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Full text of "Pierre du Moulin; essai sur sa vie, sa controverse et sa polémique"

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Pierre  Du  Moulin 
Essa.i  sur  sa  Vie 

Sa   Controverse   et    sa  PoléVique  -< 


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G67 

1888 


BX  9459  .D8  G67  1888 

Gory,  G  ©d  eon  A' 
Pierre  du  Moulin 


UNIVERSITÉ   DE   FRANCE    -  ACADÉMIE   DE   PARIS 


PIERRE  DU  MOULIN 

ESSAI   SUR  SA  VIE 
SA  CONTROVERSE  ET  SA  POLÉMIQUE 


THESE 


PRÉSENTÉE   A  LA  FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   PROTESTANTE   DE   PARIS 

POUR  OBTENIR  LE  GRADE  DE  BACHELIER  EN  THÉOLOGIE 

et  soutenue  publiquement  le  mercredi  25  juillet  i888,  à  4  heures 

PAR 

GÉDBON   GORY 


PARIS 

LIBRAIRIE    FISCHBACHER 

(société  anonyme) 
33,    RUE    DE    SEINE,    33 

1888 


FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  PROTESTANTE  DE  PARIS 


EXAMINATEURS  DE  LA  SOUTENANCE: 

M.  Viguié,  Président  de  la  soutenance. 
MM.  Viguié 

Stapfer     \    Examinateurs. 
Vaucher 


La  Faculté  n'entend  ni  approuver  ni  désapprouver  les  opinions 
particulières  du  candidat. 


No  112. 


PREFACE 


Pascal  dans  les  Provinciales  cite  du  Moulin  comme  le 
grand  adversaire  du  Catholicisme;  il  le  met  avec  les  diables 
les  plus  méchants.  Bossuet  réfute  un  de  ses  ouvrages.  Il  a 
joui  pendant  sa  vie,  et  longtemps  après  sa  mort,  d'une 
gloire  exceptionnelle.  Aujourd'hui  dans  le  Protestantisme, 
à  peine  quelques  personues  connaissent-elles  son  nom, 
parce  qu'on  a  réédité  en  1846  le  Bouclier  de  la  Foi 
comme  livre  de  piété. 

Après  la  période  des  Réformateurs,  vient  celle  des 
Docteurs,  et  puis  c'est  le  Désert.  Parmi  les  Docteurs,  du 
Moulin  fut,  au  dire  de  ses  contemporains,  le  plus  grand. 
Sa  vie  nous  fait  connaître  surtout  une  période  de  notre 
histoire,  celle  qui  va  de  l'édit  de  Nantes  à  la  prise  de  la 
Rochelle.  Pendant  ces  années  de  paix  et  d'organisation 
dogmatique,  du  Moulin  est  à  la  tête  du  mouvement  pro- 
testant. 

C'est  un  homme  de  fer,  qui  porte  dans  le  dix-septième 
siècle  l'énergie,  la  foi  intense  et  inébranlable  du  seizième, 
dont  il  a  subi  l'éducation. 

J'ai  trouvé  la  plupart  des  sources  imprimées  et  ma- 


—    4     — 

nuscrites  dont  je  me  suis  servi,  à  la  bibliothèque  de  l'His- 
toire du  Protestantisme  français.  Je  tiens  à  témoigner  ma 
reconnaissance  à  M.  le  pasteur  N.  Weiss,  qui  a  fouillé 
pour  moi  cette  précieuse  bibliothèque  et  m'a  aidé  à  y 
découvrir  les  ouvrages  que  j'indique.  Je  remercie  aussi 
M.  le  pasteur  Paul  de  Félice,  qui  a  bien  voulu  s'intéresser 
à  mon  travail  et  me  communiquer  quelques  ouvrages  de 
sa  bibliothèque. 

Voici  la  liste  des  sources  les  plus  importantes  que  j'ai 
consultées  : 

1°  Sources  manuscrites. 

Autobiographie  de  Pierre  du  Moulin  (à  la  Bibliothèque 
del'Hist.  du  Prot.  fr.)1. 

Quick,  The  life  of  M.  Peter  du  Moulin.  Inédit  (Jbid.). 

Lettres  inédites  de  P.  du  Moulin  (ibid.). 

Lettres  inédites  de  Marie  du  Moulin  (ibid.). 

Registre  des  Actes  du  consistoire  de  Sedan  (à  Sedan), 
gracieusement  consulté  pour  moi  par  M.  le  pasteur 
P.  Vincent,  et  extraits  de  M.  P.  Schmidt,  communiqués 
par  l'intermédiaire  de  M.  N.  Weiss. 

2°  Sources  imprimées. 

Bâtes,  Vitœ  selectorum  aliquot  virorum.  Londres,  1682, 
in-4°. 


1  Cette  autobiographie  a  été  imprimée  dans  le  Bulletin  de  l'His- 
toire du  protestantisme  français,  T.  VII,  mais  avec  des  erreurs  de 
lecture. 


—     5     — 

Récit  des  dernières  heures  de  Monsieur  du  Moulin,  avec 
une  épitre  adressée  à  ses  enfans  au  sortir  d'une  grande  ma- 
ladie. Genève,  1662,  in-12. 

Ephemerides  Isaaci  Casauboni.  Oxford,  1850,  in-8°. 

Daniel  Charnier,  par  M.  Ch.  Read.  Paris,  1858,  in-8°. 

Ablonet  Charenton,  par  le  même.  (Extrait  du  Bull,  hist. 
et  lit  t.). 

Synodes  nationaux  d'Aymon.  2  vol.  in-/r°,  1710. 

Synodes  de  Quick,  2  vol.  in-fol.,  1692. 

Prœstantium  ac  eruditorum  virorum  epistolœ. ..  Amster- 
dam, 1660,  in-8°. 

Histoire  de  la  Vie  de  Messire  Philippes  de  Momay  (par 
David  de  Licques).  Leyde,  in-/j.°,  16/J.7. 

Le  Rabelais  réformé  (par  le  P.  Garasse.  Bruxelles,  1620, 
in-8°),  et  les  ouvrages  indiqués  par  la  France  protestante. 

Les  ouvrages  de  du  Moulin. 

La  France  protestante,  lre  et  2e  éditions. 

Le  Bulletin  de  la  Société  de  l'Histoire  du  Protestantisme 
français. 

Dictionnaire  de  Bayle,  etc. 


PREMIÈRE   PARTIE 


ENFANCE   ET  JEUNESSE    DE   DU    MOULIN    —  VOYAGES, 
PÉRIODE    DE    PRÉPARATION 

Pierre  du  Moulin  sortait,  comme  beaucoup  de  pasteurs 
du  dix-septième  siècle,  des  rangs  de  la  meilleure  noblesse. 
Les  du  Moulin,  sieurs  de  Lorme-Grenier  ou  Gregny,  descen- 
daient, au  témoignage  de  Bâtes,  de  Denys  de  Molendino, 
ministre  de  Charles  VI  d'Angleterre ,  qui  épousa  une 
princesse  du  sang,  4*ft%  Mary  Courtenay. 

Le  récit  de  la  vie  de  Joachim  du  Moulin,  le  père  de 
Pierre  du  Moulin,  serait  une  introduction  excellente  pour 
notre  travail  ;  mais  la  matière  est  trop  abondante,  et  nous 
serons  appelés  à  parler  assez  souvent  de  lui.  Qu'il  nous 
suffise  de  dire  qu'il  était  pasteur,  ancien  catholique1,  dés- 
hérité par  sa  mère,  Jeanne  Douville,  en  haine  de  la  reli- 
gion. Jusqu'à  la  fin  des  guerres  de  la  Ligue,  il  fut  chassé 

1  Mais  non  ancien  moine  (voir  la  préface  de  la  Nouveauté  du  Pa- 
pisme). Les  adversaires  le  confondent  avec  l'ex-cordelier  Guillaume 
du  Moulin,  ami  et  collaborateur  de  Farel,  pasteur  d'Aigle,  puis  de 
Noville. 


d'une  ville  à  l'autre  ;  aujourd'hui  pasteur  à  Mouy  ou  à 
Cœuvres,  et  tranquille;  demain  peut-être,  parce  que  le 
seigneur  du  lieu  aura  abjuré  et  refusera  l'abri  à  l'Église  et 
au  pasteur,  fuyant  et  se  cachant  dans  les  champs,  avec  sa 
famille,  pauvre,  malade,  menacé  de  mort,  et  ranimant  le 
courage  des  protestants  abattus.  Et  telle  était  alors  la  con- 
dition de  tous  les  pasteurs.  Les  Églises  jusqu'à  l'édit  de 
Nantes  n'avaient  qu'une  existence  contestée  et  précaire; 
les  pasteurs  le  plus  souvent  erraient  de  l'une  à  l'autre. 

«L'an  1564,  le  24  Avril,  Joachim  du  Moulin,  mon 
père,  ministre  de  la  Parole  de  Dieu,  épousa  en  l'Église 
d'Orléans  demoiselle  Françoise  [Gabet] ,  fille  d'Innocent 
Gabet,  juge  pour  le  Roy,  à  Vienne,  en  Dauphiné,  tué  pour 
la  Religion,  peu  après  le  massacre  de  la  Saint-Barthé- 
lémy1... Du  mariage  entre  Joachim  du  Moulin  &  Fran- 
çoise Gabet  sont  issus  quatre  enfans,  assavoir  Ester2, 
Joachim,  Pierre  &  Éléazar3.  » 

Pierre  du  Moulin,  notre  héros,  naquit  le  16  octobre 
1568.  Joachim  du  Moulin,  avec  ses  deux  enfants,  Esther 
et  Joachim ,  âgés  de  trois  ans  et  de  un  an ,  et  sa  femme 
enceinte,  fuyait  la  persécution,  car  c'était  le  temps  des  troi- 
sièmes troubles  qui  l'avaient  chassé  de  son  Église  de  Mouy 4. 

1  «Toute  cette  famille  a  quitté  la  profession  de  l'Évangile,  hormis  une 
fille,  nommée  Claude,  sœur  de  ma  mère  »  (Autob.). 

2  Qui  épousa  en  secondes  noces  le  pasteur  Etienne  Bochard,  sieur 
du  Ménillet. 

3  Autobiographie  (manuscrite)  de  Pierre  du  Moulin. 

*  Et  non  Mony,  comme  lit  le  Bulletin,.  T.  VII,  p.  17.  Mony  n'existe 
pas,  Mouy  est  connu.  Voir  la  France  protestante  au  nom  de  Louis 
de  Vaudrey,  seigneur  de  Mouy.  Voir  aussi  le  Registre  de  l'État  civil 
de  l'Église  réformée  de  Mouy.  Bulletin,  T.  XXXII,  p.  61  et  XXXVII, 
p.  386. 


—     9     — 

Le  château  avait  été  pris  par  les  catholiques,  et  Joachim 
du  Moulin  avait  réussi  à  s'enfuir.  Après  avoir  erré  de  re- 
traite en  retraite,  la  famille  arrive  au  château  de  Buhi,  en 
Vexin 1.  Monsieur  de  Buhi,  protestant,  frère  de  du  Plessis- 
Mornay,  lui  offrit  un  asile.  C'est  dans  ces  circonstances 
que  naquit  Pierre  du  Moulin.  Elles  présageaient  une  vie  de 
dangers  et  de  luttes. 

Les  persécutions  redoublaient.  Joachim  laissa  ses  autres 
enfants  et  sa  femme  à  Saint-Just,  et  se  réfugia  à  Sedan,  où 
il  ne  tarda  pas  à  les  faire  venir.  Pierre  resta  à  Buhi,  en 
nourrice,  «chez  la  femme  d'un  garennier».  En  1570, 
1  edit  de  Pacification  permit  a  Joachim  du  Moulin  de  réu- 
nir toute  sa  famille  à  Cœuvres,  où  était  «recueillie»  l'Église 
de  Soissons ,  chez  Monsieur  d'Estrées.  Joachim  venait 
d'être  nommé  pasteur  de  cette  Église.  Mais  à  peine  deux 
ans  après  éclate  le  massacre  de  la  Saint-Barthélémy.  «Mon 
père,  dit  Pierre  du  Moulin,  estoit  à  Cœuvres  &  avoit  la 
fièvre  quarte,  &  estoit  sans  argent...  M.d'Estrées  changea 
de  religion,  &  (le)  chassa  de  Cœuvres2.» 

Pierre  du  Moulin  avait  quatre  ans.  Ses  parents,  dans 
leur  fuite,  le  laissèrent  avec  son  frère  et  sa  sœur  chez  une 
vieille  femme  catholique,  Ruflîne,  qui  avait  été  leur  domes- 
tique et  qui  demeurait  à  un  quart  de  lieue  de  Cœuvres.  Cette 
femme  cacha  les  enfants  dans  la  paille,  sous  le  lit,  et  les 
«massacreurs»  arrivèrent.  Ils  avaient  l'ordre  de  n'épargner 
ni  femmes  ni  enfants.  Le  petit  Pierre,  effrayé  par  le  bruit 
qu'ils  firent,  et  souffrant,  dans  la  paille  qui  le  couvrait,  du 

1  Près  de  Mantes. 

2  Les  citations  qui  suivent,  jusque  vers  la  page  20,  sont  pour  la 
plupart  tirées  de  l'autobiographie. 


-     10    — 

manque  d'air  el  de  lumière,  poussa  quelques  cris  que  la 
vieille  femme  entendit.  Pour  couvrir  la  voix  de  l'enfant, 
elle  fit  tomber  à  terre,  comme  par  mégarde,  toute  sa  bat- 
terie de  cuisine,  puis  ramassa  avec  un  grand  bruit  marmites 
et  casseroles ,  en  vociférant.  Cependant  Esther,  la  sœur 
aînée,  qui  était  cachée  auprès  de  Pierre,  comprenant  tout  le 
danger  —  elle  avait  sept  ans  —  avait  arrêté  les  cris  de 
l'enfant  en  lui  fermant  la  bouche  avec  sa  main.  Et  quand 
les  soldats  furent  partis,  et  que  Ruffine  accourut,  elle 
trouva  Pierre  presque  étouffé. 

Joachim  du  Moulin,  avec  sa  femme,  avait  rejoint  M.  de 
Bouillon,  qui  retournait  dans  sa  principauté  de  Sedan.  Ap- 
pelé pour  être  pasteur  dans  cette  ville,  il  y  arriva  avec  sa 
famille  «par  une  extrême  froidure  le  3e  jour  de  janvier 
1573.  Peu  après  nostre  arrivée,  dit  du  Moulin,  ma  mère, 
rompue  de  tant  de  courses  &  afflictions,  mourut  à  Sedan, 
le  13  février  1573.  C'estoit  une  femme  vertueuse  &  cou- 
rageuse, &  craignant  Dieu,  qui  a  souffert  beaucoup  de  maux 
pour  la  Parole  de  Dieu.  J'avois  alors  quatre  ans  &  quatre 
mois.  »  L'année  suivante,  Joachim  du  Moulin  se  remaria, 
avec  Guillemette  d'Avrigny ,  «  de  la  maison  d'Anser- 
ville1  ».  De  ce  second  mariage  il  eut  trois  enfants  :  Marie2, 
Jean  et  Daniel3.  Quelque  temps  après  il  alla  de  nouveau 
servir  l'Église  de  Soissons,  recueillie  alors  non  plus  à 
Gœuvres,   mais  à  Saint -Pierrelles4.    Il  y  resta  quelques 

1  Veuve  du  pasteur  Mercadet. 

2  Epouse  en  secondes  noces  André  Rivet,  pasteur  à  Thouars,  puis  à 
Lcyde,  enfin  à  Bréda. 

3  Ce  n'est  pas  le  même  qui  écrit  d'Anvers  le  11  octobre  1581, 
cf.  A.  Waddington,  De  Huberti  Langueti  Vita,  1888,  p.  139. 

*Et  non  Saint-Pierre-Aigle,  comme  lit  la  France  Prolestante.  C'est 


—  11   — 

années,  mais  les  troubles  l'obligèrent  plusieurs  fois  à 
abandonner  son  Église  et  à  chercher  refuge  a  Sedan,  où  il 
avait  laissé  ses  trois  aînés.  Là  Pierre  courut  une  fois  un 
grand  danger,  mais  il  échappa  aux  bêtes  comme  il  avait 
échappé  aux  hommes.  Perdu  dans  la  foret  de  Forsy,  dans 
«un  temps  auquel  les  loups  couraient  et  faisaient  beaucoup 
de  mal»,  il  dut  la  vie  à  la  protection  de  Dieu,  qui  le  réser- 
vait pour  une  grande  œuvre  et  pour  de  glorieuses  luttes. 

De  bonne  heure  il  connut  le  deuil  et  les  souffrances  mo- 
rales qui  devaient  faire  naître  en  lui  une  vie  religieuse 
intense  et  rendre  son  âme  courageuse  et  inflexible.  J'ai  dit 
qu'il  perdit  sa  mère  à  quatre  ans.  En  1583,  son  frère  aîné, 
Joachim,  se  noya  dans  le  Gave  près  d'Orthez.  En  1588, 
son  autre  frère,  Eléazar,  mourut  à  l'âge  de  dix-huit  ans. 
Ayant  quitté  ses  études,  il  s'était  mis  «es  trouppes  com- 
mandées par  M.  de  la  Noue  Bras  de  fer.  Luy  &  ses  gens, 
surmontés  par  la  multitude,  furent  tous  tués  et  despouillés 
tout  nuds,  &  jettes  ensemble  en  une  fosse  cavée  exprès 
pour  les  enterrer.  Mon  frère  n'estoit  pas  encore  mort,  & 
quand  on  le  prit  pour  le  mettre  avec  les  autres,  il  se  mit  à 
parler,  demandant  la  vie,  &  promettant  rançon.  Mais  ils  ne 
laissèrent  pas  de  le  mettre  avec  les  autres,  «Se  il  fut  enterré 
vif.  » 

Mais  j'anticipe.  En  1584  Joachim  du  Moulin  revint  à 
Sedan  pour  s'y  fixer.  Pierre  suivait  les  cours  du  collège, 
nouvellement  fondé.  Là  il  eut  pour  émule  Jacques  Cappel 
(M.  du  Tilloy),  qui  remporta  à  sa  sortie  le  second  prix,  du 
Moulin  ayant  eu  le  premier. 

un  autre  du  Moulin,  Guillaume,  mentionné  plus  haut,  p.  7,  qui  a  été 
pasteur  à  Aigle. 


—     12     - 

Pierre  du  Moulin  avait  vingt  ans.  Son  père,  ayant  des 
enfants  plus  jeunes  à  élever,  malade  et  pauvre,  l'appela 
près  de  son  lit,  et  lui  dit  qu'il  aurait  dorénavant  à  pourvoir 
lui-même  à  sa  subsistance.  «Ne  vous  mettez  point  en 
peine,  lui  dit  Pierre,  car  je  tiens  pour  chose  asseurée  que 
Dieu  ne  m'abandonnera  point.  »  Son  père,  étant  guéri,  le 
conduisit  à  Paris,  où  il  voulait  le  laisser  quelque  temps  en 
pension,  et  où  il  avait  quelque  affaire  d'argent  à  régler.  Il 
était  a  cheval,  et  Pierre  le  suivait  à  pied,  avec  «de  mau- 
vais souliers,  durs,  &  faisoit  un  grand  dégel.  »  Ils  allaient 
de  nuit,  en  se  cachant;  ils  se  perdirent  et  arrivèrent  à 
grand'peine  à  Paris,  où  Pierre  resta  seul.  Mais  fort  peu  de 
temps  après,  son  père  dut  revenir;  cette  fois  il  emmena 
Pierre  avec  lui.  G  était  en  1588,  pendant  les  guerres  de  la 
Ligue.  Ils  réussirent  à  sortir  de  Paris,  Pierre  marchant 
bien  loin  devant  son  père,  dont  il  portait  les  papiers  et 
l'argent.  Joachim,  déguisé,  le  rejoignit  à  une  demi- lieue 
des  murs.  Là  ils  se  séparèrent.  Joachim  retournait  à  Sedan; 
indiquant  à  son  fils  la  route  de  l'Angleterre,  il  lui  remit 
douze  écus,  et  le  laissa.  «Je  le  suivis  de  l'œil  tant  que  je 
pus,  &  me  mis  à  genoux  sur  le  grand  chemin,  priant  Dieu 
pour  sa  conservation  parmi  les  périls,  &  pour  la  prospérité 
de  lui  &  de  sa  maison,  car  je  faisois  estât  de  ne  le  revoir 
jamais.  Et  demanday  à  Dieu  qu'il  voulust  m'estre  mon 
père  &  mon  conducteur,  puisque  je  n'avoy  plus  de  père 
sur  la  terre.  » 

11  alla  à  pied  à  Dieppe,  s'embarqua  pour  l'Angleterre,, 
et  arriva  à  Londres  tête  nue,  car  le  vent  avait  emporté 
son  chapeau,  si  pauvre  qu'il  se  réduisit  à  ne  dépenser 
qu'«  un  sol  »  par  jour,  mais  refusant  les  secours  de  l'Église. 


—     13     - 

Il  hanta  les  prédications,  cherchant  à  se  faire  des  amis;  il 
connut  Monsieur  Bochard,  sieur  du  Ménillet,  ministre,  son 
futur  beau-frère.  Il  trouva  heureusement  une  «honneste 
condition»  chez  un  gentilhomme  anglais  nommé  Gonstable. 
Il  put  vivre.  Mais  ce  gentilhomme,  envoyé  en  mission  en 
France,  ayant  passé  dans  le  camp  papiste,  Pierre  du  Moulin 
dut  quitter  cette  famille.  Il  fut  alors  précepteur  du  fils  de 
la  comtesse  de  Rutland,  lequel  étudiait  à  Cambridge.  C'est 
ainsi  qu'il  put  suivre  les  cours  du  docteur  Wittaker. 

Pendant  les  grandes  vacances  il  allait  à  Londres.  Là 
il  «s'exerça  en  propositions»,  dans  l'Eglise  wallone. 
M.  de  la  Faye  l'entendit  et  lui  demanda  s'il  voulait  servir 
l'Église  de  Paris.  Cette  Église  était  alors  dispersée,  et 
M.  de  la  Faye,  qui  la  servait,  était  lui-même  chassé  de 
Paris.  Mais  elle  devait  revivre  bientôt,  pensait-il,  et  elle 
l'avait  chargé  de  trouver  pour  l'avenir  les  pasteurs  dont 
elle  aurait  besoin.  Du  Moulin  accepta  et  reçut,  en  atten- 
dant, une  pension  de  cinquante  écus1  qui  lui  permit  de 
quitter  sa  place  de  précepteur.  Mais  les  guerres  de  la  Ligue 
se  prolongèrent,  pendant  lesquelles  la  plupart  des  Églises 
furent  dispersées.  Quand  l'édit  de  Nantes  les  rétablit,  du 
Moulin  avait  une  position.  Ce  n'est  qu'au  bout  de  sept 
ans  qu'il  vint  exercer  le  ministère  à  Paris. 

