exclusivement prédominer dans
une oeuvre la valeur des éléments objectifs pris à
Tunivers ressortit à la méthode académique a en-
seignement, et i excès correspondant se rencontre
également cnez les Post-Impressionnistes pour qui
les éléments subjectifs émanés de i artiste seul sont
pris en considération. Chez Picasso au contraire
ces deux séries d'éléments ne montrent Tune sur
l'autre aucune prédominance; elles sont intime-
ment mêlées dans le creuset d'une sensibilité
artistique qui ne subit aucune contrainte. Et la
raison de ce fait pourrait être recherchée dans la
vive intelligence de Picasso, cette intelligence in-
quiète et ombrageuse,que i on pourrait considérer
comme la cause naturelle d'une immense pudeur
qui lui interdit d'exposer ce qui dans son moi est
nécessairement commun à tous les hommes.
Àmsi toute oeuvre de Picasso est un morceau
d'imagination pure: Pablo Picasso n'y est nuUe-
86
ment représenté, seul i artiste qui signe Picasso y
a versé ce que son démon rammer lui inspirait. Il
ne faut donc pas être surpris de ce que les anciennes
mesures de i espace et du temps ne semblent plus à
sa taille. Ces antiques notions en effet ne sont
considérées par lui que comme des règles anciennes
et partant des règles particulièrement sévères qui
ne furent jamais faites pour lui et quaprès tout il
est en droit d'apprécier suivant sa connaissance et
sa sensiDiuté.
L'on voit qu'au Keu d'interpréter la nature, à
Taide de toutes ses inévitables faiblesses sensuelles
et au détriment de son imagination, qu'au lieu
de renverser toutes valeurs dans l'espoir de trou-
ver dans ce bouleversement l'occasion de rencon-
trer un équiliDre miraculeux, qu'au lieu de jouer
exclusivement des feux de la couleur avec l'astuce
la plus brillante ou la plus keureuse, bref qu'au
lieu d'assigner à l'art une destinée si exclusivement
matérielle, Picasso lui a donné une pureté et une
87
fraîckeur en rapport avec la plus telle desti-
nation qu'on puisse lui conférer. L'art ne pouvant
être qu'une «finalité sans fin», Picasso le aétarrasse
en même temps de toute exagération sensuelle et
de toutes les nécessités secondes qui peuvent lui
conférer un caractère utilitaire. L'art, nous ne
cesserons jamais de le répéter, ne doit servir à rien
qu*à éveiller en la sensibilité du spectateur une
émotion pure dégagée de tout intérêt. Lorsque
nous admirons un spectacle de la nature il est
clair que notre émotion ne ressortit à aucune con-
ception artistique. Nous admirons un paysage
parce que les éléments qui le composent dégagent
seulement comme des radiations qui se trouvent
plus ou moins en accord avec notre sensibilité. En
disant que le soleil est beau j'entends qu'il n'entre
dans ce sentiment aucune comparaison avec quoi
que soit. C'est là qu'apparaît en pleine lumière ce
sentiment de désintéressement absolu que je
donnais au début de cette étude comme l'une des
88
caractéristiques de Toeuvre de Picasso. Ainsi donc
plus de psychologie, plus de <^ caractères vrais».
Une toile de Picasso nous émeut violemment
sans que nous sachions pourquoi et sans que nous
ayons à le reckercker. Nous ne voulons pas savoir
s il a étudié la nature ou s'il a observé ce qu'il nous
présente: ceci ne nous regarde pas. Si j'admire le
paysage dont je parlais, je ne dis pas qu'il imite
fort bien une bonne pkotographie ou tel takleau
post-impressionniste. Une oeuvre de Picasso
représente à nos yeux un okjet sorti de lui tout
vivant. Il n'eut jamais besoin d'acketer un jardin
pour en peindre les fleurs, jamais on ne le vit
«aller sur le motif ;>, depuis longtemps il délaisse
les «modèles». Au réalisme visuel, Picasso maître
de son métier oppose une sorte de réalisme
supérieur et non pas ce réalisme propre seulement
à réaliser plus ou moins kabilement des abstrac-
tions; il s agit au contraire d'un réausme classique
plein de pureté qui fait jaillir de son propre coeur
89
une source vivante a émotions. Plus de traduc-
tions, plus d'interprétations d'émotions com-
mandées. Je n'ai pas besoin de votre opinion sur tel
paysage, (ceci était une trouvaille de rlmpression-'
nisme), car j'ai la mienne que je tiens pour la
meilleure. Pourquoi ce bavardage? Je sais bien
que nous ne pouvons pas proférer continuellement
des cnoses indispensables, mais ne me dites pas: 3e
vais vous taire voir ce que j ai vu; montrez-moi
seulement «quelque cnose;>. En définitive, je cher-
che une oeuvre, une oeuvre créée, et non pas de la
paraphrase, de l'exégèse, ou des variations sur des
sensations que tout le monde a éprouvées.
C est ainsi qu'en opposition aux termes traduire,
interpréter, observer, la génération nouvelle a
remis en vigueur et en lui donnant une significa-
tion absolue le mot «créer». Il va de soi que le
terme est un peu fort, et que nous ne pouvons
guère le concevoir sans lui adjoindre le complétif
«ex nibilo». Inventer serait peut-être plus bumain,
90
mais le mot a été si galvaudé qu'une fois de plus
nous noterons Timpuissance des définitions aussi
Dien que leur inutilité. Avec Tintransigeance la
plus absolue lartiste devrait porter le nom de
« poète ^>, dans le sens que lui assignait i étymologie
grecque. Il devrait être celui qui <aait^>, c'est-à-dire
qui compose quelque chose de ses propres moyens
mais sans le secours d'aucun conseil ni d'aucune
suggestion extérieure trop exclusive et trop inté-
ressée. Souvenons-nous encore de ces artistes de
i enfance littéraire française, et que Ton nommait
trouvères, troubadours et même trouveurs. Le
terme «trouver^) était Tâme de ces appellations qui
signifiaient si nettement que tout nomme désireux
de séduire la sensibilité de ses semblables ne devait
compter que sur ses trouvailles personnelles. A.
vous de prendre ou de rejeter ce qu ils vous of-
fraient, mais ils ne faisaient aucune concession au
goût de leurs auditeurs. Je sais que 1 on peut rétor-
quer qu'ils les ignoraient, mais voilà justement
91
la raison la plus pure de la fraîckeur ou de la
sincérité de leurs oeuvres.