Pierre  du  Moulin  était  depuis  quatre  ans  en  Angleterre, 
quand  il  apprit  que  François  du  Jon,  qui  était  son  ami, 
venait  d'être  nommé  professeur  en  théologie  à  Leyde.  Il 
résolut  d'aller  le  voir.  Il  réussit  à  se  faire  admettre  dans  le 
vaisseau  du  «  duc  de  Wittemberg  »  qui  retournait  chez  lui. 

1  Qui  lui  est  servie  jusqu'en  159G.  Alors  il  y  renonce  de  lui-même. 


—  14  — 
Mais  ce  vaisseau  fut  assailli  par  un  orage  si  violent  que 
les  matelots  durent  jeter  par-dessus  bord  tout  le  bagage. 
Le  gouvernail  fut  arraché  par  la  violence  des  vagues  et  le 
vaisseau  échoua  près  du  chAteau  de  Rammenken,  dans  l'île 
de  Walcheren.  Arrivé  sain  et  sauf  à  Leyde,  du  Moulin 
écrivit  un  poème  latin,  Votiva  tabella,  où  se  manifestèrent 
pour  la  première  fois  les  charmes  de  son  imagination  puis- 
sante et  de  son  style  facile  et  naturel.  Ce  poème,  aussitôt 
connu  et  apprécié,  lui  valut  de  nombreux  arais.  Mais  il 
avait  perdu  dans  son  naufrage  ses  habits  et  ses  livres.  Il 
dut  accepter  la  charge  modeste  de  «con recteur1»  au 
collège  de  Leyde.  Il  enseignait  aux  plus  jeunes  le  grec,  la 
musique,  et  Horace.  Il  ne  tarda  pas  à  se  faire  aimer  des 
enfants,  ce  qui  remplit  de  jalousie  le  principal  du  collège, 
qui  s'appelait Stokims.  Ce  Stokims  «suborna  quatre  grands 
escholiers,  lesquels,  comme  je  faisois  mes  leçons,  entrèrent 
en  classe,  estant  masqués,  &  me  chargèrent  de  coups  de 
plottes  déneige,  avec  grande  insolence».  Du  Moulin  se 
plaignit  aux  magistrats  et  aux  modérateurs  du  collège; 
mais  la  persécution  de  Stokims  ne  s'arrêta  pas,  et  les 
«fascheries»  sans  cesse  renouvelées  auxquelles  il  fut  en 
butte  occasionnèrent  à  du  Moulin  une  lièvre  tierce.  Il  alla 
se  reposer  quelques  jours  chez  M.  de  Buzenval,  ambassa- 
deur protestant  de  Henri  IV  en  Hollande.  Quand  il  revint, 
les  modérateurs,  tout  en  l'assurant  de  leur  sympathie,  lui 
retirèrent  sa  charge  pour  rendre  la  paix  au  collège.  Il  reçut 
pour  trois  mois  quarante  écus,  le  double  du  salaire  con- 
venu. 

1  Sorte  de  maître  adjoint. 


-     J5     — 

Peu  après,  la  charge  de  professeur  de  philosophie  à 
l'Académie  de  Leyde  devint  vacante.  Du  Moulin,  recom- 
mandé par  M.  de  Buzenval  à  la  princesse  d'Orange,  obtint 
le  droit  de  concourir  pour  cette  chaire,  et  fut  nommé. 
Stokims  fut  «saizy  d'une  telle  douleur  qu'il  mourut  d'une 
soudaine  suffocation.  »  Voilà  donc  du  Moulin,  à  vingt-quatre 
ans,  professeur  à  l'Académie  de  Leyde.  Il  lisait  les  livres 
d'Aristote.  Plusieurs  savants,  qui  par  la  suite  se  firent  con- 
naître à  Leyde  et  ailleurs,  furent  alors  ses  disciples,  notam- 
ment Hugo  Grotius,  avec  lequel  plus  tard  il  engagea  une 
polémique.  C'est  là  que  par  des  discussions  publiques 
très  fréquentes  il  acquit  cette  habileté  merveilleuse  dont  il 
devait  faire  preuve  dans  ses  controverses.  Tl  demeura  dans 
cette  charge  l'espace  de  cinq  ans  et  trois  mois.  Il  donnait 
des  leçons  grecques  au  collège  de  théologie,  et  en  outre 
des  leçons  particulières  qui  lui  rapportaient  quelque  profit. 
En  1596,  il  publia  son  premier  ouvrage  scientifique,  sa 
Logique,  qui  eut  treize  éditions  en  latin,  et  fut  lue  publique- 
ment dans  plusieurs  universités.  Scaliger,  lisant  la  dédicace 
de  cet  ouvrage,  s'écria  :  «  flœc  epistola  non  est  hujus  œvi.  » 

Joseph  Scaliger  avait  été  appelé  par  Messeigneurs  les 
Estais  de  Hollande  pour  remplacer  Juste  Lipse.  Du  Moulin 
se  mit  en  pension  chez  lui.  Il  rencontra  là  plusieurs  per- 
sonnages distingués  par  leur  rang  et  leur  mérite,  et  se  fit 
de  puissants  amis,  dont  quelques-uns,  catholiques,  firent 
tous  leurs  efforts  pour  lui  faire  abandonner  la  cause  pro- 
testante, lui  promettant  richesses  et  honneurs.  Pendant  ce 
séjour  à  Leyde,  du  Moulin  vécut  dans  l'intimité  de  M.  de 
Buzenval,  qui  l'obligeait  à  passer  les  vacances  chez  lui  et 
le  menait  aux  armées.    Il  alla  ainsi   en   Gueldres,   dans 


—     16 

l'armée  du  prince  Maurice,  et  en  Frise,  où  il  eut  le  plaisir 
de  voiries  moines  «faisant  leur  paquet»  pour  sortir  de 
Groningue,  et  «un  tas  d'images  brûlantes  en  la  grande 
place  du  marché». 

En  1596,  il  voulut  voir  son  père,  qui  venait  d'être  ap- 
pelé par  l'Église  d'Orléans,  recueillie  à  Jargeau.  Ayant 
obtenu  des  curateurs  de  l'Académie  la  permission  de  faire 
un  voyage  en  France,  il  s'embarqua  à  Flessingue,  et  eut 
une  fort  mauvaise  traversée.  Passant  par  Dieppe,  il  vit 
son  beau-frère,  M.  du  Ménillet,  puis  il  alla  à  Paris.  La 
peste  sévissait  ;  des  malades  mouraient  dans  la  rue.  Il  partit 
aussitôt  et  arriva  à  Jargeau.  Son  père  ne  le  reconnut  pas 
tout  d'abord  et  lui  parla  pendant  un  quart  d'heure  comme 
à  un  étranger.  Quand,  au  bout  d'un  mois  à  peu  près,  il 
passa  de  nouveau  à  Paris,  les  pasteurs  Montigny  et  Durand 
lui  rappelèrent  ses  obligations  envers  leur  Église.  Mais  du 
Moulin  ne  se  sentit  pas  assez  préparé;  d'ailleurs  il  avait 
promis  de  retourner  en  sa  chaire.  A  la  Haye  il  vit  M.  de 
Buzenval,  son  protecteur,  qui  l'engagea  à  renoncer  pour 
toujours  au  ministère.  Il  lui  représenta  la  pauvreté  et  les 
dilïicultés  de  toutes  sortes  qui  étaient  attachées  à  cette 
fonction;  il  voulait  le  faire  partir  avec  l'ambassadeur  que 
Henri  IV  envoyait  près  de  l'empereur  de  Turquie.  Sa  con- 
naissance approfondie  du  grec  et  son  habitude  de  la  langue 
italienne  devaient  être  d'un  secours  très  précieux  pour 
communiquer  avec  les  marchands.  Du  Moulin  confesse 
qu'il  inclinait  à  ce  conseil.  Mais  Henri  IV  choisit  un  autre 
ambassadeur,  et  du  Moulin  vit  dans  cet  échec  un  ordre  de 
Dieu.  Dès  lors  il  résolut  de  consacrer  sa  vie  au  saint  mi- 
nistère et  de  se  rendre  à  l'appel  de  l'Église  de  Paris. 


—     17     — 

Il  avait  vécu  heureux  et  apprécié  en  Hollande.  Il  appe- 
lait ce  pays  sa  seconde  patrie.  En  partant,  il  composa  un 
poème  latin  :  Panegyricus  Bataviœ,  où  il  fit  ses  adieux.  Il 
obtint  à  grand' peine  la  Missio1  de  l'Académie  de  Leyde, 
qui  lui  resta  toujours  très  attachée  et  qui,  douze  ans  après, 
le  supplia  de  venir  occuper  une  chaire  de  théologie...  Mais, 
dit  Bâtes,  aCitius...  oculos  suos  a  J'arisiensibus  quant 
Molinœum  suum  impetrassent2.  » 

Donc  du  Moulin  quitte  Leyde  et  part  pour  Paris.  Mais 
dans  son  voyage  il  courut  encore  un  grand  danger.  Il  vou- 
lait passer  par  Bruxelles  et  Anvers.  Dans  ce  dessein,  il 
alla  à  la  Haye,  voir  M.  de  Buzenval,  qui  lui  en  donna  les 
moyens.  Il  y  avait  alors  une  guerre  fort  rude  entre  la  Bel- 
gique espagnole  et  les  Provinces  confédérées,  et  il  était  fort 
difficile  d'avoir  un  passeport  de  l'archiduc.  Mais  M.  de 
Buzenval  connaissait  un  marchand  dont  les  lettres  au  gou- 
verneur d'Anvers,  un  certain  Alfonso  Mexias,  pouvaient 
servir  de  passeport.  Le  frère  de  Mexias,  fait  prisonnier, 
avait  dû  la  vie  à  ce  marchand,  qui  avait  payé  sa  rançon. 
Du  Moulin  obtint  une  lettre  de  lui  et  s'embarqua  à 
Rotterdam.  A  Ordam ,  le  vaisseau  se  mit  à  l'ancre  :  il  y 
avait  là  garnison  espagnole,  et  il  fallait  montrer  les  passe- 
ports. Mais  un  navire,  venant  d'Anvers,  apporta  la  nouvelle 
d'une  révolte  des  soldats  de  cette  garnison  contre  Mexias, 
qu'ils  avaient  fait  prisonnier.  Gela  mit  du  Moulin  dans  une 
grande  angoisse,  car,  ses  lettres  devenues  inutiles,  il  allait 
être  exposé  aux  mauvais  traitements  des  soldats  espagnols, 


1  Missio,  permission  do  partir. 

2  Bâtes.  Vitœ. 


—     18    — 

remplis  de  haine  contre  les  protestants.  Mais  on  vit  s'ap- 
procher un  navire  de  Hollande,  dans  lequel  du  Moulin 
reconnut  un  de  ses  anciens  amis  de  Londres.  Sur  ce  navire 
se  trouvait  un  Allemand  ayant  passeport  pour  lui-même 
et  pour  son  valet,  qu'il  avait  laissé  malade  en  chemin.  Du 
Moulin  prend  la  place  du  valet,  change  de  bord,  revêt  la 
livrée,  et  passe  comme  laquais  de  cet  Allemand,  en  louant 
Dieu  de  son  soin  paternel.  Ainsi  il  put  achever  son  voyage 
à  travers  la  Belgique. 

De  Bruxelles  à  Arras  ,  il  fit  la  plus  grande  partie  du 
chemin  à  pied ,  et  cet  exercice  violent  le  débarrassa  pour 
toujours  de  la  maladie  de  la  pierre,  dont  il  commençait  à 
souffrir.  Mais  voici  ce  qui  l'obligea  à  voyager  ainsi.  Dans 
le  coche  où  il  avait  loué  sa  place  se  trouvait  un  Espagnol 
qui  médisait  «horriblement»  de  la  religion  protestante;  et 
du  Moulin,  impétueux,  violent,  forcé  de  garder  le  silence, 
aima  mieux  suivre  à  pied  la  voiture  que  de  supporter  ce 
supplice,  a  l'étroit  dans  un  coche. 

Entre  Arras  et  Amiens,  à  «La  Brasserie»,  un  charre- 
tier ivre  entra  dans  sa  chambre,  avec  un  grand  couteau, 
pour  le  tuer;  mais  «Dieu  le  préserva»  et  il  put  arriver  à 
Jargeau  vers  le  mois  de  septembre  J598. 

Il  demeura  trois  mois  avec  son  père  à  Jargeau.  En  dé- 
cembre, à  Gien,  se  tint  un  colloque  où  il  fut  ouï  en  pro- 
positions et  examiné,  et  où  il  reçut  l'imposition  des  mains. 
Puis,  après  avoir  passé  encore  plusieurs  jours  avec  son 
père,  voulant  faire  quelques  expériences  pastorales  avant 
de  venir  dans  son  Eglise,  il  se  chargea  pendant  deux  mois 
de  l'Église  de  Blois,  qui  était  vacante.  Là  il  prêcha  «dans 
la  maison  de  M.  Desoignis,  sous  une  porte,  entre  deux 


—     19     — 

chambres,  ce  qui  estoit  fort  incommode;  car  il  n'y  avoit 
point  encore  de  temple  à  Blois  pour  ceux  de  nostre  religion  ». 
Enfin,  pressé  par  l'Eglise,  il  arrive  à  Paris  le  28  février 
1599. 

La  période  de  préparation  de  la  vie  de  du  Moulin  est 
terminée.  Il  a  trente  ans.  Il  est  déjà  connu  comme  profes- 
seur, par  ses  leçons  et  par  ses  ouvrages.  Dans  ses  voyages, 
au  milieu  des  chances  bonnes  et  mauvaises  d'une  vie 
incertaine  et  variée,  il  a  cultivé  son  esprit,  étendu  ses 
connaissances  philosophiques  et  littéraires ,  il  s'est  créé  de 
nombreuses  relations  en  Angleterre  et  en  Hollande.  Dans 
tous  les  dangers  et  dans  toutes  les  douleurs  il  a  senti  la 
main  de  Dieu  qui  le  conduisait.  Il  a  connu  toutes  les  souf- 
frances, le  deuil,  l'exil  et  la  misère  :  tout  a  contribué  à 
tremper  fortement  son  âme,  à  faire  de  lui  un  homme  ro- 
buste, sain  de  corps  et  d'esprit,  mais  violent  et  autoritaire. 
Sa  jeunesse  s'est  passée  tout  entière  dans  le  seizième  siècle, 
le  siècle  des  hommes  de  fer,  durs  à  la  souffrance  et  durs  au 
travail.  Je  reviendrai  sur  ce  fait,  car  il  nous  fait  comprendre 
toute  la  vie  de  du  Moulin. 

Voici  comment  ses  adversaires  le  dépeignent  : 

.,.«11  ajustement  la  teste 

a  Comme  avoit  ceste  noble  beste  (Bucép)iale) 

«  La  care  (carrure)  grosse  comme  un  bœuf. 

a  Aux  costez,  par  bonne  fortune, 

«  Je  ne  scay  quoy  rond  comm'  un  œuf, 

»  Et  au  front  un  croissant  de  lune  '.  » 

1  Rabelais  réformé,  p.  93. 


—     20     — 

Nous  avons  plusieurs  portraits  de  lui,  mais  qui  nous  le 
montrent  vers  la  fin  de  sa  vie.  Il  a  le  front  large,  le  regard 
assuré,  l'air  hardi  et  fier.  Il  porte  la  barbe  en  pointe,  et  a 
quelque  ressemblance  avec  le  cardinal  de  Richelieu. 

Il  a  dans  les  choses  de  la  vie  un  solide  bon  sens,  et  cette 
gaité  saine  qu'il  recommande.  Il  a  l'ascétisme  en  horreur; 
c'est  une  tentation.  «  Il  ne  faut  pas  refuser  au  corps  les 
choses  nécessaires 1.  » 

1  Lettre  à  ses  fils,  servant  de  Préface  à  la  VIIIe  Décade. 


DEUXIÈME   PARTIE 


DU    MOULIN    PASTEUR    A    PARIS   —    LA    CONTROVERSE 
ANTICATHOLIQUE 

Au  moment  ou  du  Moulin  arrive  à  Paris,  1599,  la  paix: 
religieuse  est  rendue  à  la  France  depuis  un  an,  par  l'édit 
de  Nantes.  Les  Églises  sont  rétablies  dans  les  lieux  où  elles 
existaient  avant  les  guerres  de  la  Ligue.  Depuis  ce  moment 
jusque  vers  1621 ,  les  protestants  jouirent  d'une  grande 
liberté.  Entre  l'édit  de  Nantes  et  l'assemblée  de  la  Ro- 
chelle de  1621 ,  entre  les  longues  guerres  de  religion  et  la 
grande  extermination  des  hérétiques,  ces  quelque  vingt 
premières  années  du  dix-septième  siècle  sont  les  seules, 
jusqu'à  la  Révolution,  où  les  protestants  aient  pu  se  senlir 
libres  et  tranquilles.  Ce  sont  ces  années-là  que  du  Moulin 
passa  à  Paris. 

Un  service  se  faisait  alors  dans  la  ville  même1,  grâce  à 
la  présence  de  la  sœur  de  Henri  IV,  Catherine  de  Navarre, 


1  L'édit  de  Nantes  n'avait  pas  accordé  de  lieu  de  culte  aux  protes- 
tants des  villes  où  il  y  avait  un  évêché. 


y  <>      


restée  fidèlement  attachée  à  la  religion,  bien  qu'elle  eût 
épousé  un  catholique,  le  duc  de  Bar,  fils  aîné  du  duc  de 
Lorraine.  Les  pasteurs  de  Paris  la  «servaient»  tour  à 
tour1.  En  arrivant  à  Paris,  du  Moulin  fit  sa  première  prédi- 
cation en  l'hôtel  de  Madame,  «lequel  depuis  a  esté  appelé 
l'hostel  de  Soissons».  Le  lendemain  il  prêcha  au  Louvre. 
«  Il  y  avoit  un  grand  abord  de  peuple.  Si  madite  dame  eust 
demandé  au  Roy  un  lieu  dans  la  ville  ou  au  faubourg 
pour  faire  nostre  exercice  ordinaire,  sa  Majesté  lui  eust 
volontiers  accordé,  pour  ce  que  nos  assemblées  au  Louvre 
l'incommodoient;  mais  elle  ne  s'avisa  pas  de  faire  ceste 
requeste  au  Roy,  <Sc  nul  ne  la  pria  d'y  penser,  qui  fut  une 
grande  faute;  car,  Madame  estant  partie  de  Paris,  on  mit 
nostre  exercice  à  Grigny,  qui  est  à  cinq  lieues  de  Paris.  » 

Mais  du  Moulin  ne  se  rendit  pas  aussitôt  à  Grigny.  Le 
consistoire2  avait  chargé  M.  de  Montigny  d'accompagner 
Madame  dans  un  voyage  qu'elle  devait  faire  au  printemps. 
Chaque  année  elle  allait  passer  trois  mois  en  Lorraine,  et 
se  faisait  accompagner  d'un  chapelain.  Montigny,  âgé, 
redoutant  la  fatigue  du  voyage,  demanda  à  Madame  de 
prendre  du  Moulin  à  sa  place;  elle  y  consentit,  car  elle 
appréciait  fort  le  jeune  pasteur. 

«Dans  ses  voyages,  dit  Quick3,  elle  était  toujours  reçue 
par  les  évêques  et  les  abbés  dans  leurs  palais.  »  C'est  ainsi 
que  du  Moulin  prêcha  dans  le  palais  épiscopal  de  Meaux, 
dans  celui  de  Chàlons  et  dans  l'abbaye  de  Jouarre. 

1  A  partir  do  1601,  ce  sont  quatre  pasteurs  de  provinces  différentes 
qui  ont  cette  charge.  Voirie  Synode  national  de  Jargeau.  1G01. 

2  On  dirait  aujourd'hui  le  Conseil  presbytéral. 

3  The  iifc  of  M.  Peter  du  Moulin,  par  Quick.  Inédit. 


—     23     — 

Chaque  année  d'abord,  puis  tous  les  deux  ans1,  du  Moulin 
faisait  le  même  voyage  avec  la  princesse.  Il  aurait  pu 
obtenir  d'elle  richesses  et  honneurs,  car  elle  l'aimait  beau- 
coup. Plus  lard,  quand  il  fut  devenu  père  de  famille,  du 
Moulin  emmenait  son  fils  avec  lui  dans  son  voyage,  et  la 
princesse  se  plaisait  à  caresser  l'enfant. 

À  ce  propos,  voici  comment  il  advint  que  du  Moulin  se 
maria.  A  Vitry-le-François,  en  Champagne,  ceux  de  la 
suite  de  Catherine,  dans  ce  voyage  de  1599,  devaient  être 
logés  par  fourrier  chez  les  habitants.  Il  y  avait  là  une 
«demoiselle  de  la  Religion»  nommée  Marie  Colignon,  fille 
de  M.  de  Chalitte,  gentilhomme  qualifié,  et  veuve  du 
pasteur  Samuel  Le  Pois2.  Cette  «demoiselle»,  craignant 
d'avoir  a  loger  quelque  soldat  brutal,  demanda  à  un  des 
magistrats  de  lui  envoyer  le  chapelain  de  Madame,  le  véné- 
rable Montigny  :  on  lui  envoya  le  jeune  et  beau  du  Moulin, 
qui  le  remplaçait.  Le  lendemain,  de  bon  matin,  on  partit. 
De  Bar-le-Duc,  du  Moulin  écrivit  à  Marie  Colignon,  et  à 
son  retour  en  France,  il  vint  à  Yitry.  Comme  son  père, 
appelé  pour  une  affaire  à  Sedan,  se  trouvait  alors  de 
passage  à  Chàlons,  du  Moulin  le  rejoignit  et  fit  le  voyage 
avec  lui.  Il  prêcha  à  Sedan  dans  le  temple  des  papistes; 
puis  ils  allèrent  à  Vitry,  où  le  mariage  fut  béni. 

Au  milieu  de  l'été  de  1599,  du  Moulin  put  enfin  se 
consacrer  entièrement  à  son  Eglise5.  «  L'exercice  ordinaire  » 


1  A  partir  de  1603.  Voir  le  Synode  national  de  Gap.  1603. 

2  Pasteur  à  Badonvillers,  colloque  do  Champagne. 

3  11  y  avait  deux  pasteurs  déjà  :  Durand,  auquel  succéda  plus  tard 
Daillé,  et  Montigny.  En  1614,  il  y  en  aura  un  quatrième,  Mestrezat, 
auquel  du  Moulin  imposera  les  mains. 