Suivant cette remarque, Picasso au lieu de
pousser la copie de la nature jusqu au paroxysme,
à la façon dont Inomme fit Dieu à son image,
Picasso, dis-] e, eut trop conscience de la réalité
propre de 1 univers pour tenter de le rapporter à
ses semblables. Cnacune de ses oeuvres apporte
donc une contribution nouvelle au nombre d'ob-
jets qui existe dans le monde. Au Keu d'exploiter
un capital déjà versé et non entièrement, il apporte
de nouveaux fonds. PicassOij qui suivant la ten-
dance de son siècle^possède un goût prononcé pour
1 esprit de la science sait assez qu\l est tout naturel
que son imagination puisse agir seule et sous sa
propre impulsion cependant qu'il n'en sera lui-
même que le spectateur. Il ne craint donc pas
d'édicter comme des axiomes qui lui sont rigou-
reusement propres et qu'il considère comme des
vérités personnelles qu u impose à la nature. L'on
92
est fort qu'en contrariant la nature, disait Renan.
Il ajoutait que le pêcker naturel ne porte jamais
de teaux fruits et qu'il n'en produit que lorsqu il
est en espaliers. Picasso ne cnercne pas à contra-
rier la nature dans un tut si comestible et qui
ressortirait assez aux besoins sensuels des Post-
Impressionnistes. Au lieu d'améliorer un arbre il
en crée un nouveau dont nous n'avons plus qu'a
récolter les fruits savoureux. L'on saisit que
Picasso qui a respiré l'air de la telle ptilosopnie
moderne ne voit pas le monde tel qu'il apparaît à ses
yeux, mais tel qu'il le refait. Sur l'injonction de
sa sensitilité, il imagine un petit monde nouveau et
c'est par la vertu des mystérieux dons qui ont
présidé à sa naissance qu'il éveille en le spectateur
ce sentiment de satisfaction intérieure que nous
attrituons à ce que tien vaguement nous conve-
nons de nommer teauté. Encore une fois quil soit
tien avéré que ce que nous nommons le Seau n'est
qu'une définition vide de sens, que l'émotion
93
provient de ce que nous aimons, mais ce que nous
aimons profondément, et non superficiellement, et
Dien des désillusions seront évitées. L'artiste ne
peut être un composé de molécules qui le pose
comme une simple unité du troupeau numam, il
faut qu'il soit, si 1 on veut,le Dieu tombé du philo-
sophe. Et, que Ion ne redoute pas de sa part des dé-
couvertes innumames, car malgré son désintéresse-
ment, l'éducation et la tradition auront fourni à sa
mémoire les aliments les plus communément sub-
stantiels. Mais, hâtons-nous de le dire, cette mé-
moire ne sera pas, fort heureusement, un magasin en
lequel il puisera d'une façon scolastique ou expéri-
mentale: elle sera un filtre de matière rare au travers
duquel coulera une sensibilité qui prendra son goût.
Dès lors avec Guyau i artiste pourra recommencer
à vivre à chaque oeuvre qu'il produira, et sa mémoire
restera toujours intimement mêlée à ce qu'en Dieu
tombé, mieux, en nomme-dieu, ou plus simplement
en créateur, il se rappellera du ciel de son enfance.
94
i
Il resterait encore à dire quelques mots de la
sculpture de Picasso. Parallèlement aux pein-
tures, pastels, gouackes, dessins, eaux-fortes et
pointes - sèches qu'il exécutait quotidiennement,
Picasso s'adonna à la sculpture. La glaise comme
le DOIS, en particulier le buis, la corne et le
cuivre le montraient possesseur du plus complet
métier de graveur et de sculpteur. Néanmoins
les oeuvres qu'il exécutait dans ces différents
genres étaient en corrélation parfaite avec sa pein-
ture de lépoque correspondante. Elles n'appor-
taient avec un ckarme de plus que la confirmation
de ses quaKtés sensibles. Cependant, peu à peu,
et sous iinf luence de Cézanne, il confia à ses essais
plastiques, notamment à l'occasion d'un Buste
de femme, les inquiétudes que la Peinture lui
avait suggérées. Il cnercna, semble -t- il, dans la
sculpture comme une sorte de contrôle plastique.
95
Toutefois ces essais ne lui parurent pas suffisants
et c'est alors qu'il songea que la sculpture devait
être déciaément autre chose, elle aussi^qu'une copie
ou une traduction de la nature. Les Têtes de Dieux
à faces animales, llsis à tête de boeuf, la Pesée des
Ames des Egyptiens, les Démons et les Anges des
époques romanes et gotniques, les monstres des
Anciens Chinois, ceux enfin de la Statuaire
Nègre 1 en persuadèrent davantage encore. Il
tenta de prêter à la sculpture les ailes dont il se
préparait à doter la Peinture, et créa des oLjets
qui séduisirent pour leurs trouvailles, des natures
mortes sculptées qui portaient la marque de son
imagination, d'étranges jouets où la lumière suivait
les contours de son esprit inventif.
Cependant Picasso garda toujours une prédilec-
tion pour la Peinture. Aussi serais -je tenté de
croire qu'il délaissa la sculpture, malgré les spiri-
tuels pantins des Ballets Russes dont nous parle-
rons ailleurs, parce que cet art lui semblait
96
comporter peut être une nature propre et nulle-
ment tributaire de cette autre Drancne de 1 activité
sensible, qui était la peinture. Les modèles classi-
ques des peintres-sculpteurs furent sans doute pour
quelque chose dans cette conviction. La sculpture
comme la peinture, la poésie et la musique doivent
être autonomes. Peut-être Tâme de la sculpture
est -elle encore à découvrir, car lArt avec un
grand A, ne nous paraît guère qu'un composé de
différentes spéculations artistiques, un ensemble
comparable à celui de quelque grand magasin
centralisateur où sous le même toit et la même
raison sociale se rencontrent toutes les denrées,
tous les articles. Je pense que Picasso comprit vite
que sa sculpture n'était que sa peinture sculptée
et qu\l entrait dans une impasse dont il était
impossible de sortir malgré la fantaisie des Ballets
Russes. Quoi qu'il en soit il délaissa la sculpture
pour consacrer plus que jamais son activité à son
amour de la Peinture.
97
Ia tentative puissante qu^effectua Picasso pour
Jl aélivrer sa sensiDilité et la nôtre de toute éti-
quette usagée donna à notre génération la possi-
bilité de goûter un air pur et vivifiant dont la pein-
ture contemporaine nous avait désnaoïtués. 1 el rut
r apport du Cubisme. Cependant au cours de ces
errorts Picasso «vivait avec les vivants ^>, c'est-à-
dire que malgré bien des avantages, il demeurait
continuellement en proie à toutes les sollicitations
qu'impose la vie. Il &^t donc impossible d'appré-
cier dès maintenant la portée de son oeuvre. Plus
tard, nous aurons besoin d'ajouter à cette édi-
tion un chapitre nouveau qui sera sans doute le
plus long. Il aura pour objet la troisièmie partie de
la vie de Picasso, celle que selon la parole du pnilo-
soplie,il vivra «avec lui-même». Souvenons-nous
que Renoir disait qu'il ne sut exactement ce
qu'était la peinture que dans les dix dernières années
98
de sa longue vie. Il sera particulièrement passion-
nant de voir ce que sera loeuvre de Picasso dans
quelques trente ans a\ci. Je gage que nous appren-
drons encore de merveilleuses cnoses et que le dé-
sintéressement a un art parvenu à sa pureté ex-
trême nous montrera ce qu une conviction sévère
peut concevoir de plus lumineux.
Jusque là nous pouvons donc en toute sûreté in-
sister quelque peu sur la période d'inquiétude
et d'nésitations que Picasso a traversée et traverse
encore en se préparant à ce nouvel âge. La force
dmertîe de l'ignorance et de TkaLitude ne leur ont
peut-être pas été étrangères. A. lutter continuel-
lement contre elles, vient la fatigue. Spartacus eut
peut-être de la chance de trouver la mort en com-
battant, sans quoi grâce à ses qualités il fut devenu
quelque haut dignitaire romain. Néanmoins toute
la sympathie humaine va plutôt à Spartacus qu'à
Pompée. Le talent sera peut-être lapanage de
celui-ci, le génie héroïque la vertu de celui-là.
99
En tout cas, que ce soit besoin de repos, dé-
couragement devant 1 inertie humaine, ou désir de
ne pas effriter son imagination en des redites, ce qui
est peut-être la meilleure raison, Picasso dans ses
toutes dernières oeuvres a marqué, non pas un
abandon de ses anciennes recherches, mais une
tendance à retourner parfois à la tradition des
Musées. Comme je lai donné à entendre, la re-
nommée est dangereuse lorsqu'on ne la, dirige
plus. Le putlic à qui la valeur l'avait imposée pa-
raît se venger en la faisant sienne à son tour; il
semble se féliciter de lavoir décernée en la rame-
nant à sa mesure. C'est aussi qu'hélas! il ne fau-
drait jamais nen dire devant les enfants! Dans un
article sur Picasso publié dans un magazine tiré à
plus de cent mille exemplaires. Ion put lire en
regard de reproductions de dessins classiques et
de reproductions d'oeuvres cuoistes de notre artiste
cette assertion d'un chroniqueur soucieux de ne pas
choquer la clientèle du périodique, à savoir que ces
100
I
essais découpés et hachés, les dessins cubistes, n'a-
vaient jamais été composés que pour permettre à
Picasso de produire ces beaux dessins pleins de
pureté et qui rappelaient la manière d Ingres. Cette
erreur assez significative corroborait pourtant une
idée non moins erronée, qui subsiste encore en cer-
tains esprits, et qui tend à faire passer l'oeuvre
cubiste pour une suite au goût de déformation des
Post - Impressionistes. L'ignorance naturelle ou
voulue qui est seule responsable de cette con-
fusion véritablement extraordinaire est certes pré-
judiciable, puisque des écrivains considérés s'en
sont emparée pour la commenter en des hérésies
bien propres à complaire aux lecteurs qui leur ont
imposé leurs goûts. Je recommanderais volontiers à
ce sujet la lecture de certaines cbroniques de M.
H. Bidou, dans limportant organe qu'est le
<^Temps;>. Elles forment des commentaires qui re-
posent sur les plus décourageantes erreurs. Le Cu-
bisme est assimilé là à rlmpressionnisme, et il n'est
101
question à propos des ses efforts que de << suggestion»
d\^ analogie» c'est-à-dire toutes idées intégralement
contraires à l'esprit du Cubisme et de 1 art de
Picasso.
Or il ne faut pas oublier que le CuDisme est
ISSU d'une estkétique absolument spéciale, qu\l
possède même sa propre estnétique; c'est une erreur
grave de vouloir rattacher ses manifestations aux
différentes esthétiques traditionnelles.
Quoi qu'il en soit^ cet achat d'un costumiC
classique et tout fait, ou à peu près, qu'effectua
Picasso soit en atordant le tnéâtre, soit plus encore
en exécutant des portraits,sembla donner à enten-
dre que lartiste ne considérait plus l'art comme
dénué de «fin». Il se passa là dans l'âme de Picasso
un drame semblable à ceux qui se jouent générale-
ment dans toutes ses toiles. Or pareil événement ne
peut guère se produire sans les avertissements les
plus cruels, et puisque Picasso fut élevé dans un
respect et un amour des règles étabues, il était très
102
kumain que le doute survenu cnez lui à propos de
la valeur des règles rinît, sur certaines craintes, à
lui faire suspecter la propre valeur des découver-
tes qu'il faisait en sa sensibilité.