—    24    — 

se  faisait  alors  à  Grigny,  chez  M.  Mercier  des  Bordes,  à 
cinq  lieues  de  Paris.  L'année  suivante  il  fut  rapproché 
d'une  lieue  et  mis  à  Ablon1.  En  août  1G05,  du  Moulin  fut 
député  à  l'assemblée  politique  générale  de  Châtelleraut. 
Là  on  obtint  du  duc  de  Sully  qu'il  se  chargerait  person- 
nellement de  demander  au  roi  de  rapprocher  encore  le  lieu 
du  culte,  car  le  voyage  était  dangereux  pour  les  vieillards, 
et  pour  les  enfants  qu'on  portait  au  baptême.  Sully  réussit, 
et  l'année  suivante,  en  1G06,  «nostre  exercice,  par  la 
volonté  du  Uoy,  fut  mis  à  Charenton-Saint-Maurice,  à  une 
demie  lieue  de  Paris,  où  il  est  encore  maintenant2». 

Pendant  ces  six  années,  du  Moulin  était  devenu  père  de 
plusieurs  enfants:  Pierre3,  né  le  2/i  avril  1601;  Esther, 
née  le  21  septembre  1603;  et  Louis 4,  né  le  25  octobre 
1605.  En  1608,  il  eut  un  autre  fils  nommé  Gyrus  5  ;  enfin, 
nous  ne  savons  au  juste  à  quelle  date,  Marie6,  sa  fille  pré- 
férée. 

Pendant  le  temps  qu'il  resta  à  Paris,  du  Moulin  fit  plu- 
sieurs voyages  plus  ou  moins  longs  :  en  Lorraine,  avec  Cathe- 
rine de  Navarre;  à  Jargeau,  pour  voir  son  père7.  En  1603, 

1  Le  pasteur  Montigny  acquit  en  1603  le  fief  d'Ahlon. 

2  Autobiographie  de  du  Moulin. 

3  Pasteur,  chapelain  de  Charles  II  d'Angleterre,  auteur  de  nombreux 
ouvrages  français,  anglais  et  latins.  Un  de  ses  descendants  est  lieute- 
nant général  de  Frédéric  le  Grand. 

4  Prof,  à  Oxford  sous  Cromwell. 

5  Pasteur  à  Ghâteaudun.  Beau-père  de  Jacques  Basnage  et  de  Jurieu. 
8  Auteur  de  quelques  petits  livres.   La  France  Protestante  ne  la 

mentionne  pas.  Par  contre,  elle  parle  de  Joachim  et  de  Samuel,  que 
je  n'ai  pas  trouvés. 

7  Plus  tard,  Joachim  du  Moulin  demeure  à  Bionne,  où  fut  recueillie 
l'Église  d'Orléans.  En  1G16,  il  est  déchargé  de  son  ministère  à  cause 


il  lit  un  voyage  qui  dura  sept  mois,  nous  ne  savons  où;  en 
J6J5,  il  alla  passer  quelques  mois  en  Angleterre.  Il  assista 
à  plusieurs  synodes,  visitant  avec  intérêt  les  villes  et  les 
beautés  naturelles  sur  son  passage,  s'écartant  même  sou- 
vent de  la  route  directe. 

C'est  un  de  ces  hommes  dont  l'activité,  sans  avoir  rien 
de  fébrile  ni  de  maladif,  puisqu'il  travailla  jusqu'à  lage 
dé  90  ans,  nous  étonne.  Partout  on  le  voit  en  avant: 

«  Pour  temps  de  paix,  pour  temps  de  guerre, 

«  Pour  la  France,  pour  l'Angleterre, 

«  Pour  Hollande,  pour  Gharanton, 

«  Pour  le  presche,  pour  la  Logique, 

«  A  tous  airs  il  change  de  ton. 

«  Et  d'allure  ainsi  qu'on  le  pique1.  » 

Mais  ce  qui  prit  la  plus  grande  partie  de  son  temps  et 
de  ses  forces ,  c'est  la  controverse  anticalholique.  Les 
vingt  années  de  paix:  du  commencement  du  dix-septième 
siècle  furent  employées  par  les  Protestants  et  les  Catholi- 
ques à  de  grandes  batailles  de  plume.  L'édit  de  Nantes  a 
fait  cesser  les  guerres  civiles,  mais  les  vieilles  haines  ne  se 
sont  pas  éteintes  en  un  instant,  et  la  guerre  continue  avec 
un  nouvel  acharnement  sous  une  autre  forme.  D'ailleurs, 
on  sent  bien  que  la  paix  ne  durera  pas  longtemps,  et  les 
deux  adversaires  s'efforcent  de  gagner  du  terrain  par  les 
conversions.  De  là  cette  ardeur  unique  dans  notre  histoire 
pour  les  luttes  religieuses.  Du  Moulin  fut,  comme  Véron 
l'appelait,  le  général  des  réformés  dans  cette  grande  guerre. 


de  sa  vieillesse.  On  lui  donne  une  retraite  de  400  livres.  Son  fds 
ajoute  200  livres  par  an.  Joachim  du  Moulin  meurt  en  1018. 
1  Rabelais  réformé,  p.  94. 


—     26     — 

Des  hommes  intelligents  et  capables,  les  docteurs  les  plus 
connus  dans  le  Catholicisme,  du  Perron,  Coeffeteau,  Pierre 
Golton  et  bien  d'autres  se  mesurèrent  avec  lui.  Ces  luttes 
occupaient  pendant  des  mois  entiers  toutes  les  provinces 
françaises,  et  souvent  même  avaient  leur  écho  à  l'étranger. 
On  attendait  avec  impatience  la  troisiesme  et  la  quatriesme 
response  ou  réplique,  dans  chacune  desquelles  les  deu\ 
adversaires  tour  à  tour  étaient  réduits  à  néant. 

La  violence  à  laquelle  du  Moulin  se  laisse  emporter 
pourra  paraître  excessive,  mais  on  la  comprendra  si  l'on 
songe  à  toutes  les  injustices  qu'il  a  eu  à  souffrir  de  la  part 
du  Catholicisme  :  son  père  déshérité,  ses  beaux  parents 
«pervertis»  par  la  Saint-Barthélémy,  sa  mère  succombant 
aux  alertes  incessantes,  un  de  ses  frères  enterré  vif,  lui- 
même,  pauvre,  obligé  de  s'expatrier,  et  de  sa  première 
enfance,  les  souvenirs  qui  reviennent,  violents  et  confus, 
les  fuites  désespérées,  les  cris  des  soldats  papistes,  les 
malédictions  des  protestants  dépouillés  et  traqués,  le  fer, 
le  feu,  et  surtout  l'impression  si  vivante  de  la  haine  dont 
on  est  l'objet. 

A  l'origine  de  ces  disputes  il  y  avait  généralement  une 
conférence  orale.  C'est  là  que  du  Moulin  triomphait.  Il  s'y 
trouvait  dans  son  élément,  remuant  la  masse  de  son  éru- 
dition, exerçant  la  finesse  de  son  esprit,  maniant  avec  une 
grande  adresse  et  un  à-propos  étonnant  la  raillerie  et  l'in- 
jure qui  nous  paraîtrait  grossière,  s'arrangeant  toujours 
pour  prendre  l'offensive,  et,  par  une  série  de  questions, 
embarrassant  son  adversaire  et  le  jetant  dans  la  contradic- 
tion et  le  ridicule. 

Au  commencement   de  son  séjour  à   Paris,   quelques 


—    Ti     — 

grands  personnages  voulurent  l'entendre  discuter  avec  le 
célèbre  du  Perron  i  sur  quelque  point  du  dogme.  Du  Per- 
ron accepta  volontiers.  Mais  c'était  un  homme  de  cabinet, 
aimant  peu  le  bruit,  et  la  dispute  ne  fut  pas  rendue  publique. 
Du  Moulin  dut  faire  preuve  de  beaucoup  d'habileté  et  de 
savoir,  car  à  partir  de  ce  moment  du  Perron  le  tint  en  très 
haute  estime.  Un  jour,  chez  lui,  on  parlait  de  du  Moulin. 
Un  certain  président  Chevalier  dit  qu'il  était  un  Ane.  Du 
Perron  le  reprit  :  «Personne,  dit-il,  ne  s'est  frotté  à  cet 
Ane,  qui  n'ait  reçu  une  ruade'2.  »  De  son  côté,  du  Moulin 
estimait  fort  du  Perron.  Dans  les  rencontres  qu'il  eut  plus 
tard  avec  lui,  il  usait  toujours  de  procédés  honnêtes,  res- 
pectant sa  personne,  et  le  déclarant  de  beaucoup  le  plus 
subtil  de  ses  adversaires. 

Les  mêmes  rapports  n'existèrent  pas  entre  du  Moulin 
et  un  autre  prêtre  aussi  connu,  mais  d'une  nature  bien 
inférieure,  -le  jésuite  Pierre  Cotton3.  La  première  fois  qu'il 
rencontra  cet  adversaire,  ce  fut  auprès  de  Catherine  de 
Navarre. 

Pour  prouver  au  pape  et  au  clergé  français  son  zèle 
catholique,  Henri  IV  entourait  sa  sœur  des  prédicateurs 
et  des  théologiens  romains  les  plus  en  renom,  et  tout  en  lui 
laissant  son  chapelain  réformé,  il  l'obligeait  à  assister  au 
service  catholique  et  à  la  prédication  qui  se  faisait  tous  les 


1  Évéque  d'Évreux,  plus  tard  archevêque  de  Sens,  et  cardinal. 

a  Nullus  sesc  illi  asino  affricuit  qui  non  ab  eo  calce  percussus 
abierit.  Bâtes,  Yitœ. 

3  Le  célèbre  jésuite  Cotton,  confesseur  de  Henri  IV,  puis  de 
Louis  XIII  jusqu'en  1617.  Auteur  de  l'Inquisition  catholique,  dirigée 
contre  l'Institution  chrétienne  de  Calvin.  Il  mourut  en  1G2G. 


—    28    — 

dimanches  dans  le  Louvre,  immédiatement  après  le  culte 
réformé  de  la  princesse  et  dans  la  même  chambre.  Un 
dimanche  donc,  Catherine  dut  entendre  prêcher  Gotton. 
Mais  pour  se  défendre  contre  les  arguments  du  jésuite,  elle 
cacha  du  Moulin  dans  un  cabinet  d'où  il  pouvait  entendre 
l'orateur  pour  le  réfuter  ensuite.  Et  voici  ce  que  du  Moulin 
entendit,  sans  avoir,  comme  sur  la  route  d'Arras,  la  res- 
source de  calmer  son  irritation  par  un  mouvement  violent. 
Gotton  compara  les  réformés  à  des  fous  qu'il  visitait  un 
jour.  L'un  croyait  être  Élie,  l'autre  Daniel,  l'autre  le  Saint- 
Esprit.  C'était  là  une  idée  fixe  qui  ne  les  empêchait  pas, 
pour  le  reste,  d'user  de  bon  sens.  Les  réformés  de  même 
peuvent  être  de  savants  docteurs  et  des  princes  distingués, 
mais  ils  ont  cette  folie,  qu'ils  se  croient  inspirés  du  Saint- 
Esprit.  Cette  fois-là  du  Moulin  ne  put  pas  répondre  à 
Cotton  ;  mais  il  le  retrouva  plus  tard  et  se  montra  contre 
lui  violent  et  irrité. 

Pour  le  moment  il  prit  sa  revanche  sur  d'autres.  Les 
adversaires  ne  lui  manquaient  pas,  car  il  n'y  avait  théolo- 
gien catholique  désireux  de  faire  ses  preuves,  qui  ne  pro- 
voquât le  grand  conlroversiste  protestant. 

Nous  parlerons  de  quelques-unes  de  ces  conférences, 
sans  pouvoir  toujours  suivre  exactement  l'ordre  chronolo- 
gique, parce  qu'il  est  préférable  de  les  grouper  d'après  leur 
importance  ou  leur  nature,  et  parce  qu'il  y  en  a  un  grand 
nombre  dont  la  date  ne  nous  est  pas  connue. 

Souvent  des  conférences  vivement  souhaitées,  com- 
mencées avec  une  ardeur  très  grande,  échouaient  misé- 
rablement dès  la  première  rencontre,  et  les  adversaires 
s'en  allaient  dos  à  dos  après  un  simple  échange  d'injures. 


—     29     — 

Un  jésuite,  Gontier,  l'ut  décontenancé  par  la  violence 
de  du  Moulin.  Ce  Gontier  devait  se  trouver  chez  lui 
pour  une  grande  dispute.  La  chambre  était  pleine,  et 
l'escalier  aussi.  Du  Moulin  attendait  depuis  deu\  heures 
quand  Gontier  arriva.  Mais  ne  pouvant  se  frayer  un  pas- 
sage, il  prit  une  échelle  et  entra  par  la  fenêtre.  Comme 
il  l'enjambait,  du  Moulin  s'écria  :  «En  vérité,  en  vérité, 
je  vous  le  dis,  celui  qui  entre  par  la  fenêtre  est  un  voleur 
et  un  brigand.  »  Il  parait  que  cette  apostrophe  troubla 
Gontier  au  point  qu'il  demeura  hésitant  et  bégayant,  et  la 
conférence  finit  ainsi. 

Un  autre  jésuite,  fort  connu,  mais  assez  peu  en  honneur, 
François  Véron1,  le  grand  controversiste  catholique  du 
temps,  poursuivit  du  Moulin  de  ses  attaques  pendant  tout 
son  séjour  à  Paris.  En  1619,  ce  Véron  quitta  la  compagnie 
de  Jésus,  pour  se  livrer  entièrement  à  la  controverse,  et 
fut  nommé  curé  de  Gharenton.  11  se  plaint  sans  cesse 
que  du  Moulin  ne  réponde  pas  à  ses  provocations.  Sans 
doute  du  Moulin  ne  le  jugeait  pas  digne  d'une  réponse. 
Véron  avait  entendu  un  dimanche  du  Moulin  prêcher  à 
Gharenton.  Il  le  suivit,  quand  il  descendit  de  chaire  dans 
la  salle  du  consistoire.  Quelques  seigneurs,  membres  de 
l'Eglise,  le  voyant  venir,  et  craignant  le  scandale  d'une 
discussion,  le  firent  passer  par  une  porte  dérobée  dans  la 
maison  d'un  ami  chez  lequel  du  Moulin  devait  dîner. 
Véron  réussit  à  le  trouver.  Il  lui  demanda  dès  l'abord  : 
«Combien  le  moulin  a-t-il  moulu  de  blé  aujourd'hui?  — 

'Voir:  Un  curé  de  Charenton  au  XVII"  siècle,  par  M.  l'abbé 
P.  Feret.  Paris,  1881.  François  Véron,  né  en  1575,  jésuite,  professeur 
de  théologie. 


—     30     — 

Beaucoup  plus,  répondit  du  Moulin,  que  n'en  pourraient 
porter  sur  leur  clos  une  douzaine  d'ânes  tels  que  vous1.» 

Ce  n'étaient  là  que  des  escarmouches  sans  conséquence, 
niais  ces  détails  nous  font  comprendre  quel  était  l'état 
d'esprit  des  «conférens »,  de  quels  procédés  on  usait,  et 
quelle  importance  on  attribuait  à  des  avantages  qui  nous 
paraissent  bien  petits,  et  que  les  règles  de  notre  politesse 
ne  permettraient  pas  de  prendre. 

Avant  de  faire  le  récit  des  conférences  qui  ont  eu  le  plus 
de  retentissement,  nous  en  mentionnerons  deux  ou  trois 
sur  lesquelles  nous  ne  savons  pas  grand" chose;  l'une  que 
du  Moulin  eut  avec  Petra  Sancla,  une  autre,  en  1603, 
avec  le  fameux  jésuite  Suarès,  sur  le  purgatoire.  Suarès 
vint  tout  exprès  de  Grenoble  pour  cette  entrevue,  à  la 
suite  de  laquelle  du  Moulin  écrivit  les  «Eaux  de  Siloé2» 
pour  éteindre  le  feu  du  purgatoire.  Suarès  répondit  par  le 
«  Torrent  de  feu  »  et  la  guerre  de  plume  continua.  En  1609, 
conférence  avec  le  P.  Gontéry,  «le  grand  veneur»,  sur 
l'Eucharistie.  Il  parait  que  le  P.  Gontéry  ne  se  trouva  pas 
assez  fort  pour  lutter  contre  le  rude  adversaire,  car  Coeffe- 
teau3  vint  à  son  aide.  A  l'occasion  de  cette  dispute,  du 
Moulin  écrivit  Y  Eucharistie,  et  Y  Apologie  pour  la  sainte 
Cène. 

Quick  raconte  que  la  Sorbonne  projeta  un  jour  d'inlliger 
a  du  Moulin  une  défaite  décisive.  Les  docteurs  se  concer- 
tèrent et  nommèrent  plusieurs  théologiens  qui  devaient  dis- 

1  Quick.  Life  of  M.  P.  d.  M. 
-  1003,  in-8°,  sans  lieu. 

3  Bien  connu  dans  l'histoire  de  la  littérature  française.  Docteur  en 
théologie  et  vicaire  général  des  frères  prêcheurs. 


—    31     — 

puter  contre  lui.  On  convint  que  pendant  trois  jours  l'une 
des  parties  prendrait  l'offensive,  l'autre  se  contenterait  de 
répondre  et  de  se  défendre;  puis,  pendant  trois  jours  les  rôles 
seraient  intervertis,  et  ainsi  de  suite.  Les  «Sorbonnistes» 
commencèrent.  Mais  au  soir  du  troisième  jour,  comme  du 
Moulin  préparait  son  attaque  pour  le  lendemain,  on  frappa 
à  sa  porte.  Il  ouvrit  et  un  homme  vêtu  d'une  robe  de 
prêtre  s'efforça  d'entrer.  Du  Moulin  lutta  avec  lui,  et  au 
bruit  qu'ils  firent,  la  famille  accourut,  ce  qui  fît  fuir  le 
prêtre.  Les  protestants  crurent  que  les  adversaires  de  du 
Moulin,  redoutant  son  attaque,  avaient  voulu  se  débar- 
rasser de  lui.  Gela  est  peu  vraisemblable.  Mais  quand  du 
Moulin  alla  le  lendemain  au  lieu  de  la  conférence,  il  trouva 
la  salle  fermée,  et  un  ordre  du  roi  interdisant  de  continuer 
la  dispute. 

Mais  j'ai  hâte  d'en  venir  à  des  faits  mieux  documentés. 
Nous  connaissons  quelques  grandes  conférences  dont  les 
détails  nous  sont  donnés  par  des  documents  émanant  des 
deux:  parties,  car  elles  furent  suivies  d'une  littérature  volu- 
mineuse. 

La  première  est  la  conférence  avec  Palma  Cayet1.  Elle 
commença  le  28  mai  1602  et  dura  quinze  jours.  Cayet2  se 


1  Sources:  Narré  de  la  conférence...  par  Archibàut  Adaire.  Genève, 
1035,  in-8°,  (témoignage  protestant).  —  Le  Sommaire  véritable  des 
queutions...  en  la  conférence,  par  Civet.  Paris,   1002,  in-8°. 

2  Pierre-Palma-Victor  Cayet  fait  ses  études  de  théologie  aux  frais  de 
ceux  de  la  Religion.  Pasteur  de  l'église  de  Poitiers,  puis  chapelain  de 
Catherine.  Il  abjure.  Il  devient  docteur  en  théologie  et  lecteur  des 
langues  orientales.  Meurt  en  1010  «décrié  parles  prosnes»,  et  après 
s'être  livré,  dit-on,  à  la  recherche  de  la  pierre  philosophale,  «  étouffé 
par  le  démon  Terrier». 


—    32     — 

défend  d'avoir  provoque  du  Moulin.  Gomme  il  instruisait 
<rriaines  personnes,  dit-il,  du  Moulin  l'a  défié  de  donner 
la  preuve  de  ce  qu'il  enseignait.  A  ce  moment,  du  Moulin 
devait  partir  pour  la  Lorraine.  Gayet  profita  de  ce  départ 
pour  prétendre  que  les  ministres  abandonnaient  la  place. 
Mais  à  son  retour,  au  mois  de  mai,  du  Moulin  prit  les 
armes,  sollicité  par  «une  honneste  dame  flotante  entre  les 
deux  religions».  Il  demeurait  alors  dans  la  rue  de  Bièvre, 
à  Paris. 

La  conférence  eut  lieu  dans  une  chambre  près  de  l'hôtel 
de  Madame.  Du  Moulin  était  seul  et  eut  pour  scribe  ou 
secrétaire  le  sieur  de  la  Gourmandière,  puis  M.  Poupart. 
Gayet  fut  assisté  de  deux  Garnies,  et  eut  pour  secrétaire  le 
sieur  Ghouart.  «  Leur  commencement  a  esté  par  la  prière. 
Gayer,  le  premier,  après  s'estre  remparé  du  signe  de  la 
croix,  a  fait  la  prière  en  latin.  Du  Moulin  l'a  fait  puis  après 
en  François»...  «pour  les  femmes»,  dit-il  une  fois,  ce  qui 
fit  rire  les  assistants. 

On  devait  discuter  sur  le  sacrifice  de  la  messe,  l'adoration 
du  pape  et  la  vénération  des  images.  Du  Moulin  commence 
par  formuler  un  syllogisme  que  les  secrétaires  écrivent  sous 
sa  dictée.  «Tout  sacrifice...  qui  n'a  pas  esté  institué  de 
Jésus-Christ,  doit  être  rejette  en  l'Église.  —  Or  le  sacrifice 
de  la  messe  est  tel.  —  Donc  le  sacrifice  de  la  messe  doit 
estre  rejette  en  l'Église.  »  Puis  il  se  livre  à  des  développe- 
ments assez  longs  dont  les  scribes  prennent  quelques  pas- 
sages. Gayet  prend  la  parole,  formule  un  syllogisme  et 
l'explique.  Et  les  deux  adversaires,  au  pied  levé,  se  lancent 
l'un  à  l'autre  syllogismes  en  forme  et  passages  de  la  Bible. 

Les  digressions  souvent  très  longues  abondaient,  ce  qui 


-     33    — 

«accrochait»  à  tous  moments  la  discussion.  La  «compa- 
gnie» approuvait  ou  blâmait  bruyamment,  souvent  le 
peuple  dans  la  chambre  riait,  malgré  les  prières  des  deux, 
côtés,  sans  qu'on  put  l'arrêter. 

Du  Moulin,  avec  une  adresse  et  une  impétuosité  trou- 
blante, «rembarraiL»  son  adversaire  de  la  bonne  façon,  et 
réussissait  toujours  à  prendre  l'offensive.  Au  bout  de  quel- 
ques jours,  les  Carmes  qui  assistaient  Cayet  s'aperçurent 
de  ce  désavantage  et  l'abandonnèrent.  Le  bruit  commença 
à  courir  par  la  ville  que  Cayet  défendait  mai  la  cause.  Il 
avait  les  défauts  de  méthode  opposés  aux  qualités  de  du 
Moulin  1.  «  Il  faisoit  des  équipées  estranges,  &  se  jettoit  en 
des  lieux  communs  6c  en  des  mattières  dont  nous  sommes 
d'accord"2.»  Du  Moulin  le  reprenait  et  le  priait  de  parler 
«à  propos»,  il  l'embrouillait,  l'obligeait  à  se  contredire, 
le  poussait  à  l'absurde,  lui  faisait  dire  par  oui  et  non: 
«Qu'acheter  du  bois  a  la  même  vertu  que  de  se  chauffer»  ; 
que  «l'annonce  d'une  victoire  est  une  bataille».  Cayet 
s'écriait  que  ces  interrogations  ne  font  qu'embrouiller  et 
perdre  le  temps,  et  cherchait  a  se  couvrir  par  un  étalage 
inutile  d'érudition  hébraïque.  Du  Moulin  lui  demandait 
alors  de  formuler  des  syllogismes.  Cayet,  pris  à  l'impro- 
viste,  hésitait,  et  souvent  quelqu'un  de  l'assistance  dut 
parler  à  sa  place. 

La  conférence  durait  depuis   plusieurs  jours,   lorsque 


1  II  dit  lui-même  :  «Et  de  faict,  ledict  sieur  Gayer  estoit  blasmé  par 
«  plusieurs  de  trois  choses,  la  première  de  ce  qu'il  estoit  trop  doux  eu 
«ses  responces;  la  seconde  de  ce  qu'il  se  laissoit  ainsi  questionner  et 
«  respondoit  comme  un  enfant  au  catéchisme...  »  {Le  Sommaire.) 

2  Adaire,  p.  48. 


—    34    — 

Gayet  se  mit  à  protester  de  la  pureté  de  sa  conscience  et  à 
affirmer  «que  ce  qu'il  faisoit,  il  le  faisoit  de  son  propre 
mouvement  et  sans  y  estre  authorisé1.  »  Il  avait  été  griè- 
vement censuré  par  «Messieurs  de  la  Sorbonne»,  pour 
avoir  mal  défendu  la  cause.  Le  bruit  courut  qu'il  avait  reçu 
l'ordre  de  l'évêque  de  Paris  de  ne  pas  signer  les  actes 
(comptes-rendus).  Il  le  nia,  mais  jamais  ne  voulut  signer. 

Gomme  on  partait,  un  des  Carmes  fit  remarquer  que 
quelques  assistants  avaient  des  armes,  et  Cayet  craignit 
une  embûche.  Mais  on  lui  dit  que  la  justice  était  bonne  à 
Paris.  D'ailleurs,  «en  cette  conférence,  les  choses  se  sont 
passées  avec  une  paix  &  douceur  des  assistans  plus  grande 
qu'on  n'eust  osé  espérer;  &  on  a  recognu  par  ceste 
espreuve  que  ces  entrevues  servent  plustôt  à  se  familiariser 
et  recognoistre  qu'à  enaigrir  les  esprits». 

Mais  vers  la  fin  tout  le  monde  hésite  et  redoute  les  suites 
de  l'affaire.  «  L'hoste  craignoit  que  le  plancher  ne  fondist.  » 
Seul  du  Moulin  se  grise  de  son  avantage.  Un  jour  il  arrive 
avec  force  livres.  Gayet  lui  fait  observer  qu'il  a  oublié  de 
faire  la  prière. 

Enfin  les  docteurs  de  la  Faculté  allèrent  trouver  les  avo- 
cats du  Roi  en  la  Cour  de  Parlement  pour  faire  cesser  le 
scandale.  L'hôte,  M.  Guétault,  protestant,  reçut  l'ordre 
avec  menaces  de  ne  plus  recevoir  les  «conférens».  Un 
jour  du  Moulin  trouva  une  foule  de  peuple  devant  la  porte 
fermée.  Peu  après  arriva  Gayet,  qui  voulut  se  retirer.  Mais 
on  le  pria  de  rester.  Guétault  consentit  à  laisser  entrer 
dans  la  cour  pour  s'entendre  sur  les  moyens  de  reprendre 

1  Adaire,  p.  89. 


—    35    — 

la  conférence.  On  ne  s'entendit  pas,  car  Gayet  ne  consentit 
pas  à  signer  les  actes,  disant  qu'il  n'avait  pas  donné  toutes 
ses  réponses,  qu'on  était  convenu  de  ne  signer  qu'à  la 
fin,  que  signer  sans  répondre  eût  été  se  rendre.  Il  persista 
dans  son  refus  malgré  l'insistance  de  du  Moulin,  qui  lui  dit 
qu'il  «aimeroit  mieux  crever1». 

Du  Moulin  se  retira  dans  une  salle  basse  pour  conférer 
avec  ses  amis.  Gayet  partit  en  disant  :  «  Vous  aurez  de 
mes  nouvelles.  »  Du  Moulin  fit  circuler  une  lettre  manu- 
scrite*2, malgré  la  promesse  réciproque  de  ne  rien  publier 
avant  la  fin.  Plus  tard,  Gayet  se  présenta  chez  du  Moulin. 
La  servante  lui  dit  qu'il  y  était;  «celle  qui  tient  lieu  de 
maîtresse»  lui  dit  que  non.  Gayet  tint  cela  pour  une 
«  fuitte».  Les  deux  adversaires  proclamèrent  leur  triomphe, 
et  ainsi  finit  cette  grande  bataille. 

Cette  même  année,  1602,  en  octobre,  du  Moulin  eut 
une  conférence  avec  un  prélat  catholique,  le  sieur  de  Bouju s, 
surnommé  de  Beaulieu.  Ge  ne  fut  qu'une  escarmouche 
assez  vive.  Le  sieur  de  Bouju  a  envoyé  à  Montigny  des 
propositions  sur  la  «manducation».  Montigny  a  répondu, 
Bouju  répliqué,  «et  ainsi  plusieurs  fois  d'une  part  et 
d'autre  ».  L'affaire  traîne  en  longueur,  parce  que  Montigny 
ne  se  sert  pas  assez  de  syllogismes  et  n'a  pas  de  loisir. 
Bouju  s'adresse  à  du  Moulin,  parce  que,  lui  dit-il,  «vous 
estes  en  la  vigueur  de  vostre  aage,  plus  proportionné  au 


1  Les  deux  parties  proposent  pour  la  suite  des  conditions  que  l'on 
peut  voir  dans  le  Sommaire.  Celles  de  Gayet  sont  inadmissibles,  celles 
de  du  Moulin,  très  raisonnables.  La  «fuitte»  de  Cayet  est  évidente. 

2  Conservée  dans  le  Sommaire. 

3  Quelques-uns  lisent  à  tort  :  Boviv,  ou  Bonin. 


—    36    — 

mien,  avec  davantage  de  loisir,  &  prêt  de  conférer  fort 
volontiers  par  escrit1».  Bouju  est  un  ecclésiastique.  Il 
recommande  à  du  Moulin  la  discrétion  et  modestie  en  pa- 
roles, et  lui  rappelle  qu'il  faut  se  servir  de  syllogismes  en 
forme,  car  «c'est  le  moyen  qu'on  doit  tenir  aux  confé- 
rences &  disputes  qui  ont  la  vérité  pour  but2».  Du  Moulin 
répond  que  Bouju  a  bien  assez  à  faire  avec  Montigny,  et 
que  lui-même  ne  veut  pas  «  transformer  le  glaive  de  l'Evan- 
gile en  fleurets».  Mais  tout  en  se  récusant,  il  insinue 
quelques  attaques  contre  l'Église,  auxquelles  il  pense  que 
Bouju  répondra.  —  Nouvelle  lettre  de  Bouju,  qui  n'a  pas 
compris  et  qui  revient  à  la  «manducation».  Il  propose 
des  règles  de  dispute  :  le  principe  de  démonstration  sera 
l'Écriture;  les  questions  seront  bien  distinctement  posées  à 
part;  ou  ne  passera  pas  de  l'une  à  l'autre  sans  ordre.  Du 
Moulin  accuse  Bouju  de  fuite,  parce  qu'il  ne  répond. pas  à 
ses  attaques.  Bouju  se  plaint  de  ce  procédé  et  des  injures 
de  du  Moulin.  Du  Moulin  l'accuse  d'avoir,  dans  l'a  im- 
pression des  réponses»,  tronqué  ses  lettres;  il  fait  appel 
aux  «  reliques  deschirées  de  la  conscience  »  de  son  adver- 
saire. L'échange  de  lettres  continue,  les  deux  adversaires 
chantent  victoire  et  s'accusent  mutuellement  de  fuite.  Cette 
fois  il  n'y  eut  pas  de  conférence  orale. 

Les  conférences  se  faisaient  le  plus  souvent  à  la  demande 
de  «quelque  personne  flotante  entre  les  deux  religions». 
Il  arrivait  naturellement  qu'une  personne  étant  convertie 
au  Catholicisme,  les  Jésuites  lui  demandaient  d'être  l'objet 


1  Cartel  de  De  If  y  du  sieur  de  Bouju. 

2  Ibid. 


—     37     - 

d'une  de  ces  conférences,  et  de  ne  publier  sa  conversion 
qu'ensuite;  cela  devait  donner  de  l'éclat  à  la  conversion, 
et  assurer  aux  jésuites  une  victoire  facile. 

Gontier  voulait  se  rattraper  de  son  infortune  à  son  pre- 
mier essai.  En  1608,  il  organisa  une  conférence  avec  du 
Moulin  *.  Celui-ci,  passant  un  jour  par  la  rue  des  Maretz2, 
rencontre  M.  de  Liembrune,  gentilhomme  picard,  réformé, 
dont  la  femme  avait  promis  au  P.  Gontier  de  changer  de 
religion.  Ce  gentilhomme  le  fait  monter  chez  lui ,  où  du 
Moulin  trouve  une  nombreuse  réunion  de  dames.  L'une 
d'elles  lui  demande  raison  de  sa  vocation,  d'autres  lui  font 
d'autres  questions.  «Du  Moulin  respond  qu'il  sçavoit  bien 
qu'elles  ne  demandoient  pas  instruction ,  &  que  disputer 
de  la  religion  avec  des  femmes  qui  parlent  toutes  à  la  fois, 
&:  au  sortir  de  là  publient  ce  qui  leur  plaist,  seroit  faire 
tort  à  la  vérité  de  la  religion.  »  Au  bout  d'un  moment, 
Gontier  arrive,  non  par  la  fenêtre  cette  fois,  mais  dans  un 
carrosse  plein  délivres.  «Il  demande  en  entrant:  Qu'est-ce? 
Que  dit-on  ici?  Du  Moulin  respond:  Madame  que  voilà  me 
demande  raison  de  ma  mission;  &  je  lui  disois  qu'elle  vous 
devoit  avoir  demandé  raison  de  la  vostre.  —  Gontier  :  Gela 
est  une  fuitte  pour  eschapper.  »  Et  la  discussion  s'engage, 
cette  fois  sans  secrétaire,  comme  improvisée,  vive,  violente 
même,  devant  l'assemblée  des  dames.  Gontier  se  fait  ap- 
porter une  concordance  pour  chercher  un   passage.    Du 

1  V.  Véritable  narré  de  (a  Conférence...  (Genève  1G25,  in-8°, 
18  pages). 

2  C'est  la  rue  Visconti  actuelle,  qui  aux  XVIe  et  XVIIe  siècles  était 
surtout  habitée  par  les  protestants,  et  où  s'était  tenu  en  1559  le  premier 
Synode  national.  (Voyez  A.  Coquerel  fils,  Bull.  Soc.  Prot.,  18CG, 
p.  185  et  209). 


-     38     - 

Moulin  lui  dit  :  «  Si  ceste  honte  m'estoit  advenue  d'estre 
reduict...  à  envoyer  quérir  ma  concordance,  je  ne  voudrais 
jamais  comparoir  en  une  honneste  compagnie.  »  Gontier 
désorienté  ne  tarde  pas  à  s'embrouiller;  il  demande  du 
papier  et  de  l'encre,  écrit,  efface  ce  qu'il  écrit,  déchire,  et 
se  retire  vaincu.  Mme  la  baronne  de  Salignac  prend  sa  place. 
«  C'est  le  dessert  de  la  Conférence.  »  Celte  dame  vient  de 
passer  du  protestantisme  au  catholicisme.  Du  Moulin  lui 
demande  si  elle  prie  la  Vierge  par  ces  mots  :  Ave  Maria. 
Elle  répond  oui.  Du  Moulin  lui  apprend  qu'elle  ne  fait 
que  prier  Dieu  pour  la  Vierge.  Puis,  comme  elle  se  vante 
de  connaître  les  Pères,  il  la  raille  et  lui  fait  prendre  les 
grecs  pour  les  latins.  L'adversaire  féminin  de  du  Moulin 
se  retira  assez  rudoyée,  et  Mme  de  Liembrune  resta  pro- 
testante. 

Mais  les  qualités  brillantes  que  du  Moulin  déployait  dans 
la  discussion  exigeaient  la  mise  en  scène,  l'agitation  et  le 
bruit.  En  1617,  il  eut  une  discussion  seul  à  seul  avec  un 
homme  tranquille,  et  il  ne  semble  pas  en  être  sorti  victo- 
rieux1. Bourguignon,  un  membre  de  la  famille  de  du  Mou- 
lin2, ancien  ministre,  s'était  converti  au  catholicisme, 
malgré  les  menaces  et  les  prières  de  son  père.  Du  Moulin 
alla  le  trouver  de  la  part  de  ce  père,  avec  des  lettres  de  lui.  Il 
tâchait  de  contenir  sa  colère,  qui  parfois  échappait.  Bourgui- 
gnon, un  homme  très  doux,  raconte  cette  conférence  avec 
un  grand  air  de  sincérité.  Il  se  plaint  de  la  violence  de  du 


1  Voir  Rencontre  et   Conférence...,  par  Bourguignon.  Paris,  petit 
in-4°,  1617. 

2  II  appelle  du  Moulin  son  cousin. 


-    39    - 

Moulin.  «Les  ministres,  dit-il,  n'ayant  nul  chef,  nul  con- 
ducteur, nul  vœu,  nulle  protestation  d'obéissance»,  chacun 
se  croit  maître  absolu  ;  de  là  leur  violence  et  leur  arbi- 
traire. Les  arguments  de  du  Moulin  ne  touchèrent  pas 
Bourguignon.  Il  lui  parla  de  l'obéissance  qu'il  devait  à 
son  père  ;  il  le  menaça  de  damnation  ;  puis  il  attaqua  la 
succession  de  l'Église  catholique.  Finalement  les  rôles  furent 
changés,  et  Bourguignon  essaya  de  le  convertir.  «J'ad- 
joutai,  dit  Bourguignon,  qu'avec  l'aide  de  Dieu  ne  mour- 
riez huguenot  :  à  quoi  vous  ne  me  respondites  rien...  seu- 
lement me  payastes  d'un  ris.  » 

L'année  suivante,  16J8,  eut  lieu  une  conférence  comme 
du  Moulin  les  aimait.  Le  5  janvier,  de  Raconis1  envoie  à 
du  Moulin  un  cordonnier  flottant  entre  les  deux  religions, 
et  demande  une  entrevue.  Du  Moulin  répond  qu'il  ne 
court  pas  après  le  bruit,  mais  que  sa  porte  est  ouverte. 
De  Raconis  lui  envoie  quatre  propositions  écrites:  «Que  la 
Religion  Prétendue  n'a  point  de  reigle  asseurée.  —  2°  Que 
la  Gène  des  Prétendus  Réformés  ne  se  peut  monstrer  en 
l'Escriture.  —  o°  Que  le  Dieu  de  Calvin  est  le  Diable.  — 
II0  Que  la  Religion  de  Calvin...  n'est  point  Religion,  mais 
Athéisme.  » 

Du  Moulin  demeurait  sans  doute  alors  rue  de  Seine.  De 
Raconis  vint  chez  lui  avec  le  président  Bailly.  Du  Moulin 
descend  et  reçoit  ses  hôtes  le  mieux  qu'il  peut,  les  fait 
monter  en  son  étude,  où  se  trouvaient  quelques  protestants 
prévenus  par  lui.  Il  invite  de  Raconis  à  prier  :  comme  de 
Raconis  refuse,  il  prie  lui-même  et  demande  à  Dieu  d  oter 

1  Né  en  1580,  professeur  de  théologie  au  collège  de  Navarre;  plus 
tard  évêque  de  Lavaur. 


—     40     — 

toute  haine  des  esprits.  Les  catholiques  se  retirent  en  un 
coin,  et  font  tout  bas  leur  prière  en  latin.  Puis  on  décide 
d'écrire;  on  choisit  des  scribes,  et  on  règle  les  conditions 
de  la  dispute.  Le  lundi,  comme  c'était  au  tour  de  du  Moulin 
d'attaquer  la  religion  catholique,  le  président  Bailly  lui 
demanda  de  transporter  la  conférence  dans  un  autre  lieu 
plus  commode.  Du  Moulin  et  les  siens  s'y  rendirent  le 
lendemain,  mais  de  Raconis  alla  chez  du  Moulin,  sachant 
qu'il  ne  le  trouverait  pas  ,  et  prétexta  cette  absence  pour 
rompre  la  conférence.  Il  s'enfuit,  par  un  chemin  détourné 
et  boueux,  du  côté  du  Pré  aux  Clercs.  Des  hommes  en- 
voyés par  du  Moulin  le  rejoignirent  néanmoins.  De  Raconis 
craignait,  dit-il,  un  guet-apens  et  ne  voulut  pas  retourner. 
Du  Moulin  se  rendit  lui-même  chez  le  président  Bailly;  il 
lit  tout  son  possible  pour  renouer  la  conférence,  offrit  de 
prendre  n'importe  quel  logis.  Finalement  on  lui  proposa 
de  continuer  au  collège  de  Navarre,  où  de  Raconis  logeait  : 
«Qui  croira,  dit-il,  que  je  sois  si  perclus  de  sens  que  de 
m'offrir  à  aller  disputer  en  un  collège,  parmi  de  petits 
escholiers,  avec  risée,  &  avec  péril?»  C'est  ainsi  que  la 
conférence  fut  rompue.  «Quelle  apparence»,  dit  encore  du 
Moulin  ,  «d'entrer  en  un  combat  auquel  jamais  personne 
de  sa  Religion  n'a  osé  entrer,  me  laissant  prendre  la  reli- 
gion romaine  par  où  je  voudrais.. .  Car  les  Docteurs  de 
l'Église  Romaine...  jamais  ne  veulent  s'obliger  à  défendre 
leur  religion.  » 

Il  est  très  facile  de  se  rendre  compte  de  l'exactitude  de 
cette  remarque  de  du  Moulin  et  de  vérifier  son  affirmation, 
Les  Docteurs  de  l'Église  romaine  jamais  ne  veulent  s'obli- 
ger ;i  défendre  leur  religion,  et  les  conférences  furent  tou- 


—     41     - 

jours  interrompues  au  moment  où  du  Moulin  prenait  l'of- 
fensive. Mais  auraient-elles  pu  aboutir  même  s'il  en  eût  été 
autrement?  Non,  les  adversaires  étaient  trop  ardents,  la 
discussion  était  trop  à  la  surface,  trop  variée,  le  champ 
trop  immense.  Il  aurait  fallu,  comme  du  Moulin  quelque 
part1  le  propose,  limiter  le  nombre  des  réponses;  mais  alors 
chacun  n'aurait  pu  dire  que  la  centième  partie  de  ses  argu- 
ments. Cependant  on  apprenait  à  se  connaître,  et  on  forti- 
fiait sa  propre  foi  en  la  défendant;  voilà  quel  était  le 
résultat  excellent  de  ces  conférences. 

Elles  eurent  parfois  des  résultats  fâcheux.  Une  dispute 
avec  le  jésuite  Arnoux  faillit  attirer  aux  ministres  une  fort 
mauvaise  affaire.  En  1617,  le  25  juin,  le  jésuite  Arnoux2, 
prêchant  en  présence  de  Sa  Majesté,  avait  «  picquoté  les 
marges3  de  nostre  Confession  de  foy  <Sc  déclamé  contre 
quelques  citations  de  passages4».  En  descendant  de 
chaire,  de  bonne  foy,  il  avait  confié  à  un  protestant  la 
feuille  où  étaient  écrites  ses  notes.  Les  quatre  ministres 
de  Paris  s'en  emparèrent  et  la  publièrent  aussitôt  avec  la 
réfutation.  De  son  côté  Arnoux  avait  publié  un  petit  livre 
à  bon  marché,  fort  répandu 5.  Le  livre  des  quatre  mi- 
nistres, Défense  de  la  Confession  des  Églises  réformées  de 

1  Voir  Le  Sommaire  des  questions  survenues  en  la  Conférence... 
entre  du  Moulin  et  Cayet. 

2  Dirige  les  maisons  de  Grenoble  et  de  Toulouse.  Succède  au  Père 
Cotton  comme  confesseur  de  Louis  XIII,  perd  cette  place  en  1621, 
meurt  fou,  dit-on,  en  1636. 

3  Où  étaient  cités  des  passages  de  l'Écriture. 

4  Les  reproches  du  sieur  du  Moulin  contre  le  Père  Arnoux.  Paris, 
1619.  in-4°. 

6  La  Confession  de  Foy  convaincue  de  nullité,  par  Arnoux.  1617, 
Paris. 


—     42     — 

France1,  avait  en  tête  une  épître  au  roi,  où  ils  représen- 
taient les  services  rendus  à  la  couronne  par  le  parti 
huguenot.  Cette  lettre  fut  fort  mal  interprétée.  Le  conseil 
d'État  fut  saisi  de  l'affaire.  Les  quatre  ministres  compa- 
rurent, mais  furent  quittes  pour  une  semonce  du  chancelier. 

Mais  aucune  considération  ne  pouvait  diminuer  chez  du 
Moulin  cette  passion  de  controverse,  puisqu'à  ses  yeux 
l'intérêt  de  l'Évangile  et  de  la  vérité  était  en  jeu.  Et  cet 
intérêt  doit  écraser  tout  sentiment  qui  s'oppose  à  lui.  La 
controverse  semble  être  à  ce  moment  la  manifestation  la 
plus  importante  de  la  vie  religieuse.  Elle  conserve  ses 
droits  même  devant  un  lit  de  mort. 

Henri  IV  fit  toujours  tout  ce  qu'il  put  pour  obtenir  de 
sa  sœur  qu'elle  se  convertît  au  catholicisme.  Mais  du  Moulin 
veillait  sur  elle.  En  1604,  elle  mourait,  et  lui  se  tenait 
près  d'elle,  priant  et  l'exhortant,  quand  du  Perron,  alors 
évêque  d'Évreux,  pénétra  dans  la  chambre,  se  disant 
envoyé  par  le  roi.  Du  Moulin  répondit  qu'il  ne  pouvait 
croire  que  le  roi  voulût  faire  violence  à  sa  sœur,  et  lui 
refuser  la  liberté  de  conscience,  qu'il  avait  garantie  à  tous 
ses  sujets.  Alors  il  se  passa  entre  eux  une  lutte  violente,  et 
ces  deux  hommes  eurent  recours  à  leur  force  physique 
devant  cette  femme  qui  mourait.  Du  Perron  voulait  expulser 
du  Moulin.  Celui-ci  se  cramponna  aux  colonnes  du  lit;  il 
était  d'une  vigueur  peu  commune  :  il  resta.  Il  demanda  à 
la  princesse  dans  quelle  religion  elle  voulait  mourir.  Elle 
répondit  qu'elle  mourait  protestante.  Du  Perron  vaincu  se 


1  Développé  plus  tard  par  du  Moulin  en  Bouclier  de  la  Foy  (à  son 
retour  d'Angleterre  en  1015). 


—    43     - 

retira.   Puis  du   Moulin   pria,   et  Catherine   de   Navarre 
mourut. 