J'ai écrit que lorsque Ton tentait de sonder le
mystère de Tâme multiple et insaisissable de
Picasso, Ton avait comme Timpression de jouer
avec le feu. Picasso paraît en effet posséder une
prédilection marquée pour jouer avec ce redou-
table élément. La puissance de son habileté ly
autorisait certes, encore que cette assurance ne le
tînt pas à 1 aori d'un accident léger ou même d'une
catastropke. Il était donc en ce cas tenu de comp-
ter avec un nouveau partenaire plus ou moins
disposé à entrer fidèlement dans ses vues, à savoir:
la ckance. Si habile que soit Taviateur, il emporte
un féticke et quelquefois il est sincère. Nous
supposons donc qu'entre ces voyages répétés de
l'univers commun à soi-même, Picasso dût comp-
ter sur une aide dont il sentait désormais le besoin,
103
à savoir cette chance personnifiée par une gloire
sinon aussi pure que la première du moins plus
étendue. C'est peut-être ainsi que Picasso décida
peu à peu de ne plus s'appuyer exclusivement sur
sa sensibilité et que dès lors il accepta de composer
avec diverses influences qui finirent par assombrir
quelque peu sa personnauté.
Ce fut par le tkéâtre que Picasso déLuta sur
des scènes ou d'autres comédies avaient été jouées
déjà. Les Ballets Russes présentèrent <^Parade;>,
divertissement plein de cnarme, qualité dont jus-
que là Picasso avait fait assez bon marclié et ce
très justement. La musique d'Enk Satie était mieux
que de la musique. Elle avait fait de ce Guignol
cultivé un joli bouquet d'étincelles paradoxales.
Mais le Cubisme pur des austères natures-mortes
de Picasso subissait ici une première attaque de la
part du goût décoratif. Cependant il était permis de
ne voir en ce divertissant spectacle qu'une gageure
ou une jolie fantaisie somme toute bien légitime.
104
Plus tard toutefois, suivirent a autres spectacles
qui cette rois retournèrent à la tradition la plus
décorative et se montrèrent totalement expurgés
de limagination que nous avions tant de fois
Coûtée chez Picasso. C'était «le Tricorne», et
«Pulcinella>>, joués à TOpéra en 1919 et 1920. Il
s'agissait, surtout dans le «Tricorne», de décors
traités à la manière classique et agrémentés de
costumes destinés à les compléter d'éléments
d'karmonies agréables. Délectation des yeux, un
peu longue toutefois, dont la diversité mécanique
revenait trop fréquemment; mais absence de
raisons d'émotions purement artistiques. Sans
doute ne faut-il pas demander à un Dallet plus qu il
ne peut donner. Un ballet est une espèce de con-
sortium de tous les Arts. Ils s'y alimentent les uns
les autres, s'y nuisent ou s'y aident tour à tour. Le
scénario, la musique, les décors, les costumes, la
science des danseurs s'y bousculent, c est un peu
les spectacles multiples de Barnum; un ballet est
105
surtout un bal avec toutefois la fraîcheur et lim-
prévu de ce dernier en moins. Aussi la pureté de
ckacun des arts qui entrent dans sa composition
est-elle nécessairement compromise; i équivoque
apparaît immédiatement suivi de i ennui le plus
inévitable.
La collaboration de Picasso aux Ballets Russes
nous amène à envisager si cet événement ne fit pas
sentir son influence sur son oeuvre générale. Or
dans les dernières productions de Picasso 1 on a
constaté un retour de Fartiste à cette influence de
la peinture italienne qui dans sa jeunesse avait
déjà porté sur lui son empreinte. Une sorte d'idé-
alisme un peu sensuel bien en rapport avec son
tempérament ly faisait se rapprocber des artistes
de la Renaissance, en passant par Finfluence de
lart des gravures et des gouaches de la Restaura-
tion et de Louis-Pbilippe. La sensibilité de Picasso
y semble comme transformée. Elle paraît plus
éclectique, plus rationnelle, en un mot elle se prend
106
à <^ckoisir^>, et finit par trouver dans lobjectivité
des éléments insoupçonnés auxquels elle confère
une cote qui certes n est pas une cote d amour pur,
et qui contriDue à constituer en lui une nouvelle
manière de concevoir une venté. Certes sa raison
lui présente toutes sortes d'excuses qui ne sont pas
sans valeur. Comme elle est née de son éducation,
elle confesse volontiers d'abord qu'elle est souvent
impuissante à maîtriser les poussées d'une sensi-
bilité toujours en éveil, toujours renaissante. A la
lumière, à la perspicacité de l'intelligence les dog-
mes découvrent leurs points faibles. Pourquoi, en
1 honneur de la raison, vouloir donner un sens
aux oeuvres d'art puisque les mots qui sont des
objets merveilleux sont impuissants à en four-
nir eux-mêmes. Ne serait-ce pas pour ce motif
que Tart n'a pas de fins? La raison, nélas! est
ODugée de se mirer dans le miroir du voisin car
elle n'en possède pas en propre et ne se connaît
qu'à travers toutes les manifestations humaines.
107
La raison d'état classique se meut en effet dans
un cercle, elle est une sorte de <dooping tke loop?>
dont la voie est tracée par des rails et le ckar
attaché, de sorte qu'il n y a plus guère d'accidents
à redouter^ qu'elle ne fait que redire avec plus ou
moins de précision les choses déjà dites, et qu'elle
se voit enfin éternellement condamnée à ne jamais
sentir ce qu'elle fait malgré qu'elle l'exécute avec
les plus laborieuses difficultés.