Une  scène  analogue  se  passa  auprès  de  la  maréchale  de 
Fervacques1.  Elle  était  protestante.  Du  Moulin,  apprenant 
qu'elle  mourait,  accourut,  mais  il  trouva  la  porte  fermée, 
et  ne  put  entrer.  Il  attendit  dans  la  rue,  et  profita  de 
l'arrivée  d'un  grand  seigneur  pour  se  glisser  dans  sa  suite 
auprès  de  la  malade.  Là  il  trouva  une  assistance  nombreuse 
de  catholiques,  et  1  evêque  de  Genève,  saint  François  de 
Sales2,  qui  essayait  de  gagner  au  catholicisme  l'âme  de  la 
mourante.  Du  Moulin  était  seul  au  milieu  de  tous  les 
catholiques.  Il  tint  tète  à  saint  François  de  Sales  et  parvint 
à  obtenir  de  la  mourante  qu'elle  exprimât  le  vœu  de 
rester  protestante.  Sur  cela,  saint  François  de  Sales  se 
retira,  et  plusieurs  catholiques  avec  lui,  dans  une  autre 
pièce.  Quelques-uns  restèrent,  et  pendant  que  du  Moulin 
priait  avec  cette  femme  et  la  consolait,  «ils  faisoient  des 
grimaces  pour  se  moquer 3  ».  Alors  entrèrent  trois  seigneurs 
de  qualité  qui  dirent  à  du  Moulin  que  quelques-unes  des 
princesses  désiraient  le  voir  conférer  avec  l'évêque.  Du 
Moulin,  après  avoir  obtenu  la  promesse  qu'on  le  laisserait 
revenir  à  son  poste,  laissa  la  mourante  et  alla  à  la  dispute. 
Là,  en  présence  de  plusieurs  dames,  il  discuta  avec  saint 
François  de  Sales  sur  ces  paroles  :  «Ceci  est  mon  corps». 
La  duchesse  de  Longueville,  présente,  admira  son  savoir, 


1  Veuve  du  maréchal  de  Fervacques,  et  femme  du  prince  de  Join- 
ville. 

2  II  ne  pouvait  pas  demeurer  à  Genève,  qui  appartenait  aux  pro- 
testants. Il  demeurait  chez  le  duc  de  Savoie. 

3  Autobiographie. 


—     44     — 

cl  lâcha  de  l'amener  à  changer  de  religion.  Mais  du 
Moulin  retourna  vers  la  malade  pour  reprendre  sa  prière 
et  ses  exhortations,  et  peu  après  elle  mourut. 

On  voit  comment  ces  disputes  quelquefois  paisibles  et 
intimes,  le  plus  souvent  violentes  et  retentissantes,  se 
mêlaient  à  toute  la  vie  de  du  Moulin  et  occupaient  tout 
son  temps.  Ses  conversations,  ses  ouvrages,  ses  sermons, 
ses  visites  sont  des  moyens  de  controverse.  Les  autres 
pasteurs  le  mettent  toujours  en  avant  et  se  reposent  sur 
lui,  le  plus  capable,  du  soin  de  vaincre  l'ennemi.  Pour  les 
catholiques  il  représente  la  force  de  bataille  de  l'Église  hé- 
rétique. Il  est  le  «  Prétendu  Primat  des  Églises  prétendues 
de  France1». 

«  Pour  Moulin,  son  party  l'a  mis 
«  Gomme  le  singe  en  sentinelle  2.  » 

Sa  réputation  est  devenue  universelle.  Discuter  avec  lui 
est  un  moyen  d'acquérir  de  la  renommée.  Il  ne  se  passait 
pas  une  semaine  qu'il  ne  fût  occupé  à  une  grande  dispute, 
pas  un  jour  qu'il  n'eût  à  sa  porte  le  carrosse  de  quelque 
seigneur  désireux  de  l'entendre. 

Henri  IV  le  connaissait,  et  voyait  avec  ennui  l'agitation 
dont  il  était  cause.  Gomme  il  projetait  l'expédition  de 
Flandre,  il  craignit  que,  pendant  son  absence,  les  ministres 
et  les  jésuites  n'amenassent  des  troubles.  Il  chargea  du 
Chesneau,  un  protestant,  d'obtenir  de  du  Moulin,  par  des 
compliments  et  des  présents,  qu'il   n'attaquerait  pas  les 

1  Rabelais  réforme,  p.  5. 

2  Ibid.,  p.  93. 


-     45     - 

Jésuites,  et  ne  répondrait  pas  à  leurs  attaques.  Quand  du 
Chesneau  alla  trouver  du  Moulin,  Henri  IV  avait  été  assas- 
siné. Du  Moulin,  fidèle  à  la  disciplina  des  Églises,  refusa 
les  présents  du  roi,  et  accusa  les  Jésuites  de  sa  mort.  Il 
écrivit  un  livre1  contre  l'un  d'eux,  Pierre  Cotton,  et  fit 
ainsi  l'anagramme  de  son  nom  :  Pierre  Colon  =  Perce 
ton  roi.  Cotton  répondit:  Petrus  du  Moulin  ~  Eril  mundo 
lupus.  Mais  l'accusation  avait  porté. 

On  comprend  l'irritation  des  Jésuites  contre  du  Moulin, 
et  quand  on  connaît  leurs  maximes,  on  n'est  pas  étonné 
de  voir  qu'ils  tentèrent  par  tous  les  moyens  de  se  défaire 
de  lui. 

Des  personnages  fort  en  honneur  lui  demandèrent  sou- 
vent de  se  faire  catholique.  Nous  avons  vu  la  tentative 
faite  par  la  duchesse  de  Longueville.  Bâtes  raconte  qu'un 
homme  d'un  nom  fort  respecté  alla  un  jour  le  trouver  et 
lui  offrit  une  rente  annuelle  de  huit  mille  livres,  lui  pro- 
mettant que  d'autres  augmenteraient  cette  somme.  Gela 
se  présentait  fort  souvent.  Du  Moulin  renvoyait  ordinai- 
rement ces  solliciteurs  avec  une  plaisanterie.  Il  en  fit  une 
un  jour  qui  lui  valut  un  redoublement  de  haine  des  pa- 
pistes. Ce  fait  n'est  pas  relaté  dans  les  biographies,  mais 
je  l'ai  trouvé  dans  les  accusations  des  adversaires  et  dans 
les  paroles  de  du  Moulin  lui-même.  De  Raconis  avait 
entrepris  de  le  convertir.  Selon  son  habitude,  pour  se 
défaire  de  son  insistance  fâcheuse,,  ou  pour  se  moquer  de 
lui,  du  Moulin  avait  promis  d'abjurer  s'il  pouvait  lui 
montrer  «  nos  faussetés  ». 

1  Anti-Goton. 


—    46     - 

«  De  Ilaconis,  se  voyant  engagé 
«  Le  suit  au  pas,  et  quittant  la  traverse, 
«  Des  autres  poincts  luy  faict  un  abbrégé 
«  De  tous  les  cas  qui  sont  en  controverse. 

«  Le  tout  signé,  remis  au  lendemain 
«  Le  bruit  s'espand,  Raconis  monte  en  chaire, 
«  Semond  le  peuple  à  voir  dans  Saint-Germain, 
«  Pierre  Moulin  qui  doit  prendre  la  baire. 

«  Le  jour  venu,  tout  le  monde  y  accourt, 
«  On  prend  le  drap,  et  l'habit  on  lui  taille, 
«  Mais  du  Moulin  trouve  qu'il  est  trop  court. 
«  Et  bouffonnant  sous  la  cappe,  il  se  raille1.  » 

«  Les  prosnes  retentissoient,  dit  du  Moulin,  des  nou- 
velles de  ma  conversion  en  l'Eglise  romaine,  désja  on  nie 
pourvoyoit  de  bénéfices...  désja  en  une  telle  Eglise,  le 
peuple  m'altendoit  pour  ouir  ma  déclaration  2.  » 

Mais  les  Jésuites  ne  s'en  tinrent  pas  à  des  moyens  aussi 
doux  et  tentèrent  de  le  faire  assassiner  ;  du  moins  tous 
les  protestants  en  furent  convaincus.  Un  soir,  comme  il 
était  très  tard,  un  homme  frappa  à  la  porte  de  du  Moulin, 
voulant  à  toute  force  lui  parler.  Du  Moulin  se  leva  et  le 
reçut.  Cet  homme  l'avertit  qu'un  mauvais  sujet  bien 
connu  devait  lui  apporter  le  lendemain,  comme  venant 
d'un  ami,  des  prunes  empoisonnées.  Le  lendemain  en 
effet  le  faux  messager  vint  avec  les  prunes,  et  du  Moulin 
le  renvoya. 

Un  autre  soir,  un  homme  vêtu  d'un  long  manteau 
entra  chez  lui  de  force.  Du  Moulin  mit  une  chaise  entre 
lui  et  son  antagoniste,  et  réussit  à  le  désarmer  de  son 

1  Rabelais  réforme,  p.  18. 

2  Préface  de  la  Nouveauté  du  Papisme. 


-     47     - 

poignard.  Au  bruit  le  famulus  de  du  Moulin,  Benjamin  de 
Monbhard,  accourut,  et  l'homme  ne  résista  plus.  Le  fa- 
mulus ramassa  le  poignard  et  le  lui  rendit. 

Un  autre  inconnu  pénétra  une  fois  chez  du  Moulin.  Il 
se  trouva  devant  les  gens  de  la  maison,  assemblés  à  table. 
Il  pensait  sans  doute  trouver  du  Moulin  seul,  car  il  se 
mit  à  hésiter  et  à  trembler.  La  femme  de  du  Moulin,  com- 
prenant son  intention,  lui  dit:  Va-t'en  à  tes  mauvaises 
actions,  avec  ta  conscience  mauvaise.  Ainsi  chaque  fois 
du  Moulin,  sans  être  ému,  confiant  dans  sa  force,  et  sur- 
tout dans  la  protection  du  Dieu  dont  il  défendait  la  cause, 
renvoyait  avec  un  reproche  presque  doux  les  misérables 
qui  avaient  voulu  l'assassiner.  Mais  ses  amis  inquiets  lui 
persuadèrent  de  faire  garder  sa  maison  et  sa  personne. 
Dans  les  dernières  années  de  son  séjour  à  Paris,  il  ne 
sortit  pas  sans  avoir  à  ses  côtés  une  garde,  duos  custodes, 
viribus  intetjros  et  militiœ  peritos.  Le  peuple  lui  fit  sentir  sa 
vieille  haine  contre  le  protestant.  Deux  fois  sa  maison  fut 
assiégée  par  la  foule,  qui  tenta  de  briser  la  porte.  Cette  vie 
dut  être  très  pénible;  du  Moulin  finit  par  sentir  tout  autour 
de  lui  une  immense  conspiration  contre  sa  vie  ;  et  il  est 
impossible  de  ne  voir  là  qu'une  idée  fixe  sans  raison  d'être, 
comme  celle  qui  poursuivit  Jean-Jacques  Rousseau,  car  du 
Moulin  avait  l'âme  tout  autrement  trempée. 

Un  soir,  entre  huit  et  neuf  heures,  il  travaillait  selon 
sa  coutume  dans  son  étude,  une  petite  pièce  au  troisième 
étage,  pendant  que  sa  famille  soupait  en  bas.  Le  froid 
était  extrême.  Pour  se  chauffer  il  se  fit  apporter  un  chau- 
dron plein  de  «charbon  ardent,  dont  la  fumée  lui  saisit  le 
cerveau  et  le  cœur»,   si  bien  qu'il  s'évanouit.  Il  vit  alors 


—     48     - 

entrer  deux  hommes,  qui  disparurent  sans  qu'il  sût  com- 
ment. La  porte  resta  ouverte,  et  le  froid  qui  entra  réveilla 
du  Moulin  affaissé  sur  son  fauteuil.  Il  se  leva  et  retomba, 
la  face  sur  le  carreau  froid.  Quand  son  fils  monta,  il  le 
trouva  couché  ainsi.  Et  du  Moulin  ne  put  monter  en  chaire 
de  six  semaines.  Cet  accident,  qui  ne  fut  autre  chose  qu'un 
commencement  d'asphyxie  par  l'oxyde  de  carbone,  laissa 
une  impression  étrange  dans  l'âme  de  du  Moulin. 

Malgré  ces  misères  et  les  obstacles  sans  nombre  qui  le 
gênaient,  il  trouvait  encore  le  temps  de  prendre  part  aux 
batailles  qui  se  livraient  à  l'étranger  contre  la  «bête». 
C'est  ainsi  qu'il  entreprit  la  défense  du  roi  d'Angleterre,  le 
célèbre  Jacques  Ier,  contre  Bellarmin,Goeffeteauet  le  pape1. 
En  1610  il  publia  les  deux  premières  parties  de  la 
Défense  de  la  foy  Catholique  contenue  au  livre  de 
Jacques  /'.  Déjà  il  correspondait  avec  lui  depuis  plusieurs 
années  2. 

Au  commencement  de  1615  s'était  tenue  à  Blois  une 
assemblée  du  clergé.  Du  Perron,  dans  une  harangue  où  il 
prouvait  que  le  pape  peut  déposer  les  rois,  avait  fort  mal- 
mené Jacques  Ier.  Le  roi  fil  dire  à  du  Moulin  qu'il  désirait 
le  voir  pour  poursuivre  l'affaire.  Il  lui  avait  déjà  envoyé 

1  Les  Jésuites  ont  tenté  de  faire  sauter  Jacques  Ier.  Il  a  alors  composé 
un  Serment  de  fui  élite  pour  le  faire  signer  de  tous  ses  sujets,  serinent 
où  il  est  dit  que  le  pape  n'a  pas  de  pouvoir  sur  le  roi.  Sur  ce,  bulles  du 
pape  :  22  septembre  1606  et2:î  août  1607,  et  lettres  du  cardinal  Bellarmin. 
Jacques  Ier,  en  ayant  connaissance,  compose  V Apologie  pour  le  serrru  ut- 
ile fidélité.  Henri  IV,  à  la  sollicitation  de  du  Perron,  charge  Coeffeteau 
de  répondre  à  cette  apologie,  ce  qu'il  fait  lors  de  la  seconde  édition  de 
ce  livre,  en  1610. 

2  Bâtes  a  vu  ses  lettres  in  Régis  scriniis.  — Quick  ne  les  a  pas  vues, 
mais  dit  qu'on  les  trouve  :  in  the  paper  office  at  Whitehall. 


—     49    — 

deux  mille  livres.  L'Église  de  Paris  ne  voulait  pas  laisser 
partir  son  pasteur.  Mais  après  qu'il  eut  fait  en  public  à 
Charenton  le  serment  de  revenir  «en  bref»,  il  partit  au 
mois  de  mars  164  5,  avec  M.  de  Mayerne,  médecin  de 
Jacques  Ier,  et  son  jeune  frère  Jean  du  Moulin. 

Il  avait  une  autre  raison  pour  se  rendre  à  la  cour  d'An- 
gleterre. Il  voulait  parler  à  Jacques  Ier  de  la  fameuse 
question  débattue  alors  de  l'union  des  Eglises  orthodoxes 
de  toutes  les  nations1. 

Jacques  Ier  fit  «  beaucoup  d'accueil  »  à  du  Moulin  :  «  Or- 
dinairement je  me  tenois  derrière  sa  chaise  en  ses  repas2.  » 
Du  Moulin  fit  une  réponse  sous  le  nom  de  Jacques  Ier  au 
discours  de  du  Perron  3,  et  assista  à  «une  grande  dispute 
publicque,  en  laquelle  le  Roy  mesme  proposa  des  argu- 
mens4.»  Il  prêcha  en  fiançais  devant  le  roi  dans  la  cha- 
pelle du  palais  de  Greenwich.  Il  prit  le  degré  de  docteur 
à  Cambridge.  Au  bout  de  trois  mois,  il  dut  retourner  à 
Paris,  pour  tenir  sa  parole.  Jacques  Ier  fit  tout  son  possible 
pour  le  retenir.  Enfin  il  le  laissa  partir,  subiratus,  dit 
Bâtes,  en  lui  donnant  toutefois  une  prébende  à  Gantor- 
bery 5  et  à  son  frère  une  chaine  d'or  de  deux  cents  écus. 

1  Voir  la  Lettre  de  du  Moulin  à  du  Plessis-Mornay  (au-dos  :  receu 
le  5  mars  1615).  Jacques  Ier  a  déjà  écrit  à  ce  sujet  au  synode  de 
Tonneins. 

2  Autobiographie. 

3  Bâtes  dit  qu'il  traduisit  en  français  le  livre  de  Jacques  Ier  :  Vin- 
clieiœ  juris  regum,  et  que  cette  traduction  fut  publiée  à  Londres  en 
1015.  Mais  du  Moulin  se  défend  de  traduire  les  ouvrages  du  roi. 

4  Autobiographie. 

5  Depuis  il  me  donna  encore  une  commandeiie  qu'ils  appellent  rec- 
torat au  pays  de  Galles  (Autobiographie). 

Post  aliquot  annos..  rcctoriam  aine  cura...  Provottus  utriusque 
ducentœ  librœ. 


—     50     — 

Les  chanoines  de  Cantorbery,  «en  sa  réception»,  l'obli- 
gèrent à  s'assujettir  aux  lois  et  coutumes  de  l'Angleterre. 
Ce  qu'il  fit  à  condition  de  pouvoir  rester  fidèle  à  son  roi 
et  à  l'ordre  ecclésiastique  de  France.  Cependant  cette  accu- 
sation ne  manqua  pas  de  lui  être  faite  à  son  retour  : 
«Moulin,  Anglois  de  cœur,   &  évesque  de  prétention1.» 

C'était  le  temps  où  les  princes,  ayant  Condé  à  leur  tête, 
se  révoltaient  contre  la  reine-mère.  Le  parti  protestant 
faisait  cause  commune  avec  eux.  Du  Moulin  fut  soupçonné 
d'être  passé  en  Angleterre  pour  chercher  des  secours.  Il 
fut  arrêté  à  Boulogne,  fouillé,  gardé  deux  jours  en  prison, 
et  finalement  relâché.  Du  Moulin  fut  toujours  fidèlement 
attaché  au  roi  et  blâmait  toutes  les  révoltes;  il  avait  fait 
dans  ce  cas  notamment  tous  ses  efforts  pour  empêcher 
l'alliance  des  protestants  avec  les  princes,  prévoyant  les 
funestes  conséquences  qu'elle  devait  avoir.  La  reine  lui 
offrit  des  cadeaux  qu'il  refusa.  Mais  plus  tard  la  même 
accusation  pesa  sur  lui  et  l'obligea  à  abandonner  son 
Église. 

Avant  d'arriver  là,  nous  avons  quelques  mots  à  dire  sur 
les  idées  théologiques  de  du  Moulin  et  sur  ses  rapports 
avec  les  autres  protestants.  Mais  comme  son  influence  ne 
se  fit  sentir  que  vers  la  fin  de  son  séjour  à  Paris,  et  que 
les  préoccupations  de  l'ordre  dogmatique  remplirent  sur- 
tout les  dernières  années  de  sa  vie,  nous  ferons  entrer 
cet  exposé  dans  notre  troisième  partie. 

1  Rabelais  réformé,  plusieurs  fois. 


TROISIÈME    PARTIE 


DU    MOULIN    PROFESSEUR    DE   THÉOLOGIE  A    SEDAN, 

SA    POLÉMIQUE 

ET   SON    INFLUENCE   THÉOLOGIQUE 

Ce  n'est  pas  sans  une  certaine  hésitation  que  nous 
abordons  ce  côté  de  la  vie  et  de  la  pensée  de  du  Moulin. 
Contre  les  adversaires  protestants  il  fut  le  même  que  contre 
la  «bêle»,  avec  plus  de  colère  encore  et  plus  de  violence, 
autoritaire,  et  mêlant  facilement  sa  personne  aux  intérêts 
dogmatiques.  Que  son  influence  ait  été  pernicieuse,  cela 
n'est  pas  sûr  :  autre  temps,  autres  besoins;  mais  un  homme 
étroit,  cassant,  qui  excite  le  feu  de  la  discorde  dans  un 
groupe  persécuté  et  faible,  cet  homme  ne  manque  pas  de 
nos  jours  tout  d'abord  d'être  odieux.  Il  faut  un  effort  con- 
sidérable pour  le  voir  dans  son  milieu  et  dans  son  temps. 

Les  comptes-rendus  des  synodes  1  nous  font  connaître 
les  idées  de  du  Moulin.  Elles  peuvent  se  caractériser  en 
deux  mots.  Du  Moulin  n'admet  que  l'autorité  de  la  Bible, 

1  Aymon,  2  vol.  in-quarto.  —  Quick,  2  vol.  in-folio. 


-     52    — 

sans  interprétation  1.  En  réalité  il  est  calviniste  strict,  et  la 
prédestination  absolue  est  à  la  base  de  sa  dogmatique. 

Le  premier  synode  général  auquel  du  Moulin  est  député 
est  celui  de  Gap  en  1603.  —  En  1612  il  est  modérateur- 
adjoint  au  synode  de  Privas.  La  grande  affaire  qui  occupait 
alors  le  clergé  protestant  était  l'union  projetée  des  Églises 
orthodoxes  de  toutes  les  nations.  A  Privas  on  décida  d'en- 
voyer des  députés  dans  les  provinces  pour  préparer  l'union. 
Ils  ne  doivent  pas  soulever  de  disputes,  à  la  suite  des- 
quelles les  parties  retournent  chez  elles  «moins  d'accord 
qu'auparavant  et  l'imagination  remplie  de  triomphes.»  On 
doit  mettre  sur   la   table  les  différentes  confessions   des 
Églises  réformées  d'Angleterre,  d'Ecosse,  de  France,  des 
Pays-Bas,   de  Suisse  et  du  Palatinat,  en  faire  une  géné- 
rale, qui  ne  renferme  que  les  points  nécessaires  au  salut, 
et  laisser  les  questions  dangereuses  du  libre  arbitre,  de  la 
prédestination,  etc. 2   Gomment  se   fit-il  que  du  Moulin 
souscrivit  à  cela?  On  sentait  un  grand  besoin  de  mettre  fin 
aux  luttes  intestines;   mais  le  moment  n'était  pas  venu. 
Du  Moulin  se  donna  ou  crut  se  donner  corps  et  âme  à  ce 
projet;  mais  ce  n'était  pas  l'homme  qu'il  fallait.  Et  c'est 
de  lui  que  vinrent  les  obstacles  :  dispute  avec  Tilénus;  dis- 
pute avec  Amyraut. 