De son côté la sensiDilité Kbre de Picasso ne lui
cachait pas non plus les difficultés et les déboires
auxquels elle se sentait exposée. La certitude chez
lui devenait de plus en plus vacillante. Comme 3 e l'ai
dit, sa sensibilité finissait par douter de sa propre
force et ce surtout lorsqu'elle se prenait à envier
les dogmes de la raison artistique plus conformes
au commerce commun des nommes. La sensibilité
de Picasso devint donc plus raisonneuse, si l'on
peut dire, ou plutôt l'instmct de la conservation
lui fit remarquer qu'elle l'entraînait parfois sur
108
I
des pentes dangereuses dans lesquelles il éprouvait
certaines dirricultés à rester maître de sa propre
direction. Plus encore, cette sensibilité ressentait
comme des terreurs parce qu'il lui arrivait parfois
de se sentir acculé dans une sorte d'impasse
derrière laquelle il y avait tien quelque ckose
sans doute, mais un quelque chose qu'elle ne par-
venait jamais à identifier. Elle voyait encore
surgir devant elle le Hasard, le kasard et ses ren-
contres qui plaisent un jour pour déplaire défini-
tivement le lendemain. Enfin cette sensibilité
Teffraya d'une façon totale lorsqu'elle lui fit
croire qu'il saurait peut-être toujours ce quil
voulait faire, mais que selon toutes probaDilités il
ne le ferait jamais.
C'est de cette façon que la plus précise incerti-
tude le fit souvent késiter. Pourtant si la Foi est
un immeuble irréparable, Picasso ne se laissa
jamais aller longtemps à essayer de conciner les
inconciKables. Il se souvint vite que s'il n'y a pas
109
de maladies, mais des malades, pas d'Art, mais des
artistes et que lorsque Ion ne crée plus, 1 on imite.
Et au lieu de se laisser suborner entièrement par
ces deux éléments de sa personnalité, il préféra
leur faire tour à tour des concessions, concessions
qui à 1 encontre de ce qui arriva aux artistes de
lantiquité, ne furent heureusement jamais perdues
pour lui.
Malgré que Picasso soit tout de même un peu
sceptique, le sensualisme qui ne croit à nen qu à
ses sensations et la raison qui n entend que ses
raisonnements, ne purent lui faire oublier à
défaut de foi son besoin d'une passion pure et d'un
amour profond. Le vieil idéalisme de sa nature
était né dans son coeur d*un réel besoin d'illusions,
tesoin qui éclatait dans cliacune de ses oeuvres.
Et c'est alors qu'à la foi en cette venté personnelle
qui semblait le fuir, se substitua cette tendance à
admettre une sorte de proDabilisme qui se déve-
loppa au jour le jour suivant des convictions de
plus en plus probables. La civilisation nous inter-
dit de plus en plus la foi au cbarbonnier. D'autre
part tout le monde ne peut-être Pascal. C est pour-
quoi la TOI a pris de nos ]ours la forme de la
croyance. Or Picasso a voulu, semble -t- il,
dans ses dernières oeuvres grouper dans une seule
croyance toutes les données des règles de lÀrt qui
ayant été passées au crible de son intelligence lui
paraissent probablement valables ainsi que les in-
jonctions de sa sensibilité auxquelles il croit pou-
voir donner une confiance possible. Il est pourtant
patent que ces croyances ne déterminent plus chez
Picasso la certitude avec laquelle il posait
déubérément les premières trouvailles de son
imagination. V oilà qui sans doute est très bumain,
et SI Picasso est condamné à ne plus ressentir les
satisfactions sublimes de la foi aveugle, grâce à
cette croyance en des choses probables, il ne dé-
truira pas loeuvre personnelle qu il a durement
édifiée. La conscience de sa sensibilité présente
m
sera toujours coratmée au souvenir de ce qu elle
a été dans le passé. Il conservera en son coeur le
souvenir de la foi quil a connue.
Il n'en subsiste pas moins dans 1 oeuvre de
Picasso un certain flottement qui périodiquement
lui fait envisager un jour la possibilité du con-
traire de ce qu'il croyait la veille. Cependant
i incertitude poussée à ce point forme actuellement
le plus puissant stimulant pour le renouvellement
quotidien de son œuvre, de celle qu\l exécute du
moins aujourd'hui. Entre deux retours à la tradi-
tion, Picasso consent encore à se laisser aller à des
essais où perce oeaucoup de fraîcneur, mais aussi
du bon goût. Il est bien évident que dans son
oeuvre de maintenant, Picasso unit à lardeur de
son tempérament espagnol la circonspection la plus
française et ce n'est pas sans quelque raison qu'on
l'a jugée très <^dix-nuitième siècle français», bans
1^^ ^ * • '1
a comparaison jusqua cette précision il
est visible que Picasso a du «dix-nuitième siècle j>
112
Tesprit curieux et inventif, et que la peinture a
été régénérée grâce à ses hypothèses lumineuses.
Il a encore du 18^ Siècle l'esprit des encyclopé-
distes et l'amour du paradoxe, étant entendu que
nous attribuons au mot paradoxe la qualité de
vérités lumineuses que personne n ose dire.
Cette opinion a été pour oeaucoup dans la
décision prise par plusieurs critiques, voire même
de peintres, que i oeuvre de Picasso serait décrétée:
oeuvre de transition. Il m'est impossible de par-
tager cette façon de juger, car la justice fait encore
intervenir ici son appareil ordinaire. Les artistes
et les critiques le mieux disposés en faveur de
r oeuvre de Picasso admettent à la rigueur que son
effort présente quelque valeur, mais comme ils
n'ont pu se mettre totalement à son unisson ils lui
refusent le caractère définitif d'une oeuvre
accomplie. La personnalité de Picasso les dépassant
de beaucoup, ils ne manquent pas de demander
des <fréalisatîons» à une oeuvre qui est une réalité
113
même. De là à définir Tef f ort de Picasso sous Téti-
quette <^art de transition», il n'y a qu un pas. Cepen-
dant pour que cette assertion qui fleure la méthode
et la comparaison académiques, réponde à la rigueur
du raisonnement qui Ta conçue, il faudrait que les
deux termes de la proposition fussent connus. Or
comment Tart de Picasso est-il une transition?