Pour  le  moment  on  formule  un  «acte  d'union  et  de  paix 
entre  les  Églises  réformées  de  France3».  Du  Moulin, 
Durand  et  de  l'Isle-Groslot  sont  chargés  de  réconcilier  des 

1  Celui  qui  interprète,  dit-il,  se  met  au-dessus  de  l'Écriture.  11  vaut 
mioux  ne  pas  comprendre. 

2  Aymon,  t.  II,  pp.  57-58. 

3  lbid.,  Matières  gén.,  §  VIII. 


-     53     — 

esprits  irrités,  les  ducs  de  Bouillon,  de  Lesdiguières,  avec 
les  ducs  de  Rohan,  de  Soubize,  du  Plessis,  etc.1 

L'esprit  intolérant  de  du  Moulin  se  montre  déjà  dans  la 
question  du  baptême  qu'il  est  chargé,  avec  Sonnis,  La 
Faye,  Le  Faucheur,  d'étudier  à  fond  pour  le  prochain 
synode.  Il  présente  une  réfutation  en  latin  de  la  doctrine 
de  Piscator  sur  la  justification.  Sonnis,  La  Fresnaye  et  Le 
Faucheur,  chargés  d'examiner  le  livre,  l'approuvent,  mais 
en  interdisent  la  publication  jusqu'à  nouvel  ordre,  de  peur 
de  nuire  à  l'union  projetée.  Du  Moulin  se  contentera  d'en 
envoyer  copie  à  chaque  province. 

Au  synode  de  Tonneins,  en  J6I/1,  du  Moulin  n'est  pas 
député,  mais  cité.  L'Eglise  de  Paris  s'excuse  de  ne  pouvoir 
l'envoyer.  La  question  de  l'union  des  Églises  réformées 
est  gravement  compromise  par  une  lutte  qui  vient  de  surgir 
à  l'occasion  du  livre  de  du  Moulin  contre  Piscator  et  qui 
ne  se  terminera  que  deux  ans  plus  tard.  C'est  la  lutte  entre 
du  Moulin  et  Tilénus,  alors  professeur  à  Sedan,  sur  «les 
Effets  de  l'union  hypostatique  des  deux  natures  en  Christ». 

La  querelle  a  commencé  à  Paris  où  a  eu  lieu  une  con- 
férence. Maintenant  l'Eglise  de  Genève  se  mêle  de  l'affaire, 
ainsi  que  l'électeur  palatin,  et  le  marquis  de  Bouillon,  qui 
assiste  au  synode.  Tilénus  envoie  un  inventaire,  du  Moulin 
une  confession.  Le  roi  d'Angleterre,  Jacques  Ier,  écrit  une 
lettre  au  synode.  Il  lui  conseille  de  jeter  au  feu  les  livres, 


1  Du  Moulin  avec  quelques  autres  est  député  à  Orléans  pour  faire 
cesser  des  troubles.  Cette  Eglise  a  des  membres  qui  ne  veulent  pas  >e 
conformer  aux  règlements  de  l'assemblée  de  Sauinur,  qui  «  enjoint  aux 
provinces  d'établir  des  conseUs».  La  députation  a  plein  pouvoir.  Les 
frais  seront  payés  par  le  consistoire  d'Orléans. 


-     54    — 

papiers  et  manuscrits  qui  peuvent  nourrir  le  feu  des  con- 
troverses, et  de  ne  pas  vouloir  «presser  les  consciences 
à  consentir,  contre  leur  propre  jugement,  a  des  opinions 
dont  ils  n'ont  pas  même  une  idée  claire1  ». 

On  nomme  une  commission  pour  juger  le  différend. 
Tous  les  écrits  seront  envoyés  à  Saumur  et  mis  entre  les 
mains  de  du  Plessis  pour  abolir  la  mémoire  de  cette  dis- 
pute. On  enjoint  à  du  Moulin  et  à  Tilénus  de  se  trouver  à 
jour  fixe  à  Saumur,  où  l'affaire  sera  réglée  par  les  pasteurs 
et  professeurs  de  la  ville  et  quelques-uns  du  voisinage2. 
Puis,  celte  affaire  vidée,  on  s'occupe  de  l'union. 

Le  15  octobre  du  Moulin  et  Tilénus  se  trouvèrent  à  Sau- 
mur. La  commission  nommée  par  le  synode,  et  formée  par 
«Philippe  de  Mornay,  Jan  Fleury,  André  Rivet»  et  quel- 
ques autres,  compose  un  acte  de  concorde  qu'elle  fait  signer 
aux  deux  adversaires  et  aux  membres  du  bureau.  Du 
Moulin  (c'est  toujours  le  reproche  qu'on  lui  fait)  s'est  servi 
de  «termes  obscurs,  moins  propres»,  où  on  pouvait  voir 
des  choses  «sinistres  en  les  prenant  trop  à  la  rigueur».  Il 
n'y  a  rien  à  blâmer  dans  sa  pensée.  Tilénus  toutefois  ne 
peut  pas  être  accusé  de  calomnie.  Rien  ne  les  empêche  de 
«s'embrasser  comme  frères,  vrais  chrétiens  &  ortho- 
doxes 3  » . 

La  question  de  l'Union  reparaît  à  Vitré  en  1617.    Du 


1  La  lettre  de  Jacques  Iflr  est  conservée  dans  Ayraon. 

2  Aymon,  t.  II,  p.  37. 

3  Cet  acte,  inédit,  se  trouve  à  la  Bibliothèque  de  l'Histoire  du  Pro- 
testantisme Français.  —  Dans  une  lettre  à  du  Plessis-Mornay  (receù  le 
5  mars  1G15),  du  Moulin  se  plaint  que  Tilénus  ne  tienne  pas  sa  pro- 
messe de  ne  rien  publier. 


—    55    — 

Moulin  n'y  est  pas,  mais  on  le  nomme  commissaire  de 
l'Union  avec  Rivet,  Chauve,  Charnier.  Ils  iront  à  Saumur, 
conféreront  avec  du  Plessis  et  les  pasteurs  et  professeurs, 
et  feront  un  projet  qu'on  enverra  aux  diverses  provinces. 
Les  synodes  provinciaux  étudieront  le  projet  et  enverront 
des  députés  préparés  au  synode  national  prochain. 

On  touchait  à  la  réalisation  de  ce  projet  si  cher  à  tant 
d'esprits  pacifiques  et  larges,  quand  un  nouvel  obstacle 
surgit.  L'Arminianisme  se  répandait  en  Hollande  et  dans 
tout  le  protestantisme.  Testard  et  Amyrault  en  étaient  les 
propagateurs.  Ce  sont  les  «Remonstrans».  Saumur  était 
le  centre  de  l'hérésie.  Elle  prétend  «que  Dieu  donne  à  tous 
les  hommes,  même  aux  païens,  une  grâce  universelle  et 
suffisante;  elle  fait  dépendre  de  la  volonté  de  l'homme  les 
décrets  de  l'élection  de  Dieu1,»  «elle  ôte  l'efficacité  à 
la  grâce,  élève  le  libre  arbitre  et  fait  revivre  le  Pélagia- 
nisme.  » 

L'orthodoxie  s'enflamma ,  les  provinces  unies  de  Hol- 
lande voulurent  se  défendre  contre  l'hérésie.  Elles  firent 
un  synode  national  à  Dordrecht,  auquel  elles  invitèrent 
l'Angleterre,  l'Allemagne,  la  Suisse,  Genève  et  la  France, 
h  envoyer  des  députés.  L'orthodoxie  française,  qui  avait 
déclaré  abandonner  la  question  du  libre  arbitre  et  de  la 
prédestination2,  se  contredit.  Charnier,  Chauve,  Rivet  et 
du  Moulin  furent  envoyés.  Mais  arrivés  à  Genève,  ils 
durent  revenir  sous  une  menace  de  mort  de  Louis  XIII. 
Du  Moulin,  immédiatement  passionné  à  l'extrême,  n'aban- 

1  Formulaire  du  Serinent  d'union  au  Synode  d'Alais. 

2  Voir  Aymon.  Acte  d'union  au  Synode  de  Privas. 


—    56    — 

donna  pas  la  partie,  et  cette  querelle  l'occupa  jusqu'à  sa 
mort  :  l'Arminianisme  fut  la  bète  noire  de  sa  vieillesse. 
aNegat  alla  esse  Dei  décréta  conditionalia1.  Deus,  dit-il, 
nos  prœdestinavit  ad  /idem  non  ob  fidem  prœvisam.  »  Il  se 
met  à  écrire  YAnatomie  de  l'Arminianisme,  ouvrage  très 
violent.  On  veut  l'empêcher  de  le  publier.  Rien  ne  l'ar- 
rête. Alors  un  décret  du  synode  provincial  de  l'Ile  de 
France  interdit  aux  ministres  de  rien  publier  sans  l'appro- 
bation de  leurs  collègues.  Du  Moulin  dut  attendre2;  mais 
son  influence  fut  néanmoins  considérable  au  synode  de 
Dordrecht,  cujusipse,  dit  Grotius3,  quanquam  absens*  inter 
prœcipuos  fabros  fuit».  Les  Arminiens  furent  condamnés 
sans  restriction,  et  du  Moulin,  leur  ennemi,  reçut,  comme 
ceux  qui  avaient  assisté  au  synode ,  une  médaille  et  deux 
cents  écusA. 

En  1620,  du  Moulin  fut  modérateur  du  synode  d'Alais. 
Maître  de  la  situation ,  il  fit  admettre  une  confession  de 
foi  anti-arminienne,  qu'on  appela  un  serment  d'union. 
Chacun  fut  obligé  de  prêter  ce  serment,  par  lequel  on  ac- 
ceptait toutes  les  décisions  du  synode  de  Dordrecht 5. 

1  Lettre  de  Hugo  Grotius  (1637).  Epistolœ. 

2  Le  livre  ne  parut  qu'à  la  fin  du  Synode. 

3  Lettre  de  H.  Grotius,  Epistolœ. 

*  Les  adversaires,  H.  Grotius  (Ibid.)  et  d'autres  disent  que  du 
Moulin,  voulant  unir  toutes  les  Églises,  môme  les  luthériennes,  a  déclaré 
dangereuses  les  questions  de  la  Prédestination,  du  Libre  Arbitre,  etc. 
En  1616,  dans  la  Lettre  à  un  sien  ami  de  Hollande  (publiée  avec  le 
Sainct  resveil  spirituel),  du  Moulin  déclare  cette  étude  pernicieuse. 
Les  Remonstrants  peuvent  donc  accuser  du  Moulin  d'avoir  changé 
d'attitude.  Les  dogmes,  chez  les  individus  comme  dans  les  sociétés,  se 
forment  par  opposition  à  l'hérésie. 

6  Ayinon,  t.  II,  p.  143.  Du  Moulin  essaya  plus  tard  en  vain  de  faire 
prêter  un  serinent  analogue.  Voyez  p.  56.  6. 


-     57     — 

Du  Moulin  est  à  l'apogée  de  sa  gloire  et  de  son  influence. 
Redouté  de  ses  adversaires  catholiques,  vainqueur  de  l'hé- 
résie salmurienne1,  il  est  l'homme  le  plus  en  vue  parmi 
les  protestants,  le  plus  grand  docteur  que  notre  Église  ait 
eu,  quand  survient  dans  sa  vie  un  grand  bouleversement. 

Peu  de  jours  avant  d'être  député  à  Alais,  du  Moulin 
avait  vu  l'ambassadeur  du  roi  d'Angleterre  auprès  de 
Louis  XIII,  M.  Herbert,  baron  de  Gherbury,  qui  l'avait 
prié  d'écrire  à  Jacques  Ier,  pour  l'exhorter  à  prendre  la 
défense  de  son  gendre,  le  roi  de  Bohême.  Du  Moulin  s'était 
défendu,  puis  avait  cédé  imprudemment.  Ses  lettres  par- 
vinrent au  conseil  privé  du  roi  de  France.  Il  fut  décidé  que 
du  Moulin  serait  arrêté  et  emprisonné,  pour  avoir  invité 
un  roi  étranger  à  prendre  les  armes  en  faveur  des  Eglises 
réformées. 

A  ce  moment  il  se  produisit  un  grand  changement  dans 
la  situation  des  protestants  en  France.  Louis  XIII,  voulant 
anéantir  leur  puissance  politique,  commençait  à  leur  en- 
lever les  places  de  sûreté  que  l'Édit  de  Nantes  leur  avait 
accordées.  En  1620,  il  annexait  le  Béarn  à  la  France  et  y 
rétablissait  le  culte  catholique.  On  sait  qu'à  l'appel  du  duc 
de  Rohan  les  protestants  se  révoltèrent.  Ils  perdirent  l'une 
après  l'autre  toutes  leurs  places  fortes,  la  dernière,  La 
Rochelle,  en  1629,  et  furent  à  la  merci  de  la  royauté2.  Du 

1  Les  Remonstrants  sont  exilés  (Lettre  :  Rcmonstrantes  exulcs  ad 
cl.  Virum  D.  Petrum  Molinœum  (Epistolœ,  p.  570).  En  1622  paraît 
un  livre  contre  du  Moulin  :  Pétri  Molinœi  mala  encheiresis,  avec  une 
êpitre  adressée  aux  Arminiens,  tum  iis,  qui  in  exilium  conjecti  surit, 
tum  iis  qui  in  patria  adhuc  terra  cum  gemitu  hic  illic patentes 
vagantur. 

2  Louis  XIII,  après  les  avoir  désarmés,  ne  les  inquiéta  plus.  La 
guerre  d'extermination  ne  commença  cpa'avec  Louis  XI V. 


-     58    — 

Moulin,  pensant  que  les  protestants  n'étaient  pas  de  force 
à  lutter,  conseillait  la  soumission1.  Mais  à  cause  de  ses 
relations  considérables  avec  l'étranger,  on  craignait  qu'il 
ne  cherchât  des  alliés  au  parti  protestant2. 

Il  était  à  Mais,  ne  sachant  rien.  Il  devait  à  son  retour 
passer  par  Montauban  et  La  Rochelle  et  on  attendait  cela 
pour  le  prendre  sur  le  fait  de  rébellion.  Car  à  ce  moment 
une  assemblée  politique  protestante  siégeait  à  La  Rochelle, 
malgré  l'ordre  du  roi  qui  l'avait  dissoute.  Quand  il  apprit 
cela,  du  Moulin  abandonna  son  projet  :  c'est  ce  qui  le 
sauva.  Il  se  dirigea  vers  Lyon.  Là  il  reçut  de  son  collègue, 
M.  Drelincourt,  une  lettre  l'avertissant  du  danger.  Au  lieu 
de  venir  directement  à  Paris,  il  s'arrêta  à  Grigny  et  fit 
prévenir  sa  femme,  qui  lui  envoya  son  frère  Jean,  pour  lui 
ôter  toute  crainte.  Du  Moulin  entra  donc  à  Paris;  mais 
avant  d'aller  chez  lui,  il  fut  voir  l'ambassadeur,  M.  Her- 
bert, qu'il  trouva  se  mettant  au  lit,  et  qui  lui  dit  de  fuir 
en  toute  hâte.  Du  Moulin  entra  dans  une  maison  voisine, 
rue  du  Colombier;  sa  femme  lui  envoya  un  habit,  puis  il 
partit  avec  son  frère,  à  cheval,  et   arriva  à  Lumigny, 


1  Nous  avons  la  lettre  que  du  Moulin  envoya  à  la  Rochelle,  en  arri- 
vant à  Sedan  (conservée  en  latin  par  Bâtes.  Vitœ,  pp.  712  à  715),  lettre 
très  pressante  où  il  dit  que  la  résistance  donne  au  roi  l'occasion  désirée 
pour  ôter  aux  protestants  les  libertés  accordées  par  Henri  IV. 

«  La  copie  de  mes  lettres  se  trouvera  en  un  livre  in-octavo,  couvert  de 
«veau  noir»  (Autob.). 

L'adversaire  des  idées  de  du  Moulin  dans  cette  assemblée,  que  l'on 
soupçonne  d'avoir  été  payé  pour  exciter  les  protestants,  est  Brachet, 
sieur  de  la  Milletière,  qui  plus  tard  abjura  et  écrivit  des  traités  sur 
l'union  possible  des  catholiques  et  des  protestants,  traités  qui  furent 
décriés  par  les  deux  partis. 

2  C'est  pour  cela  que  du  Moulin  ne  put  jamais  revenir  à  Paris. 


—    59    - 

chez  le  comte  de  Suze.  Là  il  reçut  deux  anciens  de  son 
Église  qu'il  avait  consultée  et  qui  lui  faisait  dire  de  songer 
à  sa  sûreté.  Il  partit  donc  pour  Sedan,  où  il  arriva  le 
5  janvier  1621. 

Le  duc  de  Bouillon  le  reçut  fort  bien,  le  logea  dans  son 
château  et  le  fît  manger  à  sa  table.  Du  Moulin  parait  avoir 
habité  chez  le  duc  jusque  vers  la  fin  de  sa  vie,  quand  ses 
infirmités  l'empêchèrent  de  «monter  au  château».  Mais 
peu  après  son  arrivée  à  Sedan ,  il  quitta  pour  quelque 
temps  cet  asile  et  passa  en  Angleterre1.  Il  était  dans  le 
plus  grand  dénûment.  Jacques  Ier  apprit  sa  présence  à 
Londres  et  lui  fit  des  cadeaux.  Le  21  juillet  il  est  de  retour 
à  Sedan.  Il  écrit  alors  à  André  Rivet2,  son  beau-frère  :  il 
est  triste  et  découragé.  Le  malheur  s'appesantit  sur  les 
protestants.  «Après  Sancerre ,  Jargeau,  Saumur,  Xain- 
tonge  &  Poictou  perdues»,  il  perdent  «Guienne  et  Nérac». 
—  «Tout  cède,  il  n'y  a  plus  que  le  Languedoc  où  on 
s'appreste  à  faire  quelque  foible  résistance.  On  se  prépare 
à  assiéger  Montauban.  La  Rochelle  tient  encore...  Nos 
voisins  nous  regardent  les  bras  croisés...  Dieu  seul  peut 
nous  secourir,  et  semble  qu'il  ait  entièrement  détourné  sa 
face  de  nous.  » 

Puis  il  reprend  courage  et  écrit  à  son  Église  pour  la 
consoler.  Il  signe  encore  du  Moulin,  ministre  en  l'Église 
de  Paris.  Il  pensait  d'abord  se  réfugier  à  Sedan  pour  quel- 
que temps  seulement;  mais  il  ne  put  jamais  retourner  à 
Paris.  On  fit  par  la  suite  de  nombreuses  démarches  auprès 

1  Quick  (ms.)  affirme  qu'il  l'a  entendu  raconter  à  deux  des  anciens 
élèves  de  du  Moulin. 

2  Lettre  publiée  dans  le  Bulletin. 


—    60- 
de  Louis  XIII;  tout  fut  inutile1.   Une  grande  et  glorieuse 
période  de  la  vie  de  du  Moulin  est  définitivement  close;  à 
cinquante-trois  ans  il  doit  recommencer  sa  carrière. 

Le  1er  octobre  1621,  le  duc  de  Bouillon  ayant  renvoyé 
Tilénus 2,  du  Moulin  fut  nommé  à  sa  place  pasteur  et  pro- 
fesseur en  théologie  à  Sedan,  «à  quinze  cens  livres  de 
gages  et  douze  cordes  de  bois3»  pour  les  deux  fonctions. 
Le  19  août,  les  membres  du  consistoire  de  Sedan  avaient 
déjà  invité  du  Moulin  a  prendre  place  au  milieu  d'eux. 
Au  21  octobre,  le  registre  du  consistoire,  dont  la  marge 
est  rongée  par  l'humidité,  porte  ces  mots  : 

«...  oulin  est  entré  en  charge 
«...  glise  au  premier  de  ce  moys 
«  ...  sidé  aujourd'hui  pour  le...» 

La  principauté  indépendante  de  Sedan,  Jametz  et  Gau- 
court  appartenait  au  duc  de  Bouillon,  Frédéric-Maurice. 
Le  duc  venait  de  fonder  une  académie  protestante  dans  sa 
ville  et  recevait  volontiers  les  exilés  de  tous  les  pays  voi- 
sins. Les  talents  et  les  richesses  affluaient  dans  ce  petit 
pays  heureux  et  libre. 

1  Voir  :  Synode  gén.  de  Saint-Maurice,  1623  :  Louis  XIII  a  refusé. 
Synode  gén.  de  Castres,  1626.  Le  roi  a  accordé  la  demande  (il  y  eut 
sans  doute  contre-ordre,  à  moins  qu'Aymon  ne  se  trompe,  car  je  n'ai 
vu  cela  nulle  part,  et  comme  du  Moulin  s'était  joint  à  ses  collègues 
pour  faire  la  demande ,  il  serait  retourné  à  Paris,  si  cela  lui  eût  été 
accordé). 

2  Quelques-uns  accusèrent  à  tort  du  Moulin  d'avoir  excité  des 
troubles  jiour  faire  chasser  Tilénus,  car  celui-ci  était  parti  avant  que  du 
-Moulin  ne  vînt  à  Sedan.  Voir  la  Justification  de  M.  du  Moulin  contre... 
Limbourg. 

2  Autobiographie. 

*  Depuis  le  Synode  de  «  Gergeau  »  1601,  les  Églises  de  la  princi- 
pauté étaient  unies  au  Synode  de  l'Ile  de  France.  Quick,  Synodes,  p.  212. 


—    61     — 

Du  Moulin  fut  encore  assez  longtemps  troublé,  pré- 
occupé et  triste.  Ce  changement  clans  sa  vie  lui  fut  d'abord 
très  pénible.  Sa  santé  n'est  plus  aussi  bonne  qu'en  1599, 
quand  il  arrivait  à  Paris.  Il  sent  que  bien  des  choses 
l'abandonnent.  Mais  il  a  encore  une  lutte  de  trente-sept 
ans  à  soutenir  à  Sedan,  une  nouvelle  gloire  à  acquérir, 
une  nouvelle  influence  à  exercer. 

Il  ne  tarda  pas  à  être  frappé  de  deuil  :  le  12  août  1622 
sa  femme,  Marie  Golignon  mourut.  Il  resta  veuf  quinze 
mois.  Il  fut  en  proie  assez  longtemps  à  une  violente  dy- 
senterie. Quand  il  fut  guéri,  il  promit  le  mariage  à  Sarrah 
de  Gelhay,  qui  demeurait  à  Jametz.  Puis,  poussé  par  ses 
proches,  il  tenta  de  rompre  ses  engagements  ;  enfin  dans 
d'autres  douleurs  il  vit  une  punition  de  Dieu,  et  il  remplit 
sa  promesse  le  46  novembre  1623  1. 