Transition entre quoi et quoi? Nous devinons le
premier terme de la proposition, mais le second res-
tant parfaitement inconnu, l opinion se trouve
dénuée de toute valeur. Je pense en effet que nous
ne profanerons pas le pur effort et si complet de
Picasso en attribuant à son oeuvre Tatoutissement
où croient 1 avoir conduit ceux des artistes qui ont
adapté ses trouvailles si personnelles aux nécessités
de Tart académique ou post-impressionniste. Ceci
n'a rien à voir à cela. Il est puénl de vouloir ratta-
clier le Cubisme au Louvre. Picasso pose des nypo-
tkèses qui dépassent Tart des Musées, encore qu'il
ne se donne pas toujours le soin de les expérimenter.
U4
Il reste néanmoins que grâce aux dons qu il
possède, grâce aussi à sa sagesse, Picasso confère à
SCS li3rpotnèses toute la vraisemolance qui leur est
nécessaire. Tant il y a que chez les grands artistes
la vraisemblance tient lieu de vérité. Il n'y a donc
pas lieu de s'étonner que déjà monte la génération
qui succédera à celle qui, avec les grands croyants
que furent Picasso, Braque, Léger, Juan Gns,
Gleizes et Metzmger, a édifié Toeuvre que Ion
connaît. Nous savons ce que ses successeurs ont
fait de rlmpressionnisme, aussi nul doute que déjà
la même tendance ne se dessine et que lapplica-
tion raisonnée de 1 oeuvre inspirée de Picasso ne
commence à se faire jour. Toutefois 1 effort de
Picasso posé définitivement ne sera ni augmenté
ni diminué. Et ceci apparaîtra d'autant plus
juste que ]e tiens la sensibilité de Picasso pour
inépuisable et que lorsque reviendront en leur
temps certains sursauts de cette foi qui ne peut
être absolument éteinte au fond de son coeur,
115
il jettera encore la consternation parmi ceux-là
qui avaient cru pouvoir déjà prendre sa mesure.
Que Ton se rappelle la pensée de Bacon: la vérité
sort plutôt de l'erreur que de la confusion. Les
successeurs de rimpressionnisme emporteront
dans ITÎistoire de TÀrt la responsabilité de
nVvoir pas tenu compte de cet avertissement.
Je cite souvent la parole de Pytnagore qui sou-
tient que SI Ton est perdu dans une forêt il vaut
mieux marcher droit devant soi que cnercner de
droite et de gaucke, et à tâtons, une issue problé-
matique. Il est possitle qu'avec le temps Picasso
fasse de 1 incertitude numame à laquelle il est en
proie une sorte de règle de conduite comme le
conseillait le pkilosoplie. Mais je lui donne rendez-
vous aux heures graves ou non plus livré à soi-
même, mais plus maître de soi-même, il trouvera
certainement encore dans les oscillations de sa
croyance en la probabilité de ses convictions cer-
tains accords qui éclateront en des oeuvres plus
116
éclatantes encore parce que plus conformes à cette
recnercne des raisons pures de la peinture dont il
aura été le plus brillant organisateur.
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n L'étreinte. 1903 <Pastel)
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m Portrait de l'artiste. 1904 (Deasin à la plume)
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IV Octavio Canaîs. 1904 (Dessin à la plume)
V Le hoiteux. 1904 (Dessin à la plume)
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\1 ,Vu5. 1905 'Ds-.-'in su crrayon/
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X Guillaume A^oll inaire. 1905 (Dessin à la plume)
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XI Tête de femme. 1906 <Fu8am)
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XII Portrait. 1906 (Dessin au crayon)
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XIII Deux femmes. 1906 (Dessin au crayon)
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XIV Portrait. 1906 (Dessin au crayon)
XV Nu. 1907 (Lavis)
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XVI Nu. 1910 (Dessin à la plume)
'ïSÊPv'l-.t'Â^-^î^ Srf. ,|/,'cè*èr
XIX Nature morte. 1913 (Dessin avec papier colle')
XX Nu. 1913 <Dessin avec papier collé)
XXI Tête. 1913 (Dessin avec papier collé)
XXII Nature morte. 1913 (Dessin avec papier collé)
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XXIV Nu. 1914 (Dessin avec papier collé)
/.
XXV Tète. 1914 (Dessin avec papier colle')
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XXVI M. Ansermet. 1917 <Dess;n
in au crayon/
XXVIII Arlequin. 1919 (Dessin au crayon/
(
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XXXI Pierrot. 1919 (Dessin au crayon)
Peintures
Mat émit t
1901 (Gouache)
F
l-yp
Mat émit ,
1901 (Peinture à l'Wle)
Le h o ck
1902 (Peinture à l'huile)
Fem me au c a f i
1902 <Peinture à Thuile)
1902 (Peinture à l'huile)
^J^^^''
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Portrait de f e
1903 (Peinture à Thuile)
F e m. m i
1903 (Peinture à l'huile)
10
L'aveuglé
1903 (Gouache)
11
Femme accroupi
J
1903 (Peinture à l'huile)
12
Têti
1904 (Gouaclie)
13
(
Les BaJad,
1904 (Peinture à Tliuile)
14
Portrait
1904 (Peinture à l'huile)
15
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L' éventail
1904 (Peinture à Thuile)
17
L' acti
1904 (Peinture à l'huile)
18
La famille au sing t
1905 (Gouacte)
19
i
Le panier fleuri 1905 (Peinture à l'huile)
20
Arlequi
1905 (Peinture à Thuile)
21
La houle
1905 (Peinture à 1 huile)
22
Nu
1905 (Gouache)
23
Tête de fi
1905 (Peinture à Thuile)
24
i
Souvenir de H oll a ndi
1905 (Peinture à Thuile)
25
Nu
1906 (Gouacte)
26
i
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Portrait de fe
1906 (Gouache)
27
1
Têti
1907 (Peinture à l'huile)
28
i
Fh
1907 (Peinture à riiuile)
29
Bols et flacom
1908 (Peinture à Thuile)
30
L e s ^ i
1909 <Pemture à l'huile)
31
Tête de fe
1909 {Peinture à l'huile)
32
Larl,
1909 (Peinture à l'huile)
33
34
35
36
37
Portrait de M. Henry Kahnwe r'iei
1910 <Pemture à Thuile)
38
To^
1910 (Peinture à l'huile)
39
f^* ■ JIR ç
J^a tur e mort ,
1911 (Peinture à l'huile)
R 10
40
L h 0 mm e à la clarinette
1912 (Peinture à Thuile)
41
BuffaJo BiU
1^12 (Peinture à l'huile)
42
L'homme à ? a m an d oli m
1912 (Peinture à l'huile^
43
44
Guitare
1914 {Peinture à l'huile)
45
<Galer;e Léonce Rosenberg)
L'homme aux cartes
1914 (Peinture à Thuile)
46
Fia u r <
1914 (Peinture à l'huile)
47
48
M k .1(1 L n
:Galerie Léonce Rosenberg)
..Ma Joh
1915 (Peinture à l'huile)
49
50
<Galerie Paul Rosenberg)
Arlequin au violai
1918 (Peinture à Thuile)
51
<Galerie Léonce Rosenberg)
Arlequin à la guitare
1918 (Peinture à Thuile)
52
Arlequin
1918 (Peinture à Ttuile)
53
<Galerie Paul Rosenberg)
Portrait
1918 (Peinture à Thuile)
54
(Galerie Paul Rosenberg)
Portrait
1919 (Peinture à l'huile)
55
56
57
Scul^^tures
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1905
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J^a t ur e mort
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Le verre d' ah s i nthi
1914
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r emi e r m a na g i
1920 (Ballets Russes)
61
■ u X 7 e me manager
1920 (Ballets Russes)
62
Table des illustrations
Buste par Pablo Gargallo. Frontispice.
EauX'fortes
Acrobates (1905)
La famille de l'Arlequin (1905)
Salomé (1905)
Les Pauvres (1905)
Nu (1910)
Nu (1910)
Le Couvent (1910)
Dessins
Tête de femme, dessin au crayon (1901)
L étreinte, pastel (1903)
Portrait de l'artiste, dessin à la plume (1904)
Octavio Canals, dessin à la plume (1904)
Le Boiteux, dessin à la plume (1904)
Nus, dessin au crayon (1905)
Salomé, dessin à la plume (1905)
Les Saltimbanques, dessin à la plume (1905)
Figures, dessin à la plume (1905)
Guillaume Apollinaire, dessin à la plume (1905)
Tête de femme, fusain (1906)
Portrait, dessin au crayon (1906)
Deux femmes, dessin au crayon (1906)
Portrait, dessin au crayon (1906)
Nu. dessin (1907)
Nu, dessin à la plume (1910)
La Table, fusain (1910)
Liatrumentfl de musique, aquarelle (1912)
Nature morte, dessin avec papier collé (1913/
Nu, dessin avec papier collé (1913)
Tête, dessin avec papier collé (1913)
Nature morte, dessin avec papier collé (1913)
Le paquet de tabac, dessin avec papier collé (1914)
Nu, dessin avec papier collé (1914)
Tête, dessin avec papier collé (1914)
M. Ânsermet, crayon (1917)
Portraits, crayon (1918)
Arlequin, crayon (1919)
Moissonneurs, crayon (1919)
Moissonneurs, crayon (1919)
Pierrot, crayon (1919)
Peintures
Maternité, gouache (1901)
Maternité, peinture à Thuile (1901)
Le Bock, peinture à l'huile (1902)
Femme au café, peinture à ITiuile (1902)
Maternité, peinture à l'huile (1902)
Les Fugitifs, peinture à l'huile (1903)
La famille Soler, peinture à l'huile (1903)
La Soupe, peinture à l'huile (1903)
Portrait de femme, peinture à l'huile (1903)
Femme assise, peinture à l'huile (1903)
L'Aveugle, gouache (1903)
Femme accroupie, peinture à l'huile (1903)
Tête, gouache (1904)
Les Baladins, peinture à l'huile (1904)
Portrait, peinture à l'huile (1904)
La mort d'Arlequin, gouache (1904)
L'EveataiL, peinture à l'huile (1904)
L'Acteur, peinture à l'huile (1904)
La famille au singe, gouache (1905)
Le panier fleuri, peinture à l'huile (1205)
Arlequin, peinture à l'huile (1905)
La Boule, peinture à l'huile (1905)
Nu, gouache (1905)
Tête de femme, peinture à l'huile (1905)
Nu, gouache (1906)
Portrait de femme, gouache (1906)
Tête, peinture à l'huile (1907)
Fleurs, peinture à l'huile (1907)
Bols et flacons, peinture à l'huile (1908)
Les Poissons, peinture à l'huile (1909)
Tête de femme, peinture à l'huile (1909)
L'Arlequin, peinture à l'huile (1909)
La Brioche, peinture à l'huile (1909)
Paysage, peinture à l'huile (1909)
Maisons à Horta, peinture à l'huile (1909)
L'Usine. Horta de Ebro, peinture à l'huile (1909)
Portrait de M. Henry Kahnweiler, peinture à l'huile (1910)
Torse, peinture à l'huile (1910)
Nature morte, peinture à l'huile (1911)
L'Homme à la clarinette, peinture à l'huile (1912)
Buffalo Bai, peinture à l'huile (1912)
L'Homme à la mandoline, peinture à l'huile (1912)
Tête de mort et guitare, peinture à l'huile (1914)
Guitare, peinture à l'huile (1914)
L'Homme aux cartes, peinture à l'huile (1914)
Figure, peinture à l'huile (1914)
Le Compotier, peinture à l'huile (1915)
,.Ma jolie", peinture à l'huile (1915)
Nature morte, peinture à l'huile (1916)
Arlequin au violon, peinture à l'huile (1918)
Arlequin à la guitare, peinture à l'huile (1918)
Arlequin, peinture à l'huile (1918)
Portrait, peinture à l'huile (1918)
Portrait, peinture à l'huile (1919)
La Table devant la fenêtre, peinture à l'huile (1919)
Paysage, peinture à l'huile (1919)
Scu^tures
Tcte (1905)
Nature morte (1913)
Le verre d'absinthe (1914)
Premier manager (Ballet Russe) (1920)
Deuxième manager (Ballet Russe) (1920)
Les originaux des eaux fortes A, B, C, D, des dessins I, V-IX, XI-XIV et
du dessin sur la page 6 de la tatle appartiennent à Madame Paul Haldschinsky,
l'original du dessin III est à la Galerie Gaspari à Munich, celui du dessin
IV à Monsieur Rolf von Hoerschelman à Munich. L'original du dessin
XVIII et les tableaux 46, 48, 49, 50 et 52 appartiennent à la Galerie Léonce
Rosenberg à Paris; les originaux des dessins XXVII-XXXl (tirés de l'Esprit
nouveau) et des tableaux 51, 54-57 appartiennent à la Galerie Paul Rosen-
berg à Paris. La Galerie Thannhauser à Munich possède l'original du tableau 5,
le Dr. M. Kramar à Prague possède les originaux des eaux fortes E, F, G et
les dessins XVI et XVII.