Après  plusieurs  années  d'attente  impatiente,  du  Moulin 
semble  avoir  pris  son  parti  de  sa  nouvelle  existence.  Sa 
vie  fut  beaucoup  plus  paisible  extérieurement  du  moins 
qu'à  Paris.  Les  occasions  de  conférences  avec  les  catho- 
liques manquaient.  Il  ne  fait  plus  de  controverse  que  dans 
ses  ouvrages. 

Du  Perron  n'avait  pas  abandonné  le  combat  contre 
Jacques  Ier;  depuis  1615  il  travaillait  à  un  grand  ouvrage. 
Mais  pour  le  faire  aussi  parfait  que  possible,  et  craignant 
que  du  Moulin  ne  lui  taillât  d'autre  besogne,  il  ne  voulait 
pas  que  cet  ouvrage  fût  publié  avant  sa  mort.  En  1623  du 

1  II  eut  plusieurs  enfants  de  sa  seconde  femme.  La  paix  ne  dut 
pas  régner  sans  cesse  dans  la  famille,  si  nous  en  jugeons  d'après  ce  qui 
se  passa  à  la  mort  de  du  .Moulin.  Voir  les  Lettres  manuscrites  de  Marie 
du  Moulin. 


—    62     - 

Perron  mourut,  et  le  livre  parut.  Jacques  Ie1  appela  du 
Moulin  pour  le  réfuter  ;  il  le  reçut  fort  bien,  et  mit  à  sa 
disposition  la  bibliothèque  royale.  Du  Moulin  se  mit  à 
l'œuvre,  travaillant  là  sans  repos.  Pour  le  payer  de  ses 
efforts,  Jacques  Ier  voulut  lui  donner  «the  hospital  ofthe 
Savoy  »;  mais  comme  cet  hôpital  était  près  de  Whitehall, 
les  chapelains  écossais  du  roi  le  demandèrent  et  l'obtin- 
rent i. 

Gomme  l'ouvrage  avançait,  du  Moulin  tomba  malade 
«  d'une  humeur  mélancolique  et  atrabilière2.  »  La  peste, 
autour  de  lui,  décimait  le  peuple.  En  même  temps  de  mau- 
vaises nouvelles  arrivaient  des  Eglises  de  France.  Celle  de 
Sedan  commençait  à  douter  du  retour  de  du  Moulin3. 
Enfin,  comme  il  était  resté  une  année  à  peu  près  en 
Angleterre,  Jacques  Ier  mourut.  Du  Moulin  toujours 
malade,  fit  venir  sa  femme,  et  partit  pour  Sedan. 

Il  se  trouvait  sur  un  vaisseau  français.  Malgré  un  dé- 
guisement qu'il  avait  pris,  il  fut  reconnu.  Un  grand  vent 
empêcha  d'aborder  à  Dieppe  :  on  avertit  le  gouverneur. 
Cependant  du  Moulin  put  débarquer,  et  quitter  la  ville  ;  il 
prit  la  route  de  Rouen.  En  chemin  il  fut  rejoint  par  trois 
sergents  que  le  gouverneur  de  Dieppe  avait  envoyés  à  sa 
poursuite.    «.  Je  fis  semblant,   dit-il,  d'estre  pressé  d'une 

1  Jacques  Ier  lui  offrit  en  compensation  une  rcctoriam  sine  cura  que 
du  Moulin  refusa  comme  un  don  trop  insignifiant.  Puis,  son  fds  ayant 
providentiellement  échappé  aux  armées  papistes,  il  l'accepta  (c'est  ainsi 
qu'il  faut  traduire  Bâtes,  et  non  comme  Quick,  qui  lui  fait  faire  un 
solécisme). 

2  Autobiographie. 

3  Voir:  Lettres  choisies  de  la  duchesse  de  Bouillon  à  la  duchesse 
de  la  Tremouille,  1598-1G28,  publiées  dans  le  Bulletin  (1G  juillet  1G24). 


—    63     — 

nécessité  naturelle,  &  laissant  mon  cheval  à  mon  fils,  je 
quittai  ma  casaque  grise  &  ma  fausse  perruque,  &  par 
chemin  écarté,  parvins  à  Rouen  l.  »  Là  il  coucha  chez 
Monsieur  de  l'Angle,  son  neveu.  Le  Président  de  Rouen 
reçut  l'ordre  de  le  chercher,  mais  il  le  fit  «  ut  qui  noluierit 
invenire2  »  et  du  Moulin  arriva  à  Sedan. 

Là,  pour  corriger  son  «  humeur  atrabilière  »,  il  but  de 
l'eau  de  Spa  qui  lui  donna  une  fièvre  ardente,  et  le  mit  à 
deux  doigts  de  la  mort.  Il  fut  malade  vingt-deux  mois  3. 
Quand  il  fut  remis  il  publia  le  fruit  de  son  travail,  son 
grand  ouvrage,  celui  où  il  a  concentré  tous  ses  efforts  et 
montré  tout  son  talent,  la  Nouveauté  du  Papisme. 

Nouveau  voyage  en  1628.  La  duchesse  de  Bouillon  le 
pria  d'aller  à  Liège  visiter  Monsieur  de  Turenne,  son  fils, 
malade4.  Il  y  trouva  le  duc  de  Bouillon,  «  qui  alors  minu- 
toit  sa  révolte  &  me  pria  de  me  retirer 5  ».  A  Naniur  il  se 
trouva  avec  son  fils  Cyrus.  «  Nous  n'avions  point  de  passe- 
ports, &  la  guerre  estoit  rude 6.  »  Près  de  Gharlemont,  à 
Givet,  la  garnison  espagnole  voulut  les  arrêter.  Ils  l'évi- 
tèrent en  allant  prendre  plus  loin  un  bateau  qu'ils  avaient 
loué.  Ils  firent  une  longue  route  à  pied,  par  une  grosse 
pluie.  Leur  barque  fut  arrêtée  et  visitée  par  les  Espagnols; 

1  Autobiographie. 

2  Bâtes,  Vitœ. 

3  Méditation  sur  la  grande  maladie...,  i625-i626  (Sedan,  in-12. 
1662). 

4  Une  lettre  de  1628  nous  apprend  que  du  Moulin  est  à  la  Haye. 
C'est  sans  doute  en  faisant  le  voyage  dont  nous  parlons  qu'il  s'y  arrêta. 
Cette  lettre  a  fait  croire  à  tort  à  ceux  qui  ne  connaissaient  pas  ce 
voyage  que  du  Mouliu  fut  alors  pasteur  à  la  Haye. 

6  Autobiographie. 
6  Ibid. 


—    64    — 

et  le  batelier  effrayé,  quand  il  fut  arrivé  au  rendez-vous, 
refusa  de  les  mener  plus  loin,  et  leur  lit  seulement  passer 
la  rivière. 

A  part  ces  deu>t  voyages,  la  vie  de  du  Moulin  fut  très 
tranquille  a  Sedan.  Il  est,  selon  sa  propre  expression, 
réfugié  dans  un  port  tranquille,  à  l'abri  des  tempêtes  qui 
agitent  la  France.  Il  ne  fut  pas  inquiété,  même  lorsque  la 
principauté  de  Sedan  fut  annexée.  Les  étrangers  venaient 
avec  plaisir  voir  le  célèbre  du  Moulin  ;  les  étudiants,  dont  il 
s'occupait  avec  zèle  affluaient  à  l'université  de  Sedan,  dans 
laquelle  il  était  maître  et  souverain,  et  qui  avec  lui  résista 
aux  hérésies;  il  resta  le  ferme  représentant  du  Calvinisme 
intraitable. 

Ses  occupations  furent  beaucoup  plus  variées  qu'à 
Paris.  De  temps  en  temps  il  écrivait  à  son  ancienne  Eglise 
pour  la  consoler  et  l'encourager  1.  Parfois  il  eut  à  se  dé- 
fendre contre  des  attaques  personnelles  :  un  certain  Léo- 
nard, dit  Limbourg,  auquel  il  avait  rendu  service  pendant 
ses  études,  abjura  en  le  calomniant 2.  C'est  du  Moulin  que 
ses  collègues  chargent  de  correspondre  avec  le  pasteur  de 
Metz,  Ferry,  dont  le  troupeau  se  plaignait  parce  qu'il  ne 
le  comprenait  pas,  surtout  dans  ses  prières3,  et  qui  dut 
venir  se  justifier.  De  lui-même  il  donne  à  Ferry,  son  ami, 
plus  jeune,  des  conseils  de  prudence  et  de  modération  u. 
C'est  lui  qui  a  la  mission  de  saluer  le  cardinal  Mazarin, 


1  Du  combat  chrcstien  ou  des  Afflictions. 

-  Justification  de  M.  du  Moulin  contre  les  calomnies  de  Léonard, 
dit  Limbourg.  —  Voir  aussi  le  Registre  du  Consistoire  de  Sedan. 

3  Lettres  inédites  de  du  Moulin,  10  septembre  et  2  octobre  1623. 

4  Lettres  inédites.  10  août  1626. 


—    65     — 

quand  il  t'ait  une  visite  à  Sedan  l.  Il  fait  des  cours  à  la 
Faculté  ;  tous  les  dimanches  il  prêche  devant  un  auditoire 
nombreux.  Souvent  les  adversaires  viennent  l'entendre, 
entre  autres  le  jésuite  François  Véron,  alors  curé  de  Cha- 
renton2.  Des  Capucins  le  réfutèrent  dans  leurs  sermons, 
puis  allèrent  au  temple  entendre  la  réplique  de  du  Moulin 
qui  prononça  et  écrivit  à  cette  occasion  «  trois  prédications 
esquelles  (il)  s'estend  en  (leur)  présence  sur  les  contro- 
verses 3.  »  Le  consistoire  exerce  sur  la  ville  une  surveil- 
lance disciplinaire  très  sévère 4.  Des  étudiants  sont  cités, 
un  pasteur  suspendu  de  ses  fonctions.  Le  peuple  qui  sort 
pendant  le  baptême,  à  la  fin  du  service,  pour  se  promener 
sur  la  place  est  sévèrement  repris.  Le  duc,  qui  permet  que 
l'on  danse  chez  lui,  reçoit  des  remontrances.  Parfois  du 
Moulin,  qui  mène  rondement  les  choses,  est  maltraité. 
«  Pour  m'estre  plaint  des  eschevins  de  ceste  ville,  qui 
divertissent  les  deniers  qu'ils  doivent  à  nos  pauvres,  et 
souffrent  qu'ils  soyent  employés  à  d'autres  usages,  je  suis 
devenu  un  menteur,  un  impudent,  un  séditieux  etc. 5  » 

Une  chose  occupa  beaucoup  du  Moulin  et  l'attrista  :  ce 
fut  la  politique  du  duc  de  Bouillon.  En  1634,  celui-ci 
épousa  une  catholique.  Tout  le  consistoire  alla  le  trouver 
à  la  grille  de  son  château;  il  déclara  publiquement  son 
«  marrissement,  &  la  repentance  qu'il  avoit  de  son  péché  », 
se  recommandant  aux  prières  de  l'Église.  Mais  deux  ans 


1  Lettres  inédites  de  du  Moulin,  31  inay  1651. 

2  Voir  Nouvelle  série...  par  Véron. 

■  Trois  sermons  faits  en  présence  des  Capu 

4  Voir  le  Registre  du  Consistoire  à  Sedan. 

5  Lettres  inédites.  31  may  1651. 


-     G6     — 

après,  il  abjura.  En  1G/i2,  ayant  mécontenté  Louis  XIII, 
il  fut  obligé  de  lui  céder  sa  principauté.  Cependant  du 
Moulin  put  rester  à  Sedan  jusqu'à  sa  mort. 

Comme  il  eut  plus  de  loisir,  il  écrivit  beaucoup.  C'est 
dans  cette  période  de  sa  vie  qu'il  faut  placer  la  rédaction 
de  la  plupart  de  ses  grands  ouvrages.  C'est  pourquoi  j'en 
dirai  ici  quelque  chose,  sans  les  énumérer,  car  on  en 
connaît  une  centaine  au  moins1. 

Quelques  mots  d'abord  de  son  style.  Les  adversaires  lui 
reprochent  «de  fréquentes  redites,  des  bouffonneries, 
gausseries  &  impietés,  qui  sont  comme  le  cachet  volant 
de  ses  écrits2».  Us  n'ont  pas  complètement  tort,  et  nous 
avons  vu  ce  qu'il  faut  penser  de  ces  excès  de  langage. 
Mais  tous  reconnaissent  les  qualités  de  l'esprit  de  du 
Moulin,  prompt,  mordant,  avec  la  finesse  et  la  grâce,  qui 
fait  passer  même  l'injure,  parce  qu'elle  est  si  bien  amenée. 

«  Et  Moulin,  d'un  souffle  riant 

«  En  ses  écrits,  fait  le  zéphire3...  » 

«  Votre  discours  est  si  coulant 

«  Qu'on  vous  nomme  moulin  à  l'huyle4...  » 

«  Votre  discours  est  si  friand 

«  Et  vous  rapporte  un  si  grand  lucre, 

«  Que  vos  amis  en  souriant 

«  Vous  appellent  Moulin  à  sucre  5.  » 

>  D'ailleurs  ce  travail  est  fait  d'une  façon  assez  complète  dans  la 
nouvelle  édition  de  la  France  Protestante.  Je  me  bornerai,  dans  un 
appendice,  à  noter  les  ouvrages  et  les  éditions  que  j'ai  eus  entre  les 
mains,  et  qui  ne  sont  pas  connus  de  la  France  Protestante. 

2  Rabelais  réformé,  p.  G. 

3  Ibicl,  p.  92. 
*  Ibid.,  p.  19. 
s  Ibid.,  p.  20. 


—     G7     — 

Mais  la  principale  qualité  de  ce  style  est  qu'il  est  naturel, 
frais  et  coulant  de  source  «  Je  ne  fay  point  consister  le  vray 
sçavoir  à  élaborer  &  embellir  son  langage  de  beaucoup 
d'ornemens  :  la  simplicité  a  plus  d'efficace1. 

La  simplicité  a  plus  d'efficace,  on  songe  à  ces  mots  en 
lisant  les  sermons  de  du  Moulin2.  Il  y  en  a  qui  sont  des 
sermons  de  controverse,  il  y  en  a  qui  sont  des  leçons  d'exé- 
gèse ou  de  dogmatique;  alors  ils  ressemblent  aux  traités 
de  controverse  ou  de  polémique.  Mais  quand  du  Moulin 
s'efforce  d' «enseigner  aux  hommes  à  bien  vivre  plustost 
qu'à  disputer,  (de)  les  rendre  bons  &  vertueux  plustost 
que  sçavans»,  alors  les  sermons  ont  un  caractère  tout 
particulier.  Ils  devaient  durer  une  heure  a  peu  près,  et  l'on 
comprend  que  l'auditoire  ne  fût  pas  lassé,  parce  que  c'est 
simple  et  vrai  comme  la  nature.  C'est  l'âme  d'un  homme 
de  bien  qui  se  montre  telle  qu'elle  est.  Et  cette  simpli- 
cité n'empêche  pas  les  images  saisissantes  et  les  grands 
élans.  Je  ne  puis  m'empêcher  ici  de  faire  quelques  citations 
qui  montreront  mieux  le  du  Moulin  de  la  chaire  que  ne 
saurait  le  faire  une  longue  analyse  : 

«  Tout  ainsi  qu'il  y  a  des  oiseaux  qui  chantent  en  mon- 
tant, tant  qu'on  les  perd  de  veue,  lesquels  tout  à  coup 
baissent  leur  vol  &  fondent  vers  terre  pour  trouver  à  man- 
ger ;  ainsi  il  nous  arrive  qu'après  des  sa inctes  pensées, 
&  après  avoir  eslevé  nos  esprits  en  des  méditations  célestes, 
nous  rabaissons  incontinent  ce  vol,  &  retournons  aux 
sollicitations  terriennes3.  » 

1  Lettre  à  ses  fils,  servant  de  préface  à  la  VIIIe  Décade. 

2  Dix  Décades  et  des  sermons  détachés. 
V  ta  Décade,  1G55.  1er  sermon,  p.  11. 


—     68     - 

...«Es  autres  maisons,  on  voici  des  femmes  délicates, 
qui  sont  dégoustées  sans  estre  malades,  qui  sont  tristes, 
sans  sçavoir  pourquoy,  qui  pensent  avoir  bonne  grâce  à 
pleurer  pour  choses  légères  et  imaginaires.  Le  vray  remède 
à  ceste  délicatesse  est  que  Dieu  leur  envoyé  quelque  rude 
affliction,  afin  qu'ils  pleurent  avec  raison...  Dieu  veut  que 
nous  ayons  piété  gaie,  &  une  fiance  en  lui  avec  tranquillité 
d'esprit.  Il  n'aime  pas  ceux  qui  couvent  leurs  douleurs  en 
secret,  &  qui  ont  toujours  les  ongles  dans  leurs  playes1...  » 

.  ..«La  joie  (des  pécheurs)  est  un  esgayement  brutal,  un 
chatouillement  trompeur,  une  léthargie  spirituelle,  dont 
l'endormissement  se  continue  avec  la  mort.  Tel  est  l'esgaye- 
ment  insolent  d'une  troupe  d'ivrognes,  qui  pensent  tous 
estre  riches,  et  grands  personnages,  pendant  que  chez  eux 
il  y  a  faute  de  pain.  Ils  sont  semblables  aux  bestes  qui 
s'esgayent  &  bondissent  en  un  pré  une  heure  auparavant 
qu'on  les  meine  à  la  boucherie2.» 

Les  ouvrages  de  controverse  anticatholiques  sont  les 
plus  nombreux.  Nous  avons  cité  quelques-uns  des  plus 
importants.  Du  Moulin  y  montre  les  mêmes  qualités  que 
dans  les  disputes  orales,  prenant  toujours  l'offensive,  trou- 
blant l'adversaire  par  son  érudition,  sa  raillerie,  la  finesse 
et  l'a  propos  de  ses  réparties. 

Pour  lui  toute  la  vérité  nécessaire  au  salut  est  contenue 
dans  l'Écriture  sainte.  Quant  à  l'Église  catholique,  elle  est 
tout  simplement  l'œuvre  du  diable.  Gela  est  de  son  temps. 


1  VIIe  Décade,  1er  sermon,  pp.  5  et  G. 

2  VIIIfi  Décade,  1er  sermon,  pp.  4  et  5. 


—    69    — 

L'Eglise  est  une  puissance  trompeuse,  qui  cache  sciemment 
la  vérité  «comme  les  voleurs,  qui  souillent  la  chandelle1.  » 
Toute  l'argumentation  de  du  Moulin  consiste  à  inonder  de 
lumière  de  tous  côtés  cette  puissance  des  ténèbres. 

Pas  de  plan  ni  de  composition  dans  la  plupart  de  ces 
livres.  Bien  qu'intéressants  dans  le  détail,  ce  sont  des  amas 
informes.  Bailleurs,  comme  il  répondait  toujours  à  quelque 
adversaire,  il  arrivait  rarement  à  du  Moulin  de  pouvoir 
«suivre  le  fil  de  ses  propres  conceptions2».  Il  indique  dans 
plusieurs  passages  une  division  qu'il  ne  suit  nulle  part. 
mais  qui  correspond  bien  a  la  diversité' de  ses  arguments. 
Le  catholicisme,  dit-il,  «renferme  des  clauses  dont  les  unes 
sont  contraires  à  l'Évangile,  les  autres  à  la  Raison  &  au 
sens  commun,  les  autres  au  Papisme  lui-même».  Du 
Moulin  se  nourrit  de  l'Écriture,  dont  il  accepte  chaque 
passage  «sans  interprétation».  11  veut  émanciper  la  raison, 
c'est-à-dire  qu'il  oppose  la  lumière  de  l'intelligence,  la 
droiture  de  la  conscience,  et  l'élévation  du  cœur  à  la 
subtilité  de  «celte  théologie  embrouillée  (d'où)  se  tirent 
les  distinctions...  dont  on  se  couvre  contre  la  vérité3.  Puis 
il  fouille  l'histoire  du  catholicisme,  il  le  montre  se  déve- 
loppant, rempli  de  contradictions,  «comme  les  gémaux, 
séparés  par  les  testes,  unis  par  le  ventre4». 

Toute  la  controverse  de  du  Moulin,  pour  être  un  peu 
grossière  et  extérieure,  c'est-à-dire  de  son  temps,  n'en  est 
pas  moins  très  forte.  On  peut  trouver  des  arguments  plus 

1  Anti-Barbare. 

2  Lettres  inédites. 

8  Anatomie  de  la  messe. 

4  Anti-Barbare.  Il  faut  lire  les  premiers  chapitres,  plaidoyer  en 
faveur  du  bon  sens  et  de  la  vérité. 


-     70     — 

profonds,  ceux  de  du  Moulin  sont  des  plus  convaincants 
pour  le  grand  public.  Il  a,  non  sans  quelque  raison,  la 
conviction,  d'avoir  vaincu  son  ennemi.  «Je  crains,  disait-il 
à  la  fin  de  sa  carrière,  je  crains  que  les  lèvres  de  la  bles- 
sure ne  se  referment  pour  un  temps;  mais  tôt  ou  tard,  la 
Bête  en  mourra  :  j'ai  porté  le  coup  assez  profond1.  » 

C'était  là  une  grande  joie  pour  du  Moulin.  11  eut  aussi 
une  grande  tristesse.  Dans  le  sein  du  protestantisme,  il 
vit  se  développer  l'hérésie,  qu'il  fut  impuissant  à  étouffer. 

Du  Moulin  était  entré  dans  la  carrière  pastorale  avec 
une  foi  fortement  ancrée,  une  conception  dogmatique 
achevée,  inébranlable.  C'était  un  caractère  inflexible,  auto- 
ritaire, ne  souffrant  pas  la  contradiction2.  Tel  il  entra  dans 
le  pastorat  en  1599,  tel  il  mourut.  D'abord  il  avait  été  à 
la  tête  du  mouvement  général,  mais  il  fut  pasteur  cin- 
quante-huit ans;  et  en  cinquante-huit  ans,  les  idées 
changent.  Les  jeunes  pasteurs  montaient,  les  vieux  dis- 
paraissaient; les  idées  s'adoucissaient,  les  factions  se  rap- 
prochaient ;  et  le  dogme  marchait.  Du  Moulin  secouait 
tristement  sa  tête  blanche,  en  voyant  passer  le  courant 
contre  lequel  il  se  sentait  impuissant.  Ce  fut  la  grande  dou- 
leur de  la  fin  de  sa  vie. 

La  grande  hérésie  fut  l'Arminianisme  dont  nous  avons 
montré  les  débuts. 