C est la Galerie Simon de Paris qui a mis aimablement à notre disposition
les photographies des dessins II, XV, XIX-XXV et des tableaux 2-4, 6-22,
24-45, 47, 58-60.
Bihhogra^^Tiie
Rodriguez Codola: ..Exposition Ruiz-Picasso". La Vanguardia,
Barcelona 1897
Raventos: ..Notes sur Picasso". Barcelona 1898
Giiillaume Apollinaire: ..Picasso". La Plume, Paris, Mai 1905
Maurice Raynal: ..La Section d'or". Paris 1912
Maurice Raynal: ..La Publicidad". Barcelona 1912
Guillaume Apollinaire: ..Montjoie". Paris 1913
Guillaume Apollinaire: ..Les Peintres Cubistes". Paris. Figuière. 1912
Eugeni d'Ors: ..Poch a poch". La Veu de Gatalunya, Barcelona 1912
Fritz Burger: ..Cézanne und Hodler". Miinclien. Delphin-Verlag. 1912
Max Raphaël: ..Von Monet zu Picasso". Munchen, Delphin-Verlag, 1913
Picasso: ..Album de reproductions". Roma. Valori Plastici, 1913
Gustave Coquiot: ..Cubistes, Futuristes et Passéistes". Paris 1914
Ozenfant et Jeanneret: ..Après le Cubisme". 1918
André Salmon: ..L'Europe nouvelle". Paris 1919
André Salmon: ..Préface au Catalogue de l'Exposition Picasso". Chez Paul
Rosenberg 1919
Joan Sacs: ..Picasso". Vell i nou. Barcelona 1919
Jean Cocteau: ..Ode à Picasso". La Belle Edition. Paris 1919
Jean Cocteau: „Le Coq et l'Arlequin". La Sirène. Paris 1919
M. van Doesburg: ..Drie voordrachten over de nieuwc beeldende Kunst",
Leyden 1919
Maurice Raynal: ..Picasso". L'art libre. Bruxelles 1919
Roger AUard: „Le Nouveau Spectateur". Paris 1919
Pierre Reverdy: ..Le Cubisme, poésie plastique". L'Art. Paris 1919
J. Junoy: „Arte y artistes". Barcelona 1919
J. Llorens Artigas : ..Picasso". La 'Veu de Catalunya, Barcelona 1919
André Salmon: ..L'Art vivant". Grès, Paris 1920
André Salmon: ..Picasso". L'Esprit nouveau, Paris 1920
Louis Vauxcelles : Le Carnet de la Semaine, Paris 1920
Maurice Raynal: „Picasso'\ Album de 20 Reproductions. Editions de FEfFort
moderne, Paris 1920
Michel Georges Michel: „Picasso". Je sais tout, Paris 1920
Jacques Emile Blanche: „Picasso". Action 1920
Léonce A. Rosenberg: „Cubisme et Tradition". L'Efifort moderne, Paris 1920
Camille Mauclair: „Lart indépendant français sous la III. République".
Paris 1920
Jean Cocteau: «Carte Blanche". La Sirène, Paris 1920
Daniel Henry: „Der Weg zum Kubismus". Mûnchen, Delphin-Verlag, 1920
Florent Fels: „Picasso". Das Kunstblatt, Berlin 1921
Ivan GoU: „Die drei guten Geister Frankreichs". Berlin, Erich Reil?, 1920
Armando Ferri: «L'Exposition Picasso". Roma, Valori Plastici, 1920
Ivan Goll; ,,Uber Kubismus". Das Kunstblatt, Berb'n 1920
Léonce A. Rosenberg: «Parlons peinture". De Stijl, Leyden 1920
Xenius : «Exposition d'art français d'avant garde à Barcelone". La Publicidad,
Barcelona 1920
Oeuvres illustrées ;^ar Picasso
«Alcools", Poèmes par Guillaume Apollinaire, avec un portrait de l'auteur
gravé par Picasso. Mercure de France, 1913
..Saint-Mathorel" par Max Jacob, avec quatre eaux-fortes de Picasso. Edition
Kahnweiler 1913
«Le Siège de Jérusalem" par Max Jacob, avec trois eaux-fortes de Picasso.
Edition Kahnweiler 1914
.,Le Cornet à dés" par Max Jacob, avec une eau-forte de Picasso. Chez
Fauteur, 1917
«Le Coq et l'Arlequin" par J. Cocteau, avec trois dessins de Picasso. 1919
«Feu de joie" par L. Aragon, avec un dessin de Picasso. Paris 1920
«Le Tricorne enchanté", album de dessins par Picasso. Edition P. Rosenberg
«Cravates de chauvre" par Pierre Reverdy. 3 eaux fortes de Picasso. Edition
Nord-Sud.
Imprimerie Spamer, Leipzig
r
ND
553
F5R3
Raynal, Maurice
Picasso
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