«Ceste  peste  s'espand  aisément  &  s'insinue  plausible- 
ment  dans  les  esprits  parce  qu'elle  revest  Dieu  d'affections 

1  Bâtes,  Vitœ. 

2  Homo  ignœus,  et  sui  opinione  lumens,  dit  Casaubon,  vexé  parce 
que  du  Moulin  l'a  traité  de  critique  inintelligent.  V.  Ephemerides 
Isaaci  Casauboni,  Oxford,  1850,  2  vol.  in-8°. 


-     71     — 

humaines.  —  Ces  innovateurs  travaillent  incessamment  et 
font  tous  les  jours  des  prosélytes  »  l. 

Amyraut  ne  publie  rien,  mais  a  Saumur,  où  allluent  les 
étudiants,  il  enseigne  ses  hérésies  à  ses  disciples  «qui 
portent  le  feu  par  les  provinces»2.  Alors  son  ancienne 
fougue  reprend  le  vieux  du  Moulin  ;  il  se  montre  inquiet  ; 
il  se  sent  soupçonné  ;  il  craint  qu'on  ne  le  tienne  pas  au 
courant  des  progrès  exacts  de  l'hérésie3.  C'est  un  homme 
d'un  autre  temps.  Sans  cesse  il  «pend  son  espée  au  croc: 
le  mal  croistra,  mais  avec  moindre  bruit».  Puis  il  s'irrite 
de  son  impuissance.  11  devient  pour  ses  collègues  un  sujet 
d'étonnement.  Ils  l'accusent  de  «proposer  (ses)  sentimens 
comme  des  oracles  infaillibles»  4.  Daillé  qui  a  succédé  à 
Durand  dit  qu'il  aurait  besoin  d'un  ami  qui  lui  conseillât 
la  modération.  Du  Moulin  cause  du  scandale. 

Amyraut  avait  signé  les  actes  des  synodes  de  Dordrecht 
et  d'Alais,  les  interprétant  à  sa  façon  5,  se  pliant  pour 
vaincre. 

En  1637,  l'affaire  reparut  dans  un  synode  provincial 
tenu  à  Charenton  (mars  et  avril).  La  situation  était  bien 
changée.  Du  Moulin  voulut  encore,  comme  à  Alais,  faire 
prêter  un  serment  aux  membres  du  synode,  mais  n'y 
réussit  pas6.  Ce  n'est  plus  une  défaite  des  Remonstrans, 
c'est  un  concordat.  On  nomme  une  commission,  qui  sur 
chaque  point  doit  trouver  une  formule  de  concorde. 

1  Lettres  inédites.  À  Ferry.  Sedan,  10  août  1649. 

2  Lettres  inédites.  A  Ferry.  Sedan,  5  août  1651. 
;i  Ibid. 

4  Lettre  de  du  Moulin  au  Synode  d'Alençon,  1637,  dans  Aymon. 

5  Voir  Aymon.  Synode  nat.  d'Alençon,  1637. 
c  Lettre  de  Daillé. 


—     72     — 

Au  synode  national  d'Alençon,  du  27  mai  au  9  juillet 
de  la  même  année,  Amyraut  et  Testard  viennent  défendre 
leurs  idées,  qu'ils  adoucissent  encore,  et  auxquelles  ils 
donnent  le  nom  de  Volonté  conditionnelle.  On  lit  une  lettre 
de  du  Moulin.  Amyraut  et  Testard  n'ont  rien  à  rétracter, 
car  plusieurs  provinces  sont  de  leur  sentiment  ;  mais  on 
recommande  aux  deux  parties  d'user  de  modération  dans 
les  termes,  et  on  leur  défend  de  plus  écrire  l'une  contre 
l'autre.  «Au  fond,  dit  du  Moulin,  se  trouve  que  par  cet 
accord,  Amyraut  a  obtenu  une  victoire  entière»  K 

Vers  1638.,  du  Moulin  écrit  Y Esclaircissement  des  con- 
troverses salmuriennes,  qui  circule  neuf  ans  manuscrit 2. 
Au  synode  national  de  Charenton,  en  1645,  on  se  plaint 
que  Testard  et  Amyraut  publient  leurs  écrits  malgré  la 
défense.  En  16Z[7,  du  Moulin  permet  à  Spanheim  de  faire 
publier  Y  Esclaircissement.  Il  fait  cela  pour  démentir  le 
bruit  qui  court  que  pendant  sa  maladie  de  cinq  ans,  du 
Moulin  a  changé  d'opinion  3.  Enfin  il  voit  avec  un  grand 
découragement  l'hérésie  profiter  du  rapprochement  qui  se 
fait  entre  les  Luthériens  et  les  Réformés.  Déjà  en  1631, 
le  synode  de  Charenton  a  admis  sans  conditions  les  luthé- 
riens à  la  Cène.  En  1651,  Daillé  leur  propose  de  s'entendre 
avec  les  Réformés  sur  les  bases  des  doctrines  de  Saumur 4. 

A  sa  mort,  du  Moulin  voit  l'hérésie  répandue  par  toute 
la  France5. 

1  Lettres  inédites.  A  Ferry,  Sedan,  5  janvier  1650. 

2  II  eut  cependant  une  édition  dès  1638,  mais  à  l'insu  de  du  Moulin, 
et  qu'il  ignorait  encore  en  1647. 

3  Lettre  en  tête  de  l'édition  de  1648. 

*  et 5  Lettres  inédites  —  de  Sedan,  5  août  1651,  et  suiv. 


—     73    — 

Il  eut  encore  une  grande  maladie,  qui  dura  cinq  ans, 
pendant  laquelle  il  fut  plusieurs  fois  à  deux  doigts  de 
la  mort.  Quand  il  en  sort1,  il  publie  encore  quelques 
ouvrages,  notamment  les  cinq  dernières  Décades;  mais  il 
se  considère  dès  lors  «comme  une  chandelle  qui  estant 
presque  toute  usée,  ne  répand  plus  guère  de  clarté  »  2.  Il 
est  encore  plein  de  courage  et  de  bonne  humeur.  «Dieu 
aime  une  probité  gaye,  une  joye  non  insolente»3.  Sa 
grande  expérience  des  hommes  aime  à  se  montrer  dans 
des  sentences  à  la  romaine,  mais  toujours  sous  une  forme 
fraîchement  imagée:  «Les  tonneaux  vuides  retentissent 
plus  que  les  pleins.  —  Les  petits  pots  bouillent  plus  facile- 
ment que  les  gros.  —  Les  petits  chiens  aboient  plus  volon- 
tiers que  les  grands». 

En  1651  «la  liberté  de  ses  jambes  l'empesche  de  monter 
au  Chasteau,  &  sa  dernière  surdité  lui  apporte  ceste  com- 
modité, qu'«7  n'entend  pas  les  injures4  ». 

En  1654,  âgé  de  plus  de  quatre-vingt-six  ans,  il  montait 
encore  à  cheval.  Il  tomba,  et  se  fit  une  blessure  dont  il 
demeura  faible  et  perclus5.  A  partir  de  ce  moment,  il 
décline,  il  sent  la  vie  en  lui  diminuer  de  jour  en  jour,  et 
se  prépare  à  la  mort.  Ses  lettres,  à  partir  de  ce  moment 


1  II  sort  de  sa  maladie  de  cinq  ans  en  1647  (préface  de  la  VIe  Dé- 
cade). En  1049,  dans  sa  Lettre  à  ses  fils,  il  parle  d'une  longue  maladie 
dont  il  sort.  Est-ce  la  même  dont  il  parle  de  nouveau  ?  Ou  bien  eut-il 
une  rechute  entre  1647  et  1649  ? 

2  Lettre  à  ses  fds  (préface  de  la  Ville  Décade). 

3  Ibid. 

4  Lettres  inédites.  5  août  1651. 

5  Dernières  heures. 


—     74     — 

de  plus  en  plus  courtes,  de  plus  en  plus  faibles,  donnent 
bien  l'impression  d'une  grande  Ame  qui  s'en  va. 

Cependant  il  continuait  à  vaquer  à  ses  occupations, 
donnant  chaque  semaine  une  prédication  et  deux  leçons  en 
théologie1.   «Il  avait  l'esprit  net,  (Se  la  mémoire  fidèle»  2. 

«Le  Mardy,  26  de  Février  1658,  il  se  trouva  à  son 
réveil  si  faible  &  oppressé ,  qu'il  creût  qu'il  lui  seroit 
impossible  de  faire  le  prêche,  mais  ayant  pris  courage,  il 
se  fit  mener  au  temple.  Estant  monté  en  chaire  avec  beau- 
coup de  peine,  il  eut  une  foiblesse  de  cœur.  On  lui  porta 
un  doigt  de  vin,  mais  il  n'en  voulut  point  goûter,  craignant 
qu'il  n'y  eût  de  l'indécence....  Si  tôt  qu'il  eut  fait  lecture 
de  son  texte,  en  ces  mots  du  Pseaume  XV,  ma  chair  reposera 
en  asseurance,  il  parla  avec  plus  de  vigueur  qu'il  n'avoit 
fait  de  long  temps,  &  s'appliqua  la  doctrine  qu'il  exposoit, 
en  donnant  des  témoignages  de  sa  foy  &  de  son  espérance 
à  ses  auditeurs,  aûquels  il  fit  une  espèce  d'adieu,  comme 
s'il  eût  eu  un  instinct  que  ce  seroit  la  dernière  fois  qu'il 
parleroit  à  eux  »  s. 

Puis  il  se  mit  au  lit.  Le  jeudi  on  atteudait  sa  mort.  Il 
se  recommanda  aux  prières  de  l'Église.  A  l'issue  de 
l'action,  un  grand  nombre  de  ses  fidèles  accourut  chez  lui 
pour  recevoir  sa  bénédiction.  Il  leur  parla  avec  présence 
d'esprit. 

Il  souffrit  quinze  jours.  Il  mourait  en  vrai  calviniste. 

1  Comme  le  temple,  qui  sert  maintenant  d'église  catholique,  était 
très  grand,  il  ne  prêchait  pas  le  dimanche,  mais  une  fois  dans  la  semaine. 

2  Dernières  heures. 

3  Ibid.,  pp.  2  et  3. 


—      /o     — 


«Je  n'ay  rien  fait,  Seigneur,  qui  ne  mérite  punition  — 
arrière  toute  autre  intercession,  arrière  tout  mérite  des 
œuvres,  toutes  nos  justices  ne  sont  que  souillures,  hélas 
mon  Dieu  !  »  «  Il  fut  un  jour  qu'à  chaque  réveil  il  disoit  : 
La  Parole  a  été  faite  chair  »  4.  Il  se  faisait  lire  des  psaumes 
par  un  étudiant  en  théologie,  achevant  les  passages  qu'il 
savait  par  cœur  et  les  expliquant.  La  «chambre  étoit  jour 
&  nuict  pleine  de  monde2». 

«  Les  quatre  premiers  jours  de  sa  maladie,  il  parla 
presque  sans  relasche  jour  &  nuict,  mais  les  six  derniers,... 
il  fut  la  plus  part  du  temps  dans  un  profond  assoupisse- 
ment, qu'il  combattoit avec  des  efforts  non  pareils;  picqués- 
moy,  disoit-il,  il  faut  que  je  m'esveillle,  ce  n'est  pas  le 
temps  de  dormir,  mais  de  mourir»  3. 

«Sa  maladie  étoit  une  inflammation  des  poulinons  avec 
fièvre  ardente  qui  lui  redoubloit  tous  les  jours  à  même 
heure4».  Parfois  la  douleur  le  jetait  dans  de  grandes 
plaintes.  «Tu  m'as  puni  suffisamment  pour  me  faire  sentir 
mon  péché5  ».  Puis  il  s'en  repentait. 

«Examinant  son  pouls,  il  disoit:  il  est  intermittent,  & 
présageroit  à  un  autre  la  mort  soudaine,  mais  cette  aine 
est  si  fort  attachée  à  ce  misérable  corps,  qu'elle  aura  de  la 
peine  à  en  sortir»  6.  Bientôt  il  ne  put  plus  parler,  mais  ses 
mains  &  ses  yeux  levés  en  haut  indiquaient  la  prière.  Enfin 


]  Dernières  heures,  pp.  G  et  25. 

*Ibicl,  p.  2G. 

3  Ibid.,  p.  24. 

*  Ibid.,  p.  19. 

'>  Ibid.,  p.  10. 

fi  Tbid.,  p.  10. 


-     76     — 


il  mourut  le  10  mars  1658,  «l'au  90  de  son  aage  ;  la  paix. 
&  la  joie  se  peignoient  sur  son  visage»  l. 


1  Dernières  heures,  p.  33. 

Du  Moulin  laissait  une  famille  nombreuse.  L'une  de  ses  filles  du 
premier  lit,  Marie,  avait  été  sans  cesse  à  côté  de  lui  dans  ses  maladies 
et  à  sa  mort  ;  elle  était  restée  fille,  et  avait  soigné  son  vieux  père.  Du 
Moulin  l'aimait  beaucoup.  Il  lui  avait  appris  l'hébreu,  si  bien  qu'elle 
correspondait  dans  cette  langue  avec  Rivet.  C'était  une  âme  d'élite  et 
un  esprit  élevé,  dans  sa  simplicité.  (Voir  les  Lettres  inédites  de  Marie 
du  Moulin,  à  la  Bibliothèque  de  l'histoire  du  Protestantisme  Français.) 
A  la  mort  de  du  Moulin,  c'est  elle  qui  mit  de  l'ordre  dans  les  affaires 
de  la  famille,  et  qui  prit  la  défense  des  enfants  du  premier  lit  contre 
leur  belle-mère.  Elle  sauva  ainsi  les  précieux  papiers  de  son  père,  dont 
un  «  jeune  homme  »  du  second  lit,  peu  cultivé,  voulait  s'emparer.  Que 
sont  devenus  ces  papiers  ? 


APPENDICE 


Suivent  les  titres  de  quelques  ouvrages  de  du  Moulin  que  nous 
avons  eus  entre  les  mains,  et  qu'on  ne  trouve  pas  dans  la  liste 
fort  bien  faite,  d'ailleurs,  de  la  France  protestante. 

1.  Complainte  d'un  fidelle  chrestien  sur  les  misères  qui  sont 
arrivez  aux  Églises  Réformez  de  France,  avec  une  prière  pour 
la  paix  et  restablissement  d'iceux  par  Pierre  du  Moulin. 
Sedan,  1023,  petit  in-4",  24  pages.  (À  la  Bibliothèque  de  l'Histoire 
du  Protestantisme  français.) 

2.  Examen  des  blasmes  qu'on  jette  ordinairement  contre 
Jean  Calvin.  Gharenlon,  1637,  in-8°,  40  pages.  (Au  même  endroit.) 

3.  Méditations  et  prières  sur  les  devoirs  généraux  du 
Chrestien.  Genève,  1726,  in-12,  161  pages.  (Au  même  endroit.) 

4.  Sainctes  prières,  plus  divers  traités.  .  .  par  Pierre  du 
Moulin,  Ministre  de  la  parole  de  Dieu  en  l'Église  de  Paris. 
Nimes,  1618,  très  petit  in-8°  oblong.  (Au  même  endroit.)  — 
Genève,  1633,  très  petit  in-8°  oblong.  (Ibid.)  Cela  est  un  faux 
titre,  les  divers  traités  n'ayant  pas  la  même  date.  Deux  de  ces 
traités  sont  inconnus  à  la  France  protestante.  Ce  sont  : 

5.  Préparation  àjeusne  et  repentance  P.  P.  D.  M.  Nimes, 
1618,  95  pages,  très  petit  in -8°  oblong,  édition  faite  à 
l'insu  de  l'auteur. 

6.  Sermon  fait  en  un  jour  de  Cène  par  Pierre  du  Moulin, 
Ministre  de  la  parole  de  Dieu  en  l'Église  de  Paris. 
Nimes,  1617,  69  pages,  très  petit  in -8°  oblong. 

7.  Sermon  expliquant  la  doctrine  de  l'Election  par  P.  D.  M. 
Minisire  de  la  Parole  de  Dieu.  Sedan,  1619,  in-8°,  92  pages. 
Dans  la  bibliothèque  de  M.  Paul  de  Félice. 

8.  Lettre  du  sieur  Drelincourt  à  M.  du  Moulin.  Ensemble  la 
Responce  du  sieur  du  Moulin  à  ladite  lettre  sur  Viniposturc 
descouverte  du  prétendu  ministre  Villeneuve.  Genève,  1631, 
in -8°.  A  la  Bibliothèque  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français. 


—     78     — 

La  France  protestante  colonne  821,  bas,  n°6,  présente  l'existence 
de  cette  réponse  comme  une  hypothèse. 

9.  Deuxième  partie  du  combat  Chrestien.  Genève,  16Ï2, 
in-8». 

10.  Examen  de  la  Doctrine  de  Messieurs  Amijrault  et 
Testard,  Vun  Pasteur  et  Professeur  en  théologie  à  Saumur, 
Vautre  Pasteur  à  Blois.  Touchant  la  Prédestination  et  les 
poincts  qui  en  dépendent.  Par  Pierre  du  Moulin,  Pasteur  et 
Professeur  en  théologie  à  Sedan.  Avec  un  advis  d'un  person- 
nage désincteressé  sur  ledit  Examen.  Publié  à  l'insu  de  l'auteur. 
Amsterdam,  1638,  petit  in-12.  (Communiqué  par  M.  Paul  de 
Félice.)  —  C'est  le  même  ouvrage  que  YEsclaircissement  des 
Controverses  salmuriennes  (France  protestante,  n°  LXXIII), 
publié  avec  l'autorisation  de  du  Moulin  en  1647  par  Spanheim. 
A  ce  moment  l'édition  de  1638,  Examen  etc.,  fautive,  incomplète 
et  clandestine,  est  encore  inconnue  à  l'auteur.  (Voir  Lettre  de  du 
Moulin  dans  les  pièces  liminaires  de  YEsclaircissement).  —  C'est 
à  cet  Examen  que  se  rapportent  évidemment  la  lettre  de  Daillé  à 
la  colonne  818  de  la  France  protestante. 

Pour  deux  ouvrages  connus  à  la  France  protestante,  nous 
avons  trouvé  une  édition  antérieure  à  la  première  qu'elle  donne. 

Fuites  et  Evasions  du  sieur  Arnoux  Jésuite.  Charenton, 
1616,  in-8». 

Trois  sermons  faits  en  présence  des  Pères  Capucins.  Sedan, 
1040,  in-8».  (Dans  la  bibliothèque  de  M.  Paul  de  Félice.) 

Les  éditions  mentionnées  ci-dessous  sont  également  inconnues 
à  la  France  jirotestante.  Les  chiffres  romains  représentent,  pour 
plus  de  brièveté,  les  titres  énumérés  dans  la  bibliographie  (co- 
lonnes 808  à  821),  qui  termine  le  bel  article  de  M.  Bordier. 

1.  Lugd.  Bat.,  1603.—  Éléments  de  la  Logique  Françoise, 
Gen.,  1625,  in-8°;  Paris,  1630,  très  petit  in-8°  oblong.  — 
IV.  Gen.,  1625,  in-8°  —  V.  La  Rochelle,  1608,  in-8».  — 
VI.  Gen.,  1631,  in-8».  —  VIL  Sans  lieu,  1610  et  1611,  in-8°.  — 
IX.  Gen.,  1635,  in-8".  —X.  Gen.,  1615,  1630,  1640,  in-8».  - 

XIV.  La  Rochelle,   1613,   petit  in-8";    Gen.,  1624,   in-8».    — 

XV.  Gen.,  1633,  1656,  in-8".  —  XVII.  Sedan,  1621,  in-8°;  Gen., 

1624,  in-8».  —  XXI.  Gen.,  1636,  in-8";  Paris,  1826,  in-8°.  — 
XXIII.  Nîmes,  1618,  petit  in-8"  oblong  ;  La  Rochelle,  1623,  in-8». 
—  XXIV.  Charenton,  1616,  1619,  in-8».  —  XXV.  Gen.,  1631, 
in_8o.  _  XXIX.  Gen.,  1632,  in-8».  —  XLI.  (Traduction).  Gen., 

1625,  in-8»;  Rouen,  1641,  in-16;  Paris,  1630, 1643,  très  petit  in-8» 
oblong.  —  XL1V.  Nimes,  1618,  très  petit  in-8»  oblong  (mis  en 
recueil  avec  d'autres  traités  sous  le  titre  de  Sainctes  prières  plus 
divers  traités).  — XLVI.  Gen.,  1630,  in-8».  -  XLIX.  Gen.,  1630, 


—     79     - 

1631,  in-8°.  —  LVII.  Sedan,  1636,  in-8%  Gen.,  1641,  1655, 
in-8».  —  LXVIII.  Sedan,  1640,  petit  in-4».  —  LXX.  s.  1.  1632, 
très  petit  in-8°;  Gharenton,  1674,  in-12.  —  LXXI.  Neuvième 
décade,  Gen.,  1671,  in-8°.  —  LXXIX.  Sermons  sur  quelques 
textes  de  V Écriture  sainte,  Gen.,  1636,  in-8". 

Pour  la  Défense  de  la  Foy  catliolique  contenue  au  livre  du 
roy  Jacques  Ier,  la  France  protestante,  sans  doute  sur  la  foi 
d'Aymon,  indique  (n°  VU)  :  La  Rochelle,  1604,  in-8".  Mais  cette 
édition  n'a  guère  pu  exister,  car  la  préface  est  datée  1610.  La 
mort  de  Henri  IV  arrive  pendant  que  du  Moulin  écrit  la  fin  de  la 
seconde  partie.  La  première  édition  doit  être  celle  de  1610. 

Le  n°  LXIV  n'est  pas  de  du  Moulin  ;  l'édition  mentionnée  porte 
P.M.D.D.M.S.E. 

Le  n°  LXXII,  Elementa  logicœ,  est  sans  doute  le  même  que 
le  n°  I  Elementa  logices,  dont  la  France  protestante  dit  qu'elle 
n'a  pas  vu  l'original. 


Vu: 

Le  Président  de  la  soutenance, 
A.  Viguié. 

Vu: 

Le  Doyen, 

F.   LlCHTENBERGER. 

Vu  et  permis  d'imprimer  : 

Le  Vice-Recteur  de  l'Académie  de  Paris, 

Gréard. 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages 

Piikia.ce.  —  Introduction.  —  Sources 3 

Première    Pautie.  —  Enfance   et  jeunesse  de   du  Moulin.   — 

Voyages.  —  Période  de  préparation 7 

Deuxième  Partie.  —  Du  Moulin   pasteur  à  Paris.    —   La  con- 
troverse anticatholique 21 

Troisième    Partie.    —   Du   Moulin    professeur   de   théologie  à 

Sedan,  sa  polémique  et  son  influence  théologique    ....  51 

APPENDICE.  —  Note  hibliographique 77 


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Strasbourg,  typ.  0     ^ischbacli.  —  3020. 


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